LA
THÉOLOGIE AFFECTIVE
ou
SAINT THOMAS
D'AQUIN
Médité en vue de la
PRÉDICATION
par LOUIS BAIL
Docteur en Théologie
NOUVELLE ÉDITION
REVUE ET ANNOTÉE AVEC LE PLUS GRAND SOIN, MISE EN FRANÇAIS MODERNE
ET EN HARMONIE
AVEC LES PLUS RECENTES DECISIONS DE l'ÉGLISE
ET LES DERNIÈRES DECOUVERTES DE LA SCIENCE
par M. l'Abbé BOUGAL
Docteur en Théologie et en Droit canonique
TOME NEUVIEME
De la Sainte Vierge (suite)
Des Sacrements
.MONTREJEAU
(Haute-Garonne)
LIBRAIRIE J.-M. SOUBIRON, ÉDITEUR
Droits de reproduction et de traduction réservés.
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University of Ottawa
Iittp://www.archive.org/details/latliologieaffe09bail
LA
THÉOLOGIE AFFECTIVE
ou
SAINT THOMAS
D'AQUIN
EN MÉDITATIONS
PERMIS D'IMPRIMER
Toulouse, le lo septembre iCjob.
E. F. TOUZET,
V. g
SEP 1 1 1952
LEdiîcnr se réserve tous les droits de reproduction
et de traduction.
Ce volume a été déposé conformément aux lois
en septembre 190^.
LA
THÉOLOGIE AFFECTIVE
ou
SAINT THOMAS
D'AQUIN
Médité en vue de la
PRÉDICATION
par LOUIS BAIL
Docteur en Théologie
NOUVELLE ÉDITION
REVUE ET ANNOTÉE AVEC LE PLUS GRAND SOIN, MISE EN FRANÇAIS MODERNE
ET EN HARMONIE
AVEC LES PLUS RECENTES DECISIONS DE l'ÉGLISE
ET LES DERNIÈRES DECOUVERTES DE LA SCIENCE
par M. l'Abbé BOUCAL
Docteur en Théologie et en Droit canonique
TOME NEUVIÈME
De la Sainte Vierge (suite)
Des Sacrements
MONTRÉJEAU
(Haute-Garonne)
LIBRAIRIE J.-M. SOUBIROX, ÉDITEUR
Droits de reproduction et de traduction réservés.
LA
THÉOLOGIE AFFECTIVE
ou
SAINT THOMAS
EN MÉDITATIONS
Tcrtia pars juxta Sanctum Thomatn (suite)
DEUXIÈME TRAITÉ
(suite)
De la Sainte Vierge (suite)
XIV^ MÉDITATION
DE LA PURIFICATION
DE LA SAINTE VIERGE
SOMMAIRE:
La Vierge a été dotée d'une très parjaite pureté,
— Elle n'était point obligée par la loi de la
purification. — (Quelques raisons pour les-
quelles le Saint-Esprit lui inspira de s'y sou-
mettre.
1
CONSIDÉREZ que la Vierge a été dotée d'une
parfaite pureté. Car deux choses sont requi-
ses pour la pureté. La première est que pour ce qui
regarde le passé Tàme ne reconnaisse en elle aucune
faute, qui n'ait point été expiée par une digne
pénitence et une satisfaction proportionnée. La
Bail, t. ix. I
LA THEOLOGIE AFFECTIVE
seconde est que, pour ce qui regarde l'avenir, Tàme
ne trouve rien ni dans le temps ni dans l'éternité
de si pénible et de si contraire à sa nature, qu'elle
ne soit prête à l'accepter pour faire la volonté de
Dieu, quand bien même elle serait destinée aux
peines éternelles de l'enfer (i). Autrement com-
ment l'homme pourrait-il demander à Dieu tout
ce qu'il est, s'il ne lui offrait, d'un cœur ouvert et
avec une sincère affection, tout ce qu'il est lui^
même et tout ce qu'il peut souffrir pour lui ?
Or, si l'on conçoit ainsi la pureté, il est certain
qu'elle a été très parfaite dans la Sainte Vierge.
Car, quant au passé, elle ne découvre dans son âme
aucun péché ni mortel, ni véniel, ni même le
péché originel, dont sa conception fut affranchie,
et pour ce qui est de l'avenir, qu'y avait-il au
monde de dur et de fâcheux qu'elle n'eût accepté
pour plaire à Dieu ? Elle le prouve suffisam-
ment par la résignation qu'elle montra dans la
Passion de Jésus-Christ, où elle fut privée tout à
la fois du bien qu'elle chérissait le plus et où elle
fut affligée de toutes les douleurs par compassion
et par contre-coup ; car, de même qu'il n'y eut
pour une créature de son sexe de dignité, à
laquelle elle n'eût pas été élevée, ainsi il n'y eut
pas de douleur si aiguë qu'elle n'ait eu à endurer.
Par la pureté de son âme elle s'abandonne absolu-
ment au bon plaisir de Dieu et il n'y a rien qu'elle
ne soit très contente de souffrir plutôt que de
résister le moins du monde à la volonté de Dieu.
I. Harphius, in Direct, contempl. p. 3.
hi: I.A SAINTli VIERGI'; J
Hugues de Saint Victor (i) parle autrement de
la pureté ; il dit qu'elle consiste à faire toutes
choses, ou pour l'utilité du prochain, ou pour la
gloire de Dieu. Cette pureté s'est encore rencon-
trée dans la Vierge, qui ayant été la plus chérie et
la plus favorisée de Dieu, a dû aussi lui rendre la
réciproque et Taimer avec une plus grande fer-
veur ; et comme elle avait de plus grandes lumiè-
res et une plus parfaite connaissance de ses
perfections, elle devait avoir également une plus
ardente charité. Or celui qui a plus de charité
pour Dieu, vise à la gloire de Dieu et y tend plus
purement en toutes choses. Et comme la chanté
par laquelle on aime Dieu est la même que la
charité qui porte à aimer le prochain, quiconque
aime davantage la gloire de Dieu, aime aussi
davantage le bien spirituel du prochain. C'est
pourquoi la Sainte Vierge se portait à l'un et à
l'autre parfaitement, et surtout dans les actions
les plus importantes de la vie, comme la sustenta-
tion et l'éducation de son Fils ; elle faisait ces
deux actions pour la gloire de Dieu, mais de telle
sorte qu'elle n'oubliait pas le salut du monde
auquel elle contribuait en élevant et en nourrissant
pour lui un Sauveur et un Rédempteur. Si donc
la pureté consiste à tout rapporter au bien du
prochain et à la gloire de Dieu, il faut en conclure
que la Sainte Vierge a eu une très grande pureté,
en raison de son affinité et de sa parenté avec Dieu
I. Lib. 3 MiscELL. tit. i. « Pur lias auiem est ut
« quidqtiid agitur^ aut ad utiîUatem prôximi aut ad
« honorent Déifiât. »
4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
au premier degré. C'est pourquoi saint Anselme (i)
dit qu'il convenait qu'elle brillât d'une pureté telle
qu'il fût impossible d'imaginer une plus grande
pureté après Dieu.
Louez et honorez la Sainte Vierge pour son
extrême pureté. Etudiez-vous tous les jours de
votre vie à acquérir la pureté et la sainteté, « sans
« laquelle^ dit saint Paul, personne ne verra
« Dieu. » (Héb. 2). O Seigneur immortel. Dieu
de pureté infinie, de qui ne peut approcher que ce
qui est très pur et très saint, qui nous avez appelés
à la religion chrétienne, comme à l'école de toute
pureté, ouvrez le sein de votre douceur et donnez-
nous la connaissance et le désir très ardent d'une
parfaite pureté. Détruisez, très pitoyable Seigneur,
toutes nos iniquités passées, rompez toutes les
attaches que nous avons aux choses créées, afin
que nous aimions le bien spirituel de notre pro-
chain en vue de votre gloire et qu'il n'y ait rien en
nous qui nous détourne de la pureté. Que cette
pureté nous unisse avec vous éternellement.
II
Considérez que la Sainte Vierge étant si pure
n'était pas obligée d'observer la loi de la purifica-
tion, à laquelle néanmoins elle s'est soumise
scrupuleusement (Luc, 2). Cette loi en effet n'obli-
geait que les femmes qui avaient conçu par la voie
ordinaire et qui avaient mis au monde un fils.
Celles-là devaient aller elles-mêmes le présenter
au temple, quarante jours après leur délivrance, et
I. De Concep. Virg. cap. 18.
DF I.A MAINTE V I F R G E
otTrir un agneau, ou, si elles étaient pauvres, une
paire de tourterelles. (Lévit. 12). Or la Sainte
Vierge, à cause du privilège de sa virginité, n'est
pas comprise en matière rigoureuse et d'obligation
sous le nom de femme, parce qu'à proprement
parler, il y a une différence entre une femme et une
vierge. C'est pourquoi le dévot saint Bernard (i)
considérant son trouble au jour de l'Annonciation,
quand l'ange la salue par ces mots : « Vous êtes
« bénie entre toutes les femmes^ » dit qu'elle fut
troublée de s'entendre appelée bénie entre les
femmes, elle qui avait toujours souhaité d'être
bénie entre les vierges. Le docte Origène (2) se
fonde sur cette loi et en conclut que les femmes
doivent porter le fardeau de la loi, mais que les
vierges en sont exemptes.
De plus, la Vierge avait conçu par une voie
immaculée, miraculeuse et extraordinaire; le Fils
qu'elle avait mis au monde était très élevé et très
pur, sans aucune souillure du péché. C'est pour-
quoi, au nom de la loi et au nom de la raison, elle
était dispensée de l'obligation de se purifier
comme les autres femmes. Aussi fut-elle traitée
dans le temple de Jérusalem avec tout honneur et
respect. Un ancien Père (3) nous raconte que,
quand elle porta son Fils entre ses bras mêlée aux
autres femmes venues dans le même but, elle fut
distinguée des autres femmes par une lumière
1 . Serm. de verbis Apost.
2. Homil. 8 super Levit.
3. Timothœus presb. Serm. de Simeone, apud Baron,
anno i.
LA THEOLOGIE AFFECTIVE
céleste et admirable qui resplendissait en elle.
C'est ce qui donna lieu au vénérable prêtre Siméon
de s'approcher d'elle, de prendre entre ses bras
son fruit divin et immaculé et de dire aux autres
femmes : voici la Reine et la Maîtresse, vous
n'êtes que les servantes ; n'offrez point vos enfants
sur cet autel, mais offrez-les à son Enfant, qui est
avant qu'Abraham fût et qui est le Dieu infini.
Si l'on objecte que sa pureté ne l'exempta pas de
recevoir le sacrement de baptême et celui de la
pénitence et de la confession, après la promulga-
tion suffisante de la loi chrétienne, et qu'il n'y a
pas plus de raison pour qu'elle fût dispensée de la
loi de la purification ; à cela il faut répondre que
pour ce qui regarde le baptême, elle le reçut des
mains de Jésus-Christ lui-même, comme l'affir-
ment plusieurs auteurs (i). Mais aussi la seule raison
de recevoir le baptême n'est pas la nécessité de se
purifier du péché, c'est encore la nécessité de rece-
voir le caractère sacramentel et l'habileté aux
autres sacrements, comme aussi celle d'être inséré
au corps mystique de Jésus-Christ. C'est pour cela
que saint Augustin (2) dit que le baptême a pour
but d'incorporer les baptisés à Jésus-Christ et d'en
faire ses membres. Quant à la confession des
péchés, Marie n'y fut jamais obligée, à cause de sa
parfaite innocence, et sa confession n'aurait pu être
sacramentelle par défaut de matière. C'est pour-
quoi un célèbre théologien estime qu'il est ridicule
1. Euthymius m c. 5 Joan. ; Nicephorus, 1. 2,
HisT. c. 3.
2. De bapt. parvul.
1U-: I.A SAINTI': \ IKK' CE
de dire qu'elle a confessé ses péchés à saint Jean,
comme certains Pont mis en avant, car elle n'avait
pas de péchés à confesser. La confession qu'elle
pouvait faire était une confession de louanges
faite à Dieu, pour l'avoir aimée au point de lui
donner une plus grande grâce qu'il n'est permis à
une créature de la mériter. Elle pouvait dire seule-
ment que le Fils que Dieu lui avait donné était
l'effet de sa bonté envers elle et qu'elle lui était
très obligée, mais elle ne pouvait pas dire qu'elle
eût péché ; elle eût fait une faute en le disant, car
elle ne pouvait être excusée ni par la faiblesse
d'esprit ni par le scrupule qui n'eut aucune action
sur elle (i).
I. Celui qui n'a pas même commis après le baptême
un péché véniel, est incapable de recevoir le sacrement
de Pénitence (voir Suarez, t. iv, disp. 3^, sect. i, n. i).
Or tel fut le cas de la Sainte Vierge pendant toute sa
vie, et c'est un cas unique. Que la Sainte Vierge n'ait
pas même commis un seul péché véniel, soit délibéré
soit même semi-délibéré durant tout le cours de sa vie,
c'est un dogme catholique, quoiqu'il n'ait point été
expressément défini. L'Eglise montre suffisamment
quelle est sa foi sur ce point dans le canon suivant du
Concile de Trente : « Si quelqu'un dit que Vhomme une
<c Jois justifié... peui^ pendant iotit Je cours de sa vie,
« éviter tous les péchés même véniels, à moins quil n'ait
« reçu de Dieu tin privilège spécial, tel que l'Eglise le
« TIENT POUR ACCORDÉ A LA BIENHEUREUSE ViERGE, qu' il SOit
« anaihème ! » (Sess. 6. can, xxiii). Nous pouvons appor-
ter comme preuve de ce privilège un document tout
récent. La Bulle Ineffabilis nous montre la Mère de
Dieu « comblée de V abondance des dons célestes, puisés
8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Appréciez la prompte et ponctuelle obéissance
de la Vierge à une loi qui ne l'oblige pas. Combien
sera-t-elle plus exacte à faire ce qui sera d'obliga-
« dans le trésor de la divinité et comblée d'une manière
« si merveilleuse, que toujours et entièrement pure de
« TOUTE TACHE DE PÉCHÉ, TOUTE BELLE ET TOUTE PARFAITE,
« ELLE EUT EN ELLE LA PLÉNITUDE d'iNNOCENCE ET DE SAINTETÉ
« LA PLUS GRANDE QUE l'oN PUISSE CONCEVOIR AU-DESSOUS
« DE Dieu et telle que, sauf Dieu, personne ne peut la
« comprendre. » Et plus bas Pie IX s'exprime ainsi :
« Par cette singulière et solennelle salutation (la saluta-
« tien angélique), // est déclaré que la Mère de Dieu est
« le siège de toutes les grâces divines ; qu'elle a été ornée
« de tous les dons du Saint-Esprit ; bien plus, qu'elle
« est comme le trésor infini et l'abîme inépuisable de ses
« dons. » La Vierge Marie est l'unique créature humaine
qui ait joui d'un tel privilège : tel est, au témoignage
de saint Thomas, l'enseignement commun des Théolo-
giens. <(. La principale raison, dit Suarez (De myst. vit.
« Christ. 1. 9, cap. 8, n. 24), est que ce privilège va
« contre une loi générale, c'est-à-dire qu'il constitue une
« dérogation à des affirmations des Ecritures qui corn-
« prennent tous les hommes; donc une telle exception ne
« peut être admise que sur le témoignage des saintes
« Ecritures elles-mêmes, ou de l'Eglise, ou des SS. Pères.
« Mais ce témoignage fait précisément défaut pour tout
« autre saint que la Sainte Vierge. Certains Pères reven-
« diquent ce privilège pour saint f e an-Baptiste ; aussi ne
« serait-il point téméraire de le lui attribuer, quoiqu'une
« telle opinion soit Peu probable. Ce qui est certain c'est
« qu'on ne peut l'attribuer avec quelque probabilité à
« aucun autre saint. » Saint Augustin est du même
avis : « Si après avoir fait une exception pour cette Vierge
« (la Vierge Marie), nous supposons qu'il nous eût été
DK I.A SAINT H VIKRG E
tion ? Confondez-vous vous-mcme de manquer si
souvent à ce qui vous est commandé ou de le faire
avec tant de peine et de répugnance. Et quand bien
même vous le feriez exactement, c'est encore une
bien petite justice de ne faire que ce qui est rigou-
reusement prescrit par la loi (i). Néanmoins ne
perdez pas si tôt de vue la Vierge et saint Joseph
qui vont de l'étable au temple de Jérusalem. O
sainte et admirable Vierge, permettez que je vous
accompagne en esprit dans votre course. N'aurez-
vous point pour agréable, ô ma très auguste Maî-
tresse, que je participe aux entretiens ravissants
que vous avez avec votre époux pendant ce voyage ?
Ne voulez-vous pas que je vous aide à porter votre
Fils céleste ? Ce n'est pas que j'ignore qu'autour de
vous sont les Anges du ciel, prêts à vous obéir et à
vous servir au moindre signe que vous ferez; mais
pardonnez. Madame, à ma témérité, car je vois
tous vos mystères si remplis de tendresse et de
dévotion que je ne puis m'empêcher d'exciter en
moi ces désirs, quoique je me reconnaisse très
méchant et très indigne pécheur.
« possible de réunir tous les Saints et toutes les Saintes,
« pendant leur vie, et de leur demander s'ils soiit sans
« péché y quelle aurait été, pensons-noxis, leur réponse!
« Est-ce que tous ne se seraient point écriés d'une seule
« voix : Si nous disions que nous n'avons pas de péché,
« nous nous tromperions nous-mêmes et la vérité ne
« serait point en nous. » ^De natur. et grat. cap. 36,
n. 42).
I. Seneca, lib. 2. De ira, c. 27 ; « Angusta innocentia
« est ad legem bonum esse. »
10 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
III
Considérez quelques-unes des raisons pour les-
quelles le Saint-Esprit excita la Vierge à se sou-
mettre à la loi de la purification.
Ce fut d'abord pour éviter le scandale, pour ne
pas fournir aux Juifs un prétexte de la reprendre
pour n'avoir pas été purifiée et de blâmer son Fils
pour ne point s'être présenté à Dieu et ne pas avoir
été racheté comme les autres premiers-nés d'Is-
raël. Elle aurait pu, il est vrai, se justifier aux yeux
de ses accusateurs, en faisant connaître les raisons
qui l'exemptaient de cette loi; néanmoins, comme
il n'était pas encore à propos que tout le monde
connût ce secret, c'était le plus court pour elle
d'observer la loi, afin de n'être point dans la néces-
sité d'arrêter les murmures du monde, en disant
trop clairement avant le temps ce qu'elle était, et
ce qu'était son Fils.
Ce fut, en second lieu, pour lui faire pratiquer
plusieurs actes de vertu et notamment des actes
d'humilité et de religion. En effet, si elle s'humilia
beaucoup le jour de l'Annonciation, en se disant la
servante du Seigneur, quand l'ange lui donnait le
titre de mère, elle s'humilie davantage dans sa
purification, en se mettant au rang des pauvres
femmes, qui étaient réputées immondes, et qui
avaient besoin de purification; car être la servante
de Dieu, est une très sublime qualité, puisque c'est
régner que de servir Dieu, au lieu qu'il n'y a rien
de si humiliant que d'être tenue pour une femme
immonde, surtout pour celle qui met sa plus
grande gloire dans sa virginité, C'est pourquoi
I>K LA SAINTlî VIKRGE 11
dans cette cérémonie elle renonce à tout orgueil et
elle foule aux pieds sa propre réputation pour
l'immoler à l'amour de sa propre abjection. Elle
exerça aussi plusieurs actes de la vertu de religion,
en visitant les lieux saints de Jérusalem, en rendant
à Dieu des actions de grâces et en le louant des
grandes choses que son bras avait opérées en elle,
en lui offrant son Fils, et en rachetant avec cinq
sicles celui qui devait racheter le monde entier
avec ses cinq plaies précieuses. La Vierge fait tous
ces actes avec une dévotion très fervente et très
enflammée ; elle se met à genoux devant l'autel
et, élevant les yeux au ciel, elle dit : Acceptez, ô
Père éternel, pour le salut du genre humain cette
offrande de votre Fils, comme vous avez accepté
les offrandes d'Abel, de Noé et d'Abraham. Ne
rejetez pas celle-ci qui comprend et dépasse la
vertu de toutes les autres. C'est l'Agneau imma-
culé, c'est la colombe sans fiel, c'est votre Fils
bien-aimé, qui est beau plus que tous les enfants
des hommes, qui est la splendeur de votre gloire
et la vive image de vos beautés infinies. O Père
très saint, à la vue de cette offrande et de ce cœur
sacré, qui languit du désir de vous donner sa vie
en sacrifice, prenez enfin pitié des misères extrê-
mes et des ruines continuelles de tant de pauvres
âmes. Dieu de miséricorde, sauvez le monde et
donnez la paix au genre humain.
La troisième raison pour laquelle la Sainte
Vierge accomplit la loi de la purification, a été de
lui fournir l'occasion d'être instruite par le saint
vieillard Siméon conduit au temple par l'Esprit
de Dieu, de la douleur qu'ellç 4eyait un jour
12 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
souffrir et de l'y préparer de longue main. Car ce
saint vieillard, prenant Jésus-Christ entre ses bras,
après avoir exprimé la grande consolation qu'il
éprouvait en portant le Sauveur du monde, le rendit
à la Sainte Vierge, puis s'adressant à elle prononça
ces paroles : « Celui-ci est pour la ruine et pour
« la résurrection de plusieurs, cest un signe qui
« sera contredit et un glaive transpercera votre
« âme. » Par ces paroles saint Siméon donne à
entendre que Jésus-Christ ressemblerait à une
pierre sur le chemin, que cette pierre montrerait
aux uns la voie, et que d'autres viendraient trébu-
cher contre elle ; que bien qu'il fût venu pour sau-
ver tous les hommes, il serait néanmoins le sujet
d'une plus grande damnation pour certains qui par
malice le contrediraient ; ou bien qu'il causerait la
ruine et la résurrection de plusieurs au jugement
dernier, car alors il en précipiterait plusieurs dans
les enfers et en exalterait plusieurs dans la gloire.
En attendant, il serait comme un but contre lequel
on lance beaucoup de traits ; c'est ce que firent les
Juifs contre lui en le contrariant de mille maniè-
res. Si bien que pour ce motif l'âme de la Vierge
devait ressentir des douleurs et des afflictions très
grandes. Donc, afin que la Sainte Vierge entendît
ces paroles douloureuses et qu'elle se préparât à
tout souffrir, le Saint-Esprit lui inspira de se sou-
mettre à la cérémonie de la purification, dans
laquelle il savait ce qui devait arriver.
Apprenez par ces considérations à ne pas don-
ner, autant que possible, de scandale, et à ne pas
fournir à autrui de prétexte pour se plaindre et
murmurer contre vous. Recherchez et embrassez
DK LA SAINTE VIERGE \ .•>
volontiers les occasions où vous pourrez être moins
estimé que ce que vous êtes, à l'exemple de la
Sainte Vierge dans sa purification. Offrez à Dieu
ce que vous avez de plus cher et de plus précieux
au monde, offrez-lui votre cœur et vos plus arden-
tes affections pour le glorifier. O Vierge immacu-
lée, présentez-moi, je vous en supplie, à votre
Fils très doux et offrez-moi avec lui au Père éter-
nel, afin que je sois capable de vous accompagner
en esprit à votre retour de Jérusalem à Nazareth.
Enfin préparez votre cœur à recevoir les afflictions
que Dieu connaît devoir vous arriver pendant le
cours de votre vie, afin que, comme les traits qu'on
prévoit blessent moins, vous soyez moins ému et
moins agité quand vous en serez frappé, à l'exem-
ple de la Sainte Vierge qui fit son profit des
paroles de Siméon et qui fut plus constante et
plus résignée à Theure des contradictions et des
souffrances de Jésus-Christ, parce qu'elle s'y était
disposée depuis longtemps.
14 l'A THÉOLOGIE AFFECTIVE
XV^ MÉDITATION
EXPLICATION PLUS AMPLE
DU GLAIVE DE DOULEUR
qui TRANSPERÇA LE CŒUR
DE LA VIERGE
SOMMAIRE
Le glaive de douleur de la Vierge — i) est sem-
blable au glaive du Chérubin — 2) il peut être
appelé le glaive du Seigneur — 3) // peut être
appelé aussi le glaive de la colombe.
I
CONSIDÉREZ que le glaive de douleur qui
transperça le cœur de la Vierge fut sem-
blable à celui du Chérubin, qui fut chargé par
Dieu de garder le paradis terrestre ; ce fut « un
» glaive de flamme voltigeant ça et là. » (Gen. 3).
Ce fut un glaive de flamme, c'est-à-dire d'amour
et de charité, parce que la douleur qu'elle ressen-
tit au sujet de Jésus-Christ procédait de l'amour
extrême, dont elle brûlait pour ce Sauveur ; car
comme l'amour cause une grande joie quand il
arrive quelque bien à la personne aimée, il cause
aussi de la tristesse, quand il lui arrive des
malheurs et des misères. C'est pourquoi un ancien
disait qu'il n*y avait pas autant d*étoiles brillant
I>K l.A S Al NT K VIKIv'CR m
au tirmamcnt, ni autant de feuilles dans les bois,
que de douleurs dans l'amour ; car, quand la per-
sonne aimée soutVre, la personne vraiment aimante
en ressent vivement le contre-coup, dans la mesure
même de son amour. Donc Tamour de la Sainte
\'ierge pour Jésus-Christ étant très grand et très
parfait, elle en ressentit les douleurs les plus
grandes et les plus pénétrantes qui se peuvent
imaginer. Et certes elle aimait Jésus-Christ plus
qu'elle-même et plus que son propre cœur; c'est
pourquoi elle fut plus tourmentée à Toccasion de
sa mort et de sa Passion, que si elle-même eût été
en croix. Elle souffrit, dit Amédée (i), au-delà des
forces humaines ; elle souffrit plus que si elle eût
été torturée dans son propre corps, parce qu'elle
aimait incomparablement plus qu'elle-même le
sujet à cause duquel elle souffrait. Mais le Saint-
Esprit renferma cette grande et très véhémente dou-
leur dans son âme, et ne la laissa pas rejaillir sur
son corps qui en serait mort mille fois. En effet, si
nous voulons adopter les pensées des grands
Théologiens (2), la Vierge fit dans la mort de
Jésus-Christ une perte inestimable, car elle le
perdit pour trois jours et perdit pour ce même
temps sa qualité glorieuse, qui est la qualité de
Mère de Jésus-Christ ; Jésus-Christ cessa en effet
d'être son Fils, car qui dit fils dit un être vivant,
et Jésus-Christ cessa d'être vivant, puisqu'il
était véritablement mort. Qui dit fils dit un
1. Homil. 5 De Virg. matre ; « Quia incomparabiliier
« diîigebat id unde doîebat. »
2. Œgidius Rom. Qnodlib. 4, disp. 2, q. i.
LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
être semblable à son principe, et dans ce
temps Jésus-Christ cessa d'être semblable à la
Vierge au point de vue de la nature humaine qui
n'était plus en lui, puisque la nature humaine se
compose d'un corps et d'une âme unis ensemble.
Or pendant les trois jours de la mort, l'âme et le
corps de Jésus-Christ demeurèrent séparés (i).
Ainsi le Verbe incarné cessant d'être le Fils de la
Vierge, la Vierge cessa d'être mère, et la qualité
sublime de sa maternité incomparable qui l'élève
au-dessus de tout le monde, fut éclipôée en elle.
Quelle douleur ne devait-elle donc pas ressentir
d'une si grande perte ?
Compatissez aux excessives douleurs de la Sainte
Vierge et à sa perte immense qui est au-dessus de
toutes les pensées et de toutes les considérations.
Soyez confus de ressentir si peu les douleurs de
Jésus-Christ. Sans doute cela vient de ce que
vous n'avez point d'amour pour lui ; voilà pour-
quoi vous demeurez insensible à la vue de ses
peines, comme si c'était une personne indifféren-
te qui souffrît. O très pitoyable Jésus, qu'une très
ardente charité a attaché à la croix pour nous, ac-
ceptez la douleur et la compassion de votre très
douce Mère pour l'expiation de mes péchés et pour
les péchés du monde entier. O très doux et très
suave Jésus, je vous offre pour moi et pour tout
l'univers, la douleur que ressentit votre très bénie
et très affligée Mère, lorsqu'elle vous vit nu, pau-
vre, humilié et méprisé, lorsqu'elle vous vit cruci-
I. Scotns, IN 3 SENT. dist22, q. unica, tenei Chrisium
non fuisse Jiotninem in iriduo mortis. (Note de l'auteur).
DE I.A SAINTE VIERGE I7
fié entre deux larrons. O mon cher Sauveur, je
vous supplie par votre miséricorde, d'imprimer
dans mon cœur votre Passion et la compassion de
votre sainte Mère, afin que je vous considère dans
votre Passion avec ses mêmes regards et que je
ressente vos douleurs du même cœur qu'elle-
même.
II
Considérez que ce même glaive de douleur peut
être comparé à celui dont il est parlé au livre des
Juges et qui fut appelé « la glaive du Seigneur et
« de Jédéon » (Juges, 7), d'autant plus que la
Vierge était torturée par les souffrances de Jésus-
Christ même. Car toutes les mêmes douleurs qui
furent éparses dans le corps de Jésus-Christ, fu-
rent réunies dans le cœur de Marie, qui en fut pro-
fondément navré. Là, Madame, dit le Docteur
séraphique (i), votre cœur fut percé de la lance et
couronné d'épines, là il fut moqué, bafoué, ca-
lomnié, abreuvé d^ fiel et de vinaigre. Le roi
David que plus de mille ans séparaient de
l'époque de la Passion, en parlait néanmoins
comme s'il l'eût ressentie dans son propre corps et
comme s'il eût enduré lui-même toutes les tortures
qui furent infligées à Jésus-Christ. « Ils m'ont
« regardé et considéré^ ils se sont partagé mes
« vêtements^ Ils ont percé mes mains et mes
« pieds^ ils ont compté mes os. » (Ps. 21). C'est
ainsi qu'il parle ordinairement de la Passion,
absolument comme si elle avait été infligée à sa
propre personne ; ce que n'ont pas coutume de
I. In Stimul, part. 2, c. 3.
Bail. t. ix. •
iS LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
faire les autres prophètes. Mais saint Léon le
Grand (i) dit que ce Roi se représentait vivement
les douleurs de Jésus-Christ, et comme si elles
lui eussent été propres, parce qu'il considérait le
Sauveur comme descendant de lui, comme formé
de sa chair et de son sang. Ainsi, conclut ce Père,
David a véritablement souffert en Jésus-Christ,
parce que Jésus-Christ a souffert dans la chair de
David. Si donc David a pu s'attribuer les douleurs
et les souffrances de Jésus-Christ, bien qu'il ait
existé plus de douze cents ans avant la Passion,
que ne devons-nous pas penser de la Sainte Vierge
qui lui était si proche qu'il était la chair de sa
chair? Elle aura pu comme David s'attribuer tous
les tourments de sa sainte Passion. En effet, quand
saint Siméon lui prédit ses douleurs et lui dit :
« Un glaive transpercera votre âme^ » (Luc, 2),
il n'entend pas autre chose par ce glaive que la
douleur et la Passion de Jésus-Christ ; car de
même qu'il arrive qu'un grand coup qui tue une
personne en blesse souvent une autre qui est au-
près d'elle, ainsi la Passion, qui donna le coup de
la mort à Jésus-Christ, fit une grande et doulou-
loureuse blessure à l'âme de la Sainte Vierge, qui
était unie et collée d'amour à celle de son Fis (2).
D'où vient que Dieu ne fit pas un petit miracle,
dit sainte Brigitte (6), quand la Vierge-Mère na-
1. Serm. 16, De. passionne. « Vere oiivi David in
« Christo est passîiSj quia vere Jésus in David carne est
« crucifixus. »
2. Maldonat,
3. In Serm. Aug. c. 18.
\<K LA SAIXTE VIERGE IQ
vrée par tant de douleurs et voyant son Fils bien-
aimé traité avec tant de cruauté et d'ignominie,
ne mourut pas. La femme de Phinée mourut de
douleur, en apprenant que l'arche avait ''*é prise
par les ennemis. (I, Rois, 4). Or les dv leurs de
cette femme ne peuvent être comparées aux dou-
leurs de la Sainte Vierge, qui voyait le corps de
son Fils, figuré par cette arche, pris et retenu
par les clous sur l'arbre de la croix. Si bien
que pour ce motif elle peut être appelée martyre,
parce qu'elle a souffert de la part des Juifs des
douleurs capables de lui ôter la vie, si Dieu n'eût
pas fait un miracle, pour la préserver alors de la
mort. Ainsi saint Jean l'Evangéliste a le titre glo-
reux de martyr, quoiqu'il ait été miraculeusement
préservé dans la chaudière d'huile bouillante où il
fut jeté ; parce qu'il suffit, pour avoir ce noble
titre, d'avoir souffert des tourments assez grands
pour en mourir, quoiqu'on ait été préservé de la
mort par quelque secours miraculeux.
Tirez de ce point les mêmes affections que du
précédent et ajoutez-y celles du Docteur séraphi-
que (i), qui adresse à la Sainte Vierge mourant sur
le Calvaire les demandes suivantes : O Marie, qui
êtes toute abîmée dans vos douleurs et qui renou-
velez en vous la Passion de Jésus-Christ, unissez
à mon cœur votre cœur tout blessé. Eh ! pourquoi
donc mon cœur ne serait-il pas navré aussi bien
que le vôtre, en ressentant les douleurs de votre
Fils mourant ? O Madame, quelle est la mère, qui,
si elle pouvait, ne voudrait prendre les maux de
I. In Stimul. p. 2.
10 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
•
son fils pour en charger un méchant serviteur ? O
Madame, pourquoi rejetez- vous ma demande?
Ou je vous ai offensé, ou je vous ai servi; si je
vous ai offensé, vengez-vous sur mon cœur, faites-
lui ressentir les douleurs de votre Fils innocent ;
si je vous ai servi, je ne veux d'autre salaire que
ses blessures. Eh ! où est donc, ô sainte Vierge,
votre clémence accoutumée ? Je ne vous demande
pas un soleil, ni un royaume, je vous demande les
plaies de votre Fils. Quoi! en serez-vous avare, au
point de refuser à celui qui vous prie, de les lui
imprimer dans le cœur ? De deux choses l'une :
ou ôtez-moi la vie, ou faites-moi ressentir la mort
de votre Fils.
III
Considérez que le glaive de la Sainte Vierge fut
semblable au glaive de la colombe, dont parle
Jérémie. « Retournons dans notre pays natal^
« fuyons le glaive de la colombe. » (ch. 46). Il
est vrai que si nous prenons l'Ecriture à la ri-
gueur de la lettre, ce glaive de la colombe s'en-
tend de l'armée d'Alexandre le Grand, qui avan-
çait rapidement comme la colombe, ou bien des
Chaldéens qui avaient sur leurs étendards l'image
de la colombe, en souvenir de leur reine Sémira-
mis, que l'on croyait avoir été nourrie par des
colombes (i). Mais si on l'entend par accommoda-
tion et dans le sens mystique, on peut voir dans
ce glaive de la colombe la douleur de la Vierge
gémissant comme une colombe dans la retraite
»
I. Theodor. in hune locum. — Corn, a Lap. ibid.
DE l.A SAIXTK VIRRc". E 21
intérieure des plaies de Jésus-Christ, selon ce qui
est dit dans le Cantique sacré : « Ma colombe est
» dans les trous de la pierre, dans le creux de
« la muraille. Vos yeux sont des yeux de colombe,
« sans compter ce qui est caché au-dedans . »
(Gant. 2 et 4). En effet la colombe est le s3^mbole
de la douceur et de la patience ; elle souffre sans
dépit et sans songer à se venger, quand on lui
ravit ses petits qui lui sont si chers. C'est pour-
quoi Origène (i) compare Job à la colombe qui
supporte le fardeau de ses pertes et la mort de ses
enfants avec une patience toute héroïque. Or, bien
que Job ait été en son temps un miroir de patience
et une colonne que n'ont pu ébranler toutes les
secousses des afflictions de ce monde, néanmoins il
ne peut être comparé à la Mère de Jésus-Christ,
dont la magnanimité l'emporte sur les plus grands
courages de la terre et supporte une affliction qui
surpasse toutes les afflictions du monde. « Au-
« près de la croix de Jésus, sa Mère était de-
« bout. » (Jean, 16). Les tempêtes qui la battirent
rudement, ne l'abattirent pas, elle demeurait
ferme comme une forte colonne bien assise et
que rien ne peut ébranler C'est pourquoi dire
que le cœur lui manqua et qu'elle tomba par terre
de faiblesse, c'est démentir l'Evangile, car elle
demeura ferme et toute droite aux pieds de la
croix (2). Elle en méditait l'admirable mystère et
1. Liv. 2, 171 Job.
2. Les peintures et les tableaux représentant la
Sainte Vierge tombant en syncope ont été proscrits
par ordre des Inquisiteurs de la foi. (Cf. Alex. M.
Planch. O. S. M., Vita B. M. V., etc., p. 207 et suiv.)
22 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
le fruit qui en proviendrait ; elle admirait la cha-
rité excessive de son Fils et s'unissant à son des-
sein généreux, souhaitant comme lui la gloire de
Dieu et le salut du genre humain, elle souffrait en
patience et douceur cette mort si amère, d'où pro-
viendraient des fruits très savoureux. Même au
milieu de ses douleurs et des gémissements in-
térieurs de son âme sur un si lamentable objet,
elle rendait des actions de grâces à son Fils, et
lui disait en elle-même : Je vous rends grâces de
toute Tardeur de ma dévotion, p mon Fils bien-
aimé, pour votre Passion et votre mort ; je vous
loue et je vous bénis au nom de tous les hommes
et de toutes les créatures, puisque vous avez
estimé davantage notre vie spirituelle que votre
vie corporelle (i). Elle pouvait bien dire aussi ces
paroles du Cantique : « Je suis noire, mais jesuis
(c belle » (ch. i); car si elle était noire et hideuse
à cause de ses angoisses, elle était belle cependant
à cause de ses excellentes vertus, qui la faisaient
tenir bon au pied de la croix d'un esprit ferme et
élevé au ciel ; elle augmentait ses mérites d'une
manière indicible par sa patience généreuse et in-
vincible (2). Voilà pourquoi Jésus-Christ voulut
1. Veruchin. Méditai. 68.
2. « Elle est parvenue à un tel sommet de gloire, que
« nul autre, ni homme, ni ange, n'obtiendra, parce que
« personne ne pourra jamais lui être comparé en mérite et
« en vertu. Ainsi la royauté dans le ciel et sur la terre
« lui est destinée, parce qu'elle doit être l'invincible Reine
« des martyrs ; ainsi pendant toute l'éternité elle portera
« un diadème et sera assise sur un trône auprès de son
DE LA SAINTE VIERGE 23
qu'elle fût présente à son supplice, il connaissait
la grandeur de son courage, il savait qu'elle était
prête à suivre « V Agneau partout oh il irait »
(Apoc, 14), et que cette présence lui fournirait une
occasion de la glorifier davantage. En vérité cette
constance en la Sainte Vierge est si grande que le
Saint-Esprit a jugé à propos d'en léguer le sou-
venir à tous les siècles et que dans ce but il a fait
écrire dans l'Evangile : « qu'elle était debout au-
« près de la croix de Jésus. » (Jean, i6). Elle le
regardait non de loin, mais de près, d'un endroit
où elle pouvait être arrosée des gouttes de son
sang qui coulait et des larmes qui tombaient de
ses j^eux, d'un endroit d'où elle pouvait entendre
ses dernières paroles. Et là elle était debout, non
à terre, ni assise, ni évanouie, ni soutenue ou
s'appuyant sur quelqu'un, mais regardant tout ce
qui se passait sur le Calvaire, écoutant tout ce qui
s'y disait, avec une générosité incomparable et un
courage invincible, unissant son cœur au cœur de
Jésus-Christ, son Fils, et ses intentions aux
siennes, consentant avec lui au sacrifice qu'il
offrait pour la Rédemption du monde, dont elle
souhaitait le salut avec la charité la plus ardente
qui ait jamais été, après celle qui se trouvait dans
l'âme de Jésus-Christ. C'est pourquoi sa vertu y
fut toute admirable et sa conduite pleine de mé-
rites.
« Fils^ parce qu'elle doit, avec une grande constance du-
« rant sa vie et une constance beaucoup plus admirable en-
« core sur le Calvaire, boire avec lui au calice débordant
« de la tristesse. » (Léon XIII, Encycl. Magnœ Dei
Matris, 8 sept. 1892).
24 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Admirez donc la constance et la sainteté de cette
Mère divine, et l'excessive chanté qu'elle avait
pour le salut des hommes, qui lui fit accepter et
regarder d'un œil tranquille le supplice de son
Fils. Imitez sa conduite dans les afflictions de cette
vie, en considérant le dessein qu'a Dieu d'en tirer
de grands biens, afin de ne pas vous laisser absor-
ber par la tristesse. Demandez-lui qu'elle vous y
obtienne la douceur d'esprit et la patience. Vous
pouvez aussi imiter à ce sujet la conduite d'un
prêtre très pieux (i), qui considérant ses extrêmes
angoisses, s'efforçait de la consoler en lui disant :
Réjouissez-vous, Marie, d'être la Mère de Dieu et
toute immaculée. Réjouissez-vous, Marie, à cause
de la nouvelle joyeuse que vous avez reçue de
l'ange. Réjouissez-vous d'avoir mis au monde la
lumière éternelle. Réjouissez-vous, Marie, parce
que vous êtes Vierge et Mère. Réjouissez-vous,
parce que toute créature vous loue. Ce service
pieux fut si agréable à la Sainte Vierge, que ce bon
ecclésiastique, éprouvant à l'article de la mort de
grandes peines à cause des tentations de désespoir
par lesquelles le démon le tourmentait, elle lui
apparut toute joyeuse et lui dit : Pourquoi es-tu
affligé, mon fils, toi qui t'eflorçais d'adoucir mes
douleurs ? Tu m'as annoncé la joie et tu es dans la
tristesse ? Réjouis- toi aussi maintenant, viens
avec moi jouir du ciel, après avoir quitté joyeuse-
ment la terre,
I. Dan. Mallon, adc. i. Paleoti. De sacr. sindone.
DE LA SAINTE VIERGE 25
XVr MÉDITATION
DES MÉRITES DE LA SAINTE VIERGE
ET COMBIEN GRANDE
FUT SA GRACE
SOMMAIRE :
La Sainte Vierge a mérité un accroissement de
grâce à chaque instant de sa vie qui dura
soixante-trois ans. — Elle a mérité par tous
les actes de sa vie soit, active soit contempla-
tive^ et la nuit comme le jour. — A quelle
quantité de grâce était-elle parvenue à la fin de
sa vie.
I
CONSIDÉREZ que la Sainte Vierge a mérité
l'accroissement de sa grâce et de sa gloire,
depuis sa première sanctification jusqu'à la fin de
sa vie qui fut de soixante-trois ans (i). En voici la
raison : pendant tout ce temps elle était en état de
mériter et elle avait toutes les conditions néces-
I. Suarez, tom. 2, disp. 18, sect. i. La date de la
mort de la Sainte Vierge est incertaine. L'opinion la
plus probable fixe sa mort à l'âge de soixante-douze
ans. C'est l'opinion de saint Antonin, de Corneille à
Lapierre, de Gotti (De vera relig. Christ., t. 4, p. 2.
c. 40, parag. 3, n. 12 et 13), de Suarez (De myst. vit.
CH. s. i).
26 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
saires au mérite, car elle était libre et pouvait à
son gré produire divers actes de vertu. Elle était
en état de grâce sanctifiante et de charité, état dont
jamais elle ne fut déchue, mais qui persista tou-
jours en elle. Elle était aussi voyageuse, c'est-à-
dire dans la voie de la béatitude éternelle. Enfin
pendant ce temps elle s'appliqua à des œuvres très
saintes et très louables et n'en accomplit jamais
une seule qui fût défectueuse et répréhensible ;
parce qu'elle était l'objet d'une protection très
spéciale de Dieu, qui l'empêchait d'omettre une
chose commandée sous peine de péché. Par consé-
quent elle a mérité durant toute sa vie un accrois-
sement de grâce et de gloire.
Quelques Docteurs (i) néanmoins bornent le
cours de son mérite à l'époque de la conception de
Jésus-Christ, époque où l'ange la dédiXTa pleme de
grâce. Ils disent qu'alors elle reçut une grâce aussi
parfaite qu'elle était capable de la recevoir, car
l'ange aurait parlé contre la vérité, en la procla-
mant/)7^/w^ de grâce, si, à partir de ce moment, elle
eût pu augmenter cette grâce, puisque ce qui est
plein ne peut rien recevoir de plus (2). Mais ce
raisonnement est peu fondé et ne suffit pas pour
1. Almain, in 3, dist. 5.
2. Cette opinion soutenue par Scot, Alexandre de
Halès et Richard ne jouit d'aucune probabilité, car elle
ne s'appuie sur aucun fondement solide; elle va contre
Topinion commune (Cf. Suarez, De myst. vit. Chr.
d. 18, s. I ; Raynaud, Dypt. Mar. part. 2. p. 3.) Ces
mots pleine de grâce doivent s'entendre non pas de cette
plénitude finale que la Sainte Vierge ne devait pas
HE LA SAINTE VIERGE
priver la Vierge du droit qu'ont tous les hommes
justes de pouvoir augmenter de plus en plus leurs
mérites et leur grâce, par un progrès perpétuel
durant tout le cours de cette vie que Dieu a des-
tinée au mérite. Après la conception de son Fils
en effet elle était plus agréable à Dieu ; elle fit
aussi des œuvres plus excellentes dignes de récom-
penses toutes particulières, par exemple elle nourrit
le Fils de Dieu et l'éleva, elle assista à sa mort avec
une patience surhumaine et, après son Ascension,
elle assista ses membres, c'est-à-dire les premiers
chrétiens, par ses instructions, ses exemples, ses
consolations et par plusieurs autres moyens. Pour-
quoi toutes ces œuvres n'eussent-elles pas été
méritoires aussi bien que celles qu'elle faisait
avant d'être saluée par l'ange ? Ceux qui préten-
dent que toute la grâce qu'elle pouvait mériter
dans cette vie, lui fut donnée par avance au
moment où elle conçut son Fils, l'affirment gra-
tuitement et on doit le nier aussi facilement qu'ils
l'affirment. Il est bien vrai qu'alors elle reçut une
grâce qui la consomma et la confirma dans le bien,
fermant tout accès au péché; ainsi elle fut rendue
impeccable comme il convenait à sa qualité de
Mère de Dieu (i). Mais elle ne fut pas tellement
dépasser, mais de la plénitude de la mesure de grâce à
laquelle elle était prédestinée en vue de sa maternité
divine.
I. Cette grâce qui la confirma dans le bien et la ren-
dit impeccable lui fut conférée dans sa première sanc-
tification, c'est-à-dire au moment même où elle fut
conçue. « // est certain, dit Suarez (De myst. vit. Ch.
28 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
consommée qu'elle ne pût encore recevoir quelques
nouveaux degrés de grâce, par lesquels elle s'enri-
chissait de jour en jour et de minute en minute,
semblable au soleil qui croît jusqu'à ce qu'il soit
au point le plus élevé du ciel, c'est-à-dire à son
midi. C'est pourquoi Rupert (i) méditant ces pa-
roles du Cantique : « Ouelle est celle qui monte
« semblable à Vaurore qui se lève, belle comme
« la lune, choisie comme le soleil ? » dit que la
Vierge ressembla dans sa première sanctification
à l'aurore ; dans la conception de Jésus-Christ, à
la lune ; dans sa mort, au soleil. Elle fut, il est
vrai, pleine de grâce, au moment de la conception
de son Fils, mais c'était seulement autant que son
état le requérait alors, et autant qu'il convenait de
l'être à celle qui commençait à être plus proche de
Dieu, à être sa Mère. Ce qui n'empêche pas que,
puisqu'elle continuait ses actes méritoires très
sublimes, il ne lui convînt de recevoir à la fin de
sa vie la suprême consommation de ses grâces par
la gloire et la vision bienheureuse.
Félicitez la Sainte Vierge pour le bonheur qu'elle
« d. 4, s. 4, parag. Scd vix) quelle reçut dé sa première
<ii sanctification des dons de grâce et des secours tels qu'elle
« ne pécherait jamais. Une telle grâce est en effet néces-
« saire pour ne jamais pécher véniellement , et c'est là le
« privilège spécial qui, d'après le Concile de Trente, lui a
« été conféré. '}> La grâce qu'elle reçut, quand elle conçut
le Fils de Dieu, ne la rendit pas plus impeccable, mais
à partir de ce moment elle eut à l'impeccabilité un
droit strict, qui résultait de sa dignité de Mère de Dieu.
(Suarez, 1. c. parag. Ex quo).
I. Lib. 6. in Cant. cap. 6.
DE LA SAINTE VIERGE 29
a eu dans le commencement et dans la continuation
de son mérite. Admirez-la, et dites : « Quelle est
« celle qui monie semblable à Vaurore qui se
« lève, belle comme la lune, choisie comme le
« soleil ? » Désirez et mettez-vous en devoir de
mériter ainsi continuellement tout le temps de
votre vie, que Dieu vous donne pour mériter
réternité bienheureuse (i).
II
Considérez que la Sainte Vierge a mérité par
tous et par chacun de ses actes, qu'elle a mérité
par des actes très parfaits de la vie active et de la
vie contemplative, dans tous les trois états de sa
vie, le jour et la nuit. Toutes ces paroles ont leur
valeur et doivent être considérées distinctement.
En premier lieu, la Sainte Vierge a mérité par
tous et par chacun de ses actes, car dès sa première
sanctification elle était douée d'une excellente
connaissance des perfections de Dieu et des moyens
de lui plaire ; elle était entlammée d'une ardente
charité qui la portait à vouloir lui plaire en toutes
choses et à vouloir le glorifier. Elle était aussi
dégagée de toute inclination désordonnée pour la
créature. C'est pourquoi elle ne faisait que des
actions vertueuses et moralement bonnes, elle les
faisait en vue de Dieu, et pour sa gloire. Jamais
elle n'en fit une seule de mauvaise et de répréhen-
sible, pas même une seule qui fût indifférente,
parce que les âmes parfaites et qui agissent selon
la plus haute perfection, ne font pas d'actions
I. Suarez, ibid. sect. 2.
3o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
<.
indifférentes. Or la Vierge a été très parfaite, elle
a choisi la meilleure part et la meilleure façon
d'agir et elle a tout rapporté à Dieu qu'elle aimait
uniquement. Elle était, dit saint Ambroise, atten-
tive à ses actions, réservée dans ses paroles, elle
était accoutumée à avoir non pas un homme, mais
Dieu pour juge, à tel point que l'apparence exté-
rieure de son corps était la représentation de son
âme et l'image de sa probité (i).
En second lieu, la Sainte Vierge a mérité par
des actes très parfaits de la vie soit active, soit
contemplative, parce que l'état le plus parfait de la
vie humaine, celui qu'a embrassé Jésus-Christ, ce
modèle de la vraie perfection, comprend les actions
de la vie active et celles de la vie contemplative
tout à la fois, ainsi que l'enseigne le Docteur angé-
lique (2). Or la Vierge a embrassé l'état le plus
parfait, et s'est conformée de plus près qu'aucun
saint à la vie et à la sainteté de son Fils. C'est
pourquoi elle a mérité par des actes très parfaits
de la vie active et de la vie contemplative.
En effet, et c'est ce qui est à considérer en troi-
sième lieu, elle a mérité par ses actes dans les trois
états de sa vie, dans l'état de jeune fille, depuis sa
conception jusqu'à l'Annonciation, dans l'état de
Mère, depuis l'Annonciation jusqu'à l'Ascension,
où son Fils se sépara d'elle, et enfin dans l'état de
veuve, depuis l'Ascension de Jésus-Christ jusqu'au
jour de sa propre mort. Dans le premier état on
peut juger de ses actes par la vie qu'elle mena dans
1. Lib. 2. De Virgin.
2. II. II. q. 188. art. 6.
l) !•: I. A s A I N T !•; \ I 1-. R i . K .-> I
le temple de Jérusalem, où elle partagea son
temps entre les œuvres extérieures saintes et la
prière ou la méditation. Dans le second état elle
s'occupa exclusivement de Jésus-Christ, de le
servir, de le suivre, de le pourvoir de tout ce
qu'elle pouvait lui donner, de l'entendre discourir
et de méditer ses paroles, car si elle conserva dans
son cœur et si elle médita sur les paroles de
Siméon (Luc, 2) et sur celles d'autres personnes
que son Fils, à plus forte raison aura-t-elle con-
servé dans son cœur et médité sur les paroles de
Jésus-Christ, qu'elle écoutait sans doute avec non
moins d'attention que Marie Madeleine. Saint
Epiphane (i) l'appelle pour ce motif la perpétuelle
spectatrice et suivante de Jésus-Christ, ne perdant
pas, autant qu'elle le pouvait, un seul de ses ser-
mons. Mais qu'est-ce que tout cela en comparaison
des mérites qu'elle acquit sous la croix de Jésus-
Christ, mérites qui ne le cèdent pas à ceux des
plus grands martyrs de l'Eglise. Un prédicateur
du siècle dernier, qui s'est appelé le Disciple (2),
par humilité, parle en maître sur ce sujet. Il dit :
les mérites de la Vierge sont nobles, parce qu'elle
a exercé immédiatement envers Jésus-Christ six
a^uvres de miséricorde. Elle l'a logé dans ses
entrailles, elle l'a allaité de son lait, qui lui servait
de nourriture et de breuvage, elle l'a vêtu, elle l'a
visité, quand il était attaché à la croix, comme s'il
eût été détenu dans une prison ; elle l'a enfin
assisté dans sa sépulture. Dans le troisième état,
1. Hœreses, hœr. 78.
2. Discipulus, serm. 61.
32 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
qui fut comme un état de viduité, puisque nous la
considérons comme séparée corporellement de
Jésus-Christ, son Epoux, elle mérita encore d'une
manière indicible par les actes de la vie active et
de la vie contemplative. Elle compensait l'absence
de son Fils en pensant continuellement à lui, en
s'occupant à toutes sortes d'exercices de charité et
de piété, qui lui convenaient, soit pendant qu'elle
demeura à Jérusalem dans la maison de saint
Jean, soit pendant qu'elle habita Ephèse. A cette
époque elle vaquait à la lecture et à la méditation
des Ecritures saintes, elle instruisait les Apôtres
des particularités de l'Evangile, elle visitait le
Calvaire, le sépulcre et les lieux saints, qui avaient
été honorés ou par les m3^stères, ou par la présence
ou par les miracles de Jésus-Christ. Elle commu-
niait chaque jour avec une pureté et avec des dis-
positions admirables, ne pouvant se rassasier de
ce bien qui était pour elle le bien souverain (i).
Elle secourait volontiers les misérables. Enfin dans
I. Suarez dit : « Il est certain que la bienheureuse
« Vierge a reçu fréquemment V Eucharistie . Première-
« ment, parce que la réception de cesacrement est imposée
« par un précepte divin qui comprenait la Sainte Vierge^
« comme le précepte du Baptême. Secondement, la récep-
« tion fréquente de ce sacrement fait partie des con-
« seils divins.^ elle est en soi excellente, très utile et très
« conforme au grand amour de la Vierge envers son Fils.
« Troisièmement, parce que nous lisons (Act. 2) qiie dans
« la primitive Eglise tous les fidèles recevaient chaque
« jour ou fréquemment ce sacrement ; à plus forte raison
« la B. Vierge a-t-elle observé cette coutume, » (De myst.
VIT. Ch. d. 18, s. 3).
DE LA SAINTK VIERGE
33
cet état, elle l'ortifiait les martyrs, instruisait les
confesseurs, dirigeait les vierges, consolait les
veuves, excitait puissamment les fidèles à croire à
la religion chrétienne (i) si bien qu'en tout temps
elle augmenta d'une manière indicible ses mé-
rites (2).
En quatrième lieu elle a mérité le jour et la nuit.
Pendant le jour l'oisiveté est blâmable chez qui-
conque est capable de faire quelque chose de bien.
C'est pourquoi la Sainte Vierge ne demeure pas
un seul instant, sans accomplir quelque acte ou
intérieur ou à la fois intérieur et extérieur. « Elle
« n'a pas mangé son pain dans V oisiveté. » (Prov.
3i). Et cependant la nuit dans le peu de sommeil
I. Voici comment Léon XIII confirme ce point de
doctrine : « Si digne qiCelle soit du ciel, (Marie) est
« retenue sur la terre, pour être la parfaite consolatrice
« et la maUresse de V Eglise naissante^ elle qui a pénétré
« au-delà de tout ce qtion peut concevoir, dans les profon-
de deurs insondables de la divine sagesse... Et noies lacon-
« tem pions dans le cénacle... appelant sur l'Eglise la
« surabondante effusion dît Paraclet, don suprême du
Christ. » (Encycl. Jucunda semper, 8 sept. 1894). Le
même Pontife ajoute ceci dans une autre Encyclique :
« Dès lors, en effet (dès le cénacle) on la voit soutenir
« admirablernent les prémices du peuple chrétien par la
« sainteté de ses exemples, l'autorité de ses conseils, la
€ suavité de ses consolations, l'efficacité de ses prières;
« très véritablement Mère de l'Eglise, Maîtresse et Reine
« des Apoires, à qui elle communiqtiait libéralement les
« divins oracles conservés dans son cœur. » (Encycl.
Adjutricem populi, 5 sept. 1895).
2. V. Paulum Cararias, Reg. 4. art. 3, puncto. 5.
Bail, x, ix. 5
34 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
i
qu'elle prenait, encore son âme agissait pour Dieu
et se portait vers lui au moyen de la science infu-
se, qui ne dépend pas du concours des représenta-
tions corporelles, si bien que même en sommeil-
lant, elle avait des élans d'amour pour Dieu. Elle
subissait plutôt la nécessité de dormir qu'elle n'en
avait envie, dit saint Ambroise (i), et même
quand son corps reposait, son esprit veillait. Sou-
vent dans les songes l'esprit se ressouvient des
choses déjà vues ou interrompt son sommeil, pour
continuer à les considérer. C'est pourquoi elle
pouvait dire ces paroles du Cantique : v Je dors^
« mais mon cœur veille » (Cant. 6) (2), parce que
son amour ne se reposait pas et son mérite ne
discontinuait pas durant le sommeil de la nuit,
ainsi que l'ont écrit plusieurs graves auteurs.
Formez les mêmes affections qu'à la suite du
point précédent. Soyez aussi confus vous-même
de ce que vous faites si peu d'actions méritoires,
et de ce que vous multipliez si mal le talent que
Dieu vous a donné. Votre vie se passe dans la lan-
gueur, dans l'oisiveté, dans des actes mauvais ou
indifférents, et s'il y en a quelques-uns de bons,
vous les trouverez peut-être défectueux dans les
circonstances qui les accompagnent. O Vierge
sacrée, vous êtes seule toute belle et toute parfaite,
vous êtes toute accomplie et immaculée, et il n'5^ a
point de tache en vous. Vos moindres actes ont
été d'un plus grand poids et d'un plus grand mé-
rite devant Dieu, que ne le sont nos plus ardentes
r. De Virginibus.
2. Rupertus et Carthus. in hune loc.
I)K I.A SAINTE VIERGE 33
dévotions. C'est de vous que PHpoux dit : « Vous
« ave^ blessé mon cœur, ma sœur, tnon épouse,
« vous ave:^ blessé mon cœur avec un seul de vos
« yeux, avec un seul de vos cheveux » (Gant. 4).
Vos seuls regards ont conquis son cœur, même
tous vos pas lui ont été agréables, c'est pourquoi
il les loue; « O fille du prince, que vos pieds sont
« beaux dans votre chaussure ! » (Gant. 7). O
Vierge admirable, ô trésor de sainteté et de tout
bon mérite ! obtenez-nous de Jésus-Ghrist, votre
Fils, la grâce d'être plus ardents pour les œuvres
saintes, d'être plus attentifs à les faire et à les
continuer jusqu'à la mort, avec tant de perfection
et avec des intentions si pures, qu'elles ne soient
pas mises au rebut, mais acceptées par lui, pour
être récompensées ici-bas par la grâce et là-haut
par la gloire.
III
Considérez à quelle quantité ou à quel comble
de grâce arriva la Sainte Vierge à la fin de sa vie,
après tant d'actes méritoires qu'elle fit sans inter-
ruption. Le profond Théologien (i) a examiné ce
point avec beaucoup de vigueur d'esprit et il l'a
résolu au plus grand avantage de la Sainte Vierge,
qu'il a glorifiée davantage dans deux ou trois pages
de ses œuvres, que ne l'ont fait plusieurs grands
personnages dans des volumes entiers écrits à sa
louange. Or sa conclusion est que la grâce de la
Sainte Vierge fut à la fin de sa vie presque immen-
se, et que si de tous les degrés de grâce de tous les
I. Suarez, ibid. sect, 4.
36 LA Théologie affective
justes, des Anges et des hommes, on pouvait faire
une seule gràce^ cette grâce n'égalerait pas celle à
laquelle parvint la Sainte Vierge à la fin de sa
vie (i). Les Pères sont favorables à cette affirma-
tion, entr'autres saint Epiphane (2) qui appelle la
Vierge un océan spirituel et qui dit que sa grâce
est immense. En effet le premier des Séraphins et
le plus glorieux de tous les Anges, a eu une grâce
finale et une gloire si parfaites et si élevées, qu'ex-
cepté Jésus-Christ et la Sainte Vierge, aucun saint
ne l'égale. Cependant cet Ange suprême est arrivé
à cette hauteur par deux ou trois actes de foi, de
charité et de religion envers Dieu. Quelle sera
donc la quantité de grâce de la Sainte Vierge, qui
a fait non pas trois ou quatre actes méritoires,
mais des actes innombrables pendant tout le cours
de sa vie ? De plus la Vierge n'étant pas gênée par
le foyer du péché et par des inclinations désordon-
nées vers les objets terrestres, a toujours corres-
pondu entièrement aux mouvements de la grâce
excitante et a produit ses actes d'amour de toute
la force de son habitude de charité. D'où il suit
que les actes d'amour qu'elle formait avaient au
moins autant de degrés d'intensité que son habi-
tude et par conséquent son habitude de charité
1. Cette affirmation n'est pas purement gratuite,
comme le prétend Vasquez. C'est une vérité qu'on
peut appeler catholique ; elle a pour base solide la tra-
dition qui déclare que la grâce de Marie est incompara-
ble, ineffable, connue de Dieu seul^ etc. (Cf. Passaglia,
DE Immac. Deip. Conc. s. 2, c. 8).
2. Orat. de laudib. B. Virg;.
DE I.A SAINTE VIERGE
et aussi sa grâce sanctifiante s'accroissaient du
double îl chaque acte d'amour qu'elle formait, par-
ce que l'acte fait croître l'habitude d'autant de de-
grés qu'il en contient. Or ces principes sur lesquels
les Scolastiques s'étendent beaucoup étant posés,
il s'ensuit, que la grâce de la Sainte Vierge a été
presque immense à la fin de sa vie, qu'elle est in-
concevable à tout esprit et inénarrable à toute
langue humaine (i). Puisque ses actes doublaient
à chaque fois sa charité et sa grâce, si sa première
grâce sanctifiante avait cent degrés, après le pre-
mier acte d'amour, elle avait deux cents degrés ;
après le second acte, quatre cents degrés ; après
le troisième acte, huit cents degrés ; après le qua-
trième acte, seize cents degrés, et ainsi elle a tou-
I. Nous trouvons une confirmation frappante de cette
doctrine dans la Bulle Ineffabilis qui résume ainsi la tra-
dition : « Ils(les Pères) avaient coutume d'appeler la mère
« de Dieu: immaculée et immaculée à tous égards^ — inno-
« cent e et V innocence même, — intégre et d'une intégrité
« parjaite, — sainte et exempte de toute souillure de péché,
« toute pure, toute chaste, le type même de la pureté et
« de V innocence, — plus belle que la beauté, d' une grâce
« au-dessus de toute espèce de charme, — plus sainte
« que la sainteté^ la seule sainte, — très pure d'âme et
« de corps. Vierge qui a surpassé toute chasteté et toute
« virginité, — la seule qui ait été faite toute entière
« le tabernacle de toutes les grâces du Saint-Esprit, celle
« qui, au-dessous de Dieu seul, est au-dessus de tou-
<c tes les créatures, qui par nature est plus belle, plus
« parfaite, plus sainte que les Chérubins et les Séraphins,
« que toute V armée des Anges; et dont, ni sur la terre, ni
« dans le ciel, aucune langue ne peut célébrer dignement
« les louanges. »
38 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
jours doublé jusqu'à la fin de sa vie. Ce qui fait qu'a-
près trente ans de vie, en formant un acte d'amour
plus parfait, elle méritait par ce seul acte plus
qu'elle n'avait fait par tous les autres trente ans
auparavant, et ainsi par le dernier acte elle mérita
plus que par tous les actes précédents, parce qu'el-
le augmentait au double toute la grâce qu'elle
avait méritée. D'où il suit qu'elle parvint à une
immensité de grâce.
Ceux qui ont calculé la quantité de blé qu'il fau-
drait pour en mettre en trente deux greniers de telle
façon que le premier grenier eut un seul grain de blé,
le second deux, le troisième quatre, le quatrième
huit et ainsi toujours le double du précédent, jus-
qu'au trente deuxième grenier, jugeront de quelle
grâce abondante fut enfin remplie la Vierge par
des actes méritoires innombrables accomplis du-
rant tout le cours de sa vie (i). Le nombre de ces
grains est de deux milliards, cent quarante sept
millions, quatre cent quatre-vingt-trois mille, six
cent quarante-huit. Si on doublait encore le nom-
bre de grains jusqu'à cinquante-deuxfois, on aurait
un chiffre si élevé, que le nombre des plus petits
grains de sable qui rempliraient tout l'espace qui
sépare le ciel de la terre, ne l'égalerait pas, ainsi
qu'un grand mathématicien (2) en fait la preuve
certaine et la démonstration.
Quand donc la Sainte Vierge n'aurait produit
tous les jours que cinquante actes d'amour de Dieu,
comme chaque acte d'amour était le double du
I. Combrecius, 1. 2, dé Studio perfect. c. 38.
s. Clavius,in c. 2, Sphœrœ,
DE LA SAINTE VIERGE 3c)
prcccdcnt, parce qu'il procédait d'une habitude de
charité qui doubhut toujours en intensité et qui
accomplissait toujours chaque acte selon toute
son intensité, de plus comme la Vierge continua
ainsi pendant au moins soixante ans qu'elle vécut,
à quelle mesure ou à quel comble de grâce en cet-
te vie et de gloire dans Tautre ne sera-t-elle pas
parvenue ? Voilà qui dépasse toutes nos pensées et
même notre imagination. Supposons maintenant
que tous ses actes sont aussi nombreux que les
saints du paradis et que par un seul acte elle a
mérité autant que le plus grand saint du paradis,
parce que ses fondements furent placés sur les
montagnes saintes, et que sa première grâce sanc-
tifiante égalait la plus haute grâce des saints, il
s'ensuit encore que si toutes les grâces des saints
étaient réunies en une seule grâce, elle ne l'em-
porterait pas sur celle de la Sainte Vierge. Et
quoique le nombre des saints soit peut-être plus
grand que le nombre de ses actions méritoires,
toutefois comme un seul des actes qu'elle accom-
plissait était plus parfait que les actes de plusieurs
saints ensemble, et que sa grâce a été aussi accrue
par l'œuvre opérée en vertu des sacrements, on
peut encore conclure très vraisemblablement et
avec autant de certitude qu'on peut en avoir dans
un tel sujet, qui n'est pas expressément révélé,
que sa grâce ne serait pas inférieure à la somme
des grâces de tous les saints.
Aussi avons-nous déjà considéré que Dieu la
chérissait toute seule plus que tous les saints en-
semble, plus que toute l'Eglise militante et toute
l'Eglise triomphante considérée sans elle. Elle
40 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
seule également avait plus d'amour pour Jésus-
Christ, que tous les saints ensemble, parce qu'il
convenait qu'une telle Mère aimât d'un tel amour
un tel Fils, et c'est pour cela qu'elle aura demandé
à Dieu un tel amour et l'aura obtenu. Que devons-
nous donc conclure, sinon que par un tel amour
si saint et si méritoire, elle se sera acquis à la fin
de sa vie plus de grâces, que n'en ont eu tous les
saints à la fin de leur carrière. Après ces considé-
rations je ne trouve plus si étrange que l'on avan-
ce à sa plus grande gloire qu'elle a, en suçant les
mamelles de sa mère sainte Anne (i),ou en donnant
le lait des siennes à Jésus-Christ, mérité davanta-
ge que les martyrs en versant des ruisseaux de
sang, parce qu'elle faisait ces choses d'an amour
plus ardent et d'une charité plus enflammée sans
aucune comparaison que n'était celle de saint An-
dré soupirant après la croix, celle de saint Lau-
rent offrant ses côtes pour être rôties sur le gril,
celle de saint Barthélémy donnant sa peau à écor-
cher et même celle de saint Paul offrant sa tête au
glaive de Néron. C'est pour cela qu'il est dit d'el-
le : « Votre taille est semblable au palmier^ et
« vos mamelles aux grappes de raisin. » (Cant. 6).
Voici ce que dit sur ces paroles une des plus bril-
lantes lumières de France (2) : Les mamelles sont
comparées aux grappes de raisin et en cela
on voit le mérite excellent de la Sainte Vierge qui
n'a pas moins mérité en donnant le lait de ses
mamelles pour nourrir son Fils, que les martyrs
1. Sherlogus, antel. 8. in Cant. sect. i
2. Gard. Hailgrinus. /^V
DE LA SAINTE VIERGE 4I
qui sont signifiés par les grappes de raisin, en
versant leur sang dans le martyre. Car la récom-
pense de toutes les œuvres est estimée selon la
charité (i).
Si l'on trouve que ceci dépasse toute imagina-
tion, il faut considérer que sa dignité de Mère de
de Dieu, à laquelle sa grâce a du être proportion-
née, était comme immense et infinie. C'est pour-
quoi, quelque sublime grâce que nous nous figu-
rions en elle, cette grâce ne sera jamais trop gran-
de eu égard à une si haute qualité de Mère de
Dieu. Et puis les Pères et les Docteurs de l'Eglise
ont si hautement parlé de la Vierge, que ce n'est
que suivre leur piste et leurs pensées que de faire
de semblables considérations sur elle. « Tous les
« fleuves rentrent dans la mer^ dit le Sage, et la
« mer ne déborde pas. » (Eccl. i). Toutes les grâ-
ces des saints sont réunies dans la Vierge et elle
ne déborde pas, comme si elle ne pouvait pas les
contenir et si elle en avait trop ; elle n'a que ce
qu'il lui convient d'avoir eu égard à sa très haute
et divine qualité.
Admirez la merveilleuse capacité d'une âme
capable de posséder Dieu. Elle est capable comme
d'une infinité de degrés de perfection spirituelle
qui peut s'accroitre en elle sans mesure. Quel re-
gret auront donc les âmes au seuil de l'autre vie
d'avoir négligé les occasions de s'enrichir de méri-
tes ? Nous nous étonnerons donc de nous voir si
éloignés de la perfection de Dieu et aussi de voir
I. « Omnium enim operum merces secundum radicem
« caritatis pensatur . :j>
42 LA THÉOI-OGIE AFFECTIVE
que tant de saints qui se sont appliqués à multi-
plier leur talent spirituel, nous dépassent dans une
mesure incroyable, tandis qu'il y en a peu qui
viennent après nous. Nous admirerons ensuite ce
qui a fait l'objet de cette considération, je veux
dire une Vierge exaltée à une hauteur indicible. O
divine Mère, ô océan de mérite et de félicité, ô très
excellente Vierge, je me réjouis de tout mon cœur
de la grandeur de vos mérites et de l'immensité
de votre grâce. Oh ! béni soit le Dieu tout-puis-
sant, qui vous a rendue si riche et si heureuse !
Oh ! je chanterai de tout mon cœur en votre hon-
neur la louange de la femme forte : « Plusieurs
« filles ont amassé des richesses, tnais vous les
« surpasse^ toutes. » (Prov. ii). O Vierge mer-
veilleuse et étonnante ! Comme le Fils que vous
avez porté dans votre sein est ineffable, ainsi nul
ne peut dire la gloire que vous avez méritée. O
sainte et plus sainte que les saints, saint trésor de
toute sainteté ! O champ de bénédiction spirituelle !
O la première après Dieu, à qui les martyrs ren-
voient leurs palmes, à qui cèdent les Séraphins et
les Chérubins ! (i) O soleil très resplendissant de-
vant qui les plus saints perdent tout leur éclat !
Oh ! qui fera. Vierge divine, que toutes les créa-
tures reconnaissent votre grandeur et vous trai-
tent avec le respect et la révérence qui vous sont
dus ? Oh ! quand augmentera la dévotion pour
vous ? O très illustre princesse, quand serez-vous
honorée en proportion de vos insignes mérites ?
O Vierge sacrée et miraculeuse, au nom de l'abon-
I. Ildephonsus, serm. 2. de Assiimpt,
ni' LA SAINTE VIERCIE J[:>
dance de vos grâces, regardez-nous avec pitié et
faites par une faveur très désirable que nous nous
enrichissions de mérites.
XVir MÉDITATION
DU BIENHEUREUX TRÉPAS
DE LA SAINTE VIERGE
SOMMAIRE :
Belles raisons de la mort de la Vierge. — Elle
meurt par la force de son amour. — Elle est
délivrée de trois misères auxquelles sont sou-
mis les mourants.
I
CONSIDÉREZ que la Sainte Vierge, après avoir
vécu environ soixante-deux ou soixante-
trois (i) ans dans la pratique de toutes les vertus,
rendit son àme à Dieu et mourut. (2) Considérez
en particulier pourquoi elle mourut, malgré sa très
grande sainteté.
1. Soixante-douze ans, selon l'opinion la plus vrai-
semblable, comme nous l'avons déjà dit.
2. C'est une vérité théologiquement très certaine
qu'un grand nombre d'auteurs dont on peut voir la lon-
gue liste dans François Macedo (T. i. De Clav. Pétri, I,
IV, p. 2. De pecc. orig. sect. 3) ont néanmoins
contestée.
