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Full text of "La Théologie affective, ou, Saint Thomas d'Aquin médité en vue de la prédication"

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LA 

THÉOLOGIE  AFFECTIVE 


ou 


SAINT  THOMAS 

D'AQUIN 

Médité  en   vue  de   la 

PRÉDICATION 

par  LOUIS  BAIL 

Docteur  en  Théologie 

NOUVELLE     ÉDITION 

REVUE    ET    ANNOTÉE   AVEC    LE     PLUS   GRAND    SOIN,    MISE  EN    FRANÇAIS    MODERNE 

ET    EN    HARMONIE 

AVEC    LES    PLUS    RECENTES    DECISIONS    DE  l'ÉGLISE 

ET     LES     DERNIÈRES     DECOUVERTES     DE  LA     SCIENCE 

par  M.  l'Abbé  BOUGAL 

Docteur  en  Théologie  et  en  Droit  canonique 


TOME   NEUVIEME 

De  la  Sainte  Vierge   (suite) 
Des  Sacrements 


.MONTREJEAU 

(Haute-Garonne) 

LIBRAIRIE  J.-M.  SOUBIRON,  ÉDITEUR 

Droits  de  reproduction  et  de  traduction  réservés. 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


Iittp://www.archive.org/details/latliologieaffe09bail 


LA 
THÉOLOGIE  AFFECTIVE 


ou 


SAINT    THOMAS 

D'AQUIN 

EN  MÉDITATIONS 


PERMIS  D'IMPRIMER 

Toulouse,  le  lo  septembre  iCjob. 

E.  F.  TOUZET, 

V.  g 

SEP  1 1  1952 


LEdiîcnr  se  réserve  tous  les  droits  de  reproduction 
et  de  traduction. 


Ce  volume  a  été  déposé  conformément  aux  lois 
en  septembre  190^. 


LA 

THÉOLOGIE  AFFECTIVE 


ou 


SAINT  THOMAS 

D'AQUIN 

Médité  en   vue  de   la 

PRÉDICATION 

par  LOUIS  BAIL 

Docteur   en   Théologie 

NOUVELLE     ÉDITION 

REVUE    ET    ANNOTÉE   AVEC    LE     PLUS    GRAND    SOIN,    MISE  EN    FRANÇAIS    MODERNE 

ET    EN    HARMONIE 

AVEC    LES    PLUS    RECENTES    DECISIONS    DE  l'ÉGLISE 

ET     LES     DERNIÈRES     DECOUVERTES     DE  LA     SCIENCE 

par  M.  l'Abbé  BOUCAL 

Docteur  en  Théologie  et  en  Droit  canonique 


TOME  NEUVIÈME 

De   la  Sainte  Vierge   (suite) 
Des  Sacrements 


MONTRÉJEAU 

(Haute-Garonne) 

LIBRAIRIE  J.-M.  SOUBIROX,  ÉDITEUR 

Droits  de  reproduction   et  de  traduction  réservés. 


LA 


THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

ou 

SAINT  THOMAS 


EN  MÉDITATIONS 


Tcrtia  pars  juxta  Sanctum  Thomatn  (suite) 

DEUXIÈME   TRAITÉ 

(suite) 
De  la  Sainte  Vierge  (suite) 

XIV^  MÉDITATION 

DE  LA  PURIFICATION 
DE    LA    SAINTE    VIERGE 


SOMMAIRE: 

La  Vierge  a  été  dotée  d'une  très  parjaite  pureté, 
—  Elle  n'était  point  obligée  par  la  loi  de  la 
purification.  —  (Quelques  raisons  pour  les- 
quelles le  Saint-Esprit  lui  inspira  de  s'y  sou- 
mettre. 

1 

CONSIDÉREZ  que  la  Vierge  a  été  dotée  d'une 
parfaite  pureté.  Car  deux  choses  sont  requi- 
ses pour  la  pureté.  La  première  est  que  pour  ce  qui 
regarde  le  passé  Tàme  ne  reconnaisse  en  elle  aucune 
faute,  qui  n'ait  point  été  expiée  par  une  digne 
pénitence  et  une   satisfaction  proportionnée.  La 

Bail,  t.  ix.  I 


LA    THEOLOGIE    AFFECTIVE 


seconde  est  que,  pour  ce  qui  regarde  l'avenir,  Tàme 
ne  trouve  rien  ni  dans  le  temps  ni  dans  l'éternité 
de  si  pénible  et  de  si  contraire  à  sa  nature,  qu'elle 
ne  soit  prête  à  l'accepter  pour  faire  la  volonté  de 
Dieu,  quand  bien  même  elle  serait  destinée  aux 
peines  éternelles  de  l'enfer  (i).  Autrement  com- 
ment l'homme  pourrait-il  demander  à  Dieu  tout 
ce  qu'il  est,  s'il  ne  lui  offrait,  d'un  cœur  ouvert  et 
avec  une  sincère  affection,  tout  ce  qu'il  est  lui^ 
même  et  tout  ce  qu'il  peut  souffrir  pour  lui  ? 

Or,  si  l'on  conçoit  ainsi  la  pureté,  il  est  certain 
qu'elle  a  été  très  parfaite  dans  la  Sainte  Vierge. 
Car,  quant  au  passé,  elle  ne  découvre  dans  son  âme 
aucun  péché  ni  mortel,  ni  véniel,  ni  même  le 
péché  originel,  dont  sa  conception  fut  affranchie, 
et  pour  ce  qui  est  de  l'avenir,  qu'y  avait-il  au 
monde  de  dur  et  de  fâcheux  qu'elle  n'eût  accepté 
pour  plaire  à  Dieu  ?  Elle  le  prouve  suffisam- 
ment par  la  résignation  qu'elle  montra  dans  la 
Passion  de  Jésus-Christ,  où  elle  fut  privée  tout  à 
la  fois  du  bien  qu'elle  chérissait  le  plus  et  où  elle 
fut  affligée  de  toutes  les  douleurs  par  compassion 
et  par  contre-coup  ;  car,  de  même  qu'il  n'y  eut 
pour  une  créature  de  son  sexe  de  dignité,  à 
laquelle  elle  n'eût  pas  été  élevée,  ainsi  il  n'y  eut 
pas  de  douleur  si  aiguë  qu'elle  n'ait  eu  à  endurer. 
Par  la  pureté  de  son  âme  elle  s'abandonne  absolu- 
ment au  bon  plaisir  de  Dieu  et  il  n'y  a  rien  qu'elle 
ne  soit  très  contente  de  souffrir  plutôt  que  de 
résister  le  moins  du  monde  à  la  volonté  de  Dieu. 

I.  Harphius,  in  Direct,  contempl.  p.  3. 


hi:    I.A    SAINTli    VIERGI';  J 

Hugues  de  Saint  Victor  (i)  parle  autrement  de 
la  pureté  ;  il  dit  qu'elle  consiste  à  faire  toutes 
choses,  ou  pour  l'utilité  du  prochain,  ou  pour  la 
gloire  de  Dieu.  Cette  pureté  s'est  encore  rencon- 
trée dans  la  Vierge,  qui  ayant  été  la  plus  chérie  et 
la  plus  favorisée  de  Dieu,  a  dû  aussi  lui  rendre  la 
réciproque  et  Taimer  avec  une  plus  grande  fer- 
veur ;  et  comme  elle  avait  de  plus  grandes  lumiè- 
res et  une  plus  parfaite  connaissance  de  ses 
perfections,  elle  devait  avoir  également  une  plus 
ardente  charité.  Or  celui  qui  a  plus  de  charité 
pour  Dieu,  vise  à  la  gloire  de  Dieu  et  y  tend  plus 
purement  en  toutes  choses.  Et  comme  la  chanté 
par  laquelle  on  aime  Dieu  est  la  même  que  la 
charité  qui  porte  à  aimer  le  prochain,  quiconque 
aime  davantage  la  gloire  de  Dieu,  aime  aussi 
davantage  le  bien  spirituel  du  prochain.  C'est 
pourquoi  la  Sainte  Vierge  se  portait  à  l'un  et  à 
l'autre  parfaitement,  et  surtout  dans  les  actions 
les  plus  importantes  de  la  vie,  comme  la  sustenta- 
tion et  l'éducation  de  son  Fils  ;  elle  faisait  ces 
deux  actions  pour  la  gloire  de  Dieu,  mais  de  telle 
sorte  qu'elle  n'oubliait  pas  le  salut  du  monde 
auquel  elle  contribuait  en  élevant  et  en  nourrissant 
pour  lui  un  Sauveur  et  un  Rédempteur.  Si  donc 
la  pureté  consiste  à  tout  rapporter  au  bien  du 
prochain  et  à  la  gloire  de  Dieu,  il  faut  en  conclure 
que  la  Sainte  Vierge  a  eu  une  très  grande  pureté, 
en  raison  de  son  affinité  et  de  sa  parenté  avec  Dieu 

I.  Lib.  3  MiscELL.  tit.  i.  «  Pur  lias  auiem  est  ut 
«  quidqtiid  agitur^  aut  ad  utiîUatem  prôximi  aut  ad 
«  honorent  Déifiât.  » 


4  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

au  premier  degré.  C'est  pourquoi  saint  Anselme  (i) 
dit  qu'il  convenait  qu'elle  brillât  d'une  pureté  telle 
qu'il  fût  impossible  d'imaginer  une  plus  grande 
pureté  après  Dieu. 

Louez  et  honorez  la  Sainte  Vierge  pour  son 
extrême  pureté.  Etudiez-vous  tous  les  jours  de 
votre  vie  à  acquérir  la  pureté  et  la  sainteté,  «  sans 
«  laquelle^  dit  saint  Paul,  personne  ne  verra 
«  Dieu.  »  (Héb.  2).  O  Seigneur  immortel.  Dieu 
de  pureté  infinie,  de  qui  ne  peut  approcher  que  ce 
qui  est  très  pur  et  très  saint,  qui  nous  avez  appelés 
à  la  religion  chrétienne,  comme  à  l'école  de  toute 
pureté,  ouvrez  le  sein  de  votre  douceur  et  donnez- 
nous  la  connaissance  et  le  désir  très  ardent  d'une 
parfaite  pureté.  Détruisez,  très  pitoyable  Seigneur, 
toutes  nos  iniquités  passées,  rompez  toutes  les 
attaches  que  nous  avons  aux  choses  créées,  afin 
que  nous  aimions  le  bien  spirituel  de  notre  pro- 
chain en  vue  de  votre  gloire  et  qu'il  n'y  ait  rien  en 
nous  qui  nous  détourne  de  la  pureté.  Que  cette 
pureté  nous  unisse  avec  vous  éternellement. 

II 

Considérez  que  la  Sainte  Vierge  étant  si  pure 
n'était  pas  obligée  d'observer  la  loi  de  la  purifica- 
tion, à  laquelle  néanmoins  elle  s'est  soumise 
scrupuleusement  (Luc,  2).  Cette  loi  en  effet  n'obli- 
geait que  les  femmes  qui  avaient  conçu  par  la  voie 
ordinaire  et  qui  avaient  mis  au  monde  un  fils. 
Celles-là  devaient  aller  elles-mêmes  le  présenter 
au  temple,  quarante  jours  après  leur  délivrance,  et 

I.  De  Concep.  Virg.  cap.  18. 


DF    I.A    MAINTE    V  I  F  R  G  E 


otTrir  un  agneau,  ou,  si  elles  étaient  pauvres,  une 
paire  de  tourterelles.  (Lévit.  12).  Or  la  Sainte 
Vierge,  à  cause  du  privilège  de  sa  virginité,  n'est 
pas  comprise  en  matière  rigoureuse  et  d'obligation 
sous  le  nom  de  femme,  parce  qu'à  proprement 
parler,  il  y  a  une  différence  entre  une  femme  et  une 
vierge.  C'est  pourquoi  le  dévot  saint  Bernard  (i) 
considérant  son  trouble  au  jour  de  l'Annonciation, 
quand  l'ange  la  salue  par  ces  mots  :  «  Vous  êtes 
«  bénie  entre  toutes  les  femmes^  »  dit  qu'elle  fut 
troublée  de  s'entendre  appelée  bénie  entre  les 
femmes,  elle  qui  avait  toujours  souhaité  d'être 
bénie  entre  les  vierges.  Le  docte  Origène  (2)  se 
fonde  sur  cette  loi  et  en  conclut  que  les  femmes 
doivent  porter  le  fardeau  de  la  loi,  mais  que  les 
vierges  en  sont  exemptes. 

De  plus,  la  Vierge  avait  conçu  par  une  voie 
immaculée,  miraculeuse  et  extraordinaire;  le  Fils 
qu'elle  avait  mis  au  monde  était  très  élevé  et  très 
pur,  sans  aucune  souillure  du  péché.  C'est  pour- 
quoi, au  nom  de  la  loi  et  au  nom  de  la  raison,  elle 
était  dispensée  de  l'obligation  de  se  purifier 
comme  les  autres  femmes.  Aussi  fut-elle  traitée 
dans  le  temple  de  Jérusalem  avec  tout  honneur  et 
respect.  Un  ancien  Père  (3)  nous  raconte  que, 
quand  elle  porta  son  Fils  entre  ses  bras  mêlée  aux 
autres  femmes  venues  dans  le  même  but,  elle  fut 
distinguée  des  autres  femmes   par  une   lumière 

1 .  Serm.  de  verbis  Apost. 

2.  Homil.  8  super  Levit. 

3.  Timothœus  presb.  Serm.  de  Simeone,  apud  Baron, 
anno  i. 


LA     THEOLOGIE    AFFECTIVE 


céleste  et  admirable  qui  resplendissait  en  elle. 
C'est  ce  qui  donna  lieu  au  vénérable  prêtre  Siméon 
de  s'approcher  d'elle,  de  prendre  entre  ses  bras 
son  fruit  divin  et  immaculé  et  de  dire  aux  autres 
femmes  :  voici  la  Reine  et  la  Maîtresse,  vous 
n'êtes  que  les  servantes  ;  n'offrez  point  vos  enfants 
sur  cet  autel,  mais  offrez-les  à  son  Enfant,  qui  est 
avant  qu'Abraham  fût  et  qui  est  le  Dieu  infini. 

Si  l'on  objecte  que  sa  pureté  ne  l'exempta  pas  de 
recevoir  le  sacrement  de  baptême  et  celui  de  la 
pénitence  et  de  la  confession,  après  la  promulga- 
tion suffisante  de  la  loi  chrétienne,  et  qu'il  n'y  a 
pas  plus  de  raison  pour  qu'elle  fût  dispensée  de  la 
loi  de  la  purification  ;  à  cela  il  faut  répondre  que 
pour  ce  qui  regarde  le  baptême,  elle  le  reçut  des 
mains  de  Jésus-Christ  lui-même,  comme  l'affir- 
ment plusieurs  auteurs  (i).  Mais  aussi  la  seule  raison 
de  recevoir  le  baptême  n'est  pas  la  nécessité  de  se 
purifier  du  péché,  c'est  encore  la  nécessité  de  rece- 
voir le  caractère  sacramentel  et  l'habileté  aux 
autres  sacrements,  comme  aussi  celle  d'être  inséré 
au  corps  mystique  de  Jésus-Christ.  C'est  pour  cela 
que  saint  Augustin  (2)  dit  que  le  baptême  a  pour 
but  d'incorporer  les  baptisés  à  Jésus-Christ  et  d'en 
faire  ses  membres.  Quant  à  la  confession  des 
péchés,  Marie  n'y  fut  jamais  obligée,  à  cause  de  sa 
parfaite  innocence,  et  sa  confession  n'aurait  pu  être 
sacramentelle  par  défaut  de  matière.  C'est  pour- 
quoi un  célèbre  théologien  estime  qu'il  est  ridicule 

1.  Euthymius  m  c.  5  Joan.  ;  Nicephorus,  1.  2, 
HisT.  c.  3. 

2.  De  bapt.  parvul. 


1U-:    I.A    SAINTI':    \  IKK' CE 


de  dire  qu'elle  a  confessé  ses  péchés  à  saint  Jean, 
comme  certains  Pont  mis  en  avant,  car  elle  n'avait 
pas  de  péchés  à  confesser.  La  confession  qu'elle 
pouvait  faire  était  une  confession  de  louanges 
faite  à  Dieu,  pour  l'avoir  aimée  au  point  de  lui 
donner  une  plus  grande  grâce  qu'il  n'est  permis  à 
une  créature  de  la  mériter.  Elle  pouvait  dire  seule- 
ment que  le  Fils  que  Dieu  lui  avait  donné  était 
l'effet  de  sa  bonté  envers  elle  et  qu'elle  lui  était 
très  obligée,  mais  elle  ne  pouvait  pas  dire  qu'elle 
eût  péché  ;  elle  eût  fait  une  faute  en  le  disant,  car 
elle  ne  pouvait  être  excusée  ni  par  la  faiblesse 
d'esprit  ni  par  le  scrupule  qui  n'eut  aucune  action 
sur  elle  (i). 

I.  Celui  qui  n'a  pas  même  commis  après  le  baptême 
un  péché  véniel,  est  incapable  de  recevoir  le  sacrement 
de  Pénitence  (voir  Suarez,  t.  iv,  disp.  3^,  sect.  i,  n.  i). 
Or  tel  fut  le  cas  de  la  Sainte  Vierge  pendant  toute  sa 
vie,  et  c'est  un  cas  unique.  Que  la  Sainte  Vierge  n'ait 
pas  même  commis  un  seul  péché  véniel,  soit  délibéré 
soit  même  semi-délibéré  durant  tout  le  cours  de  sa  vie, 
c'est  un  dogme  catholique,  quoiqu'il  n'ait  point  été 
expressément  défini.  L'Eglise  montre  suffisamment 
quelle  est  sa  foi  sur  ce  point  dans  le  canon  suivant  du 
Concile  de  Trente  :  «  Si  quelqu'un  dit  que  Vhomme  une 
<c  Jois  justifié...  peui^  pendant  iotit  Je  cours  de  sa  vie, 
«  éviter  tous  les  péchés  même  véniels,  à  moins  quil  n'ait 
«  reçu  de  Dieu  tin  privilège  spécial,  tel  que  l'Eglise  le 

«   TIENT  POUR  ACCORDÉ  A  LA  BIENHEUREUSE  ViERGE,  qu' il  SOit 

«  anaihème  !  »  (Sess.  6.  can,  xxiii).  Nous  pouvons  appor- 
ter comme  preuve  de  ce  privilège  un  document  tout 
récent.  La  Bulle  Ineffabilis  nous  montre  la  Mère  de 
Dieu  «  comblée  de   V abondance  des  dons  célestes,  puisés 


8  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Appréciez  la  prompte  et  ponctuelle  obéissance 
de  la  Vierge  à  une  loi  qui  ne  l'oblige  pas.  Combien 
sera-t-elle  plus  exacte  à  faire  ce  qui  sera  d'obliga- 

«  dans  le  trésor  de  la  divinité  et  comblée  d'une  manière 
«  si  merveilleuse,  que  toujours  et  entièrement  pure  de 

«  TOUTE  TACHE  DE  PÉCHÉ,  TOUTE  BELLE  ET  TOUTE  PARFAITE, 
«  ELLE  EUT  EN  ELLE  LA  PLÉNITUDE  d'iNNOCENCE  ET  DE  SAINTETÉ 
«   LA   PLUS   GRANDE    QUE    l'oN    PUISSE    CONCEVOIR   AU-DESSOUS 

«  DE  Dieu  et  telle  que,  sauf  Dieu,  personne  ne  peut  la 
«  comprendre.  »  Et  plus  bas  Pie  IX  s'exprime  ainsi  : 
«  Par  cette  singulière  et  solennelle  salutation  (la  saluta- 
«  tien  angélique),  //  est  déclaré  que  la  Mère  de  Dieu  est 
«  le  siège  de  toutes  les  grâces  divines  ;  qu'elle  a  été  ornée 
«  de  tous  les  dons  du  Saint-Esprit  ;  bien  plus,  qu'elle 
«  est  comme  le  trésor  infini  et  l'abîme  inépuisable  de  ses 
«  dons.  »  La  Vierge  Marie  est  l'unique  créature  humaine 
qui  ait  joui  d'un  tel  privilège  :  tel  est,  au  témoignage 
de  saint  Thomas,  l'enseignement  commun  des  Théolo- 
giens. <(.  La  principale  raison,  dit  Suarez  (De  myst.  vit. 
«  Christ.  1.  9,  cap.  8,  n.  24),  est  que  ce  privilège  va 
«  contre  une  loi  générale,  c'est-à-dire  qu'il  constitue  une 
«  dérogation  à  des  affirmations  des  Ecritures  qui  corn- 
«  prennent  tous  les  hommes;  donc  une  telle  exception  ne 
«  peut  être  admise  que  sur  le  témoignage  des  saintes 
«  Ecritures  elles-mêmes,  ou  de  l'Eglise,  ou  des  SS.  Pères. 
«  Mais  ce  témoignage  fait  précisément  défaut  pour  tout 
«  autre  saint  que  la  Sainte  Vierge.  Certains  Pères  reven- 
«  diquent  ce  privilège  pour  saint  f  e  an-Baptiste  ;  aussi  ne 
«  serait-il  point  téméraire  de  le  lui  attribuer,  quoiqu'une 
«  telle  opinion  soit  Peu  probable.  Ce  qui  est  certain  c'est 
«  qu'on  ne  peut  l'attribuer  avec  quelque  probabilité  à 
«  aucun  autre  saint.  »  Saint  Augustin  est  du  même 
avis  :  «  Si  après  avoir  fait  une  exception  pour  cette  Vierge 
«  (la  Vierge  Marie),  nous  supposons  qu'il  nous  eût  été 


DK    I.A    SAINT  H    VIKRG  E 


tion  ?  Confondez-vous  vous-mcme  de  manquer  si 
souvent  à  ce  qui  vous  est  commandé  ou  de  le  faire 
avec  tant  de  peine  et  de  répugnance.  Et  quand  bien 
même  vous  le  feriez  exactement,  c'est  encore  une 
bien  petite  justice  de  ne  faire  que  ce  qui  est  rigou- 
reusement prescrit  par  la  loi  (i).  Néanmoins  ne 
perdez  pas  si  tôt  de  vue  la  Vierge  et  saint  Joseph 
qui  vont  de  l'étable  au  temple  de  Jérusalem.  O 
sainte  et  admirable  Vierge,  permettez  que  je  vous 
accompagne  en  esprit  dans  votre  course.  N'aurez- 
vous  point  pour  agréable,  ô  ma  très  auguste  Maî- 
tresse, que  je  participe  aux  entretiens  ravissants 
que  vous  avez  avec  votre  époux  pendant  ce  voyage  ? 
Ne  voulez-vous  pas  que  je  vous  aide  à  porter  votre 
Fils  céleste  ?  Ce  n'est  pas  que  j'ignore  qu'autour  de 
vous  sont  les  Anges  du  ciel,  prêts  à  vous  obéir  et  à 
vous  servir  au  moindre  signe  que  vous  ferez;  mais 
pardonnez.  Madame,  à  ma  témérité,  car  je  vois 
tous  vos  mystères  si  remplis  de  tendresse  et  de 
dévotion  que  je  ne  puis  m'empêcher  d'exciter  en 
moi  ces  désirs,  quoique  je  me  reconnaisse  très 
méchant  et  très  indigne  pécheur. 

«  possible  de  réunir  tous  les  Saints  et  toutes  les  Saintes, 
«  pendant  leur  vie,  et  de  leur  demander  s'ils  soiit  sans 
«  péché  y  quelle  aurait  été,  pensons-noxis,  leur  réponse! 
«  Est-ce  que  tous  ne  se  seraient  point  écriés  d'une  seule 
«  voix  :  Si  nous  disions  que  nous  n'avons  pas  de  péché, 
«  nous  nous  tromperions  nous-mêmes  et  la  vérité  ne 
«  serait  point  en  nous.  »  ^De  natur.  et  grat.  cap.  36, 
n.  42). 

I.  Seneca,  lib.  2.  De  ira,  c.  27  ;  «  Angusta  innocentia 
«  est  ad  legem  bonum  esse.  » 


10  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


III 

Considérez  quelques-unes  des  raisons  pour  les- 
quelles le  Saint-Esprit  excita  la  Vierge  à  se  sou- 
mettre à  la  loi  de  la  purification. 

Ce  fut  d'abord  pour  éviter  le  scandale,  pour  ne 
pas  fournir  aux  Juifs  un  prétexte  de  la  reprendre 
pour  n'avoir  pas  été  purifiée  et  de  blâmer  son  Fils 
pour  ne  point  s'être  présenté  à  Dieu  et  ne  pas  avoir 
été  racheté  comme  les  autres  premiers-nés  d'Is- 
raël. Elle  aurait  pu,  il  est  vrai,  se  justifier  aux  yeux 
de  ses  accusateurs,  en  faisant  connaître  les  raisons 
qui  l'exemptaient  de  cette  loi;  néanmoins,  comme 
il  n'était  pas  encore  à  propos  que  tout  le  monde 
connût  ce  secret,  c'était  le  plus  court  pour  elle 
d'observer  la  loi,  afin  de  n'être  point  dans  la  néces- 
sité d'arrêter  les  murmures  du  monde,  en  disant 
trop  clairement  avant  le  temps  ce  qu'elle  était,  et 
ce  qu'était  son  Fils. 

Ce  fut,  en  second  lieu,  pour  lui  faire  pratiquer 
plusieurs  actes  de  vertu  et  notamment  des  actes 
d'humilité  et  de  religion.  En  effet,  si  elle  s'humilia 
beaucoup  le  jour  de  l'Annonciation,  en  se  disant  la 
servante  du  Seigneur,  quand  l'ange  lui  donnait  le 
titre  de  mère,  elle  s'humilie  davantage  dans  sa 
purification,  en  se  mettant  au  rang  des  pauvres 
femmes,  qui  étaient  réputées  immondes,  et  qui 
avaient  besoin  de  purification;  car  être  la  servante 
de  Dieu,  est  une  très  sublime  qualité,  puisque  c'est 
régner  que  de  servir  Dieu,  au  lieu  qu'il  n'y  a  rien 
de  si  humiliant  que  d'être  tenue  pour  une  femme 
immonde,  surtout  pour  celle  qui  met  sa  plus 
grande  gloire  dans  sa    virginité,   C'est  pourquoi 


I>K     LA     SAINTlî     VIKRGE  11 

dans  cette  cérémonie  elle  renonce  à  tout  orgueil  et 
elle  foule  aux  pieds  sa  propre  réputation  pour 
l'immoler  à  l'amour  de  sa  propre  abjection.  Elle 
exerça  aussi  plusieurs  actes  de  la  vertu  de  religion, 
en  visitant  les  lieux  saints  de  Jérusalem,  en  rendant 
à  Dieu  des  actions  de  grâces  et  en  le  louant  des 
grandes  choses  que  son  bras  avait  opérées  en  elle, 
en  lui  offrant  son  Fils,  et  en  rachetant  avec  cinq 
sicles  celui  qui  devait  racheter  le  monde  entier 
avec  ses  cinq  plaies  précieuses.  La  Vierge  fait  tous 
ces  actes  avec  une  dévotion  très  fervente  et  très 
enflammée  ;  elle  se  met  à  genoux  devant  l'autel 
et,  élevant  les  yeux  au  ciel,  elle  dit  :  Acceptez,  ô 
Père  éternel,  pour  le  salut  du  genre  humain  cette 
offrande  de  votre  Fils,  comme  vous  avez  accepté 
les  offrandes  d'Abel,  de  Noé  et  d'Abraham.  Ne 
rejetez  pas  celle-ci  qui  comprend  et  dépasse  la 
vertu  de  toutes  les  autres.  C'est  l'Agneau  imma- 
culé, c'est  la  colombe  sans  fiel,  c'est  votre  Fils 
bien-aimé,  qui  est  beau  plus  que  tous  les  enfants 
des  hommes,  qui  est  la  splendeur  de  votre  gloire 
et  la  vive  image  de  vos  beautés  infinies.  O  Père 
très  saint,  à  la  vue  de  cette  offrande  et  de  ce  cœur 
sacré,  qui  languit  du  désir  de  vous  donner  sa  vie 
en  sacrifice,  prenez  enfin  pitié  des  misères  extrê- 
mes et  des  ruines  continuelles  de  tant  de  pauvres 
âmes.  Dieu  de  miséricorde,  sauvez  le  monde  et 
donnez  la  paix  au  genre  humain. 

La  troisième  raison  pour  laquelle  la  Sainte 
Vierge  accomplit  la  loi  de  la  purification,  a  été  de 
lui  fournir  l'occasion  d'être  instruite  par  le  saint 
vieillard  Siméon  conduit  au  temple  par  l'Esprit 
de  Dieu,   de  la  douleur  qu'ellç   4eyait  un  jour 


12  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


souffrir  et  de  l'y  préparer  de  longue  main.  Car  ce 
saint  vieillard,  prenant  Jésus-Christ  entre  ses  bras, 
après  avoir  exprimé  la  grande  consolation  qu'il 
éprouvait  en  portant  le  Sauveur  du  monde,  le  rendit 
à  la  Sainte  Vierge,  puis  s'adressant  à  elle  prononça 
ces  paroles  :  «  Celui-ci  est  pour  la  ruine  et  pour 
«  la  résurrection  de  plusieurs,  cest  un  signe  qui 
«  sera  contredit  et  un  glaive  transpercera  votre 
«  âme.  »  Par  ces  paroles  saint  Siméon  donne  à 
entendre  que  Jésus-Christ  ressemblerait  à  une 
pierre  sur  le  chemin,  que  cette  pierre  montrerait 
aux  uns  la  voie,  et  que  d'autres  viendraient  trébu- 
cher contre  elle  ;  que  bien  qu'il  fût  venu  pour  sau- 
ver tous  les  hommes,  il  serait  néanmoins  le  sujet 
d'une  plus  grande  damnation  pour  certains  qui  par 
malice  le  contrediraient  ;  ou  bien  qu'il  causerait  la 
ruine  et  la  résurrection  de  plusieurs  au  jugement 
dernier,  car  alors  il  en  précipiterait  plusieurs  dans 
les  enfers  et  en  exalterait  plusieurs  dans  la  gloire. 
En  attendant,  il  serait  comme  un  but  contre  lequel 
on  lance  beaucoup  de  traits  ;  c'est  ce  que  firent  les 
Juifs  contre  lui  en  le  contrariant  de  mille  maniè- 
res. Si  bien  que  pour  ce  motif  l'âme  de  la  Vierge 
devait  ressentir  des  douleurs  et  des  afflictions  très 
grandes.  Donc,  afin  que  la  Sainte  Vierge  entendît 
ces  paroles  douloureuses  et  qu'elle  se  préparât  à 
tout  souffrir,  le  Saint-Esprit  lui  inspira  de  se  sou- 
mettre à  la  cérémonie  de  la  purification,  dans 
laquelle  il  savait  ce  qui  devait  arriver. 

Apprenez  par  ces  considérations  à  ne  pas  don- 
ner, autant  que  possible,  de  scandale,  et  à  ne  pas 
fournir  à  autrui  de  prétexte  pour  se  plaindre  et 
murmurer  contre  vous.  Recherchez  et  embrassez 


DK    LA    SAINTE    VIERGE  \  .•> 

volontiers  les  occasions  où  vous  pourrez  être  moins 
estimé  que  ce  que  vous  êtes,  à  l'exemple  de  la 
Sainte  Vierge  dans  sa  purification.  Offrez  à  Dieu 
ce  que  vous  avez  de  plus  cher  et  de  plus  précieux 
au  monde,  offrez-lui  votre  cœur  et  vos  plus  arden- 
tes affections  pour  le  glorifier.  O  Vierge  immacu- 
lée, présentez-moi,  je  vous  en  supplie,  à  votre 
Fils  très  doux  et  offrez-moi  avec  lui  au  Père  éter- 
nel, afin  que  je  sois  capable  de  vous  accompagner 
en  esprit  à  votre  retour  de  Jérusalem  à  Nazareth. 
Enfin  préparez  votre  cœur  à  recevoir  les  afflictions 
que  Dieu  connaît  devoir  vous  arriver  pendant  le 
cours  de  votre  vie,  afin  que,  comme  les  traits  qu'on 
prévoit  blessent  moins,  vous  soyez  moins  ému  et 
moins  agité  quand  vous  en  serez  frappé,  à  l'exem- 
ple de  la  Sainte  Vierge  qui  fit  son  profit  des 
paroles  de  Siméon  et  qui  fut  plus  constante  et 
plus  résignée  à  Theure  des  contradictions  et  des 
souffrances  de  Jésus-Christ,  parce  qu'elle  s'y  était 
disposée  depuis  longtemps. 


14  l'A    THÉOLOGIE     AFFECTIVE 


XV^  MÉDITATION 

EXPLICATION   PLUS  AMPLE 

DU  GLAIVE  DE  DOULEUR 

qui  TRANSPERÇA  LE  CŒUR 

DE  LA  VIERGE 


SOMMAIRE 

Le  glaive  de  douleur  de  la  Vierge  —  i)  est  sem- 
blable au  glaive  du  Chérubin  —  2)  il  peut  être 
appelé  le  glaive  du  Seigneur —  3)  //  peut  être 
appelé  aussi  le  glaive  de  la  colombe. 

I 

CONSIDÉREZ  que  le  glaive  de  douleur  qui 
transperça  le  cœur  de  la  Vierge  fut  sem- 
blable à  celui  du  Chérubin,  qui  fut  chargé  par 
Dieu  de  garder  le  paradis  terrestre  ;  ce  fut  «  un 
»  glaive  de  flamme  voltigeant  ça  et  là.  »  (Gen.  3). 
Ce  fut  un  glaive  de  flamme,  c'est-à-dire  d'amour 
et  de  charité,  parce  que  la  douleur  qu'elle  ressen- 
tit au  sujet  de  Jésus-Christ  procédait  de  l'amour 
extrême,  dont  elle  brûlait  pour  ce  Sauveur  ;  car 
comme  l'amour  cause  une  grande  joie  quand  il 
arrive  quelque  bien  à  la  personne  aimée,  il  cause 
aussi  de  la  tristesse,  quand  il  lui  arrive  des 
malheurs  et  des  misères.  C'est  pourquoi  un  ancien 
disait  qu'il  n*y  avait  pas  autant  d*étoiles  brillant 


I>K     l.A     S  Al  NT  K     VIKIv'CR  m 

au  tirmamcnt,  ni  autant  de  feuilles  dans  les  bois, 
que  de  douleurs  dans  l'amour  ;  car,  quand  la  per- 
sonne aimée  soutVre,  la  personne  vraiment  aimante 
en  ressent  vivement  le  contre-coup,  dans  la  mesure 
même  de  son  amour.  Donc  Tamour  de  la  Sainte 
\'ierge  pour  Jésus-Christ  étant  très  grand  et  très 
parfait,  elle  en  ressentit  les  douleurs  les  plus 
grandes  et  les  plus  pénétrantes  qui  se  peuvent 
imaginer.  Et  certes  elle  aimait  Jésus-Christ  plus 
qu'elle-même  et  plus  que  son  propre  cœur;  c'est 
pourquoi  elle  fut  plus  tourmentée  à  Toccasion  de 
sa  mort  et  de  sa  Passion,  que  si  elle-même  eût  été 
en  croix.  Elle  souffrit,  dit  Amédée  (i),  au-delà  des 
forces  humaines  ;  elle  souffrit  plus  que  si  elle  eût 
été  torturée  dans  son  propre  corps,  parce  qu'elle 
aimait  incomparablement  plus  qu'elle-même  le 
sujet  à  cause  duquel  elle  souffrait.  Mais  le  Saint- 
Esprit  renferma  cette  grande  et  très  véhémente  dou- 
leur dans  son  âme,  et  ne  la  laissa  pas  rejaillir  sur 
son  corps  qui  en  serait  mort  mille  fois.  En  effet,  si 
nous  voulons  adopter  les  pensées  des  grands 
Théologiens  (2),  la  Vierge  fit  dans  la  mort  de 
Jésus-Christ  une  perte  inestimable,  car  elle  le 
perdit  pour  trois  jours  et  perdit  pour  ce  même 
temps  sa  qualité  glorieuse,  qui  est  la  qualité  de 
Mère  de  Jésus-Christ  ;  Jésus-Christ  cessa  en  effet 
d'être  son  Fils,  car  qui  dit  fils  dit  un  être  vivant, 
et  Jésus-Christ  cessa  d'être  vivant,  puisqu'il 
était   véritablement   mort.  Qui    dit    fils   dit    un 

1.  Homil.  5  De  Virg.  matre  ;  «  Quia  incomparabiliier 
«  diîigebat  id  unde  doîebat.  » 

2.  Œgidius  Rom.  Qnodlib.  4,  disp.  2,  q.  i. 


LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


être  semblable  à  son  principe,  et  dans  ce 
temps  Jésus-Christ  cessa  d'être  semblable  à  la 
Vierge  au  point  de  vue  de  la  nature  humaine  qui 
n'était  plus  en  lui,  puisque  la  nature  humaine  se 
compose  d'un  corps  et  d'une  âme  unis  ensemble. 
Or  pendant  les  trois  jours  de  la  mort,  l'âme  et  le 
corps  de  Jésus-Christ  demeurèrent  séparés  (i). 
Ainsi  le  Verbe  incarné  cessant  d'être  le  Fils  de  la 
Vierge,  la  Vierge  cessa  d'être  mère,  et  la  qualité 
sublime  de  sa  maternité  incomparable  qui  l'élève 
au-dessus  de  tout  le  monde,  fut  éclipôée  en  elle. 
Quelle  douleur  ne  devait-elle  donc  pas  ressentir 
d'une  si  grande  perte  ? 

Compatissez  aux  excessives  douleurs  de  la  Sainte 
Vierge  et  à  sa  perte  immense  qui  est  au-dessus  de 
toutes  les  pensées  et  de  toutes  les  considérations. 
Soyez  confus  de  ressentir  si  peu  les  douleurs  de 
Jésus-Christ.  Sans  doute  cela  vient  de  ce  que 
vous  n'avez  point  d'amour  pour  lui  ;  voilà  pour- 
quoi vous  demeurez  insensible  à  la  vue  de  ses 
peines,  comme  si  c'était  une  personne  indifféren- 
te qui  souffrît.  O  très  pitoyable  Jésus,  qu'une  très 
ardente  charité  a  attaché  à  la  croix  pour  nous,  ac- 
ceptez la  douleur  et  la  compassion  de  votre  très 
douce  Mère  pour  l'expiation  de  mes  péchés  et  pour 
les  péchés  du  monde  entier.  O  très  doux  et  très 
suave  Jésus,  je  vous  offre  pour  moi  et  pour  tout 
l'univers,  la  douleur  que  ressentit  votre  très  bénie 
et  très  affligée  Mère,  lorsqu'elle  vous  vit  nu,  pau- 
vre, humilié  et  méprisé,  lorsqu'elle  vous  vit  cruci- 

I.  Scotns,  IN  3  SENT.  dist22,  q.  unica,  tenei  Chrisium 
non  fuisse  Jiotninem  in  iriduo  mortis.  (Note  de  l'auteur). 


DE    I.A    SAINTE    VIERGE  I7 

fié  entre  deux  larrons.  O  mon  cher  Sauveur,  je 
vous  supplie  par  votre  miséricorde,  d'imprimer 
dans  mon  cœur  votre  Passion  et  la  compassion  de 
votre  sainte  Mère,  afin  que  je  vous  considère  dans 
votre  Passion  avec  ses  mêmes  regards  et  que  je 
ressente  vos  douleurs  du  même  cœur  qu'elle- 
même. 

II 

Considérez  que  ce  même  glaive  de  douleur  peut 
être  comparé  à  celui  dont  il  est  parlé  au  livre  des 
Juges  et  qui  fut  appelé  «  la  glaive  du  Seigneur  et 
«  de  Jédéon  »  (Juges,  7),  d'autant  plus  que  la 
Vierge  était  torturée  par  les  souffrances  de  Jésus- 
Christ  même.  Car  toutes  les  mêmes  douleurs  qui 
furent  éparses  dans  le  corps  de  Jésus-Christ,  fu- 
rent réunies  dans  le  cœur  de  Marie,  qui  en  fut  pro- 
fondément navré.  Là,  Madame,  dit  le  Docteur 
séraphique  (i),  votre  cœur  fut  percé  de  la  lance  et 
couronné  d'épines,  là  il  fut  moqué,  bafoué,  ca- 
lomnié, abreuvé  d^  fiel  et  de  vinaigre.  Le  roi 
David  que  plus  de  mille  ans  séparaient  de 
l'époque  de  la  Passion,  en  parlait  néanmoins 
comme  s'il  l'eût  ressentie  dans  son  propre  corps  et 
comme  s'il  eût  enduré  lui-même  toutes  les  tortures 
qui  furent  infligées  à  Jésus-Christ.  «  Ils  m'ont 
«  regardé  et  considéré^  ils  se  sont  partagé  mes 
«  vêtements^  Ils  ont  percé  mes  mains  et  mes 
«  pieds^  ils  ont  compté  mes  os.  »  (Ps.  21).  C'est 
ainsi  qu'il  parle  ordinairement  de  la  Passion, 
absolument  comme  si  elle  avait  été  infligée  à  sa 
propre  personne  ;  ce  que  n'ont   pas    coutume  de 

I.  In  Stimul,  part.  2,  c.  3. 
Bail.  t.  ix.  • 


iS  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

faire  les  autres  prophètes.  Mais  saint  Léon  le 
Grand  (i)  dit  que  ce  Roi  se  représentait  vivement 
les  douleurs  de  Jésus-Christ,  et  comme  si  elles 
lui  eussent  été  propres,  parce  qu'il  considérait  le 
Sauveur  comme  descendant  de  lui,  comme  formé 
de  sa  chair  et  de  son  sang.  Ainsi,  conclut  ce  Père, 
David  a  véritablement  souffert  en  Jésus-Christ, 
parce  que  Jésus-Christ  a  souffert  dans  la  chair  de 
David.  Si  donc  David  a  pu  s'attribuer  les  douleurs 
et  les  souffrances  de  Jésus-Christ,  bien  qu'il  ait 
existé  plus  de  douze  cents  ans  avant  la  Passion, 
que  ne  devons-nous  pas  penser  de  la  Sainte  Vierge 
qui  lui  était  si  proche  qu'il  était  la  chair  de  sa 
chair?  Elle  aura  pu  comme  David  s'attribuer  tous 
les  tourments  de  sa  sainte  Passion.  En  effet,  quand 
saint  Siméon  lui  prédit  ses  douleurs  et  lui  dit  : 
«  Un  glaive  transpercera  votre  âme^  »  (Luc,  2), 
il  n'entend  pas  autre  chose  par  ce  glaive  que  la 
douleur  et  la  Passion  de  Jésus-Christ  ;  car  de 
même  qu'il  arrive  qu'un  grand  coup  qui  tue  une 
personne  en  blesse  souvent  une  autre  qui  est  au- 
près d'elle,  ainsi  la  Passion,  qui  donna  le  coup  de 
la  mort  à  Jésus-Christ,  fit  une  grande  et  doulou- 
loureuse  blessure  à  l'âme  de  la  Sainte  Vierge,  qui 
était  unie  et  collée  d'amour  à  celle  de  son  Fis  (2). 
D'où  vient  que  Dieu  ne  fit  pas  un  petit  miracle, 
dit  sainte  Brigitte  (6),   quand  la  Vierge-Mère  na- 

1.  Serm.  16,  De.  passionne.  «  Vere  oiivi  David  in 
«  Christo  est  passîiSj  quia  vere  Jésus  in  David  carne  est 
«  crucifixus.  » 

2.  Maldonat, 

3.  In  Serm.  Aug.  c.  18. 


\<K     LA     SAIXTE    VIERGE  IQ 

vrée  par  tant  de  douleurs  et  voyant  son  Fils  bien- 
aimé  traité  avec  tant  de  cruauté  et  d'ignominie, 
ne  mourut  pas.  La  femme  de  Phinée  mourut  de 
douleur,  en  apprenant  que  l'arche  avait  ''*é  prise 
par  les  ennemis.  (I,  Rois,  4).  Or  les  dv  leurs  de 
cette  femme  ne  peuvent  être  comparées  aux  dou- 
leurs de  la  Sainte  Vierge,  qui  voyait  le  corps  de 
son  Fils,  figuré  par  cette  arche,  pris  et  retenu 
par  les  clous  sur  l'arbre  de  la  croix.  Si  bien 
que  pour  ce  motif  elle  peut  être  appelée  martyre, 
parce  qu'elle  a  souffert  de  la  part  des  Juifs  des 
douleurs  capables  de  lui  ôter  la  vie,  si  Dieu  n'eût 
pas  fait  un  miracle,  pour  la  préserver  alors  de  la 
mort.  Ainsi  saint  Jean  l'Evangéliste  a  le  titre  glo- 
reux  de  martyr,  quoiqu'il  ait  été  miraculeusement 
préservé  dans  la  chaudière  d'huile  bouillante  où  il 
fut  jeté  ;  parce  qu'il  suffit,  pour  avoir  ce  noble 
titre,  d'avoir  souffert  des  tourments  assez  grands 
pour  en  mourir,  quoiqu'on  ait  été  préservé  de  la 
mort  par  quelque  secours  miraculeux. 

Tirez  de  ce  point  les  mêmes  affections  que  du 
précédent  et  ajoutez-y  celles  du  Docteur  séraphi- 
que  (i),  qui  adresse  à  la  Sainte  Vierge  mourant  sur 
le  Calvaire  les  demandes  suivantes  :  O  Marie,  qui 
êtes  toute  abîmée  dans  vos  douleurs  et  qui  renou- 
velez en  vous  la  Passion  de  Jésus-Christ,  unissez 
à  mon  cœur  votre  cœur  tout  blessé.  Eh  !  pourquoi 
donc  mon  cœur  ne  serait-il  pas  navré  aussi  bien 
que  le  vôtre,  en  ressentant  les  douleurs  de  votre 
Fils  mourant  ?  O  Madame,  quelle  est  la  mère,  qui, 
si  elle  pouvait,  ne  voudrait  prendre  les  maux  de 

I.  In  Stimul.  p.  2. 


10  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

• 

son  fils  pour  en  charger  un  méchant  serviteur  ?  O 
Madame,  pourquoi  rejetez- vous  ma  demande? 
Ou  je  vous  ai  offensé,  ou  je  vous  ai  servi;  si  je 
vous  ai  offensé,  vengez-vous  sur  mon  cœur,  faites- 
lui  ressentir  les  douleurs  de  votre  Fils  innocent  ; 
si  je  vous  ai  servi,  je  ne  veux  d'autre  salaire  que 
ses  blessures.  Eh  !  où  est  donc,  ô  sainte  Vierge, 
votre  clémence  accoutumée  ?  Je  ne  vous  demande 
pas  un  soleil,  ni  un  royaume,  je  vous  demande  les 
plaies  de  votre  Fils.  Quoi!  en  serez-vous  avare,  au 
point  de  refuser  à  celui  qui  vous  prie,  de  les  lui 
imprimer  dans  le  cœur  ?  De  deux  choses  l'une  : 
ou  ôtez-moi  la  vie,  ou  faites-moi  ressentir  la  mort 
de  votre  Fils. 

III 

Considérez  que  le  glaive  de  la  Sainte  Vierge  fut 
semblable  au  glaive  de  la  colombe,  dont  parle 
Jérémie.  «  Retournons  dans  notre  pays  natal^ 
«  fuyons  le  glaive  de  la  colombe.  »  (ch.  46).  Il 
est  vrai  que  si  nous  prenons  l'Ecriture  à  la  ri- 
gueur de  la  lettre,  ce  glaive  de  la  colombe  s'en- 
tend de  l'armée  d'Alexandre  le  Grand,  qui  avan- 
çait rapidement  comme  la  colombe,  ou  bien  des 
Chaldéens  qui  avaient  sur  leurs  étendards  l'image 
de  la  colombe,  en  souvenir  de  leur  reine  Sémira- 
mis,  que  l'on  croyait  avoir  été  nourrie  par  des 
colombes  (i).  Mais  si  on  l'entend  par  accommoda- 
tion et  dans  le  sens  mystique,  on  peut  voir  dans 
ce  glaive  de  la  colombe  la  douleur  de  la  Vierge 
gémissant  comme   une    colombe   dans  la  retraite 


» 


I.  Theodor.  in  hune  locum.  —  Corn,  a  Lap.  ibid. 


DE    l.A    SAIXTK    VIRRc".  E  21 

intérieure  des  plaies  de  Jésus-Christ,  selon  ce  qui 
est  dit  dans  le  Cantique  sacré  :  «  Ma  colombe  est 
»  dans  les  trous  de  la  pierre,  dans  le  creux  de 
«  la  muraille.  Vos  yeux  sont  des  yeux  de  colombe, 
«  sans  compter  ce  qui  est  caché  au-dedans .  » 
(Gant.  2  et  4).  En  effet  la  colombe  est  le  s3^mbole 
de  la  douceur  et  de  la  patience  ;  elle  souffre  sans 
dépit  et  sans  songer  à  se  venger,  quand  on  lui 
ravit  ses  petits  qui  lui  sont  si  chers.  C'est  pour- 
quoi Origène  (i)  compare  Job  à  la  colombe  qui 
supporte  le  fardeau  de  ses  pertes  et  la  mort  de  ses 
enfants  avec  une  patience  toute  héroïque.  Or,  bien 
que  Job  ait  été  en  son  temps  un  miroir  de  patience 
et  une  colonne  que  n'ont  pu  ébranler  toutes  les 
secousses  des  afflictions  de  ce  monde,  néanmoins  il 
ne  peut  être  comparé  à  la  Mère  de  Jésus-Christ, 
dont  la  magnanimité  l'emporte  sur  les  plus  grands 
courages  de  la  terre  et  supporte  une  affliction  qui 
surpasse  toutes  les  afflictions  du  monde.  «  Au- 
«  près  de  la  croix  de  Jésus,  sa  Mère  était  de- 
«  bout.  »  (Jean,  16).  Les  tempêtes  qui  la  battirent 
rudement,  ne  l'abattirent  pas,  elle  demeurait 
ferme  comme  une  forte  colonne  bien  assise  et 
que  rien  ne  peut  ébranler  C'est  pourquoi  dire 
que  le  cœur  lui  manqua  et  qu'elle  tomba  par  terre 
de  faiblesse,  c'est  démentir  l'Evangile,  car  elle 
demeura  ferme  et  toute  droite  aux  pieds  de  la 
croix  (2).  Elle  en  méditait  l'admirable   mystère  et 

1.  Liv.  2,  171  Job. 

2.  Les  peintures  et  les  tableaux  représentant  la 
Sainte  Vierge  tombant  en  syncope  ont  été  proscrits 
par  ordre  des  Inquisiteurs  de  la  foi.  (Cf.  Alex.  M. 
Planch.  O.  S.  M.,  Vita  B.  M.  V.,  etc.,  p.  207  et  suiv.) 


22  LA  THEOLOGIE  AFFECTIVE 

le  fruit  qui  en  proviendrait  ;  elle  admirait  la  cha- 
rité excessive  de  son  Fils  et  s'unissant  à  son  des- 
sein généreux,  souhaitant  comme  lui  la  gloire  de 
Dieu  et  le  salut  du  genre  humain,  elle  souffrait  en 
patience  et  douceur  cette  mort  si  amère,  d'où  pro- 
viendraient des  fruits  très  savoureux.  Même  au 
milieu  de  ses  douleurs  et  des  gémissements  in- 
térieurs de  son  âme  sur  un  si  lamentable  objet, 
elle  rendait  des  actions  de  grâces  à  son  Fils,  et 
lui  disait  en  elle-même  :  Je  vous  rends  grâces  de 
toute  Tardeur  de  ma  dévotion,  p  mon  Fils  bien- 
aimé,  pour  votre  Passion  et  votre  mort  ;  je  vous 
loue  et  je  vous  bénis  au  nom  de  tous  les  hommes 
et  de  toutes  les  créatures,  puisque  vous  avez 
estimé  davantage  notre  vie  spirituelle  que  votre 
vie  corporelle  (i).  Elle  pouvait  bien  dire  aussi  ces 
paroles  du  Cantique  :  «  Je  suis  noire,  mais  jesuis 
(c  belle  »  (ch.  i);  car  si  elle  était  noire  et  hideuse 
à  cause  de  ses  angoisses,  elle  était  belle  cependant 
à  cause  de  ses  excellentes  vertus,  qui  la  faisaient 
tenir  bon  au  pied  de  la  croix  d'un  esprit  ferme  et 
élevé  au  ciel  ;  elle  augmentait  ses  mérites  d'une 
manière  indicible  par  sa  patience  généreuse  et  in- 
vincible (2).   Voilà  pourquoi  Jésus-Christ  voulut 

1.  Veruchin.  Méditai.  68. 

2.  «  Elle  est  parvenue  à  un  tel  sommet  de  gloire,  que 
«  nul  autre,  ni  homme,  ni  ange,  n'obtiendra,  parce  que 
«  personne  ne  pourra  jamais  lui  être  comparé  en  mérite  et 
«  en  vertu.  Ainsi  la  royauté  dans  le  ciel  et  sur  la  terre 
«  lui  est  destinée,  parce  qu'elle  doit  être  l'invincible  Reine 
«  des  martyrs  ;  ainsi  pendant  toute  l'éternité  elle  portera 
«  un  diadème  et  sera  assise  sur  un    trône    auprès  de  son 


DE    LA     SAINTE    VIERGE  23 

qu'elle  fût  présente  à  son  supplice,  il  connaissait 
la  grandeur  de  son  courage,  il  savait  qu'elle  était 
prête  à  suivre  «  V Agneau  partout  oh  il  irait  » 
(Apoc,  14),  et  que  cette  présence  lui  fournirait  une 
occasion  de  la  glorifier  davantage.  En  vérité  cette 
constance  en  la  Sainte  Vierge  est  si  grande  que  le 
Saint-Esprit  a  jugé  à  propos  d'en  léguer  le  sou- 
venir à  tous  les  siècles  et  que  dans  ce  but  il  a  fait 
écrire  dans  l'Evangile  :  «  qu'elle  était  debout  au- 
«  près  de  la  croix  de  Jésus.  »  (Jean,  i6).  Elle  le 
regardait  non  de  loin,  mais  de  près,  d'un  endroit 
où  elle  pouvait  être  arrosée  des  gouttes  de  son 
sang  qui  coulait  et  des  larmes  qui  tombaient  de 
ses  j^eux,  d'un  endroit  d'où  elle  pouvait  entendre 
ses  dernières  paroles.  Et  là  elle  était  debout,  non 
à  terre,  ni  assise,  ni  évanouie,  ni  soutenue  ou 
s'appuyant  sur  quelqu'un,  mais  regardant  tout  ce 
qui  se  passait  sur  le  Calvaire,  écoutant  tout  ce  qui 
s'y  disait,  avec  une  générosité  incomparable  et  un 
courage  invincible,  unissant  son  cœur  au  cœur  de 
Jésus-Christ,  son  Fils,  et  ses  intentions  aux 
siennes,  consentant  avec  lui  au  sacrifice  qu'il 
offrait  pour  la  Rédemption  du  monde,  dont  elle 
souhaitait  le  salut  avec  la  charité  la  plus  ardente 
qui  ait  jamais  été,  après  celle  qui  se  trouvait  dans 
l'âme  de  Jésus-Christ.  C'est  pourquoi  sa  vertu  y 
fut  toute  admirable  et  sa  conduite  pleine  de  mé- 
rites. 

«  Fils^  parce  qu'elle  doit,  avec  une  grande  constance  du- 
«  rant  sa  vie  et  une  constance  beaucoup  plus  admirable  en- 
«  core  sur  le  Calvaire,  boire  avec  lui  au  calice  débordant 
«  de  la  tristesse.  »  (Léon  XIII,  Encycl.  Magnœ  Dei 
Matris,  8  sept.  1892). 


24  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

Admirez  donc  la  constance  et  la  sainteté  de  cette 
Mère  divine,  et  l'excessive  chanté  qu'elle  avait 
pour  le  salut  des  hommes,  qui  lui  fit  accepter  et 
regarder  d'un  œil  tranquille  le  supplice  de  son 
Fils.  Imitez  sa  conduite  dans  les  afflictions  de  cette 
vie,  en  considérant  le  dessein  qu'a  Dieu  d'en  tirer 
de  grands  biens,  afin  de  ne  pas  vous  laisser  absor- 
ber par  la  tristesse.  Demandez-lui  qu'elle  vous  y 
obtienne  la  douceur  d'esprit  et  la  patience.  Vous 
pouvez  aussi  imiter  à  ce  sujet  la  conduite  d'un 
prêtre  très  pieux  (i),  qui  considérant  ses  extrêmes 
angoisses,  s'efforçait  de  la  consoler  en  lui  disant  : 
Réjouissez-vous,  Marie,  d'être  la  Mère  de  Dieu  et 
toute  immaculée.  Réjouissez-vous,  Marie,  à  cause 
de  la  nouvelle  joyeuse  que  vous  avez  reçue  de 
l'ange.  Réjouissez-vous  d'avoir  mis  au  monde  la 
lumière  éternelle.  Réjouissez-vous,  Marie,  parce 
que  vous  êtes  Vierge  et  Mère.  Réjouissez-vous, 
parce  que  toute  créature  vous  loue.  Ce  service 
pieux  fut  si  agréable  à  la  Sainte  Vierge,  que  ce  bon 
ecclésiastique,  éprouvant  à  l'article  de  la  mort  de 
grandes  peines  à  cause  des  tentations  de  désespoir 
par  lesquelles  le  démon  le  tourmentait,  elle  lui 
apparut  toute  joyeuse  et  lui  dit  :  Pourquoi  es-tu 
affligé,  mon  fils,  toi  qui  t'eflorçais  d'adoucir  mes 
douleurs  ?  Tu  m'as  annoncé  la  joie  et  tu  es  dans  la 
tristesse  ?  Réjouis- toi  aussi  maintenant,  viens 
avec  moi  jouir  du  ciel,  après  avoir  quitté  joyeuse- 
ment la  terre, 

I.  Dan.  Mallon,  adc.  i.  Paleoti.  De  sacr.  sindone. 


DE    LA    SAINTE    VIERGE  25 


XVr  MÉDITATION 

DES  MÉRITES  DE  LA  SAINTE  VIERGE 

ET  COMBIEN  GRANDE 

FUT  SA  GRACE 


SOMMAIRE  : 

La  Sainte  Vierge  a  mérité  un  accroissement  de 
grâce  à  chaque  instant  de  sa  vie  qui  dura 
soixante-trois  ans.  —  Elle  a  mérité  par  tous 
les  actes  de  sa  vie  soit,  active  soit  contempla- 
tive^ et  la  nuit  comme  le  jour.  —  A  quelle 
quantité  de  grâce  était-elle  parvenue  à  la  fin  de 
sa  vie. 

I 

CONSIDÉREZ  que  la  Sainte  Vierge  a  mérité 
l'accroissement  de  sa  grâce  et  de  sa  gloire, 
depuis  sa  première  sanctification  jusqu'à  la  fin  de 
sa  vie  qui  fut  de  soixante-trois  ans  (i).  En  voici  la 
raison  :  pendant  tout  ce  temps  elle  était  en  état  de 
mériter  et  elle   avait  toutes  les  conditions  néces- 

I.  Suarez,  tom.  2,  disp.  18,  sect.  i.  La  date  de  la 
mort  de  la  Sainte  Vierge  est  incertaine.  L'opinion  la 
plus  probable  fixe  sa  mort  à  l'âge  de  soixante-douze 
ans.  C'est  l'opinion  de  saint  Antonin,  de  Corneille  à 
Lapierre,  de  Gotti  (De  vera  relig.  Christ.,  t.  4,  p.  2. 
c.  40,  parag.  3,  n.  12  et  13),  de  Suarez  (De  myst.  vit. 
CH.  s.  i). 


26  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

saires  au  mérite,  car  elle  était  libre  et  pouvait  à 
son  gré  produire  divers  actes  de  vertu.  Elle  était 
en  état  de  grâce  sanctifiante  et  de  charité,  état  dont 
jamais  elle  ne  fut  déchue,  mais  qui  persista  tou- 
jours en  elle.  Elle  était  aussi  voyageuse,  c'est-à- 
dire  dans  la  voie  de  la  béatitude  éternelle.  Enfin 
pendant  ce  temps  elle  s'appliqua  à  des  œuvres  très 
saintes  et  très  louables  et  n'en  accomplit  jamais 
une  seule  qui  fût  défectueuse  et  répréhensible  ; 
parce  qu'elle  était  l'objet  d'une  protection  très 
spéciale  de  Dieu,  qui  l'empêchait  d'omettre  une 
chose  commandée  sous  peine  de  péché.  Par  consé- 
quent elle  a  mérité  durant  toute  sa  vie  un  accrois- 
sement de  grâce  et  de  gloire. 

Quelques  Docteurs  (i)  néanmoins  bornent  le 
cours  de  son  mérite  à  l'époque  de  la  conception  de 
Jésus-Christ,  époque  où  l'ange  la  dédiXTa  pleme  de 
grâce.  Ils  disent  qu'alors  elle  reçut  une  grâce  aussi 
parfaite  qu'elle  était  capable  de  la  recevoir,  car 
l'ange  aurait  parlé  contre  la  vérité,  en  la  procla- 
mant/)7^/w^  de  grâce,  si,  à  partir  de  ce  moment,  elle 
eût  pu  augmenter  cette  grâce,  puisque  ce  qui  est 
plein  ne  peut  rien  recevoir  de  plus  (2).  Mais  ce 
raisonnement  est  peu  fondé  et  ne  suffit  pas  pour 

1.  Almain,  in  3,  dist.  5. 

2.  Cette  opinion  soutenue  par  Scot,  Alexandre  de 
Halès  et  Richard  ne  jouit  d'aucune  probabilité,  car  elle 
ne  s'appuie  sur  aucun  fondement  solide;  elle  va  contre 
Topinion  commune  (Cf.  Suarez,  De  myst.  vit.  Chr. 
d.  18,  s.  I  ;  Raynaud,  Dypt.  Mar.  part.  2.  p.  3.)  Ces 
mots  pleine  de  grâce  doivent  s'entendre  non  pas  de  cette 
plénitude  finale  que   la    Sainte   Vierge    ne   devait  pas 


HE     LA    SAINTE    VIERGE 


priver  la  Vierge  du  droit  qu'ont  tous  les  hommes 
justes  de  pouvoir  augmenter  de  plus  en  plus  leurs 
mérites  et  leur  grâce,  par  un  progrès  perpétuel 
durant  tout  le  cours  de  cette  vie  que  Dieu  a  des- 
tinée au  mérite.  Après  la  conception  de  son  Fils 
en  effet  elle  était  plus  agréable  à  Dieu  ;  elle  fit 
aussi  des  œuvres  plus  excellentes  dignes  de  récom- 
penses toutes  particulières,  par  exemple  elle  nourrit 
le  Fils  de  Dieu  et  l'éleva,  elle  assista  à  sa  mort  avec 
une  patience  surhumaine  et,  après  son  Ascension, 
elle  assista  ses  membres,  c'est-à-dire  les  premiers 
chrétiens,  par  ses  instructions,  ses  exemples,  ses 
consolations  et  par  plusieurs  autres  moyens.  Pour- 
quoi toutes  ces  œuvres  n'eussent-elles  pas  été 
méritoires  aussi  bien  que  celles  qu'elle  faisait 
avant  d'être  saluée  par  l'ange  ?  Ceux  qui  préten- 
dent que  toute  la  grâce  qu'elle  pouvait  mériter 
dans  cette  vie,  lui  fut  donnée  par  avance  au 
moment  où  elle  conçut  son  Fils,  l'affirment  gra- 
tuitement et  on  doit  le  nier  aussi  facilement  qu'ils 
l'affirment.  Il  est  bien  vrai  qu'alors  elle  reçut  une 
grâce  qui  la  consomma  et  la  confirma  dans  le  bien, 
fermant  tout  accès  au  péché;  ainsi  elle  fut  rendue 
impeccable  comme  il  convenait  à  sa  qualité  de 
Mère  de  Dieu  (i).   Mais  elle  ne  fut  pas  tellement 

dépasser,  mais  de  la  plénitude  de  la  mesure  de  grâce  à 
laquelle  elle  était  prédestinée  en  vue  de  sa  maternité 
divine. 

I.  Cette  grâce  qui  la  confirma  dans  le  bien  et  la  ren- 
dit impeccable  lui  fut  conférée  dans  sa  première  sanc- 
tification, c'est-à-dire  au  moment  même  où  elle  fut 
conçue.  «  //  est  certain,   dit  Suarez  (De  myst.  vit.  Ch. 


28  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

consommée  qu'elle  ne  pût  encore  recevoir  quelques 
nouveaux  degrés  de  grâce,  par  lesquels  elle  s'enri- 
chissait de  jour  en  jour  et  de  minute  en  minute, 
semblable  au  soleil  qui  croît  jusqu'à  ce  qu'il  soit 
au  point  le  plus  élevé  du  ciel,  c'est-à-dire  à  son 
midi.  C'est  pourquoi  Rupert  (i)  méditant  ces  pa- 
roles du  Cantique  :  «  Ouelle  est  celle  qui  monte 
«  semblable  à  Vaurore  qui  se  lève,  belle  comme 
«  la  lune,  choisie  comme  le  soleil  ?  »  dit  que  la 
Vierge  ressembla  dans  sa  première  sanctification 
à  l'aurore  ;  dans  la  conception  de  Jésus-Christ,  à 
la  lune  ;  dans  sa  mort,  au  soleil.  Elle  fut,  il  est 
vrai,  pleine  de  grâce,  au  moment  de  la  conception 
de  son  Fils,  mais  c'était  seulement  autant  que  son 
état  le  requérait  alors,  et  autant  qu'il  convenait  de 
l'être  à  celle  qui  commençait  à  être  plus  proche  de 
Dieu,  à  être  sa  Mère.  Ce  qui  n'empêche  pas  que, 
puisqu'elle  continuait  ses  actes  méritoires  très 
sublimes,  il  ne  lui  convînt  de  recevoir  à  la  fin  de 
sa  vie  la  suprême  consommation  de  ses  grâces  par 
la  gloire  et  la  vision  bienheureuse. 

Félicitez  la  Sainte  Vierge  pour  le  bonheur  qu'elle 

«  d.  4,  s.  4,  parag.  Scd  vix)  quelle  reçut  dé  sa  première 
<ii  sanctification  des  dons  de  grâce  et  des  secours  tels  qu'elle 
«  ne  pécherait  jamais.  Une  telle  grâce  est  en  effet  néces- 
«  saire pour  ne  jamais  pécher  véniellement ,  et  c'est  là  le 
«  privilège  spécial  qui,  d'après  le  Concile  de  Trente,  lui  a 
«  été  conféré. '}>  La  grâce  qu'elle  reçut,  quand  elle  conçut 
le  Fils  de  Dieu,  ne  la  rendit  pas  plus  impeccable,  mais 
à  partir  de  ce  moment  elle  eut  à  l'impeccabilité  un 
droit  strict,  qui  résultait  de  sa  dignité  de  Mère  de  Dieu. 
(Suarez,  1.  c.  parag.  Ex  quo). 
I.  Lib.  6.  in  Cant.  cap.  6. 


DE    LA    SAINTE    VIERGE  29 

a  eu  dans  le  commencement  et  dans  la  continuation 
de  son  mérite.  Admirez-la,  et  dites  :  «  Quelle  est 
«  celle  qui  monie  semblable  à  Vaurore  qui  se 
«  lève,  belle  comme  la  lune,  choisie  comme  le 
«  soleil  ?  »  Désirez  et  mettez-vous  en  devoir  de 
mériter  ainsi  continuellement  tout  le  temps  de 
votre  vie,  que  Dieu  vous  donne  pour  mériter 
réternité  bienheureuse  (i). 

II 

Considérez  que  la  Sainte  Vierge  a  mérité  par 
tous  et  par  chacun  de  ses  actes,  qu'elle  a  mérité 
par  des  actes  très  parfaits  de  la  vie  active  et  de  la 
vie  contemplative,  dans  tous  les  trois  états  de  sa 
vie,  le  jour  et  la  nuit.  Toutes  ces  paroles  ont  leur 
valeur  et  doivent  être  considérées  distinctement. 

En  premier  lieu,  la  Sainte  Vierge  a  mérité  par 
tous  et  par  chacun  de  ses  actes,  car  dès  sa  première 
sanctification  elle  était  douée  d'une  excellente 
connaissance  des  perfections  de  Dieu  et  des  moyens 
de  lui  plaire  ;  elle  était  entlammée  d'une  ardente 
charité  qui  la  portait  à  vouloir  lui  plaire  en  toutes 
choses  et  à  vouloir  le  glorifier.  Elle  était  aussi 
dégagée  de  toute  inclination  désordonnée  pour  la 
créature.  C'est  pourquoi  elle  ne  faisait  que  des 
actions  vertueuses  et  moralement  bonnes,  elle  les 
faisait  en  vue  de  Dieu,  et  pour  sa  gloire.  Jamais 
elle  n'en  fit  une  seule  de  mauvaise  et  de  répréhen- 
sible,  pas  même  une  seule  qui  fût  indifférente, 
parce  que  les  âmes  parfaites  et  qui  agissent  selon 
la   plus   haute  perfection,   ne   font   pas  d'actions 

I.  Suarez,  ibid.  sect.  2. 


3o  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

<. 

indifférentes.  Or  la  Vierge  a  été  très  parfaite,  elle 
a  choisi  la  meilleure  part  et  la  meilleure  façon 
d'agir  et  elle  a  tout  rapporté  à  Dieu  qu'elle  aimait 
uniquement.  Elle  était,  dit  saint  Ambroise,  atten- 
tive à  ses  actions,  réservée  dans  ses  paroles,  elle 
était  accoutumée  à  avoir  non  pas  un  homme,  mais 
Dieu  pour  juge,  à  tel  point  que  l'apparence  exté- 
rieure de  son  corps  était  la  représentation  de  son 
âme  et  l'image  de  sa  probité  (i). 

En  second  lieu,  la  Sainte  Vierge  a  mérité  par 
des  actes  très  parfaits  de  la  vie  soit  active,  soit 
contemplative,  parce  que  l'état  le  plus  parfait  de  la 
vie  humaine,  celui  qu'a  embrassé  Jésus-Christ,  ce 
modèle  de  la  vraie  perfection,  comprend  les  actions 
de  la  vie  active  et  celles  de  la  vie  contemplative 
tout  à  la  fois,  ainsi  que  l'enseigne  le  Docteur  angé- 
lique  (2).  Or  la  Vierge  a  embrassé  l'état  le  plus 
parfait,  et  s'est  conformée  de  plus  près  qu'aucun 
saint  à  la  vie  et  à  la  sainteté  de  son  Fils.  C'est 
pourquoi  elle  a  mérité  par  des  actes  très  parfaits 
de  la  vie  active  et  de  la  vie  contemplative. 

En  effet,  et  c'est  ce  qui  est  à  considérer  en  troi- 
sième lieu,  elle  a  mérité  par  ses  actes  dans  les  trois 
états  de  sa  vie,  dans  l'état  de  jeune  fille,  depuis  sa 
conception  jusqu'à  l'Annonciation,  dans  l'état  de 
Mère,  depuis  l'Annonciation  jusqu'à  l'Ascension, 
où  son  Fils  se  sépara  d'elle,  et  enfin  dans  l'état  de 
veuve,  depuis  l'Ascension  de  Jésus-Christ  jusqu'au 
jour  de  sa  propre  mort.  Dans  le  premier  état  on 
peut  juger  de  ses  actes  par  la  vie  qu'elle  mena  dans 

1.  Lib.  2.  De  Virgin. 

2.  II.  II.  q.  188.  art.  6. 


l)  !•:    I.  A    s  A  I  N  T  !•;     \  I  1-.  R  i .  K  .->  I 

le  temple  de  Jérusalem,  où  elle  partagea  son 
temps  entre  les  œuvres  extérieures  saintes  et  la 
prière  ou  la  méditation.  Dans  le  second  état  elle 
s'occupa  exclusivement  de  Jésus-Christ,  de  le 
servir,  de  le  suivre,  de  le  pourvoir  de  tout  ce 
qu'elle  pouvait  lui  donner,  de  l'entendre  discourir 
et  de  méditer  ses  paroles,  car  si  elle  conserva  dans 
son  cœur  et  si  elle  médita  sur  les  paroles  de 
Siméon  (Luc,  2)  et  sur  celles  d'autres  personnes 
que  son  Fils,  à  plus  forte  raison  aura-t-elle  con- 
servé dans  son  cœur  et  médité  sur  les  paroles  de 
Jésus-Christ,  qu'elle  écoutait  sans  doute  avec  non 
moins  d'attention  que  Marie  Madeleine.  Saint 
Epiphane  (i)  l'appelle  pour  ce  motif  la  perpétuelle 
spectatrice  et  suivante  de  Jésus-Christ,  ne  perdant 
pas,  autant  qu'elle  le  pouvait,  un  seul  de  ses  ser- 
mons. Mais  qu'est-ce  que  tout  cela  en  comparaison 
des  mérites  qu'elle  acquit  sous  la  croix  de  Jésus- 
Christ,  mérites  qui  ne  le  cèdent  pas  à  ceux  des 
plus  grands  martyrs  de  l'Eglise.  Un  prédicateur 
du  siècle  dernier,  qui  s'est  appelé  le  Disciple  (2), 
par  humilité,  parle  en  maître  sur  ce  sujet.  Il  dit  : 
les  mérites  de  la  Vierge  sont  nobles,  parce  qu'elle 
a  exercé  immédiatement  envers  Jésus-Christ  six 
a^uvres  de  miséricorde.  Elle  l'a  logé  dans  ses 
entrailles,  elle  l'a  allaité  de  son  lait,  qui  lui  servait 
de  nourriture  et  de  breuvage,  elle  l'a  vêtu,  elle  l'a 
visité,  quand  il  était  attaché  à  la  croix,  comme  s'il 
eût  été  détenu  dans  une  prison  ;  elle  l'a  enfin 
assisté  dans  sa  sépulture.  Dans  le  troisième  état, 

1.  Hœreses,  hœr.  78. 

2.  Discipulus,  serm.  61. 


32  LA    THÉOLOGIE     AFFECTIVE 

qui  fut  comme  un  état  de  viduité,  puisque  nous  la 
considérons  comme  séparée  corporellement  de 
Jésus-Christ,  son  Epoux,  elle  mérita  encore  d'une 
manière  indicible  par  les  actes  de  la  vie  active  et 
de  la  vie  contemplative.  Elle  compensait  l'absence 
de  son  Fils  en  pensant  continuellement  à  lui,  en 
s'occupant  à  toutes  sortes  d'exercices  de  charité  et 
de  piété,  qui  lui  convenaient,  soit  pendant  qu'elle 
demeura  à  Jérusalem  dans  la  maison  de  saint 
Jean,  soit  pendant  qu'elle  habita  Ephèse.  A  cette 
époque  elle  vaquait  à  la  lecture  et  à  la  méditation 
des  Ecritures  saintes,  elle  instruisait  les  Apôtres 
des  particularités  de  l'Evangile,  elle  visitait  le 
Calvaire,  le  sépulcre  et  les  lieux  saints,  qui  avaient 
été  honorés  ou  par  les  m3^stères,  ou  par  la  présence 
ou  par  les  miracles  de  Jésus-Christ.  Elle  commu- 
niait chaque  jour  avec  une  pureté  et  avec  des  dis- 
positions admirables,  ne  pouvant  se  rassasier  de 
ce  bien  qui  était  pour  elle  le  bien  souverain  (i). 
Elle  secourait  volontiers  les  misérables.  Enfin  dans 

I.  Suarez  dit  :  «  Il  est  certain  que  la  bienheureuse 
«  Vierge  a  reçu  fréquemment  V Eucharistie .  Première- 
«  ment,  parce  que  la  réception  de  cesacrement  est  imposée 
«  par  un  précepte  divin  qui  comprenait  la  Sainte  Vierge^ 
«  comme  le  précepte  du  Baptême.  Secondement,  la  récep- 
«  tion  fréquente  de  ce  sacrement  fait  partie  des  con- 
«  seils  divins.^  elle  est  en  soi  excellente,  très  utile  et  très 
«  conforme  au  grand  amour  de  la  Vierge  envers  son  Fils. 
«  Troisièmement,  parce  que  nous  lisons  (Act.  2)  qiie  dans 
«  la  primitive  Eglise  tous  les  fidèles  recevaient  chaque 
«  jour  ou  fréquemment  ce  sacrement  ;  à  plus  forte  raison 
«  la  B.  Vierge  a-t-elle  observé  cette  coutume,  »  (De  myst. 
VIT.  Ch.  d.  18,  s.  3). 


DE   LA    SAINTK   VIERGE 


33 


cet  état,  elle  l'ortifiait  les  martyrs,  instruisait  les 
confesseurs,  dirigeait  les  vierges,  consolait  les 
veuves,  excitait  puissamment  les  fidèles  à  croire  à 
la  religion  chrétienne  (i)  si  bien  qu'en  tout  temps 
elle  augmenta  d'une  manière  indicible  ses  mé- 
rites (2). 

En  quatrième  lieu  elle  a  mérité  le  jour  et  la  nuit. 
Pendant  le  jour  l'oisiveté  est  blâmable  chez  qui- 
conque est  capable  de  faire  quelque  chose  de  bien. 
C'est  pourquoi  la  Sainte  Vierge  ne  demeure  pas 
un  seul  instant,  sans  accomplir  quelque  acte  ou 
intérieur  ou  à  la  fois  intérieur  et  extérieur.  «  Elle 
«  n'a  pas  mangé  son  pain  dans  V oisiveté.  »  (Prov. 
3i).  Et  cependant  la  nuit  dans  le  peu  de  sommeil 

I.  Voici  comment  Léon  XIII  confirme  ce  point  de 
doctrine  :  «  Si  digne  qiCelle  soit  du  ciel,  (Marie)  est 
«  retenue  sur  la  terre,  pour  être  la  parfaite  consolatrice 
«  et  la  maUresse  de  V Eglise  naissante^  elle  qui  a  pénétré 
«  au-delà  de  tout  ce  qtion  peut  concevoir,  dans  les  profon- 
de deurs  insondables  de  la  divine  sagesse...  Et  noies  lacon- 
«  tem pions  dans  le  cénacle...  appelant  sur  l'Eglise  la 
«  surabondante  effusion  dît  Paraclet,  don  suprême  du 
Christ.  »  (Encycl.  Jucunda  semper,  8  sept.  1894).  Le 
même  Pontife  ajoute  ceci  dans  une  autre  Encyclique  : 
«  Dès  lors,  en  effet  (dès  le  cénacle)  on  la  voit  soutenir 
«  admirablernent  les  prémices  du  peuple  chrétien  par  la 
«  sainteté  de  ses  exemples,  l'autorité  de  ses  conseils,  la 
€  suavité  de  ses  consolations,  l'efficacité  de  ses  prières; 
«  très  véritablement  Mère  de  l'Eglise,  Maîtresse  et  Reine 
«  des  Apoires,  à  qui  elle  communiqtiait  libéralement  les 
«  divins  oracles  conservés  dans  son  cœur.  »  (Encycl. 
Adjutricem  populi,  5  sept.  1895). 

2.  V.  Paulum  Cararias,  Reg.  4.  art.  3,  puncto.  5. 
Bail,  x,  ix.  5 


34  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

i 

qu'elle  prenait,  encore  son  âme  agissait  pour  Dieu 
et  se  portait  vers  lui  au  moyen  de  la  science  infu- 
se, qui  ne  dépend  pas  du  concours  des  représenta- 
tions corporelles,  si  bien  que  même  en  sommeil- 
lant, elle  avait  des  élans  d'amour  pour  Dieu.  Elle 
subissait  plutôt  la  nécessité  de  dormir  qu'elle  n'en 
avait  envie,  dit  saint  Ambroise  (i),  et  même 
quand  son  corps  reposait,  son  esprit  veillait.  Sou- 
vent dans  les  songes  l'esprit  se  ressouvient  des 
choses  déjà  vues  ou  interrompt  son  sommeil,  pour 
continuer  à  les  considérer.  C'est  pourquoi  elle 
pouvait  dire  ces  paroles  du  Cantique  :  v  Je  dors^ 
«  mais  mon  cœur  veille  »  (Cant.  6)  (2),  parce  que 
son  amour  ne  se  reposait  pas  et  son  mérite  ne 
discontinuait  pas  durant  le  sommeil  de  la  nuit, 
ainsi  que  l'ont  écrit  plusieurs  graves  auteurs. 

Formez  les  mêmes  affections  qu'à  la  suite  du 
point  précédent.  Soyez  aussi  confus  vous-même 
de  ce  que  vous  faites  si  peu  d'actions  méritoires, 
et  de  ce  que  vous  multipliez  si  mal  le  talent  que 
Dieu  vous  a  donné.  Votre  vie  se  passe  dans  la  lan- 
gueur, dans  l'oisiveté,  dans  des  actes  mauvais  ou 
indifférents,  et  s'il  y  en  a  quelques-uns  de  bons, 
vous  les  trouverez  peut-être  défectueux  dans  les 
circonstances  qui  les  accompagnent.  O  Vierge 
sacrée,  vous  êtes  seule  toute  belle  et  toute  parfaite, 
vous  êtes  toute  accomplie  et  immaculée,  et  il  n'5^  a 
point  de  tache  en  vous.  Vos  moindres  actes  ont 
été  d'un  plus  grand  poids  et  d'un  plus  grand  mé- 
rite devant  Dieu,  que  ne  le  sont  nos  plus  ardentes 

r.  De  Virginibus. 

2.  Rupertus  et  Carthus.  in  hune  loc. 


I)K    I.A    SAINTE    VIERGE  33 

dévotions.  C'est  de  vous  que  PHpoux  dit  :  «  Vous 
«  ave^  blessé  mon  cœur,  ma  sœur,  tnon  épouse, 
«  vous  ave:^  blessé  mon  cœur  avec  un  seul  de  vos 
«  yeux,  avec  un  seul  de  vos  cheveux  »  (Gant.  4). 
Vos  seuls  regards  ont  conquis  son  cœur,  même 
tous  vos  pas  lui  ont  été  agréables,  c'est  pourquoi 
il  les  loue;  «  O  fille  du  prince,  que  vos  pieds  sont 
«  beaux  dans  votre  chaussure  !  »  (Gant.  7).  O 
Vierge  admirable,  ô  trésor  de  sainteté  et  de  tout 
bon  mérite  !  obtenez-nous  de  Jésus-Ghrist,  votre 
Fils,  la  grâce  d'être  plus  ardents  pour  les  œuvres 
saintes,  d'être  plus  attentifs  à  les  faire  et  à  les 
continuer  jusqu'à  la  mort,  avec  tant  de  perfection 
et  avec  des  intentions  si  pures,  qu'elles  ne  soient 
pas  mises  au  rebut,  mais  acceptées  par  lui,  pour 
être  récompensées  ici-bas  par  la  grâce  et  là-haut 
par  la  gloire. 

III 

Considérez  à  quelle  quantité  ou  à  quel  comble 
de  grâce  arriva  la  Sainte  Vierge  à  la  fin  de  sa  vie, 
après  tant  d'actes  méritoires  qu'elle  fit  sans  inter- 
ruption. Le  profond  Théologien  (i)  a  examiné  ce 
point  avec  beaucoup  de  vigueur  d'esprit  et  il  l'a 
résolu  au  plus  grand  avantage  de  la  Sainte  Vierge, 
qu'il  a  glorifiée  davantage  dans  deux  ou  trois  pages 
de  ses  œuvres,  que  ne  l'ont  fait  plusieurs  grands 
personnages  dans  des  volumes  entiers  écrits  à  sa 
louange.  Or  sa  conclusion  est  que  la  grâce  de  la 
Sainte  Vierge  fut  à  la  fin  de  sa  vie  presque  immen- 
se, et  que  si  de  tous  les  degrés  de  grâce  de  tous  les 

I.  Suarez,  ibid.  sect,  4. 


36  LA  Théologie  affective 

justes,  des  Anges  et  des  hommes,  on  pouvait  faire 
une  seule  gràce^  cette  grâce  n'égalerait  pas  celle  à 
laquelle  parvint  la  Sainte  Vierge  à  la  fin  de  sa 
vie  (i).  Les  Pères  sont  favorables  à  cette  affirma- 
tion, entr'autres  saint  Epiphane  (2)  qui  appelle  la 
Vierge  un  océan  spirituel  et  qui  dit  que  sa  grâce 
est  immense.  En  effet  le  premier  des  Séraphins  et 
le  plus  glorieux  de  tous  les  Anges,  a  eu  une  grâce 
finale  et  une  gloire  si  parfaites  et  si  élevées,  qu'ex- 
cepté Jésus-Christ  et  la  Sainte  Vierge,  aucun  saint 
ne  l'égale.  Cependant  cet  Ange  suprême  est  arrivé 
à  cette  hauteur  par  deux  ou  trois  actes  de  foi,  de 
charité  et  de  religion  envers  Dieu.  Quelle  sera 
donc  la  quantité  de  grâce  de  la  Sainte  Vierge,  qui 
a  fait  non  pas  trois  ou  quatre  actes  méritoires, 
mais  des  actes  innombrables  pendant  tout  le  cours 
de  sa  vie  ?  De  plus  la  Vierge  n'étant  pas  gênée  par 
le  foyer  du  péché  et  par  des  inclinations  désordon- 
nées vers  les  objets  terrestres,  a  toujours  corres- 
pondu entièrement  aux  mouvements  de  la  grâce 
excitante  et  a  produit  ses  actes  d'amour  de  toute 
la  force  de  son  habitude  de  charité.  D'où  il  suit 
que  les  actes  d'amour  qu'elle  formait  avaient  au 
moins  autant  de  degrés  d'intensité  que  son  habi- 
tude et  par  conséquent  son  habitude    de  charité 

1.  Cette  affirmation  n'est  pas  purement  gratuite, 
comme  le  prétend  Vasquez.  C'est  une  vérité  qu'on 
peut  appeler  catholique  ;  elle  a  pour  base  solide  la  tra- 
dition qui  déclare  que  la  grâce  de  Marie  est  incompara- 
ble, ineffable,  connue  de  Dieu  seul^  etc.  (Cf.  Passaglia, 
DE  Immac.  Deip.  Conc.  s.  2,  c.  8). 

2.  Orat.  de  laudib.  B.  Virg;. 


DE    I.A    SAINTE    VIERGE 


et  aussi  sa  grâce  sanctifiante  s'accroissaient  du 
double  îl  chaque  acte  d'amour  qu'elle  formait,  par- 
ce que  l'acte  fait  croître  l'habitude  d'autant  de  de- 
grés qu'il  en  contient.  Or  ces  principes  sur  lesquels 
les  Scolastiques  s'étendent  beaucoup  étant  posés, 
il  s'ensuit,  que  la  grâce  de  la  Sainte  Vierge  a  été 
presque  immense  à  la  fin  de  sa  vie,  qu'elle  est  in- 
concevable à  tout  esprit  et  inénarrable  à  toute 
langue  humaine  (i).  Puisque  ses  actes  doublaient 
à  chaque  fois  sa  charité  et  sa  grâce,  si  sa  première 
grâce  sanctifiante  avait  cent  degrés,  après  le  pre- 
mier acte  d'amour,  elle  avait  deux  cents  degrés  ; 
après  le  second  acte,  quatre  cents  degrés  ;  après 
le  troisième  acte,  huit  cents  degrés  ;  après  le  qua- 
trième acte,  seize  cents  degrés,  et  ainsi  elle  a  tou- 

I.  Nous  trouvons  une  confirmation  frappante  de  cette 
doctrine  dans  la  Bulle  Ineffabilis  qui  résume  ainsi  la  tra- 
dition :  «  Ils(les  Pères)  avaient  coutume  d'appeler  la  mère 
«  de  Dieu:  immaculée  et  immaculée  à  tous  égards^  —  inno- 
«  cent e  et  V innocence  même,  —  intégre  et  d'une  intégrité 
«  parjaite,  —  sainte  et  exempte  de  toute  souillure  de  péché, 
«  toute  pure,  toute  chaste,  le  type  même  de  la  pureté  et 
«  de  V innocence,  —  plus  belle  que  la  beauté,  d' une  grâce 
«  au-dessus  de  toute  espèce  de  charme,  —  plus  sainte 
«  que  la  sainteté^  la  seule  sainte,  —  très  pure  d'âme  et 
«  de  corps.  Vierge  qui  a  surpassé  toute  chasteté  et  toute 
«  virginité,  —  la  seule  qui  ait  été  faite  toute  entière 
«  le  tabernacle  de  toutes  les  grâces  du  Saint-Esprit,  celle 
«  qui,  au-dessous  de  Dieu  seul,  est  au-dessus  de  tou- 
<c  tes  les  créatures,  qui  par  nature  est  plus  belle,  plus 
«  parfaite,  plus  sainte  que  les  Chérubins  et  les  Séraphins, 
«  que  toute  V armée  des  Anges;  et  dont,  ni  sur  la  terre,  ni 
«  dans  le  ciel,  aucune  langue  ne  peut  célébrer  dignement 
«  les  louanges.  » 


38  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

jours  doublé  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie.  Ce  qui  fait  qu'a- 
près trente  ans  de  vie,  en  formant  un  acte  d'amour 
plus  parfait,  elle  méritait  par  ce  seul  acte  plus 
qu'elle  n'avait  fait  par  tous  les  autres  trente  ans 
auparavant,  et  ainsi  par  le  dernier  acte  elle  mérita 
plus  que  par  tous  les  actes  précédents,  parce  qu'el- 
le augmentait  au  double  toute  la  grâce  qu'elle 
avait  méritée.  D'où  il  suit  qu'elle  parvint  à  une 
immensité  de  grâce. 

Ceux  qui  ont  calculé  la  quantité  de  blé  qu'il  fau- 
drait pour  en  mettre  en  trente  deux  greniers  de  telle 
façon  que  le  premier  grenier  eut  un  seul  grain  de  blé, 
le  second  deux,  le  troisième  quatre,  le  quatrième 
huit  et  ainsi  toujours  le  double  du  précédent,  jus- 
qu'au trente  deuxième  grenier,  jugeront  de  quelle 
grâce  abondante  fut  enfin  remplie  la  Vierge  par 
des  actes  méritoires  innombrables  accomplis  du- 
rant tout  le  cours  de  sa  vie  (i).  Le  nombre  de  ces 
grains  est  de  deux  milliards,  cent  quarante  sept 
millions,  quatre  cent  quatre-vingt-trois  mille,  six 
cent  quarante-huit.  Si  on  doublait  encore  le  nom- 
bre de  grains  jusqu'à  cinquante-deuxfois,  on  aurait 
un  chiffre  si  élevé,  que  le  nombre  des  plus  petits 
grains  de  sable  qui  rempliraient  tout  l'espace  qui 
sépare  le  ciel  de  la  terre,  ne  l'égalerait  pas,  ainsi 
qu'un  grand  mathématicien  (2)  en  fait  la  preuve 
certaine  et  la  démonstration. 

Quand  donc  la  Sainte  Vierge  n'aurait  produit 
tous  les  jours  que  cinquante  actes  d'amour  de  Dieu, 
comme  chaque  acte  d'amour  était   le  double   du 

I.  Combrecius,  1.  2,  dé  Studio perfect.  c.  38. 
s.  Clavius,in  c.  2,  Sphœrœ, 


DE    LA    SAINTE    VIERGE  3c) 

prcccdcnt,  parce  qu'il  procédait  d'une  habitude  de 
charité  qui  doubhut  toujours  en  intensité  et  qui 
accomplissait  toujours  chaque  acte  selon  toute 
son  intensité,  de  plus  comme  la  Vierge  continua 
ainsi  pendant  au  moins  soixante  ans  qu'elle  vécut, 
à  quelle  mesure  ou  à  quel  comble  de  grâce  en  cet- 
te vie  et  de  gloire  dans  Tautre  ne  sera-t-elle  pas 
parvenue  ?  Voilà  qui  dépasse  toutes  nos  pensées  et 
même  notre  imagination.  Supposons  maintenant 
que  tous  ses  actes  sont  aussi  nombreux  que  les 
saints  du  paradis  et  que  par  un  seul  acte  elle  a 
mérité  autant  que  le  plus  grand  saint  du  paradis, 
parce  que  ses  fondements  furent  placés  sur  les 
montagnes  saintes,  et  que  sa  première  grâce  sanc- 
tifiante égalait  la  plus  haute  grâce  des  saints,  il 
s'ensuit  encore  que  si  toutes  les  grâces  des  saints 
étaient  réunies  en  une  seule  grâce,  elle  ne  l'em- 
porterait pas  sur  celle  de  la  Sainte  Vierge.  Et 
quoique  le  nombre  des  saints  soit  peut-être  plus 
grand  que  le  nombre  de  ses  actions  méritoires, 
toutefois  comme  un  seul  des  actes  qu'elle  accom- 
plissait était  plus  parfait  que  les  actes  de  plusieurs 
saints  ensemble,  et  que  sa  grâce  a  été  aussi  accrue 
par  l'œuvre  opérée  en  vertu  des  sacrements,  on 
peut  encore  conclure  très  vraisemblablement  et 
avec  autant  de  certitude  qu'on  peut  en  avoir  dans 
un  tel  sujet,  qui  n'est  pas  expressément  révélé, 
que  sa  grâce  ne  serait  pas  inférieure  à  la  somme 
des  grâces  de  tous  les  saints. 

Aussi  avons-nous  déjà  considéré  que  Dieu  la 
chérissait  toute  seule  plus  que  tous  les  saints  en- 
semble, plus  que  toute  l'Eglise  militante  et  toute 
l'Eglise   triomphante   considérée   sans   elle.    Elle 


40  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

seule  également  avait  plus  d'amour  pour  Jésus- 
Christ,  que  tous  les  saints  ensemble,  parce  qu'il 
convenait  qu'une  telle  Mère  aimât  d'un  tel  amour 
un  tel  Fils,  et  c'est  pour  cela  qu'elle  aura  demandé 
à  Dieu  un  tel  amour  et  l'aura  obtenu.  Que  devons- 
nous  donc  conclure,  sinon  que  par  un  tel  amour 
si  saint  et  si  méritoire,  elle  se  sera  acquis  à  la  fin 
de  sa  vie  plus  de  grâces,  que  n'en  ont  eu  tous  les 
saints  à  la  fin  de  leur  carrière.  Après  ces  considé- 
rations je  ne  trouve  plus  si  étrange  que  l'on  avan- 
ce à  sa  plus  grande  gloire  qu'elle  a,  en  suçant  les 
mamelles  de  sa  mère  sainte  Anne  (i),ou  en  donnant 
le  lait  des  siennes  à  Jésus-Christ,  mérité  davanta- 
ge que  les  martyrs  en  versant  des  ruisseaux  de 
sang,  parce  qu'elle  faisait  ces  choses  d'an  amour 
plus  ardent  et  d'une  charité  plus  enflammée  sans 
aucune  comparaison  que  n'était  celle  de  saint  An- 
dré soupirant  après  la  croix,  celle  de  saint  Lau- 
rent offrant  ses  côtes  pour  être  rôties  sur  le  gril, 
celle  de  saint  Barthélémy  donnant  sa  peau  à  écor- 
cher  et  même  celle  de  saint  Paul  offrant  sa  tête  au 
glaive  de  Néron.  C'est  pour  cela  qu'il  est  dit  d'el- 
le :  «  Votre  taille  est  semblable  au  palmier^  et 
«  vos  mamelles  aux  grappes  de  raisin.  »  (Cant.  6). 
Voici  ce  que  dit  sur  ces  paroles  une  des  plus  bril- 
lantes lumières  de  France  (2)  :  Les  mamelles  sont 
comparées  aux  grappes  de  raisin  et  en  cela 
on  voit  le  mérite  excellent  de  la  Sainte  Vierge  qui 
n'a  pas  moins  mérité  en  donnant  le  lait  de  ses 
mamelles  pour  nourrir  son  Fils,   que  les  martyrs 

1.  Sherlogus,  antel.  8.  in  Cant.  sect.  i 

2.  Gard.  Hailgrinus.  /^V 


DE    LA    SAINTE    VIERGE  4I 

qui  sont  signifiés  par  les  grappes  de  raisin,  en 
versant  leur  sang  dans  le  martyre.  Car  la  récom- 
pense de  toutes  les  œuvres  est  estimée  selon  la 
charité  (i). 

Si  l'on  trouve  que  ceci  dépasse  toute  imagina- 
tion, il  faut  considérer  que  sa  dignité  de  Mère  de 
de  Dieu,  à  laquelle  sa  grâce  a  du  être  proportion- 
née, était  comme  immense  et  infinie.  C'est  pour- 
quoi, quelque  sublime  grâce  que  nous  nous  figu- 
rions en  elle,  cette  grâce  ne  sera  jamais  trop  gran- 
de eu  égard  à  une  si  haute  qualité  de  Mère  de 
Dieu.  Et  puis  les  Pères  et  les  Docteurs  de  l'Eglise 
ont  si  hautement  parlé  de  la  Vierge,  que  ce  n'est 
que  suivre  leur  piste  et  leurs  pensées  que  de  faire 
de  semblables  considérations  sur  elle.  «  Tous  les 
«  fleuves  rentrent  dans  la  mer^  dit  le  Sage,  et  la 
«  mer  ne  déborde  pas.  »  (Eccl.  i).  Toutes  les  grâ- 
ces des  saints  sont  réunies  dans  la  Vierge  et  elle 
ne  déborde  pas,  comme  si  elle  ne  pouvait  pas  les 
contenir  et  si  elle  en  avait  trop  ;  elle  n'a  que  ce 
qu'il  lui  convient  d'avoir  eu  égard  à  sa  très  haute 
et  divine  qualité. 

Admirez  la  merveilleuse  capacité  d'une  âme 
capable  de  posséder  Dieu.  Elle  est  capable  comme 
d'une  infinité  de  degrés  de  perfection  spirituelle 
qui  peut  s'accroitre  en  elle  sans  mesure.  Quel  re- 
gret auront  donc  les  âmes  au  seuil  de  l'autre  vie 
d'avoir  négligé  les  occasions  de  s'enrichir  de  méri- 
tes ?  Nous  nous  étonnerons  donc  de  nous  voir  si 
éloignés  de  la  perfection  de  Dieu  et  aussi  de  voir 

I.  «  Omnium  enim  operum  merces  secundum  radicem 
«  caritatis  pensatur .  :j> 


42  LA    THÉOI-OGIE    AFFECTIVE 

que  tant  de  saints  qui  se  sont  appliqués  à  multi- 
plier leur  talent  spirituel,  nous  dépassent  dans  une 
mesure  incroyable,  tandis  qu'il  y  en  a  peu  qui 
viennent  après  nous.  Nous  admirerons  ensuite  ce 
qui  a  fait  l'objet  de  cette  considération,  je  veux 
dire  une  Vierge  exaltée  à  une  hauteur  indicible.  O 
divine  Mère,  ô  océan  de  mérite  et  de  félicité,  ô  très 
excellente  Vierge,  je  me  réjouis  de  tout  mon  cœur 
de  la  grandeur  de  vos  mérites  et  de  l'immensité 
de  votre  grâce.  Oh  !  béni  soit  le  Dieu  tout-puis- 
sant, qui  vous  a  rendue  si  riche  et  si  heureuse  ! 
Oh  !  je  chanterai  de  tout  mon  cœur  en  votre  hon- 
neur la  louange  de  la  femme  forte  :  «  Plusieurs 
«  filles  ont  amassé  des  richesses,  tnais  vous  les 
«  surpasse^  toutes.  »  (Prov.  ii).  O  Vierge  mer- 
veilleuse et  étonnante  !  Comme  le  Fils  que  vous 
avez  porté  dans  votre  sein  est  ineffable,  ainsi  nul 
ne  peut  dire  la  gloire  que  vous  avez  méritée.  O 
sainte  et  plus  sainte  que  les  saints,  saint  trésor  de 
toute  sainteté  !  O  champ  de  bénédiction  spirituelle  ! 
O  la  première  après  Dieu,  à  qui  les  martyrs  ren- 
voient leurs  palmes,  à  qui  cèdent  les  Séraphins  et 
les  Chérubins  !  (i)  O  soleil  très  resplendissant  de- 
vant qui  les  plus  saints  perdent  tout  leur  éclat  ! 
Oh  !  qui  fera.  Vierge  divine,  que  toutes  les  créa- 
tures reconnaissent  votre  grandeur  et  vous  trai- 
tent avec  le  respect  et  la  révérence  qui  vous  sont 
dus  ?  Oh  !  quand  augmentera  la  dévotion  pour 
vous  ?  O  très  illustre  princesse,  quand  serez-vous 
honorée  en  proportion  de  vos  insignes  mérites  ? 
O  Vierge  sacrée  et  miraculeuse,  au  nom  de  l'abon- 

I.  Ildephonsus,  serm.  2.  de  Assiimpt, 


ni'     LA     SAINTE     VIERCIE  J[:> 

dance  de  vos  grâces,  regardez-nous  avec  pitié  et 
faites  par  une  faveur  très  désirable  que  nous  nous 
enrichissions  de  mérites. 


XVir   MÉDITATION 

DU  BIENHEUREUX  TRÉPAS 
DE  LA  SAINTE  VIERGE 


SOMMAIRE  : 

Belles  raisons  de  la  mort  de  la  Vierge.  —  Elle 
meurt  par  la  force  de  son  amour.  —  Elle  est 
délivrée  de  trois  misères  auxquelles  sont  sou- 
mis les  mourants. 

I 

CONSIDÉREZ  que  la  Sainte  Vierge,  après  avoir 
vécu  environ  soixante-deux  ou  soixante- 
trois  (i)  ans  dans  la  pratique  de  toutes  les  vertus, 
rendit  son  àme  à  Dieu  et  mourut.  (2)  Considérez 
en  particulier  pourquoi  elle  mourut,  malgré  sa  très 
grande  sainteté. 

1.  Soixante-douze  ans,  selon  l'opinion  la  plus  vrai- 
semblable, comme  nous  l'avons  déjà  dit. 

2.  C'est  une  vérité  théologiquement  très  certaine 
qu'un  grand  nombre  d'auteurs  dont  on  peut  voir  la  lon- 
gue liste  dans  François  Macedo  (T.  i.  De  Clav.  Pétri,  I, 
IV,  p.  2.  De  pecc.  orig.  sect.  3)  ont  néanmoins 
contestée. 


44         LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

La  première  raison  est  que  la  mort  est  un  pas- 
sage nécessaire  pour  arriver  à  la  gloire  et  c'est  un 
ordre  de  Dieu,  après  le  péché  d'Adam,  que  le  ciel 
s'acquiert  par  la  vie  des  créatures  humaines.  Jésus- 
Christ  est  passé  par  là  :  «  N'a-t-il  pas  Jallu  que 
«  Jésus-Christ  soujfrit  et  qu'il  entrât  ainsi  dans 
«  sa  gloire  ?  »  (Luc,  24).  —  «  Personne,  àh  Dieu  à 
«  Moïse,  ne  me  verra  et  vivra.  »  (Ex.  33).  Il  faut 
se  séparer  une  fois  de  la  chair  et  de  la  masse  du 
corps  pour  s'unir  à  l'Essence  divine, 

La  seconde  raison  est  la  désobéissance  d'Adam. 
«  Le  jour  y  lui  a  dit  Dieu,  oii  tu  mangeras  de  ce 
«  fruit,  tu  mourras.  »  (Gen.  2).  Cette  menace 
s'adresse  en  même  temps  qu'à  lui  à  toute  sa  pos- 
térité, à  tous  ceux  qui  tirent  de  lui  leur  origine. 
Ce  sera  la  punition  de  son  péché  qu'il  n'ait  pas  la 
joie  de  voir  un  seul  de  ses  fils  exempt  de  la  mort. 
C'est  pourquoi  en  punition  de  la  désobéissance 
d'Adam,  Jésus-Christ  lui-même  est  mort,  quoiqu'il 
n'eut  pas  péché  ;  il  en  a  été  de  même  de  la  Sainte 
Vierge.  En  effet  les  hommes  étant  mortels  selon 
leur  constitution  naturelle  et  n'ayant  été  immor- 
tels au  paradis  terrestre  qu'en  se  nourrissant  du 
fruit  de  i'arbre  de  vie  qui  avait  le  privilège  de 
conserver  la  vie  immortelle,  comme  aujourd'hui 
le  monde  est  privé  de  cet  arbre  de  vie  en  punition 
du  péché  d'Adam,  en  punition  du  même  péché  la 
nature  humaine  est  abandonnée  à  elle-même  et 
par  suite  à  la  mort.  (1) 

I.  Nous  croyons  que  ces  deux  raisons  n'ont  aucune 
valeur.  La  Sainte  Vierge  était  de  droit  immortelle,  et 
cette  immortalité  résultait,  non  pas  de  sa  nature,  car 


DI-:    LA    SAINTE    VIERGE  4:? 

Voici  la  troisième  raison  :  la  Sainte  Vierge  a  dû 
mourir,  alin  qu'acceptant  la  mort  et  s'y  disposant 

toute  nature  corporelle  tend  à  la  mort,  ni  de  la  gloire, 
dont,  à  la  différence  de  Jésus-Christ,  elle  ne  jouissait 
pas  encore  sur  celte  terre,  mais  de  la  grâce  de  sa 
Conception  immaculée  qui  l'éleva  à  l'état  de  l'inno- 
cence originelle,  comme  l'insinue  d'une  manière  assez 
claire  Pie  IX  dans  la  Bulle  Ineffabilis  :  «  Cest pourquoi 
«  l'élevant  incomparablement  au-dessus  de  ions  les  esprits 
«  angéliques  et  de  tous  les  Saints,  il  la  combla  deVabon- 
«  da}ice  des  dons  célestes,  puisés  dans  le  trésor  de  la  divi- 
«  nité.  Il  l'en  combla  d'une  manière  si  merveilleuse,  que 
«  toujours  et  entièrement  pure  de  totite  tache  du  péché, 
«  toute  belle  et  toute  parfaite,  elle  avait  en  elle  la  pléni- 
«  tude  d'innocence  et  de  sainteté  la  plus  grande  que  l'on 
«  puisse  concevoir  au-dessous  de  Dieu,  et  telle  que,  sauf 
«  Dieu,  personne  ne  peut  la  comprendre.  »  Or  à  cet  état 
d'innocence  originelle  était  annexée,  par  un  bienfait 
gratuit  de  Dieu,  l'immortalité,  et  il  n'y  a  eu  aucune 
raison  de  révoquer  ce  bienfait,  en  ce  qui  concerne  la 
Sainte  Vierge,  car  cette  révocation  aurait  été  une  peine 
que  la  Vierge  n'avait  méritée  par  aucun  péché  et  de 
plus  Dieu  n'avait  point  révoqué  pour  elle,  comme  il  les 
a  révoqués  pour  tous  les  hommes,  les  autres  privilèges 
attachés  à  la  justice  originelle,  tels  que  l'exemption  de 
l'ignorance,  du  foyer  de  la  concupiscence,  de  la  mala- 
die, de  la  douleur  dans  l'enfantement.  Cette  doctrine 
nous  semble  également  découler  delà  condamnation  de 
la  73"^  proposition  de  Baïus  (Denz.  p.  248.  éd.  ix)  : 
«  La  B .  Vierge  est  morte,  parce  qu'elle  a  contracté  le 
«  péché  d'Adam,  et  toutes  les  afflictions  qu'elle  endura 
«  dans  cette  vie  furent  pour  elle,  comme  pour  les  autres 
«  saints,  des  peines  du  péché  actuel  ou  originel.  »  La 
Sainte  Vierge  est  donc  morte,  parce  que,  conformément 
à  la  volonté  de  son  Fi^s,  elle  a  renoncé  à  son  privilège. 


46  LA    THÉOLOGIE     AFFECTIVE 

saintement,  elle  portât  ses  mérites  à  leur  comble 
et  aussi  haut  qu'ils  devaient  monter,  et  qu'ainsi 
elle  nous  servit  d'exemple  pour  nous  résoudre 
à  la  mort  et  la  recevoir  avec  une  sainte  dis- 
position (i). 

Si  Ton  dit  que  la  Vierge  a  été  exempte  du  péché 
originel  dans  sa  conception,  et  que  la  mort  est  la 
peine  de  ce  péché,  nous  répondons  qu'elle  n'en- 
dura pas  la  mort  comme  une  punition  du  péché 
qui  aurait  été  en  elle,  pas  plus  que  les  autres 
misères  et  les  autres  peines  de  cette  vie  qui  servent 
à  exercer  la  vertu  des  justes,  mais  elle  la  souffrit 
en  punition  du  péché  d'Adam  dont  elle  porta  la 
peine  (i).  Si  on  nous  oppose  après  cela  qu'Enoch 
et  Elie  sont  encore  vivants,  et  que  la  Sainte  Vierge 
doit  jouir  aussi  des  privilèges  accordés  aux  autres 
Saints,  il  faut  répondre  qu'Enoch  et  Elie  doivent 

I.  Nous  proposons  de  remplacer  ces  trois  raisons  par 
ces  trois  autres  que  donne  saint  Thomas  (m.  q.  xiv,  a.  i) 
de  la  volonté  qu'a  eue  Jésus-Christ  de  mourir,  et  qui 
s'appliquent,  avec  les  différences  voulues,  à  la  Sainte 
Vierge.  Elle  a  voulu  mourir  :  1°)  Afin  de  satisfaire  pour 
nos  péchés  en  qualité  de  corédemptrice  ;  2°)  Afin  de 
nous  préserver  d'une  grave  erreur  touchant  l'Incarna- 
tion ;  si  Marie  n'était  pas  morte  comme  tous  les  autres 
hommes,  nous  aurions  pu  croire  que  celui-là  ne  fut  pas 
réellement  homme  qui  était  né  d'une  femme  immor- 
telle; 3°)  Afin  que  l'Eglise  put  la  proposer  au  peuple 
chrétien  comme  un  modèle  de  patience  et  de  con- 
stance ;  ce  qui  exige  qu'elle  ait  subie  la  suprême  épreuve 
de  la  vie,  qui  est  la  mort. 

I.  L'auteur  met  en  note  :  Vide  me  in  ariic.  disp.  de 
graiia,  p.  2.  art.  y 2. 


DE     LA     SAINTE     VIERGE  47 

finalement  mourir,  ainsi  que  nous  le  méditerons 
plus  loin.  Enfin  s'il  semble  à  quelques-uns  que 
Jésus-Christ  étant  tout  puissant  sur  la  mort,  devait 
en  afIVanchir  sa  très  sainte  Mère,  comme  le  ferait 
pour  la  sienne  tout  enfant  bien  né,  qui  en  aurait  le 
pouvoir,  il  faut  accorder  sur  ce  point  que  Jésus- 
Christ,  il  est  vrai,  devait  l'exempter  d'une  mort 
horrible  et  douloureuse  et  qui  eut  été  fâcheuse 
pour  elle;  voilà  pourquoi  il  ne  voulut  pas  qu'elle 
fut  livrée  à  la  cruauté  des  tyrans,  afin  que  son 
corps  virginal  et  qui  était  la  fleur  de  toute  pureté, 
ne  fut  exposé  en  aucune  façon  à  la  merci  des 
hommes.  Mais  il  ne  devait  pas  l'exempter  d'une 
belle  et  agréable  mort,  d'une  mort  avantageuse 
pour  elle  ;  c'était  plutôt  un  trait  de  charité  envers 
elle  que  de  lui  souhaiter  cette  mort,  puisqu'il  est 
écrit  :  «  La  mort  des  Saints  est  précieuse  aux 
<L  yeux  de  Dieu.  »  (Ps.  ii5).  Or  ce  fut  d'une  belle 
et  douce  mort,  d'une  mort  excellente  et  précieuse 
que  mourut  la  Sainte  Vierge,  ainsi  que  nous  allons 
le  méditer. 

Mais  auparavant  nous  apprendrons  par  ce  point 
à  nous  résoudre  à  la  mort.  Et  quoi  !  elle  est  morte 
cette  Vierge  qui  toute  seule  avait  plus  de  mérite 
que  tous  les  Anges,  et  nous,  vermisseaux  pleins  de 
pourriture,  nous  ramperions  immortellement  sur 
la  terre  !  Quoi  !  la  Mère  de  Dieu  toute  pure,  toute 
belle  et  innocente,  est  passée  par  le  tranchant  de 
la  mort,  et  nous,  serviteurs  inutiles,  mauvaises 
servantes,  nous  serions  plus  privilégiés  qu'elle  ? 
Il  faut  mourir  et  il  faut  être  prêt  à  recevoir  la 
mort,  quand  elle  se  présentera.  O  Vierge  sacrée, 
par  votre  mort  précieuse,  faites-moi  la  grâce  d'y 


48  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

■  > 

penser  souvent   et  de    la   recevoir  paisiblement, 
quand  mon  heure  sera  venue. 

II 

Considérez  que  la  Sainte  Vierge  mourut  par  la 
force  de  l'amour,  à  savoir  d'une  langueur  et  d'une 
fièvre  que  lui  causa  l'ardeur  de  l'amour  divin.  Cette 
considération  s'appuie  sur  l'autorité  de  plusieurs 
auteurs  (i)  qui  l'ont  enseignée  et  avec  raison,  parce 
que  la  mort  la  plus  digne  et  la  plus  souhaitable 
est  celle  qui  est  l'effet  de  la  charité,  et  si  les  Anges 
étaient  capables  de  mourir,  ils  souhaiteraient  de 
mourir  de  cette  excellente  et  désirable  mort.  De 
quelle  autre  mort  aurait  donc  pu  mourir  la  sainte 
Mère  de  Dieu,  la  Reine  des  Anges,  l'honneur  du 
monde  entier  ?  Comme  elle  était  la  plus  aimée  de 
Dieu  parmi  les  créatures,  elle  fut.  aussi  la  plus 
aimante,  et  sa  charité  qui  augmentait  de  jour  en 
jour,  lui  livra  à  la  fin  des  assauts  si  puissants 
qu'elle  y  succomba.  C'est  ce  qui  nous  est  repré- 
senté en  quelque  sorte  dans  le  Cantique  sacré; 
cette  sainte  amante  ne  pouvant  plus  dissimuler  la 
véhémence  de  ses  affections  célestes,  se  recom- 
mande à  Jésus-Christ,  son  Fils,  par  les  fidèles 
qu'elle  voit  mourir  avant  elle.  «  ]e  vous  adjure^ 
«  ô  filles  de  Jérusalem,  de  dire  à  mon  bien-aimé, 
«  si  vous  le  trouve^,  que  je  languis  d'amour.  » 
(Cant.  5)  (2).  Et  les  Anges   qui  assistaient  à  son 

1.  Albert  M.  et  Carthus.  apud  Berard.  t.  i,  1.  6, 
ch.  12  ;  Suarez,  in  3.  p.  t.  1.  disp.  21,  sect.  i  ;  De  Sales, 
DE  l'amour,  1.  7,  c.  13  et  14. 

2.  Rupertus. 


DE    LA    SAINTE    VIERGE  49 


trépas,  se  disaient  Tun  à  Tautrc  :  «  Quelle  est  celle 
(i  qui  monte  par  le  désert^  comme  une  petite 
<i  vapeur  d'aromates,  de  myrrhe  et  d'encens,  et  de 
«  toutes  sortes  de  poudres  de  senteur?  »  (Cant.  3). 
Car  comme  c'est  le  l'eu  qui  dégage  et  fait  monter 
la  vapeur  agréable  des  poudres  de  senteur,  ainsi  ce 
fut  le  feu  de  la  sainte  dilection  qui  fit  s'exhaler 
hors  du  corps  Tàme  de  la  Très  Sainte  Vierge  (i). 
Il  est  vrai  pourtant  que  de  prime  abord  il  paraît 
difficile  d'entendre  comment  il  est  possible  que 
Tamour,  qui  semble  une  chose  si  douce  et  si 
suave,  puisse  causer  cet  étrange  effet,  la  mort. 
Ceux  qui  ont  examiné  de  plus  près  cette  difficulté 
nous  apprennent  que  Tamour  peut  causer  la  mort 
de  trois  manières.  La  première  manière  est  par 
excès  de  chaleur,  parce  que  Famour  produit  dans 
le  corps  une  ardeur  d'autant  plus  intense  qu'il  est 
plus  grand,  et  comme  une  chaleur  excessive  con- 
sume tout  l'humide  radical  qui  soutient  la  vie, 
ainsi  que  la  flamme  de  la  lampe  épuise  toute 
l'huile,  et  amène  l'extinction  de  la  lampe,  ainsi 
l'amour  divin  peut  faire  croître  la  chaleur  du  corps 
à  un  tel  point  que  la  mort  s'ensuive.  Secondement, 
par  la  diminution  des  forces  animales  et  corpo- 
relles, parce  que  les  actions  sprirituelles  consu- 
ment les  esprits  vitaux  ;  c'est  pour  cela  que  les 
facultés  corporelles,  telles  que  la  faculté  de  sentir, 
celle  de  se  nourrir,  celle  de  digérer  et  les  autres, 
refusent  de  faire  leurs  fonctions.  De  là  provient  la 
débilité  et  la  défaillance  du  corps  et  finalement  la 
mort.  «  La  méditation  fréquente^  dit  le  Sage,  est 

I .  D.  Hier.  Episi,  ad  Patdam  et  Eustoch.  t.  9. 
Bail,  t.  ix.  4 


So  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

«  l'affliction  de  la  chair.  »  (Eccl.  12).  Et  de  même 
que  Marthe  se  plaint  d'être  délaissée  par  Madeleine, 
qui  s'adonne  à  la  contemplation,  ainsi  la  chair  res- 
sent le  contre-coup  de  ràme,qui  est  toute  occupée 
et  toute  tendue  par  les  fonctions  spirituelles.  Troi- 
sièmement, l'amour  peut  causer  la  mort  par  la 
force  des  élans  par  lesquels  une  âme  se  porte  vers 
Dieu  qui  l'attire  à  lui  par  ses  douceurs  et  ses 
suavités  ;  ainsi  l'oiseau  pris  à  la  glu  sur  quelque 
buisson  où  il  est  retenu,  s'élance  parfois  avec  tant 
de  force,  qu'il  se  met  en  liberté.  Il  peut  en  arriver 
autant  à  une  àme  puissamment  attirée  par  les 
suavités  divines  :  ne  pouvant  souffrir  de  délai  pour 
s'unir  à  Dieu,  elle  renouvelle  tant  de  fois,  par  la 
puissante  vigueur  de  sa  charité,  ses  élans  et  ses 
efforts  pour  être  toute  à  son  bien-aimé,  qu'elle 
s'échappe  du  corps.  C'est  en  l'une  ou  en  plusieurs 
de  ces  trois  manières  que  l'amour  divin  aura  pu 
séparer  l'àme  de  la  Vierge  de  son  corps,  qui  ne 
pouvait  plus  soutenir  naturellement  les  efforts  de 
cet  amour  (i). 

I.  Il  est  certain  que  la  Sainte  Vierge  n'est  morte  ni  de 
maladie,  ni  de  vieillesse.  Il  est  non  moins  certain 
qu'elle  est  morte  dans  une  extase  provoquée  par  l'amour 
de  Dieu.  Mais  nous  voyons  un  sérieux  inconvénient  à 
affirmer  avec  Bail  et  les  auteurs  qu'il  cite,  auxquels  on 
peut  encore  ajouter  Bossuet  (//«  Sermon  sur  l'Assomp- 
tion, 2«  point),  que  c'est  la  violence  de  l'amour  de  Dieu 
qui  lui  a  donné  la  mort.  L'amour  de  Dieu  qui  conve- 
nait à  Marie  était  un  amour  spirituel,  résidant  dans  la 
volonté  et  ne  rejaillissant  sur  la  partie  sensible  que  dans 
la  mesure  où  elle  pouvait  le  supporter.  Il  semble  qu'il 
y  aurait  eu  un  certain  désordre  à  laisser  cet  amour  s'em- 


DE    LA    SAINTE    VIERGE  bl 

Admirez  cette  mort  désirable  et  la  force  de 
l'amour  de  dilection.  O  cœur  sacré  de  Marie,  blessé 
plus  profondément  des  traits  de  l'amour,  que  de 
ceux  de  la  mort  !  O  amour,  amour  !  comment  est- 
il  possible  que  tu  sois  si  doux,  et  que  cependant 
tu  sois  la  cause  de  la  mort  ?  O  amour,  comment 
as-tu  payé  d'une  langueur  et  d'une  blessure  mor- 
telle le  cœur  sacré  d'une  Vierge  innocente,  qui  t'a 
reçu  et  logé  avec  tant  d'amitié  ?  Est-ce  donc  ainsi, 
ô  amour,  que  tu  récompenses  cette  fidèle  hôtesse  ? 
O  Vierge  mourant  de  la  mort  de  l'amour,  qui  me 
donnera  de  mourir  d'une  semblable  mort  ?  Qui 
me  donnera  d'aimer  mon  Dieu  avec  une  telle 
ardeur  que  mon  cœur  éclate  et  que  ma  vie  expire  ? 
«  Que  mon  âme  meure  de  la  mort  des  justes  !  » 
(Nom.  23).  Que  mon  âme  meure  de  la  mort  de 
l'amour  !  Faites  donc,  je  vous  prie.  Vierge  très 
aimante,  que  par  l'impétuosité  de  mon  amour 
envers  votre  Fils  et  envers  vous,  mon  cœur  s'en- 

parer  des  sens,  au  point  de  les  briser  et  d'arrêter  la  vie. 
Nous  préférons  dire  avec  un  auteur  récent  (Lépicier, 
TRACT.  deB.  V.  Maria^  p.  2,  c.  2,  a.  3,  u.  17),  que  Dieu 
avait  doté  l'âme  de  Marie  d'une  vertu  surnaturelle  suffi- 
sante, pour  la  préserver  de  la  mort,  avec  le  secours 
néanmoins  des  autres  moyens  destinés  à  conserver 
la  vie.  Marie  serait  morte  le  jour  où  par  ses  ardents 
désirs  elle  obtint  de  Dieu  de  ne  plus  ressentir  l'effet 
de  cette  vertu  surnaturelle  et  de  négliger  les  au- 
tres moyens  ayant  pour  but  la  conservation  de  la 
vie.  C'est  peut-être,  ajoute  ce  même  auteur,  la  rai- 
son qui  expliquerait  pourquoi  cette  mort  entourée 
d'un  si  profond  mystère  a  laissé  si  peu  de  traces  dans 
la  tradition. 


52  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

tr'ouvre  et  soit  atteint   d'une  blessure  éternelle  ! 
O  blessure  !  O  mort  souhaitable  ! 

III 

Considérez  de  plus  que  la  Sainte  Vierge  fut 
délivrée  de  trois  misères  auxquelles  sont  soumises 
les  créatures  humaines  au  moment  de  la  mort. 

La  première  misère  est  une  multitude  de  dou- 
leurs provenant  de  la  fièvre,  des  maux  d'estomac, 
des  fluxions,  des  convulsions  et  quelquefois  aussi 
des  remèdes  eux-mêmes  qui  font  souffrir  plus  que 
les  maladies.  Or  la  Sainte  Vierge  fut  affranchie 
dans  sa  mort  de  cette  première  misère  (i).  En 
assistant  sur  le  Calvaire  au  crucifiement  de  Jésus- 
Christ,  elle  avait  souffert  les  transes  de  la  mort, 
elle  en  fut  exempte  dans  ce  suprême  passage  et  son 
amour  était  si  grand  qu'il  charma  les  douleurs  de 
la  mort  et  rendit  Marie  insensible.  Comme  Moïse 
et  Elie  jeûnèrent  quarante  jours  sans  ressentir  les 
douleurs  de  la  faim,  à  cause  de  leur  très  grand 
amour,  ainsi  la  Vierge  passa  de  ce  monde  en 
Tautre  sans  douleur  ni  tourment,  parce  que  la 
force  de  son  amour  résistait  à  tout  autre  sen- 
timent (2). 

La  seconde  misère  est  une  tristesse  infinie, 
quand  on  a  quelque  attache  à  cette  vie  :  «  O  mort, 
«  dit  le  Sage,  que  ton  souvenir  est  amer  à  celui 
«  qui  a  la  paix  dans  ce  monde.  »  (Eccl.  41).  Les 
plaisirs  et    les   voluptés   n'existent  plus  alors,   la 

1.  Bern.  de  Bustis,  in  Stellario  cor.  Virg.  1.  10. 

2.  Note  de  Fauteur  :  Phira  apud  Sherlogum,  in  c.  8 
Cant.  in  Explan.  mor.  sect.  6. 


DE    I.A    SAINTE    VIERGE  53 

bonne  chère,  les  viandes  délicates  et  les  bons 
vins  se  changent  en  fiel,  les  amis  en  ennemis,  les 
lits  mollets  en  une  couverture  de  teigne  et  de 
pourriture,  le  corps  mollement  traité  en  une  car- 
casse de  vermine  et  toutes  les  prétentions  s'en 
vont  en  fumée.  Mais  la  Sainte  Vierge  qui  n'avait 
aucune  attache  aux  biens  du  monde  et  dont  la 
volonté  était  parfaitement  conforme  aux  volontés 
divines,  mourut  sans  tristesse  et  très  contente, 
n'ayant  rien  qui  put  l'affliger,  mais  plutôt  recevant 
des  consolations  inénarrables  de  son  Fils,  Jésus- 
Christ,  qui  lui  apparaissait  à  cette  heure. 

Enfin  une  troisième  misère  des  créatures  hu- 
maines à  l'heure  de  la  mort,  est  un  saisissement 
de  crainte  et  de  frayeur,  soit  à  cause  des  tentations 
de  l'ennemi  qui  à  ce  moment  trouble  davantage 
les  âmes,  soit  à  cause  des  justes  et  raisonnables 
appréhensions  des  jugements  de  Dieu  qui  doivent 
intimider  les  plus  justes  et  les  plus  saints.  C'est 
pourquoi  David  disait  :  «  Saîive:{-m.oi  de  la  gueule 
«  du  lion  et  des  cornes  des  licornes.  »  (Ps.  21).  Or 
la  Sainte  Vierge  fut  encore  exempte  de  toute 
crainte  et  de  toute  fra3^eur,  parce  qu'elle  était  con- 
firmée en  grâce  et  sûre  de  sa  gloire,  ainsi  que  de 
l'amour  et  de  la  bienveillance  de  son  Fils.  L'en- 
nemi du  genre  humain  n'eut  pas  d'accès  auprès 
d'elle,  il  fut  chassé  bien  loin  par  les  troupes 
célestes  des  bons  Anges  qui  assistaient  Marie 
fidèlement. 

Réjouissez-vous  avec  la  Sainte  Vierge,  à  qui 
l'amour  divin  a  causé  une  mort  si  belle  et  si  pré- 
cieuse, de  son  bonheur.  Espérez  donc,  si  vous 
portez  h  Dieu  un  grand  amour,  que  votre   mort 


54  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

sera  plus  douce  et  plus  facile  à  supporter  ;  d'autre 
part  vous  devez  redouter  qu'elle  ne  soit  accompa- 
gnée de  grandes  détresses  et  d'angoisses,  si  vous 
n'êtes  pas  plus  fervent  dans  l'amour  divin.  O 
Vierge  bénie,  obtenez-moi  de  votre  Fils  cet  amour 
plus  fervent.  Sainte  Marie,  Mère  de  Dieu,  priez 
pour  nous  maintenant  et  à  l'heure  de  notre  mort. 


XVIir  MÉDITATION 

DU  TRÉPAS  DE  LA  SAINTE  VIERGE 
ET  DE  SON  ASSOMPTION 


SOMMAIRE  : 

Faveur  que  reçoit  la  Sainte  Vierge  à  sa  mort. 
—  Grande  félicité  qui  lui  est  échue  le  jour  de 
son  Assomption.  —  Elle  est  établie  Reine  de 
Vunivers  et  Impératrice  du  ciel  et  de  la  terre 
au-dessous  de  Jésus-Christ. 

I 

CONSIDÉREZ  quelques  autres  faveurs  et  privi- 
lèges que  reçut  la  Sainte  Vierge  en  mou- 
rant et  après  sa  mort. 

Son  premier  privilège  fut  d'être  avertie  par 
l'ange  Gabriel  de  l'heure  de  son  trépas  ;  elle  lui 
répondit  comme  au  jour  de  l'Annonciation  avec 
une  grande  joie  et  une  grande  résignation  ;  «  Voici 


DE    LA    SAINTE    VIERGE  55 

«  la  servante  du  Seigneur,  qiCU  me  soit  fait  selon 
«  votre  parole^  »  ou  bien,  comme  dit  saint  Jean 
Damascène  (i),  je  remets  mon  âme  entre  vos  mains. 
Plusieurs  Saints  ont  eu  cette  grâce  d'être  avertis 
de  la  part  de  Dieu  du  jour  de  leur  mort  et  par 
conséquent  la  Sainte  Vierge  n'a  pas  dû  en  être 
privée. 

Le  second  privilège  fut  qu'en  mourant  elle  fut 
assistée  de  tous  les  Apôtres  qui  vivaient  encore  et 
qui  prêchaient  l'Evangile  dans  les  diverses  parties 
du  monde  ;  transportés  à  travers  les  airs  sur  des 
nuées,  ou  par  tel  moyen  qu'il  plut  à  Dieu,  et  que 
Dieu  connaît,  ils  se  trouvèrent  réunis  pour  assister 
à  son  trépas.  Denys  l'aréopagite  (2)  qui  s'y  trouva 
aussi  en  rend  un  suffisant  témoignage.  D'où  nous 
pouvons  constater  le  soin  et  l'affection  de  Jésus- 
Christ  pour  sa  sainte  Mère,  qu'il  avait  laissée  ici- 
bas  en  se  retirant  au  ciel,  puisqu'il  la  faisait  ainsi 
visiter  et  assister  à  l'heure  de  sa  mort  par  ses 
bien-aimés  disciples  et  Apôtres,  qui  étaient  les 
plus  grands  hommes  de  la  terre. 

Son  troisième  privilège  fut  que  Jésus-Christ 
même  qui  était  apparu  à  saint  Etienne  dans  son 
agonie,  lui  apparut  également  en  personne,  en- 
touré d'une  infinité  d'Anges,  et  la  consola  ineflfa- 
blement,  tant  par  la  vue  de  son  visage  glorieux 
que  par  le  doux  langage  qu'il  lui  tint.  Il  lui  dit  : 
venez  dans  mon  repos,    ma  Mère   bénie,    levez- 

1.  Legenda  D.  Damasceni,  orat.  i*  et  2^  De  Assump- 
TioNE  et  Canisius,  lib.  5  De  Deipara. 

2.  De  Div.   NOMiN.  c.  ^.\  Mich.   Singulus,  in  vita  D. 

DiONYSII. 


56  LA     THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

VOUS,  ma  bien-aimée,  belle  entre  toutes  les  fem- 
mes. «  Voict  que  Vhiver  est  passée  et  que  le  prin- 
«  temps  est  arrivé.  Vous  êtes  belle,  ma  très  chère, 
«  et  il  n'y  a  point  de  tache  en  vous  ;  V odeur  de  vos 
«  vêtements  Vemporte  sur  tous  les  parfums.  » 
(Gant.  2  et  4)  (i). 

Le  quatrième  privilège  fut,  que  quand  elle  eut 
rendu  l'esprit  à  la  suite  des  nouvelles  aspirations 
d'amour  que  lui  causa  le  regard  de  Jésus-Christ, 
son  âme  sainte  fut  sans  aucun  délai  revêtue  de  la 
lumière  de  la  gloire  et  admise  à  jouir  de  la  vision 
de  Dieu,  à  un  degré  qui  correspondait  à  ses  mérites 
et  qui  était  supérieure  la  félicité  des  Saints.  Il  n'y 
avait  rien  en  effet  à  purifier  en  elle,  et  ses  bonnes 
oeuvres  étaient  plus  méritoires  que  toutes  celles 
des  autres  Saints.  Si  bien  que  cette  âme  sainte 
passant  immédiatement  de  l'union  avec  son  corps 
à  l'union  béatifique  avec  TEssence  divine  n'inter- 
rompit pas  en  mourant  ses  actes  de  charité. 

