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ST. BASIUS SEMINARY
TORONTO, CANADA
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LA
THÉOLOGIE AFFECTIVE
ou
SAINT THOMAS
D'AQ.UIN
Médité en vue de la
PRÉDICATION
par LOUIS BAIL
Docteur en Théologie
NOUVELLE ÉDITION
REVUE ET ANNOTÉE AVEC LE PLUS GRAND SOIN, MISE EN FRANÇAIS MODERNH
ET EN HARMONIE
AVEC LES PLUS RÉCINTBS DÉCISIONS DE l'BGLISB
ET LES DERNIÈRES DÉCOUVERTES DE LA SCIENCE
par M. l'Abbé BOUGAL
Docteur en ThiJologie
T O M K PRE M I K R
Des attributs de Dieu. — De la Très
Sainte Trinité. — De§ Anges.
MONTREJEAU
(Haute-Garonne)
LIBRAIRIE J.-M. SOUBIRON, ÉDITEUR
Droits Je reproduction et de traduction réservés.
Digitized by the Internet Archive
in 2009 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/lathologieaffe01bail
LA
THÉOLOGIE AFFECTIVE
ou
SAINT THOMAS
D'AQUIN
EN MÉDITATIONS
PERMIS D'IMPRIMER
Toulouse, le i^'" décembre igoS.
E. F. TOUZET,
V. g.
SEP 1 1 1952
V Editeur se réserve tous les droits de reproduction
et de traduction.
Ce volume a été déposé conformément aux lois
en décembre 1903.
LA
THÉOLOGIE AFFECTIVE
ou
SAINT THOMAS
D'AQUIN
Médité en vue de la
PRÉDICATION
par LOUIS BAIL
Docteur en Théologie
N O U Y E L L K K D I T I QJS'
REVUE ET ANNOTEE AVEC LE PLUS GKAND SOIN, MISE EN FRANÇAIS MOOBKNS
ET EN HARMONIE
AVEC LES PLUS RECENTES DECISIONS DE l'RGLISE
ET LES DERNIÈRES DÉCOUVERTES DB LA SCIENCE
par Mi)i^AJ3it)!ەo^OUGAL
TOME PREMIER
Des attributs de Dieu. — De la Très
Sainte Trinité. — Des Anges.
LIBRAIRIE J.-M. SOUBIRON, ÉDITEUR
Droits de reproduction et de traduction réservés.
PRÉFACE
DE LA NOUVELLE ÉDITION
NOUS n'aimons pas les longs discours pré-
liminaires, et moins encore les discours
pro domo. Mais le lecteur, en ouvrant ce livre,
nous pose une double question à laquelle nous
avons le devoir de répondre. Il veut savoir quel
est le mérite de l'ouvrage que nous lui offrons
et quels sont les avantages que nous nous
sommes efforcé de réunir dans cette nouvelle
édition.
A la première question nous répondons que
nous avons cru et que des juges très compétents
dans cette matière ont cru comme nous, que
réimprimer la « Théologie ajfective » de Bail,
théologien français du xvii® siècle, serait rendre
un service signalé à tous les catholiques instruits
et pieux, mais avant tout au clergé voué au ser-
vice des paroisses. Il est incontestable que bien
peu délivres parmi la multitude de ceux que nous
offre dans ce genre, une presse toujours active,
traitent des vérités chrétiennes avec cette clarté,
cette sûreté de doctrine, cette méthode et cette
heureuse sobriété dans les développements qui
1) LA TKHOLOGIE AFFECTIVE
permettent au prêtre d'y puiser sans perte de
temps, la matière de solides instructions. Qui
pourrait encore se faire illusion sur le premier
devoir qui s'impose au prêtre de nos jours ?
Est-ce que le plus grand nombre ne blasphème
pas ce qu'il ignore ? Est-ce que, comme au temps
de Tertullien, ofi ne nous condamne pas sans
nous entendre f Combien de fois nos apologistes
n'ont-ils pas eu l'occasion de constater l'igno-
rance de nos dogmes et de notre morale même
chez des esprits catholiques, qui se distinguaient
par une remarquable culture intellectuelle ? Et
ce mal le plus redoutable de tous, ne va-t-il pas
s'aggravant chaque jour, depuis qu'une haine
du surnaturel très clairvoyante a mis à la porte
de l'école l'instruction religieuse, que même
dans nos établissements libres la nécessité de
venir à bout d'un programme surchargé a obligé
les maîtres, de restreindre le temps consacré
jadis, à l'étude de la première de toutes les
sciences et que la « lutte pour la vie » présente
oriente la jeunesse contemporaine de très bonne
heure, vers des études pratiques et utilitaires qui
lui ôtent le temps et le goût d'acquérir une
connaissance suffisante de leur foi et de leur vie
future? Avant toute autre chose, il importe donc
que le prêtre soit « tm professeur de doctrine
chrétienne » selon l'expression d'un savant
écrivain. Or, il trouvera ici cette doctrine, expo-
sée dans sa totalité, selon l'ordre adopté par
saint Thomas d'Aquin dans sa « Somme théolo-
gique // ; il la trouvera dégagée d'abord de toute
question purement métaphysique ou trop subtile
PRÉFACE DE LA NOUVELLE ÉDITIOxN iij
qui ne peut qu'absorber l'esprit au détriment du
cœur, démontrée par les arguments du Docteur
angélique, auxquels viennent s'ajouter des preu-
ves puisées chez les autres Docteurs et chez les
Pères de l'Eglise, mise en une lumière acces-
sible à tous par de saisissantes comparaisons,
couronnée enfin par des élévations de l'âme où
respire la plus exquise piété et par des résolu-
tions auxquelles le cœur se laisse d'autant plus
facilement entraîner qu'elles découlent logique-
ment de la vérité dogmatique déjà pleinement
maîtresse de l'esprit. Bossuet a dit : « On veut de
« la morale dans les sermons, et on a raison,
« pourvu qu'on entende que la morale chré-
« tienne est fondée sur les mystères du christia-
« nisme (i). C'est bien la morale telle que l'en-
tend Bossuet que nous offre la « Théologie 2> de
Bail : elle sort toute vivante et entraînante de la
vie de Dieu et des mystères de la vie de Jésus-
Christ proposée à notre imitation, par consé-
quent des entrailles mêmes du dogme : c'est
dans ces profondeurs seulement qu'elle a trouvé
son fondement le plus solide et le motif le plus
efficace pour déterminer le cœur humain,
malgré tant de sacrifices qu'elle en exige, à
embrasser la pratique du bien. Ajoutons que cet
ouvrage présente une triple utilité pour le prêtre:
il peut lui servir de Somme théologique, de
Somme de prédication et de Livre de méditation.
Répondons maintenant à la seconde question:
comment a été conçue cette nouvelle édition ?
Donner, pour ce qui est du fond, l'œuvre de
I. Discours sur l'unité de l'Eglise.
IV LA THEOLOGIE AFFECTIVE
Bail, telle qu'il l'a composée lui-même, en res-
pectant scrupuleusement sa pensée, tel a été
notre but. Pas plus que le dogme et la morale
catholique, dont elle n'est qu'un fidèle et métho-
dique exposé, cette œuvre n'a vieilli. Toutefois
il n'y a pas d'oeuvre humaine que le temps n'ait
fait paraître imparfaite, par le fait des heureux
progrès qu'il amène. La loi du progrès ou en
style moderne, de l'évolution, s'applique à la
fois aux sciences humaines et au dogme même,
mais d'une manière toute différente qu'il importe
de caractériser. Le plus souvent, les sciences
humaines progressent par la découverte de nou-
velles lois qui viennent désormais prendre la place
de systèmes faux et d'hypothèses gratuites tenues
pour vraies jusqu'à ce jour, tandis que le dogme
soumis à l'évolution comme toute forme de vie,
n'a cependant jamais rien à sacrifier. Il évolue
à la manière de tout être vivant, en qui A. Comte
reconnaissait avec raison un double principe :
un principe « statique », principe de persévé-
rance dans l'être initial, et un principe « dyna-
mique », principe de progrès par le développe-
ment et l'application d'une force interne.
A ces deux points de vue, la « Théologie affec-
tive » est en retard et appelle des modifications
nécessaires. Nous n'avons pas manqué de les
faire dans cette nouvelle édition, en citant
toutes les fois qu'il y avait lieu, les définitions
de l'Eglise. Toutefois ces corrections qui s'im-
posaient n'ont jamais été faites sur le texte
même de l'auteur, mais en note, au bas de la
page. En adoptant ce système, nous avons tenu
PRÉFACE DE LA NOUVELLE ÉDITION V
compte de cette soif du vrai et de l'exactitude,
qui se manifeste de nos jours d'une manière si
intense dans tous les domaines de l'esprit, dans
celui des sciences et des arts comme dans celui
de la littérature et de l'histoire, et qui n'est
satisfaite que lorsque tout essai de reconstitution
du passé est sincère et qu'il donne une des
meilleures preuves de sincérité, en respectant
dans l'œuvre qu'il prétend faire revivre sous nos
yeux tout, jusqu'à ses défauts. Nous avons le
droit d'affirmer que sous ce rapport déjà, l'édi-
tion nouvelle se distinguera profondément de
celle du Mans, parue en 1857, où nous avons
très fréquemment constaté de regrettables muti-
lations infligées au texte même : presque à
chaque page nous avons relevé des suppres-
sions de phrases entières, d'arguments et
même des termes théologiques, dont l'auteur
s'est servi, avec une grande discrétion d'ailleurs,
pour préciser ou résumer la doctrine de tout un
point de méditation ; nous y avons aussi relevé
ce qu'on pourrait qualifier de faux en matière
littéraire, c'est-à-dire des corrections dans le
texte, ayant pour but de modifier les opinions
scientifiques, ou même ce qui, dans l'espèce,
nous paraît plus grave, les opinions théologiques
de l'auteur.
Nous devons cependant prévenir qu'à la règle
que nous nous sommes imposée, de donner Bail
et rien que Bail, une exception, mais une seule
a été faite. Une partie, une très faible partie de
sa Théologie, l'œuvre des sixjours, était devenue
presque entièrement caduque ; une rectification
T) LA THEOLOGIE AFFECTIVE
au bas de la page n'aurait pas suffi. Les si impor-
tants progrès accomplis depuis le xvii*' siècle par
les sciences cosmologiques et par l'exégèse nous
ont obligé à refaire ces 5 ou 6 méditations. Le
lecteur est donc averti : ces quelques pages sur
la création sont notre œuvre, mais l'œuvre d'un
disciple, qui quelquefois emprunte la pensée du
maître, qui s'en impire toujours et respecte
jusqu'aux divisions et au cadre adoptés par lui.
Si le fond a été, sauf cette exception unique,
scrupuleusement conservé, il a fallu modifier
sérieusement la forme. Bien peu aujourd'hui
auraient le courage de lire l'ouvrage dans le
style lourd, obscur et souvent peu intelligible,
où il a été écrit. Aussi bien il n'y avait aucun
avantage à conserver un français, qui n'a rien de
commun avec celui de saint François de Sales,
un contemporain cependant. Bail fut un savant
et pieux théologien, mais nous ne lui décerne-
rons pas le titre de littérateur. Néanmoins
fidèle encore ici à notre principe essentielle-
ment conservateur, nous avons respecté certains
mots pittoresques, quelques images très expres-
sives qui se rencontrent ça et Jà, et même d'une
manière générale, comme tout traducteur qui se
rend très esclave de la pensée de l'auteur, nous
avons dû être aussi jusqu'à un certain point
esclave de son style.
Disons encore que nous avons fait précéder
chaque méditation d'un sommaire^ qui en donne
les divisions et quelquefois les subdivisions en
deux ou trois lignes.
Nous désirons enfin faire une double rectifica-
PRÉFACE DE LA NOUVELLE ÉDITION rij
tion à laquelle donne lieu l'ouvrage dans un
grand nombre de passages : elle trouvera plus
naturellement sa place ici, que dans des notes.
Saint Denys y est fréquemment cité comme
l'auteur des traités « de la Hiérarchie céleste^
« de la Hiérarchie ecclésiastique » ou « des
« Noms divins. » Or, il semble aujourd'hui bien
démontré que ces divers traités ne sont pas
l'œuvre de saint Denys, l'aréopagite, disciple de
saint Paul et premier évêque d'Athènes (i).
Voici la conclusion du P. de Smedt (2) : « Le
« P. Stiglmayr, dit-il, regarde celte question,
« comme bien définitivement tranchée dans le
« sens de la négative, et nous partageons tout-à-
« fait son avis à cet égard. » Selon toute vrai-
semblance ces écrits doivent être attribués à un
auteur du v^ siècle. Néanmoins, ils ont une très
grande valeur ; ils ont servi de base à la théolo-
gie mystique, « ils justifient encore toutes les
« admirations et gardent leur multiple uti-
« lité » (3).
Notre seconde remarque a trait au système
cosmogonique de l'auteur, qui est aussi celui que
les savants eux-mêmes ont admis jusqu'à Coper-
nic. En voici le résumé (4) : Le ciel est considéré
comme une sphère creuse concentrique à la terre
et tournant autour d'elle. Comme les planètes et
les étoiles n'exécutaient pas leur mouvement de
la même manière, il fallut admettre plusieurs
I. Goschler. Die t. Théol. au mot Denjs l'aréopagite,
3. Cité par le P. de Grandmaison, dans les Etudes des Pères de la
C. de /,, numéro du 5 janv. 1897.
3. Ibidem,
4. Faye, Origine du Monde, Introd.
Bail, t. i. h
VU) LA THEOLOGIE AFFECTIVE
cieux. On imagina d'abord le ciel empyrée, ou la
sphère suprême à laquelle on fixa les étoiles
qu'elle emporte dans son mouvement, et puis
entre elle et la terre sept autres sphères, corres-
pondant aux planètes connues des anciens. Le
soleil et la lune étaient comptés au nombre des
astres errants. La sphère étoilée reçoit du pre-
mier moteur un mouvement uniforme et inces-
sant qu'elle communique à toutes les autres.
Telle était l'ancienne cosmologie, depuis long-
temps condamnée par la science et qui a servi de
base à la théologie des anciens. Il suffira d'obser-
ver ici que la doctrine catholique ne peut rece-
voir aucun dommage de la disparition de ces
faux systèmes ; elle s'adapte au moins aussi
bien à la théorie du soleil, centre de notre
monde planétaire et à la conception qui nous
représente l'univers comme un composé de
milliers de mondes semblables au nôtre (i).
Voici une notice biographique sur Bail (i).
Louis Bail, (1610-1669), théologien français,
naquit à Abbeville. Il fut docteur en Sorbonne,
curé de Montmartre et sous-pénitencier de Paris.
On sait de lui qu'il prit la défense des jésuites
contre Pascal et que dans un de ses ouvrages
intitulé « De heneficio crucis », il combattit les
erreurs de Jansénius. Il a publié les ouvrages
suivants : « De triplici examine ordinandorum^
« confessorum et pœnitentium » ; « Summa
€ Conciliortim » ; « Sapientia forts prœdicans »,
I. Cf. La conception scientifique de l'univers et le dogme catholique,
par le P. Constant.
I, Cf. Koefer, Biogr., Paris, Didot, 1863 ; Lelong, Biblioth. Fr.;
Michaud, Mureri, Fellcr.
PRÉFACE DE LA NOUVELLE ÉDITION IX
OÙ il raconte la vie des plus célèbres prédicateurs
et détermine le genre dans lequel ils ont excellé;
« De heneficio crucis » ; « la Théologie affec-
tive ».
L'Abbé R. BouGAL.
Varen (Tarn-et-Garonne), le 9 août,
jour du couronnement de sa Sainteté Pie X.
PRÉFACE DE L^AUTEUR
(I)
CE que Dieu commanda à Isaïe de prendre un
grand livre et y écrire d'un style d'homme :
Sume tibi lihrum grandem, et scribe in eo stylo Jwminis ;
se pratique tous les jours parmi les écrivains ecclésias-
tiques qui entreprennent de hauts et sublimes traités,
avec un style qui est plutôt selon la portée de leur
esprit, que selon le mérite de leur sujet. Et c'est ce que
nous faisons maintenant, commençant à méditer sur les
attributs divins et la très sainte Trinité, et continuant
ensuite sur toutes les parties de la science divine de la
Théologie, avec un style vraiment humain, n'étant
point tant requis que les paroles soient sublimes et
ravissent les esprits, où ils sont assez élevés par la hau-
teur de l'objet qui leur est proposé.
En cette entreprise, j'ai cru suivre la pensée du Pro-
phète selon le coeur de Dieu, qui a plus entendu de
vérités que les autres, lequel, dans les derniers ensei-
gnements qu'il donne aux mortels (afin qu'ils s'en
ressouviennent mieux, puisque c'est une chose propre
aux hommes d'avoir plus de révérence aux dernières
paroles des autres), dit qu'ils louent Dieu selon la mul-
titude de sa grandeur : Laïuiatc Douiinum secnudnm
multitudinen tnagniindinis ejus ; à quoi il est requis
d'avoir une grande connaissance des attributs de l'Es-
sence divine, des propriétés des personnes subsistantes
I. La Préface a été conservée sans aucun changement.
PRÉFACE DE l'aUTEUR
en cette unique essence et de leurs grandeurs. Car une
âme qui en a plus de connaissance est plus capable
de l'honorer ; ainsi que ceux qui reconnaissent mieux
les titres et qualités de quelque puissant seigneur qui
possède plusieurs terres, plusieurs empires et royaumes
sont mieux disposés par cette connaissance, à lui rendre
en tout les honneurs qui lui appartiennent, que ceux
qui en sont moins instruits. Qui est, peut-être, la raison
pour laquelle saint Grégoire de Nazianze, qui, le
premier après saint Jean l'Evangéliste, a été surnommé
le Théologien, ne trouvait rien de semblable à une
âme remplie de bonnes connaissances. Il n'y a rien
devant Dieu, disait-il, si grand et magnifique, qu'une
doctrine pure, et une âme qui est instruite et perfec-
tionnée dans les maximes de la vérité.
Cette considération fait qu'il est très important que
ceux ou celles qui aspirent à une plus grande perfection
et qui désirent rendre plus d'honneur à Dieu, s'éclair-
cissent un peu davantage dans la connaissance de son
être, afin de le pouvoir honorer en plus de titres qu'il
leur sera possible et non seulement selon les perfec-
tions manifestées à tout le monde, mais aussi selon
celles qui sont les plus recelées en son essence, qui
méritent autant les élévations de l'esprit, les soumis-
sions et affections de la volonté, et les profondes ado-
rations de l'une et l'autre, que celles qui sont les plus
évidentes et connues. Car, par ce moyen, laissant
moins de choses qui sont en lui sans honneur, elles le
louent mieux en la multitude de sa grandeur, et par
elles s'accomplit ce que chante l'Eglise, qu'en la louange
de la vraie et éternelle Déité, la propriété soit adorée
dans les personnes, l'unité dans l'essence et l'égalité
dans la majesté et grandeur.
En ce dessein, 1 étude de la Théologie donne de très
grands avantages aux âmes qui en veulent faire bon
usage. Car, outre qu'elle les incite à l'amour de Dieu
Xij LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
par la découverte de ses plus rares perfections qui le
font avouer infiniment aimable, et leur donne encore
sujet de le louer en la multitude de sa grandeur, la
leur exposant devant les yeux et leur fournissant plus
d'objets adorables. C'est pourquoi la Théologie est un
puissant moyen de perfectionner des âmes. Et ce n'est pas
merveille, si les Pères et Docteurs de l'Eglise ont été de
si grands serviteurs de Dieu ; si saint Paul est devenu
divin, saint Thomas angélique, et saint Bonaventure
séraphique, étant éclairés des lumières et embrasés des
ardeurs qui rejaillissaient en leurs âmes par cette
science divine, qui partant leur a acquis des auréoles
et des palmes des plus glorieuses du Paradis, pour
avoir plus honoré les perfections de Dieu, qui leur ont
été plus connues.
Or, afin que le bien qu'ils en ont reçu se dérive aux
autres, il faut que la Théologie ne soit point purement
spéculative, mais qu'elle soit tout ensemble spéculative
et pratique, comme l'estime saint Thomas, ou bien pour
le dire proprement, et comme l'estiment, selon l'opi-
nion célèbre d'Albert-le-Grand, qui l'enseigne plus
expressément, saint Bonaventure, Gilles, Romain, Scot,
dit le docteur subtil et Gerson, quatre illustres orne-
ments de la sacrée Faculté de Paris, qu'elle soit affec-
tive, pour nous rendre meilleurs, en sorte que par son
moyen Dieu soit connu par l'esprit et par la volonté ;
par l'esprit qui est propre à connaître, et par la volonté
qui goûte et savoure Dieu en Taimant pour le connaître
à sa façon ; puisque goûter et savourer une chose est
autant la connaître que la regarder.
C'est pourquoi le Prophète Royal met l'un et l'autre
ensemble : Gusiafe, et videte, quoniam suavis Domirtus,
goûtez, et voyez que Dieu est suave ; car il y en a qui
se contentent de voir seulement et de considérer les
attributs de Dieu, étant satisfaits d'en pouvoir parler et
discourir, sans qu'ils s'excitent à aucune affection envers
PRÉFACE DE l'aUTEUR xilj
lui. Et d'autres, au contraire, ne demandent autre chose
que de l'aimer, sans beaucoup se soucier de savoir par
le menu ses noblesses et perfections : tellement que les
uns voient sans goûter, et les autres goûtent sans voir,
et tous deux manquent en quelque chose, et ne sont
pas ce que conseille le Prophète selon le cœur de Dieu :
Goutei et voye:{ que Dieu est suave. Mais il y en a
d'autres qui joignent heureusement les deux ensemble,
au moyen d'une Théologie mystique et affective, qui
leur donne une double connaissance de Dieu, par l'illu-
mination de l'esprit, et par le goût de la volonté. Sur
quoi saint Bernard, portant son avis, dit : Luire seule-
ment, est une chose vaine ; ardre seulement, c'est peu ;
mais luire et ardre, est chose parfaite, voulant dire que
la perfection consiste à voir et goûter, et avoir des con-
sidérations et des affections ensemble, qui est le propre
de la Théologie affective. Et le même dit encore que la
connaissance et l'amour sont les deux ailes des Séra-
phins, par lesquelles ils sont ravis à celui qui est dans
le trône au-dessus d'eux, et que l'aile seule de la con-
naissance soulage bien ; mais ne suffit pas, parce que
celui qui ne vole que d'une aile tombe bientôt, et plus
il s'élève, plus il se blesse en tombant. Mais, où la cha-
rité accompagne l'intelligence, et la dévotion la con-
naissance, qu'il vole tant qu'il voudra, il est en assu-
rance, car il vole dans l'éternité.
C'est pourquoi cette théologie ne doit pas être esti-
mée inutile et superflue, puisque les profits qu'elle
apporte sont si notables, et la perfection qu'elle cause
si relevée et si éminente. Je Tai aimée pour ce sujet, et
souhaitant ardemment qu'elle fût rendue plus com-
mune, je l'expose le plus entièrement qu'il m'a semblé
convenable pour un discours vulgaire, suivant plus
ordinairement la doctrine de saint Thomas, comme
ayant été jugée la plus solide, sans toutefois me priver
de la liberté de m'en départir quelquefois, pour suivre
Xiv LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
quelques opinions du Docteur subtil, et de quelques
autres, où ils m'ont semblé mieux raisonner, et être
plus véritables ; car jamais un homme seul n'a réussi en
tout au fait des sciences. J'observe aussi à peu près l'or-
dre qu'il a gardé en sa Somme théologique, ayant appris,
il y a longtemps, que les livres les mieux ordonnés sont
ceux des Eléments d'Euclide, pour les Mathématiques,
et la Somme de ce saint Docteur pour la Théologie.
Au reste, je ne suis pas si éloigné de la raison, que je
n'entende bien que la Théologie, selon qu'elle est trai-
tée par les Docteurs scolastiques, ne doit pas être ren-
due familière à tout le monde, car il n'appartient qu'aux
esprits de feu, et aux esprits plus forts et plus divins,
d'atteindre à cette science subtile et relevée ; c'est
pourquoi j'ai usé ici de précaution, et en ai retranché
en la plupart des matières, les questions et les preuves
trop épineuses et scolastiques, avec le récit des diverses
opinions des Docteurs sur plusieurs difficultés.
Et quoique la connaissance de ces opinions fasse une
grande partie de la doctrine, qui consiste grandement à
savoir ce qu'ont estimé les autres, toutefois elles enflent
et remplissent trop ses traités. Je m'abstiens aussi de la
plupart des objections pour ne point émouvoir de diffi-
cultés dans les âmes, et ne point élever d'humeurs de
la terre qui ne se puissent visiblement dissiper. Au lieu
de quoi je mets en avant plusieurs points de moralité,
et des affections et résolutions très aisées à comprendre
en la fin de chaque considération.
Que si la suite des sujets m'a obligé à quelques Médi-
tations, qui paraîtront trop doctes et difficiles à aucuns,
il m'a semblé que l'on ne doit point trouver étrange,
dans le cours d'un long voyage de rencontrer quelques
passages un peu scabreux, ou dans le détroit d'une
vallée, ou sur le montant d'une colline, ou en quelque
lieu marécageux. Qu'il n'est point requis que tout ce
qui s'écrit des mystères de la Foi, soit entendu de tou-
PRÉFACE DE l'aUTEUR XV
tes sortes d'esprits puisqu'il est vrai qu'ils gardent mieux
leur majesté, et sont plus vénérables, parce qu'ils sont
un peu plus obscurs.
Personne, dit saint Augustin, n'a parlé de telle sorte,
que tout le monde l'eût bien entendu en tout. Finale-
lement, si les premiers ou les seconds points y sont
difficiles, le troisième est plus moral, et les affections
et résolutions, qui font une bonne partie des médita-
tions, y sont sans aucune difficulté. Pour le reste, qui y
est en beaucoup plus grand nombre, il est exempt de
ce reproche ; car la doctrine ne surpasse les esprits
communs que d'un excès, qui, pouvant se surmonter
avec un peu d'effort est capable de donner quelque
exercice et occupation à l'esprit, lequel, s'il est tant soit
peu généreux, se plaît davantage en une lecture qui
peut aucunement exercer sa force par sa solidité.
Même les vierges plus prudentes ont fait un grand
progrès en semblables sujets. Comme sainte Claire, qui
se plaisait davantage aux plus doctes sermons, croyant
trouver un noyau doux et agréable sous une dure coque
de paroles ; et qu'il n'y avait pas moins de prudence de
cueillir des fleurs sur les branches d'une épine, que de
manger du fruit d'un bon arbre. Et en nos jours une
digne abbesse décédée en réputation de sainteté, prenait
quelque article de saint Thomas, duquel elle entendait
bien la langue latine, pour en faire le point ordinaire de
son Oraison Mentale. Sur tous les bons livres, dit l'au-
teur de sa vie, elle lisait et admirait tout ensemble le
docteur angélique saint Thomas, et disait qu'elle s'éton-
nait que les Théologiens n'étaient tous saints, vu que
saint Thomas leur avait préparé des sujets de médita-
tions si riches, sublimes et relevés, s'il en fut jamais ;
elle s'étonnait de la fécondité de l'esprit de ce grand
sainte et des richesses de ses écrits. Aux Avents et
Carêmes, d'ordinaire elle donnait des sujets de médita-
tions à ses filles conformes au temps.
XVJ LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Pour l'Avent, la troisième partie de saint Thomas lui
en fournissaient de très riches, et son esprit agençait si
bien toutes choses, que ses filles l'admiraient et s'ani-
maient à la poursuite de la perfection, à la mortifica-
tion, anéantissement, épurement de toutes choses,
voyant par les pensées sublimes de leur Mère, l'amour,
la pauvreté et anéantissement d'un Dieu incarné.
Que si la Théologie toute crue et avec sa rudesse,
était ainsi maniée par une femme, et rendue pro-
pre à faire Oraison, combien plus le doit être cette
Théologie affective, traitée avec une méthode qui la
rend aisée autant qu'elle est relevée. Et en tout cas, je
n'ai pas dû laisser de dire des choses hautes de Dieu et
de ses mystères, pour quelques esprits bas et rampants.
Pourquoi en priverai-je à leur sujet les bonnes âmes,
qui tireront beaucoup d'éclaircissement et d'embrase-
ment de ce présent livre, comme par la grâce de Dieu
plusieurs ont déjà fait, et continuent tous les jours de le
faire ?
Nous citons volontiers les auteurs de remarque, tant
anciens que modernes, desquels nous avons emprunté,
ou nos pensées, ou leur confirmation, afin que leur
crédit supplée au défaut du nôtre, et que quelques-uns
ne fassent point de difficulté de nous prêter un peu de
leur temps, qui leur est plus cher que l'or, puisque
nous leurs fournissons de bons répondants de nos paro-
les. Et puis, il est plus séant à la modestie chrétienne,
de ne se point taire soi-même l'auteur et l'origine de ses
pensées ; mais d'en rendre l'honneur à ceux à qui elles
appartiennent, comme en ont lait souvent même les
Pères de l'Eglise. Enfin, il en est de la vérité comme du
bon droit, elle a besoin de quelque recommandation,
pour être mieux reçue des esprits.
Après tous ces avis, si quelqu'un demeure entiè-
rement satisfait que je fasse servir la Théologie scolas-
tique et la Théologie mystique n'en faisant qu'une des
PRÉFACE DE l'aUTEUR VxiJ
deux, enrichissant Tune comme des dépouilles de l'au-
tre, je le prie humblement de jeter la vue sur l'opus-
cule qu'a écrit saint Thomas, De divinis morihus ; sur
les contemplations et méditations d'Alvarez ; sur les
livres de Lessius, De perfectionihus divinis ; sur ceux du
cardinal de Bérulle^ qui ne seront jamais assez lus et
loués ; sur les Méditations théologiques de Malderus,
docteur de Louvain et évéque d'Angers, et finalement
sur ce qu'en écrit en son introduction à la Méditation,
le Père du Pont, auteur des mieux entendus aux Médi-
tations, où il dit en termes exprès, que la Théologie
mystique est fondée en l'exacte vérité de la scolastique,
et que saint Thomas, avec la vérité de la Théologie
scolastique touche de très hautes pensées et sentiments
de la mystique, qui sont comme sœurs germaines.
Il est vrai pourtant qu'il commence par des matières
très élevées, c'est pourquoi, pour se bien fonder en une
bonne et sainte vie, il faut commencer par la connais-
sance et par l'amour de la dernière fin, qui n'est autre
chose que Dieu, ou la Très Sainte Trinité ; car, nous
sommes créées pour l'aimer, l'honorer et le servir ; à
quoi il est besoin, avant toutes choses, de la bien con-
naître, et de former des résolutions de se donner entiè-
rement à son amour et à son service ; car ensuite on
vient à exécuter les moyens de l'aimer et la servir, qui
sont de bien régler et former ses actions, de bien obéir
aux lois, de bien user de sa grâce, de pratiquer solide-
ment les vertus, de chérir uniquement Jésus-Christ et
la Sainte-Vierge, de participer dignement aux Sacre-
ments, et se préparer à une bonne mort. Or, c'est tout
l'ordre de la Théologie : elle commence par les choses
les plus hautes, pour nous faire connaître Dieu, qui est
notre dernière fin, et pour nous le faire souhaiter, et de
là elle passe aux moyens propres à le servir. Pour ce
sujet, la première partie traite des perfections très
éminentes, ou des attributs de Dieu, et des personnes
XVlij LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
adorables de la Trinité. Et afin de le faire mieux con-
naître, après qu'elle l'a considéré en soi-même dans le
premier traité des attributs ou elle l'a regardé comme
en la face de son essence, le plus directement qu'il lui
a été convenable pour le temps présent, elle le consi-
dère dans les traités suivants, dans ses images, ses ves-
tiges ou ses effets, qui sont les créatures. Et après que
dans les contemplations de la Sainte Trinité, elle a
considéré ses productions immanentes, qui demeurent
recelées dans le fond de son Essence, elle considère ses
productions de dehors dans la création des Anges, du
grand monde corporel, et du petit monde, composé de
corps et d'esprit, qui est l'homme, auquel, par ce
moyen, elle facilite la connaissance de Dieu ; car il est
plus aisé en cette vie de connaître Dieu en ses créatures,
que de le connaître en lui-même. Ainsi qu'il est plus
aisé de regarder le soleil dans l'eau d'une fontaine, où
il imprime son visage, sans cette abondance de lumière
qui éblouit les yeux que de le regarder en lui-même, et
s'exposer, comme l'aigle qui a pris son essor à ses
ardents rayons.
Aussi les créatures sagement considérées, sont des
échelons pour s'approcher de Dieu, selon qu'en parle
l'Apôtre par excellence : Invisiblia Dei per ea, qriœ
fada sjint, intellecta conspiciunlur, sempitcrna quoqiie
ejus virtîts et diviniias . Les perfections invisibles de Dieu
sont rendues manifestes par les choses qui sont crées,
et sa vertu éternelle et sa divinité.
Ce qui est vrai, principalement quand le dessein est
de les méditer plutôt par étude et désir de s'élever à
Dieu par leur moyen que par une vaine et inutile curio-
sité de connaître ce qui ne profite de rien ; car il y a
différence entre être curieux et studieux, comme a
remarqué saint Augustin ; et autant que les curieux sont
à blâmer, autant les studieux sont à estimer, qui cher-
chent seulement dans le livre des créatures, ce qui les
PRÉFACE DE l'auteur xÎx
regarde pour leur salut, et ce qui leur peut servir pour
une plus claire reconnaissance et un plus grand amour
de Dieu.
Ainsi il a été lui-même studieux sans curiosité, quand
souventes fois il se portait à Dieu par la méditation de
ses œuvres et de ses créatures, auxquelles il demandait
des nouvelles du créateur, comme il assure qu'il en eût
demandé instamment à Moïse de la création, s'il l'eût
tenu présent. Ainsi la Sainte Epouse du Cantique va
courante et vagabonde par les rues et carrefours de la
cité de ce monde ; mais seulement pour dire à ceux
qu'elle rencontre : N'avez-vous pas vu celui pour qui
mon âme soupire? Num qucm diligit aui/na mea vidistis?
Et combien que la considération de Dieu seul soit
beaucoup plus excellente et relevée que celle de ses
ouvrages et de ses images, soit des anges, soit des
hommes, toutefois les théologiens mystiques donnent
cet avis, qu'il faut délaisser pour un temps l'exercice de
l'intraction et introversion en Dieu, par quelque extro-
version et application aux choses créées, qui puissent
pourtant porter à lui.
C'est, disent-ils, pour soulager l'infirmité de notre
esprit, qui ne peut porter la continue de cette vigou-
reuse attention à Dieu seul, parce que ne se manifestant
pas aux âmes en sa beauté, comme il fait dans le Ciel à
l'endroit des bienheureux, elles se relâchent et se rebu-
tent d'une considération si arrêtée, si quelquefois elles
n'ont congé de sortir au dehors pour se fortifier un peu
dans le repos, par un saint divertissement, à la vue des
riches pièces qui embellissent sa maison. Ils ajoutent
qu'en ce faisant, l'esprit imite les abeilles, qui sortent
parfois de leurs ruches, et volent ça et là sur les fleurs
de la campagne, pour se charger d'un nouveau miel, et ,^
revoler en leurs ruches avec cette charge. Car, ainsi ^^j{;<
l'esprit illuminé de la raison, et éclairé de la lumière de ^^'^f4
la foi, considérant les œuvres de Dieu, y trouve des rai- /^tvM
XX LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sons qui le persuadent de s'envoler à lui, et y rencontre
des motifs qui le rejettent bientôt devers lui, tellement
que son divertissement n'est que d'une petite durée, et
sert à affermir son recueillement.
Or, j'avoue en ceci qu'entre toutes les œuvres de
Dieu, celle de l'Incarnation, et de l'Homme-Dieu Jésus-
Christ, méritent la préférence ; car il y a beaucoup
d'édification à considérer la chambrette de Nazareth,
l'étable de Bethléem, le temple magnifique de la sainte
cité de Jérusalem, et toutes les choses qui s'y passent ;
comme aussi d'élever les yeux de sa pensée sur les
montagnes de Thabor, de Calvaire etd'Olivet; enfin, de
repenser souvent à tous les mystères d'une humanité
sacro-sainte, et relevée éminemment au-dessus de toute
dignité, par son union personnelle avec le Verbe divin.
Néanmoins comme la bonté de Dieu, quoique infinie,
n'empêche pas la bonté des créatures, qu'il trouva
lui-même très bonnes -, aussi l'excellence des Médita-
tions des œuvres de l'Incarnation, n'empêche point
l'excellence des Méditations des œuvres de la création,
comme est des Anges, de l'Œuvre des six jours, et de
l'état du premier homme, non plus que l'excellence des
Méditations des perfections de la divinité, ne préjudicie
pas à celle des œuvres de l'humanité. Et même comme
les œuvres de la création tiennent un peu plus du natu-
rel que les œuvres de l'Incarnation, elles ont souvent
des attraits plus conformes à nos esprits, pour les
gagner à Dieu plus suavement, et les y porter avec
moins de violence. C'est pourquoi il est très utile de s'y
adonner à l'imitation de plusieurs saints personnages,
entre lesquels saint Antoine faisait état de tout ce
grand monde comme de son livre, où il trouvait des
sujets de ses Méditations et entretiens spirituels pour
se laisser ravir à Dieu par leur considération.
J'en dirais davantage, si je n'avais crainte que l'on me
voulût imputer de louer mon travail ; ce qui est très
PRÉFACE DE L AUTEUR XXJ
éloigné de ma pensée, sachant bien que l'ayant achevé
parmi beaucoup d'occupations, il n'aura point tout l'or-
nement et la politesse que l'on demande en ce siècle ;
de quoi je ne veux point faire excuse, sachant bien que
les paroles oiseuses doivent être examinées au juge-
ment, non seulement celles qui seront prononcées de
vive voix, mais aussi celles qui seront écrites ou impri-
mées. C'est pourquoi ce m'est assez que les âmes y
remarquent plus de solidité que d'afféteries, et plus de
vérités édifiantes au bien, que de subtilités et de super-
fluités de paroles, qui ne sont point si propres à traiter
de grands sujets : mais plutôt jettent facilement les
écrivains dans quelque erreur, lorsque, pour accom-
moder une période, et être plus diserts et éloquents, ils
d'sent plus de mots qu'il ne faut, sous lesquels souvent
la fausseté se glisse. Laquelle, comme nous nous som-
mes efforcés de tout notre possible d'éloigner de ce
présent ouvrage, aussi sommes-nous résolus de ne la point
soutenir, si par telle occasion que ce fût, elle avait pris
quelque place de la vérité, soumettant cet écrit avec
loute humilité au jugement et à la correction de la
sainte Eglise catholique, apostolique et romaine, laquelle
est la Colonne et le Firmament de la vérité.
LA
THÉOLOGIE AFFECTIVE
ou
SAINT THOMAS
EN MÉDITATIONS
Prima Pars juxta Sanctum Thomam.
PREMIER TRAITÉ
Des Attributs de Dieu
De la Théologie affective en général
r MÉDITATION
DE DIEU
SOMMAIRE
Lignorance des choses divines, source de tous
les péchés. — Remède de ce mal, V étude de la
Théologie affective. — La pureté, condition
nécessaire pour V étude de la Théologie affec-
tive.
I
LA source féconde des misères et des langueurs
spirituelles, celle de tant de péchés qui souil-
lent les âmes, est chez les uns l'ignorance, chez
les autres le peu d'attention qu'ils accordent aux
Bail, t. i. X
LA THEOLOGIE AFFECTIVE
choses de Dieu. L'Esprit saint le déclare dans le
livre de la Sagesse : « Ils sont vains les hommes
à qui manque la science de Dieu... » (Sag. i3) ;
vaines sont leurs pensées, vaines leurs paroles,
vaines leurs œuvres ; elles sont plus que vaines,
dignes de pitié ; car privés de ceite science, tout ce
qu'ils pensent, tout ce qu'ils disent et tout ce qu'ils
font est inutile. En voici la raison : pour aimer
Dieu et les choses divines il faut avant tout les
connaître. Qui peut aimer un objet qu'il ignore ?
Un tel objet n'est-il pas pour lui comme s'il n'exis-
tait pas ? En effet entre l'intelligence et la volonté
comme entre les actes de ces deux facultés, il y a
une dépendance en vertu de laquelle il appartient
à l'intelligence de diriger et à la volonté de rece-
voir cette direction ; la volonté est semblable à un
aveugle et a besoin d'un guide clairvoyant. Il faut
donc que l'intelligence perçoive d'abord les choses
divines ; elle imprimera ensuite à la volonté le
mouvement vers l'objet perçu. Si l'esprit est
dépourvu de clarté, la volonté est sans amour de
Dieu et par conséquent privée de tout bien spiri-
tuel. Que dis-je ? Elle est accablée de tous les
maux les plus atfreux, comme l'est toute àme en
qui ne réside pas l'amour de Dieu. J'ajoute que de
semblables maux sont à craindre même pour
celui dont l'esprit est orné d'une vaste science,
mais qui se distrait à considérer d'autres objets et
qui refuse son attention aux choses divines. N'est-
elle pas inutile cette science dont l'esprit se
détourne ? C'est ce qui arrachait à Jérémie cette
plainte : « Une inexprimable désolation remplit
« la tcrrcy parce que personne ne rentre en lui-
DÉS AttRIBÙTS DÉ DIEU
« même et ne réfléchit... » (Jér. 12). Ainsi donc,
avoir montré le chemin, avoir éclairé l'entrée de
la voie en faveur de ceux qui marchent au milieu
d'une nuit obscure, ne suffit pas ; il faut que le
flambeau ne cesse de briller devant eux : à cette
condition ils ne s'égareront point, n'iront pas droit
aux précipices. Pour que la volonté chemine cons-
tamment dans le droit sentier de la vertu et ne
tombe pas dans le péché, l'esprit doit sans cesse
l'éclairer en portant le flambeau devant elle ; sa
pensée doit être fixée sur les choses divines, y
réfléchir, les méditer jour et nuit.
Ce premier point est incontestable. Pourquoi,
hélas ! demeurer plus longtemps dans mon aveu-
glement et dans mon ignorance ? Pourquoi ne pas
faire effort pour chasser cette coupable et désas-
treuse ignorance, source de tant de maux ? Pour-
quoi languir dans cet assoupissement sans songer
à lever les yeux vers le ciel, à fixer le regard de
mon esprit sur les choses célestes et divines ?
Faut-il que je n'aie d'intelligence que pour les
choses terrestres, que je n'occupe mon âme que
des affaires du monde ? O mon Dieu ! Je vois bien
l'origine de mon mal, devant vous je reconnais
ma faute : daignez me la pardonner et m'enseigner
le moyen de m'en guérir parfaitement.
II
En second lieu, considérez quel est le remède de
cette ignorance et de ce défaut d'attention : il con-
siste dans l'étude de la Théologie affective ; c'est
elle qui illumine l'intelligence d'une manière salu-
LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
taire et qui enflamme la volonté de saintes affec-
tions pour les choses divines.
La première partie de cette Théologie fait con-
naître à l'homme les attributs de Dieu, le mystère
de la sainte Trinité, la vie des anges et les oeuvres
de la création.
La deuxième partie lui enseigne la fin pour
laquelle il a été créé, les actes humains, les lois,
les effets de la grâce, l'excellence des vertus Théo-
logales et des vertus cardinales : elle lui fait aussi
connaître ce qu'est l'état religieux ou l'état de
perfection qui doit être considéré comme un
moyen pour arriver à cette fin.
La troisième partie lui montre l'Incarnation et
la vie admirable de Jésus et de Marie. Elle lui
explique tout ce qu'il y a de mystérieux dans les
sacrements et elle couronne cet enseignement en
traitant de la résurrection générale et du jugement
des bons et des méchants.
Y a-t-il au monde une science aussi excellente ?
une science dont l'objet soit aussi grand, aussi
sublime ? Toutefois la Théologie a un avantage
plus précieux encore, c'est que, pour nous ins-
truire de toutes ces grandes vérités, elle suit une
voie plus élevée et plus certaine qu'aucune science
humaine ; car ses conclusions et ses enseignements,
ou bien elle les fonde sur des articles de foi dont
nul ne peut douter, ou bien elle les déduit, partie i
C^>^ des vérités de foi, partie des raisons naturelles. 1
Son objet principal, nous dit excellemment Albert
le Grand (i), celui auquel elle rapporte tout autre
objet qu'elle étudie, c'est Dieu même, considéré
I. In i Sent, dist. i, art. 4.
\A
DES ATTRIBUTS DE DIEU
comme fin et comme béatitude de Thomme. De là
vient que la Théologie parfaite sera la contempla-
tion de Dieu dans la patrie ; en sorte que la Théo-
logie affective n'est autre chose ici-bas que la béati-
tude commencée, et la béatitude est l'achèvement
et la perfection de la Théologie affective.
Or, comme Dieu, fin et béatitude de l'homme
est tout aimable et désirable, on voit que cette
science perfectionne à la fois l'esprit et le cœur :
elle est même proprement affective à cause de sa
fin. Aussi elle ne se borne pas à la spéculation
pure, mais elle fait tout converger vers la pratique
des vertus et de la sainte chanté ; c'est la charité
qu'elle fait naître dans ses disciples, c'est à la
sainteté de Tàme qu'elle vise, comme le médecin à
la santé du corps dont il guérit les plaies et les
maladies. Le docteur séraphique (i) ajoute qu'elle
tend principalement à nous rendre bons : il faut
que l'homme soit non seulement pécheur, mais
endurci et obstiné, pour qu'elle ne réussise pas à
l'émouvoir jusqu'à l'amour et à la dévotion. Car
en nous montrant les perfections de Dieu et les
vertus suréminentes de Jésus-Christ, elle produit
naturellement l'amour en nous, si nous n'opposons
pas à ses attraits un cœur endurci. Or, l'amour
des choses divines à pour effet de nous exciter à
fixer sur elles notre attention, puisqu'il est natu-
rel à l'homme de penser attentivement à ce qu'il
aime. Donc, comme science, la Théologie guérit
l'ignorance des choses divines, comme science
affective, elle remédie à notre défaut d'attention.
O céleste et divine science, ô Théologie, mère et
X. In Proam, Sent., art. a.
LA THEOLOGIE AFFECTIVE
nourricière de toute sainte affection, ô remède
salutaire de nos misères et de nos langueurs,
pourquoi les hommes vous estiment-ils si peu?0
science du salut, comment une âme qui désire son
salut, peut-elle vous abandonner ? Sans vous les
autres sciences sont vaines et inutiles : vous êtes
plus précieuse que Tor et que les plus riches dia-
mants, plus désirable que tous les trésors de ce
monde. Quel plus noble objet que Dieu, peut être
proposé à Tesprit de Phomme? « O i7ion Dieu!
« voîis connaître, voilà la consommation de
« toute justice, la perfection de toute vertu..,
« (Sag. i5)... vous connaître, vous qui êtes le
« vrai Dieu, cest en cela que consiste la vie
« éternelle... (Jean, 17)... O mon Dieu donne^-
« moi V intelligence et je vivrai. » (Ps. 118)...
Donnez-moi un esprit animé de cette admirable
sagesse et cédant à ses inspirations je vivrai en
vous, je soupirerai après vous.
III
Considérez en troisième lieu que pour faire des
progrès dans la Théologie affective, la pureté de
l'àme est avant tout requise : « La sagesse^ c'est le
« Sage qui Taffirme, n entrera pas dans une âme
« coupable et elle ne fera point sa demeure
» d'un corps sujet au péché... » (Sag., i.) Il n'est
pas donné à des cœurs impurs de contempler la
pureté divine, a J'ai mieux compris que les an-
« ciens, dit le roi Daw'id^ parce que j'ai du \èle
« pour vos commandements. » (Ps. 118.)
De deux personnes d'une égale vigueur et portée
d'esprit, celle-là fera plus de progrès dans la
DES ATTRIBUTS DK DIEU
Théologie, qui mène une vie plus pure. C'est
pourquoi saint Bonaventure, ce grand saint qui
montrait à saint Thomas le crucifix comme le
meilleur de ses livres et qui avait puisé plus de
lumières dans la prière que dans Tétude, saint
Bonaventure veut que cette pureté soit parfaite,
qu'elle s'étende tant à l'esprit qu'au cœur. Il faut,
dit-il, que l'esprit soit purifié par la foi et soit vide
de toutes ces images suscitées par les sens ou
l'imagination, vraies entraves et sérieux obstacles
à la libre méditation de ce qui est spirituel et
céleste. Le cœur doit être également purifié par
la justice et l'innocence, être dégagé de tout péché
et de toutes les occasions de péché. Grâce à la
pureté de l'esprit, l'âme devient capable de péné-
trer plus intimement dans l'intelligence des mys-
tères divins, de s'y appliquer énergiquement et
sans distraction ; d'autre part, à la pureté du cœur
elle doit d'être mieux en état de recevoir les mou-
vements et les saintes impressions que produit la
considération d'un objet tout divin. Ces deux
puretés s'cntraident admirablement et sont propres
à unir dans une même âme la science et la dévo-
tion. Or, c'est l'union de ces deux choses qui fait
la Théologie affective.
Je m'examinerai donc sur ce point et je consi-
dérerai si j'ai cette double pureté. Hélas! mon
Dieu, mon âme est confuse en votre présence.
Comment oser m'approcher du sanctuaire de vos
mystères ! Mes lèvres sont trop souillées pour
parler de votre sainteté, mon cœur trop profané
pour devenir votre demeure. Mais vous, Seigneur,
n'êtes-vous pas la fontaine où se lavent nos souil-
LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
lures, le feu qui purifie, le feu qui consume nos
iniquités ? Vous donc, ô Seigneur, fontaine de
pureté, lavez mon àme de son iniquité, purifiez
mon esprit, élevez mon cœur jusqu'à vous, afin
que dans un pieux et saint effort, je contemple les
merveilles de vos mystères et que par la médita-
tion s'allume en moi le feu de votre amour.
IF MÉDITATION
DE L'EXISTENCE DE DIEU
SOMMAIRE
Importance de cette vérité. — La connaissance
de Dieu est naturelle à l'homme. — Comment
faut-il concevoir Dieu ?
I
CONSIDÉREZ combien est importante cette
vérité : Dieu existe. C'est la première de
toutes les vérités ; nous ne saurions en affirmer
aucune autre avant celle-là (i). C'est une vérité
éternelle ; de tout temps il a été vrai de dire qu'il
y a un Dieu. Il est avant tout les siècles et n'a pas
de commencement. C'est une vérité nécessaire ; il
est impossible que Dieu ne soit pas. Toutes les
I. Dieu est la première vérité ontologiquement, mais non logique-
ment : ce qui signifie que Dieu existe avant tous les êtres ; mais que
son existence ne peut être connue de notre esprit que par un raison-
nement qui va de IV-fTct k la cause. Donc pour nous la connaissance
des êtres créés doit précéder celle de Dieu.
DES ATTRIBUTS DE DIEU
créatures dont nous constatons Texistence auraient
pu ne jamais exister ; aujourd'hui encore Dieu
peut les anéantir ; mais pour lui, son existence est
absolument nécessaire.
Voilà une vérité immuable : il sera éternellement
vrai de dire : il y a un Dieu.
Cette vérité est le fondement de la religion, la
source naturelle de toutes les vertus parfaites ;
car les actes de religion et de vertu ne se prati-
quent qu'en vue de Dieu. Un autre effet de cette
vérité est de modifier le naturel des hommes,
d'adoucir leurs mœurs barbares; la crainte d'irriter
Dieu les rend doux envers autrui et sociables.
Cette vérité est aussi souverainement consolante.
La pensée de Dieu comble de joie les hommes qui
pratiquent la vertu, surtout quand vient la fin de
leur vie. Alors l'expérience est faite pour eux de
la fragilité de leur existence terrestre, de la cadu-
cité des plaisirs d'ici-bas et l'espérance leur reste
de trouver en Dieu seul des biens incomparable-
ment supérieurs à ceux que leur promettait ce
monde qui les délaisse. Les athées au contraire
qui ont cru aux biens misérables de ce monde et
qui ont mis toute leur ardeur a s'en rassasier,
tomberont dans la plus profonde tristesse et dans
le désespoir à l'heure de la mort, quand ils verront
tous ces biens s'évanouir et qu'il ne leur restera
aucune consolation.
J'adhérerai donc à une aussi excellente vérité et
je l'embrasserai de toutes les énergies de mon âme.
Oui, ô mon Dieu, vous êtes : je le crois et je le
crois fermement. Je douterais bien plutôt de mon
existence que de la vôtre. O vérité suprême ! je
lO LA THEOLOGiK AFFECTIVE
VOUS confesserai toujours et de cœur et de bouche.
Je donnerais mille vies, si je les avais, plutôt que
de vous nier. O vérité première et éternelle, néces-
saire et immuable, pleine de douceur et de conso-
lation : Dieu est !
II
J'ajoute que la connaissance de cette vérité est
naturelle à l'homme ; en ce sens que toute la
nature vient en aide à son esprit pour Télever
jusqu'à cette hauteur : en effet « de la grandeur et
« de la beauté des êtres créés, Vesprit conclut
« logiquement à V existence d'un Créateur. »
(Sag. i3.) Toutes les créatures proclament Dieu.
Cet Etre divin et ses perfections, elles le prêchent
à quiconque les considère de près, sous n'importe
quelle de leurs faces, dans tous leurs états et par
toutes leurs propriétés. Voulez-vous les considérer
simplement comme des êtres ? Elles disent qu'un
premier Etre a été nécessaire pour leur donner
cette existence, par la raison qu'aucun être ne peut
se produire lui-même. L'expérience nous montre
à côté des créatures que nous connaissons la cause
qui les a produites ; c'est assez pour nous permet-
tre de conclure que le monde entier, c'est-à-dire
l'ensemble des créatures a un créateur. Vous plaît-
il de les considérer au point de vue de l'ordre, de
la subordination et de l'harmonie que nous cons-
tatons en elles ? Elles nous disent qu'il a fallu une
sagesse suprême pour leur assigner leur place dans
le temps et dans l'espace, car l'ordre ne peut être
que l'effet de la raison ; il en est des créatures
comme d'une grande armée, si chacun y occupe
DES ATTRIBUTS DE DIEU II
son rang, c'est grâce à la sagesse et à la volonté du
chef. Les cieux, les éléments, les saisons et tout ce
qui en dépend révèlent un ordre parfait et ne peu-
vent procéder à ce titre que de la sagesse de Dieu.
Nous arriverons à la môme conclusion si nous
considérons les créatures sous le rapport des
diverses facultés dont elles sont douées ; tous les
êtres, depuis le plus petit insecte, sont pourvus de
tout ce qui leur est nécessaire, de telle sorte que
depuis plusieurs milliers d'années le monde se
conserve avec toutes les espèces, malgré l'opposi-
tion irréductible de leurs instincts. C'est la preuve
évidente de l'existence d'une providence suprême
qui maintient cet équilibre..
En un mot tout ce que nous voyons de merveil-
leux dans la nature, rend témoignage de l'exis-
tence d'un Dieu qui a été nécessaire pour le pro-
duire. Les créatures dotées de la force révèlent sa
puissance infinie, celles qui ont en partage la
beauté, manifesteht sa beauté, celles qui ont la
douceur, proclament sa bonté infinie. Aussi toutes
les nations ont reconnu une divinité, ont eu des
prêtres et des sacrifices pour l'adorer. Cette idée
de Dieu est si propre, si naturelle, si intime à
l'homme, qu'on la retrouve même chez les nations
les plus barbares. Si, cependant on peut citer
quelques individus qui ont nié Dieu, il ne faut
voir en eux que des exceptions monstrueuses, des
êtres isolés, à l'àme mal faite et à l'esprit faux.
Aussi comme les monstres, sont-ils rares, et même
au moment de la mort, reviennent-ils pour la
plupart à celui qu'ils avaient si imprudemment
méconnu dans leur jeunesse.
12 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Je me réjouis, ô mon Dieu ! à la pensée que
d'une part la nature entière concourt à inspirer à
rhomme votre connaissance et votre amour, et
que d'autre part tous les peuples de la terre sont
unis dans cette même connaissance et dans votre
service. « Vous ave^ imprimé sur notre front
« un reflet de votre face, mon cœur en a tres-
« sailli de joie. » (Ps. 4.) Vous êtes mon Dieu,
c'est en vous que se trouve mon origine et mon
principe. Ah ! que je n'aie ici-bas nul souci,
hormis de vous plaire? Que mon àme coure après
vous, puisqu'elle vous aperçoit ; que ce premier
regard jeté sur vous fasse naître en elle l'amour ;
que dès cette première connaissance il vous soit
acquis à tout jamais. O mon véritable bien ! que
je m'efforce de vous plaire de mille manières.
III
Mais de quelle manière devons-nous concevoir
Dieu ? Les païens idolâtres et les hérétiques
anthropomorphites l'ont conçu grossièrement,
sous une forme corporelle, ce qui est indigne
de sa grandeur. D'autres qui semblent moins
répréhensibles l'ont imaginé à la façon d'une belle
lumière répandue en tout lieu, mais si brillante et
si vive que les yeux de l'esprit ne pouvant en
supporter l'éclat, n'apercevaient qu'obscurité et
ténèbres et en somme ne voyaient rien en conce-
vant celui qui est tout. Le docteur Scot (1)
approche davantage de la vérité, quand il enseigne
que l'idée la plus juste que nous puissions avoir
I. In Miiceïlan. 9. ;.
DES ATTRIBUTS DE DIEU l3
de Dieu, c'est de le concevoir comme un Etre
infini et d'une perfection sans bornes. Mais il a
tort de rejeter l'opinion, préférable à notre avis,
d'un illustre théologien (i) qui déclare que la
manière la plus parfaite dont nous puissions
concevoir ici-bas l'Etre divin, c'est de nous le
représenter comme une nature unique en trois
personnes : c'est là l'idée la plus vraie que nous
puissions en avoir. Dieu en effet n'a pas de corps,
il n'est, à proprement parler, ni lumière, ni ténè-
bres ; bien qu'il soit infini et l'infinité même,
ce terme d'infini n'exprime qu'un de ses attributs
et non sa substance. Si nous voulons la caracté-
riser, il faut dire que Dieu est le premier Etre,
l'Etre souverain et indépendant, mais de qui tout
dépend, qu'il est la perfection sans bornes et qu'il
subsiste en trois personnes infinies : le Père, le
Fils et le Saint-Esprit : c'est là le trait distinctif
de son Essence en face de toute essence créée.
Dès lors, la meilleure manière de le concevoir, est
de se le représenter tel qu'il est, c'est-à-dire de
le concevoir comme un Etre indépendant, absolu-
ment parfait et subsistant en trois personnes,
en écartant soigneusement toute image sensible
et créée. Saint Denys (2), à qui j'emprunte cette
doctrine, nous avertit qu'il ne faut s'arrêter à
aucune de ces idées que les sens, l'esprit ou
l'imagination, nous apportent après les avoir
puisées dans l'objet propre de leur connaissance.
Pour concevoir Dieu, dit-il, il faut faire abstrac-
tion de tout ce qui est dans le monde et de tout
I. Joau. De monte S. Eligii.
a, S. Dionys. In Mysi, c. i.
14 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ce qui n'est pas. Saint Augustin (i) dit dans le
mêirie sens : « Ne pensez à rien de créé, si vous
« voulez connaître Dieu, mais songez que Dieu
« est amour. » Il veut dire que pour concevoir
Dieu, il faut le concevoir comme l'amour même.
O la haute et sublime pensée, qui veut que
l'homme s'isole de tout pour se former une idée
de Dieu et s'unir à lui ! Qui affranchira mon
esprit ? qui lui donnera cette liberté par laquelle
il sera délivré des nuages produits par toutes les
choses créées ou imaginables et mis à même de
concevoir Dieu avec cette pureté et cette perfec-
tion ? O Dieu Très-Haut ! à qui rien ne peut être
comparé, auprès de qui tout est vil et méprisable,
je consens à ignorer tout ce qui existe ou pourrait
exister, pour ne fixer mon regard que sur vous
seul. Que je sois saisi d'un perpétuel ravissement
à la pensée que vous êtes si grand et si élevé !
Que dans la profondeur de mon àme retentisse ce
cri : O premier Etre, Etre souverain. Etre infini.
Etre infiniment parfait et subsistant en trois
personnes infinies ! ô grandeur, ô majesté ! ô
perfection au-dessus de toute perfection ! ô amour!
amour infini !
I. Tract. 7. In Epis t. Joan.
DES ATTRIBUTS DE DIEU ID
Iir MÉDITATION
DES ATTRIBUTS
ET DES PERFECTIONS DE DIEU
EN GÉNÉRAL
SOMMAIRE
Dieu a des attributs — diverses espèces d'attri-
buts — ceux que Dieu partage avec ses créa-
tures.
I
DIEU a des attributs, des qualités et des per-
fections qui accompagnent son Essence et
l'ennoblissent excellemment. Dès que nous avons
admis que Dieu est le premier Etre, l'Etre indé-
pendant de tous, nous pouvons en conclure qu'il
possède toutes les perfections des autres êtres et
d'autres encore à l'infini. C'est là une conclusion
logique, qui découle des vérités que nous venons
d'établir comme de ses prémisses. En effet, si
Dieu est l'Etre premier et souverain, il est le Roi
de tous les êtres et il dépasse toutes les créatures,
les plantes, les hommes, les anges, tout ce qui
existe. Si la terre a de la stabilité, le lys de la
beauté, l'homme de l'intelligence, les cieux de
l'éclat, les anges du bonheur, à plus forte raison
Dieu doit-il posséder toutes ces perfections puis-
qu'il est le premier Etre, l'Etre le plus parfait. Si
l6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
on nous disait d'un homme qu'il est le premier et
le plus grand des monarques, nous ferions le
raisonnement suivant : puisqu'il est le plus puis-
sant des rois, il doit avoir un immense domaine,
de riches trésors, des palais magnifiques, une
redoutable armée et une suite de valets et d'équi-
pages en rapport avec une telle grandeur. Et ce
serait à bon droit qu'on lui attribuerait tous ces
biens ; ils sont comme l'accessoire qui accompagne
le principal. Par un raisonnement semblable, dès
que nous avons conçu Dieu comme le premier
Etre, l'Etre indépendant, nous concluons logi-
quement qu'il est orné de toutes sortes de perfec-
tions. Sur ce principe, comme sur un fondement,
nous élevons l'édifice des perfections divines.
Oui, mon Dieu, puisque vous êtes le premier
Etre, TEtre indépendant, il est certain que toute
beauté, toute excellence vous convient. Soyez béni
de m'avoir fait comprendre, dès ces premières
considérations, que votre Essence est un abîme
de perfection. Je vous offre mes hommages et je
vous adore sous cette notion de premier Principe,
d'Etre indépendant; c'est grâce à elle que je puis
pénétrer dans la connaissance de ces attributs qui
vous élèvent au-dessus de toutes les créatures.
II
Les attributs de Dieu sont en nombre infini :
ils s'olfrcnt à notre esprit sous différents aspects.
Il est certain que tout ce qui se trouve dans l'Es-
sence divine n'est qu'une seule et même chose ;
mais notre esprit se forme de cette unité des con-
cepts variés : il détaille en quelque sorte cette
DES ATTRIBUTS DE D lEU I7
perfection infinie, parce qu'il est incapable de la
saisir dans sa simplicité. Il distingue d'abord les
attributs négatifs et les attributs positifs : les pre-
miers sont ceux que nous exprimons par un terme
qui exclut de Dieu ce qui constitue un défaut ou
une imperfection ; tels sont l'infinité, l'immorta-
lité, l'incompréhensibilité. Ces attributs négatifs
sont les plus dignes de la grandeur de Dieu, car
dit saint Denys (i), nous parlons plus exactement
de Dieu, quand nous disons ce qu'il n'est pas,
que lorsque nous essayons de dire ce qu'il est.
Quant aux attributs positifs ce sont ceux qui affir-
ment que Dieu possède telle perfection, comme
par exemple l'éternité, la puissance, l'amour.
En second lieu, les attributs positifs sont de
deux sortes : les uns sont absolus et les autres
relatifs. Les premiers signifient la perfection qui
est en Dieu, abstraction faite de la créature, comme
quand nous disons qu'il possède la vie et la béati-
tude ; les autres expriment ce qui est en Dieu,
mais qui se rapporte aux créatures, telles sont la
providence et la prédestination.
En troisième lieu, les attributs tant absolus que
relatifs se divisent en deux catégories : les uns sont
exclusivement propres à Dieu et il n'en partage la
gloire avec aucune créature : c'est, par exemple,
l'infinité, la prédestination : les autres se trouvent
aussi chez les créatures, telles sont la sagesse, la
justice, la miséricorde.
Enfin certains attributs sont distingués en Dieu
sous forme de propriété, comme l'éternité, d'au-
tres sous forme de puissance, comme la liberté ;
I. De cal, hierarchia.
Saii.> t. u s
LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
certains sous forme d'habitude, comme la sagesse;
d'autres enfin sous forme d'acte, comme l'amour.
En un mot, les attributs de Dieu se différencient
selon notre façon de les entendre : mais ce que
nous en savons ici-bas n'est pas la millième partie
de ce que nous ignorons. Ce roi des êtres est doué
de perfections qui dépassent toutes nos concep-
tions.
« O Seigneur ! Combien est grande Vabon-
« dance de votre douceur » (Ps. 3o) qu'il me
plaît de distinguer au milieu de tant de perfec-
tions ! Que de motifs cette abondance de biens
fournit à notre cœur, pour vous aimer plus que
toutes les créatures ! Ont-elles une qualité ? Com-
bien d'autres leur manquent ! Jouissent-elles de la
beauté ? L'imortalité leur fait défaut. Sont-elles
parées de leur jeunesse ? C'est la sagesse qui leur
manque. En vous. Seigneur, tout bien surabonde :
vous êtes parfait sous tous les rapports. Vous êtes
tout, ô mon Dieu ! Ah ! laisse-toi donc gagner, ô
mon àme, laisse-toi ravir par tant d'éminentes
perfectious. Quand bien même tout le reste te
manquerait, ton Dieu te sufiSt.
III
Si parmi les attributs de Dieu, certains lui sont
communs avec les créatures, c'est toutefois avec
une grande inégalité, et ils se trouvent dans un
degré bien inférieur chez ces dernières: la sagesse,
la justice, la miséricorde et la bonté que possèdent
les créatures, sont en Dieu d'une manière incom-
parablement plus noble. En Dieu, ce sont des
qualités pleines et parfaites, sans mélange de la
DES ATTRIBUTS DE DIEU IQ
plus légère imperfection, dans les créatures ce
sont des qualités qui sont altérées par le mélange
de défauts et d'imperfections. En Dieu toutes
atteignent le plus haut degré de perfection : la
puissance y égale la volonté, le repos y est sans
ennui, l'action sans peine, l'a beauté sans fard, la
joie sans fin, la Justice sans dureté, la compassion
n'est accompagnée d'aucun sentiment de douleur,
la providence est sans sollicitude : toute sorte de
biens s'y trouve sans aucune espèce de mal. En un
mot, le mal n'aborde point Dieu, les misères et
les fléaux ne regardent même pas le seuil de sa
demeure.
S'agit-il des créatures ? Quelle différence ! Jamais
chez elles le bonheur n'est parfait : la raison a ses
ténèbres, la puissance doit compter avec des enne-
mis qui lui imposent souvent d'insurmontables
bornes, la sagesse est moindre que l'ignorance, la
bonté est défectueuse, la grandeur a ses dangers,
le repos est incompatible avec l'exercice des facul-
tés intellectuelles, la beauté est fragile, les pas-
sions troublent le cœur, la satiété y produit l'in-
solence et même tout ce que nous admirons dans
les créatures n'aurait-il d'autre défaut que d'être
fini, instable, dépendant et limité de toute ma-
nière, et ce sont là autant de défauts inséparables
des êtres créés ; cela seul nous autoriserait à con-
clure qu'à Dieu seul appartiennent les perfections
pures, celles que la théologie appelle absolument
simples. Nous concluons donc que l'Etre de Dieu
est hors de pair ; que ni sa puissance ni aucune de
ses perfections ne dépend de personne et que pas
un seul être créé ne peut lui être comparé.
20 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Qu'aucune créature n'ose donc s'égaler à vous,
ô mon Dieu ! Qu'elle se reconnaisse inférieure à
vous à tous les points de vue. « Qui parmi les
forts est digne de vous être comparé? » (Ex. i5.)
Qui est semblable à vous? Je vous cède donc en
tout, Je n'élève en face de vous aucune prétention,
ô Dieu incomparable. Je me réjouis à la pensée
que nos misères et nos faiblesses ne vous attei-
gnent pas. Qu'il y ait à redire à tout ce qui est
créé, c'est même un trait de votre sagesse qui l'a
voulu pour nous détacher des créatures, pour nous
obliger à nous donner à vous, seul Etre infiniment
parfait. Ainsi, mon Dieu, ai-je résolu de leur reti-
rer mon cœur, pour vous l'offrir tout entier. Car
quand ma pensée se fixe sur vous, je ne trouve
rien à reprendre, aucun regret à exprimer. Je veux
que, puisque vous êtes infiniment parfait, je sois
parfait au moins dans l'accomplissement des de-
voirs de mon état, de telle sorte que rien ne me
manque pour vous être agréable.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 21
IV^ MÉDITATION
DE LA SIMPLICITÉ DE DIEU
SOMMAIRE
Dieu est simple — parce qu'il na pas de corps,
— parce qu'il n'a pas d'accidents dans sa
substance — parce qu'il n'use point de dupli-
cité.
I
DIEU est simple — parce qu'il n'a pas de
corps. Nous appelons quelquefois simple
celui à qui la finesse d'esprit fait défaut : mais
nous écartons cette signification quand il s'agit de
Dieu, dont l'esprit est infiniment grand et perspi-
cace. Il y a mieux : Dieu est tout esprit, absolu-
ment dégagé de l'imparfaite matière. C'est à cette
condition seulement qu'il peut être simple : car
tout ce qui a un corps comprend diverses parties,
diverses dimensions d'où naît une multiplicité qui
exclut la simplicité. La simplicité convient donc à
Dieu, parce qu'il n'est pas corporel, qu'il est au
contraire un très pur esprit, sans aucune composi-
tion de parties distinctes ou inégales. Il est un et
simple au plus haut degré, car tout ce qui est en
lui s'y rencontre non pas dans l'union, mais dans
l'unité. Sa simplicité n'est donc qu'une admirable
unité, en vertu de laquelle toute sa substance, la
22 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
totalité de son Etre n'est qu'une seule chose qui
équivaut à toutes choses.
Combien donc grossièrement se sont trompés
les idolâtres et tous ceux qui ont adoré une divi-
nité corporelle. Les perfections divines sont trop
hautes et trop sublimes pour pouvoir résider dans
un corps grossier comme dans leur sujet. Tristes
époques que celles où les hommes vivaient pour
la plupart dans un semblable aveuglement et
étaient pires que des brutes ! Celles-ci ignorent
bien Dieu, en effet, mais elles n'ont point du
moins ravalé son excellence infinie jusqu'à une
condition indigne de la divinité, celle du corps.
Comment a-t-onpu croire que les idoles fabriquées
par les hommes et à ce titre les créatures en quel-
que sorte des hommes, pouvaient avoir créé les
hommes ? Les créatures qui peuplent le ciel et la
terre sont dépourvues de raison : si l'âme jouit de
cette faculté, ce n'est pas pour les adorer, mais
pour s'élever au-dessus d'elles et comprendre à
quel point elles sont viles et misérables en face de
la divinité.
O Dieu très-haut ! que je déplore l'erreur des
siècles passés, où les hommes vous ont si mal
connu, et ont eu sur vous des idées si viles et si
indignes de votre Etre glorieusement suréminent !
« Que sont les dieux des gentils ? de Vor ou de
« V argent Jondu ou ciselé par des artistes : ils
« ont bien des yeux, mais ne voient pas, des
« oreilles^ mais n'entendent pas. Malheur à
« ceux qui se forgent de tels dieux ! Notre Dieu
« à nous triomphe dans les deux, et J ait sur la
« terre tout ce qui lui plaît. » (Ps. ii3.) Il est
DES ATTRIBUTS DE DIEU 23
spirituel, dégagé de toute chair ou matière. O mon
Dieu, rendez-moi spirituel à mon tour; alors je
pourrai vous contempler, mon esprit purifié sera
capable de s'élancer vers vous, car vous êtes esprit
et vous voulez être adoré en esprit et en vérité.
II
Dieu est encore simple parce que sa substance
n'admet pas d'accident et qu'il est parfait sans
adjonction d'aucune sorte. Chez lui la bonté n'est
pas une simple qualité; il est grand sans étendue;
il crée, mais non par besoin, il se trouve dans tous
les êtres et au-delà, sans tenir de place ; il a la vie,
mais sans bornes ; il donne à tout le mouvement,
mais Lui ne reçoit rien et demeure immuable.
Sans doute l'ange est esprit, mais sa simplicité
n'est pas absolument parfaite, parce que sa subs-
tance est dépourvue de bien des choses : elle a
besoin d'être complétée par une multitude de qua-
lités et d'accidents qui, semblables à des couleurs
variées, diversifient sa substance et l'empêchent
d'être parfaitement simple. La substance de Dieu,
au contraire, est par elle-même infiniment riche.
Son Essence est un trésor infini, un fonds inépui-
sable d'où jaillissent toutes les perfections imagi-
nables, sans qu'elle ait besoin de les emprunter
en dehors d'elle, ni de rien recevoir qui soit dis-
tinct d'elle. Elle possède tout dans l'unité d'un
seul être, elle n'est autre chose que cette unité,
centre de toute perfection. Ainsi ses attributs ne
sont pas distincts de son Essence : son Essence
c'est son éternité, son infinité, sa puissance, son
amour j elle équivaut à toutes les perfections, sem-
24 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
blable à une pierre précieuse qui aurait à la fois
les reflets et la couleur du diamant, du saphir, de
Tescarboucle et de toutes les autres pierres pré-
cieuses, ou à une fleur qui posséderait le parfum
et l'éclat du lys, de la rose, de Toeillet, de la tulipe
et de toutes les autres fleurs qui sont la parure de
nos jardins. On voit que cette simplicité ennoblit
grandement l'Etre divin, puisqu'à elle seule elle
équivaut à toutes les qualités réparties entre tous
les autres êtres. De plus elle rehausse infiniment
chaque attribut en particulier : car en vertu de
cette simplicité, un attribut renferme tous les
autres, une perfection comprend en elles toutes
les perfections : en Dieu l'éternité n'est pas dis-
tincte de l'infinité, ni de la félicité, ni de Tamour,
et par une admirable réciprocité, Tamour n'est
autre chose en Dieu que la félicité, l'infinité,
l'éternité.
En quelle estime ne devons-nous pas tenir cette
substance divine et chacun de ses attributs, puis-
que en vertu de la simplicité de Dieu, chaque
attribut est Dieu lui-même? Comprends donc ceci,
ô mon âme : quiconque possède Dieu sur un seul
point, le possède tout entier. D'autre part, puis-
qu'il n'admet pas de parties en soi, il n'en voudra
pas hors de soi : n'applique donc pas à le considé-
rer une partie seulement de tes facultés et de tes
forces, mais donne-toi sans réserve à celui qui est
tout ; simplifie pour tendre vers lui tes intentions et
tes affections, purifie-les de toute intention mau-
vaise ou étrangère; cherche-le dans la simplicité de
ton cœur, pour honorer en lui cette perfection.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 25
III
Dieu est encore simple parce qu'il n'use pas de
duplicité ni de tromperie. Il est la vérité pure et
n'a recours à aucun déguisement. Au dehors il ne
paraît pas différent de ce qu'il est au-dedans : sa
parole est l'expression très franche de sa pensée.
Parle-t-il ? il est sincère ; promet-il ? il a l'inten-
tion de donner ; menace-t-il les violateurs de la
loi des supplices éternels ? sa rancune est sérieuse
et sans feinte. La duplicité est un vice indigne de
lui, car elle dénote : ou de la faiblesse, par exemple
quand on essaie d'obtenir par ruse, ce qu'on
obtiendrait par un procédé plus franc ; ou de la
méchanceté, qu'on tâche de déguiser par ce moyen ;
ou enfin un dessein secret de tromper : autant de
choses qui sont inconciliables avec la noblesse et
la grandeur de Dieu. Aussi a-t-il en horreur les
hypocrites et les hommes au cœur double.
La simplicité au contraire, est une vertu très
sainte et très noble : elle dispose les âmes à
entrer dans une sainte familiarité avec Dieu,
à qui plaît tout ce qui est naïf, qui converse
volontiers avec les âmes simples et douces comme
l'agneau.
Cette considération aura pour effet d'exciter ma
foi en la parole de Dieu ; qu'il promette ou qu'il
menace, il est également sincère. Je m'exciterai
aussi à l'amour d'une naïve candeur, d'une grande
simplicité de cœur dans toutes mes actions, en
songeant que c'est là une grande sagesse aux yeux
de Dieu. J'abhorrerai la tromperie, le mensonge
et la duplicité, comme étant un vice maudit du
20 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ciel. O vérité éternelle, faites-moi la grâce d'être
simple et éloigné de toute hypocrisie, tel en
public qu'en mon particulier, tel devant les hom-
mes que je suis à vos yeux, ô Dieu pour qui rien
n'est caché.
V^ MÉDITATION
DE LA BONTÉ DE DIEU
SOMMAIRE
Dieu est bon en lui-même — // est bon pour
tous les êtres — il est spécialement bon pour
l'homme.
I
DIEU est bon d'une bonté infinie, bonté qu'il
possédait avant de créer le monde et qui
suffirait à le rendre digne de notre amour, alors
même que nous n'aurions reçu de lui aucun bien.
Ce genre de bonté convient à tous les êtres ;
il consiste à posséder toutes les qualités néces-
saires à leur nature. C'est à ce point de vue que
nous nous plaçons pour les juger et les apprécier :
ainsi nous appelons bonne, l'eau quia la limpidité,
la fraîcheur et la légèreté ; nous donnons ce même
qualificatif au fruit qui possède la couleur, la
saveur et la douceur qui conviennent à son espèce;
et ainsi toutes choses naturelles sont dites bonnes
DES ATTRIBUTS DE DIEU 27
en raison de leur plus ou moins grande perfection
dans leur genre.
Or Dieu possède toutes les qualités, toutes les
excellences que réclame sa suréminente nature. Il
est vrai, simple, nécessaire ; parce qu'il est vrai, il
a réellement tout ce qu'il lui convient d'avoir ;
parce qu'il est simple, il l'a entièrement et non
par fractions, de sorte que rien ne lui manque ;
parce qu'il est nécessaire, il l'a absolument sans
jamais pouvoir en être frustré.
C'est ce qui fait la bonté de son Etre. Cette
bonté comprend tous ses attributs et Dieu a droit
à être appelé bon, non seulement parce qu'il fait
du bien aux créatures, mais simplement parce
qu'il est parfait en tout, infiniment sage, puis-
sant, heureux, grand, majestueux et saint. D'où il
résulte qu'en Lui la bonté de l'être est infinie et
universelle, tandis que chez la créature la bonté
ne va que jusqu'à un certain degré et connaît des
limites ; chez lui, elle est sans bornes, embrassant
à la fois la bonté que nous appelons la sainteté.
Aussi, puisque le bien total et universel l'emporte
sur le bien particulier. Dieu est le meilleur de
tous les êtres, il est le bien, source de tout bien,
le souverain bien, les êtres n'ayant de bonté que
dans la mesure où ils participent à la sienne.
« Proclame^ donc que le Seigneur est bon, »
(Ps. 106) qu'il est le meilleur, le plus désirable des
êtres. Ce n'est pas une espèce de bonté qu'il
possède, mais toute bonté, tout ce qu'il y a de
pur, de beau, d'honnête, d'utile, de doux, de glo-
rieux, de suave, de grand, de riche, d'honorable,
de vertueux et d'aimable. O Dieu, infiniment bon,
28 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
combien est vraie la parole par laquelle vous
déclariez à Moïse, qu'en lui montrant votre face,
vous lui montreriez « tout bien ! » (Ex. 33). Com-
bien vous méritez d'être aimé à cause de votre
nature qui est toute bonté ! Malheur aux âmes
qui se détournent de vous, qui osent même vous
outrager ou qui vont cherchant quelque bien hors
de vous, et cela au prix de combien de peines et
de fatigues ! Oh ! bonté suprême ! puissé-je ne
vous avoir jamais offensée !
II
Dieu est encore bon d'une bonté de bienfai-
sance ; il répand ses bienfaits sur toutes les créa-
tures, qu'elles soient au ciel, sur la terre ou dans
les enfers. Il est bon pour les anges, les hommes,
les astres, les éléments, les poissons, les oiseaux,
les animaux tant domestiques que sauvages, pour
les plantes, les pierres, pour toutes les créatures
grandes ou petites ; les moucherons, même les
fourmis, les vers de terre, ont part à ses libéra-
lités et reçoivent quelque chose de ses richesses.
« Vous ouvre:^ votre main, Seigneur^ et tout
« être est comblé de bienfaits. » (Ps. 2o3) « C'est
« lui qui fait croître V herbe sur les montagnes,
« qui donne la nourriture à toute chair et aux
« petits des corbeaux qui l'invoquent. » (Ps.
146). Cette bonté peut être comparée au soleil qui
répand ses clartés sur tous les êtres doués ou
privés de raison ; s'il s'en trouve quelques-uns
que ces rayons n'atteignent pas, ce n'est pas lui
qu'il faut accuser, car sans jamais s'épuiser, il les
envoie dans toutes les directions. Voilà l'image,
DES ATTRIBUTS DE DIEU ÎQ
mais combien imparfaite, de la bonté divine,
répandant en tout lieu, depuis le ciel jusqu'aux
enfers, ses magnifiques dons. Dieu est le bien
souverainement communicatif, non par besoin ou
par nécessité, dans Tespoir d'être payé de retour,
mais par le noble désir, par l'inclination ineffable
qui le porte à être agréable à toutes ses créatures
et à les obliger par quelque bienfait.
O seigneur, dont la nature est d'être bon et
magnifique envers tous les êtres sans exception,
soyez béni pour une telle nature ! Je vous remer-
cie au nom de toutes les créatures irraisonnables
et insensibles, qui, faute d'intelligence, ne sau-
raient vous remercier elles-mêmes. Je vous remer-
cie également au nom de toutes celles qui douées
d'intelligence, sont néanmoins ingrates et mécon-
naissent toutes les faveurs de votre bonté sembla-
bles à ces vils animaux qui mangent le gland sous
le chêne sans élever leurs regards vers ses rameaux.
Que vous rendrai-je donc, ô Dieu très bon ? que
ma bonté imite, autant qu'elle le pourra, la
noblesse de votre nature et puissé-je faire à toute
créature indigente autant de bien qu'il sera en ma
puissance.
III
Dieu est bon surtout, pour l'homme. Il est bon
pour lui, parce qu'il est le principe qui lui a donné
l'être, parce qu'il est son conservateur et son pro-
tecteur, parce qu'il est sa fin, son centre d'attrac-
tion, sa béatitude en laquelle il se reposera avec
délices. Dieu est bon pour l'homme comme un ami
l'est pour son ami : n'est-il pas le plus sincère et le
3o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
plus fidèle ami de l'homme ? Il est bon pour
rhomme comme un père pour ses enfants, car il
est le père de toute consolation ; comme un bien-
faiteur est bon pour Tindigent, aux besoins de
qui il pourvoit. Il est bon pour Thomme, parce
qu'il est pour lui la source de tout bien, du bien
honnête, du bien utile et du bien délectable.
Dieu est le bien honnête de l'homme, parce qu'il
est désirable à cause de lui-même et que le recher-
cher, c'est faire une œuvre vertueuse et sainte.
Dieu est le bien utile de l'homme, parce que
l'homme reçoit de lui toute sorte d'avantages
spirituels et temporels, toutes les facultés de son
àme et de son corps. Enfin Dieu est son bien
délectable, car dès maintenant l'homme puise
en lui par Tamour, des délices et des consolations
et il a la ferme espérance de trouver un jour en lui
des joies qui excéderont toutes ses facultés natu-
relles, telles en un mot qu'on peut les goûter dans
la jouissance d'un Etre infini.
Enfin Dieu témoigne à l'homme sa bonté par
tous ces attributs divins : par sa puissance qui
le crée et le conserve ; par sa sagesse qui le
gouverne et le dirige ; par son amour qui veille
en lui et le couvre de caresses ; par sa provi-
dence qui le suit pas à pas et pourvoit à ses
besoins ; par sa miséricorde qui lui pardonne,
par sa justice qui l'encourage, par sa beauté qui
le ravit dans les déHccs des saintes et béatifiqucs
extases, par son éternité qui lui garantit la pos-
session de Dieu contre la crainte de la voir jamais
cesser, par son immensité qui lui fait trouver
son Dieu partout. C'est ainsi que Dieu est bon
DÈS ATtRIBUTS DE DIEU 3l
pour rhomme et que tout ce qui est en Dieu
est le bien de l'homme.
Que dire maintenant, ô mon âme, si ce n'est ces
paroles de Jérémie : « Le Seigneur est bon à ceux
« qui espèrent en lui, à Vâme qui le cherche. »
(Thren., 3.) Que je vous cherche donc, ô mon Dieu
et qu'il me suffise de vous avoir trouvé ! O vous
qui êtes mon bien suprême, faites que toutes les
choses terrestres soient viles et méprisables à mes
yeux ! que Je dédaigne toutes les caresses des
créatures, pour ne désirer que les vôtres. « Sei-
« gneur, vous êtes bon; au nom de cette bonté
« enseignei^-inoi vos justices. » (Ps. ii8.) Puis-
que tout ce qui est en vous est bon pour moi, je
veux que tout ce qui est en moi, que toutes mes
puissances soient bonnes pour vous, que mon
esprit vous témoigne sa bonté en méditant sur
vous, ma volonté en vous aimant, ma mémoire en
conservant votre souvenir, tout mon corps en
se consumant comme un holocauste à votre
service.
32 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
VF MÉDITATION
DE LMNFINITÉ DE DIEU
ET DE SA GRANDEUR
SOMMAIRE
Les perfections de Dieu sont infinies en nom-
hre — en intensité. — Dieu est infini en gran-
deur,
I
DIEU a d'abord une multitude de perfections
infinies. Ce n'est pas qu'il y ait en lui des
perfections distinctes, car il est simple et toutes
ses perfections ne sont qu'un seul être : mais
selon notre manière de les distinguer, elles sont
en nombre infini. Les Théologiens, il est vrai, à
la suite de saint Thomas, n'en citent guère qu'une
vingtaine : c'est que dans les ténèbres de cette vie,
à peine voyons nous briller une étincelle de ce
flambeau divin. Mais Dieu en possède des mil-
lions d'autres, que contemplent les anges et les
bienheureux.
En voici la preuve ? Dieu peut créer à l'infini
de nouvelles espèces et donner à chacune d'elles
un nouveau degré de perfection. S'il avait créé
cent mille espèces d'anges, sa puissance ne serait
pas épuisée et chaque jour il pourrait encore en
augmenter le nombre. Nier cette vérité, ce serait
DES ATTRIBUTS DK DIEU 3^
rendre sa toute-puissance impuissante ; ce serait
avoir une idée bien peu digne de lui, que de croire
qu'après la création des neuf chœurs d'anges, il
ait désormais les mains liées et qu'il soit à bout
de forces. Nous pouvons nous former une idée plus
parfaite de son pouvoir, mais cette idée n'égalera
jamais la vérité, parce que Dieu est plus grand
dans la réalité que dans les plus hautes pensées de
nos petits esprits.
Or Dieu doit au moins posséder en lui une per-
fection qui corresponde et qu'il puisse communi-
quer à chaque espèce nouvelle qu'il est en son
pouvoir de créer, surtout lorsqu'il s'agit d'une
créature spirituelle, qui doit nécessairement porter
en elle l'image et la ressemblance de Dieu. Mais
les perfections que peuvent recevoir les créatures
possibles sont en nombre infini. Donc nous devons
conclure que les perfections réelles et actuelles de
Dieu sont également en nombre infini. C'est là
une considération aussi solide qu'utile et édifiante.
Je louerai Dieu de tout mon cœur pour tant de
merveilles inconnues de l'homme, qui ennoblissent
son Etre. Si l'homme, qui dans l'échelle des êtres
n'est qu'au quatrième degré, est cependant la plus
noble des créatures de ce monde, si jadis tout un
peuple ravi admirait l'image d'une fausse déesse,
qu'un illustre peintre avait composée avec des
traits empruntés aux plus belles femmes de la
Grèce; que dire de la beauté de Dieu en qui sont
réunies toutes les espèces de beautés qui existent
ou même que nous pouvons imaginer ! O Bien
suprême, on ne nous a pas dit ici-bàs la cent-mil-
lième partie de vos perfections ! Ce que vos pro-
Bâil, t. I. ^
$4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
phètes, vos évangélistes, vos docteurs nous en ont
appris, n'est rien auprès de la réalité. Qu'ils sont
heureux vos anges et vos élus qui contemplent sans
cesse votre face ! Quand, ô mon Dieu, verrai-je les
profondeurs de votre Essence avec cette infinité de
beautés, qui comme des fleurs l'embellissent ?
O mon Seigneur ! le terme suprême de mes désirs,
c'est vous, parce que vos grandeurs sont sans
bornes. Vous êtes la nourriture immortelle et
toujours délicieuse des esprits bienheureux, par la
raison que vos perfections sont infinies et que seul
l'infini peut combler nos désirs.
II
Les perfections de Dieu sont encore infinies
d'une seconde manière, en intensité : ce qui
signifie que chacune considérée à part, est portée
au suprême degré de puissance. Prenons une
perfection divine, la sagesse par exemple : je dis
qu'elle est infinie comme telle, qu'elle atteint au
suprême degré de la sagesse et qu'aucune autre
sagesse ne peut l'égaler, parce qu'elle ne connaît
pas de bornes. On doit en dire autant de la puis-
sance de Dieu, de sa félicité et de tous les autres
attributs considérés séparément. Il y a donc en
quelque sorte un nombre infini d'infinis, une
infinité d'infinités. Quant à la raison pour laquelle
chaque perfection est infinie en elle-même, clic
n'est autre que l'indépendance de Dieu, i^uisque
Dieu n'a rien reçu de personne et ne relève de
personne, par qui auraient été bornées ses perfec-
tions ? Qui aurait pu leur dire comme aux flots de
l'océan : vous monterez jusqu'à tel degré, mais
DES ATTRIBUTS DE DIEU
VOUS ne le dépasserez point ? Les limites provien-
nent toujours d'une cause supérieure. La volonté
du souverain Pontife assigne des limites aux
territoires sur lesquels s'exerce la juridiction
des prélats ; dans un royaume, c'est le roi qui
limite le ressort et la juridiction des juges ; et
Dieu a déterminé selon son bon plaisir la mesure
de perfections qu'il entendait conférer à chaque
créature. Mais lui-même, de qui dépendra-t-il ?
Et qui aura mesuré et limité les siennes ? « Glo-
« rifie\ donc le Seigneur^ dit le Sage, autant que
« vous le pourre^... Vous qui bénisse^ le Sei-
« gneur, exalte\-le^ car il est au-dessus de toute
« louange. Vous qui Vexalte^, rassemble^ toutes
« vos forces et ne vous lasse:^ point. » (Eccl. 43j.
Le temps ne le limite pas, car il est éternel ;
l'espace ne le borne pas, car il est immense ; l'es-
prit ne l'emprisonne pas, car il est incompréhen-
sible ; la parole ne l'exprime pas, car il est ineffa-
ble ; le cœur ne l'épuisé pas, car il est infiniment
aimable. En un mot, infini dans son Essence, il
l'est aussi dans ses facultés, dans ses perfections,
dans ses opérations, dans tout ce qui est en lui.
O Dieu infiniment infini ! Que n'avons-nous un
cœur infini et capable d'un amour infini ? L'expé-
rience nous apprend que l'estime et l'amour que
nous avons pour un objet, est en proportion de
son excellence : c'est ainsi que nous préférons
l'argent au plomb, l'or à l'argent, le diamant à l'or.
Le soleil mérite d'être estimé davantage, parce
qu'il est plus parfait que toutes les créatures. Vous
donc, ô Seigneur, qui avez tant de perfections
dont chacune est infinie, vous qui méritez déjà
36 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
d'être infiniment aimé pour une seule, quel amour
ne vous est pas dû pour toutes vos perfections à la
fois ? Je vous compare à un trésor qui renferme
d'innombrables espèces dont chacune représente
un si grand prix qu'on ne saurait l'évaluer. O pré-
cieux trésor ! qu'il est heureux le cœur auquel vous
vous donnez en jouissance et qui vous aime sans
mesure, comme on aime un bien infini qui seul
peut rassasier tous les désirs ! O amour sans
bornes, donnez-vous tout à nous et d'un seul coup
nous posséderons tout.
III
Dieu est infini encore en grandeur : « Le Sei-
« gneur est grande dit le saint roi David, et digne
« de louanges au-delà de toute expression , sa
« grandeur n'a point de homes. » (Ps. 144).
Cette infinie grandeur ne doit pas s'entendre au
point de vue de l'étendue, comme quand il s'agit
du corps, mais au point de vue de l'excellence.
Elle résulte des deux infinités déjà constatées ;
nous sommes en effet amenés à conclure que celui
qui est doué de qualités sans nombre et dont cha-
cune atteint un tel degré de perfection qu'elle
défie toute appréciation et estimation, celui-là jouit
d'une grandeur infinie ; car une telle grandeur ne
peut être ni dépassée ni même égalée par n'importe
quelle nature autre que la sienne. Or, c'est bien là
ce qui convient à Dieu : toute grandeur imaginable
est inférieure à sa grandeur.
Le roi des philosophes (i) considère le plus puis-
sant monarque de la terre dans les splendeurs de
I, Aristotc, /. de mundo, c. 6.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 87
sa cité royale, dans Topulence de son palais tout
brillant d'ivoire, de marbre et de pierres précieu-
ses, au milieu d'une multitude de princes et de
seigneurs, ses serviteurs; dont la fonction consiste
à maintenir le peuple à distance du monarque, à
porter les ordres du souverain à toutes les provin-
ces du royaume et à lui rapporter tout ce qui s'y
fait. Eh bien ! dit cet illustre philosophe, compa-
rée à la majesté de Dieu qui a pour royaume
l'univers, la grandeur de ce monarcfue n'a pas
plus d'éclat que l'animal le plus vil en face du
monarque lui-même. Disons mieux : si Dieu ajou-
tait de nouvelles perfections à celles que possède
déjà l'ange le plus parfait, s'il l'élevait incommen-
surablement au-dessus de ce qu'il est, Dieu le
dépasserait encore de beaucoup. Supposons même
que depuis la création. Dieu n'eût fait autre chose
que d'augmenter les perfections de cet ange et
qu'il ne dut faire autre chose jusqu'à la fin des
temps, l'ange élevé à de telles hauteurs serait
encore loin du sommet que Dieu habite : lui-même
devrait reconnaître qu'en face de Dieu il ne fait
pas meilleure figure qu'un atome comparé à tout
l'univers, qu'un point dans une ligne ; car ses per-
fections ne seraient infinies ni en nombre ni
en intensité, ce qui n'appartient qu'à Dieu.
O mon Dieu ! quelle impression de respect ne doit
pas produire en nous votre présence, ou même la
simple évocation de votre majesté par la parole ou
par la pensée ? Ah ! Seigneur, aurai-je lieu d'être
surpris, si pour exécuter ce que votre bon plaisir
a résolu, pour atteindre un but que s'est proposé
votre sublime providence, vous n^'écrasiez en pas-
38 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sant ? je ne suis en effet qu'un vermisseau indigne
de votre attention. Quand bien môme je descen-
drais au-dessous des enfers, je ne serais pas encore
assez bas, pour adresser mes hommages à votre
incomparable grandeur et Tadorer. Pour honorer
dignement votre nature infinie, il ne faudrait rien
moins que des respects et des services infinis.
Qu'elles sont donc misérables les âmes qui ont
l'audace de paraître dans vos temples, en présence
de votre majesté, sans éprouver un sentiment pro-
fond de respect. Hélas ! est-il vrai que j'ai osé
résister par mes péchés à votre grandeur infinie ?
Désormais il n'en sera plus ainsi : puisque i.vous
êtes infiniment grand et que je suis infiniment
petit, il faut que je sois tout à vous.
Vir MÉDITATION
DE L'IMMENSITÉ DE DIEU
SOMMAIRE
Dieu est en tout Heu — par son essence^ par sa
présence^ par sa puissance. — // n'en résulte
pour lui aucun inconvénient ni aucune souil-
lure,
I
DIEU est présent en tous les lieux : il est
à l'Orient et h l'Occident, au Midi et au
Septentrion, dyns toutes les régions du monde,
DES ATTRIBUTS DE DIEU 3g
dans toutes les sphères célestes et encore au-
delà. « // est plus haut que le ciel, dit Job,
« // est plus profond que V enfer, il dépasse la
« longueur da la terre et la largeur de la mer. »
(Job, II.) L'immensité de Dieu est la conséquence
de sa grandeur infinie, pour laquelle ce monde
entier serait un palais trop étroit. Nous savons en
effet que plus les substances spirituelles sont par-
faites, plus est grand leur pouvoir d'être présentes
en plusieurs lieux : ainsi les anges les plus parfaits
peuvent se rendre présents au même instant dans
un espace plus étendu que ne le peuvent les anges
inférieurs. Mais Dieu, puisqu'il n'a pas de bornes
dans sa perfection, ne doit pas en avoir davantage
dans la faculté d'être présent.
De plus il serait indigne de sa grandeur d'avoir
un lieu assigné pour sa résidence, quelque grande
que soit l'étendue qu'on veuille lui supposer. Car
Dieu est immuable : il lui serait donc impossible
de se transporter de ce lieu dans un autre, pour y
visiter ses créatures ou les honorer de sa présence.
Il serait retenu par son immutabilité et comme
cloué en ce lieu pour l'éternité : ce qui serait pour
sa majesté divine une suprême indignité et un
suprême esclavage. Les oiseaux ont toute liberté
de prendre leur vol vers des régions nouvelles, les
hommes de se promener sur toute la terre, les
poissons de nager dans l'eau : ce leur est une
consolation que cette liberté, et Dieu n'en jouirait
pas ! et il demeurerait fixé en un point de l'espace
sans pouvoir en sortir jamais ! Les criminels,
même les plus étroitement enfermés et enchaînés,
peuvent par une faveur de leurs juges, être mis en
40 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
liberté, et Dieu ne pourrait jamais s'échapper du
lieu de sa résidence obligée ! Toutes ces supposi-
tions choquent le bon sens et la raison : reconnais-
sons donc rimmensité de Dieu, sa présence en
tout lieu et ne lui assignons pas de bornes.
Dieu est non seulement dans ce monde et dans
toutes ses parties, mais il est aussi au-delà de
ce monde, dans les espaces incommensurables où
nous concevons comme possible l'exercice de sa
puissance, où des mondes nouveaux peuvent sur-
gir à sa parole, où il ne répugne pas qu'un ange
même se transporte. Nous en concluons nécessai-
rement que Dieu s'y trouve, car il est partout
où nous concevons sa présence comme possible,
partout où peut être une de ses créatures. Si Dieu
n'était pas dans tous les lieux possibles, un ange
pourrait le faire sortir de ce monde ; il lui suffirait
d'en franchir lui-même les limites : il aurait aussi
la faculté de l'y enfermer de nouveau, quand
lui-même y rentrerait. Aussi saint Augustin (i)
a-t-il parlé dignement de Dieu, quand il l'a com-
paré à une mer sans rivages, dans les profondeurs
de laquelle serait plongée une petite éponge.
