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Full text of "La Théologie affective, ou, Saint Thomas d'Aquin médité en vue de la prédication"

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TORONTO,  CANADA 


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LA 

THÉOLOGIE  AFFECTIVE 


ou 


SAINT  THOMAS 

D'AQ.UIN 

Médité  en  vue  de  la 

PRÉDICATION 

par  LOUIS  BAIL 

Docteur  en  Théologie 

NOUVELLE     ÉDITION 

REVUE    ET    ANNOTÉE   AVEC    LE     PLUS    GRAND    SOIN,    MISE    EN    FRANÇAIS   MODERNH 

ET    EN    HARMONIE 

AVEC    LES    PLUS   RÉCINTBS    DÉCISIONS    DE    l'BGLISB 

ET     LES     DERNIÈRES     DÉCOUVERTES     DE     LA     SCIENCE 

par  M.  l'Abbé  BOUGAL 

Docteur  en  ThiJologie 


T  O  M  K     PRE  M I K  R 

Des  attributs  de  Dieu.  —  De  la  Très 
Sainte  Trinité.  —  De§  Anges. 


MONTREJEAU 

(Haute-Garonne) 

LIBRAIRIE  J.-M.  SOUBIRON,  ÉDITEUR 

Droits  Je  reproduction  et  de  traduction  réservés. 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/lathologieaffe01bail 


LA 

THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

ou 

SAINT    THOMAS 

D'AQUIN 

EN  MÉDITATIONS 


PERMIS  D'IMPRIMER 

Toulouse,  le  i^'"  décembre  igoS. 
E.  F.  TOUZET, 

V.  g. 

SEP  1 1  1952 


V Editeur  se  réserve  tous  les  droits  de  reproduction 
et  de  traduction. 


Ce  volume  a  été  déposé  conformément  aux  lois 
en  décembre  1903. 


LA 

THÉOLOGIE  AFFECTIVE 


ou 


SAINT  THOMAS 

D'AQUIN 

Médité  en  vue  de  la 

PRÉDICATION 

par  LOUIS  BAIL 

Docteur  en  Théologie 

N  O  U  Y  E  L  L  K     K  D I  T  I  QJS' 

REVUE    ET   ANNOTEE  AVEC   LE    PLUS   GKAND   SOIN,    MISE   EN   FRANÇAIS  MOOBKNS 

ET   EN    HARMONIE 

AVEC    LES   PLUS   RECENTES    DECISIONS   DE    l'RGLISE 

ET     LES     DERNIÈRES    DÉCOUVERTES     DB    LA     SCIENCE 

par  Mi)i^AJ3it)!ەo^OUGAL 


TOME     PREMIER 
Des  attributs  de  Dieu.  —  De  la  Très 

Sainte  Trinité.  —  Des  Anges. 


LIBRAIRIE  J.-M.  SOUBIRON,  ÉDITEUR 

Droits  de  reproduction  et  de  traduction  réservés. 


PRÉFACE 

DE  LA  NOUVELLE  ÉDITION 


NOUS  n'aimons  pas  les  longs  discours  pré- 
liminaires, et  moins  encore  les  discours 
pro  domo.  Mais  le  lecteur,  en  ouvrant  ce  livre, 
nous  pose  une  double  question  à  laquelle  nous 
avons  le  devoir  de  répondre.  Il  veut  savoir  quel 
est  le  mérite  de  l'ouvrage  que  nous  lui  offrons 
et  quels  sont  les  avantages  que  nous  nous 
sommes  efforcé  de  réunir  dans  cette  nouvelle 
édition. 

A  la  première  question  nous  répondons  que 
nous  avons  cru  et  que  des  juges  très  compétents 
dans  cette  matière  ont  cru  comme  nous,  que 
réimprimer  la  «  Théologie  ajfective  »  de  Bail, 
théologien  français  du  xvii®  siècle,  serait  rendre 
un  service  signalé  à  tous  les  catholiques  instruits 
et  pieux,  mais  avant  tout  au  clergé  voué  au  ser- 
vice des  paroisses.  Il  est  incontestable  que  bien 
peu  délivres  parmi  la  multitude  de  ceux  que  nous 
offre  dans  ce  genre,  une  presse  toujours  active, 
traitent  des  vérités  chrétiennes  avec  cette  clarté, 
cette  sûreté  de  doctrine,  cette  méthode  et  cette 
heureuse  sobriété  dans  les  développements  qui 


1)  LA    TKHOLOGIE    AFFECTIVE 

permettent  au  prêtre  d'y  puiser  sans  perte  de 
temps,  la  matière  de  solides  instructions.  Qui 
pourrait  encore  se  faire  illusion  sur  le  premier 
devoir  qui  s'impose  au  prêtre  de  nos  jours  ? 
Est-ce  que  le  plus  grand  nombre  ne  blasphème 
pas  ce  qu'il  ignore  ?  Est-ce  que,  comme  au  temps 
de  Tertullien,  ofi  ne  nous  condamne  pas  sans 
nous  entendre  f  Combien  de  fois  nos  apologistes 
n'ont-ils  pas  eu  l'occasion  de  constater  l'igno- 
rance de  nos  dogmes  et  de  notre  morale  même 
chez  des  esprits  catholiques,  qui  se  distinguaient 
par  une  remarquable  culture  intellectuelle  ?  Et 
ce  mal  le  plus  redoutable  de  tous,  ne  va-t-il  pas 
s'aggravant  chaque  jour,  depuis  qu'une  haine 
du  surnaturel  très  clairvoyante  a  mis  à  la  porte 
de  l'école  l'instruction  religieuse,  que  même 
dans  nos  établissements  libres  la  nécessité  de 
venir  à  bout  d'un  programme  surchargé  a  obligé 
les  maîtres,  de  restreindre  le  temps  consacré 
jadis,  à  l'étude  de  la  première  de  toutes  les 
sciences  et  que  la  «  lutte  pour  la  vie  »  présente 
oriente  la  jeunesse  contemporaine  de  très  bonne 
heure,  vers  des  études  pratiques  et  utilitaires  qui 
lui  ôtent  le  temps  et  le  goût  d'acquérir  une 
connaissance  suffisante  de  leur  foi  et  de  leur  vie 
future?  Avant  toute  autre  chose,  il  importe  donc 
que  le  prêtre  soit  «  tm  professeur  de  doctrine 
chrétienne  »  selon  l'expression  d'un  savant 
écrivain.  Or,  il  trouvera  ici  cette  doctrine,  expo- 
sée dans  sa  totalité,  selon  l'ordre  adopté  par 
saint  Thomas  d'Aquin  dans  sa  «  Somme  théolo- 
gique //  ;  il  la  trouvera  dégagée  d'abord  de  toute 
question  purement  métaphysique  ou  trop  subtile 


PRÉFACE    DE    LA    NOUVELLE   ÉDITIOxN  iij 

qui  ne  peut  qu'absorber  l'esprit  au  détriment  du 
cœur,  démontrée  par  les  arguments  du  Docteur 
angélique,  auxquels  viennent  s'ajouter  des  preu- 
ves puisées  chez  les  autres  Docteurs  et  chez  les 
Pères  de  l'Eglise,  mise  en  une  lumière  acces- 
sible à  tous  par  de  saisissantes  comparaisons, 
couronnée  enfin  par  des  élévations  de  l'âme  où 
respire  la  plus  exquise  piété  et  par  des  résolu- 
tions auxquelles  le  cœur  se  laisse  d'autant  plus 
facilement  entraîner  qu'elles  découlent  logique- 
ment de  la  vérité  dogmatique  déjà  pleinement 
maîtresse  de  l'esprit.  Bossuet  a  dit  :  «  On  veut  de 
«  la  morale  dans  les  sermons,  et  on  a  raison, 
«  pourvu  qu'on  entende  que  la  morale  chré- 
«  tienne  est  fondée  sur  les  mystères  du  christia- 
«  nisme  (i).  C'est  bien  la  morale  telle  que  l'en- 
tend Bossuet  que  nous  offre  la  «  Théologie  2>  de 
Bail  :  elle  sort  toute  vivante  et  entraînante  de  la 
vie  de  Dieu  et  des  mystères  de  la  vie  de  Jésus- 
Christ  proposée  à  notre  imitation,  par  consé- 
quent des  entrailles  mêmes  du  dogme  :  c'est 
dans  ces  profondeurs  seulement  qu'elle  a  trouvé 
son  fondement  le  plus  solide  et  le  motif  le  plus 
efficace  pour  déterminer  le  cœur  humain, 
malgré  tant  de  sacrifices  qu'elle  en  exige,  à 
embrasser  la  pratique  du  bien.  Ajoutons  que  cet 
ouvrage  présente  une  triple  utilité  pour  le  prêtre: 
il  peut  lui  servir  de  Somme  théologique,  de 
Somme  de  prédication  et  de  Livre  de  méditation. 
Répondons  maintenant  à  la  seconde  question: 
comment  a  été  conçue  cette  nouvelle  édition  ? 
Donner,  pour  ce  qui  est  du  fond,  l'œuvre  de 

I.  Discours  sur  l'unité  de  l'Eglise. 


IV  LA    THEOLOGIE    AFFECTIVE 

Bail,  telle  qu'il  l'a  composée  lui-même,  en  res- 
pectant scrupuleusement  sa  pensée,  tel  a  été 
notre  but.  Pas  plus  que  le  dogme  et  la  morale 
catholique,  dont  elle  n'est  qu'un  fidèle  et  métho- 
dique exposé,  cette  œuvre  n'a  vieilli.  Toutefois 
il  n'y  a  pas  d'oeuvre  humaine  que  le  temps  n'ait 
fait  paraître  imparfaite,  par  le  fait  des  heureux 
progrès  qu'il  amène.  La  loi  du  progrès  ou  en 
style  moderne,  de  l'évolution,  s'applique  à  la 
fois  aux  sciences  humaines  et  au  dogme  même, 
mais  d'une  manière  toute  différente  qu'il  importe 
de  caractériser.  Le  plus  souvent,  les  sciences 
humaines  progressent  par  la  découverte  de  nou- 
velles lois  qui  viennent  désormais  prendre  la  place 
de  systèmes  faux  et  d'hypothèses  gratuites  tenues 
pour  vraies  jusqu'à  ce  jour,  tandis  que  le  dogme 
soumis  à  l'évolution  comme  toute  forme  de  vie, 
n'a  cependant  jamais  rien  à  sacrifier.  Il  évolue 
à  la  manière  de  tout  être  vivant,  en  qui  A.  Comte 
reconnaissait  avec  raison  un  double  principe  : 
un  principe  «  statique  »,  principe  de  persévé- 
rance dans  l'être  initial,  et  un  principe  «  dyna- 
mique »,  principe  de  progrès  par  le  développe- 
ment et  l'application  d'une  force  interne. 

A  ces  deux  points  de  vue,  la  «  Théologie  affec- 
tive »  est  en  retard  et  appelle  des  modifications 
nécessaires.  Nous  n'avons  pas  manqué  de  les 
faire  dans  cette  nouvelle  édition,  en  citant 
toutes  les  fois  qu'il  y  avait  lieu,  les  définitions 
de  l'Eglise.  Toutefois  ces  corrections  qui  s'im- 
posaient n'ont  jamais  été  faites  sur  le  texte 
même  de  l'auteur,  mais  en  note,  au  bas  de  la 
page.  En  adoptant  ce  système,  nous  avons  tenu 


PRÉFACE    DE    LA   NOUVELLE    ÉDITION  V 

compte  de  cette  soif  du  vrai  et  de  l'exactitude, 
qui  se  manifeste  de  nos  jours  d'une  manière  si 
intense  dans  tous  les  domaines  de  l'esprit,  dans 
celui  des  sciences  et  des  arts  comme  dans  celui 
de  la  littérature  et  de  l'histoire,  et  qui  n'est 
satisfaite  que  lorsque  tout  essai  de  reconstitution 
du  passé  est  sincère  et  qu'il  donne  une  des 
meilleures  preuves  de  sincérité,  en  respectant 
dans  l'œuvre  qu'il  prétend  faire  revivre  sous  nos 
yeux  tout,  jusqu'à  ses  défauts.  Nous  avons  le 
droit  d'affirmer  que  sous  ce  rapport  déjà,  l'édi- 
tion nouvelle  se  distinguera  profondément  de 
celle  du  Mans,  parue  en  1857,  où  nous  avons 
très  fréquemment  constaté  de  regrettables  muti- 
lations infligées  au  texte  même  :  presque  à 
chaque  page  nous  avons  relevé  des  suppres- 
sions de  phrases  entières,  d'arguments  et 
même  des  termes  théologiques,  dont  l'auteur 
s'est  servi,  avec  une  grande  discrétion  d'ailleurs, 
pour  préciser  ou  résumer  la  doctrine  de  tout  un 
point  de  méditation  ;  nous  y  avons  aussi  relevé 
ce  qu'on  pourrait  qualifier  de  faux  en  matière 
littéraire,  c'est-à-dire  des  corrections  dans  le 
texte,  ayant  pour  but  de  modifier  les  opinions 
scientifiques,  ou  même  ce  qui,  dans  l'espèce, 
nous  paraît  plus  grave,  les  opinions  théologiques 
de  l'auteur. 

Nous  devons  cependant  prévenir  qu'à  la  règle 
que  nous  nous  sommes  imposée,  de  donner  Bail 
et  rien  que  Bail,  une  exception,  mais  une  seule 
a  été  faite.  Une  partie,  une  très  faible  partie  de 
sa  Théologie,  l'œuvre  des  sixjours,  était  devenue 
presque  entièrement  caduque  ;  une  rectification 


T)  LA    THEOLOGIE    AFFECTIVE 

au  bas  de  la  page  n'aurait  pas  suffi.  Les  si  impor- 
tants progrès  accomplis  depuis  le  xvii*'  siècle  par 
les  sciences  cosmologiques  et  par  l'exégèse  nous 
ont  obligé  à  refaire  ces  5  ou  6  méditations.  Le 
lecteur  est  donc  averti  :  ces  quelques  pages  sur 
la  création  sont  notre  œuvre,  mais  l'œuvre  d'un 
disciple,  qui  quelquefois  emprunte  la  pensée  du 
maître,  qui  s'en  impire  toujours  et  respecte 
jusqu'aux  divisions  et  au  cadre  adoptés  par  lui. 

Si  le  fond  a  été,  sauf  cette  exception  unique, 
scrupuleusement  conservé,  il  a  fallu  modifier 
sérieusement  la  forme.  Bien  peu  aujourd'hui 
auraient  le  courage  de  lire  l'ouvrage  dans  le 
style  lourd,  obscur  et  souvent  peu  intelligible, 
où  il  a  été  écrit.  Aussi  bien  il  n'y  avait  aucun 
avantage  à  conserver  un  français,  qui  n'a  rien  de 
commun  avec  celui  de  saint  François  de  Sales, 
un  contemporain  cependant.  Bail  fut  un  savant 
et  pieux  théologien,  mais  nous  ne  lui  décerne- 
rons pas  le  titre  de  littérateur.  Néanmoins 
fidèle  encore  ici  à  notre  principe  essentielle- 
ment conservateur,  nous  avons  respecté  certains 
mots  pittoresques,  quelques  images  très  expres- 
sives qui  se  rencontrent  ça  et  Jà,  et  même  d'une 
manière  générale,  comme  tout  traducteur  qui  se 
rend  très  esclave  de  la  pensée  de  l'auteur,  nous 
avons  dû  être  aussi  jusqu'à  un  certain  point 
esclave  de  son  style. 

Disons  encore  que  nous  avons  fait  précéder 
chaque  méditation  d'un  sommaire^  qui  en  donne 
les  divisions  et  quelquefois  les  subdivisions  en 
deux  ou  trois  lignes. 

Nous  désirons  enfin  faire  une  double  rectifica- 


PRÉFACE   DE    LA   NOUVELLE    ÉDITION  rij 

tion  à  laquelle  donne  lieu  l'ouvrage  dans  un 
grand  nombre  de  passages  :  elle  trouvera  plus 
naturellement  sa  place  ici,  que  dans  des  notes. 
Saint  Denys  y  est  fréquemment  cité  comme 
l'auteur  des  traités  «  de  la  Hiérarchie  céleste^ 
«  de  la  Hiérarchie  ecclésiastique  »  ou  «  des 
«  Noms  divins.  »  Or,  il  semble  aujourd'hui  bien 
démontré  que  ces  divers  traités  ne  sont  pas 
l'œuvre  de  saint  Denys,  l'aréopagite,  disciple  de 
saint  Paul  et  premier  évêque  d'Athènes  (i). 
Voici  la  conclusion  du  P.  de  Smedt  (2)  :  «  Le 
«  P.  Stiglmayr,  dit-il,  regarde  celte  question, 
«  comme  bien  définitivement  tranchée  dans  le 
«  sens  de  la  négative,  et  nous  partageons  tout-à- 
«  fait  son  avis  à  cet  égard.  »  Selon  toute  vrai- 
semblance ces  écrits  doivent  être  attribués  à  un 
auteur  du  v^  siècle.  Néanmoins,  ils  ont  une  très 
grande  valeur  ;  ils  ont  servi  de  base  à  la  théolo- 
gie mystique,  «  ils  justifient  encore  toutes  les 
«  admirations  et  gardent  leur  multiple  uti- 
«  lité  »  (3). 

Notre  seconde  remarque  a  trait  au  système 
cosmogonique  de  l'auteur,  qui  est  aussi  celui  que 
les  savants  eux-mêmes  ont  admis  jusqu'à  Coper- 
nic. En  voici  le  résumé  (4)  :  Le  ciel  est  considéré 
comme  une  sphère  creuse  concentrique  à  la  terre 
et  tournant  autour  d'elle.  Comme  les  planètes  et 
les  étoiles  n'exécutaient  pas  leur  mouvement  de 
la  même  manière,  il  fallut  admettre   plusieurs 

I.  Goschler.   Die  t.  Théol.  au  mot  Denjs  l'aréopagite, 
3.  Cité  par  le  P.  de  Grandmaison,  dans  les  Etudes  des  Pères  de  la 
C.  de  /,,  numéro  du  5  janv.  1897. 

3.  Ibidem, 

4.  Faye,  Origine  du  Monde,  Introd. 

Bail,  t.  i.  h 


VU)  LA    THEOLOGIE    AFFECTIVE 

cieux.  On  imagina  d'abord  le  ciel  empyrée,  ou  la 
sphère  suprême  à  laquelle  on  fixa  les  étoiles 
qu'elle  emporte  dans  son  mouvement,  et  puis 
entre  elle  et  la  terre  sept  autres  sphères,  corres- 
pondant aux  planètes  connues  des  anciens.  Le 
soleil  et  la  lune  étaient  comptés  au  nombre  des 
astres  errants.  La  sphère  étoilée  reçoit  du  pre- 
mier moteur  un  mouvement  uniforme  et  inces- 
sant qu'elle  communique  à  toutes  les  autres. 
Telle  était  l'ancienne  cosmologie,  depuis  long- 
temps condamnée  par  la  science  et  qui  a  servi  de 
base  à  la  théologie  des  anciens.  Il  suffira  d'obser- 
ver ici  que  la  doctrine  catholique  ne  peut  rece- 
voir aucun  dommage  de  la  disparition  de  ces 
faux  systèmes  ;  elle  s'adapte  au  moins  aussi 
bien  à  la  théorie  du  soleil,  centre  de  notre 
monde  planétaire  et  à  la  conception  qui  nous 
représente  l'univers  comme  un  composé  de 
milliers  de  mondes  semblables  au  nôtre  (i). 

Voici  une  notice  biographique  sur  Bail  (i). 
Louis  Bail,  (1610-1669),  théologien  français, 
naquit  à  Abbeville.  Il  fut  docteur  en  Sorbonne, 
curé  de  Montmartre  et  sous-pénitencier  de  Paris. 
On  sait  de  lui  qu'il  prit  la  défense  des  jésuites 
contre  Pascal  et  que  dans  un  de  ses  ouvrages 
intitulé  «  De  heneficio  crucis  »,  il  combattit  les 
erreurs  de  Jansénius.  Il  a  publié  les  ouvrages 
suivants  :  «  De  triplici  examine  ordinandorum^ 
«  confessorum  et  pœnitentium  »  ;  «  Summa 
€  Conciliortim  »  ;  «  Sapientia  forts  prœdicans  », 

I.  Cf.  La  conception  scientifique  de  l'univers  et  le  dogme  catholique, 
par  le  P.  Constant. 

I,  Cf.  Koefer,  Biogr.,  Paris,  Didot,  1863  ;  Lelong,  Biblioth.  Fr.; 
Michaud,  Mureri,  Fellcr. 


PRÉFACE    DE    LA    NOUVELLE    ÉDITION  IX 

OÙ  il  raconte  la  vie  des  plus  célèbres  prédicateurs 
et  détermine  le  genre  dans  lequel  ils  ont  excellé; 
«  De  heneficio  crucis  »  ;  «  la  Théologie  affec- 
tive ». 

L'Abbé  R.  BouGAL. 


Varen  (Tarn-et-Garonne),  le  9  août, 
jour  du  couronnement  de  sa  Sainteté  Pie  X. 


PRÉFACE  DE  L^AUTEUR 


(I) 


CE  que  Dieu  commanda  à  Isaïe  de  prendre  un 
grand  livre  et  y  écrire  d'un  style  d'homme  : 
Sume  tibi  lihrum  grandem,  et  scribe  in  eo  stylo  Jwminis ; 
se  pratique  tous  les  jours  parmi  les  écrivains  ecclésias- 
tiques qui  entreprennent  de  hauts  et  sublimes  traités, 
avec  un  style  qui  est  plutôt  selon  la  portée  de  leur 
esprit,  que  selon  le  mérite  de  leur  sujet.  Et  c'est  ce  que 
nous  faisons  maintenant,  commençant  à  méditer  sur  les 
attributs  divins  et  la  très  sainte  Trinité,  et  continuant 
ensuite  sur  toutes  les  parties  de  la  science  divine  de  la 
Théologie,  avec  un  style  vraiment  humain,  n'étant 
point  tant  requis  que  les  paroles  soient  sublimes  et 
ravissent  les  esprits,  où  ils  sont  assez  élevés  par  la  hau- 
teur de  l'objet  qui  leur  est  proposé. 

En  cette  entreprise,  j'ai  cru  suivre  la  pensée  du  Pro- 
phète selon  le  coeur  de  Dieu,  qui  a  plus  entendu  de 
vérités  que  les  autres,  lequel,  dans  les  derniers  ensei- 
gnements qu'il  donne  aux  mortels  (afin  qu'ils  s'en 
ressouviennent  mieux,  puisque  c'est  une  chose  propre 
aux  hommes  d'avoir  plus  de  révérence  aux  dernières 
paroles  des  autres),  dit  qu'ils  louent  Dieu  selon  la  mul- 
titude de  sa  grandeur  :  Laïuiatc  Douiinum  secnudnm 
multitudinen  tnagniindinis  ejus  ;  à  quoi  il  est  requis 
d'avoir  une  grande  connaissance  des  attributs  de  l'Es- 
sence divine,  des  propriétés  des  personnes  subsistantes 

I.  La  Préface  a  été  conservée  sans  aucun  changement. 


PRÉFACE   DE   l'aUTEUR 


en  cette  unique  essence  et  de  leurs  grandeurs.  Car  une 
âme  qui  en  a  plus  de  connaissance  est  plus  capable 
de  l'honorer  ;  ainsi  que  ceux  qui  reconnaissent  mieux 
les  titres  et  qualités  de  quelque  puissant  seigneur  qui 
possède  plusieurs  terres,  plusieurs  empires  et  royaumes 
sont  mieux  disposés  par  cette  connaissance,  à  lui  rendre 
en  tout  les  honneurs  qui  lui  appartiennent,  que  ceux 
qui  en  sont  moins  instruits.  Qui  est,  peut-être,  la  raison 
pour  laquelle  saint  Grégoire  de  Nazianze,  qui,  le 
premier  après  saint  Jean  l'Evangéliste,  a  été  surnommé 
le  Théologien,  ne  trouvait  rien  de  semblable  à  une 
âme  remplie  de  bonnes  connaissances.  Il  n'y  a  rien 
devant  Dieu,  disait-il,  si  grand  et  magnifique,  qu'une 
doctrine  pure,  et  une  âme  qui  est  instruite  et  perfec- 
tionnée dans  les  maximes  de  la  vérité. 

Cette  considération  fait  qu'il  est  très  important  que 
ceux  ou  celles  qui  aspirent  à  une  plus  grande  perfection 
et  qui  désirent  rendre  plus  d'honneur  à  Dieu,  s'éclair- 
cissent  un  peu  davantage  dans  la  connaissance  de  son 
être,  afin  de  le  pouvoir  honorer  en  plus  de  titres  qu'il 
leur  sera  possible  et  non  seulement  selon  les  perfec- 
tions manifestées  à  tout  le  monde,  mais  aussi  selon 
celles  qui  sont  les  plus  recelées  en  son  essence,  qui 
méritent  autant  les  élévations  de  l'esprit,  les  soumis- 
sions et  affections  de  la  volonté,  et  les  profondes  ado- 
rations de  l'une  et  l'autre,  que  celles  qui  sont  les  plus 
évidentes  et  connues.  Car,  par  ce  moyen,  laissant 
moins  de  choses  qui  sont  en  lui  sans  honneur,  elles  le 
louent  mieux  en  la  multitude  de  sa  grandeur,  et  par 
elles  s'accomplit  ce  que  chante  l'Eglise,  qu'en  la  louange 
de  la  vraie  et  éternelle  Déité,  la  propriété  soit  adorée 
dans  les  personnes,  l'unité  dans  l'essence  et  l'égalité 
dans  la  majesté  et  grandeur. 

En  ce  dessein,  1  étude  de  la  Théologie  donne  de  très 
grands  avantages  aux  âmes  qui  en  veulent  faire  bon 
usage.  Car,  outre  qu'elle  les  incite  à  l'amour  de  Dieu 


Xij  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

par  la  découverte  de  ses  plus  rares  perfections  qui  le 
font  avouer  infiniment  aimable,  et  leur  donne  encore 
sujet  de  le  louer  en  la  multitude  de  sa  grandeur,  la 
leur  exposant  devant  les  yeux  et  leur  fournissant  plus 
d'objets  adorables.  C'est  pourquoi  la  Théologie  est  un 
puissant  moyen  de  perfectionner  des  âmes.  Et  ce  n'est  pas 
merveille,  si  les  Pères  et  Docteurs  de  l'Eglise  ont  été  de 
si  grands  serviteurs  de  Dieu  ;  si  saint  Paul  est  devenu 
divin,  saint  Thomas  angélique,  et  saint  Bonaventure 
séraphique,  étant  éclairés  des  lumières  et  embrasés  des 
ardeurs  qui  rejaillissaient  en  leurs  âmes  par  cette 
science  divine,  qui  partant  leur  a  acquis  des  auréoles 
et  des  palmes  des  plus  glorieuses  du  Paradis,  pour 
avoir  plus  honoré  les  perfections  de  Dieu,  qui  leur  ont 
été  plus  connues. 

Or,  afin  que  le  bien  qu'ils  en  ont  reçu  se  dérive  aux 
autres,  il  faut  que  la  Théologie  ne  soit  point  purement 
spéculative,  mais  qu'elle  soit  tout  ensemble  spéculative 
et  pratique,  comme  l'estime  saint  Thomas,  ou  bien  pour 
le  dire  proprement,  et  comme  l'estiment,  selon  l'opi- 
nion célèbre  d'Albert-le-Grand,  qui  l'enseigne  plus 
expressément,  saint  Bonaventure,  Gilles,  Romain,  Scot, 
dit  le  docteur  subtil  et  Gerson,  quatre  illustres  orne- 
ments de  la  sacrée  Faculté  de  Paris,  qu'elle  soit  affec- 
tive, pour  nous  rendre  meilleurs,  en  sorte  que  par  son 
moyen  Dieu  soit  connu  par  l'esprit  et  par  la  volonté  ; 
par  l'esprit  qui  est  propre  à  connaître,  et  par  la  volonté 
qui  goûte  et  savoure  Dieu  en  Taimant  pour  le  connaître 
à  sa  façon  ;  puisque  goûter  et  savourer  une  chose  est 
autant  la  connaître  que  la  regarder. 

C'est  pourquoi  le  Prophète  Royal  met  l'un  et  l'autre 
ensemble  :  Gusiafe,  et  videte,  quoniam  suavis  Domirtus, 
goûtez,  et  voyez  que  Dieu  est  suave  ;  car  il  y  en  a  qui 
se  contentent  de  voir  seulement  et  de  considérer  les 
attributs  de  Dieu,  étant  satisfaits  d'en  pouvoir  parler  et 
discourir,  sans  qu'ils  s'excitent  à  aucune  affection  envers 


PRÉFACE    DE    l'aUTEUR  xilj 

lui.  Et  d'autres,  au  contraire,  ne  demandent  autre  chose 
que  de  l'aimer,  sans  beaucoup  se  soucier  de  savoir  par 
le  menu  ses  noblesses  et  perfections  :  tellement  que  les 
uns  voient  sans  goûter,  et  les  autres  goûtent  sans  voir, 
et  tous  deux  manquent  en  quelque  chose,  et  ne  sont 
pas  ce  que  conseille  le  Prophète  selon  le  cœur  de  Dieu  : 
Goutei  et  voye:{  que  Dieu  est  suave.  Mais  il  y  en  a 
d'autres  qui  joignent  heureusement  les  deux  ensemble, 
au  moyen  d'une  Théologie  mystique  et  affective,  qui 
leur  donne  une  double  connaissance  de  Dieu,  par  l'illu- 
mination de  l'esprit,  et  par  le  goût  de  la  volonté.  Sur 
quoi  saint  Bernard,  portant  son  avis,  dit  :  Luire  seule- 
ment, est  une  chose  vaine  ;  ardre  seulement,  c'est  peu  ; 
mais  luire  et  ardre,  est  chose  parfaite,  voulant  dire  que 
la  perfection  consiste  à  voir  et  goûter,  et  avoir  des  con- 
sidérations et  des  affections  ensemble,  qui  est  le  propre 
de  la  Théologie  affective.  Et  le  même  dit  encore  que  la 
connaissance  et  l'amour  sont  les  deux  ailes  des  Séra- 
phins, par  lesquelles  ils  sont  ravis  à  celui  qui  est  dans 
le  trône  au-dessus  d'eux,  et  que  l'aile  seule  de  la  con- 
naissance soulage  bien  ;  mais  ne  suffit  pas,  parce  que 
celui  qui  ne  vole  que  d'une  aile  tombe  bientôt,  et  plus 
il  s'élève,  plus  il  se  blesse  en  tombant.  Mais,  où  la  cha- 
rité accompagne  l'intelligence,  et  la  dévotion  la  con- 
naissance, qu'il  vole  tant  qu'il  voudra,  il  est  en  assu- 
rance, car  il  vole  dans  l'éternité. 

C'est  pourquoi  cette  théologie  ne  doit  pas  être  esti- 
mée inutile  et  superflue,  puisque  les  profits  qu'elle 
apporte  sont  si  notables,  et  la  perfection  qu'elle  cause 
si  relevée  et  si  éminente.  Je  Tai  aimée  pour  ce  sujet,  et 
souhaitant  ardemment  qu'elle  fût  rendue  plus  com- 
mune, je  l'expose  le  plus  entièrement  qu'il  m'a  semblé 
convenable  pour  un  discours  vulgaire,  suivant  plus 
ordinairement  la  doctrine  de  saint  Thomas,  comme 
ayant  été  jugée  la  plus  solide,  sans  toutefois  me  priver 
de  la  liberté  de  m'en  départir  quelquefois,  pour  suivre 


Xiv  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

quelques  opinions  du  Docteur  subtil,  et  de  quelques 
autres,  où  ils  m'ont  semblé  mieux  raisonner,  et  être 
plus  véritables  ;  car  jamais  un  homme  seul  n'a  réussi  en 
tout  au  fait  des  sciences.  J'observe  aussi  à  peu  près  l'or- 
dre qu'il  a  gardé  en  sa  Somme  théologique,  ayant  appris, 
il  y  a  longtemps,  que  les  livres  les  mieux  ordonnés  sont 
ceux  des  Eléments  d'Euclide,  pour  les  Mathématiques, 
et  la  Somme  de  ce  saint  Docteur  pour  la  Théologie. 

Au  reste,  je  ne  suis  pas  si  éloigné  de  la  raison,  que  je 
n'entende  bien  que  la  Théologie,  selon  qu'elle  est  trai- 
tée par  les  Docteurs  scolastiques,  ne  doit  pas  être  ren- 
due familière  à  tout  le  monde,  car  il  n'appartient  qu'aux 
esprits  de  feu,  et  aux  esprits  plus  forts  et  plus  divins, 
d'atteindre  à  cette  science  subtile  et  relevée  ;  c'est 
pourquoi  j'ai  usé  ici  de  précaution,  et  en  ai  retranché 
en  la  plupart  des  matières,  les  questions  et  les  preuves 
trop  épineuses  et  scolastiques,  avec  le  récit  des  diverses 
opinions  des  Docteurs  sur  plusieurs  difficultés. 

Et  quoique  la  connaissance  de  ces  opinions  fasse  une 
grande  partie  de  la  doctrine,  qui  consiste  grandement  à 
savoir  ce  qu'ont  estimé  les  autres,  toutefois  elles  enflent 
et  remplissent  trop  ses  traités.  Je  m'abstiens  aussi  de  la 
plupart  des  objections  pour  ne  point  émouvoir  de  diffi- 
cultés dans  les  âmes,  et  ne  point  élever  d'humeurs  de 
la  terre  qui  ne  se  puissent  visiblement  dissiper.  Au  lieu 
de  quoi  je  mets  en  avant  plusieurs  points  de  moralité, 
et  des  affections  et  résolutions  très  aisées  à  comprendre 
en  la  fin  de  chaque  considération. 

Que  si  la  suite  des  sujets  m'a  obligé  à  quelques  Médi- 
tations, qui  paraîtront  trop  doctes  et  difficiles  à  aucuns, 
il  m'a  semblé  que  l'on  ne  doit  point  trouver  étrange, 
dans  le  cours  d'un  long  voyage  de  rencontrer  quelques 
passages  un  peu  scabreux,  ou  dans  le  détroit  d'une 
vallée,  ou  sur  le  montant  d'une  colline,  ou  en  quelque 
lieu  marécageux.  Qu'il  n'est  point  requis  que  tout  ce 
qui  s'écrit  des  mystères  de  la  Foi,  soit  entendu  de  tou- 


PRÉFACE    DE    l'aUTEUR  XV 

tes  sortes  d'esprits  puisqu'il  est  vrai  qu'ils  gardent  mieux 
leur  majesté,  et  sont  plus  vénérables,  parce  qu'ils  sont 
un  peu  plus  obscurs. 

Personne,  dit  saint  Augustin,  n'a  parlé  de  telle  sorte, 
que  tout  le  monde  l'eût  bien  entendu  en  tout.  Finale- 
lement,  si  les  premiers  ou  les  seconds  points  y  sont 
difficiles,  le  troisième  est  plus  moral,  et  les  affections 
et  résolutions,  qui  font  une  bonne  partie  des  médita- 
tions, y  sont  sans  aucune  difficulté.  Pour  le  reste,  qui  y 
est  en  beaucoup  plus  grand  nombre,  il  est  exempt  de 
ce  reproche  ;  car  la  doctrine  ne  surpasse  les  esprits 
communs  que  d'un  excès,  qui,  pouvant  se  surmonter 
avec  un  peu  d'effort  est  capable  de  donner  quelque 
exercice  et  occupation  à  l'esprit,  lequel,  s'il  est  tant  soit 
peu  généreux,  se  plaît  davantage  en  une  lecture  qui 
peut  aucunement  exercer  sa  force  par  sa  solidité. 

Même  les  vierges  plus  prudentes  ont  fait  un  grand 
progrès  en  semblables  sujets.  Comme  sainte  Claire,  qui 
se  plaisait  davantage  aux  plus  doctes  sermons,  croyant 
trouver  un  noyau  doux  et  agréable  sous  une  dure  coque 
de  paroles  ;  et  qu'il  n'y  avait  pas  moins  de  prudence  de 
cueillir  des  fleurs  sur  les  branches  d'une  épine,  que  de 
manger  du  fruit  d'un  bon  arbre.  Et  en  nos  jours  une 
digne  abbesse  décédée  en  réputation  de  sainteté,  prenait 
quelque  article  de  saint  Thomas,  duquel  elle  entendait 
bien  la  langue  latine,  pour  en  faire  le  point  ordinaire  de 
son  Oraison  Mentale.  Sur  tous  les  bons  livres,  dit  l'au- 
teur de  sa  vie,  elle  lisait  et  admirait  tout  ensemble  le 
docteur  angélique  saint  Thomas,  et  disait  qu'elle  s'éton- 
nait que  les  Théologiens  n'étaient  tous  saints,  vu  que 
saint  Thomas  leur  avait  préparé  des  sujets  de  médita- 
tions si  riches,  sublimes  et  relevés,  s'il  en  fut  jamais  ; 
elle  s'étonnait  de  la  fécondité  de  l'esprit  de  ce  grand 
sainte  et  des  richesses  de  ses  écrits.  Aux  Avents  et 
Carêmes,  d'ordinaire  elle  donnait  des  sujets  de  médita- 
tions à  ses  filles  conformes  au  temps. 


XVJ  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Pour  l'Avent,  la  troisième  partie  de  saint  Thomas  lui 
en  fournissaient  de  très  riches,  et  son  esprit  agençait  si 
bien  toutes  choses,  que  ses  filles  l'admiraient  et  s'ani- 
maient à  la  poursuite  de  la  perfection,  à  la  mortifica- 
tion, anéantissement,  épurement  de  toutes  choses, 
voyant  par  les  pensées  sublimes  de  leur  Mère,  l'amour, 
la  pauvreté  et  anéantissement  d'un  Dieu  incarné. 

Que  si  la  Théologie  toute  crue  et  avec  sa  rudesse, 
était  ainsi  maniée  par  une  femme,  et  rendue  pro- 
pre à  faire  Oraison,  combien  plus  le  doit  être  cette 
Théologie  affective,  traitée  avec  une  méthode  qui  la 
rend  aisée  autant  qu'elle  est  relevée.  Et  en  tout  cas,  je 
n'ai  pas  dû  laisser  de  dire  des  choses  hautes  de  Dieu  et 
de  ses  mystères,  pour  quelques  esprits  bas  et  rampants. 
Pourquoi  en  priverai-je  à  leur  sujet  les  bonnes  âmes, 
qui  tireront  beaucoup  d'éclaircissement  et  d'embrase- 
ment de  ce  présent  livre,  comme  par  la  grâce  de  Dieu 
plusieurs  ont  déjà  fait,  et  continuent  tous  les  jours  de  le 
faire  ? 

Nous  citons  volontiers  les  auteurs  de  remarque,  tant 
anciens  que  modernes,  desquels  nous  avons  emprunté, 
ou  nos  pensées,  ou  leur  confirmation,  afin  que  leur 
crédit  supplée  au  défaut  du  nôtre,  et  que  quelques-uns 
ne  fassent  point  de  difficulté  de  nous  prêter  un  peu  de 
leur  temps,  qui  leur  est  plus  cher  que  l'or,  puisque 
nous  leurs  fournissons  de  bons  répondants  de  nos  paro- 
les. Et  puis,  il  est  plus  séant  à  la  modestie  chrétienne, 
de  ne  se  point  taire  soi-même  l'auteur  et  l'origine  de  ses 
pensées  ;  mais  d'en  rendre  l'honneur  à  ceux  à  qui  elles 
appartiennent,  comme  en  ont  lait  souvent  même  les 
Pères  de  l'Eglise.  Enfin,  il  en  est  de  la  vérité  comme  du 
bon  droit,  elle  a  besoin  de  quelque  recommandation, 
pour  être  mieux  reçue  des  esprits. 

Après  tous  ces  avis,  si  quelqu'un  demeure  entiè- 
rement satisfait  que  je  fasse  servir  la  Théologie  scolas- 
tique  et  la  Théologie  mystique  n'en  faisant  qu'une  des 


PRÉFACE    DE    l'aUTEUR  VxiJ 

deux,  enrichissant  Tune  comme  des  dépouilles  de  l'au- 
tre, je  le  prie  humblement  de  jeter  la  vue  sur  l'opus- 
cule qu'a  écrit  saint  Thomas,  De  divinis  morihus ;  sur 
les  contemplations  et  méditations  d'Alvarez  ;  sur  les 
livres  de  Lessius,  De  perfectionihus  divinis  ;  sur  ceux  du 
cardinal  de  Bérulle^  qui  ne  seront  jamais  assez  lus  et 
loués  ;  sur  les  Méditations  théologiques  de  Malderus, 
docteur  de  Louvain  et  évéque  d'Angers,  et  finalement 
sur  ce  qu'en  écrit  en  son  introduction  à  la  Méditation, 
le  Père  du  Pont,  auteur  des  mieux  entendus  aux  Médi- 
tations, où  il  dit  en  termes  exprès,  que  la  Théologie 
mystique  est  fondée  en  l'exacte  vérité  de  la  scolastique, 
et  que  saint  Thomas,  avec  la  vérité  de  la  Théologie 
scolastique  touche  de  très  hautes  pensées  et  sentiments 
de  la  mystique,  qui  sont  comme  sœurs  germaines. 

Il  est  vrai  pourtant  qu'il  commence  par  des  matières 
très  élevées,  c'est  pourquoi,  pour  se  bien  fonder  en  une 
bonne  et  sainte  vie,  il  faut  commencer  par  la  connais- 
sance et  par  l'amour  de  la  dernière  fin,  qui  n'est  autre 
chose  que  Dieu,  ou  la  Très  Sainte  Trinité  ;  car,  nous 
sommes  créées  pour  l'aimer,  l'honorer  et  le  servir  ;  à 
quoi  il  est  besoin,  avant  toutes  choses,  de  la  bien  con- 
naître, et  de  former  des  résolutions  de  se  donner  entiè- 
rement à  son  amour  et  à  son  service  ;  car  ensuite  on 
vient  à  exécuter  les  moyens  de  l'aimer  et  la  servir,  qui 
sont  de  bien  régler  et  former  ses  actions,  de  bien  obéir 
aux  lois,  de  bien  user  de  sa  grâce,  de  pratiquer  solide- 
ment les  vertus,  de  chérir  uniquement  Jésus-Christ  et 
la  Sainte-Vierge,  de  participer  dignement  aux  Sacre- 
ments, et  se  préparer  à  une  bonne  mort.  Or,  c'est  tout 
l'ordre  de  la  Théologie  :  elle  commence  par  les  choses 
les  plus  hautes,  pour  nous  faire  connaître  Dieu,  qui  est 
notre  dernière  fin,  et  pour  nous  le  faire  souhaiter,  et  de 
là  elle  passe  aux  moyens  propres  à  le  servir.  Pour  ce 
sujet,  la  première  partie  traite  des  perfections  très 
éminentes,  ou  des  attributs  de  Dieu,  et  des  personnes 


XVlij  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

adorables  de  la  Trinité.  Et  afin  de  le  faire  mieux  con- 
naître, après  qu'elle  l'a  considéré  en  soi-même  dans  le 
premier  traité  des  attributs  ou  elle  l'a  regardé  comme 
en  la  face  de  son  essence,  le  plus  directement  qu'il  lui 
a  été  convenable  pour  le  temps  présent,  elle  le  consi- 
dère dans  les  traités  suivants,  dans  ses  images,  ses  ves- 
tiges ou  ses  effets,  qui  sont  les  créatures.  Et  après  que 
dans  les  contemplations  de  la  Sainte  Trinité,  elle  a 
considéré  ses  productions  immanentes,  qui  demeurent 
recelées  dans  le  fond  de  son  Essence,  elle  considère  ses 
productions  de  dehors  dans  la  création  des  Anges,  du 
grand  monde  corporel,  et  du  petit  monde,  composé  de 
corps  et  d'esprit,  qui  est  l'homme,  auquel,  par  ce 
moyen,  elle  facilite  la  connaissance  de  Dieu  ;  car  il  est 
plus  aisé  en  cette  vie  de  connaître  Dieu  en  ses  créatures, 
que  de  le  connaître  en  lui-même.  Ainsi  qu'il  est  plus 
aisé  de  regarder  le  soleil  dans  l'eau  d'une  fontaine,  où 
il  imprime  son  visage,  sans  cette  abondance  de  lumière 
qui  éblouit  les  yeux  que  de  le  regarder  en  lui-même,  et 
s'exposer,  comme  l'aigle  qui  a  pris  son  essor  à  ses 
ardents  rayons. 

Aussi  les  créatures  sagement  considérées,  sont  des 
échelons  pour  s'approcher  de  Dieu,  selon  qu'en  parle 
l'Apôtre  par  excellence  :  Invisiblia  Dei  per  ea,  qriœ 
fada  sjint,  intellecta  conspiciunlur,  sempitcrna  quoqiie 
ejus  virtîts  et  diviniias .  Les  perfections  invisibles  de  Dieu 
sont  rendues  manifestes  par  les  choses  qui  sont  crées, 
et  sa  vertu  éternelle  et  sa  divinité. 

Ce  qui  est  vrai,  principalement  quand  le  dessein  est 
de  les  méditer  plutôt  par  étude  et  désir  de  s'élever  à 
Dieu  par  leur  moyen  que  par  une  vaine  et  inutile  curio- 
sité de  connaître  ce  qui  ne  profite  de  rien  ;  car  il  y  a 
différence  entre  être  curieux  et  studieux,  comme  a 
remarqué  saint  Augustin  ;  et  autant  que  les  curieux  sont 
à  blâmer,  autant  les  studieux  sont  à  estimer,  qui  cher- 
chent seulement  dans  le  livre  des  créatures,  ce  qui  les 


PRÉFACE    DE    l'auteur  xÎx 


regarde  pour  leur  salut,  et  ce  qui  leur  peut  servir  pour 
une  plus  claire  reconnaissance  et  un  plus  grand  amour 
de  Dieu. 

Ainsi  il  a  été  lui-même  studieux  sans  curiosité,  quand 
souventes  fois  il  se  portait  à  Dieu  par  la  méditation  de 
ses  œuvres  et  de  ses  créatures,  auxquelles  il  demandait 
des  nouvelles  du  créateur,  comme  il  assure  qu'il  en  eût 
demandé  instamment  à  Moïse  de  la  création,  s'il  l'eût 
tenu  présent.  Ainsi  la  Sainte  Epouse  du  Cantique  va 
courante  et  vagabonde  par  les  rues  et  carrefours  de  la 
cité  de  ce  monde  ;  mais  seulement  pour  dire  à  ceux 
qu'elle  rencontre  :  N'avez-vous  pas  vu  celui  pour  qui 
mon  âme  soupire?  Num  qucm  diligit  aui/na  mea  vidistis? 

Et  combien  que  la  considération  de  Dieu  seul  soit 
beaucoup  plus  excellente  et  relevée  que  celle  de  ses 
ouvrages  et  de  ses  images,  soit  des  anges,  soit  des 
hommes,  toutefois  les  théologiens  mystiques  donnent 
cet  avis,  qu'il  faut  délaisser  pour  un  temps  l'exercice  de 
l'intraction  et  introversion  en  Dieu,  par  quelque  extro- 
version  et  application  aux  choses  créées,  qui  puissent 
pourtant  porter  à  lui. 

C'est,  disent-ils,  pour  soulager  l'infirmité  de  notre 
esprit,  qui  ne  peut  porter  la  continue  de  cette  vigou- 
reuse attention  à  Dieu  seul,  parce  que  ne  se  manifestant 
pas  aux  âmes  en  sa  beauté,  comme  il  fait  dans  le  Ciel  à 
l'endroit  des  bienheureux,  elles  se  relâchent  et  se  rebu- 
tent d'une  considération  si  arrêtée,  si  quelquefois  elles 
n'ont  congé  de  sortir  au  dehors  pour  se  fortifier  un  peu 
dans  le  repos,  par  un  saint  divertissement,  à  la  vue  des 
riches  pièces  qui  embellissent  sa  maison.  Ils  ajoutent 
qu'en  ce  faisant,  l'esprit  imite  les  abeilles,  qui  sortent 
parfois  de  leurs  ruches,  et  volent  ça  et  là  sur  les  fleurs 

de  la  campagne,  pour  se  charger  d'un  nouveau  miel,  et  ,^ 

revoler  en  leurs  ruches  avec  cette  charge.  Car,  ainsi  ^^j{;< 
l'esprit  illuminé  de  la  raison,  et  éclairé  de  la  lumière  de  ^^'^f4 
la  foi,  considérant  les  œuvres  de  Dieu,  y  trouve  des  rai-    /^tvM 


XX  LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

sons  qui  le  persuadent  de  s'envoler  à  lui,  et  y  rencontre 
des  motifs  qui  le  rejettent  bientôt  devers  lui,  tellement 
que  son  divertissement  n'est  que  d'une  petite  durée,  et 
sert  à  affermir  son  recueillement. 

Or,  j'avoue  en  ceci  qu'entre  toutes  les  œuvres  de 
Dieu,  celle  de  l'Incarnation,  et  de  l'Homme-Dieu  Jésus- 
Christ,  méritent  la  préférence  ;  car  il  y  a  beaucoup 
d'édification  à  considérer  la  chambrette  de  Nazareth, 
l'étable  de  Bethléem,  le  temple  magnifique  de  la  sainte 
cité  de  Jérusalem,  et  toutes  les  choses  qui  s'y  passent  ; 
comme  aussi  d'élever  les  yeux  de  sa  pensée  sur  les 
montagnes  de  Thabor,  de  Calvaire  etd'Olivet;  enfin,  de 
repenser  souvent  à  tous  les  mystères  d'une  humanité 
sacro-sainte,  et  relevée  éminemment  au-dessus  de  toute 
dignité,  par  son  union  personnelle  avec  le  Verbe  divin. 
Néanmoins  comme  la  bonté  de  Dieu,  quoique  infinie, 
n'empêche  pas  la  bonté  des  créatures,  qu'il  trouva 
lui-même  très  bonnes  -,  aussi  l'excellence  des  Médita- 
tions des  œuvres  de  l'Incarnation,  n'empêche  point 
l'excellence  des  Méditations  des  œuvres  de  la  création, 
comme  est  des  Anges,  de  l'Œuvre  des  six  jours,  et  de 
l'état  du  premier  homme,  non  plus  que  l'excellence  des 
Méditations  des  perfections  de  la  divinité,  ne  préjudicie 
pas  à  celle  des  œuvres  de  l'humanité.  Et  même  comme 
les  œuvres  de  la  création  tiennent  un  peu  plus  du  natu- 
rel que  les  œuvres  de  l'Incarnation,  elles  ont  souvent 
des  attraits  plus  conformes  à  nos  esprits,  pour  les 
gagner  à  Dieu  plus  suavement,  et  les  y  porter  avec 
moins  de  violence.  C'est  pourquoi  il  est  très  utile  de  s'y 
adonner  à  l'imitation  de  plusieurs  saints  personnages, 
entre  lesquels  saint  Antoine  faisait  état  de  tout  ce 
grand  monde  comme  de  son  livre,  où  il  trouvait  des 
sujets  de  ses  Méditations  et  entretiens  spirituels  pour 
se  laisser  ravir  à  Dieu  par  leur  considération. 

J'en  dirais  davantage,  si  je  n'avais  crainte  que  l'on  me 
voulût  imputer  de  louer  mon  travail  ;  ce  qui  est  très 


PRÉFACE    DE    L    AUTEUR  XXJ 

éloigné  de  ma  pensée,  sachant  bien  que  l'ayant  achevé 
parmi  beaucoup  d'occupations,  il  n'aura  point  tout  l'or- 
nement et  la  politesse  que  l'on  demande  en  ce  siècle  ; 
de  quoi  je  ne  veux  point  faire  excuse,  sachant  bien  que 
les  paroles  oiseuses  doivent  être  examinées  au  juge- 
ment, non  seulement  celles  qui  seront  prononcées  de 
vive  voix,  mais  aussi  celles  qui  seront  écrites  ou  impri- 
mées. C'est  pourquoi  ce  m'est  assez  que  les  âmes  y 
remarquent  plus  de  solidité  que  d'afféteries,  et  plus  de 
vérités  édifiantes  au  bien,  que  de  subtilités  et  de  super- 
fluités  de  paroles,  qui  ne  sont  point  si  propres  à  traiter 
de  grands  sujets  :  mais  plutôt  jettent  facilement  les 
écrivains  dans  quelque  erreur,  lorsque,  pour  accom- 
moder une  période,  et  être  plus  diserts  et  éloquents,  ils 
d'sent  plus  de  mots  qu'il  ne  faut,  sous  lesquels  souvent 
la  fausseté  se  glisse.  Laquelle,  comme  nous  nous  som- 
mes efforcés  de  tout  notre  possible  d'éloigner  de  ce 
présent  ouvrage,  aussi  sommes-nous  résolus  de  ne  la  point 
soutenir,  si  par  telle  occasion  que  ce  fût,  elle  avait  pris 
quelque  place  de  la  vérité,  soumettant  cet  écrit  avec 
loute  humilité  au  jugement  et  à  la  correction  de  la 
sainte  Eglise  catholique,  apostolique  et  romaine,  laquelle 
est  la  Colonne  et  le  Firmament  de  la  vérité. 


LA 

THÉOLOGIE  AFFECTIVE 


ou 


SAINT  THOMAS 

EN  MÉDITATIONS 
Prima  Pars  juxta  Sanctum  Thomam. 

PREMIER  TRAITÉ 

Des  Attributs  de  Dieu 
De  la  Théologie  affective  en  général 


r  MÉDITATION 

DE  DIEU 


SOMMAIRE 

Lignorance  des  choses  divines,  source  de  tous 
les  péchés.  —  Remède  de  ce  mal,  V étude  de  la 
Théologie  affective.  —  La  pureté,  condition 
nécessaire  pour  V étude  de  la  Théologie  affec- 
tive. 

I 

LA  source  féconde  des  misères  et  des  langueurs 
spirituelles,  celle  de  tant  de  péchés  qui  souil- 
lent les  âmes,  est  chez  les  uns  l'ignorance,  chez 
les  autres  le  peu  d'attention  qu'ils  accordent  aux 

Bail,  t.  i.  X 


LA    THEOLOGIE    AFFECTIVE 


choses  de  Dieu.  L'Esprit  saint  le  déclare  dans  le 
livre  de  la  Sagesse  :  «  Ils  sont  vains  les  hommes 
à  qui  manque  la  science  de  Dieu...  »  (Sag.  i3)  ; 
vaines  sont  leurs  pensées,  vaines  leurs  paroles, 
vaines  leurs  œuvres  ;  elles  sont  plus  que  vaines, 
dignes  de  pitié  ;  car  privés  de  ceite  science,  tout  ce 
qu'ils  pensent,  tout  ce  qu'ils  disent  et  tout  ce  qu'ils 
font  est  inutile.  En  voici  la  raison  :  pour  aimer 
Dieu  et  les  choses  divines  il  faut  avant  tout  les 
connaître.  Qui  peut  aimer  un  objet  qu'il  ignore  ? 
Un  tel  objet  n'est-il  pas  pour  lui  comme  s'il  n'exis- 
tait pas  ?  En  effet  entre  l'intelligence  et  la  volonté 
comme  entre  les  actes  de  ces  deux  facultés,  il  y  a 
une  dépendance  en  vertu  de  laquelle  il  appartient 
à  l'intelligence  de  diriger  et  à  la  volonté  de  rece- 
voir cette  direction  ;  la  volonté  est  semblable  à  un 
aveugle  et  a  besoin  d'un  guide  clairvoyant.  Il  faut 
donc  que  l'intelligence  perçoive  d'abord  les  choses 
divines  ;  elle  imprimera  ensuite  à  la  volonté  le 
mouvement  vers  l'objet  perçu.  Si  l'esprit  est 
dépourvu  de  clarté,  la  volonté  est  sans  amour  de 
Dieu  et  par  conséquent  privée  de  tout  bien  spiri- 
tuel. Que  dis-je  ?  Elle  est  accablée  de  tous  les 
maux  les  plus  atfreux,  comme  l'est  toute  àme  en 
qui  ne  réside  pas  l'amour  de  Dieu.  J'ajoute  que  de 
semblables  maux  sont  à  craindre  même  pour 
celui  dont  l'esprit  est  orné  d'une  vaste  science, 
mais  qui  se  distrait  à  considérer  d'autres  objets  et 
qui  refuse  son  attention  aux  choses  divines.  N'est- 
elle  pas  inutile  cette  science  dont  l'esprit  se 
détourne  ?  C'est  ce  qui  arrachait  à  Jérémie  cette 
plainte  :  «  Une  inexprimable  désolation  remplit 
«  la  tcrrcy  parce  que  personne  ne  rentre  en  lui- 


DÉS   AttRIBÙTS    DÉ   DIEU 


«  même  et  ne  réfléchit...  »  (Jér.  12).  Ainsi  donc, 
avoir  montré  le  chemin,  avoir  éclairé  l'entrée  de 
la  voie  en  faveur  de  ceux  qui  marchent  au  milieu 
d'une  nuit  obscure,  ne  suffit  pas  ;  il  faut  que  le 
flambeau  ne  cesse  de  briller  devant  eux  :  à  cette 
condition  ils  ne  s'égareront  point,  n'iront  pas  droit 
aux  précipices.  Pour  que  la  volonté  chemine  cons- 
tamment dans  le  droit  sentier  de  la  vertu  et  ne 
tombe  pas  dans  le  péché,  l'esprit  doit  sans  cesse 
l'éclairer  en  portant  le  flambeau  devant  elle  ;  sa 
pensée  doit  être  fixée  sur  les  choses  divines,  y 
réfléchir,  les  méditer  jour  et  nuit. 

Ce  premier  point  est  incontestable.  Pourquoi, 
hélas  !  demeurer  plus  longtemps  dans  mon  aveu- 
glement et  dans  mon  ignorance  ?  Pourquoi  ne  pas 
faire  effort  pour  chasser  cette  coupable  et  désas- 
treuse ignorance,  source  de  tant  de  maux  ?  Pour- 
quoi languir  dans  cet  assoupissement  sans  songer 
à  lever  les  yeux  vers  le  ciel,  à  fixer  le  regard  de 
mon  esprit  sur  les  choses  célestes  et  divines  ? 
Faut-il  que  je  n'aie  d'intelligence  que  pour  les 
choses  terrestres,  que  je  n'occupe  mon  âme  que 
des  affaires  du  monde  ?  O  mon  Dieu  !  Je  vois  bien 
l'origine  de  mon  mal,  devant  vous  je  reconnais 
ma  faute  :  daignez  me  la  pardonner  et  m'enseigner 
le  moyen  de  m'en  guérir  parfaitement. 

II 

En  second  lieu,  considérez  quel  est  le  remède  de 
cette  ignorance  et  de  ce  défaut  d'attention  :  il  con- 
siste dans  l'étude  de  la  Théologie  affective  ;  c'est 
elle  qui  illumine  l'intelligence  d'une  manière  salu- 


LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


taire  et  qui  enflamme  la  volonté  de  saintes  affec- 
tions pour  les  choses  divines. 

La  première  partie  de  cette  Théologie  fait  con- 
naître à  l'homme  les  attributs  de  Dieu,  le  mystère 
de  la  sainte  Trinité,  la  vie  des  anges  et  les  oeuvres 
de  la  création. 

La  deuxième  partie  lui  enseigne  la  fin  pour 
laquelle  il  a  été  créé,  les  actes  humains,  les  lois, 
les  effets  de  la  grâce,  l'excellence  des  vertus  Théo- 
logales et  des  vertus  cardinales  :  elle  lui  fait  aussi 
connaître  ce  qu'est  l'état  religieux  ou  l'état  de 
perfection  qui  doit  être  considéré  comme  un 
moyen  pour  arriver  à  cette  fin. 

La  troisième  partie  lui  montre  l'Incarnation  et 
la  vie  admirable  de  Jésus  et  de  Marie.  Elle  lui 
explique  tout  ce  qu'il  y  a  de  mystérieux  dans  les 
sacrements  et  elle  couronne  cet  enseignement  en 
traitant  de  la  résurrection  générale  et  du  jugement 
des  bons  et  des  méchants. 

Y  a-t-il  au  monde  une  science  aussi  excellente  ? 
une  science  dont  l'objet  soit  aussi  grand,  aussi 
sublime  ?  Toutefois  la  Théologie  a  un  avantage 
plus  précieux  encore,  c'est  que,  pour  nous  ins- 
truire de  toutes  ces  grandes  vérités,  elle  suit  une 
voie  plus  élevée  et  plus  certaine  qu'aucune  science 
humaine  ;  car  ses  conclusions  et  ses  enseignements, 
ou  bien  elle  les  fonde  sur  des  articles  de  foi  dont 
nul  ne  peut  douter,  ou  bien  elle  les  déduit,  partie  i 
C^>^  des  vérités  de  foi,  partie  des  raisons  naturelles.  1 
Son  objet  principal,  nous  dit  excellemment  Albert 
le  Grand  (i),  celui  auquel  elle  rapporte  tout  autre 
objet  qu'elle  étudie,  c'est  Dieu  même,  considéré 

I.  In  i  Sent,  dist.  i,  art.  4. 


\A 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU 


comme  fin  et  comme  béatitude  de  Thomme.  De  là 
vient  que  la  Théologie  parfaite  sera  la  contempla- 
tion de  Dieu  dans  la  patrie  ;  en  sorte  que  la  Théo- 
logie affective  n'est  autre  chose  ici-bas  que  la  béati- 
tude commencée,  et  la  béatitude  est  l'achèvement 
et  la  perfection  de  la  Théologie  affective. 

Or,  comme  Dieu,  fin  et  béatitude  de  l'homme 
est  tout  aimable  et  désirable,  on  voit  que  cette 
science  perfectionne  à  la  fois  l'esprit  et  le  cœur  : 
elle  est  même  proprement  affective  à  cause  de  sa 
fin.  Aussi  elle  ne  se  borne  pas  à  la  spéculation 
pure,  mais  elle  fait  tout  converger  vers  la  pratique 
des  vertus  et  de  la  sainte  chanté  ;  c'est  la  charité 
qu'elle  fait  naître  dans  ses  disciples,  c'est  à  la 
sainteté  de  Tàme  qu'elle  vise,  comme  le  médecin  à 
la  santé  du  corps  dont  il  guérit  les  plaies  et  les 
maladies.  Le  docteur  séraphique  (i)  ajoute  qu'elle 
tend  principalement  à  nous  rendre  bons  :  il  faut 
que  l'homme  soit  non  seulement  pécheur,  mais 
endurci  et  obstiné,  pour  qu'elle  ne  réussise  pas  à 
l'émouvoir  jusqu'à  l'amour  et  à  la  dévotion.  Car 
en  nous  montrant  les  perfections  de  Dieu  et  les 
vertus  suréminentes  de  Jésus-Christ,  elle  produit 
naturellement  l'amour  en  nous,  si  nous  n'opposons 
pas  à  ses  attraits  un  cœur  endurci.  Or,  l'amour 
des  choses  divines  à  pour  effet  de  nous  exciter  à 
fixer  sur  elles  notre  attention,  puisqu'il  est  natu- 
rel à  l'homme  de  penser  attentivement  à  ce  qu'il 
aime.  Donc,  comme  science,  la  Théologie  guérit 
l'ignorance  des  choses  divines,  comme  science 
affective,  elle  remédie  à  notre  défaut  d'attention. 

O  céleste  et  divine  science,  ô  Théologie,  mère  et 

X.  In  Proam,  Sent.,  art.  a. 


LA     THEOLOGIE     AFFECTIVE 


nourricière  de  toute  sainte  affection,  ô  remède 
salutaire  de  nos  misères  et  de  nos  langueurs, 
pourquoi  les  hommes  vous  estiment-ils  si  peu?0 
science  du  salut,  comment  une  âme  qui  désire  son 
salut,  peut-elle  vous  abandonner  ?  Sans  vous  les 
autres  sciences  sont  vaines  et  inutiles  :  vous  êtes 
plus  précieuse  que  Tor  et  que  les  plus  riches  dia- 
mants, plus  désirable  que  tous  les  trésors  de  ce 
monde.  Quel  plus  noble  objet  que  Dieu,  peut  être 
proposé  à  Tesprit  de  Phomme?  «  O  i7ion  Dieu! 
«  voîis  connaître,  voilà  la  consommation  de 
«  toute  justice,  la  perfection  de  toute  vertu.., 
«  (Sag.  i5)...  vous  connaître,  vous  qui  êtes  le 
«  vrai  Dieu,  cest  en  cela  que  consiste  la  vie 
«  éternelle...  (Jean,  17)...  O  mon  Dieu  donne^- 
«  moi  V intelligence  et  je  vivrai.  »  (Ps.  118)... 
Donnez-moi  un  esprit  animé  de  cette  admirable 
sagesse  et  cédant  à  ses  inspirations  je  vivrai  en 
vous,  je  soupirerai  après  vous. 

III 

Considérez  en  troisième  lieu  que  pour  faire  des 
progrès  dans  la  Théologie  affective,  la  pureté  de 
l'àme  est  avant  tout  requise  :  «  La  sagesse^  c'est  le 
«  Sage  qui  Taffirme,  n  entrera  pas  dans  une  âme 
«  coupable  et  elle  ne  fera  point  sa  demeure 
»  d'un  corps  sujet  au  péché...  »  (Sag.,  i.)  Il  n'est 
pas  donné  à  des  cœurs  impurs  de  contempler  la 
pureté  divine,  a  J'ai  mieux  compris  que  les  an- 
«  ciens,  dit  le  roi  Daw'id^  parce  que  j'ai  du  \èle 
«  pour  vos  commandements.  »  (Ps.  118.) 

De  deux  personnes  d'une  égale  vigueur  et  portée 
d'esprit,  celle-là    fera    plus   de    progrès   dans  la 


DES    ATTRIBUTS     DK     DIEU 


Théologie,  qui  mène  une  vie  plus  pure.  C'est 
pourquoi  saint  Bonaventure,  ce  grand  saint  qui 
montrait  à  saint  Thomas  le  crucifix  comme  le 
meilleur  de  ses  livres  et  qui  avait  puisé  plus  de 
lumières  dans  la  prière  que  dans  Tétude,  saint 
Bonaventure  veut  que  cette  pureté  soit  parfaite, 
qu'elle  s'étende  tant  à  l'esprit  qu'au  cœur.  Il  faut, 
dit-il,  que  l'esprit  soit  purifié  par  la  foi  et  soit  vide 
de  toutes  ces  images  suscitées  par  les  sens  ou 
l'imagination,  vraies  entraves  et  sérieux  obstacles 
à  la  libre  méditation  de  ce  qui  est  spirituel  et 
céleste.  Le  cœur  doit  être  également  purifié  par 
la  justice  et  l'innocence,  être  dégagé  de  tout  péché 
et  de  toutes  les  occasions  de  péché.  Grâce  à  la 
pureté  de  l'esprit,  l'âme  devient  capable  de  péné- 
trer plus  intimement  dans  l'intelligence  des  mys- 
tères divins,  de  s'y  appliquer  énergiquement  et 
sans  distraction  ;  d'autre  part,  à  la  pureté  du  cœur 
elle  doit  d'être  mieux  en  état  de  recevoir  les  mou- 
vements et  les  saintes  impressions  que  produit  la 
considération  d'un  objet  tout  divin.  Ces  deux 
puretés  s'cntraident  admirablement  et  sont  propres 
à  unir  dans  une  même  âme  la  science  et  la  dévo- 
tion. Or,  c'est  l'union  de  ces  deux  choses  qui  fait 
la  Théologie  affective. 

Je  m'examinerai  donc  sur  ce  point  et  je  consi- 
dérerai si  j'ai  cette  double  pureté.  Hélas!  mon 
Dieu,  mon  âme  est  confuse  en  votre  présence. 
Comment  oser  m'approcher  du  sanctuaire  de  vos 
mystères  !  Mes  lèvres  sont  trop  souillées  pour 
parler  de  votre  sainteté,  mon  cœur  trop  profané 
pour  devenir  votre  demeure.  Mais  vous,  Seigneur, 
n'êtes-vous  pas  la  fontaine  où  se  lavent  nos  souil- 


LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


lures,  le  feu  qui  purifie,  le  feu  qui  consume  nos 
iniquités  ?  Vous  donc,  ô  Seigneur,  fontaine  de 
pureté,  lavez  mon  àme  de  son  iniquité,  purifiez 
mon  esprit,  élevez  mon  cœur  jusqu'à  vous,  afin 
que  dans  un  pieux  et  saint  effort,  je  contemple  les 
merveilles  de  vos  mystères  et  que  par  la  médita- 
tion s'allume  en  moi  le  feu  de  votre  amour. 


IF  MÉDITATION 

DE   L'EXISTENCE    DE   DIEU 


SOMMAIRE 

Importance  de  cette  vérité.  —  La  connaissance 
de  Dieu  est  naturelle  à  l'homme.  —  Comment 
faut-il  concevoir  Dieu  ? 

I 

CONSIDÉREZ  combien  est  importante  cette 
vérité  :  Dieu  existe.  C'est  la  première  de 
toutes  les  vérités  ;  nous  ne  saurions  en  affirmer 
aucune  autre  avant  celle-là  (i).  C'est  une  vérité 
éternelle  ;  de  tout  temps  il  a  été  vrai  de  dire  qu'il 
y  a  un  Dieu.  Il  est  avant  tout  les  siècles  et  n'a  pas 
de  commencement.  C'est  une  vérité  nécessaire  ;  il 
est  impossible  que   Dieu  ne  soit  pas.  Toutes  les 

I.  Dieu  est  la  première  vérité  ontologiquement,  mais  non  logique- 
ment :  ce  qui  signifie  que  Dieu  existe  avant  tous  les  êtres  ;  mais  que 
son  existence  ne  peut  être  connue  de  notre  esprit  que  par  un  raison- 
nement qui  va  de  IV-fTct  k  la  cause.  Donc  pour  nous  la  connaissance 
des  êtres  créés  doit  précéder  celle  de  Dieu. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU 


créatures  dont  nous  constatons  Texistence  auraient 
pu  ne  jamais  exister  ;  aujourd'hui  encore  Dieu 
peut  les  anéantir  ;  mais  pour  lui,  son  existence  est 
absolument  nécessaire. 

Voilà  une  vérité  immuable  :  il  sera  éternellement 
vrai  de  dire  :  il  y  a  un  Dieu. 

Cette  vérité  est  le  fondement  de  la  religion,  la 
source  naturelle  de  toutes  les  vertus  parfaites  ; 
car  les  actes  de  religion  et  de  vertu  ne  se  prati- 
quent qu'en  vue  de  Dieu.  Un  autre  effet  de  cette 
vérité  est  de  modifier  le  naturel  des  hommes, 
d'adoucir  leurs  mœurs  barbares;  la  crainte  d'irriter 
Dieu  les  rend  doux  envers  autrui  et  sociables. 
Cette  vérité  est  aussi  souverainement  consolante. 
La  pensée  de  Dieu  comble  de  joie  les  hommes  qui 
pratiquent  la  vertu,  surtout  quand  vient  la  fin  de 
leur  vie.  Alors  l'expérience  est  faite  pour  eux  de 
la  fragilité  de  leur  existence  terrestre,  de  la  cadu- 
cité des  plaisirs  d'ici-bas  et  l'espérance  leur  reste 
de  trouver  en  Dieu  seul  des  biens  incomparable- 
ment supérieurs  à  ceux  que  leur  promettait  ce 
monde  qui  les  délaisse.  Les  athées  au  contraire 
qui  ont  cru  aux  biens  misérables  de  ce  monde  et 
qui  ont  mis  toute  leur  ardeur  a  s'en  rassasier, 
tomberont  dans  la  plus  profonde  tristesse  et  dans 
le  désespoir  à  l'heure  de  la  mort,  quand  ils  verront 
tous  ces  biens  s'évanouir  et  qu'il  ne  leur  restera 
aucune  consolation. 

J'adhérerai  donc  à  une  aussi  excellente  vérité  et 
je  l'embrasserai  de  toutes  les  énergies  de  mon  âme. 
Oui,  ô  mon  Dieu,  vous  êtes  :  je  le  crois  et  je  le 
crois  fermement.  Je  douterais  bien  plutôt  de  mon 
existence  que  de  la  vôtre.  O  vérité  suprême  !  je 


lO  LA     THEOLOGiK     AFFECTIVE 

VOUS  confesserai  toujours  et  de  cœur  et  de  bouche. 
Je  donnerais  mille  vies,  si  je  les  avais,  plutôt  que 
de  vous  nier.  O  vérité  première  et  éternelle,  néces- 
saire et  immuable,  pleine  de  douceur  et  de  conso- 
lation :  Dieu  est  ! 

II 

J'ajoute  que  la  connaissance  de  cette  vérité  est 
naturelle  à  l'homme  ;  en  ce  sens  que  toute  la 
nature  vient  en  aide  à  son  esprit  pour  Télever 
jusqu'à  cette  hauteur  :  en  effet  «  de  la  grandeur  et 
«  de  la  beauté  des  êtres  créés,  Vesprit  conclut 
«  logiquement  à  V existence  d'un  Créateur.  » 
(Sag.  i3.)  Toutes  les  créatures  proclament  Dieu. 
Cet  Etre  divin  et  ses  perfections,  elles  le  prêchent 
à  quiconque  les  considère  de  près,  sous  n'importe 
quelle  de  leurs  faces,  dans  tous  leurs  états  et  par 
toutes  leurs  propriétés.  Voulez-vous  les  considérer 
simplement  comme  des  êtres  ?  Elles  disent  qu'un 
premier  Etre  a  été  nécessaire  pour  leur  donner 
cette  existence,  par  la  raison  qu'aucun  être  ne  peut 
se  produire  lui-même.  L'expérience  nous  montre 
à  côté  des  créatures  que  nous  connaissons  la  cause 
qui  les  a  produites  ;  c'est  assez  pour  nous  permet- 
tre de  conclure  que  le  monde  entier,  c'est-à-dire 
l'ensemble  des  créatures  a  un  créateur.  Vous  plaît- 
il  de  les  considérer  au  point  de  vue  de  l'ordre,  de 
la  subordination  et  de  l'harmonie  que  nous  cons- 
tatons en  elles  ?  Elles  nous  disent  qu'il  a  fallu  une 
sagesse  suprême  pour  leur  assigner  leur  place  dans 
le  temps  et  dans  l'espace,  car  l'ordre  ne  peut  être 
que  l'effet  de  la  raison  ;  il  en  est  des  créatures 
comme  d'une  grande  armée,  si  chacun  y  occupe 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  II 

son  rang,  c'est  grâce  à  la  sagesse  et  à  la  volonté  du 
chef.  Les  cieux,  les  éléments,  les  saisons  et  tout  ce 
qui  en  dépend  révèlent  un  ordre  parfait  et  ne  peu- 
vent procéder  à  ce  titre  que  de  la  sagesse  de  Dieu. 

Nous  arriverons  à  la  môme  conclusion  si  nous 
considérons  les  créatures  sous  le  rapport  des 
diverses  facultés  dont  elles  sont  douées  ;  tous  les 
êtres,  depuis  le  plus  petit  insecte,  sont  pourvus  de 
tout  ce  qui  leur  est  nécessaire,  de  telle  sorte  que 
depuis  plusieurs  milliers  d'années  le  monde  se 
conserve  avec  toutes  les  espèces,  malgré  l'opposi- 
tion irréductible  de  leurs  instincts.  C'est  la  preuve 
évidente  de  l'existence  d'une  providence  suprême 
qui  maintient  cet  équilibre.. 

En  un  mot  tout  ce  que  nous  voyons  de  merveil- 
leux dans  la  nature,  rend  témoignage  de  l'exis- 
tence d'un  Dieu  qui  a  été  nécessaire  pour  le  pro- 
duire. Les  créatures  dotées  de  la  force  révèlent  sa 
puissance  infinie,  celles  qui  ont  en  partage  la 
beauté,  manifesteht  sa  beauté,  celles  qui  ont  la 
douceur,  proclament  sa  bonté  infinie.  Aussi  toutes 
les  nations  ont  reconnu  une  divinité,  ont  eu  des 
prêtres  et  des  sacrifices  pour  l'adorer.  Cette  idée 
de  Dieu  est  si  propre,  si  naturelle,  si  intime  à 
l'homme,  qu'on  la  retrouve  même  chez  les  nations 
les  plus  barbares.  Si,  cependant  on  peut  citer 
quelques  individus  qui  ont  nié  Dieu,  il  ne  faut 
voir  en  eux  que  des  exceptions  monstrueuses,  des 
êtres  isolés,  à  l'àme  mal  faite  et  à  l'esprit  faux. 
Aussi  comme  les  monstres,  sont-ils  rares,  et  même 
au  moment  de  la  mort,  reviennent-ils  pour  la 
plupart  à  celui  qu'ils  avaient  si  imprudemment 
méconnu  dans  leur  jeunesse. 


12  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Je  me  réjouis,  ô  mon  Dieu  !  à  la  pensée  que 
d'une  part  la  nature  entière  concourt  à  inspirer  à 
rhomme  votre  connaissance  et  votre  amour,  et 
que  d'autre  part  tous  les  peuples  de  la  terre  sont 
unis  dans  cette  même  connaissance  et  dans  votre 
service.  «  Vous  ave^  imprimé  sur  notre  front 
«  un  reflet  de  votre  face,  mon  cœur  en  a  tres- 
«  sailli  de  joie.  »  (Ps.  4.)  Vous  êtes  mon  Dieu, 
c'est  en  vous  que  se  trouve  mon  origine  et  mon 
principe.  Ah  !  que  je  n'aie  ici-bas  nul  souci, 
hormis  de  vous  plaire?  Que  mon  àme  coure  après 
vous,  puisqu'elle  vous  aperçoit  ;  que  ce  premier 
regard  jeté  sur  vous  fasse  naître  en  elle  l'amour  ; 
que  dès  cette  première  connaissance  il  vous  soit 
acquis  à  tout  jamais.  O  mon  véritable  bien  !  que 
je  m'efforce  de  vous  plaire  de  mille  manières. 


III 


Mais  de  quelle  manière  devons-nous  concevoir 
Dieu  ?  Les  païens  idolâtres  et  les  hérétiques 
anthropomorphites  l'ont  conçu  grossièrement, 
sous  une  forme  corporelle,  ce  qui  est  indigne 
de  sa  grandeur.  D'autres  qui  semblent  moins 
répréhensibles  l'ont  imaginé  à  la  façon  d'une  belle 
lumière  répandue  en  tout  lieu,  mais  si  brillante  et 
si  vive  que  les  yeux  de  l'esprit  ne  pouvant  en 
supporter  l'éclat,  n'apercevaient  qu'obscurité  et 
ténèbres  et  en  somme  ne  voyaient  rien  en  conce- 
vant celui  qui  est  tout.  Le  docteur  Scot  (1) 
approche  davantage  de  la  vérité,  quand  il  enseigne 
que  l'idée  la  plus  juste  que  nous  puissions  avoir 

I.  In  Miiceïlan.  9.  ;. 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  l3 

de  Dieu,  c'est  de  le  concevoir  comme  un  Etre 
infini  et  d'une  perfection  sans  bornes.  Mais  il  a 
tort  de  rejeter  l'opinion,  préférable  à  notre  avis, 
d'un  illustre  théologien  (i)  qui  déclare  que  la 
manière  la  plus  parfaite  dont  nous  puissions 
concevoir  ici-bas  l'Etre  divin,  c'est  de  nous  le 
représenter  comme  une  nature  unique  en  trois 
personnes  :  c'est  là  l'idée  la  plus  vraie  que  nous 
puissions  en  avoir.  Dieu  en  effet  n'a  pas  de  corps, 
il  n'est,  à  proprement  parler,  ni  lumière,  ni  ténè- 
bres ;  bien  qu'il  soit  infini  et  l'infinité  même, 
ce  terme  d'infini  n'exprime  qu'un  de  ses  attributs 
et  non  sa  substance.  Si  nous  voulons  la  caracté- 
riser, il  faut  dire  que  Dieu  est  le  premier  Etre, 
l'Etre  souverain  et  indépendant,  mais  de  qui  tout 
dépend,  qu'il  est  la  perfection  sans  bornes  et  qu'il 
subsiste  en  trois  personnes  infinies  :  le  Père,  le 
Fils  et  le  Saint-Esprit  :  c'est  là  le  trait  distinctif 
de  son  Essence  en  face  de  toute  essence  créée. 
Dès  lors,  la  meilleure  manière  de  le  concevoir,  est 
de  se  le  représenter  tel  qu'il  est,  c'est-à-dire  de 
le  concevoir  comme  un  Etre  indépendant,  absolu- 
ment parfait  et  subsistant  en  trois  personnes, 
en  écartant  soigneusement  toute  image  sensible 
et  créée.  Saint  Denys  (2),  à  qui  j'emprunte  cette 
doctrine,  nous  avertit  qu'il  ne  faut  s'arrêter  à 
aucune  de  ces  idées  que  les  sens,  l'esprit  ou 
l'imagination,  nous  apportent  après  les  avoir 
puisées  dans  l'objet  propre  de  leur  connaissance. 
Pour  concevoir  Dieu,  dit-il,  il  faut  faire  abstrac- 
tion de  tout  ce  qui  est  dans  le  monde  et  de  tout 

I.  Joau.  De  monte  S.  Eligii. 
a,  S.  Dionys.  In  Mysi,  c.  i. 


14  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

ce  qui  n'est  pas.  Saint  Augustin  (i)  dit  dans  le 
mêirie  sens  :  «  Ne  pensez  à  rien  de  créé,  si  vous 
«  voulez  connaître  Dieu,  mais  songez  que  Dieu 
«  est  amour.  »  Il  veut  dire  que  pour  concevoir 
Dieu,  il  faut  le  concevoir  comme  l'amour  même. 
O  la  haute  et  sublime  pensée,  qui  veut  que 
l'homme  s'isole  de  tout  pour  se  former  une  idée 
de  Dieu  et  s'unir  à  lui  !  Qui  affranchira  mon 
esprit  ?  qui  lui  donnera  cette  liberté  par  laquelle 
il  sera  délivré  des  nuages  produits  par  toutes  les 
choses  créées  ou  imaginables  et  mis  à  même  de 
concevoir  Dieu  avec  cette  pureté  et  cette  perfec- 
tion ?  O  Dieu  Très-Haut  !  à  qui  rien  ne  peut  être 
comparé,  auprès  de  qui  tout  est  vil  et  méprisable, 
je  consens  à  ignorer  tout  ce  qui  existe  ou  pourrait 
exister,  pour  ne  fixer  mon  regard  que  sur  vous 
seul.  Que  je  sois  saisi  d'un  perpétuel  ravissement 
à  la  pensée  que  vous  êtes  si  grand  et  si  élevé  ! 
Que  dans  la  profondeur  de  mon  àme  retentisse  ce 
cri  :  O  premier  Etre,  Etre  souverain.  Etre  infini. 
Etre  infiniment  parfait  et  subsistant  en  trois 
personnes  infinies  !  ô  grandeur,  ô  majesté  !  ô 
perfection  au-dessus  de  toute  perfection  !  ô  amour! 
amour  infini  ! 

I.  Tract.  7.  In  Epis  t.  Joan. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  ID 


Iir  MÉDITATION 

DES  ATTRIBUTS 

ET  DES  PERFECTIONS  DE  DIEU 

EN  GÉNÉRAL 


SOMMAIRE 

Dieu  a  des  attributs  —  diverses  espèces  d'attri- 
buts —  ceux  que  Dieu  partage  avec  ses  créa- 
tures. 

I 

DIEU  a  des  attributs,  des  qualités  et  des  per- 
fections qui  accompagnent  son  Essence  et 
l'ennoblissent  excellemment.  Dès  que  nous  avons 
admis  que  Dieu  est  le  premier  Etre,  l'Etre  indé- 
pendant de  tous,  nous  pouvons  en  conclure  qu'il 
possède  toutes  les  perfections  des  autres  êtres  et 
d'autres  encore  à  l'infini.  C'est  là  une  conclusion 
logique,  qui  découle  des  vérités  que  nous  venons 
d'établir  comme  de  ses  prémisses.  En  effet,  si 
Dieu  est  l'Etre  premier  et  souverain,  il  est  le  Roi 
de  tous  les  êtres  et  il  dépasse  toutes  les  créatures, 
les  plantes,  les  hommes,  les  anges,  tout  ce  qui 
existe.  Si  la  terre  a  de  la  stabilité,  le  lys  de  la 
beauté,  l'homme  de  l'intelligence,  les  cieux  de 
l'éclat,  les  anges  du  bonheur,  à  plus  forte  raison 
Dieu  doit-il  posséder  toutes  ces  perfections  puis- 
qu'il est  le  premier  Etre,  l'Etre  le  plus  parfait.  Si 


l6  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

on  nous  disait  d'un  homme  qu'il  est  le  premier  et 
le  plus  grand  des  monarques,  nous  ferions  le 
raisonnement  suivant  :  puisqu'il  est  le  plus  puis- 
sant des  rois,  il  doit  avoir  un  immense  domaine, 
de  riches  trésors,  des  palais  magnifiques,  une 
redoutable  armée  et  une  suite  de  valets  et  d'équi- 
pages en  rapport  avec  une  telle  grandeur.  Et  ce 
serait  à  bon  droit  qu'on  lui  attribuerait  tous  ces 
biens  ;  ils  sont  comme  l'accessoire  qui  accompagne 
le  principal.  Par  un  raisonnement  semblable,  dès 
que  nous  avons  conçu  Dieu  comme  le  premier 
Etre,  l'Etre  indépendant,  nous  concluons  logi- 
quement qu'il  est  orné  de  toutes  sortes  de  perfec- 
tions. Sur  ce  principe,  comme  sur  un  fondement, 
nous  élevons  l'édifice  des  perfections  divines. 

Oui,  mon  Dieu,  puisque  vous  êtes  le  premier 
Etre,  TEtre  indépendant,  il  est  certain  que  toute 
beauté,  toute  excellence  vous  convient.  Soyez  béni 
de  m'avoir  fait  comprendre,  dès  ces  premières 
considérations,  que  votre  Essence  est  un  abîme 
de  perfection.  Je  vous  offre  mes  hommages  et  je 
vous  adore  sous  cette  notion  de  premier  Principe, 
d'Etre  indépendant;  c'est  grâce  à  elle  que  je  puis 
pénétrer  dans  la  connaissance  de  ces  attributs  qui 
vous  élèvent  au-dessus  de  toutes  les  créatures. 

II 

Les  attributs  de  Dieu  sont  en  nombre  infini  : 
ils  s'olfrcnt  à  notre  esprit  sous  différents  aspects. 
Il  est  certain  que  tout  ce  qui  se  trouve  dans  l'Es- 
sence divine  n'est  qu'une  seule  et  même  chose  ; 
mais  notre  esprit  se  forme  de  cette  unité  des  con- 
cepts variés  :    il  détaille   en  quelque  sorte  cette 


DES    ATTRIBUTS    DE    D  lEU  I7 

perfection  infinie,  parce  qu'il  est  incapable  de  la 
saisir  dans  sa  simplicité.  Il  distingue  d'abord  les 
attributs  négatifs  et  les  attributs  positifs  :  les  pre- 
miers sont  ceux  que  nous  exprimons  par  un  terme 
qui  exclut  de  Dieu  ce  qui  constitue  un  défaut  ou 
une  imperfection  ;  tels  sont  l'infinité,  l'immorta- 
lité, l'incompréhensibilité.  Ces  attributs  négatifs 
sont  les  plus  dignes  de  la  grandeur  de  Dieu,  car 
dit  saint  Denys  (i),  nous  parlons  plus  exactement 
de  Dieu,  quand  nous  disons  ce  qu'il  n'est  pas, 
que  lorsque  nous  essayons  de  dire  ce  qu'il  est. 
Quant  aux  attributs  positifs  ce  sont  ceux  qui  affir- 
ment que  Dieu  possède  telle  perfection,  comme 
par  exemple  l'éternité,  la  puissance,  l'amour. 

En  second  lieu,  les  attributs  positifs  sont  de 
deux  sortes  :  les  uns  sont  absolus  et  les  autres 
relatifs.  Les  premiers  signifient  la  perfection  qui 
est  en  Dieu,  abstraction  faite  de  la  créature,  comme 
quand  nous  disons  qu'il  possède  la  vie  et  la  béati- 
tude ;  les  autres  expriment  ce  qui  est  en  Dieu, 
mais  qui  se  rapporte  aux  créatures,  telles  sont  la 
providence  et  la  prédestination. 

En  troisième  lieu,  les  attributs  tant  absolus  que 
relatifs  se  divisent  en  deux  catégories  :  les  uns  sont 
exclusivement  propres  à  Dieu  et  il  n'en  partage  la 
gloire  avec  aucune  créature  :  c'est,  par  exemple, 
l'infinité,  la  prédestination  :  les  autres  se  trouvent 
aussi  chez  les  créatures,  telles  sont  la  sagesse,  la 
justice,  la  miséricorde. 

Enfin  certains  attributs  sont  distingués  en  Dieu 
sous  forme  de  propriété,  comme  l'éternité,  d'au- 
tres sous  forme  de  puissance,   comme  la  liberté  ; 

I.  De  cal,  hierarchia. 

Saii.>  t.  u  s 


LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


certains  sous  forme  d'habitude,  comme  la  sagesse; 
d'autres  enfin  sous  forme  d'acte,  comme  l'amour. 
En  un  mot,  les  attributs  de  Dieu  se  différencient 
selon  notre  façon  de  les  entendre  :  mais  ce  que 
nous  en  savons  ici-bas  n'est  pas  la  millième  partie 
de  ce  que  nous  ignorons.  Ce  roi  des  êtres  est  doué 
de  perfections  qui  dépassent  toutes  nos  concep- 
tions. 

«  O  Seigneur  !  Combien  est  grande  Vabon- 
«  dance  de  votre  douceur  »  (Ps.  3o)  qu'il  me 
plaît  de  distinguer  au  milieu  de  tant  de  perfec- 
tions !  Que  de  motifs  cette  abondance  de  biens 
fournit  à  notre  cœur,  pour  vous  aimer  plus  que 
toutes  les  créatures  !  Ont-elles  une  qualité  ?  Com- 
bien d'autres  leur  manquent  !  Jouissent-elles  de  la 
beauté  ?  L'imortalité  leur  fait  défaut.  Sont-elles 
parées  de  leur  jeunesse  ?  C'est  la  sagesse  qui  leur 
manque.  En  vous.  Seigneur,  tout  bien  surabonde  : 
vous  êtes  parfait  sous  tous  les  rapports.  Vous  êtes 
tout,  ô  mon  Dieu  !  Ah  !  laisse-toi  donc  gagner,  ô 
mon  àme,  laisse-toi  ravir  par  tant  d'éminentes 
perfectious.  Quand  bien  même  tout  le  reste  te 
manquerait,  ton  Dieu  te  sufiSt. 

III 

Si  parmi  les  attributs  de  Dieu,  certains  lui  sont 
communs  avec  les  créatures,  c'est  toutefois  avec 
une  grande  inégalité,  et  ils  se  trouvent  dans  un 
degré  bien  inférieur  chez  ces  dernières:  la  sagesse, 
la  justice,  la  miséricorde  et  la  bonté  que  possèdent 
les  créatures,  sont  en  Dieu  d'une  manière  incom- 
parablement plus  noble.  En  Dieu,  ce  sont  des 
qualités  pleines  et  parfaites,  sans  mélange   de  la 


DES    ATTRIBUTS    DE     DIEU  IQ 

plus  légère  imperfection,  dans  les  créatures  ce 
sont  des  qualités  qui  sont  altérées  par  le  mélange 
de  défauts  et  d'imperfections.  En  Dieu  toutes 
atteignent  le  plus  haut  degré  de  perfection  :  la 
puissance  y  égale  la  volonté,  le  repos  y  est  sans 
ennui,  l'action  sans  peine,  l'a  beauté  sans  fard,  la 
joie  sans  fin,  la  Justice  sans  dureté,  la  compassion 
n'est  accompagnée  d'aucun  sentiment  de  douleur, 
la  providence  est  sans  sollicitude  :  toute  sorte  de 
biens  s'y  trouve  sans  aucune  espèce  de  mal.  En  un 
mot,  le  mal  n'aborde  point  Dieu,  les  misères  et 
les  fléaux  ne  regardent  même  pas  le  seuil  de  sa 
demeure. 

S'agit-il  des  créatures  ?  Quelle  différence  !  Jamais 
chez  elles  le  bonheur  n'est  parfait  :  la  raison  a  ses 
ténèbres,  la  puissance  doit  compter  avec  des  enne- 
mis qui  lui  imposent  souvent  d'insurmontables 
bornes,  la  sagesse  est  moindre  que  l'ignorance,  la 
bonté  est  défectueuse,  la  grandeur  a  ses  dangers, 
le  repos  est  incompatible  avec  l'exercice  des  facul- 
tés intellectuelles,  la  beauté  est  fragile,  les  pas- 
sions troublent  le  cœur,  la  satiété  y  produit  l'in- 
solence et  même  tout  ce  que  nous  admirons  dans 
les  créatures  n'aurait-il  d'autre  défaut  que  d'être 
fini,  instable,  dépendant  et  limité  de  toute  ma- 
nière, et  ce  sont  là  autant  de  défauts  inséparables 
des  êtres  créés  ;  cela  seul  nous  autoriserait  à  con- 
clure qu'à  Dieu  seul  appartiennent  les  perfections 
pures,  celles  que  la  théologie  appelle  absolument 
simples.  Nous  concluons  donc  que  l'Etre  de  Dieu 
est  hors  de  pair  ;  que  ni  sa  puissance  ni  aucune  de 
ses  perfections  ne  dépend  de  personne  et  que  pas 
un  seul  être  créé  ne  peut  lui  être  comparé. 


20  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Qu'aucune  créature  n'ose  donc  s'égaler  à  vous, 
ô  mon  Dieu  !  Qu'elle  se  reconnaisse  inférieure  à 
vous  à  tous  les  points  de  vue.  «  Qui  parmi  les 
forts  est  digne  de  vous  être  comparé?  »  (Ex.  i5.) 
Qui  est  semblable  à  vous?  Je  vous  cède  donc  en 
tout,  Je  n'élève  en  face  de  vous  aucune  prétention, 
ô  Dieu  incomparable.  Je  me  réjouis  à  la  pensée 
que  nos  misères  et  nos  faiblesses  ne  vous  attei- 
gnent pas.  Qu'il  y  ait  à  redire  à  tout  ce  qui  est 
créé,  c'est  même  un  trait  de  votre  sagesse  qui  l'a 
voulu  pour  nous  détacher  des  créatures,  pour  nous 
obliger  à  nous  donner  à  vous,  seul  Etre  infiniment 
parfait.  Ainsi,  mon  Dieu,  ai-je  résolu  de  leur  reti- 
rer mon  cœur,  pour  vous  l'offrir  tout  entier.  Car 
quand  ma  pensée  se  fixe  sur  vous,  je  ne  trouve 
rien  à  reprendre,  aucun  regret  à  exprimer.  Je  veux 
que,  puisque  vous  êtes  infiniment  parfait,  je  sois 
parfait  au  moins  dans  l'accomplissement  des  de- 
voirs de  mon  état,  de  telle  sorte  que  rien  ne  me 
manque  pour  vous  être  agréable. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  21 

IV^  MÉDITATION 

DE  LA   SIMPLICITÉ   DE   DIEU 


SOMMAIRE 

Dieu  est  simple  —  parce  qu'il  na  pas  de  corps, 
—  parce  qu'il  n'a  pas  d'accidents  dans  sa 
substance  — parce  qu'il  n'use  point  de  dupli- 
cité. 

I 

DIEU  est  simple  —  parce  qu'il  n'a  pas  de 
corps.  Nous  appelons  quelquefois  simple 
celui  à  qui  la  finesse  d'esprit  fait  défaut  :  mais 
nous  écartons  cette  signification  quand  il  s'agit  de 
Dieu,  dont  l'esprit  est  infiniment  grand  et  perspi- 
cace. Il  y  a  mieux  :  Dieu  est  tout  esprit,  absolu- 
ment dégagé  de  l'imparfaite  matière.  C'est  à  cette 
condition  seulement  qu'il  peut  être  simple  :  car 
tout  ce  qui  a  un  corps  comprend  diverses  parties, 
diverses  dimensions  d'où  naît  une  multiplicité  qui 
exclut  la  simplicité.  La  simplicité  convient  donc  à 
Dieu,  parce  qu'il  n'est  pas  corporel,  qu'il  est  au 
contraire  un  très  pur  esprit,  sans  aucune  composi- 
tion de  parties  distinctes  ou  inégales.  Il  est  un  et 
simple  au  plus  haut  degré,  car  tout  ce  qui  est  en 
lui  s'y  rencontre  non  pas  dans  l'union,  mais  dans 
l'unité.  Sa  simplicité  n'est  donc  qu'une  admirable 
unité,  en  vertu  de  laquelle  toute  sa  substance,  la 


22  LA    THEOLOGIE    AFFECTIVE 

totalité  de  son  Etre  n'est  qu'une  seule  chose  qui 
équivaut  à  toutes  choses. 

Combien  donc  grossièrement  se  sont  trompés 
les  idolâtres  et  tous  ceux  qui  ont  adoré  une  divi- 
nité corporelle.  Les  perfections  divines  sont  trop 
hautes  et  trop  sublimes  pour  pouvoir  résider  dans 
un  corps  grossier  comme  dans  leur  sujet.  Tristes 
époques  que  celles  où  les  hommes  vivaient  pour 
la  plupart  dans  un  semblable  aveuglement  et 
étaient  pires  que  des  brutes  !  Celles-ci  ignorent 
bien  Dieu,  en  effet,  mais  elles  n'ont  point  du 
moins  ravalé  son  excellence  infinie  jusqu'à  une 
condition  indigne  de  la  divinité,  celle  du  corps. 
Comment  a-t-onpu  croire  que  les  idoles  fabriquées 
par  les  hommes  et  à  ce  titre  les  créatures  en  quel- 
que sorte  des  hommes,  pouvaient  avoir  créé  les 
hommes  ?  Les  créatures  qui  peuplent  le  ciel  et  la 
terre  sont  dépourvues  de  raison  :  si  l'âme  jouit  de 
cette  faculté,  ce  n'est  pas  pour  les  adorer,  mais 
pour  s'élever  au-dessus  d'elles  et  comprendre  à 
quel  point  elles  sont  viles  et  misérables  en  face  de 
la  divinité. 

O  Dieu  très-haut  !  que  je  déplore  l'erreur  des 
siècles  passés,  où  les  hommes  vous  ont  si  mal 
connu,  et  ont  eu  sur  vous  des  idées  si  viles  et  si 
indignes  de  votre  Etre  glorieusement  suréminent  ! 
«  Que  sont  les  dieux  des  gentils  ?  de  Vor  ou  de 
«  V argent  Jondu  ou  ciselé  par  des  artistes  :  ils 
«  ont  bien  des  yeux,  mais  ne  voient  pas,  des 
«  oreilles^  mais  n'entendent  pas.  Malheur  à 
«  ceux  qui  se  forgent  de  tels  dieux  !  Notre  Dieu 
«  à  nous  triomphe  dans  les  deux,  et  J ait  sur  la 
«  terre  tout  ce  qui  lui  plaît.  »  (Ps.  ii3.)  Il  est 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  23 

spirituel,  dégagé  de  toute  chair  ou  matière.  O  mon 
Dieu,  rendez-moi  spirituel  à  mon  tour;  alors  je 
pourrai  vous  contempler,  mon  esprit  purifié  sera 
capable  de  s'élancer  vers  vous,  car  vous  êtes  esprit 
et  vous  voulez  être  adoré  en  esprit  et  en  vérité. 

II 

Dieu  est  encore  simple  parce  que  sa  substance 
n'admet  pas  d'accident  et  qu'il  est  parfait  sans 
adjonction  d'aucune  sorte.  Chez  lui  la  bonté  n'est 
pas  une  simple  qualité;  il  est  grand  sans  étendue; 
il  crée,  mais  non  par  besoin,  il  se  trouve  dans  tous 
les  êtres  et  au-delà,  sans  tenir  de  place  ;  il  a  la  vie, 
mais  sans  bornes  ;  il  donne  à  tout  le  mouvement, 
mais  Lui  ne  reçoit  rien  et  demeure  immuable. 
Sans  doute  l'ange  est  esprit,  mais  sa  simplicité 
n'est  pas  absolument  parfaite,  parce  que  sa  subs- 
tance est  dépourvue  de  bien  des  choses  :  elle  a 
besoin  d'être  complétée  par  une  multitude  de  qua- 
lités et  d'accidents  qui,  semblables  à  des  couleurs 
variées,  diversifient  sa  substance  et  l'empêchent 
d'être  parfaitement  simple.  La  substance  de  Dieu, 
au  contraire,  est  par  elle-même  infiniment  riche. 
Son  Essence  est  un  trésor  infini,  un  fonds  inépui- 
sable d'où  jaillissent  toutes  les  perfections  imagi- 
nables, sans  qu'elle  ait  besoin  de  les  emprunter 
en  dehors  d'elle,  ni  de  rien  recevoir  qui  soit  dis- 
tinct d'elle.  Elle  possède  tout  dans  l'unité  d'un 
seul  être,  elle  n'est  autre  chose  que  cette  unité, 
centre  de  toute  perfection.  Ainsi  ses  attributs  ne 
sont  pas  distincts  de  son  Essence  :  son  Essence 
c'est  son  éternité,  son  infinité,  sa  puissance,  son 
amour  j  elle  équivaut  à  toutes  les  perfections,  sem- 


24  LA    THÉOLOGIE     AFFECTIVE 

blable  à  une  pierre  précieuse  qui  aurait  à  la  fois 
les  reflets  et  la  couleur  du  diamant,  du  saphir,  de 
Tescarboucle  et  de  toutes  les  autres  pierres  pré- 
cieuses, ou  à  une  fleur  qui  posséderait  le  parfum 
et  l'éclat  du  lys,  de  la  rose,  de  Toeillet,  de  la  tulipe 
et  de  toutes  les  autres  fleurs  qui  sont  la  parure  de 
nos  jardins.  On  voit  que  cette  simplicité  ennoblit 
grandement  l'Etre  divin,  puisqu'à  elle  seule  elle 
équivaut  à  toutes  les  qualités  réparties  entre  tous 
les  autres  êtres.  De  plus  elle  rehausse  infiniment 
chaque  attribut  en  particulier  :  car  en  vertu  de 
cette  simplicité,  un  attribut  renferme  tous  les 
autres,  une  perfection  comprend  en  elles  toutes 
les  perfections  :  en  Dieu  l'éternité  n'est  pas  dis- 
tincte de  l'infinité,  ni  de  la  félicité,  ni  de  Tamour, 
et  par  une  admirable  réciprocité,  Tamour  n'est 
autre  chose  en  Dieu  que  la  félicité,  l'infinité, 
l'éternité. 

En  quelle  estime  ne  devons-nous  pas  tenir  cette 
substance  divine  et  chacun  de  ses  attributs,  puis- 
que en  vertu  de  la  simplicité  de  Dieu,  chaque 
attribut  est  Dieu  lui-même?  Comprends  donc  ceci, 
ô  mon  âme  :  quiconque  possède  Dieu  sur  un  seul 
point,  le  possède  tout  entier.  D'autre  part,  puis- 
qu'il n'admet  pas  de  parties  en  soi,  il  n'en  voudra 
pas  hors  de  soi  :  n'applique  donc  pas  à  le  considé- 
rer une  partie  seulement  de  tes  facultés  et  de  tes 
forces,  mais  donne-toi  sans  réserve  à  celui  qui  est 
tout  ;  simplifie  pour  tendre  vers  lui  tes  intentions  et 
tes  affections,  purifie-les  de  toute  intention  mau- 
vaise ou  étrangère;  cherche-le  dans  la  simplicité  de 
ton  cœur,  pour  honorer  en  lui  cette  perfection. 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  25 


III 

Dieu  est  encore  simple  parce  qu'il  n'use  pas  de 
duplicité  ni  de  tromperie.  Il  est  la  vérité  pure  et 
n'a  recours  à  aucun  déguisement.  Au  dehors  il  ne 
paraît  pas  différent  de  ce  qu'il  est  au-dedans  :  sa 
parole  est  l'expression  très  franche  de  sa  pensée. 
Parle-t-il  ?  il  est  sincère  ;  promet-il  ?  il  a  l'inten- 
tion de  donner  ;  menace-t-il  les  violateurs  de  la 
loi  des  supplices  éternels  ?  sa  rancune  est  sérieuse 
et  sans  feinte.  La  duplicité  est  un  vice  indigne  de 
lui,  car  elle  dénote  :  ou  de  la  faiblesse,  par  exemple 
quand  on  essaie  d'obtenir  par  ruse,  ce  qu'on 
obtiendrait  par  un  procédé  plus  franc  ;  ou  de  la 
méchanceté,  qu'on  tâche  de  déguiser  par  ce  moyen  ; 
ou  enfin  un  dessein  secret  de  tromper  :  autant  de 
choses  qui  sont  inconciliables  avec  la  noblesse  et 
la  grandeur  de  Dieu.  Aussi  a-t-il  en  horreur  les 
hypocrites  et  les  hommes  au  cœur  double. 

La  simplicité  au  contraire,  est  une  vertu  très 
sainte  et  très  noble  :  elle  dispose  les  âmes  à 
entrer  dans  une  sainte  familiarité  avec  Dieu, 
à  qui  plaît  tout  ce  qui  est  naïf,  qui  converse 
volontiers  avec  les  âmes  simples  et  douces  comme 
l'agneau. 

Cette  considération  aura  pour  effet  d'exciter  ma 
foi  en  la  parole  de  Dieu  ;  qu'il  promette  ou  qu'il 
menace,  il  est  également  sincère.  Je  m'exciterai 
aussi  à  l'amour  d'une  naïve  candeur,  d'une  grande 
simplicité  de  cœur  dans  toutes  mes  actions,  en 
songeant  que  c'est  là  une  grande  sagesse  aux  yeux 
de  Dieu.  J'abhorrerai  la  tromperie,  le  mensonge 
et  la  duplicité,   comme  étant   un  vice  maudit  du 


20  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

ciel.  O  vérité  éternelle,  faites-moi  la  grâce  d'être 
simple  et  éloigné  de  toute  hypocrisie,  tel  en 
public  qu'en  mon  particulier,  tel  devant  les  hom- 
mes que  je  suis  à  vos  yeux,  ô  Dieu  pour  qui  rien 
n'est  caché. 


V^  MÉDITATION 

DE  LA  BONTÉ  DE  DIEU 


SOMMAIRE 

Dieu  est  bon  en  lui-même  —  //  est  bon  pour 
tous  les  êtres  —  il  est  spécialement  bon  pour 
l'homme. 

I 

DIEU  est  bon  d'une  bonté  infinie,  bonté  qu'il 
possédait  avant  de  créer  le  monde  et  qui 
suffirait  à  le  rendre  digne  de  notre  amour,  alors 
même  que  nous  n'aurions  reçu  de  lui  aucun  bien. 
Ce  genre  de  bonté  convient  à  tous  les  êtres  ; 
il  consiste  à  posséder  toutes  les  qualités  néces- 
saires à  leur  nature.  C'est  à  ce  point  de  vue  que 
nous  nous  plaçons  pour  les  juger  et  les  apprécier  : 
ainsi  nous  appelons  bonne,  l'eau  quia  la  limpidité, 
la  fraîcheur  et  la  légèreté  ;  nous  donnons  ce  même 
qualificatif  au  fruit  qui  possède  la  couleur,  la 
saveur  et  la  douceur  qui  conviennent  à  son  espèce; 
et  ainsi  toutes  choses  naturelles  sont  dites  bonnes 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  27 

en  raison  de  leur  plus  ou  moins  grande  perfection 
dans  leur  genre. 

Or  Dieu  possède  toutes  les  qualités,  toutes  les 
excellences  que  réclame  sa  suréminente  nature.  Il 
est  vrai,  simple,  nécessaire  ;  parce  qu'il  est  vrai,  il 
a  réellement  tout  ce  qu'il  lui  convient  d'avoir  ; 
parce  qu'il  est  simple,  il  l'a  entièrement  et  non 
par  fractions,  de  sorte  que  rien  ne  lui  manque  ; 
parce  qu'il  est  nécessaire,  il  l'a  absolument  sans 
jamais  pouvoir  en  être  frustré. 

C'est  ce  qui  fait  la  bonté  de  son  Etre.  Cette 
bonté  comprend  tous  ses  attributs  et  Dieu  a  droit 
à  être  appelé  bon,  non  seulement  parce  qu'il  fait 
du  bien  aux  créatures,  mais  simplement  parce 
qu'il  est  parfait  en  tout,  infiniment  sage,  puis- 
sant, heureux,  grand,  majestueux  et  saint.  D'où  il 
résulte  qu'en  Lui  la  bonté  de  l'être  est  infinie  et 
universelle,  tandis  que  chez  la  créature  la  bonté 
ne  va  que  jusqu'à  un  certain  degré  et  connaît  des 
limites  ;  chez  lui,  elle  est  sans  bornes,  embrassant 
à  la  fois  la  bonté  que  nous  appelons  la  sainteté. 
Aussi,  puisque  le  bien  total  et  universel  l'emporte 
sur  le  bien  particulier.  Dieu  est  le  meilleur  de 
tous  les  êtres,  il  est  le  bien,  source  de  tout  bien, 
le  souverain  bien,  les  êtres  n'ayant  de  bonté  que 
dans  la  mesure  où  ils  participent  à  la  sienne. 

«  Proclame^  donc  que  le  Seigneur  est  bon,  » 
(Ps.  106)  qu'il  est  le  meilleur,  le  plus  désirable  des 
êtres.  Ce  n'est  pas  une  espèce  de  bonté  qu'il 
possède,  mais  toute  bonté,  tout  ce  qu'il  y  a  de 
pur,  de  beau,  d'honnête,  d'utile,  de  doux,  de  glo- 
rieux, de  suave,  de  grand,  de  riche,  d'honorable, 
de  vertueux  et  d'aimable.  O  Dieu,  infiniment  bon, 


28  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

combien  est  vraie  la  parole  par  laquelle  vous 
déclariez  à  Moïse,  qu'en  lui  montrant  votre  face, 
vous  lui  montreriez  «  tout  bien  !  »  (Ex.  33).  Com- 
bien vous  méritez  d'être  aimé  à  cause  de  votre 
nature  qui  est  toute  bonté  !  Malheur  aux  âmes 
qui  se  détournent  de  vous,  qui  osent  même  vous 
outrager  ou  qui  vont  cherchant  quelque  bien  hors 
de  vous,  et  cela  au  prix  de  combien  de  peines  et 
de  fatigues  !  Oh  !  bonté  suprême  !  puissé-je  ne 
vous  avoir  jamais  offensée  ! 

II 

Dieu  est  encore  bon   d'une   bonté   de  bienfai- 
sance ;  il  répand  ses  bienfaits  sur  toutes  les  créa- 
tures, qu'elles  soient  au  ciel,  sur  la  terre  ou  dans 
les  enfers.  Il  est  bon  pour  les  anges,  les  hommes, 
les  astres,  les  éléments,  les  poissons,  les  oiseaux, 
les  animaux  tant  domestiques  que  sauvages,  pour 
les  plantes,  les  pierres,  pour  toutes  les  créatures 
grandes  ou   petites  ;   les  moucherons,   même  les 
fourmis,  les  vers   de   terre,  ont  part  à  ses  libéra- 
lités et   reçoivent  quelque  chose  de  ses  richesses. 
«   Vous  ouvre:^  votre  main,  Seigneur^  et  tout 
«  être  est  comblé  de  bienfaits.  »  (Ps.  2o3)  «  C'est 
«  lui  qui  fait  croître  V  herbe  sur  les  montagnes, 
«  qui  donne  la  nourriture  à  toute  chair  et  aux 
«  petits  des  corbeaux  qui  l'invoquent.  »   (Ps. 
146).  Cette  bonté  peut  être  comparée  au  soleil  qui 
répand  ses   clartés  sur  tous   les   êtres   doués  ou 
privés   de   raison  ;   s'il  s'en  trouve   quelques-uns 
que  ces  rayons  n'atteignent  pas,  ce  n'est  pas  lui 
qu'il  faut  accuser,  car  sans  jamais  s'épuiser,  il  les 
envoie  dans  toutes  les  directions.  Voilà  l'image, 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  ÎQ 

mais  combien  imparfaite,  de  la  bonté  divine, 
répandant  en  tout  lieu,  depuis  le  ciel  jusqu'aux 
enfers,  ses  magnifiques  dons.  Dieu  est  le  bien 
souverainement  communicatif,  non  par  besoin  ou 
par  nécessité,  dans  Tespoir  d'être  payé  de  retour, 
mais  par  le  noble  désir,  par  l'inclination  ineffable 
qui  le  porte  à  être  agréable  à  toutes  ses  créatures 
et  à  les  obliger  par  quelque  bienfait. 

O  seigneur,  dont  la  nature  est  d'être  bon  et 
magnifique  envers  tous  les  êtres  sans  exception, 
soyez  béni  pour  une  telle  nature  !  Je  vous  remer- 
cie au  nom  de  toutes  les  créatures  irraisonnables 
et  insensibles,  qui,  faute  d'intelligence,  ne  sau- 
raient vous  remercier  elles-mêmes.  Je  vous  remer- 
cie également  au  nom  de  toutes  celles  qui  douées 
d'intelligence,  sont  néanmoins  ingrates  et  mécon- 
naissent toutes  les  faveurs  de  votre  bonté  sembla- 
bles à  ces  vils  animaux  qui  mangent  le  gland  sous 
le  chêne  sans  élever  leurs  regards  vers  ses  rameaux. 
Que  vous  rendrai-je  donc,  ô  Dieu  très  bon  ?  que 
ma  bonté  imite,  autant  qu'elle  le  pourra,  la 
noblesse  de  votre  nature  et  puissé-je  faire  à  toute 
créature  indigente  autant  de  bien  qu'il  sera  en  ma 
puissance. 

III 

Dieu  est  bon  surtout,  pour  l'homme.  Il  est  bon 
pour  lui,  parce  qu'il  est  le  principe  qui  lui  a  donné 
l'être,  parce  qu'il  est  son  conservateur  et  son  pro- 
tecteur, parce  qu'il  est  sa  fin,  son  centre  d'attrac- 
tion, sa  béatitude  en  laquelle  il  se  reposera  avec 
délices.  Dieu  est  bon  pour  l'homme  comme  un  ami 
l'est  pour  son  ami  :  n'est-il  pas  le  plus  sincère  et  le 


3o         LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

plus  fidèle  ami  de  l'homme  ?  Il  est  bon  pour 
rhomme  comme  un  père  pour  ses  enfants,  car  il 
est  le  père  de  toute  consolation  ;  comme  un  bien- 
faiteur est  bon  pour  Tindigent,  aux  besoins  de 
qui  il  pourvoit.  Il  est  bon  pour  Thomme,  parce 
qu'il  est  pour  lui  la  source  de  tout  bien,  du  bien 
honnête,  du  bien  utile  et  du  bien  délectable. 
Dieu  est  le  bien  honnête  de  l'homme,  parce  qu'il 
est  désirable  à  cause  de  lui-même  et  que  le  recher- 
cher, c'est  faire  une  œuvre  vertueuse  et  sainte. 
Dieu  est  le  bien  utile  de  l'homme,  parce  que 
l'homme  reçoit  de  lui  toute  sorte  d'avantages 
spirituels  et  temporels,  toutes  les  facultés  de  son 
àme  et  de  son  corps.  Enfin  Dieu  est  son  bien 
délectable,  car  dès  maintenant  l'homme  puise 
en  lui  par  Tamour,  des  délices  et  des  consolations 
et  il  a  la  ferme  espérance  de  trouver  un  jour  en  lui 
des  joies  qui  excéderont  toutes  ses  facultés  natu- 
relles, telles  en  un  mot  qu'on  peut  les  goûter  dans 
la  jouissance  d'un  Etre  infini. 

Enfin  Dieu  témoigne  à  l'homme  sa  bonté  par 
tous  ces  attributs  divins  :  par  sa  puissance  qui 
le  crée  et  le  conserve  ;  par  sa  sagesse  qui  le 
gouverne  et  le  dirige  ;  par  son  amour  qui  veille 
en  lui  et  le  couvre  de  caresses  ;  par  sa  provi- 
dence qui  le  suit  pas  à  pas  et  pourvoit  à  ses 
besoins  ;  par  sa  miséricorde  qui  lui  pardonne, 
par  sa  justice  qui  l'encourage,  par  sa  beauté  qui 
le  ravit  dans  les  déHccs  des  saintes  et  béatifiqucs 
extases,  par  son  éternité  qui  lui  garantit  la  pos- 
session de  Dieu  contre  la  crainte  de  la  voir  jamais 
cesser,  par  son  immensité  qui  lui  fait  trouver 
son  Dieu  partout.  C'est  ainsi  que  Dieu  est  bon 


DÈS   ATtRIBUTS    DE   DIEU  3l 

pour  rhomme   et  que   tout  ce  qui  est    en  Dieu 
est  le  bien  de  l'homme. 

Que  dire  maintenant,  ô  mon  âme,  si  ce  n'est  ces 
paroles  de  Jérémie  :  «  Le  Seigneur  est  bon  à  ceux 
«  qui  espèrent  en  lui,  à  Vâme  qui  le  cherche.  » 
(Thren.,  3.)  Que  je  vous  cherche  donc,  ô  mon  Dieu 
et  qu'il  me  suffise  de  vous  avoir  trouvé  !  O  vous 
qui  êtes  mon  bien  suprême,  faites  que  toutes  les 
choses  terrestres  soient  viles  et  méprisables  à  mes 
yeux  !  que  Je  dédaigne  toutes  les  caresses  des 
créatures,  pour  ne  désirer  que  les  vôtres.  «  Sei- 
«  gneur,  vous  êtes  bon;  au  nom  de  cette  bonté 
«  enseignei^-inoi  vos  justices.  »  (Ps.  ii8.)  Puis- 
que tout  ce  qui  est  en  vous  est  bon  pour  moi,  je 
veux  que  tout  ce  qui  est  en  moi,  que  toutes  mes 
puissances  soient  bonnes  pour  vous,  que  mon 
esprit  vous  témoigne  sa  bonté  en  méditant  sur 
vous,  ma  volonté  en  vous  aimant,  ma  mémoire  en 
conservant  votre  souvenir,  tout  mon  corps  en 
se  consumant  comme  un  holocauste  à  votre 
service. 


32  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


VF  MÉDITATION 

DE  LMNFINITÉ  DE  DIEU 
ET  DE  SA  GRANDEUR 


SOMMAIRE 

Les  perfections  de  Dieu  sont  infinies  en  nom- 
hre  —  en  intensité.  —  Dieu  est  infini  en  gran- 
deur, 

I 

DIEU  a  d'abord  une  multitude  de  perfections 
infinies.  Ce  n'est  pas  qu'il  y  ait  en  lui  des 
perfections  distinctes,  car  il  est  simple  et  toutes 
ses  perfections  ne  sont  qu'un  seul  être  :  mais 
selon  notre  manière  de  les  distinguer,  elles  sont 
en  nombre  infini.  Les  Théologiens,  il  est  vrai,  à 
la  suite  de  saint  Thomas,  n'en  citent  guère  qu'une 
vingtaine  :  c'est  que  dans  les  ténèbres  de  cette  vie, 
à  peine  voyons  nous  briller  une  étincelle  de  ce 
flambeau  divin.  Mais  Dieu  en  possède  des  mil- 
lions d'autres,  que  contemplent  les  anges  et  les 
bienheureux. 

En  voici  la  preuve  ?  Dieu  peut  créer  à  l'infini 
de  nouvelles  espèces  et  donner  à  chacune  d'elles 
un  nouveau  degré  de  perfection.  S'il  avait  créé 
cent  mille  espèces  d'anges,  sa  puissance  ne  serait 
pas  épuisée  et  chaque  jour  il  pourrait  encore  en 
augmenter  le  nombre.  Nier  cette  vérité,  ce  serait 


DES    ATTRIBUTS    DK    DIEU  3^ 

rendre  sa  toute-puissance  impuissante  ;  ce  serait 
avoir  une  idée  bien  peu  digne  de  lui,  que  de  croire 
qu'après  la  création  des  neuf  chœurs  d'anges,  il 
ait  désormais  les  mains  liées  et  qu'il  soit  à  bout 
de  forces.  Nous  pouvons  nous  former  une  idée  plus 
parfaite  de  son  pouvoir,  mais  cette  idée  n'égalera 
jamais  la  vérité,  parce  que  Dieu  est  plus  grand 
dans  la  réalité  que  dans  les  plus  hautes  pensées  de 
nos  petits  esprits. 

Or  Dieu  doit  au  moins  posséder  en  lui  une  per- 
fection qui  corresponde  et  qu'il  puisse  communi- 
quer à  chaque  espèce  nouvelle  qu'il  est  en  son 
pouvoir  de  créer,  surtout  lorsqu'il  s'agit  d'une 
créature  spirituelle,  qui  doit  nécessairement  porter 
en  elle  l'image  et  la  ressemblance  de  Dieu.  Mais 
les  perfections  que  peuvent  recevoir  les  créatures 
possibles  sont  en  nombre  infini.  Donc  nous  devons 
conclure  que  les  perfections  réelles  et  actuelles  de 
Dieu  sont  également  en  nombre  infini.  C'est  là 
une  considération  aussi  solide  qu'utile  et  édifiante. 

Je  louerai  Dieu  de  tout  mon  cœur  pour  tant  de 
merveilles  inconnues  de  l'homme,  qui  ennoblissent 
son  Etre.  Si  l'homme,  qui  dans  l'échelle  des  êtres 
n'est  qu'au  quatrième  degré,  est  cependant  la  plus 
noble  des  créatures  de  ce  monde,  si  jadis  tout  un 
peuple  ravi  admirait  l'image  d'une  fausse  déesse, 
qu'un  illustre  peintre  avait  composée  avec  des 
traits  empruntés  aux  plus  belles  femmes  de  la 
Grèce;  que  dire  de  la  beauté  de  Dieu  en  qui  sont 
réunies  toutes  les  espèces  de  beautés  qui  existent 
ou  même  que  nous  pouvons  imaginer  !  O  Bien 
suprême,  on  ne  nous  a  pas  dit  ici-bàs  la  cent-mil- 
lième partie  de  vos  perfections  !  Ce  que  vos  pro- 
Bâil,  t.  I.  ^ 


$4  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

phètes,  vos  évangélistes,  vos  docteurs  nous  en  ont 
appris,  n'est  rien  auprès  de  la  réalité.  Qu'ils  sont 
heureux  vos  anges  et  vos  élus  qui  contemplent  sans 
cesse  votre  face  !  Quand,  ô  mon  Dieu,  verrai-je  les 
profondeurs  de  votre  Essence  avec  cette  infinité  de 
beautés,  qui  comme  des  fleurs  l'embellissent  ? 
O  mon  Seigneur  !  le  terme  suprême  de  mes  désirs, 
c'est  vous,  parce  que  vos  grandeurs  sont  sans 
bornes.  Vous  êtes  la  nourriture  immortelle  et 
toujours  délicieuse  des  esprits  bienheureux,  par  la 
raison  que  vos  perfections  sont  infinies  et  que  seul 
l'infini  peut  combler  nos  désirs. 

II 

Les  perfections  de  Dieu  sont  encore  infinies 
d'une  seconde  manière,  en  intensité  :  ce  qui 
signifie  que  chacune  considérée  à  part,  est  portée 
au  suprême  degré  de  puissance.  Prenons  une 
perfection  divine,  la  sagesse  par  exemple  :  je  dis 
qu'elle  est  infinie  comme  telle,  qu'elle  atteint  au 
suprême  degré  de  la  sagesse  et  qu'aucune  autre 
sagesse  ne  peut  l'égaler,  parce  qu'elle  ne  connaît 
pas  de  bornes.  On  doit  en  dire  autant  de  la  puis- 
sance de  Dieu,  de  sa  félicité  et  de  tous  les  autres 
attributs  considérés  séparément.  Il  y  a  donc  en 
quelque  sorte  un  nombre  infini  d'infinis,  une 
infinité  d'infinités.  Quant  à  la  raison  pour  laquelle 
chaque  perfection  est  infinie  en  elle-même,  clic 
n'est  autre  que  l'indépendance  de  Dieu,  i^uisque 
Dieu  n'a  rien  reçu  de  personne  et  ne  relève  de 
personne,  par  qui  auraient  été  bornées  ses  perfec- 
tions ?  Qui  aurait  pu  leur  dire  comme  aux  flots  de 
l'océan  :  vous  monterez  jusqu'à  tel  degré,   mais 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU 


VOUS  ne  le  dépasserez  point  ?  Les  limites  provien- 
nent toujours  d'une  cause  supérieure.  La  volonté 
du  souverain  Pontife  assigne  des  limites  aux 
territoires  sur  lesquels  s'exerce  la  juridiction 
des  prélats  ;  dans  un  royaume,  c'est  le  roi  qui 
limite  le  ressort  et  la  juridiction  des  juges  ;  et 
Dieu  a  déterminé  selon  son  bon  plaisir  la  mesure 
de  perfections  qu'il  entendait  conférer  à  chaque 
créature.  Mais  lui-même,  de  qui  dépendra-t-il  ? 
Et  qui  aura  mesuré  et  limité  les  siennes  ?  «  Glo- 
«  rifie\  donc  le  Seigneur^  dit  le  Sage,  autant  que 
«  vous  le  pourre^...  Vous  qui  bénisse^  le  Sei- 
«  gneur,  exalte\-le^  car  il  est  au-dessus  de  toute 
«  louange.  Vous  qui  Vexalte^,  rassemble^  toutes 
«  vos  forces  et  ne  vous  lasse:^  point.  »  (Eccl.  43j. 
Le  temps  ne  le  limite  pas,  car  il  est  éternel  ; 
l'espace  ne  le  borne  pas,  car  il  est  immense  ;  l'es- 
prit ne  l'emprisonne  pas,  car  il  est  incompréhen- 
sible ;  la  parole  ne  l'exprime  pas,  car  il  est  ineffa- 
ble ;  le  cœur  ne  l'épuisé  pas,  car  il  est  infiniment 
aimable.  En  un  mot,  infini  dans  son  Essence,  il 
l'est  aussi  dans  ses  facultés,  dans  ses  perfections, 
dans  ses  opérations,  dans  tout  ce  qui  est  en  lui. 

O  Dieu  infiniment  infini  !  Que  n'avons-nous  un 
cœur  infini  et  capable  d'un  amour  infini  ?  L'expé- 
rience nous  apprend  que  l'estime  et  l'amour  que 
nous  avons  pour  un  objet,  est  en  proportion  de 
son  excellence  :  c'est  ainsi  que  nous  préférons 
l'argent  au  plomb,  l'or  à  l'argent,  le  diamant  à  l'or. 
Le  soleil  mérite  d'être  estimé  davantage,  parce 
qu'il  est  plus  parfait  que  toutes  les  créatures.  Vous 
donc,  ô  Seigneur,  qui  avez  tant  de  perfections 
dont  chacune  est  infinie,  vous  qui   méritez  déjà 


36  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

d'être  infiniment  aimé  pour  une  seule,  quel  amour 
ne  vous  est  pas  dû  pour  toutes  vos  perfections  à  la 
fois  ?  Je  vous  compare  à  un  trésor  qui  renferme 
d'innombrables  espèces  dont  chacune  représente 
un  si  grand  prix  qu'on  ne  saurait  l'évaluer.  O  pré- 
cieux trésor  !  qu'il  est  heureux  le  cœur  auquel  vous 
vous  donnez  en  jouissance  et  qui  vous  aime  sans 
mesure,  comme  on  aime  un  bien  infini  qui  seul 
peut  rassasier  tous  les  désirs  !  O  amour  sans 
bornes,  donnez-vous  tout  à  nous  et  d'un  seul  coup 
nous  posséderons  tout. 

III 

Dieu  est  infini  encore  en  grandeur  :  «  Le  Sei- 
«  gneur  est  grande  dit  le  saint  roi  David,  et  digne 
«  de  louanges  au-delà  de  toute  expression  ,  sa 
«  grandeur  n'a  point  de  homes.  »  (Ps.  144). 
Cette  infinie  grandeur  ne  doit  pas  s'entendre  au 
point  de  vue  de  l'étendue,  comme  quand  il  s'agit 
du  corps,  mais  au  point  de  vue  de  l'excellence. 
Elle  résulte  des  deux  infinités  déjà  constatées  ; 
nous  sommes  en  effet  amenés  à  conclure  que  celui 
qui  est  doué  de  qualités  sans  nombre  et  dont  cha- 
cune atteint  un  tel  degré  de  perfection  qu'elle 
défie  toute  appréciation  et  estimation,  celui-là  jouit 
d'une  grandeur  infinie  ;  car  une  telle  grandeur  ne 
peut  être  ni  dépassée  ni  même  égalée  par  n'importe 
quelle  nature  autre  que  la  sienne.  Or,  c'est  bien  là 
ce  qui  convient  à  Dieu  :  toute  grandeur  imaginable 
est  inférieure  à  sa  grandeur. 

Le  roi  des  philosophes  (i)  considère  le  plus  puis- 
sant monarque  de  la  terre  dans  les  splendeurs  de 

I,  Aristotc,  /.  de  mundo,  c.  6. 


DES     ATTRIBUTS    DE    DIEU  87 

sa  cité  royale,  dans  Topulence  de  son  palais  tout 
brillant  d'ivoire,  de  marbre  et  de  pierres  précieu- 
ses, au  milieu  d'une  multitude  de  princes  et  de 
seigneurs,  ses  serviteurs;  dont  la  fonction  consiste 
à  maintenir  le  peuple  à  distance  du  monarque,  à 
porter  les  ordres  du  souverain  à  toutes  les  provin- 
ces du  royaume  et  à  lui  rapporter  tout  ce  qui  s'y 
fait.  Eh  bien  !  dit  cet  illustre  philosophe,  compa- 
rée à  la  majesté  de  Dieu  qui  a  pour  royaume 
l'univers,  la  grandeur  de  ce  monarcfue  n'a  pas 
plus  d'éclat  que  l'animal  le  plus  vil  en  face  du 
monarque  lui-même.  Disons  mieux  :  si  Dieu  ajou- 
tait de  nouvelles  perfections  à  celles  que  possède 
déjà  l'ange  le  plus  parfait,  s'il  l'élevait  incommen- 
surablement  au-dessus  de  ce  qu'il  est,  Dieu  le 
dépasserait  encore  de  beaucoup.  Supposons  même 
que  depuis  la  création.  Dieu  n'eût  fait  autre  chose 
que  d'augmenter  les  perfections  de  cet  ange  et 
qu'il  ne  dut  faire  autre  chose  jusqu'à  la  fin  des 
temps,  l'ange  élevé  à  de  telles  hauteurs  serait 
encore  loin  du  sommet  que  Dieu  habite  :  lui-même 
devrait  reconnaître  qu'en  face  de  Dieu  il  ne  fait 
pas  meilleure  figure  qu'un  atome  comparé  à  tout 
l'univers,  qu'un  point  dans  une  ligne  ;  car  ses  per- 
fections ne  seraient  infinies  ni  en  nombre  ni 
en  intensité,  ce  qui  n'appartient  qu'à  Dieu. 

O  mon  Dieu  !  quelle  impression  de  respect  ne  doit 
pas  produire  en  nous  votre  présence,  ou  même  la 
simple  évocation  de  votre  majesté  par  la  parole  ou 
par  la  pensée  ?  Ah  !  Seigneur,  aurai-je  lieu  d'être 
surpris,  si  pour  exécuter  ce  que  votre  bon  plaisir 
a  résolu,  pour  atteindre  un  but  que  s'est  proposé 
votre  sublime  providence,  vous  n^'écrasiez  en  pas- 


38         LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

sant  ?  je  ne  suis  en  effet  qu'un  vermisseau  indigne 
de  votre  attention.  Quand  bien  môme  je  descen- 
drais au-dessous  des  enfers,  je  ne  serais  pas  encore 
assez  bas,  pour  adresser  mes  hommages  à  votre 
incomparable  grandeur  et  Tadorer.  Pour  honorer 
dignement  votre  nature  infinie,  il  ne  faudrait  rien 
moins  que  des  respects  et  des  services  infinis. 
Qu'elles  sont  donc  misérables  les  âmes  qui  ont 
l'audace  de  paraître  dans  vos  temples,  en  présence 
de  votre  majesté,  sans  éprouver  un  sentiment  pro- 
fond de  respect.  Hélas  !  est-il  vrai  que  j'ai  osé 
résister  par  mes  péchés  à  votre  grandeur  infinie  ? 
Désormais  il  n'en  sera  plus  ainsi  :  puisque  i.vous 
êtes  infiniment  grand  et  que  je  suis  infiniment 
petit,  il  faut  que  je  sois  tout  à  vous. 


Vir  MÉDITATION 

DE  L'IMMENSITÉ  DE  DIEU 


SOMMAIRE 

Dieu  est  en  tout  Heu  — par  son  essence^  par  sa 
présence^  par  sa  puissance.  —  //  n'en  résulte 
pour  lui  aucun  inconvénient  ni  aucune  souil- 
lure, 

I 

DIEU   est   présent   en   tous   les  lieux  :  il   est 
à  l'Orient  et  h  l'Occident,  au  Midi  et  au 
Septentrion,  dyns  toutes  les  régions  du  monde, 


DES   ATTRIBUTS   DE   DIEU  3g 

dans  toutes  les  sphères  célestes  et  encore  au- 
delà.  «  //  est  plus  haut  que  le  ciel,  dit  Job, 
«  //  est  plus  profond  que  V enfer,  il  dépasse  la 
«  longueur  da  la  terre  et  la  largeur  de  la  mer.  » 
(Job,  II.)  L'immensité  de  Dieu  est  la  conséquence 
de  sa  grandeur  infinie,  pour  laquelle  ce  monde 
entier  serait  un  palais  trop  étroit.  Nous  savons  en 
effet  que  plus  les  substances  spirituelles  sont  par- 
faites, plus  est  grand  leur  pouvoir  d'être  présentes 
en  plusieurs  lieux  :  ainsi  les  anges  les  plus  parfaits 
peuvent  se  rendre  présents  au  même  instant  dans 
un  espace  plus  étendu  que  ne  le  peuvent  les  anges 
inférieurs.  Mais  Dieu,  puisqu'il  n'a  pas  de  bornes 
dans  sa  perfection,  ne  doit  pas  en  avoir  davantage 
dans  la  faculté  d'être  présent. 

De  plus  il  serait  indigne  de  sa  grandeur  d'avoir 
un  lieu  assigné  pour  sa  résidence,  quelque  grande 
que  soit  l'étendue  qu'on  veuille  lui  supposer.  Car 
Dieu  est  immuable  :  il  lui  serait  donc  impossible 
de  se  transporter  de  ce  lieu  dans  un  autre,  pour  y 
visiter  ses  créatures  ou  les  honorer  de  sa  présence. 
Il  serait  retenu  par  son  immutabilité  et  comme 
cloué  en  ce  lieu  pour  l'éternité  :  ce  qui  serait  pour 
sa  majesté  divine  une  suprême  indignité  et  un 
suprême  esclavage.  Les  oiseaux  ont  toute  liberté 
de  prendre  leur  vol  vers  des  régions  nouvelles,  les 
hommes  de  se  promener  sur  toute  la  terre,  les 
poissons  de  nager  dans  l'eau  :  ce  leur  est  une 
consolation  que  cette  liberté,  et  Dieu  n'en  jouirait 
pas  !  et  il  demeurerait  fixé  en  un  point  de  l'espace 
sans  pouvoir  en  sortir  jamais  !  Les  criminels, 
même  les  plus  étroitement  enfermés  et  enchaînés, 
peuvent  par  une  faveur  de  leurs  juges,  être  mis  en 


40  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

liberté,  et  Dieu  ne  pourrait  jamais  s'échapper  du 
lieu  de  sa  résidence  obligée  !  Toutes  ces  supposi- 
tions choquent  le  bon  sens  et  la  raison  :  reconnais- 
sons donc  rimmensité  de  Dieu,  sa  présence  en 
tout  lieu  et  ne  lui  assignons  pas  de  bornes. 

Dieu  est  non  seulement  dans  ce  monde  et  dans 
toutes  ses  parties,  mais  il  est  aussi  au-delà  de 
ce  monde,  dans  les  espaces  incommensurables  où 
nous  concevons  comme  possible  l'exercice  de  sa 
puissance,  où  des  mondes  nouveaux  peuvent  sur- 
gir à  sa  parole,  où  il  ne  répugne  pas  qu'un  ange 
même  se  transporte.  Nous  en  concluons  nécessai- 
rement que  Dieu  s'y  trouve,  car  il  est  partout 
où  nous  concevons  sa  présence  comme  possible, 
partout  où  peut  être  une  de  ses  créatures.  Si  Dieu 
n'était  pas  dans  tous  les  lieux  possibles,  un  ange 
pourrait  le  faire  sortir  de  ce  monde  ;  il  lui  suffirait 
d'en  franchir  lui-même  les  limites  :  il  aurait  aussi 
la  faculté  de  l'y  enfermer  de  nouveau,  quand 
lui-même  y  rentrerait.  Aussi  saint  Augustin  (i) 
a-t-il  parlé  dignement  de  Dieu,  quand  il  l'a  com- 
paré à  une  mer  sans  rivages,  dans  les  profondeurs 
de  laquelle  serait  plongée  une  petite  éponge. 
L'éponge,  d'après  lui,  c'est  le  monde  que  Dieu 
pénètre  intimement  et  déborde  de  toutes  parts, 
comme  l'eau  de  la  mer  pénètre  et  déborde 
l'éponge;  avec  cette  différence  que  ce  n'est  pas 
la  mer  toute  entière,  mais  quelques  gouttes  d'eau 
seulement  qui  pénètrent  dans  l'éponge,  tandis  que 
Dieu  est  tout  entier  dans  le  monde  et  de  plus 
le  déborde  jusqu'à  l'infini. 