Le  cinquième  privilège  fut  que  son  corps  ayant 
été  porté  par  les  Apôtres  dans  un  sépulcre  situé 
dans  la  vallée  de  Josaphat,  fut  exempt  de  corrup- 
tion; car  si  Jésus-Christ  a  voulu  que  son  propre 
corps  en  fut  exempt,  et  s'il  a  voulu  s'épargner  à 
lui-même  cette  misère,  suivant  ce  qui  est  écrit  : 
«  Vous  ne  perm.ettre^  pas  que  votre  saint  voie  la 
corruption  (Ps.  i5),  il  est  bien  vraisemblable 
qu'il  en  aura  aussi  préservé  le  corps  de  la  Sainte 
Vierge.  En  effet,  dit  le  docte  évêque  de  Paris  (2), 
qui  de  nous  laisserait  dévorer  par  les  vers  sa  propre 

1 .  D.  Joan  Damasc.  Orat.  2.  De  Assumpt.  Dei  Genit' 

2.  Guill.  Paris,  serm.  2.  in  Assumpt. 


HE    LA    SAINTE    VIERGE  ?7 

mère,  s'il  pouvait,  sans  difficulté,  rempccher  ?  De 
plus,  puisqu'il  a  voulu  qu'elle  fut  alVranchie  de 
cette  sentence  générale  signifiée  à  Eve  :  Tu  enfan- 
«  teras  dans  la  douleur  »  (Gen.  3),  pourquoi 
n'aurait-il  pas  voulu  qu'elle  fut  aussi  exceptée  de 
la  sentence  générale  signifiée  à  Adam  :  «  Tu  retour- 
if.  fieras  en  poussière?  »  Et  encore  si  sur  la  croix  et 
dans  les  angoisses  de  sa  Passion,  il  a  eu  soin  de  sa 
Mère,  l'aurait-il  oubliée  et  délaissée,  une  fois 
exalté  dans  le  ciel  et  revêtu  de  la  toute-puissance 
sur  le  monde  ?  Enfin  s'il  l'a  conservée  pure  et 
intacte,  sans  aucune  lésion  de  son  intégrité  virgi- 
nale, quand  il  Ta  choisie  pour  Mère,  pourquoi  ne 
voudrait-il  pas  après  sa  mort  la  conserver  à  l'abri 
de  toute  corruption  ? 

Le  sixième  privilège  fut  qu'au  troisième  jour 
après  sa  mort,  son  âme  glorieuse  vint  rejoindre  son 
corps  dans  le  tombeau,  pour  le  vivifier,  le  ressus- 
citer et  le  glorifier  en  lui  communiquant  les  qua- 
lités des  corps  glorieux,  qui  sont  la  clarté,  l'impas- 
sibilité, l'agilité  et  la  subtilité.  Il  était  bien  raison- 
nable que  Jésus-Christ  l'honorât  ainsi  et  dans  son 
âme  et  dans  son  corps,  qui  lui  avait  servi  de 
demeure;  il  était  raisonnable  aussi  qu'elle  ne 
reçut  pas  moins  de  grâces  de  lui  que  ceux  dont 
les  corps  ressuscitèrent  au  jour  de  sa  Résurrec- 
tion et  apparurent  à  plusieurs  dans  la  sainte  cité  de 
Jérusalem. 

Le  septième  privilège  fut  d'être  élevée  en  corps 
et  en  âme  dans  le  ciel  sur  un  trône  glorieux  pour  y 
être  à  jamais  bienheureuse  ;  elle  fut  reçue  avec 
joie  et  allégresse  par  toute  l'Eglise  triomphante. 
Elle  a  été  transportée  tout  entière,  dit  un  ancien 


58         LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

Père  (i),  afin  qu'il  n'y  eut  pas  une  partie  d'elle- 
même  qui  demeurât  avec  le  Verbe,  et  une  autre 
partie  avec  le  ver  (2).  Aussi  Jésus-Christ  n'eût  pas 
voulu  que  le  corps  de  la  Vierge  eût  été  sans  hon- 
neur sur  la  terre,  s'il  n'eût  pas  été  en  honneur 
dans  le  ciel,  puisque  non  seulement  il  veut  que  les 
corps  des  martyrs  soient  honorés,  mais  aussi  ses 
tourments,  sa  croix  et  ses  clous  (3).  De  plus  s'il  a 
été  convenable  qu'il  hâtât  sa  propre  Résurrection 
et  son  Ascension,  afin  de  donner  aux  hommes 
l'espérance  de  ressusciter  et  de  monter  au  ciel  ;  il 
a  été  également  convenable  que  la  Résurrection  et 
l'Assomption  de  sa  Très  Sainte  Mère  au  ciel  ne  fut 
pas  retardée,  afin  de  donner  au  sexe  féminin  qui 
avait  tout  gâté  au  paradis  terrestre  et  qui  est  plus 
faible  et  naturellement  plus  défiant,  l'espérance  de 
pouvoir  ressusciter  et  monter  au  ciel.  Et  puisque  l'un 
et  l'autre  sexe  avaient  été  chassés  du  paradis  ter- 
restre, l'un  et  l'autre  sexe  devaient  apparaître  dans 
le  paradis  céleste  comme  le  signe  de  la  réparation 
accomplie.  Ajoutons  que,  puisque  Jésus-Christ  a 
voulu,  pour  la  gloire  du  sexe  féminin,  être  le  fils 
d'une  femme,  mais  non  d'un  homme,  il  a  voulu 
aussi  exalter  la  nature  humaine  quant  à  l'âme  et 
quant  au   corps  dans    une  femme,  pour  la   plus 

1.  Eusebius,  in  Chron.  ann.  Dom.  48. 

2.  L-  De  Assumptione,  tom.  9  OperumT) .  Augustini, 
in  append.  Non  est  Angtist .  (Note  de  l'auteur). 

3.  Le  fait  qu'en  aucun  lieu  du  monde  ne  se  trouve 
même  la  plus  petite  relique  de  la  Sainte  Vierge  est  déjà 
une  grave  présomption  en  faveur  de  son  Assomption, 
pour  l'excellente  raison  que  donne  l'auteur. 


DE     LA    SAINTE    VIERGE  Sc) 

grande  confusion  de  ses  ennemis  et  à  Thonneurde 
sa  très  abondante  Rédemption.  Enfin  il  aurait 
semblé  à  Jésus-Christ  qu'il  n'était  pas  monté  tout 
entier  dans  le  ciel,  s'il  n'eût  attiré  à  sa  suite  celle 
de  qui  il  avait  pris  son  corps.  C'est  pourquoi  il 
désirait  ardemment  avoir  avec  lui  ce  vase  précieux, 
je  veux  dire  ce  corps  choisi  de  la  Vierge,  où  rien  ne 
s'était  trouvé  qui  déplut  à  la  divinité  (i). 

Réjouissez-vous  avec  la  Vierge  de  tant  de  fa- 
veurs et  des  grâces  singulières  qu'elle  reçoit  avant 

I.  La  doctrine  de  l'Assomption  de  Marie  au  ciel  a 
pour  elle  le  témoignage  constant  des  Pères  de  l'Eglise 
grecque  et  de  l'Eglise  latine,  le  suffrage  des  Théolo- 
giens scolastiques,  notamment  de  saint  Thomas  (iv.  Dist. 
13,  q.  I,  art.  3,  sol.  3),  l'institution  de  la  fête  du  Repos, 
du  Passage,  du  Sommeil,  ou  de  VAssûmption  de  la 
Sainte  Vierge,  —  fête  qui  est  une  des  plus  anciennes 
parmi  celles  qui  ont  été  instituées  en  son  honneur,  — 
enfin  le  sentiment  de  tous  les  fidèles  de  l'Eglise  orientale 
comme  de  l'Eglise  occidentale  ;  c'est  ce  qu^ont  attesté 
les  Pères  du  Concile  du  Vatican  qui  demandaient  la 
définition  de  l'Assomption  corporelle  de  la  Sainte 
Vierge  :  «  A  moins  qu'on  ne  veuille  traiter  d'adhésion 
«  irréfléchie  et  de  crédulité  la  foi  très  ferme  de  l'Eglise  en 
«  V Assomption  de  la  B.  Vierge,  ce  qu'il  serait  impie 
«  même  de  penser^  il  faut  sans  aucun  doute  croire  très 
«  fermement  que  cette  doctrine  nous  vient  de  la  tradition 
«  apostolique  et  divine,  c'est-à-dire  de  la  révélation.  » 
(CoLLECT.  LAC.  VII,  868).  Quoiqu'elle  ne  soit  point 
encore  ni  définie,  ni  même  contenue  formellement  dans 
les  Saintes  Lettres,  nul  catholique,  dit  Suarez  (In  3. 
disp.  21)  ne  peut  la  révoquer  en  doute,  et  la  nier  serait, 
dit  Melchior  Cano,  «  une  folle  témérité,  »  (L  i .  De  log. 

THEOL.  C.   II.) 


6o  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

et  après  sa  mort.  Vénérez-la  avec  une  grande 
dévotion  à  la  vue  de  tant  de  privilèges  qui  lui 
sont  accordés.  O  divine  Vierge,  que  vous  êtes 
heureuse  maintenant  de  ne  plus  rien  avoir  des 
misères  de  la  terre!  O  Vierge  des  vierges  et  beauté 
de  toutes  les  vierges,  il  semblait  que  vous  fussiez 
délaissée,  quand  votre  Fils  se  sépara  de  vous 
en  montant  au  ciel.  Maintenant  vous  ne  paraî- 
trez plus  être  oubliée,  mais  on  verra  que  vous 
êtes  la  plus  aimée  de  Dieu.  O  cité  céleste,  que  tu 
es  belle  et  ra3''onnante,  grâce  au  soleil  et  à  la  lune 
qui  t'enrichissent,  grâce  aux  corps  sacrés  de  Jésus- 
Christ  et  de  Marie  ?  O  céleste  Marie,  comme  votre 
Fils  montre  au  Père  éternel  ses  plaies  et  ses  cica- 
trices, montrez-lui  vos  mamelles,  afin  d'intercéder 
pour  nous  plus  efficacement,  car  vous  êtes  mainte- 
nant notre  très  grande  espérance  après  votre 
Fils  (i).  Qu'il  soit  à  jamais  béni  et  loué  pour 
toutes  les  grandes  choses  qu'il  a  faites  en  vous  ! 

I .  Suarez  s'exprime  ainsi  sur  l'intercession  de  Marie  : 
«  //  résulte  de  ce  que  nous  venons  de  dire  non  seulement 
«  que  la  B.  Vierge  intercède  pour  nous^  mais  de  plus  que 
«  son  intercession  est  la  plus  efficace  de  toutes.  Bien 
«  plîis  j'estime  que  par  son  pouvoir  et  l'efficacité  de  son 
«  intercession  la  Vierge  l'emporte  non  seulemetit  sur 
«  chacun  des  Saints  y  mais  même  sur  toute  la  cour  céleste  ; 
«  de  telle  sorte  que,  si  nous  supposons  par  la  pensée  le  cas 
«  oii  la  B.  Vierge  demanderait  une  chose,  à  laquelle 
«  s'opposerait  toute  la  cour  céleste,  comme  dans  Daniel 
«  oîi  nous  voyons  un  ange  résister  à  un  autre  ange,  —  la 
«  prière  de  la  B.  Vierge  serait  plus  puissante  et  aurait 
«  une  plus  grande  efficacité  et  une  plus  grande  valeur 
«  auprès  de  Dieu,  que  celle  de  tous  les  autres  Saints^ 


nn    I.  A    SAINTE   VIERGE  6l 

II 

Considérez  ensuite  à  quoi  degré  de  gloire  spiri- 
tuelle et  corporelle,  et  à  quelle  grande  félicité  est 
arrivée  la  Sainte  Vierge  au  jour  de  son  Assomp- 
tion. Pour  comprendre  ce  point,  il  faut  repasser 
dans  son  esprit  ce  qui  a  été  médité  sur  les  mérites 
de  la  Sainte  Vierge  et  sur  sa  grâce,  qui  fut  comme 
immense  et  plus  abondante  que  toutes  les  grâces 
des  autres  Saints  ensemble,  quand  la  Vierge 
arriva  à  la  fin  de  sa  vie.  Ces  principes  une  fois 
posés,  il  n'y  a  plus  de  difficulté  à  comprendre  la 
grandeur  de  sa  gloire,  car  cette  gloire  doit  être 
proportionnée  à  sa  grâce.  Autant  dit  saint  Ber- 
nard (i),  un  arbre  pousse  de  racines  dans  la  terre, 
autant  il  pousse  de  branches  au  dehors;  et  autant 

«  Voilà  pourquoi  V Eglise  dans  ses  prières  s'adresse  plus 
«  fréquemment  et  plus  solennellement  à  la  Vierge  qu^ aux 
«  autres  Saints. 7>  (In  3  p.  disp.  23,  sect.  2).  Ajoutons  au 
témoignage  des  Théologiens  et  des  Pères,  dont  Suarez 
s'est  fait  l'interprète,  le  témoignage  de  l'Eglise.  «  //  n'y 
«  a  rien  à  craindre,  dit  Pie  IX,  il  n'j  a  jamais  lieu  de 
«  désespérer,  quand  on  marche  soxis  la  conduite^  sous  les 
«  auspices,  sous  le  patronage  et  sous  la  protection  de  celle 
«  qui,  ayant  pour  nous  un  cœur  de  Mère,  et  se  chargeant 
«  de  V affaire  de  notre  salut,  étend  sa  sollicitude  à  tout  le 
«  genre  humain.  Etablie  par  le  Seigneur  Reine  du  ciel  et 
«  de  la  terre,  exaltée  au-dessus  de  tous  les  chœurs  des 
«  Anges  et  de  tous  les  ordres  des  Saints,  assise  à  la  droite 
«  de  son  Fils  unique  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  ses 
«  prières  maternelles  ont  une  force  toute  puissante.  Ce 
«  qu'elle  veut,  elle  Vobtient;  elle  ne  peut  demander  en 
«  vain .  »  (Bulle  Ineffabilis). 
1.  Serm.  i.  De  Assumpt. 


$2  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

un  homme  a  de  grâce  dans  cette  vie,  autant  il  a  de 
gloire  dans  Tautre.  C'est  pourquoi  jugeant  d'après 
cette  maxime,  qui  est  admise  partons  les  Théolo- 
giens, il  prononce  ces  paroles  sur  l'exaltation  de  la 
Très  Sainte  Vierge  :  autant  elle  a  acquis  sur  la 
terre  de  grâce  au-dessus  des  autres,  autant  elle 
possède  de  gloire  singulière  dans  les  cieux.  Si 
l'œil  n'a  pas  vu,  si  l'oreille  n'a  pas  entendu,  si  le 
cœur  n'a  pas  conçu  ce  que  Dieu  a  préparé  à  ceux 
qui  l'aiment,  qui  pourra  dire  ce  que  Dieu  a  pré- 
paré à  celle  qui  l'a  engendré  et  qui  l'a  aimé  plus 
que  tous  ?  Si  bien  qu'il  faut  estimer  que  la  gloire 
de  la  Sainte  Vierge  est  comme  immense  et  qu'elle 
surpasse  la  gloire  de  tous  les  Anges  et  de  tous  les 
Saints;  tous  les  Anges  et  tous  les  Saints  à  la  fois 
ne  glorifient  pas  Dieu  plus  qu'elle  ne  le  glorifie, 
de  même  que  tous  ensemble  ne  sont  pas  plus 
glorifiés  qu'elle  n'est  glorifiée  par  Dieu  (i).  Cette 

I.  Que  la  gloire  de  Marie  dans  le  ciel  l'emporte  non 
seulement  sur  la  gloire  de  chaque  Ange  et  de  chaque 
Saint,  mais  sur  la  gloire  de  tous  les  Anges  et  de  tous  les 
Saints  réunis,  c'est  simplement  une  opinion  probable, 
qui  s'appuie  sur  les  nombreux  passages  des  Pères  où  il 
est  dit  que  Marie  a  glorifié  Dieu  à  elle  seule  plus  que 
toutes  les  autres  créatures  de  Dieu,  quoique  moins  que 
Jésus-Christ.  Or  cette  affirmation  ne  serait  point  vraie, 
si  les  biens  surnaturels  et  les  degrés  de  gloire  accordés 
à  tous  les  Anges  et  à  tous  les  Saints  ne  se  trouvaient 
pas  en  elle.  —  Si  l'on  veut  toutefois  s'en  tenir  à  ce  qui 
est  certain  et  de  foi,  il  faut  dire  simplement  que  la 
gloire  dont  jouit  la  Vierge  dans  le  ciel  l'emporte  en 
perfection,  c'est-à-dire  soit  en  intensité^  soit  en  exten- 
sion,  sur  la  gloire   de  n'importe  quel  Ange  ou  quel 


DE    LA    SAINTE    VIERGE 


63 


vérité  est  confirmée  par  les  Révélations  de  sainte 
Brigitte,  où  il  est  rapporté  que  Dieu  ayant  créé 
ce  grand    monde    et   tout   ce    qui  y  est   compris, 

Saint.  C'est  ce  qu'enseignent  unanimement  les  anciens 
Pères  et  l'Eglise  elle-même  :  «  La  Sainte  Mère  de  Dieu 
«  a  été  élevée  dans  les  deux  au-dessus  de  tous  les  chœurs 
«  des  Anges.  »  (Office  de  l'Assompt.)  Elle  a  en  effet 
réuni  en  elle  les  divers  genres  de  mérite  dans  lesquels 
les  Saints  ont  excellé,  comme  il  est  facile  de  le  cons- 
tater en  énumérant  les  divers  états  de  sainteté.  Marie  a 
eu  le  mérite  de  la  vie  angélique,  à  cause  de  son  admi- 
rable virginité  :  «  Regina  angelorum  »  ;  le  mérite  des 
patriarches,  à  cause  de  l'ardeur  de  sa  foi  :  «  Vous  êtes 
«  bienheureuse,  parce  que  vous  ave^  cru.  »  (Luc,  i,  45)  ; 
Regina  patriarcharum  »  ;  le  mérite  àes  prophètes ,  comme 
le  prouve  cette  prédiction  faite  par  elle  :  «  Toutes  les 
«  générations  m'appelleront  bienheureuse.  »  fLuc  i,  48), 
Regina  prophetarum  ;  le  mérite  des  Apôtres  et  des  Evan- 
gélistes,  car  c'est  elle  qui  les  instruisit  des  mystères  de 
la  foi,  Regina  apostolorum;  le  mérite  des  inartjyrs, 
puisqu'au  pied  de  la  croix  «  tin  glaive  de  douleur  trans- 
«  perça  son  âme.  »  (Luc,  35)  Regina  martyrum  ;  le  mérite 
des  confesseurs,  car  nul  ne  loua  comme  elle  la  grandeur 
de  Dieu  :  «  Mon  âme  glorifie  le  Seigneur.  »  (Luc  i,  46)  ; 
Regina  confessorum;  le  mérite  des  vierges,  car  elle  fut 
vierge  et  le  demeura  toujours,  Regina  virginum.  Il  faut 
donc  conclure  avec  saint  Thomas  que  «  puisqu'elle  eut 
<t  les  mérites  de  tous  et  même  davantage,  il  était  conve- 
«  nable  qu'elle  fut  élevée  au-dessus  de  tous.  »  (Serm.  lviii 
IN  AssuMPT.)  Cette  gloire  supérieure  de  Marie  consiste 
non  seulement  en  ce  qu'elle  voit  en  Dieu  plus  claire- 
ment que  les  Anges  et  les  Saints  les  vérités  que  ceux-ci 
y  voient,  mais  en  ce  qu'elle  y  voit  un  plus  grand  nom- 
bre de  vérités  qu'eux.  Les  Saints  voient  en  Dieu  tous 
les  effets  particuliers  qui  se  rapportent  à  leur  état.  Or 


64         LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

excepté  l'homme,  il  y  avait  encore  un  petit  monde 
à  créer.  Ce  petit  monde  se  présentait  à  ses  yeux 
avec  toute  sorte  de  beauté  et  de  ce  petit  monde 
il  devait  revenir  à  Dieu  plus  de  gloire,  aux  Anges 
plus  de  joie  et  à  tout  homme  qui  prétend  jouir  de 
la  bonté  de  Dieu,  plus  d'utilité,  qu'il  ne  devait 
en  provenir  de  tout  ce  grand  monde.  O  très  douce 
dame.  Vierge  Marie,  aimable  envers  tous,  utile  à 
tous,  c'est  vous  qu'on  entend  avec  raison  par  ce 
petit  monde.    L'abbé  Guerry  (i)  dit   encore  que 

tout  ce  qui  se  rapporte  à  l'état  de  chaque  Saint  et  de 
tous  les  Saints  à  la  fois,  se  rapporte  d'une  manière  plus 
élevée  à  l'état  de  la  Sainte  Vierge,  parce  que,  en  qualité 
de  corédemptrice  elle  a  contribué,  de  concert  avec 
Jésus-Christ,  au  salut  de  tous  les  hommes  et  de  tous 
les  prédestinés,  et  que  tous  ces  effets  particuliers  qui 
ont  quelque  rapport  avec  l'état  de  chaque  Saint  consis- 
tent dans  des  grâces  données  à  des  prédestinés  en  vue 
du  salut.  De  plus  tous  les  effets  surnaturels  et  toutes  les 
grâces  ont  l'Incarnation  ou  pour  fin  ou  pour  principe. 
Or  la  Sainte  Vierge  doit  connaître  dans  le  ciel  mieux 
que  tous  les  Saints  ce  mystère,  à  l'accomplissement 
duquel  elle  a  eu  une  si  intime  et  si  glorieuse  part.  Par 
là  elle  s'élève  incomparablement  au-dessus  de  Tétat  et 
du  mérite  de  tous  les  Saints,  surtout  si  l'on  tient  compte 
des  fruits  de  grâce  et  des  mérites  qui  ont  été  pour  elle 
la  conséquence  de  cette  large  part  qu'elle  a  eue  dans  ce 
mystère.  De  tout  cela  il  résulte  que  la  Vierge  forme  à 
elle  seule  dans  le  ciel,  au-dessus  des  neuf  chœurs  des 
Anges,  un  chœur  spécial  ;  c'est  ce  que  signifient  ces 
paroles  de  l'Eglise  :  «  La  Sainte  Mère  de  Dieu  a  été 
«  exaltée  dans  le  ciel  an-dessus  des  chœurs  des  Anges  », 
comme  il  convient  à  la  Maîtresse  et  Reine  des  Anges. 

I.  Serm.  4.  in  festo  Assumpi. 


DE     LA    SAINTE     VIERGE  65 

Jésus-Christ  était  descendu  du  ciel  sur  la  terre  pour 
honorer  son  Père,  et  qu'il  remonta  de  la  terre  au 
ciel  pour  honorer  sa  Mère,  afin  de  la  faire  asseoir 
comme  une  Reine  couronnée  à  la  droite  de  Dieu. 
Jésus-Christ  lui  dit  :  personne  ne  m'a  servi  plus 
que  vous  dans  mon  état  de  bassesse,  je  ne  veux 
aussi  donner  à  personne  plus  qu'à  vous  dans 
Tétat  de  ma  gloire.  Vous  m'avez  communiqué 
l'humanité,  je  vous  ferai  part  de  ma  divinité,  et 
il  ne  me  semblera  jamais  que  je  sois  assez  glorifié, 
tant  que  vous  ne  serez  pas  glorifiée,  et  le  chœur 
des  Anges  reprit  :  gloire  à  vous,  ô  Seigneur. 
D'autres  ajoutent  que  la  Vierge  montant  au  ciel 
fut  accueillie  par  son  Fils  avec  les  paroles  sui- 
vantes :  Venez,  ma  bien-aimée  Mère,  ma  colombe, 
ma  toute  belle,  venez  recevoir  le  paiement  du 
logement  que  vous  m'avez  donné,  la  récompense 
pour  m'avoir  nourri,  m'avoir  élevé  et  pour  tous 
les  soins  que  vous  avez  eus  de  moi.  Vous  m'avez 
revêtu  de  la  substance  de  la  chair,  je  vous  revê- 
tirai de  la  gloire  de  la  Majesté.  Vous  avez  couvert 
le  soleil  d'une  nuée,  maintenant  vous  serez  tou- 
jours vêtue  de  soleil,  afin  que  vous  soyez  toujours 
honorée  comme  «  la  femme  vêtue  du  soleil.  » 
(Apoc.  12).  Enfin  celle  qui  avait  couché  Jésus- 
Christ  dans  une  humble  crèche,  est  élevée  par  lui 
sur  un  trône  sublime.  Celle  qui  l'avait  placé  entre 
deux  animaux,  est  placée  par  lui-même  à  la  tête  de 
tous  les  Anges.  Celle  qui  l'avait  mené  en  Egypte 
est  conduite  par  lui  du  désert  de  ce  monde  dans 
le  ciel.  Et  celle  qui  l'avait  vêtu  de  langes,  est  re- 
vêtue de  l'étole  de  la  félicité  éternelle  (i). 
I.  Petrus  Blesens.  loc.  cit. 

B^H.,  T.  IX.  3 


66  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Félicitez  la  Sainte  Vierge  sur  l'excellence  de  sa 
gloire  et  souhaitez-en  la  vue.  Réjouissez-vous 
donc  maintenant,  filles  de  Sion.  Vous  cherchiez 
votre  bien-aimé  avec  des  désirs  très  ardents  : 
«  Montrez-moi,  cher  amour  de  mon  âme,  où  vous 
«  paisse^  et  où  vous  reposera  midi.  »  (Gant.  i). 
Et  maintenant  vous  avez  trouvé  ce  que  vous 
souhaitiez,  vous  avez  trouvé  votre  Epoux  plein 
de  clarté  et  de  lumière,  et  vous  le  contemplez 
d'une  intime  et  parfaite  vision.  O  Vierge  très 
heureuse,  vos  travaux  sont  passés,  vos  souffrances 
et  vos  humiliations  ne  sont  plus,  vous  montez  au 
trône  de  votre  gloire.  Tous  les  chœurs  des  bien- 
heureux désireraient  vous  retenir  avec  eux  et  vous 
comblent  de  louanges  ;  mais  vous  vous  élevez 
plus  haut  et  toutes  les  portes  du  paradis  vous 
sont  ouvertes.  Voilà  que  toute  la  Trinité  vous 
reçoit.  Oh  !  quelle  douceur  vous  témoigne  le 
Père  éternel  !  Quelles  caresses  vous  fait  le  Fils  et 
avec  quelle  suavité  vous  accueille  le  Saint-Esprit  ! 
Voilà,  6  très  glorieuse,  que  vous  recevrez  plus  de 
gloire  essentielle  que  tous  les  bienheureux;  c'est 
pourquoi  vous  voyez  plus  clairement  l'Essence 
divine.  Vous  recevrez  ensuite  plus  de  gloire  cor- 
porelle ;  c'est  pourquoi  par  votre  beauté  admira- 
ble, par  votre  odeur  suave,  vous  réjouissez  toute 
la  cité  céleste,  qui  vous  rend  tous  les  honneurs 
possibles.  Oh  !  bénie  soit  votre  humilité,  bénie 
soit  votre  virginité,  bénie  soit  votre  charité,  bénie 
soit  votre  sainteté  et  toutes  les  actions  de  votre 
vie,  qui  vous  ont  élevée  à  tant  de  grandeurs  ! 
Bénie  soit  à  jamais  la  puissance  du  Père,  la 
sagesse  du  Fils  et  Tamour  du   Saint-Esprit,    qui 


DE   LA   SAINTE    VIERGE  67 

VOUS  ont  rendue  si  glorieuse  (i)!  Mais  quand, 
ô  divine  Vierge,  qui  ravissez  les  Anges  et  tous  les 
bienheureux,  quand  vous  contemplerai-je  et  quand 
mon  àme  demeurera-t-elle  ravie  à  la  vue  de  votre 
gloire  et  de  votre  face  ?  O  pureté  !  ô  blancheur  ! 
ô  sérénité  !  ô  beauté  plus  que  très  douce  de  mon 
cœur,  attirez-moi  à  vous  et  que  je  ne  m'en  éloigne 
jamais,  pas  même  l'espace  d'un  moment.  Montrez- 
moi,  je  vous  prie,  votre  face,  beaucoup  plus  belle 
que  l'aurore,  et  je  la  regarderai  avidement  parce 
qu'elle  me  remplira  de  chastes  joies.  Alors  comme 
un  grand  brasier  mon  cœur  s'enflammerait  pour 
vous,  mon  cœur  qui  ne  vit  que  dans  les  tourments 
parce  qu'il  est  loin  de  vous.  Ah  !  beauté  de  mon 
àme,  mon  espoir  et  mon  firmament  dans  la  terre 
des  mourants,  de  quels  désirs  je  me  sens  en- 
flammé ?  Oh  !  apparaissez-moi  et  soyez  moi  pré- 
sente, ô  Vierge,  à  tout  jamais  (2)  ! 

III 

Considérez  qu'au  jour  de  son  Assomption  la 
Sainte  Vierge  fut  établie  Reine  de  l'univers  et 
Impératrice  du  ciel  et  de  la  terre,  au-dessous  de 
Jésus-Christ.  Le  saint  prophète  David  a  exprimé 
cette  dignité  de  la  Vierge  par  ces  paroles  :  «  Une 
«  reine  s'est  présentée  à  votre  droite  avec  un  vê- 
«  tement  doré,  entourée  de  variétés.  »  (Ps.  44). 
Depuis  plusieurs  siècles  les  Pères  de  l'Eglise  lati- 
ne lui  ont  attribué   cet  éloge.  Saint  Athanase  (3} 

1.  Gers,  tract.  4.  super  Magnificat. 

2.  Joannes  a  Jesu  Maria,  ep.  ad  Virg.  in  Theolog. 
mystica. 

).  Serm.  de  Annonc. 


^8  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

dit  d'elle  :  puisque  celui  qui  est  né  d'elle  est  Roi 
et  Seigneur,  c'est  à  bon  droit  qu'on  qualifie  la 
Mère  qui  l'a  engendré  de  Reine  et  de  Dame. 
Saint  Jean  Damascène  (i)  l'appelle  la  Reine  de  la 
nature  et  dit  qu'il  fallait  que  la  Mère  de  Dieu  pos- 
sédât les  biens  de  son  fils  ;  car  bien  que  de  tout 
temps  l'héritage  aille  des  parents  aux  enfants, 
néanmoins  maintenant,  pour  employer  les  expres- 
sions d'un  savant,  les  fleuves  sacrés  remontent 
vers  leurs  sources,  car  le  Fils  a  assujetti  tout  ce 
qui  est  créé  à  sa  Mère.  L'abbé  de  Vendôme  (-2)  dit 
aussi  :  C'est  elle  que  les  Anges  servent,  elle  à  qui 
les  Archanges  obéissent.  Elle  seule  après  Dieu  a 
la  principauté  sur  toute  créature.  Cette  Vierge 
très  sainte  est  la  louable  et  universelle  Impératrice 
des  Anges  et  des  hommes.  En  effet  puisqu'elle 
était  la  Mère  de  Dieu,  il  ne  convenait  pas  qu'elle 
demeurât  personne  privée,  mais  elle  devait  être 
pleine  de  pouvoir  et  de  puissance.  C'est  pourquoi 
Gerson  (3)  parlant  de  son  Assomption  dit  :  aujour- 
d'hui la  bienheureuse  Vierge  a  été  tellement  exal- 
tée, qu'elle  est  appelée  à  bon  droit  la  Reine  du 
ciel  et  même  du  monde,  car  elle  a  une  prééminence 
et  une  autorité  sur  tout.  Elle  a,  si  l'on  peut  parler 
ainsi,  comme  Esther  et  Assuérus,  qui  sont  la  figure 
d'elle  et  de  son  Fils,  la  principauté  sur  la  moitié 
du  royaume  de  Dieu.  Le  royaume  de  Dieu  consis- 
te en  effet  dans  la  puissance  et  la  miséricorde  : 
«  Dieu  a  parlé  une  fois  ;  fai  entendu  ces  deux 

\ .  Orat.  3  de  Nat.  B.  Virg. 

2.  Orat.  2  in  annunc*  —  Golfrid.  abbas,  serm. 

^,  Tract,  9,  super  Magnificat , 


nr    I.A    SAINTE    VIERGE  Gg 

«  choses,  que  la  puissance  est  à  Dieu^  et  à  vous, 
u  Seigneur,  la  miséricorde.  »  (Ps.  8i).  La  puis- 
sance est  demeurée  au  Seigneur,  mais  le  départe- 
ment de  la  miséricorde  a  été  cédé  en  quelque  façon 
à  la  Mère  de  Jésus-Christ,  et  à  son  Epouse  ré- 
gnante. De  ces  paroles  nous  devons  conclure  que 
la  Vierge  exerce  sort  domaine  et  son  pouvoir  en 
faisant  du  bien  à  toute  créature,  car  elle  est  si  puis- 
sante pour  obtenir  toutes  les  grâces  et  les  faveurs 
qu'elle  désire,  que  rien  ne  peut  lui  être  refusé  par 
son  Fils.  Elle  n'est  pas  Reine  pour  exercer  des 
rigueurs  et  des  actes  de  justice  qui  appartiennent 
à  son  Fils,  mais  elle  est  Reine  pour  dispenser  les 
faveurs  divines  et  les  trésors  de  ses  grâces  célestes. 
C'est  pourquoi  elle  est  appelée  le  trône  de  Jésus- 
Christ,  non  pas  le  trône  d'où  il  lance  ses  foudres 
et  prononce  des  arrêts  de  mort  ;  mais  le  trône  du 
haut  duquel  il  exerce  sa  juridiction  pacifique  ; 
car  en  considération  de  ses  prières  et  de  ses  mé- 
rites, il  donne  la  liberté  aux  captifs,  la  lumière 
aux  aveugles,  le  repos  aux  affligés,  l'abondance  aux 
indigents,  l'assurance  aux  timides,  la  grâce  aux 
commençants,  enfin  la  gloire  et  le  triomphe  aux 
parfaits  (i). 

Il  est  vrai  que  l'hérétique  ne  peut  supporter 
qu'on  attribue  à  Marie  ce  titre  d'honneur,  comme 
s'il  était  injurieux  à  Jésus-Christ  à  qui  «  toute puis- 
«  sance  a  été  donnée  au  ciel  et  sur  la  terre.  » 
(Matt.  dern.  chap.).  Mais  on  lui  répond  que  Jésus- 
Christ  est  le  Roi,  et  que  ce  n'est  pas  lui  faire  in- 
jure d'honorer  sa  Mère  et   de  l'appeler  Reine   du 

ï.  Petrus  Blesens.  serm.  39. 


70  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

ciel.  Si  elle  a  été  associée  à  la  Passion  de  Jésus- 
Christ,  pourquoi  ne  le  serait-elle  pas  à  sa  consola- 
tion ?  (Rom.  8).  Si  elle  a  souffert  avec  lui,  pour- 
quoi ne  bera-t-elle  pas  glorifiée  avec  lui,  comme 
raisonne  saint  Paul  ?  Si  elle  a  souffert,  pourquoi 
ne  règnera-t-elle  pas  avec  lui  ?  Si  elle  a  été  pauvre 
d'esprit,  pourquoi  le  royaume  des  cieux  ne  sera-t- 
il  pas  à  elle,  comme  l'a  promis  Jésus-Christ  ? 
(Matt.  5).  Marie  donc  n'est  pas  seulement  Reine 
du  ciel,  mais  des  cieux,  comme  étant  la  Mère  du 
Roi  des  Anges,  la  sœur  et  l'épouse  du  roi  des 
cieux. 

O  Reine  des  cieux,  ô  Marie,  ô  Mère  de  miséri- 
corde, je  vous  révère  avec  une  singulière  affection 
à  cause  de  cette  qualité  de  Dame  et  de  Reine,  qui 
vous  a  été  donnée  au  Jour  de  votre  glorieuse 
Assomption.  Je  vous  salue,  ô  Reine  et  Mère  de 
miséricorde,  qui  employez  votre  pouvoir  à  délivrer 
les  misérables  des  peines,  et  à  les  remplir  des 
biens,  en  même  temps  qu'à  dispenser  des  grâces 
et  des  faveurs  aux  âmes  qui  vous  invoquent.  O 
Reine  et  Mère,  ô  Dame  très  douce  et  pitoyable, 
c'est  à  bon  droit  que  tout  le  monde  vous  honore  et 
vous  respecte  !  Oh  !  que  vous  êtes  exaltée  dans  le 
ciel  où  votre  jubilation  est  perpétuelle  !  Oh  !  qui 
me  donnera  d'arriver  un  jour  auprès  du  trône  de 
votre  gloire  et  de  m'en  approcher  ?  Qui  me  donne- 
ra de  pénétrer  bien  avant  dans  les  cieux,  afin  que 
mon  âme  se  repose  dans  la  vue  de  votre  si  grande 
gloire  et  des  grands  respects  qui  vous  y  sont  ren- 
dus ?  Car  qui  pourrait  imaginer  jusqu'où  s'élève 
votre  grandeur,  avec  quels  regards  la  cité  céleste 
se  porte  vers  vous  et  à  quel  point  elle  se  réjouit 


DE    LA    SAINTE    VIERGE  7I 

à  la  vue  de  votre  merveilleuse  beauté  ?  Oh  !  qu'il 
me  parait  long  le  retard  de  ce  bonheur  et  de  ce 
spectacle  si  désiré  !  O  Vierge  plus  brillante  que 
l'aurore,  inclinez-vous  vers  mes  ardents  désirs, 
so3'ez-moi  favorable.  Oh  !  je  vous  supplie,  par  le 
cœur  de  votre  Fils  Jésus-Christ,  qui  vous  est  plus 
cher  que  le  vôtre,  de  fixer  une  fois  vos  yeux  si 
doux  sur  moi,  misérable  pécheur  ;  daignez  frap- 
per mon  cœur  d'un  rayon  de  votre  pitié  et  de  vo- 
tre douceur,  afin  qu'il  devienne  pieux  et  qu'il 
vous  demeure  consacré,  à  vous  et  à  votre  Fils 
Jésus-Christ. 


7^  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 


Xir  MÉDITATION 

CONCLUSION   DE   CE   TRAITÉ 

DE  LA  DÉVOTION 

ENVERS  LA  SAINTE  VIERGE 


SOMMAIRE 

La  dévotion  à  la  Sainte  Vierge  consiste  à  faire  ce 
qui  lui  plaît^  et  à  éviter  ce  qui  Vojfense.  — 
Motifs  de  cette  dévotion.  —  Méthode. 

I 

CONSIDÉREZ  que  la  vraie  et  parfaite  dévotion 
envers  la  Sainte  Vierge  consiste  dans  une 
volonté  prompte  et  constante  de  fuir  ce  qui  lui 
déplait  et  de  faire  ce  qui  lui  est  agréable  ou  qui 
tourne  à  son  honnenr  (i).  La  raison  en  est  que 
nous  devons  nous  faire  une  idée  de  la  vraie  dévo- 
tion à  l'égard  de  la  Sainte  Vierge,  en  la  compa- 
rant à  la  véritable  et  parfaite  dévotion  envers 
Dieu.  Or  cette  dévotion  envers  Dieu  consiste  dans 
une  volonté  prompte  et  constante  de  se  porter  à 
tout  ce  qui  regarde  son  honneur  et  son  service,  de 
fuir  le  péché  qui  lui  déplait,  et  de  faire  ce  qui  lui 
est  agréable  et  honorable.  Donc  aussi  la  vraie  et 
sincère  dévotion  envers  la  Sainte  Vierge  consiste 
dans  une  volonté  prompte  et  constante  de  s'adon- 

I.  Joan.  Carmel.  De  cultu  reg.  cœli^  p.  a,  c.  8. 


DE    LA    SAINTE    VIERGE  yS 

ner  à  ce  qui  concerne  son  honneur  et  son  service, 
en  évitant  le  mal  qui  lui  déplaît  et  en  faisant  le 
bien  qui  lui  plaît,  et  en  le  faisant  en  considération 
d'elle.  Nous  appelons  cette  dévotion  une  volonté 
prompte,  parce  qu'une  âme  qui  se  porte  lentement 
et  difficilement  à  honorer  la  Sainte  Vierge,  ne 
mérite  pas  d'être  appelée  dévote  envers  elle.  Nous 
l'appelons  aussi  une  volonté  constante,  c'est-à-dire 
ferme,  résolue  et  persévérante,  qui  ne  change  pas 
à  tout  vent,  l'honorant  un  jour  et  la  déshonorant 
le  lendemain.  Qui  dit  dévotion  envers  elle  dit  une 
certaine  allégresse  et  une  ardeur  continuelle,  qui 
ne  déchoit  pas  aisément  dans  les  œuvres  de  son 
service,  auquel  on  s'est  donné  et  voué  d'une  ma- 
nière plus  spéciale.  Nous  disons  encore  que  cette 
dévotion  porte  à  fuir  le  mal  qui  lui  est  désagréable. 
Car  il  n'y  a  rien  de  plus  éloigné  de  la  vraie  dévo- 
tion à  la  sainte  Mère  de  Dieu,  que  l'affection  au 
péché,  ou  le  défaut  de  pénitence  pour  les  péchés 
commis  ;  les  péchés  en  effet  lui  déplaisent  parce 
qu'ils  sont  contraires  à  l'honneur  de  Dieu  et  à 
toute  espèce  de  justice.  Si  bien  que  si  quelqu'un 
faisait  plusieurs  grandes  actions  pour  elle,  mais 
en  état  du  péché  mortel  ou  avec  la  volonté  de  le 
commettre,  ce  serait  ni  plus  ni  moins  comme  si 
l'on  servait  à  la  table  d'une  puissante  reine  de  très 
bonnes  viandes,  mais  dans  un  plat  souillé  d'im- 
mondices, qui  ferait  horreur  à  voir  et  soulèverait 
le  cœur. 

Cette  même  dévotion  porte  encore  à  faire  des 
œuvres  qui  lui  soient  agréables  et  qui  consistent  à 
la  servir,  parce  que  de  même  que  la  fuite  du  mal 
n'est  que  l'entrée  de  la  justice  chrétienne,  qui  ne 


74  LA    THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

devient  parfaite  et  accomplie  que  par  la  pratique 
des  saintes  œuvres,  suivant  cette  parole  de  David  : 
«  Evite  le  mal^  et  fais  Je  tien  »  (Ps.  36);  ainsi  la 
fuite  des  péchés  n'est  que  le  commencement  de  la 
dévotion  envers  la  Sainte  Vierge,  dévotion  qui  a 
sa  perfection  et  son  dernier  terme  dans  plusieurs 
œuvres  qui  lui  sont  agréables,  et  qui  regardent 
son  honneur.  C'est  pourquoi  il  faut  que  de  telles 
œuvres  se  fassent  en  considération  de  la  Vierge, 
c'est-à-dire  dans  le  but  de  lui  rendre  le  respect 
qui  lui  est  dû  ou  quelque  service  qui  lui  est  agréa- 
ble. Sans  une  telle  intention  et  un  tel  but  ces 
œuvres  n'appartiendraient  pas  à  la  dévotion  à  la 
Vierge. 

Apprenez  par  cette  considération  à  bien  discer- 
ner la  vraie  dévotion  à  la  Sainte  Vierge  et  ne  vous 
trompez  pas  mal  à  propos,  comme  le  font  plusieurs 
à  leur  préjudice  :  ils  croient  témérairement  qu'ils 
ont  cette  dévotion,  bien  qu'ils  vivent  dans  le  péché, 
sous  prétexte  qu'ils  récitent  quelques  prières  ou 
font  quelqu'autre  chose  pour  son  service.  Exami- 
nez donc  la  conduite  de  votre  vie,  et  tout  ce  qu'il 
y  a  eu  en  vous  qui  a  pu  déplaire  aux  yeux  de  cette 
Reine  incomparable.  Regrettez  que  dans  le  passé 
vous  ayez  peut-être  mal  entendu  cette  dévotion  et 
que  vous  l'ayez  encore  plus  mal  pratiquée.  Vous 
avez  peut-être  cru  avoir  tout  fait,  quand  vous 
aviez  visité  plusieurs  fois  une  de  ses  chapelles, 
quand  vous  l'aviez  saluée  avec  votre  chapelet,  ou 
quand  vous  aviez  fait  quelques  autres  actions  qui 
la  regardaient  ;  et  en  même  temps  vous  aimiez  ce 
qui  lui  déplaisait  et  vous  omettiez  de  faire  ce  qui 
lui  eut  été  agréable.   Et  c'est  ainsi  que  vous  vous 


DE    LA    SAINTE    VIERGE  7B 

abusiez,  n'ayant  qu'un  simulacre  de  dévotion, 
mais  non  la  vraie  dévotion.  Excitez-vous  à  l'avoir 
et  à  la  pratiquer  d'une  meilleure  manière  (i). 

II 

Considérez  quelques-uns  des  motifs  qui  doivent 
vous  porter  à  une  grande  dévotion  envers  la  Sainte 
Vierge  (2).  Les  premiers  motifs  sont  tirés  de  cette 
dévotion  même,  qui  est  très  excellente  et  très  pro- 
fitable. Les  seconds  sont  tirés  des  biens  que  la 
Vierge  nous  a  déjà  accordés,  ou  qu'elle  est  capable 
de  nous  accorder.  Les  troisièmes  sont  tirés  d'elle- 

1.  Sans  doute  la  véritable  dévotion  à  la  Sainte  Vierge 
est  incompatible  avec  la  violation  ou  l'inobservation 
des  commandements  de  Dieu.  Est-ce  à  dire  toutefois 
qu'un  chrétien  qui  pèche  par  entraînement  ou  par  fai- 
blesse, mais  qui  reste  fidèle  à  certaines  pratiques  pieu- 
ses en  l'honneur  de  la  Sainte  Vierge,  ne  peut  raisonna- 
blement rien  espérer  de  cette  Mère  de  miséricorde  ? 
Nous  ne  le  croyons  pas  et  nous  admettrions  volontiers 
qu'une  telle  dévotion,  si  imparfaite  soit  elle,  lui  vaudra 
de  la  part  de  la  Sainte  Vierge  une  assistance  toute  par- 
ticulière pour  arriver  à  la  justification  et  au  salut. 
LEglise  ne  l'invoque-t-elle  pas  sous  le  vocable  de 
«  Refuge  des  pécheurs  »  ;  ainsi  que  les  SS.  Pères  tels  que 
par  exemple  saint  Ephrem  (in  serm.  de  laud.  B.  V.), 
saint  Germain  (in  orat.  in  Zonam),  saint  Jean  Damascè- 
ne  (in  Can.  de  S.  Trin.),  saint  Antoine  de  Padoue  (in 
serm.  in  Dom.  3  quadrag.)  ?  A  plus  forte  raison  inter- 
cèdera-t-elle  pour  les  pécheurs  qui  ont  conservé  quel- 
ques sentiments  pieux  pour  elle.  Ce  qui  serait  pré- 
somptueux, de  la  part  des  pécheurs,  ce  serait  de  comp- 
ter absolument  sur  un  tel  secours. 

2.  Plura  apud  Maubrun,  p.  2  Roseti,  dist.  s. 


76  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

même,  de  ce  qu'elle  est  très  digne  â  cause  de  ses 
hautes  qualités,  d'être  très  humblement  vénérée, 
alors  même  qu'elle  ne  nous  ferait  aucun  bien.  Les 
quatrièmes  motifs  sont  pris  du  côté  de  Dieu  ou  de 
Jésus-Christ,  son  Fils,  à  qui  cette  dévotion  est 
très  agréable. 

Premièrement,  nous  devons  être  touchés  de 
dévotion  envers  elle,  à  cause  de  l'excellence  et  de 
l'utilité  de  cette  dévotion;  car  par  elle  toutes  sortes 
de  biens  arrivent  aux  âmes;  elle  réforme  prompte- 
tement  l'intérieur  de  la  conscience  et  en  chasse  le 
péché;  elle  y  introduit  la  vertu,  la  pureté,  la  sain- 
teté, la  pratique  de  plusieurs  sortes  de  biens. 
Cette  dévotion  est  une  marque  de  prédestination, 
pourvu  que  ce  soit  la  vraie  dévotion,  car  ceux-là  ne 
manquent  pas  d'être  aimés  de  Jésus-Christ  qui 
aiment  sa  sainte  Mère  et  qui  la  servent  fidèlement. 
Il  est  vrai  de  dire  qu'une  àme  dévote  à  la  sainte 
Vierge,  mais  de  la  vraie  dévotion,  ne  peut  périr 
avec  cette  dévotion,  parce  qu'elle  est  accompagnée 
de  la  parfaite  justice  chrétienne  qui  consiste  dans 
la  fuite  du  péché  et  dans  la  pratique  du  bien,  deux 
choses  avec  lesquelles  on  ne  peut  périr  (i).   C'est 

I.  Cette  consolante  vérité,  que  la  dévotion  à  la 
Sainte  Vierge  est  un  signe  de  prédestination  s'appuie 
sur  l'enseignement  des  SS.  Pères  et  sur  l'Ecriture 
Sainte  elle-même.  S.  Ephrem  appelle  la  dévotion 
envers  Marie  «  une  charte  de  liberté.  »  (Orat.  de  laud. 
M.  V.)  et  S.  Germain,  évêque  de  Constantinople,  dit 
clairement  :  «  De  même  que  la  respiration  non  interrom- 
«  pue  est  en  même  temps  que  le  signe,  la  cause  de  la  vie; 
«  ainsi  le  nom  de  Sainte  Marie,  sortant  des  lèvres  des  ser- 
«  viteurs  de  cette  Reine,  est  la  preuve  qu^ils  sont  vériio' 


nELASAlNTRVlERGE  77 

pourquoi  saint  Anselme  (i)  a  dit  cette  parole  bien 
vraie  :  de  même,  ô  très  heureuse  Vierge,  qu'il  est 
nécessaire  que   quiconque   se  détourne  de  vous  et 

«  blement  vivants,  il  produit  et  conserve  en  même  temps 
«  cette  oie  et  leur  obtient  de  Dieti  toute  joie  et  toute  aide.  » 
(In  orat.  De  Deip.).  Toutefois  cette  formule  :  la  dévotion 
à  Marie  est  un  signe  de  prédestination  peut  donner 
lieu  à  de  fausses  et  présomptueuses  interprétations.  «  // 
«  y  en  a,  ditThéoph.  Raynaud,  qtii  prétendent  qu'il  est 
«  absolument  impossible  qu'un  serviteur  de  la  B.  Vierge 
«  soit  damné,  parce  que  la  B.  Vierge  lui  obtiendra  les 
«  secours  convenables,  au  moyen  desquels,  s'il  tombe  dans 
«  le  péché,  il  se  relèvera  infailliblement  avant  de  mourir 
«  et  finalement  sera  sauvé  ..  Mais  le  sens  des  paro- 
«  les  des  Pères  que  nous  avons  cités  est  bien  différent. 
«  Ils  veulent  simplement  affirmer  la  grande  importance 
«  qu'il  y  a  à  servir  Marie,  car  celui  qui  la  sert  pieusement 
«  et  avec  persévérance  a  V espoir  fondé  qiCil  ne  périra 
«  pas...  Oui,  tous  les  serviteurs  fervents  de  la  Mère  de 
'<  Dieu  peuvent  avoir  grandement  confiance  qu'ils  ne  péri- 
<<  ront  pas  éternellement.  Mais  nous  ne  pouvons  sans 
«  erreur  promettre  à  personne,  pas  même  à  l'homme  le 
«  plus  dévot  à  l'égard  de  la  S.  Vierge,  qu'il  se  convertira 
«  infailliblement  ou  qu'il  persévérera  infailliblement.  » 
(Dypt.  Mar.  par.  2,  p.  10,  n.  38).  Voici,  en  particulier, 
d'après  le  même  auteur,  ce  qu'il  faut  penser,  au  point 
de  vue  du  salut,  du  port  du  Scapulaire,  au  sujet  duquel 
la  Sainte  Vierge  a  fait  au  B.  Simon  Stock  des  promesses 
spéciales.  «...  Nous  disoiis  que  le  Scapulaire  de  Marie 
«  est,  par  une  institution  de  la  Mère  de  Dieu,  un  signe  de 
«  salut  et  une  marque  de  prédestination,  en  ce  sens  que  le 
«  port  de  ce  Scapulaire  est   la  marque  d'une  protection 

I.   In   Alloquiis  cœl.    num.   27   :   <^  Ita  omnis  ad  te 
«  convcrsus  et  a  te  respcctus  iitipossibile  est  ut  pereat.  » 


78  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

que  VOUS  délaissez  périsse,  ainsi  il  est  impossible 
que  celui-là  périsse,  qui  se  tourne  vers  vous  et  sur 
qui  vous  jetez  les  yeux. 

Secondement  les  biens  reçus  et  à  recevoir  de  sa 
part,  nous  obligent  à  avoir  de  la  dévotion  envers 
elle.  Pour  ce  qui  est  du  passé,  c'est  elle  qui  nous 
a  donné  le  Sauveur  du  monde,  qui  sur  la  croix  a 
été  le  prix  de  notre  Rédemption  et  qui  est  notre 

«  toute  spéciale  de  la  part  de  la  B.  Vierge^  qici  viendra 
«  en  aide  à  ses  clients  et  leur  ménagera  comme  moyen  de 
«  salut  des  grâces  particulières,  à  l'aide  desquelles  ils 
«  observeront  avec  plus  de  sécurité  les  commandements ,  et 
«  arriveront  plus  sûrement  à  la  fin  désirée,  c' e si-à-dire  à 
«  la  béatitude.  Voilà  tout  ce  que  Von  veut  dire  quand  on 
«  affirme  que  le  port  du  Scapulaire  est  un  signe  de  salut 
«  et  un  gage  ou  une  marque  de  prédestination...  Mais  les 
«  clients  de  la  Sainte  Vierge  n'auront  aucun  privilège 
«  particulier,  si  la  promesse  leur  garantit  simplement  le 
«  salut,  à  la  condition  qu'ils  observeront  les  commande- 
fa  ments  et  qu'ils  vivront  pieusement.  Tous  les  chrétiens 
«  en  effet,  même  ceux  qui  ne  portent  pas  le  Scapulaire, 
«  seront  sauvés,  s'ils  observent  les  commandements  et 
«  vivent  pieusement ,  et  parviendront  comme  de  vrais  pré- 
«  destinés  à  la  montagne  sainte,  c'est-à-dire  à  la  vie  éter- 
«  nelle.  Quelle  est  donc  V utilité  du  Scapulaire  po2ir  cette 
«  fin  ?  Elle  est  très  grande  de  toute  manière.  Le  port  du 
«  Scapulaire  est  en  effet  la  m.xrque  et  le  gage  de  secours 
«  plus  abondants  de  la  grâce  que  la  Mère  de  Dieu  obtien- 
«  dra  pour  ses  cliens  \  grâce  à  son  intervention  ils  obser- 
«  verontles  commandements  et  finiront  saintement  leur  vie. 
«  Tel  est  le  privilège  spécial  que  nous  voulons  qu'on 
«  attribue  au  port  du  Scapulaire,  conformément  àlapro- 
<t  messe  faite  par  la  Mère  de  Dieu.^  (Opp.  t.  7,  Scapul. 
Mari  AN.  p.  2,  q.  7). 


1)K    LA    SAINTE    VIERGE  79 

très  sainte  réfection  dans  l'Eucharistie.  C'est  elle 
qui  par  ses  prières  a  conservé  l'Eglise  dans  laquelle 
nous  espérons  nous  sauver,  et  qui  a  apaisé  notre 
Dieu,  quand  nous  l'avions  offensé,  si  bien  que 
peut-être  nous  lui  sommes  redevables  même  de 
notre  vie  corporelle,  que  nous  méritions  de  perdre 
à  cause  de  nos  péchés.  Dans  le  passé  elle  a  été 
souvent  notre  avocate  très  miséricordieuse  auprès 
de  Dieu.  Pour  ce  qui  est  de  l'avenir  nous  ne 
devons  pas  en  attendre  moins  de  biens,  car  elle  est 
très  opulente  et  très  puissante  pour  nous  combler 
de  faveurs.  Elle  est  établie  la  Reine  et  l'Impéra- 
trice du  monde  au-dessous  de  Dieu,  comme  Joseph 
fut  établi  au-dessous  du  roi  Pharaon  le  surinten- 
dant de  tout  le  royaume  d'Egypte  et  de  la  maison 
du  roi,  où  rien  ne  se  faisait  que  par  son  ordre. 
(Gen.  41).  Elle  est  la  favorite  de  la  Sainte  Trinité, 
pleine  de  compassion  et  de  libéralité  envers  nous. 
Elle  est  la  trésorière  des  biens  célestes.  L'enfer 
redoute  sa  puissance  et  tout  le  ciel  l'honore  (i). 
Si  l'Eglise  est  un  corps  qui  a  pour  chef  Jésus- 
Christ,  elle  est  le  cou  plus  blanc  que  l'ivoire  de  ce 
corps,  cou  par  lequel  le  Chef  influe  sur  son  corps 
mystique  et  lui  communique  ce  qui  est  nécessaire 
à  sa  vie  et  à  son  soutien  :  «  Ton  cou  est  semblable 
«  à  la  tour  de  David.  »  (Gant.  4).  Enfin  ôtez  du 
monde  le  soleil,  dit  un  docte  personnage  (2)  et  il 
n'}'  restera  plus  que  la  nuit.   Otez  Marie  du  ciel, 

1.  Petrus  Blesens.  serm.  39. 

2.  «  Aujeratur  illiid  corpus  solare  de  niundo  et  non 
«  erit  nisi  nox;  auferatnr  Maria  de  cœlo,  et  non  erit  in 
«  hominibus  nisi  cœciias.  » 


So  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

il  n'y  aura  plus  dans  les  hommes  qu'aveuglement 
et  ténèbres.  Sans  aucun  doute  ce  motif  est  très 
puissant  pour  obliger  les  âmes  chrétiennes  à  lui 
être  dévotes. 

Le  troisième  motif  n'est  pas  moins  puissant.  Le 
voici  :  quand  bien  même  nous  n'aurions  encore 
rien  reçu  d'elle,  ou  que  nous  n'en  attendrions 
aucun  bien,  elle  est  en  elle-même  toute  belle  et 
gracieuse,  elle  est  plus  lumineuse  que  les  étoiles  (  i  ). 

I.  La  Sainte  Vierge  est  admirablement  belle  dans  son 
corps;  à  cette  beauté  ont  contribué  la  nature,  la  grâce 
et  la  gloire.  Voici  ce  que  pense  sur  cette  question 
Suarez  :  «  Disons  brièvement  que  le  corps  de  la  Vierge 
«  fut  extrêmement  parfa't  dans  son  espèce  et  dans  son 
«  sexe.  C'est  ce  qu'enseignent  tous  les  Pères  qui  ont  écrit 
«  sur  la  bienheureuse  Vierge...  Un  grand  nombre  con- 
«  cluent  de  là  que  la  bienheureuse  Vierge,  n'a  jamais  eu 
«  une  vraie  maladie,  en  raison  de  Vexcellente  complexion 
«  de  son  corps  unie  à  la  parfaite  modération  de  son 
«  âme,..  En  second  lieu,  on  doit  en  conclure  que  la  bien- 
«  heureuse  Vierge  fut  douée  d'une  beauté  corporelle  très 
«  honnête...  La  beauté  de  Rachel  et  d'autres  pemmes 
«  semblables  de  V Ancien  Testament  a  été  la  figure  de  la 
«  beauté  de  la  Vierge...  Mais  de  très  graves  Théologiens 
«  ajoutent  que  la  beauté  de  la  Vierge  fut  telle,  que  ceux 
«  qui  la  contemplaient  n  étaient  excités  qu'à  la  chasteté 
«  et  à  la  pureté.  C'est  ce  qu'a  ensiigné  saint  Thomas  (in 
«  3,  d.  3,  q.  I,  a.  2,  quœstiun.  i,  ad.  4),  qui  ajoute  avec 
«  raison,  que  ce  fut  là  un  effet  tout  particulier  de  la 
«  grâce,  parce  que  ni  la  seule  beauté  naturelle,  ni  la  vertu 
«  ni  la  modestie  n'auraient  suffi  à  le  produire.  »  (Suarez. 
De  myst.  vit.  Christ,  d.  2.  s.  2;  S.  Thomas  de  Ville- 
neuve, De  Nativ.  B.  V.  M.  conc.  3.  part.  iv).  En  second 
lieu,  la   dignité  surnaturelle  et  hors  de  pair  à  laquelle 


DE    LA    SAINTK    VIKRGK  8l 

Sa  noblesse  est  la  plus  grande  du  monde  et  sa 
majesté  la  plus  auguste.  Elle  est  douée  d'une  dou- 
ceur ravissante  et  elle  possède  à  un  degré  très 
émincnt  toutes  les  qualités  les  plus  précieuses  et 

Dieu  l'avait  élevée  en  la  choisissant  pour  sa  Mère, 
imprimait  sur  son  front  une  sorte  de  splendeur  divine, 
conformément  à  cette  parole  qui  s'applique  mieux  à 
elle  qu'à  Judith  :  «  Dicti  mcmc  lui  ajouta  encore  un 
«  nouvel  éclat.  »  (x,  14).  *i.  Je  l'aurais  vénérée  comme  un 
«  Dieu,  dit  l'auteur  qui  écrit  sous  le  nom  de  S.  Denys 
«  VAréopagite,  si  la  /oi  divine  ne  m'avait  averti  qu'elle 
«  n'était  point  Dieu. -}>  (Epist.  quœdam  supposiiitia  ad 
S.  Paulum,  apud  Carthagen.  1.  2.  hom.  5.)  En  troisième 
lieu,  la  Sainte  Vierge  a  dans  le  ciel  toutes  les  qualités 
glorieuses  communes  à  tous  les  Saints,  mais  elle  les  a 
d'une  manière  d'autant  plus  excellente  que  la  gloire  de 
son  âme  l'emporte  sur  la  gloire  de  Tâme  des  Saints.  De 
plus  à  cause  de  sa  maternité  divine  infiniment  pure, 
son  corps  est  revêtu  d'un  éclat  particulier  qui  la  dis- 
tingue comme  Mère  de  Dieu  et  Reine  des  Saints.  Citons 
ce  beau  passage  de  Mgr  Pie  sur  la  beauté  de  Marie 
considérée  au  moment  où  dans  la  crèche  de  Bethléem 
elle  vient  de  donner  le  jour  au  Sauveur  du  monde  : 
«  Figure:[-vous  cette  tête  pudique  de  Marie^  oïl  le  péché 
«  originel  n^ avait  rien  terni,  rien  dérangé  ;  oîi  reluisaient 
«  par  un  heureux  mélange  et  dans  une  merveilleuse  har- 
«  monie,  les  joies  et  les  amours  de  la  mère  avec  les  chastes 
«  attraits  de  la  Vierge.  Quels  admirables  reflets  de 
«  beauté  cette  tête  modeste  de  la  Vierge  ne  devait-elle  pas 
^  envoyer  sur  la  tête  auguste  du  Sauveur,  dti  Verbe  fait 
«  chair,  de  celui  dont  Vhumanité  sainte  fut  le  chef- 
«  d' œuvre  du  doigt  divin,  qui  épuisa,  pour  en  former  les 
«  sacrés  linéaments  et  les  proportions  adorables,  toutes 
«  les  délicatesses  de  ses  touches,  toutes  les  industries  et  les 
«  ressources  de  son  art  infini  ?  Comme  ces  deux  figures 
Bail,  t.  ix.  6 


82  .        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

les  plus  souhaitables  qu'on  puisse  imaginer,  et  qui 
rendent  les  personnes  très  dignes  d'être  honorées 
et  chéries. 

Enfin  voici  le  quatrième  motif  de  dévotion 
envers  la  Sainte  Vierge  :  c'est  chose  très  agréable 
à  son  Fils  Jésus-Christ,  de  se  consacrer  à  son  ser- 
vice, de  la  chérir  et  de  la  vénérer  d'une  manière 
toute  spéciale  ;  car  elle  lui  est  alliée  au  premier 
degré  et  de  plus  elle  est  alliée  au  Père  et  au  Saint- 
Esprit,  qui  n'ont  qu'une  même  Essence  avec  le 
Fils.  S'il  a  tant  pour  agréable  le  service  des  pau- 
vres, comment  ne  se  plairait-il  pas  de  voir  sa  chère 
Mère,  qu'il  aime  plus  que  tous  le  reste  des  créa- 
tures, honorée,  traitée  avec  amour  et  respect  par 
les  Anges  du  ciel  et  par  les  hommes  de  la  terre? 

Excitez-vous  donc  pour  tous  ces  motifs  à  une 
grande  ardeur  de  dévotion  envers  la  Sainte  Vierge, 
car  ce  serait  manquer  d'esprit,  de  ne  pas  se  don- 
ner entièrement  au  culte  d'une  telle  Reine,  ornée 
de  tant  de  belles  et  sublimes  qualités.  O  Reine  du 
ciel  très  débonnaire,  ô  la  grande  espérance  de  mon 
salut,  après  votre  Fils  Jésus-Christ,  je  reconnais 
d'une  part  ma  pauvreté  et  mon  besoin  et  de  l'autre 
votre  puissance  et  votre  miséricorde.  Je  désire  de 
tout  mon  cœur  vous  avoir  pour  tutrice  durant  tout 
le  cours  de  ma  vie  qui  est  si  laborieuse  et  traversée 
dans  ses  divers  actes  par  une  infinité  de  difficultés 
très  grandes  et   très   épineuses.   Je  vous  supplie 

«  s'embellissent,  se  perfectionnent  Vune  par  V attire  !  Ecce 

«  TU  PULCHER  ES,  DILECTE  MI,  ET  DECORUS.  EcCE  TU  PUL- 
«   CHRA      ES,     AMICA    MEA.     »     (La    SaINTE    ViERGE     d'aPRÈS 

Mgr  Pie,  par  le  R.  P.  Mercier,  s.  j.  p.  289;  Paris  1881). 


DE    LA    SAINTE    VIERGE  83 

donc,  ô  clémente,  à  compatissante,  ô  très  puissan- 
te, usez  de  votre  force  et  de  votre  vertu,  comman- 
dez à  mes  passions  et  elles  s'apaiseront.  Alors 
mon  cœur  deviendra  un  lieu  de  paix,  où  votre 
amour  reposera  tranquillement,  et  les  bêtes  féro- 
ces qui  me  persécutent  étant  devenues  douces  à 
votre  commandement,  je  respirerai  dans  votre 
miséricorde  qui  m'est  plus  agréable  que  la  vie,  et 
au  milieu  des  ténèbres  de  la  nuit  votre  lumière  me 
consolera.  Je  vous  supplie  donc,  par  les  entrailles 
de  votre  Fils,  de  ne  pas  me  mépriser,  mais  de  me 
recevoir  sous  votre  protection,  afin  que,  avec  une 
volonté  très  ferme  et  très  constante,  je  m'éloigne 
de  tout  péché  et  je  m'adonne  à  tout  exercice  de 
sainteté.  Ainsi  sous  l'aile  de  votre  défense,  je  per- 
sévérerai jusqu'au  dernier  soupir  dans  l'amour  et 
dans  la  chaste  crainte  de  mon  Dieu. 


III 


Considérez  une  méthode  de  servir  la  Sainte 
Vierge  et  de  pratiquer  la  dévotion  envers  elle  ;  elle 
consiste  à  faire  pour  elle  et  à  employer  à  la  servir 
plusieurs  actes  intérieurs  de  l'âme,  les  paroles  de 
la  bouche  et  les  œuvres  extérieures  des  pieds  et 
des  mains  (i).  Cette  méthode  comprend  les  servi- 
ces les  plus  importants  et  les  actes  les  plus  remar- 
quables de  la  dévotion  que  nous  lui  devons.  Mais 
avant  d'en  venir  au  détail,  considérons  qu'elle 
nous  a  servi  et  qu'elle  a  fait  servir  à  notre  salut 
les  actes  intérieurs  de  son  âme,  les  paroles  sacrées 

I.  De  Bustis,  in  Siellario  cor.  Virg.  1.  12,  art.  2. 


84  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

de  sa  bouche  et  ses  œuvres  extérieures.  Par  les 
actes  intérieurs  de  son  âme,  elle  a  cru  au  mystère 
de  l'Incarnation  et  elle  l'a  désiré  avec  ardeur  ; 
par  la  force  de  son  amour  indicible  elle  a  attiré  le 
Fils  de  Dieu  du  sein  de  son  Père  dans  le  sien, 
par  les  actes  de  son  intelligence  très  éclairée,  elle 
connaît  nos  besoins,  par  ceux  de  sa  mémoire  elle 
se  souvient  de  nous  et  par  ceux  de  sa  volonté  elle 
désire  notre  bien.  Elle  a  employé  les  paroles  de  sa 
bouche  à  remercier  Dieu  des  grâces  faites  aux 
hommes,  elle  a  instruit  les  Apôtres  et  les  Evangé- 
listes  de  plusieurs  secrets  concernant  la  vie  de  son 
Fils,  Jésus-Christ,  et  dans  le  ciel  elle  ouvre  la 
bouche  et  intercède  pour  nous  d'une  voix  intelli- 
gible (i).  Elle  nous  a  aussi  servis  par  ses  œuvres 
extérieures,  car  tous  les  voyages,  toutes  les  veilles 
et  toutes  les  peines  qu'elle  a  eues  dans  l'éducation 

I.  C'est-à-dire  que  la  Sainte  Vierge  intercède  pour 
nons formellement,  ce  qui  d'ailleurs  est  vrai  de  tous  les 
autres  Saints.  Ils  ne  prient  pas  seulement  d'une  manière 
que  les  Théologiens  appellent  interprétative,  c'est-à-dire 
par  le  seul  fait  des  mérites  qu'ils  ont  acquis  autrefois, 
quand  ils  vivaient  sur  la  terre,  ou  par  un  acte  d'amour 
parfait  et  perpétuel  envers  Dieu  et  envers  tous  les  fidè- 
les en  général,  comme  le  prétendent  quelques  Théolo- 
giens, mais  par  un  acte  qui  est  une  vraie  prière  et  une 
prière  ayant  pour  objet  d'obtenir  telle  ou  telle  grâce  à 
telle  personne  en  particulier.  Ce  qui  le  prouve  c'est 
que  l'Eglise  s'adresse  dans  ses  prières  spécialement  à 
tel  ou  tel  Saint  ;  chose  qui  serait  parfaitement  inutile,  si 
les  Saints  intercédaient  pour  nous  d'une  manière  sim- 
plement interprétative  et  générale,  et  non  pas  par  un 
acte  de  demande  formel. 


DE    LA    SAINTE    VIERGE  85 

de  Jésus-Christ,    son    Fils,    n'ont   eu  d'autre  but 
que  d'élever  pour  nous  un  Rédempteur. 

Si  la  Sainte  Vierge  a  fait  servir  à  notre  salut 
tous  ces  actes  différents,  il  est  bien  raisonnable 
que,  nous  consacrant  à  elle,  nous  lui  rendions  la 
réciproque  et,  en  premier  lieu,  que  nous  fassions 
dans  le  but  de  l'honorer  plusieurs  actes  intérieurs 
se  rapportant  à  elle.  Tels  sont  les  actes  intérieurs 
d'hyperdulie,  par  lesquels  nous  Testimons  plus 
que  tous  les  Anges  et  tous  les  Saints  du  paradis. 
Tels  sont  les  actes  de  congratulation,  par  lesquels 
nous  nous  réjouissons  intérieurement  à  la  pensée 
de  sa  grande  noblesse,  de  la  dignité  de  ses  fonc- 
tions et  de  l'excellence  de  ses  vertus.  Telles  sont 
les  actions  de  grâces  par  lesquelles  nous  la  remer- 
cions comme  notre  bienfaitrice  très  gracieuse,  très 
universelle  et  souveraine  après  Dieu.  Tels  sont  les 
actes  de  compassion  et  de  condoléance,  par  lesquels 
nous  compatissons  à  ses  douleurs  passées.  Telles 
encore  les  offrandes  intérieures  que  nous  devons 
lui  faire  de  nos  bonnes  œuvres,  en  lui  disant  dans 
notre  cœur  :  O  Reine  du  ciel  à  qui  je  souhaite  de 
plaire,  j'offre  à  la  gloire  de  votre  Fils  première- 
ment et  puis  à  la  vôtre,  les  pensées,  les  paroles  et 
les  œuvres  de  ce  jour.  Je  me  propose  pour  votre 
honneur  d'éviter  tout  péché  et  de  m'adonner  aux 
bonnes  œuvres,  autant  qu'il  me  sera  possible  (i). 
Après  l'avoir  servie  d'esprit  et  de  cœur  intérieure- 
ment il  est  à  propos  que  nous  la  servions  de  bou- 
che et  en  paroles,  chantant  ses  louanges,  parlant 
d'elle  avec  tout  honneur,   réfutant  ce  qui  est  con- 

I.  Joan.  Carmel.  ibid.  part.  2,  c.  4. 


86  ,  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

traire  à  sa  véritable  gloire  et  grandeur,  récitant 
son  office  dévotement  et  les  oraisons  qui  s'adres- 
sent à  elle,  comme  aussi  sa  Couronne  ou  le  Rosaire 
par  lequel  elle  se  sent  très  honorée  et  dont  la  pra- 
tique lui  est  très  agréable  ;  ce  qui  a  fait  dire  à  un 
célèbre  Docteur  (i)  qu'on  recevrait  autant  de  se- 
cours et  de  vertus,  autant  de  consolations  au 
moment  de  la  mort,  qu'on  éviterait  autant  de 
tourments  et  qu'on  acquerrait  autant  de  récom- 
penses particulières  dans  le  ciel,  qu'on  aurait  pro- 
noncé de  fois  dévotement  la  Salutation  angéli- 
que  (2).  Enfin  on  peut  la  servir  par  des  œuvres  et 

1.  Alanus  de  Rupe,  apudMaubur. 

2.  La  dévotion  au  saint  Rosaire  a  mérité  les  plus 
grands  éloges  de  la  part  des  Souverains  Pontifes. 
«  Puisqu'il  est  reconnu  que  cette  sainte  formule  de  prière 
«  est  souverainement  agréable  à  la  Sainte  Vierge  et  qu'el- 
«  le  a  une  grande  efficacité  soit  pour  la  défense  de  l'Eglise 
«  et  du  peuple  chrétien,  soit  pour  obtenir  les  bienfaits 
«  divins  aux  particuliers  et  aux  nations  ;  il  ne  faut 
«  point  s'étonner  des  remarquables  éloges  par  lesquels  nos 
«  prédécesseurs  eux  aussi  l'ont  exaltée  et  embellie.  Ainsi 
<i:  Urbain  IV  atteste  que  chaque  jour  le  peuple  chrétien 
«  OBTIENT  DES  BIENS  PAR  LE  RosAiRE.    Sixte  IV  considère 

«  cette  MANIÈRE  DE  PRIER  COMME  HONORABLE  POUR  DiEU  ET 
«   POUR    LA    VIERGE    ET    COMME    TRÈS    PROPRE    A    ÉLOIGNER    LES 

«  DANGERS  QUI  MENACENT  LE  MONDE  ;  léon  X  déclare  qu'il 

«  A  ÉTÉ  INSTITUÉ  CONTRE  LES  HÉRÉSIARQUES  ET  CONTRE  LA  PRO- 
«    PAGATION  DES   HÉRÉSIES,  et  JulcS  III  quH  CSt   l'oRNEMENT 

«  DE  l'Eglise  romaine.   Saint  Pie  V  affirme  qiiK  mesure 

«  QUE  se  répandait  CETTE  FORME    DE  PRIÈRE,    LES  FIDÈLES  ONT 

<<r  SENTI    LEUR    AME    s'ÉCHAUFFER    DANS    CES    MÉDITATIONS,     ET 

«  s'enflammer  par  CES  PRIÈRES,     ILS   SE   SONT    SENTI    CHANGÉS 

«  SUBITEMENT    EN    DES    HOMMES    NOUVEAUX,    LES  TÉNÈBRES    DE 


DEI.ASAINTEVIEPGE  gy 

par  des  actions  extérieures,  comme  en  visitant  ses 
églises,  en  contribuant  à  leur  édification  ou  à  leur 
décoration,  en  s'emplo3'ant  aux  œuvres  de  miséri- 

«  l'erreur  se  sont  dissipi-es,  et  la  lumière  de  la  foi  catho- 
«  LIQ.UE  A  LUI.  Enfin  Grégoire  XIII  déclare  que  le  Rosaire 
«  a  été  institué  par  saint  D0MINIQ.UE  pour  apaiser  la  colère 
«  de  Dieu  et  pour  implorer  le  secours  de  la  Bienheu- 
«  REUSE  VIERGE.  »  (Encycliquc  Supremi  Apostolatus  de 
Léon  XIII,  i*""  sept.  1883).  Mais  aucun  pape  n'a  imprimé 
à  cette  dévotion  un  aussi  vigoureux  essor  que  Léon  XIII 
lui-même  ;  ses  Encycliques  qui  pendant  vingt  ans  ve- 
naient régulièrement  à  l'approche  du  mois  d'octobre, 
recommander  au  peuple  chrétien  cette  forme  de  prière, 
lui  ont  justement  mérité  le  titre  de  pape  du  Rosaire. 
«  //  nous  semble  entendre  la  voix  même  de  la  Reine  du 
«  ciel,  disait  cet  illustre  Pontife,  nous  encourageant  au 
«  milieu  de  nos  traverses,  nous  aidant  de  ses  conseils  dans 
«  les  mesures  à  prendre  pour  le  bien  commun  des  fidèles  ; 
«  710US  avertissant  d'exciter  le  peuple  chrétien  à  la  piété  et 
«  à  la  pratique  de  toutes  les  vertus.  Plusieurs  fois  dans 
»  le  passé  il  nous  a  été  doux  et  nous  nous  sommes  fait 
«  un  devoir  de  répondre  par  nos  actes  à  ces  désirs  de  Ma- 
«  rie.  Parmi  les  heureux  fruits,  que  sous  ses  auspices, 
«  nos  exhortations  ont  produit,  il  convient  de  signaler  les 
«  grands  développements  de  la  dévotion  du  Saint  Rosaire, 
«  les  nouvelles  confréries  érigées  sous  ce  nom  et  la  recons- 
«  titution  des  anciennes,  les  doctes  écrits  publiés  à  cette 
«  fin,  au  grand  profit  des  fidèles,  et  jusqu'à  certaines 
«  œuvres  d'art  d'un  mérite  et  d'une  richesse  remarquables, 
«  inspirées  par  cette  même  pensée  '^.  (Lettre  encyclique 
Lœtitiœ  saxctœ,  Du  Rosaire  de  Marie,  1893).  Léon  XIII 
fait  ressortir  l'excellence  de  cette  prière  :  «  L'homme, 
«  dit-il,  est  sufet  durant  la  prière,  à  voir  sa  pensée  se 
«  distraire  de  Dieu  de  bien  des  façons  par  suite  de  sa  fra- 
«  gilité,  et  à  perdre  de  vue  sa  sainte  intention  première. 


LA   THEOLOGIE    AFFECTIVE 


corde  en  son  honneur,  ou  en  entreprenant  quel- 
que travail  qui  tourne  à  sa  gloire. 
Notez  ces  trois  méthodes  pour  servir  la  Vierge, 

«  Or  le  Rosaire  pour  qui  le  considère  comme  il  doit  être, 
«  a  en  soi  une  vertu  particulière  soit  pour  exciter  et 
«  nourrir  le  recueillement,  soit  pour  pousser  la  conscience 
«  à  se  préoccuper  de  la  question  du  salut  et  pour  élever 
«  l'esprit.  Il  se  compose^  en  effet,  de  deux  parties  distinc- 
«  tes  entre  elles,  mais  inséparables,  —  à  savoir  de'  la 
«  méditation  des  mystères  et  de  la  récitation  des  prières 
«  vocales.  C'est  par  conséquent,  un  genre  de  prière  qui 
«  reqtiiert  non  seulement  une  élévation  quelconque  de 
«  rame  vers  Dieu,  mais  une  attention  toute  particulière  ; 
«  de  sorte  qu!en  réfléchissant  sur  les  choses  que  l'on  con- 
«  sidère,  on  y  trouve  des  motifs  et  des  impulsions  pour 
«  réformer  et  sanctifier  sa  vie.  Ce  sont,  en  effet,  les  choses 
«  les  plus  substantielles ^  les  plus  admirables  dii  christia- 
«  nisme,  par  lesquelles  le  monde  fut  renouvelé  avec  d^heu- 
«  reux  pruits  de  vérité,  de  justice  et  de  paix.  Et  il  y  a  lieîi 
«  de  remarquer  comment  ces  mêmes  choses  nous  sont 
«  proposées  d'une  manière  bien  adaptée  aux  esprits  de 
«  toutes  sortes  de  personnes  même  des  plus  simples.  Car 
«  elles  ne  se  présentent  pas  comme  des  vérités  ou  des  doc- 
«  trines  dti  genre  spéculatif,  mais  comme  des  faits  à  voir 
«  et,  pour  ainsi  dire,  à  regarder  comme  présents  •  et  ainsi 
«  présentés  avec  leurs  circonstances  de  lieu,  de  temps,  de 
«  personnes,  les  mystères  produisent  un  effet  d'autant  plus 
«  vif,  d'autant  plus  utile.  Et  cela  sans  le  moindre  effort 
«  d'imagination,  vu  qu'il  s'agit  de  choses  apprises  et gra- 
«  vées  dans  le  cœur  dès  l'enfance.  De  sorte  qu'à  peine  un 
«  mystère  at-il  été  annoncé  qiC  aussitôt  V  âme  pieuse ,  avec 
«  une  grande  facilité  de  pensée  et  d'affection,  s'y  engage, 
«  et  y  recueille,  grâce  à  la  bonté  de  Marie,  un  aliment 
«  céleste  et  abondant  ».  (Lettre  encyclique  sur  le  Rosaire 
DE  Marie,  1894).  Léon  XIII  nous  montre  enfin  dans  le 


DE    LA    SAINTE    VIERGE  89 

^t  pratiquez-les  tous  les  jours,  ou  tous  les  mois, 
ou  bien  à  toutes  les  fêtes.  Et  néanmoins  comme 
nous  avons  besoin  de  la  faveur  du  Fils,  pour  être 

Rosaire  le  remède  providentiel  aux  maux  de  notre 
société  contemporaine.  «  Dans  la  société  civile  telle  que 
«  nous  lavoj'ons  constituée  aujourd'hui,  il  est  des  causes 
«  novibreîises  et  multiples  qui  affaiblissent  les  liens  de 
«  Tordre  public^  et  détournent  les  peuples  de  la  voie  de 
«  riiotînéteié  et  des  bonnes  mœurs.  Ces  causes  nous parais- 
«  sent  surtout  être  les  trois  suivantes^  à  savoir  :  l'aver- 

«  SION  POUR  LA  vie  HUMBLE  ET  LABORIEUSE  ;  l'hORREUR  DE 
«:   TOUT    CE    QUI  FAIT    SOUFFRIR  ;     l'oUBLI    DES   BIENS    FUTURS, 

«  OBJET  DE  NOTRE  ESPÉRANCE  ».  S'agit-il  des  maux  qui 
résultent  de  l'aversion  que  ressentent  nos  contempo- 
rains pour  la  vie  humble  et  laborieuse  :  «  Le  remède  à 
«  ces  maux,  qu'on  le  demande  au  Rosaire  de  Marie,  à 
«  cette  récitation  coordonnée  de  certaines  formules  de 
«  prières  accompagnée  de  la  pieuse  méditation  des  mysiè- 
K  res  du  Sauveur  et  de  sa  Mère.  Que  dans  un  langage 
«  convenable  et  adapté  à  V intelligence  des  simples  fidèles, 
«  on  leur  explique  les  Mystères  joyeux  en  les  leur  mettant 
«  devant  les  yeux,  comme  autant  d'images  et  de  tableaux 

«  de  la  pratique  des  vertus Nous  voici  en  présence  de 

«  la  maison  de  Nazareth,  le  domicile  de  la  sainteté  divine 
«  et  terrestre.  Quelle  perfection  de  vie  commune  !  Quel 
«  modèle  achevé  de  la  société  domestique  !  Il  y  règne  la 
«  candeur  et  la  simplicité  ;  une  perpéttielle  concorde  ;  un 
«  ordre  toujours  parfait  ;  un  respect  mutuel,  et  un  amour 
«  réciproque,  un  amour  non  point  faux  et  mensongety 
«  mais  réel  et  actif  .^  qui  par  l'assiduité  de  ses  bons  offices 
«  ravit  même  les  yeux  des  simples  spectateurs.  Un  ^èle 
«  prévoyant  y  pourvoit  à  tous  les  besoins  de  la  vie  ;  mais 
«  cela,  IN  SUDORE  vuLTUS,  à  la  sueur  du  front,  à  la  façon 
«  de  ceux  qui,  sachant  se  contenter  de  peu,  s'efforcent 
«  moins  de  multiplier  leur  avoir  que  de  diminuer   leur 


go  LA    THEOLOGIE    AFFECTIVE 

admis  au  service  de  sa  sainte  Mère,  prions  Tun  et 
l'autre.  O  Jésus,  Fils  de  Dieu,  et  vous,  ô  Marie, 
sa  sainte  Mère,  vous  le  voulez  et  il  est  raisonnable 

«  pauvreté.  Par  dessus  tout,  ce  qu''on  admire  dans  ce 
«  foyer  domestique,  c'est  la  paix  de  l'âme  et  la  joie  de 
«  r esprit,  double  trésor  de  la  conscience  de  tout  homme 
«  de  bien.  Or  ces  grands  exemples  de  modestie  et  d'Jiiimi- 
«  lité,  de  patience  dans  le  travail,  de  bienveillance  envers 
«  le  prochain,  d'un  parfait  accomplissement  de  menus 
«  devoirs  de  la  vie  privée  et  de  toutes  les  vertus  ne  sau- 
«  raient  être  médités  ni  se  fixer  ainsi  peu  à  peu  dans  la 
«  mémoire,  sans  qu' insensiblement  il  n'en  résulte  une 
«  salutaire  transformation  dans  les  pensées  et  dans  les 
«  habitudes  de  la  vie  ».  —  Le  second  mal  «  extrême- 
«  ment  funeste  »  qui  ronge  notre  société,  c'est  l'horreur 
de  la  souflFrance.  «  Ici  encore,  il  est  permis  d'espérer  que, 
«  par  la  vertu  de  l'exemple,  la  dévotion  du  saint  Rosaire 
«  donnera  aux  âmes  plus  de  force  et  d'énergie  ;  et  pour- 
«  quoi  en  adviendrait-il  autrement,  quand  le  chrétien,  dès 
«  sa  plus  tendre  enfance  et  constamment  depuis,  s'est  ap- 
«  pliqué,  dans  le  silence  et  le  recueillement,  à  la  suave 
«  contemplation  des  Mystères  appelés  douloureux  ?  Dans 
«  ces  mystères  nous  apprenons  que  Jésus-Christ,  l'auteur 

«   ET  LE  consommateur  DE  NOTRE  FOI,    A  COMMENCÉ  simulta- 

«  nément  par  faire  et  par  enseigner  ;  afin  que  nous  trou- 
ai, viens  en  lui,  réduit  en  pratique^  ce  qu'il  devait  nous 
«  enseigner  touchant  la  patience  et  la  générosité  dans  les 
«  douleurs  et  les  souffrances,  au  point  de  vouloir  endurer 
«  lui-même  tout  ce  qu'il  petit  y  avoir  de  plus  crucifiant  et 
«  de  plus  pénible  à  supporter.  Nous  le  voyons  accablé  sous 
«  le  poids  d'une  tristesse  qui,  comprimant  les  vaisseaux  du 
«  cœur  en  fait  sortir  une  sueur  de  sang.  Nous  le  contefn- 
«  pions  lié  à  la  façon  des  malfaiteurs,  subissant  le  juge- 
«  ment  des  scélérats,  injurié,  calomrtié,  accusé  de  faux 
«  crimes,  frappé  de  verges,  couronné  d'épines^  attaché  4  h 


DE    LA    SAINTE    VIERGE  f)! 

que  nous  aimions  ce  que  vous  aimez.  Donc,  ô  très 
bon  et  très  noble  Fils,  par  rameur  même  que  vous 
avez   pour  votre  sainte  Mère,  je  vous  supplie  de 

«  croix,  Jugé  indigne  de  vivre  ei  méritanl  que  la  foule 
«  réclamai  sa  mort.  A  tout  cela  nous  ajoutons  la  médita- 
«  tion  des  douleurs  de  sa  Très  Sainte  Mère,  dont  un 
«  glaive  tranchant  na  pas  seulement  effleuré  le  cœur, 
«  mais  Va  transpercé  de  part  en  part,  afin  qtC elle  devint 
«  et  méritât  d'être  appelée  la  Mère  des  douleurs.  Qiiicon- 
«  que  contemplera  préqucmmcnt  non  pas  seulement  des 
«  yeux  du  corps,  mais  par  la  pensée  et  la  méditation., 
«  d'aussi  grands  exemples  de  force  et  de  vertu,  comment 
«  ne  brûlerait-il  pas  du  désir  de  les  imiter  ?  Que  la  terre 
«  se  montre  à  lui  couverte  de  ses  malédictions  et  ne  pro- 
«  duisant  que  des  ronces  et  des  épines  ;  que  son  âme  soit 
«  oppressée  de  peines  et  d'angoisses,  son  corps  miné  par 
«  les  maladies  ;  il  ny  aura  pas  de  souffrance  lui  venant 
«  soit  de  la  méchanceté  des  hommes,  soit  de  la  colère  des 
«  démons,  pas  d'adversité,  soit  privée,  soit  publique,  dont 
«  sa  patience  ne  finira  par  triompher.  »  —  Au  troisième 
danger  qui  menace  les  âmes  de  nos  jours  et  qui  n'est 
autre  que  l'oubli  des  biens  futurs,  «  ne  sera  certainement 
«  jamais  exposé  le  chrétien  qui^  le  pieux  Rosaire  à  la 
«  main,  en  méditera  souvent  les  Mystères  glorieux. 
«  De  ces  mystères,  en  effet,  jaillit  une  lumière  qui  nous 
«  découvre  ces  célestes  trésors  et  beautés,  que  notre  œil 
«  corporel  ne  saurait  atteindre,  mais  que  nous  savons  par 
«  la  foi  être  préparés  à  ceux  qui  aiment  Dieu.  Nous  y 
<<  apprenons  que  la  mort  n^cst  pas  une  ruine  qui  ne  laisse 
«  rien  derrière  elle,  mais  le  passage  d'une  vie  à  une  autre, 
«  et  que  le  chemin  du  ciel  est  ouvert  à  tous.  Quand  nous 
«  y  voyons  monter  le  Christ  Jésus,  nous  nous  rappelons 
«  sa  promesse  de  nous  y  préparer  une  place  :  Vado  parare 
«  voBis  LOCUM.  Le  saint  Rosaire  nous  fait  souvenir  quil 
«  y  aura  un  temps  où  Dieu  séchera   toute  larme  de  nos 


92  LA  THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

me  faire  la  grâce  de  l'aimer  cordialement,  vous 
qui  Taimez  véritablement  et  qui  entendez  qu'elle 
soit  aimée.  Et  vous,  ô  bonne  et  pitoyable  Mère,  je 
vous  prie,  au  nom  de  l'amour  même  par  lequel 
vous  aimez  votre  Fils,  de  m'obtenir  la  grâce  de 
l'aimer  sincèrement  comme  vous  l'aimez.  Ce  que 
je  demande  est  en  votre  pouvoir;  pourquoi  donc 
mes  péchés  mJempêcheraient-ils  d'obtenir  ce  qui 
est  en  votre  pouvoir  ?  Quoi  donc  !  ô  très  miséricor- 
dieux ami  des  hommes,  vous  avez  pu  aimer  jus- 
qu'à la  mort  vos  pécheurs  criminels,  et  vous 
pourriez  refuser  à  votre  créature  qui  vous  en 
supplie  votre  amour  et  l'amour  de  votre  Mère  ? 
Que  mon  âme  donc  vous  honore  et  vous  estime 
comme  vous  le  méritez,  que  mon  cœur  vous 
chérisse  comme  il  convient,  que  ma  langue  vous 

«   YEUX,   ou  IL  n'y  aura   PLUS    DE    DEUIL  NI  DE  GÉMISSEMENT  • 

«  ni  aucune  douleur,  ou  nous  serons  toujours  avec  le 
«  Seigneur,  semblables  a  Dieu,  parce  que  nous  le  verrons 
«  comme  il  est  ;  enivrés  du  torrent  de  ses  délices,  conci- 
«  toyens  des  Saints,  en  conséquence  de  la  bienheureuse 
«  Vierge  notre  Mère  et  notre  grande  Reine.  Comment 
«  une  âme  qui  se  nourrit  de  semblables  pensées^  ne  se 
«  sentirait-elle  pas  brûler  d' une  sainte  flamme  et  ne  s'écrie- 
«  rait-elle  pas  avec  un  grand  saint  :  Que  la  terre  me 
«  parait  vile  quand  je  regarde  le  ciel  :  «  QUAM  sordet 
«  TELLus  dum  cœlum  aspicio  ?  »  Comment  ne  se  console- 
«  rait-elle  pas,  en  songeant  qu'une  légère  tribulation 
«  momentanée  produit  en  nous  un  poids  éternel  de  gloire  : 
«  momentaneum  et  leve  tribulationis  nostrœ  œternum 
«  gloriœ  PONDUS  OPERATUR  IN  NOBis  ?  »  (Lettre  encyclique 
de  Léon  XIII,  Du  Rosaire  de  Marie,  Lcetiti^ï  sanct^b, 
1893). 


DE    LA    SAINTE   VIERGE  g,'> 

loue  comme  vous  en  êtes  digne,  que  tout  mon 
corps  vous  serve  comme  vous  avez  le  droit  d'être 
servi,  et  que  toute  ma  vie  se  consume  en  chantant: 
Béni  soit  éternellement  le  Seigneur  !  Ainsi  soit- 
il  (0. 


Xr  MÉDITATION 

DE  LA  DÉVOTION 
A  LA   SAINTE  VIERGE  (suite) 


SOMMAIRE 

La  chair  de  Jésus -Christ  dans  l'Eucharistie 
renferme  une  partie  de  la  chair  de  la  Sainte 
Vierge.  —  Il  faut  remercier  la  Sainte  Vierge, 
après  la  communion  pour  deux  raisons.  — 
//  faut  imiter  la  dévotion  qu'avait  la  Sainte 
Vierge  en  communiant. 


I 


C 


oNSiDÉREz  un  moyen  plus  particulier  d'ho- 
norer la  Sainte  Vierge  dans  le  sacrement 
de  TEucharistie  ;  il  consiste  à  y  croire  et  à  y 
révérer  une  partie  de  la  substance  de  sa  chair  qui 
y  est  réellement  contenue  dans  la  substance  du 

I.  D.  Anselmus,  loc.  cit. 


•94  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

corps  de  Jésus-Christ,  son  Fils.  Saint  Augustin  (i) 
a  donné  lieu  à  cette  dévotion,  en  écrivant  que  le 
Verbe  divin  a  pris  sa  chair  de  la  chair  de  Marie  et 
qu'il  nous  a  donné  à  manger  la  chair  de  Marie 
pour  notre  salut.  En  réalité  Jésus-Christ  ne  perdit 
jamais  entièrement  la  portion  de  substance  de  son 
corps  [qu'il  prit  d'elle  en  naissant.  On  pourrait 
penser  qu'elle  fut  dissipée  et  détruite  par  l'activité 
de  la  chaleur  naturelle,  mais  ce  n'est  guère  admis- 
sible, car  tout  le  temps  de  sa  vie  a  été  un  temps 
d'accroissement,  or  pendant  ce  temps  l'humide 
radical  diminue  fort  peu.  Dans  le  cas  même  où 
cette  portion  aurait  été  dissipée  par  la  chaleur 
naturelle,  Jésus-Christ  aurait  pu  la  reprendre  en 
ressuscitant,  suivant  l'opinion  de  plusieurs  célè- 
bres Théologiens  (2),  qui  enseignent  que  les  corps 

1.  D.  Augustinus,  m  Psalm.  98  :  «  Et  de  carne  Mariée 
«  carnem  accepit  et  illam  carnem  nohis  manducandam  ad 
«  saliitem  dédit.  »  L'auteur  ajoute  en  note  :  «  lege  sic  : 
«  Et  ipsam  carnem  manducandam  dédit  »,  et  il  entend  par 
là  :  ipsam  carnem  Mariée.  Or  saint  Augustin  ne  dit  rien 
de  semblable  dans  le  passage  allégué.  Son  but  est 
d'expliquer  ces  paroles  de  David  :  «  Adorate  scahellum 
«  pedum  ejus.  »  Voici  l'explication  textuelle  du  grand 
Docteur  :  «  En  effets  le  Seigneur  a  reçu  de  la  terre  la 
«  terre  de  sa  chair ^  car  sa  chair  est  de  terre,  et  il  a  reçu 
«  sa  chair  de  la  chair  de  Marie.  Et^  comme  il  a  vécu  ici- 
«  bas  dans  sa  chair,  il  nous  a  donné  cette  chair  à  manger 
«  pour  notre  salut  ;  et  nul  ne  la  mange,  s'il  ne  Va  d' abord 
«  adorée.  Voilà  donc  trouvé  comment  nous  adorons  cette 
«  terre  qui  est  le  marchepied  du  Seigneur ...  7>  {Œmvk^s 
COMP.  de  saint  Augustin,  éd.  Vives,  tom.  14,  p.  144). 

2,  Suarez,  tom.  2,  in  3  p.  disp.  1.  rect.  2. 


DE    LA    SAINT  K    VIHRGE  (p 


reprennent  en  ressuscitant  la  même  substance 
dont  ils  avaient  été  primitivement  formés.  Si  bien 
que  quelques-uns  pensent  que  comme  Eve  fut  la 
cause  de  la  perte  du  genre  humain  à  cause  de  la 
nourriture  qu'elle  ollrit  à  Adam,  ainsi  la  Vierge  a 
été  la  cause  de  la  vie  par  la  nourriture  eucharisti- 
que qui  provient  d'elle,  car  «  la  chair  de  Jésus- 
«  Christ  est  la  chair  de  Marie  »  (i).  De  là  vient 

I.  Cette  autre  sentence  est  encore  attribuée  bien  à 
tort  à  saint  Augustin  par  ceux  qui  partagent  l'opinion 
de  Bail.  Elle  se  lit  au  chapitre  5®  du  livre  de  l'Assomp- 
tion DE  LA  Vierge,  livre  qu'on  trouve  à  l'appendice  des 
Œuvres  du  saint  Docteur.  Or  ce  livre  n'appartient  pas 
au  saint  Docteur.  De  plus  cette  sentence  n'a  pas  le 
moins  du  monde  dans  ce  livre  le  sens  que  Bail  lui 
donne  ;  qu'on  veuille  bien  en  juger  :  «  La  chair  de 
«  Jésus  est  la  chair  de  Marie  plus  véritablement  que 
«  celle  de  Joseph  n'était  celle  de  Juda  et  de  ses  autres 
«  frères,  dont  ce  dernier  disait  :  «  Il  est  notre  frère  et 
«  NOTRE  CHAIR.»  (Gen.  XXXVII,  27).  Car  la  chair  de 
«  Jésus-Christ,  quoiqu'elle  ait  été  ennoblie  par  la  gloire 
«  de  la  résurrection...  reste  cependant  la  même  chair  ; 
«  c'est  la  même  nature  qu'il  a  reçue  de  Marie.  »  (Œuvres 
coMP.  de  saint  Augustin,  éd.  Vives,  tom.  23,  p.  14'j). 
Ces  dernières  paroles  indiquent  clairement  le  sens  de 
ce  passage,  qui  est  loin  d'être  celui  que  Bail  veut  y  voir. 
D'autre  part  à  moins  d'un  miracle,  il  est  impossible 
qu'une  parcelle  du  corps  de  Marie  se  soit  conservée  et 
soit  demeurée  comme  enchâssée  dans  le  corps  de  Jésus- 
Christ.  Au  moment  delà  conception  du  Sauveur,  par  le 
fait  de  l'union  substantielle  de  l'âme  qui  lui  était  des- 
tinée avec  la  matière  puisée  dans  le  sein  de  la  B.  Vierge, 
un  changement  substantiel  s'est  produit  dans  cette 
même  matière,  et  à  dater  de  ce  moment  il  y  a  eu  deux 


^9^  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

encore  que  ceux  qui  la  reçoivent  contractent  une 
affinité  ou  même  une  consanguinité  avec  elle? 
affinité  ou  consanguinité  plus  grande  que  celle  que 
produirait  le  mariage. 

Je  considérerai  donc  le  Saint-Sacrement  comme 
un  précieux  reliquaire,  dans  lequel  se  trouve  une 
portion  de  la  substance  corporelle  de  la  Mère  de 
Dieu  et  une  portion  qui  est  là  plus  noblement 
qu'en  Marie  elle-même,  puisqu'elle  est  hypostati- 
quement  unie  au  Verbe  divin.  O  mystère  d'amour, 
auquel  la  Sainte  Vierge  prend  une  si  grande  part  ! 

natures  et  deux  personnes  absolument  distinctes.  Un  des 
auteurs  qui  ont  écrit  de  nos  jours  avec  le  plus  de  théo- 
logie et  de  piété  sur  la  Sainte  Vierge,  porte  sur  cette 
opinion  le  jugement  suivant  :  «  Je  nai  pas  besoin  de 
«  dire  combien  pareille  opinion  répugne  à  la  science,  et 
«  comment  y  par  ailleurs,  elle  n^  a  aucune  autorité  sérieuse , 
«  Rêverie  pieuse^  peut-être^  mais  indigne  d^être  prise  en 
«  considération.  C'est  le  cas  de  redire  l'adage  bien  connu  : 
«  Marie  n'a  besoin^ pour  être  exaltée,  ni  de  nos  mensonges^ 
«  ni  de  nos  inventions  humaines  ^  tant  elle  est  grande  par 
«  elle-même.  »  (La  Mère  de  Dieu  et  la  Mère  des  hommes 
parle  P.  Terrien,  2  p.  t.  2.  p,  47.  — A  noter  encore 
cette  parole  de  saint  Ignace,  extraite  du  journal  où  il 
recueillait  ses  saintes  impressions  :  *(.  Ala  consécration 
«  surtout  y  elle  (la  Sainte  Vierge)  me  montra  que  sa  chair 
«  était  dans  la  chair  de  son  Fils,  et  l'intelligence  de  ces 
«  choses  était  si  vive  que  je  ne  pourrais  l'écrire'.  »(Cons- 

TITUT.  S.  J.  LATIN^ET  HISPANIC-«  CUM  DECLARAT.pp.  •551,352. 

Append.  xviii,  Matriti,  1892).  Le  Saint  veut  simplement 
dire  que  la  chair  de  Jésus-Christ  est  venue  originaire- 
ment de  Marie  comme  de  son  principe  ;  or  c'est  là  pour 
nous  une  raison  suffisante  de  témoigner  à  Marie  notre 
plus  vive  reconnaissance.       . 


DE    UA    SAINTE    VIEBGE  97 

C'est  pourquoi  elle  y  invite  elle-môme  les  chré- 
tiens par  ces  paroles  sacrées  ;  a  Venc\,  mange\ 
a  mon  pain  et  buve\  Je  vin  que  je  vous  ai  pré- 
«  paré.  »  (Prov.  y).  Ainsi,  quoique  vous  vous  soye2s 
élevée  en  corps  et  en  àme  dans  le  ciel,  la  terre 
n'est  cependant  pas  privée  de  votre  pure  subs- 
tance ;  cette  substance  se  trouve  renfermée  dans 
TEucharistie  et  contenue  sous  la  blancheur  des 
espèces,  qui  est  la  couleur  de  la  virginité.  O  pré- 
cieux gage  d'amour  !  O  sainte  alliance  du  commu- 
niant avec  la  Mère  de  Dieu  !  Qui  ne  se  portera 
avidement  vers  cette  table  délicieuse,  où  il  doit 
être  ennobli  au  point  d'y  être  allié  avec  la  Mère  de 
Dieu  et  la  Reine  des  Anges  ? 

II 

Considérez  aussi  qu'il  faut  remercier  la  Sainte 
Vierge  pour  le  bienfait  du  Saint-Sacrement,  car 
puisqu'on  y  reçoit  une  portion  de  sa  substance,  ij 
est  raisonnable  de  lui  en  rendre  dea  aetions  de 
grâces  (i).  Le  cardinal  Damien  (2)  écrivait  sur  ce 
sujet  :  Pesez  bien,  mes  très  chers  frères,  combien 
vous  êtes  obligés  à  l'égard  de  la  bienheureuse  Mère 
de  Dieu  et  combien  nous  devons  la  remercier  après 
avoir  remercié,  comme  il  convient,  Jésus-Christ. 
Car  nous  prenons  sur  l'autel  sacré  ce  corps  que  la 
bienheureuse  Vierge  a  engendré,  qu'elle  g  réchauffé 
dans  son  sein,  qu'elle  a  enveloppé  de  langes, 
qu'elle  a  nourri  avec  une  affection  natureile.  Il  n'y 
4  pas  de  Ipuange  assez  grande  pour  celle  qui  noua 

|.  Hautiqus,  ^e  sacr.  amor.  1.  5,  n.  929, 
a,  Serm.  de  Virg.  Maria. 
Bah.,  T.  IX.  7 


^8  LA  THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

fait  de  sa  chair  immaculée  la  nourriture  de  nos 
âmes,  à  savoir  celui  qui  a  dit  de  lui-même  :  «  Je 
«  suis  le  pain  vivant  qui  est  descendu  du  ciel.  » 
(Jean,  6).  Si  bien  qu'il  y  a  deux  raisons  de  témoi- 
gner sa  reconnaissance  à  la  Sainte-Vierge  après  la 
communion.  La  première  est  qu'on  y  reçoit  une 
portion  de  sa  substance  incorporée  à  la  chair  de 
Jésus-Christ  ;  l'autre  est  que  l'on  y  reçoit  le  fruit 
béni  de  ses  entrailles  sacrées  et  celui  que  ses  ma- 
melles ont  allaité.  C'est  ainsi  que  l'on  y  reçoit  le 
lait  de  ses  mamelles,  en  tant  que  l'on  y  reçoit  une 
substance  en  laquelle  son  lait  a  été  converti. 

O  Mère  très  aimable,  que  pourrait-on  imaginer 
qui  put  nous  obliger  davantage  à  vous  aimer  ? 
Comme  vos  tendres  enfants  nous  sommes  nourris 
et  sustentés  par  le  lait  de  vos  mamelles  sacrées  et 
par  la  substance  de  votre  chair  immaculée.  Qui 
me  donnera  donc  d'être  aimable  à  vos  yeux  et 
d'avoir  pour  vous  un  attachement  qu'entretiennent 
des  désirs  perpétuels  ?  Oh  !  quel  grand  bien  ce 
serait  pour  moi  d'être  tout  à  vous  à  cette  seule 
pensée  ?  Si  votre  dévot  saint  Bernard  eut  tous  les 
jours  de  sa  vie  de  si  tendres  et  de  si  affectueux 
sentiments  à  votre  égard  pour  quelques  gouttes  de 
lait,  que  vous  fîtes  couler  sur  lui  dans  une  appari* 
tion,  quelle  grande  affection  ne  devons-nous  pas 
ressentir  envers  vous  et  pour  vous,  nous  qui  som- 
mes nourris  de  votre  lait  dans  ce  sacrement  ?  O 
divine  Marie,  divine  Mère  et  nourrice,  nous  vous 
aimerons  toujours  à  la  pensée  de  ce  sacrement,  où 
nous  sommes  nourris  du  sang  des  plaies  de  Jésus, 
et  allaités  du  lait  de  vos  mamelles.  Oh  !  quelle 
abondance  de  douceur  ! 


DE    LA    SAINTF.    VIERGE  99 


III 

Considérez  que  Ton  peut  encore  honorer  la 
Sainte  Vierge  en  communiant  à  son  exemple  et 
en  s'excitant  à  des  aflections  semblables  aux  sien- 
nes. Il  est  certain  que  la  Sainte  Vierge  a  souvent 
communié,  car  elle  était  du  nombre  de  ces  pre- 
miers chrétiens  qui  «  persévéraient  dans  la  corn- 
ai 7nunion  de  la  fraction  du  pain.  »  (Act.  2). 
Albert  le  Grand  (i),  son  théologien,  le  prouve  en 
s'appuyant  sur  cette  parole  de  Notre-Seigneur  : 
«  Si  vous  ne  mange^  la  chair  du  Fils  de  Vhomîîie^ 
«  vous  n''aure:{  pas  la  vie  en  vous.  (Jean,  G).  Donc 
tous  les  fidèles  de  TEglise  sont  obligés  de  com- 
munier à  certaines  époques  déterminées  ;  donc  la 
Sainte  Vierge  aussi  a  communié.  Déplus  TEucha- 
ristie  est  le  sacrement  de  l'amour  ;  donc  il  lui 
appartenait  spécialement  de  le  recevoir,  parce 
qu'elle  a  été  la  Reine  de  l'amour.  Et  comme  on 
pourrait  douter  de  l'effet  que  pouvait  produire  en 
elle  ce  sacrement,  Albert  le  Grand  dit  qu'elle  en 
recevait  trois  effets  :  le  souvenir  de  la  Passion  de 
Notre-Seigneur,  l'exercice  de  la  dévotion  actuelle 
et  la  consolation  de  l'absence  corporelle  de  Jésus- 
Christ  (2).  Si  bien  que  quelques-uns  croient  que 
ce  fut  un  motif  qui  obligea  Jésus-Christ  à  instituer 
ce  sacrement,  il  voulut  que  la  Sainte  Vierge  ne  fut 

1.  Albertus,  super  inissus  est,  quœst.  38. 

2.  A  ces  trois  effets  il  taut  évidemment  ajouter  l'effet 
que  produit  ce  sacrement  chez  tous  ceux  qui  le  reçoi- 
vent en  état  de  grâce^  à  savoir  l'augmentation  de  cette 
même  grâce,  ex  opère  operato. 


ioO  LA  THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

pas  privée  de  la  douceur  de  sa  présence,  après  sa 
retraite  dans  le  ciel.  Aussi  communiait-elle  tous 
les  jours  et  trouvait-elle  sa  plus  grande  joie  dans 
ce  saint  exercice,  qui  alimentait  la  flamme  de  son 
amour.  Mais  qui  dira  avec  quelles  dispositions 
intérieures  et  extérieures  elle  le  faisait?  Quelle  fer- 
veur, quelle  tendresse,  quel  accroissement  de 
grâces  elle  y  recevait  ?  C'est  une  chose  qui  sur- 
passe toutes  les  pensées  et  les  paroles  des  hommes. 
La  suavité  qu'elle  y  ressentait  est  indicible,  la 
communion  était  son  paradis  commencé. 

J'aurai  donc  recours  à  votre  intercession,  ô  très 
bonne  Marie,  car  rien  de  ce  que  vous  demanderez 
ne  vous  sera  refusé  (i).  Je  vous  demande  d'avoir 

I.  On  peut  juger  de  l'efficacité  qu'ont  les  prières  de 
la  Sainte  Vierge,  d'après  ce  principe  que  pose  saint 
Thomas  :  «  Plus  la  charité  des  saints  qui  sont  dans  la 
«  patrie  est  parfaite^  plus  ils  prient  pour  les  hommes 
«  voyageurs  quç  leurs  prières  peuvent  aider  ;  et  plus  leur 
«  union  avec  Dieu  est  intime,  plus  letirs  prières  sont  effi- 
«  caces.  »  (il.  II.  q.  i,xxxiii,  a.  ii).  A  ce  compte  com- 
bien grande  doit  être  l'efficacité  des  prières  de  cette 
Vierge,  dont  la  charité  dépasse  celle  de  tous  les  Saints 
et  dont  l'union  avec  Dieu  par  la  maternité  divine  laisse 
bien  loin  derrière  elle  l'union  avec  Dieu  par  la  grâce, 
la  seule  à  laquelle  aient  pu  parvenir  les  autres  Saints  ? 
Les  Docteurs  de  l'Eglise  l'ont  appelée  omnipoteniia 
sîipplex  ;  expre?.sion  qui  doit  s'entendre  non  pas  dans 
ce  sens  que  Marie  peut  produire  tous  les  êtres  qui  sont 
possibles  ou  qu'elle  peut  accomplir  des  miracles  par  sa 
propre  vertu,  m^is  dgns  çq  sens  qu'il  n'y  a  rieu  parnii 
tout  ce  que  Dieu  accomplit  dans  l'ordre  actuel  de  sa 
Providence,  que  Marie  ne  puisse  obtenir  par  ses  prières. 


DE    LA    SAINTE    VIERGE  101 

rr-        •  — — ^ — ^-^— 

paît  à  votre  esprit,  je  vous  demande  une  étincelle 
de  cette  ardente  charité  avec  laquelle  vous  receviez. 
ce  grand  mystère  d'amour.  Hélas  !  datls  quel  état 
est  mon  âme,  après  s'être  si  souvent  approchée  de 
cette  table  sacrée.  Il  semble  que  je  sois  rejeté  par 
une  étrange  élimination,  comme  si  j'étais  réduit  à 
demeurer  dans  l'ombre  de  la  mort,  tant  ma  lan* 
gueur  est  grande  dans  la  communion.  Je  crois  bien 
certainement  que  c'est  en  punitisnde  mes  péchés, 
—  car  quel  est  l'homme  sur  la  terre,  n'eùt-il  qu'un 
jour,  qui  est  exempt  de  tout  péché  ?  —  mais  les 
miens  sont  plus  graves.  Que  ferai^je  donc,  si  ce 
n'est  d'aimer  davantage  celui  qui  m'a  fait  de  plus 
grands  dons  et  de  plus  grandes  miséricordes.  C'est 
à  cela  que  j'aspire  de  toutes  mes  forces.  Obtenez 
donc  qu'il  envoie  du  ciel  dans  ma  poitrine  un  feu 
qui  m'embrase  tout  et  qui  consume  toute  mon 
impureté*  Que  je  ressuscite  ainsi  à  une  nouvelle 
ferveur  et  que  mon  âme  soit  vraiment  vivante  ;  que 
la  participation  à  sa  suavité  me  fasse  oublier  le 
monde,  et  que  tous  les  plaisirs  de  ce  monde  me 
soient  en  horreur,  autant  que  les  tourments  de 
l'enfer.  O  Vierge,  qui,  par  votre  beauté,  ravissez 
tous  les  cœurs  et  qui  dissipez  comme  un  brouillard 
toutes  leurs  obscurités,   apaisez  une  fois  de  plus 

«  Le  Seigneur  qui  est  ioui-puîssant,  dit  saint  Bonaven- 
«  ture,  est  avec  vous^  conformément  à  cette  parole  :  Celui 

«   Q.UI  EST  PUISSANT  A  FAIT  EN  MOI  DE  GRANDES  CHOSES.    VoUà 

«  pourquoi  vous  aussi  vous  êtes  toute-puissante  avec  lui, 
toute-puissante  pour  lui,  toute-puissante  auprès  de  lui  ; 
«  de  telle  sorte  que  vous  pouve:{  dire  en  toute  vérité  :  Je 

«   SUIS  PUISSANTE  DANS  JÉRUSALEM  »  (In  SPEC.  C.  8). 


{02  LA    THEOLOGIE     AFFECTIVE 

par  l'oblation  de  votre  cœur  sacré  le  cœur  de  votre 
Fils  en  ma  faveur,  rendez-le  moi  favorable,  afin 
que  la  tempête  de  mes  passions  étant  toute  apai- 
sée, je  m'unisse  à  lui  d'une  âme  tranquille,  dans  la 
réception  de  ce  parfait  sacrement.  Dans  ce  but  je 
me  tiendrai  davantage  à  l'écart  de  la  conversation 
du  monde,  j'aimerai  les  lieux  de  retraite  et  une 
plus  grande  solitude  où  s'épancheront  plus  libre- 
ment mes  affections  envers  vous.  Là  je  considère- 
rai  vos  innombrables  excellences  et  c'est  à  cause 
d'elles,  ô  Reine  incomparable  toute  resplendis- 
sante de  pierres  précieuses  et  couronnée  de  beauté, 
que  je  désire  vous  aimer  plus  que  toutes  les  choses 
admirables  de  ce  monde,  et  à  tel  point  que  mon 
âme  défaille,  tant  seront  véhéments  ses  désirs.  O 
volupté  céleste  qui  couronnez  la  chasteté  et  excitez 
l'amour  de  la  pure  charité,  quoique  plus  d'une 
fois  vous  invoquant  avec  une  grande  force  j'aie 
frappé  l'air  en  vain  et  que  mes  soupirs  n'aient  eu 
aucun  effet,  néanmoins  je  ne  cesserai  d'espérer  en 
votre  douceur,  qui  est  plus  grande  en  vous  qu'en 
tous  ceux  qui  habitent  la  terre.  Tout  mon  bonheur 
est  d'adhérer  à  votre  Fils  par  une  faveur  singulière 
de  votre  part,  ô  Vierge  qui  êtes  la  ferme  espérance 
de  ceux  qui  vous  recherchent  et  vous  invoquent. 
Ainsi  tant  que  je  serai  dans  cet  exil  et  que  je  respi- 
rerai, je  veux  élever  sans  fin  mes  désirs  vers  vous. 


TROISIÈME  TRAITÉ 

Des  Sacrements 


r  MÉDITATION 

DÉFINITION   ET    NOMBRE 
DES  SACREMENTS 


SOMMAIRE 

Un  sacrement  est  ime  pluralité  de  signes  sensi- 
bles institués  par  Dieu  pour  signifier  et  pro- 
duire la  grâce  dans  la  personne  qui  le  reçoit 
avec  les  dispositions  requises.  —  Raisons  pour 
lesquels  Dieu  a  voulu  instituer  les  sacrements 
et  nous  conférer  la  grâce  au  jnoyen  de  signes 
sensibles.  —  Il  y  a  sept  sacrements. 

I 

CONSIDÉREZ  qu'il  faut  entendre  ici  par  le  mot 
sacrement  un  certain  nombre  de  signes 
sensibles  institués  par  Dieu  dans  le  but  de  signi- 
fier la  grâce  et  de  la  produire  dans  la  personne  qui 


Ib4  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

les  reçoit  ou  qui  en  use  avec  les  dispositions 
requises  (i). 

Premièrement  nous  entendons  par  tin  sacre- 
ment un  certain  nombre  ou  une  multitude  de 
signes  sensibles,  parce  que  chaque  sacrement 
consiste  en  pluSieufs  choses  requises  ou  nécessai- 
res, telles  que  la  prononciation  de  quelques  paro- 
les, l'application  de  certaine  chose  corporelle  et 
extérieure,  ou  bien  certains  actes  de  la  personne 
qui  le  reçoit.  En  réalité  chaque  sacrement  renferme 
en  soi  une  multitude  de  cérémonies  saintes  et 
religieuses,  qui  signifient  et  représentent  la  grâce 
que  le  sacrement  confère.  De  là  vient  qu'il  est 
composé  de  matière  et  de  forme  ;  parce  que  parmi 
ces  cérémonies  les  unes  signifient  la  grâce  moins 
expressément  et  pour  ce  motif  s'appellent  la  ma- 
tière du  sacrement,  —  car  c'est  le  propre  de  la  ma- 
tière d'être  indéterminée  pâf  elle-même,  comme  le 
disent  les  philosophes,  —  les  autres  signifient  cette 
même  gï-âce  plus  clairement  et  évidemment,  et 
pôilf  ce  môtîf  S^àppéîlênt  la  forme,  parce  que  c^ést 
le  pt-opfè  de  la  forme  de  déterminer  la  matière  et 
parce  que  les  paroles  ont  une  forcée  plus  grande 
que  quoi  que  ce  sôit,  pour  signifier  et  déterminer. 
Ainsi  les  paroles  qu'on  prononce  dans  les  sacre- 
ments en  sont  là  forme,  comme  la  chose  sensible 
et  extérieure  en  est  la  matière. 

Secondement  :  il  faut  entendre  par  le  mot  sacre- 

i .  Ëhs  inàràîe  aggregàîum  ex  pîuHbûs  sighis  sensibili- 
bui  a  Dëô  insiîiuHs,  ad  sigHi/îtândum  et  cônferèndâm 
gtàiiam  in  snscipieniibus  rite  dispositis.  (Note  de  l'aU' 
leur.) 


DES    SACREMENTS  Io5 

ment  une  multitude  de  cérémonies  et  de  signes 
sensibles  tels  qu'ils  aient  été  institués  par  Dieu 
pour  signifier  et  conférer  la  grâce.  En  effet  Jésus- 
Ghrist  seul,  comme  souverain  Prêtre,  comme 
premier  chef  et  Fondateur  de  TEglise,  est  Fauteur 
des  sacrements^  il  n'appartient  pas  aux  Anges  de  les 
instituer,  les  Apôtres  n'ont  fait  que  les  publier  et 
les  annoncerj  après  que  le  Fils  de  Dieu  les  eût  insti- 
tués. C'est  pourquoi  le  Concile  (i)  dit  :  anathème  à 
eelui  qui  dira  que  les  sacrements  de  la  Nouvelle 
Loi  n'ont  pas  tous  été  institués  par  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ.  En  voici  la  raison  :  pour  insti- 
tuer un  sacrement  qui  ait  la  Vertu  de  sanctifier,  il 
faut  être  l'auteur  de  la  grâce  sanctifiante  et  pou-- 
voir  disposer  de  cette  grâce  à  son  gré  ;  ce  qui 
n'appartient  qu'à  Jésus-Christ,  Homme  et  Dieu 
tout  ensemble,  et  souverain  Rédempteur  du  monde. 
Il  faut  encore  que  les  cérémonies  qu'il  voudra  ins- 
tituer comme  sacrement,  soient  choisies  par  lui 
expressément  pour  conférer  d'une  manière  directe 
et  immédiate  la  grâce  ;  c'est  par  défaut  de  cette 
Condition  que  la  profession  de  l'état  religieux  n'est 
pas  un  sacrement,  Car  elle  n'est  pas  dirigée  direc- 
tement et  immédiatement  vers  cette  fin.  Or  les 
Sacrements  signifient  et  Confèrent  tout  à  la  fois  la 
grâce,  car  ils  sont  un  remède  suffisant  pour 
l'homme  qui  par  suite  de  8ôn  péché  était  tombé 
dans  l'ignorance  et  dans  la  concupiscence.  C'est 
pourquoi  dans  les  sacrements  il  y  a  quelque  chose 
de  mystique,  de  mystérieux  et  de  significatif,  qui 
instruit  l'homme  dans  son  ignorance,  et  y  a  aussi 

I,  Sess.  7,  can»  i. 


196  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

une  vertu  qui  produit  la  grâce  pour  guérir  la 
concupiscence  (i). 

En  troisième  lieu,  parce  que  Dieu  ne  donne  pas 
ses  grâces  plus  précieuses  et  sanctifiantes  indiffé- 
remment aux  dignes  et  aux  indignes,  nous  enten- 
dons parle  mot  sacrement  une  multitude  de  signes 
sensibles  et  de  saintes  cérémonies  instituées  par 
Dieu,  dans  le  but  de  signifier  et  de  produire  la 
grâce  dans  la  personne  qui  les  reçoit  ou  en  use 
avec  les  dispositions  requises.  Ces  dispositions 
sont  différentes  selon  la  diversité  des  sacrements 
qui  requièrent  des  préparations  différentes  dans 
leur  sujet,  pour  y  verser  leur  précieuse  liqueur. 
C'est  pourquoi  le  sacrement  est  toujours  par  lui- 
même  producteur  de  la  grâce  divine,  comme  il  en 
est  aussi  le  signe,  et  quand  il  ne  la  confère  pas,  ce 
défaut  provient  presque  toujours  de  l'indisposi- 
tion de  celui  qui  le  reçoit. 

Déduisez  de  tout  ceci  des  affections  convenables 
et  reconnaissez  premièrement  ce  trait  de  la  bonté 
divine,  qui  consiste  à  avoir  institué  les  sacrements 
comme  des  témoignages  sensibles  de  son  amour  et 
de  sa  grâce,  et  à  les  avoir  composés  de  matière  et 
de  forme,  afin  d'y  témoigner  doublement  sa  bien- 
veillance, car  la  parole  s'unit  à  l'élément  et  forme 
ainsi  le  sacrement  (2).  L'élément  n'était  pas  un 
témoignage  assez  grand  ;  c'est  pourquoi  Jésus- 
Christ  y  ajoute  la  parole,  afin  que  le  témoignage 
fut  plus  exprès  et  plus  clair.  Il  veut  aussi  que  ces 

1.  D.  Bona.  in  4,  dist,  i,  part,  i,  art.  i,  q.  2. 

2.  D.  Augustinus,  tract.  20  in  Joan.  :  «  Accedit  ver- 
«  hum  ad  elementum  et  fit  sacramentum.  » 


DES    SACREMENTS  I07 

deux  témoignages  soient  vrais  et  pour  cela  qu'ils 
soient  efficaces  et  productifs  de  la  grâce,  dont  ils 
sont  le  signe,  afin  de  nous  apprendre  à  lui  rendre 
à  notre  tour  plusieurs  témoignages  de  notre  amour, 
mais  des  témoignages  qui  ne  soient  pas  vains  ou 
vides,  comme  sont  ceux  des  hypocrites  et  des 
courtisans,  des  témoignages  qui  soient  suivis  de 
leurs  effets.  Témoignons-lui  donc  que  nous  l'ai- 
mons, mais  avec  sincérité  et  vérité,  accomplissons 
nos  promesses  à  son  égard,  exécutons  nos  résolu- 
tions. Prenons  garde  surtout  de  révérer  les  sacre- 
ments et  de  ne  pas  les  violer  en  les  traitant  et  en 
les  recevant  indignement,  car  alors,  par  notre  mdis- 
position,  nous  les  empêcherions  d'opérer  ce  qu'ils 
signifient,  comme  s'ils  étaient  des  signes  feints  et 
faux,  péché  qui  est  un  sacrilège.  Enfin  tirons 
encore  de  ces  pensées  un  sujet  de  confiance  et  de 
consolation,  puisque  Dieu  nous  donne  de  sembla- 
bles témoignages  de  son  amour.  Oh  !  quelle  tran- 
quille confiance  eut  Madeleine,  quand  elle  entendit 
ces  paroles  :  «  Vos  péchés  vous  sent  remis  !  » 
(Luc,  7).  Quelle  paix  et  quel  calme  de  conscience 
doit  avoir  le  pécheur  quand  il  entend  ces  mots  : 
<i.  Je  vous  absous  de  vos  péchés  !  y>  O  Jésus  !  béni 
soit  à  jamais  votre  dessein  dans  l'institution  des 
sacrements.  «  Vos  témoignages  sont  devenus  très 
«  croyables.  »  (Ps.  ii8). 


II 


Considérez  pourquoi  Dieu  a  voulu  instituer  les 
sacrements  et  nous  conférer  sa  grâce  par  des  signes 
appaçents  et  sensibles.   Pour  trois  raisons,  dit  le 


iq8  la  théologie  affective 

Maître  des  Sentences  (i)  :  pour  nous  humilier, 
pour  nous  enseigner  et  pour  nous  exercer. 

Premièrement,  pour  nous  humilier,  parce  que 
l'homme  se  soumettant  dans  Tusage  des  sacre- 
ments à  des  créatures  sensibles  et  inférieures  à 
lui,  et  cela  sur  Tordre  de  son  Créateur,  est  plus 
agréable  à  Dieu  et  a  un  plus  grand  mérite  à  ses 
yeux,  puisqu'il  cherche  pour  i'âmour  de  lui  son 
salut  dans  les  choses  inférieures,  non  pour  le  tenir 
d'elles,  mais  de  lui  par  elles.  Secondement,  pour 
nous  enseigner,  parce  que  nous  arrivons  par  la 
connaissance  des  choses  extérieures  et  apparentes 
à  la  connaissance  de  la  vertu  cachée  et  spirituelle, 
que  renferment  les  sacrements.  Troisièmement, 
pour  nous  exercer  et  nous  occuper  par  la  diversité 
des  sacrements,  afin  que  nous  ne  languissions  pas, 
faute  d'exercice,  que  nous  ne  demeurions  pas  dans 
l'oisiveté,  que  nous  ne  nous  portions  pas  à  de 
mauvais  emplois  de  notre  temps,  faute  d'en  avoir  de 
bons,  et  que  le  démon  ne  prenne  pas  occasion  de 
nous  tenter  en  ne  nous  voyant  pas  utilement  et 
saintement  occupés.  C'est  pourquoi  il  y  a  plu- 
sieurs sacrements. 

Le  Docteur  séraphique  (:2)  amplifiant  et  éclair- 
cissant  ces  raisons  dit  qu'il  convenait  d'instituer 
des  sacrements,  tant  de  la  part  de  Dieu,  que  de  la 
part  de  l'homme.  De  la  part  de  Dieu,  rien  ne 
convenait  mieux  à  sa  miséricorde,  à  sa  justice  et  à 
sa  sagesse.  A  sa  miséricorde,  parce  que  l'homme,  à 
cause  de  l'inconstance  de  sa   liberté    essentielle- 

î.  L.  4.  SenL  dist.  i.  —  D.  Thom.  q.  61,  a.  i. 
a.  In  4)  dist.  i,  part,  t,  q.  i. 


DES    SACREMENTS  I09 


ment  chnngcante,  conserve  mal  la  grâce  et  la  perd 
aisément  ;  c'est  pourquoi  Dieu  lui  a  donné,  pour  la 
recouvrer,  les  sacrements.  A  sa  justice,  parce  qu'il 
était  raisonnable  que  Thomme  fut  humilié  pour 
rentrer  en  grâce  et  se  disposer  à  la  recevoir;  c'est 
ce  qu'il  fait  en  se  soumettant  aux  sacrements.  Enfm 
c'était  chose  convenable  à  sa  sagesse,  afin  que 
l'homme  qui  se  perd  par  les  créatures  sensibles,  se 
sauvât  par  ces  mêmes  créatures  et  trouvât  le 
remède  de  son  mal  dans  la  cause  de  son  mal  ;  ce 
qui  est  un  trait  de  grande  sagesse.  Les  sacre- 
ments étaient  encore  convenables  de  la  part  de 
l'homme,  qui  après  le  péché  était  aveuglé  dans  sa 
partie  raisonnable,  enflé  d'orgueil  dans  sa  partie 
irascible  et  dégoûté  des  vrais  biens  dans  sa  partie 
çoncupiscible.  C'est  pourquoi  les  sacrements  lui 
sont  donnés,  visibles  et  apparents  pour  l'instruire, 
corporels  pour  l'humilier,  en  grand  nombre  pour 
lui  donner  un  exercice  suffisant  et  empêcher  qu'il 
ne  se  dégoûte,  comme  cela  arriverait,  s'il  n'avait 
que  les  choses  spirituelles  à  contempler  ou  tou- 
jours un  seul  et  même  sacrement  à  recevoir. 

Louez  Dieu  de  la  manière  dont  il  sanctifie  les 
âmes  et  les  élève  à  leur  perfection  ;  et  comme  sa 
volonté,  qui  est  très  raisonnable,  ne  fait  rien  que 
pour  des  raisons  très  sérieuses,  imitez  ce  procédé 
dans  vos  œuvres,  ne  les  faites  jamais  que  pour  de 
belles  raisons  concernant  la  gloire  de  Dieu  et  l'uti- 
lité du  prochain.  Assujettissez-vous  aussi  volon-t 
tiers  à  ses  ordonnances,  qui  sont  très  équitables 
et  fondées  sur  la  raison,  particulièrement  en  ce 
qui  concerne  les  sacrements.  Tirez-en  l'édification 
que  Dieu  veut  vous  en  voir  tirer,  en  vûus  éclai- 


îrO  LA   TttÉOLÔGÎË   AFFECTIVE 

rant  par  l'étude  sur  les  choses  spirituelles,  en  vous 
humiliant  pour  les  recevoir,  fussiez-vous  le  plus 
grand  personnage  du  monde,  et  en  vous  occupant 
sérieusement  dans  leur  usage.  Vous  implorerez  sa 
grâce  pour  arriver  à  ces  fins  et  participer  à  tant  de 
biens. 