L'éponge, d'après lui, c'est le monde que Dieu
pénètre intimement et déborde de toutes parts,
comme l'eau de la mer pénètre et déborde
l'éponge; avec cette différence que ce n'est pas
la mer toute entière, mais quelques gouttes d'eau
seulement qui pénètrent dans l'éponge, tandis que
Dieu est tout entier dans le monde et de plus
le déborde jusqu'à l'infini.
Admire donc, ô mon âme, la grandç«lf3mBijçnse
I. Conf., 1. 7, cap. 5.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 4I
de Dieu qui réside, bien que caché, dans toutes
les créatures et s'élève au-delà de tous les cieux.
O Dieu immense, vous êtes au-dedans et au-
dehors, au-dessus et au-dessous de tout : au-
dessus, vous n'êtes pas plus élevé pour cela ;
au-dessous, vous n'êtes nullement abaissé ; au-de-
dans, vous n'êtes pas enfermé; au-dehors, vous
n'êtes exclu de rien. Au-dessus, vous présidez à
tout; au-dessous, vous soutenez tout; au-dedans,
vous remplissez tout ; au-dehors, vous embrassez
tout. Quel respect ne devons-nous pas vous témoi-
gner en tout lieu ? Par là, vous m'apprenez, Sei-
gneur, que l'orgueil n'est tolérable en aucun lieu
du monde, parce que vous êtes partout, vous, l'Etre
digne de respect et d'adorations infinies. Seigneur,
puisque nous avons la vie, le mouvement et l'être
en vous, comme les poissons dans l'eau et les
oiseaux dans l'air, si nous venons à commettre un
péché, ce n'est pas seulement sous votre regard que
nous le commettons, mais dans votre très pure
substance. Puisqu'il en est ainsi, quelle confusion,
quelle horreur ne devons-nous pas en ressentir ?
Hélas ! Seigneur, où me cacherai-je ? quelle
caverne sera assez sombre pour donner asile à
mon âme pécheresse ? Un seul espoir me reste,
c'est que « vous ne rejetterez pas un cœur
contrit et humilié. » (Ps. 5o.)
II
Dieu est en tout lieu de plusieurs manières, mais
il est présent d'une manière spéciale dans notre
âme. Il est partout par son essence, par sa présence
et par sa puissance ; par son essence, car sa substance
42 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
embrasse tout Jusqu'aux extrémités du monde et en
pénètre immédiatement par elle-même, toutes les
parties ; par sa présence, car il connaît tout, a les
yeux partout, voit le dedans et le dehors de toute
créature d'une manière si parfaite, que rien
n'échappe à son regard, pas même le plus mince
détail, pas même le point le plus obscur et le plus
caché. Enfin Dieu est partout par sa puissance,
car il agit dans toutes les créatures, soit en les
créant, soit en les conservant, soit en les dirigeant
vers leurs fins propres et en concourant à toutes
leurs actions. Ainsi ses mains invisibles sont
partout ; de sa puissance dépend d'une manière
immédiate tout ce qui subsiste. Il ne se contente
pas d'agir par l'intermédiaire des anges et des
causes secondes en les faisant participer à sa
puissance, à l'instar des rois de la terre qui, bien
qu'ils ne soient présents qu'en un seul endroit de
leur royaume, sont néanmoins considérés comme
présents dans toutes les provinces par le seul fait
que leurs officiers sont comme leurs bras et
exécutent leurs ordres. Dieu est présent par
lui-même dans toutes les créatures et agit cons-
tamment avec elles : c'est pour cela que nous
disons qu'il est partout par sa puissance.
Toutefois s'il est présent de certaines manières
dans les êtres créés, il est présent à l'âme d'une
façon spéciale. Il est en elle par son essence et
par une sorte de cohabitation, mais de plus il
réside avec délices dans cette belle lumière créée
à son image et à sa ressemblance puisqu'il va
jusqu'à dire : « mes délices sont d'être avec les
« enfants des hommes. » (Prov, 8.) Il est en elle
DES ATTRIBUTS DE DIEU 43
par sa présence et par sa connaissance ; mais avec
une providence toute particulière qui a pour but
de la diriger vers une fin plus élevée et de lui
fournir les moyens de l'atteindre. Enfin, il est en
elle par sa puissance et par son action ; mais il a
pour elle des communications plus intimes, il
lui prête un concours plus complet. Par la grâce
prévenante il l'appelle, par la grâce sanctifiante et
par l'infusion des vertus il la justifie. Ce qui
constitue une double coopération, Tune pour
les actions naturelles, l'autre pour les actions
surnaturelles.
Quel trésor Tàme possède au dedans d'elle-
même ! c'est celui-là même qui est l'objet de son
espérance et le but de tous ses efforts. Quelle
consolation, quelle confiance ne doit pas inspirer
dans la tribulation la présence de ce Seigneur,
qui établit en elle sa résidence particulière, qui
est si riche, si beau, si puissant ? la présence de
cet ami si doux qui ne l'abandonne jamais ? O
mon âme, ne vous attristez plus des pertes de ce
monde, rentrez en vous-même et vous y trouverez
tout votre bien ; « Je royaume de Dieu est au-
dedans de vous » (Luc 17), et Dieu même, le
souverain de ce royaume est votre hôte. Ah ! ce
grand Dieu est dans l'intime du cœur, mais notre
cœur ingrat s'est éloigné de lui. Cœur incivil,
rentrez en vous-même et présentez vos hommages
à cet hôte du ciel ; rendez-vous compte des opéra-
tions qu'il accomplit en vous et ne le laissez
jamais sans l'entretenir, comme il convient à sa
noblesse et à sa grandeur infinie.
44 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
III
Dieu qui est présent dans tous les lieux du
monde sans exception, ne contracte du fait de cette
présence et de ce contact, aucune souillure. La
malice des hommes ne le corrompt pas, les infec-
tions du monde ne le souillent pas, ni les crimes,
ni les supplices de Tenfer n'ont de prise sur lui.
A ce point de vue, une belle image de Dieu, c'est
le rayon de soleil, qui conserve sa pureté dans la
fange et n'en contracte aucune souillure : ainsi
Dieu conserve inviolable en tout lieu sa pureté, sa
beauté, sa sainteté. Saint Denys (i), cet homme
divin, en donne la raison : c'est, dit-il, que partout
où il se trouve. Dieu est comme recueilli et con-
centré en lui-même ; il demeure toujours ferme,
stable et immuable. Il ne change donc pas et dès
lors il ne peut ternir sa splendeur par le contact
des êtres immondes. Il est dans l'intime des créa-
tures, mais il s'y trouve comme replié en lui-
même, et par conséquent hors des impressions et
des atteintes des créatures.
Voilà une des merveilles de son Essence : autant
il est près des créatures par l'attribut de son
immensité, autant il est hors de leur portée par
l'attribut de son infinité et par la sublime perfec-
tion de sa nature. Il est à la fois très présent en
elles et très éloigné d'elles, très uni à elles et très
séparé d'elles.
Je me félicite. Seigneur, d'avoir appris que votre
très pure Essence n'éprouve aucun dommage de sa
présence au cœur même de n'importe quelle créa-
I. De coelesti hierar,
DES ATTRIBUTS DE DIEU 4D
ture. Il en va bien autrement pour les hommes :
s'ils fréquentent le monde, le peu de vertu qu'ils
ont y est exposé comme sur une mer dangereuse
et y fait souvent naufrage. Jamais ils n'en revien-
nent tels qu'ils y étaient allés, mais plus avares,
plus cruels, plus ambitieu^ qu'auparavant. Vous,
Seigneur, êtes saint partout. O l'admirable perfec-
tion ! puissé-je par un effort de ma volonté l'imiter
dans une certaine mesure, en conservant dans mes
relations extérieures le recueillement qui me pré-
servera des souillures du monde et de devenir
plus vicieux.
Vlir MÉDITATION
DE L'IMMUTABILITÉ DE DIEU
SOMMAIRE
Dieu est immuable en lui-même — dans ses
opérations extérieures — // est seul immua-
ble.
I
DIEU est immuable, ce qui veut dire toujours
le même. Tel qu'il était avant la création,
tel il est aujourd'hui, tel il persistera sans chan-
gement durant l'éternité. « // n'y a point en lui
« de changement, dit saint Jacques, pas même
« Vombre d'une variation. » (Jac. i). Il est bien
46 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
différent du soleil qui se meut dans l'espace, qui
subit des éclipses du fait de Tinterposition de la
lune, et dont quelquefois Téclat est voilé par les
nuages : il est aussi bien différent des Prothées et
de ces dieux de la fable dont les poètes ont chanté
les métamorphoses et les multiples transforma-
tions. Le divin Platon (i) a réfuté ces rêveries par
le raisonnement suivant : Si Dieu subissait quel-
que changement, ce changement serait produit ou
par un autre être que Dieu ou par Dieu lui-même.
Dira-t-on que c'est par un autre être que lui ?
C'est impossible. En effet plus une chose est soli-
dement bâtie, plus elle résiste aux forces étran-
gères. Un corps robuste n'est pas altéré par le
travail, un esprit sage et fort ne se trouble pas ;
les vaisseaux bien construits, les édifices solidement
assis, en un mot, tout ce qui est fort et solide, esta
l'abri du changement. Et dès lors puisque Dieu
est l'Etre le plus fort, le plus parfait que nous
puissions imaginer, il ne peut recevoir aucune
secousse venue du dehors.
Dira-t-on que lui-même peut modifier son
Essence ? c'est encore inadmissible : car le change-
ment devrait avoir lieu ou en mieux ou en pire. Il
ne peut se faire quelque chose de meilleur et de
plus parfait que Dieu : peut-on en effet rien ima-
giner de plus beau et de plus accompli que cette
Essence divine qui possède tous les biens possibles
dans une béatitude constante et invariable ? Le
changement ne peut se faire en quelque chose de
moins parfait : qui donc consentirait a se diminuer
soi-même, à se dégrader de ses propres mains ? Il
i. L. a de republica.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 47
est donc absolument nécessaire que Dieu soit
immuable.
Je le comparerai volontiers à une place forte
dont une ceinture de bastions, de tours et de
boulevards défend Taccès. Dieu est protégé de
toutes parts contre tout changement par ses attri-
buts : son éternité consolide son existence contre
l'effort du temps qui est impuissant à Tentamer du
côté du commencement comme du côté de la fin ;
son immensité le met à Tabri de la nécessité de se
transporter d'un lieu dans un autre ; sa simplicité
le défend contre tous les accidents ; sa sagesse et
sa prudence infinie le rendent immuable dans ses
volontés comme dans ses décrets ; et au-dessus de
tout, sa félicité parfaite lui procure un éternel
repos en lui-même et exclut tout désir.
O Dieu, toujours le même, toujours impassible
et immortel ! je vous félicite de jouir d'une béati-
tude qui n'aura jamais de fin. Qu'elle est heureuse
la créature qui se donne à vous, son bien impérissa-
ble et qui ne saurait jamais lui faire défaut! Le ser-
vice des grands de ce monde est déjà peu agréable, à
cause de leur humeur bizarre et changeante, mais
le plus grand inconvénient qu'il a, c'est la fragilité
de la vie de tels maîtres : si elle vient à s'éteindre,
c'en est fait de celui qu'on aimait et de toutes les
espérances qu'on avait fondées sur lui. Mais vous,
Seigneur, quiconque vous sert est assuré que
votre fortune ne chancellera jamais, que la mort
ne vous ravira jamais à son affection : qui vous
possède, vous possède pour toujours. Que je vous
serve donc, ô mon Dieu ! O bien très stable et
très assuré, que je parvienne à jouir de vous et ce
48 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sera pour toujours : ma vie sera satisfaite et iné-
branlablement assurée en vous.
II
Dieu est encore immuable dans son action et
dans sa conduite à Tégard des créatures ; quelque
changement qu'il leur fasse subir, il demeure, lui,
immuable. Ni accroissement, ni diminution ne
peuvent lui venir de leur part. Toute faculté est
déterminée dans son essence et spécifiée, par son
objet formel et principal : elle ne peut recevoir de
son objet secondaire qu'une perfection acciden-
telle. Or, Dieu est une pure essence qui n'admet
pas d'accident ; il ne peut donc recevoir absolu-
ment rien de ses créatures qui ne constituent que
l'objet secondaire de ses facultés divines. Quels
que soient les changements qui surviennent en
dehors de Dieu, rien en lui n'est changé ; qu'il
considère ses créatures ou ne les considère pas,
qu'il les veuille ou ne les veuille pas, qu'il les
crée ou qu'il ne les crée pas, du sein de son repos
et de sa paix il fixe toujours sur elles le même
regard immuable. Les hommes Toffensent-ils ?
conspirent-ils contre lui ? il ne s'en émeut pas, car
il sait qu'il n'est pas donné aux plus ingrats et aux
plus pervers de rien lui ravir par leurs blasphè-
mes. Les hommes l'honorent-ils et le servent-ils ?
il sait que son bonheur ne peut recevoir aucun
accroissement mcMne des efforts combinés de tout
le genre humain. « Sï tu es juste^ dit Job, et que
« ta vie soit immaculée, quel avantage lui en
« reviendra-t-il ? » (Job, 22.) Si quelquefois Dieu
envoie les anges et d'autres fois les rappelle, si
DES ATTRIBUTS DE DIEU 49
tantôt il confère sa grâce et tantôt la retire, si dans
certain cas il châtie les méchants et si dans d'autres
il dissimule, aucun de ces changements n'est en
lui, mais ils sont dans la créature. « Ce sont ses
« œuvres qui changent^ dit saint Augustin (i),
« mais jamais ses desseins. Il est l'Immuable
« qui change toutes choses, TEtre qui n'est ni
« ancien ni nouveau, mais qui fait partout sur-
« gir des nouveautés, qui fait vieillir et arriver
« insensiblement à la mort les rois. »
O Dieu qui demeurez toujours le même, tandis
que les créatures sont soumises à tant d'agitations
et de vicissitudes, je me plais à penser que vous
êtes tellement affermi au sommet et dans la pléni-
tude de rOtre qu'il m'est impossible, ni d'y rien
ajouter, ni d'en rien arracher, ni de vous y trou-
bler par le contre-coup de n'importe quel événe-
ment terrestre. Ah ! combien il serait à souhaiter
que ma volonté imitât cette inébranlable fermeté,
qu'elle ne ressentît aucune douleur des événe-
ments malheureux, ni aucune vaine joie de la
prospérité ! qu'il serait à souhaiter que ma résolu-
tion de vous servir ne fut jamais ébranlée par les
accidents de cette vie périssable. Ah ! puissé-je
dire avec saint Paul que « ni la mort, ni la vie,
« ni Vélévation, ni V humiliation, ni le ciel, ni
« Venfer, ni les hommes, ni les démons, ni
« aucune créature ne pourront me séparer de
« votre amour. » (Rom. c. 8.) Mais ô inconstance
humaine ! en un instant nous passons de l'espé-
rance à une crainte déraisonnable, de la modestie
à la dissolution, du silence à de vains discours, de
I. Conf., 1. I, c. 4.
Bail, t. i. r
DO LA THEOLOGIE AFFECTIVE
rhumilité à l'orgueil, de la charité à la rancune, de
la vertu au vice. O Dieu éternel, sans doute
ici-bas nous sommes soumis à la loi du chan-
gement, puisque nous ne pouvons parvenir au
repos que par le mouvement ; que du moins notre
changement n'ait plus lieu du bien au mal, mais
du mal au bien par une vraie conversion, et du
bien au mieux par un progrès continuel dans
les œuvres de vertu auxquelles vous nous appelez.
III
Enfin Dieu seul est immuable : les créatures
sont variables et changeantes. Les éléments se
détruisent mutuellement ; ils se transforment sans
cesse par une succession non interrompue de des-
tructions et de productions nouvelles. Les corps
composés comme sont les plantes, les animaux,
les hommes, font tous les jours un pas vers la mort,
pour faire place aux créatures qui se parent de
leurs dépouilles. Les cieux même tournent tou-
jours entraînant avec eux, d'heure en heure, dans
de nouveaux espaces, les astres et les planètes ;
leur substance même peut être anéantie par Dieu.
Et les anges également, eux dont la nature est
immortelle, acquièrent des qualités nouvelles et
pourraient être précipités dans leur néant primitif
par la puissance absolue de celui qui les en a tirés.
Les plus illustres monarchies du monde ont péri ;
les plus liorissantes cités, Ninive, Babylone, Rome,
ne sont plus. La fortune des plus grands a été ren-
versée ; la joie ici-bas ne se goûte qu'en courant.
Au milieu de tous ces bouleversements, l'homme
apparaît comme une ombre fugitive et ne demeure
DES ATTRIBUTS DE DIEU 31
jamais dans le même état. Ses projets et ses réso-
lutions sont soumis à de perpétuelles fluctuations :
son humeur est volage, ses passions l'agitent et le
secouent de toutes parts. A peine est-il né que la
mort se met à sa poursuite et réclame déjà une
part dans le premier jour de sa vie. Enfin tant
qu'il ne possède pas Dieu, il n'est à Taise en aucun
lieu de ce monde mobile, et ne trouve le plus sou-
vent de contentement que dans le changement et
dans la nouveauté.
Où donc pourrai-je me fixer et jeter l'ancre
de mes espérances, si ce n'est en vous, ô mon
Dieu? Tout n'est en ce monde que sable mouvant;
c'est une mer orageuse ; vous seul, ô mon Dieu,
êtes l'inébrankiblc rocher. Désormais je m'attache
à vous seul ; je ne veux plus mettre mon espé-
rance dans n'importe quelle créature ; je ne la
mettrai pas davantage dans cette vie d'un instant,
vie fragile et caduque, qui plus elle avance, plus
elle décroît, et qui plus elle marche, plus elle ap-
proche de la mort. Ah ! mon Dieu, mon souverain
bien ! tenez-moi fixé en vous seul et ne permettez
jamais que j'en sois séparé un seul instant.
52 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
\T MÉDITATION
DE L'ÉTERNITÉ DE DIEU
SOMMAIRE
Dieu possède parfaitement — et simultanément
— une vie sans commencement et sans fin.
I
DIEU est éternel, c'est-à-dire qu'il possède une
vie sans les deux limites du commence-
ment et de la fin. Toute vie peut en effet avoir
deux termes, Tun qui consiste à n'être pas encore,
l'autre qui consiste à n'être plus : le premier terme
est dans le commencement de la vie, le second est
dans sa fin. Le premier, toutes les créatures l'ont
eu, quand Dieu, à l'époque fixée par ses décrets,
les tira du néant ; le second arrive tous les jours,
quand périssent les créatures mortelles : il pourrait
même arriver pour les créatures immortelles, s'il
plaisait à Dieu d'user de sa toute-puissance pour
les anéantir. Les créatures qui vivent ne sont donc
pas éternelles, puisqu'elles sont bornées dans leur
vie ou du moins peuvent l'être au gré de Dieu, à
qui seul appartient le privilège d'être éternel. C'est
Lui « l'ancien des Jours » (Dan. 7), c'est « le pre-
mier et le dernier » (Is. 41). Sa vie a devancé tous
les siècles, nul ne peut lui assigner de commence-
ment. Et puisqu'il n'a pas de commencement, il
n'aura jamais de fin ; tandis que les années s'écou-
DES ATTRIBUTS DE DIEU 53
leront, il subsistera. Il est semblable à un inébran-
lable rocher qui se dresse au milieu d'un fleuve
impétueux : on le voit toujours immobile sur sa
base, pendant que les eaux passent et se succèdent
rapidement, pendant que les flots poussés les uns
par les autres se brisent contre lui et s'en vont.
Pourquoi Dieu est-il éternel ? Parce qu'il est
immuable. En effet qui dit immuable exclut tout
commencement, toute fin : car celui-là aurait con-
sidérablement changé qui serait passé du non-être
à l'être en commençant, et qui passerait de l'être
au non-être en mourant.
Et puis qui existait avant Dieu pour l'appeler à
la vie et maintenant quel est l'être plus puissant
que lui qui pourrait lui faire violence et le dé-
truire ?
Enfin où trouver dans cette Essence si parfaite
des éléments opposés qui pourraient la miner,
l'user et finalement la déposséder de la vie ? Que
reste-t-il donc, sinon que cette Essence est de tout
côté indestructible ?
Oui, mon Dieu, vous êtes éternel : vous êtes
avant tous les siècles et jusqu'aux siècles des siè-
cles. « Vous êtes toujours le même et vos années
ne finiront jamais. » (Ps. loi.) J'éprouve une
grande joie à la pensée que vous seul jouissez de
ce privilège de n'avoir été à aucune époque privé
de la vie et d'être à l'abri de toute crainte de la
perdre à l'avenir. Les rois sentiraient leur bonheur
s'accroître sans mesure, si quelqu'un pouvait leur
garantir une vie et un règne immortel : leur félicité
est singulièrement empoisonnée par l'appréhen-
sion que leur cause la pensée de la mort venant un
D4 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
jour leur arracher le sceptre et la couronne, et
transformer leur trône en un tombeau. Mais vous,
ô roi immortel des siècles, de toute éternité vous
avez régné et vous êtes assuré de voir ce glorieux
règne se perpétuer à jamais, à l'abri de toute
déchéance. Vous possédez par nature ce que les
créatures désirent si passionnément, l'immortalité.
Oh ! jouissez toujours de cette bienheureuse et
triomphante éternité.
II
La notion de l'éternité comprend, outre la
possession d'une vie sans bornes, l'idée d'une
vie dont on jouit dans toute sa plénitude à la fois.
Il importe de bien comprendre ces quelques
mots : ils renferment une des conditions néces-
saires de la grandeur et de la félicité de Dieu et
ils signifient qu'une telle vie doit renfermer toutes
sortes de biens à la fois. Or, nous affirmons que
tous les biens qui sont en Dieu, y ont toujours
été et qu'ils y seront toujours, parce que Dieu est
un acte pur, possédant toute réalité simultanément,
excluant tout accroissement successif, parce qu'il
a toujours joui de toutes les richesses, de toutes
les grandeurs et de toutes les joies possibles.
Il en va bien autrement des créatures de ce
monde : jamais elles ne possèdent à la fois tout
leur bien. Leurs commencements sont des plus
humbles et ce n'est que peu à peu, par de succes-
sives acquisitions qu'elles s'agrandissent. Il leur
arrive même souvent d'être assez malheureuses
pour n'acquérir un bien nouveau qu'au prix de
la perte d'un autre bien, dont elles avaient joui
DES ATTRIBUTS DE DIEU 55
paisiblement jusque là : c'est ainsi que les fruits
ne paraissent sur Tarbre qu'à la chute des fleurs.
Une jeune personne sera belle, mais souvent mal
élevée et indiscrète ; l'âge lui apporte la sagesse,
mais la beauté a disparu. Un homme dans la
vigueur de sa jeunesse fera preuve de force dans
les combats, mais non de prudence ; avec Tàge
vient la prudence, mais la force s'en est allée. Il
est donc évident que les créatures ne jouissent
pas de tous les biens à la fois. Sans doute comme
les anges, les âmes ont été parfaites dans leur subs-
tance dès le premier moment de leur création ;
mais elles n'ont pas eu à ce moment les perfec-
tions accidentelles qu'elles peuvent acquérir. En
effet le temps les enrichit de qualités nouvelles,
elles-mêmes produisent diverses actions : elles
n'arrivent au complet épanouissement de leur être
que par degrés, éprouvant tantôt une joie et
tantôt une autre et ainsi ne jouissent jamais à la
fois, de tous les biens dont elles sont susceptibles.
C'est le privilège exclusif de Dieu d'avoir eu tout
en une fois, la plénitude de ses perfections, d'avoir
toujours goûté et de continuer à goûter autant de
délices que des siècles sans nombre peuvent en
tenir en réserve. En un même instant se sont
trouvés réunis en Dieu tous ces biens qui se per-
pétuent sans changement à travers l'éternité.
O Dieu ! combien l'éternité importe à votre
bonheur, puisque en une seule fois elle vous
comble de tous les biens ! O Dieu très heureux,
que vous êtes aimable en tout temps, autant
avant la création du monde qu'aujourd'hui et
toujours ! O Dieu très bon qui vous rendra
56 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Tamour qui vous a été dû de tout temps, qu'on
vous doit aujourd'hui et qu'on vous devra tou-
jours ? Seigneur, accordez-moi de pouvoir rassem-
bler toutes mes forces à la fois et recueillir tous
mes désirs, pour vous les offrir. O Seigneur,
inspirez-moi à la fois tout l'amour dont mon
cœur est capable, et dès maintenant, sans plus
attendre, je vous aimerai avec toute la perfection
possible à une créature.
III
L'éternité est encore une possession parfaite de
la vie, c'est-à-dire une possession à laquelle rien
ne manque. Il ne peut y avoir aucun mal dans la
possession d'une telle vie, où se trouvent réunis
tous les biens, de même qu'il n'y a pas de ténèbres
dans le soleil, cet éblouissant foyer qui inonde le
monde de sa lumière. Or, Dieu possède la vie
avec toutes les conditions qui peuvent rendre cette
possession parfaite : la première condition est
que celui qui l'a, la possède seul, car celui qui
partage son droit avec un autre ne possède pas
entièrement, ni dès lors parfaitement. Or, Dieu
est le seul à posséder une vie sans bornes.
La seconde condition est qu'elle soit possédée
d'une manière absolument indépendante , celui
qui dans la possession d'une terre relève de la
suzeraineté d'un autre, ne la possède pas en toute
propriété, et sa condition est moins honorable
que celle d'un vrai maître. Or, Dieu possède la
vie d'une manière souverainement indépendante,
il ne reconnaît au-dessus de lui aucun être supé-
DES ATTRIBUTS DE DIEU S"]
rieur à qui il soit tenu de rendre ni hommage, ni
devoir d'aucune sorte.
Enfin, une possession n'est parfaite qu'à la
condition d'être assurée : celui qui jouit d'un
bien avec la crainte de le perdre, ou de pouvoir
en être un jour dépouillé, ou simplement de
pouvoir être troublé dans sa possession, est privé
de la satisfaction que doit lui procurer cette pos-
session ; il possède des inquiétudes en même
temps que son bien. Dieu au contraire possède la
vie et tous les autres biens avec l'inébranlable
certitude que personne ne pourra les lui ravir, ni
l'inquiéter aucunement à leur sujet. Je conclus
que Dieu jouit de la véritable éternité, puisqu'il
possède la vie parfaitement.
O Seigneur, possédez, possédez toujours la vie
dans toute sa perfection. Je reconnais qu'il n'y a
que vous seul qui la possédiez de la sorte. Nous,
nous sommes pauvres en réalité, vous seul êtes
riche. Mais le pauvre a recours au riche pour en
être assisté ; et moi. Seigneur, c'est à vous que
je m'adresse, je vous appelle à mon aide. Ma vie
se précipite chaque jour vers sa fin : de ces biens
périssables qu'elle renferme, aucun ne m'appar-
tient : qu'au moins je possède votre amour ! O
vous, ma suprême espérance, exaucez-moi et je
vous oiîrirai en sacrifice mon cœur avec mille
louanges.
58 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
r MÉDITATION
DE L'UNITÉ DE DIEU
SOMMAIRE
Lunité de Dieu est un avantage pour Dieu
— pour le monde — pour chaque homme en
particulier.
I
DIEU est unique : c'est d'abord son suprême
intérêt : il ne doit sa grandeur et son
excellence qu'à ce privilège d'être unique, car sans
lui il ne serait ni le premier des êtres, ni l'Etre
souverain, indépendant, parfait, sous la puissance
de qui tout fléchit. Supposons qu'il ait un collègue,
un égal, un autre Dieu, possédant une nature
distincte de la sienne. D'abord il ne serait pas le
premier des Etres, car cet égal serait sur le
même rang que lui et aurait le droit de lui con-
tester l'honneur de la primauté. Il ne serait pas
l'Etre souverain, car entre égaux la souveraineté
n'a pas lieu. Il ne serait pas l'Etre indépendant,
car il devrait dépendre de son rival : en effet,
celui-ci étant Dieu, aurait ce privilège inséparable
de la divinité, que tout autre que lui relèverait de
son domaine. Il ne serait pas parfait : car il lui
manquerait la perfection infinie que devrait pos-
séder son rival pour se distinguer de lui. Enfin il
ne serait pas le souverain maître de tous, puisque
son égal ne tiendrait rien de lui et par conséquent
DES ATTRIBUTS DE DIEU DQ
ne lui devrait aucune espèce de soumission. Donc
pour que Dieu soit ce qu'il est, c'est-à-dire le
premier Etre, TEtre souverain, indépendant,
parfait, TEtre à qui tout est soumis, il est abso-
lument nécessaire qu'il soit unique.
C'est grâce à ce privilège qu'il se distingue
glorieusement de toutes les créatures, dont la
nature se multiplie tous les jours dans des indivi-
dualités nouvelles : nous savons qu'il existe, en
effet, un grand nombres d'hommes et un grand
nombre d'anges d'une même espèce. Et s'il est
vrai qu'il n'y ait au monde qu'un seul soleil,
Dieu peut en produire autant qu'il y a de petits
passereaux et de moucherons, autant qu'il y a
d'étoiles dans le ciel. C'est ainsi que les choses
les plus rares du monde peuvent être multipliées
par Dieu, tandis que lui, est nécessairement unique
et n'admet point un seul égal, à moins de renon-
cer à son titre de maître absolu.
O Etre unique et Dieu incomparable ! je vous
félicite de votre unité et je me réjouis à la pensée
que vous êtes à une telle hauteur que personne
ne peut en approcher et se dire votre égal, car
« qui est Dieu en dehors du Seigneur ? Q^ui est
« Dieu hormis notre Dieu ? » (Ps. 17.) Ah ! je
souffrirais de voir qu'un autre fut Dieu comme
vous, qu'un autre partageât votre gloire. O Roi
du monde, régnez toujours dans votre souveraine
unité, soyez toujours l'Unique, l'Incomparable.
II
Que Dieu soit unique, c'est aussi l'intérêt du
monde. Les êtres demandent en effet à être bien
6o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
gouvernés, il leur faut la forme de gouvernement
la plus parfaite. Or, telle est la monarchie ou le
gouvernement d'un seul, quand il est sage. Donc
il y va de Tintérêt du monde qu'il n'y ait qu'un
seul Dieu, qui soit le roi légitime de l'univers.
Quand il y a plusieurs rois à la tête d'un
royaume, c'est la cause de séditions et de calami-
tés qui font gémir les provinces ; et il est permis
d'affirmer que si plusieurs dieux gouvernaient le
monde, ce serait à son grand détriment : difficile-
ment les hommes auraient la paix et la concorde,
chacun d'eux combattant jusqu'à la mort pour le
Dieu qu'il servirait.
Et les hommes n'en souffriraient pas seuls,
mais aussi le monde entier : comme plusieurs
dieux auraient le droit d'y exercer leur puissance,
ce que voudrait l'un d'eux, un autre pourrait ne
pas le vouloir et l'empêcher. Puisqu'ils jouiraient
de la liberté, ils pourraient s'accorder comme
aussi ne pas s'accorder, et combien seraient épou-
vantables pour le monde les conséquences d'un
désaccord ? Quel désordre n'en résulterait-il pas
dans tous les êtres de la création ? Donc le monde
ne peut subsister que par l'unité de Dieu qui
entraîne l'unité de plan et de direction.
J'ajoute qu'un seul Dieu suffit pour bien gou-
verner le monde : et c'est à ce point de vue que
Dieu surpasse tous les monarques et tous les
empereurs. Il est nécessaire qu'il y en ait un
grand nombre ici-bas, parce qu'un seul serait
incapable, à cause des bornes de l'esprit humain,
de gouverner tous les peuples. De plus, même le
plus puissant roi et le plus redoutable doit tou-
DES ATTRIBUTS DE DIEU
jours craindre que son autorité ne soit ébranlée
ou renversée par un rival. Dieu au contraire dont
l'intelligence est infinie est à la hauteur de cette
grande tâche, il lui est même supérieur ; et puis
son autorité est si solidement établie dans le
monde qu'il n'y a personne de taille à lui résister.
J'en conclus que rien n'est plus avantageux au
monde que d'être gouverné par un seul Dieu.
O Roi des rois, que le monde entier se réjouisse
à la pensée que vous êtes son seul maître et son
souverain seigneur ! Et puisque personne ne peut
vous résister, que nous reste-t-il à faire, si ce
n'est de nous mettre en bons termes avec vous ?
Si vous avez décrété de rendre mon âme bienheu-
reuse, la menace qui voudra, l'attaque qui vou-
dra, elle est sauvée ; nul ne sera assez fort pour
la frustrer des effets de votre bienveillance. Mais
d'autre part qu'avons-nous à redouter davantage
que d'être en guerre avec vous ? Si une àme a
mérité, hélas ! par ses fautes votre disgrâce, qui
pourra la mettre à l'abri des coups de votre juste
colère ? car, ô Seigneur, vous gouvernez tout seul
cet univers, armé d'une puissance à laquelle per-
sonne ne résiste.
III
•
Enfin il est encore de l'intérêt de chaque homme
en particulier, qu'il n'y ait qu'un seul Dieu. C'est
un devoir pour nous de servir Dieu comme notre
principe et de tendre vers lui comme vers notre
fin. Mais s'il y avait plusieurs dieux, il nous serait
impossible de nous acquitter de nos devoirs envers
eux : car l'oracle de la vérité dit : « Personne ne
62 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« peut servir deux maîtres; car ou il aimera
« Vun et détestera Vautre, ou tien il détestera
« Vun et aimera Vautre. » (Matt. 6.) Quelle direc-
tion prendrait une pierre qui subirait l'attraction
de deux centres ? elle ne saurait où se porter. Et
que ferait une âme, s'il y avait plusieurs dieux ?
elle ne pourrait se donner à l'un, sans renoncer à
l'autre, ni obtenir l'amour de l'un, sans encourir
l'indignation de celui qui se sentirait méprisé. Se
résoudra-t-elle à servir plusieurs dieux, à l'exemple
des païens qui offraient des sacrifices à une mul-
titude d'idoles ? elle ne plaira à aucun d'eux,
parce que cet amour partagé qu'elle leur offrira,
sera trop faible ; il ressemblera aux eaux d'un
fleuve que l'on ferait dériver par une multitude
de canaux et dont on détruirait ainsi la force et
l'impétuosité. Et puis le cœur de l'homme n'est
pas assez grand pour aimer deux dieux à la fois :
c'est un lit trop étroit et un manteau trop court
pour deux personnes.
Ajoutons que celui qui admet plusieurs dieux,
leur attribue nécessairement à chacun une puis-
sance moindre et leur accorde une moindre
estime : il ne ressent en face d'eux qu'un senti-
ment de respect et de crainte diminué. Celui qui
au contraire ne reconnaît qu'un seul Dieu, l'estime
et l'honore davantage, en raison même de ce qu'il
est unique, parce qu'il le considère comme celui
en qui se rencontrent tout bien et toute perfec-
tion, comme l'être sans égal au point de vue de
la bonté, de la grandeur et de la félicité. Cette
pensée l'excite à lui rendre de plus grands devoirs
de piété, à devenir lui-même plus saint et plus
DES ATTRIBUTS DE DIEU 63
religieux. Son devoir est simplifié et rendu plus
facile par le fait qu'il se borne à servir un seul
maître et à aspirer à la possession d'un seul
Dieu. Aussi dès cette vie Thomme éprouve-t-il
dans le service de ce Dieu des douceurs et une
paix qui chassent ses inquiétudes et lui apportent
comme un avant-goût du ciel.
Pourquoi donc, ô Dieu unique, tarder davan-
tage à unir toutes mes forces pour vous servir ?
Oui, vous êtes cet « unique nécessaire » (Luc, lo)
et seul nécessaire. Pourquoi donc mes affections
sont-elles partagées entre tant de créatures que je
traite comme autant d'idoles ? Vous seul, Sei-
gneur, me suffisez, vous seul m'êtes nécessaire,
vous seul êtes mon principe et ma fin ; vous êtes
mon seul bien, supérieur à tout bien. Qu'une
seule et unique affection règne dans mon cœur ;
que, grâce à vous, elle triomphe de toute autre
affection, afin que vous, l'Etre unique au monde,
vous soyez uniquement et exclusivement aimé
par votre créature.
64 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Xr MÉDITATION
DE LA PURETÉ, DE LA SAINTETÉ
ET DE LA BEAUTÉ DE DIEU
SOMMAIRE
Dieu est très pur — très saint — et très beau.
I
LA pureté de Dieu est parfaite. Dieu est très
pur, parce qu'il est absolument exempt de
toute sorte de taches ou d'imperfections : nous
aurions beau le scruter pendant toute l'éternité,
nous ne découvririons jamais en lui le moindre
défaut de rectitude, la plus légère imperfection.
Les créatures ne sont pas pures, parce qu'elles
sont mêlées avec des choses qui sont moins
nobles qu'elles, qu'elles leur sont unies ou physi-
quement ou par un attachement du cœur. Ainsi
un homme est souillé, quand il est couvert de
boue ou quand il aime passionnément ce qui est
bas ou indigne de son cœur. « Car, dit S. Tho-
mas (i), « une chose s'altère, par son mélange
avec une autre qui lui est inférieure. »
Or Dieu, par l'unité de son Etre, est infiniment
éloigné de la bassesse des créatures et de toute
leur corruption. S'il les aime, c'est uniquement
en vue d'une fin très sainte, en vue de sa gloire,
I. 3, q. 81. art. 8,
DES ATTRIBUTS DE DIEU 6B
c'est d'une manière si conforme à l'ordre, qu'il ne
peut contracter par un tel amour aucune imper-
fection. Il est tellement à l'abri de tout péché,
que dévier de la justice lui est impossible. Com-
mettrait-il un péché de malice, lui qui est la
bonté infinie ? un péché d'ignorance, lui qui est la
sagesse infinie ? un péché de fragilité, lui, la
force infinie ? Pécherait-il emporté par la passion,
lui qui est l'inaltérable sérénité ? pécherait-il par
surprise, lui qui veille toujours et sur toutes cho-
ses ? par excès de sévérité, lui qui est plein de
miséricorde ? par défaut de justice, lui qui est la
justice même? Résumons-nous : Dieu est pur en
tout, dans ses actions, dans ses paroles, dans ses
pensées ; pur dans son Essence, miroir sans
tache, pur dans la production des Personnes de
la Trinité, où il n'y a rien qui ressemble aux
souillures des générations terrestres, .pur dans la
création, pur dans le gouvernement et dans le
jugement de toutes les créatures : ce jugement
n'a même d'autre but que de condamner l'impu-
reté et de glorifier la pureté. O Dieu immaculé,
« aux yeux de qui les étoiles ont des taches. »
(Job, i5.) O Dieu très beau, « qui ave^ les yeux
« purs, afin de ne pas approuver Je mal. »
(Hab. I.) Je me réjouis de vous savoir infiniment
pur et bien différent de nous, mortels misérables,
qui nous souillons dans la plupart de nos actions.
Comment avons-nous l'audace de murmurer con-
tre vous, qui n'êtes sujet à aucune imperfection ?
Je devrais plutôt dire . Comment pouvez-vous
supporter nos vices et nos coeurs si impurs ?
Quelle attitude prendra mon âme, quand elle pa-
Bait, t. I. %
66 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
raîtra en face de votre admirable pureté ? De
mon propre fonds je n'ai que souillure ; vous, ô
pureté infinie, purifiez-moi, « lave^-moi de plus
« en plus de mon iniquité et de mes souillu-
« res. (Ps. 5o.)
«
II
La sainteté de Dieu consiste dans un assem-
blage de toutes sortes de vertus et de perfections
morales. « Le Seigneur est juste dans tous ses
« desseins et saint dans toutes ses œuvres. »
(Ps. 114.) On confond quelquefois la pureté avec
la sainteté et on les prend pour une même chose.
Il y a lieu néanmoins, de distinguer dans la
sainteté deux points de vue qui sont Téloigne-
ment du mal et la pratique du bien. On voit
par là, que la sainteté comprend en elle-même la
pureté, en tant qu'elle prescrit l'éloigement du
mal. On voit aussi qu'elle s'en distingue en tant
qu'elle porte à la vertu et à la perfection des
mœurs. Conformément à cette distinction, Dieu
est pur, parce qu'il est sans péché et sans imper-
fection, puisqu'il possède les habitudes et les
actes de toutes les vertus morales qui sont
compatibles avec la suprême Majesté.
Et d'abord, l'Essence divine est la source de
toute sainteté et chacun est d'autant plus saint
qu'il est plus uni à cette sainteté substantielle :
par conséquent Dieu est infiniment saint, lui qui
est cette Essence même, cette source de sainteté,
lui qui de plus est uni à cette Essence par le lien
d'un amour éternel, immuable et infini, d'un
amour supérieur au-delà de toute expression à
DES ATTRIBUtS DE DIEU 6j
l'amour qu'ont pour cette même Essence, les
créatures les plus éminentes en sainteté. C'est
pourquoi leur sainteté mise en regard de la sienne
ne compte pas, ou n'est qu'une ombre de la
sienne.
De plus, la conduite de Dieu est toujours
parfaite ; ses résolutions sont immuables, aucune
inconstance ne le détourne de la pratique du bien.
L'honnêteté lui plaît en tout temps et en tout
lieu, comme le mal lui déplaît. Sa prudence
paraît dans la prévision qu'il a de toutes choses
et dans la connaissance qu'il en a avant même
qu'elles existent ; sa sagesse pèse tous les résultats
de ses œuvres et de ses entreprises, sa patience
se manifeste quand il ne laisse pas, malgré les
offenses qu'il reçoit des créatures, de leur offrir
les biens temporels, et, si elles le désirent, les
biens spirituels, quand il fait lever son soleil et
qu'il fait pleuvoir sur les justes et sur les
méchants ; sa droiture éclate dans ses œuvres; il
exerce sa miséricorde sans préjudice de sa justice
et sa justice sans jamais offenser sa miséricorde.
Sa libéralité envers sa créature est évidente,
puisqu'il ne cesse de lui communiquer ses biens
propres, autant qu'elle peut les recevoir. Son
amour de la paix, rien ne le prouve mieux que
cette disposition constante à pardonner à ses
ennemis jurés. Sa modération paraît en ce qu'il
n'exige de chacun qu'un effort proportionné à ses
forces et aux grâces reçues. Sa véracité ne saurait
être mise en doute : le ciel et la terre passeront
plutôt qu'une seule syllabe de ses paroles. Il a
horreur de toute acception de personne, car il
68 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
prend soin de toutes les créatures grandes ou
petites, leur donne ou leur conserve l'être, leur
fournit continuellement ce qui est nécessaire à
leur vie. Sa paix est parfaite et imperturbable,
rien ne peut altérer sa sérénité. Terminons en
disant qu'il est juste et miséricordieux, équitable
et bon, si parfait dans toutes ses actions qu'on ne
saurait rien y trouver à reprendre et que tout y
est digne d'être loué éternellement.
O Dieu! laissez-moi vous louer de votre sainteté.
Laissez-moi m'écrier avec le bienheureux Séra-
phin : « Saint, saint, saint est Je Seigneur, Dieu
« des armées. » (Is. 6.) Que tous les esprits créés
rendent hommage à votre sainteté adorable. O
Dieu très admirable, vous qui ne voulez pas être
imité par vos créatures dans votre puissance ni
dans votre suprême majesté, mais qui voulez
l'être dans votre sainteté, puisque vous leur avez
dit : « Soyei{ saints, parce que je suis saint »
(Lév. II.); je vous demande au nom de votre
bonté et de tous vos divins attributs, d'imprimer
dans nos âmes créées à votre image, la sainteté
de vos mœurs. Soyez l'exemplaire de ma vie
et de toute la perfection à laquelle je pourrai
atteindre.
III
Dieu est beau (i) ; comment pourrait-il ne pas
l'être celui qui n'a aucune tache et qui est comblé
de toutes les perfections? On appelle beau ce qui
flatte la vue, ce qui est dans toute son intégrité
X. Alvarex, Midit. p. 3. dec. 3. contemp. 8. D. Basilius In
regulis, s.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 69
et n'a pas de défaut, ce qui offre au regard de
justes proportions et une parfaite harmonie entre
ses parties, enfin ce qui brille d'un certain éclat
et qui est orné des couleurs qui lui conviennent.
Or, Dieu très pur esprit est très agréable à voir,
sa vue cause même tant de délices et de joie que
ni ennuis, ni douleurs, n'ont accès dans l'àme qui
a le bonheur de le contempler. Son intégrité est
parfaite, elle n'admet ni diminution ni mutilation
d'aucune sorte. Tout en lui offre d'admirables
proportions : chacune de ses perfections atteint
l'infini et est en parfaite harmonie avec sa nature
également infinie. Enfin, il est la lumière vivante, à
laquelle ne sont point mêlées de ténèbres et que
ne cesseraient d'admirer le soleil et les astres
les plus brillants, s'ils la connaissaient, parce
que leur lumière créée n'est que ténèbres en face
de cette splendeur incréée.
Le divin saint Denys (i) nous dit : Dieu est beau
sous tous les rapports : il est plus que beau ; il est
beau sans changement, d'une beauté qui n'a pas
eu de commencement et n'aura pas de déclin, qui
ne peut ni croître ni décroître, qui brille non pas
dans une partie de son être, mais dans son être
tout entier, non pas pendant un temps limité, mais
dans tous les temps, non pas dans un seul lieu,
mais en tout lieu ; il est beau enfin, non pas d'une
beauté qui plaît à quelques-uns seulement, mais
d'une beauté qui ravit tous les êtres. Sa beauté est
inaltérable et éternelle; elle renferme en elle-même
d'une manière éminente et comme dans leur
source, toutes les beautés qui resplendissent dans
X. D. Dionys, de div. nomin., c. 4.
yO LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
les créatures. Ce grand contemplateur de la divi-
nité veut nous dire par là que Dieu est beau par
lui-même, sans rien emprunter aux autres êtres,
d'une beauté accomplie, puisqu'elle n'a aucune
tache, d'une beauté à l'abri de ces trois change-
ments : première apparition, progrès et déca-
dence ; d'une beauté inaltérable qui ne connaîtra
jamais ni rides ni flétrissures ; d'une beauté pri-
mordiale, source de toutes les autres; d'une beauté
suréminente, car en face de la sienne, toutes les
beautés créées ne sont que laideur, comme
en face de sa puissance leur force n'est que fai-
blesse et en face de sa sagesse leur science n'est
qu'ignorance. Les plus beaux visages des créatures
sont repoussants, si on les compare à la beauté
divine, dont la vue suffirait à transformer en délices
du paradis les tortures de l'enfer. La beauté spiri-
tuelle est en effet incomparablement plus ravis-
sante que la beauté corporelle : s'il nous était
donné de la contempler, nous serions saisis d'un
violent amour pour elle. De même que la grâce et
les vertus, vraie parure de l'àme, sont mille fois
plus séduisantes que tous les ornements du corps,
de même la beauté de l'àme dépasse celle du corps
incomparablement, à peu près de toute la hauteur
dont la beauté de l'ange dépasse la beauté des
êtres de ce monde, et la beauté du séraphin celle
de l'ange. Mais que dire alors de la beauté de
Dieu, esprit infini ? A quelle inconcevable hauteur
ne doit-elle pas briller?
O mon âme, méprise désormais toute beauté
mortelle, pour t'adonner à la contemplation des
beautés infinies de Dieu, ton Créateur. O Essence
DES ATTRIBUTS DE DIEU 7I
divine, ô face ravissante, qui épuisera sans cesse
toute la puissance d'admiration des esprits créés !
O beauté au-dessus de toute beauté ! soyez tou-
jours Tunique objet de mes pensées et de mes affec-
tions. « O mon Seigneur ! vous êtes infiniment
« digne d^adm.iration et votre face étincelle
« d incompréhensibles beautés. » (Esther, i5.)
Ah ! qu'il serait ravi celui qui vous verrait sans
voiles ! Je supporterai avec joie toutes les peines
de cette vie, pour avoir un jour ce bonheur. Je
mépriserai toutes les joies terrestres pour mériter
de vous contempler. O vous, l'admirable objet de
ma félicité, ne permettez pas que je sois exclu de
votre possession !
Xir MÉDITATION
DE LA PAIX ET DU SILENCE
DE DIEU
SOMMAIRE
Dieu jouit d'une paix inaltérable — nous ne
devons pas Vhonorer par Vinaction — mais
par la sérénité de Vâme au milieu des agita-
tions de ce monde.
I
DIEU jouit en lui-même d'une profonde paix,
que ne trouble aucune inquiétude. « Quant
« à VOUS, puissant dominateur, dit le Sage,
72 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« VOUS juge\ toutes choses avec sérénité, »
(Sag., 12.) Saint Paul nous souhaite « que la paix
« de Dieu, qui surpasse tout sentiment, con-
« serve nos intelligences et nos cœurs. » (Phil., 4.)
Saint Anselme nous apprend que cette paix
découle de la nature même de Dieu, à laquelle
rien ne convient mieux que de jouir toujours d'une
tranquillité absolue. Saint Denys (i) cite saint
Juste, un de ses illustres contemporains, qui appe-
lait cette paix le silence et l'immobilité. Un com-
mentateur de saint Denys (2) nous apprend que
cette paix résulte de la simplicité admirable de la
nature de Dieu et du repos de sa volonté en elle-
même comme en sa fin. En effet les trois Person-
nes divines n'ont qu'une volonté unique, ce qui
exclut tout désacord à l'intérieur, et comme d'au-
tre part nul trouble extérieur ne peut les atteindre,
la paix divine est profonde et éternelle.
Remarquons qu'aucune des causes ordinaires de
trouble n'a accès en Dieu. Une de ces causes est
notre propre faiblesse, notre inquiétude et notre
défiance naturelles, qui nous empêchent d'être
jamais contents de nous-mêmes. Mais Dieu dont la
nature est parfaite et infinie, est toujours totale-
ment satisfait en lui-même et ne craint rien qui
puisse l'affliger. Une autre cause de trouble,
c'est l'anxiété dans laquelle nous tient l'entreprise
d'une grande œuvre jusqu'au jour où nous en
soyons venus à bout : Celle-là n'existe pas davan-
tage pour Dieu, à qui tout est non seulement
possible, mais très aisé et très facile. « Vous
I. De divinis nominibus, ci.
3, Marsilius Ficinus, ibidem.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 78
« pouve^ tout ce que vous voule\^ » dit la
Sagesse (22). D'autres perdent la paix en consta-
tant qu'ils ne sont pas aimés. Mais Dieu ne se
trouble pas de la froideur ou du mépris que
lui témoignent certaines âmes; s'il a voulu de
toute éternité les créer, il l'a voulu, sachant très
bien qu'elles ne l'aimeraient pas, qu'il les créait
libres et qu'il ne convenait pas qu'il fit violence à
leur liberté : dès lors ces égarements ne l'étonnent
pas plus que ne nous étonne l'apparition de la nuit
après le jour. D'autres perdent leur tranquillité
quand leur devoir les oblige à infliger des châti-
ments. Mais Dieu ne cède Jamais à la colère : tou-
jours maître de lui-même, il exerce sa justice avec
sagesse et modération, considérant simplement la
peine comme une conséquence de la faute. Il y en
a enfin qui perdent la tranquillité en apprenant
que leurs ennemis s'arment pour les attaquer ou
que quelque malheur va les frapper. Dieu est
en paix de ce côté-là : ses ennemis ne peuvent rien
contre lui et lui, peut en un instant et quand il le
voudra, les anéantir : « Le mal naura pas d'ac-
« ces auprès de vous et les fléaux napproche-
« rontmême pas de votre sanctuaire. » (Ps. 90.)
Ainsi, ô Dieu immortel et qui toujours êtes le
même, vous agissez sans aucune inquiétude avec
une paix et une tranquillité inaltérables. La capa-
cité de votre esprit est immense et votre puis-
sance est infinie, à tel point qu'il vous est plus
facile de gouverner l'univers qu'à moi d'ouvrir la
bouche ou de fermer les yeux. Or, si l'action
d'ouvrir la bouche ou de fermer les yeux ne me
cause aucun trouble, le gouvernement du monde
74 l'A THÉOLOGIE AFFECTIVE
risque moins encore d'altérer votre paix. O séré-
nité et repos admirable de Dieu « qui surpasse
« tout sentiment ! » Que mes facultés et mes
sens sont loin de cette paix, eux dont l'inquiétude
est l'état ordinaire, eux qui sont dans une agitation
continuelle ! Demandons que « la paix de Dieu
« qui surpasse tout sentiment^ conserve nos
« cœurs » (Phil. 4.); que nous ayons la paix avec
Dieu, en lui obéissant ; la paix avec nous-mêmes,
en évitant le péché ; la paix avec le prochain, en
l'aimant. Daigne nous l'accorder celui qui est
notre paix, notre Dieu et Seigneur, Jésus-Christ
qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit,
en unité d'essence, de volonté et de majesté, dans
tous les siècles des siècles.
II
Nous devons honorer la paix, le repos et le
silence de Dieu ; mais non pas par l'oisiveté, par
l'inaction intérieure et par la cessation de toutes
les œuvres, comme certains l'enseignent. Qu'il
faille d'abord honorer le repos de Dieu, c'est cer-
tain, puisque tout ce qui est en Dieu est adorable
et également adorable ; le repos ou le silence de
Dieu l'est au même titre que son activité. Cette
raison, nous l'empruntons à des théologiens que
nous serons heureux de prendre pour guides, tant
qu'ils ne feront pas fausse route (i). Aussi comme
I. A quels théologiens fait allusion notre auteur dans ce passage?
il est bien difficile de le savoir. Ce qui est incontestable c'est qu'il ne
s'agit pas de ceux qui donnèrent au quiétisme sa forme définitive ;
Molinos venait à peine de naître (1627) quand Bail achevait sa Théo-
lofrit (en 1638) et i\ ne devait publier « sa Guide spirituelle » c^ui
DES ATTRIBUTS DE DIEU 'jS
il y a dans la semaine six jours consacrés à honorer
par le travail les opérations de Dieu ; il y a aussi
un jour destiné à honorer son repos. Dieu a voulu
que son repos fut honoré par notre repos, comme
ses œuvres doivent l'être par nos œuvres. Et
d'ailleurs toutes les perfections de Dieu méritent
les hommages des anges et des âmes douées de
raison, parce qu'il n'y en a pas une qui ne soit
infinie et qui n'ait une souveraine excellence. C'est
pourquoi sa paix, son repos et son incompréhen-
sible silence méritent nos hommages et nos res-
pects. Remarquons également que le repos et
l'action sont unis en Dieu, au point de ne pouvoir
être séparés ; si Dieu agit, c'est sans sortir de son
repos ; s'il se repose, c'est sans interrompre son
action. Il ne faut donc pas penser honorer ces deux
perfections séparément ; il ne faut pas tantôt se
livrer à l'action pour honorer les œuvres de Dieu
et tantôt s'abstenir de toute action, pour honorer
son repos. Ce serait honorer une chose imaginaire
et qui ne fut jamais, puisque Dieu n'a jamais cessé
d'agir en lui-même de toute éternité et hors de
lui-même, même depuis la création, suivant les
paroles de l'Evangile : « Mon Père agit conii-
« nuellement, et moi je ne cesse pas d'agir avec
contient toutes ses erreurs, qu'en 1675. Madame de Guyon ne devait
naître qu'en 1648. Ce qui nous paraît certain, c'est que Bail réfute
« les Illuminés », secte qui dans la seconde moitié du xvi» siècle se
propagea d'abord en Espagne. Elle enseignait déjà toutes les proposi-
tions essentielles du quiétisme qui suscita de si graves quereller
au xvn« siècle ; notamment celle-ci, que l'oraison parfaite consiste
dans la suspension et l'anéantissement de toutes les puissances de
l'âme. Complètement écrasée en Espagne en 1623, elle se transplanta
en France où elle fût également anéantie en i6}j. Quoiqu'il en soit,
nous ne pouvons nous empêcher d'admirer cette page de notre auteur
si pleine de boa sens, de vigueur et d'ironie.
yÔ LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« lui » (i). (Jean, 5.) Et puis de même que ce n'est
pas honorer les œuvres de Dieu que d'agir avec
trouble et anxiété, parce que Dieu fait toutes ses
œuvres sans aucun trouble, au sein d'une paix
constante et inaltérable ; ainsi, ce n'est pas honorer
son repos que de se livrer à une oisiveté complète,
parce que Dieu est toujours actif, même dans son
repos.
Ajoutons que cette façon d'honorer le repos et
le silence de Dieu, ne contribue à procurer ni sa
gloire, ni le salut des âmes qui tendent à la per-
fection. A ces âmes on a essayé de persuader
qu'elles font une oraison d'autant plus sublime
qu'elles sont plus engourdies et comme abêties
par la suppression volontaire de toute activité
physique et intellectuelle. Est-ce donc là faire
une excellente oraison ? est-ce faire même une
oraison, que de ne rien considérer, ne rien dési-
rer, ne rien demander ? c'est appeler oraison la
négation formelle de l'oraison, c'est donner aux
ténèbres le nom de lumière et qualifier l'aveugle-
ment de claire vision : qu'ils fassent un pas de
plus dans ce beau raisonnement et ils donneront
le nom d'oraison mentale au sommeil. Ne serait-il
pas plus simple d'avouer que certaines âmes sont
incapables de faire l'oraison mentale : cette fran-
chise aurait l'avantage d'ôter tout prétexte à leur
orgueil, d'empêcher les simples colombes de
s'égaler aux aigles et les esprits médiocres de se
X, Le repos dans lequel, d'après la Sainte-Ecriture, Dieu est entré
le septième jour, n'est pas un repos absolu. Chaque jour encore. Dieu
crée un grand nombre d'âmes pour les unir à des corps et rien ne
s'oppose à ce qu'il fasse jaillir du néant par un nouvel acte de sa
puissance créatrice des mondes nouveaux.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 77
prendre pour des intelligences vigoureuses. Cer-
tes Jésus-Christ qu'ils prennent pour modèle dans
leur inaction (eux, disent : dans leur sécheresse),
Jésus-Christ ne fut Jamais oisif, et il n'est pas
plus exact de dire qu'il se croisa les bras, qu'il
ne serait vrai d'affirmer en parlant sans figure
qu'il les eût croisés, quand il était en croix. Pas
même à cette heure de suprême abandon, il
n'omet de produire des actes d'adoration en pré-
sence de son Père, à qui il s'offrait en sacrifice
par un acte d'ardente charité pour les hommes,
pour qui il mourait de grand cœur. Si l'exemple
des courtisans était de nature à faire plus d'im-
pression sur ces théologiens, je leur citerais celui
des Séraphins d'Isaïe, qui sans jamais s'arrêter,
agitent leurs ailes devant le trône de Dieu et se
renvoient les uns aux autres ce cri : « Sainte
« saint, saint est le Seigneur, le Dieu des ar-
« mées. » (Is., 6.) Est-ce là de l'oisiveté ? Pour-
quoi dès lors vouloir entretenir les âmes dans
cette inaction ? Pourquoi les flatter en leur faisant
prendre leur langueur et leur misère pour une
sublime oraison ? C'est tout au plus un acte de
patience dont leur fournit l'occasion leur impuis-
sance spirituelle, ou un acte de foi en la présence
de Dieu, à peine ébauché.
Apprenez par ces considérations à ne pas croire à
tout esprit et à ne pas accepter toute sorte de
direction spirituelle, mais craignez les illusions.
Ne vous imaginez pas avoir fait l'oraison de Jésus
crucifié ou des bienheureux Séraphins, quand
vous n'avez pas même eu la force de produire
quelques considérations et quelques affections
78 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pieuses. C'est plutôt le cas de s'humilier profon-
dément et de confesser devant Dieu son impuis-
sance. Puisque vous n'êtes pas propre à la vie
contemplative adonnez-vous davantage à la vie
active et suppléez soit par l'oraison vocale, soit par
une lecture pieuse méditée, à la méditation propre-
ment dite qui n'est pas à la portée de tous les
esprits.
III
Voici la vraie méthode pour honorer la paix, le
silence et le repos de Dieu : je l'emprunte à saint
Thomas (i) qui nous la donne dans son traité inti-
tulé : de l'égalité d'âme. Un autre trait de la vie
de Dieu, dit-il, c'est qu'il ne se trouble jamais. Si
l'Ecriture sainte parle de sa colère et de sa fureur,
elle ne veut pas dire qu'il s'irrite et se trouble,
mais qu'il châtie le péché ou qu'il punit l'âme par
la soustraction des grâces. Mais il demeure impas-
sible, parce qu'il n'a à lutter contre aucune résis-
tance, parce que sa nature est d'une simplicité
parfaite et qu'elle jouit d'une inaltérable félicité.
Notre devoir est aussi de nous préserver de tout
trouble, autant que possible, parce qu'il n'y a que
peu ou point de grâce divine dans une âme
inquiète et agitée. Pour parvenir à cet état, il faut
que notre esprit se lixe énergiquement en Dieu,
qu'il l'aime d'un amour fort comme la mort : car
il y a en elfet un amour qui a la vertu de causer en
nous une espèce de mort, qui nous rendra comme
aveugles en présence de certaines oeuvres du pro-
chain et comme sourds à certaines de ses paroles
t. Œquanimitas, Opusc. 63.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 79
méchantes et injurieuses. Votre cœur ne doit pas
s'arrêter à de telles vilenies, mais imiter David qui
disait : « Et moi, semblable à un sourd, je
« n'écoutais pas et fêtais comme un muet qui
« n'ouvre pas la bouche. » (Ps. 37.) Contentons-
nous de nous appliquer au service de Dieu et
abandonnons les autres à leur propre conscience,
au jugement de leurs supérieurs et en dernier lieu
à la vengeance de Celui qui a dit : «^ moi laven-
« geance, elle éclatera en son temps. » (Heb., 10.)
On voit combien cette méthode de saint Tho-
mas l'emporte sur celle que nous avons com-
battue ; elle a l'avantage d'être une vraie et sincère
imitation de la paix ineffable de Dieu, d'humilier
les âmes jusqu'à ces profondeurs où doit résider
l'humilité, de les ennoblir glorieusement par le
mérite, de les rendre supérieures enfin à ces agita-
tions de la terre, à ces inquiétudes auxquelles
sont en proie la plupart des âmes et qui à chaque
instant leur ravissent leur paix intérieure.
Mon désir sera donc d'honorer et d'imiter le
repos de Dieu, en travaillant fidèlement aux
œuvres qui ont pour objet son service, sans
m'inquiéter aucunement des obstacles qui me
viendront de la part du monde. Seigneur Jésus
qui, au milieu d'ennemis sans nombre, n'avez
jamais perdu la sérénité de votre âme, ni la paix
de votre cœur, vous qui nous avez dit : « Appre-
« ne^ de moi que je suis doux et humble de
« cœur et vous aure\ trouvé le repos de vos
« âmes, » (Matt. 11), pacifiez nos cœurs par le don
de votre sainte grâce et de la vertu. O Roi paci-
fique qui « à votre entrée dans le monde, ave\
8o 'la théologie affective
« annoncé la paix à ceux qui étaient près et à
« ceux qui étaient loin^ (Ephes., 2), donnez-nous
la paix avec votre Père, par une entière soumis-
sion à sa volonté ; la paix avec les bons par la
conformité d'une vie sainte ; la paix avec les
mauvais et les turbulents par la patience au milieu
des injures et des afflictions. Donnez-nous la paix
au-dedans de nous-mêmes, par l'exercice de toutes
les actions vertueuses que notre état nous prescrit,
afin que de cette paix toute spirituelle nous
passions à la paix glorieuse de votre paradis.
Xlir MÉDITATION
DE L'INCOMPRÉHENSIBILITÉ
DE DIEU
SOMMAIRE
Dieu ne peut être connu parfaitement — ni par
la lumière de la raison — ni par la lumière
de la foi — ni par la lumière de la gloire.
I
LA lumière de la raison est capable de connaître
Dieu, mais non de le comprendre, c'est-i\-
dire de l'embrasser entièrement et parfaitement.
L'esprit qui n'est éclairé que de la lumière natu-
relle, effleure cet objet divin, mais ne le pénètre
DES ATTRIBUTS DE DIEU
pas ; elle ne l'aperçoit que de loin à travers des
obscurités profondes et à travers le voile des
créatures. Cette connaissance naturelle n'aboutit
qu'à de fortes conjectures (i) sur l'existence de
Dieu, sur son unité, sa toute-puissance, sa
sagesse, sa bonté, l'infinité de ses perfections. Elle
prend pour point de départ ce fait que Dieu est
par la création l'auteur de ce monde si beau ; qu'il
est sa providence et son soutien. Au delà de cette
connaissance, l'esprit humain, s'il est privé de
tout autre secours, est aux abois et à bout de
forces ; il n'ignore pas qu'il y a bien d'autres
vérités plus élevées à connaître sur Dieu, mais le
soufllc lui manque pour aller plus loin. De môme
que la fumée est un indice de la présence du feu,
mais ne nous révèle pas sa nature, son pouvoir
d'éclairer, de réchauffer, de purifier et de sécher ;
de même encore que la vue d'un tableau suffit à
faire connaître l'existence d'un peintre, mais ne
nous révèle rien sur ses qualités naturelles, sur
sa taille, sur sa couleur, ainsi les créatures nous
révèlent l'existence de Dieu, mais sont muettes
sur sa nature intime. C'est pour cela qu'après
avoir étudié Dieu dans la créature, il nous reste à
connaître la Trinité des personnes, ce que Dieu a
décrété et accompli et une infinité de perfections
I. Rectifioni sur ce point notre auteur: il semble méconnaître la
vraie portée de la raison humaine. Le Concile du Vatican déclare la
raison capable de « démontrer les fondements de la foi », (Const.
dogm. sur la foi cath. ch. 4), et dans une définition dogmatique il
revendique pour elle le droit d'établir avec certitude la vérité de
l'existence de Dieu. « Si quelqu'un dit que la lumière naturelle de la
« raison ne peut connaître avec certitude, d'après ce qui a été fait,
« un seul et vrai Dieu, notre créateur et maître ; qu'il soit ana-
« thème. {Ibid. de la révél. can. i.)
Bail, t. i, 6
82 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
qui seront toujours hors de la portée de notre
raison, dût-elle se consumer en essais et en efforts
pour y atteindre. Il est évident en effet, que plus
les objets de notre connaissance sont élevées, plus
notre esprit éprouve de difficulté à les comprendre?
ainsi la nature des anges nous est moins connue
que la nature des bêtes. Or, la grandeur de Dieu
est au-dessus de tout. Il est donc évident que la
raison est trop faible pour le comprendre.
Je m'humilierai en constatant la faible portée
de mon esprit et son impuissance en face d'un
objet si éminent. Et puisque la lumière naturelle
n'est pas suffisante pour le bien connaître, je lui
demanderai la lumière de la foi et de la sainte
théologie, qui me donnera sur lui des notions
plus étendues. Seigneur, j'avoue en votre présence
mon ignorance, je veux faire des progrès dans
votre connaissance, mais la lumière naturelle, au
lieu d'éclairer ma marche, me conduit dans les
ténèbres et m'engage dans un labyrinthe où mon
esprit se perd. Vous, mon Dieu, vous, le soleil des
âmes qui vous cherchent, vous qui illuminez tout
homme venant en ce monde, « faites rayonner
t( sur voire serviteur la lumière de votre visage^
(Ps. 3o), faites-moi part dans une large mesure
de votre science, accordez-moi d'y faire des pro-
grès, afin d'être à même de vous louer plus
hautement et de vous adorer plus profondément.
II
Dieu est connu par une autre lumière, par
celle de la foi ; mais il demeure incompréhensible
à l'esprit même éclairé de cette lumière, et ne se
DES ATTRIBUTS DE DIEU 83
laisse saisir même alors, ni entièrement, ni parfaite-
ment. Comme la science d'un homme très instruit
surpasse celle d'un enfant qui ne sait encore que
bégayer; comme la clarté du soleil l'emporte sur
celle de la lune, autant et plus la lumière de la foi
dépasse celle de la raison. Elle nous découvre les
beautés inénarrables d'un seul Dieu en trois Per-
sonnes, des propriétés et des subsistances de ces
Personnes, de leurs relations et de leurs aspira-
tions, ainsi que certains mystères concernant la
prédestination et la réprobation ; autant de vérités
que la raison n'a jamais pu découvrir.
Malgré cela, la lumière de la foi ne nous révèle
pas tous les jugements et tous les décrets de
la volonté divine. Saint Paul bien qu'éclairé de
cette lumière ne laisse pas de s'écrier : « O Dieu !
« Que vos jugements sont incompréhensibles^
« et que vos desseins sont impénétrables ! »
(Rom., II.) Remarquez aussi que tout ce que cette
lumière nous découvre, ne nous est montré que
dans une demi-clarté seulement, à travers un
nuage et jamais dans le plein jour de l'évi-
dence. Est-ce que Dieu craindrait, que, s'il expo-
sait tous les jours son Essence à la vue de tous, le
respect dû à sa Majesté eût à en souffrir? Non cer-
tes. Cette appréhension se conçoit chez les rois de
la terre, parce qu'ils ont des défauts et qu'ils
doivent craindre de les laisser paraître, en se pro-
duisant trop souvent en public, et d'affaiblir parla
le respect que leur doivent leurs sujets. Dieu n'a
pas de semblables raisons pour habiter une
lumière inaccessible et pour se rendre de difficile
accès à notre esprit, car plus il sera connu, plus
S4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
il excitera l'admiration. Ce qu'il aurait plutôt
à craindre, ce serait que l'homme ébloui par l'éclat
d'une intelligence beaucoup trop parfaite pour lui,
ne s'enflât de l'orgueil de la science, à l'exemple de
Lucifer, qui s'abîma dans l'éclat de la beauté
divine par l'orgueil qu'il en conçut (i). Peut-être
aussi le dessein de ce Dieu très juste est-il de
réserver la connaissance évidente de lui-même
comme récompense pour lésâmes vertueuses dans
l'autre vie : c'est la raison pour laquelle il nous la
refuse dans cette vie et ne se laisse voir qu'autant
qu'il est nécessaire pour faire naître dans notre
âme un amour capable de mériter la claire vue de
son Essence. Dieu est donc incompréhensible
même pour la foi.
Vois donc, ô mon âme, combien est sublime ton
espérance ! Il n'en est pas de ce bien dont tu attends
la satisfaction de tous tes désirs, comme des biens
de ce monde : ceux-ci on les estime toujours
au-delà de leur valeur réelle; mais l'estime que nous
pouvons concevoir des biens célestes sera toujours
hors de toute proportion avec un tel objet et res-
tera infiniment au-dessous de son mérite. « Lœil
« fC a pas vu^V oreille n'a pas entendu^ le cœur
« ri a jamais compris ce que Dieu prépare à
« ceux qui Vaiment. » (I. Cor., 2.) O fin qui
n'aura pas de fin ! quand aurons-nous franchi tous
les obstacles que nous opposent les créatures ?
quand vous aurons-nous atteint? quand, désormais
en possession de votre grandeur infinie, cesserons-
nous d'espérer? la foi ne fait qu'irriter le désir que
nous avons de vous connaître. Donnez-nous, Sei-
I. Grég. de Naz., or.,j4.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 85
gneur, une lumière plus grande encore, qui
nous permette de vous contempler plus à notre
souhait.
III
Dieu demeure incompréhensible même à la lu-
mière de la gloire : cette lumière est celle qui per-
met au bienheureux de contempler TEssence divine
d'une manière directe et intuitive, en elle-même^
sans intermédiaire, face à face, comme un homme
en regarde un autre placé devant lui. Sans la vision
du ciel. Dieu n'eût été connu que de lui-même ;
les privilèges admirables de son Etre, sa beauté
infinie eussent toujours été voilés par l'excès
même de sa splendeur qui aveugle tous les esprits
créés. Dieu ne Ta pas voulu : c'eût été priver d'un
bien infini des millions de créatures : il a donc
décrété de se montrer tel qu'il est à tous les anges
et à toutes les âmes béatifiées et de leur proposer
son Essence comme objet de leur contemplation
éternelle, non toutefois sans les avoir préalable-
ment mis par la lumière de la grâce à la hauteur
d'un si beau spectacle.
Et cependant l'Etre divin est si sublime qu'il
reste incompréhensible même à l'intelligence éclai-
rée de la lumière de la gloire, la plus vive et
la plus pénétrante de toutes les lumières. Il est
vrai que les bienheureux sont appelés compréhen-
seurs^ mais c'est improprement et uniquement
pour faire entendre qu'ils ont atteint le but
suprême de leur vie, qui est la vue claire de Dieu.
Mais ils ne sont pas compréhenseurs selon la
rigueur du terme comprendre^ qui signifie con-
86 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
naître une chose aussi parfaitement qu'elle peut
être connue. Dieu, en effet, se connaît lui-même
plus parfaitement qu'il n'est connu des bienheu-
reux : leur vision n'embrasse pas tout ce qui est en
Dieu ou formellement ou éminemment, de telle
sorte que rien n'échappe à la pénétration de leur
esprit. Celui qui fixe son regard sur le soleil, voit-
il par cela même tous les effets qui dépendent de
rinfluence de cet astre ? connaît-il tous les ani-
maux et toutes les plantes qu'il peut faire croître,
tous les minéraux qu'il peut former, toutes les
régions qu'il peut éclairer ? Ces bienheureux eux
aussi, bien qu'admis à contempler le soleil de
la divinité, ne voient pourtant pas tout ce qui est
du ressort de sa puissance. Ils sont à la source
d'eau vive et là satisfont la soif de tous leurs
désirs, mais sans jamais épuiser cette source
même pendant une éternité ; toujours l'ardeur de
leur soif est extrême et toujours ils trouvent à la
satisfaire avec délices. Qu'arriverait-il s'il leur était
donné d'épuiser cette source de la vérité par une
connaissance totale ? sans doute leur joie serait
immense, mais il semble qu'elle serait diminuée
d'autre part ; car leur ardeur serait éteinte, il est
vrai, et leur désir rassasié par la compréhension,
mais comme celui qui a épuisé la source d'eau
vive ne ressent plus le plaisir qu'il éprouvait
en buvant de cette eau avec avidité et en étan-
chant sa soif ardente, la satiété serait, d'après
quelques théologiens, le terme de leur bonheur.
Quoiqu'il en soit de cette opinion, je découvre
ici. Seigneur, une preuve de votre inestimable
grandeur, car quoique vous produisiez en nous
DES ATTRIBUTS DE DIEU 87
une lumière prodigieuse pour nous permettre de
vous connaître, il arrive que ni la nature, ni la
grâce, ni la gloire ne peuvent vous égaler ni vous
comprendre. Je reconnais aussi que cette incom-
préhensibilité constitue pour moi le plus grand
bien ; car, quelle plus grande joie que de penser
que le sujet de sa joie est infini et inépuisable,
que c'est un abîme de délices sans fond ni rives.
Quel contentement ! Quel ravissement me prépare
cette infinité ! Le feu de l'amour brûlera sans
cesse et le désir de vous posséder trouvera toujours
sa satisfaction d'autant plus délicieuse que votre
Essence est moins compréhensible.
XIV^ MÉDITATION
DE LA VISION DE DIEU
SOMMAIRE
Trois choses sont requises pour voir Dieu :
Vœil de Vânic — la lumière de la gloire — la
présence de Dieu.
I
LA première chose requise pour voir Dieu,
c'est l'intelligence : pour le voir, il faut une
faculté de voir, un œil : ce ne peut pas être l'oeil
du corps qui est incapable de percevoir un objet
spirituel tel que l'Essence divine. De même que
88 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
le bruit ne peut être perçu par les yeux, parce
qu'il n'est pas l'objet propre de la vue, ainsi
l'Essence divine ne peut être considérée des yeux
du corps, parce qu'elle n'est pas l'objet propre de
la vision corporelle. Donc la première chose requise
pour voir Dieu, c'est l'œil spirituel, c'est-à-dire
une intelligence angélique ou humaine ; l'intelli-
gence est seule capable de voir l'Essence divine à
découvert et face à face.
Je dis que l'intelligence est capable de voir Dieu :
la première raison, c'est que, si l'œil (i) peut per-
cevoir tout objet visible, l'intelligence pourra à
plus forte raison, puisqu'elle est une faculté bien
supérieure à la vue, percevoir tout objet intelligible.
Or, l'objet le plus intelligible qui existe, c'est Dieu.
Il remplit dans le monde intellectuel un rôle sem-
blable à celui du soleil dans l'ordre matériel.
Rien n'est visible à un plus haut degré que le soleil :
ainsi rien n'est intelligible autant que Dieu, aucun
objet n'offre à l'esprit autant de réalités à considé-
rer, à la condition toutefois, qu'il se trouve des
esprits assez purs et assez puissants pour cela.
Une autre raison, c'est que l'âme est capable
d'une connaissance imparfaite de Dieu : elle con-
naît en effet plusieurs de ses attributs; elle perçoit
les créatures et par elles s'élève jusqu'au Créateur.
Or, il ne répugne pas que l'imparfait se perfec-
tionne, qu'il possède un jour ce qui lui manque
pour le moment. D'où je conclus que, puisque nos
facultés naturelles sont capables d'une certaine
connaissance de Dieu, en établissant leur raison-
nement sur les créatures, il n'y a rien d'impossible
X. Grég. Naz. Or. 40.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 89
à ce que Dieu perfectionne par un acte de sa
puissance nos facultés intellectuelles et les rende
capables de le considérer directement et dans son
Essence.
La troisième raison, c'est que l'homme porte en
lui un désir naturel de voir Dieu. Tout ce qu'il
connaît de Dieu, par les lumières de la nature et
par celles de la foi, ne suffit pas à rassasier ce
désir, mais a plutôt pour effet de l'irriter. Nous
constatons, en effet, qu'il suffit d'avoir une connais-
sance imparfaite d'une chose, pour éprouver le
désir de la mieux connaître. Mais un désir naturel
ne saurait être vain : Dieu seul peut l'avoir mis
dans notre âme, et comme sa sagesse ne fait rien
sans but, il faut que ce désir soit un jour assouvi.
Notre intelligence est donc capable de voir l'Essence
divine.
Enfin nous remarquons que le soleil et le feu
font rayonner leur lumière à une plus grande
distance que leur chaleur (i) : ainsi Dieu, vrai feu
et vrai soleil, ne pourra pas moins répandre sa
lumière qui nous permet de le voir, qu'il ne répand
sa chaleur pour enflammer notre amour. Or, dès
cette vie il répand hors de lui sa chaleur pour
embraser les âmes qui s'attachent au souverain
bien. Pourquoi donc ne pourrait-il pas faire rayon-
ner hors de lui-même sa lumière pour permettre à
ces âmes de contempler sa souveraine beauté ?
Pour toutes ces raisons l'homme peut parvenir à
voir Dieu.
Je puiserai dans cette considération un motif
d'espérance : ce n'est donc pas en vain, ô mon
I. Marsil. Fie, 1. 18 de Theol. Platon.
go LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Dieu, que je m'attends à voir votre face incompa-
rablement belle. Je ne prétends donc pas à l'impos-
sible, ce n'est donc pas après un bien imaginaire
que je soupire. O Seigneur, « firai et je verrai
« cette grande vision. » (Ex. 3.) O mon Dieu, que
l'homme doit vous être reconnaissant pour lui
avoir donné cet œil de l'intelligence qui peut être
élevé jusqu'à la sublime vision de votre divinité.
C'était déjà un grand bienfait d'avoir incrusté dans
ma tête deux yeux, pour me permettre d'admirer
les merveilles de la création : mais je dois estimer
beaucoup plus cet œil unique de l'intelligence, que
j'ai reçu de vous pour pouvoir vous contempler
éternellement. Je vous en remercie donc et je me
propose de le conserver dans une pureté parfaite,
de ne plus l'occuper à tant de vains spectacles,
puisqu'il est destiné à une si haute fonction.
II
La seconde chose requise pour voir Dieu, c'est
la lumière de la gloire. L'œil du corps a besoin de
lumière pour voir les objets : de même l'esprit
créé a besoin, pour considérer l'Essence divine, de
la plus belle de toutes les lumières du monde : la
théologie l'appelle la lumière de la gloire. C'est
pour lui un renfort sans lequel il lui serait aussi
impossible de contempler l'Essence divine qu'il
l'est au hibou et aux oiseaux nocturnes de fixer le
soleil en plein midi : l'œil de ces oiseaux est trop
faible pour soutenir de si vives clartés qui le for-
cent à se fermer ou l'aveuglent. Quelque chose de
semblable se passe pour l'intelligence humaine :
exposée sans secours aux splendeurs de l'Essence
DES ATTRIBUTS DE DIEU gi
divine, elle en est aveuglée et ne voit rien, parce
que Tobjet est trop au-dessus de ses forces et de
sa capacité naturelle. Il est donc nécessaire qu'elle
soit renforcée par une qualité surnaturelle, que
nous appelons la lumière de la gloire. Cette
lumière perfectionne l'intelligence et de l'union
des deux résulte une puissance complète qui est
capable de contempler face à face la divinité. Elle
ennoblit à tel point le sujet qui la reçoit qu'il
devient déiforme. Par le fait de l'irradiation de
cette lumière dans les profondeurs de l'àme, l'in-
telligence est promue à un état nouveau. En elle
s'accomplit une transformation semblable à celle
qui d'un homme ferait un ange, si la chose était
possible : ce serait un heureux changement de
condition et une élévation à un degré d'être supé-
rieur. L'intelligence ainsi ennoblie devient plus
forte et capable, mais à cette condition seulement,
de contempler Tlnfini, et de porter sans faiblir le
poids de tant de splendeurs. Enfin cette lumière
ne reste pas un seul instant inactive, dès qu'elle
brille dans l'esprit de l'homme, elle le ravit dans
la contemplation de la divinité, de cette Essence
qui est immense et présente en tout lieu, et forme
en lui la vision de Dieu. C'est là la lumière que
l'Eglise souhaite aux âmes des trépassés, quand
elle demande à Dieu dans ses prières de faire res-
plendir sur eux l'éternelle lumière.
O très douce lumière ! qui pourra jamais vous
estimer à votre prix ! qui vous désirera jamais au-
tant que vous êtes désirable ! O lumière magnifi-
que, je vous considère comme plus précieuse que
tous les trésors de l'univers ! O bienheureuse
92 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
lumière qui réjouissez toute la cité céleste et com-
blez d'une joie ineffable les anges et les âmes des
élus, quand donc, hélas ! jouirai-je de vous, sans
qui ma vie n'est qu'une mort ! O mon âme, quand
seras-tu revêtue de cette glorieuse et aimable
splendeur ! Et à quoi tient-il donc, que, comme un
beau cristal, tu reçoives cette lumière et t'en laisses
pénétrer tout entière ? Serait-ce, ô mon Dieu,
parce que « nul homme vivant ne pourra jamais
vous voir ? (Ex. 33.) Ah ! Seigneur, qu'à cela ne
tienne I J'estime plus que ma vie, le moindre rayon
de cette admirable lumière : et que m'importe de
me séparer de ce corps grossier et ténébreux, si
mon âme doit être inondée d'une telle clarté ! O
mon Seigneur ! accordez-la moi et je vivrai désor-
mais à l'abri de toute tristesse et de toute misère
et mon âme sera heureuse de ne plus respirer
qu'en vous seul.
III
La troisième condition pour voir Dieu, c'est la
présence de l'objet, c'est-à-dire de l'Essence divine,
dans l'intelligence éclairée de cette lumière. En
effet pour voir les objets matériels, il ne suffit pas
à l'homme d'avoir des yeux et de la lumière, il est
nécessaire aussi que l'objet soit présent, c'est-à-
dire, à portée des yeux : de même pour voir Dieu
avec l'intelligence éclairée de la lumière de la
gloire, la présence de l'Essence divine dans notre
esprit est requise. Or remarquons que cette su-
blime Essence est nécessairement présente dans
tous les êtres créés, et par conséquent dans l'esprit
de l'homme. Elle concourt donc par sa présence
DES ATTRIBUTS DE DIEU qS
qui est continuelle, à cette vision à laquelle elle
sert à la fois de but, d'objet et de ravissant specta-
cle.
Mais comment s'accomplit cette communication
de Dieu à l'intelligence ? là-dessus, les théologiens
ne sont pas d'accord. L'Essence divine imprimé-t-
elle ou même peut-elle imprimer dans l'esprit une
espèce intelligible, qui serait une image d'elle-
même au moyen de laquelle l'intelligence produi-
rait l'acte de la vision, comme cela a lieu pour les
yeux du corps qui ne perçoivent l'objet matériel
qu'à l'aide d'une image venue de l'objet lui-même?
Ou bien faudrait-il dire que l'Essence divine
est vue sans le secours d'aucune espèce ni d'au-
cune image ? Dieu permet ces controverses, afin
que les hommes occupent plus fréquemment et
plus longuement leur esprit à l'étude de ces sujets
si élevés. Seule l'expérience tranchera dans le ciel
cette difficulté et nous fera connaître la vérité.
Nous nous arrêterons cependant à l'opinion du
Docteur angélique que nous considérons comme
plus probable : il croit que l'Essence divine sera
vue sans espèce intelligible et sans image. Qu'est
en effet que la vision de Dieu, sinon une union très
parfaite de l'intelligence et de Dieu ? Or, l'union
parfaite n'admet pas d'intermédiaire; donc il est
beaucoup plus vraisemblable de croire que
l'Essence divine est vue sans image, et immé-
diatement, telle qu'elle est en elle-même. « Main-
« tenant, dit saint Paul, nous voyons comme
« dans un miroir, mais alors nous verrons face
« à face ; je n'ai maintenant qu'une connais-
« sance partielle, mais alors je connaîtrai de
94 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« Ja même manière que je suis connu. » (I. Cor.
i3.) Or, comment Dieu nous connaît-il ? en nous-
même et non en tout autre chose. Donc nous
connaîtrons Dieu en lui-même et non dans une
image de lui-même.
O mon àme! essaye-toi à être dès maintenant ce
que tu dois être un jour. Oh ! que de merveilles
dans cet abîme qui est TEssence divine ! Que de
mystères t'apparaîtront alors dans la Trinité et
dans l'unité divine ! Que de beautés uniques, que
de sublimes perfections ! O la contemplation
admirable ! O la spéculation ravissante, que nous
permettra cette grande union ! O joie, ô tressail-
lement de mon cœur ! ô mon Dieu, que je n'aie
plus l'àme occupée que de cette pensée : voir
votre Essence ! O Dieu du paradis, que vous êtes
beau à voir ! ô Jérusalem triomphante, plutôt
oublier ma main droite que vos immortelles
délices ! Hélas ! combien je suis malheureux de
me trouver si éloigné de ce lieu où tant d'âmes
généreuses sont arrivées avant moi, par le mépris
des choses de la terre ! Combien de temps
demeurerai-je privé de l'héritage des grandes
âmes et des enfants de Dieu qui, là-haut, se
rassasient d'un aliment infiniment délectable !
Oh ! combien je souhaiterais qu'à l'instant môme
où je pense à ces joies, fut déchiré le voile qui
ravit à ma vue mon très aimable Créateur.
DES ATTRIBUTS DE DIEU qB
XV^ MÉDITATION
DU NOM DE DIEU
SOMMAIRE
On ne peut donner à Dieu un nom qui Vex-
prime parfaitement — mais nous pouvons lui
donner des noms qui traduisent la connais-
sance très imparfaite que nous avons de sa
nature — principaux noms que les saints et
les théologiens lui ont donnés.
I
DIEU est innommé, c'est-à-dire qu'il n'y a pas
de nom assez significatif pour exprimer
parfaitement ce qu'il est, précisément parce qu'il
n'existe pas d'esprit assez puissant pour se le
représenter dans ses conceptions, selon toute
sa grandeur et toute sa perfection. Quand il s'agit
des objets spirituels, l'àme s'en fait une idée plus
exacte en se retirant dans son sanctuaire pour y
réfléchir seule, qu'en interrogeant les sens ; mais
Dieu, elle ne peut pas même le comprendre parce
moyen; à plus forte raison ne peut-elle pas l'expri-
mer par les sens et par la parole. Par le fait même
que nos conceptions sont trop étroites pour em-
brasser un sujet d'une telle étendue, nos paroles
aussi sont trop bornées pour dire ce qu'il est. Le
peintre le plus habile et le plus expérimenté ne
représente jamais sur la toile ce qu'il ne connaît
96 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pas OU ce dont il ne peut se faire une idée claire.
Pour ce motif aussi l'homme est impuissant à tra-
duire ce que Dieu est, non seulement dans un seul
nom, mais même en employant une multitude
comme infinie de noms et en les entassant les uns
sur les autres. Supposons que toutes les sciences
humaines eussent poursuivi depuis le commence-
ment du monde ce but, que tous les philosophes,
tous les poètes et tous les théologiens n'eussent fait
que cela : parler de Dieu; et qu'ils continuent à le
faire jusqu'à la fin des siècles, Dieu resterait bien
au-dessus de leurs louanges et ils n'auraient rien
dit au prix de ce qu'il est. Ceci est vrai de Dieu con-
sidéré selon son Etre total, mais c'est vrai encore
si on ne veut considérer qu'une seule de ses per-
fections ; il y a tant de merveilles et de grandeurs
dans un seul de ses attributs, que si tous les anges et
aussi toutes les âmes avaient entrepris d'écrire tout
ce qu'on peut en dire, en supposant qu'elles puis-
sent se servir en guise d'encre de toutes les eaux
de la mer et comme parchemin de l'immense
voûte des cieux, leur encre serait épuisée et leur
parchemin rempli avant qu'ils eussent exprimé la
cent millième partie d'un seul attribut. Que
serait-ce donc s'ils s'agissait de mettre par écrit
tout ce qu'on peut dire sur tous les attributs de
Dieu ? Comptez tous les titres d'honneur et tous
les éloges incomparables que lui ont décerné
les esprits glorieux et qui nous raviraient si nous
les entendions, ajoutez toutes les louanges et tous
les noms admirables que continuent de kii donner
et que lui donneront jusqu'à la fin des siècles, ces
Esprits dont l'intelligence est éclairée de si vives
DES ATTRIBUTS DE DIEU 97
clartés et le cœur embrasé d'un si ardent amour
dans la vision face à face ; eh bien ! tout cela,
même à leur propre jugement, est bien au-dessous
des grandeurs de Dieu ; ils estiment que toutes
leurs paroles ne sauraient Jamais égaler les perfec-
tions infinies de Dieu. Dieu seul, parce qu'il
se comprend lui-même, est capable de se nommer
et de s'exprimer parfaitement ; c'est ce qu'il fait
par son Verbe infini, qui est la vivante image
et l'expression totale de ses grandeurs.
O Dieu inexprimable et ineffable ! vous êtes infi-
niment grand et digne de louanges infinies. O roi
immense ! les esprits et les langues défaillent à la
pensée de ce que vous méritez : comment donc
moi, misérable pécheur, ai-je entrepris de vous
rendre visible, vous qui êtes invisible, et de vous
faire connaître, vous dont la nature a des secrets
pour les séraphins ? Pardonnez-moi, Seigneur,
c'est le désir que j'ai de vous faire honorer qui m'a
porté à cet acte de présomption, et votre extrême
bonté qui permet à des aveugles de disserter sur la
lumière, m'a encouragé à parler de vous, qni êtes
la vraie lumière, mais que je ne vois pas encore.
Je l'ai fait toutefois avec cette conviction qu'on ne
peut rien dire de vous qui ait une proportion
quelconque avec votre infinie grandeur. Daignez
avec ma très humble prière agréer l'aveu de ma fai-
blesse comme une satisfaction offerte pour ma
témérité : que Tétonnement dans lequel me jette
votre infinité, uni aux plus profonds hommages
de mon âme, supplée à toute la faiblesse de mes
paroles.
Bail, t. i. 4
gS LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
II
Bien que Dieu soit ineffable, bien qu'aucun nom
ne l'exprime totalement, nous devons néanmoins,
dans la mesure du possible, nous efforcer de lui
décerner des noms et des titres d'honneur. Dieu,
en effet, s'il ne nous est pas connu parfaitement,
l'est cependant jusqu'à un certain point, dit le
Docteur séraphique (i), et par conséquent nous
pouvons l'exprimer au moins d'une manière impar-
faite et nommer quelques traits de son Essence et
de ses perfections. Serait-il raisonnable de renoncer
à une portion d'héritage, sous prétexte qu'on ne
peut l'avoir tout entier ? Serait-ce le fait d'un
homme sage, de vouloir être privé entièrement de
la vue,, parce qu'on n'aurait pas des yeux aussi
pénétrants que ceux des lynx et des aigles ? Pareil-
lement l'homme serait blâmable, s'il ne voulait
donner aucun nom de louange à son Dieu, sous
prétexte qu'il est ineffable et qu'on ne peut le
qualifier d'un mot qui traduise toute sa grandeur.
Ce serait un silence criminel, une omission impie :
en refusant de rien révéler des richesses du Créa-
teur, il y a au moins une chose qu'on révélerait, à
savoir", l'ingratitude d'une créature qui ne veut pas
contribuer à la louange et à l'honneur de son
Créateur. Dieu certes ne peut grandir en lui-
même, mais il grandit dans notre esprit par l'idée
que nous concevons de lui et nos idées se tradui-
sent par des sons articulés, par la parole. Celui
donc qui ne lui donne aucun nom, prouve par là,
qu'il n'a aucune idée de lui et qu'il est l'ennemi de
sa gloire.
I. I Sent* d. 3, art. i, q. t«
DES ATTRIBUTS DE DIEU 99
Enfin nous sommes trop obligés de procurer sa
gloire, pour ne vouloir rien y mettre du nôtre :
c'est pour sa gloire qu'il nous a créés et que nous
irons en paradis, c'est donc à cette gloire que nous
devons et notre création et nos espérances. Or,
bien que la gloire de Dieu, en ce qui nous regarde,
consiste premièrement dans la haute estime que
nous concevons pour ses grandeurs, toutefois cette
haute estime est cachée et sans éclat, aussi long-
temps qu'elle est retenue dans l'intérieur de nous-
mêmes et ne se manifeste pas par la parole. Cette
gloire gagne à paraître au-dehors, à se manifester
extérieurement, parée de noms et de titres magni-
fiques comme d'un manteau précieux. C'est donc
notre devoir de nous employer à la manifester et à
la faire éclater au-dehors. C'est ce que font nos
louanges, et les noms glorieux que notre langue
prononce et que notre plume écrit, lui forment
comme un riche vêtement.
Efforçons-nous donc de donner à Dieu des noms
glorieux; célébrons ses grandeurs à perte d'haleine.
« Chantons notre Dieu, parce qu'il a fait éclater
« sa grandeur et sa gloire. » (Ex. i5). « Loue\ le
« Seigneur^ que son nom soit béni, maintenant
« et à jamais. » (Ps. 112). « Seigneur, vous
« ouvrirez mes lèvres et ma bouche proclamera
« vos louanges. » (Ps. 5o). Les orgueilleux se
loueront eux-mêmes, s'ils veulent, les flatteurs
essayeront de nous faire prendre pour des vertus
les vices des rois de leur siècle, les Républiques
honoreront leurs fondateurs ; je veux que ma bou-
che chante vos louanges. Seigneur, et non les
miennes, ni celles de tout autre que vous : vous
100 LA THÉOLOGiË AFFECTIVE
serez l'unique objet de mes chants. « Aussi long-
« temps que mon cœur battra^ je chanterai les
« louanges de mon Dieu. » (Ps. 145). Car qui
êtes-vous, ô mon Dieu, sinon le Seigneur Dieu
souverain, tout bon, tout puissant, tout juste, tout
miséricordieux? Et que signifie ce que nous disons
de vous, ou ce que dit n'importe quel homme, qui
veut parler de vous, ô mon Dieu, la sainte douceur
de ma vie ? Si nous, qui parlons le plus de vous,
nous sommes comme muets eu égard à vos perfec-
tions, malheur à ceux qui n'essayent même pas de
bégayer quelque louange en votre honneur ! (i).
III
Considérez la diversité des noms de Dieu. De
tous temps, les saints se sont occupés à l'envie à
lui donner les plus beaux noms. Les théologiens
hébreux lui en ont donné jusqu'à 72. Les théolo-
giens chrétiens n'ont pas été moins prodigues,
mais ils les rangent dans trois catégories, selon les
trois voies par lesquelles nous arrivons à la con-
naissance de Dieu.
Nous le connaissons d'abord par voie de causa-'
lité., c'est-à-dire, comme principe de tous les êtres;
et sous ce rapport, nous l'appelons le Créateur, la
Cause des causes, l'Origine de toutes choses, l'Etre
des êtres, le Prévoyant, le Juste, le Miséricordieux.
Secondement, nous connaissons Dieu par voie
de négation^ c'est-à-dire en niant, quand nous
parlons de lui, toute imperfection. A ce point de
vue, nous l'appelons Tlnlini, l'Immense, l'Immor-
tel, l'Incompréhensible, enfin rinefiablc.
X. s. Aug. Conf. I. t. c. 4.
DES ATTRIBUTS DE DIEU lOI
En troisième lieu, nous connaissons Dieu par
voie d'êminence, c'est-à-dire comme possédant à
un degré éminent tout ce qu'a la créature , et sous
ce rapport nous le nommons l'Essentiel, la Vie,
le Parfait, l'Admirable par excellence. Toute cette
diversité de noms s'est accrue dans le cours des
siècles et dans les divers états de la nature hu-
maine. Sous la Loi ancienne qui était sévère, où
Dieu traitait les hommes comme des serviteurs,
plutôt par la crainte que par l'amour, on donnait
à Dieu des noms que la crainte seule inspirait. Le
patriarche Jacob l'appelle « la terreur » (Gen. 35);
Néhémias « le Dieu du ciel^ le Fort^ le Grande
« le Terrible » (ii, Esd., i.) Dans la nouvelle Loi,
pleine de la bénignité et de l'humanité de Jésus-
Christ, les âmes se sont laissé entraîner par leur
ardente dévotion, jusqu'à lui donner des noms
d'amour : elles l'ont appelé leur Amour, leur Bien,
leur Espoir, leur Douceur, leur Désir.
Le divin saint Denys (i) approuve particulière-
ment que Dieu soit appelé la Bonté. Le désir que
nous avons, dit-il, d'exprimer par la parole quel-
que chose de cette ineffable nature, nous porte à
lui consacrer ce nom qui est le plus auguste et le
plus saint des noms. Ajoutons que les noms que
nous devons prononcer le plus fréquemment sont
ceux qui sont composés d'un mélange égal de
crainte et d'amour et dans une si juste proportion
qu'ils ne causent aucun préjudice ni au respect ni
à l'amour (2). Tel est le nom de Père, tel celui de
Seigneur, celui de Miséricorde, tel le nom si fré-
I. De dit, nom, c. i}.
3. Gerson, De Theol. myst. p. 3. ind. x.
102 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
quemment employé de Dieu : il signifie : celui qui
voit et qui aime^ car Dieu voit tout et aime
ardemment ses créatures : on peut admirer dans
ce nom un mélange harmonieux de crainte et
d'amour.
Cette grande variété de noms glorieux attribués
à Dieu me comble de joie. Ah ! si sur la terre, où
on le connaît si peu, on lui donne tant de noms,
que sera-ce, en paradis ? O Dieu, quel ravissement
d'entendre pendant toute Téternité les louanges et
les bénédictions que les bienheureux vous adres-
sent ! O Seigneur, j'aspire au ciel, pour y jouir du
bonheur d'entendre Jésus et Marie vous y louer
plus magnifiquement, j'y aspire pour le bonheur
de respirer cet air qui retentit d'une si délicieuse
mélodie et aussi de vos noms très bénis connus de
vos élus seuls. Oh ! dès maintenant j'unis mon
cœur à leur cœur, et mon amour vous donne tous
les noms admirables qu'ils vous donnent et vous
donneront dans les siècles des siècles.