Admire  donc,  ô  mon  âme,  la  grandç«lf3mBijçnse 

I.  Conf.,  1.  7,  cap.  5. 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  4I 

de  Dieu  qui  réside,  bien  que  caché,  dans  toutes 
les  créatures  et  s'élève  au-delà  de  tous  les  cieux. 
O  Dieu  immense,  vous  êtes  au-dedans  et  au- 
dehors,  au-dessus  et  au-dessous  de  tout  :  au- 
dessus,  vous  n'êtes  pas  plus  élevé  pour  cela  ; 
au-dessous,  vous  n'êtes  nullement  abaissé  ;  au-de- 
dans, vous  n'êtes  pas  enfermé;  au-dehors,  vous 
n'êtes  exclu  de  rien.  Au-dessus,  vous  présidez  à 
tout;  au-dessous,  vous  soutenez  tout;  au-dedans, 
vous  remplissez  tout  ;  au-dehors,  vous  embrassez 
tout.  Quel  respect  ne  devons-nous  pas  vous  témoi- 
gner en  tout  lieu  ?  Par  là,  vous  m'apprenez,  Sei- 
gneur, que  l'orgueil  n'est  tolérable  en  aucun  lieu 
du  monde,  parce  que  vous  êtes  partout,  vous,  l'Etre 
digne  de  respect  et  d'adorations  infinies.  Seigneur, 
puisque  nous  avons  la  vie,  le  mouvement  et  l'être 
en  vous,  comme  les  poissons  dans  l'eau  et  les 
oiseaux  dans  l'air,  si  nous  venons  à  commettre  un 
péché,  ce  n'est  pas  seulement  sous  votre  regard  que 
nous  le  commettons,  mais  dans  votre  très  pure 
substance.  Puisqu'il  en  est  ainsi,  quelle  confusion, 
quelle  horreur  ne  devons-nous  pas  en  ressentir  ? 
Hélas  !  Seigneur,  où  me  cacherai-je  ?  quelle 
caverne  sera  assez  sombre  pour  donner  asile  à 
mon  âme  pécheresse  ?  Un  seul  espoir  me  reste, 
c'est  que  «  vous  ne  rejetterez  pas  un  cœur 
contrit  et  humilié.  »  (Ps.  5o.) 

II 

Dieu  est  en  tout  lieu  de  plusieurs  manières,  mais 
il  est  présent  d'une  manière  spéciale  dans  notre 
âme.  Il  est  partout  par  son  essence,  par  sa  présence 
et  par  sa  puissance  ;  par  son  essence,  car  sa  substance 


42  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

embrasse  tout  Jusqu'aux  extrémités  du  monde  et  en 
pénètre  immédiatement  par  elle-même,  toutes  les 
parties  ;  par  sa  présence,  car  il  connaît  tout,  a  les 
yeux  partout,  voit  le  dedans  et  le  dehors  de  toute 
créature  d'une  manière  si  parfaite,  que  rien 
n'échappe  à  son  regard,  pas  même  le  plus  mince 
détail,  pas  même  le  point  le  plus  obscur  et  le  plus 
caché.  Enfin  Dieu  est  partout  par  sa  puissance, 
car  il  agit  dans  toutes  les  créatures,  soit  en  les 
créant,  soit  en  les  conservant,  soit  en  les  dirigeant 
vers  leurs  fins  propres  et  en  concourant  à  toutes 
leurs  actions.  Ainsi  ses  mains  invisibles  sont 
partout  ;  de  sa  puissance  dépend  d'une  manière 
immédiate  tout  ce  qui  subsiste.  Il  ne  se  contente 
pas  d'agir  par  l'intermédiaire  des  anges  et  des 
causes  secondes  en  les  faisant  participer  à  sa 
puissance,  à  l'instar  des  rois  de  la  terre  qui,  bien 
qu'ils  ne  soient  présents  qu'en  un  seul  endroit  de 
leur  royaume,  sont  néanmoins  considérés  comme 
présents  dans  toutes  les  provinces  par  le  seul  fait 
que  leurs  officiers  sont  comme  leurs  bras  et 
exécutent  leurs  ordres.  Dieu  est  présent  par 
lui-même  dans  toutes  les  créatures  et  agit  cons- 
tamment avec  elles  :  c'est  pour  cela  que  nous 
disons  qu'il  est  partout  par  sa  puissance. 

Toutefois  s'il  est  présent  de  certaines  manières 
dans  les  êtres  créés,  il  est  présent  à  l'âme  d'une 
façon  spéciale.  Il  est  en  elle  par  son  essence  et 
par  une  sorte  de  cohabitation,  mais  de  plus  il 
réside  avec  délices  dans  cette  belle  lumière  créée 
à  son  image  et  à  sa  ressemblance  puisqu'il  va 
jusqu'à  dire  :  «  mes  délices  sont  d'être  avec  les 
«  enfants  des  hommes.  »  (Prov,  8.)  Il  est  en  elle 


DES   ATTRIBUTS   DE   DIEU  43 

par  sa  présence  et  par  sa  connaissance  ;  mais  avec 
une  providence  toute  particulière  qui  a  pour  but 
de  la  diriger  vers  une  fin  plus  élevée  et  de  lui 
fournir  les  moyens  de  l'atteindre.  Enfin,  il  est  en 
elle  par  sa  puissance  et  par  son  action  ;  mais  il  a 
pour  elle  des  communications  plus  intimes,  il 
lui  prête  un  concours  plus  complet.  Par  la  grâce 
prévenante  il  l'appelle,  par  la  grâce  sanctifiante  et 
par  l'infusion  des  vertus  il  la  justifie.  Ce  qui 
constitue  une  double  coopération,  Tune  pour 
les  actions  naturelles,  l'autre  pour  les  actions 
surnaturelles. 

Quel  trésor  Tàme  possède  au  dedans  d'elle- 
même  !  c'est  celui-là  même  qui  est  l'objet  de  son 
espérance  et  le  but  de  tous  ses  efforts.  Quelle 
consolation,  quelle  confiance  ne  doit  pas  inspirer 
dans  la  tribulation  la  présence  de  ce  Seigneur, 
qui  établit  en  elle  sa  résidence  particulière,  qui 
est  si  riche,  si  beau,  si  puissant  ?  la  présence  de 
cet  ami  si  doux  qui  ne  l'abandonne  jamais  ?  O 
mon  âme,  ne  vous  attristez  plus  des  pertes  de  ce 
monde,  rentrez  en  vous-même  et  vous  y  trouverez 
tout  votre  bien  ;  «  Je  royaume  de  Dieu  est  au- 
dedans  de  vous  »  (Luc  17),  et  Dieu  même,  le 
souverain  de  ce  royaume  est  votre  hôte.  Ah  !  ce 
grand  Dieu  est  dans  l'intime  du  cœur,  mais  notre 
cœur  ingrat  s'est  éloigné  de  lui.  Cœur  incivil, 
rentrez  en  vous-même  et  présentez  vos  hommages 
à  cet  hôte  du  ciel  ;  rendez-vous  compte  des  opéra- 
tions qu'il  accomplit  en  vous  et  ne  le  laissez 
jamais  sans  l'entretenir,  comme  il  convient  à  sa 
noblesse  et  à  sa  grandeur  infinie. 


44  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

III 

Dieu  qui  est  présent  dans  tous  les  lieux  du 
monde  sans  exception,  ne  contracte  du  fait  de  cette 
présence  et  de  ce  contact,  aucune  souillure.  La 
malice  des  hommes  ne  le  corrompt  pas,  les  infec- 
tions du  monde  ne  le  souillent  pas,  ni  les  crimes, 
ni  les  supplices  de  Tenfer  n'ont  de  prise  sur  lui. 
A  ce  point  de  vue,  une  belle  image  de  Dieu,  c'est 
le  rayon  de  soleil,  qui  conserve  sa  pureté  dans  la 
fange  et  n'en  contracte  aucune  souillure  :  ainsi 
Dieu  conserve  inviolable  en  tout  lieu  sa  pureté,  sa 
beauté,  sa  sainteté.  Saint  Denys  (i),  cet  homme 
divin,  en  donne  la  raison  :  c'est,  dit-il,  que  partout 
où  il  se  trouve.  Dieu  est  comme  recueilli  et  con- 
centré en  lui-même  ;  il  demeure  toujours  ferme, 
stable  et  immuable.  Il  ne  change  donc  pas  et  dès 
lors  il  ne  peut  ternir  sa  splendeur  par  le  contact 
des  êtres  immondes.  Il  est  dans  l'intime  des  créa- 
tures, mais  il  s'y  trouve  comme  replié  en  lui- 
même,  et  par  conséquent  hors  des  impressions  et 
des  atteintes  des  créatures. 

Voilà  une  des  merveilles  de  son  Essence  :  autant 
il  est  près  des  créatures  par  l'attribut  de  son 
immensité,  autant  il  est  hors  de  leur  portée  par 
l'attribut  de  son  infinité  et  par  la  sublime  perfec- 
tion de  sa  nature.  Il  est  à  la  fois  très  présent  en 
elles  et  très  éloigné  d'elles,  très  uni  à  elles  et  très 
séparé  d'elles. 

Je  me  félicite.  Seigneur,  d'avoir  appris  que  votre 
très  pure  Essence  n'éprouve  aucun  dommage  de  sa 
présence  au  cœur  même  de  n'importe  quelle  créa- 

I.  De  coelesti  hierar, 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  4D 

ture.  Il  en  va  bien  autrement  pour  les  hommes  : 
s'ils  fréquentent  le  monde,  le  peu  de  vertu  qu'ils 
ont  y  est  exposé  comme  sur  une  mer  dangereuse 
et  y  fait  souvent  naufrage.  Jamais  ils  n'en  revien- 
nent tels  qu'ils  y  étaient  allés,  mais  plus  avares, 
plus  cruels,  plus  ambitieu^  qu'auparavant.  Vous, 
Seigneur,  êtes  saint  partout.  O  l'admirable  perfec- 
tion !  puissé-je  par  un  effort  de  ma  volonté  l'imiter 
dans  une  certaine  mesure,  en  conservant  dans  mes 
relations  extérieures  le  recueillement  qui  me  pré- 
servera des  souillures  du  monde  et  de  devenir 
plus  vicieux. 


Vlir  MÉDITATION 

DE    L'IMMUTABILITÉ    DE    DIEU 


SOMMAIRE 

Dieu  est  immuable  en  lui-même  —  dans  ses 
opérations  extérieures  —  //  est  seul  immua- 
ble. 

I 

DIEU  est  immuable,  ce  qui  veut  dire  toujours 
le  même.  Tel  qu'il  était  avant  la  création, 
tel  il  est  aujourd'hui,  tel  il  persistera  sans  chan- 
gement durant  l'éternité.  «  //  n'y  a  point  en  lui 
«  de  changement,  dit  saint  Jacques,  pas  même 
«  Vombre  d'une  variation.  »  (Jac.  i).  Il  est  bien 


46         LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

différent  du  soleil  qui  se  meut  dans  l'espace,  qui 
subit  des  éclipses  du  fait  de  Tinterposition  de  la 
lune,  et  dont  quelquefois  Téclat  est  voilé  par  les 
nuages  :  il  est  aussi  bien  différent  des  Prothées  et 
de  ces  dieux  de  la  fable  dont  les  poètes  ont  chanté 
les  métamorphoses  et  les  multiples  transforma- 
tions. Le  divin  Platon  (i)  a  réfuté  ces  rêveries  par 
le  raisonnement  suivant  :  Si  Dieu  subissait  quel- 
que changement,  ce  changement  serait  produit  ou 
par  un  autre  être  que  Dieu  ou  par  Dieu  lui-même. 
Dira-t-on  que  c'est  par  un  autre  être  que  lui  ? 
C'est  impossible.  En  effet  plus  une  chose  est  soli- 
dement bâtie,  plus  elle  résiste  aux  forces  étran- 
gères. Un  corps  robuste  n'est  pas  altéré  par  le 
travail,  un  esprit  sage  et  fort  ne  se  trouble  pas  ; 
les  vaisseaux  bien  construits,  les  édifices  solidement 
assis,  en  un  mot,  tout  ce  qui  est  fort  et  solide,  esta 
l'abri  du  changement.  Et  dès  lors  puisque  Dieu 
est  l'Etre  le  plus  fort,  le  plus  parfait  que  nous 
puissions  imaginer,  il  ne  peut  recevoir  aucune 
secousse  venue  du  dehors. 

Dira-t-on  que  lui-même  peut  modifier  son 
Essence  ?  c'est  encore  inadmissible  :  car  le  change- 
ment devrait  avoir  lieu  ou  en  mieux  ou  en  pire.  Il 
ne  peut  se  faire  quelque  chose  de  meilleur  et  de 
plus  parfait  que  Dieu  :  peut-on  en  effet  rien  ima- 
giner de  plus  beau  et  de  plus  accompli  que  cette 
Essence  divine  qui  possède  tous  les  biens  possibles 
dans  une  béatitude  constante  et  invariable  ?  Le 
changement  ne  peut  se  faire  en  quelque  chose  de 
moins  parfait  :  qui  donc  consentirait  a  se  diminuer 
soi-même,  à  se  dégrader  de  ses  propres  mains  ?  Il 

i.  L.  a  de  republica. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  47 

est  donc  absolument  nécessaire  que  Dieu  soit 
immuable. 

Je  le  comparerai  volontiers  à  une  place  forte 
dont  une  ceinture  de  bastions,  de  tours  et  de 
boulevards  défend  Taccès.  Dieu  est  protégé  de 
toutes  parts  contre  tout  changement  par  ses  attri- 
buts :  son  éternité  consolide  son  existence  contre 
l'effort  du  temps  qui  est  impuissant  à  Tentamer  du 
côté  du  commencement  comme  du  côté  de  la  fin  ; 
son  immensité  le  met  à  Tabri  de  la  nécessité  de  se 
transporter  d'un  lieu  dans  un  autre  ;  sa  simplicité 
le  défend  contre  tous  les  accidents  ;  sa  sagesse  et 
sa  prudence  infinie  le  rendent  immuable  dans  ses 
volontés  comme  dans  ses  décrets  ;  et  au-dessus  de 
tout,  sa  félicité  parfaite  lui  procure  un  éternel 
repos  en  lui-même  et  exclut  tout  désir. 

O  Dieu,  toujours  le  même,  toujours  impassible 
et  immortel  !  je  vous  félicite  de  jouir  d'une  béati- 
tude qui  n'aura  jamais  de  fin.  Qu'elle  est  heureuse 
la  créature  qui  se  donne  à  vous,  son  bien  impérissa- 
ble et  qui  ne  saurait  jamais  lui  faire  défaut!  Le  ser- 
vice des  grands  de  ce  monde  est  déjà  peu  agréable,  à 
cause  de  leur  humeur  bizarre  et  changeante,  mais 
le  plus  grand  inconvénient  qu'il  a,  c'est  la  fragilité 
de  la  vie  de  tels  maîtres  :  si  elle  vient  à  s'éteindre, 
c'en  est  fait  de  celui  qu'on  aimait  et  de  toutes  les 
espérances  qu'on  avait  fondées  sur  lui.  Mais  vous, 
Seigneur,  quiconque  vous  sert  est  assuré  que 
votre  fortune  ne  chancellera  jamais,  que  la  mort 
ne  vous  ravira  jamais  à  son  affection  :  qui  vous 
possède,  vous  possède  pour  toujours.  Que  je  vous 
serve  donc,  ô  mon  Dieu  !  O  bien  très  stable  et 
très  assuré,  que  je  parvienne  à  jouir  de  vous  et  ce 


48  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

sera  pour  toujours  :  ma  vie  sera  satisfaite  et  iné- 
branlablement  assurée  en  vous. 

II 

Dieu  est  encore  immuable  dans  son  action  et 
dans  sa  conduite  à  Tégard  des  créatures  ;  quelque 
changement  qu'il  leur  fasse  subir,  il  demeure,  lui, 
immuable.  Ni  accroissement,  ni  diminution  ne 
peuvent  lui  venir  de  leur  part.  Toute  faculté  est 
déterminée  dans  son  essence  et  spécifiée,  par  son 
objet  formel  et  principal  :  elle  ne  peut  recevoir  de 
son  objet  secondaire  qu'une  perfection  acciden- 
telle. Or,  Dieu  est  une  pure  essence  qui  n'admet 
pas  d'accident  ;  il  ne  peut  donc  recevoir  absolu- 
ment rien  de  ses  créatures  qui  ne  constituent  que 
l'objet  secondaire  de  ses  facultés  divines.  Quels 
que  soient  les  changements  qui  surviennent  en 
dehors  de  Dieu,  rien  en  lui  n'est  changé  ;  qu'il 
considère  ses  créatures  ou  ne  les  considère  pas, 
qu'il  les  veuille  ou  ne  les  veuille  pas,  qu'il  les 
crée  ou  qu'il  ne  les  crée  pas,  du  sein  de  son  repos 
et  de  sa  paix  il  fixe  toujours  sur  elles  le  même 
regard  immuable.  Les  hommes  Toffensent-ils  ? 
conspirent-ils  contre  lui  ?  il  ne  s'en  émeut  pas,  car 
il  sait  qu'il  n'est  pas  donné  aux  plus  ingrats  et  aux 
plus  pervers  de  rien  lui  ravir  par  leurs  blasphè- 
mes. Les  hommes  l'honorent-ils  et  le  servent-ils  ? 
il  sait  que  son  bonheur  ne  peut  recevoir  aucun 
accroissement  mcMne  des  efforts  combinés  de  tout 
le  genre  humain.  «  Sï  tu  es  juste^  dit  Job,  et  que 
«  ta  vie  soit  immaculée,  quel  avantage  lui  en 
«  reviendra-t-il  ?  »  (Job,  22.)  Si  quelquefois  Dieu 
envoie  les   anges  et  d'autres  fois   les  rappelle,  si 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  49 

tantôt  il  confère  sa  grâce  et  tantôt  la  retire,  si  dans 
certain  cas  il  châtie  les  méchants  et  si  dans  d'autres 
il  dissimule,  aucun  de  ces  changements  n'est  en 
lui,  mais  ils  sont  dans  la  créature.  «  Ce  sont  ses 
«  œuvres  qui  changent^  dit  saint  Augustin  (i), 
«  mais  jamais  ses  desseins.  Il  est  l'Immuable 
«  qui  change  toutes  choses,  TEtre  qui  n'est  ni 
«  ancien  ni  nouveau,  mais  qui  fait  partout  sur- 
«  gir  des  nouveautés,  qui  fait  vieillir  et  arriver 
«  insensiblement  à  la  mort  les  rois.  » 

O  Dieu  qui  demeurez  toujours  le  même,  tandis 
que  les  créatures  sont  soumises  à  tant  d'agitations 
et  de  vicissitudes,  je  me  plais  à  penser  que  vous 
êtes  tellement  affermi  au  sommet  et  dans  la  pléni- 
tude de  rOtre  qu'il  m'est  impossible,  ni  d'y  rien 
ajouter,  ni  d'en  rien  arracher,  ni  de  vous  y  trou- 
bler par  le  contre-coup  de  n'importe  quel  événe- 
ment terrestre.  Ah  !  combien  il  serait  à  souhaiter 
que  ma  volonté  imitât  cette  inébranlable  fermeté, 
qu'elle  ne  ressentît  aucune  douleur  des  événe- 
ments malheureux,  ni  aucune  vaine  joie  de  la 
prospérité  !  qu'il  serait  à  souhaiter  que  ma  résolu- 
tion de  vous  servir  ne  fut  jamais  ébranlée  par  les 
accidents  de  cette  vie  périssable.  Ah  !  puissé-je 
dire  avec  saint  Paul  que  «  ni  la  mort,  ni  la  vie, 
«  ni  Vélévation,  ni  V humiliation,  ni  le  ciel,  ni 
«  Venfer,  ni  les  hommes,  ni  les  démons,  ni 
«  aucune  créature  ne  pourront  me  séparer  de 
«  votre  amour.  »  (Rom.  c.  8.)  Mais  ô  inconstance 
humaine  !  en  un  instant  nous  passons  de  l'espé- 
rance à  une  crainte  déraisonnable,  de  la  modestie 
à  la  dissolution,  du  silence  à  de  vains  discours,  de 

I.  Conf.,  1.  I,  c.  4. 
Bail,  t.  i.  r 


DO  LA  THEOLOGIE  AFFECTIVE 

rhumilité  à  l'orgueil,  de  la  charité  à  la  rancune,  de 
la  vertu  au  vice.  O  Dieu  éternel,  sans  doute 
ici-bas  nous  sommes  soumis  à  la  loi  du  chan- 
gement, puisque  nous  ne  pouvons  parvenir  au 
repos  que  par  le  mouvement  ;  que  du  moins  notre 
changement  n'ait  plus  lieu  du  bien  au  mal,  mais 
du  mal  au  bien  par  une  vraie  conversion,  et  du 
bien  au  mieux  par  un  progrès  continuel  dans 
les  œuvres  de  vertu  auxquelles  vous  nous  appelez. 

III 

Enfin  Dieu  seul  est  immuable  :  les  créatures 
sont  variables  et  changeantes.  Les  éléments  se 
détruisent  mutuellement  ;  ils  se  transforment  sans 
cesse  par  une  succession  non  interrompue  de  des- 
tructions et  de  productions  nouvelles.  Les  corps 
composés  comme  sont  les  plantes,  les  animaux, 
les  hommes,  font  tous  les  jours  un  pas  vers  la  mort, 
pour  faire  place  aux  créatures  qui  se  parent  de 
leurs  dépouilles.  Les  cieux  même  tournent  tou- 
jours entraînant  avec  eux,  d'heure  en  heure,  dans 
de  nouveaux  espaces,  les  astres  et  les  planètes  ; 
leur  substance  même  peut  être  anéantie  par  Dieu. 
Et  les  anges  également,  eux  dont  la  nature  est 
immortelle,  acquièrent  des  qualités  nouvelles  et 
pourraient  être  précipités  dans  leur  néant  primitif 
par  la  puissance  absolue  de  celui  qui  les  en  a  tirés. 
Les  plus  illustres  monarchies  du  monde  ont  péri  ; 
les  plus  liorissantes  cités, Ninive,  Babylone,  Rome, 
ne  sont  plus.  La  fortune  des  plus  grands  a  été  ren- 
versée ;  la  joie  ici-bas  ne  se  goûte  qu'en  courant. 

Au  milieu  de  tous  ces  bouleversements, l'homme 
apparaît  comme  une  ombre  fugitive  et  ne  demeure 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  31 

jamais  dans  le  même  état.  Ses  projets  et  ses  réso- 
lutions sont  soumis  à  de  perpétuelles  fluctuations  : 
son  humeur  est  volage,  ses  passions  l'agitent  et  le 
secouent  de  toutes  parts.  A  peine  est-il  né  que  la 
mort  se  met  à  sa  poursuite  et  réclame  déjà  une 
part  dans  le  premier  jour  de  sa  vie.  Enfin  tant 
qu'il  ne  possède  pas  Dieu,  il  n'est  à  Taise  en  aucun 
lieu  de  ce  monde  mobile,  et  ne  trouve  le  plus  sou- 
vent de  contentement  que  dans  le  changement  et 
dans  la  nouveauté. 

Où  donc  pourrai-je  me  fixer  et  jeter  l'ancre 
de  mes  espérances,  si  ce  n'est  en  vous,  ô  mon 
Dieu?  Tout  n'est  en  ce  monde  que  sable  mouvant; 
c'est  une  mer  orageuse  ;  vous  seul,  ô  mon  Dieu, 
êtes  l'inébrankiblc  rocher.  Désormais  je  m'attache 
à  vous  seul  ;  je  ne  veux  plus  mettre  mon  espé- 
rance dans  n'importe  quelle  créature  ;  je  ne  la 
mettrai  pas  davantage  dans  cette  vie  d'un  instant, 
vie  fragile  et  caduque,  qui  plus  elle  avance,  plus 
elle  décroît,  et  qui  plus  elle  marche,  plus  elle  ap- 
proche de  la  mort.  Ah  !  mon  Dieu,  mon  souverain 
bien  !  tenez-moi  fixé  en  vous  seul  et  ne  permettez 
jamais  que  j'en  sois  séparé  un  seul  instant. 


52  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

\T  MÉDITATION 

DE  L'ÉTERNITÉ   DE  DIEU 


SOMMAIRE 

Dieu  possède  parfaitement  —  et  simultanément 
—  une  vie  sans  commencement  et  sans  fin. 

I 

DIEU  est  éternel,  c'est-à-dire  qu'il  possède  une 
vie  sans  les  deux  limites  du  commence- 
ment et  de  la  fin.  Toute  vie  peut  en  effet  avoir 
deux  termes,  Tun  qui  consiste  à  n'être  pas  encore, 
l'autre  qui  consiste  à  n'être  plus  :  le  premier  terme 
est  dans  le  commencement  de  la  vie,  le  second  est 
dans  sa  fin.  Le  premier,  toutes  les  créatures  l'ont 
eu,  quand  Dieu,  à  l'époque  fixée  par  ses  décrets, 
les  tira  du  néant  ;  le  second  arrive  tous  les  jours, 
quand  périssent  les  créatures  mortelles  :  il  pourrait 
même  arriver  pour  les  créatures  immortelles,  s'il 
plaisait  à  Dieu  d'user  de  sa  toute-puissance  pour 
les  anéantir.  Les  créatures  qui  vivent  ne  sont  donc 
pas  éternelles,  puisqu'elles  sont  bornées  dans  leur 
vie  ou  du  moins  peuvent  l'être  au  gré  de  Dieu,  à 
qui  seul  appartient  le  privilège  d'être  éternel.  C'est 
Lui  «  l'ancien  des  Jours  »  (Dan.  7),  c'est  «  le  pre- 
mier et  le  dernier  »  (Is.  41).  Sa  vie  a  devancé  tous 
les  siècles,  nul  ne  peut  lui  assigner  de  commence- 
ment. Et  puisqu'il  n'a  pas  de  commencement,  il 
n'aura  jamais  de  fin  ;  tandis  que  les  années  s'écou- 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  53 

leront,  il  subsistera.  Il  est  semblable  à  un  inébran- 
lable rocher  qui  se  dresse  au  milieu  d'un  fleuve 
impétueux  :  on  le  voit  toujours  immobile  sur  sa 
base,  pendant  que  les  eaux  passent  et  se  succèdent 
rapidement,  pendant  que  les  flots  poussés  les  uns 
par  les  autres  se  brisent  contre  lui  et  s'en  vont. 

Pourquoi  Dieu  est-il  éternel  ?  Parce  qu'il  est 
immuable.  En  effet  qui  dit  immuable  exclut  tout 
commencement,  toute  fin  :  car  celui-là  aurait  con- 
sidérablement changé  qui  serait  passé  du  non-être 
à  l'être  en  commençant,  et  qui  passerait  de  l'être 
au  non-être  en  mourant. 

Et  puis  qui  existait  avant  Dieu  pour  l'appeler  à 
la  vie  et  maintenant  quel  est  l'être  plus  puissant 
que  lui  qui  pourrait  lui  faire  violence  et  le  dé- 
truire ? 

Enfin  où  trouver  dans  cette  Essence  si  parfaite 
des  éléments  opposés  qui  pourraient  la  miner, 
l'user  et  finalement  la  déposséder  de  la  vie  ?  Que 
reste-t-il  donc,  sinon  que  cette  Essence  est  de  tout 
côté  indestructible  ? 

Oui,  mon  Dieu,  vous  êtes  éternel  :  vous  êtes 
avant  tous  les  siècles  et  jusqu'aux  siècles  des  siè- 
cles. «  Vous  êtes  toujours  le  même  et  vos  années 
ne  finiront  jamais.  »  (Ps.  loi.)  J'éprouve  une 
grande  joie  à  la  pensée  que  vous  seul  jouissez  de 
ce  privilège  de  n'avoir  été  à  aucune  époque  privé 
de  la  vie  et  d'être  à  l'abri  de  toute  crainte  de  la 
perdre  à  l'avenir.  Les  rois  sentiraient  leur  bonheur 
s'accroître  sans  mesure,  si  quelqu'un  pouvait  leur 
garantir  une  vie  et  un  règne  immortel  :  leur  félicité 
est  singulièrement  empoisonnée  par  l'appréhen- 
sion que  leur  cause  la  pensée  de  la  mort  venant  un 


D4  LA    THEOLOGIE    AFFECTIVE 

jour  leur  arracher  le  sceptre  et  la  couronne,  et 
transformer  leur  trône  en  un  tombeau.  Mais  vous, 
ô  roi  immortel  des  siècles,  de  toute  éternité  vous 
avez  régné  et  vous  êtes  assuré  de  voir  ce  glorieux 
règne  se  perpétuer  à  jamais,  à  l'abri  de  toute 
déchéance.  Vous  possédez  par  nature  ce  que  les 
créatures  désirent  si  passionnément,  l'immortalité. 
Oh  !  jouissez  toujours  de  cette  bienheureuse  et 
triomphante  éternité. 

II 

La  notion  de  l'éternité  comprend,  outre  la 
possession  d'une  vie  sans  bornes,  l'idée  d'une 
vie  dont  on  jouit  dans  toute  sa  plénitude  à  la  fois. 
Il  importe  de  bien  comprendre  ces  quelques 
mots  :  ils  renferment  une  des  conditions  néces- 
saires de  la  grandeur  et  de  la  félicité  de  Dieu  et 
ils  signifient  qu'une  telle  vie  doit  renfermer  toutes 
sortes  de  biens  à  la  fois.  Or,  nous  affirmons  que 
tous  les  biens  qui  sont  en  Dieu,  y  ont  toujours 
été  et  qu'ils  y  seront  toujours,  parce  que  Dieu  est 
un  acte  pur,  possédant  toute  réalité  simultanément, 
excluant  tout  accroissement  successif,  parce  qu'il 
a  toujours  joui  de  toutes  les  richesses,  de  toutes 
les  grandeurs  et  de  toutes  les  joies  possibles. 

Il  en  va  bien  autrement  des  créatures  de  ce 
monde  :  jamais  elles  ne  possèdent  à  la  fois  tout 
leur  bien.  Leurs  commencements  sont  des  plus 
humbles  et  ce  n'est  que  peu  à  peu,  par  de  succes- 
sives acquisitions  qu'elles  s'agrandissent.  Il  leur 
arrive  même  souvent  d'être  assez  malheureuses 
pour  n'acquérir  un  bien  nouveau  qu'au  prix  de 
la  perte  d'un  autre  bien,  dont  elles  avaient  joui 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  55 

paisiblement  jusque  là  :  c'est  ainsi  que  les  fruits 
ne  paraissent  sur  Tarbre  qu'à  la  chute  des  fleurs. 
Une  jeune  personne  sera  belle,  mais  souvent  mal 
élevée  et  indiscrète  ;  l'âge  lui  apporte  la  sagesse, 
mais  la  beauté  a  disparu.  Un  homme  dans  la 
vigueur  de  sa  jeunesse  fera  preuve  de  force  dans 
les  combats,  mais  non  de  prudence  ;  avec  Tàge 
vient  la  prudence,  mais  la  force  s'en  est  allée.  Il 
est  donc  évident  que  les  créatures  ne  jouissent 
pas  de  tous  les  biens  à  la  fois.  Sans  doute  comme 
les  anges,  les  âmes  ont  été  parfaites  dans  leur  subs- 
tance dès  le  premier  moment  de  leur  création  ; 
mais  elles  n'ont  pas  eu  à  ce  moment  les  perfec- 
tions accidentelles  qu'elles  peuvent  acquérir.  En 
effet  le  temps  les  enrichit  de  qualités  nouvelles, 
elles-mêmes  produisent  diverses  actions  :  elles 
n'arrivent  au  complet  épanouissement  de  leur  être 
que  par  degrés,  éprouvant  tantôt  une  joie  et 
tantôt  une  autre  et  ainsi  ne  jouissent  jamais  à  la 
fois,  de  tous  les  biens  dont  elles  sont  susceptibles. 
C'est  le  privilège  exclusif  de  Dieu  d'avoir  eu  tout 
en  une  fois,  la  plénitude  de  ses  perfections,  d'avoir 
toujours  goûté  et  de  continuer  à  goûter  autant  de 
délices  que  des  siècles  sans  nombre  peuvent  en 
tenir  en  réserve.  En  un  même  instant  se  sont 
trouvés  réunis  en  Dieu  tous  ces  biens  qui  se  per- 
pétuent sans  changement  à  travers  l'éternité. 

O  Dieu  !  combien  l'éternité  importe  à  votre 
bonheur,  puisque  en  une  seule  fois  elle  vous 
comble  de  tous  les  biens  !  O  Dieu  très  heureux, 
que  vous  êtes  aimable  en  tout  temps,  autant 
avant  la  création  du  monde  qu'aujourd'hui  et 
toujours  !   O    Dieu    très    bon    qui    vous    rendra 


56  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Tamour  qui  vous  a  été  dû  de  tout  temps,  qu'on 
vous  doit  aujourd'hui  et  qu'on  vous  devra  tou- 
jours ?  Seigneur,  accordez-moi  de  pouvoir  rassem- 
bler toutes  mes  forces  à  la  fois  et  recueillir  tous 
mes  désirs,  pour  vous  les  offrir.  O  Seigneur, 
inspirez-moi  à  la  fois  tout  l'amour  dont  mon 
cœur  est  capable,  et  dès  maintenant,  sans  plus 
attendre,  je  vous  aimerai  avec  toute  la  perfection 
possible  à  une  créature. 


III 


L'éternité  est  encore  une  possession  parfaite  de 
la  vie,  c'est-à-dire  une  possession  à  laquelle  rien 
ne  manque.  Il  ne  peut  y  avoir  aucun  mal  dans  la 
possession  d'une  telle  vie,  où  se  trouvent  réunis 
tous  les  biens,  de  même  qu'il  n'y  a  pas  de  ténèbres 
dans  le  soleil,  cet  éblouissant  foyer  qui  inonde  le 
monde  de  sa  lumière.  Or,  Dieu  possède  la  vie 
avec  toutes  les  conditions  qui  peuvent  rendre  cette 
possession  parfaite  :  la  première  condition  est 
que  celui  qui  l'a,  la  possède  seul,  car  celui  qui 
partage  son  droit  avec  un  autre  ne  possède  pas 
entièrement,  ni  dès  lors  parfaitement.  Or,  Dieu 
est  le  seul  à  posséder  une  vie  sans  bornes. 

La  seconde  condition  est  qu'elle  soit  possédée 
d'une  manière  absolument  indépendante  ,  celui 
qui  dans  la  possession  d'une  terre  relève  de  la 
suzeraineté  d'un  autre,  ne  la  possède  pas  en  toute 
propriété,  et  sa  condition  est  moins  honorable 
que  celle  d'un  vrai  maître.  Or,  Dieu  possède  la 
vie  d'une  manière  souverainement  indépendante, 
il  ne  reconnaît  au-dessus  de  lui  aucun  être  supé- 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  S"] 

rieur  à  qui  il  soit  tenu  de  rendre  ni  hommage,  ni 
devoir  d'aucune  sorte. 

Enfin,  une  possession  n'est  parfaite  qu'à  la 
condition  d'être  assurée  :  celui  qui  jouit  d'un 
bien  avec  la  crainte  de  le  perdre,  ou  de  pouvoir 
en  être  un  jour  dépouillé,  ou  simplement  de 
pouvoir  être  troublé  dans  sa  possession,  est  privé 
de  la  satisfaction  que  doit  lui  procurer  cette  pos- 
session ;  il  possède  des  inquiétudes  en  même 
temps  que  son  bien.  Dieu  au  contraire  possède  la 
vie  et  tous  les  autres  biens  avec  l'inébranlable 
certitude  que  personne  ne  pourra  les  lui  ravir,  ni 
l'inquiéter  aucunement  à  leur  sujet.  Je  conclus 
que  Dieu  jouit  de  la  véritable  éternité,  puisqu'il 
possède  la  vie  parfaitement. 

O  Seigneur,  possédez,  possédez  toujours  la  vie 
dans  toute  sa  perfection.  Je  reconnais  qu'il  n'y  a 
que  vous  seul  qui  la  possédiez  de  la  sorte.  Nous, 
nous  sommes  pauvres  en  réalité,  vous  seul  êtes 
riche.  Mais  le  pauvre  a  recours  au  riche  pour  en 
être  assisté  ;  et  moi.  Seigneur,  c'est  à  vous  que 
je  m'adresse,  je  vous  appelle  à  mon  aide.  Ma  vie 
se  précipite  chaque  jour  vers  sa  fin  :  de  ces  biens 
périssables  qu'elle  renferme,  aucun  ne  m'appar- 
tient :  qu'au  moins  je  possède  votre  amour  !  O 
vous,  ma  suprême  espérance,  exaucez-moi  et  je 
vous  oiîrirai  en  sacrifice  mon  cœur  avec  mille 
louanges. 


58  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

r  MÉDITATION 

DE  L'UNITÉ  DE  DIEU 


SOMMAIRE 

Lunité  de   Dieu  est  un   avantage  pour  Dieu 

—  pour  le  monde  —  pour  chaque  homme  en 

particulier. 

I 

DIEU  est  unique  :  c'est  d'abord  son  suprême 
intérêt  :  il  ne  doit  sa  grandeur  et  son 
excellence  qu'à  ce  privilège  d'être  unique,  car  sans 
lui  il  ne  serait  ni  le  premier  des  êtres,  ni  l'Etre 
souverain,  indépendant,  parfait,  sous  la  puissance 
de  qui  tout  fléchit.  Supposons  qu'il  ait  un  collègue, 
un  égal,  un  autre  Dieu,  possédant  une  nature 
distincte  de  la  sienne.  D'abord  il  ne  serait  pas  le 
premier  des  Etres,  car  cet  égal  serait  sur  le 
même  rang  que  lui  et  aurait  le  droit  de  lui  con- 
tester l'honneur  de  la  primauté.  Il  ne  serait  pas 
l'Etre  souverain,  car  entre  égaux  la  souveraineté 
n'a  pas  lieu.  Il  ne  serait  pas  l'Etre  indépendant, 
car  il  devrait  dépendre  de  son  rival  :  en  effet, 
celui-ci  étant  Dieu,  aurait  ce  privilège  inséparable 
de  la  divinité,  que  tout  autre  que  lui  relèverait  de 
son  domaine.  Il  ne  serait  pas  parfait  :  car  il  lui 
manquerait  la  perfection  infinie  que  devrait  pos- 
séder son  rival  pour  se  distinguer  de  lui.  Enfin  il 
ne  serait  pas  le  souverain  maître  de  tous,  puisque 
son  égal  ne  tiendrait  rien  de  lui  et  par  conséquent 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  DQ 

ne  lui  devrait  aucune  espèce  de  soumission.  Donc 
pour  que  Dieu  soit  ce  qu'il  est,  c'est-à-dire  le 
premier  Etre,  TEtre  souverain,  indépendant, 
parfait,  TEtre  à  qui  tout  est  soumis,  il  est  abso- 
lument nécessaire  qu'il  soit  unique. 

C'est  grâce  à  ce  privilège  qu'il  se  distingue 
glorieusement  de  toutes  les  créatures,  dont  la 
nature  se  multiplie  tous  les  jours  dans  des  indivi- 
dualités nouvelles  :  nous  savons  qu'il  existe,  en 
effet,  un  grand  nombres  d'hommes  et  un  grand 
nombre  d'anges  d'une  même  espèce.  Et  s'il  est 
vrai  qu'il  n'y  ait  au  monde  qu'un  seul  soleil, 
Dieu  peut  en  produire  autant  qu'il  y  a  de  petits 
passereaux  et  de  moucherons,  autant  qu'il  y  a 
d'étoiles  dans  le  ciel.  C'est  ainsi  que  les  choses 
les  plus  rares  du  monde  peuvent  être  multipliées 
par  Dieu,  tandis  que  lui,  est  nécessairement  unique 
et  n'admet  point  un  seul  égal,  à  moins  de  renon- 
cer à  son  titre  de  maître  absolu. 

O  Etre  unique  et  Dieu  incomparable  !  je  vous 
félicite  de  votre  unité  et  je  me  réjouis  à  la  pensée 
que  vous  êtes  à  une  telle  hauteur  que  personne 
ne  peut  en  approcher  et  se  dire  votre  égal,  car 
«  qui  est  Dieu  en  dehors  du  Seigneur  ?  Q^ui  est 
«  Dieu  hormis  notre  Dieu  ?  »  (Ps.  17.)  Ah  !  je 
souffrirais  de  voir  qu'un  autre  fut  Dieu  comme 
vous,  qu'un  autre  partageât  votre  gloire.  O  Roi 
du  monde,  régnez  toujours  dans  votre  souveraine 
unité,  soyez  toujours  l'Unique,  l'Incomparable. 

II 

Que  Dieu  soit  unique,  c'est  aussi  l'intérêt  du 
monde.  Les  êtres  demandent  en  effet  à  être  bien 


6o  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

gouvernés,  il  leur  faut  la  forme  de  gouvernement 
la  plus  parfaite.  Or,  telle  est  la  monarchie  ou  le 
gouvernement  d'un  seul,  quand  il  est  sage.  Donc 
il  y  va  de  Tintérêt  du  monde  qu'il  n'y  ait  qu'un 
seul   Dieu,  qui  soit  le  roi  légitime   de   l'univers. 

Quand  il  y  a  plusieurs  rois  à  la  tête  d'un 
royaume,  c'est  la  cause  de  séditions  et  de  calami- 
tés qui  font  gémir  les  provinces  ;  et  il  est  permis 
d'affirmer  que  si  plusieurs  dieux  gouvernaient  le 
monde,  ce  serait  à  son  grand  détriment  :  difficile- 
ment les  hommes  auraient  la  paix  et  la  concorde, 
chacun  d'eux  combattant  jusqu'à  la  mort  pour  le 
Dieu  qu'il  servirait. 

Et  les  hommes  n'en  souffriraient  pas  seuls, 
mais  aussi  le  monde  entier  :  comme  plusieurs 
dieux  auraient  le  droit  d'y  exercer  leur  puissance, 
ce  que  voudrait  l'un  d'eux,  un  autre  pourrait  ne 
pas  le  vouloir  et  l'empêcher.  Puisqu'ils  jouiraient 
de  la  liberté,  ils  pourraient  s'accorder  comme 
aussi  ne  pas  s'accorder,  et  combien  seraient  épou- 
vantables pour  le  monde  les  conséquences  d'un 
désaccord  ?  Quel  désordre  n'en  résulterait-il  pas 
dans  tous  les  êtres  de  la  création  ?  Donc  le  monde 
ne  peut  subsister  que  par  l'unité  de  Dieu  qui 
entraîne  l'unité  de  plan  et  de  direction. 

J'ajoute  qu'un  seul  Dieu  suffit  pour  bien  gou- 
verner le  monde  :  et  c'est  à  ce  point  de  vue  que 
Dieu  surpasse  tous  les  monarques  et  tous  les 
empereurs.  Il  est  nécessaire  qu'il  y  en  ait  un 
grand  nombre  ici-bas,  parce  qu'un  seul  serait 
incapable,  à  cause  des  bornes  de  l'esprit  humain, 
de  gouverner  tous  les  peuples.  De  plus,  même  le 
plus  puissant  roi  et  le  plus  redoutable  doit  tou- 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU 


jours  craindre  que  son  autorité  ne  soit  ébranlée 
ou  renversée  par  un  rival.  Dieu  au  contraire  dont 
l'intelligence  est  infinie  est  à  la  hauteur  de  cette 
grande  tâche,  il  lui  est  même  supérieur  ;  et  puis 
son  autorité  est  si  solidement  établie  dans  le 
monde  qu'il  n'y  a  personne  de  taille  à  lui  résister. 
J'en  conclus  que  rien  n'est  plus  avantageux  au 
monde  que  d'être  gouverné  par  un  seul  Dieu. 

O  Roi  des  rois,  que  le  monde  entier  se  réjouisse 
à  la  pensée  que  vous  êtes  son  seul  maître  et  son 
souverain  seigneur  !  Et  puisque  personne  ne  peut 
vous  résister,  que  nous  reste-t-il  à  faire,  si  ce 
n'est  de  nous  mettre  en  bons  termes  avec  vous  ? 
Si  vous  avez  décrété  de  rendre  mon  âme  bienheu- 
reuse, la  menace  qui  voudra,  l'attaque  qui  vou- 
dra, elle  est  sauvée  ;  nul  ne  sera  assez  fort  pour 
la  frustrer  des  effets  de  votre  bienveillance.  Mais 
d'autre  part  qu'avons-nous  à  redouter  davantage 
que  d'être  en  guerre  avec  vous  ?  Si  une  àme  a 
mérité,  hélas  !  par  ses  fautes  votre  disgrâce,  qui 
pourra  la  mettre  à  l'abri  des  coups  de  votre  juste 
colère  ?  car,  ô  Seigneur,  vous  gouvernez  tout  seul 
cet  univers,  armé  d'une  puissance  à  laquelle  per- 
sonne ne  résiste. 

III 

• 

Enfin  il  est  encore  de  l'intérêt  de  chaque  homme 
en  particulier,  qu'il  n'y  ait  qu'un  seul  Dieu.  C'est 
un  devoir  pour  nous  de  servir  Dieu  comme  notre 
principe  et  de  tendre  vers  lui  comme  vers  notre 
fin.  Mais  s'il  y  avait  plusieurs  dieux,  il  nous  serait 
impossible  de  nous  acquitter  de  nos  devoirs  envers 
eux  :  car  l'oracle  de  la  vérité  dit  :  «  Personne  ne 


62  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

«  peut  servir  deux  maîtres;  car  ou  il  aimera 
«  Vun  et  détestera  Vautre,  ou  tien  il  détestera 
«  Vun  et  aimera  Vautre.  »  (Matt.  6.)  Quelle  direc- 
tion prendrait  une  pierre  qui  subirait  l'attraction 
de  deux  centres  ?  elle  ne  saurait  où  se  porter.  Et 
que  ferait  une  âme,  s'il  y  avait  plusieurs  dieux  ? 
elle  ne  pourrait  se  donner  à  l'un,  sans  renoncer  à 
l'autre,  ni  obtenir  l'amour  de  l'un,  sans  encourir 
l'indignation  de  celui  qui  se  sentirait  méprisé.  Se 
résoudra-t-elle  à  servir  plusieurs  dieux,  à  l'exemple 
des  païens  qui  offraient  des  sacrifices  à  une  mul- 
titude d'idoles  ?  elle  ne  plaira  à  aucun  d'eux, 
parce  que  cet  amour  partagé  qu'elle  leur  offrira, 
sera  trop  faible  ;  il  ressemblera  aux  eaux  d'un 
fleuve  que  l'on  ferait  dériver  par  une  multitude 
de  canaux  et  dont  on  détruirait  ainsi  la  force  et 
l'impétuosité.  Et  puis  le  cœur  de  l'homme  n'est 
pas  assez  grand  pour  aimer  deux  dieux  à  la  fois  : 
c'est  un  lit  trop  étroit  et  un  manteau  trop  court 
pour  deux  personnes. 

Ajoutons  que  celui  qui  admet  plusieurs  dieux, 
leur  attribue  nécessairement  à  chacun  une  puis- 
sance moindre  et  leur  accorde  une  moindre 
estime  :  il  ne  ressent  en  face  d'eux  qu'un  senti- 
ment de  respect  et  de  crainte  diminué.  Celui  qui 
au  contraire  ne  reconnaît  qu'un  seul  Dieu,  l'estime 
et  l'honore  davantage,  en  raison  même  de  ce  qu'il 
est  unique,  parce  qu'il  le  considère  comme  celui 
en  qui  se  rencontrent  tout  bien  et  toute  perfec- 
tion, comme  l'être  sans  égal  au  point  de  vue  de 
la  bonté,  de  la  grandeur  et  de  la  félicité.  Cette 
pensée  l'excite  à  lui  rendre  de  plus  grands  devoirs 
de   piété,  à  devenir  lui-même  plus  saint  et  plus 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  63 

religieux.  Son  devoir  est  simplifié  et  rendu  plus 
facile  par  le  fait  qu'il  se  borne  à  servir  un  seul 
maître  et  à  aspirer  à  la  possession  d'un  seul 
Dieu.  Aussi  dès  cette  vie  Thomme  éprouve-t-il 
dans  le  service  de  ce  Dieu  des  douceurs  et  une 
paix  qui  chassent  ses  inquiétudes  et  lui  apportent 
comme  un  avant-goût  du  ciel. 

Pourquoi  donc,  ô  Dieu  unique,  tarder  davan- 
tage à  unir  toutes  mes  forces  pour  vous  servir  ? 
Oui,  vous  êtes  cet  «  unique  nécessaire  »  (Luc,  lo) 
et  seul  nécessaire.  Pourquoi  donc  mes  affections 
sont-elles  partagées  entre  tant  de  créatures  que  je 
traite  comme  autant  d'idoles  ?  Vous  seul,  Sei- 
gneur, me  suffisez,  vous  seul  m'êtes  nécessaire, 
vous  seul  êtes  mon  principe  et  ma  fin  ;  vous  êtes 
mon  seul  bien,  supérieur  à  tout  bien.  Qu'une 
seule  et  unique  affection  règne  dans  mon  cœur  ; 
que,  grâce  à  vous,  elle  triomphe  de  toute  autre 
affection,  afin  que  vous,  l'Etre  unique  au  monde, 
vous  soyez  uniquement  et  exclusivement  aimé 
par  votre  créature. 


64  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


Xr  MÉDITATION 

DE  LA  PURETÉ,  DE  LA  SAINTETÉ 
ET  DE  LA  BEAUTÉ  DE  DIEU 


SOMMAIRE 
Dieu  est  très  pur  —  très  saint  —  et  très  beau. 

I 

LA  pureté  de  Dieu  est  parfaite.  Dieu  est  très 
pur,  parce  qu'il  est  absolument  exempt  de 
toute  sorte  de  taches  ou  d'imperfections  :  nous 
aurions  beau  le  scruter  pendant  toute  l'éternité, 
nous  ne  découvririons  jamais  en  lui  le  moindre 
défaut  de  rectitude,  la  plus  légère  imperfection. 
Les  créatures  ne  sont  pas  pures,  parce  qu'elles 
sont  mêlées  avec  des  choses  qui  sont  moins 
nobles  qu'elles,  qu'elles  leur  sont  unies  ou  physi- 
quement ou  par  un  attachement  du  cœur.  Ainsi 
un  homme  est  souillé,  quand  il  est  couvert  de 
boue  ou  quand  il  aime  passionnément  ce  qui  est 
bas  ou  indigne  de  son  cœur.  «  Car,  dit  S.  Tho- 
mas (i),  «  une  chose  s'altère,  par  son  mélange 
avec  une  autre  qui  lui  est  inférieure.  » 

Or  Dieu,  par  l'unité  de  son  Etre,  est  infiniment 
éloigné  de  la  bassesse  des  créatures  et  de  toute 
leur  corruption.  S'il  les  aime,  c'est  uniquement 
en  vue  d'une  fin  très  sainte,  en  vue  de  sa  gloire, 

I.  3,  q.  81.  art.  8, 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  6B 

c'est  d'une  manière  si  conforme  à  l'ordre,  qu'il  ne 
peut  contracter  par  un  tel  amour  aucune  imper- 
fection. Il  est  tellement  à  l'abri  de  tout  péché, 
que  dévier  de  la  justice  lui  est  impossible.  Com- 
mettrait-il un  péché  de  malice,  lui  qui  est  la 
bonté  infinie  ?  un  péché  d'ignorance,  lui  qui  est  la 
sagesse  infinie  ?  un  péché  de  fragilité,  lui,  la 
force  infinie  ?  Pécherait-il  emporté  par  la  passion, 
lui  qui  est  l'inaltérable  sérénité  ?  pécherait-il  par 
surprise,  lui  qui  veille  toujours  et  sur  toutes  cho- 
ses ?  par  excès  de  sévérité,  lui  qui  est  plein  de 
miséricorde  ?  par  défaut  de  justice,  lui  qui  est  la 
justice  même?  Résumons-nous  :  Dieu  est  pur  en 
tout,  dans  ses  actions,  dans  ses  paroles,  dans  ses 
pensées  ;  pur  dans  son  Essence,  miroir  sans 
tache,  pur  dans  la  production  des  Personnes  de 
la  Trinité,  où  il  n'y  a  rien  qui  ressemble  aux 
souillures  des  générations  terrestres,  .pur  dans  la 
création,  pur  dans  le  gouvernement  et  dans  le 
jugement  de  toutes  les  créatures  :  ce  jugement 
n'a  même  d'autre  but  que  de  condamner  l'impu- 
reté et  de  glorifier  la  pureté.  O  Dieu  immaculé, 
«  aux  yeux  de  qui  les  étoiles  ont  des  taches.  » 
(Job,  i5.)  O  Dieu  très  beau,  «  qui  ave^  les  yeux 
«  purs,  afin  de  ne  pas  approuver  Je  mal.  » 
(Hab.  I.)  Je  me  réjouis  de  vous  savoir  infiniment 
pur  et  bien  différent  de  nous,  mortels  misérables, 
qui  nous  souillons  dans  la  plupart  de  nos  actions. 
Comment  avons-nous  l'audace  de  murmurer  con- 
tre vous,  qui  n'êtes  sujet  à  aucune  imperfection  ? 
Je  devrais  plutôt  dire  .  Comment  pouvez-vous 
supporter  nos  vices  et  nos  coeurs  si  impurs  ? 
Quelle  attitude  prendra  mon  âme,  quand  elle  pa- 

Bait,  t.  I.  % 


66  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

raîtra  en  face  de  votre  admirable  pureté  ?  De 
mon  propre  fonds  je  n'ai  que  souillure  ;  vous,  ô 
pureté  infinie,  purifiez-moi,  «  lave^-moi  de  plus 
«  en  plus  de  mon  iniquité  et  de  mes  souillu- 
«  res.  (Ps.  5o.) 

« 

II 

La  sainteté  de  Dieu  consiste  dans  un  assem- 
blage de  toutes  sortes  de  vertus  et  de  perfections 
morales.  «  Le  Seigneur  est  juste  dans  tous  ses 
«  desseins  et  saint  dans  toutes  ses  œuvres.  » 
(Ps.  114.)  On  confond  quelquefois  la  pureté  avec 
la  sainteté  et  on  les  prend  pour  une  même  chose. 
Il  y  a  lieu  néanmoins,  de  distinguer  dans  la 
sainteté  deux  points  de  vue  qui  sont  Téloigne- 
ment  du  mal  et  la  pratique  du  bien.  On  voit 
par  là,  que  la  sainteté  comprend  en  elle-même  la 
pureté,  en  tant  qu'elle  prescrit  l'éloigement  du 
mal.  On  voit  aussi  qu'elle  s'en  distingue  en  tant 
qu'elle  porte  à  la  vertu  et  à  la  perfection  des 
mœurs.  Conformément  à  cette  distinction,  Dieu 
est  pur,  parce  qu'il  est  sans  péché  et  sans  imper- 
fection, puisqu'il  possède  les  habitudes  et  les 
actes  de  toutes  les  vertus  morales  qui  sont 
compatibles  avec  la  suprême  Majesté. 

Et  d'abord,  l'Essence  divine  est  la  source  de 
toute  sainteté  et  chacun  est  d'autant  plus  saint 
qu'il  est  plus  uni  à  cette  sainteté  substantielle  : 
par  conséquent  Dieu  est  infiniment  saint,  lui  qui 
est  cette  Essence  même,  cette  source  de  sainteté, 
lui  qui  de  plus  est  uni  à  cette  Essence  par  le  lien 
d'un  amour  éternel,  immuable  et  infini,  d'un 
amour   supérieur  au-delà   de  toute   expression   à 


DES   ATTRIBUtS    DE    DIEU  6j 

l'amour  qu'ont  pour  cette  même  Essence,  les 
créatures  les  plus  éminentes  en  sainteté.  C'est 
pourquoi  leur  sainteté  mise  en  regard  de  la  sienne 
ne  compte  pas,  ou  n'est  qu'une  ombre  de  la 
sienne. 

De  plus,  la  conduite  de  Dieu  est  toujours 
parfaite  ;  ses  résolutions  sont  immuables,  aucune 
inconstance  ne  le  détourne  de  la  pratique  du  bien. 
L'honnêteté  lui  plaît  en  tout  temps  et  en  tout 
lieu,  comme  le  mal  lui  déplaît.  Sa  prudence 
paraît  dans  la  prévision  qu'il  a  de  toutes  choses 
et  dans  la  connaissance  qu'il  en  a  avant  même 
qu'elles  existent  ;  sa  sagesse  pèse  tous  les  résultats 
de  ses  œuvres  et  de  ses  entreprises,  sa  patience 
se  manifeste  quand  il  ne  laisse  pas,  malgré  les 
offenses  qu'il  reçoit  des  créatures,  de  leur  offrir 
les  biens  temporels,  et,  si  elles  le  désirent,  les 
biens  spirituels,  quand  il  fait  lever  son  soleil  et 
qu'il  fait  pleuvoir  sur  les  justes  et  sur  les 
méchants  ;  sa  droiture  éclate  dans  ses  œuvres;  il 
exerce  sa  miséricorde  sans  préjudice  de  sa  justice 
et  sa  justice  sans  jamais  offenser  sa  miséricorde. 
Sa  libéralité  envers  sa  créature  est  évidente, 
puisqu'il  ne  cesse  de  lui  communiquer  ses  biens 
propres,  autant  qu'elle  peut  les  recevoir.  Son 
amour  de  la  paix,  rien  ne  le  prouve  mieux  que 
cette  disposition  constante  à  pardonner  à  ses 
ennemis  jurés.  Sa  modération  paraît  en  ce  qu'il 
n'exige  de  chacun  qu'un  effort  proportionné  à  ses 
forces  et  aux  grâces  reçues.  Sa  véracité  ne  saurait 
être  mise  en  doute  :  le  ciel  et  la  terre  passeront 
plutôt  qu'une  seule  syllabe  de  ses  paroles.  Il  a 
horreur   de   toute  acception  de  personne,   car   il 


68        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

prend  soin  de  toutes  les  créatures  grandes  ou 
petites,  leur  donne  ou  leur  conserve  l'être,  leur 
fournit  continuellement  ce  qui  est  nécessaire  à 
leur  vie.  Sa  paix  est  parfaite  et  imperturbable, 
rien  ne  peut  altérer  sa  sérénité.  Terminons  en 
disant  qu'il  est  juste  et  miséricordieux,  équitable 
et  bon,  si  parfait  dans  toutes  ses  actions  qu'on  ne 
saurait  rien  y  trouver  à  reprendre  et  que  tout  y 
est  digne  d'être  loué  éternellement. 

O  Dieu!  laissez-moi  vous  louer  de  votre  sainteté. 
Laissez-moi  m'écrier  avec  le  bienheureux  Séra- 
phin :  «  Saint,  saint,  saint  est  Je  Seigneur,  Dieu 
«  des  armées.  »  (Is.  6.)  Que  tous  les  esprits  créés 
rendent  hommage  à  votre  sainteté  adorable.  O 
Dieu  très  admirable,  vous  qui  ne  voulez  pas  être 
imité  par  vos  créatures  dans  votre  puissance  ni 
dans  votre  suprême  majesté,  mais  qui  voulez 
l'être  dans  votre  sainteté,  puisque  vous  leur  avez 
dit  :  «  Soyei{  saints,  parce  que  je  suis  saint  » 
(Lév.  II.);  je  vous  demande  au  nom  de  votre 
bonté  et  de  tous  vos  divins  attributs,  d'imprimer 
dans  nos  âmes  créées  à  votre  image,  la  sainteté 
de  vos  mœurs.  Soyez  l'exemplaire  de  ma  vie 
et  de  toute  la  perfection  à  laquelle  je  pourrai 
atteindre. 

III 

Dieu  est  beau  (i)  ;  comment  pourrait-il  ne  pas 
l'être  celui  qui  n'a  aucune  tache  et  qui  est  comblé 
de  toutes  les  perfections?  On  appelle  beau  ce  qui 
flatte  la  vue,   ce  qui  est  dans  toute   son   intégrité 

X.  Alvarex,  Midit.  p.  3.  dec.  3.  contemp.  8.  D.  Basilius  In 
regulis,  s. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  69 

et  n'a  pas  de  défaut,  ce  qui  offre  au  regard  de 
justes  proportions  et  une  parfaite  harmonie  entre 
ses  parties,  enfin  ce  qui  brille  d'un  certain  éclat 
et  qui  est  orné  des  couleurs  qui  lui  conviennent. 
Or,  Dieu  très  pur  esprit  est  très  agréable  à  voir, 
sa  vue  cause  même  tant  de  délices  et  de  joie  que 
ni  ennuis,  ni  douleurs,  n'ont  accès  dans  l'àme  qui 
a  le  bonheur  de  le  contempler.  Son  intégrité  est 
parfaite,  elle  n'admet  ni  diminution  ni  mutilation 
d'aucune  sorte.  Tout  en  lui  offre  d'admirables 
proportions  :  chacune  de  ses  perfections  atteint 
l'infini  et  est  en  parfaite  harmonie  avec  sa  nature 
également  infinie.  Enfin,  il  est  la  lumière  vivante,  à 
laquelle  ne  sont  point  mêlées  de  ténèbres  et  que 
ne  cesseraient  d'admirer  le  soleil  et  les  astres 
les  plus  brillants,  s'ils  la  connaissaient,  parce 
que  leur  lumière  créée  n'est  que  ténèbres  en  face 
de  cette  splendeur  incréée. 

Le  divin  saint  Denys  (i)  nous  dit  :  Dieu  est  beau 
sous  tous  les  rapports  :  il  est  plus  que  beau  ;  il  est 
beau  sans  changement,  d'une  beauté  qui  n'a  pas 
eu  de  commencement  et  n'aura  pas  de  déclin,  qui 
ne  peut  ni  croître  ni  décroître,  qui  brille  non  pas 
dans  une  partie  de  son  être,  mais  dans  son  être 
tout  entier,  non  pas  pendant  un  temps  limité,  mais 
dans  tous  les  temps,  non  pas  dans  un  seul  lieu, 
mais  en  tout  lieu  ;  il  est  beau  enfin,  non  pas  d'une 
beauté  qui  plaît  à  quelques-uns  seulement,  mais 
d'une  beauté  qui  ravit  tous  les  êtres.  Sa  beauté  est 
inaltérable  et  éternelle;  elle  renferme  en  elle-même 
d'une  manière  éminente  et  comme  dans  leur 
source,  toutes  les  beautés  qui  resplendissent  dans 

X.  D.  Dionys,  de  div.  nomin.,  c.  4. 


yO  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

les  créatures.  Ce  grand  contemplateur  de  la  divi- 
nité veut  nous  dire  par  là  que  Dieu  est  beau  par 
lui-même,  sans  rien  emprunter  aux  autres  êtres, 
d'une  beauté  accomplie,  puisqu'elle  n'a  aucune 
tache,  d'une  beauté  à  l'abri  de  ces  trois  change- 
ments :  première  apparition,  progrès  et  déca- 
dence ;  d'une  beauté  inaltérable  qui  ne  connaîtra 
jamais  ni  rides  ni  flétrissures  ;  d'une  beauté  pri- 
mordiale, source  de  toutes  les  autres;  d'une  beauté 
suréminente,  car  en  face  de  la  sienne,  toutes  les 
beautés  créées  ne  sont  que  laideur,  comme 
en  face  de  sa  puissance  leur  force  n'est  que  fai- 
blesse et  en  face  de  sa  sagesse  leur  science  n'est 
qu'ignorance.  Les  plus  beaux  visages  des  créatures 
sont  repoussants,  si  on  les  compare  à  la  beauté 
divine,  dont  la  vue  suffirait  à  transformer  en  délices 
du  paradis  les  tortures  de  l'enfer.  La  beauté  spiri- 
tuelle est  en  effet  incomparablement  plus  ravis- 
sante que  la  beauté  corporelle  :  s'il  nous  était 
donné  de  la  contempler,  nous  serions  saisis  d'un 
violent  amour  pour  elle.  De  même  que  la  grâce  et 
les  vertus,  vraie  parure  de  l'àme,  sont  mille  fois 
plus  séduisantes  que  tous  les  ornements  du  corps, 
de  même  la  beauté  de  l'àme  dépasse  celle  du  corps 
incomparablement,  à  peu  près  de  toute  la  hauteur 
dont  la  beauté  de  l'ange  dépasse  la  beauté  des 
êtres  de  ce  monde,  et  la  beauté  du  séraphin  celle 
de  l'ange.  Mais  que  dire  alors  de  la  beauté  de 
Dieu,  esprit  infini  ?  A  quelle  inconcevable  hauteur 
ne  doit-elle  pas  briller? 

O  mon  âme,  méprise  désormais  toute  beauté 
mortelle,  pour  t'adonner  à  la  contemplation  des 
beautés  infinies  de  Dieu,  ton  Créateur.  O  Essence 


DES    ATTRIBUTS    DE   DIEU  7I 

divine,  ô  face  ravissante,  qui  épuisera  sans  cesse 
toute  la  puissance  d'admiration  des  esprits  créés  ! 
O  beauté  au-dessus  de  toute  beauté  !  soyez  tou- 
jours Tunique  objet  de  mes  pensées  et  de  mes  affec- 
tions. «  O  mon  Seigneur  !  vous  êtes  infiniment 
«  digne  d^adm.iration  et  votre  face  étincelle 
«  d incompréhensibles  beautés.  »  (Esther,  i5.) 
Ah  !  qu'il  serait  ravi  celui  qui  vous  verrait  sans 
voiles  !  Je  supporterai  avec  joie  toutes  les  peines 
de  cette  vie,  pour  avoir  un  jour  ce  bonheur.  Je 
mépriserai  toutes  les  joies  terrestres  pour  mériter 
de  vous  contempler.  O  vous,  l'admirable  objet  de 
ma  félicité,  ne  permettez  pas  que  je  sois  exclu  de 
votre  possession  ! 


Xir  MÉDITATION 

DE   LA  PAIX  ET  DU  SILENCE 
DE  DIEU 


SOMMAIRE 

Dieu  jouit  d'une  paix  inaltérable  —  nous  ne 
devons  pas  Vhonorer  par  Vinaction  —  mais 
par  la  sérénité  de  Vâme  au  milieu  des  agita- 
tions de  ce  monde. 

I 

DIEU  jouit  en  lui-même  d'une  profonde  paix, 
que  ne  trouble  aucune  inquiétude.  «  Quant 
«  à  VOUS,  puissant  dominateur,  dit   le    Sage, 


72  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

«  VOUS  juge\  toutes  choses  avec  sérénité,  » 
(Sag.,  12.)  Saint  Paul  nous  souhaite  «  que  la  paix 
«  de  Dieu,  qui  surpasse  tout  sentiment,  con- 
«  serve  nos  intelligences  et  nos  cœurs.  »  (Phil.,  4.) 
Saint  Anselme  nous  apprend  que  cette  paix 
découle  de  la  nature  même  de  Dieu,  à  laquelle 
rien  ne  convient  mieux  que  de  jouir  toujours  d'une 
tranquillité  absolue.  Saint  Denys  (i)  cite  saint 
Juste,  un  de  ses  illustres  contemporains,  qui  appe- 
lait cette  paix  le  silence  et  l'immobilité.  Un  com- 
mentateur de  saint  Denys  (2)  nous  apprend  que 
cette  paix  résulte  de  la  simplicité  admirable  de  la 
nature  de  Dieu  et  du  repos  de  sa  volonté  en  elle- 
même  comme  en  sa  fin.  En  effet  les  trois  Person- 
nes divines  n'ont  qu'une  volonté  unique,  ce  qui 
exclut  tout  désacord  à  l'intérieur,  et  comme  d'au- 
tre part  nul  trouble  extérieur  ne  peut  les  atteindre, 
la  paix  divine  est  profonde  et  éternelle. 

Remarquons  qu'aucune  des  causes  ordinaires  de 
trouble  n'a  accès  en  Dieu.  Une  de  ces  causes  est 
notre  propre  faiblesse,  notre  inquiétude  et  notre 
défiance  naturelles,  qui  nous  empêchent  d'être 
jamais  contents  de  nous-mêmes.  Mais  Dieu  dont  la 
nature  est  parfaite  et  infinie,  est  toujours  totale- 
ment satisfait  en  lui-même  et  ne  craint  rien  qui 
puisse  l'affliger.  Une  autre  cause  de  trouble, 
c'est  l'anxiété  dans  laquelle  nous  tient  l'entreprise 
d'une  grande  œuvre  jusqu'au  jour  où  nous  en 
soyons  venus  à  bout  :  Celle-là  n'existe  pas  davan- 
tage pour  Dieu,  à  qui  tout  est  non  seulement 
possible,    mais  très   aisé   et   très  facile.    «   Vous 

I.  De  divinis  nominibus,  ci. 
3,  Marsilius  Ficinus,  ibidem. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  78 

«  pouve^  tout  ce  que  vous  voule\^  »  dit  la 
Sagesse  (22).  D'autres  perdent  la  paix  en  consta- 
tant qu'ils  ne  sont  pas  aimés.  Mais  Dieu  ne  se 
trouble  pas  de  la  froideur  ou  du  mépris  que 
lui  témoignent  certaines  âmes;  s'il  a  voulu  de 
toute  éternité  les  créer,  il  l'a  voulu,  sachant  très 
bien  qu'elles  ne  l'aimeraient  pas,  qu'il  les  créait 
libres  et  qu'il  ne  convenait  pas  qu'il  fit  violence  à 
leur  liberté  :  dès  lors  ces  égarements  ne  l'étonnent 
pas  plus  que  ne  nous  étonne  l'apparition  de  la  nuit 
après  le  jour.  D'autres  perdent  leur  tranquillité 
quand  leur  devoir  les  oblige  à  infliger  des  châti- 
ments. Mais  Dieu  ne  cède  Jamais  à  la  colère  :  tou- 
jours maître  de  lui-même,  il  exerce  sa  justice  avec 
sagesse  et  modération,  considérant  simplement  la 
peine  comme  une  conséquence  de  la  faute.  Il  y  en 
a  enfin  qui  perdent  la  tranquillité  en  apprenant 
que  leurs  ennemis  s'arment  pour  les  attaquer  ou 
que  quelque  malheur  va  les  frapper.  Dieu  est 
en  paix  de  ce  côté-là  :  ses  ennemis  ne  peuvent  rien 
contre  lui  et  lui,  peut  en  un  instant  et  quand  il  le 
voudra,  les  anéantir  :  «  Le  mal  naura  pas  d'ac- 
«  ces  auprès  de  vous  et  les  fléaux  napproche- 
«  rontmême  pas  de  votre  sanctuaire.  »  (Ps.  90.) 
Ainsi,  ô  Dieu  immortel  et  qui  toujours  êtes  le 
même,  vous  agissez  sans  aucune  inquiétude  avec 
une  paix  et  une  tranquillité  inaltérables.  La  capa- 
cité de  votre  esprit  est  immense  et  votre  puis- 
sance est  infinie,  à  tel  point  qu'il  vous  est  plus 
facile  de  gouverner  l'univers  qu'à  moi  d'ouvrir  la 
bouche  ou  de  fermer  les  yeux.  Or,  si  l'action 
d'ouvrir  la  bouche  ou  de  fermer  les  yeux  ne  me 
cause  aucun  trouble,  le  gouvernement  du  monde 


74  l'A    THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

risque  moins  encore  d'altérer  votre  paix.  O  séré- 
nité et  repos  admirable  de  Dieu  «  qui  surpasse 
«  tout  sentiment  !  »  Que  mes  facultés  et  mes 
sens  sont  loin  de  cette  paix,  eux  dont  l'inquiétude 
est  l'état  ordinaire,  eux  qui  sont  dans  une  agitation 
continuelle  !  Demandons  que  «  la  paix  de  Dieu 
«  qui  surpasse  tout  sentiment^  conserve  nos 
«  cœurs  »  (Phil.  4.);  que  nous  ayons  la  paix  avec 
Dieu,  en  lui  obéissant  ;  la  paix  avec  nous-mêmes, 
en  évitant  le  péché  ;  la  paix  avec  le  prochain,  en 
l'aimant.  Daigne  nous  l'accorder  celui  qui  est 
notre  paix,  notre  Dieu  et  Seigneur,  Jésus-Christ 
qui  vit  et  règne  avec  le  Père  et  le  Saint-Esprit, 
en  unité  d'essence,  de  volonté  et  de  majesté,  dans 
tous  les  siècles  des  siècles. 


II 


Nous  devons  honorer  la  paix,  le  repos  et  le 
silence  de  Dieu  ;  mais  non  pas  par  l'oisiveté,  par 
l'inaction  intérieure  et  par  la  cessation  de  toutes 
les  œuvres,  comme  certains  l'enseignent.  Qu'il 
faille  d'abord  honorer  le  repos  de  Dieu,  c'est  cer- 
tain, puisque  tout  ce  qui  est  en  Dieu  est  adorable 
et  également  adorable  ;  le  repos  ou  le  silence  de 
Dieu  l'est  au  même  titre  que  son  activité.  Cette 
raison,  nous  l'empruntons  à  des  théologiens  que 
nous  serons  heureux  de  prendre  pour  guides,  tant 
qu'ils  ne  feront  pas  fausse  route  (i).  Aussi  comme 

I.  A  quels  théologiens  fait  allusion  notre  auteur  dans  ce  passage? 
il  est  bien  difficile  de  le  savoir.  Ce  qui  est  incontestable  c'est  qu'il  ne 
s'agit  pas  de  ceux  qui  donnèrent  au  quiétisme  sa  forme  définitive  ; 
Molinos  venait  à  peine  de  naître  (1627)  quand  Bail  achevait  sa  Théo- 
lofrit  (en  1638)  et  i\  ne  devait  publier  «  sa  Guide  spirituelle  »  c^ui 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  'jS 

il  y  a  dans  la  semaine  six  jours  consacrés  à  honorer 
par  le  travail  les  opérations  de  Dieu  ;  il  y  a  aussi 
un  jour  destiné  à  honorer  son  repos.  Dieu  a  voulu 
que  son  repos  fut  honoré  par  notre  repos,  comme 
ses  œuvres  doivent  l'être  par  nos  œuvres.  Et 
d'ailleurs  toutes  les  perfections  de  Dieu  méritent 
les  hommages  des  anges  et  des  âmes  douées  de 
raison,  parce  qu'il  n'y  en  a  pas  une  qui  ne  soit 
infinie  et  qui  n'ait  une  souveraine  excellence.  C'est 
pourquoi  sa  paix,  son  repos  et  son  incompréhen- 
sible silence  méritent  nos  hommages  et  nos  res- 
pects. Remarquons  également  que  le  repos  et 
l'action  sont  unis  en  Dieu,  au  point  de  ne  pouvoir 
être  séparés  ;  si  Dieu  agit,  c'est  sans  sortir  de  son 
repos  ;  s'il  se  repose,  c'est  sans  interrompre  son 
action.  Il  ne  faut  donc  pas  penser  honorer  ces  deux 
perfections  séparément  ;  il  ne  faut  pas  tantôt  se 
livrer  à  l'action  pour  honorer  les  œuvres  de  Dieu 
et  tantôt  s'abstenir  de  toute  action,  pour  honorer 
son  repos.  Ce  serait  honorer  une  chose  imaginaire 
et  qui  ne  fut  jamais,  puisque  Dieu  n'a  jamais  cessé 
d'agir  en  lui-même  de  toute  éternité  et  hors  de 
lui-même,  même  depuis  la  création,  suivant  les 
paroles  de  l'Evangile  :  «  Mon  Père  agit  conii- 
«  nuellement,  et  moi  je  ne  cesse  pas  d'agir  avec 

contient  toutes  ses  erreurs,  qu'en  1675.  Madame  de  Guyon  ne  devait 
naître  qu'en  1648.  Ce  qui  nous  paraît  certain,  c'est  que  Bail  réfute 
«  les  Illuminés  »,  secte  qui  dans  la  seconde  moitié  du  xvi»  siècle  se 
propagea  d'abord  en  Espagne.  Elle  enseignait  déjà  toutes  les  proposi- 
tions essentielles  du  quiétisme  qui  suscita  de  si  graves  quereller 
au  xvn«  siècle  ;  notamment  celle-ci,  que  l'oraison  parfaite  consiste 
dans  la  suspension  et  l'anéantissement  de  toutes  les  puissances  de 
l'âme.  Complètement  écrasée  en  Espagne  en  1623,  elle  se  transplanta 
en  France  où  elle  fût  également  anéantie  en  i6}j.  Quoiqu'il  en  soit, 
nous  ne  pouvons  nous  empêcher  d'admirer  cette  page  de  notre  auteur 
si  pleine  de  boa  sens,  de  vigueur  et  d'ironie. 


yÔ  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

«  lui  »  (i).  (Jean,  5.)  Et  puis  de  même  que  ce  n'est 
pas  honorer  les  œuvres  de  Dieu  que  d'agir  avec 
trouble  et  anxiété,  parce  que  Dieu  fait  toutes  ses 
œuvres  sans  aucun  trouble,  au  sein  d'une  paix 
constante  et  inaltérable  ;  ainsi,  ce  n'est  pas  honorer 
son  repos  que  de  se  livrer  à  une  oisiveté  complète, 
parce  que  Dieu  est  toujours  actif,  même  dans  son 
repos. 

Ajoutons  que  cette  façon  d'honorer  le  repos  et 
le  silence  de  Dieu,  ne  contribue  à  procurer  ni  sa 
gloire,  ni  le  salut  des  âmes  qui  tendent  à  la  per- 
fection. A  ces  âmes  on  a  essayé  de  persuader 
qu'elles  font  une  oraison  d'autant  plus  sublime 
qu'elles  sont  plus  engourdies  et  comme  abêties 
par  la  suppression  volontaire  de  toute  activité 
physique  et  intellectuelle.  Est-ce  donc  là  faire 
une  excellente  oraison  ?  est-ce  faire  même  une 
oraison,  que  de  ne  rien  considérer,  ne  rien  dési- 
rer, ne  rien  demander  ?  c'est  appeler  oraison  la 
négation  formelle  de  l'oraison,  c'est  donner  aux 
ténèbres  le  nom  de  lumière  et  qualifier  l'aveugle- 
ment de  claire  vision  :  qu'ils  fassent  un  pas  de 
plus  dans  ce  beau  raisonnement  et  ils  donneront 
le  nom  d'oraison  mentale  au  sommeil.  Ne  serait-il 
pas  plus  simple  d'avouer  que  certaines  âmes  sont 
incapables  de  faire  l'oraison  mentale  :  cette  fran- 
chise aurait  l'avantage  d'ôter  tout  prétexte  à  leur 
orgueil,  d'empêcher  les  simples  colombes  de 
s'égaler  aux  aigles  et  les  esprits  médiocres  de  se 

X,  Le  repos  dans  lequel,  d'après  la  Sainte-Ecriture,  Dieu  est  entré 
le  septième  jour,  n'est  pas  un  repos  absolu.  Chaque  jour  encore.  Dieu 
crée  un  grand  nombre  d'âmes  pour  les  unir  à  des  corps  et  rien  ne 
s'oppose  à  ce  qu'il  fasse  jaillir  du  néant  par  un  nouvel  acte  de  sa 
puissance  créatrice  des  mondes  nouveaux. 


DES   ATTRIBUTS   DE   DIEU  77 

prendre  pour  des  intelligences  vigoureuses.  Cer- 
tes Jésus-Christ  qu'ils  prennent  pour  modèle  dans 
leur  inaction  (eux,  disent  :  dans  leur  sécheresse), 
Jésus-Christ  ne  fut  Jamais  oisif,  et  il  n'est  pas 
plus  exact  de  dire  qu'il  se  croisa  les  bras,  qu'il 
ne  serait  vrai  d'affirmer  en  parlant  sans  figure 
qu'il  les  eût  croisés,  quand  il  était  en  croix.  Pas 
même  à  cette  heure  de  suprême  abandon,  il 
n'omet  de  produire  des  actes  d'adoration  en  pré- 
sence de  son  Père,  à  qui  il  s'offrait  en  sacrifice 
par  un  acte  d'ardente  charité  pour  les  hommes, 
pour  qui  il  mourait  de  grand  cœur.  Si  l'exemple 
des  courtisans  était  de  nature  à  faire  plus  d'im- 
pression sur  ces  théologiens,  je  leur  citerais  celui 
des  Séraphins  d'Isaïe,  qui  sans  jamais  s'arrêter, 
agitent  leurs  ailes  devant  le  trône  de  Dieu  et  se 
renvoient  les  uns  aux  autres  ce  cri  :  «  Sainte 
«  saint,  saint  est  le  Seigneur,  le  Dieu  des  ar- 
«  mées.  »  (Is.,  6.)  Est-ce  là  de  l'oisiveté  ?  Pour- 
quoi dès  lors  vouloir  entretenir  les  âmes  dans 
cette  inaction  ?  Pourquoi  les  flatter  en  leur  faisant 
prendre  leur  langueur  et  leur  misère  pour  une 
sublime  oraison  ?  C'est  tout  au  plus  un  acte  de 
patience  dont  leur  fournit  l'occasion  leur  impuis- 
sance spirituelle,  ou  un  acte  de  foi  en  la  présence 
de  Dieu,  à  peine  ébauché. 

Apprenez  par  ces  considérations  à  ne  pas  croire  à 
tout  esprit  et  à  ne  pas  accepter  toute  sorte  de 
direction  spirituelle,  mais  craignez  les  illusions. 
Ne  vous  imaginez  pas  avoir  fait  l'oraison  de  Jésus 
crucifié  ou  des  bienheureux  Séraphins,  quand 
vous  n'avez  pas  même  eu  la  force  de  produire 
quelques    considérations    et    quelques    affections 


78  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

pieuses.  C'est  plutôt  le  cas  de  s'humilier  profon- 
dément et  de  confesser  devant  Dieu  son  impuis- 
sance. Puisque  vous  n'êtes  pas  propre  à  la  vie 
contemplative  adonnez-vous  davantage  à  la  vie 
active  et  suppléez  soit  par  l'oraison  vocale,  soit  par 
une  lecture  pieuse  méditée,  à  la  méditation  propre- 
ment dite  qui  n'est  pas  à  la  portée  de  tous  les 
esprits. 

III 

Voici  la  vraie  méthode  pour  honorer  la  paix,  le 
silence  et  le  repos  de  Dieu  :  je  l'emprunte  à  saint 
Thomas  (i)  qui  nous  la  donne  dans  son  traité  inti- 
tulé :  de  l'égalité  d'âme.  Un  autre  trait  de  la  vie 
de  Dieu,  dit-il,  c'est  qu'il  ne  se  trouble  jamais.  Si 
l'Ecriture  sainte  parle  de  sa  colère  et  de  sa  fureur, 
elle  ne  veut  pas  dire  qu'il  s'irrite  et  se  trouble, 
mais  qu'il  châtie  le  péché  ou  qu'il  punit  l'âme  par 
la  soustraction  des  grâces.  Mais  il  demeure  impas- 
sible, parce  qu'il  n'a  à  lutter  contre  aucune  résis- 
tance, parce  que  sa  nature  est  d'une  simplicité 
parfaite  et  qu'elle  jouit  d'une  inaltérable  félicité. 

Notre  devoir  est  aussi  de  nous  préserver  de  tout 
trouble,  autant  que  possible,  parce  qu'il  n'y  a  que 
peu  ou  point  de  grâce  divine  dans  une  âme 
inquiète  et  agitée.  Pour  parvenir  à  cet  état,  il  faut 
que  notre  esprit  se  lixe  énergiquement  en  Dieu, 
qu'il  l'aime  d'un  amour  fort  comme  la  mort  :  car 
il  y  a  en  elfet  un  amour  qui  a  la  vertu  de  causer  en 
nous  une  espèce  de  mort,  qui  nous  rendra  comme 
aveugles  en  présence  de  certaines  oeuvres  du  pro- 
chain et  comme  sourds  à  certaines  de  ses  paroles 

t.  Œquanimitas,  Opusc.  63. 


DES   ATTRIBUTS   DE   DIEU  79 

méchantes  et  injurieuses.  Votre  cœur  ne  doit  pas 
s'arrêter  à  de  telles  vilenies,  mais  imiter  David  qui 
disait  :  «  Et  moi,  semblable  à  un  sourd,  je 
«  n'écoutais  pas  et  fêtais  comme  un  muet  qui 
«  n'ouvre  pas  la  bouche.  »  (Ps.  37.)  Contentons- 
nous  de  nous  appliquer  au  service  de  Dieu  et 
abandonnons  les  autres  à  leur  propre  conscience, 
au  jugement  de  leurs  supérieurs  et  en  dernier  lieu 
à  la  vengeance  de  Celui  qui  a  dit  :  «^  moi  laven- 
«  geance,  elle  éclatera  en  son  temps.  »  (Heb.,  10.) 

On  voit  combien  cette  méthode  de  saint  Tho- 
mas l'emporte  sur  celle  que  nous  avons  com- 
battue ;  elle  a  l'avantage  d'être  une  vraie  et  sincère 
imitation  de  la  paix  ineffable  de  Dieu,  d'humilier 
les  âmes  jusqu'à  ces  profondeurs  où  doit  résider 
l'humilité,  de  les  ennoblir  glorieusement  par  le 
mérite,  de  les  rendre  supérieures  enfin  à  ces  agita- 
tions de  la  terre,  à  ces  inquiétudes  auxquelles 
sont  en  proie  la  plupart  des  âmes  et  qui  à  chaque 
instant  leur  ravissent  leur  paix  intérieure. 

Mon  désir  sera  donc  d'honorer  et  d'imiter  le 
repos  de  Dieu,  en  travaillant  fidèlement  aux 
œuvres  qui  ont  pour  objet  son  service,  sans 
m'inquiéter  aucunement  des  obstacles  qui  me 
viendront  de  la  part  du  monde.  Seigneur  Jésus 
qui,  au  milieu  d'ennemis  sans  nombre,  n'avez 
jamais  perdu  la  sérénité  de  votre  âme,  ni  la  paix 
de  votre  cœur,  vous  qui  nous  avez  dit  :  «  Appre- 
«  ne^  de  moi  que  je  suis  doux  et  humble  de 
«  cœur  et  vous  aure\  trouvé  le  repos  de  vos 
«  âmes,  »  (Matt.  11),  pacifiez  nos  cœurs  par  le  don 
de  votre  sainte  grâce  et  de  la  vertu.  O  Roi  paci- 
fique  qui  «   à  votre  entrée  dans  le  monde,  ave\ 


8o  'la  théologie  affective 

«  annoncé  la  paix  à  ceux  qui  étaient  près  et  à 
«  ceux  qui  étaient  loin^  (Ephes.,  2),  donnez-nous 
la  paix  avec  votre  Père,  par  une  entière  soumis- 
sion à  sa  volonté  ;  la  paix  avec  les  bons  par  la 
conformité  d'une  vie  sainte  ;  la  paix  avec  les 
mauvais  et  les  turbulents  par  la  patience  au  milieu 
des  injures  et  des  afflictions.  Donnez-nous  la  paix 
au-dedans  de  nous-mêmes,  par  l'exercice  de  toutes 
les  actions  vertueuses  que  notre  état  nous  prescrit, 
afin  que  de  cette  paix  toute  spirituelle  nous 
passions  à  la  paix  glorieuse  de  votre  paradis. 


Xlir  MÉDITATION 

DE  L'INCOMPRÉHENSIBILITÉ 
DE  DIEU 


SOMMAIRE 

Dieu  ne  peut  être  connu  parfaitement —  ni  par 
la  lumière  de  la  raison  —  ni  par  la  lumière 
de  la  foi  —  ni  par  la  lumière  de  la  gloire. 

I 

LA  lumière  de  la  raison  est  capable  de  connaître 
Dieu,  mais  non  de  le  comprendre,  c'est-i\- 
dire  de  l'embrasser  entièrement  et  parfaitement. 
L'esprit  qui  n'est  éclairé  que  de  la  lumière  natu- 
relle, effleure  cet  objet  divin,  mais  ne  le  pénètre 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU 


pas  ;  elle  ne  l'aperçoit  que  de  loin  à  travers  des 
obscurités  profondes  et  à  travers  le  voile  des 
créatures.  Cette  connaissance  naturelle  n'aboutit 
qu'à  de  fortes  conjectures  (i)  sur  l'existence  de 
Dieu,  sur  son  unité,  sa  toute-puissance,  sa 
sagesse,  sa  bonté,  l'infinité  de  ses  perfections.  Elle 
prend  pour  point  de  départ  ce  fait  que  Dieu  est 
par  la  création  l'auteur  de  ce  monde  si  beau  ;  qu'il 
est  sa  providence  et  son  soutien.  Au  delà  de  cette 
connaissance,  l'esprit  humain,  s'il  est  privé  de 
tout  autre  secours,  est  aux  abois  et  à  bout  de 
forces  ;  il  n'ignore  pas  qu'il  y  a  bien  d'autres 
vérités  plus  élevées  à  connaître  sur  Dieu,  mais  le 
soufllc  lui  manque  pour  aller  plus  loin.  De  môme 
que  la  fumée  est  un  indice  de  la  présence  du  feu, 
mais  ne  nous  révèle  pas  sa  nature,  son  pouvoir 
d'éclairer,  de  réchauffer,  de  purifier  et  de  sécher  ; 
de  même  encore  que  la  vue  d'un  tableau  suffit  à 
faire  connaître  l'existence  d'un  peintre,  mais  ne 
nous  révèle  rien  sur  ses  qualités  naturelles,  sur 
sa  taille,  sur  sa  couleur,  ainsi  les  créatures  nous 
révèlent  l'existence  de  Dieu,  mais  sont  muettes 
sur  sa  nature  intime.  C'est  pour  cela  qu'après 
avoir  étudié  Dieu  dans  la  créature,  il  nous  reste  à 
connaître  la  Trinité  des  personnes,  ce  que  Dieu  a 
décrété  et  accompli  et  une  infinité  de  perfections 

I.  Rectifioni  sur  ce  point  notre  auteur:  il  semble  méconnaître  la 
vraie  portée  de  la  raison  humaine.  Le  Concile  du  Vatican  déclare  la 
raison  capable  de  «  démontrer  les  fondements  de  la  foi  »,  (Const. 
dogm.  sur  la  foi  cath.  ch.  4),  et  dans  une  définition  dogmatique  il 
revendique  pour  elle  le  droit  d'établir  avec  certitude  la  vérité  de 
l'existence  de  Dieu.  «  Si  quelqu'un  dit  que  la  lumière  naturelle  de  la 
«  raison  ne  peut  connaître  avec  certitude,  d'après  ce  qui  a  été  fait, 
«  un  seul  et  vrai  Dieu,  notre  créateur  et  maître  ;  qu'il  soit  ana- 
«  thème.  {Ibid.  de  la  révél.  can.  i.) 

Bail,  t.  i,  6 


82  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

qui  seront  toujours  hors  de  la  portée  de  notre 
raison,  dût-elle  se  consumer  en  essais  et  en  efforts 
pour  y  atteindre.  Il  est  évident  en  effet,  que  plus 
les  objets  de  notre  connaissance  sont  élevées,  plus 
notre  esprit  éprouve  de  difficulté  à  les  comprendre? 
ainsi  la  nature  des  anges  nous  est  moins  connue 
que  la  nature  des  bêtes.  Or,  la  grandeur  de  Dieu 
est  au-dessus  de  tout.  Il  est  donc  évident  que  la 
raison  est  trop  faible  pour  le  comprendre. 

Je  m'humilierai  en  constatant  la  faible  portée 
de  mon  esprit  et  son  impuissance  en  face  d'un 
objet  si  éminent.  Et  puisque  la  lumière  naturelle 
n'est  pas  suffisante  pour  le  bien  connaître,  je  lui 
demanderai  la  lumière  de  la  foi  et  de  la  sainte 
théologie,  qui  me  donnera  sur  lui  des  notions 
plus  étendues.  Seigneur,  j'avoue  en  votre  présence 
mon  ignorance,  je  veux  faire  des  progrès  dans 
votre  connaissance,  mais  la  lumière  naturelle,  au 
lieu  d'éclairer  ma  marche,  me  conduit  dans  les 
ténèbres  et  m'engage  dans  un  labyrinthe  où  mon 
esprit  se  perd.  Vous,  mon  Dieu,  vous,  le  soleil  des 
âmes  qui  vous  cherchent,  vous  qui  illuminez  tout 
homme  venant  en  ce  monde,  «  faites  rayonner 
t(  sur  voire  serviteur  la  lumière  de  votre  visage^ 
(Ps.  3o),  faites-moi  part  dans  une  large  mesure 
de  votre  science,  accordez-moi  d'y  faire  des  pro- 
grès, afin  d'être  à  même  de  vous  louer  plus 
hautement  et  de  vous  adorer  plus  profondément. 

II 

Dieu  est  connu  par  une  autre  lumière,  par 
celle  de  la  foi  ;  mais  il  demeure  incompréhensible 
à  l'esprit  même  éclairé  de  cette  lumière,  et  ne  se 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  83 

laisse  saisir  même  alors,  ni  entièrement,  ni  parfaite- 
ment. Comme  la  science  d'un  homme  très  instruit 
surpasse  celle  d'un  enfant  qui  ne  sait  encore  que 
bégayer;  comme  la  clarté  du  soleil  l'emporte  sur 
celle  de  la  lune,  autant  et  plus  la  lumière  de  la  foi 
dépasse  celle  de  la  raison.  Elle  nous  découvre  les 
beautés  inénarrables  d'un  seul  Dieu  en  trois  Per- 
sonnes, des  propriétés  et  des  subsistances  de  ces 
Personnes,  de  leurs  relations  et  de  leurs  aspira- 
tions, ainsi  que  certains  mystères  concernant  la 
prédestination  et  la  réprobation  ;  autant  de  vérités 
que  la  raison  n'a  jamais  pu  découvrir. 

Malgré  cela,  la  lumière  de  la  foi  ne  nous  révèle 
pas  tous  les  jugements  et  tous  les  décrets  de 
la  volonté  divine.  Saint  Paul  bien  qu'éclairé  de 
cette  lumière  ne  laisse  pas  de  s'écrier  :  «  O  Dieu  ! 
«  Que  vos  jugements  sont  incompréhensibles^ 
«  et  que  vos  desseins  sont  impénétrables  !  » 
(Rom.,  II.)  Remarquez  aussi  que  tout  ce  que  cette 
lumière  nous  découvre,  ne  nous  est  montré  que 
dans  une  demi-clarté  seulement,  à  travers  un 
nuage  et  jamais  dans  le  plein  jour  de  l'évi- 
dence. Est-ce  que  Dieu  craindrait,  que,  s'il  expo- 
sait tous  les  jours  son  Essence  à  la  vue  de  tous,  le 
respect  dû  à  sa  Majesté  eût  à  en  souffrir?  Non  cer- 
tes. Cette  appréhension  se  conçoit  chez  les  rois  de 
la  terre,  parce  qu'ils  ont  des  défauts  et  qu'ils 
doivent  craindre  de  les  laisser  paraître,  en  se  pro- 
duisant trop  souvent  en  public,  et  d'affaiblir  parla 
le  respect  que  leur  doivent  leurs  sujets.  Dieu  n'a 
pas  de  semblables  raisons  pour  habiter  une 
lumière  inaccessible  et  pour  se  rendre  de  difficile 
accès  à  notre  esprit,  car  plus  il  sera  connu,  plus 


S4  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

il  excitera  l'admiration.  Ce  qu'il  aurait  plutôt 
à  craindre,  ce  serait  que  l'homme  ébloui  par  l'éclat 
d'une  intelligence  beaucoup  trop  parfaite  pour  lui, 
ne  s'enflât  de  l'orgueil  de  la  science,  à  l'exemple  de 
Lucifer,  qui  s'abîma  dans  l'éclat  de  la  beauté 
divine  par  l'orgueil  qu'il  en  conçut  (i).  Peut-être 
aussi  le  dessein  de  ce  Dieu  très  juste  est-il  de 
réserver  la  connaissance  évidente  de  lui-même 
comme  récompense  pour  lésâmes  vertueuses  dans 
l'autre  vie  :  c'est  la  raison  pour  laquelle  il  nous  la 
refuse  dans  cette  vie  et  ne  se  laisse  voir  qu'autant 
qu'il  est  nécessaire  pour  faire  naître  dans  notre 
âme  un  amour  capable  de  mériter  la  claire  vue  de 
son  Essence.  Dieu  est  donc  incompréhensible 
même  pour  la  foi. 

Vois  donc,  ô  mon  âme,  combien  est  sublime  ton 
espérance  !  Il  n'en  est  pas  de  ce  bien  dont  tu  attends 
la  satisfaction  de  tous  tes  désirs,  comme  des  biens 
de  ce  monde  :  ceux-ci  on  les  estime  toujours 
au-delà  de  leur  valeur  réelle;  mais  l'estime  que  nous 
pouvons  concevoir  des  biens  célestes  sera  toujours 
hors  de  toute  proportion  avec  un  tel  objet  et  res- 
tera infiniment  au-dessous  de  son  mérite.  «  Lœil 
«  fC a  pas  vu^V oreille  n'a  pas  entendu^  le  cœur 
«  ri  a  jamais  compris  ce  que  Dieu  prépare  à 
«  ceux  qui  Vaiment.  »  (I.  Cor.,  2.)  O  fin  qui 
n'aura  pas  de  fin  !  quand  aurons-nous  franchi  tous 
les  obstacles  que  nous  opposent  les  créatures  ? 
quand  vous  aurons-nous  atteint?  quand,  désormais 
en  possession  de  votre  grandeur  infinie,  cesserons- 
nous  d'espérer?  la  foi  ne  fait  qu'irriter  le  désir  que 
nous  avons  de  vous  connaître.  Donnez-nous,  Sei- 

I.  Grég.  de  Naz.,  or.,j4. 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  85 

gneur,  une  lumière  plus  grande  encore,  qui 
nous  permette  de  vous  contempler  plus  à  notre 
souhait. 

III 

Dieu  demeure  incompréhensible  même  à  la  lu- 
mière de  la  gloire  :  cette  lumière  est  celle  qui  per- 
met au  bienheureux  de  contempler  TEssence  divine 
d'une  manière  directe  et  intuitive,  en  elle-même^ 
sans  intermédiaire,  face  à  face,  comme  un  homme 
en  regarde  un  autre  placé  devant  lui.  Sans  la  vision 
du  ciel.  Dieu  n'eût  été  connu  que  de  lui-même  ; 
les  privilèges  admirables  de  son  Etre,  sa  beauté 
infinie  eussent  toujours  été  voilés  par  l'excès 
même  de  sa  splendeur  qui  aveugle  tous  les  esprits 
créés.  Dieu  ne  Ta  pas  voulu  :  c'eût  été  priver  d'un 
bien  infini  des  millions  de  créatures  :  il  a  donc 
décrété  de  se  montrer  tel  qu'il  est  à  tous  les  anges 
et  à  toutes  les  âmes  béatifiées  et  de  leur  proposer 
son  Essence  comme  objet  de  leur  contemplation 
éternelle,  non  toutefois  sans  les  avoir  préalable- 
ment mis  par  la  lumière  de  la  grâce  à  la  hauteur 
d'un  si  beau  spectacle. 

Et  cependant  l'Etre  divin  est  si  sublime  qu'il 
reste  incompréhensible  même  à  l'intelligence  éclai- 
rée de  la  lumière  de  la  gloire,  la  plus  vive  et 
la  plus  pénétrante  de  toutes  les  lumières.  Il  est 
vrai  que  les  bienheureux  sont  appelés  compréhen- 
seurs^  mais  c'est  improprement  et  uniquement 
pour  faire  entendre  qu'ils  ont  atteint  le  but 
suprême  de  leur  vie,  qui  est  la  vue  claire  de  Dieu. 
Mais  ils  ne  sont  pas  compréhenseurs  selon  la 
rigueur  du  terme  comprendre^  qui  signifie  con- 


86         LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

naître  une  chose  aussi  parfaitement  qu'elle  peut 
être  connue.  Dieu,  en  effet,  se  connaît  lui-même 
plus  parfaitement  qu'il  n'est  connu  des  bienheu- 
reux :  leur  vision  n'embrasse  pas  tout  ce  qui  est  en 
Dieu  ou  formellement  ou  éminemment,  de  telle 
sorte  que  rien  n'échappe  à  la  pénétration  de  leur 
esprit.  Celui  qui  fixe  son  regard  sur  le  soleil,  voit- 
il  par  cela  même  tous  les  effets  qui  dépendent  de 
rinfluence  de  cet  astre  ?  connaît-il  tous  les  ani- 
maux et  toutes  les  plantes  qu'il  peut  faire  croître, 
tous  les  minéraux  qu'il  peut  former,  toutes  les 
régions  qu'il  peut  éclairer  ?  Ces  bienheureux  eux 
aussi,  bien  qu'admis  à  contempler  le  soleil  de 
la  divinité,  ne  voient  pourtant  pas  tout  ce  qui  est 
du  ressort  de  sa  puissance.  Ils  sont  à  la  source 
d'eau  vive  et  là  satisfont  la  soif  de  tous  leurs 
désirs,  mais  sans  jamais  épuiser  cette  source 
même  pendant  une  éternité  ;  toujours  l'ardeur  de 
leur  soif  est  extrême  et  toujours  ils  trouvent  à  la 
satisfaire  avec  délices.  Qu'arriverait-il  s'il  leur  était 
donné  d'épuiser  cette  source  de  la  vérité  par  une 
connaissance  totale  ?  sans  doute  leur  joie  serait 
immense,  mais  il  semble  qu'elle  serait  diminuée 
d'autre  part  ;  car  leur  ardeur  serait  éteinte,  il  est 
vrai,  et  leur  désir  rassasié  par  la  compréhension, 
mais  comme  celui  qui  a  épuisé  la  source  d'eau 
vive  ne  ressent  plus  le  plaisir  qu'il  éprouvait 
en  buvant  de  cette  eau  avec  avidité  et  en  étan- 
chant  sa  soif  ardente,  la  satiété  serait,  d'après 
quelques  théologiens,  le  terme  de  leur  bonheur. 

Quoiqu'il  en  soit  de  cette  opinion,  je  découvre 
ici.  Seigneur,  une  preuve  de  votre  inestimable 
grandeur,   car  quoique  vous   produisiez  en  nous 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  87 

une  lumière  prodigieuse  pour  nous  permettre  de 
vous  connaître,  il  arrive  que  ni  la  nature,  ni  la 
grâce,  ni  la  gloire  ne  peuvent  vous  égaler  ni  vous 
comprendre.  Je  reconnais  aussi  que  cette  incom- 
préhensibilité  constitue  pour  moi  le  plus  grand 
bien  ;  car,  quelle  plus  grande  joie  que  de  penser 
que  le  sujet  de  sa  joie  est  infini  et  inépuisable, 
que  c'est  un  abîme  de  délices  sans  fond  ni  rives. 
Quel  contentement  !  Quel  ravissement  me  prépare 
cette  infinité  !  Le  feu  de  l'amour  brûlera  sans 
cesse  et  le  désir  de  vous  posséder  trouvera  toujours 
sa  satisfaction  d'autant  plus  délicieuse  que  votre 
Essence  est  moins  compréhensible. 


XIV^  MÉDITATION 

DE  LA  VISION  DE  DIEU 


SOMMAIRE 

Trois  choses  sont  requises  pour  voir  Dieu  : 
Vœil  de  Vânic  —  la  lumière  de  la  gloire  —  la 
présence  de  Dieu. 

I 

LA  première  chose  requise  pour  voir  Dieu, 
c'est  l'intelligence  :  pour  le  voir,  il  faut  une 
faculté  de  voir,  un  œil  :  ce  ne  peut  pas  être  l'oeil 
du  corps  qui  est  incapable  de  percevoir  un  objet 
spirituel  tel  que  l'Essence  divine.  De  même  que 


88  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

le  bruit  ne  peut  être  perçu  par  les  yeux,  parce 
qu'il  n'est  pas  l'objet  propre  de  la  vue,  ainsi 
l'Essence  divine  ne  peut  être  considérée  des  yeux 
du  corps,  parce  qu'elle  n'est  pas  l'objet  propre  de 
la  vision  corporelle.  Donc  la  première  chose  requise 
pour  voir  Dieu,  c'est  l'œil  spirituel,  c'est-à-dire 
une  intelligence  angélique  ou  humaine  ;  l'intelli- 
gence est  seule  capable  de  voir  l'Essence  divine  à 
découvert  et  face  à  face. 

Je  dis  que  l'intelligence  est  capable  de  voir  Dieu  : 
la  première  raison,  c'est  que,  si  l'œil  (i)  peut  per- 
cevoir tout  objet  visible,  l'intelligence  pourra  à 
plus  forte  raison,  puisqu'elle  est  une  faculté  bien 
supérieure  à  la  vue,  percevoir  tout  objet  intelligible. 
Or,  l'objet  le  plus  intelligible  qui  existe,  c'est  Dieu. 
Il  remplit  dans  le  monde  intellectuel  un  rôle  sem- 
blable à  celui  du  soleil  dans  l'ordre  matériel. 
Rien  n'est  visible  à  un  plus  haut  degré  que  le  soleil  : 
ainsi  rien  n'est  intelligible  autant  que  Dieu,  aucun 
objet  n'offre  à  l'esprit  autant  de  réalités  à  considé- 
rer, à  la  condition  toutefois,  qu'il  se  trouve  des 
esprits  assez  purs  et  assez  puissants  pour  cela. 

Une  autre  raison,  c'est  que  l'âme  est  capable 
d'une  connaissance  imparfaite  de  Dieu  :  elle  con- 
naît en  effet  plusieurs  de  ses  attributs;  elle  perçoit 
les  créatures  et  par  elles  s'élève  jusqu'au  Créateur. 
Or,  il  ne  répugne  pas  que  l'imparfait  se  perfec- 
tionne, qu'il  possède  un  jour  ce  qui  lui  manque 
pour  le  moment.  D'où  je  conclus  que,  puisque  nos 
facultés  naturelles  sont  capables  d'une  certaine 
connaissance  de  Dieu,  en  établissant  leur  raison- 
nement sur  les  créatures,  il  n'y  a  rien  d'impossible 

X.  Grég.  Naz.  Or.  40. 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  89 

à  ce  que  Dieu  perfectionne  par  un  acte  de  sa 
puissance  nos  facultés  intellectuelles  et  les  rende 
capables  de  le  considérer  directement  et  dans  son 
Essence. 

La  troisième  raison,  c'est  que  l'homme  porte  en 
lui  un  désir  naturel  de  voir  Dieu.  Tout  ce  qu'il 
connaît  de  Dieu,  par  les  lumières  de  la  nature  et 
par  celles  de  la  foi,  ne  suffit  pas  à  rassasier  ce 
désir,  mais  a  plutôt  pour  effet  de  l'irriter.  Nous 
constatons,  en  effet,  qu'il  suffit  d'avoir  une  connais- 
sance imparfaite  d'une  chose,  pour  éprouver  le 
désir  de  la  mieux  connaître.  Mais  un  désir  naturel 
ne  saurait  être  vain  :  Dieu  seul  peut  l'avoir  mis 
dans  notre  âme,  et  comme  sa  sagesse  ne  fait  rien 
sans  but,  il  faut  que  ce  désir  soit  un  jour  assouvi. 
Notre  intelligence  est  donc  capable  de  voir  l'Essence 
divine. 

Enfin  nous  remarquons  que  le  soleil  et  le  feu 
font  rayonner  leur  lumière  à  une  plus  grande 
distance  que  leur  chaleur  (i)  :  ainsi  Dieu,  vrai  feu 
et  vrai  soleil,  ne  pourra  pas  moins  répandre  sa 
lumière  qui  nous  permet  de  le  voir,  qu'il  ne  répand 
sa  chaleur  pour  enflammer  notre  amour.  Or,  dès 
cette  vie  il  répand  hors  de  lui  sa  chaleur  pour 
embraser  les  âmes  qui  s'attachent  au  souverain 
bien.  Pourquoi  donc  ne  pourrait-il  pas  faire  rayon- 
ner hors  de  lui-même  sa  lumière  pour  permettre  à 
ces  âmes  de  contempler  sa  souveraine  beauté  ? 
Pour  toutes  ces  raisons  l'homme  peut  parvenir  à 
voir  Dieu. 

Je  puiserai  dans  cette  considération  un  motif 
d'espérance  :  ce  n'est  donc  pas  en  vain,  ô  mon 

I.  Marsil.  Fie,  1.  18  de  Theol.  Platon. 


go  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Dieu,  que  je  m'attends  à  voir  votre  face  incompa- 
rablement belle.  Je  ne  prétends  donc  pas  à  l'impos- 
sible, ce  n'est  donc  pas  après  un  bien  imaginaire 
que  je  soupire.  O  Seigneur,  «  firai  et  je  verrai 
«  cette  grande  vision.  »  (Ex.  3.)  O  mon  Dieu,  que 
l'homme  doit  vous  être  reconnaissant  pour  lui 
avoir  donné  cet  œil  de  l'intelligence  qui  peut  être 
élevé  jusqu'à  la  sublime  vision  de  votre  divinité. 
C'était  déjà  un  grand  bienfait  d'avoir  incrusté  dans 
ma  tête  deux  yeux,  pour  me  permettre  d'admirer 
les  merveilles  de  la  création  :  mais  je  dois  estimer 
beaucoup  plus  cet  œil  unique  de  l'intelligence,  que 
j'ai  reçu  de  vous  pour  pouvoir  vous  contempler 
éternellement.  Je  vous  en  remercie  donc  et  je  me 
propose  de  le  conserver  dans  une  pureté  parfaite, 
de  ne  plus  l'occuper  à  tant  de  vains  spectacles, 
puisqu'il  est  destiné  à  une  si  haute  fonction. 

II 

La  seconde  chose  requise  pour  voir  Dieu,  c'est 
la  lumière  de  la  gloire.  L'œil  du  corps  a  besoin  de 
lumière  pour  voir  les  objets  :  de  même  l'esprit 
créé  a  besoin,  pour  considérer  l'Essence  divine,  de 
la  plus  belle  de  toutes  les  lumières  du  monde  :  la 
théologie  l'appelle  la  lumière  de  la  gloire.  C'est 
pour  lui  un  renfort  sans  lequel  il  lui  serait  aussi 
impossible  de  contempler  l'Essence  divine  qu'il 
l'est  au  hibou  et  aux  oiseaux  nocturnes  de  fixer  le 
soleil  en  plein  midi  :  l'œil  de  ces  oiseaux  est  trop 
faible  pour  soutenir  de  si  vives  clartés  qui  le  for- 
cent à  se  fermer  ou  l'aveuglent.  Quelque  chose  de 
semblable  se  passe  pour  l'intelligence  humaine  : 
exposée  sans  secours  aux  splendeurs  de  l'Essence 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  gi 

divine,  elle  en  est  aveuglée  et  ne  voit  rien,  parce 
que  Tobjet  est  trop  au-dessus  de  ses  forces  et  de 
sa  capacité  naturelle.  Il  est  donc  nécessaire  qu'elle 
soit  renforcée  par  une  qualité  surnaturelle,  que 
nous  appelons  la  lumière  de  la  gloire.  Cette 
lumière  perfectionne  l'intelligence  et  de  l'union 
des  deux  résulte  une  puissance  complète  qui  est 
capable  de  contempler  face  à  face  la  divinité.  Elle 
ennoblit  à  tel  point  le  sujet  qui  la  reçoit  qu'il 
devient  déiforme.  Par  le  fait  de  l'irradiation  de 
cette  lumière  dans  les  profondeurs  de  l'àme,  l'in- 
telligence est  promue  à  un  état  nouveau.  En  elle 
s'accomplit  une  transformation  semblable  à  celle 
qui  d'un  homme  ferait  un  ange,  si  la  chose  était 
possible  :  ce  serait  un  heureux  changement  de 
condition  et  une  élévation  à  un  degré  d'être  supé- 
rieur. L'intelligence  ainsi  ennoblie  devient  plus 
forte  et  capable,  mais  à  cette  condition  seulement, 
de  contempler  Tlnfini,  et  de  porter  sans  faiblir  le 
poids  de  tant  de  splendeurs.  Enfin  cette  lumière 
ne  reste  pas  un  seul  instant  inactive,  dès  qu'elle 
brille  dans  l'esprit  de  l'homme,  elle  le  ravit  dans 
la  contemplation  de  la  divinité,  de  cette  Essence 
qui  est  immense  et  présente  en  tout  lieu,  et  forme 
en  lui  la  vision  de  Dieu.  C'est  là  la  lumière  que 
l'Eglise  souhaite  aux  âmes  des  trépassés,  quand 
elle  demande  à  Dieu  dans  ses  prières  de  faire  res- 
plendir sur  eux  l'éternelle  lumière. 

O  très  douce  lumière  !  qui  pourra  jamais  vous 
estimer  à  votre  prix  !  qui  vous  désirera  jamais  au- 
tant que  vous  êtes  désirable  !  O  lumière  magnifi- 
que, je  vous  considère  comme  plus  précieuse  que 
tous  les  trésors   de   l'univers  !   O    bienheureuse 


92  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

lumière  qui  réjouissez  toute  la  cité  céleste  et  com- 
blez d'une  joie  ineffable  les  anges  et  les  âmes  des 
élus,  quand  donc,  hélas  !  jouirai-je  de  vous,  sans 
qui  ma  vie  n'est  qu'une  mort  !  O  mon  âme,  quand 
seras-tu  revêtue  de  cette  glorieuse  et  aimable 
splendeur  !  Et  à  quoi  tient-il  donc,  que,  comme  un 
beau  cristal,  tu  reçoives  cette  lumière  et  t'en  laisses 
pénétrer  tout  entière  ?  Serait-ce,  ô  mon  Dieu, 
parce  que  «  nul  homme  vivant  ne  pourra  jamais 
vous  voir  ?  (Ex.  33.)  Ah  !  Seigneur,  qu'à  cela  ne 
tienne  I  J'estime  plus  que  ma  vie,  le  moindre  rayon 
de  cette  admirable  lumière  :  et  que  m'importe  de 
me  séparer  de  ce  corps  grossier  et  ténébreux,  si 
mon  âme  doit  être  inondée  d'une  telle  clarté  !  O 
mon  Seigneur  !  accordez-la  moi  et  je  vivrai  désor- 
mais à  l'abri  de  toute  tristesse  et  de  toute  misère 
et  mon  âme  sera  heureuse  de  ne  plus  respirer 
qu'en  vous  seul. 

III 

La  troisième  condition  pour  voir  Dieu,  c'est  la 
présence  de  l'objet,  c'est-à-dire  de  l'Essence  divine, 
dans  l'intelligence  éclairée  de  cette  lumière.  En 
effet  pour  voir  les  objets  matériels,  il  ne  suffit  pas 
à  l'homme  d'avoir  des  yeux  et  de  la  lumière,  il  est 
nécessaire  aussi  que  l'objet  soit  présent,  c'est-à- 
dire,  à  portée  des  yeux  :  de  même  pour  voir  Dieu 
avec  l'intelligence  éclairée  de  la  lumière  de  la 
gloire,  la  présence  de  l'Essence  divine  dans  notre 
esprit  est  requise.  Or  remarquons  que  cette  su- 
blime Essence  est  nécessairement  présente  dans 
tous  les  êtres  créés,  et  par  conséquent  dans  l'esprit 
de  l'homme.  Elle  concourt  donc  par  sa  présence 


DES   ATTRIBUTS   DE   DIEU  qS 

qui  est  continuelle,  à  cette  vision  à  laquelle  elle 
sert  à  la  fois  de  but,  d'objet  et  de  ravissant  specta- 
cle. 

Mais  comment  s'accomplit  cette  communication 
de  Dieu  à  l'intelligence  ?  là-dessus,  les  théologiens 
ne  sont  pas  d'accord.  L'Essence  divine  imprimé-t- 
elle ou  même  peut-elle  imprimer  dans  l'esprit  une 
espèce  intelligible,  qui  serait  une  image  d'elle- 
même  au  moyen  de  laquelle  l'intelligence  produi- 
rait l'acte  de  la  vision,  comme  cela  a  lieu  pour  les 
yeux  du  corps  qui  ne  perçoivent  l'objet  matériel 
qu'à  l'aide  d'une  image  venue  de  l'objet  lui-même? 
Ou  bien  faudrait-il  dire  que  l'Essence  divine 
est  vue  sans  le  secours  d'aucune  espèce  ni  d'au- 
cune image  ?  Dieu  permet  ces  controverses,  afin 
que  les  hommes  occupent  plus  fréquemment  et 
plus  longuement  leur  esprit  à  l'étude  de  ces  sujets 
si  élevés.  Seule  l'expérience  tranchera  dans  le  ciel 
cette  difficulté  et  nous  fera  connaître  la  vérité. 
Nous  nous  arrêterons  cependant  à  l'opinion  du 
Docteur  angélique  que  nous  considérons  comme 
plus  probable  :  il  croit  que  l'Essence  divine  sera 
vue  sans  espèce  intelligible  et  sans  image.  Qu'est 
en  effet  que  la  vision  de  Dieu,  sinon  une  union  très 
parfaite  de  l'intelligence  et  de  Dieu  ?  Or,  l'union 
parfaite  n'admet  pas  d'intermédiaire;  donc  il  est 
beaucoup  plus  vraisemblable  de  croire  que 
l'Essence  divine  est  vue  sans  image,  et  immé- 
diatement, telle  qu'elle  est  en  elle-même.  «  Main- 
«  tenant,  dit  saint  Paul,  nous  voyons  comme 
«  dans  un  miroir,  mais  alors  nous  verrons  face 
«  à  face  ;  je  n'ai  maintenant  qu'une  connais- 
«  sance  partielle,   mais  alors  je  connaîtrai  de 


94  LA  THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

«  Ja  même  manière  que  je  suis  connu.  »  (I.  Cor. 
i3.)  Or,  comment  Dieu  nous  connaît-il  ?  en  nous- 
même  et  non  en  tout  autre  chose.  Donc  nous 
connaîtrons  Dieu  en  lui-même  et  non  dans  une 
image  de  lui-même. 

O  mon  àme!  essaye-toi  à  être  dès  maintenant  ce 
que  tu  dois  être  un  jour.  Oh  !  que  de  merveilles 
dans  cet  abîme  qui  est  TEssence  divine  !  Que  de 
mystères  t'apparaîtront  alors  dans  la  Trinité  et 
dans  l'unité  divine  !  Que  de  beautés  uniques,  que 
de  sublimes  perfections  !  O  la  contemplation 
admirable  !  O  la  spéculation  ravissante,  que  nous 
permettra  cette  grande  union  !  O  joie,  ô  tressail- 
lement de  mon  cœur  !  ô  mon  Dieu,  que  je  n'aie 
plus  l'àme  occupée  que  de  cette  pensée  :  voir 
votre  Essence  !  O  Dieu  du  paradis,  que  vous  êtes 
beau  à  voir  !  ô  Jérusalem  triomphante,  plutôt 
oublier  ma  main  droite  que  vos  immortelles 
délices  !  Hélas  !  combien  je  suis  malheureux  de 
me  trouver  si  éloigné  de  ce  lieu  où  tant  d'âmes 
généreuses  sont  arrivées  avant  moi,  par  le  mépris 
des  choses  de  la  terre  !  Combien  de  temps 
demeurerai-je  privé  de  l'héritage  des  grandes 
âmes  et  des  enfants  de  Dieu  qui,  là-haut,  se 
rassasient  d'un  aliment  infiniment  délectable  ! 
Oh  !  combien  je  souhaiterais  qu'à  l'instant  môme 
où  je  pense  à  ces  joies,  fut  déchiré  le  voile  qui 
ravit  à  ma  vue  mon  très  aimable  Créateur. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  qB 

XV^  MÉDITATION 

DU  NOM  DE  DIEU 


SOMMAIRE 

On  ne  peut  donner  à  Dieu  un  nom  qui  Vex- 
prime  parfaitement  —  mais  nous  pouvons  lui 
donner  des  noms  qui  traduisent  la  connais- 
sance très  imparfaite  que  nous  avons  de  sa 
nature  —  principaux  noms  que  les  saints  et 
les  théologiens  lui  ont  donnés. 

I 

DIEU  est  innommé,  c'est-à-dire  qu'il  n'y  a  pas 
de  nom  assez  significatif  pour  exprimer 
parfaitement  ce  qu'il  est,  précisément  parce  qu'il 
n'existe  pas  d'esprit  assez  puissant  pour  se  le 
représenter  dans  ses  conceptions,  selon  toute 
sa  grandeur  et  toute  sa  perfection.  Quand  il  s'agit 
des  objets  spirituels,  l'àme  s'en  fait  une  idée  plus 
exacte  en  se  retirant  dans  son  sanctuaire  pour  y 
réfléchir  seule,  qu'en  interrogeant  les  sens  ;  mais 
Dieu,  elle  ne  peut  pas  même  le  comprendre  parce 
moyen;  à  plus  forte  raison  ne  peut-elle  pas  l'expri- 
mer par  les  sens  et  par  la  parole.  Par  le  fait  même 
que  nos  conceptions  sont  trop  étroites  pour  em- 
brasser un  sujet  d'une  telle  étendue,  nos  paroles 
aussi  sont  trop  bornées  pour  dire  ce  qu'il  est.  Le 
peintre  le  plus  habile  et  le  plus  expérimenté  ne 
représente  jamais  sur  la  toile  ce  qu'il  ne  connaît 


96  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

pas  OU  ce  dont  il  ne  peut  se  faire  une  idée  claire. 
Pour  ce  motif  aussi  l'homme  est  impuissant  à  tra- 
duire ce  que  Dieu  est,  non  seulement  dans  un  seul 
nom,  mais  même  en  employant  une  multitude 
comme  infinie  de  noms  et  en  les  entassant  les  uns 
sur  les  autres.  Supposons  que  toutes  les  sciences 
humaines  eussent  poursuivi  depuis  le  commence- 
ment du  monde  ce  but,  que  tous  les  philosophes, 
tous  les  poètes  et  tous  les  théologiens  n'eussent  fait 
que  cela  :  parler  de  Dieu;  et  qu'ils  continuent  à  le 
faire  jusqu'à  la  fin  des  siècles,  Dieu  resterait  bien 
au-dessus  de  leurs  louanges  et  ils  n'auraient  rien 
dit  au  prix  de  ce  qu'il  est.  Ceci  est  vrai  de  Dieu  con- 
sidéré selon  son  Etre  total,  mais  c'est  vrai  encore 
si  on  ne  veut  considérer  qu'une  seule  de  ses  per- 
fections ;  il  y  a  tant  de  merveilles  et  de  grandeurs 
dans  un  seul  de  ses  attributs,  que  si  tous  les  anges  et 
aussi  toutes  les  âmes  avaient  entrepris  d'écrire  tout 
ce  qu'on  peut  en  dire,  en  supposant  qu'elles  puis- 
sent se  servir  en  guise  d'encre  de  toutes  les  eaux 
de  la  mer  et  comme  parchemin  de  l'immense 
voûte  des  cieux,  leur  encre  serait  épuisée  et  leur 
parchemin  rempli  avant  qu'ils  eussent  exprimé  la 
cent  millième  partie  d'un  seul  attribut.  Que 
serait-ce  donc  s'ils  s'agissait  de  mettre  par  écrit 
tout  ce  qu'on  peut  dire  sur  tous  les  attributs  de 
Dieu  ?  Comptez  tous  les  titres  d'honneur  et  tous 
les  éloges  incomparables  que  lui  ont  décerné 
les  esprits  glorieux  et  qui  nous  raviraient  si  nous 
les  entendions,  ajoutez  toutes  les  louanges  et  tous 
les  noms  admirables  que  continuent  de  kii  donner 
et  que  lui  donneront  jusqu'à  la  fin  des  siècles,  ces 
Esprits  dont  l'intelligence  est  éclairée  de  si  vives 


DES   ATTRIBUTS   DE   DIEU  97 

clartés  et  le  cœur  embrasé  d'un  si  ardent  amour 
dans  la  vision  face  à  face  ;  eh  bien  !  tout  cela, 
même  à  leur  propre  jugement,  est  bien  au-dessous 
des  grandeurs  de  Dieu  ;  ils  estiment  que  toutes 
leurs  paroles  ne  sauraient  Jamais  égaler  les  perfec- 
tions infinies  de  Dieu.  Dieu  seul,  parce  qu'il 
se  comprend  lui-même,  est  capable  de  se  nommer 
et  de  s'exprimer  parfaitement  ;  c'est  ce  qu'il  fait 
par  son  Verbe  infini,  qui  est  la  vivante  image 
et  l'expression  totale  de  ses  grandeurs. 

O  Dieu  inexprimable  et  ineffable  !  vous  êtes  infi- 
niment grand  et  digne  de  louanges  infinies.  O  roi 
immense  !  les  esprits  et  les  langues  défaillent  à  la 
pensée  de  ce  que  vous  méritez  :  comment  donc 
moi,  misérable  pécheur,  ai-je  entrepris  de  vous 
rendre  visible,  vous  qui  êtes  invisible,  et  de  vous 
faire  connaître,  vous  dont  la  nature  a  des  secrets 
pour  les  séraphins  ?  Pardonnez-moi,  Seigneur, 
c'est  le  désir  que  j'ai  de  vous  faire  honorer  qui  m'a 
porté  à  cet  acte  de  présomption,  et  votre  extrême 
bonté  qui  permet  à  des  aveugles  de  disserter  sur  la 
lumière,  m'a  encouragé  à  parler  de  vous,  qni  êtes 
la  vraie  lumière,  mais  que  je  ne  vois  pas  encore. 
Je  l'ai  fait  toutefois  avec  cette  conviction  qu'on  ne 
peut  rien  dire  de  vous  qui  ait  une  proportion 
quelconque  avec  votre  infinie  grandeur.  Daignez 
avec  ma  très  humble  prière  agréer  l'aveu  de  ma  fai- 
blesse comme  une  satisfaction  offerte  pour  ma 
témérité  :  que  Tétonnement  dans  lequel  me  jette 
votre  infinité,  uni  aux  plus  profonds  hommages 
de  mon  âme,  supplée  à  toute  la  faiblesse  de  mes 
paroles. 

Bail,  t.  i.  4 


gS  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

II 

Bien  que  Dieu  soit  ineffable,  bien  qu'aucun  nom 
ne  l'exprime  totalement,  nous  devons  néanmoins, 
dans  la  mesure  du  possible,  nous  efforcer  de  lui 
décerner  des  noms  et  des  titres  d'honneur.  Dieu, 
en  effet,  s'il  ne  nous  est  pas  connu  parfaitement, 
l'est  cependant  jusqu'à   un  certain  point,   dit   le 
Docteur   séraphique   (i),  et  par  conséquent  nous 
pouvons  l'exprimer  au  moins  d'une  manière  impar- 
faite et  nommer  quelques  traits  de  son  Essence  et 
de  ses  perfections.  Serait-il  raisonnable  de  renoncer 
à  une  portion  d'héritage,  sous  prétexte  qu'on  ne 
peut   l'avoir   tout  entier  ?  Serait-ce   le   fait   d'un 
homme  sage,  de  vouloir  être  privé  entièrement  de 
la  vue,,  parce  qu'on   n'aurait  pas  des  yeux  aussi 
pénétrants  que  ceux  des  lynx  et  des  aigles  ?  Pareil- 
lement l'homme  serait  blâmable,  s'il  ne  voulait 
donner  aucun  nom  de  louange  à  son  Dieu,  sous 
prétexte  qu'il   est  ineffable   et  qu'on   ne    peut   le 
qualifier  d'un  mot  qui  traduise  toute  sa  grandeur. 
Ce  serait  un  silence  criminel,  une  omission  impie  : 
en  refusant  de  rien  révéler  des  richesses  du  Créa- 
teur, il  y  a  au  moins  une  chose  qu'on  révélerait,  à 
savoir",  l'ingratitude  d'une  créature  qui  ne  veut  pas 
contribuer  à  la  louange   et  à   l'honneur  de    son 
Créateur.    Dieu   certes    ne  peut   grandir   en  lui- 
même,  mais  il  grandit  dans  notre  esprit  par  l'idée 
que  nous  concevons  de  lui  et  nos  idées  se  tradui- 
sent par  des  sons  articulés,  par  la  parole.  Celui 
donc  qui  ne  lui  donne  aucun  nom,  prouve  par  là, 
qu'il  n'a  aucune  idée  de  lui  et  qu'il  est  l'ennemi  de 
sa  gloire. 

I.   I  Sent*  d.  3,  art.  i,  q.  t« 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  99 

Enfin  nous  sommes  trop  obligés  de  procurer  sa 
gloire,  pour  ne  vouloir  rien  y  mettre  du  nôtre  : 
c'est  pour  sa  gloire  qu'il  nous  a  créés  et  que  nous 
irons  en  paradis,  c'est  donc  à  cette  gloire  que  nous 
devons  et  notre  création  et  nos  espérances.  Or, 
bien  que  la  gloire  de  Dieu,  en  ce  qui  nous  regarde, 
consiste  premièrement  dans  la  haute  estime  que 
nous  concevons  pour  ses  grandeurs,  toutefois  cette 
haute  estime  est  cachée  et  sans  éclat,  aussi  long- 
temps qu'elle  est  retenue  dans  l'intérieur  de  nous- 
mêmes  et  ne  se  manifeste  pas  par  la  parole.  Cette 
gloire  gagne  à  paraître  au-dehors,  à  se  manifester 
extérieurement,  parée  de  noms  et  de  titres  magni- 
fiques comme  d'un  manteau  précieux.  C'est  donc 
notre  devoir  de  nous  employer  à  la  manifester  et  à 
la  faire  éclater  au-dehors.  C'est  ce  que  font  nos 
louanges,  et  les  noms  glorieux  que  notre  langue 
prononce  et  que  notre  plume  écrit,  lui  forment 
comme  un  riche  vêtement. 

Efforçons-nous  donc  de  donner  à  Dieu  des  noms 
glorieux;  célébrons  ses  grandeurs  à  perte  d'haleine. 
«  Chantons  notre  Dieu,  parce  qu'il  a  fait  éclater 
«  sa  grandeur  et  sa  gloire.  »  (Ex.  i5).  «  Loue\  le 
«  Seigneur^  que  son  nom  soit  béni,  maintenant 
«  et  à  jamais.  »  (Ps.  112).  «  Seigneur,  vous 
«  ouvrirez  mes  lèvres  et  ma  bouche  proclamera 
«  vos  louanges.  »  (Ps.  5o).  Les  orgueilleux  se 
loueront  eux-mêmes,  s'ils  veulent,  les  flatteurs 
essayeront  de  nous  faire  prendre  pour  des  vertus 
les  vices  des  rois  de  leur  siècle,  les  Républiques 
honoreront  leurs  fondateurs  ;  je  veux  que  ma  bou- 
che chante  vos  louanges.  Seigneur,  et  non  les 
miennes,  ni  celles  de  tout  autre  que  vous  :  vous 


100        LA  THÉOLOGiË  AFFECTIVE 

serez  l'unique  objet  de  mes  chants.  «  Aussi  long- 
«  temps  que  mon  cœur  battra^  je  chanterai  les 
«  louanges  de  mon  Dieu.  »  (Ps.  145).  Car  qui 
êtes-vous,  ô  mon  Dieu,  sinon  le  Seigneur  Dieu 
souverain,  tout  bon,  tout  puissant,  tout  juste,  tout 
miséricordieux?  Et  que  signifie  ce  que  nous  disons 
de  vous,  ou  ce  que  dit  n'importe  quel  homme,  qui 
veut  parler  de  vous,  ô  mon  Dieu,  la  sainte  douceur 
de  ma  vie  ?  Si  nous,  qui  parlons  le  plus  de  vous, 
nous  sommes  comme  muets  eu  égard  à  vos  perfec- 
tions, malheur  à  ceux  qui  n'essayent  même  pas  de 
bégayer  quelque  louange  en  votre  honneur  !  (i). 

III 

Considérez  la  diversité  des  noms  de  Dieu.  De 
tous  temps,  les  saints  se  sont  occupés  à  l'envie  à 
lui  donner  les  plus  beaux  noms.  Les  théologiens 
hébreux  lui  en  ont  donné  jusqu'à  72.  Les  théolo- 
giens chrétiens  n'ont  pas  été  moins  prodigues, 
mais  ils  les  rangent  dans  trois  catégories,  selon  les 
trois  voies  par  lesquelles  nous  arrivons  à  la  con- 
naissance de  Dieu. 

Nous  le  connaissons  d'abord  par  voie  de  causa-' 
lité.,  c'est-à-dire,  comme  principe  de  tous  les  êtres; 
et  sous  ce  rapport,  nous  l'appelons  le  Créateur,  la 
Cause  des  causes,  l'Origine  de  toutes  choses,  l'Etre 
des  êtres,  le  Prévoyant,  le  Juste,  le  Miséricordieux. 

Secondement,  nous  connaissons  Dieu  par  voie 
de  négation^  c'est-à-dire  en  niant,  quand  nous 
parlons  de  lui,  toute  imperfection.  A  ce  point  de 
vue,  nous  l'appelons  Tlnlini,  l'Immense,  l'Immor- 
tel, l'Incompréhensible,  enfin  rinefiablc. 

X.  s.  Aug.  Conf.  I.  t.  c.  4. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  lOI 

En  troisième  lieu,  nous  connaissons  Dieu  par 
voie  d'êminence,  c'est-à-dire  comme  possédant  à 
un  degré  éminent  tout  ce  qu'a  la  créature ,  et  sous 
ce  rapport  nous  le  nommons  l'Essentiel,  la  Vie, 
le  Parfait,  l'Admirable  par  excellence.  Toute  cette 
diversité  de  noms  s'est  accrue  dans  le  cours  des 
siècles  et  dans  les  divers  états  de  la  nature  hu- 
maine. Sous  la  Loi  ancienne  qui  était  sévère,  où 
Dieu  traitait  les  hommes  comme  des  serviteurs, 
plutôt  par  la  crainte  que  par  l'amour,  on  donnait 
à  Dieu  des  noms  que  la  crainte  seule  inspirait.  Le 
patriarche  Jacob  l'appelle  «  la  terreur  »  (Gen.  35); 
Néhémias  «  le  Dieu  du  ciel^  le  Fort^  le  Grande 
«  le  Terrible  »  (ii,  Esd.,  i.)  Dans  la  nouvelle  Loi, 
pleine  de  la  bénignité  et  de  l'humanité  de  Jésus- 
Christ,  les  âmes  se  sont  laissé  entraîner  par  leur 
ardente  dévotion,  jusqu'à  lui  donner  des  noms 
d'amour  :  elles  l'ont  appelé  leur  Amour,  leur  Bien, 
leur  Espoir,  leur  Douceur,  leur  Désir. 

Le  divin  saint  Denys  (i)  approuve  particulière- 
ment que  Dieu  soit  appelé  la  Bonté.  Le  désir  que 
nous  avons,  dit-il,  d'exprimer  par  la  parole  quel- 
que chose  de  cette  ineffable  nature,  nous  porte  à 
lui  consacrer  ce  nom  qui  est  le  plus  auguste  et  le 
plus  saint  des  noms.  Ajoutons  que  les  noms  que 
nous  devons  prononcer  le  plus  fréquemment  sont 
ceux  qui  sont  composés  d'un  mélange  égal  de 
crainte  et  d'amour  et  dans  une  si  juste  proportion 
qu'ils  ne  causent  aucun  préjudice  ni  au  respect  ni 
à  l'amour  (2).  Tel  est  le  nom  de  Père,  tel  celui  de 
Seigneur,  celui  de  Miséricorde,  tel  le  nom  si  fré- 

I.  De  dit,  nom,  c.  i}. 

3.  Gerson,  De  Theol.  myst.  p.  3.  ind.  x. 


102        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

quemment  employé  de  Dieu  :  il  signifie  :  celui  qui 
voit  et  qui  aime^  car  Dieu  voit  tout  et  aime 
ardemment  ses  créatures  :  on  peut  admirer  dans 
ce  nom  un  mélange  harmonieux  de  crainte  et 
d'amour. 

Cette  grande  variété  de  noms  glorieux  attribués 
à  Dieu  me  comble  de  joie.  Ah  !  si  sur  la  terre,  où 
on  le  connaît  si  peu,  on  lui  donne  tant  de  noms, 
que  sera-ce,  en  paradis  ?  O  Dieu,  quel  ravissement 
d'entendre  pendant  toute  Téternité  les  louanges  et 
les  bénédictions  que  les  bienheureux  vous  adres- 
sent !  O  Seigneur,  j'aspire  au  ciel,  pour  y  jouir  du 
bonheur  d'entendre  Jésus  et  Marie  vous  y  louer 
plus  magnifiquement,  j'y  aspire  pour  le  bonheur 
de  respirer  cet  air  qui  retentit  d'une  si  délicieuse 
mélodie  et  aussi  de  vos  noms  très  bénis  connus  de 
vos  élus  seuls.  Oh  !  dès  maintenant  j'unis  mon 
cœur  à  leur  cœur,  et  mon  amour  vous  donne  tous 
les  noms  admirables  qu'ils  vous  donnent  et  vous 
donneront  dans  les  siècles  des  siècles. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  lo3 

XVr  MÉDITATION 

DE  LA  SCIENCE  DE  DIEU 


SOMMAIRE 

Dieu  a  une  science  infinie  —  qui  comprend  la 
science  de  simple  intelligence,  la  science 
moyenne  et  la  science  de  vision.  —  La  science 
de  Dieu  est  très  avantageuse  à  Dieu  et  aux 
créatures. 

I 

DIEU  possède  une  science  très  parfaite.  En 
voici  la  raison  :  Dieu  est  une  substance 
spirituelle,  dégagée  du  corps  et  de  la  matière,  la 
plus  haute  et  la  plus  sublime  de  toutes  les  subs- 
tances. De  là  nous  concluons  que  Dieu  doit  être 
intelligent  et  savant  au  plus  haut  degré.  En  effet 
au  dernier  degré  de  l'échelle  des  êtres  se  trouvent 
les  substances  insensibles  et  incapables  de  toute 
science  :  les  plus  nobles  des  créatures  sont  celles 
qui  jouissent  de  la  sensation  et  de  Tintelligence. 
Or  Dieu  est  au  plus  haut  degré  de  perfection  parmi 
toutes  les  substances.  Il  faut  donc  qu'il  ait  une 
science  en  proportion  de  cette  noblesse,  c'est-à-dire 
la  science  la  plus  excellente  qui  se  puisse  ima- 
giner. 