III 

Considérez  qu'il  y  a  sept  sacrements.  Ana- 
thème,  dit  le  Concile  (i),  à  celui  qui  dira  qu'il  y  a 
plus  ou  moins  de  sept  sacrements  :  ce  sont  le 
Baptême,  la  Confirmation,  l'Eucharistie,  la  Péni- 
tence, l'Extrême-Onction,  l'Ordre  et  le  Mariage. 
La  principale  raison  de  ce  nombre,  c'est  qu'il  y  a 
sept  signes  sensibles  ou  sept  sortes  de  cérémonies 
externes  instituées  par  Dieu,  auxquelles  sont 
annexées  les  promesses  de  la  grâce,  signes  ou 
cérémonies  qui  ont  toujours  été  usitées  dans 
l'Eglise  depuis  sa  naissance  et  depuis  le  temps  des 
Apôtres  jusqu'à  nos  jours. 

Le  premier  sacrement  dont  l'institution  est 
évidente  dans  les  Evangiles,  c'est  le  Baptême  : 
«  Celui^  dit  Jésus-Christ,  qui  croira  et  qui 
«  sera  baptisé^  sera  sauvé.  »  (Marc,   dern.   chap.) 

La  confirmation  est  autorisée  par  les  Actes  des 
Apôtres  (i  et  2)  et  par  saint-Paul  qui  dit  :  «  Dieu 
«  nous  confirme  et  nous  oint^  lui  qui  a  mis  dans 
«  nos  cœurs  le  gage  du  Saint-Esprit.  »  (II  Cor.  2). 
L'Eucharistie  est  enseignée  par  les  quatre  Evan- 
gélistes  et  par  saint  Paul.  Jésus-Christ  dit  de  ce 
sacrement  :  «  Celui  qui  mangera  ce  pain.^  vivra 

\.     Sess.  7,  can.  i. 


DES    SACREMENTS  1  I  I 

«  éternellement.  »  (Jean,  8).  Instituant  celui  de  la 
Pénitence,  il  dit  aussi  :  «  Les  péchés  seront  remis 
«  à  ceux  à  qui  vous  les  remettre^.  «  (Jean,  20). 
L'Extrème-Onction  a  été  annoncée  et  publiée  par 
l'apôtre  saint  Jacques  :  il  en  avait  reçu  Tordre 
de  Jésus-Christ,  qui  l'avait  instituée  pour  les  ma- 
des  :  «  Y  a-t-il  parmi  vous  quelqu'un  de  malade  ? 
«  qu'  il  appelle  les  prêtres  de  V  Eglise,  qu'ils  prient 
«  pour  lui  et  qu'ils  V oignent  d'huile  au  nom  du 
«  Seigneur^  etc.  (Jacq.  5).  L'Ordre  est  publié  par 
saint  Paul  dans  sa  lettre  à  Timothée  :  «  Ne  néglige 
«  pas  la  grâce  qui  est  en  toi.,  et  qui  t'a  été  donnée 
«  par  prophétie,  avec  l'imposition  des  mains 
«  dans  la  prêtrise.  »  (Tim.  4).  Le  même  saint 
Paul  attribue  le  nom  de  sacrement  au  Mariage  : 
«  C'est  un  grand  sacrement  ;  j'entends  en  Jésus- 
«  Christ  et  dans  l'Eglise.  »  (Eph.  3),  car  hors  de 
là  il  n'}^  a  point  la  sainteté  du  sacrement. 

Outre  ces  preuves  il  y  a  des  convenances  qui 
nous  font  mieux  comprendre  ce  nombre  déter- 
miné de  sept  sacrements.  II  sont  en  effet  établis 
par  Jésus-Christ  pour  remédier  à  nos  maux  et 
nous  fortifier  dans  les  vertus.  Or  nous  avons  sept 
maladies,  trois  de  la  coulpe,  dit  le  Docteur 
séraphique  (i),  et  quatre  de  la  peine,,  trois  qui  sont 
coupables  et  quatre  qui  sont  pénales.  Les  trois  ma- 
ladies de  la  coulpe  sont  le  péché  originel,  le  péché 
mortel  et  le  péché  véniel.  Contre  le  premier  est 
institué  le  Baptême,  contre  le  second  la  Péni- 
tence, contre  le  troisième  TExtrême-Onction.  Les 
quatre  maladies   pénales  sont   l'ignorance,  la  ma- 

1.6.  par.  Centil.  c.  ^ . 


laa  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

lice,  rinfirmité,  1^  concupiscence  ;  l'Ordre  remé- 
die à  l'ignorance,  l'Eqcharistie  à  la  malice,  la 
Confirmation  à  l'infirmité  et  le  Mariage  à  la  concu- 
piscence. Il  y  a  d'ailleurs  sept  vertus  dans  lesquelles 
nous  sommes  fortifiés  par  les  sept  sacrements  qui 
nous  aident  aussi  à  en  pratiquer  les  actes.  Le 
Baptême  a  pour  but  de  fortifier  la  foi,  qui  est  la 
porte  et  la  première  des  vertus,  comme  il  est  U 
porte  et  le  premier  des  sacrements  ;  l'Extrême- 
Onction  est  pour  aider  l'espérance,  l'Eucharistie 
qui  nous  unit  à  Jésus-Çhrist  est  pour  le  reofort  de 
la  charité  ;  l'Ordre  aide  la  prudence  ;  la  Pénirt 
tence  fortifie  la  justice  ;  le  Mariage  secourt  la 
tempérance  et  la  Confirmation  la  force  (j). 

Pe  plus  la  vie  spirituelle  est  conforme  à  la  vie 
corporelle.  Or  sept  choses  sppt  requises  pour  la  vie 
corporelle.  Il  faut  :  i°  que  l'homme  soit  engen^ 
dré  ;  2°  qu'il  croisse  ;  3"  qu'il  soit  nourri  ;  4°  que 
dans  ses  maladies  il  soit  guéri  ;  5°  que  les  restes 
de  la  maladie  soient  détruits  ;  6°  que  l'homme  soit 
gouverné  par  quelque  supérieur,  qui  prenant  soiii 
du  bien  commun  conserve  les  particuliers  ;  7°  que 
la  vie  humaine  qui  est  mortelle  soit  communiquée 
aux  autres  par  la  génération.  Les  sept  sacrements 
remplissent  tous  ces  rôles  pour  la  vie  spirituelle. 
Le  Baptême  donne  au  chrétien  sa  première  n^is' 
sance,  la  Confirmation  fait  croître,  augmente  et 
fortifie  cette  vie  ;  l'Eucharistip  l'alimente  ;  la  Péni- 
tence guérit  ses  maladies  et  l'Extrême-Onction 
le3  restes  de  ses  maladies  ;  l'Ordre  donne  à  cette 
vie  des  conducteurs  pour  la  gouverner  et  la  diri- 

I.  Idem,  in  4,  dist.  2,  art.  1,  q.  3. 


DES    SACREMENTS  1  l3 

ger  ;  le  Mariage  enfin  la  propage,  en  tant  qu'il  est 
institué  pour  avoir  des  enfants  qui  soient  chrétiens 
et  qui  glorifient  Dieu  éternellement.  Ainsi  rai- 
sonne sur  le  nombre  des  sacrements  le  Docteur 
angélique  (i)  ;  le  Concile  de  Florence  (2)  lui-même 
explique  leur  nombre  par  cette  comparaison  d'une 
vie  à  l'autre. 

Admirez  ici  l'infinie  bonté  de  Dieu  qui  a  institué 
tant  de  sortes  de  moyens  divers  pour  distribuer 
ses  grâces  aux  hommes  mortels,  à  qui  il  les  offre 
libéralement  pour  guérir  leurs  maux,  pour  aider 
leurs  vertus  et  pour  entretenir  leur  vie  spirituelle. 
Ne  témoigne-t-il  pas  bien  le  désir  qu'il  a  du  salut  de 
nos  âmes,  en  nous  ouvrant  tant  de  portes  pour 
entrer  dans  le  ciel  ?  En  quel  état  peut  se  trouver 
l'homme,  où  il  ne  soit  assisté  par  les  sacrements? 
Est-il  né?  le  Baptême  lui  est  préparé.  A-t-il  un  peu 
grandi  ?  la  Confirmation  lui  est  offerte.  Est-il  en 
état  de  péché  ?  il  a  la  Pénitence.  Est-il  juste  et  en 
bon  état  ?  voilà  l'Eucharistie.  Est-il  malade  à  mou- 
rir ?  il  a  l'Extrême-Onction.  Veut-il  vivre  dans  le 
monde  ?  voilà  le  Mariage.  Veut-il  vivre  hors  des 
mœurs  du  monde?  TOrdre  le  sanctifie.  O  Seigneur 
très  riche  en  bonté,  que  vous  avez  eu  de  soin  de 
nos  âmes  misérables  !  O  très  magnifique  et  très 
pitoyable  Rédempteur,  je  vous  en  remercie  et  je 
vous  demande  comme  surcroît  de  faveur  la  grâce 
d'en  user  si  dignement  que  j'y  trouve  le  remède 
de  tous  mes  maux  et  le  chemin  de  la  vie  éternelle. 
Ainsi  soit-il. 

1.  Quœst.  65,  art.  i. 

2 .  In  Decreio  Eugenii. 

Bail,  t.  ix  S 


114        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

ir  MÉDITATION 

DES  EFFETS  DES  SACREMENTS 


SOMMAIRE 

Les  trois  ejfcts  principaux  des  sacrements  sont  la 
grâce  sanctifiante,  le  caractère  et  la  grâce 
sacramentelle.  —  Les  Sacrements  confèrent  la 
grâce  ex  opère  operato,  c'est-à-dire  par  leur 
propre  vertu.  —  Le  mauvais  état  du  ministre 
des  sacrements  n  empêche  pas  ceux-ci  de  pro- 
duire leurs  effets. 

I 

CONSIDÉREZ  trois  effets  plus   notables  des  sa- 
crements :  à  savoir  la  grâce  sanctifiante,  la 
grâce  sacramentelle  (i)  et   le  caractère.    Le  Con- 

I.  Il  faut  noter  toutefois  que  la  grâce  sacramentelle 
n'est  au  fond  rien  autre  chose  que  la  grâce  sanctifiante. 
Cette  grâce  produit  chez  tous  les  mêmes  effets,  et  soit 
les  vertus  surnaturelles,  soit  les  dons  du  Saint-Esprit 
qui  sont  inséparables  de  la  grâce  sanctifiante,  suffisent 
pour  accomplir  tous  les  actes  surnaturels,  et  par  consé- 
quent ceux-là  aussi  en  vue  desquels  est  donnée  la  grâce 
sacramentelle.  Il  est  même  exact  de  dire  que  la  grâce 
sanctifiante  obtenue  en  dehors  du  sacrement  confère  un 
droit  aux  secours  de  la  grâce  actuelle,  qui  seuls  peuvent 
mettre  l'homme  en  état  de  faire  des  actes  surnaturels. 
La  seule  chose  purement  extrinsèque  qui    distingue   la 


DES    SACREMENTS  ll5 

cile  (i)  affirme  le  premier  de  ces  effets,  quand  il 
prononce  Tanathcme  contre  ceux  qui  disent  que 
les  sacrements  de  la  Loi  nouvelle  ne  contiennent 
pas  la  grâce  qu'ils  représentent  ou  ne  la  confèrent 
pas  à  ceux  qui  n'y  mettent  pas  d'empêchement. 
L'Ecriture  sainte  enseigne  cette  même  vérité, 
quand,  parlant  des  sacrements  en  particulier,  elle 
leur  attribue  le  salut,  la  pureté,  la  sanctification, 
la  rémission  des  péchés  et  la  vie  immortelle  des 
âmes  ;  nous  en  avons  déjà  touché  quelques  mots. 
TertuUien  (2)  a  exprimé  cette  même  vérité  en 
termes  élégants  :  la  chair  est  lavée,  dit-il,  afin  que 
l'àme  soit  purifiée  ;  la  chair  est  ointe,  afin  que 
l'àme  soit  consacrée  ;  la  chair  est  marquée  d'un 
signe,  afin  que  l'âme  soit  fortifiée  ;  la  chair  est 
couverte  par  l'imposition  des  mains,  afin  que  l'àme 
soit  illuminée  par  l'Esprit  ;  la  chair  est  nourrie  du 
corps  et  du  sang  de  Jésus-Christ,  afin  que  l'àme 
soit  engraissée  de  Dieu.  Enfin  c'est  le  propre  des 
sacrements  de  sanctifier  les  âmes  et  de  leur  appli- 
quer abondamment  les  mérites   de  la   Passion  de 

grâce  sanctifiante  reçue  en  dehors  des  sacrements  de  la 
grâce  sanctifiante  sacramentelle,  c'est  que  cette  der- 
nière, en  vertu  de  l'institution  de  Jésus-Christ,  donne 
droit  à  ces  secours  actuels,  à  un  nouveau  titre,  elle 
donne  droit  aussi  à  les  recevoir  plus  sûrejnent,  plus 
facilement  et  plus  abondamment. 

1.  Sess.  7.  can.  6. 

2.  L.  DE  RESURR.  GARNIS  :  '<  Caro  abluitur,  ut  anima 
«  emaculeiur  ;  caro  ungiiury  ut  anima  consecretur  ;  caro 
«  cor  pore  et  sanguine  Christi  vesciiur,  ut  anima  Deo 
«  sagineiur.  » 


Il6  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Jésus-Christ,  et  la  grâce  sanctifiante  qu'il  a  méri- 
tée en  mourant.  Et  de  même  que  Dieu,  qui  crée 
l'âme,  l'infuse  dans  le  corps  qui  a  les  dispositions 
matérielles  requises  et  suffisantes  pour  la  rece- 
voir ;  ainsi  quand  les  signes  sensibles  et  corporels 
qu'il  a  institués  sont  appliqués,  il  crée  sa  grâce  et 
la  communique  à  l'âme.  Si  bien  que  les  sacre- 
ments sont  comme  des  canaux  par  lesquels  la 
vertu  du  sang  précieux  de  Notre-Seigneur  est  ré- 
pandue dans  les  âmes  ;  avec  cette  différence  néan- 
moins que  le  Baptême  et  la  Pénitence  confèrent 
la  première  grâce  sanctifiante,  par  laquelle  l'âme 
passe  du  péché  mortel  à  la  sainteté  ;  c'est  pour- 
quoi ils  sont  appelés  sacrements  des  morts,  car 
appliqués  à  ceux  qui  sont  morts  par  le  péché,  ils 
les  ressuscitent  à  une  vie  nouvelle.  Quant  aux 
cinq  autres,  ils  confèrent  la  seconde  grâce  ;  c'est 
pourquoi  ils  sont  appelés  sacrements  des  vivants, 
car  on  ne  les  applique  qu'à  ceux  qui  ont  déjà  la 
vie  de  la  grâce  par  le  Baptême  ou  la  Pénitence, 
afin  qu'ils  l'aient  plus  copieusement. 

Le  second  effet  des  sacrements  est  la  grâce 
sacramentelle,  par  laquelle  il  faut  entendre  cer- 
tains secours  spirituels,  ou  certaines  grâces  actuel- 
les nécessaires  pour  remplir  les  fonctions  ou 
atteindre  la  fin,  à  laquelle  chaque  sacrement  est 
spécialement  destiné  par  Dieu.  Chaque  sacrement 
en  effet  vise  à  quelque  but  qui  lui  est  propre  ;  afin 
que  l'homme  puisse  y  parvenir,  il  reçoit  encore 
en  temps  et  lieu,  en  vertu  du  sacrement,  des  grâces 
actuelles,  qui  sont  appelées  sacramentelles.  Ainsi 
le  Baptême  étant  la  porte  des  sacrements  et  ayant 
été  institué  par  Dieu  enir'autres  raisons,  afin  que 


DESSACREMENTS;  II7 

riiomme  fut  capable  de  participer  aux  autres  sa- 
crements, la  grâce  sacramentelle  du  Baptême  est 
un  secours  de  grâce  pour  recevoir  en  temps  et 
lieu  les  autres  sacrements.  La  Confirmation  ayant 
pour  but  de  fortifier  le  chrétien  en  le  rendant  apte 
à  défendre  sa  foi  en  cas  de  persécution,  la  grâce 
sacramentelle  qu'elle  donne  consiste  dans  un 
secours  aidant  Tàme  à  demeurer  ferme  dans  la  foi 
au  milieu  des  violences  des  tyrans  et  des  grandes 
tentations  contre  la  foi.  L'Eucharistie  ayant  pour 
fin  de  nourrir  Tàme,  la  grâce  sacramentelle  qu'elle 
confère  consiste  dans  un  goût  et  une  suave  dévo- 
tion, qui  est  l'aliment  délicieux  de  l'âme  chré- 
tienne aspirant  au  ciel.  La  grâce  sacramentelle  de 
la  Pénitence  est  un  secours  de  Dieu  pour  nous 
empêcher  de  retomber  dans  le  mal  ;  celle  de  l'Ex- 
trême-Onction  un  secours  pour  mourir  saintement 
et  bien  combattre  dans  l'agonie  ;  celle  de  l'Ordre 
est  une  assistance  de  Dieu  pour  bien  remplir  les 
fonctions  ecclésiastiques,  et  celle  du  Mariage  une 
assistance  que  reçoivent  les  personnes  mariées 
pour  vivre  chastement  et  pour  supporter  toutes 
les  grandes  difficultés  de  leur  état  dans  la  généra- 
tion, l'éducation  et  l'établissement  de  leurs  en- 
fants. Puisqu'il  en  est  ainsi,  il  est  aisé  de  juger 
que  les  grâces  sacramentelles  ne  se  donnent  pas 
toujours  au  même  instant  où  les  sacrements  sont 
reçus,  mais  au  moment  où  l'homme  en  a  besoin. 
Néanmoins  dès  l'instant  même  où  il  les  a  reçus,  il 
a  acquis  le  droit  de  recevoir  ces  grâces  actuelles 
au  besoin,  et  elles  ne  lui  seront  pas  refusées. 

Le  troisième   effet  des   sacrements  s'appelle  le 
caractère  ;  c'est  une  certaine  marque  ineffaçable 


Il8  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

imprimée  à  Tâme  et  une  certaine  puissance  d'une 
très  grande  vertu,  qui  y  restera  éternellement  et 
qui  la  distinguera  de  toutes  les  autres  âmes,  soit 
qu'elle  jouisse  du  bonheur  dans  le  ciel,  soit  qu'elle 
soit  malheureuse  dans  l'enfer  :  «  //  nous  a  oints, 
«  dit  saint  Paul,  et  nous  a  marqués  ».(IICor.  i)  (i). 
Et  l'Eglise   (2)   qui  ne   peut  errer,  et   qui   est  la 

I.  Ce  texte  pris  en  lui-même  et  considéré  au  point  de 
vue  purement  exégétique  ne  prouve  pas  l'existence  du 
caractère  sacramentel.  D'autres  sens  peuvent  lui  être 
légitimement  donnés  et  lui  sont  en  réalité  donnés. 
Saint  Thomas  entend  par  ce  signe  le  signe  de  la  foi  ou 
de  la  croix  ou  encore  TEsprit-Saint  (In  2  Cor.  c.  i. 
lect.  5)  ;  et  Cornély  interprète  ainsi  ce  passage  : 
«  (L'Apôtre)  entend  par  là  la  vocation  et  la  préparation 
«  à  la  fonction  d'apôtre,  ou  plutôt  la  collation  de  la 
«  charge  apostolique  et  cette  communication  de  VEsprit- 
«  Saint  qui  est  nécessaire  pour  la  bien  remplir...  C'est  à 
«  bon  droit  que  nous  y  voyons  le  caractère  de  l'apostolat 
«  imprimé  dans  V âme  par  les  dons  de  l'Esprit-Saint.  > 
(In  2  Cor.  I,  22).  Les  autres  textes  qu'on  a  coutume 
d'alléguer  (Ephés.  i,  13  et  Ephés.  iv,  30)  ne  sont  pas 
davantage  probants,  car  on  peut  dire  que  le  signe  ou 
la  marque  dont  ils  parlent  n'est  autre  que  la  grâce 
sanctifiante.  Il  faut  néanmoins  tenir  compte  de  ce  fait 
qu'un  certain  nombre  de  Pères,  notamment  saint  Am- 
broise  (De  Spir.  S.  1.  i,  c.  6,  n.  79  ;  §  16,  723)  et  saint 
Jean  Chrysostome  (Hom.  2.  in  ep.  ad  Eph.  n.  i  ;  §  62, 
18),  ainsi  qu'un  grand  nombre  de  Théologiens  anciens 
auxquels  il  faut  joindre  le  plus  grand  nombre  des 
Théologiens  modernes  et  le  Catéchisme  romain  lui- 
même  (p.  2.  c,  i,n.  30)  interprètent  ces  divers  passages 
de  saint  Paul  du  caractère  sacramentel. 

?.  Sess.  7.  can.  7. 


DES    SACREMENTS  II9 

colonne  de  vérité^  prononce  ranathcmc  contre 
quiconque  dira  que  dans  les  trois  sacrements  qui 
sont  le  Baptême,  la  Confirmation  et  l'Ordre,  il  ne 
s'imprime  pas  dans  Tàme  un  caractère,  qui  est  un 
signe  spirituel  et  ineffaçable  et  qui  fait  que  ces 
sacrements  ne  peuvent  se  réitérer.  Aussi  n'y  a-t-il 
que  trois  sacrements  qui  produisent  cet  effet.  Il 
convient  en  effet  que  ceux  qui  sont  reçus  par  le 
Baptême  au  nombre  des  sujets  de  Jésus-Christ, 
soient  distingués  des  infidèles  par  quelque  mar- 
que, comme  aussi  ceux  qui  par  la  Confirmation 
sont  enrôlés  dans  la  milice  chrétienne  et  ceux  qui 
par  rOrdre  sont  choisis  et  instruits  dans  le  but  de 
commander  aux  autres  et  de  les  conduire. 

A  la  vue  de  ces  trois  effets,  louez  la  magnificence 
de  Jésus-Christ,  l'auteur  des  sacrements.  «  Qui 
«  parlera  des  puissances  du  Seigneur,  qui  Jera 
«  entendre  toutes  ses  louanges  ?  »  (Ps.  loi).  D'où 
vient  à  l'eau  une  telle  vertu,  qu'elle  touche  le 
corps  et  lave  le  cœur?  dit  saint  Augustin  (i).  Oh! 
que  la  grâce  précieuse  nous  est  donnée  facilement 
et  par  des  moyens  aisés  à  pratiquer  !  Car  qu'y 
a-t-il  de  plus  commun  que  l'eau,  l'huile,  les  paro- 
les et  les  signes  sensibles  des  sacrements  ?  Tout 
cela  le  pauvre  peut  l'avoir  comme  le  prince.  Jésus- 
Christ  n'a  point  voulu  faire  consister  les  sacre- 
ments dans  des  matières  de  grand  prix,  qui  n'ap- 
partiennent qu'aux  plus  riches,  afin  que  les  moyens 
d'obtenir  la  grâce  fussent  à  la  disposition  des  plus 
petits  comme  des  plus  grands.  O  Seigneur  !  soyez 

I .  Tract.  80  IN  JoAN.  :  «  Unde  tanta  virtus  aquœ^  ut 
«  corpus  tangat  et  cor  abluat  ?  » 


120  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

béni  et  glorifié  d'avoir  donné  tant  de  vertu  aux 
sacrements  et  de  distribuer  vos  faveurs  spirituelles 
par  de  tels  moyens  !  Enfin  tremblez  à  la  pensée 
que  vous  avez  la  marque  et  le  caractère  ineffaça- 
ble de  Jésus-Christ  et  par  le  Baptême  et  par  la 
Confirmation  et  par  l'Ordre,  si  vous  l'avez  reçu. 
Oh  !  que  ce  sera  pour  vous  une  grande  confusion 
dans  l'enfer,  d'être  marqué  parmi  tous  les  damnés, 
si  vous  vivez  ici  dans  le  péché  !  Respectez  donc  le 
caractère  de  l'Ordre,  mais  aussi  celui  de  votre 
Confirmation  et  de  votre  Baptême. 

II 

Considérez  secondement  que  les  sacrements 
confèrent  la  grâce  sanctifiante  d'une  manière  très 
efficace  et  excellente,  à  savoir  par  eux-mêmes  et 
par  le  seul  fait  de  leur  application,  et  non  pas  seu- 
lement par  la  disposition  de  celui  qui  les  reçoit. 
C'est  ce  qu'entendent  les  Théologiens,  quand  ils 
disent  que  les  sacrements  confèrent  la  grâce  en 
vertu  de  Tœuvre  opérée^  c'est-à-dire  par  le  seul 
fait  que  ce  qui  est  requis  est  accompli,  et  non  pas 
uniquement  en  vertu  de  V œuvre  de  V opérant^ 
c'est-à-dire  selon  la  mesure  de  la  bonne  disposi- 
tion qu'on  apporte  à  leur  réception.  L'Eglise  (i) 
a  encore  tranché  ce  point  et  prononcé  l'anathème 
contre  quiconque  dit  que  la  grâce  n'est  pas  confé- 
rée par  les  sacrements  de  la  Loi  nouvelle  en  vertu 
de  l'œuvre  opérée  (2).  Or  pour  mieux  comprendre 

1.  Conc.  Trid.  sess.  7,  can.  8. 

2.  Cette  formule  est  consacrée  par  un  long  usage  et 
de  plus   elle    a   l'avantage  d'exprimer    clairement   un 


DES    SACREMENTS  121 

ce  terme  :  Tœuvre  opérée,  il  est  important  de 
remarquer  que  les  sacrements  de  leur  côté  appor- 
tent toujours  une  certaine  mesure  de  grâce  dans 
les  sujets  qui  n'y  mettent  pas  d'empêchement, 
comme  chez  les  enfants  qui  sont  baptisés  sans  y 
contribuer  en  rien  ;  car  la  grâce  qu'ils  y  reçoivent 
ne  peut  provenir  que  de  l'application  du  sacre- 
ment, —  c'est  ce  qu'on  appelle  l'œuvre  opérée,  — 
et  nullement  de  leurs  bonnes  dispositions  et  des 
actes  qu'ils  formeraient  en  le  recevant,  —  ce  qui 
est  l'œuvre  de  l'opérant.  Il  en  serait  de  même  s'ils 

dogme  très  important.  Pierre  de  Poitiers  qui  succéda, 
à  Paris,  dans  la  chaire  de  Théologie  à  Pierre  Lombard 
(-|-  1205),  l'employa  le  premier  (Sentent.  1.  i,  c.  16),  et 
Innocent  III,  son  contemporain,  dit  au  sujet  du  saint 
sacrifice  de  la  Messe  :  «  Quoique  l'œuvre  de  l'opérant 
«  soit  impure,  cependant  l'œuvre  opérée  est  toujours 
«  pure.  2>  (De  myst.  missœ,  1.  3,  c.  5).  Cette  locution  fut 
adoptée  au  xiii®  siècle  par  les  grands  Théologiens  de 
cette  époque,  notamment  par  Guillaume  d'Auxerre 
(SuMMA,  1.  4,  fol.  243,  col.  i),  Alexandre  de  Halès  (4, 
q.  3,  m.  4,  a.  i),  saint  Bonaventure  (4,  dist.  i,  part,  i, 
q.  5),  saint  Thomas  (4,  dist.  i,  a.  5).  Peu  à  peu  elle 
devint  d'un  usage  commun  et  au  xvi^  siècle  les  Pères  du 
Concile  de  Trente  n'en  trouvèrent  point  de  plus  exacte 
pour  définir  la  doctrine  catholique  en  face  des  erreurs 
des  Protestants  ;  aussi  la  consacrèrent-ils  solennelle- 
ment :  «  Si  quelqu'un  dit  que  ces  mêmes  sacrements  de  là 
«  loi  nouvelle  ne  confèrent  pas  la  grâce  par  la  vertu  de 
«  l'œuvre  opérée,  ex  opère  operato,  mais  qtie  la  seicle  foi 
«  aux  promesses  divines  suffit  pour  recevoir  la  grâce, 
«  qu'il  soit  anathème  !  »  (sess.  8,  can.  8).  Certains 
auteurs  récents  (voir  dans  la  première  édition  du  Lexi- 
que ecclésiastique  de  Fribourg,  VIII,   803,  l'article  opus 


122  LA    THEOLOGIE    AFFECTIVE 

recevaient  encore  la  Confirmation  et  la  sainte 
Eucharistie  avant  d'avoir  l'usage  de  la  raison,  car 
ils  recevraient  la  grâce  en  vertu  du  seul  sacrement, 
et  uniquement  de  sa  part.  Mais  si  étant  déjà  en 
état  de  grâce  par  le  Baptême  et  ayant  l'usage  de 
la  raison,  ils  produisaient  des  actes  de  dévotion 
pour  se  disposer  à  la  réception  de  ces  deux  sacre- 
ments, alors  ils  recevraient  la  grâce  de  deux  côtés, 
du  sacrement  et  de  leur  dévotion,  ce  qui  serait 
recevoir  la  grâce  en  vertu  de  l'œuvre  opérée  et  en 
vertu  de  l'œuvre  de  l'opérant.  Il  est  vrai  néan- 
moins, pour  parler  d'une  manière  rigoureusement 

operatum)  soucieux  plus  que  de  raison  de  l'orthodoxie 
grammaticale^  alors  qu'une  orthodoxie  plus  haute  est 
en  jeu,  ont  voulu  donner  dans  cette  formule  au  verbe 
operari  un  sens  actif.  Mais  il  est  certain  que  l'Eglise,  — 
et  les  grammairiens  eux-mêmes  donnent  ce  sens  à  plus 
d'un  verbe  déponent,  —  entend  ce  verbe  dans  un  sens 
passif  ;  sans  cela  la  définition  du  Concile  de  Trente 
manquerait  totalement  son  but.  D'ailleurs  c'est  dans  ce 
sens  qu'il  a  été  employé  par  les  anciens  Docteurs  et  par 
les  SS.  Pères,  notamment  par  Lactance  (Instit.  div.1.  7, 
c.  27  ;  §  6,  819),  par  Tertullien  (Prœscr.  c.  29  ;  §  2,  41), 
et  par  saint  Augustin  (De  unit.  Eccl.  c.  27  ;  §  43,  443)  ; 
dans  la  Vulgate  elle-même  on  trouve  un  certain  nom- 
bre de  verbes  déponents  pris  dans  ce  même  sens,  par 
exemple  promereri  (Héh.  xiii,  16),  consolari  (I  Cor.  i, 
4, 6)  «j^v/zor/arî  (ibid.),  inierpretari  {M.^\X .  i,  23  ;  Juda,XII, 
6  ;  II  Mach.  i,  36).  Par  ces  mots  opus  operatum ,  l'Eglise 
entend  l'œuvre  au  point  de  vue  objectif,  c'est-à-dire  le 
signe  sacramentel  posé  tel  que  Jésus-Christ  l'a  institué; 
par  Vopus  operantis,  elle  entend  l'œuvre  au  point  de 
vue  subjectif,  c'est-à-dire  au  point  de  vue  de  la  valeur 
qui  lui  vient  de  la  personne  qui  l'accomplit. 


DES    SACREMENTS  \23 

exacte,  que  la  giàce  qu'ils  recevraient  en  vertu  de 
l'œuvre  de  l'opérant  et  en  vertu  de  la  disposition 
de  l'opérant,  ne  peut  être  attribuée  au  sacrement 
comme  à  la  cause  efficiente,  mais  seulement 
comme  à  la  cause  occasionnelle,  parce  que  les 
actes  de  dévotion  qui  ont  causé  la  grâce,  ont  été 
produits  en  vue  du  sacrement  et  pour  le  recevoir 
dignement. 

D'où  nous  pouvons  conclure  à  la  supériorité  des 
sacrements  de  la  Loi  nouvelle  sur  ceux  de  l'an- 
cienne Loi  (excepté  néanmoins  la  Circoncision)  (i)  ; 
car  comme  ceux-ci  ne  produisaient  la  grâce  que 
par  l'œuvre  de  l'opérant  et  en  vertu  des  actions 
méritoires  auxquelles  donnaient  lieu  leur  applica- 
tion et  leur  usage,  ils  ne  produisaient  pas  propre- 
ment   la    CTràce    sanctifiante.    Ainsi   l'a   décidé    le 

I .  Quelques  Théologiens  en  effet,  partisans  de  la 
doctrine  de  Scot,  ont  voulu  excepter  la  circonci- 
sion de  la  loi  générale  proclamée  par  les  Conciles  de 
Florence  et  de  Trente,  qui  refusent  toute  efficacité 
intrinsèque  (ex  opère  operaio)  aux  sacrements  de  la  Loi 
ancienne  ;  ils  s'appuient  sur  cette  raison  que  la  circon- 
cision n'appartient  pas  à  la  Loi  ancienne,  car  elle  était 
déjà  établie  avant  cette  Loi.  L'opinion  commune  rejette 
cette  exception,  et  de  fait,  si  on  pèse  bien  les  défini- 
tions des  deux  Conciles,  on  voit  qu'ils  attribuent  la 
production  de  la  grâce  exclusivement  aux  sacrements 
de  la  Loi  nouvelle,  afin  de  montrer  qu'elle  l'emporte 
sur  tous  les  temps  qui  ont  précédé  la  venue  de  Jésus- 
Christ.  On  peut  considérer  comme  certain  que  «  la 
«  circoncision  remettait  le  péché  originel^  »  comme  le 
déclare  incidemment  le  pape  Innocent  III  (3  décret., 
tit.  42,  cap.  «  MAJORES  »  de  bapt,)  et  qu'elle  conférait  la 


124  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Concile  de  Florence  (i).  Ceux  de  la  Loi  nouvelle 
au  contraire  sont  de  véritables  causes  productrices 
de  la  grâce,  parce  qu'ils  la  produisent  par  eux- 
mêmes,  par  l'œuvre  opérée,  en  tant  qu'ils  sont 
appliqués  à  une  âme  qui  n'y  met  aucun  obstacle. 
Plusieurs  ont  pris  de  là  l'occasion  de  soutenir 
que  les  sacrements  produisent  dans  Pâme  la  grâce, 
comme  causes  physiques  instrumentales;  Dieu 
s'en  sert,  disent-ils,  pour  sanctifier  les  âmes, 
comme  l'ouvrier  se  sert  des  outils  de  son  art. 
D'autres  contredisent  cette  affirmation,  parce  que 
les  sacrements  confèrent  souvent  la  grâce  sacra- 
mentelle quand  ils  ne  sont  plus  et  quand  ils  ne 
peuvent  agir  que  comme  causes  morales,  en  ce 
sens  qu'ils  excitent  Dieu  à  la  produire.  Or,  s'ils 
ne  produisent  la  grâce  sacramentelle  que  comme 
causes  morales,  il  y  a  tout  lieu  de  croire  qu'il  en 
est  de  même  pour  la  grâce  sanctifiante.  Ajoutez  à 
cela  que  c'est  chose  superflue  et  nullement  néces- 
saire qu'ils  produisent  cette  grâce  comme  causes 
instrumentales  physiques,  étant  donné  qu'ils  peu- 
vent la  produire  aussi  abondamment  comme 
causes  morales.  C'est  pourquoi  Dieu  qui  ne   mul- 

grâce,  mais  elle  ne  la  conférait  ni  ex  opère  operato,  ni 
même  ex  opère  operantis,  puisqu'elle  était  pratiquée 
sur  les  enfants.  Elle  était  simplement  une  condition 
sine  qna  non  de  la  collation  de  la  grâce.  Le  péché  ori- 
ginel était  remis  en  vertu  de  la  profession  de  foi  au 
Messie  à  venir  ;  or  Dieu  avait  statué  que  les  fils 
d'Abraham  ne  feraient  cette  profession  que  par  la 
réception  de  la  circoncision. 

I.  In  Décréta  Eugenii. 


DES    SACREMENTS  125 

tiplie  pas  les  miracles  sans  nécessité,  s'est  contenté 
de  s'obliger  par  sa  promesse  à  conférer  la  grâce 
aux  personnes  qui  les  recevraient  sans  indignité 
de  leur  part.  Enfin  il  faut  accorder  que  la  Passion 
de  Jésus-Christ  a  été  la  cause  de  la  grâce, 
d'une  plus  noble  façon  que  les  sacrements  • 
cependant  la  Passion  n'en  est  que  la  cause 
morale  principale.  Les  sacrements  n'en  seront 
donc  que  la  cause  morale  et  non  la  cause  phy- 
sique, et  encore  la  cause  moins  principale  et 
instrumentale,  car  ils  n'agissent  qu'en  vertu  de 
la  sainte  Passion,  qui  produit  son  effet  dans  les 
âmes  par  leur  application  (i). 

I.  Dans  cette  question  si  discutée  parmi  les  Théolo- 
giens, l'auteur  embrasse  l'opinion  qui  paraît  la  plus 
probable.  «  Nous  ne  devons  pas,  dit  de  Lugo(DE  sacram. 
«  disp.  4,  sect.  4,  n.  35),  rendre  sans  nécessité  les  véri- 
«  tés  de  noire  foi  plus  difficiles  et  plus  obscures,  mais 
«  plutôt,  autant  que  nous  le  pouvons,  plus  faciles  et  plus 
«  à  la  portée  de  l'intelligence  dît  vulgaire  et  des  infi- 
«  deles.  »  Or  que  des  signes  matériels  puissent  être 
rendus  capables  de  produire  physiquement  une  réalité 
spirituelle  et  surnaturelle,  c'est  une  chose  si  difficile  à 
comprendre  que  des  Théologiens  et  non  des  moindres, 
tels  que  Soto  et  Vasquez,  l'ont  considérée  comme 
absolument  impossible.  Néanmoins  ont  admis  la  cau- 
salité physique  des  sacrements,  presque  tous  les  Tho- 
mistes, et  en  outre  Bellarmin  (1.  2,  c.  11),  Suarez 
(disp.  9.  sect.  1,  n.  14),  Grégoire  de  Valence  (t.  4, 
disp.  3,  q.  3,  p.  i),  Ysambert  (de  sacram.  q.  62,  dis.  4, 
a.  3),  André  Vega,  Tapper,  Drouin,  et,  à  notre  époque, 
Schazler,  Oswald,  etc.  Les  partisans  de  la  simple  cau- 
salité morale  sont  presque  tous  les  Scotistes  et  en 
outre  parmi  les  Thomistes,  Melchior  Cano  (Relect.  de 


130  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Nous  reconnaîtrons  de  nouveau  à  la  suite  de 
cette  considération  la  noblesse  et  la  vertu  des 
sacrements  que  Jésus-Christ  a  donnés  à  son 
Eglise,  puisqu'ils  confèrent  la  grâce  sanctifiante 
d'une  manière  si  efficace.  Nous  féliciterons  l'Eglise 
de  la  faveur  signalée  qu'elle  a  reçue  de  Jésus- 
Christ,  son  Epoux,  son  Chef  et  son  Sanctifica- 
teur. L'ancienne  Eglise  qui  fut  le  synagogue  n'a 
pas  reçu  de  tels  dons  de  Moïse,  elle  n'a  pas  eu  des 
sacrements  d'une  si  haute  vertu,  ce  n'étaient  que 
des  «  éléments  défectueux  et  impuissants  pour 
sanctifier  »,  aux  termes  de  saint  Paul  (Gai.  4). 
Nos  sacrements  au  contraire  sont  riches  et  puis- 
sants ;  ce  sont  les  vases  précieux  de  la  grâce  divine  ; 
Ils  effacent  tous  les  péchés  et  il  suffit  qu'ils  nous 
soient  appliqués,  pour  opérer  efficacement  ces 
merveilles.  Ainsi,  ô  Jésus,  sous  votre  loi  d'amour, 
la  rémission  de  nos  péchés  et  la  grâce  sanctifiante, 
que  vous  nous  avez  acquises  au  prix  de  tant  de 
tourments,  de  blessures  et  de  sanglants  outrages, 
ne  nous  coûtent  qu'un  peu  d'eau,  un  peu  d'huile 
et  quelques  actions  déterminées  par  votre  autorité, 

SACRAM.  p.  4),  Martin,  Barthélémy,  Ledesma,  Vasquez, 
(disp.  132,  c.  3),  de  Lugo  (disp.  4,  sect.  4,  n.  32), 
Lessius,  Coninck,  Bécan,  Platel,  Antoine,  la  Théologie 
de  Wurzbourg,  Franzelin,  Duhamel,  Tournely.  Quant 
aux  anciens  Théologiens  scolastiques,  ils  n'ont  jamais 
traité  cette  question  ex  projesso  •  ainsi  en  est-il  spécia- 
lement de  saint  Thomas.  Certains  ont  voulu  voir  en  lui 
un  partisan  de  la  causalité  physique,  mais  il  résulte, 
d'après  Vasquez,  de  Lugo  et  Franzelin,  de  l'étude  des 
textes  du  saint  Docteur,  qu'il  est  franchement  favora- 
ble à  la  causalité  morale. 


DES    SACREMENTS  127 

toutes  choses  que  les  pauvres  peuvent  avoir  aisé- 
ment, comme  les  plus  riches;  il  ne  nous  reste  plus 
qu'à  ne  mettre  aucun  obstacle,  pour  être  quittes 
de  nos  dettes  et  riches  de  votre  grâce.  O  Jésus, 
soyez  béni  éternellement  par  toute  créature,  que 
vos  sacrements  soient  toujours  en  grande  estime, 
en  grand  respect  et  en  grand  honneur  chez  toutes 
les  âmes  chrétiennes  ! 

III 

Considérez  encore  un  trait  de  la  bonté  de  Dieu 
touchant  les  effets  des  sacrements  ;  c'est  que  ces 
effets  sont  produits  même  quand  les  sacrements 
sont  administrés  par  des  personnes  qui  sont  en 
mauvais  état,  quoique  de  leur  part  il  y  ait  faute 
grave  à  les  traiter  indignement.  Anathème,  dit  le 
Concile  (i),  à  celui  qui  dit  que  l'administrateur  du 
sacrement,  s'il  est  en  état  de  péché  mortel,  ne  fait 
pas  ou  ne  confère  pas  le  sacrement,  alors  même 
qu'il  y  observe  toutes  les  choses  requises.  La 
raison  principale  de  cette  vérité  est  que  Jésus- 
Christ  est  l'agent  principal  dans  l'économie  des 
sacrements,  et  qu'il  a  plein  pouvoir  de  se  servir 
des  pécheurs  aussi  bien  que  des  justes,  comme 
ministres  et  serviteurs,  pour  sanctifier  les  âmes. 
Or,  comme  il  était  nécessaire  pour  la  paix  des 
consciences  que  les  sacrements  ne  dépendissent 
pas  du  bon  état  de  celui  qui  les  administre,  parce 
•  que  cet  état  est  très  incertain  et  que  la  discussion 
à  laquelle  on  voudrait  se  livrer  à  ce  sujet  causerait 
une  infinité  de  peines    et  de  troubles,    il  n'a   pas 

I.    Sess.  7,  can.  12.  De  sacrum,  in  génère. 


128  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

voulu  que  la  validité  et  les  effets  des  sacrements, 
et  conséquemment  le  salut  des  âmes  dépen- 
dissent du  bon  état  des  prêtres  et  des  pasteurs. 
En  effet  comme  les  bons  mérites  et  les  œu- 
vres vertueuses  ne  leur  donnent  pas  la  puis- 
sance éminente  d'administrer  les  sacrements, 
de  même  leurs  démérites  et  leurs  péchés  ne  les 
privent  pas  de  cette  puissance.  Si  cela  était  ainsi, 
dans  quelles  angoisses  ne  se  trouveraient  pas  tous 
les  jours  les  personnes  chrétiennes,  quand  elles 
se  demanderaient  si  elles  ont  reçu  le  Baptême, 
l'absolution  ou  quelqu'autre  sacrement,  d'un 
prêtre  en  état  de  charité  et  exempt  de  péché 
mortel?  Certes  Dieu  accorde  bien  aux  pécheurs 
les  grâces  gratuitement  données,  telles  que  la 
prophétie,  le  don  des  langues,  le  pouvoir  de  faire 
des  miracles  et  autres  grandes  choses,  en  vue  de 
l'utilité  des  âmes.  Caïphe  et  Balaam  furent  pro- 
phètes. Les  Scribes  et  les  Pharisiens  avaient  juri- 
diction et  autorité  sur  le  peuple  Juif,  et  cepen- 
dant ils  manquaient  de  sainteté  et  de  justice  ;  ils 
prêchaient  dans  leur  chaire  avec  des  paroles 
ravissantes,  quoique  leurs  œuvres  fussent  très 
perverses.  Qu'est-ce  donc  qui  empêche  que  les 
méchants  aient  aussi  le  pouvoir  de  confectionner 
les  sacrements,  et  par  leur  moyen  de  porter  la 
grâce  dans  autrui,  quoiqu'ils  en  soient  eux-mêmes 
privés  ?  L'Eglise  convaincue  de  cette  vérité  ne 
rebaptise  pas  ceux  que  les  hérétiques  ont  bapti- 
sés, et  les  chrétiens  ne  sont  pas  tenus  d'examiner, 
si  jadis  ils  ont  reçu  les  sacrements  de  personnes 
qui  étaient  en  grâce  avec  Dieu.  Ces  recherches 
seraient  blâmables  et  dangereuses.  De  même  que 


DR  s    SACREMENTS  12() 

la  semence  germe  dans  la  terre,  qu'elle  y  ait  été 
jetée  soit  d'une  main  propre,  soit  d'une  main 
sale,  de  même  que  la  fontaine  verse  son  eau  éga- 
lement par  un  canal  en  or  ou  un  canal  en  terre  ou 
en  bois,  de  même  que  le  soleil  envoie  ses  rayons 
dans  les  appartements,  quoique  celui  qui  a  ouvert 
la  fenêtre  soit  attaché  à  ses  intérêts  ou  qu'il  ait  eu 
un  mauvais  dessein  en  l'ouvrant  ;  ainsi  la  semence 
des  sacrements  porte  fruit,  que  le  prêtre  soit 
Juste  ou  pécheur.  Jésus-Christ,  source  des  grâces, 
les  répand  par  un  canal  d'or  ou  de  terre,  par  un 
prêtre  plein  de  charité  ou  rempli  de  péchés,  et 
quel  que  soit  celui  qui  lui  prépare  les  cœurs  et  lui 
ouvre  la  porte  des  âmes  par  l'administration  des 
sacrements,  Jésus-Christ  envoie  la  lumière  des 
grâces.  Enfin  il  en  est  des  bons  et  des  mauvais 
ministres  comme  de  deux  anneaux  marqués  au 
même  coin  de  l'empereur;  ces  anneaux  impriment 
sur  la  cire  une  même  figure,  quoique  l'un  soit  en 
or,  et  que  l'autre  soit  en  fer  (i). 

Il  est  vrai  néanmoins  que  le  prêtre  qui  admi- 
nistre les  sacrements  en  mauvais  état,  pèche  gra- 
vement ;  c'est  pourquoi  saint  Grégoire  le  Grand  (2) 
dit  :  les  prédestinés  purifiés  par  les  mains  des 
prêtres  entrent  dans  la  patrie  céleste  et  les  prê- 
tres de  Jésus-Christ  descendent  à  cause  de  leur 
vie  réprouvée  dans  les  supplices  de  l'enfer.  A  quoi 
comparerai-je  les  mauvais  prêtres,  sinon  à  l'eau  du 
Baptême  ?elle  pousse  les  baptisés  vers  le  ro3^aume 
des  cieux  en  effaçant  leurs   péchés,    mais   ensuite 

1.  Greg.  Nazianz.  40. 

2.  Hom.  17,  in  Evang. 

Bail,  t.  \%.  i, 


l3o  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

elle  descend  en  bas.  Néanmoins  cela  n'empêche 
pas  que  ces  prêtres  en  apportant  ce  qui  est  essen- 
tiel dans  l'administration  des  sacrements  et  en 
conformant  leur  intention  à  celle  de  Jésus-Christ 
en  vertu  de  qui  ils  agissent  ou  à  l'Eglise  pour 
laquelle  ils  agissent,  ne  fassent  des  Saints  du  para- 
dis, par  l'action  même  par  laquelle  ils  se  rendent 
eux-mêmes  davantage  les  membres  de  Satan. 

Il  faut  recueillir  de  cette  considération  combien 
est  grande  la  bonté  de  Dieu,  qui  veut  se  servir 
même  des  méchants  pour  le  bien  de  ses  élus.  Car 
il  ne  manquait  pas  de  prévoyance  en  instituant  les 
sacrements,  il  connaissait  le  nom  et  le  prénom  de 
tous  ceux  qui  les  traiteraient  indignement,  avec 
des  mains  souillées  et  sacrilèges.  Cependant  il  a 
résolu  d'agir  de  concert  avec  eux  et  de  ne  pas 
arrêter  le  cours  de  ses  grâces  à  cause  de  leur 
malice.  O  Jésus,  louées  soient  à  jamais  votre  mi- 
séricorde et  la  suavité  de  votre  Providence  !  Mais 
soit  détestée  à  jamais  la  témérité  de  ceux  qui 
remplissent  indignement  leur  ministère  !  O  Sau- 
veur du  monde,  touchez-les  d'un  vif  repentir,  afin 
qu'à  l'avenir  ils  traitent  saintement  les  choses 
saintes. 


DES    SACREMENTS  I  J)  I 

Iir  MÉDITATION 

DE 

L'INSTITUTION   DES  SACREMENTS 

DE  LEUR  EXCELLENCE 

ET    DE  LEUR  PERFECTION 

DANS  L'AUTRE  VIE 


SOMMAIRE 

Le  temps  de  la  Loi  de  grâce  était  le  temps  propre 
à  l'institution  des  sacrements.  —  Les  sacre- 
ments qu'a  institués  Jésus-Christ  sont  plus 
parfaits  que  ceux  de  V ancienne  Loi.  —  Les 
sacrements  n  auront  leur  plein  effet  et  leur 
perfection  que  dans  ïétat  de  gloire. 

I 

CONSIDÉREZ  que  le  temps  le  plus  propre  et  le 
plus  convenable  à  l'institution  des  sacre- 
ments était  le  temps  de  la  loi  de  grâce  et  de  misé- 
ricorde instituée  par  Jésus-Christ.  Si  en  effet  nous 
jetons  un  coup  d'oeil  sur  l'état  d'innocence,  état 
qui  a  précédé  le  péché  d'Adam  et  la  déchéance  de 
la  nature  humaine,  nous  constaterons  qu'il  n'était 
pas  à  propos  d'instituer  dans  cet  état  des  sacre- 
ments, (i)  parce    que  par  eux    l'homme    eut   été 

I.  D.  Thom.  q.  6i,  art.  3. 


l32  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

soumis  aux  choses  inférieures  de  la  terre,  pour 
recevoir  la  grâce  par  leur  moyen  et  être  élevé 
ainsi  à  la  connaissance  des  choses  supérieures  et 
célestes.  Or,  dans  cet  état,  l'homme  conservait 
rhonneur  de  sa  création,  par  laquelle  il  avait  été 
élevé  au-dessus  de  tous  les  êtres  terrestres  et  il 
n'avait  pas  mérité  d'être  assujetti  à  ces  êtres  ter- 
restres, en  punition  du  péché  dont  il  était  exempt. 
De  plus  les  sacrements  ont  été  institués  par  Dieu 
pour  être  les  vases  sacrés  du  sang  précieux  et 
des  mérites  de  Jésus-Christ.  Ils  ne  servent  que 
comme  instruments  pour  appliquer  aux  âmes  qui 
en  sont  sanctifiées  le  fruit  de  sa  Passion  doulou- 
reuse. Or  si  cet  état  heureux,  si  ce  siècle  d'or  et 
d'innocence  eut  duré  au  paradis  terrestre,  le  Verbe 
divin  ne  se  fut  pas  incarné,  comme  nous  l'avons 
considéré  plus  haut,  et  ainsi  ses  mérites  n'eussent 
pas  dû  être  appliqués  aux  hommes  ;  par  conséquent 
les  sacrements  n'eussent  pas  été  nécessaires.  De 
plus  le  principal  dessein  de  Dieu  dans  l'institu- 
tion des  sacrements  a  été  de  faciliter  aux  hommes 
les  moyens  de  rentrer  en  grâce  avec  lui  ;  car 
comme  il  leur  est  difficile  de  s'y  disposer  et  de 
s'appliquer  aux  occupations  spirituelles  et  aux 
œuvres  surnaturelles  méritoires  de  la  vie  éternelle, 
il  a  jugé  très  utile  de  secourir  la  faiblesse  humaine, 
par  quelques  cérémonies  extérieures,  par  lesquel- 
les elle  peut  arriver  à  la  grâce  sans  beaucoup  de 
difficulté.  Sans  cela  peu  de  personnes  fussent 
arrivées  au  salut  et  à  la  vie  éternelle.  Or  dans 
l'état  d'innocence,  la  nature  humaine  étant  dans 
son  intégrité  première,  sans  la  violence  et  la  mul- 
titude de  ces  passions  qui   ont    suivi  le   péché,  il 


DES    SACREMENTS  l33 

n'était  pas  difficile  à  une  âme  immortelle  de  s'ap- 
pliquer à  la  méditation  de  Dieu  et  à  des  exercices 
d'une  dévotion  sublime,  pour  se  conserver  ou 
faire  des  progrès  dans  la  sainteté.  C'est  pourquoi 
il  n'y  avait  pas  alors  grand  besoin  de  sacrements 
et  de  cérémonies  extérieures  (i). 

Mais  il  en  va  tout  autrement  depuis  qu'Adam  en 
désobéissant  a  ruiné  l'heureuse  fortune  de  sa 
famille  qui  a  été  bannie  du  paradis  pour  ne  plus 
faire  que  soupirer  dans  cette  vallée  de  misère  et 
de  pauvreté.  Gomme  les  hommes  penchés  vers  la 
terre  par  le  poids  du  péché  originel,  ne  s'élèvent 
que  très  difficilement  et  très   laborieusement   aux 

I.  Lessius,  in  3  part.  q.  61,  art.  4.  —  Tout  ce  qu'on 
peut  dire  de  plus  raisonnable  sur  cette  question,  où 
tout  dépend  de  la  libre  volonté  de  Dieu,  c'est  que  les 
sacrements  conviennent  davantage,  mais  non  exclusi- 
vement, à  l'état  de  l'homme  déchu.  L'institution  des 
sacrements  dans  l'état  d'innocence,  si  cet  état  avait 
duré,  pourrait  se  justifier  par  d'assez  bonnes  raisons. 
Ils  eussent  été  utiles,  dit  Suarez  (disp.  3,  sect,  3,  n.  4 
et  suiv.)  i)  soit  comme  signes  :  (a)  pour  aider  les 
hommes  à  professer  extérieurement  leur  foi,  (b)  pour 
exciter  leur  mémoire  et  leur  cœur,  (c)  pour  les  aider  à 
mieux  comprendre  les  choses  surnaturelles,  (d)  pour 
imprimer  un  cachet  d'unité  à  leur  culte  extérieur  ; 
2)  soit  comme  producteurs  de  la  grâce,  car  cette  effica- 
cité inhérente  au  sacrement  lui-même  est  toujours  un 
bienfait  pour  l'homme,  quel  que  soit  l'état  de  l'huma- 
nité, parce  qu'elle  lui  confère  la  grâce  au-delà  du 
mérite  de  ses  œuvres.  Ne  voyons-nous  pas  Dieu,  pour 
éprouver  l'homme  dans  l'état  d'innocence,  se  servir 
d'une  réalité  sensible,  de  l'arbre  de  la  science  du  bien 
et  du  mal  ? 


1^4  LA     THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

œuvres  saintes  capables  de  leur  acquérir  la  grâce, 
il  a  été  nécessaire  qu'ils  fussent  aidés  et  secourus 
promptement  par  des  moyens  faciles  d'acquérir  la 
grâce;  par  conséquent  immédiatement  après  le 
péché,  Dieu  institua  pour  les  hommes  quelques 
saintes  cérémonies  qui  leur  tenaient  lieu  de  sacre- 
ments pour  les  délivrer  du  péché  et  les  entretenir 
dans  son  service  (i).  A  l'époque  de  Moïse,  quand 
il  donna  la  Loi  ancienne,  il  multiplia  ces  cérémo- 
nies mystérieuses  par  lesquelles  les  juifs  protes- 
taient de  leur  foi,  de  leur  espérance  et  de  leur  désir 
à  l'égard  du  Messie,  de  Jésus-Christ,  qui  devait 
venir  au  monde  ;  par  l'usage  de  ces  cérémonies 
ils  s'entretenaient  dans  la  religion.  Toutefois 
comme  Dieu  s'était  proposé  de  traiter  les  hommes 
plus  doucement  et  plus  suavement,  lorsque  son 
Fils  se  serait  uni  à  la  nature  humaine  par  l'Incar- 
nation, comme  il  avait  réservé  jusqu'à  cette  épo- 
que la  loi  appelée  Loi  de  grâce  et  de  miséricorde, 
parce  que  par  elle  le  salut  est  plus  facile  ;  c'était 
alors  la  vraie  saison  d'instituer   des  sacrements  et 

I.  Ces  cérémonies,  ou  tout  au  moins  la  cérémonie 
qui  avait  pour  but  de  délivrer  les  enfants  du  péché 
originel,  —  car  c'est  la  seule  dont  on  puisse  affirmer 
d'une  manière  certaine  l'existence  sous  la  loi  de  nature, 
—  constituait  plus  probablement  un  vrai  sacrement. 
Elle  avait  en  effet  tout  ce  qui  est  requis  pour  un  sacre- 
ment :  i)  elle  signifiait  la  grâce  de  Jésus-Christ  ;  2)  elle 
consistait  dans  un  signe  extérieur  ;  3)  ce  signe  produi- 
sait une  certaine  sanctification  consistant  dans  l'agréga- 
tion de  l'enfant  à  la  société  des  vrais  croyants  ;  4)  ce 
signe  avait  été  institué  par  Dieu  qui  «  veut  le  salut 
de  tous  les  homrnes.  »  (I  Tim.  11,  4). 


.  k 


DES    SACREMENTS  i3d 

certaines  cérémonies  extérieures  dont  Tusage  ne 
fut  pas  trop  pénible,  et  dont  néanmoins  l'efficacité 
fut  très  grande  pour  sanctifier  les  âmes  aisément, 
sans  beaucoup  de  frais.  Ce  que  Dieu  s'était  pro- 
posé, il  Va  accompli,  et  pour  faciliter  aux  hommes 
les  moyens  de  s'enrichir  dans  sa  grâce,  Jésus- 
Christ,  Homme-Dieu  devint  l'auteur  des  sacre- 
ments, qui  nous  retirent  du  péché  et  font  couler 
dans  nos  âmes  les  richesses  de  sa  grâce  précieuse, 
O  le  noble  et  généreux  dessein  de  Dieu  !  O  la 
noblesse  de  sa  charité  !  O  la  tendresse  de  son 
amour  !  Il  veut  que  nous  ayons  les  plus  grands 
biens  du  ciel  et  il  veut  que  nous  les  ayons  comme 
sans  peine  et  à  bon  marché.  «  Vene^,  dit-il,  ache- 
«  ie^  sans  argent  et  sans  aucun  échange  le  vin  et 
«  le  lait.  »  C'est  pourquoi  son  amour  le  porte  à 
instituer  des  sacrements,  pour  nous  y  faire  ressen- 
tir dans  la  facilité  qu'ils  nous  offrent  sa  bonté 
naturelle.  Ah  !  Seigneur,  pourquoi  épargnez-vous 
si  fort  les  peines  et  les  travaux  des  misérables 
pécheurs  qui  ne  méritent  que  la  damnation  ?  Ah  ! 
Seigneur,  que  votre  procédé  à  notre  égard  est 
suave  !  Ce  sont,  ô  Jésus,  vos  peines  et  vos  souf- 
frances qui  nous  ont  acquis  ces  moyens  si  faciles; 
vous  vous  êtes  ciiargé  de  la  croix  pour  nous  rendre 
votre  joug  plus  léger.  Oh  !  soyez  estimé,  chéri  et 
loué  par  toutes  les  âmes  du  monde  ! 

II 

Considérez  que  les  sacrements  institués  par 
Jésus-Christ  sont  plus  parfaits  que  ceux  de  l'an- 
cienne Loi  ;  non  seulement  ils  produisent  la  grâce, 
mais  ils  la  signifient  plus  expressément,  car  l'état 


l36  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

de  la  Loi  nouvelle  est  plus  abondant  en  grâces  et 
a  de  plus  grandes  lumières.  Comme  nous  Pavons 
déjà  considéré,  —  et  il  importe  de  le  considérer 
encore,  —  les  sacrements  de  l'ancienne  Loi,  tels 
que  la  manducation  de  l'Agneau  pascal,  les  obla- 
tions  et  les  cérémonies  diverses  ne  conféraient  pas 
la  grâce  sanctifiante  par  le  fait  de  leur  usage  et  de 
leur  application,  mais  seulement  en  tant  que  cet 
usage  et  cette  application  étaient  une  action  méri- 
toire accomplie  avec  toutes  les  conditions  d'une 
œuvre  méritoire.  Mais  les  sacrements  de  la  Loi 
nouvelle  produisent  la  grâce  par  leur  propre  vertu 
et  efficacité,  quand  le  sujet  ou  l'âme  qui  les  reçoit, 
ne  met  aucun  empêchement  à  la  grâce  (i).  La  rai- 
son en  est  que  les  sacrements  nous  appliquent 
davantage  le  fruit  du  sang  et  de  la  Passion  de 
Jésus-Christ,  que  les  bonnes  œuvres  accomplies 
avec  la  charité;  car  le  mérite  de  Jésus-Christ  nous 
est  communiqué  d'une  manière  plus  spéciale  par 
les  sacrements  que  lui-même  a  institués.  Par  con- 
séquent quoique  leur  usage  n'ait  pas  toutes  les 
conditions  du  mérite,  il  produira  toujours  comme 
effet  la  grâce  sanctifiante  que  Jésus-Christ  leur 
fait  produire  tout  particulièrement,  sans  préjudice 
de  celle  qui  peut  provenir  du  mérite.  Il  n'en  était 
pas  ainsi  des  sacrements  anciens  que  saint  Paul 
appelle  :  (i.  de  débiles  et  vains  éléments  »  (Gai.  4), 
parce  que  Jésus-Christ  ne  leur  communiquait  pas 
ses  mérites  d'une  manière  si  particulière  et  si  favo- 
rable. Si  bien  que  si  les  hommes  recevaient  quel- 
quefois la  grâce  en  en  faisant  usage,  c'était  seule- 

I.  Cano,  in  Relect.  de  Sacrant,  part.  5. 


DES    SACREMENTS  I 37 

ment  en  vertu  de  l'œuvre  de  l'opérant,  c'est-à-dire 
en  tant  qu'ils  faisaient  une  bonne  œuvre  en  état 
de  charité  et  avec  les  conditions  requises  pour 
mériter. 

De  là  vient  que  les  sacrements  de  l'ancienne 
Loi  ne  conteraient  la  grâce  qu'aux  âmes  contrites, 
tandis  que  ceux  de  la  Loi  nouvelle  la  confèrent 
aussi  aux  âmes  qui  n'ont  que  l'attrition.  Cette 
différence  est  la  conséquence  de  la  première,  car 
puisque  les  sacrements  anciens  ne  conféraient 
point  la  grâce  par  une  efficacité  propre,  mais  seu- 
lement par  la  vertu  de  l'œuvre  de  l'opérant,  et  en 
tant  qu'elle  était  méritée  par  la  foi  et  la  charité 
de  celui  qui  les  recevait,  la  grâce  ne  s'y  donnait 
qu'à  celui  qui  l'avait  déjà  et  qui  possédait  la  dis- 
position suffisante  pour  la  rémission  du  péché, 
c'est-à-dire  la  contrition.  De  là  résulte  une  autre 
différence  ;  c'est  que  les  sacrements  anciens  ne 
remettaient  jamais  les  péchés  et  ne  conféraient 
jamais  la  première  grâce,  tandis  que  les  sacre- 
ments de  la  Loi  nouvelle  remettent  les  péchés,  et 
apportent  avec  eux  la  première  grâce  sanctifiante, 
par  laquelle  l'âme  passe  tout  d'abord  de  l'état  de 
damnation  à  l'état  de  salut  et  reçoit  ce  qu'elle 
n'avait  pas  auparavant.  «  //  nous  a  sauvés,  dit 
«  saint  Paul,  par  le  bain  de  régénération  et  non 
«  par  les  œuvres  de  justice  que  nous  avons,  fai- 
«  tes  »  (Tit.  3).  Jésus-Christ  dit  à  ses  Apôtres  au 
sujet  de  la  Pénitence  :  «  Les  péchés  seront  remis 
«  à  ceux  à  qui  vous  les  remettre^.  »  (Jean,  20).  De 
plus  le  Baptême  remet  toute  la  peine  du  péché, 
et  les  autres  sacrements  en  remettent  une  partie. 
Il  n'en  était  pas  ainsi  des  sacrements  de  l'ancien 


l38         LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

Testament  ;  ils  ne  remettaient  la  peine  que  dans 
la  mesure  où  la  foi  et  la  charité  de  ceux  qui  les 
recevaient  étaient  satisfactoires.  Cela  vient  de  ce 
que  Jésus-Christ  se  communique  plus  librement 
par  les  sacrements  qu'il  a  voulu  lui-même  insti- 
tuer et  ennoblir  en  leur  attribuant  la  vertu  de 
produire  de  plus  considérables  effets.  Ceci  paraît 
davantage  en  ce  que  les  sacrements  de  l'Ancien 
Testament  n'ouvraient  pas  la  porte  du  ciel,  comme 
ceux  de  la  nouvelle  Loi.  On  n'entrait  pas  au  ciel 
immédiatement  après  les  avoir  reçus,  si  la  mort 
arrivait,  car,  comme  dit  saint  Paul  :  «  La  voie  des 
«  saints  ti'  était  pas  encore  ouverte  jusqu'à  ce  que 
«  Jésus-Christ^  prêtre^  ouvrit  une  voie  nou- 
«  velle.  »  (Héb.  9.)  C'est  lui  qui  est  entré  le  pre- 
mier au  ciel  que  le  péché  d'Adam  avait  fermé, 
c'est  lui  aussi  qui  a  donné  aux  sacrements  la  vertu 
d'y  introduire  ceux  qui  les  reçoivent  dignement. 

La  Loi  nouvelle  renferme  encore  plus  de  lumiè- 
res que  la  Loi  mosaïque  ;  et  pour  ce  motif  les 
sept  sacrements  sont  plus  expressifs  et  élèvent 
l'intelligence  à  une  connaissance  plus  claire  des 
choses  saintes.  Ils  nous  font  connaître  par  les 
symboles  des  choses  corporelles  les  excellentes 
propriétés  de  la  grâce  divine,  car  il  est  naturel  à 
l'homme  de  se  servir  des  choses  corporelles  comme 
de  degrés  pour  s'élever  à  la  connaissance  des  cho- 
ses spirituelles.  L'eau  du  Baptême  nous  apprend 
que  la  grâce  blanchit  et  épure  nos  âmes  ;  le 
chrême,  que  cette  grâce  nous  fortifie  ;  les  espèces 
du  pain  et  du  vin,  que  la  grâce  nous  nourrit  ;  le 
consentement  au  Mariage,  que  cette  grâce  nous 
unit  à  Jésus-Christ  comme  à  notre  Epoux  ;  en  un 


DES    SACREMENTS  189 

mot  la  forme  de  chaque  sacrement  nous  repré- 
sente quelque  trait  particulier  de  la  grâce  divine. 
Ensuite  ils  donnent  à  l'homme  une  plus  grande 
assurance  qu'il  est  dans  la  grâce  de  son  Dieu  et 
dans  la  voie  du  salut,  non  seulement  parce  que 
par  leur  usage  nous  témoignons  que  nous  sommes 
les  disciples  de  Jésus-Christ  et  des  familiers  qui 
font  partie  de  sa  maison  et  portent  sa  livrée,,  mais 
aussi  parce  qu'étant  persuadés  et  convaincus  par 
la  foi,  que  les  sacrements  confèrent  la  grâce  et 
mettent  nos  âmes  dans  l'état  du  salut,  quand  ils 
ne  rencontrent  pas  d'obstacle  en  nous,  et  de  plus 
voyant  d'une  manière  sensible  que  les  sacrements 
qui  signifient  que  la  grâce  de  Dieu  est  en  nous, 
nous  sont  appliqués,  nous  avons  une  plus  grande 
confiance  que  nous  possédons  ce  bien.  Si  au  con- 
traire les  sacrements  étaient  purement  intérieurs 
et  spirituels,  nous  douterions  non  seulement  de 
nos  dispositions,  mais  aussi  de  leur  application. 
De  plus  ils  perpétuent  pour  nous  le  souvenir  de 
notre  Chef  et  Rédempteur,  Jésus-Christ.  Jésus- 
Christ  étant  Dieu  et  homme  et  nous  ayant  sauvés 
non  seulement  par  les  actes  intérieurs  de  son  âme, 
mais  aussi  par  les  actions  extérieures  et  visibles 
de  toute  sa  vie,  doit  être  servi  non  seulement  par 
des  actes  intérieurs  de  l'esprit,  mais  aussi  par  des 
actions  extérieures  et  par  des  signes  sensibles, 
tels  que  les  sacrements,  par  lesquels  son  souvenir 
est  entretenu  et  conservé  sensiblement  parmi  les 
fidèles.  C'est  pourquoi  on  les  appelle  des  signes 
commémoratifs,  démonstratifs  et  prophétiques; 
ce  sont  des  signes  commémoratifs  de  la  Passion 
de  Jésus-Christ,  démonstratifs  de  la  grâce  qu'ils 


•>I40  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

produisent  actuellement  et  prophétiques  de  la 
gloire  éternelle,  à  laquelle  ils  nous  disposent  mieux 
que  la  multitude  des  sacrements  anciens. 

Si  après  tout  cela  nous  voulons  prolonger  notre 
considération,  nous  pouvons  observer  que  nos 
sacrements  nous  élèvent  à  une  plus  grande  con- 
naissance de  la  puissance,  de  la  sagesse  et  de  la 
miséricorde  de  Dieu.  De  sa  puissance,  car  par  les 
sacrements  qui  sont  en  apparence  peu  de  chose,  il 
opère  des  merveilles  indicibles,  il  sanctifie  les 
âmes,  les  dégage  de  la  tyrannie  de  Satan  et  du 
péché,  et  les  rend  glorieuses  pendant  toute  Téter- 
nité.  De  sa  sagesse,  puisqu'il  fait  servir  à  nous 
purifier  et  à  nous  rendre  saints  les  choses  sensibles 
et  corporelles,  par  l'usage  desquelles  nous  nous 
dépravons  davantage.  Finalement  ils  nous  élèvent 
à  la  connaissance  de  la  bonté  et  de  la  miséricorde 
de  Dieu,  qui  par  des  moyens  si  faciles  nous  donne 
la  sanctifiaation  intérieure. 

J'admirerai  cette  double  vertu  des  sacrements 
institués  par  Jésus-Christ,  vertu  que  n'avaient  pas 
les  sacrements  de  Moïse.  Ainsi  plus  le  monde  va 
en  avant  et  plus  les  péchés  se  multiplient,  plus  la 
miséricorde  et  la  magnificence  de  Dieu  se  commu- 
niquent aux  misérables  mortels.  Ah  !  «  il  na  pas 
«  agi  ainsi  à  V égard  de  toute  nation  »  (Ps.  147), 
comme  il  a  agi  avec  les  chrétiens.  O  mon  âme, 
que  de  bienfaits  de  Dieu  cachés  renferment  ces 
admirables  sacrements  !  Oh  !  heureux  celui  qui 
pourrait  creuser  davantage  cette  mine  par  une 
plus  profonde  méditation  !  Quel  riche  trésor,  quelle 
abondance  merveilleuse  de  biens  et  de  consola- 
tions n'y  découvrirait-il  pas  ?  O  Seigneur,  c'est 


DES    SACREMENTS  I4I 

dans  ces  sacrements  que  vous  déployez  les  riches- 
ses de  votre  amour  à  Tégard  des  mortels.  Oh  !  je 
désire  employer  les  sept  jours  de  la  semaine  à 
vous  remercier  pour  les  sept  sacrements,  comme 
pour  sept  sources  d'où  coulent  jusqu'à  nous  tous 
les  biens  spirituels.  C'est  la  raison  pour  laquelle 
nous  devons  honorer  vos  sacrements  et  les  traiter 
avec  toute  sorte  de  respect,  car  ce  sont  les  canaux 
sacrés  par  lesquels  votre  libéralité  magnifique 
épanche  ses  dons  et  ses  grâces  pour  nous  enrichir. 
O  Jésus,  imprimez  dans  mon  cœur  ce  désir  de  les 
traiter  toujours  avec  respect  !  Faites  que  je  retire 
de  leur  usage  l'avantage  que  vous  me  proposez,  à 
savoir  votre  grâce  dans  la  vie  présente  et  votre 
gloire  dans  l'autre. 

III 

Considérez  de  plus  que  les  sacrements  auront 
leur  plein  effet  après  cette  vie,  dans  l'état  de  la 
béatitude  ;  car  comme  l'état  de  cette  vie  est  très 
imparfait,  il  reste  encore  beaucoup  à  perfectionner 
et  à  achever  dans  une  àme,  même  lorsqu'elle  a  été 
munie  ici-bas  des  sacrements  (i).  En  effet  le 
Baptême  qui  purifie  ici  l'àme,  ne  la  rend  pas 
pourtant  impeccable,  il  laisse  en  elle  le  foyer  du 
péché  et  l'étincelle  des  concupiscences  qui  la  tra- 
vaillent et  l'exercent  jusqu'à  la  mort;  mais  dans  la 
gloire  le  Baptême  aura  son  effet  total  et  sa  consom- 
mation, car  l'âme  sera  absolument  impeccable  et 
affranchie  du  foyer  du   péché.  La    Confirmation 

I.  Idiota  Fernandus  de  las  infantas,  in  Psal.  109, 
c.  45. 


142  LA     THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

fortifie  bien  Tàme,  mais  elle  la  laissa  au  milieu  des 
dangers  et  des  persécutions,  où  elle  perd  quelque- 
fois courage  et  manque  de  force  ;  tandis  que  dans 
la  béatitude  elle  sera  confirmée  en  grâce  pour  toute 
l'éternité,  sans  avoir  à  craindre  aucune  lutte  ni 
pour  le  présent  ni  pour  l'avenir.  L'Eucharistie 
nourrit  ici  l'àme,  mais  d'une  manière  cachée,  car 
Jésus-Christ  y  est  présent  sans  s'y  montrer,  sans 
faire  paraître  l'éclat  incomparable  de  sa  splendeur 
et  de  sa  beauté  ravissante,  tandis  qu'au  ciel  l'àme 
sera  rassasiée  de  cet  aliment,  sans  que  rien  y  soit 
caché,  elle  en  goûtera  et  savourera  parfaitement 
les  douceurs  infiniment  délicieuses.  «  Travaille^ 
«  pour  avoir  non  la  nourriture  qui  périt ^  mais 
«  celle  qui  demeure  dans  la  vie  éternelle.  » 
(Jean,  6).  La  Pénitence  remet  ici-bas  la  coulpe, 
mais  laisse  le  plus  souvent  l'obligation  de  subir  la 
peine  due  au  péché,  ou  sur  la  terre  ou  dans  le 
purgatoire,  elle  n'affranchit  pas  l'àme  de  toute 
crainte  d'avoir  provoqué  contre  elle-même  la 
colère  divine  ;  mais  dans  le  ciel  toute  la  peine  et 
l'appréhension  que  nous  laisse  le  péché  auront 
disparu  et  l'âme  sera  totalement  amendée  et  con- 
vertie sans  avoir  à  craindre  aucune  rechute  dans 
un  seul  de  ses  défauts.  L'Extrême-Onction  guérit 
les  restes  du  péché,  mais  non  pas  tous.  Elle  donne 
quelque  confiance  et  quelque  force  contre  les 
craintes  et  les  saisissements  qui  arrivent  à  l'heure 
de  la  mort  à  la  pensée  des  offenses  de  la  vie 
passée  ;  mais  elle  n'abolit  pas  la  dette  entière  de  la 
peine,  tandis  que  dans  le  ciel  tous  les  restes  des 
péchés  seront  ôtés  et  il  n'en  subsistera  plus  rien. 
L'Ordre  nous  fait  prêtres  et  nous  donne  le  pouvoir 


DES    SACREMENTS  143 

d'offrir  Thostie  vivante  au  Père  éternel,  mais  il  ne 
nous  en  donne  Tenticre  possession  que  sous  le 
voile  des  espèces,  de  telle  sorte  que  notre  désir 
n'est  pas  encore  satisfait  et  assouvi  ;  dans  la  gloire 
nous  aurons  la  pleine  participation  de  cette  hostie 
par  une  jouissance  telle  que  nous  en  tirerons  notre 
félicité  éternelle.  Enfin  le  Mariage  unit  l'époux 
mortel  avec  l'épouse  mortelle  par  un  lien  qui  dure 
Jusqu'à  la  mort,  ce  qui  est  l'image  de  l'union  qui 
se  fait  par  la  grâce  de  l'àme  immortelle  avec  Dieu 
immortel.  Mais  cette  grâce  peut  se  perdre  par  le 
péché  et  l'union  peut  cesser,  tandis  qu'au  ciel  le 
Mariage  aura  atteint  sa  perfection,  l'àme,  comme 
épouse,  sera  unie  par  la  gloire  à  Jésus-Christ, 
l'Epoux  immortel,  d'une  union  qui  ne  sera  jamais 
rompue.  Le  temps  des  noces  de  l'Agneau  sans 
tache  sera  venu,  et  l'àme,  son  épouse,  préparée  et 
embellie  par  les  pierres  précieuses  de  toutes  les 
bonnes  oeuvres,  sera  élevée  en  triomphe,  pour 
être  mise  en  possession  des  palais  célestes  et  des 
biens  immortels  de  son  divin  Epoux,  avec  lequel 
son  alliance  durera  dans  tous  les  siècles  des  siècles. 
Oh  !  quel  sujet  de  louer  la  magnificence  divine 
pour  tous  ces  effets  si  parfaits  qui  paraîtront  éter- 
nellement dans  l'état  de  gloire  !  Ne  nous  découra- 
geons donc  pas  si  après  la  fréquentation  et  l'usage 
des  sacrements  nous  nous  voyons  encore  dans  une 
multitude  de  défauts  et  d'imperfections.  C'est 
dans  la  vie  à  venir,  ô  mon  cœur,  que  les  fruits  des 
sacrements  seront  dans  toute  leur  perfection  et 
sans  aucun  défaut.  O  Dieu  éternel,  quand  viendra 
cet  état  glorieux?  Quand  aura  passé  cette  vie  mor- 
telle ?  Et  quand  serons-nous  montés  par  les  éche- 


144  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Ions  des  sacrements  jusqu'au  sommet  de  notre 
félicité  ?  Oh  !  dans  cette  attente  je  prendrai  cou- 
rage et  je  ne  perdrai  point  le  désir  de  vous  servir, 
malgré  tant  de  défauts  qui  me  restent.  J'espérerai 
que  tout  sera  parfait  et  achevé  dans  la  vie  à  venir. 
Dieu  de  vérité,  vous  nous  avez  fait  cette  si  conso- 
lante promesse  :  «  Vous  putserec^  avec  Joie  aux 
<f.  Jontaines  du  Sauveur.  »  (Is.  12).  Ces  fontaines 
sont,  ô  mon  Sauveur,  vos  plaies  sacrées,  d'où  jail- 
lit le  sang  qui  nous  purifie  ;  ce  sont  également  vos 
sacrements  dans  lesquels  nous  puisons  durant 
cette  vie  les  eaux  de  la  grâce,  mais  avec  douleur  et 
amertume,  à  cause  de  nos  péchés  et  où  nous  espé- 
rons puiser  les  eaux  des  joies  éternelles  avec  une 
grande  jubilation  de  cœur,  quand  les  ombres  de 
cette  vie  mortelle  auront  baissé  et  quand  votre 
jour  lumineux  nous  apparaîtra.  Oh!  qu'il  vienne 
bientôt  ce  jour  si  désirable  !  Que  nous  soyons 
tous  comblés  et  rassasiés  des  fruits  suprêmes  de 
vos  admirables  sacrements. 


DES    SACREMENTS  145 


IV^    MÉDITATION 

DU   SACREMENT  DE   BAPTÊME 
ET  DE  SES  EFFETS 


SOMMAIRE  : 

Le  Baptême  consiste  à  laver  le  corps  avec  de  Veau 
et  à  prononcer  des  paroles.  —  Le  premier  effet 
du  Baptême  est  la  rémission  du  péché  originel. 
—  Le  Baptême  produit  une  grâce  égale  dans 
tous  les  enfants. 

I 

CONSIDÉREZ  que  le  Baptême  est  le  premier 
des  sacrements.  Il  consiste  dans  l'ablution 
du  corps  avec  de  l'eau  et  dans  la  prononciation  de 
ces  paroles  :  Je  te  baptise  au  nom  du  Père,  du 
Fils  et  du  Saint-Esprit.  Il  fait  renaître  la  per- 
sonne baptisée  en  Jésus-Christ.  Toutes  ces  paroles 
méritent  d'être  remarquées,  car  il  convient  que  le 
Baptême  soit  le  premier  des  sacrements.  C'est  là 
un  de  ses  privilèges  sur  tous  les  autres  sacrements 
de  la  religion  chrétienne  :  il  est  la  porte  du  chris-» 
tianisme,  l'introduction  à  la  vie  chrétienne,  l'en- 
trée dans  la  piété  et  le  sacrement  par  lequel  il  faut 
commencer  pour  être  capable  de  recevoir  les 
autres.  L'ablution  avec  l'eau  et  la  prononciation 
de  ces  paroles  :  Je  te  baptise^  etc.,  sont  la  matière 
et  la  forme  qui  le  composent  et  les  deux  signes 

Bail,  t.  ix.  IO 


146  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

sensibles  de  la  grâce  divine.  L'ablution  avec  Teau 
en  est  la  matière  expressément  déterminée  par 
Jésus-Christ  qui  a  dit  :  «  Baptise\-les  au  nom  du 
«  Pere^  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  >  (Matt.  dern. 
chap.).  Ainsi  Teau  qui  lave  les  souillures  repré- 
sente la  grâce  divine  qui  lave  les  taches  de  Tàme  ; 
comme  aussi  Peau  est  transparente,  qu'elle  est 
rafraîchissante  et  qu'elle  éteint  même  le  feu,  elle 
signifie  encore  cette  même  grâce  qui  dissipe  les 
ténèbres  du  péché  et  ralentit  l'ardeur  des  concu- 
piscences. La  prononciation  de  ces  paroles  en  est 
la  forme  :  Je  te  baptise  au  nom  du  Père^  du  Fils 
et  du  Saint-Esprit,  parce  que  ces  paroles  signi- 
fient encore  plus  évidemment  la  grâce  divine  qui 
rend  l'âme  pure  et  nette  de  toutes  ses  souillures. 
C'est  Jésus-Christ  qui  a  prescrit  ces  paroles,  quand 
il  a  dit  :  «  Bapttse:{-les  au  nom  du  Père,  du  Fils 
«  etdu  Saiut-Esprit.  »  L'Eglise  a  toujours  inter- 
prété de  telle  sorte  l'intention  de  Jésus-Christ, 
puisqu'elle  a  enjoint  à  ses  Apôtres  de  les  pronon- 
cer mot  à  mot  en  baptisant.  C'est  pourquoi  celui 
qui  les  omettrait  ou  les  altérerait  à  tel  point  que  le 
sens  en  fut  tout  autre,  ne  conférerait  pas  le  sacre- 
ment de  Baptême,  quand  bien  même  il  ferait 
passer  sur  un  corps  toute  l'eau  de  la  mer. 

Au  reste,  ce  qui  est  encore  lort  important,  c'est 
ce  qui  termine  la  définition  :  pour  faire  renaître 
la  personne  baptisée  en  Jésus-Christ.  Le  Baptême 
vise  directement  à  nous  donner  une  nouvelle  nais- 
sance en  Jésus-Christ,  naissance  sainte  et  spiri- 
tuelle par  laquelle  nous  recevons  de  lui  un  être 
nouveau  et  une  vie  nouvelle,  qui  nous  fait  ses 
enfants  et  ses   membres,   qui   fait  que   nous    lu 


I>IiS    SACREMENTS  I.}7 

appartenons.  C'est  pourquoi  lui-même  traitant  de 
la  Loi  avec  un  grand  docteur  appelé  Nicodème,  et 
l'instruisant  sur  le  Baptême,  lui  disait  :  «  Iljaut 
«  que  Fhommc  naisse  de  nouveau.  »  (Jean,  3). 
Car  notre  première  naissance  que  nous  avons  tirée 
d'Adam  par  l'intermédiaire  de  notre  père  tempo- 
rel, de  notre  mère  terrestre  et  de  nos  ancêtres,  est 
une  naissance  malheureuse  et  de  tout  point  infor- 
tunée, parce  que  nous  sommes  conçus  et  nés 
d'Adam  dans  le  péché  originel  qui  est  la  racine 
féconde  de  toute  misère,  nous  sommes  nés 
enfants  de  colère  et  de  la  colère  de  Dieu,  pri- 
vés des  grâces  habituelles  et  des  grâces  actuel- 
les, remplis  d'ignorance  pour  tout  ce  qui  est 
bon  et  profitable,  farcis  et  empoisonnés  de  concu- 
piscences pour  les  plaisirs,  les  connaissances,  les 
grandeurs  et  tout  ce  qui  s'y  rattache.  Enfin  nous 
sommes  nés  avec  des  passions  brutales,  qui  secon- 
dées par  les  ténèbres  de  notre  ignorance  née  éga- 
lement avec  nous,  nous  précipitent  dans  toutes 
sortes  d'actions  mauvaises  et  désagréables  à  Dieu. 
Si  nous  n'avons  que  cette  seule  naissance  du  vieil 
Adam,  il  n'y  a  rien  de  si  misérable  que  nous. 
C'est  parce  que  nous  sommes  nés  si  mal  et  si 
malheureusement  qu'il  faut  renaître  plus  heureu- 
sement de  Jésus-Christ  et  par  une  naissance  qui 
ait  au  moins  autant  de  bonnes  conditions  que 
notre  première  naissance  en  contient  de  mau- 
vaises. 

C'est  à  cela  que  tend  le  Baptême;  il  répare  les 
malheurs  et  toutes  les  disgrâces  de  la  naissance 
corporelle,  imprime  de  nouveau  l'image  de  Dieu 
dans  nos  âmes,  nous  forme  de  nouveau  et   nous 


Î48  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

refait  avec  une  structure  plus  magnifique,  et 
comme  parle  le  Théologien,  (i)  plus  divine  et  plus 
excellente  que  la  première  structure  de  notre 
création.  Il  nous  communique  la  grâce  sanctifiante 
et  la  grâce  baptismale,  par  laquelle  est  effacé  le 
péché  originel  et  tout  autre  péché  qui  se  rencon- 
trerait dansl'àme.  Cette  grâce  tient  lieu  à  la  per- 
sonne baptisée  d'un  être  nouveau  et  d'une  vie 
nouvelle,  être  et  vie  semblables  à  l'être  et  à  la  vie 
de  Jésus-Christ;  et  cette  âme  désormais  appartient 
à  Jésus-Christ,  doit  le  suivre,  l'imiter  dans  la 
sainteté  de  ses  moeurs,  de  ses  intentions,  de  ses 
affections  et  de  sa  très  sainte  vie.  C'est  pourquoi 
saint  Paul  a  écrit  ces  belles  paroles  :  «  Vous  êtes 
«  ictis  enfants  de  Dieu  par  la  foi  en  Jésus-Christ. 
«  Vous  tous  qui  êtes  baptisés  en  Jésus-Christ, 
«  vous  ave:^  revêtu  Jésus-Christ.  Il  n'y  a  plus  ni 
<i  juij,  ni  grec\  ni  esclave,  ni  homme  libre  ;  ni 
homme^  ni  femme  ;  car  vous  êtes  tous  un  en 
«  Jésus-Christ.  »  (Gai.  3).  L'Apôtre  veut  dire  : 
vous  êtes  tous  refondus  par  le  Baptême,  vous 
êtes  tous  les  membres  d'un  même  corps,  vous 
êtes  tous  les  enfants  d'un  même  Père,  vous  avez 
tous  la  forme  de  Jésus-Christ,  vous  êtes  nés  à  son 
image  et  à  sa  ressemblance,  pour  être  comme  lui, 
de  même  que  vous  étiez  nés  à  l'image  et  à  la 
ressemblance  du  vieil  Adam,  et  également  disgra- 
ciés comme  lui. 

Je  verrai  d'après  cette  considération  quelle 
noblesse  nous  confère  le  Baptême,  par  lequel 
nous  renaissons  enfants  de  Dieu  et    membres   de 

I.  Greg.  Naz.  Orat.  40. 


DES    SACREMENTS  1 49 

Jésus-Christ,  nous  qui  étions  auparavant  enfants 
du  vieil  Adam  et  membres  de  Satan.  Si  un  homme 
né  d'un  père  misérable,  un  homme  qui  est  tout 
difforme  et  contrefait,  aveugle  et  malheureux, 
pouvait  renaître  d'un  autre  père  très  noble  et  très 
riche,  s'il  pouvait  renaître  très  beau,  très  net,  très 
bien  conditionné  et  très  heureux,  il  serait  Timage 
de  l'homme  qui  a  reçu  le  Baptême.  Et  quelle 
reconnaissance,  ne  devrait-il  pas  avoir  de  cette 
renaissance,  quel  amour,  quel  honneur  et  quel 
respect  ne  devrait-il  pas  témoigner  à  ce  second 
père  de  qui  il  tiendrait  tant  d'avantages  et  d'excel- 
lences ?  Quel  respect  dès  lors  et  quelle  affection 
ne  devons-nous  pas  témoigner  à  Jésus-Christ, 
notre  second  père,  dont  nous  avons  reçu  une 
seconde  naissance  qui  répare  tous  les  défauts  de 
notre  première  naissance  infortunée?  Oh!  que 
nous  devons  avoir  une  grande  union,  une  étroite 
alliance  et  amitié  et  une  parfaite  conformité  avec 
ce  Père  admirable,  qui  moyennant  un  peu  d'eau 
et  quelques  paroles  a  eu  la  vertu  si  puissante 
d'opérer  un  tel  renouvellement  ?  O  Jésus  !  je  suis 
à  vous  par  le  titre  et  l'obligation  de  mon  Baptême; 
je  suis  obligé  d'être  uni  à  vous  et  d'embrasser  vos 
intérêts,  comme  un  fils  ceux  de  son  père,  je  suis 
obligé  de  ne  rien  faire  de  bas  et  de  messéant  à 
celui  qui  a  l'honneur  d'être  de  votre  famille  et  de 
tenir  de  vous  sa  naissance  spirituelle.  Ohi  que  je 
sois  donc  éternellement  à  vous  !  Que  je  meure  à 
mon  ancienne  vie,  pour  vivre  pour  vous  seul  d'une 
vie  chrétienne  et  qui  soit  toute  employée  à  vous 
servir  et  à  vous  honorer. 


l5o  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


II 

Considérez  les  effets  du  Baptême. 

Le  premier  effet  du  Baptême  est  la  rémission 
du  péché  originel  et  de  tout  autre  péché,  tant  mortel 
que  véniel,  qui  pourrait  se  trouver  dans  la  per- 
sonne baptisée,  a  Je  confesserait  le  Symbole  de 
Constantinople,  qu'il  y  a  un  Baptême^  pour  la 
rémission  des  péchés.  »  Saint  Paul  déclare  cette 
vérité  en  ces  termes  :  «  Quiconque  est  baptisé  en 
«  Jésus-Christ ,  est  baptisé  dans  sa  mort  » 
(Rom.  6),  c'est-à-dire  selon  la  ressemblance  de  sa 
mort;  parce  que  de  même  que  la  vie  corporelle  de 
Jésus-Christ  fut  éteinte  par  sa  mort,  ainsi  le  péché 
est  détruit  dans  le  Baptême.  En  réalité  le  Baptême 
est  une  imitation  de  la  mort  et  de  la  Résurrection 
glorieuse  de  Jésus-Christ.  Il  est  une  imitation  de 
sa  mort,  dans  laquelle  il  y  a  deux  choses  à  remar- 
quer, à  savoir  l'effusion  de  son  sang  et  l'extinction 
de  sa  vie  corporelle.  Ainsi  dans  le  Baptême  il  y  a 
effusion  de  l'eau  ou  immersion  dans  l'eau  et  extinc- 
tion de  la  vie  du  péché.  Il  est  aussi  une  imitation 
de  sa  Résurrection,  dans  laquelle  il  faut  encore 
considérer  deux  choses,  à  savoir  la  sortie  du  sépul- 
cre et  la  vie  immortelle.  Ainsi  dans  le  Baptême  il 
y  a  la  sortie  hors  de  l'eau  et  la  nouvelle  vie  spiri- 
tuelle (i). 

Le  second  effet  du  Baptême  est  la  grâce  sanc- 
tifiante, accompagnée  des  vertus  surnaturelles 
de  la  foi,    l'espérance   et  la  charité  (2).  La  grâce 

I.  Lessius,  ad  3  p.  q.  69,  art.  i. 
a.  In  Psalm.  118,  octon.  16,  c.  5. 


n  F  s    s  A  C  R  E  M  E  N  T  s  I  ?  I 

sanctifiante  lave  l'ànie  et  la  rend  plus  blanche  que 
la  neige.  C/est  pourquoi  saint  Ambroise  (i)  com- 
pare les  personnes  baptisées  aux  colombes  dont  il 
est  fait  mention  dans  le  Cantique  des  Cantiques, 
et  qui  «  sont  lavées  avec  du  lait.  »  Celui  qui  va 
être  baptisé  pourrait  dire  à  Dieu  comme  David  ; 
«  Vous  me  laver e\  et  je  serai  plus  blanc  que  la 
«  neige.  »  (Ps.  5o). 

Le  troisième  effet  est  la  grâce  sacramientelle,  qui 
comprend  une  multitude  de  secours  spirituels, 
d'illuminations  et  d'inspirations  pour  accomplir 
la  loi  chrétienne  et  remplir  tous  les  devoirs  aux- 
quels on  s'oblige  en  recevant  le  Baptême.  C'est 
pourquoi  la  plupart  des  grâces  actuelles  que  reçoit 

I.  Autrefois  un  grand  nombre  de  Théologiens  ont  nié 
que  dans  le  Baptême  fussent  conférées  aux  enfants  les 
habitudes  surnaturelles  (Voir  le  chap.  Majores  d'Inno- 
cent III).  Le  Concile  de  Vienne  fit  à  ce  sujet  la  déclara- 
tion suivante  :  «  Nous  avons  jugé  devoir  adopter,  avec 
«  l'approbation  du  saint  Concile,  Vopinion  qui  soutient 
«  que  la  grâce  sanctifiante  et  les  vertus  sont  conférées 
«  dans  le  baptême  tant  aux  enfants  qu'aux  adultes, 
«  comme  étant  plus  probable  et  aussi  plus  conforme 
«  soit  aux  paroles  des  Saints  soit  à  V enseignement  des 
«  Théologiens  modernes.  »  Mais  de  cette  opinion  que  le 
Concile  de  Vienne  ne  donnait  que  comme  plus  proba- 
ble, le  Concile  de  Trente  a  fait  un  article  de  foi. 
Voici  ce  qu'il  dit  de  toute  justification,  mais  spécia- 
lement de  la  justification  dont  le  Baptême  est  la 
cause  instrumentale  :  «  Dans  la  justification,  l'homme 
«  reçoit  par  Jésus-Christ  à  qui  il  est  incorporé,  et  la 
«  rémission  de  ses  péchés,  et  tous  ces  dons  en  même  temps 
«  répandus  :  la  foi,  V espérance  et  la  chariti'.  »  (Sess.  vi, 
chap.  7). 


1^2  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

le  chrétien  pour  adhérer  à  Jésus-Christ  et  renon- 
cer aux  pompes  du  démon,  pourraient  être  attri- 
buées au  Baptême  (i). 

Le  quatrième  effet  est  la  rémission  et  condona- 
tion  de  toutes  les  peines  qui  sont  dues,  au  jugement 
de  Dieu,  pour  la  punition  du  péché.  L'Eglise  a 
défini  cette  vérité  dans  ses  Conciles  généraux  (2)  ; 
elle  n'impose  pas  de  pénitence  ni  d'œuvres  satis- 
factoires  à  ceux  qui  sont  baptisés.  Le  Baptême 
leur  sert  de  purgatoire  et  les  rend  quittes  de  toutes 
leurs  dettes  envers  Dieu,  par  une  plus  ample  com- 
munication qui  y  est  faite. de  la  mort  de  Jésus- 
Christ,  absolument  comme  si  nous  avions  enduré 
la  mort  pour  nos  péchés.  Ainsi  dans  notre  nais- 
sance temporelle  la  transgression  d'Adam  nous  est 
communiquée  comme  si  nous  y  avions  contribué  par 

1.  Saint  Thomas  en  donne  la  raison.  «  Par  le  hap- 
«  terne  on  est  régénéré  à  la  vie  spirituelle. . .  Or,  la  vie 
«  n'appartient  qu'aux  membres  qui  sont  unis  au  chef 
«  dont  ils  reçoivent  le  sentiment  et  le  mouvement .  Et  c'est 
«  pour  cela  que  par  le  baptême  il  est  nécessaire  qu'on  soit 
«  incorporé  au  Christ,  comme  un  de  ses  membres.  Mais 
«  comme  dans  l'ordre  naturel  la  tête  communique  aux 
«  membres  le  sentiment  et  le  mouvement^  de  même  c'est  du 
«•  Chep  spirituel  qui  est  le  Christ^  que  découle  sur  ses 
«  membres  le  sentiment  spirituel,  qui  consiste  dans  la 
«  connaissance  de  la  vérité  et  le  mouvement  spirituel  qui 
«  est  produit  par  V  action  de  la  grâce...  C'est  pourquoi  il 
«  s'ensuit  que  ceux  qui  sont  baptisés  sont  éclaires  par  le 
«  Christ  à  V égard  de  la  connaissance  de  la  vérité,  et 
«  fécondés  par  lui  de  la  fécondité  des  bonnes  œuvres  par 
«  l'infusion  de  là  grâce.  »  (III,  q.  69,  art.  5). 

2.  Florent,  in  Decreto  unionis  ;  Trid.  sess.  14,  can.  3. 


DES    SACREMENTS  l53 

notre  propre  consentement,  quoiqu'il  y  ait  quelque 
différence.  Or  cette  parfaite  communication  de  la 
mort  et  Passion  de  Jésus-Christ,  avec  lequel  nous 
sommes  morts  et  ensevelis  au  Baptême,  exigeait 
en  même  temps  que  l'abolition  de  la  coulpe  celle 
de  toute  la  peine.  Il  est  vrai  néanmoins  que  les 
misères  et  les  peines  de  la  vie  humaine  demeu- 
rent après  le  Baptême,  telles  que  la  faim,  la  soif, 
les  concupiscences,  les  maladies,  les  travaux  et  la 
mortalité.  Mais  ces  choses  qui  sont  la  punition  du 
péché  originel  chez  les  païens  et  les  infidèles, 
changent  de  titre  chez  les  personnes  baptisées  ; 
elles  ne  subsistent  pas  en  elles  comme  punition, 
mais  comme  des  pénalités  et  comme  une  matière 
à  exercer  la  vertu  et  à  augmenter  le  mérite  à  Toc- 
casion  (i). 

I.  Citons  l'important  décret  par  lequel  le  Concile  de 
Trente  définit  cette  doctrine  :  «...  Dans  les  hommes 
«  régénérés  il  rCest  rien  que  Dieu  haïsse  :  Il  n'y  a  rien 

«  QUI  MÉRITE  CONDAMNATION  DANS  CEUX  QUI  ONT  ^TÉ,  PAR  LE 
«  BAPTÊME,  VRAIMENT  ENSEVELIS  AVEC  JÉSUS-ChRIST,  POUR 
«    PARTICIPER    A    SA    MORT    et    qîli    NE   VIVENT    PLUS    SELON   LA 

«  chair;  mais  ^«/,  dépouillés  de  vieil  homme  et  revêtus  du 
«  nouveau  créé  selon  Dieu,  ont  été^  rendus  innocents, 
«  immaculés,  purs,  sans  tache,  bien-aimés  de  Dieu,  ses 
«  héritiers  et  les  cohéritiers  de  Jésus-Christ,  dignes 
«  d'entrer  immédiatiaiement  dans  le  ciel.  Que  cependant 
«  la  concupiscence^  ou  le  foyer  du  péché ^  démettre  dans 
«  ceux  qui  ont  reçu  le  Baptême,  c'est  là  la  pensée  et  la 
«  déclaration  du  Concile;  mais,  laissée  poiLr  le  combat, 
«  elle  ne  saurait  nuire  à  ceux  qui  lui  refusent  leur  con- 
«  sentement  et  qui,  secourus  par  la  grâce  de  Jésus-Christ, 
«  lui  résistent  avec  courage.  Qui  plus  est,  a  qui  aura 


l54  I-A   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

Le  cinquième  effet  du  Baptême  est  le  caractère 
qui  demeurera  éternellement  comme  une  marque 
et  une  livrée  à  laquelle  on  reconnaîtra  que  tel 
homme  a  été  du  parti  de  Jésus-Christ  ;  ce  qui  sera 
pour  les  bons  un  sujet  de  gloire  et  de  consolation 
dans  le  paradis,  et  pour  les  mauvais  qui  sont  déchus 
de  la  grâce  du  Baptême,  un  sujet  d'opprobre  et  de 
confusion  éternelle  dans  l'enfer  où  on  les  remar- 
quera et  où  on  les  distinguera  entre  tous  les 
autres. 

Le  sixième  effet  du  Baptême  est  l'admission  ou 
la  réception  dans  la  famille  de  Jésus-Christ.  Qui- 
conque en  effet  est  baptisé  est  enrôlé  dans  la  so- 
ciété du  Fils  de  Dieu,  il  est  au  nombre  de  ses 
soldats,  de  ses  membres,  de  ses  enfants,  par  con- 
séquent il  est  engagé  dans  son  parti,  obligé  de  lui 
obéir,  de  le  suivre,  de  l'imiter  et  de  l'honorer. 

Le  septième  effet  est  l'ouverture  du  paradis.  Le 
Baptême  ôte  tous  les  empêchements  qui  sont  les 
péchés  et  les  peines  qui  en  découlent.  C'est  pour- 
quoi si  le  chrétien  sortait  de  ce  monde  aussitôt 
après  le  Baptême,  il  trouverait  libre  entrée  dans  le 
ciel;  la  preuve  en  est  que  quand  Jésus-Christ  fut 
baptisé  dans  les  eaux  du  Jourdain,  les  cieux    s'ou- 

«   BIEN    COMBATTU     EST     RÉSERVÉE     LA     COURONNE.     L Apôtre 

«  appelle  quelquefois  cette  concupiscence  péché  ;  mais  le 
«  saint  Concile  déclare  que  jamais  l'Eglise  catholique  na 
«  compris  cette  dénomination  dans  ce  sens  qtie  dans  les 
«  hommes  régénérés  la  concxipiscence  fût  vraiment  et pro- 
«  prement  un  péché ^  mais  elle  a  reçu  ce  nom ^  parce  qu'elle 
«  vient  du  péché  et  qu  elle  incline  au  péché .  Si  quelqu'un 
«  professe  un  sentiment  contraire^  qu'il  soit  anathème  !  » 
(Sess.  5,  can.  5). 


vrircnt  pour  nous  apprendre  que  ce  serait  l'effet 
du  Baptême  de  rendre  libre  l'accès  du  paradis. 

Tous  ces  elVets  sont  si  grands  qu'ils  ont  donné 
sujet  à  Tertullien  (i)  d'appeler  ce  sacrement  un 
heureux  sacrement  et  au  Théologien  (2)  de  dire 
qu'il  est  la  splendeur  des  âmes,  un  changement 
de  vie  en  mieux,  le  renfort  de  notre  infirmité,  la 
renonciation  à  la  chair,  l'assomption  de  l'esprit, 
la  participation  du  Verbe  divin,  l'amendement  de 
notre  naissance,  le  déluge  du  péché,  la  communi- 
cation de  la  lumière,  la  destruction  des  ténèbres, 
un  char  pour  aller  à  Dieu,  un  pèlerinage  avec 
Jésus-Christ,  l'aide  de  la  foi,  la  perfection  de 
l'esprit,  la  clef  du  royaume  céleste,  la  communi- 
cation de  la  vie,  la  délivrance  de  la  servitude, 
l'affranchissement  de  nos  liens  et  le  passage  de 
notre  être  à  un  meilleur  état,  en  somme  le  plus 
signalé  et  le  plus  fameux  des  bienfaits  de  Dieu. 
C'est  pourquoi  saint  Louis  aimait  davantage  la 
ville  de  Poissy,  où  il  avait  été  fait  chrétien  par  le 
Baptême,  que  la  ville  de  Reims,  où  il  avait  été 
couronné  roi  de  France,  parce  que  les  effets  du 
Baptême  sont  préférables  à  tous  les  biens  et  à  tous 
les  honneurs  de  la  terre  et  même  aux  grandeurs 
d'une  couronne  (3). 

Admirez  la  multitude  de  tant  de  nobles  effets 
obtenus  par  un  moyen  si  facile  et  si  aisé.  Oh  ! 
qu'elle  est  grande  la  libéralité    de   Jésus-Christ   à 

I.  L.  De  Baptismo. 
1.  Greg.  Naz.  Orat.  40, 

3.  Gaufridus  de  Bello  loco,  De  vita  et  convers.  Sti 
LuDovici.  —  Le  sieur  de  Joinville  en  sa  Vie, 


l56        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 


l'égard  des  âmes  qui  entrent  à  son  service  !  Comme 
il  leur  fait  ressentir  bénignement  la  suavité  de 
son  joug,  en  les  comblant  tout  d'abord  de  tant  de 
biens  et  en  les  délivrant  de  tout  péché  !  Un  océan 
de  larmes  ne  pourrait  pas  nous  obtenir  une  ré- 
mission de  péchés  plus  entière  que  deux  ou  trois 
gouttes  d'eau.  Rendez  à  Dieu  des  actions  de  grâ- 
ces, pour  avoir,  par  un  trait  tout  particulier  de  sa 
Providence,  reçu  un  sacrement  si  riche  et  si  abon- 
dant en  tout  bienetpour  l'avoir  reçu  dans  votre  pre- 
mière enfance,  avant  même  que  vous  pensiez 
seulement  à  Dieu.  Que  vous  avez  d'obligation  à 
ceux  qui  vous  ont  procuré  un  tel  bien  !  Hélas  ! 
que  de  millions  de  créatures  humaines  sont  et 
seront  privées  d'un  si  grand  bienfait  !  Déplorez 
leur  condition,  regrettez  la  perte  et  le  désastre  des 
âmes,  faute  de  sacrement.  Efforcez-vous  de  tout 
votre  pouvoir  de  le  faire  administrer  à  quelque 
personne  qui  est  exposée  à  en  être  frustrée.  Enfin 
redoutez  après  le  Baptême  de  tomber  dans  quel- 
que péché  mortel  qui  vous  priverait  de  tous  ses 
bons  effets,  et  si,  par  malheur,  vous  y  êtes  déjà 
tombé,  recourez  au  plus  tôt  au  sacrement  de  Pé- 
nitence, qui  peut  réparer  d'une  certaine  manière 
ce  malheur. 

III 

Considérez  que  la  grâce  sanctifiante  produite 
par  le  Baptême  est  égale  chez  tous  les  enfants 
baptisés  et  chez  tous  les  adultes,  qui  y  apportent 
une  égale  disposition.  La  raison  en  est  que  le 
Baptême  produit  son  effet  à  la  manière  d'un  agent 
naturel  ;  or  un  tel  agent  produit  autant  dans  un 


r>ES    SACREMENTS  ib'] 

sujet  que  dans  un  autre,  quand  les  dispositions 
sont  semblables.  Et  puis,  comme  le  Baptême  est 
institué  par  Jésus-Christ  avec  une  mesure  déter- 
minée de  vertu  et  d'efficacité;  laissé  à  sa  propre 
force,  il  ne  peut  produire  qu'un  même  et  semblable 
etîet  (i).  Saint  Gyprien(2)  prend  à  tâche  d'éclaircir 

1.  C'est  l'opinion  conimune  des  Théologiens.  Elle 
s'appuie  sur  le  Concile  de  Trente  qui,  après  avoir  dit 
que  le  Baptême  est  une  des  causes  instrumentales  de 
la  justification,  déclare  que  chacun  reçoit  en  lui  une 
justice  qui  lui  est  propre,  «  selon  la  mesure  que  VEs- 
«  prit-Saint  fait  ^  à  son  gré,  à  chaque  homme,  et  selon  la 
«  disposition  et  la  coopération  personnelle  de  chacun 
«  d'eux.  »  (Sess.  v  6,  ch.  7.)Ce  texte  suppose  que  Dieu, 
a  déterminé,  en  instituant  les  sacrements,  la  mesure  de 
grâce  qu'ils  produiraient,  et  qu'il  l'a  déterminée  comme 
il  la  voulu  <(.  proîit  vult  »  et  absolument,  mais  néan- 
moins de  telle  sorte  que  la  quantité  de  grâce  conférée 
serait  proportionnée  aux  dispositions  plus  ou  moins 
parfaites  du  sujet.  Quelques  rares  Théologiens  ont  pensé 
que  Dieu  dans  le  Baptême  confère  la  grâce  d'une  manière 
inégale  aux  enfants  qu'il  prévoit  devoir  mourir  avant 
d'avoir  atteint  l'âge  de  raison  ;  la  raison  qu'ils  apportent 
est  que  les  hommes  doivent  être  semblables  aux  Anges 
en  nombre  et  en  gloire,  et  que,  puisque  les  Anges  sont 
inégaux  en  gloire,  les  hommes  doivent  l'être  aussi,  et 
par  conséquent  doivent  recevoir  une  grâce  inégale.  Or 
c'est  là  une  supposition  arbitraire.  Scot  à  son  tour 
(4,  dist.  4,  q.  7)  semble  s'écarter  de  la  thèse  commune, 
quand  il  soutient  que  Dieu,  qui  a  prédestiné  les  élus  à 
divers  degrés  de  gloire,  peut,  ou  par  une  faveur  spé- 
ciale, ou  par  une  application  spéciale  des  mérites  de 
Jésus-Christ,  ou  en  considération   du    mérite   de   celui 

2.  Epist.  •]()  ad  Magnum. 


Ip8  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

cette  vérité  qu'il  confirme  par  l'autorité  d'un 
Concile  de  Garthage.  Il  compare  le  Baptême  au 
soleil  et  à  la  manne.  De  même  que  le  soleil  fait 
resplendir  également  ses  rayons  sur  le  monde, 
ainsi  le  Baptême  communique  sa  grâce  avec  éga- 
lité ;  de  même  que  la  manne  était  distribuée  dans 
une  égale  mesure  à  tous  les  enfants  d'Israël,  durant 
leur  marche  à  travers  le  désert;  ainsi  en  est-il  de 
la  grâce  sanctifiante,  qui  découle  du  Baptême 
sur  les  enfants  baptisés.  Comme  ils  sont  venus  au 
monde  aussi  grands  pécheurs  l'un  que  l'autre  et 
également  infectés  du  péché  originel,  ils  sont  éga- 
lement sanctifiés. 

Si  l'on  dit  que  Dieu  prédestine  tel  enfant  à 
une  plus  grande  gloire  que  tel  autre,  et  qu'en 
vertu  de  cette  prédestination  il  lui  fait  une  plus 
grande  largesse  de  sa  grâce,  de  manière  à  ce 
qu'elle    soit    proportionnée    à    une   plus  grande 

qui  administre  le  sacrement  ou  même  des  assistants, 
conférer  à  telle  personne,  outre  la  grâce  accordée  à 
tous  en  vertu  du  sacrement,  un  supplément  de  grâce. 
Mais,  d'après  ses  commentateurs,  Scot  ne  parlerait  que 
de  ce  que  Dieu  peut  faire  et  n'affirmerait  nullement 
qu'en  réalité  il  le  fait.  Cajétan  enfin  (3.  q.  64,  a.  i) 
estime  que  quelquefois  telle  personne  obtient  dans  la 
réception  des  sacrements  une  plus  grande  grâce  que 
telle  autre,  non  pas  en  vertu  du  sacrement  lui-même, 
mais  à  cause  de  la  sainteté  et  de  la  dévotion  de  celui 
qui  l'administre.  Cette  opinion  ne  paraît  pas  admissi- 
ble ;  en  réalité  le  ministre  du  sacrement  peut  bien  mé- 
riter quelque  chose  d'un  mérite  de  convenance  à  celui 
à  qui  il  administre  le  sacrement,  mais  il  ne  peut  lui 
obtenir  directement  aucun  degré  de  grâce  sanctifiante. 


DHS    SACRKMKNTS  1:^9 

gloire  ;  il  fnut  pour  répondre  à  cette  difficulté  se 
rappeler  que  la  prédestination  se  fait  d'après  la 
prévision  des  mérites  de  la  vie,  et  que,  comme  les 
enfants  ne  sont  pas  sauvés  par  leurs  propres 
mérites,  mais  par  ceux  du  second  Adam,  Jésus- 
Christ,  de  même  qu'ils  étaient  perdus  par  les 
démérites  du  premier  Adam,  ce  n'est  pas  tant  la 
gloire  à  laquelle  ils  sont  prédestinés  qui  est  la 
cause  de  leur  grâce,  que  leur  grâce  qui  est  la  cause 
et  la  source  de  leur  gloire.  Si  donc  nous  ne  consi- 
dérons que  le  cours  ordinaire  de  la  prédestination, 
la  prédestination  n'est  pas  la  cause  pour  laquelle 
l'un  reçoit  dans  son  enfance  une  gloire  plus 
abondante  que  l'autre.  Cela  pourrait  avoir  lieu 
seulement  dans  quelques  insignes  prédestinés, 
dont  le  nombre  est  aussi  rare  que  la  manière  dont 
ils  sont  prédestinés  est  secrète.  Certains  de  ceux- 
là  pourrraient  être  plus  spécialement  favorisés  de 
Dieu  dans  leur  Baptême  ;  c'est  ainsi  qu'un  savant 
personnage  admet  la  chose  comme  probable  pour 
le  grand  évêque  de  Myre,  saint  Nicolas,  qui  vécut 
saintement  et  pour  Dieu,  avant  que  de  vivre  pour 
le  monde  (i).  Mais  le  privilège  accordé  à  quelques 
personnes  n'empêche  pas  que,  selon  le  cours  ordi- 
naire, la  grâce  se  donne  dans  une  égale  mesure  à 
ceux  en  qui  il  n'y  a  point  d'inégalité.  En  somme 
la  prédestination  ne  requiert  pas  que  les  enfants 
reçoivent  dans  leur  Baptême  le  privilège  d'une 
grâce  extraordinaire  ;  mais  elle  exige  seulement 
que  la  Providence  de  Dieu  ne  permette  pas  qu'ils 
sortent  de  ce  monde  sans  Baptême,   et  sans  avoir 

I.  Turrecremata  in  Qiiœst.  spir.  convivii. 


l6o  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

mérité,  par  le  moyen  ordinaire  des  bonnes  œuvres, 
le  degré  de  gloire  auquel  Dieu  les  a  prédestinés. 
Pour  ce  qui  est  des  adultes  qui  reçoivent  le 
Baptême  à  Tàge  de  discrétion,  après  s'y  être  dis- 
posés par  le  repentir  de  leurs  fautes  passées,  et  par 
la  résolution  de  vivre  soumis  à  la  loi  chrétienne,  il 
est  bien  vraisemblable  que  Jésus-Christ,  pour 
encourager  les  hommes  à  mieux  se  disposer  à 
recevoir  les  sacrements,  les  a  institués  de  telle 
sorte  et  doués  d'une  telle  vertu  que  la  grâce  serait 
conférée  par  eux  d'autant  plus  largement  qu'on  s'y 
disposerait  mieux.  C'est  pourquoi  celui  qui  aura 
une  plus  grande  foi  et  une  plus  grande  pénitence 
de  ses  fautes,  quand  il  est  baptisé  à  Tàge  de  dis- 
crétion, y  recevra  de  plus  grandes  caresses  et  des 
faveurs  plus  signalées  de  Jésus-Christ.  Il  peut 
même  arriver  qu'il  ne  recevra  aucune  grâce,  s'il 
manque  d'attrition  pour  ses  fautes,  car  l'attrition 
est  la  moindre  disposition  pour  recevoir  ce  sacre- 
ment, quoiqu'elle  soit  suffisante.  Toutefois  comme 
la  bonté  de  Dieu  est  grande  et  qu'il  ne  peut  pas 
souffrir  qu'une  âme  repentante  soit  éternellement 
privée  de  l'effet  du  sacrement,  qui  ne  peut  se 
réitérer  et  qui  lui  est  nécessaire  pour  la  vie  éter- 
nelle, il  veut  que,  lorsque  le  Baptême  a  été  reçu 
sans  effet,  faute  de  disposition,  ce  sacrement  pro- 
duise la  grâce  plus  tard,  à  l'instant  même  où  cette 
âme  ôtera  l'obstacle  qui  arrêtait  l'écoulement  de  la 
grâce  en  elle,  c'est-à-dire  où  elle  se  repentira  sin- 
cèrement et  sans  fiction.  C'est,  dit  saint  Thomas  (  i), 
comme   ce   qui  arrive  dans  un  corps  pesant,   qui 

I,  Quœst.  69,  art.  10. 


bKS    SACREMENTS  l(h 

tend  vers  la  terre  et  y  tombe,  si  rien  ne  Ten 
empêche,  et  qui,  si  un  obstacle  l'arrête,  y  tombe  de 
nouveau,  l'obstacle  une  fois  ôté.  Ainsi  quand 
quelqu'un  est  baptisé,  il  reçoit,  s'il  n'y  a  aucun 
obstacle  qui  l'en  empêche,  la  «iràce  sanctifiante,  et 
s'il  y  a  empêchement  par  défaut  de  disposition, 
cet  empêchement  une  fois  ôté,  la  grâce  revient 
dans  cette  àme,  absolument  comme  si  le  Baptême 
revivait  en  elle  et  lui  était  conféré  actuellement  (i). 

I.  Celui-là  use  de  fiction,  dit  Scot,  qui  Jait  paraître 
«  une  chose  extérieurement ,  tandis  qu'il  a  une  chose  diffé- 
«  rente  dans  le  cœur.  Quelqu'un  peut  user  de  fiction  dans 
«  la  réception  du  sacrement  de  Baptême  de  deux  ma- 
«  nicres.  Premièrement,  s'il  fait  paraître  l'intention  de 
«  recevoir  cette  ablution  de  la  manière  dont  l'Eglise 
«  entend  la  conférer,  et  si  au  fond  de  l'âme  il  a  une 
«  intention  contraire  ;  celui-là  ne  reçoit  pas  le  sacrement. 
«  La  seconde  manière  d'user  de  fiction  consiste  à  Jaire 
«  paraître  qu'on  a  les  dispositions  requises  pour  la 
«  réception  du  sacrement,  alors  qu'on  ne  les  a  point  en 
«  réalité,  soit  parce  qu'on  manque  de  la /oi  orthodoxe,  soit 
«  parce  qu'on  a  quelque  péché  mortel  commis  soit  avant  la 
«  réception  soit  dans  la  réception  du  sacrement,  péché 
«  mortel  dont  on  n'a  à  aucun  degré  ni  Vattrition  ni  la 
«  contrition.  C'est  dans  ce  dernier  sens  communément 
«  que  les  Saints  et  les  Docteurs  disent  de  quelqu'un  qu'il 
«  a  reçu  le  Baptême  avec  fiction,  »  (4,  dist.  4,  q.  5).  Il 
est  certain  et  admis  par  le  plus  grand  nombre  des  Doc- 
teurs que  celui  qui  a  reçu  le  Baptême  avec  ce  genre  de 
fiction,c'est-à-dire  en  état  de  péché  mortel, — ce  qui  est  un 
obstacle  à  la  collation  de  la  grâce,  —  n'a,  pour  faire  revivre 
le  sacrement  et  en  recevoir  la  grâce,  qu'à  faire  disparaître 
cet  obstacle  en  se  mettant  dans  la  disposition  requise. 
Le  Baptême  qu'il  a  reçu  avec  cet  obstacle  à  la  grâce  a 
Bail,  t.  ix.  xi 


l6'2  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

Donc  puisque  le  défaut  de  disposition  dans  une 
personne  ayant  l'usage  de  la  raison  fait  que  la 
grâce  n'est  pas  conférée,  il  est  bien  convenable  que 
l'abondance  des  bonnes  dispositions  la  fasse 
abonder. 

été  valide  et  a  imprimé  dans  son  âme  le  caractère 
sacramentel.  Or,  dit  saint  Thomas  (4,  dist.  4,  q.  i,  a. 
I,  ad  5),  ce  caractère  qui  l'a  fait  membre  de  la  famille  du 
Christ  exige  moralement  qu'il  soit  sanctifié  et  que  les 
péchés  lui  soient  remis,  dès  que  l'obstacle  aura  disparu. 
Et  le  sacrement  revit  non  seulement  en  ce  sens  qu'il 
confère  à  l'âme  la  grâce  sanctifiante,  mais  aussi  en  ce 
sens  qu'il  éteint  totalement  la  dette  de  la  peine  tempo- 
relle, car  cet  effet  est  inséparable  de  la  grâce  spécifique 
du  Baptême.  Les  Théologiens  ne  sont  pas  d'accord  sur 
le  nombre  des  sacrements  qui  revivent  ainsi.  Les  uns 
disent  que  seul  le  Baptême  peut  revivre  ;  telle  est 
l'opinion  de  Dom.  Soto,  de  Vasquez,  etc.  Saint  Bona- 
venture  attribue  cet  effet  aux  seuls  sacrements  qui 
impriment  un  caractère,  mais  à  tous  ces  sacrements. 
D'autres  Théologiens,  notamment  Suarez  et  le  cardinal 
de  Lugo  rétendent  à  TExtrême-Onction,  au  Mariage  et 
même  à  la  Pénitence.  Cajétan,  Pierre  Soto,  Henriquez 
et  d'autres  admettent  que  tous  les  sacrements  peuvent 
revivre.  Quant  à  saint  Thomas,  sur  ce  point  comme  sur 
un  certain  nombre  d'autres,  il  est  difficile  de  concilier 
divers  passages  de  ses  œuvres.  D'une  part  il  prouve  que 
le  Baptême  doit  revivre  par  cette  raison  qu'il  imprime 
un  caractère  ;  nous  sommes  donc  autorisés  à  conclure 
qu'il  admet  la  reviviscence  de  la  Confirmation  et  de 
l'Ordre,  qui  eux  aussi  impriment  un  caractère.  (5  p.  q. 
69,3.  10;  4,  dist.  4,  q.  3,  a.  2,  sol.  3).  D'autre  part 
quand  le  saint  Docteur  affirme  dans  le  commentaire  sur 
le  livre  des  Sentences  (1.  c.  ad  3)  que  l'Eucharistie  ne 


uns    SACREMENTS 


l63 


Je  puis  reconnaître  d'après  cette  considération 
que  Dieu  traite  également  les  enfants  au  Baptême, 
tant  les  riches  que  les  pauvres,  et  que  la  disposi- 
tion plus  parfaite  que  certains  y  apportent  à  l'âge 
de  discrétion,  est  la  source  des  diîférentes  grâces 

revit  pas,  parce  qu'elle  n'imprime  pas  de  caractère,  il 
nous  autorise  à  conclure  qu'il  n'attribue  la  vertu  de 
revivre  qu'aux  seuls  sacrements  qui  impriment  un 
caractère.  Néanmoins  dans  un  autre  passage  (4,  dist. 
17,  q.  3,  a,  4,  sol.  1)  il  enseigne  que  le  sacrement  de 
Pénitence  peut  revivre  et  il  ajoute  :  «  comme  d'ailleurs 
«  tous  les  autres  sacrements.  »  Voici  ce  qu'on  peut  dire 
de  plus  probable  sur  cette  question  :  i)  Non  seulement 
le  Baptême,  mais  aussi  la  Confirmation  et  l'Ordre  peu- 
vent revivre.  Par  ces  sacrements  en  effet  est  imprimé  un 
caractère  indélébile  qui  voue  l'homme  dans  l'Eglise  à 
un  certain  état  ;  il  a  droit  désormais  à  une  grâce  propre 
à  chacun  de  ces  sacrements,  grâce  qui  lui  est  néces- 
saire pour  remplir  les  obligations  de  l'état  auquel  il  a 
été  élevé  pour  toujours.  Or  si  ces  sacrements  ne  revi- 
vaient pas,  l'obstacle  une  fois  ôté,  l'homme  qui  les 
aurait  reçus  avec  fiction,  serait  à  tout  jamais  privé  de 
ces  grâces  nécessaires  ;  mais  cette  conclusion  est  en  con- 
tradiction avec  ce  que  les  Saintes  Lettres  nous  appren- 
nent de  la  bonté  de  Dieu,  qui  n'est  pas  moins  grande  à 
l'égard  des  pécheurs  pénitents  qu'à  l'égard  des  justes 
(Ezéch,  XXXIII,  12).  2)  Revivent  aussi  l' Extrême-Onction 
et  le  Mariage,  pour  la  même  raison  que  nous  venons  de 
donner,  car  ces  sacrements  ont  une  grande  ressem- 
blance avec  ceux  qui  ne  sont  conférés  qu'une  seule  fois, 
puisque  on  ne  peut  recevoir  une  seconde  fois  ni 
l'Extrême-Onction  durant  la  même  maladie,  ni  le 
Mariage,  du  vivant  de  l'autre  époux.  3)  Quant  au  sacre- 
ment  de  Pénitence,  pour  qu'il  put  revivre  il  faudrait 


164  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

qu'il  communique  aux  uns  et  aux  autres.  Ainsi 
Dieu  n'estime  que  la  plus  grande  vertu  et  n'a  de 
préférences  dans  l'économie  des  sacrements  que 
pour  les  âmes  mieux  préparées.  Que  ne  puis-je 
estimer  de  même  mon  prochain,  sans  acception  de 
personne,  et  préférer  seulement  celui  qui  pratique 
la  vertu  à  un  degré  plus  éminent  ?  Que  ne  puis-je 
également  me  résoudre  à  apporter  toujours  de 
grandes  et  parfaites  dispositions  dans  l'usage  des 
sacrements,  afin  d'y  être  plus  abondamment  pourvu 
des  biens  et  des  richesses  précieuses  de  la  grâce 
divine. 

qu'il  put  être  informe,  c'est-à-dire  reçu  validement  et 
néanmoins  sans  produire  la  grâce.  Or  il  est  plus  pro- 
bable que  ce  cas  est  impossible.  4)  Enfin,  c'est  l'opinion 
commune  des  Théologiens  que  l'Eucharistie  reçue 
sacrilègement  ne  revit  pas,  car  ici  fait  absolument 
défaut  la  raison  alléguée  pour  les  autres  sacrements. 


DES    SACREMENTS 


l65 


r  MÉDITATION 

DE  L'INSTITUTION   DE 

LA  NÉCESSITÉ  ET  DES  CÉRÉMONIES 

DU  BAPTÊME 


SOMMAIRE 

Il  convenait  que  le  Baptême  Jut  le  premier  des 
sacrements.  —  Le  Baptême  est  nécessaire  à  tous 
les  hommes.  —  Principales  cérémonies  du  Bap- 
tême. 

I 

CONSIDÉREZ  qu'il  convenait  que  Jésus-Christ 
instituât  le  sacrement  de  Baptême  comme 
le  premier  des  sacrements  et  comme  devant  servir 
d'entrée  dans  la  religion  chrétienne.  Le  Docteur 
subtil  (i)  dit  sur  ce  sujet  qu'il  fallait  qu'un  sacre- 
ment fut  institué  pour  nous  introduire  dans 
l'Eglise,  qu'il  fallait  que  ce  sacrement  fut  nouveau, 
qu'il  fut  très  significatif,  abondant  en  grâce,  facile 
à  recevoir  et  commun  à  tous. 

Il  fallait  que  ce  fut  un  sacrement  nouveau,  car 
la  loi  de  Jésus-Christ  était  alors  nouvelle  et  par 
elle  l'ancienne  Loi  mosaïque  était  abolie.  Or  une 
Loi  nouvelle  demande  une  cérémonie  nouvelle 
pour  son  commencement. 

Il  fallait  que  ce  fut  un    sacrement   clairement 

I.  Scotus,  in  4,  dist.  3,  q.  4. 


l66'  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

significatif,  c'est-à-dire  qui  représentât  manifeste- 
ment à  l'esprit,  et  lui  fit  concevoir  sans  difficulté 
le  bien  et  l'effet  qu'il  produit,  car  il  faut  commen- 
cer par  les  choses  les  plus  évidentes  et  les  plus 
faciles  à  entendre,  pour  avancer  ensuite  de  plus  en 
plus  dans  la  connaissance  des  mystères  les  plus 
cachés  et  les  plus  secrets  de  la  religion.  Au  com- 
mencement les  esprits  sont  moins  instruits,  si  les 
choses  n'étaient  pas  claires  comme  le  jour  et  faciles 
à  entendre,  ils  demeureraient  dans  l'obscurité  et 
ne  sauraient  jamais  ce  qu'ils  entreprendraient. 

Il  fallait  que  ce  sacrement  fût  abondant  en 
grâce  et  causât  une  multitude  de  bons  effets.  Car 
il  est  bon  que  celui  qui  s'adonne  au  service  d'un 
maître  reconnaisse  dès  le  début  qu'il  est  libéral  et 
magnifique  ;  il  est  excité  par  là  à  le  servir  avec  un 
plus  grand  courage.  C'est  ainsi  qu'il  fallait  que  le 
premier  sacrement  de  l'Eglise  témoignât  de  la 
douceur  et  de  la  magnificence  de  Jésus-Christ,  par 
la  multitude  des  dons  et  des  grâces  que  ce  Sauveur 
y  accorderait,  pour  que  le  chrétien  fut  encouragé 
à  se  soumettre  à  tous  les  articles  de  sa  loi. 

Ce  sacrement  devait  aussi  être  facile  à  recevoir, 
afin  que  les  hommes  ne  fussent  pas  tout  d'abord 
rebutés,  en  expérimentant  quelque  chose  de  trop 
pénible  et  de  trop  fâcheux. 

En  dernier  lieu,  il  devait  être  commun  à  tout  le 
monde  sans  exception,  afin  d'apprendre  à  tous  que 
Dieu  traitait  également  les  chrétiens,  quand  il  les 
recevait  dans  l'Eglise.  Il  fallait  encore  qu'il  fût 
commun  dans  sa  matière,  qui  devait  se  trouver 
partout,  parce  que  la  religion  chrétienne  devait 
être  commune  à  tous  les  hommes  de  la  terre. 