DES ATTRIBUTS DE DIEU lo3
XVr MÉDITATION
DE LA SCIENCE DE DIEU
SOMMAIRE
Dieu a une science infinie — qui comprend la
science de simple intelligence, la science
moyenne et la science de vision. — La science
de Dieu est très avantageuse à Dieu et aux
créatures.
I
DIEU possède une science très parfaite. En
voici la raison : Dieu est une substance
spirituelle, dégagée du corps et de la matière, la
plus haute et la plus sublime de toutes les subs-
tances. De là nous concluons que Dieu doit être
intelligent et savant au plus haut degré. En effet
au dernier degré de l'échelle des êtres se trouvent
les substances insensibles et incapables de toute
science : les plus nobles des créatures sont celles
qui jouissent de la sensation et de Tintelligence.
Or Dieu est au plus haut degré de perfection parmi
toutes les substances. Il faut donc qu'il ait une
science en proportion de cette noblesse, c'est-à-dire
la science la plus excellente qui se puisse ima-
giner.
De plus, la science est une perfection qui n'im-
plique aucun défaut : c'est un des avantages les
plus précieux qui soient au monde ; tous les
104 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
hommes bien nés qui ont goûté les joies qu'elle
procure, la souhaitent avec une telle ardeur qu'ils
ne se déclarent jamais rassasiés de science : chez
eux le désir des lumières est plus insatiable que
chez l'avare celui de l'or et de la richesse. Jamais
leur regard ne se lasse de découvrir de nouvelles
vérités, ni leurs oreilles de les entendre. Or, Dieu
est absolument parfait, c'est-à-dire qu'il possède
toutes les perfections qui n'impliquent rien d'in-
digne de lui. Il a donc une science parfaite.
De plus. Dieu est le Père des lumières, l'auteur
des sciences, c'est lui qui les distribue largement,
qui en a fait don à tous les anges et à un grand
nombre d'hommes ; c'est lui qui a donné aux ani-
maux les sens et cet instinct naturel qui leur tient
lieu de science, lui qui les dirige dans la poursuite
des biens qui conviennent à leur nature, d'une
manière aussi sûre que s'ils jouissaient de la
raison. Or, dit le roi David: « Celui qui a planté
« l'oreille^ fi eniendra-t-il pas ? et celui qui a
« formé Vœil^ sera-t-il aveugle ? » (Ps. gS.)
Comment « le Seigneur des sciences » en man-
querait-il ?
Enfin le grand rôle que Dieu remplit en ce
monde, dont il est le Créateur, le Roi, le Protec-
teur et le Juge souverain, suppose en lui une
science de toutes choses éminente, une sagesse
consommée et une prudence infaillible. Car quel
ordre pourrait-il y avoir en ce monde, s'il était
sous la conduite d'un aveugle et dans quel affreux
précipice n'iraient pas s'engloutir toutes les créa-
tures si une main habile ne les dirigeait ? Dieu a
donc une science infinie et n'ignore rien.
DES ATTRIBUTS DE DIEU Io5
Vous êtes très digne de gouverner ce monde, ô
Dieu, dont la sagesse est si haute. Si autrefois on
estimait heureuses les Républiques qui avaient
des sages pour chefs et pour conducteurs (i), le
monde entier doit se trouver heureux d'être sous
la conduite d'une sagesse infinie comme la vôtre.
Ils sont dignes de pitié ceux qui blâment le plan
de votre gouvernement et en censurent les actes,
quand ils ne sont pas à leur gré. Seigneur, quoi
qu'il arrive au milieu des vicissitudes des temps
et des événements, je dirai toujours : Gouvernez,
Seigneur, gouvernez toutes choses : votre sagesse
est infinie ; tandis que la raison humaine est igno-
rante, insolente, impie, quand elle ose vous
reprendre et murmurer contre telles de vos dispo-
sitions qui paraissent léser leurs intérêts.
II
Considérez en second lieu l'étendue de la science
de Dieu « Sa sagesse est sans bornes » (Ps. 146),
dit le saint roi David. Par un seul acte de son
intelligence infinie, il connaît tout ; semblable à
celui qui se trouverait au sommet d'une montagne
très élevée et qui verrait d'un seul regard tout ce
qui se passe à ses pieds. Il a connu tous les
objets des sciences en moins de temps qu'il n'en
faut à un homme pour prononcer un mot de deux
syllabes, une seule syllabe même.
Toutefois, de même qu'une science est divisée
en traités pour plus de méthode, la science divine
très une et très simple en elle-même, est divisée
en trois espèces pour être plus aisément comprise.
I. Platon. 1, 5. de Repubhc.
Io6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
T ■■■- ■■-I... I.l I..-I. I I ■■-lll.»..« ■■ ■ I — — ■ .1 ■ !■■■ I ■ ■ , Mi
La première est appelée science naturelle ou de
simple intelligence ; la seconde, science moyenne
ou des conditionnels ; la troisième, science libre
ou de vision.
Par la première de ces sciences qui est la science
naturelle ou de simple intelligence. Dieu est le
plus grand théologien du monde; il a une science
infinie de la nature divine : par elle il comprend
son Essence, toutes les perfections et tous les êtres
possibles dont le nombre est infini : il voit des
millions de mondes, de cieux, de soleils, de mers
et de créatures angéliques ou humaines qu'il
lui est possible de créer.
La science moyenne ou des conditionnels vient
logiquement après la première, dont elle est une
dépendance ou un prolongement. Dieu, en effet,
puisqu'il connaît toutes les créatures possibles,
voit tout ce qu'elles seraient et tout ce qu'elles
feraient, s'il les créait, et s'il les mettait dans tel
état, dans telle condition, dans telles conjonctures.
Par le moyen de cette science il voit si tel monde
qu'il pourrait créer serait meilleur ou pire que
le monde actuel ; il voit également que s'il eût
accordé aux habitants de Tyr et de Sidon les grâ-
ces qu'il offrit aux juifs, « ils auraient fait péni-
« tence dans la cendre et dans le cilice. »
(Matt., II.) En un mot il voit clairement ce que
nous serions dans un autre temps et dans un autre
état que celui où nous sommes. C'est à peu près
comme un père qui connaît de longue main le
naturel de ses enfants, il peut juger de ce qu'ils
feraient dans tels ou tels emplois ; mais tandis que
son jugement est simplement probable, Dieu con-
DES ATTRIBUTS DE DIEU IO7
naît de science certaine les événements sans nom-
bre qui peuvent se produire concernant chaque
créature en particulier et dans toutes les hypothè-
ses possibles.
Enfin Dieu voyait tout les mondes possibles, et
sachant d'avance comment marcherait le monde
actuel, s'il le créait, comme de fait il l'a créé, et
s'il faisait descendre tous les hommes d'Adam et
d'Eve; Dieu, dis-je, sachant tout cela, décréta
dans ce même instant éternel, de le créer ainsi et
pas autrement : dans ce même instant il vit dans
son décret, par une science appelée libre ou de
vision, toute la suite des événements qui devaient
se dérouler dans ce monde, tout ce qui est aujour-
d'hui son passé, ainsi que son présent et son ave-
nir. Il connut toutes les créatures qui viendraient
à la vie, les grandes et les petites, les esprits et
les corps, les vivants et les morts, les pensées
et les actions, l'intérieur et l'extérieur, la subs-
tance et les accidents, le nombre des hommes et
les noms de tous, depuis le premier jusqu'au der-
nier, le nombre des vers qui sortiraient de leurs
corps pour les ronger, le nombre des pierres elles-
mêmes, spécialement de celles qui serviraient à
bâtir leur tombeau au milieu des ombres de la
mort. Il vit enfin toutes les pensées qu'auraient
les anges et les hommes pendant toute l'éternité.
O profondeur de la sagesse divine !... « Votre
« science est étonnamynent élevée au-dessus de
« moi, et je n'y puis atteindre. » (Ps. i38.) Avec
bien plus de raison encore que la reine de Saba,
admirant la sagesse de Salomon, je m'écrierai :
<f. Votre sagesse et vos œuvres dépassent même
108 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« ce que la renommée nous en avait appris. »
(m, Rois, 10.) Si l'on doit respecter les savants,
Vous, de quel respect ne doit-on pas vous hono-
rer? S'il est raisonnable de tenir compte de leurs
conseils, qui refusera de se soumettre, pour ainsi
dire, à chaque syllabe qui tombe de votre bouche
et d'y ajouter foi avec un profond respect ? Sei-
gneur, dans mes perplexités et dans mes angoisses,
je me confierai en vous, convaincu que vous trou-
verez dans votre science mille moyens de m'en
délivrer.
III
Considérez les avantages de cette connaissance,
par rapport à Dieu et par rapport aux créatures.
D'abord c'est pour Dieu un ravissement perpé-
tuel de se considérer toujours lui-même et toutes
ses perfections, aux clartés de sa science admirable.
S'il ignorait ses beautés et ses perfections, il
n'éprouverait aucun plaisir à les posséder, pas
plus que le soleil n'en éprouve à avoir une admira-
ble lumière qu'il ne connaît pas, pas plus que n'en
ressent la rose pour ses belles qualités qu'elle
ignore.
Cette science est encore avantageuse aux créatu-
res. Elles lui doivent tout le bien qu'elles possè-
dent, car la sagesse divine dirige toutes les actions
et tous les attributs de Dieu qui regardent les créa-
tures. Si la puissance de Dieu crée le ciel et la
terre, c'est sa sagesse qui dispose tout, car « il a
« créé les deux avec sagesse. » (Ps. i35.) Si la
miséricorde pardonne, c'est la sagesse qui lui en a
donné le conseil. Si la justice juge les hommes,
DES ATTRIBUTS DE DIEU 10^
c'est la science qui préside au jugement, pour ren-
dre à chacun selon ses mérites. C'est pour cela
que la science de Dieu paraît dans toutes ses œu-
vres : elles sont toutes réglées et ordonnées par
elle qui en est comme l'artisan.
Quelques-uns se sont demandé si cette science
ne nuisait pas d'une certaine façon à la liberté hu-
maine : comme la science de Dieu est infaillible, il
semble qu'il ne doit plus rester à la volonté hu-
maine d'autre parti que de faire ce que Dieu a
prévu. Cependant l'expérience prouve que la
liberté de l'homme n'en est pas moins réelle, quoi-
que Dieu connaisse la détermination à laquelle
elle s'arrêtera. Cette science divine n'est que spé-
culative par rapport aux actions volontaires ; elle
ne produit dans l'àme aucune impression de na-
ture à offenser la liberté, pas plus que la connais-
sance d'un prophète n'influe sur l'esprit de ceux
dont il prédit les œuvres. On ne saurait attribuer
non plus à cette science les malheurs qui arrivent
aux hommes. Car, dit Théodoret (i), si celui qui
voit un cheval furieux prendre le mors aux dents,
renverser son cavalier et courir vers un précipice,
affirme qu'il va y tomber; il ne vient à la pensée
de personne de dire que s'il y tombe en effet, c'est
celui qui l'a prévu qui en a été la cause. Ainsi se
comporte Dieu à l'égard des damnés : il voit qu'ils
prennent le chemin de l'enfer, en violant les lois
divines, il les y voit tomber : sa science n'est
pas la cause de ce malheur. Mais clic est la cause
de l'efiroi qui saisit une àme à la pensée que ses
mauvaises actions sont vues clairement de Dieu :
I. In cap, 8. Epist. ad Rom,
110 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
elle est aussi un motif d'encouragement pour les
âmes vertueuses qui savent qu'elles ont leur Roi
pour témoin et pour spectateur de leurs bonnes
actions. Ainsi la pensée de la science divine porte
Fàme au bien et Téloigne du mal : c'est là un des
plus grands avantages qu'on puisse imaginer.
Très haut Seigneur, je me réjouis à la pensée
que votre science vous procure une joie infinie.
Créatures du monde entier, louez la sagesse de
Dieu, qui vous a assigné à chacune votre place et
votre rang dans l'univers. Et toi, ô mon àme,
honore sans cesse cette admirable science, ne l'ou-
trage pas par des actions coupables qui offense-
raient sa vue, fais toutes les œuvres avec réflexion
et sagesse. Sois courageuse, ô mon âme, comme le
soldat qui combat sous le regard de son roi ; car
toi aussi, ton Dieu te contemple et ne te perd
jamais de vue. Mais ses regards sont innocents
des crimes que tu peux commettre : ne lui impute
jamais la cause de tes malheurs, rejette-la bien
plutôt sur tes fautes.
DES ATTRIBUTS DE DIEU III
XVir MÉDITATION
DES IDÉES DE DIEU
SOMMAIRE
Nous entendons par les idées de Dieu (i) la
forme exemplaire du monde ; — (ii) la con-
naissance de tous les possibles. — Dieu n'a
aucune idée du péché.
I
LA première manière d'entendre les idées de
Dieu, c'est de concevoir l'Essence divine
comme le modèle universel des perfections des
créatures ; car, dit le docteur angélique (i), l'Es-
sence de Dieu est la forme exemplaire de toutes
choses : de sorte que en Dieu l'idée n'est autre
chose que l'Essence de Dieu. Qu'est en effet que
l'idée, sinon une forme ou un modèle qu'on con-
sidère pour le reproduire dans une œuvre. Or,
quand Dieu veut produire des êtres, il ne con-
sidère aucun modèle hors de lui-même, comme
ferait un peintre. Sur ce point Aristote (2) a
réfuté Platon, son maître, qui admettait des idées
subsistant par elles-mêmes, en dehors de Dieu :
il s'en excusait en disant qu'un philosophe doit
aimer davantage la vérité que ses amis. L'Es-
sence divine suffit donc à Dieu ; il peut façonner et
multiplier à l'infini les êtres en leur imprimant
quelques-uns de ses propres traits. « Nous croyons y
I. Q.. 15. art. I.
3. L. I. Eth. c. 4.
112 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
« dit saint Paul, que les siècles ont été ordonnés
« parlaparolede Dieu, de telle sorte que les cho-
« ses visibles fussent faites selon l'exemplaire
« invisible. » (Hebr., 1 1.) Veut-il créer l'ange, être
doué d'intelligence ? il voit dans son Essence, sa
propre intelligence, comme un trait qui peut être
reproduit dans l'ange à créer : l'idée de l'ange
n'est dès lors rien autre chose que son Essence
considérée comme imitable à ce point de vue.
L'idée de l'homme, qu'est-elle aussi sinon cette
même Essence considérée comme pouvant être
imitée au point de vue de la faculté de concevoir et
de vouloir librement ? Nous pouvons appliquer le
même raisonnement à toutes les autres créatures
et dire que l'Essence de Dieu est l'idée même de
ces créatures, selon qu'elles reproduisent quel-
qu'une de ses perfections ; on peut même dire
que toute leur excellence et leur noblesse provient
de cette ressemblance qu'elles ont avec Dieu. Les
créatures placées au plus bas degré de l'échelle de
la création, celles qui n'ont simplement que l'être,
imitent l'Essence divine dans son être; celles qui à
cette première qualité en ajoutent une seconde,
celle de la vie, comme les plantes et les arbres,
imitent Dieu dans sa vie; les créatures douées de
sensibilité, l'imitent dans sa connaissance ; les créa-
tures intelligentes et libres, l'imitent dans son
intelligence et dans sa liberté ; la terre l'imite dans
sa stabilité; l'eau, dans sa pureté; l'air, dans
sa dillusion; le feu, dans son activité; les cicux,
dans son incorruptibilité ; en un mot, il n'y a pas
une seule créature qui ne reproduise quelque
ligne ou quelque trait de la face de son Créa-
DES ATTRIBUTS DE DIEU Il3
teur, et qui n'en soit ou Timage ou l'empreinte.
J'admirerai cette Essence divine en qui sont réu-
nies toutes les beautés imaginables. Certes, nous
admirerions le peintre qui, prenant sa face pour
unique modèle, saurait produire en l'imitant, des
milliers de tableaux où se trouveraient toutes les
plus grandes beautés de l'univers, et nous refuse-
rions de vous admirer, ô mon Dieu, vous qui avec
votre face comme seul modèle, avez pu former
tant d'espèces de beautés si bien assorties que la
vue de ce monde nous ravirait tous les jours
d'étonnement, si l'habitude de le contempler dès
notre enfance n'avait émoussé en nous ce senti-
ment ! Quelle joie il y aura à voir cette suprême
Essence, ce type de tant de beautés actuelles ou
possibles, que le monde malgré son immense
étendue ne serait pas capable de contenir ! Oh !
comme nous serons dédommagés par ce spectacle
des peines momentanées de cette vie I Comme le
rassasiement du cœur humain sera plein et parfait!
En attendant ce bonheur, je vous offre, ô mon
Dieu, tous mes hommages en votre qualité de
cause exemplaire de mon être, comme de tout
être créé.
II
Nous entendons en second lieu par idée de
Dieu, la connaissance précise qu'a Dieu de toutes
les choses possibles. Quiconque agit avec sagesse,
commence, avant de produire un ouvrage, par en
faire en lui-même le dessin et l'image : par exem-
ple l'architecte qui veut bâtir un édifice, en conçoit
tout d'abofrd le plan dans son esprit. A plus f#rte
raison Dieu qui agit toujours sagement et qui ne
Bail, t. i. g
114 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
laisse rien au hasard, a-t-il conçu avant la création
du monde, le modèle et le type de tout ce qui s'y
trouve : sa connaissance lui en a donné une repré-
sentation exacte, une image intérieure et comme
une peinture immatérielle : ce sont là proprement
ses idées. // est l'Etre infiniment beau, portant
dans son esprit un monde plein de beauté, qu'il
réalise, en tout semblable à l'image qui est en
lui, sans s'en écarter d'une ligne (i). L'aigle des
Evangélistes a pu dire que « ce qui a été fait
« était vie en lui » (Jean, i) parce que le modèle
des créatures et l'idée qu'il en a, est en lui vivante,
éternelle, immuable et divine ; c'est ainsi que ce
qui a été fait, c'est-à-dire le type d'après lequel
tout a été créé, était vie en lui de toute éternité.
Et tandis qu'ordinairement les tableaux n'égalent
pas la perfection de l'objet qu'ils représentent, car
nous voyons que le portrait d'un homme n'est pas
aussi excellent que l'homme lui-même, il en va
tout autrement en Dieu ; les représentations des
créatures y sont si nobles et les idées en sont si
parfaites, que les êtres sont infiniment plus excel-
lents en Dieu, où ils sont vie, qu'en eux-mêmes
où on peut dire qu'en comparaison ils sont comme
morts, tant ces copies sont pâles et tant la ressem-
blance est effacée.
Oh ! quelle surprenante union que celle qui
existe entre Dieu et sa créature I Ce grand Dieu
ressemble à un amant passionné ; il porte les créa-
tures gravées et en quelque sorte enchâssées dans
son intelligence comme dans un très pur et très
brillant diamant. ((Je t'ai écrit dans mes mains »
X. lloctius, de Consolât, 1, 3. q.
DES ATTRIBUTS DE DIEU Il5
dit-il (Is. 49.) O mon âme, quel trait d'amour chez
ce Dieu plein de bonté, que de garder en lui toute
Téternité une image de notre être et de nous avoir
formés dans le temps selon cette divine image !
Ah! que n'avons-nous toujours nous aussi, l'idée
et le souvenir de Dieu présent dans notre esprit,
pour nous exciter à l'aimer de tout notre cœur ? Si
nous poussons la dureté de cœur jusqu'à détour-
ner notre pensée de cet Etre aimable et jusqu'à ne
vouloir aimer que nous-même, eh bien ! soit ;
mais aimons-nous du moins à la manière de Nar-
cisse ; non pas toutefois dans le cristal d'une eau
froide où se refléteraient nos traits, mais dans le
sein de cette pure Essence, où se trouve notre
image incréée, toute belle, toute vivante, toute
aimable. O mon âme, ne t'aime donc plus en toi-
même, tu es trop imparfaite, trop difforme, aime-
toi en ton Dieu, où tu es réellement divine et
ravissante de beauté ; aime-toi dans ce grand
miroir sans tache, afin qu'en t'aimant, ce soit ton
Dieu que tu aimes, afin que, comme lui, tu
deviennes pure et sans tache.
Aime aussi ton prochain et honore-le selon
l'être admirable qu'il a en Dieu. Si à tes yeux de
chair il paraît peu digne d'être aimé, considère-le
avec les yeux de l'esprit dans cette réalité si su-
blime de l'Idée divine, où il est vivant et la vie
même. O le pressant motif d'un saint amour 1
III
Dieu n'a aucune idée du péché, bien qu'il ait de
deux manières, comme nous venons de le voir, les
idées de toutes les créatures du monde, des cieux.
Il6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
des éléments, des anges et des hommes, des ani-
maux, des arbres et de toutes les productions de
la nature.
Car premièrement, s'il est vrai que son Essence
renferme Tidée d'un être, quand on la considère
comme le prototype et le modèle de cet être,
selon quelques traits de sa perfection ; il est cer-
tain d'autre part que cette très noble Essence ne
renferme rien qui puisse être le modèle du péché,
mais bien plutôt tout ce qui est en elle, est direc-
tement et formellement opposé au péché, car l'être
est opposé à la privation de l'être, la lumière aux
ténèbres. En effet le péché n'est autre chose dans
une âme que la privation de Dieu : c'est pour cela
qu'il provoque la haine et le courroux de Dieu.
Dieu donc ne voit Jamais dans son Essence le mo-
dèle du péché, et ainsi il n'en a pas l'idée.
Secondement, bien qu'il ait une connaissance
claire et précise du mal, qu'il ait toujours la vue
de ce monstre épouvantable, tant qu'il existe dans
les âmes, selon cette parole : « il a mis mes ini-
« quités devant ses yeux » (Ps. 89), « mes fautes
« ne lui sont pas cachées » (Ps. 68); toutefois il
ne connaît pas le péché comme une chose qu'il
puisse faire : il n'est ni l'auteur ni l'artisan du
mal ; mais il est au contraire son ennemi mortel,
toujours occupé ou à le détruire ou à le punir. Or
Dieu a seulement l'idée des choses qu'il se repré-
sente comme possibles ou réalisables. Donc lui qui
a l'idée des bêtes les plus affreuses, des serpents
les plus horribles, des monstres les plus hideux et
les plus difformes, n'a en lui-même aucune idée
du péché.
DES ATTRIBUTS DE DIEU II7
O Essence trois fois sainte, que j'apprenne au-
jourd'hui à n'avoir jamais à votre exemple aucune
idée du péclié ! si la pensée m'en vient, que ce soit
pour le pleurer, pour l'abhorrer, mais jamais pour
le commettre. Ah ! perfide imagination, que de
fois tu m'as représente ce monstre digne de toute
abomination, sous des couleurs trompeuses ! Et
vous, Seigneur, avec vos yeux très purs, vous avez
vu mon âme souillée par cette infâme idée du
péché ; vous l'avez vue dans cet état d'affreuse lai-
deur. Ah ! mon Dieu ! combien j'en ai le regret
maintenant ! « Oh ! lave\-moi de plus en plus des
« souillures de mes iniquités (Ps. 5o) ; imprimez
de nouveau dans mon âme votre ressemblance ;
mettez-vous vous-même comme un sceau sur mon
cœur, afin que je n'aie plus d'autre pensée ni d'au-
tre amour que vous.
XVIir MÉDITATION
DE LA VÉRITÉ DE DIEU
SOMMAIRE
Dieu a la vérité (i) de Vêtre — (ii) celle qui con-
siste dans la conformité de Vesprit avec
, l'objet connu — il est en un sens le seul Etre.
I
DIEU est vrai, c'est-à-dire qu'il a la vérité de
l'être. Nous disons qu'un être est vrai,
quand il est tel qu'il doit être, tel qu'il lui convient
Il8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
d'être, selon l'idée que nous avons de sa nature.
Or Dieu est vrai dans ce premier sens : il est tel
qu'il doit être, il a en lui tout ce que nous pouvons
concevoir comme convenant à sa divinité, comme
lui étant propre. Il lui convient en effet d'être spi-
rituel, indépendant, immortel, infiniment heureux,
tout-puissant, infiniment savant, créateur, conser-
vateur, gouverneur de tous les royaumes du ciel
et de la terre, très bon, très juste, très patient,
très miséricordieux et une infinité d'autres choses.
Or Dieu est tout cela : c'est pourquoi il a la vérité
de l'Etre divin, il est vrai Dieu.
Au contraire, l'idole qu'adorait le païen, n'était
pas le vrai Dieu, parce qu'elle ne possédait pas
les prérogatives divines, comme l'or que fabrique
l'alchimie n'est pas un or vrai, mais une contrefa-
çon; car il est dépourvu des propriétés de l'or
véritable. Toutes les qualités que Dieu comme tel
doit nécessairement posséder, il les possède sans
défaut; tout ce que l'esprit des hommes les plus
éclairés et des anges les plus élevés peut imaginer
comme digne de Dieu, Dieu le possède à un degré
souverain de perfection ; mieux encore, il possède
tout ce que son esprit infini peut concevoir et
il le possède sans mesure et sans restriction d'au-
cune sorte. Il a donc la vérité de l'être : il est vrai
Dieu.
O vrai et seul vrai Dieu, en dehors de qui il n'y a
point d'autre Dieu, je voudrais, de même que vous
avez la plénitude de l'Etre divin, avoir moi aussi
la plénitude de mon être humain : je veux dire,
être tel à vos yeux qu'il m'appartient d'être ; être
une créature vraiment raisonnable, dirigée par \a,
DES ATTRIBUTS DE DIEU IIQ
raison dans toutes ses actions, puisque ma nature
est d'être raisonnable. Je voudrais vous être sou-
mis en toutes choses, puisque telle est la condition
de toute créature ; je voudrais, oubliant les choses
de ce monde, n'aspirer qu'à vous posséder, vous
qui êtes la fin pour laquelle j'ai été mis au monde.
Hélas ! que nous sommes dégradés ! nous avons
des qualités opposées à celles que nous devrions
avoir : nous n'avons pas la vérité de notre être. O
Dieu de vérité ! convertissez-nous, afin que jamais
nous n'unissions dans un même amour la vérité et
le mensonge, mais que nous aimions la vérité
seule, c'est-à-dire que nous soyons tels qu'il nous
convient d'être.
II
Dieu est vrai d'une seconde manière : il a cette
vérité qui consiste dans une parfaite conformité de
la connaissance avec l'objet connu et puis aussi
dans la conformité de la parole avec cette connais-
sance : ainsi connaître les choses telles qu'elles
sont, et les exprimer telles qu'on les connaît, voilà
la vérité. Or, il est hors de doute que Dieu con-
naît toutes choses sans aucune erreur : la lumière
très brillante et très pénétrante de son intelligence
infinie ne lui permet de rien ignorer, ni de se
laisser séduire par quelque trompeuse apparence,
au point de prendre une chose pour ce qu'elle
n'est pas. Sa connaissance est infaillible ; de sorte
que, comme sa connaissance constitue la vérité
suprême et que sa connaissance et son Essence ne
font qu'un ; ce n'est pas assez d'affirmer (^ue la
I20 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
vérité est en lui, il faut dire que la vérité souve-
raine et primordiale, c'est Lui-môme.
D'autre part, les paroles qu'il prononce confor-
mément à cette connaissance auront leur accom-
plissement ; cet accomplissement est tellement
assuré que la terre et les cieux périront, plutôt
qu'une seule syllabe, qu'une seule lettre, qu'un
seul point de ces diverses paroles. Il ne parle
jamais en vain. Avant l'Incarnation il parlait par
la bouche de ses prophètes, annonçant que son Fils
s'unirait dans le sein d'une Vierge à la nature
humaine, qu'il rachèterait le monde par son sang,
qu'il ressusciterait, qu'il monterait au ciel et qu'il
enverrait le Saint-Esprit : autant de prophéties qui
ont été ponctuellement accomplies. Il a affirmé
encore par la voix des prophètes et aussi des évan-
gélistes qu'il y aurait un jugement, que les morts
sortiraient des tombeaux, que les justes méprisés
sur la terre, seraient exaltés dans la gloire et que
les méchants seraient précipités dans l'enfer : tou-
tes ces paroles s'accompliront. L'expérience du
passé doit nous être un sûr garant de l'avenir :
elle doit nous convaincre que toutes les paroles de
Dieu sont vérité, que rien ne pourra en empêcher
la pleine réalisation. Aussi est-il appelé fidèle :
» Le Seigneur est fidèle dans toutes ses paro-
« les. » (Ps 144.) Sur la liste de ses attributs il faut
donc inscrire à la suite de la vérité, la fidélité, en
raison de laquelle il lui appartient d'être toujours
fidèle, sans jamais tromper personne.
Pourquoi donc balancer ? pourquoi ne pas adhé-
rer d'une foi très ferme à toutes les paroles de
Celui qui ne peut ni se tromper, ni nous tromper?
DES ATTRIBUTS DE DIEU 121
Pourquoi donc ne travaillons-nous pas courageuse-
ment, puisque c'est pour celui qui est fidèle à
donner les récompenses qu'il promet, que nous
travaillons ? Pourquoi pour la même raison
ne redoutons-nous pas de l'offenser, pusqu'il est
certain qu'il exécutera ses menaces ? Et aussi que
n'aimons-nous comme lui, la vérité dans toutes
nos connaissances et dans toutes nos paroles ?
Hélas ! la vérité qui porte en elle le salut du
monde, on l'a rendue odieuse ; on ne l'annonce
pas librement, on ne la défend pas courageuse-
ment : on la dissimule, on la trahit, on la haït.
« O Dieu patient^ Dieu miséricordieux et véri^
« dique » (Ps. 85), donnez-nous d'aimer la vérité
en toutes choses, de n'énoncer que la vérité dans
toutes nos affirmations, d'accomplir fidèlement
tout ce que nous avons promis, notamment d'éviter
le péché et de pratiquer la vertu ; donnez-nous enfin
d'avoir une entière confiance en toutes vos paroles.
III
Dieu est encore appelé Vérité par les Saints,
dans ce sens qu'il Est d'une manière si sublime
que toutes les créatures, si on les compare à lui,
s'évanouissent et sont comme un pur néant. Le
saint roi David éprouvait ce sentiment, quand ravi
en extase par la contemplation des grandeurs divi-
nes, il s'écriait : « J*ai dit dans mon cœur : tout
homme est mensonge. » (Ps. ii5.) Dans le même
sens il dit ailleurs, que tous les hommes mis
ensemble dans la même balance pèseraient moins
que la vanité, tant il est vrai qu'en face de Dieu ils
ne sont rien. « Toutes les nations, dit encore
122 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« Isaïe, sont devant lui, comme si elles n' étaient
« pas : elles ne sont, comparées à Lui, que vide
« et néant. » (Is. 40.) Qu'est-ce, en effet, que ce
qui est vain ? C'est ce qui, absorbé, ne nourrit
pas ; pris comme appui, ne soutient pas ; cultivé,
ne produit pas de fruits. Telles sont les créatures
de ce monde; elles ne nous rassasient pas, ne nous
soutiennent pas, ne nous rapportent aucun fruit
qui puisse nous satisfaire. C'est une écorce sans
sève, une apparence sans réalité, de faux plaisirs
et de passagères délices. Elles ne sont donc que
vanité et Dieu seul est vérité.
Ce philosophe à qui ses hautes pensées sur Dieu
ont mérité d'être appelé divin (i), disait : Suppo-
sez une vaste et profonde caverne, où les hommes
seraient nés et demeureraient couchés, sans pou-
voir lever la tête ; imaginez qu'il y a au milieu de
cette caverne un grand flambeau, à la clarté duquel
on verrait sur la paroi les ombres et les silhouettes
des êtres qui existent dans le monde. Ces miséra-
bles mortels prendraient ces ombres pour des
réalités, parce qu'ils n'auraient jamais rien vu de
plus substantiel ni de plus réel. Mais si l'un d'en-
tre eux sortait de ce lieu obscur et entrait dans ce
monde, ravi à la vue du soleil, des astres, des élé-
ments, de toutes les créatures, combien ne mépri-
serait-il pas tout ce qu'il aurait vu dans son antre
ténébreux ! comme tout cela ne lui paraîtrait plus
qu'illusion et vanité, en comparaison des véritables
merveilles de la nature. Ainsi en est-il de ce monde
terrestre que nous habitons : toutes les créatures
qu'on y voit ne sont que de vaines apparences, des
ï. Platon, 1. 7, de Rtpubl,
DES ATTRIBUTS DE DIEU 123
ombres fugitives, au prix du Bien intellectuel qui
est élevé au-dessus de tous les sens, et qui est
Dieu même, vraie source de toute lumière, cause
universelle des êtres, rendez-vous de toutes les
beautés réelles. Si les êtres de ce monde nous
semblent cependant avoir quelque réalité, s'il nous
est malaisé de nous représenter Dieu comme le
seul Etre réel, c'est que nous ressemblons à ces
hommes infortunés et dignes de pitié ; c'est que
nous ne sommes pas encore sortis de la sombre
caverne, c'est-à-dire de ce monde, et que nous ne
contemplons pas la vérité du Bien souverainement
intelligible, le seul et vrai Dieu en qui abonde
toute félicité.
C'est assez. Seigneur, pour me convaincre :
votre grâce m'a fait comprendre que vous êtes
Vérité et que tout le reste n'est que vanité, c'est-
à-dire n'est rien en comparaison de ce que vous
êtes. Embrasserai-je le faux, au lieu d'embrasser
le vrai bien que vous êtes ? Ah ! Seigneur, non, je
me sens maintenant autrement inspiré. Si j'ai
croupi longtemps dans l'amour des créatures, et
dans le désir des délices vaines et trompeuses
qu'elles procurent, je veux les abandonner, puis-
qu'il vous plaît de m'en donner la volonté. Je
veux prévenir le monde, afin de lui ravir l'avantage
de m'abandonner le premier : c'est moi qui le pre-
mier lui dirai adieu : aussi bien il faudra que je
le quitte, quand j'y penserai le moins. Donc ô
éternelle vérité ! que la vanité des créatures ne
m'attire plus, mais bien votre vérité seule à
laquelle j'aspire.
124 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XIX^ MÉDITATION
DE LA VIE DE DIEU
SOMMAIRE
Dieu vit — d'une vie excellente, — bien dijfèrente
de la vie humaine
I
DIEU est vivant : cest une vérité qu'attestent
les serments les plus solennels : on jure
par la vie de Dieu comme par la réalité la plus
constante et la plus certaine qui existe « Vive
Dieu » (III Rois, i), tel était le serment d'Elie : il
signifiait : ceci est aussi vrai qu'il est vrai que
Dieu est vivant. Un ange s'élevant au-dessus des
mers et des continents « jura par Celui qui vit
« dans les siècles des siècles. » (Apoc. lo),
qu'après ce monde, le temps de faire pénitence
serait passé. Dieu lui-même ne jure ordinairement
que par sa propre vie. « Je vis, moi, dit le Sei~
« gneur^ » (Ezéch. 18) ce qui signifie que ce qu'il
affirme est aussi vrai qu'il est vrai que Dieu est
vivant. Il est donc indubitable que Dieu a la vie.
La preuve est facile à donner : être vivant, c'est
avoir en soi-même et avoir en quelque état que
l'on soit un principe de mouvement ou d'action :
une plante est vivante, parce qu'elle a en soi la
faculté de se nourrir et de croître ; un animal est
DES ATTRIBUTS DE DIEU I2D
vivant, parce qu'il possède intérieurement un
principe qui lui permet de se mouvoir d'un lieu
dans un autre et de faire plusieurs actions. L'ange
et l'homme sont également vivants. Au contraire,
une pierre n'est pas vivante, parce que lorsqu'elle
est en repos, elle n'a pas en elle-même la puis-
sance de se mouvoir, pas plus qu'un cadavre, car
pour être vivant, il faut contenir en soi et indé-
pendamment de tout état où l'on puisse se trou-
ver, la puissance d'agir par soi-même. Ce principe
intérieur d'action, Dieu l'a incontestablement, car
il peut comprendre, connaître et aimer, puisque
de toute éternité il connaît et aime en acte son
Essence : bien mieux, cet acte de connaissance et
d'amour c'est Lui-même. Dieu est donc non
seulement vivant, mais la vie même ; lui-même
s'est défini « la voie, la vérité et la vie. »
(Jean, 14.)
A la suite de cette considération, je ferai des
actes de complaisance dans cette pensée que Dieu
est vivant. La science morale nous enseigne (i)
que c'est le propre de l'amitié de souhaiter la vie
à nos amis : on le voit bien chez les mères qui
souhaitent tant de vivre à leurs enfants. Ainsi
ceux qui aiment Dieu se réjouissent de savoir qu'il
vit, comme ceux qui le haïssent, s'en affligent :
« Parce qu'ils ont, dit saint Paul, Vesprit obs-
« curci de ténèbres et ennemi de la vie de
Dieu. » (Eph. 4.) Oui, mon Dieu, je me réjouis
de tout cœur de vous savoir vivant. « Mon cœur
« et ma chair ont tressailli d' allégresse dans
« le Dieu vivant. » Qu'étaient les dieux des Gen-
I. Ethic, 1. 9., c, 4.
126 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
tils ? des dieux morts, sans vie et sans action ;
mais quant à notre Dieu, il vit au ciel et sur la
terre, dans tous les siècles des siècles. O Dieu
vivant ! soyez toujours en possession d'une im-
mortelle vie !
II
Considérez l'excellence de cette vie divine.
Aucune vie de saint ou de monarque ne l'égale
en 'perfection. De même que l'homme vit d'une
vie plus noble que l'animal, parce que la subs-
tance de l'homme est plus noble ; de même que
l'ange vit d'une vie plus parfaite que l'homme
pour la même raison ; ainsi Dieu vit d'une vie
infiniment plus admirable que celle de n'importe
quelle créature, en raison même de ce fait que sa
substance est infiniment plus noble.
D'abord la vie de Dieu est toute spirituelle et
contemplative : car il vit par sa connaissance intel-
lectuelle et par son amour; elle est toute sainte,
parce qu'elle est la pureté même, éloignée plus
que le ciel ne l'est de la terre, de toute malice et
de toute iniquité ; elle est toujours heureuse et
satisfaite, parce que tout le bonheur qu'il peut
souhaiter abonde en lui, où jamais le malheur
n'a accès. Sa vie est toujours dans la paix et dans
la tranquillité, parce qu'il n'est pas susceptible de
ces agitations qui bouleversent notre vie ; elle est
indépendante, exempte de toute sujétion et de
toute servitude, parce que ne la tenant de per-
sonne, il n'a dès lors besoin de personne' pour la
soutenir et la conserver. La vie est en lui comme
en sa source ; de lui découlent la vie naturelle et
DES ATTRIBUTS DE DIEU I27
la vie de la grâce, la vie corporelle et la vie spiri-
tuelle, comme aussi la vie éternelle. Il est la vie
souveraine de qui, par qui et en qui vivent sou-
verainement toutes choses. En un mot, la vie est
en Dieu comme la fin suprême de toutes les vies
du monde : toutes les vies rendent hommage à la
vie de Dieu et l'honorent dans la mesure de leur
pouvoir.
O vie divine ! vie incomparable ! ô vie vraiment
vitale, par laquelle je vis et sans laquelle je suis
mort ! ô vie adorable ! je vous adore en union avec
les adorations que nous offrent les bienheureux
« qui ont adoré celui qui vit dans tous les siè-
« des des siècles. » (Apoc, 4). O vie divine très
sainte et très digne d'être honorée ! je vous consa-
cre jusqu'au dernier tous les moments et tous les
soupirs de ma languissante vie. O vie divine qui
êtes un parfait modèle ! que la vie qui est en moi,
tant la vie naturelle que celle de la grâce, soit
conforme à la vôtre, autant que cela se peut ! O
vie très éminente ! si je ne puis vous imiter, du
moins faites-moi la grâce de vous estimer et de
vous aimer. O Dieu suprême ! que la jouissance
d'une vie parfaite vous convient admirablement !
Oh ! vivez, vivez toujours ainsi ! Ayez toujours
cette vie si belle et si parfaite I
III
Considérez combien la vie de l'homme est diffé-
rente de celle de Dieu, dans son commencement,
dans ses progrès et dans sa fin. « L'homme, dit
« Job, né de la femme, vit peu de jours, est ras-
« sasié de misères ; comme la fleur il s'élève^ et
128 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« est Joule aux pieds. Comme V ombre il fuit et
« ne s'arrête pas. » (Job. 14.) La vie de Thomme
débute dans les douleurs et dans la pauvreté, dans
le sang et dans les souillures, dans les plaintes et
dans les larmes, dans la faiblesse et dans l'impuis-
sance, et, pour comble de malheur, dans la cor-
ruption du péché originel, véritable source de tous
les maux.
Elle grandit dans les labeurs et les travaux,
dans la sollicitude et les angoisses, dans les tris-
tesses et les douleurs, dans les combats et les ten-
tations, dans les craintes et les revers de fortune,
dans les vices et dans les offenses de Dieu. En
somme ce progrès dans la vie est si déplorable et
si calamiteux, que ceux que Dieu éclaire et à qui
il révèle le Bien véritable, supportent cette vie en
désirant la mort qui, fut-elle des plus affreuses,
leur apparaît comme le seul remède à leurs maux
présents.
La vie enfin s'achève dans les délaissements et
dans les langueurs, dans les anxiétés et les ap-
préhensions du jugement, dans les oppressions et
les douleurs extrêmes, dans une défaillance finale,
dont on ne revient plus, et après laquelle on va à
la pourriture et à la cendre. « Qu'est-ce donc que
« notre vie., dit saint Jacques, sinon une vapeur
« qui paraît un instant et s'évanouit. » (Jac.
c. 4.) C'est une plante qui se dessèche prompte-
ment, une herbe qui se flétrit, un verre fragile qui
se brise, de la glace qui se fond, un navire qui
coule à pic, un nuage qui se dissipe. Vie toujours
incertaine et toujours vacillante que les ennuis
consument, que les soins inquiètent, que l'air cm-
DES ATTRIBUTS DE DIEU Îîi9
poisonne, que les infirmités abattent, qu'un peu
de prospérité rend insolente, que la pauvreté
décourage, que la vieillesse terrasse, que la mort
ensevelit dans le tombeau : de sorte que « rhomme
« est semblable à la vanité et que ses jours
« passent comme l'ombre. » (Ps. 143.) Qui donc
voudra attacher son cœur à une semblable vie ?
Qui voudra borner là son espérance ? Vous aviez
bien raison de le dire, grand Apôtre : « Si nous
« espérons seulement en cette vie, nous sommes
« les plus misérables des hommes. » {I Cor. i5.)
Hélas ! quand finira cette vie mourante ? Quand
arrivera-t-elle au bout de sa carrière et nous dépo-
sera-t-elle à l'entrée de cette vie plus heureuse à
laquelle, animés par vos promesses nous aspirons,
ô mon Dieu, du fond de cette vallée de larmes, et
oij nous ne vivrons plus qu'en vous et en pré-
sence de vos clartés ? « La vie éternelle consiste
« à vous connaître. » (Jean. 17.) « En vous est la
« source de la vie et c'est dans votre lumière
« que nous verrons la lumière. » (Ps. 35.) « Ahï
« Seigneur., que votre pitié s'étende jusqu'à moi
<i et je vivrai; car je fais ma méditation de
« votre loi. » (Ps. 118.)
Bail, t. i.
l3o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XX" MÉDITATION
DE LA VOLONTÉ DE DIEU
SOMMAIRE
Il y a^n Dieu une volonté, c" est-à-dire — (i) la
puissance de vouloir ; — (ii) lacte de vouloir
appelé volonté de bon plaisir — signes exté-
rieurs qui nous manifestent cette volonté,
I
IL appartient à l'homme sage qui s'est donné au
service d'un maître, de s'efforcer de connaî-
tre sa volonté, afin de mieux le servir, de lui
plaire en le servant, de mériter par là une plus
grande récompense. Or nous sommes tous au ser-
vice de Dieu et par conséquent nous sommes in-
téressés à bien connaître sa volonté.
D'abord il y a en Dieu une volonté, en prenant
ce terme dans le sens de faculté de vouloir ou de
ne vouloir pas une chose. En voici la raison :
Dieu jouit d'une intelligence et d'une science très
excellentes. Or la volonté est la compagne insépa-
rable du sujet qui est doué d'intelligence et de
science (i).
Nous ne concluons pas à l'existence d'une vo-
lonté en Dieu, uniquement de ce fait que Dieu est
doué d'intelligence et de science ; mais encore de
I. D. Bonavent. in i. dis. 4;, art. i. q. i.
DES ATTRIBUTS DE DIEU l3l
ce qu'il jouit de plusieurs autres perfections qui
ont une connexion nécessaire avec la volonté, et
qui sont sa puissance, sa félicité, sa justice et sa
libéralité infinie. Le sujet nécessaire de ces perfec-
tions, c'est la volonté : elles la supposent donc
et l'exigent. Et comme ces perfections sont beau-
coup plus nobles en Dieu que dans les créatures,
nous devons affirmer que la volonté de Dieu
sera aussi beaucoup plus excellente que celle des
créatures.
En effet la volonté créée, celle de l'homme ou
celle de l'ange est de soi-même indéterminée au
bien ou au mal : la volonté divine est irrévocable-
ment fixée dans le bien, sans pouvoir jamais ad-
hérer au mal. La volonté créée est influencée et
dominée par l'action qu'exercent sur elle les
objets extérieurs : la volonté divine gouverne
toutes les choses extérieures, les modifie et les
transforme à son gré, sans jamais subir de leur
part aucune modification ou transformation. Enfin
la volonté créée est fragile et impuissante, tandis
que la volonté divine est forte et invincible : elle
donne à chaque chose son commencement, son
accroissement et sa perfection : par elle. Dieu est
le monarque absolu du monde entier, car dit
saint Paul : « Qui résiste à sa volonté ? »
(Rom. 9).
O volonté suprême ! volonté adorable ! devant
qui tout fléchit, à qui tout obéit ! puisque ma
raison vous connaît, il faut que ma volonté vous
reconnaisse : je vous en fais hommage et je vous la
soumets pour qu'elle soit sous votre perpétuelle
dépendance. O volonté divine ! régnez et com-
l32 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
mandez toujours, que ma volonté soit votre ser-
vante, votre esclave dans les siècles des siècles.
II
Dieu a aussi une volonté, dans ce sens qu'il y a
en lui un acte intérieur de volition, par lequel il
veut quelque chose : et cet acte intérieur s'appelle
la volonté de bon plaisir. J'avoue qu'il serait plus
aisé et plus sûr, d'adorer sans la scruter cette
volonté cachée dans TEssence de Dieu ; on évite-
rait par là des difficultés. Toutefois suivant l'avis
de saint Paul : « N'agissons pas^ dit-il, impru-
« demment, et tâchons de connaître et de com-
« prendre quelle est là volonté de Dieu. »
(Eph. 5.). Mieux vaut certainement en cette vie
connaître sa volonté que son Essence, car si nous
obéissons ici-bas à sa volonté, dans le siècle à
venir nous contemplerons son Essence sans voiles.
On ferait sans nul doute grand cas d'un docteur
qui nous apprendrait une science au moyen de
laquelle on pourrait sans péché et facilement
acquérir un royaume. Eh bien ! à ce compte,
la science de Dieu doit être pour nous l'objet
de l'étude la plus attentive, parce que cette science
nous fait connaître le moyen d'arriver au royaume
éternel, qui fut promis aux âmes soumises à cette
volonté. Donc comprenons, autant que possible,
ce qu'est cette volonté de bon plaisir.
Son premier objet, c'est l'Essence divine, qu'elle
aime infiniment et autant qu'elle le mérite. De
l'Essence divine, cette volonté se répand et s'étend
sur les créatures qu'elle considère sous deux
aspects différents. Elle les considère d'abord au
DES ATTRIBUTS DE DIEU l33
point de vue de leur possibilité, indépendam-
ment de l'existence à laquelle elles ne seront
jamais appelées. Sous ce point de vue, Dieu se
complaît en elles, car c'est une satisfaction pour
lui de se voir si riche et si puissant, que l'existence
des milliers de mondes qui seraient peuplés de
créatures très parfaites, dépend de lui et qu'il peut
s'il le veut, les appeler à la vie. Un peintre se
plaît à se représenter intérieurement de beaux
visages, des paysages variés, qu'il ne dépend que
de lui de jeter sur la toile, grâce à son talent. Un
habile architecte goûte du plaisir à dessiner dans
sa pensée de magnifiques palais qu'il ne tiendrait
qu'à lui de réaliser. Ainsi Dieu se sent heureux
d'être assez puissant pour faire jaillir du néant
des millions de mondes qui sont possibles. Mais
puisqu'il ne lui plaît pas de les créer, sa volonté
considérée comme se complaisant dans leur simple
possibilité, est inefficace.
La volonté de Dieu considère en second lieu, les
créatures au point de vue de leur existence réelle
à tel moment de la durée ; et à ce point de vue
elle les veut, elle décrète de les créer et de les
conserver en leur temps et selon leur nature. Une
telle volonté est efficace et donne l'existence aux
êtres qu'elle regarde, elle les rend tous redevables
à son égard, de ses libéralités et de ses profusions,
les fait subsister en vertu de son désir et de son
décret et elle aime tout ce qui a en soi quelque
bien, c'est-à-dire tous les êtres. Il n'y a que le
péché où cette volonté n'est pour rien ; quand
malgré les ordres de Dieu et des grâces suffisantes
pour l'en préserver, elle le commet, Dieu le pré-
l34 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
voit simplement, mais sa volonté s'arrête là : elle
ne dit ni : je veux, ni : je ne veux pas ; rien, dit le
Docteur angélique (i) ne l'oblige à se déterminer
dans un sens ou dans l'autre.
C'est, ô mon Dieu, votre volonté de bon plaisir qui
a créé ce monde et moi-même dans ce monde avec
ce corps mortel et cette âme immortelle. Je suis donc
l'obligé de votre volonté sans laquelle je n'existerais
pas. Elle m'aime, car elle se porte vers ce qui est
un bien pour moi et elle s'arrête devant le péché,
pour ne pas en être la cause. Il me suffit d'avoir dé-
couvert cette volonté parmi vos perfections infinies
et d'avoir distingué celle à laquelle je suis principa-
lement redevable. Celle-là c'est votre volonté de
bon plaisir sans laquelle toutes vos autres perfec-
tions ne m'eussent en rien servi, pas plus qu'elles
n'ont servi à ces mondes possibles, qu'il ne vous
plaît pas d'appeler du néant à la vie. O Seigneur,
cette perfection à laquelle je dois de jouir des
bienfaits de toutes les autres, je veux l'aimer, je
veux m'unir à elle par une affection que ni la mort
ni l'enfer même ne puissent briser; car, que votre
bon plaisir ait voulu m'appeler à la vie de préfé-
rence à des millions d'anges et à des millions
d'hommes qui, parce que vous ne l'avez pas voulu
n'existeront jamais, voilà ce qui m'oblige à vous
aimer d'un amour bien supérieur à celui que mon
esprit peut concevoir et que ma volonté peut
produire.
III
On entend souvent aussi, quand il est question
de la volonté de Dieu, la manifestation extérieure
^. In I Sentent, q. 46. a. 4,
DES ATTRIBUTS DE DIEU l35
de cette volonté de bon plaisir. Elle est en effet
cachée et invisible aux hommes comme l'Essence
divine : mais certains signes extérieurs nous la
manifestent, qui pour ce motif prennent le nom
de la volonté ; de même qu'on appelle un testa-
ment, la dernière volonté de l'homme, parce qu'il
en est la déclaration ; de même que le tableau
d'un saint prend le nom même de ce saint, parce
qu'il en est l'image et la représentation. Ces ma-
nifestations de la volonté de Dieu s'adressent spé-
cialement à l'homme, seul capable de comprendre
les intentions de Dieu et de recevoir ses ordres.
Or l'homme à qui cinq sens ont été donnés
pour connaître les créatures corporelles, est en
possession d'un nombre égal de signes, auxquels
il doit reconnaître la volonté de Dieu : à savoir :
la permission, la défense, l'action, le commande-
ment et le conseil. Deux de ces signes l'instruisent
de la volonté de Dieu, touchant le mal, et les trois
autres, touchant le bien. La permission et la
défense du mal sont les deux premiers signes : si
l'homme pèche actuellement. Dieu le laisse faire,
il ne l'empêche ni par la soustraction de son con-
cours ni de toute autre manière, afin de montrer
qu'il entend que l'homme ne soit pas contraint et
qu'il jouisse de sa liberté. Quant au mal futur, il
le défend sous de très graves peines et sa défense
accompagnée de menaces témoigne qu'il veut que
l'homme demeure obligé à ne point faire le mal.
Pour ce qui concerne le bien, l'homme est instruit
des volontés de Dieu par l'action, le commande-
ment et le conseil de Dieu. S'agit-il du bien pré-
sent ? C'est Dieu qui en est l'auteur, lui-même le
l36 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
fait et son opération est la preuve qu'il le veut.
S'agit-il du bien à faire dans l'avenir ? ou bien il
est nécessaire au salut, et dans ce cas, Dieu le
commande ; nous prouvant par là qu'il veut que
rhomme soit obligé à faire ce bien; ou bien il n'est
pas nécessaire au salut, mais de surérogation :
dans ce cas Dieu le conseille et il nous révèle par
là sa volonté de récompenser plus largement ceux
qui, après avoir fait le bien commandé, auront
par surcroît accompli le bien simplement con-
seillé.
Si ce que nous venons de dire a été saisi, il sera
facile de juger que la volonté intérieure ou de bon
plaisir est toujours accomplie et que rien n'est
capable de l'entraver, ainsi qu'il convient à la
toute-puissance de Dieu. Si en effet l'homme
transgresse la défense ou le commandement, il
demeure pourtant obligé à les observer sous des
peines très graves, qui sont l'affirmation de la
volonté de bon plaisir à l'égard des transgresseurs.
S'il abuse de la permission de Dieu, en péchant,
ce qui est toujours possible, puisqu'il garde sa
liberté, la volonté divine n'est pas frustrée pour
cela. Néglige-t-il ses conseils ? Elle n'est pas frus-
trée davantage, car en les donnant elle n'a eu
qu'un but : témoigner un plus grand amour, et
favoriser de plus grandes caresses celui qu'elle
prévoyait devoir les observer.
Ainsi, ô mon Dieu, celui qui considère votre
volonté extérieure non d'une manière superficielle
et selon les apparences, mais solidement et selon la
vérité, connaît aussi les intentions de votre volonté
intérieure, il la voit toujours invincible et toujours
DES ATTRIBUTS DE DIEU iSy
accomplie. O mon Seigneur ! que vous me parais-
sez admirable ! que j'approuve votre volonté
« bonne, bienveillante et parfaite ». (Rom. i.)
« Les œuvres de Dieu sont grandes, elles sont
« conformes à toutes ses volontés. » (Ps. iio.)
Vous êtes donc toujours heureux, toujours maî-
tre ; quand vos chétives créatures pèchent, ce ne
sont que les signes extérieurs de votre volonté
qu'elles détruisent, mais nullement votre volonté
intérieure. Les désirs de celle-ci sont toujours
satisfaits et en tout événement, puisque, quand
les créatures violent vos saints commandements,
elles demeurent libres, parce que vous voulez
bien les laisser faire, et en même temps liées par
vos lois. Cessez donc, esprits qui ne respirez que
haine contre Dieu, cessez de provoquer les hom-
mes à l'offenser, vous n'aboutirez à rien contre
lui : vous manquez le but, vos efforts ne peuvent
ni l'atteindre, ni le blesser intérieurement. Car, ô
Dieu très fort, vous demeurez au dedans de vous-
même dans une paix que rien ne trouble. Oh !
vivez ainsi toujours pleinement satisfait.
l38 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XXr MÉDITATION
DE LA VOLONTÉ DE DIEU
ANTÉCÉDENTE ET CONSÉQUENTE
SOMMAIRE
Deux volontés en Dieu^ Vune antécédente et Vau-
tre conséquente; — la volonté antécédente a
pour effet le don fait à tous des grâces suffi-
santes pour se sauver ; — les hommes ne se
perdent que par leur faute.
I
Nous distinguons en Dieu deux volontés :
Tune antécédente et l'autre conséquente ;
l'une antérieure et l'autre postérieure : l'une appe-
lée par le patriarche de la Chartreuse, saint Bruno,
la volonté de bonté et de clémence ; l'autre appe-
lée la volonté de justice, car c'est par elle que
Dieu réprouve les méchants et met les bons au
nombre de ses élus. L'une et l'autre sont des
volontés intérieures et de bon plaisir, également
adorables. Elles méritent d'être considérées avec
attention et bien comprises.
Tous les Théologiens sont d'accord pour admet-
tre ces deux volontés, mais ils diffèrent sur la
manière de les entendre. Plusieurs disent que la
volonté antécédente est celle par laquelle Dieu
veut une chose sans en avoir considéré toutes le§
DES ATTRIBUTS DE DIEU iSq
conséquences et que la volonté conséquente est
celle par laquelle Dieu veut une chose après avoir
considéré tout ce qui s'y rattache. Ainsi d'après
eux, par la première de ces volontés, Dieu n'ayant
pas 'encore considéré les péchés et les démérites
de certains hommes, veut le bonheur et le salut
de tous : par la seconde, après avoir vu leurs bon-
nes œuvres et leur sainte mort, il ne veut le salut
que de ceux qui seront sauvés, et il ne veut
la damnation de ceux qui seront réprouvés, qu'a-
près avoir vu leurs démérites et leur mort dans le
péché. Ce que ces théologiens disent de la volonté
conséquente est exact, mais non pas l'explication
qu'ils donnent de la volonté antécédente ; ce
qu'ils en disent est injurieux à Dieu, parce
qu'ils supposent que Dieu peut vouloir quelque
chose d'une manière inconsidérée, sans avoir
songé ni à ses effets ni à ses conséquences. Ce
qu'un homme sage et prudent se garderait bien de
faire, ils en croient Dieu capable. Dieu dont nous
sommes obligés, sous peine de nous tromper et de
le déshonorer, d'avoir l'idée la plus parfaite, et à
qui nous ne pouvons attribuer aucun défaut,
notamment celui qui consistait à vouloir, sans
avoir préalablement réfléchi à tout. Admettons
plutôt que Dieu voit d'abord et veut ensuite :
c'est l'ordre de la sagesse et Dieu ne peut que
l'observer.
Nous devons donc nous faire une autre idée de
la volonté antécédente de Dieu et la définir ainsi :
celle par laquelle Dieu veut que tous les hommes
reçoivent les premiers secours et les moyens néces-
saires pour faire des progrès dans l'œuvre dç leur
140 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
salut ; c'est l'avis des plus profonds théologiens.
C'est aussi la raison pour laquelle cette volonté
est appelée antécédente, car par elle Dieu veut
donner aux hommes les moyens qui doivent pré-
céder leur salut, c'est-à-dire tous les secours qui
peuvent leur être utiles pour se sauver ; comme
d'autre part, par sa volonté conséquente. Dieu
veut la fin qui ne vient qu'après les moyens.
Admirez et adorez en Dieu ces deux volontés
sur lesquelles porte toute la question de la voca-
tion des hommes au salut et celle de leur prédes-
tination ou de leur réprobation. Remerciez Dieu
de la lumière qu'il vous donne maintenant, pour
bien discerner ces deux volontés si importantes
et imprimez cette distinction dans votre esprit
pour parvenir à une connaissance plus certaine et
plus haute des grandes questions touchant le
salut ou la damnation des hommes. C'est pour
n'avoir pas bien fait cette distinction que plu-
sieurs sont dans les ténèbres et n'en sortiront
plus; ayons pitié d'eux et déplorons leur malheur.
II
L'effet réel de la volonté antécédente de Dieu
chez tous les hommes ayant l'usage de la raison
(la question du salut des enfants mérite d'être
traitée à part), cet effet, dis-je, est la collation des
grâces ou des moyens suffisants de salut, à tous
les hommes qui ont été, qui sont ou qui seront.
« Dieu veut^ dit saint Paul, que tous les hom-
« mes soient sauvés et quHls parviennent à la
« connaissance de la vérité ; car il y a un Dieu
« et un médiateur entre Dieu et les hommes. »
DES ATTRIBUTS DE DIEU I4Î
(I Tim. 2). Il n'est pas le médiateur pour quelques
hommes, mais entre Dieu et tous les hommes. Et
ce médiateur c'est, dit saint Thomas (i), Jésus-
Christ, qui s'est livré pour racheter tous les hom-
mes. Dieu veut le salut de tous les hommes par un
acte de cette volonté antécédente, quand il veut
que tous aient à leur disposition les moyens dont
l'usage doit précéder le salut et y conduire. C'est
l'enseignement formel du docteur subtil (2), de
l'ordre de saint François, dont tout le monde
admire l'intelligence si pénétrante. Dieu veut,
pour ce qui le regarde, le salut de tous les hommes
et il le veut par sa volonté antécédente : c'est ce
qu'il prouve bien en leur donnant les biens natu-
rels, les lois et les secours suffisants pour se
sauver. Dieu en vertu de cette même volonté a
voulu que Jésus-Christ fut livré à la mort pour
délivrer tous les hommes de l'impossibilité de se
sauver, à laquelle le péché d'Adam les avait ré-
duits, et toujours en vertu de cette volonté, il veut
que tous les hommes reçoivent des moyens de
salut tels, qu'il leur devienne possible de prier,
de croire, de craindre, d'espérer, d'aimer et de
faire les œuvres qui conduisent à la vie éternelle :
et cela successivement et graduellement. Car
Dieu de son côté, augmente ses grâces et ses
secours surnaturels, à mesure que l'homme en
fait bon usage ; il accorde comme récompense du
bon usage qu'on a fait d'une grâce, une grâce
supérieure, afin que l'homme accentue son pro-
grès dans le bien. Dieu n'eùt-il donné à tous les
1 In hune locum, lectio i.
2 Scot, I sent, quœst. -46.
142 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
hommes que la seule grâce de recourir à lui et
de le prier, que déjà ils auraient tous les secours
suffisants, puisque lui-même est tout-puissant et
prêt à exaucer ceux qui ont recours à lui. Celui
qui au milieu des opérations de guerre, a la fa-
culté de demander des renforts avec la certitude
qu'ils lui seront envoyés, a entre les mains tous
les moyens nécessaires pour combattre, se défen-
dre et vaincre. Tel est aussi le cas du malade qui
peut faire venir un médecin toujours prêt à accou-
rir au premier appel et à le guérir. Si donc
l'homme fait ce qu'il peut, c'est à-dire s'il fait un
bon usage des premiers dons surnaturels de Dieu,
s'il s'en sert pour faire un pas de plus vers
Dieu, il recevra de nouveaux dons pour aller du
bien au mieux et de vertu en vertu. C'est la salu-
taire doctrine de Jésus-Christ qui enseigne aux
hommes à prier et à demander ; c'est celle
de saint Augustin (i) qui dit : Dieu se sert
de plusieurs moyens pour convertir les hom-
mes et « nul n'est privé des moyens de
« chercher utilement ce qu'il n'y a aucun avan-
« tdge à ignorer. Dieu ne commande rien
« d'' impossible, mais quand il nous donne un
« précepte, il nous avertit de faire ce que nous
« pouvons et de lui demander ce que nous ne
« pouvons pas faire. » Dieu ne s'arrête pas
encore là, il donne à la plupart des hommes bien
d'autres secours et sa volonté antécédente pré-
vient d'une infinité d'autres grâces et faveurs les
âmes perdues par le péché d'Adam. Mais réser-
vons ce sujet pour plus tard.
I. De lih. arbit. 1. a. c. 19 — de nat. et grat. c. 14
DES ATTRIBUTS DE DIEU 14$
Dès maintenant estimons l'oraison et la grâce
de recourir à Dieu par la prière : louons Dieu pour
cette volonté très libérale qui répand ses bienfaits
sur toute créature humaine et relève leur extrême
faiblesse par une force surnaturelle. C'est à cette
volonté que nous sommes redevables d'abord de
notre rédemption, par laquelle nous avons été
arrachés aux ennemis de nos âmes. Oh ! Dieu
plein de bonté ! puissent tous les hommes par-
ticiper aux effets de cette gracieuse volonté ! Et
puisque l'amour ne peut se mieux payer que par
l'amour, puissions-nous vous aimer sans cesse en
reconnaissance de l'amour que vous portez à tous
les hommes par votre volonté antécédente.
III
Considérez qu'il est au pouvoir des hommes de
se sauver. Si plusieurs périssent misérablement,
il faut l'attribuer uniquement à leur mauvaise
volonté qui résiste à la volonté et aux attraits de
Dieu. En eifet, la volonté antécédente a préparé et
donné à chacun les secours de la grâce et c'est la
volonté conséquente qui, après avoir constaté
l'abus ou le bon usage de la grâce, décide en der-
nier ressort de notre salut. Donc, personne n'a
sujet de se plaindre, s'il est damné, que de lui-
même et de sa résistance coupable aux grâces, à
ces grâces que lui avaient conférées la volonté
antécédente de Dieu. Saint Augustin (i) insiste
beaucoup sur cette considération: « que personne
« ne prétende, dit-il, qu'il ne peut pratiquer la
« pureté, car Dieu est fidèle, et il ne permet pas
I. Sermo 24^ de tempore.
144 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« que nous soyons tentés au-dessus de nos for-
« ces ; mais il nous donnera son secours dans
« la tentation. L'un est tenté par les désirs de
« la chair, Vautre par ï ambition ou par toute
« autre passion ; mais il demeure en son pou-
« voir de choisir entre Vhonneur d'en triom-
« pher ou la honte d'y succomber. » Ainsi parle
cette grande lumière de TEglise.
Dieu fait miséricorde à chacun par sa volonté
antécédente et il fait justice à chacun selon ses
œuvres par sa volonté conséquente, qui décide de
notre éternité heureuse ou malheureuse. Un père
n'engendre pas un fils avec l'intention de le priver
de son héritage ; mais si ce fils dénaturé se révolte
contre son père, c'est justice que celui-ci le déshé-
rite ; il ne manque en cela à aucun de ses devoirs
de père. Le législateur fait de bonnes lois, dont
le but est de procurer à tous les cit03'"ens la paix et
la félicité temporelle ; et néanmoins il condamne
à mort les transgresseurs des lois et les perturba-
teurs de la cité. L'agriculteur plante dans son
champ toutes sortes de bons arbres avec l'espoir
qu'ils fructifieront, mais il n'hésite pas à arracher
ceux qu'il voit stériles et qui occupent inutilement
la terre. Dieu n'agit pas autrement : en père très
bon, en juge très sage, en agriculteur très expert,
il donne à tous les hommes la vie et les premiers
secours de sa grâce dans le but de les faire parti-
ciper un jour à son héritage, à la paix de la cité
éternelle, dans le dessein de les faire porter de
bons fruits ici-bas, et de les transplanter plus tard
dans son paradis. Mais, s'ils se révoltent contre ses
ordres, trangressent ses lois et ne produisent
DES ATTRIBUTS DE DIEU 146
aucun fruit de sainteté, c'est justement qu'ils sont
privés de son héritage céleste, qu'ils sont rigou-
reusement châtiés et que, comme des arbres qui
ne portent pas de bons fruits, ils sont coupés et
jetés au feu. C'est ce que dit saint Prosper d'Aqui-
taine (i) : « Ceux qui auront méprisé la volonté
« de Dieu qui les appelait, en éprouveront les
« rigueurs. »
Retenons de cette considération que l'affaire de
notre salut est abandonnée à notre liberté préve-
nue et aidée des grâces qu'elle reçoit de Dieu.
Oh ! que les hommes sont donc coupables ! ô
dureté du cœur humain ! ô négligence des pé-
cheurs endurcis ! ô révolte de l'esprit qui refuse
d'obéir à son Dieu ! Ame infidèle, demande du
secours à Dieu ; reconnais que c'est toi qui es la
seule coupable, si tu persistes dans la voie de la
damnation. O pécheur, si tu soupires après le ciel,
ouvre ton cœur à Dieu et ne méprise pas sa voix,
quand il t'appelle. Est-ce la faute du soleil, si
quelqu'un n'est pas éclairé de ses rayons qu'il
répand en tout lieu ? Est-ce la faute de la fontaine
dont les eaux limpides débordent, si le passant
souffre de la soif, ne voulant pas se donner la peine
d'y puiser ? O Dieu suprême, plein de miséri-
corde et de justice ! ordonnez que je vous loue
éternellement pour votre volonté et votre provi-
dence irréprochables.
I. In resp. ad ohject. Vincent.
Bait, t, I, xo
146 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XXir MÉDITATION
DE LA CONFORMITÉ
DE LA VOLONTÉ HUMAINE
AVEC LA VOLONTÉ DE DIEU
SOMMAIRE
Cette conformité est la perfection souveraine ;
— quatre sortes de conformité à la volonté
de Dieu ; — la conformité parfaite n'est pas
absolument nécessaire.
I
RIEN n'est plus excellent que cette conformité,
c'est la souveraine perfection de l'àme : car
la volonté de Dieu étant la justice et la sainteté
même, plus la volonté a de ressemblance et de
conformité avec elle, plus elle devient sainte et
juste. Nous savons, en effet, qu'une chose est
d'autant plus parfaite qu'elle approche davantage
du modèle de la perfection.
Cette conformité est un holocauste parfait de
l'àme s'offrant à Dieu comme une victime qui lui
est consacrée, s'abandonnant à lui entièrement, et
s'anéantissant pour honorer ses ordres et les dis-
positions de sa providence.
C'est l'exercice des plus belles vertus : c'est
d'abord, un acte de prudence ; car quoi de plus
sage que jde [suivre une règle juste et infaillible,
DES ATTRIBUTS DE DIEU î^'j
telle que la volonté de Dieu ? C'est un acte de Jus-
tice : qu'y a-t-il de plus raisonnable et qui soit dû
à meilleur titre que la soumission d'une volonté
créée et par conséquent dépendante par nature à
une volonté supérieure et indépendante ? C'est un
acte parfait d'obéissance, car c'est une soumission
entière aux lois de la Providence et du gouverne-
ment divin. C'est l'exercice de la vertu de tempé-
rance, car c'est mortifier d'un seul coup la fureur
et toute la violence de ses passions. C'est l'exer-
cice de la vertu de force, car cet acte de conformité
équivaut à combattre et à vaincre toutes sortes de
vices et de péchés à la fois.
C'est la joie de l'âme, le paradis sur la terre, le
bannissement de toute tristesse, le comble de
l'allégresse, car dans la bonne comme dans la
mauvaise fortune l'âme est satisfaite, puisqu'elle
reçoit tout de bonne part comme de la main de
Dieu son bien-aimé.
C'est mieux encore : c'est une alliance et une
parenté contractée avec ce Dieu qui met au rang
de ses frères, de ses sœurs et de ses plus proches
parents, ceux qui ont avec lui cette conformité de
volonté ; parenté infiniment plus noble que celle
que forment les liens du sang entre les rois de la
terre. « Celui qui fait, dit Jésus-Christ, la vo-
« lonté de mon Père qui est dans les deux,
« celui-là est mon Jrère, et ma sœur et ma
« mère. » (Matt. 12.) Frère et sœur de Jésus-
Christ I voilà le titre dont il est honoré, parce
qu'il sera le cohéritier de Jésus-Christ et jouira
dans le ciel du même héritage. Il reçoit aussi le
titre de mère de Jésus-Christ, parce qu'il le con-
Ï4^ LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
cevra dans son âme, comme la Vierge Ta conçu
dans ses chastes entrailles. Que dire encore ? une
sainte apprit un jour par révélation que celui qui
prendrait la ferme résolution de se soumettre au
bon plaisir de Dieu pour tout ce qui regarde les
événements heureux ou malheureux de sa vie,
celui-là rendrait à Dieu un aussi grand honneur,
qu'en rendrait à un homme celui qui mettrait
la couronne impériale sur sa tête (i). En un mot il
y a tant de grandeur dans cette conformité à la
volonté de Dieu, que quelques-uns ont hésité à
croire qu'elle put convenir à la nature humaine,
parce que Dieu est plus élevé au-dessus d'elle que
le ciel au-dessus de la terre, et ils s'étonnaient
qu'une créature finie put avoir de la conformité
avec un Etre infini.
Ah ! mon Dieu ! que cette conformité est noble !
qu'elle est excellente et que ses perfections sont
rares et singulières ! Accordez-la moi. Seigneur,
en m'enseignant à faire votre volonté de telle
sorte que je sois, que je pense, que j'aime, que
je dise, que je fasse ce que vous voudrez et jamais
autre chose. Tout me sera bon et précieux, si
votre sainte volonté s'y trouve. Quoi donc ! on
fait grand cas d'une bague de matière peu pré-
cieuse, si un diamant d'un grand prix y brille
enchâssé ; et quel plus riche diamant que votre
volonté ? Si donc elle est enchâssée dans les évé-
nements qui surviennent en ce monde, comment
ces événements ne nous sembleraient-ils pas pré-
cieux et agréables ? O mon Dieu ! que ma volonté
soit conforme à la vôtre dans tout ce qui peut
X. Ste Gertrude, 1. 4. Des insinuât, c. 30.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 149
m'arriver ! Que je vous serve dans tel état et
dans telle condition qui vous plaira, sans recher-
che de moi-même, sans tenir compte de mes
désirs, s'ils sont contraires aux vôtres.
II
La volonté créée peut se conformer à la vo-
lonté de Dieu de quatre manières que je compare-
rais volontiers aux quatre roues du char de feu de
l'amour, destiné à emporter comme Elie les âmes
au ciel. Il y a d'abord la conformité par l'obéis-
sance aux commandements et aux prohibitions de
Dieu : celle-là est absolument requise pour le
salut. Elle consiste à vouloir ce que Dieu nous
commande de vouloir et à ne point vouloir ce
qu'il nous défend. En second lieu il y a la confor-
mité d'habitude : elle a lieu quand deux volon-
tés se portent vers leurs objets par une sembla-
ble habitude de vertu, c'est-à-dire, quand une
habitude de vertu semblable les porte à désirer
quelque chose. C'est d'autant plus facile quand il
s'agit de Dieu, que « toutes ses voies sont tnisé-
« ricorde et vérité. » (Ps. 24.) Or la volonté
créée lui est conforme de cette seconde manière
quand elle se porte vers le prochain sans con-
trainte et sans intérêt, par un motif de bonté et
d'amour ou par un motif de justice et de raison.
Nous ne sommes tenus à ce second mode de con-
formité que dans tel moment ou à telle occasion,
car ce n'est qu'un précepte affirmatif.
Il en est de même de la troisième manière qui
est la conformité de fin, et en vertu de laquelle deux
volontés tendent dans leurs actes vers un même
l5o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
but. Elle est d'autant plus raisonnable que Dieu
veut toutes choses avec des intentions très saintes
et très parfaites ; il les veut notamment pour pro-
curer sa gloire, faire partager par les hommes
l'amour qu'il se porte à lui-même et les détermi-
ner à accomplir sa volonté. C'est une excellente
manière pour la volonté humaine de se conformer
à la volonté de Dieu, que de s'unir dans ses œu-
vres aux intentions de Dieu, de vouloir agir pour
les mêmes fins que lui et jamais pour d'autres fins.
La quatrième manière est la conformité de
l'objet : elle se réalise quand deux volontés sont
si bien accordées et harmonisées ensemble que
tout ce que veut l'une sans exception est voulu
également par l'autre. Cette conformité ne sera
parfaite que dans le ciel seulement où l'union que
crée l'amour inspire à toutes les volontés les
mêmes vouloirs et les mêmes non-vouloirs que
Dieu, en toutes choses, sans exception.
Je m'examinerai moi-même ainsi que les dis-
positions de ma volonté, relativement à ces qua-
tre sortes de conformité. Je reconnaîtrai combien
en toutes choses ma volonté est différente de la
volonté de Dieu et j'aurai honte de ces laideurs
affreuses et de ces difformités. Hélas ! Seigneur,
m'avez-vous donné une volonté pour vous résister
et refuser de s'accommoder autant que possible,
à la vôtre, qui est très sainte et qui doit être la
règle de toute volonté bien ordonnée ? Il me dé-
plaît. Seigneur d'avoir une volonté désordonnée.
Inspirez-moi donc, o mon Dieu, les inclinations
qui vous sont agréables, enseignez-moi tous les
jours quel est votre bon plaisir et quels sont vos
DES ATTRIBUTS DE DIEU l5l
désirs, ce que vous ordonnez ou défendez, ce que
vous conseillez ou permettez, ce que vous exécu-
tez, afin que mon cœur n'ait ni d'autres motifs,
ni d'autres fins, ni d'autre objet.
III
La conformité d'objet qui consiste pour la
volonté créée à vouloir tout ce que Dieu veut et à
ne pas vouloir tout ce que Dieu ne veut pas, n'est
pas absolument obligatoire, mais elle constitue
une grande perfection. Quoique la volonté divine
soit droite et qu'elle soit juste dans tout ce qu'elle
veut, il nous est cependant permis de désirer quel-
que chose de différent de ce quelle désire et cela
sans l'offenser. C'est elle-même qui nous donne
cette latitude, ne voulant pas en quelque sorte
nous traîner après elle vers toutes les choses oij elle
se porte. Il nous est permis de faire des vœux pour
la paix, quand cette volonté ordonne la guerre, et
de souhaiter la santé, quand elle veut la maladie.
Un fils n'est pas coupable, quand il désire la vie
de son père que Dieu cependant veut condamner
à cause de ses crimes, et, comme le dit saint
Augustin (i), il arrive souvent que l'homme veut
légitimement ce que Dieu ne veut pas : ce qui
serait vrai aussi dans le cas où l'homme connaîtrait
toujours la volonté de Dieu. Ainsi un serviteur
dont le maître a dans le cœur diverses affections,
n'est pas tenu d'épouser toutes ces affections et de
vouloir tout ce que veut son maître : il sera dans
l'ordre, s'il veut ce que son maître lui commande
de vouloir. Il en est de même de l'homme à
I. In Enchir, c. loi.
l52 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
l'égard de Dieu. C'est pourquoi alors même qu'il
n'aimera pas un grand nombre d'accidents qui lui
arrivent contre son gré, il ne péchera pas, pourvu
qu'il ne se laisse pas aller à l'impatience et au mur-
mure contre Dieu, dont nous ne devons jamais blâ-
mer la Providence. Voyez un homme réputé cou-
rageux : pour être tel, il n'est pas tenu de s'expo-
ser de gaieté de cœur à tous les dangers de mort :
c'est assez qu'il ne les redoute pas.
Il n'en est pas moins vrai que cette conformité
d'objet renferme une perfection inexprimable et
que pour cela même elle mérite que nous nous
efforcions d'y parvenir, bien qu'elle ne soit pas
pour nous un devoir strict. Elle fait abandon de
tout notre être, de tous ses intérêts, de toutes ses
satisfactions entre les mains de Dieu : y a-t-il une
action plus sainte ? Aussi quand les saints considè-
rent les choses de ce monde en elles-mêmes, c'est-
à-dire au point de vue des jouissances qu'elles
peuvent nous faire éprouver ou des peines qu'elles
peuvent nous causer, indépendamment de la
volonté de Dieu, ils n'y goûtent pas plus de plai-
sir que notre palais ne trouve de saveur à des
viandes insipides ; ils sont indifférents à toutes
sortes d'états ou de fonctions, aussi longtemps que
cette volonté ne leur apparaît pas. Si au contraire
ils considèrent toutes ces choses comme voulues
de Dieu, c'est avec joie et affection qu'ils s'y por-
tent. Quelle que soit la tempête qui éclate sur
leurs têtes, ils la reçoivent sans murmurer, quel
que soit le calice amer qui leur soit présenté, ils le
boivent avec délices, quelque délaissement intérieur
qu'ils éprouvent, ils l'acceptent sans décourage-
DES ATTRIBUTS DE DIEU I 53
ment. La mort avec la volonté de Dieu leur est
aussi agréable que la vie, l'orage que le calme et le
mauvais temps que le bon; à tel point qu'ils ne recu-
leraient pas devant les flammes de l'enfer, s'il
était possible qu'ils y fussent envoyés, sans avoir
péché et par un décret de la volonté de Dieu. C'est
elle seule qui les occupe, comme s'il n'existait
rien au monde en dehors d'elle : c'est en elle que
sont absorbées toutes leurs pensées, en vertu de
cette suréminente conformité qui les rend bien-
heureux.
J'aspirerai donc de toutes mes forces à cette
divine conformité : ce sera mon perpétuel désir.
Vous, ô mon Dieu, tout ce que vous voudrez et
plus rien ! Oui, ô mon Dieu, quoi qu'il m'arrive,
un bien spirituel ou un bien temporel, un grand
ou un petit avantage, par telle voie ou par telle
autre, je le répète : ma devise sera : vous, mon
Dieu, tout ce que vous voudrez et plus rien !
Mon Dieu, unissez-moi toujours ainsi à votre
volonté, attachez-moi toujours ainsi par d'indis-
solubles liens à votre sainte direction ; que j'ap-
prouve vos actions, que je n'abuse point de votre
permission, que j'observe vos commandements et
vos défenses, que je respecte vos conseils.
l54 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XXIir MÉDITATION
DE LA LIBERTÉ DE DIEU
SOMMAIRE
Dieu est libre — notamment dans les décrets
qui ont pour objet les créatures — dans
V exécution de ces décrets.
I
DIEU est libre par nature, par la souveraineté
et rindépendance de son Etre : il jouit
d'une liberté si grande qu'elle ne saurait être
égalée par celle des monarque^ qui sont à la tête
des royaumes de ce monde. Il semble au premier
abord qu'il n'y ait de liberté que pour ces têtes
couronnées, car ces potentats paraissent ne dépen-
dre d'aucune manière des hommes à qui ils dictent
leurs volontés et qui relèvent de leur autorité.
Toutefois la liberté dont ils jouissent est mêlée de
servitude : d'abord ils ne sont pas plus exempts
des devoirs envers Dieu que le plus humble des
mortels ; aussi voyons-nous de nos jours ce Roi (i),
ce représentant de la plus ancienne monarchie du
monde, ajouter à ses titres de Roi des Rois, de
Monarque des Monarques, celui d'esclave de Dieu,
pour nous apprendre par là qu'aux yeux de Dieu,
les plus grands de ce monde n'ont que la servi-
X. D'après une note de l'édition de Paris, 1639, il s'agit dans ce
passage, du roi de Perse,
DES ATTRIBUTS DE DIEU l55
tude et pas de liberté. D'ailleurs leur nature étant
la même que celle des autres hommes, ils ne
peuvent se passer d'une multitude de choses qui
leur sont indispensables pour se maintenir dans
la vie et dans leur état ; et voilà déjà quelque
chose d'incompatible avec une entière et parfaite
liberté, telle que nous pouvons le concevoir même
dans un homme. Et de plus, leur puissance est
bornée par les frontières de leur royaume, par le
nombre des années, des mois, des jours déjà écou-
lés de leur règne et par le nombre limité des cho-
ses qu'ils peuvent commander ou défendre.
Dieu est affranchi de toutes ces limites, car il
n'a personne qui lui soit supérieur, il n'a aucun
besoin des choses de ce monde, étant infini en
lui-même, en toute sorte de grandeur et de féli-
cité ; il possède des biens d'une si large et si
ample étendue qu'il n'est resserré ou limité d'au-
cune manière et qu'il n'est ni soumis ni lié à qui
ou à quoi que ce soit. Or tous ces avantages
constituent un état de liberté parfaite. L'espace
n'a pas pour lui d'horizon, car les cieux des cieux
ne peuvent le contenir ; il s'élève et s'étend bien
au-delà. Le temps ne le limite pas, car des milliers
de siècles ne suffiraient pas à mesurer sa durée et
ne pourraient jamais en marquer le terme. Toutes
les vertus relèvent de son universelle juridiction ;
il n'a ni le plus léger souci, ni la moindre attache
à tous les biens temporels, soit de ce monde, soit
de mille autres mondes qu'il pourrait créer : qu'en
ferait-il, puisque sa seule Essence infinie renferme
tous les objets de la félicité la plus parfaite ? Aussi
se suffit-il à lui-même,
l56 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Les déterminations qu'il a prises de toute éter-
nité au sujet de ses créatures, ne lient même pas
sa liberté ; car bien qu'elles soient irrévocables et
qu'une fois prises, elles soient nécessaires pour
l'ordre de l'univers, toutefois comme la liberté
n'est incompatible qu'avec les choses absolument
nécessaires, c'est librement qu'il persévère dans
ses déterminations auxquelles il s'est arrêté lui-
même en toute liberté.
O Souverain Seigneur ! O Dieu des dieux ! je
me réjouis en apprenant que vous jouissez d'une
si parfaite et si éminente liberté. Oh ! que bénie
soit l'infinité de vos grandeurs d'oia découle cette
haute perfection qui n'appartient qu'à vous seul !
Oh ! que je voudrais voir tous les grands de la
terre mettre leur sceptre et leur couronne à vos
pieds, pour protester par des actes qu'ils ne sont
que vos esclaves et qu'un misérable néant en face
de vous ! Seigneur, vous êtes indépendant, vous
vous suffisez à vous-même et vous tirez de votre
propre fond la liberté et l'autorité suprêmes. Je
m'humilie devant vous en considérant cette su-
prême liberté : dans cette pensée, je vous adore
avec tout le respect et toute la soumission dont je
suis capable et je confesse « que vous êtes mon
« Dieu^car vous fCave\ que faire de mes biens, »
(Ps. i5.)
II
Dieu est libre dans les déterminations qu'il
prend au sujet des créatures. Tout ce qu'il a voulu
et décrété éternellement à leur endroit, il l'a
DES ATTRIBUTS DE DIEU ibj
voulu et l'a décrété librement, car il avait la fa-
culté de le décréter ou de ne pas le décréter indif-
féremment. Comme il ne résulte des relations de
la volonté de Dieu avec les êtres créés, aucun
accroissement de perfection pour cette volonté, la
décision que Dieu prend à leur sujet, quelle
qu'elle soit, ne change en rien sa volonté ; tandis
que chez nous le changement est la conséquence
de la liberté.
Pour bien éclaircir ce point difficile, considérez
que la volonté divine se porte vers trois objets.
Premièrement elle se porte vers le souverain bien
qui n'est autre chose que Dieu même ou son
Essence infinie. Dieu l'aime d'un amour de com-
plaisance absolument nécessaire, parce qu'il lui
est impossible en se voyant si beau, si riche, si
parfait et en possession de tout bien, de ne pas
s'aimer. Secondement sa volonté se porte vers
les créatures possibles, en tant qu'elles sont seu-
lement possibles : Dieu les considère comme
douées de cette bonté qu'elles peuvent avoir et en
éprouve une joie indicible. Semblable à un roi
qui, songeant aux victoires qu'il pourrait rempor-
ter et aux provinces qu'il pourrait conquérir, s'il
mobilisait ses troupes, se complaît dans ces objets
qui n'ont d'existence que dans sa pensée ; Dieu
considérant les milliers de mondes qu'il pourrait
créer, se complaît dans leur possibilité : et quoi-
que cette complaisance soit inefficace, cependant
elle est encore nécessaire, parce que les choses
possibles ont de la bonté d'une certaine manière
et que cette bonté est nécessaire : pour ce motif
la volonté de Dieu qui est droite ne peut avoir de
l58 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Taversion pour les êtres possibles et se complaît
en eux nécessairement.
Troisièmement la volonté de Dieu se porte vers
les créatures qui existent dans n'importe quel
temps ; mais elle s'y porte d'un amour libre,
de telle sorte que tout ce que Dieu décrète tou-
chant ce monde et les créatures qu'il renferme,
touchant la création des hommes, leur Justifica-
tion, leur glorification, il le décrète librement et
avec la faculté d'en décider autrement, car rien
ne l'obligeait à se déterminer à créer ce monde
plutôt qu'un autre. Une créature qui a un peu de
générosité et un certain degré de sainteté peut
mépriser ce monde, ses richesses et ses honneurs
pour aimer un bien supérieur : à combien plus
forte raison Dieu aurait pu, quand ce monde
s'offrit à sa pensée de toute éternité, le dédaigner
comme il a dédaigné tous les autres mondes qui
sont possibles. Si donc considérant éternellement
le monde actuel avec tout ce qui devait en résul-
ter, il l'a fait sortir du néant de préférence à tant
d'autres, c'est un effet de sa libre volonté.
Je veux vous admirer, Seigneur, et vous aimer,
parce que librement et de votre plein gré, vous
avez voulu ce monde dont je fais partie. Même
en supposant que vous eussiez le désir de voir
une terre se mouvoir autour du soleil, être éclai-
rée par cet astre et se couvrir d'une riche végéta-
tion, il vous était facile de créer un autre soleil,
d'autres cieux et une autre terre que celle que
nous voyons. Si vous aviez le désir de voir des
âmes raisonnables animer des corps mortels,
combien d'autres âmes que les nôtres, ne pouviez-
DES ATTRIBUTS DE DIEU I Sg
VOUS pas créer, chez qui vous auriez trouvé plus
de zèle et de fidélité à vous servir ? néanmoins
vous les avez laissées dans le néant et vous en
avez tiré mon âme et mon corps. Ah ! mon Dieu !
pourquoi m'avez-vous choisi au milieu de cette
infinité d'êtres possibles, moi qui ne vous avais
jamais servi ? je Tignore. Qu'importe après tout
la raison de votre choix : toujours est-il que je me
sens tellement obligé envers vous que la pen-
sée et la parole me font défaut pour exprimer
ma reconnaissance. C'est pour cela que je vous
aime plus que mon cœur et ma vie. Je suis prêt,
dans le cas où ce serait utile à votre gloire, à
perdre des millions de fois tout ce que je pos-
sède, pour vous prouver combien je me sens
obligé envers vous. Ce grand Dieu a préféré mon
âme à une multitude d'autres qui lui paraissaient
devoir être meilleures : en retour je le préférerai
lui-même à tout. « Vive mon Seigneur^ mon
« Dieu; béni, exalté soit le Dieu de mon salut ».
(Ps. 17).
III
Dieu est encore libre dans l'exécution de ses
décrets et de ses déterminations ; il est libre de
tout obstacle et de tout empêchement ; car il n'y
a personne qui puisse s'opposer à ses desseins, et
en arrêter l'exécution, personne qui puisse lui
demander raison de ses œuvres et lui dire : pour-
quoi agissez-vous ainsi ? D'un mot il a bâti cet
univers aussi facilement qu'un homme remue le
bout de sa langue ou retourne la main. D'un souffle
il fit pénétrer l'âme, cette substance si noble, dans
l6o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
le corps d'Adam. Tous les jours il envoie ses
premiers attraits et ses grâces excitantes dans les
âmes pour les attirer à lui et les convier à Tobser-
vation de ses lois : c'est une première faveur spi-
rituelle que nul ne peut empêcher. Si Tâme
s'endurcit et résiste, ce n'est qu'à la manifestation
extérieure de la volonté divine qu'elle résiste,
jamais à la volonté intérieure et de bon plaisir
qui arrive toujours au but qu'elle s'est proposée.
Pour n'avoir jamais des désirs qui ne se réalise-
raient pas par le fait de la malice humaine, Dieu
n'a pas voulu d'une volonté absolue telle chose
qu'il prévoyait ne devoir jamais être : néanmoins
il se vengera par les flammes de l'enfer, dont
personne ne pourra la délivrer, de l'opposition
qu'une âme aura osé faire à sa volonté extérieure
qui commandait ou défendait. « Le Seigneur des
« vengeances, le Dieu des vengeances a agi
« librement. » (Ps. 93.). Mais d'autre part, si une
âme se rend docile à ses lumières et obéissante à
ses lois pendant toute la vie, il la justifiera et
la glorifiera éternellement et nul sur la terre ni
dans l'enfer ne pourra l'en empêcher, car il est le
maître. « // a fait tout ce qu'il a voulu au ciel
« et sur la terre, sur la mer et dans les abî-
mes. » (Ps. 134.)
Au reste si Dieu ne peut ni vouloir ni accom-
plir le mal, ce n'est pas un défaut de sa liberté,
mais c'est la perfection même de cette liberté. De
même que si une colonne ne peut pas être abat-
tue, c'est une preuve de sa grande solidité, si un
soldat ne peut jamais être vaincu, c'est la preuve
suprême de son grand courage ; ainsi la liberté
DES ATTRIBUTS DE DIEU l6l
divine est d'autant plus parfaite qu'elle ne peut
vouloir le mal, qu'elle demeure invulnérable à ses
traits. Saint Anselme (i) l'avait déjà reconnu,
quand il écrivait que le pouvoir de mal faire n'est
ni la liberté, ni une partie de la liberté ; Saint
Thomas (2) l'a expliqué admirablement, quand il
a dit que cela est vrai en général de toutes sortes
de natures et d'états. Si en effet la faculté de
pécher fait partie de la liberté dans l'état de la
vie présente, il n'en est pas de même dans l'état
de gloire des anges ni des hommes, ni dans la
nature de Dieu. Sans doute la liberté a plus ou
moins d'étendue, s'étend à un plus ou moins grand
nombre d'objets, selon les sujets qui en sont doués
et dont les perfections sont inégales : mais elle ne
subsiste pas moins dans la nature parfaite de
Dieu, à côté d'une sainteté inviolable, et aussi
chez les anges et les hommes béatifiés et dès lors
incapables de pécher. Dieu est donc libre dans
l'exécution de ses œuvres.
Apprends par là, ô mon âme, à craindre Dieu
dans tes dérèglements. Si tu tombes entre les
mains de sa justice, personne ne pourra te proté-
ger contre ses traits. Mais apprends à espérer, si
tu te voues à l'aimer sincèrement ; car quand bien
même toutes les puissances de la terre se ligue-
raient contre toi, leurs vains efforts n'empêche-
raient pas ta glorification. Apprends aussi, ô mon
âme, à être puissante, quand il s'agit de faire des
actes de vertu et à être impuissante pour le vice :
car « pourquoi te glorifies-tu de ta malice^ toi
I. De lih. ari. c. i.
3. Sentent, dis t. 2b, art. 4.
Bail, t. i. xi
l62 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« qui est puissant pour le mal ? » (Ps. 5i.). Ap-
prends enfin à servir ton Dieu librement, sans
contrainte et sans tristesse, puisque, lui, te fait du
bien de son plein gré, sans y être |forcé. Donc,
« mon Dieu, je vous offrirai des sacrifices du
« fond de mon cœur et f exalterai votre nom »
(Ps. 53.) par de magnifiques louanges.
XXIV MÉDITATION
DE L'AMOUR DE DIEU ENVERS
LES CRÉATURES
SOMMAIRE
Dieu les aime toutes — d'un amour éternel,
constant, gratuit^ singulier — et fécond.
I
CONSIDÉREZ la réalité de l'amour de Dieu
envers ses créatures ; il les aime toutes
d'un amour naturel ou d'un amour surnaturel. En
voici la raison : Dieu a une volonté dont le pre-
mier mouvement et le premier acte est d'aimer,
c'est-à-dire de s'incliner vers ce qui est bon et d'y
tendre comme vers son objet propre. Le premier
bien qui s'offre à la volonté de Dieu étant son
Essence infinie, celle-ci est la première aimée.
Les créatures viennent ensuite, parce qu'elles sont
DES ATTRIBUTS DE DIEU l63
les images et les effets de cette Essence, C'est
pourquoi l'amour que Dieu se porte à lui-même,
le provoque et le pousse à aimer les créatures, de
même que l'amour que l'on a pour le père incline
à aimer les enfants. L'amour de Dieu pour les
créatures n'est donc que comme un rejeton, ou
une extension de l'amour qu'il a pour son Essence,
c'est-à-dire pour lui-même.
La preuve évidente de cet amour résulte encore
de ce fait qu'aimer n'est autre chose que vouloir
du bien à quelqu'un. Or, il n'y a pas une seule
créature à qui Dieu ne veuille du bien à cause de
son infinie bonté. De son plein gré, à toutes il fait
du bien, il les crée, leur conserve l'être. Or, agi-
rait-il ainsi, s'il ne les aimait pas ?
Mais comme les biens dont il gratifie ses créa-
tures sont de deux sortes, les uns naturels et les
autres surnaturels, de là résulte une différence
dans le degré d'amour qu'il leur témoigne. Les
unes sont aimées de lui d'un amour simplement
naturel, parce qu'elles n'ont part qu'aux biens de
la première espèce, dont l'effet n'est pas d'élever
la nature au-dessus d'elle-même, telles sont toutes
les créatures de ce monde, les éléments, les
hommes, même les pécheurs réprouvés et les
démons ; pour ces derniers. Dieu conserve un
amour naturel qui se manifeste en ce que, malgré
leur malice et leur ingratitude, il les fait subsister
et ne les anéantit pas.
D'autres créatures sont plus chèrement aimées,
à savoir, d'un amour surnaturel ; ce sont celles à
qui il accorde ses grâces dans le but de les pro-
mouvoir à la gloire. Par l'affection singulière que
164 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Dieu leur porte, il les élève au-dessus de leur
condition naturelle et les fait grandir au milieu de
toutes les autres créatures, comme un roi élève
ceux de ses sujets qui ont le bonheur d'être ses
favoris. Dieu, dit saint Augustin (i), aime tout ce
qu'il a fait, mais spécialement les créatures raison-
nables et parmi celles-ci plus spécialement celles
qui sont les membres de son Fils unique : il a un
amour encore plus grand pour son Fils unique
lui-même.
J'admirerai cet amour de Dieu et je m'en
réjouirai : car quelle nouvelle plus étonnante et
plus heureuse peut apprendre une vile et mépri-
sable créature, sinon celle-ci, qu'elle est aimée de
son Créateur ? « Car, o Seigneur, vous aime^
« tout ce qui a Vêtre, et vous ne haïsse^ rien de
« tout ce qu£ vous ave^ Jaii » (Sag. ii); mais
« qu'est-ce que Thomme, » ô mon Dieu, « pour
« que vous Vhonorie^ au point de lui donner
« votre cœur ? » (Tob. 7.) « Qu'est-ce que
« rhomme, pour que vous vous souveniez de
« lui} » (Ps. 8.) Hélas! notre indignité est si
grande, nos fautes si énormes, nos vices si mons-
trueux et notre vie si déplorable ! Et cependant
vous avez de l'amour pour nous ; vous si grand,
pour des créatures si chétives, vous si auguste et
si plein de majesté, pour des vermisseaux qui
rampent sur la terre et la souillent continuelle-
ment. Vous êtes rinfini : nous sommes donc à
une distance infinie de vous ; mais vous franchis-
sez cette distance pour vous unir à nous par
l'amour. Oh ! qu'il soit à jamais béni cet amour !
I. Tract, loi in Joan.
DES ATTRIBUTS DE DIEU l65
Je VOUS remercie, ô mon Dieu, en mon nom et au
nom de toutes les créatures de l'univers.
II
Voici les qualités de l'amour de Dieu : il est
éternel, constant, gratuit et singulier.
Son amour est éternel : il n'a jamais été nou-
veau, car c'est de toute éternité que Dieu a porté
le décret de faire un jour du bien à toutes ses
créatures. « // nous a aimés avant Ja création du
« monde^ » dit saint Paul. (Eph. i.)
Son amour est constant : car sans jamais varier,
ce grand et excellent Maître a persisté dans la
résolution irrévocable de nous communiquer ses
dons, et son cœur enflammé d'un admirable amour
a persévéré dans une sorte de sollicitude inquiète
et de préoccupation bienveillante envers nous,
qui n'a pas connu un seul moment de trêve ou de
repos. « Je fai aimé d'un amour éternel. »
Jer., 3i.)