De  plus,  la  science  est  une  perfection  qui  n'im- 
plique aucun  défaut  :  c'est  un  des  avantages  les 
plus   précieux    qui   soient   au    monde  ;   tous   les 


104  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

hommes  bien  nés  qui  ont  goûté  les  joies  qu'elle 
procure,  la  souhaitent  avec  une  telle  ardeur  qu'ils 
ne  se  déclarent  jamais  rassasiés  de  science  :  chez 
eux  le  désir  des  lumières  est  plus  insatiable  que 
chez  l'avare  celui  de  l'or  et  de  la  richesse.  Jamais 
leur  regard  ne  se  lasse  de  découvrir  de  nouvelles 
vérités,  ni  leurs  oreilles  de  les  entendre.  Or,  Dieu 
est  absolument  parfait,  c'est-à-dire  qu'il  possède 
toutes  les  perfections  qui  n'impliquent  rien  d'in- 
digne de  lui.  Il  a  donc  une  science  parfaite. 

De  plus.  Dieu  est  le  Père  des  lumières,  l'auteur 
des  sciences,  c'est  lui  qui  les  distribue  largement, 
qui  en  a  fait  don  à  tous  les  anges  et  à  un  grand 
nombre  d'hommes  ;  c'est  lui  qui  a  donné  aux  ani- 
maux les  sens  et  cet  instinct  naturel  qui  leur  tient 
lieu  de  science,  lui  qui  les  dirige  dans  la  poursuite 
des  biens  qui  conviennent  à  leur  nature,  d'une 
manière  aussi  sûre  que  s'ils  jouissaient  de  la 
raison.  Or,  dit  le  roi  David:  «  Celui  qui  a  planté 
«  l'oreille^  fi  eniendra-t-il  pas  ?  et  celui  qui  a 
«  formé  Vœil^  sera-t-il  aveugle  ?  »  (Ps.  gS.) 
Comment  «  le  Seigneur  des  sciences  »  en  man- 
querait-il ? 

Enfin  le  grand  rôle  que  Dieu  remplit  en  ce 
monde,  dont  il  est  le  Créateur,  le  Roi,  le  Protec- 
teur et  le  Juge  souverain,  suppose  en  lui  une 
science  de  toutes  choses  éminente,  une  sagesse 
consommée  et  une  prudence  infaillible.  Car  quel 
ordre  pourrait-il  y  avoir  en  ce  monde,  s'il  était 
sous  la  conduite  d'un  aveugle  et  dans  quel  affreux 
précipice  n'iraient  pas  s'engloutir  toutes  les  créa- 
tures si  une  main  habile  ne  les  dirigeait  ?  Dieu  a 
donc  une  science  infinie  et  n'ignore  rien. 


DES   ATTRIBUTS   DE   DIEU  Io5 

Vous  êtes  très  digne  de  gouverner  ce  monde,  ô 
Dieu,  dont  la  sagesse  est  si  haute.  Si  autrefois  on 
estimait  heureuses  les  Républiques  qui  avaient 
des  sages  pour  chefs  et  pour  conducteurs  (i),  le 
monde  entier  doit  se  trouver  heureux  d'être  sous 
la  conduite  d'une  sagesse  infinie  comme  la  vôtre. 
Ils  sont  dignes  de  pitié  ceux  qui  blâment  le  plan 
de  votre  gouvernement  et  en  censurent  les  actes, 
quand  ils  ne  sont  pas  à  leur  gré.  Seigneur,  quoi 
qu'il  arrive  au  milieu  des  vicissitudes  des  temps 
et  des  événements,  je  dirai  toujours  :  Gouvernez, 
Seigneur,  gouvernez  toutes  choses  :  votre  sagesse 
est  infinie  ;  tandis  que  la  raison  humaine  est  igno- 
rante, insolente,  impie,  quand  elle  ose  vous 
reprendre  et  murmurer  contre  telles  de  vos  dispo- 
sitions qui  paraissent  léser  leurs  intérêts. 

II 

Considérez  en  second  lieu  l'étendue  de  la  science 
de  Dieu  «  Sa  sagesse  est  sans  bornes  »  (Ps.  146), 
dit  le  saint  roi  David.  Par  un  seul  acte  de  son 
intelligence  infinie,  il  connaît  tout  ;  semblable  à 
celui  qui  se  trouverait  au  sommet  d'une  montagne 
très  élevée  et  qui  verrait  d'un  seul  regard  tout  ce 
qui  se  passe  à  ses  pieds.  Il  a  connu  tous  les 
objets  des  sciences  en  moins  de  temps  qu'il  n'en 
faut  à  un  homme  pour  prononcer  un  mot  de  deux 
syllabes,  une  seule  syllabe  même. 

Toutefois,  de  même  qu'une  science  est  divisée 
en  traités  pour  plus  de  méthode,  la  science  divine 
très  une  et  très  simple  en  elle-même,  est  divisée 
en  trois  espèces  pour  être  plus  aisément  comprise. 

I.  Platon.  1,  5.  de  Repubhc. 


Io6  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

T  ■■■-    ■■-I...    I.l       I..-I.      I    I  ■■-lll.»..«    ■■    ■  I  —  —  ■  .1  ■        !■■■    I        ■     ■  ,  Mi 

La  première  est  appelée  science  naturelle  ou  de 
simple  intelligence  ;  la  seconde,  science  moyenne 
ou  des  conditionnels  ;  la  troisième,  science  libre 
ou  de  vision. 

Par  la  première  de  ces  sciences  qui  est  la  science 
naturelle  ou  de  simple  intelligence.  Dieu  est  le 
plus  grand  théologien  du  monde;  il  a  une  science 
infinie  de  la  nature  divine  :  par  elle  il  comprend 
son  Essence,  toutes  les  perfections  et  tous  les  êtres 
possibles  dont  le  nombre  est  infini  :  il  voit  des 
millions  de  mondes,  de  cieux,  de  soleils,  de  mers 
et  de  créatures  angéliques  ou  humaines  qu'il 
lui  est  possible  de  créer. 

La  science  moyenne  ou  des  conditionnels  vient 
logiquement  après  la  première,  dont  elle  est  une 
dépendance  ou  un  prolongement.  Dieu,  en  effet, 
puisqu'il  connaît  toutes  les  créatures  possibles, 
voit  tout  ce  qu'elles  seraient  et  tout  ce  qu'elles 
feraient,  s'il  les  créait,  et  s'il  les  mettait  dans  tel 
état,  dans  telle  condition,  dans  telles  conjonctures. 
Par  le  moyen  de  cette  science  il  voit  si  tel  monde 
qu'il  pourrait  créer  serait  meilleur  ou  pire  que 
le  monde  actuel  ;  il  voit  également  que  s'il  eût 
accordé  aux  habitants  de  Tyr  et  de  Sidon  les  grâ- 
ces qu'il  offrit  aux  juifs,  «  ils  auraient  fait  péni- 
«  tence  dans  la  cendre  et  dans  le  cilice.  » 
(Matt.,  II.)  En  un  mot  il  voit  clairement  ce  que 
nous  serions  dans  un  autre  temps  et  dans  un  autre 
état  que  celui  où  nous  sommes.  C'est  à  peu  près 
comme  un  père  qui  connaît  de  longue  main  le 
naturel  de  ses  enfants,  il  peut  juger  de  ce  qu'ils 
feraient  dans  tels  ou  tels  emplois  ;  mais  tandis  que 
son  jugement  est  simplement  probable,  Dieu  con- 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  IO7 

naît  de  science  certaine  les  événements  sans  nom- 
bre qui  peuvent  se  produire  concernant  chaque 
créature  en  particulier  et  dans  toutes  les  hypothè- 
ses possibles. 

Enfin  Dieu  voyait  tout  les  mondes  possibles,  et 
sachant  d'avance  comment  marcherait  le  monde 
actuel,  s'il  le  créait,  comme  de  fait  il  l'a  créé,  et 
s'il  faisait  descendre  tous  les  hommes  d'Adam  et 
d'Eve;  Dieu,  dis-je,  sachant  tout  cela,  décréta 
dans  ce  même  instant  éternel,  de  le  créer  ainsi  et 
pas  autrement  :  dans  ce  même  instant  il  vit  dans 
son  décret,  par  une  science  appelée  libre  ou  de 
vision,  toute  la  suite  des  événements  qui  devaient 
se  dérouler  dans  ce  monde,  tout  ce  qui  est  aujour- 
d'hui son  passé,  ainsi  que  son  présent  et  son  ave- 
nir. Il  connut  toutes  les  créatures  qui  viendraient 
à  la  vie,  les  grandes  et  les  petites,  les  esprits  et 
les  corps,  les  vivants  et  les  morts,  les  pensées 
et  les  actions,  l'intérieur  et  l'extérieur,  la  subs- 
tance et  les  accidents,  le  nombre  des  hommes  et 
les  noms  de  tous,  depuis  le  premier  jusqu'au  der- 
nier, le  nombre  des  vers  qui  sortiraient  de  leurs 
corps  pour  les  ronger,  le  nombre  des  pierres  elles- 
mêmes,  spécialement  de  celles  qui  serviraient  à 
bâtir  leur  tombeau  au  milieu  des  ombres  de  la 
mort.  Il  vit  enfin  toutes  les  pensées  qu'auraient 
les  anges  et  les  hommes  pendant  toute  l'éternité. 

O  profondeur  de  la  sagesse  divine  !...  «  Votre 
«  science  est  étonnamynent  élevée  au-dessus  de 
«  moi,  et  je  n'y  puis  atteindre.  »  (Ps.  i38.)  Avec 
bien  plus  de  raison  encore  que  la  reine  de  Saba, 
admirant  la  sagesse  de  Salomon,  je  m'écrierai  : 
<f.  Votre  sagesse  et  vos  œuvres  dépassent  même 


108  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

«  ce  que  la  renommée  nous  en  avait  appris.  » 
(m,  Rois,  10.)  Si  l'on  doit  respecter  les  savants, 
Vous,  de  quel  respect  ne  doit-on  pas  vous  hono- 
rer? S'il  est  raisonnable  de  tenir  compte  de  leurs 
conseils,  qui  refusera  de  se  soumettre,  pour  ainsi 
dire,  à  chaque  syllabe  qui  tombe  de  votre  bouche 
et  d'y  ajouter  foi  avec  un  profond  respect  ?  Sei- 
gneur, dans  mes  perplexités  et  dans  mes  angoisses, 
je  me  confierai  en  vous,  convaincu  que  vous  trou- 
verez dans  votre  science  mille  moyens  de  m'en 
délivrer. 

III 

Considérez  les  avantages  de  cette  connaissance, 
par  rapport  à  Dieu  et  par  rapport  aux  créatures. 

D'abord  c'est  pour  Dieu  un  ravissement  perpé- 
tuel de  se  considérer  toujours  lui-même  et  toutes 
ses  perfections,  aux  clartés  de  sa  science  admirable. 
S'il  ignorait  ses  beautés  et  ses  perfections,  il 
n'éprouverait  aucun  plaisir  à  les  posséder,  pas 
plus  que  le  soleil  n'en  éprouve  à  avoir  une  admira- 
ble lumière  qu'il  ne  connaît  pas,  pas  plus  que  n'en 
ressent  la  rose  pour  ses  belles  qualités  qu'elle 
ignore. 

Cette  science  est  encore  avantageuse  aux  créatu- 
res. Elles  lui  doivent  tout  le  bien  qu'elles  possè- 
dent, car  la  sagesse  divine  dirige  toutes  les  actions 
et  tous  les  attributs  de  Dieu  qui  regardent  les  créa- 
tures. Si  la  puissance  de  Dieu  crée  le  ciel  et  la 
terre,  c'est  sa  sagesse  qui  dispose  tout,  car  «  il  a 
«  créé  les  deux  avec  sagesse.  »  (Ps.  i35.)  Si  la 
miséricorde  pardonne,  c'est  la  sagesse  qui  lui  en  a 
donné  le  conseil.  Si  la  justice  juge  les  hommes, 


DES  ATTRIBUTS   DE   DIEU  10^ 

c'est  la  science  qui  préside  au  jugement,  pour  ren- 
dre à  chacun  selon  ses  mérites.  C'est  pour  cela 
que  la  science  de  Dieu  paraît  dans  toutes  ses  œu- 
vres :  elles  sont  toutes  réglées  et  ordonnées  par 
elle  qui  en  est  comme  l'artisan. 

Quelques-uns  se  sont  demandé  si  cette  science 
ne  nuisait  pas  d'une  certaine  façon  à  la  liberté  hu- 
maine :  comme  la  science  de  Dieu  est  infaillible,  il 
semble  qu'il  ne  doit  plus  rester  à  la  volonté  hu- 
maine d'autre  parti  que  de  faire  ce  que  Dieu  a 
prévu.  Cependant  l'expérience  prouve  que  la 
liberté  de  l'homme  n'en  est  pas  moins  réelle,  quoi- 
que Dieu  connaisse  la  détermination  à  laquelle 
elle  s'arrêtera.  Cette  science  divine  n'est  que  spé- 
culative par  rapport  aux  actions  volontaires  ;  elle 
ne  produit  dans  l'àme  aucune  impression  de  na- 
ture à  offenser  la  liberté,  pas  plus  que  la  connais- 
sance d'un  prophète  n'influe  sur  l'esprit  de  ceux 
dont  il  prédit  les  œuvres.  On  ne  saurait  attribuer 
non  plus  à  cette  science  les  malheurs  qui  arrivent 
aux  hommes.  Car,  dit  Théodoret  (i),  si  celui  qui 
voit  un  cheval  furieux  prendre  le  mors  aux  dents, 
renverser  son  cavalier  et  courir  vers  un  précipice, 
affirme  qu'il  va  y  tomber;  il  ne  vient  à  la  pensée 
de  personne  de  dire  que  s'il  y  tombe  en  effet,  c'est 
celui  qui  l'a  prévu  qui  en  a  été  la  cause.  Ainsi  se 
comporte  Dieu  à  l'égard  des  damnés  :  il  voit  qu'ils 
prennent  le  chemin  de  l'enfer,  en  violant  les  lois 
divines,  il  les  y  voit  tomber  :  sa  science  n'est 
pas  la  cause  de  ce  malheur.  Mais  clic  est  la  cause 
de  l'efiroi  qui  saisit  une  àme  à  la  pensée  que  ses 
mauvaises  actions  sont  vues  clairement  de  Dieu  : 

I.  In  cap,  8.  Epist.  ad  Rom, 


110  LA    THEOLOGIE     AFFECTIVE 

elle  est  aussi  un  motif  d'encouragement  pour  les 
âmes  vertueuses  qui  savent  qu'elles  ont  leur  Roi 
pour  témoin  et  pour  spectateur  de  leurs  bonnes 
actions.  Ainsi  la  pensée  de  la  science  divine  porte 
Fàme  au  bien  et  Téloigne  du  mal  :  c'est  là  un  des 
plus  grands  avantages  qu'on  puisse  imaginer. 

Très  haut  Seigneur,  je  me  réjouis  à  la  pensée 
que  votre  science  vous  procure  une  joie  infinie. 
Créatures  du  monde  entier,  louez  la  sagesse  de 
Dieu,  qui  vous  a  assigné  à  chacune  votre  place  et 
votre  rang  dans  l'univers.  Et  toi,  ô  mon  àme, 
honore  sans  cesse  cette  admirable  science,  ne  l'ou- 
trage pas  par  des  actions  coupables  qui  offense- 
raient sa  vue,  fais  toutes  les  œuvres  avec  réflexion 
et  sagesse.  Sois  courageuse,  ô  mon  âme,  comme  le 
soldat  qui  combat  sous  le  regard  de  son  roi  ;  car 
toi  aussi,  ton  Dieu  te  contemple  et  ne  te  perd 
jamais  de  vue.  Mais  ses  regards  sont  innocents 
des  crimes  que  tu  peux  commettre  :  ne  lui  impute 
jamais  la  cause  de  tes  malheurs,  rejette-la  bien 
plutôt  sur  tes  fautes. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  III 

XVir  MÉDITATION 

DES  IDÉES  DE  DIEU 

SOMMAIRE 
Nous  entendons  par  les   idées  de  Dieu  (i)  la 
forme  exemplaire  du  monde  ;  —  (ii)  la  con- 
naissance de  tous  les  possibles.  —  Dieu  n'a 
aucune  idée  du  péché. 

I 

LA  première  manière  d'entendre  les  idées  de 
Dieu,  c'est  de  concevoir  l'Essence  divine 
comme  le  modèle  universel  des  perfections  des 
créatures  ;  car,  dit  le  docteur  angélique  (i),  l'Es- 
sence de  Dieu  est  la  forme  exemplaire  de  toutes 
choses  :  de  sorte  que  en  Dieu  l'idée  n'est  autre 
chose  que  l'Essence  de  Dieu.  Qu'est  en  effet  que 
l'idée,  sinon  une  forme  ou  un  modèle  qu'on  con- 
sidère pour  le  reproduire  dans  une  œuvre.  Or, 
quand  Dieu  veut  produire  des  êtres,  il  ne  con- 
sidère aucun  modèle  hors  de  lui-même,  comme 
ferait  un  peintre.  Sur  ce  point  Aristote  (2)  a 
réfuté  Platon,  son  maître,  qui  admettait  des  idées 
subsistant  par  elles-mêmes,  en  dehors  de  Dieu  : 
il  s'en  excusait  en  disant  qu'un  philosophe  doit 
aimer  davantage  la  vérité  que  ses  amis.  L'Es- 
sence divine  suffit  donc  à  Dieu  ;  il  peut  façonner  et 
multiplier  à  l'infini  les  êtres  en  leur  imprimant 
quelques-uns  de  ses  propres  traits.  «  Nous  croyons  y 

I.  Q..  15.  art.  I. 
3.  L.  I.  Eth.  c.  4. 


112        LA  THEOLOGIE  AFFECTIVE 

«  dit  saint  Paul,  que  les  siècles  ont  été  ordonnés 
«  parlaparolede  Dieu,  de  telle  sorte  que  les  cho- 
«  ses  visibles  fussent  faites  selon  l'exemplaire 
«  invisible.  »  (Hebr.,  1 1.)  Veut-il  créer  l'ange,  être 
doué  d'intelligence  ?  il  voit  dans  son  Essence,  sa 
propre  intelligence,  comme  un  trait  qui  peut  être 
reproduit  dans  l'ange  à  créer  :  l'idée  de  l'ange 
n'est  dès  lors  rien  autre  chose  que  son  Essence 
considérée  comme  imitable  à  ce  point  de  vue. 
L'idée  de  l'homme,  qu'est-elle  aussi  sinon  cette 
même  Essence  considérée  comme  pouvant  être 
imitée  au  point  de  vue  de  la  faculté  de  concevoir  et 
de  vouloir  librement  ?  Nous  pouvons  appliquer  le 
même  raisonnement  à  toutes  les  autres  créatures 
et  dire  que  l'Essence  de  Dieu  est  l'idée  même  de 
ces  créatures,  selon  qu'elles  reproduisent  quel- 
qu'une de  ses  perfections  ;  on  peut  même  dire 
que  toute  leur  excellence  et  leur  noblesse  provient 
de  cette  ressemblance  qu'elles  ont  avec  Dieu.  Les 
créatures  placées  au  plus  bas  degré  de  l'échelle  de 
la  création,  celles  qui  n'ont  simplement  que  l'être, 
imitent  l'Essence  divine  dans  son  être;  celles  qui  à 
cette  première  qualité  en  ajoutent  une  seconde, 
celle  de  la  vie,  comme  les  plantes  et  les  arbres, 
imitent  Dieu  dans  sa  vie;  les  créatures  douées  de 
sensibilité,  l'imitent  dans  sa  connaissance  ;  les  créa- 
tures intelligentes  et  libres,  l'imitent  dans  son 
intelligence  et  dans  sa  liberté  ;  la  terre  l'imite  dans 
sa  stabilité;  l'eau,  dans  sa  pureté;  l'air,  dans 
sa  dillusion;  le  feu,  dans  son  activité;  les  cicux, 
dans  son  incorruptibilité  ;  en  un  mot,  il  n'y  a  pas 
une  seule  créature  qui  ne  reproduise  quelque 
ligne  ou  quelque   trait   de   la   face  de  son   Créa- 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  Il3 

teur,  et  qui  n'en  soit  ou  Timage  ou  l'empreinte. 
J'admirerai  cette  Essence  divine  en  qui  sont  réu- 
nies toutes  les  beautés  imaginables.  Certes,  nous 
admirerions  le  peintre  qui,  prenant  sa  face  pour 
unique  modèle,  saurait  produire  en  l'imitant,  des 
milliers  de  tableaux  où  se  trouveraient  toutes  les 
plus  grandes  beautés  de  l'univers,  et  nous  refuse- 
rions de  vous  admirer,  ô  mon  Dieu,  vous  qui  avec 
votre  face  comme  seul  modèle,  avez  pu  former 
tant  d'espèces  de  beautés  si  bien  assorties  que  la 
vue  de  ce  monde  nous  ravirait  tous  les  jours 
d'étonnement,  si  l'habitude  de  le  contempler  dès 
notre  enfance  n'avait  émoussé  en  nous  ce  senti- 
ment !  Quelle  joie  il  y  aura  à  voir  cette  suprême 
Essence,  ce  type  de  tant  de  beautés  actuelles  ou 
possibles,  que  le  monde  malgré  son  immense 
étendue  ne  serait  pas  capable  de  contenir  !  Oh  ! 
comme  nous  serons  dédommagés  par  ce  spectacle 
des  peines  momentanées  de  cette  vie  I  Comme  le 
rassasiement  du  cœur  humain  sera  plein  et  parfait! 
En  attendant  ce  bonheur,  je  vous  offre,  ô  mon 
Dieu,  tous  mes  hommages  en  votre  qualité  de 
cause  exemplaire  de  mon  être,  comme  de  tout 
être  créé. 

II 

Nous  entendons  en  second  lieu  par  idée  de 
Dieu,  la  connaissance  précise  qu'a  Dieu  de  toutes 
les  choses  possibles.  Quiconque  agit  avec  sagesse, 
commence,  avant  de  produire  un  ouvrage,  par  en 
faire  en  lui-même  le  dessin  et  l'image  :  par  exem- 
ple l'architecte  qui  veut  bâtir  un  édifice,  en  conçoit 
tout  d'abofrd  le  plan  dans  son  esprit.  A  plus  f#rte 
raison  Dieu  qui  agit  toujours  sagement  et  qui  ne 

Bail,  t.  i.  g 


114        LA  THEOLOGIE  AFFECTIVE 

laisse  rien  au  hasard,  a-t-il  conçu  avant  la  création 
du  monde,  le  modèle  et  le  type  de  tout  ce  qui  s'y 
trouve  :  sa  connaissance  lui  en  a  donné  une  repré- 
sentation exacte,  une  image  intérieure  et  comme 
une  peinture  immatérielle  :  ce  sont  là  proprement 
ses  idées.  //  est  l'Etre  infiniment  beau,  portant 
dans  son  esprit  un  monde  plein  de  beauté,  qu'il 
réalise,  en  tout  semblable  à  l'image  qui  est  en 
lui,  sans  s'en  écarter  d'une  ligne  (i).  L'aigle  des 
Evangélistes  a  pu  dire  que  «  ce  qui  a  été  fait 
«  était  vie  en  lui  »  (Jean,  i)  parce  que  le  modèle 
des  créatures  et  l'idée  qu'il  en  a,  est  en  lui  vivante, 
éternelle,  immuable  et  divine  ;  c'est  ainsi  que  ce 
qui  a  été  fait,  c'est-à-dire  le  type  d'après  lequel 
tout  a  été  créé,  était  vie  en  lui  de  toute  éternité. 
Et  tandis  qu'ordinairement  les  tableaux  n'égalent 
pas  la  perfection  de  l'objet  qu'ils  représentent,  car 
nous  voyons  que  le  portrait  d'un  homme  n'est  pas 
aussi  excellent  que  l'homme  lui-même,  il  en  va 
tout  autrement  en  Dieu  ;  les  représentations  des 
créatures  y  sont  si  nobles  et  les  idées  en  sont  si 
parfaites,  que  les  êtres  sont  infiniment  plus  excel- 
lents en  Dieu,  où  ils  sont  vie,  qu'en  eux-mêmes 
où  on  peut  dire  qu'en  comparaison  ils  sont  comme 
morts,  tant  ces  copies  sont  pâles  et  tant  la  ressem- 
blance est  effacée. 

Oh  !  quelle  surprenante  union  que  celle  qui 
existe  entre  Dieu  et  sa  créature  I  Ce  grand  Dieu 
ressemble  à  un  amant  passionné  ;  il  porte  les  créa- 
tures gravées  et  en  quelque  sorte  enchâssées  dans 
son  intelligence  comme  dans  un  très  pur  et  très 
brillant  diamant.  ((Je  t'ai  écrit  dans  mes  mains  » 

X.  lloctius,  de  Consolât,  1,  3.  q. 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  Il5 

dit-il  (Is.  49.)  O  mon  âme,  quel  trait  d'amour  chez 
ce  Dieu  plein  de  bonté,  que  de  garder  en  lui  toute 
Téternité  une  image  de  notre  être  et  de  nous  avoir 
formés  dans  le  temps  selon  cette  divine  image  ! 
Ah!  que  n'avons-nous  toujours  nous  aussi,  l'idée 
et  le  souvenir  de  Dieu  présent  dans  notre  esprit, 
pour  nous  exciter  à  l'aimer  de  tout  notre  cœur  ?  Si 
nous  poussons  la  dureté  de  cœur  jusqu'à  détour- 
ner notre  pensée  de  cet  Etre  aimable  et  jusqu'à  ne 
vouloir  aimer  que  nous-même,  eh  bien  !  soit  ; 
mais  aimons-nous  du  moins  à  la  manière  de  Nar- 
cisse ;  non  pas  toutefois  dans  le  cristal  d'une  eau 
froide  où  se  refléteraient  nos  traits,  mais  dans  le 
sein  de  cette  pure  Essence,  où  se  trouve  notre 
image  incréée,  toute  belle,  toute  vivante,  toute 
aimable.  O  mon  âme,  ne  t'aime  donc  plus  en  toi- 
même,  tu  es  trop  imparfaite,  trop  difforme,  aime- 
toi  en  ton  Dieu,  où  tu  es  réellement  divine  et 
ravissante  de  beauté  ;  aime-toi  dans  ce  grand 
miroir  sans  tache,  afin  qu'en  t'aimant,  ce  soit  ton 
Dieu  que  tu  aimes,  afin  que,  comme  lui,  tu 
deviennes  pure  et  sans  tache. 

Aime  aussi  ton  prochain  et  honore-le  selon 
l'être  admirable  qu'il  a  en  Dieu.  Si  à  tes  yeux  de 
chair  il  paraît  peu  digne  d'être  aimé,  considère-le 
avec  les  yeux  de  l'esprit  dans  cette  réalité  si  su- 
blime de  l'Idée  divine,  où  il  est  vivant  et  la  vie 
même.  O  le  pressant  motif  d'un  saint  amour  1 

III 

Dieu  n'a  aucune  idée  du  péché,  bien  qu'il  ait  de 
deux  manières,  comme  nous  venons  de  le  voir,  les 
idées  de  toutes  les  créatures  du  monde,  des  cieux. 


Il6  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

des  éléments,  des  anges  et  des  hommes,  des  ani- 
maux, des  arbres  et  de  toutes  les  productions  de 
la  nature. 

Car  premièrement,  s'il  est  vrai  que  son  Essence 
renferme  Tidée  d'un  être,  quand  on  la  considère 
comme  le  prototype  et  le  modèle  de  cet  être, 
selon  quelques  traits  de  sa  perfection  ;  il  est  cer- 
tain d'autre  part  que  cette  très  noble  Essence  ne 
renferme  rien  qui  puisse  être  le  modèle  du  péché, 
mais  bien  plutôt  tout  ce  qui  est  en  elle,  est  direc- 
tement et  formellement  opposé  au  péché,  car  l'être 
est  opposé  à  la  privation  de  l'être,  la  lumière  aux 
ténèbres.  En  effet  le  péché  n'est  autre  chose  dans 
une  âme  que  la  privation  de  Dieu  :  c'est  pour  cela 
qu'il  provoque  la  haine  et  le  courroux  de  Dieu. 
Dieu  donc  ne  voit  Jamais  dans  son  Essence  le  mo- 
dèle du  péché,  et  ainsi  il  n'en  a  pas  l'idée. 

Secondement,  bien  qu'il  ait  une  connaissance 
claire  et  précise  du  mal,  qu'il  ait  toujours  la  vue 
de  ce  monstre  épouvantable,  tant  qu'il  existe  dans 
les  âmes,  selon  cette  parole  :  «  il  a  mis  mes  ini- 
«  quités  devant  ses  yeux  »  (Ps.  89),  «  mes  fautes 
«  ne  lui  sont  pas  cachées  »  (Ps.  68);  toutefois  il 
ne  connaît  pas  le  péché  comme  une  chose  qu'il 
puisse  faire  :  il  n'est  ni  l'auteur  ni  l'artisan  du 
mal  ;  mais  il  est  au  contraire  son  ennemi  mortel, 
toujours  occupé  ou  à  le  détruire  ou  à  le  punir.  Or 
Dieu  a  seulement  l'idée  des  choses  qu'il  se  repré- 
sente comme  possibles  ou  réalisables.  Donc  lui  qui 
a  l'idée  des  bêtes  les  plus  affreuses,  des  serpents 
les  plus  horribles,  des  monstres  les  plus  hideux  et 
les  plus  difformes,  n'a  en  lui-même  aucune  idée 
du  péché. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  II7 

O  Essence  trois  fois  sainte,  que  j'apprenne  au- 
jourd'hui à  n'avoir  jamais  à  votre  exemple  aucune 
idée  du  péclié  !  si  la  pensée  m'en  vient,  que  ce  soit 
pour  le  pleurer,  pour  l'abhorrer,  mais  jamais  pour 
le  commettre.  Ah  !  perfide  imagination,  que  de 
fois  tu  m'as  représente  ce  monstre  digne  de  toute 
abomination,  sous  des  couleurs  trompeuses  !  Et 
vous,  Seigneur,  avec  vos  yeux  très  purs,  vous  avez 
vu  mon  âme  souillée  par  cette  infâme  idée  du 
péché  ;  vous  l'avez  vue  dans  cet  état  d'affreuse  lai- 
deur. Ah  !  mon  Dieu  !  combien  j'en  ai  le  regret 
maintenant  !  «  Oh  !  lave\-moi  de  plus  en  plus  des 
«  souillures  de  mes  iniquités  (Ps.  5o)  ;  imprimez 
de  nouveau  dans  mon  âme  votre  ressemblance  ; 
mettez-vous  vous-même  comme  un  sceau  sur  mon 
cœur,  afin  que  je  n'aie  plus  d'autre  pensée  ni  d'au- 
tre amour  que  vous. 

XVIir  MÉDITATION 

DE  LA  VÉRITÉ  DE  DIEU 

SOMMAIRE 
Dieu  a  la  vérité  (i)  de  Vêtre  —  (ii)  celle  qui  con- 
siste   dans    la   conformité  de    Vesprit  avec 
,  l'objet  connu  —  il  est  en  un  sens  le  seul  Etre. 

I 

DIEU  est  vrai,  c'est-à-dire  qu'il  a  la  vérité  de 
l'être.  Nous   disons  qu'un   être  est  vrai, 
quand  il  est  tel  qu'il  doit  être,  tel  qu'il  lui  convient 


Il8  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

d'être,  selon  l'idée  que  nous  avons  de  sa  nature. 
Or  Dieu  est  vrai  dans  ce  premier  sens  :  il  est  tel 
qu'il  doit  être,  il  a  en  lui  tout  ce  que  nous  pouvons 
concevoir  comme  convenant  à  sa  divinité,  comme 
lui  étant  propre.  Il  lui  convient  en  effet  d'être  spi- 
rituel, indépendant,  immortel,  infiniment  heureux, 
tout-puissant,  infiniment  savant,  créateur,  conser- 
vateur, gouverneur  de  tous  les  royaumes  du  ciel 
et  de  la  terre,  très  bon,  très  juste,  très  patient, 
très  miséricordieux  et  une  infinité  d'autres  choses. 
Or  Dieu  est  tout  cela  :  c'est  pourquoi  il  a  la  vérité 
de  l'Etre  divin,  il  est  vrai  Dieu. 

Au  contraire,  l'idole  qu'adorait  le  païen,  n'était 
pas  le  vrai  Dieu,  parce  qu'elle  ne  possédait  pas 
les  prérogatives  divines,  comme  l'or  que  fabrique 
l'alchimie  n'est  pas  un  or  vrai,  mais  une  contrefa- 
çon; car  il  est  dépourvu  des  propriétés  de  l'or 
véritable.  Toutes  les  qualités  que  Dieu  comme  tel 
doit  nécessairement  posséder,  il  les  possède  sans 
défaut;  tout  ce  que  l'esprit  des  hommes  les  plus 
éclairés  et  des  anges  les  plus  élevés  peut  imaginer 
comme  digne  de  Dieu,  Dieu  le  possède  à  un  degré 
souverain  de  perfection  ;  mieux  encore,  il  possède 
tout  ce  que  son  esprit  infini  peut  concevoir  et 
il  le  possède  sans  mesure  et  sans  restriction  d'au- 
cune sorte.  Il  a  donc  la  vérité  de  l'être  :  il  est  vrai 
Dieu. 

O  vrai  et  seul  vrai  Dieu,  en  dehors  de  qui  il  n'y  a 
point  d'autre  Dieu,  je  voudrais,  de  même  que  vous 
avez  la  plénitude  de  l'Etre  divin,  avoir  moi  aussi 
la  plénitude  de  mon  être  humain  :  je  veux  dire, 
être  tel  à  vos  yeux  qu'il  m'appartient  d'être  ;  être 
une  créature  vraiment  raisonnable,  dirigée  par  \a, 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  IIQ 

raison  dans  toutes  ses  actions,  puisque  ma  nature 
est  d'être  raisonnable.  Je  voudrais  vous  être  sou- 
mis en  toutes  choses,  puisque  telle  est  la  condition 
de  toute  créature  ;  je  voudrais,  oubliant  les  choses 
de  ce  monde,  n'aspirer  qu'à  vous  posséder,  vous 
qui  êtes  la  fin  pour  laquelle  j'ai  été  mis  au  monde. 
Hélas  !  que  nous  sommes  dégradés  !  nous  avons 
des  qualités  opposées  à  celles  que  nous  devrions 
avoir  :  nous  n'avons  pas  la  vérité  de  notre  être.  O 
Dieu  de  vérité  !  convertissez-nous,  afin  que  jamais 
nous  n'unissions  dans  un  même  amour  la  vérité  et 
le  mensonge,  mais  que  nous  aimions  la  vérité 
seule,  c'est-à-dire  que  nous  soyons  tels  qu'il  nous 
convient  d'être. 

II 

Dieu  est  vrai  d'une  seconde  manière  :  il  a  cette 
vérité  qui  consiste  dans  une  parfaite  conformité  de 
la  connaissance  avec  l'objet  connu  et  puis  aussi 
dans  la  conformité  de  la  parole  avec  cette  connais- 
sance :  ainsi  connaître  les  choses  telles  qu'elles 
sont,  et  les  exprimer  telles  qu'on  les  connaît,  voilà 
la  vérité.  Or,  il  est  hors  de  doute  que  Dieu  con- 
naît toutes  choses  sans  aucune  erreur  :  la  lumière 
très  brillante  et  très  pénétrante  de  son  intelligence 
infinie  ne  lui  permet  de  rien  ignorer,  ni  de  se 
laisser  séduire  par  quelque  trompeuse  apparence, 
au  point  de  prendre  une  chose  pour  ce  qu'elle 
n'est  pas.  Sa  connaissance  est  infaillible  ;  de  sorte 
que,  comme  sa  connaissance  constitue  la  vérité 
suprême  et  que  sa  connaissance  et  son  Essence  ne 
font  qu'un  ;  ce  n'est   pas  assez  d'affirmer  (^ue  la 


I20  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

vérité  est  en  lui,  il  faut  dire  que  la  vérité  souve- 
raine et  primordiale,  c'est  Lui-môme. 

D'autre  part,  les  paroles  qu'il  prononce  confor- 
mément à  cette  connaissance  auront  leur  accom- 
plissement ;  cet  accomplissement  est  tellement 
assuré  que  la  terre  et  les  cieux  périront,  plutôt 
qu'une  seule  syllabe,  qu'une  seule  lettre,  qu'un 
seul  point  de  ces  diverses  paroles.  Il  ne  parle 
jamais  en  vain.  Avant  l'Incarnation  il  parlait  par 
la  bouche  de  ses  prophètes,  annonçant  que  son  Fils 
s'unirait  dans  le  sein  d'une  Vierge  à  la  nature 
humaine,  qu'il  rachèterait  le  monde  par  son  sang, 
qu'il  ressusciterait,  qu'il  monterait  au  ciel  et  qu'il 
enverrait  le  Saint-Esprit  :  autant  de  prophéties  qui 
ont  été  ponctuellement  accomplies.  Il  a  affirmé 
encore  par  la  voix  des  prophètes  et  aussi  des  évan- 
gélistes  qu'il  y  aurait  un  jugement,  que  les  morts 
sortiraient  des  tombeaux,  que  les  justes  méprisés 
sur  la  terre,  seraient  exaltés  dans  la  gloire  et  que 
les  méchants  seraient  précipités  dans  l'enfer  :  tou- 
tes ces  paroles  s'accompliront.  L'expérience  du 
passé  doit  nous  être  un  sûr  garant  de  l'avenir  : 
elle  doit  nous  convaincre  que  toutes  les  paroles  de 
Dieu  sont  vérité,  que  rien  ne  pourra  en  empêcher 
la  pleine  réalisation.  Aussi  est-il  appelé  fidèle  : 
»  Le  Seigneur  est  fidèle  dans  toutes  ses  paro- 
«  les.  »  (Ps  144.)  Sur  la  liste  de  ses  attributs  il  faut 
donc  inscrire  à  la  suite  de  la  vérité,  la  fidélité,  en 
raison  de  laquelle  il  lui  appartient  d'être  toujours 
fidèle,  sans  jamais  tromper  personne. 

Pourquoi  donc  balancer  ?  pourquoi  ne  pas  adhé- 
rer d'une  foi  très  ferme  à  toutes  les  paroles  de 
Celui  qui  ne  peut  ni  se  tromper,  ni  nous  tromper? 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  121 

Pourquoi  donc  ne  travaillons-nous  pas  courageuse- 
ment, puisque  c'est  pour  celui  qui  est  fidèle  à 
donner  les  récompenses  qu'il  promet,  que  nous 
travaillons  ?  Pourquoi  pour  la  même  raison 
ne  redoutons-nous  pas  de  l'offenser,  pusqu'il  est 
certain  qu'il  exécutera  ses  menaces  ?  Et  aussi  que 
n'aimons-nous  comme  lui,  la  vérité  dans  toutes 
nos  connaissances  et  dans  toutes  nos  paroles  ? 
Hélas  !  la  vérité  qui  porte  en  elle  le  salut  du 
monde,  on  l'a  rendue  odieuse  ;  on  ne  l'annonce 
pas  librement,  on  ne  la  défend  pas  courageuse- 
ment :  on  la  dissimule,  on  la  trahit,  on  la  haït. 
«  O  Dieu  patient^  Dieu  miséricordieux  et  véri^ 
«  dique  »  (Ps.  85),  donnez-nous  d'aimer  la  vérité 
en  toutes  choses,  de  n'énoncer  que  la  vérité  dans 
toutes  nos  affirmations,  d'accomplir  fidèlement 
tout  ce  que  nous  avons  promis,  notamment  d'éviter 
le  péché  et  de  pratiquer  la  vertu  ;  donnez-nous  enfin 
d'avoir  une  entière  confiance  en  toutes  vos  paroles. 

III 

Dieu  est  encore  appelé  Vérité  par  les  Saints, 
dans  ce  sens  qu'il  Est  d'une  manière  si  sublime 
que  toutes  les  créatures,  si  on  les  compare  à  lui, 
s'évanouissent  et  sont  comme  un  pur  néant.  Le 
saint  roi  David  éprouvait  ce  sentiment,  quand  ravi 
en  extase  par  la  contemplation  des  grandeurs  divi- 
nes, il  s'écriait  :  «  J*ai  dit  dans  mon  cœur  :  tout 
homme  est  mensonge.  »  (Ps.  ii5.)  Dans  le  même 
sens  il  dit  ailleurs,  que  tous  les  hommes  mis 
ensemble  dans  la  même  balance  pèseraient  moins 
que  la  vanité,  tant  il  est  vrai  qu'en  face  de  Dieu  ils 
ne  sont  rien.   «  Toutes  les  nations,  dit  encore 


122  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

«  Isaïe,  sont  devant  lui,  comme  si  elles  n' étaient 
«  pas  :  elles  ne  sont,  comparées  à  Lui,  que  vide 
«  et  néant.  »  (Is.  40.)  Qu'est-ce,  en  effet,  que  ce 
qui  est  vain  ?  C'est  ce  qui,  absorbé,  ne  nourrit 
pas  ;  pris  comme  appui,  ne  soutient  pas  ;  cultivé, 
ne  produit  pas  de  fruits.  Telles  sont  les  créatures 
de  ce  monde;  elles  ne  nous  rassasient  pas,  ne  nous 
soutiennent  pas,  ne  nous  rapportent  aucun  fruit 
qui  puisse  nous  satisfaire.  C'est  une  écorce  sans 
sève,  une  apparence  sans  réalité,  de  faux  plaisirs 
et  de  passagères  délices.  Elles  ne  sont  donc  que 
vanité  et  Dieu  seul  est  vérité. 

Ce  philosophe  à  qui  ses  hautes  pensées  sur  Dieu 
ont  mérité  d'être  appelé  divin  (i),  disait  :  Suppo- 
sez une  vaste  et  profonde  caverne,  où  les  hommes 
seraient  nés  et  demeureraient  couchés,  sans  pou- 
voir lever  la  tête  ;  imaginez  qu'il  y  a  au  milieu  de 
cette  caverne  un  grand  flambeau,  à  la  clarté  duquel 
on  verrait  sur  la  paroi  les  ombres  et  les  silhouettes 
des  êtres  qui  existent  dans  le  monde.  Ces  miséra- 
bles mortels  prendraient  ces  ombres  pour  des 
réalités,  parce  qu'ils  n'auraient  jamais  rien  vu  de 
plus  substantiel  ni  de  plus  réel.  Mais  si  l'un  d'en- 
tre eux  sortait  de  ce  lieu  obscur  et  entrait  dans  ce 
monde,  ravi  à  la  vue  du  soleil,  des  astres,  des  élé- 
ments, de  toutes  les  créatures,  combien  ne  mépri- 
serait-il pas  tout  ce  qu'il  aurait  vu  dans  son  antre 
ténébreux  !  comme  tout  cela  ne  lui  paraîtrait  plus 
qu'illusion  et  vanité,  en  comparaison  des  véritables 
merveilles  de  la  nature.  Ainsi  en  est-il  de  ce  monde 
terrestre  que  nous  habitons  :  toutes  les  créatures 
qu'on  y  voit  ne  sont  que  de  vaines  apparences,  des 

ï.  Platon,  1.  7,  de  Rtpubl, 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  123 

ombres  fugitives,  au  prix  du  Bien  intellectuel  qui 
est  élevé  au-dessus  de  tous  les  sens,  et  qui  est 
Dieu  même,  vraie  source  de  toute  lumière,  cause 
universelle  des  êtres,  rendez-vous  de  toutes  les 
beautés  réelles.  Si  les  êtres  de  ce  monde  nous 
semblent  cependant  avoir  quelque  réalité,  s'il  nous 
est  malaisé  de  nous  représenter  Dieu  comme  le 
seul  Etre  réel,  c'est  que  nous  ressemblons  à  ces 
hommes  infortunés  et  dignes  de  pitié  ;  c'est  que 
nous  ne  sommes  pas  encore  sortis  de  la  sombre 
caverne,  c'est-à-dire  de  ce  monde,  et  que  nous  ne 
contemplons  pas  la  vérité  du  Bien  souverainement 
intelligible,  le  seul  et  vrai  Dieu  en  qui  abonde 
toute  félicité. 

C'est  assez.  Seigneur,  pour  me  convaincre  : 
votre  grâce  m'a  fait  comprendre  que  vous  êtes 
Vérité  et  que  tout  le  reste  n'est  que  vanité,  c'est- 
à-dire  n'est  rien  en  comparaison  de  ce  que  vous 
êtes.  Embrasserai-je  le  faux,  au  lieu  d'embrasser 
le  vrai  bien  que  vous  êtes  ?  Ah  !  Seigneur,  non,  je 
me  sens  maintenant  autrement  inspiré.  Si  j'ai 
croupi  longtemps  dans  l'amour  des  créatures,  et 
dans  le  désir  des  délices  vaines  et  trompeuses 
qu'elles  procurent,  je  veux  les  abandonner,  puis- 
qu'il vous  plaît  de  m'en  donner  la  volonté.  Je 
veux  prévenir  le  monde,  afin  de  lui  ravir  l'avantage 
de  m'abandonner  le  premier  :  c'est  moi  qui  le  pre- 
mier lui  dirai  adieu  :  aussi  bien  il  faudra  que  je 
le  quitte,  quand  j'y  penserai  le  moins.  Donc  ô 
éternelle  vérité  !  que  la  vanité  des  créatures  ne 
m'attire  plus,  mais  bien  votre  vérité  seule  à 
laquelle  j'aspire. 


124  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 


XIX^  MÉDITATION 

DE  LA  VIE  DE  DIEU 


SOMMAIRE 

Dieu  vit  —  d'une  vie  excellente,  —  bien  dijfèrente 
de  la  vie  humaine 

I 

DIEU  est  vivant  :  cest  une  vérité  qu'attestent 
les  serments  les  plus  solennels  :  on  jure 
par  la  vie  de  Dieu  comme  par  la  réalité  la  plus 
constante  et  la  plus  certaine  qui  existe  «  Vive 
Dieu  »  (III  Rois,  i),  tel  était  le  serment  d'Elie  :  il 
signifiait  :  ceci  est  aussi  vrai  qu'il  est  vrai  que 
Dieu  est  vivant.  Un  ange  s'élevant  au-dessus  des 
mers  et  des  continents  «  jura  par  Celui  qui  vit 
«  dans  les  siècles  des  siècles.  »  (Apoc.  lo), 
qu'après  ce  monde,  le  temps  de  faire  pénitence 
serait  passé.  Dieu  lui-même  ne  jure  ordinairement 
que  par  sa  propre  vie.  «  Je  vis,  moi,  dit  le  Sei~ 
«  gneur^  »  (Ezéch.  18)  ce  qui  signifie  que  ce  qu'il 
affirme  est  aussi  vrai  qu'il  est  vrai  que  Dieu  est 
vivant.  Il  est  donc  indubitable  que  Dieu  a  la  vie. 
La  preuve  est  facile  à  donner  :  être  vivant,  c'est 
avoir  en  soi-même  et  avoir  en  quelque  état  que 
l'on  soit  un  principe  de  mouvement  ou  d'action  : 
une  plante  est  vivante,  parce  qu'elle  a  en  soi  la 
faculté  de  se  nourrir  et  de  croître  ;  un  animal  est 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  I2D 

vivant,  parce  qu'il  possède  intérieurement  un 
principe  qui  lui  permet  de  se  mouvoir  d'un  lieu 
dans  un  autre  et  de  faire  plusieurs  actions.  L'ange 
et  l'homme  sont  également  vivants.  Au  contraire, 
une  pierre  n'est  pas  vivante,  parce  que  lorsqu'elle 
est  en  repos,  elle  n'a  pas  en  elle-même  la  puis- 
sance de  se  mouvoir,  pas  plus  qu'un  cadavre,  car 
pour  être  vivant,  il  faut  contenir  en  soi  et  indé- 
pendamment de  tout  état  où  l'on  puisse  se  trou- 
ver, la  puissance  d'agir  par  soi-même.  Ce  principe 
intérieur  d'action,  Dieu  l'a  incontestablement,  car 
il  peut  comprendre,  connaître  et  aimer,  puisque 
de  toute  éternité  il  connaît  et  aime  en  acte  son 
Essence  :  bien  mieux,  cet  acte  de  connaissance  et 
d'amour  c'est  Lui-même.  Dieu  est  donc  non 
seulement  vivant,  mais  la  vie  même  ;  lui-même 
s'est  défini  «  la  voie,  la  vérité  et  la  vie.  » 
(Jean,  14.) 

A  la  suite  de  cette  considération,  je  ferai  des 
actes  de  complaisance  dans  cette  pensée  que  Dieu 
est  vivant.  La  science  morale  nous  enseigne  (i) 
que  c'est  le  propre  de  l'amitié  de  souhaiter  la  vie 
à  nos  amis  :  on  le  voit  bien  chez  les  mères  qui 
souhaitent  tant  de  vivre  à  leurs  enfants.  Ainsi 
ceux  qui  aiment  Dieu  se  réjouissent  de  savoir  qu'il 
vit,  comme  ceux  qui  le  haïssent,  s'en  affligent  : 
«  Parce  qu'ils  ont,  dit  saint  Paul,  Vesprit  obs- 
«  curci  de  ténèbres  et  ennemi  de  la  vie  de 
Dieu.  »  (Eph.  4.)  Oui,  mon  Dieu,  je  me  réjouis 
de  tout  cœur  de  vous  savoir  vivant.  «  Mon  cœur 
«  et  ma  chair  ont  tressailli  d' allégresse  dans 
«  le  Dieu  vivant.  »  Qu'étaient  les  dieux  des  Gen- 

I.  Ethic,  1.  9.,  c,  4. 


126  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

tils  ?  des  dieux  morts,  sans  vie  et  sans  action  ; 
mais  quant  à  notre  Dieu,  il  vit  au  ciel  et  sur  la 
terre,  dans  tous  les  siècles  des  siècles.  O  Dieu 
vivant  !  soyez  toujours  en  possession  d'une  im- 
mortelle vie  ! 

II 

Considérez  l'excellence  de  cette  vie  divine. 
Aucune  vie  de  saint  ou  de  monarque  ne  l'égale 
en  'perfection.  De  même  que  l'homme  vit  d'une 
vie  plus  noble  que  l'animal,  parce  que  la  subs- 
tance de  l'homme  est  plus  noble  ;  de  même  que 
l'ange  vit  d'une  vie  plus  parfaite  que  l'homme 
pour  la  même  raison  ;  ainsi  Dieu  vit  d'une  vie 
infiniment  plus  admirable  que  celle  de  n'importe 
quelle  créature,  en  raison  même  de  ce  fait  que  sa 
substance  est  infiniment  plus  noble. 

D'abord  la  vie  de  Dieu  est  toute  spirituelle  et 
contemplative  :  car  il  vit  par  sa  connaissance  intel- 
lectuelle et  par  son  amour;  elle  est  toute  sainte, 
parce  qu'elle  est  la  pureté  même,  éloignée  plus 
que  le  ciel  ne  l'est  de  la  terre,  de  toute  malice  et 
de  toute  iniquité  ;  elle  est  toujours  heureuse  et 
satisfaite,  parce  que  tout  le  bonheur  qu'il  peut 
souhaiter  abonde  en  lui,  où  jamais  le  malheur 
n'a  accès.  Sa  vie  est  toujours  dans  la  paix  et  dans 
la  tranquillité,  parce  qu'il  n'est  pas  susceptible  de 
ces  agitations  qui  bouleversent  notre  vie  ;  elle  est 
indépendante,  exempte  de  toute  sujétion  et  de 
toute  servitude,  parce  que  ne  la  tenant  de  per- 
sonne, il  n'a  dès  lors  besoin  de  personne' pour  la 
soutenir  et  la  conserver.  La  vie  est  en  lui  comme 
en  sa  source  ;  de  lui  découlent  la  vie  naturelle  et 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  I27 

la  vie  de  la  grâce,  la  vie  corporelle  et  la  vie  spiri- 
tuelle, comme  aussi  la  vie  éternelle.  Il  est  la  vie 
souveraine  de  qui,  par  qui  et  en  qui  vivent  sou- 
verainement toutes  choses.  En  un  mot,  la  vie  est 
en  Dieu  comme  la  fin  suprême  de  toutes  les  vies 
du  monde  :  toutes  les  vies  rendent  hommage  à  la 
vie  de  Dieu  et  l'honorent  dans  la  mesure  de  leur 
pouvoir. 

O  vie  divine  !  vie  incomparable  !  ô  vie  vraiment 
vitale,  par  laquelle  je  vis  et  sans  laquelle  je  suis 
mort  !  ô  vie  adorable  !  je  vous  adore  en  union  avec 
les  adorations  que  nous  offrent  les  bienheureux 
«  qui  ont  adoré  celui  qui  vit  dans  tous  les  siè- 
«  des  des  siècles.  »  (Apoc,  4).  O  vie  divine  très 
sainte  et  très  digne  d'être  honorée  !  je  vous  consa- 
cre jusqu'au  dernier  tous  les  moments  et  tous  les 
soupirs  de  ma  languissante  vie.  O  vie  divine  qui 
êtes  un  parfait  modèle  !  que  la  vie  qui  est  en  moi, 
tant  la  vie  naturelle  que  celle  de  la  grâce,  soit 
conforme  à  la  vôtre,  autant  que  cela  se  peut  !  O 
vie  très  éminente  !  si  je  ne  puis  vous  imiter,  du 
moins  faites-moi  la  grâce  de  vous  estimer  et  de 
vous  aimer.  O  Dieu  suprême  !  que  la  jouissance 
d'une  vie  parfaite  vous  convient  admirablement  ! 
Oh  !  vivez,  vivez  toujours  ainsi  !  Ayez  toujours 
cette  vie  si  belle  et  si  parfaite  I 

III 

Considérez  combien  la  vie  de  l'homme  est  diffé- 
rente de  celle  de  Dieu,  dans  son  commencement, 
dans  ses  progrès  et  dans  sa  fin.  «  L'homme,  dit 
«  Job,  né  de  la  femme,  vit  peu  de  jours,  est  ras- 
«  sasié  de  misères  ;  comme  la  fleur  il  s'élève^  et 


128  LA  THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

«  est  Joule  aux  pieds.  Comme  V  ombre  il  fuit  et 
«  ne  s'arrête  pas.  »  (Job.  14.)  La  vie  de  Thomme 
débute  dans  les  douleurs  et  dans  la  pauvreté,  dans 
le  sang  et  dans  les  souillures,  dans  les  plaintes  et 
dans  les  larmes,  dans  la  faiblesse  et  dans  l'impuis- 
sance, et,  pour  comble  de  malheur,  dans  la  cor- 
ruption du  péché  originel,  véritable  source  de  tous 
les  maux. 

Elle  grandit  dans  les  labeurs  et  les  travaux, 
dans  la  sollicitude  et  les  angoisses,  dans  les  tris- 
tesses et  les  douleurs,  dans  les  combats  et  les  ten- 
tations, dans  les  craintes  et  les  revers  de  fortune, 
dans  les  vices  et  dans  les  offenses  de  Dieu.  En 
somme  ce  progrès  dans  la  vie  est  si  déplorable  et 
si  calamiteux,  que  ceux  que  Dieu  éclaire  et  à  qui 
il  révèle  le  Bien  véritable,  supportent  cette  vie  en 
désirant  la  mort  qui,  fut-elle  des  plus  affreuses, 
leur  apparaît  comme  le  seul  remède  à  leurs  maux 
présents. 

La  vie  enfin  s'achève  dans  les  délaissements  et 
dans  les  langueurs,  dans  les  anxiétés  et  les  ap- 
préhensions du  jugement,  dans  les  oppressions  et 
les  douleurs  extrêmes,  dans  une  défaillance  finale, 
dont  on  ne  revient  plus,  et  après  laquelle  on  va  à 
la  pourriture  et  à  la  cendre.  «  Qu'est-ce  donc  que 
«  notre  vie.,  dit  saint  Jacques,  sinon  une  vapeur 
«  qui  paraît  un  instant  et  s'évanouit.  »  (Jac. 
c.  4.)  C'est  une  plante  qui  se  dessèche  prompte- 
ment,  une  herbe  qui  se  flétrit,  un  verre  fragile  qui 
se  brise,  de  la  glace  qui  se  fond,  un  navire  qui 
coule  à  pic,  un  nuage  qui  se  dissipe.  Vie  toujours 
incertaine  et  toujours  vacillante  que  les  ennuis 
consument,  que  les  soins  inquiètent,  que  l'air  cm- 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  Îîi9 

poisonne,  que  les  infirmités  abattent,  qu'un  peu 
de  prospérité  rend  insolente,  que  la  pauvreté 
décourage,  que  la  vieillesse  terrasse,  que  la  mort 
ensevelit  dans  le  tombeau  :  de  sorte  que  «  rhomme 
«  est  semblable  à  la  vanité  et  que  ses  jours 
«  passent  comme  l'ombre.  »  (Ps.  143.)  Qui  donc 
voudra  attacher  son  cœur  à  une  semblable  vie  ? 
Qui  voudra  borner  là  son  espérance  ?  Vous  aviez 
bien  raison  de  le  dire,  grand  Apôtre  :  «  Si  nous 
«  espérons  seulement  en  cette  vie,  nous  sommes 
«  les  plus  misérables  des  hommes.  »  {I  Cor.  i5.) 
Hélas  !  quand  finira  cette  vie  mourante  ?  Quand 
arrivera-t-elle  au  bout  de  sa  carrière  et  nous  dépo- 
sera-t-elle  à  l'entrée  de  cette  vie  plus  heureuse  à 
laquelle,  animés  par  vos  promesses  nous  aspirons, 
ô  mon  Dieu,  du  fond  de  cette  vallée  de  larmes,  et 
oij  nous  ne  vivrons  plus  qu'en  vous  et  en  pré- 
sence de  vos  clartés  ?  «  La  vie  éternelle  consiste 
«  à  vous  connaître.  »  (Jean.  17.)  «  En  vous  est  la 
«  source  de  la  vie  et  c'est  dans  votre  lumière 
«  que  nous  verrons  la  lumière.  »  (Ps.  35.)  «  Ahï 
«  Seigneur.,  que  votre  pitié  s'étende  jusqu'à  moi 
<i  et  je  vivrai;  car  je  fais  ma  méditation  de 
«  votre  loi.  »  (Ps.  118.) 


Bail,  t.  i. 


l3o  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

XX"  MÉDITATION 

DE  LA  VOLONTÉ   DE   DIEU 


SOMMAIRE 

Il  y  a^n  Dieu  une  volonté,  c" est-à-dire  —  (i)  la 
puissance  de  vouloir  ;  —  (ii)  lacte  de  vouloir 
appelé  volonté  de  bon  plaisir  —  signes  exté- 
rieurs qui  nous  manifestent  cette  volonté, 

I 

IL  appartient  à  l'homme  sage  qui  s'est  donné  au 
service  d'un  maître,  de  s'efforcer  de  connaî- 
tre sa  volonté,  afin  de  mieux  le  servir,  de  lui 
plaire  en  le  servant,  de  mériter  par  là  une  plus 
grande  récompense.  Or  nous  sommes  tous  au  ser- 
vice de  Dieu  et  par  conséquent  nous  sommes  in- 
téressés à  bien  connaître  sa  volonté. 

D'abord  il  y  a  en  Dieu  une  volonté,  en  prenant 
ce  terme  dans  le  sens  de  faculté  de  vouloir  ou  de 
ne  vouloir  pas  une  chose.  En  voici  la  raison  : 
Dieu  jouit  d'une  intelligence  et  d'une  science  très 
excellentes.  Or  la  volonté  est  la  compagne  insépa- 
rable du  sujet  qui  est  doué  d'intelligence  et  de 
science  (i). 

Nous  ne  concluons  pas  à  l'existence  d'une  vo- 
lonté en  Dieu,  uniquement  de  ce  fait  que  Dieu  est 
doué  d'intelligence  et  de  science  ;  mais  encore  de 

I.  D.  Bonavent.  in  i.  dis.  4;,  art.  i.  q.  i. 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  l3l 

ce  qu'il  jouit  de  plusieurs  autres  perfections  qui 
ont  une  connexion  nécessaire  avec  la  volonté,  et 
qui  sont  sa  puissance,  sa  félicité,  sa  justice  et  sa 
libéralité  infinie.  Le  sujet  nécessaire  de  ces  perfec- 
tions, c'est  la  volonté  :  elles  la  supposent  donc 
et  l'exigent.  Et  comme  ces  perfections  sont  beau- 
coup plus  nobles  en  Dieu  que  dans  les  créatures, 
nous  devons  affirmer  que  la  volonté  de  Dieu 
sera  aussi  beaucoup  plus  excellente  que  celle  des 
créatures. 

En  effet  la  volonté  créée,  celle  de  l'homme  ou 
celle  de  l'ange  est  de  soi-même  indéterminée  au 
bien  ou  au  mal  :  la  volonté  divine  est  irrévocable- 
ment fixée  dans  le  bien,  sans  pouvoir  jamais  ad- 
hérer au  mal.  La  volonté  créée  est  influencée  et 
dominée  par  l'action  qu'exercent  sur  elle  les 
objets  extérieurs  :  la  volonté  divine  gouverne 
toutes  les  choses  extérieures,  les  modifie  et  les 
transforme  à  son  gré,  sans  jamais  subir  de  leur 
part  aucune  modification  ou  transformation.  Enfin 
la  volonté  créée  est  fragile  et  impuissante,  tandis 
que  la  volonté  divine  est  forte  et  invincible  :  elle 
donne  à  chaque  chose  son  commencement,  son 
accroissement  et  sa  perfection  :  par  elle.  Dieu  est 
le  monarque  absolu  du  monde  entier,  car  dit 
saint  Paul  :  «  Qui  résiste  à  sa  volonté  ?  » 
(Rom.  9). 

O  volonté  suprême  !  volonté  adorable  !  devant 
qui  tout  fléchit,  à  qui  tout  obéit  !  puisque  ma 
raison  vous  connaît,  il  faut  que  ma  volonté  vous 
reconnaisse  :  je  vous  en  fais  hommage  et  je  vous  la 
soumets  pour  qu'elle  soit  sous  votre  perpétuelle 
dépendance.  O   volonté   divine  !  régnez  et   com- 


l32  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

mandez  toujours,  que  ma  volonté  soit  votre  ser- 
vante, votre  esclave  dans  les  siècles  des  siècles. 

II 

Dieu  a  aussi  une  volonté,  dans  ce  sens  qu'il  y  a 
en  lui  un  acte  intérieur  de  volition,  par  lequel  il 
veut  quelque  chose  :  et  cet  acte  intérieur  s'appelle 
la  volonté  de  bon  plaisir.  J'avoue  qu'il  serait  plus 
aisé  et  plus  sûr,  d'adorer  sans  la  scruter  cette 
volonté  cachée  dans  TEssence  de  Dieu  ;  on  évite- 
rait par  là  des  difficultés.  Toutefois  suivant  l'avis 
de  saint  Paul  :  «  N'agissons  pas^  dit-il,  impru- 
«  demment,  et  tâchons  de  connaître  et  de  com- 
«  prendre  quelle  est  là  volonté  de  Dieu.  » 
(Eph.  5.).  Mieux  vaut  certainement  en  cette  vie 
connaître  sa  volonté  que  son  Essence,  car  si  nous 
obéissons  ici-bas  à  sa  volonté,  dans  le  siècle  à 
venir  nous  contemplerons  son  Essence  sans  voiles. 

On  ferait  sans  nul  doute  grand  cas  d'un  docteur 
qui  nous  apprendrait  une  science  au  moyen  de 
laquelle  on  pourrait  sans  péché  et  facilement 
acquérir  un  royaume.  Eh  bien  !  à  ce  compte, 
la  science  de  Dieu  doit  être  pour  nous  l'objet 
de  l'étude  la  plus  attentive,  parce  que  cette  science 
nous  fait  connaître  le  moyen  d'arriver  au  royaume 
éternel,  qui  fut  promis  aux  âmes  soumises  à  cette 
volonté.  Donc  comprenons,  autant  que  possible, 
ce  qu'est  cette  volonté  de  bon  plaisir. 

Son  premier  objet,  c'est  l'Essence  divine,  qu'elle 
aime  infiniment  et  autant  qu'elle  le  mérite.  De 
l'Essence  divine,  cette  volonté  se  répand  et  s'étend 
sur  les  créatures  qu'elle  considère  sous  deux 
aspects  différents.  Elle  les  considère  d'abord  au 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  l33 

point  de  vue  de  leur  possibilité,  indépendam- 
ment de  l'existence  à  laquelle  elles  ne  seront 
jamais  appelées.  Sous  ce  point  de  vue,  Dieu  se 
complaît  en  elles,  car  c'est  une  satisfaction  pour 
lui  de  se  voir  si  riche  et  si  puissant,  que  l'existence 
des  milliers  de  mondes  qui  seraient  peuplés  de 
créatures  très  parfaites,  dépend  de  lui  et  qu'il  peut 
s'il  le  veut,  les  appeler  à  la  vie.  Un  peintre  se 
plaît  à  se  représenter  intérieurement  de  beaux 
visages,  des  paysages  variés,  qu'il  ne  dépend  que 
de  lui  de  jeter  sur  la  toile,  grâce  à  son  talent.  Un 
habile  architecte  goûte  du  plaisir  à  dessiner  dans 
sa  pensée  de  magnifiques  palais  qu'il  ne  tiendrait 
qu'à  lui  de  réaliser.  Ainsi  Dieu  se  sent  heureux 
d'être  assez  puissant  pour  faire  jaillir  du  néant 
des  millions  de  mondes  qui  sont  possibles.  Mais 
puisqu'il  ne  lui  plaît  pas  de  les  créer,  sa  volonté 
considérée  comme  se  complaisant  dans  leur  simple 
possibilité,  est  inefficace. 

La  volonté  de  Dieu  considère  en  second  lieu,  les 
créatures  au  point  de  vue  de  leur  existence  réelle 
à  tel  moment  de  la  durée  ;  et  à  ce  point  de  vue 
elle  les  veut,  elle  décrète  de  les  créer  et  de  les 
conserver  en  leur  temps  et  selon  leur  nature.  Une 
telle  volonté  est  efficace  et  donne  l'existence  aux 
êtres  qu'elle  regarde,  elle  les  rend  tous  redevables 
à  son  égard,  de  ses  libéralités  et  de  ses  profusions, 
les  fait  subsister  en  vertu  de  son  désir  et  de  son 
décret  et  elle  aime  tout  ce  qui  a  en  soi  quelque 
bien,  c'est-à-dire  tous  les  êtres.  Il  n'y  a  que  le 
péché  où  cette  volonté  n'est  pour  rien  ;  quand 
malgré  les  ordres  de  Dieu  et  des  grâces  suffisantes 
pour  l'en  préserver,  elle  le  commet,  Dieu  le  pré- 


l34  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

voit  simplement,  mais  sa  volonté  s'arrête  là  :  elle 
ne  dit  ni  :  je  veux,  ni  :  je  ne  veux  pas  ;  rien,  dit  le 
Docteur  angélique  (i)  ne  l'oblige  à  se  déterminer 
dans  un  sens  ou  dans  l'autre. 

C'est,  ô  mon  Dieu,  votre  volonté  de  bon  plaisir  qui 
a  créé  ce  monde  et  moi-même  dans  ce  monde  avec 
ce  corps  mortel  et  cette  âme  immortelle.  Je  suis  donc 
l'obligé  de  votre  volonté  sans  laquelle  je  n'existerais 
pas.  Elle  m'aime,  car  elle  se  porte  vers  ce  qui  est 
un  bien  pour  moi  et  elle  s'arrête  devant  le  péché, 
pour  ne  pas  en  être  la  cause.  Il  me  suffit  d'avoir  dé- 
couvert cette  volonté  parmi  vos  perfections  infinies 
et  d'avoir  distingué  celle  à  laquelle  je  suis  principa- 
lement redevable.  Celle-là  c'est  votre  volonté  de 
bon  plaisir  sans  laquelle  toutes  vos  autres  perfec- 
tions ne  m'eussent  en  rien  servi,  pas  plus  qu'elles 
n'ont  servi  à  ces  mondes  possibles,  qu'il  ne  vous 
plaît  pas  d'appeler  du  néant  à  la  vie.  O  Seigneur, 
cette  perfection  à  laquelle  je  dois  de  jouir  des 
bienfaits  de  toutes  les  autres,  je  veux  l'aimer,  je 
veux  m'unir  à  elle  par  une  affection  que  ni  la  mort 
ni  l'enfer  même  ne  puissent  briser;  car,  que  votre 
bon  plaisir  ait  voulu  m'appeler  à  la  vie  de  préfé- 
rence à  des  millions  d'anges  et  à  des  millions 
d'hommes  qui,  parce  que  vous  ne  l'avez  pas  voulu 
n'existeront  jamais,  voilà  ce  qui  m'oblige  à  vous 
aimer  d'un  amour  bien  supérieur  à  celui  que  mon 
esprit  peut  concevoir  et  que  ma  volonté  peut 
produire. 

III 

On  entend  souvent  aussi,  quand  il  est  question 
de  la  volonté  de  Dieu,  la  manifestation  extérieure 

^.  In  I  Sentent,  q.  46.  a.  4, 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  l35 

de  cette  volonté  de  bon  plaisir.  Elle  est  en  effet 
cachée  et  invisible  aux  hommes  comme  l'Essence 
divine  :  mais  certains  signes  extérieurs  nous  la 
manifestent,  qui  pour  ce  motif  prennent  le  nom 
de  la  volonté  ;  de  même  qu'on  appelle  un  testa- 
ment, la  dernière  volonté  de  l'homme,  parce  qu'il 
en  est  la  déclaration  ;  de  même  que  le  tableau 
d'un  saint  prend  le  nom  même  de  ce  saint,  parce 
qu'il  en  est  l'image  et  la  représentation.  Ces  ma- 
nifestations de  la  volonté  de  Dieu  s'adressent  spé- 
cialement à  l'homme,  seul  capable  de  comprendre 
les  intentions  de  Dieu  et  de  recevoir  ses  ordres. 

Or  l'homme  à  qui  cinq  sens  ont  été  donnés 
pour  connaître  les  créatures  corporelles,  est  en 
possession  d'un  nombre  égal  de  signes,  auxquels 
il  doit  reconnaître  la  volonté  de  Dieu  :  à  savoir  : 
la  permission,  la  défense,  l'action,  le  commande- 
ment et  le  conseil.  Deux  de  ces  signes  l'instruisent 
de  la  volonté  de  Dieu,  touchant  le  mal,  et  les  trois 
autres,  touchant  le  bien.  La  permission  et  la 
défense  du  mal  sont  les  deux  premiers  signes  :  si 
l'homme  pèche  actuellement.  Dieu  le  laisse  faire, 
il  ne  l'empêche  ni  par  la  soustraction  de  son  con- 
cours ni  de  toute  autre  manière,  afin  de  montrer 
qu'il  entend  que  l'homme  ne  soit  pas  contraint  et 
qu'il  jouisse  de  sa  liberté.  Quant  au  mal  futur,  il 
le  défend  sous  de  très  graves  peines  et  sa  défense 
accompagnée  de  menaces  témoigne  qu'il  veut  que 
l'homme  demeure  obligé  à  ne  point  faire  le  mal. 
Pour  ce  qui  concerne  le  bien,  l'homme  est  instruit 
des  volontés  de  Dieu  par  l'action,  le  commande- 
ment et  le  conseil  de  Dieu.  S'agit-il  du  bien  pré- 
sent ?  C'est  Dieu  qui  en  est  l'auteur,  lui-même  le 


l36        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

fait  et  son  opération  est  la  preuve  qu'il  le  veut. 
S'agit-il  du  bien  à  faire  dans  l'avenir  ?  ou  bien  il 
est  nécessaire  au  salut,  et  dans  ce  cas,  Dieu  le 
commande  ;  nous  prouvant  par  là  qu'il  veut  que 
rhomme  soit  obligé  à  faire  ce  bien;  ou  bien  il  n'est 
pas  nécessaire  au  salut,  mais  de  surérogation  : 
dans  ce  cas  Dieu  le  conseille  et  il  nous  révèle  par 
là  sa  volonté  de  récompenser  plus  largement  ceux 
qui,  après  avoir  fait  le  bien  commandé,  auront 
par  surcroît  accompli  le  bien  simplement  con- 
seillé. 

Si  ce  que  nous  venons  de  dire  a  été  saisi,  il  sera 
facile  de  juger  que  la  volonté  intérieure  ou  de  bon 
plaisir  est  toujours  accomplie  et  que  rien  n'est 
capable  de  l'entraver,  ainsi  qu'il  convient  à  la 
toute-puissance  de  Dieu.  Si  en  effet  l'homme 
transgresse  la  défense  ou  le  commandement,  il 
demeure  pourtant  obligé  à  les  observer  sous  des 
peines  très  graves,  qui  sont  l'affirmation  de  la 
volonté  de  bon  plaisir  à  l'égard  des  transgresseurs. 
S'il  abuse  de  la  permission  de  Dieu,  en  péchant, 
ce  qui  est  toujours  possible,  puisqu'il  garde  sa 
liberté,  la  volonté  divine  n'est  pas  frustrée  pour 
cela.  Néglige-t-il  ses  conseils  ?  Elle  n'est  pas  frus- 
trée davantage,  car  en  les  donnant  elle  n'a  eu 
qu'un  but  :  témoigner  un  plus  grand  amour,  et 
favoriser  de  plus  grandes  caresses  celui  qu'elle 
prévoyait  devoir  les  observer. 

Ainsi,  ô  mon  Dieu,  celui  qui  considère  votre 
volonté  extérieure  non  d'une  manière  superficielle 
et  selon  les  apparences,  mais  solidement  et  selon  la 
vérité,  connaît  aussi  les  intentions  de  votre  volonté 
intérieure,  il  la  voit  toujours  invincible  et  toujours 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  iSy 

accomplie.  O  mon  Seigneur  !  que  vous  me  parais- 
sez admirable  !  que  j'approuve  votre  volonté 
«  bonne,  bienveillante  et  parfaite  ».  (Rom.  i.) 
«  Les  œuvres  de  Dieu  sont  grandes,  elles  sont 
«  conformes  à  toutes  ses  volontés.  »  (Ps.  iio.) 
Vous  êtes  donc  toujours  heureux,  toujours  maî- 
tre ;  quand  vos  chétives  créatures  pèchent,  ce  ne 
sont  que  les  signes  extérieurs  de  votre  volonté 
qu'elles  détruisent,  mais  nullement  votre  volonté 
intérieure.  Les  désirs  de  celle-ci  sont  toujours 
satisfaits  et  en  tout  événement,  puisque,  quand 
les  créatures  violent  vos  saints  commandements, 
elles  demeurent  libres,  parce  que  vous  voulez 
bien  les  laisser  faire,  et  en  même  temps  liées  par 
vos  lois.  Cessez  donc,  esprits  qui  ne  respirez  que 
haine  contre  Dieu,  cessez  de  provoquer  les  hom- 
mes à  l'offenser,  vous  n'aboutirez  à  rien  contre 
lui  :  vous  manquez  le  but,  vos  efforts  ne  peuvent 
ni  l'atteindre,  ni  le  blesser  intérieurement.  Car,  ô 
Dieu  très  fort,  vous  demeurez  au  dedans  de  vous- 
même  dans  une  paix  que  rien  ne  trouble.  Oh  ! 
vivez  ainsi  toujours  pleinement  satisfait. 


l38  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


XXr  MÉDITATION 

DE  LA  VOLONTÉ  DE  DIEU 
ANTÉCÉDENTE  ET  CONSÉQUENTE 

SOMMAIRE 

Deux  volontés  en  Dieu^  Vune  antécédente  et  Vau- 
tre conséquente;  —  la  volonté  antécédente  a 
pour  effet  le  don  fait  à  tous  des  grâces  suffi- 
santes pour  se  sauver  ;  —  les  hommes  ne  se 
perdent  que  par  leur  faute. 

I 

Nous  distinguons  en  Dieu  deux  volontés  : 
Tune  antécédente  et  l'autre  conséquente  ; 
l'une  antérieure  et  l'autre  postérieure  :  l'une  appe- 
lée par  le  patriarche  de  la  Chartreuse,  saint  Bruno, 
la  volonté  de  bonté  et  de  clémence  ;  l'autre  appe- 
lée la  volonté  de  justice,  car  c'est  par  elle  que 
Dieu  réprouve  les  méchants  et  met  les  bons  au 
nombre  de  ses  élus.  L'une  et  l'autre  sont  des 
volontés  intérieures  et  de  bon  plaisir,  également 
adorables.  Elles  méritent  d'être  considérées  avec 
attention  et  bien  comprises. 

Tous  les  Théologiens  sont  d'accord  pour  admet- 
tre ces  deux  volontés,  mais  ils  diffèrent  sur  la 
manière  de  les  entendre.  Plusieurs  disent  que  la 
volonté  antécédente  est  celle  par  laquelle  Dieu 
veut  une  chose  sans  en  avoir  considéré  toutes  le§ 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  iSq 

conséquences  et  que  la  volonté  conséquente  est 
celle  par  laquelle  Dieu  veut  une  chose  après  avoir 
considéré  tout  ce  qui  s'y  rattache.  Ainsi  d'après 
eux,  par  la  première  de  ces  volontés,  Dieu  n'ayant 
pas  'encore  considéré  les  péchés  et  les  démérites 
de  certains  hommes,  veut  le  bonheur  et  le  salut 
de  tous  :  par  la  seconde,  après  avoir  vu  leurs  bon- 
nes œuvres  et  leur  sainte  mort,  il  ne  veut  le  salut 
que  de  ceux  qui  seront  sauvés,  et  il  ne  veut 
la  damnation  de  ceux  qui  seront  réprouvés,  qu'a- 
près avoir  vu  leurs  démérites  et  leur  mort  dans  le 
péché.  Ce  que  ces  théologiens  disent  de  la  volonté 
conséquente  est  exact,  mais  non  pas  l'explication 
qu'ils  donnent  de  la  volonté  antécédente  ;  ce 
qu'ils  en  disent  est  injurieux  à  Dieu,  parce 
qu'ils  supposent  que  Dieu  peut  vouloir  quelque 
chose  d'une  manière  inconsidérée,  sans  avoir 
songé  ni  à  ses  effets  ni  à  ses  conséquences.  Ce 
qu'un  homme  sage  et  prudent  se  garderait  bien  de 
faire,  ils  en  croient  Dieu  capable.  Dieu  dont  nous 
sommes  obligés,  sous  peine  de  nous  tromper  et  de 
le  déshonorer,  d'avoir  l'idée  la  plus  parfaite,  et  à 
qui  nous  ne  pouvons  attribuer  aucun  défaut, 
notamment  celui  qui  consistait  à  vouloir,  sans 
avoir  préalablement  réfléchi  à  tout.  Admettons 
plutôt  que  Dieu  voit  d'abord  et  veut  ensuite  : 
c'est  l'ordre  de  la  sagesse  et  Dieu  ne  peut  que 
l'observer. 

Nous  devons  donc  nous  faire  une  autre  idée  de 
la  volonté  antécédente  de  Dieu  et  la  définir  ainsi  : 
celle  par  laquelle  Dieu  veut  que  tous  les  hommes 
reçoivent  les  premiers  secours  et  les  moyens  néces- 
saires pour  faire  des  progrès  dans  l'œuvre  dç  leur 


140  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

salut  ;  c'est  l'avis  des  plus  profonds  théologiens. 
C'est  aussi  la  raison  pour  laquelle  cette  volonté 
est  appelée  antécédente,  car  par  elle  Dieu  veut 
donner  aux  hommes  les  moyens  qui  doivent  pré- 
céder leur  salut,  c'est-à-dire  tous  les  secours  qui 
peuvent  leur  être  utiles  pour  se  sauver  ;  comme 
d'autre  part,  par  sa  volonté  conséquente.  Dieu 
veut  la  fin  qui  ne  vient  qu'après  les  moyens. 

Admirez  et  adorez  en  Dieu  ces  deux  volontés 
sur  lesquelles  porte  toute  la  question  de  la  voca- 
tion des  hommes  au  salut  et  celle  de  leur  prédes- 
tination ou  de  leur  réprobation.  Remerciez  Dieu 
de  la  lumière  qu'il  vous  donne  maintenant,  pour 
bien  discerner  ces  deux  volontés  si  importantes 
et  imprimez  cette  distinction  dans  votre  esprit 
pour  parvenir  à  une  connaissance  plus  certaine  et 
plus  haute  des  grandes  questions  touchant  le 
salut  ou  la  damnation  des  hommes.  C'est  pour 
n'avoir  pas  bien  fait  cette  distinction  que  plu- 
sieurs sont  dans  les  ténèbres  et  n'en  sortiront 
plus;  ayons  pitié  d'eux  et  déplorons  leur  malheur. 

II 

L'effet  réel  de  la  volonté  antécédente  de  Dieu 
chez  tous  les  hommes  ayant  l'usage  de  la  raison 
(la  question  du  salut  des  enfants  mérite  d'être 
traitée  à  part),  cet  effet,  dis-je,  est  la  collation  des 
grâces  ou  des  moyens  suffisants  de  salut,  à  tous 
les  hommes  qui  ont  été,    qui  sont  ou  qui  seront. 

«  Dieu  veut^  dit  saint  Paul,  que  tous  les  hom- 
«  mes  soient  sauvés  et  quHls  parviennent  à  la 
«  connaissance  de  la  vérité  ;  car  il  y  a  un  Dieu 
«  et  un  médiateur  entre  Dieu  et  les  hommes.  » 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  I4Î 

(I  Tim.  2).  Il  n'est  pas  le  médiateur  pour  quelques 
hommes,  mais  entre  Dieu  et  tous  les  hommes.  Et 
ce  médiateur  c'est,  dit  saint  Thomas  (i),  Jésus- 
Christ,  qui  s'est  livré  pour  racheter  tous  les  hom- 
mes. Dieu  veut  le  salut  de  tous  les  hommes  par  un 
acte  de  cette  volonté  antécédente,  quand  il  veut 
que  tous  aient  à  leur  disposition  les  moyens  dont 
l'usage  doit  précéder  le  salut  et  y  conduire.  C'est 
l'enseignement  formel  du  docteur  subtil  (2),  de 
l'ordre  de  saint  François,  dont  tout  le  monde 
admire  l'intelligence  si  pénétrante.  Dieu  veut, 
pour  ce  qui  le  regarde,  le  salut  de  tous  les  hommes 
et  il  le  veut  par  sa  volonté  antécédente  :  c'est  ce 
qu'il  prouve  bien  en  leur  donnant  les  biens  natu- 
rels, les  lois  et  les  secours  suffisants  pour  se 
sauver.  Dieu  en  vertu  de  cette  même  volonté  a 
voulu  que  Jésus-Christ  fut  livré  à  la  mort  pour 
délivrer  tous  les  hommes  de  l'impossibilité  de  se 
sauver,  à  laquelle  le  péché  d'Adam  les  avait  ré- 
duits, et  toujours  en  vertu  de  cette  volonté,  il  veut 
que  tous  les  hommes  reçoivent  des  moyens  de 
salut  tels,  qu'il  leur  devienne  possible  de  prier, 
de  croire,  de  craindre,  d'espérer,  d'aimer  et  de 
faire  les  œuvres  qui  conduisent  à  la  vie  éternelle  : 
et  cela  successivement  et  graduellement.  Car 
Dieu  de  son  côté,  augmente  ses  grâces  et  ses 
secours  surnaturels,  à  mesure  que  l'homme  en 
fait  bon  usage  ;  il  accorde  comme  récompense  du 
bon  usage  qu'on  a  fait  d'une  grâce,  une  grâce 
supérieure,  afin  que  l'homme  accentue  son  pro- 
grès dans  le  bien.  Dieu   n'eùt-il  donné  à  tous  les 

1  In  hune  locum,  lectio  i. 

2  Scot,  I  sent,  quœst.  -46. 


142  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

hommes  que  la  seule  grâce  de  recourir  à  lui  et 
de  le  prier,  que  déjà  ils  auraient  tous  les  secours 
suffisants,  puisque  lui-même  est  tout-puissant  et 
prêt  à  exaucer  ceux  qui  ont  recours  à  lui.  Celui 
qui  au  milieu  des  opérations  de  guerre,  a  la  fa- 
culté de  demander  des  renforts  avec  la  certitude 
qu'ils  lui  seront  envoyés,  a  entre  les  mains  tous 
les  moyens  nécessaires  pour  combattre,  se  défen- 
dre et  vaincre.  Tel  est  aussi  le  cas  du  malade  qui 
peut  faire  venir  un  médecin  toujours  prêt  à  accou- 
rir au  premier  appel  et  à  le  guérir.  Si  donc 
l'homme  fait  ce  qu'il  peut,  c'est  à-dire  s'il  fait  un 
bon  usage  des  premiers  dons  surnaturels  de  Dieu, 
s'il  s'en  sert  pour  faire  un  pas  de  plus  vers 
Dieu,  il  recevra  de  nouveaux  dons  pour  aller  du 
bien  au  mieux  et  de  vertu  en  vertu.  C'est  la  salu- 
taire doctrine  de  Jésus-Christ  qui  enseigne  aux 
hommes  à  prier  et  à  demander  ;  c'est  celle 
de  saint  Augustin  (i)  qui  dit  :  Dieu  se  sert 
de  plusieurs  moyens  pour  convertir  les  hom- 
mes et  «  nul  n'est  privé  des  moyens  de 
«  chercher  utilement  ce  qu'il  n'y  a  aucun  avan- 
«  tdge  à  ignorer.  Dieu  ne  commande  rien 
«  d'' impossible,  mais  quand  il  nous  donne  un 
«  précepte,  il  nous  avertit  de  faire  ce  que  nous 
«  pouvons  et  de  lui  demander  ce  que  nous  ne 
«  pouvons  pas  faire.  »  Dieu  ne  s'arrête  pas 
encore  là,  il  donne  à  la  plupart  des  hommes  bien 
d'autres  secours  et  sa  volonté  antécédente  pré- 
vient d'une  infinité  d'autres  grâces  et  faveurs  les 
âmes  perdues  par  le  péché  d'Adam.  Mais  réser- 
vons ce  sujet  pour  plus  tard. 

I.  De  lih.  arbit.  1.  a.  c.  19  —  de  nat.  et  grat.  c.  14 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  14$ 

Dès  maintenant  estimons  l'oraison  et  la  grâce 
de  recourir  à  Dieu  par  la  prière  :  louons  Dieu  pour 
cette  volonté  très  libérale  qui  répand  ses  bienfaits 
sur  toute  créature  humaine  et  relève  leur  extrême 
faiblesse  par  une  force  surnaturelle.  C'est  à  cette 
volonté  que  nous  sommes  redevables  d'abord  de 
notre  rédemption,  par  laquelle  nous  avons  été 
arrachés  aux  ennemis  de  nos  âmes.  Oh  !  Dieu 
plein  de  bonté  !  puissent  tous  les  hommes  par- 
ticiper aux  effets  de  cette  gracieuse  volonté  !  Et 
puisque  l'amour  ne  peut  se  mieux  payer  que  par 
l'amour,  puissions-nous  vous  aimer  sans  cesse  en 
reconnaissance  de  l'amour  que  vous  portez  à  tous 
les  hommes  par  votre  volonté  antécédente. 

III 

Considérez  qu'il  est  au  pouvoir  des  hommes  de 
se  sauver.  Si  plusieurs  périssent  misérablement, 
il  faut  l'attribuer  uniquement  à  leur  mauvaise 
volonté  qui  résiste  à  la  volonté  et  aux  attraits  de 
Dieu.  En  eifet,  la  volonté  antécédente  a  préparé  et 
donné  à  chacun  les  secours  de  la  grâce  et  c'est  la 
volonté  conséquente  qui,  après  avoir  constaté 
l'abus  ou  le  bon  usage  de  la  grâce,  décide  en  der- 
nier ressort  de  notre  salut.  Donc,  personne  n'a 
sujet  de  se  plaindre,  s'il  est  damné,  que  de  lui- 
même  et  de  sa  résistance  coupable  aux  grâces,  à 
ces  grâces  que  lui  avaient  conférées  la  volonté 
antécédente  de  Dieu.  Saint  Augustin  (i)  insiste 
beaucoup  sur  cette  considération:  «  que  personne 
«  ne  prétende,  dit-il,  qu'il  ne  peut  pratiquer  la 
«  pureté,  car  Dieu  est  fidèle,  et  il  ne  permet  pas 

I.  Sermo  24^  de  tempore. 


144  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

«  que  nous  soyons  tentés  au-dessus  de  nos  for- 
«  ces  ;  mais  il  nous  donnera  son  secours  dans 
«  la  tentation.  L'un  est  tenté  par  les  désirs  de 
«  la  chair,  Vautre  par  ï ambition  ou  par  toute 
«  autre  passion  ;  mais  il  demeure  en  son  pou- 
«  voir  de  choisir  entre  Vhonneur  d'en  triom- 
«  pher  ou  la  honte  d'y  succomber.  »  Ainsi  parle 
cette  grande  lumière  de  TEglise. 

Dieu  fait  miséricorde  à  chacun  par  sa  volonté 
antécédente  et  il  fait  justice  à  chacun  selon  ses 
œuvres  par  sa  volonté  conséquente,  qui  décide  de 
notre  éternité  heureuse  ou  malheureuse.  Un  père 
n'engendre  pas  un  fils  avec  l'intention  de  le  priver 
de  son  héritage  ;  mais  si  ce  fils  dénaturé  se  révolte 
contre  son  père,  c'est  justice  que  celui-ci  le  déshé- 
rite ;  il  ne  manque  en  cela  à  aucun  de  ses  devoirs 
de  père.  Le  législateur  fait  de  bonnes  lois,  dont 
le  but  est  de  procurer  à  tous  les  cit03'"ens  la  paix  et 
la  félicité  temporelle  ;  et  néanmoins  il  condamne 
à  mort  les  transgresseurs  des  lois  et  les  perturba- 
teurs de  la  cité.  L'agriculteur  plante  dans  son 
champ  toutes  sortes  de  bons  arbres  avec  l'espoir 
qu'ils  fructifieront,  mais  il  n'hésite  pas  à  arracher 
ceux  qu'il  voit  stériles  et  qui  occupent  inutilement 
la  terre.  Dieu  n'agit  pas  autrement  :  en  père  très 
bon,  en  juge  très  sage,  en  agriculteur  très  expert, 
il  donne  à  tous  les  hommes  la  vie  et  les  premiers 
secours  de  sa  grâce  dans  le  but  de  les  faire  parti- 
ciper un  jour  à  son  héritage,  à  la  paix  de  la  cité 
éternelle,  dans  le  dessein  de  les  faire  porter  de 
bons  fruits  ici-bas,  et  de  les  transplanter  plus  tard 
dans  son  paradis.  Mais,  s'ils  se  révoltent  contre  ses 
ordres,    trangressent    ses    lois    et    ne   produisent 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  146 

aucun  fruit  de  sainteté,  c'est  justement  qu'ils  sont 
privés  de  son  héritage  céleste,  qu'ils  sont  rigou- 
reusement châtiés  et  que,  comme  des  arbres  qui 
ne  portent  pas  de  bons  fruits,  ils  sont  coupés  et 
jetés  au  feu.  C'est  ce  que  dit  saint  Prosper  d'Aqui- 
taine (i)  :  «  Ceux  qui  auront  méprisé  la  volonté 
«  de  Dieu  qui  les  appelait,  en  éprouveront  les 
«  rigueurs.  » 

Retenons  de  cette  considération  que  l'affaire  de 
notre  salut  est  abandonnée  à  notre  liberté  préve- 
nue et  aidée  des  grâces  qu'elle  reçoit  de  Dieu. 
Oh  !  que  les  hommes  sont  donc  coupables  !  ô 
dureté  du  cœur  humain  !  ô  négligence  des  pé- 
cheurs endurcis  !  ô  révolte  de  l'esprit  qui  refuse 
d'obéir  à  son  Dieu  !  Ame  infidèle,  demande  du 
secours  à  Dieu  ;  reconnais  que  c'est  toi  qui  es  la 
seule  coupable,  si  tu  persistes  dans  la  voie  de  la 
damnation.  O  pécheur,  si  tu  soupires  après  le  ciel, 
ouvre  ton  cœur  à  Dieu  et  ne  méprise  pas  sa  voix, 
quand  il  t'appelle.  Est-ce  la  faute  du  soleil,  si 
quelqu'un  n'est  pas  éclairé  de  ses  rayons  qu'il 
répand  en  tout  lieu  ?  Est-ce  la  faute  de  la  fontaine 
dont  les  eaux  limpides  débordent,  si  le  passant 
souffre  de  la  soif,  ne  voulant  pas  se  donner  la  peine 
d'y  puiser  ?  O  Dieu  suprême,  plein  de  miséri- 
corde et  de  justice  !  ordonnez  que  je  vous  loue 
éternellement  pour  votre  volonté  et  votre  provi- 
dence irréprochables. 

I.  In  resp.  ad  ohject.  Vincent. 


Bait,  t,  I,  xo 


146  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 


XXir  MÉDITATION 

DE  LA  CONFORMITÉ 

DE  LA  VOLONTÉ  HUMAINE 

AVEC  LA  VOLONTÉ  DE  DIEU 


SOMMAIRE 

Cette  conformité  est  la  perfection  souveraine  ; 
—  quatre  sortes  de  conformité  à  la  volonté 
de  Dieu  ;  —  la  conformité  parfaite  n'est  pas 
absolument  nécessaire. 

I 

RIEN  n'est  plus  excellent  que  cette  conformité, 
c'est  la  souveraine  perfection  de  l'àme  :  car 
la  volonté  de  Dieu  étant  la  justice  et  la  sainteté 
même,  plus  la  volonté  a  de  ressemblance  et  de 
conformité  avec  elle,  plus  elle  devient  sainte  et 
juste.  Nous  savons,  en  effet,  qu'une  chose  est 
d'autant  plus  parfaite  qu'elle  approche  davantage 
du  modèle  de  la  perfection. 

Cette  conformité  est  un  holocauste  parfait  de 
l'àme  s'offrant  à  Dieu  comme  une  victime  qui  lui 
est  consacrée,  s'abandonnant  à  lui  entièrement,  et 
s'anéantissant  pour  honorer  ses  ordres  et  les  dis- 
positions de  sa  providence. 

C'est  l'exercice  des  plus  belles  vertus  :  c'est 
d'abord,  un  acte  de  prudence  ;  car  quoi  de  plus 
sage  que  jde  [suivre  une  règle  juste  et  infaillible, 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  î^'j 

telle  que  la  volonté  de  Dieu  ?  C'est  un  acte  de  Jus- 
tice :  qu'y  a-t-il  de  plus  raisonnable  et  qui  soit  dû 
à  meilleur  titre  que  la  soumission  d'une  volonté 
créée  et  par  conséquent  dépendante  par  nature  à 
une  volonté  supérieure  et  indépendante  ?  C'est  un 
acte  parfait  d'obéissance,  car  c'est  une  soumission 
entière  aux  lois  de  la  Providence  et  du  gouverne- 
ment divin.  C'est  l'exercice  de  la  vertu  de  tempé- 
rance, car  c'est  mortifier  d'un  seul  coup  la  fureur 
et  toute  la  violence  de  ses  passions.  C'est  l'exer- 
cice de  la  vertu  de  force,  car  cet  acte  de  conformité 
équivaut  à  combattre  et  à  vaincre  toutes  sortes  de 
vices  et  de  péchés  à  la  fois. 

C'est  la  joie  de  l'âme,  le  paradis  sur  la  terre,  le 
bannissement  de  toute  tristesse,  le  comble  de 
l'allégresse,  car  dans  la  bonne  comme  dans  la 
mauvaise  fortune  l'âme  est  satisfaite,  puisqu'elle 
reçoit  tout  de  bonne  part  comme  de  la  main  de 
Dieu  son  bien-aimé. 

C'est  mieux  encore  :  c'est  une  alliance  et  une 
parenté  contractée  avec  ce  Dieu  qui  met  au  rang 
de  ses  frères,  de  ses  sœurs  et  de  ses  plus  proches 
parents,  ceux  qui  ont  avec  lui  cette  conformité  de 
volonté  ;  parenté  infiniment  plus  noble  que  celle 
que  forment  les  liens  du  sang  entre  les  rois  de  la 
terre.  «  Celui  qui  fait,  dit  Jésus-Christ,  la  vo- 
«  lonté  de  mon  Père  qui  est  dans  les  deux, 
«  celui-là  est  mon  Jrère,  et  ma  sœur  et  ma 
«  mère.  »  (Matt.  12.)  Frère  et  sœur  de  Jésus- 
Christ  I  voilà  le  titre  dont  il  est  honoré,  parce 
qu'il  sera  le  cohéritier  de  Jésus-Christ  et  jouira 
dans  le  ciel  du  même  héritage.  Il  reçoit  aussi  le 
titre  de  mère  de  Jésus-Christ,  parce  qu'il  le  con- 


Ï4^  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

cevra  dans  son  âme,  comme  la  Vierge  Ta  conçu 
dans  ses  chastes  entrailles.  Que  dire  encore  ?  une 
sainte  apprit  un  jour  par  révélation  que  celui  qui 
prendrait  la  ferme  résolution  de  se  soumettre  au 
bon  plaisir  de  Dieu  pour  tout  ce  qui  regarde  les 
événements  heureux  ou  malheureux  de  sa  vie, 
celui-là  rendrait  à  Dieu  un  aussi  grand  honneur, 
qu'en  rendrait  à  un  homme  celui  qui  mettrait 
la  couronne  impériale  sur  sa  tête  (i).  En  un  mot  il 
y  a  tant  de  grandeur  dans  cette  conformité  à  la 
volonté  de  Dieu,  que  quelques-uns  ont  hésité  à 
croire  qu'elle  put  convenir  à  la  nature  humaine, 
parce  que  Dieu  est  plus  élevé  au-dessus  d'elle  que 
le  ciel  au-dessus  de  la  terre,  et  ils  s'étonnaient 
qu'une  créature  finie  put  avoir  de  la  conformité 
avec  un  Etre  infini. 

Ah  !  mon  Dieu  !  que  cette  conformité  est  noble  ! 
qu'elle  est  excellente  et  que  ses  perfections  sont 
rares  et  singulières  !  Accordez-la  moi.  Seigneur, 
en  m'enseignant  à  faire  votre  volonté  de  telle 
sorte  que  je  sois,  que  je  pense,  que  j'aime,  que 
je  dise,  que  je  fasse  ce  que  vous  voudrez  et  jamais 
autre  chose.  Tout  me  sera  bon  et  précieux,  si 
votre  sainte  volonté  s'y  trouve.  Quoi  donc  !  on 
fait  grand  cas  d'une  bague  de  matière  peu  pré- 
cieuse, si  un  diamant  d'un  grand  prix  y  brille 
enchâssé  ;  et  quel  plus  riche  diamant  que  votre 
volonté  ?  Si  donc  elle  est  enchâssée  dans  les  évé- 
nements qui  surviennent  en  ce  monde,  comment 
ces  événements  ne  nous  sembleraient-ils  pas  pré- 
cieux et  agréables  ?  O  mon  Dieu  !  que  ma  volonté 
soit   conforme   à   la  vôtre   dans  tout  ce  qui  peut 

X.  Ste  Gertrude,  1.  4.  Des  insinuât,  c.  30. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  149 

m'arriver  !  Que  je  vous  serve  dans  tel  état  et 
dans  telle  condition  qui  vous  plaira,  sans  recher- 
che de  moi-même,  sans  tenir  compte  de  mes 
désirs,  s'ils  sont  contraires  aux  vôtres. 

II 

La  volonté  créée  peut  se  conformer  à  la  vo- 
lonté de  Dieu  de  quatre  manières  que  je  compare- 
rais volontiers  aux  quatre  roues  du  char  de  feu  de 
l'amour,  destiné  à  emporter  comme  Elie  les  âmes 
au  ciel.  Il  y  a  d'abord  la  conformité  par  l'obéis- 
sance aux  commandements  et  aux  prohibitions  de 
Dieu  :  celle-là  est  absolument  requise  pour  le 
salut.  Elle  consiste  à  vouloir  ce  que  Dieu  nous 
commande  de  vouloir  et  à  ne  point  vouloir  ce 
qu'il  nous  défend.  En  second  lieu  il  y  a  la  confor- 
mité d'habitude  :  elle  a  lieu  quand  deux  volon- 
tés se  portent  vers  leurs  objets  par  une  sembla- 
ble habitude  de  vertu,  c'est-à-dire,  quand  une 
habitude  de  vertu  semblable  les  porte  à  désirer 
quelque  chose.  C'est  d'autant  plus  facile  quand  il 
s'agit  de  Dieu,  que  «  toutes  ses  voies  sont  tnisé- 
«  ricorde  et  vérité.  »  (Ps.  24.)  Or  la  volonté 
créée  lui  est  conforme  de  cette  seconde  manière 
quand  elle  se  porte  vers  le  prochain  sans  con- 
trainte et  sans  intérêt,  par  un  motif  de  bonté  et 
d'amour  ou  par  un  motif  de  justice  et  de  raison. 
Nous  ne  sommes  tenus  à  ce  second  mode  de  con- 
formité que  dans  tel  moment  ou  à  telle  occasion, 
car  ce  n'est  qu'un  précepte  affirmatif. 

Il  en  est  de  même  de  la  troisième  manière  qui 
est  la  conformité  de  fin,  et  en  vertu  de  laquelle  deux 
volontés  tendent  dans  leurs  actes  vers  un  même 


l5o  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

but.  Elle  est  d'autant  plus  raisonnable  que  Dieu 
veut  toutes  choses  avec  des  intentions  très  saintes 
et  très  parfaites  ;  il  les  veut  notamment  pour  pro- 
curer sa  gloire,  faire  partager  par  les  hommes 
l'amour  qu'il  se  porte  à  lui-même  et  les  détermi- 
ner à  accomplir  sa  volonté.  C'est  une  excellente 
manière  pour  la  volonté  humaine  de  se  conformer 
à  la  volonté  de  Dieu,  que  de  s'unir  dans  ses  œu- 
vres aux  intentions  de  Dieu,  de  vouloir  agir  pour 
les  mêmes  fins  que  lui  et  jamais  pour  d'autres  fins. 

La  quatrième  manière  est  la  conformité  de 
l'objet  :  elle  se  réalise  quand  deux  volontés  sont 
si  bien  accordées  et  harmonisées  ensemble  que 
tout  ce  que  veut  l'une  sans  exception  est  voulu 
également  par  l'autre.  Cette  conformité  ne  sera 
parfaite  que  dans  le  ciel  seulement  où  l'union  que 
crée  l'amour  inspire  à  toutes  les  volontés  les 
mêmes  vouloirs  et  les  mêmes  non-vouloirs  que 
Dieu,  en  toutes  choses,  sans  exception. 

Je  m'examinerai  moi-même  ainsi  que  les  dis- 
positions de  ma  volonté,  relativement  à  ces  qua- 
tre sortes  de  conformité.  Je  reconnaîtrai  combien 
en  toutes  choses  ma  volonté  est  différente  de  la 
volonté  de  Dieu  et  j'aurai  honte  de  ces  laideurs 
affreuses  et  de  ces  difformités.  Hélas  !  Seigneur, 
m'avez-vous  donné  une  volonté  pour  vous  résister 
et  refuser  de  s'accommoder  autant  que  possible, 
à  la  vôtre,  qui  est  très  sainte  et  qui  doit  être  la 
règle  de  toute  volonté  bien  ordonnée  ?  Il  me  dé- 
plaît. Seigneur  d'avoir  une  volonté  désordonnée. 
Inspirez-moi  donc,  o  mon  Dieu,  les  inclinations 
qui  vous  sont  agréables,  enseignez-moi  tous  les 
jours  quel  est  votre    bon  plaisir  et  quels  sont  vos 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  l5l 

désirs,  ce  que  vous  ordonnez  ou  défendez,  ce  que 
vous  conseillez  ou  permettez,  ce  que  vous  exécu- 
tez, afin  que  mon  cœur  n'ait  ni  d'autres  motifs, 
ni  d'autres  fins,  ni  d'autre  objet. 

III 

La  conformité  d'objet  qui  consiste  pour  la 
volonté  créée  à  vouloir  tout  ce  que  Dieu  veut  et  à 
ne  pas  vouloir  tout  ce  que  Dieu  ne  veut  pas,  n'est 
pas  absolument  obligatoire,  mais  elle  constitue 
une  grande  perfection.  Quoique  la  volonté  divine 
soit  droite  et  qu'elle  soit  juste  dans  tout  ce  qu'elle 
veut,  il  nous  est  cependant  permis  de  désirer  quel- 
que chose  de  différent  de  ce  quelle  désire  et  cela 
sans  l'offenser.  C'est  elle-même  qui  nous  donne 
cette  latitude,  ne  voulant  pas  en  quelque  sorte 
nous  traîner  après  elle  vers  toutes  les  choses  oij  elle 
se  porte.  Il  nous  est  permis  de  faire  des  vœux  pour 
la  paix,  quand  cette  volonté  ordonne  la  guerre,  et 
de  souhaiter  la  santé,  quand  elle  veut  la  maladie. 
Un  fils  n'est  pas  coupable,  quand  il  désire  la  vie 
de  son  père  que  Dieu  cependant  veut  condamner 
à  cause  de  ses  crimes,  et,  comme  le  dit  saint 
Augustin  (i),  il  arrive  souvent  que  l'homme  veut 
légitimement  ce  que  Dieu  ne  veut  pas  :  ce  qui 
serait  vrai  aussi  dans  le  cas  où  l'homme  connaîtrait 
toujours  la  volonté  de  Dieu.  Ainsi  un  serviteur 
dont  le  maître  a  dans  le  cœur  diverses  affections, 
n'est  pas  tenu  d'épouser  toutes  ces  affections  et  de 
vouloir  tout  ce  que  veut  son  maître  :  il  sera  dans 
l'ordre,  s'il  veut  ce  que  son  maître  lui  commande 
de   vouloir.   Il   en  est    de   même   de  l'homme  à 

I.  In  Enchir,  c.  loi. 


l52  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

l'égard  de  Dieu.  C'est  pourquoi  alors  même  qu'il 
n'aimera  pas  un  grand  nombre  d'accidents  qui  lui 
arrivent  contre  son  gré,  il  ne  péchera  pas,  pourvu 
qu'il  ne  se  laisse  pas  aller  à  l'impatience  et  au  mur- 
mure contre  Dieu,  dont  nous  ne  devons  jamais  blâ- 
mer la  Providence.  Voyez  un  homme  réputé  cou- 
rageux :  pour  être  tel,  il  n'est  pas  tenu  de  s'expo- 
ser de  gaieté  de  cœur  à  tous  les  dangers  de  mort  : 
c'est  assez  qu'il  ne  les  redoute  pas. 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  cette  conformité 
d'objet  renferme  une  perfection  inexprimable  et 
que  pour  cela  même  elle  mérite  que  nous  nous 
efforcions  d'y  parvenir,  bien  qu'elle  ne  soit  pas 
pour  nous  un  devoir  strict.  Elle  fait  abandon  de 
tout  notre  être,  de  tous  ses  intérêts,  de  toutes  ses 
satisfactions  entre  les  mains  de  Dieu  :  y  a-t-il  une 
action  plus  sainte  ?  Aussi  quand  les  saints  considè- 
rent les  choses  de  ce  monde  en  elles-mêmes,  c'est- 
à-dire  au  point  de  vue  des  jouissances  qu'elles 
peuvent  nous  faire  éprouver  ou  des  peines  qu'elles 
peuvent  nous  causer,  indépendamment  de  la 
volonté  de  Dieu,  ils  n'y  goûtent  pas  plus  de  plai- 
sir que  notre  palais  ne  trouve  de  saveur  à  des 
viandes  insipides  ;  ils  sont  indifférents  à  toutes 
sortes  d'états  ou  de  fonctions,  aussi  longtemps  que 
cette  volonté  ne  leur  apparaît  pas.  Si  au  contraire 
ils  considèrent  toutes  ces  choses  comme  voulues 
de  Dieu,  c'est  avec  joie  et  affection  qu'ils  s'y  por- 
tent. Quelle  que  soit  la  tempête  qui  éclate  sur 
leurs  têtes,  ils  la  reçoivent  sans  murmurer,  quel 
que  soit  le  calice  amer  qui  leur  soit  présenté,  ils  le 
boivent  avec  délices,  quelque  délaissement  intérieur 
qu'ils  éprouvent,  ils  l'acceptent  sans  décourage- 


DES   ATTRIBUTS   DE   DIEU  I  53 


ment.  La  mort  avec  la  volonté  de  Dieu  leur  est 
aussi  agréable  que  la  vie,  l'orage  que  le  calme  et  le 
mauvais  temps  que  le  bon;  à  tel  point  qu'ils  ne  recu- 
leraient pas  devant  les  flammes  de  l'enfer,  s'il 
était  possible  qu'ils  y  fussent  envoyés,  sans  avoir 
péché  et  par  un  décret  de  la  volonté  de  Dieu.  C'est 
elle  seule  qui  les  occupe,  comme  s'il  n'existait 
rien  au  monde  en  dehors  d'elle  :  c'est  en  elle  que 
sont  absorbées  toutes  leurs  pensées,  en  vertu  de 
cette  suréminente  conformité  qui  les  rend  bien- 
heureux. 

J'aspirerai  donc  de  toutes  mes  forces  à  cette 
divine  conformité  :  ce  sera  mon  perpétuel  désir. 
Vous,  ô  mon  Dieu,  tout  ce  que  vous  voudrez  et 
plus  rien  !  Oui,  ô  mon  Dieu,  quoi  qu'il  m'arrive, 
un  bien  spirituel  ou  un  bien  temporel,  un  grand 
ou  un  petit  avantage,  par  telle  voie  ou  par  telle 
autre,  je  le  répète  :  ma  devise  sera  :  vous,  mon 
Dieu,  tout  ce  que  vous  voudrez  et  plus  rien  ! 
Mon  Dieu,  unissez-moi  toujours  ainsi  à  votre 
volonté,  attachez-moi  toujours  ainsi  par  d'indis- 
solubles liens  à  votre  sainte  direction  ;  que  j'ap- 
prouve vos  actions,  que  je  n'abuse  point  de  votre 
permission,  que  j'observe  vos  commandements  et 
vos  défenses,  que  je  respecte  vos  conseils. 


l54  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

XXIir  MÉDITATION 

DE  LA  LIBERTÉ  DE  DIEU 


SOMMAIRE 

Dieu  est  libre  —  notamment  dans  les  décrets 
qui  ont  pour  objet  les  créatures  —  dans 
V exécution  de  ces  décrets. 

I 

DIEU  est  libre  par  nature,  par  la  souveraineté 
et  rindépendance  de  son  Etre  :  il  jouit 
d'une  liberté  si  grande  qu'elle  ne  saurait  être 
égalée  par  celle  des  monarque^  qui  sont  à  la  tête 
des  royaumes  de  ce  monde.  Il  semble  au  premier 
abord  qu'il  n'y  ait  de  liberté  que  pour  ces  têtes 
couronnées,  car  ces  potentats  paraissent  ne  dépen- 
dre d'aucune  manière  des  hommes  à  qui  ils  dictent 
leurs  volontés  et  qui  relèvent  de  leur  autorité. 
Toutefois  la  liberté  dont  ils  jouissent  est  mêlée  de 
servitude  :  d'abord  ils  ne  sont  pas  plus  exempts 
des  devoirs  envers  Dieu  que  le  plus  humble  des 
mortels  ;  aussi  voyons-nous  de  nos  jours  ce  Roi  (i), 
ce  représentant  de  la  plus  ancienne  monarchie  du 
monde,  ajouter  à  ses  titres  de  Roi  des  Rois,  de 
Monarque  des  Monarques,  celui  d'esclave  de  Dieu, 
pour  nous  apprendre  par  là  qu'aux  yeux  de  Dieu, 
les  plus  grands  de  ce  monde  n'ont  que  la  servi- 

X.  D'après  une   note  de  l'édition   de  Paris,  1639,  il  s'agit  dans  ce 
passage,  du  roi  de  Perse, 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  l55 

tude  et  pas  de  liberté.  D'ailleurs  leur  nature  étant 
la  même  que  celle  des  autres  hommes,  ils  ne 
peuvent  se  passer  d'une  multitude  de  choses  qui 
leur  sont  indispensables  pour  se  maintenir  dans 
la  vie  et  dans  leur  état  ;  et  voilà  déjà  quelque 
chose  d'incompatible  avec  une  entière  et  parfaite 
liberté,  telle  que  nous  pouvons  le  concevoir  même 
dans  un  homme.  Et  de  plus,  leur  puissance  est 
bornée  par  les  frontières  de  leur  royaume,  par  le 
nombre  des  années,  des  mois,  des  jours  déjà  écou- 
lés de  leur  règne  et  par  le  nombre  limité  des  cho- 
ses qu'ils  peuvent  commander  ou  défendre. 

Dieu  est  affranchi  de  toutes  ces  limites,  car  il 
n'a  personne  qui  lui  soit  supérieur,  il  n'a  aucun 
besoin  des  choses  de  ce  monde,  étant  infini  en 
lui-même,  en  toute  sorte  de  grandeur  et  de  féli- 
cité ;  il  possède  des  biens  d'une  si  large  et  si 
ample  étendue  qu'il  n'est  resserré  ou  limité  d'au- 
cune manière  et  qu'il  n'est  ni  soumis  ni  lié  à  qui 
ou  à  quoi  que  ce  soit.  Or  tous  ces  avantages 
constituent  un  état  de  liberté  parfaite.  L'espace 
n'a  pas  pour  lui  d'horizon,  car  les  cieux  des  cieux 
ne  peuvent  le  contenir  ;  il  s'élève  et  s'étend  bien 
au-delà.  Le  temps  ne  le  limite  pas,  car  des  milliers 
de  siècles  ne  suffiraient  pas  à  mesurer  sa  durée  et 
ne  pourraient  jamais  en  marquer  le  terme.  Toutes 
les  vertus  relèvent  de  son  universelle  juridiction  ; 
il  n'a  ni  le  plus  léger  souci,  ni  la  moindre  attache 
à  tous  les  biens  temporels,  soit  de  ce  monde,  soit 
de  mille  autres  mondes  qu'il  pourrait  créer  :  qu'en 
ferait-il,  puisque  sa  seule  Essence  infinie  renferme 
tous  les  objets  de  la  félicité  la  plus  parfaite  ?  Aussi 
se  suffit-il  à  lui-même, 


l56  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Les  déterminations  qu'il  a  prises  de  toute  éter- 
nité au  sujet  de  ses  créatures,  ne  lient  même  pas 
sa  liberté  ;  car  bien  qu'elles  soient  irrévocables  et 
qu'une  fois  prises,  elles  soient  nécessaires  pour 
l'ordre  de  l'univers,  toutefois  comme  la  liberté 
n'est  incompatible  qu'avec  les  choses  absolument 
nécessaires,  c'est  librement  qu'il  persévère  dans 
ses  déterminations  auxquelles  il  s'est  arrêté  lui- 
même  en  toute  liberté. 

O  Souverain  Seigneur  !  O  Dieu  des  dieux  !  je 
me  réjouis  en  apprenant  que  vous  jouissez  d'une 
si  parfaite  et  si  éminente  liberté.  Oh  !  que  bénie 
soit  l'infinité  de  vos  grandeurs  d'oia  découle  cette 
haute  perfection  qui  n'appartient  qu'à  vous  seul  ! 
Oh  !  que  je  voudrais  voir  tous  les  grands  de  la 
terre  mettre  leur  sceptre  et  leur  couronne  à  vos 
pieds,  pour  protester  par  des  actes  qu'ils  ne  sont 
que  vos  esclaves  et  qu'un  misérable  néant  en  face 
de  vous  !  Seigneur,  vous  êtes  indépendant,  vous 
vous  suffisez  à  vous-même  et  vous  tirez  de  votre 
propre  fond  la  liberté  et  l'autorité  suprêmes.  Je 
m'humilie  devant  vous  en  considérant  cette  su- 
prême liberté  :  dans  cette  pensée,  je  vous  adore 
avec  tout  le  respect  et  toute  la  soumission  dont  je 
suis  capable  et  je  confesse  «  que  vous  êtes  mon 
«  Dieu^car  vous  fCave\  que  faire  de  mes  biens,  » 
(Ps.  i5.) 

II 

Dieu  est  libre  dans  les  déterminations  qu'il 
prend  au  sujet  des  créatures.  Tout  ce  qu'il  a  voulu 
et  décrété   éternellement   à    leur   endroit,    il   l'a 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  ibj 


voulu  et  l'a  décrété  librement,  car  il  avait  la  fa- 
culté de  le  décréter  ou  de  ne  pas  le  décréter  indif- 
féremment. Comme  il  ne  résulte  des  relations  de 
la  volonté  de  Dieu  avec  les  êtres  créés,  aucun 
accroissement  de  perfection  pour  cette  volonté,  la 
décision  que  Dieu  prend  à  leur  sujet,  quelle 
qu'elle  soit,  ne  change  en  rien  sa  volonté  ;  tandis 
que  chez  nous  le  changement  est  la  conséquence 
de  la  liberté. 

Pour  bien  éclaircir  ce  point  difficile,  considérez 
que  la  volonté  divine  se  porte  vers  trois  objets. 
Premièrement  elle  se  porte  vers  le  souverain  bien 
qui  n'est  autre  chose  que  Dieu  même  ou  son 
Essence  infinie.  Dieu  l'aime  d'un  amour  de  com- 
plaisance absolument  nécessaire,  parce  qu'il  lui 
est  impossible  en  se  voyant  si  beau,  si  riche,  si 
parfait  et  en  possession  de  tout  bien,  de  ne  pas 
s'aimer.  Secondement  sa  volonté  se  porte  vers 
les  créatures  possibles,  en  tant  qu'elles  sont  seu- 
lement possibles  :  Dieu  les  considère  comme 
douées  de  cette  bonté  qu'elles  peuvent  avoir  et  en 
éprouve  une  joie  indicible.  Semblable  à  un  roi 
qui,  songeant  aux  victoires  qu'il  pourrait  rempor- 
ter et  aux  provinces  qu'il  pourrait  conquérir,  s'il 
mobilisait  ses  troupes,  se  complaît  dans  ces  objets 
qui  n'ont  d'existence  que  dans  sa  pensée  ;  Dieu 
considérant  les  milliers  de  mondes  qu'il  pourrait 
créer,  se  complaît  dans  leur  possibilité  :  et  quoi- 
que cette  complaisance  soit  inefficace,  cependant 
elle  est  encore  nécessaire,  parce  que  les  choses 
possibles  ont  de  la  bonté  d'une  certaine  manière 
et  que  cette  bonté  est  nécessaire  :  pour  ce  motif 
la  volonté  de  Dieu  qui  est  droite  ne  peut  avoir  de 


l58  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Taversion  pour  les  êtres  possibles  et  se  complaît 
en  eux  nécessairement. 

Troisièmement  la  volonté  de  Dieu  se  porte  vers 
les  créatures  qui  existent  dans  n'importe  quel 
temps  ;  mais  elle  s'y  porte  d'un  amour  libre, 
de  telle  sorte  que  tout  ce  que  Dieu  décrète  tou- 
chant ce  monde  et  les  créatures  qu'il  renferme, 
touchant  la  création  des  hommes,  leur  Justifica- 
tion, leur  glorification,  il  le  décrète  librement  et 
avec  la  faculté  d'en  décider  autrement,  car  rien 
ne  l'obligeait  à  se  déterminer  à  créer  ce  monde 
plutôt  qu'un  autre.  Une  créature  qui  a  un  peu  de 
générosité  et  un  certain  degré  de  sainteté  peut 
mépriser  ce  monde,  ses  richesses  et  ses  honneurs 
pour  aimer  un  bien  supérieur  :  à  combien  plus 
forte  raison  Dieu  aurait  pu,  quand  ce  monde 
s'offrit  à  sa  pensée  de  toute  éternité,  le  dédaigner 
comme  il  a  dédaigné  tous  les  autres  mondes  qui 
sont  possibles.  Si  donc  considérant  éternellement 
le  monde  actuel  avec  tout  ce  qui  devait  en  résul- 
ter, il  l'a  fait  sortir  du  néant  de  préférence  à  tant 
d'autres,  c'est  un  effet  de  sa  libre  volonté. 

Je  veux  vous  admirer,  Seigneur,  et  vous  aimer, 
parce  que  librement  et  de  votre  plein  gré,  vous 
avez  voulu  ce  monde  dont  je  fais  partie.  Même 
en  supposant  que  vous  eussiez  le  désir  de  voir 
une  terre  se  mouvoir  autour  du  soleil,  être  éclai- 
rée par  cet  astre  et  se  couvrir  d'une  riche  végéta- 
tion, il  vous  était  facile  de  créer  un  autre  soleil, 
d'autres  cieux  et  une  autre  terre  que  celle  que 
nous  voyons.  Si  vous  aviez  le  désir  de  voir  des 
âmes  raisonnables  animer  des  corps  mortels, 
combien  d'autres  âmes  que  les  nôtres,  ne  pouviez- 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  I  Sg 

VOUS  pas  créer,  chez  qui  vous  auriez  trouvé  plus 
de  zèle  et  de  fidélité  à  vous  servir  ?  néanmoins 
vous  les  avez  laissées  dans  le  néant  et  vous  en 
avez  tiré  mon  âme  et  mon  corps.  Ah  !  mon  Dieu  ! 
pourquoi  m'avez-vous  choisi  au  milieu  de  cette 
infinité  d'êtres  possibles,  moi  qui  ne  vous  avais 
jamais  servi  ?  je  Tignore.  Qu'importe  après  tout 
la  raison  de  votre  choix  :  toujours  est-il  que  je  me 
sens  tellement  obligé  envers  vous  que  la  pen- 
sée et  la  parole  me  font  défaut  pour  exprimer 
ma  reconnaissance.  C'est  pour  cela  que  je  vous 
aime  plus  que  mon  cœur  et  ma  vie.  Je  suis  prêt, 
dans  le  cas  où  ce  serait  utile  à  votre  gloire,  à 
perdre  des  millions  de  fois  tout  ce  que  je  pos- 
sède, pour  vous  prouver  combien  je  me  sens 
obligé  envers  vous.  Ce  grand  Dieu  a  préféré  mon 
âme  à  une  multitude  d'autres  qui  lui  paraissaient 
devoir  être  meilleures  :  en  retour  je  le  préférerai 
lui-même  à  tout.  «  Vive  mon  Seigneur^  mon 
«  Dieu;  béni,  exalté  soit  le  Dieu  de  mon  salut  ». 
(Ps.  17). 

III 

Dieu  est  encore  libre  dans  l'exécution  de  ses 
décrets  et  de  ses  déterminations  ;  il  est  libre  de 
tout  obstacle  et  de  tout  empêchement  ;  car  il  n'y 
a  personne  qui  puisse  s'opposer  à  ses  desseins,  et 
en  arrêter  l'exécution,  personne  qui  puisse  lui 
demander  raison  de  ses  œuvres  et  lui  dire  :  pour- 
quoi agissez-vous  ainsi  ?  D'un  mot  il  a  bâti  cet 
univers  aussi  facilement  qu'un  homme  remue  le 
bout  de  sa  langue  ou  retourne  la  main.  D'un  souffle 
il  fit  pénétrer  l'âme,  cette  substance  si  noble,  dans 


l6o  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

le  corps  d'Adam.  Tous  les  jours  il  envoie  ses 
premiers  attraits  et  ses  grâces  excitantes  dans  les 
âmes  pour  les  attirer  à  lui  et  les  convier  à  Tobser- 
vation  de  ses  lois  :  c'est  une  première  faveur  spi- 
rituelle que  nul  ne  peut  empêcher.  Si  Tâme 
s'endurcit  et  résiste,  ce  n'est  qu'à  la  manifestation 
extérieure  de  la  volonté  divine  qu'elle  résiste, 
jamais  à  la  volonté  intérieure  et  de  bon  plaisir 
qui  arrive  toujours  au  but  qu'elle  s'est  proposée. 
Pour  n'avoir  jamais  des  désirs  qui  ne  se  réalise- 
raient pas  par  le  fait  de  la  malice  humaine,  Dieu 
n'a  pas  voulu  d'une  volonté  absolue  telle  chose 
qu'il  prévoyait  ne  devoir  jamais  être  :  néanmoins 
il  se  vengera  par  les  flammes  de  l'enfer,  dont 
personne  ne  pourra  la  délivrer,  de  l'opposition 
qu'une  âme  aura  osé  faire  à  sa  volonté  extérieure 
qui  commandait  ou  défendait.  «  Le  Seigneur  des 
«  vengeances,  le  Dieu  des  vengeances  a  agi 
«  librement.  »  (Ps.  93.).  Mais  d'autre  part,  si  une 
âme  se  rend  docile  à  ses  lumières  et  obéissante  à 
ses  lois  pendant  toute  la  vie,  il  la  justifiera  et 
la  glorifiera  éternellement  et  nul  sur  la  terre  ni 
dans  l'enfer  ne  pourra  l'en  empêcher,  car  il  est  le 
maître.  «  //  a  fait  tout  ce  qu'il  a  voulu  au  ciel 
«  et  sur  la  terre,  sur  la  mer  et  dans  les  abî- 
mes. »  (Ps.  134.) 

Au  reste  si  Dieu  ne  peut  ni  vouloir  ni  accom- 
plir le  mal,  ce  n'est  pas  un  défaut  de  sa  liberté, 
mais  c'est  la  perfection  même  de  cette  liberté.  De 
même  que  si  une  colonne  ne  peut  pas  être  abat- 
tue, c'est  une  preuve  de  sa  grande  solidité,  si  un 
soldat  ne  peut  jamais  être  vaincu,  c'est  la  preuve 
suprême  de  son  grand  courage  ;  ainsi  la  liberté 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  l6l 

divine  est  d'autant  plus  parfaite  qu'elle  ne  peut 
vouloir  le  mal,  qu'elle  demeure  invulnérable  à  ses 
traits.  Saint  Anselme  (i)  l'avait  déjà  reconnu, 
quand  il  écrivait  que  le  pouvoir  de  mal  faire  n'est 
ni  la  liberté,  ni  une  partie  de  la  liberté  ;  Saint 
Thomas  (2)  l'a  expliqué  admirablement,  quand  il 
a  dit  que  cela  est  vrai  en  général  de  toutes  sortes 
de  natures  et  d'états.  Si  en  effet  la  faculté  de 
pécher  fait  partie  de  la  liberté  dans  l'état  de  la 
vie  présente,  il  n'en  est  pas  de  même  dans  l'état 
de  gloire  des  anges  ni  des  hommes,  ni  dans  la 
nature  de  Dieu.  Sans  doute  la  liberté  a  plus  ou 
moins  d'étendue,  s'étend  à  un  plus  ou  moins  grand 
nombre  d'objets,  selon  les  sujets  qui  en  sont  doués 
et  dont  les  perfections  sont  inégales  :  mais  elle  ne 
subsiste  pas  moins  dans  la  nature  parfaite  de 
Dieu,  à  côté  d'une  sainteté  inviolable,  et  aussi 
chez  les  anges  et  les  hommes  béatifiés  et  dès  lors 
incapables  de  pécher.  Dieu  est  donc  libre  dans 
l'exécution  de  ses  œuvres. 

Apprends  par  là,  ô  mon  âme,  à  craindre  Dieu 
dans  tes  dérèglements.  Si  tu  tombes  entre  les 
mains  de  sa  justice,  personne  ne  pourra  te  proté- 
ger contre  ses  traits.  Mais  apprends  à  espérer,  si 
tu  te  voues  à  l'aimer  sincèrement  ;  car  quand  bien 
même  toutes  les  puissances  de  la  terre  se  ligue- 
raient contre  toi,  leurs  vains  efforts  n'empêche- 
raient pas  ta  glorification.  Apprends  aussi,  ô  mon 
âme,  à  être  puissante,  quand  il  s'agit  de  faire  des 
actes  de  vertu  et  à  être  impuissante  pour  le  vice  : 
car  «  pourquoi  te  glorifies-tu  de  ta  malice^  toi 

I.  De  lih.  ari.  c.  i. 
3.  Sentent,  dis  t.  2b,  art.  4. 
Bail,  t.  i.  xi 


l62  LA    THÉOLOGIE     AFFECTIVE 

«  qui  est  puissant  pour  le  mal  ?  »  (Ps.  5i.).  Ap- 
prends enfin  à  servir  ton  Dieu  librement,  sans 
contrainte  et  sans  tristesse,  puisque,  lui,  te  fait  du 
bien  de  son  plein  gré,  sans  y  être  |forcé.  Donc, 
«  mon  Dieu,  je  vous  offrirai  des  sacrifices  du 
«  fond  de  mon  cœur  et  f  exalterai  votre  nom  » 
(Ps.  53.)  par  de  magnifiques  louanges. 


XXIV  MÉDITATION 

DE  L'AMOUR  DE  DIEU  ENVERS 
LES  CRÉATURES 


SOMMAIRE 

Dieu  les  aime  toutes  —  d'un  amour  éternel, 
constant,  gratuit^  singulier  —  et  fécond. 

I 

CONSIDÉREZ  la  réalité  de  l'amour  de  Dieu 
envers  ses  créatures  ;  il  les  aime  toutes 
d'un  amour  naturel  ou  d'un  amour  surnaturel.  En 
voici  la  raison  :  Dieu  a  une  volonté  dont  le  pre- 
mier mouvement  et  le  premier  acte  est  d'aimer, 
c'est-à-dire  de  s'incliner  vers  ce  qui  est  bon  et  d'y 
tendre  comme  vers  son  objet  propre.  Le  premier 
bien  qui  s'offre  à  la  volonté  de  Dieu  étant  son 
Essence  infinie,  celle-ci  est  la  première  aimée. 
Les  créatures  viennent  ensuite,  parce  qu'elles  sont 


DES   ATTRIBUTS    DE  DIEU  l63 

les  images  et  les  effets  de  cette  Essence,  C'est 
pourquoi  l'amour  que  Dieu  se  porte  à  lui-même, 
le  provoque  et  le  pousse  à  aimer  les  créatures,  de 
même  que  l'amour  que  l'on  a  pour  le  père  incline 
à  aimer  les  enfants.  L'amour  de  Dieu  pour  les 
créatures  n'est  donc  que  comme  un  rejeton,  ou 
une  extension  de  l'amour  qu'il  a  pour  son  Essence, 
c'est-à-dire  pour  lui-même. 

La  preuve  évidente  de  cet  amour  résulte  encore 
de  ce  fait  qu'aimer  n'est  autre  chose  que  vouloir 
du  bien  à  quelqu'un.  Or,  il  n'y  a  pas  une  seule 
créature  à  qui  Dieu  ne  veuille  du  bien  à  cause  de 
son  infinie  bonté.  De  son  plein  gré,  à  toutes  il  fait 
du  bien,  il  les  crée,  leur  conserve  l'être.  Or,  agi- 
rait-il ainsi,  s'il  ne  les  aimait  pas  ? 

Mais  comme  les  biens  dont  il  gratifie  ses  créa- 
tures sont  de  deux  sortes,  les  uns  naturels  et  les 
autres  surnaturels,  de  là  résulte  une  différence 
dans  le  degré  d'amour  qu'il  leur  témoigne.  Les 
unes  sont  aimées  de  lui  d'un  amour  simplement 
naturel,  parce  qu'elles  n'ont  part  qu'aux  biens  de 
la  première  espèce,  dont  l'effet  n'est  pas  d'élever 
la  nature  au-dessus  d'elle-même,  telles  sont  toutes 
les  créatures  de  ce  monde,  les  éléments,  les 
hommes,  même  les  pécheurs  réprouvés  et  les 
démons  ;  pour  ces  derniers.  Dieu  conserve  un 
amour  naturel  qui  se  manifeste  en  ce  que,  malgré 
leur  malice  et  leur  ingratitude,  il  les  fait  subsister 
et  ne  les  anéantit  pas. 

D'autres  créatures  sont  plus  chèrement  aimées, 
à  savoir,  d'un  amour  surnaturel  ;  ce  sont  celles  à 
qui  il  accorde  ses  grâces  dans  le  but  de  les  pro- 
mouvoir à  la  gloire.   Par  l'affection  singulière  que 


164  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

Dieu  leur  porte,  il  les  élève  au-dessus  de  leur 
condition  naturelle  et  les  fait  grandir  au  milieu  de 
toutes  les  autres  créatures,  comme  un  roi  élève 
ceux  de  ses  sujets  qui  ont  le  bonheur  d'être  ses 
favoris.  Dieu,  dit  saint  Augustin  (i),  aime  tout  ce 
qu'il  a  fait,  mais  spécialement  les  créatures  raison- 
nables et  parmi  celles-ci  plus  spécialement  celles 
qui  sont  les  membres  de  son  Fils  unique  :  il  a  un 
amour  encore  plus  grand  pour  son  Fils  unique 
lui-même. 

J'admirerai  cet  amour  de  Dieu  et  je  m'en 
réjouirai  :  car  quelle  nouvelle  plus  étonnante  et 
plus  heureuse  peut  apprendre  une  vile  et  mépri- 
sable créature,  sinon  celle-ci,  qu'elle  est  aimée  de 
son  Créateur  ?  «  Car,  o  Seigneur,  vous  aime^ 
«  tout  ce  qui  a  Vêtre,  et  vous  ne  haïsse^  rien  de 
«  tout  ce  qu£  vous  ave^  Jaii  »  (Sag.  ii);  mais 
«  qu'est-ce  que  Thomme,  »  ô  mon  Dieu,  «  pour 
«  que  vous  Vhonorie^  au  point  de  lui  donner 
«  votre  cœur  ?  »  (Tob.  7.)  «  Qu'est-ce  que 
«  rhomme,  pour  que  vous  vous  souveniez  de 
«  lui}  »  (Ps.  8.)  Hélas!  notre  indignité  est  si 
grande,  nos  fautes  si  énormes,  nos  vices  si  mons- 
trueux et  notre  vie  si  déplorable  !  Et  cependant 
vous  avez  de  l'amour  pour  nous  ;  vous  si  grand, 
pour  des  créatures  si  chétives,  vous  si  auguste  et 
si  plein  de  majesté,  pour  des  vermisseaux  qui 
rampent  sur  la  terre  et  la  souillent  continuelle- 
ment. Vous  êtes  rinfini  :  nous  sommes  donc  à 
une  distance  infinie  de  vous  ;  mais  vous  franchis- 
sez cette  distance  pour  vous  unir  à  nous  par 
l'amour.  Oh  !  qu'il  soit  à  jamais  béni  cet  amour  ! 

I.  Tract,  loi  in  Joan. 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  l65 

Je  VOUS  remercie,  ô  mon  Dieu,  en  mon  nom  et  au 
nom  de  toutes  les  créatures  de  l'univers. 

II 

Voici  les  qualités  de  l'amour  de  Dieu  :  il  est 
éternel,  constant,  gratuit  et  singulier. 

Son  amour  est  éternel  :  il  n'a  jamais  été  nou- 
veau, car  c'est  de  toute  éternité  que  Dieu  a  porté 
le  décret  de  faire  un  jour  du  bien  à  toutes  ses 
créatures.  «  //  nous  a  aimés  avant  Ja  création  du 
«  monde^  »  dit  saint  Paul.  (Eph.  i.) 

Son  amour  est  constant  :  car  sans  jamais  varier, 
ce  grand  et  excellent  Maître  a  persisté  dans  la 
résolution  irrévocable  de  nous  communiquer  ses 
dons,  et  son  cœur  enflammé  d'un  admirable  amour 
a  persévéré  dans  une  sorte  de  sollicitude  inquiète 
et  de  préoccupation  bienveillante  envers  nous, 
qui  n'a  pas  connu  un  seul  moment  de  trêve  ou  de 
repos.  «  Je  fai  aimé  d'un  amour  éternel.  » 
Jer.,  3i.) 

Son  amour  est  gratuit  :  car  Dieu  n'a  en  vue 
aucun  intérêt,  il  ne  compte  sur  aucun  retour 
d'affection  :  l'unique  motif  de  son  amour  c'est  la 
surabondance  de  sa  bonté  ;  parce  qu'il  en  est  rem- 
pli, il  désire  la  communiquer  comme  une  fontaine 
où  l'eau  arrive  à  grands  flots  ne  demande  qu'à  se 
répandre.  Ce  ne  sont  pas  les  puissants  attraits  des 
créatures  qui  provoquent  son  amour  :  l'attrait 
auquel  il  cède  ne  vient  pas  du  dehors  :  c'est  dans 
sa  bonté  naturelle  et  en  lui-même  qu'il  le  trouve, 
comme  si  toute  son  Essence  n'avait  d'autre  fin  que 
l'amour  de  ses  créatures,  a  Je  les  aimerai ^  dit-il, 
de  mon  plein  gré.  »  (Osée,  14.) 


l66  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Enfin  son  amour  est  singulier,  car  il  aime  cha- 
que créature  en  particulier  autant  que,  si  ayant 
oublié  le  ciel,  la  terre,  tout  en  un  mot,  il  n'avait 
qu'elle  seule  à  aimer.  Celle  qui  a  le  bonheur  d'être 
nouvellement  admise  dans  son  amitié,  n'éprouve 
aucun  préjudice  résultant  de  la  société  des  autres 
amis,  de  même  que  ceux-ci  ne  subissent  aucun 
dommage  de  l'admission  des  nouveaux.  Sans  doute 
son  amour  est  leur  bien  commun,  mais  parce  qu'il 
est  infini,  il  comble  chaque  créature  de  biens  aussi 
grands,  que  si  elle  était  seule  à  les  recevoir.  Son 
amour  est  donc  à  la  fois  le  bien  de  tous  et  de  cha- 
cun en  particulier.  Remarquez  qu'il  dit  à  l'âme 
qu'il  chérit  comme  son  épouse  :  «  ma  colombe 
«  est  unique.  »  (Gant.  4.)  Et  si  l'abbé  Rupert  a 
été  bien  inspiré  d'appliquer  à  Jésus-Christ  les 
paroles  de  David  au  sujet  de  Jonathas,  Dieu  à  son 
tour  peut  adresser  à  l'homme  ces  mêmes  paroles 
ravissantes  de  tendresse  :  «  Comme  la  mère  aime 
«  son  fils  unique,  ainsi  je  f  aimais.  »  (II.  Rois,  i.) 