DES    SACREMENTS  1 67 

Or  toutes  ces  qualités  se  rencontrent  avantageu- 
sement dans  le  Baptême.  C'est  un  sacrement  nou- 
veau, car,avant  Jésus-Christ,  il  n'y  avait  pas  eu  au 
monde  un  sacrement  pareil  qui  se  donnât  avec 
un  peu  d'eau.  Le  Baptême  est  aussi  très  significatif 
et  très  expressif  de  la  grâce,  qui  rend  les  âmes 
nettes  des  souillures  du  péché.  Qu'y  a-t-il  en  effet 
de  plus  facile  à  se  représenter  que  la  purification 
de  l'âme  par  la  grâce,  quand  on  voit  le  corps  lavé 
par  l'eau  et  quand  on  entend  ces  paroles  :  Je  te 
baptise,  c'est-à-dire  je  te  lave,  au  nom  du  Père,  du 
Fils  et  du  Saint-Esprit  ?  Le  Baptême  est  aussi 
fort  abondant  en  grâce  ;  il  remet  non  seulement 
tous  les  péchés,  les  grands  et  les  petits,  mais  il 
apporte  aussi  l'abolition  et  le  pardon  entier  de 
toutes  les  peines  qui  leur  étaient  dues,  il  produit 
même  plusieurs  autres  effets  que  nous  avons  con- 
sidérés ci-dessus.  C'est  l'imitation  de  la  mort  et 
de  la  Résurrection  de  Jésus-Christ  :  de  sa  mort, 
parce  que  de  même  que  par  elle  s'éteignit  la  vie 
de  Jésus-Christ  intérieurement,  quand  soncorpsfut 
baigné  dans  son  sang,  ainsi  par  le  Baptême  la  vie 
du  péché  est  éteinte  intérieurement,  quand  le  corps 
est  baigné  dans  l'eau;  de  sa  résurrection, parce  que 
de  même  que  Jésus-Christ  sortit  de  son  tombeau 
avec  une  vie  nouvelle  sans  aucune  plaie,  ni  aucune 
peine,  ainsi  le  baptisé  son  de  l'eau  avec  une  vie 
nouvelle  exempte  de  toutes  les  plaies  et  de  toutes 
les  peines  du  péché.  Le  Baptême  est  encore  facile 
à  recevoir.  Il  n'y  a  ni  fer  ni  pierre  tranchante 
comme  dans  la  circoncision  des  Juifs,  le  péché 
originel  y  est  lavé  facilement  avec  un  peu  d'eau, 
tandis  que  le  fer  ne  pouvait  le  racler  que  très  dif- 


l6S  LA  THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

ficilement  et  non  sans  effusion  de  sang  parmi  les 
Juifs.  Enfin  le  Baptême  est  commun  à  tout  le 
monde,  Peau  coule  dans  tous  les  lieux  du  monde 
pour  baptiser  les  hommes  qui  sont  tous  obligés 
par  la  loi  de  Jésus-Christ  de  recevoir  ce  sacrement. 
Quand  le  Sauveur  fut  sur  le  point  de  quitter  la 
terre  pour  monter  au  ciel,  le  cœur  brûlant  d'amour 
pour  le  salut  de  tous  les  hommes,  il  recommanda 
tous  les  hommes  à  ses  Apôtres  et  à  ses  disciples, 
puis  instituant  le  Baptême  avec  tous  ses  avantages 
il  leur  donna  cet  ordre  :  «  Alle:!^,  enseigne^  toutes 
«  les  nations,  baptises[-Ies  au  nom  du  Père,  du 
«  Fils  et  du  Saint-Esprit  ».  (Matt.  28). 

O  l'amour  suave  !  O  la  charité  universelle  de 
Jésus-Christ  dans  l'institution  de  ce  sacrement  !  O 
Dieu  infini,  que  louerai-je  davantage,  ou  la  gran- 
deur de  votre  amour,  ou  la  merveille  de  votre  sa- 
gesse dans  cette  sainte  et  adorable  institution  ?  Je 
louerai  l'un  et  l'autre  et  je  convierai  toutes  les 
âmes  prudentes  de  la  terre  à  vous  remercier  pour 
ce  premier  sacrement.  Hélas  !  tous  les  enfants 
baptisés  ne  vous  louent  pas  pour  ce  bienfait, 
parce  qu'ils  sont  privés  de  l'usage  de  la  raison,  et 
parmi  les  personnes  raisonnables  et  âgées  peu 
vous  savent  gré,  comme  il  conviendrait,  de  ce 
merveilleux  bienfait.  O  Seigneur,  au  nom  de  tous, 
des  petits  et  des  grands,  je  vous  rends  grâces  et  je 
vous  adore  profondément  pour  nous  avoir  donné 
le  Baptême,  afin  que  par  lui  nous  entrions  dans 
l'Eglise  et  nous  nous  consacrions  à  votre  service. 


DES    SACREMENTS  l6c) 


II 

Considérez  que  la  réception  du  Baptême  est 
nécessaire  à  tous  les  hommes  de  la  terre,  grands 
et  petits,  pour  être  délivrés  du  péché  originel  et 
arriver  à  la  vie  éternelle.  Sur  ce  point  les  paroles 
de  la  Vérité  sont  expresses  :  «  Si  quelqu'un  ne 
«  renaît  pas  de  l'eau  et  du  Saint-Esprit,  »  c'est-à- 
dire  de  la  grâce  du  Saint-Esprit,  «  il  ne  peut  pas 
«  entrer  dans  le  royaume  de  Dieu  ».  (Jean,  3). 
Tous  les  hommes  viennent  au  monde  souillés  du 
péché  originel,  qui  les  rend  enfants  de  colère  et 
exposés  à  Tindignation  de  Dieu  ;  c'est  pourquoi 
ils  ne  verront  jamais  la  face  de  Dieu  et  la  mer- 
veille infinie  de  son  Essence,  s'ils  ne  sont  purifiés 
par  l'eau  et  par  les  paroles  sacramentelles  du 
Baptême,  par  lequel  la  maladie  originelle  est 
guérie  et  leur  première  nativité  selon  la  chair  est 
réformée  avec  avantage  par  une  nativité  selon  l'es- 
prit, car,  comme  l'ajoute  la  Vérité  :  «  Ce  qui  est 
«  né  de  la  chair  est  chair ^  et  ce  qui  est  né  de  Tes- 
«  prit  est  esprit.  Voilà  pourquoi  je  vous  ai  dit 
«  qu'il  fallait  naître  de  nouveau  ».  Ce  qui  signifie 
qu'il  faut  naître  de  nouveau  pour  devenir  céleste 
et  spirituel,  en  remplissant  les  obligations  du 
Baptême  qui  soumet  les  âmes  à  la  loi  immaculée 
de  Jésus-Christ.  L'origine  de  cette  nécessité  c'est 
que  tous  les  hommes  considérés  comme  enfants 
et  membres  d'Adam,  étaient  obligés  de  se  sauver 
par  le  don  de  la  justice  originelle  dans  laquelle  ils 
devaient  naître  et  étaient  tenus  de  se  conserver. 
C'était  le  premier  plan  de  Dieu  pour  le  salut  des 
hommes.  \Oi  de  même  qu'il  arrive  que  celui  qui 


1^70  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

ne  peut  nager,  est  obligé  d'avoir  une  barque  pour 
passer  la  rivière,  et  que  si  on  faisait  un  pont  sur 
la  rivière,  il  ne  serait  pas  obligé  d'avoir  une  bar- 
que pour  la  traverser  ;  ainsi  en  est-il  de  la  question 
qui  nous  occupe.  L'homme  étant  par  lui-même 
incapable  de  passer  de  la  terre  au  ciel,  était  rede- 
vable à  la  justice  originelle  qui  lui  eût  donné  le 
moyen  de  se  sauver  en  qualité  de  membre  d'Adam  ; 
mais  depuis  l'Incarnation,  Dieu  a  changé  ce  plan, 
il  lui  donne  un  pont  pour  passer  au  ciel,  ce  pont 
c'est  la  grâce  baptismale  ;  car  elle  fait  que  les 
hommes  qui  étaient  auparavant  des  membres 
d'Adam  deviennent  des  membres  de  Jésus-Christ. 
L'ordre  d'après  lequel  on  se  sauve  étant  changé, 
l'homme  est  exempt  de  l'obligation  qui  lui  était 
imposée  de  posséder  la  justice  originelle,  mais  il 
est  tenu  de  passer  par  le  pont  du  Baptême. 

Cette  nécessité  du  Baptême  est  si  grande  et 
admise  d'une  manière  si  certaine  dans  l'Eglise 
que  jamais  l'Eglise  n'a  ordonné  de  faire  des  priè- 
res pour  les  enfants  morts  sans  Baptême,  et  même 
elle  n'a  jamais  permis  qu'ils  fussent  ensevelis  en 
terre  sainte,  les  considérant  comme  perdus  et 
incapables  d'arriver  jamais  au  ciel.  Saint  Augus- 
tin écrivant  à  saint  Jérôme  rend  témoignage  de 
cette  croyance  universelle  de  l'Eglise.  Quiconque 
dira  que  les  petits  enfants  qui  sortent  de  cette  vie 
sans  ce  sacrement  et  sans  sa  participation  sont 
vivifiés  de  Jésus-Christ,  celui-là  condamne  toute 
l'Eglise,  vers  laquelle  on  se  hâte  et  l'on  court 
pour  porter  les  enfants  à  baptiser,  parce  que  l'on 
croit  sans  aucun  doute  qu'ils  ne  peuvent  être  au- 
trement vivifiés  en  Jésus-Christ. 


DES    SACREMENTS  I7I 

Il  n'est  pas  sûr  d'estimer  que,  lorsque  le  Bap- 
tême ne  peut  être  appliqué  pour  quelque  raison, 
Dieu  y  supplée  par  quelqu'autre  moyen  extraordi- 
naire, de  manière  à  ce  que  les  enfants  ne  périssent 
pas.  Ce  moyen  extraordinaire  a  été  inconnu  à 
tous  les  Pères  et  à  tous  les  Docteurs  de  l'Eglise, 
qui  jamais  n'a  eu  connaissance  de  ce  secret  si  im- 
portant, et  qui  par  suite  n'a  jamais  pu  se  résoudre 
à  prier  pour  le  salut  d'un  enfant  décédé  sans  Bap- 
tême, pas  plus  que  pour  un  pécheur  adulte  décédé 
sans  Pénitence,  croyant  le  Baptême  aussi  néces- 
saire au  salut  de  celui-là  que  la  Pénitence  est 
nécessaire  au  salut  de  celui-ci.  C'est  pourquoi  ce 
qu'a  mis  en  avant  l'hérésiarque  Calvin,  à  savoir 
que  les  enfants  des  fidèles  naissent  sanctifiés  et 
qu'il  n'est  pas  besoin  de  hâter  le  Baptême  de  ces 
enfants,  est  une  maxime  pleine  de  cruauté  qui  a 
été  suggérée  par  Satan,  le  mortel  ennemi  des 
hommes.  Cette  maxime  a  fermé  le  paradis  à  un 
nombre  indicible  de  petits  enfants,  pour  qui  les 
parents  hérétiques  ont  différé  le  Baptême,  de 
sorte  que  la  mort,  en  les  ravissant,  les  a  privés  et 
les  prive  encore  tous  les  jours  de  la  félicité  éter- 
nelle. Cette  félicité  Jésus-Christ  a  résolu  de  ne  la 
donner  à  personne  sans  la  réception  de  ce  sacre- 
ment ;  il  l'a  établi  dans  l'Eglise  comme  l'arche  au 
temps  du  patriarche  Noé,  hors  de  laquelle  per- 
sonne n'échappa  au  déluge.  Grand  décret  en  vé- 
rité, grave  décision,  en  conséquence  de  laquelle 
des  enfants  sans  nombre  périssent  tous  les  jours, 
ou  par  avortement,  ou  à  cause  des  difficultés  de 
l'enfantement  ou  pour  toute  autre  raison,  sans 
(|ue  cet  unique  reniède  de  salut  leur  ait  été  appli- 


172  LA   THÉOLOGIE    AFFFECTIVE 

que.  Néanmoins  si,  dans  ces  lamentables  misères, 
les  jugements  de  Dieu  sont  cachés,  ils  ne  sont  ni 
injustes  ni  répréhensibles.  Dieu  en  effet  après  le 
péché  originel  pouvait  laisser  tous  les  enfants 
d'Adam  dans  leur  état  de  disgrâce  et  de  mort  sans 
les  en  relever.  Cependant  il  ne  Ta  pas  voulu.  Il  a 
établi  ce  remède,  qui  est  le  plus  commun  et  le 
plus  facile  de  tous  les  remèdes  ;  car  il  pouvait  être 
appliqué  par  une  personne  étrangère  aux  enfants 
qui  avaient  été  perdus  par  la  volonté  d'autrui.  S'il 
ne  peut  être  appliqué  à  tel  enfant  en  particulier, 
cela  provient  de  la  faute  de  celui  qui  par  malice 
ne  veut  pas  baptiser  l'enfant  ou  de  celui  qui  con- 
tribue par  son  péché  à  troubler  tellement  l'ordre 
des  causes  secondes  qu'un  enfant  est  empêché  de 
naître  et  dès  lors  devient  incapable  de  renaître. 
Dans  ces  divers  cas  le  défaut  de  Baptême  ne  peut 
pas  être  attribué  à  Dieu,  qui,  comme  cause  uni- 
verselle, doit  laisser  agir  les  agents  naturels  selon 
leurs  instincts  et  de  la  manière  qui  leur  convient, 
sans  troubler  à  chaque  instant  l'économie  de  ce 
monde  (i).  Par  ce  procédé  il  fait  paraître  d'abord 
la  suavité  de  sa  Providence,  en  ne  voulant  pas 
user  de  violence  sur  les  êtres  de  la  nature,  et  en- 
suite la  sévérité  de  sa  justice,  en  permettant  ces 
choses  en  punition  du  péché,  et  enfin  sa  miséri- 
corde toute  particulière  à  l'égard  de  ceux  qui 
viennent  au  monde  dans  un  si  heureux  concours 
de  circonstances  célestes  et  terrestres,  que  le  Bap- 
tême leur  est  heureusement  appliqué  (2). 

1 .  Saint  Prosper,  1.  2.  De  vocat.  gentium,  c.  23 . 

a.  Sur  cette  question  particulièrement  ardue,  il  sem- 


DES    SACREMENTS  lyS 


Oh  !  quelle  grande  obligation  nous  avons  à 
Dieu  à  ce  sujet?  Quand  je  jette  les  yeux  sur  les 
quatre  parties  du  monde,  où  tant  de  peuples  sont 
enveloppés  dans  un  déluge  de  perdition,  sans  y 
trouver  Tarche  du  Baptême,  je  me  sens  porté  à 
m'écrier  :  Eh  !  Seigneur,  que  vous  ai-je  fait  pour 
recevoir  la  faveur  singulière  du  Baptême  ?  Pour- 
quoi ai-je  été  préféré  à  tant  d'autres  qui  vous  eus- 
sent témoigné  plus  de  reconnaissance  que  moi  ? 
Vous  avez  jeté  les  yeux  sur  moi,  Seigneur,  lors- 
que je  n'étais  encore  que  dans  les  maillots  et  dans 

ble  qu'il  faille  se  contenter  de  la  solution  suivante,  sans 
pouvoir  affirmer  qu'elle  satisfasse  absolument  notre 
esprit.  Dieu  veut  le  salut  des  enfants  qui  meurent  sans 
Baptême^  d'une  volonté  sérieuse  dont  il  donne  des 
preuves  en  leur  préparant  les  mérites  de  Jésus-Christ 
qui  est  mort  pour  eux  et  le  Baptême  qui  a  été  institué, 
pour  leur  appliquer  ces  mérites.  Mais  Dieu  ne  veut 
leur  salut  que  d'une  volonté  conditionnelle,  c'est-à-dire 
«  autant  qu'il  dépend  de  lui  »,  dit  Suarez  (lib.  iv  De 
Provid.  grat.  circ.  reprobos,  c.  IV,  n.  lo).  11  ne  le  veut 
pas  d'une  manière  absolue  et  indépendamment  des 
obstacles  inhérents  au  mode  de  rédemption  que  dans 
sa  sagesse  il  a  choisi  et  qui  consiste  à  ne  rendre  actuel- 
lement à  l'homme  qu'une  partie  des  biens  perdus  par 
Adam,  à  savoir  la  grâce  sanctifiante,  mais  non  l'inté- 
grité, ni  l'immortalité,  ni  l'exemption  des  misères  mul- 
tiples de  cette  vie.  Or  exiger  que  Dieu  veuille  d'une 
manière  absolue  le  salut  de  tous  les  enfants,  ce  n'est 
rien  moins  qu'exiger  qu^il  supprime  la  maladie  et  la 
mort,  la  malice  et  la  négligence  chez  tous  les  hommes. 
Dieu  assurément  n'était  pas  tenu  de  créer  un  tel  ordre 
de  choses,  qui  serait  tellement  parfait  qu'il  remporte- 
rait en  perfection  sur  l'état  d'innocence,  où  l'homme 


^74  LA    THÉOLOGIE     AFFECTIVE 

les  misères  de  ma  première  enfance,  vous  m'avez 
alors  prévenu  de  vos  bénédictions.  Mon  âme  s'en 
réjouit  maintenant  et  vous  loue  à  ce  souvenir  en 
même  temps  que  mon  cœur  tressaille  d'allégresse. 
Qui  vous  est  semblable,  ô  Seigneur,  dans  vos  des- 
seins merveilleux  ?  Vos  œuvres  sont  admirables  et 
vos  affections  incomparables!  Oh  !  jamais  le  temps 
n'arrachera  de  ma  mémoire  le  souvenir  de  vos 
bienfaits  anciens  à  mon  égard.  Ah  !  continuez-les, 
Seigneur  très  pitoyable,  et  de  même  qu'en  entrant 
dans  ce  monde,  j'ai  reçu  le  premier  des  sacre- 
ments, faites  que  je  ne  sorte  pas  de  ce  monde  par 

malgré  tous  ces  dons  était  sujet  à  défaillir.  On  ne  s'ex- 
pliquerait même  pas,  si  un  tel  ordre  avait  jamais  dû 
être  établi,  pourquoi  il  ne  l'aurait  pas  été  avec  l'état 
d'innocence  dans  lequel  cependant  Dieu  a  créé  l'homme 
faillible  et  a  même  permis  qu'il  faillit.  —  Quant  au  sort 
des  enfants  morts  sans  Baptême,  la  foi  catholique  ne 
nous  apprend  d'une  manière  certaine  qu'une  seule  chose, 
c'est  qu'ils  sont  éternellemenl  exclus  du  ciel  :  «  Nous 
«  définissons^  dit  Eugène  IV,  que  les  âmes  de  ceux  qut 
«  meurent  avec  le  péché  mortel  actuel  ou  avec  le  seul 
«  péché  originel,  descendent  aussitôt  en  enfer,  oh  elles 
«  sont  punies  de  peines  inégales.  »  (Bulla  Lœtentur 
CŒLi),  c'est-à-dire  spécifiquement  inégales,  de  la  peine 
du  dam  et  du  sens  pour  les  âmes  coupables  de  péchés 
actuels  mortels  et  de  la  seule  peine  du  dam  pour  les  âmes 
souillées  du  seul  péché  originel  ;  c'est  la  doctrine  à 
peu  près  unanime  des  Scolastiques  à  la  suite  de  Pierre 
Lombard.  Ces  entants  c prouvent-ils  tout  au  moins 
quelque  tristesse  à  la  pensée  du  ciel  à  jamais  perdu  ? 
L'opinion  plus  probable  le  nie  avec  saint  Thomas  (In  2, 
dist.  ))f  q.  2.  a.  2),  et  nie  également  qu'ils  aient  la 
moindre  notion  sur  l'existence  du  ciel. 


DES    SACREMENTS  1  75 

la  mort,  sans  recevoir  le  dernier  sacrement,  que 
votre  bonté  nous  a  préparé  pour  ce  temps.  «  Quand 
«  la  force  me  manquera,  ne  me  délaisse^  pas.  » 

III 

Considérez  les  principales  cérémonies  du  Bap- 
tême, tant  celles  qui  le  précèdent  que  celles  qui 
le  suivent.  11  n'y  a  pas  de  sacrement  qui  s'admi- 
nistre avec  un  plus  grand  nombre  de  belles  céré- 
monies, soit  parce  que  c'est  l'entrée  dans  l'Eglise, 
soit  afin  que  ce  sacrement  ne  fut  pas  médio- 
crement estimé  à  cause  de  la  vilité  de  la  ma- 
tière, qui  n'est  que  de  l'eau  commune  et  natu- 
relle (i). 

Les  principales  cérémonies  qui  précèdent  le 
Baptême  sont  le  catéchisme,  l'exorcisme  et  le 
renoncement  aux  pompes  du  démon.  Le  caté- 
chisme s'}'  fait  de  deux  manières,  par  paroles 
expresses  et  par  des  œuvres  ou  des  signes  qui 
mstruisent  le  baptisé  de  ce  qu'il  doit  faire.  Bien 
qu'aujourd'hui  ceux  qui  reçoivent  le  Baptême  ne 
comprennent  pas  ce  catéchisme,  parce  que  ce  sont 
ordinairement  de  petits  enfants,  on  le  fait  néan- 
moins, pour  garder  l'uniformité.  Et  puis  il  est 
utile  aux  parrains  et  aux  assistants,  pour  leur 
apprendre  l'obligation  qu'a  l'enfant  de  savoir  les 
mystères  de  la  foi  ainsi  que  la  pratique  des  bonnes 
mœurs,  et  pour  leur  apprendre  qu'ils  doivent,  le 
temps  venu,  contribuer  à  le  leur  enseigner,  sans 
compter  que  cela  leur  rappelle  à  eux-mêmes  leurs 
propres  obligations.  C'est  pourquoi  ce  catéchisme 

1.  D.  Bonavent.  in  4,  dist.  7,  art.  ^. 


i']6  LA     THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

consiste  en  paroles,  par  lesquelles  on  explique  les 
principaux  mystères  de  la  foi  et  en  quelques 
signes  qui  révèlent  les  bonnes  mœurs  que  doit 
avoir  le  baptisé  ;  c'est  ainsi  qu'on  lui  fait  sur  le 
front  le  signe  de  la  croix,  pour  signifier  qu'il  ne 
doit  pas  avoir  honte  de  la  croix  de  Jésus-Christ, 
on  le  lui  fait  aussi  sur  la  poitrine  et  sur  les  épau- 
les, pour  signifier  qu'il  doit  la  porter  intérieure- 
ment, et  qu'il  doit  extérieurement  supporter  de 
bon  cœur  le  joug  de  la  religion  chrétienne.  Le  sel 
qu'on  lui  met  dans  la  bouche,  indique  qu'il  doit- 
prendre  goût  aux  choses  pieuses  et  les  pratiquer 
avec  la  saveur  de  la  dévotion.  Il  en  est  de  même 
de  la  salive  dont  on  lui  humecte  les  narines  et  les 
oreilles  ;  c'est  pour  lui  apprendre  qu'il  doit  réveil- 
ler et  appliquer  ses  sens  à  tout  ce  qui  est  des 
choses  divines.  Enfin  les  onctions  qui  se  font 
avant  le  Baptême  servent  à  lui  montrer  qu'il  doit 
être  disposé  à  combattre  ses  ennemis  invisibles, 
parce  que  anciennement  les  soldats,  avant  de  com- 
battre, étaient  oints  avec  de  l'huile. 

La  seconde  des  cérémonies  principales  est  l'exor- 
cisme. Celui  qui  donne  le  Baptême  adjure  le 
démon  de  laisser  libre  la  personne  qu'il  va  bapti- 
ser, et  qui,  à  cause  du  péché  originel,  est  en  quel- 
que sorte  livrée  à  sa  puissance.  Aussi  cette  céré- 
monie n'est-elle  pas  inutile  :  elle  sert  à  mettre  le 
diable  en  demeure  de  ne  pas  s'opposer  au  Bap- 
tême, et  de  n'exercer  aucune  cruauté  contre  l'en- 
fant, ce  qui  arrive  quelquefois.  A  cette  cérémonie 
appartient  le  souffle,  par  lequel  on  traite  le  démon 
avec  mépris,  comme  s'il  n'était  qu'une  paille 
légère  qu'on  chasse  avec  un  souffle.  A  cette  céré- 


DES    SACREMENTS  I 77 

monie  appartient  encore  l'imposition  des  mains  du 
prêtre  avec  la  bénédiction  ;  par  là  il  dénote  qu'il 
prend  possession  de  l'enfant  et  qu'il  en  ferme  les 
avenues  au  démon,  de  manière  à  ce  qu'il  n'entre 
jamais  en  lui. 

La  troisième  cérémonie  est  le  renoncement  à 
Satan  et  à  ses  pompes.  Celui  qui  est  baptisé  fait 
profession  de  renoncer  à  toutes  les  vanités  et  à 
toutes  les  concupiscences  du  monde  comme  aussi 
à  toutes  les  mauvaises  suggestions  de  Satan,  pour 
se  donner  entièrement  au  parti  de  Jésus-Christ  ; 
ainsi  il  se  sépare  des  Egyptiens  et  les  délaisse, 
comme  firent  les  enfants  d'Israël,  avant  de  passer 
la  mer  Rouge,  qui  est  l'image  du  Baptême.  De  là 
vient  que  saint  Pierre  l'appelle  :  l'interrogation 
«  d'une  bonne  conscience  envers  Dieu  »  (I  Pierr.  3)  ; 
c'est-à-dire  l'examen  et  la  recherche  de  l'état  d'une 
àme  envers  Dieu,  pour  savoir  si  elle  est  ferme  et 
résolue  à  le  servir,  à  abandonner  le  parti  de  Satan 
et  à  renoncer  à  toutes  ses  suggestions.  C'est  pour- 
quoi après  que  le  prêtre  a  demandé  à  celui  qui 
doit  être  baptisé,  s'il  renonce  à  Satan  et  à  ses 
pompes,  il  lui  demande  s'il  veut  être  baptisé. 
C'est  comme  s'il  lui  demandait  s'il  veut  être  au 
nombre  des  sujets,  des  membres  et  des  enfants 
spirituels  de  Jésus-Christ,  et  s'il  veut  porter  toutes 
les  obligations  de  sa  loi. 

Après  quoi  il  le  baptise  par  l'application  de 
l'eau  et  la  prononciation  des  paroles  sacramentel- 
les qui  sont  l'essence  du  Baptême  et  qui  confèrent 
la  grâce  sanctifiante  et  les  effets  déjà  énumérés. 
En  confirmation  de  quoi  suivent  trois  autres  céré- 
monies :  la  vêture  de  la  robe  blanche,  l'onction  au 

Bah,  t.  IX.  p 


l'^8  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

sommet  de  la  tête  avec  le  chrême  composé  d'huile 
et  de  baume,  enfin  la  remise  du  cierge  allumé 
entre  les  mains  de  Tenfant  baptisé.  La  robe  blan- 
che a  pour  but  de  témoigner  de  la  pureté  et  de  la 
splendeur  d'une  innocence  angélique.  Le  chrême 
est  pour  témoigner  de  la  dignité  royale  à  laquelle 
Tenfant  est  élevé  par  le  Baptême,  car  il  est  uni  au 
corps  mystique  du  Roi  des  rois  et  a  le  droit  d'atten- 
dre le  royaume  éternel.  Le  cierge  allumé  a  pour  but 
de  témoigner  de  la  foi  par  sa  lumière,  de  l'espé- 
rance par  sa  forme  élancée  et  droite  et  de  la  cha- 
rité par  sa  flamme  ;  car  ce  sont  là  les  trois  vertus 
théologales  qu'il  reçoit  par  le  Baptême  en  même 
temps  que  d'autres  et  qu'il  doit  présenter  de  nou- 
veau à  la  fin  de  sa  vie  ;  c'est  pourquoi  au  moment 
de  la  mort  le  cierge  allumé  lui  est  encore  mis 
entre  les  mains. 

Telles  sont  les  principales  cérémonies  qu'on 
observe  encore  aujourd'hui  en  conférant  le  Bap- 
tême, cérémonies  touchant  lesquelles  les  Pères 
nous  ont  laissé  de  très  remarquables  témoignages, 
tout  en  ajoutant  d'autres  raisons  et  d'autres  par- 
ticularités que  les  plus  curieux  méditeront  dans 
leurs  ouvrages  (i). 

De  ce  que  nous  en  avons  considéré  nous  devons 

I.  Les  saints  Pères  en  effet  font  mention  dans  leurs 
ouvrages  de  presque  toutes  les  cérémonies  que  nous 
observons  aujourd'hui  dans  l'administration  de  ce  sacre- 
ment, comme  on  peut  le  constater  en  lisant  Tertullien 
(De  bapt.  et  de  cor.  mil.),  Origène  (Hom.  12.  in  Num.), 
saint  Cyprien  (Epist.  70),  et  surtout  saint  Cyrille  de 
Jérusalem  (Catech.  myst.  2).  Cf.  Probst  (Sacram.  p.  12') 
et  suiv.). 


DES    SACREMENTS  179 

apprendre  avec  quel  respect  doit  être  traité  ce 
sacrement,  queTEglise  dirigée  par  le  Saint-Esprit 
administre  avec  tant  de  m3'stérieuses  cérémonies. 
Nous  devons  aussi  reconnaître  quelles  sont  nos 
obligations  après  le  Baptême  et  combien  nous 
devons  être  saints  et  éloignés  de  toutes  les  œuvres 
que  nous  suggère  Satan,  qui  sont  rorgueil,renvie, 
la  haine,  la  contention,  la  jalousie,  la  colère,  les 
querelles  et  les  dissensions,  en  un  mot  toutes  les 
concupiscences  de  la  terre  ;  car  nous  3^  avons 
renoncé  dans  le  Baptême  pour  nous  consacrer 
uniquement  àJésus-Christ.  Or  examinons  un  peu 
combien  il  s'en  faut  que  les  chrétiens  s'acquittent 
de  ces  devoirs.  Si  plusieurs  d'entr'eux  avaient 
renoncé  à  Jésus-Christ  et  s'étaient  liés  avec  Satan, 
pourraient-ils  mieux  seconder  ses  pernicieux  des- 
seins? Auraient-ils  oublié  davantage  Jésus-Christ, 
comme  aussi  tout  ce  qui  concerne  l'amour  et  le 
respect  qui  lui  sont  dus  ?  Rentrez  en  vous-même 
et  voyez  combien  de  fois  vous  avez  manqué  aux 
devoirs  de  votre  Baptême.  Dites  avec  un  grand 
personnage:  (i)  Seigneur,  vous  savez  qu'après 
mon  Baptême  j'ai  méprisé  vos  commandements, 
que,  par  négligence,  j'ai  omis  le  bien  que  je  devais 
faire,  que,  par  audace,  j'ai  fait  le  mal  que  je  ne 
devais  pas  faire  et  que,  par  concupiscence,  j'ai  com- 
mis plusieurs  péchés  de  la  vue,  de  l'ouïe,  du 
goût,  de  l'odorat,  du  toucher,  d'autres  péchés  en 
pensées,  en  paroles  et  en  actions.  Je  n'ai  point 
gardé  et  accompli  ce  que  j'ai  promis  dans  le  sacro- 
saint  Baptême  en  présence  de  vos  Anges  et  de  vos 

I.  Alcuinus,  De  usu  Psalm. 


iSÔ  LA  THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

Saints.  «  O  Seigneur,  vous  connaisse^  ma  folie, 
«  et  mes  péchés  ne  vous  sont  point  cachés.  » 
(Ps.  68).  Faites-moi  miséricorde  et  accordez-moi 
la  grâce  de  faire  pénitence.  O  mon  Roi,  ne  per- 
mettez pas  que  mon  cruel  ennemi  vienne  à  bout 
de  ses  desseins  contre  moi,  car  il  est  résolu  à 
vous  offenser  et  à  me  perdre,  et  «  il  tourne  comme 
«  un  lion  rugissant  cherchant  quelqu'un  à  de- 
if.  vorer.  (I  Pierr.  5).  J'ai  renoncé  à  lui  dans  le 
Baptême,  j'y  ait  fait  profession  de  m'attacher  à 
vous.  Faites,  ô  Créateur  très  sublime,  par  votre 
protection  perpétuelle,  que  je  sois  tel  que  vous 
m'avez  fait  la  grâce  d'avoir  été  par  l'eau  de  la 
régénération,  et  puisque  j'ai  commencé  une  fois 
d'être  à  vous,  que  je  ne  connaisse  jamais  aucun 
autre  maître. 


DES    SACREMENTS  lOI 


Vr  MÉDITATION 

DU  SACREMENT 
DE    CONFIRMATION 


SOMMAIRE 

Ce  qu'est  la  Confirmation.  —  Merveilleux  effets 
de  la  Confirmation.  —  Pourquoi  la  plupart 
des  chrétiens  sont  si  faibles. 

I 

CONSIDÉREZ  que  la  Confirmation  est  un  sacre- 
ment. Il  consiste  d'une  part  dans  une  onc- 
tion qui  est  faite  ordinairement  par  Tévêque  en 
forme  de  croix  sur  le  front  avec  le  saint-chrême 
qui  est  composé  d'huile  et  de  baume,  bénits 
par  l'évêque,  et  d'autre  part  dans  la  prononciation 
de  ces  paroles  :  Je  te  marque  du  signe  de  la  croix 
et  je  te  confirme  du  chrême  du  salut,  au  norn  du 
Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  Il  a  pour 
but  de  fortifier  la  grâce  reçue  dans  le  Baptême. 
La  Confirmation  est  un  sacrement,  comme  l'a 
défini  l'Eglise  dans  ses  .Conciles  généraux,  parce 
qu'elle  renferme  plusieurs  signes  visibles  institués 
par  Jésus-Christ,  pour  signifier  et  conférer  la 
grâce  :  à  savoir  l'onction  avec  le  saint-chrême  qui 
est  la  matière  du  sacrement  (i)  et  les  paroles  que 

I.  Pour  ce  qui  regarde  la  matière  prochaine  du   sa- 
crement de  Confirmation,  l'opinion  la  plus  commune- 


l8l  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

ron  prononce  en  Tadministrant,  qui  en  sont  la 
forme,  parce  qu'elles  dénotent  plus  expressément 
Feffet  de  la  grâce  qui  y  est  conférée  pour  rendre 
une  âme  plus  forte.  Le  second  sacrement,  dit  le 
Concile  de  Florence,  (i),  est  la  Confirmation,  dont 
la  matière  est  le  chrême  fait  d'huile,  qui  signifie 
la  netteté  de  la  conscience,  et  le  baume  qui  signifie 
l'odeur  de  la  bonne  réputation  ;  il  est  béni  par 
l'évêque.  En  voici  la  forme  :  «  Je  te  marque  du 
«  signe  de  la  croix  et  je  te  confirme  avec  le  chrême 
«  du  salut,  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint- 
«  Esprit.  »  Le  ministre  ordinaire  de  ce  sacrement 
est  l'évêque  ;  le  simple  prêtre  peut  faire  toutes  les 
autres  onctions,  mais  l'évêque  seul  doit  faire  celle- 
ci,  parce  que  nous  lisons  que  les  Apôtres  seuls, 
dont  les  évêques  tiennent  la  place,  donnaient  le 
Saint-Esprit  par  l'imposition  des  mains.  On  lit 
toutefois  qu'un  simple  prêtre  avec  dispense  du 
Siège  apostolique  et  pour  une  cause  raisonnable 
et  urgente,  a  administré  quelquefois  le  sacrement 

ment  admise  par  les  Théologiens  modernes  considère 
comme  essentielles,  soit  l'imposition  des  mains,  soit 
l'onction  avec  le  saint  chrême,  m.ais  en  entendant  par 
imposition  des  mains  non  pas  celle  qui  a  lieu  au  début 
delà  cérémonie  de  la  Confirmation,  mais  celle  qui  accom- 
pagne l'onction  elle-même  et  ne  forme  avec  elle  qu'un 
seul  geste.  Saint  Alphonse  de  Liguori  dit  :  L'opinion 
«  que  nous  défendons  et  que  nous  considérons  avec  Bcl- 
«  larmin  comme  très  certaine,  est  que  la  matière  adéquate 
«  et  totale  de  la  Confirmation  est  V onction  avec  le  chrême, 
«  onction  qui  est  faite  aux  confirmés  par  V  imposition  de 
«  la  main  de  l'évêque .  »  (1.  6,  n.  164). 

I.  Florent,  in  Decr.  Eugenii  — Trid.  sess.  7,  cap.  i. 


ni:S    SACREMENTS  1  i^3 

de  Contirmation,  avec  néanmoins  un  chrême  béni 
par  révèque. 

L'elTet  de  ce  sacrement  est  de  donner  le  Saint- 
Esprit /)c>7^r  la  force  (c'est-à-dire  pour  renforcer), 
comme  il  fut  donné  aux  Apôtres  le  jour  de  la 
Pentecôte,  afin  que  le  chrétien  confesse  hardiment 
le  nom  de  Jésus-Christ.  C'est  pour  ce  motif  que 
celui  qui  est  confirmé  est  oint  au  front,  où  est  le 
signe  de  la  honte,  afin  qu'il  n'ait  point  honte  de 
confesser  le  nom  de  Jésus-Christ  et  principale- 
ment sa  croix.  Telles  sont  les  paroles  de  l'Eglise, 
qui  «  est  la  colonne  et  le  soutien  de  la  vérité  » 
(I  Tim.3);afin  que  nous  ne  puissions  pas  errer,  elles 
nous  font  connaître  ce  qui  appartient  à  l'essence 
de  ce  sacrement,  et  nous  font  entendre  que  tout 
cela  doit  avoir  été  établi  par  Jésus-Christ,  à  qui 
seul  il  appartient  de  déterminer  ce  qui  est  néces- 
saire au  sacrement.  Ainsi  le  Sauveur  a  dû  en  ins- 
truire les  Apôtres,  soit  avant  sa  mort  dans  la  cène 
de  l'agneau  pascal,  dans  laquelle  il  enseigna  à  faire 
le  chrême,  ainsi  que  l'écrit  le  pape  Fabien  (i), 
soit  après  sa  résurrection,  quand  apparaissant  à 
ses  Apôtres,  il  les  entretenait  «  du  royaume  de 
«  Dieu  »  (Act.  i),  c'est-à-dire  de  l'Eglise,  de  sa 
police,  de  son  gouvernement  et  surtout  de  l'admi- 
nistration des  sacrements.  De  là  vient  que  par  une 
tradition  perpétuelle,  elle  a  conservé  cette  matière 
et  cette  forme  pour  ce  sacrement  et  a  toujours 
considéré  ce  sacrement  comme  ayant  pour  but  de 
fortifier  la  grâce  du  Baptême.  Car  ce  qui  se  passe 
dans  la  naissance  et  la  vie  du  corps,  se    remarque 

I.  Epist.  2,  c.  I  ad  Orient. 


184        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

dans  la  naissance  spirituelle  et  la  vie  de  l'àme.  De 
même  que  dans  la  vie  corporelle  l'homme  est 
d'abord  engendré,  et  qu'ensuite  il  croît  et  parvient 
à  la  force  d'un  âge  ferme  et  robuste  qui  le  rend 
capable  d'accomplir  les  actions  qui  lui  sont  pro- 
pres ;  ainsi  par  le  Baptême  l'homme  est  engendré 
à  la  vie,  qui  chasse  de  lui  la  mort  du  péché,  et  par 
la  Confirmation,  il  reçoit  un  accroissement  ;  sa 
nouvelle  vie  qui  ne  fait  que  commencer  au  Bap- 
tême et  qui  est  encore  faible,  est  fortifiée,  de 
manière  à  ce  qu'il  puisse  faire  les  actes  d'un  chré- 
tien, au  milieu  des  tentations  qui  l'attaquent. 
Ainsi  par  ce  sacrement  il  reçoit  un  surcroît  de 
grâce  ;  cette  grâce  est  confortative  et  corrobora- 
tive  de  celle  du  Baptême  qu'elle  rend  plus  parfaite. 
C'est  ce  que  signifie  l'huile  qui  surnage  dans  l'eau 
et  qui  tient  le  dessus  ;  car  c'est  ainsi  que  la  grâce 
donnée  dans  la  Confirmation  s'élève  au-dessus  de 
celle  qui  est  donnée  dans  le  Baptême.  C'est  encore 
ce  que  dénotent  les  paroles  qui  servent  de  forme 
pour  ce  sacrement,  elles  signifient  que  le  chrétien 
qui  n'est  pas  absolument  ferme  dans  les  tentations 
de  ses  adversaires,  par  le  fait  de  la  seule  grâce 
reçue  dans  le  Baptême,  est  confirmé  et  fortifié 
pour  être  plus  stable,  plus  ferme,  plus  robuste, 
plus  raide,  plus  impitoyable  et  invincible  par  la 
Confirmation.  C'est  pourquoi  le  prélat  lui  impose 
les  mains  sur  la  tête,  comme  pour  lui  donner  de 
l'assurance  et  lui  dire  qu'il  est  sous  la  protection 
de  Dieu  qui  ne  lui  manquera  pas  au  besoin. 

Contemplez  dans  ce  sacrement  l'immense  cha- 
rité et  providence  de  notre  Dieu  à  l'endroit  de 
ceux  qu'il  a  incorporés  à  son  Eglise,  qu'il  a  attirés 


DES    SACREMENTS  1^5 

et  appelés  à  lui  par  le  Baptême  pour  leur  donner 
une  nouvelle  naissance  et  une  nouvelle  vie.  Il  ne 
veut  pas  laisser  son  œuvre  commencée  sans  Tache- 
ver,  il  n'a  pas  mis  des  enfants  au  monde  pour  les 
abandonner  dans  leur  faiblesse  et  dans  leur  infir- 
mité. Le  prophète  Jérémie  se  lamentait  sur  la 
dureté  des  pasteurs  de  la  synagogue,  qui  ne  pre- 
naient pas  soin  de  perfectionner  les  âmes  confiées 
à  leur  conduite  :  «  Les  lamies  ont  découvert  leurs 
«  mamelles  et  ont  allaité  leurs  petits;  mais  la 
«  fille  de  mon  peuple  est  cruelle  comme  ïautru- 
«  che  du  désert  »  (Lament.  4),  qui  abandonne 
dans  le  désert  ses  œufs  et  ses  petits.  Il  n'en  est  pas 
ainsi  des  pasteurs  de  l'Eglise  ;  ils  ont  soin  d'élever 
et  de  fortifier  ceux  qui  sont  nés  dans  les  eaux  du 
Baptême,  ils  les  fortifient  avec  l'huile  de  la  Confir- 
mation et  ils  les  corroborent  avec  le  signe  de  la 
croix,  pour  les  faire  rester  debout.  O  Jésus,  que 
votre  miséricorde  est  grande,  ainsi  que  votre  dou- 
ceur paternelle  à  l'égard  de  vos  enfants  !  Oh  !  qu'il 
vous  appartient  bien  de  dire  :  «  Une  femme  peut- 
«  elle  oublier  son  enfant  et  n'avoir  pas  pitié  du 
«  fruit  de  ses  entrailles  ?  Eh  bien  !  si  elle  tou- 
«  bliait,  moi,  je  ne  l  oublierai  pas.  »  (Is.  49).  Oh  ! 
que  vous  le  montrez  bien  dans  ce  sujet  où  vous 
pourvoyez  par  un  nouveau  sacrement  à  ce  que 
ceux  qui  sont  régénérés  par  les  eaux  du  Baptême 
et  qui  ont  reçu  la  nouvelle  vie  de  votre  grâce,  puis- 
sent se  conserver  au  milieu  de  tous  les  périls  et 
des  hasards  de  ce  monde  auxquels  ils  sont  expo- 
sés !  Ainsi  non  content  de  nous  avoir  donné  les 
richesses  de  votre  grâce  dans  l'enfance  de  notre 
Baptême,  vous  nous  avez  aussi  donné  le  Saint- 


I  \ 


^86  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Esprit  pour  tuteur  et  protecteur  dans  la  Confir- 
mation. Oh  !  quel  soin  vous  avez  du  salut  des 
hommes  mortels,  et  que  le  désir  que  vous  avez  de 
leur  bien  est  grand  !  «  Loue^  ô  Jérusalem,  le  Sei- 
«  gneur  ;  loue,  ô  Sion^  ton  Dieu  ;  parce  quil  a 
«  renforcé  les  serrures  de  tes  portes  et  qu'il  a 
«  béni  tes  enfants.  »  (Ps.  147).  Espérons,  ô  mon 
âme,  dans  sa  Providence. 


II 


Considérez  les  effets  de  la  Confirmation. 

Le  premier  est  la  seconde  grâce  sanctifiante, 
c'est-à-dire  une  augmentation  de  grâce,  par 
laquelle  l'âme  est  enrichie  davantage  et  confirmée 
davantage  dans  la  sainteté  et  dans  le  droit  qu'elle 
avait  auparavant  à  l'héritage  du  ciel.  Car  de  même 
que  ceux  qui  ont  quelque  droit  aux  héritages  de  la 
terre  ou  aux  dignités  de  l'Eglise,  peuvent  être 
confirmés  dans  leur  droit  de  la  part  des  supérieurs, 
soit  par  paroles,  soit  par  lettres  expédiées  à  ce 
sujet  et  que  dans  ce  cas  leur  premier  droit  est 
accru  par  cette  confirmation,  en  même  temps  que 
les  prétentions  de  la  partie  adverse  sont  diminuées 
et  affaiblies  ;  ainsi  les  chrétiens  qui  ont  reçu  un 
droit  dans  le  Baptême  à  l'héritage  du  ciel,  et  à 
toutes  les  dignités  des  enfants  de  Dieu,  reçoivent 
dans  ce  sacrement  une  confirmation  de  ce  droit, 
qui  se  trouve  ainsi  accru  en  même  temps  que  la 
force  des  démons  est  diminuée.  C'est  pourquoi  le 
surcroit  et  le  nouveau  degré  de  grâce  que  confère 
ce  sacrement  doit  être  beaucoup  estimé  et  à  un 


DES    SACREMENTS  I07 

tel  point,  dit  un  célèbre  Docteur  (i),  qu'il  faut  le 
préférer  à  tous  les  biens  du  monde,  parce  que 
toutes  les  richesses  et  les  grandeurs  de  la  terre  ne 
le  valent  pas. 

Le  second  effet  de  ce  sacrement  est  la  grâce 
sacramentelle  qui  consiste  en  des  secours  plus 
spéciaux.  Dieu  les  donne  au  besoin,  pour  défendre 
la  foi  de  Jésus-Christ  que  nous  avons  reçue  au 
Baptême,  et  pour  la  confesser  hardiment  devant 
les  tyrans,  fallut-il  en  la  confessant  perdre  dans 
de  cruels  supplices  la  vie  qui  est  un  bien  très 
excellent.  Qu'y  a-t-il  en  effet  de  plus  noble  et  de 
digne  d'une  plus  grande  estime  aux  yeux  de  Dieu, 
des  Anges  et  des  hommes,  que  de  mépriser  géné- 
reusement la  tyrannie  des  rois  et  des  princes  infi- 
dèles, quand  ils  ont  conspiré  contre  Dieu,  de 
professer  hautement  la  foi  et  de  dire  comme 
David  :  «  Je  parlais  de  vos  témoignages  en  pré- 
«  sence  des  rois,  et  je  n'en  rougissais  point.  » 
(Ps.  118)  ?  Or  c'est  un  effet  de  ce  sacrement  d'ar- 
mer le  chrétien  de  force  et  de  résolution  pour  tenir 
ferme  contre  les  ennemis  de  Dieu,  même  jusqu'à 
souffrir  le  martyre.  Nous  sommes  par  le  Baptême, 
dit  un  des  anciens  et  saints  Pontifes  de  l'Eglise  (i), 
régénérés  à  la  vie,  par  la  Confirmation  nous  som- 
mes affermis  pour  le  combat  ;  nous  sommes  lavés 
par  le  Baptême,  nous  sommes  revêtus  de  force 
après  le  Baptême.  La  régénération  sauve  par  elle- 
même  ceux  qui  doivent  être  aussitôt  après  ravis  à 
la  terre  pour  entrer  dans  la  vie  bienheureuse,  mais 

I.  Palatius,  in  4,  dist.  5,  disp.  4. 

I.  Melchiades,  Epist.  ad  episc.  Hispa.iom.  i.  Concil. 


LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


la  Confirmation  arme  ceux  qui  doivent  survivre, 
ceux  qui  sont  réservés  pour  les  batailles  et  les 
luttes  de  ce  monde.  C'est  pourquoi  les  Apôtres 
qui,  avant  la  descente  du  Saint-Esprit,  étaient  timi- 
des au  point  de  renier  leur  Maître  ou  de  le  délais- 
ser, furent  après  si  constants  qu'ils  répandirent 
leur  sang  et  méprisèrent  leur  vie  pour  la  confes- 
sion de  son  nom.  Au  reste  il  ne  faut  pas  croire 
que  ce  sacrement  produit  seulement  son  effet, 
quand  la  guerre  est  engagée  et  quand  la  persécu- 
tion sévit  contre  l'Eglise  de  la  part  des  infidèles. 
Comme  nous  avons  toujours  dans  ce  monde  des 
ennemis  visibles  et  invisibles,  au  dedans  de  nous 
et  au  dehors,  ce  sacrement  nous  munit  et  nous 
fortifie  aussi  pour  leur  résister.  Nous  recevons  le 
Saint-Esprit,  dit  le  même  Pontife,  afin  que  nous 
soyons  spirituels,  «  parce  que  Vhomme  animal  ne 
«  comprend  pas  les  choses  divines.  »  (I  Cor.  2). 
Nous  recevons  le  Saint-Esprit,  pour  savoir  discer- 
ner entre  le  bien  et  le  mal,  pour  aimer  les  choses 
justes,  et  rejeter  les  mauvaises,  afin  que  nous 
nous  battions  contre  la  malice  et  l'orgueil,  que 
nous  résistions  à  la  luxure  et  aux  divers  attraits  des 
basses  concupiscences.  Nous  recevons  du  Saint- 
Esprit  l'amour  de  la  vie  (de  la  vertu)  et  le  désir 
ardent  de  la  gloire,  afin  qu'étant  divinement  enflam- 
més nous  élevions  notre  esprit  des  choses  terrestres 
aux  choses  sublimes  et  divines.  L'évêque  de 
Paris  (1)  n'attribue  pas  moins  d'efficacité  à  la 
Confirmation  :  il  dit  qu'elle  corrobore  la  partie 
raisonnable,  la  partie  irascible  et  la  partie  concu- 


I.  Guillel.  Paris.  De  sacrum.  Con/irm. 


DES    SACREMENTS  1S9 

piscible  de  Thomme.  La  partie  raisonnable,  de 
telle  sorte  qu'elle  ne  soit  pas  atteinte  ni  blessée, 
comme  par  de  certaines  tlèches,  par  les  arguments 
des  philosophes  et  des  hérétiques,  par  les  doutes, 
les  opinions  fausses,  Tinlidélité,  ou  l'ignorance  des 
choses  qu'il  faut  savoir  ;  car  ce  sont  là  autant  de 
blessures  de  la  partie  raisonnable.  Elle  corrobore 
aussi  la  partie  irascible,  de  manière  à  ce  qu'elle  ne 
succombe  pas  sous  les  injures,  les  calomnies,  les 
affronts  et  toutes  les  choses  difficiles  qui  se  pré- 
sentent. Elle  corrobore  la  partie  concupiscible,  de 
manière  à  ce  qu'elle  ne  soit  pas  endommagée  par 
les  amours  coupables,  les  mauvaises  haines,  les 
mauvais  désirs  et  les  mauvais  dédains,  qui  sont 
les  plaies  dont  elle  peut  être  affligée.  Et  si  quel- 
qu'un, dit-il,  entend  par  la  force  de  la  Confirma- 
tion Tamour  des  vertus,  amour  par  lequel  ces 
vertus  sont  plus  fortement  imprimées  en  nous  et 
par  lequel  nous  les  tenons  plus  fermement,  il 
n'entendra  ce  mot  ni  mal  ni  dans  un  sens  impro- 
bable. Il  nous  découvre  par  ces  paroles  que  l'effet 
de  la  Confirmation  est  l'amour  des  vertus  et  une 
plus  grande  union  de  notre  âme  avec  elles,  union 
qui  fait  qu'elles  y  tiennent  mieux  et  que  nous  y 
tenons  mieux  aussi,  de  manière  à  ne  point  les 
perdre  ou  nous  relâcher  si  aisément  de  leur  pra- 
tique. 

Le  caractère  est  le  troisième  effet  de  ce  sacre- 
ment. Par  le  caractère  le  chrétien  est  marqué  inté- 
rieurement et  porte  dans  ses  armes  les  couleurs 
de  Jésus-Chiist  et  de  ses  soldats,  comme  ceux 
qui  combattent  sous  un  prince  en  portent  la  livrée. 
Ce  caractère  restera  éternellement  imprimé  dans 


ÎCJO  LA   THEOLOGIE    AFFECTIVE 


ceux  qui  ont  reçu  ce  sacrement  ;  il  n'est  pas  seu- 
lement, comme  qu.elques-uns  l'ont  pensé,  une 
extension  du  caractère  du  Baptême,  mais  c'est  un 
caractère  nouveau  et  distinct,  qui  donne  au 
confirmé  la  force  de  professer  publiquement  la  foi, 
comme  une  chose  qui  fait  partie  de  sa  charge,  de 
sa  qualité  et  de  sa  dignité. 

Enfin  un  quatrième  effet  de  ce  sacrement  est  de 
perfectionner  le  chrétien  (i).  De  là  vient  que, 
comme  parle  saint  Denys  (2),  les  princes  divins  de 
notre  hiérarchie,  qui  sont  les  Apôtres,  Font 
appelé  la  perfection.  Il  faut  l'entendre  cependant 
sans  préjudice  des  œuvres  de  conseil  ;  car  le  chré- 
tien recevant  deux  sortes  de  perfection,  l'une  dans 
les  sacrements  par  la  Confirmation,  et  l'autre  par 
les  œuvres  de  conseil,  ne  mérite  pas  d'être  appelé 
chrétien  parfait,  si  outre  le  Baptême  il  ne  reçoit  la 
Confirmation,  qui,  au  témoignage  de  plusieurs  (i), 
confère  une  plus  grande  sainteté  et  une  grâce  plus 
abondante.  C'est  ce  qui  a  fait  dire  au  pape  Mel- 
chiade  qu'elle  méritait  une  plus  grande  vénération 
que  le  Baptême  et  au  théologien  d'Auxerre  (4),  que 
le  Baptême  donne  une  plénitude  de  grâces  suffi- 
santes, mais  que  la  Confirmation  confère  une  plé- 
nitude de  grâces  abondantes. 

Reconnaissez  à  la  suite  de  ces  considérations 
l'obligation  que  vous  avez  à  Dieu  pour  l'institu- 
tion de  ce  sacrement,  dont  les  effets  sont  si  grands 

1.  D.  Thom.  q.  72,  art.  2. 

2.  De  eccles.  hierarc.  c.  4. 

3.  Palatius,  in  4,  dist.  7,  disp    3,  loc.  cit. 

4.  In  4,  De  Confirmai. 


DES    SACREMENTS  I9I 

et  si  admirables.  Rendez-lui  des  actions  de  grâces, 
si  vous  l'avez  reçu,  sinon  faites  toutes  les  diligen- 
ces possibles  pour  ne  pas  en  être  frustré.  Ayez  de 
la  compassion  pour  ceux  qui  en  ont  été  privés 
jusqu'à  présent.  Déplorez  le  peu  de  zèle  et  de 
charité  qu'ont  plusieurs  prélats  de  l'Eglise  pour 
visiter  leur  diocèse  dans  le  but  d'administrer  ce 
sacrement  et  de  faire  participer  à  un  si  grand  bien 
les  âmes  rachetées  par  le  sang  de  Jésus-Christ. 
Hélas  !  qui  pourrait  dire  tous  les  malheurs  qui 
arrivent  aux  peuples  chrétiens  par  défaut  de  ce 
sacrement,  dont  les  avantages  restent  inconnus  et 
dont  la  réception  ne  leur  est  point  rendue  facile  ? 
«  La  blessure,  la  plaie  enflammée  n'a  point  été 
«  bandée,  on  ne  lui  a  point  appliqué  de  remède, 
«  ni  on  ne  l'a  adoucie  avec  Vhuile.  »  (Is.  i).  La 
plupart  ont  honte  de  faire  en  public  |des  œuvres 
dignes  d'un  chrétien  ;  peut-être  les  dernières  héré- 
sies qui  ont  causé  et  qui  causent  tous  les  jours 
tant  de  ravages,  n'auraient  pas  fait  tant  de  pro- 
grès, si  l'administration  de  ce  sacrement  eût  été 
plus  fréquente.  Demandez  à  Dieu  d'ouvrir  les 
yeux  des  pasteurs  et  de  leur  donner  du  zèle  pour 
ce  sacrement. 

III 

Considérez  les  raisons  pour  lesquelles,  étant 
donné  que  les  effets  de  ce  sacrement  sont  si  excel- 
lents, il  y  a  néanmoins  tant  de  faiblesse  et  de 
langueur  dans  la  plupart  des  chrétiens  qui  l'ont 
reçu.  Le  sentiment  des  Théologiens  est  qu'ils 
mettent  obstacle,  soit  à  la  grâce  sanctifiante  que 
produit  ce  sacrement,  en  le  recevant  sans  charité 


ig2  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

et  en  mauvais  état,  soit  aux  grâces  sacramentelles 
qu'il  donne  droit  de  recevoir  au  temps  des  tenta- 
tions et  des  persécutions,  parce  que  la  plupart 
retombent  dans  le  péché  après  l'avoir  reçu.  A 
cette  réponse  qui  est  la  vraie  se  rapportent  les 
quatre  salutaires  avertissements  d'un  prélat  qui 
est  le  plus  savant  de  son  siècle  (i). 

La  première  chose  qu'il  affirme,  c'est  que  c'est 
en  vain  qu'espèrent  être  corroborés  et  fortifiés 
par  ce  sacrement,  ceux  qui  aiment  leurs  faiblesses 
et  qui  ne  veulent  pas  les  quitter;  ces  faiblesses 
sont  les  maladies  et  les  plaies  de  leurs  péchés  et 
aussi  les  liens  et  les  charges  qui  en  découlent, 
liens  et  charges  qui  sont  incompatibles  avec  l'ac- 
croissement spirituel.  Car  comment  devenir  fort 
et  puissant  contre  son  agresseur  et  son  ennemi,  si 
on  reste  toujours  malade,  blessé,  lié  et  chargé  ? 
L'homme»  sera  ainsi  inférieur  à  son  adversaire,  il 
sera  contraint  de  lui  céder  et  de  se  laisser  marcher 
sur  le  ventre.  Loin  d'être  armé  et  fortifié  contre 
lui,  il  l'armera  plutôt  et  le  renforcera  contre  lui- 
même,  en  s'adonnant  au  péché  et  en  faisant  de  ses 
membres  des  instruments  d'iniquité. 

Le  second  avertissement  nous  apprend  qu'il  faut 
s'approcher  de  ce  sacrement  avec  un  grand  respect 
et  le  traiter  dignement.  L'Apôtre  dit  de  la  Sainte 
Eucharistie  :  «  Plusieurs  sont  faibles  et  dorment 
«  (du  sommeil  de  la  mort),  parce  qu'ils  ne  discer- 
«  nent  pas  le  corps  du  Seigneur  »  (I  Cor.  ii); 
de  même  la  vertu  ou  l'efficacité  du  sacrement  de 
Confirmation   est  presque   réduite  à  néant,  parce 

j.  Guillel.  Paris.  De  sacra  Confirm. 


DK s    SACREMENTS  IC)Ù 

que  ce  sacrement  n'est  pas  traité  avec  assez  d'hon- 
neur et  de  vénération,  et  cela  nous  croyons  qu'on 
doit  l'imputer  aux  prélats  et  aux  Docteurs,  à  qui  il 
appartient  d'enseigner  et  d'avertir  le  peuple.  Il 
semble  qu'il  ne  reste  plus  aujourd'hui  d'autre  hon- 
neur pour  ce  sacrement,  que  la  défense  de  l'admi- 
nistrer faite  à  tout  autre  qu'aux  grands-prètres,  qui 
sont  les  évèques,  car  nos  3'eux  nous  attestent 
combien  sont  ignorants  ceux  qui  le  reçoivent  et 
avec  quel  désordre  et  quel  défaut  de  respect  on 
s'en  approche.  C'est  pourquoi  il  n'y  a  rien  d'éton- 
nant si  dans  de  telles  personnes  la  vertu  de  la 
Confirmation  est  petite,  ou  tout  à  fait  nulle,  c'est- 
à-dire  si  elles  ont  honte  et  crainte  de  montrer 
à  l'extérieur  qu'elles  sont  chrétiennes  et  de  laisser 
paraître  des  marques  de  sainteté  ;  il  y  en  a  peu  en 
eftet  qui  ne  rougissent  et  qui  n'appréhendent  de 
bien  faire  comme  aussi  de  dire  la  vérité  en  présence 
du  monde  et  même  des  chrétiens. 

Le  troisième  avertissement  est  que  les  confirmés 
doivent  mettre  toute  leur  confiance  et  l'espoir  de 
vaincre  dans  le  crucifix  et  par  le  crucifix;  c'est 
pour  cela  qu'on  leur  a  imprimé  une  croix  sur  le 
front  avec  le  chrême,  afin  que  dans  leurs  tentations 
ils  pensent  à  celui  «.qtii  a  souffert  de  telles  contra- 
nt dictions  de  la  part  de  ses  ennemis.  »  (Hébr.  1 1). 
Car  «  Jésus-Christ  a  souffert  pour  nous,  afin  que 
«  vous  l'imitie^,  dit  saint  Pierre  (II  Pierr.  2). 
«  Jésus-Christ  donc  ayant  souffert  sur  la  croix., 
«  armei(-votcs  d'une  semblable  pensée.  »  (II  Pierr.  3). 
Il  faut  donc  être  faible  par  soi-même  et  dans  sa 
pensée,  pour  être  confirmé  en  Dieu.  Car  s'appuyer 
sur  soi-même,  c'est  s'appuyer  sur  une  chose  qui 

Bâii.,  t.  ixt  1} 


1^94  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

tombe  et  ne  peut  se  soutenir,  c'est  tomber  et  se 
perdre,  mais  s'appuyer  en  Dieu  qui  est  la  force  et 
le  soutien  de  toutes  choses,  c'est  vraiment  s'affer- 
mir et  devenir  fort. 

Le  quatrième  avertissement  est  que  les  confir- 
més se  souviennent  qu'ils  sont  les  porte-enseigne 
du  Roi  des  cieux,  qu'ils  portent  sur  le  front  sa 
croix  et  son  étendard,  que  celui-là  est  criminel  et 
digne  de  mort,  qui  jette  à  terre  son  enseigne  et 
qu'il  fait  une  grande  injure  à  son  roi,  s'il  se  tourne 
du  côté  de  ses  ennemis  avec  l'enseigne  qu'il  porte. 
Quel  affront  et  quel  outrage  est  fait  au  Roi  des 
rois  par  les  chrétiens  dont  la  plupart  combattent 
contre  lui  ;  car  «  qui  n'est  pas  avec  moi,  dit- 
«  il,  est  contre  moi.  »  (Luc,  ii).  L'étendard  de 
la  croix  crie  contre  toi,  il  crie  que  tu  es  un 
traître  et  un  criminel  de  lèse-majesté.  Ce  premier 
étendard  que  tu  portes  au  front  crie  contre  toi  d'un 
cri  qui  monte  jusqu'au  ciel,  et  d'un  cri  si  fort  qu'il 
n'a  pas  son  semblable;  il  crie  que  tu  es  porte- 
enseigne  et  tes  œuvres  crient  que  tu  es  ennemi. 
L'un  et  l'autre  crient  que  tu  es  un  pervers  et  un 
déloyal,  que  tu  es  un  infâme  traître.  Car  on  a 
grande  confiance  dans  la  vertu  et  le  courage  de 
ceux  à  qui  on  confie  les  étendards  pour  les  porter 
dans  les  combats  ;  c'est  pourquoi  leur  perfidie  et 
leur  lâcheté  n'en  sont  que  plus  détestables.  As-tu 
oublié,  toi  qui  trahis  Dieu,  ce  qui  a  été  dit  aux 
autres  :  Tu  seras  vainqueur  par  ce  signe  ?  C'est 
dans  ce  signe  en  effet  qu'est  véritablement  donnée 
la  force  pour  remporter  la  victoire.  Ce  sont  jus- 
qu'ici presque  textuellement  les  paroles  de  ce 
docte  prélat  plein   de  zèle  et  de  dévotion  pour  ce 


DES    SACREMENTS  IqS 

sacrement.  C'est  pourquoi  nous  n'ajouterons  rien  à 
ce  qu'il  a  écrit  sur  ce  sujet. 

Mais  nous  nous  confondrons  nous-mêmes  à  bon 
escient,  si,  ayant  été  confirmés,  nous  voyons  en 
nous  si  peu  des  bons  etTets  que  ce  sacrement  a 
coutume  de  produire.  N'en  attribuons  pas  la  cause 
à  d'autres  qu'à  nous-mêmes,  car  ce  sacrement  est 
véritablement  grand  et  d'une  plus  haute  efficacité 
que  plusieurs  ne  l'ont  pensé  jusqu'à  présent.  C'est 
nous  qui  par  notre  mauvaise  volonté  avons  mis 
des  barrières  et  des  empêchements  à  ses  effets  très 
puissants;  c'est  pourquoi  nous  succombons  si 
aisément  aux  attaques  des  tentations.  Hélas  ! 
nous  étions  suffisamment  armés  pour  défier  et 
pour  combattre  toute  la  rage  et  la  fureur  des 
enfers,  et  cependant  un  moucheron  nous  a  épou- 
vantés, un  peu  de  vent  et  de  fumée  nous  a  mis  en 
déroute,  nous  qui  devions  en  vertu  de  ce  sacre- 
ment, résister  aux  tortures,  aux  géhennes,  aux 
flammes  et  aux  glaives  de  tous  les  tyrans  du 
monde,  nous  n'avons  pu  supporter,  sans  offenser 
Dieu  dans  sa  loi,  la  piqûre  d'une  aiguille,  nous 
n'avons  pu  endurer  patiemment  pour  l'amour  de 
Jésus-Christ,  qu'on  nous  eût  fait  quelque  petit 
tort,  ou  même  que  l'on  nous  eût  piqué  sourdement 
par  quelque  parole  offensante,  nous  avons  voulu 
en  tirer  vengeance,  nous  nous  sommes  mis  en 
colère  contre  notre  prochain  et  les  moindres  croix 
ont  été  pour  nous  insupportables.  O  Dieu  immense  ! 
est-il  possible  que  nous  fassions  ordinairement  un 
si  grand  abus  de  vos  grâces  et  de  vos  sacrements, 
par  lesquels  vous  nous  les  communiquez  !  O  Sei- 
gneur, que  nous  devons  appréhender  la  rigueur  de 


ig6  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

VOS   jugements  à  l'heure  de  notre  mort,  puisque 
nous  ne  paraissons  forts  et  confirmés  que  dans  le 
mal  pendant  cette  vie  !  Cependant  il  est  en  notre 
pouvoir  avec  votre  secours  qui  ne  nous  manque 
pas,  de  lever  les  barrières  et  les  obstacles  que  nous 
avons  opposés  à  vos  faveurs  ;  c'est  ce  qui  aura  lieu 
si  nous   faisons  pénitence  et  si  nous  nous   repen- 
tons avec  amertume  de  notre  lâcheté  et  de  notre 
perfidie.  Ah  !   que  je  voudrais,  ô  Dieu   très  bon, 
vous  avoir  été  très  fidèle  dans  toutes  les  œuvres  de 
votre  service  !  ce  sera  pour  l'avenir  et  dès  mainte- 
nant. O   bonté  adorable,   confirmez-moi  puissam- 
ment avec  des  grâces  qui  triomphent  de  ma  vo- 
lonté inconstante  :  «  Confirme^  en  moi^  Seigneur^ 
«  l'esprit  principal  »  (Ps.  5o),  c'est-à-dire^n  esprit 
généreux  et  magnanime.  Confirmez-moi  dans  une 
sainte  hardiesse  contre  la  vaine  crainte  du  monde. 
Confirmez-moi  au  milieu  des  combats  de  la  mort, 
par   la  puissance  de  votre  amour.  Confirmez-moi 
enfin  dans  le  bonheur  éternel  de   votre  paradis, 
contre  toutes  les  misères  de   cette  vie,  afin  que  je 
loue  votre  nom  et  que  je  chante  vos  louanges  en 
présence  des  Anges  et    des    Saints  bienheureux 
dans  tous  les  siècles  des  siècles.  Ainsi  soit-il. 


DES    SACREMENTS  1^7 

Vir   MÉDITATION 

DE  LA  PRÉSENCE  RÉELLE 
ET  SUBSTANTIELLE  DU  CORPS 

DE  JÉSUS-CHRIST 

DANS  LE  SAINT-SACREMENT 

DE  L'EUCHARISTIE 


SOMMAIRE 

Première  preuve  tirée  de  la  promesse.  —  Seconde 
preuve  tirée  de  V  institution.  —  Troisième  preuve 
tirée  de  Vusage  de  ce  sacrement. 

I 

CONSIDÉREZ  la  première  preuve  de  la  présence 
réelle  de  Jésus-Christ  dans  le  saint-Sacre- 
ment; elle  est  tirée  de  la  promesse  que  fit  Jésus- 
Christ  de  donner  son  corps  et  son  sang  dans  ce 
sacrement,  car  pour  disposer  les  esprits  des  hom- 
mes à  croire  à  ce  mystère,  par  une  sagesse  spé- 
ciale, il  en  instruisit  auparavant  ses  disciples  et 
leur  promit  ce  grand  mystère  par  ces  paroles  : 
«  Je  suis  le  pain  vivant  descendu  du  ciel.  Si 
«  quelqu'un  mange  de  ce  pain.,  il  vivra  éternelle- 
«  ment.  Le  pain  que  je  donnerai,  c'est  ma  chair 
«  pour  la  vie  du  monde.  »  (Jean,  6).  Ces  paroles 
sont  claires  et  expresses  et  ne  peuvent  être  inter- 


198        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

prêtées  de  la  figure  de  son  corps,  que  par  ceux  qui 
s'éloignent  de  la  vérité  de  son  esprit  et  de  son 
intention,  comme  font  les  hérétiques.  Il  promet  ici 
en  effet  de  donner  quelque  chose  de  grand  et  de 
singulier,  quelque  chose  qu'il  n'appartient  qu'à  lui 
de  donner  et  qui  n'avait  pas  encore  été  donné.  S'il 
n'était  question  que  de  donner  des  figures  de  son 
corps,  cela  avait  été  fait  auparavant,  car  la  manne 
et  les  pains  de  proposition,  ainsi  que  les  pains 
multipliés  au  désert,  étaient  autant  de  figures  de 
son  corps.  Il  promet  donc  de  donner  quelque 
chose  de  plus  grand,  à  savoir  son  corps  précieux. 
Les  grands  effets  aussi  que  Jésus-Christ  attribue 
à  ce  pain  qu'il  promet  et  les  louanges  qu'il  lui 
donne,  témoignent  que  c'est  tout  autre  chose  que 
la  seule  figure.  «  Celui  qui  mange  ma  chair  et  qui 
«  hoit  m.on  sang,  ajoute-t-il,  a  la  vie  éternelle  et 
«  je  le  ressusciterai  au  dernier  jour,  car  ma 
«  chair  est  vraiment  une  nourriture  et  mon  sang 
«  est  vraiment  un  breuvage.  Qui  mange  ma  chair 
«  et  boit  mon  sang,  demeure  en  moi  et  moi  en  lui. 
«  Comme  mon  Père  m'a  envoyé  et  que  je  vis  pour 
«  mon  Père,  ainsi  celui  qui  me  mange  vivra 
«  pour  moi  »  ;  c'est-à-dire  comme  Je  vis  de  la 
substance  de  mon  Père,  qui  m'a  communiqué  la 
même  divinité  ;  ainsi  celui  qui  me  mange  vit  à 
cause  de  moi,  il  vit  de  ma  propre  substance  que  je 
lui  communique.  Fallait-il  tant  de  paroles  et  tant 
de  redites,  s'il  ne  promettait  que  l'ombre  et  la 
figure  de  son  corps  ?  Tant  de  choses  grandes  et 
relevées  ne  conviennent  pas  à  ce  qui  n'est  qu'une 
figure.  Puis  s'expliquant  davantage  il  déclare  que 
ce  qu'il  veut  donner  est  une  chose  plus  excellente 


DES    SACREMENTS  100 

que  la  manne,  que  Dieu  fit  tomber  miraculeuse- 
ment du  ciel,  pour  nourrir  pendant  quarante  ans 
dans  le  désert  les  enfants  d'Israël.  Bien  que  cette 
manne  tombée  du  ciel  fut  un  pain  merveilleux, 
néanmoins  il  dit  du  pain  qu'il  promet  qu'il  est 
quelque  chose  d'encore  plus  merveilleux  :  «  Vos 
«  pères ^  dit-il  aux  Juifs  qui  l'écoutaient,  ont 
«  mangé  la  manne  au  désert  et  ils  sont  morts  ; 
«  celui  qui  mange  de  ce  pain  vivra  éternellement 
«  et  je  le  ressusciterai  par  ma  vertu.  »  Si  ce 
n'était  qu'une  figure,  la  manne  vaudrait  mieux, 
car  c'était  une  nourriture  venue  du  ciel  et  préparée 
par  les  Anges  eux-mêmes.  Il  faut  donc  conclure 
que  Jésus-Christ  parlait  de  donner  son  vrai  corps 
réellement  et  substantiellement. 

Aussi  les  Juifs  les  plus  grossiers,  comme  les 
Capharnaïtes,  comprirent  bien  à  ces  expressions 
qu'il  parlait  de  donner  son  vrai  corps.  C'est  pour- 
quoi comme  c'était  la  première  fois  qu'ils  l'en  en- 
tendaient parler,  ils  en  demeurèrent  surpris  et  se 
posèrent  plusieurs  questions  entre  eux.  «  Corn- 
«  ment  celui-ci  peut-il  donner  sa  chair  à  man- 
«  ger  ?  »,  car  ils  pensaient  qu'il  devait  la  donner 
comme  une  viande  de  boucherie,  et  ils  ne  compre- 
naient pas  encore  de  quelle  façon  il  résiderait  dans 
le  Saint-Sacrement.  Alors  Jésus-Christ  ne  leur  dit 
pas,  pour  calmer  leurs  esprits,  que  ce  ne  serait 
que  la  figure  de  son  corps,  mais  il  confirme  de 
plus  en  plus  ce  qu'il  vient  de  dire.  «  Cela  vous 
«  scandalise  ?  Si  donc  vous  voye:^  le  Fils  de  Vhom- 
«  me  montant  là  oîi  il  était  premièrement,  que 
«  sera-ce  donc  ?  »  Il  veut  leur  dire  par  là  :  vous 
trouvez  difficile  de  croire  que  moi,    qui  suis  près 


200  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

de  VOUS,  je  me  donne  à  vous  ;  que  ferez-vous  donc 
quand  je  serai  monté  au  ciel  ?  Je  serai  alors  éloi- 
gné de  vous  et  cependant  il  faudra  bien  que  vous 
croyiez  que  je  me  donnerai  en  nourriture,  quoique 
je  sois  à  la  droite  de  mon  Père,  car  je  suis  le  pain 
descendu  du  ciel.  Allez,  «  la  chair  nest  d aucune 
«  utilité  »,  selon  la  manière  grossière  dont  vous 
vous  imaginez  que  je  veux  vous  la  donner,  com- 
me si  j'avais  l'intention  de  vous  donner  une  chair 
morte  et  séparée  de  la  divinité  qui  la  vivifie.  De 
cette  manière  la  chair  n'est  utile  en  rien,  mais 
l'esprit  de  la  divinité  est  uni  à  ma  chair,  et  quand 
vous  vous  en  nourrirez,  cet  esprit  de  la  divinité 
vous  donnera  la  vie  ;  «  cest  V esprit  qui  vivifie  ». 
Or  non  seulement  les  Capharnaïtes  moins  spiri- 
tuels se  rebutèrent  en  entendant  la  promesse  du 
Fils  de  Dieu,  mais  plusieurs  de  ses  disciples  qui 
ne  l'avaient  pas  encore  entendu  parler  d'un  si 
étrange  mystère,  se  rebutèrent  aussi  ;  car  le  Sau- 
veur ne  leur  dit  pas  pour  les  apaiser  et  les  ins- 
truire, que  ce  qu'il  promettait  n'était  pas  une  chose 
si  étonnante  et  qu'il  n'entendait  donner  que  la 
figure  de  son  corps,  —  comme  il  semble  qu'il  eût 
été  à  propos  de  le  faire,  pour  les  instruire  de  la 
vérité  et  les  préserver  de  l'erreur,  —  mais  il  per- 
sista constamment  dans  ce  qu'il  avait  dit  et  leur 
demanda  en  les  réprimandant,  s'ils  ne  voulaient 
pas  aussi  le  quitter.  Ce  qui  donna  sujet  à  saint 
Pierre,  le  plus  fidèle  et  le  plus  ardent  des  Apôtres, 
de  lui  répartir  :  «  A  qui  irions-nous^  Seigneur  ? 
«  vous  ave:(  les  paroles  de  la  vie  éternelle.  »  Il 
protestait  par  là  qu'il  croyait  ce  que  disait  Jésus- 
Christ  et  il  affermissait  les  autres  Apôtres. 


DES    SACREMENTS  201 


Faites  à  la  suite  de  toutes  ces  réflexions  un  acte 
de  foi  ferme.  Je  le  tiens  pour  indubitable,  je  le  crois 
fermement,  ô  Jésus,  ô  mon  Rédempteur,  vous 
êtes  véritablement  et  substantiellement  sous  les 
espèces  du  pain  et  du  vin  dans  cet  auguste  sacre- 
ment. Vous  l'avez  dit,  vous  avez  pu  le  faire  par 
votre  toute-puissance  et  vous  l'avez  voulu  par  votre 
ineffable  bonté.  C'est  donc  vrai,  ô  Seigneur,  je 
vivrai  et  je  mourrai  dans  cette  croyance,  en  m'ap- 
puyant  sur  votre  parole,  qui  ne  peut-être  que  très 
vraie.  Vous,  Seigneur,  qui  êtes  la  vérité  même, 
auriez-vous  voulu  tromper  votre  Eglise  ?  Auriez- 
vous  promis  d'une  manière  expresse  de  lui  donner 
votre  chair  à  manger  et  votre  sang  à  boire,  et  ne 
lui  en  auriez-vous  donné  que  l'ombre  et  la  figure  ? 
Non,  il  n'en  est  pas  ainsi,  «  vous  ave^  les  paroles 
«  de  la  vie  éternelle^  »  et  vous  ne  trompez  per- 
sonne. Je  dois  respecter  assez  votre  parole  et  votre 
promesse,  pour  les  croire  simplement.  Vous  n'a- 
vez pas  promis  de  ne  donner  que  la  figure  de  votre 
corps  et  de  votre  sang,  mais  vous  avez  promis  de 
donner  votre  sang  même.  Oh  !  vos  promesses  sont 
vraies.  Malheureux  ceux  qui  croient  qu'il  en  est 
autrement  et  qui  se  privent  volontairement  du  si 
grand  trésor  contenu  dans  ce  sacrement  !  A  qui 
irions-nous  donc,  Seigneur  ?  Nous  n'irons  pas  aux 
assemblées  des  hérétiques,  mais  nous  irons  tou- 
jours à  votre  Eglise,  qui  nous  donne  véritablement 
votre  corps,  car  «  vous  ave^  les  paroles  de  la  vie 
«  éternelle  ». 


202  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


II 

Considérez  une  seconde  preuve  de  la  présence 
réelle  de  Jésus-Christ  dans  le  Saint-Sacrement  ; 
elle  est  tirée  des  paroles  de  l'exécution  de  ce  qu'il 
avait  promis  et  de  l'institution  de  ce  sacrement 
dans  la  dernière  cène  de  l'agneau  pascal.  Les 
Evangélistes  remarquent  qu'ayant  alors  pris  le 
pain  entre  ses  mains,  Jésus-Christ  le  bénit  et  le 
donna  à  ses  Apôtres,  en  disant  :  «  Prene^,  man- 
<^  g^^i  c^^^i  ^st  mon  corps  ».  (Matt.  26).  Egalement 
il  leur  donna  le  calice,  en  prononçant  ces  paroles  : 
«  Ce  calice  est  le  nouveau  testament  dans  mon 
«  sang^  qui  est  répandu  pour  vous  ».  (Luc,  22). 
Ces  paroles  sont  expressives  et  significatives  par 
elles-mêmes  ;  elles  prouvent  manifestement  que 
Jésus-Christ  s'est  acquitté  de  la  promesse  qu'il 
avait  faite  8e  donner  son  corps  et  son  sang  dans 
ce  sacrement.  Les  Apôtres  reconnaissant  que  c'é- 
tait l'exécution  de  la  promesse,  n'y  ont  plus  fait  de 
difficulté,  ils  obéirent  simplement  et  reçurent  son 
corps  et  son  sang  selon  sa  volonté.  Depuis  lors 
l'Eglise  a  toujours  vécu  dans  cette  croyance  et  les 
vrais  chrétiens  ont  toujours  estimé  recevoir  non  la 
figure  et  l'ombre  de  son  corps,  mais  la  réalité 
même  ;  c'est  pourquoi  ils  ont  adoré  l'Eucharistie 
et  lui  ont  témoigné  comme  aussi  procuré  toutes 
sortes  de  respects.  Parmi  les  Pères,  les  uns  (i)  ont 
dit  expressément  que  Jésus-Christ  n'a  pas  donné 
alors  la  figure  ou  le  signe  de  son  corps,  mais  son 

I.  D.  Damascenus,  1.  4,  De  fide,  c.  14  ;  Theophil.  in 
Matt.  c.  26  et  m  Marc.  c.  14. 


DES    SACREMENTS 


2o3 


corps  lui-même  ;  ils  ont  donné  des  témoignages 
de  leur  foi  si  clairs  et  si  évidents,  qu'il  faut  avoir 
perdu  toute  pudeur  pour  mettre  en  doute  leur  foi. 
En  réalité,  y  a-t-il  interprétation  des  Ecritures 
plus  absurde  que  celle  des  hérétiques  qui  enten- 
dent ainsi  les  paroles  de  Jésus-Christ  :  prene^^ 
mange\,  ceci  est  non  pas  tnon  corps^  mais  seule- 
ment la  figure  de  mon  corps  ?  N'est-ce  pas  une 
dépravation  manifeste  des  paroles  sacrées  de 
Jésus-Christ  ?  Et  n'ont-ils  pas  sujet  d'appréhender 
que,  s'ils  persistent  dans  cet  aveuglement,  ils  n'é- 
prouvent les  effets  de  sa  colère  et  qu'ils  ne  soient 
terrassés  au  moment  de  la  mort  par  cette  parole 
si  claire  :  ceci  est  mon  corps^  comme  par  un  coup 
de  foudre  ? 

S'il  avait  seulement  l'intention  de  ne  donner  que 
la  figure  de  son  corps,  lui  qui  est  la  sagesse  éter- 
nelle, manquait-il  de  paroles  pour  exprimer  net- 
tement qu'il  n'en  donnait  que  la  figure  ?  Ou  bien 
il  aurait  parlé  imprudemment  ;  mais  se  peut-il  rien 
penser  de  plus  absurde  ?  Certainement  Jésus- 
Christ  est  Dieu  et  homme,  il  s'est  fait  admirer  sur 
la  terre  par  ses  œuvres  et  par  ses  paroles,  person- 
ne n'a  jamais  fait  autant  d'actions  héroïques,  ni 
prononcé  autant  de  sublimes  discours  que  lui,  au 
témoignage  de  ses  ennemis  eux-mêmes  ;  quelle 
apparence  y  a-t-il  donc  qu'au  moment  où  il  fallait 
se  séparer  du  monde,  il  ait  dégénéré  ou  se  soit 
relâché  de  sa  façon  excellente  de  parler  et  d'agir  ? 
Aussi  dans  ce  dernier  temps  de  sa  vie,  il  entra  d'u- 
ne façon  royale  dans  Jérusalem  et  fit  de  grandes 
actions  dans  le  temple.  Ensuite,  il  se  fit  préparer 
un  banquet  dans  la  ville,  d'une  façon  toute  extraor- 


2Ô4  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

dinaire,  dans  une  grande  salle  tapissée,  témoignant 
qu'il  avait  quelque  grand  dessein.  Et  cependant  il 
aurait  couronné  tous  ses  miracles  par  le  don  d'un 
petit  morceau  de  pain  qu'il  aurait  laissé  à  ses 
Apôtres,  en  mémoire  de  sa  personne  et  en  souve- 
nir de  lui-même  ?  Est-ce  là  avoir  de  dignes  pensées 
de  la  grandeur  et  de  la  sagesse  du  Verbe  incarné  ? 
Cette  dernière  de  ses  actions  correspondrait-elle 
suffisamment  à  tant  de  belles  prouesses  et  de  mer- 
veilles qu'il  a  opérées  durant  toute  sa  vie  ?  11  est 
bien  plus  digne  de  lui  d'estimer  que,  quand  il 
voulut  quitter  le  monde,  il  fut  partagé  entre  deux 
désirs  :  celui  de  se  retirer  dans  le  ciel  qui  était  le 
lieu  destiné  à  sa  grandeur  et  celui  de  demeurer 
avec  les  hommes  à  cause  du  grand  amour  qu'il 
leur  portait.  Afin  de  satisfaire  ces  deux  désirs,  il 
va  à  la  mort  après  ce  dernier  banquet  et  en  même 
temps  il  institue  le  Saint-Sacrement,  dans  lequel 
son  corps  demeurerait  présent  ;  de  la  sorte  il 
demeurerait  présent  réellement  et  de  fait  avec 
les  hommes,  jusqu'à  la  consommation  des  siècles, 
tout  en  étant  vivant  et  en  régnant  dans  le  ciel  à  la 
droite  de  Dieu,  son  Père. 

Si  bien  que  ce  fut  l'amour  qui  lui  inspira  ce 
grand  dessein,  comme  aussi  le  désir  qu'il  avait  de 
vivre  parmi  les  enfants  des  hommes,  et  de  les 
gagner  tous  à  son  amour  par  un  procédé  si 
obligeant.  En  effet  ce  que  la  fable  raconte  du 
vieux  Cupidon,  se  trouve  réalisé  dans  ce  sacre- 
ment. Ce  dieu  habile  entreprit  un  jour,  dit-on,  de 
porter  à  l'amour  le  cœur  d'un  homme  grossier  et 
rustique.  Dans  ce  but  il  tira  de  son  carquois  une, 
deux  ou  trois  flèches   qu'il  enfonça  dans  ce  cœun 


DES    SACREMENTS  ioS 

sans  rémouvoir  aucunement  ;  il  vida  ensuite  son 
carquois  et  usa  toutes  ses  tièches  sans  obtenir 
^ucun  résultat  sur  ce  cœur  terrestre  et  sauvage. 
Enfin  il  s'avisa  comme  dernier  expédient  de  se 
jeter  lui-même  à  corps  perdu  sur  ce  misérable 
cœur,  la  torche  à  la  main  pour  Tembraser,  et  par 
ce  mo3'en  il  en  fit  sa  proie  et  sa  conquête.  Il  en  a 
été  de  même  du  véritable  Dieu  d'amour  :  pour 
gagner  les  cœurs  humains  à  son  amour,  il  a  lancé 
sur  eux  autant  de  flèches  qu'il  leur  a  conféré  de 
bienfaits  divers,  soit  en  les  conservant,  soit  en  les 
délivrant  de  mille  maux,  soit  par  la  vocation,  soit 
par  les  promesses  d'une  vie  bienheureuse.  Mais 
les  cœurs  humains  ne  se  laissent  pas  pénétrer  par 
ces  dards.  Alors  comme  dernier  effort  il  a  pris  la 
résolution  de  se  jeter  comme  à  corps  perdu  sur 
leurs  cœurs,  le  flambeau  brûlant  de  sa  charité  à  la 
main.  Il  s'est  caché  dans  ce  sacrement  sous  les 
espèces  du  pain  et  du  vin,  afin  de  porter  les  hom- 
mes à  l'aimer  et  il  a  dit  :  «  Prene^,  mangée^,  ceci 
(K  est  mon  corps  »  ;  je  ne  vous  dis  pas  la  figure  de 
mon  corps  simplement,  mais  c'est  moi-même  qui 
veux  entrer  en  vous,  qui  veux  m'unir  à  vous. 

Je  renouvellerai  à  la  suite  de  ces  considérations, 
les  actes  de  foi  dans  la  vraie,  réelle  et  substantiel- 
le présence  de  Jésus-Christ  dans  la  sainte  Eucha- 
ristie. C'est  l'œuvre  des  œuvres  de  Jésus-Christ, 
elle  est  digne  de  sa  puissance  et  de  sa  grandeur. 
O  Dieu,  «  que  les  peuples  le  confessent^  que  tous 
«  les  peuples  le  confessent  »  (Ps.  66)^  c'est  votre 
corps,  c'est  votre  sang  qui  est  dans  l'Eucharistie, 
ce  n'en  est  pas  seulement  la  figure  et  la  représen- 
tation.   L'hérésie   en  a  menti,   c'est  vous-même. 


2t)6  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

VOUS  le  Rédempteur  du  monde,  qui  vous  présen- 
tez dans  ce  mystère.  O  Père  éternel,  quand  je 
verrai  le  prêtre  sacrifier  et  tenir  l'hostie  dans  ses 
mains,  je  me  représenterai  que  du  fond  du  paradis 
vous  étendez  vers  moi  votre  puissante  main,  pour 
me  faire  présent  de  votre  Fils.  O  très  admirable 
Jésus,  il  n'a  donc  pas  suffi  à  votre  bonté  de  nous 
donner  le  ciel  et  la  terre  au  jour  de  la  création  ; 
vous  vous  êtes  aussi  donné  vous-même  dans  l'In- 
carnation. Vous  avez  conversé  avec  nous  dans 
cette  vallée  de  larmes  pendant  trente-trois  ans  ; 
après  quoi,  voulant  retourner  à  votre  Père,  vous 
avez  résolu  de  demeurer  avec  nous  d'une  manière 
admirable,  en  vous  cachant  sous  les  espèces  du 
Saint-Sacrement.  O  bonté  !  O  libéralité  !  O  béni- 
gnité !  O  charité  !  O  amour  !  Pourquoi  ne  puis-je 
assez  vous  comprendre  et  vous  exprimer  ? 

III 

Considérez  la  troisième  preuve  de  la  réalité  du 
corps  de  Jésus-Christ  tirée  des  paroles  par  les- 
quelles saint  Paul,  le  fidèle  interprète  des  inten- 
tions de  Jésus-Christ,  a  représenté  l'usage  que 
l'on  doit  faire  de  ce  sacrement.  «  Que  l'homme 
«  s'éprouve  lui-même^  et  qu'ainsi  il  mange  de  ce 
«  pain  et  boive  de  ce  calice  ;  car  quiconque  man- 
«  géra  ce  pain  ou  boira  à  ce  calice  indignement^ 
«  sera  coupable  du  corps  et  du  sang  de  Jésus- 
«  Christ.  »  (I  Cor.  2).  Ce  sont  là  des  paroles  ter- 
ribles et  foudroyantes  par  lesquelles  il  donne  à 
entendre  que  ceux  qui  s'approchent  du  sacrement 
auguste  de  l'Eucharistie,  sans  au  préalable  s'être 
éprouvés  eux-mêmes,  s'ils  n'ont  la  vraie  foi  et  la 


DES    SACKKMENTS  207 

vraie  paix  de  la  conscience,  sont  aussi  criminels 
que  les  Juifs,  qui  n'ont  pas  épargné  le  corps  de 
Jésus,  mais  Font  crucifié  et  ont  fait  couler  tout  son 
sang.  Mais  saint  Paul  ne  se  contente  pas  de  repré- 
senter la  gravité  du  péché  de  ceux  qui  commu- 
nient indignement,  il  fait  connaître  aussitôt  la 
peine  de  ce  péché  et  le  supplice  horrible  dont  il 
sera  puni  :  «  Car  celui  qui  mange  et  boit  indi- 
«  gnement,  mange  et  boit  sa  condamnation  ;  » 
il  avale  sa  condamnation  et  reçoit  en  lui  la  source 
de  son  tourment.  Il  ne  faut  que  faire  un  peu  de 
réflexion  sur  ces  paroles  de  l'Apôtre,  pour  avouer 
que  ce  n'est  pas  seulement  un  morceau  de  pain 
que  Ton  reçoit  en  communiant,  et  qu'il  faut  bien 
qu'il  y  ait  autre  chose  qu'une  figure  et  une  repré- 
sentation. Car  comment  serait-il  possible  que, 
pour  avoir  reçu  en  mauvais  état  un  petit  morceau 
de  pain,  qui  ne  serait  que  la  figure  du  corps  de 
Jésus-Christ,  Dieu  exerçât  de  si  étranges  et  de  si 
redoutables  châtiments  ?  La  loi  dit  que  «  le  nom- 
«  bre  des  coups  doit  être  proportionné  à  la  gra- 
«  vite  du  délit  ;  »  et  ce  ne  serait  pas  un  crime  si 
atroce  et  qui  méritât  la  rigueur  de  tant  de  rudes 
châtiments,  si  ce  n'était  qu'un  pain  ordinaire  que 
les  bons  chrétiens  et  les  chrétiens  instruits  ont 
coutume  de  prendre  avec  bénédiction  et  actions 
de  grâces  envers  Dieu.  Il  faut  donc  avouer  que 
saint  Paul  entendait  qu'il  y  avait  plus  qu'une 
figure  et  qu'une  représentation,  et  que  c'était  le 
corps  même  de  Jésus-Christ,  qui  était  traité  indi- 
gnement par  les  communions  sacrilèges. 

En  réalité  c'est  à  cela  qu'il  rapporte   toute  la 
raison  de  ce  grand  péché  et  de  ce  grand  supplice. 


2t>8  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

«  //  mange,  dit-il,  et  boit  son  jugement,  car  il  ne 
«  discerne  pas  Je  corps  du  Seigneur  \  »  et  il  le 
traite  comme  un  pain  ordinaire,  qu'on  peut  man- 
ger sans  inconvénient,  quel  que  soit  Tétat  dans 
lequel  se  trouve  la  conscience.  Il  ajoute  ensuite 
que,  parce  qu'ils  n'ont  pas  fait  le  discernement  du 
corps  sacré  de  Jésus-Christ  et  qu'ils  ne  lui  ont  pas 
rendu  l'honneur  qui  lui  est  dû,  plusieurs  parmi 
les  Corinthiens  en  furent  exemplairement  châtiés, 
sans  délai  et  sans  rémission  :  «  Cest  pour  ce 
«  motif  qu'il  y  en  a  beaucoup  parmi  vous  de 
«  malades  et  de  languissants  qui  périssent.  »  Or 
ces  punitions  ont  continué  de  plus  en  plus  contre 
ceux  qui  se  sont  rendus  coupables  à  ce  sujet. 
Saint  Cyprien  raconte  à  ce  propos  des  histoires 
prodigieuses,  par  exemple  celle  d'une  femme  qui 
ayant  emporté  le  Saint-Sacrement  et  l'ayant  en- 
fermé dans  son  coffre,  voulut  l'en  retirer  et  le 
prendre  en  mauvais  état  de  conscience  ;  elle  vit 
sortir  une  flamme  qui  l'épouvanta  et  l'empêcha 
d'y  toucher.  Il  cite  aussi  le  cas  d'une  autre  femme 
qui,  bien  qu'elle  fut  sortie  de  l'Eglise  catholique 
par  l'infidélité,  dans  ses  vieux  jours  se  glissa 
parmi  les  autres  femmes,  pour  recevoir  la  com- 
munion. Elle  ne  l'eut  pas  plus  tôt  fait  que,  comme 
si  elle  eût  avalé  un  couteau  ou  un  poison  mortel, 
elle  commença  à  trembler  et  à  ressentir  les  tour- 
ments de  son  péché,  puis  elle  mourut  sur  place. 
Ainsi  le  péché  de  ce  sacrilège  ne  demeura  pas 
longtemps  impuni  et  celle  qui  avait  trompé  un 
homme,  eut  Dieu  même  pour  juge  et  pour  ven- 
geur de  sa  conscience  dissimulée.  Et  pour  mon- 
trer que  ces  punitions  ne  tombent  pas  sur  les  têtes 


DES    SACREMENTS  20{) 

des  femmes  seulement,  il  apporte  encore  l'exem- 
ple d'un  chrétien,  qui  avait  assisté  aux  sacrifices 
des  idoles  et  qui  avait  osé  ensuite  participer  à  ce 
sacrement  sans  pénitence.  Il  ne  trouva  dans  ses 
mains  que  de  la  cendre  ;  Jésus-Christ  s'était  retiré 
de  celui  qui  l'avait  renié  ;  tant  est  vraie  la  parole 
du  grand  Apôtre,  que  celui  qui  mange  et  boit 
indignement,  en  porte  bientôt  la  peine.  Jésus- 
Christ  en  eft'et  qui  est  la  vie  pour  les  bons,  est  la 
mort  pour  les  méchants,  et  de  même  que  dans  les 
uns  il  fait  sentir  sa  présence  par  l'abondance  des 
douceurs  qu'il  leur  apporte  ;  ainsi  dans  les  autres 
il  la  fait  sentir  par  les  punitions  et  les  supplices, 
par  lesquels  il  châtie  leur  irrévérence. 

J'apprendrai  par  ces  paroles  à  respecter  Jésus- 
Christ  dans  le  Saint-Sacrement,  et  à  m'en  appro- 
cher avec  tout  le  respect  qui  me  sera  possible.  Je 
me  prosternerai  humblement  en  sa  présence,  pro- 
testant de  cœur  et  d'affection,  et  aussi  avec  la  foi 
la  plus  ardente  qu'il  me  sera  possible,  que  c'est 
mon  Rédempteur,  celui  qui  doit  me  juger,  et 
celui  par  la  miséricorde  de  qui  j'espère  parvenir  à 
la  béatitude.  Oh  !  que  je  souhaiterais  que  tout  le 
monde  se  mit  en  devoir  de  lui  rendre  les  honneurs 
qui  lui  sont  dus  !  Oh  !  que  je  voudrais  que  l'infi- 
délité, qui  en  empêche  plusieurs  de  l'adorer,  fut 
éteinte  !  Oh  !  si  tous  les  prêtres  qui  touchent  à  ce 
mystère  sacro-saint,  étaient  saints  et  doués  d'une 
pureté  convenable  !  Oh  !  si  tous  les  chrétiens 
appréhendaient  de  s'en  approcher  indignement  ! 
Oh  !  s'il  n'y  avait  dans  l'Eglise  aucune  commu- 
nion sacrilège,  qui  attirât  sur  la  terre  la  colère  du 
ciel  !  O  Jésus  !  faites-vous  rendre  les  respects  qui 

Bail,  t.  ix.  14 


210  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

VOUS  sont  dus  dans  ce  sacrement.  Si  ma  vie  ché- 
tive  peut  vous  être  utile  dans  ce  but,  je  vous  Toffre 
du  fond  du  cœur  ;  elle  sera  bien  employée  si,  en 
se  perdant,  elle  pouvait  faire  cesser  un  seul  acte 
d'irréligion  et  d'irrévérence  à  votre  égard. 


VIIF  MÉDITATION 

DE  CE  QUI  EST  PLUS  ESSENTIEL 

DANS  LE  SACREMENT 

DE  LA  SAINTE  EUCHARISTIE 


SOMMAIRE 

L Eucharistie  est  un  sacrement  de  la  nouvelle 
Loi  qui  consiste  dans  les  espèces  du  pain  et  du 
vin,  et  dans  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ 
réellement  contenu  sous  ces  espèces^  pour  don- 
ner à  Vâme  sa  nourriture  spirituelle.  — Jésus- 
Christ  est  présent  dans  ce  sacrement  en  vertu 
des  paroles  prononcées  par  le  prêtre.  —  Dans 
cette  conversion  il  ne  demeure  rien  de  la  subs- 
tance du  pain  ni  de  la  substance  du  vin. 

I 

CONSIDÉREZ   que  l'Eucharistie  est  un  sacre- 
ment de  la  nouvelle  Loi  qui  consiste  dans 
les  espèces  du  pain  et  du  vin,  et  dans  le  corps  et 


D  E  s    s  A  C  R  E  M  E  N  T  s  2 1  1 

le  sang  de  Jésus-Chiist  réellement  contenus  sous 
ces  espèces,  pour  donner  à  Tàme  sa  nourriture 
spirituelle. 

Premièrement,  l'Eucharistie  est  appelée  un 
sacrement  de  la  nouvelle  Loi,  pour  nous  donner  à 
entendre  qu'elle  fut  instituée  par  Jésus-Christ, 
qu'elle  a  des  signes  sensibles  qui  signifient  la 
grâce  divine  et  la  confèrent  à  ceux  qui  les  reçoi- 
vent avec  les  dispositions  requises.  Tout  cela  en 
effet  convient  à  tout  ce  qui  est  sacrement  de  la 
nouvelle  Loi  et  par  conséquent  à  l'Eucharistie.  Or 
nous  ajoutons  ici  expressément  :  de  la  nouvelle 
Loi,  pour  avoir  l'occasion  de  considérer,  que  ce 
sacrement  n'a  pas  été  donné  sous  la  loi  de  nature, 
ni  sous  la  loi  de  Moïse.  Le  monde  était  alors  inca- 
pable d'un  mystère  si  grand  et  si  auguste,  car  il 
était  dans  son  enfance  et  dans  ses  commence- 
ments. Dieu  a  voulu  attendre  la  plénitude  des 
temps  et  comme  l'âge  viril  ou  l'âge  parfait  du 
monde,  qui  est  le  temps  de  la  Loi  évangélique, 
pour  l'y  faire  participer. 

Secondement,  il  est  dit  que  ce  sacrement  con- 
siste dans  les  espèces  du  pain  et  du  vin  et  dans  le 
corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ  réellement  con- 
tenus sous  ces  espèces,  pour  nous  représenter  par 
ces  paroles  la  matière  et  la  forme  dont  ce  sacre- 
ment est  composé,  en  tant  qu'on  le  considère 
comme  complet  et  formé.  Car  le  sacrement  de 
l'Eucharistie  considéré  comme  formé  et  complet  a 
pour  matière  les  espèces  du  pain  et  du  vin,  c'est- 
à-dire  les  accidents  et  les  apparences  du  pain  et 
du  vin,  ^telles  que  la  blancheur,  la  rougeur,  la  sa- 
veur et  autres  accidents,  qui  dénotent  la  nourri- 


212  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

ture,  la  corroboration  et  la  sustentation  intérieure 
de  Tàme,  par  le  moyen  de  la  grâce.  Il  a  comme 
forme,  et,  pour  ainsi  dire,  comme  âme,  le  corps  et 
le  sang  de  Jésus-Christ,  ou  bien  Jésus-Christ 
même,  qui  est  véritablement  et  de  fait  présent 
sous  les  espèces,  et  comme  il  n'est  venu  au  monde 
que  pour  faire  grâce  et  miséricorde,  sa  présence 
est  une  très  grande  marque  de  la  grâce  et  de 
Tabondance  des  biens  spirituels,  de  même  que  la 
présence  d'un  roi  qui  n'a  jamais  fait  que  du  bien 
partout  où  il  a  été,  annonce  des  grâces  et  des 
faveurs  à  l'égard  de  ceux  qu'il  daigne  visiter  en 
personne.  En  cela  apparaît  de  prime  abord  com- 
bien ce  sacrement  est  auguste  et  vénérable  par 
dessus  tous  les  autres,  qui  n'ont  que  des  paroles 
pour  leur  forme,  c'est-à-dire  pour  ce  qui  leur 
donne  force  et  vigueur,  tandis  que  ce  sacrement  a 
comme  forme  qui  lui  donne  sa  vigueur,  Jésus- 
Christ  même.  Dieu  et  homme,  son  véritable  corps 
et  son  sang  précieux. 

Au  reste  pour  comprendre  ce  point  très  sublime, 
il  faut  distinguer  trois  états  dans  ce  sacrement.  Le 
premier  état  est  celui  de  sa  formation,  en  tant 
qu'il  est  encore  à  naître  ou  à  être.  Le  second  état 
est  celui  de  son  achèvement  et  de  sa  perfection, 
en  tant  que  le  sacrement  est  parfait  et  complet.  Le 
troisième  état  est  celui  de  son  application,  en  tant 
que  le  sacrement  est  appliqué  et  donné  aux  per- 
sonnes qui  le  reçoivent  en  communiant.  Tous  ces 
trois  états  sont  grands  et  admirables,  et  ce  sacre- 
ment est  digne  dans  chacun  de  ces  états  de  la 
contemplation  des  plus  grands  esprits  du  monde. 
Or  laissons  de  côté,  pour  une  autre   fois,  le  troi- 


DES    SACREMENTiN  2l3 

sièmc  état  de  ce  sacrement,  c'est-à-dire  celui  où  il 
est  donné  ou  appliqué  aux  fidèles  par  la  commu- 
nion appelée  sacramentelle,  et  ne  le  considérons 
maintenant  que  dans  les  deux  premiers  états,  en 
tant  qu'il  est  en  voie  de  formation  et  en  tant  qu'il 
est  formé.  Or,  dans  l'un  comme  dans  l'autre  de 
ces  deux  états  ce  sacrement  a  sa  matière  propre  et 
sa  forme  propre.  Car,  en  tant  qu'il  est  encore  en 
voie  de  formation  et  qu'il  est  encore  à  naître,  il  a 
pour  matière  le  pain  et  le  vin  communs  et  natu- 
rels, et  comme  forme  il  a  ces  paroles  sacramen- 
telles :  «  Ceci  est  mon  corps,  ceci  est  le  calice  de 
«  mon  sang^  »  etc.  En  tant  qu'il  est  formé  et 
complet  en  vertu  de  ces  paroles  sacramentelles 
prononcées  par  le  prêtre  avec  l'intention  voulue  et 
sur  la  matière  du  pain  et  du  vin,  il  a  alors  pour 
matière  les  seules  espèces  du  pain  et  du  vin  qui 
restent  après  la  prononciation  des  dites  paroles,  et 
comme  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ  succè- 
dent à  la  substance  du  pain  et  du  vin,  demeurent 
et  persistent  réellement  avec  leurs  accidents,  ce 
corps  et  ce  sang  tiennent  lieu  de  forme  et  y  sont 
suffisamment  sensibles  à  cause  des  paroles  qui 
ont  précédé  :  «  Ceci  est  mon  corps,  ceci  est  le 
«  calice  de  mon  sang  »  (i). 

I.  Cette  théorie  de  l'auteur  sur  l'Eucharistie  considé- 
rée comme  sacrement  permanent,  nous  semble  s'écar- 
ter notablement  de  l'enseignement  commun  des  Théo- 
logiens sur  ce  point.  Ils  admettent  en  effet  communé- 
ment, d'après  Suarez  (disp.  42,  sect.  3,  n.  2)  que  le 
sacrement  de  l'Eucharistie,  une  fois  fait  ou  produit  par 
les  paroles  de  la  consécration,  consiste  essentiellement 
et  également  en  deux  éléments   qui  sont  les  espèces 


214  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Enfin  on  ajoute  dans  la  définition  :  pour  donner 
à  Tàme  sa  nourriture  spirituelle.  Par  cette  nour- 
riture spirituelle,  il  faut  entendre  avec  la  grâce 
sanctifiante  l'amour  de  Dieu,  le  goût  de  Dieu  et  la 
douceur  de  la  dévotion  à  son  égard.  Ce  sont  là 
les  vrais  fruits  naturels  de  ce  sacrement  surna- 
turel et  ce  qui  nourrit  et  sustente  Tàme  spirituel- 
lement, parce  que,  sans  les  actes  d'amour  et  sans 
la  dévotion  actuelle,  elle  ressemble  à  un  corps  qui 
manque  de  nourriture  ;  ce  corps  se  dessèche  tous 
les  jours,  il  ne  fait  que  languir  et  s'affaiblir  de  plus 
en  plus. 

eucharistiques  et  en  même  temps  le  corps  et  le  sang  de 
Jésus-Christ.  Ces  deux  éléments  sont  en  effet  requis, 
pour  constituer  un  signe  sensible  et  efficace  de  la 
grâce.  Si  l'on  demande  quelle  est  alors,  c'est-à-dire 
après  la  confection  de  ce  sacrement,  sa  matière  et  sa 
forme,  nous  répondons  qu'à  l'état  permanent  ce  sacre- 
ment a  la  même  matière  et  la  même  forme  qu'au  mo- 
ment où  il  était  produit,  car  les  paroles  qui  physique- 
ment ne  sont  plus  et  qui  constituent  sa  forme,  persévè- 
rent moralement  et  virtuellement,  c'est-à-dire  par  leur 
efficacité  et  dans  leur  effet.  Les  espèces  eucharistiques 
ne  sont  le  signe  de  la  présence  de  Jésus-Christ,  qu'en 
tant  qu'elles  ont  reçu  des  paroles  ce  sens  déterminé, 
car  nous  ne  savons  que  les  espèces  sont  consacrées  et 
renferment  Jésus-Christ,  que  lorsque  nous  savons  que 
les  paroles  de  la  consécration  ont  été  prononcées  sur 
elles.  Peut-être  peut-on  dire  avec  Bail,  que  le  corps  et 
le  sang  de  Jésus-Christ  tiennent  lieu  de  forme,  et  le 
pain  et  le  vin  de  matière,  en  ce  sens  que  les  espèces 
sont  l'élément  qui  rend  visible  le  corps  de  Jésus-Christ, 
tandis  que  ce  même  corps  est  comme  la  vertu  qui  rend 
ces  espèces  capables  de  produire  la  grâce. 


DFS    SACREMENTS  21  5 

Je  concevrai  comme  fruit  de  cette  première  con- 
sidération une  très  haute  estime  de  ce  sacrement, 
dans  la  composition  et  l'achèvement  duquel  entre 
l\Homme-Dieu,  Jésus-Christ,  pour  lui  servir  de 
forme  et  d'essence,  pour  être  comme  son  âme  vi- 
vifiante. Les  composés  en  effet  sont  d'autant  plus 
excellents  que  leur  forme  est  plus  sublime  et  plus 
relevée  ;  c'est  ainsi  que  les  plantes  sont  plus 
excellentes  que  les  pierres,  parce  que  les  plantes 
ont  une  forme  plus  noble.  L'homme  est  le  plus 
digne  sujet  parmi  tous  les  êtres  corporels,  parce 
que  sa  forme,  qui  est  son  àme  raisonnable,  atteint 
à  un  plus  haut  degré  de  dignité.  Quelle  doit  donc 
être  l'excellence  de  ce  sacrement,  dont  la  forme 
est  si  éminente  ;  et  si  les  formes  les  plus  excel- 
lentes des  composés  produisent  les  plus  sublimes 
effets,  que  ne  faut-il  pas  attendre  et  espérer  de  ce 
sacrement  ?  Quelles  choses  souhaitables  et  mer- 
veilleuses n'en  procéderont-elles  pas  ?  O  très  digne 
et  très  divin  sacrement  rempli  de  Jésus-Christ  et 
enrichi  de  sa  présence,  puissè-je,  en  vous  médi- 
tant, vous  connaître  parfaitement,  ainsi  que 
toutes  vos  singularités  admirables,  afin  que  vous 
connaissant  je  vous  estime  et  vous  affectionne,  je 
vous  vénère  et  vous  loue  et  j'excite  les  mortels  à 
vous  rendre  l'amour  et  le  [respect  qui  vous  appar- 
tiennent. 

II 

Considérez  que  Jésus-Christ  est  rendu  présent 
dans  ce  sacrement  par  la  vertu  des  paroles  sacra- 
mentelles proférées  par  le  prêtre  :  «  Ceci  est  mon 
«  corps^  ceci  est  le  calice  de  mon  sang,  »  etc.  Il 


2l6  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

se  fait  alors  une  transmutation  ou  bien  un  change- 
ment du  pain  et  du  vin  au  corps  et  au  sang  de 
Jésus-Christ.  L'Eglise  a  toujours  vécu  dans  cette 
croyance  et  dans  la  persuasion  de  cette  vérité. 
Toujours,  dit  le  Concile  (i),  on  a  été  persuadé 
dans  l'Eglise  de  Dieu,  et  ce  saint  Concile  le  dé- 
clare de  nouveau,  que  par  la  consécration  du  pain 
et  du  vin,  il  se  fait  une  conversion  de  toute  la 
substance  du  pain  en  la  substance  du  corps  de 
Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  et  de  toute  la  subs- 
tance du  vin  en  la'substance  de  son  sang  ;  conversion 
qui  est  appelée  proprement  et  convenablement 
par  la  sainte  Eglise  catholique,  transsubstantia- 
tion. La  raison  de  cette  grande  vérité  est  que  les 
paroles  de  Jésus-Christ  :  «  Ceci  est  mon  corps.,  » 
ne  peuvent  être  vraies,  si  au  même  instant  qu'il 
les  proférait,  la  substance  du  pain  ne  se  changeait 
en  celle  de  son  corps.  Or  elles  étaient  très  vraies, 
car  elles  étaient  prononcées  par  celui  qui  est  la 
vérité  même,  et  qui  ne  peut  errer  le  moins  du 
monde  ;  par  conséquent  elles  opéraient  et  accom- 
plissaient secrètement  par  une  puissante  vertu  ce 
qu'elles  signifiaient.  C'est  pourquoi  comme  celui 
qui  tiendrait  dans  sa  main  de  la  poudre  à  canon  et 
serait  assez  puissant  pour  lui  faire  prendre  feu  en 
disant  :  ceci  est  du  feu,  changerait,  en  proférant 
cette  parole  :  ceci  est  du  feu,  la  poudre  en  feu  et 
dirait  vrai,  s'il  disait  en  tenant  et  en  montrant  la 
poudre  :  ceci  est  du  feu  ;  ainsi  devons-nous  com- 
prendre par  cette  comparaison  familière,  que  la 
parole  de  Jésus-Christ  :  ceci  est  mon  corps.,  étant 

I.  Trid.  sess.  13,  c.  4. 


DES    SACREMENTS  217 

une  parole  etlicace,  —  car  le  prophète  a  dit  :  «  La 
«  voix  du  Seigneur  est  pleine  de  force  »  (Ps.  28),  — 
par  la  vertu  de  cette  parole,  la  substance  du  pain 
quHl' tenait  dans  ses  mains,  a  été  convertie  en  la 
substance  de  son  corps,  ainsi  que  la  poudre  serait 
convertie  en  feu,  dans  le  cas  que  nous  venons  de 
citer.  Au  reste  il  est  bien  raisonnable  d'attribuer 
cette  force  et  cette  puissance  à  la  parole  de  Jésus- 
Christ,  car  sa  parole  est  d'une  plus  grande  effica- 
cité, et  il  faut  lui  attribuer  beaucoup  plus  qu'à  la 
parole  d'un  homme  et  d'une  simple  créature.  Or 
celle-ci  signifie  toujours  quelque  chose  ;  afin  donc 
que  celle-là  ait  un  avantage  sur  elle,  elle  ne  doit 
pas  seulement  signifier,  mais  elle  doit  aussi  effec- 
tuer ce  qu'elle  signifie.  C'est  pourquoi,  par  l'éner- 
gie des  paroles  de  Jésus-Christ  prononcées  par  le 
prêtre  dans  la  consécration  du  pain  et  du  vin,  il 
se  fait  un  changement  admirable  de  substance  en 
substance  ;  le  pain  y  devient  le  corps  de  Jésus- 
Christ,  le  vin  y  devient  son  sang  et  l'un  et  l'autre 
cessant  d'être  ce  qu'ils  étaient  auparavant,  mon- 
tent à  un  degré  meilleur  et  beaucoup  plus  relevé, 
qui  est  l'être  de  Jésus-Christ  même. 

Ceci  ne  doit  pas  nous  sembler  incroyable,  car 
une  créature  change  bien  une  autre  créature  en 
sa  substance.  Ainsi  la  chair  de  l'homme  change 
en  elle-même  le  pain  qu'elle  mange.  Pourquoi 
donc  la  parole  d'un  Dieu  tout-puissant,  qui  a  tout 
créé  par  sa  parole,  ne  pourrait-elle  pas  changer  le 
pain  en  son  corps  et  le  vin  en  son  sang  ?  Il  a  bien 
changé  dès  le  commencement  du  monde  le  limon 
de  la  terre  en  un  corps  humain,  celui  du  premier 
homme  Adam  et  une  des  côtes  de  cet  homme  en 


2'l8  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

une  femme  qu'il  en  forma  par  une  mystérieuse 
métamorphose.  (Gen.  i).  Et  s'étant  fait  hom.me, 
aux  noces  de  Cana,  il  se  fit  connaître  par  une 
semblable  transformation,  quand  il  changea  Teau 
en  vin.  Pourquoi  ne  pourrait-il  pas  faire  une  chose 
semblable  dans  ce  grand  sacrement?  Certes  la  na- 
ture est  toute  remplie  d'effets  pareils.  Le  soleil 
par  son  influence  change  la  terre  en  or  et  en  tou- 
tes sortes  de  métaux  ;  les  abeilles  font  du  miel 
avec  les  fleurs  ;  la  poule  sans  changer  la  coque  de 
l'œuf  en  change  le  jaune  en  une  chair  vivante. 
Pourquoi  Jésus-Christ  par  un  moyen  admirable 
ne  pourait-il  pas  changer  la  substance  intérieure 
du  pain  en  son  corps,  sans  en  altérer  les  acci- 
dents ?  Si  la  nature  fait  ces  choses  à  tout  moment 
sans  peine,  que  ne  pourra  pas  faire  l'auteur  de  la 
nature  ?  Mais  que  dis-je  ?  la  nature.  L'art  fait  tous 
les  jours  de  nouveaux  changements.  Les  cendres 
se  changent  en  verre  sous  l'action  du  feu,  l'alchi- 
mie change  des  substances  en  d'autres  substances 
plus  excellentes  et  qui  approchent  de  l'or  vérita- 
ble. Si  donc  l'art  a  cette  puissance,  qui  osera  la 
refuser  à  Dieu  et  à  sa  parole  toute-puissante  ? 
Mais  que  n'a  pas  fait  Moïse  aidé  de  l'assistance 
divine  ?  Jetant  sa  verge  par  terre,  il  la  change  en 
dragon,  et,  quand  il  la  prend  par  la  queue,  elle 
revient  à  sa  première  nature.  (Ex.  4).  Il  change 
les  eaux  des  fleuves  en  sang  et  le  sang  en  eau  et  il 
fait  plusieurs  autres  changements  admirables.  Ce- 
pendant Moïse  n'est  que  le  serviteur,  quelle  sera 
donc  la  puissance  du  Maître,  s'il  institue  des 
paroles  expresses,  pour  faire  un  changement 
d'une  substance  en  une  autre,  comme  il  en  a  ins- 


DES    SACREMENTS  219 

titué  pour  la  sainte  Eucharistie  ?  «  Il Jera,  dit  le 
«  Sage,  ce  qu'il  voudra,  sa  parole  est  pleine  de 
«  puissance  et  personne  ne  peut  lui  dire:  pour- 
«  quoi  agissez-vous  ainsi?  y>  {Ecc\.  8).  Enfin  re- 
présentons-nous la  reproduction  d'un  corps  dans 
un  lieu  où  il  n'est  pas  ;  qui  peut  contester  que 
Dieu  ait  ce  pouvoir  ?  Si  je  n'étais  pas  en  France, 
personne  ne  doute  qu'il  ne  put  me  produire  en 
Asie,  ou  dans  tel  lieu  qu'il  lui  plairait.  Or  la  pré- 
sence de  ma  personne  en  France  m'empêche  pas 
la  toute-puissance  de  Dieu  de  me  reproduire,  s'il 
lui  plaît,  autre  part,  ni  plus  ni  moins  que  ma 
présence  en  un  temps  ne  peut  l'empêcher  de  me 
produire  dans  un  autre  temps,  car  le  lieu  n'est 
pas  pour  lui  un  plus  grand  obstacle  que  le  temps. 
Qui  peut  donc  l'empêcher,  tandis  que  le  corps  de 
Jésus-Christ  est  aujourd'hui  dans  le  ciel,  de  le 
reproduire  sur  les  autels  et  en  tels  lieux  de  la 
terre  et  du  monde  qu'il  voudra  ? 

Oh  !  bénies  soient  infiniment  la  toute  puissance 
et  la  bonté  de  Dieu,  qui  font  un  tel  changement 
de  la  substance  du  pain  en  celle  de  Jésus-Christ 
par  amour  pour  moi,  afin  que  prenant  les  appa- 
rences ou  espèces  du  pain,  je  m'en  nourrisse  et  le 
reçoive  lui-même  !  O  Seigneur,  en  reconnaissance 
de  ce  grand  changement,  je  désire  aussi  accomplir 
un  changement  par  amour  pour  vous,  un  change- 
ment de  moi-même  et  de  mon  ancienne  vie  en 
une  vie  nouvelle  plus  céleste  et  plus  spirituelle. 
Je  désire  changer  en  moi  tout  ce  qui  est  du  vieil 
Adam  gâté  et  corrompu,  aux  saintes  mœurs  et 
actions  du  nouvel  Adam.  Ce  changement  n'a  pour 
objet  que  des  accidents  seulement.  Si  vous  faites 


2^0  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

pour  mon  amour  le  changement  d'une  substance 
basse  et  très  commune  en  une  substance  qui  est 
la  plus  rare,  la  plus  précieuse  et  la  plus  divine  du 
monde,  refuserai-je  pour  votre  amour  de  changer 
mes  accidents  mauvais  et  pervers,  en  d'autres 
plus  louables  et  plus  saints  ?  J'aurai  aussi  confiance, 
à  la  vue  de  cette  transsubstantiation,  que  de  très 
bas  et  très  vil  que  je  suis  maintenant,  je  pourrai 
être  transformé  en  un  état  qui  se  rapprochera  de 
l'état  glorieux  de  Jésus-Christ.  Aussi  saint  Paul 
dit  :  «  IL  formera  de  nouveau  votre  corps  sur  le 
«  modèle  de  son  corps  glorieux.  »  (Phil.  3).  Car 
s'il  fait  ce  changement  d'une  façon  beaucoup  plus 
haute  dans  le  pain  par  amour  pour  l'homme, 
l'homme,  n'a-t-il  pas  grand  sujet  de  s'attendre  à 
être  élevé  et  à  m.onter  à  un  rang  plus  honorable, 
à  un  rang  glorieux,'oLi  il  sera  divinisé  et  transformé 
en  Jésus-Christ  par  l'imitation  et  la  ressemblance 
des  qualités  de  sa  gloire  très  parfaite  ?  O  heureuse 
et  mille  fois  désirable  conversion  !  «  Convertisse\- 
«  nous.,  Seigneur^  et  éloigne^  de  nous  votre  colère.  » 
(Ps.  84). 

III 

Considérez  que  dans  cette  conversion  il  ne 
reste  rien  de  la  substance  du  pain  et  du  vin  ;  elle 
cède  entièrement  au  corps  et  au  sang  de  Jésus- 
Christ,  et  il  n'y  a  que  les  seuls  accidents  ou  les 
seules  espèces  qui  demeurent,  telles  que  la  blan- 
cheur, la  rougeur,  la  saveur  et  les  autres.  Sous 
ces  accidents  Jésus-Christ  est  présent  tout  entier 
et  tel  qu'il  est  dans  le  ciel,  pour  être  le  pain  vivant 
et  vivifiant  de  nos  âmes  ;  il  porte  et  soutient  par 


DES    SACREMENTS  121 

sa  vertu  ces  accidents  destitués  de  leur  propre 
substance  et  de  leur  soutien  naturel.  Cette  vérité 
doit  se  conclure  de  la  précédente,  où  il  a  été  con- 
sidéré qu'il  y  avait  transmutation  d'une  substance 
en  une  autre,  car  partout  où  il  y  a  une  telle  trans- 
mutation, la  substance  transmuée  cesse  d'être  ce 
qu'elle  était  auparavant  et  par  conséquent  la  subs- 
tance du  pain  cesse  d'exister,  quand  devient  pré- 
sent le  corps  de  Jésus-Christ,  dans  lequel  elle  se 
change.  D'ailleurs  elle  serait  inutile,  et  impropre 
à  tout  usage  spirituel  ;  car  les  accidents  qui  demeu- 
rent sont  pleinement  suffisants  pour  signifier 
l'effet  du  sacrement,  et  Jésus-Christ,  qui  est  pré- 
sent, est  assez  capable  par  sa  vertu  infinie  de  les 
soutenir  et  de  les  faire  agir  sans  leur  substance. 
En  effet  «  c'est  lui^  dit  saint  Paul,  qui  soutient 
«  ton  ta  choses  par  sa  parole  toute  puissante  » 
(Héb.  i).  Et  de  même  que,  dans  l'Incarnation, 
dont  ce  mystère  est  une  imitation,  le  Verbe  divin 
soutient  en  lui-même  l'humanité  dépouillée  de 
son  suppôt  et  de  son  soutien  naturel,  qui  est  sa 
subsistance  ;  ainsi  dans  ce  mystère  Jésus-Christ 
soutient  par  lui-même  les  accidents  privés  de  leur 
suppôt  naturel,  qui  est  la  substance  dans  laquelle 
ils    résidaient    dans    une   union   très    intime    (i). 

I .  Il  faut  bien  se  garder  de  prendre  trop  à  la  lettre 
cette  comparaison.  Le  Veibe  supplée  en  Jésus-Christ 
la  personne  humaine  par  une  union  substantielle  et 
ontologique  avec  la  nature  humaine.  Dans  l'Eucharistie, 
il  n'y  a  entre  le  corps  de  Jésus-Christ  et  les  accidents 
du  pain  ou  du  vin,  aucune  union  physique  formelle^ 
ni  substantielle,  ni   accidentelle,  car  il  est  certain  que 


112  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Cette  substance  n'est  plus,  car  elle  a  quitté  sa 
place  à  l'arrivée  du  Fils  de  Dieu,  en  vertu  de  la 
loi  qui  veut  que  les  inférieurs  cèdent  la  place  à 
ceux  qui  sont  notablement  plus  grands  et  plus 
illustres.  Quoi  qu'il  en  soit  des  hommes  qui  con- 
testent souvent  pour  la  préséance,  c'est  le  droit 
du  Créateur  souverain  que  toute  créature  lui 
cède  et  s'anéantisse,  autant  qu'il  lui  est  possible, 
en  sa  présence.  Dieu  apparut  au  commencement 
du  monde  dans  le  paradis  terrestre,  et  «  Adam  se 
«  cacha,  dit  le  texte  sacré,  ainsi  que  sa  femme  en 
«  la  présence  du  Seigneur.  »  (Gen.  3).  L'arche 
d'alliance  fut  portée  dans  le  temple  de  Dagon,  et 
son  idole  tomba  par  terre  en  sa  présence.  Jésus- 
Christ  dit  aux  soldats  qui  étaient  venu  le  garrotter 
au  Jardin  des  Oliviers  :  «  C'est  moi.^  »  et  aussitôt 
ils  tombèrent  à  la  renverse  et  ne  purent  subsister. 
Ainsi  en  est-il  de  la  substance  du  pain  dans  cet 
auguste  sacrement  :  aussitôt  que  Jésus-Christ 
paraît,  elle  fait  honneur  à  son  Créateur  et  lui  cède 

les  accidents  du  pain  et  du  vin  demeurent  sans  sujet. 
(Conc.  de  Constance).  Il  n'y  a  qu'une  union  morale,  qui 
consiste  en  ce  que  ces  espèces  indiquentla  présence  cer- 
taine du  corps  de  Jésus-Christ,  et  en  ce  que  d'une  part 
le  corps  de  Jésus-Christ  continue  à  être  présent  sous 
ces  espèces  à  cause  de  la  persistance  de  ces  mêmes 
espèces,  et  de  l'autre  Dieu  continue  à  les  iaire  subsis- 
ter sans  sujet,  par  un  eflfet  de  sa  toute-puissance,  à 
cause  de  la  présence  du  corps  de  Jésus-Christ.  Tout  au 
plus  pourrait-on  admettre  une  certaine  union  réelle  qui 
consisterait  en  ce  que  le  corps  de  Jésus-Christ  concour- 
rait, comme  instrument  physique,  à  soutenir  les  espè- 
ces privées  de  tout  sujet. 


DES    SACREMENTS  223 

la  place,  comme  si  elle  avait  le  sentiment  de  sa 
hassesîîe  et  de  sa  vilité,  et  ne  se  croyait  pas  digne 
de  demeurer  avec  lui.  Toutefois  elle  ne  perd  rien 
par  cette  soumission;  Dieu,  qui  exalte  les  hum- 
bles, sait  bien  la  relever.  En  effet,  outre  que  ses 
accidents  sont  intégralement  conservés.  Dieu 
l'améliore  extrêmement  et  de  Tamélioration  la 
plus  parfaite  qui  puisse  être,  car  il  la  fait  devenir 
son  propre  corps,  il  la  change  en  lui-même  ;  ce  qui 
est  la  faire  monter  au  plus  haut  point  de  grandeur 
que  l'on  puisse  imaginer. 

Je  formerai  des  actes  de  foi  à  la  suite  de  cette 
considération.  Je  le  crois,  ô  Jésus,  après  les  paro- 
les sacramentelles,  la  substance  du  pain  n'est 
plus,  ni  la  substance  du  vin,  c'est  votre  corps 
sacré  et  votre  sang  très  précieux  qui  a  été  répandu 
pour  nous,  et  que  vous  avez  repris  au  jour  de  la 
Résurrection,  c'est  ce  sang,  dis-je,  qui  lui  succède. 
O  Jésus  !  que  ce  mystère  convient  à  votre  gran- 
deur, puisque  les  substances  matérielles  du  pain 
et  du  vin  vous  font  hommage,  en  cessant  d'exister 
en  votre  présence  et  en  vous  cédant  la  place,  si  bien 
qu'en  rigueur  on  pourrait  dire  qu'elles  sont  vrai- 
ment anéanties,  si  vous  ne  preniez  leur  place. 
Oh  !  je  me  réjouis  que  les  êtres  inanimés  honorent 
votre  pouvoir.  Je  m'écrierai  comme  ceux  qui 
vous  virent  commander  aux  orages  :  «  Quel  est 
«  celui-ci,  à  qui  les  vents  et  la  mer  obéissent  ?  » 
(Matt.  8).  Qui  êtes-vous  donc,  ô  Jésus,  pain  vivant 
descendu  du  ciel,  pour  que  le  pain  matériel  se 
rende  si  obéissant  en  votre  présence  ?  Oh  !  si  les 
créatures  raisonnables  et  intelligentes,  imitant  ces 
substances   inanimées,  rentraient  dans  leur  néant 


224  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

et  s'humiliaient  profondément  à  votre  vue  et  en 
votre  sainte  présence  !  O  Seigneur,  je  veux  cesser 
d'être  ce  que  j'ai  été  jusqu'à  présent,  je  ne  veux 
plus  de  moi  en  moi,  afin  que  vous  y  soyez  tout 
seul,  et  si  je  suis,  je  ne  veux  plus  être  qu'en  vous. 
O  l'admirable  conversion  de  la  droite  du  Très 
Haut  !  Il  ne  s'en  peut  imaginer  une  meilleure  ; 
l'âme  chrétienne  ne  peut  espérer  en  ce  monde  une 
bonté  plus  parfaite  et  plus  consommée,  que  de  se 
réduire  à  rien  pour  tout  céder  à  Jésus,  et  de  n'être 
rien  qu'en  lui,  renonçant  à  toute  propriété.  O  Sei- 
gneur, par  toutes  les  merveilles  de  cet  auguste 
sacrement,  donnez-moi  la  grâce  de  m'anéantir  de 
la  sorte  devant  votre  suprême  Majesté,  afin  que  je 
puisse  dire  comme  votre  grand  Apôtre  :  «  Je  vis, 
«  non,  ce  nest  pas  moi  qui  vis^  mais  cestjêsus- 
«  Christ  qui  vit  en  moi  y)  (Gai.  2),  ou  bien  comme 
disait  David  :  «  Ma  substance  est  comme  un 
«  néant  devant  vous.  »  (Ps.  38).  Enfin  de  même 
que  les  accidents  du  pain  et  du  vin  ne  laissent  pas 
d'être  et  d'opérer  sans  leur  appui  naturel,  parce 
que  vous  les  soutenez  par  votre  vertu  ;  ainsi  faites, 
Seigneur,  que  privé  du  support  des  créatures  et 
n'ayant  plus  aucune  attache  avec  elles,  je  vive  et 
agisse  par  votre  assistance,  n'étant  attaché  qu'à 
vous  seul  qui  donnez  la  force  et  la  vertu  à  toutes 
choses. 