44 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
La première raison est que la mort est un pas-
sage nécessaire pour arriver à la gloire et c'est un
ordre de Dieu, après le péché d'Adam, que le ciel
s'acquiert par la vie des créatures humaines. Jésus-
Christ est passé par là : « N'a-t-il pas Jallu que
« Jésus-Christ soujfrit et qu'il entrât ainsi dans
« sa gloire ? » (Luc, 24). — « Personne, àh Dieu à
« Moïse, ne me verra et vivra. » (Ex. 33). Il faut
se séparer une fois de la chair et de la masse du
corps pour s'unir à l'Essence divine,
La seconde raison est la désobéissance d'Adam.
« Le jour y lui a dit Dieu, oii tu mangeras de ce
« fruit, tu mourras. » (Gen. 2). Cette menace
s'adresse en même temps qu'à lui à toute sa pos-
térité, à tous ceux qui tirent de lui leur origine.
Ce sera la punition de son péché qu'il n'ait pas la
joie de voir un seul de ses fils exempt de la mort.
C'est pourquoi en punition de la désobéissance
d'Adam, Jésus-Christ lui-même est mort, quoiqu'il
n'eut pas péché ; il en a été de même de la Sainte
Vierge. En effet les hommes étant mortels selon
leur constitution naturelle et n'ayant été immor-
tels au paradis terrestre qu'en se nourrissant du
fruit de i'arbre de vie qui avait le privilège de
conserver la vie immortelle, comme aujourd'hui
le monde est privé de cet arbre de vie en punition
du péché d'Adam, en punition du même péché la
nature humaine est abandonnée à elle-même et
par suite à la mort. (1)
I. Nous croyons que ces deux raisons n'ont aucune
valeur. La Sainte Vierge était de droit immortelle, et
cette immortalité résultait, non pas de sa nature, car
DI-: LA SAINTE VIERGE 4:?
Voici la troisième raison : la Sainte Vierge a dû
mourir, alin qu'acceptant la mort et s'y disposant
toute nature corporelle tend à la mort, ni de la gloire,
dont, à la différence de Jésus-Christ, elle ne jouissait
pas encore sur celte terre, mais de la grâce de sa
Conception immaculée qui l'éleva à l'état de l'inno-
cence originelle, comme l'insinue d'une manière assez
claire Pie IX dans la Bulle Ineffabilis : « Cest pourquoi
« l'élevant incomparablement au-dessus de ions les esprits
« angéliques et de tous les Saints, il la combla deVabon-
« da}ice des dons célestes, puisés dans le trésor de la divi-
« nité. Il l'en combla d'une manière si merveilleuse, que
« toujours et entièrement pure de totite tache du péché,
« toute belle et toute parfaite, elle avait en elle la pléni-
« tude d'innocence et de sainteté la plus grande que l'on
« puisse concevoir au-dessous de Dieu, et telle que, sauf
« Dieu, personne ne peut la comprendre. » Or à cet état
d'innocence originelle était annexée, par un bienfait
gratuit de Dieu, l'immortalité, et il n'y a eu aucune
raison de révoquer ce bienfait, en ce qui concerne la
Sainte Vierge, car cette révocation aurait été une peine
que la Vierge n'avait méritée par aucun péché et de
plus Dieu n'avait point révoqué pour elle, comme il les
a révoqués pour tous les hommes, les autres privilèges
attachés à la justice originelle, tels que l'exemption de
l'ignorance, du foyer de la concupiscence, de la mala-
die, de la douleur dans l'enfantement. Cette doctrine
nous semble également découler delà condamnation de
la 73"^ proposition de Baïus (Denz. p. 248. éd. ix) :
« La B . Vierge est morte, parce qu'elle a contracté le
« péché d'Adam, et toutes les afflictions qu'elle endura
« dans cette vie furent pour elle, comme pour les autres
« saints, des peines du péché actuel ou originel. » La
Sainte Vierge est donc morte, parce que, conformément
à la volonté de son Fi^s, elle a renoncé à son privilège.
46 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
saintement, elle portât ses mérites à leur comble
et aussi haut qu'ils devaient monter, et qu'ainsi
elle nous servit d'exemple pour nous résoudre
à la mort et la recevoir avec une sainte dis-
position (i).
Si Ton dit que la Vierge a été exempte du péché
originel dans sa conception, et que la mort est la
peine de ce péché, nous répondons qu'elle n'en-
dura pas la mort comme une punition du péché
qui aurait été en elle, pas plus que les autres
misères et les autres peines de cette vie qui servent
à exercer la vertu des justes, mais elle la souffrit
en punition du péché d'Adam dont elle porta la
peine (i). Si on nous oppose après cela qu'Enoch
et Elie sont encore vivants, et que la Sainte Vierge
doit jouir aussi des privilèges accordés aux autres
Saints, il faut répondre qu'Enoch et Elie doivent
I. Nous proposons de remplacer ces trois raisons par
ces trois autres que donne saint Thomas (m. q. xiv, a. i)
de la volonté qu'a eue Jésus-Christ de mourir, et qui
s'appliquent, avec les différences voulues, à la Sainte
Vierge. Elle a voulu mourir : 1°) Afin de satisfaire pour
nos péchés en qualité de corédemptrice ; 2°) Afin de
nous préserver d'une grave erreur touchant l'Incarna-
tion ; si Marie n'était pas morte comme tous les autres
hommes, nous aurions pu croire que celui-là ne fut pas
réellement homme qui était né d'une femme immor-
telle; 3°) Afin que l'Eglise put la proposer au peuple
chrétien comme un modèle de patience et de con-
stance ; ce qui exige qu'elle ait subie la suprême épreuve
de la vie, qui est la mort.
I. L'auteur met en note : Vide me in ariic. disp. de
graiia, p. 2. art. y 2.
DE LA SAINTE VIERGE 47
finalement mourir, ainsi que nous le méditerons
plus loin. Enfin s'il semble à quelques-uns que
Jésus-Christ étant tout puissant sur la mort, devait
en afIVanchir sa très sainte Mère, comme le ferait
pour la sienne tout enfant bien né, qui en aurait le
pouvoir, il faut accorder sur ce point que Jésus-
Christ, il est vrai, devait l'exempter d'une mort
horrible et douloureuse et qui eut été fâcheuse
pour elle; voilà pourquoi il ne voulut pas qu'elle
fut livrée à la cruauté des tyrans, afin que son
corps virginal et qui était la fleur de toute pureté,
ne fut exposé en aucune façon à la merci des
hommes. Mais il ne devait pas l'exempter d'une
belle et agréable mort, d'une mort avantageuse
pour elle ; c'était plutôt un trait de charité envers
elle que de lui souhaiter cette mort, puisqu'il est
écrit : « La mort des Saints est précieuse aux
<L yeux de Dieu. » (Ps. ii5). Or ce fut d'une belle
et douce mort, d'une mort excellente et précieuse
que mourut la Sainte Vierge, ainsi que nous allons
le méditer.
Mais auparavant nous apprendrons par ce point
à nous résoudre à la mort. Et quoi ! elle est morte
cette Vierge qui toute seule avait plus de mérite
que tous les Anges, et nous, vermisseaux pleins de
pourriture, nous ramperions immortellement sur
la terre ! Quoi ! la Mère de Dieu toute pure, toute
belle et innocente, est passée par le tranchant de
la mort, et nous, serviteurs inutiles, mauvaises
servantes, nous serions plus privilégiés qu'elle ?
Il faut mourir et il faut être prêt à recevoir la
mort, quand elle se présentera. O Vierge sacrée,
par votre mort précieuse, faites-moi la grâce d'y
48 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
■ >
penser souvent et de la recevoir paisiblement,
quand mon heure sera venue.
II
Considérez que la Sainte Vierge mourut par la
force de l'amour, à savoir d'une langueur et d'une
fièvre que lui causa l'ardeur de l'amour divin. Cette
considération s'appuie sur l'autorité de plusieurs
auteurs (i) qui l'ont enseignée et avec raison, parce
que la mort la plus digne et la plus souhaitable
est celle qui est l'effet de la charité, et si les Anges
étaient capables de mourir, ils souhaiteraient de
mourir de cette excellente et désirable mort. De
quelle autre mort aurait donc pu mourir la sainte
Mère de Dieu, la Reine des Anges, l'honneur du
monde entier ? Comme elle était la plus aimée de
Dieu parmi les créatures, elle fut. aussi la plus
aimante, et sa charité qui augmentait de jour en
jour, lui livra à la fin des assauts si puissants
qu'elle y succomba. C'est ce qui nous est repré-
senté en quelque sorte dans le Cantique sacré;
cette sainte amante ne pouvant plus dissimuler la
véhémence de ses affections célestes, se recom-
mande à Jésus-Christ, son Fils, par les fidèles
qu'elle voit mourir avant elle. « ]e vous adjure^
« ô filles de Jérusalem, de dire à mon bien-aimé,
« si vous le trouve^, que je languis d'amour. »
(Cant. 5) (2). Et les Anges qui assistaient à son
1. Albert M. et Carthus. apud Berard. t. i, 1. 6,
ch. 12 ; Suarez, in 3. p. t. 1. disp. 21, sect. i ; De Sales,
DE l'amour, 1. 7, c. 13 et 14.
2. Rupertus.
DE LA SAINTE VIERGE 49
trépas, se disaient Tun à Tautrc : « Quelle est celle
(i qui monte par le désert^ comme une petite
<i vapeur d'aromates, de myrrhe et d'encens, et de
« toutes sortes de poudres de senteur? » (Cant. 3).
Car comme c'est le l'eu qui dégage et fait monter
la vapeur agréable des poudres de senteur, ainsi ce
fut le feu de la sainte dilection qui fit s'exhaler
hors du corps Tàme de la Très Sainte Vierge (i).
Il est vrai pourtant que de prime abord il paraît
difficile d'entendre comment il est possible que
Tamour, qui semble une chose si douce et si
suave, puisse causer cet étrange effet, la mort.
Ceux qui ont examiné de plus près cette difficulté
nous apprennent que Tamour peut causer la mort
de trois manières. La première manière est par
excès de chaleur, parce que Famour produit dans
le corps une ardeur d'autant plus intense qu'il est
plus grand, et comme une chaleur excessive con-
sume tout l'humide radical qui soutient la vie,
ainsi que la flamme de la lampe épuise toute
l'huile, et amène l'extinction de la lampe, ainsi
l'amour divin peut faire croître la chaleur du corps
à un tel point que la mort s'ensuive. Secondement,
par la diminution des forces animales et corpo-
relles, parce que les actions sprirituelles consu-
ment les esprits vitaux ; c'est pour cela que les
facultés corporelles, telles que la faculté de sentir,
celle de se nourrir, celle de digérer et les autres,
refusent de faire leurs fonctions. De là provient la
débilité et la défaillance du corps et finalement la
mort. « La méditation fréquente^ dit le Sage, est
I . D. Hier. Episi, ad Patdam et Eustoch. t. 9.
Bail, t. ix. 4
So LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« l'affliction de la chair. » (Eccl. 12). Et de même
que Marthe se plaint d'être délaissée par Madeleine,
qui s'adonne à la contemplation, ainsi la chair res-
sent le contre-coup de ràme,qui est toute occupée
et toute tendue par les fonctions spirituelles. Troi-
sièmement, l'amour peut causer la mort par la
force des élans par lesquels une âme se porte vers
Dieu qui l'attire à lui par ses douceurs et ses
suavités ; ainsi l'oiseau pris à la glu sur quelque
buisson où il est retenu, s'élance parfois avec tant
de force, qu'il se met en liberté. Il peut en arriver
autant à une àme puissamment attirée par les
suavités divines : ne pouvant souffrir de délai pour
s'unir à Dieu, elle renouvelle tant de fois, par la
puissante vigueur de sa charité, ses élans et ses
efforts pour être toute à son bien-aimé, qu'elle
s'échappe du corps. C'est en l'une ou en plusieurs
de ces trois manières que l'amour divin aura pu
séparer l'àme de la Vierge de son corps, qui ne
pouvait plus soutenir naturellement les efforts de
cet amour (i).
I. Il est certain que la Sainte Vierge n'est morte ni de
maladie, ni de vieillesse. Il est non moins certain
qu'elle est morte dans une extase provoquée par l'amour
de Dieu. Mais nous voyons un sérieux inconvénient à
affirmer avec Bail et les auteurs qu'il cite, auxquels on
peut encore ajouter Bossuet (//« Sermon sur l'Assomp-
tion, 2« point), que c'est la violence de l'amour de Dieu
qui lui a donné la mort. L'amour de Dieu qui conve-
nait à Marie était un amour spirituel, résidant dans la
volonté et ne rejaillissant sur la partie sensible que dans
la mesure où elle pouvait le supporter. Il semble qu'il
y aurait eu un certain désordre à laisser cet amour s'em-
DE LA SAINTE VIERGE bl
Admirez cette mort désirable et la force de
l'amour de dilection. O cœur sacré de Marie, blessé
plus profondément des traits de l'amour, que de
ceux de la mort ! O amour, amour ! comment est-
il possible que tu sois si doux, et que cependant
tu sois la cause de la mort ? O amour, comment
as-tu payé d'une langueur et d'une blessure mor-
telle le cœur sacré d'une Vierge innocente, qui t'a
reçu et logé avec tant d'amitié ? Est-ce donc ainsi,
ô amour, que tu récompenses cette fidèle hôtesse ?
O Vierge mourant de la mort de l'amour, qui me
donnera de mourir d'une semblable mort ? Qui
me donnera d'aimer mon Dieu avec une telle
ardeur que mon cœur éclate et que ma vie expire ?
« Que mon âme meure de la mort des justes ! »
(Nom. 23). Que mon âme meure de la mort de
l'amour ! Faites donc, je vous prie. Vierge très
aimante, que par l'impétuosité de mon amour
envers votre Fils et envers vous, mon cœur s'en-
parer des sens, au point de les briser et d'arrêter la vie.
Nous préférons dire avec un auteur récent (Lépicier,
TRACT. deB. V. Maria^ p. 2, c. 2, a. 3, u. 17), que Dieu
avait doté l'âme de Marie d'une vertu surnaturelle suffi-
sante, pour la préserver de la mort, avec le secours
néanmoins des autres moyens destinés à conserver
la vie. Marie serait morte le jour où par ses ardents
désirs elle obtint de Dieu de ne plus ressentir l'effet
de cette vertu surnaturelle et de négliger les au-
tres moyens ayant pour but la conservation de la
vie. C'est peut-être, ajoute ce même auteur, la rai-
son qui expliquerait pourquoi cette mort entourée
d'un si profond mystère a laissé si peu de traces dans
la tradition.
52 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
tr'ouvre et soit atteint d'une blessure éternelle !
O blessure ! O mort souhaitable !
III
Considérez de plus que la Sainte Vierge fut
délivrée de trois misères auxquelles sont soumises
les créatures humaines au moment de la mort.
La première misère est une multitude de dou-
leurs provenant de la fièvre, des maux d'estomac,
des fluxions, des convulsions et quelquefois aussi
des remèdes eux-mêmes qui font souffrir plus que
les maladies. Or la Sainte Vierge fut affranchie
dans sa mort de cette première misère (i). En
assistant sur le Calvaire au crucifiement de Jésus-
Christ, elle avait souffert les transes de la mort,
elle en fut exempte dans ce suprême passage et son
amour était si grand qu'il charma les douleurs de
la mort et rendit Marie insensible. Comme Moïse
et Elie jeûnèrent quarante jours sans ressentir les
douleurs de la faim, à cause de leur très grand
amour, ainsi la Vierge passa de ce monde en
Tautre sans douleur ni tourment, parce que la
force de son amour résistait à tout autre sen-
timent (2).
La seconde misère est une tristesse infinie,
quand on a quelque attache à cette vie : « O mort,
« dit le Sage, que ton souvenir est amer à celui
« qui a la paix dans ce monde. » (Eccl. 41). Les
plaisirs et les voluptés n'existent plus alors, la
1. Bern. de Bustis, in Stellario cor. Virg. 1. 10.
2. Note de Fauteur : Phira apud Sherlogum, in c. 8
Cant. in Explan. mor. sect. 6.
DE I.A SAINTE VIERGE 53
bonne chère, les viandes délicates et les bons
vins se changent en fiel, les amis en ennemis, les
lits mollets en une couverture de teigne et de
pourriture, le corps mollement traité en une car-
casse de vermine et toutes les prétentions s'en
vont en fumée. Mais la Sainte Vierge qui n'avait
aucune attache aux biens du monde et dont la
volonté était parfaitement conforme aux volontés
divines, mourut sans tristesse et très contente,
n'ayant rien qui put l'affliger, mais plutôt recevant
des consolations inénarrables de son Fils, Jésus-
Christ, qui lui apparaissait à cette heure.
Enfin une troisième misère des créatures hu-
maines à l'heure de la mort, est un saisissement
de crainte et de frayeur, soit à cause des tentations
de l'ennemi qui à ce moment trouble davantage
les âmes, soit à cause des justes et raisonnables
appréhensions des jugements de Dieu qui doivent
intimider les plus justes et les plus saints. C'est
pourquoi David disait : « Saîive:{-m.oi de la gueule
« du lion et des cornes des licornes. » (Ps. 21). Or
la Sainte Vierge fut encore exempte de toute
crainte et de toute fra3^eur, parce qu'elle était con-
firmée en grâce et sûre de sa gloire, ainsi que de
l'amour et de la bienveillance de son Fils. L'en-
nemi du genre humain n'eut pas d'accès auprès
d'elle, il fut chassé bien loin par les troupes
célestes des bons Anges qui assistaient Marie
fidèlement.
Réjouissez-vous avec la Sainte Vierge, à qui
l'amour divin a causé une mort si belle et si pré-
cieuse, de son bonheur. Espérez donc, si vous
portez h Dieu un grand amour, que votre mort
54 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sera plus douce et plus facile à supporter ; d'autre
part vous devez redouter qu'elle ne soit accompa-
gnée de grandes détresses et d'angoisses, si vous
n'êtes pas plus fervent dans l'amour divin. O
Vierge bénie, obtenez-moi de votre Fils cet amour
plus fervent. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez
pour nous maintenant et à l'heure de notre mort.
XVIir MÉDITATION
DU TRÉPAS DE LA SAINTE VIERGE
ET DE SON ASSOMPTION
SOMMAIRE :
Faveur que reçoit la Sainte Vierge à sa mort.
— Grande félicité qui lui est échue le jour de
son Assomption. — Elle est établie Reine de
Vunivers et Impératrice du ciel et de la terre
au-dessous de Jésus-Christ.
I
CONSIDÉREZ quelques autres faveurs et privi-
lèges que reçut la Sainte Vierge en mou-
rant et après sa mort.
Son premier privilège fut d'être avertie par
l'ange Gabriel de l'heure de son trépas ; elle lui
répondit comme au jour de l'Annonciation avec
une grande joie et une grande résignation ; « Voici
DE LA SAINTE VIERGE 55
« la servante du Seigneur, qiCU me soit fait selon
« votre parole^ » ou bien, comme dit saint Jean
Damascène (i), je remets mon âme entre vos mains.
Plusieurs Saints ont eu cette grâce d'être avertis
de la part de Dieu du jour de leur mort et par
conséquent la Sainte Vierge n'a pas dû en être
privée.
Le second privilège fut qu'en mourant elle fut
assistée de tous les Apôtres qui vivaient encore et
qui prêchaient l'Evangile dans les diverses parties
du monde ; transportés à travers les airs sur des
nuées, ou par tel moyen qu'il plut à Dieu, et que
Dieu connaît, ils se trouvèrent réunis pour assister
à son trépas. Denys l'aréopagite (2) qui s'y trouva
aussi en rend un suffisant témoignage. D'où nous
pouvons constater le soin et l'affection de Jésus-
Christ pour sa sainte Mère, qu'il avait laissée ici-
bas en se retirant au ciel, puisqu'il la faisait ainsi
visiter et assister à l'heure de sa mort par ses
bien-aimés disciples et Apôtres, qui étaient les
plus grands hommes de la terre.
Son troisième privilège fut que Jésus-Christ
même qui était apparu à saint Etienne dans son
agonie, lui apparut également en personne, en-
touré d'une infinité d'Anges, et la consola ineflfa-
blement, tant par la vue de son visage glorieux
que par le doux langage qu'il lui tint. Il lui dit :
venez dans mon repos, ma Mère bénie, levez-
1. Legenda D. Damasceni, orat. i* et 2^ De Assump-
TioNE et Canisius, lib. 5 De Deipara.
2. De Div. NOMiN. c. ^.\ Mich. Singulus, in vita D.
DiONYSII.
56 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
VOUS, ma bien-aimée, belle entre toutes les fem-
mes. « Voict que Vhiver est passée et que le prin-
« temps est arrivé. Vous êtes belle, ma très chère,
« et il n'y a point de tache en vous ; V odeur de vos
« vêtements Vemporte sur tous les parfums. »
(Gant. 2 et 4) (i).
Le quatrième privilège fut, que quand elle eut
rendu l'esprit à la suite des nouvelles aspirations
d'amour que lui causa le regard de Jésus-Christ,
son âme sainte fut sans aucun délai revêtue de la
lumière de la gloire et admise à jouir de la vision
de Dieu, à un degré qui correspondait à ses mérites
et qui était supérieure la félicité des Saints. Il n'y
avait rien en effet à purifier en elle, et ses bonnes
oeuvres étaient plus méritoires que toutes celles
des autres Saints. Si bien que cette âme sainte
passant immédiatement de l'union avec son corps
à l'union béatifique avec TEssence divine n'inter-
rompit pas en mourant ses actes de charité.
Le cinquième privilège fut que son corps ayant
été porté par les Apôtres dans un sépulcre situé
dans la vallée de Josaphat, fut exempt de corrup-
tion; car si Jésus-Christ a voulu que son propre
corps en fut exempt, et s'il a voulu s'épargner à
lui-même cette misère, suivant ce qui est écrit :
« Vous ne perm.ettre^ pas que votre saint voie la
corruption (Ps. i5), il est bien vraisemblable
qu'il en aura aussi préservé le corps de la Sainte
Vierge. En effet, dit le docte évêque de Paris (2),
qui de nous laisserait dévorer par les vers sa propre
1 . D. Joan Damasc. Orat. 2. De Assumpt. Dei Genit'
2. Guill. Paris, serm. 2. in Assumpt.
HE LA SAINTE VIERGE ?7
mère, s'il pouvait, sans difficulté, rempccher ? De
plus, puisqu'il a voulu qu'elle fut alVranchie de
cette sentence générale signifiée à Eve : Tu enfan-
« teras dans la douleur » (Gen. 3), pourquoi
n'aurait-il pas voulu qu'elle fut aussi exceptée de
la sentence générale signifiée à Adam : « Tu retour-
if. fieras en poussière? » Et encore si sur la croix et
dans les angoisses de sa Passion, il a eu soin de sa
Mère, l'aurait-il oubliée et délaissée, une fois
exalté dans le ciel et revêtu de la toute-puissance
sur le monde ? Enfin s'il l'a conservée pure et
intacte, sans aucune lésion de son intégrité virgi-
nale, quand il Ta choisie pour Mère, pourquoi ne
voudrait-il pas après sa mort la conserver à l'abri
de toute corruption ?
Le sixième privilège fut qu'au troisième jour
après sa mort, son âme glorieuse vint rejoindre son
corps dans le tombeau, pour le vivifier, le ressus-
citer et le glorifier en lui communiquant les qua-
lités des corps glorieux, qui sont la clarté, l'impas-
sibilité, l'agilité et la subtilité. Il était bien raison-
nable que Jésus-Christ l'honorât ainsi et dans son
âme et dans son corps, qui lui avait servi de
demeure; il était raisonnable aussi qu'elle ne
reçut pas moins de grâces de lui que ceux dont
les corps ressuscitèrent au jour de sa Résurrec-
tion et apparurent à plusieurs dans la sainte cité de
Jérusalem.
Le septième privilège fut d'être élevée en corps
et en âme dans le ciel sur un trône glorieux pour y
être à jamais bienheureuse ; elle fut reçue avec
joie et allégresse par toute l'Eglise triomphante.
Elle a été transportée tout entière, dit un ancien
58 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Père (i), afin qu'il n'y eut pas une partie d'elle-
même qui demeurât avec le Verbe, et une autre
partie avec le ver (2). Aussi Jésus-Christ n'eût pas
voulu que le corps de la Vierge eût été sans hon-
neur sur la terre, s'il n'eût pas été en honneur
dans le ciel, puisque non seulement il veut que les
corps des martyrs soient honorés, mais aussi ses
tourments, sa croix et ses clous (3). De plus s'il a
été convenable qu'il hâtât sa propre Résurrection
et son Ascension, afin de donner aux hommes
l'espérance de ressusciter et de monter au ciel ; il
a été également convenable que la Résurrection et
l'Assomption de sa Très Sainte Mère au ciel ne fut
pas retardée, afin de donner au sexe féminin qui
avait tout gâté au paradis terrestre et qui est plus
faible et naturellement plus défiant, l'espérance de
pouvoir ressusciter et monter au ciel. Et puisque l'un
et l'autre sexe avaient été chassés du paradis ter-
restre, l'un et l'autre sexe devaient apparaître dans
le paradis céleste comme le signe de la réparation
accomplie. Ajoutons que, puisque Jésus-Christ a
voulu, pour la gloire du sexe féminin, être le fils
d'une femme, mais non d'un homme, il a voulu
aussi exalter la nature humaine quant à l'âme et
quant au corps dans une femme, pour la plus
1. Eusebius, in Chron. ann. Dom. 48.
2. L- De Assumptione, tom. 9 OperumT) . Augustini,
in append. Non est Angtist . (Note de l'auteur).
3. Le fait qu'en aucun lieu du monde ne se trouve
même la plus petite relique de la Sainte Vierge est déjà
une grave présomption en faveur de son Assomption,
pour l'excellente raison que donne l'auteur.
DE LA SAINTE VIERGE Sc)
grande confusion de ses ennemis et à Thonneurde
sa très abondante Rédemption. Enfin il aurait
semblé à Jésus-Christ qu'il n'était pas monté tout
entier dans le ciel, s'il n'eût attiré à sa suite celle
de qui il avait pris son corps. C'est pourquoi il
désirait ardemment avoir avec lui ce vase précieux,
je veux dire ce corps choisi de la Vierge, où rien ne
s'était trouvé qui déplut à la divinité (i).
Réjouissez-vous avec la Vierge de tant de fa-
veurs et des grâces singulières qu'elle reçoit avant
I. La doctrine de l'Assomption de Marie au ciel a
pour elle le témoignage constant des Pères de l'Eglise
grecque et de l'Eglise latine, le suffrage des Théolo-
giens scolastiques, notamment de saint Thomas (iv. Dist.
13, q. I, art. 3, sol. 3), l'institution de la fête du Repos,
du Passage, du Sommeil, ou de VAssûmption de la
Sainte Vierge, — fête qui est une des plus anciennes
parmi celles qui ont été instituées en son honneur, —
enfin le sentiment de tous les fidèles de l'Eglise orientale
comme de l'Eglise occidentale ; c'est ce qu^ont attesté
les Pères du Concile du Vatican qui demandaient la
définition de l'Assomption corporelle de la Sainte
Vierge : « A moins qu'on ne veuille traiter d'adhésion
« irréfléchie et de crédulité la foi très ferme de l'Eglise en
« V Assomption de la B. Vierge, ce qu'il serait impie
« même de penser^ il faut sans aucun doute croire très
« fermement que cette doctrine nous vient de la tradition
« apostolique et divine, c'est-à-dire de la révélation. »
(CoLLECT. LAC. VII, 868). Quoiqu'elle ne soit point
encore ni définie, ni même contenue formellement dans
les Saintes Lettres, nul catholique, dit Suarez (In 3.
disp. 21) ne peut la révoquer en doute, et la nier serait,
dit Melchior Cano, « une folle témérité, » (L i . De log.
THEOL. C. II.)
6o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
et après sa mort. Vénérez-la avec une grande
dévotion à la vue de tant de privilèges qui lui
sont accordés. O divine Vierge, que vous êtes
heureuse maintenant de ne plus rien avoir des
misères de la terre! O Vierge des vierges et beauté
de toutes les vierges, il semblait que vous fussiez
délaissée, quand votre Fils se sépara de vous
en montant au ciel. Maintenant vous ne paraî-
trez plus être oubliée, mais on verra que vous
êtes la plus aimée de Dieu. O cité céleste, que tu
es belle et ra3''onnante, grâce au soleil et à la lune
qui t'enrichissent, grâce aux corps sacrés de Jésus-
Christ et de Marie ? O céleste Marie, comme votre
Fils montre au Père éternel ses plaies et ses cica-
trices, montrez-lui vos mamelles, afin d'intercéder
pour nous plus efficacement, car vous êtes mainte-
nant notre très grande espérance après votre
Fils (i). Qu'il soit à jamais béni et loué pour
toutes les grandes choses qu'il a faites en vous !
I . Suarez s'exprime ainsi sur l'intercession de Marie :
« // résulte de ce que nous venons de dire non seulement
« que la B. Vierge intercède pour nous^ mais de plus que
« son intercession est la plus efficace de toutes. Bien
« plîis j'estime que par son pouvoir et l'efficacité de son
« intercession la Vierge l'emporte non seulemetit sur
« chacun des Saints y mais même sur toute la cour céleste ;
« de telle sorte que, si nous supposons par la pensée le cas
« oii la B. Vierge demanderait une chose, à laquelle
« s'opposerait toute la cour céleste, comme dans Daniel
« oîi nous voyons un ange résister à un autre ange, — la
« prière de la B. Vierge serait plus puissante et aurait
« une plus grande efficacité et une plus grande valeur
« auprès de Dieu, que celle de tous les autres Saints^
nn I. A SAINTE VIERGE 6l
II
Considérez ensuite à quoi degré de gloire spiri-
tuelle et corporelle, et à quelle grande félicité est
arrivée la Sainte Vierge au jour de son Assomp-
tion. Pour comprendre ce point, il faut repasser
dans son esprit ce qui a été médité sur les mérites
de la Sainte Vierge et sur sa grâce, qui fut comme
immense et plus abondante que toutes les grâces
des autres Saints ensemble, quand la Vierge
arriva à la fin de sa vie. Ces principes une fois
posés, il n'y a plus de difficulté à comprendre la
grandeur de sa gloire, car cette gloire doit être
proportionnée à sa grâce. Autant dit saint Ber-
nard (i), un arbre pousse de racines dans la terre,
autant il pousse de branches au dehors; et autant
« Voilà pourquoi V Eglise dans ses prières s'adresse plus
« fréquemment et plus solennellement à la Vierge qu^ aux
« autres Saints. 7> (In 3 p. disp. 23, sect. 2). Ajoutons au
témoignage des Théologiens et des Pères, dont Suarez
s'est fait l'interprète, le témoignage de l'Eglise. « // n'y
« a rien à craindre, dit Pie IX, il n'j a jamais lieu de
« désespérer, quand on marche soxis la conduite^ sous les
« auspices, sous le patronage et sous la protection de celle
« qui, ayant pour nous un cœur de Mère, et se chargeant
« de V affaire de notre salut, étend sa sollicitude à tout le
« genre humain. Etablie par le Seigneur Reine du ciel et
« de la terre, exaltée au-dessus de tous les chœurs des
« Anges et de tous les ordres des Saints, assise à la droite
« de son Fils unique Notre-Seigneur Jésus-Christ, ses
« prières maternelles ont une force toute puissante. Ce
« qu'elle veut, elle Vobtient; elle ne peut demander en
« vain . » (Bulle Ineffabilis).
1. Serm. i. De Assumpt.
$2 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
un homme a de grâce dans cette vie, autant il a de
gloire dans Tautre. C'est pourquoi jugeant d'après
cette maxime, qui est admise partons les Théolo-
giens, il prononce ces paroles sur l'exaltation de la
Très Sainte Vierge : autant elle a acquis sur la
terre de grâce au-dessus des autres, autant elle
possède de gloire singulière dans les cieux. Si
l'œil n'a pas vu, si l'oreille n'a pas entendu, si le
cœur n'a pas conçu ce que Dieu a préparé à ceux
qui l'aiment, qui pourra dire ce que Dieu a pré-
paré à celle qui l'a engendré et qui l'a aimé plus
que tous ? Si bien qu'il faut estimer que la gloire
de la Sainte Vierge est comme immense et qu'elle
surpasse la gloire de tous les Anges et de tous les
Saints; tous les Anges et tous les Saints à la fois
ne glorifient pas Dieu plus qu'elle ne le glorifie,
de même que tous ensemble ne sont pas plus
glorifiés qu'elle n'est glorifiée par Dieu (i). Cette
I. Que la gloire de Marie dans le ciel l'emporte non
seulement sur la gloire de chaque Ange et de chaque
Saint, mais sur la gloire de tous les Anges et de tous les
Saints réunis, c'est simplement une opinion probable,
qui s'appuie sur les nombreux passages des Pères où il
est dit que Marie a glorifié Dieu à elle seule plus que
toutes les autres créatures de Dieu, quoique moins que
Jésus-Christ. Or cette affirmation ne serait point vraie,
si les biens surnaturels et les degrés de gloire accordés
à tous les Anges et à tous les Saints ne se trouvaient
pas en elle. — Si l'on veut toutefois s'en tenir à ce qui
est certain et de foi, il faut dire simplement que la
gloire dont jouit la Vierge dans le ciel l'emporte en
perfection, c'est-à-dire soit en intensité^ soit en exten-
sion, sur la gloire de n'importe quel Ange ou quel
DE LA SAINTE VIERGE
63
vérité est confirmée par les Révélations de sainte
Brigitte, où il est rapporté que Dieu ayant créé
ce grand monde et tout ce qui y est compris,
Saint. C'est ce qu'enseignent unanimement les anciens
Pères et l'Eglise elle-même : « La Sainte Mère de Dieu
« a été élevée dans les deux au-dessus de tous les chœurs
« des Anges. » (Office de l'Assompt.) Elle a en effet
réuni en elle les divers genres de mérite dans lesquels
les Saints ont excellé, comme il est facile de le cons-
tater en énumérant les divers états de sainteté. Marie a
eu le mérite de la vie angélique, à cause de son admi-
rable virginité : « Regina angelorum » ; le mérite des
patriarches, à cause de l'ardeur de sa foi : « Vous êtes
« bienheureuse, parce que vous ave^ cru. » (Luc, i, 45) ;
Regina patriarcharum » ; le mérite àes prophètes , comme
le prouve cette prédiction faite par elle : « Toutes les
« générations m'appelleront bienheureuse. » fLuc i, 48),
Regina prophetarum ; le mérite des Apôtres et des Evan-
gélistes, car c'est elle qui les instruisit des mystères de
la foi, Regina apostolorum; le mérite des inartjyrs,
puisqu'au pied de la croix « tin glaive de douleur trans-
« perça son âme. » (Luc, 35) Regina martyrum ; le mérite
des confesseurs, car nul ne loua comme elle la grandeur
de Dieu : « Mon âme glorifie le Seigneur. » (Luc i, 46) ;
Regina confessorum; le mérite des vierges, car elle fut
vierge et le demeura toujours, Regina virginum. Il faut
donc conclure avec saint Thomas que « puisqu'elle eut
<t les mérites de tous et même davantage, il était conve-
« nable qu'elle fut élevée au-dessus de tous. » (Serm. lviii
IN AssuMPT.) Cette gloire supérieure de Marie consiste
non seulement en ce qu'elle voit en Dieu plus claire-
ment que les Anges et les Saints les vérités que ceux-ci
y voient, mais en ce qu'elle y voit un plus grand nom-
bre de vérités qu'eux. Les Saints voient en Dieu tous
les effets particuliers qui se rapportent à leur état. Or
64 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
excepté l'homme, il y avait encore un petit monde
à créer. Ce petit monde se présentait à ses yeux
avec toute sorte de beauté et de ce petit monde
il devait revenir à Dieu plus de gloire, aux Anges
plus de joie et à tout homme qui prétend jouir de
la bonté de Dieu, plus d'utilité, qu'il ne devait
en provenir de tout ce grand monde. O très douce
dame. Vierge Marie, aimable envers tous, utile à
tous, c'est vous qu'on entend avec raison par ce
petit monde. L'abbé Guerry (i) dit encore que
tout ce qui se rapporte à l'état de chaque Saint et de
tous les Saints à la fois, se rapporte d'une manière plus
élevée à l'état de la Sainte Vierge, parce que, en qualité
de corédemptrice elle a contribué, de concert avec
Jésus-Christ, au salut de tous les hommes et de tous
les prédestinés, et que tous ces effets particuliers qui
ont quelque rapport avec l'état de chaque Saint consis-
tent dans des grâces données à des prédestinés en vue
du salut. De plus tous les effets surnaturels et toutes les
grâces ont l'Incarnation ou pour fin ou pour principe.
Or la Sainte Vierge doit connaître dans le ciel mieux
que tous les Saints ce mystère, à l'accomplissement
duquel elle a eu une si intime et si glorieuse part. Par
là elle s'élève incomparablement au-dessus de Tétat et
du mérite de tous les Saints, surtout si l'on tient compte
des fruits de grâce et des mérites qui ont été pour elle
la conséquence de cette large part qu'elle a eue dans ce
mystère. De tout cela il résulte que la Vierge forme à
elle seule dans le ciel, au-dessus des neuf chœurs des
Anges, un chœur spécial ; c'est ce que signifient ces
paroles de l'Eglise : « La Sainte Mère de Dieu a été
« exaltée dans le ciel an-dessus des chœurs des Anges »,
comme il convient à la Maîtresse et Reine des Anges.
I. Serm. 4. in festo Assumpi.
DE LA SAINTE VIERGE 65
Jésus-Christ était descendu du ciel sur la terre pour
honorer son Père, et qu'il remonta de la terre au
ciel pour honorer sa Mère, afin de la faire asseoir
comme une Reine couronnée à la droite de Dieu.
Jésus-Christ lui dit : personne ne m'a servi plus
que vous dans mon état de bassesse, je ne veux
aussi donner à personne plus qu'à vous dans
Tétat de ma gloire. Vous m'avez communiqué
l'humanité, je vous ferai part de ma divinité, et
il ne me semblera jamais que je sois assez glorifié,
tant que vous ne serez pas glorifiée, et le chœur
des Anges reprit : gloire à vous, ô Seigneur.
D'autres ajoutent que la Vierge montant au ciel
fut accueillie par son Fils avec les paroles sui-
vantes : Venez, ma bien-aimée Mère, ma colombe,
ma toute belle, venez recevoir le paiement du
logement que vous m'avez donné, la récompense
pour m'avoir nourri, m'avoir élevé et pour tous
les soins que vous avez eus de moi. Vous m'avez
revêtu de la substance de la chair, je vous revê-
tirai de la gloire de la Majesté. Vous avez couvert
le soleil d'une nuée, maintenant vous serez tou-
jours vêtue de soleil, afin que vous soyez toujours
honorée comme « la femme vêtue du soleil. »
(Apoc. 12). Enfin celle qui avait couché Jésus-
Christ dans une humble crèche, est élevée par lui
sur un trône sublime. Celle qui l'avait placé entre
deux animaux, est placée par lui-même à la tête de
tous les Anges. Celle qui l'avait mené en Egypte
est conduite par lui du désert de ce monde dans
le ciel. Et celle qui l'avait vêtu de langes, est re-
vêtue de l'étole de la félicité éternelle (i).
I. Petrus Blesens. loc. cit.
B^H., T. IX. 3
66 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Félicitez la Sainte Vierge sur l'excellence de sa
gloire et souhaitez-en la vue. Réjouissez-vous
donc maintenant, filles de Sion. Vous cherchiez
votre bien-aimé avec des désirs très ardents :
« Montrez-moi, cher amour de mon âme, où vous
« paisse^ et où vous reposera midi. » (Gant. i).
Et maintenant vous avez trouvé ce que vous
souhaitiez, vous avez trouvé votre Epoux plein
de clarté et de lumière, et vous le contemplez
d'une intime et parfaite vision. O Vierge très
heureuse, vos travaux sont passés, vos souffrances
et vos humiliations ne sont plus, vous montez au
trône de votre gloire. Tous les chœurs des bien-
heureux désireraient vous retenir avec eux et vous
comblent de louanges ; mais vous vous élevez
plus haut et toutes les portes du paradis vous
sont ouvertes. Voilà que toute la Trinité vous
reçoit. Oh ! quelle douceur vous témoigne le
Père éternel ! Quelles caresses vous fait le Fils et
avec quelle suavité vous accueille le Saint-Esprit !
Voilà, 6 très glorieuse, que vous recevrez plus de
gloire essentielle que tous les bienheureux; c'est
pourquoi vous voyez plus clairement l'Essence
divine. Vous recevrez ensuite plus de gloire cor-
porelle ; c'est pourquoi par votre beauté admira-
ble, par votre odeur suave, vous réjouissez toute
la cité céleste, qui vous rend tous les honneurs
possibles. Oh ! bénie soit votre humilité, bénie
soit votre virginité, bénie soit votre charité, bénie
soit votre sainteté et toutes les actions de votre
vie, qui vous ont élevée à tant de grandeurs !
Bénie soit à jamais la puissance du Père, la
sagesse du Fils et Tamour du Saint-Esprit, qui
DE LA SAINTE VIERGE 67
VOUS ont rendue si glorieuse (i)! Mais quand,
ô divine Vierge, qui ravissez les Anges et tous les
bienheureux, quand vous contemplerai-je et quand
mon àme demeurera-t-elle ravie à la vue de votre
gloire et de votre face ? O pureté ! ô blancheur !
ô sérénité ! ô beauté plus que très douce de mon
cœur, attirez-moi à vous et que je ne m'en éloigne
jamais, pas même l'espace d'un moment. Montrez-
moi, je vous prie, votre face, beaucoup plus belle
que l'aurore, et je la regarderai avidement parce
qu'elle me remplira de chastes joies. Alors comme
un grand brasier mon cœur s'enflammerait pour
vous, mon cœur qui ne vit que dans les tourments
parce qu'il est loin de vous. Ah ! beauté de mon
àme, mon espoir et mon firmament dans la terre
des mourants, de quels désirs je me sens en-
flammé ? Oh ! apparaissez-moi et soyez moi pré-
sente, ô Vierge, à tout jamais (2) !
III
Considérez qu'au jour de son Assomption la
Sainte Vierge fut établie Reine de l'univers et
Impératrice du ciel et de la terre, au-dessous de
Jésus-Christ. Le saint prophète David a exprimé
cette dignité de la Vierge par ces paroles : « Une
« reine s'est présentée à votre droite avec un vê-
« tement doré, entourée de variétés. » (Ps. 44).
Depuis plusieurs siècles les Pères de l'Eglise lati-
ne lui ont attribué cet éloge. Saint Athanase (3}
1. Gers, tract. 4. super Magnificat.
2. Joannes a Jesu Maria, ep. ad Virg. in Theolog.
mystica.
). Serm. de Annonc.
^8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dit d'elle : puisque celui qui est né d'elle est Roi
et Seigneur, c'est à bon droit qu'on qualifie la
Mère qui l'a engendré de Reine et de Dame.
Saint Jean Damascène (i) l'appelle la Reine de la
nature et dit qu'il fallait que la Mère de Dieu pos-
sédât les biens de son fils ; car bien que de tout
temps l'héritage aille des parents aux enfants,
néanmoins maintenant, pour employer les expres-
sions d'un savant, les fleuves sacrés remontent
vers leurs sources, car le Fils a assujetti tout ce
qui est créé à sa Mère. L'abbé de Vendôme (-2) dit
aussi : C'est elle que les Anges servent, elle à qui
les Archanges obéissent. Elle seule après Dieu a
la principauté sur toute créature. Cette Vierge
très sainte est la louable et universelle Impératrice
des Anges et des hommes. En effet puisqu'elle
était la Mère de Dieu, il ne convenait pas qu'elle
demeurât personne privée, mais elle devait être
pleine de pouvoir et de puissance. C'est pourquoi
Gerson (3) parlant de son Assomption dit : aujour-
d'hui la bienheureuse Vierge a été tellement exal-
tée, qu'elle est appelée à bon droit la Reine du
ciel et même du monde, car elle a une prééminence
et une autorité sur tout. Elle a, si l'on peut parler
ainsi, comme Esther et Assuérus, qui sont la figure
d'elle et de son Fils, la principauté sur la moitié
du royaume de Dieu. Le royaume de Dieu consis-
te en effet dans la puissance et la miséricorde :
« Dieu a parlé une fois ; fai entendu ces deux
\ . Orat. 3 de Nat. B. Virg.
2. Orat. 2 in annunc* — Golfrid. abbas, serm.
^, Tract, 9, super Magnificat ,
nr I.A SAINTE VIERGE Gg
« choses, que la puissance est à Dieu^ et à vous,
u Seigneur, la miséricorde. » (Ps. 8i). La puis-
sance est demeurée au Seigneur, mais le départe-
ment de la miséricorde a été cédé en quelque façon
à la Mère de Jésus-Christ, et à son Epouse ré-
gnante. De ces paroles nous devons conclure que
la Vierge exerce sort domaine et son pouvoir en
faisant du bien à toute créature, car elle est si puis-
sante pour obtenir toutes les grâces et les faveurs
qu'elle désire, que rien ne peut lui être refusé par
son Fils. Elle n'est pas Reine pour exercer des
rigueurs et des actes de justice qui appartiennent
à son Fils, mais elle est Reine pour dispenser les
faveurs divines et les trésors de ses grâces célestes.
C'est pourquoi elle est appelée le trône de Jésus-
Christ, non pas le trône d'où il lance ses foudres
et prononce des arrêts de mort ; mais le trône du
haut duquel il exerce sa juridiction pacifique ;
car en considération de ses prières et de ses mé-
rites, il donne la liberté aux captifs, la lumière
aux aveugles, le repos aux affligés, l'abondance aux
indigents, l'assurance aux timides, la grâce aux
commençants, enfin la gloire et le triomphe aux
parfaits (i).
Il est vrai que l'hérétique ne peut supporter
qu'on attribue à Marie ce titre d'honneur, comme
s'il était injurieux à Jésus-Christ à qui « toute puis-
« sance a été donnée au ciel et sur la terre. »
(Matt. dern. chap.). Mais on lui répond que Jésus-
Christ est le Roi, et que ce n'est pas lui faire in-
jure d'honorer sa Mère et de l'appeler Reine du
ï. Petrus Blesens. serm. 39.
70 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ciel. Si elle a été associée à la Passion de Jésus-
Christ, pourquoi ne le serait-elle pas à sa consola-
tion ? (Rom. 8). Si elle a souffert avec lui, pour-
quoi ne bera-t-elle pas glorifiée avec lui, comme
raisonne saint Paul ? Si elle a souffert, pourquoi
ne règnera-t-elle pas avec lui ? Si elle a été pauvre
d'esprit, pourquoi le royaume des cieux ne sera-t-
il pas à elle, comme l'a promis Jésus-Christ ?
(Matt. 5). Marie donc n'est pas seulement Reine
du ciel, mais des cieux, comme étant la Mère du
Roi des Anges, la sœur et l'épouse du roi des
cieux.
O Reine des cieux, ô Marie, ô Mère de miséri-
corde, je vous révère avec une singulière affection
à cause de cette qualité de Dame et de Reine, qui
vous a été donnée au Jour de votre glorieuse
Assomption. Je vous salue, ô Reine et Mère de
miséricorde, qui employez votre pouvoir à délivrer
les misérables des peines, et à les remplir des
biens, en même temps qu'à dispenser des grâces
et des faveurs aux âmes qui vous invoquent. O
Reine et Mère, ô Dame très douce et pitoyable,
c'est à bon droit que tout le monde vous honore et
vous respecte ! Oh ! que vous êtes exaltée dans le
ciel où votre jubilation est perpétuelle ! Oh ! qui
me donnera d'arriver un jour auprès du trône de
votre gloire et de m'en approcher ? Qui me donne-
ra de pénétrer bien avant dans les cieux, afin que
mon âme se repose dans la vue de votre si grande
gloire et des grands respects qui vous y sont ren-
dus ? Car qui pourrait imaginer jusqu'où s'élève
votre grandeur, avec quels regards la cité céleste
se porte vers vous et à quel point elle se réjouit
DE LA SAINTE VIERGE 7I
à la vue de votre merveilleuse beauté ? Oh ! qu'il
me parait long le retard de ce bonheur et de ce
spectacle si désiré ! O Vierge plus brillante que
l'aurore, inclinez-vous vers mes ardents désirs,
so3'ez-moi favorable. Oh ! je vous supplie, par le
cœur de votre Fils Jésus-Christ, qui vous est plus
cher que le vôtre, de fixer une fois vos yeux si
doux sur moi, misérable pécheur ; daignez frap-
per mon cœur d'un rayon de votre pitié et de vo-
tre douceur, afin qu'il devienne pieux et qu'il
vous demeure consacré, à vous et à votre Fils
Jésus-Christ.
7^ LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Xir MÉDITATION
CONCLUSION DE CE TRAITÉ
DE LA DÉVOTION
ENVERS LA SAINTE VIERGE
SOMMAIRE
La dévotion à la Sainte Vierge consiste à faire ce
qui lui plaît^ et à éviter ce qui Vojfense. —
Motifs de cette dévotion. — Méthode.
I
CONSIDÉREZ que la vraie et parfaite dévotion
envers la Sainte Vierge consiste dans une
volonté prompte et constante de fuir ce qui lui
déplait et de faire ce qui lui est agréable ou qui
tourne à son honnenr (i). La raison en est que
nous devons nous faire une idée de la vraie dévo-
tion à l'égard de la Sainte Vierge, en la compa-
rant à la véritable et parfaite dévotion envers
Dieu. Or cette dévotion envers Dieu consiste dans
une volonté prompte et constante de se porter à
tout ce qui regarde son honneur et son service, de
fuir le péché qui lui déplait, et de faire ce qui lui
est agréable et honorable. Donc aussi la vraie et
sincère dévotion envers la Sainte Vierge consiste
dans une volonté prompte et constante de s'adon-
I. Joan. Carmel. De cultu reg. cœli^ p. a, c. 8.
DE LA SAINTE VIERGE yS
ner à ce qui concerne son honneur et son service,
en évitant le mal qui lui déplaît et en faisant le
bien qui lui plaît, et en le faisant en considération
d'elle. Nous appelons cette dévotion une volonté
prompte, parce qu'une âme qui se porte lentement
et difficilement à honorer la Sainte Vierge, ne
mérite pas d'être appelée dévote envers elle. Nous
l'appelons aussi une volonté constante, c'est-à-dire
ferme, résolue et persévérante, qui ne change pas
à tout vent, l'honorant un jour et la déshonorant
le lendemain. Qui dit dévotion envers elle dit une
certaine allégresse et une ardeur continuelle, qui
ne déchoit pas aisément dans les œuvres de son
service, auquel on s'est donné et voué d'une ma-
nière plus spéciale. Nous disons encore que cette
dévotion porte à fuir le mal qui lui est désagréable.
Car il n'y a rien de plus éloigné de la vraie dévo-
tion à la sainte Mère de Dieu, que l'affection au
péché, ou le défaut de pénitence pour les péchés
commis ; les péchés en effet lui déplaisent parce
qu'ils sont contraires à l'honneur de Dieu et à
toute espèce de justice. Si bien que si quelqu'un
faisait plusieurs grandes actions pour elle, mais
en état du péché mortel ou avec la volonté de le
commettre, ce serait ni plus ni moins comme si
l'on servait à la table d'une puissante reine de très
bonnes viandes, mais dans un plat souillé d'im-
mondices, qui ferait horreur à voir et soulèverait
le cœur.
Cette même dévotion porte encore à faire des
œuvres qui lui soient agréables et qui consistent à
la servir, parce que de même que la fuite du mal
n'est que l'entrée de la justice chrétienne, qui ne
74 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
devient parfaite et accomplie que par la pratique
des saintes œuvres, suivant cette parole de David :
« Evite le mal^ et fais Je tien » (Ps. 36); ainsi la
fuite des péchés n'est que le commencement de la
dévotion envers la Sainte Vierge, dévotion qui a
sa perfection et son dernier terme dans plusieurs
œuvres qui lui sont agréables, et qui regardent
son honneur. C'est pourquoi il faut que de telles
œuvres se fassent en considération de la Vierge,
c'est-à-dire dans le but de lui rendre le respect
qui lui est dû ou quelque service qui lui est agréa-
ble. Sans une telle intention et un tel but ces
œuvres n'appartiendraient pas à la dévotion à la
Vierge.
Apprenez par cette considération à bien discer-
ner la vraie dévotion à la Sainte Vierge et ne vous
trompez pas mal à propos, comme le font plusieurs
à leur préjudice : ils croient témérairement qu'ils
ont cette dévotion, bien qu'ils vivent dans le péché,
sous prétexte qu'ils récitent quelques prières ou
font quelqu'autre chose pour son service. Exami-
nez donc la conduite de votre vie, et tout ce qu'il
y a eu en vous qui a pu déplaire aux yeux de cette
Reine incomparable. Regrettez que dans le passé
vous ayez peut-être mal entendu cette dévotion et
que vous l'ayez encore plus mal pratiquée. Vous
avez peut-être cru avoir tout fait, quand vous
aviez visité plusieurs fois une de ses chapelles,
quand vous l'aviez saluée avec votre chapelet, ou
quand vous aviez fait quelques autres actions qui
la regardaient ; et en même temps vous aimiez ce
qui lui déplaisait et vous omettiez de faire ce qui
lui eut été agréable. Et c'est ainsi que vous vous
DE LA SAINTE VIERGE 7B
abusiez, n'ayant qu'un simulacre de dévotion,
mais non la vraie dévotion. Excitez-vous à l'avoir
et à la pratiquer d'une meilleure manière (i).
II
Considérez quelques-uns des motifs qui doivent
vous porter à une grande dévotion envers la Sainte
Vierge (2). Les premiers motifs sont tirés de cette
dévotion même, qui est très excellente et très pro-
fitable. Les seconds sont tirés des biens que la
Vierge nous a déjà accordés, ou qu'elle est capable
de nous accorder. Les troisièmes sont tirés d'elle-
1. Sans doute la véritable dévotion à la Sainte Vierge
est incompatible avec la violation ou l'inobservation
des commandements de Dieu. Est-ce à dire toutefois
qu'un chrétien qui pèche par entraînement ou par fai-
blesse, mais qui reste fidèle à certaines pratiques pieu-
ses en l'honneur de la Sainte Vierge, ne peut raisonna-
blement rien espérer de cette Mère de miséricorde ?
Nous ne le croyons pas et nous admettrions volontiers
qu'une telle dévotion, si imparfaite soit elle, lui vaudra
de la part de la Sainte Vierge une assistance toute par-
ticulière pour arriver à la justification et au salut.
LEglise ne l'invoque-t-elle pas sous le vocable de
« Refuge des pécheurs » ; ainsi que les SS. Pères tels que
par exemple saint Ephrem (in serm. de laud. B. V.),
saint Germain (in orat. in Zonam), saint Jean Damascè-
ne (in Can. de S. Trin.), saint Antoine de Padoue (in
serm. in Dom. 3 quadrag.) ? A plus forte raison inter-
cèdera-t-elle pour les pécheurs qui ont conservé quel-
ques sentiments pieux pour elle. Ce qui serait pré-
somptueux, de la part des pécheurs, ce serait de comp-
ter absolument sur un tel secours.
2. Plura apud Maubrun, p. 2 Roseti, dist. s.
76 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
même, de ce qu'elle est très digne â cause de ses
hautes qualités, d'être très humblement vénérée,
alors même qu'elle ne nous ferait aucun bien. Les
quatrièmes motifs sont pris du côté de Dieu ou de
Jésus-Christ, son Fils, à qui cette dévotion est
très agréable.
Premièrement, nous devons être touchés de
dévotion envers elle, à cause de l'excellence et de
l'utilité de cette dévotion; car par elle toutes sortes
de biens arrivent aux âmes; elle réforme prompte-
tement l'intérieur de la conscience et en chasse le
péché; elle y introduit la vertu, la pureté, la sain-
teté, la pratique de plusieurs sortes de biens.
Cette dévotion est une marque de prédestination,
pourvu que ce soit la vraie dévotion, car ceux-là ne
manquent pas d'être aimés de Jésus-Christ qui
aiment sa sainte Mère et qui la servent fidèlement.
Il est vrai de dire qu'une àme dévote à la sainte
Vierge, mais de la vraie dévotion, ne peut périr
avec cette dévotion, parce qu'elle est accompagnée
de la parfaite justice chrétienne qui consiste dans
la fuite du péché et dans la pratique du bien, deux
choses avec lesquelles on ne peut périr (i). C'est
I. Cette consolante vérité, que la dévotion à la
Sainte Vierge est un signe de prédestination s'appuie
sur l'enseignement des SS. Pères et sur l'Ecriture
Sainte elle-même. S. Ephrem appelle la dévotion
envers Marie « une charte de liberté. » (Orat. de laud.
M. V.) et S. Germain, évêque de Constantinople, dit
clairement : « De même que la respiration non interrom-
« pue est en même temps que le signe, la cause de la vie;
« ainsi le nom de Sainte Marie, sortant des lèvres des ser-
« viteurs de cette Reine, est la preuve qu^ils sont vériio'
nELASAlNTRVlERGE 77
pourquoi saint Anselme (i) a dit cette parole bien
vraie : de même, ô très heureuse Vierge, qu'il est
nécessaire que quiconque se détourne de vous et
« blement vivants, il produit et conserve en même temps
« cette oie et leur obtient de Dieti toute joie et toute aide. »
(In orat. De Deip.). Toutefois cette formule : la dévotion
à Marie est un signe de prédestination peut donner
lieu à de fausses et présomptueuses interprétations. « //
« y en a, ditThéoph. Raynaud, qtii prétendent qu'il est
« absolument impossible qu'un serviteur de la B. Vierge
« soit damné, parce que la B. Vierge lui obtiendra les
« secours convenables, au moyen desquels, s'il tombe dans
« le péché, il se relèvera infailliblement avant de mourir
« et finalement sera sauvé .. Mais le sens des paro-
« les des Pères que nous avons cités est bien différent.
« Ils veulent simplement affirmer la grande importance
« qu'il y a à servir Marie, car celui qui la sert pieusement
« et avec persévérance a V espoir fondé qiCil ne périra
« pas... Oui, tous les serviteurs fervents de la Mère de
'< Dieu peuvent avoir grandement confiance qu'ils ne péri-
<< ront pas éternellement. Mais nous ne pouvons sans
« erreur promettre à personne, pas même à l'homme le
« plus dévot à l'égard de la S. Vierge, qu'il se convertira
« infailliblement ou qu'il persévérera infailliblement. »
(Dypt. Mar. par. 2, p. 10, n. 38). Voici, en particulier,
d'après le même auteur, ce qu'il faut penser, au point
de vue du salut, du port du Scapulaire, au sujet duquel
la Sainte Vierge a fait au B. Simon Stock des promesses
spéciales. «... Nous disoiis que le Scapulaire de Marie
« est, par une institution de la Mère de Dieu, un signe de
« salut et une marque de prédestination, en ce sens que le
« port de ce Scapulaire est la marque d'une protection
I. In Alloquiis cœl. num. 27 : <^ Ita omnis ad te
« convcrsus et a te respcctus iitipossibile est ut pereat. »
78 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
que VOUS délaissez périsse, ainsi il est impossible
que celui-là périsse, qui se tourne vers vous et sur
qui vous jetez les yeux.
Secondement les biens reçus et à recevoir de sa
part, nous obligent à avoir de la dévotion envers
elle. Pour ce qui est du passé, c'est elle qui nous
a donné le Sauveur du monde, qui sur la croix a
été le prix de notre Rédemption et qui est notre
« toute spéciale de la part de la B. Vierge^ qici viendra
« en aide à ses clients et leur ménagera comme moyen de
« salut des grâces particulières, à l'aide desquelles ils
« observeront avec plus de sécurité les commandements , et
« arriveront plus sûrement à la fin désirée, c' e si-à-dire à
« la béatitude. Voilà tout ce que Von veut dire quand on
« affirme que le port du Scapulaire est un signe de salut
« et un gage ou une marque de prédestination... Mais les
« clients de la Sainte Vierge n'auront aucun privilège
« particulier, si la promesse leur garantit simplement le
« salut, à la condition qu'ils observeront les commande-
fa ments et qu'ils vivront pieusement. Tous les chrétiens
« en effet, même ceux qui ne portent pas le Scapulaire,
« seront sauvés, s'ils observent les commandements et
« vivent pieusement , et parviendront comme de vrais pré-
« destinés à la montagne sainte, c'est-à-dire à la vie éter-
« nelle. Quelle est donc V utilité du Scapulaire po2ir cette
« fin ? Elle est très grande de toute manière. Le port du
« Scapulaire est en effet la m.xrque et le gage de secours
« plus abondants de la grâce que la Mère de Dieu obtien-
« dra pour ses cliens \ grâce à son intervention ils obser-
« verontles commandements et finiront saintement leur vie.
« Tel est le privilège spécial que nous voulons qu'on
« attribue au port du Scapulaire, conformément àlapro-
<t messe faite par la Mère de Dieu.^ (Opp. t. 7, Scapul.
Mari AN. p. 2, q. 7).
1)K LA SAINTE VIERGE 79
très sainte réfection dans l'Eucharistie. C'est elle
qui par ses prières a conservé l'Eglise dans laquelle
nous espérons nous sauver, et qui a apaisé notre
Dieu, quand nous l'avions offensé, si bien que
peut-être nous lui sommes redevables même de
notre vie corporelle, que nous méritions de perdre
à cause de nos péchés. Dans le passé elle a été
souvent notre avocate très miséricordieuse auprès
de Dieu. Pour ce qui est de l'avenir nous ne
devons pas en attendre moins de biens, car elle est
très opulente et très puissante pour nous combler
de faveurs. Elle est établie la Reine et l'Impéra-
trice du monde au-dessous de Dieu, comme Joseph
fut établi au-dessous du roi Pharaon le surinten-
dant de tout le royaume d'Egypte et de la maison
du roi, où rien ne se faisait que par son ordre.
(Gen. 41). Elle est la favorite de la Sainte Trinité,
pleine de compassion et de libéralité envers nous.
Elle est la trésorière des biens célestes. L'enfer
redoute sa puissance et tout le ciel l'honore (i).
Si l'Eglise est un corps qui a pour chef Jésus-
Christ, elle est le cou plus blanc que l'ivoire de ce
corps, cou par lequel le Chef influe sur son corps
mystique et lui communique ce qui est nécessaire
à sa vie et à son soutien : « Ton cou est semblable
« à la tour de David. » (Gant. 4). Enfin ôtez du
monde le soleil, dit un docte personnage (2) et il
n'}' restera plus que la nuit. Otez Marie du ciel,
1. Petrus Blesens. serm. 39.
2. « Aujeratur illiid corpus solare de niundo et non
« erit nisi nox; auferatnr Maria de cœlo, et non erit in
« hominibus nisi cœciias. »
So LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
il n'y aura plus dans les hommes qu'aveuglement
et ténèbres. Sans aucun doute ce motif est très
puissant pour obliger les âmes chrétiennes à lui
être dévotes.
Le troisième motif n'est pas moins puissant. Le
voici : quand bien même nous n'aurions encore
rien reçu d'elle, ou que nous n'en attendrions
aucun bien, elle est en elle-même toute belle et
gracieuse, elle est plus lumineuse que les étoiles ( i ).
I. La Sainte Vierge est admirablement belle dans son
corps; à cette beauté ont contribué la nature, la grâce
et la gloire. Voici ce que pense sur cette question
Suarez : « Disons brièvement que le corps de la Vierge
« fut extrêmement parfa't dans son espèce et dans son
« sexe. C'est ce qu'enseignent tous les Pères qui ont écrit
« sur la bienheureuse Vierge... Un grand nombre con-
« cluent de là que la bienheureuse Vierge, n'a jamais eu
« une vraie maladie, en raison de Vexcellente complexion
« de son corps unie à la parfaite modération de son
« âme,.. En second lieu, on doit en conclure que la bien-
« heureuse Vierge fut douée d'une beauté corporelle très
« honnête... La beauté de Rachel et d'autres pemmes
« semblables de V Ancien Testament a été la figure de la
« beauté de la Vierge... Mais de très graves Théologiens
« ajoutent que la beauté de la Vierge fut telle, que ceux
« qui la contemplaient n étaient excités qu'à la chasteté
« et à la pureté. C'est ce qu'a ensiigné saint Thomas (in
« 3, d. 3, q. I, a. 2, quœstiun. i, ad. 4), qui ajoute avec
« raison, que ce fut là un effet tout particulier de la
« grâce, parce que ni la seule beauté naturelle, ni la vertu
« ni la modestie n'auraient suffi à le produire. » (Suarez.
De myst. vit. Christ, d. 2. s. 2; S. Thomas de Ville-
neuve, De Nativ. B. V. M. conc. 3. part. iv). En second
lieu, la dignité surnaturelle et hors de pair à laquelle
DE LA SAINTK VIKRGK 8l
Sa noblesse est la plus grande du monde et sa
majesté la plus auguste. Elle est douée d'une dou-
ceur ravissante et elle possède à un degré très
émincnt toutes les qualités les plus précieuses et
Dieu l'avait élevée en la choisissant pour sa Mère,
imprimait sur son front une sorte de splendeur divine,
conformément à cette parole qui s'applique mieux à
elle qu'à Judith : « Dicti mcmc lui ajouta encore un
« nouvel éclat. » (x, 14). *i. Je l'aurais vénérée comme un
« Dieu, dit l'auteur qui écrit sous le nom de S. Denys
« VAréopagite, si la /oi divine ne m'avait averti qu'elle
« n'était point Dieu. -}> (Epist. quœdam supposiiitia ad
S. Paulum, apud Carthagen. 1. 2. hom. 5.) En troisième
lieu, la Sainte Vierge a dans le ciel toutes les qualités
glorieuses communes à tous les Saints, mais elle les a
d'une manière d'autant plus excellente que la gloire de
son âme l'emporte sur la gloire de Tâme des Saints. De
plus à cause de sa maternité divine infiniment pure,
son corps est revêtu d'un éclat particulier qui la dis-
tingue comme Mère de Dieu et Reine des Saints. Citons
ce beau passage de Mgr Pie sur la beauté de Marie
considérée au moment où dans la crèche de Bethléem
elle vient de donner le jour au Sauveur du monde :
« Figure:[-vous cette tête pudique de Marie^ oïl le péché
« originel n^ avait rien terni, rien dérangé ; oîi reluisaient
« par un heureux mélange et dans une merveilleuse har-
« monie, les joies et les amours de la mère avec les chastes
« attraits de la Vierge. Quels admirables reflets de
« beauté cette tête modeste de la Vierge ne devait-elle pas
^ envoyer sur la tête auguste du Sauveur, dti Verbe fait
« chair, de celui dont Vhumanité sainte fut le chef-
« d' œuvre du doigt divin, qui épuisa, pour en former les
« sacrés linéaments et les proportions adorables, toutes
« les délicatesses de ses touches, toutes les industries et les
« ressources de son art infini ? Comme ces deux figures
Bail, t. ix. 6
82 . LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
les plus souhaitables qu'on puisse imaginer, et qui
rendent les personnes très dignes d'être honorées
et chéries.
Enfin voici le quatrième motif de dévotion
envers la Sainte Vierge : c'est chose très agréable
à son Fils Jésus-Christ, de se consacrer à son ser-
vice, de la chérir et de la vénérer d'une manière
toute spéciale ; car elle lui est alliée au premier
degré et de plus elle est alliée au Père et au Saint-
Esprit, qui n'ont qu'une même Essence avec le
Fils. S'il a tant pour agréable le service des pau-
vres, comment ne se plairait-il pas de voir sa chère
Mère, qu'il aime plus que tous le reste des créa-
tures, honorée, traitée avec amour et respect par
les Anges du ciel et par les hommes de la terre?
Excitez-vous donc pour tous ces motifs à une
grande ardeur de dévotion envers la Sainte Vierge,
car ce serait manquer d'esprit, de ne pas se don-
ner entièrement au culte d'une telle Reine, ornée
de tant de belles et sublimes qualités. O Reine du
ciel très débonnaire, ô la grande espérance de mon
salut, après votre Fils Jésus-Christ, je reconnais
d'une part ma pauvreté et mon besoin et de l'autre
votre puissance et votre miséricorde. Je désire de
tout mon cœur vous avoir pour tutrice durant tout
le cours de ma vie qui est si laborieuse et traversée
dans ses divers actes par une infinité de difficultés
très grandes et très épineuses. Je vous supplie
« s'embellissent, se perfectionnent Vune par V attire ! Ecce
« TU PULCHER ES, DILECTE MI, ET DECORUS. EcCE TU PUL-
« CHRA ES, AMICA MEA. » (La SaINTE ViERGE d'aPRÈS
Mgr Pie, par le R. P. Mercier, s. j. p. 289; Paris 1881).
DE LA SAINTE VIERGE 83
donc, ô clémente, à compatissante, ô très puissan-
te, usez de votre force et de votre vertu, comman-
dez à mes passions et elles s'apaiseront. Alors
mon cœur deviendra un lieu de paix, où votre
amour reposera tranquillement, et les bêtes féro-
ces qui me persécutent étant devenues douces à
votre commandement, je respirerai dans votre
miséricorde qui m'est plus agréable que la vie, et
au milieu des ténèbres de la nuit votre lumière me
consolera. Je vous supplie donc, par les entrailles
de votre Fils, de ne pas me mépriser, mais de me
recevoir sous votre protection, afin que, avec une
volonté très ferme et très constante, je m'éloigne
de tout péché et je m'adonne à tout exercice de
sainteté. Ainsi sous l'aile de votre défense, je per-
sévérerai jusqu'au dernier soupir dans l'amour et
dans la chaste crainte de mon Dieu.
III
Considérez une méthode de servir la Sainte
Vierge et de pratiquer la dévotion envers elle ; elle
consiste à faire pour elle et à employer à la servir
plusieurs actes intérieurs de l'âme, les paroles de
la bouche et les œuvres extérieures des pieds et
des mains (i). Cette méthode comprend les servi-
ces les plus importants et les actes les plus remar-
quables de la dévotion que nous lui devons. Mais
avant d'en venir au détail, considérons qu'elle
nous a servi et qu'elle a fait servir à notre salut
les actes intérieurs de son âme, les paroles sacrées
I. De Bustis, in Siellario cor. Virg. 1. 12, art. 2.
84 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de sa bouche et ses œuvres extérieures. Par les
actes intérieurs de son âme, elle a cru au mystère
de l'Incarnation et elle l'a désiré avec ardeur ;
par la force de son amour indicible elle a attiré le
Fils de Dieu du sein de son Père dans le sien,
par les actes de son intelligence très éclairée, elle
connaît nos besoins, par ceux de sa mémoire elle
se souvient de nous et par ceux de sa volonté elle
désire notre bien. Elle a employé les paroles de sa
bouche à remercier Dieu des grâces faites aux
hommes, elle a instruit les Apôtres et les Evangé-
listes de plusieurs secrets concernant la vie de son
Fils, Jésus-Christ, et dans le ciel elle ouvre la
bouche et intercède pour nous d'une voix intelli-
gible (i). Elle nous a aussi servis par ses œuvres
extérieures, car tous les voyages, toutes les veilles
et toutes les peines qu'elle a eues dans l'éducation
I. C'est-à-dire que la Sainte Vierge intercède pour
nons formellement, ce qui d'ailleurs est vrai de tous les
autres Saints. Ils ne prient pas seulement d'une manière
que les Théologiens appellent interprétative, c'est-à-dire
par le seul fait des mérites qu'ils ont acquis autrefois,
quand ils vivaient sur la terre, ou par un acte d'amour
parfait et perpétuel envers Dieu et envers tous les fidè-
les en général, comme le prétendent quelques Théolo-
giens, mais par un acte qui est une vraie prière et une
prière ayant pour objet d'obtenir telle ou telle grâce à
telle personne en particulier. Ce qui le prouve c'est
que l'Eglise s'adresse dans ses prières spécialement à
tel ou tel Saint ; chose qui serait parfaitement inutile, si
les Saints intercédaient pour nous d'une manière sim-
plement interprétative et générale, et non pas par un
acte de demande formel.
DE LA SAINTE VIERGE 85
de Jésus-Christ, son Fils, n'ont eu d'autre but
que d'élever pour nous un Rédempteur.
Si la Sainte Vierge a fait servir à notre salut
tous ces actes différents, il est bien raisonnable
que, nous consacrant à elle, nous lui rendions la
réciproque et, en premier lieu, que nous fassions
dans le but de l'honorer plusieurs actes intérieurs
se rapportant à elle. Tels sont les actes intérieurs
d'hyperdulie, par lesquels nous Testimons plus
que tous les Anges et tous les Saints du paradis.
Tels sont les actes de congratulation, par lesquels
nous nous réjouissons intérieurement à la pensée
de sa grande noblesse, de la dignité de ses fonc-
tions et de l'excellence de ses vertus. Telles sont
les actions de grâces par lesquelles nous la remer-
cions comme notre bienfaitrice très gracieuse, très
universelle et souveraine après Dieu. Tels sont les
actes de compassion et de condoléance, par lesquels
nous compatissons à ses douleurs passées. Telles
encore les offrandes intérieures que nous devons
lui faire de nos bonnes œuvres, en lui disant dans
notre cœur : O Reine du ciel à qui je souhaite de
plaire, j'offre à la gloire de votre Fils première-
ment et puis à la vôtre, les pensées, les paroles et
les œuvres de ce jour. Je me propose pour votre
honneur d'éviter tout péché et de m'adonner aux
bonnes œuvres, autant qu'il me sera possible (i).
Après l'avoir servie d'esprit et de cœur intérieure-
ment il est à propos que nous la servions de bou-
che et en paroles, chantant ses louanges, parlant
d'elle avec tout honneur, réfutant ce qui est con-
I. Joan. Carmel. ibid. part. 2, c. 4.
86 , LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
traire à sa véritable gloire et grandeur, récitant
son office dévotement et les oraisons qui s'adres-
sent à elle, comme aussi sa Couronne ou le Rosaire
par lequel elle se sent très honorée et dont la pra-
tique lui est très agréable ; ce qui a fait dire à un
célèbre Docteur (i) qu'on recevrait autant de se-
cours et de vertus, autant de consolations au
moment de la mort, qu'on éviterait autant de
tourments et qu'on acquerrait autant de récom-
penses particulières dans le ciel, qu'on aurait pro-
noncé de fois dévotement la Salutation angéli-
que (2). Enfin on peut la servir par des œuvres et
1. Alanus de Rupe, apudMaubur.
2. La dévotion au saint Rosaire a mérité les plus
grands éloges de la part des Souverains Pontifes.