Son amour est gratuit : car Dieu n'a en vue
aucun intérêt, il ne compte sur aucun retour
d'affection : l'unique motif de son amour c'est la
surabondance de sa bonté ; parce qu'il en est rem-
pli, il désire la communiquer comme une fontaine
où l'eau arrive à grands flots ne demande qu'à se
répandre. Ce ne sont pas les puissants attraits des
créatures qui provoquent son amour : l'attrait
auquel il cède ne vient pas du dehors : c'est dans
sa bonté naturelle et en lui-même qu'il le trouve,
comme si toute son Essence n'avait d'autre fin que
l'amour de ses créatures, a Je les aimerai ^ dit-il,
de mon plein gré. » (Osée, 14.)
l66 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Enfin son amour est singulier, car il aime cha-
que créature en particulier autant que, si ayant
oublié le ciel, la terre, tout en un mot, il n'avait
qu'elle seule à aimer. Celle qui a le bonheur d'être
nouvellement admise dans son amitié, n'éprouve
aucun préjudice résultant de la société des autres
amis, de même que ceux-ci ne subissent aucun
dommage de l'admission des nouveaux. Sans doute
son amour est leur bien commun, mais parce qu'il
est infini, il comble chaque créature de biens aussi
grands, que si elle était seule à les recevoir. Son
amour est donc à la fois le bien de tous et de cha-
cun en particulier. Remarquez qu'il dit à l'âme
qu'il chérit comme son épouse : « ma colombe
« est unique. » (Gant. 4.) Et si l'abbé Rupert a
été bien inspiré d'appliquer à Jésus-Christ les
paroles de David au sujet de Jonathas, Dieu à son
tour peut adresser à l'homme ces mêmes paroles
ravissantes de tendresse : « Comme la mère aime
« son fils unique, ainsi je f aimais. » (II. Rois, i.)
Je m'exciterai moi-même par la considération
d'un si parfait amour : il semble en effet impossi-
ble qu'un cœur se refuse à celui de qui il est si
noblement aimé. Le Sage nous donne cet avis :
« n'abandonne:^ pas un ancien ami, car Je nou-
« veau ne le vaudra pas. » (Eccl. g.) Ce vieil ami
qui ne saurait être remplacé, c'est vous, ô mon
Dieu ; car qui donc aime comme vous de toute
éternité, si constamment, si gratuitement, si sin-
gulièrement que vous ? Pourquoi donc moi, suis-je
de glace ? Pourquoi ne suis-je pas tout flamme et
tout amour ? Ah ! rien n'allume mieux le feu que
le feu lui-même. Or votre amour est un feu, ô
DES ATTRIBUTS DE DIEU 1 67
mon Dieu, un feu plus capable, tant il est grand,
d'enflammer un cœur de votre amour, que le
monde entier, s'il est en feu, ne serait capable
d'enflammer un seul corps. D'où vient donc cette
glace dans mon âme ? Faites-la fondre, Seigneur,
qu'elle se liquéfie et qu'elle se transforme en un
amour ardent, afin que je vous aime uniquement
comme mon seul bien, purement, c'est-à-dire pour
vous-même, constamment enfin et éternellement.
III
Considérez encore l'utilité de cet amour et le
bien qui en découle. Ce qui distingue l'amour
divin de l'amour créé, c'est que celui-ci est ordi-
nairement stérile et ne produit que peu ou point
d'effets. L'amour divin au contraire est actif et
fécond en bienfaits, il confère des avantages à
ceux qui en sont l'objet, les enrichit de dons et
les élève à des hauteurs inouïes, jusqu'à les béa-
tifier et les faire participer dans le ciel aux gran-
deurs que Dieu lui-même possède par nature.
C'est d'autant plus vrai que notre volonté, dit le
Docteur angélique (i), n'est pas la cause de la
bonté des êtres, mais que plutôt elle est mue par
la bonté des êtres comme par son objet. Par
suite notre amour, dont le trait distinctif est de
vouloir du bien à notre ami, n'est pas la cause de
sa bonté, mais au contraire c'est sa bonté ou
réelle ou apparente qui provoque notre amour et
lui donne naissance ; et puis, un des effets de cet
amour consiste à souhaiter à celui que nous ai-
mons la conservation et l'augmentation du bien
I, Quoest. so. art. 9.
LA THEOLOGIE AFFECTIVE
qu'il possède et à nous employer à cette fin.
Quant à l'amour divin, il crée et met lui-môme la
bonté dans les êtres. Saint Thomas veut dire par
là que l'amour humain ne donne pas la bonté et
les qualités dignes d'être aimées, à ceux qui en
sont l'objet, mais qu'il les suppose en eux, tandis
que l'amour divin ne les suppose pas, mais les
apporte avec lui et produit dans les créatures
toute la bonté et toutes les perfections qu'elles
ont : c'est lui qui en est la source. Ainsi Dieu a
fait à l'homme un double don : celui de son
amour de bienveillance d'abord, et puis celui de
toute la bonté que possède l'homme. Ce second
don n'est jamais accordé que comme conséquence
du premier: si Dieu ne commençait pas à accorder
à l'homme son amour, celui-ci n'aurait pas un
seul degré de bonté. D'un autre côté, si Dieu lui
retire un instant sa bienveillance et avec elle son
amour naturel et son amour surnaturel, l'homme
se verra immédiatement dépouillé de tout : plus
de paradis, plus d'espérance, le soleil ne luira
plus pour lui, la terre ne le soutiendra plus, l'air
ne se laissera plus respirer par lui, ses membres
tomberont et toute sa substance retournera dans
le néant. C'est ainsi que l'amour divin est la cause
de tous les biens.
O mon Seigneur, « que \otre esprit est bon »
(Sag. 12) et combien est suave l'inclination de
votre amour à se répandre sur toutes les choses
créées ! Qu'ai-je donc à faire de l'amour du monde
et des bonnes grâces des grands de la terre ? En
fin de compte, quel avantage en revient-il à ceux
qui les cultivent et les mendient au mépris des
DES ATTRIBUTS DE DIEU 169
vôtres ? Oh ! il me suffit d'être en possession de
votre amour et de votre grâce ; après cela, que le
monde me rejette, je suis satisfait, puisque vous
m'aimez, vous, dont l'amour est la source de tout
bien.
XXV^ MÉDITATION
DE LA HAINE DE DIEU
CONTRE LES PÉCHÉS
ET CONTRE LES PÉCHEURS
SOMMAIRE
Dieu hatt le péché et les pécheurs — qualité de
cette haine dans cette vie — dans la vie future.
I
CONSIDÉREZ la réalité de la haine que Dieu a
vouée au péché et aux pécheurs, selon la
parole du Sage : « Vimpie et son impiété sont
« également haïs de Dieu. » (Sag. 14.) Il est vrai
qu'il aime tout ce qu'il a fait, mais il n'aime pas le
péché dont il n'est pas l'auteur, ni le pécheur
comme tel, parce qu'il ne l'a point fait comme
pécheur, mais comme homme. Et tant s'en faut
que son amour puisse faire obstacle à sa haine,
qu'au contraire c'est son amour qui semble l'exci-
170 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ter, là où elle a un juste sujet d'éclater. Car
puisque Dieu a de l'amour pour le bien, il s'ensuit
nécessairement qu'il hait le mal. Aimerait-il sincè-
rement le bien s'il ne haïssait le contraire du biea,
le mal ?
Et de plus, Dieu est juste, il est saint, il est la
pureté et la sainteté même ; il est donc inadmis-
sible que l'injustice puisse lui plaire, car il n'ap-
partient qu'à un être dépravé de ne pas s'indigner
à la vue du mal. Aussi dès que le péché est
commis. Dieu ne suspend plus l'action de sa
volonté ; en qualité de juge souverain, il le
condamne intérieurement et il le hait partout où
il l'aperçoit.
Le péché mérite bien sa haine et son courroux ;
il ruine l'homme qui est sa vive image et son
chef-d'œuvre sur la terre ; aussi Dieu s'indigne-t-il
contre le péché comme l'artiste s'indigne contre
celui qui détériore son oeuvre. Alors la haine de
Dieu s'appelle haine d'abomination ; elle lui fait
considérer le péché comme un mal plus horrible
et plus exécrable à ses yeux que ne le sont aux
yeux des hommes la peste, la foudre et les ser-
pents.
Mais son indignation et sa haine ne s'arrêtent
pas au péché : elles atteignent aussi le pécheur qui
le commet volontairement. Dieu le hait comme
pécheur, c'est-à-dire parce qu'il s'est infecté lui-
même du venin du péché, qu'il s'est souillé, s'est
défiguré et s'est révolté contre son souverain, en
faisant de l'ennemi de Dieu, son hôte et en violant
les lois divines. Pour ces raisons Dieu lui porte
une haine qui va jusqu'à l'hostilité ; qui ne se
DES ATTRIBUTS DE DIEU I7I
borne pas à le regarder avec déplaisir, mais qui va
jusqu'à lui vouloir un mal qui consiste dans une
punition infligée dès ici-bas ou après la mort. C'est
une vérité certaine : nous devons l'affirmer cons-
tamment et hardiment, dit Lactance (i), car c'est
la base souverainement rationnelle et le ferme
pivot de toute religion et de toute piété. Seraient-
ils, en effet, nombreux les serviteurs de Dieu, si
Dieu aimait ceux qui le méprisent et ne lui ren-
dent pas le culte qui lui est dû ?
Enfin un chef d'armée s'irrite à bon droit,
quand il voit des soldats se battre mollement ou
jeter bas les armes. L'agriculteur se fâche à la vue
de ses terres ravagées et de ses troupeaux aban-
donnés à la cruauté des loups. Dieu a bien autant
de raison de s'indigner contre les pécheurs et de
ne pas les épargner : il lui appartient de les rete-
nir dans leur devoir par la crainte de sa haine et
de sa colère comme par un frein qui sert à les
remettre dans le droit chemin, dit le grand saint
Cyrille (2).
Je ferai donc un acte de foi en cette vérité et je
frémirai en songeant que je puis encourir la haine,
l'indignation et la vengeance de mon Dieu. Et
puisque c'est le péché qui allume cette haine, je
scruterai tous les replis de mon âme pour voir si
je l'y découvre et je l'en chasserai aussitôt par
toutes sortes de moyens. Je veux rechercher tous
mes péchés, jusqu'aux plus véniels. Ah ! perfide
iniquité, tu ne réussiras pas à me faire encourir
plus longtemps la haine de mon Dieu. « Je repas-
I. Lib. de ira Dei, cap. 6.
^. S. Cjr. Alex., 1. ;, cont, Julien,
172 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« serai toutes les années de ma vie dans Vamer-
« tume de mon âme » (Is. 38), jusqu'à ,cq. que
j'aie pu apaiser le courroux de Dieu et me récon-
cilier avec lui.
II
Considérez les qualités de cette haine dont Dieu
poursuit le péché et les pécheurs dans cette vie.
Premièrement elle est sereine, sans émotion et
sans trouble ; elle n'altère pas sa paix. Dieu
n'éprouve pas cette agitation, ces bouillonnements
du sang, ce saisissement du cœur, ces change-
ments de couleur, ce tremblement et tous violents
effets de la colère qui secouent les faibles mortels
en proie à cette passion.
C'est pour cela qu'en second lieu, la haine en
Dieu est toujours juste et raisonnable ; en effet
toujours en possession de lui-même, il ne poursuit
de sa haine que ceux qui méritent d'être frappés
et comme il agit sans précipitation, jamais la peine
infligée n'est hors de proportion avec la faute.
Aussi les justes ne doivent-ils pas redouter d'être
enveloppés dans une même haine avec les pécheurs
et les pécheurs à leur tour n'ont pas à appréhender
d'être châtiés avec excès et sans proportion avec
ce qu'ont mérité leurs crimes à l'égard d'une Ma-
jesté infinie. Dieu laisse aux hommes les fureurs
injustes, alors que la haine trouble leurs sens et
que leurs passions les emportent à se venger sans
mesure.
Troisièmement la haine chez Dieu est toujours
tempérée de quelque amour, elle n'est jamais
extrême. Il se souvient de sa miséricorde et ne
DES ATTRIBUTS DE DIEU lyS
fait pas aux pécheurs tout le mal qu'il serait en
droit de leur faire. Malgré cette haine, en effet, il
les conserve jusqu'à ce que les causes naturelles
amènent leur mort, et pendant ce délai, il ne cesse
de leur offrir la paix ainsi que son amitié, de les
exciter au bien, de les solliciter par sa grâce et par
les attraits de sa gloire, qu'il leur permet encore
d'espérer, s'ils cèdent au repentir et se convertis-
sent.
De là vient qu'en quatrième lieu, cette haine a
chez Dieu cette noble propriété de s'apaiser et de
s'éteindre, quand vient à faire défaut l'aliment qui
l'entretenait, c'est-à-dire le péché : ce que Dieu
hait, en effet, chez les hommes ce n'est pas leur
nature, mais le mal. Ainsi quand ils cessent d'être
pécheurs, il cesse d'être courroucé et si sa haine
persévère, c'est que l'homme dénaturé persévère
dans ses offenses, dans ses ingratitudes, dans le
mépris des choses saintes et dans sa dureté, car
quiconque a renoncé au péché, a éteint la haine de
Dieu.
Ces considérations m'inspireront une grande
confiance de pouvoir apaiser la colère de Dieu.
Seigneur, mes péchés sont innombrables, j'ai mé-
prisé vos commandements et ceux de votre
Eglise, j'ai résisté aux inspirations du Saint-
Esprit et négligé ses conseils ; je me suis laissé
aller à toutes sortes de fautes, graves ou légères;
j'ai entassé péché sur péché ; je n'ai jamais fait de
sincère pénitence ; je suis revenu à mes mauvaises
habitudes, comme le chien à son vomissement,
comme le pourceau à sa fange : pour toutes ces
fautes. Seigneur, j'ai encouru justement votre dis-
174 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
grâce et je suis devenu l'objet de votre haine.
Mais puisqu'aujourd'hui vous me faites la grâce
d'étudier les qualités de votre haine et d'appren-
dre que vous n'êtes pas inexorable, mais que vous
êtes propice aux pécheurs repentants, je déclare
que tant qu'il me restera un souffle de vie, je
garderai l'espoir de rentrer en grâce avec vous et
d'apaiser votre colère. C'est dans ces sentiments-
là que je vous servirai, Seigneur, et ma consola-
tion sera de penser souvent à ces paroles du
Psalmiste : « O Dieu^ vous ne rejetterez pas un
« cœur contrit et humilié. » (Ps. 5o.)
III
Considérez encore les qualités de cette haine,
telle qu'elle s'exercera dans la vie future contre les
âmes que la mort aura frappées en état de péché
mortel.
D'abord, cette haine sera manifeste et ces mal-
heureuses âmes la connaîtront d'une manière
évidente. Elles-mêmes se verront en état de pé-
ché, souillées, corrompues et étrangement défigu-
rées. A cette vue, elles s'estimeront dignes d'être
abhorrées de tout le monde et surtout de Dieu
qui est la pureté absolue et à qui elles compren-
dront qu'elles doivent singulièrement déplaire.
Cette haine sera subite. Elle ne différera plus
le châtiment, elle n'ira plus à la vengeance d'un
pas lent. Semblable à une rivière qui, longtemps
contenue par des rochers, des digues et d'autres
obstacles, coule avec impétuosité dès que ces obs-
tacles ont disparu, inonde tout et emporte dans
la mer ce qui s'oppose à sa violence ; semblable à
DES ATTRIBUTS DE DIEtJ lyS
la foudre qui longtemps retenue dans la nue,
éclate enfin avec fureur, tombe sur la terre, rava-
geant et détruisant tout ce qu'elle atteint : ainsi
la haine de Dieu que ne retiendra plus la miséri-
corde et la patience, éclatera subitement sur ces
âmes, à l'instant même où elles sortiront du corps
et exercera contre elles d'immortelles vengean-
ces.'
C'est ainsi que cette haine sera encore implaca-
ble : pendant toute l'éternité elle ne s'adoucira
jamais; les âmes demeureront éternellement souil-
lées de leurs péchés désormais irrémissibles et
c'est la raison pour laquelle elles seront éternelle-
ment odieuses à Dieu et abhorrées de lui : d'où
naîtra en elles le désespoir.
Enfin cette haine est la plus redoutable et la
plus horrible de toutes les haines imaginables.
Qu'est-ce auprès d'elle que la colère des rois, qui
cependant est comparée au rugissement du lion ?
Qu'est-ce que la détresse d'un favori disgracié et
dépouillé de tous ses biens, comparée aux angois-
ses d'une âme haïe de Dieu ? un Jeu tout au plus
et un amusement. La haine de Dieu est chose si
épouvantable qu'il serait préférable d'être mille
fois frappé de la foudre que de voir la face de Dieu
se détourner de nous et son regard ne pouvoir
supporter notre vue.
A quoi pensons-nous donc, ô mon âme, à quoi
pensent tous les pécheurs de la terre, qui, pendant
que cette effroyable épée est suspendue sur leur
tête, vivent, les insensés ! dans la même joie et la
même sécurité que si leurs affaires prospéraient
merveilleusement. Hélas ! qui a jeté sur leurs
176 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
yeux une boue si épaisse, qu'ils n'entrevoient rien
des peines qui leur sont préparées ? Ah î faites,
Seigneur, que je préfère les afflictions de la vie
présente aux maux à venir. « Seigneur, ne me
« châtiei{ pas dans votre fureur » (Ps. 37) au
sortir de ce monde. Que mon âme voie alors en
vous, plutôt un père plein d'amour qu'un Juge
sévère. Aussi je souffrirai volontiers toutes les
difficultés et tous les malheurs du temps, pour
me racheter des feux, des sanglots, des grince-
ments de dents, des ténèbres, des désespoirs et
de tous les tourments qui fondront sur vos enne-
mis. « Brûle^ donc ici, Seigneur, coupe^, mais
« épargnez-moi dans l'éternité. » (i)
XXVr MÉDITATION
DE LA MISÉRICORDE DE DIEU
SOMMAIRE
La miséricorde de Dieu en elle-même — à V égard
des pécheurs — à V égard des justes.
I
LA miséricorde de Dieu s'exerce sur toutes les
créatures du monde. Mais pour en parler
avec exactitude, il est nécessaire de savoir ce qui
la constitue essentiellement. Disons donc que
I. s. Bernard.
DES ATTRIBUTS DE DIEU I77
c'est une vertu qui nous porte à faire du bien à
quelqu'un qui est malheureux. C'est bien là ce
que Dieu fait : il comble de biens ses créatures
dans le but de les délivrer de leurs défauts et de
les retirer de leurs misères d'où sans son secours,
elles ne pourraient sortir. Faire du bien aux créa-
tures, dit le Docteur angélique (i), leur donner des
perfections peut convenir, il est vrai, à la bonté
de Dieu, à sa justice, à sa libéralité, comme aussi
à sa miséricorde, mais c'est à des points de vue
différents. Quand Dieu fait du bien aux créatures,
uniquement pour leur faire du bien, sans autre
considération, cela s'appelle de la bonté. Quand il
fait ce même bien aux créatures et leur commu-
nique des perfections, dans certaines proportions
et selon les exigences de leur nature, c'est de la
justice. Si Dieu leur fait du bien par le seul motif
de sa bonté, qui le porte à se communiquer sans
en attendre aucun profit, aucun intérêt pour sa
gloire, c'est de la libéralité. Mais si Dieu fait du
bien aux créatures et leur accorde des perfections
dans le but de faire disparaître leurs défauts ou
de soulager leur misère, c'est alors l'action propre
de la miséricorde. C'est pourquoi en raison même
de l'intention qu'a Dieu en faisant du bien à
ses créatures, de les délivrer de leurs misères, il
mérite le nom de miséricordieux et il possède
réellement la vertu de miséricorde, bien qu'il
ne ressente en lui-même aucune misère, par une
vraie et réelle compassion. Il fit du bien à ses
œuvres quand il créa l'univers et il fit œuvre de
miséricorde à l'égard de toutes les créatures,
I. Quœst. 31. art. ).
Bail, t. i. t%
LA THEOLOGIE AFFECTIVE
quand il leur donna l'être avec des propriétés et
des facultés naturelles, pour le conserver aussi
longtemps que leur condition le permet: par cette
action en effet, il les retira de Tabîme du néant,
les sépara de la masse des choses possibles et
aussi les délivra par là de la première misère que
nous pouvons imaginer, qui est de ne pas exister.
Mais cet acte de miséricorde ne lui parut pas
suffisant. Il vit que l'état de nature pure était
moins noble et moins parfait que l'état surnaturel,
soit de la grâce, soit de la gloire, en comparaison
desquels on peut l'appeler une profonde misère.
En conséquence il accorda aux anges et aux
hommes le bienfait de les créer dans l'état de
grâce d'où ils pourraient s'élever par degrés jus-
qu'à la gloire qui est l'affranchissement de toutes
les misères.
Enfin mettant le comble à ses bontés, à l'égard
de sa créature, qui, si sa puissance ne la conser-
vait, retournerait d'elle-même à son néant et per-
drait tout ce qu'elle possède et tout ce qu'elle est,
il conserva par son concours direct son être, dans
la mesure où la nature de cet être le demande. Il
le fit, dit saint Denys (i), par sa bonté conserva-
trice dont l'effet est de préserver les créatures de
la perte de tous leurs biens : c'est ce que les théo-
logiens appellent une rédemption, en ce sens que
Dieu empêche les êtres de retomber dans le
néant.
J'inviterai toutes les créatures qui existent, à
louer cette miséricorde, me jugeant incapable de
le faire moi-même dignement. Anges et hommes,
I. Dt div. nomitté c. 8.
DES ATTRIBUTS DE DIEU I79
deux et terre, louez Dieu, bénissez-le, exaltez-le
dans tous les siècles, parce que tous les êtres ont
éprouvé les effets de sa miséricorde. O Dieu très
bon, nul ne peut étendre sa miséricorde aussi loin
que vous. Le soleil ne peut affranchir les hommes
que des ténèbres : il n'éclaire à la même heure
qu'à peine un tiers du monde et sa lumière ne luit
que pour des créatures mortelles. Que tout cela
est peu, Seigneur, au prix des innombrables bien-
faits de votre miséricorde qui est universelle !
Jamais aucun astre n'exerça tant ni de si douces
influences ; jamais terre ne fructifia si abondam-
ment ; jamais source n'épancha plus largement ses
eaux. Seigneur, éclairez mon esprit, afin que je
contemple plus longtemps ces merveilles, enflam-
mez mon cœur, afin qu'après avoir constaté la
richesse de votre miséricorde à l'égard de tous les
êtres, je vous remercie au nom de tous, et que je
me consacre ou plutôt me consume à votre ser-
vice, par reconnaissance pour vos miséricordes.
II
Considérez la miséricorde de Dieu s'exerçant
sur les pécheurs : car pas même à eux cette misé-
ricorde ne fait défaut, pas plus que la lumière ne
manque au soleil, ou l'eau à la mer. Cette miséri-
corde appliquée aux pécheurs s'appelle de la man-
suétude, de la patience, de la clémence.
Premièrement c'est de la mansuétude. Dès que
l'homme a commis son offense, et a fait acte d'in-
gratitude. Dieu ne se trouble pas, ne se dépite
pas ; son visage n'est pas à l'instant même altéré
par le déplaisir et le chagrin.
l8o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Secondement, c'est de la patience. Le plus sou-
vent, en effet, Dieu attend longuement le repen-
tir du pécheur. Il ne le punit pas sur le champ,
comme s'il n'était occupé qu'à épier les fautes des
hommes, pour les surprendre dans leur péché et
les condamner sans délai. Je péchais, dit saint
Bernard (i), et vous, Seigneur, vous faisiez sem-
blant de ne pas voir mes offenses. Je ne m'abste-
nais pas de vous offenser, et vous, vous vous abste-
niez de me punir ; je prolongeais longuement
mon iniquité, et vous. Seigneur, vous prolongiez
votre pitié.
Troisièmement, cette miséricorde est appelée
de la bénignité. Elle est toujours disposée, en
effet, à recevoir le pécheur, s'il fait pénitence et
consent à embrasser une meilleure vie. Quand
bien 'même ses péchés seraient plus rouges que
l'écarlate, plus nombreux que les cheveux de la
tête, quand bien même ils consisteraient ,en im-
piétés, sacrilèges et abominations telles que l'en-
fer n'en connaît pas de plus épouvantables et
qu'il mériterait d'être rompu et brûlé vif, il est
reçu avec les douceurs et les caresses de la grâce
qui lui est conférée sans retard et remis au nom-
bre des fils de Dieu que le paradis attend.
Quatrièmement, cette miséricorde s'appelle de
la clémence. Le pécheur qui refuse de s'amender
et qui comme Pharaon meurt dans son endurcis-
sement. Dieu le punit avec moins de rigueur et
de sévérité que ne l'exigerait sa justice. Il aurait
le droit d'augmenter les peines des damnés, mais
par clémence, il laisse, dans l'exécution de ses
I. Strm, _j, Domin, 6, post Pentee.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 15!
arrêts les plus rigoureux, s'épancher de son cœur
quelques gouttes de miséricorde, qui calment l'ar-
deur des flammes éternelles. Aussi les pécheurs
l'appelleront-ils au jour du jugement un agneau,
parce qu'il les traitera avec plus de douceur qu'ils
ne l'auront mérité.
J'admirerai cette miséricorde : car qu'est-ce
donc, ô mon Dieu, que cet abominable pécheur,
qu'est-ce que cet homme rebelle à vos volontés,
pour que vous daigniez lui accorder tant de
faveurs ? Quel roi pousse la clémence jusqu'à par-
donner trois fois des crimes de lèse-majesté ? Et
vous, Seigneur, c'est en tout temps que vous ten-
dez vos bras au pécheur, au moment même où il
vous résiste et où il aggrave son péché en abusant
de votre infinie miséricorde. Quelles ténèbres dans
son esprit ! quel venin dans son cœur ! Quelle
malice dans ses yeux ! quelle brutalité dans son
âme ! Je suis rempli de honte et de confusion
pour mes semblables, quand je les vois vous trai-
ter avec un tel mépris. Mais ma honte est à son
comble, quand je songe que moi-même aussi j'ai
eu de pareilles audaces. Votre miséricorde, Sei-
gneur, n'en est pas moins un grand bien pour
nous ; après les désordres de notre vie, elle sera
notre refuge et nous jouirons des avantages qu'elle
ne cesse de nous offrir.
III
Considérez encore la miséricorde de Dieu
s'exerçant sur les justes et sur les Saints que
saint Paul appelle « des vases de miséricorde. »
(Rom. g.) Si à l'égard des pécheurs elle est si
l82 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
grande et équivaut à en un si grand nombre de
vertus, à Tégard des justes elle est plus grande
encore, car il est raisonnable que ceux qui ai-
ment Dieu et qui l'honorent, participent au tré-
sor de ses miséricordes plus largement que ceux
qui tous les jours l'offensent. S'il nous a témoigné
de l'amour, alors que nous étions ses ennemis,
que ne fera-t-il pas, quand nous nous serons ré-
conciliés avec lui ? S'il donne un baiser à un traî-
tre, à Judas, de quelle douceur et de quelles ca-
resses n'accablera-t-il pas un cœur loyal qui ne
respire que son amour et qui n'a qu'un désir, lui
complaire ? Aussi pour exprimer cette miséricorde
à l'égard des justes, il ne faut pas avoir recours à
un moins grand nombre de noms et évoquer un
moins grand nombre d'attributs divins, que lors-
qu'il s'agit de la miséricorde divine à l'égard des
pécheurs.
Nous dirons donc que cette miséricorde con-
siste dans l'adoption des justes en vue du céleste
héritage, qu'elle leur confère le pouvoir de deve-
nir les enfants de Dieu et le droit aux biens éter-
nels. Elle consiste aussi dans une protection spé-
ciale qui veille sur les justes, leur donne les
grâces nécessaires pour résister aux puissances de
l'enfer et les préserve du péché dans ravenir.;Elle
consiste encore dans cette affabilité dont il use
dans ses entretiens avec eux, selon cette parole :
« mes délices sont d'être avec les enfants des
« hommes. » (Prov. 8.) 11 leur parle intérieure-
ment par les illuminations de l'intelligence et les
inspirations de la volonté et il leur permet de lui
répondre dans dçs colloques et des entretiens
DES ATTRIBUTS DE DIEU ï83
spirituels, pleins de familiarité et d'amour, qu'il
leur suggère lui-même dans Toraison. Cette misé-
ricorde se traduit par une suavité qui lui fait punir
dès cette vie de peines légères et temporelles leurs
fautes vénielles, dans le but de les affranchir des
châtiments plus rigoureuxde l'autre vie. Elle se tra-
duit par une douceur d'où découlent pour eux des
consolations intérieures, une paix de la conscience
et un avant-goût du ciel, supérieurs à tous les
plaisirs que peuvent procurer les joies de la terre.
Enfin elle se traduit par une munificence qui leur
communique largement ses biens et ses bénédic-
tions jusqu'à les couronner dans l'abondance de
sa gloire, selon la parole du prophète royal :
« C'est lui qui te couronne de miséricorde et
« d'amour et qui rassasie tes désirs de bon-
« heur. » (Ps. 102.)
O Seigneur! qu'ils sont heureux vos saints et
tous ceux qui vous servent ! Que c'est à bon droit
que votre miséricorde est qualifiée de plus élevée
que les cieux, car elle se répand avec une abon-
dance infinie sur les saints qui sont des cieux mys-
tiques et sur les saints du paradis que vous déli-
vrez pour toujours de toutes les misères et de
toutes les douleurs de ce monde ! O mon âme,
n'es-tu pas ravie de l'amour de ton Dieu si clé-
ment et si miséricordieux ? A la vue de tant de
miséricorde ne concevras-tu pas de nouveaux
désirs de l'aimer plus ardemment? Oui, Seigneur
très miséricordieux, je vous le demande de tout
mon cœur : mais que votre miséricorde fortifie ma
faiblesse, que j'aie le bonheur, moi si fragile,
d'être reçu dans votre sein immense ; car « votre
184 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« miséricorde est préférable à toutes les vies de
« ce monde. » (Ps. 62.) Oh ! jamais je ne Toublie-
rai, « je chanterai éternellement les miséricor^
« des du Seigneur ». (Ps. 88.)
XXVir MÉDITATION
DE LA JUSTICE DE DIEU
SOMMAIRE
Il y a en Dieu — une justice distributive, —
une justice vindicative, — une justice rémU'
nérative.
I
IL y a en Dieu une justice distributive : il
l'exerce à l'égard de toutes les créatures du
monde à qui il a donné et donne chaque jour ce
qu'il leur appartient d'avoir, ce qui convient à
leur nature et à leur condition. On l'appelle dis-
tributive, parce que de même que dans une grande
maison un sage économe fait à chacun la distribu-
tion de ce qu'il lui faut, de ce qui convient eu
égard au bon ordre de la maison ; ainsi Dieu fait
acte de cette sorte de justice quand, ayant créé le
monde, et le gouvernant en vue d'une fin, il donne
à chaque créature les parties, les propriétés et les
qualités assorties à sa nature et nécessaires pour
atteindre la fin à laquelle sa sagesse et sa volonté
l'ont destinée. C'est ainsi que l'âme ayant été
DES ATTRIBUTS DE DIEU l85
créée pour voir Dieu et l'aimer, Dieu lui a donné
une intelligence et une volonté ; le corps ayant été
fait pour travailler ici-bas, a reçu des mains et
des bras. Puisque le soleil a été créé pour éclairer
ce monde, il l'a doté d'une puissance d'éclairer
qui ne s'éteint jamais ; aux animaux qui doivent
servir l'homme, il a donné la force ; à ceux qui
doivent le nourrir, une chair plus tendre et plus
délicate ; à chaque arbre, à chaque plante, en un
mot à tout ce qui existe dans le monde, il a conféré
les énergies ou les facultés nécessaires pour attein-
dre leur fin. L'Ecriture donne à Dieu dans le récit
de la création un nom qui en hébreu signifie
juge (i), pour nous faire entendre qu'il faisait alors
un acte de justice en distribuant à chaque créature
ce qui lui convenait. Elle ajoute que passant
comme en revue tout cet univers. Dieu « vit que
« tout ce qu'il avait fait, était excellent » (Gen. i),
car toutes les créatures étaient munies de tout ce
qu'il leur convenait d'avoir, eu égard à la fin pour
laquelle elles avaient été créées. Le divin saint
Denys (2) reconnaît en Dieu cette justice distribu-
tive et dit que Dieu mérite d'être loué parce qu'il
a donné à chacun selon sa dignité, parce qu'il a
donné à chaque créature dans une très équitable
I. Quel est le vrai sens étymologique du nom « Elohtm » que la
Bible donne à Dieu ? D'après certains ce mot viendrait de « alah s
qui signifie en arabe ètonnement, stupeur : c'est en effet le sentiment
qu'éprouve l'homme quand il songe à la grandeur incompréhensible
de Dieu. (Voir Staudemmayer : Dogm. ii. 169. apud Goschler, art.
Dieu.) Mais cette étymologie est peu probable : voici celle qui est
généralement admise : « Elohim » vient de la racine c ala « qui signi-
fie « être fort *. Cette racine a donné le nom < El » qui veut dire
€ fort, héros, force, Dieu, » Cette étymologie est donnée par Gese-
nius, Fvirst, Billmann.
3. De div. nom. c. 8.
l86 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
mesure, la manière d'être, la beauté, Tordre, ainsi
que toutes les inégalités nécessaires à Tharmonie
hiérarchique des êtres. Il conclut que ceux-là n'ont
pas conscience de leur injustice qui osent repren-
dre la justice de Dieu.
Cette considération m'apprendra à admirer les
œuvres de Dieu, à les approuver au lieu de les
censurer. Je dirai comme les Juifs . nll a bien fait
« toutes choses » (Marc 7.) Seigneur, vos œuvres
sont magnifiques. C'est un grand plaisir pour moi
de considérer la création et l'admirable symétrie
qui y resplendit. Non, le monde ne pouvait être
ni mieux fait, ni plus sagement ; les cieux et les
éléments ne pouvaient être mieux disposés, ni
chaque créature ne pouvait être mieux équilibrée :
tout y est mesuré, tout y est balancé avec justice
et équité. Elle est donc bien vaine la présomption
de ceux qui critiquent vos œuvres et murmurent
contre vous. Oui, Dieu très juste, vous avez bien
fait toutes choses. Que toutes mes œuvres soient
faites aussi dans l'équité et que rien ne leur
manque de ce qu'elles doivent avoir.
II
Il y a en Dieu une seconde justice, appelée
justice vindicative : elle s'exerce à l'égard des
pécheurs, quand Dieu leur inflige les peines qu'ils
ont méritées. Le pécheur fait une véritable injure
à Dieu en vivant dans l'opposition à sa volonté,
en désobéissant à ses ordres et en consentant à ce
que lui défend son prince et son maître souve-
rain; il mérite dès lors d'être extrêmement abaissé,
d'endurer des déplaisirs et des peines contre sa
DES ATTRIBUTS DE DIEU 187
volonté et selon la volonté de Dieu. En eifet quel-
qu'un qui a été offensé n'a obtenu réparation pour
l'injure et satisfaction pour le tort qui lui a été
fait, que lorsque la personne coupable de l'ofifense
a été à son tour extrêmement humiliée ; lorsque
pour expier le plaisir injustement goûté, elle a
subi par contrainte des déplaisirs et des peines,
enfin, lorsqu'elle est soumise de force aux lois et
à la volonté contre lesquelles elle s'est rebellée.
C'est donc justice que le méchant soit profondé-
ment humilié et qu'il soit condamné à brûler
éternellement selon la volonté de Dieu. C'est
ce que fait la justice vindicative de Dieu : elle
commence dès cette vie, elle s'achève au mo-
ment de la mort et au grand jour du juge-
ment.
Et en cela nul n'a le droit de blâmer Dieu, ni
de l'accuser, car, dit Lactance (i), si la loi qui
frappe le criminel de la peine qu'il mérite est
juste, si le juge ne cesse point, parce qu'il punit
le crime, d'être juste et intègre, car punir les
méchants, c'est conserver les bons ; Dieu pareil-
lement est bon, quoiqu'il inflige des peines aux
pervers dans le but de les empêcher de nuire
plus gravement aux gens de bien. Supposez une
grande et noble famille, où l'on verrait un servi-
teur voler le bien de son maître, le mépriser, lui
refuser l'obéissance qu'il lui doit ; allons encore
plus loin, où ce serviteur massacrerait domesti-
ques et enfants, frapperait la femme de son
maître et lui ferait violence, et finalement mettrait
le feu à la maison ; sans doute, si le maître de la
l. De ira Dei. c. 17.
LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
maison ne se fâchait pas contre un tel serviteur,
s'il ne le punissait pas, une telle conduite ne serait
pas de la patience, mais une stupide insensibilité ;
ce maître ferait preuve non pas de clémence et de
miséricorde, mais bien plutôt de cruauté et de
barbarie. De même ce ne serait pas en Dieu une
vertu de voir dans sa propre maison qui est le
monde entier, ses serviteurs mépriser ses lois,
blasphémer son nom, se mettre en opposition
continuelle avec sa volonté, commettre toutes
sortes d'excès et malgré cela de ne pas s'émouvoir
à cette vue et de ne pas les punir. Je conclus donc
qu'il y a en Dieu une vertu redoutable aux impies,
c'est la justice vindicative.
Ayons peur de cette Justice, si les attraits du
bien ne suffisent pas pour nous conquérir à la
vertu. Hélas ! « Est-eJIe connue cette justice^ sur
« cette terre d'oubli ? » (Ps. 87). C'est elle qui
remplit le monde d'horreur, qui arme toutes les
créatures et les envoie punir les méchants, c'est
elle qui a bâti des prisons de soufre et de feu dans
le sein de la terre. O folie des pécheurs, ô audace
effrénée qui ose provoquer cette justice contre
eux-mêmes ! Hélas ! ô mon âme, que feras-tu, si
tu vois un jour cette justice vindicative s'en pren-
dre à toi pour tant de péchés que tu as commis et
que tu multiplies tous les jours ? Dieu très juste,
je veux changer de vie, quoi qu'il me faille sacri-
crifier, quoi qu'il faille souffrir. Mais si je ne le fai-
sais pas, vous feriez régner sur moi votre justice
à laquelle je me soumets d'avance. Usez de votre
droit, il n'est pas raisonnable que vous ne l'exer-
ciez pas sur moi.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 189
II
Dieu exerce à l'égard des bons sa justice : c'est
la justice rémunérative : elle consiste à récom-
penser par de très grands biens ceux qui durant
cette vie l'aiment et le servent fidèlement. Il est
vrai de dire que Dieu en principe ne doit rien à
personne, que la créature lui appartient tout
entière avec tous ses droits, et mille fois plus
qu'un esclave n'appartient à son maître ; que la
créature ne s'appartient nullement à elle-même, de
telle sorte qu'elle ne peut rien offrir à Dieu qui ne
soit déjà strictement à lui et qu'il n'ait le droit
d'exiger au titre de créateur, de conservateur et à
bien d'autres titres. Dieu donc ne doit en rigueur
de justice aucune récompense à sa créature pour
ses services qui ne sont que l'acquittement d'une
dette. Mais Dieu a fait une promesse, il a donné
sa parole que les bonnes œuvres faites pour l'ho-
norer et le glorifier seraient récompensées par une
éternité de bonheur. Il est donc devenu notre
débiteur, dit saint Augustin (i), non en recevant
quelque chose de nous, mais par ses promesses :
on ne doit pas lui dire : rendez ce que vous avez
reçu, mais donnez ce que vous avez promis. Et
qu'est-ce qui l'a déterminé à faire de semblables
promesses ? sa bonté naturelle d'abord, et puis il
était digne de sa justice d'autoriser les âmes ver-
tueuses à attendre de lui des joies et des biens,
puisqu'elles se sont efforcées de lui plaire, de
répondre à ses désirs, de procurer sa gloire et
qu'elles auraient même, si c'eût été possible,
accru ses biens et ses perfections. Jamais ce Dieu
I. In Ps. 83.
190 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
très bon ne se laisse dépasser en bonne volonté et
en amour. Il dit fréquemment : « Je serai ta
« récompense infinie. » (Gen. i5.) et : « Qui-
« conque m'aura glorifié^ je le glorifierai. »
(I Rois, 2.) Ainsi donc il s'est engagé à donner à
titre de récompense, des honneurs, des biens et
des joies éternelles, aux âmes qui l'auront honoré,
servi et contenté par leurs bonnes et généreuses
actions. C'est en cela que consiste la Justice rému-
nérative.
Oh ! que cette vérité me ravit d'admiration ! les
créatures ne peuvent faire du bien à Dieu que
par le désir : car puisqu'il possède la plénitude de
tout bien, il ne saurait rien recevoir de personne.
Mais lui peut leur faire à elles du bien en réalité.
De nos bonnes oeuvres, il ne retire aucun profit,
aucune utilité, et cependant il les met à un si
haut prix, il les estime tant qu'il leur attribue
comme récompense son paradis ; les créatures qui
en servant Dieu témoignent de l'estime qu'elles
ont pour lui, ne lui procurent qu'une gloire exté-
rieure ; Lui au contraire les glorifie intérieure-
ment jusque dans l'intime de leurs âmes qu'il
comblera de lumières, de délices et de gloire. Et
ces grandes choses il veut les accomplir non par
un don purement gratuit, par une pure faveur
laissée à sa discrétion, mais en vertu d'un enga-
gement et à titre de justice, afin que les bons
espèrent leur félicité avec une plus ferme con-
fiance et qu'ils parviennent à sa possession par
une voie plus noble. O mon Dieu, c'est ainsi que
vous semblez oublier vos intérêts pour vous lier
envers ceux qui vous doivent tout. Quel trait de
DES ATTRIBUTS DE DIEU I9I
bonté dans votre justice même. A mon tour, mon
Dieu ! je veux me lier à votre service : « Vous
« êtes mon partage, Seigneur; je Vai juré^
« /observerai votre loi. » (Ps. ii8.)
XXVIir MÉDITATION
DE LA PROVIDENCE DE DIEU
SUR TOUTES LES CHOSES CRÉÉES
SOMMAIRE
Existence — suavité — infaillibilité de la
Providence divine.
I
LA Providence de Dieu embrasse tous les êtres
créés. Si par la providence divine il faut
entendre la pensée et la volonté de donner à cha-
que chose ce qu'il convient qu'elle ait pour arriver
à sa fin, on peut dire que Dieu a toujours eu cette
pensée et cette volonté à Tégard de toutes ses
créatures. Sa sagesse infinie lui permet de con-
naître jusqu'aux êtres les plus petits et les plus
vils de l'univers, ainsi que les moyens nécessaires
ou utiles pour atteindre telle fin particulière : son
amour, sa miséricorde et sa justice l'inclinent
d'autre part à faire du bien aux créatures. Nous
devons donc conclure de l'étude des attributs
192 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
divins que Dieu prend soin de ses créatures par
sa providence.
Nous pouvons arriver à la même conclusion
d'une manière plus certaine encore, en considé-
rant ce monde qui depuis 56oo et tant d'années
dure et se maintient dans le même état. Les pla-
nètes et les étoiles reviennent après une longue
course à leur point de départ; les éléments n'usent
pas leur énergie dans la lutte perpétuelle qui est
la conséquence de leurs qualités opposées ; les
quatre saisons de l'année semblent danser en rond
et reparaissent à leur tour sans jamais faire défaut;
les espèces minérales, végétales et animales res-
tent invariables malgré la variété infinie des indi-
vidus qui se succèdent les uns aux autres. Un tel
ordre comment pourrait-il durer si longtemps, si
personne ne tenait en main la direction générale ?
Une grande armée, qui cependant est composée
de créatures raisonnables se débande, si un chef
grave et prudent n'en a pas le commandement.
Comment dès lors ce monde, qui est composé en
majorité de créatures dépourvues de raison et de
sentiment, ne se désorganiserait-il pas, si Dieu n'y
pourvoyait par sa providence ?
Il est raisonnable enfin que l'auteur des créatu-
res en prenne soin. Le rôle de Créateur et celui
d'Administrateur, dit saint Jean Damascène (i),
appartiennent à la même personne. Ce serait une
preuve d'impuissance, si Dieu après avoir créé le
monde, laissait à un autre le soin de le gouverner
et de l'administrer. Quel est l'ouvrier qui néglige
son ouvrage ? Il n'y avait pas d'injustice à ne pas
X. L. 3 d* fide orthod, c. 39.
DES ATTRIBUTS DE DIEU IqS
appeler un être à la vie, mais ne pas en avoir soin,
après qu'on l'y a appelé, c'est de la barbarie pure.
Nous voyons les pères et les mères pourvoir à
l'instruction et à l'éducation de leurs enfants, les
poules rassembler soigneusement leurs poussins
sous leurs ailes, s'épuiser en soins et en tendresse
pour pourvoir à tous leurs besoins : nous voyons
même les animaux les plus sauvages poussés par
un instinct naturel nourrir leurs petits, les lamies
elles-mêmes, monstres marins affreux, donner leur
sein à têter à de petits monstres qu'elles ont en-
gendré. Ce sont autant de faits destinés à être des
images de la providence plus excellente du Créa-
teur sur toutes ses créatures, particulièrement sur
l'homme, providence dont le but est de fournir à
l'homme les moyens suffisants pour atteindre sa
fin particulière, qui est la béatitude. Comment
imaginer que Dieu ne s'occupe en aucune manière
d'une infinité d'hommes créés à son image, et qu'il
ait résolu de les abandonner sans secours dans
leur état de nature déchue ?
Ce serait lui faire injure que de le supposer.
Dieu, dit le Docteur angélique (i), est prêt de son
côté, à donner à tous la grâce, « car son désir est
« que tous les hommes soient sauvés et qu'ils
« parviennent à la connaissance de la vérité. »
(I Tim. 2.) Ceux-là seuls sont privés de la grâce
qui y mettent un empêchement volontaire. Ainsi
â l'heure où le soleil éclaire le monde, s'il arrive à
quelqu'un à qui il plaît de fermer les yeux, un
grave accident, faute d'y voir, ce sera bien à lui
qu'il faudra en attribuer la responsabilité, bien
X. Lib._j cont. Génies, c. 159.
Bail, t. 1. l^
194 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
qu'il soit vrai que pour y voir, il a besoin d'être
prévenu par la lumière.
Je le crois donc Seigneur, je le crois fermement,
votre Providence veille sur toutes choses et sur
tous les hommes, sur ceux-là même qui vous
oublient et qui ne se mettent pas en peine de
vous servir. Ah ! que je regrette qu'une vérité si
évidente soit niée dans ce monde par des esprits
misérables qui se privent de la pensée la plus
douce et la plus consolante. Quelle pensée est de
nature à consoler davantage les mortels, au milieu
de tant d'événements contraires, que de considérer
tout ce qui arrive non comme un effet du hasard
aveugle ou de ce qu'on nomme la fortune ou enfin
d'un tyrannique destin, mais bien comme un effet
de votre paternelle sollicitude ? Oh ! Seigneur !
qu'il m'est doux de songer que vous avez soin de
moi! Si le voyageur se console au milieu des incer-
titudes et des dangers de la route, en voyant son
guide auprès de lui, comment ne me consolerai-je
pas, moi, au milieu des sentiers tortueux de cette
terre étrangère, quand je sais que votre Provi-
dence s'est constituée mon guide ? Oh ! que mon
àme est heureuse ! « Le Seigneur me conduit^
« rien ne me manquera. (Ps. 22.)
II
Cette Providence est suave, car Dieu s'accommode
à la nature des divers agents de ce monde. Pour
que ce monde fut aussi parfait que possible après
Dieu, il fallait qu'il renfermât toutes sortes de
degrés de bonté bien assortis. De là vient qu'on y
voit trois sortes d'agents ou de causes : les unes
DES ATTRIBUTS DE DIEU IqS
nécessaires et dont l'action toujours semblable à
elle-même ne saurait être empêchée, tel le soleil qui
chaque jour se lève et éclaire le monde ; les autres
contingentes, celles-ci agissent aussi par nécessité,
mais leur action peut être empêchée par un acci-
dent quelconque ; par exemple, un arbre peut ne
pas porter de fruit, par suite de la gelée ou de la
grêle. Les troisièmes causes sont les causes libres,
elles peuvent agir ou ne pas agir à leur gré.
La perfection du monde exige encore qu'il y ait
diversité de conditions parmi les créatures, sans
cela le monde ne pourrait même pas subsister.
Les unes sont dépendantes et inférieures, les
autres sont supérieures et dominantes. Celles-ci
sont faibles, celles-là sont fortes et puissantes. Les
unes durent peu, les autres longtemps ; celles-ci
jouissent de l'abondance, celles-là n'ont que la
pauvreté ; certaines sont au repos, d'autres en
activité. Le monde, pour être parfait, exigeait cette
diversité d'agents et de conditions ; supprimez
cette inégalité des créatures, vous lui ravissez sa
beauté. Ainsi manquerait de beauté un tableau où
les couleurs ne seraient pas variées et un chant
musical où il n'y aurait de diversité ni dans les
voix ni dans les tons.
Or, s'il appartenait à la Providence de mettre
cette variété dans le monde, il lui appartient au
même titre de l'y conserver. Le rôle propre de la
Providence, dit saint Denys (i), c'est de respecter
la nature de chaque être ; dans ce but elle laisse
agir toutes les causes selon leur nature et leur
puissance ; elle laisse les causes nécessaires
I. Cap. 4. Dt ditinis ntmin.
igé LÀ THlèoLOGIË AFFECTIVE
tendre nécessairement à leurs fins, les causes libres
y tendre librement. Elle concourt aux actions de
toutes les créatures selon la portée et l'étendue de
leurs forces, excepté dans quelques cas fort rares,
où elle suspend leur activité pour opérer un mira-
cle. En dehors de ces cas, les créatures supé-
rieures tiennent les autres sous leur dépendance,
les plus fortes commandent aux plus faibles et
toutes disparaissent, quand les lois naturelles
amènent leur mort. Ainsi Dieu « atteint d'une
« extrémité à Vautre avec force et dispose tout
« avec suavité. » (Sag. 8.)
Apprenez à ne pas murmurer contre tant d'iné-
galités qui se trouvent dans le monde et à ne pas
vous poser en réformateur d'un ordre si sage-
ment établi. Le monde est un concert où chacun
fait sa partie, un tableau aux couleurs harmo-
nieuses. Pourquoi donc, dit Théodoret (i), vous
affligez-vous de ne pas être des Crésus, des Midas
ou des Darius ? La nature est essentiellement
défectueuse, parce qu'elle est mortelle. Elle a
besoin de labourage, d'architecture, de navigation,
de couture, de cordonnerie, des arts et des condi-
tions les plus humbles qui sont aussi les plus
nécessaires. Il faut dans le monde des ouvriers
et des pauvres d'une part et de l'autre des gens
riches pour rémunérer leur travail et les faire
vivre. Il y aurait injustice à exiger que les créa-
tures dont la nature est d'être libres, fussent con-
traintes à agir, que les créatures faibles fussent
parfaites, que les inférieures commandent aux
supérieures et que les plaisirs bornés soient im-
I. L. 6. it curandis gracorum affect.
DES ATTRIBUTS DE DIEU I97
mortels. Il appartient à la Providence de conser-
ver chaque chose conformément à ce qu'exige son
degré de force. Si la lune a naturellement moins
de clarté que le soleil, la happelourde moins de
prix que l'escarboucle, si le pauvre a moins de
crédit que le riche, si le loup, plus fort que la brebis,
la dévore, si le voyageur est incommodé par la
pluie, le nautonnier par la tempête, si le mondain
est sevré de ses plaisirs par quelque accident ;
est-ce une raison, parce que tel particulier aurait
intérêt à ce que les lois naturelles n'eussent pas
leur effet, pour que Dieu en suspende tous les
jours le cours? Ce ne serait rien moins que dé-
truire la beauté de ce monde et en bouleverser
l'ordre. Donc, quoiqu'il m'arrive, ô mon Dieu,
quand bien même je me trouverais être le plus
chétif et le plus misérable des mortels, je n'aban-
bonnerais pas votre étendard, je bénirais toujours
votre sainte Providence. Non, il ne serait pas rai-
sonnable, puisque vous-même, vous vous accom-
modez si suavement à tant de natures différentes,
que mon esprit refusât de s'accommoder à son
tour à l'ordre établi par votre volonté.
III
La Providence divine est infaillible, c'est-à-dire,
qu'elle fait atteindre à toutes les créatures leur fin
générale. Chaque créature a en effet deux fins. La
première est la fin particulière ; c'est celle qui est
propre à chaque espèce. Toutes les créatures ont
pour fin l'homme : elles servent ou à le nourrir,
ou à le vêtir, ou à l'exercice de son corps ou au
198 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
contentement de sa vie ou à quelque autre uti-
lité. L'homme à son tour a pour fin la louange,
l'honneur et le service de Dieu. Or quoique Dieu,
en sage économe, ait donné aux créatures tout ce
qui est nécessaire pour atteindre leur fin particu-
lière, il arrive cependant que souvent elles ne l'at-
teignent pas, ou par le fait d'un accident, par
exemple quand à l'entrée même du printemps un
arbre dont la fin est de réjouir les yeux de
l'homme, a ses branches brisées, ses feuilles et ses
fleurs emportées par un orage, ou par le fait de
la liberté humaine qui se détermine de son plein
gré à offenser Dieu au lieu de l'honorer.
La seconde fin des créatures est leur fin géné-
rale, qui n'est autre chose que la gloire de Dieu et
la manifestation de ses attributs, de sa puissance, de
sa sagesse, de sa bonté, de sa justice et des autres.
Cette fin est toujours obtenue ; quoi qu'il arrive
dans ce monde, les perfections de Dieu s'y mani-
festent toujours ; sa sagesse et sa puissance écla-
tent autant dans les créatures les plus grandes que
dans les plus petites. Sont-elles florissantes ? elles
révèlent sa magnificence ; sont-elles dans un mau-
vais état et puis finalement périssent-elles ? en dis-
paraissant elles témoignent qu'il n'appartient qu'à
lui seul d'être immuable et immortel. Il en est de
même de l'homme : si, abusant de sa liberté et
méprisant les moyens que Dieu lui donne, il man-
que sa fin particulière qui est le paradis, il ne
manquera pas sa fin générale, qui consiste à con-
tribuer à la manifestation des attributs de Dieu.
Ses souffrances dans l'enfer manifesteront la jus-
tice divine : lui-même et les autres hommes
DES ATTRIBUTS DE DIEU 1 99
apprendront que Dieu est juste, lui qui punit
le péché par de tels tourments. C'est ainsi que la
Providence est infaillible : elle ne manque jamais
le but qu'elle vise, elle fait servir à procurer sa
gloire toutes les créatures, dans n'importe quel état
elles se trouvent. Elle peut être comparée à un
grand cercle dans lequel l'homme est enfermé :
il semble quelquefois qu'il s'éloigne du centre,
mais en réalité il y est toujours ramené. S'il ne
travaille pas à la gloire de Dieu par une vie sainte
et toute à l'honneur de Dieu, il procurera malgré
lui cette gloire par les châtiments qu'il subira. Par
là éclatera la justice et la puissance de Dieu : on
verra combien Dieu méritait d'être respecté et
aimé par dessus tout, puisque cette àme n'a pu lui
refuser ce respect et cet amour, sans se rendre
horriblement criminelle et malheureuse.
Ce sera pour moi un sujet de joie de penser que
toutes les créatures conspirent finalement à la
gloire de Dieu comme à leur fin générale : par là,
en effet. Dieu trouve son compte dans tous les
événements et sa Providence arrive toujours à «es
fins. Puis faisant un retour sur moi-même je me
dirai : puisqu'il faut, bon gré, mal gré, que je
manifeste les perfections divines, je prends le parti
de les manifester plutôt dans le paradis gagné par
une sainte vie, que dans les supplices éternels
mérités par une vie coupable. O vous donc, ô mon
Dieu, dont la Providence ne se trompe jamais
dans ses vues, faites que j'emploie si utilement
tous les moyens que vous me fournissez pour
parvenir à ma fin particulière, c'est-à-dire au para-
dis, que j'atteigne en même temps ma fin gêné-
200 LÀ THl^OLOGIl AFFECTIVE
raie, qui consistera à vous glorifier volontairement
dans les siècles des siècles.
XXir MÉDITATION
DE LA PROVIDENCE DE DIEU
EN FACE DE CERTAINS DÉSORDRES
DE LA NATURE,
EN FACE DES PÉCHÉS DES HOMMES
ET DES AFFLICTIONS DES JUSTES
SOMMAIRE
Tout ce qui dans la nature nous paraît défec"
tueux ou fâcheux s'explique et a son utilité ;
— le péché est la conséquence inévitable de
cette prérogative accordée par DieuàVhomme^
la liberté ; d'ailleurs la sagesse divine sait
tirer le bien du mal ; — les afflictions sont
pour les justes une source de mérites.
I
IL y a des esprits audacieux qui blâment la
Providence divine, au sujet des monstres, des
serpents et de certains animaux très vils qui leur
semblent mauvais et nuisibles dans le monde et
auxquels la Providence semble ne pas s'étendre,
disent-ils. Nous devons au contraire affirmer que
DES ATTRIBUTS DE DIEU 201
la Providence s'étend même sur ces êtres, car il
n'est pas indigne de Dieu de prendre soin de ces
êtres qu'il n'a pas dédaigné de créer. C'est même
la preuve de la grandeur et de la puissance infinie
de son esprit, que de pouvoir veiller avec une
égale sollicitude sur ce qu'il y a de plus petit et de
plus vil dans la nature, comme sur ce qu'il y a de
plus grand et de plus honorable. La lumière du
soleil paraît plus vive et plus éclatante quand elle
éclaire en même temps que les hauts sommets des
montagnes la profondeur des vallées et qu'elle
enveloppe au même instant de sa splendeur les
cèdres les plus élevés et les herbes qui semblent
ramper sur la terre.
Pour ce qui est des monstres, il est évident, que
si une cause entravée dans son action par un acci-
dent quelconque produit un effet défectueux. Dieu
n'est nullement tenu en sa qualité d'administra-
teur universel, d'empêcher un semblable effet. De
plus ce monstre n'est pas absolument inutile : par
le contraste de sa laideur il fait merveilleusement
ressortir la beauté des créatures de son espèce.
S'il s'agit des créatures douées de raison, il leur
donne sujet de remercier leur Créateur de ne pas
être affligées de la même laideur ou de la même
difformité.
Pour ce qui concerne les plus vils animaux et
les bêtes que leurs dents, leurs griffes ou leur venin
rendent dangereuses, je dis qu'elles sont bonnes
chacune dans Leur genre. Dans la hiérarchie des
êtres elles occupent un rang et remplissent une
place dont le vide romprait les proportions et la
magnifique harmonie de ce monde. Par exemple,
202 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dit saint Isidore (i), celui qui raserait les sourcils
de rhomme, lui enlèverait bien peu de chose en
réalité et cependant il aurait détruit la beauté de
l'homme. Ainsi celui qui soutient que le plus petit
vermisseau n'est pas bon en lui-même, fait injure
à toute la nature. Remarquons aussi que les dents,
les griffes et le venin sont nécessaires à ces bêtes
pour se défendre. Si elles blessent l'homme quel-
quefois, n'est-ce pas la Providence divine qui
s'en sert comme d'instruments de sa justice, pour
punir le péché ? l'homme innocent n'en serait
jamais blessé. Enfin ces bêtes ont plusieurs autres
utilités que les sages savent bien reconnaître.
Cette considération m'apprendra à ne jamais
blâmer les œuvres de Dieu, et à ne jamais mur-
murer contre lui, si les créatures me font quelque
mal. Au contraire, je m'édifierai moi-même et j'ad-
mirerai la Providence divine en chaque chose. En
les considérant je dirai comme une âme sainte :
Eh ! n'êtes-vous pas aussi les créatures de mon
Dieu ? Je les provoquerai à louer Dieu à leur ma-
nière, à l'exemple des trois enfants de Babylone :
« Glaces et frimas, bénisse^ le Seigneur ; ani-
« maux domestiques et animaux sauvages^
« bénisse^ le Seigneur ; enfants des hommes j
« bénisse^ Je Seigneur ». (Dan. 3.)
II
D'autres attaquent la Providence de Dieu, en
lui reprochant de ne pas empêcher efficacement,
comme elle le pourrait, tant de péchés qui se
commettent tous les jours et peuplent de plus en
I. D« summo boHo, lib. x, fap. 3.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 2o3
plus l'enfer. Or réfléchissez bien qu'il convient
à la Providence de Dieu, lorsqu'elle a défendu le
péché et fourni aux hommes les grâces suffisantes
pour l'éviter, de les laisser agir selon leur volonté,
tant que dure cette vie. Et en voici la raison :
Dieu ne doit ni changer, ni détruire la nature des
êtres. Or il a créé l'homme libre, pour qu'il fut en
son pouvoir de choisir entre le feu et l'eau, le mal
ou le bien, sans subir aucune contrainte. Dieu doit
donc lui laisser les coudées franches et ne pas lui
faire violence dans ses actes dont il a voulu qu'il
fut le maître. Sans cela l'homme pourrait se plain-
dre, il pourrait dire qu'on lui met aux mains des
fers et des chaînes, pour le gouverner comme un
forçat ou comme un esclave, qu'on viole les droits
de sa noblesse native et de sa liberté.
D'autre part Dieu donne à tous les hommes,
même à ceux qui l'offensent, des secours et des
moyens pour ne pas l'offenser, s'ils le voulaient :
car s'il leur était impossible d'éviter le péché, en
le commettant, ils ne pécheraient pas plus qu'ils
ne pèchent en mourant, par la raison qu'il leur est
impossible d'éviter la mort. Dieu, dit saint Augus-
tin (i), ne nous ferait pas un commandement qu'il
jugerait être au-dessus de nos forces ; si donc dans
ta faiblesse tu es sur le point de succomber en face
du précepte, que l'exemple du Fils de Dieu te for-
tifie. Il est là présent celui qui t'a donné l'exem-
ple, pour t'encourager. La Providence de Dieu se
manifeste donc dans la permission du péché.
Mais où elle se manifeste d'une manière bien
plus éclatante, c'est quand du péché qui est un si
I. In Psal. j6. q, 33. a. 3.
204 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
grand mal, elle fait sortir quelque bien. Si Dieu,
dit le même saint Docteur, empêchait toutes les
violations de sa loi, de grands biens manqueraient
aussitôt à l'univers. Le lion ne vit qu'à la condition
de dévorer d'autres bêtes sauvages plus petites
que lui : la patience des martyrs eût été impossible
sans la cruauté des persécuteurs. Du péché d'Adam
Dieu a fait sortir l'Incarnation et tous les mystères
de la vie, de la passion et de la mort de Jésus-
Christ. Les péchés de leur vie passée toujours
présente à la mémoire de certains Saints, leur ont
donné sujet de s'humilier, de se défier de leurs
forces, de se tenir à l'avenir sur leurs gardes et de
mettre au service de Dieu une volonté d'autant
plus ardente qu'elle avait pour but de réparer un
grand mal par un bien plus grand encore. On dit
que les chevaux mordus par les loups sont plus
courageux que les autres : ce qui est indéniable
c'est que certaines âmes que Dieu a arrachées à la
gueule du lion rugissant sont désormais plus vigi-
lantes et plus courageuses dans la résistance aux
tentations : c'est ainsi que pour elles le péché est
devenu une occasion de mérite. Tel fut entre au-
tres saint Augustin : et c'est lui-même qui déclare
que Dieu qui est tout-puissant ne permettrait
jamais le mal, s'il n'était assez fort pour en tirer le
bien.
Je bénirai donc la Providence de Dieu qui
laisse commettre le péché. O, Seigneur ! vous
mettez de la prévoyance dans notre précipitation,
de la prudence dans nos témérités, de la sagesse
dans nos folies, de la bonté dans notre malice.
Vous faites éclore des roses au milieu de nos
DES ATËIBTJTS DE DIEU 2oh
épines, vous nous sauvez par nos ennemis, vous
moissonnez le bien là où nous n'avons semé que le
mal. « Cueille-t-on des figues sur les chardons^
« et des raisins sur les ronces ? » (Matt. 7.)
Oui, mais c'est le secret de votre admirable Provi-
dence. Ah ! puissé-je moi aussi, vouloir tirer le
bien de mes fautes passées, en devenir plus hum-
ble, plus vigilant sur moi-même et plus ardent à
vous servir.
III
La troisième plainte qu'on adresse à la Provi-
dence a pour prétexte les peines qui arrivent à des
gens de bien : c'est la plainte la plus ordinaire.
Elle prouve d'abord que les hommes ont le juge-
ment faux : sans cela ils auraient une si grande
estime pour la vertu, même lorsqu'elle a à lutter
contre l'oppression, la pauvreté, l'ignominie et les
tourments, que pour elle ils mépriseraient tous les
biens du monde : car à quoi servent-ils le plus
souvent si ce n'est à damner les hommes et à leur
faire perdre le paradis ? tandis que les afflictions
sont pour les gens vraiment vertueux une occasion
de triompher et de mériter une place plus glo-
rieuse dans le ciel. « // en tombera^ dit le pro-
phète, mille à votre gauche^ et dix mille à votre
« droite^ » ce qui signifie qu'il y en a dix fois plus
qui se damnent dans la prospérité indiquée par la
main droite que dans l'adversité que représente la
main gauche. En effet rappelons ce que nous avons
dit plus haut : la Providence peut se définir la
pensée et la volonté qu'a Dieu de fournir aux créa-
tures les moyens de parvenir à leur fin : dès lors
206 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
nous devons être convaincus que Dieu veille avec
plus de soin sur les justes qu'il accable de mal-
heurs et qu'il éprouve dans de rudes combats.
Il faut distinguer en Dieu deux Providences :
l'une naturelle, qui n'a pour objet que les biens
présents ; et l'autre surnaturelle, qui a pour
objet les biens éternels. Or les afflictions des jus-
tes sont des effets de la Providence surnaturelle
de Dieu, car Dieu les leur envoie comme un
moyen très puissant de salut. Aussi bien qu'ont-
ils à souhaiter dans ce monde, si ce n'est de le
quitter au plus tôt, pour aller jouir de Dieu,
l'unique objet de leurs désirs? Pourquoi méritent-
ils d'être appelés gens de bien, sinon parce qu'ils
ne mettent pas, à l'exemple des méchants, leur
joie et leur bonheur dans cette vie ? Entendez les
paroles de saint Denys (i) : Tu appelles saints
ceux qui aiment les biens de la terre, comme les
mondains, mais de tels saints n'ont pas même une
étincelle de l'amour divin et ce sont d'étranges
saints que ceux qui font cette injure aux biens
à venir les seuls dignes d'être aimés, je veux dire,
aux biens divins, de leur préférer les biens de
la terre, biens indignes de notre amour. Si au
contraire ils aiment les biens célestes, ils doivent
dans ce cas se réjouir des peines et de la mort
même qui les met en possession de ces biens.
C'est imiter les anges que de renoncer à la terre,
pour ne vouloir posséder que ce qui est divin. En
somme il ne faut pas exiger de la justice de Dieu
qu'elle travaille au relâchement et à la corruption
des âmes vertueuses, en leur accordant des biens
I. C. 8. dt dn. tient»
DES ATTRIBUTS DE DIEU 207
funestes et en les traitant avec trop de douceur.
Aussi saint Jérôme (i) dit-il, que pas un seul
Saint n'a obtenu la couronne sans avoir com-
battu. Fais des recherches, dit-il, et tu constateras
que tous ont été éprouvés par des malheurs. Salo-
mon seul vécut dans les délices, et c'est peut-être
aussi ce qui l'a perdu.
De cette considération et des célestes paroles de
deux saints Docteurs, il faut conclure que c'est se
tromper grandement que de s'insurger contre la
Providence de Dieu, à l'occasion des calamités de
cette vie. Nous devons les envisager comme des
moyens qui dans les vues de la Providence divine
doivent servir à nous humilier, à expier nos fautes
et à nous aiguillonner dans la voie de la sainteté.
Hélas I de quelle singulière dévotion ne font pas
profession ceux qui portent envie aux autres, ceux
qui s'estiment malheureux et rejetés de Dieu, si
la moindre bise leur resserre un peu la peau !
Quel orgueil de ne vouloir pas se soumettre aux
dispositions de Dieu et de se révolter contre elles
témérairement, sans vouloir comprendre que l'af-
fliction, la pauvreté, les maladies, les persécutions
et même la mort, sont des sentiers choisis par la
Providence pour nous acheminer vers Dieu ! Oh !
qu'une telle Providence soit toujours bénie, louée,
adorée ! oui, je me soumets et m'abandonne à sa
conduite et j'accepte tous les moyens qu'il lui
plaira de m'imposer pour parvenir à ma fin bien-
heureuse.
I. T. I. epist. zo.
2o8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XXX^ MÉDITATION
DE LA PRÉDESTINATION
A LA GLOIRE
SOMMAIRE
Ce qu'est la prédestination à la gloire — ses
causes — principales différences des prédes-
tinés.
I
LA prédestination à la gloire est un décret
éternel en vertu duquel Dieu donne le para-
dis à ceux qu'il prévoit devoir, avec le secours des
grâces de Jésus-Christ, finir leur vie dans l'amour
de Dieu. Telle est la pensée du Docteur angé-
lique (i). Quelques-uns de ses disciples l'ont mal
comprise, et cela, faute de n'avoir pas distingué
ce qu'il dit dans ses écrits de la prédestination à
la gloire seulement, laquelle prédestination il
déclare avoir été faite d'après la prévision des
mérites acquis avec le secours de la grâce, et ce
qu'il dit de la prédestination à la grâce et à la
gloire à la fois, que Dieu a faite indépendamment
des mérites. Or, pour comprendre ce décret, un
des plus importants de ceux qui intéressent
l'homme, car il y va de son éternité, il faut deman-
I. Q, a), art. 5. et 3 p. q. x. art. ) ad 4.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 20^
der à Dieu de nouvelles lumières et savoir se
contenter d'une science imparfaite.
Représentez-vous donc un roi au sommet d'une
haute tour, d'où il découvre la campagne qui
s'étend à ses pieds. Il a averti les hommes qui s'y
trouvent, qu'ils ont en face d'eux deux chemins,
l'un bon, l'autre mauvais; il en voit qui, malgré
cet avertissement, prennent le mauvais chemin,
où une fin misérable les attend, à la suite de divers
accidents. Il en voit d'autres s'engager dans le bon
chemin, dans lequel ils avancent heureusement.
Voilà l'image de Dieu en ce qui concerne la pré-
destination. Il découvre de loin, du haut de sa
science infinie et de toute éternité, qu'un petit
nombre d'hommes suivra le chemin de la vertu et
que le plus grand nombre se précipiteront dans
le chemin du vice qui aboutit à la perdition,
quoique, après les avoir tous créés avec la liberté
de choisir entre la voie du vice et celle de la vertu,
il Ipur ait prodigué et ses avertissements et les
moyens de choisir le bon chemin. Dans cette pré-
vision qu'a Dieu de toute éternité, il prédestine
ceux qui doivent suivre le chemin de la vertu et
réprouve les autres qui doivent s'engager dans la
voie du vice. Ainsi, dit saint Hilaire (i), l'élection
dont certains sont l'objet, n'est pas le fait d'un
jugement arbitraire, mais c'est un acte de discer-
nement en faveur du mérite. Il a, dit saint Ful-
gence (2), prédestiné au supplice ceux qu'il a prévus
devoir s'éloigner de lui par la malice de leur
volonté, et il a prédestiné à régner avec lui ceux qu'il
I. In Psalm. 64.
3. L. I. ad Monim. c. 34.
Bail, t. i, j^
2IO LA THEOLOGIE AFFECTIVE
a prévus devoir revenir à lui avec le secours de sa
miséricorde justifiante. Il faut donc admettre que
la prédestination a été faite d'après la prévision
des bonnes œuvres, que les âmes doivent accom-
plir non pas avec leur liberté seule, (ce qui serait
admettre la science moyenne des anciens marseil-
lais que FEglise a condamnés) mais avec le secours
de la grâce de Jésus-Christ, c'est-à-dire avec leur
liberté aidée et fortifiée par cette grâce ; sans la
grâce, en effet, la liberté ne peut ni commencer,
ni achever l'œuvre du salut. C'est un point qu'il
importe de bien noter, pour ne pas tomber
dans l'erreur des Pélagiens, comme le dit saint
Augustin (i).
Quand Dieu décida d'accorder à tous les hom-
mes des grâces suffisantes, à tous ceux du moins
qui avaient l'usage de la raison et de la liberté, et
de leur ouvrir par là le chemin du ciel, son désir
ardent était de voir tous les hommes s'engager
dans ce chemin. S'il eût prévu de toute éternité
que tous durant leur vie s'y engageraient en effet,
il les eût tous prédestinés à la gloire. La prévision
qui est un acte de son intelligence est antérieure
au décret de sa volonté : il convient en effet à qui-
conque est sage de ne pas vouloir d'une manière
aveugle, selon cet enseignement du Sage : « que
« tes yeux précèdent tes pas ». (Prov. 41.) Dieu
considéra donc par sa science moyenne ce que
ferait chaque homme, si après la chute d'Adam et
en vertu des mérites de Jésus-Christ, il lui don-
nait des grâces et des moyens de salut suffisants.
Il vit alors que quelques-uns en feraient un bon
I. De Pradestin. sanctorum. loa.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 211
usage et il décréta leur bonheur, c'est-à-dire qu'ils
seraient semblables dans la gloire à Jésus-Christ,
à qui ils devaient ressembler dans leur vie, selon
cette parole de saint Paul : « Ceux que Dieu a
« prévus devoir vivre et mourir saintement^ il
« les a prédestinés pour être conformes dans
« la gloire à son Fils incarné et glorifié. »
(Rom. 8.)
« Q^ue dire après cela ? Si Dieu est pour nous y
« et porte en notre faveur un décret éternel, qui
« sera contre nous ? » (Rom. 8.) Admirons en
Dieu ces pensées et ces décrets éternels, qui ont
pour objet les créatures. « Q^ui a pénétré dans
« les desseins de Dieu ou qui a été son conseil-
« 1er » (Rom. 8), quand il a pris ces résolutions
dont dépend toute l'éternité et qui intéressent à
un si haut point tant de peuples ? Il n'eût pas
besoin de temps pour délibérer : en un instant et
à la lumière de sa science admirable, il eût irrévo-
cablement décrété de créer tous les Saints dont il
voyait distinctement les œuvres et les qualités,
dont il connaissait les noms et les prénoms. Ado-
rons en silence ces desseins si profonds, louons la
puissance de son esprit qui a prévu tant de choses
et les décrets portés par sa volonté sainte sur la
plus grave affaire qu'on puisse imaginer, avec une
sagesse et une prudence infinies. « O Seigneur^
« vous m'ave^ éprouvé, vous m'ave^ connu, vous
« ave^ connu mon repos et mon lever^ vous
« ave^ de loin pénétré mes pensées. » (Ps. i38.)
212 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
II
Considérez maintenant plus particulièrement les
causes de ce décret et les raisons pour lesquelles
Dieu prédestina les Saints à la gloire. La première,
dit le Docteur subtil (i), est l'amour que Dieu se
porte à lui-même et à son Essence admirable. Car
il aime son Essence avant toutes choses, comme
étant un objet souverainement aimable : et parce
qu'il s'aime lui-même conformément à l'ordre et
sans jalousie, il veut aussi être aimé par d'autres.
Or, prédestiner quelqu'un n'est pas autre chose
que lui souhaiter d'aimer Dieu pendant toute
l'éternité.
Aussi après l'amour que Dieu se porte à lui-
même, l'amour qu'il porte aux hommes est la
seconde cause de la prédestination : car elle est
l'effet de sa miséricorde et de son extrême bonté
pour les hommes. S'il prévoit que les hommes
doivent être dans un bon état au sortir de cette
vie, il sait que cet état n'est possible qu'avec l'aide
de la grâce dont il les a prévenus ; il sait aussi que
s'il les a prévenus de ses grâces, ce n'est que par
un effet de sa Providence surnaturelle qui l'a
déterminé à se faire leur guide et leur bienfaiteur
miséricordieux. L'origine de la prédestination à la
gloire est donc l'amour éternel de Dieu : c'est le
plus grand de tous les bienfaits, la plus signalée de
toutes les faveurs, celle par laquelle l'homme est
destiné à la fin la plus glorieuse qui existe.
La troisième raison de ce décret, ce sont les mé-
rites, les satisfactions surabondantes de Jésus-
I. Scotus, in j. Sent, dis t. ja.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 2l3
Christ, Fils de Dieu incarné, dont Dieu fait part à
Adam et à sa postérité, afin de les retirer de la
masse de perdition et de les remettre sur le che-
min du paradis. Ainsi Jésus-Christ est le chef des
prédestinés, puisque les autres prédestinés ne le
sont qu'à cause de lui.
De même que la miséricorde de Dieu étant la
raison de notre prédestination, Jésus-Christ ne
laisse pas de l'être aussi et que les mérites de
Jésus-Christ, ne font pas tort à la miséricorde de
Dieu ; ainsi Jésus-Christ, troisième raison de notre
prédestination, n'empêche pas que nous assignions
comme quatrième raison les actes de vertu et le
bon état des âmes au moment de la mort, com-
mencé et maintenu avec le secours de ses grâces.
Cette dernière raison ne dépréciera ni les grâces
ni les mérites du Sauveur dont ces actes de vertu
sont le fruit excellent : un tel fruit ne saurait
déprécier l'arbre qui l'a produit. Dieu au Jour du
jugement donnera la gloire comme récompense
des œuvres de miséricorde et de toutes les autres
bonnes actions. Or ce que Dieu fait dans le temps
pour quelque raison, il a eu de toute éternité l'in-
tention de le faire pour la même raison. Dieu
donc qui exécute toujours les choses telles qu'il les
a conçues, a voulu de toute éternité sauver les
âmes à cause de leur vie sainte. De même qu'il
a réprouvé éternellement certaines âmes après
avoir prévu leurs mauvaises actions, ainsi il en a
prédestiné d'autres après avoir prévu leurs bonnes
œuvres. C'est ce qu'on peut conclure des termes
mêmes de l'arrêt suprême : « Vene^, les bénis de
« mon Père^ posséder Je royaume qui vous a été
214 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« préparé dès le commencement du monde; car
« fat eu faim et vous m'ave:^ donné à manger. »
Jésus-Christ dira aux méchants : « Retirez-vous
« loin de moi, maudits, car fat eu faim et vous
« ne m'ave^ pas donné à manger. •» (Matt. 25.)
Cet arrêt revêt une forme douce et suave, car il ne
permet pas aux réprouvés qui n'auront fait aucun
bien, d'accuser Dieu de favoritisme à l'égard des
prédestinés, puisqu'il ne récompense ceux-ci que
pour leurs services et leur coopération à la grâce
à laquelle eux ont résisté.
On objectera peut-être que la tin est la pre-
mière chose que l'esprit considère et que Dieu
par conséquent a du décréter le salut des prédesti-
nés avant d'avoir considéré leurs œuvres qui ne
sont que les moyens d'y parvenir. Mais cet axiome
n'est vrai que dans le cas où il s'agit de sa propre
fin. Or la gloire des Saints n'est pas la fin de Dieu
mais un moyen pour la procurer ; l'objection ne
doit donc pas nous arrêter.
« Q^ue dirons nous donc après cela ? Si Dieu
« est pour nous, qui sera contre nous ? »
(Rom. 8.) O Dieu éternel, aimez-vous toujours
vous-même ! Oh ! qu'il doit m'être cher et pré-
cieux l'amour que vous portez à votre Essence
infinie ! Oh ! qu'elle soit à jamais bénie votre mi-
séricorde qui est pour moi la source de tout bien !
Et vous, très-noble Jésus, je vous révère et vous
adore comme le chef des prédestinés. Je tâche-
rai aussi de pratiquer le conseil que nous donne
saint Pierre par ces paroles : « Efforcez-vous
« d'affermir votre vocation et votre élection
« par vos bonnes œuvres. » (ii Pet. i).
DES ATTRIBUTS DE DIEU 2l5
Oui, je m'efforcerai, autant que je pourrai de
résister au vice, de m'adonner aux saintes œuvres,
de bien vivre pour bien mourir, dans l'espoir
d'être inscrit à cette condition sur le livre des en-
fants de Dieu : c'est en effet une grande consola-
tion d'être convaincu qu'il n'est pas plus difficile
d'être prédestiné que de vivre et de mourir sain-
tement. Courage donc, âmes immortelles, conso-
lez vos ennuis, modérez vos craintes, votre bon-
heur éternel dépend de Dieu et de vous, et nulle-
ment d'un destin fatal et aveugle. Louez donc à
jamais la conduite de Dieu dans la prédestination.
III
Considérez les différences qu'il y a entre les
prédestinés : nous en distinguons trois principales
en ce qui concerne les hommes.
Premièrement, il y en a qui sont prédestinés
uniquement par la miséricorde de Dieu et par les
mérites de Jésus-Christ, sans aucune coopération
de leur part à la grâce : tels sont les enfants qui
ont reçu le sacrement qui efface le péché originel
et qui sont morts aussitôt après. Ils avaient été
souillés et perdus par la faute d'un autre, par le
péché d'Adam : ils recouvrent la grâce par les mé-
rites d'un autre, de Jésus-Christ, qui est le nouvel
Adam, et au nom de qui, ils sont prédestinés.
Secondement, il y en a d'autres qui, arrivés à
l'âge de raison, aidés par la miséricorde de Dieu,
et par les mérites de Jésus-Christ, travaillent à
leur salut, correspondent aux inspirations divines,
croissent en grâce et en vertu. Mais leur sanctifi-
cation s'accomplit par les voies communes, il n'y
2l6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
a rien de particulier ni de remarquable dans leur
conversion ou dans leur genre de sainteté. Ceux-là
sont du commun des prédestinés et constituent la
seconde différence.
Voici la troisième : c'est celle des prédestinés
insignes que Dieu a favorisés de grâces spéciales
excellentes et rares, dans le but de les convertir
infailliblement : tels furent Marie-Madeleine, le
bon larron, saint Matthieu, saint Paul, ceux aussi
qu'on vit sur les théâtres imiter par moquerie les
cérémonies chrétiennes et qui, tout d'un coup,
embrassaient le christianisme qu'ils avaient eu
l'intention de ridiculiser ; de ce nombre furent
saint Genès, Dioscore, Ardéléon, Théophile. Cette
troisième classe de prédestinés comprend en un
mot, tous ceux qui, contrairement à toutes les
apparences et à toute prévision humaine, ont été
touchés par un miracle de la grâce et amenés ainsi
à la piété. Quelquefois ces grâces leur sont don-
nées dans le but de les élever à une vie parfaite et
d'une très rare vertu, comme celle de tant de
Saints et de Saintes qui ont paru dans le monde.
« Q^ue dire après cela ? Si Dieu est pour
« nous, qui sera contre nous ? O mystérieuses
« richesses de la sagesse et de la science de
« Dieu 1 » (Rom. S, ii.) Admirez cette variété :
comme une étoile difl'èrc d'une autre par sa clarté,
comme un diamant diffère d'un autre au point de
vue de la valeur, ainsi en est-il de la prédestination
éternelle. Grâce à elle, les petits enfants ravissent
le ciel, ceux qui n'ont qu'une sainteté commune y
vont en grand nombre, afin, ô mon Dieu, qu'au-
cun de ceux qui croient et espèrent en vous, ne se
DES ATTRIBUTS DE DIEU 217
décourage à la vue de ses imperfections et ne
désespère d'être du nombre de vos enfants. Enfin
ceux-là même qui ont été plus rebelles à vos
attraits y parviennent entraînés par des grâces
plus puissantes et quelquefois deviennent d'in-
signes prédestinés et d'illustres Saints. O Dieu
très bon, qu'on vous loue et qu'on vous bénisse
éternellement, pour ces âmes bienheureuses ! Que
tous les bons aient confiance en vous, que per-
sonne ne désespère, s'il a la volonté de vous
plaire, puisque vos amis sont si nombreux.
XXXr MÉDITATION
DE LA RÉPROBATION
DES PÉCHEURS OBSTINÉS
SOMMAIRE
Ce qu'est la réprobation. — Dieu ne réprouve
pas pour le seul péché originel, mais à cause
de V endurcissement dans le péché. — Pour-
quoi Dieu a-t-tl créé les réprouvés ?
I
LA réprobation est un décret éternel en vertu
duquel Dieu exclut de la gloire du paradis
ceux qu'il prévoit devoir mourir en état de péché
et dépouillés de la grâce. Pour comprendre cet
2l8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
horrible et épouvantable décret, il ne faut point
s'imaginer que Dieu Tait "porté arbitrairement et
sans autre raison que le désir de voir des âmes et
des corps torturés par le feu. Parler de la sorte,
c'est blasphémer la bonté de Dieu : ce n'est pas
exalter sa volonté, mais plutôt l'abaisser et la
déshonorer souverainement, car c'est la faire tyran-
nique, injuste et déraisonnable. Dieu donc ne
porta cet arrêt que d'après les prévisions de sa
science, comme d'ailleurs pour la prédestination.
Par la science moyenne qui est un des privilèges
de son intelligence infinie, il sut que, s'il créait le
monde, tel qu'il l'a créé en réalité, que si, exerçant
sur les hommes après la chute d'Adam une provi-
dence surnaturelle, il leur fournissait les secours
et les grâces suffisantes pour sortir du péché et
s'acheminer vers le ciel, un certain nombre profi-
terait heureusement de ces grâces et aussi que
d'autres en abuseraient outrageusement et mour-
raient finalement dans leur péché, sans en avoir
fait pénitence. Cette science lui fournit les consi-
dérants pour rédiger de toute éternité la minute
d'un arrêt de mort éternelle et de condamnation
aux supplices de l'enfer, qui frapperait les réprou-
vés dans le cas où il les appellerait à la vie. En
effet, au même instant (car nous sommes bien
forcés d'employer notre langage humain si inexact
quand on l'applique à Dieu) ; au même instant où
cette science moyenne lui faisait connaître leur
malice dans le cas où il les créerait, il décrétait de
les créer en effet et voyait par sa science de vision
leur malice comme un fait réel. En conséquence
de cette vue, il décrétait de leur infliger une mort
DES ATTRIBUTS DE DIEU 219
éternelle, après qu'ils auraient vécu dans le péché,
conformément à ses prévisions. La réprobation
des méchants n'est autre chose que cet arrêt de
mort porté contre eux à la suite de cette prévision.
Et en vérité, puisque Didu avait éternellement
devant les yeux ce spectacle de la bonté des uns et
de la malice des autres, tous cependant également
dirigés et chéris par sa Providence surnaturelle, où
eût été sa sagesse, sa prudence et sa justice, s'il
eût choisi des traîtres, des hommes pervers et obs-
tinés dans la révolte jusqu'à la mort, pour les cou-
ronner de sa gloire, dont il les voyait absolument
indignes ? Celui qui peut choisir ne prend-il pas ce
qu'il y a de meilleur et ne rejette-t-il pas ce qui est
infect et gâté ? Dieu rejeta donc par un acte de sa
volonté ceux qu'il prévoyait devoir être à la mort
dans l'infection et la pourriture du péché et devoir
repousser le remède qu'il leur offrait. Voilà ce
qu'est la réprobation. Dieu, dit saint Prosper (i),
ne les a pas prédestinés, parce qu'il a prévu qu'ils
devaient pécher : mais il les aurait prédestinés,
s'ils eussent du revenir à la vérité et à la sainteté et
y persévérer.
Qui donc ne vous craindra, o Roi des siècles !
o roi de justice, qui ne vous redoutera ? Mais
aussi qui ne vous admirera ? Vous qui n'êtes que
douceur et miséricorde, vous dont la nature est
d'être bon, après avoir prévu le péché des millions
de siècles à l'avance, vous décrétez la damnation
des âmes qui en seront souillées au moment de
leur mort. Oh ! que le péché est horrible, puisque
de Père il vous change en Juge inexorable !
I. In Reip. ad object. Vincent. la.
220 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Hélas ! o mon vrai Dieu, qu'en sera-t-il de moi qui
veux soupirer après vous et obéir à votre volonté ?
Dieu tout suave et tout amour, vous êtes-vous
déterminé à m'éloigner de vous ? Ah ! Seigneur,
ne le faites pas et ne me traitez pas comme votre
ennemi ! Je me soumettrai à vos lois, je vous
aimerai jusqu'à mon dernier soupir pendant cette
courte vie et aussi durant toute réternité.
II
Dieu voyant après le péché d'Adam tous les
hommes compris dans une même masse de perdi-
tion ne se détermina pas même alors uniquement
d'après son bon plaisir et indépendamment de la
prévision des oeuvres, à béatifier les uns et à
réprouver les autres, comme il aurait eu le droit
de le faire, de l'avis de saint Paul : « D'une
« même masse d'argile^ le potier ne peut-il pas
« faire un vase d'honneur ou un vase d'igno-
« minie ? » (Rom g). Même après le péché
d'Adam, Dieu considéra la fin de leur vie et
réprouva ceux qu'il prévoyait devoir être en mau-
vais état à cet instant suprême. Saint Paul dit qu'il
« a supporté les vases de colère avec une grande
« patience^ » (Rom 9), qu'il a eu égard à la fin de
leur vie pour décréter leur mort éternelle. La
raison, c'est que Dieu se comporte dans la ques-
tion de la réprobation, comme un juge plein de
justice : il ne porte son arrêt qu'après s'être en
quelque sorte informé sur la vie tout entière du
pécheur. Un juge serait blâmable, si, ayant à juger
un criminel sur qui pèseraient plusieurs accu-
sations, il le condamnait pour quelques fautes de
DES ATTRIBUTS DE DIEU 221
son enfance et non pour les plus grands crimes de
sa vie. Or le péché originel est le péché le plus
excusable chez les hommes qui ne l'ont pas
contracté par leur propre malice. Il serait donc
absurde de croire que Dieu aurait basé là-dessus
sa sentence de réprobation contre certaines âmes
qu'il voyait souillées d'autres crimes, ceux-là
énormes.
De plus s'il n'eût considéré que la masse de
perdition, comme toutes les âmes s'y trouvaient
également comprises, et comme il est tout aussi
glorieux pour Dieu de manifester sa miséricorde
que sa justice. Dieu aurait dû faire un plus grand
nombre de prédestinés que de réprouvés : l'Ecri-
ture loue sa miséricorde parce qu'elle dépasse
toutes les autres œuvres divines. Cependant il est
certain que Dieu en a réprouvé un plus grand
nombre. Il Va donc fait pour une raison autre que
le péché originel.
Ajoutons encore ceci (i) : Est-il admissible que
les hommes qui ne tiennent d'Adam que le corps
et qui ont reçu leur âme directement de Dieu,
soient plutôt réprouvés à cause de ce qui leur vient
de l'homme, que prédestinés en considération de
ce qu'ils ont reçu de Dieu ? Combien n'est-il pas
plus raisonnable que l'œuvre de Dieu ne périsse
pas à cause de l'œuvre de l'homme, c'est-à-dire
que l'âme ne périsse pas à cause du corps et que
l'œuvre de l'homme soit rachetée à cause de l'œu-
vre de Dieu, c'est-à-dire, que le corps soit sauvé
en faveur de l'âme.
Disons aussi que Dieu n'a pas pu réprouver les
I. Catharinus, in e, 9, Epiit. ad Rom.
222 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
âmes pour un péché qui leur a été pardonné et il
n'a pas pu les abandonner dans la masse de perdi-
tion, après les en avoir retirées. Or, plusieurs âmes
qui sont réprouvées ont obtenu la rémission du
péché originel par le baptême.
Voilà ce qu'il importait de bien établir à cause
des conséquences très dangereuses qu'entraîne la
doctrine de la réprobation absolue et à cause des
troubles qu'elle a suscités dans certaines églises.
Nous en avons vu s'abandonner au vice, en pré-
tendant que Dieu les a ou prédestinés ou réprou-
vés, sans avoir égard à la vie qu'ils mèneraient et
que par conséquent la question de leur bonheur
ou de leur malheur éternel est décidée sans eux
et quoi qu'ils fassent.
Il vaut mieux méditer avec le Docteur séraphi-
que sur trois choses importantes concernant la
réprobation : ce sont la haine éternelle de Dieu
contre les réprouvés, leur endurcissement dans le
temps et leur damnation éternelle. La haine éter-
nelle de Dieu est la réprobation intérieure de
Dieu, qui par un acte de sa volonté rejette les mé-
chants ; la damnation éternelle est la réprobation
qu'il en fera extérieurement au jugement particu-
lier et au jugement général. Alors il les rejettera
loin de sa présence et de l'assemblée des élus,
dont il les séparera. Ce sera la conséquence de la
réprobation qu'il avait prononcée en lui-même de
toute éternité.
Si la haine éternelle de Dieu et la damnation
éternelle sont si graves, l'endurcissement du
pécheur ne l'est pas moins, car il est la raison de
ces deux choses : Dieu, en effet, n'a haï de toute
DES ATTRIBUTS DE DIEU 223
éternité les réprouvés que parce qu'il a prévu leur
endurcissement et c'est pour ce même motif encore
qu'il les damne éternellement. Ainsi la dureté du
cœur humain et son obstination dans l'impénitence
donne lieu à une double réprobation, l'une inté-
rieure et dans l'intention, l'autre extérieure et dans
l'exécution. Des milliers de crimes, des milliers de
profanations des choses saintes, si tout cela n'est pas
accompagné de l'obstination et de l'impénitence, a
plus forte raison le péché originel déjà remis ne
sont pas aux yeux de Dieu des motifs suffisants
pour réprouver une àme. Mais un seul péché mortel
sans amendement et sans pénitence donne à Dieu
le droit de haïr une âme et de la damner éternelle-
ment. En fin de compte, Dieu ne traitera sévère-
ment que le cœur endurci et impénitent, qui se
moque des plus sages remontrances, qui étouffe
les inspirations intérieures de la grâce et qui tient
bon dans le mal, soit quand la mort le saisit inopi-
nément, soit quand il l'a attendue, inébranlable
dans son obstination. De là vient que parmi les
réprouvés il s'en trouve qui ont commis durant
leur vie moins de crimes que certains prédestinés :
toute la différence est venue de ce que ceux-ci
n'ont pas repoussé les remèdes et se sont laissé
gagner par les attraits de la pénitence, qui a effacé
leurs péchés avant la mort, tandis que les réprou-
vés, bien que souillés de péchés moins nombreux,
se sont endurcis dans ces fautes jusqu'à la mort.
Aussi feront-ils l'expérience de cette vérité qu'ex-
prime le Sage : « Le cœur endurci sera traité
« durement à la fin. » (Eccl. 3.)
Aussi nous n'admettrons pas cette opinion qui
224 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
scandalise les âmes et les jette dans tous les
désordres ; je parle de l'opinion qui soutient que
Dieu aurait réprouvé des hommes ayant l'usage de
la raison, uniquement à cause du péché originel,
même après qu'il l'a pardonné à un grand nombre
par le baptême ou par tout autre moyen. Impri-
mons au contraire dans notre esprit cette vérité,
que Dieu a réprouvé des âmes ayant l'usage de la
raison, à cause de leur obstination dans le mal,
laquelle avait été prévue de toute éternité aussi
clairement qu'elle était présente à l'intelligence
divine dans le temps.
Maudissons donc, o mon âme, la dureté de
cœur, l'opiniâtreté et l'impénitence. O cruelle
dureté ! je t'abhorre plus que tous les monstres les
plus effroyables de la terre. Irréligieuse impéni-
tence, je te déteste plus que tous les démons de
l'enfer. Opiniâtreté coupable, mère maudite de
toute réprobation, sois à jamais en horreur, en
exécration, en abomination à tous les esprits du
monde ! Maudits soient les imitateurs de Pha-
raon et de tous les coeurs humains impénitents
et durs jusqu'à la mort ! Ah ! mon Dieu, mon
Seigneur, amollissez donc mon cœur, qu'il fonde,
qu'il se liquéfie sous les chauds effluves de votre
amour et qu'une telle malédiction ne tombe pas
sur moi ! Et aussi. Seigneur, ayez pitié de cer-
taines âmes qui vivent d'une manière misérable,
sans pénitence et dans l'état de résistance conti-
nuelle aux appels de votre grâce ! ayez pitié
notamment d'un ca'ur en faveur duquel je vous
prie actuellement !
DES ATTRIBUTS DE DIEU 225
III
Considérez pourquoi Dieu a mis au monde des
réprouvés. Cette difficulté scandalise plusieurs
hommes spirituels qui ne peuvent admettre que
Dieu ait fait naître des créatures raisonnables,
alors qu'il savait bien qu'elles s'obstineraient
dans le péché et brûleraient éternellement. Pour-
quoi ne se dispensait-il pas de faire sortir du
néant des créatures qui devaient être de tout point
malheureuses ?
Chose étrange ! on trouve mauvais que Dieu
donne la vie à des ennemis, pour avoir l'occasion
de faire en leur faveur des actes d'ineffable misé-
ricorde, dont il ne tiendrait qu'à eux de profi-
ter, et on trouve beau que dans un duel le plus
fort fasse grâce de la vie au plus faible, quoiqu'il
soit son ennemi mortel. Certes c'est un acte de
bonté admirable que Dieu ait daigné appeler à la
vie les réprouvés qui sont ses ennemis et leur con-
férer comme aux prédestinés, les grâces suffisantes,
Loin de l'accuser, on devrait le louer pour une
telle bonté.
Ajoutez à cela que les réprouvés ont quelque
utilité dans ce monde, soit parce qu'ils éprou-
vent les justes, soit parce qu'ils consacrent leur
activité aux choses terrestres et augmentent par
divers travaux la richesse du monde.
N'oubliez pas aussi que très-probablement il
vaut mieux pour les réprouvés exister, même dans
les tourments, que de ne pas exister du tout. Quel
motif auront-ils alors de se plaindre de Dieu, s'ils
sont en enfer par leur propre faute ? Ils doivent
plutôt dire : « Si nous ne sommes, pas consumés
Bail, t. i. x>
226 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« et anéantis, c'est à la miséricorde de Dieu
« que nous le devons. (Thren. 3). Telle est Topi-
nion d'illustres Docteurs, notamment de saint
Augustin (i) dont voici le raisonnement: celui qui
existe, quoique en proie aux tourments de l'enfer,
est plus près de Dieu que celui qui n'a pas l'être,
parce que la chose la plus éloignée de Dieu qu'il
nous soit possible de concevoir, c'est le néant.
Sans doute la Vérité a dit de Judas : « il eût
« mieux valu qu'il ne fut jamais né. » (Matt. 26).
Mais elle s'est simplement exprimée conformé-
ment à ce que croyait Judas et un grand nombre
de damnés qui souhaitent le néant, comme étant
préférable à une telle vie : les forçats eux aussi
souhaitent parfois la mort qui est cependant un
plus grand mal que leurs chaînes et leurs galères.
Au reste, si les réprouvés sont déchus de la fin
particulière qui est le paradis, fin pour laquelle
Dieu les avait créés et les avait munis de forces
suffisantes, ils ne sont pas déchus de la fin géné-
rale de toutes les créatures qui consiste dans la
gloire de Dieu et dans la manifestation de ses
perfections. A leur occasion. Dieu a d'abord
montré sa patience ; il manifeste maintenant sa
justice contre eux. Par l'opposition de leur
misère, il fait resplendir davantage la gloire de
ses élus : ainsi la beauté brille davantage à côté
de la douleur, et le contraire par l'opposition de
son contraire. Dieu est même indirectement glo-
rifié par ce seul fait que des millions de créatures
sont en proie à la rage et au désespoir pour ne
pas ravoir servi et pour avoir été exclues de la
I. Dt Ub. ar. 1. i. cap. 7.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 227
jouissance de ses beautés si grandes que leur mé-
pris mérite un enfer éternel.