DES    SACREMENTS  22^ 


ir  MÉDITATION 

DES  DIVERS  MOTIFS 

POUR  LESQUELS  JÉSUS-CHRIST 

EST  PRÉSENT  DANS  L'EUCHARISTIE 


SOMMAIRE 

Premier  motif  :  la  gloire  de  Dieu.  —  Second 
motif  :  Vexaltation  de  Vhumanité  de  Jésus- 
Christ.  —  Troisième  motif  \  V utilité  des  hom- 
mes et  leur  plus  grand  honneur. 

I 

CONSIDÉREZ  divers  motifs  pour  lesquels  Dieu 
a  voulu  que  Jésus-Christ  fut  présent  dans 
cet  adorable  sacrement,  et  premièrement  celui  de 
la  gloire  de  Dieu,  qui  est  la  tin  de  toutes  ses 
œuvres.  Cette  présence  lui  apporte  de  la  gloire 
de  deux  manières  principales. 

D'abord  sa  gloire  paraît  par  la  manifestation  de 
ses  attributs  et  de  ses  perfections  ;  ici  il  fait  paraî- 
tre davantage  sa  puissance,  sa  sagesse  et  sa  bonté. 
Sa  puissance  paraît  par  la  multitude  des  miracles 
qui  se  font  dans  ce  mystère,  pour  rendre  son  Fils 
présent  sous  les  espèces  du  pain  et  du  vin.  Car  la 
substance  du  pain  est  changée  par  la  vertu  des 
paroles  en  celle  du  corps  de  Jésus-Christ,  et  celle 
du  vin  en  celle  de  son  sang.  Les  accidents  du  pain 

Bah.,  t.  IX.  i^ 


226  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

et  du  vin  demeurent  sans  le  soutien  de  leur  subs- 
tance, ainsi  que  des  nuées  dans  Tair  sans  appui. 
Jésus-Christ  tout  entier  et  selon  toute  sa  grandeur 
est  contenu  dans  une  petite  hostie  et  dans  un  peu 
de  liqueur.  Il  est  en  même  temps  en  des  lieux 
innombrables.  Le  prêtre  opère  ces  merveilles  par 
les  paroles  sacramentelles.  Toutes  ces  choses 
grandes  et  étonnantes  et  qui  continueront  jusqu'à 
la  fin  des  siècles  sont  les  effets  de  la  toute-puis- 
sance divine,  qui  se  révèle  ici  autant  que  dans 
aucun  de  ses  ouvrages. 

Sa  sagesse  ne  paraît  pas  moins,  en  ce  qu'il  a 
trouvé  un  tel  moyen  de  se  communiquer  à  l'homme 
et  de  contrepointer  les  ruses  de  Satan.  Car, 
comme  l'homme  a  été  perdu  par  un  peu  de  nour- 
riture, ainsi  dans  ce  sacrement  il  est  réparé  par 
une  autre  nourriture.  De  même  que  l'homme 
contracte  le  péché  originel  et  les  malheurs  qui  y 
sont  annexés  par  la  participation  de  la  chair 
d'Adam,  chair  pécheresse  et  damnable  qui  appe- 
santit l'àme  et  l'incline  vers  la  terre  par  des  affec- 
tions terrestres  ;  ainsi  il  acquiert  la  grâce  et  la 
sainteté  par  la  participation  de  la  chair  de  Jésus- 
Christ,  chair  virginale  et  immaculée,  chair  rédemp- 
trice et  salutaire,  qui  élève  l'àme  au  ciel  par  des 
affections  toutes  célestes. 

Mais  sa  bonté  ne  paraît  pas  moins  en  ce  qu'il  fait 
tant  de  miracles  dans  ce  sacrement,  pour  s'unir  au 
cœur  de  l'homme  et  se  communiquer  à  lui  plus 
intimement.  Elle  paraît  aussi  en  ce  qu'il  met 
encore  ici  son  Fils  dans  un  état  d'humiliation,  qu'il 
l'expose  sur  les  autels  à  la  merci  des  hommes, 
dont   plusieurs  le  traitent  indignement.   Si  bien 


DKS    SACRKMKNTS  227 


que  si  c'est  une  preuve  d'an:our  d'entreprendre 
beaucoup,  de  donner  beaucoup,  et  de  hasarder 
beaucoup  pour  la  personne  aimée,  ici  Dieu  fait 
paraître  sa  bonté  par  la  multitude  des  miracles 
qu'il  accomplit  pour  le  salut  des  hommes,  ainsi 
qu'autrefois  il  la  fit  paraître  à  l'égard  des  enfants 
d'Israël  par  l'accomplissement  de  tant  d'œuvrcs 
prodigieuses,  en  vue  de  leur  délivrance  de  l'Egypte. 
Il  Ta  prouvé  par  cette  largesse  immense  qu'il  nous 
a  faite  en  donnant  son  Fils  qu'il  a  élevé  jusqu'à  sa 
droite,  et  en  le  donnant  non  en  général,  mais  en 
particulier,  à  quiconque  le  désire,  sans  exclure 
personne  ;  de  plus  il  le  donne  si  entièrement  à 
chacun  considéré  à  part,  qu'il  semble  qu'il  n'ait 
pensé  qu'à  se  donner  à  lui  seul.  Il  a  encore  prouvé 
son  amour  en  s'exposant  au  danger  de  devenir 
l'objet  de  toutes  sortes  d'irrévérences  et  d'ignomi- 
nies de  la  part  des  pécheurs  et  des  impies  ;  ce  qui 
lui  arrive  souvent.  Enfin  il  faut  être  plus  qu'aveu- 
gle, pour  ne  pas  reconnaître  son  immense  charité 
et  sa  bonté  infinie. 

En  second  lieu,  la  gloire  de  Dieu  paraît  encore 
davantage  dans  ce  sacrement  en  ce  qu'il  y  est 
adoré,  remercié,  apaisé,  aimé  et  servi  par  son 
Fils,  Jésus-Christ,  dans  tous  les  endroits  du  monde 
où  se  célèbre  ce  mystère.  Toutes  les  adorations  et 
les  services  des  autres  créatures  ne  rendent  au- 
cune gloire  à  Dieu  en  comparaison  de  la  gloire 
qu'il  reçoit  ici  de  son  Fils,  car  c'est  un  sujet  in- 
fini qui  l'honore  en  tout  lieu.  Et  de  même  qu'un 
roi  est  beaucoup  plus  honoré  par  les  révérences 
que  lui  fait  un  prince  de  haute  condition,  que  par 
celles  d'une  menue  populace,   quoique  très  nom- 


228  LA    THEOLOGIE    AFFECTIVE 

breuse;  ainsi  les  adorations,  que  Jésus-Christ 
rend  à  Dieu,  le  glorifient  plus  que  celles  de  tous 
les  hommes  et  de  tous  les  Anges,  parce  que  c'est 
un  sujet  infini  et  un  Dieu  qui  adore  un  Dieu 
adorable  et  qui  ne  pouvait  être  dignement  adoré 
que  par  un  Dieu.  C'est  pourquoi  Dieu  se  sentant 
honoré  par  ce  mystère  se  glorifie  et  dit  par  son 
prophète  :  «  Mon  nom  est  grand  parmi  les  Gên- 
ai tils^  parce  qu'en  tout  lieu  une  oblation  sans 
«  tache  est  offerte  à  mon  nom  »  (Malach.  i)  ; 
c'est-à-dire,  comme  l'expliquent  les  Pères  de 
l'Eglise  (i),  l'Agneau  immaculé  qui  efface  le 
péché  du  monde,  m'est  sacrifié. 

Admirez  dans  ce  premier  motif  le  dessein  de 
Dieu,  et  réjouissez-vous  de  la  gloire  qu'il  reçoit 
dans  ce  mystère  sacré.  O  Dieu  infini  !  il  vous 
appartient  de  paraître  grand  en  puissance,  mer- 
veilleux en  sagesse  et  ravissant  de  bonté.  O  Dieu 
très  sublime  !  il  est  bien  raisonnable  que  vous 
soyez  servi  par  d'autres  plus  grands  que  des 
hommes  chétifs  et  rampant  sur  la  terre,  car  en 
face  de  vous,  ils  sont  encore  moins  que  des  four- 
mis en  face  d'un  homme.  C'est  pourquoi  comme 
un  homme  ne  s'estimerait  pas  assez  honoré  par 
toutes  les  fourmis  du  monde  qui  s'humilieraient 
devant  lui,  vous  serez,  vous,  bien  moins  glorifié 
encore  par  l'honneur  que  tous  les  hommes  de  la 
terre  pourront  vous  rendre.  O  noble  Jésus,  ô 
adorateur  infini,  il  n'y  a  que  vous  seul,  qui  pouvez 
dignement  aimer  et  adorer  le  Dieu  infiniment 
aimable  et  adorable.  Je  me  réjouis  donc  de  ce  que 

I.  Theodoret.  in  hune  locum. 


DES    SACREMENTS  229 

pour  la  gloire  de  Dieu  vous  êtes  renfermé  dans  ce 
mysttre,  pour  adorer  Dieu  et  l'aimer  dans  tous 
lieux  du  monde. 

II 

Considérez  que  Jésus-Christ  est  encore  présent 
dans  ce  sacrement  admirable  pour  la  plus  grande 
exaltation  de  son  humanité  sacrée.  Car  quoiqu'elle 
y  soit  à  certains  points  de  vue  dans  un  état  d'hu- 
miliation, toutefois  cette  humiliation  est  com- 
pensée par  tant  de  grandeurs  et  de  merveilles,  qui 
lui  arrivent  dans  ce  sacrement,  que  les  avantages 
qu'elle  y  trouve  sont  de  beaucoup  supérieurs  à  ses 
pertes  et  à  ses  abaissements.  Par  ce  mystère  Dieu 
dont  les  secrets  sont  admirables,  lui  donne  beau- 
coup plus  de  biens  sur  la  terre,  qu'elle  n'y  a 
souffert  de  maux  pour  le  salut  du  monde. 

Car  premièrement,  cette  humanité  est  rendue 
présente  tout  à  la  fois  en  des  millions  d'endroits  ; 
ce  qui  est  un  privilège  tout  particulier,  qui  ne 
convient  à  aucune  créature.  La  créature  en  effet 
est  en  un  lieu  seulement  ;  hors  de  ce  lieu  elle  n'est 
rien  et  elle  ne  vit  pas.  Mais  l'humanité  de  Jésus- 
Christ,  par  ce  mystère,  est  en  un  lieu  de  telle 
sorte  qu'elle  est  aussi  et  qu'elle  vit  véritablement 
dans  un  million  d'autres  lieux.  En  cela  elle  se 
rapproche  quelque  peu  de  l'immensité  de  Dieu  qui 
est  partout  à  la  fois  et  dans  tous  les  lieux  du 
monde.  Cette  humanité  qui  n'a  pas  l'immensité  ni 
l'ubiquité,  a  la  pluralité  de  présence  ;  elle  est  en 
divers  lieux,  en  divers  royaumes  et  en  diverses 
parties  de  l'univers,  où  elle  se  trouve  même  là 
dans  son  être,  dans  sa  substance,  avec  ses  puis- 


23o  LA    THÉOLOGIE     AFFECTIVE 

sances  et  ses  qualités,  avec  sa  vie  et  ses  opérations 
intérieures  (i).  En  cela  elle  est  aussi  favorisée  par 
Dieu  que  si  elle  recevait  de  lui  la  vie  et  Têtre  plu- 
sieurs fois.  Or  comme  la  vie  de  cette  humanité 
sainte  est  une  vie  bienheureuse,  une  vie  toute 
contente  et  rassasiée  de  joie  par  la  vision  béatifique 
et  par  la  félicité  dont  elle  jouit,  à  mesure  que  cette 
humanité  est  rendue  présente  dans  un  nouveau 
lieu,  sa  vie  bienheureuse  est  reproduite  en  même 
temps  qu'elle,  et  aussi  ses  contentements  inénar- 
rables. D'où  vient  qu'elle  est  autant  de  fois  heu- 
reuse, que  sa  présence  est  multipliée  de  fois  par 
la  multitude  des  consécrations  que  font  les  prêtres, 
à  qui  appartient  le  pouvoir  de  changer  en  sa  subs- 
tance celle  du  pain  et  du  vin. 

Ce  point  est  important  et  contient  une  singula- 
rité admirable  du  bonheur  de  cette  sainte  huma- 
nité, du  bonheur  des  prêtres  et  de  ceux  qui  leur 
font  offrir  le  sacrifice.  Pour  le  concevoir  davantage, 
il  faut  se  représenter  ce  qu'enseignent  les  Théolo- 
giens (2),  au  sujet  de  ce  qui  serait  arrivé,  dans  le 
cas  où  l'un  des  Apôtres  eût  consacré  pendant  les 
trois  jours  de  la  mort  de  Jésus-Christ,  alors  que 
son  âme  était  séparée  de  son  corps.  Ils  disent  que 
le  corps  eût  été  sous  l'espèce  du  pain,  sans  âme  et 
sans  sang;  parce  qu'en  ce  moment  le  corps  de 
Jésus-Christ  était  sans  àme  et  sans  sang  gisant 
dans  le  tombeau.  Et  si  on  leur  demande  ce  qui 
serait  arrivé,  si  quelqu'un  eût  consacré  pendant 
que  Jésus-Christ  était  à  l'agonie  ou  en  proie  aux 

1.  Albertus  Magnus  in  Compend.  1.  6,  c.  14. 

2.  D.  Thom.  9.  81,  art.  4. 


n  F.  s    s  A  C  R  K  M  ]•  N  T  s  '2  31 

douleurs  de  la  croix,  ils  répondent  que  .lésus- 
Chrisreùt  été  sous  les  espèces,  plein  de  douleur 
et  d'amertume,  comme  il  Tétait  en  réalité  à  ce 
moment.  Disons  donc  que  la  consécration  se  fai- 
sant alors  que  Jésus-Christ  est  plein  de  vie  et  de 
vie  bienheureuse,  il  est  présent  en  divers  lieux  du 
monde  avec  ses  joies  et  ses  contentements  et  que 
ce  mystère  multiplie  d'une  rare  manière  sa  félicité 
très  parfaite,  dont  il  ne  se  prive  pas  lui-même  pour 
nous  dans  son  Eucharistie,  puisqu'il  ne  s'en  est 
même  pas  privé  sur  l'autel  de  la  croix  (i).  Aussi  il 
n'y  a  pas  de  raison  pour  que  sa  douleur  doive 
l'accompagner  dans  l'Eucharistie,  plutôt  que  sa 
joie  et  son  bonheur. 

On  pourrait  parler  aussi  du  contentement  sin- 
gulier, qu'a  cette  humanité,  d'adorer  Dieu  en 
divers  lieux  du  monde  et  de  la  gloire  qui  lui 
revient  de  ce  fait  qu'elle  est  chérie  et  vénérée  des 
hommes  fidèles  qui  croient  en  ce  sacrement.  Mais 
il  nous  sufiit  de  nous  arrêter  à  la  multiplication  de 
sa  béatitude  pour  reconnaître  son  bonheur  sans 
égal  et  son  avantage  très  admirable,  qui  lui  permet 
de  dire  par  la  bouche  du  Sage  :  «  Mes  délices  sont 
«  d'être  avec  les  enfants  des  hommes.  »  (Prov.  8). 

O  humanité  sacrée  !  Je  me  réjouis  du  bonheur 
que  vous  goûtez  dans  ce  sacrement,  je  suis  heureux 
que  vos  consolations  l'emportent  sur  tout  ce  qui 
paraît  à  nos  yeux  et  qui  est  vil  et  méprisable.  Oh  ! 
je  vous  révère,  je  vous  aime  et  vous  honore  dans 

I.  Vasquez,  3  part.  disp.  192,  c.  3,  Ita  quoque  Sco- 
tus,  in  REPORT.  1.  4,  dist.  10,  9.  5  :  «  Non  privai  se  bono 
aliquo  es sentiali pr opter  necessitatem  nostram.  > 


232  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

cette  vie  bienheureuse,  que  vous  recevez  tant  de 
fois.  Vous  êtes  dans  cet  état  un  abîme  de  délices, 
un  monde  de  félicités,  un  excès  d'éminences  et  de 
raretés.  Vous  êtes  véritablement  le  chef-d'œuvre 
de  Dieu,  celui  où  il  épuise  hors  de  lui-même  sa 
puissance  et  sa  bonté  à  vous  combler  de  biens  et 
d'excellences  inouïes.  Oh!  vivez  toujours  heureuse 
dans  cet  admirable  sacrement  !  Oh  !  puisque  par 
votre  grâce  je  suis  élevé   aux  fonctions  du  sacer- 
doce, quoique  très  indigne  de  cette  faveur,  je  veux 
consacrer  dans  cette  intention  et  dans  un  esprit 
d'amour  de   bienveillance   envers   vous,  afin   que 
rendue  de  nouveau  présente  sur  les  autels,  vous 
ayez,  entre  mes  mains  et  par  mon  ministère,  votre 
vie  bienheureuse  et  ses  contentements  très  divins. 
Oh  !  quelle  confiance  dois-je  avoir  d'obtenir  la  vie 
bienheureuse,  puisque  tant  de  fois  par  la  sainte 
consécration,  j'ai  contribué  à  rendre  Jésus  vivant 
de  sa  vie  très  heureuse  dans  plusieurs  lieux  où  il 
n'était  pas  auparavant  ?  O  chrétiens,  travaillons  à 
ce  que  ce  sacrement  soit  fréquenté  davantage,  afin 
que  Jésus  jouisse  de  sa  vie  et  de  ses  délices  en 
plusieurs  contrées  et  endroits  de  l'univers.  Oh  ! 
malheur  à  ceux  qui  s'y  opposent  et  qui  s'efforcent 
de  le  détruire  ! 

III 

Considérez  que  Dieu  a  encore  voulu  la  présence 
réelle  du  corps  sacré  de  Jésus-Christ  dans  ce 
sacrement  pour  l'avantage  des  hommes  et  pour 
leur  plus  grand  honneur. 

En  premier  lieu,  il  fait  participer  les  hom- 
mes   à    lui-même    et  fait    une    alliance    intime 


DES    SACREMENTS  233 

de  lui-picme  avec  eux.  C'est  pourquoi  ce  sacre- 
ment est  une  extension  de  Tlncarnation.  De 
même  en  etVet  qu'il  a  communiqué  sa  subsistance 
à  une  seule  humanité,  ici  il  communique  cette  hu- 
manité à  tous  les  fidèles;  et  de  même  que  l'huma- 
nité à  laquelle  il  se  communiquait  était  soutenue 
par  le  Verbe,  ainsi  les  fidèles  sont  soutenus  par  ce 
sacrement,  selon  cette  parole  du  prophète  :  «  Le 
«  pain  réconforte  le  cœur  de  lliomme  »  (Ps.  io3). 

En  second  lieu,  Jésus-Christ  supplée  ici  au 
bien  qu'il  a  différé  de  nous  donner  en  nous  rache- 
tant. En  effet,  quand  il  est  mort  pour  notre  salut 
et  pour  racheter  de  la  mort  nos  âmes  et  nos  corps, 
néanmoins  pour  le  temps  présent  il  ne  nous  a  donné 
qu'une  âme  justifiée,  vivant  de  la  vie  de  la  grâce 
et  exempte  de  la  mort  du  péché.  Pour  ce  qui  est 
du  corps,  il  le  laisse  dans  sa  misère  et  dans  sa 
mortalité  jusqu'à  la  résurrection  générale  où  ce 
corps  éprouvera  le  bienfait  de  la  Rédemption,  par 
un  état  glorieux  qui  lui  sera  alors  donné.  C'est 
pourquoi  Jésus-Christ  nous  donne  seulement  une 
âme  maintenant  et  ne  nous  donne  pas  de  corps  ; 
mais  en  attendant  il  nous  donne  le  sien,  qui  est 
présent  dans  ce  sacrement  ;  c'est  la  compensation 
de  ce  délai. 

Troisièmement,  son  corps  est  ici  présent,  pour 
obliger  puissamment  tous  les  fidèles  à  un  grand 
respect,  une  grande  modestie  et  une  grande  dévo- 
tion dans  toute  leur  conduite,  puisqu'ils  savent 
qu'ils  sont  en  présence  du  Fils  de  Dieu,  qui  est  à 
la  droite  de  Dieu  et  qui  est  adoré  des  anges.  Le 
peuple  d'Israël  qui  était  devenu  insolent,  pendant 
que  Moïse  était  sur  la  montagne,  rentra  dans  le 


284  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

devoir  aussitôt  qu'il  parut  devant  eux  à  son  retour, 
ainsi  que  les  disciples  s'apaisent  en  présence  de 
leur  maître,  et  une  troupe  séditieuse  à  la  vue  de 
quelque  personne  qui  a  de  l'autorité  et  qui  inspire 
le  respect.  Ce  fut  le  moyen  dont  se  servit  le  père 
de  famille  pour  rappeler  au  devoir  de  l'obéissance 
les  vignerons  qui  avaient  maltraité  ses  serviteurs  ; 
il  leur  envoya  son  fils,  dans  l'espoir  qu'ils  seraient 
pénétrés  de  respect  à  la  vue  de  sa  personne  : 
«  Ils  respecteront  mon  fils.  »  (Matt.  22).  Ainsi 
Dieu  le  Père  a  estimé  qu'en  rendant  présent  son 
Fils  dans  ce  mystère,  les  chrétiens  lui  feraient 
honneur,  comme  le  mérite  sa  grandeur  :  «  Ils 
«  respecteront  mon  Fils  ».  En  effet  la  plus  grande 
dévotion  de  l'Eglise  se  traduit  par  le  respect  de 
l'Eucharistie  ;  c'est  pour  elle  qu'il  y  a  des  temples 
si  magnifiques,  des  autels  et  des  tabernacles  si 
riches,  des  offices  si  solennels  et  des  prêtres  si 
purs  et  si  saints,  des  pénitences  et  des  réformes 
de  mœurs  en  si  grand  nombre.  Le  Docteur 
subtil  (i)a  admis  ce  motif  de  la  présence  réelle  de 
Jésus-Christ  dans  le  Saint-Sacrement  et  il  a  écrit 
ces  paroles  très  remarquables  :  Toute  la  dévotion 
qu'il  y  a  dans  TEglise  consiste  dans  le  respect  à 
l'égard  de  ce  sacrement.  A  la  pensée  de  l'Eucha- 
ristie, les  clercs  récitent  l'Office  divin  avec  plus  de 
dévotion,  pour  célébrer  la  messe.  Dans  la  même 
pensée  le  peuple  assiste  à  la  messe  avec  plus  de 
respect  qu'à  tout  autre  office.  En  vue  de  ce  sacre- 
ment, chacun  confesse  ses  péchés  plus  exactement, 

I.  In  4,  dist.  8,  9.  I  :  «  Quasi  omnis  devotio  in  Eccle- 
«  sia  est  in  or  dîne  ad  illud  sacratnenium.  » 


DES    SACREMENTS  2  33 

conformément  au    commandement    de     TEglise. 

De  plus  la  présence  de  Jésus-Christ  anime  tous 
les  chrétiens  à  mieux  combattre  dans  la  guerre 
spirituelle  de  cette  vie  contre  les  ennemis  de  notre 
salut,  car  la  présence  d'un  roi  dans  une  armée  est 
un  puissant  aiguillon  pour  exciter  les  soldats  à  se 
comporter  généreusement.  Germanicus  levait  le 
casque  en  combattant,  pour  se  faire  voir  de  ses 
soldats.  Les  rois  de  Perse  combattaient  nue  tête. 
Les  Macédoniens,  vaincus  par  leurs  ennemis, 
remirent  leur  armée  sur  pied,  et  combattant  une 
seconde  fois,  ils  tirent  apporter  au  milieu  de  Tar- 
mée  le  roi  Europus,  qui  était  un  enfant  dans  les 
langes,  et  animés  par  sa  présence,  ils  remportèrent 
la  victoire  (i).  Les  Juifs  ayant  vu  jadis  un  Ange  à 
cheval  sous  la  figure  d'un  capitaine,  avec  un  habit 
blanc  et  des  armes  dorées,  ne  trouvèrent  plus  rien 
de  difficile  à  surmonter  (II  Mach.  ii).  Combien 
plus  la  présence  de  Jésus-Christ,  qui  épouvante 
Tenfer,  doit-elle  animer  les  chrétiens  à  triompher 
généreusement  de  tous  les  obstacles  de  leur  salut  ? 

Enfin  cette  même  présence  donne  le  repos  à  nos 
âmes,  qui  étant  créées  pour  Dieu  ne  se  rassasient 
de  rien  moins  que  de  Dieu,  et  elle  fortifie  l'espé- 
rance que  nous  avons  de  la  gloire.  Car  nous  avons 
une  raison  suffisante  pour  espérer  vivre  avec  les 
Anges  et  contempler  avec  eux  l'Essence  divine, 
puisque  maintenant  nous  vivons  avec  Jésus-Christ 
et  de  Jésus-Christ  même.  Celui  qui  se  donne  à 
manger  refuserait-il  de  se  donner  à  voir  et  à  con 
templer  ? 

I.  Justin.  1.  7. 


236  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Toutes  ces  choses  bien  pesées  lont  que  ce  sacre- 
ment doit  être  appelé  le  plus  grand  des  sacrements, 
non-seulement  à  cause  de  ce  qu'il  contient,  mais 
aussi  parce  qu'un  sacrement  étant  un  signe  de  la 
grâce  et  de  l'amour  de  Dieu,  nous  avons  ici  un 
témoignage  de  la  bonté  et  de  la  bienveillance  de 
Jésus-Christ  plus  grand  et  plus  solennel  que  dans 
tous  les  autres  sacrements. 

Reconnaissons  donc  à  tous  les  instants  de  notre 
vie,  la  grandeur  du  don  de  Dieu  dans  la  sainte 
Eucharistie,  qui  nous  rend  si  honorables  et  nous 
apporte  tant  de  biens  et  tant  de  gloire  à  la  fois, 
O  Seigneur,  que  je  ne  demeure  pas  insensible  et 
ingrat  après  un  si  grand  témoignage  de  votre 
amour  !  O  Père  éternel,  que  je  vous  adore  et  que 
je  vous  loue  durant  toute  l'éternité,  pour  nous 
avoir  donné  votre  Fils  de  cette  seconde  manière 
et  tant  de  fois,  et  pour  tant  de  biens  que  vous 
nous  accordez  dans  ce  sacrement  d'amour.  Car 
quand  je  considère  le  prêtre  tenant  l'hostie  entre 
ses  mains,  je  me  représente,  ô  Père  très  aimant, 
que  du  paradis  vous  me  tendez  la  main  et  que 
vous  me  présentez  votre  Fils  ;  et  quand  je  le  vois 
élevant  le  calice,  je  me  figure,  ô  très  aimable  Sau- 
veur, que  vous  me  présentez  votre  côté  ouvert  et 
que  vous  me  conviez  à  me  rassasier  de  votre  sang 
précieux.  Quoi  donc,  ô  Jésus,  n'était-ce  pas  assez 
de  vous  être  donné  et  consacré,  l'espace  de  trente- 
quatre  ans  pendant  votre  vie  souffrante,  à  aider 
des  créatures  mortelles  et  qui  rampent  sur  la 
terre  ?  Ne  semblait-il  pas  qu'après  cet  excès  vous 
deviez  demeurer  dans  l'état  de  votre  gloire,  sans 
plus  vouloir  regarder  le  monde,  où  vous  avez  reçu 


nns   SACREMENTS  iSy 

des  traitements  si  indignes  ?  Et  cependant,  ô  excès 
d'amour,  pour  continuer  cet  amour,  vous  renfer- 
mez et  cachez  votre  grandeur  dans  la  petitesse  des 
accidents  du  pain  et  du  vin,  autant  qu'elle  s'étend 
et  se  manifeste  dans  le  grand  ciel  empyrée.  O 
Seigneur  très  bon,  mon  esprit  s'élève  vers  vous  à 
la  vue  de  ce  grand  témoignage  d'amour  et  de  ce 
grand  don  que  vous  faites  de  vous-même  ;  en 
retour  de  ce  don,  il  veut  être  tout  à  vous.  Oh  !  que 
je  voudrais  que  toutes  les  âmes  raisonnables  s'ap- 
pliquent à  vous  aimer  et  à  vous  contempler,  à  vous 
rendre  des  actions  de  grâces,  à  se  donner  et  à  s'unir 
à  vous  dans  ce  mystère  1  Que  je  voudrais  que  dans 
ce  but  elles  renoncent  à  tout  leur  amour-propre, 
pour  vous  y  servir  et  vous  y  adorer  purement  ! 


238  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


T  MÉDITATION 

DE  L'UNION  DE  JÉSUS-CHRIST 

AVEC  LES  ESPÈCES  DU  PAIN 

ET  DU  VIN  DANS  L'EUCHARISTIE 


SOMMAIRE 

Jésus-Christ,  en  s' unissant  aux  espèces  du  pain 
et  du  vin  nous  prouve —  i)  son  admirable  bonté 
—  2)  son  grand  désir  de  se  communiquer  aux 
hommes  —  3)  sa  prodigalité. 

I 

CONSIDÉREZ  la  merveilleuse  bonté  de  Jésus- 
Christ  dans  ce  fait  qu'il  s'unit  aux  espèces 
du  pain  et  du  vin,  pour  faire  le  composé  admirable 
de  TEucharistie.  Car  ce  sacrement  est  un  composé 
des  espèces  et  du  corps  de  Jésus-Christ,  comme 
rhomme  est  un  composé  de  corps  et  d'âme,  et 
comme  Jésus-Christ  est  un  composé  et  un  tout 
ineffable  de  Dieu  et  de  l'homme  (1).  C'est  pour- 
quoi saint  Irénée  (2)  dit  que  l'Eucharistie  est 
composée  de  deux  choses,  l'une  terrestre  et  l'autre 
céleste,   c'est-à-dire   des  espèces  et  du   corps  de 

1.  D.  Thom.  in  4,  dist.  3,  9.  i,  art.  i. 

2.  L.  4  CONTRA  Hœreses,  c.  34  :  «  Ex  dîiabus  rébus 
«  constans^  terrena  et  cœlesti  ». 


I>KS    SACRI' MKXTS  2.i(j 

Jésus-Christ.  C'est  là  une  pensée  qui  est  com- 
mune aux  Pères  de  PEglise.  Ils  comparent  en 
effet  ce  sacrement  au  Verbe  incarné,  car  de  même 
que  deux  natures  se  retrouvent  en  Jésus-Christ, 
la  nature  divine  et  la  nature  humaine  ;  ainsi  deux 
natures  se  retrouvent  dans  l'Eucharistie,  à  savoir 
le  corps  de  Jésus-Christ  et  les  espèces  ou  appa- 
rences, d'où  résulte  un  seul  sacrement.  En  réalité 
le  sacrement  de  l'Eucharistie  est,  absolument  par- 
lant, adorable,  comme  le  définit  l'Eglise  (i)  ;  par 
conséquent  il  doit  renfermer  quelque  chose  de 
divin,  comme  est  divin  le  corps  vivant  de  Jésus- 
Christ  ;  et  ainsi  ce  sacrement  ne  consiste  pas  dans 
les  seules  espèces,  mais  à  la  fois  dans  les  espèces 
et  dans  le  corps  sacré  de  Jésus-Christ.  Il  est  donc 
adorable  en  lui-même  à  cause  de  ce  qu'il  contient. 
Or  c'est  là  un  trait  merveilleux  de  la  bonté  de 
Jésus-Christ.  Lui  qui  est  si  heureux,  lui  qui  est 
plein  de  gloire,  et  si  parfait,  s'abaisse  jusqu'à  se 
faire  la  partie  d'un  tout,  jusqu'à  s'associer  par  une 
union  très  intime  avec  les  espèces,  pour  faire  avec 
elles  un  seul  tout  et  un  sacrement  qui  perfectionne 
les  chrétiens.  Car  il  faut  bien  peser  ici  la  vilité 
des  espèces,  qui  sont  de  tous  les  êtres  créés  les 
derniers,  et  d'autre  part  il  faut  peser  la  dignité  et 
la  noblesse  de  Jésus-Christ,  qui  est  élevé  au-des- 
sus de  tous  les  cieux.  Néanmoins,  il  veut  s'unir 
à  ces  espèces  si  minces  et  si  méprisables  dans  leur 
réalité  naturelle,  pour,  de  concert  avec  elles,  pro- 
duire la  grâce  par  ce  sacrement.  Si  bien  que  ce 
qu'il  y  a  de  plus  grand  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  petit 

I.  Trid.  sess.  13,  c.  5. 


240  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

au  monde,  ce  qu'il  y  a  de  plus  précieux  et  ce  qu'il 
y  a  de  plus  vil,  ce  qu'il  y  a  de  plus  élevé  et  ce  qu'il 
y  a  de  plus  bas,  se  trouve  uni,  pour  composer  ce 
sacrement.  Or  par  le  fait  que  Jésus-Christ  s'unit 
ainsi  à  ces  espèces  et  se  tient  caché  en  elles,  il 
s'enferme  comme  dans  une  cachette  ou  dans  une 
prison  très  étroite  et  très  obscure  à  la  fois.  En 
effet  il  est  tout  entier  dans  toutes  les  espèces 
et  tout  entier  dans  la  moindre  partie  des  espèces  ; 
à  tel  point  que  quiconque  les  diviserait  et 
les  subdiviserait  jusqu'à  en  rendre  les  parcelles 
plus  petites  que  les  grains  de  sable,  n'empêcherait 
point  que  Jésus-Christ  ne  s'y  trouvât  présent  et 
ne  fut  uni  à  ces  espèces,  et  que,  réduit  comme  au 
néant,  il  fut  néanmoins  tout  entier  dans  la  moindre 
partie  de  ces  espèces. 

O  sacrement  étonnant  et  admirable  !  O  prodi- 
gieuse condescendance  de  l'amour  de  Jésus-Christ  ! 
Vous  êtes  grand.  Seigneur,  et  votre  grandeur  est 
au-dessus  de  tout  le  monde.  Vous  êtes  parfait  en 
vous-même  et  au  sommet  de  toute  perfection,  et 
vous  qui  n'avez  besoin  de  rien,  vous  vous  sentez 
porté,  par  la  condescendance  de  votre  amour,  à 
vous  associer  à  des  êtres  très  petits  et  à  vous 
réduire  au  rôle  de  partie,  pour  entrer,  en  cette 
qualité,  dans  la  composition  d'un  sacrement  des- 
tiné à  faire  avancer  les  âmes  dans  la  sainteté.  Je 
dirai  avec  le  séraphique  saint  François  (i)  :  Que 
tout  homme  frémisse  et  que  tout  l'univers  tremble  ! 
O  l'humble  sublimité  !  Le  Dieu  de  l'univers.  Dieu 
et  Fils  de  Dieu,  s'est  humilié  de   telle  sorte  pour 

I.  Epist.  13  ad  fratres. 


DES    SACREMENTS  241 

notre  salut,  qu'il  a  été  jusqu'à  se  cacher  sous  une 
petite  forme  de  pain  !  Et  moi,  mon  cher  Sauveur, 
donnerai-je  encore  lieu  à  l'orgueil  et  au  mépris  de 
ceux  qui  paraîtraient  moins  que  moi,  quand  je  vois 
que  vous  ne  dédaignez  pas  de  vous  unir  à  ces 
espèces  ?  N'aimerai-je  point  davantage  la  retraite 
et  la  solitude,  quand  je  vous  contemple  renfermé 
par  amour  pour  moi  dans  la  prison  étroite  de  ces 
espèces  ? 

II 

Considérez  le  grand  désir  qu'a  Jésus-Christ  de 
se  donner  aux  hommes,  puisqu'il  a  choisi  les 
espèces  du  pain  et  du  vin,  pour  s'unir  à  elles,  se 
renfermer  en  elles  et  passer  sous  ce  voile  dans  la 
poitrine  des  créatures  humaines,  afin  de  s'appro- 
cher de  leur  cœur  et  de  les  animer  par  sa  présence. 
Il  n'y  a  rien  qui  soit  plus  commun  parmi  les 
hommes  que  le  pain  et  le  vin,  qui  sont  entière- 
ment destinés  à  l'usage  de  la  vie  humaine  ;  aussi 
Jésus-Christ  a  voulu  montrer,  en  se  couvrant  de 
leurs  accidents  et  en  se  cachant  en  eux,  qu'il  était 
tout  entier  pour  l'usage  des  hommes,  qu'il  voulait 
être  tout  employé  et  consumé  pour  eux,  sans 
qu'ils  eussent  plus  de  difficulté  à  en  prendre  leur 
part,  qu'à  prendre  un  peu  de  pain.  Il  est  à  consi- 
dérer ici  que  ces  espèces  sont  choses  très  com- 
munes, très  faciles  à  avoir  et  sans  beaucoup  de 
dépenses  ;  c'est  pour  cela  que  Jésus-Christ  les  a 
choisies,  plutôt  que  les  espèces  et  accidents 
d'autres  substances  plus  rares  et  d'une  plus  grande 
valeur,  bien  qu'il  lui  convînt  en  raison  de  sa  très 
sublime  excellence,  de   s'unir  aux  accidents  des 

Bah.,  t.  IX.  lô 


2*42  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

substances  les  plus  nobles  et  les  plus  précieuses 
du  monde,  et  de  s'enfermer  en  elles  comme  sous 
une  tente  ro3'ale  dans  laquelle  sa  grandeur  serait 
cachée.  En  réalité  si  la  manne,  qui  était  la  figure 
de  ce  sacrement,  fut  placée  dans  Tarche  d'alliance, 
faite  de  bois  incorruptible  et  revêtue  d'or  de  tous 
côtés;  il  appartenait  bien  davantage  à  Jésus-Christ 
de  se  placer  sous  les  accidents  des  choses  moins 
indignes  de  sa  majesté,  de  s'enfermer  dans  l'or  le 
plus  précieux,  dans  des  diamants  ou  des  pierreries 
les  plus  riches  du  monde  (i). 

Mais  s'il  en  eût  usé  ainsi  dans  ce  sacrement,  il 
se  fut  moins  communiqué,  il  n'y  aurait  eu  que  les 
princes  et  les  riches  qui  auraient  pu  le  posséder- 
Les  uns  eussent  été  privés  de  ce  sacrement  par  la 
recherche  trop  difficile  de  ces  choses  plus  rares; 
les  autres  par  l'épargne  et  l'avarice,  afin  de  ne 
rien  dépenser;  tandis  que,  s'étant  caché  sous  les 
accidents  des  choses  plus  vulgaires  et  plus  com- 
munes, il  s'offre  libéralement  à  tout  le  monde  et 
par  cette  facilité  il  invite  chacun  à  venir  le  prendre 
et  le  recevoir  sans  frais  et  sans  dépense,  sans  or  et 
sans  argent,  comme  sans  aucun  échange,  si  ce 
n'est  celui  de  la  vie  du  communiant  en  une  vie 
meilleure  et  plus  parfaite.  Ainsi  il  s'offre  à  tous 
dans  ce  sacrement  et  il  fait  voir  par  la  grandeur 
du  don  la  grandeur  de  son  amour,  se  livrant  et  se 
donnant  tout  entier  et  sans  réserve,  tel  qu'il  est 
dans  sa  gloire.  Encore  si  c'était  aux  Anges  et  aux 
Séraphins  les  plus  embrasés  qu'il  se  donnât  de  la 

I.  Hautinus,  De  sacram,  amor.  1.  2,  p.  2,  c.  3,  art.  3, 
dist.  3. 


DKS    SACREMENTS  2J[3 

sorte,  en  considération  de  ce  qu'ils  sont  purs 
esprits  et  les  plus  nobles  substances  du  monde 
après  la  divinité,  la  chose  serait  moins  étonnante  ; 
mais  il  se  donne  à  des  hommes  misérables,  qui 
sont  conçus  dans  Tinfection  du  péché.  Et  il  se 
donne  non  seulement  aux  plus  élevés  parmi  les 
hommes,  tels  que  les  rois  et  les  princes,  mais 
aussi  aux  plus  chétifs  et  aux  plus  pauvres  des 
enfants  d'Adam,  comme  si  un  roi  se  dérobait  aux 
plus  grands  de  la  cour,  pour  venir  habiter  dans  la 
cabane  de  quelque  paysan,  afin  de  Taider  dans  ses 
nécessités  et  de  lui  faire  de  grands  biens.  C'est 
pourquoi  il  est  écrit  :  «  Les  pauvres  mangeront  et 
«  seront  rassasiés  »  (Ps.  21).  Même  s'il  se  don- 
nait ainsi  lui-même  une  seule  fois  ou  bien  rare- 
ment, après  les  prières  instantes  de  tous  les 
hommes  de  la  terre  prosternés  devant  lui  pour 
lui  en  faire  la  demande,  après  que  toutes  les 
hiérarchies  des  Anges  auraient  intercédé  pour  les 
hommes,  afin  de  leur  obtenir  une  fois  cette  faveur, 
qui  dans  ces  conditions  n'aurait  été  accordée  que 
difficilement  ;  même  alors  il  y  aurait  sujet  d'ad- 
mirer sa  largesse  et  la  noblesse  de  son  amour,  qui 
se  laisserait  vaincre  finalement  à  force  de  suppli- 
cations et  qui  ferait  un  si  riche  présent  aux  mor- 
tels. A  combien  plus  forte  raison  doit-on  demeurer 
comme  ravi  d'admiration  et  en  extase,  à  la  pensée 
qu'il  se  donne  lui-même  dans  ce  sacrement,  sans 
en  être  prié,  de  son  propre  mouvement,  et  en 
cédant  à  l'inclination  amoureuse  qu'il  a  de  se 
donner  aux  hommes.  Mais  qu'il  se  donne  tous  les 
jours,  aussi  souvent  qu'il  plaît  aux  hommes  de 
s'approcher  de  la  sainte  table,  quoiqu'il  sache  que 


244  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

plusieurs  d'entre  eux  se  montreront  ingrats  pour 
cette  faveur  et  recommenceront  bientôt  de  l'offen- 
ser et  de  faire  des  actions  qui  lui  déplairont  ;  ah  ! 
il  faut  que  son  amour  soit  prodigue  et  que  l'affec- 
tion qu'il  porte  à  de  pauvres  vermisseaux  de  la 
terre  soit  extrême. 

O  mon  divin  Sauveur,  «  Qu'est-ce  que  Vhom.me, 
«  pour  que  vous  vous  souveniez  de  lui?  »  (Ps.  8). 
—  «  Qiii  a  jamais  ouï  parler  de  choses  sem- 
«  blables  ?  »  (Is.  66).  L'homme  qui  ne  méritait 
qu'un  mépris  éternel  de  votre  part,  qui  méritait 
d'être  privé  de  tout  bien  et  à  jamais  délaissé,  est 
néanmoins  recherché  par  vous  dans  ce  sacrement. 
Vous  le  caressez  si  affectueusement  qu'il  semble 
que  vous  ne  pouvez  vivre  sans  lui  comme  si 
tout  votre  contentement  et  tout  votre  paradis 
consistaient  à  habiter  dans  sa  poitrine,  afin  de 
demeurer  tout  près  de  son  cœur.  Un  désir  si  exces- 
sif ne  me  transportera-t-il  pas  d'amour  pour  vous, 
au  point  de  ne  rien  vous  refuser  de  ce  qui  est  en 
moi,  en  reconnaissance  bien  faible  de  ce  que  vous 
vous  donnez  dans  ce  sacrement,  si  facilement,  tant 
et  tant  de  fois,  à  tant  et  tant  de  misérables  créatures  ? 

III 

Considérez  une  sorte  de  prodigalité  qu'a  voulu 
faire  Jésus-Christ  en  s'unissant  dans  ce  sacrement  à 
des  espèces  corruptibles  et  qui  une  fois  descen- 
dues dans  l'estomac  de  l'homme  durent  peu.  Il  a 
institué  ce  sacrement  de  telle  sorte  qu'il  a  résolu 
de  le  faire  subsister  aussi  longtemps  que  les  espèces 
subsisteraient  et  de  ne  cesser  d'être  présent,  que 
quand  les  espèces  viendraient   à   s'altérer,  à  être 


DES    SACREMENTS  246 

détruites.  De  nicmc  qu'il  arrive  que  Tàme  se 
sépare  de  son  corps,  quand  la  constitution  ou 
complexion  naturelle  de  ce  corps  est  détruite  ; 
ainsi  Jésus-Christ  cesse  entièrement  d'être  sous 
les  espèces,  quand  elles  sont  tellement  altérées 
qu'elles  ne  peuvent  plus  durer.  De  là  vient  que, 
quand  Jésus-Christ  entre  dans  la  bouche  des 
hommes  sous  les  espèces,  et  passe  dans  l'estomac 
qui  détruit  bientôt  ces  espèces,  il  va  comme 
s'anéantir  et  se  réduire  en  quelque  sorte  au  néant 
au  milieu  d'eux,  tant  il  se  donne  amoureusement 
et  avec  une  prodigalité  vraiment  prodigieuse.  En 
vérité  il  est  important  de  méditer  ici,  que,  quand 
les  espèces  sont  détruites,  Jésus-Christ  cesse 
entièrement  d'être  présent  dans  ces  espèces,  de 
telle  sorte  que,  si  d'autre  part  il  ne  se  trouvait  pas 
dans  le  ciel  et  sur  les  autels,  il  serait  absolument 
anéanti  en  vertu  de  cette  cessation,  et  il  aurait 
perdu  tout  ce  qu'il  a,  son  corps,  son  âme,  sa  grâce, 
son  union  hypostatique  même.  Ce  serait  un 
anéantissement  plus  étonnant  que  celui  de  la 
croix  ;  car  sur  la  croix  l'union  seule  de  l'âme  avec 
le  corps  fut  détruite,  mais  ni  l'âme,  ni  le  corps  ne 
furent  détruits,  tandis  que  dans  ce  mystère,  quand 
les  espèces  sont  détruites,  tout  ce  qui  est  en  lui 
sans  exception  serait  comme  anéanti  et  ne  serait 
plus  rien  en  réalité,  s'il  n'existait  autre  part.  Or 
Jésus-Christ  sait  qu'en  se  donnant  dans  la  com- 
munion sous  des  espèces  corruptibles,  il  doit  au 
bout  de  quelques  instants  expirer  dans  le  sein  de 
ses  bien-aimées  créatures  ;  et  cependant  il  le  fait, 
voulant  ainsi  se  donner,  malgré  la  perte  et  comme 
le  dommage  de  tout  ce  qui  est  en  lui. 


246  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


En  effet  il  ne  demeure  pas  même  un  quart 
d'heure,  comme  on  le  pense  communément,  dans 
la  poitrine  du  communiant,  après  qu'il  y  est  entré, 
et  il  cesse  d'être  dans  le  sacrement.  Car  selon  les 
plus  grands  médecins  consultés  sur  ce  point,  à 
peine  la  chaleur  de  l'estomac  met-elle  une  minute, 
c'est-à-dire  la  soixantième  partie  de  l'heure,  à 
consommer  la  petite  hostie  qui  se  donne  aux 
laïques  en  communion  (i).  Et  ils  le  prouvent  par 
des  raisonnements  basés  d'abord  sur  ce  fait  que  la 
chaleur  de  l'estomac  consomme  ordinairement 
deux  onces  de  viande  solide  dans  une  heure,  puis 
sur  cet  autre  fait  que  l'hostie  Jetée  dans  de  l'eau 
bouillante  s'altérerait  en  peu  de  temps  et  que  la 
chaleur  de  l'estomac  n'est  pas  moins  active  que 
celle  de  l'eau  bouillante.  Or  la  petite  hostie  des 
laïques  n'équivaut  pas  à  la  soixantième  partie  de 
deux  onces,  et  en  moins  d'une  minute  l'eau  bouil- 
lante a  altéré  l'hostie.  Ainsi  les  espèces  durent 
peu  dans  la  poitrine  des  communiants  et  la  grande 
hostie  du  prêtre  avec  les  espèces  du  pain  ne  sub- 
siste pas  ordinairement  plus  d'un  demi-quart 
d'heure,  ou  tout  au  plus  un  quart  d'heure. 

Par  ce  moyen  Jésus-Christ  qui  est  digne  d'une 
vie  immortelle,  abrège,  pour  ainsi  dire  et  d'une 
certaine  façon,  sa  vie,  pour  se  communiquer  amou- 
reusement à  une  créature.  En  cela  il  a  deux  des- 
seins. Le  premier  est  de  n'être  point  longtemps  à 
charge  aux  âmes  qui  ont  le  bonheur  de  participer 

I.  Cardinal  de  Lugo  (de  Sacram.  Euch.  disp.  10, 
sect.  4).  Consiilnit  Romœ  peritissimos  medicos.  (Note 
de  l'auteur). 


DES    SACREMENTS  247 

à  cette  grâce.  Si  en  elVet  il  attendait  une  ou  plu- 
sieurs heures  après  son  entrée,  avant  de  cesser 
d'être  en  elles,  elles  seraient  obligées  de  l'entre- 
tenir longuement  et  de  lui  offrir  longtemps  les 
actes  de  leur  dévotion,  ce  qui  serait  pénible  et 
laborieux  pour  beaucoup  de  personnes  qui  se 
fussent  fatiguées  à  lui  rendre  cependant  leurs 
justes  devoirs.  Pour  n'être  point  à  charge  de  cette 
manière,  il  a  préféré  se  cacher  sous  des  espèces 
qui  se  corrompent  dans  peu  de  temps.  Le  second 
dessein  qu'il  a  eu  a  été  de  se  donner  encore 
d'autres  fois.  Car  si  les  espèces  étaient  incorrup- 
tibles, une  seule  communion  eût  été  suffisante 
pour  toute  la  vie.  Elles  sont  donc  corruptibles, 
afin  que  renouvelant  plusieurs  fois  le  don  de  lui- 
même,  Jésus-Christ  se  donne  et  se  redonne  ainsi 
avec  prodigalité  plusieurs  fois.  Par  cet  exemple  si 
merveilleux  il  nous  invite  à  nous  donner  et  à  nous 
redonner  à  lui  plusieurs  fois,  à  l'exemple  de 
l'épouse  sacrée  du  Cantique,  qui  disait  :  «  Mon 
bien-aimé  est  à  moi,  et  je  suis  à  lui  »  (Cant.  2). 
Efforcerez-vous  d'entrer  dans  les  sentiments  qui 
conviennent  à  tant  de  traits  d'amour,  que  renferme 
ce  mystère  admirable,  mais  particulièrement  pour 
ce  fait  qu'aussitôt  après  que  nous  l'avons  reçu 
Jésus-Christ  cesse  d'être  et  s'en  va,  comme  s'il  ne 
venait  en  vous  que  pour  détruire  toute  sa  subs- 
tance et  tout  ce  qu'il  a  de  biens,  lesquels  il  semble 
ne  rien  estimer  à  cause  de  la  grandeur  de  son 
amour.  C'est  comnie  si  un  homme  entrait  dans  la 
maison  de  son  ami  pour  le  secourir,  assuré  qu'il 
n'y  serait  pas  plus  tôt  entré  qu'il  faudrait  qu'il  y 
périsse.  O  amour  !  que  vos  inventions  sont  admi- 


248  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

rables  et  que  vos  faveurs  sont  excellentes  !  Que 
mon  âme  est  grossière  et  stupide,  elle  qui  ne 
souffre  pas  de  cette  cessation  d'être,  au  moment 
où  est  consommé  le  sacrement  et  où  elle  est 
ainsi  frustrée  de  la  présence  réelle  de  Jésus- 
Christ  !  Il  faut  donc  que  j'entre  dans  les  pensées' 
suivantes,  quand  les  espèces  se  consommeront  en 
moi  :  amour  !  vous  vous  séparez  trop  tôt  de  moi, 
que  ferai-je  sans  vous  ?  Comment  vivrai-je  sans 
vous  ?  O  ma  très  douce  vie,  comment  pourrai-je 
respirer  sans  votre  présence  qui  m'est  si  chère  et 
si  précieuse  !  O  les  délices  de  mon  cœur  !  O  la 
douceur  de  mon  âme  !  O  la  joie  de  toutes  mes 
puissances  !  O  l'ardeur  de  ma  volonté  !  O  la 
lumière  de  mon  intelligence  !  O  le  trésor  de  ma 
mémoire  !  O  les  richesses  inestimables  du  pa- 
radis !  O  l'ornement  du  ciel  et  de  la  terre  !  O  la 
nourriture  des  anges  et  la  vie  des  hommes  !  O  la 
force  et  le  soutien  de  l'Eglise  militante  !  O  le 
repos  entier  de  l'Eglise  triomphante  !  O  mon 
Dieu  et  toutes  choses  !  Je  défaille  sans  vous,  je  ne 
puis  subsister  sans  vous,  je  ne  puis  davantage 
être  séparé  de  vous.  Quand  retournerez-vous,  ô 
amour  ?  Revenez  encore  une  fois,  et  donnez- 
vous  à  moi,  et  que  je  me  donne  mille  fois  à 
vous  !  (i). 

1.  Saluthius,  in  convivio  spiritali,  ci. 


DES    SACREMENTS  249 


Xr  MÉDITATION 

DE  LA  COMMUNION 
SOUS   UNE   SEULE  ESPÈCE 


SOMMAIRE 

Notre  Seigneur  a  donné  auxprêtrcs  trois  grands 
pouvoirs  :  celui  de  consacrer,  celui  de  sacrifier 
et  celui  de  distribuer  son  divin  corps.  —  Les 
prêtres  ont  distribué  le  corps  de  Jésus-Christ 
aux  laïques.,  tantôt  sous  les  deux  espèces.^ 
tantôt  sous  une  seule.  —  C'est  à  tort  que 
certains  se  plaignent  deV  ordonnance  deV  Eglise., 
qui  ne  permet  la  communion  que  sous  une 
seide  espèce. 

I 

CONSIDÉREZ  que  notre  Seigneur  Jésus-Christ 
a  donné  trois  grands  et  excellents  pouvoirs 
concernant  le  saint  sacrement  de  l'Eucharistie.  Le 
premier  pouvoir  est  celui  de  consacrer  et  de  pro- 
duire le  changement  merveilleux  de  la  substance 
du  pain  en  celle  de  son  corps,  et  de  la  substance  du 
vin  en  celle  de  son  sang  précieux.  Le  second  pou- 
voir est  d'offrir  ce  corps  et  ce  sang  en  sacrifice, 
pour  rendre  à  Dieu,  souverain  maître,  le  culte 
qui  lui  convient.  Le  troisième  pouvoir  consiste  à 
prendre  ce  corps  et  ce  sang  et  à  le  distribuer  à 
ceux  qui  ne  sont  capables  ni  de  consacrer,   ni   de 


'■25o  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

sacrifier.  Ces  trois  pouvoirs  furent  donnés  aux 
Apôtres  et  en  leur  personne  aux  prêtres  qui 
seraient  ordonnés,  et  ils  leur  furent  donnés,  quand 
Jésus-Christ  institua  ce  sacrement  dans  la  dernière 
cène  de  TAgneau  pascal  oii  il  leur  adressa  ces 
paroles  :  «  Faites  ceci  en  mémoire  de  moi  »  (Luc, 
2i)  ;  comme  s'il  eût  voulu  leur  dire  :  Jusqu'à 
présent  vous  avez  fait  la  cérémonie  du  sacrifice  de 
l'agneau  pascal  et  vous  avez  observé  ce  que  la  Loi 
mosaïque  ordonnne  de  faire,  mais  toutes  ces 
façons  d'agir  ordonnées  par  la  Loi  n'étaient  que 
des  ombres,  des  figures  et  des  représentations  du 
sacrifice  parfait,  qui  doit  remettre  les  péchés  du 
monde.  A  l'avenir  ces  sacrifices  anciens  ne  seront 
plus  en  usage,  mais  en  leur  lieu  sera  le  sacrifice 
de  mon  corps  et  de  mon  sang  pour  la  rémission 
des  péchés.  Donc  ce  que  je  fais  maintenant,  en 
prenant  le  pain  et  le  vin  et  en  les  changeant,  faites 
le  pareillement  en  mémoire  de  moi  ;  consacrez 
mon  corps  et  mon  sang,  offrez-le  en  sacrifice,  puis 
distribuez -le  aux  autres  fidèles,  selon  qu'il 
conviendra  et  de  la  manière  dont  doivent  le  faire 
de  fidèles  dispensateurs  du  mystère  de  Dieu,  car 
je  vous  établis  tels  dans  mon  Eglise. 

Tous  ces  trois  pouvoirs  sont  grands  et  admi- 
rables, ils  élèvent  des  hommes  mortels  plus  haut 
que  les  plus  grands  monarques  de  la  terre  et  que 
les  plus  hauts  Séraphins  du  ciel,  à  qui  Dieu  n'a 
pas  attribué  d'aussi  grands  pouvoirs.  En  réalité, 
si  c'est  une  grande  chose  de  changer  une  subs- 
tance en  une  autre,  il  est  encore  plus  étonnant 
que  des  hommes  aient  le  pouvoir  de  se  servir  de 
cette   substance    comme  d'une  victime  pour  s'ac- 


nESSACRRMENTS  2 M 


quitter  envers  Dieu  des  devoirs  de  religion,  pour 
lui  rendre  grâces  de  ses  bienfaits,  comme  aussi 
pour  TotTrir  en  supplément  de  paiement  pour  le 
reste  des  peines  dues  à  leurs  péchés.  Jésus-Christ 
dans  son  état  sacramentel  est  en  ellct  une  victime 
latreutique  pour  adorer,  eucharistique  pour  re- 
mercier et  propitiatoire  pour  abolir  les  peines  des 
péchés.  Mais  ce  qui  surpasse  encore  les  deux  pre- 
miers pouvoirs,  c'est  que  les  prêtres  puissent 
prendre  ce  corps  et  ce  sang  à  leur  gré  et  le  distri- 
buer aux  autres. 

Ainsi  Jésus-Christ  donne  à  ses  apôtres  et  aux 
prêtres  trois  pouvoirs  différents  sur  son  corps 
sacré  et  sur  son  sang  précieux.  Ces  trois  pouvoirs 
ne  conviennent  pas  à  tous  les  hommes  de  la  terre, 
f  tous  les  laïques  et  à  tous  les  fidèles,  quoiqu'ils 
soient  baptisés  et  chrétiens,  mais  à  ceux-là  seule- 
ment qui  sont  choisis  parmi  les  hommes  et  qui 
ont  été  ordonnés  prêtres,  par  ceux  qui  en  ont  le 
pouvoir. 

Admirez  ces  trois  grands  et  incomparables  pou- 
voirs, qui  sont  donnés  aux  prêtres.  Ayez  les 
prêtres  en  particulière  vénération  et  estime,  à 
cause  de  cela,  et  dites  d'eux  quelquefois  :  «  Ainsi 
«  sera  lionoré  celui  que  le  roi  veut  honorer  » 
(Esther,  6)  ;  ou  bien  élevez-vous  à  Dieu,  et  louez- 
le  et  bénissez-le  d'avoir  donné  de  si  hauts  pou- 
voirs à  des  hommes  mortels.  Ne  vous  égalez  donc 
point  aux  prêtres,  si  vous  n'êtes  que  laïques,  mais 
soumettez-vous  à  eux  par  une  sainte  obéissance, 
puisque  Jésus-Christ  s'y  est  soumis  lui-même 
dans  ce  sacrement.  C'est  en  effet  par  la  volonté 
des  prêtres,  par  leur  voix  et  leur  parole,  par  la 


^252 


LA   THEOLOGIE    AFFECTIVE 


puissance  de  leur  caractère,  qu'il  est  sur  les  autels 
en  qualité  d'hostie  à  l'égard  de  Dieu,  et  en  qualité 
de  nourriture  à  l'égard  des  hommes  ;  c'est  par 
l'entremise  des  prêtres  que  vous  participez  à  ce 
mystère.  O  abaissement  du  Dieu  tout-puissant, 
qui  encore  ici  se  met  sous  la  dépendance  des 
hommes,  comme  il  y  était  dans  son  enfance.  Car 
de  même  qu'alors  il  fut  porté  par  les  bras  d'autrui, 
ainsi  il  est  porté  par  les  mains  du  prêtre  à  votre 
bouche,  après  avoir  été  offert  au  Père  Eternel, ^ 
qui  a  eu  cette  offrande  pour  agréable  ;  mais  il  n'a 
reçu  ici  son  être  sacramentel,  ni  il  n'est  employé  à 
aucun  usage  et  il  n'a  aucun  mouvement  que  par 
la  volonté  de  l'homme  et  sous  la  dépendance  de  sa 
créature.  O  exaltation  de  l'homme  mortel  !  O 
abaissement  du  Dieu  immortel  !  (i). 

II 

Considérez  que  les  Apôtres  et  leurs  successeurs, 
qui  sont  les  évêques  et  les  prêtres  et  qui  ont  la 
charge  de  distribuer  aux  laïques  avec  fidélité  et 
prudence  le  saint  sacrement  de  l'Eucharistie,  l'ont 
tantôt  donné  sous  les  deux  espèces,  tantôt  sous 
une  seule,  tantôt  plus  souvent,  tantôt  plus  rare- 
ment, tantôt  avec  plus  de  cérémonies,  tantôt  avec 
moins,  selon  qu'ils  l'ont  jugé  à  propos  dans  les 
diverses  occurrences  des  temps,  des  personnes  et 
des  états  de  l'Eglise.  Car  Dieu  a  désiré  les  voir 
user  de  prudence  et  de  fidélité  dans  la  dispensa- 
tion  d'un  si  grand  mystère,  conformément  à  ces 
paroles  évangéliques  :   «  Quel  est,  à  votre  avis, 

I.  Le  cardinal  de  Bérulle,  Œuvres  de  piété,  79. 


liIiS    SACREMENTS  2^3 

«  l'économe  fidclc  et  prudent  que  Je  Maître  éta- 
«  blira  sur  sa  famille,  pour  distribuer  à  chacun 
«  sa  mesure  de  blé  en  son  temps?  »  (Luc,  12).  Or 
comme   il    est    assez    constant    d'après    l'histoire 
ecclésiastique  que  la  communion  a  été  donnée  aux 
laïques  sous  les  deux  espèces,  et  que   quelques- 
uns  seulement  doutent  qu'elle  ait  été  donnée  sous 
une  seule  espèce,  il  est  plus  important  de  vérifier 
ce  point.   Ce  n'est  point  difficile  à  faire,  si  nous 
considérons  que    Notre   Seigneur  Jésus-Christ   a 
donné  lui-même  l'exemple  de  cette  communion  le 
Jour  de  Pcàques,  c'est-à-dire  le  jour  de  sa   Résur- 
rection, car  apparaissant  sur  le  chemin  d'Emmaûs 
à  ses   deux   disciples   et    prenant  son  repas  avec 
eux,    il     les     communia    sous   l'espèce    du    pain 
seulement.   L'Evangile  dit  en  effet  :  «  Il  prit  le 
«  pain,  le  bénit,  le  rompit  et  le  leur  donna  ;  aus- 
«  sitôt  leurs  yeux  s'ouvrirent  «   (Luc,  24).   Les 
Pères  de  l'Eglise  (i)  ont  entendu  ce  passage  de  la 
sainte  Eucharistie,    dont   l'effet  est  d'éclairer  les 
hommes.  Dans  les  preniiers  temps  de  l'Eglise  les 
premiers  chrétiens  communiaient  sous  une  seule 
espèce,  selon  ce   que  nous  apprennent  les  Actes 
des  Apôtres  :  «  Ils  persévéraient  aans  la  doctrine 
«  des  Apôtres^  dans  la  communion  de  la  fraction 
«  du  pain  et  dans  les  prières  »  (Act.  2).  Durant 
les  quatre  ou  cinq  premiers  siècles   de  l'Eglise, 
comme   les  chrétiens  n'avaient  pas  la  liberté  de 
s'assembler  souvent,  on  leur  donnait  l'Eucharistie 
pour  l'emporter  dans  leurs  maisons  et  se  commu- 

I.    D.  August.  De  consensu  Evangel.   1.  3,   c.   25  5 
D.  Hieron.  in  epitaphio  Paulœ,  ad  Eusiochitim. 


254  LA     THÉOLOGIE    AFFECTIVE    ■ 

nier  eux-mêmes  en  secret,  comme  nous  le  remar- 
quons dans  Tertullien  (i),  dans  saint  Cyprien  (2) 
et  dans  d'autres  anciens  Pères,  qui  en  rendent 
témoignage.  Or  ils  n'emportaient  pas  Tespèce  du 
vin,  qu'ils  n'auraient  pas  pu  conserver.  Il  est  donc 
nécessaire  de  reconnaître  que  c'est  une  pratique 
usitée  dans  l'Eglise,  de  communier  sous  une  seule 
espèce,  et  que  la  suppression  de  la  coupe  pour 
les  laïques  n'est  pas  chose  nouvelle.  L'Eucharistie 
se  conservait  aussi  de  tout  temps  pour  être  portée 
aux  malades  ;  ce  qui  ne  pouvait  se  faire  que  sous 
une  seule  espèce.  Les  mémoires  de  l'antiquité  (3) 
sont  chargés  de  témoignages  qui  l'attestent,  de 
telle  sorte  qu'on  ne  peut  pas  le  contester  raison- 
nablement. Mais  les  Conciles  de  Constance  (4),  de 
Bàle  (5)  et  de  Trente  (6),  rendent  assez  témoignage 
sur  ce  point.  Ils  déclarent  que  la  communion  sous 
une  seule  espèce,  a  toujours  été  considérée  comme 
chrétienne  et  comme  suffisante  par  l'Eglise,  car 
l'Eglise  a  le  pouvoir  de  statuer  de  quelle  manière 
ceux  qui  ne  consacrent  pas  doivent  communier, 
tant  pour  sauvegarder  la  gloire  et  l'honneur  de 
Jésus-Christ,  que  pour  leur  utilité  spirituelle. 
Comme  les  deux  premiers  Conciles  avaient  remar- 
qué de  leur  temps  un  grand  nombre  de  désordres 
qui  se  produisaient  à  l'occasion  de  la  communion 

1.  Lib.  2  Ad  uxorem. 

2.  Serm.  de  lapsis. 

3.  Paulinus,  in  Vita  D.  Ambrosii  ;  Toletan.  II,  can,  1 1  • 

4.  Constant,  sess.  13. 

5.  Basiliens.  sess,  30. 

6.  Trid.  sess.  21. 


Dl'S    SACRI-MKNT.s  2DD 


SOUS  les  deux  espèces,  et  que  le  sacrement  était 
profané  et  traité  irrévéremnient,  non  sans  la 
ruine  et  la  damnation  de  ceux  qui  en  usaient,  ils 
déclarent  que  l'ancienne  coutume  observée  dans 
TEglise  de  communier  sous  une  seule  espèce,  de- 
viendra désormais  la  loi  et  constituera  un  précepte 
qu'il  ne  sera  loisible  à  personne  de  changer  sans 
l'autorité  de  l'Eglise.  Si  quelqu'un  attaque  cette 
loi,  en  estimant  qu'elle  est  illicite,  et  que  c'est  un 
sacrilège  de  l'observer;  ces  Conciles  veulent  qu'on 
chasse  de  telles  gens  comme  perdues  et  qu'on  les 
punisse  gravement  comme  hérétiques.  Ainsi  de- 
puis l'époque  de  ces  Conciles  il  n'est  plus  loisible 
aux  prêtres  de  distribuer  la  communion  sous  les 
deux  espèces,  ni  aux  laïques  de  la  recevoir  autre- 
ment que  sous  la  seule  espèce  du  pain.  Il  doit 
suffire  à  chacun  que  ce  qui  est  de  la  substance  et 
de  l'intégrité  du  sacrement  soit  sauvegardé,  comme 
c'est  en  réalité  sauvegardé,  quand  on  administre 
l'Eucharistie  sous  une  seule  espèce,  dans  laquelle 
Jésus-Christ  se  trouve  aussi  entièrement  que  sous 
les  deux  et  contribue  aussi  avantageusement  au 
progrès  spirituel  du  communiant.  Quant  aux  céré- 
monies, l'Eglise  en  use  comme  il  lui  semble  plus 
convenable,  eu  égard  à  la  diversité  du  temps  et 
des  occasions  ;  elle  prend  ainsi  des  décisions  diffé- 
rentes en  vue  de  la  gloire  de  Jésus-Christ  et  du 
salut  des  âmes.  C'est  pourquoi  il  y  a  eu  des  épo- 
ques, où  elle  ne  permettait  que  difficilement  et 
après  de  longues  pénitences,  la  communion,  aux 
chrétiens  qui  avaient  péché  gravement,  et  il  y  a  eu 
des  époques  où  l'on  ne  communiait  point  à 
Pâques  sans  avoir  observé  auparavant  la  cérémo- 


256  LA   THÉOLOGIE    AFFFECTIVE 

nie  du  lavement  des  pieds,  qui  eut  lieu  en  même 
temps  que  la  première  institution  de  ce  sacrement 
vénérable  par  Jésus-Christ  (i).  Or  comme  l'Eglise 
a  usé  de  son  pouvoir  légitime  en  prescrivant 
toutes  ces  manières  de  communier,  elle  en  use 
aussi  maintenant  en  ne  permettant  aux  laïques  la 
communion  que  sous  une  seule  espèce. 

Je  me  soumettrai  donc  au  jugement  de  TEglise, 
à  qui  il  appartient  d'interpréter  les  ordres  et  les  in- 
tentions de  Jésus-Christ,  de  TEglise  que  l'Esprit  de 
vérité  dirige  dans  toutes  les  ordonnances  qu'elles 
fait  pour  conduire  les  âmes  à  leur  fin  surnaturelle. 
Je  déplorerai  la  multitude  des  hérétiques  et  des 
chrétiens  peu  soumis  et  peu  obéissants,  qui  font 
du  bruit,  et  qui  murmurent  dans  ces  rencontres, 
et  qui  maintiennent  à  cor  et  à  cri  plusieurs  erreurs 
touchant  le  sacrement  de  l'Eucharistie,  si  bien 
que  le  feu  de  ladiscordeet  delà  divisions'allumede 
tous  côtés.  O  Seigneur,  fortifiez-nous  dans  la  foi, 
dans  la  soumission  et  dans  l'obéissance  que  nous 
devons  à  l'Eglise  ;  faites  miséricorde  à  tant  de 
pauvres  créatures,  éloignées  du  vrai  chemin,  que 
l'hérésie  a  séduites  et  transformées  en  enfants  de 
Bélial  et  de  rébellion.  Quel  sujet,  ô  mon  Dieu, 
ont-ils  de  tant  crier  pour  les  seuls  accidents  du 
vin  dont  on  les  prive  pour  l'avantage  de  votre 
gloire,  pendant  qu'ils  s'efforcent  eux-mêmes  de 
priver  tout  le  monde  de  la  véritable  substance  de 
votre  corps  et  de  votre  sang.  Ils  ne  voient  pas  que 
ce  sont  eux-mêmes  qui  veulent  ravir  à  toutes  les 
âmes  votre  véritable  présence,  en  ne  donnant  que 

I,  Tolet.  17,  c.  3. 


DES    SACREMENTS  257 

du  pain  et  du  vin,  au  lieu  de  vous-même,  qui  êtes 
Taimé  et  le  désiré  de  tout  le  monde.  Ainsi  ils 
veulent  vous  laisser  sans  sacrifice  et  sans  autel, 
comme  Ta  prédit  un  de  vos  prophètes  (Osée,  3)  (i). 
Est-ce  afin  que  T  Antéchrist  qui  complétera  la  ruine 
de  ce  sacrement,  ne  manque  point  de  précurseurs 
et  de  ministres,  pour  préparer  et  faciliter  son  com- 
plot ?  O  Taveuglement  des  hommes  misérables  et 
rebelles  !  O  mon  Dieu,  quand  votre  toute-puis- 
sance mettra-t-elle  fin  à  ces  scandales  ? 

III 

Considérez  que  c'est  à  tort  et  injustement  que 
quelques-uns  se  plaignent  de  cette  ordonnance  de 
TEglise,  qui  ne  permet  la  communion  aux  laïques 
que  sous  la  seule  espèce  du  pain.  Certains 
allèguent  comme  prétexte  que  Jésus-Christ  a 
institué  ce  sacrement  sous  les  deux  espèces  du 
pain  et  du  vin  et  qu'il  a  prononcé  lui-même  ces 
paroles  :  «.  Si  vous  ne  tnange^la  chair  du  Fils 
«  de  l'homme  et  si  vous  ne  buve^  son  sang,  vous 
«  naître^  pas  la  vie  en  vous.  »  (Jean,  6).  En 
conséquence  ils  ont  peur  de  pécher,  s'ils  ne  se 
conforment  à  l'institution  de   Jésus-Christ   et  en 

I.  Personne  n'ignore  en  effet  que  la  définition  suivante 
du  Concile  des  Trente  (sess.  21,  can.  1):  (^  Si  quelqu'un 
«  dit,  qu'en  vertu  d'un  précepte  de  Dieu  ou  d'une 
«  nécessité potir  le  salut,  tous  et  chacun  des  chrétiens 
«  sont  obligés  à  recevoir  le  très  saint  sacrement  de 
«  r Eucharistie  sous  les  deux  espèces,  qu'il  soit 
«  anathème  !  »  ;  était  dirigée  contre  Luther  et  Calvin, 
ces  mêmes  héritiques  qui  niaient  la  présence  réelle  de 
Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie. 

Bail,  T.  ix.  17 


258  LA     THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

même  temps  à  ces  paroles  qui  semblent  les 
menacer  de  la  perte  de  la  vie  éternelle,  s'ils 
ne  reçoivent  pas  la  communion  sous  les  deux 
espèces.  A  ceux-là  il  faut  expliquer  que,  quoique 
Jésus-Christ  ait  institué  cet  auguste  sacrement 
sous  les  deux  espèces,  distinctes  et  séparées  l'une 
de  l'autre,  toutefois  il  n'a  pas  prescrit  l'usage  des 
deux  espèces.  Ainsi  Dieu,  qui  a  institué  et  produit 
toutes  les  créatures  en  créant  le  monde,  n'en  a 
pourtant  pas  commandé  l'usage,  si  ce  n'est  de  cer- 
taines et  avec  un  grand  nombre  de  restrictions  ; 
aussi  l'institution  d'une  chose  est-elle  très  différente 
de  son  usage.  Et  quand  même  Jésus-Christ  aurait 
commandé  l'usage  des  deux  espèces,  il  ne  s'en 
suivrait  pas  cependant  que  ce  fût  un  commande- 
ment qui  obligeât  tout  le  monde  ;  il  suffirait  que 
les  Apôtres  et  les  prêtres  à  qui  il  s'adressait  alors, 
fussent  tenus  de  communier  sous  l'une  et  l'autre 
espèce.  Les  commandements  donnés  à  une  com- 
munauté n'obligent  pas  toujours  tous  les  particu- 
liers ;  on  le  voit  par  les  commandements  que 
Dieu  a  faits  de  rendre  la  justice  et  de  labourer  la 
terre,  qui  n'obligent  que  les  juges  et  les  laboureurs. 
Or  les  prêtres  obéissent  à  cet  ordre,  quand  en 
célébrant  la  messe,  ils  participent  pleinement  à  la 
victime,  puisqu'ils  prennent  et  consomment  l'une 
et  l'autre  espèce.  Quant  à  ce  qui  est  des  paroles 
qui  menacent  de  la  perte  de  la  vie,  si  on  ne  mange 
son  corps  et  si  on  ne  boit  son  sang,  il  est 
évident,  puisque  le  corps  de  Jésus-Christ  est 
contenu  tout  entier  sous  une  seule  espèce,  qu'il 
s'y  trouve  vivant  et  animé  et  avec  le  sang,  il  est 
évident,  dis-je,   que   quiconque  prend   une   seule 


DES    SACRKMKNTS  2bC) 

espèce,  prend  le  corps  et  le  sang,  c'est-à-dire  à  la 
fois  la  nourriture  et  le  breuvage,  et  qu'ainsi  en 
une  seule  lois  il  mange  et  boit,  car  il  prend  la 
chair  et  le  sang  tout  ensemble.  Qu'est-il  donc 
besoin  de  détourner  de  leur  sens  les  paroles  de 
Jésus-Christ  ?  il  ne  parle  que  de  ce  qui  est  contenu 
sous  les  espèces,  et  nullement  du  contenant. 
Pourquoi  donc  entendre  du  contenant  ce  qui  est 
dit  ducomenu  ?  (i)  C'est  une  tricherie  de  sophistes 
qui  ne  s'étudient  qu'à  surprendre  les  esprits  par 
quelque  apparence  vaine  et  peu  solide.  Car  en  ce 
même  endroit  Jésus-Christ  témoigne  assez  que  la 
réception  de  la  seule  espèce  du  pain  est  suffisante, 
puisqu'il  lui  attribue  manifestement  la  vie  éter- 
nelle, qu'il  le  dit  et  le  redit  plusieurs  fois  sans  faire 
mention  de  l'espèce  du  vin  (2). 

D'autres,  pour  blâmer  cet  usage  de  l'Eglise,  se 
plaignent  qu'ils  reçoivent  une  moindre  abondance 

I.  Joannes  de  Ragusio,  orat.  habita  in  concil.  cons- 
«  TANT.  Arguunt  a  contento  ad  continens.  » 

(2)  C'est  le  même  argument  que  fait  valoir  par  une 
opposition  frappante  des  textes  sacrés  le  Concile  de 
Trente  (sess,    xxi,   ch.  i)  «  En  effet,   celui  qui  a  dit  : 

«  SI  vous  NE  MANGEZ  LA  CHAIR  DU  FILS  DE  l'hOMME  ET  SI 
«    VOUS    NE    BUVEZ     SON    SANG,  VOUS  n'aUREZ    PAS    LA    VIE    EN 

«  VOUS,  a  dit  aussi  :  celui  qui  mangera  de  ce  pain  vivra 
«  ÉTERNELLEMENT.  Et  celui  qui  a  dH  :  celui  qui  mange  ma 

«  CHAIR  ET  boit  MON  SANG  A  LA  VIE  ÉTERNELLE,  a  dit  aUSSi  '.  LE 
«    PAIN  QUE  JE     VOUS     DONNERAI       EST    MA    CHAIR    (immoléc) 

«  POUR  LE  SALUT  DU   MONDE.   Et   cufin   celui  qui  a    dit  : 

«    CELUI    QUI  MANGE  MA  CHAIR  ET    BOIT   MON  SANG  DEMEURE  EN 

«  MOI  ET  JE  DEMEURE  EN  LUI,   a  dit  néanmoins  :  celui  qui 

«   MANGE  ce  pain  VIVRA  ÉTERNELLEMENT.    » 


26o  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

de  grâces  sous  une  seule  espèce,  que  sous  deux  ; 
les  deux  espèces  seraient  comme  deux  mamelles 
fécondes  pour  allaiter  spirituellement  les  âmes. 
A  cela  nous  répondons  par  la  doctrine  du  Doc- 
teur angélique  (i),  qui  est  suivi  sur  ce  point  par  la 
plupart  des  Théologiens.  Il  dit  que,  comme  toute 
l'efficacité  de  ce  sacrement  dépend  de  Jésus- 
Christ,  qui  est  le  même  sous  Tune  et  l'autre 
espèce,  il  apporte  autant  de  grâces  sous  une  seule 
espèce,  que  sous  les  deux  espèces  jointes  en- 
semble. Car  ce  qu'ont  à  souhaiter  les  chrétiens, 
c'est  seulement  Jésus-Christ,  et  ils  le  trouvent 
aussi  entièrement  sous  une  seule  enveloppe  que 
sous  plusieurs.  Si  on  ne  recherche  que  le  noyau, 
qu'importe  qu'il  soit  caché  sous  plusieurs  écorces. 
Ce  n'est  pas  à  dire  cependant  que  le  sacrement 
donné  sous  l'espèce  du  vin,  ne  confère  pas  aussi 
la  grâce  ;  mais  il  confère  la  même  grâce  que  celle 
qui  a  été  donnée  sous  l'espèce  du  pain.  Il  se  passe 
ici  quelque  chose  de  semblable  à  ce  qui  arrive- 
rait à  un  homme  qui  posséderait  un  même  héri- 
tage en  vertu  de  deux  testaments;  il  n'en  serait 
pas  plus  riche.  Et  quand  bien  même  il  serait  vrai 
que  l'espèce  du  vin  cause  quelque  surcroît  de 
grâce  ;  néanmoins,  comme  l'a  prudemment  dé- 
claré le  Concile  (2),  ce  ne  serait  pas  une  grâce  né- 

1.  III,  q.  80,  art.  2.  «  Nec  exinde  sequitur  aliqiiod  de- 
«  irimeniiim .  » 

2.  Voici  ce  que  dit  le  Concile  de  Trente  (sess.  21, 
ch.  3).  «  he  Concile  déclare  en  outre  que,  nonobstant  le 
«  fait  cité  plus  haut  de  V institution  de  l' Eucharistie  par 
«  Notre-Seigneur  dans   la   dernière   cène,  et  de  la  corn- 


DES    SACREMENTS  261 

cossairc  au  salut.  Un  bon  chrétien    qui  aime  son 

«  mnnion  offerte  aux  Apôtres  sous  l'une  et  l'autre  espèce^ 
«  il  Jatit  cependant  reconnaître  que,  sous  une  espèce  seule^ 
«  on  reçoit  Jésus-Christ  dans  son  intégrité  et  le  sacre- 
«  ment  dans  sa  vérité  ;  et  qu'ainsi  en  ce  qui  concerne 
«  l'efficacité  du  sacrement,  nulle  grâce  nécessaire  au  salut 
«  n'est  dérobée  à  ceux  qui  reçoivent  une  des  espèces  seule- 
«  ment.  Nu  lia  gratia  necessaria  ad  salutem  vos  defrau- 
«  dari.  »  Par  ces  derniers  mots  le  Concile  n'entend  pas 
parler  de  la  grâce  qui  est  absolument  nécessaire  au  sa- 
lut, mais  de  la  grâce  nécessaire  pour  arriver  plus  sûre- 
ment et  plus  facilement  au  salut,  car  c'est  de  cette  grâce 
seulement  que  serait  privé  celui  qui  ne  recevrait  qu'une 
seule  espèce,  si  les  deux  espèces  conféraient  une  grâce 
supérieure  à  celle  que  confère  une  seule  espèce.  Mal- 
gré cette  explication  des  paroles  du  Concile,  —  explica- 
tion qui  nous  paraît  plus  vraie  que  celle  de  Bail  et  qui 
tendrait  à  prouver  que  les  deux  espèces  ne  produisent 
pas  ex  opère  operato  une  grâce  supérieure  à  la  grâce 
produite  par  une  seule  espèce,  —  cette  dernière  opinion 
qui  est  en  réalité  l'opinion  commune,  et  qui  est  admise 
par  saint  Bonaventure,  Bellarmin,  Grégoire  de  Valence 
et  Suarez,  a  contre  elle  de  Lugo  (disp.  12,  sect.)  qui  a 
suivi  sur  ce  point  Vasquez  (disp.  215,  cap.  2).  Mais 
quand  bien  même  il  y  aurait,  conformément  à  cette 
dernière  opinion,  une  perte  spirituelle  à  ne  communier 
que  sous  une  seule  espèce,  l'Eglise  a  eu  le  droit  de  dé- 
fendre pour  les  laïques  la  communion  sous  les  deux 
espèces,  puisqu'elle  a  pu  défendre  de  communier  deux 
fois  le  jour,  ce  qui  aurait  été  la  source  de  plus  grandes 
grâces.  Et  de  plus  cette  perte  est  facile  à  réparer  soit 
par  la  communion  hebdomadaire  pour  ceux  qui  com- 
munient tous  les  quinze  jours,  soit  en  apportant  à  la 
communion  de  meilleures  dispositions  qui  peuvent 
mériter  une  augmentation  indéfinie  de  grâces. 


262  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


Maître  et  Rédempteur,  Jésus-Christ,  devrait 
souffrir  humblement  et  patiemment  la  privation 
de  cette  grâce,  plutôt  que  de  le  voir  exposé  aux  pro- 
fanations et  aux  outrages  qu'il  aurait  à  subir,  si- 
son  sang  était  distribué  communément  à  tout  le 
monde  sous  l'espèce  du  vin.  Saint  Paul  souhaitait 
bien  d'être  anathème  et  séparé  de  Jésus-Christ 
pour  le  salut  des  Juifs,  si  cela  avait  pu  y  contri- 
buer. Un  chrétien  doit-il  avoir  moins  d'amour, 
pour  conserver  l'honneur  et  le  respect  dû  à  son 
Sauveur  si  aimable,  qui  serait  tous  les  jours  en 
danger  d'être  indignement  traité,  s'il  se  distri- 
buait indifféremment  à  tout  le  peuple  sous  l'espèce 
du  vin  ? 

Mais  que  n'a  pas  inventé  l'adversaire  de  notre 
salut  pour  augmenter  les  plaint.es  et  les  murmures  . 
contre  cette  loi  de  l'Eglise  ?  Il  a  fait  penser  et 
dire  à  d'autres  sous  prétexte  d'une  plus  grande 
dévotion,  qu'on  les  prive  de  la  douceur  d'une 
merveilleuse  consolation  ;  à  savoir  de  la  consola- 
tion de  pratiquer  l'enseignement  de  saint  Jean 
Chrysostome,  qui  consiste  à  s'approcher  du  calice 
comme  du  côté  ouvert  du  Sauveur,  pour  humer  et 
sucer  avec  délices  son  sang  précieux.  Or  ils 
disent  qu'ils  sont  privés  de  cette  dévotion  par  la. 
suppression  de  la  coupe.  Il  faut  leur  répondre 
que,  s'ils  ont  la  vraie  et  entière  foi  touchant  ce 
sacrement,  s'ils  croient  que  Jésus-Christ,  la  joie 
et  le  contentement  parfait  du  paradis,  est  tout  en- 
tier sous  l'une  et  l'autre  espèce,  ils  ont  assez  de 
quoi  satisfaire  leur  dévotion  ardente,  en  le  re- 
cevant sous  une  seule  espèce  ;  car  ils  boivent  et 
mangent  tout  ensemble,   et  ils  y  sont  rassasiés 


DES    SACREMENTS  263 

d'une  vraie  manne  tombée  du  ciel,  qui  donnait 
toutes  sortes  de  saveurs  aux  bons  Israélites  qui 
s'étaient  abstenus  de  murmurer.  Ainsi  s'ils  ont  la 
vraie  foi,  ils  y  trouveront  toutes  sortes  de  goûts  de 
bonne  et  céleste  dévotion,  et  ils  pourront  y  puiser 
autant  de  douceurs  spirituelles  que  leur  foi  sera 
grande  et  capable  d'en  contenir.  «  Mon  bien-aimé^ 
«  dit  l'épouse,  est  une  grappe  de  raisin  de  Chypre 
«  dans  les  vignes  d'Engaddi.  »  (Gant  i).  Ce  rai- 
sin qui  donne  à  manger  et  à  boire,  c'est  Jésus- 
Christ  même,  qui  dans  le  sacrement  de  l'Eucha- 
ristie, où  est  son  corps  et  son  sang,  est  devenu  la 
nourriture  et  le  breuvage  de  l'Eglise.  Enfin,  dit 
saint  Thomas  (i),  la  douceur  spirituelle  se  goûte 
dans  ce  sacrement  comme  dans  sa  source.  De  quoi 
donc  pourra  séplaindre  un  laïque  dévot,  s'il  est 
bien  fidèle,  puisqu'il  a  la  source  même  et  la  fon- 
taine de  toute  bonne  dévotion  et  de  toute  consola- 
tion intérieure  ?  Après  avoir  bien  considéré  toutes 
ces  choses,  il  faut  estimer  que  ceux  qui  poursui- 
vent opiniâtrement  l'une  et  l'autre  espèce  tout 
ensemble,  ou  sont  ignorants,  ou  ont  quelque 
erreur  dans  l'esprit,  ou  n'ont  pas  du  tout  à  cœur 
les  intérêts  de  Jésus-Christ  ;  car  ils  veulent  l'ex- 
poser à  une  inftnité  de  traitements  indignes, 
en  désirant  pour  leur  propre  satisfaction  le  rendre 
commun  à  tout  le  peuple  sous  les  espèces  de  vin. 
Comme  ils  feraient  bien  mieux  d'exercer  leur  dé- 
votion en  obéissant  à  l'Eglise,  —  car  l'obéissance 
vaut  mieux  que  le  sacrifice,  —  et  en  s'accommo- 
dant  charitablement  à  ce  qui  est  pratiqué  par  tous, 

I.  Opuscul.  57. 


264  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

plutôt  que   d'être  une  occasion   de   schisme  et  de 
révolte  par  un  zèle  indiscret  et  sans  science. 

J'acquiescerai  donc  paisiblement,  si  je  suis 
laïque,  à  cette  loi  de  l'Eglise.  Tout  ce  qui  vient 
d'elle  est  sagement  et  divinement  ordonné.  O  mon 
Sauveur  Jésus-Christ,  qui,  plein  de  gloire,  êtes 
élevé  jusqu'à  la  droite  de  votre  Père  céleste,  il 
convient  que  l'Eglise  ne  permette  pas  que  vous 
soyez  exposé  davantage  aux  injures,  aux  mépris 
et  aux  irrévérences,  qui  se  commettraient  contre 
vous  à  qui  est  dû  tout  respect,  si  l'on  vous  don- 
nait à  prendre  sous  l'espèce  du  vin,  car  il  se  ré- 
pandrait à  terre  trop  facilement  et  il  serait  souillé 
de  diverses  manières.  Hélas  !  mon  cher  Rédemp- 
teur, encore  vous  en  arrive-t-il  trop,  quand  vous 
vous  communiquez  aux  laïques  sous  la  seule 
espèce  du  pain,  quoiqu'elle  soit  moins  sujette  à 
être  profanée.  Car,  hélas  !  combien  de  tabernacles 
ont  été  brisés,  combien  de  ciboires  dérobés  et 
d'hosties  foulées  aux  pieds  par  la  violence  de  la 
guerre  à  notre  époque,  par  ceux  même  qui  ne  se 
disent  ni  turcs,  ni  payens,  ni  hérétiques,  mais  qui 
se  disent  enfants  de  votre  Eglise  !  O  mon  Jésus  ! 
je  dois  frémir  et  éprouver  de  l'horreu^r  au  sou- 
venir de  ces  exécrables  profanations.  Pourquoi 
donc  désirerais-je  pour  ma  satisfaction  que  vous 
soyez  exposé  à  de  plus  grands  affronts  ?  Hélas  ! 
c'est  bien  encore  trop  pour  moi  que  de  participer 
à  une  seule  espèce,  dont  je  me  reconnais  et  je 
m'avoue  à  la  face  du  ciel  et  de  la  terre  très  indigne. 
O  Père  éternel,  prenez  en  main  la  cause  de  votre 
Fils  très  innocent,   qui  vous  a  obéi  jusqu'à   la 


DES   SACREMENTS  265 

mort,   ne   soutirez  sous  aucun  prétexte,  qu'il  soit 
davantage  profané  et  traité  irrévéremment. 


Xir    MÉDITATION 

DES    EFFETS    DU    SACREMENT 
DE  L'EUCHARISTIE 


SOMMAIRE  : 

Le  sacrement  de  V Eucharistie  est  doué  d^une 
grande  vertu.  —  Exposition  en  détail  des  effets 
de  ce  sacrement.  —  L Eucharistie  produit 
son  principal  effet  dans  le  trajet  de  la  bouche  à 
Vestomac. 

I 

CONSIDÉREZ  que  le  sacrement  de  l'Eucharis- 
tie est  doué  d'une  grande  vertu  ;  et  qu'il 
faut  en  attendre  de  très  nobles  effets  et  des  effets 
supérieurs  à  ceux  de  tous  les  autres  sacrements. 
Car  puisque  Jésus-Christ  y  est  en  propre  per- 
sonne, que  son  corps  y  est,  ainsi  que  son  sang 
précieux,  son  âme  très  pure  et  très  sainte  et  sa 
divinité  même,  il  faut  bien  avouer  qu'il  a  eu  de 
grands  desseins  et  que  son  intention  était  d'opérer 
de  grandes  choses.  Les  rois  de  la  terre  ne  se  trou- 
vent ordinairement  en  personne  que  là  où  doivent 
être  accomplis  de  grands  exploits,  à  combien  plus 


266  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

forte  raison  le  Roi  des  rois,  Jésus-Christ,  ne  se 
trouverait  pas  toujours  dans  ce  sacrement,  s'il 
n'avait  la  haute  prétention  d'accomplir  de  très 
grandes  choses  pour  le  bien,  de  ceux  qu'il  visite 
lui-même.  Le  trésor  des  grâces  est  ici  ;  la  fontaine 
même,  l'auteur  de  tout  bien  à  qui  rien  n'est  im- 
possible ni  difficile,  s'y  trouve.  Que  ne  faut-il  donc 
pas  espérer  !  Certes  c'était  son  habitude,  quand  il 
conversait  sur  la  terre,  de  faire  partout  quelque 
bien,  et  ainsi  d'y  imprimer  des  marques  de  son 
passage.  «  //  a  passé^  dit  saint  Luc,  en  faisant  le 
«  bien  à  tout  le  inonde  et  en  délivrant  tous  ceux 
«  que  le  démon  opprimait .  »  (Act.  io,38).  Il  obligeait 
tout  le  monde  par  bonté  d'âme,  et  il  ne  repoussa 
jamais  aucune  prière  qui  fut  polie  et  honnête.  Sans 
doute  il  sera  encore  le  même  dans  ce  sacrement, 
et  il  n'entrera  ni  dans  les  bouches,  ni  dans  les  poi- 
trines fidèles,  sans  y  laisser  les  effets  d'une  bonté 
royale  et  magnifique.  L'arche  d'alliance  avait  bien 
cette  vertu,  car  Dieu  bénit  Obédédom,  il  le  com- 
bla de  richesses  et  d'honneurs  pour  l'avoir  reçue 
chez  lui,  si  bien  qu'il  prit  envie  au  roi  David  de 
participer  à  cet  avantage.  (II  Rois,  6).  Que  ne  fera 
donc  pas  l'Eucharistie  et  quelle  abondance  de  béné- 
dictions ne  causera-t-elle  pas  là  où  elle  sera  reçue 
et  logée  ?  Les  reliques  des  Saints  ont  bien  eu  des 
vertus  toutes  admirables;  leurs  corps  desséchés, 
leurs  os  cariés,  leurs  cheveux  même  et  leurs  cen- 
dres ont  eu  des  pouvoirs  prodigieux  (i),  car  même 
les  reliques  du  prophète  Elisée  ressuscitèrent  un 
mort,  l'ombre  seule  de  saint  Pierre  guérissait  les 

I.  Guillel.  Paris,  ibid.  c.  3. 


DES    SACREMENTS  267 

maladies,  ainsi  que  les  mouchoirs  de  saint 
Paul.  (IV  Rois,  i3;  Act.  3  et  19).  Quelle  vertu 
incomparablement  plus  grande  n'aura  pas  le  corps 
de  Jésus-Christ  dans  le  Saint-Sacrement  de  Tau- 
tel  ?  Sa  robe  dont  la  femme  atteinte  d'une  perte  de 
sang  toucha  la  frange,  arrêta  par  sa  puissante 
vertu  le  Hux  du  sang.  (Marc,  5).  Eh  quoi  !  sa  robe 
aurait  tant  de  vertu  et  sa  chair  n'en  aurait  pas  ? 
Nous  savons  par  expérience  que  la  chair  des  ani- 
maux, soit  de  ceux  qui  marchent  sur  la  terre,  soit  de 
ceux  qui  volent  dans  les  airs,  a  la  force  de  nourrir 
et  de  sustenter  nos  corps  ;  à  combien  plus  forte  rai- 
son sa  chair  précieuse  et  son  sang  très  pur  auront 
aussi  de  la  force  pour  le  bien  de  nos  âmes,  qui  sont 
plus  chères  à  Dieu  que  nos  corps,  et  pour  lesquel- 
les il  n'a  pas  fait  moins  de  merveilles.  Même  la 
chair  des  serpents  a  une  très  grande  efficacité, 
puisqu'on  en  compose  la  thériaque  qui  sert  d'anti- 
dote et  de  contrepoison  ;  et  après  cela  la  chair  très 
sacrée  du  Christ  n'aurait  aucune  action  contre  le 
poison  du  péché  qui  tue  la  vie  des  âmes  ? 
D'ailleurs  qui  pourrait  raconter  les  vertus  se- 
crètes des  pierres  précieuses  ?  et  si  les  pierres 
sont  douées  de  vertus,  Jésus-Christ  en  serait 
dépourvu  !  Les  simples  même,  non  seulement 
les  cèdres  et  les  pins,  mais  les  herbes  les  plus 
petites,  les  herbes  rampantes,  ont  des  propriétés 
très  remarquables  qui  opèrent  une  multitude  d'ef- 
fets ;  combien  plus  doit  en  avoir  le  corps  de  Jésus- 
Christ  et  son  sang  précieux  dans  le  Saint-Sacre- 
ment. Enfin  il  n'y  a  presque  rien  au  monde  qui  ne 
doive  nous  convaincre  de  cette  vérité,  qui  fait  le 
sujet  de  cette  considération,  à  savoir  que  le  Saint- 


268  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Sacrement  est  très  actif  et  produit  un  grand  nom- 
bre de  nobles  effets. 

C'est  pourquoi  nous  devons  concevoir  une 
grande  estime  de  sa  vertu  et  de  son  pouvoir  très 
ample  et  très  magnifique.  Nous  devons  aussi 
concevoir  une  grande  espérance  de  ce  grand  sacre- 
ment, parce  qu'il  est  capable  de  nous  enrichir  de 
grands  biens,  car  dit  le  prophète,  «  Qiiel  est  le 
«  bien,  de  Dieu,  et  qu'est-ce  qu'il  a  de  beau,  si  ce 
«  n'est  le  froment  des  élus  ?  »  (Zach.  9).  Qu'est-ce 
qu'il  y  a  de  si  grand,  que  nous  ne  puissons  l'atten- 
dre de  ce  trésor  caché  ?  «  Approciions-nous  donc 
«  avec  confiance  du  trône  de  sa  grâce,  afin  d'obte- 
«  nir  miséricorde  et  de  trouver  des  secours  en 
«  temps  opportun.  »  (Héb.  4). 

II 

Considérez  en  détail  les  effets  de  ce  sacrement 
dans  ceux  qui  le  reçoivent.  Dans  ce  but  imaginez- 
vous  que  l'homme  est  semblable  à  un  grand 
royaume,  dans  lequel  il  y  a  divers  états  ou  diverses 
régions,  car  les  uns  y  sont  dans  une  basse  condi- 
tion, les  autres  dans  une  condition  médiocre, 
d'autres  enfin  dans  une  haute  et  sublime  condi- 
tion. Ainsi  dans  Thomme  on  peut  considérer, 
comme  divers  états  ou  diverses  régions,  ses  di- 
verses puissances  et  facultés.  Il  renferme  la 
partie  végétative  avec  la  masse  du  corps  qui  est  la 
région  la  plus  basse,  la  partie  sensitive  avec  ses 
appétits  et  les  sens  corporels,  —  ce  qui  constitue 
en  lui  comme  la  région  moyenne,  —  et  enfin  la 
partie  raisonnable,  qui  comprend  l'àme  spirituelle 
et  ses  facultés,  —  ce  qui  est  la  région  suprême.  Or 


DES    SACREMENTS  269 

le  Saint-Sacrement  opère  de  grandes  choses  dans 
toutes  ces  régions. 

Et  premièrement,  voici  ce  qui  regarde  le  corps. 
Quand  un  roi  entre  dans  une  maison,  pour  en 
faire  sa  demeure  ordinaire,  il  rend  cette  maison 
honorable  et  belle,  il  la  munit  par  sa  présence  et 
par  celle  de  ses  gardes  qui  l'environnent,  et  il  lui 
confère  quelque  immunité.  Nous  pouvons  en  dire 
autant  des  corps  des  tidèles  dans  lesquels  Jésus- 
Christ  établit  son  domicile  par  la  sainte  commu- 
nion. Il  les  rend  dignes  de  lui  et  il  leur  confère 
un  honneur  inestimable,  par  le  fait  de  sa  présence 
et  de  sa  demeure  ;  c'est  ainsi  que  la  Vierge  est  digne 
d'être  honorée  pendant  toute  l'éternité,  pour  l'avoir 
porté  neuf  mois  dans  ses  flancs  virginaux.  La 
croix  mérite  des  respects  profonds,  pour  l'avoir 
porté  trois  ou  quatre  heures,  et  le  Saint-Suaire 
est  en  très  grande  vénération,  pour  l'avoir  enve- 
loppé après  sa  mort  pendant  trois  jours.  Saint 
Paul  était  hors  de  lui-même,  quand  il  pensait  à 
cette  gloire:  «.Je  z; /s,  disait-il,  non^  ce  n'est  pas 
«  moi  qui  vis,  c'  est  Jésus-Christ  qui  vit  en  moi.  » 
(Gai.  2).  De  même  saint  C3'rille  de  Jérusalem  dit  : 
Nous  devenons  des  porte-Christ,  car  nous  portons 
le  Christ  dans  nos  corps,  quand  nous  avons  reçu 
son  corps  et  son  sang  dans  nos  membres.  Le  corps 
est  également  fortifié,  soit  pour  agir,  soit  pour 
souffrir  et  beaucoup  de  personnes  délicates  devien- 
nent robustes  par  ce  sacrement,  pour  supporter 
soit  les  veilles,  les  couches  dures,  les  abstinences 
et  les  austérités  d'une  vie  plus  spirituelle  et  plus 
religieuse,  soit  les  tourments  d'un  cruel  martyre  • 
et  c'est  là  la  raison  pour  laquelle  autrefois  on  avait 


270  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

soin  de  donner  la  communion  aux  fidèles  qui 
n'attendaient  que  la  mort  de  la  part  des  tyrans  et 
des  ennemis  de  la  foi.  C'est  aussi  ce  qui  a  fait 
écrire  à  cette  époque  à  saint  Gyprien  (î)  :  celui-là 
n'est  pas  prêt  pour  le  martyre,  qui  n'a  pas  été 
armé  par  l'Eglise  pour  combattre,  et  l'àme  que 
l'Eucharistie  ne  fortifie  pas  et  n'enflamme  pas, 
tombe  bientôt  en  défaillance. 

Ce  sacrement  donne  aussi  des  privilèges  et  des 
immunités  au  corps,  il  lui  confère  le  droit  à  la 
résurrection  glorieuse  pour  le  grand  jour  du  réveil 
de  tous  les  morts.  Car  on  peut  accumuler  droit 
sur  droit,  et,  quoique  les  chrétiens  doivent  res- 
susciter en  vertu  de  leurs  bonnes  œuvres  méri- 
toires, ils  ressusciteront  aussi  en  vertu  de  leur 
communion,  parce  que  leurs  corps  ont  été  touchés 
par  ce  corps,  qui  ne  connut  jamais  la  corruption. 
«  Celui  qui  mange  ce  pain^  dit  Jésus-Christ, 
«  vivra  éternellement  »  (Jean,  6).  Il  n'a  en  effet 
redit  et  inculqué  aucune  vérité,  autant  que  celle- 
ci  :  Le  Saint-Sacrement  donne  l'immortalité  au 
corps. 

Entrez  dans  la  seconde  région  de  l'homme,  dans 
sa  partie  sensible,  où  se  trouve  un  double  appétit, 
l'appétit  concupiscible  et  l'appétit  irascible  ;  c'est 
le  siège  de  toutes  les  passions,  qui  se  révoltent 
contre  l'empire  de  la  raison  supérieure  et  causent 
tous  les  désordres,  tous  les  désastres  et  toutes  les 
misères  de  la  vie  humaine.  Le  Saint-Sacrement 
opère  dans  cette  région  ;  il  y  apaise  la  violence  des 

I.  Epist.  54  :  «  Idoneus  esse  non  potest  ad  martyrium, 
«  qui  ab  Ecclesia  non  armatur  ad  prœlium.  » 


271  I-A    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

mouvements  déréglés  et  empêche  leurs  transports 
furieux.  Car  en  augmentant  la  grâce  sanctifiante, 
il  augmente  dans  une  égale  mesure  la  charité  et  les 
vertus  morales  qui  tiennent  ces  passions  en  bride 
et  maintiennent  dans  le  devoir  de  l'obéissance  ces 
sujets  rebelles.  Si  bien  que,  comme,  en  même 
temps  que  la  manne,  il  tombait  du  ciel  une  rosée  ; 
ainsi  avec  TEucharistie  il  vient  une  fraîche  rosée 
de  grâces  spirituelles  qui  ralentit  l'ardeur  des  pas- 
sions les  plus  enflammées.  C'est  pourquoi  elle  est 
un  médicament  salutaire  qui  corrige  les  instincts 
dépravés  de  notre  corps  et  qui  apaise  la  loi  cruelle 
de  nos  membres.  Aussi  un  des  plus  puissants 
motifs  que  puisse  avoir  un  chrétien  d'être  plus 
modéré,  c'est  de  considérer  quelle  est  la  nourri- 
ture qu'il  reçoit  dans  la  sainte  communion  ;  car 
c'est  «  le  froment  des  élus  et  le  vin  qui  fait  ger- 
«  mer  les  vierges  »  (Zach.  9).  C'est  Jésus-Christ 
avec  toute  sa  pureté  ;  comment  donc  serait-il 
impur  et  déshonnète,  lui  qui  se  nourrit  de  la  chas- 
teté même  ?  C'est  celui  qui  est  prodigue  de  ses 
biens  et  aussi  de  lui-même  ;  comment  donc  le 
chrétien  ne  réprimera-t-il  pas  cette  convoitise  qui 
le  porte  à  tout  retenir  pour  lui?  Quelle  excuse 
aurons-nous  ?  des  loups  mangent  un  agneau,  et 
puis,  après  avoir  été  nourris  comme  des  brebis,  ils 
déchirent  comme  des  lions  ! 

Montons  enfin  à  la  suprême  région  de  l'homme, 
c'est-à-dire  à  sa  partie  raisonnable,  à  Tàme  spiri- 
tuelle. Sans  doute  si  le  Saint-Sacrement  a  beau- 
coup opéré  dans  les  deux  plus  basses  régions,  il  ne 
sera  pas  oisif  et  inutile  dans  celle-ci.   Le  Concile 


DES    SACREMENTS  272 

de  Florence  (i)  dit  que  tout  ce  que  fait  la  nourriture 
corporelle  et  le  breuvage  matériel  pour  la  vie  du 
corps,  le  Saint-Sacrement  le  fait  pour  la  vie  de 
Tàme.  Or  la  nourriture  produit  pour  le  corps 
quatre  effets  principaux  :  elle  le  soutient,  le  fait 
croître,  répare  ce  que  la  chaleur  détruit,  et  enfin 
le  délecte.  Ainsi  le  Saint-Sacrement  soutient  Tàme 
et  l'empêche  de  tomber  dans  les  fautes  qui  sont 
les  chutes  de  la  conscience,  car  elle  apporte  avec 
elle  des  secours  spéciaux,  qui  mettent  Tàme  en 
état  de  résister,  si  elle  le  veut,  aux  tentations  et 
de  persévérer  dans  son  bon  état.  C'est  pourquoi 
les  personnes  qui  communient  saintement  passent 
des  années  entières,  des  âges  entiers  et  parfois 
toute  leur  vie  sans  commettre  un  vrai  péché  mor- 
tel. Elles  sont  comme  Elle  ;  réconfortées  par  cette 
nourriture  elles  marchent  jusqu'à  la  montagne  de 
Dieu,  jusqu'à  ce  qu'elles  arrivent  au  paradis.  Le 
Saint-Sacrement  fait  croître  l'àme  en  grâce  et  en 
vertu,  car  il  les  augmente,  et  Jésus-Christ  peut 
dire  de  ce  sacrement  :  «  Je  suis  venu  pour  qu'ils 
'(.  aient  la  vie  et  qu'ils  Valent  avec  plus  d'ahon- 
«  dance  »  (Jean,  lo).  Il  répare  ce  que  consume  la 
chaleur  naturelle  de  la  concupiscence  par  les 
péchés  véniels,  parce  que  par  sa  vertu  et  efficacité 
propre,  il  remet  les  péchés  véniels,  auxquels  l'àme 
n'est  pas  actuellement  occupée  soit  en  les  com- 
mettant, soit  en  désirant  les  commettre  pendant 
la  communion,  et  l'absolution  du  prêtre  ne  les 
remet  pas  plus  efficacement  que  la  réception  de 
Jésus-Christ  dans  son  Eucharistie.  Que  dire 
encore  ?    Ce   sacrement    comme    une     nourriture 

I.  \n  Decreto  Eugenii , 


DES    SACREMENTS  278 

exquise  délecte  par  le  goût  et  la  saveur  de  la  dévo- 
tion qu'il  cause  ;  car  il  excite  la  charité  à  produire 
ses  actes  propres  dont  les  plus  parfaits  sont  des 
complaisances  et  des  joies  intérieures  à  la  pensée 
de  la  bonté  et  des  perfections  divines.  Personne, 
dit  le  saint  Docteur  (i)  n'est  capable  d'exprimer 
quelle  est  la  suavité  de  ce  sacrement,  par  lequel 
on  goûte  la  douceur  spirituelle  dans  sa  source 
même.  Et  un  personnage  de  rare  vertu  (2)  disait  : 
O  Seigneur,  le  malade  qui  ne  se  sent  pas  récon- 
forté auprès  de  vous,  est  bien  près  de  la  mort. 
L'àme  qui  ne  se  réjouit  pas  avec  vous,  de  quoi 
pourra-t-elle  se  réjouir?  Celui  qui  s'ennuie  auprès 
de  vous,  ne  sait  pas  que  vous  êtes  son  Dieu  et 
tout  son  bien. 

Qui  pourrait  donc  jamais  assez  estimer  et  sou- 
haiter cet  auguste  sacrement,  dont  les  effets  sont 
si  divers,  si  utiles  et  si  agréables  ?  Quel  arbre  de 
vie  du  paradis  terrestre  produisit  jamais  des 
fruits  si  excellents  ?  Quel  trésor  de  toutes  sortes 
de  richesses  renferma  jamais  tant  de  biens  ? 
Etonnez-vous  donc  de  la  stupidité  de  tant  de  chré- 
tiens qui  ont  si  peu  le  désir  de  communier,  qu'ils 
passent  les  mois  et  les  saisons  et  quelquefois  plu- 
sieurs années,  privés  de  cette  table  qui  leur  est 
en  vain  préparée  tous  les  jours.  Ne  faut-il  pas  que 
la  foi  soit  bien  éteinte  dans  leur  intelligence  ?  Car 
si  on  leur  annonçait  qu'il  y  a  dans  la  ville  une  fon- 
taine d'où  coulent  le  lait  et  le  miel,  ou  quel- 
qu'autre  liqueur  plus  rare  et   plus  précieuse  que 

1.  D.  Thom.  9.  79,  art.  4;  Opiisc.  57. 

2.  Balt.  Alvarez  apud  Corn,  a  Lap.  in  c.  9.  Zach. 
Bail,  t.  ix.  .  iS 


\274  La  théologie  affective 

l'eau,  il  y  aurait  presse,  on  se  heurterait  Tun  l'au- 
tre pour  y  aborder  et  pour  y  puiser  ce  précieux 
breuvage.  Et  le  Saint-Sacrement,  la  fontaine  de 
grâces  et  de  biens  innombrables,  est  abandonné 
de  la  plupart  des  chrétiens.  Détestons  leur  assou- 
pissement, abhorrons  leur  négligence  et  leur  in- 
dévotion dont  il  leur  cuira  un  jour.  Pour  nous, 
jouissons  des  biens  de  la  magnificence  divine, 
aimons  à  fréquenter  cet  auguste  sacrement, 
approchons-nous-en  avec  ardeur.  Ne  voyez-vous 
pas,  dit  saint  Jean  Chrysostome  (i),  avec  combien 
d'ardeur  les  petits  enfants  prennent  la  mamelle  et 
comme  ils  pressent  fortement  de  leurs  lèvres  l'ex- 
trémité du  sein  maternel  ?  Approchons-nous  aussi 
de  cette  table  avec  une  semblable  allégresse,  que 
ce  soit  même  avec  une  plus  grande  ardeur  ;  que 
comme  de  petits  enfants  à  la  mamelle,  nous 
tirions  la  grâce  de  l'esprit,  et  que  notre  unique 
douleur  soit  d'être  privés  de  cette  nourriture. 

Considérez  à  quel  moment  le  Saint-Sacrement 
produit  son  principal  effet,  qui  est  l'accroissement 
de  la  grâce  sanctifiante.  Ce  n'est  pas  aussitôt  qu'il 
a  atteint  la  bouche  du  communiant,  ni  après  qu'il 
est  arrivé  dans  la  poitrine,  mais  dans  le  trajet  de 
l'un  à  l'autre  et  lorsque  de  la  bouche  il  est  attiré 
dans  l'estomac  et  est  en  voie  d'y  parvenir.  La  rai- 
son en  est  que  Jésus-Christ  promet  la  grâce  à 
celui  qui  mange  son  corps  :  «  Celui  qui  me  mange 
«  vivra  pour  l'amour  de  moi  ;  celui  qui  mange 
«  ce  pain  vivra  éternellement.  »  (Jean,  6).  Or  c'est 
proprement  à  ce  moment  que   le   chrétien  mange 

I.  Hom.  83  in  Matt.,  Aliàs  82. 


'  J 


I)i;S    SACRKMENTS  278 

actuellement  le  corps  de  Jésus-Christ,  car  au- 
paravant il  ne  le  mange  pas  encore,  et  après  ce 
trajet  il  ne  le  mange  plus,  mais  il  Ta  déjà  mangé. 

D'ailleurs  après  avoir  déterminé  ce  point,  il  est 
important  d'examiner  si  pendant  tout  le  temps 
que  le  corps  de  Jésus-Christ  demeure  dans  la 
poitrine  du  communiant,  il  y  produit  la  grâce  par 
son  efficacité  sacramentelle  et  par  l'œuvre  opérée, 
c'est-à-dire  en  vertu  de  l'application  du  sacrement, 
si  on  ne  met  pas  d'obstacle  à  sa  puissance  et  à  sa 
vertu.  Cette  controverse  est  agitée  par  les  per- 
sonnes qui  s'occupent  de  spiritualité,  et  elle  est 
diversement  résolue.  Il  y  en  a  qui  estiment  que 
pendant  tout  le  temps  que  le  sacrement  demeure 
dans  la  personne  qui  Ta  reçu,  il  opère  sans  inter- 
ruption à  la  manière  du  soleil  qui  ne  cesse  de  dar- 
der ses  rayons  ou  bien  comme  la  nourriture  cor- 
porelle qui  ne  cesse  de  nourrir,  tant  qu'elle 
demeure  dans  l'estomac.  Il  disent  que  Jésus-Christ 
ayant  la  vertu  de  sanctifier  et  le  sujet  dans  lequel 
il  est  étant  disposé  à  être  continuellement  sancti- 
fié, il  y  aurait  un  inconvénient  à  ce  que  le  sacre- 
ment demeurât  comme  oisif  et  ne  fit  rien.  C'est 
pourquoi  ils  appliquent  au  Saint-Sacrement  ces 
paroles  :  «  Aussi  longtemps  que  je  suis  dans  le 
«  monde ^  je  suis  la  lumière  du  monde.  » 
(Jean,  9)  (i).  Mais  plusieurs  Théologiens  (2)  re- 
prennent aigrement  ceux  qui  soutiennent  cette 
opinion  ;  le  Saint-Sacrement  en  effet  ne  confère  la 

I.  Major,  in  4,  dist.  9,  1.  i,  arg.  5  ;  Cajetan.  in  3, 
p.  quœst.  76,  art.   i. 

a.  Soto,  in  4,  dist.  11,  q.  2,  art.  i, 


276  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

grâce  sanctifiante  qu'à  la  condition  d'être  appliqué 
par  la  manducation  actuelle,  de  telle  sorte  que, 
s'il  pouvait  entrer  dans  le  corps  autrement  que 
par  la  manducation,  il  n'opérerait  rien.  Ajoutons 
que  cette  première  opinion  donne  lieu  aux  supers- 
titions punies  par  l'Inquisition  d'Espagne  ;  l'une 
de  ces  superstitions  consiste  à  donner  à  la  per- 
sonne qui  communie  plusieurs  espèces  ou  hosties 
à  la  fois,  dans  le  but  de  faire  durer  plus  longtemps 
le  Saint-Sacrement  dans  leur  corps  et  par  suite  la 
continuation  de  ses  effets  dans  leur  âme.  Enfin  il 
est  incroyable  que  la  personne  qui  communie  re- 
çoive une  abondance  de  grâces  telle  que  Jésus- 
Christ  pourrait  la  produire,  en  agissant  sans 
interruption  durant  tout  le  temps  qu'il  demeure 
en  elle,  et  comme  il  demeure  plus  longtemps  dans 
les  corps  de  faible  complexion  et  qui  digèrent  plus 
lentement,  certains  tireraient  de  leur  faiblesse  na- 
turelle de  plus  grands  avantages.  Malgré  ces 
raisons,  quelques  Théologiens  (i)  ne  trouvent  pas 
cette  opinion  répréhensible,  pourvu  qu'elle  soit 
modifiée  de  la  manière  suivante  :  le  sacrement 
produirait  la  grâce  durant  tout  ce  temps,  en  vertu 
de  l'œuvre  opérée  et  de  son  efficacité  sacramen- 
telle, dans  le  cas  oii  l'âme  augmenterait  de  plus  en 
plus  sa  bonne  disposition  par  des  élans  plus  sublimes 
et  par  des  actes  plus  fervents  de  sa  dévotion. 
Jésus-Christ  a  pu  instituer  le  sacrement  avec  une 
telle  vertu,  il  n'y  a  aucune  répugnance  à  ce  que  la 
chose  soit  ainsi,  elle  fait  même  paraître  davan- 
tage  la  douceur  et  la  bonté  de  Dieu,  et  elle   est 

1.  Suarez,  ibid. 


DES    SACREMENTS  277 

pour  le  chrétien  un  motif  de  bien  employer  le 
temps  qui  suit  la  communion,  sans  en  laisser 
écouler  inutilement  la  moindre  partie,  afin  de  faire 
une  plus  grande  provision  de  biens  spirituels, 
pendant  le  séjour  de  Jésus-Christ  dans  leur  corps. 
Mais  quoique  Ton  modifie  et  Ton  adoucisse  cette 
opinion,  elle  ne  laisse  pas  d'être  rejetée  par 
d'autres  Théologiens  (i),  qui  s'attachant  fortement 
aux  paroles  de  saint  Thomas  recommandent  d'avoir 
une  grande  dévotion,  quand  on  reçoit  ce  sacre- 
ment, parce  que  c'est  alors  que  son  effet  se  pro- 
duit, si  bien  que  saint  Thomas  a  estimé  que 
c'était  dans  la  seule  réception  du  sacrement  que  la 
grâce  se  donnait,  et  non  pendant  la  digestion  des 
espèces,  qui  n'est  pas  une  action  humaine,  mais 
une  action  purement  naturelle  et  qui  ne  contribue 
en  rien  à  la  production  de  la  grâce.  C'est  pour- 
quoi la  digestion  n'est  pas  requise  pour  cette 
nourriture  spirituelle,  comme  elle  l'est  pour  la 
nourriture  corporelle,  et  le  chrétien  qui  expirerait 
dans  la  manducation  actuelle  du  sacrement,  ne 
recevrait  pas  moins  de  grâces  par  la  vertu  du 
sacrement.  Au  reste  Jésus-Christ  ne  sera  pas  oisif 
pendant  que  les  espèces  sacramentelles  subsiste- 
ront dans  le  corps,  bien  qu'il  n'y  produise  pas  la 
grâce  en  vertu  de  son  être  sacramentel.  Il  y  jouit 
en  effet  de  la  contemplation  de  l'Essence  divine, 
à  laquelle  son  âme  bienheureuse  est  occupée  tou- 
jours et  en  quelque  endroit  qu'elle  soit,  à  la  ma- 

I.  Vasquez,  disp.  203,  c.  2  ;  M«rat.  disp.  3,  sect.  i  ; 
D.  Thomas,  q.  80,  art.  8,  ad  6"^"  ;  Isambertus^  ad.  q.  79, 
disp.  }f  art.  i. 


278  LA    THÉOLOGIE     AFFECTIVE 

nière  des  Anges  qui,  gardant  les  hommes  sur  la 
terre,  ne  laissent  pas  de  voir  toujours  la  face  de 
Dieu.  Enfin  nous  pouvons  nous  arrêter  à  cette 
opinion  et  dire  que  Dieu  n'a  pas  besoin  de  notre 
mensonge  pour  exciter  les  hommes  à  avoir  beau- 
coup de  dévotion  après  la  communion,  en  son- 
geant que  le  sacrement  continuerait  à  produire 
alors  ses  effets  (i).  Ce  motif  qui  n'attache  les  âmes 
qu'à  leur  propre  intérêt  spirituel,  ne  fait  pas  par- 
tie de  la  meilleure  voie  et  de  la  meilleure  méthode 
de  direction.  Il  vaut  bien  mieux  que  pendant  ce 
temps  elles  soient  excitées  à  la  dévotion  par  la 
grandeur  de  Jésus,  qui  est  leur  hôte,  qui  mérite 
d'être  traité  avec  toute  sorte  de  respect,  et  d'être 
chéri  d'un  amour  indicible,  à  cause  de  ce  qu'il  est 
lui-même,  quand  bien  même  il  ne  nous  apporte- 

I.  C'est  aller  trop  loin  que  de  qualifier  indirectement 
de  mensonge  une  opinion  au  moins  aussi  probable  que 
celle  de  saint  Thomas  et  à  laquelle  on  peut  s'arrêter 
avec  tout  autant  de  raison.  C'est  l'opinion  que  Suarez 
formule  ainsi  :  «  La  présence  pxirement  matérielle  du 
«  corps  de  Jésus-Christ  dans  l'homme  n^augmenie  pas 
«  continuellement  la  grâce  ;  car  tout  sacrement  donne  la 
«  grâce  au  moment  où  il  est  appliqué  et  ici  il  est  appli- 
«  que,  quand  il  est  reçu .  "Néanmoins  il  est  raisonnable 
«  d'admettre  que  la  grâce  est  augmentée  en  vertu  de 
«  V œuvre  opérée^  aussi  longtemps  que  le  Christ  demeure 
«  dans  le  corps  du  communiant,  si  celui-ci  se  dispose 
«  continuellement  par  de  nouveaux  actes  à  recevoir  de 
«  plus  grandes  grâces.  C'est  dans  ce  sens,  croyons-nous, 
«  que  les  Saints  recommandent  tant  de  bien  employer  le 
«  temps  précieux  qui  suit  la  communion.  »  (Disp.  43, 
sect.  7). 


DES    SACRHMKNTS  '2~C) 

rait  aucun  bien,  car  il  ne  peut  pas  y  avoir  de  bar- 
barie et  d'incivilité  plus  grande  que  de  l'oublier 
dans  ce  moment  et  de  ne  lui  faire  intérieurement 
aucune  caresse.  C'est  tout  à  fait  une  grande  mi- 
sère, dit  saint  PYançois  d'Assise  (i),  et  une  déplo- 
rable infirmité,  de  penser  à  quelqu'autre  chose  au 
monde,  quand  vous  l'avez  présent.  Que  tout 
homme  frémisse  et  que  tout  le  monde  tremble, 
quand  Jésus-Christ,  le  Fils  de  Dieu,  est  sur  les 
autels  entre  les  mains  du  prêtre. 

Je  m'arrêterai  donc  à  cette  opinion  du  Docteur 
Angélique,  qu'il  faut  apporter  une  grande  dévotion 
dans  la  réception  de  ce  sacrement,  parce  que  c'est 
alors  qu'il  opère  et  produit  son  effet.  Et  quoi- 
qu'après  la  manducation  il  n'agisse  plus  comme 
sacrement,  je  ne  dois  pas  cependant  cesser  de 
produire  toutes  sortes  d'actes  pieux,  parce  que 
celui  qui  demeure  en  moi  est  un  hôte  descendu 
du  ciel,  c'est  le  noble  Fils  de  Dieu,  c'est  Jésus 
même  dont  les  grandeurs  sont  partout  adorables 
et  dont  la  douceur  est  partout  très  aimable.  Je 
m'évertuerai  donc  alors  à  produire  des  actes  de 
foi,  d'espérance  et  de  charité.  L'embrassant  avec 
les  bras  de  mon  âme,  je  lui  dirai  :  «  Que  je  vous 
«  aime^  mon  Dieu  ^  ma  force  »  (Ps.  17).  Je  louerai 
sa  bonté  et  sa  miséricorde  qui  l'ont  empêché  de 
me  dédaigner,  je  lui  rendrai  des  actions  de  grâces 
pour  sa  condescendence  si  grande  et  je  convierai 
toutes  les  puissances  de  mon  âme  à  lui  offrir  leur 
service.  Les  sens  lui  offriront  une  plus  grande 
retenue,  mon  appétit  sensuel  s'astreindra  à  réfréner 

I.  Epist.  ad  sacerd,  sut  ordin.  ip  Bibl.  SS.  Patrum. 


iSo  LA    THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

tous  les  mouvements  de  ses  passions,  mon  intel- 
ligence formera  des  actes  de  foi  et  confessera  qu'il 
est  le  vrai  Dieu  et  le  Rédempteur  du  monde,  ma 
mémoire  se  souviendra  des  douleurs  de  sa  Passion 
supportées  pour  moi  et  ma  volonté  éclatera  en 
plusieurs  actes  d'amour.  Ainsi  me  soit  fait  toujours, 
Seigneur  mon  Dieu,  par  votre  miséricorde. 


Xlir  MÉDITATION 

DES  TROIS  SORTES 

DE  DISPOSITIONS  A  LA  RÉCEPTION 

DU    SAINT-SACREMENT 


SOMMAIRE  : 

La  disposition  nécessaire  et  suffisante  pour  rece- 
voir la  grâce  sanctifiante  de  la  sainte  commu- 
nion est  V exemption  du  péché  mortel  obtenue 
par  la  conjession.  —  Disposition  prétendue 
suffisante  et  qui  ne  lest  que  probablement.  — 
Dispositions  convenables. 

I 

CONSIDÉREZ  que  la  condition  nécessaire  et 
suffisante  pour  recevoir  le  Saint-Sacre- 
ment et  avec  lui  l'augmentation  de  la  grâce  sanc- 
tifiante, c'est  d'être  exempt  de  tout  péché  mortel, 


DES    SACREMENTS  28 I 

par  le  moyen  de  la  confession  et  de  l'absolution  du 
prêtre.  Le  péché  véniel  ou  le  défaut  de  dévotion 
actuelle  et  positive,  qui  pourrait  arriver  par  dis- 
traction, par  oubli,  par  sécheresse,  par  bassesse  ou 
stupidité  d'esprit,  ne  constitue  pas  un  empêche- 
ment à  la  réception  de  la  grâce  dans  la  commu- 
nion (i).  Le  Concile  (2)  semble  confirmer  cette 
cette  affirmation,  puisque,  pour  participer  à  l'effet 
de  ce  sacrement,  il  ne  requiert  rien  autre  chose 
que  la  pénitence  et  la  confession  du  péché  mor- 
tel, et  qu'il  interprète  dans  ce  sens  les  paroles  de 
Saint  Paul  :  «  Qtie  rhomme  s'éprouve  lui- 
ft  même  y>  (I  Cor.  11),  en  confessant  ses  péchés 
mortels,  et  puisqu'il  enjoint  expressément  à  celui 
qui  a  conscience  d'être  en  état  de  péché  mortel, 
de  ne  pas  s'approcher  de  l'Eucharistie,  quelque 
contrit  qu'il  soit,  sans  s'être  au  préalable  confessé 
sacramentellement.  Le  Concile  s'arrête  là  et  il  ne 
paraît  pas,  si  on  consulte  les  lois  de  Dieu  ou  de 
l'Eglise,  qu'il  y  ait  autre  chose  de  requis  de  la 
part  de  l'àme,  pour  recevoir  l'effet  du  sacrement. 
Car,  pour  ce  qui  est  du  corps,  personne  n'ignore 
que  l'on  doit,  à  cause  de  l'honneur  qui  est  dû  au 
corps  de  Jésus-Christ,  être  à  jeun,  c'est-à-dire 
n'avoir  rien  pris  depuis  minuit,  hormis  le  cas  de 
maladie.  Au  reste  la  pratique  semble  autoriser 
cette  même  doctrine,  car  autrefois  on  donnait 
l'Eucharistie  aux  petits  enfants  baptisés,  qui 
n'étaient  capables  de  former  aucun  acte  de  foi,  de 

I.  Isambertus,  ad.  q.  79,  disp.  2,  art.  i. 
3.  Sess.  13,  cap.  7. 


282  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

charité,  d'adoration,  ni  de  tout  autre  vertu  (i),  et 
aujourd'hui  même,  ceux  qu'on  présume  être  tom- 
bés en  démence,  quand  ils  étaient  dans  un  bon 
état,  ne  sont  pas  frustrés  de  la  communion.  D'où 
l'on  peut  inférer  que  c'est  être  suffisamment  dis- 
posé que  d'être  en  état  de  grâce  et  sans  péché  mor- 
tel. D'ailleurs  le  péché  véniel  n'a  aucune  répu- 
gnance avec  la  grâce  sanctifiante,  c'est  pourquoi  il 
n'empêche  pas  le  sacrement  de  la  produire.  C'est 
autre  chose  s'il  s'agit  du  péché  mortel;  il  est  abso- 
lument nécessaire  d'en  être  débarrassé  et  purifié 
pour  participer  à  la  grâce,  qui  se  donne  dans  ce 
sacrement.  Car,  dit  Saint  Paul,  «  Celui  qui 
«  mange  et  boit  indignement^  mange  et  boit  son 
«  jugement  »,  il  avale  sa  condamnation,  car  «  il 
«  ne  discerne  pas  le  corps  du  Seigneur  »  (I  Cor.  2), 
puisqu'il  le  reçoit  dans  un  lieu  infect,  dans  un  lieu 
où  sont  ses  ennemis,  ce  qui  est  lui  faire  une  injure 
atroce.  11  n'a  point  égard  davantage  à  la  grandeur 
de  Jésus-Christ  et  à  la  pureté  de  cette  nourriture, 
car  il  la  reçoit  comme  un  aliment  profane,  qu'il 
importe  peu  de  manger  en  bon  ou  en  mauvais 
état.  Mais  rien  n'est  plus  important  pour  l'Eucha- 
ristie, parce  que  cette  nourriture,  qui  n'est  desti- 
née qu'à  ceux  qui  vivent  de  la  vie  spirituelle  de 
la  grâce  et  qui  sont  les  enfants  adoptifs  de  Dieu? 
est  donnée  à  un  mort  et  à  un  chien;  car  celui  qui 
est  en  état  de  péché  mortel  est  réputé  aux  yeux  de 
Dieu  n'être  qu'un  chien  très  vil  et  misérable.  En 
cela  il  commet  un  double  sacrilège,  d'abord  en  ce 
qu'il  traite  irrévéremment  une  chose  sainte,  en  ce 

I.  D.  August.  Epist.  10.  7.  —  Niceph.  1.  17,0.  15. 


DES    SACREMENTS  283 

qu'il  la  prend,  tandis  qu'elle  ne  lui  appartient  pas, 
puis  parce  qu'il  y  participe  en  état  de  péché,  alors 
que  cela  lui  est  défendu.  C'est  le  crime  et  l'atten- 
tat de  Judas,  qui  présuma  le  premier  de  recevoir 
l'Eucharistie,  avec  l'indignité  du  péché  mortel  ; 
c'est  pourquoi  ce  qui  lui  était  oftert  par  miséri- 
corde, le  rendit,  par  l'abus  qu'il  en  fit,  plus  crimi- 
nel aux  yeux  de  la  Justice  divine. 