« Puisqu'il est reconnu que cette sainte formule de prière
« est souverainement agréable à la Sainte Vierge et qu'el-
« le a une grande efficacité soit pour la défense de l'Eglise
« et du peuple chrétien, soit pour obtenir les bienfaits
« divins aux particuliers et aux nations ; il ne faut
« point s'étonner des remarquables éloges par lesquels nos
« prédécesseurs eux aussi l'ont exaltée et embellie. Ainsi
<i: Urbain IV atteste que chaque jour le peuple chrétien
« OBTIENT DES BIENS PAR LE RosAiRE. Sixte IV considère
« cette MANIÈRE DE PRIER COMME HONORABLE POUR DiEU ET
« POUR LA VIERGE ET COMME TRÈS PROPRE A ÉLOIGNER LES
« DANGERS QUI MENACENT LE MONDE ; léon X déclare qu'il
« A ÉTÉ INSTITUÉ CONTRE LES HÉRÉSIARQUES ET CONTRE LA PRO-
« PAGATION DES HÉRÉSIES, et JulcS III quH CSt l'oRNEMENT
« DE l'Eglise romaine. Saint Pie V affirme qiiK mesure
« QUE se répandait CETTE FORME DE PRIÈRE, LES FIDÈLES ONT
<<r SENTI LEUR AME s'ÉCHAUFFER DANS CES MÉDITATIONS, ET
« s'enflammer par CES PRIÈRES, ILS SE SONT SENTI CHANGÉS
« SUBITEMENT EN DES HOMMES NOUVEAUX, LES TÉNÈBRES DE
DEI.ASAINTEVIEPGE gy
par des actions extérieures, comme en visitant ses
églises, en contribuant à leur édification ou à leur
décoration, en s'emplo3'ant aux œuvres de miséri-
« l'erreur se sont dissipi-es, et la lumière de la foi catho-
« LIQ.UE A LUI. Enfin Grégoire XIII déclare que le Rosaire
« a été institué par saint D0MINIQ.UE pour apaiser la colère
« de Dieu et pour implorer le secours de la Bienheu-
« REUSE VIERGE. » (Encycliquc Supremi Apostolatus de
Léon XIII, i*"" sept. 1883). Mais aucun pape n'a imprimé
à cette dévotion un aussi vigoureux essor que Léon XIII
lui-même ; ses Encycliques qui pendant vingt ans ve-
naient régulièrement à l'approche du mois d'octobre,
recommander au peuple chrétien cette forme de prière,
lui ont justement mérité le titre de pape du Rosaire.
« // nous semble entendre la voix même de la Reine du
« ciel, disait cet illustre Pontife, nous encourageant au
« milieu de nos traverses, nous aidant de ses conseils dans
« les mesures à prendre pour le bien commun des fidèles ;
« 710US avertissant d'exciter le peuple chrétien à la piété et
« à la pratique de toutes les vertus. Plusieurs fois dans
» le passé il nous a été doux et nous nous sommes fait
« un devoir de répondre par nos actes à ces désirs de Ma-
« rie. Parmi les heureux fruits, que sous ses auspices,
« nos exhortations ont produit, il convient de signaler les
« grands développements de la dévotion du Saint Rosaire,
« les nouvelles confréries érigées sous ce nom et la recons-
« titution des anciennes, les doctes écrits publiés à cette
« fin, au grand profit des fidèles, et jusqu'à certaines
« œuvres d'art d'un mérite et d'une richesse remarquables,
« inspirées par cette même pensée '^. (Lettre encyclique
Lœtitiœ saxctœ, Du Rosaire de Marie, 1893). Léon XIII
fait ressortir l'excellence de cette prière : « L'homme,
« dit-il, est sufet durant la prière, à voir sa pensée se
« distraire de Dieu de bien des façons par suite de sa fra-
« gilité, et à perdre de vue sa sainte intention première.
LA THEOLOGIE AFFECTIVE
corde en son honneur, ou en entreprenant quel-
que travail qui tourne à sa gloire.
Notez ces trois méthodes pour servir la Vierge,
« Or le Rosaire pour qui le considère comme il doit être,
« a en soi une vertu particulière soit pour exciter et
« nourrir le recueillement, soit pour pousser la conscience
« à se préoccuper de la question du salut et pour élever
« l'esprit. Il se compose^ en effet, de deux parties distinc-
« tes entre elles, mais inséparables, — à savoir de' la
« méditation des mystères et de la récitation des prières
« vocales. C'est par conséquent, un genre de prière qui
« reqtiiert non seulement une élévation quelconque de
« rame vers Dieu, mais une attention toute particulière ;
« de sorte qu!en réfléchissant sur les choses que l'on con-
« sidère, on y trouve des motifs et des impulsions pour
« réformer et sanctifier sa vie. Ce sont, en effet, les choses
« les plus substantielles ^ les plus admirables dii christia-
« nisme, par lesquelles le monde fut renouvelé avec d^heu-
« reux pruits de vérité, de justice et de paix. Et il y a lieîi
« de remarquer comment ces mêmes choses nous sont
« proposées d'une manière bien adaptée aux esprits de
« toutes sortes de personnes même des plus simples. Car
« elles ne se présentent pas comme des vérités ou des doc-
« trines dti genre spéculatif, mais comme des faits à voir
« et, pour ainsi dire, à regarder comme présents • et ainsi
« présentés avec leurs circonstances de lieu, de temps, de
« personnes, les mystères produisent un effet d'autant plus
« vif, d'autant plus utile. Et cela sans le moindre effort
« d'imagination, vu qu'il s'agit de choses apprises et gra-
« vées dans le cœur dès l'enfance. De sorte qu'à peine un
« mystère at-il été annoncé qiC aussitôt V âme pieuse , avec
« une grande facilité de pensée et d'affection, s'y engage,
« et y recueille, grâce à la bonté de Marie, un aliment
« céleste et abondant ». (Lettre encyclique sur le Rosaire
DE Marie, 1894). Léon XIII nous montre enfin dans le
DE LA SAINTE VIERGE 89
^t pratiquez-les tous les jours, ou tous les mois,
ou bien à toutes les fêtes. Et néanmoins comme
nous avons besoin de la faveur du Fils, pour être
Rosaire le remède providentiel aux maux de notre
société contemporaine. « Dans la société civile telle que
« nous lavoj'ons constituée aujourd'hui, il est des causes
« novibreîises et multiples qui affaiblissent les liens de
« Tordre public^ et détournent les peuples de la voie de
« riiotînéteié et des bonnes mœurs. Ces causes nous parais-
« sent surtout être les trois suivantes^ à savoir : l'aver-
« SION POUR LA vie HUMBLE ET LABORIEUSE ; l'hORREUR DE
«: TOUT CE QUI FAIT SOUFFRIR ; l'oUBLI DES BIENS FUTURS,
« OBJET DE NOTRE ESPÉRANCE ». S'agit-il des maux qui
résultent de l'aversion que ressentent nos contempo-
rains pour la vie humble et laborieuse : « Le remède à
« ces maux, qu'on le demande au Rosaire de Marie, à
« cette récitation coordonnée de certaines formules de
« prières accompagnée de la pieuse méditation des mysiè-
K res du Sauveur et de sa Mère. Que dans un langage
« convenable et adapté à V intelligence des simples fidèles,
« on leur explique les Mystères joyeux en les leur mettant
« devant les yeux, comme autant d'images et de tableaux
« de la pratique des vertus Nous voici en présence de
« la maison de Nazareth, le domicile de la sainteté divine
« et terrestre. Quelle perfection de vie commune ! Quel
« modèle achevé de la société domestique ! Il y règne la
« candeur et la simplicité ; une perpéttielle concorde ; un
« ordre toujours parfait ; un respect mutuel, et un amour
« réciproque, un amour non point faux et mensongety
« mais réel et actif .^ qui par l'assiduité de ses bons offices
« ravit même les yeux des simples spectateurs. Un ^èle
« prévoyant y pourvoit à tous les besoins de la vie ; mais
« cela, IN SUDORE vuLTUS, à la sueur du front, à la façon
« de ceux qui, sachant se contenter de peu, s'efforcent
« moins de multiplier leur avoir que de diminuer leur
go LA THEOLOGIE AFFECTIVE
admis au service de sa sainte Mère, prions Tun et
l'autre. O Jésus, Fils de Dieu, et vous, ô Marie,
sa sainte Mère, vous le voulez et il est raisonnable
« pauvreté. Par dessus tout, ce qu''on admire dans ce
« foyer domestique, c'est la paix de l'âme et la joie de
« r esprit, double trésor de la conscience de tout homme
« de bien. Or ces grands exemples de modestie et d'Jiiimi-
« lité, de patience dans le travail, de bienveillance envers
« le prochain, d'un parfait accomplissement de menus
« devoirs de la vie privée et de toutes les vertus ne sau-
« raient être médités ni se fixer ainsi peu à peu dans la
« mémoire, sans qu' insensiblement il n'en résulte une
« salutaire transformation dans les pensées et dans les
« habitudes de la vie ». — Le second mal « extrême-
« ment funeste » qui ronge notre société, c'est l'horreur
de la souflFrance. « Ici encore, il est permis d'espérer que,
« par la vertu de l'exemple, la dévotion du saint Rosaire
« donnera aux âmes plus de force et d'énergie ; et pour-
« quoi en adviendrait-il autrement, quand le chrétien, dès
« sa plus tendre enfance et constamment depuis, s'est ap-
« pliqué, dans le silence et le recueillement, à la suave
« contemplation des Mystères appelés douloureux ? Dans
« ces mystères nous apprenons que Jésus-Christ, l'auteur
« ET LE consommateur DE NOTRE FOI, A COMMENCÉ simulta-
« nément par faire et par enseigner ; afin que nous trou-
ai, viens en lui, réduit en pratique^ ce qu'il devait nous
« enseigner touchant la patience et la générosité dans les
« douleurs et les souffrances, au point de vouloir endurer
« lui-même tout ce qu'il petit y avoir de plus crucifiant et
« de plus pénible à supporter. Nous le voyons accablé sous
« le poids d'une tristesse qui, comprimant les vaisseaux du
« cœur en fait sortir une sueur de sang. Nous le contefn-
« pions lié à la façon des malfaiteurs, subissant le juge-
« ment des scélérats, injurié, calomrtié, accusé de faux
« crimes, frappé de verges, couronné d'épines^ attaché 4 h
DE LA SAINTE VIERGE f)!
que nous aimions ce que vous aimez. Donc, ô très
bon et très noble Fils, par rameur même que vous
avez pour votre sainte Mère, je vous supplie de
« croix, Jugé indigne de vivre ei méritanl que la foule
« réclamai sa mort. A tout cela nous ajoutons la médita-
« tion des douleurs de sa Très Sainte Mère, dont un
« glaive tranchant na pas seulement effleuré le cœur,
« mais Va transpercé de part en part, afin qtC elle devint
« et méritât d'être appelée la Mère des douleurs. Qiiicon-
« que contemplera préqucmmcnt non pas seulement des
« yeux du corps, mais par la pensée et la méditation.,
« d'aussi grands exemples de force et de vertu, comment
« ne brûlerait-il pas du désir de les imiter ? Que la terre
« se montre à lui couverte de ses malédictions et ne pro-
« duisant que des ronces et des épines ; que son âme soit
« oppressée de peines et d'angoisses, son corps miné par
« les maladies ; il ny aura pas de souffrance lui venant
« soit de la méchanceté des hommes, soit de la colère des
« démons, pas d'adversité, soit privée, soit publique, dont
« sa patience ne finira par triompher. » — Au troisième
danger qui menace les âmes de nos jours et qui n'est
autre que l'oubli des biens futurs, « ne sera certainement
« jamais exposé le chrétien qui^ le pieux Rosaire à la
« main, en méditera souvent les Mystères glorieux.
« De ces mystères, en effet, jaillit une lumière qui nous
« découvre ces célestes trésors et beautés, que notre œil
« corporel ne saurait atteindre, mais que nous savons par
« la foi être préparés à ceux qui aiment Dieu. Nous y
<< apprenons que la mort n^cst pas une ruine qui ne laisse
« rien derrière elle, mais le passage d'une vie à une autre,
« et que le chemin du ciel est ouvert à tous. Quand nous
« y voyons monter le Christ Jésus, nous nous rappelons
« sa promesse de nous y préparer une place : Vado parare
« voBis LOCUM. Le saint Rosaire nous fait souvenir quil
« y aura un temps où Dieu séchera toute larme de nos
92 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
me faire la grâce de l'aimer cordialement, vous
qui Taimez véritablement et qui entendez qu'elle
soit aimée. Et vous, ô bonne et pitoyable Mère, je
vous prie, au nom de l'amour même par lequel
vous aimez votre Fils, de m'obtenir la grâce de
l'aimer sincèrement comme vous l'aimez. Ce que
je demande est en votre pouvoir; pourquoi donc
mes péchés mJempêcheraient-ils d'obtenir ce qui
est en votre pouvoir ? Quoi donc ! ô très miséricor-
dieux ami des hommes, vous avez pu aimer jus-
qu'à la mort vos pécheurs criminels, et vous
pourriez refuser à votre créature qui vous en
supplie votre amour et l'amour de votre Mère ?
Que mon âme donc vous honore et vous estime
comme vous le méritez, que mon cœur vous
chérisse comme il convient, que ma langue vous
« YEUX, ou IL n'y aura PLUS DE DEUIL NI DE GÉMISSEMENT •
« ni aucune douleur, ou nous serons toujours avec le
« Seigneur, semblables a Dieu, parce que nous le verrons
« comme il est ; enivrés du torrent de ses délices, conci-
« toyens des Saints, en conséquence de la bienheureuse
« Vierge notre Mère et notre grande Reine. Comment
« une âme qui se nourrit de semblables pensées^ ne se
« sentirait-elle pas brûler d' une sainte flamme et ne s'écrie-
« rait-elle pas avec un grand saint : Que la terre me
« parait vile quand je regarde le ciel : « QUAM sordet
« TELLus dum cœlum aspicio ? » Comment ne se console-
« rait-elle pas, en songeant qu'une légère tribulation
« momentanée produit en nous un poids éternel de gloire :
« momentaneum et leve tribulationis nostrœ œternum
« gloriœ PONDUS OPERATUR IN NOBis ? » (Lettre encyclique
de Léon XIII, Du Rosaire de Marie, Lcetiti^ï sanct^b,
1893).
DE LA SAINTE VIERGE g,'>
loue comme vous en êtes digne, que tout mon
corps vous serve comme vous avez le droit d'être
servi, et que toute ma vie se consume en chantant:
Béni soit éternellement le Seigneur ! Ainsi soit-
il (0.
Xr MÉDITATION
DE LA DÉVOTION
A LA SAINTE VIERGE (suite)
SOMMAIRE
La chair de Jésus -Christ dans l'Eucharistie
renferme une partie de la chair de la Sainte
Vierge. — Il faut remercier la Sainte Vierge,
après la communion pour deux raisons. —
// faut imiter la dévotion qu'avait la Sainte
Vierge en communiant.
I
C
oNSiDÉREz un moyen plus particulier d'ho-
norer la Sainte Vierge dans le sacrement
de TEucharistie ; il consiste à y croire et à y
révérer une partie de la substance de sa chair qui
y est réellement contenue dans la substance du
I. D. Anselmus, loc. cit.
•94 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
corps de Jésus-Christ, son Fils. Saint Augustin (i)
a donné lieu à cette dévotion, en écrivant que le
Verbe divin a pris sa chair de la chair de Marie et
qu'il nous a donné à manger la chair de Marie
pour notre salut. En réalité Jésus-Christ ne perdit
jamais entièrement la portion de substance de son
corps [qu'il prit d'elle en naissant. On pourrait
penser qu'elle fut dissipée et détruite par l'activité
de la chaleur naturelle, mais ce n'est guère admis-
sible, car tout le temps de sa vie a été un temps
d'accroissement, or pendant ce temps l'humide
radical diminue fort peu. Dans le cas même où
cette portion aurait été dissipée par la chaleur
naturelle, Jésus-Christ aurait pu la reprendre en
ressuscitant, suivant l'opinion de plusieurs célè-
bres Théologiens (2), qui enseignent que les corps
1. D. Augustinus, m Psalm. 98 : « Et de carne Mariée
« carnem accepit et illam carnem nohis manducandam ad
« saliitem dédit. » L'auteur ajoute en note : « lege sic :
« Et ipsam carnem manducandam dédit », et il entend par
là : ipsam carnem Mariée. Or saint Augustin ne dit rien
de semblable dans le passage allégué. Son but est
d'expliquer ces paroles de David : « Adorate scahellum
« pedum ejus. » Voici l'explication textuelle du grand
Docteur : « En effets le Seigneur a reçu de la terre la
« terre de sa chair ^ car sa chair est de terre, et il a reçu
« sa chair de la chair de Marie. Et^ comme il a vécu ici-
« bas dans sa chair, il nous a donné cette chair à manger
« pour notre salut ; et nul ne la mange, s'il ne Va d' abord
« adorée. Voilà donc trouvé comment nous adorons cette
« terre qui est le marchepied du Seigneur ... 7> {Œmvk^s
COMP. de saint Augustin, éd. Vives, tom. 14, p. 144).
2, Suarez, tom. 2, in 3 p. disp. 1. rect. 2.
DE LA SAINT K VIHRGE (p
reprennent en ressuscitant la même substance
dont ils avaient été primitivement formés. Si bien
que quelques-uns pensent que comme Eve fut la
cause de la perte du genre humain à cause de la
nourriture qu'elle ollrit à Adam, ainsi la Vierge a
été la cause de la vie par la nourriture eucharisti-
que qui provient d'elle, car « la chair de Jésus-
« Christ est la chair de Marie » (i). De là vient
I. Cette autre sentence est encore attribuée bien à
tort à saint Augustin par ceux qui partagent l'opinion
de Bail. Elle se lit au chapitre 5® du livre de l'Assomp-
tion DE LA Vierge, livre qu'on trouve à l'appendice des
Œuvres du saint Docteur. Or ce livre n'appartient pas
au saint Docteur. De plus cette sentence n'a pas le
moins du monde dans ce livre le sens que Bail lui
donne ; qu'on veuille bien en juger : « La chair de
« Jésus est la chair de Marie plus véritablement que
« celle de Joseph n'était celle de Juda et de ses autres
« frères, dont ce dernier disait : « Il est notre frère et
« NOTRE CHAIR.» (Gen. XXXVII, 27). Car la chair de
« Jésus-Christ, quoiqu'elle ait été ennoblie par la gloire
« de la résurrection... reste cependant la même chair ;
« c'est la même nature qu'il a reçue de Marie. » (Œuvres
coMP. de saint Augustin, éd. Vives, tom. 23, p. 14'j).
Ces dernières paroles indiquent clairement le sens de
ce passage, qui est loin d'être celui que Bail veut y voir.
D'autre part à moins d'un miracle, il est impossible
qu'une parcelle du corps de Marie se soit conservée et
soit demeurée comme enchâssée dans le corps de Jésus-
Christ. Au moment delà conception du Sauveur, par le
fait de l'union substantielle de l'âme qui lui était des-
tinée avec la matière puisée dans le sein de la B. Vierge,
un changement substantiel s'est produit dans cette
même matière, et à dater de ce moment il y a eu deux
^9^ LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
encore que ceux qui la reçoivent contractent une
affinité ou même une consanguinité avec elle?
affinité ou consanguinité plus grande que celle que
produirait le mariage.
Je considérerai donc le Saint-Sacrement comme
un précieux reliquaire, dans lequel se trouve une
portion de la substance corporelle de la Mère de
Dieu et une portion qui est là plus noblement
qu'en Marie elle-même, puisqu'elle est hypostati-
quement unie au Verbe divin. O mystère d'amour,
auquel la Sainte Vierge prend une si grande part !
natures et deux personnes absolument distinctes. Un des
auteurs qui ont écrit de nos jours avec le plus de théo-
logie et de piété sur la Sainte Vierge, porte sur cette
opinion le jugement suivant : « Je nai pas besoin de
« dire combien pareille opinion répugne à la science, et
« comment y par ailleurs, elle n^ a aucune autorité sérieuse ,
« Rêverie pieuse^ peut-être^ mais indigne d^être prise en
« considération. C'est le cas de redire l'adage bien connu :
« Marie n'a besoin^ pour être exaltée, ni de nos mensonges^
« ni de nos inventions humaines ^ tant elle est grande par
« elle-même. » (La Mère de Dieu et la Mère des hommes
parle P. Terrien, 2 p. t. 2. p, 47. — A noter encore
cette parole de saint Ignace, extraite du journal où il
recueillait ses saintes impressions : *(. Ala consécration
« surtout y elle (la Sainte Vierge) me montra que sa chair
« était dans la chair de son Fils, et l'intelligence de ces
« choses était si vive que je ne pourrais l'écrire'. »(Cons-
TITUT. S. J. LATIN^ET HISPANIC-« CUM DECLARAT.pp. •551,352.
Append. xviii, Matriti, 1892). Le Saint veut simplement
dire que la chair de Jésus-Christ est venue originaire-
ment de Marie comme de son principe ; or c'est là pour
nous une raison suffisante de témoigner à Marie notre
plus vive reconnaissance. .
DE UA SAINTE VIEBGE 97
C'est pourquoi elle y invite elle-môme les chré-
tiens par ces paroles sacrées ; a Venc\, mange\
a mon pain et buve\ Je vin que je vous ai pré-
« paré. » (Prov. y). Ainsi, quoique vous vous soye2s
élevée en corps et en àme dans le ciel, la terre
n'est cependant pas privée de votre pure subs-
tance ; cette substance se trouve renfermée dans
TEucharistie et contenue sous la blancheur des
espèces, qui est la couleur de la virginité. O pré-
cieux gage d'amour ! O sainte alliance du commu-
niant avec la Mère de Dieu ! Qui ne se portera
avidement vers cette table délicieuse, où il doit
être ennobli au point d'y être allié avec la Mère de
Dieu et la Reine des Anges ?
II
Considérez aussi qu'il faut remercier la Sainte
Vierge pour le bienfait du Saint-Sacrement, car
puisqu'on y reçoit une portion de sa substance, ij
est raisonnable de lui en rendre dea aetions de
grâces (i). Le cardinal Damien (2) écrivait sur ce
sujet : Pesez bien, mes très chers frères, combien
vous êtes obligés à l'égard de la bienheureuse Mère
de Dieu et combien nous devons la remercier après
avoir remercié, comme il convient, Jésus-Christ.
Car nous prenons sur l'autel sacré ce corps que la
bienheureuse Vierge a engendré, qu'elle g réchauffé
dans son sein, qu'elle a enveloppé de langes,
qu'elle a nourri avec une affection natureile. Il n'y
4 pas de Ipuange assez grande pour celle qui noua
|. Hautiqus, ^e sacr. amor. 1. 5, n. 929,
a, Serm. de Virg. Maria.
Bah., T. IX. 7
^8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
fait de sa chair immaculée la nourriture de nos
âmes, à savoir celui qui a dit de lui-même : « Je
« suis le pain vivant qui est descendu du ciel. »
(Jean, 6). Si bien qu'il y a deux raisons de témoi-
gner sa reconnaissance à la Sainte-Vierge après la
communion. La première est qu'on y reçoit une
portion de sa substance incorporée à la chair de
Jésus-Christ ; l'autre est que l'on y reçoit le fruit
béni de ses entrailles sacrées et celui que ses ma-
melles ont allaité. C'est ainsi que l'on y reçoit le
lait de ses mamelles, en tant que l'on y reçoit une
substance en laquelle son lait a été converti.
O Mère très aimable, que pourrait-on imaginer
qui put nous obliger davantage à vous aimer ?
Comme vos tendres enfants nous sommes nourris
et sustentés par le lait de vos mamelles sacrées et
par la substance de votre chair immaculée. Qui
me donnera donc d'être aimable à vos yeux et
d'avoir pour vous un attachement qu'entretiennent
des désirs perpétuels ? Oh ! quel grand bien ce
serait pour moi d'être tout à vous à cette seule
pensée ? Si votre dévot saint Bernard eut tous les
jours de sa vie de si tendres et de si affectueux
sentiments à votre égard pour quelques gouttes de
lait, que vous fîtes couler sur lui dans une appari*
tion, quelle grande affection ne devons-nous pas
ressentir envers vous et pour vous, nous qui som-
mes nourris de votre lait dans ce sacrement ? O
divine Marie, divine Mère et nourrice, nous vous
aimerons toujours à la pensée de ce sacrement, où
nous sommes nourris du sang des plaies de Jésus,
et allaités du lait de vos mamelles. Oh ! quelle
abondance de douceur !
DE LA SAINTF. VIERGE 99
III
Considérez que Ton peut encore honorer la
Sainte Vierge en communiant à son exemple et
en s'excitant à des aflections semblables aux sien-
nes. Il est certain que la Sainte Vierge a souvent
communié, car elle était du nombre de ces pre-
miers chrétiens qui « persévéraient dans la corn-
ai 7nunion de la fraction du pain. » (Act. 2).
Albert le Grand (i), son théologien, le prouve en
s'appuyant sur cette parole de Notre-Seigneur :
« Si vous ne mange^ la chair du Fils de Vhomîîie^
« vous n''aure:{ pas la vie en vous. (Jean, G). Donc
tous les fidèles de TEglise sont obligés de com-
munier à certaines époques déterminées ; donc la
Sainte Vierge aussi a communié. Déplus TEucha-
ristie est le sacrement de l'amour ; donc il lui
appartenait spécialement de le recevoir, parce
qu'elle a été la Reine de l'amour. Et comme on
pourrait douter de l'effet que pouvait produire en
elle ce sacrement, Albert le Grand dit qu'elle en
recevait trois effets : le souvenir de la Passion de
Notre-Seigneur, l'exercice de la dévotion actuelle
et la consolation de l'absence corporelle de Jésus-
Christ (2). Si bien que quelques-uns croient que
ce fut un motif qui obligea Jésus-Christ à instituer
ce sacrement, il voulut que la Sainte Vierge ne fut
1. Albertus, super inissus est, quœst. 38.
2. A ces trois effets il taut évidemment ajouter l'effet
que produit ce sacrement chez tous ceux qui le reçoi-
vent en état de grâce^ à savoir l'augmentation de cette
même grâce, ex opère operato.
ioO LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pas privée de la douceur de sa présence, après sa
retraite dans le ciel. Aussi communiait-elle tous
les jours et trouvait-elle sa plus grande joie dans
ce saint exercice, qui alimentait la flamme de son
amour. Mais qui dira avec quelles dispositions
intérieures et extérieures elle le faisait? Quelle fer-
veur, quelle tendresse, quel accroissement de
grâces elle y recevait ? C'est une chose qui sur-
passe toutes les pensées et les paroles des hommes.
La suavité qu'elle y ressentait est indicible, la
communion était son paradis commencé.
J'aurai donc recours à votre intercession, ô très
bonne Marie, car rien de ce que vous demanderez
ne vous sera refusé (i). Je vous demande d'avoir
I. On peut juger de l'efficacité qu'ont les prières de
la Sainte Vierge, d'après ce principe que pose saint
Thomas : « Plus la charité des saints qui sont dans la
« patrie est parfaite^ plus ils prient pour les hommes
« voyageurs quç leurs prières peuvent aider ; et plus leur
« union avec Dieu est intime, plus letirs prières sont effi-
« caces. » (il. II. q. i,xxxiii, a. ii). A ce compte com-
bien grande doit être l'efficacité des prières de cette
Vierge, dont la charité dépasse celle de tous les Saints
et dont l'union avec Dieu par la maternité divine laisse
bien loin derrière elle l'union avec Dieu par la grâce,
la seule à laquelle aient pu parvenir les autres Saints ?
Les Docteurs de l'Eglise l'ont appelée omnipoteniia
sîipplex ; expre?.sion qui doit s'entendre non pas dans
ce sens que Marie peut produire tous les êtres qui sont
possibles ou qu'elle peut accomplir des miracles par sa
propre vertu, m^is dgns çq sens qu'il n'y a rieu parnii
tout ce que Dieu accomplit dans l'ordre actuel de sa
Providence, que Marie ne puisse obtenir par ses prières.
DE LA SAINTE VIERGE 101
rr- • — — ^ — ^-^—
paît à votre esprit, je vous demande une étincelle
de cette ardente charité avec laquelle vous receviez.
ce grand mystère d'amour. Hélas ! datls quel état
est mon âme, après s'être si souvent approchée de
cette table sacrée. Il semble que je sois rejeté par
une étrange élimination, comme si j'étais réduit à
demeurer dans l'ombre de la mort, tant ma lan*
gueur est grande dans la communion. Je crois bien
certainement que c'est en punitisnde mes péchés,
— car quel est l'homme sur la terre, n'eùt-il qu'un
jour, qui est exempt de tout péché ? — mais les
miens sont plus graves. Que ferai^je donc, si ce
n'est d'aimer davantage celui qui m'a fait de plus
grands dons et de plus grandes miséricordes. C'est
à cela que j'aspire de toutes mes forces. Obtenez
donc qu'il envoie du ciel dans ma poitrine un feu
qui m'embrase tout et qui consume toute mon
impureté* Que je ressuscite ainsi à une nouvelle
ferveur et que mon âme soit vraiment vivante ; que
la participation à sa suavité me fasse oublier le
monde, et que tous les plaisirs de ce monde me
soient en horreur, autant que les tourments de
l'enfer. O Vierge, qui, par votre beauté, ravissez
tous les cœurs et qui dissipez comme un brouillard
toutes leurs obscurités, apaisez une fois de plus
« Le Seigneur qui est ioui-puîssant, dit saint Bonaven-
« ture, est avec vous^ conformément à cette parole : Celui
« Q.UI EST PUISSANT A FAIT EN MOI DE GRANDES CHOSES. VoUà
« pourquoi vous aussi vous êtes toute-puissante avec lui,
toute-puissante pour lui, toute-puissante auprès de lui ;
« de telle sorte que vous pouve:{ dire en toute vérité : Je
« SUIS PUISSANTE DANS JÉRUSALEM » (In SPEC. C. 8).
{02 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
par l'oblation de votre cœur sacré le cœur de votre
Fils en ma faveur, rendez-le moi favorable, afin
que la tempête de mes passions étant toute apai-
sée, je m'unisse à lui d'une âme tranquille, dans la
réception de ce parfait sacrement. Dans ce but je
me tiendrai davantage à l'écart de la conversation
du monde, j'aimerai les lieux de retraite et une
plus grande solitude où s'épancheront plus libre-
ment mes affections envers vous. Là je considère-
rai vos innombrables excellences et c'est à cause
d'elles, ô Reine incomparable toute resplendis-
sante de pierres précieuses et couronnée de beauté,
que je désire vous aimer plus que toutes les choses
admirables de ce monde, et à tel point que mon
âme défaille, tant seront véhéments ses désirs. O
volupté céleste qui couronnez la chasteté et excitez
l'amour de la pure charité, quoique plus d'une
fois vous invoquant avec une grande force j'aie
frappé l'air en vain et que mes soupirs n'aient eu
aucun effet, néanmoins je ne cesserai d'espérer en
votre douceur, qui est plus grande en vous qu'en
tous ceux qui habitent la terre. Tout mon bonheur
est d'adhérer à votre Fils par une faveur singulière
de votre part, ô Vierge qui êtes la ferme espérance
de ceux qui vous recherchent et vous invoquent.
Ainsi tant que je serai dans cet exil et que je respi-
rerai, je veux élever sans fin mes désirs vers vous.
TROISIÈME TRAITÉ
Des Sacrements
r MÉDITATION
DÉFINITION ET NOMBRE
DES SACREMENTS
SOMMAIRE
Un sacrement est ime pluralité de signes sensi-
bles institués par Dieu pour signifier et pro-
duire la grâce dans la personne qui le reçoit
avec les dispositions requises. — Raisons pour
lesquels Dieu a voulu instituer les sacrements
et nous conférer la grâce au jnoyen de signes
sensibles. — Il y a sept sacrements.
I
CONSIDÉREZ qu'il faut entendre ici par le mot
sacrement un certain nombre de signes
sensibles institués par Dieu dans le but de signi-
fier la grâce et de la produire dans la personne qui
Ib4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
les reçoit ou qui en use avec les dispositions
requises (i).
Premièrement nous entendons par tin sacre-
ment un certain nombre ou une multitude de
signes sensibles, parce que chaque sacrement
consiste en pluSieufs choses requises ou nécessai-
res, telles que la prononciation de quelques paro-
les, l'application de certaine chose corporelle et
extérieure, ou bien certains actes de la personne
qui le reçoit. En réalité chaque sacrement renferme
en soi une multitude de cérémonies saintes et
religieuses, qui signifient et représentent la grâce
que le sacrement confère. De là vient qu'il est
composé de matière et de forme ; parce que parmi
ces cérémonies les unes signifient la grâce moins
expressément et pour ce motif s'appellent la ma-
tière du sacrement, — car c'est le propre de la ma-
tière d'être indéterminée pâf elle-même, comme le
disent les philosophes, — les autres signifient cette
même gï-âce plus clairement et évidemment, et
pôilf ce môtîf S^àppéîlênt la forme, parce que c^ést
le pt-opfè de la forme de déterminer la matière et
parce que les paroles ont une forcée plus grande
que quoi que ce sôit, pour signifier et déterminer.
Ainsi les paroles qu'on prononce dans les sacre-
ments en sont là forme, comme la chose sensible
et extérieure en est la matière.
Secondement : il faut entendre par le mot sacre-
i . Ëhs inàràîe aggregàîum ex pîuHbûs sighis sensibili-
bui a Dëô insiîiuHs, ad sigHi/îtândum et cônferèndâm
gtàiiam in snscipieniibus rite dispositis. (Note de l'aU'
leur.)
DES SACREMENTS Io5
ment une multitude de cérémonies et de signes
sensibles tels qu'ils aient été institués par Dieu
pour signifier et conférer la grâce. En effet Jésus-
Ghrist seul, comme souverain Prêtre, comme
premier chef et Fondateur de TEglise, est Fauteur
des sacrements^ il n'appartient pas aux Anges de les
instituer, les Apôtres n'ont fait que les publier et
les annoncerj après que le Fils de Dieu les eût insti-
tués. C'est pourquoi le Concile (i) dit : anathème à
eelui qui dira que les sacrements de la Nouvelle
Loi n'ont pas tous été institués par Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ. En voici la raison : pour insti-
tuer un sacrement qui ait la Vertu de sanctifier, il
faut être l'auteur de la grâce sanctifiante et pou--
voir disposer de cette grâce à son gré ; ce qui
n'appartient qu'à Jésus-Christ, Homme et Dieu
tout ensemble, et souverain Rédempteur du monde.
Il faut encore que les cérémonies qu'il voudra ins-
tituer comme sacrement, soient choisies par lui
expressément pour conférer d'une manière directe
et immédiate la grâce ; c'est par défaut de cette
Condition que la profession de l'état religieux n'est
pas un sacrement, Car elle n'est pas dirigée direc-
tement et immédiatement vers cette fin. Or les
Sacrements signifient et Confèrent tout à la fois la
grâce, car ils sont un remède suffisant pour
l'homme qui par suite de 8ôn péché était tombé
dans l'ignorance et dans la concupiscence. C'est
pourquoi dans les sacrements il y a quelque chose
de mystique, de mystérieux et de significatif, qui
instruit l'homme dans son ignorance, et y a aussi
I, Sess. 7, can» i.
196 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
une vertu qui produit la grâce pour guérir la
concupiscence (i).
En troisième lieu, parce que Dieu ne donne pas
ses grâces plus précieuses et sanctifiantes indiffé-
remment aux dignes et aux indignes, nous enten-
dons parle mot sacrement une multitude de signes
sensibles et de saintes cérémonies instituées par
Dieu, dans le but de signifier et de produire la
grâce dans la personne qui les reçoit ou en use
avec les dispositions requises. Ces dispositions
sont différentes selon la diversité des sacrements
qui requièrent des préparations différentes dans
leur sujet, pour y verser leur précieuse liqueur.
C'est pourquoi le sacrement est toujours par lui-
même producteur de la grâce divine, comme il en
est aussi le signe, et quand il ne la confère pas, ce
défaut provient presque toujours de l'indisposi-
tion de celui qui le reçoit.
Déduisez de tout ceci des affections convenables
et reconnaissez premièrement ce trait de la bonté
divine, qui consiste à avoir institué les sacrements
comme des témoignages sensibles de son amour et
de sa grâce, et à les avoir composés de matière et
de forme, afin d'y témoigner doublement sa bien-
veillance, car la parole s'unit à l'élément et forme
ainsi le sacrement (2). L'élément n'était pas un
témoignage assez grand ; c'est pourquoi Jésus-
Christ y ajoute la parole, afin que le témoignage
fut plus exprès et plus clair. Il veut aussi que ces
1. D. Bona. in 4, dist, i, part, i, art. i, q. 2.
2. D. Augustinus, tract. 20 in Joan. : « Accedit ver-
« hum ad elementum et fit sacramentum. »
DES SACREMENTS I07
deux témoignages soient vrais et pour cela qu'ils
soient efficaces et productifs de la grâce, dont ils
sont le signe, afin de nous apprendre à lui rendre
à notre tour plusieurs témoignages de notre amour,
mais des témoignages qui ne soient pas vains ou
vides, comme sont ceux des hypocrites et des
courtisans, des témoignages qui soient suivis de
leurs effets. Témoignons-lui donc que nous l'ai-
mons, mais avec sincérité et vérité, accomplissons
nos promesses à son égard, exécutons nos résolu-
tions. Prenons garde surtout de révérer les sacre-
ments et de ne pas les violer en les traitant et en
les recevant indignement, car alors, par notre mdis-
position, nous les empêcherions d'opérer ce qu'ils
signifient, comme s'ils étaient des signes feints et
faux, péché qui est un sacrilège. Enfin tirons
encore de ces pensées un sujet de confiance et de
consolation, puisque Dieu nous donne de sembla-
bles témoignages de son amour. Oh ! quelle tran-
quille confiance eut Madeleine, quand elle entendit
ces paroles : « Vos péchés vous sent remis ! »
(Luc, 7). Quelle paix et quel calme de conscience
doit avoir le pécheur quand il entend ces mots :
<i. Je vous absous de vos péchés ! y> O Jésus ! béni
soit à jamais votre dessein dans l'institution des
sacrements. « Vos témoignages sont devenus très
« croyables. » (Ps. ii8).
II
Considérez pourquoi Dieu a voulu instituer les
sacrements et nous conférer sa grâce par des signes
appaçents et sensibles. Pour trois raisons, dit le
iq8 la théologie affective
Maître des Sentences (i) : pour nous humilier,
pour nous enseigner et pour nous exercer.
Premièrement, pour nous humilier, parce que
l'homme se soumettant dans Tusage des sacre-
ments à des créatures sensibles et inférieures à
lui, et cela sur Tordre de son Créateur, est plus
agréable à Dieu et a un plus grand mérite à ses
yeux, puisqu'il cherche pour i'âmour de lui son
salut dans les choses inférieures, non pour le tenir
d'elles, mais de lui par elles. Secondement, pour
nous enseigner, parce que nous arrivons par la
connaissance des choses extérieures et apparentes
à la connaissance de la vertu cachée et spirituelle,
que renferment les sacrements. Troisièmement,
pour nous exercer et nous occuper par la diversité
des sacrements, afin que nous ne languissions pas,
faute d'exercice, que nous ne demeurions pas dans
l'oisiveté, que nous ne nous portions pas à de
mauvais emplois de notre temps, faute d'en avoir de
bons, et que le démon ne prenne pas occasion de
nous tenter en ne nous voyant pas utilement et
saintement occupés. C'est pourquoi il y a plu-
sieurs sacrements.
Le Docteur séraphique (:2) amplifiant et éclair-
cissant ces raisons dit qu'il convenait d'instituer
des sacrements, tant de la part de Dieu, que de la
part de l'homme. De la part de Dieu, rien ne
convenait mieux à sa miséricorde, à sa justice et à
sa sagesse. A sa miséricorde, parce que l'homme, à
cause de l'inconstance de sa liberté essentielle-
î. L. 4. SenL dist. i. — D. Thom. q. 61, a. i.
a. In 4) dist. i, part, t, q. i.
DES SACREMENTS I09
ment chnngcante, conserve mal la grâce et la perd
aisément ; c'est pourquoi Dieu lui a donné, pour la
recouvrer, les sacrements. A sa justice, parce qu'il
était raisonnable que Thomme fut humilié pour
rentrer en grâce et se disposer à la recevoir; c'est
ce qu'il fait en se soumettant aux sacrements. Enfm
c'était chose convenable à sa sagesse, afin que
l'homme qui se perd par les créatures sensibles, se
sauvât par ces mêmes créatures et trouvât le
remède de son mal dans la cause de son mal ; ce
qui est un trait de grande sagesse. Les sacre-
ments étaient encore convenables de la part de
l'homme, qui après le péché était aveuglé dans sa
partie raisonnable, enflé d'orgueil dans sa partie
irascible et dégoûté des vrais biens dans sa partie
çoncupiscible. C'est pourquoi les sacrements lui
sont donnés, visibles et apparents pour l'instruire,
corporels pour l'humilier, en grand nombre pour
lui donner un exercice suffisant et empêcher qu'il
ne se dégoûte, comme cela arriverait, s'il n'avait
que les choses spirituelles à contempler ou tou-
jours un seul et même sacrement à recevoir.
Louez Dieu de la manière dont il sanctifie les
âmes et les élève à leur perfection ; et comme sa
volonté, qui est très raisonnable, ne fait rien que
pour des raisons très sérieuses, imitez ce procédé
dans vos œuvres, ne les faites jamais que pour de
belles raisons concernant la gloire de Dieu et l'uti-
lité du prochain. Assujettissez-vous aussi volon-t
tiers à ses ordonnances, qui sont très équitables
et fondées sur la raison, particulièrement en ce
qui concerne les sacrements. Tirez-en l'édification
que Dieu veut vous en voir tirer, en vûus éclai-
îrO LA TttÉOLÔGÎË AFFECTIVE
rant par l'étude sur les choses spirituelles, en vous
humiliant pour les recevoir, fussiez-vous le plus
grand personnage du monde, et en vous occupant
sérieusement dans leur usage. Vous implorerez sa
grâce pour arriver à ces fins et participer à tant de
biens.
III
Considérez qu'il y a sept sacrements. Ana-
thème, dit le Concile (i), à celui qui dira qu'il y a
plus ou moins de sept sacrements : ce sont le
Baptême, la Confirmation, l'Eucharistie, la Péni-
tence, l'Extrême-Onction, l'Ordre et le Mariage.
La principale raison de ce nombre, c'est qu'il y a
sept signes sensibles ou sept sortes de cérémonies
externes instituées par Dieu, auxquelles sont
annexées les promesses de la grâce, signes ou
cérémonies qui ont toujours été usitées dans
l'Eglise depuis sa naissance et depuis le temps des
Apôtres jusqu'à nos jours.
Le premier sacrement dont l'institution est
évidente dans les Evangiles, c'est le Baptême :
« Celui^ dit Jésus-Christ, qui croira et qui
« sera baptisé^ sera sauvé. » (Marc, dern. chap.)
La confirmation est autorisée par les Actes des
Apôtres (i et 2) et par saint-Paul qui dit : « Dieu
« nous confirme et nous oint^ lui qui a mis dans
« nos cœurs le gage du Saint-Esprit. » (II Cor. 2).
L'Eucharistie est enseignée par les quatre Evan-
gélistes et par saint Paul. Jésus-Christ dit de ce
sacrement : « Celui qui mangera ce pain.^ vivra
\. Sess. 7, can. i.
DES SACREMENTS 1 I I
« éternellement. » (Jean, 8). Instituant celui de la
Pénitence, il dit aussi : « Les péchés seront remis
« à ceux à qui vous les remettre^. « (Jean, 20).
L'Extrème-Onction a été annoncée et publiée par
l'apôtre saint Jacques : il en avait reçu Tordre
de Jésus-Christ, qui l'avait instituée pour les ma-
des : « Y a-t-il parmi vous quelqu'un de malade ?
« qu' il appelle les prêtres de V Eglise, qu'ils prient
« pour lui et qu'ils V oignent d'huile au nom du
« Seigneur^ etc. (Jacq. 5). L'Ordre est publié par
saint Paul dans sa lettre à Timothée : « Ne néglige
« pas la grâce qui est en toi., et qui t'a été donnée
« par prophétie, avec l'imposition des mains
« dans la prêtrise. » (Tim. 4). Le même saint
Paul attribue le nom de sacrement au Mariage :
« C'est un grand sacrement ; j'entends en Jésus-
« Christ et dans l'Eglise. » (Eph. 3), car hors de
là il n'}^ a point la sainteté du sacrement.
Outre ces preuves il y a des convenances qui
nous font mieux comprendre ce nombre déter-
miné de sept sacrements. II sont en effet établis
par Jésus-Christ pour remédier à nos maux et
nous fortifier dans les vertus. Or nous avons sept
maladies, trois de la coulpe, dit le Docteur
séraphique (i), et quatre de la peine,, trois qui sont
coupables et quatre qui sont pénales. Les trois ma-
ladies de la coulpe sont le péché originel, le péché
mortel et le péché véniel. Contre le premier est
institué le Baptême, contre le second la Péni-
tence, contre le troisième TExtrême-Onction. Les
quatre maladies pénales sont l'ignorance, la ma-
1.6. par. Centil. c. ^ .
laa LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
lice, rinfirmité, 1^ concupiscence ; l'Ordre remé-
die à l'ignorance, l'Eqcharistie à la malice, la
Confirmation à l'infirmité et le Mariage à la concu-
piscence. Il y a d'ailleurs sept vertus dans lesquelles
nous sommes fortifiés par les sept sacrements qui
nous aident aussi à en pratiquer les actes. Le
Baptême a pour but de fortifier la foi, qui est la
porte et la première des vertus, comme il est U
porte et le premier des sacrements ; l'Extrême-
Onction est pour aider l'espérance, l'Eucharistie
qui nous unit à Jésus-Çhrist est pour le reofort de
la charité ; l'Ordre aide la prudence ; la Pénirt
tence fortifie la justice ; le Mariage secourt la
tempérance et la Confirmation la force (j).
Pe plus la vie spirituelle est conforme à la vie
corporelle. Or sept choses sppt requises pour la vie
corporelle. Il faut : i° que l'homme soit engen^
dré ; 2° qu'il croisse ; 3" qu'il soit nourri ; 4° que
dans ses maladies il soit guéri ; 5° que les restes
de la maladie soient détruits ; 6° que l'homme soit
gouverné par quelque supérieur, qui prenant soiii
du bien commun conserve les particuliers ; 7° que
la vie humaine qui est mortelle soit communiquée
aux autres par la génération. Les sept sacrements
remplissent tous ces rôles pour la vie spirituelle.
Le Baptême donne au chrétien sa première n^is'
sance, la Confirmation fait croître, augmente et
fortifie cette vie ; l'Eucharistip l'alimente ; la Péni-
tence guérit ses maladies et l'Extrême-Onction
le3 restes de ses maladies ; l'Ordre donne à cette
vie des conducteurs pour la gouverner et la diri-
I. Idem, in 4, dist. 2, art. 1, q. 3.
DES SACREMENTS 1 l3
ger ; le Mariage enfin la propage, en tant qu'il est
institué pour avoir des enfants qui soient chrétiens
et qui glorifient Dieu éternellement. Ainsi rai-
sonne sur le nombre des sacrements le Docteur
angélique (i) ; le Concile de Florence (2) lui-même
explique leur nombre par cette comparaison d'une
vie à l'autre.
Admirez ici l'infinie bonté de Dieu qui a institué
tant de sortes de moyens divers pour distribuer
ses grâces aux hommes mortels, à qui il les offre
libéralement pour guérir leurs maux, pour aider
leurs vertus et pour entretenir leur vie spirituelle.
Ne témoigne-t-il pas bien le désir qu'il a du salut de
nos âmes, en nous ouvrant tant de portes pour
entrer dans le ciel ? En quel état peut se trouver
l'homme, où il ne soit assisté par les sacrements?
Est-il né? le Baptême lui est préparé. A-t-il un peu
grandi ? la Confirmation lui est offerte. Est-il en
état de péché ? il a la Pénitence. Est-il juste et en
bon état ? voilà l'Eucharistie. Est-il malade à mou-
rir ? il a l'Extrême-Onction. Veut-il vivre dans le
monde ? voilà le Mariage. Veut-il vivre hors des
mœurs du monde? TOrdre le sanctifie. O Seigneur
très riche en bonté, que vous avez eu de soin de
nos âmes misérables ! O très magnifique et très
pitoyable Rédempteur, je vous en remercie et je
vous demande comme surcroît de faveur la grâce
d'en user si dignement que j'y trouve le remède
de tous mes maux et le chemin de la vie éternelle.
Ainsi soit-il.
1. Quœst. 65, art. i.
2 . In Decreio Eugenii.
Bail, t. ix S
114 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ir MÉDITATION
DES EFFETS DES SACREMENTS
SOMMAIRE
Les trois ejfcts principaux des sacrements sont la
grâce sanctifiante, le caractère et la grâce
sacramentelle. — Les Sacrements confèrent la
grâce ex opère operato, c'est-à-dire par leur
propre vertu. — Le mauvais état du ministre
des sacrements n empêche pas ceux-ci de pro-
duire leurs effets.
I
CONSIDÉREZ trois effets plus notables des sa-
crements : à savoir la grâce sanctifiante, la
grâce sacramentelle (i) et le caractère. Le Con-
I. Il faut noter toutefois que la grâce sacramentelle
n'est au fond rien autre chose que la grâce sanctifiante.
Cette grâce produit chez tous les mêmes effets, et soit
les vertus surnaturelles, soit les dons du Saint-Esprit
qui sont inséparables de la grâce sanctifiante, suffisent
pour accomplir tous les actes surnaturels, et par consé-
quent ceux-là aussi en vue desquels est donnée la grâce
sacramentelle. Il est même exact de dire que la grâce
sanctifiante obtenue en dehors du sacrement confère un
droit aux secours de la grâce actuelle, qui seuls peuvent
mettre l'homme en état de faire des actes surnaturels.
La seule chose purement extrinsèque qui distingue la
DES SACREMENTS ll5
cile (i) affirme le premier de ces effets, quand il
prononce Tanathcme contre ceux qui disent que
les sacrements de la Loi nouvelle ne contiennent
pas la grâce qu'ils représentent ou ne la confèrent
pas à ceux qui n'y mettent pas d'empêchement.
L'Ecriture sainte enseigne cette même vérité,
quand, parlant des sacrements en particulier, elle
leur attribue le salut, la pureté, la sanctification,
la rémission des péchés et la vie immortelle des
âmes ; nous en avons déjà touché quelques mots.
TertuUien (2) a exprimé cette même vérité en
termes élégants : la chair est lavée, dit-il, afin que
l'àme soit purifiée ; la chair est ointe, afin que
l'àme soit consacrée ; la chair est marquée d'un
signe, afin que l'âme soit fortifiée ; la chair est
couverte par l'imposition des mains, afin que l'àme
soit illuminée par l'Esprit ; la chair est nourrie du
corps et du sang de Jésus-Christ, afin que l'àme
soit engraissée de Dieu. Enfin c'est le propre des
sacrements de sanctifier les âmes et de leur appli-
quer abondamment les mérites de la Passion de
grâce sanctifiante reçue en dehors des sacrements de la
grâce sanctifiante sacramentelle, c'est que cette der-
nière, en vertu de l'institution de Jésus-Christ, donne
droit à ces secours actuels, à un nouveau titre, elle
donne droit aussi à les recevoir plus sûrejnent, plus
facilement et plus abondamment.
1. Sess. 7. can. 6.
2. L. DE RESURR. GARNIS : '< Caro abluitur, ut anima
« emaculeiur ; caro ungiiury ut anima consecretur ; caro
« cor pore et sanguine Christi vesciiur, ut anima Deo
« sagineiur. »
Il6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Jésus-Christ, et la grâce sanctifiante qu'il a méri-
tée en mourant. Et de même que Dieu, qui crée
l'âme, l'infuse dans le corps qui a les dispositions
matérielles requises et suffisantes pour la rece-
voir ; ainsi quand les signes sensibles et corporels
qu'il a institués sont appliqués, il crée sa grâce et
la communique à l'âme. Si bien que les sacre-
ments sont comme des canaux par lesquels la
vertu du sang précieux de Notre-Seigneur est ré-
pandue dans les âmes ; avec cette différence néan-
moins que le Baptême et la Pénitence confèrent
la première grâce sanctifiante, par laquelle l'âme
passe du péché mortel à la sainteté ; c'est pour-
quoi ils sont appelés sacrements des morts, car
appliqués à ceux qui sont morts par le péché, ils
les ressuscitent à une vie nouvelle. Quant aux
cinq autres, ils confèrent la seconde grâce ; c'est
pourquoi ils sont appelés sacrements des vivants,
car on ne les applique qu'à ceux qui ont déjà la
vie de la grâce par le Baptême ou la Pénitence,
afin qu'ils l'aient plus copieusement.
Le second effet des sacrements est la grâce
sacramentelle, par laquelle il faut entendre cer-
tains secours spirituels, ou certaines grâces actuel-
les nécessaires pour remplir les fonctions ou
atteindre la fin, à laquelle chaque sacrement est
spécialement destiné par Dieu. Chaque sacrement
en effet vise à quelque but qui lui est propre ; afin
que l'homme puisse y parvenir, il reçoit encore
en temps et lieu, en vertu du sacrement, des grâces
actuelles, qui sont appelées sacramentelles. Ainsi
le Baptême étant la porte des sacrements et ayant
été institué par Dieu enir'autres raisons, afin que
DESSACREMENTS; II7
riiomme fut capable de participer aux autres sa-
crements, la grâce sacramentelle du Baptême est
un secours de grâce pour recevoir en temps et
lieu les autres sacrements. La Confirmation ayant
pour but de fortifier le chrétien en le rendant apte
à défendre sa foi en cas de persécution, la grâce
sacramentelle qu'elle donne consiste dans un
secours aidant Tàme à demeurer ferme dans la foi
au milieu des violences des tyrans et des grandes
tentations contre la foi. L'Eucharistie ayant pour
fin de nourrir Tàme, la grâce sacramentelle qu'elle
confère consiste dans un goût et une suave dévo-
tion, qui est l'aliment délicieux de l'âme chré-
tienne aspirant au ciel. La grâce sacramentelle de
la Pénitence est un secours de Dieu pour nous
empêcher de retomber dans le mal ; celle de l'Ex-
trême-Onction un secours pour mourir saintement
et bien combattre dans l'agonie ; celle de l'Ordre
est une assistance de Dieu pour bien remplir les
fonctions ecclésiastiques, et celle du Mariage une
assistance que reçoivent les personnes mariées
pour vivre chastement et pour supporter toutes
les grandes difficultés de leur état dans la généra-
tion, l'éducation et l'établissement de leurs en-
fants. Puisqu'il en est ainsi, il est aisé de juger
que les grâces sacramentelles ne se donnent pas
toujours au même instant où les sacrements sont
reçus, mais au moment où l'homme en a besoin.
Néanmoins dès l'instant même où il les a reçus, il
a acquis le droit de recevoir ces grâces actuelles
au besoin, et elles ne lui seront pas refusées.
Le troisième effet des sacrements s'appelle le
caractère ; c'est une certaine marque ineffaçable
Il8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
imprimée à Tâme et une certaine puissance d'une
très grande vertu, qui y restera éternellement et
qui la distinguera de toutes les autres âmes, soit
qu'elle jouisse du bonheur dans le ciel, soit qu'elle
soit malheureuse dans l'enfer : « // nous a oints,
« dit saint Paul, et nous a marqués ».(IICor. i) (i).
Et l'Eglise (2) qui ne peut errer, et qui est la
I. Ce texte pris en lui-même et considéré au point de
vue purement exégétique ne prouve pas l'existence du
caractère sacramentel. D'autres sens peuvent lui être
légitimement donnés et lui sont en réalité donnés.
Saint Thomas entend par ce signe le signe de la foi ou
de la croix ou encore TEsprit-Saint (In 2 Cor. c. i.
lect. 5) ; et Cornély interprète ainsi ce passage :
« (L'Apôtre) entend par là la vocation et la préparation
« à la fonction d'apôtre, ou plutôt la collation de la
« charge apostolique et cette communication de VEsprit-
« Saint qui est nécessaire pour la bien remplir... C'est à
« bon droit que nous y voyons le caractère de l'apostolat
« imprimé dans V âme par les dons de l'Esprit-Saint. >
(In 2 Cor. I, 22). Les autres textes qu'on a coutume
d'alléguer (Ephés. i, 13 et Ephés. iv, 30) ne sont pas
davantage probants, car on peut dire que le signe ou
la marque dont ils parlent n'est autre que la grâce
sanctifiante. Il faut néanmoins tenir compte de ce fait
qu'un certain nombre de Pères, notamment saint Am-
broise (De Spir. S. 1. i, c. 6, n. 79 ; § 16, 723) et saint
Jean Chrysostome (Hom. 2. in ep. ad Eph. n. i ; § 62,
18), ainsi qu'un grand nombre de Théologiens anciens
auxquels il faut joindre le plus grand nombre des
Théologiens modernes et le Catéchisme romain lui-
même (p. 2. c, i,n. 30) interprètent ces divers passages
de saint Paul du caractère sacramentel.
?. Sess. 7. can. 7.
DES SACREMENTS II9
colonne de vérité^ prononce ranathcmc contre
quiconque dira que dans les trois sacrements qui
sont le Baptême, la Confirmation et l'Ordre, il ne
s'imprime pas dans Tàme un caractère, qui est un
signe spirituel et ineffaçable et qui fait que ces
sacrements ne peuvent se réitérer. Aussi n'y a-t-il
que trois sacrements qui produisent cet effet. Il
convient en effet que ceux qui sont reçus par le
Baptême au nombre des sujets de Jésus-Christ,
soient distingués des infidèles par quelque mar-
que, comme aussi ceux qui par la Confirmation
sont enrôlés dans la milice chrétienne et ceux qui
par rOrdre sont choisis et instruits dans le but de
commander aux autres et de les conduire.
A la vue de ces trois effets, louez la magnificence
de Jésus-Christ, l'auteur des sacrements. « Qui
« parlera des puissances du Seigneur, qui Jera
« entendre toutes ses louanges ? » (Ps. loi). D'où
vient à l'eau une telle vertu, qu'elle touche le
corps et lave le cœur? dit saint Augustin (i). Oh!
que la grâce précieuse nous est donnée facilement
et par des moyens aisés à pratiquer ! Car qu'y
a-t-il de plus commun que l'eau, l'huile, les paro-
les et les signes sensibles des sacrements ? Tout
cela le pauvre peut l'avoir comme le prince. Jésus-
Christ n'a point voulu faire consister les sacre-
ments dans des matières de grand prix, qui n'ap-
partiennent qu'aux plus riches, afin que les moyens
d'obtenir la grâce fussent à la disposition des plus
petits comme des plus grands. O Seigneur ! soyez
I . Tract. 80 IN JoAN. : « Unde tanta virtus aquœ^ ut
« corpus tangat et cor abluat ? »
120 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
béni et glorifié d'avoir donné tant de vertu aux
sacrements et de distribuer vos faveurs spirituelles
par de tels moyens ! Enfin tremblez à la pensée
que vous avez la marque et le caractère ineffaça-
ble de Jésus-Christ et par le Baptême et par la
Confirmation et par l'Ordre, si vous l'avez reçu.
Oh ! que ce sera pour vous une grande confusion
dans l'enfer, d'être marqué parmi tous les damnés,
si vous vivez ici dans le péché ! Respectez donc le
caractère de l'Ordre, mais aussi celui de votre
Confirmation et de votre Baptême.
II
Considérez secondement que les sacrements
confèrent la grâce sanctifiante d'une manière très
efficace et excellente, à savoir par eux-mêmes et
par le seul fait de leur application, et non pas seu-
lement par la disposition de celui qui les reçoit.
C'est ce qu'entendent les Théologiens, quand ils
disent que les sacrements confèrent la grâce en
vertu de Tœuvre opérée^ c'est-à-dire par le seul
fait que ce qui est requis est accompli, et non pas
uniquement en vertu de V œuvre de V opérant^
c'est-à-dire selon la mesure de la bonne disposi-
tion qu'on apporte à leur réception. L'Eglise (i)
a encore tranché ce point et prononcé l'anathème
contre quiconque dit que la grâce n'est pas confé-
rée par les sacrements de la Loi nouvelle en vertu
de l'œuvre opérée (2). Or pour mieux comprendre
1. Conc. Trid. sess. 7, can. 8.
2. Cette formule est consacrée par un long usage et
de plus elle a l'avantage d'exprimer clairement un
DES SACREMENTS 121
ce terme : Tœuvre opérée, il est important de
remarquer que les sacrements de leur côté appor-
tent toujours une certaine mesure de grâce dans
les sujets qui n'y mettent pas d'empêchement,
comme chez les enfants qui sont baptisés sans y
contribuer en rien ; car la grâce qu'ils y reçoivent
ne peut provenir que de l'application du sacre-
ment, — c'est ce qu'on appelle l'œuvre opérée, —
et nullement de leurs bonnes dispositions et des
actes qu'ils formeraient en le recevant, — ce qui
est l'œuvre de l'opérant. Il en serait de même s'ils
dogme très important. Pierre de Poitiers qui succéda,
à Paris, dans la chaire de Théologie à Pierre Lombard
(-|- 1205), l'employa le premier (Sentent. 1. i, c. 16), et
Innocent III, son contemporain, dit au sujet du saint
sacrifice de la Messe : « Quoique l'œuvre de l'opérant
« soit impure, cependant l'œuvre opérée est toujours
« pure. 2> (De myst. missœ, 1. 3, c. 5). Cette locution fut
adoptée au xiii® siècle par les grands Théologiens de
cette époque, notamment par Guillaume d'Auxerre
(SuMMA, 1. 4, fol. 243, col. i), Alexandre de Halès (4,
q. 3, m. 4, a. i), saint Bonaventure (4, dist. i, part, i,
q. 5), saint Thomas (4, dist. i, a. 5). Peu à peu elle
devint d'un usage commun et au xvi^ siècle les Pères du
Concile de Trente n'en trouvèrent point de plus exacte
pour définir la doctrine catholique en face des erreurs
des Protestants ; aussi la consacrèrent-ils solennelle-
ment : « Si quelqu'un dit que ces mêmes sacrements de là
« loi nouvelle ne confèrent pas la grâce par la vertu de
« l'œuvre opérée, ex opère operato, mais qtie la seicle foi
« aux promesses divines suffit pour recevoir la grâce,
« qu'il soit anathème ! » (sess. 8, can. 8). Certains
auteurs récents (voir dans la première édition du Lexi-
que ecclésiastique de Fribourg, VIII, 803, l'article opus
122 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
recevaient encore la Confirmation et la sainte
Eucharistie avant d'avoir l'usage de la raison, car
ils recevraient la grâce en vertu du seul sacrement,
et uniquement de sa part. Mais si étant déjà en
état de grâce par le Baptême et ayant l'usage de
la raison, ils produisaient des actes de dévotion
pour se disposer à la réception de ces deux sacre-
ments, alors ils recevraient la grâce de deux côtés,
du sacrement et de leur dévotion, ce qui serait
recevoir la grâce en vertu de l'œuvre opérée et en
vertu de l'œuvre de l'opérant. Il est vrai néan-
moins, pour parler d'une manière rigoureusement
operatum) soucieux plus que de raison de l'orthodoxie
grammaticale^ alors qu'une orthodoxie plus haute est
en jeu, ont voulu donner dans cette formule au verbe
operari un sens actif. Mais il est certain que l'Eglise, —
et les grammairiens eux-mêmes donnent ce sens à plus
d'un verbe déponent, — entend ce verbe dans un sens
passif ; sans cela la définition du Concile de Trente
manquerait totalement son but. D'ailleurs c'est dans ce
sens qu'il a été employé par les anciens Docteurs et par
les SS. Pères, notamment par Lactance (Instit. div.1. 7,
c. 27 ; § 6, 819), par Tertullien (Prœscr. c. 29 ; § 2, 41),
et par saint Augustin (De unit. Eccl. c. 27 ; § 43, 443) ;
dans la Vulgate elle-même on trouve un certain nom-
bre de verbes déponents pris dans ce même sens, par
exemple promereri (Héh. xiii, 16), consolari (I Cor. i,
4, 6) «j^v/zor/arî (ibid.), inierpretari {M.^\X . i, 23 ; Juda,XII,
6 ; II Mach. i, 36). Par ces mots opus operatum , l'Eglise
entend l'œuvre au point de vue objectif, c'est-à-dire le
signe sacramentel posé tel que Jésus-Christ l'a institué;
par Vopus operantis, elle entend l'œuvre au point de
vue subjectif, c'est-à-dire au point de vue de la valeur
qui lui vient de la personne qui l'accomplit.
DES SACREMENTS \23
exacte, que la giàce qu'ils recevraient en vertu de
l'œuvre de l'opérant et en vertu de la disposition
de l'opérant, ne peut être attribuée au sacrement
comme à la cause efficiente, mais seulement
comme à la cause occasionnelle, parce que les
actes de dévotion qui ont causé la grâce, ont été
produits en vue du sacrement et pour le recevoir
dignement.
D'où nous pouvons conclure à la supériorité des
sacrements de la Loi nouvelle sur ceux de l'an-
cienne Loi (excepté néanmoins la Circoncision) (i) ;
car comme ceux-ci ne produisaient la grâce que
par l'œuvre de l'opérant et en vertu des actions
méritoires auxquelles donnaient lieu leur applica-
tion et leur usage, ils ne produisaient pas propre-
ment la CTràce sanctifiante. Ainsi l'a décidé le
I . Quelques Théologiens en effet, partisans de la
doctrine de Scot, ont voulu excepter la circonci-
sion de la loi générale proclamée par les Conciles de
Florence et de Trente, qui refusent toute efficacité
intrinsèque (ex opère operaio) aux sacrements de la Loi
ancienne ; ils s'appuient sur cette raison que la circon-
cision n'appartient pas à la Loi ancienne, car elle était
déjà établie avant cette Loi. L'opinion commune rejette
cette exception, et de fait, si on pèse bien les défini-
tions des deux Conciles, on voit qu'ils attribuent la
production de la grâce exclusivement aux sacrements
de la Loi nouvelle, afin de montrer qu'elle l'emporte
sur tous les temps qui ont précédé la venue de Jésus-
Christ. On peut considérer comme certain que « la
« circoncision remettait le péché originel^ » comme le
déclare incidemment le pape Innocent III (3 décret.,
tit. 42, cap. « MAJORES » de bapt,) et qu'elle conférait la
124 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Concile de Florence (i). Ceux de la Loi nouvelle
au contraire sont de véritables causes productrices
de la grâce, parce qu'ils la produisent par eux-
mêmes, par l'œuvre opérée, en tant qu'ils sont
appliqués à une âme qui n'y met aucun obstacle.
Plusieurs ont pris de là l'occasion de soutenir
que les sacrements produisent dans Pâme la grâce,
comme causes physiques instrumentales; Dieu
s'en sert, disent-ils, pour sanctifier les âmes,
comme l'ouvrier se sert des outils de son art.
D'autres contredisent cette affirmation, parce que
les sacrements confèrent souvent la grâce sacra-
mentelle quand ils ne sont plus et quand ils ne
peuvent agir que comme causes morales, en ce
sens qu'ils excitent Dieu à la produire. Or, s'ils
ne produisent la grâce sacramentelle que comme
causes morales, il y a tout lieu de croire qu'il en
est de même pour la grâce sanctifiante. Ajoutez à
cela que c'est chose superflue et nullement néces-
saire qu'ils produisent cette grâce comme causes
instrumentales physiques, étant donné qu'ils peu-
vent la produire aussi abondamment comme
causes morales. C'est pourquoi Dieu qui ne mul-
grâce, mais elle ne la conférait ni ex opère operato, ni
même ex opère operantis, puisqu'elle était pratiquée
sur les enfants. Elle était simplement une condition
sine qna non de la collation de la grâce. Le péché ori-
ginel était remis en vertu de la profession de foi au
Messie à venir ; or Dieu avait statué que les fils
d'Abraham ne feraient cette profession que par la
réception de la circoncision.
I. In Décréta Eugenii.
DES SACREMENTS 125
tiplie pas les miracles sans nécessité, s'est contenté
de s'obliger par sa promesse à conférer la grâce
aux personnes qui les recevraient sans indignité
de leur part. Enfin il faut accorder que la Passion
de Jésus-Christ a été la cause de la grâce,
d'une plus noble façon que les sacrements •
cependant la Passion n'en est que la cause
morale principale. Les sacrements n'en seront
donc que la cause morale et non la cause phy-
sique, et encore la cause moins principale et
instrumentale, car ils n'agissent qu'en vertu de
la sainte Passion, qui produit son effet dans les
âmes par leur application (i).
I. Dans cette question si discutée parmi les Théolo-
giens, l'auteur embrasse l'opinion qui paraît la plus
probable. « Nous ne devons pas, dit de Lugo(DE sacram.
« disp. 4, sect. 4, n. 35), rendre sans nécessité les véri-
« tés de noire foi plus difficiles et plus obscures, mais
« plutôt, autant que nous le pouvons, plus faciles et plus
« à la portée de l'intelligence dît vulgaire et des infi-
« deles. » Or que des signes matériels puissent être
rendus capables de produire physiquement une réalité
spirituelle et surnaturelle, c'est une chose si difficile à
comprendre que des Théologiens et non des moindres,
tels que Soto et Vasquez, l'ont considérée comme
absolument impossible. Néanmoins ont admis la cau-
salité physique des sacrements, presque tous les Tho-
mistes, et en outre Bellarmin (1. 2, c. 11), Suarez
(disp. 9. sect. 1, n. 14), Grégoire de Valence (t. 4,
disp. 3, q. 3, p. i), Ysambert (de sacram. q. 62, dis. 4,
a. 3), André Vega, Tapper, Drouin, et, à notre époque,
Schazler, Oswald, etc. Les partisans de la simple cau-
salité morale sont presque tous les Scotistes et en
outre parmi les Thomistes, Melchior Cano (Relect. de
130 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Nous reconnaîtrons de nouveau à la suite de
cette considération la noblesse et la vertu des
sacrements que Jésus-Christ a donnés à son
Eglise, puisqu'ils confèrent la grâce sanctifiante
d'une manière si efficace. Nous féliciterons l'Eglise
de la faveur signalée qu'elle a reçue de Jésus-
Christ, son Epoux, son Chef et son Sanctifica-
teur. L'ancienne Eglise qui fut le synagogue n'a
pas reçu de tels dons de Moïse, elle n'a pas eu des
sacrements d'une si haute vertu, ce n'étaient que
des « éléments défectueux et impuissants pour
sanctifier », aux termes de saint Paul (Gai. 4).
Nos sacrements au contraire sont riches et puis-
sants ; ce sont les vases précieux de la grâce divine ;
Ils effacent tous les péchés et il suffit qu'ils nous
soient appliqués, pour opérer efficacement ces
merveilles. Ainsi, ô Jésus, sous votre loi d'amour,
la rémission de nos péchés et la grâce sanctifiante,
que vous nous avez acquises au prix de tant de
tourments, de blessures et de sanglants outrages,
ne nous coûtent qu'un peu d'eau, un peu d'huile
et quelques actions déterminées par votre autorité,
SACRAM. p. 4), Martin, Barthélémy, Ledesma, Vasquez,
(disp. 132, c. 3), de Lugo (disp. 4, sect. 4, n. 32),
Lessius, Coninck, Bécan, Platel, Antoine, la Théologie
de Wurzbourg, Franzelin, Duhamel, Tournely. Quant
aux anciens Théologiens scolastiques, ils n'ont jamais
traité cette question ex projesso • ainsi en est-il spécia-
lement de saint Thomas. Certains ont voulu voir en lui
un partisan de la causalité physique, mais il résulte,
d'après Vasquez, de Lugo et Franzelin, de l'étude des
textes du saint Docteur, qu'il est franchement favora-
ble à la causalité morale.
DES SACREMENTS 127
toutes choses que les pauvres peuvent avoir aisé-
ment, comme les plus riches; il ne nous reste plus
qu'à ne mettre aucun obstacle, pour être quittes
de nos dettes et riches de votre grâce. O Jésus,
soyez béni éternellement par toute créature, que
vos sacrements soient toujours en grande estime,
en grand respect et en grand honneur chez toutes
les âmes chrétiennes !
III
Considérez encore un trait de la bonté de Dieu
touchant les effets des sacrements ; c'est que ces
effets sont produits même quand les sacrements
sont administrés par des personnes qui sont en
mauvais état, quoique de leur part il y ait faute
grave à les traiter indignement. Anathème, dit le
Concile (i), à celui qui dit que l'administrateur du
sacrement, s'il est en état de péché mortel, ne fait
pas ou ne confère pas le sacrement, alors même
qu'il y observe toutes les choses requises. La
raison principale de cette vérité est que Jésus-
Christ est l'agent principal dans l'économie des
sacrements, et qu'il a plein pouvoir de se servir
des pécheurs aussi bien que des justes, comme
ministres et serviteurs, pour sanctifier les âmes.
Or, comme il était nécessaire pour la paix des
consciences que les sacrements ne dépendissent
pas du bon état de celui qui les administre, parce
• que cet état est très incertain et que la discussion
à laquelle on voudrait se livrer à ce sujet causerait
une infinité de peines et de troubles, il n'a pas
I. Sess. 7, can. 12. De sacrum, in génère.
128 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
voulu que la validité et les effets des sacrements,
et conséquemment le salut des âmes dépen-
dissent du bon état des prêtres et des pasteurs.