Enfin aucune des actions de Dieu concernant
les réprouvés, ne saurait être blâmée. C'est
d'abord par un effet de son inconcevable miséri-
corde qu'il les a tirés du néant et appelés à la vie,
et c'est un acte de bonté plus inconcevable encore
d'avoir envoyé son Fils au monde, pour dépenser
son sang et sa vie entière à leur procurer des
grâces et des moyens de salut. Si finalement, il
les a damnés, après qu'ils ont eu abusé de ses
dons et se sont montrés réfractaires à sa volonté,
il n'a fait en cela qu'accomplir le devoir d'un juge
équitable à qui incombe la charge de punir les
malfaiteurs : ceux-ci ont grandement raison de
s'accuser eux-mêmes et non le juge qui est moins
la cause de leur supplice, que leur malice person-
nelle. Mais si chaque action de Dieu à l'égard des
réprouvés prise et examinée séparément ne mérite
aucun blâme, pourquoi prises dans leur ensemble,
seraient-elles blâmables ? Les biens augmentent
par leur union et il ne peut résulter de cette
union qu'un surcroît de bonté.
Enfin il en est de Dieu, dit saint Cyrille (i),
comme d'un agriculteur très-expert dans son art,
qui sème dans son jardin des plantes de bonne
espèce et met un soin jaloux à les bien faire venir;
peut-on le blâmer si quelqu'une vient à périr ?
Dieu ressemble encore, dit André de Césarée (2)
à un roi qui ne laisse pas d'ouvrir le tournoi à
tout le monde, soit pour la lutte, soit pour la
I. In Gen. 1. i.
3. In. Apoc, c. 50.
228 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
course ou pour tout autre sorte de combat, bien
qu'il sache d'avance qu'un seul doit remporter le
prix. Or, ce qu'est l'ouverture d'un tournoi aux
lutteurs et aux combattants, l'entrée de la vie l'est
aux hommes ; en effet, il n'est pas en notre pou-
voir de naître ou de ne pas naître, mais ce qui est
en notre pouvoir, c'est de combattre généreuse-
ment, de vaincre les démons et de remporter,
comme prix de la victoire, les biens éternels.
D'autre part, il est impossible que ceux qui auront
succombé sous les efforts du démon, ne soient pas
assaillis d'une grande tristesse et d'une grande
désolation. Il ne faut donc pas accuser Dieu
d'avoir donné la vie aux prédestinés et aux réprou-
vés, puisque nul n'a le droit de blâmer ce roi qui
admet tant de personnes dans la lice, bien qu'il
n'y ait qu'un seul vainqueur de couronné.
Vous donnez donc, o mon Dieu, une grande
preuve de bonté dans la création des réprouvés et
une grande preuve de justice dans l'exécution de
votre décret. Bénie soit votre miséricorde pour
toutes les grâces, toutes les exhortations et toutes
les célestes influences que vous avez versées dans
leurs âmes afin de les attirer à leur devoir. Louée
soit aussi votre justice qui sait bien venger votre
bonté et exiger les satisfactions dues à votre gran-
deur pour les outrages qu'elle a reçus. « Vous êtes
juste, Seigneur^ et votre jugement est droit. »
(Ps. II 8.) Ce sont donc des misérables ceux qui
ont l'audace de murmurer contre vous. « Eh quoi!
« le pot de terre dit-il au potier : Pourquoi
« nï" as-tu ainsi fabriqué} » (Rom. 9.) Combien
moins le pécheur a-t-il le droit de vous parler
DES ATTRIBUTS DE DIEU 229
ainsi, lui que vous avez attendu et supporté avec
beaucoup de patience, alors que dès son premier
péché vous pouviez le perdre sans ressource ! En
conséquence tout ce que vous avez décrété à mon
sujet est juste et je ne vous en blâmerai jamais
durant toute l'éternité. Et si vous savez. Seigneur,
que je doive être à la fin du monde au nombre de
vos ennemis, Dien que je garde une tout autre
espérance, si dès maintenant vous prévoyez que
je serai de ceux qui blasphémeront votre Provi-
dence, hélas ! ô mon très bon Créateur, je déclare
d'ores et déjà à la face du ciel et de la terre,
que je désavoue de tels blasphèmes et cette
fureur maudite et insensée. Ne l'imputez donc pas
à une pauvre créature qui, dans la plénitude de
sa volonté, se prosterne et se soumet à toutes vos
dispositions, et confesse qu'elles sont très justes
et très adorables dans tout événement et pour
toute l'éternité.
23o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XXXir MÉDITATION
DU LIVRE DE VIE
ET DU LIVRE DE MORT
SOMMAIRE
Le livre de vie est la connaissance qu'a Dieu des
prédestinés. — Le livre de mort est la con-
naissance qu'a Dieu des réprouvés. — Cette
connaissance infaillible ne doit cependant
décourager personne,
I
DE même que les princes les plus sages, amis
de l'ordre, ont un livre secret, où s'écrit
tout ce qui se passe de plus important dans leur
royaume, comme l'histoire le rapporte d'Auguste
et de bien d'autres, ainsi Dieu dont la sagesse
dépasse celle de tous les grands politiques et de
tous les chefs de république, tient un livre secret,
un livre d'Etat, appelé par l'Ecriture sainte livre
de vie ou livre des vivants. Sur ce livre se trou-
vent les noms des prédestinés, qui jouissent ou
doivent jouir de la gloire du paradis : car dit
saint Jean, « nul n'y entrera^ s'il n'est inscrit
« dans le livre de vie de T Agneau ». (Apoc. 21.)
Ce livre est écrit à l'intérieur et à l'extérieur et
n'est autre chose que la science et la mémoire de
Dieu, où sont gravés les noms de ceux qui sont
DES ATTRIBUTS DE DIEU 23l
prédestinés. Car de même que lorsqu'on met une
chose par écrit, c'est un signe qu'on a l'intention
de la faire, ainsi la connaissance qu'a Dieu des
élus est pour lui comme le signe infaillible qu'ils
arriveront à la vie éternelle.
Quel ordre admirable dans ce livre ! Combien
nombreux ceux qui y sont inscrits ! A l'intérieur
du livre, à la première page et au frontispice on
lit le nom de Jésus-Christ, le chef des prédestinés,
le premier par rang de dignité, Celui par qui
tous les autres ont été inscrits dans ce livre, selon
leur mérite et leur qualité. Après ce nom vient
celui d'une Vierge incomparable au point de vue
de la grandeur et des mérites. Après elle viennent
les principaux Séraphins, les plus grands Saints et
les plus grandes Saintes, qui pour avoir coopéré
plus énergiquement à de plus grandes grâces,
sont qualifiés d'insignes prédestinés. Après eux
se déroule une série interminable de noms d'anges,
d'hommes et de femmes de toute nation inscrits
chacun à sa place, selon la parole de David ; « ses
« yeux ont vu mes défauts, et tous seront écrits
« dans votre livre » (Ps. i38). A la fin se trouve
le catalogue des petits enfants qui ont été délivrés
du péché originel par le baptême ou par qucl-
qu'autre moyen e^ qui prédestinés uniquement
en vertu des mérites de Jésus-Christ, n'ont pas
souillé leur robe d'innocence au milieu de ce
monde corrompu, d'où la mort les retira avant
que la malice eût dépravé leur âme (i).
Ce livre n'est pas écrit seulement intérieure-
ment, extérieurement on y lit les noms de plusieurs
l. Sixt. Scn. Bihloth. sanct. 1. a, lit, m. et v.
232 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
réprouvés qui durant cette vie sont quelquefois
dans un bon état de conscience, font pénitence et
mènent une vie sainte. Pour le moment ils sont
donc dans la voie droite qui mène à la vie glo-
rieuse, mais comme la persévérance leur fait défaut,
qu'ils retombent dans leurs péchés et y meurent,
ils sont définitivement effacés de ce livre mysté-
rieux, selon la parole de David : « Quiîs soient
« effacés du livre des vivants et que leur nom
« ne soit pas inscrit à côté de celui des justes. »
(Ps. 68).
« O Dieu! vos amis ont été honorés jusqu'à
« Vexcès^ et vous ave\ établi puissamment leur
« domination. » (Ps. 148). J'admirerai ce livre de
vie plus que tous les livres du monde et j'estime-
rai mille et mille fois heureux ceux qui sont
inscrits intérieurement. O heureux prédestinés !
« réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits
« dans les deux ! y) {Luc 10). Ah! si l'on vous
connaissait d'une manière certaine, tout vils que
vous paraissiez quelquefois ici-bas, vous mériteriez
qu'on baise la terre qui a eu l'honneur d'être
foulée par vos pieds. Elle n'est rien la dignité des
enfants de ce siècle, qui se croient cependant si
grands : ce n'est que poussière et néant en face
des enfants de bénédiction. Vous donc, enfants de
bénédiction, louez Jésus et rendez-lui grâces, de
vous avoir accordé ce bonheur. O glorieuse armée à
la tête de laquelle nous voyons un chef si noble et
si triomphant ! Oh! que je voudrais que mon nom
fut inséré dans cette liste ! Il est vrai que je suis
pécheur, ma vie est souillée à vos yeux, je n'ai
plus de confiance que dans votre parole : i<. Vous ne
DES ATTRIBUTS DE DIEU 233
« mépriser 67^ pas un cœur contrit et humilié. »
(Ps. 5o). Je pleurerai amèrement mes fautes et
avant de mourir je verserai des larmes si abon-
dantes qu'elles effaceront mes péchés. J'ai des
efforts à faire, car mon cœur est de pierre. O mon
Créateur, n'exaucez de moi que cette prière :
accordez moi de fondre en regrets et en larmes et
puis faites de moi tout ce que vous voudrez.
II
Comme il y a un livre de vie, qui n'est autre
chose que la connaissance qu'a Dieu des prédesti-
nés, il y a aussi un livre de mort, qui n'est autre
que la connaissance qu'a Dieu des réprouvés. Saint
Basile (i) et saint Grégoire (2) de Nazianze nous
l'affirment : ils disent que nous pouvons appeler
livre de mort, la connaissance qu'a Dieu des
réprouvés, de la même manière que nous appelons
livre de vie, la connaissance qu'il a des prédes-
tinés, parce que Dieu connaît le nombre des
réprouvés aussi bien que celui des grains de sable
de la mer. C'est un livre de mort, parce que ceux
qui sont inscrits dans l'intérieur de ce livre, iront
à la mort éternelle. C'est un livre de répudiation,
parce que ceux qui y seront inscrits, seront répu-
diés par l'Epoux céleste et ne trouveront leur
place qu'au milieu des flammes et des horreurs de
l'enfer.
Le premier dont le nom se lit dans ce livre, est
Lucifer, le chef des réprouvés. Après lui, vient
l'Antéchrist, l'homme le plus impie et le plus
X. /a Cap, 4 Isaiae.
a. Oratio 9.
234 LA. THÉOLOGIE AFFECTIVE
abominable de la terre. Après eux vient la liste
des plus exécrables réprouvés, soit parmi les
anges, soit parmi les hommes ; on y voit Gain,
Pharaon, Juda, Pilate, les hérésiarques, les dé-
testables blasphémateurs du nom de Dieu, les
apostats, les hommes coupables des plus grands
crimes et dont le nombre est très grand. Mais elle
est bien plus grande encore la masse de ceux qui
subissent une réprobation ordinaire, méritée par
cinq ou six péchés mortels, par trois, par deux et
même par un seul. A la fin du livre on lit les noms
des petits enfants morts dans le sein de leur
mère ou qui, ayant vu le jour, sont morts avant
d'avoir reçu le remède du péché originel. Eux
aussi sont réprouvés, c'est-à-dire qu'ils sont privés
de la vue de Dieu à cause du péché d'Adam, le
premier homme. Voilà tous ceux qui sont inscrits
dans l'intérieur de ce livre et qui n'en seront
jamais effacés.
Mais ce livre mystérieux porte à l'extérieur
d'autres noms qui sont effacés tous les jours : ce
sont ceux des prédestinés qui ont été pendant
quelque temps en état de péché mortel et dans la
voie de la damnation; mais comme ils ont reconnu
leur mauvais état et fait pénitence et finalement
sont morts dans l'amour de Dieu, ils sont effacés
de ce livre : tels furent saint Paul, sainte Marie-
Madeleine, saint Augustin et tant d'autres qui
sont revenus à Dieu et qui ont fait pénitence.
Je demeurerai frappé en ouvrant ce livre d'y lire
les noms d'un aussi grand nombre d'hommes
appartenant à tous les états et à toutes les condi-
tions et qui sont damnés.^ Mon cœur sera-t-il
DES ATTRIBUTS DE DIEU 235
insensible au point de ne pas être ému à la vue
de tant de personnes qui paraissent sur la terre si
aimables et si polies ? O créatures infortunées,
à quelles affreuses suggestions vous avez prêté
l'oreille, quand vous vous êtes livrées au péché !
Quelle soit maudite votre impureté, votre ambi-
tion, votre avarice ! maudite votre iniquité qui a
fait transcrire votre nom dans ce livre de mort!
Mais c'est surtout l'intérieur du livre qui me fait
trembler : « Voye^, mon Dieu, si je suis dans la
« voie de Viniquité et conduisez-moi dans la
« voie de votre éternité. » (Ps. i38.)
III
L'existence de ces deux livres ne doit scandali-
ser personne, c'est-à-dire ne doit décourager per-
sonne de bien faire, bien que Dieu ait définitive-
ment arrêté le nombre des prédestinés avec leur
degré de gloire comme aussi celui des réprouvés
avec les degrés de leurs peines. Dieu est sembla-
ble à un homme placé au sommet d'une tour : à
ses pieds il voit ceux qui s'engagent dans le mau-
vais chemin, où il sait d'une manière certaine qu'ils
périront, mais en les voyant il ne leur ôte en rien
la liberté d'en sortir et de se mettre dans le bon
chemin : au contraire il les excite à le faire.
Voici ce que disent ceux qui se scandalisent au
sujet de ce livre de mort : ou bien je suis inscrit
dans le livre de vie, et dès lors, quoique je fasse, je
serai sauvé; ou bien dans le livre de mort, et dans
ce cas j'ai beau faire, je serai damné : la question
est tranchée, quelle que soit la vie que je mène.
Ceux qui parlent ainsi doivent considérer pre-
236 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
mièrement que Dieu doit être servi parce qu'il y
a droit à cause de sa grandeur et de sa bonté in-
finie et non pas seulement à cause du paradis que
nous espérons et de l'enfer que nous redoutons.
Dieu étant toujours le même, soit qu'il nous ait
prédestinés, soit qu'il nous ait réprouvés, nous ne
devons pas laisser de bien vivre et de le servir
avec tout le respect qui est dû à un être infini-
ment adorable et infiniment bon.
Ils doivent considérer en second lieu qu'ils font
une supposition fausse, en disant que, quoi qu'ils
fassent, de quelque manière qu'ils vivent, Dieu
sait ce qu'il fera d'eux et que rien ne sera changé :
c'est là une erreur inspirée par Satan, le père du
mensonge, et dans laquelle ils cherchent mal à
propos un prétexte pour se scandaliser. Car nous
avons vu que Dieu n'a prédestiné que ceux qui
devaient persévérer dans sa grâce en vivant et en
mourant bien, et Iqu'il n'a réprouvé que ceux qui
doivent s'opiniâtrer dans la résistance à ses grâces
en vivant et en mourant dans un mauvais état ; il
n'est donc pas vrai de dire : quoique je fasse, je
serai sauvé ou damné. S'ils sont prédestinés, c'est
qu'ils travailleront à leur salut et ne croupiront
pas dans une vie infâme ; s'ils sont réprouvés au
contraire, c'est qu'ils persévérerontdans le mal. Ils
n'ont donc pas raison de dire : quoique je fasse,
rien ne sera changé et ils ne peuvent trouver là
un motif légitime de découragement, parce que
celui qui se décidera à bien vivre, et tout le monde
en est capable, doit espérer qu'il sera prédestiné.
Ne blàmerait-on pas un malade qui refuserait
toute sorte de remèdes en disant : quoique je fasse,
DES ATTRIBUTS DE DIEU 23'J
Dieu sait bien si je guérirai ? et que dirait-on d'un
voyageur qui ne bougerait pas de place, en disant :
Dieu sait bien si j'arriverai au but de mon
de mon voyage ? et d'un laboureur qui se croise-
rait les bras et refuserait d'ensemencer ses terres
sous prétexte que, quoi qu'il fasse. Dieu sait bien
s'il récoltera la moisson? Celui-là raisonne de la
même manière qui néglige de bien vivre en disant:
quoique je fasse. Dieu sait bien si je serai sauvé.
Or toutes ces suppositions sont fausses, car le ma-
lade se guérit en prenant des remèdes, le voyageur
arrive au terme en cheminant, le laboureur mois-
sonne à la condition d'avoir cultivé ses champs et
l'homme se sauve en vivant bien, et pas autre-
ment. Donc raisonner ainsi, ce serait se confor-
mer, pour ce qui regarde son âme, à un principe
dont on n'oserait pas faire l'application aux choses
qui regardent le corps.
Enfin admettons que ceux qui raisonnent ainsi
sont réprouvés en réalité ; eh bien ! qu'ils servent
Dieu quand même, afin qu'ils aient l'avantage de
le servir au moins dans cette vie et l'espérance
d'adoucir par là leur enfer. S'ils sont au contraire
prédestinés, pourquoi seraient-ils ingrats envers
la bonté divine qui leur accorde un aussi grand
bienfait que celui de les mettre au nombre de ses
enfants.
Cette tentation je la repousse donc, car quoi
qu'il doive en être de moi, et c'est votre secret,
ô mon Dieu, je vous servirai pour votre bonté
infinie. Je dirai, ô mon Dieu, avec l'un de vos
plus ardents serviteurs (i) : quoi qu'il doive en être
I. D. Bonar., Stimul, p. 3, c. 13.
238 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de moi, il est certain que toi, Satan, tu es damné;
pour moi, si j'étais assez malheureux pour être
réprouvé et pour être privé de mon Dieu après
cette vie, je tâcherais de le posséder au moins
dans la vie présente, afin de ne pas en être privé
dans l'une et l'autre vie. Aussi je veux me donner
à lui sans perdre un instant. N'est-ce pas déjà
suffisant, Satan, que je doive être misérable et
t'appartenir après cette vie, sans que je sois à toi
dès maintenant. Par conséquent s'il m'était dé-
montré que je suis réprouvé, je voudrais jouir
jusqu'à la mort de mon souverain bien, d'autant
plus ardemment que le temps de le posséder me
serait plus mesuré. Mais d'autre part si je suis
prédestiné et si je dois vivre éternellement d'une
vie angélique, pourquoi dès maintenant ne vivrai-
je pas comme un ange ? pourquoi ne serai-je pas
tout à mon Dieu qui un jour se donnera tout
à moi ? Je conclus, ô mon Dieu, que mon sort est
entre vos mains, mon sort éternel, heureux ou
malheureux. Quoi qu'il en soit, je veux vous ado-
rer et obéir à vos commandements jusqu'au der-
nier soupir. Ah ! Seigneur, j'ai au cœur une espé-
rance trop ferme pour qu'elle soit vaine : non,
vous ne haïrez pas éternellement une àme qui
vous aura aimé et qui jusqu'à la mort aura
soupiré vers vous.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 239
XXXIir MÉDITATION
DU DISCERNEMENT
DES PRÉDESTINÉS ET DES
RÉPROUVÉS
SOMMAIRE
Avantages qu'il y a pour nous à ne pas savoir
si nous sommes du nombre des prédestinés ou
des réprouvés — cependant on peut connaî-
tre à certains signes^ d'une manière probable^
si Von est prédestiné — si tous ces signes ou
seulement quelques-uns faisaient défaut^ il
ne faudrait pas néanmoins se désespérer^
mais continuer à faire de bonnes œuvres.
I
PERSONNE ne sait d'une manière certaine s'il est
prédestiné ou réprouvé (i). « Lhomme dit
« le Sage, ignore s'il est digne d! amour ou de
« haine., c'est un secret réservé pour l'avenir.,
« car tout ici-bas arrive de la même manière
I. C'est l'enseignement formel du Concile de Trente : nous lisons
(sess. 6. chap. 12.) « Que personne tant qu'il est dans cette vie
« mortellej ne fonde sur le mystère caché de la prédestination, une
c confiance assez présomptueuse pour se croire entièrement assuré
< d'être du nombre des prédestinés, supposant vrai que l'homme
« justifié ne peut plus pécher, ou du moins qu'il est assuré de se
« convertir un j«ur, s'il venait à pécher ; car, sans une révélation
« spéciale, on ne peut savoir ceux que Dieu s'est choisi. » Cf. sess. 6>
can. 15 et 16.
240 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« à î homme de bien et au méchant. » (Eccl. 9).
Le Sage entend parler ici de Tamour que Dieu
porte aux prédestinés et de la haine qu'il a pour
les réprouvés : ce sont choses secrètes pour ceux
qui vivent ici-bas et nul ne peut les connaître avec
certitude sans une révélation particulière (i).
Ce secret est d'abord un trait de la bonté toute
providentielle de Dieu. Cette ignorance est en
effet un aiguillon qui nous excite à la vertu, car
plusieurs s'abstiendraient d'accomplir certaines
bonnes œuvres, s'ils avaient la certitude de ne pas
être au nombre des réprouvés (2). Déjà combien
en voyons-nous, qui malgré ce doute sur leur pré-
destination, vivent dans une grande inertie ; que
serait-ce si tout doute était levé sur ce point en
leur faveur ?
Cette ignorance favorise aussi l'humilité des
plus grands saints, car quelle que soit la sainteté
de leur vie, il leur reste toujours un grand motif
de s'humilier, qui est l'ignorance dans laquelle ils
se trouvent au sujet de leur sort éternel. C'est
aussi pour eux une raison de ne mépriser per-
sonne, car celui qui serait l'objet de ce mépris
jouira peut-être de la gloire éternelle, tandis
qu'eux mêmes en seront peut-être exclus.
Cette ignorance augmente aussi le mérite des
bonnes œuvres ; il est plus méritoire en etfet de
travailler sans être certain de la récompense, que
dans l'espoir d'une récompense assurée : car dans
ce dernier cas que ne devrait-on pas faire ? Cette
ignorance n'est pas moins avantageuse pour les
I. s. Bern., Serm. 6, de omnibus sanctis. — D. Tho., c. 8, Rom.
s. Aloysius Novarin^ del div, amor. c, ii6 et 117.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 24I
réprouvés ; supposez en effet qu'ils connaissent
avec certitude leur réprobation, les voilà aussitôt
saisis par le désespoir et désormais l'espoir ne les
retenant plus comme un frein, ils se livreront avec
fureur à toutes sortes de péchés. Ils n'aimeront
plus Dieu de qui ils se sentiront haïs de toute
éternité et pour toute l'éternité. Ils refuseront de
rien faire, de témoigner à Dieu le respect qui lui
est dû, d'honorer ses mystères, de révérer ses mi-
nistres, de célébrer ses fêtes, de mortifier leurs
passions, d'observer ses lois, de se conformer à
ses volontés. Ils s'efforceront plutôt de se faire un
paradis sur cette terre, puisqu'ils doivent être
exclus de celui du ciel et ils multiplieront sans
mesure leurs péchés et leurs misères.
Il faut donc à ce sujet révérer et adorer la volonté
de la divine Providence, qui sait cacher aux hom-
mes ce qu'il leur est le plus expédient d'ignorer ;
il faut rendre grâces à sa bonté qui n'a pas voulu
manifester aux hommes ce qui, une fois connu,
les détournerait de la vertu et les inclinerait au
vice et au péché. Je me conformerai donc à la
volonté de Dieu au sujet de cette ignorance qui
m'est salutaire et je demeurerai en paix dans cette
incertitude. Je m'humilierai profondément à la
pensée que je marche entre le paradis et l'enfer
sans savoir auquel des deux je parviendrai. O
Dieu adorable 1 qu'est-ce que l'homme et qu'en
sera-t-il de lui ?
II
Néanmoins il existe certains signes qui permet-
tent dès ici-bas de distinguer d'une manière pro-
Bail, t. I. t6
242 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
bable les prédestinés des réprouvés. Ces signes
sont de deux sortes : les uns sont intérieurs et
nous pouvons les constater en nous-mêmes : les
autres sont extérieurs et peuvent être vus de tous.
Parmi les signes intérieurs, les plus notables
sont le remords que la conscience éprouve ordi-
nairement après toute sorte de fautes, graves ou
légères ; la grande estime de Dieu et de tout ce
qui touche à Dieu ; enfin l'humilité intérieure. En
voici la raison : celui qui a le sentiment du péché,
s'en corrige aussitôt et marche désormais plus
droit pour arriver à la vie : ceux au contraire qui
sont ordinairement insensibles à leurs péchés, s'y
fixent opiniâtrement et deviennent incorrigibles.
C'est le fait d'une bonne âme de sentir sa bles-
sure. Ceux qui n'éprouvent aucune douleur n'ont
pas conscience de la gravité de leur plaie et c'est
là rindice d'une maladie incurable. Là oij est le
sentiment de la douleur, est aussi le sentiment de
la vie : car sentir est l'acte propre de la vie. C'est
ainsi que celui qui ne connaît pas son erreur,
manque de sagesse et se trouve dans un état voisin
de la folie, tandis que celui qui s'en rend compte,
revient à soi et s'amende. De là vient que le
remords ressenti par la conscience après le péché
est salutaire, car c'est un acte de la même vertu
qui fait haïr le péché et aimer le bien.
Une seconde marque de prédestination c'est la
grande estime que l'on fait de Dieu. D'après saint
Augustin (i), ce qui distingue les prédestinés des
réprouvés, ce sont les deux amours, dont l'un est
l'amour de Dieu poussé jusqu'au mépris de soi-
X. Dt Civ. Dti. 1. 14. c. ai.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 243
même, et Tautre est l'amour de soi exagéré jusqu'au
mépris de Dieu : le premier édifie la cité de Dieu
et le second édifie la Babylone terrestre et la cité
du démon. Celui qui estime Dieu le désire par
dessus toutes choses et méprise les biens péri^ssa-
bles de la vie : une seule chose l'étonné, c'est que
tant de créatures humaines faites pour l'éternité, y
soient si fortement attachées. Aussi soupire-t-il
après la vue de Dieu, sans le moindre souci de
cette séparation du monde et de la chair, qui lui
permettra de se reposer en Dieu seul. Or, s'il y a
quelqu'un de qui il faille bien augurer, c'est de
celui qui ressent en lui-même un tel amour.
Une autre marque de prédestination, c'est l'hu-
milité de cœur qui porte l'homme à s'estimer peu
soi-même et à se soumettre de bon gré et suave-
ment à ses supérieurs, au pape et à l'Eglise, en
matière de doctrine, aux autres supérieurs en ce
qui concerne l'emploi de la vie. Pour comprendre
combien cette marque est sérieuse, il suffit de
citer la parole de la Mère des prédestinés qui est
aussi la Mère de l'humilité : <.<. Il a humilié les
« puissants et exalté les humbles ». (Luc. i.)
Ainsi l'orgueil est un signe évident de réprobation
et l'humilité un signe non moins évident d'élection.
Quant aux signes extérieurs de prédestination et
de réprobation, ils sont très nombreux.
Le premier est une vie austère par amour pour
Dieu. Il est tout à fait vraisemblable que celui qui
se prive volontairement des douceurs de la vie si
éperdument recherchées par les ennemis de Dieu,
aura un royaume avec toutes sortes de biens dans
le ciel, puisqu'il n'en a pas eu sur la terre.
244 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Autre indice de prédestination : Tamour sincère
du prochain qui comprend l'amour des ennemis
et qui porte la volonté à leur faire du bien. Un tel
amour suppose en effet une très grande charité et
une telle charité a plus de chances de se conserver.
Aussi Jésus-Christ dit-il : « Aïme^ vos ennemis,
« faites du bien à ceux qui vous haïssent »
(Luc 6), « prie^ pour vos persécuteurs afin que
« vous soye^ les enfants de votre Père qui est
« dans Us deux » (Matt. 5).
C'est une autre marque de prédestination qu'une
grande patience et une grande douceur au milieu
des malheurs, des persécutions, de la pauvreté et
des misères de la vie : car qui n'est pas ébranlé
par de telles secousses témoigne qu'il a l'âme forte
et vraiment vertueuse, telle que doit être une âme
qui aspire au ciel. Dès cette vie, elle se conforme
à Jésus-Christ souffrant et mérite par là de ressem-
bler dans l'autre à Jésus-Christ glorifié.
Ne nous bornons pas à considérer ces indices
d'une manière générale ; tâchons surtout de les
observer en nous-mêmes pour jouir de la consola-
tion que peut procurer la confiance d'être tous du
nombre des enfants de Dieu. Heureux si nous res-
sentons en nous la délicatesse de conscience, une
grande estime pour les choses de Dieu et une
humilité de cœur qui nous rende vils à nos yeux
et soumis à toute puissance supérieure ! Heureux
si nous fuyons les délicatesses de la vie, si nous
pardonnons à nos ennemis, si nous sommes pleins
de douceur et de patience au milieu des tribula-
tions de cette vie ! O Dieu dont la bonté est infinie,
imprimez en nous ces marques de prédestination.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 2^5
O mon âme, que tu serais heureuse, si tu décou-
vrais en toi ces six marques de prédestination!
Humilie-toi si jusqu'à ce jour elles t'ont manqué
et efforce-toi de si bien ordonner ta vie à l'avenir,
qu'il soit évident que tu possèdes ces caractères
sacrés de la bienheureuse prédestination, par les-
quels les enfants de Dieu sont distingués des fils
de Satan.
III
Dans le cas oij ces marques ou une partie de
ces marques nous feraient défaut, nous ne devrions
néanmoins pas perdre l'espérance du paradis ni
la confiance d'être du nombre des prédestinés,
mais bien continuer à pratiquer toutes sortes de
bonnes œuvres dans le but de plaire à Dieu de
tout notre pouvoir. Car d'un côté, Dieu nous a
commandé d'espérer en sa bonté et nous a défendu
le désespoir comme un des péchés qui l'irritent
le plus, et d'un autre côté, quelque soit notre état
actuel, la grâce divine peut nous transformer en
peu de temps. Dieu est assez puissant pour faire
naître des pierres des enfants d'Abraham et chan-
ger les hommes les plus endurcis dans le péché en
hommes vertueux. Et quand bien même quelqu'un
serait assuré de son sort malheureux et de sa
réprobation, ce devrait être pour lui une raison de
plus de se donner tout à Dieu et de l'aimer
ardemment dans cette vie, puisqu'il saurait qu'a-
près cette vie il devrait être éternellement privé
du bonheur de lui appartenir et de l'aimer. C'est
ainsi qu'agissait une vierge (i) ; le démon la ten-
tait en essayant de lui persuader que pour elle
I. Aloysius Nov. dglic. dit. mmor., c. Z17.
246 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
c'était perdre son temps que de servir Dieu, parce
que, quoi qu'elle fit, elle était vouée aux supplices
éternels. Voici ce qu'elle lui répondit : Eh bien !
puisque dans l'autre vie je ne pourrai pas aimer
mon Dieu, ni le servir, je m'efforcerai avec d'au-
tant plus d'ardeur de l'aimer et de le servir dans
cette vie.
Après tout s'il est certain que seuls les prédesti-
nés seront sauvés, il n'est pas moins certain, bien
que je ne voie pas comment ces vérités s'accor-
dent, que nous avons le libre arbitre, qu'il est aidé
de la grâce, qu'en faisant notre possible avec le
libre arbitre ainsi secouru, nous nous sauverons :
il est également certain que les adultes sont sau-
vés par leurs mérites et par leurs bonnes œuvres
comme aussi ils sont damnés par leurs démérites
et leurs œuvres mauvaises. Maintenant suis-je
prédestiné ou non, je ne sais rien de certain là-
dessus, bien que je puisse former quelques conjec-
tures. Mais supposons que je sois à ce sujet dans
une ignorance complète et que je ne connaîtrai ce
secret qu'après cette vie, que dois-je faire ? Je
dois, dit un grand théologien (i), m'arrêter à ce
que je sais avec certitude, c'est-à-dire faire un bon
usage de ma liberté et des grâces de Dieu pour
mériter par une sainte vie la vie éternelle et puis
attendre avec patience que ce mystère de la pré-
destination qui m'est inconnu comme les autres
mystères, me soit dévoilé. Mon esprit doit demeu-
rer en repos, bien qu'il ignore comment se fait
l'accord de la prédestination et de la liberté
humaine.
I. Cajetanus, in c. a, Epist. ad Rom.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 247
Enfin il est plus avantageux à l'homme pécheur
de se croire prédestiné que de croire qu'il ne l'est
pas, de croire que Dieu malgré la multitude et
l'énormité de ses péchés, le touchera de manière
à l'amener à la pénitence et par là à la rémission
des péchés. Si l'homme désespère du pardon et
s'il a la conviction d'être damné, il met le comble
à ses péchés. S'obstinant en effet dans cette con-
viction, il raisonne ainsi : Puisque je suis perdu
et que des tourments éternels m'attendent au
sortir de cette vie, quel avantage y a-t-il pour moi
à me priver des biens présents : et le désespoir
d'être jamais pardonné le rend pire. Au con-
traire celui qui espère et qui se confie dans la
miséricorde de Dieu, se corrige plus tôt et redou-
tant le jour incertain de la mort, il s'efforce de
recouvrer avant ce jour, la grâce qu'il a perdue.
Aussi Dieu nous console par ces paroles : « Je ne
« veux pas la mort de Vimpie, mais quil se
« convertisse et quil vive. » (Ez. 33), paroles qui
ont opéré tant de conversions admirables que nous
serions tous ravis d'admiration, si nous en connais-
sions le nombre. C'est encore Dieu qui apaise le
trouble des âmes, quand il dit : « Y a-t-il au
« monde quelque chose de difficile pour moi
« ou bien suis-je semblable à celui qui promet
« et ne fait rien ? Où est ta foi ? sois homme de
« patience et de courage et la consolation vien-
« dra en son temps. Attends-moi.^ je viendrai et
« je te guérirai. C'est une tentation qui te tour-
if. mente et une vaine crainte qui f épouvante.
« Quel avantage f apporte V inquiétude au
« sujet des futurs coxitingents et des évène-
248 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« ments à venir qui dépendent de la liberté^ si
« ce n'est de te causer tristesse sur tris-
« tesse ? » (i) « A chaque jour suffit son mal. »
(Matt. 6.) Il est inutile de se tourmenter à cause
de certaines choses qui peut-être n'arriveront
jamais. Mais c'est le propre de l'infirmité humaine
d'être le jouet de telles imaginations et l'en-
nemi ne s'inquiète guère par quelle voie il arri-
vera à nous tromper, si ce sera par la vérité ou
par le mensonge, ni de quelle manière il ren-
versera une âme ; peu lui importe que ce
soit par l'amour des biens présents ou par la
crainte des choses à venir. Donc que ton cœur
ne se trouble pas : aie confiance en ma miséri-
corde et crois en moi. Quelquefois il arrive que tu
me crois loin de toi et j'en suis tout près : quand
tu crois que tout est perdu, c'est souvent le mo-
ment de faire un gain considérable et d'acquérir
de grands mérites.
Je tâcherai de me consoler en espérant dans la
miséricorde divine. Je me déterminerai énergi-
quement à tendre vers le souverain bien, vers la
béatitude. Oh ! que ce bienfait est grand et signalé
entre tous vos bienfaits ! de toute éternité vous
vous êtes aimé vous-même, et désirant être aimé
des créatures, vous avez créé le monde ; vous avez
permis la chute d'Adam et en Adam celle de tous
les hommes et parmi les hommes déchus, il y en
a que vous avez prédestinés à vous aimer durant
toute l'éternité. J'ai confiance, ô mon Dieu, que
je suis de ce nombre et que, malgré mes péchés
qui sont cependant bien grands, vous ne m'avez
I. D* Imitât, Chrittt, \. ), c. ^o«
DES ATTRIBUTS DE DIEU 249
pas rejeté pour toujours. O Seigneur, vous m'avez
connu et choisi avant la création du monde, pour
faire de moi un vase de miséricorde et un vase
destiné à votre gloire, pour vous posséder tou-
jours et vous aimer dans les siècles des siècles.
Vous avez fixé ma place et mon rang dans le
séjour de votre gloire, vous avez même déterminé
le degré de gloire que vous me destinez. Quand
je considère toutes ces choses et que je me
persuade que je puis arriver à un si grand bien,
combien ne serai-je pas coupable et digne d'un
grand supplice, si je ne méprisais pas tout pour
un tel bien et si je ne vous aimais pas en recon-
naissance d'un si grand bienfait ? Même si je
n'étais pas prédestiné, je devrais encore vous
aimer et vous servir pendant que j'en ai le temps,
et ne pas devancer l'époque malheureuse où je
ne le pourrai plus (i).
i> Alvarez de Paz. Médit, sacr. part, j dec. 10. contempl, z.
25o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XXXIV^ MÉDITATION
DE LA PUISSANCE DE DIEU
SOMMAIRE
Dieu est puissant — infiniment puissant —
il exerce sa puissance surtout par des actes
de miséricorde.
I
DIEU étant parfait dans son Essence, doit
être puissant pour agir ; il serait absurde
qu'un Etre si parfait fut inactif, sans force et sans
puissance pour accomplir n'importe quelle oeuvre.
Aussi, de même que Dieu a une intelligence pour
connaître tout ce qui peut être connu, une volonté
pour désirer tout ce qui est aimable, il a également
une puissance capable d'agir et d'exécuter tout ce
qui est possible. Supposez qu'il en fut autrement,
sa nature serait plus imparfaite que celle des créa-
tures qui sont toutes douées d'une certaine puis-
sance.
La puissance convient à Dieu plus qu'à n'im-
porte quel être, car, puisqu'il est doué de toutes
les qualités imaginables, qu'il est saint, juste,
bon, miséricordieux, libéral, magnifique et qu'il
a toutes les qualités les plus excellentes que
nous pouvons imaginer, la puissance unie à ces
nobles qualités ne produira que du bien et de
très bons effets ; il n'en usera que pour faire
DES ATTRIBUTS DE DIEU 25l
des action saintes, raisonnables, glorieuses et
irréprochables. Une grande puissance est très
funeste quand elle se trouve dans une personne
vicieuse et dégradée. Un avare, s'il est puissant,
dépouille tout le monde de ses biens ; un volup-
tueux qui jouit d'un grand pouvoir, profane et
souille tout ce qu'il y a de plus pur sur la terre ;
un roi impie qui a en main un pouvoir illimité,
n'épargne personne et fait gémir les peuples sous
sa tyrannie. Aussi les méchants sont-ils indignes
d'avoir aucune puissance. Au contraire, s'agit-il
de ceux qui sont vertueux et qui ont l'amour du
bien, nulle part la puissance ne saurait être mieux
placée que chez eux et ils ne sauraient jamais en
avoir trop. Par elle ils maintiennent tout dans
l'ordre, ils délivrent les opprimés, enrichissent
les indigents, apaisent les troubles ; grâce à
elle, en un mot, tout fleurit et la joie abonde.
Donc, puisque Dieu a toutes les qualités qu'on
puisse souhaiter, il lui appartient d'être tout-
puissant.
O mon Dieu ! puisque vous êtes tout-puissant,
fortifiez ma faiblesse, afin que je vous serve. Dieu
des vertus, je me réjouis à la pensée que vous
possédez une souveraine puissance, car vous en
êtes digne et il vous convient de commander
partout. O Dieu tout-puissant, vivez toujours
ainsi ! que tout vous soit assujetti, jouissez de
tous vos droits, faites fleurir votre sceptre, faites-
vous craindre partout et que votre magnificence
s'élève au-dessus de tous les cieux.
252 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
II
La puissance de Dieu est parfaite. La puissance
découle en effet de l'essence de chaque être : plus
une essence est parfaite, plus aussi Test sa puis-
sance. Or comme il n'y a pas d'Essence plus par-
faite que celle de Dieu, il n'y a pas non plus de
puissance plus parfaite que la sienne. Une puis-
sance est parfaite quand elle ne s'exerce jamais
aux dépens de la loi morale, quand elle n'est
jamais vaincue par la souffrance, quand elle n'a
besoin d'aucun secours étranger. La puissance de
Dieu a toutes ces conditions.
Premièrement, elle ne s'exerce pas d'une ma-
nière coupable. Le Tout-Puissant ne peut pécher :
« // ne peut se nier lui-même, » dit saint Paul
(2, Tim. 2) ; il ne peut donc ni mentir ni rien faire
de mauvais, et parce qu'il ne peut pécher, il est
tout-puissant d'une manière parfaite.
Secondement, sa puissance ne peut être vaincue
par la douleur : rien ne peut ni fatiguer, ni lasser
Dieu, ni lui causer aucune souffrance. Tout ce
qu'il fait, c'est sans peine et sans effort qu'il le
fait, avec facilité et avec joie. A ce second titre, sa
toute-puissance est encore parfaite.
Troisièmement, la puissance de Dieu n'a nul
besoin d'aide ni de secours. Dieu peut tout faire
par lui-même. C'est de rien qu'il produit les créa-
tures : il n'a besoin ni de matériaux ni d'ouvriers
pour bâtir l'immense palais qu'est ce monde; il l'a
fait sortir du néant et sans l'aide de personne. Si
en réalité il agit de concert avec les créatures et se
sert d'elles pour produire certains effets, ce n'est
DES ATTRIBUTS DE DIEU 253
pas par nécessité, puisqu'il peut s'en passer, si
cela lui plaît, mais par bonté et grande bonté
envers elles : il veut en effet les faire participer
dans une mesure à sa puissance et à l'honneur
d'agir. Donc encore à ce titre, Dieu est doué d'une
puissance parfaite.
Il n'en est pas ainsi des puissances terrestres :
elles tombent souvent dans des fautes, parce
qu'elles sont unies à la malice, à l'ignorance et à la
faiblesse. Elles succombent à la peine, car elles
ne s'exercent qu'avec douleur, lassitude, effort et
inquiétude ; elles gémissent souvent en proie aux
malheurs de cette vie, absolument comme les plus
faibles. Enfin, pour si grandes que soient ces
puissances, mille et mille choses leur font défaut.
Pour faire la guerre un roi a besoin d'un matériel
immense : on peut même dire que plus quelqu'un
est puissant, plus il a besoin de compter sur le
secours d'autrui, et même on ne l'appelle grand
qu'à cause et en proportion de la multitude de
choses dont il se sert.
Qui donc, ô mon Dieu, vous égale en puissance ?
« Seigneur, qui parmi les Jorts est semblable à
« vous dont la sainteté est admirable^ à vous qui
« êtes terrible, digne de toute louange et qui
« accomplisse^ des merveilles ? » (Ex. i5.) Qui
refusera de se soumettre de bon gré à une puis-
sance aussi parfaite ? qui ne voudra rendre mille
et mille fois plus d'hommages à une puissance
aussi glorieuse, qu'à la puissance bornée et cadu-
que des monarques ? Qui n'aura infiniment plus
de confiance dans la puissance de son Dieu que
dans celle des rois et des empereurs ? O Seigneur,
254 "^^ THÉOLOGIE AFFECTIVE
je fais hommage à votre puissance de tout ce que
je suis, je l'adore à cause de son infinie perfection,
je mets toute ma confiance en elle. Quand bien
même le monde m'attaquerait, quand même toutes
les créatures se ligueraient contre moi, quand je
serais assailli de toutes les douleurs et de toutes
les misères possibles, votre puissance serait tou-
jours mon partage, mon refuge, mon espérance et
mon bien.
III
Cette puissance si parfaite se signale surtout en
faisant le bien. Il est vrai qu'elle se manifeste dans
la création de l'univers, par laquelle Dieu a fait de
rien toutes choses, dans sa conservation par
laquelle il le maintient depuis déjà 5, 600 et tant
d'années et dans les changements qu'il fait subir
à certaines créatures, comme par exemple, quand
il accomplit des miracles, qu'il arrête le soleil,
quand il le voile, quand il ressuscite des morts
et accomplit tels autres prodiges qu'il lui plaît. Et
cependant sa puissance n'éclate jamais plus que
lorsqu'il pardonne les péchés et fait miséricorde;
c'est pour cela que l'Eglise lui dit : « O Dieu, qui
« manijeste^ votre puissance avec le plus d'é-
« clat quand vous pardonne^ et faites miséri-
« corde. »
Pesez les belles raisons qu'en donne le Docteur
angélique (i). D'abord, dit-il, celui qui a un supé-
rieur de qui il dépend, ne peut pas pardonner à
son gré toutes sortes d'offenses. Dieu donc en par-
donnant les péchés selon sa volonté, prouve par là
X. Qaxst. 1$. art. $0.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 255
même qu'il n'est assujetti à aucune puissance su-
périeure, et qu'ainsi il est tout-puissant.
Secondement, Dieu en pardonnant et en faisant
miséricorde n'a qu'un but, qui est de faire arri-
ver les hommes à la participation d'un bien infini
et à la jouissance de la béatitude éternelle. Or la
participation des hommes à cette béatitude est le
dernier et le plus grand effet de la toute-puissance
de Dieu.
Voici la troisième raison : la miséricorde de
Dieu est le fondement et le principe de tout le
bien que Dieu fait à la créature, car quelles que
soient les choses que Dieu fasse en nous, il com-
mence toujours par les voies de la douceur et de
la miséricorde. Or c'est à la puissance qu'il appar-
tient de produire toutes sortes de biens. Donc
Dieu en réalisant et en fondant toutes sortes de
biens par sa miséricorde, fait par elle aussi éclater
sa puissance.
O Seigneur, y eut-il jamais puissance meilleure,
plus aimable et plus admirable que la vôtre ? Les
princes font paraître la leur surtout en gagnant
des batailles, en prenant des villes, en semant
partout la terreur, le sang et les ruines. Les hom-
mes qui sont pécheurs ne savent manifester leur
pouvoir et leur crédit qu'en exerçant des vengean-
ces, au préjudice de leur salut éternel, tandis que
vous, o Dieu d'une infinie bonté, vous la faites
paraître en faisant du bien à vos créatures rebelles
et en les traitant miséricordieusement. O grand
Dieu ! ne cessez jamais de faire briller votre puis-
sance par les rayons ardents de votre miséricorde
sur nos âmes. O Seigneur, qu'elle brille sur mon
256 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
âme par la rémission de mes fautes. « Dites à
« mon âme, je suis ton salut. » (Ps. 34).
XXXV^ MÉDITATION
DE LA BÉATITUDE DE DIEU
SOMMAIRE
Dieu est heureux — parfaitement heureux —
son bonheur consiste dans la connaissance et
dans r amour qu'il a de lui-même.
I
DIEU est bienheureux : il est, dit saint Paul,
« heureux et seul puissant ». (I Tim. 6.)
Etre bienheureux, c'est posséder toutes sortes de
biens : car la béatitude est un état qui résulte du
concours de toutes sortes de biens. Or Dieu est
parfait, il renferme en lui toutes les perfections
imaginables ; donc il est doué de toutes les facultés
d'intelligence et d'action qui conviennent à une
grandeur infinie : il est le suprême bien. Donc il
est heureux.
Etre heureux, c'est ne manquer de rien. Or tel
est Dieu : il se suffit à lui-même, il possède toutes
sortes de perfections, il ne peut recevoir des êtres
qu'il a créés aucun accroissement ou agrandisse-
ment si minime qu'on le suppose. Il est donc
heureux, puisqu'il ne manque de rien.
DES ATTRIBUTS DE DIEU 267
Etre heureux, c'est jouir de la satisfaction de
tous ses désirs ou mieux n'avoir plus aucun désir :
car le propre de la béatitude c'est de calmer tous
nos désirs, puisqu'elle est le souverain bien, après
lequel il ne reste plus rien à souhaiter. Or en fait
de bien, Dieu possède tout ce qu'il pourrait
souhaiter et en fait de mal il ne peut en souhaiter
aucun. Quel bien pourrait en effet souhaiter celui
qui dans sa simplicité embrasse une infinité de
biens ? Et comment une bonté infinie pourrait-elle
souhaiter quelque mal ? Dieu est donc infiniment
heureux.
Et de fait puisqu'il constitue lui-même la béati-
tude de tous les êtres, qu'il est la source, le prin-
cipe et l'objet total de la félicité de tous les esprits
bienheureux, qu'il comble des millions d'anges et
d'àmes des joies du paradis, supposer que lui-
même soit privé du souverain bien, qu'étant le
Dieu du paradis et le Roi de la béatitude, il soit
néanmoins privé de la béatitude, serait une chose
absurde.
O Dieu bienheureux ! je me réjouis du plus pro-
fond de mon âme de ce que vous jouissez de la
béatitude. Oh ! quelle joie intime j'éprouve en
songeant que vous n'êtes pas comme nous sur
cette terre, dans la misère et l'indigence. O Dieu
du paradis, ô divin objet de notre béatitude, je
suis très heureux que vous soyez toujours en pos-
session de la joie parfaite et de votre paradis.
« Œuvres du Seigneur, bénisse:^ le Seigneur.
« loue^-Ie et exalte^-Ie dans les siècles des siè-
« clés. y> (Dan. 3.) Oh ! vivez toujours ainsi, soyez
toujours heureux !
Bail, t. i. i^
2^8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
II
La béatitude de Dieu consiste dans les plus
nobles opérations de son intelligence et de sa
volonté, c'est-à-dire dans l'acte de connaissance et
d'amour qui a pour objet son Essence infinie. Il
est heureux par la connaissance si parfaite qu'il a
de lui-même et aussi par l'amour de complaisance
qu'il a pour lui-même et qui le fait se réjouir en
lui-même. Il ne suffit pas, en effet, pour être heu-
reux, d'avoir de grandes et excellentes perfections,
il faut aussi les connaître et les aimer. Ainsi le
soleil n'est pas heureux par le seul fait qu'il est
beau et lumineux : il n'en ressent aucune joie ni
aucun plaisir, parce qu'il n'a aucune connaissance
ni aucun amour de sa beauté. Il en est de même
d'une rose à la corolle vermeille et odorante : il ne
lui en revient aucun bien ni aucune félicité, parce
qu'elle ne se connaît pas elle-même, parce qu'elle
ne respire pas elle-même son suave parfum. Et
il en serait de même de Dieu, s'il était sans se
connaître et sans s'aimer : il n'éprouverait aucun
sentiment de joie ni de vraie béatitude. Donc il est
bienheureux, parce qu'il se contemple lui-même et
se complaît en lui-même.
Quel esprit créé pourrait jamais concevoir l'im-
mensité de la joie de ce grand Dieu quand il fixe,
sans s'en détourner un seul instant, le regard de
son intelligence infinie sur lui-même, sur sa
beauté ineffable, sur sa majesté, sur ses richesses
infinies, et quand en même temps il s'aime lui-
même infiniment 1 Ce sont des torrents d'une
volupté sans bornes, qui inondent sa divinité et
la font jouir dans cette contemplation d'une béati-
DES ATTRIBUTS DE DIEU 269
tude si grande qu'elle égale l'infinité des son Es-
sence, de cette Essence qui est à la fois et l'objet
de cette béatitude et le sujet qui en jouit dans
d'inénarrables transports. Dieu ne trouve donc
pas sa félicité dans la possession et le gouverne-
ment de tout cet univers qui lui appartient, ni dans
le fait de dominer toutes les créatures et de leur
commander : seules la contemplation et l'amour
de son Essence divine le rendent heureux et sont
capables de lui faire goûter tout un paradis de
joie.
O mon âme, ne t'abuse donc pas à chercher et
à discerner ici-bas ce qui pourrait faire l'objet de
ta félicité. Ne t'imagine pas que tu serais bien-
heureuse, si tu possédais le monde entier : tu ne
le seras qu'en contemplant et en aimant l'Essence
de ton Dieu. Mais, oh ! quel bonheur, oh ! quelle
inexprimable félicité n'y puiserons-nous pas ? Si la
vue et l'amour de cette Essence comblent la capa-
cité immense et infinie de l'intelligence et de la
volonté divine, à combien plus forte raison cette
vue et cet amour rempliront-ils et excéderont-ils
nos puissances finies et bornées ? Ce qui est suffi-
sant pour remplir ce qu'il y a de plus grand, doit
bien davantage remplir et au-delà, ce qui a une
capacité moindre. Dès maintenant donc, ô mon
âme, contemple l'admirable divinité, aime-la de
toutes tes forces, afin que tu sois heureuse par la
possession du seul objet qui peut remplir parfai-
tement tous tes désirs.
26o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
«
III
La béatitude de Dieu est très-excellente, elle
surpasse toutes les autres béatitudes, celle de
tous les anges et de tous les saints du paradis. En
effet dans leur béatitude il n'y a d'infini que
l'objet, tandis que dans la béatitude de Dieu, le
principe lui aussi, c'est-à-dire, l'intelligence et la
volonté, est infini ; et de plus la connaissance est
compréhensive et l'amour infini. Voilà pourquoi
Dieu est infiniment plus heureux que tous les
habitants du ciel.
Sa béatitude surpasse la béatitude contempla-
tive de tous les saints qui sont sur la terre, pour
les mêmes raisons, et de plus parce que, dans cette
vie, la contemplation est sujette aux fatigues, aux
lassitudes, aux distractions, aux doutes, aux
erreurs, et à plusieurs autres inconvénients dont la
béatitude divine est absolument affranchie. Elle
surpasse la béatitude active de tous ceux que l'on
estime heureux sur la terre, parce que Dieu n'a
pas le gouvernement d'une seule maison, d'une
seule cité ou d'un seul royaume, mais de tout
l'univers : aussi la fausse félicité de ce monde
n'est-elle que l'ombre de sa félicité très-parfaite.
En réalité, la félicité n'est pleine et accomplie
que par le concours de cinq biens qui la rendent
parfaite ; ce sont la joie, la richesse, la puissance,
la dignité et la bonne renommée. Or Dieu goûte
une grande délectation en lui-même et une joie
universelle qui a pour principe la possession de
tous les biens sans aucun mélange de mal. Comme
richesse il a l'abondance de toute sorte de biens ;
DES ATTRIBUTS DE DIEU 261
comme puissance une vertu infinie ; comme dignité
la principauté et le gouvernement de tous les êtres
sur lesquels il exerce sa domination ; et par domi-
nation, dit saint Denys (i) il ne faut pas entendre
seulement une supériorité quelconque, mais une
possession parfaite et inaliénable de tout ce qui
est beau et bon. Enfin sa renommée consiste à
être glorifié, loué et admiré par tout esprit qui a
de lui quelque connaissance. A cause de cela Dieu
est appelé un royaume : « Vene^ les bénis de mon
« père, posséder le royaume qui vous est pré'
« paré; (Matt, 25.) car de même qu'un royaume
renferme toutes sortes de biens terrestres et que
tous ces biens sont à la disposition du maître du
royaume, ainsi Dieu surabonde de biens, de
trésors, de grandeurs et de joies, qu'il communi-
que à la créature quand elle a le bonheur d'être
dans sa grâce et dans son amitié (2).
A vous donc, mon Dieu, qui êtes infiniment
heureux, soient rendus honneur et gloire dans les
siècles des siècles. Que tous les Saints se proster-
nent devant vous et déposent leurs couronnes à
vos pieds pour rendre hommage à votre béatitude I
qu'auprès de vous. Seigneur, nul ne s'estime
heureux sur cette terre, car votre béatitude est
incomparable ! Que tous les cœurs soupirent d'a-
mour pour vous, parce que vous êtes heureux et
digne d'être désiré ! Qu'en vous. Seigneur, se con-
fient toutes nos âmes, parce que vous êtes la féli-
cité souveraine, parce que tout le bien que vous
renfermez est promis à ma jouissance, autant du
I D. Dyon. de div. nom, c. I3.
a. Alvarez, médit, p. 3 dec.
202 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
moins que je serai capable d'en Jouir. Que tous
les êtres soient ravis de vous ! qu'à votre pensée
ils tressaillent d'allégresse, parce que vous êtes
l'incompréhensible joie ! O Roi très heureux, ré-
gnez toujours, prospérez et triomphez dans la
gloire. O vous, l'objet de ma félicité suprême,
ayez toujours autant de joie que votre infinie capa-
cité en peut avoir. Ah! jouissez, jouissez, Seigneur,
dans tous les siècles de tout le bonheur que mérite
votre nature infinie. Ainsi soit-il.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 203
DEUXIÈME TRAITÉ
De la Très Sainte- Trinité
r MÉDITATION
DES TROIS EXCELLENCES
DU MYSTÈRE
DE UADORABLE TRINITÉ
SOMMAIRE J^^t.M^*"^'^'
La Trinité est le plus impénétrable des mystè-
res ; — le plus ancien ; — la cause de tous les
autres mystères
I
LE mystère de la Sainte Trinité l'emporte sur
les autres mystères, parce qu'étant le plus
élevé, il dépasse davantage la portée des intelli-
gences créées : elles ne sauraient en effet rien ima-
giner de plus haut, ni trouver un plus sublime
objet de leur contemplation. C'est le soleil de tous
les mystères, il éblouit et confond tous ceux qui
le considèrent, à moins qu'ils ne soient fortifiés
par la lumière de la grâce pour le croire, ou
264 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
par la lumière de la gloire pour le voir. C'est un
océan sans fond et sans rivage : la raison est
aussi impuissante à le comprendre qu'une coque
de noix est incapable de recevoir toutes les eaux
de la mer. S'il y a mille secrets dans la nature, que
l'esprit de l'homme ne saurait pénétrer, s'il se
pose sur les propriétés de son âme et sur les dif-
férents organes de son corps mille questions
qu'il ne peut résoudre, combien moins peut-il
comprendre les secrets de l'Etre incréé et les
merveilles de l'auteur de la nature? Comment
l'homme connaissant si peu de chose sur lui-
même, aurait-il une science parfaite de l'Incom-
préhensible, de l'unité de l'Essence divine et de la
Trinité de ses Personnes ? Il faut bien avouer que
cet objet éternel et infini ne peut être compris que
par un esprit éternel et infini. Les anges eux-mê-
mes qui sont de purs esprits et de pures intelli-
gences, dès leurs premiers regards jetés sur les
splendeurs de ce mystère, seraient éblouis; ces
aigles célestes seraient contraints de fermer les
yeux et se sentiraient plongés dans les ténèbres, si
Dieu ne les éclairait surnaturellement. A combien
plus forte raison les âmes languissantes et appe-
santies par la lourde masse du corps terrestre,
seraient-elles confondues par la hauteur et les
splendeurs inaccessibles de ce mystère !
Cette considération m'apprendra à ne m'appro-
cher de la sainte Trinité qu'avec une grande humi-
lité et une grande docilité tout à la fois, afin d'une
part de pas présumer des forces de mon esprit
dans la connaissance que je dois acquérir de ce
mystère, et afin d'autre part de bien recevoir les
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 265
enseignements de la foi et ceux des Docteurs qui
ont pénétré plus avant dans la science de la
divine Théologie. Car de quoi servirait de discou-
rir d'une manière très savante sur la Trinité et de
manquer de l'humilité sans laquelle on ne saurait
lui plaire ? (i) Je dirai donc avec saint Augustin,
l'aigle des Docteurs : Il ne m'en coûtera pas, si
j'hésite, de chercher, et si je me trompe, je ne rou-
girai pas d'être instruit. Celui qui lira ce traité,
s'il est d'accord avec moi, qu'il me suive ; s'il
reconnaît son erreur, qu'il revienne avec moi ; si
c'est moi qui me suis trompé, qu'il me ramène à
lui. Animés de tels sentiments entrons dans la
voie de la charité et avançons-nous vers celui
dont il est écrit : « Cherche^ toujours sa face. »
(Ps. 104). (2).
II
La seconde excellence de ce mystère, c'est sa
durée et son antiquité : il a précédé tous les temps
et tous les siècles, il n'a jamais commencé et ne
finira jamais. Le Père est éternel, dit saint Atha-
nase, le Fils est éternel, le Saint-Esprit est éternel.
Et comme le Père est éternel, il produit éternelle-
ment son Fils. Il lui dit et lui dira toujours cette
parole qu'il prononça un jour par la bouche du
prophète selon son cœur : « Tu es tnon Fils^ je
« tai engendré aujourd'hui. » (Ps. 2) ; car il
continue éternellement la merveille de cette géné-
ration. Pareillement le Père et le Fils produisent
éternellement leur amour qui est le Saint-Esprit et
I. Imit., 1. 10, c. 10.
». De Trtnit, I. c. a et 3.
266 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
lui communiquent toute leur Essence. C'est ainsi
que les trois Personnes de la sainte Trinité sub-
sistent éternellement sans commencement ni fin.
Il n'en est pas de même des autres mystères qui
se sont accomplis hors de l'Etre suprême et sou-
verain et qui se sont réalisés depuis la création.
On peut dire en quel siècle, en quelle année, en
quel mois et même quel jour ils ont commencé
d'exister ; remontons en effet, à 1620 années envi-
ron et nous voici à l'époque de la Rédemption du
genre humain par la croix, c'est le temps où se
sont accomplis les mystères de la mort, de la
résurrection et de l'ascension triomphante de
Jésus-Christ, ainsi que de la mission si fructueuse
et si désirée du Saint-Esprit.
Remontons trente-quatre années plus haut, et
nous voici à l'époque du mystère de l'Incarnation
du Verbe, de sa nativité et de toutes les merveilles
de son enfance. Remontons enfin de quatre mille
ans et nous sommes à l'heure de la création du
monde et de la glorification des bons anges. Ainsi
tous les mystères qui sont hors de Dieu, ont été
accomplis à une époque déterminée ; seul, le très
auguste mystère de la Trinité fait exception, il n'a
jamais commencé, c'est le premier et le plus
ancien des mystères, il est éternel.
Je songerai donc que ce mystère est éternel, et à
cause de cela je l'honorerai et je le respecterai, car
l'antiquité rend tout ce qui porte son empreinte,
vénérable. Il semble bien que ce soit le contraire
qui arrive pour les créatures : c'est qu'en vieillis-
sant elles ont perdu quelque chose, notamment
l'éclat de leur jeunesse et leur nouveauté ; les
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 267
années en passant sur elles, les ont altérées. Mais
vous, ô Dieu éternel, au milieu des changements
qu'amène le temps, vous restez immuable, votre
beauté est toujours ancienne et toujours nouvelle :
ancienne, parce qu'elle n'a pas commencé, nou-
velle, parce qu'elle est toujours florissante, toujours
dans sa première vigueur et dans son premier
éclat. Oh ! combien elles sont peu dignes de notre
estime, les qualités terrestres qui disparaissent
peu de temps après s'être montrées, et qui, quand
elles durent un certain temps, se fanent en pro-
portion de leur durée ! Elles n'existent qu'un
moment, et vous, très sainte Trinité, vous vivez
éternellement,
III
Une troisième excellence de ce mystère, c'est
que la sainte Trinité est la cause de tous les autres
mystères et de tout ce que renferme le monde.
Elle est d'abord la cause efficiente de tous les
mystères ; c'est en effet la Sainte-Trinité qui les
a tous accomplis, ce sont les trois Personnes
divines qui, en unité de principe et par une action
identique, ont formé cet univers, justifié les anges,
glorifié ceux qui furent trouvés fidèles et obéis-
sants. Ce sont les trois Personnes ensemble qui
ont décrété l'Incarnation d'une volonté commune,
et bien que la Personne seule du Fils ait revêtu
la nature humaine, c*est par les trois Personnes
qu'elle en a été revêtue, ce sont elles qui ont
accompli les œuvres miraculeuses de la vie du
Sauveur, en se servant de l'humanité de Jésus-
Christ comme d'un instrument ; elles ont ressus-
268 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
cité cette humanité et après la résurrection, l'ont
élevée triomphalement à la droite du Père. Ce
sont encore les trois Personnes divines qui remet-
tent les péchés dans le baptême et dans la péni-
tence, et qui accomplissent tant de merveilles
dans les âmes. Ainsi donc, la Trinité est la cause
efficiente de tous les mystères.
Elle en est aussi la cause finale : ils n'ont été en
effet accomplis que dans le but de la glorifier. Le
monde, si grand soit-il, n'est créé que pour porter
sa ressemblance, pour servir de demeure à des
créatures douées d'intelligence, capables de la
connaître, de l'étudier, de l'adorer, de l'aimer de
la voir face à face et de la louer éternellement. Le
Fils ne s'est fait homme, que pour prêcher d'une
bouche humaine les merveilles de la Trinité
suprême ; il n'a opéré tant de prodiges inouïs que
pour donner du crédit à ses enseignements par le
témoignage des miracles. S'il a subi la mort, ce fut
pour offrir à la Sainte-Trinité un sacrifice d'adora-
tion, d'action de grâces et de propitiation d'une
valeur assez grande pour réparer l'honneur de la
Trinité et pour lui acquérir sur la terre des sujets
occupés à lui rendre le culte et l'obéissance qui lui
sont dûs. C'est ainsi que tout procède de la Tri-
nité, considérée comme cause efficiente, et que,
comme dans un cercle mystérieux, tout retourne à
la Trinité, considérée comme cause finale. Elle est
véritablement l'alpha et l'omega, le principe et la
fin de toutes choses.
Enfin c'est elle qui est l'unique et le souverain
bien, le bien qui se suffit à lui-même et dont tous
les autres êtres ont un besoin absolu, car ce bien
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 269
suprême et la source de leur bonheur n'est autre
que le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
O Trinité sainte ! mon seul bien, mon bien plus
que suffisant, je vous rends de perpétuelles actions
de grâces, je vous loue et vous bénis de tout mon
cœur comme la source bienheureuse de tout bien.
Puisque vous êtes la fin dernière de toutes choses,
je m'élance vers vous de toutes mes forces, je
dirige toutes mes actions vers ce but, votre gloire;
j'aspire à vous servir, à vous faire adorer et aimer
par autant d'âmes que je pourrai en remplir de
votre connaissance et de votre amour. Enfin je
soupirerai après vous, qui êtes l'objet de ma féli-
cité. En attendant, je vous consacre mes labeurs et
tout ce que je puis faire dans ce monde d'agréable
à Votre Majesté. Je n'aurai point de repos que
vous ne soyez aimée, étudiée, admirée et glorifiée
dans tous les siècles des siècles.
270 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ir MÉDITATION
DE LA CONNAISSANCE
ET DE L'AMOUR
DE LA SANTE-TRINITÈ
SOMMAIRE
Nous pouvons avoir une certaine connaissance
de la Sainte-Trinité dès cette vie; — nous
devons V avoir ; — mais notre amour de la
Sainte-Trinité peut et doit dépasser de beau-
coup la connaissance que nous en avons.
I
NOTRE âme peut, même dès cette vie, avoir
quelque connaissance de la Sainte-Trinité :
car toute âme est créée pour la connaître et pour
la glorifier à la suite de cette connaissance. Or
Dieu ne fixe pas un but à sa créature, sans lui
fournir les moyens de l'atteindre. Donc l'âme peut
parvenir à la connaissance de la Trinité pour la
glorification de laquelle elle a été placée dans ce
monde. L'homme a divers états et diverses sortes
de vies ; une vie mortelle ici-bas et une vie immor-
telle dans l'autre monde : aussi sa fin est la con-
naissance de la Trinité, une connaissance obscure
et non évidente ici-bas, une connaissance claire et
sans voiles dans le ciel. En conséquence, l'homme
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 271
peut connaître la Trinité d'une manière obscure et
par la foi, dans ce monde ; d'une manière évidente
et par la claire vision, dans l'autre. C'est dans ce
^but que l'âme a été créée à l'image et à la ressem-
blance de la Sainte-Trinité : elle devenait ainsi
plus capable de connaître celle dont elle porte en
elle-même quelques traits.
Cette ressemblance n'est pas même le privilège
exclusif de l'âme, mais toute créature porte
comme imprimé sur son front quelque marque
ou quelque caractère de la Sainte-Trinité. Les
créatures considérées en général, se divisent en
trois catégories : les créatures spirituelles, les
créatures corporelles et les créatures mixtes,
comme sont les hommes. Les créatures spirituel-
les se divisent à leur tour en trois hiérarchies et
chaque hiérarchie comprend trois chœurs. Quant
aux créatures corporelles elles sont aussi de trois
sortes, les corps célestes, les corps simples et les
corps composés. L'homme est doué d'une âme
unique, mais qui comprend dans son unité trois
vies : la vie végétative, la vie sensitive et la vie
intellectuelle. Et tout cela n'est pas l'effet du
hasard, mais le résultat d'un dessein de la sagesse
divine, qui a voulu que la Trinité des personnes
fut représentée par la distinction des créatures, et
l'unité de leur Essence par l'étroite union des
créatures entre elles, afin que l'homme se servant
des créatures comme d'autant de degrés, s'élevât
plus facilement jusqu'à la connaissance de la
Trinité.
Toutefois ces traits n'étaient pas assez frappants
pour fixer par eux-mêmes l'attention de l'homme
272 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
et pour imprimer dans son esprit les premiers
éléments de cette connaissance. Dans sa bonté
Dieu a voulu lui fournir d'autres images de ce
mystère plus claires et plus expressives. Il s'est
alors dépeint lui-même dans les Saintes Ecritures:
il a voulu se montrer plus à découvert dans les
révélations de la foi, et il a ordonné de publier
cette foi dans tout l'univers, l'offrant à tous, afin
que nul ne fut bienvenu à alléguer comme excuse
son ignorance de la divinité, unique dans son
Essence et trine (i) dans ses Personnes.
Faites grand cas de cette capacité que Dieu a
mise dans nos âmes et que les anges seuls parta-
gent avec nous : par elle nos âmes sont élevées
au-dessus de toutes les autres créatures. Qu'y
a-t-il, dit Origène (2), de plus parfait que de
connaître le Père, le Fils et le Saint-Esprit? Quelle
grâce Dieu m'a donc faite, en me rendant capable
de connaître cet auguste mystère ! Je reçois, o mon
Dieu, cette faveur signalée de votre bonté et je
l'estime mille fois plus que d'être capable de
connaître tous les mouvements des cieux et toutes
les merveilles de la nature. Quoique la science
que nous avons de vous ici-bas soit bien impar-
faite, néanmoins il y a beaucoup plus de plaisir à
connaître, même dans une mesure très restreinte,
les choses supérieures et divines, qu'à posséder
X. Noos sommes obligé d'employer un mot qui a vieilli depuis
que Racine en faisait usage. Il est fort regrettable que l'Académie ne
lui ait pas conservé le sens que nous lui donnons ici. Mais bien au-
dessus de ses décisions, il y a celles de l'Eglise qui nous défend
d'appeler Dieu triple, c Hxc est Sanctie Trinitatis relata narratio :
c quoe non triplex, sed Trinitas et dici et credi débet > dit le sym-
bole de foi du XI* Concile de Tolède.
9. Hom. 10, tn Num,
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 278
complètement la science de toutes les choses infé-
rieures et humaines. Pour ce motif j'accepte la foi
comme la lumière de ma vie, Je lui assujettis ma
raison et toutes mes pensées, je désavoue formel-
lement tout ce qui se présenterait à mon esprit de
contraire à ses enseignements. O Dieu incompa-
rable, j'en fais maintenant le serment que je suis
prêt à signer de mon sang et à sceller au prix de
ma vie. Je sais et je crois que vous êtes un seul
Dieu en trois Personnes adorables, le Père, le Fils
et le Saint-Esprit.
III
Non-seulement l'homme est capable de connaî-
tre d'une certaine manière le mystère de la Sainte-
Trinité, mais il y est tenu : c'est une chose néces-
saire, obligatoire, sous peine de ne pas se sauver.
Les paroles de Jésus-Christ en sont la preuve :
« Quiconque croira et sera baptisé^ sera sauvé ;
« mais quiconque ne croira pas, sera con-
« damné. » (Marc, i6). Or la foi n'est pas possible
sans la connaissance au moins des principaux
mystères qu'elle propose, et le premier de tous
les mystères est bien celui de la royale et bienheu-
reuse Trinité. Aussi le grand saint Cyrille (i) dit
formellement que nul ne peut être instruit de sa
foi, s'il ignore la Sainte-Trinité. En effet la voie
par laquelle nous allons à Dieu, c'est Jésus, qui a
dit de lui-même : « Je suis la voie, la vérité et la
« vie » (Jean, 14). Or d'où est sorti Jésus, si ce
n'est de la Trinité, comme d'une très ancienne et
très illustre maison ?
X, Lib. I, Thés, Asserh'o. i».
Bah, t. I. ,8
^74 Î'A. THÉOLOGIE AFFECTIVE
N'est-ce pas le sein du Père éternel, qu'il a
quitté pour venir vivre parmi les mortels ? veut-
on dès lors le connaître, sans avoir aucune notion
de la Sainte-Trinité ? Mais il est absolument
nécessaire de connaître Jésus-Christ, le Verbe
incarné. Donc il est nécessaire aussi de connaître
la Trinité.
De plus, la Trinité est la fin dernière des âmes
or il convient à des êtres que la raison dirige, de
connaître la fin vers laquelle ils tendent. Quelle
honte, si des créatures douées d'intelligence igno-
raient le but vers lequel elles s'acheminent, s'il
fallait les y mener comme des bêtes à qui tout
discernement fait défaut, ou s'il fallait les y por-
ter comme des pierres ! Pour que nos âmes tien-
nent dignement le rang d'honneur que leur assi-
gne leur qualité de créatures intelligentes, il faut
donc qu'elles aient quelque connaissance de la
Trinité, terme de toutes leurs espérances.
Enfin la connaissance de la Trinité est la
science caractéristique des chrétiens, celle par
laquelle ils se distinguent des Juifs, des Turcs
et des autres infidèles. Ceux-ci ont bien la notion
de l'unité de Dieu, mais il y a une vérité qu'ils
ignorent totalement, c'est la Trinité. C'est pour
cela que ceux qui ne savent rien de ce mystère,
méritent à peine le nom de chrétien.
Je reconnaîtrai combien le devoir de connaître
ce mystère est fondé en raison et j'en déplorerai
l'infraction. Hélas ! que de personnes ignorent ce
mystère je ne dis pas parmi les nations barbares,
mais même dans le sein de la chrétienté et malgré
tant de pasteurs et de Docteurs que compte l'E-
DE LA TRÈS SAINTE TRlNITÉ 27S
glise ! Combien aussi le connaissent mal et ne le
voient qu'à travers un enseignement faux et héré-
tique ! Il faut cependant, o Trinité sainte, que
vous soyez connue ou dans les clartés célestes, ou
à la lueur des flammes de l'enfer. Pourquoi donc
avilir plus longtemps notre pensée dans l'étude
des choses périssables ? Pourquoi ne pas commen-
cer dès maintenant à étudier cette vérité divine-
nement révélée qui doit faire l'objet de notre
éternelle contemplation dans le ciel ? O Trinité,
mon Dieu, ayez pitié de l'ignorance du monde,
éclairez mon esprit afin que je vous connaisse et
inspirez à vos serviteurs un grand zèle pour vous
annoncer et pour vous faire connaître sur la terre.
III
La Trinité doit être beaucoup plus aimée par
nous que connue, beaucoup plus révérée que
scrutée. Car quand Dieu a donné aux hommes le
grand commandement de l'aimer, il a voulu que
l'homme se vouât tout entier à son amour, qu'il
aimât Dieu (~ide toute son âme^ 'de tout son es-
« prit, de toutes ses forces. » ( Matt. 22). Mais
quand il commande qu'on le connaisse. Dieu ne
dit rien de pareil. C'est pour cela que la connais-
sance de Dieu est limitée à un certain degré, que
la faiblesse humaine ne peut dépasser. Si les
esprits les plus pénétrants cèdent à une téméraire
curiosité, et veulent approcher Dieu de trop près,
ils se sentent accablés par la splendeur qui jaillit
de sa face et par une trop vive lumière qui les
aveugle plutôt qu'elle ne les éclaire.
Mais il n'importe : une connaissance médiocre
276 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de ce mystère suffit pour exciter dans Tâme un
grand amour, de même qu'une étincelle peut
quelque fois causer un grand incendie. Il arrive
chez certains que l'ardeur de l'amour est hors de
proportion avec le degré de lumière qu'a l'esprit,
et que, suivant l'expression d'Hugues de Saint-
Victor (i), déjà l'affection est entrée au-dedans et
même a pénétré bien avant, tandis que la science
est encore dehors, arrêtée à la porte, sans pouvoir
avancer. En voici peut-être la raison : c'est que le
propre de la connaissance est d'attirer à nous l'objet,
de le faire pénétrer en quelque sorte en nous par
les espèces et images que nous en formons, tandis
que le caractère propre de l'amour est de nous
faire sortir en quelque sorte de nous-mêmes et de
nous porter vers l'objet aimé. D'où il résulte que
connaître Dieu, c'est l'attirer à nous dans une cer-
taine mesure, tandis que l'aimer, c'est être attiré
vers lui. Or celui qui est grand est plus capable
de recevoir en soi quelqu'un de plus petit, que le
petit ne l'est d'embrasser plus grand que lui. Dieu
donc ne peut être aussi bien attiré et comme
enfermé en nous par notre science, que nous,
nous pouvons être attirés et enfermés en lui par
notre amour.
Je me réjouirai donc à la pensée que si je n'ai
pas l'esprit assez puissant pour pénétrer profon-
dément en Dieu par la science, ma volonté du
moins est capable de beaucoup aimer et de com-
penser par l'amour ce qui me manque du côté de
la science. Accordez-moi donc, o adorable Trinité,
que je ne veux connaître qu'afin de mieux vous
X. In cap. 7 cal, hier.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 277
aimer, accordez-moi la grâce d'être enflammé de
votre amour, en vous étudiant, et de me dégoûter
de tout ce qui n'est pas vous. Oh ! combien alors
sera beau le fruit de mes travaux ! quelle brillante
couronne, me sera réservée au terme de ma
course !
Iir MÉDITATION
DES MOTIFS ET DES MOYENS
D'HONORER LA SAINTE-TRINITÉ
SOMMAIRE
Quatre motifs : sa souveraine grandeur ; sa
bonté à notre égard; notre utilité ; Vexempie
des saints ; — six moyens : nous corriger de
tous nos péchés mortels et de tous nos péchés
véniels; retrancher toutes nos occupations
superflues; V invoquer souvent au commence-
ment de nos actions ; nous humilier profon-
dément; la féliciter pour toutes ses perfec-
tions; amener les autres hommes à V aimer. —
Effets précieux de la méditation de ce mys-
tère.
I
VOICI les motifs qui doivent nous exciter à
aimer et à respecter profondément la
Sainte-Trinité.
278 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Le premier est sa souveraine grandeur et excel-
lence ; on doit honorer en effet ce qu'il y a de plus
grand, et rien n'est plus majestueux ni plus auguste
que la Sainte-Trinité, dont chaque perfection est
infinie. « Grand est le Seigneur, dit David, // est
« au-dessus de toutes nos louanges et sa gran-
di deur n'a pas de bornes. » (Ps. 144.)
Le second motif qui équivaut à plusieurs, c'est
sa bonté et sa libéralité à notre égard. Quoi de
plus naturel que de reconnaître par des témoi-
gnages de respect et d'honneur, tout au moins les
biens qu'on a reçus ? Or, c'est à la Sainte-Trinité
que nous devons tous les biens que nous possé-
dons : elle fut gracieuse et libérale à notre endroit
plus qu'on ne saurait le dire. Le Père est Charité,
le Fils est Grâce, le saint Esprit est Don. C'est la
Trinité qui de toute éternité nous a prédestinés à
la grâce et aussi, c'est du moins notre espérance,
au paradis. C'est elle qui nous a créés, nous tirant
du néant en vertu d'un amour spécial, et nous
imprimant sa ressemblance : c'est elle qui nous
conserve : car l'homme ne ressemble pas à une
horloge qui, une fois montée, marche environ
vingt-quatre heures, sans avoir besoin du secours
de nos mains : il nous serait impossible de subsister
une seule minute, si Dieu n'avait toujours la main
sur nous, pour nous soutenir et nous conserver.
C'est elle qui nous a donné un Rédempteur, afin
qu'il s'immolât pour nous et qu'il nous acquit par
son sang tous les moyens de salut. C'est d'elle
enfin que découlent toutes les bénédictions spiri-
tuelles et temporelles, que nous possédons ou
que nous espérons. Ce sont là autant de raisons
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 27g
qui prouvent que nous ne pourrions jamais la
remercier suffisamment, quand bien même ce
serait l'unique occupation de toute notre vie.
Le troisième motif c'est l'utilité qu'il y a pour
nous à l'invoquer, à la louer et à l'honorer. Si, en
effet, elle nous a fait du bien, avant que nous fus-
sions en état de l'invoquer et de l'honorer, combien
plus ne nous en fera-t-elle pas, quand elle nous
verra prosternés devant elle, adorant ses gran-
deurs et entièrement dévoués à son service !
Il n'y a pas d'exercice de piété plus profitable.
L'exemple des plus grands Saints est enfin un
quatrième motif pour nous de l'adorer. Jésus-
Christ, le Saint des Saints, avait dans son âme
toute céleste cette ardente dévotion : il passe en
son honneur trois heures en oraison à Gethsé-
mani, trois heures en agonie sur la croix et trois
jours dans le tombeau. L'unique occupation des
séraphins au ciel est de s'écrier sans cesse, dans le
ravissement qu'ils éprouvent en sa présence.
« Saint, saint^ saint. » (Is. 6.) Les plus grands
Docteurs de l'Eglise n'ont eu rien de plus à cœur
que d'honorer la Trinité dans leurs sermons, leurs
écrits et leurs œuvres. Enfin une infinité de mar-
tyrs de tout âge et de tout sexe, ont honoré la
Trinité en la confessant courageusement au milieu
des plus cruels supplices et cet amour a adouci
leur douleur les plus aiguës. Ils ont scellé de leur
sang leur foi en la Sainte-Trinité, aimant mieux
perdre la vie dans les plus horribles tourments,
notamment à l'époque de l'hérésie arienne, qui
battait en brèche ce mystère, que de faillir au
devoir de l'honorer par une généreuse profession
28o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de leur foi, de leur espérance et de leur amour
pour elle.
Voilà des raisons assez fortes pour me persuader
et pour m'inspirer un ardent désir de révérer la
Trinité par un culte spécial. O très majestueuse
et très libérale Trinité, je regrette d'avoir jusqu'à
présent tenu si peu de compte de mes devoirs
envers vous ; je veux de tout mon cœur réparer
cette faute et compenser par des hommages qui
dureront toute ma vie, ceux que je ne vous ai
point oiferts depuis que j'ai reçu de vous cette
vie même. O Sainte-Trinité, qui êtes un seul
Dieu ! faites-moi miséricorde, donnez-moi d'offrir
à votre infinie Majesté un culte de latrie, une piété
constante, inébranlable et perpétuelle. Donnez-
moi un très parfait amour de votre Majesté, tel
que l'ont eu vos généreux martyrs, c'est-à-dire
assez fort pour qu'aucune tribulation ou angoisse,
aucun péril et aucune persécution ne puisse me
séparer de vous. Si je ne puis vous honorer autant
que le mérite votre grandeur et votre perfection,
que du moins je vous honore autant qu'il me sera
possible avec le secours de votre grâce : je vous la
demande humblement dans ce but.
III
Voici les divers moyens d'honorer et de révérer
la Trinité :
Le premier consiste à nous corriger de tous
nos péchés mortels, car ils détruisent l'amour que
nous lui devons ; il faut aussi nous corriger,
autant que possible, de nos péchés véniels, car ils
outragent son honneur et diminuent la gloire à
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 281
laquelle elle a droit, gloire qui consiste à être
obéie par ses créatures jusque dans les moindres
choses.
Le second moyen sera de supprimer toutes les
occupations superflues et tous les entretiens inu-
tiles, où se perd un temps que l'on pourrait
employer à la louer et à la servir.
Le troisième moyen consistera à l'invoquer
souvent, au commencement de nos actions, notam-
ment à les lui offrir et à les lui consacrer en
même temps que notre cœur et notre volonté.
Ce sera lui offrir et les fruits et l'arbre qui les
produit tout ensemble ; nous dirigerons le tout
vers sa gloire, nous n'aurons en vue dans tout ce
qui nous concerne, que son honneur exclusive-
ment et nous ferons retourner à la Trinité tout ce
que nous avons reçu d'elle.
Le quatrième moyen sera de nous humilier
profondément en sa présence, à la pensée que
nous sommes extrêmement petits et vils en face
de sa Majesté sans bornes. Nous devrons rougir
de lui être si peu soumis par une parfaite confor-
mité de volonté dans tous les événements, et de
l'avoir si peu servie, si peu glorifiée en comparai-
son de l'honneur et des services que nous lui
devions. Nous imiterons ainsi les séraphins qui,
en présence de la Trinité se voilent la face de
leurs ailes, pour indiquer qu'ils sont indignes de
paraître devant sa Majesté.
Le cinquième moyen sera de nous réjouir inté-
rieurement en pensant à toutes les perfections
que la Sainte-Trinité possède à un degré souve-
rain, à sa puissance, à sa sagesse, à sa beauté, à sa
282 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
justice, à sa miséricorde, à son éternité et aux
autres, ce qui sera un moyen excellent de la
féliciter.
Le sixième moyen consistera à faire tous nos
efforts et à employer tout notre pouvoir à la faire
connaître, louer, honorer et aimer par tous les
hommes ; nous les y exciterons par nos paroles,
nos exemples et par tous les moyens qui seront
à notre portée. J'imiterai saint Grégoire le Théo-
logien (i) qui, brûlant d'un zèle semblable, appe-
lait la Trinité sainte, adorable et patiente, et lui
parlait en ces termes: Je voudrais qu'ils devinssent
vos adorateurs tous ceux qui vous méprisent ou
vous outragent, que pas un seul d'entre eux ne
fut perdu, fut-ce le plus petit. Je le voudrais
quand bien même il serait nécessaire pour cela
de perdre quelque degré de grâce. Ainsi parlait
ce grand homme ; et puisque le plus grand
honneur qu'on puisse rendre à la Sainte-Trinité,
c'est le saint sacrifice de la Messe qui est son
tribut propre, exclusivement dû à sa grandeur
suprême, offrons-le lui fréquemment, si nous en
avons reçu le pouvoir dans le sacrement de
l'Ordre, sinon faisons en sorte que le saint sacri-
fice lui soit offert avec révérence ; enfin assistons-y
tout au moins avec des sentiments de grand respect
et dans une profonde adoration.
Je graverai dans ma mémoire ces six moyens de
servir la Sainte-Trinité et je les considérerai
comme les six ailes avec lesquelles les Séraphins
se présentent devant elle. Je m'efforcerai sur
l'heure à en produire les actes, pour ne plus diffé-
I. Greg. dt Nai^, Or. 18, sub finem.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 283
rer de lui rendre gloire et honneur. O admirable
Trinité ! j'ai mes fautes en horreur, parce qu'elles
attaquent votre grandeur : « Je bénirai le Sei-
« gneur en tout temps, sa louange retentira
« toujours sur mes lèvres. » (Ps. 3.) O Seigneur,
tout est à vous, tout sera fait pour votre plus
grande gloire. O Majesté suprême, je ne suis rien
devant vous, la confusion couvre mon visage à la
pensée que je ne vous ai pas servi. O Trinité
sainte ! Possédez toujours vos grandeurs infinies :
mon âme ne cessera jamais de s'en réjouir. Oh !
quelle profonde joie j'éprouverais, si toutes les
créatures vous honoraient ! O vous tous « loue^ le
« Seigneur avec moi, exaltons ensemble son
« saint nom. Vene\, adorons et prosternons-
« nous devant Dieu. » (Ps. 94.) Offrons des sacri-
fices en son honneur. O Trinité adorable, accordez-
moi cette grâce, que tous ceux qui liront ces lignes
dirigent toutes leurs actions vers votre gloire,
qu'ils soient entraînés avec moi à vous aimer et à
vous servir et qu'ils soient enflammés d'une inex-
tinguible ardeur pour vous louer sur la terre
comme au ciel, vous le Père, vous le Fils et vous
le Saint-Esprit, notre souverain bien. Car à vous,
ô suréminente Trinité, appartiennent dans les siè-
cles des siècles toute louange, tout honneur, toute
gloire et toute souveraineté.
III
La meilleure préparation pour employer ces
moyens par lesquels la Trinité est honorée, c'est
de méditer ce grand mystère et les merveilles qu'il
renferme. En effet la plus haute et la plus sublime
284 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de toutes les méditations, est celle par laquelle
l'homme s'élève non seulement au-dessus de la
sphère de toutes les créatures sans raison, mais
encore au-dessus de lui-même et de sa nature. Or
telle est la méditation sur la Sainte-Trinité ; elle
est si excellente et produit de si nobles effets qu'il
ne reste plus rien à souhaiter à notre vie spiri-
tuelle, si ce n'est de jouir de la vue de la Trinité
dans les clartés des cieux. C'est le champ de dévo-
tion des âmes les plus éminentes en sainteté et
l'âme qui élève sa connaissance et ses affections
jusqu'à ce sublime et ravissant objet, se trouve
unie au principe de tout bien, et se voit transpor-
tée à la source même des douceurs et des consola-
tions spirituelles. D'une part, l'esprit qui s'adonne
à ce genre de méditation fait les plus grands pro-
grès dans la connaissance des excellences de Dieu,
découvre de plus en plus tout ce qu'il renferme
de beautés, tout ce qu'il mérite d'amour, de res-
pect et de gloire ; de l'autre, la volonté à son tour
se trouve plus puissamment engagée à former les
résolutions les plus généreuses et les plus magna-
nimes, à s'obliger à un respect plus profond, à un
amour plus ardent, à des actes plus héroïques. En
un mot, après une sérieuse méditation sur ce
mystère des mystères, l'âme comprendra que,
quand même elle renoncerait à tout, quand même
elle ferait et souffrirait tout pour l'amour de Dieu,
tout cela équivaudrait à peu près à rien et ne cons-
tituerait pas même une partie notable de ce qu'elle
doit à la Sainte-Trinité. Il lui devient alors facile
de se repentir de ses péchés, de renoncer aux occu-
pations inutiles qui dévorent un temps si précieux.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 285
Il lui semble que c'est la plus grande extravagance
du monde de ne pas tout rapporter à la gloire de
cette Majesté suprême et de ne pas s'humilier
devant elle. Finalement l'étroite alliance qu'elle
contracte avec les Personnes divines, la porte
naturellement à se réjouir de leur félicité et à
exciter les autres à prendre leur part d'un avan-
tage qui n'est pas moins grand pour chacun, par
le fait que plusieurs en jouissent.
Je m'adonnerai donc avec tout le sérieux dont
mon esprit sera capable, à la méditation de ce
mystère. La Trinité sera mon grand objet, ma
souveraine occupation. Je m'écrierai à l'exemple
d'un grand saint (i) : « O Trinité! ma gloire, ma
« beauté y V objet de mes méditations ». Avec
l'Eglise (2), je l'invoquerai par ces paroles : « Le
« soleil disparaît déjà à l horizon ; mais vous,
« ô Dieu îtnique, vous, Trinité bienheureuse,
« vous demeure^ la lumière éternelle. Oh !
« inspire^ votre amour à nos cœurs! Que nous
« vous chantions un hymne le matin, que le
« soir nous vous adorions encore ! daigne^
« nous admettre, nous vous en supplions^ au
« milieu de vos élus pour vous louer avec
« eux. »
I. Greg. de Naz. Or. 32.
a. Hymne du Briv. Fitt de la Trin. à Vêpres.
286 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
IV^ MÉDITATION
DES PRODUCTIONS DIVINES
ET DE LA TRINITÉ DES PERSONNES
SOMMAIRE
Il y a en Dieu plusieurs Personnes, dont les
unes produisent et les autres sont produites.
— Dieu produit le Verbe par son intelli-
gence et le Saint-Esprit par sa volonté. —
// n'y a en Dieu que trois Personnes.
I
IL y a en Dieu plusieurs Personnes dont les
unes produisent et les autres sont produites.
Les Ecritures attestent cette grande vérité, quand
elles disent qu'une des trois Personnes, le Fils,
est engendré par une autre Personne qui est le
Père et que le Saint-Esprit procède du Père et du
Fils (Ps. 2, Jean, i5.)
Et certes nous devons attribuer à Dieu tout ce
que nous imaginons de plus grand et de plus
excellent, tout ce qui contribue le plus à sa gloire.
S'il nous a donné une intelligence, c'est pour
l'honorer en concevant de lui l'idée la plus haute :
agir autrement, serait abuser de notre intelligence.
Or c'est une grande perfection qu'il y ait en Dieu
des productions, c'est-à-dire des Personnes qui
produisent et d'autres qui sont produites. En effet
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 287
l'Etre infini qui produit un autre infini, l'Etre
éternel qui produit un autre Etre éternel, l'Etre
parfait qui produit un autre Etre parfait, est meil-
leur que, s'il ne produisait rien en lui-même.
L'acte est toujours plus parfait que la simple
puissance ou la privation de l'acte. Donc puisque
Dieu est l'Etre le meilleur, qu'il est souveraine-
ment bon et parfait, il doit produire un autre
Etre qui soit aussi souverainement bon et parfait.
Et ainsi nous concluons qu'il y a en Dieu des
productions, c'est-à-dire qu'il y a des Personnes
qui sont principe de production et des Personnes
qui sont produites.
De plus, la caractéristique du bien est une
tendance à se communiquer et à se communiquer
en raison directe de sa grandeur. Le bien fini se
communique d'une manière finie. Mais l'Essence
divine qui est infiniment bonne, doit se commu-
niquer proportionnellement à sa bonté, c'est-à-
dire infiniment. D'où il résulte qu'il y aura en
Dieu plusieurs Personnes qui participeront à son
Essence et qui ne seront qu'un seul Dieu.
Nous pouvons ajouter que plus les substances
sont nobles et supérieures aux autres, plus elles
sont actives et plus elles donnent abondamment.
Le soleil envoie au monde entier ses rayons, les
meilleurs fruits nous viennent des meilleures
espèces d'arbres, ce sont les meilleurs esprits qui
conçoivent les plus sublimes pensées et ce sont
les grandes flammes qui projettent les clartés les
plus éclatantes. Aussi les philosophes qui ont
ignoré le Fils et le Saint-Esprit, qui ont seule-
ment su que le monde tenait son existence d'un
288 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Dieu, n'ont rien connu de la magnificence infinie
de ce Dieu : de même que celui qui aurait appris
que le roi a donné trois oboles, mais qui ignore-
rait qu'il a distribué d'immenses trésors, ne
connaîtrait pas la grandeur de sa magnificence.
Dieu doit avoir une action infinie et il lui appar-
tient de donner infiniment, par conséquent beau-
coup plus qu'il n'a donné au monde en le créant,
puisque ce n'est qu'un être fini qu'il lui a donné.
Or pour donner infiniment, il faut que Dieu pro-
duise une personne infinie et qu'il lui communique
sa divinité même. A cette condition Dieu aura
agi glorieusement, il aura produit quelque chose
digne de sa grandeur et tel que toute intelligence
qui raisonne l'attend de lui (i).
Je croirai donc qu'en réalité il l'a fait, soit parce
que l'Ecriture me l'enseigne, soit parce qu'une
telle croyance est glorieuse pour Dieu, J'inclinerai
toujours à lui attribuer tout ce qu'il y a de plus
noble et de plus magnifique, je me réjouirai quand
je verrai les autres homme m'imiter sur ce point,
je détesterai tout ce qu'on pourra dire de contraire
à cette doctrine; je sais en effet, o mon Dieu, que
vous êtes au-dessus de toutes les louanges et au-
X. Les raisons qu'apporte ici l'auteur n'ont d'autre valeur que de
rendre probable l'existence de ce grand mystère : il est tout au moins
certain que la raison humaine ne peut démontrer d'une manière posi-
tive la réalité de ce mystère, pas même lorsqu'elle le connaît déjà
par la révélation. On peut le conclure de la définition du Concile du
Vatican (Const. Dei Filius, IV, can. i) qui prononce l'anathème
contre quiconque « dit que la révélation divine ne contient pas de vrais
€ mystères, des mystères proprement dits, mais que tous les dogmes dt
< la foi peuvent, a l'aide d'une raison exercée, être compris et démontrés
< pmr les principes naturels. » Or, l'unanimité des SS. Pères et des
Théologiens considère le mystère de la Sainte-Trinité comme le pre-
mier des mystères et le plus impénétrable de tous. L'erreur que nous
lignalons ici a été renouvelée de aos jours par Antoine GUnther.
DÉ LA SAINTE TRINITÉ 289
dessus de toutes les grandeurs qu'on peut vous
attribuer. Que les créatures communiquent à
d'autres les biens plutôt petits que grands, c'est à
la portée de leur puissance finie. Mais vous, ô
mon Dieu, qui êtes l'infinité même, que vous
produisiez des choses plus grandes que petites,
qu'il y ait en vous des communications infinies,
rien n'est plus conforme à la grandeur de votre
Etre infini, rien ne peut le faire paraître plus glo-
rieux et plus admirable. Je veux donc admettre
cette croyance, car je ne désire rien tant que votre
gloire pour laquelle vous m'avez mis au monde.
II
Ces Personnes sont soit principe de production,
soit produites de deux manières, à savoir, par
l'acte de l'intelligence, qui est la connaissance, et
par l'acte de la volonté, qui est l'amour. Une subs-
tance spirituelle en effet n'a que deux puissances
qui lui sont propres, qui produisent des actes
immanents, et par lesquels elle peut se commu-
niquer conformément à sa nature : ces deux puis-
sances sont l'intelligence et la volonté car la
mémoire n'est qu'une extension de l'intelligence
et la volonté n'est qu'une prérogative de la liberté.
Chez les puissances spirituelles créées, c'est-à-dire
chez les anges et les âmes raisonnables, l'intelli-
gence qui est finie, produit conformément à sa capa-
cité une sagesse finie etla volonté produit également
un amour proportionné à elle-même, c'est-à-dire
fini. Serait-il raisonnable de moins attribuer à
l'esprit et à la volonté de Dieu, qu'à l'esprit et à
la volonté des anges et des hommes ? Donc puis-
Bau, t. i« I
îigo LA. THÉOLOGIE AFFECTIVE
que Dieu est la première substance spirituelle et
douée d'une intelligence infinie, par cette intelli-
gence il devra produire une connaissance ou une
sagesse infinie, qui s'appellera le Verbe ou le Fils:
d'autre part, puisqu'il possède une volonté infinie,
par cette volonté il devra produire un amour infini,
qui s'appellera le Saint-Esprit. Comment admettre
en effet que les facultés spirituelles soient douées
d'activité et de fécondité chez les créatures, dont
la substance est finie et qu'en Dieu, elles soient
stériles et infécondes ? Donc les Personnes divines
sont, soit principes de production, soit produites
ou par la connaissance, qui est l'acte propre de
l'intelligence, ou par l'amour qui est l'acte propre
de la volonté.
J'adorerai la puissance de ces deux facultés
divines, l'intelligence et la volonté, j'adorerai ces
facultés comme étant les principes des Personnes
infinies du Fils et du Saint-Esprit. Faites, ô mon
Dieu, qu'à l'exemple de votre intelligence, qui
produit une sagesse proportionnée à sa vigueur
infinie, mon esprit conçoive une science de vos
mystères aussi vaste que sa capacité le lui permet ;
faites aussi qu'à l'exemple de votre volonté, qui
produit un amour infini, ma volonté produise tous
les actes d'amour envers vous, dont elle est capa-
ble. O Dieu très admirable, que je vous aime de
toute mon âme, de toute mes forces, de tout mon
pouvoir.
III
Ces Personnes, soit celles qui sont principe de
production, soit celles qui sont produites par l'in-
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 2gl
telligence ou par la volonté, sont au nombre de
trois exactement, selon ce que la foi nous ensei-
gne. Puisqu'il y a en Dieu deux sortes de produc-
tion, il doit y avoir deux Personnes produites ;
Tune par voie d'intelligence, ce sera le Fils, l'au-
tre par voie de volonté, ce sera le Saint-Eprit : car
deux productions ne sont pas nécessaires à une
seule Personne, qui ne peut être produite qu'une
fois. De plus il faut que la Personne qui produit,
soit distincte des deux Personnes qui sont produi-
tes. Une chose ne saurait en effet se produire
elle-même : ce serait une contradiction manifeste.