Je  m'exciterai  moi-même  par  la  considération 
d'un  si  parfait  amour  :  il  semble  en  effet  impossi- 
ble qu'un  cœur  se  refuse  à  celui  de  qui  il  est  si 
noblement  aimé.  Le  Sage  nous  donne  cet  avis  : 
«  n'abandonne:^  pas  un  ancien  ami,  car  Je  nou- 
«  veau  ne  le  vaudra  pas.  »  (Eccl.  g.)  Ce  vieil  ami 
qui  ne  saurait  être  remplacé,  c'est  vous,  ô  mon 
Dieu  ;  car  qui  donc  aime  comme  vous  de  toute 
éternité,  si  constamment,  si  gratuitement,  si  sin- 
gulièrement que  vous  ?  Pourquoi  donc  moi,  suis-je 
de  glace  ?  Pourquoi  ne  suis-je  pas  tout  flamme  et 
tout  amour  ?  Ah  !  rien  n'allume  mieux  le  feu  que 
le  feu   lui-même.  Or  votre  amour  est  un  feu,  ô 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  1 67 

mon  Dieu,  un  feu  plus  capable,  tant  il  est  grand, 
d'enflammer  un  cœur  de  votre  amour,  que  le 
monde  entier,  s'il  est  en  feu,  ne  serait  capable 
d'enflammer  un  seul  corps.  D'où  vient  donc  cette 
glace  dans  mon  âme  ?  Faites-la  fondre,  Seigneur, 
qu'elle  se  liquéfie  et  qu'elle  se  transforme  en  un 
amour  ardent,  afin  que  je  vous  aime  uniquement 
comme  mon  seul  bien,  purement,  c'est-à-dire  pour 
vous-même,  constamment  enfin  et  éternellement. 

III 

Considérez  encore  l'utilité  de  cet  amour  et  le 
bien  qui  en  découle.  Ce  qui  distingue  l'amour 
divin  de  l'amour  créé,  c'est  que  celui-ci  est  ordi- 
nairement stérile  et  ne  produit  que  peu  ou  point 
d'effets.  L'amour  divin  au  contraire  est  actif  et 
fécond  en  bienfaits,  il  confère  des  avantages  à 
ceux  qui  en  sont  l'objet,  les  enrichit  de  dons  et 
les  élève  à  des  hauteurs  inouïes,  jusqu'à  les  béa- 
tifier et  les  faire  participer  dans  le  ciel  aux  gran- 
deurs que  Dieu  lui-même  possède  par  nature. 
C'est  d'autant  plus  vrai  que  notre  volonté,  dit  le 
Docteur  angélique  (i),  n'est  pas  la  cause  de  la 
bonté  des  êtres,  mais  que  plutôt  elle  est  mue  par 
la  bonté  des  êtres  comme  par  son  objet.  Par 
suite  notre  amour,  dont  le  trait  distinctif  est  de 
vouloir  du  bien  à  notre  ami,  n'est  pas  la  cause  de 
sa  bonté,  mais  au  contraire  c'est  sa  bonté  ou 
réelle  ou  apparente  qui  provoque  notre  amour  et 
lui  donne  naissance  ;  et  puis,  un  des  effets  de  cet 
amour  consiste  à  souhaiter  à  celui  que  nous  ai- 
mons la  conservation  et  l'augmentation  du  bien 

I,  Quoest.  so.  art.  9. 


LA   THEOLOGIE    AFFECTIVE 


qu'il  possède  et  à  nous  employer  à  cette  fin. 
Quant  à  l'amour  divin,  il  crée  et  met  lui-môme  la 
bonté  dans  les  êtres.  Saint  Thomas  veut  dire  par 
là  que  l'amour  humain  ne  donne  pas  la  bonté  et 
les  qualités  dignes  d'être  aimées,  à  ceux  qui  en 
sont  l'objet,  mais  qu'il  les  suppose  en  eux,  tandis 
que  l'amour  divin  ne  les  suppose  pas,  mais  les 
apporte  avec  lui  et  produit  dans  les  créatures 
toute  la  bonté  et  toutes  les  perfections  qu'elles 
ont  :  c'est  lui  qui  en  est  la  source.  Ainsi  Dieu  a 
fait  à  l'homme  un  double  don  :  celui  de  son 
amour  de  bienveillance  d'abord,  et  puis  celui  de 
toute  la  bonté  que  possède  l'homme.  Ce  second 
don  n'est  jamais  accordé  que  comme  conséquence 
du  premier:  si  Dieu  ne  commençait  pas  à  accorder 
à  l'homme  son  amour,  celui-ci  n'aurait  pas  un 
seul  degré  de  bonté.  D'un  autre  côté,  si  Dieu  lui 
retire  un  instant  sa  bienveillance  et  avec  elle  son 
amour  naturel  et  son  amour  surnaturel,  l'homme 
se  verra  immédiatement  dépouillé  de  tout  :  plus 
de  paradis,  plus  d'espérance,  le  soleil  ne  luira 
plus  pour  lui,  la  terre  ne  le  soutiendra  plus,  l'air 
ne  se  laissera  plus  respirer  par  lui,  ses  membres 
tomberont  et  toute  sa  substance  retournera  dans 
le  néant.  C'est  ainsi  que  l'amour  divin  est  la  cause 
de  tous  les  biens. 

O  mon  Seigneur,  «  que  \otre  esprit  est  bon  » 
(Sag.  12)  et  combien  est  suave  l'inclination  de 
votre  amour  à  se  répandre  sur  toutes  les  choses 
créées  !  Qu'ai-je  donc  à  faire  de  l'amour  du  monde 
et  des  bonnes  grâces  des  grands  de  la  terre  ?  En 
fin  de  compte,  quel  avantage  en  revient-il  à  ceux 
qui   les  cultivent  et   les  mendient  au  mépris  des 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  169 

vôtres  ?  Oh  !  il  me  suffit  d'être  en  possession  de 
votre  amour  et  de  votre  grâce  ;  après  cela,  que  le 
monde  me  rejette,  je  suis  satisfait,  puisque  vous 
m'aimez,  vous,  dont  l'amour  est  la  source  de  tout 
bien. 


XXV^  MÉDITATION 


DE  LA  HAINE  DE  DIEU 

CONTRE  LES  PÉCHÉS 

ET  CONTRE  LES  PÉCHEURS 


SOMMAIRE 

Dieu  hatt  le  péché  et  les  pécheurs  —  qualité  de 
cette  haine  dans  cette  vie  —  dans  la  vie  future. 

I 

CONSIDÉREZ  la  réalité  de  la  haine  que  Dieu  a 
vouée  au  péché  et  aux  pécheurs,  selon  la 
parole  du  Sage  :  «  Vimpie  et  son  impiété  sont 
«  également  haïs  de  Dieu.  »  (Sag.  14.)  Il  est  vrai 
qu'il  aime  tout  ce  qu'il  a  fait,  mais  il  n'aime  pas  le 
péché  dont  il  n'est  pas  l'auteur,  ni  le  pécheur 
comme  tel,  parce  qu'il  ne  l'a  point  fait  comme 
pécheur,  mais  comme  homme.  Et  tant  s'en  faut 
que  son  amour  puisse  faire  obstacle  à  sa  haine, 
qu'au  contraire  c'est  son  amour  qui  semble  l'exci- 


170        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

ter,  là  où  elle  a  un  juste  sujet  d'éclater.  Car 
puisque  Dieu  a  de  l'amour  pour  le  bien,  il  s'ensuit 
nécessairement  qu'il  hait  le  mal.  Aimerait-il  sincè- 
rement le  bien  s'il  ne  haïssait  le  contraire  du  biea, 
le  mal  ? 

Et  de  plus,  Dieu  est  juste,  il  est  saint,  il  est  la 
pureté  et  la  sainteté  même  ;  il  est  donc  inadmis- 
sible que  l'injustice  puisse  lui  plaire,  car  il  n'ap- 
partient qu'à  un  être  dépravé  de  ne  pas  s'indigner 
à  la  vue  du  mal.  Aussi  dès  que  le  péché  est 
commis.  Dieu  ne  suspend  plus  l'action  de  sa 
volonté  ;  en  qualité  de  juge  souverain,  il  le 
condamne  intérieurement  et  il  le  hait  partout  où 
il  l'aperçoit. 

Le  péché  mérite  bien  sa  haine  et  son  courroux  ; 
il  ruine  l'homme  qui  est  sa  vive  image  et  son 
chef-d'œuvre  sur  la  terre  ;  aussi  Dieu  s'indigne-t-il 
contre  le  péché  comme  l'artiste  s'indigne  contre 
celui  qui  détériore  son  oeuvre.  Alors  la  haine  de 
Dieu  s'appelle  haine  d'abomination  ;  elle  lui  fait 
considérer  le  péché  comme  un  mal  plus  horrible 
et  plus  exécrable  à  ses  yeux  que  ne  le  sont  aux 
yeux  des  hommes  la  peste,  la  foudre  et  les  ser- 
pents. 

Mais  son  indignation  et  sa  haine  ne  s'arrêtent 
pas  au  péché  :  elles  atteignent  aussi  le  pécheur  qui 
le  commet  volontairement.  Dieu  le  hait  comme 
pécheur,  c'est-à-dire  parce  qu'il  s'est  infecté  lui- 
même  du  venin  du  péché,  qu'il  s'est  souillé,  s'est 
défiguré  et  s'est  révolté  contre  son  souverain,  en 
faisant  de  l'ennemi  de  Dieu,  son  hôte  et  en  violant 
les  lois  divines.  Pour  ces  raisons  Dieu  lui  porte 
une   haine  qui  va  jusqu'à   l'hostilité  ;  qui  ne  se 


DES   ATTRIBUTS   DE   DIEU  I7I 

borne  pas  à  le  regarder  avec  déplaisir,  mais  qui  va 
jusqu'à  lui  vouloir  un  mal  qui  consiste  dans  une 
punition  infligée  dès  ici-bas  ou  après  la  mort.  C'est 
une  vérité  certaine  :  nous  devons  l'affirmer  cons- 
tamment et  hardiment,  dit  Lactance  (i),  car  c'est 
la  base  souverainement  rationnelle  et  le  ferme 
pivot  de  toute  religion  et  de  toute  piété.  Seraient- 
ils,  en  effet,  nombreux  les  serviteurs  de  Dieu,  si 
Dieu  aimait  ceux  qui  le  méprisent  et  ne  lui  ren- 
dent pas  le  culte  qui  lui  est  dû  ? 

Enfin  un  chef  d'armée  s'irrite  à  bon  droit, 
quand  il  voit  des  soldats  se  battre  mollement  ou 
jeter  bas  les  armes.  L'agriculteur  se  fâche  à  la  vue 
de  ses  terres  ravagées  et  de  ses  troupeaux  aban- 
donnés à  la  cruauté  des  loups.  Dieu  a  bien  autant 
de  raison  de  s'indigner  contre  les  pécheurs  et  de 
ne  pas  les  épargner  :  il  lui  appartient  de  les  rete- 
nir dans  leur  devoir  par  la  crainte  de  sa  haine  et 
de  sa  colère  comme  par  un  frein  qui  sert  à  les 
remettre  dans  le  droit  chemin,  dit  le  grand  saint 
Cyrille  (2). 

Je  ferai  donc  un  acte  de  foi  en  cette  vérité  et  je 
frémirai  en  songeant  que  je  puis  encourir  la  haine, 
l'indignation  et  la  vengeance  de  mon  Dieu.  Et 
puisque  c'est  le  péché  qui  allume  cette  haine,  je 
scruterai  tous  les  replis  de  mon  âme  pour  voir  si 
je  l'y  découvre  et  je  l'en  chasserai  aussitôt  par 
toutes  sortes  de  moyens.  Je  veux  rechercher  tous 
mes  péchés,  jusqu'aux  plus  véniels.  Ah  !  perfide 
iniquité,  tu  ne  réussiras  pas  à  me  faire  encourir 
plus  longtemps  la  haine  de  mon  Dieu.  «  Je  repas- 

I.  Lib.  de  ira  Dei,  cap.  6. 

^.  S.  Cjr.  Alex.,  1.  ;,  cont,  Julien, 


172        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

«  serai  toutes  les  années  de  ma  vie  dans  Vamer- 
«  tume  de  mon  âme  »  (Is.  38),  jusqu'à  ,cq.  que 
j'aie  pu  apaiser  le  courroux  de  Dieu  et  me  récon- 
cilier avec  lui. 

II 

Considérez  les  qualités  de  cette  haine  dont  Dieu 
poursuit  le  péché  et  les  pécheurs  dans  cette  vie. 

Premièrement  elle  est  sereine,  sans  émotion  et 
sans  trouble  ;  elle  n'altère  pas  sa  paix.  Dieu 
n'éprouve  pas  cette  agitation,  ces  bouillonnements 
du  sang,  ce  saisissement  du  cœur,  ces  change- 
ments de  couleur,  ce  tremblement  et  tous  violents 
effets  de  la  colère  qui  secouent  les  faibles  mortels 
en  proie  à  cette  passion. 

C'est  pour  cela  qu'en  second  lieu,  la  haine  en 
Dieu  est  toujours  juste  et  raisonnable  ;  en  effet 
toujours  en  possession  de  lui-même,  il  ne  poursuit 
de  sa  haine  que  ceux  qui  méritent  d'être  frappés 
et  comme  il  agit  sans  précipitation,  jamais  la  peine 
infligée  n'est  hors  de  proportion  avec  la  faute. 
Aussi  les  justes  ne  doivent-ils  pas  redouter  d'être 
enveloppés  dans  une  même  haine  avec  les  pécheurs 
et  les  pécheurs  à  leur  tour  n'ont  pas  à  appréhender 
d'être  châtiés  avec  excès  et  sans  proportion  avec 
ce  qu'ont  mérité  leurs  crimes  à  l'égard  d'une  Ma- 
jesté infinie.  Dieu  laisse  aux  hommes  les  fureurs 
injustes,  alors  que  la  haine  trouble  leurs  sens  et 
que  leurs  passions  les  emportent  à  se  venger  sans 
mesure. 

Troisièmement  la  haine  chez  Dieu  est  toujours 
tempérée  de  quelque  amour,  elle  n'est  jamais 
extrême.  Il  se  souvient  de  sa  miséricorde  et  ne 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  lyS 

fait  pas  aux  pécheurs  tout  le  mal  qu'il  serait  en 
droit  de  leur  faire.  Malgré  cette  haine,  en  effet,  il 
les  conserve  jusqu'à  ce  que  les  causes  naturelles 
amènent  leur  mort,  et  pendant  ce  délai,  il  ne  cesse 
de  leur  offrir  la  paix  ainsi  que  son  amitié,  de  les 
exciter  au  bien,  de  les  solliciter  par  sa  grâce  et  par 
les  attraits  de  sa  gloire,  qu'il  leur  permet  encore 
d'espérer,  s'ils  cèdent  au  repentir  et  se  convertis- 
sent. 

De  là  vient  qu'en  quatrième  lieu,  cette  haine  a 
chez  Dieu  cette  noble  propriété  de  s'apaiser  et  de 
s'éteindre,  quand  vient  à  faire  défaut  l'aliment  qui 
l'entretenait,  c'est-à-dire  le  péché  :  ce  que  Dieu 
hait,  en  effet,  chez  les  hommes  ce  n'est  pas  leur 
nature,  mais  le  mal.  Ainsi  quand  ils  cessent  d'être 
pécheurs,  il  cesse  d'être  courroucé  et  si  sa  haine 
persévère,  c'est  que  l'homme  dénaturé  persévère 
dans  ses  offenses,  dans  ses  ingratitudes,  dans  le 
mépris  des  choses  saintes  et  dans  sa  dureté,  car 
quiconque  a  renoncé  au  péché,  a  éteint  la  haine  de 
Dieu. 

Ces  considérations  m'inspireront  une  grande 
confiance  de  pouvoir  apaiser  la  colère  de  Dieu. 
Seigneur,  mes  péchés  sont  innombrables,  j'ai  mé- 
prisé vos  commandements  et  ceux  de  votre 
Eglise,  j'ai  résisté  aux  inspirations  du  Saint- 
Esprit  et  négligé  ses  conseils  ;  je  me  suis  laissé 
aller  à  toutes  sortes  de  fautes,  graves  ou  légères; 
j'ai  entassé  péché  sur  péché  ;  je  n'ai  jamais  fait  de 
sincère  pénitence  ;  je  suis  revenu  à  mes  mauvaises 
habitudes,  comme  le  chien  à  son  vomissement, 
comme  le  pourceau  à  sa  fange  :  pour  toutes  ces 
fautes.  Seigneur,  j'ai  encouru  justement  votre  dis- 


174  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

grâce  et  je  suis  devenu  l'objet  de  votre  haine. 
Mais  puisqu'aujourd'hui  vous  me  faites  la  grâce 
d'étudier  les  qualités  de  votre  haine  et  d'appren- 
dre que  vous  n'êtes  pas  inexorable,  mais  que  vous 
êtes  propice  aux  pécheurs  repentants,  je  déclare 
que  tant  qu'il  me  restera  un  souffle  de  vie,  je 
garderai  l'espoir  de  rentrer  en  grâce  avec  vous  et 
d'apaiser  votre  colère.  C'est  dans  ces  sentiments- 
là  que  je  vous  servirai,  Seigneur,  et  ma  consola- 
tion sera  de  penser  souvent  à  ces  paroles  du 
Psalmiste  :  «  O  Dieu^  vous  ne  rejetterez  pas  un 
«  cœur  contrit  et  humilié.  »  (Ps.  5o.) 

III 

Considérez  encore  les  qualités  de  cette  haine, 
telle  qu'elle  s'exercera  dans  la  vie  future  contre  les 
âmes  que  la  mort  aura  frappées  en  état  de  péché 
mortel. 

D'abord,  cette  haine  sera  manifeste  et  ces  mal- 
heureuses âmes  la  connaîtront  d'une  manière 
évidente.  Elles-mêmes  se  verront  en  état  de  pé- 
ché, souillées,  corrompues  et  étrangement  défigu- 
rées. A  cette  vue,  elles  s'estimeront  dignes  d'être 
abhorrées  de  tout  le  monde  et  surtout  de  Dieu 
qui  est  la  pureté  absolue  et  à  qui  elles  compren- 
dront qu'elles  doivent  singulièrement  déplaire. 

Cette  haine  sera  subite.  Elle  ne  différera  plus 
le  châtiment,  elle  n'ira  plus  à  la  vengeance  d'un 
pas  lent.  Semblable  à  une  rivière  qui,  longtemps 
contenue  par  des  rochers,  des  digues  et  d'autres 
obstacles,  coule  avec  impétuosité  dès  que  ces  obs- 
tacles ont  disparu,  inonde  tout  et  emporte  dans 
la  mer  ce  qui  s'oppose  à  sa  violence  ;  semblable  à 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEtJ  lyS 

la  foudre  qui  longtemps  retenue  dans  la  nue, 
éclate  enfin  avec  fureur,  tombe  sur  la  terre,  rava- 
geant et  détruisant  tout  ce  qu'elle  atteint  :  ainsi 
la  haine  de  Dieu  que  ne  retiendra  plus  la  miséri- 
corde et  la  patience,  éclatera  subitement  sur  ces 
âmes,  à  l'instant  même  où  elles  sortiront  du  corps 
et  exercera  contre  elles  d'immortelles  vengean- 
ces.' 

C'est  ainsi  que  cette  haine  sera  encore  implaca- 
ble :  pendant  toute  l'éternité  elle  ne  s'adoucira 
jamais;  les  âmes  demeureront  éternellement  souil- 
lées de  leurs  péchés  désormais  irrémissibles  et 
c'est  la  raison  pour  laquelle  elles  seront  éternelle- 
ment odieuses  à  Dieu  et  abhorrées  de  lui  :  d'où 
naîtra  en  elles  le  désespoir. 

Enfin  cette  haine  est  la  plus  redoutable  et  la 
plus  horrible  de  toutes  les  haines  imaginables. 
Qu'est-ce  auprès  d'elle  que  la  colère  des  rois,  qui 
cependant  est  comparée  au  rugissement  du  lion  ? 
Qu'est-ce  que  la  détresse  d'un  favori  disgracié  et 
dépouillé  de  tous  ses  biens,  comparée  aux  angois- 
ses d'une  âme  haïe  de  Dieu  ?  un  Jeu  tout  au  plus 
et  un  amusement.  La  haine  de  Dieu  est  chose  si 
épouvantable  qu'il  serait  préférable  d'être  mille 
fois  frappé  de  la  foudre  que  de  voir  la  face  de  Dieu 
se  détourner  de  nous  et  son  regard  ne  pouvoir 
supporter  notre  vue. 

A  quoi  pensons-nous  donc,  ô  mon  âme,  à  quoi 
pensent  tous  les  pécheurs  de  la  terre,  qui,  pendant 
que  cette  effroyable  épée  est  suspendue  sur  leur 
tête,  vivent,  les  insensés  !  dans  la  même  joie  et  la 
même  sécurité  que  si  leurs  affaires  prospéraient 
merveilleusement.    Hélas  !    qui   a   jeté   sur  leurs 


176  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

yeux  une  boue  si  épaisse,  qu'ils  n'entrevoient  rien 
des  peines  qui  leur  sont  préparées  ?  Ah  î  faites, 
Seigneur,  que  je  préfère  les  afflictions  de  la  vie 
présente  aux  maux  à  venir.  «  Seigneur,  ne  me 
«  châtiei{  pas  dans  votre  fureur  »  (Ps.  37)  au 
sortir  de  ce  monde.  Que  mon  âme  voie  alors  en 
vous,  plutôt  un  père  plein  d'amour  qu'un  Juge 
sévère.  Aussi  je  souffrirai  volontiers  toutes  les 
difficultés  et  tous  les  malheurs  du  temps,  pour 
me  racheter  des  feux,  des  sanglots,  des  grince- 
ments de  dents,  des  ténèbres,  des  désespoirs  et 
de  tous  les  tourments  qui  fondront  sur  vos  enne- 
mis. «  Brûle^  donc  ici,  Seigneur,  coupe^,  mais 
«  épargnez-moi  dans  l'éternité.  »  (i) 


XXVr  MÉDITATION 

DE   LA   MISÉRICORDE   DE    DIEU 


SOMMAIRE 

La  miséricorde  de  Dieu  en  elle-même  —  à  V égard 
des  pécheurs  —  à  V égard  des  justes. 

I 

LA  miséricorde  de  Dieu  s'exerce  sur  toutes  les 
créatures  du  monde.  Mais  pour  en  parler 
avec  exactitude,  il  est  nécessaire  de  savoir  ce  qui 
la   constitue    essentiellement.    Disons   donc   que 

I.  s.  Bernard. 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  I77 

c'est  une  vertu  qui  nous  porte  à  faire  du  bien  à 
quelqu'un  qui  est  malheureux.  C'est  bien  là  ce 
que  Dieu  fait  :  il  comble  de  biens  ses  créatures 
dans  le  but  de  les  délivrer  de  leurs  défauts  et  de 
les  retirer  de  leurs  misères  d'où  sans  son  secours, 
elles  ne  pourraient  sortir.  Faire  du  bien  aux  créa- 
tures, dit  le  Docteur  angélique  (i),  leur  donner  des 
perfections  peut  convenir,  il  est  vrai,  à  la  bonté 
de  Dieu,  à  sa  justice,  à  sa  libéralité,  comme  aussi 
à  sa  miséricorde,  mais  c'est  à  des  points  de  vue 
différents.  Quand  Dieu  fait  du  bien  aux  créatures, 
uniquement  pour  leur  faire  du  bien,  sans  autre 
considération,  cela  s'appelle  de  la  bonté.  Quand  il 
fait  ce  même  bien  aux  créatures  et  leur  commu- 
nique des  perfections,  dans  certaines  proportions 
et  selon  les  exigences  de  leur  nature,  c'est  de  la 
justice.  Si  Dieu  leur  fait  du  bien  par  le  seul  motif 
de  sa  bonté,  qui  le  porte  à  se  communiquer  sans 
en  attendre  aucun  profit,  aucun  intérêt  pour  sa 
gloire,  c'est  de  la  libéralité.  Mais  si  Dieu  fait  du 
bien  aux  créatures  et  leur  accorde  des  perfections 
dans  le  but  de  faire  disparaître  leurs  défauts  ou 
de  soulager  leur  misère,  c'est  alors  l'action  propre 
de  la  miséricorde.  C'est  pourquoi  en  raison  même 
de  l'intention  qu'a  Dieu  en  faisant  du  bien  à 
ses  créatures,  de  les  délivrer  de  leurs  misères,  il 
mérite  le  nom  de  miséricordieux  et  il  possède 
réellement  la  vertu  de  miséricorde,  bien  qu'il 
ne  ressente  en  lui-même  aucune  misère,  par  une 
vraie  et  réelle  compassion.  Il  fit  du  bien  à  ses 
œuvres  quand  il  créa  l'univers  et  il  fit  œuvre  de 
miséricorde    à   l'égard    de    toutes    les    créatures, 

I.  Quœst.  31.  art.  ). 
Bail,  t.  i.  t% 


LA   THEOLOGIE    AFFECTIVE 


quand  il  leur  donna  l'être  avec  des  propriétés  et 
des  facultés  naturelles,  pour  le  conserver  aussi 
longtemps  que  leur  condition  le  permet:  par  cette 
action  en  effet,  il  les  retira  de  Tabîme  du  néant, 
les  sépara  de  la  masse  des  choses  possibles  et 
aussi  les  délivra  par  là  de  la  première  misère  que 
nous  pouvons  imaginer,  qui  est  de  ne  pas  exister. 

Mais  cet  acte  de  miséricorde  ne  lui  parut  pas 
suffisant.  Il  vit  que  l'état  de  nature  pure  était 
moins  noble  et  moins  parfait  que  l'état  surnaturel, 
soit  de  la  grâce,  soit  de  la  gloire,  en  comparaison 
desquels  on  peut  l'appeler  une  profonde  misère. 
En  conséquence  il  accorda  aux  anges  et  aux 
hommes  le  bienfait  de  les  créer  dans  l'état  de 
grâce  d'où  ils  pourraient  s'élever  par  degrés  jus- 
qu'à la  gloire  qui  est  l'affranchissement  de  toutes 
les  misères. 

Enfin  mettant  le  comble  à  ses  bontés,  à  l'égard 
de  sa  créature,  qui,  si  sa  puissance  ne  la  conser- 
vait, retournerait  d'elle-même  à  son  néant  et  per- 
drait tout  ce  qu'elle  possède  et  tout  ce  qu'elle  est, 
il  conserva  par  son  concours  direct  son  être,  dans 
la  mesure  où  la  nature  de  cet  être  le  demande.  Il 
le  fit,  dit  saint  Denys  (i),  par  sa  bonté  conserva- 
trice dont  l'effet  est  de  préserver  les  créatures  de 
la  perte  de  tous  leurs  biens  :  c'est  ce  que  les  théo- 
logiens appellent  une  rédemption,  en  ce  sens  que 
Dieu  empêche  les  êtres  de  retomber  dans  le 
néant. 

J'inviterai  toutes  les  créatures  qui  existent,  à 
louer  cette  miséricorde,  me  jugeant  incapable  de 
le  faire  moi-même  dignement.  Anges  et  hommes, 

I.  Dt  div.  nomitté  c.  8. 


DES    ATTRIBUTS    DE   DIEU  I79 

deux  et  terre,  louez  Dieu,  bénissez-le,  exaltez-le 
dans  tous  les  siècles,  parce  que  tous  les  êtres  ont 
éprouvé  les  effets  de  sa  miséricorde.  O  Dieu  très 
bon,  nul  ne  peut  étendre  sa  miséricorde  aussi  loin 
que  vous.  Le  soleil  ne  peut  affranchir  les  hommes 
que  des  ténèbres  :  il  n'éclaire  à  la  même  heure 
qu'à  peine  un  tiers  du  monde  et  sa  lumière  ne  luit 
que  pour  des  créatures  mortelles.  Que  tout  cela 
est  peu,  Seigneur,  au  prix  des  innombrables  bien- 
faits de  votre  miséricorde  qui  est  universelle  ! 
Jamais  aucun  astre  n'exerça  tant  ni  de  si  douces 
influences  ;  jamais  terre  ne  fructifia  si  abondam- 
ment ;  jamais  source  n'épancha  plus  largement  ses 
eaux.  Seigneur,  éclairez  mon  esprit,  afin  que  je 
contemple  plus  longtemps  ces  merveilles,  enflam- 
mez mon  cœur,  afin  qu'après  avoir  constaté  la 
richesse  de  votre  miséricorde  à  l'égard  de  tous  les 
êtres,  je  vous  remercie  au  nom  de  tous,  et  que  je 
me  consacre  ou  plutôt  me  consume  à  votre  ser- 
vice, par  reconnaissance  pour  vos  miséricordes. 

II 

Considérez  la  miséricorde  de  Dieu  s'exerçant 
sur  les  pécheurs  :  car  pas  même  à  eux  cette  misé- 
ricorde ne  fait  défaut,  pas  plus  que  la  lumière  ne 
manque  au  soleil,  ou  l'eau  à  la  mer.  Cette  miséri- 
corde appliquée  aux  pécheurs  s'appelle  de  la  man- 
suétude, de  la  patience,  de  la  clémence. 

Premièrement  c'est  de  la  mansuétude.  Dès  que 
l'homme  a  commis  son  offense,  et  a  fait  acte  d'in- 
gratitude. Dieu  ne  se  trouble  pas,  ne  se  dépite 
pas  ;  son  visage  n'est  pas  à  l'instant  même  altéré 
par  le  déplaisir  et  le  chagrin. 


l8o  LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

Secondement,  c'est  de  la  patience.  Le  plus  sou- 
vent, en  effet,  Dieu  attend  longuement  le  repen- 
tir du  pécheur.  Il  ne  le  punit  pas  sur  le  champ, 
comme  s'il  n'était  occupé  qu'à  épier  les  fautes  des 
hommes,  pour  les  surprendre  dans  leur  péché  et 
les  condamner  sans  délai.  Je  péchais,  dit  saint 
Bernard  (i),  et  vous,  Seigneur,  vous  faisiez  sem- 
blant de  ne  pas  voir  mes  offenses.  Je  ne  m'abste- 
nais pas  de  vous  offenser,  et  vous,  vous  vous  abste- 
niez de  me  punir  ;  je  prolongeais  longuement 
mon  iniquité,  et  vous.  Seigneur,  vous  prolongiez 
votre  pitié. 

Troisièmement,  cette  miséricorde  est  appelée 
de  la  bénignité.  Elle  est  toujours  disposée,  en 
effet,  à  recevoir  le  pécheur,  s'il  fait  pénitence  et 
consent  à  embrasser  une  meilleure  vie.  Quand 
bien  'même  ses  péchés  seraient  plus  rouges  que 
l'écarlate,  plus  nombreux  que  les  cheveux  de  la 
tête,  quand  bien  même  ils  consisteraient  ,en  im- 
piétés, sacrilèges  et  abominations  telles  que  l'en- 
fer n'en  connaît  pas  de  plus  épouvantables  et 
qu'il  mériterait  d'être  rompu  et  brûlé  vif,  il  est 
reçu  avec  les  douceurs  et  les  caresses  de  la  grâce 
qui  lui  est  conférée  sans  retard  et  remis  au  nom- 
bre des  fils  de  Dieu  que  le  paradis  attend. 

Quatrièmement,  cette  miséricorde  s'appelle  de 
la  clémence.  Le  pécheur  qui  refuse  de  s'amender 
et  qui  comme  Pharaon  meurt  dans  son  endurcis- 
sement. Dieu  le  punit  avec  moins  de  rigueur  et 
de  sévérité  que  ne  l'exigerait  sa  justice.  Il  aurait 
le  droit  d'augmenter  les  peines  des  damnés,  mais 
par  clémence,  il  laisse,   dans  l'exécution   de  ses 

I.  Strm,  _j,  Domin,  6,  post  Pentee. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  15! 

arrêts  les  plus  rigoureux,  s'épancher  de  son  cœur 
quelques  gouttes  de  miséricorde,  qui  calment  l'ar- 
deur des  flammes  éternelles.  Aussi  les  pécheurs 
l'appelleront-ils  au  jour  du  jugement  un  agneau, 
parce  qu'il  les  traitera  avec  plus  de  douceur  qu'ils 
ne  l'auront  mérité. 

J'admirerai  cette  miséricorde  :  car  qu'est-ce 
donc,  ô  mon  Dieu,  que  cet  abominable  pécheur, 
qu'est-ce  que  cet  homme  rebelle  à  vos  volontés, 
pour  que  vous  daigniez  lui  accorder  tant  de 
faveurs  ?  Quel  roi  pousse  la  clémence  jusqu'à  par- 
donner trois  fois  des  crimes  de  lèse-majesté  ?  Et 
vous,  Seigneur,  c'est  en  tout  temps  que  vous  ten- 
dez vos  bras  au  pécheur,  au  moment  même  où  il 
vous  résiste  et  où  il  aggrave  son  péché  en  abusant 
de  votre  infinie  miséricorde.  Quelles  ténèbres  dans 
son  esprit  !  quel  venin  dans  son  cœur  !  Quelle 
malice  dans  ses  yeux  !  quelle  brutalité  dans  son 
âme  !  Je  suis  rempli  de  honte  et  de  confusion 
pour  mes  semblables,  quand  je  les  vois  vous  trai- 
ter avec  un  tel  mépris.  Mais  ma  honte  est  à  son 
comble,  quand  je  songe  que  moi-même  aussi  j'ai 
eu  de  pareilles  audaces.  Votre  miséricorde,  Sei- 
gneur, n'en  est  pas  moins  un  grand  bien  pour 
nous  ;  après  les  désordres  de  notre  vie,  elle  sera 
notre  refuge  et  nous  jouirons  des  avantages  qu'elle 
ne  cesse  de  nous  offrir. 

III 

Considérez  encore  la  miséricorde  de  Dieu 
s'exerçant  sur  les  justes  et  sur  les  Saints  que 
saint  Paul  appelle  «  des  vases  de  miséricorde.  » 
(Rom.   g.)   Si  à  l'égard   des   pécheurs   elle  est  si 


l82  LA  THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

grande  et  équivaut  à  en  un  si  grand  nombre  de 
vertus,  à  Tégard  des  justes  elle  est  plus  grande 
encore,  car  il  est  raisonnable  que  ceux  qui  ai- 
ment Dieu  et  qui  l'honorent,  participent  au  tré- 
sor de  ses  miséricordes  plus  largement  que  ceux 
qui  tous  les  jours  l'offensent.  S'il  nous  a  témoigné 
de  l'amour,  alors  que  nous  étions  ses  ennemis, 
que  ne  fera-t-il  pas,  quand  nous  nous  serons  ré- 
conciliés avec  lui  ?  S'il  donne  un  baiser  à  un  traî- 
tre, à  Judas,  de  quelle  douceur  et  de  quelles  ca- 
resses n'accablera-t-il  pas  un  cœur  loyal  qui  ne 
respire  que  son  amour  et  qui  n'a  qu'un  désir,  lui 
complaire  ?  Aussi  pour  exprimer  cette  miséricorde 
à  l'égard  des  justes,  il  ne  faut  pas  avoir  recours  à 
un  moins  grand  nombre  de  noms  et  évoquer  un 
moins  grand  nombre  d'attributs  divins,  que  lors- 
qu'il s'agit  de  la  miséricorde  divine  à  l'égard  des 
pécheurs. 

Nous  dirons  donc  que  cette  miséricorde  con- 
siste dans  l'adoption  des  justes  en  vue  du  céleste 
héritage,  qu'elle  leur  confère  le  pouvoir  de  deve- 
nir les  enfants  de  Dieu  et  le  droit  aux  biens  éter- 
nels. Elle  consiste  aussi  dans  une  protection  spé- 
ciale qui  veille  sur  les  justes,  leur  donne  les 
grâces  nécessaires  pour  résister  aux  puissances  de 
l'enfer  et  les  préserve  du  péché  dans  ravenir.;Elle 
consiste  encore  dans  cette  affabilité  dont  il  use 
dans  ses  entretiens  avec  eux,  selon  cette  parole  : 
«  mes  délices  sont  d'être  avec  les  enfants  des 
«  hommes.  »  (Prov.  8.)  11  leur  parle  intérieure- 
ment par  les  illuminations  de  l'intelligence  et  les 
inspirations  de  la  volonté  et  il  leur  permet  de  lui 
répondre  dans  dçs   colloques   et   des   entretiens 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  ï83 

spirituels,  pleins  de  familiarité  et  d'amour,  qu'il 
leur  suggère  lui-même  dans  Toraison.  Cette  misé- 
ricorde se  traduit  par  une  suavité  qui  lui  fait  punir 
dès  cette  vie  de  peines  légères  et  temporelles  leurs 
fautes  vénielles,  dans  le  but  de  les  affranchir  des 
châtiments  plus  rigoureuxde  l'autre  vie.  Elle  se  tra- 
duit par  une  douceur  d'où  découlent  pour  eux  des 
consolations  intérieures,  une  paix  de  la  conscience 
et  un  avant-goût  du  ciel,  supérieurs  à  tous  les 
plaisirs  que  peuvent  procurer  les  joies  de  la  terre. 
Enfin  elle  se  traduit  par  une  munificence  qui  leur 
communique  largement  ses  biens  et  ses  bénédic- 
tions jusqu'à  les  couronner  dans  l'abondance  de 
sa  gloire,  selon  la  parole  du  prophète  royal  : 
«  C'est  lui  qui  te  couronne  de  miséricorde  et 
«  d'amour  et  qui  rassasie  tes  désirs  de  bon- 
«  heur.  »  (Ps.  102.) 

O  Seigneur!  qu'ils  sont  heureux  vos  saints  et 
tous  ceux  qui  vous  servent  !  Que  c'est  à  bon  droit 
que  votre  miséricorde  est  qualifiée  de  plus  élevée 
que  les  cieux,  car  elle  se  répand  avec  une  abon- 
dance infinie  sur  les  saints  qui  sont  des  cieux  mys- 
tiques et  sur  les  saints  du  paradis  que  vous  déli- 
vrez pour  toujours  de  toutes  les  misères  et  de 
toutes  les  douleurs  de  ce  monde  !  O  mon  âme, 
n'es-tu  pas  ravie  de  l'amour  de  ton  Dieu  si  clé- 
ment et  si  miséricordieux  ?  A  la  vue  de  tant  de 
miséricorde  ne  concevras-tu  pas  de  nouveaux 
désirs  de  l'aimer  plus  ardemment?  Oui,  Seigneur 
très  miséricordieux,  je  vous  le  demande  de  tout 
mon  cœur  :  mais  que  votre  miséricorde  fortifie  ma 
faiblesse,  que  j'aie  le  bonheur,  moi  si  fragile, 
d'être  reçu  dans  votre  sein  immense  ;  car  «  votre 


184  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

«  miséricorde  est  préférable  à  toutes  les  vies  de 
«  ce  monde.  »  (Ps.  62.)  Oh  !  jamais  je  ne  Toublie- 
rai,  «  je  chanterai  éternellement  les  miséricor^ 
«  des  du  Seigneur  ».  (Ps.  88.) 


XXVir  MÉDITATION 

DE  LA  JUSTICE  DE  DIEU 


SOMMAIRE 

Il  y  a  en  Dieu  —  une  justice  distributive,  — 
une  justice  vindicative,  —  une  justice  rémU' 
nérative. 

I 

IL  y  a  en  Dieu  une  justice  distributive  :  il 
l'exerce  à  l'égard  de  toutes  les  créatures  du 
monde  à  qui  il  a  donné  et  donne  chaque  jour  ce 
qu'il  leur  appartient  d'avoir,  ce  qui  convient  à 
leur  nature  et  à  leur  condition.  On  l'appelle  dis- 
tributive, parce  que  de  même  que  dans  une  grande 
maison  un  sage  économe  fait  à  chacun  la  distribu- 
tion de  ce  qu'il  lui  faut,  de  ce  qui  convient  eu 
égard  au  bon  ordre  de  la  maison  ;  ainsi  Dieu  fait 
acte  de  cette  sorte  de  justice  quand,  ayant  créé  le 
monde,  et  le  gouvernant  en  vue  d'une  fin,  il  donne 
à  chaque  créature  les  parties,  les  propriétés  et  les 
qualités  assorties  à  sa  nature  et  nécessaires  pour 
atteindre  la  fin  à  laquelle  sa  sagesse  et  sa  volonté 
l'ont   destinée.    C'est  ainsi  que  l'âme   ayant  été 


DES   ATTRIBUTS   DE   DIEU  l85 

créée  pour  voir  Dieu  et  l'aimer,  Dieu  lui  a  donné 
une  intelligence  et  une  volonté  ;  le  corps  ayant  été 
fait  pour  travailler  ici-bas,  a  reçu  des  mains  et 
des  bras.  Puisque  le  soleil  a  été  créé  pour  éclairer 
ce  monde,  il  l'a  doté  d'une  puissance  d'éclairer 
qui  ne  s'éteint  jamais  ;  aux  animaux  qui  doivent 
servir  l'homme,  il  a  donné  la  force  ;  à  ceux  qui 
doivent  le  nourrir,  une  chair  plus  tendre  et  plus 
délicate  ;  à  chaque  arbre,  à  chaque  plante,  en  un 
mot  à  tout  ce  qui  existe  dans  le  monde,  il  a  conféré 
les  énergies  ou  les  facultés  nécessaires  pour  attein- 
dre leur  fin.  L'Ecriture  donne  à  Dieu  dans  le  récit 
de  la  création  un  nom  qui  en  hébreu  signifie 
juge  (i),  pour  nous  faire  entendre  qu'il  faisait  alors 
un  acte  de  justice  en  distribuant  à  chaque  créature 
ce  qui  lui  convenait.  Elle  ajoute  que  passant 
comme  en  revue  tout  cet  univers.  Dieu  «  vit  que 
«  tout  ce  qu'il  avait  fait,  était  excellent  »  (Gen.  i), 
car  toutes  les  créatures  étaient  munies  de  tout  ce 
qu'il  leur  convenait  d'avoir,  eu  égard  à  la  fin  pour 
laquelle  elles  avaient  été  créées.  Le  divin  saint 
Denys  (2)  reconnaît  en  Dieu  cette  justice  distribu- 
tive  et  dit  que  Dieu  mérite  d'être  loué  parce  qu'il 
a  donné  à  chacun  selon  sa  dignité,  parce  qu'il  a 
donné  à  chaque  créature  dans  une  très  équitable 

I.  Quel  est  le  vrai  sens  étymologique  du  nom  «  Elohtm  »  que  la 
Bible  donne  à  Dieu  ?  D'après  certains  ce  mot  viendrait  de  «  alah  s 
qui  signifie  en  arabe  ètonnement,  stupeur  :  c'est  en  effet  le  sentiment 
qu'éprouve  l'homme  quand  il  songe  à  la  grandeur  incompréhensible 
de  Dieu.  (Voir  Staudemmayer  :  Dogm.  ii.  169.  apud  Goschler,  art. 
Dieu.)  Mais  cette  étymologie  est  peu  probable  :  voici  celle  qui  est 
généralement  admise  :  «  Elohim  »  vient  de  la  racine  c  ala  «  qui  signi- 
fie «  être  fort  *.  Cette  racine  a  donné  le  nom  <  El  »  qui  veut  dire 
€  fort,  héros,  force,  Dieu,  »  Cette  étymologie  est  donnée  par  Gese- 
nius,  Fvirst,  Billmann. 

3.  De  div.  nom.  c.  8. 


l86  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

mesure,  la  manière  d'être,  la  beauté,  Tordre,  ainsi 
que  toutes  les  inégalités  nécessaires  à  Tharmonie 
hiérarchique  des  êtres.  Il  conclut  que  ceux-là  n'ont 
pas  conscience  de  leur  injustice  qui  osent  repren- 
dre la  justice  de  Dieu. 

Cette  considération  m'apprendra  à  admirer  les 
œuvres  de  Dieu,  à  les  approuver  au  lieu  de  les 
censurer.  Je  dirai  comme  les  Juifs .  nll  a  bien  fait 
«  toutes  choses  »  (Marc  7.)  Seigneur,  vos  œuvres 
sont  magnifiques.  C'est  un  grand  plaisir  pour  moi 
de  considérer  la  création  et  l'admirable  symétrie 
qui  y  resplendit.  Non,  le  monde  ne  pouvait  être 
ni  mieux  fait,  ni  plus  sagement  ;  les  cieux  et  les 
éléments  ne  pouvaient  être  mieux  disposés,  ni 
chaque  créature  ne  pouvait  être  mieux  équilibrée  : 
tout  y  est  mesuré,  tout  y  est  balancé  avec  justice 
et  équité.  Elle  est  donc  bien  vaine  la  présomption 
de  ceux  qui  critiquent  vos  œuvres  et  murmurent 
contre  vous.  Oui,  Dieu  très  juste,  vous  avez  bien 
fait  toutes  choses.  Que  toutes  mes  œuvres  soient 
faites  aussi  dans  l'équité  et  que  rien  ne  leur 
manque  de  ce  qu'elles  doivent  avoir. 

II 

Il  y  a  en  Dieu  une  seconde  justice,  appelée 
justice  vindicative  :  elle  s'exerce  à  l'égard  des 
pécheurs,  quand  Dieu  leur  inflige  les  peines  qu'ils 
ont  méritées.  Le  pécheur  fait  une  véritable  injure 
à  Dieu  en  vivant  dans  l'opposition  à  sa  volonté, 
en  désobéissant  à  ses  ordres  et  en  consentant  à  ce 
que  lui  défend  son  prince  et  son  maître  souve- 
rain; il  mérite  dès  lors  d'être  extrêmement  abaissé, 
d'endurer  des  déplaisirs  et  des  peines  contre  sa 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  187 

volonté  et  selon  la  volonté  de  Dieu.  En  eifet  quel- 
qu'un qui  a  été  offensé  n'a  obtenu  réparation  pour 
l'injure  et  satisfaction  pour  le  tort  qui  lui  a  été 
fait,  que  lorsque  la  personne  coupable  de  l'ofifense 
a  été  à  son  tour  extrêmement  humiliée  ;  lorsque 
pour  expier  le  plaisir  injustement  goûté,  elle  a 
subi  par  contrainte  des  déplaisirs  et  des  peines, 
enfin,  lorsqu'elle  est  soumise  de  force  aux  lois  et 
à  la  volonté  contre  lesquelles  elle  s'est  rebellée. 
C'est  donc  justice  que  le  méchant  soit  profondé- 
ment humilié  et  qu'il  soit  condamné  à  brûler 
éternellement  selon  la  volonté  de  Dieu.  C'est 
ce  que  fait  la  justice  vindicative  de  Dieu  :  elle 
commence  dès  cette  vie,  elle  s'achève  au  mo- 
ment de  la  mort  et  au  grand  jour  du  juge- 
ment. 

Et  en  cela  nul  n'a  le  droit  de  blâmer  Dieu,  ni 
de  l'accuser,  car,  dit  Lactance  (i),  si  la  loi  qui 
frappe  le  criminel  de  la  peine  qu'il  mérite  est 
juste,  si  le  juge  ne  cesse  point,  parce  qu'il  punit 
le  crime,  d'être  juste  et  intègre,  car  punir  les 
méchants,  c'est  conserver  les  bons  ;  Dieu  pareil- 
lement est  bon,  quoiqu'il  inflige  des  peines  aux 
pervers  dans  le  but  de  les  empêcher  de  nuire 
plus  gravement  aux  gens  de  bien.  Supposez  une 
grande  et  noble  famille,  où  l'on  verrait  un  servi- 
teur voler  le  bien  de  son  maître,  le  mépriser,  lui 
refuser  l'obéissance  qu'il  lui  doit  ;  allons  encore 
plus  loin,  où  ce  serviteur  massacrerait  domesti- 
ques et  enfants,  frapperait  la  femme  de  son 
maître  et  lui  ferait  violence,  et  finalement  mettrait 
le  feu  à  la  maison  ;  sans  doute,  si  le  maître  de  la 

l.  De  ira  Dei.  c.  17. 


LA    THÉOLOGIE   AFFECTIVE 


maison  ne  se  fâchait  pas  contre  un  tel  serviteur, 
s'il  ne  le  punissait  pas,  une  telle  conduite  ne  serait 
pas  de  la  patience,  mais  une  stupide  insensibilité  ; 
ce  maître  ferait  preuve  non  pas  de  clémence  et  de 
miséricorde,  mais  bien  plutôt  de  cruauté  et  de 
barbarie.  De  même  ce  ne  serait  pas  en  Dieu  une 
vertu  de  voir  dans  sa  propre  maison  qui  est  le 
monde  entier,  ses  serviteurs  mépriser  ses  lois, 
blasphémer  son  nom,  se  mettre  en  opposition 
continuelle  avec  sa  volonté,  commettre  toutes 
sortes  d'excès  et  malgré  cela  de  ne  pas  s'émouvoir 
à  cette  vue  et  de  ne  pas  les  punir.  Je  conclus  donc 
qu'il  y  a  en  Dieu  une  vertu  redoutable  aux  impies, 
c'est  la  justice  vindicative. 

Ayons  peur  de  cette  Justice,  si  les  attraits  du 
bien  ne  suffisent  pas  pour  nous  conquérir  à  la 
vertu.  Hélas  !  «  Est-eJIe  connue  cette  justice^  sur 
«  cette  terre  d'oubli  ?  »  (Ps.  87).  C'est  elle  qui 
remplit  le  monde  d'horreur,  qui  arme  toutes  les 
créatures  et  les  envoie  punir  les  méchants,  c'est 
elle  qui  a  bâti  des  prisons  de  soufre  et  de  feu  dans 
le  sein  de  la  terre.  O  folie  des  pécheurs,  ô  audace 
effrénée  qui  ose  provoquer  cette  justice  contre 
eux-mêmes  !  Hélas  !  ô  mon  âme,  que  feras-tu,  si 
tu  vois  un  jour  cette  justice  vindicative  s'en  pren- 
dre à  toi  pour  tant  de  péchés  que  tu  as  commis  et 
que  tu  multiplies  tous  les  jours  ?  Dieu  très  juste, 
je  veux  changer  de  vie,  quoi  qu'il  me  faille  sacri- 
crifier,  quoi  qu'il  faille  souffrir.  Mais  si  je  ne  le  fai- 
sais pas,  vous  feriez  régner  sur  moi  votre  justice 
à  laquelle  je  me  soumets  d'avance.  Usez  de  votre 
droit,  il  n'est  pas  raisonnable  que  vous  ne  l'exer- 
ciez pas  sur  moi. 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  189 

II 

Dieu  exerce  à  l'égard  des  bons  sa  justice  :  c'est 
la  justice  rémunérative  :  elle  consiste  à  récom- 
penser par  de  très  grands  biens  ceux  qui  durant 
cette  vie  l'aiment  et  le  servent  fidèlement.  Il  est 
vrai  de  dire  que  Dieu  en  principe  ne  doit  rien  à 
personne,  que  la  créature  lui  appartient  tout 
entière  avec  tous  ses  droits,  et  mille  fois  plus 
qu'un  esclave  n'appartient  à  son  maître  ;  que  la 
créature  ne  s'appartient  nullement  à  elle-même,  de 
telle  sorte  qu'elle  ne  peut  rien  offrir  à  Dieu  qui  ne 
soit  déjà  strictement  à  lui  et  qu'il  n'ait  le  droit 
d'exiger  au  titre  de  créateur,  de  conservateur  et  à 
bien  d'autres  titres.  Dieu  donc  ne  doit  en  rigueur 
de  justice  aucune  récompense  à  sa  créature  pour 
ses  services  qui  ne  sont  que  l'acquittement  d'une 
dette.  Mais  Dieu  a  fait  une  promesse,  il  a  donné 
sa  parole  que  les  bonnes  œuvres  faites  pour  l'ho- 
norer et  le  glorifier  seraient  récompensées  par  une 
éternité  de  bonheur.  Il  est  donc  devenu  notre 
débiteur,  dit  saint  Augustin  (i),  non  en  recevant 
quelque  chose  de  nous,  mais  par  ses  promesses  : 
on  ne  doit  pas  lui  dire  :  rendez  ce  que  vous  avez 
reçu,  mais  donnez  ce  que  vous  avez  promis.  Et 
qu'est-ce  qui  l'a  déterminé  à  faire  de  semblables 
promesses  ?  sa  bonté  naturelle  d'abord,  et  puis  il 
était  digne  de  sa  justice  d'autoriser  les  âmes  ver- 
tueuses à  attendre  de  lui  des  joies  et  des  biens, 
puisqu'elles  se  sont  efforcées  de  lui  plaire,  de 
répondre  à  ses  désirs,  de  procurer  sa  gloire  et 
qu'elles  auraient  même,  si  c'eût  été  possible, 
accru  ses  biens  et  ses  perfections.  Jamais  ce  Dieu 

I.  In  Ps.  83. 


190        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

très  bon  ne  se  laisse  dépasser  en  bonne  volonté  et 
en  amour.  Il  dit  fréquemment  :  «  Je  serai  ta 
«  récompense  infinie.  »  (Gen.  i5.)  et  :  «  Qui- 
«  conque  m'aura  glorifié^  je  le  glorifierai.  » 
(I  Rois,  2.)  Ainsi  donc  il  s'est  engagé  à  donner  à 
titre  de  récompense,  des  honneurs,  des  biens  et 
des  joies  éternelles,  aux  âmes  qui  l'auront  honoré, 
servi  et  contenté  par  leurs  bonnes  et  généreuses 
actions.  C'est  en  cela  que  consiste  la  Justice  rému- 
nérative. 

Oh  !  que  cette  vérité  me  ravit  d'admiration  !  les 
créatures  ne  peuvent  faire  du  bien  à  Dieu  que 
par  le  désir  :  car  puisqu'il  possède  la  plénitude  de 
tout  bien,  il  ne  saurait  rien  recevoir  de  personne. 
Mais  lui  peut  leur  faire  à  elles  du  bien  en  réalité. 
De  nos  bonnes  oeuvres,  il  ne  retire  aucun  profit, 
aucune  utilité,  et  cependant  il  les  met  à  un  si 
haut  prix,  il  les  estime  tant  qu'il  leur  attribue 
comme  récompense  son  paradis  ;  les  créatures  qui 
en  servant  Dieu  témoignent  de  l'estime  qu'elles 
ont  pour  lui,  ne  lui  procurent  qu'une  gloire  exté- 
rieure ;  Lui  au  contraire  les  glorifie  intérieure- 
ment jusque  dans  l'intime  de  leurs  âmes  qu'il 
comblera  de  lumières,  de  délices  et  de  gloire.  Et 
ces  grandes  choses  il  veut  les  accomplir  non  par 
un  don  purement  gratuit,  par  une  pure  faveur 
laissée  à  sa  discrétion,  mais  en  vertu  d'un  enga- 
gement et  à  titre  de  justice,  afin  que  les  bons 
espèrent  leur  félicité  avec  une  plus  ferme  con- 
fiance et  qu'ils  parviennent  à  sa  possession  par 
une  voie  plus  noble.  O  mon  Dieu,  c'est  ainsi  que 
vous  semblez  oublier  vos  intérêts  pour  vous  lier 
envers  ceux  qui  vous  doivent  tout.  Quel  trait  de 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  I9I 

bonté  dans  votre  justice  même.  A  mon  tour,  mon 
Dieu  !  je  veux  me  lier  à  votre  service  :  «  Vous 
«  êtes  mon  partage,  Seigneur;  je  Vai  juré^ 
«  /observerai  votre  loi.  »  (Ps.  ii8.) 


XXVIir  MÉDITATION 

DE  LA  PROVIDENCE  DE  DIEU 
SUR  TOUTES  LES  CHOSES  CRÉÉES 


SOMMAIRE 

Existence  —  suavité  —  infaillibilité  de  la 
Providence  divine. 

I 

LA  Providence  de  Dieu  embrasse  tous  les  êtres 
créés.  Si  par  la  providence  divine  il  faut 
entendre  la  pensée  et  la  volonté  de  donner  à  cha- 
que chose  ce  qu'il  convient  qu'elle  ait  pour  arriver 
à  sa  fin,  on  peut  dire  que  Dieu  a  toujours  eu  cette 
pensée  et  cette  volonté  à  Tégard  de  toutes  ses 
créatures.  Sa  sagesse  infinie  lui  permet  de  con- 
naître jusqu'aux  êtres  les  plus  petits  et  les  plus 
vils  de  l'univers,  ainsi  que  les  moyens  nécessaires 
ou  utiles  pour  atteindre  telle  fin  particulière  :  son 
amour,  sa  miséricorde  et  sa  justice  l'inclinent 
d'autre  part  à  faire  du  bien  aux  créatures.  Nous 
devons   donc    conclure   de   l'étude    des   attributs 


192  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

divins  que  Dieu  prend  soin  de  ses  créatures  par 
sa  providence. 

Nous  pouvons  arriver  à  la  même  conclusion 
d'une  manière  plus  certaine  encore,  en  considé- 
rant ce  monde  qui  depuis  56oo  et  tant  d'années 
dure  et  se  maintient  dans  le  même  état.  Les  pla- 
nètes et  les  étoiles  reviennent  après  une  longue 
course  à  leur  point  de  départ;  les  éléments  n'usent 
pas  leur  énergie  dans  la  lutte  perpétuelle  qui  est 
la  conséquence  de  leurs  qualités  opposées  ;  les 
quatre  saisons  de  l'année  semblent  danser  en  rond 
et  reparaissent  à  leur  tour  sans  jamais  faire  défaut; 
les  espèces  minérales,  végétales  et  animales  res- 
tent invariables  malgré  la  variété  infinie  des  indi- 
vidus qui  se  succèdent  les  uns  aux  autres.  Un  tel 
ordre  comment  pourrait-il  durer  si  longtemps,  si 
personne  ne  tenait  en  main  la  direction  générale  ? 
Une  grande  armée,  qui  cependant  est  composée 
de  créatures  raisonnables  se  débande,  si  un  chef 
grave  et  prudent  n'en  a  pas  le  commandement. 
Comment  dès  lors  ce  monde,  qui  est  composé  en 
majorité  de  créatures  dépourvues  de  raison  et  de 
sentiment,  ne  se  désorganiserait-il  pas,  si  Dieu  n'y 
pourvoyait  par  sa  providence  ? 

Il  est  raisonnable  enfin  que  l'auteur  des  créatu- 
res en  prenne  soin.  Le  rôle  de  Créateur  et  celui 
d'Administrateur,  dit  saint  Jean  Damascène  (i), 
appartiennent  à  la  même  personne.  Ce  serait  une 
preuve  d'impuissance,  si  Dieu  après  avoir  créé  le 
monde,  laissait  à  un  autre  le  soin  de  le  gouverner 
et  de  l'administrer.  Quel  est  l'ouvrier  qui  néglige 
son  ouvrage  ?  Il  n'y  avait  pas  d'injustice  à  ne  pas 

X.  L.  3  d*  fide  orthod,  c.  39. 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  IqS 

appeler  un  être  à  la  vie,  mais  ne  pas  en  avoir  soin, 
après  qu'on  l'y  a  appelé,  c'est  de  la  barbarie  pure. 
Nous  voyons  les  pères  et  les  mères  pourvoir  à 
l'instruction  et  à  l'éducation  de  leurs  enfants,  les 
poules  rassembler  soigneusement  leurs  poussins 
sous  leurs  ailes,  s'épuiser  en  soins  et  en  tendresse 
pour  pourvoir  à  tous  leurs  besoins  :  nous  voyons 
même  les  animaux  les  plus  sauvages  poussés  par 
un  instinct  naturel  nourrir  leurs  petits,  les  lamies 
elles-mêmes,  monstres  marins  affreux,  donner  leur 
sein  à  têter  à  de  petits  monstres  qu'elles  ont  en- 
gendré. Ce  sont  autant  de  faits  destinés  à  être  des 
images  de  la  providence  plus  excellente  du  Créa- 
teur sur  toutes  ses  créatures,  particulièrement  sur 
l'homme,  providence  dont  le  but  est  de  fournir  à 
l'homme  les  moyens  suffisants  pour  atteindre  sa 
fin  particulière,  qui  est  la  béatitude.  Comment 
imaginer  que  Dieu  ne  s'occupe  en  aucune  manière 
d'une  infinité  d'hommes  créés  à  son  image,  et  qu'il 
ait  résolu  de  les  abandonner  sans  secours  dans 
leur  état  de  nature  déchue  ? 

Ce  serait  lui  faire  injure  que  de  le  supposer. 
Dieu,  dit  le  Docteur  angélique  (i),  est  prêt  de  son 
côté,  à  donner  à  tous  la  grâce,  «  car  son  désir  est 
«  que  tous  les  hommes  soient  sauvés  et  qu'ils 
«  parviennent  à  la  connaissance  de  la  vérité.  » 
(I  Tim.  2.)  Ceux-là  seuls  sont  privés  de  la  grâce 
qui  y  mettent  un  empêchement  volontaire.  Ainsi 
â  l'heure  où  le  soleil  éclaire  le  monde,  s'il  arrive  à 
quelqu'un  à  qui  il  plaît  de  fermer  les  yeux,  un 
grave  accident,  faute  d'y  voir,  ce  sera  bien  à  lui 
qu'il  faudra  en  attribuer  la  responsabilité,  bien 

X.  Lib._j  cont.  Génies,  c.  159. 
Bail,  t.  1.  l^ 


194  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

qu'il  soit  vrai  que  pour  y  voir,  il  a  besoin  d'être 
prévenu  par  la  lumière. 

Je  le  crois  donc  Seigneur,  je  le  crois  fermement, 
votre  Providence  veille  sur  toutes  choses  et  sur 
tous  les  hommes,  sur  ceux-là  même  qui  vous 
oublient  et  qui  ne  se  mettent  pas  en  peine  de 
vous  servir.  Ah  !  que  je  regrette  qu'une  vérité  si 
évidente  soit  niée  dans  ce  monde  par  des  esprits 
misérables  qui  se  privent  de  la  pensée  la  plus 
douce  et  la  plus  consolante.  Quelle  pensée  est  de 
nature  à  consoler  davantage  les  mortels,  au  milieu 
de  tant  d'événements  contraires,  que  de  considérer 
tout  ce  qui  arrive  non  comme  un  effet  du  hasard 
aveugle  ou  de  ce  qu'on  nomme  la  fortune  ou  enfin 
d'un  tyrannique  destin,  mais  bien  comme  un  effet 
de  votre  paternelle  sollicitude  ?  Oh  !  Seigneur  ! 
qu'il  m'est  doux  de  songer  que  vous  avez  soin  de 
moi!  Si  le  voyageur  se  console  au  milieu  des  incer- 
titudes et  des  dangers  de  la  route,  en  voyant  son 
guide  auprès  de  lui,  comment  ne  me  consolerai-je 
pas,  moi,  au  milieu  des  sentiers  tortueux  de  cette 
terre  étrangère,  quand  je  sais  que  votre  Provi- 
dence s'est  constituée  mon  guide  ?  Oh  !  que  mon 
àme  est  heureuse  !  «  Le  Seigneur  me  conduit^ 
«  rien  ne  me  manquera.  (Ps.  22.) 

II 

Cette  Providence  est  suave,  car  Dieu  s'accommode 
à  la  nature  des  divers  agents  de  ce  monde.  Pour 
que  ce  monde  fut  aussi  parfait  que  possible  après 
Dieu,  il  fallait  qu'il  renfermât  toutes  sortes  de 
degrés  de  bonté  bien  assortis.  De  là  vient  qu'on  y 
voit  trois  sortes  d'agents  ou  de  causes  :  les  unes 


DES    ATTRIBUTS    DE   DIEU  IqS 


nécessaires  et  dont  l'action  toujours  semblable  à 
elle-même  ne  saurait  être  empêchée,  tel  le  soleil  qui 
chaque  jour  se  lève  et  éclaire  le  monde  ;  les  autres 
contingentes,  celles-ci  agissent  aussi  par  nécessité, 
mais  leur  action  peut  être  empêchée  par  un  acci- 
dent quelconque  ;  par  exemple,  un  arbre  peut  ne 
pas  porter  de  fruit,  par  suite  de  la  gelée  ou  de  la 
grêle.  Les  troisièmes  causes  sont  les  causes  libres, 
elles  peuvent  agir  ou  ne  pas  agir  à  leur  gré. 

La  perfection  du  monde  exige  encore  qu'il  y  ait 
diversité  de  conditions  parmi  les  créatures,  sans 
cela  le  monde  ne  pourrait  même  pas  subsister. 
Les  unes  sont  dépendantes  et  inférieures,  les 
autres  sont  supérieures  et  dominantes.  Celles-ci 
sont  faibles,  celles-là  sont  fortes  et  puissantes.  Les 
unes  durent  peu,  les  autres  longtemps  ;  celles-ci 
jouissent  de  l'abondance,  celles-là  n'ont  que  la 
pauvreté  ;  certaines  sont  au  repos,  d'autres  en 
activité.  Le  monde,  pour  être  parfait,  exigeait  cette 
diversité  d'agents  et  de  conditions  ;  supprimez 
cette  inégalité  des  créatures,  vous  lui  ravissez  sa 
beauté.  Ainsi  manquerait  de  beauté  un  tableau  où 
les  couleurs  ne  seraient  pas  variées  et  un  chant 
musical  où  il  n'y  aurait  de  diversité  ni  dans  les 
voix  ni  dans  les  tons. 

Or,  s'il  appartenait  à  la  Providence  de  mettre 
cette  variété  dans  le  monde,  il  lui  appartient  au 
même  titre  de  l'y  conserver.  Le  rôle  propre  de  la 
Providence,  dit  saint  Denys  (i),  c'est  de  respecter 
la  nature  de  chaque  être  ;  dans  ce  but  elle  laisse 
agir  toutes  les  causes  selon  leur  nature  et  leur 
puissance  ;    elle    laisse    les    causes    nécessaires 

I.  Cap.  4.  Dt  ditinis  ntmin. 


igé  LÀ    THlèoLOGIË    AFFECTIVE 

tendre  nécessairement  à  leurs  fins,  les  causes  libres 
y  tendre  librement.  Elle  concourt  aux  actions  de 
toutes  les  créatures  selon  la  portée  et  l'étendue  de 
leurs  forces,  excepté  dans  quelques  cas  fort  rares, 
où  elle  suspend  leur  activité  pour  opérer  un  mira- 
cle. En  dehors  de  ces  cas,  les  créatures  supé- 
rieures tiennent  les  autres  sous  leur  dépendance, 
les  plus  fortes  commandent  aux  plus  faibles  et 
toutes  disparaissent,  quand  les  lois  naturelles 
amènent  leur  mort.  Ainsi  Dieu  «  atteint  d'une 
«  extrémité  à  Vautre  avec  force  et  dispose  tout 
«  avec  suavité.  »  (Sag.  8.) 

Apprenez  à  ne  pas  murmurer  contre  tant  d'iné- 
galités qui  se  trouvent  dans  le  monde  et  à  ne  pas 
vous  poser  en  réformateur  d'un  ordre  si  sage- 
ment établi.  Le  monde  est  un  concert  où  chacun 
fait  sa  partie,  un  tableau  aux  couleurs  harmo- 
nieuses. Pourquoi  donc,  dit  Théodoret  (i),  vous 
affligez-vous  de  ne  pas  être  des  Crésus,  des  Midas 
ou  des  Darius  ?  La  nature  est  essentiellement 
défectueuse,  parce  qu'elle  est  mortelle.  Elle  a 
besoin  de  labourage,  d'architecture,  de  navigation, 
de  couture,  de  cordonnerie,  des  arts  et  des  condi- 
tions les  plus  humbles  qui  sont  aussi  les  plus 
nécessaires.  Il  faut  dans  le  monde  des  ouvriers 
et  des  pauvres  d'une  part  et  de  l'autre  des  gens 
riches  pour  rémunérer  leur  travail  et  les  faire 
vivre.  Il  y  aurait  injustice  à  exiger  que  les  créa- 
tures dont  la  nature  est  d'être  libres,  fussent  con- 
traintes à  agir,  que  les  créatures  faibles  fussent 
parfaites,  que  les  inférieures  commandent  aux 
supérieures   et  que  les  plaisirs   bornés  soient  im- 

I.  L.  6.  it  curandis  gracorum  affect. 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  I97 

mortels.  Il  appartient  à  la  Providence  de  conser- 
ver chaque  chose  conformément  à  ce  qu'exige  son 
degré  de  force.  Si  la  lune  a  naturellement  moins 
de  clarté  que  le  soleil,  la  happelourde  moins  de 
prix  que  l'escarboucle,  si  le  pauvre  a  moins  de 
crédit  que  le  riche,  si  le  loup,  plus  fort  que  la  brebis, 
la  dévore,  si  le  voyageur  est  incommodé  par  la 
pluie,  le  nautonnier  par  la  tempête,  si  le  mondain 
est  sevré  de  ses  plaisirs  par  quelque  accident  ; 
est-ce  une  raison,  parce  que  tel  particulier  aurait 
intérêt  à  ce  que  les  lois  naturelles  n'eussent  pas 
leur  effet,  pour  que  Dieu  en  suspende  tous  les 
jours  le  cours?  Ce  ne  serait  rien  moins  que  dé- 
truire la  beauté  de  ce  monde  et  en  bouleverser 
l'ordre.  Donc,  quoiqu'il  m'arrive,  ô  mon  Dieu, 
quand  bien  même  je  me  trouverais  être  le  plus 
chétif  et  le  plus  misérable  des  mortels,  je  n'aban- 
bonnerais  pas  votre  étendard,  je  bénirais  toujours 
votre  sainte  Providence.  Non,  il  ne  serait  pas  rai- 
sonnable, puisque  vous-même,  vous  vous  accom- 
modez si  suavement  à  tant  de  natures  différentes, 
que  mon  esprit  refusât  de  s'accommoder  à  son 
tour  à  l'ordre  établi  par  votre  volonté. 

III 

La  Providence  divine  est  infaillible,  c'est-à-dire, 
qu'elle  fait  atteindre  à  toutes  les  créatures  leur  fin 
générale.  Chaque  créature  a  en  effet  deux  fins.  La 
première  est  la  fin  particulière  ;  c'est  celle  qui  est 
propre  à  chaque  espèce.  Toutes  les  créatures  ont 
pour  fin  l'homme  :  elles  servent  ou  à  le  nourrir, 
ou  à  le  vêtir,  ou  à  l'exercice  de  son  corps  ou  au 


198  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

contentement  de  sa  vie  ou  à  quelque  autre  uti- 
lité. L'homme  à  son  tour  a  pour  fin  la  louange, 
l'honneur  et  le  service  de  Dieu.  Or  quoique  Dieu, 
en  sage  économe,  ait  donné  aux  créatures  tout  ce 
qui  est  nécessaire  pour  atteindre  leur  fin  particu- 
lière, il  arrive  cependant  que  souvent  elles  ne  l'at- 
teignent pas,  ou  par  le  fait  d'un  accident,  par 
exemple  quand  à  l'entrée  même  du  printemps  un 
arbre  dont  la  fin  est  de  réjouir  les  yeux  de 
l'homme,  a  ses  branches  brisées,  ses  feuilles  et  ses 
fleurs  emportées  par  un  orage,  ou  par  le  fait  de 
la  liberté  humaine  qui  se  détermine  de  son  plein 
gré  à  offenser  Dieu  au  lieu  de  l'honorer. 

La  seconde  fin  des  créatures  est  leur  fin  géné- 
rale, qui  n'est  autre  chose  que  la  gloire  de  Dieu  et 
la  manifestation  de  ses  attributs,  de  sa  puissance,  de 
sa  sagesse,  de  sa  bonté,  de  sa  justice  et  des  autres. 
Cette  fin  est  toujours  obtenue  ;  quoi  qu'il  arrive 
dans  ce  monde,  les  perfections  de  Dieu  s'y  mani- 
festent toujours  ;  sa  sagesse  et  sa  puissance  écla- 
tent autant  dans  les  créatures  les  plus  grandes  que 
dans  les  plus  petites.  Sont-elles  florissantes  ?  elles 
révèlent  sa  magnificence  ;  sont-elles  dans  un  mau- 
vais état  et  puis  finalement  périssent-elles  ?  en  dis- 
paraissant elles  témoignent  qu'il  n'appartient  qu'à 
lui  seul  d'être  immuable  et  immortel.  Il  en  est  de 
même  de  l'homme  :  si,  abusant  de  sa  liberté  et 
méprisant  les  moyens  que  Dieu  lui  donne,  il  man- 
que sa  fin  particulière  qui  est  le  paradis,  il  ne 
manquera  pas  sa  fin  générale,  qui  consiste  à  con- 
tribuer à  la  manifestation  des  attributs  de  Dieu. 
Ses  souffrances  dans  l'enfer  manifesteront  la  jus- 
tice  divine    :   lui-même   et    les    autres    hommes 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  1 99 

apprendront  que  Dieu  est  juste,  lui  qui  punit 
le  péché  par  de  tels  tourments.  C'est  ainsi  que  la 
Providence  est  infaillible  :  elle  ne  manque  jamais 
le  but  qu'elle  vise,  elle  fait  servir  à  procurer  sa 
gloire  toutes  les  créatures,  dans  n'importe  quel  état 
elles  se  trouvent.  Elle  peut  être  comparée  à  un 
grand  cercle  dans  lequel  l'homme  est  enfermé  : 
il  semble  quelquefois  qu'il  s'éloigne  du  centre, 
mais  en  réalité  il  y  est  toujours  ramené.  S'il  ne 
travaille  pas  à  la  gloire  de  Dieu  par  une  vie  sainte 
et  toute  à  l'honneur  de  Dieu,  il  procurera  malgré 
lui  cette  gloire  par  les  châtiments  qu'il  subira.  Par 
là  éclatera  la  justice  et  la  puissance  de  Dieu  :  on 
verra  combien  Dieu  méritait  d'être  respecté  et 
aimé  par  dessus  tout,  puisque  cette  àme  n'a  pu  lui 
refuser  ce  respect  et  cet  amour,  sans  se  rendre 
horriblement  criminelle  et  malheureuse. 

Ce  sera  pour  moi  un  sujet  de  joie  de  penser  que 
toutes  les  créatures  conspirent  finalement  à  la 
gloire  de  Dieu  comme  à  leur  fin  générale  :  par  là, 
en  effet.  Dieu  trouve  son  compte  dans  tous  les 
événements  et  sa  Providence  arrive  toujours  à  «es 
fins.  Puis  faisant  un  retour  sur  moi-même  je  me 
dirai  :  puisqu'il  faut,  bon  gré,  mal  gré,  que  je 
manifeste  les  perfections  divines,  je  prends  le  parti 
de  les  manifester  plutôt  dans  le  paradis  gagné  par 
une  sainte  vie,  que  dans  les  supplices  éternels 
mérités  par  une  vie  coupable.  O  vous  donc,  ô  mon 
Dieu,  dont  la  Providence  ne  se  trompe  jamais 
dans  ses  vues,  faites  que  j'emploie  si  utilement 
tous  les  moyens  que  vous  me  fournissez  pour 
parvenir  à  ma  fin  particulière,  c'est-à-dire  au  para- 
dis, que  j'atteigne  en  même  temps  ma  fin  gêné- 


200  LÀ    THl^OLOGIl    AFFECTIVE 

raie,  qui  consistera  à  vous  glorifier  volontairement 
dans  les  siècles  des  siècles. 


XXir  MÉDITATION 

DE  LA  PROVIDENCE  DE  DIEU 
EN  FACE  DE  CERTAINS  DÉSORDRES 

DE  LA  NATURE, 

EN  FACE  DES  PÉCHÉS  DES  HOMMES 

ET  DES  AFFLICTIONS  DES  JUSTES 


SOMMAIRE 

Tout  ce  qui  dans  la  nature  nous  paraît  défec" 
tueux  ou  fâcheux  s'explique  et  a  son  utilité  ; 
—  le  péché  est  la  conséquence  inévitable  de 
cette  prérogative  accordée  par  DieuàVhomme^ 
la  liberté  ;  d'ailleurs  la  sagesse  divine  sait 
tirer  le  bien  du  mal  ;  —  les  afflictions  sont 
pour  les  justes  une  source  de  mérites. 

I 

IL  y  a  des  esprits  audacieux  qui  blâment  la 
Providence  divine,  au  sujet  des  monstres,  des 
serpents  et  de  certains  animaux  très  vils  qui  leur 
semblent  mauvais  et  nuisibles  dans  le  monde  et 
auxquels  la  Providence  semble  ne  pas  s'étendre, 
disent-ils.  Nous  devons  au  contraire  affirmer  que 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  201 

la  Providence  s'étend  même  sur  ces  êtres,  car  il 
n'est  pas  indigne  de  Dieu  de  prendre  soin  de  ces 
êtres  qu'il  n'a  pas  dédaigné  de  créer.  C'est  même 
la  preuve  de  la  grandeur  et  de  la  puissance  infinie 
de  son  esprit,  que  de  pouvoir  veiller  avec  une 
égale  sollicitude  sur  ce  qu'il  y  a  de  plus  petit  et  de 
plus  vil  dans  la  nature,  comme  sur  ce  qu'il  y  a  de 
plus  grand  et  de  plus  honorable.  La  lumière  du 
soleil  paraît  plus  vive  et  plus  éclatante  quand  elle 
éclaire  en  même  temps  que  les  hauts  sommets  des 
montagnes  la  profondeur  des  vallées  et  qu'elle 
enveloppe  au  même  instant  de  sa  splendeur  les 
cèdres  les  plus  élevés  et  les  herbes  qui  semblent 
ramper  sur  la  terre. 

Pour  ce  qui  est  des  monstres,  il  est  évident,  que 
si  une  cause  entravée  dans  son  action  par  un  acci- 
dent quelconque  produit  un  effet  défectueux.  Dieu 
n'est  nullement  tenu  en  sa  qualité  d'administra- 
teur universel,  d'empêcher  un  semblable  effet.  De 
plus  ce  monstre  n'est  pas  absolument  inutile  :  par 
le  contraste  de  sa  laideur  il  fait  merveilleusement 
ressortir  la  beauté  des  créatures  de  son  espèce. 
S'il  s'agit  des  créatures  douées  de  raison,  il  leur 
donne  sujet  de  remercier  leur  Créateur  de  ne  pas 
être  affligées  de  la  même  laideur  ou  de  la  même 
difformité. 

Pour  ce  qui  concerne  les  plus  vils  animaux  et 
les  bêtes  que  leurs  dents,  leurs  griffes  ou  leur  venin 
rendent  dangereuses,  je  dis  qu'elles  sont  bonnes 
chacune  dans  Leur  genre.  Dans  la  hiérarchie  des 
êtres  elles  occupent  un  rang  et  remplissent  une 
place  dont  le  vide  romprait  les  proportions  et  la 
magnifique  harmonie  de  ce  monde.  Par  exemple, 


202  LA     THÉOLOGIE     AFFECTIVE 

dit  saint  Isidore  (i),  celui  qui  raserait  les  sourcils 
de  rhomme,  lui  enlèverait  bien  peu  de  chose  en 
réalité  et  cependant  il  aurait  détruit  la  beauté  de 
l'homme.  Ainsi  celui  qui  soutient  que  le  plus  petit 
vermisseau  n'est  pas  bon  en  lui-même,  fait  injure 
à  toute  la  nature.  Remarquons  aussi  que  les  dents, 
les  griffes  et  le  venin  sont  nécessaires  à  ces  bêtes 
pour  se  défendre.  Si  elles  blessent  l'homme  quel- 
quefois, n'est-ce  pas  la  Providence  divine  qui 
s'en  sert  comme  d'instruments  de  sa  justice,  pour 
punir  le  péché  ?  l'homme  innocent  n'en  serait 
jamais  blessé.  Enfin  ces  bêtes  ont  plusieurs  autres 
utilités  que  les  sages  savent  bien  reconnaître. 

Cette  considération  m'apprendra  à  ne  jamais 
blâmer  les  œuvres  de  Dieu,  et  à  ne  jamais  mur- 
murer contre  lui,  si  les  créatures  me  font  quelque 
mal.  Au  contraire,  je  m'édifierai  moi-même  et  j'ad- 
mirerai la  Providence  divine  en  chaque  chose.  En 
les  considérant  je  dirai  comme  une  âme  sainte  : 
Eh  !  n'êtes-vous  pas  aussi  les  créatures  de  mon 
Dieu  ?  Je  les  provoquerai  à  louer  Dieu  à  leur  ma- 
nière, à  l'exemple  des  trois  enfants  de  Babylone  : 
«  Glaces  et  frimas,  bénisse^  le  Seigneur  ;  ani- 
«  maux  domestiques  et  animaux  sauvages^ 
«  bénisse^  le  Seigneur  ;  enfants  des  hommes j 
«  bénisse^  Je  Seigneur  ».  (Dan.  3.) 

II 

D'autres  attaquent  la  Providence  de  Dieu,  en 
lui  reprochant  de  ne  pas  empêcher  efficacement, 
comme  elle  le  pourrait,  tant  de  péchés  qui  se 
commettent  tous  les  jours  et  peuplent  de  plus  en 

I.  D«  summo  boHo,  lib.  x,  fap.  3. 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  2o3 

plus  l'enfer.  Or  réfléchissez  bien  qu'il  convient 
à  la  Providence  de  Dieu,  lorsqu'elle  a  défendu  le 
péché  et  fourni  aux  hommes  les  grâces  suffisantes 
pour  l'éviter,  de  les  laisser  agir  selon  leur  volonté, 
tant  que  dure  cette  vie.  Et  en  voici  la  raison  : 
Dieu  ne  doit  ni  changer,  ni  détruire  la  nature  des 
êtres.  Or  il  a  créé  l'homme  libre,  pour  qu'il  fut  en 
son  pouvoir  de  choisir  entre  le  feu  et  l'eau,  le  mal 
ou  le  bien,  sans  subir  aucune  contrainte.  Dieu  doit 
donc  lui  laisser  les  coudées  franches  et  ne  pas  lui 
faire  violence  dans  ses  actes  dont  il  a  voulu  qu'il 
fut  le  maître.  Sans  cela  l'homme  pourrait  se  plain- 
dre, il  pourrait  dire  qu'on  lui  met  aux  mains  des 
fers  et  des  chaînes,  pour  le  gouverner  comme  un 
forçat  ou  comme  un  esclave,  qu'on  viole  les  droits 
de  sa  noblesse  native  et  de  sa  liberté. 

D'autre  part  Dieu  donne  à  tous  les  hommes, 
même  à  ceux  qui  l'offensent,  des  secours  et  des 
moyens  pour  ne  pas  l'offenser,  s'ils  le  voulaient  : 
car  s'il  leur  était  impossible  d'éviter  le  péché,  en 
le  commettant,  ils  ne  pécheraient  pas  plus  qu'ils 
ne  pèchent  en  mourant,  par  la  raison  qu'il  leur  est 
impossible  d'éviter  la  mort.  Dieu,  dit  saint  Augus- 
tin (i),  ne  nous  ferait  pas  un  commandement  qu'il 
jugerait  être  au-dessus  de  nos  forces  ;  si  donc  dans 
ta  faiblesse  tu  es  sur  le  point  de  succomber  en  face 
du  précepte,  que  l'exemple  du  Fils  de  Dieu  te  for- 
tifie. Il  est  là  présent  celui  qui  t'a  donné  l'exem- 
ple, pour  t'encourager.  La  Providence  de  Dieu  se 
manifeste  donc  dans  la  permission  du  péché. 

Mais  où  elle  se  manifeste  d'une  manière  bien 
plus  éclatante,  c'est  quand  du  péché  qui  est  un  si 

I.  In  Psal.  j6.  q,  33.  a.  3. 


204  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

grand  mal,  elle  fait  sortir  quelque  bien.  Si  Dieu, 
dit  le  même  saint  Docteur,  empêchait  toutes  les 
violations  de  sa  loi,  de  grands  biens  manqueraient 
aussitôt  à  l'univers.  Le  lion  ne  vit  qu'à  la  condition 
de  dévorer  d'autres  bêtes  sauvages  plus  petites 
que  lui  :  la  patience  des  martyrs  eût  été  impossible 
sans  la  cruauté  des  persécuteurs.  Du  péché  d'Adam 
Dieu  a  fait  sortir  l'Incarnation  et  tous  les  mystères 
de  la  vie,  de  la  passion  et  de  la  mort  de  Jésus- 
Christ.  Les  péchés  de  leur  vie  passée  toujours 
présente  à  la  mémoire  de  certains  Saints,  leur  ont 
donné  sujet  de  s'humilier,  de  se  défier  de  leurs 
forces,  de  se  tenir  à  l'avenir  sur  leurs  gardes  et  de 
mettre  au  service  de  Dieu  une  volonté  d'autant 
plus  ardente  qu'elle  avait  pour  but  de  réparer  un 
grand  mal  par  un  bien  plus  grand  encore.  On  dit 
que  les  chevaux  mordus  par  les  loups  sont  plus 
courageux  que  les  autres  :  ce  qui  est  indéniable 
c'est  que  certaines  âmes  que  Dieu  a  arrachées  à  la 
gueule  du  lion  rugissant  sont  désormais  plus  vigi- 
lantes et  plus  courageuses  dans  la  résistance  aux 
tentations  :  c'est  ainsi  que  pour  elles  le  péché  est 
devenu  une  occasion  de  mérite.  Tel  fut  entre  au- 
tres saint  Augustin  :  et  c'est  lui-même  qui  déclare 
que  Dieu  qui  est  tout-puissant  ne  permettrait 
jamais  le  mal,  s'il  n'était  assez  fort  pour  en  tirer  le 
bien. 

Je  bénirai  donc  la  Providence  de  Dieu  qui 
laisse  commettre  le  péché.  O,  Seigneur  !  vous 
mettez  de  la  prévoyance  dans  notre  précipitation, 
de  la  prudence  dans  nos  témérités,  de  la  sagesse 
dans  nos  folies,  de  la  bonté  dans  notre  malice. 
Vous  faites  éclore    des   roses  au    milieu  de    nos 


DES   ATËIBTJTS   DE   DIEU  2oh 

épines,  vous  nous  sauvez  par  nos  ennemis,  vous 
moissonnez  le  bien  là  où  nous  n'avons  semé  que  le 
mal.  «  Cueille-t-on  des  figues  sur  les  chardons^ 
«  et  des  raisins  sur  les  ronces  ?  »  (Matt.  7.) 
Oui,  mais  c'est  le  secret  de  votre  admirable  Provi- 
dence. Ah  !  puissé-je  moi  aussi,  vouloir  tirer  le 
bien  de  mes  fautes  passées,  en  devenir  plus  hum- 
ble, plus  vigilant  sur  moi-même  et  plus  ardent  à 
vous  servir. 

III 

La  troisième  plainte  qu'on  adresse  à  la  Provi- 
dence a  pour  prétexte  les  peines  qui  arrivent  à  des 
gens  de  bien  :  c'est  la  plainte  la  plus  ordinaire. 
Elle  prouve  d'abord  que  les  hommes  ont  le  juge- 
ment faux  :  sans  cela  ils  auraient  une  si  grande 
estime  pour  la  vertu,  même  lorsqu'elle  a  à  lutter 
contre  l'oppression,  la  pauvreté,  l'ignominie  et  les 
tourments,  que  pour  elle  ils  mépriseraient  tous  les 
biens  du  monde  :  car  à  quoi  servent-ils  le  plus 
souvent  si  ce  n'est  à  damner  les  hommes  et  à  leur 
faire  perdre  le  paradis  ?  tandis  que  les  afflictions 
sont  pour  les  gens  vraiment  vertueux  une  occasion 
de  triompher  et  de  mériter  une  place  plus  glo- 
rieuse dans  le  ciel.  «  //  en  tombera^  dit  le  pro- 
phète, mille  à  votre  gauche^  et  dix  mille  à  votre 
«  droite^  »  ce  qui  signifie  qu'il  y  en  a  dix  fois  plus 
qui  se  damnent  dans  la  prospérité  indiquée  par  la 
main  droite  que  dans  l'adversité  que  représente  la 
main  gauche.  En  effet  rappelons  ce  que  nous  avons 
dit  plus  haut  :  la  Providence  peut  se  définir  la 
pensée  et  la  volonté  qu'a  Dieu  de  fournir  aux  créa- 
tures les  moyens  de  parvenir  à  leur  fin  :    dès  lors 


206  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

nous  devons  être  convaincus  que  Dieu  veille  avec 
plus  de  soin  sur  les  justes  qu'il  accable  de  mal- 
heurs et  qu'il  éprouve  dans  de  rudes  combats. 
Il  faut  distinguer  en  Dieu  deux  Providences  : 
l'une  naturelle,  qui  n'a  pour  objet  que  les  biens 
présents  ;  et  l'autre  surnaturelle,  qui  a  pour 
objet  les  biens  éternels.  Or  les  afflictions  des  jus- 
tes sont  des  effets  de  la  Providence  surnaturelle 
de  Dieu,  car  Dieu  les  leur  envoie  comme  un 
moyen  très  puissant  de  salut.  Aussi  bien  qu'ont- 
ils  à  souhaiter  dans  ce  monde,  si  ce  n'est  de  le 
quitter  au  plus  tôt,  pour  aller  jouir  de  Dieu, 
l'unique  objet  de  leurs  désirs?  Pourquoi  méritent- 
ils  d'être  appelés  gens  de  bien,  sinon  parce  qu'ils 
ne  mettent  pas,  à  l'exemple  des  méchants,  leur 
joie  et  leur  bonheur  dans  cette  vie  ?  Entendez  les 
paroles  de  saint  Denys  (i)  :  Tu  appelles  saints 
ceux  qui  aiment  les  biens  de  la  terre,  comme  les 
mondains,  mais  de  tels  saints  n'ont  pas  même  une 
étincelle  de  l'amour  divin  et  ce  sont  d'étranges 
saints  que  ceux  qui  font  cette  injure  aux  biens 
à  venir  les  seuls  dignes  d'être  aimés,  je  veux  dire, 
aux  biens  divins,  de  leur  préférer  les  biens  de 
la  terre,  biens  indignes  de  notre  amour.  Si  au 
contraire  ils  aiment  les  biens  célestes,  ils  doivent 
dans  ce  cas  se  réjouir  des  peines  et  de  la  mort 
même  qui  les  met  en  possession  de  ces  biens. 
C'est  imiter  les  anges  que  de  renoncer  à  la  terre, 
pour  ne  vouloir  posséder  que  ce  qui  est  divin.  En 
somme  il  ne  faut  pas  exiger  de  la  justice  de  Dieu 
qu'elle  travaille  au  relâchement  et  à  la  corruption 
des  âmes  vertueuses,  en  leur  accordant   des  biens 

I.  C.  8.  dt  dn.  tient» 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  207 

funestes  et  en  les  traitant  avec  trop  de  douceur. 
Aussi  saint  Jérôme  (i)  dit-il,  que  pas  un  seul 
Saint  n'a  obtenu  la  couronne  sans  avoir  com- 
battu. Fais  des  recherches,  dit-il,  et  tu  constateras 
que  tous  ont  été  éprouvés  par  des  malheurs.  Salo- 
mon  seul  vécut  dans  les  délices,  et  c'est  peut-être 
aussi  ce  qui  l'a  perdu. 

De  cette  considération  et  des  célestes  paroles  de 
deux  saints  Docteurs,  il  faut  conclure  que  c'est  se 
tromper  grandement  que  de  s'insurger  contre  la 
Providence  de  Dieu,  à  l'occasion  des  calamités  de 
cette  vie.  Nous  devons  les  envisager  comme  des 
moyens  qui  dans  les  vues  de  la  Providence  divine 
doivent  servir  à  nous  humilier,  à  expier  nos  fautes 
et  à  nous  aiguillonner  dans  la  voie  de  la  sainteté. 
Hélas  I  de  quelle  singulière  dévotion  ne  font  pas 
profession  ceux  qui  portent  envie  aux  autres,  ceux 
qui  s'estiment  malheureux  et  rejetés  de  Dieu,  si 
la  moindre  bise  leur  resserre  un  peu  la  peau  ! 
Quel  orgueil  de  ne  vouloir  pas  se  soumettre  aux 
dispositions  de  Dieu  et  de  se  révolter  contre  elles 
témérairement,  sans  vouloir  comprendre  que  l'af- 
fliction, la  pauvreté,  les  maladies,  les  persécutions 
et  même  la  mort,  sont  des  sentiers  choisis  par  la 
Providence  pour  nous  acheminer  vers  Dieu  !  Oh  ! 
qu'une  telle  Providence  soit  toujours  bénie,  louée, 
adorée  !  oui,  je  me  soumets  et  m'abandonne  à  sa 
conduite  et  j'accepte  tous  les  moyens  qu'il  lui 
plaira  de  m'imposer  pour  parvenir  à  ma  fin  bien- 
heureuse. 

I.  T.  I.  epist.  zo. 


2o8  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


XXX^  MÉDITATION 

DE  LA  PRÉDESTINATION 
A  LA  GLOIRE 


SOMMAIRE 

Ce  qu'est  la  prédestination  à  la  gloire  —  ses 
causes  —  principales  différences  des  prédes- 
tinés. 

I 

LA  prédestination  à  la  gloire  est  un  décret 
éternel  en  vertu  duquel  Dieu  donne  le  para- 
dis à  ceux  qu'il  prévoit  devoir,  avec  le  secours  des 
grâces  de  Jésus-Christ,  finir  leur  vie  dans  l'amour 
de  Dieu.  Telle  est  la  pensée  du  Docteur  angé- 
lique  (i).  Quelques-uns  de  ses  disciples  l'ont  mal 
comprise,  et  cela,  faute  de  n'avoir  pas  distingué 
ce  qu'il  dit  dans  ses  écrits  de  la  prédestination  à 
la  gloire  seulement,  laquelle  prédestination  il 
déclare  avoir  été  faite  d'après  la  prévision  des 
mérites  acquis  avec  le  secours  de  la  grâce,  et  ce 
qu'il  dit  de  la  prédestination  à  la  grâce  et  à  la 
gloire  à  la  fois,  que  Dieu  a  faite  indépendamment 
des  mérites.  Or,  pour  comprendre  ce  décret,  un 
des  plus  importants  de  ceux  qui  intéressent 
l'homme,  car  il  y  va  de  son  éternité,  il  faut  deman- 

I.  Q,  a),  art.  5.  et  3  p.  q.  x.  art.  )  ad  4. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  20^ 

der  à   Dieu  de  nouvelles   lumières   et  savoir  se 
contenter  d'une  science  imparfaite. 

Représentez-vous  donc  un  roi  au  sommet  d'une 
haute  tour,  d'où  il  découvre  la  campagne  qui 
s'étend  à  ses  pieds.  Il  a  averti  les  hommes  qui  s'y 
trouvent,  qu'ils  ont  en  face  d'eux  deux  chemins, 
l'un  bon,  l'autre  mauvais;  il  en  voit  qui,  malgré 
cet  avertissement,  prennent  le  mauvais  chemin, 
où  une  fin  misérable  les  attend,  à  la  suite  de  divers 
accidents.  Il  en  voit  d'autres  s'engager  dans  le  bon 
chemin,  dans  lequel  ils  avancent  heureusement. 
Voilà  l'image  de  Dieu  en  ce  qui  concerne  la  pré- 
destination. Il  découvre  de  loin,  du  haut  de  sa 
science  infinie  et  de  toute  éternité,  qu'un  petit 
nombre  d'hommes  suivra  le  chemin  de  la  vertu  et 
que  le  plus  grand  nombre  se  précipiteront  dans 
le  chemin  du  vice  qui  aboutit  à  la  perdition, 
quoique,  après  les  avoir  tous  créés  avec  la  liberté 
de  choisir  entre  la  voie  du  vice  et  celle  de  la  vertu, 
il  Ipur  ait  prodigué  et  ses  avertissements  et  les 
moyens  de  choisir  le  bon  chemin.  Dans  cette  pré- 
vision qu'a  Dieu  de  toute  éternité,  il  prédestine 
ceux  qui  doivent  suivre  le  chemin  de  la  vertu  et 
réprouve  les  autres  qui  doivent  s'engager  dans  la 
voie  du  vice.  Ainsi,  dit  saint  Hilaire  (i),  l'élection 
dont  certains  sont  l'objet,  n'est  pas  le  fait  d'un 
jugement  arbitraire,  mais  c'est  un  acte  de  discer- 
nement en  faveur  du  mérite.  Il  a,  dit  saint  Ful- 
gence  (2),  prédestiné  au  supplice  ceux  qu'il  a  prévus 
devoir  s'éloigner  de  lui  par  la  malice  de  leur 
volonté,  et  il  a  prédestiné  à  régner  avec  lui  ceux  qu'il 

I.  In  Psalm.  64. 
3.  L.  I.  ad  Monim.  c.  34. 
Bail,  t.  i,  j^ 


2IO        LA  THEOLOGIE  AFFECTIVE 

a  prévus  devoir  revenir  à  lui  avec  le  secours  de  sa 
miséricorde  justifiante.  Il  faut  donc  admettre  que 
la  prédestination  a  été  faite  d'après  la  prévision 
des  bonnes  œuvres,  que  les  âmes  doivent  accom- 
plir non  pas  avec  leur  liberté  seule,  (ce  qui  serait 
admettre  la  science  moyenne  des  anciens  marseil- 
lais que  FEglise  a  condamnés)  mais  avec  le  secours 
de  la  grâce  de  Jésus-Christ,  c'est-à-dire  avec  leur 
liberté  aidée  et  fortifiée  par  cette  grâce  ;  sans  la 
grâce,  en  effet,  la  liberté  ne  peut  ni  commencer, 
ni  achever  l'œuvre  du  salut.  C'est  un  point  qu'il 
importe  de  bien  noter,  pour  ne  pas  tomber 
dans  l'erreur  des  Pélagiens,  comme  le  dit  saint 
Augustin  (i). 

Quand  Dieu  décida  d'accorder  à  tous  les  hom- 
mes des  grâces  suffisantes,  à  tous  ceux  du  moins 
qui  avaient  l'usage  de  la  raison  et  de  la  liberté,  et 
de  leur  ouvrir  par  là  le  chemin  du  ciel,  son  désir 
ardent  était  de  voir  tous  les  hommes  s'engager 
dans  ce  chemin.  S'il  eût  prévu  de  toute  éternité 
que  tous  durant  leur  vie  s'y  engageraient  en  effet, 
il  les  eût  tous  prédestinés  à  la  gloire.  La  prévision 
qui  est  un  acte  de  son  intelligence  est  antérieure 
au  décret  de  sa  volonté  :  il  convient  en  effet  à  qui- 
conque est  sage  de  ne  pas  vouloir  d'une  manière 
aveugle,  selon  cet  enseignement  du  Sage  :  «  que 
«  tes  yeux  précèdent  tes  pas  ».  (Prov.  41.)  Dieu 
considéra  donc  par  sa  science  moyenne  ce  que 
ferait  chaque  homme,  si  après  la  chute  d'Adam  et 
en  vertu  des  mérites  de  Jésus-Christ,  il  lui  don- 
nait des  grâces  et  des  moyens  de  salut  suffisants. 
Il  vit  alors  que  quelques-uns  en  feraient  un  bon 

I.  De  Pradestin.  sanctorum.   loa. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  211 

usage  et  il  décréta  leur  bonheur,  c'est-à-dire  qu'ils 
seraient  semblables  dans  la  gloire  à  Jésus-Christ, 
à  qui  ils  devaient  ressembler  dans  leur  vie,  selon 
cette  parole  de  saint  Paul  :  «  Ceux  que  Dieu  a 
«  prévus  devoir  vivre  et  mourir  saintement^  il 
«  les  a  prédestinés  pour  être  conformes  dans 
«  la  gloire  à  son  Fils  incarné  et  glorifié.  » 
(Rom.  8.) 

«  Q^ue  dire  après  cela  ?  Si  Dieu  est  pour  nous  y 
«  et  porte  en  notre  faveur  un  décret  éternel,  qui 
«  sera  contre  nous  ?  »  (Rom.  8.)  Admirons  en 
Dieu  ces  pensées  et  ces  décrets  éternels,  qui  ont 
pour  objet  les  créatures.  «  Q^ui  a  pénétré  dans 
«  les  desseins  de  Dieu  ou  qui  a  été  son  conseil- 
«  1er  »  (Rom.  8),  quand  il  a  pris  ces  résolutions 
dont  dépend  toute  l'éternité  et  qui  intéressent  à 
un  si  haut  point  tant  de  peuples  ?  Il  n'eût  pas 
besoin  de  temps  pour  délibérer  :  en  un  instant  et 
à  la  lumière  de  sa  science  admirable,  il  eût  irrévo- 
cablement décrété  de  créer  tous  les  Saints  dont  il 
voyait  distinctement  les  œuvres  et  les  qualités, 
dont  il  connaissait  les  noms  et  les  prénoms.  Ado- 
rons en  silence  ces  desseins  si  profonds,  louons  la 
puissance  de  son  esprit  qui  a  prévu  tant  de  choses 
et  les  décrets  portés  par  sa  volonté  sainte  sur  la 
plus  grave  affaire  qu'on  puisse  imaginer,  avec  une 
sagesse  et  une  prudence  infinies.  «  O  Seigneur^ 
«  vous  m'ave^  éprouvé,  vous  m'ave^  connu,  vous 
«  ave^  connu  mon  repos  et  mon  lever^  vous 
«  ave^  de  loin  pénétré  mes  pensées.  »  (Ps.  i38.) 


212  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


II 

Considérez  maintenant  plus  particulièrement  les 
causes  de  ce  décret  et  les  raisons  pour  lesquelles 
Dieu  prédestina  les  Saints  à  la  gloire.  La  première, 
dit  le  Docteur  subtil  (i),  est  l'amour  que  Dieu  se 
porte  à  lui-même  et  à  son  Essence  admirable.  Car 
il  aime  son  Essence  avant  toutes  choses,  comme 
étant  un  objet  souverainement  aimable  :  et  parce 
qu'il  s'aime  lui-même  conformément  à  l'ordre  et 
sans  jalousie,  il  veut  aussi  être  aimé  par  d'autres. 
Or,  prédestiner  quelqu'un  n'est  pas  autre  chose 
que  lui  souhaiter  d'aimer  Dieu  pendant  toute 
l'éternité. 

Aussi  après  l'amour  que  Dieu  se  porte  à  lui- 
même,  l'amour  qu'il  porte  aux  hommes  est  la 
seconde  cause  de  la  prédestination  :  car  elle  est 
l'effet  de  sa  miséricorde  et  de  son  extrême  bonté 
pour  les  hommes.  S'il  prévoit  que  les  hommes 
doivent  être  dans  un  bon  état  au  sortir  de  cette 
vie,  il  sait  que  cet  état  n'est  possible  qu'avec  l'aide 
de  la  grâce  dont  il  les  a  prévenus  ;  il  sait  aussi  que 
s'il  les  a  prévenus  de  ses  grâces,  ce  n'est  que  par 
un  effet  de  sa  Providence  surnaturelle  qui  l'a 
déterminé  à  se  faire  leur  guide  et  leur  bienfaiteur 
miséricordieux.  L'origine  de  la  prédestination  à  la 
gloire  est  donc  l'amour  éternel  de  Dieu  :  c'est  le 
plus  grand  de  tous  les  bienfaits,  la  plus  signalée  de 
toutes  les  faveurs,  celle  par  laquelle  l'homme  est 
destiné  à  la  fin  la  plus  glorieuse  qui  existe. 

La  troisième  raison  de  ce  décret,  ce  sont  les  mé- 
rites,   les   satisfactions  surabondantes   de   Jésus- 

I.  Scotus,  in  j.  Sent,  dis  t.  ja. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  2l3 

Christ,  Fils  de  Dieu  incarné,  dont  Dieu  fait  part  à 
Adam  et  à  sa  postérité,  afin  de  les  retirer  de  la 
masse  de  perdition  et  de  les  remettre  sur  le  che- 
min du  paradis.  Ainsi  Jésus-Christ  est  le  chef  des 
prédestinés,  puisque  les  autres  prédestinés  ne  le 
sont  qu'à  cause  de  lui. 

De  même  que  la  miséricorde  de  Dieu  étant  la 
raison  de  notre  prédestination,  Jésus-Christ  ne 
laisse  pas  de  l'être  aussi  et  que  les  mérites  de 
Jésus-Christ,  ne  font  pas  tort  à  la  miséricorde  de 
Dieu  ;  ainsi  Jésus-Christ,  troisième  raison  de  notre 
prédestination,  n'empêche  pas  que  nous  assignions 
comme  quatrième  raison  les  actes  de  vertu  et  le 
bon  état  des  âmes  au  moment  de  la  mort,  com- 
mencé et  maintenu  avec  le  secours  de  ses  grâces. 
Cette  dernière  raison  ne  dépréciera  ni  les  grâces 
ni  les  mérites  du  Sauveur  dont  ces  actes  de  vertu 
sont  le  fruit  excellent  :  un  tel  fruit  ne  saurait 
déprécier  l'arbre  qui  l'a  produit.  Dieu  au  Jour  du 
jugement  donnera  la  gloire  comme  récompense 
des  œuvres  de  miséricorde  et  de  toutes  les  autres 
bonnes  actions.  Or  ce  que  Dieu  fait  dans  le  temps 
pour  quelque  raison,  il  a  eu  de  toute  éternité  l'in- 
tention de  le  faire  pour  la  même  raison.  Dieu 
donc  qui  exécute  toujours  les  choses  telles  qu'il  les 
a  conçues,  a  voulu  de  toute  éternité  sauver  les 
âmes  à  cause  de  leur  vie  sainte.  De  même  qu'il 
a  réprouvé  éternellement  certaines  âmes  après 
avoir  prévu  leurs  mauvaises  actions,  ainsi  il  en  a 
prédestiné  d'autres  après  avoir  prévu  leurs  bonnes 
œuvres.  C'est  ce  qu'on  peut  conclure  des  termes 
mêmes  de  l'arrêt  suprême  :  «  Vene^,  les  bénis  de 
«  mon  Père^  posséder  Je  royaume  qui  vous  a  été 


214  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

«  préparé  dès  le  commencement  du  monde;  car 
«  fat  eu  faim  et  vous  m'ave:^  donné  à  manger.  » 
Jésus-Christ  dira  aux  méchants  :  «  Retirez-vous 
«  loin  de  moi,  maudits,  car  fat  eu  faim  et  vous 
«  ne  m'ave^  pas  donné  à  manger.  •»  (Matt.  25.) 
Cet  arrêt  revêt  une  forme  douce  et  suave,  car  il  ne 
permet  pas  aux  réprouvés  qui  n'auront  fait  aucun 
bien,  d'accuser  Dieu  de  favoritisme  à  l'égard  des 
prédestinés,  puisqu'il  ne  récompense  ceux-ci  que 
pour  leurs  services  et  leur  coopération  à  la  grâce 
à  laquelle  eux  ont  résisté. 

On  objectera  peut-être  que  la  tin  est  la  pre- 
mière chose  que  l'esprit  considère  et  que  Dieu 
par  conséquent  a  du  décréter  le  salut  des  prédesti- 
nés avant  d'avoir  considéré  leurs  œuvres  qui  ne 
sont  que  les  moyens  d'y  parvenir.  Mais  cet  axiome 
n'est  vrai  que  dans  le  cas  où  il  s'agit  de  sa  propre 
fin.  Or  la  gloire  des  Saints  n'est  pas  la  fin  de  Dieu 
mais  un  moyen  pour  la  procurer  ;  l'objection  ne 
doit  donc  pas  nous  arrêter. 

«  Q^ue  dirons  nous  donc  après  cela  ?  Si  Dieu 
«  est  pour  nous,  qui  sera  contre  nous  ?  » 
(Rom.  8.)  O  Dieu  éternel,  aimez-vous  toujours 
vous-même  !  Oh  !  qu'il  doit  m'être  cher  et  pré- 
cieux l'amour  que  vous  portez  à  votre  Essence 
infinie  !  Oh  !  qu'elle  soit  à  jamais  bénie  votre  mi- 
séricorde qui  est  pour  moi  la  source  de  tout  bien  ! 
Et  vous,  très-noble  Jésus,  je  vous  révère  et  vous 
adore  comme  le  chef  des  prédestinés.  Je  tâche- 
rai aussi  de  pratiquer  le  conseil  que  nous  donne 
saint  Pierre  par  ces  paroles  :  «  Efforcez-vous 
«  d'affermir  votre  vocation  et  votre  élection 
«  par  vos  bonnes  œuvres.  »  (ii  Pet.  i). 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  2l5 

Oui,  je  m'efforcerai,  autant  que  je  pourrai  de 
résister  au  vice,  de  m'adonner  aux  saintes  œuvres, 
de  bien  vivre  pour  bien  mourir,  dans  l'espoir 
d'être  inscrit  à  cette  condition  sur  le  livre  des  en- 
fants de  Dieu  :  c'est  en  effet  une  grande  consola- 
tion d'être  convaincu  qu'il  n'est  pas  plus  difficile 
d'être  prédestiné  que  de  vivre  et  de  mourir  sain- 
tement. Courage  donc,  âmes  immortelles,  conso- 
lez vos  ennuis,  modérez  vos  craintes,  votre  bon- 
heur éternel  dépend  de  Dieu  et  de  vous,  et  nulle- 
ment d'un  destin  fatal  et  aveugle.  Louez  donc  à 
jamais  la  conduite  de  Dieu  dans  la  prédestination. 

III 

Considérez  les  différences  qu'il  y  a  entre  les 
prédestinés  :  nous  en  distinguons  trois  principales 
en  ce  qui  concerne  les  hommes. 

Premièrement,  il  y  en  a  qui  sont  prédestinés 
uniquement  par  la  miséricorde  de  Dieu  et  par  les 
mérites  de  Jésus-Christ,  sans  aucune  coopération 
de  leur  part  à  la  grâce  :  tels  sont  les  enfants  qui 
ont  reçu  le  sacrement  qui  efface  le  péché  originel 
et  qui  sont  morts  aussitôt  après.  Ils  avaient  été 
souillés  et  perdus  par  la  faute  d'un  autre,  par  le 
péché  d'Adam  :  ils  recouvrent  la  grâce  par  les  mé- 
rites d'un  autre,  de  Jésus-Christ,  qui  est  le  nouvel 
Adam,  et  au  nom  de  qui,  ils  sont  prédestinés. 

Secondement,  il  y  en  a  d'autres  qui,  arrivés  à 
l'âge  de  raison,  aidés  par  la  miséricorde  de  Dieu, 
et  par  les  mérites  de  Jésus-Christ,  travaillent  à 
leur  salut,  correspondent  aux  inspirations  divines, 
croissent  en  grâce  et  en  vertu.  Mais  leur  sanctifi- 
cation s'accomplit  par  les  voies  communes,  il  n'y 


2l6  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

a  rien  de  particulier  ni  de  remarquable  dans  leur 
conversion  ou  dans  leur  genre  de  sainteté.  Ceux-là 
sont  du  commun  des  prédestinés  et  constituent  la 
seconde  différence. 

Voici  la  troisième  :  c'est  celle  des  prédestinés 
insignes  que  Dieu  a  favorisés  de  grâces  spéciales 
excellentes  et  rares,  dans  le  but  de  les  convertir 
infailliblement  :  tels  furent  Marie-Madeleine,  le 
bon  larron,  saint  Matthieu,  saint  Paul,  ceux  aussi 
qu'on  vit  sur  les  théâtres  imiter  par  moquerie  les 
cérémonies  chrétiennes  et  qui,  tout  d'un  coup, 
embrassaient  le  christianisme  qu'ils  avaient  eu 
l'intention  de  ridiculiser  ;  de  ce  nombre  furent 
saint  Genès,  Dioscore,  Ardéléon,  Théophile.  Cette 
troisième  classe  de  prédestinés  comprend  en  un 
mot,  tous  ceux  qui,  contrairement  à  toutes  les 
apparences  et  à  toute  prévision  humaine,  ont  été 
touchés  par  un  miracle  de  la  grâce  et  amenés  ainsi 
à  la  piété.  Quelquefois  ces  grâces  leur  sont  don- 
nées dans  le  but  de  les  élever  à  une  vie  parfaite  et 
d'une  très  rare  vertu,  comme  celle  de  tant  de 
Saints  et  de  Saintes  qui  ont  paru  dans  le  monde. 

«  Q^ue  dire  après  cela  ?  Si  Dieu  est  pour 
«  nous,  qui  sera  contre  nous  ?  O  mystérieuses 
«  richesses  de  la  sagesse  et  de  la  science  de 
«  Dieu  1  »  (Rom.  S,  ii.)  Admirez  cette  variété  : 
comme  une  étoile  difl'èrc  d'une  autre  par  sa  clarté, 
comme  un  diamant  diffère  d'un  autre  au  point  de 
vue  de  la  valeur,  ainsi  en  est-il  de  la  prédestination 
éternelle.  Grâce  à  elle,  les  petits  enfants  ravissent 
le  ciel,  ceux  qui  n'ont  qu'une  sainteté  commune  y 
vont  en  grand  nombre,  afin,  ô  mon  Dieu,  qu'au- 
cun de  ceux  qui  croient  et  espèrent  en  vous,  ne  se 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  217 

décourage  à  la  vue  de  ses  imperfections  et  ne 
désespère  d'être  du  nombre  de  vos  enfants.  Enfin 
ceux-là  même  qui  ont  été  plus  rebelles  à  vos 
attraits  y  parviennent  entraînés  par  des  grâces 
plus  puissantes  et  quelquefois  deviennent  d'in- 
signes prédestinés  et  d'illustres  Saints.  O  Dieu 
très  bon,  qu'on  vous  loue  et  qu'on  vous  bénisse 
éternellement,  pour  ces  âmes  bienheureuses  !  Que 
tous  les  bons  aient  confiance  en  vous,  que  per- 
sonne ne  désespère,  s'il  a  la  volonté  de  vous 
plaire,  puisque  vos  amis  sont  si  nombreux. 


XXXr  MÉDITATION 

DE  LA  RÉPROBATION 
DES  PÉCHEURS  OBSTINÉS 


SOMMAIRE 

Ce  qu'est  la  réprobation.  —  Dieu  ne  réprouve 
pas  pour  le  seul  péché  originel,  mais  à  cause 
de  V endurcissement  dans  le  péché.  —  Pour- 
quoi Dieu  a-t-tl  créé  les  réprouvés  ? 

I 

LA  réprobation  est  un  décret  éternel  en  vertu 
duquel  Dieu  exclut  de  la  gloire  du  paradis 
ceux  qu'il  prévoit  devoir  mourir  en  état  de  péché 
et  dépouillés  de  la  grâce.  Pour  comprendre  cet 


2l8  LA     THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

horrible  et  épouvantable  décret,  il  ne  faut  point 
s'imaginer  que  Dieu  Tait  "porté  arbitrairement  et 
sans  autre  raison  que  le  désir  de  voir  des  âmes  et 
des  corps  torturés  par  le  feu.  Parler  de  la  sorte, 
c'est  blasphémer  la  bonté  de  Dieu  :  ce  n'est  pas 
exalter  sa  volonté,  mais  plutôt  l'abaisser  et  la 
déshonorer  souverainement,  car  c'est  la  faire  tyran- 
nique,  injuste  et  déraisonnable.  Dieu  donc  ne 
porta  cet  arrêt  que  d'après  les  prévisions  de  sa 
science,  comme  d'ailleurs  pour  la  prédestination. 
Par  la  science  moyenne  qui  est  un  des  privilèges 
de  son  intelligence  infinie,  il  sut  que,  s'il  créait  le 
monde,  tel  qu'il  l'a  créé  en  réalité,  que  si,  exerçant 
sur  les  hommes  après  la  chute  d'Adam  une  provi- 
dence surnaturelle,  il  leur  fournissait  les  secours 
et  les  grâces  suffisantes  pour  sortir  du  péché  et 
s'acheminer  vers  le  ciel,  un  certain  nombre  profi- 
terait heureusement  de  ces  grâces  et  aussi  que 
d'autres  en  abuseraient  outrageusement  et  mour- 
raient finalement  dans  leur  péché,  sans  en  avoir 
fait  pénitence.  Cette  science  lui  fournit  les  consi- 
dérants pour  rédiger  de  toute  éternité  la  minute 
d'un  arrêt  de  mort  éternelle  et  de  condamnation 
aux  supplices  de  l'enfer,  qui  frapperait  les  réprou- 
vés dans  le  cas  où  il  les  appellerait  à  la  vie.  En 
effet,  au  même  instant  (car  nous  sommes  bien 
forcés  d'employer  notre  langage  humain  si  inexact 
quand  on  l'applique  à  Dieu)  ;  au  même  instant  où 
cette  science  moyenne  lui  faisait  connaître  leur 
malice  dans  le  cas  où  il  les  créerait,  il  décrétait  de 
les  créer  en  effet  et  voyait  par  sa  science  de  vision 
leur  malice  comme  un  fait  réel.  En  conséquence 
de  cette  vue,  il  décrétait  de  leur  infliger  une  mort 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  219 

éternelle,  après  qu'ils  auraient  vécu  dans  le  péché, 
conformément  à  ses  prévisions.  La  réprobation 
des  méchants  n'est  autre  chose  que  cet  arrêt  de 
mort  porté  contre  eux  à  la  suite  de  cette  prévision. 

Et  en  vérité,  puisque  Didu  avait  éternellement 
devant  les  yeux  ce  spectacle  de  la  bonté  des  uns  et 
de  la  malice  des  autres,  tous  cependant  également 
dirigés  et  chéris  par  sa  Providence  surnaturelle,  où 
eût  été  sa  sagesse,  sa  prudence  et  sa  justice,  s'il 
eût  choisi  des  traîtres,  des  hommes  pervers  et  obs- 
tinés dans  la  révolte  jusqu'à  la  mort,  pour  les  cou- 
ronner de  sa  gloire,  dont  il  les  voyait  absolument 
indignes  ?  Celui  qui  peut  choisir  ne  prend-il  pas  ce 
qu'il  y  a  de  meilleur  et  ne  rejette-t-il  pas  ce  qui  est 
infect  et  gâté  ?  Dieu  rejeta  donc  par  un  acte  de  sa 
volonté  ceux  qu'il  prévoyait  devoir  être  à  la  mort 
dans  l'infection  et  la  pourriture  du  péché  et  devoir 
repousser  le  remède  qu'il  leur  offrait.  Voilà  ce 
qu'est  la  réprobation.  Dieu,  dit  saint  Prosper  (i), 
ne  les  a  pas  prédestinés,  parce  qu'il  a  prévu  qu'ils 
devaient  pécher  :  mais  il  les  aurait  prédestinés, 
s'ils  eussent  du  revenir  à  la  vérité  et  à  la  sainteté  et 
y  persévérer. 

Qui  donc  ne  vous  craindra,  o  Roi  des  siècles  ! 
o  roi  de  justice,  qui  ne  vous  redoutera  ?  Mais 
aussi  qui  ne  vous  admirera  ?  Vous  qui  n'êtes  que 
douceur  et  miséricorde,  vous  dont  la  nature  est 
d'être  bon,  après  avoir  prévu  le  péché  des  millions 
de  siècles  à  l'avance,  vous  décrétez  la  damnation 
des  âmes  qui  en  seront  souillées  au  moment  de 
leur  mort.  Oh  !  que  le  péché  est  horrible,  puisque 
de    Père   il  vous    change    en    Juge    inexorable  ! 

I.  In  Reip.  ad  object.  Vincent.  la. 


220  LA  THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

Hélas  !  o  mon  vrai  Dieu,  qu'en  sera-t-il  de  moi  qui 
veux  soupirer  après  vous  et  obéir  à  votre  volonté  ? 
Dieu  tout  suave  et  tout  amour,  vous  êtes-vous 
déterminé  à  m'éloigner  de  vous  ?  Ah  !  Seigneur, 
ne  le  faites  pas  et  ne  me  traitez  pas  comme  votre 
ennemi  !  Je  me  soumettrai  à  vos  lois,  je  vous 
aimerai  jusqu'à  mon  dernier  soupir  pendant  cette 
courte  vie  et  aussi  durant  toute  réternité. 

II 

Dieu  voyant  après  le  péché  d'Adam  tous  les 
hommes  compris  dans  une  même  masse  de  perdi- 
tion ne  se  détermina  pas  même  alors  uniquement 
d'après  son  bon  plaisir  et  indépendamment  de  la 
prévision  des  oeuvres,  à  béatifier  les  uns  et  à 
réprouver  les  autres,  comme  il  aurait  eu  le  droit 
de  le  faire,  de  l'avis  de  saint  Paul  :  «  D'une 
«  même  masse  d'argile^  le  potier  ne  peut-il  pas 
«  faire  un  vase  d'honneur  ou  un  vase  d'igno- 
«  minie  ?  »  (Rom  g).  Même  après  le  péché 
d'Adam,  Dieu  considéra  la  fin  de  leur  vie  et 
réprouva  ceux  qu'il  prévoyait  devoir  être  en  mau- 
vais état  à  cet  instant  suprême.  Saint  Paul  dit  qu'il 
«  a  supporté  les  vases  de  colère  avec  une  grande 
«  patience^  »  (Rom  9),  qu'il  a  eu  égard  à  la  fin  de 
leur  vie  pour  décréter  leur  mort  éternelle.  La 
raison,  c'est  que  Dieu  se  comporte  dans  la  ques- 
tion de  la  réprobation,  comme  un  juge  plein  de 
justice  :  il  ne  porte  son  arrêt  qu'après  s'être  en 
quelque  sorte  informé  sur  la  vie  tout  entière  du 
pécheur.  Un  juge  serait  blâmable,  si,  ayant  à  juger 
un  criminel  sur  qui  pèseraient  plusieurs  accu- 
sations, il  le  condamnait  pour  quelques  fautes  de 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  221 

son  enfance  et  non  pour  les  plus  grands  crimes  de 
sa  vie.  Or  le  péché  originel  est  le  péché  le  plus 
excusable  chez  les  hommes  qui  ne  l'ont  pas 
contracté  par  leur  propre  malice.  Il  serait  donc 
absurde  de  croire  que  Dieu  aurait  basé  là-dessus 
sa  sentence  de  réprobation  contre  certaines  âmes 
qu'il  voyait  souillées  d'autres  crimes,  ceux-là 
énormes. 

De  plus  s'il  n'eût  considéré  que  la  masse  de 
perdition,  comme  toutes  les  âmes  s'y  trouvaient 
également  comprises,  et  comme  il  est  tout  aussi 
glorieux  pour  Dieu  de  manifester  sa  miséricorde 
que  sa  justice.  Dieu  aurait  dû  faire  un  plus  grand 
nombre  de  prédestinés  que  de  réprouvés  :  l'Ecri- 
ture loue  sa  miséricorde  parce  qu'elle  dépasse 
toutes  les  autres  œuvres  divines.  Cependant  il  est 
certain  que  Dieu  en  a  réprouvé  un  plus  grand 
nombre.  Il  Va  donc  fait  pour  une  raison  autre  que 
le  péché  originel. 

Ajoutons  encore  ceci  (i)  :  Est-il  admissible  que 
les  hommes  qui  ne  tiennent  d'Adam  que  le  corps 
et  qui  ont  reçu  leur  âme  directement  de  Dieu, 
soient  plutôt  réprouvés  à  cause  de  ce  qui  leur  vient 
de  l'homme,  que  prédestinés  en  considération  de 
ce  qu'ils  ont  reçu  de  Dieu  ?  Combien  n'est-il  pas 
plus  raisonnable  que  l'œuvre  de  Dieu  ne  périsse 
pas  à  cause  de  l'œuvre  de  l'homme,  c'est-à-dire 
que  l'âme  ne  périsse  pas  à  cause  du  corps  et  que 
l'œuvre  de  l'homme  soit  rachetée  à  cause  de  l'œu- 
vre de  Dieu,  c'est-à-dire,  que  le  corps  soit  sauvé 
en  faveur  de  l'âme. 

Disons  aussi  que  Dieu  n'a  pas  pu  réprouver  les 

I.  Catharinus,  in  e,  9,  Epiit.  ad  Rom. 


222  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

âmes  pour  un  péché  qui  leur  a  été  pardonné  et  il 
n'a  pas  pu  les  abandonner  dans  la  masse  de  perdi- 
tion, après  les  en  avoir  retirées.  Or,  plusieurs  âmes 
qui  sont  réprouvées  ont  obtenu  la  rémission  du 
péché  originel  par  le  baptême. 

Voilà  ce  qu'il  importait  de  bien  établir  à  cause 
des  conséquences  très  dangereuses  qu'entraîne  la 
doctrine  de  la  réprobation  absolue  et  à  cause  des 
troubles  qu'elle  a  suscités  dans  certaines  églises. 
Nous  en  avons  vu  s'abandonner  au  vice,  en  pré- 
tendant que  Dieu  les  a  ou  prédestinés  ou  réprou- 
vés, sans  avoir  égard  à  la  vie  qu'ils  mèneraient  et 
que  par  conséquent  la  question  de  leur  bonheur 
ou  de  leur  malheur  éternel  est  décidée  sans  eux 
et  quoi  qu'ils  fassent. 

Il  vaut  mieux  méditer  avec  le  Docteur  séraphi- 
que  sur  trois  choses  importantes  concernant  la 
réprobation  :  ce  sont  la  haine  éternelle  de  Dieu 
contre  les  réprouvés,  leur  endurcissement  dans  le 
temps  et  leur  damnation  éternelle.  La  haine  éter- 
nelle de  Dieu  est  la  réprobation  intérieure  de 
Dieu,  qui  par  un  acte  de  sa  volonté  rejette  les  mé- 
chants ;  la  damnation  éternelle  est  la  réprobation 
qu'il  en  fera  extérieurement  au  jugement  particu- 
lier et  au  jugement  général.  Alors  il  les  rejettera 
loin  de  sa  présence  et  de  l'assemblée  des  élus, 
dont  il  les  séparera.  Ce  sera  la  conséquence  de  la 
réprobation  qu'il  avait  prononcée  en  lui-même  de 
toute  éternité. 

Si  la  haine  éternelle  de  Dieu  et  la  damnation 
éternelle  sont  si  graves,  l'endurcissement  du 
pécheur  ne  l'est  pas  moins,  car  il  est  la  raison  de 
ces  deux  choses  :  Dieu,  en  effet,  n'a  haï  de  toute 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  223 

éternité  les  réprouvés  que  parce  qu'il  a  prévu  leur 
endurcissement  et  c'est  pour  ce  même  motif  encore 
qu'il  les  damne  éternellement.  Ainsi  la  dureté  du 
cœur  humain  et  son  obstination  dans  l'impénitence 
donne  lieu  à  une  double  réprobation,  l'une  inté- 
rieure et  dans  l'intention,  l'autre  extérieure  et  dans 
l'exécution.  Des  milliers  de  crimes,  des  milliers  de 
profanations  des  choses  saintes,  si  tout  cela  n'est  pas 
accompagné  de  l'obstination  et  de  l'impénitence,  a 
plus  forte  raison  le  péché  originel  déjà  remis  ne 
sont  pas  aux  yeux  de  Dieu  des  motifs  suffisants 
pour  réprouver  une  àme.  Mais  un  seul  péché  mortel 
sans  amendement  et  sans  pénitence  donne  à  Dieu 
le  droit  de  haïr  une  âme  et  de  la  damner  éternelle- 
ment. En  fin  de  compte,  Dieu  ne  traitera  sévère- 
ment que  le  cœur  endurci  et  impénitent,  qui  se 
moque  des  plus  sages  remontrances,  qui  étouffe 
les  inspirations  intérieures  de  la  grâce  et  qui  tient 
bon  dans  le  mal,  soit  quand  la  mort  le  saisit  inopi- 
nément, soit  quand  il  l'a  attendue,  inébranlable 
dans  son  obstination.  De  là  vient  que  parmi  les 
réprouvés  il  s'en  trouve  qui  ont  commis  durant 
leur  vie  moins  de  crimes  que  certains  prédestinés  : 
toute  la  différence  est  venue  de  ce  que  ceux-ci 
n'ont  pas  repoussé  les  remèdes  et  se  sont  laissé 
gagner  par  les  attraits  de  la  pénitence,  qui  a  effacé 
leurs  péchés  avant  la  mort,  tandis  que  les  réprou- 
vés, bien  que  souillés  de  péchés  moins  nombreux, 
se  sont  endurcis  dans  ces  fautes  jusqu'à  la  mort. 
Aussi  feront-ils  l'expérience  de  cette  vérité  qu'ex- 
prime le  Sage  :  «  Le  cœur  endurci  sera  traité 
«  durement  à  la  fin.  »  (Eccl.  3.) 
Aussi  nous  n'admettrons  pas  cette  opinion  qui 


224  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

scandalise  les  âmes  et  les  jette  dans  tous  les 
désordres  ;  je  parle  de  l'opinion  qui  soutient  que 
Dieu  aurait  réprouvé  des  hommes  ayant  l'usage  de 
la  raison,  uniquement  à  cause  du  péché  originel, 
même  après  qu'il  l'a  pardonné  à  un  grand  nombre 
par  le  baptême  ou  par  tout  autre  moyen.  Impri- 
mons au  contraire  dans  notre  esprit  cette  vérité, 
que  Dieu  a  réprouvé  des  âmes  ayant  l'usage  de  la 
raison,  à  cause  de  leur  obstination  dans  le  mal, 
laquelle  avait  été  prévue  de  toute  éternité  aussi 
clairement  qu'elle  était  présente  à  l'intelligence 
divine  dans  le  temps. 

Maudissons  donc,  o  mon  âme,  la  dureté  de 
cœur,  l'opiniâtreté  et  l'impénitence.  O  cruelle 
dureté  !  je  t'abhorre  plus  que  tous  les  monstres  les 
plus  effroyables  de  la  terre.  Irréligieuse  impéni- 
tence, je  te  déteste  plus  que  tous  les  démons  de 
l'enfer.  Opiniâtreté  coupable,  mère  maudite  de 
toute  réprobation,  sois  à  jamais  en  horreur,  en 
exécration,  en  abomination  à  tous  les  esprits  du 
monde  !  Maudits  soient  les  imitateurs  de  Pha- 
raon et  de  tous  les  coeurs  humains  impénitents 
et  durs  jusqu'à  la  mort  !  Ah  !  mon  Dieu,  mon 
Seigneur,  amollissez  donc  mon  cœur,  qu'il  fonde, 
qu'il  se  liquéfie  sous  les  chauds  effluves  de  votre 
amour  et  qu'une  telle  malédiction  ne  tombe  pas 
sur  moi  !  Et  aussi.  Seigneur,  ayez  pitié  de  cer- 
taines âmes  qui  vivent  d'une  manière  misérable, 
sans  pénitence  et  dans  l'état  de  résistance  conti- 
nuelle aux  appels  de  votre  grâce  !  ayez  pitié 
notamment  d'un  ca'ur  en  faveur  duquel  je  vous 
prie  actuellement  ! 


DES     ATTRIBUTS    DE     DIEU  225 

III 

Considérez  pourquoi  Dieu  a  mis  au  monde  des 
réprouvés.  Cette  difficulté  scandalise  plusieurs 
hommes  spirituels  qui  ne  peuvent  admettre  que 
Dieu  ait  fait  naître  des  créatures  raisonnables, 
alors  qu'il  savait  bien  qu'elles  s'obstineraient 
dans  le  péché  et  brûleraient  éternellement.  Pour- 
quoi ne  se  dispensait-il  pas  de  faire  sortir  du 
néant  des  créatures  qui  devaient  être  de  tout  point 
malheureuses  ? 

Chose  étrange  !  on  trouve  mauvais  que  Dieu 
donne  la  vie  à  des  ennemis,  pour  avoir  l'occasion 
de  faire  en  leur  faveur  des  actes  d'ineffable  misé- 
ricorde, dont  il  ne  tiendrait  qu'à  eux  de  profi- 
ter, et  on  trouve  beau  que  dans  un  duel  le  plus 
fort  fasse  grâce  de  la  vie  au  plus  faible,  quoiqu'il 
soit  son  ennemi  mortel.  Certes  c'est  un  acte  de 
bonté  admirable  que  Dieu  ait  daigné  appeler  à  la 
vie  les  réprouvés  qui  sont  ses  ennemis  et  leur  con- 
férer comme  aux  prédestinés,  les  grâces  suffisantes, 
Loin  de  l'accuser,  on  devrait  le  louer  pour  une 
telle  bonté. 

Ajoutez  à  cela  que  les  réprouvés  ont  quelque 
utilité  dans  ce  monde,  soit  parce  qu'ils  éprou- 
vent les  justes,  soit  parce  qu'ils  consacrent  leur 
activité  aux  choses  terrestres  et  augmentent  par 
divers  travaux  la  richesse  du  monde. 

N'oubliez  pas  aussi  que  très-probablement  il 
vaut  mieux  pour  les  réprouvés  exister,  même  dans 
les  tourments,  que  de  ne  pas  exister  du  tout.  Quel 
motif  auront-ils  alors  de  se  plaindre  de  Dieu,  s'ils 
sont  en  enfer  par  leur  propre  faute  ?  Ils  doivent 
plutôt  dire  :  «  Si  nous  ne  sommes,  pas  consumés 

Bail,  t.  i.  x> 


226  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

«  et  anéantis,  c'est  à  la  miséricorde  de  Dieu 
«  que  nous  le  devons.  (Thren.  3).  Telle  est  Topi- 
nion  d'illustres  Docteurs,  notamment  de  saint 
Augustin  (i)  dont  voici  le  raisonnement:  celui  qui 
existe,  quoique  en  proie  aux  tourments  de  l'enfer, 
est  plus  près  de  Dieu  que  celui  qui  n'a  pas  l'être, 
parce  que  la  chose  la  plus  éloignée  de  Dieu  qu'il 
nous  soit  possible  de  concevoir,  c'est  le  néant. 
Sans  doute  la  Vérité  a  dit  de  Judas  :  «  il  eût 
«  mieux  valu  qu'il  ne  fut  jamais  né.  »  (Matt.  26). 
Mais  elle  s'est  simplement  exprimée  conformé- 
ment à  ce  que  croyait  Judas  et  un  grand  nombre 
de  damnés  qui  souhaitent  le  néant,  comme  étant 
préférable  à  une  telle  vie  :  les  forçats  eux  aussi 
souhaitent  parfois  la  mort  qui  est  cependant  un 
plus  grand  mal  que  leurs  chaînes  et  leurs  galères. 
Au  reste,  si  les  réprouvés  sont  déchus  de  la  fin 
particulière  qui  est  le  paradis,  fin  pour  laquelle 
Dieu  les  avait  créés  et  les  avait  munis  de  forces 
suffisantes,  ils  ne  sont  pas  déchus  de  la  fin  géné- 
rale de  toutes  les  créatures  qui  consiste  dans  la 
gloire  de  Dieu  et  dans  la  manifestation  de  ses 
perfections.  A  leur  occasion.  Dieu  a  d'abord 
montré  sa  patience  ;  il  manifeste  maintenant  sa 
justice  contre  eux.  Par  l'opposition  de  leur 
misère,  il  fait  resplendir  davantage  la  gloire  de 
ses  élus  :  ainsi  la  beauté  brille  davantage  à  côté 
de  la  douleur,  et  le  contraire  par  l'opposition  de 
son  contraire.  Dieu  est  même  indirectement  glo- 
rifié par  ce  seul  fait  que  des  millions  de  créatures 
sont  en  proie  à  la  rage  et  au  désespoir  pour  ne 
pas   ravoir   servi  et  pour  avoir  été  exclues  de  la 

I.  Dt  Ub.  ar.  1.  i.  cap.  7. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  227 

jouissance  de  ses  beautés  si  grandes  que  leur  mé- 
pris mérite  un  enfer  éternel. 

Enfin  aucune  des  actions  de  Dieu  concernant 
les  réprouvés,  ne  saurait  être  blâmée.  C'est 
d'abord  par  un  effet  de  son  inconcevable  miséri- 
corde qu'il  les  a  tirés  du  néant  et  appelés  à  la  vie, 
et  c'est  un  acte  de  bonté  plus  inconcevable  encore 
d'avoir  envoyé  son  Fils  au  monde,  pour  dépenser 
son  sang  et  sa  vie  entière  à  leur  procurer  des 
grâces  et  des  moyens  de  salut.  Si  finalement,  il 
les  a  damnés,  après  qu'ils  ont  eu  abusé  de  ses 
dons  et  se  sont  montrés  réfractaires  à  sa  volonté, 
il  n'a  fait  en  cela  qu'accomplir  le  devoir  d'un  juge 
équitable  à  qui  incombe  la  charge  de  punir  les 
malfaiteurs  :  ceux-ci  ont  grandement  raison  de 
s'accuser  eux-mêmes  et  non  le  juge  qui  est  moins 
la  cause  de  leur  supplice,  que  leur  malice  person- 
nelle. Mais  si  chaque  action  de  Dieu  à  l'égard  des 
réprouvés  prise  et  examinée  séparément  ne  mérite 
aucun  blâme,  pourquoi  prises  dans  leur  ensemble, 
seraient-elles  blâmables  ?  Les  biens  augmentent 
par  leur  union  et  il  ne  peut  résulter  de  cette 
union  qu'un  surcroît  de  bonté. 

Enfin  il  en  est  de  Dieu,  dit  saint  Cyrille  (i), 
comme  d'un  agriculteur  très-expert  dans  son  art, 
qui  sème  dans  son  jardin  des  plantes  de  bonne 
espèce  et  met  un  soin  jaloux  à  les  bien  faire  venir; 
peut-on  le  blâmer  si  quelqu'une  vient  à  périr  ? 
Dieu  ressemble  encore,  dit  André  de  Césarée  (2) 
à  un  roi  qui  ne  laisse  pas  d'ouvrir  le  tournoi  à 
tout  le  monde,   soit   pour  la  lutte,  soit  pour  la 

I.  In  Gen.  1.  i. 
3.  In.  Apoc,  c.  50. 


228  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

course  ou  pour  tout  autre  sorte  de  combat,  bien 
qu'il  sache  d'avance  qu'un  seul  doit  remporter  le 
prix.  Or,  ce  qu'est  l'ouverture  d'un  tournoi  aux 
lutteurs  et  aux  combattants,  l'entrée  de  la  vie  l'est 
aux  hommes  ;  en  effet,  il  n'est  pas  en  notre  pou- 
voir de  naître  ou  de  ne  pas  naître,  mais  ce  qui  est 
en  notre  pouvoir,  c'est  de  combattre  généreuse- 
ment, de  vaincre  les  démons  et  de  remporter, 
comme  prix  de  la  victoire,  les  biens  éternels. 
D'autre  part,  il  est  impossible  que  ceux  qui  auront 
succombé  sous  les  efforts  du  démon,  ne  soient  pas 
assaillis  d'une  grande  tristesse  et  d'une  grande 
désolation.  Il  ne  faut  donc  pas  accuser  Dieu 
d'avoir  donné  la  vie  aux  prédestinés  et  aux  réprou- 
vés, puisque  nul  n'a  le  droit  de  blâmer  ce  roi  qui 
admet  tant  de  personnes  dans  la  lice,  bien  qu'il 
n'y  ait  qu'un  seul  vainqueur  de  couronné. 