En effet comme les bons mérites et les œu-
vres vertueuses ne leur donnent pas la puis-
sance éminente d'administrer les sacrements,
de même leurs démérites et leurs péchés ne les
privent pas de cette puissance. Si cela était ainsi,
dans quelles angoisses ne se trouveraient pas tous
les jours les personnes chrétiennes, quand elles
se demanderaient si elles ont reçu le Baptême,
l'absolution ou quelqu'autre sacrement, d'un
prêtre en état de charité et exempt de péché
mortel? Certes Dieu accorde bien aux pécheurs
les grâces gratuitement données, telles que la
prophétie, le don des langues, le pouvoir de faire
des miracles et autres grandes choses, en vue de
l'utilité des âmes. Caïphe et Balaam furent pro-
phètes. Les Scribes et les Pharisiens avaient juri-
diction et autorité sur le peuple Juif, et cepen-
dant ils manquaient de sainteté et de justice ; ils
prêchaient dans leur chaire avec des paroles
ravissantes, quoique leurs œuvres fussent très
perverses. Qu'est-ce donc qui empêche que les
méchants aient aussi le pouvoir de confectionner
les sacrements, et par leur moyen de porter la
grâce dans autrui, quoiqu'ils en soient eux-mêmes
privés ? L'Eglise convaincue de cette vérité ne
rebaptise pas ceux que les hérétiques ont bapti-
sés, et les chrétiens ne sont pas tenus d'examiner,
si jadis ils ont reçu les sacrements de personnes
qui étaient en grâce avec Dieu. Ces recherches
seraient blâmables et dangereuses. De même que
DR s SACREMENTS 12()
la semence germe dans la terre, qu'elle y ait été
jetée soit d'une main propre, soit d'une main
sale, de même que la fontaine verse son eau éga-
lement par un canal en or ou un canal en terre ou
en bois, de même que le soleil envoie ses rayons
dans les appartements, quoique celui qui a ouvert
la fenêtre soit attaché à ses intérêts ou qu'il ait eu
un mauvais dessein en l'ouvrant ; ainsi la semence
des sacrements porte fruit, que le prêtre soit
Juste ou pécheur. Jésus-Christ, source des grâces,
les répand par un canal d'or ou de terre, par un
prêtre plein de charité ou rempli de péchés, et
quel que soit celui qui lui prépare les cœurs et lui
ouvre la porte des âmes par l'administration des
sacrements, Jésus-Christ envoie la lumière des
grâces. Enfin il en est des bons et des mauvais
ministres comme de deux anneaux marqués au
même coin de l'empereur; ces anneaux impriment
sur la cire une même figure, quoique l'un soit en
or, et que l'autre soit en fer (i).
Il est vrai néanmoins que le prêtre qui admi-
nistre les sacrements en mauvais état, pèche gra-
vement ; c'est pourquoi saint Grégoire le Grand (2)
dit : les prédestinés purifiés par les mains des
prêtres entrent dans la patrie céleste et les prê-
tres de Jésus-Christ descendent à cause de leur
vie réprouvée dans les supplices de l'enfer. A quoi
comparerai-je les mauvais prêtres, sinon à l'eau du
Baptême ?elle pousse les baptisés vers le ro3^aume
des cieux en effaçant leurs péchés, mais ensuite
1. Greg. Nazianz. 40.
2. Hom. 17, in Evang.
Bail, t. \%. i,
l3o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
elle descend en bas. Néanmoins cela n'empêche
pas que ces prêtres en apportant ce qui est essen-
tiel dans l'administration des sacrements et en
conformant leur intention à celle de Jésus-Christ
en vertu de qui ils agissent ou à l'Eglise pour
laquelle ils agissent, ne fassent des Saints du para-
dis, par l'action même par laquelle ils se rendent
eux-mêmes davantage les membres de Satan.
Il faut recueillir de cette considération combien
est grande la bonté de Dieu, qui veut se servir
même des méchants pour le bien de ses élus. Car
il ne manquait pas de prévoyance en instituant les
sacrements, il connaissait le nom et le prénom de
tous ceux qui les traiteraient indignement, avec
des mains souillées et sacrilèges. Cependant il a
résolu d'agir de concert avec eux et de ne pas
arrêter le cours de ses grâces à cause de leur
malice. O Jésus, louées soient à jamais votre mi-
séricorde et la suavité de votre Providence ! Mais
soit détestée à jamais la témérité de ceux qui
remplissent indignement leur ministère ! O Sau-
veur du monde, touchez-les d'un vif repentir, afin
qu'à l'avenir ils traitent saintement les choses
saintes.
DES SACREMENTS I J) I
Iir MÉDITATION
DE
L'INSTITUTION DES SACREMENTS
DE LEUR EXCELLENCE
ET DE LEUR PERFECTION
DANS L'AUTRE VIE
SOMMAIRE
Le temps de la Loi de grâce était le temps propre
à l'institution des sacrements. — Les sacre-
ments qu'a institués Jésus-Christ sont plus
parfaits que ceux de V ancienne Loi. — Les
sacrements n auront leur plein effet et leur
perfection que dans ïétat de gloire.
I
CONSIDÉREZ que le temps le plus propre et le
plus convenable à l'institution des sacre-
ments était le temps de la loi de grâce et de misé-
ricorde instituée par Jésus-Christ. Si en effet nous
jetons un coup d'oeil sur l'état d'innocence, état
qui a précédé le péché d'Adam et la déchéance de
la nature humaine, nous constaterons qu'il n'était
pas à propos d'instituer dans cet état des sacre-
ments, (i) parce que par eux l'homme eut été
I. D. Thom. q. 6i, art. 3.
l32 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
soumis aux choses inférieures de la terre, pour
recevoir la grâce par leur moyen et être élevé
ainsi à la connaissance des choses supérieures et
célestes. Or, dans cet état, l'homme conservait
rhonneur de sa création, par laquelle il avait été
élevé au-dessus de tous les êtres terrestres et il
n'avait pas mérité d'être assujetti à ces êtres ter-
restres, en punition du péché dont il était exempt.
De plus les sacrements ont été institués par Dieu
pour être les vases sacrés du sang précieux et
des mérites de Jésus-Christ. Ils ne servent que
comme instruments pour appliquer aux âmes qui
en sont sanctifiées le fruit de sa Passion doulou-
reuse. Or si cet état heureux, si ce siècle d'or et
d'innocence eut duré au paradis terrestre, le Verbe
divin ne se fut pas incarné, comme nous l'avons
considéré plus haut, et ainsi ses mérites n'eussent
pas dû être appliqués aux hommes ; par conséquent
les sacrements n'eussent pas été nécessaires. De
plus le principal dessein de Dieu dans l'institu-
tion des sacrements a été de faciliter aux hommes
les moyens de rentrer en grâce avec lui ; car
comme il leur est difficile de s'y disposer et de
s'appliquer aux occupations spirituelles et aux
œuvres surnaturelles méritoires de la vie éternelle,
il a jugé très utile de secourir la faiblesse humaine,
par quelques cérémonies extérieures, par lesquel-
les elle peut arriver à la grâce sans beaucoup de
difficulté. Sans cela peu de personnes fussent
arrivées au salut et à la vie éternelle. Or dans
l'état d'innocence, la nature humaine étant dans
son intégrité première, sans la violence et la mul-
titude de ces passions qui ont suivi le péché, il
DES SACREMENTS l33
n'était pas difficile à une âme immortelle de s'ap-
pliquer à la méditation de Dieu et à des exercices
d'une dévotion sublime, pour se conserver ou
faire des progrès dans la sainteté. C'est pourquoi
il n'y avait pas alors grand besoin de sacrements
et de cérémonies extérieures (i).
Mais il en va tout autrement depuis qu'Adam en
désobéissant a ruiné l'heureuse fortune de sa
famille qui a été bannie du paradis pour ne plus
faire que soupirer dans cette vallée de misère et
de pauvreté. Gomme les hommes penchés vers la
terre par le poids du péché originel, ne s'élèvent
que très difficilement et très laborieusement aux
I. Lessius, in 3 part. q. 61, art. 4. — Tout ce qu'on
peut dire de plus raisonnable sur cette question, où
tout dépend de la libre volonté de Dieu, c'est que les
sacrements conviennent davantage, mais non exclusi-
vement, à l'état de l'homme déchu. L'institution des
sacrements dans l'état d'innocence, si cet état avait
duré, pourrait se justifier par d'assez bonnes raisons.
Ils eussent été utiles, dit Suarez (disp. 3, sect, 3, n. 4
et suiv.) i) soit comme signes : (a) pour aider les
hommes à professer extérieurement leur foi, (b) pour
exciter leur mémoire et leur cœur, (c) pour les aider à
mieux comprendre les choses surnaturelles, (d) pour
imprimer un cachet d'unité à leur culte extérieur ;
2) soit comme producteurs de la grâce, car cette effica-
cité inhérente au sacrement lui-même est toujours un
bienfait pour l'homme, quel que soit l'état de l'huma-
nité, parce qu'elle lui confère la grâce au-delà du
mérite de ses œuvres. Ne voyons-nous pas Dieu, pour
éprouver l'homme dans l'état d'innocence, se servir
d'une réalité sensible, de l'arbre de la science du bien
et du mal ?
1^4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
œuvres saintes capables de leur acquérir la grâce,
il a été nécessaire qu'ils fussent aidés et secourus
promptement par des moyens faciles d'acquérir la
grâce; par conséquent immédiatement après le
péché, Dieu institua pour les hommes quelques
saintes cérémonies qui leur tenaient lieu de sacre-
ments pour les délivrer du péché et les entretenir
dans son service (i). A l'époque de Moïse, quand
il donna la Loi ancienne, il multiplia ces cérémo-
nies mystérieuses par lesquelles les juifs protes-
taient de leur foi, de leur espérance et de leur désir
à l'égard du Messie, de Jésus-Christ, qui devait
venir au monde ; par l'usage de ces cérémonies
ils s'entretenaient dans la religion. Toutefois
comme Dieu s'était proposé de traiter les hommes
plus doucement et plus suavement, lorsque son
Fils se serait uni à la nature humaine par l'Incar-
nation, comme il avait réservé jusqu'à cette épo-
que la loi appelée Loi de grâce et de miséricorde,
parce que par elle le salut est plus facile ; c'était
alors la vraie saison d'instituer des sacrements et
I. Ces cérémonies, ou tout au moins la cérémonie
qui avait pour but de délivrer les enfants du péché
originel, — car c'est la seule dont on puisse affirmer
d'une manière certaine l'existence sous la loi de nature,
— constituait plus probablement un vrai sacrement.
Elle avait en effet tout ce qui est requis pour un sacre-
ment : i) elle signifiait la grâce de Jésus-Christ ; 2) elle
consistait dans un signe extérieur ; 3) ce signe produi-
sait une certaine sanctification consistant dans l'agréga-
tion de l'enfant à la société des vrais croyants ; 4) ce
signe avait été institué par Dieu qui « veut le salut
de tous les homrnes. » (I Tim. 11, 4).
. k
DES SACREMENTS i3d
certaines cérémonies extérieures dont Tusage ne
fut pas trop pénible, et dont néanmoins l'efficacité
fut très grande pour sanctifier les âmes aisément,
sans beaucoup de frais. Ce que Dieu s'était pro-
posé, il Va accompli, et pour faciliter aux hommes
les moyens de s'enrichir dans sa grâce, Jésus-
Christ, Homme-Dieu devint l'auteur des sacre-
ments, qui nous retirent du péché et font couler
dans nos âmes les richesses de sa grâce précieuse,
O le noble et généreux dessein de Dieu ! O la
noblesse de sa charité ! O la tendresse de son
amour ! Il veut que nous ayons les plus grands
biens du ciel et il veut que nous les ayons comme
sans peine et à bon marché. « Vene^, dit-il, ache-
« ie^ sans argent et sans aucun échange le vin et
« le lait. » C'est pourquoi son amour le porte à
instituer des sacrements, pour nous y faire ressen-
tir dans la facilité qu'ils nous offrent sa bonté
naturelle. Ah ! Seigneur, pourquoi épargnez-vous
si fort les peines et les travaux des misérables
pécheurs qui ne méritent que la damnation ? Ah !
Seigneur, que votre procédé à notre égard est
suave ! Ce sont, ô Jésus, vos peines et vos souf-
frances qui nous ont acquis ces moyens si faciles;
vous vous êtes ciiargé de la croix pour nous rendre
votre joug plus léger. Oh ! soyez estimé, chéri et
loué par toutes les âmes du monde !
II
Considérez que les sacrements institués par
Jésus-Christ sont plus parfaits que ceux de l'an-
cienne Loi ; non seulement ils produisent la grâce,
mais ils la signifient plus expressément, car l'état
l36 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de la Loi nouvelle est plus abondant en grâces et
a de plus grandes lumières. Comme nous Pavons
déjà considéré, — et il importe de le considérer
encore, — les sacrements de l'ancienne Loi, tels
que la manducation de l'Agneau pascal, les obla-
tions et les cérémonies diverses ne conféraient pas
la grâce sanctifiante par le fait de leur usage et de
leur application, mais seulement en tant que cet
usage et cette application étaient une action méri-
toire accomplie avec toutes les conditions d'une
œuvre méritoire. Mais les sacrements de la Loi
nouvelle produisent la grâce par leur propre vertu
et efficacité, quand le sujet ou l'âme qui les reçoit,
ne met aucun empêchement à la grâce (i). La rai-
son en est que les sacrements nous appliquent
davantage le fruit du sang et de la Passion de
Jésus-Christ, que les bonnes œuvres accomplies
avec la charité; car le mérite de Jésus-Christ nous
est communiqué d'une manière plus spéciale par
les sacrements que lui-même a institués. Par con-
séquent quoique leur usage n'ait pas toutes les
conditions du mérite, il produira toujours comme
effet la grâce sanctifiante que Jésus-Christ leur
fait produire tout particulièrement, sans préjudice
de celle qui peut provenir du mérite. Il n'en était
pas ainsi des sacrements anciens que saint Paul
appelle : (i. de débiles et vains éléments » (Gai. 4),
parce que Jésus-Christ ne leur communiquait pas
ses mérites d'une manière si particulière et si favo-
rable. Si bien que si les hommes recevaient quel-
quefois la grâce en en faisant usage, c'était seule-
I. Cano, in Relect. de Sacrant, part. 5.
DES SACREMENTS I 37
ment en vertu de l'œuvre de l'opérant, c'est-à-dire
en tant qu'ils faisaient une bonne œuvre en état
de charité et avec les conditions requises pour
mériter.
De là vient que les sacrements de l'ancienne
Loi ne conteraient la grâce qu'aux âmes contrites,
tandis que ceux de la Loi nouvelle la confèrent
aussi aux âmes qui n'ont que l'attrition. Cette
différence est la conséquence de la première, car
puisque les sacrements anciens ne conféraient
point la grâce par une efficacité propre, mais seu-
lement par la vertu de l'œuvre de l'opérant, et en
tant qu'elle était méritée par la foi et la charité
de celui qui les recevait, la grâce ne s'y donnait
qu'à celui qui l'avait déjà et qui possédait la dis-
position suffisante pour la rémission du péché,
c'est-à-dire la contrition. De là résulte une autre
différence ; c'est que les sacrements anciens ne
remettaient jamais les péchés et ne conféraient
jamais la première grâce, tandis que les sacre-
ments de la Loi nouvelle remettent les péchés, et
apportent avec eux la première grâce sanctifiante,
par laquelle l'âme passe tout d'abord de l'état de
damnation à l'état de salut et reçoit ce qu'elle
n'avait pas auparavant. « // nous a sauvés, dit
« saint Paul, par le bain de régénération et non
« par les œuvres de justice que nous avons, fai-
« tes » (Tit. 3). Jésus-Christ dit à ses Apôtres au
sujet de la Pénitence : « Les péchés seront remis
« à ceux à qui vous les remettre^. » (Jean, 20). De
plus le Baptême remet toute la peine du péché,
et les autres sacrements en remettent une partie.
Il n'en était pas ainsi des sacrements de l'ancien
l38 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Testament ; ils ne remettaient la peine que dans
la mesure où la foi et la charité de ceux qui les
recevaient étaient satisfactoires. Cela vient de ce
que Jésus-Christ se communique plus librement
par les sacrements qu'il a voulu lui-même insti-
tuer et ennoblir en leur attribuant la vertu de
produire de plus considérables effets. Ceci paraît
davantage en ce que les sacrements de l'Ancien
Testament n'ouvraient pas la porte du ciel, comme
ceux de la nouvelle Loi. On n'entrait pas au ciel
immédiatement après les avoir reçus, si la mort
arrivait, car, comme dit saint Paul : « La voie des
« saints ti' était pas encore ouverte jusqu'à ce que
« Jésus-Christ^ prêtre^ ouvrit une voie nou-
« velle. » (Héb. 9.) C'est lui qui est entré le pre-
mier au ciel que le péché d'Adam avait fermé,
c'est lui aussi qui a donné aux sacrements la vertu
d'y introduire ceux qui les reçoivent dignement.
La Loi nouvelle renferme encore plus de lumiè-
res que la Loi mosaïque ; et pour ce motif les
sept sacrements sont plus expressifs et élèvent
l'intelligence à une connaissance plus claire des
choses saintes. Ils nous font connaître par les
symboles des choses corporelles les excellentes
propriétés de la grâce divine, car il est naturel à
l'homme de se servir des choses corporelles comme
de degrés pour s'élever à la connaissance des cho-
ses spirituelles. L'eau du Baptême nous apprend
que la grâce blanchit et épure nos âmes ; le
chrême, que cette grâce nous fortifie ; les espèces
du pain et du vin, que la grâce nous nourrit ; le
consentement au Mariage, que cette grâce nous
unit à Jésus-Christ comme à notre Epoux ; en un
DES SACREMENTS 189
mot la forme de chaque sacrement nous repré-
sente quelque trait particulier de la grâce divine.
Ensuite ils donnent à l'homme une plus grande
assurance qu'il est dans la grâce de son Dieu et
dans la voie du salut, non seulement parce que
par leur usage nous témoignons que nous sommes
les disciples de Jésus-Christ et des familiers qui
font partie de sa maison et portent sa livrée,, mais
aussi parce qu'étant persuadés et convaincus par
la foi, que les sacrements confèrent la grâce et
mettent nos âmes dans l'état du salut, quand ils
ne rencontrent pas d'obstacle en nous, et de plus
voyant d'une manière sensible que les sacrements
qui signifient que la grâce de Dieu est en nous,
nous sont appliqués, nous avons une plus grande
confiance que nous possédons ce bien. Si au con-
traire les sacrements étaient purement intérieurs
et spirituels, nous douterions non seulement de
nos dispositions, mais aussi de leur application.
De plus ils perpétuent pour nous le souvenir de
notre Chef et Rédempteur, Jésus-Christ. Jésus-
Christ étant Dieu et homme et nous ayant sauvés
non seulement par les actes intérieurs de son âme,
mais aussi par les actions extérieures et visibles
de toute sa vie, doit être servi non seulement par
des actes intérieurs de l'esprit, mais aussi par des
actions extérieures et par des signes sensibles,
tels que les sacrements, par lesquels son souvenir
est entretenu et conservé sensiblement parmi les
fidèles. C'est pourquoi on les appelle des signes
commémoratifs, démonstratifs et prophétiques;
ce sont des signes commémoratifs de la Passion
de Jésus-Christ, démonstratifs de la grâce qu'ils
•>I40 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
produisent actuellement et prophétiques de la
gloire éternelle, à laquelle ils nous disposent mieux
que la multitude des sacrements anciens.
Si après tout cela nous voulons prolonger notre
considération, nous pouvons observer que nos
sacrements nous élèvent à une plus grande con-
naissance de la puissance, de la sagesse et de la
miséricorde de Dieu. De sa puissance, car par les
sacrements qui sont en apparence peu de chose, il
opère des merveilles indicibles, il sanctifie les
âmes, les dégage de la tyrannie de Satan et du
péché, et les rend glorieuses pendant toute Téter-
nité. De sa sagesse, puisqu'il fait servir à nous
purifier et à nous rendre saints les choses sensibles
et corporelles, par l'usage desquelles nous nous
dépravons davantage. Finalement ils nous élèvent
à la connaissance de la bonté et de la miséricorde
de Dieu, qui par des moyens si faciles nous donne
la sanctifiaation intérieure.
J'admirerai cette double vertu des sacrements
institués par Jésus-Christ, vertu que n'avaient pas
les sacrements de Moïse. Ainsi plus le monde va
en avant et plus les péchés se multiplient, plus la
miséricorde et la magnificence de Dieu se commu-
niquent aux misérables mortels. Ah ! « il na pas
« agi ainsi à V égard de toute nation » (Ps. 147),
comme il a agi avec les chrétiens. O mon âme,
que de bienfaits de Dieu cachés renferment ces
admirables sacrements ! Oh ! heureux celui qui
pourrait creuser davantage cette mine par une
plus profonde méditation ! Quel riche trésor, quelle
abondance merveilleuse de biens et de consola-
tions n'y découvrirait-il pas ? O Seigneur, c'est
DES SACREMENTS I4I
dans ces sacrements que vous déployez les riches-
ses de votre amour à Tégard des mortels. Oh ! je
désire employer les sept jours de la semaine à
vous remercier pour les sept sacrements, comme
pour sept sources d'où coulent jusqu'à nous tous
les biens spirituels. C'est la raison pour laquelle
nous devons honorer vos sacrements et les traiter
avec toute sorte de respect, car ce sont les canaux
sacrés par lesquels votre libéralité magnifique
épanche ses dons et ses grâces pour nous enrichir.
O Jésus, imprimez dans mon cœur ce désir de les
traiter toujours avec respect ! Faites que je retire
de leur usage l'avantage que vous me proposez, à
savoir votre grâce dans la vie présente et votre
gloire dans l'autre.
III
Considérez de plus que les sacrements auront
leur plein effet après cette vie, dans l'état de la
béatitude ; car comme l'état de cette vie est très
imparfait, il reste encore beaucoup à perfectionner
et à achever dans une àme, même lorsqu'elle a été
munie ici-bas des sacrements (i). En effet le
Baptême qui purifie ici l'àme, ne la rend pas
pourtant impeccable, il laisse en elle le foyer du
péché et l'étincelle des concupiscences qui la tra-
vaillent et l'exercent jusqu'à la mort; mais dans la
gloire le Baptême aura son effet total et sa consom-
mation, car l'âme sera absolument impeccable et
affranchie du foyer du péché. La Confirmation
I. Idiota Fernandus de las infantas, in Psal. 109,
c. 45.
142 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
fortifie bien Tàme, mais elle la laissa au milieu des
dangers et des persécutions, où elle perd quelque-
fois courage et manque de force ; tandis que dans
la béatitude elle sera confirmée en grâce pour toute
l'éternité, sans avoir à craindre aucune lutte ni
pour le présent ni pour l'avenir. L'Eucharistie
nourrit ici l'àme, mais d'une manière cachée, car
Jésus-Christ y est présent sans s'y montrer, sans
faire paraître l'éclat incomparable de sa splendeur
et de sa beauté ravissante, tandis qu'au ciel l'àme
sera rassasiée de cet aliment, sans que rien y soit
caché, elle en goûtera et savourera parfaitement
les douceurs infiniment délicieuses. « Travaille^
« pour avoir non la nourriture qui périt ^ mais
« celle qui demeure dans la vie éternelle. »
(Jean, 6). La Pénitence remet ici-bas la coulpe,
mais laisse le plus souvent l'obligation de subir la
peine due au péché, ou sur la terre ou dans le
purgatoire, elle n'affranchit pas l'àme de toute
crainte d'avoir provoqué contre elle-même la
colère divine ; mais dans le ciel toute la peine et
l'appréhension que nous laisse le péché auront
disparu et l'âme sera totalement amendée et con-
vertie sans avoir à craindre aucune rechute dans
un seul de ses défauts. L'Extrême-Onction guérit
les restes du péché, mais non pas tous. Elle donne
quelque confiance et quelque force contre les
craintes et les saisissements qui arrivent à l'heure
de la mort à la pensée des offenses de la vie
passée ; mais elle n'abolit pas la dette entière de la
peine, tandis que dans le ciel tous les restes des
péchés seront ôtés et il n'en subsistera plus rien.
L'Ordre nous fait prêtres et nous donne le pouvoir
DES SACREMENTS 143
d'offrir Thostie vivante au Père éternel, mais il ne
nous en donne Tenticre possession que sous le
voile des espèces, de telle sorte que notre désir
n'est pas encore satisfait et assouvi ; dans la gloire
nous aurons la pleine participation de cette hostie
par une jouissance telle que nous en tirerons notre
félicité éternelle. Enfin le Mariage unit l'époux
mortel avec l'épouse mortelle par un lien qui dure
Jusqu'à la mort, ce qui est l'image de l'union qui
se fait par la grâce de l'àme immortelle avec Dieu
immortel. Mais cette grâce peut se perdre par le
péché et l'union peut cesser, tandis qu'au ciel le
Mariage aura atteint sa perfection, l'àme, comme
épouse, sera unie par la gloire à Jésus-Christ,
l'Epoux immortel, d'une union qui ne sera jamais
rompue. Le temps des noces de l'Agneau sans
tache sera venu, et l'àme, son épouse, préparée et
embellie par les pierres précieuses de toutes les
bonnes oeuvres, sera élevée en triomphe, pour
être mise en possession des palais célestes et des
biens immortels de son divin Epoux, avec lequel
son alliance durera dans tous les siècles des siècles.
Oh ! quel sujet de louer la magnificence divine
pour tous ces effets si parfaits qui paraîtront éter-
nellement dans l'état de gloire ! Ne nous découra-
geons donc pas si après la fréquentation et l'usage
des sacrements nous nous voyons encore dans une
multitude de défauts et d'imperfections. C'est
dans la vie à venir, ô mon cœur, que les fruits des
sacrements seront dans toute leur perfection et
sans aucun défaut. O Dieu éternel, quand viendra
cet état glorieux? Quand aura passé cette vie mor-
telle ? Et quand serons-nous montés par les éche-
144 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Ions des sacrements jusqu'au sommet de notre
félicité ? Oh ! dans cette attente je prendrai cou-
rage et je ne perdrai point le désir de vous servir,
malgré tant de défauts qui me restent. J'espérerai
que tout sera parfait et achevé dans la vie à venir.
Dieu de vérité, vous nous avez fait cette si conso-
lante promesse : « Vous putserec^ avec Joie aux
<f. Jontaines du Sauveur. » (Is. 12). Ces fontaines
sont, ô mon Sauveur, vos plaies sacrées, d'où jail-
lit le sang qui nous purifie ; ce sont également vos
sacrements dans lesquels nous puisons durant
cette vie les eaux de la grâce, mais avec douleur et
amertume, à cause de nos péchés et où nous espé-
rons puiser les eaux des joies éternelles avec une
grande jubilation de cœur, quand les ombres de
cette vie mortelle auront baissé et quand votre
jour lumineux nous apparaîtra. Oh! qu'il vienne
bientôt ce jour si désirable ! Que nous soyons
tous comblés et rassasiés des fruits suprêmes de
vos admirables sacrements.
DES SACREMENTS 145
IV^ MÉDITATION
DU SACREMENT DE BAPTÊME
ET DE SES EFFETS
SOMMAIRE :
Le Baptême consiste à laver le corps avec de Veau
et à prononcer des paroles. — Le premier effet
du Baptême est la rémission du péché originel.
— Le Baptême produit une grâce égale dans
tous les enfants.
I
CONSIDÉREZ que le Baptême est le premier
des sacrements. Il consiste dans l'ablution
du corps avec de l'eau et dans la prononciation de
ces paroles : Je te baptise au nom du Père, du
Fils et du Saint-Esprit. Il fait renaître la per-
sonne baptisée en Jésus-Christ. Toutes ces paroles
méritent d'être remarquées, car il convient que le
Baptême soit le premier des sacrements. C'est là
un de ses privilèges sur tous les autres sacrements
de la religion chrétienne : il est la porte du chris-»
tianisme, l'introduction à la vie chrétienne, l'en-
trée dans la piété et le sacrement par lequel il faut
commencer pour être capable de recevoir les
autres. L'ablution avec l'eau et la prononciation
de ces paroles : Je te baptise^ etc., sont la matière
et la forme qui le composent et les deux signes
Bail, t. ix. IO
146 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sensibles de la grâce divine. L'ablution avec Teau
en est la matière expressément déterminée par
Jésus-Christ qui a dit : « Baptise\-les au nom du
« Pere^ du Fils et du Saint-Esprit. > (Matt. dern.
chap.). Ainsi Teau qui lave les souillures repré-
sente la grâce divine qui lave les taches de Tàme ;
comme aussi Peau est transparente, qu'elle est
rafraîchissante et qu'elle éteint même le feu, elle
signifie encore cette même grâce qui dissipe les
ténèbres du péché et ralentit l'ardeur des concu-
piscences. La prononciation de ces paroles en est
la forme : Je te baptise au nom du Père^ du Fils
et du Saint-Esprit, parce que ces paroles signi-
fient encore plus évidemment la grâce divine qui
rend l'âme pure et nette de toutes ses souillures.
C'est Jésus-Christ qui a prescrit ces paroles, quand
il a dit : « Bapttse:{-les au nom du Père, du Fils
« etdu Saiut-Esprit. » L'Eglise a toujours inter-
prété de telle sorte l'intention de Jésus-Christ,
puisqu'elle a enjoint à ses Apôtres de les pronon-
cer mot à mot en baptisant. C'est pourquoi celui
qui les omettrait ou les altérerait à tel point que le
sens en fut tout autre, ne conférerait pas le sacre-
ment de Baptême, quand bien même il ferait
passer sur un corps toute l'eau de la mer.
Au reste, ce qui est encore lort important, c'est
ce qui termine la définition : pour faire renaître
la personne baptisée en Jésus-Christ. Le Baptême
vise directement à nous donner une nouvelle nais-
sance en Jésus-Christ, naissance sainte et spiri-
tuelle par laquelle nous recevons de lui un être
nouveau et une vie nouvelle, qui nous fait ses
enfants et ses membres, qui fait que nous lu
I>IiS SACREMENTS I.}7
appartenons. C'est pourquoi lui-même traitant de
la Loi avec un grand docteur appelé Nicodème, et
l'instruisant sur le Baptême, lui disait : « Iljaut
« que Fhommc naisse de nouveau. » (Jean, 3).
Car notre première naissance que nous avons tirée
d'Adam par l'intermédiaire de notre père tempo-
rel, de notre mère terrestre et de nos ancêtres, est
une naissance malheureuse et de tout point infor-
tunée, parce que nous sommes conçus et nés
d'Adam dans le péché originel qui est la racine
féconde de toute misère, nous sommes nés
enfants de colère et de la colère de Dieu, pri-
vés des grâces habituelles et des grâces actuel-
les, remplis d'ignorance pour tout ce qui est
bon et profitable, farcis et empoisonnés de concu-
piscences pour les plaisirs, les connaissances, les
grandeurs et tout ce qui s'y rattache. Enfin nous
sommes nés avec des passions brutales, qui secon-
dées par les ténèbres de notre ignorance née éga-
lement avec nous, nous précipitent dans toutes
sortes d'actions mauvaises et désagréables à Dieu.
Si nous n'avons que cette seule naissance du vieil
Adam, il n'y a rien de si misérable que nous.
C'est parce que nous sommes nés si mal et si
malheureusement qu'il faut renaître plus heureu-
sement de Jésus-Christ et par une naissance qui
ait au moins autant de bonnes conditions que
notre première naissance en contient de mau-
vaises.
C'est à cela que tend le Baptême; il répare les
malheurs et toutes les disgrâces de la naissance
corporelle, imprime de nouveau l'image de Dieu
dans nos âmes, nous forme de nouveau et nous
Î48 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
refait avec une structure plus magnifique, et
comme parle le Théologien, (i) plus divine et plus
excellente que la première structure de notre
création. Il nous communique la grâce sanctifiante
et la grâce baptismale, par laquelle est effacé le
péché originel et tout autre péché qui se rencon-
trerait dansl'àme. Cette grâce tient lieu à la per-
sonne baptisée d'un être nouveau et d'une vie
nouvelle, être et vie semblables à l'être et à la vie
de Jésus-Christ; et cette âme désormais appartient
à Jésus-Christ, doit le suivre, l'imiter dans la
sainteté de ses moeurs, de ses intentions, de ses
affections et de sa très sainte vie. C'est pourquoi
saint Paul a écrit ces belles paroles : « Vous êtes
« ictis enfants de Dieu par la foi en Jésus-Christ.
« Vous tous qui êtes baptisés en Jésus-Christ,
« vous ave:^ revêtu Jésus-Christ. Il n'y a plus ni
<i juij, ni grec\ ni esclave, ni homme libre ; ni
homme^ ni femme ; car vous êtes tous un en
« Jésus-Christ. » (Gai. 3). L'Apôtre veut dire :
vous êtes tous refondus par le Baptême, vous
êtes tous les membres d'un même corps, vous
êtes tous les enfants d'un même Père, vous avez
tous la forme de Jésus-Christ, vous êtes nés à son
image et à sa ressemblance, pour être comme lui,
de même que vous étiez nés à l'image et à la
ressemblance du vieil Adam, et également disgra-
ciés comme lui.
Je verrai d'après cette considération quelle
noblesse nous confère le Baptême, par lequel
nous renaissons enfants de Dieu et membres de
I. Greg. Naz. Orat. 40.
DES SACREMENTS 1 49
Jésus-Christ, nous qui étions auparavant enfants
du vieil Adam et membres de Satan. Si un homme
né d'un père misérable, un homme qui est tout
difforme et contrefait, aveugle et malheureux,
pouvait renaître d'un autre père très noble et très
riche, s'il pouvait renaître très beau, très net, très
bien conditionné et très heureux, il serait Timage
de l'homme qui a reçu le Baptême. Et quelle
reconnaissance, ne devrait-il pas avoir de cette
renaissance, quel amour, quel honneur et quel
respect ne devrait-il pas témoigner à ce second
père de qui il tiendrait tant d'avantages et d'excel-
lences ? Quel respect dès lors et quelle affection
ne devons-nous pas témoigner à Jésus-Christ,
notre second père, dont nous avons reçu une
seconde naissance qui répare tous les défauts de
notre première naissance infortunée? Oh! que
nous devons avoir une grande union, une étroite
alliance et amitié et une parfaite conformité avec
ce Père admirable, qui moyennant un peu d'eau
et quelques paroles a eu la vertu si puissante
d'opérer un tel renouvellement ? O Jésus ! je suis
à vous par le titre et l'obligation de mon Baptême;
je suis obligé d'être uni à vous et d'embrasser vos
intérêts, comme un fils ceux de son père, je suis
obligé de ne rien faire de bas et de messéant à
celui qui a l'honneur d'être de votre famille et de
tenir de vous sa naissance spirituelle. Ohi que je
sois donc éternellement à vous ! Que je meure à
mon ancienne vie, pour vivre pour vous seul d'une
vie chrétienne et qui soit toute employée à vous
servir et à vous honorer.
l5o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
II
Considérez les effets du Baptême.
Le premier effet du Baptême est la rémission
du péché originel et de tout autre péché, tant mortel
que véniel, qui pourrait se trouver dans la per-
sonne baptisée, a Je confesserait le Symbole de
Constantinople, qu'il y a un Baptême^ pour la
rémission des péchés. » Saint Paul déclare cette
vérité en ces termes : « Quiconque est baptisé en
« Jésus-Christ , est baptisé dans sa mort »
(Rom. 6), c'est-à-dire selon la ressemblance de sa
mort; parce que de même que la vie corporelle de
Jésus-Christ fut éteinte par sa mort, ainsi le péché
est détruit dans le Baptême. En réalité le Baptême
est une imitation de la mort et de la Résurrection
glorieuse de Jésus-Christ. Il est une imitation de
sa mort, dans laquelle il y a deux choses à remar-
quer, à savoir l'effusion de son sang et l'extinction
de sa vie corporelle. Ainsi dans le Baptême il y a
effusion de l'eau ou immersion dans l'eau et extinc-
tion de la vie du péché. Il est aussi une imitation
de sa Résurrection, dans laquelle il faut encore
considérer deux choses, à savoir la sortie du sépul-
cre et la vie immortelle. Ainsi dans le Baptême il
y a la sortie hors de l'eau et la nouvelle vie spiri-
tuelle (i).
Le second effet du Baptême est la grâce sanc-
tifiante, accompagnée des vertus surnaturelles
de la foi, l'espérance et la charité (2). La grâce
I. Lessius, ad 3 p. q. 69, art. i.
a. In Psalm. 118, octon. 16, c. 5.
n F s s A C R E M E N T s I ? I
sanctifiante lave l'ànie et la rend plus blanche que
la neige. C/est pourquoi saint Ambroise (i) com-
pare les personnes baptisées aux colombes dont il
est fait mention dans le Cantique des Cantiques,
et qui « sont lavées avec du lait. » Celui qui va
être baptisé pourrait dire à Dieu comme David ;
« Vous me laver e\ et je serai plus blanc que la
« neige. » (Ps. 5o).
Le troisième effet est la grâce sacramientelle, qui
comprend une multitude de secours spirituels,
d'illuminations et d'inspirations pour accomplir
la loi chrétienne et remplir tous les devoirs aux-
quels on s'oblige en recevant le Baptême. C'est
pourquoi la plupart des grâces actuelles que reçoit
I. Autrefois un grand nombre de Théologiens ont nié
que dans le Baptême fussent conférées aux enfants les
habitudes surnaturelles (Voir le chap. Majores d'Inno-
cent III). Le Concile de Vienne fit à ce sujet la déclara-
tion suivante : « Nous avons jugé devoir adopter, avec
« l'approbation du saint Concile, Vopinion qui soutient
« que la grâce sanctifiante et les vertus sont conférées
« dans le baptême tant aux enfants qu'aux adultes,
« comme étant plus probable et aussi plus conforme
« soit aux paroles des Saints soit à V enseignement des
« Théologiens modernes. » Mais de cette opinion que le
Concile de Vienne ne donnait que comme plus proba-
ble, le Concile de Trente a fait un article de foi.
Voici ce qu'il dit de toute justification, mais spécia-
lement de la justification dont le Baptême est la
cause instrumentale : « Dans la justification, l'homme
« reçoit par Jésus-Christ à qui il est incorporé, et la
« rémission de ses péchés, et tous ces dons en même temps
« répandus : la foi, V espérance et la chariti'. » (Sess. vi,
chap. 7).
1^2 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
le chrétien pour adhérer à Jésus-Christ et renon-
cer aux pompes du démon, pourraient être attri-
buées au Baptême (i).
Le quatrième effet est la rémission et condona-
tion de toutes les peines qui sont dues, au jugement
de Dieu, pour la punition du péché. L'Eglise a
défini cette vérité dans ses Conciles généraux (2) ;
elle n'impose pas de pénitence ni d'œuvres satis-
factoires à ceux qui sont baptisés. Le Baptême
leur sert de purgatoire et les rend quittes de toutes
leurs dettes envers Dieu, par une plus ample com-
munication qui y est faite. de la mort de Jésus-
Christ, absolument comme si nous avions enduré
la mort pour nos péchés. Ainsi dans notre nais-
sance temporelle la transgression d'Adam nous est
communiquée comme si nous y avions contribué par
1. Saint Thomas en donne la raison. « Par le hap-
« terne on est régénéré à la vie spirituelle. . . Or, la vie
« n'appartient qu'aux membres qui sont unis au chef
« dont ils reçoivent le sentiment et le mouvement . Et c'est
« pour cela que par le baptême il est nécessaire qu'on soit
« incorporé au Christ, comme un de ses membres. Mais
« comme dans l'ordre naturel la tête communique aux
« membres le sentiment et le mouvement^ de même c'est du
«• Chep spirituel qui est le Christ^ que découle sur ses
« membres le sentiment spirituel, qui consiste dans la
« connaissance de la vérité et le mouvement spirituel qui
« est produit par V action de la grâce... C'est pourquoi il
« s'ensuit que ceux qui sont baptisés sont éclaires par le
« Christ à V égard de la connaissance de la vérité, et
« fécondés par lui de la fécondité des bonnes œuvres par
« l'infusion de là grâce. » (III, q. 69, art. 5).
2. Florent, in Decreto unionis ; Trid. sess. 14, can. 3.
DES SACREMENTS l53
notre propre consentement, quoiqu'il y ait quelque
différence. Or cette parfaite communication de la
mort et Passion de Jésus-Christ, avec lequel nous
sommes morts et ensevelis au Baptême, exigeait
en même temps que l'abolition de la coulpe celle
de toute la peine. Il est vrai néanmoins que les
misères et les peines de la vie humaine demeu-
rent après le Baptême, telles que la faim, la soif,
les concupiscences, les maladies, les travaux et la
mortalité. Mais ces choses qui sont la punition du
péché originel chez les païens et les infidèles,
changent de titre chez les personnes baptisées ;
elles ne subsistent pas en elles comme punition,
mais comme des pénalités et comme une matière
à exercer la vertu et à augmenter le mérite à Toc-
casion (i).
I. Citons l'important décret par lequel le Concile de
Trente définit cette doctrine : «... Dans les hommes
« régénérés il rCest rien que Dieu haïsse : Il n'y a rien
« QUI MÉRITE CONDAMNATION DANS CEUX QUI ONT ^TÉ, PAR LE
« BAPTÊME, VRAIMENT ENSEVELIS AVEC JÉSUS-ChRIST, POUR
« PARTICIPER A SA MORT et qîli NE VIVENT PLUS SELON LA
« chair; mais ^«/, dépouillés de vieil homme et revêtus du
« nouveau créé selon Dieu, ont été^ rendus innocents,
« immaculés, purs, sans tache, bien-aimés de Dieu, ses
« héritiers et les cohéritiers de Jésus-Christ, dignes
« d'entrer immédiatiaiement dans le ciel. Que cependant
« la concupiscence^ ou le foyer du péché ^ démettre dans
« ceux qui ont reçu le Baptême, c'est là la pensée et la
« déclaration du Concile; mais, laissée poiLr le combat,
« elle ne saurait nuire à ceux qui lui refusent leur con-
« sentement et qui, secourus par la grâce de Jésus-Christ,
« lui résistent avec courage. Qui plus est, a qui aura
l54 I-A THÉOLOGIE AFFECTIVE
Le cinquième effet du Baptême est le caractère
qui demeurera éternellement comme une marque
et une livrée à laquelle on reconnaîtra que tel
homme a été du parti de Jésus-Christ ; ce qui sera
pour les bons un sujet de gloire et de consolation
dans le paradis, et pour les mauvais qui sont déchus
de la grâce du Baptême, un sujet d'opprobre et de
confusion éternelle dans l'enfer où on les remar-
quera et où on les distinguera entre tous les
autres.
Le sixième effet du Baptême est l'admission ou
la réception dans la famille de Jésus-Christ. Qui-
conque en effet est baptisé est enrôlé dans la so-
ciété du Fils de Dieu, il est au nombre de ses
soldats, de ses membres, de ses enfants, par con-
séquent il est engagé dans son parti, obligé de lui
obéir, de le suivre, de l'imiter et de l'honorer.
Le septième effet est l'ouverture du paradis. Le
Baptême ôte tous les empêchements qui sont les
péchés et les peines qui en découlent. C'est pour-
quoi si le chrétien sortait de ce monde aussitôt
après le Baptême, il trouverait libre entrée dans le
ciel; la preuve en est que quand Jésus-Christ fut
baptisé dans les eaux du Jourdain, les cieux s'ou-
« BIEN COMBATTU EST RÉSERVÉE LA COURONNE. L Apôtre
« appelle quelquefois cette concupiscence péché ; mais le
« saint Concile déclare que jamais l'Eglise catholique na
« compris cette dénomination dans ce sens qtie dans les
« hommes régénérés la concxipiscence fût vraiment et pro-
« prement un péché ^ mais elle a reçu ce nom ^ parce qu'elle
« vient du péché et qu elle incline au péché . Si quelqu'un
« professe un sentiment contraire^ qu'il soit anathème ! »
(Sess. 5, can. 5).
vrircnt pour nous apprendre que ce serait l'effet
du Baptême de rendre libre l'accès du paradis.
Tous ces elVets sont si grands qu'ils ont donné
sujet à Tertullien (i) d'appeler ce sacrement un
heureux sacrement et au Théologien (2) de dire
qu'il est la splendeur des âmes, un changement
de vie en mieux, le renfort de notre infirmité, la
renonciation à la chair, l'assomption de l'esprit,
la participation du Verbe divin, l'amendement de
notre naissance, le déluge du péché, la communi-
cation de la lumière, la destruction des ténèbres,
un char pour aller à Dieu, un pèlerinage avec
Jésus-Christ, l'aide de la foi, la perfection de
l'esprit, la clef du royaume céleste, la communi-
cation de la vie, la délivrance de la servitude,
l'affranchissement de nos liens et le passage de
notre être à un meilleur état, en somme le plus
signalé et le plus fameux des bienfaits de Dieu.
C'est pourquoi saint Louis aimait davantage la
ville de Poissy, où il avait été fait chrétien par le
Baptême, que la ville de Reims, où il avait été
couronné roi de France, parce que les effets du
Baptême sont préférables à tous les biens et à tous
les honneurs de la terre et même aux grandeurs
d'une couronne (3).
Admirez la multitude de tant de nobles effets
obtenus par un moyen si facile et si aisé. Oh !
qu'elle est grande la libéralité de Jésus-Christ à
I. L. De Baptismo.
1. Greg. Naz. Orat. 40,
3. Gaufridus de Bello loco, De vita et convers. Sti
LuDovici. — Le sieur de Joinville en sa Vie,
l56 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
l'égard des âmes qui entrent à son service ! Comme
il leur fait ressentir bénignement la suavité de
son joug, en les comblant tout d'abord de tant de
biens et en les délivrant de tout péché ! Un océan
de larmes ne pourrait pas nous obtenir une ré-
mission de péchés plus entière que deux ou trois
gouttes d'eau. Rendez à Dieu des actions de grâ-
ces, pour avoir, par un trait tout particulier de sa
Providence, reçu un sacrement si riche et si abon-
dant en tout bienetpour l'avoir reçu dans votre pre-
mière enfance, avant même que vous pensiez
seulement à Dieu. Que vous avez d'obligation à
ceux qui vous ont procuré un tel bien ! Hélas !
que de millions de créatures humaines sont et
seront privées d'un si grand bienfait ! Déplorez
leur condition, regrettez la perte et le désastre des
âmes, faute de sacrement. Efforcez-vous de tout
votre pouvoir de le faire administrer à quelque
personne qui est exposée à en être frustrée. Enfin
redoutez après le Baptême de tomber dans quel-
que péché mortel qui vous priverait de tous ses
bons effets, et si, par malheur, vous y êtes déjà
tombé, recourez au plus tôt au sacrement de Pé-
nitence, qui peut réparer d'une certaine manière
ce malheur.
III
Considérez que la grâce sanctifiante produite
par le Baptême est égale chez tous les enfants
baptisés et chez tous les adultes, qui y apportent
une égale disposition. La raison en est que le
Baptême produit son effet à la manière d'un agent
naturel ; or un tel agent produit autant dans un
r>ES SACREMENTS ib']
sujet que dans un autre, quand les dispositions
sont semblables. Et puis, comme le Baptême est
institué par Jésus-Christ avec une mesure déter-
minée de vertu et d'efficacité; laissé à sa propre
force, il ne peut produire qu'un même et semblable
etîet (i). Saint Gyprien(2) prend à tâche d'éclaircir
1. C'est l'opinion conimune des Théologiens. Elle
s'appuie sur le Concile de Trente qui, après avoir dit
que le Baptême est une des causes instrumentales de
la justification, déclare que chacun reçoit en lui une
justice qui lui est propre, « selon la mesure que VEs-
« prit-Saint fait ^ à son gré, à chaque homme, et selon la
« disposition et la coopération personnelle de chacun
« d'eux. » (Sess. v 6, ch. 7.)Ce texte suppose que Dieu,
a déterminé, en instituant les sacrements, la mesure de
grâce qu'ils produiraient, et qu'il l'a déterminée comme
il la voulu <(. proîit vult » et absolument, mais néan-
moins de telle sorte que la quantité de grâce conférée
serait proportionnée aux dispositions plus ou moins
parfaites du sujet. Quelques rares Théologiens ont pensé
que Dieu dans le Baptême confère la grâce d'une manière
inégale aux enfants qu'il prévoit devoir mourir avant
d'avoir atteint l'âge de raison ; la raison qu'ils apportent
est que les hommes doivent être semblables aux Anges
en nombre et en gloire, et que, puisque les Anges sont
inégaux en gloire, les hommes doivent l'être aussi, et
par conséquent doivent recevoir une grâce inégale. Or
c'est là une supposition arbitraire. Scot à son tour
(4, dist. 4, q. 7) semble s'écarter de la thèse commune,
quand il soutient que Dieu, qui a prédestiné les élus à
divers degrés de gloire, peut, ou par une faveur spé-
ciale, ou par une application spéciale des mérites de
Jésus-Christ, ou en considération du mérite de celui
2. Epist. •]() ad Magnum.
Ip8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
cette vérité qu'il confirme par l'autorité d'un
Concile de Garthage. Il compare le Baptême au
soleil et à la manne. De même que le soleil fait
resplendir également ses rayons sur le monde,
ainsi le Baptême communique sa grâce avec éga-
lité ; de même que la manne était distribuée dans
une égale mesure à tous les enfants d'Israël, durant
leur marche à travers le désert; ainsi en est-il de
la grâce sanctifiante, qui découle du Baptême
sur les enfants baptisés. Comme ils sont venus au
monde aussi grands pécheurs l'un que l'autre et
également infectés du péché originel, ils sont éga-
lement sanctifiés.
Si l'on dit que Dieu prédestine tel enfant à
une plus grande gloire que tel autre, et qu'en
vertu de cette prédestination il lui fait une plus
grande largesse de sa grâce, de manière à ce
qu'elle soit proportionnée à une plus grande
qui administre le sacrement ou même des assistants,
conférer à telle personne, outre la grâce accordée à
tous en vertu du sacrement, un supplément de grâce.
Mais, d'après ses commentateurs, Scot ne parlerait que
de ce que Dieu peut faire et n'affirmerait nullement
qu'en réalité il le fait. Cajétan enfin (3. q. 64, a. i)
estime que quelquefois telle personne obtient dans la
réception des sacrements une plus grande grâce que
telle autre, non pas en vertu du sacrement lui-même,
mais à cause de la sainteté et de la dévotion de celui
qui l'administre. Cette opinion ne paraît pas admissi-
ble ; en réalité le ministre du sacrement peut bien mé-
riter quelque chose d'un mérite de convenance à celui
à qui il administre le sacrement, mais il ne peut lui
obtenir directement aucun degré de grâce sanctifiante.
DHS SACRKMKNTS 1:^9
gloire ; il fnut pour répondre à cette difficulté se
rappeler que la prédestination se fait d'après la
prévision des mérites de la vie, et que, comme les
enfants ne sont pas sauvés par leurs propres
mérites, mais par ceux du second Adam, Jésus-
Christ, de même qu'ils étaient perdus par les
démérites du premier Adam, ce n'est pas tant la
gloire à laquelle ils sont prédestinés qui est la
cause de leur grâce, que leur grâce qui est la cause
et la source de leur gloire. Si donc nous ne consi-
dérons que le cours ordinaire de la prédestination,
la prédestination n'est pas la cause pour laquelle
l'un reçoit dans son enfance une gloire plus
abondante que l'autre. Cela pourrait avoir lieu
seulement dans quelques insignes prédestinés,
dont le nombre est aussi rare que la manière dont
ils sont prédestinés est secrète. Certains de ceux-
là pourrraient être plus spécialement favorisés de
Dieu dans leur Baptême ; c'est ainsi qu'un savant
personnage admet la chose comme probable pour
le grand évêque de Myre, saint Nicolas, qui vécut
saintement et pour Dieu, avant que de vivre pour
le monde (i). Mais le privilège accordé à quelques
personnes n'empêche pas que, selon le cours ordi-
naire, la grâce se donne dans une égale mesure à
ceux en qui il n'y a point d'inégalité. En somme
la prédestination ne requiert pas que les enfants
reçoivent dans leur Baptême le privilège d'une
grâce extraordinaire ; mais elle exige seulement
que la Providence de Dieu ne permette pas qu'ils
sortent de ce monde sans Baptême, et sans avoir
I. Turrecremata in Qiiœst. spir. convivii.
l6o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
mérité, par le moyen ordinaire des bonnes œuvres,
le degré de gloire auquel Dieu les a prédestinés.
Pour ce qui est des adultes qui reçoivent le
Baptême à Tàge de discrétion, après s'y être dis-
posés par le repentir de leurs fautes passées, et par
la résolution de vivre soumis à la loi chrétienne, il
est bien vraisemblable que Jésus-Christ, pour
encourager les hommes à mieux se disposer à
recevoir les sacrements, les a institués de telle
sorte et doués d'une telle vertu que la grâce serait
conférée par eux d'autant plus largement qu'on s'y
disposerait mieux. C'est pourquoi celui qui aura
une plus grande foi et une plus grande pénitence
de ses fautes, quand il est baptisé à Tàge de dis-
crétion, y recevra de plus grandes caresses et des
faveurs plus signalées de Jésus-Christ. Il peut
même arriver qu'il ne recevra aucune grâce, s'il
manque d'attrition pour ses fautes, car l'attrition
est la moindre disposition pour recevoir ce sacre-
ment, quoiqu'elle soit suffisante. Toutefois comme
la bonté de Dieu est grande et qu'il ne peut pas
souffrir qu'une âme repentante soit éternellement
privée de l'effet du sacrement, qui ne peut se
réitérer et qui lui est nécessaire pour la vie éter-
nelle, il veut que, lorsque le Baptême a été reçu
sans effet, faute de disposition, ce sacrement pro-
duise la grâce plus tard, à l'instant même où cette
âme ôtera l'obstacle qui arrêtait l'écoulement de la
grâce en elle, c'est-à-dire où elle se repentira sin-
cèrement et sans fiction. C'est, dit saint Thomas ( i),
comme ce qui arrive dans un corps pesant, qui
I, Quœst. 69, art. 10.
bKS SACREMENTS l(h
tend vers la terre et y tombe, si rien ne Ten
empêche, et qui, si un obstacle l'arrête, y tombe de
nouveau, l'obstacle une fois ôté. Ainsi quand
quelqu'un est baptisé, il reçoit, s'il n'y a aucun
obstacle qui l'en empêche, la «iràce sanctifiante, et
s'il y a empêchement par défaut de disposition,
cet empêchement une fois ôté, la grâce revient
dans cette àme, absolument comme si le Baptême
revivait en elle et lui était conféré actuellement (i).
I. Celui-là use de fiction, dit Scot, qui Jait paraître
« une chose extérieurement , tandis qu'il a une chose diffé-
« rente dans le cœur. Quelqu'un peut user de fiction dans
« la réception du sacrement de Baptême de deux ma-
« nicres. Premièrement, s'il fait paraître l'intention de
« recevoir cette ablution de la manière dont l'Eglise
« entend la conférer, et si au fond de l'âme il a une
« intention contraire ; celui-là ne reçoit pas le sacrement.
« La seconde manière d'user de fiction consiste à Jaire
« paraître qu'on a les dispositions requises pour la
« réception du sacrement, alors qu'on ne les a point en
« réalité, soit parce qu'on manque de la /oi orthodoxe, soit
« parce qu'on a quelque péché mortel commis soit avant la
« réception soit dans la réception du sacrement, péché
« mortel dont on n'a à aucun degré ni Vattrition ni la
« contrition. C'est dans ce dernier sens communément
« que les Saints et les Docteurs disent de quelqu'un qu'il
« a reçu le Baptême avec fiction, » (4, dist. 4, q. 5). Il
est certain et admis par le plus grand nombre des Doc-
teurs que celui qui a reçu le Baptême avec ce genre de
fiction,c'est-à-dire en état de péché mortel, — ce qui est un
obstacle à la collation de la grâce, — n'a, pour faire revivre
le sacrement et en recevoir la grâce, qu'à faire disparaître
cet obstacle en se mettant dans la disposition requise.
Le Baptême qu'il a reçu avec cet obstacle à la grâce a
Bail, t. ix. xi
l6'2 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Donc puisque le défaut de disposition dans une
personne ayant l'usage de la raison fait que la
grâce n'est pas conférée, il est bien convenable que
l'abondance des bonnes dispositions la fasse
abonder.
été valide et a imprimé dans son âme le caractère
sacramentel. Or, dit saint Thomas (4, dist. 4, q. i, a.
I, ad 5), ce caractère qui l'a fait membre de la famille du
Christ exige moralement qu'il soit sanctifié et que les
péchés lui soient remis, dès que l'obstacle aura disparu.
Et le sacrement revit non seulement en ce sens qu'il
confère à l'âme la grâce sanctifiante, mais aussi en ce
sens qu'il éteint totalement la dette de la peine tempo-
relle, car cet effet est inséparable de la grâce spécifique
du Baptême. Les Théologiens ne sont pas d'accord sur
le nombre des sacrements qui revivent ainsi. Les uns
disent que seul le Baptême peut revivre ; telle est
l'opinion de Dom. Soto, de Vasquez, etc. Saint Bona-
venture attribue cet effet aux seuls sacrements qui
impriment un caractère, mais à tous ces sacrements.
D'autres Théologiens, notamment Suarez et le cardinal
de Lugo rétendent à TExtrême-Onction, au Mariage et
même à la Pénitence. Cajétan, Pierre Soto, Henriquez
et d'autres admettent que tous les sacrements peuvent
revivre. Quant à saint Thomas, sur ce point comme sur
un certain nombre d'autres, il est difficile de concilier
divers passages de ses œuvres. D'une part il prouve que
le Baptême doit revivre par cette raison qu'il imprime
un caractère ; nous sommes donc autorisés à conclure
qu'il admet la reviviscence de la Confirmation et de
l'Ordre, qui eux aussi impriment un caractère. (5 p. q.
69,3. 10; 4, dist. 4, q. 3, a. 2, sol. 3). D'autre part
quand le saint Docteur affirme dans le commentaire sur
le livre des Sentences (1. c. ad 3) que l'Eucharistie ne
uns SACREMENTS
l63
Je puis reconnaître d'après cette considération
que Dieu traite également les enfants au Baptême,
tant les riches que les pauvres, et que la disposi-
tion plus parfaite que certains y apportent à l'âge
de discrétion, est la source des diîférentes grâces
revit pas, parce qu'elle n'imprime pas de caractère, il
nous autorise à conclure qu'il n'attribue la vertu de
revivre qu'aux seuls sacrements qui impriment un
caractère. Néanmoins dans un autre passage (4, dist.
17, q. 3, a, 4, sol. 1) il enseigne que le sacrement de
Pénitence peut revivre et il ajoute : « comme d'ailleurs
« tous les autres sacrements. » Voici ce qu'on peut dire
de plus probable sur cette question : i) Non seulement
le Baptême, mais aussi la Confirmation et l'Ordre peu-
vent revivre. Par ces sacrements en effet est imprimé un
caractère indélébile qui voue l'homme dans l'Eglise à
un certain état ; il a droit désormais à une grâce propre
à chacun de ces sacrements, grâce qui lui est néces-
saire pour remplir les obligations de l'état auquel il a
été élevé pour toujours. Or si ces sacrements ne revi-
vaient pas, l'obstacle une fois ôté, l'homme qui les
aurait reçus avec fiction, serait à tout jamais privé de
ces grâces nécessaires ; mais cette conclusion est en con-
tradiction avec ce que les Saintes Lettres nous appren-
nent de la bonté de Dieu, qui n'est pas moins grande à
l'égard des pécheurs pénitents qu'à l'égard des justes
(Ezéch, XXXIII, 12). 2) Revivent aussi l' Extrême-Onction
et le Mariage, pour la même raison que nous venons de
donner, car ces sacrements ont une grande ressem-
blance avec ceux qui ne sont conférés qu'une seule fois,
puisque on ne peut recevoir une seconde fois ni
l'Extrême-Onction durant la même maladie, ni le
Mariage, du vivant de l'autre époux. 3) Quant au sacre-
ment de Pénitence, pour qu'il put revivre il faudrait
164 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
qu'il communique aux uns et aux autres. Ainsi
Dieu n'estime que la plus grande vertu et n'a de
préférences dans l'économie des sacrements que
pour les âmes mieux préparées. Que ne puis-je
estimer de même mon prochain, sans acception de
personne, et préférer seulement celui qui pratique
la vertu à un degré plus éminent ? Que ne puis-je
également me résoudre à apporter toujours de
grandes et parfaites dispositions dans l'usage des
sacrements, afin d'y être plus abondamment pourvu
des biens et des richesses précieuses de la grâce
divine.
qu'il put être informe, c'est-à-dire reçu validement et
néanmoins sans produire la grâce. Or il est plus pro-
bable que ce cas est impossible. 4) Enfin, c'est l'opinion
commune des Théologiens que l'Eucharistie reçue
sacrilègement ne revit pas, car ici fait absolument
défaut la raison alléguée pour les autres sacrements.
DES SACREMENTS
l65
r MÉDITATION
DE L'INSTITUTION DE
LA NÉCESSITÉ ET DES CÉRÉMONIES
DU BAPTÊME
SOMMAIRE
Il convenait que le Baptême Jut le premier des
sacrements. — Le Baptême est nécessaire à tous
les hommes. — Principales cérémonies du Bap-
tême.
I
CONSIDÉREZ qu'il convenait que Jésus-Christ
instituât le sacrement de Baptême comme
le premier des sacrements et comme devant servir
d'entrée dans la religion chrétienne. Le Docteur
subtil (i) dit sur ce sujet qu'il fallait qu'un sacre-
ment fut institué pour nous introduire dans
l'Eglise, qu'il fallait que ce sacrement fut nouveau,
qu'il fut très significatif, abondant en grâce, facile
à recevoir et commun à tous.
Il fallait que ce fut un sacrement nouveau, car
la loi de Jésus-Christ était alors nouvelle et par
elle l'ancienne Loi mosaïque était abolie. Or une
Loi nouvelle demande une cérémonie nouvelle
pour son commencement.
Il fallait que ce fut un sacrement clairement
I. Scotus, in 4, dist. 3, q. 4.
l66' LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
significatif, c'est-à-dire qui représentât manifeste-
ment à l'esprit, et lui fit concevoir sans difficulté
le bien et l'effet qu'il produit, car il faut commen-
cer par les choses les plus évidentes et les plus
faciles à entendre, pour avancer ensuite de plus en
plus dans la connaissance des mystères les plus
cachés et les plus secrets de la religion. Au com-
mencement les esprits sont moins instruits, si les
choses n'étaient pas claires comme le jour et faciles
à entendre, ils demeureraient dans l'obscurité et
ne sauraient jamais ce qu'ils entreprendraient.
Il fallait que ce sacrement fût abondant en
grâce et causât une multitude de bons effets. Car
il est bon que celui qui s'adonne au service d'un
maître reconnaisse dès le début qu'il est libéral et
magnifique ; il est excité par là à le servir avec un
plus grand courage. C'est ainsi qu'il fallait que le
premier sacrement de l'Eglise témoignât de la
douceur et de la magnificence de Jésus-Christ, par
la multitude des dons et des grâces que ce Sauveur
y accorderait, pour que le chrétien fut encouragé
à se soumettre à tous les articles de sa loi.
Ce sacrement devait aussi être facile à recevoir,
afin que les hommes ne fussent pas tout d'abord
rebutés, en expérimentant quelque chose de trop
pénible et de trop fâcheux.
En dernier lieu, il devait être commun à tout le
monde sans exception, afin d'apprendre à tous que
Dieu traitait également les chrétiens, quand il les
recevait dans l'Eglise. Il fallait encore qu'il fût
commun dans sa matière, qui devait se trouver
partout, parce que la religion chrétienne devait
être commune à tous les hommes de la terre.
DES SACREMENTS 1 67
Or toutes ces qualités se rencontrent avantageu-
sement dans le Baptême. C'est un sacrement nou-
veau, car,avant Jésus-Christ, il n'y avait pas eu au
monde un sacrement pareil qui se donnât avec
un peu d'eau. Le Baptême est aussi très significatif
et très expressif de la grâce, qui rend les âmes
nettes des souillures du péché. Qu'y a-t-il en effet
de plus facile à se représenter que la purification
de l'âme par la grâce, quand on voit le corps lavé
par l'eau et quand on entend ces paroles : Je te
baptise, c'est-à-dire je te lave, au nom du Père, du
Fils et du Saint-Esprit ? Le Baptême est aussi
fort abondant en grâce ; il remet non seulement
tous les péchés, les grands et les petits, mais il
apporte aussi l'abolition et le pardon entier de
toutes les peines qui leur étaient dues, il produit
même plusieurs autres effets que nous avons con-
sidérés ci-dessus. C'est l'imitation de la mort et
de la Résurrection de Jésus-Christ : de sa mort,
parce que de même que par elle s'éteignit la vie
de Jésus-Christ intérieurement, quand soncorpsfut
baigné dans son sang, ainsi par le Baptême la vie
du péché est éteinte intérieurement, quand le corps
est baigné dans l'eau; de sa résurrection, parce que
de même que Jésus-Christ sortit de son tombeau
avec une vie nouvelle sans aucune plaie, ni aucune
peine, ainsi le baptisé son de l'eau avec une vie
nouvelle exempte de toutes les plaies et de toutes
les peines du péché. Le Baptême est encore facile
à recevoir. Il n'y a ni fer ni pierre tranchante
comme dans la circoncision des Juifs, le péché
originel y est lavé facilement avec un peu d'eau,
tandis que le fer ne pouvait le racler que très dif-
l6S LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ficilement et non sans effusion de sang parmi les
Juifs. Enfin le Baptême est commun à tout le
monde, Peau coule dans tous les lieux du monde
pour baptiser les hommes qui sont tous obligés
par la loi de Jésus-Christ de recevoir ce sacrement.
Quand le Sauveur fut sur le point de quitter la
terre pour monter au ciel, le cœur brûlant d'amour
pour le salut de tous les hommes, il recommanda
tous les hommes à ses Apôtres et à ses disciples,
puis instituant le Baptême avec tous ses avantages
il leur donna cet ordre : « Alle:!^, enseigne^ toutes
« les nations, baptises[-Ies au nom du Père, du
« Fils et du Saint-Esprit ». (Matt. 28).
O l'amour suave ! O la charité universelle de
Jésus-Christ dans l'institution de ce sacrement ! O
Dieu infini, que louerai-je davantage, ou la gran-
deur de votre amour, ou la merveille de votre sa-
gesse dans cette sainte et adorable institution ? Je
louerai l'un et l'autre et je convierai toutes les
âmes prudentes de la terre à vous remercier pour
ce premier sacrement. Hélas ! tous les enfants
baptisés ne vous louent pas pour ce bienfait,
parce qu'ils sont privés de l'usage de la raison, et
parmi les personnes raisonnables et âgées peu
vous savent gré, comme il conviendrait, de ce
merveilleux bienfait. O Seigneur, au nom de tous,
des petits et des grands, je vous rends grâces et je
vous adore profondément pour nous avoir donné
le Baptême, afin que par lui nous entrions dans
l'Eglise et nous nous consacrions à votre service.
DES SACREMENTS l6c)
II
Considérez que la réception du Baptême est
nécessaire à tous les hommes de la terre, grands
et petits, pour être délivrés du péché originel et
arriver à la vie éternelle. Sur ce point les paroles
de la Vérité sont expresses : « Si quelqu'un ne
« renaît pas de l'eau et du Saint-Esprit, » c'est-à-
dire de la grâce du Saint-Esprit, « il ne peut pas
« entrer dans le royaume de Dieu ». (Jean, 3).
Tous les hommes viennent au monde souillés du
péché originel, qui les rend enfants de colère et
exposés à Tindignation de Dieu ; c'est pourquoi
ils ne verront jamais la face de Dieu et la mer-
veille infinie de son Essence, s'ils ne sont purifiés
par l'eau et par les paroles sacramentelles du
Baptême, par lequel la maladie originelle est
guérie et leur première nativité selon la chair est
réformée avec avantage par une nativité selon l'es-
prit, car, comme l'ajoute la Vérité : « Ce qui est
« né de la chair est chair ^ et ce qui est né de Tes-
« prit est esprit. Voilà pourquoi je vous ai dit
« qu'il fallait naître de nouveau ». Ce qui signifie
qu'il faut naître de nouveau pour devenir céleste
et spirituel, en remplissant les obligations du
Baptême qui soumet les âmes à la loi immaculée
de Jésus-Christ. L'origine de cette nécessité c'est
que tous les hommes considérés comme enfants
et membres d'Adam, étaient obligés de se sauver
par le don de la justice originelle dans laquelle ils
devaient naître et étaient tenus de se conserver.
C'était le premier plan de Dieu pour le salut des
hommes. \Oi de même qu'il arrive que celui qui
1^70 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ne peut nager, est obligé d'avoir une barque pour
passer la rivière, et que si on faisait un pont sur
la rivière, il ne serait pas obligé d'avoir une bar-
que pour la traverser ; ainsi en est-il de la question
qui nous occupe. L'homme étant par lui-même
incapable de passer de la terre au ciel, était rede-
vable à la justice originelle qui lui eût donné le
moyen de se sauver en qualité de membre d'Adam ;
mais depuis l'Incarnation, Dieu a changé ce plan,
il lui donne un pont pour passer au ciel, ce pont
c'est la grâce baptismale ; car elle fait que les
hommes qui étaient auparavant des membres
d'Adam deviennent des membres de Jésus-Christ.
L'ordre d'après lequel on se sauve étant changé,
l'homme est exempt de l'obligation qui lui était
imposée de posséder la justice originelle, mais il
est tenu de passer par le pont du Baptême.
Cette nécessité du Baptême est si grande et
admise d'une manière si certaine dans l'Eglise
que jamais l'Eglise n'a ordonné de faire des priè-
res pour les enfants morts sans Baptême, et même
elle n'a jamais permis qu'ils fussent ensevelis en
terre sainte, les considérant comme perdus et
incapables d'arriver jamais au ciel. Saint Augus-
tin écrivant à saint Jérôme rend témoignage de
cette croyance universelle de l'Eglise. Quiconque
dira que les petits enfants qui sortent de cette vie
sans ce sacrement et sans sa participation sont
vivifiés de Jésus-Christ, celui-là condamne toute
l'Eglise, vers laquelle on se hâte et l'on court
pour porter les enfants à baptiser, parce que l'on
croit sans aucun doute qu'ils ne peuvent être au-
trement vivifiés en Jésus-Christ.
DES SACREMENTS I7I
Il n'est pas sûr d'estimer que, lorsque le Bap-
tême ne peut être appliqué pour quelque raison,
Dieu y supplée par quelqu'autre moyen extraordi-
naire, de manière à ce que les enfants ne périssent
pas. Ce moyen extraordinaire a été inconnu à
tous les Pères et à tous les Docteurs de l'Eglise,
qui jamais n'a eu connaissance de ce secret si im-
portant, et qui par suite n'a jamais pu se résoudre
à prier pour le salut d'un enfant décédé sans Bap-
tême, pas plus que pour un pécheur adulte décédé
sans Pénitence, croyant le Baptême aussi néces-
saire au salut de celui-là que la Pénitence est
nécessaire au salut de celui-ci. C'est pourquoi ce
qu'a mis en avant l'hérésiarque Calvin, à savoir
que les enfants des fidèles naissent sanctifiés et
qu'il n'est pas besoin de hâter le Baptême de ces
enfants, est une maxime pleine de cruauté qui a
été suggérée par Satan, le mortel ennemi des
hommes. Cette maxime a fermé le paradis à un
nombre indicible de petits enfants, pour qui les
parents hérétiques ont différé le Baptême, de
sorte que la mort, en les ravissant, les a privés et
les prive encore tous les jours de la félicité éter-
nelle. Cette félicité Jésus-Christ a résolu de ne la
donner à personne sans la réception de ce sacre-
ment ; il l'a établi dans l'Eglise comme l'arche au
temps du patriarche Noé, hors de laquelle per-
sonne n'échappa au déluge. Grand décret en vé-
rité, grave décision, en conséquence de laquelle
des enfants sans nombre périssent tous les jours,
ou par avortement, ou à cause des difficultés de
l'enfantement ou pour toute autre raison, sans
(|ue cet unique reniède de salut leur ait été appli-
172 LA THÉOLOGIE AFFFECTIVE
que. Néanmoins si, dans ces lamentables misères,
les jugements de Dieu sont cachés, ils ne sont ni
injustes ni répréhensibles. Dieu en effet après le
péché originel pouvait laisser tous les enfants
d'Adam dans leur état de disgrâce et de mort sans
les en relever. Cependant il ne Ta pas voulu. Il a
établi ce remède, qui est le plus commun et le
plus facile de tous les remèdes ; car il pouvait être
appliqué par une personne étrangère aux enfants
qui avaient été perdus par la volonté d'autrui. S'il
ne peut être appliqué à tel enfant en particulier,
cela provient de la faute de celui qui par malice
ne veut pas baptiser l'enfant ou de celui qui con-
tribue par son péché à troubler tellement l'ordre
des causes secondes qu'un enfant est empêché de
naître et dès lors devient incapable de renaître.
Dans ces divers cas le défaut de Baptême ne peut
pas être attribué à Dieu, qui, comme cause uni-
verselle, doit laisser agir les agents naturels selon
leurs instincts et de la manière qui leur convient,
sans troubler à chaque instant l'économie de ce
monde (i). Par ce procédé il fait paraître d'abord
la suavité de sa Providence, en ne voulant pas
user de violence sur les êtres de la nature, et en-
suite la sévérité de sa justice, en permettant ces
choses en punition du péché, et enfin sa miséri-
corde toute particulière à l'égard de ceux qui
viennent au monde dans un si heureux concours
de circonstances célestes et terrestres, que le Bap-
tême leur est heureusement appliqué (2).
1 . Saint Prosper, 1. 2. De vocat. gentium, c. 23 .
a. Sur cette question particulièrement ardue, il sem-
DES SACREMENTS lyS
Oh ! quelle grande obligation nous avons à
Dieu à ce sujet? Quand je jette les yeux sur les
quatre parties du monde, où tant de peuples sont
enveloppés dans un déluge de perdition, sans y
trouver Tarche du Baptême, je me sens porté à
m'écrier : Eh ! Seigneur, que vous ai-je fait pour
recevoir la faveur singulière du Baptême ? Pour-
quoi ai-je été préféré à tant d'autres qui vous eus-
sent témoigné plus de reconnaissance que moi ?
Vous avez jeté les yeux sur moi, Seigneur, lors-
que je n'étais encore que dans les maillots et dans
ble qu'il faille se contenter de la solution suivante, sans
pouvoir affirmer qu'elle satisfasse absolument notre
esprit. Dieu veut le salut des enfants qui meurent sans
Baptême^ d'une volonté sérieuse dont il donne des
preuves en leur préparant les mérites de Jésus-Christ
qui est mort pour eux et le Baptême qui a été institué,
pour leur appliquer ces mérites. Mais Dieu ne veut
leur salut que d'une volonté conditionnelle, c'est-à-dire
« autant qu'il dépend de lui », dit Suarez (lib. iv De
Provid. grat. circ. reprobos, c. IV, n. lo). 11 ne le veut
pas d'une manière absolue et indépendamment des
obstacles inhérents au mode de rédemption que dans
sa sagesse il a choisi et qui consiste à ne rendre actuel-
lement à l'homme qu'une partie des biens perdus par
Adam, à savoir la grâce sanctifiante, mais non l'inté-
grité, ni l'immortalité, ni l'exemption des misères mul-
tiples de cette vie. Or exiger que Dieu veuille d'une
manière absolue le salut de tous les enfants, ce n'est
rien moins qu'exiger qu^il supprime la maladie et la
mort, la malice et la négligence chez tous les hommes.