Demande-t-on  s'il  y  a  plus  d'inconvénient  à 
manger  qu'à  regarder  l'Eucharistie  en  état  de 
péché  ?  Il  faut  considérer  que  l'Eglise  n'a  pas 
toujours  permis  à  toutes  sortes  de  personnes  de 
la  regarder,  car  elle  prenait  garde  que  ni  les  infi- 
dèles ni  même  les  chrétiens  non  encore  baptisés 
ne  jetassent  leurs  regards  sur  elle  (i).  Le  Docteur 
séraphique  (2)  dit  aussi  que  ce  n'est  pas  chose 
semblable  de  regarder  l'Eucharistie  et  de  la  man- 
ger, que  dans  le  second  cas  l'irrévérence  est  plus 
notable,  parce  qu'alors  le  sacrement  est  reçu  et 
que  la  grâce,  à  laquelle  il  y  a  obligation  de  se 
disposer,  est  offerte.  Si  les  Bethsamites  qui  regar- 
dèrent l'arche  furent  tués  (I  Rois,  6),  ils  ne  sont 
pas  la  figure  de  ceux  qui  jettent  les  yeux  sur  l'Eu- 
charistie, mais  de  ceux  qui  examinent  trop  curieu- 
sement, quoiqu'ils  soient  simples  d'esprit,  les  pro- 
fonds mystères,  et  qui  périssent  quelquefois  et 
perdent  la  foi,  pour  avoir  été  trop  présomptueux. 
Enfin  d'autres  font  cette  difficulté  :  l'expérience 
montre,  disent-ils,  que  plusieurs  de  ceux  qui  com- 
munient souvent  paraissent  avoir  fait  peu  de  pro- 

1.  D.  Diony.  De  Eccl.  hier.  c.  7. 

2.  In  4,  dist.  9,  art,  2,  q.  2. 


284  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

grès  dans  la  vertu  et  dans  la  charité  ;  or  la  charité 
ne  demeure  point  oisive,  là  où  elle  est  grande. 
Ceci  dénote,  disent-ils,  qu'il  faut  autre  chose  que 
l'exemption  du  péché  mortel,  pour  recevoir  l'effet 
du  sacrement  et  que  cette  autre  chose  manque  à 
ceux  qui  fréquentent  ce  mystère,  sans  paraître 
plus  vertueux,  ni  avoir  une  charité  plus  parfaite. 
On  répond  communément  à  cette  objection  que  la 
grâce  de  Dieu  est  invisible  et  qu'elle  peut  être 
grande  dans  une  âme,  sans  qu'il  en  paraisse  rien  ; 
néanmoins  l'efficacité  de  la  fréquente  communion 
se  constate  d'une  manière  assez  évidente  à  cet 
effet,  qu'une  telle  âme  persévère  longtemps  dans 
la  grâce  et  se  préserve  de  tout  péché  mortel  ;  ce 
qui  n'est  pas  un  effet  de  petite  conséquence.  Au 
reste  nous  toucherons  une  autre  source  de  ce 
désordre  dans  la  considération  suivante.  En  at- 
tendant : 

Nous  apprendrons  par  ce  point  un  trait  de  la 
miséricorde  de  Dieu,  qui  requiert  si  peu  de  chose 
pour  la  réception  de  ce  sacrement  et  du  fruit  de  ce 
sacrement.  Ne  pouvait-il  pas  exiger  avec  justice 
tous  les  plus  grands  devoirs,  les  plus  difficiles  et 
les  plus  exactes  préparations  du  monde,  pour  se 
communiquer  lui-même  si  libéralement  dans  ce 
mystère  ?  Certes  sa  grandeur  le  méritait,  mais  il  a 
eu  égard  à  notre  pauvreté,  à  notre  misère  et  à 
notre  infirmité.  C'est  pourquoi  il  se  donne  à  si  bon 
marché,  lui  et  la  bénédiction  de  ses  grâces.  Il  lui 
suffit  qu'une  âme  ait  délogé  son  ennemi  mortel 
par  le  sacrement  de  la  Pénitence,  et  le  voilà  prêt 
à  entrer,  quoiqu'elle  ait  des  péchés  véniels  et 
d'autres  défauts  qui  pourraient  le  décider  juste- 


DES    SACREMENTS  285 

ment  à  ne  pas  se  communiquer  à  elle.  O  Seigneur 
que  votre  conduite  est  douce  !  Que  votre  esprit  est 
facile  et  que  vous  donnez  bien  sujet  aux  personnes 
qui  sont  débarrassées  de  leurs  péchés  mortels  par 
l'absolution  sacramentelle,  d'être  en  repos  et  en 
paix,  après  s'être  approchées  de  vous,  bien  qu'elles 
voient  en  elles  de  grandes  imperfections  !  Mais 
autant  est  grande  votre  bonté,  autant  est  grande 
la  malice  de  ceux  qui,  ressentant  intérieurement 
les  remords  de  la  conscience  chargée  d'un  péché 
mortel,  ont  l'audace  de  se  présenter  à  votre  table. 
Oh  !  les  traitres  qui  vous  font  cet  outrage  dans 
votre  maison,  à  votre  table,  en  présence  de  vos 
Anges  qui  en  tireraient  vengeance  à  l'heure 
même,  si  vous  ne  les  arrêtiez,  car  vous  voulez, 
pour  juger  ces  coupables,  attendre  la  un  du 
monde.  O  Seigneur  !  préservez-moi  durant  toute 
ma  vie  d'une  communion  indigne  et  sacrilège  ! 
Préservez-en  tout  le  monde.  Vous  n'avez  reçu  que 
trop  d'outrages  de  la  part  des  Juifs  qui  vous  cruci- 
fièrent entre  deux  voleurs,  au  temps  de  votre  hu- 
manité passible  et  mortelle.  Maintenant  vous  êtes 
dans  la  gloire  de  Dieu,  votre  Père,  il  vous  appar- 
tient d'être  reçu  partout  avec  respect  et  adoration, 
avec  charité  et  sainteté.  Oh!  donnez  cette  sainteté 
à  tous  ceux  qui  s'approchent  de  vous. 

II 

Considérez  une  seconde  disposition,  qui  est 
prétendue  suffisante  pour  recevoir  l'effet  de  ce  sa- 
crement ;  mais  elle  ne  l'est  que  probablement,  elle 
ne  l'est  qu'en  apparence  et  non  en  vérité.  Cette 
disposition  est  assez  ordinaire,   elle   est   une   des 


286  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

principales  causes  du  peu  de  fruit  que  Ton  constate 
dans  l'Eglise  après  la  communion  de  Pâques  et 
d'autres  temps.  Elle  n'était  pas  vraie  ni  suffisante 
en  effet  et  en  vérité  et  devant  Dieu,  mais  seule- 
ment dans  l'esprit  et  dans  la  pensée  de  ceux  qui 
ont  estimé  être  saints  et  guéris  du  péché  mortel, 
bien  qu'il  ne  fut  pas  délogé  de  leur  àme.  Il  n'en  est 
pas  délogé,  soit  parce  qu'un  examen  de  conscience 
suffisant  a  fait  défaut,  soit  parce  qu'on  a  conservé 
une  affection  secrète  au  péché,  soit  parce  qu'on  a 
manqué  d'attrition  surnaturelle  en  se  confessant, 
soit  parce  que  la  juridiction  ou  l'approbation  ont 
fait  défaut  au  confesseur  et  qu'il  y  a  eu  erreur  des 
clefs,  soit  parce  qu'on  a  l'esprit  infecté  d'une 
opinion  qui  intéresse  le  salut  et  que  l'on  estime 
trop  légèrement  être  probable  ou  certaine,  soit  à 
cause  de  quelqu'autre  défaut  qui  est  ignoré.  De 
telles  personnes  demeurent  en  réalité  dans  le 
péché  mortel,  mais  croyant  d'une  manière  proba- 
ble qu'elles  en  sont  délivrées,  elles  s'approchent 
de  bonne  foi  du  très  auguste  sacrement,  et  n'en 
reçoivent  ni  bien  ni  mal.  L'Eucharistie  en  effet 
étant  le  sacrement  des  vivants  et  sa  dignité  étant 
telle  qu'il  n'est  destiné  qu'aux  vrais  enfants  de 
Dieu  jouissant  de  l'état  de  grâce  et  qui  déjà  unis 
à  Dieu  attendent  de  ce  sacrement  une  augmenta- 
tion de  grâce,  ce  sacrement  ne  peut  produire  son 
effet.  La  grâce  ne  peut  être  augmentée  que  si  elle 
existe  déjà  et  la  nourriture  qu'on  mettrait  dans  la 
bouche  d'un  corps  mort  n'y  opérerait  rien  pour  la 
vie.  Mais  d'autre  part  elles  ne  commettent  pas  un 
nouveau  péché,  consistant  en  ce  qu'elles  n'auraient 
pas  reçu  dignement  ce   sacrement,  car  elles   s'ap- 


DES    SACREMENTS  287 

prochent  de  bonne  foi  et  avec  une  disposition 
probablement  suffisante,  qui  les  excuse  du  péché. 
De  la  sorte  il  y  a  un  milieu  pour  ce  qui  concerne 
la  communion,  c'est-à-dire  un  état  d'âme  dans 
lequel  on  ne  pèche  pas  mortellement  et  où  cepen- 
dant on  ne  reçoit  pas  le  fruit  de  la  grâce.  De  là 
vient  qu'on  a  beau  réitérer  de  semblables  com- 
munions, tant  qu'on  voudra,  on  demeure  dans 
le  même  état,  on  n'avance  pas,  on  ne  recule  pas, 
la  même  tiédeur  persiste,  la  lèpre  des  mêmes  vices 
continue  et  la  pauvre  créature  aveuglée  et  séduite 
par  une  fausse  persuasion,  est  autant  éloignée  du 
ciel,  qu'elle  est  proche  de  l'enfer,  jusqu'à  ce  que 
la  grâce  divine  la  touche  plus  vivement  et  lui  fait 
produire  des  actes  parfaits  d'amour  et  de  contri- 
tion, ou  la  fait  rentrer  en  elle-même  et  s'appro- 
cher des  sacrements  avec  un  cœur  nouveau  et  des 
dispositions  valables  aux  yeux  de  Dieu. 

Cette  doctrine  théologique  vraiment  étonnante 
est  enseignée  par  le  Docteur  Séraphique  (i),  avec 
plus  de  rigueur  encore  que  nous  n'en  avons  usé. 
Le  communiant,  dit-il,  qui  veut  recevoir  ce  sacre- 
ment, est  tenu  de  se  préparer,  parce  que  Dieu 
vient  pour  habiter  dans  l'homme.  Or,  la  prépara- 
tion n'est  pas  toujours  suffisante,  mais  seulement 
quand  l'ennemù  de  Dieu  est  mis  dehors  par  un 
examen  et  une  contrition  sérieux,  ou  par  le  juge- 
ment de  la  Pénitence.  De  plus,  puisque  la  majesté 
divine  s'humilie  par  cette  grande  condescendance 
et  que  la  bonté  divine  nous  offre  sa  grâce  dans  ce 
sacrement,  l'homme  doit,  pour  y  participer  digne- 

I.  In  4,  dist.  9,  art.  2,  p.  3. 


288  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

ment,  s'en  approcher  avec  une  crainte  respectueuse 
et  avec  un  grand  amour.  Il  y  en  a  donc  qui  se 
préparent  suffisamment,  selon  la  vérité,  d'autres 
qui  se  préparent  suffisamment,  non  pas  selon  la 
vérité,  mais  selon  la  probabilité  (i)  ;  d'autres  qui 
ne  se  préparent  ni  de  l'une  ni  de  l'autre  manière, 
mais  qui  négligent  de  le  faire.  Celui  donc  qui  se 
prépare  suffisamment,  mange  dignement  et  celui 
qui  ne  se  prépare  d'aucune  manière,  mange  indi- 
gnement. Mais  celui  qui  se  prépare  moins  que 
suffisamment,  c'est-à-dire  celui  dont  la  préparation 
est  plutôt  selon  la  probabilité  que  selon  la  vérité, 
ne  mange  pas  dignement,  parce  qu'il  ne  se  prépare 
pas  suffisamment  dignement  et  il  ne  mange  pas 
indignement,  parce  qu'il  se  prépare  seulement 
probablement.  Celui-là  donc,  quoiqu'il  ne  reçoive 
pas  la  grâce,  ne  commet  pas  cependant  une  faute, 
car  il  se  prépare  selon  le  jugement  de  sa  conscience 
et  se  contente  de  la  probabilité.  Nous  avons  cité 
jusqu'ici  les  paroles  de  ce  grand  Docteur,  dont  le 
sentiment  est  suivi  par  bon  nombre  de  Théolo- 
giens, tels  que  Gabriel,  Marsile,  Adrien,  Cajétan, 
Suarez  et  d'autres  (2). 

1.  «  Quidam  aidem  non  suffïcienter  secundutn  verita- 
«  tem,  suffïcienter  tanien  secundum  probabilitatem  ». 

2.  Apud  Suarez,  ad  q.  79,  disp.  63,  sect.  2.  —  Il  y  a 
en  réalité  un  cas  où  le  communiant  ne  pèche  nulle- 
ment en  s'^pprochant  de  ce  sacrement  et  où  cependant 
il  ne  reçoit  aucune  grâce  ;  c'est  le  cas  de  celui  qui  se 
croit  légèrement  en  état  de  grâce  et  qui  cemmunie  de 
bonne  foi,  mais  sans  avoir  au  moins  l'attrition.  Si  à  cette 
bonne  foi  vient  se  joindre  l'attrition  surnaturelle 
(implicite),  l'Eucharistie  efface  ses  péchés  mortels  et  le 


DES    SACREMENTS  2S9 

Nous  déplorerons,  comme  conclusion  de  cette 
considération  très  vraie,  la  pauvreté  et  le  désordre 
d'une  trop  grande  multitude  de  chrétiens,  prêtres 
et  laïques,  religieux  et  religieuses  qui,  parce  qu'ils 
n'apportent  à  ce  sacrement  qu'une  disposition 
prétendue  suffisante,  n'en  tirent  pas  de  profit, 
mais  après  toutes  leurs  communions  croupissent 
dans  tous  leurs  vices,  toujours  aussi  colères,  aussi 
avares,  aussi  médisants,  aussi  volontaires,  aussi 
indévots  et  aussi  immortifiés  qu'auparavant.  Le 
feu  ne  les  réchauffe  pas,  la  lumière  ne  les  éclaire 
pas,  la  médecine  ne  les  guérit  pas,  l'abondance  ne 
les  enrichit  pas,  la  force  ne  les  fortifie  pas.  N'est- 
ce  pas  une  chose  pitoyable  et  honteuse,  que  le 
pain  grossier  et  terrestre  que  nous  mangeons 
produise  plus  d'effet  sur  nos  corps  que  le  Saint- 
Sacrement  n'en  produit  sur  nos  âmes  ?  que 
ce  pain  mort  et  inanimé  fortifie  et  nourrisse 
notre  chair  et  produise  plusieurs  autres  bons 
effets  en  nous  et  que  le  pain  vivant,  Notre- 
Seigneur,  avec  toute  la  puissance  de  sa  divinité  et 
avec  tous  les  mérites  de  son  humanité,  n'opère 
rien  dans  nos  esprits  et  demeure  dans  nos  esto- 
macs comme  si  c'était  un  caillou  ?  (i).  Quelle  est 
la  cause  d'un  si  grand  malheur  ?  Certainement  il 
ne  faut  pas  en  chercher  d'autre    que  notre   indis- 

justifie.  Telle  est  la  doctrine  tellement  commune  des 
Théologiens,  qu'elle  rencontre  très  peu  de  contradic- 
teurs ;  c'est  celle  notamment  de  saint  Thomas  (3,  q. 
79,  a.  3),  Bellarnim  (1.  4.  c.  19),  Suarez  (disp,  63,  sect. 
I.  n.  10),  saint  Alphonse  (1.  6,  n.  269). 

I.  P.  S.  Jure,  1.  3.  De  la  comiaiss.  sect.  6. 
Bail,  t.  ix.  19 


2qO  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

position.  Rentrez  donc  en  vous-même,  si  vous 
ressentez  peu  ou  point  d'effet  de  vos  communions, 
redoutez  que  votre  indisposition  ne  soit  qu'ima- 
ginaire et  non  véritable.  Peut-être  manquez-vous 
d'instruction  ?  Pensez-vous  faussement  qu'une 
action  qui  vous  est  ordinaire,  ne  constitue  qu'un 
péché  véniel  ou  une  imperfection  ;  néanmoins  elle 
est  aux  yeux  de  Dieu  un  péché  mortel,  votre  ba- 
lance est  trompeuse  et  vos  poids  sont  faux.  Vous 
vous  confessez  par  pure  routine,  sans  esprit  de 
pénitence  ;  vous  ne  cherchez  pas  à  apaiser  Dieu, 
et  votre  douleur  telle  quelle  manque  des  condi- 
tions nécessaires.  Que  dirai-je  encore  ?  vous  ne 
vous  examinez  que  superficiellement  et  vous  ne 
vous  jugez  pas  bien  vous-même  ;  c'est  pourquoi 
vous  êtes  toujours  vous-même  et  si  vous  ne 
mourez  pas  de  la  réception  du  sacrement,  parce 
que  vous  vous  en  approchez  de  bonne  foi,  vous 
êtes  néanmoins  infirme  et  vous  n'en  recevez  aucun 
réconfort.  O  Dieu  infini,  ayez  pitié  de  notre 
misère;  «  Voye^  si  je  suis  dans  la  voie  de  Vini- 
«  quité  et  conduisez-moi  dans  le  chemin  de 
«  l'éternité.  Délivrez-moi,  Seigneur,  de  mes 
«  péchés  cachés.  Illumine^  mes  yeux,  afin  que  je 
«  ne  m'endorme  jamais  dans  la  mort  ».  (Ps.  i38  ; 
5o  ;  12). 

III 

Considérez  une  troisième  disposition  à  la  récep- 
tion du  Saint-Sacrement.  C'est  la  disposition  qui 
convient,  et  celle  qu'il  faut  y  apporter,  tant  par 
respect  pour  Jésus-Christ  que  pour  participer  plei- 
nement à  tous  les  effets  de   la  communion.  Cette 


DES    SACREMENTS  Iqi 

disposition  convenable  comprend  la  disposition 
nécessaire  et  de  plus  certains  actes  d'une  dévotion 
réelle  et  positive,  qu'il  est  très  raisonnable  et 
bienséant  d'avoir,  outre  l'innocence  et  l'état  de 
justice.  Or  comme  les  livres  spirituels  parlent 
assez  de  cette  disposition  et  que  nous  en  avons 
donné  la  pratique  dans  les  préludes  de  cette  Théo- 
logie, nous  nous  contenterons  dans  cette  considé- 
ration, de  revoir  six  principaux  articles  de  cette 
disposition,  telle  qu'elle  est  décrite  par  le  Caté- 
chisme composé  par  ordre  du  Concile  de  Trente  (i) 
et  par  les  travaux  de  saint  Charles  Borromée  et 
d'autres  personnages  célèbres  par  leur  sainteté  et 
leur  science,  qui  s'en  sont  occupés  ;  aussi  l'auto- 
rité de  ce  livre  porte-t-elle  sa  preuve  avec  elle. 

Le  premier  point  de  cette  disposition  est  que 
les  fidèles  reconnaissent  une  différence  entre  ta- 
ble et  table,  discernant  cette  table  sacrée  des  ta- 
bles profanes  et  ce  pain  céleste  du  pain  commun. 
C'est  ce  que  nous  faisons,  quand  nous  croyons 
d'une  manière  certaine  que  le  vrai  corps  et  le  vrai 
sang  de  Notre-Seigneur  est  présent,  le  corps  et  le 
sang  de  celui  que  les  Anges  adorent  au  ciel,  qui 
par  un  seul  clin  d'œil  fait  trembler  et  frémir  les 
colonnes  du  ciel,  et  qui  remplit  le  ciel  et  la  terre 
de  sa  gloire.  C'est  là  discerner  le  corps  de  Notre- 
Seigneur,  comme  Saint  Paul  nous  le  demande. 

Le  second  point  de  cette  disposition  est  que  cha- 
cun recherche  et  s'informe  bien  s'il  a  la  paix  avec 
les  autres,  s'il  aime  sincèrement  et  de  cœur  son 
prochain.   «  Si  donc  tu  off'res    ton  présent   sur 

I  Catech.  ad  parochos,  p.  3,  c.  2. 


292        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

«  l'autel^  et  là  si  tu  te  ressouviens  que  ton  frère 
«  a  quelque  chose  contre  toi  (à  quoi  tu  aies  donné 
«  sujet  par  ta  propre  faute),  laisse  là  ton  présent 
«  devant  V autel  et  va  d'abord  te  réconcilier  avec 
«  ton  frère  et  alors  tu  reviendras  offrir  ton  pré- 
«  sent.  »  (Matt.  b). 

Le  troisième  point  consiste  à  examiner  avec  di- 
Ugence  notre  conscience,  de  peur  qu'elle  ne  soit 
entachée  de  quelque  péché  mortel,  dont  il  serait 
nécessaire  de  faire  pénitence,  afin  qu'elle  soit 
avant  tout  lavée  par  le  médicament  de  la  contri- 
tion et  de  la  confession.  Car  le  Saint  Concile  de 
Trente  (i)  a  statué  qu'il  n'est  permis  à  personne 
que  le  remords  du  péché  mortel  aiguillonne, 
pour  bien  contrit  qu'il  soit,  et  s'il  a  la  faculté  de 
se  confesser  au  prêtre,  de  recevoir  la  sainte  Eu- 
charistie avant  d'être  purifié  par  la  confession 
sacramentelle. 

Le  quatrième  point  de  notre  préparation  con- 
siste à  penser  en  nous-même  combien  nous  som- 
mes indignes  de  recevoir  de  Dieu  un  tel  bienfait. 
Aussi  faut-il  dire  de  bon  cœur  cette  parole  du  cen- 
turion :  «  Seigneur.,  je  ne  suis  pas  digne  que  vous 
«  entriez  sous  mon  toit.  »  (Matt.  8). 

Le  cinquième  est  de  rechercher  si  nous  pouvons 
nous  appliquer  à  nous-même  cette  parole  de  saint 
Pierre  :  «  Vous  save^.,  Seigneur,  que  je  vous 
«  aime  »  (Jean.  21);  car  il  faut  se  souvenir  que 
celui  qui  s'assit  au  banquet  sans  la  robe  nuptiale, 
fut  envoyé  dans  une  prison  ténébreuse  et  con- 
damné à  des  peines  éternelles. 

I.  Sess.  13,  ch.  13. 


DES    SACREMENTS  29.'» 

Le  sixième  est  qu'outre  la  préparation  de  rame, 
la  préparation  du  corps  est  aussi  nécessaire,  il 
faut  n'avoir  rien  mangé  depuis  minuit  qlii  pré- 
cède l'heure  de  la  communion.  La  dignité  du  sa- 
crement demande  que  les  personnes  mariées  se 
soient  abstenues  l'une  de  l'autre  quelques  jours 
auparavant.  Ce  sont  là  les  principales  conditions 
que  doivent  observer  les  fidèles,  afin  de  recevoir 
plus  utilement  les  mystères  sacrés. 

Or,  pour  comprendre  la  raison  de  tout  cela,  il 
faut  considérer  que  Jésus-Christ  vient  dans  TEu- 
charistie  et  descend  en  nous  avec  six  circonstances 
très  remarquables.  D'abord  il  y  est  caché  ;  il  y  est 
le  même  pour  tous  et  en  tous  ;  il  y  est  comme 
nourriture  ;  il  y  est  dans  un  état  d'humilité  ;  il  y 
est  par  l'action  la  plus  charitable  et  pleine  d'amour 
qu'on  puisse  imaginer  ;  et  finalement  il  y  est  avec 
une  pureté  indicible.  Parce  qu'il  est  caché  dans 
l'Eucharistie  sous  des  espèces  visibles,  la  foi  est 
nécessaire  pour  croire  qu'il  est  réellement  présent 
et  pour  lui  dire  avec  le  prophète  :  «  Vous  êtes 
«  vraiment  tin  Dieu  caché  »  (Is.  45).  Parce  qu'il 
est  le  même  et  qu'il  veut  se  donner  entièrement  et 
sans  différence,  il  est  encore  requis  d'avoir  la  paix 
et  l'amitié  avec  son  prochain,  car  la  communication 
des  mêmes  biens  demande  une  union  d'autant 
plus  étroite  que  la  multitude  de  ces  biens  qui 
nous  sont  communiqués  est  plus  grande.  C'est 
ainsi  que  ceux-là  doivent  s'entr'aimer  davan- 
tage qui  communient  en  un  même  père  et  en 
une  même  mère,  et  encore  plus  s'ils  commu- 
nient à  une  même  table.  Si  de  plus  ils  ont  une 
même  maison,  une  même  profession,  soit  au  spi- 


294  ^A    THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

rituel,  soit  au  temporel,  s'ils  ont  un  même  chef 
qui  les  gouverne,  leur  union  doit  en  être  plus 
forte.  La  raison  de  l'unité  est  la  communion  en 
un  même  bien,  objet  de  notre  amour;  c'est  pour- 
quoi les  frères  qui  ont  une  même  origine,  les  com- 
mensaux qui  ont  une  même  table,  les  soldats  qui 
ont  un  même  général,  les  marchands  qui  font  de 
semblables  négoces  et  d'autres  personnes  associées 
pour  de  plus  grands  biens,  s'entr'aiment  davan- 
tage, à  moins  que  l'envie  ou  quelqu'autre  peste  de 
corruption  vienne  traverser  leur  amitié.  Or  par 
le  Saint-Sacrement  les  hommes  ont  les  plus  par- 
faites communications  dans  les  plus  grands  biens 
et  dans  les  mêmes  biens,  car  Jésus-Christ  est  le 
même  en  tous,  et  se  rend  pour  tous  le  même  bien 
aimable  et  très  commun  dans  son  unité,  pour  les 
unir  tous  ensemble  dans  une  même  vie,  dans  un 
même  Père,  et  dans  un  même  chef,  qu'il  est  lui- 
même,  comme  aussi  dans  une  même  profession 
et  un  même  genre  de  vie  spirituelle,  qui  est  de 
servir  Dieu,  et  dans  une  même  maison,  à  savoir 
dans  son  Eglise.  C'est  pourquoi  ce  sacrement  ne 
peut  souîfrir  de  partialité  ni  de  division  d'es- 
prit (i). 

De  plus  il  se  donne  dans  le  Saint-Sacrement 
comme  la  nourriture  des  âmes;  par  conséquent 
elles  doivent  être  vivantes  de  la  vie  de  la  grâce,  car 
ce  qui  est  mort  n'est  plus  capable  de  nourriture. 
C'est  pourquoi  les  âmes  mortes  par  le  péché  sont 
incapables  de  la  recevoir,  et  si  l'Eglise  a  condamné 
ceux  qui  donnaient  le  Saint-Sacrement  aux  morts 

I.  Guillel.  Paris,  Desacram.  Euch.  c.  6. 


DES    SACREMENTS  iqS 

quant  au  corps  (i),  elle  ne  condamne  pas  moins 
ceux  qui  le  prendraient,  étant  morts  quant  à 
Tâme. 

Jésus-Christ  est  encore  dans  ce  sacrement  dans 
un  état  d'humiliaiion  absolument  inouïe,  il  est 
réduit  à  la  petitesse  d'une  hostie.  Or  c'est  une 
impudence  intolérable  que  là  où  sa  Majesté 
s'anéantit,  un  vermisseau  soit  enflé  d'orgueil. 

Il  y  est  aussi  par  l'action  la  plus  amoureuse  du 
monde  et  c'est  une  incivilité  insupportable  que  là 
où  cet  Epoux  céleste  témoigne  tant  d'ardeur  et  de 
brûlante  charité  à  une  chéiive  créature,  cette  créa- 
ture n'apporte  que  froideur  et  insensibilité,  car 
l'amour  veut  être  payé  par  l'amour.  Quelle  in- 
dignité n'est-ce  donc  pas  de  ne  voir  aucune  cor- 
respondance d'amour  envers  un  ami  si  ardent  ? 
Les  Anges  à  la  vue  d'un  si  étrange  et  si  funeste 
spectacle,  prononcent  et  fulminent  l'anathème  que 
lança  autrefois  saint  Paul  contre  ceux  qui  n'ai- 
maient pas  ce  Sauveur  :  «  Que  quiconque  n'aime 
«  pas  le  Seigneur  Jésus-Christ,  soit  anathème!  » 
(I  Cor.  16}  ;  qu'il  soit  maudit  comme  un  vilain 
excommunié  (2)  ! 

Enfin  Jésus-Christ  est  dans  ce  sacrement  plein 
de  pureté,  comme  il  est  partout  ailleurs  ;  c'est 
pourquoi  il  doit  être  reçu  avec  la  plus  grande 
pureté  tant  de  l'àme  que  du  corps  qu'il  est  pos- 
sible d'avoir.  Aussi  il  a  voulu  prendre  naissance 
d'une  Vierge,  et  le  sentiment  de  l'Eglise  est  que 

1.  Concil.  Antisiodor.  can.  12,  sub  Gregor. 

2.  P.  Jean  de  Sainte  Marie,  tom.  2,  Médit,  ai,  pour 
bien  communier. 


2g6  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

celui  qui  fut  considéré  comme  son  Père,  fut 
vierge  également.  Il  a  tant  aimé  l'intégrité  et  la 
fleur  de  la  pudicité,  qu'il  a  voulu  non  seulement 
naître  d'un  sein  virginal,  mais  qu'il  a  même  voulu 
être  touché  par  un  nourricier  vierge,  lorsqu'il 
pleurait  encore  dans  la  crèche.  Quelles  sont  donc 
les  personnes  qui  doivent  recevoir  son  corps  main- 
tenant qu'il  règne  dans  les  cieux?  Si  lorsqu'il 
repose  dans  la  crèche  il  n'est  touché  que  par  des 
mains  pures,  avec  quelle  pureté  n'exigera-t-il  pas 
que  l'on  traite  son  corps  qui  est  maintenant  exalté 
dans  la  gloire  ?  Y  a-t-il,  dit  saint  Jean  Chrysos- 
tome  (i),  quelque  chose  de  si  pur  que  celui  qui 
participe  à  ce  sacrifice  ne  doive  être  encore  plus 
pur?  Le  rayon  de  soleil  ne  doit-il  pas  être  dépassé 
en  pureté  par  cette  main  qui  fait  la  distribution 
de  ce  pain,  par  cette  bouche  qui  est  remplie  de  ce 
feu  spirituel,  par  cette  langue  qui  est  rougie  par 
ce  sang  admirable  ?  Pensez  à  l'honneur  qui  vous 
est  fait  et  à  la  table  dont  vous  jouissez. 

Je  formerai  donc  plusieurs  fois  la  résolution 
d'apporter  à  la  communion  cette  disposition  qui 
est  la  disposition  convenable.  Je  ne  me  conten- 
terai pas  de  ne  ressentir  aucun  reproche  intérieur 
occasionné  par  un  péché  mortel,  mais  encore  je 
ferai  des  actes  de  foi  et  des  actes  d'amour  de  mon 
prochain,  je  renoncerai  à  tout  sentiment  d'aversion 
et  de  vengeance.  J'entrerai  profondément  dans  la 
connaissance  de  mon  indignité,  et  je  m'exciterai 
fortement  aux  actes  les  plus  enflammés  de  la 
charité  divine,  sans  mépriser  les  dispositions  qui 

I.  Hom.  83,  in  Matt. 


DES    SACREMENTS  297 

conviennent  de  la  part  de  mon  corps,  car  il  doit 
être  le  vase  dans  lequel  le  Saint-Sacrement  doit 
être  reçu.  O  Jésus,  mon  Seigneur,  Fils  unique  de 
Dieu,  vous  qui  êtes  avec  le  Père  et  le  Saint-Esprit 
un  Dieu  de  même  Essence,  vous  par  qui  seul  nous 
obtenons  la  rémission  de  nos  péchés  et  le  salut 
éternel,  qui  avez  justifié  le  Publicain  confessant 
ses  péchés,  qui  avez  exaucé  les  prières  de  l'humble 
Chananéenne,  qui  avez  pardonné  ses  fautes  à  la 
fervente  Madeleine,  donnez-moi.  Seigneur,  à  moi, 
dis-je,  très  misérable  et  très  malheureux  pécheur, 
la  grâce  de  confesser  mes  péchés  avec  amertume 
de  cœur,  donnez-moi  des  lumières  pour  considérer 
Votre  Majesté  et  votre  grandeur  cachées  sous  les 
voiles  du  sacrement,  donnez-moi  la  paix  et  la  sin- 
cère dilection  avec  tous  mes  frères,  donnez-moi 
l'humilité  et  la  ferveur  de  votre  amour,  afin  que 
mon  àme  participant  à  votre  corps  sacré  par  la 
sainte  communion,  en  retire  tous  les  fruits  et  tous 
les  effets  salutaires  qui  peuvent  en  découler  et 
qu'elle  vous  en  glorifie  à  jamais. 


298  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 


XIV^  MÉDITATION 

DE  LA  DISPOSITION  CONVENABLE 

POUR  MIEUX 

COMMUNIER  (SUITE)  ET  DES 

EFFETS  DE  LA  COMMUNION  FAITE 

AVEC  UNE  TELLE  DISPOSITION 


SOMMAIRE 

Autre  pratique  pour  communier  convenablement, 
comprenant  sept  degrés.  —  Fruits  merveilleux 
qui  proviennent  de  la  communion  Jaite  avec 
cette  disposition.  —  Pourquoi  certaines  âmes 
qui  se  sont  bien  disposées  à  communier,  ressen- 
tent si  peu  le  goût  de  la  dévotion. 

I 

Considérez  une  autre  pratique  concernant  la 
disposition  convenable  pour  la  réception 
du  Saint-Sacrement  ;  elle  est  comprise  en  sept 
degrés  ou  sept  échelons  par  lesquels  nous  attei- 
gnons Jésus-Christ  (i). 

Le  premier  de  ces  degrés  s'appelle  l'excitation  ; 
par  elle  une  âme  chrétienne  s'excite  elle-même  à 
bien  se  disposer.  Elle  se  représente  dans   ce   but 

I.  Maubur.  in  Roseto,  p.  i,  t.  6. 


DES    SACREMENTS  'Iqq 

les  dangers  et  les  malheurs  qu'il  y  a  à  communier 
indignement,  qui  sont  de  se  rendre  le  plus  criminel 
des  damnés,  de  donner  pouvoir  au  démon  sur  soi- 
même,  de  s'endurcir  et  de  s'obstiner  dans  le  mal, 
d'encourir  des  infirmités  corporelles,  d'abréger  ses 
jours  et  d'outrager  Jésus-Christ  à  l'exemple  de 
Judas  et  des  perfides  juifs.  Elle  se  représente 
encore  le  bien  qu'il  }'  a  communier  dignement, 
pour  croître  en  grâce  et  en  charité  et  s'unir  plus 
fidèlement  à  Jésus-Christ.  Elle  se  met  aussi  sous 
les  yeux  l'exemple  de  ceux  chez  qui  le  roi  doit 
venir  loger  et  qui  font  tant  de  préparatifs  pour  le 
recevoir  honorablement,  mais  surtout  la  grandeur 
et  la  sublimité  de  ce  sacrement  qui  mérite  d'être 
reçu  avec  plus  de  pureté  et  de  sainteté  qu'il  n'y  en 
a  dans  tous  les  Anges  du  ciel  et  avec  une  charité 
plus  ardente  que  celle  de  tous  les  Séraphins  à  la 
fois. 

Le  second  'degré  s'appelle  la  considération:  par 
elle  l'âme  déjà  excitée  à  se  préparer  dignement, 
médite  sérieusement  et  posément  sur  la  grandeur 
et  l'importance  de  l'action  qu'elle  prétend  faire, 
eu  égard  d'une  part  à  sa  propre  vilité  et  à  sa  très 
basse  condition,  et  d'autre  part  à  la  noblesse  de 
Jésus-Christ  qu'elle  va  recevoir,  à  sa  puissance,  à 
sa  sagesse  et  à  sa  miséricorde.  Dans  ce  degré  elle 
médite  qu'elle,  très  chétive  créature  à  cause  de 
mille  défauts  dont  elle  est  chargée,  doit  recevoir 
chez  elle  celui  que  les  cieux  des  cieux  ne  peuvent 
contenir,  qu'elle  doit  manger  le  pain  des  Anges  et 
enfermer  dans  sa  poitrine  la  splendeur  du  para- 
dis, cette  Lumière  dont  toute  la  cité  sainte  est 
éclairée  et  qui  sert  à  cette  cité  de  soleil  par  l'éclat 


3oO  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

de  sa  gloire.  Elle  songe  pareillement  que  la  com- 
munion sacramentelle  est  une  des  plus  grandes 
actions  du  monde,  une  action  où  brille  avec  un 
éclat  admirable  la  toute-puissance  de  Dieu,  qui  a 
transformé  la  substance  du  pain  en  celle  d'un  corps 
glorieux,  sa  sagesse  qui  a  trouvé  un  tel  moyen  de 
sauver  par  une  telle  nourriture  tous  les  hommes, 
qui  s'étaient  perdus  en  mangeant  d'une  nourri- 
ture défendue,  et  enfin  sa  bonté  qui  se  donne 
entièrement  à  ses  créatures. 

Le  troisième  degré  s'appelle  probation.  L'âme 
s'éprouve  elle-même,  pour  savoir  s'il  n'y  a  en  elle 
ni  empêchement  ni  obstacle,  si  elle  possède  les 
ornements  et  les  atours  convenables  pour  la  récep- 
tion de  son  Dieu,  et  encore  si  elle  a  quelques  mar- 
ques de  dévotion,  pour  communier  dignement. 
Dans  ce  degré  elle  examine  si  elle  n'a  pas  de  péché 
mortel  ou  véniel,  si  elle  n'a  point  d'attaches  trop 
étroites  avec  les  créatures  ou  des  sentiments  trop 
violents  contre  le  prochain,  si  elle  est  dans  la  voie 
de  la  soumission,  et  si  elle  n'est  pas  sous  le  coup 
d'une  défense  de  ses  supérieurs  relative  à  la  com- 
munion. Elle  examine  dans  ce  même  degré  si 
elle  a  la  foi,  l'espérance  et  la  charité,  si  elle  est 
chaste  et  pudique,  humble  et  obéissante,  pitoyable 
et  compatissante,  si  elle  a  la  paix  et  la  concorde 
avec  tous,  si  elle  a  le  souvenir  et  de  l'affection 
pour  la  Passion  de  Jésus-Christ,  et  finalement  si 
elle  a  une  dévotion  ardente  pour  le  Saint-Sacre- 
ment. 

Le  quatrième  degré  s'appelle  la  purification.  Ici 
en  effet  l'âme  se  purifie  de  ses  péchés,  grands  et 
petits,  par  l'amertume  de  la  pénitence,  elle  se  pu- 


DES    SACREMENTS  001 

rifie  aussi  de  toutes  les  impuretés  du  cœur,  à  sa- 
voir des  attaches  aux  biens  créés  et  des  affections 
pour  les  choses  terrestres  qui  sont  plus  fortes  que 
l'amour  des  choses  spirituelles,  et  en  somme  de 
toutes  les  intentions  qui  n'ont  pas  la  gloire  de  Dieu 
pour  dernier  but.  A  cet  etlet  elle  forme  des  actes 
de  contrition  et  de  pénitence,  elle  désavoue  ses 
propres  passions  et  ses  intérêts,  se  consacre  et  se 
réfère  toute  à  la  gloire  de  Dieu. 

Le  cinquième  degré  s'appelle  la  décoration  ou 
rembellissement,  par  lequel  Tàme  pare  et  embellit 
sa  partie  intellectuelle,  sa  puissance  affective  et 
sa  partie  sensitive  par  des  actes  de  foi  et  d'admi- 
ration à  la  vue  des  grandes  choses  contenues  dans 
le  Saint-Sacrement.  Elle  orne  sa  volonté  par  des 
actes  de  charité,  sa  mémoire  par  le  souvenir  de  la 
Passion  du  Sauveur,  et  ses  facultés  sensitives  par 
des  actes  divers  de  mortification  et  de  soumission 
à  la  loi  de  Dieu. 

Le  sixième  degré  s'appelle  l'inflammation. 
L'àme  s'enflamme  tant  à  cause  de  la  crainte  et  du 
respect  de  ce  sacrement,  qu'à  cause  du  désir  et  de 
l'amour  violent  qui  la  portent  à  y  participer.  Ce 
pain  en  effet  ne  veut  pas  être  mangé  avec  dégoût, 
mais  avec  une  grande  faim  et  un  grand  appétit 
spirituel.  Dans  ce  degré,  l'àme,  envisageant  la 
grandeur  de  Jésus-Christ  et  ses  grandes  qualités 
opposées  aux  siennes  et  infiniment  plus  nobles, 
tremble  dans  sa  petitesse  et  redoute  de  s'approcher 
de  lui,  dont  elle  s'estime  indigne.  Elle  lui  dit,  à 
l'exemple  de  saint  Pierre  :  «  Retirez-vous  loin  de 
«  moi,  Seigneur,  car  je  suis  une  pécheresse.  » 
Mais   d'autre  part,  jetant  un  regard  sur  sa  face 


3o2  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

pleine  de  bonté,  songeant  au  grand  désir  qu'il  a 
de  se  communiquer  à  ses  créatures  malgré  leur 
indignité  et  le  grand  besoin  que  la  créature  a  de 
ce  sacrement,  elle  le  désire  avec  ardeur  et  il  lui 
tarde  de  jouir  au  plus  tôt  de  ce  bien.  Elle  s'écrie 
intérieurement:  O  ardeur!  ô  charité!  Oh!  qui 
vous  a  connue  et  ne  vous  a  pas  aimée  ?  O  abîme  ! 
qui  vous  a  considéré  et  n'a  pas  été  épouvanté  ? 
Celui  qui  ne  vous  a  pas  aimé  est  pervers  et  impie, 
comme  celui  qui  ne  vous  a  pas  redouté  est  fou  et 
insensé. 

Le  septième  degré  s'appelle  l'invitation.  Par 
elle  l'àme  enflammée  du  désir  de  posséder  Jésus- 
Christ  dans  le  Saint-Sacrement,  l'invite  de  tout 
son  pouvoir  à  descendre  en  elle  et  lui  dit,  comme 
l'épouse  du  Cantique  :  «  Que  mon  bien-aimé 
«  vienne  dans  son  jardin  et  qu'il  y  mange  les 
«  fruits  de  ses  pommiers  ».  (Cant.  5).  Dans  ce  degré 
l'âme  soupire  après  Jésus-Christ;  imitant  les  désirs 
ardents  de  tous  les  saints  patriarches,  elle  a  des  élans 
d'affection  par  lesquels  elle  souhaite  la  présence  du 
Sauveur  en  elle  et  elle  souhaite  aussi  de  se  rassasier 
de  lui.  Elle  ne  prend  plus  goût  aux  choses  du 
monde,  car  elle  n'a  pas  moins  de  raisons  pour  dési- 
rer le  Sauveur  dans  la  communion  qu'en  avaient 
toutes  les  âmes  saintes  de  l'Ancien  Testament, 
pour  le  désirer  dans  l'Incarnation.  Dans  ce  degré 
l'âme  se  représente  comme  un  pauvre  criminel, 
qui  languit  dans  les  prisons  et  qui  appelle  son 
juge,  non  pour  être  condamné,  mais  pour  être 
absout  ;  c'est  ainsi  que  l'âme  se  considérant  dans 
ce  monde  comme  dans  une  prison  fâcheuse  et  où 
elle    est   longtemps   captive,    demande    son   juge 


1)1-: s    SACRKMKNTS  3o3 

pour  être  renvoyée  libre  et  absoute.  Elle  se  repré- 
sente elle-même  comme  un  pauvre  malade  saisi 
par  la  fièvre,  qui  désire  le  médecin.  Elle  le  désire 
comme  son  maître,  pour  connaître  ses  volontés, 
l-'lle  rimplore  comme  un  Roi  très  puissant  pour 
la  défendre  et  la  protéger  contre  ses  ennemis.  Elle 
rappelle  comme  son  soleil,  pour  dissiper  toutes  les 
ténèbres  et  faire  disparaître  sa  froideur  ;  elle  l'ap- 
pelle comme  le  soulagement  de  ses  travaux,  afinqu'il 
Taide  et  qu'il  allège  son  fardeau.  Enfin  se  fondant 
d'amour,  elle  l'invite  comme  son  Epoux  céleste, 
car  elle  sait  que  par  condescendance  il  veut  bien 
élever  les  âmes  à  la  qualité  d'épouses,  pour  les 
faire  participer  à  ses  biens  et  à  ses  grandeurs. 

Après  ce  degré,  c'est-à-dire  après  l'invitation, 
vient  la  réception  du  sacrement,  accompagnée  de 
sentiments  d'humilité,  de  respect  et  d'admiration 
pour  sa  grandeur,  à  l'exemple  de  Saint  Thomas 
s'écriant  :  «  Mon  Seigneur  et  mon  Dieu  »  (Jean, 
20),  ou  d'amour  et  de  joie,  conformément  à  cette 
parole  :  «  Entre^,  béni  de  Dieu. —  Oh! soye\  béni, 
«  vous  qui  vene\  au  nom  de  Dieu  »  (Gen.  24  — 
Matt.  21). 

Souhaitez  d'avoir  cette  disposition  qui  convient 
à  la  réception  du  Saint-Sacrement.  Regrettez  de 
ne  l'avoir  ni  connue  ni  pratiquée  dans  le  passé  et 
désirez  qu'elle  vienne  à  la  connaissance  de  plu- 
sieurs, afin  qu'elle  soit  pratiquée  pour  la  plus 
grande  gloire  et  le  plus  grand  honneur  du  Fils  de 
Dieu  dans  le  Saint-Sacrement.  Mettez-vous  vous- 
même  en  devoir  de  passer  dans  votre  prochaine  com- 
munion par  tous  ces  degrés,  auxquels  vous  pense- 
rez l'un  après  l'autre,  ou  dans  une  même  heure,  ou 


3o4  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

dans  les  sept  jours  consécutifs,  qui  précéderont  vo- 
tre communion.  Chaque  jour  vous  vous  arrêterez 
à  un  degré  ou  à  un  des  échelons  de  cette  échelle 
mystérieuse  par  laquelle  vous  arrivez  à  Jésus- 
Christ,  pour  en  tirer  des  biens  qui  vous  rendront 
heureux  pour  toute  l'éternité. 

II 

Considérez  les  merveilleux  fruits  qui  résultent 
de  lacommunion  faite  avec  une  telle  disposition.  Il 
n'y  a  point  de  langue,  dit  un  célèbre  Théologien  (i). 
capable  d'expliquer,  ni  d'esprit  capable  de  com- 
prendre les  fruits  et  les  avantages  de  la  réception 
de  ce  sacrement,  dont  on  pourrait  bien  entendre 
ce  mot  d'Isaïe  et  de  Saint  Paul  :  «  L' œil  rC a  point 
«  vu^  Voreille  7i'a  point  entendu  et  il  n'est  pas 
«  entré  dans  V esprit  de  Thomme  ce  que  Dieu  a 
«  préparé  à  ceux  qui  V aiment  ».  (Is.  64;  i  Cor.  i). 
Toutefois  on  pourra  méditer  pour  sa  consolation 
spirituelle  le  Psaume  XXIP  que  David  a  composé 
sur  ce  sacrement,  et  où  il  énumère  douze  avanta- 
ges qui  sont  échus  à  ceux  qui  communient  dévo- 
tement. 

Le  premier  avantage  est  que  par  ce  sacrement 
nous  avons  Jésus-Christ  pour  Roi  et  pour  conduc- 
teur :  «  Le  Seis[neur  me  régit.  »  On  peut  dire  à 
l'âme  qui  communie  comme  à  la  fille  de  Sion: 
«  Voici  ton  Roi  qui  vient  à  toi  plein  de  douceur  » 
(Matt.  21),  ton  Roi  dont  la  bonté  égale  la  majesté  ; 
et  l'âme  peut  dire  :  O  le  bonheur  inestimable  !  Le 
puissant  monarque  du  ciel  vient  en  moi  pour  me 

I.  Viguerius,  16,  vers.  28. 


DES    SACREMENTS  3o5 


donner  sa  paiK  et  sa  grâce,  pour  prendre  posses- 
sion de  mon  cœur  et  de  toutes  mes  puissances, 
comme  de  son  propre  domaine,  pour  y  établir  sa 
loi  et  ses  maximes,  pour  me  gouverner  et  me  con- 
duire saintement.  Quel  plus  grand  honneur  peut- 
il  y  avoir  pour  une  chétive  créature?  Il  ne  se  con- 
tente pas  de  nous  avoir  donné  pour  guide  la  raison 
naturelle  et  Thabitude  de  la  foi,  il  veut  nous  diri- 
ger lui-même  et  nous  inspirer  dans  cet  auguste 
sacrement,  afin  qu'adhérant  à  la  loi,  nous  ne  mar- 
chions pas  dans  les  ténèbres  de  Terreur,  mais  dans 
la  vraie  lumière. 

Le  second  avantage  est  une  abondance  de 
grâces  :  «  et  rien  ne  me  manquera.  »  Ici  se  trouve 
en  effet  l'auteur  de  la  grâce,  celui  qui  ne  vient  que 
dans  le  but  d'enrichir  une  âme  et  de  la  faire  parti- 
ciper à  sa  plénitude.  D'oià  vient  que  saint  Paul, 
félicitant  ceux  qui  communient  dignement,  leur 
dit  :  «  Je  rends  toujours  grâces  à  mon  Dieu  pour 
«  vous,  parce  que  vous  êies  riches  en  toutes  cho- 
«  ses  par  Jésus-Christ,  de  sorte  qu'aucune  espèce 
«  de  grâce  ne  vous  manque.  »  (I  Cor.  i). 

Le  troisième  avantage  est  la  douceur  de  la  réfec- 
tion spirituelle  :  «  Il  ma  établi  dans  un  lieu 
«  abondant  en  pâturages.  »  Cette  réfection  con- 
siste en  de  bonnes  et  savoureuses  pensées  toutes 
célestes,  en  d'ardentes  affections  de  la  charité,  en 
des  épanouissements  de  cœur,  en  des  tressaille- 
ments de  joie  et  des  goûts  très  suaves  de  la  dou- 
ceur divine.  C'est  pourquoi  ce  sacrement  est  une 
manne  cachée,  d'une  douceur  très  savoureuse,  qui 
consiste  dans  le  rassasiement  des  âmes  bien  pures. 

Le  quatrième  avantage  est  la  modération  des 

Bail,  t.  xx.  90 


3o6        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

passions  très  ardentes  ;  «  il  m'a  élevé  auprès 
«  (Tune  eau  qui  me  nourrit.  »  Rien  en  effet  ne 
tempère  l'ardeur  des  concupiscences  désordonnées, 
comme  de  communier  dignement.  «  La  rosée,  dit 
«  le  Sage,  ne  refroidir  a- t-elle  pas  V  ardeur  ?  » 
(Eccl.  18).  Or  c'est  ici  qu'est  la  rosée  céleste  tant 
souhaitée  par  les  anciens  Pères,  qui  s'écriaient  : 
«  O  deux,  envoye\  d' en-haut  votre  roséeX  »  (Is.  45). 
Le  cinquième  avantage  est  de  nous  convertir  et 
de  nous  transformer  en  lui  :  «  //  a  converti  mon 
«  âme,  »  Car  cette  nourriture  céleste  ne  s'altère 
pas  comme  la  nourriture  ordinaire,  pour  se  changer 
en  notre  corps.  Ce  corps  divin  ne  nous  servirait 
pas  en  effet,  s'il  était  changé  en  notre  corps  mor- 
tel, il  périrait  avec  nous.  Il  a  donc  une  force  et 
une  vigueur  sans  pareille  pour  changer  et  conver- 
tir notre  âme  en  lui,  afin  qu'elle  vive  pour  lui,  et 
qu'elle  vive  de  sa  vie  par  l'imitation  de  son  esprit 
et  de  sa  vie  céleste.  C'est  pourquoi  saint  Augus- 
tin (1)  entendit  cette  parole,  que  plusieurs  appli- 
quent à  ce  sujet:  Je  suis  la  nourriture  des  grandes 
âmes;  grandis  et  jmange-moi.  Tu  ne  me  changeras 
pas  en  toi,  comme  ta  chair,  mais  tu  seras  changé  en 
moi.  Dans  cette  conversion,  la  substance  de  l'àme 
reste  la  même,  mais  ses  accidents  sont  changés,  car 
elley  reçoit  des  accidents  déiformes,  qui  la  font  vivre 
selon  l'esprit  de  Jésus-Christ,  et  elle  reçoit  de  lui, 
comme  un  membre  de  son  chef,  une  nouvelle  vi- 
gueur. 

I.  L.  7  CoNFESS.  c.  10  :  <LNéctu  me  in  te  mutahis,  si- 
«  eut  cibum  carnis  niortu<Zf  sed  tu  mutaberis  in  me.  »  — 
Biel  IN  CANON.  Miss^,  lect.  88, 


DES    SACREMENTS  J07 

De  là  naît  un  sixième  avantage,  qui  est  Tinclina- 
tion  au  bien  pour  la  seule  gloire  de  Dieu  :  «  //  m'a 
«  conduit  par  les  sentiers  de  la  justice  pour  la 
«  gloire  de  son  120m.  »  Car  comme  Jésus-Christ 
n'a  d'inclination  que  pour  le  bien  et  pour  la  gloire 
de  Dieu,  qu'il  considère  toujours  dans  toutes  ses 
œuvres  ;  il  en  est  de  même  du  chrétien,  en  qui 
Jésus-Christ  a  imprimé  son  esprit  par  la  commu- 
nion. Il  n'aspire  qu'à  suivre  les  voies  de  la  justice 
et  de  la  sainteté,  et  le  tout,  non  dans  son  propre 
intérêt,  mais  pour  glorifier  le  nom  de  Dieu. 

Le  septième  avantage  est  la  protection  contre 
les  assauts  et  les  attaques  de  l'ennemi  :  «  Si  je 
«  marche  au  milieu  de  l'ombre  de  la  mort,  je  ne 
«  craindrai  aucun  mal,  parce  que  vous  êtes  avec 
«  moi  ».  Les  ombres  de  la  mort  sont  les  tenta- 
tions du  démon,  contre  lesquelles  le  Saint-Sacre- 
ment arme  et  fortifie  puissamment  l'esprit  ;  c'est 
pourquoi  il  est  figuré  par  le  pain  que  vit  Gédéon, 
pain  qui  perdit  les  Madianites,  c'est-à-dire  les 
démons  de  l'enfer.  Car  pourquoi  celui-là  les  crain- 
drait-il qui  sent  qu'il  est  avec  Dieu  et  qu'il  l'a  en 
lui-même  comme  son  protecteur?  De  là  vient  que 
Job  adresse  avec  confiance  à  Dieu  cette  demande  : 
•  «  Meite:{-moi  auprès  de  vous  et  que  la  main  de 
«.qui  que  ce  soit  combatte  contre  moi  »  (Job,  27). 

Le  huitième  avantage  est  la  consolation  parmi 
toutes  les  angoisses  et  les  tribulations  de  cette 
vie  :  «  Vous  ave\  préparé  une  table  devant  moi 
«  contre  les  efforts  de  ceux  qui  me  persécutent  ». 
Une  communion  bien  faite  a  une  puissance  abso- 
lument admirable,  pour  apaiser  les  plus  cuisantes 
douleurs.de  cette  vie.  C'est  pourquoi  Jésus-Christ 


3o8  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

invite  les  personnes  affligées  et  les  appelle  à  lui  : 
«  Vene^  à  moi,  vous  tous  qui  travaille^  et  qui  êtes 
«  accablés,  et  je  vous  soulagerai  »  (Matt.  1 1). 
Elcana  consolait  sa  femme  désolée  à  cause  de  sa 
stérilité,  en  lui  disant  :  «  Anne ^  pourquoi  pleur es- 
«  tu  ?  est-ce  que  je  ne  vaux  pas  pour  toi  dix 
«  enfants  ?  »  (I  Rois,  i).  Ainsi  une  âme  qui  se 
rendra  dévote  à  l'égard  de  ce  mystère  pourra, 
quand  elle  sera  affligée  par  les  pertes  et  par  la 
ruine  des  biens  de  ce  monde,  entendre  Jésus- 
Christ  lui  adresser  cette  consolation  :  Pourquoi 
t'affliges-tu  pour  la  perte  des  biens  passagers  de 
cette  vie  ?  Ne  suis-je  pas  ton  souverain  bien  et  un 
bien  qui  se  donne  tout  à  toi  ?  Ne  suis-je  pas  préfé- 
rable tout  seul  et  plus  capable  de  te  rendre  heu- 
reux que  toutes  les  prospérités  mondaines  ? 

Le  neuvième  avantage  est  l'onction  intérieure 
du  Saint-Esprit  qui  dans  ce  sacrement  illumine 
les  âmes  :  «  Vous  ave:^  oint  ma  tête  d'une  huile 
«  sacrée  »,  c'est-à-dire  mon  esprit  qui  est  rempli 
de  clartés  et  qui  demeure  plus  illuminé  et  plus 
clairvoyant  pour  ce  qui  est  des  choses  célestes.  Les 
deux  disciples  d'Emmaiis  eurent  les  yeux  ouverts 
à  la  fraction  de  ce  pain  (Luc,  24),  et  les  yeux  de 
Jonathas  furent  éclairés,  après  qu'il  eût  goûté 
un  peu  de  miel  (III  Rois,  4).  Bien  plus  illuminée 
sera  l'âme  qui  a  en  elle-même  le  Soleil  de  justice 
dont  les  rayons  très  clairs  pénètrent  partout. 

Le  dixième  avantage  est  le  saint  enivrement  de 
l'amour  :  «  Que  mon  calice^  qui  a  la  j or  ce  deni- 
«  vrer^  est  admirable  !  »  Dieu  donne  quelquefois 
dans  la  communion  de  si  grands  sentiments 
d'amour,   que   comme  une  personne  enivrée  ne 


DES    SACREMENTS  3og 

peut  digérer  ni  contenir  en  elle  le  vin  dont  elle 
est  pleine  ;  ainsi  l'amour  intiue  sur  le  cœur  avec 
une  telle  abondance  et  une  telle  impétuosité,  que 
force  lui  est  d'éclater  au  dehors,  soit  par  des  excla- 
mations amoureuses,  soit  par  des  cantiques  de 
jubilation,  soit  par  quelqu'autre  moyen.  Car  ce 
sacrement  est  le  sacrement  des  élus  et  le  vin  qui 
fait  germer  les  vierges  :  l'hébreu  porte  :  «  le  vin 
«  qui  fait  chanter  les  vierges  »  (i).  De  même  que 
celui  qui  aurait  logé  chez  lui  son  juge,  et  qui  l'au- 
rait accueilli  avec  tout  honneur,  aurait  auprès  de 
lui  plus  de  crédit;  ainsi  une  àme  qui  communie 
dignement  est  favorisée  pendant  toute  sa  vie  par 
Jésus-Christ.  Il  lui  en  est  reconnaissant  et  il  la 
regarde  miséricordieusement  dans  tous  ses  be- 
soins, en  reconnaissance  de  ce  qu'elle  l'a  reçu  avec 
toute  son  affection  ;  aussi  dit-il  dans  ce  sacrement 
ces  paroles  qui  sont  douces  pour  les  uns  et  amères 
pour  les  autres  :  «  Quiconque  m'aura  glorifié^  je 
«  le  glorifierai  ;  et  ceux  qui  me  méprisent  de- 
«  meureront  infâmes  »  (I  Rois,  2). 

De  là  résulte  le  douzième  avantage,  qui  est  l'ac- 
quisition de  la  félicité  éternelle  :  «  Afin  que  fha- 
«  bite  dans  la  maison  de  mon  Dieu  Jusqu'à  la  fin 
«  de  mes  jours.  »  Ce  sacrement  est  en  effet  le 
gage  de  la  gloire  et  une  àme  ne  doit  pas  douter 
que  Jésus-Christ  ne  se  donne  à  voir,  quand  il  se 
donne  à  manger.  Aussi  en  fait-il  la  promesse  : 
«  Celui  qui  mange  ce  pain  vivra  éternellement  » 
(Jean,  6). 

Que   nous  reste-t-il  à  faire  après  la  méditation 

I.  Versiones  Pagnini  et  Vatabli, 


3lO  LA    THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

de  ce  psaume  m3^stérieux,  si  ce  n'est  d'entonner 
des  louanges  en  l'honneur  de  Jésus-Christ  qui 
produit  en  nous  tant  de  fruits  et  tant  d'avantages 
par  la  sainte  Eucharistie  ?  «  O  Seigneur,  combien 
«  grande  est  la  multitude  de  votre  douceur,  que 
«  vous  réserve^  à  ceux  qui  vous  craignent!  » 
(Ps.  3o).  Vraiment  «  vous  ave\  nourri  votre 
«  peuple  de  la  nourriture  des  Anges  et  vous  lui 
«  ave^  donné  un  pain  préparé  au  ciel  sans  aucun 
«  travail^  pain  qui  renfermait  en  soi  tout  ce 
«  qu'il  y  a  de  délicieux  et  tout  ce  qui  peut 
«  être  agréable  au  goût  »  (Sag.  16).  Qui  eût 
jamais  osé  espérer  tant  de  biens  dans  cette  vallée 
de  misères  ?  Si  bien  que  les  fruits  de  ce  sacrement 
surpassent  notre  attente  non  moins  que  notre 
mérite.  C'est  «  Varbre  de  vie  qui  porte  dou\e 
m  fruits  »  (Apoc.  22).  Qui  me  donnera  donc,  ô 
mon  Dieu,  de  vous  recevoir  souvent  avec  une 
digne  préparation,  afin  que  je  me  rassasie  de  ces 
fruits  savoureux  ?  O  Seigneur,  si  vous  me  donnez 
ce  pain  à  manger  et  le  vêtement  de  votre  charité, 
vous  serez  toujours  le  Dieu  unique  de  mon  âme  et 
je  vous  louerai  avec  une  ferveur  qui  ne  se  ralentira 
jamais.  O  pain,  source  de  tout  bien  et  de  toute 
joie,  je  vous  désirerai  incessamment  de  toute  l'ar- 
deur de  mon  cœur,  et  pour  un  seul  repas  que  je 
ferai  de  vous,  je  mépriserai  tous  les  passe-temps  et 
les  vaines  récréations  du  monde.  Je  suis  attiré  à 
vous  par  l'odeur  qui  vous  est  propre  et  intime,  qui 
est  l'odeur  d'une  campagne  fleurie  et  abondante 
en  richesses,  à  laquelle  le  Dieu  d'amour  très  clé- 
ment et  très  libéral  a  donné  sa  bénédiction.  Oh  ! 
certainement,  Seigneur,  «  voire  miséricorde  vaut 


DES    SACREMENTS  M  I 

«  mieux  que  toutes  les  vies,  mes  lèvres  vous  loue- 
«  ront  »  (Ps.  62),  et  mes  entrailles  s'ouvriront 
pour  recevoir  la  suavité  de  votre  table  nuptiale. 
O  Seigneur,  si  je  suis  pauvre  en  biens  dès  ma 
jeunesse,  ô  le  Dieu  très  aimable  de  mon  àme,  à 
qui  m'en  prendrai-je  si  ce  n'est  à  moi-même,  qui 
pouvais  m'enrichir  des  fruits  de  votre  sainte  table  ? 
O  pain  vivant  et  vivifiant,  faites-moi  participer  à 
tant  de  biens  désirables  ! 

III 

Considérez  d'où  peut  provenir  que  plusieurs 
âmes  qui  usent  de  toute  diligence,  pour  se  pré- 
parer convenablement  à  la  réception  de  ce  sacre- 
ment, ressentent  si  peu  le  fruit  qu'elles  y  font  et 
principalement  ce  fruit  qui  s'appelle  le  goût  et  la 
saveur  de  la  réfection  spirituelle.  Quelques  Théo- 
logiens (i)  ont  examiné  cette  difficulté  qui  trouble 
beaucoup  certaines  consciences  timorées  ;  ils 
répondent  que  le  sacrement,  pour  sa  part,  confère 
toujours  la  grâce  de  cette  douceur  et  de  cette 
réfection  spirituelle  aux  personnes  convenablement 
préparées,  mais  que  le  libre  arbitre  doit  y  coopérer 
et  y  contribuer  de  son  côté  ;  faute  de  quoi  cette 
réfection  manque.  D'ailleurs,  disent-ils.  Dieu  ne 
la  donne  pas  toujours  au  moment  même  de  la 
réception  du  sacrement,  mais  quand  il  lui  plaît, 
pourvu  qu'on  ne  s'en  rende  pas  indigne,  car  les 
grâces  sacramentelles  et  particulières  à  chaque 
sacrement  se  donnent  dans  le  besoin  et  en  temps 
opportun.   C'est  pourquoi  il  ne  faut  pas  s'étonner 

I.  Suarez,  3  p.,  disp.  63,  sect.  9, 


3l2  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

si  un  certain  nombre  d'âmes  ne  ressentent  pas 
sitôt  la  ferveur  de  la  charité  et  la  douceur  de  la 
dévotion  ;  c'est  une  grâce  que  Dieu  leur  réserve, 
et  qu'elles  ressentiront  si  elles  n'y  mettent  aucun 
empêchement.  D'autres  (i)  ajoutent  que  tous  les 
palais  spirituels  ne  sont  pas  capables  de  savourer 
cette  douceur,  ainsi  que  cela  arrive  pour  les  palais 
et  les  goûts  des  animaux  pour  toutes  les  saveurs 
sensibles,  car  le  palais  d'un  pourceau  n'apprécie 
point  la  douceur  des  parfums.  C'est  pourquoi  il^ 
ne  faut  pas  s'étonner  si  plusieurs,  quoique  sains 
et  sans  maladies,  ne  ressentent  pas  toutes  sortes  de 
suavités  spirituelles,  car  elles  ont  trop  de  sublimité 
et  de  noblesse  pour  des  palais  trop  grossiers, 
comme  sont  les  leurs.  Et  puis  chez  plusieurs  c'est 
le  défaut  de  bien  mâcher  le  pain  du  ciel  par  de 
bonnes  considérations  de  l'esprit  bien  éclairé,  qui 
les  empêche  d'en  exprimer  et  d'en  sucer  la  dou- 
ceur. Il  faudrait,  en  effet,  admirer  dans  ce  sacre- 
ment la  toute-puissance  de  la  vertu  divine,  sa 
sagesse  et  sa  providence  ;  il  faudrait  méditer 
l'abondance  de  sa  bonté,  par  laquelle  il  s'offre  et 
se  donne  si  promptement,  comme  aussi  sa  misé- 
ricorde sans  pareille,  en  nous  souvenant  de  sa 
Passion  dont  la  mémoire  nous  est  recommandée 
dans  ce  mystère.  Albert  le  Grand  (2)  a  répondu  à 
cela  que  ce  pain  est  un  pain  volontaire  et  qu'il  se 
fait  sentir  comme  il  lui  plaît  ;  parfois  il  garde  sa 
douceur  sans  la  communiquer  ni  la  faire  sentir, 
pour  qu'à  la  fin  le  mérite  soit  plus  grand  et  qu'à 
l'avenir  cette  douceur  soit  mieux  ressentie. 

I.  Guillel.  Paris.  De  sacram.  Euch.  c.  7. 
I.  In  Serm.  dist.  17,  art.  36. 


DES    SACREMENTS  3l3 

Au  reste  il  peut  aussi  arriver  que  Dieu,  par  un 
trait  de  sa  providence  spéciale,  prive  de  ces  dou- 
ceurs des  personnes  qui  communient  dévotement, 
pour  leur  plus  grand  bien  et  sans  qu'on  puisse  leur 
reprocher  aucun  défaut  (i).  En  premier  lieu,  pour 
les  humilier,  de  peur  que  ces  sentiments  ne  leur 
inspirent  de  la  vanité  et  de  l'orgueil.  En  second 
lieu,  il  leur  retire  ces  douceurs,  pour  leur  en  donner 
un  plus  grand  désir  par  la  privation  qu'elles  en 
ressentent,  semblable  à  une  mère  qui  fait  semblant 
d'abandonner  son  petit  enfant,  afin  qu'il  la  recher- 
che davantage,  qu'il  la  caresse  plus  tendrement  et 
qu'il  prenne  plus  de  soin  de  se  tenir  auprès  d'elle. 
Troisièmement,  pour  leur  faire  mieux  connaître 
leur  propre  misère  et  fragilité,  et  qu'ainsi  elles 
s'estiment  peu  de  chose  et  apprennent  qu'elles  ne 
peuvent  rien  d'elles-mêmes.  Quatrièmement,  afin 
qu'elles  soient  plus  pitoyables  et  plus  compatis- 
santes pour  les  âmes  qui  n'éprouvent  que  séche- 
resse et  aridité  au  milieu  de  tous  leurs  exercices 
de  dévotion.  Cinquièmement,  afin  qu'elles  satis- 
fassent à  Dieu  pour  la  peine  due  à  leurs  péchés, 
par  la  privation  des  douceurs  spirituelles.  C'est 
ainsi  que  l'humanité  de  Jésus-Christ  plongée  dans 
le  torrent  de  ses  souffrances  et  dans  un  défaut 
absolu  de  consolations,  satisfit  pour  les  péchés  du 
monde.  Sixièmement,  afin  que  les  personnes  qui 
sont  capables  d'aider  le  prochain  dans  la  vie  active, 
ne  s'occupent  pas  uniquement  d'elles-mêmes  ;  il 
serait  à  craindre,  en  effet,  qu'arrêtée  par  ces  goûts 
et   ces  douceurs   divines,  elles  ne   voulussent  se 

I.  Gabriel  Biel,  in  canon,  Missœ,  lect.  8. 


3l4  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

reposer  comme  Madeleine,  quand  il  serait  néces- 
saire de  travailler  comme  Marthe.  Septièmement, 
c'est  pour  punir  quelques  fautes  vénielles  commises 
autrefois.  Ainsi  un  père  montre  quelquefois  un 
visage  un  peu  sévère  à  son  fils,  qu'il  aperçoit  se 
donner  trop  de  licence.  De  la  sorte  on  ne  néglige 
pas  de  se  corriger  des  petits  péchés,  qui  ouvrent 
la  porte  à  de  plus  grands.  Huitièmement,  cela  a 
lieu  afin  que  l'on  connaisse  si  une  àme  sert  Dieu 
avec  une  affection  désintéressée,  alors  même 
qu'elle  ne  devrait  recevoir  de  lui  aucune  consola- 
tion. On  sait  alors  si  elle  est  disposée  à  rester  du 
parti  de  Dieu,  à  ses  risques  et  périls,  en  tout  cas 
et  tout  événement,  comme  aussi  en  toute  tribula- 
tion,  comme  un  soldat  bien  fidèle  et  bien  affectionné 
qui  combat  toujours  pour  son  prince,  quoiqu'il 
n'en  reçoive  pas  de  solde.  Neuvièmement,  Dieu 
sèvre  une  âme  de  ces  douceurs,  afin  qu'elle  ne 
s'arrête  pas  tant  aux  dons  de  Dieu  qu'à  Dieu  lui- 
même.  Dixièmement,  c'est  afin  que  ces  douceurs 
spirituelles  ne  lui  servent  pas  de  récompense  pré- 
sente et  qu'elle  la  reçoive  dans  l'avenir  plus  abon- 
damment. Onzièmement,  c'est  afin  que  l'âme  trans- 
portée de  ferveur  spirituelle,  ne  se  porte  pas  à  des 
exercices  trop  violents,  consistant  en  pleurs,  gé- 
missements, jeûnes,  veilles  et  austérités  ;  car 
Jésus-Christ  ne  veut  pas  grever  son  hôte  et  plu- 
sieurs âmes  ne  pourraient  soutenir  l'ivresse 
spirituelle,  si  elles  étaient  toujours  introduites 
dans  «  la  cave  à  vin  »  de  l'Epoux.  (Cant.  2).  C'est 
pourquoi  il  en  garde  les  clefs  et  la  tient  tantôt 
ouverte,  tantôt  fermée.  Douzièmement,  cela  se 
fait  pour  exercer  la   patience,  dont  l'acte  est  très 


1»ES    SACREMENTS  3lS 

parfait  et  surtout  dans  ce  sujet,  où  Tàme  se  voit 
privée  des  avant-goùts  du  paradis,  pour  languir 
comme  à  l'ombre,  c'est-à-dire  à  la  ressemblance 
de  la  mort. 

Ces  considérations  nous  apprendront  à  ne  pas 
nous  troubler  et  nous  décourager,  si,  apportant  à 
la  réception  de  ce  sacrement  toute  la  préparation 
possible,  nous  ne  nous  sentons  pas  toujours  rem- 
pli des  douceurs  de  la  dévotion.  Mais  tantôt  il  faut 
s'humilier  et  penser  que  l'on  a  l'âme  trop  grossière 
pour  goûter  les  sublimes  saveurs  de  la  table  des 
Anges;  tantôt  il  faut  espérer  ces  faveurs  pour  un 
autre  temps,  où  il  plaira  à  Dieu  de  les  donner  et 
alors  remercier  le  Saint-Sacrement  par  lequel 
Dieu  les  donne.  Et  quoiqu'il  faille  prier  et  se 
purifier  soigneusement  pour  les  obtenir  dans  la 
communion  ;  néanmoins  comme  Dieu  dispose  tout 
pour  un  plus  grand  bien,  il  faut  être  en  tel  état, 
que  l'on  soit  prêt  à  les  recevoir  et  à  en  user  avec 
actions  de  grâces,  si  elles  sont  accordées,  et  prêt  à 
en  accepter  la  privation,  si  elles  nous  sont  refusées, 
mais  sans  cesser  pour  ce  motif  de  recevoir  ce 
sacrement. 


3l6  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


XV^  MÉDITATION 

CONDUITE  A  TENIR 
APRÈS    LA    COMMUNION 


SOMMAIRE: 

Importance  de  s'entretenir  en  secret  avec  Jésus- 
Christ  après  la  sainte  communion.  —  Cet 
entretien  comprend  sept  actes  de  dévotion. 
—  Trois  conseils  spirituels  qu'il  Jaut  pra- 
tiquer après  cet  entretien. 

I 

CONSIDÉREZ  qu'après  la  communion  il  importe 
souverainement  de  s'entretenir  quelque 
temps  dans  le  secret  de  l'âme  avec  Jésus-Christ, 
par  le  moyen  de  quelque  acte  de  dévotion.  L'exem- 
ple de  la  civilité  du  monde  enseigne  assez  cette 
vérité.  Si  on  a  reçu  chez  soi  un  ami,  c'est  une 
grande  impolitesse  d'avoir  l'air  de  ne  point  le 
regarder,  de  lui  tourner  le  dos  ou  de  le  laisser  là 
tout  seul  dans  une  chambre,  surtout  si  cet  ami 
est  une  personne  digne  de  tout  honneur  et  venue 
exprès  pour  apporter  beaucoup  de  bien  par  sa 
visite.  Qui  pourra  donc  excuser  ou  plutôt  ne  pas 
accuser  et  condamner  la  mauvaise  conduite  de 
plusieurs  personnes  chrétiennes  à  l'endroit  de 
Jésus-Christ,  qui  est  venu  les  visiter  par  la  com- 
munion, et  qui  est  venu  du  plus  haut  du  ciel,  où 


DES    SACREMENTS  Zl'J 

il  règne,  et  pour  leur  bien  éternel  ?  Comment  ne 
pas  condamner  ces  chrétiens  qui  ne  pensent  pas 
seulement  à  lui,  ne  font  en  sa  faveur  aucune  dé- 
monstration d'amitié,  et  au  lieu  de  fixer  leurs 
pensées  sur  lui,  se  laissent  emporter  vers  tout 
autre  objet  ?  C'est  faire  effrontément  outrage  à  ce 
grand  Roi  du  ciel  ;  c'est  renverser  à  son  égard 
toutes  les  règles  de  l'honnêteté,  si,  après  s'être 
préparé  à  l'honorer  à  son  arrivée,  on  ne  lui  fait 
ensuite  aucun  honneur.  C'est  imiter  les  Juifs  qui 
le  jour  des  Rameaux  allèrent  au-devant  de  lui 
pour  le  recevoir  avec  pompe  et  magnificence,  et 
qui,  après  son  arrivée,  le  traitèrent  avec  honte  et 
ignominie  (Matt.  21).  Si  bien  qu'il  ne  faut  pas 
s'étonner  que  plusieurs  âmes  profitent  si  peu  de  la 
communion,  c'est  qu'elles  ne  se  donnent  pas  le 
temps  ni  le  loisir  d'une  sainte  récollection  inté- 
rieure pour  goûter  la  douceur  de  cette  nourriture 
céleste,  pour  entretenir  Jésus-Christ  de  leurs 
affaires  spirituelles,  et  profiter  des  avantages  que 
l'on  peut  espérer  de  la  présence  d'un  tel  ami,  si 
affectionné,  si  riche  et  puissant  en  toutes  choses, 
et  si  rempli  de  bonne  volonté  à  l'égard,  des  âmes, 
à  qui  il  se  donne  si  libéralement  et  si  aimablement. 
Ce  manquement  se  trouva,  premièrement,  dans 
la  personne  du  traître  Judas,  qui  fut  le  premier 
adversaire  du  Saint-Sacrement  ;  il  le  traita  sans 
aucun  respect,  car  à  peine  Teùt-il  reçu  de  la  m.ain 
sacrée  de  Jésus-Christ,  qu'il  sortit  aussitôt,  sans 
prendre  un  seul  moment  pour  se  recueillir  dans  la 
contemplation  de  ce  mystère  (i).  «  Après  qu'il  eût 

I.  Sherlogus,  in  Catit.  c.  5,  vestig.  32,  sect.  i. 


3l8        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

«  pris  le  morceau,  dit  l'Evangile,  il  partit  immé- 
«  diatement.  »  (Jean,  i3).  S'il  eùi  un  peu  médité 
sur  ce  qu'il  venait  de  recevoir,  cela  aurait  suffi 
pour  le  convertir;  mais,  dit  saint  Cyrille  d'Alexan- 
drie (i),  le  démon  qui  a  l'esprit  madré  et  subtil, 
craignait  que,  s'il  se  fut  arrêté  un  peu,  il  ne  fit 
pénitence  et  voilà  pourquoi  il  le  pousse  à  toute 
bride  et  le  presse  de  sortir.  En  cela  il  est  imité 
par  ceux  qui  sortent  de  l'Eglise  avant  la  dernière 
bénédiction. 

Il  n'en  est  pas  ainsi  des  âmes  spirituelles  et 
bien  in'îtruites  des  exercices  de  la  véritable  piété. 
Elles  se  retirent  à  l'écart  ou  dans  quelque  lieu 
tranquille,  immédiatement  après  leur  commu- 
nion, et  rentrent  profondément  en  elles-mêmes, 
pour  s'entretenir  avec  leur  bon  Maître  et  lui  rendre 
les  témoignages  de  leur  pure  et  sincère  affection. 
Elles  négligent  tout  autre  chose,  pour  ne  considé- 
rer que  ce  divin  objet  et  ressentir  un  commence- 
ment de  la  jouissance  de  ses  douceurs,  qui  doit 
s'achever  plus  tard  dans  le  paradis.  Elles  se  tien- 
nent comme  Madeleine  à  ses  pieds,  entendant  ses 
divines  paroles,  attentives  à  ses  inspirations  qui 
les  portent  à  tout  bien,  et  elles  lui  demandent  la 
grâce  de  les  pratiquer  fidèlement.  Elles  croient 
qu'il  n'y  a  pas  un  temps  plus  opportun  pour  trai- 
ter leurs  affaires  spirituelle-,  que  celui  où  elles 
sont  remplies  de  ce  divin  sacrement  qui  leur  donne 
de  la  vigueur  pour  courir  dans  la  voie  de  la  vertu. 
C'est  pourquoi  elles  en  tirent  des  joies,  des  con- 
solations, des  espérances,  des  attendrissements  de 

I.  lit  Jo^n.  1.  9. 


DES    SACREMENTS  SlQ 

cœur,  d'importantes  lumières  et  connaissances 
dans  leur  entendement,  comme  aussi  dans  leur 
volonté  des  ardeurs  nouvelles  pour  servir  fidèle- 
ment celui  qu'elles  chérissent  et  embrassent  étroi- 
tement au-dedans  d'elles-mêmes.  Aussi  l'épouse 
sacrée  du  Cantique  n'a-t-elle  pas  plus  tôt  mangé 
son  rayon  avec  son  miel,  et  bu  son  vin  avec  son 
lait,  qu'aussitôt  elle  entre  dans  sa  retraite  et  dans 
son  repos  et  dit  :  «  Jedors^  mais  mon  cœur  veille.  » 
(Gant.  5).  Car  si  elle  semble  immobile  dans  ses 
actions  et  quant  au  corps,  son  cœur  est  plein  de 
soupirs  et  d'élans,  après  la  réception  de  cette 
nourriture,  qu'elle  appelle  son  miel  et  son  lait,  à 
cause  du  torrent  de  douceur  qu'elle  sent  déborder 
en  elle.  Aussi  Jésus-Christ  a  dit  de  ceux  qui  com- 
munieraient dignement  :  «  Celui  qui  mange  ma 
«  chair  et  boit  mon  sang^  demeure  en  moi  et  moi 
«  en  lui  »  (Jean,  6);  comme  s'il  voulait  dire:  il 
demeure  en  moi  par  l'union  et  l'occupation  de  son 
esprit,  comme  je  demeure  en  lui  par  la  pensée, 
par  l'affection  et  par  les  effets;  il  ne  «e  distrait 
pas  de  moi  et  ne  la  laisse  pas  égarer  sa  pensée  dans 
les  affaires  du  monde. 

Formez  donc  la  résolution  de  n'y  jamais  man- 
quer. Gardez-vous  soigneusement  d'imiter  le  traî- 
tre Judas,  en  occupant  votre  esprit  à  d'autres  su- 
jets qu'à  celui  qui  est  en  vous,  qui  doit  vous  ravir 
d'admiration.  Il  n'en  est  pas  de  cette  nourriture 
comme  de  celle  du  corps  ;  pour  celle-là  les  person- 
nes saintes  tâchent  d'en  éloigner  leur  pensée, 
autant  que  possible,  quand  elles  la  prennent,  et 
dans  ce  but  elles  se  rendent  attentives  à  quelque 
sainte  lecture  ;  mais  cette  nourriture  étant  toute 


320  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

divine,  il  faut  y  enfoncer  hardiment  son  esprit  et 
sa  volonté  et  toutes  ses  puissances.  Ne  refusez 
donc  pas  au  moins  un  quart  d'heure  à  cette  récol- 
lection, à  dire  le  bonjour  et  le  grand  merci  au  Roi 
des  Anges,  qui  vous  a  visité.  Regrettez,  pour  ce 
qui  regarde  le  passé,  de  vous  être  trop  hâté  et  trop 
tôt  diverti,  soyez  confus  d'avoir  commis  plusieurs 
fois  une  incivilité,  que  tous  les  Anges  ont  en  hor- 
reur. 

II 

Considérez  que  l'entretien  que  nous  devons 
avoir  avec  Jésus-Christ,  après  l'avoir  reçu,  consiste 
en  plusieurs  actes  de  dévotion,  et  particulièrement 
en  sept  actes  qui  sont  l'admiration,  l'action  de 
grâces,  l'offrande  de  Jésus-Christ  et  de  tous  ses 
mérites  au  Père  éternel,  l'offrande  de  nous-même 
et  de  toutes  nos  puissances  à  Jésus-Christ,  la 
manifestation  de  nos  misères,  plusieurs  saintes 
demandes  et  enfin  la  glorification  de  sa  bonté  pour 
tous  les  biens  qu'il  nous  a  faits  depuis  le  moment 
de  son  Incarnation  jusqu'à  la  présente  commu- 
nion. 

L'admiration  est  le  premier  acte  que  l'on  peut 
produire  après  la  sainte  communion.  On  doit 
s'étonner  d'une  faveur  si  signalée  et  d'un  fait  si 
extraordinaire  que  celui  du  Roi  des  rois,  du  Fils 
de  Dieu  qui  est  assis  à  la  droite  de  son  Père  et  qui 
descend  dans  l'estomac  infect  d'une  chétive  créa- 
ture. Car  qu'y  a-t-il  de  plus  étonnant  au  monde 
que  la  sainte  communion,  dans  laquelle  l'Etre  le 
plus  élevé  s'unit  intimement  à  un  vermisseau 
rampant  sur  la  terre  ?  Le  plus  aimable  et  le  plus 


DES    SACREMENTS  321 

digne  d'être  chéri  de  Punivers,  à  une  âme  qui  est 
digne  de  l'aversion  de  Dieu?  La  bonté  à  la  malice, 
le  très  magnitique  et  très  libéral  à  une  àme  avare, 
la  beauté  à  la  laideur,  la  splendeur  aux  ténèbres, 
le  très  heureux,  au  misérable,  le  juge  au  criminel, 
le  très  charitable  à  un  cœur  rongé  d'envie,  la  voie, 
la  vérité  et  la  vie  à  un  égaré,  à  un  menteur  et 
à  un  mortel,  en  somme  le  Tout-Puissant  à  la  fai- 
blesse et  à  rinlirmité?  L'àme  doit  considérer  en 
silence  ces  oppositions  et  s'écrier  sans  bruit  au 
fond  d'elle-même  :  D'où  vient  ceci  ?  Quelle  grande 
merveille!  Les  cieux  ne  peuvent  vous  contenir  et 
vous  vous  enfermez  dans  mon  étroite  poitrine  !  O 
grandeur  et  majesté  infinies  !  Oh  !  la  gloire  du 
ciel  et  de  la  terre  1  Que  iaites-vous  ? 

Ensuite  il  faut  passer  au  second  acte,  qui  est  le 
remercîment  pour  un  si  grand  bienfait;  il  faut  con- 
sidérer brièvement  la  grandeur  de  ce  don,  son  uti- 
lité, le  grand  amour  avec  lequel  Dieu  s'est  donné, 
avec  quelle  grande  facilité  et  que  de  fois  il  se 
donne,  et  encore  combien  nous  sommes  petits  et 
ravalés  pour  être  ainsi  favorisés;  ce  sont  là  autant 
de  considérations  qui  animent  notre  acte  de  recon- 
naissance. Dans  ces  pensées  l'àme  dira  donc  :  O 
vous,  so3'ez  béni  et  loué  par  tous  les  Anges  et  par 
tous  les  esprits  du  monde  pour  cette  inestimable 
faveur  que  je  reçois,  en  même  temps  que  je  suis 
accablé  par  tant  d'autres  dettes.  O  mon  bon  Sei- 
gneur et  Maître,  que  d'obligations  indicibles  j'ai  à 
votre  égard  pour  votre  excès  d'amour  pour  moi  !  O 
Dieu  souverain  de  mon  cœur!  Oh!  que  n'ai-je 
tous  les  cœurs  du  monde,  pour  vous  rendre  des 
actions  de  grâces  qui  répondent  en  quelque  sorte  à 

Bail,  t.  ix.  31 


''322  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

la  grandeur  et  à  la  qualité  de  ce  bienfait  ?  Que 
pourrai-je  vous  rendre  et  vous  offrir  en  reconnais- 
sance de  l'obligation  que  j'ai  envers  vous  ? 

Ici  il  faudra  passer  au  troisième  acte  qui  est 
l'offrande  de  Jésus-Christ  et  de  toutes  ses  vertus 
et  mérites  au  Père  éternel.  On  peut  le  faire  en 
disant  :  O  Père  suprême  et  adorable,  de  qui  vient 
tout  don  parfait  et  tout  présent  excellent,  je  n'ai 
de  moi-même  que  misère  et  pauvreté,  je  ne  suis 
qu'un  vase  d'immondice  et  ne  connais  rien  en  moi 
qui  mérite  de  vous  être  offert.  Mais  maintenant 
que  mon  doux  Jésus  s'est  donné  à  moi,  je  ne  veux 
point  perdre  cette  occasion,  je  vous  offre  et  vous 
présente  ce  Sauveur,  en  reconnaissance  de  mon 
obligation,  je  vous  oifre  sa  charité  éminente,  son 
zèle  ardent,  ses  souffrances  très  amères  et  tous  les 
mérites  de  sa  vie  immaculée.  O  Père  très  saint, 
acceptez  cette  offrande  ! 

Il  faudra  ensuite  pratiquer  le  quatrième  acte, 
qui  est  l'offrande  de  soi-même  et  de  toutes  ses 
puissances  à  Jésus-Christ.  Car  de  même  que  lors- 
qu'un roi  entre  dans  une  ville,  tous  les  Etats  et 
tous  les  magistrats  de  cette  ville  viennent  le  saluer 
et  lui  offrir  leurs  services  ;  ainsi  quand  Jésus- 
Christ  est  entré  en  nous,  il  faut  que  toutes  nos 
puissances  se  présentent  devant  lui  et  que  chacune 
produise  en  son  honneur  un  acte  de  vertu  qui  lui 
soit  propre  et  qui  soit  agréable  à  Jésus-Christ  à 
qui  nous  devons  en  faire  hommage.  C'est  ainsi 
que  nous  dirons  à  notre  intelligence,  à  notre 
volonté  et  aux  autres  facultés  :  «  Vene^y  adorons- 
«  le  et  prosternons-nous  devant  lui  »  (Ps.  94). 
Puis  il  faudra  que  nous  produisions  sur  le  champ 


DES    SACREMENTS  323 

un  acte  de  foi  par  notre  intelligence,  un  acte 
d'amour,  de  complaisance  ou  de  bienveillance  par 
notre  volonté  ;  il  faudra  que  notre  mémoire  se 
ressouvienne  de  sa  Passion,  que  notre  appétit 
concupiscible  et  notre  appétit  irascible  se  sou-- 
mettent  de  manière  à  être  modérés  dans  leurs 
passions.  On  pourra  aussi  par  un  acte  de  Timagi- 
nation  appliquer  ses  cinq  sens  extérieurs  à  Jésus- 
Christ  ;  on  se  représentera  qu'on  le  voit  avec  son 
maintien  incomparable,  qu'on  entend  sa  voix  re- 
tentir avec  douceur,  et  proférer  des  paroles  de  vie, 
que  Ton  sent  sa  suave  odeur,  que  Ton  goûte  sa 
douceur,  qu'on  embrasse  humblement  ses  pieds. 

Puis  viendra  le  cinquième  acte  qui  est  la  décla- 
ration de  ses  besoins  spirituels.  L'àme  lui  exposera 
naïvement  l'état  de  son  intérieur,  ses  chutes  plus 
ordinaires,  ses  tentations  plus  fréquentes,  le  peu 
d'énergie  avec  lequel  elle  leur  résiste,  et  les  vertus 
dont  elle  reconnaît  avoir  le  plus  de  besoin. 

Après  quoi  elle  lui  fera  des  demandes,  ce  qui 
est  le  sixième  acte.  Elle  le  priera  de  remédier  à  ses 
misères,  de  rendre  la  présente  communion  fruc- 
tueuse et  utile  en  opérant  ce  pourquoi  il  est  des- 
cendu, de  lui  donner  la  grâce  de  ne  jamais  plus 
l'offenser,  le  don  de  persévérance,  la  réalisation  de 
ses  bons  desseins,  la  grâce  d'accomplir  ce  qui  lui 
est  agréable.  Puis  se  souvenant  de  son  prochain, 
elle  pourra  aussi  demander  pour  lui  ce  qui  lui 
sera  le  plus  nécessaire  dans  les  diverses  occur- 
rences. Ce  point  est  de  grande  importance,  car 
dans  ce  moment  où  Jésus-Christ  est  présent  en 
nous,  nous  avons  sujet  d'avoir  grande  confiance 
qu'il  exaucera  nos  prières,  principalement  si  nous 


324  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

l'avons  reçu  avec  une  grande  dévotion.  Il  est  en 
effet  à  présumer  qu'il  voudra  assister  une  àme  qui 
lui  aura  fait  un  bon  accueil  et  une  réception  hono- 
rable et  qu'il  ne  permettra  pas  que  son  voyage  et 
sa  visite  lui  soient  inutiles. 

Après  ces  six  actes,  on  pourra  finalement  se 
jeter  sur  le  septième,  qui  est  la  glorification  de  la 
bonté  de  Jésus-Christ.  L'àme  lui  représentera 
doucement  toutes  les  actions  de  sa  vie  et  lui  dira  : 
O  mon  Seigneur,  qui  pourrait  vous  louer  assez 
hautement  pour  tout  ce  que  vous  avez  fait  par 
amour  pour  moi  dans  le  passé  ?  Car  pour  moi  vous 
n'avez  pas  eu  horreur  de  passer  neuf  mois  dans  le 
sein  de  la  Vierge,  puis  vous  êtes  né  dans  une 
étable  au  cœur  de  l'hiver,  le  huitième  jour  vous 
avez  été  circoncis,  vous  avez  vécu  trente-trois  ans 
sur  la  terre,  partageant  les  misères  humaines, 
fuyant,  persécuté,  haï,  contredit  et  finalement 
vous  avez  souffert  la  mort  sur  la  croix.  Vous  avez 
fait  ces  choses,  ô  mon  doux  Seigneur,  par  amour 
pour  moi.  Vous  ne  vous  êtes  point  encore  arrêté 
là,  vous  avez  fondé  et  conservé  l'Eglise  jusqu'à 
présent,  cette  Eglise  à  laquelle  je  suis  appelé  par 
votre  miséricorde,  pour  y  opérer  mon  salut.  Vous 
m'avez  fait  participer  aux  sacrements,  et  surtout 
au  sacrement  précieux,  que  vous  m'avez  donné 
tant  de  fois,  notamment  aujourd'hui.  O  mon 
doux  Jésus,  que  votre  bonté  est  ravissante!  Oh  ! 
quel  Chérubin,  quel  Séraphin  vous  donnera  assez 
de  gloire  ?  «  Oh  !  toides  les  œuvres  du  Seigneur, 
«  bénisse^  Je  Seigneur,  louc^-Ie  et  exalte^-le  à 
«  jamais  »   (Dan.  3).   —  «  Mon  âme  glorifie  le 


DES    SACREMENTS  $25 

«  Seigneur^  parce  que  celui  qui  est  puissant   a 
vi  fait  en  moi  de  grandes  choses.  »  (Luc,  i). 

Efforcez-vous  de  retenir  dans  votre  mémoire  les 
sept  actes  de  cet  entretien,  afin  de  le  pratiquer 
fidèlement,  ou  en  tout  ou  en  partie,  dans  vos  pro- 
chaines communions.  Soyez  confus  vous-même 
à  la  pensée  que  vous  avez  peut-être  bien  l'adresse 
d'entretenir  la  conversation  et  de  passer  le  temps 
avec  les  personnes  du  monde  qui  vous  visitent,  et 
que  vous  manquez  de  sainte  et  honnête  civilité 
pour  vous  entretenir  un  quart  d'heure  avec  Jésus- 
Christ,  qui  vous  visite  avec  un  si  grand  amour 
dans  votre  communion.  Demandez-lui  pardon  de 
votre  rusticité,  et,  pour  l'avenir,  la  grâce  de  mieux 
communier. 


lïl 


Considérez  encore  trois  conseils  que  donnent 
les  directeurs  de  la  vie  spirituelle,  comme  devant 
être  mis  en  pratique  après  cet  entretien. 

Le  premier  conseil  est  d'augmenter  ses  dévo- 
tions et  ses  prières  pendant  le  quart  d'heure  qui 
suit  la  communion;  car,  après  ce  temps,  les  espèces 
s'étant  vraisemblablement  consommées  dans  l'es- 
tomac sous  l'action  de  la  chaleur  naturelle,  Jésus- 
Christ  cesse  d'y  être  plus  longtemps  présent.  Il 
ne  s'en  va  pas,  il  est  vrai,  par  un  changement  de 
lieu,  mais  il  cesse  d'être  plus  longtemps  présent  par 
une  simple  cessation  d'être  ;  ainsi  quand  on  coupe 
un  bras  à  un  homme,  l'âme  n'est  plus  présente 
dans  le  bras  coupé,  non  parce  qu'elle  se  retire 
ailleurs,    mais    simplement    parce   qu'elle    cesse 


326  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

d'être  là.  Le  philosophe  Sénèque  (i)  dit  que  nous 
ne  souhaitons  jamais  si  ardemment  les  choses 
que  lorsque  nous  sommes  sur  le  point  d'en  être 
privés.  Les  fruits,  dit-il,  ne  sont  jamais  si  agréables 
que  quand  la  saison  s'en  va.  L'enfance  ne  paraît 
jamais  si  belle,  que  lorsqu'elle  s'en  va.  Tout  ce  que 
la  volupté  a  de  plus  délectable,  elle  le  réserve 
pour  la  fin,  et  la  vie  même  nous  plaît  davantage 
quand  elle  penche  vers  la  mort.  S'il  en  est  ainsi 
des  choses  de  peu  d'importance,  à  combien  plus 
forte  raison  Jésus-Christ  doit-il  nous  sembler  ai- 
mable et  digne  d'être  retenu  et  embrassé,  lorsqu'il 
va  nous  quitter.  Aussi  c'est  un  point  très  digne  de 
considération  que,  de  même  qu'en  sortant  de  ce 
monde  il  témoigna  un  plus  grand  amour  à  ses 
Apôtres,  «  ayant  aimé  les  siens  qui  étaient  dans 
«  ce  monde,  illes  aimajusqu'àla  fin  »  (Jean,  i3); 
de  même  à  ce  moment  où  il  cesse  d'être  dans  le 
corps  qui  l'a  reçu,  il  montre  un  plus  grand  amour, 
que  peut-être  durant  toute  sa  vie  et  même  au 
moment  de  sa  mort  sur  la  croix  ;  car  alors  il 
n'abandonna  qu'une  vie  souffrante  et  douloureuse 
et  encore  la  vie  misérable  d'un  corps  passible,  et 
non  la  vie  bienheureuse  de  son  âme  immortelle. 
Mais  ici  il  cesse  d'être  respectivement  dans  nos 
corps,  sa  vie  bienheureuse  aussi  respectivement 
cesse  d'être,  et  ainsi  d'une  certaine  manière  par 
cessation  d'être,  il  perd,  pour  s'être  donné  à  man- 
ger, une  vie  bienheureuse  et  telle  qu'il  la  possède 
dans  la  gloire.  Car,  quoiqu'il  demeure  toujours 
vivant  à  la  droite  de  Dieu,   son  Père,  il  ne  laisse 

I.  Epist.  22.  «  Graiissima  sunt  poma,  ciim  fugiunt .  » 


DES    SACREMENTS  827 

pas  de  cesser  véritablement  d'être,  quand  les  es- 
pèces se  consomment.  Cette  vérité  mérite  une 
plus  exacte  discussion  de  notre  part,  et  de  la  part 
des  âmes  chrétiennes  l'acte  d'amour  le  plus  en- 
flammé dont  elles  soient  capables.  C'est  pour- 
quoi plusieurs  redoublent  alors  de  ferveur  dans 
leur  dévotion  ;  ils  disent  tantôt  comme  les  deux 
disciples,  à  qui  il  était  apparu  sous  les  dehors  d'un 
pèlerin  :  «  Demeure^  avec  nous,  Seigneur,  car  il 
«  serait  tard  »  (Luc,  24)  ;  tantôt  comme  autrefois 
Jacob  qui  luttait  avec  l'ange  pour  figurer  l'oraison  : 
«  Je  ne  vous  laisserai  pas  aller,  que  vous  ne 
«  m'aye^  héni  »  (Gen.  32). 

Le  second  conseil  est  de  se  souvenir  de  temps 
en  temps  pendant  la  journée,  de  la  communion. 
Pensons,  dit  saint  Jean  Chrysostome  (i),  à  l'action 
dont  nous  avons  été  rendus  dignes,  et  qu'une  telle 
pensée  serve  de  frein  à  nos  mouvements  déréglés. 

Le  troisième  conseil  est  de  donner  toujours 
quelque  chose  à  Jésus-Christ  pour  chaque  com- 
munion que  l'on  fait  ;  par  exemple  on  se  mortifie- 
rait ce  jour-là  en  se  privant  de  quelque  passe- 
temps  permis,  on  garderait  un  silence  plus  rigou- 
reux, on  ferait  une  visite  au  Saint-Sacrement  dans 
l'après-midi,  en  se  rendant  à  quelque  église,  on 
exercerait  quelque  œuvre  de  miséricorde  tempo- 
relle ou  spirituelle,  on  ferait  ses  actions  ordinaires 
avec  une  plus  grande  pureté  d'intention  et  plus 
parfaitement  (2). 

I.  Homil.  61  ad popul.  Antioch. 

I.  Voyez  l'ornement   intérieur   dans  la    Philosophie 

AFFECTIVE. 


328  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Je  me  souviendrai  de  ces  trois  conseils  qui  ne 
tendent  qu'à  faire  traiter  le  Fils  de  Dieu  dans  son 
Eucharistie,  d'une  manière  plus  convenable  et 
plus  honorable.  O  Jésus,  toute  la  gloire  de  mon 
âme  !  Oh  !  combien  il  est  juste  et  équitable  que 
nous  ayons  de  tels  sentiments  et  une  telle  recon- 
naissance pour  les  merveilles  d'amour  que  vous 
opérez  continuellement  dans  ce  mystère.  Oh  ! 
faites,  par  votre  miséricorde  et  par  votre  bénédic- 
tion, que  toutes  les  âmes  écoutent  et  pratiquent 
volontairement,  et  que,  lorsque  vous  cessez  d'être 
en  elles  sacramentellement,  votre  grâce  y  de- 
meure, ainsi  que  votre  charité  brûlante  et  le  sou- 
venir de  votre  inconcevable  amour. 


XVr  MÉDITATION 

DE  LA  FRÉQUENTE  COMMUNION 

SOMMAIRE  : 

Généralement  parlant,  on  doit  conseiller  la  com- 
munion fréquente.  —  Ordinairement  la  com- 
munion ne  doit  pas  être  quotidienne.  —  Règles 
à  observer  pour  la  communion  fréquente. 

I 

CONSIDÉREZ  que  généralement  parlant,  il  vaut 
mieux  communier  souvent  que  rarement. 
La  fréquente   communion  est   en   soi   meilleure, 


DES    SACREMENTS  ?>2g 

doit  être  souhaitée  et  conseillée  davantage,  prê- 
chée  et  recommandée  davantage  par  les  Théolo- 
giens que  la  communion  rare  (i).  La  communion 
fréquente  est  un  effet  de  la  ferveur  de  dévotion  et 
de  Tamour  divin,  tandis  que  la  communion  plus 
rare  est  la  conséquence  de  la  paresse  et  de  la  tié- 
deur, ou  bien  de  la  crainte  de  ne  pas  en  être 
digne.  Or  ce  qui  provient  de  la  charité  et  de  la 
dévotion  est  ordinairement  plus  excellent  en  soi 
et  l'emporte  sur  ce  qui  provient  de  la  paresse,  de 
la  tiédeur  et  de  la  crainte  ;  ainsi  les  fruits  d'un 
meilleur  arbre  sont  plus  savoureux  et  les  eaux 
d'une  meilleure  source  sont  plus  salutaires.  De 
plus  la  communion  fréquente  cause  une  plus 
grande  abondance  de  grâces  que  la  communion 
plus  rare,  toutes  choses  égales  de  la  part  de  ceux 
qui  communient.  Or  il  vaut  mieux  qu'un  chrétien 
choisisse  ce  qui  peut  le  faire  croître  davantage  en 
grâce;  car,  si  pour  le  temporel  on  préfère  les  actes 
les  plus  lucratifs,  à  combien  plus  forte  raison  doit- 
on  estimer  davantage  ce  qui  apporte  un  plus  grand 
profit  spirituel  et  augmente  les  trésors  de  la  grâce. 
Ajoutons  que  ce  sacrement  est  l'aliment  spirituel 
des  âmes  ;  il  les  nourrit,  les  fortifie  et  les  sustente, 
c'est  le  nerf  de  la  piété,  la  pointe  de  notre  vigueur 
spirituelle,  le  soutien  de  la  dévotion.  De  même 
donc  que  le  corps  souffre,  quand  il  est  trop  long- 

I.  Trt'd.  sess.  22,  ch.  2,/avei  huic  sententiœ.  (Note  de 
l'auteur).  Citons  ce  texte  qu'il  importe  de  retenir  : 
«  Le  saint  Concile  désirerait  qu'à  chaque  messe  célébrée 
«  les  fidèles  présents  fissent  la  communion  non  seulement 
«  spirituelle,  mais  encore  sacramentelle,  afin  de  recueillir 
«  par  là  le  fruit  de  ce  sacrifice  avec  plus  d'abondance.  » 


LA    THEOLOGIE    AFFECTIVE 


temps  privé  de  sa  nourriture,  de  même  souffrira 
une  àme  qui  demeurera  longtemps,  sans  recevoir 
cette  nourriture.  Autre  raison  :  l'Eucharistie  est 
un  sacrement  d'unité,  il  unit  l'àme  à  Dieu  par 
amour  et  par  dévotion.  Par  conséquent  l'homme 
sera  d'autant  plus  uni  à  Dieu  qu'il  communiera 
plus  souvent. 

Outre  ces  raisons  on  n'a  pas  de  peine  à  consta- 
ter ce  que  nous  montre  l'expérience,  k  savoir  que 
ceux  qui  communient  souvent,  sont  ordinairement 
beaucoup  plus  éloignés  du  péché  que  ceux  qui  ne 
communient  que  de  loin  en  loin.  Les  plus  grands 
Saints  du  paradis  ne  seront  pas  ceux  qui  dans  la 
religion  chrétienne  n'auront  communié  qu'une  fois 
l'an,  ou  même  plus  rarement,  et  c'est  là  une  mar- 
que que  la  communion  fréquente  est  un  acte  de 
plus  haute  vertu  et  qu'elle  est  plus  efficace  pour 
la  sainteté.  En  effet  celui  qui  communie  souvent 
examine  plus  fréquemment  sa  conscience,  implore 
davantage  la  miséricorde  de  Dieu,  se  confesse  et 
satisfait  pour  ses  péchés  par  de  bonnes  œuvres  : 
toutes  choses  qui  augmentent  beaucoup  la  perfec- 
tion et  la  pureté  des  âmes.  Enfin  la  sainte  com- 
munion renferme  la  pratique  de  plusieurs  actes 
des  vertus  théologales  et  des  vertus  cardinales.  On 
y  exerce  la  foi,  l'espérance  et  la  charité,  on  y 
adore  Dieu,  on  s'humilie  devant  lui  et  on  se 
donne  à  lui.  Pour  ce  motif  la  communion  est  très 
agréable  à  Dieu,  elle  réjouit  les  Saints  et  les  Anges 
du  paradis,  qui  prennent  plaisir  à  voir  pratiquer 
ces  vertus.  Or  si  une  communion  a  tant  d'avan- 
tages, plus  elle  sera  renouvelée,  plus  les  avan- 
tages augmenteront.   C'est  ainsi  que  la   commu- 


DES    SACREMENTS  33l 

nion  iVcquente  est  meilleure,  à  ne  considérer  la 
chose  que  d'une  manière  générale  et  en  elle-même. 
Il  faut  donc  aspirer  à  la  communion  fréquente 
et  en  avoir  des  désirs  entiammés.  Il  faut  donc 
regretter  que  les  mondains  communient  si  rare- 
ment et  se  privent  des  avantages  qui  se  trouvent 
dans  l'usage  plus  fréquent  de  cet  auguste  sacre- 
ment. Il  faut  imiter  le  zèle  d'une  àme  bienheu- 
reuse (i)  qui  ne  pouvait  supporter  la  négligence 
des  chrétiens  à  recevoir  ce  sacrement.  O  amour, 
amour,  disait-elle,  comme  vous  êtes  peu  connu  et 
aimé  !  Si  vous  ne  trouvez  pas  où  vous  reposer, 
venez  en  moi,  et  je  vous  recevrai.  O  âmes  créées 
pour  l'amour,  pourquoi  n'aimez-vous  pas  l'amour? 
Vous  me  faites  mourir  toute  vivante,  ô  amour,  à 
cause  de  la  peine  que  j'ai  et  du  regret  qui  me 
ronge,  en  voj'ant  que  vous  êtes  si  peu  connu,  si 
peu  reçu  et  si  peu  aimé. 

II 

Considérez  que  cette  communion  ne  doit  pas 
être  si  fréquente  qu'elle  soit  journalière,  si  ce  n'est 
pour  certaines  personnes  d'une  pureté  extraordi- 
naire et  éprouvée  par  une  longue  expérience,  à 
qui  la  communion  quotidienne  pourrait  être  utile- 
ment conseillée  (2).  Cette  considération  est  néces- 
saire pour  renfermer  dans   les  limites  de  la  pru- 

1.  B.  Madeleine  de  Pazzi. 

2.  L'auteur  met  en  note  :  Omnibus  quoiidianam  com- 
nninionem  siiadet  Vincentius  Ma{illa,  in  Memoriali  et 
Joanncs  SancJiius  in  Select,  disp.  22.  —  Contra  est 
commiuiis  scolasiicoriun  Doctorum  consensus,  quos  refert 
et  sequitnr  card.  de  Lugo,  De  Euchar.  disp.  17. 


332  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

dence  le  zèle  qui  se  porte  à  Textrémité,  et  qui 
conclut  des  raisons  qui  portent  à  la  communion 
fréquente,  qu'elle  doit  se  faire  tous  les  jours, 
quand  on  n'y  met  pas  l'empêchement  du  péché 
mortel.  Cette  conclusion  n'est  pas  approuvée  par 
le  Docteur  angélique  (i),  car  raisonnant  sur  l'im- 
portant sujet  de  l'usage  de  ce  sacrement,  il  dit 
que  l'on  peut  y  considérer  deux  choses  :  l'une  du 
côté  du  sacrement,  dont  la  vertu  est  très  salutaire 
aux  hommes,  et  de  ce  côté  il  serait  utile  de  com- 
munier tous  les  jours  ;  l'autre  du  côté  de  celui  qui 
communie  et  en  qui  est  requise  une  grande  dévo- 
tion en  vue  de  ce  sacrement.  Mais  comme  dans  la 
plupart  des  hommes  il  y  a  plusieurs  empêchements 
à  cette  dévotion,  par  le  fait  de  l'indisposition  du 
corps  ou  de  l'âme,  il  n'est  pas  utile  à  tous  les 
hommes  de  s'approcher  tous  les  jours  de  la  com- 
munion. Et  véritablement  s'il  était  plus  utile  de 
communier  tous  les  jours,  tout  au  moins  les  fon- 
dateurs d'ordres  religieux,  tels  que  saint  Bruno, 
saint  Dominique,  saint  François  et  les  autres,  qui 
étaient  conduits  par  l'Esprit  de  Dieu  et  qui  avaient 
un  grand  zèle  pour  les  religieux  voués  à  Dieu  dans 
leurs  Ordres,  auraient  fait  quelque  règle  ou  con- 
sacré quelque  article  à  la  communion  quotidienne 
et  l'eussent  fait  approuver  par  le  Saint-Siège.  Or 
ils  se  sont  contentés  d'obliger  leurs  religieux  à 
communier  les  uns  une  fois  par  mois,  les  autres 
une  fois  par  semaine  ;  ce  qui  est  une  marque 
assez  évidente  qu'ils  n'ont  pas  jugé  la  chose  con- 

I.  D.  Thom.  q.  80,  art.  10  :  «  Non  est  utile  omnibus 
«  quotidie  accipere.  » 


DES    SACREMENTS  333 

venablc  même  aux  personnes  religieuses,  à  plus 
forte  raison  à  celles  qui  vivent  dans  le  monde.  De 
plus  la  même  raison  qui  prouve  qu'il  serait  plus 
utile  de  communier  chaque  jour,  prouve  qu'il 
serait  aussi  plus  utile  de  communier  plusieurs  foisle 
jour.  Or  c'est  une  chose  que  l'Eglise  ne  permet 
pas,  parce  qu'il  s'ensuivrait  de  là  un  notable  mépris 
de  ce  sacrement.  Il  est  vraisemblable  que  le  même 
inconvénient  se  produirait  bientôt,  si  la  communion 
quotidienne  était  en  usage  indifféremment  parmi 
toutes  sortes  de  personnes,  car  à  cause  de  la  cor- 
ruption de  la  nature  humaine,  il  n'y  a  rien  de 
saint  qui  ne  devienne  moins  respecté,  par  suite 
d'un  trop  commun  usage  (i).  Or  il  est  à  considé- 
rer que  l'Eglise  a  de  tout  temps  été  fort  exacte  à 
supprimer  les  coutumes  qui  semblaient  préjudi- 
cier  au  grand  respect  dû  à  ce  sacrement,  alors 
même  que  de  telles  coutumes  paraissaient  utiles 
pour  l'augmentation  de  la  grâce  parmi  les  chré- 
tiens. Ainsi  a  été  abolie  la  coutume  de  verser  dans 
la  bouche  d'un  enfant  nouvellement  baptisé  quel- 
ques gouttes  du  sang  de  Jésus-Christ,  qu'on  lui 
faisait  prendre,  parce  qu'il  n'était  pas  capable 
d'avaler  l'hostie  (2).  Ainsi  en  est-il  de  la  coutume 
de  donner  aux  enfants  de  deux  ou  trois  ans  les 
restes  du  pain  consacré  ou  des  hosties,  pourvu 
qu'ils  fussent  à  jeun  (3).  Pour  la  même  raison  la 
coupe  a  été  supprimée  aux  laïques,  car  il  y  avait 
danger  de  répandre  le  sang.  Egalement  la  coutume 

1.  Joan.  Carmel.  Relect.  de  arteviv.  spir.  p.  3,  c.  4. 

2.  Bellarm.  1.  4.  De  sacram.  Eiich.  c,  16. 

3.  Nicephorus,  Hist.  écoles.  1.  17,  c.  2^. 


0J4  LA    THEOLOGIE    AFFECTIVE 

qu'avaient  les  chrétiens  d'emporter  l'Eucharistie 
dans  leurs  maisons  pour  se  l'administrer  eux- 
mêmes  a  été  supprimée  (i).  Or  il  en  serait  de 
même  de  la  communion,  si  elle  était  journalière. 
Comme  la  trop  grande  familiarité  engendre  le 
mépris,  Jésus-Christ  serait  traité  avec  moins  de 
respect  par  plusieurs.  Et  quand  bien  même  quel- 
ques particuliers  se  comporteraient  convenable- 
ment, néanmoins  l'Eglise  le  désapprouverait.  Car 
sollicitée  par  deux  grands  désirs  :  l'un  de  conserver 
à  Jésus-Chsist  tous  ses  droits  et  toutes  les  préro- 
gatives d'honneur  et  de  respect  qui  lui  sont  dues  ; 
l'autre  de  voir  les  chrétiens  abonder  en  grâce,  si 
elle  voyait  que  ces  choses  fussent  incompatibles, 
elle  aimerait  mieux  conserver  le  droit  qu'a  Jésus- 
Christ  d'être  traité  avec  respect,  que  de  voir  les 
chrétiens  abonder  en  certains  degrés  de  grâce,  qui 
ne  leur  seraient  pas  absolument  nécessaires  pour 
le  salut.  C'est  ainsi  qu'elle  en  a  usé  dans  la  sup- 
pression de  la  coupe  et  dans  la  défense  de  donner 
ce  sacrement  aux  enfants,  ou  de  l'emporter  chacun 
dans  sa  maison.  En  effet  il  importe  davantage  de 
sauvegarder  le  respect  dû  à  Jésus-Christ,  que  de 
procurer  aux  chrétiens  une  grâce  surabondante  et 
non  nécessaire  au  salut,  d'autant  plus  que  si  Jésus- 
Christ  était  traité  irrévéremment,  la  peine  en  re- 
tomberait sur  la  plupart  des  chrétiens,  qui  croyant 
s'enrichir  d'un  côté,  s'appauvriraient  d'un  autre 
et  tomberaient  dans  la  disgrâce  ds  leur  Dieu,  pour 
ne  pas  lui  rendre  le  respect  et  l'amour  qu'il  méri- 
terait et  devrait  recevoir. 

I.  In  Concil.  Basilien.St  Basilius,  epist.  ad  Cœsariam 
Patritiam, 


DES    SACREMENTS  335 

Si  quelqu'un  objecte  que  ces  considérations  n'ont 
pas  empêché  les  premiers  chrétiens  de  communier 
tous  les  jours,  la  réponse  est  facile.  Cette  coutume 
n'était  pratiquée  que  par  les  chrétiens  de  Jéru- 
salem et  d'Alexandrie,  qui  étaient  d'une  très 
haute  sainteté,  comme  étant  prêts  tous  les  jours 
au  martyre  et  à  mourir  pour  Jésus-Christ,  et  dès 
lors  le  manque  de  respect  envers  Jésus-Christ 
n'était  pas  à  craindre.  Mais  leur  exemple  ne 
prouve  rien  pour  les  chrétiens  de  ce  temps,  qui 
ont  à  peine  l'ombre  de  leurs  vertus.  Ce  serait 
bien  s'ils  étaient  aussi  saints  aujourd'hui  qu'alors. 
C'est  pourquoi  le  Docteur  séraphique  (i)  traitant 
cette  question  la  tranche  ainsi  :  Il  faut  dire  que  si 
quelqu'un  constate  qu'il  est  dans  un  état  sembla- 
ble à  celui  des  chrétiens  de  la  primitive  Eglise,  il 
est  à  louer,  s'il  communie  tous  les  jours  ;  s'il  est 
dans  Tétat  de  l'Eglise  finissante,  à  savoir  froid  et 
languissant,  qu'il  communie  rarement  ;  s'il  est 
entre  les  deux,  il  doit  s'abstenir  quelquefois  de 
communier,  afin  d'apprendre  le  respect  dû  à  ce 
sacrement,  et -il  doit  quelquefois  s'en  approcher, 
pour  apprendre  l'amour,  car  à  un  tel  hôte  nous 
devons  l'honneur  et  l'amour  (2). 

D'où  il  faut  conclure  que  le  respect  dû  à  Jésus- 
Christ,  ne  pouvant  se  conserver  dans  l'état  de 
nature  déchue,  où  la  familiarité  cause  souvent  le 
mépris,  la  communion   quotidienne   ne   peut  être 

1.  L.  4,  Sent.  dist.  12,  art.  2,  q.  2. 

2.  «  Oicia  tali  hospiti  debeiur  îwnor ,  debetiir  et 
«  amor.  » 


336  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

conseillée  indistinctement  à  toutes  sortes  de  per- 
sonnes. 

J'apprendrai  par  cette  conclusion  combien  est. 
important  le  respect  dû  à  Jésus-Christ  dans  le 
Saint-Sacrement  de  l'autel,  de  la  part  de  tous  les 
fidèles,  puisque  à  cause  de  ce  respect  il  vaut  mieux 
qu'ils  se  privent  pendant  plusieurs  jours  d'un 
moyen  qui  augmenterait  probablement  leur  grâce 
et  ensuite  leur  gloire.  O  respect  dû  à  Jésus- 
Christ,  que  vous  devez  être  bien  pesé  et  mûre- 
ment considéré  par  les  hommes  !  O  Jésus-Christ, 
mon  Seigneur,  soyez  donc  à  jamais  béni,  adoré  et 
glorifié  comme  vous  le  méritez,  dans  le  Saint- 
Sacrement.  Si  pour  ce  motif  nous  devons  accepter 
la  privation  de  quelque  degré  de  plus  de  grâce  et 
de  gloire,  à  combien  plus  forte  raison  nous  de- 
vrions nous  priver  des  grandeurs  et  des  biens  de 
la  terre,  pour  maintenir  votre  honneur  et  le  culte 
de  latrie  qui  vous  appartient  !  O  Seigneur  très 
adorable,  que  n'avons-nous  donc  les  sentiments 
que  nous  devrions  avoir  de  votre  souveraine 
grandeur,  de  votre  bonté  immense  et  de  votre 
amour  incomparable?  Oh!  il  est  juste.  Roi  de 
majesté,  que,  par  respect,  l'Eglise  s'anéantisse  en 
votre  sainte  présence,  et  que  toutes  les  âmes  vous 
adorent.  Oh  !  je  m'unis  de  cœur  et  d'affection  à 
toutes  celles  qui  reconnaissent  votre  grandeur  en 
vous  adorant.  Oh  !  si  je  pouvais,  moi  seul,  vous 
adorer  aussi  profondément  qu'elles  vous  adorent 
toutes  ensemble  ! 


DES    SACREMENTS  SBy 

III 

Considérez  quelle  doit  être  la  règle  qu'il  faut 
observer  pour  la  communion  fréquente.  Cette 
règle  est  difficile  à  établir  pour  tous  les  cas  ;  il  faut 
peser  les  circonstances  pour  l'établir  prudemment. 
Néanmoins  si  tous  les  confesseurs  et  directeurs  de 
conscience  avaient  les  mêmes  sentiments  touchant 
le  grand  respect  dû  au  sacrement  et  l'utilité  des 
âmes,  toutes  choses  mûrement  pesées,  il  suffirait 
d'assigner  pour  règle  de  la  fréquente  communion 
la  prudence  du  confesseur.  Mais  tous  ne  sont  pas 
d'accord  sur  ce  sujet  controversé,  sur  lequel  nous 
avons  écrit  autre  part  plusieurs  choses  que  nous  ne 
voulons  pas  répéter  (i).  De  plus,  il  n'est  nullement 
ici  question  de  ceux  qui  demeurent  dans  l'affec- 
tion au  péché  mortel  ou  dans  l'occasion  prochaine 
de  le  commettre,  alors  qu'ils  pourraient  l'éviter. 
De  telles  personnes  ne  doivent  s'approcher  de  cette 
table  qu'après  une  véritable  conversion.  Il  n'est 
pas  question  davantage  des  religieux  qui  ne  peu- 
vent mieux  faire  que  de  suivre  sur  ce  point  leurs 
règles  et  leurs  constitutions,  sans  vouloir  se  sin- 
gulariser et  troubler  l'ordre  de  leur  communauté. 

Nous  parlons  donc  des  autres  chrétiens  et  nous 
disons  qu'il  serait  à  souhaiter,  en  tenant  compte 
du  prudent  et  sage  avis  du  confesseur,  qu'il  ne 
faut  jamais  négliger,  que  le  temps  ordinaire  de 
leurs  communions  fût  de  huit  jours  en  huit  jours, 
ou  de  mois  en  mois,  selon  les  occupations  des  per- 
sonnes et  le  bon  désir  qu'elles  auraient  de  la 
communion.  Ce  temps,  en  effet,  semble  être  celui 

I.  In  Examine  pœnii.  quœsito  98,  edit.  2  et  3. 
Bail,  t.  ix.  »3 


338  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

qui  convient  pour  sauvegarder  à  la  fois  le  respect 
et  l'amour  dus  au  Saint-Sacrement,  comme  aussi 
pour  s'y  disposer  suffisamment  eu  égard  à  l'infir- 
mité humaine.  Il  semble  peu  utile  de  différer 
davantage  la  communion  pour  les  âmes  qui  en  ont 
un  bon  désir.  Car  comme  la  privation  de  la  sainte 
communion  n'est  pas  un  être  réel  et  positif,  mais 
un  défaut  d'être,  comme  elle  n'est  pas  un  acte  de 
vertu,  on  ne  voit  pas  bien  à  quoi  ce  non-être  ou 
cette  privation  pourrait  être  élevée  pour  devenir 
utile  au  salut  des  âmes  (i).  Si  quelques  supérieurs 
veulent  l'imposer  pour  mortifier  leurs  inférieurs, 
en  les  privant  du  bien  qu'ils  désirent,  ils  devraient 
penser  que  ce  n'est  pas  une  bonne  mortification  de 
priver  une  âme  d'un  grand  bien  ou  d'une  grande 
vertu  qu'elle  désire,  mais  plutôt  de  la  priver  du 
mal  ou  de  la  chose  inutile  qu'elle  désirerait.  Or 
la  communion  n'est  pas  un  mal,  ni  une  chose  inu- 
tile, mais  elle  est  un  très  grand  bien,  dont  Sainte 
Claire  (2)  disait,  quand  elle  l'avait  reçue,  que  Dieu 
lui  avait  fait  le  plus  grand  bien  du  monde.  En 
conséquence  quelques  Docteurs  estiment  que  la 
privation  de  la  sainte  communion  n'est  pas  un  objet 
légitime  de  mortification,  pour  qu'on  puisse  l'im- 
poser, sans  autre  dessein  que  de  faire  accomplir 
un  acte  de  mortification.  C'est  pourquoi  l'inten- 
tion que  l'on  devrait  avoir  en  différant  la  commu- 
nion à  quelques-uns,  devrait  être  ou  de  les  obliger 
à  penser  plus  sérieusement  à  corriger  leurs  habi- 
tudes vicieuses,  —  car  le  délai  de  la  communion 

1,  Joan.  Sanchius  in  Selectis,  disp.  33,  n.  21. 

2.  Refert  Vuadingus,  in  Annal,  min,  t.  2.  anno  1251. 


DES    SACREMENTS  .').')() 

pour  quelques  jours  seulement,  fait  souvent  ren- 
trer une  àme  en  soi-même  de  manière  à  mériter 
par  son  amendement  à  être  admise  de  nouveau  à 
la  participation  de  TEucharistie,  —  ou  de  leur 
donner  du  temps  pour  se  préparer  suffisamment 
à  la  recevoir  comme  il  convient.  Or  comme  il  y  a 
peu  de  personnes,  si  on  en  excepte  celles  qui  con- 
servent la  volonté  et  l'occasion  de  pécher,  à  qui 
huit  jours  ou  un  mois  ne  soient  suffisants  pour 
songer  à  s'amender  ou  à  se  préparer,  en  supposant 
qu'elles  en  aient  le  désir,  il  n'est  pas  utile  d'im- 
poser un  plus  long  retard.  A  cela  se  rapporte  ce 
que  nous  lisons  sur  Sainte  Gertrude  (i).  Etant  un 
jour  en  prières  pour  une  certaine  vierge  de  sa  Con- 
grégation, qui  poussée  par  un  zèle  sévère,  rendait 
les  autres  sœurs  craintives  et  les  éloignait  de  la 
fréquente  communion,  qui  pouvait  être  d'une  ou 
deux  fois  par  semaine,  elle  entendit  Notre-Seigneur 
lai  dire  :  puisque  mes  délices  sont  d'être  avec  les 
enfants  des  hommes  et  qu'à  cause  de  ma  souve- 
raine charité,  j'ai  laissé  ce  sacrement  à  mes  fidè- 
les qui  le  recevraient  en  mémoire  de  moi,  puisque 
je  veux  demeurer  avec  eux  par  ce  sacrement  jus- 
qu'à la  fin  du  monde,  quiconque  par  parole  ou  par 
insinuation  détourne  quelques-uns  de  ceux  qui 
sont  exempts  de  péché  mortel  de  me  recevoir, 
celui-là  empêche  et  interrompt  d'une  certaine 
manière  mes  délices,  que  je  pourrais  goûter  avec 

I.  L.  3.  Divin,  insin.  c.  78.  —  Blosius  in  Monili  spir. 
c.  6,  edit.  Antuerp.  an.  1564  et  Paris,  an.  1622,  in  qui- 
biis  non  est  :  Sed  communicat  digne,  ut  citât  Perliniis  in 
Sacro  convivio.  (Note  de  l'auteur). 


340  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

eux(i).  Il  est  semblable  à  un  certain  précepteur 
de  fils  de  roi,  qui  sous  prétexte  qu'il  serait  plus 
convenable  pour  son  élève  d'être  traité  en  roi  qae 
de  jouer  à  la  balle  avec  quelques  pauvres  garçons 
de  son  âge,  dans  la  compagnie  desquels  il  se  plai- 
rait beaucoup,  les  repousserait  rudement  loin  de 
son  élève.  Toutefois,  ajouta  Dieu,  si  quelqu'un  se 
proposait  de  se  corriger  à  l'avenir  de  cette  sévérité, 
non  seulement  je  lui  pardonnerais,  mais  ce  chan- 
gement me  serait  aussi  agréable  que  le  serait  au 
fils  de  ce  roi,  la  détermination  de  son  précepteur 
qui,  rassénérant  son  front  et  son  visage,  lui  ramè- 
nerait ses  bien-aimés  compagnons  pour  jouer  avec 
lui.  Si  on  veut  raisonner  en  alléguant  la  parité  de 
raison  pour  un  retard  de  quelques  mois  et  un  re- 
tard de  quelques  jours,  ce  serait  admissible  pour 
qui  considère  les  choses  physiquement  et  non 
moralement,  comme  ici  où  ce  qui  est  peu  est  con- 
sidéré comme  n'étant  rien.  C'est  pourquoi  la  pru- 
dence et  la  fidélité  à  Dieu,  que  doit  observer  le 
confesseur,  qui  est  «  le  fidèle  et  prudent  dispen- 
n  sateur  que  Dieu  a  établi  sur  sa  famille,  pour 
«  donner  en  son  temps  la  mesure  de  froment  aux 
«  serviteurs  ».  (Luc,  12),  cette  prudence,  dis-je, 
et  cette  fidélité  ne  consistent  pas  à  trop  exagérer 
les  dispositions  requises  pour  la  sainte  commu- 
nion, ni  à  exercer  un  empire  absolu  sur  certaines 
âmes  simples  qui  s'accusent  de  leurs  péchés  et 
proposent  de  s'en  amender,  en  les  privant  pendant 
plusieurs  mois  du  souverain  bien,   à  la   réception 

I.  «  Is  quodammodo   impedit  et   interrumpit  delicias 
m  eus  ». 


DES    SACREMENTS  :>.\l 

duquel  il  devrait  les  exciter,  au  lieu  de  les  détourner 
sous  prétexte  d'un  plus  grand  respect.  Supporte- 
raient-ils qu'on  exerçât  sur  eux  un   tel  empire  et 
qu'on    les    privât   de    célébrer   pendant  plusieurs 
semaines,  malgré  leur  dévotion  ?  Ils  allégueraient 
aussitôt   Saint   Paul    qui    dit  :    «  Que   Thomme 
«  s  éprouve  lui-même^    et^  qu  ainsi    éprouvé,    il 
«  mange  ce  pain  »    (i  Cor.  ii)  ;  c'est-à-dire  qu'il 
se  confesse  et  qu'après  il   communie  ;  car   Saint 
Paul   ne  déclare   pas  seulement  que  la  confession 
est  requise  pour  ne  point  faire  de  sacrilège,  mais 
aussi   qu'après  la  confession   on   peut    librement 
communier  ;  «  et^  qu^  ainsi  éprouvé  par  la  confes- 
«  sion,    il   mange  de  ce  pain  ».  Par  conséquent, 
cette  prudence  et  cette  fidélité   consistent  plutôt  à 
sevrer  de  la  communion  les  endurcis  et  les  obsti- 
nés,   qui   se    confessent  sans   volonté   ferme   de 
s'amender,  ou   sans  quitter  l'occasion  du   péché 
mortel,  ainsi  que  l'Eglise  excommunie  et  prive  des 
sacrements  les  pécheurs  obstinés,  aussi  longtemps 
que  dure  leur  obstination.  Cette  prudence  et  cette 
fidélité  consistent  à  la  défendre  à  ceux  qui  retien- 
nent le  bien  d'autrui,  sans  le   restituer,  quoiqu'ils 
puissent  le   faire,  à  ceux  qui  nourrissent   l'esprit 
de  vengeance    et   à   quiconque   est   incapable   de 
l'absolution.    Quant   aux    autres   qui  ont   l'esprit 
soumis    et   contrit,    qu'est-il    besoin    d'être    plus 
sévère  à  leur  endroit  que  Jésus-Christ  même  ?  Ne 
s'est-il  pas  mis  dans  l'Eucharistie  pour  se  donner 
libéralement  sous  le  voile  des  accidents,  comme 
gage  et  comme  preuve  de  la   volonté  qu'il  a  de  se 
donner  à  voir  face  à  face  dans  l'état  de  sa  gloire  ? 
Si  bien   que    c'est  même   fidélité   et  prudence  de 


342  LA    THÉOLOGIE     AFFECTIVE 

conseiller  à  certains  chrétiens  de  communier  plu- 
sieurs fois  la  semaine,  parce  que  leur  vie  dans  le 
monde  n'est  pas  moins  pure  que  celle  de  plusieurs 
autres  dans  l'état  religieux.  On  ne  peut  donc 
donner  au  sujet  de  la  fréquente  communion  une 
règle  telle  qu'elle  puisse  être  universelle  et  s'ap- 
pliquer à  tout  le  monde  (i). 