Vous  donnez  donc,  o  mon  Dieu,  une  grande 
preuve  de  bonté  dans  la  création  des  réprouvés  et 
une  grande  preuve  de  justice  dans  l'exécution  de 
votre  décret.  Bénie  soit  votre  miséricorde  pour 
toutes  les  grâces,  toutes  les  exhortations  et  toutes 
les  célestes  influences  que  vous  avez  versées  dans 
leurs  âmes  afin  de  les  attirer  à  leur  devoir.  Louée 
soit  aussi  votre  justice  qui  sait  bien  venger  votre 
bonté  et  exiger  les  satisfactions  dues  à  votre  gran- 
deur pour  les  outrages  qu'elle  a  reçus.  «  Vous  êtes 
juste,  Seigneur^  et  votre  jugement  est  droit.  » 
(Ps.  II 8.)  Ce  sont  donc  des  misérables  ceux  qui 
ont  l'audace  de  murmurer  contre  vous.  «  Eh  quoi! 
«  le  pot  de  terre  dit-il  au  potier  :  Pourquoi 
«  nï" as-tu  ainsi  fabriqué}  »  (Rom.  9.)  Combien 
moins  le  pécheur  a-t-il  le  droit  de  vous  parler 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  229 

ainsi,  lui  que  vous  avez  attendu  et  supporté  avec 
beaucoup  de  patience,  alors  que  dès  son  premier 
péché  vous  pouviez  le  perdre  sans  ressource  !  En 
conséquence  tout  ce  que  vous  avez  décrété  à  mon 
sujet  est  juste  et  je  ne  vous  en  blâmerai  jamais 
durant  toute  l'éternité.  Et  si  vous  savez.  Seigneur, 
que  je  doive  être  à  la  fin  du  monde  au  nombre  de 
vos  ennemis,  Dien  que  je  garde  une  tout  autre 
espérance,  si  dès  maintenant  vous  prévoyez  que 
je  serai  de  ceux  qui  blasphémeront  votre  Provi- 
dence, hélas  !  ô  mon  très  bon  Créateur,  je  déclare 
d'ores  et  déjà  à  la  face  du  ciel  et  de  la  terre, 
que  je  désavoue  de  tels  blasphèmes  et  cette 
fureur  maudite  et  insensée.  Ne  l'imputez  donc  pas 
à  une  pauvre  créature  qui,  dans  la  plénitude  de 
sa  volonté,  se  prosterne  et  se  soumet  à  toutes  vos 
dispositions,  et  confesse  qu'elles  sont  très  justes 
et  très  adorables  dans  tout  événement  et  pour 
toute  l'éternité. 


23o  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


XXXir  MÉDITATION 

DU  LIVRE  DE  VIE 
ET  DU  LIVRE  DE  MORT 


SOMMAIRE 

Le  livre  de  vie  est  la  connaissance  qu'a  Dieu  des 
prédestinés.  —  Le  livre  de  mort  est  la  con- 
naissance qu'a  Dieu  des  réprouvés.  —  Cette 
connaissance  infaillible  ne  doit  cependant 
décourager  personne, 

I 

DE  même  que  les  princes  les  plus  sages,  amis 
de  l'ordre,  ont  un  livre  secret,  où  s'écrit 
tout  ce  qui  se  passe  de  plus  important  dans  leur 
royaume,  comme  l'histoire  le  rapporte  d'Auguste 
et  de  bien  d'autres,  ainsi  Dieu  dont  la  sagesse 
dépasse  celle  de  tous  les  grands  politiques  et  de 
tous  les  chefs  de  république,  tient  un  livre  secret, 
un  livre  d'Etat,  appelé  par  l'Ecriture  sainte  livre 
de  vie  ou  livre  des  vivants.  Sur  ce  livre  se  trou- 
vent les  noms  des  prédestinés,  qui  jouissent  ou 
doivent  jouir  de  la  gloire  du  paradis  :  car  dit 
saint  Jean,  «  nul  n'y  entrera^  s'il  n'est  inscrit 
«  dans  le  livre  de  vie  de  T Agneau  ».  (Apoc.  21.) 
Ce  livre  est  écrit  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur  et 
n'est  autre  chose  que  la  science  et  la  mémoire  de 
Dieu,  où  sont  gravés  les  noms  de  ceux  qui  sont 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  23l 

prédestinés.  Car  de  même  que  lorsqu'on  met  une 
chose  par  écrit,  c'est  un  signe  qu'on  a  l'intention 
de  la  faire,  ainsi  la  connaissance  qu'a  Dieu  des 
élus  est  pour  lui  comme  le  signe  infaillible  qu'ils 
arriveront  à  la  vie  éternelle. 

Quel  ordre  admirable  dans  ce  livre  !  Combien 
nombreux  ceux  qui  y  sont  inscrits  !  A  l'intérieur 
du  livre,  à  la  première  page  et  au  frontispice  on 
lit  le  nom  de  Jésus-Christ,  le  chef  des  prédestinés, 
le  premier  par  rang  de  dignité,  Celui  par  qui 
tous  les  autres  ont  été  inscrits  dans  ce  livre,  selon 
leur  mérite  et  leur  qualité.  Après  ce  nom  vient 
celui  d'une  Vierge  incomparable  au  point  de  vue 
de  la  grandeur  et  des  mérites.  Après  elle  viennent 
les  principaux  Séraphins,  les  plus  grands  Saints  et 
les  plus  grandes  Saintes,  qui  pour  avoir  coopéré 
plus  énergiquement  à  de  plus  grandes  grâces, 
sont  qualifiés  d'insignes  prédestinés.  Après  eux 
se  déroule  une  série  interminable  de  noms  d'anges, 
d'hommes  et  de  femmes  de  toute  nation  inscrits 
chacun  à  sa  place,  selon  la  parole  de  David  ;  «  ses 
«  yeux  ont  vu  mes  défauts,  et  tous  seront  écrits 
«  dans  votre  livre  »  (Ps.  i38).  A  la  fin  se  trouve 
le  catalogue  des  petits  enfants  qui  ont  été  délivrés 
du  péché  originel  par  le  baptême  ou  par  qucl- 
qu'autre  moyen  e^  qui  prédestinés  uniquement 
en  vertu  des  mérites  de  Jésus-Christ,  n'ont  pas 
souillé  leur  robe  d'innocence  au  milieu  de  ce 
monde  corrompu,  d'où  la  mort  les  retira  avant 
que  la  malice  eût  dépravé  leur  âme  (i). 

Ce  livre  n'est  pas  écrit  seulement  intérieure- 
ment, extérieurement  on  y  lit  les  noms  de  plusieurs 

l.  Sixt.  Scn.  Bihloth.  sanct.  1.  a,  lit,  m.  et  v. 


232        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

réprouvés  qui  durant  cette  vie  sont  quelquefois 
dans  un  bon  état  de  conscience,  font  pénitence  et 
mènent  une  vie  sainte.  Pour  le  moment  ils  sont 
donc  dans  la  voie  droite  qui  mène  à  la  vie  glo- 
rieuse, mais  comme  la  persévérance  leur  fait  défaut, 
qu'ils  retombent  dans  leurs  péchés  et  y  meurent, 
ils  sont  définitivement  effacés  de  ce  livre  mysté- 
rieux, selon  la  parole  de  David  :  «  Quiîs  soient 
«  effacés  du  livre  des  vivants  et  que  leur  nom 
«  ne  soit  pas  inscrit  à  côté  de  celui  des  justes.  » 
(Ps.  68). 

«  O  Dieu!  vos  amis  ont  été  honorés  jusqu'à 
«  Vexcès^  et  vous  ave\  établi  puissamment  leur 
«  domination.  »  (Ps.  148).  J'admirerai  ce  livre  de 
vie  plus  que  tous  les  livres  du  monde  et  j'estime- 
rai mille  et  mille  fois  heureux  ceux  qui  sont 
inscrits  intérieurement.  O  heureux  prédestinés  ! 
«  réjouissez-vous  de  ce  que  vos  noms  sont  écrits 
«  dans  les  deux  !  y)  {Luc  10).  Ah!  si  l'on  vous 
connaissait  d'une  manière  certaine,  tout  vils  que 
vous  paraissiez  quelquefois  ici-bas,  vous  mériteriez 
qu'on  baise  la  terre  qui  a  eu  l'honneur  d'être 
foulée  par  vos  pieds.  Elle  n'est  rien  la  dignité  des 
enfants  de  ce  siècle,  qui  se  croient  cependant  si 
grands  :  ce  n'est  que  poussière  et  néant  en  face 
des  enfants  de  bénédiction.  Vous  donc,  enfants  de 
bénédiction,  louez  Jésus  et  rendez-lui  grâces,  de 
vous  avoir  accordé  ce  bonheur.  O  glorieuse  armée  à 
la  tête  de  laquelle  nous  voyons  un  chef  si  noble  et 
si  triomphant  !  Oh!  que  je  voudrais  que  mon  nom 
fut  inséré  dans  cette  liste  !  Il  est  vrai  que  je  suis 
pécheur,  ma  vie  est  souillée  à  vos  yeux,  je  n'ai 
plus  de  confiance  que  dans  votre  parole  :  i<.  Vous  ne 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  233 

«  mépriser 67^ pas  un  cœur  contrit  et  humilié.  » 
(Ps.  5o).  Je  pleurerai  amèrement  mes  fautes  et 
avant  de  mourir  je  verserai  des  larmes  si  abon- 
dantes qu'elles  effaceront  mes  péchés.  J'ai  des 
efforts  à  faire,  car  mon  cœur  est  de  pierre.  O  mon 
Créateur,  n'exaucez  de  moi  que  cette  prière  : 
accordez  moi  de  fondre  en  regrets  et  en  larmes  et 
puis  faites  de  moi  tout  ce  que  vous  voudrez. 

II 

Comme  il  y  a  un  livre  de  vie,  qui  n'est  autre 
chose  que  la  connaissance  qu'a  Dieu  des  prédesti- 
nés, il  y  a  aussi  un  livre  de  mort,  qui  n'est  autre 
que  la  connaissance  qu'a  Dieu  des  réprouvés.  Saint 
Basile  (i)  et  saint  Grégoire  (2)  de  Nazianze  nous 
l'affirment  :  ils  disent  que  nous  pouvons  appeler 
livre  de  mort,  la  connaissance  qu'a  Dieu  des 
réprouvés,  de  la  même  manière  que  nous  appelons 
livre  de  vie,  la  connaissance  qu'il  a  des  prédes- 
tinés, parce  que  Dieu  connaît  le  nombre  des 
réprouvés  aussi  bien  que  celui  des  grains  de  sable 
de  la  mer.  C'est  un  livre  de  mort,  parce  que  ceux 
qui  sont  inscrits  dans  l'intérieur  de  ce  livre,  iront 
à  la  mort  éternelle.  C'est  un  livre  de  répudiation, 
parce  que  ceux  qui  y  seront  inscrits,  seront  répu- 
diés par  l'Epoux  céleste  et  ne  trouveront  leur 
place  qu'au  milieu  des  flammes  et  des  horreurs  de 
l'enfer. 

Le  premier  dont  le  nom  se  lit  dans  ce  livre,  est 
Lucifer,  le  chef  des  réprouvés.  Après  lui,  vient 
l'Antéchrist,  l'homme   le   plus   impie   et   le   plus 

X.  /a  Cap,  4  Isaiae. 
a.  Oratio  9. 


234  LA.    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

abominable  de  la  terre.  Après  eux  vient  la  liste 
des  plus  exécrables  réprouvés,  soit  parmi  les 
anges,  soit  parmi  les  hommes  ;  on  y  voit  Gain, 
Pharaon,  Juda,  Pilate,  les  hérésiarques,  les  dé- 
testables blasphémateurs  du  nom  de  Dieu,  les 
apostats,  les  hommes  coupables  des  plus  grands 
crimes  et  dont  le  nombre  est  très  grand.  Mais  elle 
est  bien  plus  grande  encore  la  masse  de  ceux  qui 
subissent  une  réprobation  ordinaire,  méritée  par 
cinq  ou  six  péchés  mortels,  par  trois,  par  deux  et 
même  par  un  seul.  A  la  fin  du  livre  on  lit  les  noms 
des  petits  enfants  morts  dans  le  sein  de  leur 
mère  ou  qui,  ayant  vu  le  jour,  sont  morts  avant 
d'avoir  reçu  le  remède  du  péché  originel.  Eux 
aussi  sont  réprouvés,  c'est-à-dire  qu'ils  sont  privés 
de  la  vue  de  Dieu  à  cause  du  péché  d'Adam,  le 
premier  homme.  Voilà  tous  ceux  qui  sont  inscrits 
dans  l'intérieur  de  ce  livre  et  qui  n'en  seront 
jamais  effacés. 

Mais  ce  livre  mystérieux  porte  à  l'extérieur 
d'autres  noms  qui  sont  effacés  tous  les  jours  :  ce 
sont  ceux  des  prédestinés  qui  ont  été  pendant 
quelque  temps  en  état  de  péché  mortel  et  dans  la 
voie  de  la  damnation;  mais  comme  ils  ont  reconnu 
leur  mauvais  état  et  fait  pénitence  et  finalement 
sont  morts  dans  l'amour  de  Dieu,  ils  sont  effacés 
de  ce  livre  :  tels  furent  saint  Paul,  sainte  Marie- 
Madeleine,  saint  Augustin  et  tant  d'autres  qui 
sont  revenus  à  Dieu  et  qui  ont  fait  pénitence. 

Je  demeurerai  frappé  en  ouvrant  ce  livre  d'y  lire 
les  noms  d'un  aussi  grand  nombre  d'hommes 
appartenant  à  tous  les  états  et  à  toutes  les  condi- 
tions et  qui  sont    damnés.^  Mon    cœur  sera-t-il 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  235 

insensible  au  point  de  ne  pas  être  ému  à  la  vue 
de  tant  de  personnes  qui  paraissent  sur  la  terre  si 
aimables  et  si  polies  ?  O  créatures  infortunées, 
à  quelles  affreuses  suggestions  vous  avez  prêté 
l'oreille,  quand  vous  vous  êtes  livrées  au  péché  ! 
Quelle  soit  maudite  votre  impureté,  votre  ambi- 
tion, votre  avarice  !  maudite  votre  iniquité  qui  a 
fait  transcrire  votre  nom  dans  ce  livre  de  mort! 
Mais  c'est  surtout  l'intérieur  du  livre  qui  me  fait 
trembler  :  «  Voye^,  mon  Dieu,  si  je  suis  dans  la 
«  voie  de  Viniquité  et  conduisez-moi  dans  la 
«  voie  de  votre  éternité.  »  (Ps.  i38.) 

III 

L'existence  de  ces  deux  livres  ne  doit  scandali- 
ser personne,  c'est-à-dire  ne  doit  décourager  per- 
sonne de  bien  faire,  bien  que  Dieu  ait  définitive- 
ment arrêté  le  nombre  des  prédestinés  avec  leur 
degré  de  gloire  comme  aussi  celui  des  réprouvés 
avec  les  degrés  de  leurs  peines.  Dieu  est  sembla- 
ble à  un  homme  placé  au  sommet  d'une  tour  :  à 
ses  pieds  il  voit  ceux  qui  s'engagent  dans  le  mau- 
vais chemin,  où  il  sait  d'une  manière  certaine  qu'ils 
périront,  mais  en  les  voyant  il  ne  leur  ôte  en  rien 
la  liberté  d'en  sortir  et  de  se  mettre  dans  le  bon 
chemin  :  au  contraire  il  les  excite  à  le  faire. 

Voici  ce  que  disent  ceux  qui  se  scandalisent  au 
sujet  de  ce  livre  de  mort  :  ou  bien  je  suis  inscrit 
dans  le  livre  de  vie,  et  dès  lors,  quoique  je  fasse,  je 
serai  sauvé;  ou  bien  dans  le  livre  de  mort,  et  dans 
ce  cas  j'ai  beau  faire,  je  serai  damné  :  la  question 
est   tranchée,  quelle  que  soit  la  vie  que  je  mène. 

Ceux  qui   parlent  ainsi  doivent  considérer  pre- 


236        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

mièrement  que  Dieu  doit  être  servi  parce  qu'il  y 
a  droit  à  cause  de  sa  grandeur  et  de  sa  bonté  in- 
finie et  non  pas  seulement  à  cause  du  paradis  que 
nous  espérons  et  de  l'enfer  que  nous  redoutons. 
Dieu  étant  toujours  le  même,  soit  qu'il  nous  ait 
prédestinés,  soit  qu'il  nous  ait  réprouvés,  nous  ne 
devons  pas  laisser  de  bien  vivre  et  de  le  servir 
avec  tout  le  respect  qui  est  dû  à  un  être  infini- 
ment  adorable   et   infiniment    bon. 

Ils  doivent  considérer  en  second  lieu  qu'ils  font 
une  supposition  fausse,  en  disant  que,  quoi  qu'ils 
fassent,  de  quelque  manière  qu'ils  vivent,  Dieu 
sait  ce  qu'il  fera  d'eux  et  que  rien  ne  sera  changé  : 
c'est  là  une  erreur  inspirée  par  Satan,  le  père  du 
mensonge,  et  dans  laquelle  ils  cherchent  mal  à 
propos  un  prétexte  pour  se  scandaliser.  Car  nous 
avons  vu  que  Dieu  n'a  prédestiné  que  ceux  qui 
devaient  persévérer  dans  sa  grâce  en  vivant  et  en 
mourant  bien,  et  Iqu'il  n'a  réprouvé  que  ceux  qui 
doivent  s'opiniâtrer  dans  la  résistance  à  ses  grâces 
en  vivant  et  en  mourant  dans  un  mauvais  état  ;  il 
n'est  donc  pas  vrai  de  dire  :  quoique  je  fasse,  je 
serai  sauvé  ou  damné.  S'ils  sont  prédestinés,  c'est 
qu'ils  travailleront  à  leur  salut  et  ne  croupiront 
pas  dans  une  vie  infâme  ;  s'ils  sont  réprouvés  au 
contraire,  c'est  qu'ils  persévérerontdans  le  mal.  Ils 
n'ont  donc  pas  raison  de  dire  :  quoique  je  fasse, 
rien  ne  sera  changé  et  ils  ne  peuvent  trouver  là 
un  motif  légitime  de  découragement,  parce  que 
celui  qui  se  décidera  à  bien  vivre,  et  tout  le  monde 
en  est  capable,  doit  espérer  qu'il  sera  prédestiné. 
Ne  blàmerait-on  pas  un  malade  qui  refuserait 
toute  sorte  de  remèdes  en  disant  :  quoique  je  fasse, 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  23'J 

Dieu  sait  bien  si  je  guérirai  ?  et  que  dirait-on  d'un 
voyageur  qui  ne  bougerait  pas  de  place,  en  disant  : 
Dieu  sait  bien  si  j'arriverai  au  but  de  mon 
de  mon  voyage  ?  et  d'un  laboureur  qui  se  croise- 
rait les  bras  et  refuserait  d'ensemencer  ses  terres 
sous  prétexte  que,  quoi  qu'il  fasse.  Dieu  sait  bien 
s'il  récoltera  la  moisson?  Celui-là  raisonne  de  la 
même  manière  qui  néglige  de  bien  vivre  en  disant: 
quoique  je  fasse.  Dieu  sait  bien  si  je  serai  sauvé. 
Or  toutes  ces  suppositions  sont  fausses,  car  le  ma- 
lade se  guérit  en  prenant  des  remèdes,  le  voyageur 
arrive  au  terme  en  cheminant,  le  laboureur  mois- 
sonne à  la  condition  d'avoir  cultivé  ses  champs  et 
l'homme  se  sauve  en  vivant  bien,  et  pas  autre- 
ment. Donc  raisonner  ainsi,  ce  serait  se  confor- 
mer, pour  ce  qui  regarde  son  âme,  à  un  principe 
dont  on  n'oserait  pas  faire  l'application  aux  choses 
qui  regardent  le  corps. 

Enfin  admettons  que  ceux  qui  raisonnent  ainsi 
sont  réprouvés  en  réalité  ;  eh  bien  !  qu'ils  servent 
Dieu  quand  même,  afin  qu'ils  aient  l'avantage  de 
le  servir  au  moins  dans  cette  vie  et  l'espérance 
d'adoucir  par  là  leur  enfer.  S'ils  sont  au  contraire 
prédestinés,  pourquoi  seraient-ils  ingrats  envers 
la  bonté  divine  qui  leur  accorde  un  aussi  grand 
bienfait  que  celui  de  les  mettre  au  nombre  de  ses 
enfants. 

Cette  tentation  je  la  repousse  donc,  car  quoi 
qu'il  doive  en  être  de  moi,  et  c'est  votre  secret, 
ô  mon  Dieu,  je  vous  servirai  pour  votre  bonté 
infinie.  Je  dirai,  ô  mon  Dieu,  avec  l'un  de  vos 
plus  ardents  serviteurs  (i)  :  quoi  qu'il  doive  en  être 

I.  D.  Bonar.,  Stimul,  p.  3,  c.  13. 


238  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

de  moi,  il  est  certain  que  toi,  Satan,  tu  es  damné; 
pour  moi,  si  j'étais  assez  malheureux  pour  être 
réprouvé  et  pour  être  privé  de  mon  Dieu  après 
cette  vie,  je  tâcherais  de  le  posséder  au  moins 
dans  la  vie  présente,  afin  de  ne  pas  en  être  privé 
dans  l'une  et  l'autre  vie.  Aussi  je  veux  me  donner 
à  lui  sans  perdre  un  instant.  N'est-ce  pas  déjà 
suffisant,  Satan,  que  je  doive  être  misérable  et 
t'appartenir  après  cette  vie,  sans  que  je  sois  à  toi 
dès  maintenant.  Par  conséquent  s'il  m'était  dé- 
montré que  je  suis  réprouvé,  je  voudrais  jouir 
jusqu'à  la  mort  de  mon  souverain  bien,  d'autant 
plus  ardemment  que  le  temps  de  le  posséder  me 
serait  plus  mesuré.  Mais  d'autre  part  si  je  suis 
prédestiné  et  si  je  dois  vivre  éternellement  d'une 
vie  angélique,  pourquoi  dès  maintenant  ne  vivrai- 
je  pas  comme  un  ange  ?  pourquoi  ne  serai-je  pas 
tout  à  mon  Dieu  qui  un  jour  se  donnera  tout 
à  moi  ?  Je  conclus,  ô  mon  Dieu,  que  mon  sort  est 
entre  vos  mains,  mon  sort  éternel,  heureux  ou 
malheureux.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  veux  vous  ado- 
rer et  obéir  à  vos  commandements  jusqu'au  der- 
nier soupir.  Ah  !  Seigneur,  j'ai  au  cœur  une  espé- 
rance trop  ferme  pour  qu'elle  soit  vaine  :  non, 
vous  ne  haïrez  pas  éternellement  une  àme  qui 
vous  aura  aimé  et  qui  jusqu'à  la  mort  aura 
soupiré  vers  vous. 


DES    ATTRIBUTS     DE     DIEU  239 


XXXIir  MÉDITATION 

DU  DISCERNEMENT 

DES  PRÉDESTINÉS  ET  DES 

RÉPROUVÉS 


SOMMAIRE 

Avantages  qu'il  y  a  pour  nous  à  ne  pas  savoir 
si  nous  sommes  du  nombre  des  prédestinés  ou 
des  réprouvés  —  cependant  on  peut  connaî- 
tre à  certains  signes^  d'une  manière  probable^ 
si  Von  est  prédestiné  —  si  tous  ces  signes  ou 
seulement  quelques-uns  faisaient  défaut^  il 
ne  faudrait  pas  néanmoins  se  désespérer^ 
mais  continuer  à  faire  de  bonnes  œuvres. 

I 

PERSONNE  ne  sait  d'une  manière  certaine  s'il  est 
prédestiné  ou  réprouvé  (i).  «  Lhomme  dit 
«  le  Sage,  ignore  s'il  est  digne  d! amour  ou  de 
«  haine.,  c'est  un  secret  réservé  pour  l'avenir., 
«  car  tout  ici-bas   arrive  de  la  même  manière 

I.  C'est  l'enseignement  formel  du  Concile  de  Trente  :  nous  lisons 
(sess.  6.  chap.  12.)  «  Que  personne  tant  qu'il  est  dans  cette  vie 
«  mortellej  ne  fonde  sur  le  mystère  caché  de  la  prédestination,  une 
c  confiance  assez  présomptueuse  pour  se  croire  entièrement  assuré 
<  d'être  du  nombre  des  prédestinés,  supposant  vrai  que  l'homme 
«  justifié  ne  peut  plus  pécher,  ou  du  moins  qu'il  est  assuré  de  se 
«  convertir  un  j«ur,  s'il  venait  à  pécher  ;  car,  sans  une  révélation 
«  spéciale,  on  ne  peut  savoir  ceux  que  Dieu  s'est  choisi.  »  Cf.  sess.  6> 
can.  15  et  16. 


240  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

«  à  î homme  de  bien  et  au  méchant.  »  (Eccl.  9). 
Le  Sage  entend  parler  ici  de  Tamour  que  Dieu 
porte  aux  prédestinés  et  de  la  haine  qu'il  a  pour 
les  réprouvés  :  ce  sont  choses  secrètes  pour  ceux 
qui  vivent  ici-bas  et  nul  ne  peut  les  connaître  avec 
certitude  sans  une  révélation  particulière  (i). 

Ce  secret  est  d'abord  un  trait  de  la  bonté  toute 
providentielle  de  Dieu.  Cette  ignorance  est  en 
effet  un  aiguillon  qui  nous  excite  à  la  vertu,  car 
plusieurs  s'abstiendraient  d'accomplir  certaines 
bonnes  œuvres,  s'ils  avaient  la  certitude  de  ne  pas 
être  au  nombre  des  réprouvés  (2).  Déjà  combien 
en  voyons-nous,  qui  malgré  ce  doute  sur  leur  pré- 
destination, vivent  dans  une  grande  inertie  ;  que 
serait-ce  si  tout  doute  était  levé  sur  ce  point  en 
leur  faveur  ? 

Cette  ignorance  favorise  aussi  l'humilité  des 
plus  grands  saints,  car  quelle  que  soit  la  sainteté 
de  leur  vie,  il  leur  reste  toujours  un  grand  motif 
de  s'humilier,  qui  est  l'ignorance  dans  laquelle  ils 
se  trouvent  au  sujet  de  leur  sort  éternel.  C'est 
aussi  pour  eux  une  raison  de  ne  mépriser  per- 
sonne, car  celui  qui  serait  l'objet  de  ce  mépris 
jouira  peut-être  de  la  gloire  éternelle,  tandis 
qu'eux  mêmes  en  seront  peut-être  exclus. 

Cette  ignorance  augmente  aussi  le  mérite  des 
bonnes  œuvres  ;  il  est  plus  méritoire  en  etfet  de 
travailler  sans  être  certain  de  la  récompense,  que 
dans  l'espoir  d'une  récompense  assurée  :  car  dans 
ce  dernier  cas  que  ne  devrait-on  pas  faire  ?  Cette 
ignorance   n'est   pas  moins   avantageuse   pour  les 

I.  s.  Bern.,  Serm.  6,  de  omnibus  sanctis.  —  D.  Tho.,  c.  8,  Rom. 
s.  Aloysius  Novarin^  del  div,  amor.  c,  ii6  et  117. 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  24I 

réprouvés  ;  supposez  en  effet  qu'ils  connaissent 
avec  certitude  leur  réprobation,  les  voilà  aussitôt 
saisis  par  le  désespoir  et  désormais  l'espoir  ne  les 
retenant  plus  comme  un  frein,  ils  se  livreront  avec 
fureur  à  toutes  sortes  de  péchés.  Ils  n'aimeront 
plus  Dieu  de  qui  ils  se  sentiront  haïs  de  toute 
éternité  et  pour  toute  l'éternité.  Ils  refuseront  de 
rien  faire,  de  témoigner  à  Dieu  le  respect  qui  lui 
est  dû,  d'honorer  ses  mystères,  de  révérer  ses  mi- 
nistres, de  célébrer  ses  fêtes,  de  mortifier  leurs 
passions,  d'observer  ses  lois,  de  se  conformer  à 
ses  volontés.  Ils  s'efforceront  plutôt  de  se  faire  un 
paradis  sur  cette  terre,  puisqu'ils  doivent  être 
exclus  de  celui  du  ciel  et  ils  multiplieront  sans 
mesure  leurs  péchés  et  leurs  misères. 

Il  faut  donc  à  ce  sujet  révérer  et  adorer  la  volonté 
de  la  divine  Providence,  qui  sait  cacher  aux  hom- 
mes ce  qu'il  leur  est  le  plus  expédient  d'ignorer  ; 
il  faut  rendre  grâces  à  sa  bonté  qui  n'a  pas  voulu 
manifester  aux  hommes  ce  qui,  une  fois  connu, 
les  détournerait  de  la  vertu  et  les  inclinerait  au 
vice  et  au  péché.  Je  me  conformerai  donc  à  la 
volonté  de  Dieu  au  sujet  de  cette  ignorance  qui 
m'est  salutaire  et  je  demeurerai  en  paix  dans  cette 
incertitude.  Je  m'humilierai  profondément  à  la 
pensée  que  je  marche  entre  le  paradis  et  l'enfer 
sans  savoir  auquel  des  deux  je  parviendrai.  O 
Dieu  adorable  1  qu'est-ce  que  l'homme  et  qu'en 
sera-t-il  de  lui  ? 

II 

Néanmoins  il  existe  certains  signes  qui  permet- 
tent dès   ici-bas  de  distinguer  d'une  manière  pro- 

Bail,  t.  I.  t6 


242  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

bable  les  prédestinés  des  réprouvés.  Ces  signes 
sont  de  deux  sortes  :  les  uns  sont  intérieurs  et 
nous  pouvons  les  constater  en  nous-mêmes  :  les 
autres  sont  extérieurs  et  peuvent  être  vus  de  tous. 

Parmi  les  signes  intérieurs,  les  plus  notables 
sont  le  remords  que  la  conscience  éprouve  ordi- 
nairement après  toute  sorte  de  fautes,  graves  ou 
légères  ;  la  grande  estime  de  Dieu  et  de  tout  ce 
qui  touche  à  Dieu  ;  enfin  l'humilité  intérieure.  En 
voici  la  raison  :  celui  qui  a  le  sentiment  du  péché, 
s'en  corrige  aussitôt  et  marche  désormais  plus 
droit  pour  arriver  à  la  vie  :  ceux  au  contraire  qui 
sont  ordinairement  insensibles  à  leurs  péchés,  s'y 
fixent  opiniâtrement  et  deviennent   incorrigibles. 

C'est  le  fait  d'une  bonne  âme  de  sentir  sa  bles- 
sure. Ceux  qui  n'éprouvent  aucune  douleur  n'ont 
pas  conscience  de  la  gravité  de  leur  plaie  et  c'est 
là  rindice  d'une  maladie  incurable.  Là  oij  est  le 
sentiment  de  la  douleur,  est  aussi  le  sentiment  de 
la  vie  :  car  sentir  est  l'acte  propre  de  la  vie.  C'est 
ainsi  que  celui  qui  ne  connaît  pas  son  erreur, 
manque  de  sagesse  et  se  trouve  dans  un  état  voisin 
de  la  folie,  tandis  que  celui  qui  s'en  rend  compte, 
revient  à  soi  et  s'amende.  De  là  vient  que  le 
remords  ressenti  par  la  conscience  après  le  péché 
est  salutaire,  car  c'est  un  acte  de  la  même  vertu 
qui  fait  haïr  le  péché  et  aimer  le  bien. 

Une  seconde  marque  de  prédestination  c'est  la 
grande  estime  que  l'on  fait  de  Dieu.  D'après  saint 
Augustin  (i),  ce  qui  distingue  les  prédestinés  des 
réprouvés,  ce  sont  les  deux  amours,  dont  l'un  est 
l'amour  de  Dieu  poussé  jusqu'au  mépris  de  soi- 

X.  Dt  Civ.  Dti.  1.  14.  c.  ai. 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  243 

même,  et  Tautre  est  l'amour  de  soi  exagéré  jusqu'au 
mépris  de  Dieu  :  le  premier  édifie  la  cité  de  Dieu 
et  le  second  édifie  la  Babylone  terrestre  et  la  cité 
du  démon.  Celui  qui  estime  Dieu  le  désire  par 
dessus  toutes  choses  et  méprise  les  biens  péri^ssa- 
bles  de  la  vie  :  une  seule  chose  l'étonné,  c'est  que 
tant  de  créatures  humaines  faites  pour  l'éternité,  y 
soient  si  fortement  attachées.  Aussi  soupire-t-il 
après  la  vue  de  Dieu,  sans  le  moindre  souci  de 
cette  séparation  du  monde  et  de  la  chair,  qui  lui 
permettra  de  se  reposer  en  Dieu  seul.  Or,  s'il  y  a 
quelqu'un  de  qui  il  faille  bien  augurer,  c'est  de 
celui  qui  ressent  en  lui-même  un  tel  amour. 

Une  autre  marque  de  prédestination,  c'est  l'hu- 
milité de  cœur  qui  porte  l'homme  à  s'estimer  peu 
soi-même  et  à  se  soumettre  de  bon  gré  et  suave- 
ment à  ses  supérieurs,  au  pape  et  à  l'Eglise,  en 
matière  de  doctrine,  aux  autres  supérieurs  en  ce 
qui  concerne  l'emploi  de  la  vie.  Pour  comprendre 
combien  cette  marque  est  sérieuse,  il  suffit  de 
citer  la  parole  de  la  Mère  des  prédestinés  qui  est 
aussi  la  Mère  de  l'humilité  :  <.<.  Il  a  humilié  les 
«  puissants  et  exalté  les  humbles  ».  (Luc.  i.) 
Ainsi  l'orgueil  est  un  signe  évident  de  réprobation 
et  l'humilité  un  signe  non  moins  évident  d'élection. 

Quant  aux  signes  extérieurs  de  prédestination  et 
de  réprobation,  ils  sont  très  nombreux. 

Le  premier  est  une  vie  austère  par  amour  pour 
Dieu.  Il  est  tout  à  fait  vraisemblable  que  celui  qui 
se  prive  volontairement  des  douceurs  de  la  vie  si 
éperdument  recherchées  par  les  ennemis  de  Dieu, 
aura  un  royaume  avec  toutes  sortes  de  biens  dans 
le  ciel,  puisqu'il  n'en  a  pas  eu  sur  la  terre. 


244  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Autre  indice  de  prédestination  :  Tamour  sincère 
du  prochain  qui  comprend  l'amour  des  ennemis 
et  qui  porte  la  volonté  à  leur  faire  du  bien.  Un  tel 
amour  suppose  en  effet  une  très  grande  charité  et 
une  telle  charité  a  plus  de  chances  de  se  conserver. 
Aussi  Jésus-Christ  dit-il  :  «  Aïme^  vos  ennemis, 
«  faites  du  bien  à  ceux  qui  vous  haïssent  » 
(Luc  6),  «  prie^  pour  vos  persécuteurs  afin  que 
«  vous  soye^  les  enfants  de  votre  Père  qui  est 
«  dans  Us  deux  »  (Matt.  5). 

C'est  une  autre  marque  de  prédestination  qu'une 
grande  patience  et  une  grande  douceur  au  milieu 
des  malheurs,  des  persécutions,  de  la  pauvreté  et 
des  misères  de  la  vie  :  car  qui  n'est  pas  ébranlé 
par  de  telles  secousses  témoigne  qu'il  a  l'âme  forte 
et  vraiment  vertueuse,  telle  que  doit  être  une  âme 
qui  aspire  au  ciel.  Dès  cette  vie,  elle  se  conforme 
à  Jésus-Christ  souffrant  et  mérite  par  là  de  ressem- 
bler dans  l'autre  à  Jésus-Christ  glorifié. 

Ne  nous  bornons  pas  à  considérer  ces  indices 
d'une  manière  générale  ;  tâchons  surtout  de  les 
observer  en  nous-mêmes  pour  jouir  de  la  consola- 
tion que  peut  procurer  la  confiance  d'être  tous  du 
nombre  des  enfants  de  Dieu.  Heureux  si  nous  res- 
sentons en  nous  la  délicatesse  de  conscience,  une 
grande  estime  pour  les  choses  de  Dieu  et  une 
humilité  de  cœur  qui  nous  rende  vils  à  nos  yeux 
et  soumis  à  toute  puissance  supérieure  !  Heureux 
si  nous  fuyons  les  délicatesses  de  la  vie,  si  nous 
pardonnons  à  nos  ennemis,  si  nous  sommes  pleins 
de  douceur  et  de  patience  au  milieu  des  tribula- 
tions de  cette  vie  !  O  Dieu  dont  la  bonté  est  infinie, 
imprimez  en  nous  ces  marques  de  prédestination. 


DES    ATTRIBUTS    DE   DIEU  2^5 

O  mon  âme,  que  tu  serais  heureuse,  si  tu  décou- 
vrais en  toi  ces  six  marques  de  prédestination! 
Humilie-toi  si  jusqu'à  ce  jour  elles  t'ont  manqué 
et  efforce-toi  de  si  bien  ordonner  ta  vie  à  l'avenir, 
qu'il  soit  évident  que  tu  possèdes  ces  caractères 
sacrés  de  la  bienheureuse  prédestination,  par  les- 
quels les  enfants  de  Dieu  sont  distingués  des  fils 

de  Satan. 

III 

Dans  le  cas  oij  ces  marques  ou  une  partie  de 
ces  marques  nous  feraient  défaut,  nous  ne  devrions 
néanmoins  pas  perdre  l'espérance  du  paradis  ni 
la  confiance  d'être  du  nombre  des  prédestinés, 
mais  bien  continuer  à  pratiquer  toutes  sortes  de 
bonnes  œuvres  dans  le  but  de  plaire  à  Dieu  de 
tout  notre  pouvoir.  Car  d'un  côté,  Dieu  nous  a 
commandé  d'espérer  en  sa  bonté  et  nous  a  défendu 
le  désespoir  comme  un  des  péchés  qui  l'irritent 
le  plus,  et  d'un  autre  côté,  quelque  soit  notre  état 
actuel,  la  grâce  divine  peut  nous  transformer  en 
peu  de  temps.  Dieu  est  assez  puissant  pour  faire 
naître  des  pierres  des  enfants  d'Abraham  et  chan- 
ger les  hommes  les  plus  endurcis  dans  le  péché  en 
hommes  vertueux.  Et  quand  bien  même  quelqu'un 
serait  assuré  de  son  sort  malheureux  et  de  sa 
réprobation,  ce  devrait  être  pour  lui  une  raison  de 
plus  de  se  donner  tout  à  Dieu  et  de  l'aimer 
ardemment  dans  cette  vie,  puisqu'il  saurait  qu'a- 
près cette  vie  il  devrait  être  éternellement  privé 
du  bonheur  de  lui  appartenir  et  de  l'aimer.  C'est 
ainsi  qu'agissait  une  vierge  (i)  ;  le  démon  la  ten- 
tait en  essayant  de  lui  persuader  que  pour  elle 

I.  Aloysius  Nov.  dglic.  dit.  mmor.,  c.  Z17. 


246  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

c'était  perdre  son  temps  que  de  servir  Dieu,  parce 
que,  quoi  qu'elle  fit,  elle  était  vouée  aux  supplices 
éternels.  Voici  ce  qu'elle  lui  répondit  :  Eh  bien  ! 
puisque  dans  l'autre  vie  je  ne  pourrai  pas  aimer 
mon  Dieu,  ni  le  servir,  je  m'efforcerai  avec  d'au- 
tant plus  d'ardeur  de  l'aimer  et  de  le  servir  dans 
cette  vie. 

Après  tout  s'il  est  certain  que  seuls  les  prédesti- 
nés seront  sauvés,  il  n'est  pas  moins  certain,  bien 
que  je  ne  voie  pas  comment  ces  vérités  s'accor- 
dent, que  nous  avons  le  libre  arbitre,  qu'il  est  aidé 
de  la  grâce,  qu'en  faisant  notre  possible  avec  le 
libre  arbitre  ainsi  secouru,  nous  nous  sauverons  : 
il  est  également  certain  que  les  adultes  sont  sau- 
vés par  leurs  mérites  et  par  leurs  bonnes  œuvres 
comme  aussi  ils  sont  damnés  par  leurs  démérites 
et  leurs  œuvres  mauvaises.  Maintenant  suis-je 
prédestiné  ou  non,  je  ne  sais  rien  de  certain  là- 
dessus,  bien  que  je  puisse  former  quelques  conjec- 
tures. Mais  supposons  que  je  sois  à  ce  sujet  dans 
une  ignorance  complète  et  que  je  ne  connaîtrai  ce 
secret  qu'après  cette  vie,  que  dois-je  faire  ?  Je 
dois,  dit  un  grand  théologien  (i),  m'arrêter  à  ce 
que  je  sais  avec  certitude,  c'est-à-dire  faire  un  bon 
usage  de  ma  liberté  et  des  grâces  de  Dieu  pour 
mériter  par  une  sainte  vie  la  vie  éternelle  et  puis 
attendre  avec  patience  que  ce  mystère  de  la  pré- 
destination qui  m'est  inconnu  comme  les  autres 
mystères,  me  soit  dévoilé.  Mon  esprit  doit  demeu- 
rer en  repos,  bien  qu'il  ignore  comment  se  fait 
l'accord  de  la  prédestination  et  de  la  liberté 
humaine. 

I.  Cajetanus,  in  c.  a,  Epist.  ad  Rom. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  247 

Enfin  il  est  plus  avantageux  à  l'homme  pécheur 
de  se  croire  prédestiné  que  de  croire  qu'il  ne  l'est 
pas,  de  croire  que  Dieu  malgré  la  multitude  et 
l'énormité  de  ses  péchés,  le  touchera  de  manière 
à  l'amener  à  la  pénitence  et  par  là  à  la  rémission 
des  péchés.  Si  l'homme  désespère  du  pardon  et 
s'il  a  la  conviction  d'être  damné,  il  met  le  comble 
à  ses  péchés.  S'obstinant  en  effet  dans  cette  con- 
viction, il  raisonne  ainsi  :  Puisque  je  suis  perdu 
et  que  des  tourments  éternels  m'attendent  au 
sortir  de  cette  vie,  quel  avantage  y  a-t-il  pour  moi 
à  me  priver  des  biens  présents  :  et  le  désespoir 
d'être  jamais  pardonné  le  rend  pire.  Au  con- 
traire celui  qui  espère  et  qui  se  confie  dans  la 
miséricorde  de  Dieu,  se  corrige  plus  tôt  et  redou- 
tant le  jour  incertain  de  la  mort,  il  s'efforce  de 
recouvrer  avant  ce  jour,  la  grâce  qu'il  a  perdue. 
Aussi  Dieu  nous  console  par  ces  paroles  :  «  Je  ne 
«  veux  pas  la  mort  de  Vimpie,  mais  quil  se 
«  convertisse  et  quil  vive.  »  (Ez.  33),  paroles  qui 
ont  opéré  tant  de  conversions  admirables  que  nous 
serions  tous  ravis  d'admiration,  si  nous  en  connais- 
sions le  nombre.  C'est  encore  Dieu  qui  apaise  le 
trouble  des  âmes,  quand  il  dit  :  «  Y  a-t-il  au 
«  monde  quelque  chose  de  difficile  pour  moi 
«  ou  bien  suis-je  semblable  à  celui  qui  promet 
«  et  ne  fait  rien  ?  Où  est  ta  foi  ?  sois  homme  de 
«  patience  et  de  courage  et  la  consolation  vien- 
«  dra  en  son  temps.  Attends-moi.^  je  viendrai  et 
«  je  te  guérirai.  C'est  une  tentation  qui  te  tour- 
if.  mente  et  une  vaine  crainte  qui  f  épouvante. 
«  Quel  avantage  f  apporte  V  inquiétude  au 
«  sujet  des  futurs  coxitingents   et  des  évène- 


248        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

«  ments  à  venir  qui  dépendent  de  la  liberté^  si 
«  ce  n'est  de  te  causer  tristesse  sur  tris- 
«  tesse  ?  »  (i)  «  A  chaque  jour  suffit  son  mal.  » 
(Matt.  6.)  Il  est  inutile  de  se  tourmenter  à  cause 
de  certaines  choses  qui  peut-être  n'arriveront 
jamais.  Mais  c'est  le  propre  de  l'infirmité  humaine 
d'être  le  jouet  de  telles  imaginations  et  l'en- 
nemi ne  s'inquiète  guère  par  quelle  voie  il  arri- 
vera à  nous  tromper,  si  ce  sera  par  la  vérité  ou 
par  le  mensonge,  ni  de  quelle  manière  il  ren- 
versera une  âme  ;  peu  lui  importe  que  ce 
soit  par  l'amour  des  biens  présents  ou  par  la 
crainte  des  choses  à  venir.  Donc  que  ton  cœur 
ne  se  trouble  pas  :  aie  confiance  en  ma  miséri- 
corde et  crois  en  moi.  Quelquefois  il  arrive  que  tu 
me  crois  loin  de  toi  et  j'en  suis  tout  près  :  quand 
tu  crois  que  tout  est  perdu,  c'est  souvent  le  mo- 
ment de  faire  un  gain  considérable  et  d'acquérir 
de  grands  mérites. 

Je  tâcherai  de  me  consoler  en  espérant  dans  la 
miséricorde  divine.  Je  me  déterminerai  énergi- 
quement  à  tendre  vers  le  souverain  bien,  vers  la 
béatitude.  Oh  !  que  ce  bienfait  est  grand  et  signalé 
entre  tous  vos  bienfaits  !  de  toute  éternité  vous 
vous  êtes  aimé  vous-même,  et  désirant  être  aimé 
des  créatures,  vous  avez  créé  le  monde  ;  vous  avez 
permis  la  chute  d'Adam  et  en  Adam  celle  de  tous 
les  hommes  et  parmi  les  hommes  déchus,  il  y  en 
a  que  vous  avez  prédestinés  à  vous  aimer  durant 
toute  l'éternité.  J'ai  confiance,  ô  mon  Dieu,  que 
je  suis  de  ce  nombre  et  que,  malgré  mes  péchés 
qui  sont  cependant  bien  grands,  vous  ne  m'avez 

I.  D*  Imitât,  Chrittt,  \.  ),  c.  ^o« 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  249 

pas  rejeté  pour  toujours.  O  Seigneur,  vous  m'avez 
connu  et  choisi  avant  la  création  du  monde,  pour 
faire  de  moi  un  vase  de  miséricorde  et  un  vase 
destiné  à  votre  gloire,  pour  vous  posséder  tou- 
jours et  vous  aimer  dans  les  siècles  des  siècles. 
Vous  avez  fixé  ma  place  et  mon  rang  dans  le 
séjour  de  votre  gloire,  vous  avez  même  déterminé 
le  degré  de  gloire  que  vous  me  destinez.  Quand 
je  considère  toutes  ces  choses  et  que  je  me 
persuade  que  je  puis  arriver  à  un  si  grand  bien, 
combien  ne  serai-je  pas  coupable  et  digne  d'un 
grand  supplice,  si  je  ne  méprisais  pas  tout  pour 
un  tel  bien  et  si  je  ne  vous  aimais  pas  en  recon- 
naissance d'un  si  grand  bienfait  ?  Même  si  je 
n'étais  pas  prédestiné,  je  devrais  encore  vous 
aimer  et  vous  servir  pendant  que  j'en  ai  le  temps, 
et  ne  pas  devancer  l'époque  malheureuse  où  je 
ne  le  pourrai  plus  (i). 

i>  Alvarez  de  Paz.  Médit,  sacr.  part,  j  dec.  10.  contempl,  z. 


25o  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

XXXIV^  MÉDITATION 

DE  LA  PUISSANCE  DE  DIEU 


SOMMAIRE 

Dieu  est  puissant  —  infiniment  puissant  — 
il  exerce  sa  puissance  surtout  par  des  actes 
de  miséricorde. 

I 

DIEU  étant  parfait  dans  son  Essence,  doit 
être  puissant  pour  agir  ;  il  serait  absurde 
qu'un  Etre  si  parfait  fut  inactif,  sans  force  et  sans 
puissance  pour  accomplir  n'importe  quelle  oeuvre. 
Aussi,  de  même  que  Dieu  a  une  intelligence  pour 
connaître  tout  ce  qui  peut  être  connu,  une  volonté 
pour  désirer  tout  ce  qui  est  aimable,  il  a  également 
une  puissance  capable  d'agir  et  d'exécuter  tout  ce 
qui  est  possible.  Supposez  qu'il  en  fut  autrement, 
sa  nature  serait  plus  imparfaite  que  celle  des  créa- 
tures qui  sont  toutes  douées  d'une  certaine  puis- 
sance. 

La  puissance  convient  à  Dieu  plus  qu'à  n'im- 
porte quel  être,  car,  puisqu'il  est  doué  de  toutes 
les  qualités  imaginables,  qu'il  est  saint,  juste, 
bon,  miséricordieux,  libéral,  magnifique  et  qu'il 
a  toutes  les  qualités  les  plus  excellentes  que 
nous  pouvons  imaginer,  la  puissance  unie  à  ces 
nobles  qualités  ne  produira  que  du  bien  et  de 
très  bons  effets  ;   il    n'en    usera  que   pour  faire 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  25l 

des  action  saintes,  raisonnables,  glorieuses  et 
irréprochables.  Une  grande  puissance  est  très 
funeste  quand  elle  se  trouve  dans  une  personne 
vicieuse  et  dégradée.  Un  avare,  s'il  est  puissant, 
dépouille  tout  le  monde  de  ses  biens  ;  un  volup- 
tueux qui  jouit  d'un  grand  pouvoir,  profane  et 
souille  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  pur  sur  la  terre  ; 
un  roi  impie  qui  a  en  main  un  pouvoir  illimité, 
n'épargne  personne  et  fait  gémir  les  peuples  sous 
sa  tyrannie.  Aussi  les  méchants  sont-ils  indignes 
d'avoir  aucune  puissance.  Au  contraire,  s'agit-il 
de  ceux  qui  sont  vertueux  et  qui  ont  l'amour  du 
bien,  nulle  part  la  puissance  ne  saurait  être  mieux 
placée  que  chez  eux  et  ils  ne  sauraient  jamais  en 
avoir  trop.  Par  elle  ils  maintiennent  tout  dans 
l'ordre,  ils  délivrent  les  opprimés,  enrichissent 
les  indigents,  apaisent  les  troubles  ;  grâce  à 
elle,  en  un  mot,  tout  fleurit  et  la  joie  abonde. 
Donc,  puisque  Dieu  a  toutes  les  qualités  qu'on 
puisse  souhaiter,  il  lui  appartient  d'être  tout- 
puissant. 

O  mon  Dieu  !  puisque  vous  êtes  tout-puissant, 
fortifiez  ma  faiblesse,  afin  que  je  vous  serve.  Dieu 
des  vertus,  je  me  réjouis  à  la  pensée  que  vous 
possédez  une  souveraine  puissance,  car  vous  en 
êtes  digne  et  il  vous  convient  de  commander 
partout.  O  Dieu  tout-puissant,  vivez  toujours 
ainsi  !  que  tout  vous  soit  assujetti,  jouissez  de 
tous  vos  droits,  faites  fleurir  votre  sceptre,  faites- 
vous  craindre  partout  et  que  votre  magnificence 
s'élève  au-dessus  de  tous  les  cieux. 


252  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


II 

La  puissance  de  Dieu  est  parfaite.  La  puissance 
découle  en  effet  de  l'essence  de  chaque  être  :  plus 
une  essence  est  parfaite,  plus  aussi  Test  sa  puis- 
sance. Or  comme  il  n'y  a  pas  d'Essence  plus  par- 
faite que  celle  de  Dieu,  il  n'y  a  pas  non  plus  de 
puissance  plus  parfaite  que  la  sienne.  Une  puis- 
sance est  parfaite  quand  elle  ne  s'exerce  jamais 
aux  dépens  de  la  loi  morale,  quand  elle  n'est 
jamais  vaincue  par  la  souffrance,  quand  elle  n'a 
besoin  d'aucun  secours  étranger.  La  puissance  de 
Dieu  a  toutes  ces  conditions. 

Premièrement,  elle  ne  s'exerce  pas  d'une  ma- 
nière coupable.  Le  Tout-Puissant  ne  peut  pécher  : 
«  //  ne  peut  se  nier  lui-même,  »  dit  saint  Paul 
(2,  Tim.  2)  ;  il  ne  peut  donc  ni  mentir  ni  rien  faire 
de  mauvais,  et  parce  qu'il  ne  peut  pécher,  il  est 
tout-puissant  d'une  manière  parfaite. 

Secondement,  sa  puissance  ne  peut  être  vaincue 
par  la  douleur  :  rien  ne  peut  ni  fatiguer,  ni  lasser 
Dieu,  ni  lui  causer  aucune  souffrance.  Tout  ce 
qu'il  fait,  c'est  sans  peine  et  sans  effort  qu'il  le 
fait,  avec  facilité  et  avec  joie.  A  ce  second  titre,  sa 
toute-puissance  est  encore  parfaite. 

Troisièmement,  la  puissance  de  Dieu  n'a  nul 
besoin  d'aide  ni  de  secours.  Dieu  peut  tout  faire 
par  lui-même.  C'est  de  rien  qu'il  produit  les  créa- 
tures :  il  n'a  besoin  ni  de  matériaux  ni  d'ouvriers 
pour  bâtir  l'immense  palais  qu'est  ce  monde;  il  l'a 
fait  sortir  du  néant  et  sans  l'aide  de  personne.  Si 
en  réalité  il  agit  de  concert  avec  les  créatures  et  se 
sert  d'elles  pour  produire  certains  effets,  ce  n'est 


DES   ATTRIBUTS    DE   DIEU  253 

pas  par  nécessité,  puisqu'il  peut  s'en  passer,  si 
cela  lui  plaît,  mais  par  bonté  et  grande  bonté 
envers  elles  :  il  veut  en  effet  les  faire  participer 
dans  une  mesure  à  sa  puissance  et  à  l'honneur 
d'agir.  Donc  encore  à  ce  titre,  Dieu  est  doué  d'une 
puissance  parfaite. 

Il  n'en  est  pas  ainsi  des  puissances  terrestres  : 
elles  tombent  souvent  dans  des  fautes,  parce 
qu'elles  sont  unies  à  la  malice,  à  l'ignorance  et  à  la 
faiblesse.  Elles  succombent  à  la  peine,  car  elles 
ne  s'exercent  qu'avec  douleur,  lassitude,  effort  et 
inquiétude  ;  elles  gémissent  souvent  en  proie  aux 
malheurs  de  cette  vie,  absolument  comme  les  plus 
faibles.  Enfin,  pour  si  grandes  que  soient  ces 
puissances,  mille  et  mille  choses  leur  font  défaut. 
Pour  faire  la  guerre  un  roi  a  besoin  d'un  matériel 
immense  :  on  peut  même  dire  que  plus  quelqu'un 
est  puissant,  plus  il  a  besoin  de  compter  sur  le 
secours  d'autrui,  et  même  on  ne  l'appelle  grand 
qu'à  cause  et  en  proportion  de  la  multitude  de 
choses  dont  il  se  sert. 

Qui  donc,  ô  mon  Dieu,  vous  égale  en  puissance  ? 
«  Seigneur,  qui  parmi  les  Jorts  est  semblable  à 
«  vous  dont  la  sainteté  est  admirable^  à  vous  qui 
«  êtes  terrible,  digne  de  toute  louange  et  qui 
«  accomplisse^  des  merveilles  ?  »  (Ex.  i5.)  Qui 
refusera  de  se  soumettre  de  bon  gré  à  une  puis- 
sance aussi  parfaite  ?  qui  ne  voudra  rendre  mille 
et  mille  fois  plus  d'hommages  à  une  puissance 
aussi  glorieuse,  qu'à  la  puissance  bornée  et  cadu- 
que des  monarques  ?  Qui  n'aura  infiniment  plus 
de  confiance  dans  la  puissance  de  son  Dieu  que 
dans  celle  des  rois  et  des  empereurs  ?  O  Seigneur, 


254  "^^  THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

je  fais  hommage  à  votre  puissance  de  tout  ce  que 
je  suis,  je  l'adore  à  cause  de  son  infinie  perfection, 
je  mets  toute  ma  confiance  en  elle.  Quand  bien 
même  le  monde  m'attaquerait,  quand  même  toutes 
les  créatures  se  ligueraient  contre  moi,  quand  je 
serais  assailli  de  toutes  les  douleurs  et  de  toutes 
les  misères  possibles,  votre  puissance  serait  tou- 
jours mon  partage,  mon  refuge,  mon  espérance  et 
mon  bien. 

III 

Cette  puissance  si  parfaite  se  signale  surtout  en 
faisant  le  bien.  Il  est  vrai  qu'elle  se  manifeste  dans 
la  création  de  l'univers,  par  laquelle  Dieu  a  fait  de 
rien  toutes  choses,  dans  sa  conservation  par 
laquelle  il  le  maintient  depuis  déjà  5, 600  et  tant 
d'années  et  dans  les  changements  qu'il  fait  subir 
à  certaines  créatures,  comme  par  exemple,  quand 
il  accomplit  des  miracles,  qu'il  arrête  le  soleil, 
quand  il  le  voile,  quand  il  ressuscite  des  morts 
et  accomplit  tels  autres  prodiges  qu'il  lui  plaît.  Et 
cependant  sa  puissance  n'éclate  jamais  plus  que 
lorsqu'il  pardonne  les  péchés  et  fait  miséricorde; 
c'est  pour  cela  que  l'Eglise  lui  dit  :  «  O  Dieu,  qui 
«  manijeste^  votre  puissance  avec  le  plus  d'é- 
«  clat  quand  vous  pardonne^  et  faites  miséri- 
«  corde.  » 

Pesez  les  belles  raisons  qu'en  donne  le  Docteur 
angélique  (i).  D'abord,  dit-il,  celui  qui  a  un  supé- 
rieur de  qui  il  dépend,  ne  peut  pas  pardonner  à 
son  gré  toutes  sortes  d'offenses.  Dieu  donc  en  par- 
donnant les  péchés  selon  sa  volonté,  prouve  par  là 

X.  Qaxst.  1$.  art.  $0. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  255 

même  qu'il  n'est  assujetti  à  aucune  puissance  su- 
périeure, et  qu'ainsi  il  est  tout-puissant. 

Secondement,  Dieu  en  pardonnant  et  en  faisant 
miséricorde  n'a  qu'un  but,  qui  est  de  faire  arri- 
ver les  hommes  à  la  participation  d'un  bien  infini 
et  à  la  jouissance  de  la  béatitude  éternelle.  Or  la 
participation  des  hommes  à  cette  béatitude  est  le 
dernier  et  le  plus  grand  effet  de  la  toute-puissance 
de  Dieu. 

Voici  la  troisième  raison  :  la  miséricorde  de 
Dieu  est  le  fondement  et  le  principe  de  tout  le 
bien  que  Dieu  fait  à  la  créature,  car  quelles  que 
soient  les  choses  que  Dieu  fasse  en  nous,  il  com- 
mence toujours  par  les  voies  de  la  douceur  et  de 
la  miséricorde.  Or  c'est  à  la  puissance  qu'il  appar- 
tient de  produire  toutes  sortes  de  biens.  Donc 
Dieu  en  réalisant  et  en  fondant  toutes  sortes  de 
biens  par  sa  miséricorde,  fait  par  elle  aussi  éclater 
sa   puissance. 

O  Seigneur,  y  eut-il  jamais  puissance  meilleure, 
plus  aimable  et  plus  admirable  que  la  vôtre  ?  Les 
princes  font  paraître  la  leur  surtout  en  gagnant 
des  batailles,  en  prenant  des  villes,  en  semant 
partout  la  terreur,  le  sang  et  les  ruines.  Les  hom- 
mes qui  sont  pécheurs  ne  savent  manifester  leur 
pouvoir  et  leur  crédit  qu'en  exerçant  des  vengean- 
ces, au  préjudice  de  leur  salut  éternel,  tandis  que 
vous,  o  Dieu  d'une  infinie  bonté,  vous  la  faites 
paraître  en  faisant  du  bien  à  vos  créatures  rebelles 
et  en  les  traitant  miséricordieusement.  O  grand 
Dieu  !  ne  cessez  jamais  de  faire  briller  votre  puis- 
sance par  les  rayons  ardents  de  votre  miséricorde 
sur  nos  âmes.  O  Seigneur,  qu'elle  brille  sur  mon 


256        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

âme  par  la  rémission  de   mes  fautes.    «  Dites  à 
«  mon  âme,  je  suis  ton  salut.  »  (Ps.  34). 


XXXV^  MÉDITATION 

DE  LA  BÉATITUDE  DE  DIEU 


SOMMAIRE 

Dieu  est  heureux  —  parfaitement  heureux  — 
son  bonheur  consiste  dans  la  connaissance  et 
dans  r amour  qu'il  a  de  lui-même. 

I 

DIEU  est  bienheureux  :  il  est,  dit  saint  Paul, 
«  heureux  et  seul  puissant  ».  (I  Tim.  6.) 
Etre  bienheureux,  c'est  posséder  toutes  sortes  de 
biens  :  car  la  béatitude  est  un  état  qui  résulte  du 
concours  de  toutes  sortes  de  biens.  Or  Dieu  est 
parfait,  il  renferme  en  lui  toutes  les  perfections 
imaginables  ;  donc  il  est  doué  de  toutes  les  facultés 
d'intelligence  et  d'action  qui  conviennent  à  une 
grandeur  infinie  :  il  est  le  suprême  bien.  Donc  il 
est  heureux. 

Etre  heureux,  c'est  ne  manquer  de  rien.  Or  tel 
est  Dieu  :  il  se  suffit  à  lui-même,  il  possède  toutes 
sortes  de  perfections,  il  ne  peut  recevoir  des  êtres 
qu'il  a  créés  aucun  accroissement  ou  agrandisse- 
ment si  minime  qu'on  le  suppose.  Il  est  donc 
heureux,  puisqu'il  ne  manque  de  rien. 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  267 

Etre  heureux,  c'est  jouir  de  la  satisfaction  de 
tous  ses  désirs  ou  mieux  n'avoir  plus  aucun  désir  : 
car  le  propre  de  la  béatitude  c'est  de  calmer  tous 
nos  désirs,  puisqu'elle  est  le  souverain  bien,  après 
lequel  il  ne  reste  plus  rien  à  souhaiter.  Or  en  fait 
de  bien,  Dieu  possède  tout  ce  qu'il  pourrait 
souhaiter  et  en  fait  de  mal  il  ne  peut  en  souhaiter 
aucun.  Quel  bien  pourrait  en  effet  souhaiter  celui 
qui  dans  sa  simplicité  embrasse  une  infinité  de 
biens  ?  Et  comment  une  bonté  infinie  pourrait-elle 
souhaiter  quelque  mal  ?  Dieu  est  donc  infiniment 
heureux. 

Et  de  fait  puisqu'il  constitue  lui-même  la  béati- 
tude de  tous  les  êtres,  qu'il  est  la  source,  le  prin- 
cipe et  l'objet  total  de  la  félicité  de  tous  les  esprits 
bienheureux,  qu'il  comble  des  millions  d'anges  et 
d'àmes  des  joies  du  paradis,  supposer  que  lui- 
même  soit  privé  du  souverain  bien,  qu'étant  le 
Dieu  du  paradis  et  le  Roi  de  la  béatitude,  il  soit 
néanmoins  privé  de  la  béatitude,  serait  une  chose 
absurde. 

O  Dieu  bienheureux  !  je  me  réjouis  du  plus  pro- 
fond de  mon  âme  de  ce  que  vous  jouissez  de  la 
béatitude.  Oh  !  quelle  joie  intime  j'éprouve  en 
songeant  que  vous  n'êtes  pas  comme  nous  sur 
cette  terre,  dans  la  misère  et  l'indigence.  O  Dieu 
du  paradis,  ô  divin  objet  de  notre  béatitude,  je 
suis  très  heureux  que  vous  soyez  toujours  en  pos- 
session de  la  joie  parfaite  et  de  votre  paradis. 
«  Œuvres  du  Seigneur,  bénisse:^  le  Seigneur. 
«  loue^-Ie  et  exalte^-Ie  dans  les  siècles  des  siè- 
«  clés.  y>  (Dan.  3.)  Oh  !  vivez  toujours  ainsi,  soyez 
toujours  heureux  ! 

Bail,  t.  i.  i^ 


2^8        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

II 

La  béatitude  de  Dieu  consiste  dans  les  plus 
nobles  opérations  de  son  intelligence  et  de  sa 
volonté,  c'est-à-dire  dans  l'acte  de  connaissance  et 
d'amour  qui  a  pour  objet  son  Essence  infinie.  Il 
est  heureux  par  la  connaissance  si  parfaite  qu'il  a 
de  lui-même  et  aussi  par  l'amour  de  complaisance 
qu'il  a  pour  lui-même  et  qui  le  fait  se  réjouir  en 
lui-même.  Il  ne  suffit  pas,  en  effet,  pour  être  heu- 
reux, d'avoir  de  grandes  et  excellentes  perfections, 
il  faut  aussi  les  connaître  et  les  aimer.  Ainsi  le 
soleil  n'est  pas  heureux  par  le  seul  fait  qu'il  est 
beau  et  lumineux  :  il  n'en  ressent  aucune  joie  ni 
aucun  plaisir,  parce  qu'il  n'a  aucune  connaissance 
ni  aucun  amour  de  sa  beauté.  Il  en  est  de  même 
d'une  rose  à  la  corolle  vermeille  et  odorante  :  il  ne 
lui  en  revient  aucun  bien  ni  aucune  félicité,  parce 
qu'elle  ne  se  connaît  pas  elle-même,  parce  qu'elle 
ne  respire  pas  elle-même  son  suave  parfum.  Et 
il  en  serait  de  même  de  Dieu,  s'il  était  sans  se 
connaître  et  sans  s'aimer  :  il  n'éprouverait  aucun 
sentiment  de  joie  ni  de  vraie  béatitude.  Donc  il  est 
bienheureux,  parce  qu'il  se  contemple  lui-même  et 
se  complaît  en  lui-même. 

Quel  esprit  créé  pourrait  jamais  concevoir  l'im- 
mensité de  la  joie  de  ce  grand  Dieu  quand  il  fixe, 
sans  s'en  détourner  un  seul  instant,  le  regard  de 
son  intelligence  infinie  sur  lui-même,  sur  sa 
beauté  ineffable,  sur  sa  majesté,  sur  ses  richesses 
infinies,  et  quand  en  même  temps  il  s'aime  lui- 
même  infiniment  1  Ce  sont  des  torrents  d'une 
volupté  sans  bornes,  qui  inondent  sa  divinité  et 
la  font  jouir  dans  cette  contemplation  d'une  béati- 


DES   ATTRIBUTS    DE    DIEU  269 

tude  si  grande  qu'elle  égale  l'infinité  des  son  Es- 
sence, de  cette  Essence  qui  est  à  la  fois  et  l'objet 
de  cette  béatitude  et  le  sujet  qui  en  jouit  dans 
d'inénarrables  transports.  Dieu  ne  trouve  donc 
pas  sa  félicité  dans  la  possession  et  le  gouverne- 
ment de  tout  cet  univers  qui  lui  appartient,  ni  dans 
le  fait  de  dominer  toutes  les  créatures  et  de  leur 
commander  :  seules  la  contemplation  et  l'amour 
de  son  Essence  divine  le  rendent  heureux  et  sont 
capables  de  lui  faire  goûter  tout  un  paradis  de 
joie. 

O  mon  âme,  ne  t'abuse  donc  pas  à  chercher  et 
à  discerner  ici-bas  ce  qui  pourrait  faire  l'objet  de 
ta  félicité.  Ne  t'imagine  pas  que  tu  serais  bien- 
heureuse, si  tu  possédais  le  monde  entier  :  tu  ne 
le  seras  qu'en  contemplant  et  en  aimant  l'Essence 
de  ton  Dieu.  Mais,  oh  !  quel  bonheur,  oh  !  quelle 
inexprimable  félicité  n'y  puiserons-nous  pas  ?  Si  la 
vue  et  l'amour  de  cette  Essence  comblent  la  capa- 
cité immense  et  infinie  de  l'intelligence  et  de  la 
volonté  divine,  à  combien  plus  forte  raison  cette 
vue  et  cet  amour  rempliront-ils  et  excéderont-ils 
nos  puissances  finies  et  bornées  ?  Ce  qui  est  suffi- 
sant pour  remplir  ce  qu'il  y  a  de  plus  grand,  doit 
bien  davantage  remplir  et  au-delà,  ce  qui  a  une 
capacité  moindre.  Dès  maintenant  donc,  ô  mon 
âme,  contemple  l'admirable  divinité,  aime-la  de 
toutes  tes  forces,  afin  que  tu  sois  heureuse  par  la 
possession  du  seul  objet  qui  peut  remplir  parfai- 
tement tous  tes  désirs. 


26o  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

«  


III 

La  béatitude  de  Dieu  est  très-excellente,  elle 
surpasse  toutes  les  autres  béatitudes,  celle  de 
tous  les  anges  et  de  tous  les  saints  du  paradis.  En 
effet  dans  leur  béatitude  il  n'y  a  d'infini  que 
l'objet,  tandis  que  dans  la  béatitude  de  Dieu,  le 
principe  lui  aussi,  c'est-à-dire,  l'intelligence  et  la 
volonté,  est  infini  ;  et  de  plus  la  connaissance  est 
compréhensive  et  l'amour  infini.  Voilà  pourquoi 
Dieu  est  infiniment  plus  heureux  que  tous  les 
habitants  du  ciel. 

Sa  béatitude  surpasse  la  béatitude  contempla- 
tive de  tous  les  saints  qui  sont  sur  la  terre,  pour 
les  mêmes  raisons,  et  de  plus  parce  que,  dans  cette 
vie,  la  contemplation  est  sujette  aux  fatigues,  aux 
lassitudes,  aux  distractions,  aux  doutes,  aux 
erreurs,  et  à  plusieurs  autres  inconvénients  dont  la 
béatitude  divine  est  absolument  affranchie.  Elle 
surpasse  la  béatitude  active  de  tous  ceux  que  l'on 
estime  heureux  sur  la  terre,  parce  que  Dieu  n'a 
pas  le  gouvernement  d'une  seule  maison,  d'une 
seule  cité  ou  d'un  seul  royaume,  mais  de  tout 
l'univers  :  aussi  la  fausse  félicité  de  ce  monde 
n'est-elle  que  l'ombre  de  sa  félicité  très-parfaite. 

En  réalité,  la  félicité  n'est  pleine  et  accomplie 
que  par  le  concours  de  cinq  biens  qui  la  rendent 
parfaite  ;  ce  sont  la  joie,  la  richesse,  la  puissance, 
la  dignité  et  la  bonne  renommée.  Or  Dieu  goûte 
une  grande  délectation  en  lui-même  et  une  joie 
universelle  qui  a  pour  principe  la  possession  de 
tous  les  biens  sans  aucun  mélange  de  mal.  Comme 
richesse  il  a  l'abondance  de   toute  sorte  de  biens  ; 


DES    ATTRIBUTS    DE    DIEU  261 

comme  puissance  une  vertu  infinie  ;  comme  dignité 
la  principauté  et  le  gouvernement  de  tous  les  êtres 
sur  lesquels  il  exerce  sa  domination  ;  et  par  domi- 
nation, dit  saint  Denys  (i)  il  ne  faut  pas  entendre 
seulement  une  supériorité  quelconque,  mais  une 
possession  parfaite  et  inaliénable  de  tout  ce  qui 
est  beau  et  bon.  Enfin  sa  renommée  consiste  à 
être  glorifié,  loué  et  admiré  par  tout  esprit  qui  a 
de  lui  quelque  connaissance.  A  cause  de  cela  Dieu 
est  appelé  un  royaume  :  «  Vene^  les  bénis  de  mon 
«  père,  posséder  le  royaume  qui  vous  est  pré' 
«  paré;  (Matt,  25.)  car  de  même  qu'un  royaume 
renferme  toutes  sortes  de  biens  terrestres  et  que 
tous  ces  biens  sont  à  la  disposition  du  maître  du 
royaume,  ainsi  Dieu  surabonde  de  biens,  de 
trésors,  de  grandeurs  et  de  joies,  qu'il  communi- 
que à  la  créature  quand  elle  a  le  bonheur  d'être 
dans  sa  grâce  et  dans  son  amitié  (2). 

A  vous  donc,  mon  Dieu,  qui  êtes  infiniment 
heureux,  soient  rendus  honneur  et  gloire  dans  les 
siècles  des  siècles.  Que  tous  les  Saints  se  proster- 
nent devant  vous  et  déposent  leurs  couronnes  à 
vos  pieds  pour  rendre  hommage  à  votre  béatitude  I 
qu'auprès  de  vous.  Seigneur,  nul  ne  s'estime 
heureux  sur  cette  terre,  car  votre  béatitude  est 
incomparable  !  Que  tous  les  cœurs  soupirent  d'a- 
mour pour  vous,  parce  que  vous  êtes  heureux  et 
digne  d'être  désiré  !  Qu'en  vous.  Seigneur,  se  con- 
fient toutes  nos  âmes,  parce  que  vous  êtes  la  féli- 
cité souveraine,  parce  que  tout  le  bien  que  vous 
renfermez  est  promis  à  ma  jouissance,  autant  du 

I  D.  Dyon.  de  div.  nom,  c.  I3. 
a.  Alvarez,  médit,  p.  3  dec. 


202  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

moins  que  je  serai  capable  d'en  Jouir.  Que  tous 
les  êtres  soient  ravis  de  vous  !  qu'à  votre  pensée 
ils  tressaillent  d'allégresse,  parce  que  vous  êtes 
l'incompréhensible  joie  !  O  Roi  très  heureux,  ré- 
gnez toujours,  prospérez  et  triomphez  dans  la 
gloire.  O  vous,  l'objet  de  ma  félicité  suprême, 
ayez  toujours  autant  de  joie  que  votre  infinie  capa- 
cité en  peut  avoir.  Ah!  jouissez,  jouissez, Seigneur, 
dans  tous  les  siècles  de  tout  le  bonheur  que  mérite 
votre  nature  infinie.  Ainsi  soit-il. 


DE    LA    TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  203 

DEUXIÈME  TRAITÉ 

De   la    Très  Sainte- Trinité 


r  MÉDITATION 

DES  TROIS  EXCELLENCES 

DU  MYSTÈRE 
DE  UADORABLE  TRINITÉ 


SOMMAIRE     J^^t.M^*"^'^' 


La  Trinité  est  le  plus  impénétrable  des  mystè- 
res ;  —  le  plus  ancien  ;  —  la  cause  de  tous  les 
autres  mystères 

I 

LE  mystère  de  la  Sainte  Trinité  l'emporte  sur 
les  autres  mystères,  parce  qu'étant  le  plus 
élevé,  il  dépasse  davantage  la  portée  des  intelli- 
gences créées  :  elles  ne  sauraient  en  effet  rien  ima- 
giner de  plus  haut,  ni  trouver  un  plus  sublime 
objet  de  leur  contemplation.  C'est  le  soleil  de  tous 
les  mystères,  il  éblouit  et  confond  tous  ceux  qui 
le  considèrent,  à  moins  qu'ils  ne  soient  fortifiés 
par  la  lumière    de    la   grâce   pour  le    croire,   ou 


264  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

par  la  lumière  de  la  gloire  pour  le  voir.  C'est  un 
océan  sans  fond  et  sans  rivage  :  la  raison  est 
aussi  impuissante  à  le  comprendre  qu'une  coque 
de  noix  est  incapable  de  recevoir  toutes  les  eaux 
de  la  mer.  S'il  y  a  mille  secrets  dans  la  nature,  que 
l'esprit  de  l'homme  ne  saurait  pénétrer,  s'il  se 
pose  sur  les  propriétés  de  son  âme  et  sur  les  dif- 
férents organes  de  son  corps  mille  questions 
qu'il  ne  peut  résoudre,  combien  moins  peut-il 
comprendre  les  secrets  de  l'Etre  incréé  et  les 
merveilles  de  l'auteur  de  la  nature?  Comment 
l'homme  connaissant  si  peu  de  chose  sur  lui- 
même,  aurait-il  une  science  parfaite  de  l'Incom- 
préhensible, de  l'unité  de  l'Essence  divine  et  de  la 
Trinité  de  ses  Personnes  ?  Il  faut  bien  avouer  que 
cet  objet  éternel  et  infini  ne  peut  être  compris  que 
par  un  esprit  éternel  et  infini.  Les  anges  eux-mê- 
mes qui  sont  de  purs  esprits  et  de  pures  intelli- 
gences, dès  leurs  premiers  regards  jetés  sur  les 
splendeurs  de  ce  mystère,  seraient  éblouis;  ces 
aigles  célestes  seraient  contraints  de  fermer  les 
yeux  et  se  sentiraient  plongés  dans  les  ténèbres,  si 
Dieu  ne  les  éclairait  surnaturellement.  A  combien 
plus  forte  raison  les  âmes  languissantes  et  appe- 
santies par  la  lourde  masse  du  corps  terrestre, 
seraient-elles  confondues  par  la  hauteur  et  les 
splendeurs  inaccessibles  de  ce  mystère  ! 

Cette  considération  m'apprendra  à  ne  m'appro- 
cher  de  la  sainte  Trinité  qu'avec  une  grande  humi- 
lité et  une  grande  docilité  tout  à  la  fois,  afin  d'une 
part  de  pas  présumer  des  forces  de  mon  esprit 
dans  la  connaissance  que  je  dois  acquérir  de  ce 
mystère,  et  afin  d'autre  part  de  bien  recevoir  les 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  265 

enseignements  de  la  foi  et  ceux  des  Docteurs  qui 
ont  pénétré  plus  avant  dans  la  science  de  la 
divine  Théologie.  Car  de  quoi  servirait  de  discou- 
rir d'une  manière  très  savante  sur  la  Trinité  et  de 
manquer  de  l'humilité  sans  laquelle  on  ne  saurait 
lui  plaire  ?  (i)  Je  dirai  donc  avec  saint  Augustin, 
l'aigle  des  Docteurs  :  Il  ne  m'en  coûtera  pas,  si 
j'hésite,  de  chercher,  et  si  je  me  trompe,  je  ne  rou- 
girai pas  d'être  instruit.  Celui  qui  lira  ce  traité, 
s'il  est  d'accord  avec  moi,  qu'il  me  suive  ;  s'il 
reconnaît  son  erreur,  qu'il  revienne  avec  moi  ;  si 
c'est  moi  qui  me  suis  trompé,  qu'il  me  ramène  à 
lui.  Animés  de  tels  sentiments  entrons  dans  la 
voie  de  la  charité  et  avançons-nous  vers  celui 
dont  il  est  écrit  :  «  Cherche^  toujours  sa  face.  » 
(Ps.  104).  (2). 

II 

La  seconde  excellence  de  ce  mystère,  c'est  sa 
durée  et  son  antiquité  :  il  a  précédé  tous  les  temps 
et  tous  les  siècles,  il  n'a  jamais  commencé  et  ne 
finira  jamais.  Le  Père  est  éternel,  dit  saint  Atha- 
nase,  le  Fils  est  éternel,  le  Saint-Esprit  est  éternel. 
Et  comme  le  Père  est  éternel,  il  produit  éternelle- 
ment son  Fils.  Il  lui  dit  et  lui  dira  toujours  cette 
parole  qu'il  prononça  un  jour  par  la  bouche  du 
prophète  selon  son  cœur  :  «  Tu  es  tnon  Fils^  je 
«  tai  engendré  aujourd'hui.  »  (Ps.  2)  ;  car  il 
continue  éternellement  la  merveille  de  cette  géné- 
ration. Pareillement  le  Père  et  le  Fils  produisent 
éternellement  leur  amour  qui  est  le  Saint-Esprit  et 

I.  Imit.,  1.  10,  c.  10. 

».  De  Trtnit,  I.  c.  a  et  3. 


266        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

lui  communiquent  toute  leur  Essence.  C'est  ainsi 
que  les  trois  Personnes  de  la  sainte  Trinité  sub- 
sistent éternellement  sans  commencement  ni  fin. 

Il  n'en  est  pas  de  même  des  autres  mystères  qui 
se  sont  accomplis  hors  de  l'Etre  suprême  et  sou- 
verain et  qui  se  sont  réalisés  depuis  la  création. 
On  peut  dire  en  quel  siècle,  en  quelle  année,  en 
quel  mois  et  même  quel  jour  ils  ont  commencé 
d'exister  ;  remontons  en  effet,  à  1620  années  envi- 
ron et  nous  voici  à  l'époque  de  la  Rédemption  du 
genre  humain  par  la  croix,  c'est  le  temps  où  se 
sont  accomplis  les  mystères  de  la  mort,  de  la 
résurrection  et  de  l'ascension  triomphante  de 
Jésus-Christ,  ainsi  que  de  la  mission  si  fructueuse 
et  si  désirée  du  Saint-Esprit. 

Remontons  trente-quatre  années  plus  haut,  et 
nous  voici  à  l'époque  du  mystère  de  l'Incarnation 
du  Verbe,  de  sa  nativité  et  de  toutes  les  merveilles 
de  son  enfance.  Remontons  enfin  de  quatre  mille 
ans  et  nous  sommes  à  l'heure  de  la  création  du 
monde  et  de  la  glorification  des  bons  anges.  Ainsi 
tous  les  mystères  qui  sont  hors  de  Dieu,  ont  été 
accomplis  à  une  époque  déterminée  ;  seul,  le  très 
auguste  mystère  de  la  Trinité  fait  exception,  il  n'a 
jamais  commencé,  c'est  le  premier  et  le  plus 
ancien  des  mystères,  il  est  éternel. 

Je  songerai  donc  que  ce  mystère  est  éternel,  et  à 
cause  de  cela  je  l'honorerai  et  je  le  respecterai,  car 
l'antiquité  rend  tout  ce  qui  porte  son  empreinte, 
vénérable.  Il  semble  bien  que  ce  soit  le  contraire 
qui  arrive  pour  les  créatures  :  c'est  qu'en  vieillis- 
sant elles  ont  perdu  quelque  chose,  notamment 
l'éclat  de   leur  jeunesse    et   leur  nouveauté  ;  les 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  267 

années  en  passant  sur  elles,  les  ont  altérées.  Mais 
vous,  ô  Dieu  éternel,  au  milieu  des  changements 
qu'amène  le  temps,  vous  restez  immuable,  votre 
beauté  est  toujours  ancienne  et  toujours  nouvelle  : 
ancienne,  parce  qu'elle  n'a  pas  commencé,  nou- 
velle, parce  qu'elle  est  toujours  florissante,  toujours 
dans  sa  première  vigueur  et  dans  son  premier 
éclat.  Oh  !  combien  elles  sont  peu  dignes  de  notre 
estime,  les  qualités  terrestres  qui  disparaissent 
peu  de  temps  après  s'être  montrées,  et  qui,  quand 
elles  durent  un  certain  temps,  se  fanent  en  pro- 
portion de  leur  durée  !  Elles  n'existent  qu'un 
moment,  et  vous,  très  sainte  Trinité,  vous  vivez 
éternellement, 

III 

Une  troisième  excellence  de  ce  mystère,  c'est 
que  la  sainte  Trinité  est  la  cause  de  tous  les  autres 
mystères  et  de  tout  ce  que  renferme  le  monde. 

Elle  est  d'abord  la  cause  efficiente  de  tous  les 
mystères  ;  c'est  en  effet  la  Sainte-Trinité  qui  les 
a  tous  accomplis,  ce  sont  les  trois  Personnes 
divines  qui,  en  unité  de  principe  et  par  une  action 
identique,  ont  formé  cet  univers,  justifié  les  anges, 
glorifié  ceux  qui  furent  trouvés  fidèles  et  obéis- 
sants. Ce  sont  les  trois  Personnes  ensemble  qui 
ont  décrété  l'Incarnation  d'une  volonté  commune, 
et  bien  que  la  Personne  seule  du  Fils  ait  revêtu 
la  nature  humaine,  c*est  par  les  trois  Personnes 
qu'elle  en  a  été  revêtue,  ce  sont  elles  qui  ont 
accompli  les  œuvres  miraculeuses  de  la  vie  du 
Sauveur,  en  se  servant  de  l'humanité  de  Jésus- 
Christ  comme  d'un  instrument  ;  elles  ont  ressus- 


268  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

cité  cette  humanité  et  après  la  résurrection,  l'ont 
élevée  triomphalement  à  la  droite  du  Père.  Ce 
sont  encore  les  trois  Personnes  divines  qui  remet- 
tent les  péchés  dans  le  baptême  et  dans  la  péni- 
tence, et  qui  accomplissent  tant  de  merveilles 
dans  les  âmes.  Ainsi  donc,  la  Trinité  est  la  cause 
efficiente  de  tous  les  mystères. 

Elle  en  est  aussi  la  cause  finale  :  ils  n'ont  été  en 
effet  accomplis  que  dans  le  but  de  la  glorifier.  Le 
monde,  si  grand  soit-il,  n'est  créé  que  pour  porter 
sa  ressemblance,  pour  servir  de  demeure  à  des 
créatures  douées  d'intelligence,  capables  de  la 
connaître,  de  l'étudier,  de  l'adorer,  de  l'aimer  de 
la  voir  face  à  face  et  de  la  louer  éternellement.  Le 
Fils  ne  s'est  fait  homme,  que  pour  prêcher  d'une 
bouche  humaine  les  merveilles  de  la  Trinité 
suprême  ;  il  n'a  opéré  tant  de  prodiges  inouïs  que 
pour  donner  du  crédit  à  ses  enseignements  par  le 
témoignage  des  miracles.  S'il  a  subi  la  mort,  ce  fut 
pour  offrir  à  la  Sainte-Trinité  un  sacrifice  d'adora- 
tion, d'action  de  grâces  et  de  propitiation  d'une 
valeur  assez  grande  pour  réparer  l'honneur  de  la 
Trinité  et  pour  lui  acquérir  sur  la  terre  des  sujets 
occupés  à  lui  rendre  le  culte  et  l'obéissance  qui  lui 
sont  dûs.  C'est  ainsi  que  tout  procède  de  la  Tri- 
nité, considérée  comme  cause  efficiente,  et  que, 
comme  dans  un  cercle  mystérieux,  tout  retourne  à 
la  Trinité,  considérée  comme  cause  finale.  Elle  est 
véritablement  l'alpha  et  l'omega,  le  principe  et  la 
fin  de  toutes  choses. 

Enfin  c'est  elle  qui  est  l'unique  et  le  souverain 
bien,  le  bien  qui  se  suffit  à  lui-même  et  dont  tous 
les  autres  êtres  ont  un  besoin  absolu,  car  ce  bien 


DE   LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  269 

suprême  et  la  source  de  leur  bonheur  n'est  autre 
que  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit. 

O  Trinité  sainte  !  mon  seul  bien,  mon  bien  plus 
que  suffisant,  je  vous  rends  de  perpétuelles  actions 
de  grâces,  je  vous  loue  et  vous  bénis  de  tout  mon 
cœur  comme  la  source  bienheureuse  de  tout  bien. 
Puisque  vous  êtes  la  fin  dernière  de  toutes  choses, 
je  m'élance  vers  vous  de  toutes  mes  forces,  je 
dirige  toutes  mes  actions  vers  ce  but,  votre  gloire; 
j'aspire  à  vous  servir,  à  vous  faire  adorer  et  aimer 
par  autant  d'âmes  que  je  pourrai  en  remplir  de 
votre  connaissance  et  de  votre  amour.  Enfin  je 
soupirerai  après  vous,  qui  êtes  l'objet  de  ma  féli- 
cité. En  attendant,  je  vous  consacre  mes  labeurs  et 
tout  ce  que  je  puis  faire  dans  ce  monde  d'agréable 
à  Votre  Majesté.  Je  n'aurai  point  de  repos  que 
vous  ne  soyez  aimée,  étudiée,  admirée  et  glorifiée 
dans  tous  les  siècles  des  siècles. 


270  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 


ir  MÉDITATION 

DE  LA  CONNAISSANCE 

ET  DE  L'AMOUR 

DE  LA  SANTE-TRINITÈ 


SOMMAIRE 

Nous  pouvons  avoir  une  certaine  connaissance 
de  la  Sainte-Trinité  dès  cette  vie;  —  nous 
devons  V avoir  ;  —  mais  notre  amour  de  la 
Sainte-Trinité  peut  et  doit  dépasser  de  beau- 
coup la  connaissance  que  nous  en  avons. 

I 

NOTRE  âme  peut,  même  dès  cette  vie,  avoir 
quelque  connaissance  de  la  Sainte-Trinité  : 
car  toute  âme  est  créée  pour  la  connaître  et  pour 
la  glorifier  à  la  suite  de  cette  connaissance.  Or 
Dieu  ne  fixe  pas  un  but  à  sa  créature,  sans  lui 
fournir  les  moyens  de  l'atteindre.  Donc  l'âme  peut 
parvenir  à  la  connaissance  de  la  Trinité  pour  la 
glorification  de  laquelle  elle  a  été  placée  dans  ce 
monde.  L'homme  a  divers  états  et  diverses  sortes 
de  vies  ;  une  vie  mortelle  ici-bas  et  une  vie  immor- 
telle dans  l'autre  monde  :  aussi  sa  fin  est  la  con- 
naissance de  la  Trinité,  une  connaissance  obscure 
et  non  évidente  ici-bas,  une  connaissance  claire  et 
sans  voiles  dans  le  ciel.  En  conséquence,  l'homme 


DE    LA    TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  271 

peut  connaître  la  Trinité  d'une  manière  obscure  et 
par  la  foi,  dans  ce  monde  ;  d'une  manière  évidente 
et  par  la  claire  vision,  dans  l'autre.  C'est  dans  ce 
^but  que  l'âme  a  été  créée  à  l'image  et  à  la  ressem- 
blance de  la  Sainte-Trinité  :  elle  devenait  ainsi 
plus  capable  de  connaître  celle  dont  elle  porte  en 
elle-même  quelques  traits. 

Cette  ressemblance  n'est  pas  même  le  privilège 
exclusif  de  l'âme,  mais  toute  créature  porte 
comme  imprimé  sur  son  front  quelque  marque 
ou  quelque  caractère  de  la  Sainte-Trinité.  Les 
créatures  considérées  en  général,  se  divisent  en 
trois  catégories  :  les  créatures  spirituelles,  les 
créatures  corporelles  et  les  créatures  mixtes, 
comme  sont  les  hommes.  Les  créatures  spirituel- 
les se  divisent  à  leur  tour  en  trois  hiérarchies  et 
chaque  hiérarchie  comprend  trois  chœurs.  Quant 
aux  créatures  corporelles  elles  sont  aussi  de  trois 
sortes,  les  corps  célestes,  les  corps  simples  et  les 
corps  composés.  L'homme  est  doué  d'une  âme 
unique,  mais  qui  comprend  dans  son  unité  trois 
vies  :  la  vie  végétative,  la  vie  sensitive  et  la  vie 
intellectuelle.  Et  tout  cela  n'est  pas  l'effet  du 
hasard,  mais  le  résultat  d'un  dessein  de  la  sagesse 
divine,  qui  a  voulu  que  la  Trinité  des  personnes 
fut  représentée  par  la  distinction  des  créatures,  et 
l'unité  de  leur  Essence  par  l'étroite  union  des 
créatures  entre  elles,  afin  que  l'homme  se  servant 
des  créatures  comme  d'autant  de  degrés,  s'élevât 
plus  facilement  jusqu'à  la  connaissance  de  la 
Trinité. 

Toutefois  ces  traits  n'étaient  pas  assez  frappants 
pour  fixer  par  eux-mêmes  l'attention  de  l'homme 


272  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

et  pour  imprimer  dans  son  esprit  les  premiers 
éléments  de  cette  connaissance.  Dans  sa  bonté 
Dieu  a  voulu  lui  fournir  d'autres  images  de  ce 
mystère  plus  claires  et  plus  expressives.  Il  s'est 
alors  dépeint  lui-même  dans  les  Saintes  Ecritures: 
il  a  voulu  se  montrer  plus  à  découvert  dans  les 
révélations  de  la  foi,  et  il  a  ordonné  de  publier 
cette  foi  dans  tout  l'univers,  l'offrant  à  tous,  afin 
que  nul  ne  fut  bienvenu  à  alléguer  comme  excuse 
son  ignorance  de  la  divinité,  unique  dans  son 
Essence  et  trine  (i)  dans  ses  Personnes. 

Faites  grand  cas  de  cette  capacité  que  Dieu  a 
mise  dans  nos  âmes  et  que  les  anges  seuls  parta- 
gent avec  nous  :  par  elle  nos  âmes  sont  élevées 
au-dessus  de  toutes  les  autres  créatures.  Qu'y 
a-t-il,  dit  Origène  (2),  de  plus  parfait  que  de 
connaître  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit?  Quelle 
grâce  Dieu  m'a  donc  faite,  en  me  rendant  capable 
de  connaître  cet  auguste  mystère  !  Je  reçois,  o  mon 
Dieu,  cette  faveur  signalée  de  votre  bonté  et  je 
l'estime  mille  fois  plus  que  d'être  capable  de 
connaître  tous  les  mouvements  des  cieux  et  toutes 
les  merveilles  de  la  nature.  Quoique  la  science 
que  nous  avons  de  vous  ici-bas  soit  bien  impar- 
faite, néanmoins  il  y  a  beaucoup  plus  de  plaisir  à 
connaître,  même  dans  une  mesure  très  restreinte, 
les   choses   supérieures  et  divines,  qu'à   posséder 

X.  Noos  sommes  obligé  d'employer  un  mot  qui  a  vieilli  depuis 
que  Racine  en  faisait  usage.  Il  est  fort  regrettable  que  l'Académie  ne 
lui  ait  pas  conservé  le  sens  que  nous  lui  donnons  ici.  Mais  bien  au- 
dessus  de  ses  décisions,  il  y  a  celles  de  l'Eglise  qui  nous  défend 
d'appeler  Dieu  triple,  c  Hxc  est  Sanctie  Trinitatis  relata  narratio  : 
c  quoe  non  triplex,  sed  Trinitas  et  dici  et  credi  débet  >  dit  le  sym- 
bole de  foi  du  XI*  Concile  de  Tolède. 

9.  Hom.  10,  tn  Num, 


DE   LA  TRÈS   SAINTE  TRINITÉ  278 

complètement  la  science  de  toutes  les  choses  infé- 
rieures et  humaines.  Pour  ce  motif  j'accepte  la  foi 
comme  la  lumière  de  ma  vie,  Je  lui  assujettis  ma 
raison  et  toutes  mes  pensées,  je  désavoue  formel- 
lement tout  ce  qui  se  présenterait  à  mon  esprit  de 
contraire  à  ses  enseignements.  O  Dieu  incompa- 
rable, j'en  fais  maintenant  le  serment  que  je  suis 
prêt  à  signer  de  mon  sang  et  à  sceller  au  prix  de 
ma  vie.  Je  sais  et  je  crois  que  vous  êtes  un  seul 
Dieu  en  trois  Personnes  adorables,  le  Père,  le  Fils 
et  le  Saint-Esprit. 

III 

Non-seulement  l'homme  est  capable  de  connaî- 
tre d'une  certaine  manière  le  mystère  de  la  Sainte- 
Trinité,  mais  il  y  est  tenu  :  c'est  une  chose  néces- 
saire, obligatoire,  sous  peine  de  ne  pas  se  sauver. 
Les  paroles  de  Jésus-Christ  en  sont  la  preuve  : 
«  Quiconque  croira  et  sera  baptisé^  sera  sauvé  ; 
«  mais  quiconque  ne  croira  pas,  sera  con- 
«  damné.  »  (Marc,  i6).  Or  la  foi  n'est  pas  possible 
sans  la  connaissance  au  moins  des  principaux 
mystères  qu'elle  propose,  et  le  premier  de  tous 
les  mystères  est  bien  celui  de  la  royale  et  bienheu- 
reuse Trinité.  Aussi  le  grand  saint  Cyrille  (i)  dit 
formellement  que  nul  ne  peut  être  instruit  de  sa 
foi,  s'il  ignore  la  Sainte-Trinité.  En  effet  la  voie 
par  laquelle  nous  allons  à  Dieu,  c'est  Jésus,  qui  a 
dit  de  lui-même  :  «  Je  suis  la  voie,  la  vérité  et  la 
«  vie  »  (Jean,  14).  Or  d'où  est  sorti  Jésus,  si  ce 
n'est  de  la  Trinité,  comme  d'une  très  ancienne  et 
très  illustre  maison  ? 

X,  Lib.  I,  Thés,  Asserh'o.  i». 
Bah,  t.  I.  ,8 


^74  Î'A.    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

N'est-ce  pas  le  sein  du  Père  éternel,  qu'il  a 
quitté  pour  venir  vivre  parmi  les  mortels  ?  veut- 
on  dès  lors  le  connaître,  sans  avoir  aucune  notion 
de  la  Sainte-Trinité  ?  Mais  il  est  absolument 
nécessaire  de  connaître  Jésus-Christ,  le  Verbe 
incarné.  Donc  il  est  nécessaire  aussi  de  connaître 
la  Trinité. 

De  plus,  la  Trinité  est  la  fin  dernière  des  âmes 
or  il  convient  à  des  êtres  que  la  raison  dirige,  de 
connaître  la  fin  vers  laquelle  ils  tendent.  Quelle 
honte,  si  des  créatures  douées  d'intelligence  igno- 
raient le  but  vers  lequel  elles  s'acheminent,  s'il 
fallait  les  y  mener  comme  des  bêtes  à  qui  tout 
discernement  fait  défaut,  ou  s'il  fallait  les  y  por- 
ter comme  des  pierres  !  Pour  que  nos  âmes  tien- 
nent dignement  le  rang  d'honneur  que  leur  assi- 
gne leur  qualité  de  créatures  intelligentes,  il  faut 
donc  qu'elles  aient  quelque  connaissance  de  la 
Trinité,  terme  de  toutes  leurs  espérances. 

Enfin  la  connaissance  de  la  Trinité  est  la 
science  caractéristique  des  chrétiens,  celle  par 
laquelle  ils  se  distinguent  des  Juifs,  des  Turcs 
et  des  autres  infidèles.  Ceux-ci  ont  bien  la  notion 
de  l'unité  de  Dieu,  mais  il  y  a  une  vérité  qu'ils 
ignorent  totalement,  c'est  la  Trinité.  C'est  pour 
cela  que  ceux  qui  ne  savent  rien  de  ce  mystère, 
méritent  à  peine  le  nom  de  chrétien. 

Je  reconnaîtrai  combien  le  devoir  de  connaître 
ce  mystère  est  fondé  en  raison  et  j'en  déplorerai 
l'infraction.  Hélas  !  que  de  personnes  ignorent  ce 
mystère  je  ne  dis  pas  parmi  les  nations  barbares, 
mais  même  dans  le  sein  de  la  chrétienté  et  malgré 
tant  de  pasteurs  et  de  Docteurs   que  compte   l'E- 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRlNITÉ  27S 

glise  !  Combien  aussi  le  connaissent  mal  et  ne  le 
voient  qu'à  travers  un  enseignement  faux  et  héré- 
tique !  Il  faut  cependant,  o  Trinité  sainte,  que 
vous  soyez  connue  ou  dans  les  clartés  célestes,  ou 
à  la  lueur  des  flammes  de  l'enfer.  Pourquoi  donc 
avilir  plus  longtemps  notre  pensée  dans  l'étude 
des  choses  périssables  ?  Pourquoi  ne  pas  commen- 
cer dès  maintenant  à  étudier  cette  vérité  divine- 
nement  révélée  qui  doit  faire  l'objet  de  notre 
éternelle  contemplation  dans  le  ciel  ?  O  Trinité, 
mon  Dieu,  ayez  pitié  de  l'ignorance  du  monde, 
éclairez  mon  esprit  afin  que  je  vous  connaisse  et 
inspirez  à  vos  serviteurs  un  grand  zèle  pour  vous 
annoncer  et  pour  vous  faire  connaître  sur  la  terre. 

III 

La  Trinité  doit  être  beaucoup  plus  aimée  par 
nous  que  connue,  beaucoup  plus  révérée  que 
scrutée.  Car  quand  Dieu  a  donné  aux  hommes  le 
grand  commandement  de  l'aimer,  il  a  voulu  que 
l'homme  se  vouât  tout  entier  à  son  amour,  qu'il 
aimât  Dieu  (~ide  toute  son  âme^  'de  tout  son  es- 
«  prit,  de  toutes  ses  forces.  »  (  Matt.  22).  Mais 
quand  il  commande  qu'on  le  connaisse.  Dieu  ne 
dit  rien  de  pareil.  C'est  pour  cela  que  la  connais- 
sance de  Dieu  est  limitée  à  un  certain  degré,  que 
la  faiblesse  humaine  ne  peut  dépasser.  Si  les 
esprits  les  plus  pénétrants  cèdent  à  une  téméraire 
curiosité,  et  veulent  approcher  Dieu  de  trop  près, 
ils  se  sentent  accablés  par  la  splendeur  qui  jaillit 
de  sa  face  et  par  une  trop  vive  lumière  qui  les 
aveugle  plutôt  qu'elle  ne  les  éclaire. 

Mais  il  n'importe  :   une  connaissance   médiocre 


276  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

de  ce  mystère  suffit  pour  exciter  dans  Tâme  un 
grand  amour,  de  même  qu'une  étincelle  peut 
quelque  fois  causer  un  grand  incendie.  Il  arrive 
chez  certains  que  l'ardeur  de  l'amour  est  hors  de 
proportion  avec  le  degré  de  lumière  qu'a  l'esprit, 
et  que,  suivant  l'expression  d'Hugues  de  Saint- 
Victor  (i),  déjà  l'affection  est  entrée  au-dedans  et 
même  a  pénétré  bien  avant,  tandis  que  la  science 
est  encore  dehors,  arrêtée  à  la  porte,  sans  pouvoir 
avancer.  En  voici  peut-être  la  raison  :  c'est  que  le 
propre  de  la  connaissance  est  d'attirer  à  nous  l'objet, 
de  le  faire  pénétrer  en  quelque  sorte  en  nous  par 
les  espèces  et  images  que  nous  en  formons,  tandis 
que  le  caractère  propre  de  l'amour  est  de  nous 
faire  sortir  en  quelque  sorte  de  nous-mêmes  et  de 
nous  porter  vers  l'objet  aimé.  D'où  il  résulte  que 
connaître  Dieu,  c'est  l'attirer  à  nous  dans  une  cer- 
taine mesure,  tandis  que  l'aimer,  c'est  être  attiré 
vers  lui.  Or  celui  qui  est  grand  est  plus  capable 
de  recevoir  en  soi  quelqu'un  de  plus  petit,  que  le 
petit  ne  l'est  d'embrasser  plus  grand  que  lui.  Dieu 
donc  ne  peut  être  aussi  bien  attiré  et  comme 
enfermé  en  nous  par  notre  science,  que  nous, 
nous  pouvons  être  attirés  et  enfermés  en  lui  par 
notre  amour. 

Je  me  réjouirai  donc  à  la  pensée  que  si  je  n'ai 
pas  l'esprit  assez  puissant  pour  pénétrer  profon- 
dément en  Dieu  par  la  science,  ma  volonté  du 
moins  est  capable  de  beaucoup  aimer  et  de  com- 
penser par  l'amour  ce  qui  me  manque  du  côté  de 
la  science.  Accordez-moi  donc,  o  adorable  Trinité, 
que  je   ne  veux  connaître   qu'afin  de  mieux   vous 

X.  In  cap.  7  cal,  hier. 


DE   LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  277 

aimer,  accordez-moi  la  grâce  d'être  enflammé  de 
votre  amour,  en  vous  étudiant,  et  de  me  dégoûter 
de  tout  ce  qui  n'est  pas  vous.  Oh  !  combien  alors 
sera  beau  le  fruit  de  mes  travaux  !  quelle  brillante 
couronne,  me  sera  réservée  au  terme  de  ma 
course  ! 


Iir  MÉDITATION 

DES  MOTIFS  ET  DES  MOYENS 
D'HONORER  LA  SAINTE-TRINITÉ 


SOMMAIRE 

Quatre  motifs  :  sa  souveraine  grandeur  ;  sa 
bonté  à  notre  égard;  notre  utilité  ;  Vexempie 
des  saints  ;  —  six  moyens  :  nous  corriger  de 
tous  nos  péchés  mortels  et  de  tous  nos  péchés 
véniels;  retrancher  toutes  nos  occupations 
superflues;  V invoquer  souvent  au  commence- 
ment de  nos  actions  ;  nous  humilier  profon- 
dément; la  féliciter  pour  toutes  ses  perfec- 
tions; amener  les  autres  hommes  à  V aimer.  — 
Effets  précieux  de  la  méditation  de  ce  mys- 
tère. 

I 

VOICI  les  motifs  qui  doivent  nous  exciter  à 
aimer    et    à    respecter    profondément    la 
Sainte-Trinité. 


278  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Le  premier  est  sa  souveraine  grandeur  et  excel- 
lence ;  on  doit  honorer  en  effet  ce  qu'il  y  a  de  plus 
grand,  et  rien  n'est  plus  majestueux  ni  plus  auguste 
que  la  Sainte-Trinité,  dont  chaque  perfection  est 
infinie.  «  Grand  est  le  Seigneur,  dit  David,  //  est 
«  au-dessus  de  toutes  nos  louanges  et  sa  gran- 
di deur  n'a  pas  de  bornes.  »  (Ps.  144.) 

Le  second  motif  qui  équivaut  à  plusieurs,  c'est 
sa  bonté  et  sa  libéralité  à  notre  égard.  Quoi  de 
plus  naturel  que  de  reconnaître  par  des  témoi- 
gnages de  respect  et  d'honneur,  tout  au  moins  les 
biens  qu'on  a  reçus  ?  Or,  c'est  à  la  Sainte-Trinité 
que  nous  devons  tous  les  biens  que  nous  possé- 
dons :  elle  fut  gracieuse  et  libérale  à  notre  endroit 
plus  qu'on  ne  saurait  le  dire.  Le  Père  est  Charité, 
le  Fils  est  Grâce,  le  saint  Esprit  est  Don.  C'est  la 
Trinité  qui  de  toute  éternité  nous  a  prédestinés  à 
la  grâce  et  aussi,  c'est  du  moins  notre  espérance, 
au  paradis.  C'est  elle  qui  nous  a  créés,  nous  tirant 
du  néant  en  vertu  d'un  amour  spécial,  et  nous 
imprimant  sa  ressemblance  :  c'est  elle  qui  nous 
conserve  :  car  l'homme  ne  ressemble  pas  à  une 
horloge  qui,  une  fois  montée,  marche  environ 
vingt-quatre  heures,  sans  avoir  besoin  du  secours 
de  nos  mains  :  il  nous  serait  impossible  de  subsister 
une  seule  minute,  si  Dieu  n'avait  toujours  la  main 
sur  nous,  pour  nous  soutenir  et  nous  conserver. 
C'est  elle  qui  nous  a  donné  un  Rédempteur,  afin 
qu'il  s'immolât  pour  nous  et  qu'il  nous  acquit  par 
son  sang  tous  les  moyens  de  salut.  C'est  d'elle 
enfin  que  découlent  toutes  les  bénédictions  spiri- 
tuelles et  temporelles,  que  nous  possédons  ou 
que  nous  espérons.  Ce  sont  là  autant  de  raisons 


DE   LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  27g 

qui  prouvent  que  nous  ne  pourrions  jamais  la 
remercier  suffisamment,  quand  bien  même  ce 
serait  l'unique  occupation  de  toute  notre  vie. 

Le  troisième  motif  c'est  l'utilité  qu'il  y  a  pour 
nous  à  l'invoquer,  à  la  louer  et  à  l'honorer.  Si,  en 
effet,  elle  nous  a  fait  du  bien,  avant  que  nous  fus- 
sions en  état  de  l'invoquer  et  de  l'honorer,  combien 
plus  ne  nous  en  fera-t-elle  pas,  quand  elle  nous 
verra  prosternés  devant  elle,  adorant  ses  gran- 
deurs et  entièrement  dévoués  à  son  service  ! 
Il  n'y  a  pas  d'exercice  de  piété  plus  profitable. 

L'exemple  des  plus  grands  Saints  est  enfin  un 
quatrième  motif  pour  nous  de  l'adorer.  Jésus- 
Christ,  le  Saint  des  Saints,  avait  dans  son  âme 
toute  céleste  cette  ardente  dévotion  :  il  passe  en 
son  honneur  trois  heures  en  oraison  à  Gethsé- 
mani,  trois  heures  en  agonie  sur  la  croix  et  trois 
jours  dans  le  tombeau.  L'unique  occupation  des 
séraphins  au  ciel  est  de  s'écrier  sans  cesse,  dans  le 
ravissement  qu'ils  éprouvent  en  sa  présence. 
«  Saint,  saint^  saint.  »  (Is.  6.)  Les  plus  grands 
Docteurs  de  l'Eglise  n'ont  eu  rien  de  plus  à  cœur 
que  d'honorer  la  Trinité  dans  leurs  sermons,  leurs 
écrits  et  leurs  œuvres.  Enfin  une  infinité  de  mar- 
tyrs de  tout  âge  et  de  tout  sexe,  ont  honoré  la 
Trinité  en  la  confessant  courageusement  au  milieu 
des  plus  cruels  supplices  et  cet  amour  a  adouci 
leur  douleur  les  plus  aiguës.  Ils  ont  scellé  de  leur 
sang  leur  foi  en  la  Sainte-Trinité,  aimant  mieux 
perdre  la  vie  dans  les  plus  horribles  tourments, 
notamment  à  l'époque  de  l'hérésie  arienne,  qui 
battait  en  brèche  ce  mystère,  que  de  faillir  au 
devoir  de  l'honorer  par  une  généreuse  profession 


28o  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

de  leur  foi,  de  leur  espérance  et  de  leur  amour 
pour  elle. 

Voilà  des  raisons  assez  fortes  pour  me  persuader 
et  pour  m'inspirer  un  ardent  désir  de  révérer  la 
Trinité  par  un  culte  spécial.  O  très  majestueuse 
et  très  libérale  Trinité,  je  regrette  d'avoir  jusqu'à 
présent  tenu  si  peu  de  compte  de  mes  devoirs 
envers  vous  ;  je  veux  de  tout  mon  cœur  réparer 
cette  faute  et  compenser  par  des  hommages  qui 
dureront  toute  ma  vie,  ceux  que  je  ne  vous  ai 
point  oiferts  depuis  que  j'ai  reçu  de  vous  cette 
vie  même.  O  Sainte-Trinité,  qui  êtes  un  seul 
Dieu  !  faites-moi  miséricorde,  donnez-moi  d'offrir 
à  votre  infinie  Majesté  un  culte  de  latrie,  une  piété 
constante,  inébranlable  et  perpétuelle.  Donnez- 
moi  un  très  parfait  amour  de  votre  Majesté,  tel 
que  l'ont  eu  vos  généreux  martyrs,  c'est-à-dire 
assez  fort  pour  qu'aucune  tribulation  ou  angoisse, 
aucun  péril  et  aucune  persécution  ne  puisse  me 
séparer  de  vous.  Si  je  ne  puis  vous  honorer  autant 
que  le  mérite  votre  grandeur  et  votre  perfection, 
que  du  moins  je  vous  honore  autant  qu'il  me  sera 
possible  avec  le  secours  de  votre  grâce  :  je  vous  la 
demande  humblement  dans  ce  but. 

III 

Voici  les  divers  moyens  d'honorer  et  de  révérer 
la  Trinité  : 

Le  premier  consiste  à  nous  corriger  de  tous 
nos  péchés  mortels,  car  ils  détruisent  l'amour  que 
nous  lui  devons  ;  il  faut  aussi  nous  corriger, 
autant  que  possible,  de  nos  péchés  véniels,  car  ils 
outragent  son  honneur  et  diminuent  la  gloire  à 


DE    LA  TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  281 

laquelle  elle  a  droit,  gloire  qui  consiste  à  être 
obéie  par  ses  créatures  jusque  dans  les  moindres 
choses. 

Le  second  moyen  sera  de  supprimer  toutes  les 
occupations  superflues  et  tous  les  entretiens  inu- 
tiles, où  se  perd  un  temps  que  l'on  pourrait 
employer  à  la  louer  et  à  la  servir. 

Le  troisième  moyen  consistera  à  l'invoquer 
souvent,  au  commencement  de  nos  actions,  notam- 
ment à  les  lui  offrir  et  à  les  lui  consacrer  en 
même  temps  que  notre  cœur  et  notre  volonté. 
Ce  sera  lui  offrir  et  les  fruits  et  l'arbre  qui  les 
produit  tout  ensemble  ;  nous  dirigerons  le  tout 
vers  sa  gloire,  nous  n'aurons  en  vue  dans  tout  ce 
qui  nous  concerne,  que  son  honneur  exclusive- 
ment et  nous  ferons  retourner  à  la  Trinité  tout  ce 
que  nous  avons  reçu  d'elle. 

Le  quatrième  moyen  sera  de  nous  humilier 
profondément  en  sa  présence,  à  la  pensée  que 
nous  sommes  extrêmement  petits  et  vils  en  face 
de  sa  Majesté  sans  bornes.  Nous  devrons  rougir 
de  lui  être  si  peu  soumis  par  une  parfaite  confor- 
mité de  volonté  dans  tous  les  événements,  et  de 
l'avoir  si  peu  servie,  si  peu  glorifiée  en  comparai- 
son de  l'honneur  et  des  services  que  nous  lui 
devions.  Nous  imiterons  ainsi  les  séraphins  qui, 
en  présence  de  la  Trinité  se  voilent  la  face  de 
leurs  ailes,  pour  indiquer  qu'ils  sont  indignes  de 
paraître  devant  sa  Majesté. 

Le  cinquième  moyen  sera  de  nous  réjouir  inté- 
rieurement en  pensant  à  toutes  les  perfections 
que  la  Sainte-Trinité  possède  à  un  degré  souve- 
rain, à  sa  puissance,  à  sa  sagesse,  à  sa  beauté,  à  sa 


282  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

justice,  à  sa  miséricorde,  à  son  éternité  et  aux 
autres,  ce  qui  sera  un  moyen  excellent  de  la 
féliciter. 

Le  sixième  moyen  consistera  à  faire  tous  nos 
efforts  et  à  employer  tout  notre  pouvoir  à  la  faire 
connaître,  louer,  honorer  et  aimer  par  tous  les 
hommes  ;  nous  les  y  exciterons  par  nos  paroles, 
nos  exemples  et  par  tous  les  moyens  qui  seront 
à  notre  portée.  J'imiterai  saint  Grégoire  le  Théo- 
logien (i)  qui,  brûlant  d'un  zèle  semblable,  appe- 
lait la  Trinité  sainte,  adorable  et  patiente,  et  lui 
parlait  en  ces  termes:  Je  voudrais  qu'ils  devinssent 
vos  adorateurs  tous  ceux  qui  vous  méprisent  ou 
vous  outragent,  que  pas  un  seul  d'entre  eux  ne 
fut  perdu,  fut-ce  le  plus  petit.  Je  le  voudrais 
quand  bien  même  il  serait  nécessaire  pour  cela 
de  perdre  quelque  degré  de  grâce.  Ainsi  parlait 
ce  grand  homme  ;  et  puisque  le  plus  grand 
honneur  qu'on  puisse  rendre  à  la  Sainte-Trinité, 
c'est  le  saint  sacrifice  de  la  Messe  qui  est  son 
tribut  propre,  exclusivement  dû  à  sa  grandeur 
suprême,  offrons-le  lui  fréquemment,  si  nous  en 
avons  reçu  le  pouvoir  dans  le  sacrement  de 
l'Ordre,  sinon  faisons  en  sorte  que  le  saint  sacri- 
fice lui  soit  offert  avec  révérence  ;  enfin  assistons-y 
tout  au  moins  avec  des  sentiments  de  grand  respect 
et  dans  une  profonde  adoration. 

Je  graverai  dans  ma  mémoire  ces  six  moyens  de 
servir  la  Sainte-Trinité  et  je  les  considérerai 
comme  les  six  ailes  avec  lesquelles  les  Séraphins 
se  présentent  devant  elle.  Je  m'efforcerai  sur 
l'heure  à  en  produire  les  actes,  pour  ne  plus  diffé- 

I.  Greg.  dt  Nai^,  Or.  18,  sub  finem. 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  283 

rer  de  lui  rendre  gloire  et  honneur.  O  admirable 
Trinité  !  j'ai  mes  fautes  en  horreur,  parce  qu'elles 
attaquent  votre  grandeur  :  «  Je  bénirai  le  Sei- 
«  gneur  en  tout  temps,  sa  louange  retentira 
«  toujours  sur  mes  lèvres.  »  (Ps.  3.)  O  Seigneur, 
tout  est  à  vous,  tout  sera  fait  pour  votre  plus 
grande  gloire.  O  Majesté  suprême,  je  ne  suis  rien 
devant  vous,  la  confusion  couvre  mon  visage  à  la 
pensée  que  je  ne  vous  ai  pas  servi.  O  Trinité 
sainte  !  Possédez  toujours  vos  grandeurs  infinies  : 
mon  âme  ne  cessera  jamais  de  s'en  réjouir.  Oh  ! 
quelle  profonde  joie  j'éprouverais,  si  toutes  les 
créatures  vous  honoraient  !  O  vous  tous  «  loue^  le 
«  Seigneur  avec  moi,  exaltons  ensemble  son 
«  saint  nom.  Vene\,  adorons  et  prosternons- 
«  nous  devant  Dieu.  »  (Ps.  94.)  Offrons  des  sacri- 
fices en  son  honneur.  O  Trinité  adorable,  accordez- 
moi  cette  grâce,  que  tous  ceux  qui  liront  ces  lignes 
dirigent  toutes  leurs  actions  vers  votre  gloire, 
qu'ils  soient  entraînés  avec  moi  à  vous  aimer  et  à 
vous  servir  et  qu'ils  soient  enflammés  d'une  inex- 
tinguible ardeur  pour  vous  louer  sur  la  terre 
comme  au  ciel,  vous  le  Père,  vous  le  Fils  et  vous 
le  Saint-Esprit,  notre  souverain  bien.  Car  à  vous, 
ô  suréminente  Trinité,  appartiennent  dans  les  siè- 
cles des  siècles  toute  louange,  tout  honneur,  toute 
gloire  et  toute  souveraineté. 

III 

La  meilleure  préparation  pour  employer  ces 
moyens  par  lesquels  la  Trinité  est  honorée,  c'est 
de  méditer  ce  grand  mystère  et  les  merveilles  qu'il 
renferme.  En  effet  la  plus  haute  et  la  plus  sublime 


284        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

de  toutes  les  méditations,  est  celle  par  laquelle 
l'homme  s'élève  non  seulement  au-dessus  de  la 
sphère  de  toutes  les  créatures  sans  raison,  mais 
encore  au-dessus  de  lui-même  et  de  sa  nature.  Or 
telle  est  la  méditation  sur  la  Sainte-Trinité  ;  elle 
est  si  excellente  et  produit  de  si  nobles  effets  qu'il 
ne  reste  plus  rien  à  souhaiter  à  notre  vie  spiri- 
tuelle, si  ce  n'est  de  jouir  de  la  vue  de  la  Trinité 
dans  les  clartés  des  cieux.  C'est  le  champ  de  dévo- 
tion des  âmes  les  plus  éminentes  en  sainteté  et 
l'âme  qui  élève  sa  connaissance  et  ses  affections 
jusqu'à  ce  sublime  et  ravissant  objet,  se  trouve 
unie  au  principe  de  tout  bien,  et  se  voit  transpor- 
tée à  la  source  même  des  douceurs  et  des  consola- 
tions spirituelles.  D'une  part,  l'esprit  qui  s'adonne 
à  ce  genre  de  méditation  fait  les  plus  grands  pro- 
grès dans  la  connaissance  des  excellences  de  Dieu, 
découvre  de  plus  en  plus  tout  ce  qu'il  renferme 
de  beautés,  tout  ce  qu'il  mérite  d'amour,  de  res- 
pect et  de  gloire  ;  de  l'autre,  la  volonté  à  son  tour 
se  trouve  plus  puissamment  engagée  à  former  les 
résolutions  les  plus  généreuses  et  les  plus  magna- 
nimes, à  s'obliger  à  un  respect  plus  profond,  à  un 
amour  plus  ardent,  à  des  actes  plus  héroïques.  En 
un  mot,  après  une  sérieuse  méditation  sur  ce 
mystère  des  mystères,  l'âme  comprendra  que, 
quand  même  elle  renoncerait  à  tout,  quand  même 
elle  ferait  et  souffrirait  tout  pour  l'amour  de  Dieu, 
tout  cela  équivaudrait  à  peu  près  à  rien  et  ne  cons- 
tituerait pas  même  une  partie  notable  de  ce  qu'elle 
doit  à  la  Sainte-Trinité.  Il  lui  devient  alors  facile 
de  se  repentir  de  ses  péchés,  de  renoncer  aux  occu- 
pations inutiles  qui  dévorent  un  temps  si  précieux. 


DE   LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  285 

Il  lui  semble  que  c'est  la  plus  grande  extravagance 
du  monde  de  ne  pas  tout  rapporter  à  la  gloire  de 
cette  Majesté  suprême  et  de  ne  pas  s'humilier 
devant  elle.  Finalement  l'étroite  alliance  qu'elle 
contracte  avec  les  Personnes  divines,  la  porte 
naturellement  à  se  réjouir  de  leur  félicité  et  à 
exciter  les  autres  à  prendre  leur  part  d'un  avan- 
tage qui  n'est  pas  moins  grand  pour  chacun,  par 
le  fait  que  plusieurs  en  jouissent. 

Je  m'adonnerai  donc  avec  tout  le  sérieux  dont 
mon  esprit  sera  capable,  à  la  méditation  de  ce 
mystère.  La  Trinité  sera  mon  grand  objet,  ma 
souveraine  occupation.  Je  m'écrierai  à  l'exemple 
d'un  grand  saint  (i)  :  «  O  Trinité!  ma  gloire,  ma 
«  beauté  y  V  objet  de  mes  méditations  ».  Avec 
l'Eglise  (2),  je  l'invoquerai  par  ces  paroles  :  «  Le 
«  soleil  disparaît  déjà  à  l  horizon  ;  mais  vous, 
«  ô  Dieu  îtnique,  vous,  Trinité  bienheureuse, 
«  vous  demeure^  la  lumière  éternelle.  Oh  ! 
«  inspire^  votre  amour  à  nos  cœurs!  Que  nous 
«  vous  chantions  un  hymne  le  matin,  que  le 
«  soir  nous  vous  adorions  encore  !  daigne^ 
«  nous  admettre,  nous  vous  en  supplions^  au 
«  milieu  de  vos  élus  pour  vous  louer  avec 
«  eux.  » 

I.  Greg.  de  Naz.  Or.  32. 

a.  Hymne  du  Briv.  Fitt  de  la  Trin.  à  Vêpres. 


286  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


IV^  MÉDITATION 

DES  PRODUCTIONS  DIVINES 
ET  DE  LA  TRINITÉ  DES  PERSONNES 


SOMMAIRE 

Il  y  a  en  Dieu  plusieurs  Personnes,  dont  les 
unes  produisent  et  les  autres  sont  produites. 
—  Dieu  produit  le  Verbe  par  son  intelli- 
gence et  le  Saint-Esprit  par  sa  volonté.  — 
//  n'y  a  en  Dieu  que  trois  Personnes. 

I 

IL  y  a  en  Dieu  plusieurs  Personnes  dont  les 
unes  produisent  et  les  autres  sont  produites. 
Les  Ecritures  attestent  cette  grande  vérité,  quand 
elles  disent  qu'une  des  trois  Personnes,  le  Fils, 
est  engendré  par  une  autre  Personne  qui  est  le 
Père  et  que  le  Saint-Esprit  procède  du  Père  et  du 
Fils  (Ps.  2,  Jean,  i5.) 

Et  certes  nous  devons  attribuer  à  Dieu  tout  ce 
que  nous  imaginons  de  plus  grand  et  de  plus 
excellent,  tout  ce  qui  contribue  le  plus  à  sa  gloire. 
S'il  nous  a  donné  une  intelligence,  c'est  pour 
l'honorer  en  concevant  de  lui  l'idée  la  plus  haute  : 
agir  autrement,  serait  abuser  de  notre  intelligence. 
Or  c'est  une  grande  perfection  qu'il  y  ait  en  Dieu 
des  productions,  c'est-à-dire  des  Personnes  qui 
produisent  et  d'autres  qui  sont  produites.  En  effet 


DE    LA   TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  287 

l'Etre  infini  qui  produit  un  autre  infini,  l'Etre 
éternel  qui  produit  un  autre  Etre  éternel,  l'Etre 
parfait  qui  produit  un  autre  Etre  parfait,  est  meil- 
leur que,  s'il  ne  produisait  rien  en  lui-même. 
L'acte  est  toujours  plus  parfait  que  la  simple 
puissance  ou  la  privation  de  l'acte.  Donc  puisque 
Dieu  est  l'Etre  le  meilleur,  qu'il  est  souveraine- 
ment bon  et  parfait,  il  doit  produire  un  autre 
Etre  qui  soit  aussi  souverainement  bon  et  parfait. 
Et  ainsi  nous  concluons  qu'il  y  a  en  Dieu  des 
productions,  c'est-à-dire  qu'il  y  a  des  Personnes 
qui  sont  principe  de  production  et  des  Personnes 
qui  sont  produites. 

De  plus,  la  caractéristique  du  bien  est  une 
tendance  à  se  communiquer  et  à  se  communiquer 
en  raison  directe  de  sa  grandeur.  Le  bien  fini  se 
communique  d'une  manière  finie.  Mais  l'Essence 
divine  qui  est  infiniment  bonne,  doit  se  commu- 
niquer proportionnellement  à  sa  bonté,  c'est-à- 
dire  infiniment.  D'où  il  résulte  qu'il  y  aura  en 
Dieu  plusieurs  Personnes  qui  participeront  à  son 
Essence  et  qui  ne  seront  qu'un  seul  Dieu. 

Nous  pouvons  ajouter  que  plus  les  substances 
sont  nobles  et  supérieures  aux  autres,  plus  elles 
sont  actives  et  plus  elles  donnent  abondamment. 
Le  soleil  envoie  au  monde  entier  ses  rayons,  les 
meilleurs  fruits  nous  viennent  des  meilleures 
espèces  d'arbres,  ce  sont  les  meilleurs  esprits  qui 
conçoivent  les  plus  sublimes  pensées  et  ce  sont 
les  grandes  flammes  qui  projettent  les  clartés  les 
plus  éclatantes.  Aussi  les  philosophes  qui  ont 
ignoré  le  Fils  et  le  Saint-Esprit,  qui  ont  seule- 
ment su  que  le  monde  tenait  son  existence  d'un 


288  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Dieu,  n'ont  rien  connu  de  la  magnificence  infinie 
de  ce  Dieu  :  de  même  que  celui  qui  aurait  appris 
que  le  roi  a  donné  trois  oboles,  mais  qui  ignore- 
rait qu'il  a  distribué  d'immenses  trésors,  ne 
connaîtrait  pas  la  grandeur  de  sa  magnificence. 
Dieu  doit  avoir  une  action  infinie  et  il  lui  appar- 
tient de  donner  infiniment,  par  conséquent  beau- 
coup plus  qu'il  n'a  donné  au  monde  en  le  créant, 
puisque  ce  n'est  qu'un  être  fini  qu'il  lui  a  donné. 
Or  pour  donner  infiniment,  il  faut  que  Dieu  pro- 
duise une  personne  infinie  et  qu'il  lui  communique 
sa  divinité  même.  A  cette  condition  Dieu  aura 
agi  glorieusement,  il  aura  produit  quelque  chose 
digne  de  sa  grandeur  et  tel  que  toute  intelligence 
qui  raisonne  l'attend  de  lui  (i). 

Je  croirai  donc  qu'en  réalité  il  l'a  fait,  soit  parce 
que  l'Ecriture  me  l'enseigne,  soit  parce  qu'une 
telle  croyance  est  glorieuse  pour  Dieu,  J'inclinerai 
toujours  à  lui  attribuer  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
noble  et  de  plus  magnifique,  je  me  réjouirai  quand 
je  verrai  les  autres  homme  m'imiter  sur  ce  point, 
je  détesterai  tout  ce  qu'on  pourra  dire  de  contraire 
à  cette  doctrine;  je  sais  en  effet,  o  mon  Dieu,  que 
vous  êtes  au-dessus  de  toutes  les  louanges  et  au- 

X.  Les  raisons  qu'apporte  ici  l'auteur  n'ont  d'autre  valeur  que  de 
rendre  probable  l'existence  de  ce  grand  mystère  :  il  est  tout  au  moins 
certain  que  la  raison  humaine  ne  peut  démontrer  d'une  manière  posi- 
tive la  réalité  de  ce  mystère,  pas  même  lorsqu'elle  le  connaît  déjà 
par  la  révélation.  On  peut  le  conclure  de  la  définition  du  Concile  du 
Vatican  (Const.  Dei  Filius,  IV,  can.  i)  qui  prononce  l'anathème 
contre  quiconque  «  dit  que  la  révélation  divine  ne  contient  pas  de  vrais 
€  mystères,  des  mystères  proprement  dits,  mais  que  tous  les  dogmes  dt 

<  la  foi  peuvent,  a  l'aide  d'une  raison  exercée,  être  compris  et  démontrés 

<  pmr  les  principes  naturels.  »  Or,  l'unanimité  des  SS.  Pères  et  des 
Théologiens  considère  le  mystère  de  la  Sainte-Trinité  comme  le  pre- 
mier des  mystères  et  le  plus  impénétrable  de  tous.  L'erreur  que  nous 
lignalons  ici  a  été  renouvelée  de  aos  jours  par  Antoine  GUnther. 


DÉ     LA     SAINTE    TRINITÉ  289 

dessus  de  toutes  les  grandeurs  qu'on  peut  vous 
attribuer.  Que  les  créatures  communiquent  à 
d'autres  les  biens  plutôt  petits  que  grands,  c'est  à 
la  portée  de  leur  puissance  finie.  Mais  vous,  ô 
mon  Dieu,  qui  êtes  l'infinité  même,  que  vous 
produisiez  des  choses  plus  grandes  que  petites, 
qu'il  y  ait  en  vous  des  communications  infinies, 
rien  n'est  plus  conforme  à  la  grandeur  de  votre 
Etre  infini,  rien  ne  peut  le  faire  paraître  plus  glo- 
rieux et  plus  admirable.  Je  veux  donc  admettre 
cette  croyance,  car  je  ne  désire  rien  tant  que  votre 
gloire  pour  laquelle  vous  m'avez  mis  au  monde. 

II 

Ces  Personnes  sont  soit  principe  de  production, 
soit  produites  de  deux  manières,  à  savoir,  par 
l'acte  de  l'intelligence,  qui  est  la  connaissance,  et 
par  l'acte  de  la  volonté,  qui  est  l'amour.  Une  subs- 
tance spirituelle  en  effet  n'a  que  deux  puissances 
qui  lui  sont  propres,  qui  produisent  des  actes 
immanents,  et  par  lesquels  elle  peut  se  commu- 
niquer conformément  à  sa  nature  :  ces  deux  puis- 
sances sont  l'intelligence  et  la  volonté  car  la 
mémoire  n'est  qu'une  extension  de  l'intelligence 
et  la  volonté  n'est  qu'une  prérogative  de  la  liberté. 
Chez  les  puissances  spirituelles  créées,  c'est-à-dire 
chez  les  anges  et  les  âmes  raisonnables,  l'intelli- 
gence qui  est  finie,  produit  conformément  à  sa  capa- 
cité une  sagesse  finie  etla  volonté  produit  également 
un  amour  proportionné  à  elle-même,  c'est-à-dire 
fini.  Serait-il  raisonnable  de  moins  attribuer  à 
l'esprit  et  à  la  volonté  de  Dieu,  qu'à  l'esprit  et  à 
la  volonté  des  anges  et  des  hommes  ?  Donc  puis- 
Bau,  t.  i«  I 


îigo  LA.    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

que  Dieu  est  la  première  substance  spirituelle  et 
douée  d'une  intelligence  infinie,  par  cette  intelli- 
gence il  devra  produire  une  connaissance  ou  une 
sagesse  infinie,  qui  s'appellera  le  Verbe  ou  le  Fils: 
d'autre  part,  puisqu'il  possède  une  volonté  infinie, 
par  cette  volonté  il  devra  produire  un  amour  infini, 
qui  s'appellera  le  Saint-Esprit.  Comment  admettre 
en  effet  que  les  facultés  spirituelles  soient  douées 
d'activité  et  de  fécondité  chez  les  créatures,  dont 
la  substance  est  finie  et  qu'en  Dieu,  elles  soient 
stériles  et  infécondes  ?  Donc  les  Personnes  divines 
sont,  soit  principes  de  production,  soit  produites 
ou  par  la  connaissance,  qui  est  l'acte  propre  de 
l'intelligence,  ou  par  l'amour  qui  est  l'acte  propre 
de  la  volonté. 

J'adorerai  la  puissance  de  ces  deux  facultés 
divines,  l'intelligence  et  la  volonté,  j'adorerai  ces 
facultés  comme  étant  les  principes  des  Personnes 
infinies  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  Faites,  ô  mon 
Dieu,  qu'à  l'exemple  de  votre  intelligence,  qui 
produit  une  sagesse  proportionnée  à  sa  vigueur 
infinie,  mon  esprit  conçoive  une  science  de  vos 
mystères  aussi  vaste  que  sa  capacité  le  lui  permet  ; 
faites  aussi  qu'à  l'exemple  de  votre  volonté,  qui 
produit  un  amour  infini,  ma  volonté  produise  tous 
les  actes  d'amour  envers  vous,  dont  elle  est  capa- 
ble. O  Dieu  très  admirable,  que  je  vous  aime  de 
toute  mon  âme,  de  toute  mes  forces,  de  tout  mon 
pouvoir. 

III 

Ces  Personnes,  soit  celles  qui  sont  principe  de 
production,  soit  celles  qui  sont  produites  par  l'in- 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  2gl 

telligence  ou  par  la  volonté,  sont  au  nombre  de 
trois  exactement,  selon  ce  que  la  foi  nous  ensei- 
gne. Puisqu'il  y  a  en  Dieu  deux  sortes  de  produc- 
tion, il  doit  y  avoir  deux  Personnes  produites  ; 
Tune  par  voie  d'intelligence,  ce  sera  le  Fils,  l'au- 
tre par  voie  de  volonté,  ce  sera  le  Saint-Eprit  :  car 
deux  productions  ne  sont  pas  nécessaires  à  une 
seule  Personne,  qui  ne  peut  être  produite  qu'une 
fois.  De  plus  il  faut  que  la  Personne  qui  produit, 
soit  distincte  des  deux  Personnes  qui  sont  produi- 
tes. Une  chose  ne  saurait  en  effet  se  produire 
elle-même  :  ce  serait  une  contradiction  manifeste. 
Ces  Personnes  qui  sont  produites  ne  peuvent 
l'être  l'une  par  l'autre,  car  la  Personne  qui  pro- 
duit ne  peut  recevoir  son  être  de  la  Personne 
même  qu'elle  aurait  produite  :  il  y  aurait  encore 
contradiction  flagrante.  D'où  il  résulte  qu'il  y 
a  trois  Personnes  en  Dieu,  deux  Personnes  pro- 
duites, et  une  Personne  qui  produit,  qui  est 
le  Père.  Il  n'est  pas  possible  d'en  imaginer  un  plus 
grand  nombre  :  car  dans  ce  cas,  on  devrait  admet- 
tre que  ces  trois  Personnes  sont  produites  par  une 
quatrième.  Or,  c'est  impossible  :  en  effet  qu'est- 
ce  qui  empêcherait  de  dire  alors  que  cette  qua- 
trième à  son  tour  aurait  été  produite  par  un 
cinquième,  celle-ci  par  un  sixième  et  ainsi  de 
suite  jusqu'à  l'infini  :  ce  qui  répugne  à  la  raison  et 
à  la  nature  de  Dieu.  Il  est  donc  nécessaire  d'ad- 
mettre qu'une  de  ces  trois  Personnes  est  principe 
de  production,  sans  avoir  été  produite  elle-même. 
Ou  bien  pour  qu'il  y  eût  plus  de  trois  Personnes 
en  Dieu,  il  faudrait  admettre  en  lui  des  produc- 
tions par  d'autres  voies  que  celle  de  l'intelligence 


29ÎÎ  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

M-  !■        I       ■!■■  »  I  I  ».l»..»..l  »■■■■■■■  I    — ^M^— ^i^1< 

et  celle  de  la  volonté  :  ce  qui  est  inadmissible, 
parce  qu'une  nature  intelligente  ne  peut  se  com- 
muniquer autrement  que  par  ces  deux  puissances. 
Ou  bien,  dernière  hypothèse,  il  faudrait  qu'il  y 
eût  plusieurs  productions  par  voie  d'intelligence 
ou  par  voie  de  volonté.  Or,  c'est  encore  impossi- 
ble, parce  que  le  Fils  ou  le  Verbe  est  un  terme  de 
production  infini,  puisqu'il  correspond  à  toute  l'in- 
finité de  l'intelligence  divine,  et  l'intelligence 
divine  en  étant  comme  épuisée,  ne  peut  dès  lors 
produire  un  second  Verbe.  Le  Saint-Esprit  est 
également  un  terme  de  production  parfait  :  il 
épuise  en  quelque  sorte  toute  la  fécondité  de  la 
volonté  divine  :  donc  il  ne  peut  y  avoir  en  Dieu  un 
autre  amour,  un  autre  Saint-Esprit.  Concluons  de 
tout  ceci  qu'il  y  a  trois  Personnes  divines,  pas 
une  de  plus,  pas  une  de  moins. 