Dieu assurément n'était pas tenu de créer un tel ordre
de choses, qui serait tellement parfait qu'il remporte-
rait en perfection sur l'état d'innocence, où l'homme
^74 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
les misères de ma première enfance, vous m'avez
alors prévenu de vos bénédictions. Mon âme s'en
réjouit maintenant et vous loue à ce souvenir en
même temps que mon cœur tressaille d'allégresse.
Qui vous est semblable, ô Seigneur, dans vos des-
seins merveilleux ? Vos œuvres sont admirables et
vos affections incomparables! Oh ! jamais le temps
n'arrachera de ma mémoire le souvenir de vos
bienfaits anciens à mon égard. Ah ! continuez-les,
Seigneur très pitoyable, et de même qu'en entrant
dans ce monde, j'ai reçu le premier des sacre-
ments, faites que je ne sorte pas de ce monde par
malgré tous ces dons était sujet à défaillir. On ne s'ex-
pliquerait même pas, si un tel ordre avait jamais dû
être établi, pourquoi il ne l'aurait pas été avec l'état
d'innocence dans lequel cependant Dieu a créé l'homme
faillible et a même permis qu'il faillit. — Quant au sort
des enfants morts sans Baptême, la foi catholique ne
nous apprend d'une manière certaine qu'une seule chose,
c'est qu'ils sont éternellemenl exclus du ciel : « Nous
« définissons^ dit Eugène IV, que les âmes de ceux qut
« meurent avec le péché mortel actuel ou avec le seul
« péché originel, descendent aussitôt en enfer, oh elles
« sont punies de peines inégales. » (Bulla Lœtentur
CŒLi), c'est-à-dire spécifiquement inégales, de la peine
du dam et du sens pour les âmes coupables de péchés
actuels mortels et de la seule peine du dam pour les âmes
souillées du seul péché originel ; c'est la doctrine à
peu près unanime des Scolastiques à la suite de Pierre
Lombard. Ces entants c prouvent-ils tout au moins
quelque tristesse à la pensée du ciel à jamais perdu ?
L'opinion plus probable le nie avec saint Thomas (In 2,
dist. ))f q. 2. a. 2), et nie également qu'ils aient la
moindre notion sur l'existence du ciel.
DES SACREMENTS 1 75
la mort, sans recevoir le dernier sacrement, que
votre bonté nous a préparé pour ce temps. « Quand
« la force me manquera, ne me délaisse^ pas. »
III
Considérez les principales cérémonies du Bap-
tême, tant celles qui le précèdent que celles qui
le suivent. 11 n'y a pas de sacrement qui s'admi-
nistre avec un plus grand nombre de belles céré-
monies, soit parce que c'est l'entrée dans l'Eglise,
soit afin que ce sacrement ne fut pas médio-
crement estimé à cause de la vilité de la ma-
tière, qui n'est que de l'eau commune et natu-
relle (i).
Les principales cérémonies qui précèdent le
Baptême sont le catéchisme, l'exorcisme et le
renoncement aux pompes du démon. Le caté-
chisme s'}' fait de deux manières, par paroles
expresses et par des œuvres ou des signes qui
mstruisent le baptisé de ce qu'il doit faire. Bien
qu'aujourd'hui ceux qui reçoivent le Baptême ne
comprennent pas ce catéchisme, parce que ce sont
ordinairement de petits enfants, on le fait néan-
moins, pour garder l'uniformité. Et puis il est
utile aux parrains et aux assistants, pour leur
apprendre l'obligation qu'a l'enfant de savoir les
mystères de la foi ainsi que la pratique des bonnes
mœurs, et pour leur apprendre qu'ils doivent, le
temps venu, contribuer à le leur enseigner, sans
compter que cela leur rappelle à eux-mêmes leurs
propres obligations. C'est pourquoi ce catéchisme
1. D. Bonavent. in 4, dist. 7, art. ^.
i']6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
consiste en paroles, par lesquelles on explique les
principaux mystères de la foi et en quelques
signes qui révèlent les bonnes mœurs que doit
avoir le baptisé ; c'est ainsi qu'on lui fait sur le
front le signe de la croix, pour signifier qu'il ne
doit pas avoir honte de la croix de Jésus-Christ,
on le lui fait aussi sur la poitrine et sur les épau-
les, pour signifier qu'il doit la porter intérieure-
ment, et qu'il doit extérieurement supporter de
bon cœur le joug de la religion chrétienne. Le sel
qu'on lui met dans la bouche, indique qu'il doit-
prendre goût aux choses pieuses et les pratiquer
avec la saveur de la dévotion. Il en est de même
de la salive dont on lui humecte les narines et les
oreilles ; c'est pour lui apprendre qu'il doit réveil-
ler et appliquer ses sens à tout ce qui est des
choses divines. Enfin les onctions qui se font
avant le Baptême servent à lui montrer qu'il doit
être disposé à combattre ses ennemis invisibles,
parce que anciennement les soldats, avant de com-
battre, étaient oints avec de l'huile.
La seconde des cérémonies principales est l'exor-
cisme. Celui qui donne le Baptême adjure le
démon de laisser libre la personne qu'il va bapti-
ser, et qui, à cause du péché originel, est en quel-
que sorte livrée à sa puissance. Aussi cette céré-
monie n'est-elle pas inutile : elle sert à mettre le
diable en demeure de ne pas s'opposer au Bap-
tême, et de n'exercer aucune cruauté contre l'en-
fant, ce qui arrive quelquefois. A cette cérémonie
appartient le souffle, par lequel on traite le démon
avec mépris, comme s'il n'était qu'une paille
légère qu'on chasse avec un souffle. A cette céré-
DES SACREMENTS I 77
monie appartient encore l'imposition des mains du
prêtre avec la bénédiction ; par là il dénote qu'il
prend possession de l'enfant et qu'il en ferme les
avenues au démon, de manière à ce qu'il n'entre
jamais en lui.
La troisième cérémonie est le renoncement à
Satan et à ses pompes. Celui qui est baptisé fait
profession de renoncer à toutes les vanités et à
toutes les concupiscences du monde comme aussi
à toutes les mauvaises suggestions de Satan, pour
se donner entièrement au parti de Jésus-Christ ;
ainsi il se sépare des Egyptiens et les délaisse,
comme firent les enfants d'Israël, avant de passer
la mer Rouge, qui est l'image du Baptême. De là
vient que saint Pierre l'appelle : l'interrogation
« d'une bonne conscience envers Dieu » (I Pierr. 3) ;
c'est-à-dire l'examen et la recherche de l'état d'une
àme envers Dieu, pour savoir si elle est ferme et
résolue à le servir, à abandonner le parti de Satan
et à renoncer à toutes ses suggestions. C'est pour-
quoi après que le prêtre a demandé à celui qui
doit être baptisé, s'il renonce à Satan et à ses
pompes, il lui demande s'il veut être baptisé.
C'est comme s'il lui demandait s'il veut être au
nombre des sujets, des membres et des enfants
spirituels de Jésus-Christ, et s'il veut porter toutes
les obligations de sa loi.
Après quoi il le baptise par l'application de
l'eau et la prononciation des paroles sacramentel-
les qui sont l'essence du Baptême et qui confèrent
la grâce sanctifiante et les effets déjà énumérés.
En confirmation de quoi suivent trois autres céré-
monies : la vêture de la robe blanche, l'onction au
Bah, t. IX. p
l'^8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sommet de la tête avec le chrême composé d'huile
et de baume, enfin la remise du cierge allumé
entre les mains de Tenfant baptisé. La robe blan-
che a pour but de témoigner de la pureté et de la
splendeur d'une innocence angélique. Le chrême
est pour témoigner de la dignité royale à laquelle
Tenfant est élevé par le Baptême, car il est uni au
corps mystique du Roi des rois et a le droit d'atten-
dre le royaume éternel. Le cierge allumé a pour but
de témoigner de la foi par sa lumière, de l'espé-
rance par sa forme élancée et droite et de la cha-
rité par sa flamme ; car ce sont là les trois vertus
théologales qu'il reçoit par le Baptême en même
temps que d'autres et qu'il doit présenter de nou-
veau à la fin de sa vie ; c'est pourquoi au moment
de la mort le cierge allumé lui est encore mis
entre les mains.
Telles sont les principales cérémonies qu'on
observe encore aujourd'hui en conférant le Bap-
tême, cérémonies touchant lesquelles les Pères
nous ont laissé de très remarquables témoignages,
tout en ajoutant d'autres raisons et d'autres par-
ticularités que les plus curieux méditeront dans
leurs ouvrages (i).
De ce que nous en avons considéré nous devons
I. Les saints Pères en effet font mention dans leurs
ouvrages de presque toutes les cérémonies que nous
observons aujourd'hui dans l'administration de ce sacre-
ment, comme on peut le constater en lisant Tertullien
(De bapt. et de cor. mil.), Origène (Hom. 12. in Num.),
saint Cyprien (Epist. 70), et surtout saint Cyrille de
Jérusalem (Catech. myst. 2). Cf. Probst (Sacram. p. 12')
et suiv.).
DES SACREMENTS 179
apprendre avec quel respect doit être traité ce
sacrement, queTEglise dirigée par le Saint-Esprit
administre avec tant de m3'stérieuses cérémonies.
Nous devons aussi reconnaître quelles sont nos
obligations après le Baptême et combien nous
devons être saints et éloignés de toutes les œuvres
que nous suggère Satan, qui sont rorgueil,renvie,
la haine, la contention, la jalousie, la colère, les
querelles et les dissensions, en un mot toutes les
concupiscences de la terre ; car nous 3^ avons
renoncé dans le Baptême pour nous consacrer
uniquement àJésus-Christ. Or examinons un peu
combien il s'en faut que les chrétiens s'acquittent
de ces devoirs. Si plusieurs d'entr'eux avaient
renoncé à Jésus-Christ et s'étaient liés avec Satan,
pourraient-ils mieux seconder ses pernicieux des-
seins? Auraient-ils oublié davantage Jésus-Christ,
comme aussi tout ce qui concerne l'amour et le
respect qui lui sont dus ? Rentrez en vous-même
et voyez combien de fois vous avez manqué aux
devoirs de votre Baptême. Dites avec un grand
personnage: (i) Seigneur, vous savez qu'après
mon Baptême j'ai méprisé vos commandements,
que, par négligence, j'ai omis le bien que je devais
faire, que, par audace, j'ai fait le mal que je ne
devais pas faire et que, par concupiscence, j'ai com-
mis plusieurs péchés de la vue, de l'ouïe, du
goût, de l'odorat, du toucher, d'autres péchés en
pensées, en paroles et en actions. Je n'ai point
gardé et accompli ce que j'ai promis dans le sacro-
saint Baptême en présence de vos Anges et de vos
I. Alcuinus, De usu Psalm.
iSÔ LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Saints. « O Seigneur, vous connaisse^ ma folie,
« et mes péchés ne vous sont point cachés. »
(Ps. 68). Faites-moi miséricorde et accordez-moi
la grâce de faire pénitence. O mon Roi, ne per-
mettez pas que mon cruel ennemi vienne à bout
de ses desseins contre moi, car il est résolu à
vous offenser et à me perdre, et « il tourne comme
« un lion rugissant cherchant quelqu'un à de-
if. vorer. (I Pierr. 5). J'ai renoncé à lui dans le
Baptême, j'y ait fait profession de m'attacher à
vous. Faites, ô Créateur très sublime, par votre
protection perpétuelle, que je sois tel que vous
m'avez fait la grâce d'avoir été par l'eau de la
régénération, et puisque j'ai commencé une fois
d'être à vous, que je ne connaisse jamais aucun
autre maître.
DES SACREMENTS lOI
Vr MÉDITATION
DU SACREMENT
DE CONFIRMATION
SOMMAIRE
Ce qu'est la Confirmation. — Merveilleux effets
de la Confirmation. — Pourquoi la plupart
des chrétiens sont si faibles.
I
CONSIDÉREZ que la Confirmation est un sacre-
ment. Il consiste d'une part dans une onc-
tion qui est faite ordinairement par Tévêque en
forme de croix sur le front avec le saint-chrême
qui est composé d'huile et de baume, bénits
par l'évêque, et d'autre part dans la prononciation
de ces paroles : Je te marque du signe de la croix
et je te confirme du chrême du salut, au norn du
Père, du Fils et du Saint-Esprit. Il a pour
but de fortifier la grâce reçue dans le Baptême.
La Confirmation est un sacrement, comme l'a
défini l'Eglise dans ses .Conciles généraux, parce
qu'elle renferme plusieurs signes visibles institués
par Jésus-Christ, pour signifier et conférer la
grâce : à savoir l'onction avec le saint-chrême qui
est la matière du sacrement (i) et les paroles que
I. Pour ce qui regarde la matière prochaine du sa-
crement de Confirmation, l'opinion la plus commune-
l8l LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ron prononce en Tadministrant, qui en sont la
forme, parce qu'elles dénotent plus expressément
Feffet de la grâce qui y est conférée pour rendre
une âme plus forte. Le second sacrement, dit le
Concile de Florence, (i), est la Confirmation, dont
la matière est le chrême fait d'huile, qui signifie
la netteté de la conscience, et le baume qui signifie
l'odeur de la bonne réputation ; il est béni par
l'évêque. En voici la forme : « Je te marque du
« signe de la croix et je te confirme avec le chrême
« du salut, au nom du Père, du Fils et du Saint-
« Esprit. » Le ministre ordinaire de ce sacrement
est l'évêque ; le simple prêtre peut faire toutes les
autres onctions, mais l'évêque seul doit faire celle-
ci, parce que nous lisons que les Apôtres seuls,
dont les évêques tiennent la place, donnaient le
Saint-Esprit par l'imposition des mains. On lit
toutefois qu'un simple prêtre avec dispense du
Siège apostolique et pour une cause raisonnable
et urgente, a administré quelquefois le sacrement
ment admise par les Théologiens modernes considère
comme essentielles, soit l'imposition des mains, soit
l'onction avec le saint chrême, m.ais en entendant par
imposition des mains non pas celle qui a lieu au début
delà cérémonie de la Confirmation, mais celle qui accom-
pagne l'onction elle-même et ne forme avec elle qu'un
seul geste. Saint Alphonse de Liguori dit : L'opinion
« que nous défendons et que nous considérons avec Bcl-
« larmin comme très certaine, est que la matière adéquate
« et totale de la Confirmation est V onction avec le chrême,
« onction qui est faite aux confirmés par V imposition de
« la main de l'évêque . » (1. 6, n. 164).
I. Florent, in Decr. Eugenii — Trid. sess. 7, cap. i.
ni:S SACREMENTS 1 i^3
de Contirmation, avec néanmoins un chrême béni
par révèque.
L'elTet de ce sacrement est de donner le Saint-
Esprit /)c>7^r la force (c'est-à-dire pour renforcer),
comme il fut donné aux Apôtres le jour de la
Pentecôte, afin que le chrétien confesse hardiment
le nom de Jésus-Christ. C'est pour ce motif que
celui qui est confirmé est oint au front, où est le
signe de la honte, afin qu'il n'ait point honte de
confesser le nom de Jésus-Christ et principale-
ment sa croix. Telles sont les paroles de l'Eglise,
qui « est la colonne et le soutien de la vérité »
(I Tim.3);afin que nous ne puissions pas errer, elles
nous font connaître ce qui appartient à l'essence
de ce sacrement, et nous font entendre que tout
cela doit avoir été établi par Jésus-Christ, à qui
seul il appartient de déterminer ce qui est néces-
saire au sacrement. Ainsi le Sauveur a dû en ins-
truire les Apôtres, soit avant sa mort dans la cène
de l'agneau pascal, dans laquelle il enseigna à faire
le chrême, ainsi que l'écrit le pape Fabien (i),
soit après sa résurrection, quand apparaissant à
ses Apôtres, il les entretenait « du royaume de
« Dieu » (Act. i), c'est-à-dire de l'Eglise, de sa
police, de son gouvernement et surtout de l'admi-
nistration des sacrements. De là vient que par une
tradition perpétuelle, elle a conservé cette matière
et cette forme pour ce sacrement et a toujours
considéré ce sacrement comme ayant pour but de
fortifier la grâce du Baptême. Car ce qui se passe
dans la naissance et la vie du corps, se remarque
I. Epist. 2, c. I ad Orient.
184 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dans la naissance spirituelle et la vie de l'àme. De
même que dans la vie corporelle l'homme est
d'abord engendré, et qu'ensuite il croît et parvient
à la force d'un âge ferme et robuste qui le rend
capable d'accomplir les actions qui lui sont pro-
pres ; ainsi par le Baptême l'homme est engendré
à la vie, qui chasse de lui la mort du péché, et par
la Confirmation, il reçoit un accroissement ; sa
nouvelle vie qui ne fait que commencer au Bap-
tême et qui est encore faible, est fortifiée, de
manière à ce qu'il puisse faire les actes d'un chré-
tien, au milieu des tentations qui l'attaquent.
Ainsi par ce sacrement il reçoit un surcroît de
grâce ; cette grâce est confortative et corrobora-
tive de celle du Baptême qu'elle rend plus parfaite.
C'est ce que signifie l'huile qui surnage dans l'eau
et qui tient le dessus ; car c'est ainsi que la grâce
donnée dans la Confirmation s'élève au-dessus de
celle qui est donnée dans le Baptême. C'est encore
ce que dénotent les paroles qui servent de forme
pour ce sacrement, elles signifient que le chrétien
qui n'est pas absolument ferme dans les tentations
de ses adversaires, par le fait de la seule grâce
reçue dans le Baptême, est confirmé et fortifié
pour être plus stable, plus ferme, plus robuste,
plus raide, plus impitoyable et invincible par la
Confirmation. C'est pourquoi le prélat lui impose
les mains sur la tête, comme pour lui donner de
l'assurance et lui dire qu'il est sous la protection
de Dieu qui ne lui manquera pas au besoin.
Contemplez dans ce sacrement l'immense cha-
rité et providence de notre Dieu à l'endroit de
ceux qu'il a incorporés à son Eglise, qu'il a attirés
DES SACREMENTS 1^5
et appelés à lui par le Baptême pour leur donner
une nouvelle naissance et une nouvelle vie. Il ne
veut pas laisser son œuvre commencée sans Tache-
ver, il n'a pas mis des enfants au monde pour les
abandonner dans leur faiblesse et dans leur infir-
mité. Le prophète Jérémie se lamentait sur la
dureté des pasteurs de la synagogue, qui ne pre-
naient pas soin de perfectionner les âmes confiées
à leur conduite : « Les lamies ont découvert leurs
« mamelles et ont allaité leurs petits; mais la
« fille de mon peuple est cruelle comme ïautru-
« che du désert » (Lament. 4), qui abandonne
dans le désert ses œufs et ses petits. Il n'en est pas
ainsi des pasteurs de l'Eglise ; ils ont soin d'élever
et de fortifier ceux qui sont nés dans les eaux du
Baptême, ils les fortifient avec l'huile de la Confir-
mation et ils les corroborent avec le signe de la
croix, pour les faire rester debout. O Jésus, que
votre miséricorde est grande, ainsi que votre dou-
ceur paternelle à l'égard de vos enfants ! Oh ! qu'il
vous appartient bien de dire : « Une femme peut-
« elle oublier son enfant et n'avoir pas pitié du
« fruit de ses entrailles ? Eh bien ! si elle tou-
« bliait, moi, je ne l oublierai pas. » (Is. 49). Oh !
que vous le montrez bien dans ce sujet où vous
pourvoyez par un nouveau sacrement à ce que
ceux qui sont régénérés par les eaux du Baptême
et qui ont reçu la nouvelle vie de votre grâce, puis-
sent se conserver au milieu de tous les périls et
des hasards de ce monde auxquels ils sont expo-
sés ! Ainsi non content de nous avoir donné les
richesses de votre grâce dans l'enfance de notre
Baptême, vous nous avez aussi donné le Saint-
I \
^86 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Esprit pour tuteur et protecteur dans la Confir-
mation. Oh ! quel soin vous avez du salut des
hommes mortels, et que le désir que vous avez de
leur bien est grand ! « Loue^ ô Jérusalem, le Sei-
« gneur ; loue, ô Sion^ ton Dieu ; parce quil a
« renforcé les serrures de tes portes et qu'il a
« béni tes enfants. » (Ps. 147). Espérons, ô mon
âme, dans sa Providence.
II
Considérez les effets de la Confirmation.
Le premier est la seconde grâce sanctifiante,
c'est-à-dire une augmentation de grâce, par
laquelle l'âme est enrichie davantage et confirmée
davantage dans la sainteté et dans le droit qu'elle
avait auparavant à l'héritage du ciel. Car de même
que ceux qui ont quelque droit aux héritages de la
terre ou aux dignités de l'Eglise, peuvent être
confirmés dans leur droit de la part des supérieurs,
soit par paroles, soit par lettres expédiées à ce
sujet et que dans ce cas leur premier droit est
accru par cette confirmation, en même temps que
les prétentions de la partie adverse sont diminuées
et affaiblies ; ainsi les chrétiens qui ont reçu un
droit dans le Baptême à l'héritage du ciel, et à
toutes les dignités des enfants de Dieu, reçoivent
dans ce sacrement une confirmation de ce droit,
qui se trouve ainsi accru en même temps que la
force des démons est diminuée. C'est pourquoi le
surcroit et le nouveau degré de grâce que confère
ce sacrement doit être beaucoup estimé et à un
DES SACREMENTS I07
tel point, dit un célèbre Docteur (i), qu'il faut le
préférer à tous les biens du monde, parce que
toutes les richesses et les grandeurs de la terre ne
le valent pas.
Le second effet de ce sacrement est la grâce
sacramentelle qui consiste en des secours plus
spéciaux. Dieu les donne au besoin, pour défendre
la foi de Jésus-Christ que nous avons reçue au
Baptême, et pour la confesser hardiment devant
les tyrans, fallut-il en la confessant perdre dans
de cruels supplices la vie qui est un bien très
excellent. Qu'y a-t-il en effet de plus noble et de
digne d'une plus grande estime aux yeux de Dieu,
des Anges et des hommes, que de mépriser géné-
reusement la tyrannie des rois et des princes infi-
dèles, quand ils ont conspiré contre Dieu, de
professer hautement la foi et de dire comme
David : « Je parlais de vos témoignages en pré-
« sence des rois, et je n'en rougissais point. »
(Ps. 118) ? Or c'est un effet de ce sacrement d'ar-
mer le chrétien de force et de résolution pour tenir
ferme contre les ennemis de Dieu, même jusqu'à
souffrir le martyre. Nous sommes par le Baptême,
dit un des anciens et saints Pontifes de l'Eglise (i),
régénérés à la vie, par la Confirmation nous som-
mes affermis pour le combat ; nous sommes lavés
par le Baptême, nous sommes revêtus de force
après le Baptême. La régénération sauve par elle-
même ceux qui doivent être aussitôt après ravis à
la terre pour entrer dans la vie bienheureuse, mais
I. Palatius, in 4, dist. 5, disp. 4.
I. Melchiades, Epist. ad episc. Hispa.iom. i. Concil.
LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
la Confirmation arme ceux qui doivent survivre,
ceux qui sont réservés pour les batailles et les
luttes de ce monde. C'est pourquoi les Apôtres
qui, avant la descente du Saint-Esprit, étaient timi-
des au point de renier leur Maître ou de le délais-
ser, furent après si constants qu'ils répandirent
leur sang et méprisèrent leur vie pour la confes-
sion de son nom. Au reste il ne faut pas croire
que ce sacrement produit seulement son effet,
quand la guerre est engagée et quand la persécu-
tion sévit contre l'Eglise de la part des infidèles.
Comme nous avons toujours dans ce monde des
ennemis visibles et invisibles, au dedans de nous
et au dehors, ce sacrement nous munit et nous
fortifie aussi pour leur résister. Nous recevons le
Saint-Esprit, dit le même Pontife, afin que nous
soyons spirituels, « parce que Vhomme animal ne
« comprend pas les choses divines. » (I Cor. 2).
Nous recevons le Saint-Esprit, pour savoir discer-
ner entre le bien et le mal, pour aimer les choses
justes, et rejeter les mauvaises, afin que nous
nous battions contre la malice et l'orgueil, que
nous résistions à la luxure et aux divers attraits des
basses concupiscences. Nous recevons du Saint-
Esprit l'amour de la vie (de la vertu) et le désir
ardent de la gloire, afin qu'étant divinement enflam-
més nous élevions notre esprit des choses terrestres
aux choses sublimes et divines. L'évêque de
Paris (1) n'attribue pas moins d'efficacité à la
Confirmation : il dit qu'elle corrobore la partie
raisonnable, la partie irascible et la partie concu-
I. Guillel. Paris. De sacrum. Con/irm.
DES SACREMENTS 1S9
piscible de Thomme. La partie raisonnable, de
telle sorte qu'elle ne soit pas atteinte ni blessée,
comme par de certaines tlèches, par les arguments
des philosophes et des hérétiques, par les doutes,
les opinions fausses, Tinlidélité, ou l'ignorance des
choses qu'il faut savoir ; car ce sont là autant de
blessures de la partie raisonnable. Elle corrobore
aussi la partie irascible, de manière à ce qu'elle ne
succombe pas sous les injures, les calomnies, les
affronts et toutes les choses difficiles qui se pré-
sentent. Elle corrobore la partie concupiscible, de
manière à ce qu'elle ne soit pas endommagée par
les amours coupables, les mauvaises haines, les
mauvais désirs et les mauvais dédains, qui sont
les plaies dont elle peut être affligée. Et si quel-
qu'un, dit-il, entend par la force de la Confirma-
tion Tamour des vertus, amour par lequel ces
vertus sont plus fortement imprimées en nous et
par lequel nous les tenons plus fermement, il
n'entendra ce mot ni mal ni dans un sens impro-
bable. Il nous découvre par ces paroles que l'effet
de la Confirmation est l'amour des vertus et une
plus grande union de notre âme avec elles, union
qui fait qu'elles y tiennent mieux et que nous y
tenons mieux aussi, de manière à ne point les
perdre ou nous relâcher si aisément de leur pra-
tique.
Le caractère est le troisième effet de ce sacre-
ment. Par le caractère le chrétien est marqué inté-
rieurement et porte dans ses armes les couleurs
de Jésus-Chiist et de ses soldats, comme ceux
qui combattent sous un prince en portent la livrée.
Ce caractère restera éternellement imprimé dans
ÎCJO LA THEOLOGIE AFFECTIVE
ceux qui ont reçu ce sacrement ; il n'est pas seu-
lement, comme qu.elques-uns l'ont pensé, une
extension du caractère du Baptême, mais c'est un
caractère nouveau et distinct, qui donne au
confirmé la force de professer publiquement la foi,
comme une chose qui fait partie de sa charge, de
sa qualité et de sa dignité.
Enfin un quatrième effet de ce sacrement est de
perfectionner le chrétien (i). De là vient que,
comme parle saint Denys (2), les princes divins de
notre hiérarchie, qui sont les Apôtres, Font
appelé la perfection. Il faut l'entendre cependant
sans préjudice des œuvres de conseil ; car le chré-
tien recevant deux sortes de perfection, l'une dans
les sacrements par la Confirmation, et l'autre par
les œuvres de conseil, ne mérite pas d'être appelé
chrétien parfait, si outre le Baptême il ne reçoit la
Confirmation, qui, au témoignage de plusieurs (i),
confère une plus grande sainteté et une grâce plus
abondante. C'est ce qui a fait dire au pape Mel-
chiade qu'elle méritait une plus grande vénération
que le Baptême et au théologien d'Auxerre (4), que
le Baptême donne une plénitude de grâces suffi-
santes, mais que la Confirmation confère une plé-
nitude de grâces abondantes.
Reconnaissez à la suite de ces considérations
l'obligation que vous avez à Dieu pour l'institu-
tion de ce sacrement, dont les effets sont si grands
1. D. Thom. q. 72, art. 2.
2. De eccles. hierarc. c. 4.
3. Palatius, in 4, dist. 7, disp 3, loc. cit.
4. In 4, De Confirmai.
DES SACREMENTS I9I
et si admirables. Rendez-lui des actions de grâces,
si vous l'avez reçu, sinon faites toutes les diligen-
ces possibles pour ne pas en être frustré. Ayez de
la compassion pour ceux qui en ont été privés
jusqu'à présent. Déplorez le peu de zèle et de
charité qu'ont plusieurs prélats de l'Eglise pour
visiter leur diocèse dans le but d'administrer ce
sacrement et de faire participer à un si grand bien
les âmes rachetées par le sang de Jésus-Christ.
Hélas ! qui pourrait dire tous les malheurs qui
arrivent aux peuples chrétiens par défaut de ce
sacrement, dont les avantages restent inconnus et
dont la réception ne leur est point rendue facile ?
« La blessure, la plaie enflammée n'a point été
« bandée, on ne lui a point appliqué de remède,
« ni on ne l'a adoucie avec Vhuile. » (Is. i). La
plupart ont honte de faire en public |des œuvres
dignes d'un chrétien ; peut-être les dernières héré-
sies qui ont causé et qui causent tous les jours
tant de ravages, n'auraient pas fait tant de pro-
grès, si l'administration de ce sacrement eût été
plus fréquente. Demandez à Dieu d'ouvrir les
yeux des pasteurs et de leur donner du zèle pour
ce sacrement.
III
Considérez les raisons pour lesquelles, étant
donné que les effets de ce sacrement sont si excel-
lents, il y a néanmoins tant de faiblesse et de
langueur dans la plupart des chrétiens qui l'ont
reçu. Le sentiment des Théologiens est qu'ils
mettent obstacle, soit à la grâce sanctifiante que
produit ce sacrement, en le recevant sans charité
ig2 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
et en mauvais état, soit aux grâces sacramentelles
qu'il donne droit de recevoir au temps des tenta-
tions et des persécutions, parce que la plupart
retombent dans le péché après l'avoir reçu. A
cette réponse qui est la vraie se rapportent les
quatre salutaires avertissements d'un prélat qui
est le plus savant de son siècle (i).
La première chose qu'il affirme, c'est que c'est
en vain qu'espèrent être corroborés et fortifiés
par ce sacrement, ceux qui aiment leurs faiblesses
et qui ne veulent pas les quitter; ces faiblesses
sont les maladies et les plaies de leurs péchés et
aussi les liens et les charges qui en découlent,
liens et charges qui sont incompatibles avec l'ac-
croissement spirituel. Car comment devenir fort
et puissant contre son agresseur et son ennemi, si
on reste toujours malade, blessé, lié et chargé ?
L'homme» sera ainsi inférieur à son adversaire, il
sera contraint de lui céder et de se laisser marcher
sur le ventre. Loin d'être armé et fortifié contre
lui, il l'armera plutôt et le renforcera contre lui-
même, en s'adonnant au péché et en faisant de ses
membres des instruments d'iniquité.
Le second avertissement nous apprend qu'il faut
s'approcher de ce sacrement avec un grand respect
et le traiter dignement. L'Apôtre dit de la Sainte
Eucharistie : « Plusieurs sont faibles et dorment
« (du sommeil de la mort), parce qu'ils ne discer-
« nent pas le corps du Seigneur » (I Cor. ii);
de même la vertu ou l'efficacité du sacrement de
Confirmation est presque réduite à néant, parce
j. Guillel. Paris. De sacra Confirm.
DK s SACREMENTS IC)Ù
que ce sacrement n'est pas traité avec assez d'hon-
neur et de vénération, et cela nous croyons qu'on
doit l'imputer aux prélats et aux Docteurs, à qui il
appartient d'enseigner et d'avertir le peuple. Il
semble qu'il ne reste plus aujourd'hui d'autre hon-
neur pour ce sacrement, que la défense de l'admi-
nistrer faite à tout autre qu'aux grands-prètres, qui
sont les évèques, car nos 3'eux nous attestent
combien sont ignorants ceux qui le reçoivent et
avec quel désordre et quel défaut de respect on
s'en approche. C'est pourquoi il n'y a rien d'éton-
nant si dans de telles personnes la vertu de la
Confirmation est petite, ou tout à fait nulle, c'est-
à-dire si elles ont honte et crainte de montrer
à l'extérieur qu'elles sont chrétiennes et de laisser
paraître des marques de sainteté ; il y en a peu en
eftet qui ne rougissent et qui n'appréhendent de
bien faire comme aussi de dire la vérité en présence
du monde et même des chrétiens.
Le troisième avertissement est que les confirmés
doivent mettre toute leur confiance et l'espoir de
vaincre dans le crucifix et par le crucifix; c'est
pour cela qu'on leur a imprimé une croix sur le
front avec le chrême, afin que dans leurs tentations
ils pensent à celui «.qtii a souffert de telles contra-
nt dictions de la part de ses ennemis. » (Hébr. 1 1).
Car « Jésus-Christ a souffert pour nous, afin que
« vous l'imitie^, dit saint Pierre (II Pierr. 2).
« Jésus-Christ donc ayant souffert sur la croix.,
« armei(-votcs d'une semblable pensée. » (II Pierr. 3).
Il faut donc être faible par soi-même et dans sa
pensée, pour être confirmé en Dieu. Car s'appuyer
sur soi-même, c'est s'appuyer sur une chose qui
Bâii., t. ixt 1}
1^94 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
tombe et ne peut se soutenir, c'est tomber et se
perdre, mais s'appuyer en Dieu qui est la force et
le soutien de toutes choses, c'est vraiment s'affer-
mir et devenir fort.
Le quatrième avertissement est que les confir-
més se souviennent qu'ils sont les porte-enseigne
du Roi des cieux, qu'ils portent sur le front sa
croix et son étendard, que celui-là est criminel et
digne de mort, qui jette à terre son enseigne et
qu'il fait une grande injure à son roi, s'il se tourne
du côté de ses ennemis avec l'enseigne qu'il porte.
Quel affront et quel outrage est fait au Roi des
rois par les chrétiens dont la plupart combattent
contre lui ; car « qui n'est pas avec moi, dit-
« il, est contre moi. » (Luc, ii). L'étendard de
la croix crie contre toi, il crie que tu es un
traître et un criminel de lèse-majesté. Ce premier
étendard que tu portes au front crie contre toi d'un
cri qui monte jusqu'au ciel, et d'un cri si fort qu'il
n'a pas son semblable; il crie que tu es porte-
enseigne et tes œuvres crient que tu es ennemi.
L'un et l'autre crient que tu es un pervers et un
déloyal, que tu es un infâme traître. Car on a
grande confiance dans la vertu et le courage de
ceux à qui on confie les étendards pour les porter
dans les combats ; c'est pourquoi leur perfidie et
leur lâcheté n'en sont que plus détestables. As-tu
oublié, toi qui trahis Dieu, ce qui a été dit aux
autres : Tu seras vainqueur par ce signe ? C'est
dans ce signe en effet qu'est véritablement donnée
la force pour remporter la victoire. Ce sont jus-
qu'ici presque textuellement les paroles de ce
docte prélat plein de zèle et de dévotion pour ce
DES SACREMENTS IqS
sacrement. C'est pourquoi nous n'ajouterons rien à
ce qu'il a écrit sur ce sujet.
Mais nous nous confondrons nous-mêmes à bon
escient, si, ayant été confirmés, nous voyons en
nous si peu des bons etTets que ce sacrement a
coutume de produire. N'en attribuons pas la cause
à d'autres qu'à nous-mêmes, car ce sacrement est
véritablement grand et d'une plus haute efficacité
que plusieurs ne l'ont pensé jusqu'à présent. C'est
nous qui par notre mauvaise volonté avons mis
des barrières et des empêchements à ses effets très
puissants; c'est pourquoi nous succombons si
aisément aux attaques des tentations. Hélas !
nous étions suffisamment armés pour défier et
pour combattre toute la rage et la fureur des
enfers, et cependant un moucheron nous a épou-
vantés, un peu de vent et de fumée nous a mis en
déroute, nous qui devions en vertu de ce sacre-
ment, résister aux tortures, aux géhennes, aux
flammes et aux glaives de tous les tyrans du
monde, nous n'avons pu supporter, sans offenser
Dieu dans sa loi, la piqûre d'une aiguille, nous
n'avons pu endurer patiemment pour l'amour de
Jésus-Christ, qu'on nous eût fait quelque petit
tort, ou même que l'on nous eût piqué sourdement
par quelque parole offensante, nous avons voulu
en tirer vengeance, nous nous sommes mis en
colère contre notre prochain et les moindres croix
ont été pour nous insupportables. O Dieu immense !
est-il possible que nous fassions ordinairement un
si grand abus de vos grâces et de vos sacrements,
par lesquels vous nous les communiquez ! O Sei-
gneur, que nous devons appréhender la rigueur de
ig6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
VOS jugements à l'heure de notre mort, puisque
nous ne paraissons forts et confirmés que dans le
mal pendant cette vie ! Cependant il est en notre
pouvoir avec votre secours qui ne nous manque
pas, de lever les barrières et les obstacles que nous
avons opposés à vos faveurs ; c'est ce qui aura lieu
si nous faisons pénitence et si nous nous repen-
tons avec amertume de notre lâcheté et de notre
perfidie. Ah ! que je voudrais, ô Dieu très bon,
vous avoir été très fidèle dans toutes les œuvres de
votre service ! ce sera pour l'avenir et dès mainte-
nant. O bonté adorable, confirmez-moi puissam-
ment avec des grâces qui triomphent de ma vo-
lonté inconstante : « Confirme^ en moi^ Seigneur^
« l'esprit principal » (Ps. 5o), c'est-à-dire^n esprit
généreux et magnanime. Confirmez-moi dans une
sainte hardiesse contre la vaine crainte du monde.
Confirmez-moi au milieu des combats de la mort,
par la puissance de votre amour. Confirmez-moi
enfin dans le bonheur éternel de votre paradis,
contre toutes les misères de cette vie, afin que je
loue votre nom et que je chante vos louanges en
présence des Anges et des Saints bienheureux
dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
DES SACREMENTS 1^7
Vir MÉDITATION
DE LA PRÉSENCE RÉELLE
ET SUBSTANTIELLE DU CORPS
DE JÉSUS-CHRIST
DANS LE SAINT-SACREMENT
DE L'EUCHARISTIE
SOMMAIRE
Première preuve tirée de la promesse. — Seconde
preuve tirée de V institution. — Troisième preuve
tirée de Vusage de ce sacrement.
I
CONSIDÉREZ la première preuve de la présence
réelle de Jésus-Christ dans le saint-Sacre-
ment; elle est tirée de la promesse que fit Jésus-
Christ de donner son corps et son sang dans ce
sacrement, car pour disposer les esprits des hom-
mes à croire à ce mystère, par une sagesse spé-
ciale, il en instruisit auparavant ses disciples et
leur promit ce grand mystère par ces paroles :
« Je suis le pain vivant descendu du ciel. Si
« quelqu'un mange de ce pain., il vivra éternelle-
« ment. Le pain que je donnerai, c'est ma chair
« pour la vie du monde. » (Jean, 6). Ces paroles
sont claires et expresses et ne peuvent être inter-
198 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
prêtées de la figure de son corps, que par ceux qui
s'éloignent de la vérité de son esprit et de son
intention, comme font les hérétiques. Il promet ici
en effet de donner quelque chose de grand et de
singulier, quelque chose qu'il n'appartient qu'à lui
de donner et qui n'avait pas encore été donné. S'il
n'était question que de donner des figures de son
corps, cela avait été fait auparavant, car la manne
et les pains de proposition, ainsi que les pains
multipliés au désert, étaient autant de figures de
son corps. Il promet donc de donner quelque
chose de plus grand, à savoir son corps précieux.
Les grands effets aussi que Jésus-Christ attribue
à ce pain qu'il promet et les louanges qu'il lui
donne, témoignent que c'est tout autre chose que
la seule figure. « Celui qui mange ma chair et qui
« hoit m.on sang, ajoute-t-il, a la vie éternelle et
« je le ressusciterai au dernier jour, car ma
« chair est vraiment une nourriture et mon sang
« est vraiment un breuvage. Qui mange ma chair
« et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui.
« Comme mon Père m'a envoyé et que je vis pour
« mon Père, ainsi celui qui me mange vivra
« pour moi » ; c'est-à-dire comme Je vis de la
substance de mon Père, qui m'a communiqué la
même divinité ; ainsi celui qui me mange vit à
cause de moi, il vit de ma propre substance que je
lui communique. Fallait-il tant de paroles et tant
de redites, s'il ne promettait que l'ombre et la
figure de son corps ? Tant de choses grandes et
relevées ne conviennent pas à ce qui n'est qu'une
figure. Puis s'expliquant davantage il déclare que
ce qu'il veut donner est une chose plus excellente
DES SACREMENTS 100
que la manne, que Dieu fit tomber miraculeuse-
ment du ciel, pour nourrir pendant quarante ans
dans le désert les enfants d'Israël. Bien que cette
manne tombée du ciel fut un pain merveilleux,
néanmoins il dit du pain qu'il promet qu'il est
quelque chose d'encore plus merveilleux : « Vos
« pères ^ dit-il aux Juifs qui l'écoutaient, ont
« mangé la manne au désert et ils sont morts ;
« celui qui mange de ce pain vivra éternellement
« et je le ressusciterai par ma vertu. » Si ce
n'était qu'une figure, la manne vaudrait mieux,
car c'était une nourriture venue du ciel et préparée
par les Anges eux-mêmes. Il faut donc conclure
que Jésus-Christ parlait de donner son vrai corps
réellement et substantiellement.
Aussi les Juifs les plus grossiers, comme les
Capharnaïtes, comprirent bien à ces expressions
qu'il parlait de donner son vrai corps. C'est pour-
quoi comme c'était la première fois qu'ils l'en en-
tendaient parler, ils en demeurèrent surpris et se
posèrent plusieurs questions entre eux. « Corn-
« ment celui-ci peut-il donner sa chair à man-
« ger ? », car ils pensaient qu'il devait la donner
comme une viande de boucherie, et ils ne compre-
naient pas encore de quelle façon il résiderait dans
le Saint-Sacrement. Alors Jésus-Christ ne leur dit
pas, pour calmer leurs esprits, que ce ne serait
que la figure de son corps, mais il confirme de
plus en plus ce qu'il vient de dire. « Cela vous
« scandalise ? Si donc vous voye:^ le Fils de Vhom-
« me montant là oîi il était premièrement, que
« sera-ce donc ? » Il veut leur dire par là : vous
trouvez difficile de croire que moi, qui suis près
200 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de VOUS, je me donne à vous ; que ferez-vous donc
quand je serai monté au ciel ? Je serai alors éloi-
gné de vous et cependant il faudra bien que vous
croyiez que je me donnerai en nourriture, quoique
je sois à la droite de mon Père, car je suis le pain
descendu du ciel. Allez, « la chair nest d aucune
« utilité », selon la manière grossière dont vous
vous imaginez que je veux vous la donner, com-
me si j'avais l'intention de vous donner une chair
morte et séparée de la divinité qui la vivifie. De
cette manière la chair n'est utile en rien, mais
l'esprit de la divinité est uni à ma chair, et quand
vous vous en nourrirez, cet esprit de la divinité
vous donnera la vie ; « cest V esprit qui vivifie ».
Or non seulement les Capharnaïtes moins spiri-
tuels se rebutèrent en entendant la promesse du
Fils de Dieu, mais plusieurs de ses disciples qui
ne l'avaient pas encore entendu parler d'un si
étrange mystère, se rebutèrent aussi ; car le Sau-
veur ne leur dit pas pour les apaiser et les ins-
truire, que ce qu'il promettait n'était pas une chose
si étonnante et qu'il n'entendait donner que la
figure de son corps, — comme il semble qu'il eût
été à propos de le faire, pour les instruire de la
vérité et les préserver de l'erreur, — mais il per-
sista constamment dans ce qu'il avait dit et leur
demanda en les réprimandant, s'ils ne voulaient
pas aussi le quitter. Ce qui donna sujet à saint
Pierre, le plus fidèle et le plus ardent des Apôtres,
de lui répartir : « A qui irions-nous^ Seigneur ?
« vous ave:( les paroles de la vie éternelle. » Il
protestait par là qu'il croyait ce que disait Jésus-
Christ et il affermissait les autres Apôtres.
DES SACREMENTS 201
Faites à la suite de toutes ces réflexions un acte
de foi ferme. Je le tiens pour indubitable, je le crois
fermement, ô Jésus, ô mon Rédempteur, vous
êtes véritablement et substantiellement sous les
espèces du pain et du vin dans cet auguste sacre-
ment. Vous l'avez dit, vous avez pu le faire par
votre toute-puissance et vous l'avez voulu par votre
ineffable bonté. C'est donc vrai, ô Seigneur, je
vivrai et je mourrai dans cette croyance, en m'ap-
puyant sur votre parole, qui ne peut-être que très
vraie. Vous, Seigneur, qui êtes la vérité même,
auriez-vous voulu tromper votre Eglise ? Auriez-
vous promis d'une manière expresse de lui donner
votre chair à manger et votre sang à boire, et ne
lui en auriez-vous donné que l'ombre et la figure ?
Non, il n'en est pas ainsi, « vous ave^ les paroles
« de la vie éternelle^ » et vous ne trompez per-
sonne. Je dois respecter assez votre parole et votre
promesse, pour les croire simplement. Vous n'a-
vez pas promis de ne donner que la figure de votre
corps et de votre sang, mais vous avez promis de
donner votre sang même. Oh ! vos promesses sont
vraies. Malheureux ceux qui croient qu'il en est
autrement et qui se privent volontairement du si
grand trésor contenu dans ce sacrement ! A qui
irions-nous donc, Seigneur ? Nous n'irons pas aux
assemblées des hérétiques, mais nous irons tou-
jours à votre Eglise, qui nous donne véritablement
votre corps, car « vous ave^ les paroles de la vie
« éternelle ».
202 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
II
Considérez une seconde preuve de la présence
réelle de Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement ;
elle est tirée des paroles de l'exécution de ce qu'il
avait promis et de l'institution de ce sacrement
dans la dernière cène de l'agneau pascal. Les
Evangélistes remarquent qu'ayant alors pris le
pain entre ses mains, Jésus-Christ le bénit et le
donna à ses Apôtres, en disant : « Prene^, man-
<^ g^^i c^^^i ^st mon corps ». (Matt. 26). Egalement
il leur donna le calice, en prononçant ces paroles :
« Ce calice est le nouveau testament dans mon
« sang^ qui est répandu pour vous ». (Luc, 22).
Ces paroles sont expressives et significatives par
elles-mêmes ; elles prouvent manifestement que
Jésus-Christ s'est acquitté de la promesse qu'il
avait faite 8e donner son corps et son sang dans
ce sacrement. Les Apôtres reconnaissant que c'é-
tait l'exécution de la promesse, n'y ont plus fait de
difficulté, ils obéirent simplement et reçurent son
corps et son sang selon sa volonté. Depuis lors
l'Eglise a toujours vécu dans cette croyance et les
vrais chrétiens ont toujours estimé recevoir non la
figure et l'ombre de son corps, mais la réalité
même ; c'est pourquoi ils ont adoré l'Eucharistie
et lui ont témoigné comme aussi procuré toutes
sortes de respects. Parmi les Pères, les uns (i) ont
dit expressément que Jésus-Christ n'a pas donné
alors la figure ou le signe de son corps, mais son
I. D. Damascenus, 1. 4, De fide, c. 14 ; Theophil. in
Matt. c. 26 et m Marc. c. 14.
DES SACREMENTS
2o3
corps lui-même ; ils ont donné des témoignages
de leur foi si clairs et si évidents, qu'il faut avoir
perdu toute pudeur pour mettre en doute leur foi.
En réalité, y a-t-il interprétation des Ecritures
plus absurde que celle des hérétiques qui enten-
dent ainsi les paroles de Jésus-Christ : prene^^
mange\, ceci est non pas tnon corps^ mais seule-
ment la figure de mon corps ? N'est-ce pas une
dépravation manifeste des paroles sacrées de
Jésus-Christ ? Et n'ont-ils pas sujet d'appréhender
que, s'ils persistent dans cet aveuglement, ils n'é-
prouvent les effets de sa colère et qu'ils ne soient
terrassés au moment de la mort par cette parole
si claire : ceci est mon corps^ comme par un coup
de foudre ?
S'il avait seulement l'intention de ne donner que
la figure de son corps, lui qui est la sagesse éter-
nelle, manquait-il de paroles pour exprimer net-
tement qu'il n'en donnait que la figure ? Ou bien
il aurait parlé imprudemment ; mais se peut-il rien
penser de plus absurde ? Certainement Jésus-
Christ est Dieu et homme, il s'est fait admirer sur
la terre par ses œuvres et par ses paroles, person-
ne n'a jamais fait autant d'actions héroïques, ni
prononcé autant de sublimes discours que lui, au
témoignage de ses ennemis eux-mêmes ; quelle
apparence y a-t-il donc qu'au moment où il fallait
se séparer du monde, il ait dégénéré ou se soit
relâché de sa façon excellente de parler et d'agir ?
Aussi dans ce dernier temps de sa vie, il entra d'u-
ne façon royale dans Jérusalem et fit de grandes
actions dans le temple. Ensuite, il se fit préparer
un banquet dans la ville, d'une façon toute extraor-
2Ô4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dinaire, dans une grande salle tapissée, témoignant
qu'il avait quelque grand dessein. Et cependant il
aurait couronné tous ses miracles par le don d'un
petit morceau de pain qu'il aurait laissé à ses
Apôtres, en mémoire de sa personne et en souve-
nir de lui-même ? Est-ce là avoir de dignes pensées
de la grandeur et de la sagesse du Verbe incarné ?
Cette dernière de ses actions correspondrait-elle
suffisamment à tant de belles prouesses et de mer-
veilles qu'il a opérées durant toute sa vie ? 11 est
bien plus digne de lui d'estimer que, quand il
voulut quitter le monde, il fut partagé entre deux
désirs : celui de se retirer dans le ciel qui était le
lieu destiné à sa grandeur et celui de demeurer
avec les hommes à cause du grand amour qu'il
leur portait. Afin de satisfaire ces deux désirs, il
va à la mort après ce dernier banquet et en même
temps il institue le Saint-Sacrement, dans lequel
son corps demeurerait présent ; de la sorte il
demeurerait présent réellement et de fait avec
les hommes, jusqu'à la consommation des siècles,
tout en étant vivant et en régnant dans le ciel à la
droite de Dieu, son Père.
Si bien que ce fut l'amour qui lui inspira ce
grand dessein, comme aussi le désir qu'il avait de
vivre parmi les enfants des hommes, et de les
gagner tous à son amour par un procédé si
obligeant. En effet ce que la fable raconte du
vieux Cupidon, se trouve réalisé dans ce sacre-
ment. Ce dieu habile entreprit un jour, dit-on, de
porter à l'amour le cœur d'un homme grossier et
rustique. Dans ce but il tira de son carquois une,
deux ou trois flèches qu'il enfonça dans ce cœun
DES SACREMENTS ioS
sans rémouvoir aucunement ; il vida ensuite son
carquois et usa toutes ses tièches sans obtenir
^ucun résultat sur ce cœur terrestre et sauvage.
Enfin il s'avisa comme dernier expédient de se
jeter lui-même à corps perdu sur ce misérable
cœur, la torche à la main pour Tembraser, et par
ce mo3'en il en fit sa proie et sa conquête. Il en a
été de même du véritable Dieu d'amour : pour
gagner les cœurs humains à son amour, il a lancé
sur eux autant de flèches qu'il leur a conféré de
bienfaits divers, soit en les conservant, soit en les
délivrant de mille maux, soit par la vocation, soit
par les promesses d'une vie bienheureuse. Mais
les cœurs humains ne se laissent pas pénétrer par
ces dards. Alors comme dernier effort il a pris la
résolution de se jeter comme à corps perdu sur
leurs cœurs, le flambeau brûlant de sa charité à la
main. Il s'est caché dans ce sacrement sous les
espèces du pain et du vin, afin de porter les hom-
mes à l'aimer et il a dit : « Prene^, mangée^, ceci
(K est mon corps » ; je ne vous dis pas la figure de
mon corps simplement, mais c'est moi-même qui
veux entrer en vous, qui veux m'unir à vous.
Je renouvellerai à la suite de ces considérations,
les actes de foi dans la vraie, réelle et substantiel-
le présence de Jésus-Christ dans la sainte Eucha-
ristie. C'est l'œuvre des œuvres de Jésus-Christ,
elle est digne de sa puissance et de sa grandeur.
O Dieu, « que les peuples le confessent^ que tous
« les peuples le confessent » (Ps. 66)^ c'est votre
corps, c'est votre sang qui est dans l'Eucharistie,
ce n'en est pas seulement la figure et la représen-
tation. L'hérésie en a menti, c'est vous-même.
2t)6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
VOUS le Rédempteur du monde, qui vous présen-
tez dans ce mystère. O Père éternel, quand je
verrai le prêtre sacrifier et tenir l'hostie dans ses
mains, je me représenterai que du fond du paradis
vous étendez vers moi votre puissante main, pour
me faire présent de votre Fils. O très admirable
Jésus, il n'a donc pas suffi à votre bonté de nous
donner le ciel et la terre au jour de la création ;
vous vous êtes aussi donné vous-même dans l'In-
carnation. Vous avez conversé avec nous dans
cette vallée de larmes pendant trente-trois ans ;
après quoi, voulant retourner à votre Père, vous
avez résolu de demeurer avec nous d'une manière
admirable, en vous cachant sous les espèces du
Saint-Sacrement. O bonté ! O libéralité ! O béni-
gnité ! O charité ! O amour ! Pourquoi ne puis-je
assez vous comprendre et vous exprimer ?
III
Considérez la troisième preuve de la réalité du
corps de Jésus-Christ tirée des paroles par les-
quelles saint Paul, le fidèle interprète des inten-
tions de Jésus-Christ, a représenté l'usage que
l'on doit faire de ce sacrement. « Que l'homme
« s'éprouve lui-même^ et qu'ainsi il mange de ce
« pain et boive de ce calice ; car quiconque man-
« géra ce pain ou boira à ce calice indignement^
« sera coupable du corps et du sang de Jésus-
« Christ. » (I Cor. 2). Ce sont là des paroles ter-
ribles et foudroyantes par lesquelles il donne à
entendre que ceux qui s'approchent du sacrement
auguste de l'Eucharistie, sans au préalable s'être
éprouvés eux-mêmes, s'ils n'ont la vraie foi et la
DES SACKKMENTS 207
vraie paix de la conscience, sont aussi criminels
que les Juifs, qui n'ont pas épargné le corps de
Jésus, mais Font crucifié et ont fait couler tout son
sang. Mais saint Paul ne se contente pas de repré-
senter la gravité du péché de ceux qui commu-
nient indignement, il fait connaître aussitôt la
peine de ce péché et le supplice horrible dont il
sera puni : « Car celui qui mange et boit indi-
« gnement, mange et boit sa condamnation ; »
il avale sa condamnation et reçoit en lui la source
de son tourment. Il ne faut que faire un peu de
réflexion sur ces paroles de l'Apôtre, pour avouer
que ce n'est pas seulement un morceau de pain
que Ton reçoit en communiant, et qu'il faut bien
qu'il y ait autre chose qu'une figure et une repré-
sentation. Car comment serait-il possible que,
pour avoir reçu en mauvais état un petit morceau
de pain, qui ne serait que la figure du corps de
Jésus-Christ, Dieu exerçât de si étranges et de si
redoutables châtiments ? La loi dit que « le nom-
« bre des coups doit être proportionné à la gra-
« vite du délit ; » et ce ne serait pas un crime si
atroce et qui méritât la rigueur de tant de rudes
châtiments, si ce n'était qu'un pain ordinaire que
les bons chrétiens et les chrétiens instruits ont
coutume de prendre avec bénédiction et actions
de grâces envers Dieu. Il faut donc avouer que
saint Paul entendait qu'il y avait plus qu'une
figure et qu'une représentation, et que c'était le
corps même de Jésus-Christ, qui était traité indi-
gnement par les communions sacrilèges.
En réalité c'est à cela qu'il rapporte toute la
raison de ce grand péché et de ce grand supplice.
2t>8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« // mange, dit-il, et boit son jugement, car il ne
« discerne pas Je corps du Seigneur \ » et il le
traite comme un pain ordinaire, qu'on peut man-
ger sans inconvénient, quel que soit Tétat dans
lequel se trouve la conscience. Il ajoute ensuite
que, parce qu'ils n'ont pas fait le discernement du
corps sacré de Jésus-Christ et qu'ils ne lui ont pas
rendu l'honneur qui lui est dû, plusieurs parmi
les Corinthiens en furent exemplairement châtiés,
sans délai et sans rémission : « Cest pour ce
« motif qu'il y en a beaucoup parmi vous de
« malades et de languissants qui périssent. » Or
ces punitions ont continué de plus en plus contre
ceux qui se sont rendus coupables à ce sujet.
Saint Cyprien raconte à ce propos des histoires
prodigieuses, par exemple celle d'une femme qui
ayant emporté le Saint-Sacrement et l'ayant en-
fermé dans son coffre, voulut l'en retirer et le
prendre en mauvais état de conscience ; elle vit
sortir une flamme qui l'épouvanta et l'empêcha
d'y toucher. Il cite aussi le cas d'une autre femme
qui, bien qu'elle fut sortie de l'Eglise catholique
par l'infidélité, dans ses vieux jours se glissa
parmi les autres femmes, pour recevoir la com-
munion. Elle ne l'eut pas plus tôt fait que, comme
si elle eût avalé un couteau ou un poison mortel,
elle commença à trembler et à ressentir les tour-
ments de son péché, puis elle mourut sur place.
Ainsi le péché de ce sacrilège ne demeura pas
longtemps impuni et celle qui avait trompé un
homme, eut Dieu même pour juge et pour ven-
geur de sa conscience dissimulée. Et pour mon-
trer que ces punitions ne tombent pas sur les têtes
DES SACREMENTS 20{)
des femmes seulement, il apporte encore l'exem-
ple d'un chrétien, qui avait assisté aux sacrifices
des idoles et qui avait osé ensuite participer à ce
sacrement sans pénitence. Il ne trouva dans ses
mains que de la cendre ; Jésus-Christ s'était retiré
de celui qui l'avait renié ; tant est vraie la parole
du grand Apôtre, que celui qui mange et boit
indignement, en porte bientôt la peine. Jésus-
Christ en eft'et qui est la vie pour les bons, est la
mort pour les méchants, et de même que dans les
uns il fait sentir sa présence par l'abondance des
douceurs qu'il leur apporte ; ainsi dans les autres
il la fait sentir par les punitions et les supplices,
par lesquels il châtie leur irrévérence.
J'apprendrai par ces paroles à respecter Jésus-
Christ dans le Saint-Sacrement, et à m'en appro-
cher avec tout le respect qui me sera possible. Je
me prosternerai humblement en sa présence, pro-
testant de cœur et d'affection, et aussi avec la foi
la plus ardente qu'il me sera possible, que c'est
mon Rédempteur, celui qui doit me juger, et
celui par la miséricorde de qui j'espère parvenir à
la béatitude. Oh ! que je souhaiterais que tout le
monde se mit en devoir de lui rendre les honneurs
qui lui sont dus ! Oh ! que je voudrais que l'infi-
délité, qui en empêche plusieurs de l'adorer, fut
éteinte ! Oh ! si tous les prêtres qui touchent à ce
mystère sacro-saint, étaient saints et doués d'une
pureté convenable ! Oh ! si tous les chrétiens
appréhendaient de s'en approcher indignement !
Oh ! s'il n'y avait dans l'Eglise aucune commu-
nion sacrilège, qui attirât sur la terre la colère du
ciel ! O Jésus ! faites-vous rendre les respects qui
Bail, t. ix. 14
210 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
VOUS sont dus dans ce sacrement. Si ma vie ché-
tive peut vous être utile dans ce but, je vous Toffre
du fond du cœur ; elle sera bien employée si, en
se perdant, elle pouvait faire cesser un seul acte
d'irréligion et d'irrévérence à votre égard.
VIIF MÉDITATION
DE CE QUI EST PLUS ESSENTIEL
DANS LE SACREMENT
DE LA SAINTE EUCHARISTIE
SOMMAIRE
L Eucharistie est un sacrement de la nouvelle
Loi qui consiste dans les espèces du pain et du
vin, et dans le corps et le sang de Jésus-Christ
réellement contenu sous ces espèces^ pour don-
ner à Vâme sa nourriture spirituelle. — Jésus-
Christ est présent dans ce sacrement en vertu
des paroles prononcées par le prêtre. — Dans
cette conversion il ne demeure rien de la subs-
tance du pain ni de la substance du vin.
I
CONSIDÉREZ que l'Eucharistie est un sacre-
ment de la nouvelle Loi qui consiste dans
les espèces du pain et du vin, et dans le corps et
D E s s A C R E M E N T s 2 1 1
le sang de Jésus-Chiist réellement contenus sous
ces espèces, pour donner à Tàme sa nourriture
spirituelle.
Premièrement, l'Eucharistie est appelée un
sacrement de la nouvelle Loi, pour nous donner à
entendre qu'elle fut instituée par Jésus-Christ,
qu'elle a des signes sensibles qui signifient la
grâce divine et la confèrent à ceux qui les reçoi-
vent avec les dispositions requises. Tout cela en
effet convient à tout ce qui est sacrement de la
nouvelle Loi et par conséquent à l'Eucharistie. Or
nous ajoutons ici expressément : de la nouvelle
Loi, pour avoir l'occasion de considérer, que ce
sacrement n'a pas été donné sous la loi de nature,
ni sous la loi de Moïse. Le monde était alors inca-
pable d'un mystère si grand et si auguste, car il
était dans son enfance et dans ses commence-
ments. Dieu a voulu attendre la plénitude des
temps et comme l'âge viril ou l'âge parfait du
monde, qui est le temps de la Loi évangélique,
pour l'y faire participer.
Secondement, il est dit que ce sacrement con-
siste dans les espèces du pain et du vin et dans le
corps et le sang de Jésus-Christ réellement con-
tenus sous ces espèces, pour nous représenter par
ces paroles la matière et la forme dont ce sacre-
ment est composé, en tant qu'on le considère
comme complet et formé. Car le sacrement de
l'Eucharistie considéré comme formé et complet a
pour matière les espèces du pain et du vin, c'est-
à-dire les accidents et les apparences du pain et
du vin, ^telles que la blancheur, la rougeur, la sa-
veur et autres accidents, qui dénotent la nourri-
212 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ture, la corroboration et la sustentation intérieure
de Tàme, par le moyen de la grâce. Il a comme
forme, et, pour ainsi dire, comme âme, le corps et
le sang de Jésus-Christ, ou bien Jésus-Christ
même, qui est véritablement et de fait présent
sous les espèces, et comme il n'est venu au monde
que pour faire grâce et miséricorde, sa présence
est une très grande marque de la grâce et de
Tabondance des biens spirituels, de même que la
présence d'un roi qui n'a jamais fait que du bien
partout où il a été, annonce des grâces et des
faveurs à l'égard de ceux qu'il daigne visiter en
personne. En cela apparaît de prime abord com-
bien ce sacrement est auguste et vénérable par
dessus tous les autres, qui n'ont que des paroles
pour leur forme, c'est-à-dire pour ce qui leur
donne force et vigueur, tandis que ce sacrement a
comme forme qui lui donne sa vigueur, Jésus-
Christ même. Dieu et homme, son véritable corps
et son sang précieux.
Au reste pour comprendre ce point très sublime,
il faut distinguer trois états dans ce sacrement. Le
premier état est celui de sa formation, en tant
qu'il est encore à naître ou à être. Le second état
est celui de son achèvement et de sa perfection,
en tant que le sacrement est parfait et complet. Le
troisième état est celui de son application, en tant
que le sacrement est appliqué et donné aux per-
sonnes qui le reçoivent en communiant. Tous ces
trois états sont grands et admirables, et ce sacre-
ment est digne dans chacun de ces états de la
contemplation des plus grands esprits du monde.
Or laissons de côté, pour une autre fois, le troi-
DES SACREMENTiN 2l3
sièmc état de ce sacrement, c'est-à-dire celui où il
est donné ou appliqué aux fidèles par la commu-
nion appelée sacramentelle, et ne le considérons
maintenant que dans les deux premiers états, en
tant qu'il est en voie de formation et en tant qu'il
est formé. Or, dans l'un comme dans l'autre de
ces deux états ce sacrement a sa matière propre et
sa forme propre. Car, en tant qu'il est encore en
voie de formation et qu'il est encore à naître, il a
pour matière le pain et le vin communs et natu-
rels, et comme forme il a ces paroles sacramen-
telles : « Ceci est mon corps, ceci est le calice de
« mon sang^ » etc. En tant qu'il est formé et
complet en vertu de ces paroles sacramentelles
prononcées par le prêtre avec l'intention voulue et
sur la matière du pain et du vin, il a alors pour
matière les seules espèces du pain et du vin qui
restent après la prononciation des dites paroles, et
comme le corps et le sang de Jésus-Christ succè-
dent à la substance du pain et du vin, demeurent
et persistent réellement avec leurs accidents, ce
corps et ce sang tiennent lieu de forme et y sont
suffisamment sensibles à cause des paroles qui
ont précédé : « Ceci est mon corps, ceci est le
« calice de mon sang » (i).
I. Cette théorie de l'auteur sur l'Eucharistie considé-
rée comme sacrement permanent, nous semble s'écar-
ter notablement de l'enseignement commun des Théo-
logiens sur ce point. Ils admettent en effet communé-
ment, d'après Suarez (disp. 42, sect. 3, n. 2) que le
sacrement de l'Eucharistie, une fois fait ou produit par
les paroles de la consécration, consiste essentiellement
et également en deux éléments qui sont les espèces
214 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Enfin on ajoute dans la définition : pour donner
à Tàme sa nourriture spirituelle. Par cette nour-
riture spirituelle, il faut entendre avec la grâce
sanctifiante l'amour de Dieu, le goût de Dieu et la
douceur de la dévotion à son égard. Ce sont là
les vrais fruits naturels de ce sacrement surna-
turel et ce qui nourrit et sustente Tàme spirituel-
lement, parce que, sans les actes d'amour et sans
la dévotion actuelle, elle ressemble à un corps qui
manque de nourriture ; ce corps se dessèche tous
les jours, il ne fait que languir et s'affaiblir de plus
en plus.
eucharistiques et en même temps le corps et le sang de
Jésus-Christ. Ces deux éléments sont en effet requis,
pour constituer un signe sensible et efficace de la
grâce. Si l'on demande quelle est alors, c'est-à-dire
après la confection de ce sacrement, sa matière et sa
forme, nous répondons qu'à l'état permanent ce sacre-
ment a la même matière et la même forme qu'au mo-
ment où il était produit, car les paroles qui physique-
ment ne sont plus et qui constituent sa forme, persévè-
rent moralement et virtuellement, c'est-à-dire par leur
efficacité et dans leur effet. Les espèces eucharistiques
ne sont le signe de la présence de Jésus-Christ, qu'en
tant qu'elles ont reçu des paroles ce sens déterminé,
car nous ne savons que les espèces sont consacrées et
renferment Jésus-Christ, que lorsque nous savons que
les paroles de la consécration ont été prononcées sur
elles. Peut-être peut-on dire avec Bail, que le corps et
le sang de Jésus-Christ tiennent lieu de forme, et le
pain et le vin de matière, en ce sens que les espèces
sont l'élément qui rend visible le corps de Jésus-Christ,
tandis que ce même corps est comme la vertu qui rend
ces espèces capables de produire la grâce.
DFS SACREMENTS 21 5
Je concevrai comme fruit de cette première con-
sidération une très haute estime de ce sacrement,
dans la composition et l'achèvement duquel entre
l\Homme-Dieu, Jésus-Christ, pour lui servir de
forme et d'essence, pour être comme son âme vi-
vifiante. Les composés en effet sont d'autant plus
excellents que leur forme est plus sublime et plus
relevée ; c'est ainsi que les plantes sont plus
excellentes que les pierres, parce que les plantes
ont une forme plus noble. L'homme est le plus
digne sujet parmi tous les êtres corporels, parce
que sa forme, qui est son àme raisonnable, atteint
à un plus haut degré de dignité. Quelle doit donc
être l'excellence de ce sacrement, dont la forme
est si éminente ; et si les formes les plus excel-
lentes des composés produisent les plus sublimes
effets, que ne faut-il pas attendre et espérer de ce
sacrement ? Quelles choses souhaitables et mer-
veilleuses n'en procéderont-elles pas ? O très digne
et très divin sacrement rempli de Jésus-Christ et
enrichi de sa présence, puissè-je, en vous médi-
tant, vous connaître parfaitement, ainsi que
toutes vos singularités admirables, afin que vous
connaissant je vous estime et vous affectionne, je
vous vénère et vous loue et j'excite les mortels à
vous rendre l'amour et le [respect qui vous appar-
tiennent.
II
Considérez que Jésus-Christ est rendu présent
dans ce sacrement par la vertu des paroles sacra-
mentelles proférées par le prêtre : « Ceci est mon
« corps^ ceci est le calice de mon sang, » etc. Il
2l6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
se fait alors une transmutation ou bien un change-
ment du pain et du vin au corps et au sang de
Jésus-Christ. L'Eglise a toujours vécu dans cette
croyance et dans la persuasion de cette vérité.
Toujours, dit le Concile (i), on a été persuadé
dans l'Eglise de Dieu, et ce saint Concile le dé-
clare de nouveau, que par la consécration du pain
et du vin, il se fait une conversion de toute la
substance du pain en la substance du corps de
Notre Seigneur Jésus-Christ, et de toute la subs-
tance du vin en la'substance de son sang ; conversion
qui est appelée proprement et convenablement
par la sainte Eglise catholique, transsubstantia-
tion. La raison de cette grande vérité est que les
paroles de Jésus-Christ : « Ceci est mon corps., »
ne peuvent être vraies, si au même instant qu'il
les proférait, la substance du pain ne se changeait
en celle de son corps. Or elles étaient très vraies,
car elles étaient prononcées par celui qui est la
vérité même, et qui ne peut errer le moins du
monde ; par conséquent elles opéraient et accom-
plissaient secrètement par une puissante vertu ce
qu'elles signifiaient. C'est pourquoi comme celui
qui tiendrait dans sa main de la poudre à canon et
serait assez puissant pour lui faire prendre feu en
disant : ceci est du feu, changerait, en proférant
cette parole : ceci est du feu, la poudre en feu et
dirait vrai, s'il disait en tenant et en montrant la
poudre : ceci est du feu ; ainsi devons-nous com-
prendre par cette comparaison familière, que la
parole de Jésus-Christ : ceci est mon corps., étant
I. Trid. sess. 13, c. 4.
DES SACREMENTS 217
une parole etlicace, — car le prophète a dit : « La
« voix du Seigneur est pleine de force » (Ps. 28), —
par la vertu de cette parole, la substance du pain
quHl' tenait dans ses mains, a été convertie en la
substance de son corps, ainsi que la poudre serait
convertie en feu, dans le cas que nous venons de
citer. Au reste il est bien raisonnable d'attribuer
cette force et cette puissance à la parole de Jésus-
Christ, car sa parole est d'une plus grande effica-
cité, et il faut lui attribuer beaucoup plus qu'à la
parole d'un homme et d'une simple créature. Or
celle-ci signifie toujours quelque chose ; afin donc
que celle-là ait un avantage sur elle, elle ne doit
pas seulement signifier, mais elle doit aussi effec-
tuer ce qu'elle signifie. C'est pourquoi, par l'éner-
gie des paroles de Jésus-Christ prononcées par le
prêtre dans la consécration du pain et du vin, il
se fait un changement admirable de substance en
substance ; le pain y devient le corps de Jésus-
Christ, le vin y devient son sang et l'un et l'autre
cessant d'être ce qu'ils étaient auparavant, mon-
tent à un degré meilleur et beaucoup plus relevé,
qui est l'être de Jésus-Christ même.
Ceci ne doit pas nous sembler incroyable, car
une créature change bien une autre créature en
sa substance. Ainsi la chair de l'homme change
en elle-même le pain qu'elle mange. Pourquoi
donc la parole d'un Dieu tout-puissant, qui a tout
créé par sa parole, ne pourrait-elle pas changer le
pain en son corps et le vin en son sang ? Il a bien
changé dès le commencement du monde le limon
de la terre en un corps humain, celui du premier
homme Adam et une des côtes de cet homme en
2'l8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
une femme qu'il en forma par une mystérieuse
métamorphose. (Gen. i). Et s'étant fait hom.me,
aux noces de Cana, il se fit connaître par une
semblable transformation, quand il changea Teau
en vin. Pourquoi ne pourrait-il pas faire une chose
semblable dans ce grand sacrement? Certes la na-
ture est toute remplie d'effets pareils. Le soleil
par son influence change la terre en or et en tou-
tes sortes de métaux ; les abeilles font du miel
avec les fleurs ; la poule sans changer la coque de
l'œuf en change le jaune en une chair vivante.
Pourquoi Jésus-Christ par un moyen admirable
ne pourait-il pas changer la substance intérieure
du pain en son corps, sans en altérer les acci-
dents ? Si la nature fait ces choses à tout moment
sans peine, que ne pourra pas faire l'auteur de la
nature ? Mais que dis-je ? la nature. L'art fait tous
les jours de nouveaux changements. Les cendres
se changent en verre sous l'action du feu, l'alchi-
mie change des substances en d'autres substances
plus excellentes et qui approchent de l'or vérita-
ble. Si donc l'art a cette puissance, qui osera la
refuser à Dieu et à sa parole toute-puissante ?
Mais que n'a pas fait Moïse aidé de l'assistance
divine ? Jetant sa verge par terre, il la change en
dragon, et, quand il la prend par la queue, elle
revient à sa première nature. (Ex. 4). Il change
les eaux des fleuves en sang et le sang en eau et il
fait plusieurs autres changements admirables. Ce-
pendant Moïse n'est que le serviteur, quelle sera
donc la puissance du Maître, s'il institue des
paroles expresses, pour faire un changement
d'une substance en une autre, comme il en a ins-
DES SACREMENTS 219
titué pour la sainte Eucharistie ? « Il Jera, dit le
« Sage, ce qu'il voudra, sa parole est pleine de
« puissance et personne ne peut lui dire: pour-
« quoi agissez-vous ainsi? y> {Ecc\. 8). Enfin re-
présentons-nous la reproduction d'un corps dans
un lieu où il n'est pas ; qui peut contester que
Dieu ait ce pouvoir ? Si je n'étais pas en France,
personne ne doute qu'il ne put me produire en
Asie, ou dans tel lieu qu'il lui plairait. Or la pré-
sence de ma personne en France m'empêche pas
la toute-puissance de Dieu de me reproduire, s'il
lui plaît, autre part, ni plus ni moins que ma
présence en un temps ne peut l'empêcher de me
produire dans un autre temps, car le lieu n'est
pas pour lui un plus grand obstacle que le temps.