Ces Personnes qui sont produites ne peuvent
l'être l'une par l'autre, car la Personne qui pro-
duit ne peut recevoir son être de la Personne
même qu'elle aurait produite : il y aurait encore
contradiction flagrante. D'où il résulte qu'il y
a trois Personnes en Dieu, deux Personnes pro-
duites, et une Personne qui produit, qui est
le Père. Il n'est pas possible d'en imaginer un plus
grand nombre : car dans ce cas, on devrait admet-
tre que ces trois Personnes sont produites par une
quatrième. Or, c'est impossible : en effet qu'est-
ce qui empêcherait de dire alors que cette qua-
trième à son tour aurait été produite par un
cinquième, celle-ci par un sixième et ainsi de
suite jusqu'à l'infini : ce qui répugne à la raison et
à la nature de Dieu. Il est donc nécessaire d'ad-
mettre qu'une de ces trois Personnes est principe
de production, sans avoir été produite elle-même.
Ou bien pour qu'il y eût plus de trois Personnes
en Dieu, il faudrait admettre en lui des produc-
tions par d'autres voies que celle de l'intelligence
29ÎÎ LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
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et celle de la volonté : ce qui est inadmissible,
parce qu'une nature intelligente ne peut se com-
muniquer autrement que par ces deux puissances.
Ou bien, dernière hypothèse, il faudrait qu'il y
eût plusieurs productions par voie d'intelligence
ou par voie de volonté. Or, c'est encore impossi-
ble, parce que le Fils ou le Verbe est un terme de
production infini, puisqu'il correspond à toute l'in-
finité de l'intelligence divine, et l'intelligence
divine en étant comme épuisée, ne peut dès lors
produire un second Verbe. Le Saint-Esprit est
également un terme de production parfait : il
épuise en quelque sorte toute la fécondité de la
volonté divine : donc il ne peut y avoir en Dieu un
autre amour, un autre Saint-Esprit. Concluons de
tout ceci qu'il y a trois Personnes divines, pas
une de plus, pas une de moins.
O grandeur de Dieu ! si ses jugements sont
incompréhensibles, combien plus le sera son Etre!
O Dieu ! combien vous êtes différent des créatu-
res : aussi devons-nous vous concevoir d'une façon
plus élevée, vous mettre absolument hors de pair,
de telle sorte que votre Essence unique en trois
Personnes, se distingue glorieusement, par sa
grandeur, de toutes les créatures. Un seul Père
suffit, un seul Verbe suffit à l'intelligence infinie
du Père, un seul Saint-Esprit suffit à sa volonté.
O Père ! ô Fils ! ô Saint-Esprit ! ô Personnes ado-
rables ! soyez mon seul bien ! qu'un tel bien me
suffise et que je n'en cherche pas d'autre. Je me
consacre à vous ; que je vous appartienne, possé-
dez-moi et que je vous possède I
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 298
V^ MÉDITATION
DES RELATIONS
DES TROIS PERSONNES DIVINES
SOMMAIRE
Les relations d'origine distinguent entre elles
les Personnes divines — les unissent étroite-
ment — les constituent.
I
LES trois Personnes divines sont relatives,
c'est-à-dire, qu'elles se rapportent Tune à
l'autre et ont entre elles des relations mutuelles
d'origine. Le Père est en rapport avec le Fils par
une relation de paternité, et le Fils est en rapport
avec le Père par une relation de filiation ; le Père
et le Fils sont en rapport avec le Saint-Esprit par
une relation de spiration active, et le Saint-Esprit
est en raport avec le Père et le Fils par une rela-
tion de spiration passive.
La sublimité et l'excellence des Personnes
divines semblent exiger ces merveilleux rapports.
C'est en effet le propre et le privilège de l'Etre
divin, d'être le centre et le but vers lequel tous les
êtres tendent et où ils se fixent. Aussi nous ne
trouverons pas une seule créature dans le monde
qui n'ait une tendance vers Dieu et une relation
avec Dieu. Cette relation est appelée par les philo-
294 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sophes, transcendantale ; c'est celle qu'a tout eifet
avec sa cause, toutes les créatures étant les effets
de Dieu. Aussi les yeux de tous sont fixés sur
Dieu : les anges et les hommes, les bêtes et les
plantes se rapportent à lui et sont dirigés vers lui,
saint Isidore, (i) cite un ancien auteur qui déclare
qu'il n'y a pas de créature, si stupide soit-elle, qui
n'éprouve un tressaillement pour Dieu, de même
qu'il n'y a pas de caillou d'où on ne puisse faire
jaillir des étincelles ; tant il est vrai que c'est le
propre de Dieu d'être le centre vers lequel tout
être se sent attiré. Or si les Personnes divines
étaient absolues et non relatives, tout ne se rap-
porterait pas à elles : une Personne divine ne se
terminerait pas à l'autre, et n'aurait point de
rapport avec elle. Le Père ne se terminerait pas
au Fils, ni le Fils au Père, ni le Saint-Esprit au
Père et au Fils : on les priverait ainsi d'une
grande perfection. Mais si elles sont relatives,
elles ont toutes cette grandeur et cette gloire de se
servir comme de centre et de but l'une à l'autre.
O mon Dieu ! puisque c'est votre gloire que tout
se rapporte à vous, je désire être sans cesse en
rapport avec vous par votre grâce. Oui, je rapporte
et consacre à votre gloire tous mes pas, toutes mes
pensées, toutes mes paroles, toutes mes oeuvres,
vous serez ma fin dernière et le centre immuable
de toutes mes intentions et de toutes mes inclina-
tions volontaires : car je considère, o mon Dieu,
qu'autant les relations sont faibles dans la sphère
de la nature, autant dans la sphère de l'esprit et
de la grûce, elles sont étroites et importantes. Le
I. De tum. bo. 1. x, cap. i.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 295
monde de la grâce en effet repose tout entier sur
des relations avec vous. Que je sois donc toujours
en rapport avec vous, en relation avec vous, sous
votre dépendance, et que je n'aspire qu'à m'élever
vers vous. Je voudrais que tout mon être ne fut
qu'une tendance et qu'un rapport continuel avec
vous : je voudrais semblable à la flèche qui tend
à son but, n'avoir jamais d'autre direction et
d'autre impulsion que vers vous, comme vers la
fin suprême de toutes mes affections.
II
Les Personnes divines, parce qu'elles sont rela-
tives, ont entre elles une union réciproque plus
étroite. Suivons le raisonnement d'un grand théo-
logien (i). La raison ne saurait démontrer, dit-il,
que les Personnes divines sont relatives, mais elle
le persuade néanmoins : car là ou l'unité est par-
faite, il ne faut admettre que la moindre de toutes
les oppositions. Or les trois Personnes divines
jouissent de l'unité la plus parfaite qui existe. Il faut
donc qu'elles ne se distinguent entre elles, que
par l'opposition la moins tranchée de toutes : telle
est l'opposition de relation. Celle-là est moins
radicale que les autres : car tous les opposés ou
s'excluent et se détruisent naturellement, ce qui
arrive pour les contraires, tels que le blanc et le
noir, le chaud et le froid : ou bien sont absolu-
ment incompatibles, comme les contradictoires
qui désignent des qualités dont la réunion et la
coexistence dans un môme sujet est impossible,
telles sont la lumière et les ténèbres, la vue et la
%. Palahus in i Dist. if>.
296 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
cécité, Têtre et le non-être. Mais les opposés rela-
tifs, loin de s'exclure, se soutiennent, s'affermis-
sent et se conservent mutuellement : ils n'ont
aucun avantage l'un sur l'autre. Donc puisqu'une
distinction était nécessaire entre les Personnes
divines, cette distinction ne pouvait avoir lieu
d'une manière qui convint mieux à la nature
divine qu'au moyen de relations. Ces relations en
effet n'altèrent en rien l'unité des Personnes et ne
produisent entre elles aucune division ou sépara-
tion : elles ont au contraire pour effet de lier les
Personnes ensemble et d'établir entre elles une
correspondance réciproque. Par le fait des relations
chaque Personne est en rapport avec les deux
autres et les deux autres le sont avec elle : le
Père est en rapport avec le Fils et le Saint-Esprit;
et le Fils et le Saint-Esprit sont en rapport avec le
Père : il en est ainsi du Fils à l'égard du Père et
du Saint-Esprit à l'égard du Père et du Fils.
C'est comme un triangle où chaque angle commu-
nique avec les deux autres. Il en résulte entre les
Personnes une société, une alliance et une harmo-
nie, à laquelle rien au monde n'est comparable,
qui les comble elles-mêmes d'une ineffable joie et
qui est la source de grands biens pour le monde :
ainsi la bonne intelligence et l'union des princes
de la terre les remplit de félicité eux et tous leurs
sujets.
Je me réjouirai de ces rapports et de cette ad-
mirable union qui existent entre les Personnes
divines. Au nom de cette union, je leur deman-
derai la paix entre les chrétiens et la cessation
de leurs divisions et de leurs guerres. O très-
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 297
noble Jésus ! vous avez demandé à votre Père,
que, comme vous étiez un avec lui, nous fussions
tous un ensemble. Comme Dieu, vous pouvez
accomplir ce que vous demandiez comme homme.
Oh ! mon Dieu, mettez fin à tant de divisions qui
désolent les âmes en particulier et le royaume
universel de l'Eglise. La paix ! mon Dieu, la
paix ! pour ceux qui sont près comme pour ceux
qui sont loin.
III
Ces relations sont sublimes en Dieu : en lui en
effet rien n'e^t petit et ce qui dans la créature est
de peu d'importance, est chez lui grand, admira-
ble et adorable. Qu'est-ce que la relation dans la
créature ? C'est l'être le plus frêle et le plus
mince, c'est un simple rapport d'une chose à une
autre, rapport qui a si peu de réalité que plu-
sieurs l'appellent un diminutif de l'être, une
chose qui n'est pas un véritable être, qui n'a
aucune vertu ni aucune action, en un mot le der-
nier degré de la réalité. Il y en a même qui pré-
tendent qu'elle n'est qu'un être de raison.
Mais en Dieu la relation est chose si grande et
si sublime, qu'on peut dire que c'est sur quatre
relations que roule tout le grand mystère de la
Trinité (i). En effet, trois de ces relations consti-
tuent les Personnes divines, puisque l'Essence
divine avec une de ces relations est une Personne
divine. Ainsi l'Essence divine avec la paternité,
c'est la Personne du Père ; avec la filiation, c'est
la Personne du Fils ; avec la spiration passive,
I. Tho. q. 3. art. s.
298 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
c'est la Personne du Saint-Esprit. Aussi ces trois
relations sont-elles appelées propriétés personnel-
les, parce qu'elles sont propres à une seule Per-
sonne et non communes à plusieurs. De là, vient
encore que ces trois relations sont les vraies
subsistances des Personnes divines, car on appelle
subsistance ce qui parfait une nature intellectuelle
et la rend incommunicable. Or, comme ces trois
relations sont les propriétés qui constituent les
Personnes divines d'une manière admirable, elles
leur donnent aussi leur achèvement et font que
l'Essence divine, en tant qu'elle est terminée par
elles, est incommunicable. Car bien que l'Essence
soit unique et commune aux trois Personnes, elle
n'est pas commune, en tant que terminée par la
paternité (i) : mais ainsi elle ne convient qu'au
Père. De même elle ne convient qu'au Fils, en
4:ant que terminée par la filiation ; et qu'au Saint-
Esprit, en tant que terminée par la spiration
passive.
Enfin ces quatre relations sont les origines et
.les productions actives et passives des trois Per-
sonnes divines ; elles constituent encore les quatre
notions affirmatives qui permettent de distinguer
les Personnes l'une de l'autre. A ces notions est
jointe la notion négative de l'innascibilité : Dieu,
en effet, a cela de propre, à cause de sa grandeur,
d'être connu par voie de négation, c'est-à-dire par
ce qu'il n'est pas, à cause de l'impuissance dans
laquelle nous sommes de dire ce qu'il est.
Ainsi en Dieu les relations constituent les
Personnes divines : que voulez-vous de plus
|. Boëtius : de Trin, c. ti.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 299
grand ? Elles sont l'origine des Personnes divines :
quoi de plus efficace ? Il n'y a de subsistance en la
divinité que par les relations : quoi de plus
important ? (2)
Eh bien ! mon âme, que penseras-tu de tous
les mystères renfermés dans ces relations et ces
propriétés adorables ? Oui, mon Dieu, ce qui en
ce monde n'est rien, en vous est grand ; ce qui
chez les créatures semble méprisable, est glorieux
et sublime en vous. Mourir en Dieu, est une
gloire ; que sera-ce donc de vivre en vous, ô mon
Dieu ? Que sera-ce d'entrer en vous ? Donc, ô
mon Dieu, que je sois en vous, que je vive et que
je meure en vous ! Et puisque la relation qui n'est
à peu près rien dans le monde de la nature, est si
importante dans le monde de la grâce, qui consiste
tout entier dans des relations avec Dieu ; pourquoi
mon être ne se rapporte-t-il à vous, ô mon Dieu !
Que ne suis-je tout entier une pure relation à
votre gloire !
3. Card. de Bérulle : Œuvres de piété, xi8.
300 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Vr MÉDITATION
DES ATTRIBUTS COMMUNS
ATTRIBUÉS A CHAQUE PERSONNE
DE LA TRINITÉ
SOMMAIRE
La puissance^ la sagesse et la honte conviennent
également à chaque Personne divine. — Cepen-
dant par appropriation^ la puissance est attri-
buée au Père ; la sagesse au Fils ; et la bonté
au Saint-Esprit. — Il est permis d'adorer^
d^aimer et de servir chaque Personne divine
séparément.
I
LES trois plus nobles qualités, la puissance, la
sagesse et la bonté conviennent également à
chaque Personne divine. En voici la raison : dans
les productions et dans la pluralité des Personnes
divines, l'Essence garde son unité inviolable, qui
est le fondement de toutes ses grandeurs. Et de
même que, dans le mystère de Tlncarnation, la
fécondité n'altère pas la virginité d'une Mère très
pure ; ainsi dans la Sainte-Trinité, qui selon
l'expression du Théologien (i), est la première
vierge, la fécondité ni la pluralité des Personnes
ne divisent pas l'unité de l'Essence. Et par là même
I. Carmen in laud. Virf.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 3oi
que nous concevons ces trois perfections comme
l'apanage de l'Essence, elles sont égales et identi-
ques dans les trois Personnes. Donc les trois
Personnes ont la même puissance, la même
sagesse, la même bonté à un degré souverain.
Et comme tout ce qu'on peut attribuer à la divi-
nité de grand et d'excellent est compris dans ces
trois perfections ; puisque si vous dites que Dieu
est fort, incorruptible, immuable, invincible, tout
cela appartient à la puissance (i) ; si vous dites
qu'il voit tout, que sa providence s'étend à tout,
qu'il comprend tout et qu'il pénètre les secrets les
plus cachés, tout cela appartient à la sagesse ; et si
vous dites qu'il est compatissant, doux, miséricor-
dieux, patient, tout cela est de la bonté ; il suit de
là que chaque Personne de la Trinité est telle-
ment parfaite qu'aucune nouvelle perfection ne
peut lui être ajoutée. En effet ces trois sublimes
perfections ennoblissent et enrichissent à un degré
souverain le sujet en qui elles se trouvent réunies.
Aussi les créatures ne les possèdent-elles jamais à
la fois et parfaitement : car si elles ont la puis-
sance, elles sont dépourvues de sagesse ; si elles
ont la sagesse, c'est la puissance et la bonté qui
leur font défaut ; enfin ont-elles la bonté ? c'est
sans la puissance. Jouir de tant de biens à la fois,
ce serait pour elles une trop grande noblesse, étant
donné la condition de leur nature essentiellement
défectueuse. Il n'appartient qu'à chacune des Per-
sonnes divines d'avoir une puissance infinie, unie
à une sagesse suréminente et à une ineffable
bonté.
I, Hugo de Saint- Vict. 1. i. de sacr. p, 3. c. 9.
302 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Qui pourrait donc estimer et révérer assez cha-
que Personne de la Sainte-Trinité ? Si en effet les
créatures douées d'une seule de ces qualités à un
degré éminent, méritent le respect des autres,
comme nous le devons à un roi pour sa puissance,
à un docteur de l'Eglise pour sa science, à un
saint pour sa bonté, quel respect ne devons-nous
pas témoigner aux trois Personnes incréées ? quel
amour appréciatif, c'est-à-dire tel que nous les
mettions dans notre estime au-dessus de tout, ne
devons-nous pas avoir pour elles ? O divines Per-
sonnes ! à cause de votre admirable puissance, de
de votre sagesse et de votre bonté, régnez et pros-
pérez dans les siècles des siècles ! Que la vie et
l'éternité appartiennent toujours au Père, au Fils
et au Saint-Esprit ! Que toute félicité soit toujours
leur partage !
II
Quoique ces trois perfections soient communes
aux trois Personnes divines, qui les possèdent par
indivis, et sans inégalité ; cependant par appro-
priation, la puissance et tout ce qui en dépend le
plus, est attribué au Père qui est spécialement
appelé Tout-Puissant, et Créateur du Ciel et de la
terre ; la sagesse et tout ce qui est de son ressort,
comme le gouvernement et le jugement du monde,
est attribué au Fils, qui est appelé la Sagesse ; la
bonté avec tous les effets de l'amour de Dieu, tels
que les inspirations et les grâces sanctifiantes, est
attribuée au Saint-Esprit. Le Père est honoré du
titre de Tout-i?uissant, sans porter atteinte au
Fils et au Saint-Esprit, comme aussi le Fils est
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 3o3
honoré du nom de Sagesse, sans rien ôter au Père
ni au Saint-Esprit ; le Saint-Esprit est loué comme
étant tout Bonté et tout Amour, sans diminuer en
rien ce qui appartient au Père et au Fils. Ce qui
a donné lieu à ces approbations, ce sont les rap-
ports de ces perfections avec les propriétés de cha-
cune des Personnes divines. Au Père, en effet, il
convient d'être nommé Tout-Puissant, parce qu'il
est le premier principe et qu'il n'a lui-même aucun
principe ; au Fils il convient d'être qualifié du nom
de Sagesse, parce qu'il est produit par l'intelli-
gence et qu'il est le terme d'un acte de connais-
sance infinie ; au Saint-Esprit il convient d'être
appelé l'Amour et la Bonté, parce qu'il est produit
par l'amour et qu'il est le terme d'un acte de
bonté.
Et puis, ces appropriations nous servent à juger
et estimer les Personnes divines tout autrement
que les Personnes humaines. Chez \eè hommes le
nom de père évoque naturellement l'idée de la
faiblesse, qui est l'effet de la vieillesse ; le nom de
fils réveille l'idée d'un certain défaut de sagesse,
qui semble être l'apanage de la jenesse inexpéri-
mentée ; et le mot esprit offre de prime abord
ridée de quelque chose de froid et d'aride. Pour
exclure donc l'idée de faiblesse, quand nous nom-
mons le Père, nous lui attribuons la Puissance ;
pour exclure l'idée du défaut de prudence, quand
nous nommons le Fils, nous lui attribuons la
Sagesse ; pour corriger ce que le nom de Saint-
Esprit aurait de trop austère et trop froid, nous
lui attribuons la Bonté et la Suavité.
Félicitez les trois Personnes divines pour ces
3o4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
attributs. O Père très saint ! personne ne peut
résister à votre puissance, ni empêcher l'exécu-
tion de ce qui vous plaît. O très noble Fils [ par
votre sagesse vous êtes à l'abri de toute déception
et vous pouvez dissiper toutes les ténèbres de
mon ignorance. O Saint-Esprit plein de douceur !
votre bonté vous rend incapable de nuire à per-
sonne et vous permet de rendre bons les esprits
les plus dépravés. Gloire et amour à jamais au
Père pour sa puissance, au Fils pour sa sagesse,
au Saint-Esprit pour sa bonté. O Père éternel !
fortifiez-moi par votre bras tout-puissant ! O Fils
plein d'une incomparable sagesse, illuminez mon
esprit, remplissez-moi d'une science et d'une
sagesse divine ! O Esprit très bon, communiquez-
moi une sainteté céleste et que la flamme de votre
ardente charité me purifie de mes souillures et
allume votre amour dans mon cœur.
III
Les Personnes divines peuvent être adorées,
aimées et servies séparément. En effet, rien ne
s'oppose à ce qu'on les honore séparément (i), le
Père à cause de sa puissance, le Fils à cause de
sa sagesse et le Saint-Esprit à cause de sa bonté,
quoique ces trois perfections leur conviennent
sans différence ; dès lors elles pourront être
adorées et servies séparément, tantôt le Père
seul, tantôt le Fils seul, tantôt le Saint-Esprit
seul, bien qu'elles méritent toutes les trois un
culte égal et les mêmes hommages.
Xi Scot. in. t. Stnt. dist, 3. q. i.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 3o5
Aussi dans le cours des siècles ont-elles été ado-
rées séparément. Le Père a été le premier connu
comrrie Personne non produite et sans principe,
et c'est à lui que s'adressèrent plus directement
les adorations et les hommages des hommes.
Après le Père, le Fils fut adoré et servi ; il ne fut
connu comme Personne distincte du Père, que
lorsqu'il se fit homme et qu'il prouva au monde
sa divinité par ses paroles et par ses œuvres. Son
premier soin fut de parler aux hommes de la
Personne de son Père et de leur en donner une
connaissance plus parfaite que celle qu'ils en
avaient eue jusqu'à ce jour ; plus tard, il leur
parla de lui-même et de sa propre Personne.
Quand ils eurent acquis une connaissance suffi-
sante du Père et du Fils, alors le Saint-Esprit se
manifesta peu à peu : il s'insinua dans l'esprit
des hommes et dans leur cœur. Les trois Per-
sonnes divines voyant que l'homme était trop
faible et trop misérable pour les connaître toutes
à la fois, ont agi comme toujours avec suavité, et
par condescendance pour nous, ne se sont fait
connaître que l'une après l'autre ; de la sorte elles
se sont fait adorer et servir séparément. Il est
donc permis aujourd'hui comme jadis, de contem-
pler et d'aimer tantôt Tune des Personnes divi-
nes, tantôt l'autre. Aussi le Symbole des Apôtres
nous apprend à faire des actes de foi sur chaque
Personne séparément et nous propose des actes de
foi distincts sur chacune d'elles. L'Eglise à son tour,
ne se contente pas d'honorer en commun les trois
Personnes divines, mais elle a pour les prier, des
oraisons particulières et souvent même elle leur
Bail, t. i. gi^
,So6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
rend des honneurs et un culte distincts. La plupart
de ses oraisons s'adressent à la Personne du Père,
dont elle invoque la toute-puissance ; quelquefois
elle a recours au Fils considéré comme Rédemp-
teur du monde et elle met sa confiance en lui à
cause de ses mérites infinis. Le magnifique temple
de sainte Sophie à Constantinople, était dédié à
la Sagesse du Verbe éternel : on y voyait une
statue représentant Salomon dans l'attitude d'un
homme frappé de stupeur à la vue de cette mer-
veille d'architecture à laquelle le fameux temple
qu'il bâtit lui-même, n'était pas comparable.
L'Eglise enfin célèbre des fêtes en l'honneur du
Saint-Esprit, lui consacre des temples et animée
d'une ardente dévotion pour lui, met dans ses
invocations la plus affectueuse tendresse.
Dieu lui-même autorise cette distinction dans le
culte qui lui est rendu, quand il inspire aux âmes
adonnées à l'oraison, des sentiments particuliers
de la présence tantôt du Père, tantôt du Fils et
tantôt du Saint-Esprit seulement ; il produit par
cet attrait des actes d'amour et de respect diffé-
rents, ainsi que des communications et des ftinii-
liarités intérieures à l'égard de chaque Personne,
bien que les trois ne soient ensemble qu'un seul
Dieu.
De plus comme l'Etre divin peut être honoré
dans l'un de ses attributs, en faisant abstraction
des autres ; il peut aussi être honoré dans une
seule Personne : l'esprit fait dans ce cas abstrac-
tion des autres et ne dirige ses hommages que
vers une seule des Personnes divines. Ceci est
d'autant plus facile à pratiquer, que la distinc-
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ B07
tion est plus grande entre les Personnes qu'entre
les attributs (i).
Nous pouvons le démontrer encore par ce rai-
sonnement : la distinction est plus profonde entre
deux Personnes qu'elle ne l'est entre l'Essence et
l'une des Personnes : car il y a entre les Person-
nes opposition de relation, qui ne se trouve pas
entre l'Essence et les Personnes. Or, rien ne
s'oppose à ce que quelqu'un considère actuelle-
ment l'Essence sans penser à la Personne, comme
font fréquemment les philosophes, et dans l'Es-
sence divine considérée indépendamment de la
Personne, il trouvera sa tin suprême avec toutes
sortes de biens, ce qui est un motif suffisant pour
la révérer toute seule. Il faut donc conclure qu'on
pourra à plus forte raison honorer une Personne
divine, abstraction faite des deux autres.
J'apprendrai par là à servir les trois Personnes
divines, non seulement en commun, mais même
en particulier : ma dévotion pourra se diriger
tantôt vers le Père, tantôt vers le Fils, tantôt vers
la Personne très suave du Saint-Esprit. Mais,
ô mon âme, à laquelle des trois Personnes infini-
ment bonnes, grandes et aimables, t'adresseras-tu
la première ? Le Père m'attire vers lui par sa
toute-puissance, dont ma faiblesse implore le
secours; le Fils m'invite par sa sagesse et par sa
bonté infinie ; le Saint-Esprit me convie à le prier
par sa douceur inénarrable qui surpasse toutes les
douceurs du monde. Ah ! mon Dieu, en face
de tous ces attraits, je ne sais quel parti prendre,
si ce n'est de me quitter moi-même pour être tout
I. Seat, in a. Sent. dût. 4%, 9, i.
3o8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
à VOUS, et de m'abandonner entièrement à votre
volonté. Dirigez-moi, Seigneur, et je suivrai votre
appel. O Père éternel ! que votre puissance me
dirige, qu'elle me préserve de tout danger ! O
Fils du Très-Haut, que votre sagesse me rem-
plisse et se répande au plus intime de moi-même,
pour m'éclairer et m'instruire pleinement de ce
qui concerne mon salut ! O Esprit consolateur,
que votre bonté se repose sur moi et que votre
amour me comble de biens ! O Père éternel !
je vous offre votre Fils Jésus-Christ, mon Rédemp-
teur, afin qu'il supplée par l'abondance de ses mé-
rites et de ses satisfactions au peu de valeur des
miennes. Verbe incarné ! Je vous offre mon âme
et je veux vous appartenir à un titre spécial. O
Esprit saint ! lien sacré d'amour entre le Père et le
Fils, je vous fais don de mon cœur en l'appliquant
et le consacrant entièrement à votre amour.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ BoQ
Vir MÉDITATION
DE LA PERSONNE DU PÈRE
ET DES TROIS PROPRIÉTÉS
qui LUI SONT PARTICULIÈRES
SOMMAIRE
Les trois propriétés qui conviennent au Père
sont V innascihilité — la paternité — et celle
d'être d'une façon plus particulière le prin-
cipe et la fin de toutes choses.
I
CONSIDÉREZ l'innascibilité du Père : ce mot
signifie que le Père n'a pas de principe,
qu'il n'est pas produit et qu'il n'émane d'aucune
autre Personne. C'est là une excellence qui ne
convient qu'à Lui exclusivement. En effet toutes
les créatures sont produites par les trois Personnes
de la Sainte-Trinité, et de plus, plusieurs d'entre
elles sont les causes efficientes des autres. D'autre
part, le Saint-Esprit est produit par le Père et le
Fils ; le Fils est produit par le Père : mais le Père
n'est produit par personne, ni par lui-même, ni
par tout autre : il est innascible.
Cette innascihilité lui convient selon la totalité
de sa Personne, dans laquelle nous distinguons
deux choses, qui en réalité n'en font qu'une :
l'Essence infinie avec tous ses attributs, puis la
^lô La théologie affective
connaissance infinie de toutes choses, en tant
qu'elle est active, laquelle constitue sa propriété
et sa subsistance. Or ces deux choses ne sont le pro-
duit d'aucun principe dans le Père : car l'Essence
et la connaissance active sont en lui sans lui avoir
été communiquées par personne : tandis que dans
le Fils et dans le Saint-Esprit, l'Essence est par
communication, et la relation comme la subsistance
propre à chacun d'eux n'y est que par production.
Donc le Père est innascible en tout ce qu'il est et
en tout ce qu'il tient.
Il résulte de là que la Personne du Père est
infinie en tout genre de grandeur et de perfection :
son innascibilité est la raison suffisante de son
infinité. Pourquoi Dieu en effet est-il infini? parce
qu'il n'a point de principe ni de cause supérieure
qui ait pu limiter ses perfections. L'infinité à son
tour est la raison de toutes les grandeurs et de
toutes les merveilles qui se rencontrent en lui :
Dieu n'est grand en tout que parce qu'il est infini.
Donc puisque l'innascibilité est en Dieu le Père
la source de son infinité, elle est aussi la source
de toutes ses grandeurs.
L'innascibilité a été aussi la cause que le Père
a été adoré et servi par les créatures longtemps
avant que le monde connut le Fils et le Saint-
Esprit. La Personne divine que les grands philo-
sophes de l'humanité sont arrivés à connaître par
la seule force de leur raison, et vers' laquelle ils
ont dirigé leurs adorations, étant bien une per-
sonne innascible et sans principe, comme le prouve
le raisonnement par lequel ils étaient parvenus à
cette connaissance. Ils avaient dit : tous les êtres
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 3ll
qui existent dans ce monde ont reçu le mouve-
ment d'un autre être que nous appelons premier
moteur, parce qu'il n'a reçu le mouvement de
personne et que toutes les choses créées l'ont reçu
de lui. En effet dans la hiérarchie des causes qui
se transmettent le mouvement, nous ne pouvons
pas remonter à l'infini : car cela équivaudrait à
supprimer la cause ; or si la cause était supprimée,
l'effet le serait fatalement et rien dès lors n'existe-
rait dans le monde. C'est ainsi que nous ne voyons
jamais la fin d'une affaire, quand elle doit passer
par un très grand nombre de personnes. Pour
éviter cette conclusion absurde, ils ont du admet-
tre un Dieu qui fut sans principe : c'est à ce Dieu
qu'ils ont adressé leurs adorations, qu'ils ont offert
des sacrifices et des prières. Or ce Dieu sans prin-
cipe n'est ni le Fils ni le Saint-Esprit ; c'est la
personne du Père.
O Père infini ! je vous adore à cause de votre
innascibilité; c'est le premier titre de votre gloire,
celui que vous n'avez communiqué à personne,
c'est la première source de vos grandeurs sans
bornes. Je me plais à penser que ceux qui ne vous
ont pas connu expressément par suite du défaut
des lumières de la foi, vous ont cependant adressé
virtuellement leurs prières et l'offrande de leur
cœur, parce qu'ils vous connaissaient comme
étant l'innascible et l'Etre sans principe. Faites, ù
Père très-saint, que nous qui avons d'autres lu-
mières et une connaissance plus haute et plus cer-
taine de votre souveraine grandeur, nous vous
honorions par des hommages plus parfaits et des
adorations plus profondes.
3l2 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
II
Considérez la paternité de Dieu le Père ; c'est
une seconde excellence qui lui est absolument
propre et qui ne convient à personne qu'à lui. La
première Personne est le Père de la seconde Per-
sonne qui est le Fils et ce nom de Père lui convient
d'une manière plus excellente qu'à tous ceux qui
le portent parmi nous : car lui n'est pas Père dans
le sens charnel.
D'abord il est Père seul, et non pas avec le
concours d'une mère. Il est le Père d'un seul, car
son fils est unique. Il n'est que Père, car avant
d'être Père il n'a pas été Fils. Il est Père de tout
le Fils et non pas d'une partie seulement. Il est
Père dès le commencement, car il n'y eût jamais
un temps où il ne le fut pas. Cette paternité est
donc unique et admirable.
Considérez de plus que cette paternité à l'égard
de son Fils est tellement la chose propre du Père
éternel, que lorsqu'il envoya son Fils au monde,
il ne voulût pas qu'il eût un père dans sa concep-
tion temporelle, mais seulement une mère, afin
de se réserver à lui seul l'honneur d'être reconnu
de tous comme l'unique Père du Fils. En effet le
titre de Père d'un tel Fils lui est infiniment plus
glorieux que le titre de créateur, de conservateur
du monde et que tous les autres titres qui lui con-
viennent à cause de ses rapports avec les créatu-
res. Autant son Fis tout seul surpasse en noblesse
et en excellence infinie toutes les créatures de ce
monde, autant l'honneur d'une telle paternité
l'emporte sur tous les titres qu'il possède à l'égard
des créatures. Il est infiniment plus glorieux pour
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 3l3
Dieu d'avoir produit son Fils de son Essence, qu'il
ne le serait d'avoir créé des millions et des mil-
lions de mondes. Jamais tous ces mondes ne l'ai-
meraient autant qu'il est aimable et cette Personne
très-sainte serait éternellement privée de l'amour
qui lui est du, sans cette paternité qui en lui don-
nant un Fils dont la grandeur est infinie, lui donne
en même temps une Personne qui l'aime autant
qu'il est aimable, c'est-à dire infiniment.
Si sans cette paternité, le Père serait privé
d'un amour infini, le monde à son tour aurait
perdu un Rédempteur infini, cause de tous ses
biens, car c'est à cette paternité que le monde est
redevable de tous les trésors qu'il possède en
Jésus-Christ. Et comme cette paternité fait la joie
du Père, à qui elle donne un Fils égal à lui en
grandeur, elle cause aussi la joie du monde qui
lui doit un Sauveur.
« Je fléchis le genou devant le Père de Notre
« Seigneur Jésus-Christ, de qui dérive toute
« paternité au ciel et sur la terre. » (Eph. 3.) O
sublime paternité, je vous reconnais pour la source
de toutes les joies du monde ! Quand donc, Père
très saint, prendra fin l'oubli, l'ingratitude et l'in-
différence du monde à votre égard ? N'est-ce pas
un sentiment naturel qui nous porte à honorer et
à aimer le père d'un fils dont on a reçu de grands
biens ? C'était bien là le motif pour lequel Pharaon
honorait le père de Joseph, sauveur de l'Egypte.
Dès lors quel respect et quel amour ne devons-
nous pas vous témoigner ? Si les astres du matiny
c'est-à-dire les anges, vous louaient et étaient
transportés de joie en vous, quand vous produisiez
3l4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ce monde, à plus forte raison devons-nous vous
glorifier de ce que vous produisez votre Fils ? « O
« béni soit Dieu, béni soit le Père de Notre
« Seigneur Jésus-Christ et le Père des miséri-
« cordes et le Dieu de toute consolation. »
(II, Cor. I.)
III
Enfin il appartient à Dieu le Père d'être d'une
façon toute particulière le principe et la fin de
toutes choses. Il est d'abord le principe de deux
Personnes divines, du Fils et du Saint-Esprit ; de
plus il est le principe de toutes les créatures. Nul
n'est principe avec une telle étendue et d'une ma-
nière si absolue : car le Saint-Esprit n'est principe
qu'à l'égard des créatures ; le Fils n'est principe
que du Saint-Esprit et des créatures. Le Père est
plus que tout cela : parce qu'il est aussi le principe
du Fils qui est la première Personne produite,
pour ce motif le divin saint Denys (i) appelle le
Père le principe de la divinité ; non pas qu'il la
produise, mais parce qu'il la communique au Fils
et au Saint-Esprit.
De même que le Père est le premier principe
d'où proviennent tous les êtres créés, il est aussi
la fin dernière à laquelle ils tendent et où ils trou-
vent leur suprême repos. Le Fils et le Saint-Esprit
sont bien à eux-mêmes leur fin dernière et l'objet
de leur béatitude : mais le Père l'est d'une manière
différente, car en lui seul prend fin le mouvement
ascensionnel de toute créature intelligente qui tend
elle-même à sa fin et ne s'arrête pas qu'elle ne l'ait
l. De cal, hier. c. i.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 3lS
enfin trouvée. Si en effet la créature intelligente
pouvait parvenir jusqu'au Saint-Esprit et jusqu'au
Fils, sans atteindre jusqu'au Père, elle ne serait
pas satisfaite, parce qu'elle saurait que le Fils et
le Saint-Esprit doivent avoir un principe et une
origine, et son mouvement ascensionnel ne serait
pas terminé. De même que l'eau monte toujours
jusqu'à la hauteur de sa source, ainsi elle aspire-
rait à monter jusqu'au Père, qui, selon l'expres-
sion de saint Denys, ramasse et recueillie tout dans
son sein, car c'est à lui, de qui toutes choses pro-
cèdent, qu'elles retournent. Cette créature expri-
merait le même souhait que saint Philippe :
« Montrez-nous le Père et cela nous suffit »
(Jean, 14) ; elle dirait, comme ce grand serviteur de
Dieu, à qui Dieu le Père apparut et promit de lui
donner son Fils : Non, Père céleste, je désire être
dans votre Essence même.
Donc, ô Père très admirable, puisque nous
tirons notre origine de vous, faites que nous arri-
vions jusqu'à vous, et puisque vous êtes notre
principe, soyez aussi notre fin. O mon très heu-
reux principe ! réunissez-moi à vous ; que je n'aie
que du dégoût pour tout ce qui est créé, jusqu'au
jour où je serai reçu dans le sein de votre glorieuse
Essence. Il est dit, hélas ! « qu'un homme vivant
« ne vous verra pas ». (Ex. 33.) Mourons donc à
tout ce qui est de ce monde et entrons dans la
nue ; imposons silence à toutes nos préoccupations
et à toutes nos sollicitudes ; passons avec Jésus
crucifié de ce monde à son Père, afin que nous
disions avec saint Philippe : « Il nous suffit » (1).
I. D. Bonav. Itiner, c. 7.
3l6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Vlir MÉDITATION
DU RESPECT, DE LA CONFIANCE
ET DE L'AMOUR DE JÉSUS-CHRIST
A L'ÉGARD DE DIEU LE PÈRE
SOMMAIRE
Jésus-Christ a, par son respect honoré, son Père
plus que toutes les créatures ensemble — il
lui a témoigné la plus grande confiance depuis
le premier instant de sa conception Jusqu'à
son dernier soupir — il lui a témoigné un
amour indicible.
I
Jésus-Christ a honoré Dieu le Père en lui
témoignant un profond respect : comme
homme, il nous a donné l'exemple de l'honorer,
car lui seul l'a honoré plus que toutes les créa-
tures ensemble. Il disait à ce sujet : « J'honore
« mon Père. » (Jean, 8.)
Il l'honore premièrement parce qu'il ne parle
jamais de lui sans lui décerner des éloges et des
titres glorieux : tantôt il l'appelle saint : « Père
« saint, garde^ en votre nom ceux que vous
« m'ave:^ donnés. » (Jean, 17); tantôt il l'appelle
juste : « Père juste, le monde ne vous a point
« connu et moi je vous ai connu. » (Jean, 17);
tantôt il l'appelle le souverain Seigneur : « Je vous
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ Siy
« loue y o Père, Seigneur du ciel et de la terre. »
(Matt. II.) Il dit aussi ailleurs pour exalter sa
puissance : « Abba., Père^ toutes choses vous sont
« possibles. » (Marc. 14.)
Jésus-Christ honore encore son Père, parce
qu'il le prie avec la plus grande humilité. Il ne se
contente pas de fléchir le genou devant lui, mais
mu par un sentiment de profond respect, dans
son agonie au jardin des Oliviers, il se prosterne
la face contre terre, et sur la croix, saint Paul
affirme qu'il supplia son Père avec larmes., par
conséquent de la manière la plus humble : « Aux
« jours de sa vie mortelle, il offrit à celui qui
« pouvait le sauver de la mort des prières et
« des supplications avec de grands cris et des
« larmes et il fut exaucé à cause de son res-
« pect. » (Héb. 5.), c'est-à-dire à cause du respect
dont témoignait sa prière.
Troisièmement, il honore son Père, parce qu'il
cherche en toute chose sa plus grande gloire,
parce qu'il la prend pour but de toutes ses actions,
lui rapporte tout par une très pure intention et
s'oppose courageusement à tout ce qui l'outrage.
C'est pour cela qu'il dit : « /e ne cherche point
« ma gloire., » qu'il parle si souvent de la gran-
deur du Père et de son immense amour qui l'ont
déterminée donner au monde son Fils unique. En
un mot la vie, les actions et les souffrances de Jésus-
Christ, n'ont d'autre but que de propager la gloire
de son Père et de lui procurer des adorateurs en
vérité. C'est pour cette gloire qu'il s'est sacrifié
sur la croix et que durant sa vie, lui qui avait
toujours été plus doux qu'un agneau, se laissa
3l8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
aller à une sainte colère, et semblable à un lion,
vengea son Père des irrévérences que les mar-
chands commettaient dans le temple, en les chas-
sant honteusement et en leur reprochant d'avoir
fait de la maison de son Père « une maison de
« trafic et une caverne de voleurs. (Matt. 21 ;
Jean 2.)
Enfin Jésus-Christ manifeste son grand zèle
pour la gloire de son Père et le respect très pro-
fond qu'il lui porte, quand il attribue à son Père
toute la gloire de ce qu'il est et de ce qu'il fait
lui-même. Il ne s'attribue rien, ne parle jamais
de lui-même en termes avantageux, afin que tout
l'honneur revienne à Dieu, son Père : « fe vis,
« dit-il, à cause de mon Père. Mon Père qui
« demeure en moi, fait les œuvres que je fais.
« Ma doctrine n'est pas à moi. » Il lui rapporte
même sa divinité : « Ce que mon Père m^a donné
« est plus grand que toutes choses. » (Jean, 6,
4, 10.) Pour toutes ces raisons, saint Paul appelle
Jésus-Christ « la splendeur de la gloire de son
« Père. » (Héb. i) ; parce qu'il est à la gloire de
son Père, ce que la splendeur est au soleil ; il la
dévoile, la rend visible aux yeux de tous.
Cet exemple fera naître en moi un désir ardent
de révérer profondément la personne du Père. O
Jésus qui n'êtes venu au monde que pour nous
instruire par votre propre conduite, faites-nous
part de ce grand respect que vous aviez à l'égard
de votre Père céleste. C'était tout votre désir
qu'il fut honoré et sans doute ce désir pcM'scvère
encore en vous dans le ciel. Oh! réalisez votre désir!
nous vous offrons nos âmes et tout ce qui nous
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 3ig
appartient, nous nous donnons à vous ; quoi qu'il
faille faire ou souffrir, nous acceptons tout, pourvu
que nous puissions servir de quelque manière à
la gloire de votre Père et travailler avec vous
pour l'honorer.
II
Considérez encore la très grande confiance
qu'avait Jésus-Christ au Père éternel. Il l'eût dès
le premier moment de sa conception et il la con-
serva constamment et inviolablement jusqu'à la
mort. Il l'a témoigné en naissant par ces paroles :
« C'est vous qui m'ave^ appelé du sein de ma
« mère : vous êtes mon espérance depuis le
« premier jour de ma vie. » (Ps. 21). A cause de
cette confiance, il l'invoquait souvent et avait
recours à lui en toutes circonstances : dans ses
prières il lui disait : « Mon Père, Vheure est
« venue^ glorifiée^ votre Fils, afin que votre Fils
« vous glorifie. Père saint ! garde^ en votre
« nom ceux que vous m*ave^ dottnés, afin quils
« soient un comme nous. Sanctifiez-les dans la
« vérité. Père, je désire que ceux que vous
« m^aves^ donnés soient avec moi où je serai,
« afin qu'ils fassent ma gloire. Père, pardon-
na ne^-leur, car ils ne savent ce qu'ils jont. »
(Jean 17.) C'était sa coutume — ce sont les Evan-
gélistes qui en font la remarque — de lever les
yeux au ciel, pour déclarer que le plus grand
secours qu'il attendait, devait venir du ciel de la
part de son Père. Il était non moins exact à rendre
grâces à Dieu, toutes les fois qu'il accomplissait
quelque oeuvre, parce qu'il les considérait toutes
320 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
comme autant de bienfaits de son Père, pour
lesquels il lui devait de la reconnaissance. Et il
y avait cela de particulier dans sa manière de
faire, qu'il remerciait son Père avant que Toeuvre
ne fut accomplie, parce que la grande confiance
qu'il avait en son Père, lui inspirait une telle
assurance relativement à la réalisation de l'œuvre
projetée, qu'elle la lui faisait tenir pour faite avant
même qu'elle ne fut commencée. Il agit ainsi
notamment quand il fut question de ressusciter
Lazare ; « Jésus ayant levé les yeux en haut,
« dit : Père, je vous rends grâces, parce que
« vous m'aue^ exaucé. » (Jean ii.) Et quand il
institua le sacrement de l'Eucharistie, avant de
consacrer le pain, il remercia son Père pour ce
sacrement qui devait être un bien si précieux
pour l'Eglise. Il fit paraître enfin cette confiance
au jardin des. Oliviers quand, accablé de tristesse,
écrasé sous l'horrible poids de tous les péchés des
hommes, dont il s'était chargé, dans la défaillance
de son humanité, il recourut à son Père comme
seul capable de le réconforter. Sur la croix, ses
dernières paroles furent aussi pour son Père :
« Père, je remets en toute confiance mon âme
« entre vos mains » (Luc 23) ; il lui confiait ainsi
son âme et tout ce qu'il avait de plus cher, comme
à Celui en qui il avait mis toute son espérance.
Ainsi il pouvait dire en toute vérité, comme Job :
« quand bien même il me tuerait, j'espérerais
« en lui. » (Job i3.)
Je me conformerai à ce modèle, et dans tout ce
qui pourra m'arriver, je fixerai mon espérance là
où Jésus place la sienne. J'espérerai en la toute-
DE LA TRÈS SAÏNTE TRiNtTÉ 2>2t
puissance de la Personne sacrée du Père ; j'impré-
gnerai toutes mes amertumes de la douce con-
fiance que j'aurai en lui jusqu'à la mort. O Père
très-saint, vous avez aidé tous ceux qui se sont
confiés en vous. Ah ! je me confie entièrement à
vous ! Vous êtes la source de tout bien, mon port
et mon refuge dans toutes mes angoisses.
III
Considérez enfin le grand amour de Jésus-
Christ envers la Personne du Père. Il n'y eut
jamais affection comparable à celle qu'éprouva
son âme sacrée, quand, dès le premier instant de
sa création, elle dirigea sa pensée vers la Per-
sonne du Père qui était la source de sa substance
et qui par là était devenue aussi la source de toute
sa grandeur et de toute sa félicité : dès lors il
souhaita avec ardeur qu'une occasion lui fût
offerte de lui exprimer toute sa reconnaissance.
Cette ardeur fut si grande que toute l'éloquence
des Séraphins et des Chérubins ne suffirait pas à
l'exprimer.
Cet indicible amour, c'est Jésus-Christ lui-
même qui nous le fait connaître dans TEvangile.
D'abord, quand il parle à son Père, il le fait en ter-
mes affectueux et pleins de toute la tendresse que
peut avoir un fils pour son père. Il l'appelle
« Abba, Père » ; deux fois de suite il dit : « mon
Père », voulant indiquer par la répétition de ce
nom Dien-aimé un redoublement d'affection. Lors-
qu'à 1 âge de 12 ans, il fut trouvé au milieu des
docteu-s par la Sainte Vierge, attristée et affligée
par son absence, il lui répondit, pour lui prouver
Bail, x i. aï
322 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
qu'il n'obéissait qu'à l'amour de son Père et qu'il
le préférait à tout : « Pourquoi me cherchie:^-
« vous ? Ne savie^-vous pas qu'il Jaut que je
« m'occupe de tout ce qui concerne mon Père ?
(Luc 2.)
Mais où il fait paraître cet amour d'une manière
plus éclatante, c'est quand il obéit à son Père
jusqu'à la mort. Il s'achemine vers le Calvaire en
disant : « Afin que le m.onde connaisse que f^ime
« mon Père, et que je fais ce qu'il m'' a com-
« m.andé, allons, leveTj^-vous et partons. > (Jean
14.) C'est par amour pour son Père qu'il va à la
croix : dans son sacrifice sanglant cet amour est le
feu qui le consume. Il s'y mêle bien aussi l'amour
des hommes, mais cet amour n'est qu'une étin-
celle qui jaillit d'un immense brasier, afin qu'en
considérant combien était grand cet amour des
hommes, qui n'est comparativement qu'une étin-
celle, nous puissions juger par là que l'amour
pour le Père d'oij avait jailli cette étincelle, a dû
être prodigieux et sans mesure.
En dernier lieu, il nous révèle cet amour quand
il souhaite si ardemment de retourner dans le
sein de son Père : « Glorifie^^-moi, Père, en
vous-même. » (Jean, 17.) Son amour ne connaît
pas de repos jusqu'à ce qu'il soit rentré dans le
sein de son Père et qu'il soit parvenu jusqu'à
« Vancien des jours. » (Dan. 7.) En mourant, il
remet son esprit à son Père. Saint Paul a donc eu
raison de l'appeler pour tous ces motifs « b Fils
« de Vamour. » (Col. i.)
O Jésus, béni soit votre cœur épris d'un- aflec-
tion si sainte et si juste ! Oh ! plût à Dieu qu'une
DE LA TRES SAINTE TRINITE
semblable flamme fut allumée dans les cœurs de
tous les hommes! Oh! quelle horrible injustice de
ne pas aimer le Père de tout bien ! O Père de tout
amour, faites-moi mourir entièrement au monde
par la grandeur de mon amour pour vous! « O Jeu
« qui brûle\ toujours sans jamais vous éteindre^
venez, enflammez-moi ! « O lumière qui brille^
« toujours et ne subisse^ aucune éclipse », venez,
éclairez-moi ! « O amour qui bouillonne\ toujours
« sans vous attiédir jamais », venez, embrasez-
moi. Donnez-moi, o excellent Père, donnez à
votre enfant, la grâce de vous aimer de toute son
énergie, de toutes ses forces et de toutes les puis-
sances intimes de son cœur : c'est là le seul don
que vous nous faites, celui sans lequel tout autre
don n'est ni bon, ni désirable. Oh ! ouvrez-nous.
Père très-saint, la porte de votre cœur ! Père sou-
verain, je frappe à cette porte comme un pauvre
mendiant. Entendez les désirs qui sortent du
fond de mon âme. « Tous mes désirs vous sont
« connus et mes gémissements ne vous sont
« pas cachés. » (Ps. 37.) Ecoutez, ô Dieu de mi-
séricorde les cris de votre enfant : tendez-moi la
main et retirez moi de la profondeur des eaux, de
la fange et des immondices, atin que je voie les
richesses de votre royaume et qu'admis devant
votre face, j'entonne vos louanges dans l'éternité
et aa-delà.
324 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
IX^ MÉDITATION
DE LA SECONDE PERSONNE
CONSIDÉRÉE COMME VERBE
SOMMAIRE
De tous les noms qrCon donne au Fils, c'est
celui de Verbe qui lui convient le mieux —
supériorité du Verbe incréé sur le verbe
créé des anges et des hommes — le Verbe est
produit par la connaissance de toutes les
choses incréées et de toutes les choses créées.
I
Considérez qu'entre autres noms qui sont
donnés à la seconde Personne de la Sainte-
Trinité, on rappelle aussi le Verbe.
D'abord, pour indiquer qu'elle est de même na-
ture que le Père, on l'appelle le Fils : car le Père
et le Fils ont toujours la même nature. Pour décla-
rer qu'elle est éternelle comme le Père, et qu'elle
existe aussitôt que lui, on l'appelle splendeur,
car la splendeur est contemporaine du soleil qui
la produit. Pour signifier la ressemblance qu'elle
a avec son principe, on la nomme image ; car le
mot image indique une ressemblance avec le prin-
cipe de son existence.
Enfin, pour faire entendre qu'il n'y a nen de
matériel ni de terrestre dans la product-bn du
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ SîB
Fils de Dieu, elle est appelée le Verte: le verbe
en effet est un fruit spirituel produit par Tintelli-
gence angélique ou humaine, qui a pour effet ou
pour terme de son action immanente, la pensée
ou le verbe intérieur.
La seconde Personne porte tous ces noms et
d'autres encore que les saints et les plus grands
savants ont cherchés comme à l'envie, pour l'ho-
norer davantage, en reconnaissance de l'Incarna-
tion, par laquelle cette adorable Personne a
conquis les cœurs de tous les prédestinés. Le
Théologien (i) déroule de nombreuses périodes
pour raconter et louer ses grandeurs, il s'écrie :
O Verbe de Dieu ! ô lumière ! ô vie ! ô sagesse !
ô puissance ! Je me délecte à vous donner tous ces
noms. Néanmoins le plus ancien, le plus usité et le
plus propre de tous ces noms, c'est celui de Verbe.
Quiconque l'a bien compris est déjà bien avancé
dans la connaissance du Fils. Or pour bien le com-
prendre, remarquez que, lorsque l'esprit de
l'homme ou de l'ange conçoit un objet, il forme
en lui-même une image de cet objet, à cette image
les philosophes donnent le nom d'espèce expresse
ou de connaissance formée, mais plus communé-
ment de verbe de l'esprit. Ce verbe n'est pas Tacte
même de la connaissance, mais le terme produit
par la connaissance actuelle. C'est quelque chose
de semblable qui a lieu dans la personne du Père :
il se connaît lui-même parfaitement et il produit
par cette pafaite connaissance une image parfaite
de lui-même : cette image n'est pas sa connais-
sance, c'est-à-dire l'acte de son intelligence, mais
X. Orat. ^a.
326 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
elle est le terme de cette connaissance, et à cause
de cela s'appelle le Verbe. Et puis, parce que cj
Verbe est en Dieu même, comme dit saint Jean,
« et le Verbe était en Dieu » (Jean, i), ce Verbe
ne saurait être distinct de l'Essence de Dieu, qui
n'admet rien d'étranger à elle-même. Par consé-
quent, il est la même chose que l'Essence divine :
il est Dieu même, ainsi que saint Jean le conclut :
« Et le Verbe était Dieu. » (Jean, i.)
O Verbe admirable ! image et expression vivante
de l'Essence toujours vivante ! je me réjouis de
penser que votre naissance est toute pure et toute
spirituelle, et qu'elle n'a rien de vil, comme les
naissances terrestres. O éternelle image des per-
fections éternelles, à vous appartient sans conteste
le même respect et le même honneur qu'au Père :
c'est pourquoi je vous adore comme la très belle
expression de Dieu, votre Père, avec les mêmes
génuflexions, les mêmes prosternations, avec la
même confiance et le même amour. A cause de
cette excellence qui vous convient comme Verbe
et qui consiste à représenter l'Essence divine, je
vous demande de faire qu'autant qu'une chétive
créature en est capable, je retrace en ma vie les
perfections de Dieu, en imitant sa sainteté.
II
Considérez les perfections sublimes du Verbe
divin, qui le distinguent du verbe créé de l'esprit
angélique ou humain et l'élèvent bien au-dessus
de lui. Saint Athanase (i), le grand défenseur du
X. Orat. }. Contr. Art, circa médium.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 827
mystère de la Sainte-Trinité et des grandeurs
éternelles du Fils de Dieu, nous avertit de ne
point chercher en Dieu un verbe tel que chez les
hommes, car Dieu n'est point comme l'homme, et
autant Dieu surpasse l'homme, autant son Verbe
surpasse aussi leur verbe.
Premièrement, le verbe de l'homme est posté-
rieur à l'homme : l'homme ne forma pas de verbe
en lui-même, dès le premier instant de sa nais-
sance, car il ne connaissait encore rien. Sans doute
l'ange, dès sa création, fut plein de sagesse et de
science, mais ses lumières et sa science s'accrurent
avec le temps, et de jour en jour se forment en lui
de nouveaux verbes, tous postérieurs à sa créa-
tion. Le Verbe de Dieu au contraire est coéternel
à Dieu le Père, qui a toujours eu en acte l'intel-
ligence, par laquelle il produit éternellement son
Verbe, de telle sorte que le Père n'est pas anté-
rieur et n'a sur lui aucun droit d'ancienneté.
« Au commencement était le Verbe. » (Jean, i.)
Quand le monde commença, déjà le Verbe était et
il était de toute éternité.
Secondement, le verbe créé des anges ou des
hommes n'est qu'un accident qui appartient à la
seconde espèce de la qualité, espèce la plus im-
parfaite et qu'on nomme la disposition ; puis,
comme tous les accidents, il ne subsiste pas par
lui-même et n'est pas de même nature que la subs-
tance intellectuelle qui le forme et qui le soutient.
Mais le Verbe divin n'est pas un accident, car les
accidents n'ont point de place en Dieu : c'est une
substance très noble, subsistant par elle-même et
de même nature que son principe. « Et le Verbç
328 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« était Dieu. » Le Dieu que nous adorons est le
Verbe incréé.
Troisièmement, le verbe créé n'est pas perpé-
tuel : l'esprit de l'ange ou de l'homme change, il
peut passer d'une pensée à une autre et ainsi le
verbe qu'il produit s'évanouit facilement et se
dissipe. Mais le Verbe divin persiste immuable.
« Et le Verbe était en Dieu. » (Jean, i.) Car
le Père qui a l'intelligence vivante et toujours en
acte, produit toujours par conséquent son Verbe, à
qui il dit : Tu es mon Fils et je fai engendré
aujourd'hui. » (Ps. 2.)
Quatrièmement, le verbre créé est dépourvu de
toute puissance : les anges ni les hommes ne pro-
duisent extérieurement aucune action par leurs
pensées ou par leurs paroles : il leur faut, en plus
de l'intelligence, une puissance qui exécute ce
qu'elle a conçu, il leur faut des bras et des mains.
Mais le Verbe divin, qui est de même nature que
le Père, est tout-puissant : c'est la vertu du Très-
Haut, « et toutes choses ont été faites par lui. »
Il en est le créateur. « Et rien de ce qui a été fait
« n'a été fait sans lui. » Il en est le conservateur:
« en lui était la vie. » La vie de la gloire et la
vie de la grâce dépendaient de lui : il devait, en
vertu d'un décret divin, s'incarner et devenir notre
Rédempteur.
O Verbe incréé, je vous félicite pour toutes ces
perfections. Oh ! c'est pour moi une grande joie
que de penser que vous êtes plus noble que le
verbe qu'enfantent tous les jours les pensées hu-
maines et angéliques. Oh ? gardez toujours cette
glorieuse suréminence, O Verbe injcomparable,
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 829
VOUS êtes éternel et vous avez été toujours Timage
de votre Père ! faites que moi aussi j'en devienne
l'image et que je ne diffère plus d'imiter ce divin
modèle. Vous êtes une substance et vous subsis-
tez en représentant parfaitement votre Père : don-
nez-moi la force de subsister également en repré-
sentant et en imitant la bonté, la patience, la mi-
séricorde, la charité et les autres perfections de
votre Père céleste, à qui vous nous voulez confor-
mes. Puisque vous êtes le Verbe éternel, donnez-
moi la grâce de persévérer jusqu'à la mort et pen-
dant toute l'éternité qui la suivra. Enfin puisque
vous êtes le Verbe tout-puissant, vivifiez moi
et fortifiez ma faiblesse afin que je sois en état
de résister à tous mes ennemis.
III
Considérez que le Verbe est produit par une
connaissance universelle : c'est du moins la doctrine
de saint Thomas (i), de saint Bonaventure (2) et
de l'élite des théologiens, d'après lesquels le Verbe
est produit par les connaissances de toutes les
choses incréées, et de toutes les choses créées, de
tout ce qui est en Dieu et de tout ce qui est hors
de Dieu. C'est pourcette raison que Dieu n'a qu'un
seul Verbe, par lequel il dit et exprime toutes
choses. « Dieu a parlé une fois ; » (Ps. 61) il ne se
répète pas. En effet la connaissance par laquelle
Dieu le Père produit son Verbe, est la plus entière
et la plus parfaite de toutes les connaissances pos-
I. D. Thom. q. ^4, art. j.
3. D. Bopavent. in i, Dtst, aj. p. a. art. z, quast, a.
33o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sibles ; ce n'est pas par la simple connaissance,
mais par la compréhension de son Essence qu'il le
produit. Or cette compréhension est un regard de
Dieu jeté sur Dieu et sur la créature, ainsi que sur
tout ce qui lui appartient, sur toutes ses facultés,
sur toutes ses actions, sur tous ses états et sur
toutes les conditions de son existence. Ainsi la
créature, toute misérable qu'elle est, intervient
dans la production du Verbe, et on peut dire avec
vérité, que ce Verbe ineffable est produit par la
connaissance qu'a Dieu le Père, des créatures. Tou-
tefois, que cette connaissance intervienne soit anté-
rieurement et comme principe, soit seulement par
concomitance et d'une manière accessoire ; — ce
qui est une question très controversée parmi les
théologiens — il est certain que dans aucun cas,
le verbe ne dépend des créatures, parce qu'il n'en
reçoit rien: mais entre le Verbe et les créatures, il
existe une connexion, qui consiste en ce que les
créatures servent aussi d'objet à la connaissance
par laquelle le Verbe est produit.
O surprenante merveille ! Ah ! vrai Dieu !
« vous ave\ connu bien à V avance mes pensées^
« mes voies et mes sentiers. » (Ps. i38.) G'estde
toute éternité et dès l'instant où vous avez produit
votre Fils que vous avez fixé sur moi votre regard
divin et votre pensée infinie, sur moi, vile et ram-
pante créature. Moi, moi aussi, j'étais l'objet de
votre grande pensée et de la compréhension infinie
par laquelle de toute éternité vous produisiez votre
Verbe infini. Que n'ai-je donc plus tôt, Dieu éternel,
jeté mes regards sur vous, et appliqué mon âme
à vous contempler? Que du moins j'y emploie ce
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 33l
qui me reste de vie, et que jamais il ne m'arrive
de me lasser de penser à vous.
X^ MÉDITATION
POURQUOI LA SECONDE
PERSONNE EST APPELÉE LE FILS
SOMMAIRE
Elle est appelée le Fils : parce qu'elle est T image
du Père éternel, selon sa propriété personnelle;
— parce que sa subsistance est semblable à celle
du Père; — pour d autres raisons plus éle-
vées que nous ne connaîtrons que dans le ciel.
I
D'après le Docteur angélique, la seconde Per-
sonne est appelée le Fils et est véritable-
ment le Fils unique du Père, parce qu'elle
est produite comme Verbe, comme l'image qui
représente le Père et qui en porte la ressemblance
dans sa propriété personnelle de Verbe. Ainsi il
n'y a pas plus de difficulté à considérer la seconde
Personne comme Fils unique, qu'à la considérer
comme le Verbe unique et la parfaite expression
du Père éternel, selon sa propriété personnelle.
Ce dernier terme demande à être pesé avec soin,
parce qu'il sert à la solution de la plus haute et de
332 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
la plus sublime question qui se pose dans Tétude
de ce profond mystère. En effet, quoique le Saint-
Esprit soit vivant et produit par un principe
vivant, c'est-à-dire par l'Essence divine, qui lui
est communiquée, en sorte qu'il est coéternel à
son principe ; toutefois comme il est produit par
la volonté ou par l'amour du Père et du Fils, ce
qui lui convient selon sa propriété personnelle, ce
n'est pas d'être la ressemblance ou l'image de son
principe, mais bien d'être comme un certain poids,
une inclination de l'amour dont il procède, vers
l'objet aimé. Le Fils est produit par la connais-
sance que Dieu le Père a de lui-même, selon cette
parole que le Père adresse à son Fils : « Je Vai
« engendré avant V étoile du matin, dans les
« splendeurs des saints. » (Ps. 109.) Il est produit
comme le Verbe de cette connaissance, qui n'est
autre chose que la représentation et l'image de
l'objet connu : c'est là ce qui convient au Fils
selon sa propriété personnelle. C'est pourquoi il
est écrit de lui : « C'est la splendeur de la lumière
« du Père, son miroir sans tache, Yimage de sa
« bonté. » (Sag. 7.) Cette lumière éternelle, c'est
Dieu le Père ; le Fils en est la splendeur qui le
représente. Il est aussi le miroir du Père, où
la beauté du Père est reproduite : et de même
que le miroir représente en même temps que la
personne, ses mouvements et ses actions, ainsi le
Fils reproduit aussi les actions de son Père, car il
produit avec lui une troisième Personne et crée
avec lui le monde. Enfin ce Fils est l'image de la
bonté du Père, car l'Essence du Père qui est la
vraie bonté, se trouve dans le Fils réellement, par
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 333
communication, en tant qu'il est Dieu, et par
représentation, en tant qu'il est Verbe. C'est pour-
quoi la seconde Personne est l'image de la pre-
mière, selon sa propre Personne, tandis que la
troisième Personne ne l'est pas. Or, pour mériter
le nom de Fils, il faut porter en soi la ressem-
blance du principe dont l'on émane, et posséder
cette ressemblance non pas selon quelque degré
commun, mais selon sa propriété personnelle.
Donc la seconde Personne est le Fils, parce qu'elle
le Verbe divin, et la troisième Personne ne Test
pas.
O unité de Dieu ! o merveille de réternité ! o
gloire du Fils unique du Père ! Nous apercevons,
o Verbe divin, à travers, il est vrai, de pâles clar-
tés, mais enfin nous apercevons quelque chose de
votre gloire, de celle qui vous est exclusivement
propre, et qui consiste en ce que vous êtes le Fils
unique du Père tout-puissant. Et puisque vous êtes
le Fils par la raison que vous êtes Timage du Père
o Dieu souverain, imprimez-vous dans mon âme,
afin qu'elle porte toujours votre image intellec-
tuelle, qu'elle pense toujours à vous, vous con-
temple sans cesse et adore votre grandeur.
II
Si cette première raison ne vous suffit pas, en
voici une autre : la seconde Personne est appelée
le Fils, parce qu'elle est semblable à la première
Personne dans sa subsistance et non pas seule-
ment dans sa nature. Pour l'intelligence de ce
point, il faut d'abord admettre qu'en raison de sa
sublimité, la génération divine, a quelque chose
334 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de plus que la génération terrestre et charnelle:
il est évident que celui qui voudrait l'assujettir à
toutes les conditions de cette dernière, aurait une
idée tout à fait indigne d'elle. Remarquons donc
avec range de l'école (i), que, tandis que la généra-
tion terrestre a pour terme l'essence qu'elle multi-
plie, la génération divine a pour terme la subsis-
tance qui seule est multipliée. C'est pour cela
qu'en Dieu, la différence des productions divines
et immanentes doit-être prise du côté des subsis-
tances, qui sont proprement le terme oii elles
aboutissent. Donc la génération divine est la pro-
duction d'une personne vivante, semblable à son
principe non-seulement dans sa nature, mais
encore dans sa subsistance. Or le Père produit le
le Fils avec une subsistance semblable à la sienne.
Donc le Père est le principe qui engendre, le Fils
est engendré et est Fils, à cause de la ressem-
blance de sa subsistance avec celle du Père. Cette
ressemblance consiste en ce que l'une et l'autre
subsistance, celle du Père et celle du Fils, sont un
même principe d'une troisième Personne ; elles
sont toutes les deux spiratives et fécondes, et
par ce même amour qni les unit autant que la di-
vinité elle-même, elles produisent le Saint-Esprit.
Mais le Saint-Esprit n'a pas d'activité ni de fécon-
dité pour produire une personne divine ; dès lors
il n'a pas cette ressemblance de subsistance et
n'est point Fils comme la seconde Personne.
Saint Paul considérant cette seconde Personne
comme le Fils qui est élevé au-dessus de tous les
anges, l'appelle « la splendeur de la gloire du
X. D. Thom. q. 39 art. i.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 335
« Père et le caractère de sa substance » {Heb. i.) ;
selon la version grecque : « le caractère de son hy-
« postaseetdesa subsistance » ; comme si le grand
apôtre voulait nous dire que la seconde Personne
doit son nom de Fils, à ce privilège d'être la res-
semblance de la subsistance du Père. Le grand
saint Basile (i) nous dit en effet que l'hypostase
du Fils est semblable à l'hypostase du Père.
J'admirerai la grandeurde la subsistance du Verbe,
si semblable à celle du Père. Je songerai que c'est
cette si noble subsistance qu'il a communiquée
à une nature semblable à la nôtre, dans le mystère
de l'Incarnation, et dont il a voilé les splendeurs
par les ombres d'une vie souffrante et cachée ? dès
maintenant je lui en rendrai de grandes actions
de grâces et je l'adorerai. Mais, ô Verbe divin infi-
niment aimable, ce que vous demandez de nous
avant tout, c'est que nous vous servions et qu'à
votre exemple, par la sainteté de nos moeurs, nous
devenions conformes à votre Père céleste. Et de
même que vous avez dans votre adorable subsis-
tance, un même amour actif et fécond avec votre
Père céleste, qu'ainsi je m'unisse avec vous dans une
semblable affection, qui me rendra fécond en toutes
sortes d'œuvres parfaites. Oh ! puis-je avoir d'au-
tres désirs que les vôtres ! Anéantissez en moi toute
volonté non conforme à la vôtre ; que cet amour qui
est mien et personnel, périsse ! A cette condition je
pourrai espérer de participer par l'adoption à votre
filiation, dont vous honorez les créatures mortelles.
Je vous invoquerai alors comme mon Père et je
vous servirai avec un amour filial.
X. Epis t. ^j. Greg, Nyss.
336 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
III
Bien que ces raisons aient leur valeur pour ex-
pliquer la filiation naturelle de la seconde Personne,
et pour répondre d'une manière suffisante à ceux
qui demandent les 'raisons de nos mystères ; ce-
pendant nous avouons qu'il doit y avoir quelque
autre raison plus haute de la distinction des pro-
cessions du Fils et du Saint-Esprit : Dieu ne nous
Ta pas révélée dans cette vie, mais l'a réservée pour
nous la montrer dans les splendeurs de la gloire.
Si la formation du Fils dans le sein de la
Vierge, si sa naissance est pleine de mystères et
hors de la portée des plus hautes intelligences, à
plus forte raison doit-il en être ainsi de sa naissance
éternelle dans le sein du Père. Bien plus, si
nous ignorons comment nous-mêmes nous avons
été formés et comment notre àme s'est glissée dans
notre corps, comme le disait la généreuse mère des
Machabées à ses enfants : v^ Je ne sais comment
« vous êtes apparus dans mon sein » (II Mach.
7) ; comment pourrions-nous pénétrer le mystère
de la génération du Fils? « Qui pourra raconter
« sa génération ? » dit Isaïe (Is. 52). Et il entend
parler de la génération éternelle, dont saint
Augustin (i) dit à son tour : « Quant à bien pré-
if. ciser la dijfcrence quHl y a entre naître et
« procéder^ je ne le puis ; ah ! qui racontera
« cette génération ? qui racontera cette proces-
« sion ? » Saint Grégoire de Nazianze (2), une des
plus grandes lumières de la théologie, dit que cette
I. Cont. Max. l, }, c. 14,
a, Orat. 8^.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ SS^
génération ne serait pas sublime, si l'homme pou-
vait la concevoir dans son esprit étroit, lui pour
qui est un mystère sa propre génération, qui le
touche cependant de si près, lui qui a bien de la
peine à expliquer comment Tâmeest unie au corps,
comment le corps se nourrit, grandit et se meut,
comment s'accomplit la sensation, comment
riiomme se souvient du passé et mille autres cho-
ses. Puis il conclut par ces paroles : Je le redis
avec colère et indignation : honore la génération
du Fils par le silence. C'est assez pour toi de
savoir qu'il est engendré, mais de savoir comment
il est engendré, c'est une science qui n'est point
accordée aux anges et beaucoup moins à toi. Saint
Ambroise (i) tient un langage à peu près sembla-
ble et déclare qu'en présence d'une si grande dif-
ficulté il ne veut pas s'ériger en juge et en arbitre.
Saint Jean Damascène avoue lui aussi son igno-
rance.
J'imiterai leur modestie : comme eux je rendrai
les armes et j'avouerai mon impuissance à décou-
vrir le secret de cette admirable naissance, en pré-
sence de laquelle l'intelligence créée est confon-
due, la parole fait défaut, et les voix des anges se
taisent comme celles des hommes. « O Dieu, le
« silence est votre louange dansSion » (Ps. 64) (2).
Mais puisque la gloire doit nous dévoiler ce secret,
je la désirerai ardemment, car c'est dans les splen-
deurs des Saints que brille cette merveilleuse nais-
sance. Je bornerai donc mon étude, mais non mes
affections : je soupirerai après la vision du Fils de
I. In Luc. c, 9 et 2j De fid. c. 8, l. i De fide. c. lo,
a. Serti du texte hébreu, vers, de S. Jérôme.
Bait, t. I. 2%
338 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Dieu, J'attendrai la lumière et le lever de cette au-
rore divine, qui doit par ses beautés ineffables ravir
éternellement les cœurs. Père éternel, montrez-
nous donc votre Fils et cela nous suffit ; et vous.
Fils unique. Fils incomparable de l'Eternel, déchi-
rez le nuage qui vous dérobe à nos yeux et appa-
raissez-nous : « Montrez-nous votre face et nous
« serons sauvés. » (Ps. 79.)
Xr MÉDITATION
DES TROIS EXCELLENCES
DE LA FILIATION
DE LA SECONDE PERSONNE
SOMMAIRE
Elle est éternelle, — indépendante du Père —
le modèle de notre filiation adoptive.
I
LA 'filiation de la seconde Personne est éter-
nelle : le Père n'est pas plus ancien que le
Fils. C'est là une excellence absolument propre
au Fils, à l'exclusion de tous ceux qui comme lui
portent le nom de fils et qui tous sont posté-
rieurs au père qui les a engendrés. Le Fils de
Dieu est au contraire coéternel au principe qui le
produit, comme le rayon aurait été ^coéternel au
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 33g
soleil, si le soleil eût été créé de toute éternité.
Montrez-moi, dit saint Augustin (i), un flambeau
sans lumière, je vous montrerai Dieu le Père sans
le Fils.
Pour comprendre cette vérité, il n'y a qu'à con-
sidérer que les trois raisons pour lesquelles TelFet
est postérieur à sa cause, et la chose produite au
principe qui la produit, ne se réalisent pas dans
la Personne du Fils.
La première raison (2), c'est que le principe
qui produit l'effet n'a pas dès le premier instant
de son existence la vertu et la perfection requise
pour produire : par exemple, l'architecte n'est pas
capable, dès qu'il vient au monde, de bâtir un édi-
fice ; c'est pour cela que tout ce qu'il construit lui
est postérieur. Mais Dieu le Père était dès l'éter-
nité parfait en force et en puissance et dès lors ce
n'est pas l'impuissance du principe qui a pu retar-
der le moins du monde la naissance du Fils.
Saint Augustin (3) dit que le Père ne vieillit
jamais et que le Fils ne grandit jamais ; l'égal a
engendré son égal et l'éternel a donné naissance
à l'éternel.
La seconde raison est la liberté du principe qui
produit, en vertu de laquelle il peut choisir le
jour et l'heure où il produira son œuvre, comme
aussi il peut en remettre l'exécution à plus tard ;
souvent dans ce cas, l'ouvrier est antérieur à l'œu-
vre. Mais en Dieu le Fils il n'en est pas ainsi;
Dieu le Père le produit sans doute très volon-
I. Tract, ao in Joan.
3. D. Thom. q. 43, art. 3.
^. Tract. 10, in Joan.
340 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
tairement, mais par un acte absolument néces-
saire et il n'a jamais eu pas même un seul instant
la liberté de ne pas produire son Fils.
Enfin la troisième raison a lieu quand l'action
du principe qui produit est successive et que pour
arriver à être parfaite, elle a besoin du temps.
Elle ne s'applique pas à la génération du Fils,
parce que Dieu le Père, par un acte de son intel-
ligence infinie se comprend en un seul instant et
produit par cet acte son Fils exempt des incon-
vénients qui découlent de l'impuissance humaine,
et qui sont l'enfance avec toutes ses faiblesses. Le
Fils est produit dans le plus haut et le plus su-
blime état de perfection, qui lui convient et auquel
le cours des années ne peut apporter aucun ac-
croissement. Dieu le Fils est éternellement en-
gendré.
Je féliciterai le Fils de Dieu pour son éter-
nité, o Verbe éternel ! avant vous il n'y a point de
Dieu ! « Vous êtes Dieu de toute éternité et dans
« tous les siècles ! » Ps. (89). O Sagesse incréce
qu'il vous convient bien de dire de vous-même :
« Les abîmes n'étaient pas encore et moi fêtais
« conçue ; les sources d'eau vive n'avaient pas
« encore jailli de la terre; les masses pesantes
« des montagnes ne s'élevaient pas encore ;
« fêtais engendrée avant les collines ; il n'avait
« pas encore créé la terre ni les fleuves, ni affermi
« le monde sur ses pôles. » (Prov. 8.) O Verbe ad-
mirable, je me réjouis, à la pensée qu'avant
d'être le Fils d'une mère de ce monde, vous étiez
le Fils du Père céleste. O que vous êtes heureux
d'avoir joui pendant tant de siècles des délices
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 841
inénarrables de l'Essence divine et d'avoir été tou-
jours en possession de la gloire de votre Père !
O Verbe adorable, qu'ils sont heureux tous les es-
prits qui ont le bonheur d'être au service d'un
prince aussi noble et aussi heureux que vous !
II
Cette filiation est exempte de toute dépendance;
le Fils éternel ne dépend pas de [son Père, ne lui
est ni redevable, ni inférieur en rien. C'est là une
excellence nouvelle qui lui est propre à l'exclusion
de tous les enfants des hommes, qui tous sont
soumis au père qui les a engendrés et qui ont le
devoir de le respecter comme un maître. Quant au
Fils éternel, il est indépendant, étant engendré
dans un tel état de grandeur qu'il est exempt de
toute sujétion. Et voici la raison : son Père le pro-
duit nécessairement, de toute son Essence qu'il lui
communique dans sa totalité : le Père ne peut
subsister sans produire son Fils de cette manière,
à tel point que le Père ne peut pas plus être sans
le Fils, que le Fils ne peut être sans le Père. Et
comme le Fils a toute l'Essence du Père, il n'a rien
de moins que le Père : dès lors il ne peut être ni
dépendant du Père, ni inférieur au Père qui le
produit ainsi. Sans doute le rayon de soleil est pro-
duit par le soleil d'une manière nécessaire et
cependant il dépend du soleil : mais il n'a rien de
la substance du soleil et même cette nécessité de le
produire n'est pas si grande que le soleil ne puisse
absolument subsister sans produire le rayon hors
de lui. Le Fils au contraire est en unité de subs-
tance et de grandeur avec le Père et la nécessité de
34*2 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
l'engendrer est si absolue pour le Père, que le
Père n'est Père que parce qu'il l'engendre. C'est
une si grande merveille que l'intelligence ne sait
ce qu'elle doit le plus admirer, ou la noblesse d'un
Fils qui est indépendant du principe d'où il tire
son origne, ou la grandeur d'un Père, qui a pu pro-
duire un Fils, si noble « qu'il a cru pouvoir sans
« injustice s'égaler à son Père » comme s'ex-
prime le grand saint Paul (Phil. 2.); c'est en effet
son droit naturel et la conséquence de la sublimité
de sa naissance éternelle.
Toutefois — et c'est ici le côté le plus merveil-
leux, — cette indépendance qui donne au Fils tant
de noblesse, et qui l'élève au plus haut degré de
grandeur, ne préjudicie en rien à la majesté du
Père, mais plutôt malgré les apparences contrai-
res, elle contribue à sa gloire et à sa grandeur. Si
en effet le Fils était inférieur au Père et dépendait
de lui, il s'en faudrait de beaucoup que le Père en
fut pour cela plus grand : il en serait au contraire
amoindri, parce qu'il aurait été impuissant à pro-
duire un Fils ayant une excellence égale à la
sienne. C'est pourquoi de même qu'une lueur plus
vive révèle la grandeur de la flamme qui la pro-
duit, ainsi la perfection du Fils est une preuve de
l'abondance, de la plénitude et de la fécondité
infinie du Père, son principe.
Oh ! la merveille ! l'indépendance du Fils ne
diminue pas l'autorité du Père. Je vous adore.
Verbe divin, dans la noblesse de votre indépen-
dance suprême : à cette indépendance je fais l'hom-
mage de tout mon être, l'offrande de toute ma
liberté, la cession de tout mon pouvoir. Mais je ne
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 34$
puis considérer votre grandeur, sans songer jusqu'à
quel point vous l'avez abaissée par amour pour
moi : je suis forcé de remarquer que « vous vous
« êtes anéanti vous-même, en prenant la forme
« d'un esclave, et en vous faisant obéissant jus-
« qu'à la mort de la croix » envers votre Père
éternel (Phil. 2); et cependant « le monde ne Va
« pas connu » (Jean. i). Oh ! que n'ai-je autant
de cœurs qu'il y a d'étoiles au ciel, pour vous
aimer plus ardemment ! O Verbe très admirable,
au souvenir de votre Incarnation, je m'anéantirai
et je serai obéissant envers mes supérieurs, autant
que je le pourrai.
III
Outre ces deux excellences qui sont son éter-
nité et son indépendance, cette filiation en a une
troisième : elle est le modèle de la filiation adop-
tive, par laquelle les justes revêtus de la grâce,
sont appelés les enfants adoptifs de Dieu, et à ce
titre ont droit aux biens éternels de Dieu et à son
héritage, c'est-à-dire au paradis. Si bien que,
comme saint Paul a pu dire, que c'est du Père que
« toute paternité tire son origine au ciel et sur
« la terre » (Eph. 3) ; ainsi il est permis de dire
que c'est du Fils que toute filiation découle dans
le ciel et sur la terre, principalement la filiation
adoptive des justes qui honore la filiation éter-
nelle, en l'imitant comme son vrai modèle. De
même en effet qu'en vertu de sa filiation, le Fils
participe à la nature divine qui est dans le Père
éternel et la possède pleinement, ainsi les justes,
çn vertu de leur justification dont l'effet est de les
344 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
rendre fils adoptifs|de Dieu, participent à la nature
divine qui est dans les trois Personnes de la Tri-
nité et la possèdent d'une certaine manière, car le
chef des théologiens, saint Pierre dit, au sujet de
la grâce divine : « // nous donne de grandes et de
« précieuses choses qu'il nous avait promises ^
« afin que par elles vous deveniez participants
« de la nature divine. » (II Pierr. i.) Car dans la
justification. Dieu ne donne pas seulement sa
grâce, sa charité et les autres vertus, mais il se
donne aussi Lui-même ; de telle sorte que, quand
il se trouve dans une âme juste, il ne se contente
pas de résider dans cette âme, mais encore il lui
appartient. Car dès ici-bas elle le possède et puise
en lui tous les biens qu'elle peut recevoir dans
l'état de la vie présente, sa force, sa joie, sa conso-
lation, sa beauté intérieure, ses richesses spiri-
tuelles et ses espérances. Aussi de même que
l'Essence divine communiquée au Fils et résidant
divinement en lui, fait toute sa grandeur et toute
son excellence, toute sa perfection et toute sa
majesté, ainsi la nature divine communiquée gra-
tuitement et intimement aux âmes saintes, devient
la source de leur excellence et de leur grandeur,
de toute leur perfection et de toute leur félicité.
Cette belle vérité est confirmée par le témoignage
d'un docteur ancien, cardinal derEgliseromaine(i):
Nous pensons, dit-il, que ce qui est dû au Fils par
droit de nature, c'est-à-dire parce qu'il est Fils
naturel, nous est dû par grâce, c'est-à-dire parce
que nous sommes fils adoptifs : et ce que Dieu
possède par essence et par nature, je veux dire la
X. CEgid. Roman, quodltb. a, q. ult.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 345
connaissance, le bonheur et la gloire qu'il a natu-
rellement en lui, nous, nous l'avons par grâce et
par participation. De plus la filiation éternelle est
encore le type de la filiation adoptive en ce que,
comme le Fils est né de son Père sans sortir hors
du Père, ainsi les justes naissent de Dieu par la
grâce, sans sortir de Dieu et sans se séparer de
lui. Enfin le Fils naît sans cesse de son Père, et
les Justes naissent toujours de Dieu, qui leur com-
munique sans interruption la vie de la grâce, par
laquelle ils honorent sa filiation.
O sublime excellence! ô l'avantage inappréciable
que d'avoir la grâce et l'adoption divine ! Puisque
dès ici-bas Dieu commence à se communiquer par
la grâce sanctifiante, quel puissant motif d'espérer
de posséder éternellement le bien suprême dans la
jouissance bienheureuse de l'Essence divine ! O
vous, très noble Fils de Dieu, qui donnez « à tous
« ceux qui vous reçoivent^ la puissance de deve-
« nir les enfants de Dieu » (Jean i), je désire de
tout mon cœur vous recevoir et vous recevoir de
toutes les manières qui peuvent vous être agréa-
bles. Oh ! que je souhaiterais que mon cœur ne
fut que capacité pure, pour vous recevoir et ne
recevoir que vous seul ! Arrière donc et loin de
moi toutes les affections désordonnées ! je vous
souhaite uniquement, ô Verbe divin, afin que par
vous, modèle de toute filiation, je sois admis
parmi vos enfants adoptifs, pour avoir part à l'hé-
ritage du paradis.
346 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Xir MÉDITATION
DE LA PERSONNE DU SAINT-ESPRIT
SOMMAIRE
Le Père et le Fils produisent par leur amour
réciproque^ le Saint-Esprit, — Raisons pour
lesquelles cet amour du Père et du Fils s'ap-
pelle spiration active. — Cette spiration active
est un acte de sainteté infinie.
I
DIEU le Père, après avoir produit son Fils égal
à lui-même et parfait en tout, Taime aussi-
tôt d'un amour infini, et réciproquement le Fils
aime le Père qui est son principe d'un amour égal
ou plutôt d'un même amour. Comment imaginer
en effet qu'un Dieu si excellent fut sans amour
pour un tel Fils, ou qu'un Fils si admirable man-
quât d'amour envers un Père si sublime. Certes
l'amour réciproque est une des plus nobles affec-
tions de l'âme, en lui se trouvent toutes les délices
des substances spirituelles, à tel point que sans
amitié il ne saurait y avoir de vraie béatitude. Il y
donc entre le Père et le Fils qui sont des Person-
nes spirituelles et souverainement heureuses, un
amour réciproque. Or cet amour est une action,
et comme toute action, doit aboutir i^ un terme; il
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 347
n'y a pas en effet d'action qui ne produise quel-
que chose. Quel sera ici le terme de cet acte
d'amour ?
Pour le bien comprendre, remarquons que tout
acte d'amour véhément produit dans la personne
aimante une inclination vers l'objet aimé, inclina-
tion qui s'appelle amour formé. Le Père et le Fils
produisent donc en eux-mêmes par leur amour,
une inclination vers eux-mêmes et vers les objets
qu'ils aiment. Et puisque cette inclination est en
eux-mêmes et dans leur Essence, elle ne saurait
être un accident et doit être une substance. D'au-
tre part, puisque cette inclination est du Père et
du Fils, il faut qu'elle soit distincte du Père et
du Fils, et par suite elle leur est incommunicable.
Donc elle constitue une personne. De plus, puis-
que elle est dans l'Essence divine, elle est l'Essence
divine elle-même. Dieu même. Donc cette inclina-
tion constitue avec l'Essence une personne qui est
Dieu, e'est la troisième Personne de la sainte
Trinité, le Saint-Esprit. Aussi le Saint-Esprit
considéré selon sa propriété personnelle est une
inclination et comme une impulsion d'amour du
Père au Fils, et du Fils au Père.
O la noble propriété! Oh! bienheureusesles créa-
tures qui multiplient ces inclinations et ces impul-
sions saintes vers Dieu ! elles imitent de plus près
la personne du Saint-Esprit. Oh ! qui imprimera à
mon àme une sainte impulsion qui la fasse s'élan-
cer sans cesse vers la divinité ! Oh ! qui fera de
moi une pure tendance vers Dieu ! O Esprit très-
saint, détruisez dans mon cœur toutes les inclina-
tions vers les choses caduques et périssables et
348 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
qu'il ne m'en reste plus que pour les choses divi-
nes et immortelles.
II
Cet amour du Père et du Fils s'appelle spira-
tion active, parce que aimer beaucoup, c'est la
vraie respiration de l'âme. Cet amour ressemble
en eifet à la respiration de quatre manières.
Premièrement, la respiration vient de l'inté-
rieur; du cœur et des poumons. Ainsi l'amour du
Père et du Fils est tout intérieur et tout intime à
leur Essence.
Secondement, la respiration est causée par la
chaleur du cœur: Ainsi l'amour du Père et du
Fils est produit par l'ardeur d'une charité indi-
ciole.
Troisièmement, pour conserver la vie, la respi-
ration doit être continuelle. Ainsi l'amour du Père
et du Fils est perpétuel, il n'a ni commencement,
ni fin; le Père et le Fils soupirent l'un vers l'autre
par un amour réciproque et constant, qui n'est
pas même sujet à ces pauses et à ces diverses re-
prises que nous constatons dans notre respiration.
L'amour du Père et du Fils persévèrent sans la
moindre interruption.
Enfin la respiration tempère la chaleur du
cœur et l'empêche d'être excessive, grâce au doux
et suave rafraîchissement qu'elle apporte. Elle la
conserve aussi à un degré normal, l'entretient par
une fraîcheur modérée, qui a pour effet de l'exci-
ter et d'empêcher ainsi qu'elle ne s'éteigne, à peu
près comme une flamme qui renfermée dans un
espace étroit et sans renouvellement d'air, finit
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 849
par être étouffée. II en est ainsi de Tamour du
Père et du Fils : c'est par lui que le Saint-Esprit
procède et émane du Père et du Fils : puis s'unis-
sant aux âmes, il y tempère Tardeur des passions
et y entretient la flamme de la charité divine.
Aussi l'Eglise (i) appelle-t-elle le Saint-Esprit « Je
« délassement dans le travail, le rajratchissement
« dans la chaleur, la consolation dans les larmes »
et elle le prie en même temps de « réchauffer ce
qui est froid. »
O amour sacré! o respiration vitale de mon
âme ! que suis-je donc quand je vis sans aimer
mon principe et mon bien suprême, sinon un
corps qui ne respire plus, qui est mort, un cada-
vre qui entre en putréfaction ? O Esprit très-saint
et très-suave, si vous n'êtes dans le Père et
dans le Fils qu'en tant qu'ils s'aiment ardemment,
comment serez-vous en nous, si l'amour, cette
sainte respiration, nous manque ? Faites donc, o
mon Dieu, que nous respirions par les actes d'un
amour sincère et profond, qui soient l'effet de la
charité surnaturelle et qui soient continuels
autant du moins que la vie présente le permet.
Hélas ! si ici-bas je soupire, c'est après des biens
périssables et des objets créés que je désire folle-
ment. Ah ! venez tempérer cet ardeur immodérée,
Esprit très doux et ne conservez-en moi que la
seule ardeur de la sainte charité, que vous nous
ordonnez d'avoir dans le cœur. Alors je pourrai
dire : « fai ouvert la bouche et fai attiré VEs-
« prit. » (Ps. 118.)
I. Prose de la Pentecôte.
35o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
III
Cet amour ou cette spiration active du Père et
du Fils est un acte d'une sainteté infinie, un acte
qui sanctifie infiniment le Père et le Fils. La cha-
rité envers Dieu en effet est la sainteté même, et
dans une créature l'acte d'amour de Dieu a telle-
ment pour efîet de sanctifier, qu'il efface tout pé-
ché dans Tàme, la rend pure et sainte et fait
qu'elle est aimée de Dieu comme elle aime Dieu.
C'est si vrai que toute âme qui produit des actes
de véritable amour, est sainte devant Dieu et les
anges, et quand bien même un instant auparavant
d'innombrables péchés l'auraient souillée, tous
ces péchés lui sont aussitôt pardonnes, à cause de
l'amour de Dieu, qui porte la sainteté partout où
il se trouve. Il n'y a point d'àme si pécheresse et
si abominable, qui venant à concevoir le pur et
saint amour, ne soit digne d'entendre comme
Madeleine ces paroles : « Beaucoup de péchés
« lui sont pardonnes j parce qu'elle a aimé beau-
« coup. » (Luc. 7.) Or, si l'acte d'amour si tiède
et si peu ardent dans une créature, est cependant
assez puissant pour la sanctifier, que ne fera pas
l'acte d'amour infini ? Ainsi le Père est saint parce
qu'il aime son Fils; le Fils est saint, parce qu'il
aime son Père, et leur spiration mutuelle est une
sainte dilection : par conséquent c'est à bon droit
que la personne qui procède de cette spiration est
appelée le Saint-Esprit.
O amour ! ô sainteté ! apprends, ô mon âme, la
voie et le moyen de te sanctifier. Tu es sainte dans
la mesure même où tu aimes le Père, le Fils et le
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 35l
Saint-Esprit, et tu es terrestre, éloignée de la
sainteté dans la proportion où tu aimes la terre.
Pourquoi donc as-tu tant d'affection pour les créa-
tures ? Pour être sainte, un seul amour te suffit.
Oh ! Père, ô Fils, ô Saint-Esprit, donnez-moi cet
amour. Oh ! que je vous saisisse comme entre les
bras de mon âme ! Oh ! Seigneur très suave, je
désire être tout transformé en vous par un pro-
fond amour. Car, ô Dieu de bonté, qu'ai-je à sou-
haiter au ciel ou sur la terre, sinon d'adhérer
inséparablement à vous ? « O Dieu de mon cœur,
« mon partage et m.on tout pour l'éternité. » O
Dieu infiniment désirable, qui donc rompra ma
glace, afin que je puisse me fondre en vous et me
liquéfier dans votre amour? Remplissez-moi, Sei-
gneur, de l'ardeur de votre Saint-Esprit, afin
qu'il me consume par votre saint amour. Je lan-
guis, hélas ! dans l'attente, parce que vous ne
m'exaucez pas : car après tous mes soupirs, je me
trouve encore plein de froideur, je manque d'ar-
deur dans mes actions, d'attention dans mes
prières, semblable aux oiseaux qui parlent sans
se comprendre. Aussi ne cesserai-je d'implorer vo-
tre miséricorde tous les jours de ma vie.
352 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Xlir MÉDITATION
DES PERSONNES
DES AMOURS ET DES OBJETS
QUI INTERVIENNENT
DANS LA PRODUCTION
DU SAINT-ESPRIT
SOMMAIRE
Le Saint-Esprit est produit par deux Personnes^
qui sont le Père et le Fils — par V amour réci-
proque du Père et du Fils, qui est un amour
appréciatif, de bienveillance et de complai-
sance — enfin par un amour universel qui em-
brasse V incréé et le créé.
I
DEUX Personnes produisent le Saint-Esprit :
l'Eglise le croit et l'a défini (i) contre les
Grecs qui ne voulaient pas reconnaître le Fils
comme principe du Saint-Esprit et qui en punition
de leur hérésie, sont devenus les esclaves des
Turcs. Ils ont contre eux la Sainte Ecriture, dans
laquelle il est dit de PEsprit-Saint « qu'il est
« envoyé par le Fils, qu'il recevra quelque chose
« du Fils », et oii il est appelé « V Esprit, la
I. Conc. Florent.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 353
« Vérité » ; autant d'expressions qui signifient
qu'il procède du Fils. En réalité il ne serait pas
distinct du Fils, s'il n'était pas produit par lui,
car les Personnes divines ne sont distinctes entre
elles qu'en tant que l'une produit l'autre ou en est
produite. Donc puisqu'il y a trois Personnes dans
la Trinité, elles doivent toutes, à l'égard l'une de
l'autre, être ou principe ou terme de production,
pour être distinctes. Donc, puisque le Saint-Esprit
est distinct du Fils, il émane de lui. C'est la gran-
deur et la gloire du Fils, d'être avec le Père, prin-
cipe d'une Personne divine : c'est pourquoi Dieu
le Père dit à son Fils : « Etant principe avec toi
« ail jour de ta puissance dans les splendeurs
« des saints, je fai engendré de mon sein avant
« d'avoir créé V étoile du matin. » (Ps. 109.) Ce
jour de la puissance du Fils c'est le jour éternel,
dans lequel il produit le Saint-Esprit. Jamais la
puissance du Fils ne parut davantage, ni dans la
création, ni dans la rédemption du monde, ni
dans aucune de ses œuvres : aussi ce jour est-il
appelé celui de sa magnificence et de sa puissance,
et ceux-là sont les ennemis du Fils de Dieu qui
veulent lui ravir cet honneur. Or dans ce jour
même et dans cet instant même où le Fils produit
le Saint-Esprit, lui-même est produit de l'Essence
du Père, et par une merveille qui n'appartient qu'à
lui, il est produit et produisant tout ensemble.
Le Père produit une sagesse qui à son tour pro-
duit l'amour, car elle ne peut demeurer oisive et
stérile. Le Père, dit l'angélique Docteur (i), pro-
duit un Verbe, non un Verbe tel quel, mais un
I. Quœst. jfjt art. 5.
Bail, t. i. 43
354 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Verbe respirant l'amour et produisant le Saint
Esprit. Ainsi le Saint-Esprit procède de deux Per-
sonnes.
O Verbe éternel ! Je vous adore comme le prin-
cipe du Saint-Esprit : car vous vivez et régnez
avec le Père dans l'unité du Saint-Esprit. Votre
vie spirituelle et intérieure ainsi que le triomphe
de votre grandeur consiste à être cet admirable
principe. Oh ! je vous adore comme la sagesse et
la parole produisant un amour infini. O sagesse, ô
parole si parfaite qu'elle est principe d'amour au
moment même où elle existe ! Oh ! donnez-moi à
votre exemple une science affective, qui produise
l'amour, donnez-moi une parole qui s'enflamme
de l'ardeur de votre charité, et que ce feu s'allume
dans ma méditation.
II
Considérez par quels amours les Personnes du
Père et du Fils produisent le Saint-Esprit. Il est
vrai qu'elles n'ont qu'un seul et unique amour
pour produire cette Personne infinie, mais de
même que l'Essence divine comprend dans sa
simplicité les perfections de toutes les essences,
ainsi leur amour comprend en son unité tous les
actes d'amour qui peuvent convenir à Dieu.
Nous pouvons donc dire que le Père et le Fils
s'aiment réciproquement d'un amour appréciatif,
ce qui veut dire d'un amour par lequel ils s'esti-
ment l'un l'autre infiniment et autant qu'ils le
méritent pour leur grandeur, leur félicité et tous
les biens qu'ils possèdent.
Secondement, ils s'entr'aiment d'un amour d .•
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 355
bienveillance, par lequel ils se souhaitent Tun à
l'autre, pour toute l'éternité, toute la gloire et
toutes les joies dont ils sont comblés de toute
éternité.
Enfin ils s'entr'aiment d'un amour de complai-
sance, amour le plus sublime et qui convient à
Dieu plus que tout autre amour. Le Père, en
cette ineffable production, se réjouit dans les gran-
deurs de son Fils, s'y complaît et lui dit éternelle-
ment : « Voici mon fils bien-aiméy en qui fai
« mis toutes mes complaisances. » (Matt. 3.)
Réciproquement, le Fils se réjouit et se délecte
dans la majesté de son Père et dans l'infinité de
tous ses biens : car la joie du Fils n'a d'autre me-
sure que la bonté de Dieu qui est infinie. Le
Saint-Esprit est donc comme le fruit de la joie
éternelle des Personnes incréées, comme aussi
dans les personnes créées, la joie est encore le
fruit du Saint-Esprit, selon la parole de saint
Paul : « Le fruit de V Esprit est la joie. » (Gai. 5.)