O  grandeur  de  Dieu  !  si  ses  jugements  sont 
incompréhensibles,  combien  plus  le  sera  son  Etre! 
O  Dieu  !  combien  vous  êtes  différent  des  créatu- 
res :  aussi  devons-nous  vous  concevoir  d'une  façon 
plus  élevée,  vous  mettre  absolument  hors  de  pair, 
de  telle  sorte  que  votre  Essence  unique  en  trois 
Personnes,  se  distingue  glorieusement,  par  sa 
grandeur,  de  toutes  les  créatures.  Un  seul  Père 
suffit,  un  seul  Verbe  suffit  à  l'intelligence  infinie 
du  Père,  un  seul  Saint-Esprit  suffit  à  sa  volonté. 
O  Père  !  ô  Fils  !  ô  Saint-Esprit  !  ô  Personnes  ado- 
rables !  soyez  mon  seul  bien  !  qu'un  tel  bien  me 
suffise  et  que  je  n'en  cherche  pas  d'autre.  Je  me 
consacre  à  vous  ;  que  je  vous  appartienne,  possé- 
dez-moi et  que  je  vous  possède  I 


DE   LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  298 


V^  MÉDITATION 

DES  RELATIONS 
DES  TROIS  PERSONNES  DIVINES 


SOMMAIRE 

Les  relations  d'origine  distinguent  entre  elles 
les  Personnes  divines  —  les  unissent  étroite- 
ment —  les  constituent. 

I 

LES  trois  Personnes  divines  sont  relatives, 
c'est-à-dire,  qu'elles  se  rapportent  Tune  à 
l'autre  et  ont  entre  elles  des  relations  mutuelles 
d'origine.  Le  Père  est  en  rapport  avec  le  Fils  par 
une  relation  de  paternité,  et  le  Fils  est  en  rapport 
avec  le  Père  par  une  relation  de  filiation  ;  le  Père 
et  le  Fils  sont  en  rapport  avec  le  Saint-Esprit  par 
une  relation  de  spiration  active,  et  le  Saint-Esprit 
est  en  raport  avec  le  Père  et  le  Fils  par  une  rela- 
tion de  spiration  passive. 

La  sublimité  et  l'excellence  des  Personnes 
divines  semblent  exiger  ces  merveilleux  rapports. 
C'est  en  effet  le  propre  et  le  privilège  de  l'Etre 
divin,  d'être  le  centre  et  le  but  vers  lequel  tous  les 
êtres  tendent  et  où  ils  se  fixent.  Aussi  nous  ne 
trouverons  pas  une  seule  créature  dans  le  monde 
qui  n'ait  une  tendance  vers  Dieu  et  une  relation 
avec  Dieu.  Cette  relation  est  appelée  par  les  philo- 


294  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

sophes,  transcendantale  ;  c'est  celle  qu'a  tout  eifet 
avec  sa  cause,  toutes  les  créatures  étant  les  effets 
de  Dieu.  Aussi  les  yeux  de  tous  sont  fixés  sur 
Dieu  :  les  anges  et  les  hommes,  les  bêtes  et  les 
plantes  se  rapportent  à  lui  et  sont  dirigés  vers  lui, 
saint  Isidore,  (i)  cite  un  ancien  auteur  qui  déclare 
qu'il  n'y  a  pas  de  créature,  si  stupide  soit-elle,  qui 
n'éprouve  un  tressaillement  pour  Dieu,  de  même 
qu'il  n'y  a  pas  de  caillou  d'où  on  ne  puisse  faire 
jaillir  des  étincelles  ;  tant  il  est  vrai  que  c'est  le 
propre  de  Dieu  d'être  le  centre  vers  lequel  tout 
être  se  sent  attiré.  Or  si  les  Personnes  divines 
étaient  absolues  et  non  relatives,  tout  ne  se  rap- 
porterait pas  à  elles  :  une  Personne  divine  ne  se 
terminerait  pas  à  l'autre,  et  n'aurait  point  de 
rapport  avec  elle.  Le  Père  ne  se  terminerait  pas 
au  Fils,  ni  le  Fils  au  Père,  ni  le  Saint-Esprit  au 
Père  et  au  Fils  :  on  les  priverait  ainsi  d'une 
grande  perfection.  Mais  si  elles  sont  relatives, 
elles  ont  toutes  cette  grandeur  et  cette  gloire  de  se 
servir  comme  de  centre  et  de  but  l'une  à  l'autre. 

O  mon  Dieu  !  puisque  c'est  votre  gloire  que  tout 
se  rapporte  à  vous,  je  désire  être  sans  cesse  en 
rapport  avec  vous  par  votre  grâce.  Oui,  je  rapporte 
et  consacre  à  votre  gloire  tous  mes  pas,  toutes  mes 
pensées,  toutes  mes  paroles,  toutes  mes  oeuvres, 
vous  serez  ma  fin  dernière  et  le  centre  immuable 
de  toutes  mes  intentions  et  de  toutes  mes  inclina- 
tions volontaires  :  car  je  considère,  o  mon  Dieu, 
qu'autant  les  relations  sont  faibles  dans  la  sphère 
de  la  nature,  autant  dans  la  sphère  de  l'esprit  et 
de  la  grûce,  elles  sont  étroites  et  importantes.  Le 

I.  De  tum.  bo.   1.  x,  cap.  i. 


DE    LA    TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  295 

monde  de  la  grâce  en  effet  repose  tout  entier  sur 
des  relations  avec  vous.  Que  je  sois  donc  toujours 
en  rapport  avec  vous,  en  relation  avec  vous,  sous 
votre  dépendance,  et  que  je  n'aspire  qu'à  m'élever 
vers  vous.  Je  voudrais  que  tout  mon  être  ne  fut 
qu'une  tendance  et  qu'un  rapport  continuel  avec 
vous  :  je  voudrais  semblable  à  la  flèche  qui  tend 
à  son  but,  n'avoir  jamais  d'autre  direction  et 
d'autre  impulsion  que  vers  vous,  comme  vers  la 
fin  suprême  de  toutes  mes  affections. 

II 

Les  Personnes  divines,  parce  qu'elles  sont  rela- 
tives, ont  entre  elles  une  union  réciproque  plus 
étroite.  Suivons  le  raisonnement  d'un  grand  théo- 
logien (i).  La  raison  ne  saurait  démontrer,  dit-il, 
que  les  Personnes  divines  sont  relatives,  mais  elle 
le  persuade  néanmoins  :  car  là  ou  l'unité  est  par- 
faite, il  ne  faut  admettre  que  la  moindre  de  toutes 
les  oppositions.  Or  les  trois  Personnes  divines 
jouissent  de  l'unité  la  plus  parfaite  qui  existe.  Il  faut 
donc  qu'elles  ne  se  distinguent  entre  elles,  que 
par  l'opposition  la  moins  tranchée  de  toutes  :  telle 
est  l'opposition  de  relation.  Celle-là  est  moins 
radicale  que  les  autres  :  car  tous  les  opposés  ou 
s'excluent  et  se  détruisent  naturellement,  ce  qui 
arrive  pour  les  contraires,  tels  que  le  blanc  et  le 
noir,  le  chaud  et  le  froid  :  ou  bien  sont  absolu- 
ment incompatibles,  comme  les  contradictoires 
qui  désignent  des  qualités  dont  la  réunion  et  la 
coexistence  dans  un  môme  sujet  est  impossible, 
telles  sont  la  lumière  et  les  ténèbres,  la  vue  et  la 

%.  Palahus  in  i  Dist.  if>. 


296  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

cécité,  Têtre  et  le  non-être.  Mais  les  opposés  rela- 
tifs, loin  de  s'exclure,  se  soutiennent,  s'affermis- 
sent et  se  conservent  mutuellement  :  ils  n'ont 
aucun  avantage  l'un  sur  l'autre.  Donc  puisqu'une 
distinction  était  nécessaire  entre  les  Personnes 
divines,  cette  distinction  ne  pouvait  avoir  lieu 
d'une  manière  qui  convint  mieux  à  la  nature 
divine  qu'au  moyen  de  relations.  Ces  relations  en 
effet  n'altèrent  en  rien  l'unité  des  Personnes  et  ne 
produisent  entre  elles  aucune  division  ou  sépara- 
tion :  elles  ont  au  contraire  pour  effet  de  lier  les 
Personnes  ensemble  et  d'établir  entre  elles  une 
correspondance  réciproque.  Par  le  fait  des  relations 
chaque  Personne  est  en  rapport  avec  les  deux 
autres  et  les  deux  autres  le  sont  avec  elle  :  le 
Père  est  en  rapport  avec  le  Fils  et  le  Saint-Esprit; 
et  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  sont  en  rapport  avec  le 
Père  :  il  en  est  ainsi  du  Fils  à  l'égard  du  Père  et 
du  Saint-Esprit  à  l'égard  du  Père  et  du  Fils. 
C'est  comme  un  triangle  où  chaque  angle  commu- 
nique avec  les  deux  autres.  Il  en  résulte  entre  les 
Personnes  une  société,  une  alliance  et  une  harmo- 
nie, à  laquelle  rien  au  monde  n'est  comparable, 
qui  les  comble  elles-mêmes  d'une  ineffable  joie  et 
qui  est  la  source  de  grands  biens  pour  le  monde  : 
ainsi  la  bonne  intelligence  et  l'union  des  princes 
de  la  terre  les  remplit  de  félicité  eux  et  tous  leurs 
sujets. 

Je  me  réjouirai  de  ces  rapports  et  de  cette  ad- 
mirable union  qui  existent  entre  les  Personnes 
divines.  Au  nom  de  cette  union,  je  leur  deman- 
derai la  paix  entre  les  chrétiens  et  la  cessation 
de  leurs   divisions   et  de   leurs  guerres.    O   très- 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  297 

noble  Jésus  !  vous  avez  demandé  à  votre  Père, 
que,  comme  vous  étiez  un  avec  lui,  nous  fussions 
tous  un  ensemble.  Comme  Dieu,  vous  pouvez 
accomplir  ce  que  vous  demandiez  comme  homme. 
Oh  !  mon  Dieu,  mettez  fin  à  tant  de  divisions  qui 
désolent  les  âmes  en  particulier  et  le  royaume 
universel  de  l'Eglise.  La  paix  !  mon  Dieu,  la 
paix  !  pour  ceux  qui  sont  près  comme  pour  ceux 
qui  sont  loin. 

III 

Ces  relations  sont  sublimes  en  Dieu  :  en  lui  en 
effet  rien  n'e^t  petit  et  ce  qui  dans  la  créature  est 
de  peu  d'importance,  est  chez  lui  grand,  admira- 
ble et  adorable.  Qu'est-ce  que  la  relation  dans  la 
créature  ?  C'est  l'être  le  plus  frêle  et  le  plus 
mince,  c'est  un  simple  rapport  d'une  chose  à  une 
autre,  rapport  qui  a  si  peu  de  réalité  que  plu- 
sieurs l'appellent  un  diminutif  de  l'être,  une 
chose  qui  n'est  pas  un  véritable  être,  qui  n'a 
aucune  vertu  ni  aucune  action,  en  un  mot  le  der- 
nier degré  de  la  réalité.  Il  y  en  a  même  qui  pré- 
tendent qu'elle  n'est  qu'un  être  de  raison. 

Mais  en  Dieu  la  relation  est  chose  si  grande  et 
si  sublime,  qu'on  peut  dire  que  c'est  sur  quatre 
relations  que  roule  tout  le  grand  mystère  de  la 
Trinité  (i).  En  effet,  trois  de  ces  relations  consti- 
tuent les  Personnes  divines,  puisque  l'Essence 
divine  avec  une  de  ces  relations  est  une  Personne 
divine.  Ainsi  l'Essence  divine  avec  la  paternité, 
c'est  la  Personne  du  Père  ;  avec  la  filiation,  c'est 
la  Personne  du  Fils  ;  avec  la  spiration  passive, 

I.  Tho.  q.  3.  art.  s. 


298  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

c'est  la  Personne  du  Saint-Esprit.  Aussi  ces  trois 
relations  sont-elles  appelées  propriétés  personnel- 
les, parce  qu'elles  sont  propres  à  une  seule  Per- 
sonne et  non  communes  à  plusieurs.  De  là,  vient 
encore  que  ces  trois  relations  sont  les  vraies 
subsistances  des  Personnes  divines,  car  on  appelle 
subsistance  ce  qui  parfait  une  nature  intellectuelle 
et  la  rend  incommunicable.  Or,  comme  ces  trois 
relations  sont  les  propriétés  qui  constituent  les 
Personnes  divines  d'une  manière  admirable,  elles 
leur  donnent  aussi  leur  achèvement  et  font  que 
l'Essence  divine,  en  tant  qu'elle  est  terminée  par 
elles,  est  incommunicable.  Car  bien  que  l'Essence 
soit  unique  et  commune  aux  trois  Personnes,  elle 
n'est  pas  commune,  en  tant  que  terminée  par  la 
paternité  (i)  :  mais  ainsi  elle  ne  convient  qu'au 
Père.  De  même  elle  ne  convient  qu'au  Fils,  en 
4:ant  que  terminée  par  la  filiation  ;  et  qu'au  Saint- 
Esprit,  en  tant  que  terminée  par  la  spiration 
passive. 

Enfin  ces  quatre  relations  sont  les  origines  et 
.les  productions  actives  et  passives  des  trois  Per- 
sonnes divines  ;  elles  constituent  encore  les  quatre 
notions  affirmatives  qui  permettent  de  distinguer 
les  Personnes  l'une  de  l'autre.  A  ces  notions  est 
jointe  la  notion  négative  de  l'innascibilité  :  Dieu, 
en  effet,  a  cela  de  propre,  à  cause  de  sa  grandeur, 
d'être  connu  par  voie  de  négation,  c'est-à-dire  par 
ce  qu'il  n'est  pas,  à  cause  de  l'impuissance  dans 
laquelle  nous  sommes  de  dire  ce  qu'il  est. 

Ainsi  en  Dieu  les  relations  constituent  les 
Personnes    divines    :    que    voulez-vous    de    plus 

|.  Boëtius  :  de  Trin,  c.  ti. 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  299 

grand  ?  Elles  sont  l'origine  des  Personnes  divines  : 
quoi  de  plus  efficace  ?  Il  n'y  a  de  subsistance  en  la 
divinité  que  par  les  relations  :  quoi  de  plus 
important  ?  (2) 

Eh  bien  !  mon  âme,  que  penseras-tu  de  tous 
les  mystères  renfermés  dans  ces  relations  et  ces 
propriétés  adorables  ?  Oui,  mon  Dieu,  ce  qui  en 
ce  monde  n'est  rien,  en  vous  est  grand  ;  ce  qui 
chez  les  créatures  semble  méprisable,  est  glorieux 
et  sublime  en  vous.  Mourir  en  Dieu,  est  une 
gloire  ;  que  sera-ce  donc  de  vivre  en  vous,  ô  mon 
Dieu  ?  Que  sera-ce  d'entrer  en  vous  ?  Donc,  ô 
mon  Dieu,  que  je  sois  en  vous,  que  je  vive  et  que 
je  meure  en  vous  !  Et  puisque  la  relation  qui  n'est 
à  peu  près  rien  dans  le  monde  de  la  nature,  est  si 
importante  dans  le  monde  de  la  grâce,  qui  consiste 
tout  entier  dans  des  relations  avec  Dieu  ;  pourquoi 
mon  être  ne  se  rapporte-t-il  à  vous,  ô  mon  Dieu  ! 
Que  ne  suis-je  tout  entier  une  pure  relation  à 
votre  gloire  ! 

3.  Card.  de  Bérulle  :  Œuvres  de  piété,  xi8. 


300  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


Vr  MÉDITATION 

DES  ATTRIBUTS  COMMUNS 

ATTRIBUÉS  A  CHAQUE  PERSONNE 

DE  LA  TRINITÉ 


SOMMAIRE 

La  puissance^  la  sagesse  et  la  honte  conviennent 
également  à  chaque  Personne  divine.  —  Cepen- 
dant par  appropriation^  la  puissance  est  attri- 
buée au  Père  ;  la  sagesse  au  Fils  ;  et  la  bonté 
au  Saint-Esprit.  —  Il  est  permis  d'adorer^ 
d^aimer  et  de  servir  chaque  Personne  divine 
séparément. 

I 

LES  trois  plus  nobles  qualités,  la  puissance,  la 
sagesse  et  la  bonté  conviennent  également  à 
chaque  Personne  divine.  En  voici  la  raison  :  dans 
les  productions  et  dans  la  pluralité  des  Personnes 
divines,  l'Essence  garde  son  unité  inviolable,  qui 
est  le  fondement  de  toutes  ses  grandeurs.  Et  de 
même  que,  dans  le  mystère  de  Tlncarnation,  la 
fécondité  n'altère  pas  la  virginité  d'une  Mère  très 
pure  ;  ainsi  dans  la  Sainte-Trinité,  qui  selon 
l'expression  du  Théologien  (i),  est  la  première 
vierge,  la  fécondité  ni  la  pluralité  des  Personnes 
ne  divisent  pas  l'unité  de  l'Essence.  Et  par  là  même 

I.  Carmen  in  laud.  Virf. 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  3oi 

que  nous  concevons  ces  trois  perfections  comme 
l'apanage  de  l'Essence,  elles  sont  égales  et  identi- 
ques dans  les  trois  Personnes.  Donc  les  trois 
Personnes  ont  la  même  puissance,  la  même 
sagesse,  la  même  bonté  à  un  degré  souverain. 

Et  comme  tout  ce  qu'on  peut  attribuer  à  la  divi- 
nité de  grand  et  d'excellent  est  compris  dans  ces 
trois  perfections  ;  puisque  si  vous  dites  que  Dieu 
est  fort,  incorruptible,  immuable,  invincible,  tout 
cela  appartient  à  la  puissance  (i)  ;  si  vous  dites 
qu'il  voit  tout,  que  sa  providence  s'étend  à  tout, 
qu'il  comprend  tout  et  qu'il  pénètre  les  secrets  les 
plus  cachés,  tout  cela  appartient  à  la  sagesse  ;  et  si 
vous  dites  qu'il  est  compatissant,  doux,  miséricor- 
dieux, patient,  tout  cela  est  de  la  bonté  ;  il  suit  de 
là  que  chaque  Personne  de  la  Trinité  est  telle- 
ment parfaite  qu'aucune  nouvelle  perfection  ne 
peut  lui  être  ajoutée.  En  effet  ces  trois  sublimes 
perfections  ennoblissent  et  enrichissent  à  un  degré 
souverain  le  sujet  en  qui  elles  se  trouvent  réunies. 
Aussi  les  créatures  ne  les  possèdent-elles  jamais  à 
la  fois  et  parfaitement  :  car  si  elles  ont  la  puis- 
sance, elles  sont  dépourvues  de  sagesse  ;  si  elles 
ont  la  sagesse,  c'est  la  puissance  et  la  bonté  qui 
leur  font  défaut  ;  enfin  ont-elles  la  bonté  ?  c'est 
sans  la  puissance.  Jouir  de  tant  de  biens  à  la  fois, 
ce  serait  pour  elles  une  trop  grande  noblesse,  étant 
donné  la  condition  de  leur  nature  essentiellement 
défectueuse.  Il  n'appartient  qu'à  chacune  des  Per- 
sonnes divines  d'avoir  une  puissance  infinie,  unie 
à  une  sagesse  suréminente  et  à  une  ineffable 
bonté. 

I,  Hugo  de  Saint- Vict.  1.  i.  de  sacr.  p,  3.  c.  9. 


302  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

Qui  pourrait  donc  estimer  et  révérer  assez  cha- 
que Personne  de  la  Sainte-Trinité  ?  Si  en  effet  les 
créatures  douées  d'une  seule  de  ces  qualités  à  un 
degré  éminent,  méritent  le  respect  des  autres, 
comme  nous  le  devons  à  un  roi  pour  sa  puissance, 
à  un  docteur  de  l'Eglise  pour  sa  science,  à  un 
saint  pour  sa  bonté,  quel  respect  ne  devons-nous 
pas  témoigner  aux  trois  Personnes  incréées  ?  quel 
amour  appréciatif,  c'est-à-dire  tel  que  nous  les 
mettions  dans  notre  estime  au-dessus  de  tout,  ne 
devons-nous  pas  avoir  pour  elles  ?  O  divines  Per- 
sonnes !  à  cause  de  votre  admirable  puissance,  de 
de  votre  sagesse  et  de  votre  bonté,  régnez  et  pros- 
pérez dans  les  siècles  des  siècles  !  Que  la  vie  et 
l'éternité  appartiennent  toujours  au  Père,  au  Fils 
et  au  Saint-Esprit  !  Que  toute  félicité  soit  toujours 
leur  partage  ! 

II 

Quoique  ces  trois  perfections  soient  communes 
aux  trois  Personnes  divines,  qui  les  possèdent  par 
indivis,  et  sans  inégalité  ;  cependant  par  appro- 
priation, la  puissance  et  tout  ce  qui  en  dépend  le 
plus,  est  attribué  au  Père  qui  est  spécialement 
appelé  Tout-Puissant,  et  Créateur  du  Ciel  et  de  la 
terre  ;  la  sagesse  et  tout  ce  qui  est  de  son  ressort, 
comme  le  gouvernement  et  le  jugement  du  monde, 
est  attribué  au  Fils,  qui  est  appelé  la  Sagesse  ;  la 
bonté  avec  tous  les  effets  de  l'amour  de  Dieu,  tels 
que  les  inspirations  et  les  grâces  sanctifiantes,  est 
attribuée  au  Saint-Esprit.  Le  Père  est  honoré  du 
titre  de  Tout-i?uissant,  sans  porter  atteinte  au 
Fils  et  au  Saint-Esprit,  comme  aussi  le  Fils  est 


DE     LA     TRÈS     SAINTE     TRINITÉ  3o3 

honoré  du  nom  de  Sagesse,  sans  rien  ôter  au  Père 
ni  au  Saint-Esprit  ;  le  Saint-Esprit  est  loué  comme 
étant  tout  Bonté  et  tout  Amour,  sans  diminuer  en 
rien  ce  qui  appartient  au  Père  et  au  Fils.  Ce  qui 
a  donné  lieu  à  ces  approbations,  ce  sont  les  rap- 
ports de  ces  perfections  avec  les  propriétés  de  cha- 
cune des  Personnes  divines.  Au  Père,  en  effet,  il 
convient  d'être  nommé  Tout-Puissant,  parce  qu'il 
est  le  premier  principe  et  qu'il  n'a  lui-même  aucun 
principe  ;  au  Fils  il  convient  d'être  qualifié  du  nom 
de  Sagesse,  parce  qu'il  est  produit  par  l'intelli- 
gence et  qu'il  est  le  terme  d'un  acte  de  connais- 
sance infinie  ;  au  Saint-Esprit  il  convient  d'être 
appelé  l'Amour  et  la  Bonté,  parce  qu'il  est  produit 
par  l'amour  et  qu'il  est  le  terme  d'un  acte  de 
bonté. 

Et  puis,  ces  appropriations  nous  servent  à  juger 
et  estimer  les  Personnes  divines  tout  autrement 
que  les  Personnes  humaines.  Chez  \eè  hommes  le 
nom  de  père  évoque  naturellement  l'idée  de  la 
faiblesse,  qui  est  l'effet  de  la  vieillesse  ;  le  nom  de 
fils  réveille  l'idée  d'un  certain  défaut  de  sagesse, 
qui  semble  être  l'apanage  de  la  jenesse  inexpéri- 
mentée ;  et  le  mot  esprit  offre  de  prime  abord 
ridée  de  quelque  chose  de  froid  et  d'aride.  Pour 
exclure  donc  l'idée  de  faiblesse,  quand  nous  nom- 
mons le  Père,  nous  lui  attribuons  la  Puissance  ; 
pour  exclure  l'idée  du  défaut  de  prudence,  quand 
nous  nommons  le  Fils,  nous  lui  attribuons  la 
Sagesse  ;  pour  corriger  ce  que  le  nom  de  Saint- 
Esprit  aurait  de  trop  austère  et  trop  froid,  nous 
lui  attribuons  la  Bonté  et  la  Suavité. 

Félicitez  les  trois  Personnes   divines    pour   ces 


3o4  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

attributs.  O  Père  très  saint  !  personne  ne  peut 
résister  à  votre  puissance,  ni  empêcher  l'exécu- 
tion de  ce  qui  vous  plaît.  O  très  noble  Fils  [  par 
votre  sagesse  vous  êtes  à  l'abri  de  toute  déception 
et  vous  pouvez  dissiper  toutes  les  ténèbres  de 
mon  ignorance.  O  Saint-Esprit  plein  de  douceur  ! 
votre  bonté  vous  rend  incapable  de  nuire  à  per- 
sonne et  vous  permet  de  rendre  bons  les  esprits 
les  plus  dépravés.  Gloire  et  amour  à  jamais  au 
Père  pour  sa  puissance,  au  Fils  pour  sa  sagesse, 
au  Saint-Esprit  pour  sa  bonté.  O  Père  éternel  ! 
fortifiez-moi  par  votre  bras  tout-puissant  !  O  Fils 
plein  d'une  incomparable  sagesse,  illuminez  mon 
esprit,  remplissez-moi  d'une  science  et  d'une 
sagesse  divine  !  O  Esprit  très  bon,  communiquez- 
moi  une  sainteté  céleste  et  que  la  flamme  de  votre 
ardente  charité  me  purifie  de  mes  souillures  et 
allume  votre  amour  dans  mon  cœur. 


III 


Les  Personnes  divines  peuvent  être  adorées, 
aimées  et  servies  séparément.  En  effet,  rien  ne 
s'oppose  à  ce  qu'on  les  honore  séparément  (i),  le 
Père  à  cause  de  sa  puissance,  le  Fils  à  cause  de 
sa  sagesse  et  le  Saint-Esprit  à  cause  de  sa  bonté, 
quoique  ces  trois  perfections  leur  conviennent 
sans  différence  ;  dès  lors  elles  pourront  être 
adorées  et  servies  séparément,  tantôt  le  Père 
seul,  tantôt  le  Fils  seul,  tantôt  le  Saint-Esprit 
seul,  bien  qu'elles  méritent  toutes  les  trois  un 
culte  égal  et  les  mêmes  hommages. 

Xi  Scot.  in.  t.  Stnt.  dist,  3.  q.  i. 


DE   LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  3o5 

Aussi  dans  le  cours  des  siècles  ont-elles  été  ado- 
rées séparément.  Le  Père  a  été  le  premier  connu 
comrrie  Personne  non  produite  et  sans  principe, 
et  c'est  à  lui  que  s'adressèrent  plus  directement 
les  adorations  et  les  hommages  des  hommes. 
Après  le  Père,  le  Fils  fut  adoré  et  servi  ;  il  ne  fut 
connu  comme  Personne  distincte  du  Père,  que 
lorsqu'il  se  fit  homme  et  qu'il  prouva  au  monde 
sa  divinité  par  ses  paroles  et  par  ses  œuvres.  Son 
premier  soin  fut  de  parler  aux  hommes  de  la 
Personne  de  son  Père  et  de  leur  en  donner  une 
connaissance  plus  parfaite  que  celle  qu'ils  en 
avaient  eue  jusqu'à  ce  jour  ;  plus  tard,  il  leur 
parla  de  lui-même  et  de  sa  propre  Personne. 
Quand  ils  eurent  acquis  une  connaissance  suffi- 
sante du  Père  et  du  Fils,  alors  le  Saint-Esprit  se 
manifesta  peu  à  peu  :  il  s'insinua  dans  l'esprit 
des  hommes  et  dans  leur  cœur.  Les  trois  Per- 
sonnes divines  voyant  que  l'homme  était  trop 
faible  et  trop  misérable  pour  les  connaître  toutes 
à  la  fois,  ont  agi  comme  toujours  avec  suavité,  et 
par  condescendance  pour  nous,  ne  se  sont  fait 
connaître  que  l'une  après  l'autre  ;  de  la  sorte  elles 
se  sont  fait  adorer  et  servir  séparément.  Il  est 
donc  permis  aujourd'hui  comme  jadis,  de  contem- 
pler et  d'aimer  tantôt  Tune  des  Personnes  divi- 
nes, tantôt  l'autre.  Aussi  le  Symbole  des  Apôtres 
nous  apprend  à  faire  des  actes  de  foi  sur  chaque 
Personne  séparément  et  nous  propose  des  actes  de 
foi  distincts  sur  chacune  d'elles.  L'Eglise  à  son  tour, 
ne  se  contente  pas  d'honorer  en  commun  les  trois 
Personnes  divines,  mais  elle  a  pour  les  prier,  des 
oraisons  particulières  et  souvent  même  elle  leur 

Bail,  t.  i.  gi^ 


,So6  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

rend  des  honneurs  et  un  culte  distincts.  La  plupart 
de  ses  oraisons  s'adressent  à  la  Personne  du  Père, 
dont  elle  invoque  la  toute-puissance  ;  quelquefois 
elle  a  recours  au  Fils  considéré  comme  Rédemp- 
teur du  monde  et  elle  met  sa  confiance  en  lui  à 
cause  de  ses  mérites  infinis.  Le  magnifique  temple 
de  sainte  Sophie  à  Constantinople,  était  dédié  à 
la  Sagesse  du  Verbe  éternel  :  on  y  voyait  une 
statue  représentant  Salomon  dans  l'attitude  d'un 
homme  frappé  de  stupeur  à  la  vue  de  cette  mer- 
veille d'architecture  à  laquelle  le  fameux  temple 
qu'il  bâtit  lui-même,  n'était  pas  comparable. 
L'Eglise  enfin  célèbre  des  fêtes  en  l'honneur  du 
Saint-Esprit,  lui  consacre  des  temples  et  animée 
d'une  ardente  dévotion  pour  lui,  met  dans  ses 
invocations  la  plus  affectueuse  tendresse. 

Dieu  lui-même  autorise  cette  distinction  dans  le 
culte  qui  lui  est  rendu,  quand  il  inspire  aux  âmes 
adonnées  à  l'oraison,  des  sentiments  particuliers 
de  la  présence  tantôt  du  Père,  tantôt  du  Fils  et 
tantôt  du  Saint-Esprit  seulement  ;  il  produit  par 
cet  attrait  des  actes  d'amour  et  de  respect  diffé- 
rents, ainsi  que  des  communications  et  des  ftinii- 
liarités  intérieures  à  l'égard  de  chaque  Personne, 
bien  que  les  trois  ne  soient  ensemble  qu'un  seul 
Dieu. 

De  plus  comme  l'Etre  divin  peut  être  honoré 
dans  l'un  de  ses  attributs,  en  faisant  abstraction 
des  autres  ;  il  peut  aussi  être  honoré  dans  une 
seule  Personne  :  l'esprit  fait  dans  ce  cas  abstrac- 
tion des  autres  et  ne  dirige  ses  hommages  que 
vers  une  seule  des  Personnes  divines.  Ceci  est 
d'autant  plus  facile  à  pratiquer,   que   la  distinc- 


DE    LA    TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  B07 

tion  est  plus  grande  entre  les  Personnes  qu'entre 
les  attributs  (i). 

Nous  pouvons  le  démontrer  encore  par  ce  rai- 
sonnement :  la  distinction  est  plus  profonde  entre 
deux  Personnes  qu'elle  ne  l'est  entre  l'Essence  et 
l'une  des  Personnes  :  car  il  y  a  entre  les  Person- 
nes opposition  de  relation,  qui  ne  se  trouve  pas 
entre  l'Essence  et  les  Personnes.  Or,  rien  ne 
s'oppose  à  ce  que  quelqu'un  considère  actuelle- 
ment l'Essence  sans  penser  à  la  Personne,  comme 
font  fréquemment  les  philosophes,  et  dans  l'Es- 
sence divine  considérée  indépendamment  de  la 
Personne,  il  trouvera  sa  tin  suprême  avec  toutes 
sortes  de  biens,  ce  qui  est  un  motif  suffisant  pour 
la  révérer  toute  seule.  Il  faut  donc  conclure  qu'on 
pourra  à  plus  forte  raison  honorer  une  Personne 
divine,  abstraction  faite  des  deux  autres. 

J'apprendrai  par  là  à  servir  les  trois  Personnes 
divines,  non  seulement  en  commun,  mais  même 
en  particulier  :  ma  dévotion  pourra  se  diriger 
tantôt  vers  le  Père,  tantôt  vers  le  Fils,  tantôt  vers 
la  Personne  très  suave  du  Saint-Esprit.  Mais, 
ô  mon  âme,  à  laquelle  des  trois  Personnes  infini- 
ment bonnes,  grandes  et  aimables,  t'adresseras-tu 
la  première  ?  Le  Père  m'attire  vers  lui  par  sa 
toute-puissance,  dont  ma  faiblesse  implore  le 
secours;  le  Fils  m'invite  par  sa  sagesse  et  par  sa 
bonté  infinie  ;  le  Saint-Esprit  me  convie  à  le  prier 
par  sa  douceur  inénarrable  qui  surpasse  toutes  les 
douceurs  du  monde.  Ah  !  mon  Dieu,  en  face 
de  tous  ces  attraits,  je  ne  sais  quel  parti  prendre, 
si  ce  n'est  de  me  quitter  moi-même  pour  être  tout 

I.  Seat,  in  a.  Sent.  dût.  4%,  9,  i. 


3o8  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

à  VOUS,  et  de  m'abandonner  entièrement  à  votre 
volonté.  Dirigez-moi,  Seigneur,  et  je  suivrai  votre 
appel.  O  Père  éternel  !  que  votre  puissance  me 
dirige,  qu'elle  me  préserve  de  tout  danger  !  O 
Fils  du  Très-Haut,  que  votre  sagesse  me  rem- 
plisse et  se  répande  au  plus  intime  de  moi-même, 
pour  m'éclairer  et  m'instruire  pleinement  de  ce 
qui  concerne  mon  salut  !  O  Esprit  consolateur, 
que  votre  bonté  se  repose  sur  moi  et  que  votre 
amour  me  comble  de  biens  !  O  Père  éternel  ! 
je  vous  offre  votre  Fils  Jésus-Christ,  mon  Rédemp- 
teur, afin  qu'il  supplée  par  l'abondance  de  ses  mé- 
rites et  de  ses  satisfactions  au  peu  de  valeur  des 
miennes.  Verbe  incarné  !  Je  vous  offre  mon  âme 
et  je  veux  vous  appartenir  à  un  titre  spécial.  O 
Esprit  saint  !  lien  sacré  d'amour  entre  le  Père  et  le 
Fils,  je  vous  fais  don  de  mon  cœur  en  l'appliquant 
et  le  consacrant  entièrement  à  votre  amour. 


DE   LA   TRÈS   SAINTE   TRINITÉ  BoQ 


Vir  MÉDITATION 

DE  LA  PERSONNE  DU  PÈRE 

ET    DES    TROIS    PROPRIÉTÉS 

qui  LUI  SONT  PARTICULIÈRES 

SOMMAIRE 

Les  trois  propriétés  qui  conviennent  au  Père 
sont  V innascihilité  —  la  paternité  —  et  celle 
d'être  d'une  façon  plus  particulière  le  prin- 
cipe et  la  fin  de  toutes  choses. 

I 

CONSIDÉREZ  l'innascibilité  du  Père  :  ce  mot 
signifie  que  le  Père  n'a  pas  de  principe, 
qu'il  n'est  pas  produit  et  qu'il  n'émane  d'aucune 
autre  Personne.  C'est  là  une  excellence  qui  ne 
convient  qu'à  Lui  exclusivement.  En  effet  toutes 
les  créatures  sont  produites  par  les  trois  Personnes 
de  la  Sainte-Trinité,  et  de  plus,  plusieurs  d'entre 
elles  sont  les  causes  efficientes  des  autres.  D'autre 
part,  le  Saint-Esprit  est  produit  par  le  Père  et  le 
Fils  ;  le  Fils  est  produit  par  le  Père  :  mais  le  Père 
n'est  produit  par  personne,  ni  par  lui-même,  ni 
par  tout  autre  :  il  est  innascible. 

Cette  innascihilité  lui  convient  selon  la  totalité 
de  sa  Personne,  dans  laquelle  nous  distinguons 
deux  choses,  qui  en  réalité  n'en  font  qu'une  : 
l'Essence  infinie  avec  tous  ses  attributs,  puis  la 


^lô  La  théologie  affective 

connaissance  infinie  de  toutes  choses,  en  tant 
qu'elle  est  active,  laquelle  constitue  sa  propriété 
et  sa  subsistance.  Or  ces  deux  choses  ne  sont  le  pro- 
duit d'aucun  principe  dans  le  Père  :  car  l'Essence 
et  la  connaissance  active  sont  en  lui  sans  lui  avoir 
été  communiquées  par  personne  :  tandis  que  dans 
le  Fils  et  dans  le  Saint-Esprit,  l'Essence  est  par 
communication,  et  la  relation  comme  la  subsistance 
propre  à  chacun  d'eux  n'y  est  que  par  production. 
Donc  le  Père  est  innascible  en  tout  ce  qu'il  est  et 
en  tout  ce  qu'il  tient. 

Il  résulte  de  là  que  la  Personne  du  Père  est 
infinie  en  tout  genre  de  grandeur  et  de  perfection  : 
son  innascibilité  est  la  raison  suffisante  de  son 
infinité.  Pourquoi  Dieu  en  effet  est-il  infini?  parce 
qu'il  n'a  point  de  principe  ni  de  cause  supérieure 
qui  ait  pu  limiter  ses  perfections.  L'infinité  à  son 
tour  est  la  raison  de  toutes  les  grandeurs  et  de 
toutes  les  merveilles  qui  se  rencontrent  en  lui  : 
Dieu  n'est  grand  en  tout  que  parce  qu'il  est  infini. 
Donc  puisque  l'innascibilité  est  en  Dieu  le  Père 
la  source  de  son  infinité,  elle  est  aussi  la  source 
de  toutes  ses  grandeurs. 

L'innascibilité  a  été  aussi  la  cause  que  le  Père 
a  été  adoré  et  servi  par  les  créatures  longtemps 
avant  que  le  monde  connut  le  Fils  et  le  Saint- 
Esprit.  La  Personne  divine  que  les  grands  philo- 
sophes de  l'humanité  sont  arrivés  à  connaître  par 
la  seule  force  de  leur  raison,  et  vers'  laquelle  ils 
ont  dirigé  leurs  adorations,  étant  bien  une  per- 
sonne innascible  et  sans  principe,  comme  le  prouve 
le  raisonnement  par  lequel  ils  étaient  parvenus  à 
cette  connaissance.  Ils  avaient  dit  :  tous  les  êtres 


DE    LA    TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  3ll 

qui  existent  dans  ce  monde  ont  reçu  le  mouve- 
ment d'un  autre  être  que  nous  appelons  premier 
moteur,  parce  qu'il  n'a  reçu  le  mouvement  de 
personne  et  que  toutes  les  choses  créées  l'ont  reçu 
de  lui.  En  effet  dans  la  hiérarchie  des  causes  qui 
se  transmettent  le  mouvement,  nous  ne  pouvons 
pas  remonter  à  l'infini  :  car  cela  équivaudrait  à 
supprimer  la  cause  ;  or  si  la  cause  était  supprimée, 
l'effet  le  serait  fatalement  et  rien  dès  lors  n'existe- 
rait dans  le  monde.  C'est  ainsi  que  nous  ne  voyons 
jamais  la  fin  d'une  affaire,  quand  elle  doit  passer 
par  un  très  grand  nombre  de  personnes.  Pour 
éviter  cette  conclusion  absurde,  ils  ont  du  admet- 
tre un  Dieu  qui  fut  sans  principe  :  c'est  à  ce  Dieu 
qu'ils  ont  adressé  leurs  adorations,  qu'ils  ont  offert 
des  sacrifices  et  des  prières.  Or  ce  Dieu  sans  prin- 
cipe n'est  ni  le  Fils  ni  le  Saint-Esprit  ;  c'est  la 
personne  du  Père. 

O  Père  infini  !  je  vous  adore  à  cause  de  votre 
innascibilité;  c'est  le  premier  titre  de  votre  gloire, 
celui  que  vous  n'avez  communiqué  à  personne, 
c'est  la  première  source  de  vos  grandeurs  sans 
bornes.  Je  me  plais  à  penser  que  ceux  qui  ne  vous 
ont  pas  connu  expressément  par  suite  du  défaut 
des  lumières  de  la  foi,  vous  ont  cependant  adressé 
virtuellement  leurs  prières  et  l'offrande  de  leur 
cœur,  parce  qu'ils  vous  connaissaient  comme 
étant  l'innascible  et  l'Etre  sans  principe.  Faites,  ù 
Père  très-saint,  que  nous  qui  avons  d'autres  lu- 
mières et  une  connaissance  plus  haute  et  plus  cer- 
taine de  votre  souveraine  grandeur,  nous  vous 
honorions  par  des  hommages  plus  parfaits  et  des 
adorations  plus  profondes. 


3l2  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

II 

Considérez  la  paternité  de  Dieu  le  Père  ;  c'est 
une  seconde  excellence  qui  lui  est  absolument 
propre  et  qui  ne  convient  à  personne  qu'à  lui.  La 
première  Personne  est  le  Père  de  la  seconde  Per- 
sonne qui  est  le  Fils  et  ce  nom  de  Père  lui  convient 
d'une  manière  plus  excellente  qu'à  tous  ceux  qui 
le  portent  parmi  nous  :  car  lui  n'est  pas  Père  dans 
le  sens  charnel. 

D'abord  il  est  Père  seul,  et  non  pas  avec  le 
concours  d'une  mère.  Il  est  le  Père  d'un  seul,  car 
son  fils  est  unique.  Il  n'est  que  Père,  car  avant 
d'être  Père  il  n'a  pas  été  Fils.  Il  est  Père  de  tout 
le  Fils  et  non  pas  d'une  partie  seulement.  Il  est 
Père  dès  le  commencement,  car  il  n'y  eût  jamais 
un  temps  où  il  ne  le  fut  pas.  Cette  paternité  est 
donc  unique  et  admirable. 

Considérez  de  plus  que  cette  paternité  à  l'égard 
de  son  Fils  est  tellement  la  chose  propre  du  Père 
éternel,  que  lorsqu'il  envoya  son  Fils  au  monde, 
il  ne  voulût  pas  qu'il  eût  un  père  dans  sa  concep- 
tion temporelle,  mais  seulement  une  mère,  afin 
de  se  réserver  à  lui  seul  l'honneur  d'être  reconnu 
de  tous  comme  l'unique  Père  du  Fils.  En  effet  le 
titre  de  Père  d'un  tel  Fils  lui  est  infiniment  plus 
glorieux  que  le  titre  de  créateur,  de  conservateur 
du  monde  et  que  tous  les  autres  titres  qui  lui  con- 
viennent à  cause  de  ses  rapports  avec  les  créatu- 
res. Autant  son  Fis  tout  seul  surpasse  en  noblesse 
et  en  excellence  infinie  toutes  les  créatures  de  ce 
monde,  autant  l'honneur  d'une  telle  paternité 
l'emporte  sur  tous  les  titres  qu'il  possède  à  l'égard 
des  créatures.  Il  est  infiniment  plus  glorieux  pour 


DE    LA    TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  3l3 

Dieu  d'avoir  produit  son  Fils  de  son  Essence,  qu'il 
ne  le  serait  d'avoir  créé  des  millions  et  des  mil- 
lions de  mondes.  Jamais  tous  ces  mondes  ne  l'ai- 
meraient autant  qu'il  est  aimable  et  cette  Personne 
très-sainte  serait  éternellement  privée  de  l'amour 
qui  lui  est  du,  sans  cette  paternité  qui  en  lui  don- 
nant un  Fils  dont  la  grandeur  est  infinie,  lui  donne 
en  même  temps  une  Personne  qui  l'aime  autant 
qu'il  est  aimable,  c'est-à  dire  infiniment. 

Si  sans  cette  paternité,  le  Père  serait  privé 
d'un  amour  infini,  le  monde  à  son  tour  aurait 
perdu  un  Rédempteur  infini,  cause  de  tous  ses 
biens,  car  c'est  à  cette  paternité  que  le  monde  est 
redevable  de  tous  les  trésors  qu'il  possède  en 
Jésus-Christ.  Et  comme  cette  paternité  fait  la  joie 
du  Père,  à  qui  elle  donne  un  Fils  égal  à  lui  en 
grandeur,  elle  cause  aussi  la  joie  du  monde  qui 
lui  doit  un  Sauveur. 

«  Je  fléchis  le  genou  devant  le  Père  de  Notre 
«  Seigneur  Jésus-Christ,  de  qui  dérive  toute 
«  paternité  au  ciel  et  sur  la  terre.  »  (Eph.  3.)  O 
sublime  paternité,  je  vous  reconnais  pour  la  source 
de  toutes  les  joies  du  monde  !  Quand  donc,  Père 
très  saint,  prendra  fin  l'oubli,  l'ingratitude  et  l'in- 
différence du  monde  à  votre  égard  ?  N'est-ce  pas 
un  sentiment  naturel  qui  nous  porte  à  honorer  et 
à  aimer  le  père  d'un  fils  dont  on  a  reçu  de  grands 
biens  ?  C'était  bien  là  le  motif  pour  lequel  Pharaon 
honorait  le  père  de  Joseph,  sauveur  de  l'Egypte. 
Dès  lors  quel  respect  et  quel  amour  ne  devons- 
nous  pas  vous  témoigner  ?  Si  les  astres  du  matiny 
c'est-à-dire  les  anges,  vous  louaient  et  étaient 
transportés  de  joie  en  vous,  quand  vous  produisiez 


3l4  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

ce  monde,  à  plus  forte  raison  devons-nous  vous 
glorifier  de  ce  que  vous  produisez  votre  Fils  ?  «  O 
«  béni  soit  Dieu,  béni  soit  le  Père  de  Notre 
«  Seigneur  Jésus-Christ  et  le  Père  des  miséri- 
«  cordes  et  le  Dieu  de  toute  consolation.  » 
(II,  Cor.  I.) 

III 

Enfin  il  appartient  à  Dieu  le  Père  d'être  d'une 
façon  toute  particulière  le  principe  et  la  fin  de 
toutes  choses.  Il  est  d'abord  le  principe  de  deux 
Personnes  divines,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit  ;  de 
plus  il  est  le  principe  de  toutes  les  créatures.  Nul 
n'est  principe  avec  une  telle  étendue  et  d'une  ma- 
nière si  absolue  :  car  le  Saint-Esprit  n'est  principe 
qu'à  l'égard  des  créatures  ;  le  Fils  n'est  principe 
que  du  Saint-Esprit  et  des  créatures.  Le  Père  est 
plus  que  tout  cela  :  parce  qu'il  est  aussi  le  principe 
du  Fils  qui  est  la  première  Personne  produite, 
pour  ce  motif  le  divin  saint  Denys  (i)  appelle  le 
Père  le  principe  de  la  divinité  ;  non  pas  qu'il  la 
produise,  mais  parce  qu'il  la  communique  au  Fils 
et  au  Saint-Esprit. 

De  même  que  le  Père  est  le  premier  principe 
d'où  proviennent  tous  les  êtres  créés,  il  est  aussi 
la  fin  dernière  à  laquelle  ils  tendent  et  où  ils  trou- 
vent leur  suprême  repos.  Le  Fils  et  le  Saint-Esprit 
sont  bien  à  eux-mêmes  leur  fin  dernière  et  l'objet 
de  leur  béatitude  :  mais  le  Père  l'est  d'une  manière 
différente,  car  en  lui  seul  prend  fin  le  mouvement 
ascensionnel  de  toute  créature  intelligente  qui  tend 
elle-même  à  sa  fin  et  ne  s'arrête  pas  qu'elle  ne  l'ait 

l.  De  cal,  hier.  c.  i. 


DE   LA  TRÈS   SAINTE   TRINITÉ  3lS 

enfin  trouvée.  Si  en  effet  la  créature  intelligente 
pouvait  parvenir  jusqu'au  Saint-Esprit  et  jusqu'au 
Fils,  sans  atteindre  jusqu'au  Père,  elle  ne  serait 
pas  satisfaite,  parce  qu'elle  saurait  que  le  Fils  et 
le  Saint-Esprit  doivent  avoir  un  principe  et  une 
origine,  et  son  mouvement  ascensionnel  ne  serait 
pas  terminé.  De  même  que  l'eau  monte  toujours 
jusqu'à  la  hauteur  de  sa  source,  ainsi  elle  aspire- 
rait à  monter  jusqu'au  Père,  qui,  selon  l'expres- 
sion de  saint  Denys,  ramasse  et  recueillie  tout  dans 
son  sein,  car  c'est  à  lui,  de  qui  toutes  choses  pro- 
cèdent, qu'elles  retournent.  Cette  créature  expri- 
merait le  même  souhait  que  saint  Philippe  : 
«  Montrez-nous  le  Père  et  cela  nous  suffit  » 
(Jean,  14)  ;  elle  dirait,  comme  ce  grand  serviteur  de 
Dieu,  à  qui  Dieu  le  Père  apparut  et  promit  de  lui 
donner  son  Fils  :  Non,  Père  céleste,  je  désire  être 
dans  votre  Essence  même. 

Donc,  ô  Père  très  admirable,  puisque  nous 
tirons  notre  origine  de  vous,  faites  que  nous  arri- 
vions jusqu'à  vous,  et  puisque  vous  êtes  notre 
principe,  soyez  aussi  notre  fin.  O  mon  très  heu- 
reux principe  !  réunissez-moi  à  vous  ;  que  je  n'aie 
que  du  dégoût  pour  tout  ce  qui  est  créé,  jusqu'au 
jour  où  je  serai  reçu  dans  le  sein  de  votre  glorieuse 
Essence.  Il  est  dit,  hélas  !  «  qu'un  homme  vivant 
«  ne  vous  verra  pas  ».  (Ex.  33.)  Mourons  donc  à 
tout  ce  qui  est  de  ce  monde  et  entrons  dans  la 
nue  ;  imposons  silence  à  toutes  nos  préoccupations 
et  à  toutes  nos  sollicitudes  ;  passons  avec  Jésus 
crucifié  de  ce  monde  à  son  Père,  afin  que  nous 
disions  avec  saint  Philippe  :  «  Il  nous  suffit  »  (1). 

I.  D.  Bonav.  Itiner,  c.  7. 


3l6  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


Vlir  MÉDITATION 

DU  RESPECT,  DE  LA  CONFIANCE 

ET  DE  L'AMOUR  DE  JÉSUS-CHRIST 

A  L'ÉGARD  DE  DIEU  LE  PÈRE 


SOMMAIRE 

Jésus-Christ  a,  par  son  respect  honoré,  son  Père 
plus  que  toutes  les  créatures  ensemble  —  il 
lui  a  témoigné  la  plus  grande  confiance  depuis 
le  premier  instant  de  sa  conception  Jusqu'à 
son  dernier  soupir  —  il  lui  a  témoigné  un 
amour  indicible. 

I 

Jésus-Christ  a  honoré  Dieu  le  Père  en  lui 
témoignant  un  profond  respect  :  comme 
homme,  il  nous  a  donné  l'exemple  de  l'honorer, 
car  lui  seul  l'a  honoré  plus  que  toutes  les  créa- 
tures ensemble.  Il  disait  à  ce  sujet  :  «  J'honore 
«  mon  Père.  »  (Jean,  8.) 

Il  l'honore  premièrement  parce  qu'il  ne  parle 
jamais  de  lui  sans  lui  décerner  des  éloges  et  des 
titres  glorieux  :  tantôt  il  l'appelle  saint  :  «  Père 
«  saint,  garde^  en  votre  nom  ceux  que  vous 
«  m'ave:^  donnés.  »  (Jean,  17);  tantôt  il  l'appelle 
juste  :  «  Père  juste,  le  monde  ne  vous  a  point 
«  connu  et  moi  je  vous  ai  connu.  »  (Jean,  17); 
tantôt  il  l'appelle  le  souverain  Seigneur  :  «  Je  vous 


DE   LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  Siy 

«  loue  y  o  Père,  Seigneur  du  ciel  et  de  la  terre.  » 
(Matt.  II.)  Il  dit  aussi  ailleurs  pour  exalter  sa 
puissance  :  «  Abba.,  Père^  toutes  choses  vous  sont 
«  possibles.  »  (Marc.  14.) 

Jésus-Christ  honore  encore  son  Père,  parce 
qu'il  le  prie  avec  la  plus  grande  humilité.  Il  ne  se 
contente  pas  de  fléchir  le  genou  devant  lui,  mais 
mu  par  un  sentiment  de  profond  respect,  dans 
son  agonie  au  jardin  des  Oliviers,  il  se  prosterne 
la  face  contre  terre,  et  sur  la  croix,  saint  Paul 
affirme  qu'il  supplia  son  Père  avec  larmes.,  par 
conséquent  de  la  manière  la  plus  humble  :  «  Aux 
«  jours  de  sa  vie  mortelle,  il  offrit  à  celui  qui 
«  pouvait  le  sauver  de  la  mort  des  prières  et 
«  des  supplications  avec  de  grands  cris  et  des 
«  larmes  et  il  fut  exaucé  à  cause  de  son  res- 
«  pect.  »  (Héb.  5.),  c'est-à-dire  à  cause  du  respect 
dont  témoignait  sa  prière. 

Troisièmement,  il  honore  son  Père,  parce  qu'il 
cherche  en  toute  chose  sa  plus  grande  gloire, 
parce  qu'il  la  prend  pour  but  de  toutes  ses  actions, 
lui  rapporte  tout  par  une  très  pure  intention  et 
s'oppose  courageusement  à  tout  ce  qui  l'outrage. 
C'est  pour  cela  qu'il  dit  :  «  /e  ne  cherche  point 
«  ma  gloire.,  »  qu'il  parle  si  souvent  de  la  gran- 
deur du  Père  et  de  son  immense  amour  qui  l'ont 
déterminée  donner  au  monde  son  Fils  unique.  En 
un  mot  la  vie,  les  actions  et  les  souffrances  de  Jésus- 
Christ,  n'ont  d'autre  but  que  de  propager  la  gloire 
de  son  Père  et  de  lui  procurer  des  adorateurs  en 
vérité.  C'est  pour  cette  gloire  qu'il  s'est  sacrifié 
sur  la  croix  et  que  durant  sa  vie,  lui  qui  avait 
toujours   été  plus  doux  qu'un  agneau,  se   laissa 


3l8  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

aller  à  une  sainte  colère,  et  semblable  à  un  lion, 
vengea  son  Père  des  irrévérences  que  les  mar- 
chands commettaient  dans  le  temple,  en  les  chas- 
sant honteusement  et  en  leur  reprochant  d'avoir 
fait  de  la  maison  de  son  Père  «  une  maison  de 
«  trafic  et  une  caverne  de  voleurs.  (Matt.  21  ; 
Jean  2.) 

Enfin  Jésus-Christ  manifeste  son  grand  zèle 
pour  la  gloire  de  son  Père  et  le  respect  très  pro- 
fond qu'il  lui  porte,  quand  il  attribue  à  son  Père 
toute  la  gloire  de  ce  qu'il  est  et  de  ce  qu'il  fait 
lui-même.  Il  ne  s'attribue  rien,  ne  parle  jamais 
de  lui-même  en  termes  avantageux,  afin  que  tout 
l'honneur  revienne  à  Dieu,  son  Père  :  «  fe  vis, 
«  dit-il,  à  cause  de  mon  Père.  Mon  Père  qui 
«  demeure  en  moi,  fait  les  œuvres  que  je  fais. 
«  Ma  doctrine  n'est  pas  à  moi.  »  Il  lui  rapporte 
même  sa  divinité  :  «  Ce  que  mon  Père  m^a  donné 
«  est  plus  grand  que  toutes  choses.  »  (Jean,  6, 
4,  10.)  Pour  toutes  ces  raisons,  saint  Paul  appelle 
Jésus-Christ  «  la  splendeur  de  la  gloire  de  son 
«  Père.  »  (Héb.  i)  ;  parce  qu'il  est  à  la  gloire  de 
son  Père,  ce  que  la  splendeur  est  au  soleil  ;  il  la 
dévoile,  la  rend  visible  aux  yeux  de  tous. 

Cet  exemple  fera  naître  en  moi  un  désir  ardent 
de  révérer  profondément  la  personne  du  Père.  O 
Jésus  qui  n'êtes  venu  au  monde  que  pour  nous 
instruire  par  votre  propre  conduite,  faites-nous 
part  de  ce  grand  respect  que  vous  aviez  à  l'égard 
de  votre  Père  céleste.  C'était  tout  votre  désir 
qu'il  fut  honoré  et  sans  doute  ce  désir  pcM'scvère 
encore  en  vous  dans  le  ciel.  Oh!  réalisez  votre  désir! 
nous  vous  offrons  nos  âmes  et  tout  ce  qui  nous 


DE    LA  TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  3ig 

appartient,  nous  nous  donnons  à  vous  ;  quoi  qu'il 
faille  faire  ou  souffrir,  nous  acceptons  tout,  pourvu 
que  nous  puissions  servir  de  quelque  manière  à 
la  gloire  de  votre  Père  et  travailler  avec  vous 
pour  l'honorer. 

II 

Considérez  encore  la  très  grande  confiance 
qu'avait  Jésus-Christ  au  Père  éternel.  Il  l'eût  dès 
le  premier  moment  de  sa  conception  et  il  la  con- 
serva constamment  et  inviolablement  jusqu'à  la 
mort.  Il  l'a  témoigné  en  naissant  par  ces  paroles  : 
«  C'est  vous  qui  m'ave^  appelé  du  sein  de  ma 
«  mère  :  vous  êtes  mon  espérance  depuis  le 
«  premier  jour  de  ma  vie.  »  (Ps.  21).  A  cause  de 
cette  confiance,  il  l'invoquait  souvent  et  avait 
recours  à  lui  en  toutes  circonstances  :  dans  ses 
prières  il  lui  disait  :  «  Mon  Père,  Vheure  est 
«  venue^  glorifiée^  votre  Fils,  afin  que  votre  Fils 
«  vous  glorifie.  Père  saint  !  garde^  en  votre 
«  nom  ceux  que  vous  m*ave^  dottnés,  afin  quils 
«  soient  un  comme  nous.  Sanctifiez-les  dans  la 
«  vérité.  Père,  je  désire  que  ceux  que  vous 
«  m^aves^  donnés  soient  avec  moi  où  je  serai, 
«  afin  qu'ils  fassent  ma  gloire.  Père,  pardon- 
na ne^-leur,  car  ils  ne  savent  ce  qu'ils  jont.  » 
(Jean  17.)  C'était  sa  coutume  —  ce  sont  les  Evan- 
gélistes  qui  en  font  la  remarque  —  de  lever  les 
yeux  au  ciel,  pour  déclarer  que  le  plus  grand 
secours  qu'il  attendait,  devait  venir  du  ciel  de  la 
part  de  son  Père.  Il  était  non  moins  exact  à  rendre 
grâces  à  Dieu,  toutes  les  fois  qu'il  accomplissait 
quelque  oeuvre,  parce  qu'il  les  considérait  toutes 


320  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

comme  autant  de  bienfaits  de  son  Père,  pour 
lesquels  il  lui  devait  de  la  reconnaissance.  Et  il 
y  avait  cela  de  particulier  dans  sa  manière  de 
faire,  qu'il  remerciait  son  Père  avant  que  Toeuvre 
ne  fut  accomplie,  parce  que  la  grande  confiance 
qu'il  avait  en  son  Père,  lui  inspirait  une  telle 
assurance  relativement  à  la  réalisation  de  l'œuvre 
projetée,  qu'elle  la  lui  faisait  tenir  pour  faite  avant 
même  qu'elle  ne  fut  commencée.  Il  agit  ainsi 
notamment  quand  il  fut  question  de  ressusciter 
Lazare  ;  «  Jésus  ayant  levé  les  yeux  en  haut, 
«  dit  :  Père,  je  vous  rends  grâces,  parce  que 
«  vous  m'aue^  exaucé.  »  (Jean  ii.)  Et  quand  il 
institua  le  sacrement  de  l'Eucharistie,  avant  de 
consacrer  le  pain,  il  remercia  son  Père  pour  ce 
sacrement  qui  devait  être  un  bien  si  précieux 
pour  l'Eglise.  Il  fit  paraître  enfin  cette  confiance 
au  jardin  des.  Oliviers  quand,  accablé  de  tristesse, 
écrasé  sous  l'horrible  poids  de  tous  les  péchés  des 
hommes,  dont  il  s'était  chargé,  dans  la  défaillance 
de  son  humanité,  il  recourut  à  son  Père  comme 
seul  capable  de  le  réconforter.  Sur  la  croix,  ses 
dernières  paroles  furent  aussi  pour  son  Père  : 
«  Père,  je  remets  en  toute  confiance  mon  âme 
«  entre  vos  mains  »  (Luc  23)  ;  il  lui  confiait  ainsi 
son  âme  et  tout  ce  qu'il  avait  de  plus  cher,  comme 
à  Celui  en  qui  il  avait  mis  toute  son  espérance. 
Ainsi  il  pouvait  dire  en  toute  vérité,  comme  Job  : 
«  quand  bien  même  il  me  tuerait,  j'espérerais 
«  en  lui.  »  (Job  i3.) 

Je  me  conformerai  à  ce  modèle,  et  dans  tout  ce 
qui  pourra  m'arriver,  je  fixerai  mon  espérance  là 
où  Jésus   place  la  sienne.  J'espérerai  en  la  toute- 


DE    LA  TRÈS   SAÏNTE  TRiNtTÉ  2>2t 

puissance  de  la  Personne  sacrée  du  Père  ;  j'impré- 
gnerai toutes  mes  amertumes  de  la  douce  con- 
fiance que  j'aurai  en  lui  jusqu'à  la  mort.  O  Père 
très-saint,  vous  avez  aidé  tous  ceux  qui  se  sont 
confiés  en  vous.  Ah  !  je  me  confie  entièrement  à 
vous  !  Vous  êtes  la  source  de  tout  bien,  mon  port 
et  mon  refuge  dans  toutes  mes  angoisses. 

III 

Considérez  enfin  le  grand  amour  de  Jésus- 
Christ  envers  la  Personne  du  Père.  Il  n'y  eut 
jamais  affection  comparable  à  celle  qu'éprouva 
son  âme  sacrée,  quand,  dès  le  premier  instant  de 
sa  création,  elle  dirigea  sa  pensée  vers  la  Per- 
sonne du  Père  qui  était  la  source  de  sa  substance 
et  qui  par  là  était  devenue  aussi  la  source  de  toute 
sa  grandeur  et  de  toute  sa  félicité  :  dès  lors  il 
souhaita  avec  ardeur  qu'une  occasion  lui  fût 
offerte  de  lui  exprimer  toute  sa  reconnaissance. 
Cette  ardeur  fut  si  grande  que  toute  l'éloquence 
des  Séraphins  et  des  Chérubins  ne  suffirait  pas  à 
l'exprimer. 

Cet  indicible  amour,  c'est  Jésus-Christ  lui- 
même  qui  nous  le  fait  connaître  dans  TEvangile. 
D'abord,  quand  il  parle  à  son  Père,  il  le  fait  en  ter- 
mes affectueux  et  pleins  de  toute  la  tendresse  que 
peut  avoir  un  fils  pour  son  père.  Il  l'appelle 
«  Abba,  Père  »  ;  deux  fois  de  suite  il  dit  :  «  mon 
Père  »,  voulant  indiquer  par  la  répétition  de  ce 
nom  Dien-aimé  un  redoublement  d'affection.  Lors- 
qu'à 1  âge  de  12  ans,  il  fut  trouvé  au  milieu  des 
docteu-s  par  la  Sainte  Vierge,  attristée  et  affligée 
par  son  absence,  il  lui  répondit,  pour  lui  prouver 

Bail,  x  i.  aï 


322  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

qu'il  n'obéissait  qu'à  l'amour  de  son  Père  et  qu'il 
le  préférait  à  tout  :  «  Pourquoi  me  cherchie:^- 
«  vous  ?  Ne  savie^-vous  pas  qu'il  Jaut  que  je 
«  m'occupe  de  tout  ce  qui  concerne  mon  Père  ? 
(Luc  2.) 

Mais  où  il  fait  paraître  cet  amour  d'une  manière 
plus  éclatante,  c'est  quand  il  obéit  à  son  Père 
jusqu'à  la  mort.  Il  s'achemine  vers  le  Calvaire  en 
disant  :  «  Afin  que  le  m.onde  connaisse  que  f^ime 
«  mon  Père,  et  que  je  fais  ce  qu'il  m'' a  com- 
«  m.andé,  allons,  leveTj^-vous  et  partons.  >  (Jean 
14.)  C'est  par  amour  pour  son  Père  qu'il  va  à  la 
croix  :  dans  son  sacrifice  sanglant  cet  amour  est  le 
feu  qui  le  consume.  Il  s'y  mêle  bien  aussi  l'amour 
des  hommes,  mais  cet  amour  n'est  qu'une  étin- 
celle qui  jaillit  d'un  immense  brasier,  afin  qu'en 
considérant  combien  était  grand  cet  amour  des 
hommes,  qui  n'est  comparativement  qu'une  étin- 
celle, nous  puissions  juger  par  là  que  l'amour 
pour  le  Père  d'oij  avait  jailli  cette  étincelle,  a  dû 
être  prodigieux  et  sans  mesure. 

En  dernier  lieu,  il  nous  révèle  cet  amour  quand 
il  souhaite  si  ardemment  de  retourner  dans  le 
sein  de  son  Père  :  «  Glorifie^^-moi,  Père,  en 
vous-même.  »  (Jean,  17.)  Son  amour  ne  connaît 
pas  de  repos  jusqu'à  ce  qu'il  soit  rentré  dans  le 
sein  de  son  Père  et  qu'il  soit  parvenu  jusqu'à 
«  Vancien  des  jours.  »  (Dan.  7.)  En  mourant,  il 
remet  son  esprit  à  son  Père.  Saint  Paul  a  donc  eu 
raison  de  l'appeler  pour  tous  ces  motifs  «  b  Fils 
«  de  Vamour.  »  (Col.  i.) 

O  Jésus,  béni  soit  votre  cœur  épris  d'un-  aflec- 
tion  si  sainte  et  si  juste  !  Oh  !  plût  à  Dieu  qu'une 


DE    LA    TRES    SAINTE    TRINITE 


semblable  flamme  fut  allumée  dans  les  cœurs  de 
tous  les  hommes!  Oh!  quelle  horrible  injustice  de 
ne  pas  aimer  le  Père  de  tout  bien  !  O  Père  de  tout 
amour,  faites-moi  mourir  entièrement  au  monde 
par  la  grandeur  de  mon  amour  pour  vous!  «  O  Jeu 
«  qui  brûle\  toujours  sans  jamais  vous  éteindre^ 
venez,  enflammez-moi  !  «  O  lumière  qui  brille^ 
«  toujours  et  ne  subisse^  aucune  éclipse  »,  venez, 
éclairez-moi  !  «  O  amour  qui  bouillonne\  toujours 
«  sans  vous  attiédir  jamais  »,  venez,  embrasez- 
moi.  Donnez-moi,  o  excellent  Père,  donnez  à 
votre  enfant,  la  grâce  de  vous  aimer  de  toute  son 
énergie,  de  toutes  ses  forces  et  de  toutes  les  puis- 
sances intimes  de  son  cœur  :  c'est  là  le  seul  don 
que  vous  nous  faites,  celui  sans  lequel  tout  autre 
don  n'est  ni  bon,  ni  désirable.  Oh  !  ouvrez-nous. 
Père  très-saint,  la  porte  de  votre  cœur  !  Père  sou- 
verain, je  frappe  à  cette  porte  comme  un  pauvre 
mendiant.  Entendez  les  désirs  qui  sortent  du 
fond  de  mon  âme.  «  Tous  mes  désirs  vous  sont 
«  connus  et  mes  gémissements  ne  vous  sont 
«  pas  cachés.  »  (Ps.  37.)  Ecoutez,  ô  Dieu  de  mi- 
séricorde les  cris  de  votre  enfant  :  tendez-moi  la 
main  et  retirez  moi  de  la  profondeur  des  eaux,  de 
la  fange  et  des  immondices,  atin  que  je  voie  les 
richesses  de  votre  royaume  et  qu'admis  devant 
votre  face,  j'entonne  vos  louanges  dans  l'éternité 
et  aa-delà. 


324  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


IX^  MÉDITATION 

DE  LA  SECONDE  PERSONNE 
CONSIDÉRÉE  COMME  VERBE 


SOMMAIRE 

De  tous  les  noms  qrCon  donne  au  Fils,  c'est 
celui  de  Verbe  qui  lui  convient  le  mieux  — 
supériorité  du  Verbe  incréé  sur  le  verbe 
créé  des  anges  et  des  hommes  —  le  Verbe  est 
produit  par  la  connaissance  de  toutes  les 
choses  incréées  et  de  toutes  les  choses  créées. 

I 

Considérez  qu'entre  autres  noms  qui  sont 
donnés  à  la  seconde  Personne  de  la  Sainte- 
Trinité,  on  rappelle  aussi  le  Verbe. 

D'abord,  pour  indiquer  qu'elle  est  de  même  na- 
ture que  le  Père,  on  l'appelle  le  Fils  :  car  le  Père 
et  le  Fils  ont  toujours  la  même  nature.  Pour  décla- 
rer qu'elle  est  éternelle  comme  le  Père,  et  qu'elle 
existe  aussitôt  que  lui,  on  l'appelle  splendeur, 
car  la  splendeur  est  contemporaine  du  soleil  qui 
la  produit.  Pour  signifier  la  ressemblance  qu'elle 
a  avec  son  principe,  on  la  nomme  image  ;  car  le 
mot  image  indique  une  ressemblance  avec  le  prin- 
cipe de  son  existence. 

Enfin,  pour  faire  entendre  qu'il  n'y  a  nen  de 
matériel  ni   de    terrestre  dans  la  product-bn  du 


DE    LA    TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  SîB 

Fils  de  Dieu,  elle  est  appelée  le  Verte:  le  verbe 
en  effet  est  un  fruit  spirituel  produit  par  Tintelli- 
gence  angélique  ou  humaine,  qui  a  pour  effet  ou 
pour  terme  de  son  action  immanente,  la  pensée 
ou  le  verbe  intérieur. 

La  seconde  Personne  porte  tous  ces  noms  et 
d'autres  encore  que  les  saints  et  les  plus  grands 
savants  ont  cherchés  comme  à  l'envie,  pour  l'ho- 
norer davantage,  en  reconnaissance  de  l'Incarna- 
tion, par  laquelle  cette  adorable  Personne  a 
conquis  les  cœurs  de  tous  les  prédestinés.  Le 
Théologien  (i)  déroule  de  nombreuses  périodes 
pour  raconter  et  louer  ses  grandeurs,  il  s'écrie  : 

O  Verbe  de  Dieu  !  ô  lumière  !  ô  vie  !  ô  sagesse  ! 
ô  puissance  !  Je  me  délecte  à  vous  donner  tous  ces 
noms.  Néanmoins  le  plus  ancien,  le  plus  usité  et  le 
plus  propre  de  tous  ces  noms,  c'est  celui  de  Verbe. 
Quiconque  l'a  bien  compris  est  déjà  bien  avancé 
dans  la  connaissance  du  Fils.  Or  pour  bien  le  com- 
prendre, remarquez  que,  lorsque  l'esprit  de 
l'homme  ou  de  l'ange  conçoit  un  objet,  il  forme 
en  lui-même  une  image  de  cet  objet,  à  cette  image 
les  philosophes  donnent  le  nom  d'espèce  expresse 
ou  de  connaissance  formée,  mais  plus  communé- 
ment de  verbe  de  l'esprit.  Ce  verbe  n'est  pas  Tacte 
même  de  la  connaissance,  mais  le  terme  produit 
par  la  connaissance  actuelle.  C'est  quelque  chose 
de  semblable  qui  a  lieu  dans  la  personne  du  Père  : 
il  se  connaît  lui-même  parfaitement  et  il  produit 
par  cette  pafaite  connaissance  une  image  parfaite 
de  lui-même  :  cette  image  n'est  pas  sa  connais- 
sance, c'est-à-dire  l'acte  de  son  intelligence,  mais 

X.  Orat.  ^a. 


326  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

elle  est  le  terme  de  cette  connaissance,  et  à  cause 
de  cela  s'appelle  le  Verbe.  Et  puis,  parce  que  cj 
Verbe  est  en  Dieu  même,  comme  dit  saint  Jean, 
«  et  le  Verbe  était  en  Dieu  »  (Jean,  i),  ce  Verbe 
ne  saurait  être  distinct  de  l'Essence  de  Dieu,  qui 
n'admet  rien  d'étranger  à  elle-même.  Par  consé- 
quent, il  est  la  même  chose  que  l'Essence  divine  : 
il  est  Dieu  même,  ainsi  que  saint  Jean  le  conclut  : 
«  Et  le  Verbe  était  Dieu.  »  (Jean,  i.) 

O  Verbe  admirable  !  image  et  expression  vivante 
de  l'Essence  toujours  vivante  !  je  me  réjouis  de 
penser  que  votre  naissance  est  toute  pure  et  toute 
spirituelle,  et  qu'elle  n'a  rien  de  vil,  comme  les 
naissances  terrestres.  O  éternelle  image  des  per- 
fections éternelles,  à  vous  appartient  sans  conteste 
le  même  respect  et  le  même  honneur  qu'au  Père  : 
c'est  pourquoi  je  vous  adore  comme  la  très  belle 
expression  de  Dieu,  votre  Père,  avec  les  mêmes 
génuflexions,  les  mêmes  prosternations,  avec  la 
même  confiance  et  le  même  amour.  A  cause  de 
cette  excellence  qui  vous  convient  comme  Verbe 
et  qui  consiste  à  représenter  l'Essence  divine,  je 
vous  demande  de  faire  qu'autant  qu'une  chétive 
créature  en  est  capable,  je  retrace  en  ma  vie  les 
perfections  de  Dieu,  en  imitant  sa  sainteté. 


II 


Considérez  les  perfections  sublimes  du  Verbe 
divin,  qui  le  distinguent  du  verbe  créé  de  l'esprit 
angélique  ou  humain  et  l'élèvent  bien  au-dessus 
de  lui.  Saint  Athanase  (i),  le  grand  défenseur  du 

X.  Orat.  }.  Contr.  Art,  circa  médium. 


DE   LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  827 

mystère  de  la  Sainte-Trinité  et  des  grandeurs 
éternelles  du  Fils  de  Dieu,  nous  avertit  de  ne 
point  chercher  en  Dieu  un  verbe  tel  que  chez  les 
hommes,  car  Dieu  n'est  point  comme  l'homme,  et 
autant  Dieu  surpasse  l'homme,  autant  son  Verbe 
surpasse  aussi  leur  verbe. 

Premièrement,  le  verbe  de  l'homme  est  posté- 
rieur à  l'homme  :  l'homme  ne  forma  pas  de  verbe 
en  lui-même,  dès  le  premier  instant  de  sa  nais- 
sance, car  il  ne  connaissait  encore  rien.  Sans  doute 
l'ange,  dès  sa  création,  fut  plein  de  sagesse  et  de 
science,  mais  ses  lumières  et  sa  science  s'accrurent 
avec  le  temps,  et  de  jour  en  jour  se  forment  en  lui 
de  nouveaux  verbes,  tous  postérieurs  à  sa  créa- 
tion. Le  Verbe  de  Dieu  au  contraire  est  coéternel 
à  Dieu  le  Père,  qui  a  toujours  eu  en  acte  l'intel- 
ligence, par  laquelle  il  produit  éternellement  son 
Verbe,  de  telle  sorte  que  le  Père  n'est  pas  anté- 
rieur et  n'a  sur  lui  aucun  droit  d'ancienneté. 
«  Au  commencement  était  le  Verbe.  »  (Jean,  i.) 
Quand  le  monde  commença,  déjà  le  Verbe  était  et 
il  était  de  toute  éternité. 

Secondement,  le  verbe  créé  des  anges  ou  des 
hommes  n'est  qu'un  accident  qui  appartient  à  la 
seconde  espèce  de  la  qualité,  espèce  la  plus  im- 
parfaite et  qu'on  nomme  la  disposition  ;  puis, 
comme  tous  les  accidents,  il  ne  subsiste  pas  par 
lui-même  et  n'est  pas  de  même  nature  que  la  subs- 
tance intellectuelle  qui  le  forme  et  qui  le  soutient. 
Mais  le  Verbe  divin  n'est  pas  un  accident,  car  les 
accidents  n'ont  point  de  place  en  Dieu  :  c'est  une 
substance  très  noble,  subsistant  par  elle-même  et 
de  même  nature   que  son  principe.    «  Et  le  Verbç 


328  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

«  était  Dieu.  »  Le  Dieu  que  nous  adorons  est  le 
Verbe  incréé. 

Troisièmement,  le  verbe  créé  n'est  pas  perpé- 
tuel :  l'esprit  de  l'ange  ou  de  l'homme  change,  il 
peut  passer  d'une  pensée  à  une  autre  et  ainsi  le 
verbe  qu'il  produit  s'évanouit  facilement  et  se 
dissipe.  Mais  le  Verbe  divin  persiste  immuable. 
«  Et  le  Verbe  était  en  Dieu.  »  (Jean,  i.)  Car 
le  Père  qui  a  l'intelligence  vivante  et  toujours  en 
acte,  produit  toujours  par  conséquent  son  Verbe,  à 
qui  il  dit  :  Tu  es  mon  Fils  et  je  fai  engendré 
aujourd'hui.  »  (Ps.  2.) 

Quatrièmement,  le  verbre  créé  est  dépourvu  de 
toute  puissance  :  les  anges  ni  les  hommes  ne  pro- 
duisent extérieurement  aucune  action  par  leurs 
pensées  ou  par  leurs  paroles  :  il  leur  faut,  en  plus 
de  l'intelligence,  une  puissance  qui  exécute  ce 
qu'elle  a  conçu,  il  leur  faut  des  bras  et  des  mains. 
Mais  le  Verbe  divin,  qui  est  de  même  nature  que 
le  Père,  est  tout-puissant  :  c'est  la  vertu  du  Très- 
Haut,  «  et  toutes  choses  ont  été  faites  par  lui.  » 
Il  en  est  le  créateur.  «  Et  rien  de  ce  qui  a  été  fait 
«  n'a  été  fait  sans  lui.  »  Il  en  est  le  conservateur: 
«  en  lui  était  la  vie.  »  La  vie  de  la  gloire  et  la 
vie  de  la  grâce  dépendaient  de  lui  :  il  devait,  en 
vertu  d'un  décret  divin,  s'incarner  et  devenir  notre 
Rédempteur. 

O  Verbe  incréé,  je  vous  félicite  pour  toutes  ces 
perfections.  Oh  !  c'est  pour  moi  une  grande  joie 
que  de  penser  que  vous  êtes  plus  noble  que  le 
verbe  qu'enfantent  tous  les  jours  les  pensées  hu- 
maines et  angéliques.  Oh  ?  gardez  toujours  cette 
glorieuse  suréminence,    O  Verbe  injcomparable, 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  829 

VOUS  êtes  éternel  et  vous  avez  été  toujours  Timage 
de  votre  Père  !  faites  que  moi  aussi  j'en  devienne 
l'image  et  que  je  ne  diffère  plus  d'imiter  ce  divin 
modèle.  Vous  êtes  une  substance  et  vous  subsis- 
tez en  représentant  parfaitement  votre  Père  :  don- 
nez-moi la  force  de  subsister  également  en  repré- 
sentant et  en  imitant  la  bonté,  la  patience,  la  mi- 
séricorde, la  charité  et  les  autres  perfections  de 
votre  Père  céleste,  à  qui  vous  nous  voulez  confor- 
mes. Puisque  vous  êtes  le  Verbe  éternel,  donnez- 
moi  la  grâce  de  persévérer  jusqu'à  la  mort  et  pen- 
dant toute  l'éternité  qui  la  suivra.  Enfin  puisque 
vous  êtes  le  Verbe  tout-puissant,  vivifiez  moi 
et  fortifiez  ma  faiblesse  afin  que  je  sois  en  état 
de  résister  à  tous  mes  ennemis. 


III 


Considérez  que  le  Verbe  est  produit  par  une 
connaissance  universelle  :  c'est  du  moins  la  doctrine 
de  saint  Thomas  (i),  de  saint  Bonaventure  (2)  et 
de  l'élite  des  théologiens,  d'après  lesquels  le  Verbe 
est  produit  par  les  connaissances  de  toutes  les 
choses  incréées,  et  de  toutes  les  choses  créées,  de 
tout  ce  qui  est  en  Dieu  et  de  tout  ce  qui  est  hors 
de  Dieu.  C'est  pourcette  raison  que  Dieu  n'a  qu'un 
seul  Verbe,  par  lequel  il  dit  et  exprime  toutes 
choses.  «  Dieu  a  parlé  une  fois  ;  »  (Ps.  61)  il  ne  se 
répète  pas.  En  effet  la  connaissance  par  laquelle 
Dieu  le  Père  produit  son  Verbe,  est  la  plus  entière 
et  la  plus  parfaite  de  toutes  les  connaissances  pos- 

I.  D.  Thom.  q.  ^4,  art.  j. 

3.  D.  Bopavent.  in  i,  Dtst,  aj.  p.  a.  art.  z,  quast,  a. 


33o  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

sibles  ;  ce  n'est  pas  par  la  simple  connaissance, 
mais  par  la  compréhension  de  son  Essence  qu'il  le 
produit.  Or  cette  compréhension  est  un  regard  de 
Dieu  jeté  sur  Dieu  et  sur  la  créature,  ainsi  que  sur 
tout  ce  qui  lui  appartient,  sur  toutes  ses  facultés, 
sur  toutes  ses  actions,  sur  tous  ses  états  et  sur 
toutes  les  conditions  de  son  existence.  Ainsi  la 
créature,  toute  misérable  qu'elle  est,  intervient 
dans  la  production  du  Verbe,  et  on  peut  dire  avec 
vérité,  que  ce  Verbe  ineffable  est  produit  par  la 
connaissance  qu'a  Dieu  le  Père,  des  créatures.  Tou- 
tefois, que  cette  connaissance  intervienne  soit  anté- 
rieurement et  comme  principe,  soit  seulement  par 
concomitance  et  d'une  manière  accessoire  ;  —  ce 
qui  est  une  question  très  controversée  parmi  les 
théologiens  —  il  est  certain  que  dans  aucun  cas, 
le  verbe  ne  dépend  des  créatures,  parce  qu'il  n'en 
reçoit  rien:  mais  entre  le  Verbe  et  les  créatures,  il 
existe  une  connexion,  qui  consiste  en  ce  que  les 
créatures  servent  aussi  d'objet  à  la  connaissance 
par  laquelle  le  Verbe  est  produit. 

O  surprenante  merveille  !  Ah  !  vrai  Dieu  ! 
«  vous  ave\  connu  bien  à  V avance  mes  pensées^ 
«  mes  voies  et  mes  sentiers.  »  (Ps.  i38.)  G'estde 
toute  éternité  et  dès  l'instant  où  vous  avez  produit 
votre  Fils  que  vous  avez  fixé  sur  moi  votre  regard 
divin  et  votre  pensée  infinie,  sur  moi,  vile  et  ram- 
pante créature.  Moi,  moi  aussi,  j'étais  l'objet  de 
votre  grande  pensée  et  de  la  compréhension  infinie 
par  laquelle  de  toute  éternité  vous  produisiez  votre 
Verbe  infini.  Que  n'ai-je  donc  plus  tôt,  Dieu  éternel, 
jeté  mes  regards  sur  vous,  et  appliqué  mon  âme 
à  vous  contempler?  Que  du  moins  j'y  emploie  ce 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  33l 

qui  me  reste  de  vie,  et  que  jamais  il  ne  m'arrive 
de  me  lasser  de  penser  à  vous. 


X^  MÉDITATION 

POURQUOI  LA  SECONDE 
PERSONNE    EST    APPELÉE    LE    FILS 


SOMMAIRE 

Elle  est  appelée  le  Fils  :  parce  qu'elle  est  T image 
du  Père  éternel,  selon  sa  propriété  personnelle; 
— parce  que  sa  subsistance  est  semblable  à  celle 
du  Père;  — pour  d autres  raisons  plus  éle- 
vées que  nous  ne  connaîtrons  que  dans  le  ciel. 

I 

D'après  le  Docteur  angélique,  la  seconde  Per- 
sonne est  appelée  le  Fils  et  est  véritable- 
ment le  Fils  unique  du  Père,  parce  qu'elle 
est  produite  comme  Verbe,  comme  l'image  qui 
représente  le  Père  et  qui  en  porte  la  ressemblance 
dans  sa  propriété  personnelle  de  Verbe.  Ainsi  il 
n'y  a  pas  plus  de  difficulté  à  considérer  la  seconde 
Personne  comme  Fils  unique,  qu'à  la  considérer 
comme  le  Verbe  unique  et  la  parfaite  expression 
du  Père  éternel,  selon  sa  propriété  personnelle. 
Ce  dernier  terme  demande  à  être  pesé  avec  soin, 
parce  qu'il  sert  à  la  solution  de  la  plus  haute  et  de 


332  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

la  plus  sublime  question  qui  se  pose  dans  Tétude 
de  ce  profond  mystère.  En  effet,  quoique  le  Saint- 
Esprit  soit  vivant  et  produit  par  un  principe 
vivant,  c'est-à-dire  par  l'Essence  divine,  qui  lui 
est  communiquée,  en  sorte  qu'il  est  coéternel  à 
son  principe  ;  toutefois  comme  il  est  produit  par 
la  volonté  ou  par  l'amour  du  Père  et  du  Fils,  ce 
qui  lui  convient  selon  sa  propriété  personnelle,  ce 
n'est  pas  d'être  la  ressemblance  ou  l'image  de  son 
principe,  mais  bien  d'être  comme  un  certain  poids, 
une  inclination  de  l'amour  dont  il  procède,  vers 
l'objet  aimé.  Le  Fils  est  produit  par  la  connais- 
sance que  Dieu  le  Père  a  de  lui-même,  selon  cette 
parole  que  le  Père  adresse  à  son  Fils  :  «  Je  Vai 
«  engendré  avant  V étoile  du  matin,  dans  les 
«  splendeurs  des  saints.  »  (Ps.  109.)  Il  est  produit 
comme  le  Verbe  de  cette  connaissance,  qui  n'est 
autre  chose  que  la  représentation  et  l'image  de 
l'objet  connu  :  c'est  là  ce  qui  convient  au  Fils 
selon  sa  propriété  personnelle.  C'est  pourquoi  il 
est  écrit  de  lui  :  «  C'est  la  splendeur  de  la  lumière 
«  du  Père,  son  miroir  sans  tache,  Yimage  de  sa 
«  bonté.  »  (Sag.  7.)  Cette  lumière  éternelle,  c'est 
Dieu  le  Père  ;  le  Fils  en  est  la  splendeur  qui  le 
représente.  Il  est  aussi  le  miroir  du  Père,  où 
la  beauté  du  Père  est  reproduite  :  et  de  même 
que  le  miroir  représente  en  même  temps  que  la 
personne,  ses  mouvements  et  ses  actions,  ainsi  le 
Fils  reproduit  aussi  les  actions  de  son  Père,  car  il 
produit  avec  lui  une  troisième  Personne  et  crée 
avec  lui  le  monde.  Enfin  ce  Fils  est  l'image  de  la 
bonté  du  Père,  car  l'Essence  du  Père  qui  est  la 
vraie  bonté,  se  trouve  dans  le  Fils  réellement,  par 


DE    LA   TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  333 

communication,  en  tant  qu'il  est  Dieu,  et  par 
représentation,  en  tant  qu'il  est  Verbe.  C'est  pour- 
quoi la  seconde  Personne  est  l'image  de  la  pre- 
mière, selon  sa  propre  Personne,  tandis  que  la 
troisième  Personne  ne  l'est  pas.  Or,  pour  mériter 
le  nom  de  Fils,  il  faut  porter  en  soi  la  ressem- 
blance du  principe  dont  l'on  émane,  et  posséder 
cette  ressemblance  non  pas  selon  quelque  degré 
commun,  mais  selon  sa  propriété  personnelle. 
Donc  la  seconde  Personne  est  le  Fils,  parce  qu'elle 
le  Verbe  divin,  et  la  troisième  Personne  ne  Test 
pas. 

O  unité  de  Dieu  !  o  merveille  de  réternité  !  o 
gloire  du  Fils  unique  du  Père  !  Nous  apercevons, 
o  Verbe  divin,  à  travers,  il  est  vrai,  de  pâles  clar- 
tés, mais  enfin  nous  apercevons  quelque  chose  de 
votre  gloire,  de  celle  qui  vous  est  exclusivement 
propre,  et  qui  consiste  en  ce  que  vous  êtes  le  Fils 
unique  du  Père  tout-puissant.  Et  puisque  vous  êtes 
le  Fils  par  la  raison  que  vous  êtes  Timage  du  Père 
o  Dieu  souverain,  imprimez-vous  dans  mon  âme, 
afin  qu'elle  porte  toujours  votre  image  intellec- 
tuelle, qu'elle  pense  toujours  à  vous,  vous  con- 
temple sans  cesse  et  adore  votre  grandeur. 

II 

Si  cette  première  raison  ne  vous  suffit  pas,  en 
voici  une  autre  :  la  seconde  Personne  est  appelée 
le  Fils,  parce  qu'elle  est  semblable  à  la  première 
Personne  dans  sa  subsistance  et  non  pas  seule- 
ment dans  sa  nature.  Pour  l'intelligence  de  ce 
point,  il  faut  d'abord  admettre  qu'en  raison  de  sa 
sublimité,   la  génération  divine,   a  quelque  chose 


334  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

de  plus  que  la  génération  terrestre  et  charnelle: 
il  est  évident  que  celui  qui  voudrait  l'assujettir  à 
toutes  les  conditions  de  cette  dernière,  aurait  une 
idée  tout  à  fait  indigne  d'elle.  Remarquons  donc 
avec  range  de  l'école  (i),  que,  tandis  que  la  généra- 
tion terrestre  a  pour  terme  l'essence  qu'elle  multi- 
plie, la  génération  divine  a  pour  terme  la  subsis- 
tance qui  seule  est  multipliée.  C'est  pour  cela 
qu'en  Dieu,  la  différence  des  productions  divines 
et  immanentes  doit-être  prise  du  côté  des  subsis- 
tances, qui  sont  proprement  le  terme  oii  elles 
aboutissent.  Donc  la  génération  divine  est  la  pro- 
duction d'une  personne  vivante,  semblable  à  son 
principe  non-seulement  dans  sa  nature,  mais 
encore  dans  sa  subsistance.  Or  le  Père  produit  le 
le  Fils  avec  une  subsistance  semblable  à  la  sienne. 
Donc  le  Père  est  le  principe  qui  engendre,  le  Fils 
est  engendré  et  est  Fils,  à  cause  de  la  ressem- 
blance de  sa  subsistance  avec  celle  du  Père.  Cette 
ressemblance  consiste  en  ce  que  l'une  et  l'autre 
subsistance,  celle  du  Père  et  celle  du  Fils,  sont  un 
même  principe  d'une  troisième  Personne  ;  elles 
sont  toutes  les  deux  spiratives  et  fécondes,  et 
par  ce  même  amour  qni  les  unit  autant  que  la  di- 
vinité elle-même,  elles  produisent  le  Saint-Esprit. 
Mais  le  Saint-Esprit  n'a  pas  d'activité  ni  de  fécon- 
dité pour  produire  une  personne  divine  ;  dès  lors 
il  n'a  pas  cette  ressemblance  de  subsistance  et 
n'est  point  Fils  comme  la  seconde  Personne. 
Saint  Paul  considérant  cette  seconde  Personne 
comme  le  Fils  qui  est  élevé  au-dessus  de  tous  les 
anges,  l'appelle   «  la  splendeur  de  la  gloire  du 

X.  D.  Thom.  q.  39  art.  i. 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  335 

«  Père  et  le  caractère  de  sa  substance  »  {Heb.  i.)  ; 
selon  la  version  grecque  :  «  le  caractère  de  son  hy- 
«  postaseetdesa  subsistance  »  ;  comme  si  le  grand 
apôtre  voulait  nous  dire  que  la  seconde  Personne 
doit  son  nom  de  Fils,  à  ce  privilège  d'être  la  res- 
semblance de  la  subsistance  du  Père.  Le  grand 
saint  Basile  (i)  nous  dit  en  effet  que  l'hypostase 
du  Fils  est  semblable  à  l'hypostase  du  Père. 

J'admirerai  la  grandeurde  la  subsistance  du  Verbe, 
si  semblable  à  celle  du  Père.  Je  songerai  que  c'est 
cette  si  noble  subsistance  qu'il  a  communiquée 
à  une  nature  semblable  à  la  nôtre,  dans  le  mystère 
de  l'Incarnation,  et  dont  il  a  voilé  les  splendeurs 
par  les  ombres  d'une  vie  souffrante  et  cachée  ?  dès 
maintenant  je  lui  en  rendrai  de  grandes  actions 
de  grâces  et  je  l'adorerai.  Mais,  ô  Verbe  divin  infi- 
niment aimable,  ce  que  vous  demandez  de  nous 
avant  tout,  c'est  que  nous  vous  servions  et  qu'à 
votre  exemple,  par  la  sainteté  de  nos  moeurs,  nous 
devenions  conformes  à  votre  Père  céleste.  Et  de 
même  que  vous  avez  dans  votre  adorable  subsis- 
tance, un  même  amour  actif  et  fécond  avec  votre 
Père  céleste,  qu'ainsi  je  m'unisse  avec  vous  dans  une 
semblable  affection,  qui  me  rendra  fécond  en  toutes 
sortes  d'œuvres  parfaites.  Oh  !  puis-je  avoir  d'au- 
tres désirs  que  les  vôtres  !  Anéantissez  en  moi  toute 
volonté  non  conforme  à  la  vôtre  ;  que  cet  amour  qui 
est  mien  et  personnel,  périsse  !  A  cette  condition  je 
pourrai  espérer  de  participer  par  l'adoption  à  votre 
filiation,  dont  vous  honorez  les  créatures  mortelles. 
Je  vous  invoquerai  alors  comme  mon  Père  et  je 
vous  servirai  avec  un  amour  filial. 

X.  Epis  t.  ^j.  Greg,  Nyss. 


336  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 


III 

Bien  que  ces  raisons  aient  leur  valeur  pour  ex- 
pliquer la  filiation  naturelle  de  la  seconde  Personne, 
et  pour  répondre  d'une  manière  suffisante  à  ceux 
qui  demandent  les  'raisons  de  nos  mystères  ;  ce- 
pendant nous  avouons  qu'il  doit  y  avoir  quelque 
autre  raison  plus  haute  de  la  distinction  des  pro- 
cessions du  Fils  et  du  Saint-Esprit  :  Dieu  ne  nous 
Ta  pas  révélée  dans  cette  vie,  mais  l'a  réservée  pour 
nous  la  montrer  dans  les  splendeurs  de  la  gloire. 
Si  la  formation  du  Fils  dans  le  sein  de  la 
Vierge,  si  sa  naissance  est  pleine  de  mystères  et 
hors  de  la  portée  des  plus  hautes  intelligences,  à 
plus  forte  raison  doit-il  en  être  ainsi  de  sa  naissance 
éternelle  dans  le  sein  du  Père.  Bien  plus,  si 
nous  ignorons  comment  nous-mêmes  nous  avons 
été  formés  et  comment  notre  àme  s'est  glissée  dans 
notre  corps,  comme  le  disait  la  généreuse  mère  des 
Machabées  à  ses  enfants  :  v^  Je  ne  sais  comment 
«  vous  êtes  apparus  dans  mon  sein  »  (II  Mach. 
7)  ;  comment  pourrions-nous  pénétrer  le  mystère 
de  la  génération  du  Fils?  «  Qui  pourra  raconter 
«  sa  génération  ?  »  dit  Isaïe  (Is.  52).  Et  il  entend 
parler  de  la  génération  éternelle,  dont  saint 
Augustin  (i)  dit  à  son  tour  :  «  Quant  à  bien  pré- 
if.  ciser  la  dijfcrence  quHl  y  a  entre  naître  et 
«  procéder^  je  ne  le  puis  ;  ah  !  qui  racontera 
«  cette  génération  ?  qui  racontera  cette  proces- 
«  sion  ?  »  Saint  Grégoire  de  Nazianze  (2),  une  des 
plus  grandes  lumières  de  la  théologie,  dit  que  cette 

I.  Cont.  Max.  l,  },  c.  14, 
a,  Orat.  8^. 


DE    LA   TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  SS^ 

génération  ne  serait  pas  sublime,  si  l'homme  pou- 
vait la  concevoir  dans  son  esprit  étroit,  lui  pour 
qui  est  un  mystère  sa  propre  génération,  qui  le 
touche  cependant  de  si  près,  lui  qui  a  bien  de  la 
peine  à  expliquer  comment  Tâmeest  unie  au  corps, 
comment  le  corps  se  nourrit,  grandit  et  se  meut, 
comment  s'accomplit  la  sensation,  comment 
riiomme  se  souvient  du  passé  et  mille  autres  cho- 
ses. Puis  il  conclut  par  ces  paroles  :  Je  le  redis 
avec  colère  et  indignation  :  honore  la  génération 
du  Fils  par  le  silence.  C'est  assez  pour  toi  de 
savoir  qu'il  est  engendré,  mais  de  savoir  comment 
il  est  engendré,  c'est  une  science  qui  n'est  point 
accordée  aux  anges  et  beaucoup  moins  à  toi.  Saint 
Ambroise  (i)  tient  un  langage  à  peu  près  sembla- 
ble et  déclare  qu'en  présence  d'une  si  grande  dif- 
ficulté il  ne  veut  pas  s'ériger  en  juge  et  en  arbitre. 
Saint  Jean  Damascène  avoue  lui  aussi  son  igno- 
rance. 

J'imiterai  leur  modestie  :  comme  eux  je  rendrai 
les  armes  et  j'avouerai  mon  impuissance  à  décou- 
vrir le  secret  de  cette  admirable  naissance,  en  pré- 
sence de  laquelle  l'intelligence  créée  est  confon- 
due, la  parole  fait  défaut,  et  les  voix  des  anges  se 
taisent  comme  celles  des  hommes.  «  O  Dieu,  le 
«  silence  est  votre  louange  dansSion  »  (Ps.  64)  (2). 
Mais  puisque  la  gloire  doit  nous  dévoiler  ce  secret, 
je  la  désirerai  ardemment,  car  c'est  dans  les  splen- 
deurs des  Saints  que  brille  cette  merveilleuse  nais- 
sance. Je  bornerai  donc  mon  étude,  mais  non  mes 
affections  :  je  soupirerai  après  la  vision  du  Fils  de 

I.  In  Luc.  c,  9  et  2j  De  fid.  c.  8,  l.  i  De  fide.  c.  lo, 
a.  Serti  du  texte  hébreu,  vers,  de  S.  Jérôme. 

Bait,  t.  I.  2% 


338  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

Dieu,  J'attendrai  la  lumière  et  le  lever  de  cette  au- 
rore divine,  qui  doit  par  ses  beautés  ineffables  ravir 
éternellement  les  cœurs.  Père  éternel,  montrez- 
nous  donc  votre  Fils  et  cela  nous  suffit  ;  et  vous. 
Fils  unique.  Fils  incomparable  de  l'Eternel,  déchi- 
rez le  nuage  qui  vous  dérobe  à  nos  yeux  et  appa- 
raissez-nous :  «  Montrez-nous  votre  face  et  nous 
«  serons  sauvés.  »  (Ps.  79.) 


Xr  MÉDITATION 

DES  TROIS   EXCELLENCES 

DE  LA  FILIATION 
DE  LA  SECONDE  PERSONNE 


SOMMAIRE 

Elle  est  éternelle,  —  indépendante  du  Père  — 
le  modèle  de  notre  filiation  adoptive. 

I 

LA  'filiation  de  la  seconde  Personne  est  éter- 
nelle :  le  Père  n'est  pas  plus  ancien  que  le 
Fils.  C'est  là  une  excellence  absolument  propre 
au  Fils,  à  l'exclusion  de  tous  ceux  qui  comme  lui 
portent  le  nom  de  fils  et  qui  tous  sont  posté- 
rieurs au  père  qui  les  a  engendrés.  Le  Fils  de 
Dieu  est  au  contraire  coéternel  au  principe  qui  le 
produit,  comme   le   rayon  aurait  été  ^coéternel  au 


DE    LA    TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  33g 

soleil,  si  le  soleil  eût  été  créé  de  toute  éternité. 
Montrez-moi,  dit  saint  Augustin  (i),  un  flambeau 
sans  lumière,  je  vous  montrerai  Dieu  le  Père  sans 
le  Fils. 

Pour  comprendre  cette  vérité,  il  n'y  a  qu'à  con- 
sidérer que  les  trois  raisons  pour  lesquelles  TelFet 
est  postérieur  à  sa  cause,  et  la  chose  produite  au 
principe  qui  la  produit,  ne  se  réalisent  pas  dans 
la  Personne  du  Fils. 

La  première  raison  (2),  c'est  que  le  principe 
qui  produit  l'effet  n'a  pas  dès  le  premier  instant 
de  son  existence  la  vertu  et  la  perfection  requise 
pour  produire  :  par  exemple,  l'architecte  n'est  pas 
capable,  dès  qu'il  vient  au  monde,  de  bâtir  un  édi- 
fice ;  c'est  pour  cela  que  tout  ce  qu'il  construit  lui 
est  postérieur.  Mais  Dieu  le  Père  était  dès  l'éter- 
nité parfait  en  force  et  en  puissance  et  dès  lors  ce 
n'est  pas  l'impuissance  du  principe  qui  a  pu  retar- 
der le  moins  du  monde  la  naissance  du  Fils. 
Saint  Augustin  (3)  dit  que  le  Père  ne  vieillit 
jamais  et  que  le  Fils  ne  grandit  jamais  ;  l'égal  a 
engendré  son  égal  et  l'éternel  a  donné  naissance 
à  l'éternel. 

La  seconde  raison  est  la  liberté  du  principe  qui 
produit,  en  vertu  de  laquelle  il  peut  choisir  le 
jour  et  l'heure  où  il  produira  son  œuvre,  comme 
aussi  il  peut  en  remettre  l'exécution  à  plus  tard  ; 
souvent  dans  ce  cas,  l'ouvrier  est  antérieur  à  l'œu- 
vre. Mais  en  Dieu  le  Fils  il  n'en  est  pas  ainsi; 
Dieu  le  Père  le  produit  sans  doute    très  volon- 

I.  Tract,  ao  in  Joan. 

3.  D.  Thom.  q.  43,  art.  3. 

^.   Tract.  10,  in  Joan. 


340  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

tairement,  mais  par  un  acte  absolument  néces- 
saire et  il  n'a  jamais  eu  pas  même  un  seul  instant 
la  liberté  de  ne  pas  produire  son  Fils. 

Enfin  la  troisième  raison  a  lieu  quand  l'action 
du  principe  qui  produit  est  successive  et  que  pour 
arriver  à  être  parfaite,  elle  a  besoin  du  temps. 
Elle  ne  s'applique  pas  à  la  génération  du  Fils, 
parce  que  Dieu  le  Père,  par  un  acte  de  son  intel- 
ligence infinie  se  comprend  en  un  seul  instant  et 
produit  par  cet  acte  son  Fils  exempt  des  incon- 
vénients qui  découlent  de  l'impuissance  humaine, 
et  qui  sont  l'enfance  avec  toutes  ses  faiblesses.  Le 
Fils  est  produit  dans  le  plus  haut  et  le  plus  su- 
blime état  de  perfection,  qui  lui  convient  et  auquel 
le  cours  des  années  ne  peut  apporter  aucun  ac- 
croissement. Dieu  le  Fils  est  éternellement  en- 
gendré. 

Je  féliciterai  le  Fils  de  Dieu  pour  son  éter- 
nité, o  Verbe  éternel  !  avant  vous  il  n'y  a  point  de 
Dieu  !  «  Vous  êtes  Dieu  de  toute  éternité  et  dans 
«  tous  les  siècles  !  »  Ps.  (89).  O  Sagesse  incréce 
qu'il  vous  convient  bien  de  dire  de  vous-même  : 
«  Les  abîmes  n'étaient  pas  encore  et  moi  fêtais 
«  conçue  ;  les  sources  d'eau  vive  n'avaient  pas 
«  encore  jailli  de  la  terre;  les  masses  pesantes 
«  des  montagnes  ne  s'élevaient  pas  encore  ; 
«  fêtais  engendrée  avant  les  collines  ;  il  n'avait 
«  pas  encore  créé  la  terre  ni  les  fleuves,  ni  affermi 
«  le  monde  sur  ses  pôles.  »  (Prov.  8.)  O  Verbe  ad- 
mirable, je  me  réjouis,  à  la  pensée  qu'avant 
d'être  le  Fils  d'une  mère  de  ce  monde,  vous  étiez 
le  Fils  du  Père  céleste.  O  que  vous  êtes  heureux 
d'avoir  joui   pendant  tant   de   siècles  des  délices 


DE    LA   TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  841 

inénarrables  de  l'Essence  divine  et  d'avoir  été  tou- 
jours en  possession  de  la  gloire  de  votre  Père  ! 
O  Verbe  adorable,  qu'ils  sont  heureux  tous  les  es- 
prits qui  ont  le  bonheur  d'être  au  service  d'un 
prince  aussi  noble  et  aussi  heureux  que  vous  ! 

II 

Cette  filiation  est  exempte  de  toute  dépendance; 
le  Fils  éternel  ne  dépend  pas  de  [son  Père,  ne  lui 
est  ni  redevable,  ni  inférieur  en  rien.  C'est  là  une 
excellence  nouvelle  qui  lui  est  propre  à  l'exclusion 
de  tous  les  enfants  des  hommes,  qui  tous  sont 
soumis  au  père  qui  les  a  engendrés  et  qui  ont  le 
devoir  de  le  respecter  comme  un  maître.  Quant  au 
Fils  éternel,  il  est  indépendant,  étant  engendré 
dans  un  tel  état  de  grandeur  qu'il  est  exempt  de 
toute  sujétion.  Et  voici  la  raison  :  son  Père  le  pro- 
duit nécessairement,  de  toute  son  Essence  qu'il  lui 
communique  dans  sa  totalité  :  le  Père  ne  peut 
subsister  sans  produire  son  Fils  de  cette  manière, 
à  tel  point  que  le  Père  ne  peut  pas  plus  être  sans 
le  Fils,  que  le  Fils  ne  peut  être  sans  le  Père.  Et 
comme  le  Fils  a  toute  l'Essence  du  Père,  il  n'a  rien 
de  moins  que  le  Père  :  dès  lors  il  ne  peut  être  ni 
dépendant  du  Père,  ni  inférieur  au  Père  qui  le 
produit  ainsi.  Sans  doute  le  rayon  de  soleil  est  pro- 
duit par  le  soleil  d'une  manière  nécessaire  et 
cependant  il  dépend  du  soleil  :  mais  il  n'a  rien  de 
la  substance  du  soleil  et  même  cette  nécessité  de  le 
produire  n'est  pas  si  grande  que  le  soleil  ne  puisse 
absolument  subsister  sans  produire  le  rayon  hors 
de  lui.  Le  Fils  au  contraire  est  en  unité  de  subs- 
tance et  de  grandeur  avec  le  Père  et  la  nécessité  de 


34*2  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

l'engendrer  est  si  absolue  pour  le  Père,  que  le 
Père  n'est  Père  que  parce  qu'il  l'engendre.  C'est 
une  si  grande  merveille  que  l'intelligence  ne  sait 
ce  qu'elle  doit  le  plus  admirer,  ou  la  noblesse  d'un 
Fils  qui  est  indépendant  du  principe  d'où  il  tire 
son  origne,  ou  la  grandeur  d'un  Père,  qui  a  pu  pro- 
duire un  Fils,  si  noble  «  qu'il  a  cru  pouvoir  sans 
«  injustice  s'égaler  à  son  Père  »  comme  s'ex- 
prime le  grand  saint  Paul  (Phil.  2.);  c'est  en  effet 
son  droit  naturel  et  la  conséquence  de  la  sublimité 
de  sa  naissance  éternelle. 

Toutefois  —  et  c'est  ici  le  côté  le  plus  merveil- 
leux, —  cette  indépendance  qui  donne  au  Fils  tant 
de  noblesse,  et  qui  l'élève  au  plus  haut  degré  de 
grandeur,  ne  préjudicie  en  rien  à  la  majesté  du 
Père,  mais  plutôt  malgré  les  apparences  contrai- 
res, elle  contribue  à  sa  gloire  et  à  sa  grandeur.  Si 
en  effet  le  Fils  était  inférieur  au  Père  et  dépendait 
de  lui,  il  s'en  faudrait  de  beaucoup  que  le  Père  en 
fut  pour  cela  plus  grand  :  il  en  serait  au  contraire 
amoindri,  parce  qu'il  aurait  été  impuissant  à  pro- 
duire un  Fils  ayant  une  excellence  égale  à  la 
sienne.  C'est  pourquoi  de  même  qu'une  lueur  plus 
vive  révèle  la  grandeur  de  la  flamme  qui  la  pro- 
duit, ainsi  la  perfection  du  Fils  est  une  preuve  de 
l'abondance,  de  la  plénitude  et  de  la  fécondité 
infinie  du  Père,  son  principe. 

Oh  !  la  merveille  !  l'indépendance  du  Fils  ne 
diminue  pas  l'autorité  du  Père.  Je  vous  adore. 
Verbe  divin,  dans  la  noblesse  de  votre  indépen- 
dance suprême  :  à  cette  indépendance  je  fais  l'hom- 
mage de  tout  mon  être,  l'offrande  de  toute  ma 
liberté,  la  cession  de  tout  mon  pouvoir.  Mais  je  ne 


DE    LA   TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  34$ 

puis  considérer  votre  grandeur,  sans  songer  jusqu'à 
quel  point  vous  l'avez  abaissée  par  amour  pour 
moi  :  je  suis  forcé  de  remarquer  que  «  vous  vous 
«  êtes  anéanti  vous-même,  en  prenant  la  forme 
«  d'un  esclave,  et  en  vous  faisant  obéissant  jus- 
«  qu'à  la  mort  de  la  croix  »  envers  votre  Père 
éternel  (Phil.  2);  et  cependant  «  le  monde  ne  Va 
«  pas  connu  »  (Jean.  i).  Oh  !  que  n'ai-je  autant 
de  cœurs  qu'il  y  a  d'étoiles  au  ciel,  pour  vous 
aimer  plus  ardemment  !  O  Verbe  très  admirable, 
au  souvenir  de  votre  Incarnation,  je  m'anéantirai 
et  je  serai  obéissant  envers  mes  supérieurs,  autant 
que  je  le  pourrai. 

III 

Outre  ces  deux  excellences  qui  sont  son  éter- 
nité et  son  indépendance,  cette  filiation  en  a  une 
troisième  :  elle  est  le  modèle  de  la  filiation  adop- 
tive,  par  laquelle  les  justes  revêtus  de  la  grâce, 
sont  appelés  les  enfants  adoptifs  de  Dieu,  et  à  ce 
titre  ont  droit  aux  biens  éternels  de  Dieu  et  à  son 
héritage,  c'est-à-dire  au  paradis.  Si  bien  que, 
comme  saint  Paul  a  pu  dire,  que  c'est  du  Père  que 
«  toute  paternité  tire  son  origine  au  ciel  et  sur 
«  la  terre  »  (Eph.  3)  ;  ainsi  il  est  permis  de  dire 
que  c'est  du  Fils  que  toute  filiation  découle  dans 
le  ciel  et  sur  la  terre,  principalement  la  filiation 
adoptive  des  justes  qui  honore  la  filiation  éter- 
nelle, en  l'imitant  comme  son  vrai  modèle.  De 
même  en  effet  qu'en  vertu  de  sa  filiation,  le  Fils 
participe  à  la  nature  divine  qui  est  dans  le  Père 
éternel  et  la  possède  pleinement,  ainsi  les  justes, 
çn  vertu  de  leur  justification  dont  l'effet  est  de  les 


344  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

rendre  fils  adoptifs|de  Dieu,  participent  à  la  nature 
divine  qui  est  dans  les  trois  Personnes  de  la  Tri- 
nité et  la  possèdent  d'une  certaine  manière,  car  le 
chef  des  théologiens,  saint  Pierre  dit,  au  sujet  de 
la  grâce  divine  :  «  //  nous  donne  de  grandes  et  de 
«  précieuses  choses  qu'il  nous  avait  promises ^ 
«  afin  que  par  elles  vous  deveniez  participants 
«  de  la  nature  divine.  »  (II  Pierr.  i.)  Car  dans  la 
justification.  Dieu  ne  donne  pas  seulement  sa 
grâce,  sa  charité  et  les  autres  vertus,  mais  il  se 
donne  aussi  Lui-même  ;  de  telle  sorte  que,  quand 
il  se  trouve  dans  une  âme  juste,  il  ne  se  contente 
pas  de  résider  dans  cette  âme,  mais  encore  il  lui 
appartient.  Car  dès  ici-bas  elle  le  possède  et  puise 
en  lui  tous  les  biens  qu'elle  peut  recevoir  dans 
l'état  de  la  vie  présente,  sa  force,  sa  joie,  sa  conso- 
lation, sa  beauté  intérieure,  ses  richesses  spiri- 
tuelles et  ses  espérances.  Aussi  de  même  que 
l'Essence  divine  communiquée  au  Fils  et  résidant 
divinement  en  lui,  fait  toute  sa  grandeur  et  toute 
son  excellence,  toute  sa  perfection  et  toute  sa 
majesté,  ainsi  la  nature  divine  communiquée  gra- 
tuitement et  intimement  aux  âmes  saintes,  devient 
la  source  de  leur  excellence  et  de  leur  grandeur, 
de  toute  leur  perfection  et  de  toute  leur  félicité. 
Cette  belle  vérité  est  confirmée  par  le  témoignage 
d'un  docteur  ancien, cardinal  derEgliseromaine(i): 
Nous  pensons,  dit-il,  que  ce  qui  est  dû  au  Fils  par 
droit  de  nature,  c'est-à-dire  parce  qu'il  est  Fils 
naturel,  nous  est  dû  par  grâce,  c'est-à-dire  parce 
que  nous  sommes  fils  adoptifs  :  et  ce  que  Dieu 
possède  par  essence  et  par  nature,  je  veux  dire  la 

X.  CEgid.  Roman,  quodltb.  a,  q.  ult. 


DE    LA   TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  345 

connaissance,  le  bonheur  et  la  gloire  qu'il  a  natu- 
rellement en  lui,  nous,  nous  l'avons  par  grâce  et 
par  participation.  De  plus  la  filiation  éternelle  est 
encore  le  type  de  la  filiation  adoptive  en  ce  que, 
comme  le  Fils  est  né  de  son  Père  sans  sortir  hors 
du  Père,  ainsi  les  justes  naissent  de  Dieu  par  la 
grâce,  sans  sortir  de  Dieu  et  sans  se  séparer  de 
lui.  Enfin  le  Fils  naît  sans  cesse  de  son  Père,  et 
les  Justes  naissent  toujours  de  Dieu,  qui  leur  com- 
munique sans  interruption  la  vie  de  la  grâce,  par 
laquelle  ils  honorent  sa  filiation. 

O  sublime  excellence!  ô  l'avantage  inappréciable 
que  d'avoir  la  grâce  et  l'adoption  divine  !  Puisque 
dès  ici-bas  Dieu  commence  à  se  communiquer  par 
la  grâce  sanctifiante,  quel  puissant  motif  d'espérer 
de  posséder  éternellement  le  bien  suprême  dans  la 
jouissance  bienheureuse  de  l'Essence  divine  !  O 
vous,  très  noble  Fils  de  Dieu,  qui  donnez  «  à  tous 
«  ceux  qui  vous  reçoivent^  la  puissance  de  deve- 
«  nir  les  enfants  de  Dieu  »  (Jean  i),  je  désire  de 
tout  mon  cœur  vous  recevoir  et  vous  recevoir  de 
toutes  les  manières  qui  peuvent  vous  être  agréa- 
bles. Oh  !  que  je  souhaiterais  que  mon  cœur  ne 
fut  que  capacité  pure,  pour  vous  recevoir  et  ne 
recevoir  que  vous  seul  !  Arrière  donc  et  loin  de 
moi  toutes  les  affections  désordonnées  !  je  vous 
souhaite  uniquement,  ô  Verbe  divin,  afin  que  par 
vous,  modèle  de  toute  filiation,  je  sois  admis 
parmi  vos  enfants  adoptifs,  pour  avoir  part  à  l'hé- 
ritage du  paradis. 


346        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

Xir  MÉDITATION 

DE  LA  PERSONNE  DU  SAINT-ESPRIT 


SOMMAIRE 

Le  Père  et  le  Fils  produisent  par  leur  amour 
réciproque^  le  Saint-Esprit,  —  Raisons  pour 
lesquelles  cet  amour  du  Père  et  du  Fils  s'ap- 
pelle spiration  active.  —  Cette  spiration  active 
est  un  acte  de  sainteté  infinie. 

I 

DIEU  le  Père,  après  avoir  produit  son  Fils  égal 
à  lui-même  et  parfait  en  tout,  Taime  aussi- 
tôt d'un  amour  infini,  et  réciproquement  le  Fils 
aime  le  Père  qui  est  son  principe  d'un  amour  égal 
ou  plutôt  d'un  même  amour.  Comment  imaginer 
en  effet  qu'un  Dieu  si  excellent  fut  sans  amour 
pour  un  tel  Fils,  ou  qu'un  Fils  si  admirable  man- 
quât d'amour  envers  un  Père  si  sublime.  Certes 
l'amour  réciproque  est  une  des  plus  nobles  affec- 
tions de  l'âme,  en  lui  se  trouvent  toutes  les  délices 
des  substances  spirituelles,  à  tel  point  que  sans 
amitié  il  ne  saurait  y  avoir  de  vraie  béatitude.  Il  y 
donc  entre  le  Père  et  le  Fils  qui  sont  des  Person- 
nes spirituelles  et  souverainement  heureuses,  un 
amour  réciproque.  Or  cet  amour  est  une  action, 
et  comme  toute  action,  doit  aboutir  i^  un  terme;  il 


DE    LA   TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  347 

n'y  a  pas  en  effet  d'action  qui  ne  produise  quel- 
que chose.  Quel  sera  ici  le  terme  de  cet  acte 
d'amour  ? 

Pour  le  bien  comprendre,  remarquons  que  tout 
acte  d'amour  véhément  produit  dans  la  personne 
aimante  une  inclination  vers  l'objet  aimé,  inclina- 
tion qui  s'appelle  amour  formé.  Le  Père  et  le  Fils 
produisent  donc  en  eux-mêmes  par  leur  amour, 
une  inclination  vers  eux-mêmes  et  vers  les  objets 
qu'ils  aiment.  Et  puisque  cette  inclination  est  en 
eux-mêmes  et  dans  leur  Essence,  elle  ne  saurait 
être  un  accident  et  doit  être  une  substance.  D'au- 
tre part,  puisque  cette  inclination  est  du  Père  et 
du  Fils,  il  faut  qu'elle  soit  distincte  du  Père  et 
du  Fils,  et  par  suite  elle  leur  est  incommunicable. 
Donc  elle  constitue  une  personne.  De  plus,  puis- 
que elle  est  dans  l'Essence  divine,  elle  est  l'Essence 
divine  elle-même.  Dieu  même.  Donc  cette  inclina- 
tion constitue  avec  l'Essence  une  personne  qui  est 
Dieu,  e'est  la  troisième  Personne  de  la  sainte 
Trinité,  le  Saint-Esprit.  Aussi  le  Saint-Esprit 
considéré  selon  sa  propriété  personnelle  est  une 
inclination  et  comme  une  impulsion  d'amour  du 
Père  au  Fils,  et  du  Fils  au  Père. 

O  la  noble  propriété!  Oh!  bienheureusesles  créa- 
tures qui  multiplient  ces  inclinations  et  ces  impul- 
sions saintes  vers  Dieu  !  elles  imitent  de  plus  près 
la  personne  du  Saint-Esprit.  Oh  !  qui  imprimera  à 
mon  àme  une  sainte  impulsion  qui  la  fasse  s'élan- 
cer sans  cesse  vers  la  divinité  !  Oh  !  qui  fera  de 
moi  une  pure  tendance  vers  Dieu  !  O  Esprit  très- 
saint,  détruisez  dans  mon  cœur  toutes  les  inclina- 
tions  vers   les   choses   caduques  et  périssables  et 


348  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

qu'il  ne  m'en  reste  plus  que  pour  les  choses    divi- 
nes et  immortelles. 

II 

Cet  amour  du  Père  et  du  Fils  s'appelle  spira- 
tion  active,  parce  que  aimer  beaucoup,  c'est  la 
vraie  respiration  de  l'âme.  Cet  amour  ressemble 
en  eifet  à  la  respiration  de  quatre  manières. 

Premièrement,  la  respiration  vient  de  l'inté- 
rieur; du  cœur  et  des  poumons.  Ainsi  l'amour  du 
Père  et  du  Fils  est  tout  intérieur  et  tout  intime  à 
leur  Essence. 

Secondement,  la  respiration  est  causée  par  la 
chaleur  du  cœur:  Ainsi  l'amour  du  Père  et  du 
Fils  est  produit  par  l'ardeur  d'une  charité  indi- 
ciole. 

Troisièmement,  pour  conserver  la  vie,  la  respi- 
ration doit  être  continuelle.  Ainsi  l'amour  du  Père 
et  du  Fils  est  perpétuel,  il  n'a  ni  commencement, 
ni  fin;  le  Père  et  le  Fils  soupirent  l'un  vers  l'autre 
par  un  amour  réciproque  et  constant,  qui  n'est 
pas  même  sujet  à  ces  pauses  et  à  ces  diverses  re- 
prises que  nous  constatons  dans  notre  respiration. 
L'amour  du  Père  et  du  Fils  persévèrent  sans  la 
moindre  interruption. 

Enfin  la  respiration  tempère  la  chaleur  du 
cœur  et  l'empêche  d'être  excessive,  grâce  au  doux 
et  suave  rafraîchissement  qu'elle  apporte.  Elle  la 
conserve  aussi  à  un  degré  normal,  l'entretient  par 
une  fraîcheur  modérée,  qui  a  pour  effet  de  l'exci- 
ter et  d'empêcher  ainsi  qu'elle  ne  s'éteigne,  à  peu 
près  comme  une  flamme  qui  renfermée  dans  un 
espace   étroit  et  sans  renouvellement  d'air,   finit 


DE    LA   TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  849 

par  être  étouffée.  II  en  est  ainsi  de  Tamour  du 
Père  et  du  Fils  :  c'est  par  lui  que  le  Saint-Esprit 
procède  et  émane  du  Père  et  du  Fils  :  puis  s'unis- 
sant  aux  âmes,  il  y  tempère  Tardeur  des  passions 
et  y  entretient  la  flamme  de  la  charité  divine. 
Aussi  l'Eglise  (i)  appelle-t-elle  le  Saint-Esprit  «  Je 
«  délassement  dans  le  travail,  le  rajratchissement 
«  dans  la  chaleur,  la  consolation  dans  les  larmes  » 
et  elle  le  prie  en  même  temps  de  «  réchauffer  ce 
qui  est  froid.  » 

O  amour  sacré!  o  respiration  vitale  de  mon 
âme  !  que  suis-je  donc  quand  je  vis  sans  aimer 
mon  principe  et  mon  bien  suprême,  sinon  un 
corps  qui  ne  respire  plus,  qui  est  mort,  un  cada- 
vre qui  entre  en  putréfaction  ?  O  Esprit  très-saint 
et  très-suave,  si  vous  n'êtes  dans  le  Père  et 
dans  le  Fils  qu'en  tant  qu'ils  s'aiment  ardemment, 
comment  serez-vous  en  nous,  si  l'amour,  cette 
sainte  respiration,  nous  manque  ?  Faites  donc,  o 
mon  Dieu,  que  nous  respirions  par  les  actes  d'un 
amour  sincère  et  profond,  qui  soient  l'effet  de  la 
charité  surnaturelle  et  qui  soient  continuels 
autant  du  moins  que  la  vie  présente  le  permet. 
Hélas  !  si  ici-bas  je  soupire,  c'est  après  des  biens 
périssables  et  des  objets  créés  que  je  désire  folle- 
ment. Ah  !  venez  tempérer  cet  ardeur  immodérée, 
Esprit  très  doux  et  ne  conservez-en  moi  que  la 
seule  ardeur  de  la  sainte  charité,  que  vous  nous 
ordonnez  d'avoir  dans  le  cœur.  Alors  je  pourrai 
dire  :  «  fai  ouvert  la  bouche  et  fai  attiré  VEs- 
«  prit.  »  (Ps.  118.) 

I.  Prose  de  la  Pentecôte. 


35o  LA    THÉOLOGIE   AFFECTIVE 


III 

Cet  amour  ou  cette  spiration  active  du  Père  et 
du  Fils  est  un  acte  d'une  sainteté  infinie,  un  acte 
qui  sanctifie  infiniment  le  Père  et  le  Fils.  La  cha- 
rité envers  Dieu  en  effet  est  la  sainteté  même,  et 
dans  une  créature  l'acte  d'amour  de  Dieu  a  telle- 
ment pour  efîet  de  sanctifier,  qu'il  efface  tout  pé- 
ché dans  Tàme,  la  rend  pure  et  sainte  et  fait 
qu'elle  est  aimée  de  Dieu  comme  elle  aime  Dieu. 
C'est  si  vrai  que  toute  âme  qui  produit  des  actes 
de  véritable  amour,  est  sainte  devant  Dieu  et  les 
anges,  et  quand  bien  même  un  instant  auparavant 
d'innombrables  péchés  l'auraient  souillée,  tous 
ces  péchés  lui  sont  aussitôt  pardonnes,  à  cause  de 
l'amour  de  Dieu,  qui  porte  la  sainteté  partout  où 
il  se  trouve.  Il  n'y  a  point  d'àme  si  pécheresse  et 
si  abominable,  qui  venant  à  concevoir  le  pur  et 
saint  amour,  ne  soit  digne  d'entendre  comme 
Madeleine  ces  paroles  :  «  Beaucoup  de  péchés 
«  lui  sont  pardonnes j  parce  qu'elle  a  aimé  beau- 
«  coup.  »  (Luc.  7.)  Or,  si  l'acte  d'amour  si  tiède 
et  si  peu  ardent  dans  une  créature,  est  cependant 
assez  puissant  pour  la  sanctifier,  que  ne  fera  pas 
l'acte  d'amour  infini  ?  Ainsi  le  Père  est  saint  parce 
qu'il  aime  son  Fils;  le  Fils  est  saint,  parce  qu'il 
aime  son  Père,  et  leur  spiration  mutuelle  est  une 
sainte  dilection  :  par  conséquent  c'est  à  bon  droit 
que  la  personne  qui  procède  de  cette  spiration  est 
appelée  le  Saint-Esprit. 

O  amour  !  ô  sainteté  !  apprends,  ô  mon  âme,  la 
voie  et  le  moyen  de  te  sanctifier.  Tu  es  sainte  dans 
la  mesure  même  où  tu  aimes  le  Père,  le  Fils  et  le 


DE   LA   TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  35l 

Saint-Esprit,  et  tu  es  terrestre,  éloignée  de  la 
sainteté  dans  la  proportion  où  tu  aimes  la  terre. 
Pourquoi  donc  as-tu  tant  d'affection  pour  les  créa- 
tures ?  Pour  être  sainte,  un  seul  amour  te  suffit. 
Oh  !  Père,  ô  Fils,  ô  Saint-Esprit,  donnez-moi  cet 
amour.  Oh  !  que  je  vous  saisisse  comme  entre  les 
bras  de  mon  âme  !  Oh  !  Seigneur  très  suave,  je 
désire  être  tout  transformé  en  vous  par  un  pro- 
fond amour.  Car,  ô  Dieu  de  bonté,  qu'ai-je  à  sou- 
haiter au  ciel  ou  sur  la  terre,  sinon  d'adhérer 
inséparablement  à  vous  ?  «  O  Dieu  de  mon  cœur, 
«  mon  partage  et  m.on  tout  pour  l'éternité.  »  O 
Dieu  infiniment  désirable,  qui  donc  rompra  ma 
glace,  afin  que  je  puisse  me  fondre  en  vous  et  me 
liquéfier  dans  votre  amour?  Remplissez-moi,  Sei- 
gneur, de  l'ardeur  de  votre  Saint-Esprit,  afin 
qu'il  me  consume  par  votre  saint  amour.  Je  lan- 
guis, hélas  !  dans  l'attente,  parce  que  vous  ne 
m'exaucez  pas  :  car  après  tous  mes  soupirs,  je  me 
trouve  encore  plein  de  froideur,  je  manque  d'ar- 
deur dans  mes  actions,  d'attention  dans  mes 
prières,  semblable  aux  oiseaux  qui  parlent  sans 
se  comprendre.  Aussi  ne  cesserai-je  d'implorer  vo- 
tre miséricorde  tous  les  jours  de  ma  vie. 


352        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 


Xlir  MÉDITATION 

DES  PERSONNES 

DES  AMOURS  ET  DES  OBJETS 

QUI  INTERVIENNENT 

DANS  LA  PRODUCTION 

DU  SAINT-ESPRIT 


SOMMAIRE 

Le  Saint-Esprit  est  produit  par  deux  Personnes^ 
qui  sont  le  Père  et  le  Fils  —  par  V amour  réci- 
proque du  Père  et  du  Fils,  qui  est  un  amour 
appréciatif,  de  bienveillance  et  de  complai- 
sance —  enfin  par  un  amour  universel  qui  em- 
brasse V incréé  et  le  créé. 

I 

DEUX  Personnes  produisent  le  Saint-Esprit  : 
l'Eglise  le  croit  et  l'a  défini  (i)  contre  les 
Grecs  qui  ne  voulaient  pas  reconnaître  le  Fils 
comme  principe  du  Saint-Esprit  et  qui  en  punition 
de  leur  hérésie,  sont  devenus  les  esclaves  des 
Turcs.  Ils  ont  contre  eux  la  Sainte  Ecriture,  dans 
laquelle  il  est  dit  de  PEsprit-Saint  «  qu'il  est 
«  envoyé  par  le  Fils,  qu'il  recevra  quelque  chose 
«  du  Fils  »,   et   oii  il  est  appelé  «  V Esprit,   la 

I.  Conc.  Florent. 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  353 

«  Vérité  »  ;  autant  d'expressions  qui  signifient 
qu'il  procède  du  Fils.  En  réalité  il  ne  serait  pas 
distinct  du  Fils,  s'il  n'était  pas  produit  par  lui, 
car  les  Personnes  divines  ne  sont  distinctes  entre 
elles  qu'en  tant  que  l'une  produit  l'autre  ou  en  est 
produite.  Donc  puisqu'il  y  a  trois  Personnes  dans 
la  Trinité,  elles  doivent  toutes,  à  l'égard  l'une  de 
l'autre,  être  ou  principe  ou  terme  de  production, 
pour  être  distinctes.  Donc,  puisque  le  Saint-Esprit 
est  distinct  du  Fils,  il  émane  de  lui.  C'est  la  gran- 
deur et  la  gloire  du  Fils,  d'être  avec  le  Père,  prin- 
cipe d'une  Personne  divine  :  c'est  pourquoi  Dieu 
le  Père  dit  à  son  Fils  :  «  Etant  principe  avec  toi 
«  ail  jour  de  ta  puissance  dans  les  splendeurs 
«  des  saints,  je  fai  engendré  de  mon  sein  avant 
«  d'avoir  créé  V étoile  du  matin.  »  (Ps.  109.)  Ce 
jour  de  la  puissance  du  Fils  c'est  le  jour  éternel, 
dans  lequel  il  produit  le  Saint-Esprit.  Jamais  la 
puissance  du  Fils  ne  parut  davantage,  ni  dans  la 
création,  ni  dans  la  rédemption  du  monde,  ni 
dans  aucune  de  ses  œuvres  :  aussi  ce  jour  est-il 
appelé  celui  de  sa  magnificence  et  de  sa  puissance, 
et  ceux-là  sont  les  ennemis  du  Fils  de  Dieu  qui 
veulent  lui  ravir  cet  honneur.  Or  dans  ce  jour 
même  et  dans  cet  instant  même  où  le  Fils  produit 
le  Saint-Esprit,  lui-même  est  produit  de  l'Essence 
du  Père,  et  par  une  merveille  qui  n'appartient  qu'à 
lui,  il  est  produit  et  produisant  tout  ensemble. 
Le  Père  produit  une  sagesse  qui  à  son  tour  pro- 
duit l'amour,  car  elle  ne  peut  demeurer  oisive  et 
stérile.  Le  Père,  dit  l'angélique  Docteur  (i),  pro- 
duit un  Verbe,  non  un  Verbe  tel  quel,  mais  un 

I.  Quœst.  jfjt  art.  5. 
Bail,  t.  i.  43 


354  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Verbe  respirant  l'amour  et  produisant  le   Saint 
Esprit.  Ainsi  le  Saint-Esprit  procède  de  deux  Per- 
sonnes. 

O  Verbe  éternel  !  Je  vous  adore  comme  le  prin- 
cipe du  Saint-Esprit  :  car  vous  vivez  et  régnez 
avec  le  Père  dans  l'unité  du  Saint-Esprit.  Votre 
vie  spirituelle  et  intérieure  ainsi  que  le  triomphe 
de  votre  grandeur  consiste  à  être  cet  admirable 
principe.  Oh  !  je  vous  adore  comme  la  sagesse  et 
la  parole  produisant  un  amour  infini.  O  sagesse,  ô 
parole  si  parfaite  qu'elle  est  principe  d'amour  au 
moment  même  où  elle  existe  !  Oh  !  donnez-moi  à 
votre  exemple  une  science  affective,  qui  produise 
l'amour,  donnez-moi  une  parole  qui  s'enflamme 
de  l'ardeur  de  votre  charité,  et  que  ce  feu  s'allume 
dans  ma  méditation. 

II 

Considérez  par  quels  amours  les  Personnes  du 
Père  et  du  Fils  produisent  le  Saint-Esprit.  Il  est 
vrai  qu'elles  n'ont  qu'un  seul  et  unique  amour 
pour  produire  cette  Personne  infinie,  mais  de 
même  que  l'Essence  divine  comprend  dans  sa 
simplicité  les  perfections  de  toutes  les  essences, 
ainsi  leur  amour  comprend  en  son  unité  tous  les 
actes  d'amour  qui  peuvent  convenir  à  Dieu. 

Nous  pouvons  donc  dire  que  le  Père  et  le  Fils 
s'aiment  réciproquement  d'un  amour  appréciatif, 
ce  qui  veut  dire  d'un  amour  par  lequel  ils  s'esti- 
ment l'un  l'autre  infiniment  et  autant  qu'ils  le 
méritent  pour  leur  grandeur,  leur  félicité  et  tous 
les  biens  qu'ils  possèdent. 

Secondement,  ils  s'entr'aiment  d'un  amour  d  .• 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  355 

bienveillance,  par  lequel  ils  se  souhaitent  Tun  à 
l'autre,  pour  toute  l'éternité,  toute  la  gloire  et 
toutes  les  joies  dont  ils  sont  comblés  de  toute 
éternité. 

Enfin  ils  s'entr'aiment  d'un  amour  de  complai- 
sance, amour  le  plus  sublime  et  qui  convient  à 
Dieu  plus  que  tout  autre  amour.  Le  Père,  en 
cette  ineffable  production,  se  réjouit  dans  les  gran- 
deurs de  son  Fils,  s'y  complaît  et  lui  dit  éternelle- 
ment :  «  Voici  mon  fils  bien-aiméy  en  qui  fai 
«  mis  toutes  mes  complaisances.  »  (Matt.  3.) 
Réciproquement,  le  Fils  se  réjouit  et  se  délecte 
dans  la  majesté  de  son  Père  et  dans  l'infinité  de 
tous  ses  biens  :  car  la  joie  du  Fils  n'a  d'autre  me- 
sure que  la  bonté  de  Dieu  qui  est  infinie.  Le 
Saint-Esprit  est  donc  comme  le  fruit  de  la  joie 
éternelle  des  Personnes  incréées,  comme  aussi 
dans  les  personnes  créées,  la  joie  est  encore  le 
fruit  du  Saint-Esprit,  selon  la  parole  de  saint 
Paul  :  «  Le  fruit  de  V Esprit  est  la  joie.  »  (Gai.  5.) 

Je  m'efforcerai  de  produire  envers  les  Person- 
nes divines  des  actes  de  ces  trois  sortes  d'amour. 
L'amour  du  Père  et  du  Fils  est  le  premier  des 
amours  :  il  doit  donc  servir  de  règle  à  notre 
amour,  car  ce  qui  occupe  dans  un  certain  genre 
la  première  place  doit  être  la  mesure  de  tout  ce 
qui  est  compris  dans  ce  genre.  Donc,  6  mon  Dieu, 
vous  me  serez  plus  cher  que  dix  mille  vies.  Je 
n'estimerais  rien  des  millions  de  monde,  au  prix 
de  vous  seul,  o  mon  Dieu.  Oh  !  que  je  voudrais 
avoir  les  cœurs  de  tous  les  hommes,  afin  de  vous 
désirer  une  gloire  infinie  pendant  toute  l'éternité. 
Vous  êtes  dans  l'abondance  des  biens  et  des  joies  : 


356        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

je  m'en  réjouis  sincèrement.  «  O  justes,  réjouis- 
«  se\-vous  dans  le  Seigneur,  tressaille^  d'allé- 
<f.  gresse  y>  (Ps.  32),  non  pas  parce  que  la 
prospérité  habite  chez  vous,  parce  que  votre  corps 
est  en  bonne  santé,  ou  encore  parce  que  vos 
champs  produisent  de  belles  moissons  ;  mais 
réjouissez-vous  de  ce  que  vous  avez  un  Seigneur 
doué  d'une  telle  beauté,  rempli  d'une  telle  bonté 
et  qui  excelle  dans  la  sagesse  (i).  O  Esprit  sacré, 
qui  êtes  un  maître  en  amour  céleste,  enseignez- 
moi  ces  trois  actes  d'amour,  afin  que  j'en  fasse 
mon  occupation  ordinaire  et  que  ce  soit  pour  moi 
«  un  triple  lien  difficile  à  rompre  »  (Eccl.  4). 
Ce  lien  m'unira  aux  trois  Personnes  divines  par 
des  affections  si  fortes  et  si  constantes  qu'elles 
seront  immortelles. 