I,  De  nos  jours,  les  moralistes  et  les  auteurs  qui  trai- 
tent de  la  vie  spirituelle  insistent  beaucoup  moins  sur 
le  respect  auquel  une  communion  fréquente  pourrait 
nuire,  et  beaucoup  plus  sur  la  nécessité  de  commu- 
nier, pour  résister  à  la  violence  des  passions  ;  ils  prou- 
vent par  l'autorité  des  Pères  que  l'Eucharistie  est  beau- 
coup moins  une  récompense  accordée  à  la  vertu,  qu'une 
arme  de  combat,  i)  S'agit-il  de  la  communion  tous 
les  huit  jours,  qui  n'est  pas  proprement  une  commu- 
nion fréquente,  ils  soutiennent  avec  Saint  Liguori, 
qu'on  peut  la  permettre  aux  personnes  qui,  étant  en 
état  de  grâce,  commettent  des  péchés  véniels  d'habi- 
tude ou  avec  préméditation  ;  parce  qu'il  n'existe  au- 
cune loi  qui  défende  de  communier  quand  on  con- 
serve l'affection  au  péché  véniel  et  que  cette  affection, 
comme  l'enseigne  Saint  Thomas  (Sum.  theol,  m.  p.  q. 
79,  art.  8),  n'empêche  pas  le  sacrement  de  produire 
dans  l'âme  un  accroissement  de  grâce  et  de  charité 
habituelle.  2)  S'agit-il  de  la  communion  que  Saint 
Liguori  et  les  autres  appellent  communément  la  com- 
munion fréquente,  c'est-à-dire  de  celle  qui  a  lieu  plu- 
sieurs fois  la  semaine,  on  peut  la  conseiller  aux  chré- 
tiens qui,  quoique  faibles  et  commettant  même  de  loin 
en  loin  quelques  fautes  de  propos  délibéré,  ont  le  désir 
de  remplir  de  leur  mieux  leurs  devoirs  de  bons  chré- 
tiens. 3)  Pour  ce  qui  est  de  la  communion  quotidienne 
on  doit  la  permettre  à  tous  ceux  qui   ont   vaincu  leurs 


DES    SACREMENTS  343 

Inspirez  donc,  ô  mon  Dieu,  inspirez  à  tous  les 
fidèles  de  s'approcher  plus  souvent  de  votre  trône 
sacré  et  de  vos  autels,  afin  qu'ils  aient  le  bonheur 
de  vous  y  posséder  plus  souvent  et  d'y  goûter 
spirituellement  la  douceur  dans  sa  source.  Vous 
êtes,  ô  Jésus,  vous  êtes  dans  cet  auguste  sacre- 
ment, tout  l'honneur,  toutes  les  délices,  toutes 
les  richesses  du  monde  et  sans  vous  tout  est  pauvre 
ici-bas.  Vous  y  êtes  l'unique  refuge,  la  consola- 
tion, l'asile  de  toutes  les  âmes  affligées  ;  vous  y 
êtes  la  paix  et  la  paix  profonde  des  âmes  que  le 
trouble  agite.  Vous  y  donnez  toutes  les  consola- 
tions et  toutes  les  instructions  nécessaires  aux 
âmes,  et  devant  vous  on  se  sent  tout  remis  de  ses 
plus  grandes  angoisses  et  tout  apaisé.  Oh  !  malheu- 
reux ceux  qui  se  privent  si  longtemps  de  vous  ! 
Oh  !  malheureux  ceux  qui  autorisent  cette  cruelle 
privation  !  O  Seigneur,  inspirez  aux  pasteurs  et 
aux  prêtres  de  votre  Eglise  de  suivre  toujours  votre 
esprit,  esprit  de  douceur  et  de  toute  bonté,  afin 
que,  grâce  à  une  entente  commune,  la  sainte  com- 
munion soit  plus  fréquente  dans  l'Eglise. 

passions  et  qui  ne  conservant  aucune  affection  au 
péché  véniel,  s'efforcent  de  tendre  à  la  perfection.  (Saint 
Alphonse  de  Liguori^  Praxis  confessarii,  n.  149,  150, 
153,  130). 


344  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

XVir  MÉDITATION 

DU  SACRIFICE  DE  L'EUCHARISTIE 


SOMMAIRE 

La  consécration  du  pain  et  du  vin  est  le  véritable 
sacrifice  de  la  loi  chrétienne.  —  Nécessité 
d'avoir  un  tel  sacrifice  dans  lequel  la  victime 
soit  Jésus-Christ.  —  Efficacité  du  sacrifice  de 
V Eucharistie  pour  obtenir  un  grand  nombre 
de  biens. 

I 

CONSIDÉREZ  que  la  consécration  du  pain  et  du 
vin  par  la  vertu  des  paroles  sacramentelles  : 
«  Ceci  est  mon  corps,  etc.  »,  est  le  véritable  sacri- 
fice de  la  religion  chrétienne.  Pour  comprendre 
cette  vérité,  il  faut  premièrement  supposer  que 
toute  religion  vraie  doit  avoir  un  sacrifice,  parce 
que  la  religion  n'a  d'autre  but  que  d'honorer  et 
de  reconnaître  Dieu  d'une  façon  très  pure  et  très 
sainte  ;  or  Dieu  n'est  jamais  mieux  honoré  et 
reconnu  dans  sa  grandeur  que  par  le  sacrifice. 
C'est  pourquoi  la  loi  de  nature  et  la  loi  de  Moïse 
ont  eu  leur  sacrifice,  et  tous  les  hommes  l'ont  es- 
timé si  intime  et  si  essentiel  à  la  religion,  qu'à 
mesure  qu'ils  se  sont  créé  quelque  nouvelle  reli- 
gion, ils  y  ont  toujours  mis  quelque  sacrifice, 
comme  si  elle  ne  pouvait  subsister  autrement.  Si 
bien  que  Saint  Paul  a  jugé  que  l'union  entre  l'un 


DES    SACREMENTS  S.jB 

et  Tautre  est  absolument  indissoluble  :  «  //  est 
«  nécessaire^  dh-W^que  le  sacerdoce  étant  changé^ 
«  et  par  conséquent  le  sacrifice,  la  loi,  c'est-à-dire 
«  la  religion,  soit  aussi  changée.  »  (Héb.  7).  En 
effet  le  sacrifice  est  une  oblation  externe  et  publi- 
que faite  à  Dieu  en  son  honneur  et  en  reconnais- 
sance de  son  domaine  suprême,  par  un  prêtre 
légitime,  avec  changement  et  destruction  de  la 
chose  qui  est  offerte.  Afin  de  prévenir  les  scandales 
et  les  manières  différentes  d'honorer  Dieu,  il  faut 
que  le  sacrifice  soit  ordonné  par  l'autorité  publique, 
ni  plus  ni  moins  que  les  lois  qui  gouvernent  les 
hommes.  C'est  pourquoi  le  sacrifice  est  une  obla- 
tion publique,  qui  ne  dépend  pas  de  la  volonté  ni 
de  l'humeur  de  chaque  particulier.  C'est  aussi  une 
oblation  extérieure,  parce  qu'elle  a  pour  but  de 
témoigner  et  de  faire  paraître  la  souveraine  excel- 
lence de  Dieu,  sa  puissance  et  sa  grandeur  infinie, 
surtout  cette  grandeur  infinie  par  laquelle  il  l'em- 
porte sur  tous  les  êtres,  qui  ne  sont  qu'un  pur 
néant  auprès  de  lui  et  par  laquelle  il  a  le  pouvoir 
de  vie  et  de  mort.  C'est  pour  indiquer  ce  pouvoir, 
que  la  chose  qui  lui  est  offerte  en  sacrifice,  est 
transformée  ou  détruite,  afin  de  dire  tacitement 
que  la  créature  n'est  rien  devant  lui,  et  c'est 
en  cela  que  le  sacrifice  se  distingue  de  la  simple 
offrande  faite  à  Dieu  d'une  chose,  mais  sans  chan- 
gement ni  destruction,  comme  si  quelqu'un  don- 
nait à  l'Eglise  quelque  somme  d'argent,  quelque 
tableau  ou  quelque  vase  précieux.  Enfin  cette 
oblation  doit  être  faite  par  un  prêtre  légitime;  car, 
dit  Saint  Paul,  «  personne  ne  doit  s'arroger  cet 
«  honneur^   mais  celui   qui  est  appelé  de  Dieu 


346  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

«  comme  Aar on.  »  (Hébr.  5).  Le  sacrifice  étant  en 
effet  un  acte  public  de  religion,  il  doit  se  faire  par 
une  personne  publique,  qui  ait  pouvoir  et  auto- 
rité. 

Or  ces  conditions  qui  appartiennent  au  sacrifice, 
se  rencontrent  dans  la  consécration  du  pain  et  du 
vin,  lorsqu'à  la  sainte  messe  le  prêtre  profère  les 
paroles  sacramentelles,  car  il  fait  alors  une  obla- 
tion  externe  à  cause  des  paroles  qu'il  profère,  et 
en  même  temps  une  oblation  publique,  car  elle  est 
ordonnée  par  Jésus-Christ,  qui  en  a  donné  l'exem- 
ple et  le  précepte  dans  la  dernière  cène  de  l'agneau 
pascal,  suivant  le  sens  que  les  Pères  (i)  ont  attribué 
à  ces  paroles  :  «  Faites  ceci  en  mémoire  de  moi.  » 
(Matt.  26  ;  Luc,  22.)  La  chose  qui  est  offerte  est  le 
corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ,  qui  se  rendent 
présents  au  moment  où  sont  prononcées  les  paro- 
les ;  de  plus  le  prêtre  a  l'intention  de  l'offrir  à 
Dieu,  pour  rendre  hommage  à  son  domaine  absolu 
et  à  sa  grandeur  suprême.  Voilà  pourquoi  Jésus- 
Christ,  l'être  le  plus  grand  et  le  plus  noble  du 
monde,  y  est  réduit  comme  au  néant,  car  il  n'y 
est  que  sous  des  espèces  mortes  et  dans  l'état 
d'humiliation  le  plus  inouï,  et  cela  pour  donner  un 
plus  vif  sentiment  de  la  grandeur  divine,  pour 
laquelle  il  se  réduit  à  une  forme  si  abjecte  aux  yeux 
des  sens  et  à  une  manière  d'être  si  différente  de 
celle  qu'il  a  dans  le  ciel  où  il  règne.  Les  Pères  con- 

I.  D.  Dionys.  De  ecclesi.  hierar.  c.  3  ;  Cyprian.  epist. 
63,  ait:  «  Et  sacriflcium  Patri primus  ohtulit  et  hoc fieri 
in  sut  commemorationem  prcBcepit.  » 


DES    SACREMENTS  847 

firment  cette  vérité,  entre  autres  saint  Irénée  (i)qui 
s'exprime  ainsi  :  Jésus-Christ,  en  disant  :  «  Ceci 
est  mon  corps^  etc.  »,  nous  a  fait  connaître  quelle 
serait  Toblation  du  Nouveau  Testament,  et  cette 
oblation  que  TEglise  a  reçue  des  apôtres,  elle  la 
présente  à  tout  le  monde.  Saint  Irénée  interprète 
ensuite  dans  ce  même  sens  ce  que  dit  le  prophète 
Malachie  :  «  Depuis  V  Orient  jusqu'à  F  Occident, 
«  on  m'offre  une  oblation  ptire,  on  sacrifie  en 
«  mon  honneur  en  tout  lieu,  car  mon  nom  est 
«  grand  parmi  les  Gentils.  »  (Malach.  i). 

Déplorez  l'aveuglement  des  hérétiques  de  ce 
temps,  qui  veulent  abolir  le  sacrifice  de  l'Eglise, 
et  empêcher  ainsi  qu'on  honore  Dieu.  Ne  sont-ils 
pas  pires  que  les  nations  du  monde  les  plus  barba- 
res, qui  éclairées  de  la  seule  lumière  de  la  nature, 
ont  toujours  estimé  qu'il  fallait  honorer  la  divinité 
par  des  sacrifices  extérieurs.  Ils  sont  pires  que 
Caïn,  qui  n'eut  pas  l'àme  assez  dépravée  pour  se 
refuser  absolument  à  rendre  à  Dieu  ce  devoir  : 
«  Nous  avons  un  autel,  dit  saint  Paul,  dont  ceux 
«  qui  servent  au  tabernacle  n'ont  pas  le  droit  de 
«  manger.  »  (Héb.  i3).  Cet  autel  ne  s'entend  pas 
de  la  croix,  dont  le  fruit  est  commun  aux  Juifs  et 
aux  Gentils,  mais  il  s'entend  de  l'autel  des  églises 
de  Jésus-Christ,  où  est  offert  à  Dieu  le  sacrifice 
de  son  corps  et  de  son  sang  précieux.  Rendez 
grâces  à  Dieu  d'être  dans  une  religion  où  il  y  a  un 
autel,  comme  il  y  en  avait  au  temps  de  saint  Paul, 
et  un  sacrifice,  pour  y  honorer  la  grandeur  de 
Dieu.  Concevez  de  grandes  espérances  de  cet  au- 

I.  L.  4,  c.  32. 


348  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

tel  et  de    ce  sacrifice  si  noble  et  si  excellent  que 
Jésus-Christ  en  est  lui-même  la  victime. 

II 

Considérez  combien  nous  était  nécessaire  un  tel 
sacrifice  dont  Jésus-Christ  fut  lui-même  la  victime 
et  la  chose  offerte  en  sacrifice.  Quatre  choses  in- 
finies exigeaient  un  sacrifice  qui  fut  d'une  valeur  et 
d'une  excellence  infinie,  à  savoir:  Dieu  qui  est  infini 
en  perfection,  le  péché  qui  est  infini  en  malice, 
la  peine  due  au  péché  qui  est  encore  infinie  en 
durée,  parce  qu'elle  est  éternelle  et  qu'elle  ne  doit 
jamais  finir,  et  enfin  les  biens  de  Dieu  qui  sont 
encore  infinis  ;  ces  biens  sont  infinis,  en  effet,  en 
tant  qu'ils  aboutissent  tous  à  une  gloire  infinie  en 
durée  d'abord  et  puis  à  une  gloire  éternelle  et  infi- 
nie au  point  de  vue  de  son  objet  qui  est  Dieu 
même,  Dieu  qui  offre  dans  cette  gloire  la  posses- 
sion et  la  jouissance  de  lui-même  (1).  Ces  quatre 
choses  demandaient  un  sacrifice  ayant  une  victime 
d'une  valeur  infinie,  tel  que  celui  de  la  messe, 
dans  lequel  Jésus-Christ  infiniment  noble  et  ex- 
cellent, tient  lieu  de  victime.  En  effet  la  grandeur 
infinie  de  Dieu  mérite  d'être  honorée  infiniment, 
et  elle  requiert  pour  cela  qu'un  sacrifice  d'une  va- 
leur infinie  lui  soit  offert.  Le  péché,  offense  faite  à 
Dieu,  a  une  malice  infinie,  et,  à  ce  titre,  il  demande 
un  sacrifice  d'une  bonté  infinie,  afin  que  la  malice 
soit  compensée  exactement  par  la  bonté.  Il  en  est 
de   même  de  la  peine  due  pour  le   péché  ;  cette 

I.  Dupont,  au  traité  du  sacrifice  de  la  messe^  c.  i, 
parag.  s. 


DES    SACREMENTS  849 

peine  étant  d'une  durée  infinie,  requiert  une  infi- 
nité dans  le  sacrifice  propitiatoire,  qui  doit  la  con- 
trebalancer. Enfin  les  bienfaits  de  Dieu  sont  infinis; 
donc  le  remercîment  pour  ces  bienfaits  doit  être 
infini,  et  par  suite  le  sacrifice  que  l'on  offre  à  Dieu 
en  action  de  grâces.  Or  comme  toutes  les  créatu- 
res sont  bornées  dans  leurs  perfections  et  que 
Jésus-Christ  est  infini,  parce  que  sa  nature  humaine 
est  unie  à  la  personne  du  Verbe,  nous  avions 
besoin  d'un  tel  sacrifice,  dont  lui-même  fut  la  vic- 
time. 

De  plus  on  peut  considérer  que  Jésus-Christ 
est  chargé  de  trois  offices  spirituels  qui  ont  pour 
but  de  procurer  notre  salut  ;  à  savoir  de  l'office 
de  prêtre,  de  celui  d'avocat  et  de  celui  de  médecin. 
Or  pour  pouvoir  exercer  ces  divers  offices,  il  doit 
être  présent  dans  le  sacrifice  de  la  loi  chrétienne  (i). 
Car  comme  prêtre,  il  doit  consacrer,  appliquer  à 
Dieu  et  sanctifier  les  âmes  en  personne  et  par 
son  propre  ministère.  C'est  pourquoi  comme  le 
sacrifice  de  la  messe  a  pour  but  la  sanctification 
des  âmes,  il  lui  appartient  d'y  être  présent  pour 
y  exercer  fidèlement  et  par  lui-même  son  office 
sacerdotal.  Dans  le  sacrifice  il  faut  encore  traiter 
la  cause  et  les  affaires  du  peuple  que  l'on  doit 
mettre  dans  l'amitié  de  Dieu  et  pour  qui  on  doit 
obtenir  les  biens  qui  lui  sont  nécessaires.  Or  le 
bon  avocat  doit  être  présent  en  personne,  pour 
plaider  utilement  la  cause  de  son  client  et  pour 
intercéder  pour  lui.  Ainsi  il  était  convenable  que 
Jésus-Christ,   le   très   fidèle  avocat   des   hommes, 

I.  Guillel.  Paris.  De  sacra.  Euçh,  c.  2. 


35o  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

auprès  du  Père  éternel,  intervint  ici  et  fut  pré- 
sent au  sacrifice.  Egalement  le  bon  médecin  doit 
visiter  en  personne  son  malade,  quand  Tintirmité 
le  presse  et  qu'il  est  besoin  de  lui  donner  des  mé- 
dicaments ;  or  le  sacrifice  est  un  médicament  pré- 
cieux pour  traiter  les  maladies  spirituelles  des 
âmes,  soit  pour  les  guérir,  soit  pour  les  prévenir. 
Jésus-Christ  donc,  médecin  très  charitable  et  très 
passionné  pour  leur  santé  et  leur  bon  état  intérieur, 
les  visite  par  lui-même  dans  le  sacrifice. 

De  plus,  S'il  n'}'-  était  présent,  les  mains  des 
prêtres  seraient  vides  ;  car  quand  bien  même  les 
hommes  offriraient  à  Dieu  toutes  les  richesses  et 
tous  les  trésors  de  la  terre,  ils  n'offriraient  rien  en 
réalité,  parce  que  toutes  ces  choses  sont  comme  un 
néant  devant  lui  et  qu'il  n'estime  que  son  Fils 
unique,  Jésus-Christ,  l'héritier  de  ses  grandeurs, 
pour  qui  toutes  choses  ont  été  créées.  De  là  vient 
qu'il  est  toute  l'opulence  et  tout  l'ornement  des 
temples  et  des  églises,  qui  seraient  pauvres  sans 
sa  présence. 

Admirez  et  louez  hautement  les  desseins  de 
Dieu  et  sa  suprême  providence,  dans  ce  grand  et 
inestimable  sacrifice.  Réjouissez-vous  que,  par  la 
dignité  infinie  de  ce  sacrifice,  Dieu  soit  honoré  en 
proportion  de  sa  grandeur,  remercié  en  propor- 
tion de  ses  bienfaits,  et  qu'il  reçoive  une  satisfac- 
tion proportionnée  à  Tinjure  que  lui  a  faite  le 
péché.  Félicitez  Jésus-Christ  par  qui  ces  choses  si 
grandes  et  si  merveilleuses  sont  accomplies.  Re- 
connaissez la  bonté  et  la  fidélité  de  son  amour  à 
votre  égard  :  il  se  rend  présent  en  personne  pour 
vous  consacrer  et  vous  sanctifier  comme  prêtre, 


DES    SACREMENTS  •        .'•DI 

pour  traiter  vos  affaires  et  défendre  votre  cause 
comme  avocat,  pour  vous  panser  soigneuse- 
ment comme  un  médecin,  et  pour  vous  enrichir  de 
biens,  comme  étant  le  trésor  de  tous  les  biens.  O 
ma  gloire  souveraine,  ô  admirable  Sauveur  !  Que 
faites-vous  pour  une  chétive  créature  ?  et  que 
pourrai-je  vous  rendre  en  échange  de  ces  biens? 
Certes  je  vous  offre  ce  que  j'ai  de  plus  précieux  en 
moi,  je  vous  sacrilie  mon  cœur  et  toutes  mes  affec- 
tions. Pour  ce  motif  j'ai  résolu  de  travailler  plus 
fidèlement  à  me  dompter  moi-même  et  à  mettre 
un  frein  à  mes  passions  trop  licencieuses. 

III 

Considérez  Teiïicacité  du  sacrifice  eucharistique 
pour  obtenir  plusieurs  biens  spirituels  et  tem- 
porels. En  effet  par  ce  sacrificice  on  obtient  un 
certain  nombre  de  lumières  et  de  pieux  mouve- 
ments, un  certain  nombre  d'illuminations  et  d'ins- 
pirations, tant  pour  faire  croître  ceux-là  en  grâce 
et  en  vertu  que  pour  faire  sortir  ceux-ci  du  miséra- 
ble état  de  leurs  péchés,  si  les  uns  et  les  autres 
n'}'  mettent  aucun  obstacle,  mais  y  contribuent 
pour  leur  part  et  correspondent  à  ces  faveurs  en 
se  portant  à  la  réception  des  sacrements  et  aux 
bonnes  actions  auxquelles  ces  sacrements  leur  ins- 
pirent par  leur  vertu  de  se  porter.  On  obtient 
également  plusieurs  biens  temporels,  selon  qu'il 
plaît  à  la  divine  Providence  de  les  donner,  en  re- 
tour de  l'oblation  qui  lui  est  faite  de  ce  très  saint 
sacrifice.  Le  Concile   de  Trente  (ij   donne   ces  vé- 

1.    SeSS.    22,    c.   2, 


352  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

rites  à  entendre,  quand  il  enseigne  que  Dieu 
étant  apaisé  par  ce  sacrifice,  accorde  le  don  de 
pénitence,  et  que  ce  sacrifice  s'offre  pour  les  peines 
et  pour  les  péchés  et  aussi  pour  d'autres  nécessi- 
tés. En  réalité  un  puissant  moyen  d'obtenir  quel- 
que bien  d'une  personne,  c'est  de  lui  offrir  quel- 
que chose  de  précieux  et  qui  lui  soit  agréable.  Or 
dans  ce  sacrifice  on  offre  à  Dieu  quelque  chose 
qui  lui  est  plus  cher  et  plus  précieux  que  tout  l'or 
et  que  toutes  les  richesses  du  monde,  celui  de 
qui  lui-même  a  dit  :  «  C'est  mon  Fils  bien-aimé^ 
«  en  qui  fat  mis  toutes  mes  complaisances,  yy 
(Matt.  17).  Et  par  conséquent  il  accordera  volon- 
tiers les  justes  demandes  qui  lui  seront  faites,  en 
considération  de  cette  riche  oblaîion.  C'est  en  effet 
une  chose  naturelle  d'exaucer  les  prières  pour 
l'amour  d'un  fils  ;  les  curieux  en  histoire  ont  re- 
marqué que  les  peuples  Molossiens  n'étaient 
jamais  éconduits  par  leur  roi,  quand  ils  se  met- 
taient à  genoux  devant  lui,  tenant  entre  leurs 
bras  un  de  ses  enfants.  Si  Dieu  a  donné  cette 
inclination  aux  hommes,  il  la  garde  aussi  en  lui- 
même;  et  pour  l'amour  de  son  Fils  qui  lui  est 
offert,  il  se  rend  libéral  et  magnifique,  autant 
qu'il  est  convenable  de  l'être,  eu  égard  aux  besoins 
et  aux  capacités  des  personnes,  pour  qui  le  sacri- 
fice lui  est  offert.  Dans  l'ancienne  Loi  les  sacrifices 
étaient  impétratoires  des  grâces  et  des  faveurs 
divines,  comme  il  appert  par  celui  qui  fut  offert  à 
Dieu  au  temps  du  roi  David,  pour  détourner  le 
fléau  de  la  peste  et  par  celui  du  pontife  Onias  pour 
la  vie  du  misérable  Héliodore.  (II.  Rois,  24  — 
II.  Mach.  3).   Or  le  sacrifice  de  l'Eucharistie  qui 


DES    SACREMENTS  353 

surpasse  en  vertu  et  en  excellence   tous  les  autres 
n'a  pas  moins  d'etHcacité.  De  là  vient  que,  d'après 
les  messes  et  les  liturgies,  le  prêtre   olîre  son  sa- 
crifice pour  le  salut  des  âmes  et  même  pour  des 
biens  passagers,  comme  aussi  pour  la  délivrance 
de  plusieurs  misères  temporelles.  Il  l'offre  pour  la 
paix  de  toutes  les  églises,   pour  la   tranquillité  du 
monde,  pour  les   rois,   pour  les   soldats,  pour   les 
associés,  pour  les  malades,   pour  les  affligés  et  en 
somme  pour  tous  ceux  qui  ont  besoin   d'être  se- 
courus. Saint  Augustin  (i)  rapporte  qu'une  maison 
fut  délivrée  des  esprits  dont  elle  était  infectée,  dès 
que  le  prêtre  y  eût  offert  le  saint  sacrifice  de   la 
messe.    Le    vénérable    Bède    (2)    raconte    que    le 
sacrifice  ayant  été  offert  pour  un  homme  réduit 
en  captivité    dans    un    pays    étranger,    à    l'heure 
même   ses  liens   se   rompirent.   L'expérience  met 
sous  nos  yeux  mille  autres  effets  de  ce  sacrifice, 
qui  sont  une  preuve  indubitable  de  sa  puissante 
vertu,  et  dès  lors  si   quelqu'un  n'en   retire  pas  ce 
qu'il  en  attendait,  ce  défaut  ne  vient  pas  de  l'im- 
puissance de  ce  sacrifice.   Il  ne  faut  pas  douter  en 
effet   que    Notre-Seigneur   Jésus-Christ,    en  tant 
qu'homme  et  en  tant  que  prêtre  et  hostie  tout  en- 
semble,    n'obtienne    tout     ce     qu'il    voudra    de 
son    Père   très    aimant     et   très     miséricordieux, 
comme  il  le  témoigne  lui-même  :  «  Mon  Père,  je 
«  savais    que    vous     m  exauce^     toujours    »    et 
ailleurs  :   a.  Il  a  été  exaucé  à  cause  de  son  res- 
«  pect.  y>  (Jean,  1 1  —  Héb.  5)  (3).  Mais  il  veut  être 

1.  L.  21,  De  Civit.  Dei,  c.  8. 

2.  L.  4,  Hist.  angl.  c.  22. 

3.  GuilleL  Paris.  De  sacr.  Eiich.  c.  5. 

Bail,  t.  ix.  25 


354  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

Utile  à  ceux  qui  offrent  le  sacrifice  ou  à  ceux  pour 
qui  on  Toffre,  autant  qu'il  leur  est  expédient  et 
autant  qu'il  les  voit  dignes  et  capables.  C'est 
ainsi  que  le  soleil  n'illumine  pas  également  tous 
les  corps  selon  toute  l'étendue  de  sa  splendeur  et 
que  le  feu  ne  les  échauffe  pas  selon  toute  la  force 
de  sa  chaleur,  mais  autant  qu'ils  sont  préparés  à 
recevoir  soit  la  lumière,  soit  la  chaleur.  Pareille- 
ment Jésus-Christ  n'opère  pas  dans  le  sacrement 
de  l'autel  selon  toute  la  puissance  de  son  crédit 
envers  Dieu  et  selon  toute  l'excellence  de  ses  mé- 
rites, mais  souvent  selon  ce  que  méritent  les 
prêtres  qui  sacrifient  ou  ceux  pour  qui  ils  sacri- 
fient, ou  selon  ce  qu'il  juge  leur  convenir  ;  car 
pesant  tout  avec  une  sagesse  à  laquelle  rien  n'est 
caché,  il  obtient  pour  ceux-ci  et  pour  ceux-là  ce 
qu'il  estime  être  plus  à  propos. 

Puisez  dans  cette  considération  une  grande 
confiance  dans  le  sacrifice  de  la  messe,  et  ayez-y 
recours  dans  vos  besoins  temporels  et  spirituels, 
pour  lesquels  Jésus-Christ  daigne  s'emplo3Tr  lui- 
même  dans  ce  sacrifice.  Si  nos  désirs  ne  se  trou- 
vent pas  toujours  accomplis,  n'attribuons  jamais 
ce  défaut  au  sacrifice,  comme  s'il  manquait  d'effi- 
cacité et  de  vertu,  mais  dans  un  esprit  d'humilité 
et  de  résignation  à  la  sagesse  et  au  jugement  di- 
vins, attribuons-le  à  notre  incapacité  et  à  notre 
indignité.  Nous  ne  méritions  pas  que  Jésus-Christ 
s'employât  pour  nous  de  tout  son  pouvoir  et  il  n'a 
pas  trouvé  convenable,  dans  sa  profonde  sagesse, 
de  demander  pour  nous  ce  que  nous  souhaitions. 
Ainsi  si  nous  sommes  exaucés  dans  ce  sacrifice, 
nous  en  serons  reconnaissants,  et  si  nous  ne  le 


DES    SACREMENTS  355 

sommes  pas,  nous  nous  humilierons  et  nous  ado- 
rerons les  jugements  secrets  de  sa  Providence,  qui 
ne  prenant  pas  sa  loi  des  créatures,  ordonne  tout 
équitablement  selon  la  grandeur  d'un  esprit 
intini. 


XVIir   MÉDITATION 

JÉSUS-CHRIST  POURSUIT 

DANS   CE  SACRIFICE 

LES  TROIS  DESSEINS  QU'IL  AVAIT 

EN  MOURANT  SUR  LA  CROIX 


SOMMAIRE  : 

Jésus-Christ  poursuit  dans  ce  sacrifice  son 
triple  dessein  :  i)  d'honorer  Dieu  —  2)  de  le 
remercier  —  3)  d! apaiser  sa  colère. 

I 

CONSIDÉREZ  que  Jésus-Christ  s'offrant  sur 
l'arbre  de  la  croix  avait  le  dessein  d'ho- 
norer Dieu,  autant  qu'il  se  peut  imaginer,  et  qu'il 
poursuit  encore  le  même  dessein  dans  la  sainte 
Eucharistie  en  s'y  offrant  en  sacrifice  par  les 
mains  du  prêtre.  Pour  comprendre  cette  vérité, 
il  faut  se  représenter  que  son  àme  sacrée  se  voyant 
comme  infiniment  chérie,  favorisée  et  exaltée  par 


356  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Dieu  à  cause  de  son  union  avec  la  personne  du 
Verbe,  aima  Dieu  d'un  amour  excessif,  d'un 
amour  supérieur  à  celui  des  Séraphins  et  des 
Anges  les  plus  enflammés.  Poussée  par  cet  amour 
ardent  et  indicible,  elle  désira  passionnément  avoir 
une  belle  occasion  de  lui  rendre  quelque  service 
signalé,  et  de  lui  procurer  la  gloire  la  plus  haute 
du  monde,  en  l'honorant  extrêmement.  Or  elle 
vit  que  le  service  qui  lui  serait  le  plus  agréable, 
était  de  réparer  son  honneur  outragé  par  le  péché 
des  hommes,  en  lui  offrant  à  cet  effet  un  sacrifice 
latreutique  et  en  l'honorant  par  la  destruction 
d'une  victime  qui  eût  une  dignité  infinie,  et  par 
laquelle  il  serait  honoré  comme  à  l'infini.  Dieu  en 
effet  est  d'autant  plus  honoré,  que  la  victime 
offerte  et  consacrée  à  sa  gloire  est  plus  digne  et 
plus  précieuse,  et  comme  il  n'y  avait  dans  le 
monde  entier  rien  de  plus  digne  et  de  plus  pré- 
cieux que  l'humanité  déifiée,  elle  voulut  par  un 
excès  d'amour,  être  elle-même  la  victime  de  ce 
sacrifice,  s'offrir  sur  l'autel  de  la  croix  et  y  perdre 
la  vie  en  versant  son  sang  précieux,  afin  de  faire  à 
Dieu  l'honneur  le  plus  grand  du  monde.  Et  en 
effet  jamais  Dieu  ne  fut  honoré  autant  que  par 
Jésus-Christ  se  sacrifiant  sur  la  croix,  puisque 
l'honneur  qu'il  en  reçoit  absorbe  et  surpasse  des 
millions  d'injures  que  tous  les  péchés  commis  ou 
à  commettre  peuvent  lui  causer. 

Mais  le  feu  de  l'amour  ne  s'arrêta  pas  là.  L'hu- 
manité adorable  de  Jésus-Christ  voulut  honorer 
Dieu  par  un  sacrifice  latreutique,  qui  durât  plus 
de  trois  heures,  qui  s'accomplît  dans  d'autres  na- 
tions que  le  peuple  juif  et  dans  d'autres  lieux  que 


DES    SACREMENTS  SSy 

la  montagne  du  Calvaire.  C'est  pourquoi  par  un 
généreux  dessein  elle  institua  le  sacrifice  latreu- 
tique  de  la  sainte  messe,  où  cette  même  humanité 
tiendrait  lieu  de  victime  sans  effusion  de  sang,  — 
Dieu  ne  désirant  plus, à  cause  de  l'indicible  amour 
qu'il  avait  pour  elle,  que  son  sang  coulât.  —  Ainsi 
Dieu  serait  honoré  par  un  sacrifice  qui  durerait 
jusqu'à  la  fin  du  monde,  qui  se  renouvellerait 
mille  et  mille  fois  par  jour,  non  sur  une  montagne, 
mais  dans  tous  les  endroits  du  monde,  dans  tous 
les  royaumes  de  la  terre  où  il  y  a  quelque  prêtre 
qui  offre  ce  sacrifice  pour  l'honneur  de  Dieu  et  en 
reconnaissance  de  sa  Majesté  infinie.  Dieu  souve- 
rain connaissant  cet  admirable  dessein  de  son 
Verbe  incarné  et  de  l'âme  très  sainte  qui  est  unie 
à  son  Fils  par  une  union  personnelle,  appréciant 
aussi  l'honneur  qu'il  recevrait  de  ce  sacrifice  et 
comme  en  respirant  de  loin  la  très  suave  odeur 
qu'il  exhalait  vers  le  ciel,  ne  prend  plus  plaisir 
aux  sacrifices  et  aux  holocaustes  de  la  loi  de  Moïse, 
il  lui  tarde  qu'ils  soient  abolis  et  que  le  temple  de 
Jérusalem  soit  renversé  :  «  Vous  n'agrée^  pas^ 
«  lui  dit  David,  les  holocaustes.  »  (Ps.  Sg).  Il 
s'exprime  plus  clairement  par  le  prophète  Mala- 
chie,  il  demande  que  l'on  ferme  la  porte  du  tem- 
ple, que  l'on  n'entretienne  plus  le  feu  de  son  autel 
pour  consumer  les  victimes,  il  fait  sentir  qu'il  en 
a  assez  et  qu'il  ne  les  a  plus  pour  agréables  à 
cause  de  l'excellence  du  sacrifice  de  la  nouvelle 
Loi.  «  Depuis  V Orient  jusqu'à  V Occident  mon 
«  nom  est  grand  parmi  les  nations  ;  en  tout  lieu 
«  on  sacrifie  et  on  offre  à  m,on  nom  une  oblation 
«  pure,    car  mon  nom    est  grand    parmi   les 


'    1! 


358  LA  THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

«  Gentils^  dit  le  Seigneur  des  armées.  »  (Mal.  i). 
Arrêtez-vous  et  pesez  bien  ce  grand  dessein  de 
Jésus-Christ,  ainsi  que  Tamour  indicible  qu'il  a 
eu  en  s'offrant  sur  la  croix  et  en  s'offrant  sur  les 
autels.  Qui  pourrait  estimer  dignement  le  courage 
et  la  magnanimité  de  cette  âme  adorable  et  in- 
comparablement plus  aimable  que  toute  chose 
créée  ?  O  âme  sacrée,  qui  aimez  et  honorez  si 
grandement  la  divinité  !  O  divinité  sublime  si 
aimée  et  si  honorée  par  cette  âme  bénie  !  O  Dieu 
infini,  quelle  immense  joie  c'est  pour  moi  que 
vous  ayez  créé  cette  âme  si  noble,  et  qui  vous  a 
procuré  tant  d'honneur  et  de  gloire  !  Oh  !  vive 
cette  âme  glorieuse  !  Oh  !  vive  son  dessein  si  gé- 
néreux !  Oh  !  qu'il  dure  toujours  son  sacrifice  ! 
O  Dieu  infini,  que  jamais  la  rage  des  infidèles  ne 
puisse  l'abolir!  Oh  !  que  cet  holocauste  brûlé  par 
les  flammes  de  l'amour  vous  soit  toujours  agréable, 
qu'il  soit  toujours  adorable  et  vénérable,  aux  yeux 
des  Anges  et  des  hommes  !  Oh  !  malheur  aux  hé- 
rétiques qui  conduits  par  Satan,  l'ennemi  de  la 
gloire  de  Dieu,  s'efforcent  de  détruire  une  prati- 
que de  seize  siècles  !  O  Jésus,  amateur  de  la  divi- 
nité, je  désire  à  votre  exemple,  me  sacrifier,  au- 
tant que  je  le  pourrai,  au  service  et  à  la  gloire  de 
Dieu  ;  et  que  je  voudrais  pouvoir  le  faire  en  tout 
temps  et  en  tout  lieu  !  Oh  !  exaucez  mon  désir 
pour  l'extension  de  votre  amour  et  de  vos  desseins 
glorieux,  faites  que  j'en  vienne  à  l'accomplisse- 
ment. 


DES    SACREMENTS  SSg 


II 

Considérez  que  Jésus-Christ  sur  la  croix  avait 
encore  le  dessein  "de  remercier  la  divinité  des 
grâces  et  des  perfections  très  éminentes  qu'il  avait 
reçues  dans  son  humanité,  et  qu'il  poursuit  le 
même  dessein  dans  le  sacrifice  de  la  messe,  où  il  se 
sacrifie  lui-même  pour  la  remercier  continuelle- 
ment et  en  tous  les  endroits  du  monde,  afin  de  lui 
témoigner  partout  et  en  tout  temps,  la  grande 
reconnaissance  qu'a  son  âme  pour  avoir  été  favo- 
risée et  chérie  infiniment  au-dessus  de  tout  ce  qui 
est  créé.  L'humanité  qui  était  parfaite  en  vertu, 
ne  pouvait  être  ingrate  et  méconnaître  que  Dieu 
s'était  donné  à  elle  par  une  union  personnelle,  de 
la  façon  la  plus  intime  et  la  plus  sublime  dont  il 
peut  se  communiquer  à  une  créature.  Elle  désira 
à  son  tour  se  donner  et  se  consacrer  à  lui  de 
la  façon  la  plus  parfaite  dont  une  créature  peut  se 
donner,  c'est-à-dire  par  le  sacrifice  ;  par  le  sacri- 
fice en  effet  elle  se  détruit  elle-même  et  se  réduit 
au  néant,  autant  que  possible,  pour  faire  paraître 
la  grandeur  infinie  de  Dieu  par  le  contraste  de  son 
abaissement.  Cette  humanité  sacrée  ne  connut  pas 
de  moyen  plus  parfait  de  remercier  la  divinité  ; 
c'est  pourquoi  elle  se  porta  au  sacrifice  sanglant 
de  la  croix  sur  laquelle  elle  a  voulu  mourir,  et 
rendre  sa  vie  à  celui  qui  en  était  l'auteur.  Le  pro- 
phète royal  nous  représente  Jésus-Christ  souhai- 
tant la  mort  par  un  motif  de  gratitude  et  de 
reconnaissance,  quand  il  lui  fait  dire  ces  paroles  : 
«  Que  rendrai-Je  au  Seigneur  pour  tous  les 
«  biens  qu'il  m'a  donnés?  Je  prendrai  le  calice 


36o  LA  THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

«  du  salut.  »  (Ps.  II 5).  Je  mqurrai  pour  sa  gloire, 
puisqu'il  m'a  obligé  de  telle  sorte,  et  je  lui  donne- 
rai ma  vie  en  actions  de  grâces.  «  Mon  hien-aimé 
«  est  à  moi  et  je  suis  à  lui.  »  (Gant.  2).  Il  s'est 
donné  à  moi  et  je  me  donne  à  lui. 

Mais  Jésus-Christ  ne  s'est  pas  contenté  de  ce 
remercîment,  il  a  voulu  qu'il  fut  perpétuel  et 
connu  du  monde  entier;  c'est  pourquoi  il  l'a  per- 
pétué dans  le  saint  sacrifice  de  l'autel,  institué 
dans  le  même  but.  ^G'est  aussi  pour  ce  motif  que 
ce  sacrifice  est  appelé  Eucharistie,  c'est-à-dire 
bonne  grâce  ou  bon  remercîment,  car  Jésus-Christ 
y  remercie  son  Père  des  biens  qu'il  a  accordés  à 
son  humanité  et  à  tous  ses  membres  qui  sont  dans 
l'Eglise.  De  là  vient  que  les  Evangiles  font  men- 
tion expresse  que,  lorsqu'il  institua  ce  mystère,  il 
remerciait  Dieu  et  lui  rendait  grâces  :  «  //  rendit 
(K  grâces^  le  rompit  et  le  donna  en  disant.,  etc.  » 
De  plus,  tandis  que  la  version  commune  du 
psaume  que  nous  venons  de  citer  porte  :  «  Que 
«  rendrai-je  au  Seigneur  pour  tous  les  biens 
«  qu'il  m'a  donnés"^  Je  prendrai  le  calice  du  sa- 
«  lut  »  ;  au  lieu  de  ce  mot:  a  je  prendrai  »,  le 
texte  hébreu  porte,  comme  Ta  remarqué  un  savant 
interprète  (i)  :  «  f  élèverai  le  calice  »,  pour  nous 
donner  manifestement  à  connaître  la  cérémonie  qui 
se  pratique  à  la  messe  où  on  élève  le  calice,  et  que 
cette  cérémonie  se  fait  comme  remercîment  et 
comme  témoignage  de  reconnaissance.  Aussi  saint 
Augustin  (2)  dit:  comment  pourrions-nous  rendre 

I.  Jansenius  Gandavensis,  in  hune  locum. 
3.  L.  I,  c.  18,  Contra  advers.  leg.  et prophet. 


DHS    SACREMENTS  obl 

à  Dieu  de  plus  grandes  actions  de  grâces  que  par 
Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  dans  le  saint  sacri- 
fice de  la  messe  ?  C'est  ce  que  savent  bien  les 
fidèles.  En  effet,  par  ce  sacrifice,  nous  sommes  as- 
sez riches  pour  remercier  Dieu  du  plus  grand  de 
ses  bienfaits,  je  veux  dire  du  don  de  son  Fils  uni- 
que, qu'il  a  livré  pour  nous  à  la  mort  et  qu'il  nous 
donne  dans  le  Saint-Sacrement.  Par  ce  sacri- 
fice nous  lui  rendons  ce  même  Fils,  et  ainsi  nous 
le  remercions  par  une  reconnaissance  juste  et 
égale  au  bienfait.  Or  si  ce  sacrifice  est  suffisant 
pour  remercier  Dieu  de  ce  don  inestimable,  il  le 
sera  bien  plus  pour  le  remercier  de  ses  autres  fa- 
veurs et  entre  autres  de  celle  qu'il  nous  fait,  quand 
il  nous  rend  vainqueurs  de  toutes  nos  passions  et 
de  tous  les  ennemis  de  notre  salut.  C'est  pourquoi 
il  fut  figuré  par  le  sacrifice  de  Melchisedech,  qui 
en  actions  de  grâces  de  la  victoire  qu'Abraham 
venait  de  remporter  sur  quatre  rois,  offrit  en  sa- 
crifice du  pain  et  du  vin  ;  «  car,  dit  le  texte  sacré, 
«  ïl  était  prêtre  du  Très-Haut.  »  (Gen.  14),  et  à 
ce  titre  il  lui  appartenait  de  sacrifier.  Ainsi  Jésus- 
Christ,  <<  prêtre  éternellement  selon  l'ordre  de  Mel- 
,  chisédech  y)  (Ps.  109),  offre  ici  admirablement  le 
sacrifice  de  son  corps  et  de  son  sang  sous  les  es- 
pèces du  pain  et  du  vin,  en  action  de  grâces  pour 
les  victoires  que  remportent  les  fidèles  contre 
leurs  ennemis  et  pour  toutes  les  autres  grâces  qui 
leur  sont  départies. 

Constatons,  d'après  cette  considération,  combien 
c'est  chose  importante  d'être  reconnaissant  envers 
Dieu,  puisque  Jésus-Christ  fait  des  œuvres  si 
étonnantes  dans  ce  but.  Que  pouvons-nous  avoir 


302  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

de  meilleurdans  notreesprit,  dit  saint  Augustin  (i), 
que  pouvons-nous  exprimer  de  meilleur  par  notre 
bouche  ou  écrire  avec  notre  plume  que  ces  mots  : 
grâces  à  Dieu?  On  ne  peut  rien  dire  de  plus  court, 
rien  entendre  de  plus  joyeux,  rien  comprendre  de 
plus  grand,  on  ne  peut  rien  faire  plus  fructueuse- 
ment. Détestons  donc  toute  ingratitude  et  confor- 
mons nos  pensées  aux  pensées  sacrées  de  Jésus,  qui 
nous  procurant  tous  nos  biens  par  un  trait  d'amour 
signalé,  offre  lui-même  pour  nous  les  remercîments 
de  son  sacrifice.  Remercions  Dieu  tous  les  jours, 
par  des  cantiques  de  louange  et  par  des  hymnes 
de  bénédiction,  et  donnons-nous  tout  à  lui.  Et 
puisque,  quand  bien  même  nous  lui  donnerions 
mille  et  mille  fois  notre  âme  et  tout  ce  que  nous 
avons,  ce  ne  serait  à  peu  près  qu'un  néant  en  face 
de  sa  majesté,  offrons-lui  de  tout  cœur,  soit  en  di- 
sant la  messe,  soit  en  y  assistant,  en  supplément 
de  reconnaissance  et  de  satisfaction,  cet  admira- 
ble sacrifice. 

III 

Considérez  le  troisième  dessein  de  Jésus-Christ 
sur  la  croix  ;  ce  fut  d'apaiser  Dieu  pour  les  péchés 
du  monde.  Il  poursuit  ce  même  dessein  dans  le 
sacrifice  de  la  messe,  qui  est  propitiatoire  pour  la 
peine  due  aux  péchés  des  hommes.  Le  disciple 
bien-aimé  affirme  la  première  partie  de  notre 
considération,  quand  il  dit  au  Fils  de  Dieu  :  «  // 
«  est  la  victime  de  propitiation  pour  nos  péchés^ 
«  et  non  seulement  pour  les  nôtres^  mais  aussi 

I.  E]pist.  "jT,  Deo  grattas. 


DES    SACREMENTS  363 

«  pour  ceux  du  monde  entier.  »  (Jean,  2).  En  se 
sacrifiant  sur  Tautel  de  la  croix  il  demanda  pardon 
à  Dieu  au  nom  de  tous  les  hommes  par  autant  de 
bouches  et  de  voix  qu'il  avait  de  plaies  sur  tout 
son  corps  et  qu'il  versa  de  gouttes  de  sang,  il  le 
supplia  avec  de  grands  soupirs,  avec  des  sanglots 
et  des  larmes  dans  les  yeux,  d'avoir  pitié  d'eux. 
Tel  fut  l'effet  de  son  sacrifice  que  Dieu  voulut  à 
l'avenir  et  pour  ce  motif,  offrir  des  moj'ens  de 
salut  à  tous  les  hommes,  afin  de  les  réconcilier 
avec  lui  effectivement,  s'ils  se  les  appliquaient  et 
en  faisaient  bon  usage.  Ces  moj'ens  sont  en  pre- 
mier lieu  les  grâces  sanctifiantes,  la  foi,  les  sacre- 
ments, les  œuvres  saintes  et  le  sacrifice  de  la 
messe. 

Mais  comme  «  sa  Rédemption  est  abondante  » 
et  surabondante,  selon  ce  que  dit  le  prophète 
(Ps.  129),  et  comme  il  a  voulu  satisfaire  à  la 
justice  divine  avec  excès  ;  ce  qu'il  fit  sur  la  croix, 
il  continue  de  le  faire  sur  les  autels,  où  il  se  sacrifie 
pour  rendre  Dieu  propice  aux  hommes  coupables. 
C'est  pourquoi  à  la  messe,  disait  l'apôtre  saint 
Jacques  (i),  on  supplie  Dieu  d'accepter  l'oblation 
comme  propitiation  pour  les  péchés  et  les  igno. 
rances  du  peuple.  Dans  la  messe  de  saint  Basile 
on  lit  ces  mots  :  rendez-nous  dignes  de  vous  offrir 
ce  sacrifice  vénérable  et  non  sanglant  pour  nos 
péchés  et  pour  les  ignorances  du  peuple.  Dans 
celle  de  saint  Jean  Chrysostome  nous  lisons  : 
rendez-nous  aptes  à  vous  offrir  des  sacrifices  pour 
nos  péchés  et  pour  les  ignorances  du   peuple.  Et 

I.  In  Bibliot.  Patrum. 


364  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

dans  le  canon  de  notre  messe,  telle  que  nous  le 
disons  aujourd'hui,  nous  déclarons  que  nous 
offrons  ce  sacrifice  pour  la  rédemption  de  nos 
âmes,  et  nous  prions  qu'il  soit  l'ablution  de  nos 
fauter,  (i).  On  peut  remarquer  en  passant  la 
mention  qu'on  y  fait  de  l'ignorance  du  peuple, 
soit  parce  que  c'est  une  chose  intolérable  pour 
des  hommes  apostoliques  de  voir  si  peu  d'instruc- 
tion dans  le  peuple  chrétien,  soit  afin  d'imiter 
Jésus-Christ  qui,  priant  sur  la  croix  pour  ses 
ennemis,  alléguait  leur  ignorance  :  «  Pardonne^- 
«  leur^  ils  ne  savent  ce  qu'ils  'font.  »  (Luc,  23). 
Or  la  raison  pour  laquelle  se  sacrifice  est  pro- 
pitiatoire, c'est  qu'il  honore  Dieu;  car  celui  qui  a 
été  blessé  dans  son  honneur,  s'apaise  quand  son 
honneur  est  réparé.  Egalement  Dieu  y  est  remer- 
cié pour  ses  bienfaits  et  rien  n'a  autant  de  pouvoir 
pour  apaiser  une  personne  que  de  lui  témoigner 
de  la  reconnaissance  ;  c'est  pourquoi,  puisque  le 
sacrifice  de  la  messe  est  latreutique  et  eucharis- 
tique, il  ne  faut  pas  s'étonner  qu'il  soit  encore 
propitiatoire  et  réconciliant.  Tu  demandes,  dit  un 
philosophe  païen  (2),  comment  tu  te  feras  bientôt 
un  ami,  le  voici  :  ce  sera  si  nous  nous  accordons 
sur  ce  point  que  je  te  rende  sur  le  champ  ce  que 
je  te  dois. 

Tout  ce  que  les  hérétiques  apportent  de  plus 
fort  contre  cette  vérité,  c'est  que  le  sacrifice  de  la 
croix  suffit  seul  pour  détruire  tous  les  péchés  des 

1.  1  Sit  ahliitio  scelerum.  » 

2.  Seneca,Epist.  9  :  «6"/  ilUid  tihi  mccum  convenerit 
«  ut  sîatim  tibi  solvam  quod  debeo.  » 


DES    SACREMENTS  3()D 

hommes  et  que  c'est  lui  faire  tort  de  parler  du 
sacrifice  de  la  messe.  Mais  les  hérétiques  sont  peu 
spirituels  et  n'ont  que  des  pensées  très  basses,  ils 
ne  comprennent  rien  au  grand  zèle  et  à  l'amour 
insatiable  de  Jésus-Christ.  Quand  bien  même  le 
sacrifice  de  l'autel  ne  remettrait  pas  la  peine  des 
péchés,  il  ne  s'ensuivrait  pas  qu'il  fut  inutile,  car 
il  servirait  à  honorer  Dieu  et  à  le  remercier  excel- 
lemment, selon  le  désir  de  Jésus  et  le  zèle  de  son 
âme  très  sainte.  Mais  à  Dieu  ne  plaise  que  nous 
leur  accordions  que  ce  sacrifice  ne  soit  pas  propi- 
tiatoire pour  les  péchés.  Au  contraire  nous  con- 
fesserons avec  l'Eglise  qu'il  l'est,  et  nous  n'esti- 
merons pas  faire  tort  au  mérite  de  la  croix  et  à 
l'oblation  qui  lut  faite  sur  la  croix.  L'oblation  de 
la  croix  en  effet  n'empêche  pas  l'effet  de  l'oblation 
que  fit  Jésus-Christ  de  lui-même,  quand  il  entra 
dans  ce  monde,  et  de  celle  qu'il  fit  au  temple  le 
jour  de  sa  présentation,  ni  de  toutes  celles  qu'il 
fit  tous  les  jours  de  sa  très  sainte  vie  avant  sa 
mort.  Aussi  ne  doit-elle  pas  empêcher  l'effet  de 
l'oblation  de  lui-même  qu'il  renouvelle  tous  les 
jours  depuis  sa  mort  dans  ce  sacrifice,  afin  de  nous 
racheter  ainsi  abondamment,  en  se  donnant  des 
millions  et  des  millions  de  fois  pour  nos  péchés. 
Si  saint  Paul  a  dit  que  «  par  une  seule  ablation 
«  il  a  consommé,  c'est-à-dire  rendu  parfaits  pour 
«  toujours,  ceux  qu'il  a  sanctifiés  »  (Héb.  lo), 
saint  Paul  n'entend  parler  que  des  Juifs  qui  étaient 
morts  en  état  de  sainteté  avant  sa  Passion  et  qui 
n'ayant  pu  être  purifiés  de  leurs  péchés  par  la 
multitude  des  victimes  de  la  loi  mosaïque,  furent 
sanctifiés  en  vertu  du  sacrifice  de   la  croix  et  par 


366  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

le  mérite  de  ce  sacrifice,  c'est-à-dire  par  une  seule 
oblation.  Le  sacrifice  de  l'Eucharistie  en  effet  n'a 
pas  été  institué  pour  eux,  mais  pour  les  chrétiens 
qui  sont  venus  après  la  Passion,  que  Jésus-Christ 
assiste  diversement  et  autant  qu'il  lui  plaît,  ou 
qu'il  le  juge  convenable,  non  seulement  par  l'obla- 
tion  sanglante  de  sa  croix,  mais  encore  par  l'obla- 
tion  non  sanglante  des  autels.  Enfin  si  l'on  veut 
étendre  les  paroles  de  saint  Paul  plus  que  lui- 
même  n'en  a  eu  l'intention,  il  faut  dire  que  saint 
Paul  se  sert  du  substantif  et  dit  :  une  oblation, 
pour  signifier  une  seule  chose  offerte,  à  savoir  son 
humanité  précieuse.  Dans  ce  passage  en  effet  il 
oppose  et  préfère  l'unique  victime  de  la  croix  à  la 
multitude  des  sacrifices  d'Aaron,  sacrifices  qui 
n'avaient  pas  la  vertu  de  sanctifier  les  Juifs.  Or, 
bienque  Jésus-ChristperfectionnelesSaints  soit  par 
l'oblation  de  la  croix,  soit  par  celle  des  autels,  il  est 
toujours  vrai  qu'il  les  perfectionne  par  l'offrande 
d'une  seule  chose,  puisque  dans  l'une  comme 
dans  l'autre  oblation,  c'est  la  même  victime. 

Demeurons  donc  fermes  dans  la  foi  et  la 
croyance  de  la  sainte  Eglise,  notre  mère  ;  persis- 
tons dans  cette  foi  qu'ont  conservée  tous  les 
siècles  depuis  sa  fondation.  Cette  foi  nous  ap- 
prend que  le  sacrifice  de  l'autel  est  propitiatoire 
pour  les  peines  des  péchés,  et  que  Jésus-Christ  se 
donne  mille  et  des  millions  de  fois  pour  la  liberté 
de  nos  âmes  qu'il  rachète  ainsi  abondamment. 
Parmi  les  objets  de  cette  foi  invariable,  admirons 
grandement  les  procédés  pleins  d'amour  de  Jésus, 
notre  libérateur,  qui  s'immole  encore  tous  les 
jours,  afin  de  satisfaire  pour  les  péchés  d'autrui. 


DES    SACREMENTS  367 

Ah!  mon  âme,  que  ne  devons-nous  pas  faire  à  son 
exemple  dans  le  but  de  satisfaire  pour  nos  péchés  ? 
Hélas  !  que  sont  nos  pénitences  si  Iroidé?  au  prix 
de  ce  que  fait  notre  Rédempteur?  Faut-il,  ô  mon 
âme,  que  ce  doux  Agneau  fasse  tout  tout  seul  ? 
qu'il  adore  toujours,  mais  pour  nous,  qu'il  soit 
toujours  chargé  de  remercier  Dieu  en  notre  nom 
et  qu'il  porte  tout  seul  le  fardeau  de  nos  offenses  ? 
Ah  !  que  nous  devons  être  confus  en  voyant  que 
nous  faisons  de  si  légères  pénitences  pour  nos 
propres  fautes  qui  sont  énormes  ?  Que  ne  nous 
sacrifions-nous  donc  tous  les  jours  de  notre  vie, 
pour  rendre  Dieu  propice  et  pitoyable  à  nos 
iniquités  ?  Mais  nous  n'en  faisons  rien.  Et  puis 
nous  nous  étonnerons  de  ressentir  quelque  peine 
intérieure,  parce  que  nous  ne  savons  pas  si  nous 
avons  apaisé  Dieu,  et  si  nous  avons  satisfait  à  sa 
justice.  Oh  !  que  deviendrions-nous,  Seigneur, 
sans  votre  zèle  et  votre  très  brûlante  charité  ?  O 
très  noble  Jésus  !  unique  espérance  de  notre  sa- 
lut! Oh!  continuez  toujours  à  offrir  votre  sacri- 
fice pour  nous.  Quant  à  nous,  nous  continuerons 
toujours  à  offrir  votre  sacrifice  pour  nous,  et  nous 
renouvellerons  les  souhaits  du  saint  prophète  Da- 
vid touchant  ce  sacrifice  expiatoire.  Nous  désire- 
rons qu'il  soit  toujours  offert  à  Dieu  et  que  les 
desseins  de  Jésus  y  soient  accomplis  pour  le  salut 
de  nos  âmes.  Chantons  donc  au  Roi  des  rois  im- 
molé sur  les  autels  : 

En  ces  jours  si  troublés  qu'une  guerre  effroyable 

Tâche  à  tout  renverser^ 
Soit  aux  vœux  que  tic  fais  V  Eternel  favorable, 

Et  te  veuille  exaucer. 


368  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Du  grand  Dieu  de  Jacob  le  secours  V accompagne. 

D'en-haut  te  secourant^ 
De  tes  oblations  sa  mémoire  touchée 

S'aille  ressouvenant. 
Qu'aux  désirs  de  ion  cœur  débonnaire  il  s'incline 

Et  les  rende  accomplis. 
Les  conseils,  les  projets  que  couve  ta  poitrine 

De  bonheur  soient  remplis  (i). 

Donc,  Père  éternel,  que  cette  charité  immense 
de  votre  Fils  très  aimé  touche  votre  cœur  ;  par 
amour  pour  lui  et  en  considération  de  l'affection 
si  grande  qu'il  a  pour  nous,  pardonnez-nous  nos 
offenses. 

I.  Desportes  sur  VExaitdiat. 


DES    SACREMENTS  36c) 


X\T  MÉDITATION 

DES  TROIS  ACTES   DE 
DÉVOTION  ENVERS   LE   SAINT- 
SACREMENT  QUE 
PRATIQUENT    LES    AMES    PIEUSES 

SOMMAIRE 

La  dévotion  au  Saint-Sacrement  porte  les  âmes 
pieuses  :  i)  à  lui  rendre  un  culte  de  latrie  — 
2)  à  raccompagner  aux  processions  et  quand  on 
le  porte  aux  malades  —  ?>)  à  le  visiter. 

I 

CONSIDÉREZ  que  la  dévotion  envers  le  Saint- 
Sacrement  porte  les  âmes  fidèles  à  l'hono- 
rer de  plusieurs  manières,  et  entre  autres  à  lui 
rendre  le  culte  de  latrie  ou  d'adoration,  tant  par 
la  soumission  intérieure  de  l'esprit,  que  par  la 
génuflexion  ou  l'inclination,  ou  la  prosternation 
du  corps  (i).  Les  Ecritures  saintes  nous  indiquent 
ce  premier  acte  de  dévotion  ;  le  prophète  royal 
parlant  de  l'Eucharistie,  dit  que  les  grands  de  la 
terre  l'ont  mangée  et  Tout  adorée  :  «  Tous  les 
«  grands  de  la  terre  ont  mangé  et  adoré  »  (Ps.  2 1  ). 
Saint  Augustin  (2)  interprète  ce  passage  de  la  sainte 

1.  De  Saintes,  repet.  9,  c.  4. 

2.  «  Mandiicaveriint  corpus  humilitatis  Domini  ». 
Bail,  t.  ix.  34 


SyO  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Eucharistie  et  le  Concile  (i)  prononce  l'anathème 
contre  quiconque  soutiendra  que  le  Fils  unique 
de  Dieu  ne  doit  pas  être  honoré  dans  le  Saint- 
Sacrement  d'un  culte  de  latrie.  En  effet  l'adora- 
tion est  due  au  Fils  de  Dieu  dans  tout  lieu  ou  tout 
état  dans  lequel  il  se  trouve.  C'est  pourquoi  il  est 
ordonné  aux  Anges  de  l'adorer  dès  le  premier  ins- 
tant de  son  Incarnation,  dans  les  flancs  sacrés  de 
la  Vierge  «  et  que  tous  les  Anges  V adorent  », 
(Héb.  i).  Les  bergers  l'adorèrent,  et,  les  rois,  après 
avoir  fait  un  long  voyage,  se  prosternèrent  devant 
le  Sauveur  couché  dans  la  crèche  et  lui  offrirent 
leurs  présents.  Il  fut  adoré  sur  le  chemin  par  le 
lépreux  et  la  Chananéenne,  dans  le  temple  par 
l'aveugle-né,  sur  le  navire  par  les  nautonniers,  en 
Galilée  par  les  Apôtres,  dans  la  Judée  par  tous 
ceux  qui  le  connurent,  sur  la  croix  par  le  bon  lar- 
ron et  dans  les  cieux  par  tous  les  bienheureux.  Si 
donc  partout  où  il  est  présent,  il  est  reconnu  et  il 
reçoit  comme  hommage  l'adoration,  pourquoi  ne 
la  recevrait-il  pas  dans  l'Eucharistie,  surtout  si 
nous  considérons  qu'il  nous  y  témoigne  autant 
d'amour  et  de  bienveillance  qu'en  aucun  lieu  du 
monde,  car  il  y  est  présent  pour  converser  avec 
nous  plus  intimement  et  plus  familièrement,  sans 
dédaigner  notre  extrême  bassesse,  sans  avoir  hor- 
reur de  nos  corps,  de  notre  bouche  et  de  notre 
poitrine.  Certes  c'est  un  prodige  qu'une  âme  ne 
soit  pas  touchée  à  la  vue  du  procédé  si  plein 
d'amour  de  ce  Roi  des  rois,  qui  est  assis  et  règne 
à  la  droite  de  Dieu  son  Père.  Car  qu'est-ce  qu'il  y 

3.  Sess.  13,  can.  6. 


DES    SACREMENTS  Syi 

a  qui  oblige  davaniagc  a  vénérer  une  personne  de 
haute  qualité,  que  de  la  voir  s'abaisser,  et,  pour 
ainsi  dire,  oubliant  sa  grandeur,  avoir  de  gracieuses 
faveurs  pour  une  personne  de  peu  ?  C'est  ce  qui 
doit  exciter  à  lui  rendre  de  plus  grands  honneurs, 
de  plus  profondes  révérences  et  une  plus  absolue 
soumission.  Ainsi  Sainte  Elisabeth  honora  la 
Sainte  Vierge,  qui,  alors  qu'elle  était  déjà  la  Mère 
de  Dieu,  qu'elle  avait  conçu  du  Saint-Esprit, 
s'abaissait  jusqu'à  la  visiter  en  personne,  a  Et  d'où 
«  me  vient,  dit-elle,  cet  honneur,  que  la  Mère  de 
«  mon  Dieu  vienne  à  moi  ?  »  (Luc,  i).  Ainsi  Saint 
Jean-Bapiiste  était  plein  du  sentiment  de  la  gran- 
deur de  Jésus,  quand  ce  divin  Sauveur  voulut  se 
soumettre  à  recevoir  le  baptême  de  sa  main.  «  C'est 
v.  moi,  dit-il,  qui  dois  être  baptisé  par  vous  et 
«  cest  vous  qui  vene^  à  moi  »,  (Matth.  3).  Saint 
Pierre  le  voyant  près  de  lui,  s'estimait  indigne  de 
sa  présence  :  «  Retire^-votis  loin  de  moi,  Seigneur, 
«  car  je  ne  suis  pas  digne  de  m'approcher  de 
«  vous  »,  (Luc,  5  ;  Matth.  8).  Il  en  fut  de  même 
du  centurion  qui  professa  d'autant  plus  haute- 
ment son  indignité  et  la  dignité  de  Jésus-Christ, 
qu'il  le  voyait  résolu  à  descendre  dans  sa  maison, 
pour  y  guérir  son  serviteur.  Si  bien  que  c'est  une 
chose  comme  naturelle  d'accorder  plus  de  véné- 
ration aux  grands  que  nous  voyons  portés  à  s'abais- 
ser pour  nous  faire  du  bien. 

Or  Jésus-Christ  dans  ce  sacrement  s'abaisse 
pour  nous  à  un  tel  point  qu'il  semble  avoir  oublié 
ce  qu'il  est,  sa  noblesse,  sa  royauté  et  l'état  de  ses 
sublimes  grandeurs.  C'est  pourquoi  nous  devons 
nous  sentir  portés  à  nous  soumettre  plus  profon- 


372  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

dément  à  lui  et  à  Tadorer  plus  profondément, 
puisque  d'ailleurs  il  est  adorable  à  cause  de  sa 
personne  à  laquelle  est  dû  un  respect  infini. 

D'ailleurs  il  n'est  pas  nécessaire  que  cette  ado- 
ration soit  conditionnelle,  c'est-à-dire  que  nous 
l'adorions  dans  le  cas  où  l'hostie  est  légitimement 
consacrée  ;  il  suffit  d'avoir  une  certitude  humaine 
et  morale  de  la  présence  et  de  la  dignité  d'une 
personne  pour  l'honorer  selon  son  mérite.  Autre- 
ment il  ne  faudrait  respecter  les  prélats  et  les 
prêtres  que  sous  condition,  c'est-à-dire  s'ils  étaient 
validement  ordonnés.  Ainsi  on  pourrait  tout  révo- 
quer en  doute  et  ne  respecter  absolument  per- 
sonne, mais  mettre  toujours  en  avant  quelque  si 
ou  quelque  moyennant  ;  ce  qui  ne  nuirait  pas 
médiocrement  à  la  politesse  humaine.  Il  suffit  donc 
de  croire  de  bonne  foi  que  le  pain  a  été  consacré 
pour  rendre  le  culte  de  latrie  à  Jésus-Christ, 
présent  sous  les  accidents  qui  restent.  Peu  importe 
que  le  Saint-Sacrement  soit  peut-être  entre  les 
mains  d'un  prêtre  vicieux  ;  les  ordures  de  l'étable 
de  Bethléem  et  les  animaux  qui  s'y  trouvaient 
n'empêchèrent  pas  les  rois  mages  d'y  adorer 
Jésus-Christ,  qui  porte  partout  sa  grandeur. 

Par  conséquent  nous  nous  mettrons  sans  crainte 
en  devoir  d'adorer  Jésus-Christ  sur  le  trône  sacré 
de  son  Eucharistie  ;  comme  des  enfants  nous  ré- 
vérerons notre  bon  Père,  comme  sujets  notre 
Prince  légitime,  comme  criminels  notre  Juge  très 
équitable,  comme  esclaves  notre  Libérateur,  comme 
créatures  notre  souverain  Créateur.  «  Vene\  donc, 
«  adorons  et  prosternons-nous  devant  le  Sei- 
<i.  gneur  ».  (Ps.  94).  Disons-lui  d'esprit  et  de  bou- 


DES    Î?ACRENTENTS  37^ 

chc  :  6  Jésus,  je  vous  adore  dans  votre  sacrement, 
comme  le  Fils  unique  de  Dieu  par  nature,  le  pre- 
mier principe  de  toutes  choses,  comme  mon 
Sauveur  qui  doit  être  aussi  mon  juge  et  prononcer 
sur  moi  l'heureuse  parole  d'éternelle  bénédiction 
ou  la  parole  redoutable  de  malédiction  éternelle. 
Je  vous  adore,  ô  Jésus,  qui  êtes  contenu  vérita- 
blement et  réellement  dans  ce  très  auguste  et  très 
vénérable  m3'stère,  vous  qui  êtes  né  de  la  Vierge 
pour  notre  salut,  qui  avez  vécu  trente-trois  ans  sur 
la  terre,  qui  avez  été  crucifié  pour  la  rédemption 
du  genre  humain,  qui  ensuite  êtes  ressuscité  et 
monté  au  ciel,  à  la  droite  de  Dieu  le  Père  où  de- 
meurant toujours  et  sans  vous  en  séparer,  vous 
daignez  néanmoins  vous  rendre  présent  sur  les 
autels,  afin  d'y  servir  de  sacrifice  et  de  sacrement 
pour  moi,  très  vil  vermisseau.  O  mon  Seigneur, 
mon  Dieu,  en  esprit  d'amour  pour  votre  bonté, 
en  esprit  de  crainte  pour  votre  toute-puissance, 
en  esprit  d'humilité  et  de  respect  en  face  de  votre 
sagesse  et  de  votre  majesté,  je  vous  loue,  je  vous 
glorifie  et  je  me  soumets  à  ne  vivre  et  à  ne  res- 
pirer dans  le  temps  et  dans  l'éternité,  que  sous 
votre  dépendance.  O  Jésus,  remplissez  le  monde 
entier  du  sentiment  de  votre  grandeur  et  de  votre 
majesté  infinie,  afin  que  chacun  s'anéantisse  en 
esprit  et  se  prosterne  profondément  devant  vous. 
O  Dieu  de  majesté  qui  êtes  adoré  par  tous  les 
Anges  et  par  tous  les  Saints,  je  vous  adore,  je 
m'unis  à  toutes  les  adorations  qui  vous  sont  ren- 
dues au  ciel  et  sur  la  terre  par  l'Eglise  triomphante 
et  par  l'Eglise  militante.  O  Père  éternel,  que  votre 
Fils  qui  est  ici  humilié  et  mis  en  état  de   victime 


374  LA    THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

pour  l'amour  des  âmes,  soit  reconnu  par  toutes 
les  âmes  ;  qu'il  n'y  en  ait  pas  une  seule,  ô  Dieu 
éternel,  qui  lui  refuse  l'amour  et  le  respect  qui 
lui  sont  dus. 

II 

Considérez  que  la  dévotion  envers  le  Saint- 
Sacrement  porte  encore  les  âmes  à  l'accompagner 
en  deux  occasions  :  dans  les  processions  publiques 
et  quand  on  le  porte  aux  malades.  Car  de  tout 
temps,  l'Eglise  a  eu  coutume  de  porter  le  Saint- 
Sacrement  d'un  lieu  dans  un  autre  pour  divers 
motifs  ;  soit  pour  qu'on  put  communier  chez  soi, 
comme  faisaient  les  premiers  chrétiens,  qui  en 
temps  de  persécution  n'ayant  pas  la  liberté  de 
fréquenter  les  assemblées  de  l'Eglise,  emportaient 
avec  respect  dans  leur  maison  des  hosties  consa- 
crées, afin  de  ne  pas  être  au  besoin  dépourvus  de 
Saint-Sacrement  (i)  ;  soit  pour  être  munis  comme 
d'une  forte  et  puissante  garde  contre  les  divers 
périls  et  accidents  de  cette  vie,  comme  Saint  Am- 
broise  le  raconte  de  son  frère  Satyrius,  qui  portant 
l'Eucharistie  sur  mer,  fut  préservé  du  naufrage  (2) , 
soit  comme  signe  de  paix  et  d'union,  ainsi  qu'au- 
trefois, en  signe  de  paix,  le  Souverain  Pontife 
l'envoyait  de  Rome  aux  évêques  qui  venaient  dans 
cette  ville  et  même  à  ceux  qui  demeuraient  dans 
leurs  églises  (i),  soit  pour  exciter  les  fidèles  à  une 

1.  Tertul.  1.  2  AD  uxoREM  :  <<  Qiiid  secreio  anie  cihiim 
gustes  ». 

2.  In  FUNEBRI  ORAT.  DE  FRATRE. 

I.  Euseb.  1.  5.  HisT.  c.  24  ;   Baron,  ann.  Christi  195. 


DES    SACREMENTS  SyS 

plus  grande  confiance  et  une  plus  grande  dévo- 
tion, ainsi  qu'autrefois  dans  toutes  les  processions 
qui  se  faisaient  aux  temples  des  martyrs  on  por- 
tait toujours  l'arche  du  Seigneur  avec  les  reliques 
des  saints,  c'est-à-dire  le  Saint-Sacrement  comme 
le  remarque  un  ancien  Concile  de  l'Eglise  (i)  ; 
soit  pour  le  faire  recevoir  aux  malades,  à  qui  on 
le  porte  en  viatique,  pour  les  fortifier  au  moment 
de  leur  sortie  de  ce  monde,  soit  enfin  pour  d'au- 
tres raisons.  Aujourd'hui  il  n'y  a  plus  d'autres  oc- 
casions de  l'accompagner  que  les  processions,  et 
quand  on  le  porte  aux  malades  et  le  rapporte.  Or 
la  dévotion  excite  fortement  à  lui  faire  cortège 
alors  et  à  le  suivre  par  honneur,  autant  que  pos- 
sible ;  manquer  à  ce  devoir  sans  excuse  légitime, 
c'est  un  témoignage  de  grande  froideur  et  de  bien 
peu  d'affection  à  son  égard.  Certes  toutes  sortes 
de  bonnes  considérations  invitent  à  ce  devoir.  La 
bonté  de  la  chose  ;  car  qu'y  a-t-il  de  plus  juste  et 
de  plus  saint  que  de  se  mettre  à  la  suite  de  Jésus- 
Christ  ?  L'honnêteté  de  cette  action  ;  car  qu'y  a-t-il 
de  plus  civil  aux  yeux  du  ciel,  que  de  rendre  cet 
honneur  à  Jésus-Christ,  quand  il  est  si  peu  accom- 
pagné sur  la  terre  ?  «  C'est  une  grande  gloire^  dit 
«  le  Sage,  de  suivre  le  Seigneur  »,  (Eccl.  23). 
L'exemple  des  Anges  ;  car  ils  le  suivent  et  l'ac- 
compagnent fidèlement  et  avec  une  grande  vénéra- 
tion partout  où  il  est  porté.  Saint  Jean  Chrysos- 
tome  (2)  affirme  qu'ils  environnent  l'autel  où 
s'accomplit   le   sacrifice,  avec  de  très   grands   res- 

1.  Synodus  Bracarensis,  can.  5,  circa  ann.  Christi  654. 

2.  L.  6.  De  sacerd.  P.  4, 


376  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

pects,  qu'ils  font  fidèle  escorte  à  ceux  qui  ont 
communié  purement  dans  leur  maladie,  qu'ils  les 
environnent  comme  les  gardes  du  corps  environ- 
nent leur  roi  et  qu'ils  conduisent  leurs  âmes  au 
ciel.  Il  est  écrit  aussi  que  les  vierges  suivent 
l'Agneau  partout  où  il  va  (Apoc.  14).  L'indignité 
qu'il  y  a  à  refuser  cette  assistance  et  cet  accom- 
pagnement à  Jésus-Christ  dans  l'état  où  il  est 
dans  ce  sacrement.  C'est  comme  si  des  sujets  qui 
auraient  reçu  des  bontés  de  leur  roi,  le  voyaient 
dans  un  pays  étranger  peu  suivi  et  peu  accompagné 
et  ne  venaient  pas  l'honorer  par  leur  présence  aux 
yeux  du  monde.  Le  roi  des  Perses,  Darius,  allant 
combattre  les  Scythes,  Œbabazus,  grand  Seigneur 
qui  avait  trois  fils,  lui  en  donna  deux  pour  le 
suivre  et  se  réserva  l'autre  pour  lui.  Le  roi  trouva 
cette  action  si  indigne  qu'il  fit  mourir  ces  trois 
enfants,  parce  que  l'un  d'eux  s'était  abstenu  de 
venir  avec  lui  (i).  Le  roi  Xerxés  allant  guerroyer 
contre  les  Grecs,  Pithius,  riche  Lydien,  qui  avait 
cinq  fils,  lui  en  donna  quatre  pour  le  suivre,  le 
priant  de  vouloir  exempter  l'aîné  qui  aurait  soin 
des  affaires  domestiques.  Le  roi  trouva  si  mauvais 
que  cet  homme  parlât  de  dispenser  un  de  ses  fils 
de  le  suivre  à  la  guerre,  où  lui-même  allait  en 
personne,  qu'il  fit  démembrer  le  corps  de  cet  aîné 
et  fit  passer  toute  l'armée  entre  ses  membres  ex- 
posés des  deux  côtés  du  chemin.  Si  les  rois  de  la 
terre  ont  jugé  ces  manquements  si  indignes  de 
leur  grandeur,  que  fera  Jésus-Christ,  le  Roi  des 
rois,  pour  ceux  qui  l'honorent  et  l'accompagnent 

I.  Herodotus,  1.  4  et  7. 


DES    SACREMENTS  Syy 

si  rarement  dans  le  Saint-Sacrement  ?  Enfin  leur 
utilité  personnelle  doit  encore  engager  les  chré- 
tiens à  accompagner  leur  Seigneur  et  Maître  sou- 
verain ;  car  il  dit  lui-même  :  «  Celui  qui  me  suit 
«  ne  marche  pas  dans  les  iêncbres,  mais  il  aura 
«  la  lumière  de  vie  »  (Jean,  8).  Car  c'est  bien  la 
moindre  chose  que  l'on  puisse  attendre,  que  d'être 
éclairé,  quand  on  suit  le  soleil,  et  sans  doute  Jésus- 
Christ  qui  a  souvent  accordé  des  grâces  même  à 
ses  ennemis,  ne  manquera  pas  d'en  accorder  à  ses 
amis,  qui  le  suivent  et  l'accompagnent  par  amour. 
Il  l'a  prouvé  dans  la  personne  d'un  seigneur  de  la 
maisond'Autriche,  lecomte  Rodolphe  de  Hasbourg. 
Rencontrant  en  Suisse  le  Saint-Sacrement  porté 
par  un  prêtre  a  un  malade  dans  un  mauvais  che- 
min, il  descendit  de  son  cheval,  fit  monter  le 
prêtre  dessus  et  le  suivit  à  pied  avec  sa  compagnie 
jusqu'au  retour  à  l'église.  Là  il  entendit  le  prêtre 
lui  donner  plusieurs  bénédictions  à  lui  et  à  sa 
postérité  pour  le  bon  office  qu'il  venait  d'exercer. 
Peu  de  temps  après  le  comte  visita  une  femme 
de  sainte  vie,  recluse  dans  un  désert,  qui  lui 
prédit  que  Dieu  récompenserait  largement  sa 
piété.  En  effet,  vingt-deux  ans  plus  tard,  il  fut  élu 
empereur  d'Allemagne,  et  la  couronne  impériale 
est  demeurée  depuis  cette  époque  jusqu'à  nos 
jours  dans  sa  famille  (i). 

Proposez-vous  donc  de  rendre  ce  devoir  à  Jésus- 
Christ,  autant  qu'il  vous  sera  possible  ;  assistez 
de  bon  cœur  aux  processions  du  Saint-Sacrement, 
et  acconipagnez-le,  quand  par  hasard  vous  le  ren- 

I.  Spondanus,  anno  Christi  la^i,  num.  8. 


378  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

contrerez  au  moment  où  on  le  porte  aux  malades, 
ou  bien  au  moment  où  on  le  rapporte  à  l'église.  Re- 
présentez-vous que  c'est  votre  Juge,  celui  de  la  pa- 
role ou  de  l'arrêt  de  qui  dépend  votre  bonheur  ou 
votre  malheur  éternel  ;  par  conséquent  soyez  bien 
aise  de  lui  rendre  ce  devoir,  afin  qu'il  s'en  sou- 
vienne en  vous  jugeant,  et  vous  soit  favorable.  Si 
vous  sentez  quelque  répugnance  à  le  faire  à  cause 
du  monde,  dites  comme  le  foi  David,  à  qui  sa 
femme  Michol,  pleine  d'arrogance,  avait  reproché  la 
dévotion  qu'il  avait  témoignée  à  l'arche  d'alliance 
en  l'accompagnant  avec  joie  au  milieu  du  peuple, 
revêtu  de  ses  ornements  royaux  :  «  Je  veux  me 
«  rendre  encore  plus  vil  que  je  ne  Vai  été  et  je 
«  serai  plus  humble  à  mes  yeux.  »  (II.  Rois,  6). 
Occupez-vous,  pendant  que  vous  l'accompagnez,  à 
lui  demander  quelque  grâce.  Il  est  écrit  de  vous. 
Seigneur,  que  quand  vous  viviez  parmi  les  hom- 
mes, vous  avez  fait  du  bien  à  tous  en  passant  ; 
«  Il  a  passé  en  faisant  le  bien.  »  (Act.  i).  Vous 
consoliez  l'un,  vous  enseigniez  l'autre,  vous 
guérissiez  l'un,  vous  ressuscitiez  l'autre,  vous 
donniez  la  vue  à  celui-ci,  vous  redressiez  celui-là 
et  le  faisiez  marcher  droit.  O  Seigneur  très  libéral, 
si,  aux  jours  de  votre  état  souffrant  et  mortel,  vous 
avez  ainsi  passé  en  obligeant  tout  le  monde  par 
bonté  d'àme,  puisque  vous  passez  encore  aujour- 
d'hui à  travers  le  monde,  dans  un  état  de  puis- 
sance et  de  gloire  dont  vous  jouissez  dans  le  ciel, 
ne  produisez  pas,  s'il  vous  plaît,  de  moindres 
effets  sur  votre  passage.  O  Seigneur,  donnez  votre 
bénédiction  aux  maisons  le  long  desquelles  vous  pas- 
sez, donnez-la  moi  tout  spécialement  à  moi-même. 


DES    SACREMENTS  Sy*") 


O  Seigneur,  en  qui  est  mon  espérance,  apportez, 
le  remède  aux  misères  de  mon  âme,  donnez-moi 
votre  grâce,  et  faites  que  j'y  persévère  jusqu'à  la 
fin. 

III 

Considérez  que  la  dévotion  envers  le  Saint- 
Sacrement  porte  encore  les  âmes  à  une  action  fort 
importante,  qui  consiste  à  le  visiter  souvent  dans 
les  églises  où  il  repose,  tantôt  pour  lui  faire  hom- 
mage de  ses  services  et  l'adorer,  tantôt  pour  le 
remercier  de  quelque  bienfait  reçu,  ou  pour  lui 
demander  plus  efficacement  quelque  grâce  pour 
soi-même  ou  pour  autrui,  et  quelquefois  aussi 
sans  autre  prétention  que  d'être  auprès  de  lui. 
Divers  exemples  et  divers  motifs  engagent  les 
âmes  à  rendre  ce  devoir  à  Jésus-Christ. 

Premièrement,  l'exemple  des  Anges.  Ils  descen- 
dent par  phalanges  du  ciel  sur  la  terre,  pour  y 
voir  et  honorer  leur  Maître  et  Seigneur,  qu'ils  sa- 
vent être  caché  sous  le  voile  de  ce  mystère.  Quand 
le  prêtre,  dit  saint  Jean  Ghrysostome  (i),  a  accom- 
pli ce  redoutable  sacrifice,  à  ce  moment  les  Anges 
l'assistent  et  où  tous  les  ordres  des  puissances  céles- 
tes y  font  entendre  leurs  chants  à  leur  manière  ;  le 
lieu  le  plus  rapproché  de  l'autel  est  rempli  par  les 
chœurs  des  Anges  qui  honorent  celui  qui  est  im- 
molé. Ce  qui  est  assez  facile  à  croire  à  cause  de  la 
grandeur  du  sacrifice  qui  s'accomplit  alors.  Nous 
avons  ensuite  l'exemple  des  Juifs  qui  avaient  un 
commandement   formel   du    Seigneur   de    visiter 

I.  L.  6.  De  sacerdot.  c.  cit. 


38o  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

trois  fois  chaque  année  le  tabernacle  ou  le  Tem- 
ple, où  résidait  l'arche  d'alliance.  «  Trois  Jois 
«  dans  Vannée,  dit  leur  loi,  tout  homme  paraîtra 
«  devant  le  Seigneur  »  (Ex.  23),  c'est-à-dire  en 
présence  de  l'arche.  Cette  loi  obligeait  tous  les 
hommes  depuis  l'âge  de  vingt  ans  jusqu'à  l'âge  de 
cinquante  ans,  et  aucun  ne  manquait  de  se  pré- 
senter devant  l'arche  trois  fois  l'année.  Un  bon 
nombre  venait  de  cinquante  et  soixante  lieues 
pour  remplir  ce  devoir,  plusieurs  vieillards,  des 
femmes  et  des  enfants  que  la  loi  n'y  obligeait  pas, 
s'en  acquittaient  par  dévotion,  ainsi  que  fit  la 
Sainte  Vierge,  quand  Jésus-Christ  était  âgé  de 
douze  ans.  Or  si  l'on  rendait  ces  visites  à  Tarche 
d'alliance  qui  n'était  que  la  figure  et  l'ombre  du 
Saint-Sacrement,  combien  est-il  plus  raisonnable 
de  les  rendre  à  la  Vérité  même  !  La  reine  de  Saba 
vint  des  extrémités  de  la  terre  visiter  le  roi  Salo- 
mon,  et  ici  «  voici  celui  qui  est  plus  grand  que 
«  Salomon.  »  (Matt.  ii).  Autrefois  les  chrétiens 
entreprenaient  de  très  longs  et  très  périlleux 
voyages  pour  visiter  la  Terre  sainte  et  les  lieux 
dans  lesquels  son  humanité  sacrée  avait  passé;  ils 
disaient  avec  le  prophète  :  «  Nous  Vadorerons 
«  dans  le  lieu  oii  il  a  posé  ses  pieds.  »  (Ps.  i3i). 
Les  femmes  même  les  plus  enfermées  avaient 
cette  dévotion,  comme  en  témoigne  Théodoret,  (i) 
de  Marana  et  de  Cyra,  ces  deux  prodiges  d'aus- 
térité. Que  ne  doit-on  donc  pas  faire  pour  le 
Saint  des  Saints,  Jésus-Christ,  qui  est  présent  en 
corps  et  en  âme  dans  le  tabernacle  ?  Combien  de 

I.  In  Hisior.  relig. 


DKS    SAC  RK  M  EXT  S  38 1 

fois  et  avec  quelle  alTection  devrait-on  le  visiter, 
puisqu'il  est  si  près  de  nous  et  que  nous  pouvons  le 
faire  si  commodément  ?  Certes  c'est  être  sans 
àme  que  de  n'avoir  aucune  alTection  pour  cet 
exercice.  Lui-même  habite  parmi  nous,  il  proteste 
que  c'est  son  plaisir  de  vivre  au  milieu  des  mor- 
tels, quoiqu'ils  ne  lui  soient  nécessaires  d'aucune 
manière.  De  là  viennent  ces  douces  et  ravissantes 
paroles  :  «  Mes  délices  sont  d'être  avec  les  en- 
«  fants  des  hommes  »,  et  ces  autres  :  «  L'orient 
«  nous  a  visites  d'en-haiit.  »  Et  nous,  nous  ne 
correspondrons  aucunement  à  cet  amour,  nous  ne 
trouverons  pas  notre  plaisir  à  converser  avec  lui, 
nous  qui  avons  tant  besoin  de  lui  ?  Laisserons- 
nous  là  tout  seul  dans  le  tabernacle  ce  Roi  du 
ciel  et  de  la  terre,  qui  n'y  est  descendu  que  pour 
notre  bien?  Mettrons-nous  perpétuellement  en 
oubli  celui  qui  à  tous  les  instants  de  la  durée 
pense  à  nous  ?  Négligerons-nous  de  faire  la  cour  à 
ce  monarque  plein  de  bonté  et  de  paraître  devant 
sa  face,  alors  qu'il  a  pour  très  agréables  nos  petits 
devoirs  ?  Les  âmes  vraiment  zélées  et  qui  con- 
sidèrent bien  ces  choses,  ont  en  horreur  la  rus- 
ticité et  la  barbarie  de  celles  qui  dédaignent  de 
faire  ces  visites,  et  elles  sont  soigneuses  et  em- 
pressées de  les  faire  elles-mêmes  souvent.  Ainsi 
il  y  a  des  maisons  religieuses  (i;,  où  la  Saint-Sa- 
crement est  en  plus  grande  vénération,  où  jour  et 
nuit  il  est  visité,  et  où  il  n'est  jamais  sans  ses 
Chérubins,  comme  l'arche  du  temple  de  Salomon, 
c'est-à-dire    sans  quelques    créatures    angéliques, 

I.  Le  monastère  de  Port-Royal,  à  Paris. 


382  LÀ    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

qui  étendent  sur  lui  les  ailes  de  leur  amour  ;  elles 
veillent  «  à  la  porte  du  tabernacle  »  (Exod.  38) 
comme  les  femmes  et  les  filles  pieuses  dont  Moïse 
fait  mention. 

Et  alors  même  que  ces  visites  dussent  être  pra- 
tiquées sans  espérance  de  récompense,  unique- 
ment pour  y  glorifier  Jésus-Christ,  et  parce  que 
c'est  une  chose  très  juste  et  très  équitable  de 
lui  rendre  hommage,  on  ne  devrait  pas  y  man- 
quer; néanmoins  comme  il  a  rendu  sa  gloire 
inséparable  de  notre  utilité,  et  qu'une  âme  pure 
n'est  jamais  privée  de  récompense,  bien  que  peut- 
être  elle  ne  dirige  pas  son  intention  de  ce  côté, 
ces  visites  ne  manquent  jamais  d'être  fructueuses 
pour  les  personnes  qui  savent  les  faire  comme  il 
convient.  Cependant  il  ne  faut  pas  juger  de  la 
vertu  de  ce  sacrement  comme  de  celle  des  agents 
naturels,  qui  ont  leur  sphère  d'activité  limitée, 
c'est-à-dire  qui  agissent  jusqu'à  une  certaine  dis- 
tance et  dans  un  lieu  déterminé  qu'ils  ne  sauraient 
dépasser,  ainsi  que  le  feu  qui  chauffe  et  le  flam- 
beau qui  éclaire  jusqu'à  une  certaine  distance  ; 
car  Jésus-Christ  dans  le  Saint-Sacrement  peut 
étendre  sa  vertu  d'un  bout  du  monde  à  l'autre, 
s'il  le  veut.  Le  fruit  donc  de  ces  visites  provient  de 
ce  que  la  personne  qui  les  fait  se  rend  plus  digne 
de  ses  faveurs  ;  car  elle  lui  témoigne  plus  d'amour, 
elle  lui  rend  plus  d'honneur,  elle  lui  fait  une  pro- 
testation plus  évidente  de  sa  foi  et  de  sa  confiance 
en  lui.  Toutes  choses  qui  l'engagent  à  se  rendre 
plus  libéral,  comme  il  l'était  sur  la  terre,  à  l'égard  de 
ceux  qui  s'approchaient  de  lui  et  qui  s'offraient  pour 
être  touchés  par  lui,  ou  pour  le  toucher  lui-même, 


DES    SACREMENTS  383 

ne  fut-ce  que  pour  toucher  la  seule  frange  de  sa 
robe,  comme  rhémorroïsse,  qui  en  éprouva  sur  le 
champ  une  douce  et  favorable  influence.  (Matt.  9). 
Il  faut  donc  pratiquer  ces  saintes  visites,  il  faut 
faire  saintement  sa  cour  au  Roi  du  Temple  des 
Anges,  tantôt  pour  lui  faire  sa  révérence,  comme 
fait  un  sujet  à  son  seigneur,  tantôt  pour  le  remer- 
cier des  dangers  auxquels  on  a  échappé,  des  biens 
que  Ton  a  acquis,  de  la  communion  que  l'on  a 
reçue,  des  tentations  que  Ton  a  surmontées,  tantôt 
pour  lui  adresser  ses  prières  avec  plus  d'efficacité, 
d'autres  fois  enfin  pour  goûter  la  douceur  et  sen- 
tir la  consolation  qu'il  y  a  d'être  auprès  de  lui, 
comme  Madeleine  qui  se  tenait  à  genoux  à  ses 
pieds.  O  Jésus,  mon  Rédempteur,  attirez  ainsi 
souvent  toutes  vos  âmes  fidèles  devant  votre  trône 
sacré.  Vous  avez  dit,  que,  lorsque  vous  seriez 
exalté  de  la  terre  au  ciel,  vous  attireriez  tout  à 
vous  ;  attirez-nous  donc  souvent  après  vous  par  la 
puissance  et  la  vertu  de  votre  sacrement.  Arra- 
chez-moi à  mon  amour-propre  pour  me  soumettre 
tout  entier  à  votre  volonté.  Arrachez-moi  à 
l'amour  des  choses  créées  pour  m'unir  à  vous  par 
la  charité.  Arrachez-moi  aux  embarras  de  la  vie 
du  monde  et  attirez-moi  dans  le  lieu  où  vous  êtes 
présent,  afin  que  moi  qui  ne  puis  vivre  sans  vous, 
je  ne  vive  qu'avec  vous.  Que  là,  Seigneur,  en 
votre  présence  mon  cœur  s'épanche,  qu'il  vous 
parle  seul,  à  la  place  de  ma  langue.  Qu'il  proteste 
de  la  grandeur  de  la  foi  par  laquelle  il  croit  que 
vous  êtes  sous  les  espèces,  aussi  fermement  que 
si  les  yeux  du  corps  vous  y  voyaient.  Qu'il  vous 
dise  la  grandeur  de  mon  espérance,  qui  lui  fait 


384  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

attendre  de  vous  tout  son  bien  et  toute  sa  félicité. 
Que  là  encore  il  vous  exprime  toute  sa  charité, 
qui  lui  fait  souhaiter  que  vous  viviez  toujours,  que 
vous  régniez  toujours,  que  vous  triomphiez  tou- 
jours, que  ni  votre  règne  ni  votre  triomphe  ne 
soient  jamais  bornés  et  ne  finissent  jamais,  O 
Jésus,  si  vous  me  trouviez  digne  d'une  seule 
œillade,  je  l'estimerais  beaucoup  plus  que  tous  les 
biens  de  la  terre  et  que  toutes  les  grandeurs  du 
monde.  O  Jésus,  Famour  des  Séraphins  et  des 
Anges  qui  vous  visitent  par  milliers  dans  votre 
sacrement,  je  crois  en  vous,  j'espère  en  vous,  je 
vous  aime  et  je  vous  adore  !  Mais,  hélas!  pourquoi 
avez-vous  caché  toute  votre  beauté  sous  le  voile 
de  ces  espèces?  Comment,  vous  y  voyant  présent, 
ne  gémirais-je  pas,  comme  si  vous  étiez  absent  ? 
Je  vous  y  touche,  pour  ainsi  dire,  mais  je  ne  vois 
pas  votre  beauté  infinie,  comme  si  j'étais  frappé 
d'aveuglement.  Hélas  !  ô  mon  espérance  et  ma 
force  dans  cette  terre  des  mourants,  de  quels 
désirs  ne  suis-je  pas  ^embrasé  de  voir  enfin  votre 
face  plus  gracieuse  que  l'aurore  et  plus  brillante 
que  le  soleil  !  Oh  !  si  une  fois,  —  ne  serait-ce  que 
pour  un  moment,  —  vous  faisiez  paraître  à  mes 
yeux  un  seul  rayon  de  sa  lumière  !  Oh  !  quel 
ardent  amour  il  susciterait  dans  mon  âme,  et  que 
le  souvenir  de  cette  vision  me  causerait  de  chastes 
joies!  Gomme,  pendant  le  reste  de  ces  jours  misé- 
rables, mon  cœur  demeurerait  suspendu  et  hale- 
tant après  vous,  jusqu'à  ce  que  je  fusse  pleine- 
ment rassasié,  en  vous  regardant  face  à  face,  le 
rideau  des  espèces  ayant  été  tiré,  au  milieu  de 
votre  paradis. 


DHS    SACRKMHNT^ 


38: 


XX^    MÉDITATION 

DE    LA  PÉNITENCE 
CONSIDÉRÉE   COMME  VERTU 


SOMMAIRE 

La  Pénitence  est  une  vertu  qui  nous  porte  à  vou- 
loir satisfaire  à  Dieu  pour  les  péchés  commis. 
—  Quelques  excellences  de  cette  vertu.  —  Ses 
actes  intérieurs  et  ses  actes  extérieurs. 

I 

CONSIDÉREZ  que  la  Pénitence  est  une  vertu 
morale  qui  nous  porte  à  vouloir  satisfaire 
à  Dieu  pour  les  péchés  commis  et  à  vouloir  les 
détruire  entièrement,  en  tant  qu'ils  sont  injurieux 
à  Dieu,  avec  la  résolution  de  n'y  plus  retomber  à 
Tavenir.  Elle  est  appelée  une  vertu  morale,  parce 
qu'elle  incline  la  volonté  à  une  action  difficile, 
équitable,  honnête  et  conforme  à  la  raison.  Or 
toute  habitude  qui  incline  l'àme  à  de  semblables 
actions  est  appelée  vertu,  et  par  conséquent  c'est  à 
bon  droit  que  la  Pénitence  porte  ce  nom.  Cette 
action  dilficile  consiste  à  détruire  les  péchés  déjà 
commis,  à  satisfaire  à  Dieu  pour  ces  péchés,  avec 
le  ferme  propos  de  ne  Jamais  y  retomber  (i).  Cette 
action  est  vraiment  difficile,  puisque  plusieurs 
ont  de  la  peine  à  s'y  résoudre,  et  la  fuient  sponta- 

I.  D.  Thom.  q.  5,  art.  i. 
Bail,  t.  \x.  25 


o86  LA    THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

nément,  à  cause  de  la  répugnance  qu'ils  éprouvent 
à  la  faire;  tels  sont  les  athées,  les  hérétiques,  les 
voluptueux  et  tous  ceux  qui  se  souillent  tous  les 
jours  par  de  noaveaux  péchés.  En  effet  si  c'est  une 
entreprise  épineuse  de  vouloir  apaiser  la  colère 
d'un  roi  offensé,  colère  qui,  aux  termes  de  Salo- 
mon,  «  est  semblable  an  rugissement  du  lion  » 
(Prov.  19);  qui  pourra  contester  que  ce  ne  soit  une 
entreprise  encore  plus  haute  et  plus  hardie,  de 
vouloir  apaiser  la  colère  d'un  Dieu  tout-puissant, 
traité  injurieusement  par  les  péchés  et  les  déso- 
béissances de  ses  créatures  ?  Ainsi  la  Pénitence  ne 
peut  manquer  d'être  une  vertu  du  côté  de  la  diffi- 
culté de  l'action  à  laquelle  elle  porte  ou  habitue  la 
volonté.  Elle  ne  peut  aussi  manquer  de  l'être  du 
côté  de  l'honnêteté  et  de  la  droiture  de  cette  même 
action;  car  qu'y  a-t-il  de  plus  juste  et  de  plus  rai- 
sonnable au  monde,  que  de  s'indigner  contre  le 
péché  pour  le  détruire,  parce  qu'il  est  injurieux  à 
la  majesté  de  Dieu,  et  que  de  vouloir  en  faire 
toute  la  satisfaction  possible  ?  «  Si  nous  nous 
jugions  nous-mêmes^  dit  saint  Paul,  nous  ne  se- 
rions pas  jugés  par  le  Seigneur.  »  (II  Cor.  11). 
Cette  action  est  si  sainte  et  si  équitable,  qu'elle 
arrête  les  foudres  de  la  justice  divine  et  qu'elle 
nous  exempte  de  la  rigueur  et  de  la  sévérité  de  ses 
jugements.  C'est  pourquoi  Jésus-Christ  disait  : 
«  Si  vous  ne  faites  pas  pénitence^  vous  périrez 
«  tous  y)  (Luc,  i3);  par  là  il  nous  donne  à  con- 
naître que  le  mo3^en  de  ne  pas  périr,  et  de  ne  pas 
être  condamné  à  son  effroyable  jugement,  c'est  de 
pratiquer  cette  vertu.  Si  nous  considérons  tant  soit 
peu  ce  que  Dieu  est  et  ce  que  nous  sommes,  il  ne 


DES    SACREMENTS  ?87 

sera  pas  possible  que  nous  ne  reconnaissions  très 
manifestement  la  justice  et  la  bonté  de  cette  ac- 
tion. Dieu  en  effet  est  notre  Roi  d'une  façon  plus 
élevée  et  plus  éminente  que  tous  ceux  qui  portent 
ces  noms  sur  la  terre,  il  est  notre  Créateur  et  no- 
tre Conservateur,  notre  Sanctificateur  et  notre 
Glorificateur,  il  est  notre  principe  et  notre  fin, 
l'objet  de  notre  espérance  pour  l'éternité;  en  un 
mot,  il  est  tout  ce  que  nous  pouvons  souhaiter, 
celui  (.(.  en  qui  nous  vivons,  nous  avons  le  mou- 
vement et  V  être.  »  (Act.  17).  Si  bien  que  nous  dé- 
pendons absolument  de  lui  ;  nous  n'avons  pas  un 
seul  filet  de  vie,  une  seule  inspiration,  si  ce  n'est 
grâce  à  son  assistance  et  à  sa  volonté.  N'est-il 
donc  pas  bien  raisonnable  que  nous  ressentions 
vivement  les  mépris  et  les  injures  que  nous  lui 
avons  faits  nous-mêmes  par  la  malice  de  nos  pé- 
chés ?  Si  un  sujet  fidèle  à  son  prince  ne  peut  sup- 
porter de  le  voir  méprisé  et  traité  avec  ignominie, 
si  un  enfant  qui  ne  se  remue  pas,  mais  demeure 
insensible  quand  il  voit  le  roi,  son  père,  moqué, 
bafoué  et  détrôné,  est  tenu  pour  dénaturé';  que 
sera-ce  de  nous,  si  nous  permettons,  sans  nous 
émouvoir,  que  notre  Dieu,  notre  Père  tout-puis- 
sant, notre  Souverain  Seigneur,  notre  Bienfaiteur 
infini,  soit  attaqué  et  offensé  dans  son  honneur? 
Ne  serons-nous  pas  considérés  comme  insensibles 
ou  déraisonnables,  si  nous  manquons  à  un  devoir 
si  juste  ?  Le  bon  roi  David,  fuyant  de  Jérusalem  à 
cause  de  la  révolte  et  de  la  conjuration  de  son  fils 
Absalon,  fut  injurié  et  maudit  par  Seméï;  alors  la 
fidèle  Abisaï  dit  au  roi  :  <.<.  Pourquoi  ce  chien  mort 
«  maudit-il  mon  roi  ?  J'irai  et  je  lui  trancherai 


388  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

«  la  tête.  »  (Il  Rois,  17).  En  cela  il  remplit  le  de- 
voir d'un  bon  vassal,  qui  ne  peut  supporter  de 
voir  son  prince  outragé.  Mais  que  parlè-je  d'un 
homme?  C'est  ce  motif  qui  porta  le  Fils  de  Dieu  à 
s'incarnei,  et  à  souffrir,  après  s'être  incarné,  mille 
tourments.  Ce  qui  l'inspirait,  c'était  le  désir  de 
satisfaire  à  Dieu  en  rigueur  de  justice  pour  toutes 
les  offenses  du  monde,  qui  était  incapable  de  sa- 
tisfaire lui-même.  Il  se  livra  pour  ce  motif  à  toutes 
sortes  de  hontes,  de  mépris,  de  tourments,  et  à  la 
mort  même,  qui  est  la  peine  propre  du  péché. 
Aussi  rien  n'est  plus  vrai  que  ceci  :  vouloir  satis- 
faire à  Dieu  pour  l'offense  que  lui  font  les  péchés, 
c'est  une  entreprise  très  juste  et  par  conséquent  la 
Pénitence  mérite  bien  le  nom  de  vertu,  puis- 
qu'elle dispose  et  incline  à  cela  la  volonté. 

Il  faut  donc  estimer  grandement  la  vertu  de 
Pénitence,  il  faut  avoir  un  grand  zèle  pour  répa- 
rer l'honneur  de  Dieu  et  venger  sur  soi-même  les 
péchés  commis  contre  sa  grandeur.  Eh  quoi  ! 
devons-nous  dire,  endurerai-je  que  celui  qui  me 
donne  tous  les  jours  son  pain  pour  vivre,  son 
air  pour  respirer,  sa  main  pour  me  soutenir,  ses 
bras  pour  me  porter,  son  sein  pour  me  reposer, 
son  soleil  pour  m'éclairer,  tout  ce  qu'il  me  faut 
dans  l'ordre  de  la  grâce  et  dans  celui  de  la  nature, 
souffrirai-je  qu'il  soit  offensé,  maltraité,  bafoué, 
injurié,  etc  ?  Ah!  fût-ce  moi-même  qui  aurais  fait 
la  faute;  je  vengerai  ce  tort  fait  à  mon  Dieu,  et  il 
n'y  aura  moyen  que  je  n'essaie  pour  en  venir  à 
bout.  Ah!  mon  Seigneur  Jésus-Christ,  qui  avez 
été  rempli  de  ce  zèle  brûlant  pour  les  péchés 
d'autrui,  faites-moi   la  grâce   d'en  être  au   moins 


DES    SACREMENTS  3<S() 

rempli  pour  mes  propres  péchés.  Vous  avez  com- 
mencé la  prédication  de  la  loi  évangélique  par  ces 
paroles  très  saintes  et  très  remarquables  :  «  Faites 
pénitence^  car  le  royaume  de  Dieu  est  proche.  » 
(Matth.  i).  Donnez-moi  le  courage  de  pratiquer 
cette  vertu,  faites  que  reconnaissant  Ténormité  des 
injures  que  vous  ont  causées  mes  péchés,  et  con- 
naissant aussi  la  grandeur  de  votre  majesté  offen- 
sée, j'ai  dorénavant  cette  vertu  à  cœur,  au  point 
de  vous  satisfaire,  autant  que  possible,  pour  tous 
les  péchés  de  ma  déplorable  vie  (i). 

II 

Considérez  quelques  excellences  de  la  vertu  de 
Pénitence  (2). 

D'abord  elle  est  en  un  certain  sens  la  première 
des  vertus  dans  la  justification  du  pécheur,  car  la 
grâce  que  Dieu  lui  envoie  pour  le  faire  sortir  de 
Tétat  de  péché,  l'excite  premièrement  aux  actes 
de  Pénitence.  Comme  la  grâce  déloge  de  l'àme  le 
péché,  avant  de  la  promouvoir  au  bien,  ainsi  pour 
être  justifié,  le  pécheur  doit  premièrement  être 
délivré  du  péché  et  l'avoir  en  haine,  avant  d'être 
dirigé  vers  le  bien  et  d'y  arriver.  En  effet  il  faut 
quitter  le  point  de  départ  avant  de  toucher  au 
point  d'arrivée  ;  c'est  pourquoi  il  faut  quitter  le 
péché  et  s'en  éloigner  par  la  Pénitence,  avant  que 
l'on  puisse  atteindre  le  vrai  bien  vers  lequel  nous 

1.  Jean  de  Sainte-Marie,  t.  2,  Méd.  8.  Pour  se  bien 
confesser. 

2 .  D.  Thom.  g.  85,  art.  6.  —  D.  Bonavent.  in  4,  dist. 
14,  art.  2,  p.  2,  q.  3. 


3gO  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

portent  les  autres  vertus.  C'est  pourquoi  le  Fils 
de  Dieu  commença  ses  saintes  exhortations  par 
la  vertu  de  Pénitence.  O  bienheureuse  Pénitence, 
dit  un  saint  personnage  (i),  le  Fils  de  Dieu  t'a 
recommandée  dans  les  premiers  de  ses  sermons, 
quand  il  a  dit  :  «  Faites  pénitence^  car  le  royaume 
«  des  deux  approche.  »  (Matt.  3o). 

La  seconde  excellence  de  cette  vertu  est  son 
antiquité  et  sa  durée,  car,  dès  le  commencement 
du  monde  et  après  le  péché  d'Adam,  elle  a  été 
pratiquée  et  elle  a  sauvé  tous  les  saints  de  l'ancien 
Testament,  qui  étaient  tombés  dans  quelque 
offense,  dont  elle  les  a  délivrés,  comme  Adam, 
Noë,  David  et  une  infinité  d'autres.  Aussi  tous  les 
prophètes  de  l'ancien  Testament  ont-ils  exhorté 
les  homm.es  à  la  Pénitence.  Et  quoique  le  Fils  de 
Dieu  ait  institué  la  Pénitence  sous  forme  de  sacre- 
ment, la  vertu  de  Pénitence  n'a  pas  cessé  de  sub- 
sister. Elle  a  été  l'exercice  commun  de  tous  les 
saints  de  la  Loi  évangélique,  qui  en  ont  fait  des  actes 
remarquables  jusqu'à  la  fin  de  leur  vie,  et  il  est 
aussi  à  espérer  que  les  saints  qui  viendront  encore 
jusqu'à  la  fin  du  monde,  vivront  dans  la  pratique 
de  cette  vertu,  qui  déjà  est  des  plus  remarquables 
par  son  antiquité  et  sa  durée.  Aussi  le  saint  Doc- 
teur (2)  dit-il  qu'elle  appartient  au  droit  naturel, 
parce  que  la  raison  naturelle  suggère  aux  hommes 
et  leur  dicte  qu'il  faut  réparer  le  tort  fait  à  autrui 
et  qu'il  faut  satisfaire  à  Dieu  pour  les  péchés  com- 
mis contre  sa  grandeur.  Ce  qui  est  principalement 

1.  Laurent.  Justin.  De perfect.  grad.  c.  3. 

2.  D.  Thom.  q.  85,  art.  9. 


DES    SACREMENTS  3f)I 

vrai,  quand  cette  raison  naturelle  est  éclairée  du 
rayon  de  la  foi  et  assistée  de  la  grâce,  comme 
elle  l'a  été  dès  le  commencement  du  monde  ;  c'est 
pour  cela  que  la  Pénitence  a  toujours  été  pratiquée. 
La  troisième  excellence  de  cette  vertu  est  qu'elle 
comprend  toujours  les  autres  vertus  et  les  met  en 
mouvement,  afin  qu'elles  l'assistent  dans  ses  pro- 
pres actes.  En  effet,  la  foi  l'éclairé  et  la  conduit, 
et  sans  elle,  il  n'y  a  point  de  justification;  l'espé- 
rance la  fortifie,  car  personne  ne  fait  pénitence, 
s'il  i^  l'espoir  du  pardon  et  s'il  n'a  confiance  dans 
la  mi^^icorde  de  Dieu  ;  la  charité  la  perfectionne 
et  la  couronne,  car  la  Pénitence  n'est  vraiment 
parfaite  que,  quand  elle  est  animée  et  informée 
par  cette  vertu  maîtresse;  la  prudence  la  dirige, 
l'empêchant  d'être  défectueuse  ou  excessive  ;  la 
justice  l'accompagne  de  près,  parce  que  son  but 
est  de  venger  justement  le  péché  et  de  satisfaire  à 
Dieu,  à  tel  point  que  si  la  créature  était  capable 
de  satisfaire  à  Dieu  selon  l'égalité,  et  de  lui  rendre 
exactement  ce  que  le  péché  lui  a  ravi,  la  Péni- 
tence ne  serait  pas  distincte  de  la  justice  (i);  la 

I.  La  Pénitence  est  une  partie  potentielle  de  la 
justice.  Les  vertus  qui  se  rattachent  comme  parties 
potentielles  à  une  vertu  principale  ou  cardinale,  sont 
celles  qui  ont  quelque  chose  de  commun  avec  la  vertu 
principale,  mais  auxquelles  il  manque  un  élément 
essentiel,  pour  pouvoir  leur  être  entièrement  assimi- 
milées.  Telle  est  la  Pénitence  à  l'égard  de  la  justice. 
Elle  tient  de  la  justice  en  ce  qu'elle  a  pour  objet  la 
réparation  du  droit  de  Dieu  lésé,  mais  elle  s'écarte  de 
la  justice  en  ce  qu'elle  est  incapable  de  satisfaire  à 
Dieu  selon  l'égalité. 


392  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

force  lui  est  des  plus  nécessaires,  car  elle  est  une 
espèce  de  martyre  et  se  plaît  dans  les  souffrances, 
les  adversités,  les  plus  rudes  travaux  et  âpretés 
de  la  vie  spirituelle,  toutes  choses  pour  lesquelles 
le  courage  est  requis;  enfin  la  tempérance  vient  à 
sa  suite;  car  cette  vertu  tend  à  sevrer  l'homme  des 
plaisirs  et  des  douceurs  de  la  vie,  non  seulement 
des  plaisirs  illicites,  mais  aussi  des  plus  innocents 
et  des  plus  permis,  afin  d'exercer  une  plus  rigou- 
reuse vengeance  par  la  privation  de  certains  biens. 
Enfin  la  vertu  de  Pénitence  constitue  la  dispo- 
sition la  plus  propre  que  puisse  avoir  l'homme 
pour  s'approcher  du  sacrement  de  Pénitence  et  il 
a  véritablement  l'esprit  qu'il  faut  pour  ce  sacre- 
ment, quand  il  s'exerce  dans  la  vertu  de  Pénitence. 
Aussi  si  plusieurs  s'approchent  inutilement  du 
confessionnal  et  n'en  retirent  pas  le  fruit  qu'ils 
devraient  percevoir  d'un  sacrement  si  salutaire,  la 
cause  en  est  que  l'esprit  et  la  pratique  de  cette 
vertu  leur  font  défaut.  C'est  pourquoi  le  Fils  de 
Dieu  ne  voulut  donner  au  monde  le  sacrement  de 
Pénitence  que  quatre  mille  ans  après  que  la  vertu 
de  Pénitence  y  eût  été  pratiquée.  Peut-être  si  les 
chrétiens  pratiquaient  cette  vertu  quatre  jours  ou 
tout  au  moins  quatre  heures  avant  de  recevoir  le 
sacrement  de  Pénitence,  feraient-ils  un  tout  autre 
progrès  dans  la  perfection,  peut-être  y  avanceraient- 
ils  à  pas  de  géant  et  non  à  pas  de  tortue.  Or  non 
seulement  cette  vertu  dispose  et  prépare  les  coeurs 
au  sacrement  de  Pénitence,  mais  elle  fournit  aussi 
à  ce  sacrement  une  partie  de  son  essence,  à  savoir 
sa  matière  qui  consiste  dans  les  actes  de  contri- 
tion, de  confession  et  de  satisfaction,  qui  sont  les 


DES    SACREMKNTS  SgS 

actes  propres  de  cette  vertu.  Il  est  vrai  que  cette 
vertu  ne  remet  pas  le  péché  par  le  seul  fait  de 
l'œuvre  opérée,  comme  fait  le  sacrement  de  Péni- 
tence, et  en  cela  elle  lui  est  inférieure  ;  mais  elle 
le  remet  en  vertu  de  l'œuvre  de  l'opérant,  c'est-à- 
dire  par  l'énergie  de  ses  actes,  qui  méritent  d'un 
mérite  de  convenance  le  pardon  des  péchés. 

Les  excellences  de  cette  vertu  sont  si  grandes 
qu'elle  est  comparée  à  Téchelle  de  Jacob  par  laquelle 
on  monte  au  ciel.  Les  deux  bras  de  l'échelle  sont 
ladoil^irdes  péchés  passés  et  la  résolution  de  les 
éviter  a  l'avenir,  ses  échelons  sont  la  contrition, 
la  confession  et  la  satisfaction,  qui  comprend  en- 
core trois  échelons  :  le  jeune,  l'aumône  et  la  prière. 
Les  Anges  montent  le  long  de  cette  échelle,  pour 
porter  à  Dieu  les  prières,  les  soupirs  et  les  gémis- 
sements des  âmes  repentantes  ;  ils  descendent 
aussi  pour  leur  apporter  les  consolations  du  ciel. 
Son  extrémité  touche  le  ciel,  parce  que  la  Pénitence 
parfaite  et  consommée  introduit  le  pénitent  au 
ciel.  Dieu  paraît  au  sommet  de  cette  échelle  et  la 
tient  ;  il  exhorte  ceux  qui  y  montent  en  leur 
disant  :  «  Faites  pénitence^  car  le  royaume  du 
«  ciel  est  proche  ».  (Matt.  3)  (i). 

Faites  sortir  de  ces  réflexions  les  mêmes  affec- 
tions que  du  premier  point.  Regrettez  encore 
qu'une  vertu  si  excellente,  soit  si  peu  connue  et 
si  peu  pratiquée  par  la  plupart  des  pécheurs  et  par 
vous  spécialement.  O  très  noble  vertu,  que  ta  puis- 
sance est  grande  !  Tu  es  le  refuge  des  humbles,  le 
soulagement  des  affligés,  la  porte  du  pardon,  l'es- 

I,  Raulinus,  Serm.  14  De  Pœnii. 


394  LA    THÉOLOGIE     AFFECTIVE 

pérance  de  l'indulgence,  la  maîtresse  de  la  con- 
naissance de  notre  misère,  la  terreur  des  démons, 
la  nourricière  des  vertus,  la  gardienne  des  grâces, 
Tavant-courrière  de  la  miséricorde,  la  source  des 
larmes,  Tamie  des  anges  et  la  règle  principale  de 
la  vie  spirituelle  (i).  Donc,  puisque  cette  vertu  a 
tant  de  perfection,  désirez  d'en^pratiquer  les  actes. 

III 

Considérez  divers  actes  de  la  vertu  de  Péni- 
tence, dont  les  uns  sont  intérieurs  et  résident 
dans  rintelligence  ou  la  volonté,  et  les  autres  sont 
extérieurs  et  perceptibles  par  les  sens. 

Les  actes  intérieurs  (2)  sont  :  la  haine  du  péché, 
par  laquelle  on  abhorre  le  péché  comme  étant  in- 
jurieux à  Dieu  et  comme  rendant  l'âme  coupable 
aux  yeux  de  sa  justice;  la  confusion  devant  Dieu, 
devant  les  Anges,  devant  les  hommes  d'avoir 
péché,  confusion  qui  fait  que  nous  n'osons  plus 
paraître;  la  détestation  ou  le  déplaisir,  ou  bien  la 
contrition  par  laquelle  on  voudrait  n'avoir  jamais 
commis  le  péché  et  on  le  regrette  comme  un  grand 
malheur;  la  douleur  ou  la  tristesse  par  laquelle 
on  est  affligé  intérieurement  de  l'avoir  commis; 
le  désir  que  Dieu  soit  satisfait  et  que  la  justice  soit 
observée  à  son  égard  par  la  vengeance  et  la  puni- 
tion du  péché;  le  ferme  propos  démettre  à  exécu- 
tion cette  justice  et  cette  sainte  vengeance,  afin 
que  Dieu  ait  son  compte  et  que  son  honneur  soit 
réparé;  l'offrande  de  soi-même  à  la  justice  de  Dieu 

1.  Laurent.  Just.  Ibid. 

2.  Suarez,  disp.  3,  sect.  i  et  a.  De pœnit , 


DES    SACREMENTS  3c)b 

pour  soLilVrir  tels  châtiments  qu'elle  ordonnera;  la 
recherche  de  tous  ses  péchés  par  un  examen  de 
conscience  attentif  et  sérieux;  l'accusation  inté- 
rieure et  spirituelle  de  tous  les  péchés  devant 
Dieu;  la  satisfaction  par  les  actes  intérieurs  de 
l'oraison,  de  la  méditation  et  des  autres  exercices 
spirituels;  la  résolution  de  garder  à  l'avenir  les 
commandements  divins;  la  joie  d'avoir  fait  péni- 
tence et  d'avoir  satisfait  à  Dieu;  car,  dit  saint  Au- 
gustin %^,  que  le  pénitent  s'attriste  du  péché,  et 
qu'il  se  rejouisse  de  sa  tristesse. 

Les  actes  extérieurs  sont  encore  en  beaucoup 
plus  grand  nombre.  Car,  comme  la  Pénitence  a 
deux  offices  qui  sont  d'expier  le  péché  passé  et  de 
l'évitera  l'avenir,  elle  provoque  plusieurs sortesd'ac- 
tions  qui  sont  propres  à  ces  fins,  quoique  ces  mê- 
mes actions  puissent  être  produites  par  d'autres 
vertus,  mais  pour  d'autres  motifs  (2).  Telles  sont 
les  austérités  corporelles,  ces  inventions  cruci- 
fiantes que  l'esprit  de  vraie  pénitence  a  fait  décou- 
vrir aux  saints  en  plus  grand  nombre  que  les  plaisirs 
divers  inventés  pour  leur  propre  contentement 
par  tous  ceux  qui  s'aiment  eux-mêmes.  Telles 
sont  aussi  les  retraites  et  les  solitudes,  pour  éviter 
les  occasions  de  tomber  dans  le  péché.  Telle  est 
la  confession  publique  ou  secrète  de  ses  péchés. 
Telles  sont  toutes  les  œuvres  de  satisfaction  qui  font 
subira  l'homme  par  leur  rigueur  et  àpreté quelque 
chose  des  peines  dues  pour  leurs  offenses.  Si  ces 
peines  semblent  contraires  à  la  nature,  elles  sont 

1.  De  vera  et  falsa  pœnit .  c.  13. 

2.  Suarez,  disp.  6,  sect.  i  et  2. 


3g6  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

pourtant  conformes  à  la  grâce  et  aux  paroles  de 
Dieu  qui  y  invite  les  pécheurs  par  les  prophètes? 
les  évangélistes  et  les  apôtres,  notamment  par 
saint  Paul,  qui  donne  l'exemple  quand  il  dit  :  a  Je 
«  châtie  mon  corps^  de  peur  qu'après  avoir  prê- 
«  chéles  autres,  je  ne  sois  réprouvé  y>  (I  Cor.  9); 
le  mot  grec  signifie  :  Je  plombe  mon  corps^  je  le 
rends  bleu  àf or  ce  de  coups  {i).  Depuis  tous  les  saints 
ont  pratiqué  diversement  ces  actes  et  ont  usé  d'une 
merveilleuse  sévérité  contre  eux-mêmes.  Les  livres 
de  tous  les  siècles  en  rendent  témoignage;  ils 
reprochent  aux  mondains  leur  vie  délicate  et  leur 
donnent  sujet  d'appréhender  des  châtiments  éter- 
nels, à  défaut  des  châtiments  temporels  qu'ils 
ont  en  extrême  aversion.  Il  suffit  de  lire  la  vie  de 
ces  grands  hommes  et  de  quelques  femmes  écrite 
par  Théodoret  (2),  pour  voir  combien  sont  variés  les 
actes  de  la  Pénitence.  On  dirait  que  ce  ne  furent 
pas  des  hommes,  tant  leur  vie  est  prodigieuse  à 
cause  des  croix  et  de  l'austérité,  si  l'auteur  même 
qui  en  fait  le  récit  n'avait  été  témoin  oculaire  de  la 
plupart  des  faits,  s'il  n'avait  touché  les  chaînes  de 
fer  dont  ils  se  chargeaient  le  corps  par  pénitence, 
s'il  n'avait  visité  leurs  retraites  et  examiné  leur  vie  • 
Apprenez  à  choisir  dans  cette  multitude  d'actes 
ceux  que  vous  pratiquerez,  afin  de  satisfaire  à  Dieu 
pour  vos  offenses  et  de  venger  ces  offenses' sur  vous- 
mêmes.  Si  vous  ne  l'avez  pas  fait  jusqu'à  présent» 
nous  n'en  êtes  pas  meilleur  ;  ayez-en  de  la  confu- 
sion. Si  vous  ne  le  faites  pas  à  l'avenir,  appréhendez 

1.  «  Lividum  facio .  »  A  Lapide,  ibidem. 

2 .  In  Histor.  relig . 


Dl'S    SACREMENTS  .•>97 

la  justice  de  Dieu  ;  vous  n'êtes  pas  plus  cher  à 
Dieu  que  les  Saints  qui  ont  pratiqué  ces  péni- 
tences et  vous  ne  devez  pas  penser  que  Dieu  vous 
donnera  son  paradis  à  meilleur  compte  qu'à  eux. 
Car  pourquoi  le  ferait-il  ?  Qu'ètes-vous  de  plus 
qu'eux,  sinon  peut-être  un  plus  grand  pécheur,  un 
chrétien  chargé  de  plus  grands  crimes. 


XXr  MÉDITATION 

DU  SACREMENT  DE  PÉNITENCE 

ET  DE 

CE  QUI  LUI  EST  ESSENTIEL 

SOMMAIRE 

La  Pénitence  est  aussi  un  sacrement  de  la  Lot 
nouvelle  qui  consiste  dans  les  actes  du  péni- 
tent d'une  part  et  dans  l'absolution  du  prêtre 
d'autre  part.  —  Les  actes  du  pérÀtent,  contri- 
tion.^ confession  et  satisfaction  sont  pénibles  et 
laborieux.  —  Vertu,  de  r absolution. 

I 

CONSIDÉREZ  que  la  Pénitence  n'est  pas  seu- 
lement une  vertu,  mais  qu'elle  est  aussi 
un  sacrement  de  la  nouvelle  Loi,  qui  consiste 
d'une  part  dans  la  douleur  des  péchés,    dans    leur 


SgS  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

déclaration  au  prêtre  et  dans  la  satisfaction  pour 
les  mêmes  péchés,  et  d'autre  part  dans  les  paroles 
de  l'absolution  prononcées  vocalement  par  le 
prêtre,  pour  remettre  les  péchés  commis  après  le 
baptême.  Dans  cette  définition  sont  contenues  les 
parties  essentielles  de  la  Pénitence  considérée  non 
plus  comme  une  vertu  morale,  mais  comme  l'un 
des  sept  sacrements  institués  par  Jésus-Christ  et 
donnés  à  l'Eglise  pour  la  sanctifier.  Elle  est  ap- 
pelée ici  sacrement,  parce  qu'elle  renferme  une 
multitude  de  signes  sensibles  ou  de  cérémonies 
religieuses  instituées  par  Jésus-Christ  pour  repré- 
senter et  produire  la  grâce.  Ces  figures  sensibles 
sont  d'une  part  la  contrition,  la  confession  et  la 
satisfaction,  et  d'autre  part  l'absolution  du  prêtre. 
Ces  choses  en  effet  signifient  que  le  pécheur  est 
quitte  et  affranchi  de  son  péché  et  qu'il  est  remis 
en  grâce  et  réconcilié  avec  Dieu.  On  conjecture  en 
effet  qu'une  personne  n'est  plus  dans  le  péché, 
quand  on  lui  voit  produire  au  sujet  de  ses  péchés 
des  actes  de  douleur,  de  confession  et  de  satisfac- 
tion ;  mais  on  en  a  comme  la  certitude,  lorsque 
le  juge  plein  de  pouvoir  et  d'autorité  lui  remet  son 
péché  et  la  renvoie  absoute.  Car  il  y  a  bien  moins 
de  raisons  de  douter  après  l'arrêt  prononcé  par  le 
juge  en  faveur  d'une  personne,  que  lorsqu'il  n'y  a 
encore  en  elle  que  les  seuls  actes  de  douleur,  de 
confession  et  de  satisfaction  ;  ces  actes  ne  mar- 
quent pas  aussi  évidemment  l'état  de  grâce  et  la 
sortie  du  péché  que  ne  le  fait  la  sentence  d'absolu- 
tion prononcée  avec  l'autorité  et  le  pouvoir  légiti- 
mes. C'est  pourquoi  les  actes  de  douleur,  de  con- 
fession et  de  satisfaction  tiennent  lieu  de  matière 


DES    SACREMENTS  3()9 

dans  ce  sacrement  et  l'absolution  du  prêtre  en  est 
la  forme,  le  couronnement  et  la  perfection,  car  elle 
signifie  avec  plus  de  certitude  et  d'évidence  la 
grâce  sanctifiante  qui  elTace  les  péchés.  Le  saint 
Docteur  (i)  confirme  cette  doctrine  ;  il  dit  en  effet 
qu'il  est  manifeste  que  dans  la  Pénitence  les  cho- 
ses se  passent  de  telle  sorte  qu'il  y  a  quelque  chose 
de  saint  qui  est  signifié,  tant  du  côté  du  pécheur 
qui  se  repent,  que  du  côté  du  prêtre 'qui  absout. 
Le  pécheur  montre  qu'il  est  éloigné  du  péché  par 
ce  qu'il  fait  et  par  ce  qu'il  dit;  également  ce  que 
fait  et  ce  que  dit  le  prêtre  sur  le  pénitent  signifie 
l'œuvre  de  Dieu  qui  remet  les  péchés.  D'où  il  est 
évident  que  la  Pénitence  qui  se  pratique  dans 
l'Eglise  est  un  sacrement. 