Qui peut donc l'empêcher, tandis que le corps de
Jésus-Christ est aujourd'hui dans le ciel, de le
reproduire sur les autels et en tels lieux de la
terre et du monde qu'il voudra ?
Oh ! bénies soient infiniment la toute puissance
et la bonté de Dieu, qui font un tel changement
de la substance du pain en celle de Jésus-Christ
par amour pour moi, afin que prenant les appa-
rences ou espèces du pain, je m'en nourrisse et le
reçoive lui-même ! O Seigneur, en reconnaissance
de ce grand changement, je désire aussi accomplir
un changement par amour pour vous, un change-
ment de moi-même et de mon ancienne vie en
une vie nouvelle plus céleste et plus spirituelle.
Je désire changer en moi tout ce qui est du vieil
Adam gâté et corrompu, aux saintes mœurs et
actions du nouvel Adam. Ce changement n'a pour
objet que des accidents seulement. Si vous faites
2^0 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pour mon amour le changement d'une substance
basse et très commune en une substance qui est
la plus rare, la plus précieuse et la plus divine du
monde, refuserai-je pour votre amour de changer
mes accidents mauvais et pervers, en d'autres
plus louables et plus saints ? J'aurai aussi confiance,
à la vue de cette transsubstantiation, que de très
bas et très vil que je suis maintenant, je pourrai
être transformé en un état qui se rapprochera de
l'état glorieux de Jésus-Christ. Aussi saint Paul
dit : « IL formera de nouveau votre corps sur le
« modèle de son corps glorieux. » (Phil. 3). Car
s'il fait ce changement d'une façon beaucoup plus
haute dans le pain par amour pour l'homme,
l'homme, n'a-t-il pas grand sujet de s'attendre à
être élevé et à m.onter à un rang plus honorable,
à un rang glorieux,'oLi il sera divinisé et transformé
en Jésus-Christ par l'imitation et la ressemblance
des qualités de sa gloire très parfaite ? O heureuse
et mille fois désirable conversion ! « Convertisse\-
« nous., Seigneur^ et éloigne^ de nous votre colère. »
(Ps. 84).
III
Considérez que dans cette conversion il ne
reste rien de la substance du pain et du vin ; elle
cède entièrement au corps et au sang de Jésus-
Christ, et il n'y a que les seuls accidents ou les
seules espèces qui demeurent, telles que la blan-
cheur, la rougeur, la saveur et les autres. Sous
ces accidents Jésus-Christ est présent tout entier
et tel qu'il est dans le ciel, pour être le pain vivant
et vivifiant de nos âmes ; il porte et soutient par
DES SACREMENTS 121
sa vertu ces accidents destitués de leur propre
substance et de leur soutien naturel. Cette vérité
doit se conclure de la précédente, où il a été con-
sidéré qu'il y avait transmutation d'une substance
en une autre, car partout où il y a une telle trans-
mutation, la substance transmuée cesse d'être ce
qu'elle était auparavant et par conséquent la subs-
tance du pain cesse d'exister, quand devient pré-
sent le corps de Jésus-Christ, dans lequel elle se
change. D'ailleurs elle serait inutile, et impropre
à tout usage spirituel ; car les accidents qui demeu-
rent sont pleinement suffisants pour signifier
l'effet du sacrement, et Jésus-Christ, qui est pré-
sent, est assez capable par sa vertu infinie de les
soutenir et de les faire agir sans leur substance.
En effet « c'est lui^ dit saint Paul, qui soutient
« ton ta choses par sa parole toute puissante »
(Héb. i). Et de même que, dans l'Incarnation,
dont ce mystère est une imitation, le Verbe divin
soutient en lui-même l'humanité dépouillée de
son suppôt et de son soutien naturel, qui est sa
subsistance ; ainsi dans ce mystère Jésus-Christ
soutient par lui-même les accidents privés de leur
suppôt naturel, qui est la substance dans laquelle
ils résidaient dans une union très intime (i).
I . Il faut bien se garder de prendre trop à la lettre
cette comparaison. Le Veibe supplée en Jésus-Christ
la personne humaine par une union substantielle et
ontologique avec la nature humaine. Dans l'Eucharistie,
il n'y a entre le corps de Jésus-Christ et les accidents
du pain ou du vin, aucune union physique formelle^
ni substantielle, ni accidentelle, car il est certain que
112 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Cette substance n'est plus, car elle a quitté sa
place à l'arrivée du Fils de Dieu, en vertu de la
loi qui veut que les inférieurs cèdent la place à
ceux qui sont notablement plus grands et plus
illustres. Quoi qu'il en soit des hommes qui con-
testent souvent pour la préséance, c'est le droit
du Créateur souverain que toute créature lui
cède et s'anéantisse, autant qu'il lui est possible,
en sa présence. Dieu apparut au commencement
du monde dans le paradis terrestre, et « Adam se
« cacha, dit le texte sacré, ainsi que sa femme en
« la présence du Seigneur. » (Gen. 3). L'arche
d'alliance fut portée dans le temple de Dagon, et
son idole tomba par terre en sa présence. Jésus-
Christ dit aux soldats qui étaient venu le garrotter
au Jardin des Oliviers : « C'est moi.^ » et aussitôt
ils tombèrent à la renverse et ne purent subsister.
Ainsi en est-il de la substance du pain dans cet
auguste sacrement : aussitôt que Jésus-Christ
paraît, elle fait honneur à son Créateur et lui cède
les accidents du pain et du vin demeurent sans sujet.
(Conc. de Constance). Il n'y a qu'une union morale, qui
consiste en ce que ces espèces indiquentla présence cer-
taine du corps de Jésus-Christ, et en ce que d'une part
le corps de Jésus-Christ continue à être présent sous
ces espèces à cause de la persistance de ces mêmes
espèces, et de l'autre Dieu continue à les iaire subsis-
ter sans sujet, par un eflfet de sa toute-puissance, à
cause de la présence du corps de Jésus-Christ. Tout au
plus pourrait-on admettre une certaine union réelle qui
consisterait en ce que le corps de Jésus-Christ concour-
rait, comme instrument physique, à soutenir les espè-
ces privées de tout sujet.
DES SACREMENTS 223
la place, comme si elle avait le sentiment de sa
hassesîîe et de sa vilité, et ne se croyait pas digne
de demeurer avec lui. Toutefois elle ne perd rien
par cette soumission; Dieu, qui exalte les hum-
bles, sait bien la relever. En effet, outre que ses
accidents sont intégralement conservés. Dieu
l'améliore extrêmement et de Tamélioration la
plus parfaite qui puisse être, car il la fait devenir
son propre corps, il la change en lui-même ; ce qui
est la faire monter au plus haut point de grandeur
que l'on puisse imaginer.
Je formerai des actes de foi à la suite de cette
considération. Je le crois, ô Jésus, après les paro-
les sacramentelles, la substance du pain n'est
plus, ni la substance du vin, c'est votre corps
sacré et votre sang très précieux qui a été répandu
pour nous, et que vous avez repris au jour de la
Résurrection, c'est ce sang, dis-je, qui lui succède.
O Jésus ! que ce mystère convient à votre gran-
deur, puisque les substances matérielles du pain
et du vin vous font hommage, en cessant d'exister
en votre présence et en vous cédant la place, si bien
qu'en rigueur on pourrait dire qu'elles sont vrai-
ment anéanties, si vous ne preniez leur place.
Oh ! je me réjouis que les êtres inanimés honorent
votre pouvoir. Je m'écrierai comme ceux qui
vous virent commander aux orages : « Quel est
« celui-ci, à qui les vents et la mer obéissent ? »
(Matt. 8). Qui êtes-vous donc, ô Jésus, pain vivant
descendu du ciel, pour que le pain matériel se
rende si obéissant en votre présence ? Oh ! si les
créatures raisonnables et intelligentes, imitant ces
substances inanimées, rentraient dans leur néant
224 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
et s'humiliaient profondément à votre vue et en
votre sainte présence ! O Seigneur, je veux cesser
d'être ce que j'ai été jusqu'à présent, je ne veux
plus de moi en moi, afin que vous y soyez tout
seul, et si je suis, je ne veux plus être qu'en vous.
O l'admirable conversion de la droite du Très
Haut ! Il ne s'en peut imaginer une meilleure ;
l'âme chrétienne ne peut espérer en ce monde une
bonté plus parfaite et plus consommée, que de se
réduire à rien pour tout céder à Jésus, et de n'être
rien qu'en lui, renonçant à toute propriété. O Sei-
gneur, par toutes les merveilles de cet auguste
sacrement, donnez-moi la grâce de m'anéantir de
la sorte devant votre suprême Majesté, afin que je
puisse dire comme votre grand Apôtre : « Je vis,
« non, ce nest pas moi qui vis^ mais cestjêsus-
« Christ qui vit en moi y) (Gai. 2), ou bien comme
disait David : « Ma substance est comme un
« néant devant vous. » (Ps. 38). Enfin de même
que les accidents du pain et du vin ne laissent pas
d'être et d'opérer sans leur appui naturel, parce
que vous les soutenez par votre vertu ; ainsi faites,
Seigneur, que privé du support des créatures et
n'ayant plus aucune attache avec elles, je vive et
agisse par votre assistance, n'étant attaché qu'à
vous seul qui donnez la force et la vertu à toutes
choses.
DES SACREMENTS 22^
ir MÉDITATION
DES DIVERS MOTIFS
POUR LESQUELS JÉSUS-CHRIST
EST PRÉSENT DANS L'EUCHARISTIE
SOMMAIRE
Premier motif : la gloire de Dieu. — Second
motif : Vexaltation de Vhumanité de Jésus-
Christ. — Troisième motif \ V utilité des hom-
mes et leur plus grand honneur.
I
CONSIDÉREZ divers motifs pour lesquels Dieu
a voulu que Jésus-Christ fut présent dans
cet adorable sacrement, et premièrement celui de
la gloire de Dieu, qui est la tin de toutes ses
œuvres. Cette présence lui apporte de la gloire
de deux manières principales.
D'abord sa gloire paraît par la manifestation de
ses attributs et de ses perfections ; ici il fait paraî-
tre davantage sa puissance, sa sagesse et sa bonté.
Sa puissance paraît par la multitude des miracles
qui se font dans ce mystère, pour rendre son Fils
présent sous les espèces du pain et du vin. Car la
substance du pain est changée par la vertu des
paroles en celle du corps de Jésus-Christ, et celle
du vin en celle de son sang. Les accidents du pain
Bah., t. IX. i^
226 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
et du vin demeurent sans le soutien de leur subs-
tance, ainsi que des nuées dans Tair sans appui.
Jésus-Christ tout entier et selon toute sa grandeur
est contenu dans une petite hostie et dans un peu
de liqueur. Il est en même temps en des lieux
innombrables. Le prêtre opère ces merveilles par
les paroles sacramentelles. Toutes ces choses
grandes et étonnantes et qui continueront jusqu'à
la fin des siècles sont les effets de la toute-puis-
sance divine, qui se révèle ici autant que dans
aucun de ses ouvrages.
Sa sagesse ne paraît pas moins, en ce qu'il a
trouvé un tel moyen de se communiquer à l'homme
et de contrepointer les ruses de Satan. Car,
comme l'homme a été perdu par un peu de nour-
riture, ainsi dans ce sacrement il est réparé par
une autre nourriture. De même que l'homme
contracte le péché originel et les malheurs qui y
sont annexés par la participation de la chair
d'Adam, chair pécheresse et damnable qui appe-
santit l'àme et l'incline vers la terre par des affec-
tions terrestres ; ainsi il acquiert la grâce et la
sainteté par la participation de la chair de Jésus-
Christ, chair virginale et immaculée, chair rédemp-
trice et salutaire, qui élève l'àme au ciel par des
affections toutes célestes.
Mais sa bonté ne paraît pas moins en ce qu'il fait
tant de miracles dans ce sacrement, pour s'unir au
cœur de l'homme et se communiquer à lui plus
intimement. Elle paraît aussi en ce qu'il met
encore ici son Fils dans un état d'humiliation, qu'il
l'expose sur les autels à la merci des hommes,
dont plusieurs le traitent indignement. Si bien
DKS SACRKMKNTS 227
que si c'est une preuve d'an:our d'entreprendre
beaucoup, de donner beaucoup, et de hasarder
beaucoup pour la personne aimée, ici Dieu fait
paraître sa bonté par la multitude des miracles
qu'il accomplit pour le salut des hommes, ainsi
qu'autrefois il la fit paraître à l'égard des enfants
d'Israël par l'accomplissement de tant d'œuvrcs
prodigieuses, en vue de leur délivrance de l'Egypte.
Il Ta prouvé par cette largesse immense qu'il nous
a faite en donnant son Fils qu'il a élevé jusqu'à sa
droite, et en le donnant non en général, mais en
particulier, à quiconque le désire, sans exclure
personne ; de plus il le donne si entièrement à
chacun considéré à part, qu'il semble qu'il n'ait
pensé qu'à se donner à lui seul. Il a encore prouvé
son amour en s'exposant au danger de devenir
l'objet de toutes sortes d'irrévérences et d'ignomi-
nies de la part des pécheurs et des impies ; ce qui
lui arrive souvent. Enfin il faut être plus qu'aveu-
gle, pour ne pas reconnaître son immense charité
et sa bonté infinie.
En second lieu, la gloire de Dieu paraît encore
davantage dans ce sacrement en ce qu'il y est
adoré, remercié, apaisé, aimé et servi par son
Fils, Jésus-Christ, dans tous les endroits du monde
où se célèbre ce mystère. Toutes les adorations et
les services des autres créatures ne rendent au-
cune gloire à Dieu en comparaison de la gloire
qu'il reçoit ici de son Fils, car c'est un sujet in-
fini qui l'honore en tout lieu. Et de même qu'un
roi est beaucoup plus honoré par les révérences
que lui fait un prince de haute condition, que par
celles d'une menue populace, quoique très nom-
228 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
breuse; ainsi les adorations, que Jésus-Christ
rend à Dieu, le glorifient plus que celles de tous
les hommes et de tous les Anges, parce que c'est
un sujet infini et un Dieu qui adore un Dieu
adorable et qui ne pouvait être dignement adoré
que par un Dieu. C'est pourquoi Dieu se sentant
honoré par ce mystère se glorifie et dit par son
prophète : « Mon nom est grand parmi les Gên-
ai tils^ parce qu'en tout lieu une oblation sans
« tache est offerte à mon nom » (Malach. i) ;
c'est-à-dire, comme l'expliquent les Pères de
l'Eglise (i), l'Agneau immaculé qui efface le
péché du monde, m'est sacrifié.
Admirez dans ce premier motif le dessein de
Dieu, et réjouissez-vous de la gloire qu'il reçoit
dans ce mystère sacré. O Dieu infini ! il vous
appartient de paraître grand en puissance, mer-
veilleux en sagesse et ravissant de bonté. O Dieu
très sublime ! il est bien raisonnable que vous
soyez servi par d'autres plus grands que des
hommes chétifs et rampant sur la terre, car en
face de vous, ils sont encore moins que des four-
mis en face d'un homme. C'est pourquoi comme
un homme ne s'estimerait pas assez honoré par
toutes les fourmis du monde qui s'humilieraient
devant lui, vous serez, vous, bien moins glorifié
encore par l'honneur que tous les hommes de la
terre pourront vous rendre. O noble Jésus, ô
adorateur infini, il n'y a que vous seul, qui pouvez
dignement aimer et adorer le Dieu infiniment
aimable et adorable. Je me réjouis donc de ce que
I. Theodoret. in hune locum.
DES SACREMENTS 229
pour la gloire de Dieu vous êtes renfermé dans ce
mysttre, pour adorer Dieu et l'aimer dans tous
lieux du monde.
II
Considérez que Jésus-Christ est encore présent
dans ce sacrement admirable pour la plus grande
exaltation de son humanité sacrée. Car quoiqu'elle
y soit à certains points de vue dans un état d'hu-
miliation, toutefois cette humiliation est com-
pensée par tant de grandeurs et de merveilles, qui
lui arrivent dans ce sacrement, que les avantages
qu'elle y trouve sont de beaucoup supérieurs à ses
pertes et à ses abaissements. Par ce mystère Dieu
dont les secrets sont admirables, lui donne beau-
coup plus de biens sur la terre, qu'elle n'y a
souffert de maux pour le salut du monde.
Car premièrement, cette humanité est rendue
présente tout à la fois en des millions d'endroits ;
ce qui est un privilège tout particulier, qui ne
convient à aucune créature. La créature en effet
est en un lieu seulement ; hors de ce lieu elle n'est
rien et elle ne vit pas. Mais l'humanité de Jésus-
Christ, par ce mystère, est en un lieu de telle
sorte qu'elle est aussi et qu'elle vit véritablement
dans un million d'autres lieux. En cela elle se
rapproche quelque peu de l'immensité de Dieu qui
est partout à la fois et dans tous les lieux du
monde. Cette humanité qui n'a pas l'immensité ni
l'ubiquité, a la pluralité de présence ; elle est en
divers lieux, en divers royaumes et en diverses
parties de l'univers, où elle se trouve même là
dans son être, dans sa substance, avec ses puis-
23o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sances et ses qualités, avec sa vie et ses opérations
intérieures (i). En cela elle est aussi favorisée par
Dieu que si elle recevait de lui la vie et Têtre plu-
sieurs fois. Or comme la vie de cette humanité
sainte est une vie bienheureuse, une vie toute
contente et rassasiée de joie par la vision béatifique
et par la félicité dont elle jouit, à mesure que cette
humanité est rendue présente dans un nouveau
lieu, sa vie bienheureuse est reproduite en même
temps qu'elle, et aussi ses contentements inénar-
rables. D'où vient qu'elle est autant de fois heu-
reuse, que sa présence est multipliée de fois par
la multitude des consécrations que font les prêtres,
à qui appartient le pouvoir de changer en sa subs-
tance celle du pain et du vin.
Ce point est important et contient une singula-
rité admirable du bonheur de cette sainte huma-
nité, du bonheur des prêtres et de ceux qui leur
font offrir le sacrifice. Pour le concevoir davantage,
il faut se représenter ce qu'enseignent les Théolo-
giens (2), au sujet de ce qui serait arrivé, dans le
cas où l'un des Apôtres eût consacré pendant les
trois jours de la mort de Jésus-Christ, alors que
son âme était séparée de son corps. Ils disent que
le corps eût été sous l'espèce du pain, sans âme et
sans sang; parce qu'en ce moment le corps de
Jésus-Christ était sans àme et sans sang gisant
dans le tombeau. Et si on leur demande ce qui
serait arrivé, si quelqu'un eût consacré pendant
que Jésus-Christ était à l'agonie ou en proie aux
1. Albertus Magnus in Compend. 1. 6, c. 14.
2. D. Thom. 9. 81, art. 4.
n F. s s A C R K M ]• N T s '2 31
douleurs de la croix, ils répondent que .lésus-
Chrisreùt été sous les espèces, plein de douleur
et d'amertume, comme il Tétait en réalité à ce
moment. Disons donc que la consécration se fai-
sant alors que Jésus-Christ est plein de vie et de
vie bienheureuse, il est présent en divers lieux du
monde avec ses joies et ses contentements et que
ce mystère multiplie d'une rare manière sa félicité
très parfaite, dont il ne se prive pas lui-même pour
nous dans son Eucharistie, puisqu'il ne s'en est
même pas privé sur l'autel de la croix (i). Aussi il
n'y a pas de raison pour que sa douleur doive
l'accompagner dans l'Eucharistie, plutôt que sa
joie et son bonheur.
On pourrait parler aussi du contentement sin-
gulier, qu'a cette humanité, d'adorer Dieu en
divers lieux du monde et de la gloire qui lui
revient de ce fait qu'elle est chérie et vénérée des
hommes fidèles qui croient en ce sacrement. Mais
il nous sufiit de nous arrêter à la multiplication de
sa béatitude pour reconnaître son bonheur sans
égal et son avantage très admirable, qui lui permet
de dire par la bouche du Sage : « Mes délices sont
« d'être avec les enfants des hommes. » (Prov. 8).
O humanité sacrée ! Je me réjouis du bonheur
que vous goûtez dans ce sacrement, je suis heureux
que vos consolations l'emportent sur tout ce qui
paraît à nos yeux et qui est vil et méprisable. Oh !
je vous révère, je vous aime et vous honore dans
I. Vasquez, 3 part. disp. 192, c. 3, Ita quoque Sco-
tus, in REPORT. 1. 4, dist. 10, 9. 5 : « Non privai se bono
aliquo es sentiali pr opter necessitatem nostram. >
232 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
cette vie bienheureuse, que vous recevez tant de
fois. Vous êtes dans cet état un abîme de délices,
un monde de félicités, un excès d'éminences et de
raretés. Vous êtes véritablement le chef-d'œuvre
de Dieu, celui où il épuise hors de lui-même sa
puissance et sa bonté à vous combler de biens et
d'excellences inouïes. Oh! vivez toujours heureuse
dans cet admirable sacrement ! Oh ! puisque par
votre grâce je suis élevé aux fonctions du sacer-
doce, quoique très indigne de cette faveur, je veux
consacrer dans cette intention et dans un esprit
d'amour de bienveillance envers vous, afin que
rendue de nouveau présente sur les autels, vous
ayez, entre mes mains et par mon ministère, votre
vie bienheureuse et ses contentements très divins.
Oh ! quelle confiance dois-je avoir d'obtenir la vie
bienheureuse, puisque tant de fois par la sainte
consécration, j'ai contribué à rendre Jésus vivant
de sa vie très heureuse dans plusieurs lieux où il
n'était pas auparavant ? O chrétiens, travaillons à
ce que ce sacrement soit fréquenté davantage, afin
que Jésus jouisse de sa vie et de ses délices en
plusieurs contrées et endroits de l'univers. Oh !
malheur à ceux qui s'y opposent et qui s'efforcent
de le détruire !
III
Considérez que Dieu a encore voulu la présence
réelle du corps sacré de Jésus-Christ dans ce
sacrement pour l'avantage des hommes et pour
leur plus grand honneur.
En premier lieu, il fait participer les hom-
mes à lui-même et fait une alliance intime
DES SACREMENTS 233
de lui-picme avec eux. C'est pourquoi ce sacre-
ment est une extension de Tlncarnation. De
même en etVet qu'il a communiqué sa subsistance
à une seule humanité, ici il communique cette hu-
manité à tous les fidèles; et de même que l'huma-
nité à laquelle il se communiquait était soutenue
par le Verbe, ainsi les fidèles sont soutenus par ce
sacrement, selon cette parole du prophète : « Le
« pain réconforte le cœur de lliomme » (Ps. io3).
En second lieu, Jésus-Christ supplée ici au
bien qu'il a différé de nous donner en nous rache-
tant. En effet, quand il est mort pour notre salut
et pour racheter de la mort nos âmes et nos corps,
néanmoins pour le temps présent il ne nous a donné
qu'une âme justifiée, vivant de la vie de la grâce
et exempte de la mort du péché. Pour ce qui est
du corps, il le laisse dans sa misère et dans sa
mortalité jusqu'à la résurrection générale où ce
corps éprouvera le bienfait de la Rédemption, par
un état glorieux qui lui sera alors donné. C'est
pourquoi Jésus-Christ nous donne seulement une
âme maintenant et ne nous donne pas de corps ;
mais en attendant il nous donne le sien, qui est
présent dans ce sacrement ; c'est la compensation
de ce délai.
Troisièmement, son corps est ici présent, pour
obliger puissamment tous les fidèles à un grand
respect, une grande modestie et une grande dévo-
tion dans toute leur conduite, puisqu'ils savent
qu'ils sont en présence du Fils de Dieu, qui est à
la droite de Dieu et qui est adoré des anges. Le
peuple d'Israël qui était devenu insolent, pendant
que Moïse était sur la montagne, rentra dans le
284 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
devoir aussitôt qu'il parut devant eux à son retour,
ainsi que les disciples s'apaisent en présence de
leur maître, et une troupe séditieuse à la vue de
quelque personne qui a de l'autorité et qui inspire
le respect. Ce fut le moyen dont se servit le père
de famille pour rappeler au devoir de l'obéissance
les vignerons qui avaient maltraité ses serviteurs ;
il leur envoya son fils, dans l'espoir qu'ils seraient
pénétrés de respect à la vue de sa personne :
« Ils respecteront mon fils. » (Matt. 22). Ainsi
Dieu le Père a estimé qu'en rendant présent son
Fils dans ce mystère, les chrétiens lui feraient
honneur, comme le mérite sa grandeur : « Ils
« respecteront mon Fils ». En effet la plus grande
dévotion de l'Eglise se traduit par le respect de
l'Eucharistie ; c'est pour elle qu'il y a des temples
si magnifiques, des autels et des tabernacles si
riches, des offices si solennels et des prêtres si
purs et si saints, des pénitences et des réformes
de mœurs en si grand nombre. Le Docteur
subtil (i)a admis ce motif de la présence réelle de
Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement et il a écrit
ces paroles très remarquables : Toute la dévotion
qu'il y a dans TEglise consiste dans le respect à
l'égard de ce sacrement. A la pensée de l'Eucha-
ristie, les clercs récitent l'Office divin avec plus de
dévotion, pour célébrer la messe. Dans la même
pensée le peuple assiste à la messe avec plus de
respect qu'à tout autre office. En vue de ce sacre-
ment, chacun confesse ses péchés plus exactement,
I. In 4, dist. 8, 9. I : « Quasi omnis devotio in Eccle-
« sia est in or dîne ad illud sacratnenium. »
DES SACREMENTS 2 33
conformément au commandement de TEglise.
De plus la présence de Jésus-Christ anime tous
les chrétiens à mieux combattre dans la guerre
spirituelle de cette vie contre les ennemis de notre
salut, car la présence d'un roi dans une armée est
un puissant aiguillon pour exciter les soldats à se
comporter généreusement. Germanicus levait le
casque en combattant, pour se faire voir de ses
soldats. Les rois de Perse combattaient nue tête.
Les Macédoniens, vaincus par leurs ennemis,
remirent leur armée sur pied, et combattant une
seconde fois, ils tirent apporter au milieu de Tar-
mée le roi Europus, qui était un enfant dans les
langes, et animés par sa présence, ils remportèrent
la victoire (i). Les Juifs ayant vu jadis un Ange à
cheval sous la figure d'un capitaine, avec un habit
blanc et des armes dorées, ne trouvèrent plus rien
de difficile à surmonter (II Mach. ii). Combien
plus la présence de Jésus-Christ, qui épouvante
Tenfer, doit-elle animer les chrétiens à triompher
généreusement de tous les obstacles de leur salut ?
Enfin cette même présence donne le repos à nos
âmes, qui étant créées pour Dieu ne se rassasient
de rien moins que de Dieu, et elle fortifie l'espé-
rance que nous avons de la gloire. Car nous avons
une raison suffisante pour espérer vivre avec les
Anges et contempler avec eux l'Essence divine,
puisque maintenant nous vivons avec Jésus-Christ
et de Jésus-Christ même. Celui qui se donne à
manger refuserait-il de se donner à voir et à con
templer ?
I. Justin. 1. 7.
236 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Toutes ces choses bien pesées lont que ce sacre-
ment doit être appelé le plus grand des sacrements,
non-seulement à cause de ce qu'il contient, mais
aussi parce qu'un sacrement étant un signe de la
grâce et de l'amour de Dieu, nous avons ici un
témoignage de la bonté et de la bienveillance de
Jésus-Christ plus grand et plus solennel que dans
tous les autres sacrements.
Reconnaissons donc à tous les instants de notre
vie, la grandeur du don de Dieu dans la sainte
Eucharistie, qui nous rend si honorables et nous
apporte tant de biens et tant de gloire à la fois,
O Seigneur, que je ne demeure pas insensible et
ingrat après un si grand témoignage de votre
amour ! O Père éternel, que je vous adore et que
je vous loue durant toute l'éternité, pour nous
avoir donné votre Fils de cette seconde manière
et tant de fois, et pour tant de biens que vous
nous accordez dans ce sacrement d'amour. Car
quand je considère le prêtre tenant l'hostie entre
ses mains, je me représente, ô Père très aimant,
que du paradis vous me tendez la main et que
vous me présentez votre Fils ; et quand je le vois
élevant le calice, je me figure, ô très aimable Sau-
veur, que vous me présentez votre côté ouvert et
que vous me conviez à me rassasier de votre sang
précieux. Quoi donc, ô Jésus, n'était-ce pas assez
de vous être donné et consacré, l'espace de trente-
quatre ans pendant votre vie souffrante, à aider
des créatures mortelles et qui rampent sur la
terre ? Ne semblait-il pas qu'après cet excès vous
deviez demeurer dans l'état de votre gloire, sans
plus vouloir regarder le monde, où vous avez reçu
nns SACREMENTS iSy
des traitements si indignes ? Et cependant, ô excès
d'amour, pour continuer cet amour, vous renfer-
mez et cachez votre grandeur dans la petitesse des
accidents du pain et du vin, autant qu'elle s'étend
et se manifeste dans le grand ciel empyrée. O
Seigneur très bon, mon esprit s'élève vers vous à
la vue de ce grand témoignage d'amour et de ce
grand don que vous faites de vous-même ; en
retour de ce don, il veut être tout à vous. Oh ! que
je voudrais que toutes les âmes raisonnables s'ap-
pliquent à vous aimer et à vous contempler, à vous
rendre des actions de grâces, à se donner et à s'unir
à vous dans ce mystère 1 Que je voudrais que dans
ce but elles renoncent à tout leur amour-propre,
pour vous y servir et vous y adorer purement !
238 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
T MÉDITATION
DE L'UNION DE JÉSUS-CHRIST
AVEC LES ESPÈCES DU PAIN
ET DU VIN DANS L'EUCHARISTIE
SOMMAIRE
Jésus-Christ, en s' unissant aux espèces du pain
et du vin nous prouve — i) son admirable bonté
— 2) son grand désir de se communiquer aux
hommes — 3) sa prodigalité.
I
CONSIDÉREZ la merveilleuse bonté de Jésus-
Christ dans ce fait qu'il s'unit aux espèces
du pain et du vin, pour faire le composé admirable
de TEucharistie. Car ce sacrement est un composé
des espèces et du corps de Jésus-Christ, comme
rhomme est un composé de corps et d'âme, et
comme Jésus-Christ est un composé et un tout
ineffable de Dieu et de l'homme (1). C'est pour-
quoi saint Irénée (2) dit que l'Eucharistie est
composée de deux choses, l'une terrestre et l'autre
céleste, c'est-à-dire des espèces et du corps de
1. D. Thom. in 4, dist. 3, 9. i, art. i.
2. L. 4 CONTRA Hœreses, c. 34 : « Ex dîiabus rébus
« constans^ terrena et cœlesti ».
I>KS SACRI' MKXTS 2.i(j
Jésus-Christ. C'est là une pensée qui est com-
mune aux Pères de PEglise. Ils comparent en
effet ce sacrement au Verbe incarné, car de même
que deux natures se retrouvent en Jésus-Christ,
la nature divine et la nature humaine ; ainsi deux
natures se retrouvent dans l'Eucharistie, à savoir
le corps de Jésus-Christ et les espèces ou appa-
rences, d'où résulte un seul sacrement. En réalité
le sacrement de l'Eucharistie est, absolument par-
lant, adorable, comme le définit l'Eglise (i) ; par
conséquent il doit renfermer quelque chose de
divin, comme est divin le corps vivant de Jésus-
Christ ; et ainsi ce sacrement ne consiste pas dans
les seules espèces, mais à la fois dans les espèces
et dans le corps sacré de Jésus-Christ. Il est donc
adorable en lui-même à cause de ce qu'il contient.
Or c'est là un trait merveilleux de la bonté de
Jésus-Christ. Lui qui est si heureux, lui qui est
plein de gloire, et si parfait, s'abaisse jusqu'à se
faire la partie d'un tout, jusqu'à s'associer par une
union très intime avec les espèces, pour faire avec
elles un seul tout et un sacrement qui perfectionne
les chrétiens. Car il faut bien peser ici la vilité
des espèces, qui sont de tous les êtres créés les
derniers, et d'autre part il faut peser la dignité et
la noblesse de Jésus-Christ, qui est élevé au-des-
sus de tous les cieux. Néanmoins, il veut s'unir
à ces espèces si minces et si méprisables dans leur
réalité naturelle, pour, de concert avec elles, pro-
duire la grâce par ce sacrement. Si bien que ce
qu'il y a de plus grand et ce qu'il y a de plus petit
I. Trid. sess. 13, c. 5.
240 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
au monde, ce qu'il y a de plus précieux et ce qu'il
y a de plus vil, ce qu'il y a de plus élevé et ce qu'il
y a de plus bas, se trouve uni, pour composer ce
sacrement. Or par le fait que Jésus-Christ s'unit
ainsi à ces espèces et se tient caché en elles, il
s'enferme comme dans une cachette ou dans une
prison très étroite et très obscure à la fois. En
effet il est tout entier dans toutes les espèces
et tout entier dans la moindre partie des espèces ;
à tel point que quiconque les diviserait et
les subdiviserait jusqu'à en rendre les parcelles
plus petites que les grains de sable, n'empêcherait
point que Jésus-Christ ne s'y trouvât présent et
ne fut uni à ces espèces, et que, réduit comme au
néant, il fut néanmoins tout entier dans la moindre
partie de ces espèces.
O sacrement étonnant et admirable ! O prodi-
gieuse condescendance de l'amour de Jésus-Christ !
Vous êtes grand. Seigneur, et votre grandeur est
au-dessus de tout le monde. Vous êtes parfait en
vous-même et au sommet de toute perfection, et
vous qui n'avez besoin de rien, vous vous sentez
porté, par la condescendance de votre amour, à
vous associer à des êtres très petits et à vous
réduire au rôle de partie, pour entrer, en cette
qualité, dans la composition d'un sacrement des-
tiné à faire avancer les âmes dans la sainteté. Je
dirai avec le séraphique saint François (i) : Que
tout homme frémisse et que tout l'univers tremble !
O l'humble sublimité ! Le Dieu de l'univers. Dieu
et Fils de Dieu, s'est humilié de telle sorte pour
I. Epist. 13 ad fratres.
DES SACREMENTS 241
notre salut, qu'il a été jusqu'à se cacher sous une
petite forme de pain ! Et moi, mon cher Sauveur,
donnerai-je encore lieu à l'orgueil et au mépris de
ceux qui paraîtraient moins que moi, quand je vois
que vous ne dédaignez pas de vous unir à ces
espèces ? N'aimerai-je point davantage la retraite
et la solitude, quand je vous contemple renfermé
par amour pour moi dans la prison étroite de ces
espèces ?
II
Considérez le grand désir qu'a Jésus-Christ de
se donner aux hommes, puisqu'il a choisi les
espèces du pain et du vin, pour s'unir à elles, se
renfermer en elles et passer sous ce voile dans la
poitrine des créatures humaines, afin de s'appro-
cher de leur cœur et de les animer par sa présence.
Il n'y a rien qui soit plus commun parmi les
hommes que le pain et le vin, qui sont entière-
ment destinés à l'usage de la vie humaine ; aussi
Jésus-Christ a voulu montrer, en se couvrant de
leurs accidents et en se cachant en eux, qu'il était
tout entier pour l'usage des hommes, qu'il voulait
être tout employé et consumé pour eux, sans
qu'ils eussent plus de difficulté à en prendre leur
part, qu'à prendre un peu de pain. Il est à consi-
dérer ici que ces espèces sont choses très com-
munes, très faciles à avoir et sans beaucoup de
dépenses ; c'est pour cela que Jésus-Christ les a
choisies, plutôt que les espèces et accidents
d'autres substances plus rares et d'une plus grande
valeur, bien qu'il lui convînt en raison de sa très
sublime excellence, de s'unir aux accidents des
Bah., t. IX. lô
2*42 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
substances les plus nobles et les plus précieuses
du monde, et de s'enfermer en elles comme sous
une tente ro3'ale dans laquelle sa grandeur serait
cachée. En réalité si la manne, qui était la figure
de ce sacrement, fut placée dans Tarche d'alliance,
faite de bois incorruptible et revêtue d'or de tous
côtés; il appartenait bien davantage à Jésus-Christ
de se placer sous les accidents des choses moins
indignes de sa majesté, de s'enfermer dans l'or le
plus précieux, dans des diamants ou des pierreries
les plus riches du monde (i).
Mais s'il en eût usé ainsi dans ce sacrement, il
se fut moins communiqué, il n'y aurait eu que les
princes et les riches qui auraient pu le posséder-
Les uns eussent été privés de ce sacrement par la
recherche trop difficile de ces choses plus rares;
les autres par l'épargne et l'avarice, afin de ne
rien dépenser; tandis que, s'étant caché sous les
accidents des choses plus vulgaires et plus com-
munes, il s'offre libéralement à tout le monde et
par cette facilité il invite chacun à venir le prendre
et le recevoir sans frais et sans dépense, sans or et
sans argent, comme sans aucun échange, si ce
n'est celui de la vie du communiant en une vie
meilleure et plus parfaite. Ainsi il s'offre à tous
dans ce sacrement et il fait voir par la grandeur
du don la grandeur de son amour, se livrant et se
donnant tout entier et sans réserve, tel qu'il est
dans sa gloire. Encore si c'était aux Anges et aux
Séraphins les plus embrasés qu'il se donnât de la
I. Hautinus, De sacram, amor. 1. 2, p. 2, c. 3, art. 3,
dist. 3.
DKS SACREMENTS 2J[3
sorte, en considération de ce qu'ils sont purs
esprits et les plus nobles substances du monde
après la divinité, la chose serait moins étonnante ;
mais il se donne à des hommes misérables, qui
sont conçus dans Tinfection du péché. Et il se
donne non seulement aux plus élevés parmi les
hommes, tels que les rois et les princes, mais
aussi aux plus chétifs et aux plus pauvres des
enfants d'Adam, comme si un roi se dérobait aux
plus grands de la cour, pour venir habiter dans la
cabane de quelque paysan, afin de Taider dans ses
nécessités et de lui faire de grands biens. C'est
pourquoi il est écrit : « Les pauvres mangeront et
« seront rassasiés » (Ps. 21). Même s'il se don-
nait ainsi lui-même une seule fois ou bien rare-
ment, après les prières instantes de tous les
hommes de la terre prosternés devant lui pour
lui en faire la demande, après que toutes les
hiérarchies des Anges auraient intercédé pour les
hommes, afin de leur obtenir une fois cette faveur,
qui dans ces conditions n'aurait été accordée que
difficilement ; même alors il y aurait sujet d'ad-
mirer sa largesse et la noblesse de son amour, qui
se laisserait vaincre finalement à force de suppli-
cations et qui ferait un si riche présent aux mor-
tels. A combien plus forte raison doit-on demeurer
comme ravi d'admiration et en extase, à la pensée
qu'il se donne lui-même dans ce sacrement, sans
en être prié, de son propre mouvement, et en
cédant à l'inclination amoureuse qu'il a de se
donner aux hommes. Mais qu'il se donne tous les
jours, aussi souvent qu'il plaît aux hommes de
s'approcher de la sainte table, quoiqu'il sache que
244 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
plusieurs d'entre eux se montreront ingrats pour
cette faveur et recommenceront bientôt de l'offen-
ser et de faire des actions qui lui déplairont ; ah !
il faut que son amour soit prodigue et que l'affec-
tion qu'il porte à de pauvres vermisseaux de la
terre soit extrême.
O mon divin Sauveur, « Qu'est-ce que Vhom.me,
« pour que vous vous souveniez de lui? » (Ps. 8).
— « Qiii a jamais ouï parler de choses sem-
« blables ? » (Is. 66). L'homme qui ne méritait
qu'un mépris éternel de votre part, qui méritait
d'être privé de tout bien et à jamais délaissé, est
néanmoins recherché par vous dans ce sacrement.
Vous le caressez si affectueusement qu'il semble
que vous ne pouvez vivre sans lui comme si
tout votre contentement et tout votre paradis
consistaient à habiter dans sa poitrine, afin de
demeurer tout près de son cœur. Un désir si exces-
sif ne me transportera-t-il pas d'amour pour vous,
au point de ne rien vous refuser de ce qui est en
moi, en reconnaissance bien faible de ce que vous
vous donnez dans ce sacrement, si facilement, tant
et tant de fois, à tant et tant de misérables créatures ?
III
Considérez une sorte de prodigalité qu'a voulu
faire Jésus-Christ en s'unissant dans ce sacrement à
des espèces corruptibles et qui une fois descen-
dues dans l'estomac de l'homme durent peu. Il a
institué ce sacrement de telle sorte qu'il a résolu
de le faire subsister aussi longtemps que les espèces
subsisteraient et de ne cesser d'être présent, que
quand les espèces viendraient à s'altérer, à être
DES SACREMENTS 246
détruites. De nicmc qu'il arrive que Tàme se
sépare de son corps, quand la constitution ou
complexion naturelle de ce corps est détruite ;
ainsi Jésus-Christ cesse entièrement d'être sous
les espèces, quand elles sont tellement altérées
qu'elles ne peuvent plus durer. De là vient que,
quand Jésus-Christ entre dans la bouche des
hommes sous les espèces, et passe dans l'estomac
qui détruit bientôt ces espèces, il va comme
s'anéantir et se réduire en quelque sorte au néant
au milieu d'eux, tant il se donne amoureusement
et avec une prodigalité vraiment prodigieuse. En
vérité il est important de méditer ici, que, quand
les espèces sont détruites, Jésus-Christ cesse
entièrement d'être présent dans ces espèces, de
telle sorte que, si d'autre part il ne se trouvait pas
dans le ciel et sur les autels, il serait absolument
anéanti en vertu de cette cessation, et il aurait
perdu tout ce qu'il a, son corps, son âme, sa grâce,
son union hypostatique même. Ce serait un
anéantissement plus étonnant que celui de la
croix ; car sur la croix l'union seule de l'âme avec
le corps fut détruite, mais ni l'âme, ni le corps ne
furent détruits, tandis que dans ce mystère, quand
les espèces sont détruites, tout ce qui est en lui
sans exception serait comme anéanti et ne serait
plus rien en réalité, s'il n'existait autre part. Or
Jésus-Christ sait qu'en se donnant dans la com-
munion sous des espèces corruptibles, il doit au
bout de quelques instants expirer dans le sein de
ses bien-aimées créatures ; et cependant il le fait,
voulant ainsi se donner, malgré la perte et comme
le dommage de tout ce qui est en lui.
246 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
En effet il ne demeure pas même un quart
d'heure, comme on le pense communément, dans
la poitrine du communiant, après qu'il y est entré,
et il cesse d'être dans le sacrement. Car selon les
plus grands médecins consultés sur ce point, à
peine la chaleur de l'estomac met-elle une minute,
c'est-à-dire la soixantième partie de l'heure, à
consommer la petite hostie qui se donne aux
laïques en communion (i). Et ils le prouvent par
des raisonnements basés d'abord sur ce fait que la
chaleur de l'estomac consomme ordinairement
deux onces de viande solide dans une heure, puis
sur cet autre fait que l'hostie Jetée dans de l'eau
bouillante s'altérerait en peu de temps et que la
chaleur de l'estomac n'est pas moins active que
celle de l'eau bouillante. Or la petite hostie des
laïques n'équivaut pas à la soixantième partie de
deux onces, et en moins d'une minute l'eau bouil-
lante a altéré l'hostie. Ainsi les espèces durent
peu dans la poitrine des communiants et la grande
hostie du prêtre avec les espèces du pain ne sub-
siste pas ordinairement plus d'un demi-quart
d'heure, ou tout au plus un quart d'heure.
Par ce moyen Jésus-Christ qui est digne d'une
vie immortelle, abrège, pour ainsi dire et d'une
certaine façon, sa vie, pour se communiquer amou-
reusement à une créature. En cela il a deux des-
seins. Le premier est de n'être point longtemps à
charge aux âmes qui ont le bonheur de participer
I. Cardinal de Lugo (de Sacram. Euch. disp. 10,
sect. 4). Consiilnit Romœ peritissimos medicos. (Note
de l'auteur).
DES SACREMENTS 247
à cette grâce. Si en elVet il attendait une ou plu-
sieurs heures après son entrée, avant de cesser
d'être en elles, elles seraient obligées de l'entre-
tenir longuement et de lui offrir longtemps les
actes de leur dévotion, ce qui serait pénible et
laborieux pour beaucoup de personnes qui se
fussent fatiguées à lui rendre cependant leurs
justes devoirs. Pour n'être point à charge de cette
manière, il a préféré se cacher sous des espèces
qui se corrompent dans peu de temps. Le second
dessein qu'il a eu a été de se donner encore
d'autres fois. Car si les espèces étaient incorrup-
tibles, une seule communion eût été suffisante
pour toute la vie. Elles sont donc corruptibles,
afin que renouvelant plusieurs fois le don de lui-
même, Jésus-Christ se donne et se redonne ainsi
avec prodigalité plusieurs fois. Par cet exemple si
merveilleux il nous invite à nous donner et à nous
redonner à lui plusieurs fois, à l'exemple de
l'épouse sacrée du Cantique, qui disait : « Mon
bien-aimé est à moi, et je suis à lui » (Cant. 2).
Efforcerez-vous d'entrer dans les sentiments qui
conviennent à tant de traits d'amour, que renferme
ce mystère admirable, mais particulièrement pour
ce fait qu'aussitôt après que nous l'avons reçu
Jésus-Christ cesse d'être et s'en va, comme s'il ne
venait en vous que pour détruire toute sa subs-
tance et tout ce qu'il a de biens, lesquels il semble
ne rien estimer à cause de la grandeur de son
amour. C'est comnie si un homme entrait dans la
maison de son ami pour le secourir, assuré qu'il
n'y serait pas plus tôt entré qu'il faudrait qu'il y
périsse. O amour ! que vos inventions sont admi-
248 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
rables et que vos faveurs sont excellentes ! Que
mon âme est grossière et stupide, elle qui ne
souffre pas de cette cessation d'être, au moment
où est consommé le sacrement et où elle est
ainsi frustrée de la présence réelle de Jésus-
Christ ! Il faut donc que j'entre dans les pensées'
suivantes, quand les espèces se consommeront en
moi : amour ! vous vous séparez trop tôt de moi,
que ferai-je sans vous ? Comment vivrai-je sans
vous ? O ma très douce vie, comment pourrai-je
respirer sans votre présence qui m'est si chère et
si précieuse ! O les délices de mon cœur ! O la
douceur de mon âme ! O la joie de toutes mes
puissances ! O l'ardeur de ma volonté ! O la
lumière de mon intelligence ! O le trésor de ma
mémoire ! O les richesses inestimables du pa-
radis ! O l'ornement du ciel et de la terre ! O la
nourriture des anges et la vie des hommes ! O la
force et le soutien de l'Eglise militante ! O le
repos entier de l'Eglise triomphante ! O mon
Dieu et toutes choses ! Je défaille sans vous, je ne
puis subsister sans vous, je ne puis davantage
être séparé de vous. Quand retournerez-vous, ô
amour ? Revenez encore une fois, et donnez-
vous à moi, et que je me donne mille fois à
vous ! (i).
1. Saluthius, in convivio spiritali, ci.
DES SACREMENTS 249
Xr MÉDITATION
DE LA COMMUNION
SOUS UNE SEULE ESPÈCE
SOMMAIRE
Notre Seigneur a donné auxprêtrcs trois grands
pouvoirs : celui de consacrer, celui de sacrifier
et celui de distribuer son divin corps. — Les
prêtres ont distribué le corps de Jésus-Christ
aux laïques., tantôt sous les deux espèces.^
tantôt sous une seule. — C'est à tort que
certains se plaignent deV ordonnance deV Eglise.,
qui ne permet la communion que sous une
seide espèce.
I
CONSIDÉREZ que notre Seigneur Jésus-Christ
a donné trois grands et excellents pouvoirs
concernant le saint sacrement de l'Eucharistie. Le
premier pouvoir est celui de consacrer et de pro-
duire le changement merveilleux de la substance
du pain en celle de son corps, et de la substance du
vin en celle de son sang précieux. Le second pou-
voir est d'offrir ce corps et ce sang en sacrifice,
pour rendre à Dieu, souverain maître, le culte
qui lui convient. Le troisième pouvoir consiste à
prendre ce corps et ce sang et à le distribuer à
ceux qui ne sont capables ni de consacrer, ni de
'■25o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
sacrifier. Ces trois pouvoirs furent donnés aux
Apôtres et en leur personne aux prêtres qui
seraient ordonnés, et ils leur furent donnés, quand
Jésus-Christ institua ce sacrement dans la dernière
cène de TAgneau pascal oii il leur adressa ces
paroles : « Faites ceci en mémoire de moi » (Luc,
2i) ; comme s'il eût voulu leur dire : Jusqu'à
présent vous avez fait la cérémonie du sacrifice de
l'agneau pascal et vous avez observé ce que la Loi
mosaïque ordonnne de faire, mais toutes ces
façons d'agir ordonnées par la Loi n'étaient que
des ombres, des figures et des représentations du
sacrifice parfait, qui doit remettre les péchés du
monde. A l'avenir ces sacrifices anciens ne seront
plus en usage, mais en leur lieu sera le sacrifice
de mon corps et de mon sang pour la rémission
des péchés. Donc ce que je fais maintenant, en
prenant le pain et le vin et en les changeant, faites
le pareillement en mémoire de moi ; consacrez
mon corps et mon sang, offrez-le en sacrifice, puis
distribuez -le aux autres fidèles, selon qu'il
conviendra et de la manière dont doivent le faire
de fidèles dispensateurs du mystère de Dieu, car
je vous établis tels dans mon Eglise.
Tous ces trois pouvoirs sont grands et admi-
rables, ils élèvent des hommes mortels plus haut
que les plus grands monarques de la terre et que
les plus hauts Séraphins du ciel, à qui Dieu n'a
pas attribué d'aussi grands pouvoirs. En réalité,
si c'est une grande chose de changer une subs-
tance en une autre, il est encore plus étonnant
que des hommes aient le pouvoir de se servir de
cette substance comme d'une victime pour s'ac-
nESSACRRMENTS 2 M
quitter envers Dieu des devoirs de religion, pour
lui rendre grâces de ses bienfaits, comme aussi
pour TotTrir en supplément de paiement pour le
reste des peines dues à leurs péchés. Jésus-Christ
dans son état sacramentel est en ellct une victime
latreutique pour adorer, eucharistique pour re-
mercier et propitiatoire pour abolir les peines des
péchés. Mais ce qui surpasse encore les deux pre-
miers pouvoirs, c'est que les prêtres puissent
prendre ce corps et ce sang à leur gré et le distri-
buer aux autres.
Ainsi Jésus-Christ donne à ses apôtres et aux
prêtres trois pouvoirs différents sur son corps
sacré et sur son sang précieux. Ces trois pouvoirs
ne conviennent pas à tous les hommes de la terre,
f tous les laïques et à tous les fidèles, quoiqu'ils
soient baptisés et chrétiens, mais à ceux-là seule-
ment qui sont choisis parmi les hommes et qui
ont été ordonnés prêtres, par ceux qui en ont le
pouvoir.
Admirez ces trois grands et incomparables pou-
voirs, qui sont donnés aux prêtres. Ayez les
prêtres en particulière vénération et estime, à
cause de cela, et dites d'eux quelquefois : « Ainsi
« sera lionoré celui que le roi veut honorer »
(Esther, 6) ; ou bien élevez-vous à Dieu, et louez-
le et bénissez-le d'avoir donné de si hauts pou-
voirs à des hommes mortels. Ne vous égalez donc
point aux prêtres, si vous n'êtes que laïques, mais
soumettez-vous à eux par une sainte obéissance,
puisque Jésus-Christ s'y est soumis lui-même
dans ce sacrement. C'est en effet par la volonté
des prêtres, par leur voix et leur parole, par la
^252
LA THEOLOGIE AFFECTIVE
puissance de leur caractère, qu'il est sur les autels
en qualité d'hostie à l'égard de Dieu, et en qualité
de nourriture à l'égard des hommes ; c'est par
l'entremise des prêtres que vous participez à ce
mystère. O abaissement du Dieu tout-puissant,
qui encore ici se met sous la dépendance des
hommes, comme il y était dans son enfance. Car
de même qu'alors il fut porté par les bras d'autrui,
ainsi il est porté par les mains du prêtre à votre
bouche, après avoir été offert au Père Eternel, ^
qui a eu cette offrande pour agréable ; mais il n'a
reçu ici son être sacramentel, ni il n'est employé à
aucun usage et il n'a aucun mouvement que par
la volonté de l'homme et sous la dépendance de sa
créature. O exaltation de l'homme mortel ! O
abaissement du Dieu immortel ! (i).
II
Considérez que les Apôtres et leurs successeurs,
qui sont les évêques et les prêtres et qui ont la
charge de distribuer aux laïques avec fidélité et
prudence le saint sacrement de l'Eucharistie, l'ont
tantôt donné sous les deux espèces, tantôt sous
une seule, tantôt plus souvent, tantôt plus rare-
ment, tantôt avec plus de cérémonies, tantôt avec
moins, selon qu'ils l'ont jugé à propos dans les
diverses occurrences des temps, des personnes et
des états de l'Eglise. Car Dieu a désiré les voir
user de prudence et de fidélité dans la dispensa-
tion d'un si grand mystère, conformément à ces
paroles évangéliques : « Quel est, à votre avis,
I. Le cardinal de Bérulle, Œuvres de piété, 79.
liIiS SACREMENTS 2^3
« l'économe fidclc et prudent que Je Maître éta-
« blira sur sa famille, pour distribuer à chacun
« sa mesure de blé en son temps? » (Luc, 12). Or
comme il est assez constant d'après l'histoire
ecclésiastique que la communion a été donnée aux
laïques sous les deux espèces, et que quelques-
uns seulement doutent qu'elle ait été donnée sous
une seule espèce, il est plus important de vérifier
ce point. Ce n'est point difficile à faire, si nous
considérons que Notre Seigneur Jésus-Christ a
donné lui-même l'exemple de cette communion le
Jour de Pcàques, c'est-à-dire le jour de sa Résur-
rection, car apparaissant sur le chemin d'Emmaûs
à ses deux disciples et prenant son repas avec
eux, il les communia sous l'espèce du pain
seulement. L'Evangile dit en effet : « Il prit le
« pain, le bénit, le rompit et le leur donna ; aus-
« sitôt leurs yeux s'ouvrirent « (Luc, 24). Les
Pères de l'Eglise (i) ont entendu ce passage de la
sainte Eucharistie, dont l'effet est d'éclairer les
hommes. Dans les preniiers temps de l'Eglise les
premiers chrétiens communiaient sous une seule
espèce, selon ce que nous apprennent les Actes
des Apôtres : « Ils persévéraient aans la doctrine
« des Apôtres^ dans la communion de la fraction
« du pain et dans les prières » (Act. 2). Durant
les quatre ou cinq premiers siècles de l'Eglise,
comme les chrétiens n'avaient pas la liberté de
s'assembler souvent, on leur donnait l'Eucharistie
pour l'emporter dans leurs maisons et se commu-
I. D. August. De consensu Evangel. 1. 3, c. 25 5
D. Hieron. in epitaphio Paulœ, ad Eusiochitim.
254 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE ■
nier eux-mêmes en secret, comme nous le remar-
quons dans Tertullien (i), dans saint Cyprien (2)
et dans d'autres anciens Pères, qui en rendent
témoignage. Or ils n'emportaient pas Tespèce du
vin, qu'ils n'auraient pas pu conserver. Il est donc
nécessaire de reconnaître que c'est une pratique
usitée dans l'Eglise, de communier sous une seule
espèce, et que la suppression de la coupe pour
les laïques n'est pas chose nouvelle. L'Eucharistie
se conservait aussi de tout temps pour être portée
aux malades ; ce qui ne pouvait se faire que sous
une seule espèce. Les mémoires de l'antiquité (3)
sont chargés de témoignages qui l'attestent, de
telle sorte qu'on ne peut pas le contester raison-
nablement. Mais les Conciles de Constance (4), de
Bàle (5) et de Trente (6), rendent assez témoignage
sur ce point. Ils déclarent que la communion sous
une seule espèce, a toujours été considérée comme
chrétienne et comme suffisante par l'Eglise, car
l'Eglise a le pouvoir de statuer de quelle manière
ceux qui ne consacrent pas doivent communier,
tant pour sauvegarder la gloire et l'honneur de
Jésus-Christ, que pour leur utilité spirituelle.
Comme les deux premiers Conciles avaient remar-
qué de leur temps un grand nombre de désordres
qui se produisaient à l'occasion de la communion
1. Lib. 2 Ad uxorem.
2. Serm. de lapsis.
3. Paulinus, in Vita D. Ambrosii ; Toletan. II, can, 1 1 •
4. Constant, sess. 13.
5. Basiliens. sess, 30.
6. Trid. sess. 21.
Dl'S SACRI-MKNT.s 2DD
SOUS les deux espèces, et que le sacrement était
profané et traité irrévéremnient, non sans la
ruine et la damnation de ceux qui en usaient, ils
déclarent que l'ancienne coutume observée dans
TEglise de communier sous une seule espèce, de-
viendra désormais la loi et constituera un précepte
qu'il ne sera loisible à personne de changer sans
l'autorité de l'Eglise. Si quelqu'un attaque cette
loi, en estimant qu'elle est illicite, et que c'est un
sacrilège de l'observer; ces Conciles veulent qu'on
chasse de telles gens comme perdues et qu'on les
punisse gravement comme hérétiques. Ainsi de-
puis l'époque de ces Conciles il n'est plus loisible
aux prêtres de distribuer la communion sous les
deux espèces, ni aux laïques de la recevoir autre-
ment que sous la seule espèce du pain. Il doit
suffire à chacun que ce qui est de la substance et
de l'intégrité du sacrement soit sauvegardé, comme
c'est en réalité sauvegardé, quand on administre
l'Eucharistie sous une seule espèce, dans laquelle
Jésus-Christ se trouve aussi entièrement que sous
les deux et contribue aussi avantageusement au
progrès spirituel du communiant. Quant aux céré-
monies, l'Eglise en use comme il lui semble plus
convenable, eu égard à la diversité du temps et
des occasions ; elle prend ainsi des décisions diffé-
rentes en vue de la gloire de Jésus-Christ et du
salut des âmes. C'est pourquoi il y a eu des épo-
ques, où elle ne permettait que difficilement et
après de longues pénitences, la communion, aux
chrétiens qui avaient péché gravement, et il y a eu
des époques où l'on ne communiait point à
Pâques sans avoir observé auparavant la cérémo-
256 LA THÉOLOGIE AFFFECTIVE
nie du lavement des pieds, qui eut lieu en même
temps que la première institution de ce sacrement
vénérable par Jésus-Christ (i). Or comme l'Eglise
a usé de son pouvoir légitime en prescrivant
toutes ces manières de communier, elle en use
aussi maintenant en ne permettant aux laïques la
communion que sous une seule espèce.
Je me soumettrai donc au jugement de TEglise,
à qui il appartient d'interpréter les ordres et les in-
tentions de Jésus-Christ, de TEglise que l'Esprit de
vérité dirige dans toutes les ordonnances qu'elles
fait pour conduire les âmes à leur fin surnaturelle.
Je déplorerai la multitude des hérétiques et des
chrétiens peu soumis et peu obéissants, qui font
du bruit, et qui murmurent dans ces rencontres,
et qui maintiennent à cor et à cri plusieurs erreurs
touchant le sacrement de l'Eucharistie, si bien
que le feu de ladiscordeet delà divisions'allumede
tous côtés. O Seigneur, fortifiez-nous dans la foi,
dans la soumission et dans l'obéissance que nous
devons à l'Eglise ; faites miséricorde à tant de
pauvres créatures, éloignées du vrai chemin, que
l'hérésie a séduites et transformées en enfants de
Bélial et de rébellion. Quel sujet, ô mon Dieu,
ont-ils de tant crier pour les seuls accidents du
vin dont on les prive pour l'avantage de votre
gloire, pendant qu'ils s'efforcent eux-mêmes de
priver tout le monde de la véritable substance de
votre corps et de votre sang. Ils ne voient pas que
ce sont eux-mêmes qui veulent ravir à toutes les
âmes votre véritable présence, en ne donnant que
I, Tolet. 17, c. 3.
DES SACREMENTS 257
du pain et du vin, au lieu de vous-même, qui êtes
Taimé et le désiré de tout le monde. Ainsi ils
veulent vous laisser sans sacrifice et sans autel,
comme Ta prédit un de vos prophètes (Osée, 3) (i).
Est-ce afin que T Antéchrist qui complétera la ruine
de ce sacrement, ne manque point de précurseurs
et de ministres, pour préparer et faciliter son com-
plot ? O Taveuglement des hommes misérables et
rebelles ! O mon Dieu, quand votre toute-puis-
sance mettra-t-elle fin à ces scandales ?
III
Considérez que c'est à tort et injustement que
quelques-uns se plaignent de cette ordonnance de
TEglise, qui ne permet la communion aux laïques
que sous la seule espèce du pain. Certains
allèguent comme prétexte que Jésus-Christ a
institué ce sacrement sous les deux espèces du
pain et du vin et qu'il a prononcé lui-même ces
paroles : «. Si vous ne tnange^la chair du Fils
« de l'homme et si vous ne buve^ son sang, vous
« naître^ pas la vie en vous. » (Jean, 6). En
conséquence ils ont peur de pécher, s'ils ne se
conforment à l'institution de Jésus-Christ et en
I. Personne n'ignore en effet que la définition suivante
du Concile des Trente (sess. 21, can. 1): (^ Si quelqu'un
« dit, qu'en vertu d'un précepte de Dieu ou d'une
« nécessité potir le salut, tous et chacun des chrétiens
« sont obligés à recevoir le très saint sacrement de
« r Eucharistie sous les deux espèces, qu'il soit
« anathème ! » ; était dirigée contre Luther et Calvin,
ces mêmes héritiques qui niaient la présence réelle de
Jésus-Christ dans l'Eucharistie.
Bail, T. ix. 17
258 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
même temps à ces paroles qui semblent les
menacer de la perte de la vie éternelle, s'ils
ne reçoivent pas la communion sous les deux
espèces. A ceux-là il faut expliquer que, quoique
Jésus-Christ ait institué cet auguste sacrement
sous les deux espèces, distinctes et séparées l'une
de l'autre, toutefois il n'a pas prescrit l'usage des
deux espèces. Ainsi Dieu, qui a institué et produit
toutes les créatures en créant le monde, n'en a
pourtant pas commandé l'usage, si ce n'est de cer-
taines et avec un grand nombre de restrictions ;
aussi l'institution d'une chose est-elle très différente
de son usage. Et quand même Jésus-Christ aurait
commandé l'usage des deux espèces, il ne s'en
suivrait pas cependant que ce fût un commande-
ment qui obligeât tout le monde ; il suffirait que
les Apôtres et les prêtres à qui il s'adressait alors,
fussent tenus de communier sous l'une et l'autre
espèce. Les commandements donnés à une com-
munauté n'obligent pas toujours tous les particu-
liers ; on le voit par les commandements que
Dieu a faits de rendre la justice et de labourer la
terre, qui n'obligent que les juges et les laboureurs.
Or les prêtres obéissent à cet ordre, quand en
célébrant la messe, ils participent pleinement à la
victime, puisqu'ils prennent et consomment l'une
et l'autre espèce. Quant à ce qui est des paroles
qui menacent de la perte de la vie, si on ne mange
son corps et si on ne boit son sang, il est
évident, puisque le corps de Jésus-Christ est
contenu tout entier sous une seule espèce, qu'il
s'y trouve vivant et animé et avec le sang, il est
évident, dis-je, que quiconque prend une seule
DES SACRKMKNTS 2bC)
espèce, prend le corps et le sang, c'est-à-dire à la
fois la nourriture et le breuvage, et qu'ainsi en
une seule lois il mange et boit, car il prend la
chair et le sang tout ensemble. Qu'est-il donc
besoin de détourner de leur sens les paroles de
Jésus-Christ ? il ne parle que de ce qui est contenu
sous les espèces, et nullement du contenant.
Pourquoi donc entendre du contenant ce qui est
dit ducomenu ? (i) C'est une tricherie de sophistes
qui ne s'étudient qu'à surprendre les esprits par
quelque apparence vaine et peu solide. Car en ce
même endroit Jésus-Christ témoigne assez que la
réception de la seule espèce du pain est suffisante,
puisqu'il lui attribue manifestement la vie éter-
nelle, qu'il le dit et le redit plusieurs fois sans faire
mention de l'espèce du vin (2).
D'autres, pour blâmer cet usage de l'Eglise, se
plaignent qu'ils reçoivent une moindre abondance
I. Joannes de Ragusio, orat. habita in concil. cons-
« TANT. Arguunt a contento ad continens. »
(2) C'est le même argument que fait valoir par une
opposition frappante des textes sacrés le Concile de
Trente (sess, xxi, ch. i) « En effet, celui qui a dit :
« SI vous NE MANGEZ LA CHAIR DU FILS DE l'hOMME ET SI
« VOUS NE BUVEZ SON SANG, VOUS n'aUREZ PAS LA VIE EN
« VOUS, a dit aussi : celui qui mangera de ce pain vivra
« ÉTERNELLEMENT. Et celui qui a dH : celui qui mange ma
« CHAIR ET boit MON SANG A LA VIE ÉTERNELLE, a dit aUSSi '. LE
« PAIN QUE JE VOUS DONNERAI EST MA CHAIR (immoléc)
« POUR LE SALUT DU MONDE. Et cufin celui qui a dit :
« CELUI QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG DEMEURE EN
« MOI ET JE DEMEURE EN LUI, a dit néanmoins : celui qui
« MANGE ce pain VIVRA ÉTERNELLEMENT. »
26o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de grâces sous une seule espèce, que sous deux ;
les deux espèces seraient comme deux mamelles
fécondes pour allaiter spirituellement les âmes.
A cela nous répondons par la doctrine du Doc-
teur angélique (i), qui est suivi sur ce point par la
plupart des Théologiens. Il dit que, comme toute
l'efficacité de ce sacrement dépend de Jésus-
Christ, qui est le même sous Tune et l'autre
espèce, il apporte autant de grâces sous une seule
espèce, que sous les deux espèces jointes en-
semble. Car ce qu'ont à souhaiter les chrétiens,
c'est seulement Jésus-Christ, et ils le trouvent
aussi entièrement sous une seule enveloppe que
sous plusieurs. Si on ne recherche que le noyau,
qu'importe qu'il soit caché sous plusieurs écorces.
Ce n'est pas à dire cependant que le sacrement
donné sous l'espèce du vin, ne confère pas aussi
la grâce ; mais il confère la même grâce que celle
qui a été donnée sous l'espèce du pain. Il se passe
ici quelque chose de semblable à ce qui arrive-
rait à un homme qui posséderait un même héri-
tage en vertu de deux testaments; il n'en serait
pas plus riche. Et quand bien même il serait vrai
que l'espèce du vin cause quelque surcroît de
grâce ; néanmoins, comme l'a prudemment dé-
claré le Concile (2), ce ne serait pas une grâce né-
1. III, q. 80, art. 2. « Nec exinde sequitur aliqiiod de-
« irimeniiim . »
2. Voici ce que dit le Concile de Trente (sess. 21,
ch. 3). « he Concile déclare en outre que, nonobstant le
« fait cité plus haut de V institution de l' Eucharistie par
« Notre-Seigneur dans la dernière cène, et de la corn-
DES SACREMENTS 261
cossairc au salut. Un bon chrétien qui aime son
« mnnion offerte aux Apôtres sous l'une et l'autre espèce^
« il Jatit cependant reconnaître que, sous une espèce seule^
« on reçoit Jésus-Christ dans son intégrité et le sacre-
« ment dans sa vérité ; et qu'ainsi en ce qui concerne
« l'efficacité du sacrement, nulle grâce nécessaire au salut
« n'est dérobée à ceux qui reçoivent une des espèces seule-
« ment. Nu lia gratia necessaria ad salutem vos defrau-
« dari. » Par ces derniers mots le Concile n'entend pas
parler de la grâce qui est absolument nécessaire au sa-
lut, mais de la grâce nécessaire pour arriver plus sûre-
ment et plus facilement au salut, car c'est de cette grâce
seulement que serait privé celui qui ne recevrait qu'une
seule espèce, si les deux espèces conféraient une grâce
supérieure à celle que confère une seule espèce. Mal-
gré cette explication des paroles du Concile, — explica-
tion qui nous paraît plus vraie que celle de Bail et qui
tendrait à prouver que les deux espèces ne produisent
pas ex opère operato une grâce supérieure à la grâce
produite par une seule espèce, — cette dernière opinion
qui est en réalité l'opinion commune, et qui est admise
par saint Bonaventure, Bellarmin, Grégoire de Valence
et Suarez, a contre elle de Lugo (disp. 12, sect.) qui a
suivi sur ce point Vasquez (disp. 215, cap. 2). Mais
quand bien même il y aurait, conformément à cette
dernière opinion, une perte spirituelle à ne communier
que sous une seule espèce, l'Eglise a eu le droit de dé-
fendre pour les laïques la communion sous les deux
espèces, puisqu'elle a pu défendre de communier deux
fois le jour, ce qui aurait été la source de plus grandes
grâces. Et de plus cette perte est facile à réparer soit
par la communion hebdomadaire pour ceux qui com-
munient tous les quinze jours, soit en apportant à la
communion de meilleures dispositions qui peuvent
mériter une augmentation indéfinie de grâces.
262 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Maître et Rédempteur, Jésus-Christ, devrait
souffrir humblement et patiemment la privation
de cette grâce, plutôt que de le voir exposé aux pro-
fanations et aux outrages qu'il aurait à subir, si-
son sang était distribué communément à tout le
monde sous l'espèce du vin. Saint Paul souhaitait
bien d'être anathème et séparé de Jésus-Christ
pour le salut des Juifs, si cela avait pu y contri-
buer. Un chrétien doit-il avoir moins d'amour,
pour conserver l'honneur et le respect dû à son
Sauveur si aimable, qui serait tous les jours en
danger d'être indignement traité, s'il se distri-
buait indifféremment à tout le peuple sous l'espèce
du vin ?
Mais que n'a pas inventé l'adversaire de notre
salut pour augmenter les plaint.es et les murmures .
contre cette loi de l'Eglise ? Il a fait penser et
dire à d'autres sous prétexte d'une plus grande
dévotion, qu'on les prive de la douceur d'une
merveilleuse consolation ; à savoir de la consola-
tion de pratiquer l'enseignement de saint Jean
Chrysostome, qui consiste à s'approcher du calice
comme du côté ouvert du Sauveur, pour humer et
sucer avec délices son sang précieux. Or ils
disent qu'ils sont privés de cette dévotion par la.
suppression de la coupe. Il faut leur répondre
que, s'ils ont la vraie et entière foi touchant ce
sacrement, s'ils croient que Jésus-Christ, la joie
et le contentement parfait du paradis, est tout en-
tier sous l'une et l'autre espèce, ils ont assez de
quoi satisfaire leur dévotion ardente, en le re-
cevant sous une seule espèce ; car ils boivent et
mangent tout ensemble, et ils y sont rassasiés
DES SACREMENTS 263
d'une vraie manne tombée du ciel, qui donnait
toutes sortes de saveurs aux bons Israélites qui
s'étaient abstenus de murmurer. Ainsi s'ils ont la
vraie foi, ils y trouveront toutes sortes de goûts de
bonne et céleste dévotion, et ils pourront y puiser
autant de douceurs spirituelles que leur foi sera
grande et capable d'en contenir. « Mon bien-aimé^
« dit l'épouse, est une grappe de raisin de Chypre
« dans les vignes d'Engaddi. » (Gant i). Ce rai-
sin qui donne à manger et à boire, c'est Jésus-
Christ même, qui dans le sacrement de l'Eucha-
ristie, où est son corps et son sang, est devenu la
nourriture et le breuvage de l'Eglise. Enfin, dit
saint Thomas (i), la douceur spirituelle se goûte
dans ce sacrement comme dans sa source. De quoi
donc pourra séplaindre un laïque dévot, s'il est
bien fidèle, puisqu'il a la source même et la fon-
taine de toute bonne dévotion et de toute consola-
tion intérieure ? Après avoir bien considéré toutes
ces choses, il faut estimer que ceux qui poursui-
vent opiniâtrement l'une et l'autre espèce tout
ensemble, ou sont ignorants, ou ont quelque
erreur dans l'esprit, ou n'ont pas du tout à cœur
les intérêts de Jésus-Christ ; car ils veulent l'ex-
poser à une inftnité de traitements indignes,
en désirant pour leur propre satisfaction le rendre
commun à tout le peuple sous les espèces de vin.
Comme ils feraient bien mieux d'exercer leur dé-
votion en obéissant à l'Eglise, — car l'obéissance
vaut mieux que le sacrifice, — et en s'accommo-
dant charitablement à ce qui est pratiqué par tous,
I. Opuscul. 57.
264 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
plutôt que d'être une occasion de schisme et de
révolte par un zèle indiscret et sans science.
J'acquiescerai donc paisiblement, si je suis
laïque, à cette loi de l'Eglise. Tout ce qui vient
d'elle est sagement et divinement ordonné. O mon
Sauveur Jésus-Christ, qui, plein de gloire, êtes
élevé jusqu'à la droite de votre Père céleste, il
convient que l'Eglise ne permette pas que vous
soyez exposé davantage aux injures, aux mépris
et aux irrévérences, qui se commettraient contre
vous à qui est dû tout respect, si l'on vous don-
nait à prendre sous l'espèce du vin, car il se ré-
pandrait à terre trop facilement et il serait souillé
de diverses manières. Hélas ! mon cher Rédemp-
teur, encore vous en arrive-t-il trop, quand vous
vous communiquez aux laïques sous la seule
espèce du pain, quoiqu'elle soit moins sujette à
être profanée. Car, hélas ! combien de tabernacles
ont été brisés, combien de ciboires dérobés et
d'hosties foulées aux pieds par la violence de la
guerre à notre époque, par ceux même qui ne se
disent ni turcs, ni payens, ni hérétiques, mais qui
se disent enfants de votre Eglise ! O mon Jésus !
je dois frémir et éprouver de l'horreu^r au sou-
venir de ces exécrables profanations. Pourquoi
donc désirerais-je pour ma satisfaction que vous
soyez exposé à de plus grands affronts ? Hélas !
c'est bien encore trop pour moi que de participer
à une seule espèce, dont je me reconnais et je
m'avoue à la face du ciel et de la terre très indigne.