III 

Le  Saint-Esprit  est  produit  par  l'amour  de  tous 
les  objets  aimables,  si  bien  qu'il  n'y  a  rien  d'aima- 
ble qui  ne  soit  aimé  dans  l'acte  dont  le  terme  est 
la  production  du  Saint-Esprit.  C'est  un  amour 
universel  ;  Dieu  le  Père  et  Dieu  le  Fils  ont  un 
amour  tel  que  rien  n'en  est  exclu.  Ils  aiment  leurs 
Personnes,  leur  Essence,  le  Saint-Esprit,  même 
en  le  produisant  :  ils  aiment  tout  ce  qui  est  divin. 
Et  comme  leur  amour  est  infini,  il  s'étend  aux 
créatures  possibles,  au  monde,  avant  qu'il  fut  créé, 
aux  anges  et  aux  hommes  ;  en  un  mot  à  toutes  les 
créatures  que  Dieu  a  aimées,  à  tout  ce  que  le  ciel 
renferme  et  il  n'est  personne  qui  soit  à  l'abri  des 
étincelles  qui   jaillissent  de    ce  foyer  d'amour.  Il 

I.  D.  Basil,  in  hune  Psal. 


DE   LA   TRÈS    s'aINTE   TÈINITÉ  357 

est  vrai  que  cet  amour  ne  laisserait  pas  d'être  par- 
fait, quand  même  les  créatures  n'en  seraient  pas 
aussi  l'objet;  il  est  en  effet  achevé  et  accompli  par 
son  objet  premier  et  principal  qui  est  l'Essence 
divine  et  ne  reçoit  aucun  accroissement  des  créa- 
tures qui  sont  seulement  pour  lui  des  objets 
secondaires.  C'est  pourquoi  le  Saint-Esprit  ne 
laisserait  pas  d'être  produit,  quand  bien  même  les 
créatures  ne  seraient  pas  aimées.  Mais  c'est  la 
merveille  de  cet  amour  infini  d'embrasser  tout  le 
divin  et  tout  l'humain,  l'incrééetle  créé  :  ainsi,  au 
moins  par  concomitance,  le  Saint-Esprit  est  pro- 
duit par  l'amour  du  Père  et  du  Fils  pour  les  créa- 
tures et  il  n'est  pas  plutôt  produit,  que  les 
créatures  ne  sont  aimées.  Comme  le  Père,  dit 
saint  Thomas  (i),  se  connaît  lui-même  et  toutes 
les  créatures  par  le  Verbe  qu'il  a  engendré  ;  ainsi 
il  s'aime  lui-même  et  toutes  les  créatures  par  le 
Saint-Esprit,  en  tant  que  le  Saint-Esprit  procède 
comme  l'amour  de  la  première  bonté,  selon 
laquelle  il  s'aime  lui-même  ainsi  que  toutes  les 
créatures. 

O  charité  de  Dieu  !  ô  excès  d'amour  !  Si  j'ai 
déjà  constaté  avec  admiration  que  les  créatures 
sont  l'objet  de  la  connaissance  par  laquelle  le  Père 
produit  son  Verbe,  je  veux  maintenant  me  laisser 
aller  à  un  sentiment  d'admiration  encore  plus  vif, 
à  la  pensée  que  les  créatures  font  l'objet  de  l'a- 
mour dont  le  Saint-Esprit  procède.  Oh  !  l'incompa- 
rable avantage  !  oh  !  la  joie  immense  que  doivent 
goûter  les  créatures  dans  le  Saint-Esprit  !  Oh  I  qu'il 
lui  appartient  bien  d'être  appelé  le  paraclet  et  le 

I.  Quœst,  17,  art.  ). 


35S  LA    THÉOLOGIE    AFFECtIVE 

consolateur  !  Car  quand  nous  apprenons  que  Dieu 
nous  voit  et  nous  connaît,  ce  doit  être  pour  nous 
un  grand  sujet  de  confusion  de  penser  que  nous, 
si  misérables  et  si  pleins  de  défauts  nous  parais- 
sons devant  une  telle  lumière  :  mais,  quand  on 
nous  dit  que  Dieu  nous  aime,  c'est  notre  bien, 
notre  gloire,  notre  exaltation  qu'on  nous  annonce. 
Que  Dieu  nous  aime  du  même  amour  dont  le 
Saint-Esprit  émane,  et  que  l'amour  qu'il  nous 
porte  accompagne  cette  émanation  éternelle, 
quelle  admirable  consolation,  quel  honneur  pour 
la  créature,  quelle  merveille  de  l'éternel  amour  ! 
que  ferai-je  pour  le  reconnaître  ?  Ce  sera  toujours 
un  vif  regret  pour  moi,  mon  Dieu,  de  vous  avoir 
aimé  trop  tard.  Ah  !  beauté  toujours  ancienne  et 
toujours  nouvelle  1  je  vous  ai  aimée  trop  tard. 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  SSg 

XIV^  MÉDITATION 

DES 

TROIS  AUTRES  PARTICULARITÉS 

DU  SAINT-ESPRIT 


SOMMAIRE 

Il  appartient  au  Saint-Esprit^  selon  sa  pro- 
priété personnelle —  d'être  le  lien  du  Père  et 
du  Fils  —  d'être  le  dernier  terme  des  produc- 
tions immanentes  de  Dieu  —  d'être,  entre 
toutes  les  Personnes  divines^  la  moins  éloi- 
gnée des  créatures. 

I 

LE  Saint-Esprit  a  cela  de  propre  dans  son  Etre 
personnel,  d'être  le  lien  du  Père  et  du  Fils,  et 
comme  dit  saint  Bernard  (i),  leur  baiser,  leur  paix 
inaltérable,  leur  indivisible  amour.  Il  est,  dis-je, 
le  lien  du  Père  et  du  Fils,  lien  si  fort  et  si  indis- 
soluble qu'aucune  force,  aucun  désaccord  ne  peut 
le  rompre. 

La  raison,  c'est  que  le  Père  et  le  Fils  ne  sont 
tous  les  deux  ensemble  qu'un  seul  principe,  qu'un 
seul  producteur,  par  une  spiration  unique,  du 
Saint-Esprit.  En  eux  considérés  comme  principe 
qui  produit  le  Saint-Esprit,  il  n'y  'a  pas  de  plura- 
lité, mais  une  souveraine  unité,  parce  qu'ils  n'ont 

|.  Serm.  8.  in  Canf, 


36o  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

qu'un  seul  et  unique  amour  actif,  qui  leur  est 
aussi  nécessaire  que  l'Essence  même,  par  laquelle 
ils  sont  principe  de  son  existence.  De  plus  le  Père 
et  le  Fils  n'ont  qu'un  seul  et  même  rapport  avec 
le  Saint-Esprit,  et  le  Saint-Esprit  n'a  qu'un  seul 
rapport  avec  le  Père  et  le  Fils.  Dieu  le  Père  est 
bien  le  principe  de  deux  Personnes,  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit,  mais  il  n'est  pas  le  lien  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit,  parce  que  le  Fils  et  le  Saint-Esprit 
ont  des  relations  distinctes  avec  le  Père  ;  car  le 
Fils,  par  sa  filiation,  se  rapporte  au  Père,  comme 
engendrant,  et  le  Saint-Esprit,  par  sa  spiration 
passive,  se  rapporte  à  lui  comme  spirateur.  Aussi 
dans  les  relations  du  Fils  et  du  Saint-Esprit  au 
Père,  il  n'y  a  pas  d'unité,  mais  le  Père  et  le  Fils 
ont  cette  unité  dans  la  spiration  active  qui  produit 
le  Saint-Esprit  :  c'est  pour  cela  qu'il  est  leur  lien. 
Le  propre  de  l'amour  n'est-il  pas  d'unir  ?  Or  le 
Saint-Esprit  est  l'amour  incréé. 

Vous  donc,  ô  amour  incréé  qui  êtes  le  lien  du 
Père  et  du  Fils,  soyez  aussi  par  la  diffusion  de 
votre  charité,  le  lien  de  la  créature  avec  son  Créa- 
teur. Unissez-nous  à  notre  principe  par  un  lien  si 
fort,  que  ni  le  ciel,  ni  la  terre,  ni  la  mort,  ni  l'en- 
fer ne  puissent  le  rompre.  Et  puisque  le  Père  et 
le  Fils  ne  vous  produisent  que  dans  l'unité,  c'est- 
à-dire,  parce  qu'ils  sont  un  dans  l'amour,  de 
même  qu'ils  ne  vous  donnent  aux  Apôtres  que 
lorsqu'ils  sont  réunis  dans  le  cénacle  ;  ô  Esprit  de 
paix,  par  cette  unité  qui  vous  est  si  propre  et  si 
intime,  donnez-nous  la  paix  et  la  concorde  dans 
cette  vie,  afin  que  nous  arrivions  à  l'union  et  à  la 
paix  éternelle. 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  36l 


II 

Il  appartient  encore  d'une  manière  propre  au 
Saint-Esprit  d'être  le  dernier  terme  des  produc- 
tions immanentes  de  Dieu  :  il  n'est  pas  le  dernier 
en  dignité  ou  en  excellence,  mais  dans  l'ordre 
d'origine.  Après  lui  en  effet  aucune  autre  per" 
sonne  n'est  produite  :  c'est  lui  qui  est  la  dernière, 
de  même  que  le  Père  est  la  première  Personne  qui 
produit  et  qu'avant  lui  il  n'y  a  pas  de  personne 
divine.  Ce  n'est  pas  que  le  Saint-Esprit  n'ait  pas 
une  intelligence  capable  de  connaître  et  une 
volonté  capable  d'aimer  :  mais  sa  connaissance 
est  essentielle  et  seulement  spéculative,  elle  ne 
produit  rien,  parce  que  le  Fils  épuise  et  termine 
la  puissance  de  l'intelligence  divine.  L'amour  de 
sa  volonté  est  également  essentiel  et  ne  produit 
rien,  parce  que  c'est  le  Saint-Esprit  lui-même  qui 
est  le  terme  produit  par  cette  volonté,  terme  infini 
et  si  parfait  qu'il  épuise  pareillement  la  puissance 
de  produire  de  la  volonté  et  la  termine.  Donc 
après  la  production  du  Saint-Esprit,  le  Père  et  le 
Fils  ne  produisent  pas  d'autres  Personnes  divines 
et  le  Saint-Esprit  est  leur  dernier  terme,  leur  repos 
et  comme  leur  sabbat  éternel.  D'après  un  auteur 
ancien,  le  Saint-Esprit  est  le  centre  de  celui  qui 
engendre  et  de  celui  qui  est  engendré,  c'est-à-dire 
du  Père  et  du  Fils  qui  s'arrêtent  dans  les  perfec- 
tions infinies  du  Saint-Esprit  et  ne  passent  pas  à 
d'autres  productions  immanentes.  Si  donc  le  Saint- 
Esprit  ne  produit  pas  une  autre  personne  divine, 
ce  n'est  pas  impuissance  de  sa  part  :  au  contraire, 
la  raison  en  est  qu'étant  infini,  il  remplit,  égale  et 


362  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

épuise  tellement  la  fécondité  de  l'amour  divin  en 
Dieu,  qu'après  lui  il  ne  reste  plus  rien  à  produire. 
Car,  dit  saint  Clément  d'Alexandrie  (i),  le  Saint- 
Esprit  renferme  dans  son  unité  toutes  choses,  il 
communique  à  tous  les  êtres  quelque  chose  de 
cette  unité  comme  aussi  de  sa  durée,  il  nous  unit  à 
lui  comme  ses  membres  :  il  est  bon  à  tous  les 
points  de  vue,  infiniment  sage  et  juge  parfait  ;  à 
lui  gloire  et  honneur  maintenant  et  dans  les  siècles 
des  siècles. 

C'est  donc  le  Saint-Esprit  qui  par  sa  perfection 
infinie  met  un  terme  aux  productions  de  l'infinie 
Trinité.  Ce  n'est  pas  le  Fils,  c'est-à-dire  la  sagesse, 
qui  sert  de  terme  aux  productions  divines,  mais 
c'est  l'amour.  Ce  n'est  donc  pas,  o  mon  âme,  dans 
la  connaissance  et  dans  la  sagesse  que  nous  devons 
nous  reposer,  mais  dans  l'amour.  Très  aimable 
Seigneur,  vous  nous  avez  créés  pour  vous  aimer  et 
notre  cœur  ne  trouvera  le  repos  qu'en  vous,  dans 
votre  charité,  dans  votre  amour.  C'est  donc  en 
vain,  o  mon  àme,  que  tu  te  fatigues  tant  pour  ac- 
quérir la  science,  si  tu  délaisses  l'amour.  O 
Esprit-Saint  accordez-moi  donc  l'amour  que  je 
demande  pour  jouirdu  repos. 

III 

Enfin  il  appartient  en  propre  au  Saint-Esprit 
d'être  de  toutes  les  Personnes  divines  la  plus  rap- 
prochée des  créatures,  selon  l'ordre  dont  toutes 
choses  émanent  de  Dieu  le  Père  ;  car  le  Saint- 
Esprit  ne  produisant  pas  de  personne  divine,  et 
étant  la  dernière  Personne  de  la  Trinité,  tout  ce 

(0  Pedag.,  \.  3,  c.  ii. 


DE    LA   TRÈS    SAINTE    TlîlNîTÉ  365 

qui  est  produit  après  lui,  c'est  le  monde  et  toutes 
les  créatures  qu'il  renferme.  Après  le  Père,  le 
Fils  est  le  premier  par  ordre  ;  après  le  Fils, 
le  Saint-Esprit  ;  après  le  Saint-Esprit,  les  Sé- 
raphins et  les  autres  anges  inférieurs  et  en 
dernier  lieu  les  créatures  corporelles.  Et  si 
nous  voulons  remonter  des  créatures  aux  Person- 
nes divines,  quand  nous  avons  dépassé  les  plus 
sublimes  créatures,  c'est  le  Saint-Esprit  que  nous 
rencontrons  le  premier,  et  c'est  lui  que  nous 
trouvons  immédiatement  au-dessus  des  anges  et 
de  l'incomparable  Vierge.  Et  ainsi,  comme  en  sui- 
vant l'ordre  des  productions  en  Dieu,  on  va  du 
Père  aux  autres  Personnes  et  on  trouve  comme 
dernière  Personne  le  Saint-Esprit  ;  en  remontant 
au  contraire  des  créatures  au  Père,  la  première 
Personne  divine  que  nous  rencontrons  et  par  con- 
séquent celle  qui  est  la  plus  proche  de  nous,  c'est 
le  Saint-Esprit.  Et  voilà  le  motif  pour  lequel  les 
anges  soupirent  après  le  Saint-Esprit,  «  dont,  dit 
saint  Pierre,  ils  désirent  voir  la  face.  »  (i  Pierr.  i.) 
Comme  ils  veulent  aimer  quelque  chose  au- 
dessus  d'eux  et  que  la  première  personne  qu'ils 
rencontrent  est  le  Saint-Esprit,  c'est  à  lui  qu'ils 
offrent  leurs  premières  ardeurs  et  leurs  premières 
affections  ;  et  bien  que  cette  vue  et  cet  amour  les 
rassasient,  ils  ne  cessent  cependant  de  les  désirer, 
car  leur  rassasiement  est  sans  dégoût  et  leur  désir 
est  sans  peine  (i). 

O  Esprit  des  esprits,  source  de  sainteté,  de  sa- 
gesse et  de  félicité,  puisqu'on  ne  vous  trouve  que 
dès  qu'on  a  franchi  les  degrés  des  créatures,  élevez 

I,  Isidor.  de  Summo  bon.  1.  i,  cap.  a. 


364  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

nos  affections  au-dessus  des  choses  créées,  afin 
que  nous  ayons  le  bonheur  de  vous  rencontrer, 
pour  nous  unir  à  vous  et  par  vous  au  Père  et  au 
Fils,  afin  que  comme  l'épouse  que  vous  inspirez, 
nous  puissions  dire  :  «  fai  trouvé  mon  bien- 
«  aimé  »  (Cant.  3),  qui  est  l'Amour,  le  Saint-Esprit 
que  mon  âme  chérit.  Hélas  !  quand  donc  pourrai- 
je  jouir  de  ce  bien  que  j'espère  ?  quand  verrai-je 
la  face  et  la  beauté  de  cet  Esprit  de  douceur  et  de 
clémence  ?  car  je  crois,  ô  Esprit  très-saint,  que 
votre  beauté  est  parfaite  et  infinie,  puisque  les 
Anges  qui  vous  voient,  désirent  toujours  vous 
voir  :  aussi  c'est  de  tout  mon  cœur  que  je  recher- 
che la  vue  de  votre  face  très-aimable.  Ne  me 
rejetez  pas  de  votre  présence  ;  vous  qui  êtes  ma 
vie  et  l'objet  de  tous  mes  désirs,  ne  me  séparez 
pas  de  vous.  Que  mon  âme,  rompant  les  liens  du 
corps  et  ceux  qui  l'attachent  aux  créatures,  se 
trouve  immédiatement  unie  à  vous,  qui  êtes  mon 
port  plein  de  sécurité,  mon  salut  et  ma  consola- 
tion et  en  l'absence  de  qui  ma  vie  s'écoule  dans 
les  misères  et  les  langueurs. 


DE   LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  365 


XV^  MÉDITATION 

JÉSUS  GLORIFIE 

LA  PERSONNE  DU  SAINT-ESPRIT 

DE  TROIS  MANIÈRES 


SOMMAIRE 

Il  glorifie  le  Saint-Esprit  —  en  détournant  les 
hommes  de  ï offenser  —  en  lui  donnant  des 
titres  glorieux  —  en  le  promettant  à  l'Eglise. 

I 

JÉSUS  a  glorifié  le  Saint-Esprit  et  travaillé  à  sa 
gloire  avec  un  grand  zèle  :  premièrement  en 
détournant  les  hommes  de  l'offenser  :  dans  ce  but 
il  a  employé  des  paroles  effrayantes  et  pleines 
d'une  mystérieuse  obscurité,  afin  de  donner  à 
penser  combien  c'est  chose  grave  de  l'offenser. 
«  A  quiconque  aura  dit  une  parole  contre  le 
«  Fils  de  TJiomme,  il  sera  pardonné  :  mais  celui 
«  qui  aura  parlé  contre  le  Saint-Esprit,  nob- 
«  tiendra  son  pardon^  ni  dans  ce  siècle  ni  dans 
«  le  siècle  à  venir.  »  (Matt.  12.)  Le  Saint-Esprit 
avait  glorifié  Jésus  sur  la  terre  et  lui  avait  rendu 
des  offices  incomparables.  Aux  prophètes  il  avait 
inspiré  de  parler  de  lui,  d'annoncer  sa  venue  au 
monde  et  de  publier  à  l'avance  ses  grandeurs, 
pour  disposer  les  nations  à  le  recevoir.  II  intcr- 


366  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

vient  encore  quand  Jésus  vient  au  monde  :  quand 
il  est  conçu  dans  le  sein  de  la  Vierge  très-pure, 
c'est  le  Saint-Esprit  qui  opère  cette  admirable 
conception  :  car  il  est  «  ïa  Vertu  du  Très-Haut, 
«  qui  couvrit  la  Vierge  de  son  ombre  »  (Luc  i)  ; 
en  sorte  que  «  ce  qui  est  né  en  elle,  est  du  Saint- 
«  Esprit  ».  C'est  le  Saint-Esprit  qui  en  formant 
son  corps,  embellit  aussi  son  âme  de  tous  ses  dons. 
C'est  lui  qui  prend  la  direction  toute  spéciale  de 
son  humanité,  car  Jésus  est  conduit  dans  le 
«  désert  par  VEsprit  »  (Matt.  4),  c'est-à-dire  par 
le  Saint-Esprit  qui  le  dirige  en  tout.  C'est  le 
Saint-Esprit  qui  descend  visiblement  en  lui  sous 
la  forme  d'une  colombe,  quand  il  est  baptisé  dans 
le  Jourdain.  En  un  mot,  le  Saint-Esprit  fait  écla- 
ter en  Jésus  la  puissance  et  les  œuvres  merveil- 
leuses, à  tel  point  que  le  Sauveur  reconnaissant  ce 
qu'il  avait  reçu  du  Saint-Esprit,  disait  de  lui  :  «  // 
«  me  glorifiera  »  (Jean  16)  ;  c'est-à-dire  il  mon- 
trera, à  force  de  miracles,  que  je  suis  le  Fils  de 
Dieu  et  le  Sauveur  du  monde,  il  inspirera  aux 
hommes  de  croire  à  mes  paroles  et  de  reconnaître 
mes  grandeurs. 

Pour  tous  ces  motifs,  Jésus  devait  être  plein 
d'un  zèle  ardent  pour  glorifier  le  Saint-Esprit. 
Aussi  le  glorifie-t-il  en  réalité  de  diverses  maniè- 
res, et  le  fait-il  honorer  de  tout  le  monde.  D'abord 
il  s'emploie  à  détourner  les  hommes  de  l'offenser  : 
il  les  menace  de  sa  colère  implacable  et  éternelle, 
s'ils  viennent  à  parler  contre  lui.  Jamais  il  ne  parut 
plus  terrible  que  lorsqu'il  s'agissait  d'une  injure 
faite  à  l'Esprit-Saint.  On  le  vit  alors,  lui  qui  a 
toujours  eu  les  bras  ouverts  pour  recevoir  les  plus 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  867 

abominables  pécheurs,  oublier  en  quelque  sorte 
son  naturel  et  les  lois  de  sa  miséricorde,  pour  en 
appeler  à  celles  d'une  impitoyable  justice.  Ce  n'est 
pas  qu'il  y  ait  des  péchés  irrémissibles  pour 
l'homme  qui  ne  s'y  obstine  pas  jusqu'à  la  mort, 
pour  celui  qui  s'en  repend  amèrement  :  ce  que 
Jésus  veut  faire  entendre,  c'est  que  les  paroles 
injurieuses  contre  le  Saint-Esprit  ne  se  pardon- 
nent que  difficilement,  parce  que  ceux  qui  les  pro- 
fèrent méritent  par  leur  extrême  malice,  d'être 
privés  des  grâces  plus  spéciales  de  Dieu.  En 
réalité  Dieu  en  prive  plusieurs  d'entre  eux  ;  aussi 
meurent-ils  sans  se  convertir,  dans  l'impénitence 
finale  et  eux-mêmes  rejettent  le  remède  du  péché. 
Mais  c'est  assez  disserter  sur  un  sujet  qui,  au 
jugement  de  saint  Augustin,  est  fort  difficile. 

Je  reconnaîtrai  donc  le  zèle  de  Jésus  à  l'égard 
du  Saint-Esprit  et  je  saurai  combien  c'est  une  faute 
grave  de  prononcer  des  paroles  injurieuses  contre 
les  Personnes  divines.  Oh  !  que  les  blasphéma- 
teurs sont  exécrables!  «  Que  jamais  je  ne parti- 
«  cipe  à  leurs  assemblées  et  que  je  ne  mette 
«  jamais  ma  gloire  à  entrer  dans  leurs  con- 
«  seils!  »  (Gcn.  4g.)  O  Jésus,  imprimez  dans  mon 
âme  votre  zèle  et  votre  amour,  pour  que  je 
détourne  de  tout  mon  pouvoir  les  hommes  de  pro- 
férer avec  tant  d'audace  des  blasphèmes  dont  le 
pardon  est  si  difficile  à  obtenir. 

II 

Jésus  a  encore  glorifié  le  Saint-Esprit,  en  lui 
décernant  des  titres  glorieux  dont  les  Evangiles 
sont  émaillés  comme  de  belles  fleurs  :  il  nous  a 


368  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

fait  comprendre  par  là  l'excellence  du  Saint-Esprit 
et  le  respect  que  nous  devons  lui  porter.  Il  n'a 
pas  trouvé  qu'il  eût  assez  fait  en  empêchant  les 
hommes  de  parler  du  Saint-Esprit  d'une  manière 
injurieuse,  il  a  voulu  encore  les  exciter  par  son 
exemple  à  en  parler  avec  honneur  et  à  le  combler 
de  louanges.  Il  a  dit  de  lui  «  Quand  viendra  le 
«  Paraclet,  qui  procède  du  Père,  VEsprit  de 
«  vérité,  il  rendra  témoignage  de  moi  »  (Jean.  i5). 
Dans  cette  seule  phrase,  il  lui  décerne  deux  élo- 
ges :  il  l'appelle  le  Paraclet,  à  cause  de  l'abondance 
des  consolations  et  des  douceurs  spirituelles  qu'il 
verse  dans  les  âmes  saintes  ici-bas  et  dans  le  ciel  ; 
en  second  lieu  il  l'appelle  l'Esprit  de  vérité,  pour 
l'opposer  à  l'esprit  du  mal,  qui  n'inspire  que  la 
tromperie  et  le  mensonge,  tandis  que  le  Saint- 
Esprit  est  le  docteur  de  la  vérité.  Il  l'appelle  le 
don  de  Dieu,  dans  son  entretien  avec  la  Samari- 
taine :  «  O  femme,  si  tu  connaissais  le  don  de 
«  Dieu  !  »  (Jean.  4),  c'est-à-dire  le  Saint-Esprit, 
car  de  tous  les  dons  le  premier  et  la  source  de 
tous  les  autres,  c'est  l'amour  :  c'est  pour  cela  que 
le  Saint-Esprit  mérite  le  nom  de  don  au  môme 
titre  que  le  nom  d'amour.  Il  l'appelle  une  eau  vive, 
parce  qu'il  lave  les  taches  de  l'àme  en  remettant 
les  péchés,  comme  l'eau  lave  celles  du  corps,  et 
aussi  parce  qu'il  est  vivant  et  vivifiant.  Il  ne  sau- 
rait être  une  eau  morte,  mais  bien  une  eau  vive 
qui  se  meut  elle-mcmc  et  excite  dans  l'âme  des 
mouvements  célestes,  des  transports  divins  qui 
relèvent  au-dessus  de  la  terre.  C'est  à  ce  titre  que 
Jésus  l'appelle  encore  une  fontaine  d'eau  qui 
jaillit  jusqu'au  ciel  :   «  Cette  eau,  deviendra  che^ 


nE    l.A   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  ù6g 

«  celui  qui  en  boira,  une  fontaine  qui  jaillira 
«  jusquà  la  vie  éternelle.  »  (Jean,  4.)  On  peut 
comparer  les  âmes  à  de  beaux  parterres  de  fleurs 
à  cause  de  la  variété  de  leurs  vertus  :  le  Saint- 
Esprit  est  alors  comme  une  fontaine  qui  les  arrose 
de  ses  grâces  continuelles.  Sous  ses  célestes 
influences  on  voit  les  âmes  s'élever  par  leurs 
mérites  jusqu'à  la  vie  éternelle.  Enfin  Jésus  vou- 
lant louer  la  bonté  infinie  de  l'Esprit-Saint  dit  de 
lui  qu'il  est  plus  doux  que  le  miel  :  «  Vous  tous 
«  qui  soupire:^  vers  moi,  vene\  et  je  vous  rem- 
«  plirai  de  mes  fruits,  car  mon  Esprit  est  plus 
«  doux  que  le  miel.  »  (Eccl.  24.)  Lui-même  en 
ressentait  les  douceurs,  car,  selon  la  parole  de 
saint  Luc,  «  sa  Joie  était  dans  le  Saint-Esprit.  » 
«  Bénissons  donc  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Es- 
prit, louons-les  et  exaltons-les  dans  les  siècles  des 
siècles.  »  Glorifions-le  aussi  en  union  avec  Jésus 
qui  le  glorifie.  O  Saint-Esprit,  Seigneur  vivifiant, 
qui  êtes  consubstantiel  au  Père  et  au  Fils  et  qui 
procédez  d'une  manière  admirable  de  l'un  et  de 
l'autre,  o  lumière  et  chaleur  des  cœurs,  o  inspira- 
teur des  chastes  conseils,  o  auteur  des  vertus,  je 
vous  adore,  je  vous  loue,  je  vous  bénis,  je  vous 
glorifie  !  O  consolateur  des  affligés,  dissipez  mes 
ennuis  et  mes  obscurités  intérieures  !  O  Esprit  de 
vérité,  éclairez  mon  esprit  et  délivrez-moi  de  l'er- 
reur et  de  l'ignorance  !  O  don  au-dessus  de  tous 
les  dons,  enrichissez-moi  de  vertus  !  O  fontaine 
d'eau  vive,  lavez  mes  souillures,  éteignez  l'ardeur 
de  mes  convoitises  terrestres,  donnez-moi  des 
inspirations  et  des  élans  vers  le  ciel,  mais  surtout 
faites-moi    éprouver   la    suavité    dont   vous   êtes 

Bail,  t.  i,  34 


SyO        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

rempli  et  cette  douceur  supérieure  à  celle  du  miel 
dont  vous  comblez  Tàme  qui  vous  désire. 

III 

Jésus  glorifie  encore  le  Saint-Esprit  d'une  troi- 
sième manière,  en  le  promettant  aux  Apôtres  et  à 
l'Eglise  :  il  devait  les  remplir  de  toutes  sortes  de 
biens  et  achever  l'œuvre  de  la  Rédemption  que 
lui-même  avait  commencée.  Par  ce  moyen  il 
veut  nous  faire  savoir  que  l'Esprit-Saint  est  la 
source  de  tous  les  biens  spirituels.  Parle-t-il  de 
lui-même?  il  le  fait  avec  la  plus  grande  modestie, 
afin  que  toute  gloire  revienne  au  Saint-Esprit.  Il 
disait:  «  //  vous  est  utile  que  Je  m'en  aille;  car 
«  si  je  ne  m'en  vais,  le  Paraclet  ne  viendra  pas  ; 
«  et  si  je  m'en  vais,  je  vous  V enverrai.  »  (Jean,  i6.) 
Il  semble  qu'il  ait  voulu  laisser  entendre  que 
nous  devions  souhaiter  la  présence  du  Saint- 
Esprit  plus  que  la  sienne  ;  et  qu'il  vaut  mieux 
qu'il  s'en  aille,  afin  que  le  Saint-Esprit  nous  soit 
envoyé.  Il  ajoute  :  «  Quand  VEsprit  de  vérité 
«  sera  venu  y  il  vous  enseignera  toute  vérité,  » 
(Ibid.)  qu'il  vous  importera  de  savoir;  comme  si 
lui-même  qui  est  la  vraie  lumière  du  monde,  l'ora- 
cle de  toute  sagesse,  n'eût  rien  enseigné  aux  hom- 
mes dans  tant  de  discours  sublimes  qui  tombèrent 
de  ses  lèvres  divines.  Jésus  s'exprime  ainsi  poussé 
par  son  zèle  pour  la  glorification  de  l'Esprit-Saint, 
et  par  son  désir  de  disposer  les  hommes  à  l'esti- 
mer grandement,  à  concevoir  une  haute  idée  de  sa 
Personne  adorable. 

En  réalité  le  Saint-Esprit  est  le  trésor  de  l'Eglise, 
l'ornement  des  âmes  :   car  les  âmes   unies  à   lui 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  871 

sont  nobles,  riches,  divines  ;  séparées  de  lui,  elles 
sont  viles,  misérables,  diaboliques.  On  peut  s'en 
rendre  compte  en  comparant  une  créature  qui  le 
possède  avec  celle  qui  en  est  privée.  Parmi  les 
anges  nous  trouvons  ce  contraste  frappant  entre 
Lucifer  qui  est  un  démon  et  saint  Gabriel  et  le 
glorieux  saint  Michel  :  parmi  les  hommes  et  dans 
l'ordre  des  Apôtres,  ce  même  contraste  apparaît 
entre  saint  Pierre,  qui  est  un  apôtre,  et  Judas,  qui 
est  un  démon.  D'où  vient  toute  la  différence  ?  De 
ce  que  cet  ange  ou  cet  homme  participe  à  cet 
Amour  infini,  tandis  que  l'autre  en  est  exclu. 
Rupert  (i)  conclut  que  la  créature  a  reçu  du  Verbe 
la  vie  et  de  l'Esprit-Saint  la  vie  sainte  ;  car  elle 
est  l'effet  de  l'amour  qui  est  spécialement  attribué 
à  l'Esprit-Saint. 

En  quelle  estime  toutes  les  âmes  fidèles  ne 
doivent-elles  donc  pas  tenir  l'Esprit-Saint  et  avec 
quels  ardents  désirs  ne  doivent-elles  pas  l'appeler 
en  elles.  O  Seigneur  l  que  votre  Esprit  est  suave 
et  bon  envers  tous! 

O  Jésus,  donnez-moi  cet  Esprit  que  vous  m'avez 
promis.  Hélas  !  m'avez-vous  donc  abandonné  ? 
Suis-je  rejeté  du  nombre  de  vos  élus,  moi  dont 
les  soupirs  ne  sont  pas  entendus  ?  Votre  Esprit  est 
mon  salut,  mon  bien  très  désirable,  toute  la  subs- 
tance même  et  la  richesse  de  mon  âme  :  pour 
moi  plus  de  soulagement,  plus  de  joie,  si  j'en  suis 
privé.  Seigneur,  si  vous  me  consolez  par  la  pré- 
sence de  votre  Esprit,  je  m'offrirai  mille  fois  en 
holocauste.  Mais  hélas  !  j'entends  la  voix  de  votre 
Apôtre  :  «  L'homme  animal  ne  comprend  pas 

I.  Rupert.  De  optr-  S^.S.,  1.  i.  cap.  }, 


372  LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

«  les  choses  de  V Esprit  de  Dieu.  »  (I  Cor.  2.) 
C'est  moi  qui  suis  cet  homme  animal,  moi,  trop 
asservi  à  mes  sens  et  à  tout  ce  qui  est  sensible. 
Aussi  je  souhaiterai  d'être  spirituel  et  je  déplore- 
rai mon  misérable  état  ainsi  que  l'assujettisse- 
ment de  mes  sens  sous  la  tyrannie  des  êtres  de 
ce  monde. 


XVr  MÉDITATION 

DE  L'ÉGALITÉ 
DES  PERSONNES  DIVINES 


SOMMAIRE 

Les  Personnes  divines  sont  égales  dans  la  per- 
fection de  leur  substance  ;  —  dans  la  gran- 
deur de  leurs  attributs  ;  —  en  face  des  hom- 
mes qui  leur  doivent  la  même  adoration ^  le 
même  amour,  le  même  service. 

I 

LES  Personnes  divines  sont  égales  en  ce  qui 
concerne  leur  substance,  abstraction  faite 
de  leurs  attributs  :  sous  ce  rapport  deux  Person- 
nes ne  sont  pas  plus  parfaites  qu'une  seule  et 
une  seule  Personne  n'est  inférieure  en  rien  aux 
deux  autres  ensemble.  Une  Personne  seule,  con- 
sidérée selon  sa  substance  et  abstraction  faite  des 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  SyS 

attributs  a,  d'après  ce  que  nous  enseigne  la  foi, 
deux  choses  que  nous  devons  adorer  en  elle, 
savoir,  l'Essence  absolue  et  la  subsistance  rela- 
tive. Or,  au  point  de  vue  de  ces  deux  choses,  les 
Personnes  divines  sont  égales  et  n'ont  rien  de 
plus  ou  de  moins  l'une  que  l'autre. 

Si  nous  considérons  leur  Essence,  il  n'y  a  au- 
cune différence  entre  elles,  mais  une  unité  par- 
faite; ce  qui  est  bien  plus  que  de  la  ressemblance. 
En  effet,  elles  ont  toutes  une  même  Essence  abso- 
lue, qu'elles  possèdent  sans  partage  et  sans  divi- 
sion aucune.  Le  Père  dit  à  son  Fils  :  «  Tout  ce 
«  qui  est  à  vous^  est  à  moi  ;  »  et  le  Saint-Esprit 
peut  en  dire  autant  au  Père  et  au  Fils,  parce 
que  la  divinité  qu'ils  possèdent,  est  aussi  la 
sienne. 

Au  point  de  vue  de  leur  subsistance,  qui  les 
constitue  comme  Personnes  et  qui  les  distingue 
les  unes  des  autres,  il  n'y  a  pas  non  plus  d'inéga- 
lité, ni  aucune  sorte  d'avantage,  dont  l'une  puisse 
se  prévaloir  en  face  des  autres  et  par  lequel  elle 
puisse  les  dépasser  en  quelque  manière.  Toutes 
ces  subsistances  en  effet  sont  infinies  en  perfec- 
tion ;  et  comme  l'infini  ne  saurait  être  dépassé, 
une  subsistance  ne  peut  être  dépassée  en  perfec- 
tion par  une  autre.  Aussi  parfaite  est  la  filiation 
que  la  paternité  ;  la  spiration  passive  l'est  autant 
que  la  spiration  active  et  pareillement  autant 
que  la  paternité  ou  la  filiation  avec  lesquelles  elle 
est  identifiée.  Il  n'est  pas  plus  noble  pour  le  Père 
de  produire  qu'il  ne  l'est  pour  le  Fils  d'être  pro- 
duit :  il  est  aussi  parfait  de  recevoir  l'Essence 
divine  que  de  la  communiquer  ;  car  si  c'est  une 


$74  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

noblesse  infinie  pour  le  Père  de  produire  le  Fils, 
c'est  une  non  moins  grande  noblesse  pour  le  Fils 
d'égaler,  d'épuiser  et  de  terminer  cette  puissance 
par  sa  filiation.  Si  c'est  une  grande  chose  pour  le 
Père,  dit  le  Théologien  (i),  d'être  sans  principe, 
il  n'est  pas  moins  beau  pour  le  Fils  d'être  engen- 
dré par  un  tel  Père.  Outre  en  effet  qu'il  participe 
à  la  gloire  de  celui  qui  n'a  pas  d'origine,  —  il 
tient  l'être  de  lui  —  il  a  toute  la  beauté  de  cette 
génération  qui  doit  paraître  si  haute  et  si  véné- 
rable à  ceux  qui  savent  s'élever  un  peu  au-dessus 
de  la  terre  et  dont  l'esprit  n'est  pas  tout-à-fait 
grossier.  Il  faut  en  dire  autant  du  Saint-Esprit.  Il 
ne  peut  pas,  il  est  vrai,  produire  une  personne  in- 
créée, mais  il  peut  être  le  terme  de  la  puissance 
spirative  du  Père  et  du  Fils  et  à  ce  point  de  vue, 
il  égale  le  Père  et  le  Fils  et  il  n'a  rien  de  moins 
que  le  Père  et  le  Fils  ensemble,  parce  qu'il  est 
de  tout  point  infini. 

J'admirerai  le  mystère  de  l'égalité  des  Person- 
nes divines,  car  que  peut-il  y  avoir  de  plus  capa- 
ble de  ravir  notre  intelligence  ?  Elle  pourrait  bien 
concevoir  qu'une  Personne  soit  l'égale  d'une 
autre,  mais  qu'une  Personne  seule  soit  autant  que 
deux  Personnes  ensemble  qui  sont  infinies,  voilà 
qui  dépasse  toutes  ses  idées  et  toutes  ses  concep- 
tions. Si  les  trois  boules  trouvées  miraculeuse- 
ment dans  le  cœur  d'une  religieuse  de  l'ordre  de 

X.  Nazianz.  Oral.  ^5.  —  S.  Grégoire  de  Nazianze  est  désigné  le 
plut  souvent  par  son  surnom  de  Théologieû,  qui  lui  fut  donné  à 
cause  de  «on  intrépidité  à  défendre  la  foi  orthodoxe,  notamment  la 
divinité  de  Jésus-Chrit  contre  les  Ariens.  Saint  Jean  l'évangéliste 
avait  déjà  reçu  ce  glorieux  surnom,  pour  avoir  si  admirablement 
mis  en  lumière  ce  dogme  fondamental  du  christianisme  contrç  les 
hérétiques  de  *on  temps, 


DE   LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  ?)']b 

Saint  Augustin  (i),  et  dont  le  poids  fut  trouvé 
toujours  égal,  soit  qu'elles  fussent  pesées  séparé- 
ment, soit  qu'une  seule  fut  mise  en  balance  avec 
les  deux  autres,  oQt  jeté  dans  une  étrange  admi- 
ration ceux  qui  furent  les  témoins  de  ce  prodige  ; 
de  quel  étonnement  ne  doit  pas  être  saisi  l'esprit 
humain,  quand  il  médite  sur  cette  égalité  des 
Personnes  incréées.  O  Trinité  sainte  !  O  Trinité 
admirable  !  Trinité  incompréhensible  !  Trinité 
inaccessible  1 

II 

Les  Personnes  divines  sont  admirables  non 
seulement  dans  la  perfection  de  leur  substance, 
considérée  à  part,  mais  aussi  dans  la  grandeur  de 
leurs  attributs  ;  car  à  cause  de  la  faiblesse  de  notre 
esprit,  nous  concevons  les  attributs  comme  quel- 
que chose  qui  s'ajoute  à  la  substance  divine,  bien 
qu'en  réalité  ils  ne  soient  autre  chose  que  cette 
substance  même.  A  parler  rigoureusement,  l'égalité 
ne  peut  exister  que  chez  des  êtres  qui  ont  des 
dimensions  pareilles,  même  hauteur,  même 
longueur,  même  largeur  et  même  profondeur. 
Ces  dimensions  ne  se  trouvent  pas  en  Dieu  dans 
le  sens  matériel,  mais  elles  s'y  rencontrent  dans 
le  sens  spirituel.  Dieu  a  la  hauteur  de  la  souvt?- 
raineté  sur  tout  ce  qui  est  créé,  la  longueur  de  son 
éternité,  la  largeur  de  sa  bonté,  et  la  profondeur 
de  sa  science.  Or  les  trois  Personnes  divines 
participent  également  à  toutes  ces  perfections  : 
le  Père  est  souverain,  éternel,  bon,  infiniment 
savant;  le  Fils  aussi;  le  Saint-Esprit  pareillement. 

I.  Sainte  Claire  de  Monte  Falcot 


376  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 


D'où  vient  que  les  créatures  sont  dissemblables 
et  inégales  entre  elles,  sinon  de  ce  que  l'une  a 
plus  d'autorité,  plus  d'ancienneté,  plus  de  richesse, 
de  beauté,  de  science,  de  crédit,  de  force,  de  puis- 
sance ou  de  qualités  semblables.  Les  Personnes 
divines  n'ont  aucune  de  ces  inégalités  ;  car  Tune 
n'a  ni  plus  ni  moins  de  ces  perfections  que  l'autre  : 
puisque  leur  Essence  est  unique,  elles  ont  toutes 
dans  cette  Essence  la  plus  parfaite  communauté 
que  l'on  puisse  imaginer,  et  possèdent  cette  même 
Essence  avec  toutes  les  perfections  que  nous 
concevons  comme  découlant  d'elle,  bien  qu'elles 
n'en  soient  nullement  distinctes. 

Enfin  les  oeuvres  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit  sont  inséparables  :  d'où  ces  paroles  de 
Jésus-Christ  pleines  de  mystère  :  «  Le  Fils  ne 
«  peut  rien  faire  de  lui-même,  s'il  ne  le  voit 
«  faire  au  Père.  »  (Jean.  5.)  En  effet  le  Fils  n'a 
pas  fait  une  autre  lumière,  un  autre  firmament, 
un  autre  ciel  et  une  autre  mer,  en  un  mot,  un 
autre  monde,  que  le  Père.  Quand  le  Fils  créa 
toutes  ces  choses,  il  voyait  le  Père  les  créant  pareil- 
lement; ainsi  que  le  Saint-Esprit,  créant  ces 
mêmes  choses,  voyait  le  Père  et  le  Fils  qui  les 
créaient  en  même  temps  :  car  les  œuvres  que  les 
Personnes  divines  produisent  au-dehors  sont  le 
résultat  d'une  action  unique  des  trois  Personnes 
et  cette  action  remplit  de  biens  le  monde, 
elle  le  fait  participer  à  ces  perfections  infinies 
dont  la  Trinité  jouit  en  elle-même  avec  l'abon- 
dance de  toutes  sortes  de  biens. 

Je  féliciterai  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  qui  sont 
sur  le  pied  d'une  si  parfaite  égalité  avec  le  Père. 


DE   LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  877 

O  très  noble  Fils  !  o  Esprit  très  bon  !  je  me 
réjouis  cordialement  et  j'éprouve  un  indicible 
plaisir,  en  pensant  qu'en  tout  vous  marchez  de 
pair  avec  votre  éminent  et  sublime  principe.  Mau- 
dits soient  ces  esprits  rebelles,  ces  anges  damnés, 
qui  ont  osé  prétendre  à  cette  égalité  et  qui  ont 
voulu  se  l'attribuer  dans  leur  présomptueuse 
audace,  alors  qu'elle  n'appartient  qu'à  vous  ! 
Maudit  soit  à  tout  jamais  Arius,  ce  Judas,  et  tous 
les  ariens  également  traîtres,  qui  vous  ont  con- 
testé l'honneur  de  cette  égalité  et  qui  ont  essayé 
de  la  vous  ravir  injustement.  Cet  honneur  vous 
appartient  incontestablement  :  c'est  ma  croyance 
ferme,  inébranlable,  dans  laquelle  je  veux  vivre 
et  mourir.  Je  reconnais  que  dans  cette  Trinité  (i) 
il  n'y  a  rien  d'antérieur  ni  de  postérieur,  de  plus 
grand  ni  de  plus  petit,  mais  que  les  trois  Person- 
nes sont  éternelles  et  égales  entre  elles.  Oh  !  pos- 
sédez, possédez  toujours  cette  heureuse  égalité 
dans  une  ressemblance  parfaite,  dans  Tunité  d'un 
amour  éternellement  inaltérable. 

III 

Les  Personnes  divines  sont  encore  égales  en 
face  de  l'adoration,  de  l'amour,  de  l'honneur  et 
des  services  que  leur  doivent  les  créatures.  Nous 
ne  sommes  pas  obligés  d'adorer  une  Personne 
plus  que  l'autre  :  toutes  sont  également  adorables 
et  aimables  ;  parce  qu'elles  ont  une  même  gran- 
deur et  une  même  bonté,  elles  méritent  d'être 
estimées  et  servies  autant  l'une  que  l'autre.  De 
plus  toutes  les  trois  nous  font  également  du  bien 

I.  Symh.  de  saiot  Athanasc. 


SyS  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

par  une  même  volonté  et  toutes  les  trois  se  donnent 
également  en  récompense  de  nos  services.  Aussi 
qui  en  possède  une,  les  possède-t-il  toutes,  selon 
la  parole  du  Fils  de  Dieu  :  «  Qui  me  voit,  voit 
«  aussi  mon  Père  »  (Jean,  14.)  ;  qui  est  aimé 
de   l'une  est  aimé  des  autres. 

Il  est  vrai  que  nous  adorons  une  propriété  dans 
telle  Personne,  et  que  nous  ne  l'adorons  pas  dans 
les  deux  autres,  par  exemple  nous  adorons  la  pa- 
ternité dans  le  Père;  mais  en  revanche  dans  les 
autres  Personnes  nous  adorons  telle  autre  pro- 
priété qui,  bien  que  différente,  mérite  une  aussi 
haute  estime.  Donc  les  trois  Personnes  divines 
ont  droit  à  être  servies  par  nous  pour  des  motifs 
qui  sont  propres  à  chacune  d'elles,  mais  ces  motifs 
étant  égaux,  le  culte  que  nous  leur  rendons  à 
cause  de  ces  motifs,  doit  être  égal  aussi.  Le  Fils 
semblerait  mériter  plus  de  respect  et  d'amour  de 
la  part  des  créatures,  pour  s'être  uni  hypostatique- 
ment  à  notre  humanité,  et  pour  avoir  ainsi  donné 
à  ses  actions  et  à  ses  souffrances  une  valeur  infinie 
dans  le  but  d'en  faire  la  rançon  de  nos  péchés. 
Toutefois  il  convient,  quand  il  s'agit  d'un  bienfait, 
de  tenir  compte  de  la  bonne  volonté  qui  nous  l'a 
accordé.  Or  l'œuvre  surnaturelle  de  l'union  du 
Verbe  avec  la  nature  humaine,  a  été  accomplie  en 
vertu  d'une  détermination  commune  à  toutes  les 
trois  Personnes  de  la  Trinité,  qui  l'ont  voulue  par 
une  même  volonté.  Donc  nous  sommes  obligés  de 
rendre  au  Père,  au  Fils  et  au  Saint-Esprit,  les 
mêmes  témoignages  de  profond  respect,  sauf  le 
droit  spécial  qu'a  cette  humanité  de  Jésus  à  notre 
adoration  et  à  notre  amour. 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  879 

Pour  ces  raisons  je  me  proposerai  de  rendre 
autant  d'honneur  aux  Personnes  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit,  qu'à  la  Personne  du  Père  ;  je  les 
aimerai  avec  autant  d'ardeur  que  le  Père.  Mais,  ô 
mon  âme  —  et  c'est  une  remarque  importante  — 
nous  sommes  incapables  de  rendre  à  la  seule  Per- 
sonne du  Père  un  culte  digne  d'elle  ;  que  ferons- 
nous  alors  pour  la  Personne  du  Fils?  Et  que  nous 
restera-t-il  pour  le  Saint-Esprit  ?  Oh  !  que  n'avons- 
nous  en  notre  pouvoir  tous  les  amours  possibles, 
pour  satisfaire  à  nos  obligations  dans  la  plus  large 
mesure  !  Qu'il  ne  nous  arrive  donc  jamais  de  pen- 
ser que  nous  avons  trop  fait  pour  nous  acquitter 
de  cette  dette,  que  nous  avons  trop  adoré,  trop 
souffert  ;  car  nous  ne  pouvons  pas  même  satisfaire 
à  la  centième,  ni  à  la  millième  partie  de  nos  obli- 
gations. Cependant  c'est  un  avantage  pour  nous 
que  ces  Personnes  sacrées  n'aient  pas  de  volontés 
différentes,  car  quiconque  en  contente  une  seule, 
par  là  même  contente  les  autres.  Nous  ne  sommes 
pas  dans  le  cas  de  celui  qui  doit  faire  sa  paix  et  se 
réconcilier  avec  trois  partis  différents  :  a-t-il  satis- 
fait à  l'un  des  trois,  il  a  lieu  de  craindre  de  ne 
pouvoir  s'entendre  aussi  avec  les  deux  autres.  Mais 
ici  dès  que  nous  avons  satisfait  à  une  Personne 
divine,  la  paix  est  définitivement  conclue  et  nous 
sommes  en  repos.  Donc  ne  perdons  pas  courage,  ô 
mon  âme,  en  considérant  que  nous  sommes  rede- 
vables à  trois  Personnes  divines  ;  adorons-les  avec 
confiance,  et  si  nous  ne  pouvons  leur  ofi'rir  des  ado- 
rations égales  à  ce  que  mérite  leur  grandeur,  que 
du  moins  elles  soient  proportionnées  à  la  capacité  et 
à  la  puissance  que  nous  tenons  de  leur  miséricorde, 


)8o  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 


XVir  MÉDITATION 

DE   L'INEXISTENCE   MUTUELLE 
DES  PERSONNES  DIVINES 


SOMMAIRE 

Les  Personnes  divines  résident  Vune  dans  l'au- 
tre ;  — par  leur  substance;  — par  leur  pensée; 
—  par  leur  amour. 

I 

LES  Personnes  divines  résident  ou  sont  présen- 
tes intimement,  totalement  et  selon  toute 
leur  substance  l'une  dans  l'autre.  Le  disciple  bien- 
aimé,  saint  Jean,  énonce  aussi  cette  vérité  :  «  FA 
«  le  Verbe  était  en  Dieu  »  (Jean  i),  et  ailleurs  : 
«  l'unique  Fils  qui  est  dans  le  sein  du  Père  » 
(Ibid.).  L'Eglise  chante  aussi  cette  merveille, 
quand  elle  dit  que  dans  le  Père  est  tout  le  Fils  et 
que  dans  le  Verbe  est  tout  le  Père.  Sans  doute 
les  Personnes  incréées  sont  distinctes  l'une  de 
l'autre,  toutefois  elles  ne  sont  pas  séparées  l'une 
de  l'autre,  elles  résident  intimement  et  sans  con- 
fusion l'une  dans  l'autre,  de  telle  sorte  que  par- 
tout où  est  le  Père,  se  trouve  aussi  le  Fils  et  le 
Saint-Esprit  et  partout  où  est  le  Saint-Esprit  se 
trouve  également  le  Père  et  le  Fils.  Cette  inexis- 
tence réciproque  est  toute  particulière  au  mystère 
de  la  Sainte-Trinité  et  mérite  que  nous  nous  cffor- 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  38l 

cions  de  la  comprendre.  Les  théologiens  l'appel- 
lent circumincession  des  Personnes  et  ensei- 
gnent qu'elle  résulte  de  deux  choses,  savoir  :  de 
leur  distinction  personnelle  et  de  l'identité  de  leur 
Essence  ;  car  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  ayant  la 
même  Essence  que  le  Père  et  cette  Essence  étant 
intimement  dans  le  Père,  il  est  nécessaire  que  le 
Fils  et  le  Saint-Esprit  soient  réellement  et  subs- 
tantiellement dans  le  Père.  Et  également  puisque 
la  même  Essence  du  Père  est  dans  le  Fils  et  dans 
le  Saint-Esprit,  il  est  nécessaire  que  le  Père  soit 
dans  le  Fils  et  qu'il  soit  dans  le  Saint-Esprit,  car 
il  est  impossible  qu'un  être  soit  séparé  de  son  Es- 
sence. Aussi  le  Père  produit  son  Fils  par  une 
action  immanente,  non  hors  de  lui-même,  comme 
les  mères  de  la  terre,  mais  en  lui-même  et  dans 
son  sein  immense,  d'où  il  ne  peut  jamais  sortir. 
Le  Père  et  le  Fils  produisent  ainsi  le  Saint-Esprit 
par  une  spiration  immanente  et  comme  par  un 
soupir  d'amour  qui  ne  sort  pas  au-dehors,  mais 
demeure  au-dedans  d'eux.  C'est  pourquoi  le  Fils 
et  le  Saint-Esprit  résident  dans  l'Essence  du  Père, 
comme  le  Père  réside  en  eux,  et  comme  l'a  dit  un 
ancien  auteur  (i),  le  Fils  est  le  noble  habitant  du 
cœur  paternel.  Nous  dirons  volontiers  avec  un  des 
plus  sublimes  personnages  de  ce  siècle  (2),  que  le 
Fils  est  dans  le  sein  du  Père  et  le  Saint-Esprit 
dans  son  cœur  :  car  le  sein  du  Père  convient  à  ce 
Fils  si  tendrement  chéri,  comme  le  cœur  est  des- 
tiné au  Saint-Esprit,  qui  est  le  plus  pur  et  le  plus 
parfait  de  tous  les  amours. 

X.  Zeno,  Vero.  Serm.j.  de  aternit. 
a.  Gard.  Bérul.  dise,  lo. 


382  LA    THÉOLOGIE     AFFECTIVE 

J'admirerai  en  Dieu  cette  merveille  et  je  ne 
m'étonnerai  plus  que  les  limites  de  cet  univers 
soient  trop  étroites  et  les  cieux  des  cieux  trop 
limités  pour  renfermer  en  eux  les  Personnes 
divines.  O  Personnes  vraiment  divines  !  vous  ne 
sauriez  être  contenues  dans  l'étroit  espace  de  cet 
univers  ;  le  lieu  de  votre  séjour  est  plus  grand, 
plus  glorieux  et  plus  délicieux,  puisque  vous  vous 
servez  l'un  à  l'autre  de  demeure,  de  trône,  de  lieu 
de  repos  et  de  paradis.  Vous  vivez  l'un  dans 
l'autre,  vous  puisez  l'un  dans  l'autre  avec  votre 
vie,  votre  subsistance,  votre  grandeur  et  votre 
félicité.  Régnez  toujours  là,  puisez-y  vos  délices 
toujours  ;  le  monde  n'est  ni  capable,  ni  digne  de 
vous  servir  de  palais.  Et  toi,  ô  mon  âme,  élève- 
toi  au-dessus  de  ce  qui  est  visible,  pour  chercher 
Dieu  en  Dieu,  le  Fils  dans  le  sein  du  Père,  le 
Saint-Esprit  dans  son  cœur,  afin  que  le  terme  de 
nos  élans  soit  de  ((former  une  seule  société  avec 
«  le  Père  et  Jésus-Christ^  son  Fils.  »  (Jean  i.)  Imi- 
tons aussi  cette  admirable  circumincession  et  cette 
inexistence  réciproque  des  Personnes  divines. 
Comme  Dieu  est  en  nous  intimement,  soyons 
aussi  en  Dieu.  Dieu  est  en  effet  présent  en  nous, 
il  nous  communique  l'être  naturel  et  aussi  l'être 
surnaturel,  c'est-à-dire  la  grâce.  Et  nous,  soyons 
en  lui,  par  l'union  que  produit  l'amour,  par 
l'exercice  de  sa  sainte  présence  ou  de  notre 
résidence  spirituelle  en  lui-même.  Oh  I  l'admi- 
rable retraite  de  l'âme  immortelle  qui  s'enferme 
en  Dieu,  de  telle  sorte  qu'elle  ne  puisse  plus 
errer  hors  de  lui,  ni  se  séparer  de  sa  volonté, 
de  sa  sagesse,   de  sa   bonté,   de   son  amour,  de 


DE   LA  TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  383 

sa   miséricorde   et  des   délices  intérieures  de  son 
Dieu. 

II 

Les  Personnes  divines  sont  encore  Tune  dans 
Tautre  par  la  pensée,  parce  qu'elles  pensent  sans 
cesse  l'une  à  l'autre.  Le  Père  pense  toujours  à  son 
Fils  et  le  contemple  sans  relâche,  comme  le  Fils 
pense  toujours  à  son  Père,  sans  jamais  l'oublier. 
Le  Saint-Esprit  porte  toujours  dans  sa  pensée  le 
Père  et  le  Fils,  et  le  Père  comme  le  Fils,  ne 
détournent  jamais  leur  attention  de  celui  que  les 
anges  souhaitent  si  ardemment  de  voir,  du  Saint- 
Esprit.  Ce  sont  les  entretiens  les  plus  délicieux, 
les  plus  permanents,  les  plus  immuables  qui 
soient.  Ces  entretiens  sont  propres  aux  Personnes 
divines,  car  bien  que  Dieu  pense  toujours  à  ses 
créatures,  que  leurs  noms,  comme  il  l'affirme 
lui-même,  soient  gravés  sur  l'anneau  de  son  doigt, 
afin  qu'il  ne  puisse  les  oublier  :  «  Je  ne  foublie- 
«  rai  pas ^  voici  que  je  f  ai  gravé  dans  mes  mains  » 
(Is.  49)  ;  néanmoins  les  créatures  ne  lui  rendent 
pas  la  pareille  et  ne  se  donnent  pas  le  loisir  de 
penser  à  lui  assidûment.  A  peine  ont-elles  fixé 
sur  Dieu  leur  intelligence,  que  leur  attention  se 
relâche  et  que  toute  liberté  est  de  nouveau  donnée 
à  l'intelligence  pour  errer  à  l'aventure.  Sans  doute 
les  anges  et  les  bienheureux  ne  détournent  plus 
leur  vue  de  l'Essence  divine  ;  mais  ce  n'est  pas 
de  toute  éternité  qu'ils  ont  fixé  leur  regard  sur 
cette  lumineuse  Essence,  et  quelle  que  soit  l'in- 
tensité de  leur  vision,  elle  ne  saurait,  dans  aucun 
cas,   être    compréhensive.    Seules    les    Personnes 


384  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

divines  se  contemplent  de  toute  éternité  et  d'une 
vue  compréhcnsive  et  de  plus  avec  une  telle 
constance  qu'après  un  nombre  incalculable  de 
siècles,  elles  n'ont  pas  été  distraites  de  ce  spectacle 
un  seul  instant. 

O  les  hautes,  les  sublimes  pensées!  ô  les  regards 
divins  des  Personnes  incréées  !  Oh  1  quelle  joie 
elles  éprouvent  à  rassasier  continuellement  leur 
esprit  de  la  vue  de  ces  objets,  en  face  desquels 
toutes  les  clartés  du  monde  s'éclipsent  et  toutes 
les  beautés  ne  semblent  plus  que  des  laideurs. 
Eh  bien  !  ô  mon  âme,  de  tels  objets  ne  méritent- 
ils  pas  d'être  toujours  considérés  ?  O  Trinité 
sacrée,  introduisez  une  fois  mon  esprit  dans  le 
sanctuaire  de  votre  Etre  admirable  :  «  Nous  nous 
«  réjouirons  et  nous  tressaillerons  d  allégresse  en 
«  vous,  au  souvenir  de  vos  mamelles  (Gant,  i), 
c'est-à-dire  de  votre  intelligence  infinie  et  de  votre 
spiration  féconde,  où  le  Fils  et  le  Saint-Esprit 
puisent  leur  vie  et  leur  substance  (i).  Dieu,  plein 
de  bonté,  détournez  donc  mon  esprit  de  la  vue 
des  vanités  du  siècle.  Comme  vous  pensez  en 
moi,  que  je  pense  toujours  en  vous,  et  que  je 
m'élance  jusqu'à  vous  avec  toute  l'impétuosité  de 
mon  âme. 

II 

Les  Personnes  divines  sont  encore  l'une  dans 
l'autre  par  un  amour  réciproque.  Puisqu'une  âme 
est  bien  plus  dans  l'être  qu'elle  aime  que  dans 
celui  qu'elle  anime,  et  puisque  d'autre  part 
les   Personnes   divines,  en  se   voyant   infiniment 

I.  Do  Ponte,  /.  3.  in  Cant,  exh.   /?.  p.  }, 


DE    LA   TRÈS   SAINTE   TRINITÉ  385 

parfaites,  s'aiment  l'une  l'autre  infiniment  ;  à  ce 
nouveau  titre  elles  résident  l'une  dans  l'autre  par 
un  amour  réciproque.  De  plus  comme  cet  amour 
est  sans  mesure,  si,  par  une  supposition  impossi- 
ble, elles  étaient  séparées,  par  la  seule  puissance 
d'un  tel  amour,  elles  se  rejoindraient  et  s'uniraient 
aussitôt,  attirées  invinciblement  l'une  vers  l'autre. 

Cet  amour  contient,  dans  son  unité  infinie,  sept 
amours  qui  rendront  ces  Personnes  éternellement 
inséparables.  Le  premier  est  l'amour  du  Père  pour 
le  Fils,  en  qui  il  se  complaît.  Le  second  est 
l'amour  du  Père  pour  le  Saint-Esprit.  Le  troi- 
sième est  l'amour  du  Fils  pour  le  Père.  Le  qua- 
trième, l'amour  du  Fils  pour  le  Saint-Esprit.  Le 
cinquième  est  l'amour  du  Saint-Esprit  pour  le 
Père.  Le  sixième,  l'amour  du  Saint-Esprit  pour 
le  Fils.  Le  septième  amour  est  l'amour  incréé, 
actif  et  fécond,  par  lequel  le  Père  et  le  Fils  pro- 
duisent le  Saint-Esprit. 

O  infinité  !  ô  unité  !  ô  variété  !  ô  amour  sans 
bornes  !  Quel  père  aima  jamais  autant  son  fils  ? 
Et  quel  fils  témoigna  jamais  autant  d'amour  à  son 
père  ?  O  Personnes  adorables  !  je  me  réjouis  de 
vous  voir  infiniment  aimées  l'une  de  l'autre  et 
aimées  d'une  manière  digne  de  vous.  O  Person- 
nes trois  fois  saintes,  toutes  si  aimantes  et  toutes 
si  aimées  l'une  par  l'autre  !  En  considération  de 
tous  ces  amours,  enflammez-moi  pour  vous  d'une 
charité  ardente,  attirez-moi  dans  l'intime  de 
votre  vie,  afin  que  ma  consolation  réside  toute 
entière  au  plus  haut  des  cieux  et  que  mon  cœur 
soit  dégagé  de  toute  affection  terrestre.  O  Père 
plus   que    céleste,    vos    perfections    sont    digties 

Bail,  t.  i.  aj 


386  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

de  l'amour  éternel  du  Fils  et  du  Saint-Esprit  ;  ne 
seront-elles  pas  dignes  de  l'amour  d'une  chétive 
créature  ?  O  très  noble  Fils,  vous  plaisez  inifini- 
ment  au  Père  ;  comment  une  créature  si  vile  pour- 
rait-elle vous  dédaigner?  O  Esprit  plein  de  dou- 
ceur, vous  qui  êtes  l'amour,  donnez-nous  donc 
l'amour  et  ne  permettez  pas  qu'une  misérable 
créature  vous  fasse  cette  injure  de  ne  pas  vous 
aimer,  vous  qui  êtes  l'amour  subsistant.  Ah  !  Père 
éternel,  que  votre  Fils  est  noble  et  aimable  et  que 
son  amour  envers  vous  est  admirable  !  Fils  in- 
comparable, que  votre  principe  est  parfait  et 
infiniment  heureux  !  Esprit  trois  fois  saint,  vous 
êtes  produit  par  leur  mutuel  amour  !  ô  spiration 
active  éternelle  !  ô  spiration  passive  éternelle  ! 
O  Dieu  plein  d'amour  !  ah  !  que  n'ai-je  une  puis- 
sance immense  !  que  de  cœurs  alors  vous  aime- 
raient !  combien  d'âmes  ne  chériraient  que  vous  ! 
ô  Trinité  plus  qu'aimable  !  que  nous  vivions,  que 
nous  agissions  et  que  nous  demeurions  en  vous 
par  l'amour  !  O  douce  vie  !  ô  action  sainte  !  ô 
manière  d'être  si  désirable  !  Quelle  plus  heureuse 
vie  que  de  vivre  dans  la  source  de  la  vie  !  Quelle 
plus  douce  action  que  celle  de  tendre  vers  le  cen- 
tre et  le  lieu  de  repos  de  toute  chose  !  Et  quelle 
manière  d'être  plus  désirable  que  de  se  trouver 
plongé  dans  le  véritable  Etre,  sans  qui  nul  ne  peut 
bien  être  ! 


DE   LA   TRÈS   SAINTE   TRINITÉ  887 


XVIir  MÉDITATION 

DE  LA  MISSION  DES  PERSONNES 
DIVINES 


SOMMAIRE 

Définition  de  la  mission  che\  les  Personnes 
divines.  —  Division  en  mission  invisible  et 
mission  visible.  —  Ejfets  de  la  mission. 

I 

CONSIDÉREZ  ce  que  c'est  que  la  mission  ou 
l'envoi  des  Personnes  divines.  Puisque 
TEcriture  nous  apprend  qu'il  y  a  une  mission 
entre  les  Personnes  de  la  Trinité,  qu'il  y  a  un 
Dieu  qui  envoie  et  un  Dieu  qui  est  envoyé,  que 
Dieu  le  Père  envoie  son  Fils  dans  ce  monde  pour 
y  prendre  la  nature  humaine,  et  que  le  Père  et  le 
Fils  envoient  le  Saint-Esprit  pour  sanctifier  les 
âmes,  il  semble  qu'il  est  nécessaire  de  méditer  sur 
cette  mission.  D'ailleurs  elle  constitue  dans  la 
Trinité  une  merveille  dont  la  connaissance  parfaite 
console  l'àme  et  lui  inspire  des  sentiments  tout 
particuliers  de  dévotion. 

Pour  la  bien  comprendre,  commençons  par  dire 
ce  qu'elle  n'est  pas.  Elle  ne  présente  d'abord 
aucune  des  imperfections  que  l'on  remarque  dans 
la  mission  des  personnes  créées  :  celles-ci,  quand 
on  les  envoie,  s'éloignent  de  la  personne  qui  les 


388        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

envoie  et  qui  se  trouve  toujours  à  une  certaine 
distance  du  lieu  oîi  elle  envoie.  Mais  les  Personnes 
divines  dans  leur  mission  ne  s'éloignent  pas  de  la 
Personne  qui  les  envoie  :  au  lieu  de  s'en  séparer, 
elles  procèdent  d'elles  par  voie  d'origine.  Dans  la 
mission  créée,  les  personnes  envoyées  sont  d'une 
condition  inférieure  à  celle  des  personnes  qui 
envoient  ;  dans  la  mission  divine,  les  unes  et  les 
autres  sont  égales.  Dans  la  mission  créée,  les  per- 
sonnes envoyées  changent  de  lieu  ;  dans  la  mission 
divine,  il  n'y  a  aucun  changement,  mais  seulement 
une  nouvelle  grâce  qui  est  produite  et  qui  les  rend 
présentes  d'une  nouvelle  manière.  On  voit  par  là 
que  la  mission  divine  est  toute  sublime  et  exempte 
de  tous  les  défauts  de  la  mission  des  créatures  (i). 

Cette  mission  merveilleuse  n'est  pas  imposée 
par  un  ordre,  car  il  n'y  a  ni  supériorité,  ni  infé- 
riorité entre  les  Personnes  incréées.  Elle  n'est  pas 
donnée  par  un  conseil  ;  car  il  n'y  a  pas  d'ignorance 
parmi  elles.  Elle  ne  consiste  pas  davantage  dans 
une  sorte  d'impulsion,  comme  il  arrive  quand  on 
pousse  une  personne  d'un  lieu  dans  un  autre  ; 
car  les  Personnes  divines  sont  immenses  et  partout 
présentes.  Elle  ne  consiste  pas  enfin  dans  une 
prière  :  car  les  Personnes  divines  ne  se  prient  pas. 

Cette  mission  si  grande  et  si  admirable  est  la 
production  d'une  Personne  divine  qui,  procédant 
d'une  autre,  produit  à  son  tour  dans  la  créature 
la  charité  par  laquelle  elle  se  rend  présente  en 
elle  d'une  manière  nouvelle  et  différente  de  la 
manière  générale  dont  elle  se  trouve  partout,  à 
savoir  par  Essence,  par  présence  et  par  puissance, 

I.  Suarez,  de  Trtn,  I.  13,  cap.  6. 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  SSg 

Toutes  ces  paroles  sont  importantes  :  on  peut  se 
servir  pour  les  bien  comprendre  de  la  comparai- 
son d'un  roi  qui  chargerait  un  de  ses  sujets  déià 
présent  à  Rome,  d'y  être  son  ambassadeur.  Bien 
que  cet  homme  se  trouvât  à  Rome  auparavant,  il 
s'y  dirait  pourtant  envoyé  par  le  roi,  et  avec  rai- 
son, par  ce  qu'il  y  serait  d'une  manière  toute  autre 
que  précédemment,  c'est-à-dire  par  l'autorité  du 
roi.  Pour  qu'on  puisse  se  dire  envoyé,  il  suffit 
qu'on  se  rende  présent  en  un  lieu  d'une  façon 
nouvelle,  différente  de  celle  dont  on  s'y  trouvait 
auparavant.  Ainsi  donc,  quand  les  Personnes 
sacrées  du  Fils  et  du  Saint-Esprit  produisent  dans 
la  créature  la  charité  et  le»  sublimes  opérations  de 
la  grâce,  elles  se  disent  envoyées  du  Père,  parce 
qu'elles  sont  dans  les  créatures  raisonnables  d'une 
façon  nouvelle,  à  savoir  par  la  grâce  et  par  la  cha- 
rité ;  elles  y  sont  aussi  par  la  puissance  et  par 
l'autorité  de  Dieu  de  qui  elles  ont  reçu  avec  l'être 
la  vertu  d'opérer  en  elles  et  d'y  avoir  une  nou- 
velle présence.  C'est  ainsi  que  la  mission  embrasse 
l'éternel  et  le  temporel  :  l'éternel,  c'est-à-dire  la 
production  des  Personnes,  et  le  temporel,  c'est-à- 
dire  la  production  de  la  grâce  (i). 

J'admirerai  cette  merveille  qui  consiste  en  ce 
que  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  honorent  le  Père 
au  point  de  se  dire  envoyés  par  lui,  et  en  ce  que 
le  Saint-Esprit  honore  tant  le  Père  et  le  Fils, 
qu'il  se  dit  envoyé  par  les  deux.  O  Père  in- 
comparable !  o  seul  Etre  qui  envoie  et  n'est 
jamais  envoyé  !  o  très  heureux  principe  de  toutes 
choses  !  Si    les  deux   autres    Personnes  qui  vous 

I.  D.  August.  tracte  ao  in  Joanntm, 


SgO  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


sont  égales  et  qui  ont  la  même  Essence  que  vous, 
vous  honorent  en  se  disant  vos  envoyées,  quand 
elles  opèrent  dans  les  créatures,  et  cela  parce 
qu'elles  tiennent  de  vous  en  même  temps  que 
Têtre,  la  puissance  d'agir  ;  à  combien  plus  forte 
raison  de  misérables  créatures  qui  ont  reçu  l'être 
de  vous,  mais  un  être  bien  inférieur  au  vôtre, 
devront-elles'vous  glorifier  et  vous  en  reconnaître 
l'auteur.  O  Seigneur,  c'est  vous  qui  opérez  en 
nous  toutes  nos  œuvres  ;  je  ne  m'en  attribuerai 
donc  pas  la  gloire.  Je  tiens  l'être  et  l'action  de 
votre  miséricorde  :  à  vous  donc  la  gloire,  à  vous 
l'honneur  de  toutes  mes  actions. 

Il 

La  mission  revêt  chez  les  Personnes  divines 
deux  formes  :  l'une  invisible  et  l'autre  visible.  La 
mission  invisible  est  celle  par  laquelle  les  Personnes 
divines  produisent  dans  la  créature  raisonnable  la 
charité,  sans  donner  aucun  signe  extérieur  de  leur 
présence.  Ce  genre  de  mission  qui  a  commencé 
dès  la  création  du  monde,  se  continue  tous  les 
jours  et  durera  jusqu'à  la  fin  des  temps,  car  Dieu 
donne  ordinairement  ses  grâces  comme  en  secret 
et  d'une  manière  invisible,  sans  en  laisser  des 
marques  apparentes.  Aussi  Job  disait-il  :  «  S'il 
«  vient  à  moi,  je  ne  le  verrai  pas  ;  s'il  se  retire, 
«  je  ne  Ventendrai  pas.  »  (Job.  9.)  Les  saints 
n'osent  se  dire  certains  d'être  en  bon  état,  car 
«  nul  ne  sait  s'il  est  digne  d'amour  ou  de  haine.  » 
(Eccl.  9.) 

Dieu  toutefois  ne  cache  pas  toujours  ses  faveurs  : 
il  témoigne  quelquefois  aux  âmes  son  amitié  d'unç 


DE   LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  Sgi 

manière  si  sensible,  que  l'œil  même  du  corps  en 
est  témoin  :  c'est  là  la  mission  visible,  elle  est  rare 
et  extraordinaire.  Elle  a  lieu  quand  les  Personnes 
du  Fils  et  du  Saint-Esprit  produisent  dans  une 
âme  la  charité  et  y  font  des  opérations  sublimes 
en  les  accompagnant  de  marques  extérieures  et 
sensibles  de  leur  présence  et  de  leur  action.  Telle 
fut  la  mission  du  Saint-Esprit,  quand  il  descendit 
en  forme  de  langue  de  feu  sur  les  saints  Apôtres  ; 
car  le  Saint-Esprit  envoyé  par  le  Père  et  par  le 
Fils,  les  éclairait  de  sa  science  et  les  embrasait  de 
sa  charité,  en  même  temps  que  le  Fils  envoyé  par 
le  Père.  Leur  mission  était  rendue  visible  par  ces 
langues  brillantes,  éparses  çà  et  là,  qui  révélaient 
l'œuvre  qui  s'accomplissait  en  eux. 

Cette  considération  m'apprendra  qu'il  n'y  a  pas 
lieu  de  se  décourager  au  milieu  de  nos  sécheresses 
et  de  nos  aridités,  comme  si  nous  étions  déchus 
de  la  grâce  divine  :  car  bien  que  nous  n'ayons  au- 
cun témoignage  venu  spécialement  du  ciel,  pour 
nous  révéler  d'une  manière  certaine  notre  état 
présent,  il  suffit  à  notre  tranquillité  de  n'avoir  la 
conscience  chargée  d'aucun  péché  mortel  laissé 
sans  pénitence,  parce  que  nous  savons  que  les 
Personnes  divines  sont  envoyées  invisiblement  et 
que  le  Saint-Esprit  vient  doucement  et  sans  bruit, 
sans  qu'on  puisse  le  plus  souvent  s'en  rendre 
compte.  Et  cette  constatation  doit  avoir  pour  effet 
de  te  rendre  plus  humble,  ô  mon  âme,  et  de  te 
préserver  de  tirer  vanité  des  faveurs  divines,  si 
jamais  tu  les  reçois.  Oh  !  Seigneur,  faites  que  je 
les  reçoive  abondamment  et  que  comme  vos  grâ- 
ces sont  cachées,  ma  vie  le  soit  aussi  aux  yeux 


392  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

indiscrets  des  créatures,  avec  la  seule  intention  de 
vous  plaire. 

III 

Considérez  les  grands  effets  de  la  mission  des 
Personnes  divines.  Si  les   personnes   élevées  en 
dignité  ne  sont  pas  envoyées  pour  des  affaires  de 
mince  importance,  il  ne   faut  pas  s'attendre  à  ce 
que  les  Personnes  divines,  les  plus  sacrées  et  les 
plus  augustes  qui  puissent  être,  soient  envoyées 
pour  des  sujets  de  médiocre  importance.  Or  comme 
il  ny  a  rien  dans   la  créature   que   Dieu   estime 
vraiment  grand  et  vraiment  important,  si  ce  n'est 
la  grâce  sanctifiante  et  les  nobles  opérations  de  la 
charité,  au  prix  de  laquelle  tout  le  reste  n'est  rien; 
les  Personnes  divines  sont  envoyées  seulement  ou 
pour  produire  dans  une  âme  la  grâce  sanctifiante 
et  la  retirer  du  péché  et  de  l'enfer,  ou  bien  pour 
accroître  et  enrichir  notablement  cette  grâce  sanc- 
tifiante qu'elle  possédait  déjà,  ou  bien  enfin  —  (car 
les  Personnes  divines  présentes  dans    l'âme  n'y 
demeurent  pas  oisives,  mais  l'excitent  sans  cesse 
aux     œuvres    généreuses    et   héroïques),    —    ou 
bien,  dis-je,  pour  lui  faire  accomplir  dans  l'état  de 
grâce  les  plus  hautes  et  les  plus  sublimes  actions. 
Ces  actions  servent  soit  au  mérite  personnel,  soit 
à  l'édification  de  l'Eglise.   Quand   les  Personnes 
divines  produisent  certains  effets  dans  la  nature, 
ou  même  quand  elles  produisent  dans  l'âme  soit  la 
foi,    soit   des  inspirations   surnaturelles,  soit   les 
grâces  dites  grâces  gratuites,  mais  hors  de  la  grâce 
sanctifiante  et  de  l'état  de   la  charité  ;   dans  ces 
divers  cas  elles  ne  daignent  pas  se  dire  envoyées 


DE   LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  3g3 

pour  des  choses  qu'elles  considèrent  de  minime 
importance  :  d'autant  mieux  que  les  Personnes 
divines  ne  sont  envoyées  à  la  créature,  que  lors- 
qu'elles lui  sont  données  et  qu'elles  demeurent  en 
elle,  afin  que  la  créature  puisse  en  jouir  dans  la 
mesure  où  elle  en  est  capable.  Or  la  créature, 
quelque  grands  que  soient  les  dons  dont  elle  est 
comblée,  ne  peut  jamais  posséder  une  Personne 
divine,  ni  en  jouir,  si  elle  est  privée  de  la  grâce  et 
de  la  charité,  car  c'est  par  la  grâce  et  la  charité 
que  Dieu  se  donne  à  une  âme,  pour  être  en  elle  et 
être  à  elle,  selon  la  parole  du  disciple  bien-aimé  : 
«  Celui  qui  demeure  dans  la  charité^  demeure 
«  en  Dieu,  et  Dieu  demeure  en  lui.  »  (I  Jean.  4.) 
Je  mesurerai  par  là  la  dignité  des  âmes  sancti- 
fiées et  qui  possèdent  l'amour.  «  O  Dieu,  vos 
«  amis  sont  trop  honorés.  »  (Ps.  i38).  Qu'elle  est 
grande  l'âme  à  qui  Dieu  le  Père  fait  cette  grâce 
d'envoyer  son  Fils  et  son  Saint-Esprit  !  d'où  lui 
vient  donc  cette  inestimable  faveur  ?  Oh  !  qu'une 
si  grande  bonté  soit  mille  et  mille  fois  bénie  !  Oh! 
donnez-moi,  mon  Dieu,  d'aspirer  à  un  tel  bien. 
«  Envoyé^  d'en  haut  votre  sagesse,  afin  qu'elle 
«  travaille  avec  moi.  (Sag.  9.)  «  Rendez-moi  la 
«  j'oie  de  votre  salut  et  Jortifie\-moi  par  votre 
«  Esprit  souverain.  »  (Ps.  5o.) 


394  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


Xir  MÉDITATION 

DANS  LEUR  MISSION 

LES  PERSONNES  DIVINES 

SONT  DONNÉES  A  LA  CRÉATURE 


SOMMAIRE 

Ce  n'est  pas  la  grâce  seulement,  mais  ce  sont  les 
Personnes  elles-mêmes  qui  sont  données  à  la 
créature];  —  et  données  de  plusieurs  manières. 
—  Le  péché  mortel  fait  perdre  Dieu  à  Vâme, 

I 

DANS  la  mission  divine,  ce  ne  sont  pas  seule- 
ment les  grâces  qui  sont  données  aux 
créatures,  mais  les  Personnes  divines  elles-mê- 
mes (i).  C'est  là  la  plus  grande  merveille  de  la 
mission  divine  ;  c'est  ce  qui  ennoblit  le  plus  les 
créatures  raisonnables,  à  qui  cette  mission  est 
faite  dans  les  sacrements  et  dans  l'exercice  des 
plus  saintes  œuvres  :  c'est  ce  qui  les  élève  au- 
dessus  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  grand  dans  la 
création.  Bien  que  les  plus  hautes  merveilles  ne 
se  voient  que  difficilement,  cependant  celle-ci 
malgré  sa  sublimité,  est  facile  à  découvrir.  Tout 
d'abord  dans  le  mystère  sacro-saint  de  l'Incarna- 
tion, dans  lequel  la  Personne  du  Fils  est  envoyée 

\.  D.  Bonavent.  in  i,  dist,  14,  art.  2.  quast.  i. 


DE   LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  895 

à  l'humanité  rédemptrice,  pour  la  terminer  par 
elle-même,  nous  voyons  la  Personne  divine  se 
donner,  s'unir  et  s'appliquer  elle-même  à  cette 
humanité,  qui  de  cette  façon  ne  reçoit  pas  seule- 
ment la  grâce  habituelle  et  les  grâces  actuelles, 
mais  encore  le  principe  substantiel  de  toutes  les 
grâces,  la  Personne  du  Verbe  :  ainsi  cette  huma- 
nité très  heureuse  peut  dire  que  cette  Personne 
lui  appartient. 

D'une  manière  semblable,  mais  à  un  degré  bien 
inférieur,  quand  une  âme  est  favorisée  de  la 
mission  des  Personnes  divines,  elle  reçoit  non- 
seulement  les  clartés  qui  l'illuminent  et  les 
ardeurs  qui  l'enflamment,  mais  aussi  la  Per- 
sonne du  Fils,  de  qui  émanent  ces  lumières  ; 
non-seulement  elle  reçoit  la  charité  et  tous  les 
dons  qu'on  attribue  au  Saint-Esprit,  mais  encore 
le  Saint-Esprit  lui-même  «  La  charité  de  Dieu 
«  est  répandue  dans  nos  cœurs  par  le  Saint- 
«  Esprit  qui  nous  est  donné  »  (Rom.  5)  disait  le 
grand  Apôtre. 

Voici  la  raison  :  la  grâce  et  la  charité  ont  cette 
efficacité  merveilleuse  que  si  les  Personnes  divi- 
nes n'étaient  pas  déjà  présentes  dans  l'âme 
qu'elles  informent,  elles  les  y  attireraient  et  les 
lui  uniraient  intimement,  car  Dieu  aime  cette 
âme  d'un  amour  si  parfait  qu'il  ne  pourrait 
souffrir  d'en  être  séparé.  Un  ancien  auteur  a  dit 
que  le  désir  de  deux  amis  serait  de  ne  former 
qu'une  seule  personne,  si  c'était  possible,  mais 
comme  ils  ne  peuvent  parvenir  à  cette  identifi- 
cation que  par  la  destruction  ou  de  leurs  deux 
personnes  ou  tout  au  moins  de  l'une  des  deux, 


Zg6  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

ils  se  contentent  de  s'unir  aussi  intimement  que 
possible  par  leurs  conversations,  leurs  entretiens, 
leur  présence  et  s'efforcent  de  cette  manière  de 
se  donner  l'un  à  l'autre.  Il  faut  toutefois  remar- 
quer que  l'amour  humain  ne  va  pas  toujours  à 
ce  degré  d'intimité,  parce  qu'il  est  faible  et 
impuissant  à  réaliser  ce  qu'il  désire.  Il  arrive 
parfois  aussi  que  ceux  qui  s'aiment  sont  séparés 
par  la  distance  des  lieux,  parce  que  leur  amour 
ne  dispose  pas  de  la  toute-puissance.  Mais  l'a- 
mour de  Dieu  l'a  cette  toute-puissance  et  puisque 
cet  amour  porte  les  Personnes  divines  à  se  don- 
ner et  à  s'unir  à  la  créature  raisonnable  jouissant 
de  l'état  de  grâce  et  de  la  charité,  elles  ne  man- 
quent pas  de  s'unir  à  elle  par  d'autres  liens  que 
ceux  de  l'immensité  :  car  ce  sont  les  liens  de  la 
charité,  mais  d'une  charité  si  grande  qu'elle  ne 
supporte  pas  l'éloignement  de  la  créature. 

O  excellence  de  la  mission  divine  !  ô  merveille 
de  la  grâce  !  ô  excès  de  l'amour  !  ô  perfection 
«  du  présent  très  bon  et  du  don  parfait  qui  vient 
«  d'en  haut  du  Père  des  lumières!  »  (Jac.  i.)  Il  te 
donne  son  Fils  et  son  Saint-Esprit.  Que  lui  ren- 
dras-tu en  reconnaissance  de  tels  dons  ?  ou  plutôt 
que  pourras-tu  lui  refuser  après  une  telle  largesse? 
Quand  il  te  donne  son  Fils,  c'est  ce  qu'a  produit 
sa  pensée  infinie  qu'il  te  donne  ;  quand  il  te 
donne  le  Saint-Esprit,  c'est  le  fruit  de  son  im- 
mense amour,  dont  il  te  fait  présent.  Ah  !  mon 
âme,  donne  lui  toujours  les  fruits  de  ton  intelli- 
gence et  de  ta  volonté  ;  donne  lui  tes  pensées 
et  tes  amours  ;  que  dans  ta  méditation  s'allume  un 
feu   si   ardent,  que  ni   les  fleuves  les  plus  impé- 


DE   LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  897 

tueux,  ni  la  masse  de  toutes  les  eaux  du  monde  ne 
puissent  Téteindre.  Enfin  souviens-toi  des  paroles 
de  saint  Augustin  (i)  :  la  vraie  charité  ne  se 
trouve  pas  dans  celui  qui  est  ingrat  à  l'égard 
du  Saint-Esprit,  car  c'est  par  lui  que  «  la  charité 
«  est  répandue  dans  nos  cœurs.  »  (Rom.  5.)  Ne 
méconnais  donc  pas  ton  Consolateur. 

II 

Considérez  de  combien  de  manières  les  Person- 
nes divines  sont  données  à  la  créature  raisonna- 
ble, quand  elles  lui  sont  envoyées.  Elles  ne  se 
donnent  pas  en  effet  d'une  seule,  mais  de  plusieurs 
manières,  afin  d'augmenter  les  obligations  de 
la  créature,  de  la  charger  de  bienfaits.  Ces  bien- 
faits exigent  d'elle  un  service  plus  dévoué  et  une 
plus  profonde  reconnaissance,  si  elle  veut  faire 
son  devoir,  et  augmentent  sa  confusion,  si  elle  se 
montre  insensible  et  ingrate. 

D'abord  les  Personnes  divines  se  donnent  à  la 
créature  comme  principe  des  opérations  surnatu- 
relles ;  opérations  méritoires  et  sublimes,  par 
lesquelles  l'âme  s'élève  au-dessus  de  ses  forces  et 
de  ses  facultés  naturelles.  Sans  la  mission  et  la  pré- 
sence des  personnes  divines,  l'âme  demeurerait 
faible  et  incapable  de  rien  produire  de  généreux 
dans  la  vie  spirituelle.  Au  contraire,  grâce  à  cette 
mission,  elle  produit  des  actions  très  hautes,  qui 
dépassent  sa  capacité  naturelle  ;  elle  ressemble  à 
un  enfant  à  qui  se  joindrait  en  qualité  d'aide 
un  homme  fort  et  robuste  :  le  secours  de  ce  bras 
vigoureux   permettrait  à  cet   enfant  de    faire  des 

j.  Aug.  tn  Psal.  ji. 


SgS  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

actions  supérieures  à  ses  propres  forces  et  de 
triompher  de  son  impuissance  naturelle. 

En  second  lieu,  les  Personnes  divines  sont  don- 
nées comme  objet  de  l'intelligence  et  de  la  volonté 
créée.  A  ce  titre  elles  sont  présentes  dans  la  créa- 
ture comme  l'objet  de  la  connaissance  est  présent 
dans  le  sujet  qui  connaît,  et  comme  l'objet  de  la 
volonté  l'est  dans  la  volonté  qui  aime  (i).  L'àme 
alors  a  Dieu  en  elle-même  comme  l'objet  qui 
occupe  ses  pensées  et  qui  entretient  son  amour  : 
elle  produit  avec  lui  des  actes  de  foi  et  de  charité 
et  cet  objet  lui  devient  le  plus  précieux  du  monde, 
comme  il  est  aussi  le  plus  excellent  auquel  elle 
puisse  s'adonner. 

En  troisième  lieu,  les  Personnes  divines  se  don- 
nent à  la  créature  raisonnable  comme  son  bien  et 
son  trésor  propre,  afin  quelle  trouve  Dieu  non- 
seulement  au-dedans  d'elle,  mais  tout  à  elle,  jus- 
qu'à lui  permettre  de  goûter  ces  douceurs  qui 
adoucissent  les  amertumes  de  cette  vie  et  afin 
aussi  qu'elle  jouisse  de  la  consolation  de  posséder 
le  souverain  bien,  autant  qu'elle  en  est  capable 
dans  la  vie  présente.  Dieu  le  Père  donc,  en  en- 
voyant son  Fils  et  son  Saint-Esprit,  les  donne  tous 
les  deux  à  l'àme,  afin  qu'elle  jouisse  d'eux  dans  la 
mesure  où  elle  le  peut  ici-bas.  Mais  il  ne  s'arrête 
pas  encore  là  :  il  se  donne  aussi  lui-même.  Sans 
doute  nul  ne  peut  l'envoyer,  car  il  n'est  produit 
par  personne,  mais  nul  ne  peut  l'empêcher  de  se 
donner  à  l'âme  juste.  Dès  lors  toute  la  Trinité 
est  en  elle  et  y  fait  son  séjour,  comme  en  son  pa- 
radis d'ici-bas.  Aussi  Jésus-Christ  a-t-il    dit  ces 

X.  D.  Tom.  qucvst  4j. 


DE   LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  899 

mémorables  paroles  :  »  Si  quelqu'un  m'aime^  il 
«  gardera  mes  commandements ,  et  mon  Père  Vai- 
«  mer  a  et  nous  viendrons  en  lui  et  nous  Jerons 
«  en  lui  notre  demeure.  » 

Oh  !  que  mon  âme  est  ravie  !  Eh  quoi  !  si  je 
reçois  la  grâce  de  Dieu,  le  Père  éternel  se  donne 
à  moi  et  m'envoie  deux  Personnes  infinies  et  ado- 
rables, qui  me  disent  intérieurement  :  Nous  ve- 
nons à  toi,  envoyées  par  le  Père,  notre  principe 
et  notre  origine,  pour  être  le  principe  de  tes  ac- 
tions; l'objet  de  tes  méditations,  le  trésor  de  ta 
joie  et  le  commencement  de  ton  bonheur!  O  Dieu 
éternel  «  vos  dons  sont  le  Paradis.  »  (Gant.  4). 
Que  cette  vérité  me  remplit  d'étonnement  et  me 
couvre  de  confusion,  quand  je  songe  combien  j'ai 
fait  peu  de  cas  des  grâces  de  mon  Dieu  qui  tou- 
jours étaient  accompagnées  de  deux  Personnes  de 
la  Trinité  envoyées  vers  moi,  misérable  vermis- 
seau !  O  Père,  o  Fils,  o  Saint-Esprit,  faites  misé- 
ricorde à  votre  créature  pleine  de  confusion  à  la 
pensée  de  vos  bienfaits,  et  puisque  vous  vous 
donnez  de  tant  de  manières,  faites  que  moi  aussi 
je  me  donne  à  vous  de  toutes  les  manières  possi- 
bles et  qui  vous  seront  agréables. 

III 

Il  résulte  de  la  considération  précédente  que, 
lorsque  l'âme  commet  un  péché  mortel  et  est 
déchue  de  l'état  de  grâce,  ce  n'est  pas  seulement  la 
grâce  de  Dieu  qu'elle  perd,  mais  Dieu  même, 
considéré  comme  l'auteur  de  la  grâce  et  de  la 
gloire  ;  car  il  est  impossible  qu'une  créature  perde 
Dieu   entièrement,   c'est-à-dire    qu'elle    le   perde 


400  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

comme  auteur  de  la  nature,  sans  être  anéantie. 
C'est  là  non  point  une  exagération,  mais  une 
vérité  solidement  établie.  Après  le  péché  mortel. 
Dieu  ne  réside  plus  dans  Tàme  comme  principe 
de  ses  actions  méritoires,  ni  comme  objet  de 
sa  faculté  d'aimer,  ni  comme  son  trésor  et  son 
bien  propre.  Dieu  est  encore  dans  l'âme,  en  vertu 
de  son  immensité,  mais  il  n'est  plus  à  elle,  elle  ne 
le  possède  plus.  Sans  doute  en  lui-même,  Dieu 
est,  à  cause  de  ses  perfections  infinies,  le  trésor 
de  tout  bien,  mais  dans  l'àme  souillée  du  péché 
mortel,  c'est  un  trésor  fermé,  dont  l'âme  n'a  pas 
la  clef,  et  où  elle  n'a  pas  le  droit  de  puiser.  Tan- 
dis qu'étant  en  état  de  grâce,  elle  tirait  de  lui  ses 
avantages  spirituels,  si  elle  persévère  dans  cet 
état,  ce  sont  des  fureurs  qu'elle  trouvera  en  lui, 
des  vengeances  et  des  supplices  éternels.  C'est 
pourquoi  la  perte  de  la  grâce  est  un  malheur  plus 
grand  que  toutes  les  calamités  et  que  tous  les 
désastres  temporels.  Dans  nos  malheurs  tempo- 
rels, nous  perdons  les  dons  de  Dieu,  mais  non  le 
bienfaiteur  c'est-à-dire  Dieu  même  qui  demeure 
avec  la  personne  affligée  :  dans  l'offense  mortelle 
et  dans  la  déchéance  de  l'état  de  grâce,  on  perd 
tout  à  la  fois  les  dons  et  le  bienfaiteur  lui-même, 
les  grâces  et  toute  la  Trinité  qui  nous  en  avait  fait 
présent.  Alors,  dit  saint  Bernard  (i),  l'âme  tombe 
dans  cet  état  déplorable,  où  la  trinité  des  trois 
puissances  de  l'homme,  l'intelligence,  la  volonté  et 
la  mémoire  s'effondre  en  une  trinité  de  misères, 
qui  est  Terreur,  la  douleur  et  la  crainte,  parce  que 
la  vraie  Trinité  est  bannie  de  l'âme  par  le  péché.  Il  y 

I.  Serm,  i,  in  part,  sertit .  2  et  alibi. 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  40I 

a,  dit-il,  la  Trinité  créatrice,  le  Père,  le  Fils  et  le 
Saint-Esprit,  dont  s'est  détournée  la  trinité  créée, 
la  mémoire,  la  raison,  la  volonté  :  elle  est  tombée 
par  la  suggestion,  la  délectation,  le  consentement 
dans  une  trinité  contraire,  dans  l'infirmité,  l'aveu- 
glement et  la  souillure.  La  mémoire  en  effet  est 
devenue  impuissante,  Ja  raison  imprudente  et 
ténébreuse,  la  volonté  impure.  Heureusement  il  y 
a  une  trinité,  par  laquelle  elle  peut  se  relever,  c'est 
la  Foi,  l'Espérance  et  la  Charité. 

Oh  I  que  c'est  donc  une  chose  horrible  que  le 
péché  !  oh  !  quelle  immense  perte  !  Quels  regrets 
ne  doit  pas  ressentir  l'âme  pour  les  fautes  passées  ! 
quelle  appréhension  en  face  des  fautes  possibles  ! 
Hélas  !  à  quoi  songent  les  malheureux  mortels, 
quand  ils  commettent  si  légèrement  des  fautes 
qui  les  précipitent  dans  de  si  grands  désastres  1 
Qui  les  a  si  étrangement  aveuglés,  qu'ils  ne  sen- 
tent pas  la  grandeur  de  leur  perte  !  «  Qm/  don- 
«  nera  de  Veau  à  ma  tête  et  une  Jontaine  de 
«  larmes  à  mes  yeux  et  je  pleurerai  jour  et  nuit 
«  les  morts  et  les  meurtris  de  mon  peuple.  » 
(Jér.  9.)  O  Seigneur,  délivrez-nous  du  péché,  ne 
vous  séparez  point  de  nous,  infligez-nous  plutôt 
toutes  les  pertes  temporelles,  pourvu  que  nous 
ne  vous  perdions  jamais.  O  vérité,  charité,  éter- 
nité !  O  bienheureuse  et  béatifique  Trinité  !  la 
misérable  trinité  des  trois  puissances  de  mon  âme 
soupire  tristement  après  vous  ;  dans  combien 
d'erreurs,  de  frayeurs  et  de  douleurs  ne  s'est-cUe 
pas  engagée  en  s'éloignant  de  vous  !  Ah  !  mi- 
sérables !  quelle  trinité  avons-nous  changée 
contre  la  vôtre  ?  «  Mon  cœur  en  est  troublé  » 
Bail;  t.  I.  96 


40i  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

(Ps.  Sy.)  et  c'est  là  la  cause  de  ma  douleur  ; 
«  Ma  vertu  m'a  abandonné  »  et  de  là  vient  ma 
frayeur  ;  et  «  la  lumière  de  mes  yeux  n'est  plus 
«  avec  m.oi  »  ;  de  là  vient  mon  aveuglement. 
Voilà,  ô  Trinité  exilée  de  mon  âme,  la  triste  tri- 
nité  que  vous  voyez  en  moi.  Toutefois,  «  pour- 
if.  quoi  es-tu  triste,  ô  mon  âme  ?  et  pourquoi  te 
«  troubles-tu  ?  espère  en  Dieu,  car  je  chanterai 
«  encore  ses  louanges  »  (Ps.  42),  quand  l'erreur 
aura  fui  loin  de  mon  esprit,  la  douleur  loin  de  ma 
volonté,  et  quand  lui  aura  succédé  cette  merveil- 
leuse sérénité,  cette  pleine  et  éternelle  suavité 
que  nous  espérons. 


Xr  MÉDITATION 

CONCLUSION 
LE  GLORIA  PATRI 


SOMMAIRE 

La  Trinité  est  louée  —  par  Elle-même  ;  —  par 
les  Anges;  —  par  les  hommes  et  notamment 
par  la  fréquente  répétition  du  verset  :  Gloire 
au  Père^  etc. 

I 


' ^ i 


ES  Personnes  divines  se  rendent  gloire  mu- 
tuellement   et  s'offrent   l'une  à   l'autre    des 
louanges     pendant    toute    l'éternité.    Et    quelle 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  4o3 

gloire  et  quelle  louange  !  tout  y  est  infini  et  in- 
compréhensible pour  l'intelligence  créée.  «  Ils 
«  sont  trois  au  ciel  qui  rendent  témoignage^ 
«  dit  saint  Jean,  le  Père,  le  Verbe  et  le  Saint- 
«  Esprit.  »  (I  Jean.  5.)  Ils  se  rendent  témoignage 
en  effet  de  leurs  grandeurs  et  de  leurs  perfections 
sans  bornes.  Le  Père  aime  son  Fils  et  lui  donne 
par  amour  la  gloire  qui  lui  appartient  à  lui-même. 
«  Mon  Père  qui  ma  envoyé^  dit  le  Fils,  rend 
«  témoignage  de  moi.  »  (Jean,  5  et  7).  Il  lui 
donne  un  nom  au-dessus  de  tout  nom  et  qui  n'est 
attribué  qu'au  Fils  exclusivement  :  car  «  à  qui 
«  d'entre  les  Anges  a-t-il  jamais  dit  :  Vous 
«  êtes  mon  Fils,  je  vous  ai  engendré  aujour- 
«  d'hui?  »  (Héb.  I.)  Le  Fils  se  repose  sur  cette 
gloire  que  lui  assure  son  principe  éternel  et  qui 
est  la  plus  grande  de  toutes  les  gloires  du  monde  : 
c'est  pourquoi  il  dit  en  parlant  de  son  Père  : 
«  Je  ne  cherche  pas  ma  gloire,  il  y  en  a  qui  la 
«  cherchent,  »  et  aussitôt  il  ajoute  :  «  Oest  mon 
«  Père  qui  me  glorifie.  »  (Jean.  8.)  En  effet  aux 
bords  du  Jourdain,  au  moment  de  son  baptême 
et  dans  la  splendeur  de  sa  gloire,  au  jour  de  la 
Transfiguration  ;  il  fit  entendre  sa  voix,  le  recon- 
nut pour  son  Fils  et  pour  celui  qui  est  l'objet  de 
ses  complaisances  infinies.  Cette  gloire  contente 
le  Fils  à  un  tel  point  qu'il  s'y  complait  et  en  fait 
l'objet  de  ses  désirs,  puisqu'il  dit  à  Dieu  son 
Père  :  Père  !  Vheure  est  venue.,  glorifie:^  votre 
«  Fils,  afin  qu'il  vous  glorifie.  »  (Jean  17).  Il 
demande  au  Père  de  montrer  que  la  gloire  du 
Fils  est  égale  à  la  sienne  :  a  O  mon  Père  !  faites 
«  paraître  cette  gloire  que  fai  eue  en  vous. 


404       LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

«  avant  que  le  monde  fût.  »  (Ibid.)  Les  langues 
des  Séraphins  ne  sauraient  raconter  ces  louanges 
infinies  par  lesquelles  le  Père  glorifie  le  Fils  en 
lui-même,  avant  même  la  création  du  monde,  ni 
celles  par  lesquelles  le  Fils  à  son  tour  glorifie  et 
louejson  Père.  Il  en  est  de  même  du  Saint-Esprit  à 
l'égard  du  Père  et  du  Fils  ;  car  de  même  que  Dieu 
nous  a  faits  sans  nous,  ainsi  il  a  des  louanges 
sans  nous.  Il  est  lui-même  sa  propre  louange, 
louange  que  le  cœur  de  l'homme  ne  comprend 
pas,  que  sa  bouche  ne  saurait  exprimer,  que 
son  oreille  ne  peut  percevoir,  mais  qui  de- 
meure éternellement;  elle  lui  est  offerte  avant  le 
commencement  du  monde,  au  commencement 
du  monde  et  se  continue  dans  tous  les  siècles  des 
siècles. 

O  gloire  infinie  !  o  incompréhensible  louange  ? 
o  adorable  émulation  entre  les  trois  Personnes 
d'une  seule  Essence,  émulation  qui  consiste  à  se 
renvoyer  l'une  à  l'autre  la  gloire,  à  cause  de  leur 
réciproque  amour  !  Le  Père  dit  à  son  Fils  : 
«  Glorifie^  votre  nom,  et  il  vient  du  ciel  une 
«  voix  qui  dit  :  je  Vai  glorifié  et  je  le  glorifie- 
«  rai  encore,  yi  (Jean,  12).  Oh!  que  Je  me  com- 
plais dans  cette  gloire  !  O  Seigneur,  vous  êtes  lu- 
mière et  je  suis  ténèbres,  vous  êtes  la  vie  et  je 
suis  la  mort.  Les  ténèbres  loueront-elles  la  lu- 
mière ?  La  mort  louera-t-elle  la  vie  ?  L'homme 
qui  n'est  que  vanité,  misère,  pourriture,  qui  a  été 
conçu,  est  né  et  a  grandi  dans  le  péché,  pourra-t- 
il  vous  louer  ?  La  louange  n'est  pas  bienséante  sur 
les  lèvres  d'une  créature  pécheresse.  Mon  Sei- 
gneur, mon  Dieu,    soyez  donc  loué  par  votre   in- 


DE    LA   TRÈS    SAINTE   TRINITÉ  405 

compréhensible  puissance,  par  votre  sagesse  infi- 
nie, par  votre  ineffable  bonté  !  Gloire  au  Père,  au 
Fils  et  au  Saint-Esprit,  comme  elle  était  de  toute 
éternité,  comme  elle  est  maintenant  et  comme 
elle  sera  toujours.  Vous  vous  louerez  sans  fin,  o 
divines  Personnes. 

II 

Les  créatures  angéliques,  les  Séraphins,  les 
Chérubins,  les  Archanges  et  les  Anges  viennent 
les  seconds  offrir  leurs  louanges  aux  Personnes 
sacrées  de  la  Sainte  Trinité  et  les  glorifier.  «  Bé- 
«  nisseT^  le  Seigneur  »  dit  Darid,  t  anges  puis- 
«  sants;  loue\-le,  tous  ses  anges,  loue^-Ie,  toutes 
«  ses  vertus,  »  (Ps.  102  et  148.)  Ces  natures  céles- 
tes s'emploient  de  toutes  leurs  forces  à  entonner 
des  cantiques  de  louange  et  à  glorifier  hautement 
la  Sainte  Trinité.  Dès  le  premier  instant  de  leur 
création,  elles  ne  cessent  de  redire  avec  de  grands 
cris,  ce  qui  signifie  avec  un  grand  amour:  «  Saint, 
«  saint,  saint  Je  Seigneur,  le  Dieu  des  armées. 
«  Toute  la  terre  est  remplie  de  sa  gloire.  » 
(Is.  6.)  Quand  Dieu  créait  le  monde  et  faisait 
sortir  toutes  les  créatures  de  l'abîme  du  néant,  les 
Anges  remplissaient  le  rôle  de  paranymphes,  et 
louaient  l'œuvre  de  la  création  :  car  les  anges  sont 
ces  «  astres  du  matin  »  (Job.  38)  qui  louaient 
Dieu,  à  l'heure  où  il  posait  les  fondements  de 
l'univers.  Ce  sont  eux  aussi  que  l'Ecriture  appelle 
«  les  enfants  de  Dieu.,  »  qui  tressaillaient  d'allé- 
gresse en  le  voyant  produire  tant  de  merveilles  et 
une  si  grande  variété  de  créatures. 

Quand  le  Fils  de  Dieu  prend  un  corps  dans  le 


406  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


sein  de  Marie  et   s'incarne,  les  anges  groupés  en 
une  milice    céleste  le  louent  et  chantent  avec  ar- 
deur :  «  Gloire  à  Dieu  au  plus  haut  des  deux.  » 
(Luc.    2.)    Après   l'Ascension  (i)   du   Sauveur,  ils 
apparaissent  au  martyr  saint  Ignace,  chantant  des 
hymnes  à  la  Sainte  Trinité  et  donnant  aux  hommes 
l'exemple  de  la  psalmodie   sacrée   aujourd'hui   en 
usage  dans  le  chœur  des  Eglises.  En  un  mot  ils 
ne  cessent  pas  et  ne  cesseront  jamais  de   chanter 
tous  les  jours  et  tous   ensemble  :   «  Saint  est  le 
«  Père,  saint  est  le   Fils,  saint  est  le  Saint-Es- 
«  prit,  »  (Is.  6.)  Le  prophète  Isaïe  les  vit  et  enten- 
dit le  chant  de  leurs  hymnes.  Voici  la  preuve  qu'il 
n'y  a  ni  arrêt  ni  pause  dans  le  chant  de  ce  Trisa- 
gion    sacré  :    les     habitants    de    Constantinople 
effrayés  par  des  signes  horribles  et  des  menaces  du 
ciel,  faisaient  un  jour  des  prières  publiques,  quand 
un  enfant  élevé  en  l'air,  apprit  des  anges  à  chanter 
le  Trisagion  sacré,  en  l'honneur  des  trois  Person- 
nes divines  :  «  Dieu  saint ^  Dieu  fort,  Dieu  im- 
«  mortel,   aye^  pitié  de  nous  »  (2).    Le   peuple 
instruit  par  l'enfant  le  chanta  à  son  tour  avec  une 
ardente  dévotion.  Il  apaisa  ainsi  la  colère  de  Dieu 
et  fut  délivré  du  fléau  qui  le  menaçait.  Je  vois  là 
une  preuve  que   les  anges   persévèrent  à  louer  la 
Trinité   et  à  inviter  les  hommes  à  s'unir  à  eux 
dans  ce  saint  office. 

A  vous  donc,  très  auguste  Trinité,  tous  les 
anges,  tous  les  cieux  et  toutes  les  Puissances,  à 
vous  tous  les  Chérubins  et  tous  les  Séraphins 
crient  sans  jamais  s'arrêter  :  «  Saint^  saint,  saint 

X.  Hiit.  Tripart.  lib.  lo,  c.  19. 
«.  PfiiQatc.  1.  3.  Fid.  c.  10, 


DE    LA   TRÈS    SAINTE  TRINITÉ  407 

«  le  Seigneur,  le  Dieu  des  armées.  »  Oh  !  je  me 
réjouis  de  voir  que  les  anges  sont  les  chantres 
célestes  de  vos  louanges.  O  Dieu  tout-puissant 
commandez  que  nos  voix  soient  unies  aux  leurs 
et  que  dans  cette  ravissante  harmonie  nous 
chantions  sous  leur  direction  et  comme  sous  leur 
baguette  :  Gloire  au  Père,  au  Fils  et  au  Saint- 
Esprit;  ainsi  que  dès  le  commencement  du  monde 
les  anges  lui  rendent  gloire,  comme  ils  la  lui  ren- 
dent encore  maintenant,  et  comme  ils  la  lui  don- 
neront dans  tous  les  siècles  des  siècles. 

III 

Les  créatures  humaines  rendent  gloire  aussi  à  la 
Sainte  Trinité,  non  moins  par  la  sainteté  de  leur 
vie  et  par  les  actions  faites  en  son  honneur,  que 
par  les  louanges  que  chante  leur  bouche,  notam- 
ment par  la  répétition  fréquente  de  ce  verset  : 
Gloire  au  Père,  au  Fils  et  au  Saint-Esprit  etc. 
Quelques-uns  (i)  l'attribuent  à  Flavien,  évêque 
de  Constantinople,  qui  l'aurait  composé  de  concert 
avec  saint  Jean  Chrysostôme,  et  qui  le  fit  chanter 
solennellement  dans  l'Eglise,  en  l'honneur  de  la 
Trinité,  à  l'époque  où  la  fureur  des  ariens  s'effor- 
çait de  lui  ravir  sa  gloire  parmi  les  hommes.  Plus 
tard  le  pape  saint  Damase,  sur  le  conseil  de  saint 
Jérôme  (2),  ordonna  de  l'ajouter  à  la  fin  de  chaque 
Psaume,  afin  qu'il  fut  plus  souvent  répété. 

Mais  l'origine  de  cette  prière  est  probablement 
plus  ancienne.  Saint  Athanase  qui  vivait  avant 
Flavien  et  saint  Jean  Chrysostôme,  conseillait  à 

X.  Nicephor,  lih.  i8,  c.  $i. 

%.  Hier.  Ep.  ad  Damas,  Genebrard,  1.  i,  Chron.  an  Chr.  356, 


4o8  LA    THéOLOGIE    AFFECTIVE 

une  vierge  qu'il  instruisait,  de  répéter  trois  fois, 
en  se  levant  de  table  :  Gloire  au  Père,  etc.  Il  est 
donc  plus  probable  que  cet  hymne  fut  enseigné 
par  les  anges  à  saint  Ignace,  évêque  d'Antioche,  et 
que  ce  fut  lui  qui  le  fit  chanter  dans  cette  ville  où 
les  disciples  de  Jésus-Christ  furent  pour  la  pre- 
mière fois  appelés  chrétiens  (Act.  1 1),  à  cause 
du  zèle  qu'ils  avaient  pour  la  religion.  Peut-être 
même  les  Apôtres  l'ont-ils  eux-mêmes  enseigné 
de  vive  voix  aux  premiers  chrétiens  et  la  tra- 
dition s'en  est-elle  depuis  conservée  dans  toutes 
les  églises  qui  n'ont  pas  été  perverties  par  les 
ariens  (i). 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  controverse,  ceux  qui 
glorifient  la  Sainte-Trinité  par  la  récitation  atten- 
tive et  dévote  de  ce  verset,  pratiquent  dans  ce  seul 
acte  un  grand  nombre  de  vertus.  C'est  d'abord  la 
profession  de  foi  du  plus  sublime  mystère  du 
christianisme.  C'est  un  acte  d'espérance  en  la  vie 
éternelle  et  au  paradis,  où  le  Père,  le  Fils  et 
Saint-Esprit  doivent  être  glorifiés  dans  tous  les 
siècles  des  siècles.  C'est  un  acte  d'amour  de 
complaisance,  par  lequel  on  se  réjouit  de  ce  que 
la  Trinité  jouit  au  ciel  d'une  gloire  infinie.  C'est 
un  acte  d'amour  de  bienveillance,  quand  on  le  dit 
avec  le  désir  que  la  Sainte-Trinité  soit  toujours  glo- 
rifiée par  ses  créatures,  et  que  la  félicité  de  tous  les 
saints  qui  est  leur  gloire  formelle,  contribue  à 
jamais  à  la  manifestation  de  ses  grandeurs  infi- 
nies. C'est  aussi  un  acte  d'amour  à  l'égard  du 
prochain  ;  car  on  lui  souhaite  le  bien  suprême, 
celui  qui  constitue  sa  fin  dernière  et  sa  béatitude, 

z.  Bas.  de  Sp.  S.  c.  37. 


DE    LA   TRÈS    SAINTE  TRINITÉ  409 

c'est-à-dire,  la  glorification  de  la  Trinité.  C'est  un 
acte  de  religion,  car  par  ces  paroles  nous  rendons 
à  Dieu  le  culte  et  l'honneur  qui  lui  appartiennent. 
C'est  un  acte  d'obéissance,  parce  que  nous  ren- 
dons à  Dieu  ce  qu'il  commande  qu'on  lui  rende, 
je  veux  dire  sa  gloire.  C'est  un  acte  d'humilité 
pour  cette  raison  qu'on  ne  demande  aucune  gloire 
pour  soi-même,  mais  qu'on  la  renvoie  tout  entière 
à  la  Sainte-Trinité.  Enfin  c'est  une  action  si  noble 
que  c'est  l'exercice  perpétuel  des  bienheureux  dans 
le  paradis.  «  Et  ils  n  avaient  pas  de  repos,  dit 
«  saint  Jean,  jour  et  nuit  ils  disaient  :  Saint, 
«  saint,  saint,  le  Seigneur  Dieu  tout-puissant.  » 
(Apoc.  4.) 

Je  veux  donc  considérer  comme  une  action 
très  importante,  la  glorification  de  la  Sainte-Tri- 
nité. Je  veux  redoubler  d'attention,  lorsque  je 
réciterai  ou  j'entendrai  ces  paroles,  et  travailler  à 
faire  louer  Dieu  avec  ardeur  et  dévotion.  O  Per- 
sonnes sacrées,  lorsqu'il  s'agit  d'un  si  important 
devoir,  je  voudrais  n'épargner  aucune  peine  pour 
provoquer  toutes  les  créatures  du  monde  à  con- 
courir d'un  même  esprit  et  d'une  même  affection, 
à  votre  glorification.  Oh  !  quand  entendrai-je 
retentir  de  toutes  parts  :  Gloire  au  Père,  au 
Fils  et  au  Saint-Esprit  !  Oh  !  ce  serait  mon  sou- 
hait et  le  désir  de  ma  vie  de  n'entendre  que  ce 
chant  de  tous  côtés.  O  Trinité  bienheureuse, 
de  qui,  en  qui  et  par  qui  sont  toutes  choses  !  O 
Dieu  au-dessus  de  qui  il  n'y  a  rien  (i).  O  Dieu 
sous  la  majesté  de  qui  tout  s'incline,  en  qui  tout 
existe,  tout  subsiste,  nous  vous  invoquons,  nous 

X.  Alcuia,  /.  de  Trin. 


410  LA     THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

VOUS  adorons,  nous  vous  louons.  Exaucez-nous, 
Seigneur;  vous,  notre  espérance,  notre  salut,  notre 
gloire.  Délivrez-nous,  sauvez-nous,  justifiez-nous. 
O  heureuse,  ô  bénie,  ô  glorieuse  Trinité  !  ô  vraie, 
ô  souveraine,  ô  éternelle  unité  !  faites-nous  misé- 
ricorde. A  vous  louange,  à  vous  gloire,  à  vous 
actions  de  grâces.  O  heureuse  Trinité  !  Oh  !  gloire 
au  Père,  au  Fils  et  au  Saint-Esprit  !  Gloire  au 
Père,  de  qui  découle  toute  paternité  au  ciel  et  sur 
la  terre  !  Gloire  au  Fils,  de  qui  vient  toute  filia- 
tion et  adoption  !  Gloire  au  Saint-Esprit,  l'auteur 
de  toute  sainteté  et  de  toute  sanctification  ! 

Gloire  au  Père  qui  nous  a  créés  à  son  image  ; 
gloire  au  Fils  qui  nous  a  rachetés  par  son  sang  ; 
gloire  au  Saint-Esprit  qui  nous  a  faits  ses  temples  ! 
Gloire  vous  soit  toujours  rendue,  Trinité  égale, 
unique  divinité  !  Que  le  chœur  glorieux  des  Apô- 
tres, que  la  multitude  vénérable  des  prophètes, 
que  la  sainte  phalange  des  martyrs,  et  que  tous 
les  saints  élus  vous  contessent  d'un  même  esprit  ! 
Louange,  gloire  et  bénédiction  à  la  Sainte-Trinité, 
avant  tous  les  siècles,  maintenant  et  à  perpétuité  ! 
Enfin,  ô  mon  Dieu,  qu'on  ne  saurait  trop  admirer 
dans  le  mystère  de  la  Sainte-Trinité,  que  toutes 
les  bénédictions  du  monde  montent  jusqu'à  vous, 
tel  sera  mon  souhait  le  plus  ardent  au  milieu  des 
tristesses  de  cette  vie.  Et  quand  dans  votre  misé- 
ricorde, vous  briserez  le  lien  qui  unit  mon  âme  à 
ce  corps  mortel  et  qui  l'appesantissant  l'empêche 
de  s'élever  assez  haut  pour  vous  rendre  la  gloire 
qui  vous  est  due,  quand,  dis-je,  vous  aurez  affran- 
chi mon  âme  des  liens  de  cette  vie,  quand  vous 
lui  aurez  enfin  donné  la   liberté  qu'elle  attend^ 


DE    LA   TRÈS    SAINTE    TRINITÉ  41  I 

alors  je  ferai  éclater  avec  plus  de  force  et  d'amour 
cet  hymne  :  «  Gloire  au  Père,  au  Fils  et  au  Saint- 
«  Esprit,  comme  il  était  au  commencement  et 
«  maintenant  et  toujours  et  dans  les  siècles  des 
«  siècles.  Ainsi  soit-il.  » 


412  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

TROISIÈME  TRAITÉ 

Des  Anges 


r  MÉDITATION 

DE  LA  CRÉATION  EN  GÉNÉRAL 


SOMMAIRE 

Dieu  était  libre  de  ne  créer  aucun  monde  — 
seul  il  pouvait  créer  —  parmi  une  infinité 
de  mondes  possibles,  il  lui  a  plu  de  créer  le 
monde  actuel. 

I 

DIEU  pouvait  se  passer  de  créer  le  monde. 
En  effet,  il  est,  comme  nous  Tavons  vu, 
immense,  infini,  tout  puissant,  sage,  bon,  heu- 
reux, enrichi  de  tous  les  attributs  les  plus  parfaits, 
subsistant  heureusement  en  trois  Personnes  égales 
en  grandeur,  en  béatitude,  et  en  toutes  sortes  de 
biens  imaginables,  n'ayant  aucun  besoin  de  se 
créer  un  lieu  de  séjour,  parce  qu'il  est  à  lui-même 
sa  propre  demeure  et  son  propre  trône  ;  jouissant 
d'un  bonheur  infini  dans  la  paix  de  son  Essence, 
dans  l'abîme  de  ses  grandeurs,  et  dans  la  splen- 
deur de  sa  gloire.  Puisque  Dieu  est  tel  éternelle- 


DES   ANGES  4l3 


ment  et  même  mille  et  mille  fois  plus  grand  que 
notre  esprit  ne  saurait  le  comprendre  et  notre 
langage  l'exprimer,  il  pouvait  demeurer  ainsi  sans 
créer  le  monde,  comme  il  avait  fait  d'ailleurs 
pendant  les  siècles  sans  nombre  qui  s'étaient 
écoulés  avant  la  création.  Nous  savons  en  effet 
qu'il  existe  par  lui-même,  qu'il  ne  relève  de  per- 
sonne, que  les  biens  qu'il  possède  lui  suffisent, 
qu'il  n'a  que  faire  des  joies  qu'on  peut  goûter 
hors  de  lui,  que  tous  ses  attributs  et  toutes  ses 
perfections  lui  procurent  une  félicité  infinie  et 
qu'il  a  assez  de  richesses  dans  son  palais,  qui  est 
sa  divinité,  sans  aller  emprunter  celles  qui  sont 
hors  de  lui,  dans  les  créatures.  Qu'avait-il  dès 
lors  besoin  de  produire  le  ciel  et  la  terre  et  tous 
les  êtres  qu'ils  renferment,  lui  qui  s'était  passé 
de  toutes  ces  choses  pendant  un  temps  infini  ?  Ne 
pouvait-il  pas  s'en  passer  encore  et  vivre  content 
et  heureux  en  lui-même  sans  produire  ce  monde  ? 
Certes  oui,  il  le  pouvait  ;  ce  monde  ne  lui  était  en 
aucune  sorte  nécessaire.  Cette  vérité  nous  fournit 
l'occasion  d'admirer  la  grandeur  et  l'état  très 
heureux  et  très  indépendant  de  notre  Dieu  éternel. 
Dieu  lui-même  a  voulu  que  nous  fassions  cette 
réflexion  ;  c'est  dans  cette  intention  que,  voulant 
ne  créer  le  monde  que  pour  sa  gloire  et  de  la 
manière  qui  contribuerait  le  plus  à  sa  gloire,  il 
s'est  abstenu,  pendant  de  longs  siècles  de  le  créer, 
afin  de  démontrer  à  tous  par  ce  seul  fait  que  le 
monde  ne  lui  était  point  nécessaire,  que  les  créa- 
tures n'ajoutaient  rien  à  sa  grandeur,  qu'elles 
sont  incapables  d'apporter  le  plus  léger  accroisse- 
ment i\  la  joie,  au  repos,  à  la  félicité  parfaite  qu'il 


414  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

possède   en  lui-même.    En   un   mot,   il   a  voulu 
prouver  qu'il  peut  se  passer  des  créatures. 

O  grand  Dieu,  très  heureux  par  vous-même,  je 
reconnais  votre  indépendance,  j'adore  la  gloire 
ineffable  et  la  félicité  parfaite  que  vous  aviez  en 
vous-même  avant  que  le  monde  fût.  «  fai  dit  au 
«  Seigneur  :  vous  êtes  mon  Dieu^  et  vous  n*ave:( 
«  pas  besoin  de  mes  biens  »  (Ps.  i5),  ni  des  biens 
de  n'importe  quelle  créature.  Je  reconnaîtrai  tou- 
jours humblement  en  face  de  vous,  que  vous 
n'avez  que  faire  de  moi,  pas  plus  que  d'un  simple 
grain  de  poussière,  que,  quoi  que  je  fasse,  je  ne 
puis  augmenter  en  rien  les  perfections  de  votre 
Etre  sublime,  que  je  ne  suis  enfin  qu'un  serviteur 
inutile.  Qu'il  ne  m'arrive  donc  jamais  de  marcher 
la  tête  haute  en  votre  présence  !  Je  me  prosterne- 
rai la  face  contre  terre,  pour  indiquer  que  je  suis 
une  créature  qui  ne  vous  est  utile  en  rien. 

II 

D'autre  part  Dieu  seul  pouvait  créer  les  êtres  et 
les  faire  passer  du  néant  à  la  vie  par  sa  toute-puis- 
sance. En  effet  ce  qui  n'existe  pas  ne  peut  rien 
faire  :  l'impuissance  la  plus  radicale  que  l'on 
puisse  imaginer,  c'est  de  ne  pas  exister.  Comment 
donc  les  créatures  qui  n'étaient  que  possibles, 
auraient-elles  pu  sortir  de  l'abîme  du  néant  par 
leur  propre  vertu,  puisqu'elles  n'existaient  pas  ? 

Il  y  a  de  plus  de  profondes  différences  entre 
Dieu  et  la  créature.  Dieu  est  l'Etre  accompli  et 
infiniment  parfait  :  la  créature  est  un  être  borné 
et  imparfait.  Dieu  est  un  Etre  éternel,  sans  com- 
mencement î  la  créature  est  un  être  nouveau  qui 


DES   ANGES  4l5 


apparut  un  jour  pour  la  première  fois.  Dieu  est  un 
Etre  souverain  et  indépendant  :  la  créature  est  un 
être  soumis  et  essentiellement  dépendant.  Dieu  a 
précédé  le  néant  qui  est  le  contraire  de  l'être  dont 
il  jouit,  et  ayant  la  primauté,  il  Ta  entièrement 
éloigné  de  lui  et  ne  lui  a  donné  aucune  prise  sur 
lui  :  la  créature  au  contraire  a  été  précédée  du 
néant  ou  du  non-être,  puisque  pendant  une  éter- 
nité  elle  est  demeurée    dans  Tabîme    du  néant, 
avant  d'en  être   tirée  par   la   création,  qui  lui   a 
donné  l'existence.  Entre  l'être  et  le  néant,  il  y  a 
l'opposition  la  plus  complète  qu'on  puisse  imagi- 
ner. Mais   Dieu  étant  l'Etre  éternel  a  devancé  le 
non-être,  a  toujours  possédé  l'être  et  n'a  jamais 
donné  accès  en  lui  au  non-être.  Aussi  Dieu  est-il 
tout  Etre  et  possède-t-il  d'une  manière  excellente 
tous  les  degrés  de   l'être,   semblable  à  un  abîme 
immense  qui  peut  tout  contenir,  à  un  abîme  sans 
fond  d'être  sans  fin.  En  lui  il  n'y  a  absolument 
aucune  trace  de  non-être  ;  il  l'a  éloigné  de  lui  infi- 
niment, comme  un  ennemi  avec  lequel  il  ne  pourra 
jamais   s'accorder.    De   là  vient  qu'il   répondit  à 
Moïse  lui  demandant  son  nom  :  «  Je  suis  celui 
qui  suis.  »  (Ex.  3.)  Apparaissant  à  une  grande 
sainte  (i)  en  prière,  il  lui  dit  :  Sais-tu  qui  je  suis, 
ma  fille,  et  qui  tu  es  ?  tu  seras  bien  aise  de  le  sa- 
voir :  je  suis  celui  qui  est  et  tu  es  celle  qui  n'était 
pas.  En  effet  la  créature  a  été  précédée  du  non- 
être  et  de  son  néant,  car  avant  de  recevoir  l'être, 
elle  était  dans  le  non-être.  Le  néant  s'étant  le  pre- 
mier emparé  d'elle,  la  tenait  assujettie  et  comme 
esclave  dans  ses  profonds  abîmes.  Ainsi  enchaînée 

I.  Sainte  Catherine  de  Gines. 


4l6  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

et  en  quelque  sorte  opprimée  par  son  néant, 
comme  par  son  ennemi  mortel,  qui  avait  l'avan- 
tage sur  elle,  la  créature  était  dépourvue  de  toute 
force  pour  se  dégager  elle-même,  parce  que  ne  pas 
être  constitue  la  plus  radicale  impuissance.  Elle 
était  donc  dans  l'impossibilité  de  faire  le  moindre 
mouvement,  de  s'élever  au-dessus  de  cet  abîme  et 
de  sortir  des  prisons  du  néant.  D'ailleurs  avant  la 
création  il  n'existait  que  Dieu  seul.  Qui  dès  lors 
aurait  pu  la  délivrer  du  néant,  si  ce  n'est  lui,  qui 
est  l'Etre  parfait,  qui  ayant  éloigné  de  lui-même  à 
une  distance  infinie  le  néant,  pouvait  l'éloigner 
aussi  de  la  créature  ?  Il  était  alors  le  seul  à  avoir 
cette  puissance  et  cette  autorité  sur  le  néant,  auto- 
rité qui  lui  permettait  d'en  faire  sortir  les  êtres. 
Et  en  supposant  même  que  quelques  créatures 
eussent  déjà  existé,  aucune  de  ces  créatures  n'eût 
été  capable  d'en  délivrer  une  autre  du  néant,  car 
il  n'appartient  qu'à  Dieu  seul  et  à  sa  puissance 
infinie  de  faire  de  rien  quelque  chose.  La  raison 
la  voici  :  c'est  qu'entre  le  néant  et  l'être  il  y  a  une 
distance  infinie,  c'est-à-dire  pour  la  faire  passer  du 
néant  à  l'être,  pour  faire  que  de  rien  elle  devienne 
quelque  chose,  il  faut  une  vertu  infinie,  une  puis- 
sance divine  et  adorable.  Ainsi  donc  la  créature  ne 
pouvait  éclore  du  néant  et  subsister  que  par  la 
toute-puissance  et  par  la  bonté  divine. 

O  grandeur  et  sublimité  de  Dieu  !  ô  puissance 
et  majesté  suprême  de  l'Etre  infini  et  éternel 
en  face  de  l'être  fini  et  nouvellement  apparu  dans 
ce  monde  créé  !  ô  dépendance  extrême  des  créa- 
turcs  !  oh  !  qu'il  est  bien  vrai  que  par  elle-même  la 
créature  n'est   rien  !  Comment  donc  mon  esprit 


DES   ANGES  417 


a-t-il  pu  se  laisser  aller  un  seul  instant  à  la 
présomption  !  Oh  !  combien  est  aveugle  l'intelli- 
gence qui  oublie  son  néant  et  qui  manque  d'hu- 
milité !  Donc,  ô  mon  Dieu,  je  le  confesse  devant 
tout  le  monde,  de  moi-même  je  ne  suis  rien,  je  ne 
subsiste  que  par  vous.  O  Dieu  qui  avez  tout  pou- 
voir sur  moi,  jamais  je  ne  présumerai  de  mes  for- 
ces, mais  je  mettrai  en  vous  toute  ma  confiance  : 
car  «  qui  est  semblable  au  Seigneur  notre  Dieu^ 
«  lui  qui  habite  les  hauteurs  des  cieux^  qui 
«  regarde  les  humbles  au  ciel  et  sur  la  terre,  qui 
«  retire  l'indigent  de  la  poussière  et  qui  élève  le 
«  pauvre  de  dessus  son  fumier,  afin  de  le  faire 
«  asseoir  avec  les  princes?  »  (Ps.  112.)  C'est 
pourquoi,  mon  Seigneur,  de  chétif  et  misérable 
que  je  suis,  vous  pouvez  me  faire  grand  dans 
le  ciel  et  de  rien  que  je  suis  faire  de  moi  quelque 
chose.  En  qui  donc  mettrai-je  mon  espérance 
et  ma  force,  si  n'est  en  vous  seul,  qui  de  rien  fai- 
tes de  grandes  choses  ? 

III 

Considérez  qu'il  a  plu  au  Dieu  éternel  et  adora- 
ble de  ne  délivrer  des  abîmes  du  néant  que 
ce  monde  seul,  dans  lequel  nous  sommes  com- 
pris, de  préférence  à  tant  d'autres  mondes  et 
à  tant  d'autres  créatures  possibles.  Ainsi  au  mo- 
ment marque  par  sa  sagesse,  il  tira  cet  univers  de, 
la  masse  des  êtres  possibles,  et  le  forma  de  rien, 
c'est-à-dire  sans  matière  préexistante,  par  une 
action  toute-puissante  et  la  plus  noble  de  toutes 
que  nous  appelons  création  :  Quant  à  une  infinité 
Bail,  t.  i.  »1 


4l8  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

d'autres  inondes  possibles,  il  les  laissa  dans  le 
néant,  en  vertu  d'une  décision  de  sa  sagesse. 

Imaginez  un  roi  puissant  qui  a  vécu  longtemps 
heureux  et  tranquille  dans  son  palais  ;  au  bout 
d'un  certain  nombre  d'années  l'envie  lui  vient  de 
bâtir  dans  une  campagne  déserte  un  superbe  édi- 
fice et  d'étaler  là  ses  richesses  et  sa  magnificence. 
Ce  n'est  pas  le  besoin  qui  l'y  a  déterminé,  car  il 
est  royalement  logé  dans  son  palais.  Et  cet  édifice 
il  peut  le  construire  suivant  tel  plan  qui  lui  plaît, 
suivant  telle  forme  qu'il  préfère  :  tout  cela  dépend 
de  sa  volonté.  Ainsi  en  est-il  de  notre  Dieu,  toutes 
proportions  gardées.  Il  était  parfait  et  heureux  de 
toute  éternité,  il  habitait  en  lui-même  et  trouvait 
son  bonheur  dans  la  contemplation  et  l'amour  de 
lui  seul.  Au  bout  de  longs  siècles,  il  lui  a  plu  de 
bâtir  ce  monde  :  rien  ne  l'y  a  contraint  cependant. 
Il  était  libre  de  le  créer  ou  non,  de  lui  donner  telle 
place,  de  le  produire  à  tel  moment  qui  lui  plai- 
sait :  tout  dépendait  de  sa  volonté  et  de  son  bon 
plaisir.  Bref,  il  l'a  bâti  tel  que  nous  le  voyons, 
ainsi  que  ce  roi  puissant  a  élevé  son  palais.  Mais 
voici  la  différence  :  ce  roi  ne  pouvant  bâtir  en  l'air, 
sans  matériaux  et  sans  ouvriers,  fait  tout  d'abord 
des  préparatifs,  il  creuse  des  fondations  dans  le 
sol,  réunit  des  ouvriers  de  toutes  parts.  Notre 
Dieu,  lui,  construit  de  rien  l'édifice  de  ce  monde 
et  fait  en  un  instant  le  ciel,  la  matière  corporelle, 
le  temps  et  la  nature  angélique,  il  fonde  tout  dans 
le  vide  des  espaces,  sans  outils,  sans  aides  dont  il 
n'a  que  faire. 

O  Créateur  !  ô  admirable  ouvrier  I  qui  faites 
quand  il  vous  plaît,  un  si  beau  et  si  ravissant  chef- 


DES   ANGES  419 


d'œuvre  !  Que  toutes  ces  créatures  vous  louent  et 
vous  bénissent  de  ce  qu'elles  subsistent  par  vous  ! 
Car,  Seigneur,  qu'est-ce  qui  vous  a  déterminé  à 
créer  ce  monde  de  préférence  à  des  millions  d'au- 
tres que  vous  pouviez  créer,  et  dans  lesquels  nous 
n'eussions  Jamais  été  compris  ?  Uniquement  votre 
bonté  :  c'est  là  toute  la  raison  :  «  Œuvres  du 
«  Seigneur f  bénisse:^  toutes  le  Seigneur,  loue^-le 
«  et  exalte\-le  dans  tous  les  siècles.  »  (Dan.  3.)  O 
mon  prince,  je  vous  glorifierai  toujours,  je  vous 
louerai  sans  cesse  pour  le  bienfait  de  ma  création  : 
j'y  reconnaîtrai  et  j'y  chérirai  votre  bonté,  votre 
sagesse,  votre  puissance  et  toutes  vos  perfections. 


ir  MÉDITATION 

DE  L'EXISTENCE  DES  ANGES 


SOMMAIRE 

V existence  des  Anges  —  n'a  rien  qui  répugne;  — 
elle  convient;  —  elle  est  un  fait  certain. 

I 

LES  Anges  peuvent  exister  ;  ce  qui  veut  dire 
qu'il  est  possible  que  Dieu  crée  certaines 
substances  spirituelles,  exemptes  de  toute  matière 
et  d'une  nature  supérieure  à  l'homme.  Cette  vérité 
découle  de  celle  de  l'existence  de  Dieu  :  car  une 
fois   admis   qu'il  y  a  un  Dieu,  —   et  qui  pourrait 


420  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

refuser  de   Fadmettre  ?   —  il  est  évident  qu'il  dé- 
pend de  lui  de  donner  l'être  et  la  vie  à  des  Anges. 