Il  est  ajouté  à  la  fin  de  la  définition  que  ce 
sacrement  consiste  dans  les  actes  de  douleur,  etc., 
et  dans  l'absolution  du  prêtre,  pour  remettre  les 
péchés  commis  après  le  baptême.  Le  péché  origi- 
nel et  ceux  que  commettent  les  adultes  avant  la 
réception  du  baptême,  sont  remis  par  le  baptême. 
Si  l'on  vient  à  pécher  après  le  baptême,  ce  qui 
arrive  ordinairement  aux  hommes  faibles,  il  est 
nécessaire,  —  car  le  baptême  ne  peut  être  réitéré, 
—  d'avoir  recours  à  la  Pénitence,  qui  répare  et 
accroît  les  biens  de  la  grâce  acquis  par  le  baptême. 
C'est  ce  qui  a  donné  sujet  d'appeler  la  Pénitence, 
la  seconde  planche  après  le  naufrage  (2);  car 
quand  nous  nous  noyions  et  nous  nous  abîmions 
dans  la  mer  du  péché  originel,  le  baptême  a  été 

I.  D.  Thom.  q.  84,  art.  i. 

3,  ^Secunda post  naufragium  tabula,  » 


400  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

notre  première  planche,  sur  laquelle  nous  sommes 
montés  pour  échapper  au  naufrage,  et  lorsque 
nous  nous  sommes  perdus  de  nouveau  et  noyés 
dans  d'autres  péchés  survenus  après  le  baptême, 
nous  avons  pour  seconde  planche  la  Pénitence, 
afin  de  nous  sauver  sur  cette  planche  une  seconde 
fois.  On  rappelle  aussi  la  seconde  échelle  après 
le  baptême;  car  par  elle  le  chrétien  peut  de  nou- 
veau remonter  à  Jésus-Christ.  Cette  échelle  a 
trois  échelons  :  la  contrition  dans  Tàme,  la  con- 
fession dans  la  bouche  et  la  satisfaction  dans 
l'action,  au  moins  en  désir  ;  après  cela  vient 
l'absolution  et  ainsi  l'homme  arrive  à  la  rémission 
et  au  pardon.  Il  s'unit  de  nouveau  à  Jésus-Christ 
et  se  réconcilie  avec  lui. 

Louez  Dieu  de  vous  avoir  donné  ce  sacrement 
pour  réparer  les  fautes  commises  après  votre  bap- 
tême. Il  faut  certes  que  sa  bonté  soit  grande  et 
sans  bornes,  puisqu'il  a  formé  de  toute  éternité 
le  dessein  d'instituer  ce  sacrement,  pour  suppléer 
au  bapêtme  qui  ne  se  donnerait  qu'une  seule 
fois  ;  car  Tàme  se  montre  beaucoup  plus  ingrate 
quand  elle  offense  son  Dieu  après  la  faveur  et  la 
grâce  du  baptême,  et  Dieu  n'aurait  qu'un  trop 
juste  sujet  de  l'abandonner  dans  son  péclié,  après 
l'en  avoir  une  fois  retirée.  Mais  sa  bonté  ne  se 
fixe  pas  de  limites  dans  ses  œuvres.  Il  institue  ce 
sacrement  pour  servir  comme  d'un  nouveau  bap- 
tême, quand  l'àme  sera  retombée  dans  son  état 
de  perdition,  afin  qu'elle  n'entre  pas  en  défiance 
et  ne  se  désespère  pas  après  ses  rechutes, 
comme  si  Dieu  qui  lui  a  pardonné  une  fois  dans 
le  baptême,  ne  voulait  plus  pardonner  les  fautes 


DES    SACREMENTS  40I 

que  Ton  commettrait  après  le  baptême,  à  Texem- 
ple  des  souverains  de  la  terre  qui  ne  pardonnent 
ordinairement  pas  une  seconde  fois  les  infidélités 
commises  envers  eux,  et  qui  trouvent  que  c'est 
beaucoup  de  les  pardonner  une  fois.  Dieu  institue 
ce  sacrement  comme  mo3'en  de  salut  et  pour  la 
sécurité  du  pécheur;  car  le  pécheur  entend  le 
prêtre  qui  tient  la  place  de  celui  qui  a  été  offensé 
et  contre  qui  le  péché  a  été  commis,  lui  donner 
l'absolution.  O  Dieu  éternel  !  qu'elle  est  douce  la 
manière  de  procéder  de  votre  Providence  admira- 
ble! Elle  rappelle  suavement  et  elle  ramène  à 
vous  les  âmes  pécheresses,  elle  donne  des  signes 
sensibles  et  des  témoignages  évidents  de  votre 
amour  à  des  créatures  ingrates  qui  ne  mériteraient 
que  des  foudres  et  d'horribles  châtiments.  Oh  !  Je 
désire  à  votre  exemple  donner  de  véritables  signes 
de  réconciliation  à  qui  m'aura  offensé,  etc. 

II 

Considérez  plus  particulièrement  que  ce  sa_ 
crement  consiste  dans  les  actes  du  pénitent, 
qui  sont  la  contrition,  la  confession,  la  satisfac- 
tion. Ces  trois  actes  appartiennent  à  l'essence  ou 
à  l'intégrité  et  à  la  composition  de  la  Pénitence  ; 
ils  en  sont  la   partie   matérielle  (i).  Ce  sont  trois 

I.  Il  existe  sur  ce  point  une  grave  controverse.  Tous 
les  théologiens  admettent,  surtout  depuis  le  Concile  de 
Trente,  que  les  actes  du  pénitent  sont  dans  un  certain 
sens  la  matière  prochaine  du  sacrement  de  Pénitence, 
mais  le  sont-ils  de  telle  sorte  qu'ils  aient  été  institués 
par  Jésus-Christ  comme  devant  former,  unis  à  l'absolu- 
Bail,  t.  IX.  36 


402  LA     THEOLOGIE    AFFECTIVE 

actes  pénibles,  laborieux  et  difficiles  à  pratiquer.  Ce 
point  est  d'autant  plus  important  que  ce  semble  être 
une  chose  particulière  à  ce  sacrement.  Car  dans 
les  autres  sacrements  l'homme  n'agit  pas,  comme 
par  exemple  dans  le  baptême,  où  l'eau  lui  est  appli- 

tion  du  prêtre,  le  signe  efficace  de  la  grâce,  ou,  en 
d'autres  termes,  les  actes  du  pénitent  produisent-ils  la 
grâce  ex  opère  operato  ?  L'auteur  embrasse  cette  dernière 
opinion,  puisqu'il  dit  un  peu  plus  loin  (page  405)  :  que 
«  les  actes  du  pénitent  sont  cause  efficace  et  sacramentelle 
«  de  la  grâce,  en  vertu  de  l'œuvre  opérée,  comme  l'est  l'eau 
«  du  baptême.  »  Cette  opinion,  combattue  par  Scot  et 
les  scotistes  est  aujourd'hui  de  beaucoup  la  plus  com- 
mune ;  c'est  celle  de  saint  Thomas  et  des  thomistes, 
tels  que  Gonet,  Bellarmin,  Suarez,  Vasquez,  de  Lugo. 
Le  Concile  de  Trente  dit(sess.  14,  chap.  3)  :  ^Les  actes 
«  suivants  du  pénitent  :  la  contrition,  la  confession  et  la 
«  satisfaction  en  sont  comme  la  matière  (du  sacrement 
«  de  Pénitence).  Ces  actes  sont  appelés  parties  de  la  Pé- 
«  niience,  parce  que,  d'après  l'institution  de  Dieu,  ils 
«  sont  requis  dans  le  pénitent  pour  que  le  sacrement  re- 
.«  çoive  son  intégrité  et  lui  procure  pleine  et  entière  rémis- 
«  sion  de  ses  péchés.  »  Le  Concile  n'aurait  pas  dit  que 
ces  actes  sont  des  parties  de  la  Pénitence,  s'ils  n'étaient 
qu'une  simple  condition  pour  recevoir  ce  sacrement,  et 
si  ces  mots  ^ comme  la  matière'»  ne  signifiaient  qu'une 
simple  condition.  Le  Catéchisme  romain  donne  d'ailleurs 
la  raison  pour  laquelle  le  Concile  a  employé  cette  ex- 
pression :  «  Ces  actes  ne  sont  pas  appelés  par  le  saint 
«  Concile  comme  la  matière  de  ce  sacrement,  pour  cette 
«  raison  qu'ils  n'en  seraient  pas  véritablement  la  matière, 
«  mais  parce  qiCils  ne  sont  pas  une  matière  de  la 
«  même  espèce  que  celle  qui  est  employée  extéricure- 
«  ment,  comme  l'eau  dans  le  baptême  et  le  chrême  dans  la 


DES    SACREMENTS  40J 

quée  par  un  autre,  ou  dans  la  Confirmation,  dans 
laquelle  il  reçoit  le  chrême,  etdans  l'ExtrèmeOnc- 
tion,  où  il  est  oint  par  le  prêtre  sans  faire  lui-même 
aucune  action.  Et,  quoiqu'il  semble  agir  dans 
l'Eucharistie  en  mangeant  Thostie  et  dans  l'Ordre 
en  touchant  les  objets  sacrés  et  dans  le  Mariage  en 
donnant  son  consentement,  néanmoins  tous  ces 
actes  sont  si  faciles  que  Ton  considère  l'homme 
comme  ne  contribuant  en  rien  à  ces  sacrements  (i). 

«  confirmation.  »  (p.  2,  c.  5,  n.  13).  Le  même  Concile 
«  fournit  un  autre  argument  en  faveur  de  cette  doctrine 
quand  il  «  enseigne  de  plus  que  la  forme  du  sacrement  de 
«  Pénitence,  où  réside  principalement  sa  vertu,  consiste 
«  dans  ces  paroles  du  ministre  :  Je  f  absous,  etc.  »  (vers.  14 
ch.  3);  ces  paroles  supposent  clairement  que  la  vertu 
de  ce  sacrement  réside  aussi  dans  sa  matière,  qui  ne 
peut  être  autre  chose  que  les  actes  du  pénitent.  A  no- 
ter aussi  que  seuls  les  actes  extérieurs  et  sensibles  peu- 
vent être  la  matière  du  sacrement;  or  de  ces  trois  actes 
du  pénitent  il  n'y  a  que  la  confession  qui  soit  sensible 
par  elle-même,  il  n'y  a  donc  que  la  confession  qui  soit 
par  elle-même  la  matière  de  ce  sacrement,  mais  la  con- 
fession faite  en  vue  de  recevoir  l'absolution  et  par  con- 
séquent accompagnée  de  la  contrition  et  de  la  volonté 
de  satisfaire  à  Dieu. 

I.  C'est  faux  pour  le  sacrement  de  Mariage,  puisqu'il 
est  certain  que  le  signe  sacramentel  se  trouve  tout  en- 
tier dans  le  consentement  des  futurs  époux,  exprimé 
verbalement  ;  d'après  l'opinion  la  plus  commune,  les 
paroles  par  lesquelles  on  formule  le  consentement  sont 
la  matière  du  mariage,  en  tant  qu'elles  expriment  la 
tradition  des  corps,  et  en  sont  la  forme,  en  tant  qu'elles 
expriment  l'acceptation  de  cette  tradition.  Aussi  est-il  à 
noter  que  le  sacrement  de  Pénitence  ressemble  plus  qu'à 


404  LA  THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


De  telle  sorte  qu'il  n'y  a  que  le  sacrement  de  Pé- 
nitence qui  soit  composé  des  actes  de  celui  qui  le 
reçoit,  pour  lesquels  actes  il  éprouve  de  la  diffi- 
culté et  s'évertue  avec  peine  et  travail.  Le  saint 
Docteur  (1)  a  donné  la  raison  de  cette  différence. 
Les  sacrements,  dit-il,  sont  comme  des  remèdes 
destinés  à  rendre  la  santé.  Or,  parmi  les  remèdes, 
les  uns  consistent  dans  certaines  choses  extérieu- 
res que  Ton  applique  au  malade,  tels  que  les  em- 
plâtres et  les  appareils;  les  autres  consistent  dans 
certains  actes  de  ceux  qu'il  faut  guérir,  tels  que 
certains  exercices  que  prescrivent  les  médecins. 
C'est  de  cette  dernière  espèce  qu'est  le  sacrement 
de  Pénitence  ;  c'est  un  remède  de  la  maladie,  qui 
consiste  dans  les  actes  du  malade.  Il  faut  qu'il 
peine  et  qu'il  s'exerce,  qu'il  se  remue  et  qu'il 
agisse  en  formant  des  actes  de  douleur,  en  se  con- 
fessant, en  réparant  les  mauvaises  œuvres  de  son 
passé  par  des  bonnes  œuvres  contraires.  Au  reste 
cette  comparaison  explique  pourquoi  les  actes  de 

tout  autre  au  sacrement  de  Mariage.  L'un  et  l'autre  ont 
cela  de  commun  qu'ils  n'ont  pas  de  matière  éloignée  qui 
entre  dans  leur  composition.  La  raison  en  est  que,  dans 
ces  deux  sacrements,  le  signe  sacramentel  réside  tout  en- 
tier dansson  action.  Or  les  actions  ne  comportentpasune 
application  spéciale,  telle  qu'elle  est  nécessaire  pour  la 
matière  proprement  dite,  par  exemple  pour  l'eau  et  le 
saint-chrême.  On  ne  saurait  considérer  les  péchés 
comme  la  matière  éloignée  destinée  à  faire  partie  du 
sacrement  de  Pénitence,  car  Jésus-Christ  n'a  pas  institué 
les  péchés  comme  un  signe  capable  de  sanctifier.  (Cf. 
S.  Thom.  3,  q.  14,  a.  i). 

I.  Ibid.  ad.  i. 


DES    SACREMENTS  4o5 

l'homme  interviennent  dans  '-e  sacrement,  mais 
elle  n'explique  pas  suffisamment  pourquoi  ce  sont 
des  actes  pénibles  et  difficiles  à  la  nature,  car  on  le 
constate  par  ce  fait  que  plusieurs  ont  une  grande 
violence  à  se  faire  pour  avoir  la  contrition  et  qu'ils 
endureraient  plus  facilement  des  jeûnes  et  de  ru- 
des disciplines  que  de  s'accuser  à  un  prêtre  de 
leurs  péchés  honteux.  Aussi  il  faut  encore  consi- 
dérer que  ces  actes  sont  laborieux  et  pénibles, 
parce  qu'il  faut  détruire  les  péchés  commis  après 
le  baptême  et  qui,  par  cela  même,  sont  plus  volon- 
taires et  plus  injurieux  à  Dieu.  Car  avant  le  bap- 
tême, le  principal  péché  qui  règne  en  nous  est  le 
péché  originel,  que  nous  avons  contracté  plutôt 
par  la  volonté  d'Adam,  notre  premier  père,  que 
par  notre  propre  volonté.  Si  ceux  qui  sont  baptisés 
dans  un  âge  plus  avancé  ont  commis  d'autres  pé- 
chés, auxquels  leur  volonté  propre  a  donné  son 
consentement,  il  est  vrai  néanmoins  de  dire  que  la 
nature  corrompue  et  inclinée  au  mal  par  le  pli  que 
lui  a  donné  le  péché  originel,  pousse  grandement 
à  les  commettre,  tandis  qu'après  le  baptême,  la 
nature  étant  réparée,  le  péché  originel  étant  aboli 
et  l'inclination  au  mal  affaiblie  par  la  grâce  sancti- 
fiante et  par  les  vertus  infuses,  tout  péché  que 
commet  l'homme  vient  de  son  propre  gré  et  de  son 
propre  consentement;  c'est  pourquoi  il  est  inexcu- 
sable. Ajoutez  à  cela  que  dans  le  baptême  l'homme 
reçoit  de  Dieu  des  bienfaits  signalés  qui  surpas- 
sent toutes  nos  pensées,  et  que,  comme  l'offense 
croît  en  gravité  selon  qu'elle  renferme  plus  d'in- 
gratitude et  qu'elle  se  commet  contre  un  bienfai- 
teur plus  grand   et  plus  libéral,  les    péchés  des 


406  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

hommes  sont  pour  ce  motif  plus  graves.  En  effet 
les  hommes  perdent  l'état  de  grâce  qui  leur  avait 
été  acquis  par  le  sang  précieux  de  Jésus-Christ,  ils 
n'offensent  pas  seulement  Dieu  comme  Créateur, 
mais  aussi  comme  Rédempteur  et  Sauveur,  qui 
les  avait  délivrés  par  son  sang,  ils  offensent  toute 
la  société  chrétienne  et  tous  les  membres  de  Jésus- 
Christ,  ils  outragent  un  Dieu  fait  homme  et  cru- 
cifié pour  leur  salut,  un  Père  très  clément  et  leur 
Libérateur  très  bon.  Or,  plus  Dieu  a  fait  pour 
nous,  plus  il  s'est  sacrifié  à  nos  besoins,  plus  est 
atroce  et  sanglante  l'injure  qui  lui  est  faite  (i)- 
Puisqu'il  en  est  ainsi,  Dieu  a  de  justes  raisons 
d'effacer  de  tels  péchés  par  un  sacrement  plus 
pénible,  plus  rude,  plus  humiliant,  plus  mortifiant 
et  qui  coûte  davantage  aux  chrétiens,  car  ils  ont  à 
produire  des  actes  de  douleur,  à  découvrir  leurs 
vices,  à  y  payer  des  amendes  et  à  faire  des  œuvres 
satisfactoires.  L'énormité  de  leurs  péchés  et  leur 
ingratitude  après  le  baptême  ont  mérité  un  châti- 
ment plus  grand.  Ainsi  il  ne  faut  pas  s'étonner 
que  les  actes  humains  pénibles  et  laborieux  entrent 
dans  la  composition  de  la  Pénitence  et  qu'ils  ap- 
Dartiennent  à  l'essence  et  à  intégrité  de  ce  sacre- 
ment. 

Il  faut  plutôt  reconnaître  l'équité  de  la  Provi- 
dence et  de  la  conduite  de  Dieu  sur  le  salut  des 
hommes,  de  cette  Providence  qui  sait  ordonner 
toutes  choses  avec  sagesse  et  avec  une  justice  admi- 
rable. Il  faut  apprendre  par  là  à  avoir  ses  péchés 
de  plus  en  plus  en  abomination,  en  pensant  qu'on 

I.  Raymondus  Sabond.  in  L.  créât,  ûi.  295. 


DES    SACREMENTS  407 

a  eu  Taudace  de  les  commettre  après  le  baptême 
dans  lequel  on  avait  reçu  le  prix  du  sang  précieux 
de  Jésus-Christ,  c'est-à-dire  un  état  de  grâce  qui 
lui  avait  coûté  d'ineffables  douleurs  et  même  la 
vie  sacrifiée  dans  ce  but.  Quelle  confusion  ne  doit 
point  ressentir  un  chrétien  à  cette  pensée?  Mais 
combien  sa  confusion  doit  être  plus  grande,  si 
non  seulement  il  a  été  baptisé,  mais  s'il  a  été 
aussi  confirmé,  s'il  a  reçu  la  sainte  Eucharistie,  si 
l'absolution  et  le  pardon  lui  ont  été  accordés,  plu- 
sieurs fois  même;  alors  il  n'j'-  a  pas  de  paroles 
capables  de  faire  comprendre  la  gravité  de  ses 
crimes  ainsi  que  la  grandeur.de  la  pénitence  et  de 
la  satisfaction  qu'il  devrait  en  faire.  Qu'il  souffre 
donc  volontiers  ce  qu'il  y  a  d'âpreté  et  de  rigueur 
dans  le  sacrement  de  Pénitence,  qu'il  n'estime 
pas  trop  faire,  quand  il  s'efforce  de  produire  des 
actes  de  contrition,  de  confession  et  de  satisfac- 
tion, qu'il  croie  au  contraire  qu'à  ce  prix,  il  s'en 
tire  à  bon  marché  et  qu'il  loue  Jésus-Christ,  pour 
avoir  institué  ces  choses. 

III 

Considérez  la  vertu  de  l'absolution.  Quoique  les 
actes  du  pénitent  interviennent  comme  parties 
essentielles  dans  ce  sacrement,  et  qu'ainsi  ils 
soient  causes  efficaces  et  sacrementelles  de  la 
grâce  en  vertu  de  l'œuvre  opérée,  comme  l'est 
l'eau  du  baptême;  néanmoins  le  pénitent  ne  s'ab- 
sout pas  lui-même  de  ses  péchés,  c'est  le  prêtre 
qui  seul  l'absout,  quand  il  applique  la  forme  en 
disant  :  «/^  f  absous  de  tes  péchés.  y>  Cette  consi- 
dération est  nécessaire   pour  éviter  une  difficulté 


4o8  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

que  Ton  pourrait  faire  contre  ce  que  nous  venons 
de  dire.  Car  l'effet  du  baptême  n'est  pas  attribué 
seulement  à  la  forme  et  à  la  vertu  des  paroles, 
mais  aussi  à  l'eau;  c'est  ce  que  dit  Saint  Augus- 
tin (i)  en  ces  termes  :  D'où  vient  à  l'eau  une  si 
grande  vertu  qu'elle  touche  le  corps  et  lave  le 
cœur  ?  Pourquoi  donc  également  les  actes  de  dou- 
leur et  de  confession  qui  sont  la  matière  de  la 
Pénitence,  n'effacent-ils  pas  les  péchés,  et  pour- 
quoi le  pénitent  ne  s'attribuerait-il  pas  cet  effet, 
puisque  ces  actes  procèdent  de  lui?  Le  Docteur 
angélique  (2)  a  écrit  sur  ce  sujet  des  paroles  très 
remarquables,  pour  contenir  l'esprit  humain  dans 
l'humilité  et  l'empêcher  de  rien  attribuer  à  sa 
propre  vertu.  Il  affirme  que  la  Pénitence  est  ins- 
pirée aux  hommes  suivant  les  paroles  du  pro- 
phète :  «  Après  que  vous  m'ave^  converti^  f  ai  fait 
pénitencey>  (Jér.  3i);  il  dit  que  les  actes  humains 
qui  en  sont  la  matière,  viennent  de  l'inspiration 
de  Dieu  et  qu'ainsi  c'est  Dieu  opérant  seul  qui 
fournit  la  matière  de  ce  sacrement,  que  le  prêtre 
achève,  quand  il  absout  le  pécheur.  D'où  il  nous 
laisse  à  conclure  combien  est  misérable  l'homme 
pécheur  et  pénitent,  combien  sa  pauvreté  est 
grande,  afin  qu'il  ne  s'attribue  pas  l'absolution  de 
ses  fautes,  mais  qu'il  l'attribue  toute  à  Dieu,  qui 
lui  a  inspiré  les  actes  de  contrition  et  de  confes- 
sion et  qui  a  donné  au  prêtre  les  clefs  et  le  pou- 
voir pour  prononcer  efficacement  cette  parole  :  a  Je 
f  absous  de  tes  péchés  y>.  D'autres  théologiens  (3) 

I.  Tract.  80  IN  JoAN  :  ««/  corpus  tangaiet  cor  abluat.  » 
3.  Thom.  q.  et  art.  iisdem,  ad  2. 
3.  Suarez,  disp.  28,  sect.  2. 


DES    SACREMENTS  409 

répondent  que  les  actes  de  douleur  et  de  confes- 
sion ne  contribuent  pas  autrement  en  vertu  de 
l'œuvre  opérée,  qu'en  tant  qu'ils  sont  unis  à  la 
forme  et  aux  paroles  de  l'absolution,  et  que  par 
elles  ils  sont  élevés  à  cette  haute  puissance  de 
remettre  les  péchés,  et  qu'en  conséquence  la  rémis- 
sion des  péchés  ne  doit  être  attribuée  qu'au  prê- 
tre, qui  applique  la  forme.  D'auires(i)  disent  que, 
pour  absoudre  des  péchés,  il  faut  produire  la 
grâce  comme  juge  par  le  pouvoir  juridictionnel,  et 
que  cet  acte  convient  au  prêtre  seul,  et  non  pas  au 
pénitent.  Enfin  de  même  que  lorsqu'il  s'agit  d'un 
composé  naturel  ou  artificiel,  l'honneur  d'avoir 
accompli  l'œuvre  est  attribué  seulement  à  celui 
qui  en  produit  la  forme  ou  qui  l'unit  à  la  matière 
et  n'est  nullement  attribuée  à  l'auteur  de  la 
matière,  comme  c'est  à  l'architecte  qui  a  donné  la 
forme  à  l'édifice,  plutôt  qu'à  ceux  qui  ont  fourni 
la  pierre  et  le  ciment,  que  revient  l'honneur  de 
l'avoir  bâti;  de  même  celui  qui  efface  les  péchés, 
c'est  le  prêtre  qui  donne  la  forme  à  ce  sacrement 
et  non  pas  le  pénitent  qui  y  apporte  la  matière. 

Or,  ce  qui  est  ici  plus  considérable,  c'est  la 
manière  dont  le  prêtre  remet  les  péchés  dans  ce 
sacrement;  ce  n'est  pas  seulement  par  prière  et 
supplication  adressées  à  Dieu,  mais  c'est  par  une 
autorité  et  une  puissance  qui  lui  est  communiquée 
par  Dieu.  Il  ne  déclare  pas  seulement  que  le 
pécheur  est  absous  de  ses  péchés  à  cause  de  sa 
douleur  ou  de  sa  contrition,  mais  il  l'absout  véri- 
tablement et  efface  ses  péchés,  aussi  bien  qu'il  le 

I.  Nœrat.  De pœnit.  disp.  3,  sect.  i. 


410  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

fait  dans  le  baptême,  quand  versant  de  Teau  il 
prononce  ces  paroles  :  Je  te  baptise,  etc.  C'est 
pourquoi  Saint  Ambroise  (i)  dit  :  Jésus-Christ 
veut  que  ses  disciples  aient  un  grand  pouvoir;  il 
veut  que  ce  qu'il  faisait  sur  la  terre,  ses  petits 
serviteurs  le  fassent  également  en  son  nom.  Enfin 
il  leur  dit  :  vous  ferez  de  plus  grandes  choses 
encore.  Saint  Ambroise  ajoute  après  plusieurs 
exemples  :  Dans  le  baptême  se  trouve  la  rémission 
de  tous  les  péchés.  Qu'importe  que  les  prêtres 
s'attribuent  ce  droit  par  la  Pénitence  ou  par  le 
Baptême  ?  Saint  Jean  Chrysostome  (2)  dit  qu'il  y  a 
une  différence  entre  les  prêtres  de  l'ancienne  Loi 
et  ceux  de  la  nouvelle  ;  ceux-là  avaient  le  pouvoir 
non  pas  de  guérir  les  lépreux,  mais  de  déclarer 
qu'ils  étaient  guéris,  quant  à  ceux-ci,  ils  ont  le 
pouvoir  pour  ce  qui  regarde  non  plus  la  lèpre  du 
corps,  mais  celle  de  l'àme,  je  ne  dis  pas  de  décla- 
rer que  cette  lèpre  est  guérie,  mais  de  la  guérir 
entièrement.  En  effet,  de  même  que  Jésus-Christ 
en  disant  ces  paroles  :  inAlle^,  enseigne:^  toutes  les 
«  nations^  haptise^-Jes  au  nom  du  Père,  du  Fils 
«  et  du  Saint-Esprit  »  (Matt.  28),  institua  la  forme 
du  baptême,  forme  qui  signifie  et  qui  produit  son 
propre  effet,  à  savoir  la  grâce  sanctifiante  et  la 
rémission  de  tous  les  péchés;  également,  quand 
il  a  dit  ces  paroles  :  «  Recevez  le  Saint-Esprit^  les 
«  péchés  seront  remis  à  qui  vous  les   remettre^  » 

1.  L.  1.  De  pœnit,  c.  1  :  ^Quid  interest  uirum  per 
«  pœnitentiam  aut  per  lavacrum^  hoc  jus  sibi  datum 
«  sacerdotes  vendicent?  ». 

2.  De  sacerd.  1.  3,  c.  6. 


DES    SACREMENTS  41  I 

(Jean,  -jo;,  il  institua  la  forme  du  sacrement  de 
Pénitence  :  Je  f  absous  de  tes  péchés.  Cette  forme 
est  à  la  fois  significative  et  effective  de  son  propre 
effet,  ainsi  qu'il  appartient  à  la  forme  des  sacre- 
ments et  comme  cet  effet  est  la  grâce  sanctifiante 
qui  remet  tous  les  péchés  mortels,  elle  a  le  pou- 
voir et  la  vertu  de  la  produire.  C'est  pourquoi, 
quand  le  prêtre  prononce  ces  paroles,  il  fait  une 
œuvre  de  sanctification,  il  fait  grâce  au  pécheur, 
le  pardonne,  et  le  purifie  de  ses  taches  ;  ce  qui 
l'oblige  à  être  saint  et  immaculé,  puisque  les 
pécheurs  espèrent  et  recherchent  d'être  sanctifiés 
par  lui  (i).  Le  Docteur  séraphique  (2)  dit  que 
Dieu  ayant  des  différends  avec  le  pécheur,  a  fait 
un  compromis;  il  a  choisi  le  prêtre  comme  arbi- 
tre de  ces  différends,  afin  de  mettre  fin  par  le 
jugement  du  prêtre  à  des  inimitiés  réciproques  et 
de  faire  la  paix.  C'est  pourquoi  le  prêtre  exhorte 
le  pécheur  à  déclarer  sa  faute  entièrement,  à 
demander  pardon  à  Dieu  avec  regret  et  humilité, 
et,  lui  ayant  fait  remplir  ces  devoirs  de  soumis- 
sion, il  l'absout  de  ses  péchés  et  le  condamne  à  quel- 
que amende  spirituelle,  à  savoir  à  une  pénitence 
qu'il  lui  enjoint  d'observer.  N'est-ce  pas  là  tout 
ce  que  pourrait  faire  un  arbitre  entre  un  grand 
prince  porté  à  la  miséricorde  et  un  homme  de 
basse  condition  qui  aurait  eu  des  torts  ?  Mais  si 
c'est  un  honneur  très  grand  d'être  choisi  par  un 
roi  de  la  terre  comme  arbitre  de  ses  différends,  il 
n'y  a  pas  de  paroles  qui  soient  capables  d'exprimer 

1.  Guillel.  Paris.  De  Pœnit.  c.  21. 

2.  In  4,  disp.  15,  p.  2,  art.  i,  q.  2. 


412  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

quel  honneur  c'est  pour  les  prêtres  d'être  choisis 
par  Dieu  même  comme  arbitres,  avec  le  pouvoir 
de  réconcilier  Dieu  avec  les  pécheurs  et  les  pé- 
cheurs avec  Dieu. 

Etonnez-vous  donc  de  ce  merveilleux  pouvoir 
que  reçoivent  des  hommes  mortels  et  misérables, 
pouvoir  qui  consiste  à  administrer  ce  sacrement. 
Oh  !  que  Dieu  est  admirable,  «  qui  a  donné  un 
«  tel  pouvoir  aux  hommes!  »  (Matt.  9).  Oh! 
quelle  confiance  doit  avoir  le  pécheur  de  voir  ses 
différends  et  ses  inimitiés  avec  Dieu  se  terminer  à 
son  avantage,  puisque  celui  qui  a  été  choisi  par 
Dieu  pour  arbitre  et  pour  juge  est  de  son  parti  ! 
C'est  un  homme  comme  lui,  un  homme  qui  con- 
naît par  sa  propre  expérience  l'infirmité  humaine, 
en  face  de  laquelle  il  est  par  conséquent  plus  dis- 
posé à  éprouver  de  la  pitié.  Cet  état  de  chose 
n'est-il  pas  plus  souhaitable,  que  si  c'était  un 
ange  du  ciel  étincelant  comme  la  foudre  et  plus 
brillant  que  le  soleil  ?  Oh  !  Dieu  !  quel  saisisse- 
ment, quelles  angoisses  éprouverait  le  pécheur  à 
manifester  ses  souillures  sous  les  yeux  de  cette 
pureté,  ainsi  que  ses  infirmités  et  ses  défauts  à  la 
face  de  cette  grandeur  du  ciel  ?  Quelle  crainte  que 
cet  ange,  qui  a  une  autre  nature  que  lui,  refusât 
d'être  gracieux  et  favorable  à  son  égard  !  Quel  res- 
pect faut-il  donc  témoigner  au  prêtre  à  qui  la 
puissance  du  ciel  a  été  confiée  !  Car  Dieu  le  Père 
«  a  remis  tout  jugement  à  son  Fils.  »  (Jean,  6). 
C'est  pourquoi  si  celui  qui  aurait  reçu  du  roi  le 
pouvoir  d'emprisonner  ou  de  mettre  en  liberté 
qui  il  voudrait,  serait  admiré  dans  le  royaume  et 
redouté,  que  ne  doit-on  pas  éprouver  en  face  du 


DES    SACREMENTS  4l3 

prêtre,  qui  a  reçu  un  pouvoir  d'autant  plus  grand 
que  ràmc  l'emporte  sur  le  corps  et  le  ciel  sur  la 
terre  ?  Quel  est  donc  le  prêtre  qui  osera  peu 
estimer  son  état,  et  à  qui  sa  condition  déplaira 
comme  une  chose  basse  ?  Arrière,  arrière  une  telle 
folie,  de  mépriser  une  si  grande  puissance,  sans 
laquelle  nous  ne  pouvons  acquérir  le  salut  ni  les 
biens  qui  nous  sont  promis  (i)  ! 


XXir  MÉDITATION 

DES  EFFETS 
DU  SACREMENTJDE  PÉNITENCE 

SOMMAIRE 

Le  grand  effet  du  sacrement  de  Pénitence  est  la 
rémission  de  tous  les  péchés  mortels  sans  délais 
sans  fin  et  à  tout  jamais  —  Un  autre  effet  du 
sacrement  de  Pénitence  est  la  restitution  de  la 
grâce  et  des  vertus  perdues  —  Autres  effets 
qui  sont  la  conséquence  de  ceux-là. 

I 

CONSIDÉREZ  qu'un  des  grands  effets  du  sacre- 
ment de  Pénitence,  est  la  rémission  de 
tous  les  péchés  mortels,  sans  exception,  sans  délai, 
sans  fin  et  à  tout  jamais.  Dieu  promet  cet  admi- 

I .   D.  Chrysost.  ubi  supra,  c.  ^. 


414  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

rable  effet  à  la  vertu  de  Pénitence.  «  Si  l  impie 
«  fait  pénitence,  je  ne  me  souviendrai  plus  de 
«  ses  iniquités.  »  (Ezéch.  18).  Et  encore  :  «  Qiie 
<(.  l'impie  abandonne  sa  voie,  qu'il  se  convertisse 
«  au  Seigneur  et  il  obtiendra  m.iséricorde.  » 
(Is.  55).  Il  n'y  a  point  en  effet  de  péché  qui  ne 
cède  à  la  puissante  vertu  de  la  Pénitence.  Or  il  est 
constant  que  le  sacrement  de  la  Pénitence  a  plus 
d'efficacité  que  la  vertu  même  de  Pénitence  ; 
parce  que  son  effet  est  infaillible,  et  que  ce  sacre- 
ment agit  en  vertu  de  Tœuvre  opérée,  alors  même 
que  le  pécheur  n'a  que  la  douleur  de  Tattrition. 
C'est  pourquoi  il  efface  également  tous  les  péchés 
mortels,  sans  en  excepter  un  seul,  car  en  vérité 
Jésus-Christ  n'excepte  rien  quand  il  dit  :  «  Les 
«  péchés  seront  remis  à  ceux  à  qui  vous  les  re- 
«  mettre^.  »  (Jean,  20).  Aussi  ne  peut-il  jamais 
arriver  qu'un  péché  mortel  soit  remis  dans  une 
même  âme  et  qu'au  même  instant  les  autres  ne 
soient  pas  remis  également,  car  tout  péché  mor- 
tel est  remis  par  l'infusion  de  la  grâce  sanctifiante, 
qui  est  incompatible  avec  n'importe  quel  péché 
mortel.  C'est  pourquoi  s'il  pouvait  se  faire  que 
tous  les  péchés  des  démons  et  des  damnés  fussent 
réunis  dans  une  même  âme  et  que  cette  âme  re- 
çut seulement  la  centième  partie  de  la  grâce  sanc- 
tifiante qui  est  donnée  à  un  enfant  nouvellement 
baptisé,  ce  serait  assez  pour  purifier  cette  âme  de 
tous  ses  péchés  et  la  rendre  nette  au  yeux  de 
Dieu,  comme  un  rayon  de  soleil.  Dieu  en  effet  ne 
pardonne  pas  à  demi,  il  pardonne  tout  ou  rien, 
pour  ce  qui  est  des  fautes  et  des  offenses  mortelles. 
Aussi  «  les  œuvres  de  Dieu  sont  parfaites  »,  di- 


DES    SAC  REM  H  NT  S  4l5 

sait  Moïse  (Deut.  32),  et  saint  Paul  ajoute  :  «  // 
«  «  j'  a  aucun  sujet  de  damnation  dans  ceux  qui 
«  sont  en  /ésus-Christ.  »  (Rom.  7).  Pour  énor- 
mes que  soient  les  péchés,  pour  sanglants  et 
atroces  qu'on  puisse  les  imaginer,  quand  ce  serait 
des  monstres  de  péché  et  des  furies  de  concupis- 
cence, si  la  Pénitence  s'étend  jusqu'à  eux,  elle 
les  efface  et  les  absorbe  entièrement.  Il  n'y  a  que 
le  péché  de  l'obstination  et  de  l'impénitence  finale 
qui  soit  irrémissible,  parce  que  la  Pénitence  n'a 
pas  de  prise  sur  lui  et  que  le  pécheur  ne  lui  sou- 
met jamais  ce  péché,  avec  lequel  il  meurt  et  périt. 
Non  seulement  le  sacrement  de  Pénitence  dé- 
truit tous  les  péchés  sans  exception,  mais  il  les 
détruit  aussi  sans  délai  et  sans  retard  ;  au  même 
instant  où  l'absolution  est  prononcée,  le  pardon 
en  est  donné  et  entériné  absolument  autant  pour 
mille  péchés  que  pour  un  seul,  la  grâce  ne  met- 
tant pas  plus  de  temps  pour  remettre  un  million 
de  péchés,  que  pour  en  remettre  un  seul.  La 
Pénitence  est  prompte,  dit  la  Bouche  d'or  (i), 
mais  la  rémission  est  encore  plus  prompte  ;  d'ail- 
leurs il  n'y  a  aucune  raison  pour  que  la  rémission 
soit  différée.  De  même  que  le  péché  mortel  ne 
met  pas  de  temps  à  détruire  la  grâce  sanctifiante, 
et  à  en  priver  l'âme  qui  le  commet,  de  même 
cette  grâce  ne  tarde  pas  à  détruire  et  à  ruiner  tous 
les  péchés.  Si  bien  qu'une  ancienne  version  de 
l'Ecriture  sainte  souvent  alléguée  par  de  graves 
auteurs  (2),   portait  dans  Ezéchiel  :    «  A  quelque 

1.  Homil.   I,  tnPsal.  ^o. 

2.  Lanspergius,  in  Pharetra  div.  amor. 


4l6  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

«  moment  que  gémisse  le  pécheur^  je  ne  me  sou- 
«  viendrai  plus  de  toutes  ses  iniquités.  » 
(Ezéch.  i8).  Cette  vérité  est  confirmée  par  un  dé- 
vot contemplatif  (i),  qui  fait  parler  ainsi  Dieu 
lui-même.  Je  pardonne  mille  péchés  comme  un 
seul.  Je  vais  dire  une  chose  merveilleuse  et  digne 
d'étonnement,  et  qui  cependant  doit  être  tenue 
pour  vraie  d'une  foi  très  certaine  et  indubitable. 
Si  tout  Tunivers  était  un  globe  de  feu  et  qu'au  mi- 
lieu il  y  eût  une  poignée  d'étoupes,  elle  ne  s'en- 
flammerait pas  aussi  promptement  que  mon 
insondable  miséricorde  ne  reçoit  le  pécheur  pénitent 
qui  veut  se  convertir.  Car  dans  cette  action  na- 
turelle il  y  a  quelque  durée,  il  y  faut  un  certain 
temps,  pour  si  petit  et  si  imperceptible  qu'il  soit; 
mais  il  n'y  en  a  aucune  entre  le  pénitent  et  celui 
qui  remet  le  péché,  entre  celui  qui  gémit  et  celui 
qui  exauce  son  gémissement. 

Considérez  de  plus  que  cette  rémission  se  re- 
nouvelle sans  fin,  non  pas  trois  ou  quatre  fois 
seulement,  mais  autant  de  fois  que  le  pécheur  fait 
pénitence.  «  Toutes  les  fois  qu'ils  ont  fait  péni- 
«  tence^i  il  leur  a  donné  la  force  de  résister.  » 
(Judith,  5).  «  Dieu.,  dit  le  prophète,  oublier a-t-il 
«  de  faire  miséricorde'^  »  (Ps.  76.)  Sa  miséricorde 
est  une  source  qui  ne  peut  tarir  ou  être  épuisée 
par  la  multitude  des  pardons  que  l'on  en  tire.  Le 
Fils  de  Dieu  instruisit  saint  Pierre  de  ce  mystère,  et 
à  cause  de  sa  qualité  de  Chef  de  l'Eglise,  de 
Prince  des  apôtres,  de  tous  les  pasteurs  et  de  tous 
les  confesseurs,  il  lui  apprit  qu'il  fallait  pardonner 

I.  In  Instit.  cJirist.  ad  virer.  Claram. 


DES    SACREMENTS  417 

sans  tin  et  sans  limite  :  «  Je  ne  dis  pas  jusquà 
«  sept  fois,  mais  jusqu'à  soixante  dix-sept  fois 
«  sept  fois  »  (xMatt.  i8)  ;  ce  qui  fait  quatre  cent 
quatre-vingt  dix  fois  (i).  Cette  parole  donnait 
sujet  à  saint  Jean  Chrysostome,  le  plus  zélé  de 
tous  les  anciens  Pères  à  entendre  les  confessions 
et  à  absoudre  les  pénitents,  de  les  inviter  à  venir 
réveiller  pendant  son  sommeil,  pour  se  faire 
absoudre.  Il  leur  disait  ces  paroles  :  Si  vous  re- 
connaissez votre  état  dix  mille  fois  par  la  péni- 
tence, entrez  dans  TEglise,  je  suis  toujours  prêt  à 
recevoir  les  pénitents.  Ainsi  il  n'y  a  point  lieu 
pour  le  pécheur  de  désespérer  du  pardon,  à  la 
vue  de  la  multitude  de  ses  rechutes,  dont  il  peut 
se  relever  toutes  les  fois.  Si  TertuUien  (2)  dit  qu'il 
ne  faut  faire  qu'une  fois  pénitence,  il  entend  par- 
ler des  pénitences  publiques  ;  quand  un  pénitent 
avait  fait  une  pénitence  publique  pour  de  grands 
crimes,  s'il  était  relaps,  toute  sa  vie  il  était  con- 
sidéré comme  irrégulier,  quoiqu'il  ne  laissât  pas 
d'obtenir  le  pardon  devant  Dieu  par  la  confession 
secrète  (3).  Mais  qu'est-il  besoin  de  plus  longs  dis- 

1.  D.  Hieron.  ibid.  «  Id  est  quadringentis  nonaginta 
«  vicibus.  »  anno  Christi  56,  apud  Nicephor,  1.  12, 
c.  36. 

2.  De  pœnit. 

3.  Les  Pères  disent  en  effet  souvent  que  l'Hglise  ne 
permettait  aux  grands  pécheurs  que  de  faire  une  seule 
fois  pénitence.  Outre  TertuUien,  on  peut  citer  Hermas 
(Mandat.  4,  3,  n.  6)  ;  Funk,  (Patres  apostol.  p.  399), 
Clément  d'Alexandrie  (Strom.  1.  2,  c.  13  ;  M.  8,994), 
Origène  (in  Levit.  tom.  15,  n.  2;  M.  12,  ^61).  Mais 
dans  ces  divers  textes  il   ne  s'agit,  comme  le   dit  l'au- 

Bail,  t.  IX.  *7 


4l8  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

cours  sur  ce  sujet,  quand  le  Concile  (i)  nous 
assure  que  Dieu  a  voulu  que  les  pécheurs  fussent 
absous  au  tribunal  de  la  Pénitence,  toutes  les  fois 
qu'ils  s'en  approcheraient  vraiment   pénitents.  Si 

teur,  que  de  la  Pénitence  publique  ;  c'est  ce  que  con- 
firme le  témoignage  de  saint  Ambroise  :  «  C'est  à  bon 
«  droit  qu'on  blâme  ceux  qui  prétendent  qu'on   doit  faire 

«  souvent  pénitence car  de  même  qu'il  n'y  a   qu'un 

«  seul  baptême,  il  n''y  a  aussi  qu'une  seule  pénitence  / 
<(.  j'entends  une  seule  pénitence  publique^  il  convient  en 
«  effet  que  nous  nous  repentions  chaque  jour  de  nos 
«  péchés .:»  (D-E  pœnit.  1.  2,  c.  10;  M.  16,  520).  L'Eglise 
avait  de  graves  raisons  pour  n'admettre  qu'une  seule 
fois  les  pécheursà  la  Pénitence  publique.  D'abord  si  on 
en  avait  fait  usage  plusieurs  fois  pour  le  même  péni- 
tent, elle  aurait  produit  moins  d'effet.  «  C'est  prudem- 
«  ment  et  utilement,  dit  saint  Augustin,  qu'il  a  été 
«  établi  que  l'Eglise  n'admettrait  qu'une  seule  fois  à  la 
«  pénitence  la  plus  humble  »  (c'est  ainsi  que  saint  Au- 
gustin appelle  la  Pénitence  publique),  «  de  peur  que  le 
«  remède  étant  avili  fut  moins  utile  aux  malades  ;  la 
«  pénitence  est  en  effet  d'autant  plus  salutaire  qu'on 
«  l'estime  une  plus  grande  chose.  »  (Epist.  153  ad  Mace  • 
DONiuM,  c.  3  ;  M.  "^^^  656).  De  plus  les  exercices  que 
comprenaitla  Pénitencepublique  étaient  très  pénibles  et 
duraient  très  longtemps,  de  telle  sorte  que  difficilement 
la  même  personne  pouvait  les  recommencer.  Outre  ces 
deux  raisons,  en  voici  de  mystiques,  que  donne  saint 
Thomas:  <i  La  pénitence  solennelle  ne  doit  pas  être  re- 
«  commencée  pour  trois  raisons.  De  peur  qxie  recomman- 

I.  Trid.  ses.  14,  de  sacram.  pœnit.  c.  2  :  «  Ante  hoc 
«  tribunal  tanquam  reos  sisti  voluit,  ut  per  sacerdoium 
«  senteniiaSf  non  semel,  sed  quoties  ab  admissis  peccatis 
«  ad  ipsum  pœnitcntes  confugerint,  passent  liberari.  » 


DES    SACREMENTS  419 

Dieu  le  veut  ainsi,  lui  qui  est  le  Maître  de  ses 
dons  et  de  ses  miséricordes,  pourquoi  des  hommes 
de  terre  veulent-ils  s'opposer  à  cette  volonté 
suprême  ?  Pourquoi  rejettent-ils  les  pénitents 
après  quelques  rechutes  dans  les  mêmes  péchés 
et  les  renvoient-ils  sans  pardon  ?  Peuvent-ils 
être  plus  fidèles  dispensateurs  des  grâces  de 
Dieu,  qu'en  les  distribuant  selon  sa  volonté,  qui 
est  infiniment  plus  libérale  et  plus  magnifique 
que  les  esprits  des  hommes  ne  peuvent  le  conce- 
voir ? 

«  cée  elle  devienne  vile.  Secondement,  à  cause  de  sa  signifi- 
«  cation  ;  elle  signifie  en  effet  Vexpulsion  du  premier 
«  homme  du  paradis  ;  or  le  premier  homme  n'en  a  été 
«  chassé  qiCiine  fois.  Troisiètnement,  la  solennisation  de 
«  la  pénitence  équivaut  à  la  profession  de  faire  toujours 
«  pénitence^  voilà  pourquoi  la  pénitence  solennelle  ne 
«  veut  point  être  recommencée.  »  (Suppl.  q.  28^  a.  2).  — 
Il  est  historiquement  démontré  que,  contrairement  aux 
affirmations  d'Albespy  (  De  veteribus  Ecclesiœ  ritibus, 
1.  2,  observât.  5  suiv.)etde  Fechtrup  (Theol.  Quart  als 
CHRiFT,  Tiibing.  1872),  l'Eglise  n'a  jamais  refusé  d'ab- 
soudre même  ceux  qui  étaient  retombés  dans  de  grands 
crimes  après  avoir  été  admis  à  la  pénitence  publique. 
(Voir  Sardagna,  Theol.  dogmaticopolemica,  tract,  de 
PŒNiT.,  Palmieri,  de  pœnit.,  Hurter,  Theol.  dogmat. 
compendium,  édit.  8,  tom.  m,  Frank,  Bussdisciplin). 
Pie  VI  dans  le  bulle  Auctorem  Fidei  a  condamné  «  la 
«  doctrine  d'après  laquelle^  le  Concile  ('de  Pistoie)  après 
«  avoir  déclaré  qu'il  ne  pouvait  s'empêcher  d'admirer 
«  cette  discipline  si  vénérable  de  Vantiquité,  qui,  dit-il, 
«  consistait  à  ne  pas  admettre  facilement  ou  petit-être 
«  même  à  ne  jamais  admettre  à  la  pénitence  celui  qui 
«  après  un  premier  péché  et   une  première  réconciliation 


426  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Enfin  la  rémission  des  péchés  se  fait  encore 
sans  retour  des  mêmes  péchés  une  fois  pardonnes. 
Alors  même  que  le  pénitent  vient  à  rouvrir  ses 
plaies  et  à  commettre  d'autres  péchés,  néanmoins 
les  anciens  péchés  effacés  par  la  Pénitence  de- 
meurent entièrement  abolis  et  ne  reviennent  plus. 
La  raison  en  est  qu'il  faudrait  un  miracle  pour 
faire  revivre  dans  une  âme  des  péchés  que  la 
Pénitence  y  a  une  fois  éteints  et  réduits  à  néant. 
Car  qui  pourrait  les  produire  de  nouveau  ?  Mais 
cette  vérité  mérite  une  plus  grande  discus- 
sion. 

En  attendant  apprenez  à  la  suite  de  cette  consi- 
dération quelle  est  la  vertu  incomparable  du  sacre- 
ment de  Pénitence  pour  déterminer  les  péchés 
mortels.  Retirez-en  d'ardents  désirs  de  le  fréquen- 
ter pour  participer  à  un  si  merveilleux  effet,  sans 
vous  décourager  à  cause  de  l'énormité  de  vos 
offenses,  ni  à  cause  de  leur  multitude  ni  à  cause 
du  grand  nombre  de  vos  déloyautés,  de  vos  rechu- 
tes et  des  manquements  à  vos  résolutions  de  ne 

«  était  retombé  dans  le  péché,  ajoute  que  cette  crainte 
«  d'être  exclu  de  la  communion  et  de  la  réconciliation, 
«  même  à  l'article  de  la  mort,  sera  un  grand  frein  pour 
«  ceux  gtii  considèrent  pett  le  mal  du  péché  et  le  craignent 
«  encore  moins  :  cette  doctrine,  dit  Pie  VI,  est  contraire 
«  au  I ^^  canon  du  I"  Concile  de  Nicée,  à  la  décrétale 
«  d'Innocent  I  à  Exupère  de  Toulouse  et  à  la  décrétale  de 
«  Célestin  Z^""  aux  évéques  de  Vienne  et  de  la  province 
«  Narbonnaise,  elle  sent  l'erreur  que  dans  la  même 
«  décrétale  le  saint  Pontife  repousse  avec  horreur.  » 
(Prop.  38''  parmi  les  8^  du  Concile  de  Pistoie  condam- 
nées par  Pie  VI,  le  28  aoîit  1894). 


DES    SACREMENTS  421 

plus  pécher,  manquements  dont  vous  vous  êtes 
rendu  coupable  tant  et  tant  de  fois.  Rien  de  tout 
cela  n'empêche  Telficacité  de  la  Pénitence.  Elle 
est  au-dessus  de  tous  ces  obstacles  qui  retardent 
les  âmes  peu  avisées  de  se  bien  reconnaître  et  de 
recourir  à  une  miséricorde  qui  ne  peut  être  vain- 
cue, ni  surmontée  par  la  grandeur  des  misères. 
Enfin  formez  des  désirs  d'imiter  la  miséricorde  de 
Dieu  à  l'égard  de  ceux  qui  vous  offensent  ;  par- 
donnez-leur tout  sans  exception,  sans  délai,  sans 
limite  et  sans  reproche. 


II 


Considérez  un  autre  effet  de  la  Pénitence,  qui 
est  la  restitution  entière  de  la  grâce  et  des  vertus 
perdues  par  le  péché  mortel,  ainsi  que  le  rétablis- 
sement de  tous  les  mérites  et  de  tous  les  droits  à 
la  gloire  éternelle.  Cette  vérité  est  d'autant  plus 
importante,  qu'elle  offre  au  pénitent  un  notable 
avantage  et  un  bien  très  considérable.  Mais  pour 
en  avoir  l'intelligence  plus  parfaite,  il  faut  supposer 
que  le  péché  mortel  prive  l'àme  de  la  grâce  sanc- 
tifiante, de  la  charité  et  des  autres  vertus  morales 
infuses  en  même  temps  qu'elle  dans  la  volonté. 
De  plus  il  fait  perdre  à  l'âme  tous  les  mérites  de 
ses  bonnes  oeuvres  passées,  il  la  met  dans  un  tel 
état  que,  si  elle  partait  de  ce  monde  avant  d'avoir 
fait  pénitence,  elle  n'obtiendrait  jamais  aucune 
récompense  dans  le  ciel.  C'est  pourquoi,  par  le 
péché,  elle  est  devenue  semblable  à  un  sujet  qui 
s'est  révolté  contre  son  prince  ;  car  elle  a  pris 
parti  pour  Satan;  elle  a  commis  des  félonies  et 


422        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

des  trahisons  avec  lui.  La  condamnation  à  mort 
s'en  est  suivie,  en  même  temps  que  la  dégrada- 
tion et  la  confiscation  de  tous  ses  biens  et  de  tous 
ses  profits  spirituels.  Toutefois  comme  Dieu  est 
plus  enclin  à  la  miséricorde  qu'à  la  justice  et 
plus  porté  à  faire  grâce  et  à  accorder  ses  faveurs 
qu'à  exercer  des  rigueurs  envers  ses  créatures, 
comme,  d'autre  part,  de  toute  éternité  il  prévoyait 
les  péchés  des  âmes  qui  auraient  joui  de  sa  grâce 
et  acquis  quelques  mérites  par  des  actions  ver- 
tueuses; il  décréta  de  ne  pas  les  priver  de  ces 
biens  sans  espoir  de  restitution,  si  elles  rentraient 
dans  le  devoir,  si  elles  faisaient  pénitence  en  im- 
plorant sa  clémence  et  en  promettant  de  s'amen- 
der. Dans  ce  cas  il  résolut  de  leur  redonner  la 
vie  de  la  grâce,  qu'elles  avaient  eue  tout  d'abord, 
la  dignité  des  vertus  qu'elles  possédaient,  comme 
aussi  de  les  rétablir  dans  leurs  mérites  et  dans 
leurs  biens  comme  par  une  sorte  de  restitution 
entière.  Ensuite,  il  se  proposa  de  ne  pas  priver 
éternellement  une  âme  d'aucun  degré  de  grâce 
ni  de  gloire  pour  un  péché  qui  aurait  été  par- 
donné pendant  cette  vie.  Tout  cela  s'accorde  avec 
ce  qu'il  promet  par  le  prophète  :  «  Si  limpie  fait 
«  pénitence  de  tous  ses  péchés^  je  ne  me  souvien- 
«  dr ai  plus  de  toutes  ses  iniquités.  »  (Ezéch.  i8). 
Saint  Paul  écrivant  aux  Hébreux  qui  étaient  pas- 
sés de  la  vertu  au  vice  et  de  la  grâce  au  péché,  les 
exhorte  à  venir  à  résipiscence  sous  cette  promesse 
que  les  biens  qu'ils  avaient  faits  autrefois  leur 
seraient  comptés  et  alloués  par  Dieu,  afin  qu'ils 
en  fussent  récompensés.  «  Dieu  n'est  pas  injuste 
»  au  point  d'oublier  votre  œuvre  et  V amour  que 


DES    SACREMENTS  .\1J 

»  VOUS  lui  avc:^  iihnoigiic,  vous  qui  ave^  rendu 
»  service  aux  saints.  »  (Héb.  i6)(i).  Si  bien  que  la 
grâce  ayant  été   infusée  dans    i'àme  pour   y  être 

I.  L'auteur  cite  en  faveur  de  cette  interprétation 
Théophilacte,  Théodoret,  saint  Anselme  et  saint  Tho- 
mas; on  pourrait  citer  encore  saint  Epiphane,  Prima- 
sius,  Alcuin,  etc.  C'est  la  preuve  que  les  SS.  Pères  ont 
admis  la  doctrine  de  la  reviviscence  des  mérites,  preuve 
de  tradition.  Mais  il  semble  bien  que  les  Pères  partant 
de  l'hypothèse  fausse  que  les  destinataires  de  cette 
lettre  avaient  perdu  la  foi,  ont  attribué  à  ce  passage  un 
sens  qu'il  n'a  pas.  Le  contexte  prouve  que  les  Juifs 
convertis  à  qui  s'adresse  l'Apôtre  ont  simplement  be- 
soin d'être  fortifiés  à  cause  des  dangers  qui  menacent 
leur  foi,  mais  qu'ils  conservent  encore  cette  foi.  Il  y  a 
une  terre  qui  ne  porte  que  des  ronces  et  des  épines  et 
qui  est  menacée  de  malédiction  ;  mais  «  tioiis  avons,  dit 
«  l'Apôtre,  nne  meilleure  opinion  de  voust»^  parce  que 
«  vous  produisez  des  œuvres  «  voisines  du  salut  et  que 
«  non-seulement  vous  ave^  assisté  les  saints,  mais  que 
«  vous  LES  ASSISTEREZ  ENCORE.  »  Afin  que  ces  œuvres 
aient  leur  récompense,  l'Apôtre  les  engage  à  persévérer 
dans  l'état  de  grâce  :  «  Mais  nous  souhaitons  que  chacun 
«  de  vous  fasse  paraître  jusqiC  à  la  fin  le  même  ^èle,  afin 
«  que  votre  espérance  soit  accomplie.  :^  (v.  ii).  Le  Con- 
cile de  Trente  fait  donc  un  usage  judicieux  de  ces 
paroles  :  «  Dieu  nest  point  injuste  »,  quand  il  s'en  sert 
pour  démontrer  que  les  œuvres  des  chrétiens  en  état 
de  grâce  méritent  la  vie  éternelle  d'un  mérite  de  condi- 
gnité.  (sess.  6,  c.  6).  Le  Concile  ajoute,  il  est  vrai, 
qu'il  en  est  de  même  pour  ceux  qui  ont  recouvré  la 
grâce,  après  l'avoir  perdue,  que  pour  ceux  qui  l'ont 
toujours  conservée  ;  et  il  a  pu  le  dire  à  bon  droit, 
quoique  saint  Paul  n'ait  eu  nullement  l'intention  d'af- 
firmer  dans  ce  passage  la  reviviscence  des  mérites. 


4^4  LA   THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

éternelle  et  ne  jamais  périr,  et  les  bonnes  œuvres, 
que  cette  grâce  a  vivifiées,  étant  dignes  en  Justice 
de  la  récompense  éternelle,  tous  ces  mérites  ont  été 
arrêtés  et  comme  tenus  en  suspens  par  l'obstacle 
du  péché  mortel  qui  est  survenu.  De  là  vient  que 
cet  obstacle  une  fois  ôté  par  la  Pénitence,  la 
grâce  reprend  son  cours  dans  l'âme  et  les  mérites 
du  passé  reprennent  leur  première  vie  et  vigueur. 
Et  alors  Dieu  reçoit  le  pécheur,  comme  le  père  de 
l'enfant  prodigue  le  reçut  à  son  retour,  avec  de 
grandes  caresses  et  de  tendres  embrassements. 
«  Vite,  vite,  qu'on  se  dépêche.  apporte\-lui  sa 
«  première  robe.  »  (Luc,  i5).  C'est  ainsi,  en  effet, 
que  Dieu  traite  le  pécheur  qui  vient  à  résipis- 
cence, sans  délai  et  au  plus  tôt  il  lui  rend  la  pre- 
mière robe  de  la  grâce  et  de  la  charité  qu'il  avait 
eue,  il  lui  tient  compte  aussi  de  tous  ses  services 
antérieurs  et  il  ne  veut  pas  qu'il  en  perde  un  seul. 
Il  lui  rend  tout  le  butin  que  le  démon  avait  fait  sur 
son  âme,  ainsi  que  fit  Abraham  à  l'égard  de  Loth 
(Gen.  19),  quand  il  l'arracha  aux  mains  de  ses 
ennemis  qui  l'emmenaient  prisonnier.  Et  comme 
la  nouvelle  conversion  et  pénitence  porte  encore 
avec  elle  de  nouveaux  degrés  de  grâce  ces 
nouveau  degrés  joints  aux  précédents  font  une 
grâce  plus  forte  et  plus  grande  ;  si  bien  que 
grâce  à  cette  conjonction,  toutes  les  fois  que 
le  pécheur  fait  pénitence,  il  possède  une  grâce 
plus  abondante  et  un  plus  riche  trésor  qu'aupa- 
ravant. C'est  pourquoi  quand  l'homme  juste  est 
rappelé  de  cette  vie,  c'est  toujours  pour  recevoir 
sa  récompense  dans  l'état  de  grâce  le  plus  élevé  et 
le  plus  parfait  qu'il  a  eu  dans  tout  le  cours  de  sa 


nES    SACREMENTS  425 

vie.  Cette  vérité  n'est  nullement  contredite  par  le 
décret  de  la  Faculté  de  Paris  (i)  qui  a  condamné 
cette  proposition  :  Dieu  retire  toujours  l'homme 
de  cette  vie  dans  son  meilleur  état;  parce  que 
ceux  qui  la  mettaient  en  avant  y  comprenaient  les 
réprouvés  aussi  bien  que  les  prédestinés,  tandis 
que  seuls  les  prédestinés  sont  rappelés  de  cette 
vie  dans  leur  meilleur  état,  et  non  pas  les 
réprouvés. 

Le  fruit  que  vous  devez  recueillir  de  cette  vé- 
rité si  excellente,  c'est  l'amour  et  le  désir  de  la  Pé- 
nitence, qui  a  tant  de  vigueur  et  d'efficacité.  Oh  ! 
si  vous  avez  vécu  autrefois  dans  les  délices  de  la 
vie  spirituelle  et  que  vous  ayez  fait  une  quantité 
de  saintes  œuvres,  dont  vous  êtes  déchu  par  quel- 
que surprise  de  Satan,  ou  par  la  perfidie  de  vos 
passions  qui  vous  ont  jeté  dans  le  vice  ;  oh  !  que 
vous  vous  faites  grand  tort  ne  pas  recourir  à  la  Pé- 
nitence pour  regagner  toutes  vos  richesses  spiri- 
tuelles, toute  votre  grâce  et  les  mérites  qui  ont 
abondé  en  vous  !  Dites-nous,  généreux  pénitents 
qui,  après  le  sac  et  le  cilice,  après  l'accomplisse- 
ment de  vos  pénitences,  êtes  rentrés  en  grâce  avec 
le  Souverain  Créateur,  combien  courte  et  légère  a 
été  votre  peine,  pour  un  si  grand  avantage  que 
que  vous  avez  reçu  ;  que  vous  manque-t-il  des 
biens  que  vous  aviez  obtenus  autrefois  par  une 
courte  affliction?  Vous  avez  acquis  des  consolations 
éternelles.  O  fruit  de  la  Rédemption  abondante  de 
Dieu  !  Qui  ne  voudrait  à  votre  exemple  s'enrôler 

I.  Apud  Major,  in  4,  dist.  22,  quœst.  unica.  Opposi- 
tus  est  error  Parisiis  damnaUis,  (Note  de  l'auteur). 


426  LA    THÉOLOGIE     AFFECTIVE 

dans  votre  compagnie,  sous  Tétendard  de  la  croix  ? 
Que  ne  fait-on  pas  en  effet  pour  le  recouvrement 
du  butin  que  l'ennemi  a  enlevé  dans  ses  courses  ? 
«  V ennemi  a  porté  sa  main  sur  tout  ce  qu'elle 
«  avait  de  plus  désirable.  »  (Lament.  i).  Le  cou- 
reur des  enfers  a  tout  ruiné  chez  vous  par  le  pé- 
ché mortel.  Ayez  donc  recours  à  la  Pénitence, 
dans  ce  passage  étroit  chargez  brusquement  votre 
ennemi  et  vous  ferez  la  reprise  de  toute  votre 
substance  spirituelle.  O  mon  âme,  «  loue^  avec 
«  moi  le  Seigneur.,  parce  qu'il  est  bon.,  parce  que 
«  sa  miséricorde  s'étend  dans  tous  les  siècles.  » 
(Ps.  117).  —  «  Oh!  ses  miséricordds  sont  au-des- 
«  sus  de  toutes  ses  œuvres.  »  (Ps.  144). 

III 

Considérez  encore  d'autres  eff"ets  de  ce  sacre- 
ment de  Pénitence  ;  ces  effets  sont  la  consé- 
quence des  précédents,  à  savoir  de  la  rémission 
des  péchés  et  de  la  restitution  de  la  grâce,  car 
tout  ce  qui  se  dit  de  grand  de  la  Pénitence  se  tient 
comme  un  anneau  tient  à  un  autre  anneau  dans 
dans  une  même  chaîne. 

Le  premier  de  ces  nouveaux  effets  est  la  déli- 
vrance de  la  servitude  du  démon,  car  quand  les 
péchés  dont  l'àme  était  captive  sont  effacés,  elle 
entre  dans  une  noble  liberté,  qui  est  signifiée  par 
la  sortie  des  enfants  d'Israël  de  la  terre  d'Egypte, 
on  ils  vivaient  sous  la  tyrannie  du  cruel  Pharaon. 
Et  de  même  que  les  enfants  d'Israël  disaient  : 
Pour  en  sortir,  «  Nous  ferons  dans  le  désert  une 
«  marche  de  trois  Jours.  »  (Exod.  8);  ainsi  les 
pécheurs  font  dans   le   désert  de  la  Pénitence  un 


DES   SACREMENTS  427 

chemin  de  trois  jours  spirituels  qui  sont  la  contri- 
tion, la  confession  et  la  satisfaction. 

Le  second  etVet  est  la  résurrection  du  mort, 
parce  que  la  Pénitence  remettant  le  péché  et  re- 
donnant la  grâce,  retire  l'homme  du  non-être  et 
lui  donne  l'être,  la  vie,  et  le  mouvement  des  saintes 
actions,  comme  la  résurrection  le  fait  à  l'égard  de 
celui  qui  est  mort  (i).  Aussi  peut-on  y  remarquer  les 
traits  principaux  de  la  résurrection  générale.  Au 
jour  de  la  résurrection  générale,  à  la  voix  du  Fils 
de  l'Homme  et  au  son  de  la  trompette  de  l'ange, 
la  poussière  des  corps  humains  sera  rassemblée 
en  un  seul  lieu,  où  ils  ressusciteront.  Dans  ce  sa- 
crement les  exhortations  célestes,  toutes  les  pen- 
sées de  l'homme  pécheur  sont  recueillies  en  une 
seule,  il  ne  pense  qu'à  ressusciter.  Là  la  terre  sera 
ébranlée,  elle  tremblera  ;  ici  le  cœur  humain  est 
secoué  par  l'horreur  de  ses  fautes  et  par  les  justes 
craintes  de  la  colère  de  Dieu.  Là  les  corps  sorti- 
ront de  leurs  cercueils,  ici  les  âmes  sortent  de  leurs 
amours  déréglés  qui  sont  leurs  tombeaux,  parce 
que  l'amant  demeure  enseveli  dans  l'objet  qu'il 
aime  ;  «  Le  désir  de  l'impie,  dit  le  Sage,  est  le  tom- 
«  beau  des  pervers.  '>^  [Prov.  12).  Là  l'arrivée  de 
Jésus-Christ  dissipera  toutes  les  ténèbres,  ici  les 
consciences  sont  éclairées  et  le  pécheur  y  voit 
toutes  ses  laideurs  et  toutes  ses  difformités.  Là 
se  fera  la  comparution  devant  le  tribunal  de  Jésus- 
Christ  ;  ici  elle  se  fait  devant  le  prêtre  qui  repré- 
sente la  personne  de  Jésus-Christ.  Là  les  méchants 
et  les  impies  seront  condamnés  à  l'enfer,  les  justes 

I.  Guillel.  Paris.  De  sacrant.  Pœnit.  c.  6. 


428  LA   THÉOLOGIE    AFFFECTIVE 

seront  rétablis  dans  leur  honneur  et  élevés  à  la 
gloire;  ici  les  péchés  sont  condamnés  à  une  mort 
éternelle  par  la  puissance  des  clefs  qui  les  exter- 
mine sans  espoir  de  retour,  les  actions  saintes,  la 
grâce  et  les  vertus  reprennent  leur  lustre  et  reçoi- 
vent une  vie  qui  doit  être  éternelle. 

Le  troisième  effet  est  la  paix  avec  Dieu.  Son 
courroux  est  apaisé  par  la  Pénitence,  qui  humilie 
les  âmes  devant  lui.  Et  de  même  que  le  lion  gé- 
néreux renonce  à  sa  fureur  à  la  vue  de  ceux  qui  se 
prosternent  devant  lui  et  qui  s'abattent  à  terre  en 
sa  présence;  ainsi  Dieu  sent  fléchir  sa  rigueur, 
quand  il  voit  le  pécheur  prosterné  devant  lui  par 
la  Pénitence,  n  N'as-tu  pas  vu,  dit  Dieu,  Achab 
«  humilié  devant  moi'^  »  (III  Rois,  21).  Ainsi 
les  Ninivites  l'apaisèrent  quand  se  couvrant  du 
sac  et  de  la  cendre,  ils  firent  jeûner  les  enfants  et 
les  animaux,  afin  que  par  leurs  cris  et  leurs  gémis- 
sements, ils  fussent  eux-mêmes  plus  excités  à 
pleurer  leurs  offenses  (i).  Ainsi,  dit  Tertullien  (2), 
la  satisfaction  est  disposée,  c'est-à-dire  réglée,  par 
la  confession.  De  la  confession  naît  la  Pénitence, 
et  par  la  Pénitence  Dieu  est  apaisé.  De  sorte  que 
la  Pénitence  est  un  art  de  prosterner  et  d'humilier 
l'homme,  en  lui  enjoignant  une  manière  de  vivre 
qui  provoque  et  attire  sur  lui  la  miséricorde  de 
Dieu. 

Le  quatrième  effet  est   l'ouverture   du  paradis. 

i.Theodoret.  injonam. 

2.  L.  DE  Pœnit.  «  Exomoîogeris  prostcrnendi  et  humi- 
liandi  Jwminis  disciplina  est,  conversationem  injungens 
misericordice  illicem.  » 


DES    SACREMENTS  429 

«  Faites  pénitence,  disait  Jean,  car  le  royaume 
«  de  Dieu  est  proche.  »  (Matt.  3).  Ainsi  quand  le 
bon  larron  confessa  son  crime  devant  Jésus-Christ, 
avec  un  déplaisir  cuisant  d'avoir  offensé  celui  qu'il 
voyait  mourir  pour  lui,  et  quand  il  accepta  pour 
satisfaire  à  ses  péchés  les  tourments  de  la  croix  et 
la  jmort,  il  entendit  cette  si  désirable  promesse  : 
«  En  vérité,  je  vous  le  dis,  vous  sere^  aujourd'hui 
«  avec  moi  dans  le  paradis.  » 

Mais  que  faisons-nous,  quand  nous  voulons  con- 
cevoir tous  les  gracieux  effets  de  la  Pénitence.  Ses 
louanges  sont  sans  lin.  Elle  est  la  lumière  de 
l'aveugle,  la  récréation  de  celui  qui  était  anéanti, 
la  réconciliation  d'une  épouse  adultère  avec  son 
chaste  Epoux  ;  elle  rapproche  de  Dieu  celui  qui 
en  était  éloigné,  elle  remet  dans  la  voie  celui  qui 
s'en  était  écarté,  elle  acquitte  les  dettes,  elle  guérit 
les  infirmes,  elle  retire  des  portes  de  l'enfer,  elle 
renouvelle  l'homme,  elle  extermine  tout  mal  et 
procure  tout   bien. 

Rendons  des  actions  de  grâce  à  Dieu  pour  tant 
d'amour  et  de  bienveillance  qu'il  nous  témoigne 
dans  ce  très  utile  sacrement.  Que  ce  grand  Dieu 
sait  tirer  de  biens  de  nos  maux,  qu'il  sait  changer 
nos  misères  en  honneur  et  en  félicité  !  Ce  n'est 
pas  assez  pour  sa  bonté  sans  mesure  de  biffer  sim- 
plement nos  péchés  dans  la  Pénitence  et  de  casser 
l'arrêt  ne  notre  condamnation  ;  mais  encore  dans 
ce  même  instant  il  nous  remplit  de  biens  et  nous 
comble  de  faveurs.  Oh  !  que  je  déplore  l'aveugle- 
ment et  la  misère  des  pécheurs  impénitents  et  en- 
durcis dans  leur  vie  dépravée  !  Hélas  !  qu'ils  se 
font  de  tort  et  se  priventde  plein  gré  de  très  grands 


43o  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

avantages  !  La  Pénitence,  ô  pécheur  semblable  à 
moi  (ou  plutôt  moins  pécheur  que  moi,  car  je  re- 
connais que  Je  remporte  sur  toi  par  mes  péchés) 
saisis-la,  embrasse-la,  comme  celui  qui  fait  nau- 
frage saisit  une  planche  pour  se  sauver  dessus  (i). 
Elle  te  relèvera  alors  que  tu  t'enfonces  dans  les 
flots  de  tes  péchés,  et  t'amènera  au  port  de  la  clé- 
mence divine.  Profite  de  cette  occasion  qui  est 
pour  toi  un  bonheur  inespéré,  afin  que  toi  qui 
n'étais  rien  devant  Dieu  qu'un  peu  de  poussière, 
qu'une  gouttelette  d'eau,  qu'un  petit  vase  de  terre, 
tu  deviennes  un  bel  arbre  planté  le  long  des  eaux, 
qui  pousse  ses  feuilles  et  donne  des  fruits,  qui  ne 
craint  ni  la  cognée  ni  le  feu.  Repends-toi  de  tes 
erreurs,  maintenant  que  tu  as  trouvé  la  vérité, 
repends-toi  d'avoir  aimé  ce  que  Dieu  n'aime  pas  (2). 


1.  TertuU.  lib.  de  pœnit  :  «  Ita  invade^  ita  amplexare 
ut  naufragus  alicujus  tabulœ  fïdem.  » 

2,  «  Pceniieat  amasse  quod  Deus  non  amat.  » 


DES    SACREMENTS  43  I 

XXIir  MÉDITATION 

COMMENT  LA  PÉNITENCE 
EFFACE   LE  PÉCHÉ  SANS  RETOUR 


SOMMAIRE 

Dieu  pouvait  remettre  les  péchés  de  telle  sorte 
qu'ils  seraient  imputés  de  nouveau  au  pénitent 
qui  y  retomberait.  —  Dieu  pardonne  le  péché 
absolument  et  sans  condition,  après  une  par- 
faite Pénitence.  —  Néanmoins  les  péchés  déjà 
remis  sont  encore  imputés  au  pécheur  au  point 
de  vue  de  T ingratitude. 

I 

CONSIDÉREZ  que  Dieu  pouvait  remettre  les 
péchés  avec  cette  condition,  que,  si  le 
pénitent  retombait,  il  serait  de  nouveau  tenu  pour 
criminel  aux  yeux  de  la  justice  de  Dieu,  et  qu'il 
serait  privé  soit  de  la  grâce,  soit  de  la  gloire,  et 
passible  des  supplices  éternels,  en  vertu  des  pé- 
chés précédemment  effacés  et  pardonnes  par  la 
Pénitence  (i).  Pour  comprendre  cette  vérité,  repré- 
sentez-vous que  le  pécheur  donne  par  son  oifense 
trois  sortes  de  droits  nouveaux  contre  lui  à  Dieu 
qu'il  offense.  Le  premier  droit  qu'il  donne  à  Dieu 

1.  Thomas  Hurtado  in  Prœcursore  Theologo,  contro- 
vers.  a,  disp.  2. 


432  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

en  péchant,  c'est  le  droit  de  le  haïr,  d'avoir  de 
rinimitié  pour  lui,  et  de  le  prendre  en  dédain  et 
en  aversion.  Car,  puisque  en  transgressant  la  loi 
de  Dieu,  le  pécheur  se  détourne  de  Dieu  et  le 
traite  sans  respect,  et  plutôt  avec  mépris,  Téquité 
veut  que  Dieu  agisse  d'une  manière  semblable 
envers  le  pécheur,  c'est-à-dire  qu'il  le  prenne  en 
dédain  et  en  aversion.  Le  second  droit  que  le  pé- 
cheur donne  à  Dieu  par  son  offense,  est  le  droit 
de  le  punir  et  de  lui  faire  porter  la  peine  de  sa 
témérité  et  de  son  outrecuidance  ;  car,  comme 
Dieu  est  le  souverain  maître  et  juge  des  hommes, 
le  péché  lui  met  comme  l'épée  à  la  main,  pour  en 
tirer  une  juste  vengeance,  par  des  peines  propor- 
tionnées à  la  grandeur  du  péché.  Le  troisième 
droit  qu'a  Dieu  encore,  quand  l'homme  pèche,  est 
le  droit  de  se  tenir  pour  offensé  et  méprisé.  Il 
peut  bien  avoir  cette  pensée,  puisqu'en  effet  par 
le  péché  il  a  été  méprisé,  désobéi,  et  que  le  pé- 
cheur a  préféré  à  sa  loi  la  misérable  affection  de 
quelque  bien  ou  de  quelque  intérêt.  Or  quoique 
Dieu  pardonne  miséricordieusement  le  péché 
dans  la  Pénitence^  et  renonce  volontairement  à 
ces  trois  sortes  de  droits  et  d'avantages  sur  le 
pécheur  ;  toutefois  rien  ne  l'oblige  à  y  renoncer 
absolument.  Il  pourrait  dire  au  pécheur  :  Je  re- 
nonce aux  droits  que  j'ai  sur  toi  à  cette  condition 
que  tu  ne  retomberas  plus  dans  le  péché  ;  mais  si 
tu  es  assez  malheureux  pour  retomber  dans  quel- 
que offense  mortelle  ou  même  vénielle,  je  pré- 
tends user  de  tous  ces  droits  contre  toi,  quoique 
j'aie  effacé  ton  péché  et  que  je  t'aie  remis  dans 
l'état  de  grâce  sanctifiante.  Ce  sera  toujours  avec 


DES    SACREMENTS  433 

cette  réserve  que  tu  en  seras  de  nouveau  privé  et 
que  tu  seras  soumis  aux  premières  peines,  si  tu 
retombes.  Il  peut  en  être  ainsi  dans  les  affaires 
du  monde.  Un  roi  peut  pardonner  à  un  malfai- 
teur son  crime  et  le  rétablir  dans  tous  ses  pre- 
miers honneurs  et  dignités;  à  la  condition  qu'il 
ne  commettra  pas  de  nouveau  le  crime  qui  lui 
était  pardonné,  et  que,  s'il  le  commet,  il  sera 
passible  du  supplice,  même  pour  le  crime  qui  lui 
a  été  remis  ;  dans  ce  cas,  le  roi  usera  de  son  droit. 
Si  un  roi  peut  procéder  ainsi,  pourquoi  Dieu,  qui 
est  si  grand,  qui  est  maître  et  seigneur  si  absolu 
et  si  puissant,  ne  pourrait-il  point  le  faire  ?  sur- 
tout si  nous  considérons  que  la  satisfaction  offerte 
par  le  pécheur  dans  sa  pénitence  n'est  pas  telle 
qu'elle  mérite  en  rigueur  de  justice  l'abolition 
entière  de  son  péché  ;  Dieu  en  effet  remet  toujours 
ce  péché  en  exerçant  largement  sa  clémence  et  sa 
miséricorde  à  l'égard  du  pécheur  pénitent  (i).  Si 

1 .  Sans  doute  Dieu  témoigne  largement  au  pécheur 
pénitent  sa  clémence  et  sa  miséricorde  en  acceptant 
que  les  mérites  de  Jésus-Christ  lui  soient  appliqués. 
Mais  cette  substitution  miséricordieuse  des  mérites 
infinis  du  Rédempteur  à  nos  propres  mérites  une  fois 
admise,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  Dieu  ne  peut  pas 
ne  pas  remettre  au  pécheur  pénitent  ses  péchés  abso- 
lument et  simplement,  car  la  réparation  offerte  est 
adéquate  et  même  supérieure  à  l'offense.  Nous  savons 
en  effet  par  maints  endroits  du  Nouveau  Testament  que 
Jésus-Christ  a  pris  sur  lui  tous  nos  péchés  et  qu'il  a 
offert  pour  ces  mêmes  péchés  une  satisfaction  entière 
et  telle  que  pouvaient  l'exiger  les  lois  de  la  stricte 
justice. 

Baii.,  t.  IX.  a8 


434  LA     THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

bien  que,  s'il  cède  de  ces  trois  sortes  de  droits,  il 
pourrait,  en  faisant  usage  de  sa  puissance  absolue 
ne  céder  de  ces  droits  qu'en  faisant  de's  réserves, 
et  à  une  condition  qui  n'aurait  rien  que  de  raison- 
nable. Et  puisque  Dieu  exige  du  pécheur  le  bon 
propos  et  la  résolution  de  ne  plus  retomber,  ainsi 
il  pourrait  exiger  Taccomplissement  et  l'exécution 
réelle  de  ce  bon  propos  et  à  son  défaut  révoquer 
son  pardon.  Il  est  vrai  que  le  même  acte  du  péché 
ne  pourrait  pas  reparaître;  mais  absolument  il 
pourrait  se  faire  que  la  tache  du  péché  et  l'obli- 
gation de  subir  la  peine  ainsi  que  l'aversion  et 
l'inimitié  de  Dieu  revinssent  les  mêmes  après  la 
rechute  (i). 

«.  Hyquœus,  in  4,  dist.  22,  ad  quœs.  unicam  Scoti 
arguit  Vasquez,  q.  88,  art.  i,  contra  sentientem. 
(Note  de  l'auteur).  —  Il  est  impossible  en  effet  que  le 
même  acte  du  péché  reparaisse.  L'homme  a  beau 
pécher  de  nouveau,  il  lui  est  impossible  de  produire 
numériquement  le  même  acte  qu'il  a  produit  dans  le 
passé.  De  plus  un  nouveau  péché  ne  peut  jamais  taire 
renaître  un  péché  antérieur  déjà  détruit^  car  aucun 
acte  nouveau  ne  reproduit  un  acte  passé  et,  si 
nous  admettions  un  instant  que  cela  put  arriver,  il  en 
résulterait  une  conséquence  absurde,  à  savoir  que  le 
péché  de  vol  commis  par  un  homme  qui  aurait  obtenu 
la  rémission  de  blasphèmes  dont  il  se  serait  rendu 
autrefois  coupable,  ferait  de  cet  homme  un  blasphé- 
mateur. Enfin  Dieu  ne  peut  pas  reproduire  dans 
l'homme  le  péché  précédemment  remis  et  par  consé- 
quent détruit,  car  le  reproduire,  c'est  le  faire  une  se- 
conde fois.  Or  Dieu  ne  peut  faire  aucun  mal  moral. 
On  peut  se  demander  toutefois  si  cette  impossibilité 
est  absolue.  Vasquez  (in  i,  2,  disp.  208,   in  3,  q.  88), 


DES    SACREMENTS  435 

Je  reconnaîtrai  donc  le  grand  mal  du  péché. 
Voilà  Tétat  auquel  il  me  réduit  à  l'égard  de  Dieu, 
qui,    étant  donné   sa    bonté    et    sa  clémence,    ne 

que  cite  Bail  en  note,  de  Lugo  (De  PœNiTENX.  disp.  lo) 
Pallavicin,  Haunold,  Sylveira,  etc.,  l'affirment,  confor- 
mément à  l'opinion  commune  des  théologiens  (de  Lu- 
go, DE  PcENiT.  disp.  lo,  sect.  \,  n.  8).  Quelques  théolo- 
giens soutiennent  qu'il  est  possible,  absolument  par- 
lant, que  le  péché  une  fois  remis  reparaisse   soit  quant 
à  la  faute,  soit  quant  à  la  peine  ;  c'est  notamment  l'en- 
seignement de   Grégoire  de  Valence   (t.  4.  De  Pœnit., 
q.  5,  p.  i)  de  Viva  et  de  Suarez;  mais  ce  dernier  admet 
seulement  que  le  péché  remis  peut  reparaître  quant  à 
la  peine.  (De   PœNix.  disp.   13,  sect.  2,  n.  14).    Les   ar- 
guments   que   nous    venons    d'indiquer,    nous     sem- 
blent    démontrer    que    la    réapparition     des     mêmes 
péchés    est    absolument     impossible.    De    plus,   pour 
que   le  péché    put   revivre,    il    faudrait     qu'après     la 
rémission  il  restât  encore  dans  l'âme  quelque  racine  du 
péché;    cette   racine  du  mal  pourrait  seule   motiver  la 
haine  dont  Dieu  poursuivrait  l'homme  pour  ce  péché. 
Or  il  ne  subsiste   plus  après  la  rémission  aucun  reste 
du  péché,  car  la    rémission  a  été    absolue  et  parfaite, 
dautant  plus  qu'elle  a  lieu  nécessairement  par   l'infu- 
sion de  la  grâce  sanctifiante,  dont  l'effet  est  de  faire  de 
l'homme   VawA  et  le    fils   adoptif  de   Dieu.  ^Cheiles 
»  hommes,  dit  Suarez,  quand  un  créancier  a  remis  à   un 
»  débiteur  sa  dette  d'une  manière  absolue^  il  a  beau  plus 
»  tard  se  repentir  de  l'avoir  remise  et  vouloir  rétracter  ce 
»  qu'il  a  fait,  il  n'y  parviendra  jamais...  De  même  si 
»  Dieu  qui  est  immuable  pouvait,  par  impossible,  chan- 
»  ger pour  d'autres  choses  son  décret  absolu,  il  ne  le  pour- 
»  r ait  pas  néanmoins  pour  celle-là  ;  parce  que  l'effet  dont 
»  il  s'agit,  c'est-à-dire  la  destruction  du  péché,  est  tel  que 
»  Dieu  ne  peut  faire  par  sa  seule  volonté  que  l'effet  op- 


436  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

pourrait  exercer  contre  l'homme  aucune  vengeance, 
si  le  péché  ne  lui  mettait  les  foudres  à  la  main. 
Je  m'humilierai  également  dans  l'action  de  la  pé- 
nitence, parce  qu'elle  n'est  pas  si  parfaite  qu'elle 
puisse  abolir  le  péché  en  toute  rigueur  de  justice, 
si  Dieu  n'usait  d'une  grande  bonté  et  d'une  grande 
clémence.  Il  ne  faut  donc  pas  que  j'attribue  la 
rémission  de  mon  péché  à  ma  justice  et  simple- 
ment à  la  vertu  de  ma  pénitence,  mais  je  doisr 
reconnaître  toujours  la  grande  clémence  et  miséri- 
corde de  mon  Dieu.  O  clémence,  que  vous  m'avez 
été  favorable  !  O  miséricorde  divine,  que  vous 
m'avez  été  propice  1 

II 

Considérez  que  de  fait  Dieu  n'use  pas  du  pou- 
voir qu'il  a  de  remettre  le  péché  à  la  condition  de 
n'y  plus  retomber  ;  mais  qu'il  le  pardonne  et  le 
détruit  totalement  après  une  pénitence  entière, 
en  sorte  qu'il  ne  revient  plus  et  qu'une  âme  n'est 
plus  privée  de  la  grâce  de  Dieu  et  de  ce  qui  s'en- 
suit, en  vertu  de  l'acte  du  péché  passé  et  remis  (i). 

»  posé  existe,  c'est-à-dire  que  l'âme  soit  en  état  de  péché.  » 
(De  PœNiT.  disp.  13,  sect.  r,  n.  6).  Toutefois  il  n'y  a 
rien  qui  répugne,  comme  le  soutient  à  bon  droit  l'au- 
teur, à  ce  que  Dieu,  qui  est  le  maître  suprême  et  absolu, 
ne  remette  à  l'homme  le  péché  qu'à  cette  condition  et 
sous  cette  menace  que  le  jour  où  il  pécherait  de  nou- 
veau il  contracterait  une  faute  et  une  peine  égales  à  la 
faute  et  à  la  peine  qui  résulteraient  à  la  fois  du  péché 
nouvellement  commis  et  de  l'ancien  péché^  s'il  n'avait 
pas  été  remis.  Mais  Dieu  ne  Ta  pas  voulu. 

I,  Cette  thèse  est  admise  par  tous  les  Théologiens. 


DES    SACREMENT?;  487 


Saint  Paul  insinue  cette  douce  et  consolante  vérité, 
quand  il  dit  :  «  Les  dons  de  Dieu  sont  sans  repen- 
«  tance  et  sans  regret  »  (Rom.  1 1)  ;  il  ne  révoque 
pas  le  pardon  une  fois  octroyé  (i).  L'Apôtre  saint 

Quelques-uns  ont  bien  pensé  différemment,  comme 
nous  l'apprend  le  Maître  des  Sentences  (Sent.  1.  iv, 
d.  22),  mais  personne  ne  les  a  suivis.  (Voir  Suarez,  De 
Pœnit.  disp,  13,  sect.  i,  n.  4;  De  Lugo,  De  Pœnit. 
disp.  10,  sect.  I,  n.  7  ;  Vasquez,  in  i,  n,  disp. 
208  et  in  ni,  q.  88,  art.  i,  n.  49  et  suiv.  ;  la  Théologie 
de  Wurzbourg,  De  Pœnit.  n.  73).  Si  les  péchés  remis 
réapparaissaient  après  un  nouveau  péché,  il  y  aurait 
obligation  de  les  accuser  en  même  temps  que  ce  nou- 
veau péché,  conformément  au  décret  du  Concile  de 
Trente  (sess.  14,  c.  5)  qui  prescrit  aux  pénitents  d'ac- 
cuser «  en  confession  iojis  les  péchés  mortels,  dont...  ils 
«  se  sentent  la  conscience  chargée.  »  Or  rien  n'est  plus 
opposé  au  sentiment  et  à  la  pratique  de  l'Eglise, 

I.  «  Les  dons  de  Dien  sont  sans  repentance  »  dit 
PApôtre.  La  grâce  sanctifiante  et  la  rémission  des  pé- 
chés sont  des  dons  de  Dieu,  mais  il  y  a  une  différence 
importante  à  noter  entre  la  manière  dont  Dieu  nous 
confère  l'un  ou  l'autre  de  ces  dons.  En  ce  qui  regarde 
la  grâce  sanctifiante.  Dieu  de  son  côté  ne  fait  rien,  il 
est  vrai,  pour  la  révoquer,  mais  il  arrive  que  l'homme 
met  un  obstacle  à  la  possession  de  cette  grâce,  et  par 
cet  obstacle  qui  est  incompatible  avec  le  don  de  Dieu, 
il  oblige  en  quelque  sorte  Dieu  à  retirer  son  don.  C'est 
alors  le  péché  qui  chasse  la  grâce.  11  n'en  est  pas  ainsi 
de  la  rémission  du  péché.  Le  péché  commis  actuelle- 
ment n'est  nullement  incompatible  avec  la  rémission 
des  péchés  antérieurs.  En  voici  la  raison  :  remettre  le 
péché,  c'est  le  détruire.  Si  la  grâce  par  laquelle  le  péché 
a  été  détruit,  disparaît,   le  péché  ne   revient   pas   pour 


438  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

Jacques  dit  :  «  qu'il  donne  à  tous  abondamment 
«  et  sans  reproche.  »  (Epist.  can.  ch.  i).  En  réalité, 
si  Dieu  ne  pardonnait  les  péchés  qu'avec  cette 
condition  que,  si  le  pénitent  démentait  sa  bonne 
résolution,  il  retomberait  dans  la  même  souillure 
et  dans  la  même  obligation  de  l'expier  qu'aupara- 
vant. Dieu  ne  remettrait  pas  effectivement  et  véri- 
tablement le  péché,  parce  que  ce  qui  ne  s'accorde 
que  sous  condition  d'une  chose  incertaine  et  con- 
cernant l'avenir,  n'est  pas  accordé  absolument  et 
si  la  condition  ne  se  réalise  pas.  Ainsi  Dieu  n'au- 
rait pas  décrété  absolument  de  remettre  le  péché 
dans  cette  vie  ;  chose  que  saint  Thomas  (i)  estime 
déroger  à  la  grâce  de  Dieu.  Remettre  le  péché, 
dit-il,  avec  une  certaine  condition  dépendant  de 
l'avenir,  de  telle  sorte  que  l'homme  ne  soit  pas 
justifié  absolument,  mais   seulement  pour  le  mo- 

cela,  car  dans  ce  cas  l'effet  a  consisté  à  détruire  et  un 
tel  effet  n'exige  point  la  persistance  de  la  cause, 
comme  l'exige  dans  certains  cas  un  effet  positif  à  pro- 
duire. De  plus  le  péché  pourrait  absolument  être  dé- 
truit sans  l'infusion  de  la  grâce  ;  donc  la  destruction 
du  péché  pourrait  persister,  alors  même  que  la  grâce 
ne  persisterait  pas  dans  l'âme.  On  doit  dire  que  la  ré- 
mission des  péchés  a  lieu  absolument  ;  c'est  ainsi  que 
Dieu  le  veut,  et  s'il  en  était  autrement,  dit  saint  Thomas 
(m.  q.  88,  art.  i),  il  serait  prouvé  que  la  grâce  n'est  pas 
assez  puissante  pour  annihiler  le  péché  ;  ce  qui  est 
faux.  Au  contraire  le  don  de  la  grâce  sanctifiante  est 
conditionnel  ;  Dieu  la  donne  à  la  condition  que  l'homme 
ne  péchera  pas,  et  cela,  parce  que  la  grâce  est  une 
réalité  incompatible  avec  le  péché. 

I.  I.  quœst.  88,  art.    i. 


DES    SACREMENTS  ^M) 

ment,  c'est  déroger  à  la  grâce  de  Dieu  ;  car,  s'il 
en  était  ainsi,  Dieu  ne  serait  pas  cause  suffisante 
de  la  rémission  des  péchés,  ce  qui  est  faux.  Si 
bien  qu'il  est  vrai  que  Dieu  détruit  le  péché  tout 
à  fait,  absolument  et  sans  aucune  condition,  et 
que  jamais  un  péché  remis  et  eflacé  ne  devient  un 
obstacle  à  la  grâce  de  Dieu  et  à  son  amour.  Dieu 
l'elTace  de  sa  mémoire  et  ne  s'en  ressouvient  plus, 
pour  retirer,  à  cause  de  ce  péché,  sa  grâce  au  pé- 
cheur. Conformément  à  cela,  il  déclare  par  l'or- 
gane du  prophète  Ezéchiel  :  «  Si  Vitnpie  fait 
«  pénitence  de  tous  ses  péchés,  je  ne  7ne  souvicn- 
«  drai  plus  de  toutes  les  iniquités  qiiil  a  corn- 
et, mises.  »  (ch.  i8).  Ce  qui  s'accorde  avec  la  parole 
d'un  pape  ancien  (i):    la  divine  clémence,  dit-il, 

I.  Gelasius,  Divina  de  poexiTEXTiA,  dist.  4. — Ce  texte 
du  pape  Gélase  prouve  non  seulement  que  le  péché  est 
à  tout  jamais  remis,  mais  aussi  la  peine  due  au  péché,  et 
que  Dieu  n'exigera  plus  cette  peine,  quelque  puissent 
être  les  nouveaux  torts  à  son  égard  de  l'homme  par- 
donné. Ce  point  est  admis  par  la  plupart  des  Théolo- 
giens, notamment  par  saint  Thomas  ;  il  est  la  consé- 
quence nécessaire  de  la  non  reviviscence  du  péché, 
car  la  seule  raison  qui  légitime  la  peine  c'est  l'existence 
du  péché,  et  par  conséquent  comme  le  pfché  ne  revit 
pas,  l'obligation  de  subir  la  peine  due  à  ce  péché  ne 
revit  pas  davantage.  A  noter  qu'il  s'agit  aussi  bien  de 
la  peine  éternelle  que  de  la  peine  temporelle,  mais 
avec  cette  différence  que  dans  la  Pénitence  la  peine 
temporelle  n'est  remise  d'ordinaire  que  partiellement, 
tandis  qu'il  est  de  foi  que  '<  îa  peine  éternelle  est  remise 
«  en  même  temps  que  la  faute ^  soit  dans  le  sacrement, 
«  soit  par  le  désir  du  sacrement.  y>  (Conc  de  Tr.  sess.  6, 
c.  14). 


440  LA     THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

ne  souffre  pas  que  les  péchés  remis  méritent  encore 
d'être  punis.  Saint  Prosper  (i),  qui  est  celui  qui  a 
le  plus  parlé  et  écrit  selon  les  sentiments  de 
saint  Augustin,  dit  :  celui  qui  s'éloigne  de  Jésus- 
Christ  et  meurt  dans  la  privation  de  sa  grâce,  où 
va-t-il  sinon  à  la  perdition  ?  Mais  il  ne  retombe 
pas  dans  ce  qui  lui  a  été  pardonné  et  n'est  point 
damné  pour  le  péché  originel.  En  agissant  ainsi 
Dieu  montre  l'aversion  et  la  haine  qu'il  a  pour  les 
péchés  puisqu'il  les  détruit  absolument  ;  car,  s'il 
les  aimait,  il  ne  les  détruirait  pas  ;  en  même  temps 
il  fait  paraître  l'efficacité  de  la  grâce  sanctifiante, 
qui  par  sa  présence  anéantit  la  faute,  de  telle  sorte 
qu'elle  n'est  plus  et  ne  peut  plus  revenir.  C'est 
pourquoi  on  n'accorde  plus  aucun  crédit  à  l'opi- 
nion d'un  ancien  Théologien  (2)  qui  soutenait  que 
les  péchés  remis  revenaient  par  quatre  sortes 
d'autres  péchés,  qui  sont  la  haine  du  prochain, 
l'apostasie,  le  mépris  de  la  confession  et  le  regret 
d'avoir  fait  pénitence  ;  car  il  disait  que  Dieu  ne 
remettait  le  péché  qu'avec  quatre  conditions,  qui 
étaient  d'aimer  le  prochain,  de  persévérer  dans  la 
foi,  de  confesser  sa  faute  et  de  la  détester  jusqu'à 
la  fin.  Ainsi,  ajoutait-il.  Dieu  faisait  un  pacte  avec 
le  pénitent,  qui  s'engageait  à  tenir  ces  conditions 
inviolablement,  sans  quoi  Dieu  révoquait  la  grâce 
du  pardon.  Mais,  dit  saint  Bonaventure,  quoi- 
que cette   opinion   soit  soutenue   par   un   grand 

1 .  Responsio  2  ad  objecta  Gaîlorum. 

2.  Bail  met  en   note:    Opinio   Prœpositivi  rejecta    a 
D.  Bonaveni.  in  4,  dist.  22,  art.  /,  q.  2. 


DES    SACREMENT?;  44I 

Théologien,  elle  n'est  pas  fondée  et  on  ne  doit  pas 
la  tenir  pour  vraie  (i). 

Dans  cette  pensée  j'exalterai  la  grandeur  de  la 
miséricorde  de  Dieu  qui  invite  les  pécheurs  à  la 
pénitence  par  mille  moyens  et  les  reçoit  si  béni- 

I.  Ces  quatre  péchés  sont  énoncés  dans  le  distique 
suivant,  cité  par  saint  Thomas  : 

«  FratreSyOdit  aposiaiafii,spernit  que  Jateri, 
«  Pœnituisse  piget  :  Pristina  culpa  redit.  » 

(III.  q.   88,  art.  2,  ad  i). 

Il  est  vrai  que  ces  quatre  péchés  ne  reviennent  pas 
proprement,  pas  plus  que  les  autres,  mais  on  dit  qu'ils 
reviennent  dans  ce  sens  qu'ils  témoignent  d'une  ingra- 
titude spéciale.  Saint  Thomas  se  pose  à  lui-même  cette 
difficultés  «  //  semble  que  les  péchés  pardonnes  ne  re- 
«  viennent  pas  par  l'ingratitude  qui  résulte  spécialement 
«  de  quatre  genres  de  péchés,  c'est-à-dire  de  la  haine  f  ra- 
te ternelle,  de  l'apostasie  de  la  foiy  du  mépris  de  la  con- 
«  fession,  du  regret  qtie  V m  a  d'avoir  fait  pénitence. 
«  C'est  ce  qui  a  fait  dire  en  vers  :  Il  hait  ses  frères,  de- 
«  vient  apostat,  méprise  la  confession  et  regrette  la  péni- 
«  tencc  qu'il  a  faite  ;  alors  ses  anciennes  fautes  reviennent. 
«  Car  l'ingratitude  est  d'autant  plus  grande  que  le  péché 
«  qu'on  commet  contre  Dieu  est  plus  grave  après  le  bien- 
«  fait  de  la  rémission  des  péchés .  Or  il  y  a  des  péchés 
«  plus  graves  que  ceux-là,  comme  le  blasphème  contre 
«  Dieu  et  le  péché  contre  le  Saint-Esprit.  Il  semble  donc 
«  que  les  péchés  pardonnes  ne  reviennent  pas  plutôt  en 
«  raison  de  l'ingratitude  que  l'on  commet  par  ces  péchés 
«  que  par  d^ autres.  »  Et  saint  Thomas  répond  à  cette 
difficulté  :  «  On  ne  dit  pas  cela  spécialement  de  ces  péchés 
«  parce  qu'ils  sont  plus  graves  que  les  autres,  mais  parce 
«  qu'ils  sont  plus  directement  opposés  au  bienfait  de  la 
«  rémission  des  péchés.  »  (III.  q.  88,  art.  2,  ad  i). 


442        LA  THÉOLOGIE  AFFECTIVE 

gnement  qu'il  leur  pardonne  absolument  et  les 
délivre  tout  à  fait  de  Tabîme  des  enfers.  «  Béni 
«  soit  Dieu  et  le  Père  de  Notre-Seipneur  Jésus- 
«  Christ,  le  Père  des  miséricordes  et  le  Dieu  de 
«  toute  consolation  !  Le  Seigneur  est  plein  de  pitié 
«  et  de  miséricorde.  Le  Seigneur  est  suave  à 
«  regard  de  tous.,  et  ses  miséricordes  remportent 
«  sur  toutes  ses  œuvres.  »  (II  Cor.  i  —  Psau.  144). 
O  Seigneur,  qui  vous  donnera  des  louanges  infi- 
nies et  qui  vous  servira  dignement  durant  tout  le 
cours  de  sa  vie,  en  reconnaissance  de  ce  bienfait 
admirable  ?  Une  sainte  Madeleine  et  une  sainte 
Pélagie  vous  en  ont  aimé  et  remercié  toute  leur 
vie  et  les  bienheureux  du  paradis  vous  en  seront 
reconnaissants  pendant  toute  l'éternité.  Oh  !  que 
je  vous  en  sois  reconnaissant  maintenant,  et,  puis- 
que cette  miséricorde  s'exerce,  non  à  l'égard  des 
rebelles  et  de  ceux  qui  s'obstinent  dans  le  mal, 
mais  à  l'égard  de  ceux  qui  s'humilient  et  revien- 
nent à  Dieu,  je  profiterai  de  cette  miséricorde  et 
j'en  ferai  un  bon  usage.  Je  me  réduirai  au  plus  tôt 
avec  confiance  sous  le  joug  de  la  loi  divine  et  d'une 
conversion  sincère,  comme  saint  Paul  nous  y 
engage  par  ces  paroles  :  «  Allons  donc  avec  con- 
«  fiance  auprès  du  trône  de  la  grâce  de  Dieu.,  afin 
«  que  nous  obtenions  miséricorde  et  que  nous 
«  trouvions  avec  la  grâce  un  secours  opportun.  » 
(Hébr.  4). 

III 

Considérez  que,  bien  que  les  péchés  remis  ne 
reviennent  pas  en  eux-mêmes  et  avec  toute  leur 
gravité  par  la  rechute,  ils  reviennent  néanmoins 


DES    SACREMENTS  443 

d'une  certaine  manière  et  à  un  certain  point  de 
vue.  Ils  constituent  en  ellet  une  circonstance 
aggravante  pour  le  péché,  soit  mortel,  soit  véniel, 
que  l'on  commet  plus  tard  (i).  Dieu  estime  ce 
péché  plus  grave  et  plus  punissable  à  cause  de 
ringratitude  du  pénitent,  qui,  après  être  rentré  en 
grâce,  au  lieu  de  se  montrer  reconnaissant  à  Tégard 
de  Dieu,  son  bienfaiteur,  qui  Ta  délivré  de  Tenfer 
et  mis  au  nombre  de  ses  enfants  par  le  pardon, 
l'offense  de  nouveau  et  pèche  encore  malgré 
l'obligation  plus  grande  qu'il  avait  de  lui  être 
fidèle  (2).  C'est  ce  qui  paraît  dans  la  réponse  de  cet 
homme  ingrat  et  cruel,  à  qui  le  roi,   son  maître, 

I.  «  Ainsi  donc,  dit  saint  Thomas,  par  le  péché  que 
«  Von  commet  après  la  pénitence,  on  fait  revivre  d'une 
«  certaine  manière  la  peine  due  aux  péchés  qui  ont  été 
«  auparavant  pardonnes,  non  couitne  un  effet  produit  par 
«  ces  péchés  eux-mêmes,  mais  comme  résultant  du  péché 
«  qui  a  été  commis  en  dernier  lieii,  et  qui  se  trouve 
«  aggravé  par  les  fautes  antérieures.  »  (III.  q.  88, 
art.  i).  Il  est  à  noter  aussi  que  par  le  nouveau  péché 
commis  après  une  première  pénitence,  l'homme  ne  se 
rend  pas  toujours  plus  coupable  qu'il  ne  l'était  aupara- 
vant, mais  il  est  certainement  plus  coupable  qu'il  ne 
l'aurait  été,  s'il  n'avait  point  déjà  reçu  de  Dieu  le  bien- 
fait d'un  premier  pardon.  Néanmoins  l'ingratitude  que 
renferme  toujours  une  rechute  après  le  pardon  ne 
constitue  pas  nécessairement  un  péché  d'une  nouvelle 
espèce,  à  moins,  comme  le  dit  saint  Thomas  (III.  q.  88, 
art.  4.)  que  quelqu'un  eût  l'intention  formelle  de 
témoigner  à  Dieu  par  le  péché  du  mépris  pour  les 
bienfaits  qu'il  en  a  reçus. 

a.  Albertus,  in  4,  dist.  22,  art.  i  et  2. 


444  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

avait  fait  grâce  et  avait  remis  les  dettes  qu'il  ne 
pouvait  pas  payer.  Cet  homme  rencontrant  un  de 
ses  débiteurs  le  traita  avec  toute  rigueur  (Matt.  i8), 
Jusqu'à  lui  mettre  le  pied  sur  la  gorge,  pour  en 
obtenir  le  paiement  de  sa  dette.  Le  roi  justement 
irrité  le  fit  jeter  en  prison  jusqu'au  paiement  de  la 
dette  que  lui-même  devait  au  roi  :  «  Ainsi,  dit 
«  Jésus-Christ,  vous  traitera  mon  Père  céleste,  si 
«  vous  ne  pardonne^  pas  au  prochain  du  fond 
«  du  cœur.  »  Le  Sauveur  veut  nous  indiquer  par 
là  que  l'ingratitude  de  ce  serviteur  envers  le  roi 
qui  l'avait  traité  si  charitablement  et  dont  il  trai- 
tait impitoyablement  le  serviteur,  excitait  sa  co- 
lère, de  telle  sorte  qu'il  se  souvenait  de  ses  dettes 
passées  et  remises,   pour  les  punir  (i).  Ainsi  ceux 

I.  Cette  parabole  du  serviteur  ingrat  et  cruel,  constitue 
une  difficulté  grave  contre  la  thèse  de  la  non-réappari- 
tion des  péchés  remis.  Mais  dans  toute  parabole  nous 
devons  distinguer,  comme  saint  Jean  Chrysostome  nous 
en  avertit,  la  substance  de  la  doctrine  cachée  sous  le 
voile  delà  parabole  de  ce  qui  ne  sert  que  d'ornement. 
Le  passage  de  la  parabole  qui  nous  montre  le  roi 
remettant  au  serviteur  sa  dette,  parce  qu'il  ignore  ses 
mauvaises  dispositions,  sert  simplement  d'ornement  à 
cette  parabole  et  ne  saurait  s'appliquer  à  Dieu  qui  lit 
dans  le  cœur  des  hommes  (Quelques  Pères  de  l'Eglise 
semblent  néanmoins  avoir  considéré  cette  parabole 
comme  la  preuve  de  la  réapparition  des  péchés  après  le 
pardon,  notamment  saint  Jean  Chrysostome  (m  hunc 
LocuM,  M.  ^i,  29),  saint  Grégoire  le  Grand  (Dial.  1.  4, 
c.  60  ;  M.  77,  428)  et  saint  Augustin  (De  bapt.  1.  1 ,  c.  12) 
n.  20;  M.  43,  120).  Vasquez  (in  3,  q.  88,  a.  i,  n.  41, 
croit  que  tel  a  été  en  effet  leur  sentiment,  mais  De  Lugo 
juge  cette  concession  inopportune,  car  les  textes  de  ces 


DES    SACREMENTS  445 

qui  retombent  seront  punis  pour  les  péchés  passés 
et  pardonnes,  dans  ce  sens  que  ces  péchés  consti- 
tuent une  circonstance  aggravante  pour  les  fautes 
subséquentes. 

Voici  ce  qu'enseigne  le  Docteur  séraphique  (i). 
Pour  être  vraiment  reconnaissant,  deux  choses 
sont  requises  :  la  première,  c'est  qu'on  se  sou- 
vienne en  temps  et  lieu  du  bienfait  reçu,  pour  en 
remercier  le  bienfaiteur  ;  la  seconde  est  que  l'on 
soit  prompt  à  servir  celui  qui  nous  a  obligés  et  à 
lui  rendre  bien  pour  bien.  De  même  on  est  ingrat 
de  deux  manières  :  en  oubliant  par  mépris  le 
bienfait  reçu,  dans  le  temps  et  le  lieu  propre  à  la 
reconnaissance  et  à  en  offrir  des  remercîments  ; 
alors  on  commet  le  péché  particulier  d'ingratitude 
par  omission.  Secondement,  on  est  ingrat,  quand 
on  a  reçu  des  bienfaits  et  qu'on  rend  le  mal  pour 
ce  bien;  alors  l'ingratitude  est  une  circonstance 
qui  se  rencontre  dans  toutes  sortes  de  péchés  et 
qui  aggrave  d'autant  plus  le  péché  que  le  bienfait 
reçu  est  plus  grand.  D'où  vient  que,  comme  la 
rémission  des  péchés  passés  est  un  bienfait  de 
Dieu   très   signalé,    la    récidive    chez   le   pénitent 

Pères  peuvent  s'entendre  de  la  réapparition  du  péché 
sous  un  certain  rapport,  en  ce  sens  que  le  second  péché 
entraine  après  lui  la  même  peine  que  le  premier,  à 
savoir  la  privation  du  bonheur  éternel  (De  Pœnitent. 
disp.  10,  sect.  i,  n.  6).  De  Augustinis  à  son  tour  croit 
que  saint  Augustin  fait  dans  le  passage  indiqué  un 
argument  ai  hominem  et  raisonne  contre  les  Dona- 
tistes  d'après  leurs  propres  principes  (De  Pœnit.  p.  143). 

I,  D.  Bonavent.  in  4,  dist.  22,  in  littera. 


44-6  LA    THÉOLOGIE   AFFECTIVE 

renferme  une  ingratitude  plus  notable,  qui  le  rend 
plus  criminel  et  digne  devant  Dieu  d'une  plus 
grande  punition.  Car  celui  à  qui  plusieurs  offenses 
ont  été  pardonnées,  devait  témoigner  une  plus 
grande  reconnaissance,  et  c'est  une  chose  qui  le 
couvre  d'une  plus  grande  honte  et  lui  mérite  de 
plus  grands  reproches,  que  de  pécher  contre  celui 
qui  lui  avait  témoigné  tant  de  miséricorde.  Si 
bien  que  de  cette  façon  les  péchés  remis  gracieuse- 
ment viennent  retomber  en  quelque  sorte  sur  le 
dernier  péché  et  entrent  en  ligne  de  compte  pour 
augmenter  l'ingratitude.  En  vérité  une  âme  chré- 
tienne lavée  de  ses  péchés  passés,  avait  coûté  assez 
de  sang  à  Jésus-Christ,  quand  en  vertu  de  ce  sang 
ces  péchés  lui  ont  été  pardonnes.  Ne  faut-il  pas 
qu'elle  soit  dénaturée,  pour  vouloir  coûter  encore 
davantage  par  de  nouvelles  offenses,  qui  demande- 
raient qu'il  répandit  de  nouveau  son  sang,  pour 
les  laver  encore  une  fois,  si  son  unique  mort 
n'était  pas  suffisante  pour  une  infinité  de  néchés  ? 
Ne  faut-il  pas  qu'elle  soit  bien  stupide  et  bien  hébé- 
tée pour  si  peu  considérer  et  si  peu  comprendre 
que  celui  qu'elle  offense  de  nouveau  est  celui  de 
qui  elle  dépend  le  plus,  celui  qui  a  le  plus  de 
pouvoir  et  d'autorité  sur  elle,  celui  dont  la  justice 
est  la  plus  redoutable,  puisqu'elle  n'a  épargné  ni 
les  Anges  du  ciel,  ni  le  premier  homme  dans  le 
paradis  terrestre,  ni  le  monde  au  déluge,  celui 
enfin  à  qui  elle  est  le  plus  redevable,  à  raison  de 
ses  miséricordes  passées  (i)  ? 

I.  On  peut  encore  dire,  mais  toujours  improprement 
qu'un  péché  remis  par  la  Pénitence  reparaît,  quand  on 


DES    SACREMENTS  447 

Puisque  Dieu  ressent  ainsi  ringratiiudc  de  celui 
qui  retombe  dans  le  péché,  j'appréhenderai  d'offen- 
ser la  bonté  de  Dieu  par  la  rechute,  et  je  ne  me 
reposerai  pas  sur  sa  miséricorde  de  telle  sorte  que 
je  n'appréhende  la  rigueur  de  sa  justice.  Je  m'éton- 
nerai du  peu  de  jugement  de  certains,  qui  ne  font 
autre  chose  que  considérer  les  promesses  de  Dieu 
et  les  sentences  de  sa  miséricorde,  pour  se  con- 
soler parla  eux-mêmes,  et  les  inculquer  perpétuel- 
lement aux  autres  et  qui  passent  légèrement  ou 
même  ne  pensent  pas  du  tout  à  ses  menaces,  aux 
sentences  où  est  formulée  la  rigueur  de  ses  juge- 
ments ;  et  cependant  l'Ecriture  est  pleine  de  ces 
sentences,  afin  de  nous  exciter  à  une  crainte  salu- 
taire qui  soit  le  commencement  de  notre  salut  et 
nous  préserver  du  péché.  Je  me  représenterai 
souvent  que  je  suis  devant  Dieu  comme  un  servi- 
teur misérable,  qui  a  rejeté  le  joug  de  sa  servitude 
et  que  je  me  suis  livré  au  démon  par  plusieurs 
rechutes,  après  tant  d'absolutions  prononcées  sur 
mes  péchés.  Je  ne  séparerai  donc  pas  la  justice  et 
la  miséricorde,  mais,  comme  l'Ecriture  sainte  m'en 
avertit,  j'unirai  l'une  et  l'autre,  et  je  dirai  avec 
David,  le  roi  des  pénitents  :  «  Seigneur,  je  chan- 
«  tarai  votre  miséricorde  et  votre  justice.  Toutes 
«  les  voies  du  Seigneur  sont  miséricorde  et  vérité 

commet  un  nouveau  péché,  en  ce  sens  que  l'âme  est  de 
nouveau  privée  de  la  grâce  et  condamnée  à  la  même 
peine  ;  car  ce  sont  là  des  effets  communs  à  tout  péché 
mortel.  C'est  le  sens  qu'il  convient  de  donner  à  cette 
parole  de  saint  Jacques  :  «  Qiiiconque  ayant  observé  la 
«  loi  la  viole  en  iin  seul  point,  est  coupable,  comme  s'il 
«  l'avait  toute  violée.  »(Epît.  ii,  lo). 


448  LA   THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

a  pour  ceux  qui  recherchent  son  testament  » 
(Psa.  10  et  24),  c'est-à-dire  qui  s'efforcent  de  faire 
sa  dernière  volonté. 


FIN    DU    NEUVIÈME    VOLUME 


TABLE   DES   MATIÈRES 

CONTENUES  DANS  LE  NEUVIÈME  VOLUME 


DEUXIÈME  TRAITÉ  (suite) 
DE    LA    SAINTE    VIERGE   (suite) 


Pages 

XIV*  MéDiTATioN.  —  De  la  purification  de  la 
Sainte  Vierge i 

La  Vierge  a  été  dotée  d'une  très  parfaite  pureté.  — 
Elle  n'était  point  obligée  par  la  loi  de  la  purification. 
—  Quelques  raisons  pour  lesquelles  le  Saint-Esprit  lui 
inspira  de  s'y  soumettre. 

XV^  Méditation.  —  Explication  plus  ample  du 
glaive  de  douleur  qui  transperça  le  cœur  de  la 
Vierge 14 

Le  glaive  de  douleur  de  la  Vierge  —  i)  est  sembla- 
ble au  glaive  du  Chérubin  —  2)  il  peut  être  appelé  le 
glaive  du  Seigneur  —  3)  il  peut  être  appelé  aussi  le 
glaive  de  la  colombe. 

XVI®  Méditation.  —  Des    mérites    de  la  Sainte 

Vierge  et  combien  grande  fut  sa  grâce 2^ 

La  Sainte  Vierge  a  mérité  un  accroissement  de  grâce 
à  chaque  instant  de  sa  vie,  qui  dura  soixante-trois  ans. 
—  Elle  a  mérité  par  tous  les  actes  de  sa  vie  soit  active 

Bail,  T.  ix-  3" 


4^0  LA  THÉOLOGIE    AFFECTIVE 


soit  contemplative,  et  la  nuit  comme  le  jour.  —  A 
quelle  quantité  de  grâce  était-elle  parvenue  à  la  fin  de 
sa  vie. 

XVII*  Méditation.  —  Du  bienheureux  trépas  de 
la  Sainte  Vierge 43 

Belles  raisons  de  la  mort  de  la  Vierge.  —  Elle  meurt 
par  la  force  de  son  amour.  —  Elle  est  délivrée  de  trois 
misères  auxquelles  sont  soumis  les  mourants. 

XVIII®  Méditation.  —  Du  trépas  de  la   Sainte 
Vierge  et  de  son  Assomption 54 

Faveur  que  reçoit  la  Sainte  Vierge  à  sa  mort.  — 
Grande  félicité  qui  lui  est  échue  le  jour  de  son  Assomp- 
tion. —  Elle  est  établie  Reine  de  l'univers  et  Impéra- 
trice du  ciel  et  de  la  terre  au-dessous  de  Jésus-Christ. 

XIX®  Méditation.  —  Conclusion  de  ce  traité  :  de 

la  dévotion  envers  la  Sainte  Vierge 79 

La  dévotion  envers  la  Sainte  Vierge  consiste  à  faire  ce 
qui  lui  plaît,  et  à  éviter  ce  qui  l'offense.  —  Motifs  de 
cette  dévotion.  —  Méthode. 


TROISIÈME  TRAITÉ 

DES  SACREMENTS 


I"  Méditation.  —  Définition  et  nombre  des  Sa- 
crements         102 

Un  sacrement  est  une  pluralité  de  signes  sensibles 
institués  par  Dieu  pour  signifier  et  produire  la  grâce 
dans  la  personne  qui  le  reçoit  avec  les  dispositions 
requises.  —  Raisons  pour   lesquelles   Dieu   a  voulu 


TABLE    DES    MATIÈRES  45l 


instituer  les  sacrements   et  nous  conférer  la  grâce  au 
moyen  Je  signes  sensibles.  —  Il  y  a  sept   sacrements. 

II®  Méditation.  —  Des  effets  des  sacrements.  ...       114 

Les  trois  effets  principaux  des  sacrements  sont  la 
grâce  sanctifiante,  le  caractère  et  la  grâce  sacramen- 
telle. —  Les  sacrements  confèrent  la  grâce  ex  opère 
operato,  c'est-à-dire  par  leur  propre  vertu.  —  Le  mau- 
vais état  du  ministre  des  sacrements  n'empêche  pas 
ceux-ci  de  produire  leurs  effets. 

III*  Méditation.  —  De  rinstitution  des  sacre- 
ments, de  leur  excellence  et  de  leur  perfec- 
tion dans  l'autre  vie 131 

Le  temps  de  la  loi  de  grâce  était  le  temps  propre  à 
l'institution  des  sacrements.  —  Les  sacrements  n'au- 
ront leur  plein  effet  et  leur  perfection  que  dans  l'état 
de  gloire. 

IV*  Méditation.  ~  Du  sacrement  de  Baptême  et 
de  ses  effets 

Le  Baptême  consiste  à  laver  le  corps  avec  de  l'eau  et 
à  prononcer  des  paroles.  —  Le  premier  effet  du  Bap- 
tême est  la  rémission  du  péché  originel. —  Le  Baptême 
produit  une  grâce  égale  dans  tous  les  enfants. 

V*  Méditation.  —  De  l'institution,  de  la  néces- 
sité et  des  cérémonies  du  Baptême 165 

Il  convenait  que  le  Baptême  fat  le  premier  des  sacre- 
ments. —  Le  Baptême  est  nécessaire  à  tous  les  hommes. 
—  Principales  cérémonies  du  Baptême. 

VI«  Méditation.  —  Du  sacrement  de  Confirma- 
tion         i8i 

Ce  qu'est  la  Confirmation.  —  Merveilleux  effets  de 
la  Confirmation.  —  Pourquoi  la  plupart  des  chrétiens 
sont  si  faibles. 

VII*  Méditation.  —  De  la  présence  réelle  et  subs- 
tantielle du  corps  de  Jésus-Christ  dans  le  Saint- 
Sacrement  de  l'Eucharistie 197 

Première  preuve  tirée  de  la  promesse.  —  Seconde 
preuve  tirée  de  l'institution.  —  Troisième  preuve  tirée 
de  l'usage  de  ce  sacrement. 


Ï45 


452  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

VIII®  Méditation.  —  De  ce  qui  est  le  plus  essen- 
tiel dans  le  sacrement  de  la  Sainte  Eucharistie,       210 

L'Eucharistie  est  un  sacrement  de  la  nouvelle  Loi 
qui  consiste  dans  les  espèces  du  pain  et  du  vin,  et  dans 
le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ  réellement  contenu 
sous  ces  espèces,  pour  donner  à  l'âme  sa  nourriture 
spirituelle.  —  Jésus-Christ  est  présent  dans  ce  sacre- 
ment en  vertu  des  paroles  prononcées  parle  prêtre.  — 
Dans  cette  conversion  il  ne  demeure  rien  de  la  subs- 
tance du  pain  ni  de  la  substance  du  vin. 

IX®  Méditation.  —  Des  divers  motifs  pour  les- 
quels Jésus-Christ  est  présent  dans  l'Eucha- 
ristie         225 

Premier  motif  :  la  gloire  de  Dieu.  —  Second  motif: 
l'exaltation  de  l'humanité  de  Jésus-Christ.  —  Troi- 
sième motif  :  l'utilité  des  hommes  et  leur  plus  grand 
honneur. 

X^  Méditation.  —  De  l'union  de  Jésus-Christ 
avec  les  espèces  du  pain  et  du  vin  dans  l'Eu- 
charistie        238 

Jésus-Christ,  en  s'unissant  aux  espèces  du  pain  et  du 
vin  nous  prouve  —  i)  son  admirable  bonté  —  2)  son 
grand  désir  de  se  communiquer  aux  hommes —  3)  sa 
prodigalité. 

XP  Méditation.  --De  la  communion  sous    une 

seule  espèce 249 

Notre  Seigneur  a  donné  aux  prêtres  trois  grands 
pouvoirs  :  celui  de  consacrer,  celui  de  sacrifier  et  celui 
de  distribuer  son  divin  corps.  —  Les  prêtres  ont  dis- 
tribué le  corps  de  Jésus-Christ  aux  laïques,  tantôt  sous 
les  deux  espèces,  tantôt  sous  une  seule. —  C'est  à  tort 
que  certains  se  plaignent  de  l'ordonnance  de  l'Eglise 
qui  ne  permet  la  communion  que  sous  une  seule 
espèce. 

XIP  Méditation.  —  Des  elïets  du  Sacrement  de 

l'Eucharistie 265 

Le  sacrement  de  l'Eucharistie  est  doué  d'une  grande 
vertu.  —  Exposition  en  détail  des  effets  de  ce  sacre- 
ment. —  L'Eucharistie  produit  son  principal  effet  dans 
le  trajet  de  la  bouche  a  l'estomac. 


TABLE    DES    MATIÈRES  453 


XIII"  MéuiïATioN.  —  Des  trois  sortes  de  disposi- 
tions ù  la  réception  du  Saint-Sacrement 280 

La  disposition  nécessaire  et  suffisante  pour  recevoir 
la  grâca  saacti6ante  de  la  sainte  communion  est 
l'exemption  du  péché  mortel  obtenue  par  la  confes- 
sion. —  Disposition  prétendue  suffisante  et  qui  ne  l'est 
que  probablement.  —  Disposition  convenable. 

XIV«  MéDiTATioN.  —  De  la  disposition  convena- 
ble pour  mieux  communier  (suite),  et  des  effets 
de  la  communion  faite  avec  une  telle  disposi- 
tion        298 

Autre  pratique  pour  communier  convenablement, 
comprenant  sept  degrés.  —  Fruits  merveilleux  qui 
proviennent  de  la  communion  faite  avec  cette  dispo- 
sition. —  Pourquoi  certzines  âmes  qui  se  sont  bien 
disposées  à  communier,  ressentent  si  peu  le  goût  de 
la  dévotion. 

XV^  Méditation.   —  Conduite  à  tenir  après  la 

Communion 316 

Importance  de  s'entretenir  en  secret  avec  Jésus- 
Christ  après  la  sainte  Communion.  —  Cet  entretien 
comprend  sept  actes  de  dévotion.  —  Trois  conseils 
spirituels  qu'il  faut  pratiquer  après  cet  entretien. 

XVI®  Méditation.  —  De  la  fréquente  communion.       328 

Généralement  parlant,  on  doit  conseiller  la  com- 
munion fréquente.  —  Ordinairement  la  communion 
ne  doit  pas  être  quotidienne.  —  Règles  à  observer  pour 
la  communion  fréquente. 

XVll"  Méditation.  -^  Du  sacrifice  de  l'Eucha- 
ristie   

La  consécration  du  pain  et  du  vin  est  le  véritable 
sacrifice  de  la  loi  chrétienne.  —  Nécessité  d'avoir  nn 
tel  sacrifice  dans  lequel  la  victime  soit  Jésus-Christ. 
—  Efficacité  du  sacrifice  de  l'Eucharistie  pour  obtenir 
un  grand  nombre  de  biens. 

XVIII®  Méditation.  —  Jésus-Christ  poursuit  dans 
ce  sacrifice  les  trois  desseins  qu'il  avait  en 
mourant  sur  la  croix 


344 


Jésus-Christ  poursuit  dans  ce  sacrifice  son  triple 
dessein  :  i)  d'honorer  Dieu  —  2)  de  le  remercier  — 
3)  d'apaiser  sa  colère. 


355 


454  LA    THÉOLOGIE    AFFECTIVE 

XIX^  MéDiTATioN.  —  Des  trois  actes  de  dévotion 
envers  le  Saint-Sacrement,  que  pratiquent  les 
âmes  pieuses "5^     \/  ^ 

La  dévotion  au  Saint-Sacrement  porte  les  âmes 
pieuses  :  i)  à  lui  rendre  un  culte  de  latrie  —  aj  à  l'ac- 
compagner aux  processions  et  quand  on  le  porte  aux 
malades  —  3)  à  le  visiter. 

XX®  Méditation.  —  De  la  Pénitence  considérée 
comme  vertu 385 

La  Pénitence  est  une  vertu  qui  nous  porte  à  vouloir 
satisfaire  à  Dieu  pour  les  péchés  commis.  —  Quelques 
excellences  de  cette  vertu.  —  Ses  actes  intérieurs  et 
ses  actes  extérieurs. 

XXP  Méditation.  —  Du  sacrement  de  Pénitence 

et  de  ce  qui  lui  est  essentiel 397 

La  Pénitence  est  aussi  un  sacrement  de  la  Loi  nou- 
velle qui  consiste  dans  les  actes  du  pénitent  d'une  part 
et  dans  l'absolution  du  prêtre  d'autre  part.  —  Les  actes 
du  pénitent,  contiition,  confession  et  satisfaction,  sont 
pénibles  et  laborieux.  —  Vertu  de  l'absolution. 

XXII«  Méditation.  —  Des  effets  du  sacrement  de 
Pénitence 413 

Le  grand  effet  du  sacrement  de  Pénitence  est  la 
rémission  de  tous  les  péchés  mortels  sans  délai,  sans 
fim  età  tout  jamais.  —  Un  autre  effet  du  sacrement  de 
Pénitence  est  la  restitution  de  la  g:âce  et  des  vertus 
perdues.  —  Autres  effets  qui  sont  la  conséquence  de 
ceux-là. 

XXIIP  Méditation.  —  Comment  la  Pénitence 
efface  les  péchés  sans  retour 43 1 

Dieu  pourrait  remettre  les  péchés  de  telle  sorte  qu'ils 
seraient  imputés  de  nouveau  au  pénitent  qui  y  retom- 
berait. —  Dieu  pardonne  le  péché  absolument  et  sans 
condition,  après  une  parfaite  Pénitence.  —  Néanmoins 
les  péchés  déjà  remis  sont  encore  imputés  au  pécheur 
au  point  de  vue  de  l'ingratitude. 


FIN    DE    LA    TABLE    DU    NEUVIEME    VOLUME 


EN  SOUSCRIPTION 

LE  CATÉCHISME 

OU  L'ENSEIGNEMENT 

DE   LA 

Doctrine  Chrétienne 

EXPLICATION  NOUVELLE 

d  après  les  données  les  plus  récentes  de  l'exégèse, 
de  V histoire ,  de  la  critique  et  de  la  science,  pour 
répondre  aux  exigences  de  la  pensée  contempo- 
raine et  aux  besoins  de  notre  époque, 

par  M.  rAbbé  Georges  BAREILLE 

Docteur  en  théologie  et  en  droit  canon 

Ancien  Professeur  de  Patrologie  à  l'Institut  catliolique  de  Toulouse 

Collaborateur  du  Dictionnaire  de  Théologie 

CET  OUVRAGE  SE  COMPOSERA  DE 

9  volumes  in-8^  écu  de  500  pages,  dont 

1  volume  de  tables  générales 

PRIX 45  Francs 


DIVISION  DE  L'OUVRAGE 

(Chaque  partie  sera  livrée  complète) 

1"  Partie.       Le  Symbole 2  volumes 

IP  Pautii';.      Les  Goinniandemonts 2        — 

IIP  PAKTiii:.     La  Grâce,  la  Prière,  les  Sacrements..  2        — 

n  «  Pautiiï.     Les  Fêtes 2        — 

Tables  générales  des  matières i        — 

Le  prospectus  détaillé   de   cette  publication . 
est  envogé  franco  sur  demande 

Bergerac  —  Imprimerie  Générale  (J.  Castanbt),  place  des  Deux-Conils. 


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BAIL^   Louis. 

La  Théologie  affective. 


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