O Père éternel, prenez en main la cause de votre
Fils très innocent, qui vous a obéi jusqu'à la
DES SACREMENTS 265
mort, ne soutirez sous aucun prétexte, qu'il soit
davantage profané et traité irrévéremment.
Xir MÉDITATION
DES EFFETS DU SACREMENT
DE L'EUCHARISTIE
SOMMAIRE :
Le sacrement de V Eucharistie est doué d^une
grande vertu. — Exposition en détail des effets
de ce sacrement. — L Eucharistie produit
son principal effet dans le trajet de la bouche à
Vestomac.
I
CONSIDÉREZ que le sacrement de l'Eucharis-
tie est doué d'une grande vertu ; et qu'il
faut en attendre de très nobles effets et des effets
supérieurs à ceux de tous les autres sacrements.
Car puisque Jésus-Christ y est en propre per-
sonne, que son corps y est, ainsi que son sang
précieux, son âme très pure et très sainte et sa
divinité même, il faut bien avouer qu'il a eu de
grands desseins et que son intention était d'opérer
de grandes choses. Les rois de la terre ne se trou-
vent ordinairement en personne que là où doivent
être accomplis de grands exploits, à combien plus
266 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
forte raison le Roi des rois, Jésus-Christ, ne se
trouverait pas toujours dans ce sacrement, s'il
n'avait la haute prétention d'accomplir de très
grandes choses pour le bien, de ceux qu'il visite
lui-même. Le trésor des grâces est ici ; la fontaine
même, l'auteur de tout bien à qui rien n'est im-
possible ni difficile, s'y trouve. Que ne faut-il donc
pas espérer ! Certes c'était son habitude, quand il
conversait sur la terre, de faire partout quelque
bien, et ainsi d'y imprimer des marques de son
passage. « // a passé^ dit saint Luc, en faisant le
« bien à tout le inonde et en délivrant tous ceux
« que le démon opprimait . » (Act. io,38). Il obligeait
tout le monde par bonté d'âme, et il ne repoussa
jamais aucune prière qui fut polie et honnête. Sans
doute il sera encore le même dans ce sacrement,
et il n'entrera ni dans les bouches, ni dans les poi-
trines fidèles, sans y laisser les effets d'une bonté
royale et magnifique. L'arche d'alliance avait bien
cette vertu, car Dieu bénit Obédédom, il le com-
bla de richesses et d'honneurs pour l'avoir reçue
chez lui, si bien qu'il prit envie au roi David de
participer à cet avantage. (II Rois, 6). Que ne fera
donc pas l'Eucharistie et quelle abondance de béné-
dictions ne causera-t-elle pas là où elle sera reçue
et logée ? Les reliques des Saints ont bien eu des
vertus toutes admirables; leurs corps desséchés,
leurs os cariés, leurs cheveux même et leurs cen-
dres ont eu des pouvoirs prodigieux (i), car même
les reliques du prophète Elisée ressuscitèrent un
mort, l'ombre seule de saint Pierre guérissait les
I. Guillel. Paris, ibid. c. 3.
DES SACREMENTS 267
maladies, ainsi que les mouchoirs de saint
Paul. (IV Rois, i3; Act. 3 et 19). Quelle vertu
incomparablement plus grande n'aura pas le corps
de Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement de Tau-
tel ? Sa robe dont la femme atteinte d'une perte de
sang toucha la frange, arrêta par sa puissante
vertu le Hux du sang. (Marc, 5). Eh quoi ! sa robe
aurait tant de vertu et sa chair n'en aurait pas ?
Nous savons par expérience que la chair des ani-
maux, soit de ceux qui marchent sur la terre, soit de
ceux qui volent dans les airs, a la force de nourrir
et de sustenter nos corps ; à combien plus forte rai-
son sa chair précieuse et son sang très pur auront
aussi de la force pour le bien de nos âmes, qui sont
plus chères à Dieu que nos corps, et pour lesquel-
les il n'a pas fait moins de merveilles. Même la
chair des serpents a une très grande efficacité,
puisqu'on en compose la thériaque qui sert d'anti-
dote et de contrepoison ; et après cela la chair très
sacrée du Christ n'aurait aucune action contre le
poison du péché qui tue la vie des âmes ?
D'ailleurs qui pourrait raconter les vertus se-
crètes des pierres précieuses ? et si les pierres
sont douées de vertus, Jésus-Christ en serait
dépourvu ! Les simples même, non seulement
les cèdres et les pins, mais les herbes les plus
petites, les herbes rampantes, ont des propriétés
très remarquables qui opèrent une multitude d'ef-
fets ; combien plus doit en avoir le corps de Jésus-
Christ et son sang précieux dans le Saint-Sacre-
ment. Enfin il n'y a presque rien au monde qui ne
doive nous convaincre de cette vérité, qui fait le
sujet de cette considération, à savoir que le Saint-
268 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Sacrement est très actif et produit un grand nom-
bre de nobles effets.
C'est pourquoi nous devons concevoir une
grande estime de sa vertu et de son pouvoir très
ample et très magnifique. Nous devons aussi
concevoir une grande espérance de ce grand sacre-
ment, parce qu'il est capable de nous enrichir de
grands biens, car dit le prophète, « Qiiel est le
« bien, de Dieu, et qu'est-ce qu'il a de beau, si ce
« n'est le froment des élus ? » (Zach. 9). Qu'est-ce
qu'il y a de si grand, que nous ne puissons l'atten-
dre de ce trésor caché ? « Approciions-nous donc
« avec confiance du trône de sa grâce, afin d'obte-
« nir miséricorde et de trouver des secours en
« temps opportun. » (Héb. 4).
II
Considérez en détail les effets de ce sacrement
dans ceux qui le reçoivent. Dans ce but imaginez-
vous que l'homme est semblable à un grand
royaume, dans lequel il y a divers états ou diverses
régions, car les uns y sont dans une basse condi-
tion, les autres dans une condition médiocre,
d'autres enfin dans une haute et sublime condi-
tion. Ainsi dans Thomme on peut considérer,
comme divers états ou diverses régions, ses di-
verses puissances et facultés. Il renferme la
partie végétative avec la masse du corps qui est la
région la plus basse, la partie sensitive avec ses
appétits et les sens corporels, — ce qui constitue
en lui comme la région moyenne, — et enfin la
partie raisonnable, qui comprend l'àme spirituelle
et ses facultés, — ce qui est la région suprême. Or
DES SACREMENTS 269
le Saint-Sacrement opère de grandes choses dans
toutes ces régions.
Et premièrement, voici ce qui regarde le corps.
Quand un roi entre dans une maison, pour en
faire sa demeure ordinaire, il rend cette maison
honorable et belle, il la munit par sa présence et
par celle de ses gardes qui l'environnent, et il lui
confère quelque immunité. Nous pouvons en dire
autant des corps des tidèles dans lesquels Jésus-
Christ établit son domicile par la sainte commu-
nion. Il les rend dignes de lui et il leur confère
un honneur inestimable, par le fait de sa présence
et de sa demeure ; c'est ainsi que la Vierge est digne
d'être honorée pendant toute l'éternité, pour l'avoir
porté neuf mois dans ses flancs virginaux. La
croix mérite des respects profonds, pour l'avoir
porté trois ou quatre heures, et le Saint-Suaire
est en très grande vénération, pour l'avoir enve-
loppé après sa mort pendant trois jours. Saint
Paul était hors de lui-même, quand il pensait à
cette gloire: «.Je z; /s, disait-il, non^ ce n'est pas
« moi qui vis, c' est Jésus-Christ qui vit en moi. »
(Gai. 2). De même saint C3'rille de Jérusalem dit :
Nous devenons des porte-Christ, car nous portons
le Christ dans nos corps, quand nous avons reçu
son corps et son sang dans nos membres. Le corps
est également fortifié, soit pour agir, soit pour
souffrir et beaucoup de personnes délicates devien-
nent robustes par ce sacrement, pour supporter
soit les veilles, les couches dures, les abstinences
et les austérités d'une vie plus spirituelle et plus
religieuse, soit les tourments d'un cruel martyre •
et c'est là la raison pour laquelle autrefois on avait
270 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
soin de donner la communion aux fidèles qui
n'attendaient que la mort de la part des tyrans et
des ennemis de la foi. C'est aussi ce qui a fait
écrire à cette époque à saint Gyprien (î) : celui-là
n'est pas prêt pour le martyre, qui n'a pas été
armé par l'Eglise pour combattre, et l'àme que
l'Eucharistie ne fortifie pas et n'enflamme pas,
tombe bientôt en défaillance.
Ce sacrement donne aussi des privilèges et des
immunités au corps, il lui confère le droit à la
résurrection glorieuse pour le grand jour du réveil
de tous les morts. Car on peut accumuler droit
sur droit, et, quoique les chrétiens doivent res-
susciter en vertu de leurs bonnes œuvres méri-
toires, ils ressusciteront aussi en vertu de leur
communion, parce que leurs corps ont été touchés
par ce corps, qui ne connut jamais la corruption.
« Celui qui mange ce pain^ dit Jésus-Christ,
« vivra éternellement » (Jean, 6). Il n'a en effet
redit et inculqué aucune vérité, autant que celle-
ci : Le Saint-Sacrement donne l'immortalité au
corps.
Entrez dans la seconde région de l'homme, dans
sa partie sensible, où se trouve un double appétit,
l'appétit concupiscible et l'appétit irascible ; c'est
le siège de toutes les passions, qui se révoltent
contre l'empire de la raison supérieure et causent
tous les désordres, tous les désastres et toutes les
misères de la vie humaine. Le Saint-Sacrement
opère dans cette région ; il y apaise la violence des
I. Epist. 54 : « Idoneus esse non potest ad martyrium,
« qui ab Ecclesia non armatur ad prœlium. »
271 I-A THÉOLOGIE AFFECTIVE
mouvements déréglés et empêche leurs transports
furieux. Car en augmentant la grâce sanctifiante,
il augmente dans une égale mesure la charité et les
vertus morales qui tiennent ces passions en bride
et maintiennent dans le devoir de l'obéissance ces
sujets rebelles. Si bien que, comme, en même
temps que la manne, il tombait du ciel une rosée ;
ainsi avec TEucharistie il vient une fraîche rosée
de grâces spirituelles qui ralentit l'ardeur des pas-
sions les plus enflammées. C'est pourquoi elle est
un médicament salutaire qui corrige les instincts
dépravés de notre corps et qui apaise la loi cruelle
de nos membres. Aussi un des plus puissants
motifs que puisse avoir un chrétien d'être plus
modéré, c'est de considérer quelle est la nourri-
ture qu'il reçoit dans la sainte communion ; car
c'est « le froment des élus et le vin qui fait ger-
« mer les vierges » (Zach. 9). C'est Jésus-Christ
avec toute sa pureté ; comment donc serait-il
impur et déshonnète, lui qui se nourrit de la chas-
teté même ? C'est celui qui est prodigue de ses
biens et aussi de lui-même ; comment donc le
chrétien ne réprimera-t-il pas cette convoitise qui
le porte à tout retenir pour lui? Quelle excuse
aurons-nous ? des loups mangent un agneau, et
puis, après avoir été nourris comme des brebis, ils
déchirent comme des lions !
Montons enfin à la suprême région de l'homme,
c'est-à-dire à sa partie raisonnable, à Tàme spiri-
tuelle. Sans doute si le Saint-Sacrement a beau-
coup opéré dans les deux plus basses régions, il ne
sera pas oisif et inutile dans celle-ci. Le Concile
DES SACREMENTS 272
de Florence (i) dit que tout ce que fait la nourriture
corporelle et le breuvage matériel pour la vie du
corps, le Saint-Sacrement le fait pour la vie de
Tàme. Or la nourriture produit pour le corps
quatre effets principaux : elle le soutient, le fait
croître, répare ce que la chaleur détruit, et enfin
le délecte. Ainsi le Saint-Sacrement soutient Tàme
et l'empêche de tomber dans les fautes qui sont
les chutes de la conscience, car elle apporte avec
elle des secours spéciaux, qui mettent Tàme en
état de résister, si elle le veut, aux tentations et
de persévérer dans son bon état. C'est pourquoi
les personnes qui communient saintement passent
des années entières, des âges entiers et parfois
toute leur vie sans commettre un vrai péché mor-
tel. Elles sont comme Elle ; réconfortées par cette
nourriture elles marchent jusqu'à la montagne de
Dieu, jusqu'à ce qu'elles arrivent au paradis. Le
Saint-Sacrement fait croître l'àme en grâce et en
vertu, car il les augmente, et Jésus-Christ peut
dire de ce sacrement : « Je suis venu pour qu'ils
'(. aient la vie et qu'ils Valent avec plus d'ahon-
« dance » (Jean, lo). Il répare ce que consume la
chaleur naturelle de la concupiscence par les
péchés véniels, parce que par sa vertu et efficacité
propre, il remet les péchés véniels, auxquels l'àme
n'est pas actuellement occupée soit en les com-
mettant, soit en désirant les commettre pendant
la communion, et l'absolution du prêtre ne les
remet pas plus efficacement que la réception de
Jésus-Christ dans son Eucharistie. Que dire
encore ? Ce sacrement comme une nourriture
I. \n Decreto Eugenii ,
DES SACREMENTS 278
exquise délecte par le goût et la saveur de la dévo-
tion qu'il cause ; car il excite la charité à produire
ses actes propres dont les plus parfaits sont des
complaisances et des joies intérieures à la pensée
de la bonté et des perfections divines. Personne,
dit le saint Docteur (i) n'est capable d'exprimer
quelle est la suavité de ce sacrement, par lequel
on goûte la douceur spirituelle dans sa source
même. Et un personnage de rare vertu (2) disait :
O Seigneur, le malade qui ne se sent pas récon-
forté auprès de vous, est bien près de la mort.
L'àme qui ne se réjouit pas avec vous, de quoi
pourra-t-elle se réjouir? Celui qui s'ennuie auprès
de vous, ne sait pas que vous êtes son Dieu et
tout son bien.
Qui pourrait donc jamais assez estimer et sou-
haiter cet auguste sacrement, dont les effets sont
si divers, si utiles et si agréables ? Quel arbre de
vie du paradis terrestre produisit jamais des
fruits si excellents ? Quel trésor de toutes sortes
de richesses renferma jamais tant de biens ?
Etonnez-vous donc de la stupidité de tant de chré-
tiens qui ont si peu le désir de communier, qu'ils
passent les mois et les saisons et quelquefois plu-
sieurs années, privés de cette table qui leur est
en vain préparée tous les jours. Ne faut-il pas que
la foi soit bien éteinte dans leur intelligence ? Car
si on leur annonçait qu'il y a dans la ville une fon-
taine d'où coulent le lait et le miel, ou quel-
qu'autre liqueur plus rare et plus précieuse que
1. D. Thom. 9. 79, art. 4; Opiisc. 57.
2. Balt. Alvarez apud Corn, a Lap. in c. 9. Zach.
Bail, t. ix. . iS
\274 La théologie affective
l'eau, il y aurait presse, on se heurterait Tun l'au-
tre pour y aborder et pour y puiser ce précieux
breuvage. Et le Saint-Sacrement, la fontaine de
grâces et de biens innombrables, est abandonné
de la plupart des chrétiens. Détestons leur assou-
pissement, abhorrons leur négligence et leur in-
dévotion dont il leur cuira un jour. Pour nous,
jouissons des biens de la magnificence divine,
aimons à fréquenter cet auguste sacrement,
approchons-nous-en avec ardeur. Ne voyez-vous
pas, dit saint Jean Chrysostome (i), avec combien
d'ardeur les petits enfants prennent la mamelle et
comme ils pressent fortement de leurs lèvres l'ex-
trémité du sein maternel ? Approchons-nous aussi
de cette table avec une semblable allégresse, que
ce soit même avec une plus grande ardeur ; que
comme de petits enfants à la mamelle, nous
tirions la grâce de l'esprit, et que notre unique
douleur soit d'être privés de cette nourriture.
Considérez à quel moment le Saint-Sacrement
produit son principal effet, qui est l'accroissement
de la grâce sanctifiante. Ce n'est pas aussitôt qu'il
a atteint la bouche du communiant, ni après qu'il
est arrivé dans la poitrine, mais dans le trajet de
l'un à l'autre et lorsque de la bouche il est attiré
dans l'estomac et est en voie d'y parvenir. La rai-
son en est que Jésus-Christ promet la grâce à
celui qui mange son corps : « Celui qui me mange
« vivra pour l'amour de moi ; celui qui mange
« ce pain vivra éternellement. » (Jean, 6). Or c'est
proprement à ce moment que le chrétien mange
I. Hom. 83 in Matt., Aliàs 82.
' J
I)i;S SACRKMENTS 278
actuellement le corps de Jésus-Christ, car au-
paravant il ne le mange pas encore, et après ce
trajet il ne le mange plus, mais il Ta déjà mangé.
D'ailleurs après avoir déterminé ce point, il est
important d'examiner si pendant tout le temps
que le corps de Jésus-Christ demeure dans la
poitrine du communiant, il y produit la grâce par
son efficacité sacramentelle et par l'œuvre opérée,
c'est-à-dire en vertu de l'application du sacrement,
si on ne met pas d'obstacle à sa puissance et à sa
vertu. Cette controverse est agitée par les per-
sonnes qui s'occupent de spiritualité, et elle est
diversement résolue. Il y en a qui estiment que
pendant tout le temps que le sacrement demeure
dans la personne qui Ta reçu, il opère sans inter-
ruption à la manière du soleil qui ne cesse de dar-
der ses rayons ou bien comme la nourriture cor-
porelle qui ne cesse de nourrir, tant qu'elle
demeure dans l'estomac. Il disent que Jésus-Christ
ayant la vertu de sanctifier et le sujet dans lequel
il est étant disposé à être continuellement sancti-
fié, il y aurait un inconvénient à ce que le sacre-
ment demeurât comme oisif et ne fit rien. C'est
pourquoi ils appliquent au Saint-Sacrement ces
paroles : « Aussi longtemps que je suis dans le
« monde ^ je suis la lumière du monde. »
(Jean, 9) (i). Mais plusieurs Théologiens (2) re-
prennent aigrement ceux qui soutiennent cette
opinion ; le Saint-Sacrement en effet ne confère la
I. Major, in 4, dist. 9, 1. i, arg. 5 ; Cajetan. in 3,
p. quœst. 76, art. i.
a. Soto, in 4, dist. 11, q. 2, art. i,
276 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
grâce sanctifiante qu'à la condition d'être appliqué
par la manducation actuelle, de telle sorte que,
s'il pouvait entrer dans le corps autrement que
par la manducation, il n'opérerait rien. Ajoutons
que cette première opinion donne lieu aux supers-
titions punies par l'Inquisition d'Espagne ; l'une
de ces superstitions consiste à donner à la per-
sonne qui communie plusieurs espèces ou hosties
à la fois, dans le but de faire durer plus longtemps
le Saint-Sacrement dans leur corps et par suite la
continuation de ses effets dans leur âme. Enfin il
est incroyable que la personne qui communie re-
çoive une abondance de grâces telle que Jésus-
Christ pourrait la produire, en agissant sans
interruption durant tout le temps qu'il demeure
en elle, et comme il demeure plus longtemps dans
les corps de faible complexion et qui digèrent plus
lentement, certains tireraient de leur faiblesse na-
turelle de plus grands avantages. Malgré ces
raisons, quelques Théologiens (i) ne trouvent pas
cette opinion répréhensible, pourvu qu'elle soit
modifiée de la manière suivante : le sacrement
produirait la grâce durant tout ce temps, en vertu
de l'œuvre opérée et de son efficacité sacramen-
telle, dans le cas oii l'âme augmenterait de plus en
plus sa bonne disposition par des élans plus sublimes
et par des actes plus fervents de sa dévotion.
Jésus-Christ a pu instituer le sacrement avec une
telle vertu, il n'y a aucune répugnance à ce que la
chose soit ainsi, elle fait même paraître davan-
tage la douceur et la bonté de Dieu, et elle est
1. Suarez, ibid.
DES SACREMENTS 277
pour le chrétien un motif de bien employer le
temps qui suit la communion, sans en laisser
écouler inutilement la moindre partie, afin de faire
une plus grande provision de biens spirituels,
pendant le séjour de Jésus-Christ dans leur corps.
Mais quoique Ton modifie et Ton adoucisse cette
opinion, elle ne laisse pas d'être rejetée par
d'autres Théologiens (i), qui s'attachant fortement
aux paroles de saint Thomas recommandent d'avoir
une grande dévotion, quand on reçoit ce sacre-
ment, parce que c'est alors que son effet se pro-
duit, si bien que saint Thomas a estimé que
c'était dans la seule réception du sacrement que la
grâce se donnait, et non pendant la digestion des
espèces, qui n'est pas une action humaine, mais
une action purement naturelle et qui ne contribue
en rien à la production de la grâce. C'est pour-
quoi la digestion n'est pas requise pour cette
nourriture spirituelle, comme elle l'est pour la
nourriture corporelle, et le chrétien qui expirerait
dans la manducation actuelle du sacrement, ne
recevrait pas moins de grâces par la vertu du
sacrement. Au reste Jésus-Christ ne sera pas oisif
pendant que les espèces sacramentelles subsiste-
ront dans le corps, bien qu'il n'y produise pas la
grâce en vertu de son être sacramentel. Il y jouit
en effet de la contemplation de l'Essence divine,
à laquelle son âme bienheureuse est occupée tou-
jours et en quelque endroit qu'elle soit, à la ma-
I. Vasquez, disp. 203, c. 2 ; M«rat. disp. 3, sect. i ;
D. Thomas, q. 80, art. 8, ad 6"^" ; Isambertus^ ad. q. 79,
disp. }f art. i.
278 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
nière des Anges qui, gardant les hommes sur la
terre, ne laissent pas de voir toujours la face de
Dieu. Enfin nous pouvons nous arrêter à cette
opinion et dire que Dieu n'a pas besoin de notre
mensonge pour exciter les hommes à avoir beau-
coup de dévotion après la communion, en son-
geant que le sacrement continuerait à produire
alors ses effets (i). Ce motif qui n'attache les âmes
qu'à leur propre intérêt spirituel, ne fait pas par-
tie de la meilleure voie et de la meilleure méthode
de direction. Il vaut bien mieux que pendant ce
temps elles soient excitées à la dévotion par la
grandeur de Jésus, qui est leur hôte, qui mérite
d'être traité avec toute sorte de respect, et d'être
chéri d'un amour indicible, à cause de ce qu'il est
lui-même, quand bien même il ne nous apporte-
I. C'est aller trop loin que de qualifier indirectement
de mensonge une opinion au moins aussi probable que
celle de saint Thomas et à laquelle on peut s'arrêter
avec tout autant de raison. C'est l'opinion que Suarez
formule ainsi : « La présence pxirement matérielle du
« corps de Jésus-Christ dans l'homme n^augmenie pas
« continuellement la grâce ; car tout sacrement donne la
« grâce au moment où il est appliqué et ici il est appli-
« que, quand il est reçu . "Néanmoins il est raisonnable
« d'admettre que la grâce est augmentée en vertu de
« V œuvre opérée^ aussi longtemps que le Christ demeure
« dans le corps du communiant, si celui-ci se dispose
« continuellement par de nouveaux actes à recevoir de
« plus grandes grâces. C'est dans ce sens, croyons-nous,
« que les Saints recommandent tant de bien employer le
« temps précieux qui suit la communion. » (Disp. 43,
sect. 7).
DES SACRHMKNTS '2~C)
rait aucun bien, car il ne peut pas y avoir de bar-
barie et d'incivilité plus grande que de l'oublier
dans ce moment et de ne lui faire intérieurement
aucune caresse. C'est tout à fait une grande mi-
sère, dit saint PYançois d'Assise (i), et une déplo-
rable infirmité, de penser à quelqu'autre chose au
monde, quand vous l'avez présent. Que tout
homme frémisse et que tout le monde tremble,
quand Jésus-Christ, le Fils de Dieu, est sur les
autels entre les mains du prêtre.
Je m'arrêterai donc à cette opinion du Docteur
Angélique, qu'il faut apporter une grande dévotion
dans la réception de ce sacrement, parce que c'est
alors qu'il opère et produit son effet. Et quoi-
qu'après la manducation il n'agisse plus comme
sacrement, je ne dois pas cependant cesser de
produire toutes sortes d'actes pieux, parce que
celui qui demeure en moi est un hôte descendu
du ciel, c'est le noble Fils de Dieu, c'est Jésus
même dont les grandeurs sont partout adorables
et dont la douceur est partout très aimable. Je
m'évertuerai donc alors à produire des actes de
foi, d'espérance et de charité. L'embrassant avec
les bras de mon âme, je lui dirai : « Que je vous
« aime^ mon Dieu ^ ma force » (Ps. 17). Je louerai
sa bonté et sa miséricorde qui l'ont empêché de
me dédaigner, je lui rendrai des actions de grâces
pour sa condescendence si grande et je convierai
toutes les puissances de mon âme à lui offrir leur
service. Les sens lui offriront une plus grande
retenue, mon appétit sensuel s'astreindra à réfréner
I. Epist. ad sacerd, sut ordin. ip Bibl. SS. Patrum.
iSo LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
tous les mouvements de ses passions, mon intel-
ligence formera des actes de foi et confessera qu'il
est le vrai Dieu et le Rédempteur du monde, ma
mémoire se souviendra des douleurs de sa Passion
supportées pour moi et ma volonté éclatera en
plusieurs actes d'amour. Ainsi me soit fait toujours,
Seigneur mon Dieu, par votre miséricorde.
Xlir MÉDITATION
DES TROIS SORTES
DE DISPOSITIONS A LA RÉCEPTION
DU SAINT-SACREMENT
SOMMAIRE :
La disposition nécessaire et suffisante pour rece-
voir la grâce sanctifiante de la sainte commu-
nion est V exemption du péché mortel obtenue
par la conjession. — Disposition prétendue
suffisante et qui ne lest que probablement. —
Dispositions convenables.
I
CONSIDÉREZ que la condition nécessaire et
suffisante pour recevoir le Saint-Sacre-
ment et avec lui l'augmentation de la grâce sanc-
tifiante, c'est d'être exempt de tout péché mortel,
DES SACREMENTS 28 I
par le moyen de la confession et de l'absolution du
prêtre. Le péché véniel ou le défaut de dévotion
actuelle et positive, qui pourrait arriver par dis-
traction, par oubli, par sécheresse, par bassesse ou
stupidité d'esprit, ne constitue pas un empêche-
ment à la réception de la grâce dans la commu-
nion (i). Le Concile (2) semble confirmer cette
cette affirmation, puisque, pour participer à l'effet
de ce sacrement, il ne requiert rien autre chose
que la pénitence et la confession du péché mor-
tel, et qu'il interprète dans ce sens les paroles de
Saint Paul : « Qtie rhomme s'éprouve lui-
ft même y> (I Cor. 11), en confessant ses péchés
mortels, et puisqu'il enjoint expressément à celui
qui a conscience d'être en état de péché mortel,
de ne pas s'approcher de l'Eucharistie, quelque
contrit qu'il soit, sans s'être au préalable confessé
sacramentellement. Le Concile s'arrête là et il ne
paraît pas, si on consulte les lois de Dieu ou de
l'Eglise, qu'il y ait autre chose de requis de la
part de l'àme, pour recevoir l'effet du sacrement.
Car, pour ce qui est du corps, personne n'ignore
que l'on doit, à cause de l'honneur qui est dû au
corps de Jésus-Christ, être à jeun, c'est-à-dire
n'avoir rien pris depuis minuit, hormis le cas de
maladie. Au reste la pratique semble autoriser
cette même doctrine, car autrefois on donnait
l'Eucharistie aux petits enfants baptisés, qui
n'étaient capables de former aucun acte de foi, de
I. Isambertus, ad. q. 79, disp. 2, art. i.
3. Sess. 13, cap. 7.
282 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
charité, d'adoration, ni de tout autre vertu (i), et
aujourd'hui même, ceux qu'on présume être tom-
bés en démence, quand ils étaient dans un bon
état, ne sont pas frustrés de la communion. D'où
l'on peut inférer que c'est être suffisamment dis-
posé que d'être en état de grâce et sans péché mor-
tel. D'ailleurs le péché véniel n'a aucune répu-
gnance avec la grâce sanctifiante, c'est pourquoi il
n'empêche pas le sacrement de la produire. C'est
autre chose s'il s'agit du péché mortel; il est abso-
lument nécessaire d'en être débarrassé et purifié
pour participer à la grâce, qui se donne dans ce
sacrement. Car, dit Saint Paul, « Celui qui
« mange et boit indignement^ mange et boit son
« jugement », il avale sa condamnation, car « il
« ne discerne pas le corps du Seigneur » (I Cor. 2),
puisqu'il le reçoit dans un lieu infect, dans un lieu
où sont ses ennemis, ce qui est lui faire une injure
atroce. 11 n'a point égard davantage à la grandeur
de Jésus-Christ et à la pureté de cette nourriture,
car il la reçoit comme un aliment profane, qu'il
importe peu de manger en bon ou en mauvais
état. Mais rien n'est plus important pour l'Eucha-
ristie, parce que cette nourriture, qui n'est desti-
née qu'à ceux qui vivent de la vie spirituelle de
la grâce et qui sont les enfants adoptifs de Dieu?
est donnée à un mort et à un chien; car celui qui
est en état de péché mortel est réputé aux yeux de
Dieu n'être qu'un chien très vil et misérable. En
cela il commet un double sacrilège, d'abord en ce
qu'il traite irrévéremment une chose sainte, en ce
I. D. August. Epist. 10. 7. — Niceph. 1. 17,0. 15.
DES SACREMENTS 283
qu'il la prend, tandis qu'elle ne lui appartient pas,
puis parce qu'il y participe en état de péché, alors
que cela lui est défendu. C'est le crime et l'atten-
tat de Judas, qui présuma le premier de recevoir
l'Eucharistie, avec l'indignité du péché mortel ;
c'est pourquoi ce qui lui était oftert par miséri-
corde, le rendit, par l'abus qu'il en fit, plus crimi-
nel aux yeux de la Justice divine.
Demande-t-on s'il y a plus d'inconvénient à
manger qu'à regarder l'Eucharistie en état de
péché ? Il faut considérer que l'Eglise n'a pas
toujours permis à toutes sortes de personnes de
la regarder, car elle prenait garde que ni les infi-
dèles ni même les chrétiens non encore baptisés
ne jetassent leurs regards sur elle (i). Le Docteur
séraphique (2) dit aussi que ce n'est pas chose
semblable de regarder l'Eucharistie et de la man-
ger, que dans le second cas l'irrévérence est plus
notable, parce qu'alors le sacrement est reçu et
que la grâce, à laquelle il y a obligation de se
disposer, est offerte. Si les Bethsamites qui regar-
dèrent l'arche furent tués (I Rois, 6), ils ne sont
pas la figure de ceux qui jettent les yeux sur l'Eu-
charistie, mais de ceux qui examinent trop curieu-
sement, quoiqu'ils soient simples d'esprit, les pro-
fonds mystères, et qui périssent quelquefois et
perdent la foi, pour avoir été trop présomptueux.
Enfin d'autres font cette difficulté : l'expérience
montre, disent-ils, que plusieurs de ceux qui com-
munient souvent paraissent avoir fait peu de pro-
1. D. Diony. De Eccl. hier. c. 7.
2. In 4, dist. 9, art, 2, q. 2.
284 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
grès dans la vertu et dans la charité ; or la charité
ne demeure point oisive, là où elle est grande.
Ceci dénote, disent-ils, qu'il faut autre chose que
l'exemption du péché mortel, pour recevoir l'effet
du sacrement et que cette autre chose manque à
ceux qui fréquentent ce mystère, sans paraître
plus vertueux, ni avoir une charité plus parfaite.
On répond communément à cette objection que la
grâce de Dieu est invisible et qu'elle peut être
grande dans une âme, sans qu'il en paraisse rien ;
néanmoins l'efficacité de la fréquente communion
se constate d'une manière assez évidente à cet
effet, qu'une telle âme persévère longtemps dans
la grâce et se préserve de tout péché mortel ; ce
qui n'est pas un effet de petite conséquence. Au
reste nous toucherons une autre source de ce
désordre dans la considération suivante. En at-
tendant :
Nous apprendrons par ce point un trait de la
miséricorde de Dieu, qui requiert si peu de chose
pour la réception de ce sacrement et du fruit de ce
sacrement. Ne pouvait-il pas exiger avec justice
tous les plus grands devoirs, les plus difficiles et
les plus exactes préparations du monde, pour se
communiquer lui-même si libéralement dans ce
mystère ? Certes sa grandeur le méritait, mais il a
eu égard à notre pauvreté, à notre misère et à
notre infirmité. C'est pourquoi il se donne à si bon
marché, lui et la bénédiction de ses grâces. Il lui
suffit qu'une âme ait délogé son ennemi mortel
par le sacrement de la Pénitence, et le voilà prêt
à entrer, quoiqu'elle ait des péchés véniels et
d'autres défauts qui pourraient le décider juste-
DES SACREMENTS 285
ment à ne pas se communiquer à elle. O Seigneur
que votre conduite est douce ! Que votre esprit est
facile et que vous donnez bien sujet aux personnes
qui sont débarrassées de leurs péchés mortels par
l'absolution sacramentelle, d'être en repos et en
paix, après s'être approchées de vous, bien qu'elles
voient en elles de grandes imperfections ! Mais
autant est grande votre bonté, autant est grande
la malice de ceux qui, ressentant intérieurement
les remords de la conscience chargée d'un péché
mortel, ont l'audace de se présenter à votre table.
Oh ! les traitres qui vous font cet outrage dans
votre maison, à votre table, en présence de vos
Anges qui en tireraient vengeance à l'heure
même, si vous ne les arrêtiez, car vous voulez,
pour juger ces coupables, attendre la un du
monde. O Seigneur ! préservez-moi durant toute
ma vie d'une communion indigne et sacrilège !
Préservez-en tout le monde. Vous n'avez reçu que
trop d'outrages de la part des Juifs qui vous cruci-
fièrent entre deux voleurs, au temps de votre hu-
manité passible et mortelle. Maintenant vous êtes
dans la gloire de Dieu, votre Père, il vous appar-
tient d'être reçu partout avec respect et adoration,
avec charité et sainteté. Oh! donnez cette sainteté
à tous ceux qui s'approchent de vous.
II
Considérez une seconde disposition, qui est
prétendue suffisante pour recevoir l'effet de ce sa-
crement ; mais elle ne l'est que probablement, elle
ne l'est qu'en apparence et non en vérité. Cette
disposition est assez ordinaire, elle est une des
286 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
principales causes du peu de fruit que Ton constate
dans l'Eglise après la communion de Pâques et
d'autres temps. Elle n'était pas vraie ni suffisante
en effet et en vérité et devant Dieu, mais seule-
ment dans l'esprit et dans la pensée de ceux qui
ont estimé être saints et guéris du péché mortel,
bien qu'il ne fut pas délogé de leur àme. Il n'en est
pas délogé, soit parce qu'un examen de conscience
suffisant a fait défaut, soit parce qu'on a conservé
une affection secrète au péché, soit parce qu'on a
manqué d'attrition surnaturelle en se confessant,
soit parce que la juridiction ou l'approbation ont
fait défaut au confesseur et qu'il y a eu erreur des
clefs, soit parce qu'on a l'esprit infecté d'une
opinion qui intéresse le salut et que l'on estime
trop légèrement être probable ou certaine, soit à
cause de quelqu'autre défaut qui est ignoré. De
telles personnes demeurent en réalité dans le
péché mortel, mais croyant d'une manière proba-
ble qu'elles en sont délivrées, elles s'approchent
de bonne foi du très auguste sacrement, et n'en
reçoivent ni bien ni mal. L'Eucharistie en effet
étant le sacrement des vivants et sa dignité étant
telle qu'il n'est destiné qu'aux vrais enfants de
Dieu jouissant de l'état de grâce et qui déjà unis
à Dieu attendent de ce sacrement une augmenta-
tion de grâce, ce sacrement ne peut produire son
effet. La grâce ne peut être augmentée que si elle
existe déjà et la nourriture qu'on mettrait dans la
bouche d'un corps mort n'y opérerait rien pour la
vie. Mais d'autre part elles ne commettent pas un
nouveau péché, consistant en ce qu'elles n'auraient
pas reçu dignement ce sacrement, car elles s'ap-
DES SACREMENTS 287
prochent de bonne foi et avec une disposition
probablement suffisante, qui les excuse du péché.
De la sorte il y a un milieu pour ce qui concerne
la communion, c'est-à-dire un état d'âme dans
lequel on ne pèche pas mortellement et où cepen-
dant on ne reçoit pas le fruit de la grâce. De là
vient qu'on a beau réitérer de semblables com-
munions, tant qu'on voudra, on demeure dans
le même état, on n'avance pas, on ne recule pas,
la même tiédeur persiste, la lèpre des mêmes vices
continue et la pauvre créature aveuglée et séduite
par une fausse persuasion, est autant éloignée du
ciel, qu'elle est proche de l'enfer, jusqu'à ce que
la grâce divine la touche plus vivement et lui fait
produire des actes parfaits d'amour et de contri-
tion, ou la fait rentrer en elle-même et s'appro-
cher des sacrements avec un cœur nouveau et des
dispositions valables aux yeux de Dieu.
Cette doctrine théologique vraiment étonnante
est enseignée par le Docteur Séraphique (i), avec
plus de rigueur encore que nous n'en avons usé.
Le communiant, dit-il, qui veut recevoir ce sacre-
ment, est tenu de se préparer, parce que Dieu
vient pour habiter dans l'homme. Or, la prépara-
tion n'est pas toujours suffisante, mais seulement
quand l'ennemù de Dieu est mis dehors par un
examen et une contrition sérieux, ou par le juge-
ment de la Pénitence. De plus, puisque la majesté
divine s'humilie par cette grande condescendance
et que la bonté divine nous offre sa grâce dans ce
sacrement, l'homme doit, pour y participer digne-
I. In 4, dist. 9, art. 2, p. 3.
288 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ment, s'en approcher avec une crainte respectueuse
et avec un grand amour. Il y en a donc qui se
préparent suffisamment, selon la vérité, d'autres
qui se préparent suffisamment, non pas selon la
vérité, mais selon la probabilité (i) ; d'autres qui
ne se préparent ni de l'une ni de l'autre manière,
mais qui négligent de le faire. Celui donc qui se
prépare suffisamment, mange dignement et celui
qui ne se prépare d'aucune manière, mange indi-
gnement. Mais celui qui se prépare moins que
suffisamment, c'est-à-dire celui dont la préparation
est plutôt selon la probabilité que selon la vérité,
ne mange pas dignement, parce qu'il ne se prépare
pas suffisamment dignement et il ne mange pas
indignement, parce qu'il se prépare seulement
probablement. Celui-là donc, quoiqu'il ne reçoive
pas la grâce, ne commet pas cependant une faute,
car il se prépare selon le jugement de sa conscience
et se contente de la probabilité. Nous avons cité
jusqu'ici les paroles de ce grand Docteur, dont le
sentiment est suivi par bon nombre de Théolo-
giens, tels que Gabriel, Marsile, Adrien, Cajétan,
Suarez et d'autres (2).
1. « Quidam aidem non suffïcienter secundutn verita-
« tem, suffïcienter tanien secundum probabilitatem ».
2. Apud Suarez, ad q. 79, disp. 63, sect. 2. — Il y a
en réalité un cas où le communiant ne pèche nulle-
ment en s'^pprochant de ce sacrement et où cependant
il ne reçoit aucune grâce ; c'est le cas de celui qui se
croit légèrement en état de grâce et qui cemmunie de
bonne foi, mais sans avoir au moins l'attrition. Si à cette
bonne foi vient se joindre l'attrition surnaturelle
(implicite), l'Eucharistie efface ses péchés mortels et le
DES SACREMENTS 2S9
Nous déplorerons, comme conclusion de cette
considération très vraie, la pauvreté et le désordre
d'une trop grande multitude de chrétiens, prêtres
et laïques, religieux et religieuses qui, parce qu'ils
n'apportent à ce sacrement qu'une disposition
prétendue suffisante, n'en tirent pas de profit,
mais après toutes leurs communions croupissent
dans tous leurs vices, toujours aussi colères, aussi
avares, aussi médisants, aussi volontaires, aussi
indévots et aussi immortifiés qu'auparavant. Le
feu ne les réchauffe pas, la lumière ne les éclaire
pas, la médecine ne les guérit pas, l'abondance ne
les enrichit pas, la force ne les fortifie pas. N'est-
ce pas une chose pitoyable et honteuse, que le
pain grossier et terrestre que nous mangeons
produise plus d'effet sur nos corps que le Saint-
Sacrement n'en produit sur nos âmes ? que
ce pain mort et inanimé fortifie et nourrisse
notre chair et produise plusieurs autres bons
effets en nous et que le pain vivant, Notre-
Seigneur, avec toute la puissance de sa divinité et
avec tous les mérites de son humanité, n'opère
rien dans nos esprits et demeure dans nos esto-
macs comme si c'était un caillou ? (i). Quelle est
la cause d'un si grand malheur ? Certainement il
ne faut pas en chercher d'autre que notre indis-
justifie. Telle est la doctrine tellement commune des
Théologiens, qu'elle rencontre très peu de contradic-
teurs ; c'est celle notamment de saint Thomas (3, q.
79, a. 3), Bellarnim (1. 4. c. 19), Suarez (disp, 63, sect.
I. n. 10), saint Alphonse (1. 6, n. 269).
I. P. S. Jure, 1. 3. De la comiaiss. sect. 6.
Bail, t. ix. 19
2qO LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
position. Rentrez donc en vous-même, si vous
ressentez peu ou point d'effet de vos communions,
redoutez que votre indisposition ne soit qu'ima-
ginaire et non véritable. Peut-être manquez-vous
d'instruction ? Pensez-vous faussement qu'une
action qui vous est ordinaire, ne constitue qu'un
péché véniel ou une imperfection ; néanmoins elle
est aux yeux de Dieu un péché mortel, votre ba-
lance est trompeuse et vos poids sont faux. Vous
vous confessez par pure routine, sans esprit de
pénitence ; vous ne cherchez pas à apaiser Dieu,
et votre douleur telle quelle manque des condi-
tions nécessaires. Que dirai-je encore ? vous ne
vous examinez que superficiellement et vous ne
vous jugez pas bien vous-même ; c'est pourquoi
vous êtes toujours vous-même et si vous ne
mourez pas de la réception du sacrement, parce
que vous vous en approchez de bonne foi, vous
êtes néanmoins infirme et vous n'en recevez aucun
réconfort. O Dieu infini, ayez pitié de notre
misère; « Voye^ si je suis dans la voie de Vini-
« quité et conduisez-moi dans le chemin de
« l'éternité. Délivrez-moi, Seigneur, de mes
« péchés cachés. Illumine^ mes yeux, afin que je
« ne m'endorme jamais dans la mort ». (Ps. i38 ;
5o ; 12).
III
Considérez une troisième disposition à la récep-
tion du Saint-Sacrement. C'est la disposition qui
convient, et celle qu'il faut y apporter, tant par
respect pour Jésus-Christ que pour participer plei-
nement à tous les effets de la communion. Cette
DES SACREMENTS Iqi
disposition convenable comprend la disposition
nécessaire et de plus certains actes d'une dévotion
réelle et positive, qu'il est très raisonnable et
bienséant d'avoir, outre l'innocence et l'état de
justice. Or comme les livres spirituels parlent
assez de cette disposition et que nous en avons
donné la pratique dans les préludes de cette Théo-
logie, nous nous contenterons dans cette considé-
ration, de revoir six principaux articles de cette
disposition, telle qu'elle est décrite par le Caté-
chisme composé par ordre du Concile de Trente (i)
et par les travaux de saint Charles Borromée et
d'autres personnages célèbres par leur sainteté et
leur science, qui s'en sont occupés ; aussi l'auto-
rité de ce livre porte-t-elle sa preuve avec elle.
Le premier point de cette disposition est que
les fidèles reconnaissent une différence entre ta-
ble et table, discernant cette table sacrée des ta-
bles profanes et ce pain céleste du pain commun.
C'est ce que nous faisons, quand nous croyons
d'une manière certaine que le vrai corps et le vrai
sang de Notre-Seigneur est présent, le corps et le
sang de celui que les Anges adorent au ciel, qui
par un seul clin d'œil fait trembler et frémir les
colonnes du ciel, et qui remplit le ciel et la terre
de sa gloire. C'est là discerner le corps de Notre-
Seigneur, comme Saint Paul nous le demande.
Le second point de cette disposition est que cha-
cun recherche et s'informe bien s'il a la paix avec
les autres, s'il aime sincèrement et de cœur son
prochain. « Si donc tu off'res ton présent sur
I Catech. ad parochos, p. 3, c. 2.
292 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« l'autel^ et là si tu te ressouviens que ton frère
« a quelque chose contre toi (à quoi tu aies donné
« sujet par ta propre faute), laisse là ton présent
« devant V autel et va d'abord te réconcilier avec
« ton frère et alors tu reviendras offrir ton pré-
« sent. » (Matt. b).
Le troisième point consiste à examiner avec di-
Ugence notre conscience, de peur qu'elle ne soit
entachée de quelque péché mortel, dont il serait
nécessaire de faire pénitence, afin qu'elle soit
avant tout lavée par le médicament de la contri-
tion et de la confession. Car le Saint Concile de
Trente (i) a statué qu'il n'est permis à personne
que le remords du péché mortel aiguillonne,
pour bien contrit qu'il soit, et s'il a la faculté de
se confesser au prêtre, de recevoir la sainte Eu-
charistie avant d'être purifié par la confession
sacramentelle.
Le quatrième point de notre préparation con-
siste à penser en nous-même combien nous som-
mes indignes de recevoir de Dieu un tel bienfait.
Aussi faut-il dire de bon cœur cette parole du cen-
turion : « Seigneur., je ne suis pas digne que vous
« entriez sous mon toit. » (Matt. 8).
Le cinquième est de rechercher si nous pouvons
nous appliquer à nous-même cette parole de saint
Pierre : « Vous save^., Seigneur, que je vous
« aime » (Jean. 21); car il faut se souvenir que
celui qui s'assit au banquet sans la robe nuptiale,
fut envoyé dans une prison ténébreuse et con-
damné à des peines éternelles.
I. Sess. 13, ch. 13.
DES SACREMENTS 29.'»
Le sixième est qu'outre la préparation de rame,
la préparation du corps est aussi nécessaire, il
faut n'avoir rien mangé depuis minuit qlii pré-
cède l'heure de la communion. La dignité du sa-
crement demande que les personnes mariées se
soient abstenues l'une de l'autre quelques jours
auparavant. Ce sont là les principales conditions
que doivent observer les fidèles, afin de recevoir
plus utilement les mystères sacrés.
Or, pour comprendre la raison de tout cela, il
faut considérer que Jésus-Christ vient dans TEu-
charistie et descend en nous avec six circonstances
très remarquables. D'abord il y est caché ; il y est
le même pour tous et en tous ; il y est comme
nourriture ; il y est dans un état d'humilité ; il y
est par l'action la plus charitable et pleine d'amour
qu'on puisse imaginer ; et finalement il y est avec
une pureté indicible. Parce qu'il est caché dans
l'Eucharistie sous des espèces visibles, la foi est
nécessaire pour croire qu'il est réellement présent
et pour lui dire avec le prophète : « Vous êtes
« vraiment tin Dieu caché » (Is. 45). Parce qu'il
est le même et qu'il veut se donner entièrement et
sans différence, il est encore requis d'avoir la paix
et l'amitié avec son prochain, car la communication
des mêmes biens demande une union d'autant
plus étroite que la multitude de ces biens qui
nous sont communiqués est plus grande. C'est
ainsi que ceux-là doivent s'entr'aimer davan-
tage qui communient en un même père et en
une même mère, et encore plus s'ils commu-
nient à une même table. Si de plus ils ont une
même maison, une même profession, soit au spi-
294 ^A THÉOLOGIE AFFECTIVE
rituel, soit au temporel, s'ils ont un même chef
qui les gouverne, leur union doit en être plus
forte. La raison de l'unité est la communion en
un même bien, objet de notre amour; c'est pour-
quoi les frères qui ont une même origine, les com-
mensaux qui ont une même table, les soldats qui
ont un même général, les marchands qui font de
semblables négoces et d'autres personnes associées
pour de plus grands biens, s'entr'aiment davan-
tage, à moins que l'envie ou quelqu'autre peste de
corruption vienne traverser leur amitié. Or par
le Saint-Sacrement les hommes ont les plus par-
faites communications dans les plus grands biens
et dans les mêmes biens, car Jésus-Christ est le
même en tous, et se rend pour tous le même bien
aimable et très commun dans son unité, pour les
unir tous ensemble dans une même vie, dans un
même Père, et dans un même chef, qu'il est lui-
même, comme aussi dans une même profession
et un même genre de vie spirituelle, qui est de
servir Dieu, et dans une même maison, à savoir
dans son Eglise. C'est pourquoi ce sacrement ne
peut souîfrir de partialité ni de division d'es-
prit (i).
De plus il se donne dans le Saint-Sacrement
comme la nourriture des âmes; par conséquent
elles doivent être vivantes de la vie de la grâce, car
ce qui est mort n'est plus capable de nourriture.
C'est pourquoi les âmes mortes par le péché sont
incapables de la recevoir, et si l'Eglise a condamné
ceux qui donnaient le Saint-Sacrement aux morts
I. Guillel. Paris, Desacram. Euch. c. 6.
DES SACREMENTS iqS
quant au corps (i), elle ne condamne pas moins
ceux qui le prendraient, étant morts quant à
Tâme.
Jésus-Christ est encore dans ce sacrement dans
un état d'humiliaiion absolument inouïe, il est
réduit à la petitesse d'une hostie. Or c'est une
impudence intolérable que là où sa Majesté
s'anéantit, un vermisseau soit enflé d'orgueil.
Il y est aussi par l'action la plus amoureuse du
monde et c'est une incivilité insupportable que là
où cet Epoux céleste témoigne tant d'ardeur et de
brûlante charité à une chéiive créature, cette créa-
ture n'apporte que froideur et insensibilité, car
l'amour veut être payé par l'amour. Quelle in-
dignité n'est-ce donc pas de ne voir aucune cor-
respondance d'amour envers un ami si ardent ?
Les Anges à la vue d'un si étrange et si funeste
spectacle, prononcent et fulminent l'anathème que
lança autrefois saint Paul contre ceux qui n'ai-
maient pas ce Sauveur : « Que quiconque n'aime
« pas le Seigneur Jésus-Christ, soit anathème! »
(I Cor. 16} ; qu'il soit maudit comme un vilain
excommunié (2) !
Enfin Jésus-Christ est dans ce sacrement plein
de pureté, comme il est partout ailleurs ; c'est
pourquoi il doit être reçu avec la plus grande
pureté tant de l'àme que du corps qu'il est pos-
sible d'avoir. Aussi il a voulu prendre naissance
d'une Vierge, et le sentiment de l'Eglise est que
1. Concil. Antisiodor. can. 12, sub Gregor.
2. P. Jean de Sainte Marie, tom. 2, Médit, ai, pour
bien communier.
2g6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
celui qui fut considéré comme son Père, fut
vierge également. Il a tant aimé l'intégrité et la
fleur de la pudicité, qu'il a voulu non seulement
naître d'un sein virginal, mais qu'il a même voulu
être touché par un nourricier vierge, lorsqu'il
pleurait encore dans la crèche. Quelles sont donc
les personnes qui doivent recevoir son corps main-
tenant qu'il règne dans les cieux? Si lorsqu'il
repose dans la crèche il n'est touché que par des
mains pures, avec quelle pureté n'exigera-t-il pas
que l'on traite son corps qui est maintenant exalté
dans la gloire ? Y a-t-il, dit saint Jean Chrysos-
tome (i), quelque chose de si pur que celui qui
participe à ce sacrifice ne doive être encore plus
pur? Le rayon de soleil ne doit-il pas être dépassé
en pureté par cette main qui fait la distribution
de ce pain, par cette bouche qui est remplie de ce
feu spirituel, par cette langue qui est rougie par
ce sang admirable ? Pensez à l'honneur qui vous
est fait et à la table dont vous jouissez.
Je formerai donc plusieurs fois la résolution
d'apporter à la communion cette disposition qui
est la disposition convenable. Je ne me conten-
terai pas de ne ressentir aucun reproche intérieur
occasionné par un péché mortel, mais encore je
ferai des actes de foi et des actes d'amour de mon
prochain, je renoncerai à tout sentiment d'aversion
et de vengeance. J'entrerai profondément dans la
connaissance de mon indignité, et je m'exciterai
fortement aux actes les plus enflammés de la
charité divine, sans mépriser les dispositions qui
I. Hom. 83, in Matt.
DES SACREMENTS 297
conviennent de la part de mon corps, car il doit
être le vase dans lequel le Saint-Sacrement doit
être reçu. O Jésus, mon Seigneur, Fils unique de
Dieu, vous qui êtes avec le Père et le Saint-Esprit
un Dieu de même Essence, vous par qui seul nous
obtenons la rémission de nos péchés et le salut
éternel, qui avez justifié le Publicain confessant
ses péchés, qui avez exaucé les prières de l'humble
Chananéenne, qui avez pardonné ses fautes à la
fervente Madeleine, donnez-moi. Seigneur, à moi,
dis-je, très misérable et très malheureux pécheur,
la grâce de confesser mes péchés avec amertume
de cœur, donnez-moi des lumières pour considérer
Votre Majesté et votre grandeur cachées sous les
voiles du sacrement, donnez-moi la paix et la sin-
cère dilection avec tous mes frères, donnez-moi
l'humilité et la ferveur de votre amour, afin que
mon àme participant à votre corps sacré par la
sainte communion, en retire tous les fruits et tous
les effets salutaires qui peuvent en découler et
qu'elle vous en glorifie à jamais.
298 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XIV^ MÉDITATION
DE LA DISPOSITION CONVENABLE
POUR MIEUX
COMMUNIER (SUITE) ET DES
EFFETS DE LA COMMUNION FAITE
AVEC UNE TELLE DISPOSITION
SOMMAIRE
Autre pratique pour communier convenablement,
comprenant sept degrés. — Fruits merveilleux
qui proviennent de la communion Jaite avec
cette disposition. — Pourquoi certaines âmes
qui se sont bien disposées à communier, ressen-
tent si peu le goût de la dévotion.
I
Considérez une autre pratique concernant la
disposition convenable pour la réception
du Saint-Sacrement ; elle est comprise en sept
degrés ou sept échelons par lesquels nous attei-
gnons Jésus-Christ (i).
Le premier de ces degrés s'appelle l'excitation ;
par elle une âme chrétienne s'excite elle-même à
bien se disposer. Elle se représente dans ce but
I. Maubur. in Roseto, p. i, t. 6.
DES SACREMENTS 'Iqq
les dangers et les malheurs qu'il y a à communier
indignement, qui sont de se rendre le plus criminel
des damnés, de donner pouvoir au démon sur soi-
même, de s'endurcir et de s'obstiner dans le mal,
d'encourir des infirmités corporelles, d'abréger ses
jours et d'outrager Jésus-Christ à l'exemple de
Judas et des perfides juifs. Elle se représente
encore le bien qu'il }' a communier dignement,
pour croître en grâce et en charité et s'unir plus
fidèlement à Jésus-Christ. Elle se met aussi sous
les yeux l'exemple de ceux chez qui le roi doit
venir loger et qui font tant de préparatifs pour le
recevoir honorablement, mais surtout la grandeur
et la sublimité de ce sacrement qui mérite d'être
reçu avec plus de pureté et de sainteté qu'il n'y en
a dans tous les Anges du ciel et avec une charité
plus ardente que celle de tous les Séraphins à la
fois.
Le second 'degré s'appelle la considération: par
elle l'âme déjà excitée à se préparer dignement,
médite sérieusement et posément sur la grandeur
et l'importance de l'action qu'elle prétend faire,
eu égard d'une part à sa propre vilité et à sa très
basse condition, et d'autre part à la noblesse de
Jésus-Christ qu'elle va recevoir, à sa puissance, à
sa sagesse et à sa miséricorde. Dans ce degré elle
médite qu'elle, très chétive créature à cause de
mille défauts dont elle est chargée, doit recevoir
chez elle celui que les cieux des cieux ne peuvent
contenir, qu'elle doit manger le pain des Anges et
enfermer dans sa poitrine la splendeur du para-
dis, cette Lumière dont toute la cité sainte est
éclairée et qui sert à cette cité de soleil par l'éclat
3oO LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de sa gloire. Elle songe pareillement que la com-
munion sacramentelle est une des plus grandes
actions du monde, une action où brille avec un
éclat admirable la toute-puissance de Dieu, qui a
transformé la substance du pain en celle d'un corps
glorieux, sa sagesse qui a trouvé un tel moyen de
sauver par une telle nourriture tous les hommes,
qui s'étaient perdus en mangeant d'une nourri-
ture défendue, et enfin sa bonté qui se donne
entièrement à ses créatures.
Le troisième degré s'appelle probation. L'âme
s'éprouve elle-même, pour savoir s'il n'y a en elle
ni empêchement ni obstacle, si elle possède les
ornements et les atours convenables pour la récep-
tion de son Dieu, et encore si elle a quelques mar-
ques de dévotion, pour communier dignement.
Dans ce degré elle examine si elle n'a pas de péché
mortel ou véniel, si elle n'a point d'attaches trop
étroites avec les créatures ou des sentiments trop
violents contre le prochain, si elle est dans la voie
de la soumission, et si elle n'est pas sous le coup
d'une défense de ses supérieurs relative à la com-
munion. Elle examine dans ce même degré si
elle a la foi, l'espérance et la charité, si elle est
chaste et pudique, humble et obéissante, pitoyable
et compatissante, si elle a la paix et la concorde
avec tous, si elle a le souvenir et de l'affection
pour la Passion de Jésus-Christ, et finalement si
elle a une dévotion ardente pour le Saint-Sacre-
ment.
Le quatrième degré s'appelle la purification. Ici
en effet l'âme se purifie de ses péchés, grands et
petits, par l'amertume de la pénitence, elle se pu-
DES SACREMENTS 001
rifie aussi de toutes les impuretés du cœur, à sa-
voir des attaches aux biens créés et des affections
pour les choses terrestres qui sont plus fortes que
l'amour des choses spirituelles, et en somme de
toutes les intentions qui n'ont pas la gloire de Dieu
pour dernier but. A cet etlet elle forme des actes
de contrition et de pénitence, elle désavoue ses
propres passions et ses intérêts, se consacre et se
réfère toute à la gloire de Dieu.
Le cinquième degré s'appelle la décoration ou
rembellissement, par lequel Tàme pare et embellit
sa partie intellectuelle, sa puissance affective et
sa partie sensitive par des actes de foi et d'admi-
ration à la vue des grandes choses contenues dans
le Saint-Sacrement. Elle orne sa volonté par des
actes de charité, sa mémoire par le souvenir de la
Passion du Sauveur, et ses facultés sensitives par
des actes divers de mortification et de soumission
à la loi de Dieu.
Le sixième degré s'appelle l'inflammation.
L'àme s'enflamme tant à cause de la crainte et du
respect de ce sacrement, qu'à cause du désir et de
l'amour violent qui la portent à y participer. Ce
pain en effet ne veut pas être mangé avec dégoût,
mais avec une grande faim et un grand appétit
spirituel. Dans ce degré, l'àme, envisageant la
grandeur de Jésus-Christ et ses grandes qualités
opposées aux siennes et infiniment plus nobles,
tremble dans sa petitesse et redoute de s'approcher
de lui, dont elle s'estime indigne. Elle lui dit, à
l'exemple de saint Pierre : « Retirez-vous loin de
« moi, Seigneur, car je suis une pécheresse. »
Mais d'autre part, jetant un regard sur sa face
3o2 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pleine de bonté, songeant au grand désir qu'il a
de se communiquer à ses créatures malgré leur
indignité et le grand besoin que la créature a de
ce sacrement, elle le désire avec ardeur et il lui
tarde de jouir au plus tôt de ce bien. Elle s'écrie
intérieurement: O ardeur! ô charité! Oh! qui
vous a connue et ne vous a pas aimée ? O abîme !
qui vous a considéré et n'a pas été épouvanté ?
Celui qui ne vous a pas aimé est pervers et impie,
comme celui qui ne vous a pas redouté est fou et
insensé.
Le septième degré s'appelle l'invitation. Par
elle l'àme enflammée du désir de posséder Jésus-
Christ dans le Saint-Sacrement, l'invite de tout
son pouvoir à descendre en elle et lui dit, comme
l'épouse du Cantique : « Que mon bien-aimé
« vienne dans son jardin et qu'il y mange les
« fruits de ses pommiers ». (Cant. 5). Dans ce degré
l'âme soupire après Jésus-Christ; imitant les désirs
ardents de tous les saints patriarches, elle a des élans
d'affection par lesquels elle souhaite la présence du
Sauveur en elle et elle souhaite aussi de se rassasier
de lui. Elle ne prend plus goût aux choses du
monde, car elle n'a pas moins de raisons pour dési-
rer le Sauveur dans la communion qu'en avaient
toutes les âmes saintes de l'Ancien Testament,
pour le désirer dans l'Incarnation. Dans ce degré
l'âme se représente comme un pauvre criminel,
qui languit dans les prisons et qui appelle son
juge, non pour être condamné, mais pour être
absout ; c'est ainsi que l'âme se considérant dans
ce monde comme dans une prison fâcheuse et où
elle est longtemps captive, demande son juge
1)1-: s SACRKMKNTS 3o3
pour être renvoyée libre et absoute. Elle se repré-
sente elle-même comme un pauvre malade saisi
par la fièvre, qui désire le médecin. Elle le désire
comme son maître, pour connaître ses volontés,
l-'lle rimplore comme un Roi très puissant pour
la défendre et la protéger contre ses ennemis. Elle
rappelle comme son soleil, pour dissiper toutes les
ténèbres et faire disparaître sa froideur ; elle l'ap-
pelle comme le soulagement de ses travaux, afinqu'il
Taide et qu'il allège son fardeau. Enfin se fondant
d'amour, elle l'invite comme son Epoux céleste,
car elle sait que par condescendance il veut bien
élever les âmes à la qualité d'épouses, pour les
faire participer à ses biens et à ses grandeurs.
Après ce degré, c'est-à-dire après l'invitation,
vient la réception du sacrement, accompagnée de
sentiments d'humilité, de respect et d'admiration
pour sa grandeur, à l'exemple de Saint Thomas
s'écriant : « Mon Seigneur et mon Dieu » (Jean,
20), ou d'amour et de joie, conformément à cette
parole : « Entre^, béni de Dieu. — Oh! soye\ béni,
« vous qui vene\ au nom de Dieu » (Gen. 24 —
Matt. 21).
Souhaitez d'avoir cette disposition qui convient
à la réception du Saint-Sacrement. Regrettez de
ne l'avoir ni connue ni pratiquée dans le passé et
désirez qu'elle vienne à la connaissance de plu-
sieurs, afin qu'elle soit pratiquée pour la plus
grande gloire et le plus grand honneur du Fils de
Dieu dans le Saint-Sacrement. Mettez-vous vous-
même en devoir de passer dans votre prochaine com-
munion par tous ces degrés, auxquels vous pense-
rez l'un après l'autre, ou dans une même heure, ou
3o4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dans les sept jours consécutifs, qui précéderont vo-
tre communion. Chaque jour vous vous arrêterez
à un degré ou à un des échelons de cette échelle
mystérieuse par laquelle vous arrivez à Jésus-
Christ, pour en tirer des biens qui vous rendront
heureux pour toute l'éternité.
II
Considérez les merveilleux fruits qui résultent
de lacommunion faite avec une telle disposition. Il
n'y a point de langue, dit un célèbre Théologien (i).
capable d'expliquer, ni d'esprit capable de com-
prendre les fruits et les avantages de la réception
de ce sacrement, dont on pourrait bien entendre
ce mot d'Isaïe et de Saint Paul : « L' œil rC a point
« vu^ Voreille 7i'a point entendu et il n'est pas
« entré dans V esprit de Thomme ce que Dieu a
« préparé à ceux qui V aiment ». (Is. 64; i Cor. i).
Toutefois on pourra méditer pour sa consolation
spirituelle le Psaume XXIP que David a composé
sur ce sacrement, et où il énumère douze avanta-
ges qui sont échus à ceux qui communient dévo-
tement.
Le premier avantage est que par ce sacrement
nous avons Jésus-Christ pour Roi et pour conduc-
teur : « Le Seis[neur me régit. » On peut dire à
l'âme qui communie comme à la fille de Sion:
« Voici ton Roi qui vient à toi plein de douceur »
(Matt. 21), ton Roi dont la bonté égale la majesté ;
et l'âme peut dire : O le bonheur inestimable ! Le
puissant monarque du ciel vient en moi pour me
I. Viguerius, 16, vers. 28.
DES SACREMENTS 3o5
donner sa paiK et sa grâce, pour prendre posses-
sion de mon cœur et de toutes mes puissances,
comme de son propre domaine, pour y établir sa
loi et ses maximes, pour me gouverner et me con-
duire saintement. Quel plus grand honneur peut-
il y avoir pour une chétive créature? Il ne se con-
tente pas de nous avoir donné pour guide la raison
naturelle et Thabitude de la foi, il veut nous diri-
ger lui-même et nous inspirer dans cet auguste
sacrement, afin qu'adhérant à la loi, nous ne mar-
chions pas dans les ténèbres de Terreur, mais dans
la vraie lumière.
Le second avantage est une abondance de
grâces : « et rien ne me manquera. » Ici se trouve
en effet l'auteur de la grâce, celui qui ne vient que
dans le but d'enrichir une âme et de la faire parti-
ciper à sa plénitude. D'oià vient que saint Paul,
félicitant ceux qui communient dignement, leur
dit : « Je rends toujours grâces à mon Dieu pour
« vous, parce que vous êies riches en toutes cho-
« ses par Jésus-Christ, de sorte qu'aucune espèce
« de grâce ne vous manque. » (I Cor. i).
Le troisième avantage est la douceur de la réfec-
tion spirituelle : « Il ma établi dans un lieu
« abondant en pâturages. » Cette réfection con-
siste en de bonnes et savoureuses pensées toutes
célestes, en d'ardentes affections de la charité, en
des épanouissements de cœur, en des tressaille-
ments de joie et des goûts très suaves de la dou-
ceur divine. C'est pourquoi ce sacrement est une
manne cachée, d'une douceur très savoureuse, qui
consiste dans le rassasiement des âmes bien pures.
Le quatrième avantage est la modération des
Bail, t. xx. 90
3o6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
passions très ardentes ; « il m'a élevé auprès
« (Tune eau qui me nourrit. » Rien en effet ne
tempère l'ardeur des concupiscences désordonnées,
comme de communier dignement. « La rosée, dit
« le Sage, ne refroidir a- t-elle pas V ardeur ? »
(Eccl. 18). Or c'est ici qu'est la rosée céleste tant
souhaitée par les anciens Pères, qui s'écriaient :
« O deux, envoye\ d' en-haut votre roséeX » (Is. 45).
Le cinquième avantage est de nous convertir et
de nous transformer en lui : « // a converti mon
« âme, » Car cette nourriture céleste ne s'altère
pas comme la nourriture ordinaire, pour se changer
en notre corps. Ce corps divin ne nous servirait
pas en effet, s'il était changé en notre corps mor-
tel, il périrait avec nous. Il a donc une force et
une vigueur sans pareille pour changer et conver-
tir notre âme en lui, afin qu'elle vive pour lui, et
qu'elle vive de sa vie par l'imitation de son esprit
et de sa vie céleste. C'est pourquoi saint Augus-
tin (1) entendit cette parole, que plusieurs appli-
quent à ce sujet: Je suis la nourriture des grandes
âmes; grandis et jmange-moi. Tu ne me changeras
pas en toi, comme ta chair, mais tu seras changé en
moi. Dans cette conversion, la substance de l'àme
reste la même, mais ses accidents sont changés, car
elley reçoit des accidents déiformes, qui la font vivre
selon l'esprit de Jésus-Christ, et elle reçoit de lui,
comme un membre de son chef, une nouvelle vi-
gueur.
I. L. 7 CoNFESS. c. 10 : <LNéctu me in te mutahis, si-
« eut cibum carnis niortu<Zf sed tu mutaberis in me. » —
Biel IN CANON. Miss^, lect. 88,
DES SACREMENTS J07
De là naît un sixième avantage, qui est Tinclina-
tion au bien pour la seule gloire de Dieu : « // m'a
« conduit par les sentiers de la justice pour la
« gloire de son 120m. » Car comme Jésus-Christ
n'a d'inclination que pour le bien et pour la gloire
de Dieu, qu'il considère toujours dans toutes ses
œuvres ; il en est de même du chrétien, en qui
Jésus-Christ a imprimé son esprit par la commu-
nion. Il n'aspire qu'à suivre les voies de la justice
et de la sainteté, et le tout, non dans son propre
intérêt, mais pour glorifier le nom de Dieu.
Le septième avantage est la protection contre
les assauts et les attaques de l'ennemi : « Si je
« marche au milieu de l'ombre de la mort, je ne
« craindrai aucun mal, parce que vous êtes avec
« moi ». Les ombres de la mort sont les tenta-
tions du démon, contre lesquelles le Saint-Sacre-
ment arme et fortifie puissamment l'esprit ; c'est
pourquoi il est figuré par le pain que vit Gédéon,
pain qui perdit les Madianites, c'est-à-dire les
démons de l'enfer. Car pourquoi celui-là les crain-
drait-il qui sent qu'il est avec Dieu et qu'il l'a en
lui-même comme son protecteur? De là vient que
Job adresse avec confiance à Dieu cette demande :
• « Meite:{-moi auprès de vous et que la main de
«.qui que ce soit combatte contre moi » (Job, 27).
Le huitième avantage est la consolation parmi
toutes les angoisses et les tribulations de cette
vie : « Vous ave\ préparé une table devant moi
« contre les efforts de ceux qui me persécutent ».
Une communion bien faite a une puissance abso-
lument admirable, pour apaiser les plus cuisantes
douleurs.de cette vie. C'est pourquoi Jésus-Christ
3o8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
invite les personnes affligées et les appelle à lui :
« Vene^ à moi, vous tous qui travaille^ et qui êtes
« accablés, et je vous soulagerai » (Matt. 1 1).
Elcana consolait sa femme désolée à cause de sa
stérilité, en lui disant : « Anne ^ pourquoi pleur es-
« tu ? est-ce que je ne vaux pas pour toi dix
« enfants ? » (I Rois, i). Ainsi une âme qui se
rendra dévote à l'égard de ce mystère pourra,
quand elle sera affligée par les pertes et par la
ruine des biens de ce monde, entendre Jésus-
Christ lui adresser cette consolation : Pourquoi
t'affliges-tu pour la perte des biens passagers de
cette vie ? Ne suis-je pas ton souverain bien et un
bien qui se donne tout à toi ? Ne suis-je pas préfé-
rable tout seul et plus capable de te rendre heu-
reux que toutes les prospérités mondaines ?
Le neuvième avantage est l'onction intérieure
du Saint-Esprit qui dans ce sacrement illumine
les âmes : « Vous ave:^ oint ma tête d'une huile
« sacrée », c'est-à-dire mon esprit qui est rempli
de clartés et qui demeure plus illuminé et plus
clairvoyant pour ce qui est des choses célestes. Les
deux disciples d'Emmaiis eurent les yeux ouverts
à la fraction de ce pain (Luc, 24), et les yeux de
Jonathas furent éclairés, après qu'il eût goûté
un peu de miel (III Rois, 4). Bien plus illuminée
sera l'âme qui a en elle-même le Soleil de justice
dont les rayons très clairs pénètrent partout.
Le dixième avantage est le saint enivrement de
l'amour : « Que mon calice^ qui a la j or ce deni-
« vrer^ est admirable ! » Dieu donne quelquefois
dans la communion de si grands sentiments
d'amour, que comme une personne enivrée ne
DES SACREMENTS 3og
peut digérer ni contenir en elle le vin dont elle
est pleine ; ainsi l'amour intiue sur le cœur avec
une telle abondance et une telle impétuosité, que
force lui est d'éclater au dehors, soit par des excla-
mations amoureuses, soit par des cantiques de
jubilation, soit par quelqu'autre moyen. Car ce
sacrement est le sacrement des élus et le vin qui
fait germer les vierges : l'hébreu porte : « le vin
« qui fait chanter les vierges » (i). De même que
celui qui aurait logé chez lui son juge, et qui l'au-
rait accueilli avec tout honneur, aurait auprès de
lui plus de crédit; ainsi une àme qui communie
dignement est favorisée pendant toute sa vie par
Jésus-Christ. Il lui en est reconnaissant et il la
regarde miséricordieusement dans tous ses be-
soins, en reconnaissance de ce qu'elle l'a reçu avec
toute son affection ; aussi dit-il dans ce sacrement
ces paroles qui sont douces pour les uns et amères
pour les autres : « Quiconque m'aura glorifié^ je
« le glorifierai ; et ceux qui me méprisent de-
« meureront infâmes » (I Rois, 2).
De là résulte le douzième avantage, qui est l'ac-
quisition de la félicité éternelle : « Afin que fha-
« bite dans la maison de mon Dieu Jusqu'à la fin
« de mes jours. » Ce sacrement est en effet le
gage de la gloire et une àme ne doit pas douter
que Jésus-Christ ne se donne à voir, quand il se
donne à manger. Aussi en fait-il la promesse :
« Celui qui mange ce pain vivra éternellement »
(Jean, 6).
Que nous reste-t-il à faire après la méditation
I. Versiones Pagnini et Vatabli,
3lO LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de ce psaume m3^stérieux, si ce n'est d'entonner
des louanges en l'honneur de Jésus-Christ qui
produit en nous tant de fruits et tant d'avantages
par la sainte Eucharistie ? « O Seigneur, combien
« grande est la multitude de votre douceur, que
« vous réserve^ à ceux qui vous craignent! »
(Ps. 3o). Vraiment « vous ave\ nourri votre
« peuple de la nourriture des Anges et vous lui
« ave^ donné un pain préparé au ciel sans aucun
« travail^ pain qui renfermait en soi tout ce
« qu'il y a de délicieux et tout ce qui peut
« être agréable au goût » (Sag. 16). Qui eût
jamais osé espérer tant de biens dans cette vallée
de misères ? Si bien que les fruits de ce sacrement
surpassent notre attente non moins que notre
mérite. C'est « Varbre de vie qui porte dou\e
m fruits » (Apoc. 22). Qui me donnera donc, ô
mon Dieu, de vous recevoir souvent avec une
digne préparation, afin que je me rassasie de ces
fruits savoureux ? O Seigneur, si vous me donnez
ce pain à manger et le vêtement de votre charité,
vous serez toujours le Dieu unique de mon âme et
je vous louerai avec une ferveur qui ne se ralentira
jamais. O pain, source de tout bien et de toute
joie, je vous désirerai incessamment de toute l'ar-
deur de mon cœur, et pour un seul repas que je
ferai de vous, je mépriserai tous les passe-temps et
les vaines récréations du monde. Je suis attiré à
vous par l'odeur qui vous est propre et intime, qui
est l'odeur d'une campagne fleurie et abondante
en richesses, à laquelle le Dieu d'amour très clé-
ment et très libéral a donné sa bénédiction. Oh !
certainement, Seigneur, « voire miséricorde vaut
DES SACREMENTS M I
« mieux que toutes les vies, mes lèvres vous loue-
« ront » (Ps. 62), et mes entrailles s'ouvriront
pour recevoir la suavité de votre table nuptiale.