Il  n'y  a  là  en  effet  ni  répugnance,  ni  contradic- 
tion, et  par  conséquent  rien  qui  puisse  empêcher 
que  la  toute-puissance  ne  les  produise.  De  plus 
un  être  qui  peut  agir  sur  des  objets  éloignés  de 
lui,  le  pourra  à  plus  forte  raison  sur  des  objets 
rapprochés  de  lui  :  par  exemple  si  le  feu  a  le  pou- 
voir de  réchauffer  un  corps  placé  loin  de  lui,  à 
plus  forte  raison  pourra-t-il  communiquer  la  cha- 
leur à  un  corps  qui  sera  tout  proche  de  lui.  Or 
Dieu  est  assez  puissant  pour  produire  des  créatu- 
res corporelles  et  rien  n'est  plus  éloigné  de  sa 
nature  que  les  corps.  Il  aura  donc  à  plus  forte 
raison  le  pouvoir  de  produire  des  créatures  spiri- 
tuelles qui  sont  plus  rapprochées  de  lui  par  leur 
nature  et  plus  semblables  à  lui  par  leurs  perfec- 
tions. 

Il  convient  d'observer  aussi  qu'il  ne  faut  pas 
une  plus  grande  puissance  pour  produire  tout  un 
monde  de  créatures  spirituelles,  que  pour  pro- 
duire un  monde  de  créatures  corporelles  ;  car  là 
où  tout  se  fait  de  rien,  et  par  la  seule  volonté,  il 
ne  saurait  être  question  d'une  plus  ou  moins 
grande  difficulté.  C'est  pourquoi  la  même  puis- 
sance de  Dieu  qui  a  produit  les  vermisseaux  sur 
la  terre,  a  créé  les  Anges  dans  les  cieux  et  sa  puis- 
sance ne  se  manifeste  pas  avec  plus  d'éclat  dans 
la  création  des  Anges  que  dans  celle  des  vermis- 
seaux. 

Admirons  ici  cette  puissance  suprême,  capable 
de  produire  des  oeuvres  si  grandes  et  si  excel- 
lentes,  qu'elles  dépassent  la  portée  de  tous  nos 


DES    ANGES  42I 


sens.  Admirons  cette  force  divine  qui  peut  faire 
surgir  des  millions  de  mondes  et  qui  peut  donner 
la  vie  aussi  facilement  à  des  mondes  peuplés  d'An- 
ges qu'à  des  mondes  habités  par  des  hommes.  Et 
puisque  à  toute  puissance  doit  correspondre  la 
soumission,  assujettissons-nous  à  ce  Dieu  tout- 
puissant,  offrons-lui  des  adorations  et  des  respects 
profonds,  au  début  de  ces  considérations  sur  les 
substances  angéliques. 

II 

Considérez  qu'il  convenait  beaucoup  que  Dieu 
créât  des  Anges,  pour  des  raisons  prises  soit  du 
côté  du  monde,  soit  du  côté  de  Dieu  même. 

Cela  convenait  d'abord  pour  des  raisons  prises 
du  côté  du  monde.  Dieu  a  jugé  à  propos  de  créer 
une  âme  raisonnable,  c'est-à-dire  une  substance 
spirituelle  imparfaite,  puisqu'elle  n'est  qu'une 
moitié  de  l'homme.  Or,  il  convenait  bien  davan- 
tage qu'il  existât  une  substance  spirituelle  par- 
faite et  qui  ne  fit  pas  partie  d'un  autre  être.  Ce  qui 
est  imparfait  suppose  toujours  quelque  chose  de 
plus  parfait  et  il  convenait  que  le  monde  fut 
assorti  et  parfait  de  tout  point.  Or,  dit  le  Docteur 
angélique  (i),  la  perfection  de  l'univers  consiste 
surtout  dans  les  substances  séparées.  Et  en  réalité 
si  le  monde  ne  comprenait  que  les  cieux  seuls,  les 
Anges  en  seraient  le  soleil  et  les  plus  plus  bril- 
lantes étoiles  ;  s'il  n'était  qu'un  jardin,  les  anges 
en  seraient  les  roses,  les  œillets,  les  lis  et  les  plus 
belles  comme  les  plus  odorantes  fleurs.  D'après 

I.  D.  3.  Cont.  Cent.  c.  93. 


422  LÀ    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

saint  Denys  (i),  l'Ange  est  l'image  de  Dieu,  le 
reflet  de  la  lumière  cachée,  le  miroir  brillant,  sans 
tache  et  sans  défaut  de  la  beauté  divine,  capable 
de  réfléchir,  autant  que  la  chose  est  possible  à  une 
créature,  cette  même  beauté  que  nous  dérobe  un 
si  profond  mystère.  C'est  pour  ce  motif  que  les 
i\^ges  donnent  à  ce  magnifique  univers  son  cou- 
ronnement et  sa  perfection. 

Il  convenait  aussi  qu'il  y  eut  des  anges  pour 
des  raisons  prises  du  côté  de  Dieu,  car  s'il  était 
convenable  que  lui,  être  spirituel,  fit  paraître  sa 
puissance  et  sa  bonté  dans  la  création  des  êtres 
corporels,  combien  était-il  plus  convenable  qu'il 
fit  éclater  cette  même  puissance  et  cette  même 
bonté  dans  la  création  d'êtres  purement  spirituels 
comme  sont  les  Anges. 

Cette  considération  me  fournira  l'occasion  de 
faire  le  raisonnement  suivant  :  s'il  est  vrai  que, 
sans  les  substances  spirituelles  ce  grand  monde 
serait  imparfait,  il  faut  que  l'homme  qui  est  un 
petit  monde  rentre  en  lui-même  et  considère  qu'il 
ne  sera  Jamais  accompli  sans  les  nobles  opérations 
de  l'esprit.  S'il  convient  à  Dieu,  parce  qu'il  est 
esprit,  de  produire  des  êtres  purement  spirituels  ; 
pour  le  même  motif  il  convient  à  l'homme  qui  a 
une  âme  spirituelle,  de  s'appliquer  aux  choses 
spirituelles.  Je  regretterai  donc  d'avoir  si  peu 
appliqué  mon  intelligence  à  ce  qui  est  du  ciel  et 
de  l'esprit,  et  de  l'avoir  si  ardemment  appliquée 
à  ce  qui  est  de  la  terre  et  du  corps.  O  mon  àme, 
tu  n'es  point  chair,  que  les  affections  charnelles 
ne  te  souillent  donc  pas  ;  tu  es  la  forme  du  corps, 

l.  D*  Fir,  nom.  ç.  4. 


DES    ANGES  428 


que  le  corps  ne  t'impose  donc  pas  sa  loi  ;  tu  es 
spirituelle  et  voisine  de  la  nature  céleste  et  angé- 
lique,  que  ta  conversation  soit  donc  dans  le  ciel 
et  que  ta  vie  ressemble  à  celle  des  Anges. 

III 

Enfin  l'existence  des  Anges  est  certaine.  Si  en 
eifet  Dieu  a  pu  les  créer,  et  si  de  plus  il  était 
convenable  qu'il  le  fit,  on  peut  conclure  avec  une 
grande  probabilité  que  Dieu,  qui  sait  ce  qui  lui 
convient,  les  aura  créés  en  réalité.  D'abord  les 
Saintes  Ecritures  affirment  qu'ils  existent  et  puis 
eux-mêmes  se  font  assez  connaître  par  leurs  effets 
qui  sont  de  deux  sortes.  Ce  sont  d'abord  les  mou- 
vements, les  divers  langages,  les  paroles  horribles 
et  les  actions  étranges  des  personnes  possédées, 
qu'il  est  impossible  d'attribuer  à  toute  autre 
cause  qu'aux  Anges  et  aux  démons.  Quiconque 
les  a  étudiés  avec  attention,  est  contraint  d'a- 
vouer qu'il  existe  une  substance  spirituelle  et  in- 
visible, qui  jouit  d'une  puissance  supérieure  à 
celle  de  l'homme  et  qui  seule  peut  produire  de 
tels  effets. 

Les  seconds  effets  plus  ordinaires  sont  les  mou- 
vements des  astres  et  des  cieux  ;  car  les  cieux 
étant  inanimés  ne  sauraient  se  mouvoir  eux- 
mêmes  dans  un  si  bel  ordre  et  avec  une  régularité 
si  parfaite.  Aussi,  au  sein  même  du  paganisme, 
Aristote  (i)  a-t-il  reconnu  avec  les  seules  lumières 
de  la  raison,  qu'il  y  a  des  intelligences  motrices, 
c'est-à-dire  des  Anges  qui  impriment  aux  sphères 
célestes   le  mouvement   et  les   dirigent  dans  leur 

j.  Métafhys.  c.  7.  1,  14. 


424  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

révolution  quotidienne.  C'est  la  même  pensée  que 
semble  avoir  eu  avant  lui  le  saint  homme  Job, 
quand  il  s'adressait  à  Dieu  dans  ces  termes  :  «  O 
«  Dieu  !  à  la  colère  de  qui  nul  ne  résiste,  et  sous 
«  qui  sont  courbés  ceux  qui  portent  le  monde.y* 
(Job.  9).  Ils  s'agit  des  Anges  qui  portent  le  monde 
et  font  rouler  les  deux  dans  l'espace. 

Si  donc  il  existe  des  Anges  et  des  substances 
plus  élevées  et  plus  nobles  que  l'homme  terrestre, 
cette  vérité  doit  apprendre  à  l'homme  l'humilité. 
Qu'il  ne  se  considère  pas  comme  le  prince  de  ce 
monde  et  le  favori  de  Dieu.  Qu'il  ne  s'élève  pas 
dans  sa  pensée  par  une  trop  grande  opinion  de  sa 
grandeur  et  de  sa  noblesse  ;  que  plutôt  il  confesse 
sa  faiblesse  et  qu'il  dise  dans  un  sentiment  sim- 
ple et  vrai  qu'il  n'est  rien.  Car,  o  homme  mortel. 
Dieu  a  des  créatures  bien  plus  nobles  et  bien 
plus  excellentes  que  toi,  il  a  des  Anges  qui  sont 
comme  autant  de  princes  de  sa  cour  et  qui  se 
tiennent  toujours  en  présence  de  sa  majesté. 
Comparé  à  eux,  à  peine  paraîtras-tu  comme  un 
grossier  villageois  et  un  pauvre  ignorant.  O  grand 
Dieu,  je  me  contente  de  l'être  humain  que  vous 
m'avez  donné,  mais  je  me  réjouis  de  savoir  que 
vous  avez  des  serviteurs  plus  nobles  et  plus  di- 
gnes que  nous  qui  vous  servons  si  mal.  Car  nos 
soins,  hélas  !  ne  sont  que  pour  la  terre,  nos  efforts 
ne  sont  qu'impuissance  auprès  de  ces  nobles  intel- 
ligences, et  nos  affections  les  plus  ardentes  sont 
tièdes  auprès  des  leurs.  Oh  !  qu'il  convient.  Sei- 
gneur, que  vous  soyez  servi  par  des  créatures  plus 
nobles  que  nous  !  Bénie  soit  à  tout  jamais  votre 
bonté  qui   a  produit  les  Anges  !   O   bienheureux 


DES    ANGES  426 


esprits,  je  me  réjouis  de  savoir  que  vous  existez  ! 
puisque  vous  êtes  au-dessus  de  nous  en  perfec- 
tion et  en  excellence,  assistez-nous,  secourez-nous 
pendant  que  nous  méditerons  vos  vertus  et  ce  que 
le  Créateur  a  fait  en  vous. 


Iir  MÉDITATION 

DE  LA  SPIRITUALITÉ  DES  ANGES 


SOMMAIRE 

Les  anges  sont  de  purs  esprits  ;  —  ils  sont  plus 
spirituels  que  Vâme  humaine;  —  on  peut  dire^ 
avec  saint  Jean  Damascène^  qu'ils  sont  cot' 
porels,  par  rapport  à  Dieu. 

I 

LA  substance  des  Anges  est  plus  spirituelle  que  ^  ^^^^,^/*a 
les  corps  les  plus  subtils  et  les  plus  déliés  du  ' 
monde,  tels  que  les  vents  et  les  tempêtes,  que 
l'Ecriture  appelle  «  esprits  »  (Ps.  148),  parce  qu'ils 
ont  si  peu  de  corps  qu'ils  sont  invisibles.  Il  est 
vrai  que  plusieurs  docteurs  de  l'Eglise  tant  parmi 
les  anciens  que  parmi  les  modernes  ont  cru  que 
les  Anges  n'étaient  pas  esprits  dans  un  sens  plus 
élevé  que  ces  météores  qui  se  forment  dans  les 
airs.  Sur  cette  question  les  plus  profonds  théolo- 
giens  et  les  plus   grands    philosophes  diffèrent 


426  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

d'opinion,  mais  la  plus  vraie  et  la  plus  constante 
est  que  les  Anges  n'ont  pas  de  corps. 

La  preuve  en  est  que  les  démons  sont  extrême- 
ment nombreux  dans  l'aiT  que  nous  respirons, 
quelquefois  dans  le  corps  d'un  seul  possédé  il  y 
en  a  une  légion  :  ce  qui  serait  impossible  si  les 
démons  avaient  un  corps.  Comment  en  effet  tant 
de  corps  pourraient-ils  être  entassés  dans  un  seul 
corps  humain  ?  Comment  tant  de  démons  pour- 
raient-ils courir  dans  l'air,  sans  que  nous  enten- 
dions aucun  mouvement,  aucun  bruit  ?  C'est  d'au- 
tant plus  vrai  que,  s'ils  avaient  des  corps,  ils  ne 
devraient  pas  être  petits  comme  ceux  des  fourmis 
ou  des  moucherons,  mais  de  grandes  dimensions 
et  proportionnés  aux  effets  que  le  démon  produit. 

Voici  une  autre  raison  :  Dieu  a  créé  les  Anges 
pour  le  connaître  et  pour  voir  plus  clairement  la 
splendeur  de  sa  souveraine  lumière.  Or  il  était 
nécessaire  pour  cela  qu'ils  fussent  absolument 
dégagés  du  corps  et  de  toute  matière  ;  car  plus  les 
intelligences  sont  enfoncées  dans  ces  ténèbres, 
moins  elles  sont  aptes  à  comprendre  les  secrets  de 
Dieu  et  à  les  pénétrer  par  une  science  subtile. 
Donc  ils  doivent  être  tout  spirituels,  pour  être 
plus  intelligents,  conformément  à  la  fin  de  leur 
création. 

Enfin  les  Anges  sont  les  créatures  les  plus  pro- 
ches de  Dieu  :  il  faut  donc  qu'ils  soient  les  créatu- 
res les  plus  parfaites;  de  môme  que  la  matière  qui 
est  la  chose  la  plus  proche  du  néant,  est  la  dernière 
du  monde  et  la  plus  imparfaite.  Il  faut  donc  qu'ils 
soient  sans  corps  et  tout  spirituels.  Ainsi  leur 
nature  est  douée  d'une  pureté,  d'une  virginité  très 


DES    ANGES  427 


excellente,  car  peut-on  en  concevoir  une  de  plus 
grande,  que  d'être  dégagé  entièrement  de  la  chair 
et  de  toute  sorte  de  corps  ?  C'est  là  un  des  côtés 
de  cette  excellence  et  de  cette  perfection  qui  les 
élève  au-dessus  de  toutes  les  autres  créatures. 

J'admirerai  le  bonheur  des  Anges  vierges  et  im- 
maculés, dégagés  entièrement  du  corps  par  la  con- 
dition de  leur  nature.  Je  formerai  la  résolution 
généreuse  de  les  imiter,  autant  qu'il  me  sera  pos- 
sible, par  une  chasteté  parfaite  ;  car  vivre  dans  la 
chair  sans  obéir  à  la  chair,  ce  n'est  pas  une  vie 
terrestre  et  humaine,  mais  une  vie  céleste  et  angé- 
lique,  c'est  être  un  ange  terrestre  et  un  homme 
céleste,  c'est  être  un  ange  humain  et  un  homme 
angélique.  O  Seigneur  des  Anges,  donnez-moi  donc 
une  chasteté  parfaite  et  inviolable  jusqu'à  la  fin  de 
ma  vie  ;  que  mon  plus  grand  bonheur  ici-bas  soit 
d'éviter  toujours  la  corruption  de  la  chair  et  de 
l'abhorrer  plus  que  le  fiel  et  l'absinthe. 

II 

En  second  lieu  les  Anges  sont  plus  spirituels 
que  l'âme  raisonnable  :  car  bien  que  notre  âme 
soit  spirituelle  dans  sa  substance,  toutefois  comme 
Dieu  l'a  créée  pour  faire  partie  de  l'homme  con- 
jointement avec  le  corps,  elle  a  une  inclination 
naturelle  à  être  unie  à  ce  corps.  C'est  si  vrai  que 
les  âmes  bienheureuses  qui  voient  Dieu  face  à 
face  conservent  toujours  cette  inclination  au  mi- 
lieu des  splendeurs  du  paradis  et  appellent  de  tous 
leurs  vœux  la  résurrection  des  corps,  pour  se  réu- 
nir à  eux.  De  plus  pendant  que  les  âmes  informent 
leurs  corps  et  y  sont  comme  enfermées,  le  plus 


428  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

souvent  elles  épousent  leurs  intérêts  à  cause  de 
l'union  qu'elles  ont  contractée  avec  eux  :  d'où  il 
résulte  qu'au  lieu  de  s'élever  par  la  pensée  et  par 
l'affection  aux  biens  réels,  elles  sont  abaissées  par 
les  sollicitudes  temporelles  et  occupées  à  pourvoir 
aux  besoins,  aux  infirmités,  aux  appétits,  à  la  sen- 
sualité, à  la  garde  et  à  l'entretien  du  corps.  Ainsi 
l'homme  a  un  plus  grand  soin  de  son  corps  que  de 
son  âme  :  il  lave  ses  pieds  avec  de  l'eau  limpide  et 
ses  yeux  avec  de  la  boue  et  de  la  fange,  suivant 
l'expression  d'un  ancien  Père  (i).  Dès  lors  l'âme 
humaine  devient  terrestre  et  matérielle  dans  ses 
désirs  comme  dans  ses  actions.  Il  n'en  est  pas 
ainsi  de  l'Ange.  Sa  substance  est  parfaite  et  ne  fait 
pas  partie  d'un  tout  où  l'esprit  et  le  corps  sont 
étroitement  unis  :  dès  lors  elle  n'a  aucune  inclina- 
tion à  ce  qui  regarde  le  corps,  n'est  jamais  trou- 
blée par  les  sollicitudes  de  la  terre  et  n'a  aucune 
attache  aux  affaires  terrestres  et  temporelles.  Aussi 
l'Ange  peut  s'adonner  exclusivement  à  la  contem- 
plation de  Dieu,  parce  qu'il  est  détaché  du  corps, 
de  toute  inclination  vers  le  corps  et  de  tout  soin 
pour  le  corps. 

Ecoute  donc,  ô  mon  âme,  la  parole  du  Verbe 
incarné  et  considère  «  les  lis  des  champs^  vois 
«  comment  ils  croissent  :  ils  ne  travaillent,  ni 
«  ne  filent  ».  (Matt.  6.)  Ces  lis  qui  ont  la  blan- 
cheur et  le  suave  parfum  de  la  pureté,  ce  sont  les 
Anges  (2).  Ils  n'ont  aucun  souci  du  monde  ni  de  la 
chair,  tandis  que  toi  tu  es  toute  embarrassée  dans 
les  intrigues  de  ce  monde,  pendant  que  tu  laisses 

I.  Nilus  in  bibltoth.  Patrum. 
3.  D.  HUar.  Can.  5.  tn  Matt. 


DES    ANGES  429 

se  ruiner  les  affaires  de  l'âme  et  de  l'éternité.  O 
Dieu  !  quel  aveuglement  je  constate  en  moi  !  Ele- 
vez-moi au-dessus  de  la  terre  que  j'habite,  et  que, 
hormis  les  soins  que  la  condition  humaine  m'im- 
pose, les  choses  de  ce  monde  me  soient  absolu- 
ment indifférentes. 

III 

Considérez  néanmoins  ce  que  dit  excellemment 
saint  Jean  Damasccne  (i),  à  savoir  que  les  Anges 
sont  corporels  et  matériels  par  rapport  à  Dieu, 
tandis  qu'ils  sont  spirituels  par  rapport  aux  hom- 
mes. Son  intention  n'est  pas  de  nier  la  spiritua- 
lité des  Anges,  même  d'après  la  pensée  et  la 
connaissance  de  Dieu,  car  Dieu  juge  de  toutes 
choses  selon  la  vérité  ;  mais  il  veut  faire  entendre 
par  là  que  Dieu  est  spirituel  d'une  manière  beau- 
coup plus  noble  et  beaucoup  plus  excellente  que 
les  Anges,  à  tel  point  que  ceux-ci  semblent  n'être 
à  côté  de  lui  que  des  êtres  grossiers  et  matériels. 
C'est  aussi  le  propre  de  Tinfinie  perfection  de 
Dieu  d'éclipser  tout  par  l'éclat  de  sa  lumière  et 
d'amoindrir  tout  par  la  préférence  qui  est  due  à  sa 
grandeur  :  d'où  bien  souvent  il  arrive  que  ce  qui 
est  sainteté  aux  yeux  des  hommes  et  selon  leur 
jugement,  est  abomination  devant  Dieu.  «  Les 
«  cieux^  dit  Job,  quoique  bien  éloignés  de  la 
«  fange  et  de  la  corruption,  ne  sont  pas  purs  de- 
«  vant  lui.  Les  astres  les  plus  brillants  sont 
«  sans  éclat  à  ses  yeux  et  la  lune  est  tachée  et 
«  souillée  devant  lui.  »  (Job,  i5  et  25.)  Et  si  pur 
que  l'homme  s'estime,  il  se  trouverait  bien  impur, 

I.  In  lib.  a.  de  Ftde,  c.  3. 


43o        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

s'il  était  mis  en  parallèle  avec  la  pureté  divine  ;  il 
aurait  honte  de  lui-même  s'il  envisageait  la  beauté 
de  Dieu.  Ainsi  les  plus  grands  prophètes  (Isaïe,  g) 
après  avoir  entendu  la  voix  de  Dieu,  crurent  que 
leur  bouche  était  souillée  et  leurs  lèvres  impures. 
Ceci  provient  de  ce  que  les  choses  qui  semblent 
avoir  quelque  dignité  et  quelque  perfection  pa- 
raissent toujours  imparfaites  et  moins  belles,' 
quand  elles  sont  comparées  aux  êtres  plus  émi- 
nents. 

Une  étoile  est  brillante  en  comparaison  d'un 
flambeau  allumé  sur  la  terre,  mais  elle  est  sans 
éclat  et  sombre  à  côté  du  soleil.  Ainsi  l'Ange  est 
tout  spirituel  comparé  aux  hommes,  mais  non 
comparé  à  Dieu  qui  le  surpasse  infiniment  par 
son  unité  et  sa  simplicité. 

Qu'est  donc  à  vos  yeux  la  créature.  Seigneur? 
Qu'est  donc  l'homme  mortel  qui  habite  une 
prison  de  boue,  pour  avoir  une  bonne  opinion  de 
lui-même  ?  Oh  !  qu'il  sera  confus,  quand  il  paraî- 
tra en  votre  présence  !  O  homme  fragile,  inutile 
et  abominable  !  qui  bois  l'iniquité  comme  l'eau, 
toi  qui  n'es  que  pourriture  et  pâture  des  vers, 
tremble  et  frémis  en  toi-même,  s'il  te  vient  jamais 
à  la  pensée  que  tu  es  pieux  et  spirituel  :  crains 
d'être  terrestre  et  immonde  aux  yeux  de  celui 
devant  qui  les  Anges  eux-mêmes  ne  sont  pas  spi- 
rituels. 


DES   ANGES  481 


IV^  MÉDITATION 

DU  GRAND  NOMBRE  DES  ANGES 
ET  DE  LEUR  DISTINCTION 


SOMMAIRE 

Il  existe  un  très  grand  nombre  d'Anges  —  les 
uns  sont  distincts  entre  eux  spécifiquement, 
les  autres  numériquement  seulement  —  ils 
sont  divisés  en  trois  hiérarchies  et  chaque 
hiérarchie  en  trois  ordres  ou  chœurs. 

I 

CONSIDÉREZ  qu'il  existe  un  très  grand  nombre 
d'Anges:  l'Ecriture  Sainte  nous  le  dit  assez 
clairement,  quand  elle  emploie  les  chiffres  les 
plus  forts,  pour  nous  donner  une  idée  de  leur 
multitude.  Le  prophète  Daniel  admis  à  con- 
templer la  majesté  de  Dieu,  en  vît  :  «  mille 
«  milliers  qui  le  servaient  et  dix  mille  fois  cent 
«  mille  qui  l'assistaient.  »  (C.  7.)  Cependant  ce 
n'en  était  là  qu'une  partie  et  le  ciel  en  renfermait 
bien  d'autres  que  ceux  qu'il  aperçut,  car  Dieu  ne 
montre  à  personne  durant  cette  vie  toute  sa  gran- 
deur et  toute  sa  magnificence  :  tout  au  plus  en 
laisse-t-il  voir  un  échantillon. 

Les  Anges  furent  en  effet  créés  pour  se  tenir 
auprès  du  trône  de  Dieu  comme  une  garde  d'hon- 
neur, pour  constituer  sa  cour  et  sa  maison,  pour 


432        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

le  servir  comme  de  nobles  courtisans  :  puisque 
la  majesté  de  Dieu  est  infinie,  la  multitude  des 
Anges  doit  être  innombrable,  car  «  Thonneur  du 
«  roi  consiste  dans  le  grand  nombre  de  ses 
«  sujets  »  (Prov.  14.)  Quelques  théologiens  rai- 
sonnent ainsi  :  il  n'y  a,  disent-ils,  que  les  Anges 
du  neuvième  chœur  qui  soient  les  gardiens  des 
hommes  :  chaque  Ange  sera  assez  occupé  au  juge- 
ment dernier  à  recueillir  la  poussière  de  l'homme 
qu'il  aura  gardé.  Donc  il  y  a  plus  d'Anges  qu'il 
n'y  a  et  qu'il  n'y  aura  d'hommes  sur  la  terre.  Or, 
il  existe  encore  huit  autres  chœurs  d'Anges  qui 
sont  au  moins  aussi  bien  fournis  que  le  neuvième. 
Ils  en  concluent  qu'il  y  aurait  au  moins  neuf  fois 
autant  d'Anges  que  d'hommes  sur  la  terre  depuis 
Adam  jusqu'à  la  fin  du  monde.  Job  s'écrie  «  qui 
«  pourrait  compter  ses  serviteurs  ?  »  (c.  25.) 
Celui-là  seul  en  sait  le  total  qui  tient  un  compte 
exact  «  du  nombre  de  toutes  les  étoiles  et  de  tous 
«  leurs  noms  (Ps.  146.)  Pour  nous  qu'il  nous 
suffise  de  savoir  que  la  communauté  des  Anges  est 
la  plus  nombreuse  qui  existe  en  même  temps 
qu'elle  est  la  plus  belle  et  la  plus  florissante,  et 
d'apprendre  par  là  à  nous  humilier  et  à  rentrer 
dans  notre  néant. 

Si,  ô  grand  Dieu,  vous  avez  tant  d'Anges,  tant 
de  créatures  consacrées  à  votre  service,  que  puis-jc, 
hélas  !  ajouter  à  votre  gloire  par  mes  services 
personnels  ?  qu'est  auprès  de  vous  un  homme 
mortel  ?  Ah  !  vraiment.  Seigneur,  vous  avez  bien 
d'autres  serviteurs  que  nous,  vous  recevez  bien 
d'autres  honneurs  et  bien  d'autres  services  que  les 
nôtres.  Je  reconnais  donc  que  je  suis  un  serviteur 


DES   ANGES 


43^ 


inutile.  Qu'il  ne  m'arrive  jamais  de  me  prévaloir 
de  ce  que  je  ferai  pour  vous.  Quand  bien  même 
vous  ne  feriez  aucune  attention  à  moi,  et  quand 
vous  me  dédaigneriez  toujours,  n'avez-vous  pas 
des  millions  d'Anges  bien  plus  dignes  d'attirer  vos 
regards  que  les  œuvres  d'un  vermisseau  mourant  ? 

II 

Considérez  que  les  Anges  somt  distincts  entre 
eux.  Ils  peuvent  appartenir  à  des  espèces  diffé- 
rentes ou  à  une  même  espèce  dans  laquelle  ils  se 
distinguent  numériquement  les  uns  des  autres. 
Dieu  peut  créer  en  elfet  un  autre  monde  sem- 
blable au  monde  actuel  et  dès  lors  les  Anges  du 
monde  nouvellement  créé  ne  seraient  pas  d'une 
espèce  diiTérente  de  celles  des  Anges  du  premier 
monde.  Dieu  peut  mieux  faire  encore  que  de 
produire  un  monde  semblable  à  celui-ci,  il  peut 
en  créer  un  de  beaucoup  plus  excellent  et  beau- 
coup plus  parfait  sous  tous  les  rapports  :  car  le 
monde  étant  fini,  ne  nous  donne  pas  la  mesure 
de  la  puissance  infinie  de  Dieu  et  il  n'y  a  aucune 
espèce  créée  tellement  parfaite  que  Dieu  ne 
puisse  en  créer  une  de  plus  parfaite  encore.  Dieu 
peut  donc  créer  des  Anges  d'espèces  différentes. 

Mais  qu'a  fait  Dieu  en  réalité  ?  Nous  l'ignorons, 
l'Ecriture  Sainte  ne  nous  l'ayant  pas  expressé- 
ment révélé.  Saint-Augustin  (i)  avoue  ingénu- 
ment qu'il  ignore  quelle  est  la  différence  qui 
existe  entre  les  Anges,  sans  que  cependant  cette 
ignorance  mette  en  péril  son  salut,  parce  que  cette 
question  n'appartient  pas  à  la  foi.   Toutefois   les 

I  Cont.  Prisctl,  c.  11. 
Sait,  t.  i.  aS 


434  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

docteurs  ne  se  sont  pas  contentés  de  cette  réponse, 
ils  ont  voulu  éclaircir  cette  difficulté.  Ceux  d'entre- 
eux  qui  apportent  les  raisons  les  plus  vraisembla- 
bles, admettent  parmi  les  Anges  des  espèces,  des 
natures,  des  essences  différentes,  comme  par 
exemple  entre  un  aigle  et  une  colombe,  et  ils  ad- 
mettent aussi  qu'il  y  a  plusieurs  individus  dans  la 
même  espèce,  comme  sont  deux  colombes  entre 
elles.  Ils  disent  :  de  même  que  le  monde  corporel 
comprend  plusieurs  créatures  dont  les  unes  sont 
d'espèce  différente,  les  autres,  de  même  espèce  ; 
ainsi  le  monde  intellectuel  qui  est  le  monde  des  An- 
ges, est  composé  de  purs  esprits  qui  sont  les  uns  de 
même  espèce,  les  autres  d'espèces  différentes.  Ce 
qui  fait  la  gloire  d'un  roi,  c'est  en  même  temps  que 
la  multitude  des  sujets,  la  variété  des  peuples  qui 
composent  cette  multitude.  Ainsi  Dieu  a  fait  écla- 
ter sa  puissance  dans  les  Anges  en  les  créant  en, 
très  grand  nombre  et  de  différentes  espèces. 

O  mon  àme,  ce  qui  doit  singulièrement  aug- 
menter la  joie  des  bienheureux,  c'est  de  voir  tant 
d'excellences  et  tant  de  beautés  différentes  parmi 
ces  princes  spirituels.  O  quel  ineffable  bonheur  de 
contempler  dans  les  cieux  ce  ravissant  spectacle  ! 
O  grand  Créateur  !  louée  soit  éternellement  votre 
puissance  pour  avoir  produit  de  si  admirables 
chefs-d'œuvre  !  Oh  !  quand  contcmplcrai-je  ce 
monde  d'esprits  bienheureux  ?  Oh  !  quelle  joie 
vous  avez  préparée  à  vos  élus  !  Hélas  !  c'est  au 
milieu  des  animaux  que  nous  vivons  sur  cette 
terre  ;  associez-nous  aux  phalanges  angéliques, 
que  nous  soyons  admis  à  contempler  ces  princes, 
CCS  illustres  seigneurs  de  votre  céleste  Jérusalem. 


DES    ANGES  435 


III 

Considérez  Tordre  qu'il  y  a  entre  les  Anges. 
Saint  Denys  TAréopagite  (i),  instruit  par  saint 
Paul  qui,  ravi  au  troisième  ciel,  y  avait  appris  ce 
que  sont  les  Anges,  les  divise  en  trois  grandes 
catégories  qu'il  appelle  hiérarchies,  c'est-à-dire 
principautés  sacrées.  Certains  nomment  la  pre- 
mière épiphanie,  la  seconde  hyperphanie,  la  troi- 
sième hypophanie.  Saint  Denys  divise  de  nou- 
veau chacune  de  ces  hiérarchies  en  trois  autres 
classes  qu'il  nomme  des  ordres  et  que  d'autres 
appellent  des  chœurs.  Dans  la  première  il  place  les 
Séraphins,  les  Chérubins  et  les  Trônes  ;  dans  la 
seconde,  les  Dominations,  les  Puissances  et  les 
Vertus  ;  dans  la  troisième,  les  Principautés,  les 
Archanges  et  les  Anges.  Ce  qu'enseigne  saint 
Denys,  les  Juifs  l'avaient  appris  d'une  ancienne 
tradition  qui  avait  cours  parmi  eux. 

Il  faut  donc  se  représenter  Dieu  comme  un  puis- 
sant monarque  qui  a  trois  grands  Empires  et  dans 
chaque  Empire  trois  grands  Royaumes,  puis  enfin 
dans  chaque  Royaume  trois  grandes  provinces  tou- 
tes très  riches  et  très  peuplées  de  sujets  de  nations 
différentes.  Or  comme  chaque  ordre  des  Anges 
n'est  simplement  qu'un  certain  nombre  d'Anges  qui 
se  ressemblent  davantage  au  point  de  vue  soit  de 
leur  nature,  soit  de  leurs  fonctions  surnaturelles, 
il  est  à  présumer  que  tous  les  Anges  de  divers 
ordres  sont  aussi  de  diverses  espèces  :  on  peut 
même  croire  que  dans  un  seul  ordre  il  y  a  diffé- 
rentes espèces.  Saint  Denys  en  effet  nous  apprend 

I.  De  cal.  hier.,  c,  7,  8  «t  9. 


436  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

que  chaque  ordre  a  ses  Anges  suprêmes,  moyens 
et  inférieurs  :  d'après  cela  il  faudrait  compter 
vingt-sept  espèces  différentes.  Il  va  plus  loin  en- 
core et  dit  que  les  ordres  angéliques  sont  innom- 
brables, tant  Dieu  y  a  mis  de  variété.  Saint 
Thomas  (i)  a  admis  qu'il  y  a  autant  d'espèces 
différentes  que  d'individualités  angéliques  :  ce  qui 
serait  une  merveille  de  la  puissance  divine  capable 
de  ravir  des  esprits  infinis.  Néanmoins  admet- 
tons seulement  qu'il  y  a  neuf  espèces  différentes, 
une  pour  chaque  ordre  ou  chaque  chœur  angéli- 
que  ;  cela  nous  suffit  pour  nous  faire  admirer  et 
honorer  l'excellence  des  Anges.  Si  en  effet  l'homme 
qui  ne  surpasse  l'animal  que  d'un  degré,  possède 
une  nature  si  noble  et  si  privilégiée  en  comparai- 
son de  l'animal,  l'Ange  du  dernier  ordre,  qui  à 
son  tour  surpasse  l'homme  d'un  degré,  doit  avoir 
autant  de  noblesse  et  d'excellence  au-dessus  de 
l'homme  que  l'homme  en  a  au-dessus  de  l'animal. 
Un  Archange  qui  est  à  un  degré  au-dessus  de 
l'ange,  doit  dépasser  l'ange  autant  que  l'ange 
dépasse  l'homme.  Que  sera-ce  donc  de  la  gloire 
d'un  Trône,  de  la  splendeur  d'un  Chérubin  et  de 
la  sublimité  d'un  Séraphin. 

Ah  !  Seigneur,  que  ce  que  vous  avez  créé  au- 
dessus  des  cieux  est  grand  !  Quel  monarque  eut 
jamais  une  cour  ressemblant,  même  de  loin,  à  la 
vôtre  ?  La  vue  de  votre  incomparable  grandeur  me 
ravit,  ô  mon  Dieu.  Esprits  bienheureux,  louez-le, 
bénissez-le  sans  cesse,  puisqu'il  vous  a  enrichis  de 
tant  de  perfections.  Hélas  !  combien  ils  vous  con- 
naissent peu  ceux  qui  ne  vous  honorent  pas  !  S'ils 

I.  Quœst.  50,  art.  4. 


DES   ANGES  487 


VOUS  connaissaient,  leur  froideur  se  changerait  en 
zèle  ardent,  leur  négligence  en  une  sainte  activité, 
pour  vous  rendre  le  respect  que  mérite  une  excel- 
lence telle  que  la  vôtre.  Pour  moi  devant  qui  vous 
faites  briller  un  reflet  de  votre  grandeur  par  la 
connaissance  même  imparfaite  que  j'en  ai,  je  me 
sens  tout  de  feu  pour  honorer  vos  chœurs  et  vos 
hiérarchies  sacrées.  Je  vous  offre  dans  ce  but  un 
hommage  tout  particulier  et  je  me  propose  de 
vous  honorer  toute  ma  vie  de  tout  mon  pouvoir. 


V^  MÉDITATION 

DE  L'INTELLIGENCE  DES  ANGES 
ET  DE  LEUR  SCIENCE 


SOMMAIRE 

Les  anges  sont  doués  d'une  intelligence  très  par- 
Jaite;  —  qui  a  une  manière  de  percevoir  son 
objet  très  parfaite;  —  qui  est  sanctifiée  par  la 
charité. 

I 

DE  ce  que  les  Anges  sont  des  subtances  spi- 
rituelles, il  faut  conclure  qu'ils  sont 
doués  de  la  faculté  de  comprendre  et  qu'ils  ont 
une  très-haute  intelligence.  Il  est  effet  impos- 
sible de  concevoir  un  Ange  comme  une  substance 
spirituelle    et   de    lui    refuser    l'intelligence.    Or 


438  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

TAnge  est  la  substance  spirituelle  la  plus  par- 
faite après  Dieu  :  il  a  donc  l'intelligence  la  plus 
vive,  la  plus  clairvoyante  et  la  plus  pénétrante 
après  Dieu.  Les  Anges  connaissent  donc  toutes 
les  choses  naturelles,  qui  existent  dans  ce  monde, 
les  plus  grands  secrets  de  la  philosophie,  la  cons- 
titution des  cieux,  les  propriétés  des  éléments,  en 
un  mot  toutes  les  créatures  animées  et  inanimées. 
Ils  n'ignorent  ni  l'origine  des  vents,  ni  la  cause 
du  flux  et  du  reflux  de  la  mer,  ni  la  marche  des 
étoiles,  ni  toutes  les  autres  choses  semblables.  A 
cet  effet  Dieu  a  imprimé  dans  leur  esprit,  dès  le 
premier  instant  de  leur  création,  des  images  ou 
idées  de  toutes  sortes  de  créatures  et  c'est  par  ce 
moyen  qu'ils  les  connaissent. 

Ils  sont  aussi  de  grands  théologiens  :  leur  esprit 
très  lucide  connaît  l'existence  de  Dieu  et  ses  per- 
fections, beaucoup  mieux  que  jamais  esprit  humain 
n'a  pu  les  pénétrer  par  sa  raison  seule.  Si  donc 
l'homme  rentre  en  lui-même  et  s'il  veut  mesurer 
la  portée  de  son  intelligence  en  comparaison  de 
celle  des  Anges,  il  trouvera  là  un  grand  sujet  de 
s'humilier  et  il  comprendra  jusqu'à  quel  point  il  se 
rend  ridicule,  quand  il  s'estime  être  un  si  grand 
esprit.  En  réalité  si  on  compare  l'intelligence  de 
l'homme  dans  l'état  de  déchéance  où  il  est,  à  celle 
des  Anges,  on  constate  combien  elle  est  aveugle  et 
grossière  :  on  voit  que  l'àme  raisonnable  n'est  tout 
d'abord  qu'une  table  rase  sur  laquelle  rien  encore 
n'a  été  ni  tracé  ni  écrit  :  aussi  est-ce  au  prix  de  mille 
peines  qu'elle  acquiert  une  science  même  impar- 
faite des  choses  de  la  nature,  car  elle  ignore  beau- 
coup plus  de  vérités  qu'elle  n'en  connaît.  L'Ange 


DES   ANGES  489 


au  contraire  connaît  tout  en  un  instant,  sans  au- 
cune peine  et  avec  une  merveilleuse  promptitude; 
par  une  saillie  vive  et  subtile  il  atteint  tout  ce  qui 
constitue  l'objet  de  sa  connaissance  naturelle. 

Ne  t'enorgueillis  donc  point,  à  mon  âme,  de  ton 
intelligence  et  de  ta  capacité  ;  ne  prétends  pas  que 
Ton  te  juge  très-éclairée,  ne  trouve  pas  étrange 
que  l'on  fasse  peu  d'estime  de  ce  que  tu  es  et  de 
ce  que  tu  fais.  Qu'il  ne  t'arrive  donc  jamais  de 
vouloir  aller  de  pair  avec  ceux  qui  sont  plus  grands 
que  toi  par  l'intelligence  et  par  le  savoir.  Ne  t'af- 
flige pas  si  les  hommes  connaissent  la  bassesse  et 
la  pauvreté  de  ton  esprit  et  s'ils  en  ont  mauvaise 
opinion.  Animé  de  ces  sentiments  j'honorerai  les 
Anges  d'une  manière  spéciale,  les  considérant 
comme  les  intelligences  les  plus  éclairées  et  les 
plus  pénétrantes  de  la  création,  auprès  desquelles 
les  plus  savants  philosophes  et  les  plus  fameux 
théologiens  sont  semblables  à  de  petits  enfants, 
qui  commencent  seulement  à  parler  et  qui  en  sont 
à  l'abécédaire.  Et  cependant  ils  daignent  nous 
écouter,  quand  nous  bégayons  à  notre  manière  sur 
ces  sujets  célestes  et  surnaturels  et  ne  pas  être 
froissés  par  nos  prières  si  mal  faites  et  si  mal  com- 
posées. Comme  un  frère  aîné  écoute  dans  la 
famille  terrestre  son  petit  frère,  qui  sait  à  peine 
remuer  sa  langue  et  articuler  quelques  mots, 
ainsi  les  Anges  écoutent  avec  bienveillance  nos 
discussions  et  nos  prières.  O  douceur  !  o  bonté 
des  esprits  célestes. 


440  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


II 

La  manière  dont  les  Anges  connaissent  les  cho- 
ses naturelles  est  beaucoup  plus  noble  que  celle 
dont  les  hommes  peuvent  les  connaître. 

Premièrement,|ils  reçoivent  de  Dieu  immédiate- 
ment des  idées  et  des  images,  qui  leur  représen- 
tent les  divers  objets  de  leur  connaissance  :  ils 
sont  donc  instruits  par  Dieu  lui-même.  L'àme  au 
contraire  reçoit  ces  espèces  ou  images,  des  créa- 
tures corporelles,  par  Tintermédiaire  des  sens 
extérieurs  et  du  sens  interne,  où  elles  s'impriment 
avant  que  l'âme  puisse  les  percevoir.  De  là  vient 
que  notre  connaissance  est  imparfaite  et  superfi- 
cielle. 

En  second  lieu,  les  anges  d'un  simple  regard  de 
Tesprit  perçoivent  tout,  aussi  bien  les  choses  spi- 
rituelles que  les  choses  corporelles,  ils  en  ont  une 
connaissance  intuitive,  souvent  même  compré- 
hensive,  sans  avoir  besoin  de  recourir,  tout  au 
moins  en  ce  qui  concerne  les  choses  naturelles, 
aux  longs  détours  du  raisonnement.  Ils  ne  con- 
naissent pas  d'abord  la  cause  et  puis  l'effet,  mais 
dans  le  même  instant  ils  perçoivent  à  la  fois  l'effet 
dans  9û  cause  et  la  cause  dans  son  effet,  avec  une 
clarté  parfaite.  L'intelligence  de  l'homme  au  con- 
traire procède  pas  à  pas  dans  sa  connaissance, 
elle  n'avance  que  progressivement  et  lentement 
au  moyen  du  raisonnement  et  ne  parvient  jamais 
à  une  vue  de  la  vérité  aussi  claire  que  celle  des 
Anges. 

Troisièmement,  les  Anges  ont  toujours  l'esprit  ac- 
tif, toujours  occupé  d'une  manière  actuelle  à  quel- 


DES   ANGES  44I 


que  connaissance  :  mais  l'esprit  de  l'homme  connaît 
des  moments  de  repos,  par  exemple  pendant  le 
sommeil.  Enfin,  l'Ange  a  cela  de  propre  de  penser 
toujours  à  Dieu,  soit  que  ses  pensées  aient  pour 
objet  immédiat  quelque  créature  ou  lui-même.  Sa 
substance  en  effet  est  un  miroir  fidèle  des  perfec- 
tions divines,  dont  toutes  les  créatures  portent  au 
moins  quelques  traces.  Donc  il  connaît  Dieu  soit  en 
se  considérant  lui-même,  soit  en  considérant  les 
êtres  créés.  D'ailleurs  il  voit  la  créature  telle  qu'elle 
est,  et  par  conséquent  il  ne  peut  pas  ne  pas  y  voir 
la  dépendance  dans  laquelle  elle  se  trouve  vis-à- 
vis  de  Dieu,  il  ne  peut  pas  jeter  un  regard  sur  elle, 
sans  s'élever  aussitôt  jusqu'à  Dieu.  Que  de  fois, 
au  contraire,  l'homme  pense  à  la  créature  sans 
songer  au  Créateur,  et  à  lui-même  sans  apercevoir 
son  état  de  dépendance  envers  Dieu  ! 

O  mon  âme,  il  ne  tient  qu'à  toi  d'imiter  la  per- 
fection des  Anges  sur  ce  point,  étant  donné  que  tu 
es  éclairée  des  lumières  de  la  foi  et  fortifiée  par  la 
grâce.  Il  sera  possible  à  un  Ange,  avec  les  seules 
forces  de  la  nature,  de  ne  jamais  penser  à  la  créa- 
ture, sans  penser  au  Créateur,  dont  elle  dépend; 
et  toi  aidée  de  la  grâce  de  Dieu,  tu  pourras  consi- 
dérer les  êtres  créés  sans  penser  à  l'Etre  incréé  ! 
L'Ange  même  damné  ne  voit  pas  une  créature, 
sans  voir  aussitôt  qu'elle  dépend  de  Dieu  et  sans 
être  contraint  de  penser  à  lui.  O  mon  Dieu  !  je  ne 
veux  plus  fixer  mon  attention  sur  les  créatures, 
sans  penser  à  vous  en  qui  elles  subsistent  et  de  qui 
elles  dépendent.  Ce  serait  pour  moi  une  honte 
intolérable  de  manquer,  avec  le  secours  de  la  foi  et 
de  la  grâce,  à  une   chose  à  laquelle  ne  manque 


442  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

jamais  un  démon,  qui  n'a  que  les  seules  lumières 
de  la  nature. 

III 

Considérez  que,  comme  le  dit  saint  Augustin  (i), 
dans  la  cité  de  Dieu,  toute  la  science  des  choses 
temporelles  et  corporelles  dont  les  démons  se  pré- 
valent avec  tant  d'orgueilleuse  présomption,  est 
vile  et  digne  de  peu  d'estime  aux  yeux  des  bons 
Anges,  en  comparaison  de  la  charité  qui  les  sancti- 
fie et  de  l'ineffable  amour  dont  ils  sont  embrasés 
pour  l'immuable  et  éternelle  beauté  de  Dieu.  Ils 
ne  font  aucun  cas  de  toutes  les  choses  inférieures, 
ni  de  la  science  éminente  qu'ils  en  ont,  et  préfèrent 
mille  fois  le  moindre  degré  de  charité  à  la  science 
des  choses  caduques  et  terrestres,  même  la  plus 
parfaite.  Saint  Augustin  (2)  ose  appeler  une  telle 
science,  quand  elle  n'est  pas  accompagnée  de  la 
charité,  la  science  des  démons  et  des  réprouvés. 
Sur  ce  point  saint  Paul  fut  un  imitateur  des  Anges, 
puisqu'il  a  avoué  à  la  face  du  monde  «  que  quand 
«  même  il  aurait  toute  la  science^  »  que  peuvent 
acquérir  les  hommes,  «  il  ne  serait  rien^  s'il  rCa- 
«  vait  la  charité  »  (I  Cor.  i3)  ;  qu'il  ne  lui  servi- 
rait de  rien  de  tout  savoir,  s'il  n'aimait  Dieu.  Il 
ajoute  que  «  la  science  enfle  »,  tandis  que  «  la  cha- 
«  rite  édifie  ».  Il  en  est  de  la  science  sans  la  cha- 
rité, dit  saint  Bernard  (3),  comme  d'une  viande 
que  l'estomac  ne  peut  digérer,  faute  de  chaleur  : 
elle  n'a  d'autre  effet  que  d'altérer  la  santé  en  rem- 

z.  Lib.  9.  c.  33. 

a.  Epist.  i^  ad  Januar. 

j.  Serm.  ^6  in  Cant, 


DES   ANGES  448 


plissant  le  corps  d'humeurs  nuisibles  à  la  vie. 
Telle  est  la  science  des  démons  :  ils  savent,  mais 
n'aiment  pas.  Cette  science  les  bons  Anges  la  mé- 
prisent, parce  qu'ils  ne  font  cas  que  de  la  science 
du  salut,  qui  a  des  traits  de  feu  pour  les  embraser 
d'amour.^ 

O  mon  cœur  !  «  pourquoi  cherches-tu  plus 
«  longtemps  à  boire  de  Veau  trouble  sur  le  che- 
«  min  de  ï Egypte  ?  »  (Jer.  2.)  Aimons  Dieu,  brû- 
lons d'amour  pour  ses  perfections  infinies.  Nous 
ne  serons  pas  puni  pour  avoir  ignoré  les  sciences 
humaines  et  les  questions  curieuses  concernant  la 
terre  ou  les  cieux,  mais  bien  pour  avoir  man- 
qué d'amour.  On  voit  tous  les  jours  des  hommes 
qui  ont  peu  de  science,  mais  beaucoup  d'amour, 
s'élever  au-dessus  de  la  terre  et  ravir  le  ciel, 
tandis  que  nous  avec  notre  science  froide  et 
sans  amour,  où  en  sommes-nous  ?  nous  sommes 
dans  la  fange  et  dans  l'ordure  des  vices  (i).  Par- 
don, Seigneur,  dorénavant  je  m'appliquerai  davan- 
tage à  vous  aimer  et  à  vous  plaire,  qu'à  étudier 
les  sciences  inutiles,  qui  ont  pour  effet  de  rendre 
l'esprit  hautain  et  insolent,  sans  nous  élever  vers 
le  seul  bien  éternel  et  suprême. 

I.  s.  Aug.  Conf.  1.  8.  c.  8. 


444  LA  THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

Vr  MÉDITATION 

DE  TROIS  CHOSES  QUE  LES  ANGES 

NE  CONNAISSENT  PAS 

D'UNE  MANIÈRE  CERTAINE 

PAR  LEUR  SCIENCE  NATURELLE 


SOMMAIRE 

Les  Anges  ne  connaissent  pas  d'une  manière 
ctrtaine  par  les  seules  forces  de  leur  intelli- 
gence :  —  plusieurs  choses  futures  ;  —  les 
pensées  et  les  affections  des  hommes;  —  les 
choses  surnaturelles, 

I 

LA  première  chose  que  les  Anges  ne  connais- 
sent pas  d'une  manière  certaine  par  la  seule 
force  de  leur  esprit,  ce  sont  d'abord  plusieurs 
choses  futures.  Ils  ne  connaissent  pas  l'avenir  de 
science  naturelle  ;  c'est  ainsi  que  pendant  leur 
temps  d'épreuve,  les  bons  Anges  ne  surent  pas 
d'une  manière  certaine  s'ils  devaient  parvenir  à  la 
gloire,  ni  les  démons,  s'ils  devaient  être  damnés. 
Les  uns  et  les  autres  étaient  avant  leur  chute 
dans  une  condition  pareille,  absolument  comme 
nous  encore  aujourd'hui  qui  sommes  balancés 
entre  la  crainte  et  Tespcrance,  sur  la  question  de 


DES   ANGliS  445 

notre  bonheur  ou  de  notre  malheur  éternel.  La 
connaissance  de  sa  propre  glorification  fait  plutôt 
partie  de  la  récompense  que  du  mérite  et  ne  doit 
par  conséquent  être  accordée  à  la  créature,  que 
lorsqu'elle  est  parvenue  à  cet  état  de  stabilité, 
dont  il  lui  est  impossible  de  déchoir.  Or,  les  Anges 
au  temps  de  leur  épreuve,  se  trouvaient  dans 
l'état  qui  convient  à  l'acquisition  du  mérite,  et  oii 
l'on  peut  encore  se  perdre  et  se  damner.  Il  ne  leur 
convenait  donc  pas  d'avoir  la  certitude  de  leur 
glorification  à  venir.  Dieu  ne  la  donne  que  très 
rarement  et  à  un  petit  nombre  de  ceux  qu'il  chérit 
le  plus  tendrement. 

Il   est  vrai  que   les  Anges   sont  très  habiles  à 
conjecturer  en   se  basant  sur  les  événements  pré- 
sents. De  même  qu'une   politique  habile  prévoit 
dans  une  certaine  mesure  ce  qui  se  passera  dans 
un  royaume,  d'après  l'état  des  affaires  ;  de  même 
qu'un  habile  médecin  annonce   d'après  les  symp- 
tômes,  ce  qui  arrivera  au  malade  ;    ainsi  l'Ange 
dont  l'intelligence  est  si  vaste   et  chez  qui  l'expé- 
rience du  passé  est  si  considérable,  peut  connaître 
beaucoup  d'événements  futurs  d'après  l'état  pré- 
sent qu'il  a  sous  les  yeux.  Mais  tout  cela  n'est  que 
conjecture  ;  beaucoup  d'incertitude  s'y  mêle,  prin- 
cipalement quand    les    événements    sont    encore 
très  lointains  et  que  beaucoup  de  choses  fortuites   . 
sont  à  prévoir,   par  exemple   s'il   s'agit   d'annon-   ( 
cer  une  éclipse  dix  mille  ans  à  l'avance.  L'intelli-    1  , 
gence  de  l'Ange  est  finie  et  n'est  pas  capable  de    ^ 
comprendre  tant  de  révolutions  célestes,  et  tant 
de  rencontres  d'astres  qu'il  faut   connaître  pour 
prévoir    si    longtemps  à    l'avance    l'éclipsé    avec 


44^  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

certitude  (i).  Leur  science  est  encore  purement 
conjecturale,  quand  il  s'agit  d'une  chose  qui  peut 
être  empêchée  par  la  volonté  de  l'homme  ou  par 
quelque  accident  ;  par  exemple  s'il  s'agit  de 
prévoir  si  un  arbre  portera  du  fruit  dans  dix  ans, 
car  dans  ce  temps  l'arbre  peut  être  arraché  par  le 
jardinier  ou  frappé  de  la  foudre.  Il  est  vrai  cepen- 
dant qu'autrefois  les  démons  ont  rendu  des  oracles 
et  prédit  leur  sort  aux  mortels,  mais  beaucoup 
d'équivoques  et  de  fraudes  se  mêlaient  à  ces 
prédictions;  le  mensonge  y  avait  une  plus  grande 
part  que  la  vérité,  l'avenir  y  était  annoncé  d'une 
manière  beaucoup  plus  conjecturale  que  certaine. 
^^  La  science  certaine  de  l'avenir  n'appartient  qu'à 
**  ^HfcOCpu  seul,  elle  est  l'apanage  exclusif  de  la  divinité. 
Elle  est  donc  vaine  la  science  des  devins  qui 
entreprennent,  comme  s'ils  étaient  des  dieux,  de 
pronostiquer  le  sort  des  humains  et  les  événe- 
ments de  leur  vie  :  ils  sont  également  vains  les 
esprits  qui  y  ont  recours  et  qui  mettent  en  elle 
leur  confiance  :  ils  commettent  l'impiété  de  trans- 
férer à  la  créature  le  droit  du  Créateur  et  ils  attri- 

I.  Cotte  restriction  de  notre  autenr  n'eit  certes  pas  justifiée.  Il 
faut  bien  accorder  aux  Anges  tout  au  moins  la  science  que  nous 
reconnaissons  à  nos  astronomes.  Saint  Thomas  dit  que  les  Anges 
connaissent  <  les  causes  de  tous  les  phénomènes  naturels  d'une  manière 
«  plus  étendue  et  plus  parfaite  >  que  nous  (i»  q.  57.  a  3.  in  corp.), 
et  quelques  lignes  plus  bas  il  ajoute  :  «  les  hommes  ne  peuvent  con- 
€  naître  les  événements  futurs  que  dans  leurs  causes  ou  par  la  révéla- 
€  tion  :  les  anges  les  connaissent  aussi  de  cette  manière,  mais  avec  une 
«  perspicacité  beaucoup  plus  grand*  >  (Ibid  ad  i.)  Or,  aujourd'hui, 
grâce  à  la  connaissance  parfaite  que  nous  avons  des  lois  du  mouve- 
ment de  la  terre  et  de  la  lune  par  rapport  au  soleil,  les  astronomes 
peuvent  prédire  aisément  les  éclipses  de  soleil  et  de  lune  cent  mille 
ans  h  l'avance  ;  h  combien  plus  torte  raison  les  Anges,  surtout  si 
nous  songeons  qu'ils  impriment  eux-mêmes  aux  astres  leurs  diver* 
mouvemeati,  comme  l'enseigoo  l'auteur  dxas  oe  même  traité. 


„J.A/*v*** 


DES   ANGES  447 


buent  à  l'homme   une  science  supérieure  à  celle 
de  l'Ange. 

Vous  donc,  ô  mon  Dieu,  savez  seul  ce  qui  doit 
advenir  de  moi  et  quel  doit  être  mon  sort,  heu- 
reux ou  malheureux  pendant  l'éternité.  O  Dieu  in- 
finiment clairvoyant,  vous  seul  connaissez  mon  sort 
futur  et  puisque  c'est  un  droit  qui  vous  appartient 
exclusivement,  de  connaître  d'une  science  infailli- 
ble un  événement  d'une  si  haute  importance  pour 
moi,]  je  ne  demande  pas  à  en  être  instruit  moi- 
même  d'une  manière  certaine  pendant  cette  vie, 
heureux  que  ce  privilège  n'appartienne  qu'à  vous 
seul.  Je  me  contente  de  vous  servir  dans  cette 
incertitude,  mû  uniquement  par  le  sentiment  du 
respect  et  de  l'honneur  que  je  dois  à  votre  ma- 
jesté infinie.  Puissé-je  le  faire  très  parfaitement, 
afin  de  jouir  de  la  paix  que  je  ne  prétends  pas 
trouver  ailleurs  que  dans  votre  service  I 


II 


La  seconde  chose  que  les  Anges  ne  connaissent 
pas  d'une  science  certaine,  c'est  le  secret  de  nos 
cœurs,  nos  pensées  et  nos  sentiments,  si  toutefois 
nous  les  tenons  cachés  au  fond  de  notre  àme  et  si 
nous  ne  voulons  pas  les  manifester.  C'est  en  effet 
un  privilège  accordé  par  Dieu  à  l'homme  d'être  le 
maître  de  son  cœur  et  d'avoir  un  domaine  parfait 
sur  toutes  ses  pensées  et  sur  tous  ses  désirs  inté- 
rieurs, sur  lesquels  les  Anges  n'ont  aucun  pouvoir. 
Or  s'ils  connaissaient  malgré  nous  nos  pensées  et 
nos  désirs  intérieurs,  nous  n'en  serions  pas  abso- 
lument les  maîtres,  car  dans  le  but  de  plaire  aux 


448  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Anges  ou  par  crainte  de  leur  déplaire,  nous  forme- 
rions telles  pensées  et  tels  désirs,   ou  par  égard 
,    .,  pour  eux  nous  y  renoncerions  ;  ce   qui  porterait 

>ttt-^*  atteinte  au  domaine  que  Dieu  nous  a  donnés  sur 

y,^      nos  actes. 

C'est  aussi  un  trait  de  la  Providence  de  Dieu 
que  notre  intérieur  soit  caché  aux  Anges  et  princi- 
palement aux  démons.  Quelquefois  en  effet  les 
démons  s'abstiendraient  de  tenter  les  hommes 
vertueux,  s'ils  connaissaient  leurs  fermes  et  cons- 
tantes résolutions  :  ainsi  les  hommes  de  bien  per- 
draient l'occasion  de  combattre  et  de  triompher 
d'eux.  C'est  ce  qui  serait  arrivé  à  Job,  que  le  démon 
n'eût  jamais  tenté,  s'il  avait  connu  sa  force  et  son 
courage.  Les  démons  d'autres  fois  y  gagneraient 
de  tenter  l'homme  avec  plus  d'audace,  dans  le  cas 
notamment  où  ils  le  verraient  porté  intérieure- 
ment à  tel  péché  ou  hésitant  à  prendre  une  réso- 
lution :  s'ils  l'attaquaient  dans  de  telles  disposi- 
tions, il  leur  serait  beaucoup  plus  facile  de  le  ren- 
verser et  de  le  perdre. 

11  faut  ajouter  que,  s'ils  connaissaient  les  désirs 
et   les  vues  des  hommes,  ils  choisiraient  mieux 
leur   moment    pour  les    empocher  de  réussir  et 
\     pour  en  entraver  l'exécution.   C'est  pour  ce  motif 
i     que   les  premiers  chrétiens  faisaient  toutes  leurs 
,    prières  mentalement  et  n'exprimaient  pas  orale- 
ment   les  demandes    qu'ils    adressaient  à   Dieu. 
C'est  aussi  ce  que  conseillait  l'abbé  Isaac  (i)  ;  il 
craignait  que  les  démons  occupés  à  tenter  ceux  qui 
prient,  ne  viennent  à  se  prévaloir,  s'ils  les  connais- 
saient, de  leurs  intentions,  comme  fait  un  guerrier 

I.  Cassien,  Collas  9,  c.  35. 


t>ES  ANGES  449 


qui  a  espionné  et  découvert  les  desseins  de  son 
ennemi.  Cet  avantage,  la  Providence  paternelle  de 
Dieu  n'a  pas  voulu  le  donner  à  notre  ennemi  qui 
s'en  serait  servi  contre  nous.  Les  Anges  ne  connais- 
sent donc  l'intérieur  de  notre  âme  que  dans  la  me- 
sure où  nous  le  révélons  nous-mêmes  à  l'extérieur 
ou  dans  la  mesure  où  il  nous  plaît  de  le  leur  faire 
connaître.  En  dehors  de  là,  la  science  qu'ils  en  ont 
est  purement  conjecturale  et  elle  provient  ou  de 
la  connaissance  qu'ils  ont  des  représentations  de 
notre  imagination,  qui  peuvent  permettre  de  pré- 
sumer les  mouvements  de  notre  âme,  ou  de  quel- 
que signe  extérieur,  qui  les  trompe  assez  souvent, 
qui  trompe  surtout  les  mauvais  Anges  dont  les 
jugements  sont  précipités  et  téméraires.  A  Dieu 
seul  qui  a  le  domaine  de  nos  cœurs,  il  appartient 
aussi  d'en  avoir  la  connaissance.  C'est  une  des 
preuves  que  Jésus  donna  de  sa  divinité,  quand  il 
révéla  les  pensées  secrètes  des  Pharisiens  et  de 
ceux  avec  qui  il  conversait  sur  la  terre. 

O  Jésus,  o  noble  Fils  de  Dieu,  qui  lisez  claire- 
ment dans  mon  cœur,  que  n'ai-je  toujours  des 
pensées  et  des  affections  qui  vous  plaisent,  afin  de 
reconnaître  sans  cesse  votre  domaine  et  votre  au- 
torité sur  moi  !  O  mon  Dieu  !  je  vivrai  toujours 
en  votre  présence,  je  ne  concevrai  dans  mon  cœur 
que  les  pensées  et  les  désirs  qui  conviennent  à  un 
cœur  sur  lequel  est  toujours  ouvert  le  regard  de 
Dieu,  à  un  cœur  qui  a  Dieu  pour  spectateur  de 
tout  ce  qui  s'y  passe.  Et  puisque  vous  n'avez  pas 
voulu  que  les  Anges  partagent  avec  moi  le  do- 
maine sur  mon  cœur,  comment  oserai-je  consen- 
tir  à  le  rendre   l'esclave  des  créatures  ?  «  Vous 

Bail,  t.  i.  90 


4&0  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

«  seul  êtes  le  Dieu  de  mon  cœur  et  mon  partage 
V.  pour  V éternité.  y>  ,;:^.î».'  Cv*-,i?i!-A, v  -^     -     .i.^i-à.\ 

III 

En  dernier  lieu  les  Anges  ne  connaissent  pas 
par  leurs  lumières  naturelles  les  choses  surnatu- 
relles, comme  le  mystère  de  l'Incarnation,  celui 
de  l'Eucharistie  et  les  merveilles  semblables  que  la 
foi  nous  enseigne  (i).  La  raison  en  est  qu'ils  n'ont 
point  d'idées  ni  d'espèces  intelligibles  de  ces  cho- 
ses en  tant  que  surnaturelles,  or  ces  espèces  in- 
telligibles sont  la  condition  nécessaire  pour  pou- 
voir connaître  ces  objets  par  les  seules  lumières 
de  l'intelligence.  Ce  qu'ils  peuvent  en  savoir 
d'une  manière  certaine,  c'est  leur  possibilité  : 
leur  intelligence  voit  en  effet  clairement  que  Dieu 
est  tout-puissant  et  que  ces  choses  n'impliquent 
pas  contradiction  :  d'où  ils  concluent  sans  hésiter 
qu'elles  sont  possibles.  Ils  pourront  même  guidés 
par  certaines  apparences  incliner  à  croire  qu'elles 
existent  réellement  :  par  exemple  en  voyant  l'hu- 
manité de  Jésus-Christ  privée  de  sa  subsistance 
naturelle,  ils  pourront  se  douter  qu'elle  est  sup- 
pléée par  la  subsistance  divine  et  soupçonner 
ainsi  l'Incarnation  ;  mais  ils  n'arriveront  pas  à  la 
certitude  par  cette  voie,  car  une  telle  conclusion 
ne  découle  pas  rigoureusement  de  ces  prémisses. 
Donc  ils  ne  connaissent  les  mystères  surnaturels 
que  par  la  révélation  divine  à  laquelle  ils  soumet- 
tent leur  esprit.  Sur  ces  grandes  vérités  les  An- 
ges supérieurs  croient  à  Dieu  qui  se  manifeste  à 
eux   sans   intermédiaire   et  les   Anges  inférieurs 

I.  Quoost.  J7.  art.  ^b. 


DES   ANGES  45l 


croient  aux  Anges  supérieurs,  qui  leur  font  con- 
naître de  la  part  de  Dieu  ce  qu'ils  doivent  en 
connaître.  Ils  les  apprennent  parfois  même  par 
l'enseignement  de  l'Eglise,  comme  l'affirme  saint 
Paul  :  «  La  sagesse  de  Dieu  est  manijesiêe  aux 
«  Principautés  et  aux  Puissances  des  deux  par 
«  V Eglise.  »  (Eph.  3.) 

Je  puiserai  dans  cette  considération  une  impor- 
tante leçon  :  je  ne  prétendrai  pas  démontrer  par 
des  preuves  naturelles  les  vérités  sublimes  qui 
sont  l'objet  de  la  foi,  je  m'en  rapporterai  à  la  ré- 
vélation dont  sont  l'organe  les  prélats  de  l'Eglise, 
que  je  dois  considérer  comme  mes  Anges  supé- 
rieurs. Si  les  aigles  du  ciel  sont  trop  faibles  pour 
pénétrer  ces  vérités  sans  le  secours  de  la  révéla- 
tion, que  feront  les  oiseaux  nocturnes  dont  la  vue 
est  si  courte  et  si  débile  !  Ah  !  Seigneur,  les  lu- 
mières de  la  terre  ne  peuvent  pas  éclairer  le  ciel 
et  le  rendre  visible;  ainsi  notre  raison  naturelle  ne 
peut  éclairer  la  profondeur  de  vos  mystères  divins. 
Donc,  sans  plus  chercher,  je  croirai  à  tout  ce 
que  croit  la  Sainte  Eglise  instruite  par  votre 
révélation,  à  tout  ce  qu'elle  impose  à  ma 
croyance.  Ah  I  Seigneur  il  est  impossible  que 
tout  ce  que  votre  Eglise  nous  ordonne  de  croi- 
re, ne  soit  pas  absolument  vrai,  je  scellerais 
cette  affirmation  de  mon  sang.  Je  crois  sans  hési- 
ter un  seul  Dieu  en  trois  Personnes  ;  je  crois  que 
le  très-noble  Fils  de  Dieu  s'est  incarné  pour  me 
sauver  et  je  le  croirai  fermement  jusqu'à  mon 
dernier  soupir. 


4^2  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


VIF  MÉDITATION 

DE  LA  VOLONTÉ  DES  ANGES 
ET  DE   LEUR    AMOUR    NATUREL 

SOMMAIRE 

Les  anges  ont  une  volonté  libre,  qui  a  pour 
objet  :  —  Dieu  aimé  par  dessus  toutes  choses 
comme  auteur  de  la  nature;  —  le  prochain 
qui  est  pour  eux  les  Anges. 

I 

SI  les  Anges  ont  une  intelligence  capable  de 
connaître  toutes  sortes  de  choses,  il  faut 
aussi  leur  reconnaître  une  volonté  libre  :  car  tout 
être  doué  d'intelligence  est  nécessairement  doué 
de  volonté  et  de  liberté.  Pour  comprendre  cette 
vérité,  il  faut  considérer  que  les  créatures  tendent 
à  leur  but  de  quatre  manières.  Premièrement,  les 
unes  y  tendent  en  vertu  d'une  impulsion  venue 
du  dehors  et  sans  le  connaître  d'aucune  manière; 
comme  une  flèche  que  l'archer  décoche  vers  un 
but,  elle  y  va  droit  sans  le  connaître,  elle  n'y  va 
pas  par  un  mouvement  propre,  mais  par  une  im- 
pulsion étrangère.  Secondement,  d'autres  y  ten- 
dent et  y  vont  d'elles-mêmes,  mais  sans  connaître 
où  elles  vont.  Troisièmement,  d'autres  y  tendent 
et  y  vont  d'elles-mêmes  avec  une  certaine  connais- 
sance, mais  sans  réilcchir  sur    le   but    où    elles 


DES   ANGES  453 


tendent,  ni  le  comparer  à  d'autres  ni  prévoir  les 
effets  qui  doivent  résulter  de  leur  action  :  ainsi 
les  animaux  se  portent  avec  un  certain  degré  de 
connaissance  vers  les  choses  qui  satisfont  leurs 
sens  :  le  cheval  va  vers  l'avoine,  le  cerf  à  sa  nour- 
riture ordinaire,  et  cela  en  vertu  d'une  inclination 
naturelle  qui  s'appelle  appétit  sensitif.  En  dernier 
lieu,  il  y  a  des  créatures  qui  se  portent  vers  un 
bien  avec  une  vraie  connaissance  :  elles  réfléchis- 
sent sur  leur  action,  comparent  les  biens  qu'elles 
désirent  à  d'autres  biens  qui  sont  plus  grands  ou 
moindres,  et  prévoient  ce  qui  peut  résulter  de  la 
satisfaction  de  leur  désir.  Cette  inclination  s'ap- 
pelle volonté,  elle  appartient  aux  Anges  et  aux 
hommes  :  leur  intelligence  leur  permet  de  juger 
les  objets  vers  lesquels  ils  se  portent,  de  les  com- 
parer avec  d'autres  biens  et  de  prévoir  ce  qui 
résultera  de  leur  action  :  de  plus  ils  ont  la  faculté 
de  se  porter  d'eux-mêmes  où  il  leur  plaira. 

Donc  avoir  une  volonté,  ce  n'est  pas  aimer  in- 
considérément, brutalement,  mais  c'est  aimer 
intellectuellement,  à  la  manière  des  Anges.  Si  donc 
l'homme  a  une  volonté  semblable  à  celle  des  Anges, 
s'il  est  capable  de  se  porter  vers  tous  les  objets 
avec  connaissance,  avec  réflexion  et  avec  la  claire 
vue  de  ce  qui  résultera  de  son  action;  qu'il  se 
garde  bien  d'abuser  de  la  volonté,  en  l'appliquant 
aux  objets  terrestres  sans  connaissance  et  sans  ré- 
flexion, sans  jugement  et  sans  prévoyance  à  la 
manière  des  bêtes.  O  le  souhait  divin  que  celui  de 
Moïse  :  «  Ah  l  plût  à  Dieu  que  tous  les  hommes 
«  fussent  sages j  qu'ils  eussent  V intelligence  et  la 
«  prévision  de  leurs  fins  dernières.  »  (Deut.  32.) 


454  LA   THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

O  mon  âme,    adopte   ce   souhait,  que  «  tes  yeux 
«  devancent  toujours  tes  pas.  »  (Prov.  4.)   Agis  ^,  ft-ti*" 
sagement  et  avant  de  donner  ton  cœur,    prévois      / 
bien  tout.    ^^M^Uj  Zy^UL^"^  ^  ùtt.fi^,,^  li;:c.  SÙJu 

II 

Considérez  en  second  lieu  le  pouvoir  merveil- 
leux de  la  volonté  ou  de  la  faculté  d'aimer  chez  les 
Anges,  envisagée  par  rapport  à  Dieu.  Ils  peuvent 
par  leurs  seules  forces  naturelles  aimer  Dieu 
comme  auteur  de  la  nature,  plus  qu'eux-mêmes, 
et  que  tout  ce  qui  est  au  monde,  par  dessus  toutes 
choses;  la  raison  en  est  que  Dieu  a  créé  l'Ange 
droit  et  parfait,  exempt  de  toute  perversion  ou 
dépravation  naturelle.  Or,  s'il  n'avait  le  pouvoir 
d'aimer  Dieu  par  dessus  toutes  choses,  il  serait 
pervers  et  dépravé  dès  sa  création  ;  car  quelle  plus 
grande  perversité  peut-il  y  avoir  que  de  ne  pou- 
voir aimer  Dieu  plus  que  les  créatures  ?  Donc  si 
Dieu  a  créé  l'Ange  droit  et  sans  aucune  déprava- 
tion, il  a  dû  lui  donner  une  volonté  capable  de 
l'aimer  naturellement  par  dessus  toutes  choses. 

Secondement,  c'est  une  inclination  naturelle 
dans  quiconque  fait  partie  d'un  tout,  d'aimer  le 
tout  plus  que  la  partie  :  ainsi  nous  voyons  la  main 
s'exposer  pour  sauver  le  corps,  parce  que  c'est  son 
tout.  La  raison  obéit  aussi  à  cette  inclination  na- 
turelle ;  un  bon  citoyen  s'expose  à  la  mort  pour 
le  bien  public.  Or  Dieu  est  le  bien  de  toutes  cho- 
ses, il  est  le  tout  du  monde  et  l'Ange  n'est  qu'une 
partie  des  créatures  de  Dieu  ;  c'est  pourquoi  il 
peut  aimer  naturellement  Dieu  plus  que  tout  le 
reste. 


DES    ANGES  455 


Troisièment,  le  sens  du  goût,  quand  il  n'est 
pas  dépravé,  préfère  et  se  porte  avec  plus  d'ardeur 
vers  ce  qui  lui  paraît  plus  doux  et  plus  délectable. 
Or  Dieu  est  souverainement  bon,  infiniment  déli- 
cieux à  la  volonté  spirituelle.  L'Ange  donc  qui  a 
l'esprit  sain  et  droit  par  nature,  juge  que  Dieu  doit 
être  aimé  par  dessus  tout,  il  entend  sa  conscience 
lui  dicter  elle  aussi  un  jugement  semblable  et  lui 
représenter  qu'il  y  aurait  de  l'injustice  à  l'aimer 
moins  que  la  créature  ou  même  à  aimer  la  créature 
autant  que  lui.  Dès  lors  sa  volonté  est  capable 
d'aimer  Dieu  plus  que  la  créature  et  de  se  com- 
plaire en  lui  plus  qu'en  tout  ce  qui  est  créé. 

Oh  !  quelle  nature  excellente  et  parfaite  Dieu  a 
donnée  à  l'Ange  en  le  créant  !  Et  que  l'homme 
était  heureux  dans  l'état  d'innocence,  avant  que  la 
nature  eût  été  viciée  par  le  péché,  car  il  pouvait 
alors  comme  l'Ange  aimer  Dieu  par  ses  seules 
forces  naturelles,  au-dessus  de  toutes  choses. 
Combien  j'ai  sujet  de  déplorer  les  effets  funestes 
du  péché  et  l'impuissance  naturelle  de  ma  volonté, 
qui  ne  peut  plus  d'elle-même  se  porter  à  vous 
aimer,  comme  vous  êtes  aimable,  ô  beauté  sou- 
veraine, c'est-à-dire  par-dessus  toutes  les  créatures. 
Hélas  !  Seigneur,  en  votre  présence  je  verse  mes 
larmes  et  mes  plaintes.  La  concupiscence  me 
fait  une  guerre  sans  trêve,  et  s'efforce  de  m'entraî- 
ner  vers  des  objets  grossiers  qu'elle  me  représente 
faussement  comme  les  plus  doux  et  les  plus  dési- 
rables, qu'il  y  ait  au  monde.  Hélas!  que  d'assauts, 
que  de  tempêtes  capables  de  jeter  mon  âme  dans 
l'enfer,  si  vous  ne  la  secouriez  pas  par  vos  grâces 
et  si  vous  ne  lui  redonniez  le  pouvoir  qu'elle  avait 


456  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

dans  son  état  primitif,  de  vous  aimer  par  dessus 
tout  !  Ah  !  Seigneur,  votre  grâce  seule  peut 
aujourd'hui  me  relever.  Daignez  ne  jamais  m'en 
priver,  ô  mon  Dieu,  afin  que  avec  ce  secours 
je  puisse  toujours  vous  aimer  à  l'imitation  des 
Anges. 

III 

Considérez  ce  que  peut  la  volonté  angélique  par 
rapport  au  prochain.  Comme  un  arbre  à  deux 
branches,  elle  se  porte  d'un  côté  vers  Dieu,  de 
l'autre  vers  le  prochain  :  ainsi  les  Anges  à  l'amour 
naturel  de  Dieu  joignent  l'amour  naturel  du  pro- 
chain, c'est-à-dire  des  autres  Anges.  Si  tout  vivant 
aime  naturellement  son  semblable,  à  plus  forte 
raison  les  Anges,  natures  spirituelles,  doivent 
aimer  naturellement  les  autres  Anges,  en  qui  ils 
voient  une  image  de  leur  beauté. 

Pour  bien  comprendre  cette  vérité,  il  importe 
de  remarquer  que  tous  les  Anges,  excepté  le  pre- 
mier et  le  dernier,  peuvent  être  considérés  dans 
leurs  rapports  soit  avec  les  Anges  qui  leur  sont  su- 
périeurs ou  en  nature  ou  en  grâce  ou  en  raison  de 
leurs  fonctions,  soit  avec  ceux  qui  leur  sont  égaux 
à  ces  mêmes  points  de  vue,  soit  avec  ceux  qui  leur 
sont  inférieurs.  Si,  dit  excellemment  le  Docteur 
Scraphique  (i),  vous  examinez  comment  un  ange  en 
aime  un  autre  qui  lui  est  supérieur,  vous  verrez 
qu'il  l'aime  plus  que  tous  les  autres  sous  le  rapport 
du  bien  qu'il  lui  désire,  parce  que,  exempt  de  toute 
jalousie,  il  lui  désire  tous  les  biens  excellents  que 
Dieu  lui  a  donnés  de  plus  qu'aux  autres.  Si  vous 

X.  la  a..  D'ut,  },  art.  ),  9,  a. 


DES    ANGES  467 


examinez  comment  il  aime  son  égal,  vous  consta- 
terez qu'il  Taime  naturellement  plus  que  tous  les 
autres,  au  point  de  vue  de  Tintimité,  de  l'affection, 
car  il  converse  avec  lui  plus  familièrement  et 
se  console  plus  suavement  dans  la  société  de  l'Ange 
qui  appartient  au  même  ordre  que  lui,  de  même 
qu'un  homme  se  sent  plus  à  l'aise  avec  ses  compa- 
triotes et  ses  compagnons  d'office.  Si  enfin  vous  con- 
sidérez comment  il  aime  son  inférieur,  vous  verrez 
encore  qu'il  l'aime  plus  que  tous  les  autres,  au 
point  de  vue  du  bien  qu'il  lui  procure,  car  il 
le  purifie,  l'illumine  et  lui  communique  un  grand 
nombre  de  biens.  L'Ange  peut  donc  lui  dire  :  a  lia 
«  ordonné  en  moi  la  charité.  »  (Cant.  2.)  C'est 
vraiment  l'ordre  du  parfait  amour,  d'un  amour  tel 
que  nous  le  dépeint  le  divin  saint  Denys  (i),  qui 
l'avait  appris  de  saint  Hiérotée  dans  son  livre  des 
louanges  de  l'amour,  où  il  dit  que  l'amour  a 
la  vertu  d'unir,  qu'il  maintient  les  égaux  dans  une 
société  commune,  qu'il  excite  les  supérieurs  à 
procurer  le  bien  de  leurs  inférieurs,  et  qu'il  dirige 
l'affection  des  inférieurs  vers  leurs  supérieurs, 
c'est-à-dire  qu'il  les  porte  à  leur  rendre  avec  amour 
les  devoirs  qui  leur  sont  dus.  C'est  bien  là  ce  que 
pratiquent  les  Anges  par  leur  affection  réciproque. 
J'admirerai  la  belle  proportion  de  cet  amour  que 
les  Anges  ont  les  uns  pour  les  autres.  Oh!  heureux 
celui  qui  pourrait  ainsi  aimer  son  prochain  !  Oh  ! 
le  modèle  céleste  de  l'amour  !  Contemple,  ô  mon 
âme,  cet  exemple  «  et  agis  selon  ce  qui  V est  mon- 
«  tré  sur  la  montagne  »  angélique  (Ex.  25).  Aime 
ceux  qui  sont  au-dessus  de  toi,  leur   souhaitant 

I.  Dt  div.  nomin.j  c.  $. 


458  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

sans  jalousie  la  conservation  des  grands  biens 
qu'ils  possèdent.  Ne  dédaigne  pas  tes  égaux  et  si 
tu  rencontres  des  hommes  plus  malheureux  que 
toi,  puisqu'il  a  plu  à  la  divine  bonté  de  ne  pas 
faire  de  toi  la  plus  misérable  des  créatures,  fais 
leur  part  de  tes  biens.  O  Anges  bienheureux,  obte- 
nez pour  tous  les  hommes  cet  amour  si  bien 
ordonné,  afin  que  l'amour  règne  sur  la  terre,  au 
lieu  de  la  jalousie  et  du  mépris,  au  lieu  de  la 
truelle  avarice  et  de  l'impitoyable  dureté  de  cœur. 


Vlir  MÉDITATION 

DE  LA  PUISSANCE  MOTRICE 

DES  ANGES 

ET  DE  LEUR  MOUVEMENT 


SOMMAIRE 

Les  Anges  ont  le  pouvoir  de  se  mouvoir  eux-mê- 
mes ;  —  non  par  partie^  mais  selon  toute  leur 
substance.  —  Ils  ont  aussi  le  pouvoir  de  mou- 
voir les  autres  substances,  soit  spirituelles^ 
soit  corporelles. 

I 

SI  les  Anges  ont  une  intelligence  si  pénétrante 
et  une  volonté  si  accomplie,  ils  doivent  être 
aussi  doués  de  la  faculté  de  se  mouvoir  eux-mêmes 


DES   ANGES  459 


et  de  mettre  en  mouvement  d'autres  êtres.  Pour- 
quoi les  créatures  spirituelles  douées  d'intelligence 
et  de  volonté,  seraient-elles  immobiles  comme  des 
pierres  ou  des  corps  sans  vie  ?  Il  faut  donc  admet- 
tre que  les  Anges  ont,  outre  la  faculté  de  compren- 
dre et  de  vouloir,  celle  de  se  mouvoir  et  de  se  «.^.-i^ 
transporter  d'un  lieu  dans  un  autre.  "~* 

Dieu,  il  est  vrai,  est  doué  d'intelligence  et  de 
volonté,  et  ne  se  meut  pas.  La  raison  en  est  qu'il 
possède  une  perfection  plus  grande  que  cette 
faculté  ;  c'est  l'immensité,  en  vertu  de  laquelle  il  est 
partout  et  par  suite  il  n'a  nullement  besoin  de  se 
mouvoir.  Où  pourrait-il  aller,  puisqu'il  est  en  tout 
lieu  ?  L'Ange  n'est  pas  partout  et  dès  lors  rien 
n'empêche  qu'il  ne  jouisse  de  la  puissance  motrice, 
qui  lui  permet  de  se  transporter  d'un  lieu  dans  un 
autre. 

Ce  qu'il  faut  ici  remarquer  particulièrement, 
c'est  la  perfection  de  cette  puissance  motrice.  Puis- 
que la  substance  de  l'Ange  est  la  plus  parfaite  des 
substances  créées,  il  faut  en  conclure  que  ses  facul- 
tés naturelles  sont  les  plus  actives  et  les  plus 
vigoureuses.  Par  conséquent  sa  puissance  motrice 
sera  merveilleuse  :  il  pourra  se  mouvoir  avec  une 
vitesse  et  une  agilité  sans  pareilles  sur  cette  terre. 
/  Les  automédons  ne  lancent  pas  leurs  chars  dans 
une  course  aussi  rapide,  dans  les  airs  les  oiseaux 
ne  volent  pas  avec  une  aussi  grande  agilité,  sur  la 
merles  vents  ne  courent  pas  avec  une  aussi  grande 
vitesse,  un  trait  décoché  par  un  arc  n'atteint  pas 
aussi  promptement  le  but,  qu'un  Ange  ne  se  porte 
avec  une  agilité  incroyable,  partout  où  il  veut.  ^-  . 
C'est  cornme  en  up  çliji  d'œil  qu'il  passe  d'un  ?h2-*^ 


/  •  «^-..o^ -2^10^  .^^  ^  ^^^  ,_^  ^ 


k*0* 


460  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

royaume  à  un  autre,  que  du  ciel  il  descend  sur  la 
t^u^'fx  ^^'"^^  ^^  remonte  de  la  terre  au  ciel  par  la  vigueur 
^  de  sa  nature,  passant  à  travers  tous  les  corps, 
pénétrant  tout  sans  trouver  de  résistance  ni  d'obs- 
tacle sur  son  chemin.  C'est  pourquoi  Tertullien  (i) 
dit  que  les  Anges  sont  partout  en  un  moment, 
pour  indiquer  qu'en  peu  de  temps  ils  se  trouvent 
où  ils  veulent,  tant  est  grande  leur  agilité. 

C'est  ce  qui  leur  vaut  l'honneur  d'être  les  pre- 
miers serviteurs  et  officiers  du  Roi  de  l'univers  : 
car  ce  Roi  veut  être  servi  promptement.  Ceux-là 
seuls  qui  obéissent  promptement,  sont  dignes  de 
servir  les  rois  (Prov.  22)  ;  ceux  qui  sont  lents,  sont 
disgraciés.  Ainsi  en  est-il  aussi  de  Dieu  à  qui  toute 
lenteur  dans  l'action  est  odieuse.  Mais  ce  qui  rend 
le  mouvement  des  Anges,  serviteurs  de  Dieu  plus 
admirable,  c'est  qu'il  ne  s'exécute  jamais  hors  de 
Dieu.  Ils  ne  sont  jamais  hors  de  la  règle,  dit  le 
Docteur  séraphique  (2),  soit  qu'ils  s'élèvent  jusqu'à 
Dieu,  pour  le  contempler,  soit  qu'ils  descendent 
vers  l'homme  pour  s'en  constituer  les  gardiens, 
car  comme  ils  voient  Dieu  face  à  face  en  tout  lieu 
où  ils  sont  envoyés,  ils  courent  toujours  au-dedans 
de  Dieu  même. 

Excitons-nous  par  l'exemple  de  la  rapidité  de  la 
locomotion  des  Anges,  à  servir  Dieu  avec  prompti- 
tude et  diligence  ;  ne  remettons  pas  à  demain  le 
bien  que  nous  pouvons  faire  aujourd'hui.  O  Roi 
des  Anges,  je  ferai  dorénavant  des  efforts,  je  serai 
prompt  à  accomplir  mon  devoir,  je  veux  courir  à 
votre  service  comme  le  cerf  après  les  sources  d'eau 

I.  Apolog.  c.  33. 

s.  In  Brevil.  cap.  8.  p.  3. 


DES   ANGES  461 


vive.  Ni  le  froid,  ni  le  chaud,  ni  le  sommeil,  ni  la 
fatigue  ne  me  retarderont  un  seul  moment  dans 
l'accomplissement  de  mes  obligations.  Ah  !  que  je 
voudrais  ne  me  mouvoir  qu'en  vous,  dans  la 
pensée  de  votre  présence  et  dans  la  vue  de  votre 
admirable  lumière  que  les  Anges  ne  se  lassent 
jamais  de  contempler. 

II 

Considérez  en  second  lieu  que,  quand  les  Anges 
se  meuvent  pour  aller  en  quelque  endroit,  ils  s'y 
transportent  tout  entiers,  selon  toute  leur  subs- 
tance et  non  pas  seulement  selon  une  partie  d'eux- 
mêmes.  En  cela  ils  diffèrent  des  êtres  vivants  qui 
peuvent  remuer  une  partie  de  leur  corps,  tandis 
que  les  autres  parties  sont  immobiles.  La  langue 
se  remue  en  parlant,  le  cœur  bat  et  palpite,  un 
bras  s'avance  ou  se  retire  pendant  que  le  reste  du 
corps  reste  immobile.  Mais  la  substance  de  l'Ange 
est  simple  et  indivisible,  il  faut  donc  quand  elle  se 
trouve  dans  un  lieu,  qu'elle  y  soit  tout  entière, 
selon  tout  son  être.  Aussi  a-t-il  cela  de  propre  de 
se  trouver  tout  entier  dans  le  lieu  qu'il  occupe  et 
tout  entier  dans  chaque  partie  de  ce  lieu,  comme 
l'âme  raisonnable  qui  se  trouve  aussi  entière  dans 
une  main,  par  exemple,  que  dans  tout  le  corps. 
L'Ange  n'est  pas  présent  dans  un  lieu,  dans  ce 
sens  seulement  qu'il  y  opère  quelque  chose  ;  mais 
quand  bien  même  il  n'y  produirait  aucun  effet 
extérieur,  il  y  est  présent  en  ce  sens  que  sa  subs- 
tance se  trouve  physiquement  en  ce  lieu,  Or,  sa 
substance  est  toute  entière  en  chaque  partie  de  ce 
lieu.  Donc  il  ne  saurait  y  avoir  chez  lui  de  mou- 


462  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

vement  partiel  ;  là  où  il  se  porte,  c'est  tout  entier 
qu'il  se  porte.  C'est  une  conclusion  qui  découle 
nécessairement  de  la  spiritualité  de  sa  substance. 

Nous  devons  imiter  cette  perfection  des  Anges, 
dans  le  mouvement  par  lequel  notre  âme  se  porte 
vers  Dieu  comme  vers  le  lieu  de  sa  sécurité  et  de 
son  repos.  Si  sa  substance  est  spirituelle  comme 
celle  des  Anges,  pourquoi  ne  se  meut-elle  pas  vers 
Dieu  qui  est  son  lieu  propre,  selon  tout  son  être 
et  toutes  ses  forces?  pourquoi  se  meut-elle  vers  lui 
à  demi  et  imparfaitement,  se  partageant  entre  le 
Créateur  et  la  créature  ?  N'est-ce  pas  une  chose 
monstrueuse  que  l'âme  soit  tout  entière  dans  la 
moindre  partie  de  son  corps,  et  qu'elle  ne  soit 
qu'à  moitié  à  Dieu  ?  Si  je  connaissais  une  seule 
parcelle  de  mon  cœur,  disait  un  grand  serviteur 
de  Dieu  (i)  qui  ne  fut  pas  emorasé  de  l'amour 
sacré,  je  voudrais  l'arracher.  O  Dieu  infini,  ce  n'est 
pas  trop  d'un  cœur  humain,  pour  vous  le  consa- 
crer entièrement.  Ah  !  je  renonce  aux  affections 
misérables  qui  m'empêchent  d'être  tout  à  vous,  je 
ne  veux  faire  aucune  réserve  dans  le  don  de  mon 
cœur,  je  veux  combattre  de  toutes  mes  forces  mes 
penchants  sensuels  et  vous  chercher  jusqu'à  la 
mort. 

III 

Les  Anges  ne  se  bornent  pas  à  se  mouvoir  eux- 
mêmes,  mais  ils  peuvent  aussi  mettre  en  mouve- 
ment les  autres  substances,  soit  spirituelles,  soit 
corporelles.  Qu'ils  aient  le  pouvoir  de  mettre  en 
mouvement   les   substances  spirituelles,   nous  le 

X.  S.  Franc,  de  Sales. 


DES   ANGES  463 


voyons  dans  la  scène  de  l'Evangile  où  ils  nous 
sont  représentés  portant  l'âme  du  pauvre  Lazare 
dans  le  sein  d'Abraham,  et  dans  le  fait  que  les 
mauvais  Anges  ont  été  chassés  du  ciel  par  les 
bons  Anges.  (Luc,  i6  et  Apoc.  12.)  Il  est  dans 
l'ordre  qu'un  Ange  d'une  espèce  supérieure  puisse 
donner  une  impulsion  à  un  Ange  d'une  nature 
inférieure  et  qu'en  vertu  de  sa  puissance  supé- 
rieure il  puisse  soit  l'arrêter  dans  son  mouvement, 
soit  le  retenir  en  un  lieu  comme  un  prisonnier  ; 
c'est  ce  que  fit  l'Ange  Raphaël  qui  lia  Asmodée 
dans  les  déserts  de  la  Thébaïde  (Tob.  8). 

Les  Anges  peuvent  encore  imprimer  le  mouve- 
ment aux  corps,  comme  nous  le  voyons  dans  l'en- 
lèvement du  prophète  Habacuc  qui  portait  un  pa- 
nier de  vivres  :  un  Ange  le  prit  par  les  cheveux  et 
le  transporta  à  travers  les  airs  de  la  Judée  à  Baby- 
lone,  au-dessus  de  la  fosse  aux  lions  où  Daniel 
mourait  de  faim.  La  même  vérité  est  confirmée 
par  le  mouvement  des  cieux  et  des  astres  auquel 
président  les  Anges. 

En  même  temps  que  les  Anges  peuvent  faire 
mouvoir  d'un  lieu  dans  un  autre  les  êtres  corpo- 
rels, ils  peuvent  aussi  selon  le  degré  plus  ou 
moins  grand  de  puissance  qu'ils  possèdent,  pro- 
duire d'admirables  et  innombrables  effets  en  ap- 
pliquant les  corps  qui  ont  la  vertu  d'agir  à  ceux 
qui  peuvent  recevoir  leur  impulsion.  Ils  peuvent 
produire  par  leur  vertu  naturelle,  les  pierres  pré- 
cieuses, les  minéraux,  les  herbes  et  les  simples, 
ils  peuvent  s'en  servir  à  l'égard  de  l'homme.  Il  est 
en  leur  pouvoir  de  faire  descendre  le  feu  du  ciel, 
d'exciter  sur  mer   des  tempêtes,    de  causer   ainsi 


464        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

des  incendies  ou  de  terribles  inondations.  Il  est 
encore  en  leur  pouvoir  de  transporter  les  monta- 
gnes, de  déraciner  les  forêts,  d'exciter  la  fureur 
des  bêtes  féroces,  enfin  de  bouleverser  le  monde 
au  point  de  le  rendre  inhabitable  aux  hommes, 
car  il  n'y  a  sur  la  terre  aucune  puissance  qui 
puisse  être  comparée  à  la  leur.  Elle  permet  à  un 
Ange  de  tailler  en  pièces  cent  quatre-vingt-cinq 
mille  hommes  de  l'armée  de  Sennachérib  (IV 
Rois,  19)  qu'il  laisse  étendus  morts  sur  le  champ 
de  bataille  :  à  un  autre  de  faire  périr  en  une  nuit 
tous  les  premiers-nés  d'Egypte.  Tous  ces  prodi- 
gieux effets  de  leur  puissance  et  mille  autres 
encore  ont  fait  dire  à  saint  Augustin  que  beaucoup 
)Jb  ^*  ambitionnent  la  puissance  des  Anges,  mais  qu'il  y 
en  a  bien  peu  qui  désirent  avoir  leur  justice  et 
leur  sainteté.  Il  ajoute  que,  si  les  Anges  faisaient 
tout  ce  qu'ils  peuvent,  le  monde  ne  pourrait  subs- 
sister.  Ce  qui  fait  que  la  conservation  du  monde, 
en  dépit  des  démons  qui  ne  respirent  que  la  ruine 
des  œuvres  de  Dieu,  et  principalement  des  hommes, 
est  admirable.  Mais  la  puissance  des  démons  est 
liée  par  celle  des  bons  Anges,  qui  sont  prêts  à 
s'opposer  aux  désastres  que  voudraient  causer  les 
démons.  Elle  est  aussi  liée  par  la  Providence  de 
Dieu  ;  ils  la  redoutent  si  fort,  qu'ils  craignent, 
malgré  leur  malice,  d'entreprendre  la  destruction 
du  monde  ou  de  la  vie  des  hommes,  sans  une 
permission  expresse  :  «  car  les  démons  croient  et 
«  tremblent,  »  dit  l'apôtre  saint  Jacques  (Jacq.  2.) 
O  Seigneur,  combien  est  aimable  votre  Provi- 
dence qui  prend  soin  de  conserver  et  le  monde  et 
nos  vies,  contre  la  cruauté  des  démons  !  Je  vous 


DES    ANGES  465 


en  ai  une  très  grande  obligation.  Et  puisque  les 
peuples  paient  un  tribut  aux  Rois  qui  protègent 
leurs  terres  contre  l'irruption  des  ennemis,  je  veux 
vous  offrir  le  tribut  de  mon  cœur  et  de  mes  servi- 
ces durant  ma  vie  entière.  O  Seigneur,  de  même 
que  vous  nous  préservez  de  la  mort  corporelle 
qu'ils  pourraient  nous  causer,  préservez-nous  aussi 
de  la  mort  spirituelle  dans  laquelle  ils  s'efforcent 
sans  cesse  de  nous  entraîner.  A  cet  effet  envoyez- 
nous  vos  bons  Anges.  Secourez-nous,  Seigneur,  et 
que  vos  ennemis  épouvantés  s'enfuient  et  s'éva- 
nouissent. Défendez-nous  contre  leurs  maléfices  et 
contre  tout  ce  qu'ils  pourraient  machiner  mainte- 
nant et  à  l'heure  de  notre  mort,  pour  nuire  à  nos 
corps  et  à  nos  âmes. 


\T  MÉDITATION 

DU  TEMPS,  DU  LIEU  ET  DE  LA  FIN 
DE  LA  CRÉATION  DES  ANGES 


SOMMAIRE 

Les  Anges  ont  été  créés  en  même  temps  que  les 
deux  et  la  terre;  —  dans  le  ciel;  — pour  leciel^ 
c'est-à-dire  pour  être  éternellement  heureux. 

I 

LES  Anges  ont  été  créés  à  la  même  époque  que 
les  cieux  et  les  éléments.   Pour  mettre  fin 
aux  débats  qui  s'étaient  élevés  à  ce  sujet  parmi  les 

Bail,  t.  i.  ^o 


466  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Pères  de  l'Eglise  dont  les  uns  voulaient  que  les 
Anges  eussent  été  créés  aussitôt  que  le  monde,  et 
dont  les  autres  admettaient  qu'ils  avaient  été  créés 
à  une  époque  postérieure,  le  quatrième  Concile 
général  de  Latran  a  défini  que  Dieu  par  sa  vertu 
toute-puissante,  a  fait  de  rien,  dès  le  commence- 
ment du  monde  et  en  même  temps,  la  créature 
spirituelle  et  la  créature  corporelle,  c'est-à-dire 
l'Ange  et  le  monde  (i).  Ainsi  donc  les  Anges  ont  été 
créés  par  Dieu  en  même  temps  que  le  ciel  et  que 
le  monde  (2).  Puisque  ils  font  partie  de  cet  univers, 
il  ne  convenait  pas  qu'ils  fussent  créés  à  une  épo- 
que différente.  Saint  Isidore  dit  bien  qu'il  n'est 
guère  admissible  que  Dieu  ait  créé  les  Anges  en 
même  temps  que  l'enfer,  car  on  ne  prépare  pas 
des  supplices  pour  ceux  qui  sont  innocents  et  les 
Anges  n'avaient  pas  encore  péché,  quand  Dieu 
créa  l'enfer  au  centre  du  monde  (3).  Mais  il  nous 
fournit  par  là  l'occasion  d'admirer  la  justice  épou- 
vantable de  Dieu,  qui,  au  même  instant  où  il  crée 
les  Anges,  prépare  l'enfer  pour  ceux  qui  méconnaî- 
tront ses  bienfaits.  Saint  Jérôme  (4)  a  cru  que  les 
Anges  avaient  été  créés  plusieurs  siècles  avant  le 
monde  :  il  se  représente  Dieu  servi  pendant  long- 
temps par  les  Principautés,  les  Dominations,  les 

I.  Apui  Bonav.  ia  a.  q.  3.  part.  i.  art.  i,  p.  3. 

3.  Plusieurs  anciens  Docteurs  ont  pensé  que  la  création  des  Anges 
est  tacitement  impliquée  dans  le  mot  «  cœlum  ».  {Gen.  i.) 

3,  Pour  ce  qui  est  de  la  question  du  lieu  où  se  trouve  l'enfer,  une 
seule  chose  est  certaine,  c'est  que  l'enfer  est  un  lieu  déterminé,  assigné 
par  Dieu  pour  la  punition  des  anges  et  des  hommes  réprouvés  :  cette 
vérité  ressort  clairement  de  l'enseignement  de  l'Ecriture  sainte  et  des 
Pères.  Quant  à  préciser  où  se  trouve  l'enfer,  nul  ne  saurait  le  faire 
d'une  manière  certaine. 

4.  Ad  cap.  I.  Ep.  ad  Tit. 


DES   ANGES  467 


Archanges  et  les  Anges,  sans  aucun  changement 
ni  vicissitude  d'aucune  sorte.  La  considération  de 
ce  grand  Docteur  servira  à  nous  faire  admirer  la 
bonté  de  Dieu  à  l'égard  des  bons  Anges,  car  bien 
qu'en  réalité  ils  ne  soient  créés  que  depuis  que  le 
monde  existe,  c'est-à-dire  depuis  environ  six  mille 
ans,  il  n'est  pas  moins  vrai  que  Dieu  les  a  conser- 
vés depuis  tant  de  siècles,  dans  l'état  de  bonheur, 
et  dans  l'exercice  ininterrompu  de  ses  louanges. 

O  justice  !  o  miséricorde  !  voilà  bientôt  six  mille 
ans  que  les  Anges  ont  été  créés  et  depuis  lors  les 
bons  persévèrent  inébranlablemcnt  dans  le  service 
de  Dieu  et  dans  l'état  de  bonheur,  tandis  que  les 
mauvais  sont  encore  dans  les  mêmes  supplices, 
sans  avoir  bénéficié  du  moindre  soulagement.  Oh  ! 
que  nous  devons  appréhender  l'état  des  damnés  1 
que  nous  devons  désirer  l'état  des  Anges  heureux! 

II 

Les  Anges  ont  été  créés  non  seulement  en  même 
temps  que  le  ciel,  mais  encore  dans  le  ciel,  (i) 
L'Ecriture  Sainte    nous  l'indique   suffisamment, 

I.  Ici  une  distinction  s'impose  :  quand  nous  disons  que  les  Anges 
ont  été  créés  dans  le  ciel,  nous  n'entendons  pas  désigner  par  ce  mot 
le  ciel  ce  que  saint  Thomas  appelle  :  €  le  ciel  de  la  Sainte  Trinité  ■» 
(la  q,  6i  art.  4.  ad  3)  c'est-à-dire,  le  lieu  —  car  c'est  un  lieu  —  où 
Dieu  se  montre  lui-même  sans  voiles  à  ses  élus.  La  raison  en  est  que 
les  Anges  ont  dû  subir  une  épreuve  avant  d'être  admis  à  la  vision  béa- 
tifique,  et  que  le  crime  d'un  certain  nombre  consista  précisément  à 
désirer  de  s'élever  jusqu'à  ce  ciel  par  ses  propres  forces,  sans  le  se- 
cours divin,  comme  l'indiquent  ces  paroles  de  Lucifer  :  «  in  cœlum 
ascendant.  »  (Is.  XIV,  13).  (Vide  S.  Tho.  i»  q.  63.  art.  3.  in  corp.)  Il 
faut  entendre  par  Ih,  croyons-nous,  qu'ils  ont  été  créés  dans  un  lieu 
qui  n'est  pas  notre  terre,  mais  qui  fait  partie  de  ce  monde  créé  par 
Dieu  au  comm.  ncement  (cœlum  et  terrain),  «  a/in,  dit  saint  Thomas, 
«  de  montrer  que  leur  place  est  dans  cet  univers  matériel  et  qu'ils 
<  exercent  leur  action  sur  les  corps  qui  le  composent.  »  (i>  q.  61.  art. 
4.  ad  I.) 


46S  LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

quand  elle  dit  que  les  Anges  se  livrèrent  un  com- 
bat dans  le  ciel^  que  les  mauvais  en  furent  chassés, 
que  Lucifer  est  tombé  du  ciel  et  que  Satan  a  été 
précipité  du  ciel  comme  la  foudre  :  d'où  il  faut 
conclure  que  les  anges  ont  été  créés  dans  le  ciel. 

Dieu  l'a  voulu,  parce  que  les  Anges  sont  les 
plus  nobles  de  toutes  les  créatures  et  sont  par 
conséquent  comme  à  la  tête  de  la  création  :  dès 
lors  il  leur  appartenait  d'être  créés  dans  le  ciel 
suprême,  qui  est  le  lieu  le  plus  élevé  du  monde. 
D'autre  part  il  ne  convenait  pas  qu'ils  fussent 
créés  en  dehors  de  cet  univers,  parce  qu'il  fallait 
qu'ils  fussent  compris  dans  ce  grand  tout,  dont 
ils  font  partie  et  avec  lequel  par  suite  l'ordre  de 
l'univers  exigeait  qu'ils  fussent  rattachés  par  cer- 
tains liens. 

De  plus  le  ciel  est  le  lieu  destiné  à  la  contem- 
plation de  la  divinité.  Or  les  Anges,  parce  qu'ils 
sont  très  spirituels,  sont  plus  capables  de  cette 
contemplation  que  toutes  les  autres  créatures. 
Donc  il  convenait  qu'ils  fussent  créés  dans  ce  lieu 
de  paix  où  Dieu  manifeste  davantage  ses  merveil- 
les et  sa  gloire.  Ce  devait  être  aussi  pour  eux  un 
motif  de  s'y  maintenir  par  leur  fidélité  :  ce  que 
tous  n'ont  pas  fait.  D'ailleurs  les  lieux  matériels 
ne  peuvent  conserver  que  les  corps  ;  ils  ne  sau- 
raient conserver  les  esprits.  Dieu  est  le  lieu  où  les 
esprits  se  conservent. 

Qui  pourra  donc  être  sûr  de  jouir  du  ciel  ?  qui 
parmi  ceux  qui  vivent  sur  cette  terre  et  hors  du 
ciel  sera  sans  crainte?  Ce  ne  sont  pas  les  lieux  qui 
sanctifient  les  personnes,  mais  ce  sont  les  person- 
nes qui  sanctifiient  les   lieux.  Il  n'y  a  pas  dans  le 


DES   ANGES  469 


monde  un  seul  lieu  ou  le  salut  soit  assuré.  Judas 
s'est  perdu  dans  la  compagnie  du  Sauveur,  Adam 
est  tombé  dans  le  paradis  terrestre  et  l'Ange  a  été 
précipité  du  ciel  où  il  se  trouvait  en  présence  de  ^^ 
Dieu  et  sous  les  yeux  de  la  divinité.  S'il  eût  habité 
en  Dieu  par  l'amour,  il  eût  été  sauvé.  Ainsi  donc, 
o  mon  âme,  ne  mettons  pas  notre  confiance  dans 
les  lieux  que  nous  habitons,  mais  plutôt  habitons 
en  Dieu,  vivons  en  lui  par  notre  affection. 

Non  seulement  les  Anges  ont  été  créés  en  même 
temps  que  le  ciel  et  dans  le  ciel,  mais  encore  ils 
ont  été  créés  pour  le  ciel,  c'est-à-dire,  pour  y  être 
toujours  heureux,  pour  y  contempler  et  louer  Dieu 
éternellement,  s'ils  persévéraient  dans  la  justice  et 
dans  la  sainteté.  Ainsi  tout  est  céleste  dans  leur 
création,  tout  y  parle  du  ciel.  Dieu  donc  se  propo- 
sait de  tirer  de  leur  création  de  la  gloire;  il  leur 
donnait  la  vie  de  la  grâce  dans  le  but,  qu'après  en 
avoir  fait  bon  usage,  ils  fussent  mis  en  possession 
du  bonheur  et  qu'ainsi  lui-même  fut  admiré,  loué, 
aimé  et  glorifié  éternellement  par  la  multitude 
innombrable  de  ces  esprits.  Et  comme  ses  attri- 
buts sont  infinis,  il  les  créa  doués  d'une  grande 
diversité  de  dons,  soit  naturels  soit  surnaturels, 
afin  que  chacun  d'eux  glorifiât  spécialement  un 
attribut  divin.  C'est  pourquoi  les  uns  louent  sa 
majesté,  d'autres  sa  sagesse,  d'autres  sa  bonté. 
Ceux-ci  glorifient  ses  attributs  absolus  ;  ceux-là 
ses  attributs  relatifs.  Ils  honorent  en  lui  soit  le 
créateur,  soit  le  conservateur  du  monde,  soit  l'au- 
teur de  la  grâce,  soit  l'auteur  de  la  gloire  :  ainsi 
chacun  a  sa  tache. 

Ne  nous  lassons  pas  de  méditer  le  magnifique 


470  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

dessein  de  Dieu.  Lui,  tout  grand,  tout  heureux, 
infiniment  satisfait  en  lui-même,  a  désiré  néanmoins 
que  des  milliers  de  créatures  soupirent  après  lui, 
ravies  par  son  incomparable  beauté  et  qu'elles  lui 
chantent  d'ineffables  louanges  pendant  Téternité. 
C'est  dans  ce  dessein  qu'il  a  créé  les  Anges  en 
nombre  comme  infini,  leur  donnant  à  tous  une 
très  haute  intelligence  et  une  grande  puissance 
pour  le  connaître  et  le  glorifier  selon  son  désir  : 
car  ce  sont  les  secondes  splendeurs  du  monde,  les 
rayons  de  la  première  lumière  qui  est  l'Essence 
infinie  :  ils  sont  beaucoup  plus  portés  au  bien 
qu'au  mal,  auquel  leur  nature  ne  les  incline  nul- 
lement (i).  Mais  Dieu  ne  veut  admettre  dans  sa 
gloire  que  les  plus  généreux,  qui  auront  donné 
des  preuves  de  leur  vertu  et  de  leur  fidélité  :  c'est 
pour  ce  motif  qu'il  ne  les  rend  pas  bienheureux  et 
ne  les  admet  pas  à  jouir  de  la  vision  béatifique  dès 
leur  création,  mais  qu'il  les  dirige  vers  cette  fin, 
les  oblige  à  y  tendre  et  à  y  parvenir  par  les  moyens 
qu'il  met  à  leur  disposition,  et  finalement  prédes- 
tine au  bonheur  ceux  qu'il  a  prévu  de  toute  éter- 
nité devoir  faire  bon  usage  de  ces  moyens. 

O  grand  Dieu  !  il  est  juste  que  des  millions 
d'esprits  soupirent  sans  cesse  après  vous,  qui  êtes 
le  créateur  de  tous  les  hommes  et  le  trésor  de 
toutes  les  perfections.  Il  vous  convient.  Seigneur, 
d'être  glorifié  pendant  toute  l'éternité  par  un  nom- 
bre infini  de  créatures.  Je  vous  rends  grâces 
d'avoir,  en  les  créant,  destiné  les  esprits  angéliques 
à  cette  fin  si  haute  :  car  personne  n'était  capable 
de  vous  donner  ce  juste  contentement-  »  O  Ange? 

I.  N»?.i  Qr-,  4  f*  4S, 


DES   ANGES  47I 


«  du  Seigneur^  loue^-le  donc  tous!  »  (Ps.  148.) 
Mais  puisqu'il  vous  a  plu  aussi  de  créer  nos  âmes 
pour  la  même  fin,  et  de  les  unir  aux  Anges  dans 
votre  éternelle  glorification,  dans  le  bonheur  qu'ils 
ont  de  vous  chanter,  je  vous  en  bénis,  je  vous  en 
ai  une  reconnaissance  sans  bornes.  Faites,  ô  mon 
Dieu,  que  je  ne  m'écarte  pas  de  ce  but,  ni  de  la 
pratique  des  commandements  qu'il  vous  a  plu  de 
nous  imposer  comme  un  moyen  pour  y  parvenir. 
O  esprits  tout  célestes  et  tout  bons,  secondez  nos 
efforts,  soyez  nos  guides  et  nos  protecteurs  jusqu'à 
ce  que  nous  soyons  arrivés  au  lieu  où  nous  devons 
louer  avec  vous  notre  Dieu  et  notre  Créateur  com- 
mun. 


FIN    DU    PREMIER   VOLUME 


TABLE  DES  MATIERES 

CONTENUES    DANS    LE    PREMIER   VOLUME 


PREMIER  TRAITE 

DES  ATTRIBUTS  DE  DIEU 

DE  LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

EN  GÉNÉRAL 


\ 


P»ge« 

I"  Méditation.  —  De  Dieu .^ i 

L'ignorance  des  choses  divines,  source  de  tous  les 
péchés.  —  Remède  de  ce  mal,  l'étude  de  la  Théologie 
affective.  —  La  pureté,  condition  nécessaire  pour 
l'étude  de  la  Théologie  affective. 

Ile  Méditation.  —  De  l'existence  de  Dieu 8 

Importance  de  dutte  vérité.  —  La  connaissance  de 
Dieu  est  naturelle  à  l'homme.  —  Comment  faut-il 
concevoir  Dieu. 

III®  Méditation.  —  Des  attributs  et  des  perfec- 
tions de  Dieu  en  général 15 

Dieu  a  des  attributs  ;  —  Diverses  espèces  d'attributs. 
—  Ceux  que  Dieu  partage  avec  ses  créatures. 

IV*  Méditation.  —  De  la  simplicité  de  Dieu. ...         ai 

Dieu  est  simple  ;  —  parce  qu'il  n'a  pas  de  corps  ;  — 
parce  qu'il  n'a  pas  d'accidents  dans  sa  substance  ;  — 
parce  qu'il  n'use  point  de  duplicité. 

V*  Méditation.  —  De  la  bonté  de  Dieu 26 

Dieu  est  bon  en  lui-même;  —  il  est  bon  pour  tous  les 
êtres  ;  —  il  est  spécialement  bon  pour  les  hommes. 


474  ^^  THÉOLOGIE   AFFECTIVE 


VP  Méditation.  —  De  l'infinité   de  Dieu  et  de 
sa  grandeur 32 

Les  perfections  de  Dieu  sont  infinies  en  nombre  :  —  en 
intensité.  —  Dieu  est  infini  en  grandeur. 

VII®  Méditation.  —  De  l'immensité  de  Dieu 38 

Dieu  est  en  tout  lieu  ;  —  par  son  essence,  par  sa  pré- 
sence, par  sa  puissance  —  il  n'en  résulte  pour  lui  aucun 
inconvénient  ni  aucune  souillure. 

VHP  Méditation.  —  De  l'immutabilité  de  Dieu.        45 

Dieu  est  immuable  en  lui-même  ;  —  dans  ses  opéra- 
tions extérieures.  —  Il  est  seul  immuable. 

IX®  Méditation.  —  De  l'éternité  de  Dieu 52 

Diem  possède  parfaitement,  —  et  simultanément,  — 
une  vie  sans  commencement  et  sans  fin. 

X«  Méditation.  —  De  l'unité  de  Dieu 58 

L'unité  de  Dieu  est  un  avantage  pour  Dieu  ;  —  pour 
le  monde  ;  —  pour  chaque  homme  en  particulier. 

XI®  Méditation.  —  De  la  pureté,  de  la  sainteté  et 
de  la  beauté  de  Dieu 64 

Dieu  est  très  pur  —  très  saint  —  et  très  beau. 

XIP  Méditation.  —  De  la  paix  et  du  silence  de 
Dieu 71 

Dieu  jouit  d'une  paix  inaltérable.  —  nous  ne  devons 
pas  l'honorer  par  l'inaction,  —  mais  par  la  sérénité  de 
l'âme  au  milieu  des  agitations  de  ce  monde. 

XIII^  Méditation.  —  De  l'incompréhensibilité  de 

Dieu 80 

Dieu  ne  peut  être  connu  parfaitement,  —  ni  par  la 
lumière  de  la  raison,  —  ni  par  la  lumière  de  la  foi,  — 
ni  par  la  lumière  de  la  gloire. 

XIV®  Méditation.  —  De  la  vision  de  Dieu 87 

Trois  cho^s  sont  requises  pour  voir  Dieu  :  l'œil  de 
l'âme,  —  la  lumière  de  la  gloire,  —  la  présence  de  Dieu. 

XV«  Méditation.  —  Du  nom  de  Dieu. ..,.,,....        95 

On  ne  peut  donner  à  Dieu  un  nom  qui  l'exprime 
parfaitement  :  —  mais  nous  pouvons  lui  donner  des 
noms  qui  traduisent  la  connaissance  très  imparfaite 
que  aoi)s  aypRs  t|e  s^  nfitare.  —  Pfippipauj  gqq)^  giQ 
les  Saiijtf  f  ^  jçf  T}}<ie}89>f  SI  Isi  «Bt  dttR^é^ 


TABLE   DES   MATIÈRES  4'jb 


XVI*  MEDITATION,  —  De  la  science  de  Dieu 103 

Dieu  a  une  science  infinie,  —  qui  comprend  la  science 
de  simple  intelligence,  la  science  moyenne  et  la  science 
de  vision.  —  La  science  de  Dieu  est  très  avantageuse  à 
Dieu  et  aux  créatures. 

XVII®  Méditation.  —  Des  idées  de  Dieu m 

Nous  entendons  par  les  idées  de  Dieu  :  la  forme 
exemplaire  du  monde  ;  la  connaissance  de  tous  les 
possibles.  —  Dieu  n'a  aucune  idée  du  péché. 

XVIIP  Méditation.  —  De  la  vérité  de  Dieu 117 

Dieu  a  la  vécité  de  l'être;  —  celle  qui  consiste 
dans  la  conformité  de  l'esprit  avec  l'objet  connu.  —  Il 
est  en  un  sens  le  seul  Etre, 

XIX*  Méditation.  —  De  la  vie  de  Dieu 124 

Dieu  vit  —  d'une  vie  excellente,  —  bien  différente 
de  la  vie  humaine. 

XX«  Méditation.  -^  De  la  volonté  de  Dieu 130 

Il  y  a  en  Dieu  une  volonté,  c'est-à-dire  :  la  puis- 
sance de  vouloir;  l'acte  de  vouloir  appelé  volonté 
de  bon  plaisir.  —  Signes  extérieurs  qui  noas  manifes- 
tent cette  volonté. 

XXI*  Méditation.  —  De  la  volonté  de  Dieu  anté- 
cédente et  conséquente 138 

Deux  volontés  en  Dieu,  l'une  antécédente  et  l'autre 
conséquente  ;  la  volonté  antécédente  a  pour  effet  le 
don  fait  à  tous  des  grâces  suffisantes  pour  se  sauver.  — 
les  hommes  ne  se  perdent  que  par  leur  faute. 

XXII*   Méditation.   —   De  la  conformité  de  la 

volonté  humaine  avec  la  volonté  de  Dieu 146 

Cette  conformité  est  la  perfection  souveraine  ;  — 
quatre  sortes  de  conformité  à  la  volonté  de  Dieu  ;  — 
la  conformité  parfaite  n'est  pas  absolument  nécessaire. 

XXIII*  Méditation.  —  De  la  liberté  de  Dieu. ...       154 

Dieu  est  libre  —  notamment  dans  les  décrets  qui 
ont  pour  objet  les  créatures,  —  4ans  l'exécution  de  ces 
décrets. 

XXI V«  Méditation.  —  De  l'amour  de  Dieu  envers 
les  créatures , . . . , 162 

Pieu  les  aiipe  toiitP»  -^  d'un  apaour  éttfTM],  ço^9t?,ix\, 
gratuit,  singulier  et  UçQ^Ar 


47^  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


XXV«  Méditation.  —  De  la  haine  de  Dieu  contre 
les  péchés  et  contre  les  pécheurs 169 

Dieu  hait  les  péchés  et  les  pécheurs.  —  Qualité  de 
cette  haine  dans  cette  vie,  —  dans  la  vie  future. 

XXVI*  Méditation.  —  De  la  miséricorde  de  Dieu.       176 

La  miséricorde  de  Dieu  en  elle-même,  —  à  l'égard 
des  pécheurs,  —  k  l'égard  des  justes. 

XXVII«  Méditation.  —  De  la  justice  de  Dieu.. . .       184 

Il  y  a  en  Dieu  :  —  une  justice  distributive,  —  une  jus- 
tice vindicative,  —  une  justice  rémunérative. 

XXVIIP  Méditation.  —  De  la  Providence  de 
Dieu  sur  toutes  les  choses  créées 191 

Existence  —  suavité  —  infaillibilité  de  la  Providence 
divine. 

XXIX«  Méditation.  —  De  la  Providence  de  Dieu 
en  face  de  certains  désordres  de  la  nature,  en 
lace  des  péchés  des  hommes  et  des  afflictions 
des  justes aoo 

Tout  ce  qui  dans  la  nature  nous  paraît  défectueux 
ou  fâcheux  s'explique  et  a  son  utilité  ;  —  le  péché  est 
la  conséquence  inévitable  de  cette  prérogative  accordée 
par  Dieu  à  l'homme,  la  liberté  ;  d'ailleurs  la  Sagesse 
divine  sait  tirer  le  bien  du  mal  ;  les  afflictions  sont 
pour  les  justes  une  source  de  mérites. 

XXX«  Méditation.  —  De  la  prédestination  à  la 
gloire ao8 

Ce  qu'est  la  prédestination  à  la  gloire  —  ses  causes 
—  principales  différences  des  prédestinés. 

XXXI®  Méditation.  —  De  la  réprobation  des 
pécheurs  obstinés 317 

Ce  qu'est  la  réprobation.  —  Dieu  ne  réprouve  pas 
pour  le  péché  originel,  mais  à  cause  de  l'endurcisse- 
ment dans  le  péché.  —  Pourquoi  Dieu  a-t-il  créé  les 
réprouvés  ? 

XXXIP  Méditation.  —  Du  livre  de  vie  et  du  livre 
de  mort 230 

Le  livre  de  vie  est  la  connaissance  qu'a  Dieu  des  pré- 
destinés. —  Le  livre  de  mort  est  la  connaissance  qu'a 
Dieu  des  réprouvés.  —  Cette  connaissance  infaillible 
ne  doit  cependant  décourager  personne. 


TABLE   DES    MATIÈRES  477 


XXXIII«  MEDITATION.  —  Du   discernement   des 
prédestinés  et  des  réprouvés 239 

Avantages  qu'il  y  a  pour  nous  à  ne  pas  savoir  si 
nous  sommes  du  nombre  des  prédestinés  ou  des  réprou- 
vés ;  —  cependant  on  peut  connaître  à  certains  signes 
d'une  manière  probable  si  l'on  est  prédestiné  ;  si  tous 
ces  signes  ou  seulement  quelques-uns  faisaient  défaut, 
il  ne  faudrait  pas  néanmoins  se  désespérer,  mais  conti- 
nuer à  faire  de  bonnes  œuvres. 

XXXIV'  Méditation.  —  De  la  puissance  de  Dieu.       250 

Dieu  est  puissant  —  infiniment  puissant  —  il  exerce 
sa  puissance  surtout  par  des  actes  de  miséricorde. 

XXXV^  Méditation.  —  De  la  béatitude  de  Dieu.       256 

Dieu  est  heureux  —  parfaitement  heureux.  —  Son 
bonheur  consiste  dans  la  connaissance  et  dans  l'amour 
qu'il  a  de  lui-même. 


DEUXIÈME  TRAITÉ 

DE  LA  TRÈS  SAINTE-TRINITÉ 


i'"  Méditation.  —  Dés  trois  excellences  du  mys- 
tère de  l'adorable  Trinité 263 

La  Trinité  est  le  plus  impénétrable  des  mystères  ;  — 
le  plus  ancien  ;  —  la  cause  de  tous  les  autres  mystères. 

II'   Méditation.   —  De   la    connaissance   et    de 
l'amour  de  la  Sainte-Trinité 270 

Nous  pouvons  avoir  une  certaine  connaissance  de  la 
Sainte-Trinité  dès  cette  vie  ;  —  nous  devons  l'avoir  ; 
—  mais  notre  amour  de  la  Sainte-Trinité  peut  et  doit 
dépasser  de  beaucoup  la  connaissance  que  nous  en 
avons. 


478 


LA   THEOLOGIE   AFFECTIVE 


III«  Méditation,  —  Des  motifs   et   des   moyens 

d'honorer  la  Sainte-Trinité 277 

Quatre  motifs  :  sa  souveraine  grandeur  ;  sa  bonté  à 
notre  égard  ;  notre  utilité  ;  l'exemple  des  Saints  ;  —  six 
moyens  :  nous  corriger  de  tous  nos  péchés  mortels  et 
de  tous  nos  péchés  véniels  ;  retrancher  toutes  nos  occu- 
pations superflues  ;  l'invoquer  souvent  au  commence- 
ment de  nos  actions  ;  nous  humilier  profondément  ;  la 
féliciter  pour  toutes  ses  perfections  ;  amener  les  autres 
hommes  à  l'aimer.  —  Effets  précieux  de  la  méditation 
de  ce  mystère, 

IV«  Méditation.  —  Des  productions  divines  et  de 

la  Trinité  des  Personnes 286 

Il  y  a  en  Dieu  plusieurs  Personnes,  dont  les  unes 
produisent  et  les  autres  sont  produites.  —  Dieu  produit 
le  Verbe  par  son  intelligence  et  le  Saint-Esprit  par  sa 
volonté.  —  Il  n'y  a  en  Dieu  que  trois  Personnes. 

V^  Méditation.  —  Des  relations  des  trois  Person- 
nes divines 293 

Les  relations  d'origine  distinguent  entre  elles  les 
Perspnnes  divines;  —  les  unissent  étroitement;  —  les 
constituent. 

VI*  Méditation.  —  Des  attributs  communs  à  cha- 
que Personne  de  la  Trinité 300 

La  puissance,  la  sagesse  et  la  bonté  conviennent 
également  à  chaque  Personne  divine.  —  Cependant 
par  appropriation,  la  puissance  est  attribuée  au  Père  ; 
la  sagesse  au  Fils  ;  et  la  bonté  au  Saint-Esprit.  —  Il 
est  permis  d'adorer,  d'aimer  et  de  servir  chaque  Per- 
sonne divine  séparément. 

VII®  Méditation.  —  De  la  Personne  du  Père  et 

des  trois  propriétés  qui  lui  sont  particulières. .       309 

Les  trois  propriétés  qui  conviennent  au  Père  sont 
l'innascibilité,  —  la  paternité,  —  et  celle  d'être  d'une 
façon  plus  particulière  le  principe  et  la  fin  de  toutes 
choses. 

VIII"  Méditation.  —  Du  respect,  de  la  confiance 
et  de  l'amour  de  Jésus-Christ  à  l'égard  de  Dieu 

le  Père 316 

Jésus-Christ  a  par  son  respect  honoré  son  Père  plus 
que  toutes  les  créatures  ensemble  ;  il  lui  a  témoigné  la 
plus  grande  confiance  depuis  le  premier  instant  de  sa 


TABLE   DES   MATIÈRES  47g 

conception  jusqu'à  son  dernier  soupir;   il  lui  a  témoi- 
gné un  amour  indicible. 

IX«  Méditation.  —  De  la  seconde  Personne  con- 
sidérée comme  Verbe 334 

De  tous  les  noms  qu'on  donne  au  Fils,  c'est  celui  de 
Verbe  qui  lui  convient  le  mieux  —  supériorité  du 
Verbe  incréé  sur  le  verbe  créé  des  anges  et  des  hom- 
mes —  le  Verbe  est  produit  par  une  connaissance 
universelle  qui  embrasse  l'incréé  et  le  créé. 

X«  MéDiTATiON.  —  Pourquoi  la  seconde  Personne 

est-elle  appelée  le  Fils 33 1 

Elle  est  appelée  le  Fils  ;  parce  qu'elle  est  l'image  du 
Père  éternel,  selon  sa  propriété  personnelle  :  —  parce 
que  sa  subsistance  est  semblable  à  celle  du  Père;  — 
pour  d'autres  raisons  plus  élevées  que  nous  ne  connaî- 
trons que  dans  le  ciel, 

XP  Méditation.  —  Des  trois  excellences  de  la 

filiation  de  la  seconde  Personne 338 

Elle  est  éternelle,  —  indépendante  du  Père,  —  le 
modèle  de  notre  filiation  adoptive. 

XII®  Méditation.  —  De  la  Personne  du  Saint- 
Esprit  346 

Le  Père  et  le  Fils  produisent  par  leyr  amour  récipro- 
que le  Saint-Esprit.  —  Raisons  pour  lesquelles  cet 
amour  du  Père  et  du  Fils  s'appelle  spiration  active.  — 
Cette  spiration  active  est  un  acte  de  sainteté  infinie. 

XIII«  Méditation.  —  Des  Personnes,  des  amours 
et  des  objets  qui  interviennent  dans  la  produc- 
tion du  Saint-Esprit 353 

Le  Saint-Esprit  est  produit  par  deux  Personnes,  qui 
sont  le  Père  et  le  Fils,  —  par  l'amour  réciproque  du 
Père  et  du  Fils,  qui  est  un  amour  appréciatif,  de  bien- 
veillance et  de  complaisance,  —  enfin  par  un  amour 
universel  qui  embrasse  l'incréé  et  le  créé. 

XIV«  Méditation.  —  Des  trois  autres  particularités 
du  Saint-Esprit 359 

Il  appartient  au  Saint-Esprit,  selon  sa  propriété  per- 
sonnelle :  —  d'être  le  lien  du  Père  et  du  Fils,  —  d'être 
le  dernier  terme  des  productions  immanentes  de  Dieu, 
—  d'être,  entre  toutes  les  Personnes  divines,  la  moins 
éloignée  des  créatures. 


480  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


XV"  MEDITATION.  —  Jésus  glorifie  la  Personne  da 

Saint-Esprit  de  trois  manières 365 

II"  glorifie  le  Saint-Esprit  —  en  détournant  les  hom- 
mes de  l'offenser, —  en  lui  donnant  des  titres  glorieux, 

—  en  le  promettant  à  l'Eglise. 

XVI«  Méditation.  —  De  l'égalité  des  Personnes 
divines 372 

Les  Personnes  divines  sont  égales  dans  la  perfection 
de  leur  substance  ;  dans  la  grandeur  de  leurs  attributs; 
en  face  des  hommes  qui  leur  doivent  la  même  adora- 
tion, le  même  amour,  le  même  service. 

XVII*  Méditation.  —  De  l'inexistence  mutuelle 
des  Personnes  divines 380 

Les   Personnes  divines  résident  l'une   dans  l'autre  : 

—  par  leur  substance  ;  —  par  leur  pensée  ;  —  par  leur 
amour. 

XVIIP  Méditation.  —  De  la  mission  des  Person- 
nes divines 387 

Définition  de  la  mission  chez  les  Personnes  divines. 

—  Division  en  mission  invisible  et  en  mission  visible. 

—  Effets  de  la  mission. 

XIX«  Méditation,  —  Dans  leur  mission  les  Per- 
sonnes divines  sont  données  à  la  créature 394 

Ce  n'est  pas  la  grâce  seulement,  mais  ce  sont  les 
Personnes  elles-mêmes  qui  sont  données  à  la  créature  ; 

—  et  données  de  plusieurs  manières.  —  Le  péché  mor- 
tel fait  perdre  Dieu  à  l'âme. 

XX^  Méditation.  —  Conclusion.  '.Le  Gloria  Patri.      40a 

La  Trinité  est  louée  —  par  Elle-même  ;  —  par  les 
anges  ;  —  par  les  hommes  et  notamment  par  la  fré- 
quente répétition  du  verset  :  Gloire  au  Père,  etc. 


TABLE    DES    MATIÈRES  481 

TROISIÈME  TRAITÉ 

DES  ANGES 


I"  MéoiTATiON.  —  De  la  création  en  général 412 

Dieu  était  libre  de  ne  créer  aucun  monde,  —  seul  il 
pouvait  créer,  —  parmi  une  infinité  de  mondes  possi- 
bJes,  il  lui  a  plu  de  créer  le  monde  actuel. 

II*  Méditation.  —  De  l'existence  des  Anges 419 

L'existence  des  Anges  —  n'a  rien  qui  répugne  ;  — 
elle  convient  ;  elle  est  un  fait  certain. 

III*  Méditation.  —  De  la  spiritualité  des  Anges.       425 

Les  anges  sont  de  purs  esprits  ;  —  ils  sont  plus  spiri- 
tuels que  l'âme  humaine  ;  —  on  peut  dire,  avec  saint 
Jean  Damascène,  qu'ils  sont  corporels,  par  rapport  ^à 
Dieu. 

IV«  Mi-DiTATiON.  —  Du  grand  nombre  des  Anges 

et  de  leur  distinction 43 1 

Il  existe  un  très  grand  nombre  d'Anges  —  les  uns 
sont  distincts  entre  eux  spécifiquement,  les  autres 
numériquement  seulement  —  ils  sont  divisés  en  trois 
hiérarchies  et  chaque  hiérarchie  en  trois  ordres  ou 
choeurs. 

V*  Méditation.  —  De  l'intelligence  des  Anges  et 

de  leur  science 437 

Les  anges  sont  doués  d'une  intelligence  très  parfaite 
—  qui  a  une  manière  de  percevoir  son  objet  très  par- 
faite —  qui  est  sanctifiée  par  la  charité. 

VI*  Méditation.  —  De  trois  choses  que  les  Anges 
ne  connaissent  pas  d'une  manière  certaine  par 
leur  science  naturelle 444 

Les  Anges  ne  connaissent  pas  d'une  manière  certaine 
par  les  seules  forces  de  leur  intelligence  :  —  plusieurs 
choses  futures,  —  les  pensées  et  les  affections  des  hom- 
mes, —  les  choses  surnaturelles. 

Baii.,  t.  I.  jx 


482  LA    THÉOLOGIE     AFFECTIVE 

VII*  Méditation.  —  De  la  volonté  des  Anges  et 

de  leur  amour  naturel 452 

Les  Anges  ont  une  volonté  libre,  qui  a  pour  objet  :  — 
Dieu  aimé  par  dessus  toutes  choses  comme  auteur  de 
la  nature  —  le  prochain  qui  est  pour  eux  les  Anges. 

VIII®  Méditation.  —  De  la  puissance  motrice  des 

Anges  et  de  leur  mouvement 438 

Les  Anges  ont  le  pouvoir  de  se  mouvoir  eux-mêmes 
—  non  par  partie,   mais  selon  toute    leur  substance  — 
ils  ont  aussi  le  pouvoir  de  mouvoir  les  autres  substan-     • 
ces,  soit  spirituelles,  soit  corporelles. 

IX«  MéDiTATioN.  —  Du  temps,  du  lieu  et  de  la  fin 

de  la  création  des  Anges 465 

Les  Anges  ont  été  créés  en  même  temps  que  les  cieux 
et  la  terre  —  dans  le  ciel  —  pour  le  ciel,  c'est-à-dire 
pour  être  éternellement  heureux. 


Bergerac.  —  Imprimerie  Générale  du  Sud-Ouest  (J    Castanbt). 


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HISTOIRE  UNIVERSELLE 

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L'EGLISE  CATHOLIQUE 

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ROHRBACHER 

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PAR  LÉON   GAUTIER 

Professeur  à  l'Ecole  des  Chartes 

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Cette  édition  se  distingue  des  nombreuses  contrefaçons 
de  Rohrhacher  par  les  améliorations  suivantes  : 

1°  La  vérification  de  ses  citations  et  l'indication  des 
sources  omises  dans  les  autres  éditions  ; 

2°  La  Table  générale  méthodique  et  très  complète  de 
Léon,  Gautier  ; 

^<*  La  continuation  de  Chantrel  et  Dont  Cliamard; 

4°  Par  sa  beauté  typographique. 

Chaque  article  de  cette  table  est  divisé  en  paragraphes  pour 
rendre  les  recherches  plus  faciles. 

Tout  article  consacré  à  un  écrivain  est  divisé  en  deux  parties  : 
I»  Sa  vie;  a»  Ses  ouvrages,  et  donne  les  dates  de  sa  naissance  et  de  sa 
mort. 

Les  personnages  historiques  du  même  nom  ont  été  partagés  en 
plusieurs  séries. 

Les  articles  qui  traitent  de  la  théologie  ou  de  la  philosophie  de 
l'histoire  ont  été  l'objet  d'un  soin  particulier.  En  un  mot,  l'auteur  a 
voulu  que  sa  table  fût  comme  un  Dictionnaire  abrégé  de  l'Histoire 
ecclésiastique,  et,  au  dire  de  juges  très  compétents,  il  a  admirablement 
atteint  son  but. 

V ; 

Bergerac  —  Imprimerto  Générale  (J.  Castambt),  place  des  Deux-Conils. 


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3AIL,  Louis. 

La  Théologie  afiective, 


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