Je m'efforcerai de produire envers les Person-
nes divines des actes de ces trois sortes d'amour.
L'amour du Père et du Fils est le premier des
amours : il doit donc servir de règle à notre
amour, car ce qui occupe dans un certain genre
la première place doit être la mesure de tout ce
qui est compris dans ce genre. Donc, 6 mon Dieu,
vous me serez plus cher que dix mille vies. Je
n'estimerais rien des millions de monde, au prix
de vous seul, o mon Dieu. Oh ! que je voudrais
avoir les cœurs de tous les hommes, afin de vous
désirer une gloire infinie pendant toute l'éternité.
Vous êtes dans l'abondance des biens et des joies :
356 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
je m'en réjouis sincèrement. « O justes, réjouis-
« se\-vous dans le Seigneur, tressaille^ d'allé-
<f. gresse y> (Ps. 32), non pas parce que la
prospérité habite chez vous, parce que votre corps
est en bonne santé, ou encore parce que vos
champs produisent de belles moissons ; mais
réjouissez-vous de ce que vous avez un Seigneur
doué d'une telle beauté, rempli d'une telle bonté
et qui excelle dans la sagesse (i). O Esprit sacré,
qui êtes un maître en amour céleste, enseignez-
moi ces trois actes d'amour, afin que j'en fasse
mon occupation ordinaire et que ce soit pour moi
« un triple lien difficile à rompre » (Eccl. 4).
Ce lien m'unira aux trois Personnes divines par
des affections si fortes et si constantes qu'elles
seront immortelles.
III
Le Saint-Esprit est produit par l'amour de tous
les objets aimables, si bien qu'il n'y a rien d'aima-
ble qui ne soit aimé dans l'acte dont le terme est
la production du Saint-Esprit. C'est un amour
universel ; Dieu le Père et Dieu le Fils ont un
amour tel que rien n'en est exclu. Ils aiment leurs
Personnes, leur Essence, le Saint-Esprit, même
en le produisant : ils aiment tout ce qui est divin.
Et comme leur amour est infini, il s'étend aux
créatures possibles, au monde, avant qu'il fut créé,
aux anges et aux hommes ; en un mot à toutes les
créatures que Dieu a aimées, à tout ce que le ciel
renferme et il n'est personne qui soit à l'abri des
étincelles qui jaillissent de ce foyer d'amour. Il
I. D. Basil, in hune Psal.
DE LA TRÈS s'aINTE TÈINITÉ 357
est vrai que cet amour ne laisserait pas d'être par-
fait, quand même les créatures n'en seraient pas
aussi l'objet; il est en effet achevé et accompli par
son objet premier et principal qui est l'Essence
divine et ne reçoit aucun accroissement des créa-
tures qui sont seulement pour lui des objets
secondaires. C'est pourquoi le Saint-Esprit ne
laisserait pas d'être produit, quand bien même les
créatures ne seraient pas aimées. Mais c'est la
merveille de cet amour infini d'embrasser tout le
divin et tout l'humain, l'incrééetle créé : ainsi, au
moins par concomitance, le Saint-Esprit est pro-
duit par l'amour du Père et du Fils pour les créa-
tures et il n'est pas plutôt produit, que les
créatures ne sont aimées. Comme le Père, dit
saint Thomas (i), se connaît lui-même et toutes
les créatures par le Verbe qu'il a engendré ; ainsi
il s'aime lui-même et toutes les créatures par le
Saint-Esprit, en tant que le Saint-Esprit procède
comme l'amour de la première bonté, selon
laquelle il s'aime lui-même ainsi que toutes les
créatures.
O charité de Dieu ! ô excès d'amour ! Si j'ai
déjà constaté avec admiration que les créatures
sont l'objet de la connaissance par laquelle le Père
produit son Verbe, je veux maintenant me laisser
aller à un sentiment d'admiration encore plus vif,
à la pensée que les créatures font l'objet de l'a-
mour dont le Saint-Esprit procède. Oh ! l'incompa-
rable avantage ! oh ! la joie immense que doivent
goûter les créatures dans le Saint-Esprit ! Oh I qu'il
lui appartient bien d'être appelé le paraclet et le
I. Quœst, 17, art. ).
35S LA THÉOLOGIE AFFECtIVE
consolateur ! Car quand nous apprenons que Dieu
nous voit et nous connaît, ce doit être pour nous
un grand sujet de confusion de penser que nous,
si misérables et si pleins de défauts nous parais-
sons devant une telle lumière : mais, quand on
nous dit que Dieu nous aime, c'est notre bien,
notre gloire, notre exaltation qu'on nous annonce.
Que Dieu nous aime du même amour dont le
Saint-Esprit émane, et que l'amour qu'il nous
porte accompagne cette émanation éternelle,
quelle admirable consolation, quel honneur pour
la créature, quelle merveille de l'éternel amour !
que ferai-je pour le reconnaître ? Ce sera toujours
un vif regret pour moi, mon Dieu, de vous avoir
aimé trop tard. Ah ! beauté toujours ancienne et
toujours nouvelle 1 je vous ai aimée trop tard.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ SSg
XIV^ MÉDITATION
DES
TROIS AUTRES PARTICULARITÉS
DU SAINT-ESPRIT
SOMMAIRE
Il appartient au Saint-Esprit^ selon sa pro-
priété personnelle — d'être le lien du Père et
du Fils — d'être le dernier terme des produc-
tions immanentes de Dieu — d'être, entre
toutes les Personnes divines^ la moins éloi-
gnée des créatures.
I
LE Saint-Esprit a cela de propre dans son Etre
personnel, d'être le lien du Père et du Fils, et
comme dit saint Bernard (i), leur baiser, leur paix
inaltérable, leur indivisible amour. Il est, dis-je,
le lien du Père et du Fils, lien si fort et si indis-
soluble qu'aucune force, aucun désaccord ne peut
le rompre.
La raison, c'est que le Père et le Fils ne sont
tous les deux ensemble qu'un seul principe, qu'un
seul producteur, par une spiration unique, du
Saint-Esprit. En eux considérés comme principe
qui produit le Saint-Esprit, il n'y 'a pas de plura-
lité, mais une souveraine unité, parce qu'ils n'ont
|. Serm. 8. in Canf,
36o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
qu'un seul et unique amour actif, qui leur est
aussi nécessaire que l'Essence même, par laquelle
ils sont principe de son existence. De plus le Père
et le Fils n'ont qu'un seul et même rapport avec
le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit n'a qu'un seul
rapport avec le Père et le Fils. Dieu le Père est
bien le principe de deux Personnes, du Fils et du
Saint-Esprit, mais il n'est pas le lien du Fils et du
Saint-Esprit, parce que le Fils et le Saint-Esprit
ont des relations distinctes avec le Père ; car le
Fils, par sa filiation, se rapporte au Père, comme
engendrant, et le Saint-Esprit, par sa spiration
passive, se rapporte à lui comme spirateur. Aussi
dans les relations du Fils et du Saint-Esprit au
Père, il n'y a pas d'unité, mais le Père et le Fils
ont cette unité dans la spiration active qui produit
le Saint-Esprit : c'est pour cela qu'il est leur lien.
Le propre de l'amour n'est-il pas d'unir ? Or le
Saint-Esprit est l'amour incréé.
Vous donc, ô amour incréé qui êtes le lien du
Père et du Fils, soyez aussi par la diffusion de
votre charité, le lien de la créature avec son Créa-
teur. Unissez-nous à notre principe par un lien si
fort, que ni le ciel, ni la terre, ni la mort, ni l'en-
fer ne puissent le rompre. Et puisque le Père et
le Fils ne vous produisent que dans l'unité, c'est-
à-dire, parce qu'ils sont un dans l'amour, de
même qu'ils ne vous donnent aux Apôtres que
lorsqu'ils sont réunis dans le cénacle ; ô Esprit de
paix, par cette unité qui vous est si propre et si
intime, donnez-nous la paix et la concorde dans
cette vie, afin que nous arrivions à l'union et à la
paix éternelle.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 36l
II
Il appartient encore d'une manière propre au
Saint-Esprit d'être le dernier terme des produc-
tions immanentes de Dieu : il n'est pas le dernier
en dignité ou en excellence, mais dans l'ordre
d'origine. Après lui en effet aucune autre per"
sonne n'est produite : c'est lui qui est la dernière,
de même que le Père est la première Personne qui
produit et qu'avant lui il n'y a pas de personne
divine. Ce n'est pas que le Saint-Esprit n'ait pas
une intelligence capable de connaître et une
volonté capable d'aimer : mais sa connaissance
est essentielle et seulement spéculative, elle ne
produit rien, parce que le Fils épuise et termine
la puissance de l'intelligence divine. L'amour de
sa volonté est également essentiel et ne produit
rien, parce que c'est le Saint-Esprit lui-même qui
est le terme produit par cette volonté, terme infini
et si parfait qu'il épuise pareillement la puissance
de produire de la volonté et la termine. Donc
après la production du Saint-Esprit, le Père et le
Fils ne produisent pas d'autres Personnes divines
et le Saint-Esprit est leur dernier terme, leur repos
et comme leur sabbat éternel. D'après un auteur
ancien, le Saint-Esprit est le centre de celui qui
engendre et de celui qui est engendré, c'est-à-dire
du Père et du Fils qui s'arrêtent dans les perfec-
tions infinies du Saint-Esprit et ne passent pas à
d'autres productions immanentes. Si donc le Saint-
Esprit ne produit pas une autre personne divine,
ce n'est pas impuissance de sa part : au contraire,
la raison en est qu'étant infini, il remplit, égale et
362 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
épuise tellement la fécondité de l'amour divin en
Dieu, qu'après lui il ne reste plus rien à produire.
Car, dit saint Clément d'Alexandrie (i), le Saint-
Esprit renferme dans son unité toutes choses, il
communique à tous les êtres quelque chose de
cette unité comme aussi de sa durée, il nous unit à
lui comme ses membres : il est bon à tous les
points de vue, infiniment sage et juge parfait ; à
lui gloire et honneur maintenant et dans les siècles
des siècles.
C'est donc le Saint-Esprit qui par sa perfection
infinie met un terme aux productions de l'infinie
Trinité. Ce n'est pas le Fils, c'est-à-dire la sagesse,
qui sert de terme aux productions divines, mais
c'est l'amour. Ce n'est donc pas, o mon âme, dans
la connaissance et dans la sagesse que nous devons
nous reposer, mais dans l'amour. Très aimable
Seigneur, vous nous avez créés pour vous aimer et
notre cœur ne trouvera le repos qu'en vous, dans
votre charité, dans votre amour. C'est donc en
vain, o mon àme, que tu te fatigues tant pour ac-
quérir la science, si tu délaisses l'amour. O
Esprit-Saint accordez-moi donc l'amour que je
demande pour jouirdu repos.
III
Enfin il appartient en propre au Saint-Esprit
d'être de toutes les Personnes divines la plus rap-
prochée des créatures, selon l'ordre dont toutes
choses émanent de Dieu le Père ; car le Saint-
Esprit ne produisant pas de personne divine, et
étant la dernière Personne de la Trinité, tout ce
(0 Pedag., \. 3, c. ii.
DE LA TRÈS SAINTE TlîlNîTÉ 365
qui est produit après lui, c'est le monde et toutes
les créatures qu'il renferme. Après le Père, le
Fils est le premier par ordre ; après le Fils,
le Saint-Esprit ; après le Saint-Esprit, les Sé-
raphins et les autres anges inférieurs et en
dernier lieu les créatures corporelles. Et si
nous voulons remonter des créatures aux Person-
nes divines, quand nous avons dépassé les plus
sublimes créatures, c'est le Saint-Esprit que nous
rencontrons le premier, et c'est lui que nous
trouvons immédiatement au-dessus des anges et
de l'incomparable Vierge. Et ainsi, comme en sui-
vant l'ordre des productions en Dieu, on va du
Père aux autres Personnes et on trouve comme
dernière Personne le Saint-Esprit ; en remontant
au contraire des créatures au Père, la première
Personne divine que nous rencontrons et par con-
séquent celle qui est la plus proche de nous, c'est
le Saint-Esprit. Et voilà le motif pour lequel les
anges soupirent après le Saint-Esprit, « dont, dit
saint Pierre, ils désirent voir la face. » (i Pierr. i.)
Comme ils veulent aimer quelque chose au-
dessus d'eux et que la première personne qu'ils
rencontrent est le Saint-Esprit, c'est à lui qu'ils
offrent leurs premières ardeurs et leurs premières
affections ; et bien que cette vue et cet amour les
rassasient, ils ne cessent cependant de les désirer,
car leur rassasiement est sans dégoût et leur désir
est sans peine (i).
O Esprit des esprits, source de sainteté, de sa-
gesse et de félicité, puisqu'on ne vous trouve que
dès qu'on a franchi les degrés des créatures, élevez
I, Isidor. de Summo bon. 1. i, cap. a.
364 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
nos affections au-dessus des choses créées, afin
que nous ayons le bonheur de vous rencontrer,
pour nous unir à vous et par vous au Père et au
Fils, afin que comme l'épouse que vous inspirez,
nous puissions dire : « fai trouvé mon bien-
« aimé » (Cant. 3), qui est l'Amour, le Saint-Esprit
que mon âme chérit. Hélas ! quand donc pourrai-
je jouir de ce bien que j'espère ? quand verrai-je
la face et la beauté de cet Esprit de douceur et de
clémence ? car je crois, ô Esprit très-saint, que
votre beauté est parfaite et infinie, puisque les
Anges qui vous voient, désirent toujours vous
voir : aussi c'est de tout mon cœur que je recher-
che la vue de votre face très-aimable. Ne me
rejetez pas de votre présence ; vous qui êtes ma
vie et l'objet de tous mes désirs, ne me séparez
pas de vous. Que mon âme, rompant les liens du
corps et ceux qui l'attachent aux créatures, se
trouve immédiatement unie à vous, qui êtes mon
port plein de sécurité, mon salut et ma consola-
tion et en l'absence de qui ma vie s'écoule dans
les misères et les langueurs.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 365
XV^ MÉDITATION
JÉSUS GLORIFIE
LA PERSONNE DU SAINT-ESPRIT
DE TROIS MANIÈRES
SOMMAIRE
Il glorifie le Saint-Esprit — en détournant les
hommes de ï offenser — en lui donnant des
titres glorieux — en le promettant à l'Eglise.
I
JÉSUS a glorifié le Saint-Esprit et travaillé à sa
gloire avec un grand zèle : premièrement en
détournant les hommes de l'offenser : dans ce but
il a employé des paroles effrayantes et pleines
d'une mystérieuse obscurité, afin de donner à
penser combien c'est chose grave de l'offenser.
« A quiconque aura dit une parole contre le
« Fils de TJiomme, il sera pardonné : mais celui
« qui aura parlé contre le Saint-Esprit, nob-
« tiendra son pardon^ ni dans ce siècle ni dans
« le siècle à venir. » (Matt. 12.) Le Saint-Esprit
avait glorifié Jésus sur la terre et lui avait rendu
des offices incomparables. Aux prophètes il avait
inspiré de parler de lui, d'annoncer sa venue au
monde et de publier à l'avance ses grandeurs,
pour disposer les nations à le recevoir. II intcr-
366 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
vient encore quand Jésus vient au monde : quand
il est conçu dans le sein de la Vierge très-pure,
c'est le Saint-Esprit qui opère cette admirable
conception : car il est « ïa Vertu du Très-Haut,
« qui couvrit la Vierge de son ombre » (Luc i) ;
en sorte que « ce qui est né en elle, est du Saint-
« Esprit ». C'est le Saint-Esprit qui en formant
son corps, embellit aussi son âme de tous ses dons.
C'est lui qui prend la direction toute spéciale de
son humanité, car Jésus est conduit dans le
« désert par VEsprit » (Matt. 4), c'est-à-dire par
le Saint-Esprit qui le dirige en tout. C'est le
Saint-Esprit qui descend visiblement en lui sous
la forme d'une colombe, quand il est baptisé dans
le Jourdain. En un mot, le Saint-Esprit fait écla-
ter en Jésus la puissance et les œuvres merveil-
leuses, à tel point que le Sauveur reconnaissant ce
qu'il avait reçu du Saint-Esprit, disait de lui : « //
« me glorifiera » (Jean 16) ; c'est-à-dire il mon-
trera, à force de miracles, que je suis le Fils de
Dieu et le Sauveur du monde, il inspirera aux
hommes de croire à mes paroles et de reconnaître
mes grandeurs.
Pour tous ces motifs, Jésus devait être plein
d'un zèle ardent pour glorifier le Saint-Esprit.
Aussi le glorifie-t-il en réalité de diverses maniè-
res, et le fait-il honorer de tout le monde. D'abord
il s'emploie à détourner les hommes de l'offenser :
il les menace de sa colère implacable et éternelle,
s'ils viennent à parler contre lui. Jamais il ne parut
plus terrible que lorsqu'il s'agissait d'une injure
faite à l'Esprit-Saint. On le vit alors, lui qui a
toujours eu les bras ouverts pour recevoir les plus
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 867
abominables pécheurs, oublier en quelque sorte
son naturel et les lois de sa miséricorde, pour en
appeler à celles d'une impitoyable justice. Ce n'est
pas qu'il y ait des péchés irrémissibles pour
l'homme qui ne s'y obstine pas jusqu'à la mort,
pour celui qui s'en repend amèrement : ce que
Jésus veut faire entendre, c'est que les paroles
injurieuses contre le Saint-Esprit ne se pardon-
nent que difficilement, parce que ceux qui les pro-
fèrent méritent par leur extrême malice, d'être
privés des grâces plus spéciales de Dieu. En
réalité Dieu en prive plusieurs d'entre eux ; aussi
meurent-ils sans se convertir, dans l'impénitence
finale et eux-mêmes rejettent le remède du péché.
Mais c'est assez disserter sur un sujet qui, au
jugement de saint Augustin, est fort difficile.
Je reconnaîtrai donc le zèle de Jésus à l'égard
du Saint-Esprit et je saurai combien c'est une faute
grave de prononcer des paroles injurieuses contre
les Personnes divines. Oh ! que les blasphéma-
teurs sont exécrables! « Que jamais je ne parti-
« cipe à leurs assemblées et que je ne mette
« jamais ma gloire à entrer dans leurs con-
« seils! » (Gcn. 4g.) O Jésus, imprimez dans mon
âme votre zèle et votre amour, pour que je
détourne de tout mon pouvoir les hommes de pro-
férer avec tant d'audace des blasphèmes dont le
pardon est si difficile à obtenir.
II
Jésus a encore glorifié le Saint-Esprit, en lui
décernant des titres glorieux dont les Evangiles
sont émaillés comme de belles fleurs : il nous a
368 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
fait comprendre par là l'excellence du Saint-Esprit
et le respect que nous devons lui porter. Il n'a
pas trouvé qu'il eût assez fait en empêchant les
hommes de parler du Saint-Esprit d'une manière
injurieuse, il a voulu encore les exciter par son
exemple à en parler avec honneur et à le combler
de louanges. Il a dit de lui « Quand viendra le
« Paraclet, qui procède du Père, VEsprit de
« vérité, il rendra témoignage de moi » (Jean. i5).
Dans cette seule phrase, il lui décerne deux élo-
ges : il l'appelle le Paraclet, à cause de l'abondance
des consolations et des douceurs spirituelles qu'il
verse dans les âmes saintes ici-bas et dans le ciel ;
en second lieu il l'appelle l'Esprit de vérité, pour
l'opposer à l'esprit du mal, qui n'inspire que la
tromperie et le mensonge, tandis que le Saint-
Esprit est le docteur de la vérité. Il l'appelle le
don de Dieu, dans son entretien avec la Samari-
taine : « O femme, si tu connaissais le don de
« Dieu ! » (Jean. 4), c'est-à-dire le Saint-Esprit,
car de tous les dons le premier et la source de
tous les autres, c'est l'amour : c'est pour cela que
le Saint-Esprit mérite le nom de don au môme
titre que le nom d'amour. Il l'appelle une eau vive,
parce qu'il lave les taches de l'àme en remettant
les péchés, comme l'eau lave celles du corps, et
aussi parce qu'il est vivant et vivifiant. Il ne sau-
rait être une eau morte, mais bien une eau vive
qui se meut elle-mcmc et excite dans l'âme des
mouvements célestes, des transports divins qui
relèvent au-dessus de la terre. C'est à ce titre que
Jésus l'appelle encore une fontaine d'eau qui
jaillit jusqu'au ciel : « Cette eau, deviendra che^
nE l.A TRÈS SAINTE TRINITÉ ù6g
« celui qui en boira, une fontaine qui jaillira
« jusquà la vie éternelle. » (Jean, 4.) On peut
comparer les âmes à de beaux parterres de fleurs
à cause de la variété de leurs vertus : le Saint-
Esprit est alors comme une fontaine qui les arrose
de ses grâces continuelles. Sous ses célestes
influences on voit les âmes s'élever par leurs
mérites jusqu'à la vie éternelle. Enfin Jésus vou-
lant louer la bonté infinie de l'Esprit-Saint dit de
lui qu'il est plus doux que le miel : « Vous tous
« qui soupire:^ vers moi, vene\ et je vous rem-
« plirai de mes fruits, car mon Esprit est plus
« doux que le miel. » (Eccl. 24.) Lui-même en
ressentait les douceurs, car, selon la parole de
saint Luc, « sa Joie était dans le Saint-Esprit. »
« Bénissons donc le Père, le Fils et le Saint-Es-
prit, louons-les et exaltons-les dans les siècles des
siècles. » Glorifions-le aussi en union avec Jésus
qui le glorifie. O Saint-Esprit, Seigneur vivifiant,
qui êtes consubstantiel au Père et au Fils et qui
procédez d'une manière admirable de l'un et de
l'autre, o lumière et chaleur des cœurs, o inspira-
teur des chastes conseils, o auteur des vertus, je
vous adore, je vous loue, je vous bénis, je vous
glorifie ! O consolateur des affligés, dissipez mes
ennuis et mes obscurités intérieures ! O Esprit de
vérité, éclairez mon esprit et délivrez-moi de l'er-
reur et de l'ignorance ! O don au-dessus de tous
les dons, enrichissez-moi de vertus ! O fontaine
d'eau vive, lavez mes souillures, éteignez l'ardeur
de mes convoitises terrestres, donnez-moi des
inspirations et des élans vers le ciel, mais surtout
faites-moi éprouver la suavité dont vous êtes
Bail, t. i, 34
SyO LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
rempli et cette douceur supérieure à celle du miel
dont vous comblez Tàme qui vous désire.
III
Jésus glorifie encore le Saint-Esprit d'une troi-
sième manière, en le promettant aux Apôtres et à
l'Eglise : il devait les remplir de toutes sortes de
biens et achever l'œuvre de la Rédemption que
lui-même avait commencée. Par ce moyen il
veut nous faire savoir que l'Esprit-Saint est la
source de tous les biens spirituels. Parle-t-il de
lui-même? il le fait avec la plus grande modestie,
afin que toute gloire revienne au Saint-Esprit. Il
disait: « // vous est utile que Je m'en aille; car
« si je ne m'en vais, le Paraclet ne viendra pas ;
« et si je m'en vais, je vous V enverrai. » (Jean, i6.)
Il semble qu'il ait voulu laisser entendre que
nous devions souhaiter la présence du Saint-
Esprit plus que la sienne ; et qu'il vaut mieux
qu'il s'en aille, afin que le Saint-Esprit nous soit
envoyé. Il ajoute : « Quand VEsprit de vérité
« sera venu y il vous enseignera toute vérité, »
(Ibid.) qu'il vous importera de savoir; comme si
lui-même qui est la vraie lumière du monde, l'ora-
cle de toute sagesse, n'eût rien enseigné aux hom-
mes dans tant de discours sublimes qui tombèrent
de ses lèvres divines. Jésus s'exprime ainsi poussé
par son zèle pour la glorification de l'Esprit-Saint,
et par son désir de disposer les hommes à l'esti-
mer grandement, à concevoir une haute idée de sa
Personne adorable.
En réalité le Saint-Esprit est le trésor de l'Eglise,
l'ornement des âmes : car les âmes unies à lui
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 871
sont nobles, riches, divines ; séparées de lui, elles
sont viles, misérables, diaboliques. On peut s'en
rendre compte en comparant une créature qui le
possède avec celle qui en est privée. Parmi les
anges nous trouvons ce contraste frappant entre
Lucifer qui est un démon et saint Gabriel et le
glorieux saint Michel : parmi les hommes et dans
l'ordre des Apôtres, ce même contraste apparaît
entre saint Pierre, qui est un apôtre, et Judas, qui
est un démon. D'où vient toute la différence ? De
ce que cet ange ou cet homme participe à cet
Amour infini, tandis que l'autre en est exclu.
Rupert (i) conclut que la créature a reçu du Verbe
la vie et de l'Esprit-Saint la vie sainte ; car elle
est l'effet de l'amour qui est spécialement attribué
à l'Esprit-Saint.
En quelle estime toutes les âmes fidèles ne
doivent-elles donc pas tenir l'Esprit-Saint et avec
quels ardents désirs ne doivent-elles pas l'appeler
en elles. O Seigneur l que votre Esprit est suave
et bon envers tous!
O Jésus, donnez-moi cet Esprit que vous m'avez
promis. Hélas ! m'avez-vous donc abandonné ?
Suis-je rejeté du nombre de vos élus, moi dont
les soupirs ne sont pas entendus ? Votre Esprit est
mon salut, mon bien très désirable, toute la subs-
tance même et la richesse de mon âme : pour
moi plus de soulagement, plus de joie, si j'en suis
privé. Seigneur, si vous me consolez par la pré-
sence de votre Esprit, je m'offrirai mille fois en
holocauste. Mais hélas ! j'entends la voix de votre
Apôtre : « L'homme animal ne comprend pas
I. Rupert. De optr- S^.S., 1. i. cap. },
372 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« les choses de V Esprit de Dieu. » (I Cor. 2.)
C'est moi qui suis cet homme animal, moi, trop
asservi à mes sens et à tout ce qui est sensible.
Aussi je souhaiterai d'être spirituel et je déplore-
rai mon misérable état ainsi que l'assujettisse-
ment de mes sens sous la tyrannie des êtres de
ce monde.
XVr MÉDITATION
DE L'ÉGALITÉ
DES PERSONNES DIVINES
SOMMAIRE
Les Personnes divines sont égales dans la per-
fection de leur substance ; — dans la gran-
deur de leurs attributs ; — en face des hom-
mes qui leur doivent la même adoration ^ le
même amour, le même service.
I
LES Personnes divines sont égales en ce qui
concerne leur substance, abstraction faite
de leurs attributs : sous ce rapport deux Person-
nes ne sont pas plus parfaites qu'une seule et
une seule Personne n'est inférieure en rien aux
deux autres ensemble. Une Personne seule, con-
sidérée selon sa substance et abstraction faite des
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ SyS
attributs a, d'après ce que nous enseigne la foi,
deux choses que nous devons adorer en elle,
savoir, l'Essence absolue et la subsistance rela-
tive. Or, au point de vue de ces deux choses, les
Personnes divines sont égales et n'ont rien de
plus ou de moins l'une que l'autre.
Si nous considérons leur Essence, il n'y a au-
cune différence entre elles, mais une unité par-
faite; ce qui est bien plus que de la ressemblance.
En effet, elles ont toutes une même Essence abso-
lue, qu'elles possèdent sans partage et sans divi-
sion aucune. Le Père dit à son Fils : « Tout ce
« qui est à vous^ est à moi ; » et le Saint-Esprit
peut en dire autant au Père et au Fils, parce
que la divinité qu'ils possèdent, est aussi la
sienne.
Au point de vue de leur subsistance, qui les
constitue comme Personnes et qui les distingue
les unes des autres, il n'y a pas non plus d'inéga-
lité, ni aucune sorte d'avantage, dont l'une puisse
se prévaloir en face des autres et par lequel elle
puisse les dépasser en quelque manière. Toutes
ces subsistances en effet sont infinies en perfec-
tion ; et comme l'infini ne saurait être dépassé,
une subsistance ne peut être dépassée en perfec-
tion par une autre. Aussi parfaite est la filiation
que la paternité ; la spiration passive l'est autant
que la spiration active et pareillement autant
que la paternité ou la filiation avec lesquelles elle
est identifiée. Il n'est pas plus noble pour le Père
de produire qu'il ne l'est pour le Fils d'être pro-
duit : il est aussi parfait de recevoir l'Essence
divine que de la communiquer ; car si c'est une
$74 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
noblesse infinie pour le Père de produire le Fils,
c'est une non moins grande noblesse pour le Fils
d'égaler, d'épuiser et de terminer cette puissance
par sa filiation. Si c'est une grande chose pour le
Père, dit le Théologien (i), d'être sans principe,
il n'est pas moins beau pour le Fils d'être engen-
dré par un tel Père. Outre en effet qu'il participe
à la gloire de celui qui n'a pas d'origine, — il
tient l'être de lui — il a toute la beauté de cette
génération qui doit paraître si haute et si véné-
rable à ceux qui savent s'élever un peu au-dessus
de la terre et dont l'esprit n'est pas tout-à-fait
grossier. Il faut en dire autant du Saint-Esprit. Il
ne peut pas, il est vrai, produire une personne in-
créée, mais il peut être le terme de la puissance
spirative du Père et du Fils et à ce point de vue,
il égale le Père et le Fils et il n'a rien de moins
que le Père et le Fils ensemble, parce qu'il est
de tout point infini.
J'admirerai le mystère de l'égalité des Person-
nes divines, car que peut-il y avoir de plus capa-
ble de ravir notre intelligence ? Elle pourrait bien
concevoir qu'une Personne soit l'égale d'une
autre, mais qu'une Personne seule soit autant que
deux Personnes ensemble qui sont infinies, voilà
qui dépasse toutes ses idées et toutes ses concep-
tions. Si les trois boules trouvées miraculeuse-
ment dans le cœur d'une religieuse de l'ordre de
X. Nazianz. Oral. ^5. — S. Grégoire de Nazianze est désigné le
plut souvent par son surnom de Théologieû, qui lui fut donné à
cause de «on intrépidité à défendre la foi orthodoxe, notamment la
divinité de Jésus-Chrit contre les Ariens. Saint Jean l'évangéliste
avait déjà reçu ce glorieux surnom, pour avoir si admirablement
mis en lumière ce dogme fondamental du christianisme contrç les
hérétiques de *on temps,
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ ?)']b
Saint Augustin (i), et dont le poids fut trouvé
toujours égal, soit qu'elles fussent pesées séparé-
ment, soit qu'une seule fut mise en balance avec
les deux autres, oQt jeté dans une étrange admi-
ration ceux qui furent les témoins de ce prodige ;
de quel étonnement ne doit pas être saisi l'esprit
humain, quand il médite sur cette égalité des
Personnes incréées. O Trinité sainte ! O Trinité
admirable ! Trinité incompréhensible ! Trinité
inaccessible 1
II
Les Personnes divines sont admirables non
seulement dans la perfection de leur substance,
considérée à part, mais aussi dans la grandeur de
leurs attributs ; car à cause de la faiblesse de notre
esprit, nous concevons les attributs comme quel-
que chose qui s'ajoute à la substance divine, bien
qu'en réalité ils ne soient autre chose que cette
substance même. A parler rigoureusement, l'égalité
ne peut exister que chez des êtres qui ont des
dimensions pareilles, même hauteur, même
longueur, même largeur et même profondeur.
Ces dimensions ne se trouvent pas en Dieu dans
le sens matériel, mais elles s'y rencontrent dans
le sens spirituel. Dieu a la hauteur de la souvt?-
raineté sur tout ce qui est créé, la longueur de son
éternité, la largeur de sa bonté, et la profondeur
de sa science. Or les trois Personnes divines
participent également à toutes ces perfections :
le Père est souverain, éternel, bon, infiniment
savant; le Fils aussi; le Saint-Esprit pareillement.
I. Sainte Claire de Monte Falcot
376 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
D'où vient que les créatures sont dissemblables
et inégales entre elles, sinon de ce que l'une a
plus d'autorité, plus d'ancienneté, plus de richesse,
de beauté, de science, de crédit, de force, de puis-
sance ou de qualités semblables. Les Personnes
divines n'ont aucune de ces inégalités ; car Tune
n'a ni plus ni moins de ces perfections que l'autre :
puisque leur Essence est unique, elles ont toutes
dans cette Essence la plus parfaite communauté
que l'on puisse imaginer, et possèdent cette même
Essence avec toutes les perfections que nous
concevons comme découlant d'elle, bien qu'elles
n'en soient nullement distinctes.
Enfin les oeuvres du Père, du Fils et du Saint-
Esprit sont inséparables : d'où ces paroles de
Jésus-Christ pleines de mystère : « Le Fils ne
« peut rien faire de lui-même, s'il ne le voit
« faire au Père. » (Jean. 5.) En effet le Fils n'a
pas fait une autre lumière, un autre firmament,
un autre ciel et une autre mer, en un mot, un
autre monde, que le Père. Quand le Fils créa
toutes ces choses, il voyait le Père les créant pareil-
lement; ainsi que le Saint-Esprit, créant ces
mêmes choses, voyait le Père et le Fils qui les
créaient en même temps : car les œuvres que les
Personnes divines produisent au-dehors sont le
résultat d'une action unique des trois Personnes
et cette action remplit de biens le monde,
elle le fait participer à ces perfections infinies
dont la Trinité jouit en elle-même avec l'abon-
dance de toutes sortes de biens.
Je féliciterai le Fils et le Saint-Esprit qui sont
sur le pied d'une si parfaite égalité avec le Père.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 877
O très noble Fils ! o Esprit très bon ! je me
réjouis cordialement et j'éprouve un indicible
plaisir, en pensant qu'en tout vous marchez de
pair avec votre éminent et sublime principe. Mau-
dits soient ces esprits rebelles, ces anges damnés,
qui ont osé prétendre à cette égalité et qui ont
voulu se l'attribuer dans leur présomptueuse
audace, alors qu'elle n'appartient qu'à vous !
Maudit soit à tout jamais Arius, ce Judas, et tous
les ariens également traîtres, qui vous ont con-
testé l'honneur de cette égalité et qui ont essayé
de la vous ravir injustement. Cet honneur vous
appartient incontestablement : c'est ma croyance
ferme, inébranlable, dans laquelle je veux vivre
et mourir. Je reconnais que dans cette Trinité (i)
il n'y a rien d'antérieur ni de postérieur, de plus
grand ni de plus petit, mais que les trois Person-
nes sont éternelles et égales entre elles. Oh ! pos-
sédez, possédez toujours cette heureuse égalité
dans une ressemblance parfaite, dans Tunité d'un
amour éternellement inaltérable.
III
Les Personnes divines sont encore égales en
face de l'adoration, de l'amour, de l'honneur et
des services que leur doivent les créatures. Nous
ne sommes pas obligés d'adorer une Personne
plus que l'autre : toutes sont également adorables
et aimables ; parce qu'elles ont une même gran-
deur et une même bonté, elles méritent d'être
estimées et servies autant l'une que l'autre. De
plus toutes les trois nous font également du bien
I. Symh. de saiot Athanasc.
SyS LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
par une même volonté et toutes les trois se donnent
également en récompense de nos services. Aussi
qui en possède une, les possède-t-il toutes, selon
la parole du Fils de Dieu : « Qui me voit, voit
« aussi mon Père » (Jean, 14.) ; qui est aimé
de l'une est aimé des autres.
Il est vrai que nous adorons une propriété dans
telle Personne, et que nous ne l'adorons pas dans
les deux autres, par exemple nous adorons la pa-
ternité dans le Père; mais en revanche dans les
autres Personnes nous adorons telle autre pro-
priété qui, bien que différente, mérite une aussi
haute estime. Donc les trois Personnes divines
ont droit à être servies par nous pour des motifs
qui sont propres à chacune d'elles, mais ces motifs
étant égaux, le culte que nous leur rendons à
cause de ces motifs, doit être égal aussi. Le Fils
semblerait mériter plus de respect et d'amour de
la part des créatures, pour s'être uni hypostatique-
ment à notre humanité, et pour avoir ainsi donné
à ses actions et à ses souffrances une valeur infinie
dans le but d'en faire la rançon de nos péchés.
Toutefois il convient, quand il s'agit d'un bienfait,
de tenir compte de la bonne volonté qui nous l'a
accordé. Or l'œuvre surnaturelle de l'union du
Verbe avec la nature humaine, a été accomplie en
vertu d'une détermination commune à toutes les
trois Personnes de la Trinité, qui l'ont voulue par
une même volonté. Donc nous sommes obligés de
rendre au Père, au Fils et au Saint-Esprit, les
mêmes témoignages de profond respect, sauf le
droit spécial qu'a cette humanité de Jésus à notre
adoration et à notre amour.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 879
Pour ces raisons je me proposerai de rendre
autant d'honneur aux Personnes du Fils et du
Saint-Esprit, qu'à la Personne du Père ; je les
aimerai avec autant d'ardeur que le Père. Mais, ô
mon âme — et c'est une remarque importante —
nous sommes incapables de rendre à la seule Per-
sonne du Père un culte digne d'elle ; que ferons-
nous alors pour la Personne du Fils? Et que nous
restera-t-il pour le Saint-Esprit ? Oh ! que n'avons-
nous en notre pouvoir tous les amours possibles,
pour satisfaire à nos obligations dans la plus large
mesure ! Qu'il ne nous arrive donc jamais de pen-
ser que nous avons trop fait pour nous acquitter
de cette dette, que nous avons trop adoré, trop
souffert ; car nous ne pouvons pas même satisfaire
à la centième, ni à la millième partie de nos obli-
gations. Cependant c'est un avantage pour nous
que ces Personnes sacrées n'aient pas de volontés
différentes, car quiconque en contente une seule,
par là même contente les autres. Nous ne sommes
pas dans le cas de celui qui doit faire sa paix et se
réconcilier avec trois partis différents : a-t-il satis-
fait à l'un des trois, il a lieu de craindre de ne
pouvoir s'entendre aussi avec les deux autres. Mais
ici dès que nous avons satisfait à une Personne
divine, la paix est définitivement conclue et nous
sommes en repos. Donc ne perdons pas courage, ô
mon âme, en considérant que nous sommes rede-
vables à trois Personnes divines ; adorons-les avec
confiance, et si nous ne pouvons leur ofi'rir des ado-
rations égales à ce que mérite leur grandeur, que
du moins elles soient proportionnées à la capacité et
à la puissance que nous tenons de leur miséricorde,
)8o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XVir MÉDITATION
DE L'INEXISTENCE MUTUELLE
DES PERSONNES DIVINES
SOMMAIRE
Les Personnes divines résident Vune dans l'au-
tre ; — par leur substance; — par leur pensée;
— par leur amour.
I
LES Personnes divines résident ou sont présen-
tes intimement, totalement et selon toute
leur substance l'une dans l'autre. Le disciple bien-
aimé, saint Jean, énonce aussi cette vérité : « FA
« le Verbe était en Dieu » (Jean i), et ailleurs :
« l'unique Fils qui est dans le sein du Père »
(Ibid.). L'Eglise chante aussi cette merveille,
quand elle dit que dans le Père est tout le Fils et
que dans le Verbe est tout le Père. Sans doute
les Personnes incréées sont distinctes l'une de
l'autre, toutefois elles ne sont pas séparées l'une
de l'autre, elles résident intimement et sans con-
fusion l'une dans l'autre, de telle sorte que par-
tout où est le Père, se trouve aussi le Fils et le
Saint-Esprit et partout où est le Saint-Esprit se
trouve également le Père et le Fils. Cette inexis-
tence réciproque est toute particulière au mystère
de la Sainte-Trinité et mérite que nous nous cffor-
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 38l
cions de la comprendre. Les théologiens l'appel-
lent circumincession des Personnes et ensei-
gnent qu'elle résulte de deux choses, savoir : de
leur distinction personnelle et de l'identité de leur
Essence ; car le Fils et le Saint-Esprit ayant la
même Essence que le Père et cette Essence étant
intimement dans le Père, il est nécessaire que le
Fils et le Saint-Esprit soient réellement et subs-
tantiellement dans le Père. Et également puisque
la même Essence du Père est dans le Fils et dans
le Saint-Esprit, il est nécessaire que le Père soit
dans le Fils et qu'il soit dans le Saint-Esprit, car
il est impossible qu'un être soit séparé de son Es-
sence. Aussi le Père produit son Fils par une
action immanente, non hors de lui-même, comme
les mères de la terre, mais en lui-même et dans
son sein immense, d'où il ne peut jamais sortir.
Le Père et le Fils produisent ainsi le Saint-Esprit
par une spiration immanente et comme par un
soupir d'amour qui ne sort pas au-dehors, mais
demeure au-dedans d'eux. C'est pourquoi le Fils
et le Saint-Esprit résident dans l'Essence du Père,
comme le Père réside en eux, et comme l'a dit un
ancien auteur (i), le Fils est le noble habitant du
cœur paternel. Nous dirons volontiers avec un des
plus sublimes personnages de ce siècle (2), que le
Fils est dans le sein du Père et le Saint-Esprit
dans son cœur : car le sein du Père convient à ce
Fils si tendrement chéri, comme le cœur est des-
tiné au Saint-Esprit, qui est le plus pur et le plus
parfait de tous les amours.
X. Zeno, Vero. Serm.j. de aternit.
a. Gard. Bérul. dise, lo.
382 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
J'admirerai en Dieu cette merveille et je ne
m'étonnerai plus que les limites de cet univers
soient trop étroites et les cieux des cieux trop
limités pour renfermer en eux les Personnes
divines. O Personnes vraiment divines ! vous ne
sauriez être contenues dans l'étroit espace de cet
univers ; le lieu de votre séjour est plus grand,
plus glorieux et plus délicieux, puisque vous vous
servez l'un à l'autre de demeure, de trône, de lieu
de repos et de paradis. Vous vivez l'un dans
l'autre, vous puisez l'un dans l'autre avec votre
vie, votre subsistance, votre grandeur et votre
félicité. Régnez toujours là, puisez-y vos délices
toujours ; le monde n'est ni capable, ni digne de
vous servir de palais. Et toi, ô mon âme, élève-
toi au-dessus de ce qui est visible, pour chercher
Dieu en Dieu, le Fils dans le sein du Père, le
Saint-Esprit dans son cœur, afin que le terme de
nos élans soit de ((former une seule société avec
« le Père et Jésus-Christ^ son Fils. » (Jean i.) Imi-
tons aussi cette admirable circumincession et cette
inexistence réciproque des Personnes divines.
Comme Dieu est en nous intimement, soyons
aussi en Dieu. Dieu est en effet présent en nous,
il nous communique l'être naturel et aussi l'être
surnaturel, c'est-à-dire la grâce. Et nous, soyons
en lui, par l'union que produit l'amour, par
l'exercice de sa sainte présence ou de notre
résidence spirituelle en lui-même. Oh I l'admi-
rable retraite de l'âme immortelle qui s'enferme
en Dieu, de telle sorte qu'elle ne puisse plus
errer hors de lui, ni se séparer de sa volonté,
de sa sagesse, de sa bonté, de son amour, de
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 383
sa miséricorde et des délices intérieures de son
Dieu.
II
Les Personnes divines sont encore Tune dans
Tautre par la pensée, parce qu'elles pensent sans
cesse l'une à l'autre. Le Père pense toujours à son
Fils et le contemple sans relâche, comme le Fils
pense toujours à son Père, sans jamais l'oublier.
Le Saint-Esprit porte toujours dans sa pensée le
Père et le Fils, et le Père comme le Fils, ne
détournent jamais leur attention de celui que les
anges souhaitent si ardemment de voir, du Saint-
Esprit. Ce sont les entretiens les plus délicieux,
les plus permanents, les plus immuables qui
soient. Ces entretiens sont propres aux Personnes
divines, car bien que Dieu pense toujours à ses
créatures, que leurs noms, comme il l'affirme
lui-même, soient gravés sur l'anneau de son doigt,
afin qu'il ne puisse les oublier : « Je ne foublie-
« rai pas ^ voici que je f ai gravé dans mes mains »
(Is. 49) ; néanmoins les créatures ne lui rendent
pas la pareille et ne se donnent pas le loisir de
penser à lui assidûment. A peine ont-elles fixé
sur Dieu leur intelligence, que leur attention se
relâche et que toute liberté est de nouveau donnée
à l'intelligence pour errer à l'aventure. Sans doute
les anges et les bienheureux ne détournent plus
leur vue de l'Essence divine ; mais ce n'est pas
de toute éternité qu'ils ont fixé leur regard sur
cette lumineuse Essence, et quelle que soit l'in-
tensité de leur vision, elle ne saurait, dans aucun
cas, être compréhensive. Seules les Personnes
384 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
divines se contemplent de toute éternité et d'une
vue compréhcnsive et de plus avec une telle
constance qu'après un nombre incalculable de
siècles, elles n'ont pas été distraites de ce spectacle
un seul instant.
O les hautes, les sublimes pensées! ô les regards
divins des Personnes incréées ! Oh 1 quelle joie
elles éprouvent à rassasier continuellement leur
esprit de la vue de ces objets, en face desquels
toutes les clartés du monde s'éclipsent et toutes
les beautés ne semblent plus que des laideurs.
Eh bien ! ô mon âme, de tels objets ne méritent-
ils pas d'être toujours considérés ? O Trinité
sacrée, introduisez une fois mon esprit dans le
sanctuaire de votre Etre admirable : « Nous nous
« réjouirons et nous tressaillerons d allégresse en
« vous, au souvenir de vos mamelles (Gant, i),
c'est-à-dire de votre intelligence infinie et de votre
spiration féconde, où le Fils et le Saint-Esprit
puisent leur vie et leur substance (i). Dieu, plein
de bonté, détournez donc mon esprit de la vue
des vanités du siècle. Comme vous pensez en
moi, que je pense toujours en vous, et que je
m'élance jusqu'à vous avec toute l'impétuosité de
mon âme.
II
Les Personnes divines sont encore l'une dans
l'autre par un amour réciproque. Puisqu'une âme
est bien plus dans l'être qu'elle aime que dans
celui qu'elle anime, et puisque d'autre part
les Personnes divines, en se voyant infiniment
I. Do Ponte, /. 3. in Cant, exh. /?. p. },
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 385
parfaites, s'aiment l'une l'autre infiniment ; à ce
nouveau titre elles résident l'une dans l'autre par
un amour réciproque. De plus comme cet amour
est sans mesure, si, par une supposition impossi-
ble, elles étaient séparées, par la seule puissance
d'un tel amour, elles se rejoindraient et s'uniraient
aussitôt, attirées invinciblement l'une vers l'autre.
Cet amour contient, dans son unité infinie, sept
amours qui rendront ces Personnes éternellement
inséparables. Le premier est l'amour du Père pour
le Fils, en qui il se complaît. Le second est
l'amour du Père pour le Saint-Esprit. Le troi-
sième est l'amour du Fils pour le Père. Le qua-
trième, l'amour du Fils pour le Saint-Esprit. Le
cinquième est l'amour du Saint-Esprit pour le
Père. Le sixième, l'amour du Saint-Esprit pour
le Fils. Le septième amour est l'amour incréé,
actif et fécond, par lequel le Père et le Fils pro-
duisent le Saint-Esprit.
O infinité ! ô unité ! ô variété ! ô amour sans
bornes ! Quel père aima jamais autant son fils ?
Et quel fils témoigna jamais autant d'amour à son
père ? O Personnes adorables ! je me réjouis de
vous voir infiniment aimées l'une de l'autre et
aimées d'une manière digne de vous. O Person-
nes trois fois saintes, toutes si aimantes et toutes
si aimées l'une par l'autre ! En considération de
tous ces amours, enflammez-moi pour vous d'une
charité ardente, attirez-moi dans l'intime de
votre vie, afin que ma consolation réside toute
entière au plus haut des cieux et que mon cœur
soit dégagé de toute affection terrestre. O Père
plus que céleste, vos perfections sont digties
Bail, t. i. aj
386 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de l'amour éternel du Fils et du Saint-Esprit ; ne
seront-elles pas dignes de l'amour d'une chétive
créature ? O très noble Fils, vous plaisez inifini-
ment au Père ; comment une créature si vile pour-
rait-elle vous dédaigner? O Esprit plein de dou-
ceur, vous qui êtes l'amour, donnez-nous donc
l'amour et ne permettez pas qu'une misérable
créature vous fasse cette injure de ne pas vous
aimer, vous qui êtes l'amour subsistant. Ah ! Père
éternel, que votre Fils est noble et aimable et que
son amour envers vous est admirable ! Fils in-
comparable, que votre principe est parfait et
infiniment heureux ! Esprit trois fois saint, vous
êtes produit par leur mutuel amour ! ô spiration
active éternelle ! ô spiration passive éternelle !
O Dieu plein d'amour ! ah ! que n'ai-je une puis-
sance immense ! que de cœurs alors vous aime-
raient ! combien d'âmes ne chériraient que vous !
ô Trinité plus qu'aimable ! que nous vivions, que
nous agissions et que nous demeurions en vous
par l'amour ! O douce vie ! ô action sainte ! ô
manière d'être si désirable ! Quelle plus heureuse
vie que de vivre dans la source de la vie ! Quelle
plus douce action que celle de tendre vers le cen-
tre et le lieu de repos de toute chose ! Et quelle
manière d'être plus désirable que de se trouver
plongé dans le véritable Etre, sans qui nul ne peut
bien être !
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 887
XVIir MÉDITATION
DE LA MISSION DES PERSONNES
DIVINES
SOMMAIRE
Définition de la mission che\ les Personnes
divines. — Division en mission invisible et
mission visible. — Ejfets de la mission.
I
CONSIDÉREZ ce que c'est que la mission ou
l'envoi des Personnes divines. Puisque
TEcriture nous apprend qu'il y a une mission
entre les Personnes de la Trinité, qu'il y a un
Dieu qui envoie et un Dieu qui est envoyé, que
Dieu le Père envoie son Fils dans ce monde pour
y prendre la nature humaine, et que le Père et le
Fils envoient le Saint-Esprit pour sanctifier les
âmes, il semble qu'il est nécessaire de méditer sur
cette mission. D'ailleurs elle constitue dans la
Trinité une merveille dont la connaissance parfaite
console l'àme et lui inspire des sentiments tout
particuliers de dévotion.
Pour la bien comprendre, commençons par dire
ce qu'elle n'est pas. Elle ne présente d'abord
aucune des imperfections que l'on remarque dans
la mission des personnes créées : celles-ci, quand
on les envoie, s'éloignent de la personne qui les
388 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
envoie et qui se trouve toujours à une certaine
distance du lieu oîi elle envoie. Mais les Personnes
divines dans leur mission ne s'éloignent pas de la
Personne qui les envoie : au lieu de s'en séparer,
elles procèdent d'elles par voie d'origine. Dans la
mission créée, les personnes envoyées sont d'une
condition inférieure à celle des personnes qui
envoient ; dans la mission divine, les unes et les
autres sont égales. Dans la mission créée, les per-
sonnes envoyées changent de lieu ; dans la mission
divine, il n'y a aucun changement, mais seulement
une nouvelle grâce qui est produite et qui les rend
présentes d'une nouvelle manière. On voit par là
que la mission divine est toute sublime et exempte
de tous les défauts de la mission des créatures (i).
Cette mission merveilleuse n'est pas imposée
par un ordre, car il n'y a ni supériorité, ni infé-
riorité entre les Personnes incréées. Elle n'est pas
donnée par un conseil ; car il n'y a pas d'ignorance
parmi elles. Elle ne consiste pas davantage dans
une sorte d'impulsion, comme il arrive quand on
pousse une personne d'un lieu dans un autre ;
car les Personnes divines sont immenses et partout
présentes. Elle ne consiste pas enfin dans une
prière : car les Personnes divines ne se prient pas.
Cette mission si grande et si admirable est la
production d'une Personne divine qui, procédant
d'une autre, produit à son tour dans la créature
la charité par laquelle elle se rend présente en
elle d'une manière nouvelle et différente de la
manière générale dont elle se trouve partout, à
savoir par Essence, par présence et par puissance,
I. Suarez, de Trtn, I. 13, cap. 6.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ SSg
Toutes ces paroles sont importantes : on peut se
servir pour les bien comprendre de la comparai-
son d'un roi qui chargerait un de ses sujets déià
présent à Rome, d'y être son ambassadeur. Bien
que cet homme se trouvât à Rome auparavant, il
s'y dirait pourtant envoyé par le roi, et avec rai-
son, par ce qu'il y serait d'une manière toute autre
que précédemment, c'est-à-dire par l'autorité du
roi. Pour qu'on puisse se dire envoyé, il suffit
qu'on se rende présent en un lieu d'une façon
nouvelle, différente de celle dont on s'y trouvait
auparavant. Ainsi donc, quand les Personnes
sacrées du Fils et du Saint-Esprit produisent dans
la créature la charité et le» sublimes opérations de
la grâce, elles se disent envoyées du Père, parce
qu'elles sont dans les créatures raisonnables d'une
façon nouvelle, à savoir par la grâce et par la cha-
rité ; elles y sont aussi par la puissance et par
l'autorité de Dieu de qui elles ont reçu avec l'être
la vertu d'opérer en elles et d'y avoir une nou-
velle présence. C'est ainsi que la mission embrasse
l'éternel et le temporel : l'éternel, c'est-à-dire la
production des Personnes, et le temporel, c'est-à-
dire la production de la grâce (i).
J'admirerai cette merveille qui consiste en ce
que le Fils et le Saint-Esprit honorent le Père
au point de se dire envoyés par lui, et en ce que
le Saint-Esprit honore tant le Père et le Fils,
qu'il se dit envoyé par les deux. O Père in-
comparable ! o seul Etre qui envoie et n'est
jamais envoyé ! o très heureux principe de toutes
choses ! Si les deux autres Personnes qui vous
I. D. August. tracte ao in Joanntm,
SgO LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sont égales et qui ont la même Essence que vous,
vous honorent en se disant vos envoyées, quand
elles opèrent dans les créatures, et cela parce
qu'elles tiennent de vous en même temps que
Têtre, la puissance d'agir ; à combien plus forte
raison de misérables créatures qui ont reçu l'être
de vous, mais un être bien inférieur au vôtre,
devront-elles'vous glorifier et vous en reconnaître
l'auteur. O Seigneur, c'est vous qui opérez en
nous toutes nos œuvres ; je ne m'en attribuerai
donc pas la gloire. Je tiens l'être et l'action de
votre miséricorde : à vous donc la gloire, à vous
l'honneur de toutes mes actions.
Il
La mission revêt chez les Personnes divines
deux formes : l'une invisible et l'autre visible. La
mission invisible est celle par laquelle les Personnes
divines produisent dans la créature raisonnable la
charité, sans donner aucun signe extérieur de leur
présence. Ce genre de mission qui a commencé
dès la création du monde, se continue tous les
jours et durera jusqu'à la fin des temps, car Dieu
donne ordinairement ses grâces comme en secret
et d'une manière invisible, sans en laisser des
marques apparentes. Aussi Job disait-il : « S'il
« vient à moi, je ne le verrai pas ; s'il se retire,
« je ne Ventendrai pas. » (Job. 9.) Les saints
n'osent se dire certains d'être en bon état, car
« nul ne sait s'il est digne d'amour ou de haine. »
(Eccl. 9.)
Dieu toutefois ne cache pas toujours ses faveurs :
il témoigne quelquefois aux âmes son amitié d'unç
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ Sgi
manière si sensible, que l'œil même du corps en
est témoin : c'est là la mission visible, elle est rare
et extraordinaire. Elle a lieu quand les Personnes
du Fils et du Saint-Esprit produisent dans une
âme la charité et y font des opérations sublimes
en les accompagnant de marques extérieures et
sensibles de leur présence et de leur action. Telle
fut la mission du Saint-Esprit, quand il descendit
en forme de langue de feu sur les saints Apôtres ;
car le Saint-Esprit envoyé par le Père et par le
Fils, les éclairait de sa science et les embrasait de
sa charité, en même temps que le Fils envoyé par
le Père. Leur mission était rendue visible par ces
langues brillantes, éparses çà et là, qui révélaient
l'œuvre qui s'accomplissait en eux.
Cette considération m'apprendra qu'il n'y a pas
lieu de se décourager au milieu de nos sécheresses
et de nos aridités, comme si nous étions déchus
de la grâce divine : car bien que nous n'ayons au-
cun témoignage venu spécialement du ciel, pour
nous révéler d'une manière certaine notre état
présent, il suffit à notre tranquillité de n'avoir la
conscience chargée d'aucun péché mortel laissé
sans pénitence, parce que nous savons que les
Personnes divines sont envoyées invisiblement et
que le Saint-Esprit vient doucement et sans bruit,
sans qu'on puisse le plus souvent s'en rendre
compte. Et cette constatation doit avoir pour effet
de te rendre plus humble, ô mon âme, et de te
préserver de tirer vanité des faveurs divines, si
jamais tu les reçois. Oh ! Seigneur, faites que je
les reçoive abondamment et que comme vos grâ-
ces sont cachées, ma vie le soit aussi aux yeux
392 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
indiscrets des créatures, avec la seule intention de
vous plaire.
III
Considérez les grands effets de la mission des
Personnes divines. Si les personnes élevées en
dignité ne sont pas envoyées pour des affaires de
mince importance, il ne faut pas s'attendre à ce
que les Personnes divines, les plus sacrées et les
plus augustes qui puissent être, soient envoyées
pour des sujets de médiocre importance. Or comme
il ny a rien dans la créature que Dieu estime
vraiment grand et vraiment important, si ce n'est
la grâce sanctifiante et les nobles opérations de la
charité, au prix de laquelle tout le reste n'est rien;
les Personnes divines sont envoyées seulement ou
pour produire dans une âme la grâce sanctifiante
et la retirer du péché et de l'enfer, ou bien pour
accroître et enrichir notablement cette grâce sanc-
tifiante qu'elle possédait déjà, ou bien enfin — (car
les Personnes divines présentes dans l'âme n'y
demeurent pas oisives, mais l'excitent sans cesse
aux œuvres généreuses et héroïques), — ou
bien, dis-je, pour lui faire accomplir dans l'état de
grâce les plus hautes et les plus sublimes actions.
Ces actions servent soit au mérite personnel, soit
à l'édification de l'Eglise. Quand les Personnes
divines produisent certains effets dans la nature,
ou même quand elles produisent dans l'âme soit la
foi, soit des inspirations surnaturelles, soit les
grâces dites grâces gratuites, mais hors de la grâce
sanctifiante et de l'état de la charité ; dans ces
divers cas elles ne daignent pas se dire envoyées
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 3g3
pour des choses qu'elles considèrent de minime
importance : d'autant mieux que les Personnes
divines ne sont envoyées à la créature, que lors-
qu'elles lui sont données et qu'elles demeurent en
elle, afin que la créature puisse en jouir dans la
mesure où elle en est capable. Or la créature,
quelque grands que soient les dons dont elle est
comblée, ne peut jamais posséder une Personne
divine, ni en jouir, si elle est privée de la grâce et
de la charité, car c'est par la grâce et la charité
que Dieu se donne à une âme, pour être en elle et
être à elle, selon la parole du disciple bien-aimé :
« Celui qui demeure dans la charité^ demeure
« en Dieu, et Dieu demeure en lui. » (I Jean. 4.)
Je mesurerai par là la dignité des âmes sancti-
fiées et qui possèdent l'amour. « O Dieu, vos
« amis sont trop honorés. » (Ps. i38). Qu'elle est
grande l'âme à qui Dieu le Père fait cette grâce
d'envoyer son Fils et son Saint-Esprit ! d'où lui
vient donc cette inestimable faveur ? Oh ! qu'une
si grande bonté soit mille et mille fois bénie ! Oh!
donnez-moi, mon Dieu, d'aspirer à un tel bien.
« Envoyé^ d'en haut votre sagesse, afin qu'elle
« travaille avec moi. (Sag. 9.) « Rendez-moi la
« j'oie de votre salut et Jortifie\-moi par votre
« Esprit souverain. » (Ps. 5o.)
394 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Xir MÉDITATION
DANS LEUR MISSION
LES PERSONNES DIVINES
SONT DONNÉES A LA CRÉATURE
SOMMAIRE
Ce n'est pas la grâce seulement, mais ce sont les
Personnes elles-mêmes qui sont données à la
créature]; — et données de plusieurs manières.
— Le péché mortel fait perdre Dieu à Vâme,
I
DANS la mission divine, ce ne sont pas seule-
ment les grâces qui sont données aux
créatures, mais les Personnes divines elles-mê-
mes (i). C'est là la plus grande merveille de la
mission divine ; c'est ce qui ennoblit le plus les
créatures raisonnables, à qui cette mission est
faite dans les sacrements et dans l'exercice des
plus saintes œuvres : c'est ce qui les élève au-
dessus de tout ce qu'il y a de plus grand dans la
création. Bien que les plus hautes merveilles ne
se voient que difficilement, cependant celle-ci
malgré sa sublimité, est facile à découvrir. Tout
d'abord dans le mystère sacro-saint de l'Incarna-
tion, dans lequel la Personne du Fils est envoyée
\. D. Bonavent. in i, dist, 14, art. 2. quast. i.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 895
à l'humanité rédemptrice, pour la terminer par
elle-même, nous voyons la Personne divine se
donner, s'unir et s'appliquer elle-même à cette
humanité, qui de cette façon ne reçoit pas seule-
ment la grâce habituelle et les grâces actuelles,
mais encore le principe substantiel de toutes les
grâces, la Personne du Verbe : ainsi cette huma-
nité très heureuse peut dire que cette Personne
lui appartient.
D'une manière semblable, mais à un degré bien
inférieur, quand une âme est favorisée de la
mission des Personnes divines, elle reçoit non-
seulement les clartés qui l'illuminent et les
ardeurs qui l'enflamment, mais aussi la Per-
sonne du Fils, de qui émanent ces lumières ;
non-seulement elle reçoit la charité et tous les
dons qu'on attribue au Saint-Esprit, mais encore
le Saint-Esprit lui-même « La charité de Dieu
« est répandue dans nos cœurs par le Saint-
« Esprit qui nous est donné » (Rom. 5) disait le
grand Apôtre.
Voici la raison : la grâce et la charité ont cette
efficacité merveilleuse que si les Personnes divi-
nes n'étaient pas déjà présentes dans l'âme
qu'elles informent, elles les y attireraient et les
lui uniraient intimement, car Dieu aime cette
âme d'un amour si parfait qu'il ne pourrait
souffrir d'en être séparé. Un ancien auteur a dit
que le désir de deux amis serait de ne former
qu'une seule personne, si c'était possible, mais
comme ils ne peuvent parvenir à cette identifi-
cation que par la destruction ou de leurs deux
personnes ou tout au moins de l'une des deux,
Zg6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ils se contentent de s'unir aussi intimement que
possible par leurs conversations, leurs entretiens,
leur présence et s'efforcent de cette manière de
se donner l'un à l'autre. Il faut toutefois remar-
quer que l'amour humain ne va pas toujours à
ce degré d'intimité, parce qu'il est faible et
impuissant à réaliser ce qu'il désire. Il arrive
parfois aussi que ceux qui s'aiment sont séparés
par la distance des lieux, parce que leur amour
ne dispose pas de la toute-puissance. Mais l'a-
mour de Dieu l'a cette toute-puissance et puisque
cet amour porte les Personnes divines à se don-
ner et à s'unir à la créature raisonnable jouissant
de l'état de grâce et de la charité, elles ne man-
quent pas de s'unir à elle par d'autres liens que
ceux de l'immensité : car ce sont les liens de la
charité, mais d'une charité si grande qu'elle ne
supporte pas l'éloignement de la créature.
O excellence de la mission divine ! ô merveille
de la grâce ! ô excès de l'amour ! ô perfection
« du présent très bon et du don parfait qui vient
« d'en haut du Père des lumières! » (Jac. i.) Il te
donne son Fils et son Saint-Esprit. Que lui ren-
dras-tu en reconnaissance de tels dons ? ou plutôt
que pourras-tu lui refuser après une telle largesse?
Quand il te donne son Fils, c'est ce qu'a produit
sa pensée infinie qu'il te donne ; quand il te
donne le Saint-Esprit, c'est le fruit de son im-
mense amour, dont il te fait présent. Ah ! mon
âme, donne lui toujours les fruits de ton intelli-
gence et de ta volonté ; donne lui tes pensées
et tes amours ; que dans ta méditation s'allume un
feu si ardent, que ni les fleuves les plus impé-
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 897
tueux, ni la masse de toutes les eaux du monde ne
puissent Téteindre. Enfin souviens-toi des paroles
de saint Augustin (i) : la vraie charité ne se
trouve pas dans celui qui est ingrat à l'égard
du Saint-Esprit, car c'est par lui que « la charité
« est répandue dans nos cœurs. » (Rom. 5.) Ne
méconnais donc pas ton Consolateur.
II
Considérez de combien de manières les Person-
nes divines sont données à la créature raisonna-
ble, quand elles lui sont envoyées. Elles ne se
donnent pas en effet d'une seule, mais de plusieurs
manières, afin d'augmenter les obligations de
la créature, de la charger de bienfaits. Ces bien-
faits exigent d'elle un service plus dévoué et une
plus profonde reconnaissance, si elle veut faire
son devoir, et augmentent sa confusion, si elle se
montre insensible et ingrate.
D'abord les Personnes divines se donnent à la
créature comme principe des opérations surnatu-
relles ; opérations méritoires et sublimes, par
lesquelles l'âme s'élève au-dessus de ses forces et
de ses facultés naturelles. Sans la mission et la pré-
sence des personnes divines, l'âme demeurerait
faible et incapable de rien produire de généreux
dans la vie spirituelle. Au contraire, grâce à cette
mission, elle produit des actions très hautes, qui
dépassent sa capacité naturelle ; elle ressemble à
un enfant à qui se joindrait en qualité d'aide
un homme fort et robuste : le secours de ce bras
vigoureux permettrait à cet enfant de faire des
j. Aug. tn Psal. ji.
SgS LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
actions supérieures à ses propres forces et de
triompher de son impuissance naturelle.
En second lieu, les Personnes divines sont don-
nées comme objet de l'intelligence et de la volonté
créée. A ce titre elles sont présentes dans la créa-
ture comme l'objet de la connaissance est présent
dans le sujet qui connaît, et comme l'objet de la
volonté l'est dans la volonté qui aime (i). L'àme
alors a Dieu en elle-même comme l'objet qui
occupe ses pensées et qui entretient son amour :
elle produit avec lui des actes de foi et de charité
et cet objet lui devient le plus précieux du monde,
comme il est aussi le plus excellent auquel elle
puisse s'adonner.
En troisième lieu, les Personnes divines se don-
nent à la créature raisonnable comme son bien et
son trésor propre, afin quelle trouve Dieu non-
seulement au-dedans d'elle, mais tout à elle, jus-
qu'à lui permettre de goûter ces douceurs qui
adoucissent les amertumes de cette vie et afin
aussi qu'elle jouisse de la consolation de posséder
le souverain bien, autant qu'elle en est capable
dans la vie présente. Dieu le Père donc, en en-
voyant son Fils et son Saint-Esprit, les donne tous
les deux à l'àme, afin qu'elle jouisse d'eux dans la
mesure où elle le peut ici-bas. Mais il ne s'arrête
pas encore là : il se donne aussi lui-même. Sans
doute nul ne peut l'envoyer, car il n'est produit
par personne, mais nul ne peut l'empêcher de se
donner à l'âme juste. Dès lors toute la Trinité
est en elle et y fait son séjour, comme en son pa-
radis d'ici-bas. Aussi Jésus-Christ a-t-il dit ces
X. D. Tom. qucvst 4j.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 899
mémorables paroles : » Si quelqu'un m'aime^ il
« gardera mes commandements , et mon Père Vai-
« mer a et nous viendrons en lui et nous Jerons
« en lui notre demeure. »
Oh ! que mon âme est ravie ! Eh quoi ! si je
reçois la grâce de Dieu, le Père éternel se donne
à moi et m'envoie deux Personnes infinies et ado-
rables, qui me disent intérieurement : Nous ve-
nons à toi, envoyées par le Père, notre principe
et notre origine, pour être le principe de tes ac-
tions; l'objet de tes méditations, le trésor de ta
joie et le commencement de ton bonheur! O Dieu
éternel « vos dons sont le Paradis. » (Gant. 4).
Que cette vérité me remplit d'étonnement et me
couvre de confusion, quand je songe combien j'ai
fait peu de cas des grâces de mon Dieu qui tou-
jours étaient accompagnées de deux Personnes de
la Trinité envoyées vers moi, misérable vermis-
seau ! O Père, o Fils, o Saint-Esprit, faites misé-
ricorde à votre créature pleine de confusion à la
pensée de vos bienfaits, et puisque vous vous
donnez de tant de manières, faites que moi aussi
je me donne à vous de toutes les manières possi-
bles et qui vous seront agréables.
III
Il résulte de la considération précédente que,
lorsque l'âme commet un péché mortel et est
déchue de l'état de grâce, ce n'est pas seulement la
grâce de Dieu qu'elle perd, mais Dieu même,
considéré comme l'auteur de la grâce et de la
gloire ; car il est impossible qu'une créature perde
Dieu entièrement, c'est-à-dire qu'elle le perde
400 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
comme auteur de la nature, sans être anéantie.
C'est là non point une exagération, mais une
vérité solidement établie. Après le péché mortel.
Dieu ne réside plus dans Tàme comme principe
de ses actions méritoires, ni comme objet de
sa faculté d'aimer, ni comme son trésor et son
bien propre. Dieu est encore dans l'âme, en vertu
de son immensité, mais il n'est plus à elle, elle ne
le possède plus. Sans doute en lui-même, Dieu
est, à cause de ses perfections infinies, le trésor
de tout bien, mais dans l'àme souillée du péché
mortel, c'est un trésor fermé, dont l'âme n'a pas
la clef, et où elle n'a pas le droit de puiser. Tan-
dis qu'étant en état de grâce, elle tirait de lui ses
avantages spirituels, si elle persévère dans cet
état, ce sont des fureurs qu'elle trouvera en lui,
des vengeances et des supplices éternels. C'est
pourquoi la perte de la grâce est un malheur plus
grand que toutes les calamités et que tous les
désastres temporels. Dans nos malheurs tempo-
rels, nous perdons les dons de Dieu, mais non le
bienfaiteur c'est-à-dire Dieu même qui demeure
avec la personne affligée : dans l'offense mortelle
et dans la déchéance de l'état de grâce, on perd
tout à la fois les dons et le bienfaiteur lui-même,
les grâces et toute la Trinité qui nous en avait fait
présent. Alors, dit saint Bernard (i), l'âme tombe
dans cet état déplorable, où la trinité des trois
puissances de l'homme, l'intelligence, la volonté et
la mémoire s'effondre en une trinité de misères,
qui est Terreur, la douleur et la crainte, parce que
la vraie Trinité est bannie de l'âme par le péché. Il y
I. Serm, i, in part, sertit . 2 et alibi.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 40I
a, dit-il, la Trinité créatrice, le Père, le Fils et le
Saint-Esprit, dont s'est détournée la trinité créée,
la mémoire, la raison, la volonté : elle est tombée
par la suggestion, la délectation, le consentement
dans une trinité contraire, dans l'infirmité, l'aveu-
glement et la souillure. La mémoire en effet est
devenue impuissante, Ja raison imprudente et
ténébreuse, la volonté impure. Heureusement il y
a une trinité, par laquelle elle peut se relever, c'est
la Foi, l'Espérance et la Charité.
Oh I que c'est donc une chose horrible que le
péché ! oh ! quelle immense perte ! Quels regrets
ne doit pas ressentir l'âme pour les fautes passées !
quelle appréhension en face des fautes possibles !
Hélas ! à quoi songent les malheureux mortels,
quand ils commettent si légèrement des fautes
qui les précipitent dans de si grands désastres 1
Qui les a si étrangement aveuglés, qu'ils ne sen-
tent pas la grandeur de leur perte ! « Qm/ don-
« nera de Veau à ma tête et une Jontaine de
« larmes à mes yeux et je pleurerai jour et nuit
« les morts et les meurtris de mon peuple. »
(Jér. 9.) O Seigneur, délivrez-nous du péché, ne
vous séparez point de nous, infligez-nous plutôt
toutes les pertes temporelles, pourvu que nous
ne vous perdions jamais. O vérité, charité, éter-
nité ! O bienheureuse et béatifique Trinité ! la
misérable trinité des trois puissances de mon âme
soupire tristement après vous ; dans combien
d'erreurs, de frayeurs et de douleurs ne s'est-cUe
pas engagée en s'éloignant de vous ! Ah ! mi-
sérables ! quelle trinité avons-nous changée
contre la vôtre ? « Mon cœur en est troublé »
Bail; t. I. 96
40i LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
(Ps. Sy.) et c'est là la cause de ma douleur ;
« Ma vertu m'a abandonné » et de là vient ma
frayeur ; et « la lumière de mes yeux n'est plus
« avec m.oi » ; de là vient mon aveuglement.
Voilà, ô Trinité exilée de mon âme, la triste tri-
nité que vous voyez en moi. Toutefois, « pour-
if. quoi es-tu triste, ô mon âme ? et pourquoi te
« troubles-tu ? espère en Dieu, car je chanterai
« encore ses louanges » (Ps. 42), quand l'erreur
aura fui loin de mon esprit, la douleur loin de ma
volonté, et quand lui aura succédé cette merveil-
leuse sérénité, cette pleine et éternelle suavité
que nous espérons.
Xr MÉDITATION
CONCLUSION
LE GLORIA PATRI
SOMMAIRE
La Trinité est louée — par Elle-même ; — par
les Anges; — par les hommes et notamment
par la fréquente répétition du verset : Gloire
au Père^ etc.
I
' ^ i
ES Personnes divines se rendent gloire mu-
tuellement et s'offrent l'une à l'autre des
louanges pendant toute l'éternité. Et quelle
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 4o3
gloire et quelle louange ! tout y est infini et in-
compréhensible pour l'intelligence créée. « Ils
« sont trois au ciel qui rendent témoignage^
« dit saint Jean, le Père, le Verbe et le Saint-
« Esprit. » (I Jean. 5.) Ils se rendent témoignage
en effet de leurs grandeurs et de leurs perfections
sans bornes. Le Père aime son Fils et lui donne
par amour la gloire qui lui appartient à lui-même.
« Mon Père qui ma envoyé^ dit le Fils, rend
« témoignage de moi. » (Jean, 5 et 7). Il lui
donne un nom au-dessus de tout nom et qui n'est
attribué qu'au Fils exclusivement : car « à qui
« d'entre les Anges a-t-il jamais dit : Vous
« êtes mon Fils, je vous ai engendré aujour-
« d'hui? » (Héb. I.) Le Fils se repose sur cette
gloire que lui assure son principe éternel et qui
est la plus grande de toutes les gloires du monde :
c'est pourquoi il dit en parlant de son Père :
« Je ne cherche pas ma gloire, il y en a qui la
« cherchent, » et aussitôt il ajoute : « Oest mon
« Père qui me glorifie. » (Jean. 8.) En effet aux
bords du Jourdain, au moment de son baptême
et dans la splendeur de sa gloire, au jour de la
Transfiguration ; il fit entendre sa voix, le recon-
nut pour son Fils et pour celui qui est l'objet de
ses complaisances infinies. Cette gloire contente
le Fils à un tel point qu'il s'y complait et en fait
l'objet de ses désirs, puisqu'il dit à Dieu son
Père : Père ! Vheure est venue., glorifie:^ votre
« Fils, afin qu'il vous glorifie. » (Jean 17). Il
demande au Père de montrer que la gloire du
Fils est égale à la sienne : a O mon Père ! faites
« paraître cette gloire que fai eue en vous.
404 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« avant que le monde fût. » (Ibid.) Les langues
des Séraphins ne sauraient raconter ces louanges
infinies par lesquelles le Père glorifie le Fils en
lui-même, avant même la création du monde, ni
celles par lesquelles le Fils à son tour glorifie et
louejson Père. Il en est de même du Saint-Esprit à
l'égard du Père et du Fils ; car de même que Dieu
nous a faits sans nous, ainsi il a des louanges
sans nous. Il est lui-même sa propre louange,
louange que le cœur de l'homme ne comprend
pas, que sa bouche ne saurait exprimer, que
son oreille ne peut percevoir, mais qui de-
meure éternellement; elle lui est offerte avant le
commencement du monde, au commencement
du monde et se continue dans tous les siècles des
siècles.
O gloire infinie ! o incompréhensible louange ?
o adorable émulation entre les trois Personnes
d'une seule Essence, émulation qui consiste à se
renvoyer l'une à l'autre la gloire, à cause de leur
réciproque amour ! Le Père dit à son Fils :
« Glorifie^ votre nom, et il vient du ciel une
« voix qui dit : je Vai glorifié et je le glorifie-
« rai encore, yi (Jean, 12). Oh! que Je me com-
plais dans cette gloire ! O Seigneur, vous êtes lu-
mière et je suis ténèbres, vous êtes la vie et je
suis la mort. Les ténèbres loueront-elles la lu-
mière ? La mort louera-t-elle la vie ? L'homme
qui n'est que vanité, misère, pourriture, qui a été
conçu, est né et a grandi dans le péché, pourra-t-
il vous louer ? La louange n'est pas bienséante sur
les lèvres d'une créature pécheresse. Mon Sei-
gneur, mon Dieu, soyez donc loué par votre in-
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 405
compréhensible puissance, par votre sagesse infi-
nie, par votre ineffable bonté ! Gloire au Père, au
Fils et au Saint-Esprit, comme elle était de toute
éternité, comme elle est maintenant et comme
elle sera toujours. Vous vous louerez sans fin, o
divines Personnes.
II
Les créatures angéliques, les Séraphins, les
Chérubins, les Archanges et les Anges viennent
les seconds offrir leurs louanges aux Personnes
sacrées de la Sainte Trinité et les glorifier. « Bé-
« nisseT^ le Seigneur » dit Darid, t anges puis-
« sants; loue\-le, tous ses anges, loue^-Ie, toutes
« ses vertus, » (Ps. 102 et 148.) Ces natures céles-
tes s'emploient de toutes leurs forces à entonner
des cantiques de louange et à glorifier hautement
la Sainte Trinité. Dès le premier instant de leur
création, elles ne cessent de redire avec de grands
cris, ce qui signifie avec un grand amour: « Saint,
« saint, saint Je Seigneur, le Dieu des armées.
« Toute la terre est remplie de sa gloire. »
(Is. 6.) Quand Dieu créait le monde et faisait
sortir toutes les créatures de l'abîme du néant, les
Anges remplissaient le rôle de paranymphes, et
louaient l'œuvre de la création : car les anges sont
ces « astres du matin » (Job. 38) qui louaient
Dieu, à l'heure où il posait les fondements de
l'univers. Ce sont eux aussi que l'Ecriture appelle
« les enfants de Dieu., » qui tressaillaient d'allé-
gresse en le voyant produire tant de merveilles et
une si grande variété de créatures.
Quand le Fils de Dieu prend un corps dans le
406 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sein de Marie et s'incarne, les anges groupés en
une milice céleste le louent et chantent avec ar-
deur : « Gloire à Dieu au plus haut des deux. »
(Luc. 2.) Après l'Ascension (i) du Sauveur, ils
apparaissent au martyr saint Ignace, chantant des
hymnes à la Sainte Trinité et donnant aux hommes
l'exemple de la psalmodie sacrée aujourd'hui en
usage dans le chœur des Eglises. En un mot ils
ne cessent pas et ne cesseront jamais de chanter
tous les jours et tous ensemble : « Saint est le
« Père, saint est le Fils, saint est le Saint-Es-
« prit, » (Is. 6.) Le prophète Isaïe les vit et enten-
dit le chant de leurs hymnes. Voici la preuve qu'il
n'y a ni arrêt ni pause dans le chant de ce Trisa-
gion sacré : les habitants de Constantinople
effrayés par des signes horribles et des menaces du
ciel, faisaient un jour des prières publiques, quand
un enfant élevé en l'air, apprit des anges à chanter
le Trisagion sacré, en l'honneur des trois Person-
nes divines : « Dieu saint ^ Dieu fort, Dieu im-
« mortel, aye^ pitié de nous » (2). Le peuple
instruit par l'enfant le chanta à son tour avec une
ardente dévotion. Il apaisa ainsi la colère de Dieu
et fut délivré du fléau qui le menaçait. Je vois là
une preuve que les anges persévèrent à louer la
Trinité et à inviter les hommes à s'unir à eux
dans ce saint office.
A vous donc, très auguste Trinité, tous les
anges, tous les cieux et toutes les Puissances, à
vous tous les Chérubins et tous les Séraphins
crient sans jamais s'arrêter : « Saint^ saint, saint
X. Hiit. Tripart. lib. lo, c. 19.
«. PfiiQatc. 1. 3. Fid. c. 10,
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 407
« le Seigneur, le Dieu des armées. » Oh ! je me
réjouis de voir que les anges sont les chantres
célestes de vos louanges. O Dieu tout-puissant
commandez que nos voix soient unies aux leurs
et que dans cette ravissante harmonie nous
chantions sous leur direction et comme sous leur
baguette : Gloire au Père, au Fils et au Saint-
Esprit; ainsi que dès le commencement du monde
les anges lui rendent gloire, comme ils la lui ren-
dent encore maintenant, et comme ils la lui don-
neront dans tous les siècles des siècles.
III
Les créatures humaines rendent gloire aussi à la
Sainte Trinité, non moins par la sainteté de leur
vie et par les actions faites en son honneur, que
par les louanges que chante leur bouche, notam-
ment par la répétition fréquente de ce verset :
Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit etc.
Quelques-uns (i) l'attribuent à Flavien, évêque
de Constantinople, qui l'aurait composé de concert
avec saint Jean Chrysostôme, et qui le fit chanter
solennellement dans l'Eglise, en l'honneur de la
Trinité, à l'époque où la fureur des ariens s'effor-
çait de lui ravir sa gloire parmi les hommes. Plus
tard le pape saint Damase, sur le conseil de saint
Jérôme (2), ordonna de l'ajouter à la fin de chaque
Psaume, afin qu'il fut plus souvent répété.
Mais l'origine de cette prière est probablement
plus ancienne. Saint Athanase qui vivait avant
Flavien et saint Jean Chrysostôme, conseillait à
X. Nicephor, lih. i8, c. $i.
%. Hier. Ep. ad Damas, Genebrard, 1. i, Chron. an Chr. 356,
4o8 LA THéOLOGIE AFFECTIVE
une vierge qu'il instruisait, de répéter trois fois,
en se levant de table : Gloire au Père, etc. Il est
donc plus probable que cet hymne fut enseigné
par les anges à saint Ignace, évêque d'Antioche, et
que ce fut lui qui le fit chanter dans cette ville où
les disciples de Jésus-Christ furent pour la pre-
mière fois appelés chrétiens (Act. 1 1), à cause
du zèle qu'ils avaient pour la religion. Peut-être
même les Apôtres l'ont-ils eux-mêmes enseigné
de vive voix aux premiers chrétiens et la tra-
dition s'en est-elle depuis conservée dans toutes
les églises qui n'ont pas été perverties par les
ariens (i).
Quoi qu'il en soit de cette controverse, ceux qui
glorifient la Sainte-Trinité par la récitation atten-
tive et dévote de ce verset, pratiquent dans ce seul
acte un grand nombre de vertus. C'est d'abord la
profession de foi du plus sublime mystère du
christianisme. C'est un acte d'espérance en la vie
éternelle et au paradis, où le Père, le Fils et
Saint-Esprit doivent être glorifiés dans tous les
siècles des siècles. C'est un acte d'amour de
complaisance, par lequel on se réjouit de ce que
la Trinité jouit au ciel d'une gloire infinie. C'est
un acte d'amour de bienveillance, quand on le dit
avec le désir que la Sainte-Trinité soit toujours glo-
rifiée par ses créatures, et que la félicité de tous les
saints qui est leur gloire formelle, contribue à
jamais à la manifestation de ses grandeurs infi-
nies. C'est aussi un acte d'amour à l'égard du
prochain ; car on lui souhaite le bien suprême,
celui qui constitue sa fin dernière et sa béatitude,
z. Bas. de Sp. S. c. 37.
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 409
c'est-à-dire, la glorification de la Trinité. C'est un
acte de religion, car par ces paroles nous rendons
à Dieu le culte et l'honneur qui lui appartiennent.
C'est un acte d'obéissance, parce que nous ren-
dons à Dieu ce qu'il commande qu'on lui rende,
je veux dire sa gloire. C'est un acte d'humilité
pour cette raison qu'on ne demande aucune gloire
pour soi-même, mais qu'on la renvoie tout entière
à la Sainte-Trinité. Enfin c'est une action si noble
que c'est l'exercice perpétuel des bienheureux dans
le paradis. « Et ils n avaient pas de repos, dit
« saint Jean, jour et nuit ils disaient : Saint,
« saint, saint, le Seigneur Dieu tout-puissant. »
(Apoc. 4.)
Je veux donc considérer comme une action
très importante, la glorification de la Sainte-Tri-
nité. Je veux redoubler d'attention, lorsque je
réciterai ou j'entendrai ces paroles, et travailler à
faire louer Dieu avec ardeur et dévotion. O Per-
sonnes sacrées, lorsqu'il s'agit d'un si important
devoir, je voudrais n'épargner aucune peine pour
provoquer toutes les créatures du monde à con-
courir d'un même esprit et d'une même affection,
à votre glorification. Oh ! quand entendrai-je
retentir de toutes parts : Gloire au Père, au
Fils et au Saint-Esprit ! Oh ! ce serait mon sou-
hait et le désir de ma vie de n'entendre que ce
chant de tous côtés. O Trinité bienheureuse,
de qui, en qui et par qui sont toutes choses ! O
Dieu au-dessus de qui il n'y a rien (i). O Dieu
sous la majesté de qui tout s'incline, en qui tout
existe, tout subsiste, nous vous invoquons, nous
X. Alcuia, /. de Trin.
410 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
VOUS adorons, nous vous louons. Exaucez-nous,
Seigneur; vous, notre espérance, notre salut, notre
gloire. Délivrez-nous, sauvez-nous, justifiez-nous.
O heureuse, ô bénie, ô glorieuse Trinité ! ô vraie,
ô souveraine, ô éternelle unité ! faites-nous misé-
ricorde. A vous louange, à vous gloire, à vous
actions de grâces. O heureuse Trinité ! Oh ! gloire
au Père, au Fils et au Saint-Esprit ! Gloire au
Père, de qui découle toute paternité au ciel et sur
la terre ! Gloire au Fils, de qui vient toute filia-
tion et adoption ! Gloire au Saint-Esprit, l'auteur
de toute sainteté et de toute sanctification !
Gloire au Père qui nous a créés à son image ;
gloire au Fils qui nous a rachetés par son sang ;
gloire au Saint-Esprit qui nous a faits ses temples !
Gloire vous soit toujours rendue, Trinité égale,
unique divinité ! Que le chœur glorieux des Apô-
tres, que la multitude vénérable des prophètes,
que la sainte phalange des martyrs, et que tous
les saints élus vous contessent d'un même esprit !
Louange, gloire et bénédiction à la Sainte-Trinité,
avant tous les siècles, maintenant et à perpétuité !
Enfin, ô mon Dieu, qu'on ne saurait trop admirer
dans le mystère de la Sainte-Trinité, que toutes
les bénédictions du monde montent jusqu'à vous,
tel sera mon souhait le plus ardent au milieu des
tristesses de cette vie. Et quand dans votre misé-
ricorde, vous briserez le lien qui unit mon âme à
ce corps mortel et qui l'appesantissant l'empêche
de s'élever assez haut pour vous rendre la gloire
qui vous est due, quand, dis-je, vous aurez affran-
chi mon âme des liens de cette vie, quand vous
lui aurez enfin donné la liberté qu'elle attend^
DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ 41 I
alors je ferai éclater avec plus de force et d'amour
cet hymne : « Gloire au Père, au Fils et au Saint-
« Esprit, comme il était au commencement et
« maintenant et toujours et dans les siècles des
« siècles. Ainsi soit-il. »
412 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
TROISIÈME TRAITÉ
Des Anges
r MÉDITATION
DE LA CRÉATION EN GÉNÉRAL
SOMMAIRE
Dieu était libre de ne créer aucun monde —
seul il pouvait créer — parmi une infinité
de mondes possibles, il lui a plu de créer le
monde actuel.
I
DIEU pouvait se passer de créer le monde.
En effet, il est, comme nous Tavons vu,
immense, infini, tout puissant, sage, bon, heu-
reux, enrichi de tous les attributs les plus parfaits,
subsistant heureusement en trois Personnes égales
en grandeur, en béatitude, et en toutes sortes de
biens imaginables, n'ayant aucun besoin de se
créer un lieu de séjour, parce qu'il est à lui-même
sa propre demeure et son propre trône ; jouissant
d'un bonheur infini dans la paix de son Essence,
dans l'abîme de ses grandeurs, et dans la splen-
deur de sa gloire. Puisque Dieu est tel éternelle-
DES ANGES 4l3
ment et même mille et mille fois plus grand que
notre esprit ne saurait le comprendre et notre
langage l'exprimer, il pouvait demeurer ainsi sans
créer le monde, comme il avait fait d'ailleurs
pendant les siècles sans nombre qui s'étaient
écoulés avant la création. Nous savons en effet
qu'il existe par lui-même, qu'il ne relève de per-
sonne, que les biens qu'il possède lui suffisent,
qu'il n'a que faire des joies qu'on peut goûter
hors de lui, que tous ses attributs et toutes ses
perfections lui procurent une félicité infinie et
qu'il a assez de richesses dans son palais, qui est
sa divinité, sans aller emprunter celles qui sont
hors de lui, dans les créatures. Qu'avait-il dès
lors besoin de produire le ciel et la terre et tous
les êtres qu'ils renferment, lui qui s'était passé
de toutes ces choses pendant un temps infini ? Ne
pouvait-il pas s'en passer encore et vivre content
et heureux en lui-même sans produire ce monde ?
Certes oui, il le pouvait ; ce monde ne lui était en
aucune sorte nécessaire. Cette vérité nous fournit
l'occasion d'admirer la grandeur et l'état très
heureux et très indépendant de notre Dieu éternel.
Dieu lui-même a voulu que nous fassions cette
réflexion ; c'est dans cette intention que, voulant
ne créer le monde que pour sa gloire et de la
manière qui contribuerait le plus à sa gloire, il
s'est abstenu, pendant de longs siècles de le créer,
afin de démontrer à tous par ce seul fait que le
monde ne lui était point nécessaire, que les créa-
tures n'ajoutaient rien à sa grandeur, qu'elles
sont incapables d'apporter le plus léger accroisse-
ment i\ la joie, au repos, à la félicité parfaite qu'il
414 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
possède en lui-même. En un mot, il a voulu
prouver qu'il peut se passer des créatures.
O grand Dieu, très heureux par vous-même, je
reconnais votre indépendance, j'adore la gloire
ineffable et la félicité parfaite que vous aviez en
vous-même avant que le monde fût. « fai dit au
« Seigneur : vous êtes mon Dieu^ et vous n*ave:(
« pas besoin de mes biens » (Ps. i5), ni des biens
de n'importe quelle créature. Je reconnaîtrai tou-
jours humblement en face de vous, que vous
n'avez que faire de moi, pas plus que d'un simple
grain de poussière, que, quoi que je fasse, je ne
puis augmenter en rien les perfections de votre
Etre sublime, que je ne suis enfin qu'un serviteur
inutile. Qu'il ne m'arrive donc jamais de marcher
la tête haute en votre présence ! Je me prosterne-
rai la face contre terre, pour indiquer que je suis
une créature qui ne vous est utile en rien.
II
D'autre part Dieu seul pouvait créer les êtres et
les faire passer du néant à la vie par sa toute-puis-
sance. En effet ce qui n'existe pas ne peut rien
faire : l'impuissance la plus radicale que l'on
puisse imaginer, c'est de ne pas exister. Comment
donc les créatures qui n'étaient que possibles,
auraient-elles pu sortir de l'abîme du néant par
leur propre vertu, puisqu'elles n'existaient pas ?
Il y a de plus de profondes différences entre
Dieu et la créature. Dieu est l'Etre accompli et
infiniment parfait : la créature est un être borné
et imparfait. Dieu est un Etre éternel, sans com-
mencement î la créature est un être nouveau qui
DES ANGES 4l5
apparut un jour pour la première fois. Dieu est un
Etre souverain et indépendant : la créature est un
être soumis et essentiellement dépendant. Dieu a
précédé le néant qui est le contraire de l'être dont
il jouit, et ayant la primauté, il Ta entièrement
éloigné de lui et ne lui a donné aucune prise sur
lui : la créature au contraire a été précédée du
néant ou du non-être, puisque pendant une éter-
nité elle est demeurée dans Tabîme du néant,
avant d'en être tirée par la création, qui lui a
donné l'existence. Entre l'être et le néant, il y a
l'opposition la plus complète qu'on puisse imagi-
ner. Mais Dieu étant l'Etre éternel a devancé le
non-être, a toujours possédé l'être et n'a jamais
donné accès en lui au non-être. Aussi Dieu est-il
tout Etre et possède-t-il d'une manière excellente
tous les degrés de l'être, semblable à un abîme
immense qui peut tout contenir, à un abîme sans
fond d'être sans fin. En lui il n'y a absolument
aucune trace de non-être ; il l'a éloigné de lui infi-
niment, comme un ennemi avec lequel il ne pourra
jamais s'accorder. De là vient qu'il répondit à
Moïse lui demandant son nom : « Je suis celui
qui suis. » (Ex. 3.) Apparaissant à une grande
sainte (i) en prière, il lui dit : Sais-tu qui je suis,
ma fille, et qui tu es ? tu seras bien aise de le sa-
voir : je suis celui qui est et tu es celle qui n'était
pas. En effet la créature a été précédée du non-
être et de son néant, car avant de recevoir l'être,
elle était dans le non-être. Le néant s'étant le pre-
mier emparé d'elle, la tenait assujettie et comme
esclave dans ses profonds abîmes. Ainsi enchaînée
I. Sainte Catherine de Gines.
4l6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
et en quelque sorte opprimée par son néant,
comme par son ennemi mortel, qui avait l'avan-
tage sur elle, la créature était dépourvue de toute
force pour se dégager elle-même, parce que ne pas
être constitue la plus radicale impuissance. Elle
était donc dans l'impossibilité de faire le moindre
mouvement, de s'élever au-dessus de cet abîme et
de sortir des prisons du néant. D'ailleurs avant la
création il n'existait que Dieu seul. Qui dès lors
aurait pu la délivrer du néant, si ce n'est lui, qui
est l'Etre parfait, qui ayant éloigné de lui-même à
une distance infinie le néant, pouvait l'éloigner
aussi de la créature ? Il était alors le seul à avoir
cette puissance et cette autorité sur le néant, auto-
rité qui lui permettait d'en faire sortir les êtres.
Et en supposant même que quelques créatures
eussent déjà existé, aucune de ces créatures n'eût
été capable d'en délivrer une autre du néant, car
il n'appartient qu'à Dieu seul et à sa puissance
infinie de faire de rien quelque chose. La raison
la voici : c'est qu'entre le néant et l'être il y a une
distance infinie, c'est-à-dire pour la faire passer du
néant à l'être, pour faire que de rien elle devienne
quelque chose, il faut une vertu infinie, une puis-
sance divine et adorable. Ainsi donc la créature ne
pouvait éclore du néant et subsister que par la
toute-puissance et par la bonté divine.
O grandeur et sublimité de Dieu ! ô puissance
et majesté suprême de l'Etre infini et éternel
en face de l'être fini et nouvellement apparu dans
ce monde créé ! ô dépendance extrême des créa-
turcs ! oh ! qu'il est bien vrai que par elle-même la
créature n'est rien ! Comment donc mon esprit
DES ANGES 417
a-t-il pu se laisser aller un seul instant à la
présomption ! Oh ! combien est aveugle l'intelli-
gence qui oublie son néant et qui manque d'hu-
milité ! Donc, ô mon Dieu, je le confesse devant
tout le monde, de moi-même je ne suis rien, je ne
subsiste que par vous. O Dieu qui avez tout pou-
voir sur moi, jamais je ne présumerai de mes for-
ces, mais je mettrai en vous toute ma confiance :
car « qui est semblable au Seigneur notre Dieu^
« lui qui habite les hauteurs des cieux^ qui
« regarde les humbles au ciel et sur la terre, qui
« retire l'indigent de la poussière et qui élève le
« pauvre de dessus son fumier, afin de le faire
« asseoir avec les princes? » (Ps. 112.) C'est
pourquoi, mon Seigneur, de chétif et misérable
que je suis, vous pouvez me faire grand dans
le ciel et de rien que je suis faire de moi quelque
chose. En qui donc mettrai-je mon espérance
et ma force, si n'est en vous seul, qui de rien fai-
tes de grandes choses ?
III
Considérez qu'il a plu au Dieu éternel et adora-
ble de ne délivrer des abîmes du néant que
ce monde seul, dans lequel nous sommes com-
pris, de préférence à tant d'autres mondes et
à tant d'autres créatures possibles. Ainsi au mo-
ment marque par sa sagesse, il tira cet univers de,
la masse des êtres possibles, et le forma de rien,
c'est-à-dire sans matière préexistante, par une
action toute-puissante et la plus noble de toutes
que nous appelons création : Quant à une infinité
Bail, t. i. »1
4l8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
d'autres inondes possibles, il les laissa dans le
néant, en vertu d'une décision de sa sagesse.
Imaginez un roi puissant qui a vécu longtemps
heureux et tranquille dans son palais ; au bout
d'un certain nombre d'années l'envie lui vient de
bâtir dans une campagne déserte un superbe édi-
fice et d'étaler là ses richesses et sa magnificence.
Ce n'est pas le besoin qui l'y a déterminé, car il
est royalement logé dans son palais. Et cet édifice
il peut le construire suivant tel plan qui lui plaît,
suivant telle forme qu'il préfère : tout cela dépend
de sa volonté. Ainsi en est-il de notre Dieu, toutes
proportions gardées. Il était parfait et heureux de
toute éternité, il habitait en lui-même et trouvait
son bonheur dans la contemplation et l'amour de
lui seul. Au bout de longs siècles, il lui a plu de
bâtir ce monde : rien ne l'y a contraint cependant.
Il était libre de le créer ou non, de lui donner telle
place, de le produire à tel moment qui lui plai-
sait : tout dépendait de sa volonté et de son bon
plaisir. Bref, il l'a bâti tel que nous le voyons,
ainsi que ce roi puissant a élevé son palais. Mais
voici la différence : ce roi ne pouvant bâtir en l'air,
sans matériaux et sans ouvriers, fait tout d'abord
des préparatifs, il creuse des fondations dans le
sol, réunit des ouvriers de toutes parts. Notre
Dieu, lui, construit de rien l'édifice de ce monde
et fait en un instant le ciel, la matière corporelle,
le temps et la nature angélique, il fonde tout dans
le vide des espaces, sans outils, sans aides dont il
n'a que faire.
O Créateur ! ô admirable ouvrier I qui faites
quand il vous plaît, un si beau et si ravissant chef-
DES ANGES 419
d'œuvre ! Que toutes ces créatures vous louent et
vous bénissent de ce qu'elles subsistent par vous !
Car, Seigneur, qu'est-ce qui vous a déterminé à
créer ce monde de préférence à des millions d'au-
tres que vous pouviez créer, et dans lesquels nous
n'eussions Jamais été compris ? Uniquement votre
bonté : c'est là toute la raison : « Œuvres du
« Seigneur f bénisse:^ toutes le Seigneur, loue^-le
« et exalte\-le dans tous les siècles. » (Dan. 3.) O
mon prince, je vous glorifierai toujours, je vous
louerai sans cesse pour le bienfait de ma création :
j'y reconnaîtrai et j'y chérirai votre bonté, votre
sagesse, votre puissance et toutes vos perfections.
ir MÉDITATION
DE L'EXISTENCE DES ANGES
SOMMAIRE
V existence des Anges — n'a rien qui répugne; —
elle convient; — elle est un fait certain.
I
LES Anges peuvent exister ; ce qui veut dire
qu'il est possible que Dieu crée certaines
substances spirituelles, exemptes de toute matière
et d'une nature supérieure à l'homme. Cette vérité
découle de celle de l'existence de Dieu : car une
fois admis qu'il y a un Dieu, — et qui pourrait
420 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
refuser de Fadmettre ? — il est évident qu'il dé-
pend de lui de donner l'être et la vie à des Anges.
Il n'y a là en effet ni répugnance, ni contradic-
tion, et par conséquent rien qui puisse empêcher
que la toute-puissance ne les produise. De plus
un être qui peut agir sur des objets éloignés de
lui, le pourra à plus forte raison sur des objets
rapprochés de lui : par exemple si le feu a le pou-
voir de réchauffer un corps placé loin de lui, à
plus forte raison pourra-t-il communiquer la cha-
leur à un corps qui sera tout proche de lui. Or
Dieu est assez puissant pour produire des créatu-
res corporelles et rien n'est plus éloigné de sa
nature que les corps. Il aura donc à plus forte
raison le pouvoir de produire des créatures spiri-
tuelles qui sont plus rapprochées de lui par leur
nature et plus semblables à lui par leurs perfec-
tions.
Il convient d'observer aussi qu'il ne faut pas
une plus grande puissance pour produire tout un
monde de créatures spirituelles, que pour pro-
duire un monde de créatures corporelles ; car là
où tout se fait de rien, et par la seule volonté, il
ne saurait être question d'une plus ou moins
grande difficulté. C'est pourquoi la même puis-
sance de Dieu qui a produit les vermisseaux sur
la terre, a créé les Anges dans les cieux et sa puis-
sance ne se manifeste pas avec plus d'éclat dans
la création des Anges que dans celle des vermis-
seaux.
Admirons ici cette puissance suprême, capable
de produire des oeuvres si grandes et si excel-
lentes, qu'elles dépassent la portée de tous nos
DES ANGES 42I
sens. Admirons cette force divine qui peut faire
surgir des millions de mondes et qui peut donner
la vie aussi facilement à des mondes peuplés d'An-
ges qu'à des mondes habités par des hommes. Et
puisque à toute puissance doit correspondre la
soumission, assujettissons-nous à ce Dieu tout-
puissant, offrons-lui des adorations et des respects
profonds, au début de ces considérations sur les
substances angéliques.
II
Considérez qu'il convenait beaucoup que Dieu
créât des Anges, pour des raisons prises soit du
côté du monde, soit du côté de Dieu même.
Cela convenait d'abord pour des raisons prises
du côté du monde. Dieu a jugé à propos de créer
une âme raisonnable, c'est-à-dire une substance
spirituelle imparfaite, puisqu'elle n'est qu'une
moitié de l'homme. Or, il convenait bien davan-
tage qu'il existât une substance spirituelle par-
faite et qui ne fit pas partie d'un autre être. Ce qui
est imparfait suppose toujours quelque chose de
plus parfait et il convenait que le monde fut
assorti et parfait de tout point. Or, dit le Docteur
angélique (i), la perfection de l'univers consiste
surtout dans les substances séparées. Et en réalité
si le monde ne comprenait que les cieux seuls, les
Anges en seraient le soleil et les plus plus bril-
lantes étoiles ; s'il n'était qu'un jardin, les anges
en seraient les roses, les œillets, les lis et les plus
belles comme les plus odorantes fleurs. D'après
I. D. 3. Cont. Cent. c. 93.
422 LÀ THÉOLOGIE AFFECTIVE
saint Denys (i), l'Ange est l'image de Dieu, le
reflet de la lumière cachée, le miroir brillant, sans
tache et sans défaut de la beauté divine, capable
de réfléchir, autant que la chose est possible à une
créature, cette même beauté que nous dérobe un
si profond mystère. C'est pour ce motif que les
i\^ges donnent à ce magnifique univers son cou-
ronnement et sa perfection.
Il convenait aussi qu'il y eut des anges pour
des raisons prises du côté de Dieu, car s'il était
convenable que lui, être spirituel, fit paraître sa
puissance et sa bonté dans la création des êtres
corporels, combien était-il plus convenable qu'il
fit éclater cette même puissance et cette même
bonté dans la création d'êtres purement spirituels
comme sont les Anges.
Cette considération me fournira l'occasion de
faire le raisonnement suivant : s'il est vrai que,
sans les substances spirituelles ce grand monde
serait imparfait, il faut que l'homme qui est un
petit monde rentre en lui-même et considère qu'il
ne sera Jamais accompli sans les nobles opérations
de l'esprit. S'il convient à Dieu, parce qu'il est
esprit, de produire des êtres purement spirituels ;
pour le même motif il convient à l'homme qui a
une âme spirituelle, de s'appliquer aux choses
spirituelles. Je regretterai donc d'avoir si peu
appliqué mon intelligence à ce qui est du ciel et
de l'esprit, et de l'avoir si ardemment appliquée
à ce qui est de la terre et du corps. O mon àme,
tu n'es point chair, que les affections charnelles
ne te souillent donc pas ; tu es la forme du corps,
l. D* Fir, nom. ç. 4.
DES ANGES 428
que le corps ne t'impose donc pas sa loi ; tu es
spirituelle et voisine de la nature céleste et angé-
lique, que ta conversation soit donc dans le ciel
et que ta vie ressemble à celle des Anges.
III
Enfin l'existence des Anges est certaine. Si en
eifet Dieu a pu les créer, et si de plus il était
convenable qu'il le fit, on peut conclure avec une
grande probabilité que Dieu, qui sait ce qui lui
convient, les aura créés en réalité. D'abord les
Saintes Ecritures affirment qu'ils existent et puis
eux-mêmes se font assez connaître par leurs effets
qui sont de deux sortes. Ce sont d'abord les mou-
vements, les divers langages, les paroles horribles
et les actions étranges des personnes possédées,
qu'il est impossible d'attribuer à toute autre
cause qu'aux Anges et aux démons. Quiconque
les a étudiés avec attention, est contraint d'a-
vouer qu'il existe une substance spirituelle et in-
visible, qui jouit d'une puissance supérieure à
celle de l'homme et qui seule peut produire de
tels effets.
Les seconds effets plus ordinaires sont les mou-
vements des astres et des cieux ; car les cieux
étant inanimés ne sauraient se mouvoir eux-
mêmes dans un si bel ordre et avec une régularité
si parfaite. Aussi, au sein même du paganisme,
Aristote (i) a-t-il reconnu avec les seules lumières
de la raison, qu'il y a des intelligences motrices,
c'est-à-dire des Anges qui impriment aux sphères
célestes le mouvement et les dirigent dans leur
j. Métafhys. c. 7. 1, 14.
424 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
révolution quotidienne. C'est la même pensée que
semble avoir eu avant lui le saint homme Job,
quand il s'adressait à Dieu dans ces termes : « O
« Dieu ! à la colère de qui nul ne résiste, et sous
« qui sont courbés ceux qui portent le monde.y*
(Job. 9). Ils s'agit des Anges qui portent le monde
et font rouler les deux dans l'espace.
Si donc il existe des Anges et des substances
plus élevées et plus nobles que l'homme terrestre,
cette vérité doit apprendre à l'homme l'humilité.
Qu'il ne se considère pas comme le prince de ce
monde et le favori de Dieu. Qu'il ne s'élève pas
dans sa pensée par une trop grande opinion de sa
grandeur et de sa noblesse ; que plutôt il confesse
sa faiblesse et qu'il dise dans un sentiment sim-
ple et vrai qu'il n'est rien. Car, o homme mortel.
Dieu a des créatures bien plus nobles et bien
plus excellentes que toi, il a des Anges qui sont
comme autant de princes de sa cour et qui se
tiennent toujours en présence de sa majesté.
Comparé à eux, à peine paraîtras-tu comme un
grossier villageois et un pauvre ignorant. O grand
Dieu, je me contente de l'être humain que vous
m'avez donné, mais je me réjouis de savoir que
vous avez des serviteurs plus nobles et plus di-
gnes que nous qui vous servons si mal. Car nos
soins, hélas ! ne sont que pour la terre, nos efforts
ne sont qu'impuissance auprès de ces nobles intel-
ligences, et nos affections les plus ardentes sont
tièdes auprès des leurs. Oh ! qu'il convient. Sei-
gneur, que vous soyez servi par des créatures plus
nobles que nous ! Bénie soit à tout jamais votre
bonté qui a produit les Anges ! O bienheureux
DES ANGES 426
esprits, je me réjouis de savoir que vous existez !
puisque vous êtes au-dessus de nous en perfec-
tion et en excellence, assistez-nous, secourez-nous
pendant que nous méditerons vos vertus et ce que
le Créateur a fait en vous.
Iir MÉDITATION
DE LA SPIRITUALITÉ DES ANGES
SOMMAIRE
Les anges sont de purs esprits ; — ils sont plus
spirituels que Vâme humaine; — on peut dire^
avec saint Jean Damascène^ qu'ils sont cot'
porels, par rapport à Dieu.
I
LA substance des Anges est plus spirituelle que ^ ^^^^,^/*a
les corps les plus subtils et les plus déliés du '
monde, tels que les vents et les tempêtes, que
l'Ecriture appelle « esprits » (Ps. 148), parce qu'ils
ont si peu de corps qu'ils sont invisibles. Il est
vrai que plusieurs docteurs de l'Eglise tant parmi
les anciens que parmi les modernes ont cru que
les Anges n'étaient pas esprits dans un sens plus
élevé que ces météores qui se forment dans les
airs. Sur cette question les plus profonds théolo-
giens et les plus grands philosophes diffèrent
426 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
d'opinion, mais la plus vraie et la plus constante
est que les Anges n'ont pas de corps.
La preuve en est que les démons sont extrême-
ment nombreux dans l'aiT que nous respirons,
quelquefois dans le corps d'un seul possédé il y
en a une légion : ce qui serait impossible si les
démons avaient un corps. Comment en effet tant
de corps pourraient-ils être entassés dans un seul
corps humain ? Comment tant de démons pour-
raient-ils courir dans l'air, sans que nous enten-
dions aucun mouvement, aucun bruit ? C'est d'au-
tant plus vrai que, s'ils avaient des corps, ils ne
devraient pas être petits comme ceux des fourmis
ou des moucherons, mais de grandes dimensions
et proportionnés aux effets que le démon produit.
Voici une autre raison : Dieu a créé les Anges
pour le connaître et pour voir plus clairement la
splendeur de sa souveraine lumière. Or il était
nécessaire pour cela qu'ils fussent absolument
dégagés du corps et de toute matière ; car plus les
intelligences sont enfoncées dans ces ténèbres,
moins elles sont aptes à comprendre les secrets de
Dieu et à les pénétrer par une science subtile.
Donc ils doivent être tout spirituels, pour être
plus intelligents, conformément à la fin de leur
création.
Enfin les Anges sont les créatures les plus pro-
ches de Dieu : il faut donc qu'ils soient les créatu-
res les plus parfaites; de môme que la matière qui
est la chose la plus proche du néant, est la dernière
du monde et la plus imparfaite. Il faut donc qu'ils
soient sans corps et tout spirituels. Ainsi leur
nature est douée d'une pureté, d'une virginité très
DES ANGES 427
excellente, car peut-on en concevoir une de plus
grande, que d'être dégagé entièrement de la chair
et de toute sorte de corps ? C'est là un des côtés
de cette excellence et de cette perfection qui les
élève au-dessus de toutes les autres créatures.
J'admirerai le bonheur des Anges vierges et im-
maculés, dégagés entièrement du corps par la con-
dition de leur nature. Je formerai la résolution
généreuse de les imiter, autant qu'il me sera pos-
sible, par une chasteté parfaite ; car vivre dans la
chair sans obéir à la chair, ce n'est pas une vie
terrestre et humaine, mais une vie céleste et angé-
lique, c'est être un ange terrestre et un homme
céleste, c'est être un ange humain et un homme
angélique. O Seigneur des Anges, donnez-moi donc
une chasteté parfaite et inviolable jusqu'à la fin de
ma vie ; que mon plus grand bonheur ici-bas soit
d'éviter toujours la corruption de la chair et de
l'abhorrer plus que le fiel et l'absinthe.
II
En second lieu les Anges sont plus spirituels
que l'âme raisonnable : car bien que notre âme
soit spirituelle dans sa substance, toutefois comme
Dieu l'a créée pour faire partie de l'homme con-
jointement avec le corps, elle a une inclination
naturelle à être unie à ce corps. C'est si vrai que
les âmes bienheureuses qui voient Dieu face à
face conservent toujours cette inclination au mi-
lieu des splendeurs du paradis et appellent de tous
leurs vœux la résurrection des corps, pour se réu-
nir à eux. De plus pendant que les âmes informent
leurs corps et y sont comme enfermées, le plus
428 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
souvent elles épousent leurs intérêts à cause de
l'union qu'elles ont contractée avec eux : d'où il
résulte qu'au lieu de s'élever par la pensée et par
l'affection aux biens réels, elles sont abaissées par
les sollicitudes temporelles et occupées à pourvoir
aux besoins, aux infirmités, aux appétits, à la sen-
sualité, à la garde et à l'entretien du corps. Ainsi
l'homme a un plus grand soin de son corps que de
son âme : il lave ses pieds avec de l'eau limpide et
ses yeux avec de la boue et de la fange, suivant
l'expression d'un ancien Père (i). Dès lors l'âme
humaine devient terrestre et matérielle dans ses
désirs comme dans ses actions. Il n'en est pas
ainsi de l'Ange. Sa substance est parfaite et ne fait
pas partie d'un tout où l'esprit et le corps sont
étroitement unis : dès lors elle n'a aucune inclina-
tion à ce qui regarde le corps, n'est jamais trou-
blée par les sollicitudes de la terre et n'a aucune
attache aux affaires terrestres et temporelles. Aussi
l'Ange peut s'adonner exclusivement à la contem-
plation de Dieu, parce qu'il est détaché du corps,
de toute inclination vers le corps et de tout soin
pour le corps.
Ecoute donc, ô mon âme, la parole du Verbe
incarné et considère « les lis des champs^ vois
« comment ils croissent : ils ne travaillent, ni
« ne filent ». (Matt. 6.) Ces lis qui ont la blan-
cheur et le suave parfum de la pureté, ce sont les
Anges (2). Ils n'ont aucun souci du monde ni de la
chair, tandis que toi tu es toute embarrassée dans
les intrigues de ce monde, pendant que tu laisses
I. Nilus in bibltoth. Patrum.
3. D. HUar. Can. 5. tn Matt.
DES ANGES 429
se ruiner les affaires de l'âme et de l'éternité. O
Dieu ! quel aveuglement je constate en moi ! Ele-
vez-moi au-dessus de la terre que j'habite, et que,
hormis les soins que la condition humaine m'im-
pose, les choses de ce monde me soient absolu-
ment indifférentes.
III
Considérez néanmoins ce que dit excellemment
saint Jean Damasccne (i), à savoir que les Anges
sont corporels et matériels par rapport à Dieu,
tandis qu'ils sont spirituels par rapport aux hom-
mes. Son intention n'est pas de nier la spiritua-
lité des Anges, même d'après la pensée et la
connaissance de Dieu, car Dieu juge de toutes
choses selon la vérité ; mais il veut faire entendre
par là que Dieu est spirituel d'une manière beau-
coup plus noble et beaucoup plus excellente que
les Anges, à tel point que ceux-ci semblent n'être
à côté de lui que des êtres grossiers et matériels.
C'est aussi le propre de Tinfinie perfection de
Dieu d'éclipser tout par l'éclat de sa lumière et
d'amoindrir tout par la préférence qui est due à sa
grandeur : d'où bien souvent il arrive que ce qui
est sainteté aux yeux des hommes et selon leur
jugement, est abomination devant Dieu. « Les
« cieux^ dit Job, quoique bien éloignés de la
« fange et de la corruption, ne sont pas purs de-
« vant lui. Les astres les plus brillants sont
« sans éclat à ses yeux et la lune est tachée et
« souillée devant lui. » (Job, i5 et 25.) Et si pur
que l'homme s'estime, il se trouverait bien impur,
I. In lib. a. de Ftde, c. 3.
43o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
s'il était mis en parallèle avec la pureté divine ; il
aurait honte de lui-même s'il envisageait la beauté
de Dieu. Ainsi les plus grands prophètes (Isaïe, g)
après avoir entendu la voix de Dieu, crurent que
leur bouche était souillée et leurs lèvres impures.
Ceci provient de ce que les choses qui semblent
avoir quelque dignité et quelque perfection pa-
raissent toujours imparfaites et moins belles,'
quand elles sont comparées aux êtres plus émi-
nents.
Une étoile est brillante en comparaison d'un
flambeau allumé sur la terre, mais elle est sans
éclat et sombre à côté du soleil. Ainsi l'Ange est
tout spirituel comparé aux hommes, mais non
comparé à Dieu qui le surpasse infiniment par
son unité et sa simplicité.
Qu'est donc à vos yeux la créature. Seigneur?
Qu'est donc l'homme mortel qui habite une
prison de boue, pour avoir une bonne opinion de
lui-même ? Oh ! qu'il sera confus, quand il paraî-
tra en votre présence ! O homme fragile, inutile
et abominable ! qui bois l'iniquité comme l'eau,
toi qui n'es que pourriture et pâture des vers,
tremble et frémis en toi-même, s'il te vient jamais
à la pensée que tu es pieux et spirituel : crains
d'être terrestre et immonde aux yeux de celui
devant qui les Anges eux-mêmes ne sont pas spi-
rituels.
DES ANGES 481
IV^ MÉDITATION
DU GRAND NOMBRE DES ANGES
ET DE LEUR DISTINCTION
SOMMAIRE
Il existe un très grand nombre d'Anges — les
uns sont distincts entre eux spécifiquement,
les autres numériquement seulement — ils
sont divisés en trois hiérarchies et chaque
hiérarchie en trois ordres ou chœurs.
I
CONSIDÉREZ qu'il existe un très grand nombre
d'Anges: l'Ecriture Sainte nous le dit assez
clairement, quand elle emploie les chiffres les
plus forts, pour nous donner une idée de leur
multitude. Le prophète Daniel admis à con-
templer la majesté de Dieu, en vît : « mille
« milliers qui le servaient et dix mille fois cent
« mille qui l'assistaient. » (C. 7.) Cependant ce
n'en était là qu'une partie et le ciel en renfermait
bien d'autres que ceux qu'il aperçut, car Dieu ne
montre à personne durant cette vie toute sa gran-
deur et toute sa magnificence : tout au plus en
laisse-t-il voir un échantillon.
Les Anges furent en effet créés pour se tenir
auprès du trône de Dieu comme une garde d'hon-
neur, pour constituer sa cour et sa maison, pour
432 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
le servir comme de nobles courtisans : puisque
la majesté de Dieu est infinie, la multitude des
Anges doit être innombrable, car « Thonneur du
« roi consiste dans le grand nombre de ses
« sujets » (Prov. 14.) Quelques théologiens rai-
sonnent ainsi : il n'y a, disent-ils, que les Anges
du neuvième chœur qui soient les gardiens des
hommes : chaque Ange sera assez occupé au juge-
ment dernier à recueillir la poussière de l'homme
qu'il aura gardé. Donc il y a plus d'Anges qu'il
n'y a et qu'il n'y aura d'hommes sur la terre. Or,
il existe encore huit autres chœurs d'Anges qui
sont au moins aussi bien fournis que le neuvième.
Ils en concluent qu'il y aurait au moins neuf fois
autant d'Anges que d'hommes sur la terre depuis
Adam jusqu'à la fin du monde. Job s'écrie « qui
« pourrait compter ses serviteurs ? » (c. 25.)
Celui-là seul en sait le total qui tient un compte
exact « du nombre de toutes les étoiles et de tous
« leurs noms (Ps. 146.) Pour nous qu'il nous
suffise de savoir que la communauté des Anges est
la plus nombreuse qui existe en même temps
qu'elle est la plus belle et la plus florissante, et
d'apprendre par là à nous humilier et à rentrer
dans notre néant.
Si, ô grand Dieu, vous avez tant d'Anges, tant
de créatures consacrées à votre service, que puis-jc,
hélas ! ajouter à votre gloire par mes services
personnels ? qu'est auprès de vous un homme
mortel ? Ah ! vraiment. Seigneur, vous avez bien
d'autres serviteurs que nous, vous recevez bien
d'autres honneurs et bien d'autres services que les
nôtres. Je reconnais donc que je suis un serviteur
DES ANGES
43^
inutile. Qu'il ne m'arrive jamais de me prévaloir
de ce que je ferai pour vous. Quand bien même
vous ne feriez aucune attention à moi, et quand
vous me dédaigneriez toujours, n'avez-vous pas
des millions d'Anges bien plus dignes d'attirer vos
regards que les œuvres d'un vermisseau mourant ?
II
Considérez que les Anges somt distincts entre
eux. Ils peuvent appartenir à des espèces diffé-
rentes ou à une même espèce dans laquelle ils se
distinguent numériquement les uns des autres.
Dieu peut créer en elfet un autre monde sem-
blable au monde actuel et dès lors les Anges du
monde nouvellement créé ne seraient pas d'une
espèce diiTérente de celles des Anges du premier
monde. Dieu peut mieux faire encore que de
produire un monde semblable à celui-ci, il peut
en créer un de beaucoup plus excellent et beau-
coup plus parfait sous tous les rapports : car le
monde étant fini, ne nous donne pas la mesure
de la puissance infinie de Dieu et il n'y a aucune
espèce créée tellement parfaite que Dieu ne
puisse en créer une de plus parfaite encore. Dieu
peut donc créer des Anges d'espèces différentes.
Mais qu'a fait Dieu en réalité ? Nous l'ignorons,
l'Ecriture Sainte ne nous l'ayant pas expressé-
ment révélé. Saint-Augustin (i) avoue ingénu-
ment qu'il ignore quelle est la différence qui
existe entre les Anges, sans que cependant cette
ignorance mette en péril son salut, parce que cette
question n'appartient pas à la foi. Toutefois les
I Cont. Prisctl, c. 11.
Sait, t. i. aS
434 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
docteurs ne se sont pas contentés de cette réponse,
ils ont voulu éclaircir cette difficulté. Ceux d'entre-
eux qui apportent les raisons les plus vraisembla-
bles, admettent parmi les Anges des espèces, des
natures, des essences différentes, comme par
exemple entre un aigle et une colombe, et ils ad-
mettent aussi qu'il y a plusieurs individus dans la
même espèce, comme sont deux colombes entre
elles. Ils disent : de même que le monde corporel
comprend plusieurs créatures dont les unes sont
d'espèce différente, les autres, de même espèce ;
ainsi le monde intellectuel qui est le monde des An-
ges, est composé de purs esprits qui sont les uns de
même espèce, les autres d'espèces différentes. Ce
qui fait la gloire d'un roi, c'est en même temps que
la multitude des sujets, la variété des peuples qui
composent cette multitude. Ainsi Dieu a fait écla-
ter sa puissance dans les Anges en les créant en,
très grand nombre et de différentes espèces.
O mon àme, ce qui doit singulièrement aug-
menter la joie des bienheureux, c'est de voir tant
d'excellences et tant de beautés différentes parmi
ces princes spirituels. O quel ineffable bonheur de
contempler dans les cieux ce ravissant spectacle !
O grand Créateur ! louée soit éternellement votre
puissance pour avoir produit de si admirables
chefs-d'œuvre ! Oh ! quand contcmplcrai-je ce
monde d'esprits bienheureux ? Oh ! quelle joie
vous avez préparée à vos élus ! Hélas ! c'est au
milieu des animaux que nous vivons sur cette
terre ; associez-nous aux phalanges angéliques,
que nous soyons admis à contempler ces princes,
CCS illustres seigneurs de votre céleste Jérusalem.
DES ANGES 435
III
Considérez Tordre qu'il y a entre les Anges.
Saint Denys TAréopagite (i), instruit par saint
Paul qui, ravi au troisième ciel, y avait appris ce
que sont les Anges, les divise en trois grandes
catégories qu'il appelle hiérarchies, c'est-à-dire
principautés sacrées. Certains nomment la pre-
mière épiphanie, la seconde hyperphanie, la troi-
sième hypophanie. Saint Denys divise de nou-
veau chacune de ces hiérarchies en trois autres
classes qu'il nomme des ordres et que d'autres
appellent des chœurs. Dans la première il place les
Séraphins, les Chérubins et les Trônes ; dans la
seconde, les Dominations, les Puissances et les
Vertus ; dans la troisième, les Principautés, les
Archanges et les Anges. Ce qu'enseigne saint
Denys, les Juifs l'avaient appris d'une ancienne
tradition qui avait cours parmi eux.
Il faut donc se représenter Dieu comme un puis-
sant monarque qui a trois grands Empires et dans
chaque Empire trois grands Royaumes, puis enfin
dans chaque Royaume trois grandes provinces tou-
tes très riches et très peuplées de sujets de nations
différentes. Or comme chaque ordre des Anges
n'est simplement qu'un certain nombre d'Anges qui
se ressemblent davantage au point de vue soit de
leur nature, soit de leurs fonctions surnaturelles,
il est à présumer que tous les Anges de divers
ordres sont aussi de diverses espèces : on peut
même croire que dans un seul ordre il y a diffé-
rentes espèces. Saint Denys en effet nous apprend
I. De cal. hier., c, 7, 8 «t 9.
436 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
que chaque ordre a ses Anges suprêmes, moyens
et inférieurs : d'après cela il faudrait compter
vingt-sept espèces différentes. Il va plus loin en-
core et dit que les ordres angéliques sont innom-
brables, tant Dieu y a mis de variété. Saint
Thomas (i) a admis qu'il y a autant d'espèces
différentes que d'individualités angéliques : ce qui
serait une merveille de la puissance divine capable
de ravir des esprits infinis. Néanmoins admet-
tons seulement qu'il y a neuf espèces différentes,
une pour chaque ordre ou chaque chœur angéli-
que ; cela nous suffit pour nous faire admirer et
honorer l'excellence des Anges. Si en effet l'homme
qui ne surpasse l'animal que d'un degré, possède
une nature si noble et si privilégiée en comparai-
son de l'animal, l'Ange du dernier ordre, qui à
son tour surpasse l'homme d'un degré, doit avoir
autant de noblesse et d'excellence au-dessus de
l'homme que l'homme en a au-dessus de l'animal.
Un Archange qui est à un degré au-dessus de
l'ange, doit dépasser l'ange autant que l'ange
dépasse l'homme. Que sera-ce donc de la gloire
d'un Trône, de la splendeur d'un Chérubin et de
la sublimité d'un Séraphin.
Ah ! Seigneur, que ce que vous avez créé au-
dessus des cieux est grand ! Quel monarque eut
jamais une cour ressemblant, même de loin, à la
vôtre ? La vue de votre incomparable grandeur me
ravit, ô mon Dieu. Esprits bienheureux, louez-le,
bénissez-le sans cesse, puisqu'il vous a enrichis de
tant de perfections. Hélas ! combien ils vous con-
naissent peu ceux qui ne vous honorent pas ! S'ils
I. Quœst. 50, art. 4.
DES ANGES 487
VOUS connaissaient, leur froideur se changerait en
zèle ardent, leur négligence en une sainte activité,
pour vous rendre le respect que mérite une excel-
lence telle que la vôtre. Pour moi devant qui vous
faites briller un reflet de votre grandeur par la
connaissance même imparfaite que j'en ai, je me
sens tout de feu pour honorer vos chœurs et vos
hiérarchies sacrées. Je vous offre dans ce but un
hommage tout particulier et je me propose de
vous honorer toute ma vie de tout mon pouvoir.
V^ MÉDITATION
DE L'INTELLIGENCE DES ANGES
ET DE LEUR SCIENCE
SOMMAIRE
Les anges sont doués d'une intelligence très par-
Jaite; — qui a une manière de percevoir son
objet très parfaite; — qui est sanctifiée par la
charité.
I
DE ce que les Anges sont des subtances spi-
rituelles, il faut conclure qu'ils sont
doués de la faculté de comprendre et qu'ils ont
une très-haute intelligence. Il est effet impos-
sible de concevoir un Ange comme une substance
spirituelle et de lui refuser l'intelligence. Or
438 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
TAnge est la substance spirituelle la plus par-
faite après Dieu : il a donc l'intelligence la plus
vive, la plus clairvoyante et la plus pénétrante
après Dieu. Les Anges connaissent donc toutes
les choses naturelles, qui existent dans ce monde,
les plus grands secrets de la philosophie, la cons-
titution des cieux, les propriétés des éléments, en
un mot toutes les créatures animées et inanimées.
Ils n'ignorent ni l'origine des vents, ni la cause
du flux et du reflux de la mer, ni la marche des
étoiles, ni toutes les autres choses semblables. A
cet effet Dieu a imprimé dans leur esprit, dès le
premier instant de leur création, des images ou
idées de toutes sortes de créatures et c'est par ce
moyen qu'ils les connaissent.
Ils sont aussi de grands théologiens : leur esprit
très lucide connaît l'existence de Dieu et ses per-
fections, beaucoup mieux que jamais esprit humain
n'a pu les pénétrer par sa raison seule. Si donc
l'homme rentre en lui-même et s'il veut mesurer
la portée de son intelligence en comparaison de
celle des Anges, il trouvera là un grand sujet de
s'humilier et il comprendra jusqu'à quel point il se
rend ridicule, quand il s'estime être un si grand
esprit. En réalité si on compare l'intelligence de
l'homme dans l'état de déchéance où il est, à celle
des Anges, on constate combien elle est aveugle et
grossière : on voit que l'àme raisonnable n'est tout
d'abord qu'une table rase sur laquelle rien encore
n'a été ni tracé ni écrit : aussi est-ce au prix de mille
peines qu'elle acquiert une science même impar-
faite des choses de la nature, car elle ignore beau-
coup plus de vérités qu'elle n'en connaît. L'Ange
DES ANGES 489
au contraire connaît tout en un instant, sans au-
cune peine et avec une merveilleuse promptitude;
par une saillie vive et subtile il atteint tout ce qui
constitue l'objet de sa connaissance naturelle.
Ne t'enorgueillis donc point, à mon âme, de ton
intelligence et de ta capacité ; ne prétends pas que
Ton te juge très-éclairée, ne trouve pas étrange
que l'on fasse peu d'estime de ce que tu es et de
ce que tu fais. Qu'il ne t'arrive donc jamais de
vouloir aller de pair avec ceux qui sont plus grands
que toi par l'intelligence et par le savoir. Ne t'af-
flige pas si les hommes connaissent la bassesse et
la pauvreté de ton esprit et s'ils en ont mauvaise
opinion. Animé de ces sentiments j'honorerai les
Anges d'une manière spéciale, les considérant
comme les intelligences les plus éclairées et les
plus pénétrantes de la création, auprès desquelles
les plus savants philosophes et les plus fameux
théologiens sont semblables à de petits enfants,
qui commencent seulement à parler et qui en sont
à l'abécédaire. Et cependant ils daignent nous
écouter, quand nous bégayons à notre manière sur
ces sujets célestes et surnaturels et ne pas être
froissés par nos prières si mal faites et si mal com-
posées. Comme un frère aîné écoute dans la
famille terrestre son petit frère, qui sait à peine
remuer sa langue et articuler quelques mots,
ainsi les Anges écoutent avec bienveillance nos
discussions et nos prières. O douceur ! o bonté
des esprits célestes.
440 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
II
La manière dont les Anges connaissent les cho-
ses naturelles est beaucoup plus noble que celle
dont les hommes peuvent les connaître.
Premièrement,|ils reçoivent de Dieu immédiate-
ment des idées et des images, qui leur représen-
tent les divers objets de leur connaissance : ils
sont donc instruits par Dieu lui-même. L'àme au
contraire reçoit ces espèces ou images, des créa-
tures corporelles, par Tintermédiaire des sens
extérieurs et du sens interne, où elles s'impriment
avant que l'âme puisse les percevoir. De là vient
que notre connaissance est imparfaite et superfi-
cielle.
En second lieu, les anges d'un simple regard de
Tesprit perçoivent tout, aussi bien les choses spi-
rituelles que les choses corporelles, ils en ont une
connaissance intuitive, souvent même compré-
hensive, sans avoir besoin de recourir, tout au
moins en ce qui concerne les choses naturelles,
aux longs détours du raisonnement. Ils ne con-
naissent pas d'abord la cause et puis l'effet, mais
dans le même instant ils perçoivent à la fois l'effet
dans 9û cause et la cause dans son effet, avec une
clarté parfaite. L'intelligence de l'homme au con-
traire procède pas à pas dans sa connaissance,
elle n'avance que progressivement et lentement
au moyen du raisonnement et ne parvient jamais
à une vue de la vérité aussi claire que celle des
Anges.
Troisièmement, les Anges ont toujours l'esprit ac-
tif, toujours occupé d'une manière actuelle à quel-
DES ANGES 44I
que connaissance : mais l'esprit de l'homme connaît
des moments de repos, par exemple pendant le
sommeil. Enfin, l'Ange a cela de propre de penser
toujours à Dieu, soit que ses pensées aient pour
objet immédiat quelque créature ou lui-même. Sa
substance en effet est un miroir fidèle des perfec-
tions divines, dont toutes les créatures portent au
moins quelques traces. Donc il connaît Dieu soit en
se considérant lui-même, soit en considérant les
êtres créés. D'ailleurs il voit la créature telle qu'elle
est, et par conséquent il ne peut pas ne pas y voir
la dépendance dans laquelle elle se trouve vis-à-
vis de Dieu, il ne peut pas jeter un regard sur elle,
sans s'élever aussitôt jusqu'à Dieu. Que de fois,
au contraire, l'homme pense à la créature sans
songer au Créateur, et à lui-même sans apercevoir
son état de dépendance envers Dieu !
O mon âme, il ne tient qu'à toi d'imiter la per-
fection des Anges sur ce point, étant donné que tu
es éclairée des lumières de la foi et fortifiée par la
grâce. Il sera possible à un Ange, avec les seules
forces de la nature, de ne jamais penser à la créa-
ture, sans penser au Créateur, dont elle dépend;
et toi aidée de la grâce de Dieu, tu pourras consi-
dérer les êtres créés sans penser à l'Etre incréé !
L'Ange même damné ne voit pas une créature,
sans voir aussitôt qu'elle dépend de Dieu et sans
être contraint de penser à lui. O mon Dieu ! je ne
veux plus fixer mon attention sur les créatures,
sans penser à vous en qui elles subsistent et de qui
elles dépendent. Ce serait pour moi une honte
intolérable de manquer, avec le secours de la foi et
de la grâce, à une chose à laquelle ne manque
442 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
jamais un démon, qui n'a que les seules lumières
de la nature.
III
Considérez que, comme le dit saint Augustin (i),
dans la cité de Dieu, toute la science des choses
temporelles et corporelles dont les démons se pré-
valent avec tant d'orgueilleuse présomption, est
vile et digne de peu d'estime aux yeux des bons
Anges, en comparaison de la charité qui les sancti-
fie et de l'ineffable amour dont ils sont embrasés
pour l'immuable et éternelle beauté de Dieu. Ils
ne font aucun cas de toutes les choses inférieures,
ni de la science éminente qu'ils en ont, et préfèrent
mille fois le moindre degré de charité à la science
des choses caduques et terrestres, même la plus
parfaite. Saint Augustin (2) ose appeler une telle
science, quand elle n'est pas accompagnée de la
charité, la science des démons et des réprouvés.
Sur ce point saint Paul fut un imitateur des Anges,
puisqu'il a avoué à la face du monde « que quand
« même il aurait toute la science^ » que peuvent
acquérir les hommes, « il ne serait rien^ s'il rCa-
« vait la charité » (I Cor. i3) ; qu'il ne lui servi-
rait de rien de tout savoir, s'il n'aimait Dieu. Il
ajoute que « la science enfle », tandis que « la cha-
« rite édifie ». Il en est de la science sans la cha-
rité, dit saint Bernard (3), comme d'une viande
que l'estomac ne peut digérer, faute de chaleur :
elle n'a d'autre effet que d'altérer la santé en rem-
z. Lib. 9. c. 33.
a. Epist. i^ ad Januar.
j. Serm. ^6 in Cant,
DES ANGES 448
plissant le corps d'humeurs nuisibles à la vie.
Telle est la science des démons : ils savent, mais
n'aiment pas. Cette science les bons Anges la mé-
prisent, parce qu'ils ne font cas que de la science
du salut, qui a des traits de feu pour les embraser
d'amour.^
O mon cœur ! « pourquoi cherches-tu plus
« longtemps à boire de Veau trouble sur le che-
« min de ï Egypte ? » (Jer. 2.) Aimons Dieu, brû-
lons d'amour pour ses perfections infinies. Nous
ne serons pas puni pour avoir ignoré les sciences
humaines et les questions curieuses concernant la
terre ou les cieux, mais bien pour avoir man-
qué d'amour. On voit tous les jours des hommes
qui ont peu de science, mais beaucoup d'amour,
s'élever au-dessus de la terre et ravir le ciel,
tandis que nous avec notre science froide et
sans amour, où en sommes-nous ? nous sommes
dans la fange et dans l'ordure des vices (i). Par-
don, Seigneur, dorénavant je m'appliquerai davan-
tage à vous aimer et à vous plaire, qu'à étudier
les sciences inutiles, qui ont pour effet de rendre
l'esprit hautain et insolent, sans nous élever vers
le seul bien éternel et suprême.
I. s. Aug. Conf. 1. 8. c. 8.
444 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Vr MÉDITATION
DE TROIS CHOSES QUE LES ANGES
NE CONNAISSENT PAS
D'UNE MANIÈRE CERTAINE
PAR LEUR SCIENCE NATURELLE
SOMMAIRE
Les Anges ne connaissent pas d'une manière
ctrtaine par les seules forces de leur intelli-
gence : — plusieurs choses futures ; — les
pensées et les affections des hommes; — les
choses surnaturelles,
I
LA première chose que les Anges ne connais-
sent pas d'une manière certaine par la seule
force de leur esprit, ce sont d'abord plusieurs
choses futures. Ils ne connaissent pas l'avenir de
science naturelle ; c'est ainsi que pendant leur
temps d'épreuve, les bons Anges ne surent pas
d'une manière certaine s'ils devaient parvenir à la
gloire, ni les démons, s'ils devaient être damnés.
Les uns et les autres étaient avant leur chute
dans une condition pareille, absolument comme
nous encore aujourd'hui qui sommes balancés
entre la crainte et Tespcrance, sur la question de
DES ANGliS 445
notre bonheur ou de notre malheur éternel. La
connaissance de sa propre glorification fait plutôt
partie de la récompense que du mérite et ne doit
par conséquent être accordée à la créature, que
lorsqu'elle est parvenue à cet état de stabilité,
dont il lui est impossible de déchoir. Or, les Anges
au temps de leur épreuve, se trouvaient dans
l'état qui convient à l'acquisition du mérite, et oii
l'on peut encore se perdre et se damner. Il ne leur
convenait donc pas d'avoir la certitude de leur
glorification à venir. Dieu ne la donne que très
rarement et à un petit nombre de ceux qu'il chérit
le plus tendrement.
Il est vrai que les Anges sont très habiles à
conjecturer en se basant sur les événements pré-
sents. De même qu'une politique habile prévoit
dans une certaine mesure ce qui se passera dans
un royaume, d'après l'état des affaires ; de même
qu'un habile médecin annonce d'après les symp-
tômes, ce qui arrivera au malade ; ainsi l'Ange
dont l'intelligence est si vaste et chez qui l'expé-
rience du passé est si considérable, peut connaître
beaucoup d'événements futurs d'après l'état pré-
sent qu'il a sous les yeux. Mais tout cela n'est que
conjecture ; beaucoup d'incertitude s'y mêle, prin-
cipalement quand les événements sont encore
très lointains et que beaucoup de choses fortuites .
sont à prévoir, par exemple s'il s'agit d'annon- (
cer une éclipse dix mille ans à l'avance. L'intelli- 1 ,
gence de l'Ange est finie et n'est pas capable de ^
comprendre tant de révolutions célestes, et tant
de rencontres d'astres qu'il faut connaître pour
prévoir si longtemps à l'avance l'éclipsé avec
44^ LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
certitude (i). Leur science est encore purement
conjecturale, quand il s'agit d'une chose qui peut
être empêchée par la volonté de l'homme ou par
quelque accident ; par exemple s'il s'agit de
prévoir si un arbre portera du fruit dans dix ans,
car dans ce temps l'arbre peut être arraché par le
jardinier ou frappé de la foudre. Il est vrai cepen-
dant qu'autrefois les démons ont rendu des oracles
et prédit leur sort aux mortels, mais beaucoup
d'équivoques et de fraudes se mêlaient à ces
prédictions; le mensonge y avait une plus grande
part que la vérité, l'avenir y était annoncé d'une
manière beaucoup plus conjecturale que certaine.
^^ La science certaine de l'avenir n'appartient qu'à
** ^HfcOCpu seul, elle est l'apanage exclusif de la divinité.
Elle est donc vaine la science des devins qui
entreprennent, comme s'ils étaient des dieux, de
pronostiquer le sort des humains et les événe-
ments de leur vie : ils sont également vains les
esprits qui y ont recours et qui mettent en elle
leur confiance : ils commettent l'impiété de trans-
férer à la créature le droit du Créateur et ils attri-
I. Cotte restriction de notre autenr n'eit certes pas justifiée. Il
faut bien accorder aux Anges tout au moins la science que nous
reconnaissons à nos astronomes. Saint Thomas dit que les Anges
connaissent < les causes de tous les phénomènes naturels d'une manière
« plus étendue et plus parfaite > que nous (i» q. 57. a 3. in corp.),
et quelques lignes plus bas il ajoute : « les hommes ne peuvent con-
€ naître les événements futurs que dans leurs causes ou par la révéla-
€ tion : les anges les connaissent aussi de cette manière, mais avec une
« perspicacité beaucoup plus grand* > (Ibid ad i.) Or, aujourd'hui,
grâce à la connaissance parfaite que nous avons des lois du mouve-
ment de la terre et de la lune par rapport au soleil, les astronomes
peuvent prédire aisément les éclipses de soleil et de lune cent mille
ans h l'avance ; h combien plus torte raison les Anges, surtout si
nous songeons qu'ils impriment eux-mêmes aux astres leurs diver*
mouvemeati, comme l'enseigoo l'auteur dxas oe même traité.
„J.A/*v***
DES ANGES 447
buent à l'homme une science supérieure à celle
de l'Ange.
Vous donc, ô mon Dieu, savez seul ce qui doit
advenir de moi et quel doit être mon sort, heu-
reux ou malheureux pendant l'éternité. O Dieu in-
finiment clairvoyant, vous seul connaissez mon sort
futur et puisque c'est un droit qui vous appartient
exclusivement, de connaître d'une science infailli-
ble un événement d'une si haute importance pour
moi,] je ne demande pas à en être instruit moi-
même d'une manière certaine pendant cette vie,
heureux que ce privilège n'appartienne qu'à vous
seul. Je me contente de vous servir dans cette
incertitude, mû uniquement par le sentiment du
respect et de l'honneur que je dois à votre ma-
jesté infinie. Puissé-je le faire très parfaitement,
afin de jouir de la paix que je ne prétends pas
trouver ailleurs que dans votre service I
II
La seconde chose que les Anges ne connaissent
pas d'une science certaine, c'est le secret de nos
cœurs, nos pensées et nos sentiments, si toutefois
nous les tenons cachés au fond de notre àme et si
nous ne voulons pas les manifester. C'est en effet
un privilège accordé par Dieu à l'homme d'être le
maître de son cœur et d'avoir un domaine parfait
sur toutes ses pensées et sur tous ses désirs inté-
rieurs, sur lesquels les Anges n'ont aucun pouvoir.
Or s'ils connaissaient malgré nous nos pensées et
nos désirs intérieurs, nous n'en serions pas abso-
lument les maîtres, car dans le but de plaire aux
448 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Anges ou par crainte de leur déplaire, nous forme-
rions telles pensées et tels désirs, ou par égard
, ., pour eux nous y renoncerions ; ce qui porterait
>ttt-^* atteinte au domaine que Dieu nous a donnés sur
y,^ nos actes.
C'est aussi un trait de la Providence de Dieu
que notre intérieur soit caché aux Anges et princi-
palement aux démons. Quelquefois en effet les
démons s'abstiendraient de tenter les hommes
vertueux, s'ils connaissaient leurs fermes et cons-
tantes résolutions : ainsi les hommes de bien per-
draient l'occasion de combattre et de triompher
d'eux. C'est ce qui serait arrivé à Job, que le démon
n'eût jamais tenté, s'il avait connu sa force et son
courage. Les démons d'autres fois y gagneraient
de tenter l'homme avec plus d'audace, dans le cas
notamment où ils le verraient porté intérieure-
ment à tel péché ou hésitant à prendre une réso-
lution : s'ils l'attaquaient dans de telles disposi-
tions, il leur serait beaucoup plus facile de le ren-
verser et de le perdre.
11 faut ajouter que, s'ils connaissaient les désirs
et les vues des hommes, ils choisiraient mieux
leur moment pour les empocher de réussir et
\ pour en entraver l'exécution. C'est pour ce motif
i que les premiers chrétiens faisaient toutes leurs
, prières mentalement et n'exprimaient pas orale-
ment les demandes qu'ils adressaient à Dieu.
C'est aussi ce que conseillait l'abbé Isaac (i) ; il
craignait que les démons occupés à tenter ceux qui
prient, ne viennent à se prévaloir, s'ils les connais-
saient, de leurs intentions, comme fait un guerrier
I. Cassien, Collas 9, c. 35.
t>ES ANGES 449
qui a espionné et découvert les desseins de son
ennemi. Cet avantage, la Providence paternelle de
Dieu n'a pas voulu le donner à notre ennemi qui
s'en serait servi contre nous. Les Anges ne connais-
sent donc l'intérieur de notre âme que dans la me-
sure où nous le révélons nous-mêmes à l'extérieur
ou dans la mesure où il nous plaît de le leur faire
connaître. En dehors de là, la science qu'ils en ont
est purement conjecturale et elle provient ou de
la connaissance qu'ils ont des représentations de
notre imagination, qui peuvent permettre de pré-
sumer les mouvements de notre âme, ou de quel-
que signe extérieur, qui les trompe assez souvent,
qui trompe surtout les mauvais Anges dont les
jugements sont précipités et téméraires. A Dieu
seul qui a le domaine de nos cœurs, il appartient
aussi d'en avoir la connaissance. C'est une des
preuves que Jésus donna de sa divinité, quand il
révéla les pensées secrètes des Pharisiens et de
ceux avec qui il conversait sur la terre.
O Jésus, o noble Fils de Dieu, qui lisez claire-
ment dans mon cœur, que n'ai-je toujours des
pensées et des affections qui vous plaisent, afin de
reconnaître sans cesse votre domaine et votre au-
torité sur moi ! O mon Dieu ! je vivrai toujours
en votre présence, je ne concevrai dans mon cœur
que les pensées et les désirs qui conviennent à un
cœur sur lequel est toujours ouvert le regard de
Dieu, à un cœur qui a Dieu pour spectateur de
tout ce qui s'y passe. Et puisque vous n'avez pas
voulu que les Anges partagent avec moi le do-
maine sur mon cœur, comment oserai-je consen-
tir à le rendre l'esclave des créatures ? « Vous
Bail, t. i. 90
4&0 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« seul êtes le Dieu de mon cœur et mon partage
V. pour V éternité. y> ,;:^.î».' Cv*-,i?i!-A, v -^ - .i.^i-à.\
III
En dernier lieu les Anges ne connaissent pas
par leurs lumières naturelles les choses surnatu-
relles, comme le mystère de l'Incarnation, celui
de l'Eucharistie et les merveilles semblables que la
foi nous enseigne (i). La raison en est qu'ils n'ont
point d'idées ni d'espèces intelligibles de ces cho-
ses en tant que surnaturelles, or ces espèces in-
telligibles sont la condition nécessaire pour pou-
voir connaître ces objets par les seules lumières
de l'intelligence. Ce qu'ils peuvent en savoir
d'une manière certaine, c'est leur possibilité :
leur intelligence voit en effet clairement que Dieu
est tout-puissant et que ces choses n'impliquent
pas contradiction : d'où ils concluent sans hésiter
qu'elles sont possibles. Ils pourront même guidés
par certaines apparences incliner à croire qu'elles
existent réellement : par exemple en voyant l'hu-
manité de Jésus-Christ privée de sa subsistance
naturelle, ils pourront se douter qu'elle est sup-
pléée par la subsistance divine et soupçonner
ainsi l'Incarnation ; mais ils n'arriveront pas à la
certitude par cette voie, car une telle conclusion
ne découle pas rigoureusement de ces prémisses.
Donc ils ne connaissent les mystères surnaturels
que par la révélation divine à laquelle ils soumet-
tent leur esprit. Sur ces grandes vérités les An-
ges supérieurs croient à Dieu qui se manifeste à
eux sans intermédiaire et les Anges inférieurs
I. Quoost. J7. art. ^b.
DES ANGES 45l
croient aux Anges supérieurs, qui leur font con-
naître de la part de Dieu ce qu'ils doivent en
connaître. Ils les apprennent parfois même par
l'enseignement de l'Eglise, comme l'affirme saint
Paul : « La sagesse de Dieu est manijesiêe aux
« Principautés et aux Puissances des deux par
« V Eglise. » (Eph. 3.)
Je puiserai dans cette considération une impor-
tante leçon : je ne prétendrai pas démontrer par
des preuves naturelles les vérités sublimes qui
sont l'objet de la foi, je m'en rapporterai à la ré-
vélation dont sont l'organe les prélats de l'Eglise,
que je dois considérer comme mes Anges supé-
rieurs. Si les aigles du ciel sont trop faibles pour
pénétrer ces vérités sans le secours de la révéla-
tion, que feront les oiseaux nocturnes dont la vue
est si courte et si débile ! Ah ! Seigneur, les lu-
mières de la terre ne peuvent pas éclairer le ciel
et le rendre visible; ainsi notre raison naturelle ne
peut éclairer la profondeur de vos mystères divins.
Donc, sans plus chercher, je croirai à tout ce
que croit la Sainte Eglise instruite par votre
révélation, à tout ce qu'elle impose à ma
croyance. Ah I Seigneur il est impossible que
tout ce que votre Eglise nous ordonne de croi-
re, ne soit pas absolument vrai, je scellerais
cette affirmation de mon sang. Je crois sans hési-
ter un seul Dieu en trois Personnes ; je crois que
le très-noble Fils de Dieu s'est incarné pour me
sauver et je le croirai fermement jusqu'à mon
dernier soupir.
4^2 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
VIF MÉDITATION
DE LA VOLONTÉ DES ANGES
ET DE LEUR AMOUR NATUREL
SOMMAIRE
Les anges ont une volonté libre, qui a pour
objet : — Dieu aimé par dessus toutes choses
comme auteur de la nature; — le prochain
qui est pour eux les Anges.
I
SI les Anges ont une intelligence capable de
connaître toutes sortes de choses, il faut
aussi leur reconnaître une volonté libre : car tout
être doué d'intelligence est nécessairement doué
de volonté et de liberté. Pour comprendre cette
vérité, il faut considérer que les créatures tendent
à leur but de quatre manières. Premièrement, les
unes y tendent en vertu d'une impulsion venue
du dehors et sans le connaître d'aucune manière;
comme une flèche que l'archer décoche vers un
but, elle y va droit sans le connaître, elle n'y va
pas par un mouvement propre, mais par une im-
pulsion étrangère. Secondement, d'autres y ten-
dent et y vont d'elles-mêmes, mais sans connaître
où elles vont. Troisièmement, d'autres y tendent
et y vont d'elles-mêmes avec une certaine connais-
sance, mais sans réilcchir sur le but où elles
DES ANGES 453
tendent, ni le comparer à d'autres ni prévoir les
effets qui doivent résulter de leur action : ainsi
les animaux se portent avec un certain degré de
connaissance vers les choses qui satisfont leurs
sens : le cheval va vers l'avoine, le cerf à sa nour-
riture ordinaire, et cela en vertu d'une inclination
naturelle qui s'appelle appétit sensitif. En dernier
lieu, il y a des créatures qui se portent vers un
bien avec une vraie connaissance : elles réfléchis-
sent sur leur action, comparent les biens qu'elles
désirent à d'autres biens qui sont plus grands ou
moindres, et prévoient ce qui peut résulter de la
satisfaction de leur désir. Cette inclination s'ap-
pelle volonté, elle appartient aux Anges et aux
hommes : leur intelligence leur permet de juger
les objets vers lesquels ils se portent, de les com-
parer avec d'autres biens et de prévoir ce qui
résultera de leur action : de plus ils ont la faculté
de se porter d'eux-mêmes où il leur plaira.
Donc avoir une volonté, ce n'est pas aimer in-
considérément, brutalement, mais c'est aimer
intellectuellement, à la manière des Anges. Si donc
l'homme a une volonté semblable à celle des Anges,
s'il est capable de se porter vers tous les objets
avec connaissance, avec réflexion et avec la claire
vue de ce qui résultera de son action; qu'il se
garde bien d'abuser de la volonté, en l'appliquant
aux objets terrestres sans connaissance et sans ré-
flexion, sans jugement et sans prévoyance à la
manière des bêtes. O le souhait divin que celui de
Moïse : « Ah l plût à Dieu que tous les hommes
« fussent sages j qu'ils eussent V intelligence et la
« prévision de leurs fins dernières. » (Deut. 32.)
454 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
O mon âme, adopte ce souhait, que « tes yeux
« devancent toujours tes pas. » (Prov. 4.) Agis ^, ft-ti*"
sagement et avant de donner ton cœur, prévois /
bien tout. ^^M^Uj Zy^UL^"^ ^ ùtt.fi^,,^ li;:c. SÙJu
II
Considérez en second lieu le pouvoir merveil-
leux de la volonté ou de la faculté d'aimer chez les
Anges, envisagée par rapport à Dieu. Ils peuvent
par leurs seules forces naturelles aimer Dieu
comme auteur de la nature, plus qu'eux-mêmes,
et que tout ce qui est au monde, par dessus toutes
choses; la raison en est que Dieu a créé l'Ange
droit et parfait, exempt de toute perversion ou
dépravation naturelle. Or, s'il n'avait le pouvoir
d'aimer Dieu par dessus toutes choses, il serait
pervers et dépravé dès sa création ; car quelle plus
grande perversité peut-il y avoir que de ne pou-
voir aimer Dieu plus que les créatures ? Donc si
Dieu a créé l'Ange droit et sans aucune déprava-
tion, il a dû lui donner une volonté capable de
l'aimer naturellement par dessus toutes choses.
Secondement, c'est une inclination naturelle
dans quiconque fait partie d'un tout, d'aimer le
tout plus que la partie : ainsi nous voyons la main
s'exposer pour sauver le corps, parce que c'est son
tout. La raison obéit aussi à cette inclination na-
turelle ; un bon citoyen s'expose à la mort pour
le bien public. Or Dieu est le bien de toutes cho-
ses, il est le tout du monde et l'Ange n'est qu'une
partie des créatures de Dieu ; c'est pourquoi il
peut aimer naturellement Dieu plus que tout le
reste.
DES ANGES 455
Troisièment, le sens du goût, quand il n'est
pas dépravé, préfère et se porte avec plus d'ardeur
vers ce qui lui paraît plus doux et plus délectable.
Or Dieu est souverainement bon, infiniment déli-
cieux à la volonté spirituelle. L'Ange donc qui a
l'esprit sain et droit par nature, juge que Dieu doit
être aimé par dessus tout, il entend sa conscience
lui dicter elle aussi un jugement semblable et lui
représenter qu'il y aurait de l'injustice à l'aimer
moins que la créature ou même à aimer la créature
autant que lui. Dès lors sa volonté est capable
d'aimer Dieu plus que la créature et de se com-
plaire en lui plus qu'en tout ce qui est créé.
Oh ! quelle nature excellente et parfaite Dieu a
donnée à l'Ange en le créant ! Et que l'homme
était heureux dans l'état d'innocence, avant que la
nature eût été viciée par le péché, car il pouvait
alors comme l'Ange aimer Dieu par ses seules
forces naturelles, au-dessus de toutes choses.
Combien j'ai sujet de déplorer les effets funestes
du péché et l'impuissance naturelle de ma volonté,
qui ne peut plus d'elle-même se porter à vous
aimer, comme vous êtes aimable, ô beauté sou-
veraine, c'est-à-dire par-dessus toutes les créatures.
Hélas ! Seigneur, en votre présence je verse mes
larmes et mes plaintes. La concupiscence me
fait une guerre sans trêve, et s'efforce de m'entraî-
ner vers des objets grossiers qu'elle me représente
faussement comme les plus doux et les plus dési-
rables, qu'il y ait au monde. Hélas! que d'assauts,
que de tempêtes capables de jeter mon âme dans
l'enfer, si vous ne la secouriez pas par vos grâces
et si vous ne lui redonniez le pouvoir qu'elle avait
456 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dans son état primitif, de vous aimer par dessus
tout ! Ah ! Seigneur, votre grâce seule peut
aujourd'hui me relever. Daignez ne jamais m'en
priver, ô mon Dieu, afin que avec ce secours
je puisse toujours vous aimer à l'imitation des
Anges.
III
Considérez ce que peut la volonté angélique par
rapport au prochain. Comme un arbre à deux
branches, elle se porte d'un côté vers Dieu, de
l'autre vers le prochain : ainsi les Anges à l'amour
naturel de Dieu joignent l'amour naturel du pro-
chain, c'est-à-dire des autres Anges. Si tout vivant
aime naturellement son semblable, à plus forte
raison les Anges, natures spirituelles, doivent
aimer naturellement les autres Anges, en qui ils
voient une image de leur beauté.
Pour bien comprendre cette vérité, il importe
de remarquer que tous les Anges, excepté le pre-
mier et le dernier, peuvent être considérés dans
leurs rapports soit avec les Anges qui leur sont su-
périeurs ou en nature ou en grâce ou en raison de
leurs fonctions, soit avec ceux qui leur sont égaux
à ces mêmes points de vue, soit avec ceux qui leur
sont inférieurs. Si, dit excellemment le Docteur
Scraphique (i), vous examinez comment un ange en
aime un autre qui lui est supérieur, vous verrez
qu'il l'aime plus que tous les autres sous le rapport
du bien qu'il lui désire, parce que, exempt de toute
jalousie, il lui désire tous les biens excellents que
Dieu lui a donnés de plus qu'aux autres. Si vous
X. la a.. D'ut, }, art. ), 9, a.
DES ANGES 467
examinez comment il aime son égal, vous consta-
terez qu'il Taime naturellement plus que tous les
autres, au point de vue de Tintimité, de l'affection,
car il converse avec lui plus familièrement et
se console plus suavement dans la société de l'Ange
qui appartient au même ordre que lui, de même
qu'un homme se sent plus à l'aise avec ses compa-
triotes et ses compagnons d'office. Si enfin vous con-
sidérez comment il aime son inférieur, vous verrez
encore qu'il l'aime plus que tous les autres, au
point de vue du bien qu'il lui procure, car il
le purifie, l'illumine et lui communique un grand
nombre de biens. L'Ange peut donc lui dire : a lia
« ordonné en moi la charité. » (Cant. 2.) C'est
vraiment l'ordre du parfait amour, d'un amour tel
que nous le dépeint le divin saint Denys (i), qui
l'avait appris de saint Hiérotée dans son livre des
louanges de l'amour, où il dit que l'amour a
la vertu d'unir, qu'il maintient les égaux dans une
société commune, qu'il excite les supérieurs à
procurer le bien de leurs inférieurs, et qu'il dirige
l'affection des inférieurs vers leurs supérieurs,
c'est-à-dire qu'il les porte à leur rendre avec amour
les devoirs qui leur sont dus. C'est bien là ce que
pratiquent les Anges par leur affection réciproque.
J'admirerai la belle proportion de cet amour que
les Anges ont les uns pour les autres. Oh! heureux
celui qui pourrait ainsi aimer son prochain ! Oh !
le modèle céleste de l'amour ! Contemple, ô mon
âme, cet exemple « et agis selon ce qui V est mon-
« tré sur la montagne » angélique (Ex. 25). Aime
ceux qui sont au-dessus de toi, leur souhaitant
I. Dt div. nomin.j c. $.
458 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sans jalousie la conservation des grands biens
qu'ils possèdent. Ne dédaigne pas tes égaux et si
tu rencontres des hommes plus malheureux que
toi, puisqu'il a plu à la divine bonté de ne pas
faire de toi la plus misérable des créatures, fais
leur part de tes biens. O Anges bienheureux, obte-
nez pour tous les hommes cet amour si bien
ordonné, afin que l'amour règne sur la terre, au
lieu de la jalousie et du mépris, au lieu de la
truelle avarice et de l'impitoyable dureté de cœur.
Vlir MÉDITATION
DE LA PUISSANCE MOTRICE
DES ANGES
ET DE LEUR MOUVEMENT
SOMMAIRE
Les Anges ont le pouvoir de se mouvoir eux-mê-
mes ; — non par partie^ mais selon toute leur
substance. — Ils ont aussi le pouvoir de mou-
voir les autres substances, soit spirituelles^
soit corporelles.
I
SI les Anges ont une intelligence si pénétrante
et une volonté si accomplie, ils doivent être
aussi doués de la faculté de se mouvoir eux-mêmes
DES ANGES 459
et de mettre en mouvement d'autres êtres. Pour-
quoi les créatures spirituelles douées d'intelligence
et de volonté, seraient-elles immobiles comme des
pierres ou des corps sans vie ? Il faut donc admet-
tre que les Anges ont, outre la faculté de compren-
dre et de vouloir, celle de se mouvoir et de se «.^.-i^
transporter d'un lieu dans un autre. "~*
Dieu, il est vrai, est doué d'intelligence et de
volonté, et ne se meut pas. La raison en est qu'il
possède une perfection plus grande que cette
faculté ; c'est l'immensité, en vertu de laquelle il est
partout et par suite il n'a nullement besoin de se
mouvoir. Où pourrait-il aller, puisqu'il est en tout
lieu ? L'Ange n'est pas partout et dès lors rien
n'empêche qu'il ne jouisse de la puissance motrice,
qui lui permet de se transporter d'un lieu dans un
autre.
Ce qu'il faut ici remarquer particulièrement,
c'est la perfection de cette puissance motrice. Puis-
que la substance de l'Ange est la plus parfaite des
substances créées, il faut en conclure que ses facul-
tés naturelles sont les plus actives et les plus
vigoureuses. Par conséquent sa puissance motrice
sera merveilleuse : il pourra se mouvoir avec une
vitesse et une agilité sans pareilles sur cette terre.
/ Les automédons ne lancent pas leurs chars dans
une course aussi rapide, dans les airs les oiseaux
ne volent pas avec une aussi grande agilité, sur la
merles vents ne courent pas avec une aussi grande
vitesse, un trait décoché par un arc n'atteint pas
aussi promptement le but, qu'un Ange ne se porte
avec une agilité incroyable, partout où il veut. ^- .
C'est cornme en up çliji d'œil qu'il passe d'un ?h2-*^
/ • «^-..o^ -2^10^ .^^ ^ ^^^ ,_^ ^
k*0*
460 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
royaume à un autre, que du ciel il descend sur la
t^u^'fx ^^'"^^ ^^ remonte de la terre au ciel par la vigueur
^ de sa nature, passant à travers tous les corps,
pénétrant tout sans trouver de résistance ni d'obs-
tacle sur son chemin. C'est pourquoi Tertullien (i)
dit que les Anges sont partout en un moment,
pour indiquer qu'en peu de temps ils se trouvent
où ils veulent, tant est grande leur agilité.
C'est ce qui leur vaut l'honneur d'être les pre-
miers serviteurs et officiers du Roi de l'univers :
car ce Roi veut être servi promptement. Ceux-là
seuls qui obéissent promptement, sont dignes de
servir les rois (Prov. 22) ; ceux qui sont lents, sont
disgraciés. Ainsi en est-il aussi de Dieu à qui toute
lenteur dans l'action est odieuse. Mais ce qui rend
le mouvement des Anges, serviteurs de Dieu plus
admirable, c'est qu'il ne s'exécute jamais hors de
Dieu. Ils ne sont jamais hors de la règle, dit le
Docteur séraphique (2), soit qu'ils s'élèvent jusqu'à
Dieu, pour le contempler, soit qu'ils descendent
vers l'homme pour s'en constituer les gardiens,
car comme ils voient Dieu face à face en tout lieu
où ils sont envoyés, ils courent toujours au-dedans
de Dieu même.
Excitons-nous par l'exemple de la rapidité de la
locomotion des Anges, à servir Dieu avec prompti-
tude et diligence ; ne remettons pas à demain le
bien que nous pouvons faire aujourd'hui. O Roi
des Anges, je ferai dorénavant des efforts, je serai
prompt à accomplir mon devoir, je veux courir à
votre service comme le cerf après les sources d'eau
I. Apolog. c. 33.
s. In Brevil. cap. 8. p. 3.
DES ANGES 461
vive. Ni le froid, ni le chaud, ni le sommeil, ni la
fatigue ne me retarderont un seul moment dans
l'accomplissement de mes obligations. Ah ! que je
voudrais ne me mouvoir qu'en vous, dans la
pensée de votre présence et dans la vue de votre
admirable lumière que les Anges ne se lassent
jamais de contempler.
II
Considérez en second lieu que, quand les Anges
se meuvent pour aller en quelque endroit, ils s'y
transportent tout entiers, selon toute leur subs-
tance et non pas seulement selon une partie d'eux-
mêmes. En cela ils diffèrent des êtres vivants qui
peuvent remuer une partie de leur corps, tandis
que les autres parties sont immobiles. La langue
se remue en parlant, le cœur bat et palpite, un
bras s'avance ou se retire pendant que le reste du
corps reste immobile. Mais la substance de l'Ange
est simple et indivisible, il faut donc quand elle se
trouve dans un lieu, qu'elle y soit tout entière,
selon tout son être. Aussi a-t-il cela de propre de
se trouver tout entier dans le lieu qu'il occupe et
tout entier dans chaque partie de ce lieu, comme
l'âme raisonnable qui se trouve aussi entière dans
une main, par exemple, que dans tout le corps.
L'Ange n'est pas présent dans un lieu, dans ce
sens seulement qu'il y opère quelque chose ; mais
quand bien même il n'y produirait aucun effet
extérieur, il y est présent en ce sens que sa subs-
tance se trouve physiquement en ce lieu, Or, sa
substance est toute entière en chaque partie de ce
lieu. Donc il ne saurait y avoir chez lui de mou-
462 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
vement partiel ; là où il se porte, c'est tout entier
qu'il se porte. C'est une conclusion qui découle
nécessairement de la spiritualité de sa substance.
Nous devons imiter cette perfection des Anges,
dans le mouvement par lequel notre âme se porte
vers Dieu comme vers le lieu de sa sécurité et de
son repos. Si sa substance est spirituelle comme
celle des Anges, pourquoi ne se meut-elle pas vers
Dieu qui est son lieu propre, selon tout son être
et toutes ses forces? pourquoi se meut-elle vers lui
à demi et imparfaitement, se partageant entre le
Créateur et la créature ? N'est-ce pas une chose
monstrueuse que l'âme soit tout entière dans la
moindre partie de son corps, et qu'elle ne soit
qu'à moitié à Dieu ? Si je connaissais une seule
parcelle de mon cœur, disait un grand serviteur
de Dieu (i) qui ne fut pas emorasé de l'amour
sacré, je voudrais l'arracher. O Dieu infini, ce n'est
pas trop d'un cœur humain, pour vous le consa-
crer entièrement. Ah ! je renonce aux affections
misérables qui m'empêchent d'être tout à vous, je
ne veux faire aucune réserve dans le don de mon
cœur, je veux combattre de toutes mes forces mes
penchants sensuels et vous chercher jusqu'à la
mort.
III
Les Anges ne se bornent pas à se mouvoir eux-
mêmes, mais ils peuvent aussi mettre en mouve-
ment les autres substances, soit spirituelles, soit
corporelles. Qu'ils aient le pouvoir de mettre en
mouvement les substances spirituelles, nous le
X. S. Franc, de Sales.
DES ANGES 463
voyons dans la scène de l'Evangile où ils nous
sont représentés portant l'âme du pauvre Lazare
dans le sein d'Abraham, et dans le fait que les
mauvais Anges ont été chassés du ciel par les
bons Anges. (Luc, i6 et Apoc. 12.) Il est dans
l'ordre qu'un Ange d'une espèce supérieure puisse
donner une impulsion à un Ange d'une nature
inférieure et qu'en vertu de sa puissance supé-
rieure il puisse soit l'arrêter dans son mouvement,
soit le retenir en un lieu comme un prisonnier ;
c'est ce que fit l'Ange Raphaël qui lia Asmodée
dans les déserts de la Thébaïde (Tob. 8).
Les Anges peuvent encore imprimer le mouve-
ment aux corps, comme nous le voyons dans l'en-
lèvement du prophète Habacuc qui portait un pa-
nier de vivres : un Ange le prit par les cheveux et
le transporta à travers les airs de la Judée à Baby-
lone, au-dessus de la fosse aux lions où Daniel
mourait de faim. La même vérité est confirmée
par le mouvement des cieux et des astres auquel
président les Anges.
En même temps que les Anges peuvent faire
mouvoir d'un lieu dans un autre les êtres corpo-
rels, ils peuvent aussi selon le degré plus ou
moins grand de puissance qu'ils possèdent, pro-
duire d'admirables et innombrables effets en ap-
pliquant les corps qui ont la vertu d'agir à ceux
qui peuvent recevoir leur impulsion. Ils peuvent
produire par leur vertu naturelle, les pierres pré-
cieuses, les minéraux, les herbes et les simples,
ils peuvent s'en servir à l'égard de l'homme. Il est
en leur pouvoir de faire descendre le feu du ciel,
d'exciter sur mer des tempêtes, de causer ainsi
464 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
des incendies ou de terribles inondations. Il est
encore en leur pouvoir de transporter les monta-
gnes, de déraciner les forêts, d'exciter la fureur
des bêtes féroces, enfin de bouleverser le monde
au point de le rendre inhabitable aux hommes,
car il n'y a sur la terre aucune puissance qui
puisse être comparée à la leur. Elle permet à un
Ange de tailler en pièces cent quatre-vingt-cinq
mille hommes de l'armée de Sennachérib (IV
Rois, 19) qu'il laisse étendus morts sur le champ
de bataille : à un autre de faire périr en une nuit
tous les premiers-nés d'Egypte. Tous ces prodi-
gieux effets de leur puissance et mille autres
encore ont fait dire à saint Augustin que beaucoup
)Jb ^* ambitionnent la puissance des Anges, mais qu'il y
en a bien peu qui désirent avoir leur justice et
leur sainteté. Il ajoute que, si les Anges faisaient
tout ce qu'ils peuvent, le monde ne pourrait subs-
sister. Ce qui fait que la conservation du monde,
en dépit des démons qui ne respirent que la ruine
des œuvres de Dieu, et principalement des hommes,
est admirable. Mais la puissance des démons est
liée par celle des bons Anges, qui sont prêts à
s'opposer aux désastres que voudraient causer les
démons. Elle est aussi liée par la Providence de
Dieu ; ils la redoutent si fort, qu'ils craignent,
malgré leur malice, d'entreprendre la destruction
du monde ou de la vie des hommes, sans une
permission expresse : « car les démons croient et
« tremblent, » dit l'apôtre saint Jacques (Jacq. 2.)
O Seigneur, combien est aimable votre Provi-
dence qui prend soin de conserver et le monde et
nos vies, contre la cruauté des démons ! Je vous
DES ANGES 465
en ai une très grande obligation. Et puisque les
peuples paient un tribut aux Rois qui protègent
leurs terres contre l'irruption des ennemis, je veux
vous offrir le tribut de mon cœur et de mes servi-
ces durant ma vie entière. O Seigneur, de même
que vous nous préservez de la mort corporelle
qu'ils pourraient nous causer, préservez-nous aussi
de la mort spirituelle dans laquelle ils s'efforcent
sans cesse de nous entraîner. A cet effet envoyez-
nous vos bons Anges. Secourez-nous, Seigneur, et
que vos ennemis épouvantés s'enfuient et s'éva-
nouissent. Défendez-nous contre leurs maléfices et
contre tout ce qu'ils pourraient machiner mainte-
nant et à l'heure de notre mort, pour nuire à nos
corps et à nos âmes.
\T MÉDITATION
DU TEMPS, DU LIEU ET DE LA FIN
DE LA CRÉATION DES ANGES
SOMMAIRE
Les Anges ont été créés en même temps que les
deux et la terre; — dans le ciel; — pour leciel^
c'est-à-dire pour être éternellement heureux.
I
LES Anges ont été créés à la même époque que
les cieux et les éléments. Pour mettre fin
aux débats qui s'étaient élevés à ce sujet parmi les
Bail, t. i. ^o
466 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Pères de l'Eglise dont les uns voulaient que les
Anges eussent été créés aussitôt que le monde, et
dont les autres admettaient qu'ils avaient été créés
à une époque postérieure, le quatrième Concile
général de Latran a défini que Dieu par sa vertu
toute-puissante, a fait de rien, dès le commence-
ment du monde et en même temps, la créature
spirituelle et la créature corporelle, c'est-à-dire
l'Ange et le monde (i). Ainsi donc les Anges ont été
créés par Dieu en même temps que le ciel et que
le monde (2). Puisque ils font partie de cet univers,
il ne convenait pas qu'ils fussent créés à une épo-
que différente. Saint Isidore dit bien qu'il n'est
guère admissible que Dieu ait créé les Anges en
même temps que l'enfer, car on ne prépare pas
des supplices pour ceux qui sont innocents et les
Anges n'avaient pas encore péché, quand Dieu
créa l'enfer au centre du monde (3). Mais il nous
fournit par là l'occasion d'admirer la justice épou-
vantable de Dieu, qui, au même instant où il crée
les Anges, prépare l'enfer pour ceux qui méconnaî-
tront ses bienfaits. Saint Jérôme (4) a cru que les
Anges avaient été créés plusieurs siècles avant le
monde : il se représente Dieu servi pendant long-
temps par les Principautés, les Dominations, les
I. Apui Bonav. ia a. q. 3. part. i. art. i, p. 3.
3. Plusieurs anciens Docteurs ont pensé que la création des Anges
est tacitement impliquée dans le mot « cœlum ». {Gen. i.)
3, Pour ce qui est de la question du lieu où se trouve l'enfer, une
seule chose est certaine, c'est que l'enfer est un lieu déterminé, assigné
par Dieu pour la punition des anges et des hommes réprouvés : cette
vérité ressort clairement de l'enseignement de l'Ecriture sainte et des
Pères. Quant à préciser où se trouve l'enfer, nul ne saurait le faire
d'une manière certaine.
4. Ad cap. I. Ep. ad Tit.
DES ANGES 467
Archanges et les Anges, sans aucun changement
ni vicissitude d'aucune sorte. La considération de
ce grand Docteur servira à nous faire admirer la
bonté de Dieu à l'égard des bons Anges, car bien
qu'en réalité ils ne soient créés que depuis que le
monde existe, c'est-à-dire depuis environ six mille
ans, il n'est pas moins vrai que Dieu les a conser-
vés depuis tant de siècles, dans l'état de bonheur,
et dans l'exercice ininterrompu de ses louanges.
O justice ! o miséricorde ! voilà bientôt six mille
ans que les Anges ont été créés et depuis lors les
bons persévèrent inébranlablemcnt dans le service
de Dieu et dans l'état de bonheur, tandis que les
mauvais sont encore dans les mêmes supplices,
sans avoir bénéficié du moindre soulagement. Oh !
que nous devons appréhender l'état des damnés 1
que nous devons désirer l'état des Anges heureux!
II
Les Anges ont été créés non seulement en même
temps que le ciel, mais encore dans le ciel, (i)
L'Ecriture Sainte nous l'indique suffisamment,
I. Ici une distinction s'impose : quand nous disons que les Anges
ont été créés dans le ciel, nous n'entendons pas désigner par ce mot
le ciel ce que saint Thomas appelle : € le ciel de la Sainte Trinité ■»
(la q, 6i art. 4. ad 3) c'est-à-dire, le lieu — car c'est un lieu — où
Dieu se montre lui-même sans voiles à ses élus. La raison en est que
les Anges ont dû subir une épreuve avant d'être admis à la vision béa-
tifique, et que le crime d'un certain nombre consista précisément à
désirer de s'élever jusqu'à ce ciel par ses propres forces, sans le se-
cours divin, comme l'indiquent ces paroles de Lucifer : « in cœlum
ascendant. » (Is. XIV, 13). (Vide S. Tho. i» q. 63. art. 3. in corp.) Il
faut entendre par Ih, croyons-nous, qu'ils ont été créés dans un lieu
qui n'est pas notre terre, mais qui fait partie de ce monde créé par
Dieu au comm. ncement (cœlum et terrain), « a/in, dit saint Thomas,
« de montrer que leur place est dans cet univers matériel et qu'ils
< exercent leur action sur les corps qui le composent. » (i> q. 61. art.
4. ad I.)
46S LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
quand elle dit que les Anges se livrèrent un com-
bat dans le ciel^ que les mauvais en furent chassés,
que Lucifer est tombé du ciel et que Satan a été
précipité du ciel comme la foudre : d'où il faut
conclure que les anges ont été créés dans le ciel.
Dieu l'a voulu, parce que les Anges sont les
plus nobles de toutes les créatures et sont par
conséquent comme à la tête de la création : dès
lors il leur appartenait d'être créés dans le ciel
suprême, qui est le lieu le plus élevé du monde.
D'autre part il ne convenait pas qu'ils fussent
créés en dehors de cet univers, parce qu'il fallait
qu'ils fussent compris dans ce grand tout, dont
ils font partie et avec lequel par suite l'ordre de
l'univers exigeait qu'ils fussent rattachés par cer-
tains liens.
De plus le ciel est le lieu destiné à la contem-
plation de la divinité. Or les Anges, parce qu'ils
sont très spirituels, sont plus capables de cette
contemplation que toutes les autres créatures.
Donc il convenait qu'ils fussent créés dans ce lieu
de paix où Dieu manifeste davantage ses merveil-
les et sa gloire. Ce devait être aussi pour eux un
motif de s'y maintenir par leur fidélité : ce que
tous n'ont pas fait. D'ailleurs les lieux matériels
ne peuvent conserver que les corps ; ils ne sau-
raient conserver les esprits. Dieu est le lieu où les
esprits se conservent.
Qui pourra donc être sûr de jouir du ciel ? qui
parmi ceux qui vivent sur cette terre et hors du
ciel sera sans crainte? Ce ne sont pas les lieux qui
sanctifient les personnes, mais ce sont les person-
nes qui sanctifiient les lieux. Il n'y a pas dans le
DES ANGES 469
monde un seul lieu ou le salut soit assuré. Judas
s'est perdu dans la compagnie du Sauveur, Adam
est tombé dans le paradis terrestre et l'Ange a été
précipité du ciel où il se trouvait en présence de ^^
Dieu et sous les yeux de la divinité. S'il eût habité
en Dieu par l'amour, il eût été sauvé. Ainsi donc,
o mon âme, ne mettons pas notre confiance dans
les lieux que nous habitons, mais plutôt habitons
en Dieu, vivons en lui par notre affection.
Non seulement les Anges ont été créés en même
temps que le ciel et dans le ciel, mais encore ils
ont été créés pour le ciel, c'est-à-dire, pour y être
toujours heureux, pour y contempler et louer Dieu
éternellement, s'ils persévéraient dans la justice et
dans la sainteté. Ainsi tout est céleste dans leur
création, tout y parle du ciel. Dieu donc se propo-
sait de tirer de leur création de la gloire; il leur
donnait la vie de la grâce dans le but, qu'après en
avoir fait bon usage, ils fussent mis en possession
du bonheur et qu'ainsi lui-même fut admiré, loué,
aimé et glorifié éternellement par la multitude
innombrable de ces esprits. Et comme ses attri-
buts sont infinis, il les créa doués d'une grande
diversité de dons, soit naturels soit surnaturels,
afin que chacun d'eux glorifiât spécialement un
attribut divin. C'est pourquoi les uns louent sa
majesté, d'autres sa sagesse, d'autres sa bonté.
Ceux-ci glorifient ses attributs absolus ; ceux-là
ses attributs relatifs. Ils honorent en lui soit le
créateur, soit le conservateur du monde, soit l'au-
teur de la grâce, soit l'auteur de la gloire : ainsi
chacun a sa tache.
Ne nous lassons pas de méditer le magnifique
470 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dessein de Dieu. Lui, tout grand, tout heureux,
infiniment satisfait en lui-même, a désiré néanmoins
que des milliers de créatures soupirent après lui,
ravies par son incomparable beauté et qu'elles lui
chantent d'ineffables louanges pendant Téternité.
C'est dans ce dessein qu'il a créé les Anges en
nombre comme infini, leur donnant à tous une
très haute intelligence et une grande puissance
pour le connaître et le glorifier selon son désir :
car ce sont les secondes splendeurs du monde, les
rayons de la première lumière qui est l'Essence
infinie : ils sont beaucoup plus portés au bien
qu'au mal, auquel leur nature ne les incline nul-
lement (i). Mais Dieu ne veut admettre dans sa
gloire que les plus généreux, qui auront donné
des preuves de leur vertu et de leur fidélité : c'est
pour ce motif qu'il ne les rend pas bienheureux et
ne les admet pas à jouir de la vision béatifique dès
leur création, mais qu'il les dirige vers cette fin,
les oblige à y tendre et à y parvenir par les moyens
qu'il met à leur disposition, et finalement prédes-
tine au bonheur ceux qu'il a prévu de toute éter-
nité devoir faire bon usage de ces moyens.
O grand Dieu ! il est juste que des millions
d'esprits soupirent sans cesse après vous, qui êtes
le créateur de tous les hommes et le trésor de
toutes les perfections. Il vous convient. Seigneur,
d'être glorifié pendant toute l'éternité par un nom-
bre infini de créatures. Je vous rends grâces
d'avoir, en les créant, destiné les esprits angéliques
à cette fin si haute : car personne n'était capable
de vous donner ce juste contentement- » O Ange?
I. N»?.i Qr-, 4 f* 4S,
DES ANGES 47I
« du Seigneur^ loue^-le donc tous! » (Ps. 148.)
Mais puisqu'il vous a plu aussi de créer nos âmes
pour la même fin, et de les unir aux Anges dans
votre éternelle glorification, dans le bonheur qu'ils
ont de vous chanter, je vous en bénis, je vous en
ai une reconnaissance sans bornes. Faites, ô mon
Dieu, que je ne m'écarte pas de ce but, ni de la
pratique des commandements qu'il vous a plu de
nous imposer comme un moyen pour y parvenir.
O esprits tout célestes et tout bons, secondez nos
efforts, soyez nos guides et nos protecteurs jusqu'à
ce que nous soyons arrivés au lieu où nous devons
louer avec vous notre Dieu et notre Créateur com-
mun.
FIN DU PREMIER VOLUME
TABLE DES MATIERES
CONTENUES DANS LE PREMIER VOLUME
PREMIER TRAITE
DES ATTRIBUTS DE DIEU
DE LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
EN GÉNÉRAL
\
P»ge«
I" Méditation. — De Dieu .^ i
L'ignorance des choses divines, source de tous les
péchés. — Remède de ce mal, l'étude de la Théologie
affective. — La pureté, condition nécessaire pour
l'étude de la Théologie affective.
Ile Méditation. — De l'existence de Dieu 8
Importance de dutte vérité. — La connaissance de
Dieu est naturelle à l'homme. — Comment faut-il
concevoir Dieu.
III® Méditation. — Des attributs et des perfec-
tions de Dieu en général 15
Dieu a des attributs ; — Diverses espèces d'attributs.
— Ceux que Dieu partage avec ses créatures.
IV* Méditation. — De la simplicité de Dieu. ... ai
Dieu est simple ; — parce qu'il n'a pas de corps ; —
parce qu'il n'a pas d'accidents dans sa substance ; —
parce qu'il n'use point de duplicité.
V* Méditation. — De la bonté de Dieu 26
Dieu est bon en lui-même; — il est bon pour tous les
êtres ; — il est spécialement bon pour les hommes.
474 ^^ THÉOLOGIE AFFECTIVE
VP Méditation. — De l'infinité de Dieu et de
sa grandeur 32
Les perfections de Dieu sont infinies en nombre : — en
intensité. — Dieu est infini en grandeur.
VII® Méditation. — De l'immensité de Dieu 38
Dieu est en tout lieu ; — par son essence, par sa pré-
sence, par sa puissance — il n'en résulte pour lui aucun
inconvénient ni aucune souillure.
VHP Méditation. — De l'immutabilité de Dieu. 45
Dieu est immuable en lui-même ; — dans ses opéra-
tions extérieures. — Il est seul immuable.
IX® Méditation. — De l'éternité de Dieu 52
Diem possède parfaitement, — et simultanément, —
une vie sans commencement et sans fin.
X« Méditation. — De l'unité de Dieu 58
L'unité de Dieu est un avantage pour Dieu ; — pour
le monde ; — pour chaque homme en particulier.
XI® Méditation. — De la pureté, de la sainteté et
de la beauté de Dieu 64
Dieu est très pur — très saint — et très beau.
XIP Méditation. — De la paix et du silence de
Dieu 71
Dieu jouit d'une paix inaltérable. — nous ne devons
pas l'honorer par l'inaction, — mais par la sérénité de
l'âme au milieu des agitations de ce monde.
XIII^ Méditation. — De l'incompréhensibilité de
Dieu 80
Dieu ne peut être connu parfaitement, — ni par la
lumière de la raison, — ni par la lumière de la foi, —
ni par la lumière de la gloire.
XIV® Méditation. — De la vision de Dieu 87
Trois cho^s sont requises pour voir Dieu : l'œil de
l'âme, — la lumière de la gloire, — la présence de Dieu.
XV« Méditation. — Du nom de Dieu. ..,.,,.... 95
On ne peut donner à Dieu un nom qui l'exprime
parfaitement : — mais nous pouvons lui donner des
noms qui traduisent la connaissance très imparfaite
que aoi)s aypRs t|e s^ nfitare. — Pfippipauj gqq)^ giQ
les Saiijtf f ^ jçf T}}<ie}89>f SI Isi «Bt dttR^é^
TABLE DES MATIÈRES 4'jb
XVI* MEDITATION, — De la science de Dieu 103
Dieu a une science infinie, — qui comprend la science
de simple intelligence, la science moyenne et la science
de vision. — La science de Dieu est très avantageuse à
Dieu et aux créatures.
XVII® Méditation. — Des idées de Dieu m
Nous entendons par les idées de Dieu : la forme
exemplaire du monde ; la connaissance de tous les
possibles. — Dieu n'a aucune idée du péché.
XVIIP Méditation. — De la vérité de Dieu 117
Dieu a la vécité de l'être; — celle qui consiste
dans la conformité de l'esprit avec l'objet connu. — Il
est en un sens le seul Etre,
XIX* Méditation. — De la vie de Dieu 124
Dieu vit — d'une vie excellente, — bien différente
de la vie humaine.
XX« Méditation. -^ De la volonté de Dieu 130
Il y a en Dieu une volonté, c'est-à-dire : la puis-
sance de vouloir; l'acte de vouloir appelé volonté
de bon plaisir. — Signes extérieurs qui noas manifes-
tent cette volonté.
XXI* Méditation. — De la volonté de Dieu anté-
cédente et conséquente 138
Deux volontés en Dieu, l'une antécédente et l'autre
conséquente ; la volonté antécédente a pour effet le
don fait à tous des grâces suffisantes pour se sauver. —
les hommes ne se perdent que par leur faute.
XXII* Méditation. — De la conformité de la
volonté humaine avec la volonté de Dieu 146
Cette conformité est la perfection souveraine ; —
quatre sortes de conformité à la volonté de Dieu ; —
la conformité parfaite n'est pas absolument nécessaire.
XXIII* Méditation. — De la liberté de Dieu. ... 154
Dieu est libre — notamment dans les décrets qui
ont pour objet les créatures, — 4ans l'exécution de ces
décrets.
XXI V« Méditation. — De l'amour de Dieu envers
les créatures , . . . , 162
Pieu les aiipe toiitP» -^ d'un apaour éttfTM], ço^9t?,ix\,
gratuit, singulier et UçQ^Ar
47^ LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XXV« Méditation. — De la haine de Dieu contre
les péchés et contre les pécheurs 169
Dieu hait les péchés et les pécheurs. — Qualité de
cette haine dans cette vie, — dans la vie future.
XXVI* Méditation. — De la miséricorde de Dieu. 176
La miséricorde de Dieu en elle-même, — à l'égard
des pécheurs, — k l'égard des justes.
XXVII« Méditation. — De la justice de Dieu.. . . 184
Il y a en Dieu : — une justice distributive, — une jus-
tice vindicative, — une justice rémunérative.
XXVIIP Méditation. — De la Providence de
Dieu sur toutes les choses créées 191
Existence — suavité — infaillibilité de la Providence
divine.
XXIX« Méditation. — De la Providence de Dieu
en face de certains désordres de la nature, en
lace des péchés des hommes et des afflictions
des justes aoo
Tout ce qui dans la nature nous paraît défectueux
ou fâcheux s'explique et a son utilité ; — le péché est
la conséquence inévitable de cette prérogative accordée
par Dieu à l'homme, la liberté ; d'ailleurs la Sagesse
divine sait tirer le bien du mal ; les afflictions sont
pour les justes une source de mérites.
XXX« Méditation. — De la prédestination à la
gloire ao8
Ce qu'est la prédestination à la gloire — ses causes
— principales différences des prédestinés.
XXXI® Méditation. — De la réprobation des
pécheurs obstinés 317
Ce qu'est la réprobation. — Dieu ne réprouve pas
pour le péché originel, mais à cause de l'endurcisse-
ment dans le péché. — Pourquoi Dieu a-t-il créé les
réprouvés ?
XXXIP Méditation. — Du livre de vie et du livre
de mort 230
Le livre de vie est la connaissance qu'a Dieu des pré-
destinés. — Le livre de mort est la connaissance qu'a
Dieu des réprouvés. — Cette connaissance infaillible
ne doit cependant décourager personne.
TABLE DES MATIÈRES 477
XXXIII« MEDITATION. — Du discernement des
prédestinés et des réprouvés 239
Avantages qu'il y a pour nous à ne pas savoir si
nous sommes du nombre des prédestinés ou des réprou-
vés ; — cependant on peut connaître à certains signes
d'une manière probable si l'on est prédestiné ; si tous
ces signes ou seulement quelques-uns faisaient défaut,
il ne faudrait pas néanmoins se désespérer, mais conti-
nuer à faire de bonnes œuvres.
XXXIV' Méditation. — De la puissance de Dieu. 250
Dieu est puissant — infiniment puissant — il exerce
sa puissance surtout par des actes de miséricorde.
XXXV^ Méditation. — De la béatitude de Dieu. 256
Dieu est heureux — parfaitement heureux. — Son
bonheur consiste dans la connaissance et dans l'amour
qu'il a de lui-même.
DEUXIÈME TRAITÉ
DE LA TRÈS SAINTE-TRINITÉ
i'" Méditation. — Dés trois excellences du mys-
tère de l'adorable Trinité 263
La Trinité est le plus impénétrable des mystères ; —
le plus ancien ; — la cause de tous les autres mystères.
II' Méditation. — De la connaissance et de
l'amour de la Sainte-Trinité 270
Nous pouvons avoir une certaine connaissance de la
Sainte-Trinité dès cette vie ; — nous devons l'avoir ;
— mais notre amour de la Sainte-Trinité peut et doit
dépasser de beaucoup la connaissance que nous en
avons.
478
LA THEOLOGIE AFFECTIVE
III« Méditation, — Des motifs et des moyens
d'honorer la Sainte-Trinité 277
Quatre motifs : sa souveraine grandeur ; sa bonté à
notre égard ; notre utilité ; l'exemple des Saints ; — six
moyens : nous corriger de tous nos péchés mortels et
de tous nos péchés véniels ; retrancher toutes nos occu-
pations superflues ; l'invoquer souvent au commence-
ment de nos actions ; nous humilier profondément ; la
féliciter pour toutes ses perfections ; amener les autres
hommes à l'aimer. — Effets précieux de la méditation
de ce mystère,
IV« Méditation. — Des productions divines et de
la Trinité des Personnes 286
Il y a en Dieu plusieurs Personnes, dont les unes
produisent et les autres sont produites. — Dieu produit
le Verbe par son intelligence et le Saint-Esprit par sa
volonté. — Il n'y a en Dieu que trois Personnes.
V^ Méditation. — Des relations des trois Person-
nes divines 293
Les relations d'origine distinguent entre elles les
Perspnnes divines; — les unissent étroitement; — les
constituent.
VI* Méditation. — Des attributs communs à cha-
que Personne de la Trinité 300
La puissance, la sagesse et la bonté conviennent
également à chaque Personne divine. — Cependant
par appropriation, la puissance est attribuée au Père ;
la sagesse au Fils ; et la bonté au Saint-Esprit. — Il
est permis d'adorer, d'aimer et de servir chaque Per-
sonne divine séparément.
VII® Méditation. — De la Personne du Père et
des trois propriétés qui lui sont particulières. . 309
Les trois propriétés qui conviennent au Père sont
l'innascibilité, — la paternité, — et celle d'être d'une
façon plus particulière le principe et la fin de toutes
choses.
VIII" Méditation. — Du respect, de la confiance
et de l'amour de Jésus-Christ à l'égard de Dieu
le Père 316
Jésus-Christ a par son respect honoré son Père plus
que toutes les créatures ensemble ; il lui a témoigné la
plus grande confiance depuis le premier instant de sa
TABLE DES MATIÈRES 47g
conception jusqu'à son dernier soupir; il lui a témoi-
gné un amour indicible.
IX« Méditation. — De la seconde Personne con-
sidérée comme Verbe 334
De tous les noms qu'on donne au Fils, c'est celui de
Verbe qui lui convient le mieux — supériorité du
Verbe incréé sur le verbe créé des anges et des hom-
mes — le Verbe est produit par une connaissance
universelle qui embrasse l'incréé et le créé.
X« MéDiTATiON. — Pourquoi la seconde Personne
est-elle appelée le Fils 33 1
Elle est appelée le Fils ; parce qu'elle est l'image du
Père éternel, selon sa propriété personnelle : — parce
que sa subsistance est semblable à celle du Père; —
pour d'autres raisons plus élevées que nous ne connaî-
trons que dans le ciel,
XP Méditation. — Des trois excellences de la
filiation de la seconde Personne 338
Elle est éternelle, — indépendante du Père, — le
modèle de notre filiation adoptive.
XII® Méditation. — De la Personne du Saint-
Esprit 346
Le Père et le Fils produisent par leyr amour récipro-
que le Saint-Esprit. — Raisons pour lesquelles cet
amour du Père et du Fils s'appelle spiration active. —
Cette spiration active est un acte de sainteté infinie.
XIII« Méditation. — Des Personnes, des amours
et des objets qui interviennent dans la produc-
tion du Saint-Esprit 353
Le Saint-Esprit est produit par deux Personnes, qui
sont le Père et le Fils, — par l'amour réciproque du
Père et du Fils, qui est un amour appréciatif, de bien-
veillance et de complaisance, — enfin par un amour
universel qui embrasse l'incréé et le créé.
XIV« Méditation. — Des trois autres particularités
du Saint-Esprit 359
Il appartient au Saint-Esprit, selon sa propriété per-
sonnelle : — d'être le lien du Père et du Fils, — d'être
le dernier terme des productions immanentes de Dieu,
— d'être, entre toutes les Personnes divines, la moins
éloignée des créatures.
480 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XV" MEDITATION. — Jésus glorifie la Personne da
Saint-Esprit de trois manières 365
II" glorifie le Saint-Esprit — en détournant les hom-
mes de l'offenser, — en lui donnant des titres glorieux,
— en le promettant à l'Eglise.
XVI« Méditation. — De l'égalité des Personnes
divines 372
Les Personnes divines sont égales dans la perfection
de leur substance ; dans la grandeur de leurs attributs;
en face des hommes qui leur doivent la même adora-
tion, le même amour, le même service.
XVII* Méditation. — De l'inexistence mutuelle
des Personnes divines 380
Les Personnes divines résident l'une dans l'autre :
— par leur substance ; — par leur pensée ; — par leur
amour.
XVIIP Méditation. — De la mission des Person-
nes divines 387
Définition de la mission chez les Personnes divines.
— Division en mission invisible et en mission visible.
— Effets de la mission.
XIX« Méditation, — Dans leur mission les Per-
sonnes divines sont données à la créature 394
Ce n'est pas la grâce seulement, mais ce sont les
Personnes elles-mêmes qui sont données à la créature ;
— et données de plusieurs manières. — Le péché mor-
tel fait perdre Dieu à l'âme.
XX^ Méditation. — Conclusion. '.Le Gloria Patri. 40a
La Trinité est louée — par Elle-même ; — par les
anges ; — par les hommes et notamment par la fré-
quente répétition du verset : Gloire au Père, etc.
TABLE DES MATIÈRES 481
TROISIÈME TRAITÉ
DES ANGES
I" MéoiTATiON. — De la création en général 412
Dieu était libre de ne créer aucun monde, — seul il
pouvait créer, — parmi une infinité de mondes possi-
bJes, il lui a plu de créer le monde actuel.
II* Méditation. — De l'existence des Anges 419
L'existence des Anges — n'a rien qui répugne ; —
elle convient ; elle est un fait certain.
III* Méditation. — De la spiritualité des Anges. 425
Les anges sont de purs esprits ; — ils sont plus spiri-
tuels que l'âme humaine ; — on peut dire, avec saint
Jean Damascène, qu'ils sont corporels, par rapport ^à
Dieu.
IV« Mi-DiTATiON. — Du grand nombre des Anges
et de leur distinction 43 1
Il existe un très grand nombre d'Anges — les uns
sont distincts entre eux spécifiquement, les autres
numériquement seulement — ils sont divisés en trois
hiérarchies et chaque hiérarchie en trois ordres ou
choeurs.
V* Méditation. — De l'intelligence des Anges et
de leur science 437
Les anges sont doués d'une intelligence très parfaite
— qui a une manière de percevoir son objet très par-
faite — qui est sanctifiée par la charité.
VI* Méditation. — De trois choses que les Anges
ne connaissent pas d'une manière certaine par
leur science naturelle 444
Les Anges ne connaissent pas d'une manière certaine
par les seules forces de leur intelligence : — plusieurs
choses futures, — les pensées et les affections des hom-
mes, — les choses surnaturelles.
Baii., t. I. jx
482 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
VII* Méditation. — De la volonté des Anges et
de leur amour naturel 452
Les Anges ont une volonté libre, qui a pour objet : —
Dieu aimé par dessus toutes choses comme auteur de
la nature — le prochain qui est pour eux les Anges.
VIII® Méditation. — De la puissance motrice des
Anges et de leur mouvement 438
Les Anges ont le pouvoir de se mouvoir eux-mêmes
— non par partie, mais selon toute leur substance —
ils ont aussi le pouvoir de mouvoir les autres substan- •
ces, soit spirituelles, soit corporelles.
IX« MéDiTATioN. — Du temps, du lieu et de la fin
de la création des Anges 465
Les Anges ont été créés en même temps que les cieux
et la terre — dans le ciel — pour le ciel, c'est-à-dire
pour être éternellement heureux.
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