O Seigneur, si je suis pauvre en biens dès ma
jeunesse, ô le Dieu très aimable de mon àme, à
qui m'en prendrai-je si ce n'est à moi-même, qui
pouvais m'enrichir des fruits de votre sainte table ?
O pain vivant et vivifiant, faites-moi participer à
tant de biens désirables !
III
Considérez d'où peut provenir que plusieurs
âmes qui usent de toute diligence, pour se pré-
parer convenablement à la réception de ce sacre-
ment, ressentent si peu le fruit qu'elles y font et
principalement ce fruit qui s'appelle le goût et la
saveur de la réfection spirituelle. Quelques Théo-
logiens (i) ont examiné cette difficulté qui trouble
beaucoup certaines consciences timorées ; ils
répondent que le sacrement, pour sa part, confère
toujours la grâce de cette douceur et de cette
réfection spirituelle aux personnes convenablement
préparées, mais que le libre arbitre doit y coopérer
et y contribuer de son côté ; faute de quoi cette
réfection manque. D'ailleurs, disent-ils. Dieu ne
la donne pas toujours au moment même de la
réception du sacrement, mais quand il lui plaît,
pourvu qu'on ne s'en rende pas indigne, car les
grâces sacramentelles et particulières à chaque
sacrement se donnent dans le besoin et en temps
opportun. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner
I. Suarez, 3 p., disp. 63, sect. 9,
3l2 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
si un certain nombre d'âmes ne ressentent pas
sitôt la ferveur de la charité et la douceur de la
dévotion ; c'est une grâce que Dieu leur réserve,
et qu'elles ressentiront si elles n'y mettent aucun
empêchement. D'autres (i) ajoutent que tous les
palais spirituels ne sont pas capables de savourer
cette douceur, ainsi que cela arrive pour les palais
et les goûts des animaux pour toutes les saveurs
sensibles, car le palais d'un pourceau n'apprécie
point la douceur des parfums. C'est pourquoi il^
ne faut pas s'étonner si plusieurs, quoique sains
et sans maladies, ne ressentent pas toutes sortes de
suavités spirituelles, car elles ont trop de sublimité
et de noblesse pour des palais trop grossiers,
comme sont les leurs. Et puis chez plusieurs c'est
le défaut de bien mâcher le pain du ciel par de
bonnes considérations de l'esprit bien éclairé, qui
les empêche d'en exprimer et d'en sucer la dou-
ceur. Il faudrait, en effet, admirer dans ce sacre-
ment la toute-puissance de la vertu divine, sa
sagesse et sa providence ; il faudrait méditer
l'abondance de sa bonté, par laquelle il s'offre et
se donne si promptement, comme aussi sa misé-
ricorde sans pareille, en nous souvenant de sa
Passion dont la mémoire nous est recommandée
dans ce mystère. Albert le Grand (2) a répondu à
cela que ce pain est un pain volontaire et qu'il se
fait sentir comme il lui plaît ; parfois il garde sa
douceur sans la communiquer ni la faire sentir,
pour qu'à la fin le mérite soit plus grand et qu'à
l'avenir cette douceur soit mieux ressentie.
I. Guillel. Paris. De sacram. Euch. c. 7.
I. In Serm. dist. 17, art. 36.
DES SACREMENTS 3l3
Au reste il peut aussi arriver que Dieu, par un
trait de sa providence spéciale, prive de ces dou-
ceurs des personnes qui communient dévotement,
pour leur plus grand bien et sans qu'on puisse leur
reprocher aucun défaut (i). En premier lieu, pour
les humilier, de peur que ces sentiments ne leur
inspirent de la vanité et de l'orgueil. En second
lieu, il leur retire ces douceurs, pour leur en donner
un plus grand désir par la privation qu'elles en
ressentent, semblable à une mère qui fait semblant
d'abandonner son petit enfant, afin qu'il la recher-
che davantage, qu'il la caresse plus tendrement et
qu'il prenne plus de soin de se tenir auprès d'elle.
Troisièmement, pour leur faire mieux connaître
leur propre misère et fragilité, et qu'ainsi elles
s'estiment peu de chose et apprennent qu'elles ne
peuvent rien d'elles-mêmes. Quatrièmement, afin
qu'elles soient plus pitoyables et plus compatis-
santes pour les âmes qui n'éprouvent que séche-
resse et aridité au milieu de tous leurs exercices
de dévotion. Cinquièmement, afin qu'elles satis-
fassent à Dieu pour la peine due à leurs péchés,
par la privation des douceurs spirituelles. C'est
ainsi que l'humanité de Jésus-Christ plongée dans
le torrent de ses souffrances et dans un défaut
absolu de consolations, satisfit pour les péchés du
monde. Sixièmement, afin que les personnes qui
sont capables d'aider le prochain dans la vie active,
ne s'occupent pas uniquement d'elles-mêmes ; il
serait à craindre, en effet, qu'arrêtée par ces goûts
et ces douceurs divines, elles ne voulussent se
I. Gabriel Biel, in canon, Missœ, lect. 8.
3l4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
reposer comme Madeleine, quand il serait néces-
saire de travailler comme Marthe. Septièmement,
c'est pour punir quelques fautes vénielles commises
autrefois. Ainsi un père montre quelquefois un
visage un peu sévère à son fils, qu'il aperçoit se
donner trop de licence. De la sorte on ne néglige
pas de se corriger des petits péchés, qui ouvrent
la porte à de plus grands. Huitièmement, cela a
lieu afin que l'on connaisse si une àme sert Dieu
avec une affection désintéressée, alors même
qu'elle ne devrait recevoir de lui aucune consola-
tion. On sait alors si elle est disposée à rester du
parti de Dieu, à ses risques et périls, en tout cas
et tout événement, comme aussi en toute tribula-
tion, comme un soldat bien fidèle et bien affectionné
qui combat toujours pour son prince, quoiqu'il
n'en reçoive pas de solde. Neuvièmement, Dieu
sèvre une âme de ces douceurs, afin qu'elle ne
s'arrête pas tant aux dons de Dieu qu'à Dieu lui-
même. Dixièmement, c'est afin que ces douceurs
spirituelles ne lui servent pas de récompense pré-
sente et qu'elle la reçoive dans l'avenir plus abon-
damment. Onzièmement, c'est afin que l'âme trans-
portée de ferveur spirituelle, ne se porte pas à des
exercices trop violents, consistant en pleurs, gé-
missements, jeûnes, veilles et austérités ; car
Jésus-Christ ne veut pas grever son hôte et plu-
sieurs âmes ne pourraient soutenir l'ivresse
spirituelle, si elles étaient toujours introduites
dans « la cave à vin » de l'Epoux. (Cant. 2). C'est
pourquoi il en garde les clefs et la tient tantôt
ouverte, tantôt fermée. Douzièmement, cela se
fait pour exercer la patience, dont l'acte est très
1»ES SACREMENTS 3lS
parfait et surtout dans ce sujet, où Tàme se voit
privée des avant-goùts du paradis, pour languir
comme à l'ombre, c'est-à-dire à la ressemblance
de la mort.
Ces considérations nous apprendront à ne pas
nous troubler et nous décourager, si, apportant à
la réception de ce sacrement toute la préparation
possible, nous ne nous sentons pas toujours rem-
pli des douceurs de la dévotion. Mais tantôt il faut
s'humilier et penser que l'on a l'âme trop grossière
pour goûter les sublimes saveurs de la table des
Anges; tantôt il faut espérer ces faveurs pour un
autre temps, où il plaira à Dieu de les donner et
alors remercier le Saint-Sacrement par lequel
Dieu les donne. Et quoiqu'il faille prier et se
purifier soigneusement pour les obtenir dans la
communion ; néanmoins comme Dieu dispose tout
pour un plus grand bien, il faut être en tel état,
que l'on soit prêt à les recevoir et à en user avec
actions de grâces, si elles sont accordées, et prêt à
en accepter la privation, si elles nous sont refusées,
mais sans cesser pour ce motif de recevoir ce
sacrement.
3l6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XV^ MÉDITATION
CONDUITE A TENIR
APRÈS LA COMMUNION
SOMMAIRE:
Importance de s'entretenir en secret avec Jésus-
Christ après la sainte communion. — Cet
entretien comprend sept actes de dévotion.
— Trois conseils spirituels qu'il Jaut pra-
tiquer après cet entretien.
I
CONSIDÉREZ qu'après la communion il importe
souverainement de s'entretenir quelque
temps dans le secret de l'âme avec Jésus-Christ,
par le moyen de quelque acte de dévotion. L'exem-
ple de la civilité du monde enseigne assez cette
vérité. Si on a reçu chez soi un ami, c'est une
grande impolitesse d'avoir l'air de ne point le
regarder, de lui tourner le dos ou de le laisser là
tout seul dans une chambre, surtout si cet ami
est une personne digne de tout honneur et venue
exprès pour apporter beaucoup de bien par sa
visite. Qui pourra donc excuser ou plutôt ne pas
accuser et condamner la mauvaise conduite de
plusieurs personnes chrétiennes à l'endroit de
Jésus-Christ, qui est venu les visiter par la com-
munion, et qui est venu du plus haut du ciel, où
DES SACREMENTS Zl'J
il règne, et pour leur bien éternel ? Comment ne
pas condamner ces chrétiens qui ne pensent pas
seulement à lui, ne font en sa faveur aucune dé-
monstration d'amitié, et au lieu de fixer leurs
pensées sur lui, se laissent emporter vers tout
autre objet ? C'est faire effrontément outrage à ce
grand Roi du ciel ; c'est renverser à son égard
toutes les règles de l'honnêteté, si, après s'être
préparé à l'honorer à son arrivée, on ne lui fait
ensuite aucun honneur. C'est imiter les Juifs qui
le jour des Rameaux allèrent au-devant de lui
pour le recevoir avec pompe et magnificence, et
qui, après son arrivée, le traitèrent avec honte et
ignominie (Matt. 21). Si bien qu'il ne faut pas
s'étonner que plusieurs âmes profitent si peu de la
communion, c'est qu'elles ne se donnent pas le
temps ni le loisir d'une sainte récollection inté-
rieure pour goûter la douceur de cette nourriture
céleste, pour entretenir Jésus-Christ de leurs
affaires spirituelles, et profiter des avantages que
l'on peut espérer de la présence d'un tel ami, si
affectionné, si riche et puissant en toutes choses,
et si rempli de bonne volonté à l'égard, des âmes,
à qui il se donne si libéralement et si aimablement.
Ce manquement se trouva, premièrement, dans
la personne du traître Judas, qui fut le premier
adversaire du Saint-Sacrement ; il le traita sans
aucun respect, car à peine Teùt-il reçu de la m.ain
sacrée de Jésus-Christ, qu'il sortit aussitôt, sans
prendre un seul moment pour se recueillir dans la
contemplation de ce mystère (i). « Après qu'il eût
I. Sherlogus, in Catit. c. 5, vestig. 32, sect. i.
3l8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« pris le morceau, dit l'Evangile, il partit immé-
« diatement. » (Jean, i3). S'il eùi un peu médité
sur ce qu'il venait de recevoir, cela aurait suffi
pour le convertir; mais, dit saint Cyrille d'Alexan-
drie (i), le démon qui a l'esprit madré et subtil,
craignait que, s'il se fut arrêté un peu, il ne fit
pénitence et voilà pourquoi il le pousse à toute
bride et le presse de sortir. En cela il est imité
par ceux qui sortent de l'Eglise avant la dernière
bénédiction.
Il n'en est pas ainsi des âmes spirituelles et
bien in'îtruites des exercices de la véritable piété.
Elles se retirent à l'écart ou dans quelque lieu
tranquille, immédiatement après leur commu-
nion, et rentrent profondément en elles-mêmes,
pour s'entretenir avec leur bon Maître et lui rendre
les témoignages de leur pure et sincère affection.
Elles négligent tout autre chose, pour ne considé-
rer que ce divin objet et ressentir un commence-
ment de la jouissance de ses douceurs, qui doit
s'achever plus tard dans le paradis. Elles se tien-
nent comme Madeleine à ses pieds, entendant ses
divines paroles, attentives à ses inspirations qui
les portent à tout bien, et elles lui demandent la
grâce de les pratiquer fidèlement. Elles croient
qu'il n'y a pas un temps plus opportun pour trai-
ter leurs affaires spirituelle-, que celui où elles
sont remplies de ce divin sacrement qui leur donne
de la vigueur pour courir dans la voie de la vertu.
C'est pourquoi elles en tirent des joies, des con-
solations, des espérances, des attendrissements de
I. lit Jo^n. 1. 9.
DES SACREMENTS SlQ
cœur, d'importantes lumières et connaissances
dans leur entendement, comme aussi dans leur
volonté des ardeurs nouvelles pour servir fidèle-
ment celui qu'elles chérissent et embrassent étroi-
tement au-dedans d'elles-mêmes. Aussi l'épouse
sacrée du Cantique n'a-t-elle pas plus tôt mangé
son rayon avec son miel, et bu son vin avec son
lait, qu'aussitôt elle entre dans sa retraite et dans
son repos et dit : « Jedors^ mais mon cœur veille. »
(Gant. 5). Car si elle semble immobile dans ses
actions et quant au corps, son cœur est plein de
soupirs et d'élans, après la réception de cette
nourriture, qu'elle appelle son miel et son lait, à
cause du torrent de douceur qu'elle sent déborder
en elle. Aussi Jésus-Christ a dit de ceux qui com-
munieraient dignement : « Celui qui mange ma
« chair et boit mon sang^ demeure en moi et moi
« en lui » (Jean, 6); comme s'il voulait dire: il
demeure en moi par l'union et l'occupation de son
esprit, comme je demeure en lui par la pensée,
par l'affection et par les effets; il ne «e distrait
pas de moi et ne la laisse pas égarer sa pensée dans
les affaires du monde.
Formez donc la résolution de n'y jamais man-
quer. Gardez-vous soigneusement d'imiter le traî-
tre Judas, en occupant votre esprit à d'autres su-
jets qu'à celui qui est en vous, qui doit vous ravir
d'admiration. Il n'en est pas de cette nourriture
comme de celle du corps ; pour celle-là les person-
nes saintes tâchent d'en éloigner leur pensée,
autant que possible, quand elles la prennent, et
dans ce but elles se rendent attentives à quelque
sainte lecture ; mais cette nourriture étant toute
320 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
divine, il faut y enfoncer hardiment son esprit et
sa volonté et toutes ses puissances. Ne refusez
donc pas au moins un quart d'heure à cette récol-
lection, à dire le bonjour et le grand merci au Roi
des Anges, qui vous a visité. Regrettez, pour ce
qui regarde le passé, de vous être trop hâté et trop
tôt diverti, soyez confus d'avoir commis plusieurs
fois une incivilité, que tous les Anges ont en hor-
reur.
II
Considérez que l'entretien que nous devons
avoir avec Jésus-Christ, après l'avoir reçu, consiste
en plusieurs actes de dévotion, et particulièrement
en sept actes qui sont l'admiration, l'action de
grâces, l'offrande de Jésus-Christ et de tous ses
mérites au Père éternel, l'offrande de nous-même
et de toutes nos puissances à Jésus-Christ, la
manifestation de nos misères, plusieurs saintes
demandes et enfin la glorification de sa bonté pour
tous les biens qu'il nous a faits depuis le moment
de son Incarnation jusqu'à la présente commu-
nion.
L'admiration est le premier acte que l'on peut
produire après la sainte communion. On doit
s'étonner d'une faveur si signalée et d'un fait si
extraordinaire que celui du Roi des rois, du Fils
de Dieu qui est assis à la droite de son Père et qui
descend dans l'estomac infect d'une chétive créa-
ture. Car qu'y a-t-il de plus étonnant au monde
que la sainte communion, dans laquelle l'Etre le
plus élevé s'unit intimement à un vermisseau
rampant sur la terre ? Le plus aimable et le plus
DES SACREMENTS 321
digne d'être chéri de Punivers, à une âme qui est
digne de l'aversion de Dieu? La bonté à la malice,
le très magnitique et très libéral à une àme avare,
la beauté à la laideur, la splendeur aux ténèbres,
le très heureux, au misérable, le juge au criminel,
le très charitable à un cœur rongé d'envie, la voie,
la vérité et la vie à un égaré, à un menteur et
à un mortel, en somme le Tout-Puissant à la fai-
blesse et à rinlirmité? L'àme doit considérer en
silence ces oppositions et s'écrier sans bruit au
fond d'elle-même : D'où vient ceci ? Quelle grande
merveille! Les cieux ne peuvent vous contenir et
vous vous enfermez dans mon étroite poitrine ! O
grandeur et majesté infinies ! Oh ! la gloire du
ciel et de la terre 1 Que iaites-vous ?
Ensuite il faut passer au second acte, qui est le
remercîment pour un si grand bienfait; il faut con-
sidérer brièvement la grandeur de ce don, son uti-
lité, le grand amour avec lequel Dieu s'est donné,
avec quelle grande facilité et que de fois il se
donne, et encore combien nous sommes petits et
ravalés pour être ainsi favorisés; ce sont là autant
de considérations qui animent notre acte de recon-
naissance. Dans ces pensées l'àme dira donc : O
vous, so3'ez béni et loué par tous les Anges et par
tous les esprits du monde pour cette inestimable
faveur que je reçois, en même temps que je suis
accablé par tant d'autres dettes. O mon bon Sei-
gneur et Maître, que d'obligations indicibles j'ai à
votre égard pour votre excès d'amour pour moi ! O
Dieu souverain de mon cœur! Oh! que n'ai-je
tous les cœurs du monde, pour vous rendre des
actions de grâces qui répondent en quelque sorte à
Bail, t. ix. 31
''322 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
la grandeur et à la qualité de ce bienfait ? Que
pourrai-je vous rendre et vous offrir en reconnais-
sance de l'obligation que j'ai envers vous ?
Ici il faudra passer au troisième acte qui est
l'offrande de Jésus-Christ et de toutes ses vertus
et mérites au Père éternel. On peut le faire en
disant : O Père suprême et adorable, de qui vient
tout don parfait et tout présent excellent, je n'ai
de moi-même que misère et pauvreté, je ne suis
qu'un vase d'immondice et ne connais rien en moi
qui mérite de vous être offert. Mais maintenant
que mon doux Jésus s'est donné à moi, je ne veux
point perdre cette occasion, je vous offre et vous
présente ce Sauveur, en reconnaissance de mon
obligation, je vous oifre sa charité éminente, son
zèle ardent, ses souffrances très amères et tous les
mérites de sa vie immaculée. O Père très saint,
acceptez cette offrande !
Il faudra ensuite pratiquer le quatrième acte,
qui est l'offrande de soi-même et de toutes ses
puissances à Jésus-Christ. Car de même que lors-
qu'un roi entre dans une ville, tous les Etats et
tous les magistrats de cette ville viennent le saluer
et lui offrir leurs services ; ainsi quand Jésus-
Christ est entré en nous, il faut que toutes nos
puissances se présentent devant lui et que chacune
produise en son honneur un acte de vertu qui lui
soit propre et qui soit agréable à Jésus-Christ à
qui nous devons en faire hommage. C'est ainsi
que nous dirons à notre intelligence, à notre
volonté et aux autres facultés : « Vene^y adorons-
« le et prosternons-nous devant lui » (Ps. 94).
Puis il faudra que nous produisions sur le champ
DES SACREMENTS 323
un acte de foi par notre intelligence, un acte
d'amour, de complaisance ou de bienveillance par
notre volonté ; il faudra que notre mémoire se
ressouvienne de sa Passion, que notre appétit
concupiscible et notre appétit irascible se sou--
mettent de manière à être modérés dans leurs
passions. On pourra aussi par un acte de Timagi-
nation appliquer ses cinq sens extérieurs à Jésus-
Christ ; on se représentera qu'on le voit avec son
maintien incomparable, qu'on entend sa voix re-
tentir avec douceur, et proférer des paroles de vie,
que Ton sent sa suave odeur, que Ton goûte sa
douceur, qu'on embrasse humblement ses pieds.
Puis viendra le cinquième acte qui est la décla-
ration de ses besoins spirituels. L'àme lui exposera
naïvement l'état de son intérieur, ses chutes plus
ordinaires, ses tentations plus fréquentes, le peu
d'énergie avec lequel elle leur résiste, et les vertus
dont elle reconnaît avoir le plus de besoin.
Après quoi elle lui fera des demandes, ce qui
est le sixième acte. Elle le priera de remédier à ses
misères, de rendre la présente communion fruc-
tueuse et utile en opérant ce pourquoi il est des-
cendu, de lui donner la grâce de ne jamais plus
l'offenser, le don de persévérance, la réalisation de
ses bons desseins, la grâce d'accomplir ce qui lui
est agréable. Puis se souvenant de son prochain,
elle pourra aussi demander pour lui ce qui lui
sera le plus nécessaire dans les diverses occur-
rences. Ce point est de grande importance, car
dans ce moment où Jésus-Christ est présent en
nous, nous avons sujet d'avoir grande confiance
qu'il exaucera nos prières, principalement si nous
324 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
l'avons reçu avec une grande dévotion. Il est en
effet à présumer qu'il voudra assister une àme qui
lui aura fait un bon accueil et une réception hono-
rable et qu'il ne permettra pas que son voyage et
sa visite lui soient inutiles.
Après ces six actes, on pourra finalement se
jeter sur le septième, qui est la glorification de la
bonté de Jésus-Christ. L'àme lui représentera
doucement toutes les actions de sa vie et lui dira :
O mon Seigneur, qui pourrait vous louer assez
hautement pour tout ce que vous avez fait par
amour pour moi dans le passé ? Car pour moi vous
n'avez pas eu horreur de passer neuf mois dans le
sein de la Vierge, puis vous êtes né dans une
étable au cœur de l'hiver, le huitième jour vous
avez été circoncis, vous avez vécu trente-trois ans
sur la terre, partageant les misères humaines,
fuyant, persécuté, haï, contredit et finalement
vous avez souffert la mort sur la croix. Vous avez
fait ces choses, ô mon doux Seigneur, par amour
pour moi. Vous ne vous êtes point encore arrêté
là, vous avez fondé et conservé l'Eglise jusqu'à
présent, cette Eglise à laquelle je suis appelé par
votre miséricorde, pour y opérer mon salut. Vous
m'avez fait participer aux sacrements, et surtout
au sacrement précieux, que vous m'avez donné
tant de fois, notamment aujourd'hui. O mon
doux Jésus, que votre bonté est ravissante! Oh !
quel Chérubin, quel Séraphin vous donnera assez
de gloire ? « Oh ! toides les œuvres du Seigneur,
« bénisse^ Je Seigneur, louc^-Ie et exalte^-le à
« jamais » (Dan. 3). — « Mon âme glorifie le
DES SACREMENTS $25
« Seigneur^ parce que celui qui est puissant a
vi fait en moi de grandes choses. » (Luc, i).
Efforcez-vous de retenir dans votre mémoire les
sept actes de cet entretien, afin de le pratiquer
fidèlement, ou en tout ou en partie, dans vos pro-
chaines communions. Soyez confus vous-même
à la pensée que vous avez peut-être bien l'adresse
d'entretenir la conversation et de passer le temps
avec les personnes du monde qui vous visitent, et
que vous manquez de sainte et honnête civilité
pour vous entretenir un quart d'heure avec Jésus-
Christ, qui vous visite avec un si grand amour
dans votre communion. Demandez-lui pardon de
votre rusticité, et, pour l'avenir, la grâce de mieux
communier.
lïl
Considérez encore trois conseils que donnent
les directeurs de la vie spirituelle, comme devant
être mis en pratique après cet entretien.
Le premier conseil est d'augmenter ses dévo-
tions et ses prières pendant le quart d'heure qui
suit la communion; car, après ce temps, les espèces
s'étant vraisemblablement consommées dans l'es-
tomac sous l'action de la chaleur naturelle, Jésus-
Christ cesse d'y être plus longtemps présent. Il
ne s'en va pas, il est vrai, par un changement de
lieu, mais il cesse d'être plus longtemps présent par
une simple cessation d'être ; ainsi quand on coupe
un bras à un homme, l'âme n'est plus présente
dans le bras coupé, non parce qu'elle se retire
ailleurs, mais simplement parce qu'elle cesse
326 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
d'être là. Le philosophe Sénèque (i) dit que nous
ne souhaitons jamais si ardemment les choses
que lorsque nous sommes sur le point d'en être
privés. Les fruits, dit-il, ne sont jamais si agréables
que quand la saison s'en va. L'enfance ne paraît
jamais si belle, que lorsqu'elle s'en va. Tout ce que
la volupté a de plus délectable, elle le réserve
pour la fin, et la vie même nous plaît davantage
quand elle penche vers la mort. S'il en est ainsi
des choses de peu d'importance, à combien plus
forte raison Jésus-Christ doit-il nous sembler ai-
mable et digne d'être retenu et embrassé, lorsqu'il
va nous quitter. Aussi c'est un point très digne de
considération que, de même qu'en sortant de ce
monde il témoigna un plus grand amour à ses
Apôtres, « ayant aimé les siens qui étaient dans
« ce monde, illes aimajusqu'àla fin » (Jean, i3);
de même à ce moment où il cesse d'être dans le
corps qui l'a reçu, il montre un plus grand amour,
que peut-être durant toute sa vie et même au
moment de sa mort sur la croix ; car alors il
n'abandonna qu'une vie souffrante et douloureuse
et encore la vie misérable d'un corps passible, et
non la vie bienheureuse de son âme immortelle.
Mais ici il cesse d'être respectivement dans nos
corps, sa vie bienheureuse aussi respectivement
cesse d'être, et ainsi d'une certaine manière par
cessation d'être, il perd, pour s'être donné à man-
ger, une vie bienheureuse et telle qu'il la possède
dans la gloire. Car, quoiqu'il demeure toujours
vivant à la droite de Dieu, son Père, il ne laisse
I. Epist. 22. « Graiissima sunt poma, ciim fugiunt . »
DES SACREMENTS 827
pas de cesser véritablement d'être, quand les es-
pèces se consomment. Cette vérité mérite une
plus exacte discussion de notre part, et de la part
des âmes chrétiennes l'acte d'amour le plus en-
flammé dont elles soient capables. C'est pour-
quoi plusieurs redoublent alors de ferveur dans
leur dévotion ; ils disent tantôt comme les deux
disciples, à qui il était apparu sous les dehors d'un
pèlerin : « Demeure^ avec nous, Seigneur, car il
« serait tard » (Luc, 24) ; tantôt comme autrefois
Jacob qui luttait avec l'ange pour figurer l'oraison :
« Je ne vous laisserai pas aller, que vous ne
« m'aye^ héni » (Gen. 32).
Le second conseil est de se souvenir de temps
en temps pendant la journée, de la communion.
Pensons, dit saint Jean Chrysostome (i), à l'action
dont nous avons été rendus dignes, et qu'une telle
pensée serve de frein à nos mouvements déréglés.
Le troisième conseil est de donner toujours
quelque chose à Jésus-Christ pour chaque com-
munion que l'on fait ; par exemple on se mortifie-
rait ce jour-là en se privant de quelque passe-
temps permis, on garderait un silence plus rigou-
reux, on ferait une visite au Saint-Sacrement dans
l'après-midi, en se rendant à quelque église, on
exercerait quelque œuvre de miséricorde tempo-
relle ou spirituelle, on ferait ses actions ordinaires
avec une plus grande pureté d'intention et plus
parfaitement (2).
I. Homil. 61 ad popul. Antioch.
I. Voyez l'ornement intérieur dans la Philosophie
AFFECTIVE.
328 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Je me souviendrai de ces trois conseils qui ne
tendent qu'à faire traiter le Fils de Dieu dans son
Eucharistie, d'une manière plus convenable et
plus honorable. O Jésus, toute la gloire de mon
âme ! Oh ! combien il est juste et équitable que
nous ayons de tels sentiments et une telle recon-
naissance pour les merveilles d'amour que vous
opérez continuellement dans ce mystère. Oh !
faites, par votre miséricorde et par votre bénédic-
tion, que toutes les âmes écoutent et pratiquent
volontairement, et que, lorsque vous cessez d'être
en elles sacramentellement, votre grâce y de-
meure, ainsi que votre charité brûlante et le sou-
venir de votre inconcevable amour.
XVr MÉDITATION
DE LA FRÉQUENTE COMMUNION
SOMMAIRE :
Généralement parlant, on doit conseiller la com-
munion fréquente. — Ordinairement la com-
munion ne doit pas être quotidienne. — Règles
à observer pour la communion fréquente.
I
CONSIDÉREZ que généralement parlant, il vaut
mieux communier souvent que rarement.
La fréquente communion est en soi meilleure,
DES SACREMENTS ?>2g
doit être souhaitée et conseillée davantage, prê-
chée et recommandée davantage par les Théolo-
giens que la communion rare (i). La communion
fréquente est un effet de la ferveur de dévotion et
de Tamour divin, tandis que la communion plus
rare est la conséquence de la paresse et de la tié-
deur, ou bien de la crainte de ne pas en être
digne. Or ce qui provient de la charité et de la
dévotion est ordinairement plus excellent en soi
et l'emporte sur ce qui provient de la paresse, de
la tiédeur et de la crainte ; ainsi les fruits d'un
meilleur arbre sont plus savoureux et les eaux
d'une meilleure source sont plus salutaires. De
plus la communion fréquente cause une plus
grande abondance de grâces que la communion
plus rare, toutes choses égales de la part de ceux
qui communient. Or il vaut mieux qu'un chrétien
choisisse ce qui peut le faire croître davantage en
grâce; car, si pour le temporel on préfère les actes
les plus lucratifs, à combien plus forte raison doit-
on estimer davantage ce qui apporte un plus grand
profit spirituel et augmente les trésors de la grâce.
Ajoutons que ce sacrement est l'aliment spirituel
des âmes ; il les nourrit, les fortifie et les sustente,
c'est le nerf de la piété, la pointe de notre vigueur
spirituelle, le soutien de la dévotion. De même
donc que le corps souffre, quand il est trop long-
I. Trt'd. sess. 22, ch. 2,/avei huic sententiœ. (Note de
l'auteur). Citons ce texte qu'il importe de retenir :
« Le saint Concile désirerait qu'à chaque messe célébrée
« les fidèles présents fissent la communion non seulement
« spirituelle, mais encore sacramentelle, afin de recueillir
« par là le fruit de ce sacrifice avec plus d'abondance. »
LA THEOLOGIE AFFECTIVE
temps privé de sa nourriture, de même souffrira
une àme qui demeurera longtemps, sans recevoir
cette nourriture. Autre raison : l'Eucharistie est
un sacrement d'unité, il unit l'àme à Dieu par
amour et par dévotion. Par conséquent l'homme
sera d'autant plus uni à Dieu qu'il communiera
plus souvent.
Outre ces raisons on n'a pas de peine à consta-
ter ce que nous montre l'expérience, k savoir que
ceux qui communient souvent, sont ordinairement
beaucoup plus éloignés du péché que ceux qui ne
communient que de loin en loin. Les plus grands
Saints du paradis ne seront pas ceux qui dans la
religion chrétienne n'auront communié qu'une fois
l'an, ou même plus rarement, et c'est là une mar-
que que la communion fréquente est un acte de
plus haute vertu et qu'elle est plus efficace pour
la sainteté. En effet celui qui communie souvent
examine plus fréquemment sa conscience, implore
davantage la miséricorde de Dieu, se confesse et
satisfait pour ses péchés par de bonnes œuvres :
toutes choses qui augmentent beaucoup la perfec-
tion et la pureté des âmes. Enfin la sainte com-
munion renferme la pratique de plusieurs actes
des vertus théologales et des vertus cardinales. On
y exerce la foi, l'espérance et la charité, on y
adore Dieu, on s'humilie devant lui et on se
donne à lui. Pour ce motif la communion est très
agréable à Dieu, elle réjouit les Saints et les Anges
du paradis, qui prennent plaisir à voir pratiquer
ces vertus. Or si une communion a tant d'avan-
tages, plus elle sera renouvelée, plus les avan-
tages augmenteront. C'est ainsi que la commu-
DES SACREMENTS 33l
nion iVcquente est meilleure, à ne considérer la
chose que d'une manière générale et en elle-même.
Il faut donc aspirer à la communion fréquente
et en avoir des désirs entiammés. Il faut donc
regretter que les mondains communient si rare-
ment et se privent des avantages qui se trouvent
dans l'usage plus fréquent de cet auguste sacre-
ment. Il faut imiter le zèle d'une àme bienheu-
reuse (i) qui ne pouvait supporter la négligence
des chrétiens à recevoir ce sacrement. O amour,
amour, disait-elle, comme vous êtes peu connu et
aimé ! Si vous ne trouvez pas où vous reposer,
venez en moi, et je vous recevrai. O âmes créées
pour l'amour, pourquoi n'aimez-vous pas l'amour?
Vous me faites mourir toute vivante, ô amour, à
cause de la peine que j'ai et du regret qui me
ronge, en voj'ant que vous êtes si peu connu, si
peu reçu et si peu aimé.
II
Considérez que cette communion ne doit pas
être si fréquente qu'elle soit journalière, si ce n'est
pour certaines personnes d'une pureté extraordi-
naire et éprouvée par une longue expérience, à
qui la communion quotidienne pourrait être utile-
ment conseillée (2). Cette considération est néces-
saire pour renfermer dans les limites de la pru-
1. B. Madeleine de Pazzi.
2. L'auteur met en note : Omnibus quoiidianam com-
nninionem siiadet Vincentius Ma{illa, in Memoriali et
Joanncs SancJiius in Select, disp. 22. — Contra est
commiuiis scolasiicoriun Doctorum consensus, quos refert
et sequitnr card. de Lugo, De Euchar. disp. 17.
332 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dence le zèle qui se porte à Textrémité, et qui
conclut des raisons qui portent à la communion
fréquente, qu'elle doit se faire tous les jours,
quand on n'y met pas l'empêchement du péché
mortel. Cette conclusion n'est pas approuvée par
le Docteur angélique (i), car raisonnant sur l'im-
portant sujet de l'usage de ce sacrement, il dit
que l'on peut y considérer deux choses : l'une du
côté du sacrement, dont la vertu est très salutaire
aux hommes, et de ce côté il serait utile de com-
munier tous les jours ; l'autre du côté de celui qui
communie et en qui est requise une grande dévo-
tion en vue de ce sacrement. Mais comme dans la
plupart des hommes il y a plusieurs empêchements
à cette dévotion, par le fait de l'indisposition du
corps ou de l'âme, il n'est pas utile à tous les
hommes de s'approcher tous les jours de la com-
munion. Et véritablement s'il était plus utile de
communier tous les jours, tout au moins les fon-
dateurs d'ordres religieux, tels que saint Bruno,
saint Dominique, saint François et les autres, qui
étaient conduits par l'Esprit de Dieu et qui avaient
un grand zèle pour les religieux voués à Dieu dans
leurs Ordres, auraient fait quelque règle ou con-
sacré quelque article à la communion quotidienne
et l'eussent fait approuver par le Saint-Siège. Or
ils se sont contentés d'obliger leurs religieux à
communier les uns une fois par mois, les autres
une fois par semaine ; ce qui est une marque
assez évidente qu'ils n'ont pas jugé la chose con-
I. D. Thom. q. 80, art. 10 : « Non est utile omnibus
« quotidie accipere. »
DES SACREMENTS 333
venablc même aux personnes religieuses, à plus
forte raison à celles qui vivent dans le monde. De
plus la même raison qui prouve qu'il serait plus
utile de communier chaque jour, prouve qu'il
serait aussi plus utile de communier plusieurs foisle
jour. Or c'est une chose que l'Eglise ne permet
pas, parce qu'il s'ensuivrait de là un notable mépris
de ce sacrement. Il est vraisemblable que le même
inconvénient se produirait bientôt, si la communion
quotidienne était en usage indifféremment parmi
toutes sortes de personnes, car à cause de la cor-
ruption de la nature humaine, il n'y a rien de
saint qui ne devienne moins respecté, par suite
d'un trop commun usage (i). Or il est à considé-
rer que l'Eglise a de tout temps été fort exacte à
supprimer les coutumes qui semblaient préjudi-
cier au grand respect dû à ce sacrement, alors
même que de telles coutumes paraissaient utiles
pour l'augmentation de la grâce parmi les chré-
tiens. Ainsi a été abolie la coutume de verser dans
la bouche d'un enfant nouvellement baptisé quel-
ques gouttes du sang de Jésus-Christ, qu'on lui
faisait prendre, parce qu'il n'était pas capable
d'avaler l'hostie (2). Ainsi en est-il de la coutume
de donner aux enfants de deux ou trois ans les
restes du pain consacré ou des hosties, pourvu
qu'ils fussent à jeun (3). Pour la même raison la
coupe a été supprimée aux laïques, car il y avait
danger de répandre le sang. Egalement la coutume
1. Joan. Carmel. Relect. de arteviv. spir. p. 3, c. 4.
2. Bellarm. 1. 4. De sacram. Eiich. c, 16.
3. Nicephorus, Hist. écoles. 1. 17, c. 2^.
0J4 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
qu'avaient les chrétiens d'emporter l'Eucharistie
dans leurs maisons pour se l'administrer eux-
mêmes a été supprimée (i). Or il en serait de
même de la communion, si elle était journalière.
Comme la trop grande familiarité engendre le
mépris, Jésus-Christ serait traité avec moins de
respect par plusieurs. Et quand bien même quel-
ques particuliers se comporteraient convenable-
ment, néanmoins l'Eglise le désapprouverait. Car
sollicitée par deux grands désirs : l'un de conserver
à Jésus-Chsist tous ses droits et toutes les préro-
gatives d'honneur et de respect qui lui sont dues ;
l'autre de voir les chrétiens abonder en grâce, si
elle voyait que ces choses fussent incompatibles,
elle aimerait mieux conserver le droit qu'a Jésus-
Christ d'être traité avec respect, que de voir les
chrétiens abonder en certains degrés de grâce, qui
ne leur seraient pas absolument nécessaires pour
le salut. C'est ainsi qu'elle en a usé dans la sup-
pression de la coupe et dans la défense de donner
ce sacrement aux enfants, ou de l'emporter chacun
dans sa maison. En effet il importe davantage de
sauvegarder le respect dû à Jésus-Christ, que de
procurer aux chrétiens une grâce surabondante et
non nécessaire au salut, d'autant plus que si Jésus-
Christ était traité irrévéremment, la peine en re-
tomberait sur la plupart des chrétiens, qui croyant
s'enrichir d'un côté, s'appauvriraient d'un autre
et tomberaient dans la disgrâce ds leur Dieu, pour
ne pas lui rendre le respect et l'amour qu'il méri-
terait et devrait recevoir.
I. In Concil. Basilien.St Basilius, epist. ad Cœsariam
Patritiam,
DES SACREMENTS 335
Si quelqu'un objecte que ces considérations n'ont
pas empêché les premiers chrétiens de communier
tous les jours, la réponse est facile. Cette coutume
n'était pratiquée que par les chrétiens de Jéru-
salem et d'Alexandrie, qui étaient d'une très
haute sainteté, comme étant prêts tous les jours
au martyre et à mourir pour Jésus-Christ, et dès
lors le manque de respect envers Jésus-Christ
n'était pas à craindre. Mais leur exemple ne
prouve rien pour les chrétiens de ce temps, qui
ont à peine l'ombre de leurs vertus. Ce serait
bien s'ils étaient aussi saints aujourd'hui qu'alors.
C'est pourquoi le Docteur séraphique (i) traitant
cette question la tranche ainsi : Il faut dire que si
quelqu'un constate qu'il est dans un état sembla-
ble à celui des chrétiens de la primitive Eglise, il
est à louer, s'il communie tous les jours ; s'il est
dans Tétat de l'Eglise finissante, à savoir froid et
languissant, qu'il communie rarement ; s'il est
entre les deux, il doit s'abstenir quelquefois de
communier, afin d'apprendre le respect dû à ce
sacrement, et -il doit quelquefois s'en approcher,
pour apprendre l'amour, car à un tel hôte nous
devons l'honneur et l'amour (2).
D'où il faut conclure que le respect dû à Jésus-
Christ, ne pouvant se conserver dans l'état de
nature déchue, où la familiarité cause souvent le
mépris, la communion quotidienne ne peut être
1. L. 4, Sent. dist. 12, art. 2, q. 2.
2. « Oicia tali hospiti debeiur îwnor , debetiir et
« amor. »
336 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
conseillée indistinctement à toutes sortes de per-
sonnes.
J'apprendrai par cette conclusion combien est.
important le respect dû à Jésus-Christ dans le
Saint-Sacrement de l'autel, de la part de tous les
fidèles, puisque à cause de ce respect il vaut mieux
qu'ils se privent pendant plusieurs jours d'un
moyen qui augmenterait probablement leur grâce
et ensuite leur gloire. O respect dû à Jésus-
Christ, que vous devez être bien pesé et mûre-
ment considéré par les hommes ! O Jésus-Christ,
mon Seigneur, soyez donc à jamais béni, adoré et
glorifié comme vous le méritez, dans le Saint-
Sacrement. Si pour ce motif nous devons accepter
la privation de quelque degré de plus de grâce et
de gloire, à combien plus forte raison nous de-
vrions nous priver des grandeurs et des biens de
la terre, pour maintenir votre honneur et le culte
de latrie qui vous appartient ! O Seigneur très
adorable, que n'avons-nous donc les sentiments
que nous devrions avoir de votre souveraine
grandeur, de votre bonté immense et de votre
amour incomparable? Oh! il est juste. Roi de
majesté, que, par respect, l'Eglise s'anéantisse en
votre sainte présence, et que toutes les âmes vous
adorent. Oh ! je m'unis de cœur et d'affection à
toutes celles qui reconnaissent votre grandeur en
vous adorant. Oh ! si je pouvais, moi seul, vous
adorer aussi profondément qu'elles vous adorent
toutes ensemble !
DES SACREMENTS SBy
III
Considérez quelle doit être la règle qu'il faut
observer pour la communion fréquente. Cette
règle est difficile à établir pour tous les cas ; il faut
peser les circonstances pour l'établir prudemment.
Néanmoins si tous les confesseurs et directeurs de
conscience avaient les mêmes sentiments touchant
le grand respect dû au sacrement et l'utilité des
âmes, toutes choses mûrement pesées, il suffirait
d'assigner pour règle de la fréquente communion
la prudence du confesseur. Mais tous ne sont pas
d'accord sur ce sujet controversé, sur lequel nous
avons écrit autre part plusieurs choses que nous ne
voulons pas répéter (i). De plus, il n'est nullement
ici question de ceux qui demeurent dans l'affec-
tion au péché mortel ou dans l'occasion prochaine
de le commettre, alors qu'ils pourraient l'éviter.
De telles personnes ne doivent s'approcher de cette
table qu'après une véritable conversion. Il n'est
pas question davantage des religieux qui ne peu-
vent mieux faire que de suivre sur ce point leurs
règles et leurs constitutions, sans vouloir se sin-
gulariser et troubler l'ordre de leur communauté.
Nous parlons donc des autres chrétiens et nous
disons qu'il serait à souhaiter, en tenant compte
du prudent et sage avis du confesseur, qu'il ne
faut jamais négliger, que le temps ordinaire de
leurs communions fût de huit jours en huit jours,
ou de mois en mois, selon les occupations des per-
sonnes et le bon désir qu'elles auraient de la
communion. Ce temps, en effet, semble être celui
I. In Examine pœnii. quœsito 98, edit. 2 et 3.
Bail, t. ix. »3
338 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
qui convient pour sauvegarder à la fois le respect
et l'amour dus au Saint-Sacrement, comme aussi
pour s'y disposer suffisamment eu égard à l'infir-
mité humaine. Il semble peu utile de différer
davantage la communion pour les âmes qui en ont
un bon désir. Car comme la privation de la sainte
communion n'est pas un être réel et positif, mais
un défaut d'être, comme elle n'est pas un acte de
vertu, on ne voit pas bien à quoi ce non-être ou
cette privation pourrait être élevée pour devenir
utile au salut des âmes (i). Si quelques supérieurs
veulent l'imposer pour mortifier leurs inférieurs,
en les privant du bien qu'ils désirent, ils devraient
penser que ce n'est pas une bonne mortification de
priver une âme d'un grand bien ou d'une grande
vertu qu'elle désire, mais plutôt de la priver du
mal ou de la chose inutile qu'elle désirerait. Or
la communion n'est pas un mal, ni une chose inu-
tile, mais elle est un très grand bien, dont Sainte
Claire (2) disait, quand elle l'avait reçue, que Dieu
lui avait fait le plus grand bien du monde. En
conséquence quelques Docteurs estiment que la
privation de la sainte communion n'est pas un objet
légitime de mortification, pour qu'on puisse l'im-
poser, sans autre dessein que de faire accomplir
un acte de mortification. C'est pourquoi l'inten-
tion que l'on devrait avoir en différant la commu-
nion à quelques-uns, devrait être ou de les obliger
à penser plus sérieusement à corriger leurs habi-
tudes vicieuses, — car le délai de la communion
1, Joan. Sanchius in Selectis, disp. 33, n. 21.
2. Refert Vuadingus, in Annal, min, t. 2. anno 1251.
DES SACREMENTS .').')()
pour quelques jours seulement, fait souvent ren-
trer une àme en soi-même de manière à mériter
par son amendement à être admise de nouveau à
la participation de TEucharistie, — ou de leur
donner du temps pour se préparer suffisamment
à la recevoir comme il convient. Or comme il y a
peu de personnes, si on en excepte celles qui con-
servent la volonté et l'occasion de pécher, à qui
huit jours ou un mois ne soient suffisants pour
songer à s'amender ou à se préparer, en supposant
qu'elles en aient le désir, il n'est pas utile d'im-
poser un plus long retard. A cela se rapporte ce
que nous lisons sur Sainte Gertrude (i). Etant un
jour en prières pour une certaine vierge de sa Con-
grégation, qui poussée par un zèle sévère, rendait
les autres sœurs craintives et les éloignait de la
fréquente communion, qui pouvait être d'une ou
deux fois par semaine, elle entendit Notre-Seigneur
lai dire : puisque mes délices sont d'être avec les
enfants des hommes et qu'à cause de ma souve-
raine charité, j'ai laissé ce sacrement à mes fidè-
les qui le recevraient en mémoire de moi, puisque
je veux demeurer avec eux par ce sacrement jus-
qu'à la fin du monde, quiconque par parole ou par
insinuation détourne quelques-uns de ceux qui
sont exempts de péché mortel de me recevoir,
celui-là empêche et interrompt d'une certaine
manière mes délices, que je pourrais goûter avec
I. L. 3. Divin, insin. c. 78. — Blosius in Monili spir.
c. 6, edit. Antuerp. an. 1564 et Paris, an. 1622, in qui-
biis non est : Sed communicat digne, ut citât Perliniis in
Sacro convivio. (Note de l'auteur).
340 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
eux(i). Il est semblable à un certain précepteur
de fils de roi, qui sous prétexte qu'il serait plus
convenable pour son élève d'être traité en roi qae
de jouer à la balle avec quelques pauvres garçons
de son âge, dans la compagnie desquels il se plai-
rait beaucoup, les repousserait rudement loin de
son élève. Toutefois, ajouta Dieu, si quelqu'un se
proposait de se corriger à l'avenir de cette sévérité,
non seulement je lui pardonnerais, mais ce chan-
gement me serait aussi agréable que le serait au
fils de ce roi, la détermination de son précepteur
qui, rassénérant son front et son visage, lui ramè-
nerait ses bien-aimés compagnons pour jouer avec
lui. Si on veut raisonner en alléguant la parité de
raison pour un retard de quelques mois et un re-
tard de quelques jours, ce serait admissible pour
qui considère les choses physiquement et non
moralement, comme ici où ce qui est peu est con-
sidéré comme n'étant rien. C'est pourquoi la pru-
dence et la fidélité à Dieu, que doit observer le
confesseur, qui est « le fidèle et prudent dispen-
n sateur que Dieu a établi sur sa famille, pour
« donner en son temps la mesure de froment aux
« serviteurs ». (Luc, 12), cette prudence, dis-je,
et cette fidélité ne consistent pas à trop exagérer
les dispositions requises pour la sainte commu-
nion, ni à exercer un empire absolu sur certaines
âmes simples qui s'accusent de leurs péchés et
proposent de s'en amender, en les privant pendant
plusieurs mois du souverain bien, à la réception
I. « Is quodammodo impedit et interrumpit delicias
m eus ».
DES SACREMENTS :>.\l
duquel il devrait les exciter, au lieu de les détourner
sous prétexte d'un plus grand respect. Supporte-
raient-ils qu'on exerçât sur eux un tel empire et
qu'on les privât de célébrer pendant plusieurs
semaines, malgré leur dévotion ? Ils allégueraient
aussitôt Saint Paul qui dit : « Que Thomme
« s éprouve lui-même^ et^ qu ainsi éprouvé, il
« mange ce pain » (i Cor. ii) ; c'est-à-dire qu'il
se confesse et qu'après il communie ; car Saint
Paul ne déclare pas seulement que la confession
est requise pour ne point faire de sacrilège, mais
aussi qu'après la confession on peut librement
communier ; « et^ qu^ ainsi éprouvé par la confes-
« sion, il mange de ce pain ». Par conséquent,
cette prudence et cette fidélité consistent plutôt à
sevrer de la communion les endurcis et les obsti-
nés, qui se confessent sans volonté ferme de
s'amender, ou sans quitter l'occasion du péché
mortel, ainsi que l'Eglise excommunie et prive des
sacrements les pécheurs obstinés, aussi longtemps
que dure leur obstination. Cette prudence et cette
fidélité consistent à la défendre à ceux qui retien-
nent le bien d'autrui, sans le restituer, quoiqu'ils
puissent le faire, à ceux qui nourrissent l'esprit
de vengeance et à quiconque est incapable de
l'absolution. Quant aux autres qui ont l'esprit
soumis et contrit, qu'est-il besoin d'être plus
sévère à leur endroit que Jésus-Christ même ? Ne
s'est-il pas mis dans l'Eucharistie pour se donner
libéralement sous le voile des accidents, comme
gage et comme preuve de la volonté qu'il a de se
donner à voir face à face dans l'état de sa gloire ?
Si bien que c'est même fidélité et prudence de
342 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
conseiller à certains chrétiens de communier plu-
sieurs fois la semaine, parce que leur vie dans le
monde n'est pas moins pure que celle de plusieurs
autres dans l'état religieux. On ne peut donc
donner au sujet de la fréquente communion une
règle telle qu'elle puisse être universelle et s'ap-
pliquer à tout le monde (i).
I, De nos jours, les moralistes et les auteurs qui trai-
tent de la vie spirituelle insistent beaucoup moins sur
le respect auquel une communion fréquente pourrait
nuire, et beaucoup plus sur la nécessité de commu-
nier, pour résister à la violence des passions ; ils prou-
vent par l'autorité des Pères que l'Eucharistie est beau-
coup moins une récompense accordée à la vertu, qu'une
arme de combat, i) S'agit-il de la communion tous
les huit jours, qui n'est pas proprement une commu-
nion fréquente, ils soutiennent avec Saint Liguori,
qu'on peut la permettre aux personnes qui, étant en
état de grâce, commettent des péchés véniels d'habi-
tude ou avec préméditation ; parce qu'il n'existe au-
cune loi qui défende de communier quand on con-
serve l'affection au péché véniel et que cette affection,
comme l'enseigne Saint Thomas (Sum. theol, m. p. q.
79, art. 8), n'empêche pas le sacrement de produire
dans l'âme un accroissement de grâce et de charité
habituelle. 2) S'agit-il de la communion que Saint
Liguori et les autres appellent communément la com-
munion fréquente, c'est-à-dire de celle qui a lieu plu-
sieurs fois la semaine, on peut la conseiller aux chré-
tiens qui, quoique faibles et commettant même de loin
en loin quelques fautes de propos délibéré, ont le désir
de remplir de leur mieux leurs devoirs de bons chré-
tiens. 3) Pour ce qui est de la communion quotidienne
on doit la permettre à tous ceux qui ont vaincu leurs
DES SACREMENTS 343
Inspirez donc, ô mon Dieu, inspirez à tous les
fidèles de s'approcher plus souvent de votre trône
sacré et de vos autels, afin qu'ils aient le bonheur
de vous y posséder plus souvent et d'y goûter
spirituellement la douceur dans sa source. Vous
êtes, ô Jésus, vous êtes dans cet auguste sacre-
ment, tout l'honneur, toutes les délices, toutes
les richesses du monde et sans vous tout est pauvre
ici-bas. Vous y êtes l'unique refuge, la consola-
tion, l'asile de toutes les âmes affligées ; vous y
êtes la paix et la paix profonde des âmes que le
trouble agite. Vous y donnez toutes les consola-
tions et toutes les instructions nécessaires aux
âmes, et devant vous on se sent tout remis de ses
plus grandes angoisses et tout apaisé. Oh ! malheu-
reux ceux qui se privent si longtemps de vous !
Oh ! malheureux ceux qui autorisent cette cruelle
privation ! O Seigneur, inspirez aux pasteurs et
aux prêtres de votre Eglise de suivre toujours votre
esprit, esprit de douceur et de toute bonté, afin
que, grâce à une entente commune, la sainte com-
munion soit plus fréquente dans l'Eglise.
passions et qui ne conservant aucune affection au
péché véniel, s'efforcent de tendre à la perfection. (Saint
Alphonse de Liguori^ Praxis confessarii, n. 149, 150,
153, 130).
344 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XVir MÉDITATION
DU SACRIFICE DE L'EUCHARISTIE
SOMMAIRE
La consécration du pain et du vin est le véritable
sacrifice de la loi chrétienne. — Nécessité
d'avoir un tel sacrifice dans lequel la victime
soit Jésus-Christ. — Efficacité du sacrifice de
V Eucharistie pour obtenir un grand nombre
de biens.
I
CONSIDÉREZ que la consécration du pain et du
vin par la vertu des paroles sacramentelles :
« Ceci est mon corps, etc. », est le véritable sacri-
fice de la religion chrétienne. Pour comprendre
cette vérité, il faut premièrement supposer que
toute religion vraie doit avoir un sacrifice, parce
que la religion n'a d'autre but que d'honorer et
de reconnaître Dieu d'une façon très pure et très
sainte ; or Dieu n'est jamais mieux honoré et
reconnu dans sa grandeur que par le sacrifice.
C'est pourquoi la loi de nature et la loi de Moïse
ont eu leur sacrifice, et tous les hommes l'ont es-
timé si intime et si essentiel à la religion, qu'à
mesure qu'ils se sont créé quelque nouvelle reli-
gion, ils y ont toujours mis quelque sacrifice,
comme si elle ne pouvait subsister autrement. Si
bien que Saint Paul a jugé que l'union entre l'un
DES SACREMENTS S.jB
et Tautre est absolument indissoluble : « // est
« nécessaire^ dh-W^que le sacerdoce étant changé^
« et par conséquent le sacrifice, la loi, c'est-à-dire
« la religion, soit aussi changée. » (Héb. 7). En
effet le sacrifice est une oblation externe et publi-
que faite à Dieu en son honneur et en reconnais-
sance de son domaine suprême, par un prêtre
légitime, avec changement et destruction de la
chose qui est offerte. Afin de prévenir les scandales
et les manières différentes d'honorer Dieu, il faut
que le sacrifice soit ordonné par l'autorité publique,
ni plus ni moins que les lois qui gouvernent les
hommes. C'est pourquoi le sacrifice est une obla-
tion publique, qui ne dépend pas de la volonté ni
de l'humeur de chaque particulier. C'est aussi une
oblation extérieure, parce qu'elle a pour but de
témoigner et de faire paraître la souveraine excel-
lence de Dieu, sa puissance et sa grandeur infinie,
surtout cette grandeur infinie par laquelle il l'em-
porte sur tous les êtres, qui ne sont qu'un pur
néant auprès de lui et par laquelle il a le pouvoir
de vie et de mort. C'est pour indiquer ce pouvoir,
que la chose qui lui est offerte en sacrifice, est
transformée ou détruite, afin de dire tacitement
que la créature n'est rien devant lui, et c'est
en cela que le sacrifice se distingue de la simple
offrande faite à Dieu d'une chose, mais sans chan-
gement ni destruction, comme si quelqu'un don-
nait à l'Eglise quelque somme d'argent, quelque
tableau ou quelque vase précieux. Enfin cette
oblation doit être faite par un prêtre légitime; car,
dit Saint Paul, « personne ne doit s'arroger cet
« honneur^ mais celui qui est appelé de Dieu
346 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« comme Aar on. » (Hébr. 5). Le sacrifice étant en
effet un acte public de religion, il doit se faire par
une personne publique, qui ait pouvoir et auto-
rité.
Or ces conditions qui appartiennent au sacrifice,
se rencontrent dans la consécration du pain et du
vin, lorsqu'à la sainte messe le prêtre profère les
paroles sacramentelles, car il fait alors une obla-
tion externe à cause des paroles qu'il profère, et
en même temps une oblation publique, car elle est
ordonnée par Jésus-Christ, qui en a donné l'exem-
ple et le précepte dans la dernière cène de l'agneau
pascal, suivant le sens que les Pères (i) ont attribué
à ces paroles : « Faites ceci en mémoire de moi. »
(Matt. 26 ; Luc, 22.) La chose qui est offerte est le
corps et le sang de Jésus-Christ, qui se rendent
présents au moment où sont prononcées les paro-
les ; de plus le prêtre a l'intention de l'offrir à
Dieu, pour rendre hommage à son domaine absolu
et à sa grandeur suprême. Voilà pourquoi Jésus-
Christ, l'être le plus grand et le plus noble du
monde, y est réduit comme au néant, car il n'y
est que sous des espèces mortes et dans l'état
d'humiliation le plus inouï, et cela pour donner un
plus vif sentiment de la grandeur divine, pour
laquelle il se réduit à une forme si abjecte aux yeux
des sens et à une manière d'être si différente de
celle qu'il a dans le ciel où il règne. Les Pères con-
I. D. Dionys. De ecclesi. hierar. c. 3 ; Cyprian. epist.
63, ait: « Et sacriflcium Patri primus ohtulit et hoc fieri
in sut commemorationem prcBcepit. »
DES SACREMENTS 847
firment cette vérité, entre autres saint Irénée (i)qui
s'exprime ainsi : Jésus-Christ, en disant : « Ceci
est mon corps^ etc. », nous a fait connaître quelle
serait Toblation du Nouveau Testament, et cette
oblation que TEglise a reçue des apôtres, elle la
présente à tout le monde. Saint Irénée interprète
ensuite dans ce même sens ce que dit le prophète
Malachie : « Depuis V Orient jusqu'à F Occident,
« on m'offre une oblation ptire, on sacrifie en
« mon honneur en tout lieu, car mon nom est
« grand parmi les Gentils. » (Malach. i).
Déplorez l'aveuglement des hérétiques de ce
temps, qui veulent abolir le sacrifice de l'Eglise,
et empêcher ainsi qu'on honore Dieu. Ne sont-ils
pas pires que les nations du monde les plus barba-
res, qui éclairées de la seule lumière de la nature,
ont toujours estimé qu'il fallait honorer la divinité
par des sacrifices extérieurs. Ils sont pires que
Caïn, qui n'eut pas l'àme assez dépravée pour se
refuser absolument à rendre à Dieu ce devoir :
« Nous avons un autel, dit saint Paul, dont ceux
« qui servent au tabernacle n'ont pas le droit de
« manger. » (Héb. i3). Cet autel ne s'entend pas
de la croix, dont le fruit est commun aux Juifs et
aux Gentils, mais il s'entend de l'autel des églises
de Jésus-Christ, où est offert à Dieu le sacrifice
de son corps et de son sang précieux. Rendez
grâces à Dieu d'être dans une religion où il y a un
autel, comme il y en avait au temps de saint Paul,
et un sacrifice, pour y honorer la grandeur de
Dieu. Concevez de grandes espérances de cet au-
I. L. 4, c. 32.
348 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
tel et de ce sacrifice si noble et si excellent que
Jésus-Christ en est lui-même la victime.
II
Considérez combien nous était nécessaire un tel
sacrifice dont Jésus-Christ fut lui-même la victime
et la chose offerte en sacrifice. Quatre choses in-
finies exigeaient un sacrifice qui fut d'une valeur et
d'une excellence infinie, à savoir: Dieu qui est infini
en perfection, le péché qui est infini en malice,
la peine due au péché qui est encore infinie en
durée, parce qu'elle est éternelle et qu'elle ne doit
jamais finir, et enfin les biens de Dieu qui sont
encore infinis ; ces biens sont infinis, en effet, en
tant qu'ils aboutissent tous à une gloire infinie en
durée d'abord et puis à une gloire éternelle et infi-
nie au point de vue de son objet qui est Dieu
même, Dieu qui offre dans cette gloire la posses-
sion et la jouissance de lui-même (1). Ces quatre
choses demandaient un sacrifice ayant une victime
d'une valeur infinie, tel que celui de la messe,
dans lequel Jésus-Christ infiniment noble et ex-
cellent, tient lieu de victime. En effet la grandeur
infinie de Dieu mérite d'être honorée infiniment,
et elle requiert pour cela qu'un sacrifice d'une va-
leur infinie lui soit offert. Le péché, offense faite à
Dieu, a une malice infinie, et, à ce titre, il demande
un sacrifice d'une bonté infinie, afin que la malice
soit compensée exactement par la bonté. Il en est
de même de la peine due pour le péché ; cette
I. Dupont, au traité du sacrifice de la messe^ c. i,
parag. s.
DES SACREMENTS 849
peine étant d'une durée infinie, requiert une infi-
nité dans le sacrifice propitiatoire, qui doit la con-
trebalancer. Enfin les bienfaits de Dieu sont infinis;
donc le remercîment pour ces bienfaits doit être
infini, et par suite le sacrifice que l'on offre à Dieu
en action de grâces. Or comme toutes les créatu-
res sont bornées dans leurs perfections et que
Jésus-Christ est infini, parce que sa nature humaine
est unie à la personne du Verbe, nous avions
besoin d'un tel sacrifice, dont lui-même fut la vic-
time.
De plus on peut considérer que Jésus-Christ
est chargé de trois offices spirituels qui ont pour
but de procurer notre salut ; à savoir de l'office
de prêtre, de celui d'avocat et de celui de médecin.
Or pour pouvoir exercer ces divers offices, il doit
être présent dans le sacrifice de la loi chrétienne (i).
Car comme prêtre, il doit consacrer, appliquer à
Dieu et sanctifier les âmes en personne et par
son propre ministère. C'est pourquoi comme le
sacrifice de la messe a pour but la sanctification
des âmes, il lui appartient d'y être présent pour
y exercer fidèlement et par lui-même son office
sacerdotal. Dans le sacrifice il faut encore traiter
la cause et les affaires du peuple que l'on doit
mettre dans l'amitié de Dieu et pour qui on doit
obtenir les biens qui lui sont nécessaires. Or le
bon avocat doit être présent en personne, pour
plaider utilement la cause de son client et pour
intercéder pour lui. Ainsi il était convenable que
Jésus-Christ, le très fidèle avocat des hommes,
I. Guillel. Paris. De sacra. Euçh, c. 2.
35o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
auprès du Père éternel, intervint ici et fut pré-
sent au sacrifice. Egalement le bon médecin doit
visiter en personne son malade, quand Tintirmité
le presse et qu'il est besoin de lui donner des mé-
dicaments ; or le sacrifice est un médicament pré-
cieux pour traiter les maladies spirituelles des
âmes, soit pour les guérir, soit pour les prévenir.
Jésus-Christ donc, médecin très charitable et très
passionné pour leur santé et leur bon état intérieur,
les visite par lui-même dans le sacrifice.
De plus, S'il n'}'- était présent, les mains des
prêtres seraient vides ; car quand bien même les
hommes offriraient à Dieu toutes les richesses et
tous les trésors de la terre, ils n'offriraient rien en
réalité, parce que toutes ces choses sont comme un
néant devant lui et qu'il n'estime que son Fils
unique, Jésus-Christ, l'héritier de ses grandeurs,
pour qui toutes choses ont été créées. De là vient
qu'il est toute l'opulence et tout l'ornement des
temples et des églises, qui seraient pauvres sans
sa présence.
Admirez et louez hautement les desseins de
Dieu et sa suprême providence, dans ce grand et
inestimable sacrifice. Réjouissez-vous que, par la
dignité infinie de ce sacrifice, Dieu soit honoré en
proportion de sa grandeur, remercié en propor-
tion de ses bienfaits, et qu'il reçoive une satisfac-
tion proportionnée à Tinjure que lui a faite le
péché. Félicitez Jésus-Christ par qui ces choses si
grandes et si merveilleuses sont accomplies. Re-
connaissez la bonté et la fidélité de son amour à
votre égard : il se rend présent en personne pour
vous consacrer et vous sanctifier comme prêtre,
DES SACREMENTS • .'•DI
pour traiter vos affaires et défendre votre cause
comme avocat, pour vous panser soigneuse-
ment comme un médecin, et pour vous enrichir de
biens, comme étant le trésor de tous les biens. O
ma gloire souveraine, ô admirable Sauveur ! Que
faites-vous pour une chétive créature ? et que
pourrai-je vous rendre en échange de ces biens?
Certes je vous offre ce que j'ai de plus précieux en
moi, je vous sacrilie mon cœur et toutes mes affec-
tions. Pour ce motif j'ai résolu de travailler plus
fidèlement à me dompter moi-même et à mettre
un frein à mes passions trop licencieuses.
III
Considérez Teiïicacité du sacrifice eucharistique
pour obtenir plusieurs biens spirituels et tem-
porels. En effet par ce sacrificice on obtient un
certain nombre de lumières et de pieux mouve-
ments, un certain nombre d'illuminations et d'ins-
pirations, tant pour faire croître ceux-là en grâce
et en vertu que pour faire sortir ceux-ci du miséra-
ble état de leurs péchés, si les uns et les autres
n'}' mettent aucun obstacle, mais y contribuent
pour leur part et correspondent à ces faveurs en
se portant à la réception des sacrements et aux
bonnes actions auxquelles ces sacrements leur ins-
pirent par leur vertu de se porter. On obtient
également plusieurs biens temporels, selon qu'il
plaît à la divine Providence de les donner, en re-
tour de l'oblation qui lui est faite de ce très saint
sacrifice. Le Concile de Trente (ij donne ces vé-
1. SeSS. 22, c. 2,
352 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
rites à entendre, quand il enseigne que Dieu
étant apaisé par ce sacrifice, accorde le don de
pénitence, et que ce sacrifice s'offre pour les peines
et pour les péchés et aussi pour d'autres nécessi-
tés. En réalité un puissant moyen d'obtenir quel-
que bien d'une personne, c'est de lui offrir quel-
que chose de précieux et qui lui soit agréable. Or
dans ce sacrifice on offre à Dieu quelque chose
qui lui est plus cher et plus précieux que tout l'or
et que toutes les richesses du monde, celui de
qui lui-même a dit : « C'est mon Fils bien-aimé^
« en qui fat mis toutes mes complaisances, yy
(Matt. 17). Et par conséquent il accordera volon-
tiers les justes demandes qui lui seront faites, en
considération de cette riche oblaîion. C'est en effet
une chose naturelle d'exaucer les prières pour
l'amour d'un fils ; les curieux en histoire ont re-
marqué que les peuples Molossiens n'étaient
jamais éconduits par leur roi, quand ils se met-
taient à genoux devant lui, tenant entre leurs
bras un de ses enfants. Si Dieu a donné cette
inclination aux hommes, il la garde aussi en lui-
même; et pour l'amour de son Fils qui lui est
offert, il se rend libéral et magnifique, autant
qu'il est convenable de l'être, eu égard aux besoins
et aux capacités des personnes, pour qui le sacri-
fice lui est offert. Dans l'ancienne Loi les sacrifices
étaient impétratoires des grâces et des faveurs
divines, comme il appert par celui qui fut offert à
Dieu au temps du roi David, pour détourner le
fléau de la peste et par celui du pontife Onias pour
la vie du misérable Héliodore. (II. Rois, 24 —
II. Mach. 3). Or le sacrifice de l'Eucharistie qui
DES SACREMENTS 353
surpasse en vertu et en excellence tous les autres
n'a pas moins d'etHcacité. De là vient que, d'après
les messes et les liturgies, le prêtre olîre son sa-
crifice pour le salut des âmes et même pour des
biens passagers, comme aussi pour la délivrance
de plusieurs misères temporelles. Il l'offre pour la
paix de toutes les églises, pour la tranquillité du
monde, pour les rois, pour les soldats, pour les
associés, pour les malades, pour les affligés et en
somme pour tous ceux qui ont besoin d'être se-
courus. Saint Augustin (i) rapporte qu'une maison
fut délivrée des esprits dont elle était infectée, dès
que le prêtre y eût offert le saint sacrifice de la
messe. Le vénérable Bède (2) raconte que le
sacrifice ayant été offert pour un homme réduit
en captivité dans un pays étranger, à l'heure
même ses liens se rompirent. L'expérience met
sous nos yeux mille autres effets de ce sacrifice,
qui sont une preuve indubitable de sa puissante
vertu, et dès lors si quelqu'un n'en retire pas ce
qu'il en attendait, ce défaut ne vient pas de l'im-
puissance de ce sacrifice. Il ne faut pas douter en
effet que Notre-Seigneur Jésus-Christ, en tant
qu'homme et en tant que prêtre et hostie tout en-
semble, n'obtienne tout ce qu'il voudra de
son Père très aimant et très miséricordieux,
comme il le témoigne lui-même : « Mon Père, je
« savais que vous m exauce^ toujours » et
ailleurs : a. Il a été exaucé à cause de son res-
« pect. y> (Jean, 1 1 — Héb. 5) (3). Mais il veut être
1. L. 21, De Civit. Dei, c. 8.
2. L. 4, Hist. angl. c. 22.
3. GuilleL Paris. De sacr. Eiich. c. 5.
Bail, t. ix. 25
354 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Utile à ceux qui offrent le sacrifice ou à ceux pour
qui on Toffre, autant qu'il leur est expédient et
autant qu'il les voit dignes et capables. C'est
ainsi que le soleil n'illumine pas également tous
les corps selon toute l'étendue de sa splendeur et
que le feu ne les échauffe pas selon toute la force
de sa chaleur, mais autant qu'ils sont préparés à
recevoir soit la lumière, soit la chaleur. Pareille-
ment Jésus-Christ n'opère pas dans le sacrement
de l'autel selon toute la puissance de son crédit
envers Dieu et selon toute l'excellence de ses mé-
rites, mais souvent selon ce que méritent les
prêtres qui sacrifient ou ceux pour qui ils sacri-
fient, ou selon ce qu'il juge leur convenir ; car
pesant tout avec une sagesse à laquelle rien n'est
caché, il obtient pour ceux-ci et pour ceux-là ce
qu'il estime être plus à propos.
Puisez dans cette considération une grande
confiance dans le sacrifice de la messe, et ayez-y
recours dans vos besoins temporels et spirituels,
pour lesquels Jésus-Christ daigne s'emplo3Tr lui-
même dans ce sacrifice. Si nos désirs ne se trou-
vent pas toujours accomplis, n'attribuons jamais
ce défaut au sacrifice, comme s'il manquait d'effi-
cacité et de vertu, mais dans un esprit d'humilité
et de résignation à la sagesse et au jugement di-
vins, attribuons-le à notre incapacité et à notre
indignité. Nous ne méritions pas que Jésus-Christ
s'employât pour nous de tout son pouvoir et il n'a
pas trouvé convenable, dans sa profonde sagesse,
de demander pour nous ce que nous souhaitions.
Ainsi si nous sommes exaucés dans ce sacrifice,
nous en serons reconnaissants, et si nous ne le
DES SACREMENTS 355
sommes pas, nous nous humilierons et nous ado-
rerons les jugements secrets de sa Providence, qui
ne prenant pas sa loi des créatures, ordonne tout
équitablement selon la grandeur d'un esprit
intini.
XVIir MÉDITATION
JÉSUS-CHRIST POURSUIT
DANS CE SACRIFICE
LES TROIS DESSEINS QU'IL AVAIT
EN MOURANT SUR LA CROIX
SOMMAIRE :
Jésus-Christ poursuit dans ce sacrifice son
triple dessein : i) d'honorer Dieu — 2) de le
remercier — 3) d! apaiser sa colère.
I
CONSIDÉREZ que Jésus-Christ s'offrant sur
l'arbre de la croix avait le dessein d'ho-
norer Dieu, autant qu'il se peut imaginer, et qu'il
poursuit encore le même dessein dans la sainte
Eucharistie en s'y offrant en sacrifice par les
mains du prêtre. Pour comprendre cette vérité,
il faut se représenter que son àme sacrée se voyant
comme infiniment chérie, favorisée et exaltée par
356 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Dieu à cause de son union avec la personne du
Verbe, aima Dieu d'un amour excessif, d'un
amour supérieur à celui des Séraphins et des
Anges les plus enflammés. Poussée par cet amour
ardent et indicible, elle désira passionnément avoir
une belle occasion de lui rendre quelque service
signalé, et de lui procurer la gloire la plus haute
du monde, en l'honorant extrêmement. Or elle
vit que le service qui lui serait le plus agréable,
était de réparer son honneur outragé par le péché
des hommes, en lui offrant à cet effet un sacrifice
latreutique et en l'honorant par la destruction
d'une victime qui eût une dignité infinie, et par
laquelle il serait honoré comme à l'infini. Dieu en
effet est d'autant plus honoré, que la victime
offerte et consacrée à sa gloire est plus digne et
plus précieuse, et comme il n'y avait dans le
monde entier rien de plus digne et de plus pré-
cieux que l'humanité déifiée, elle voulut par un
excès d'amour, être elle-même la victime de ce
sacrifice, s'offrir sur l'autel de la croix et y perdre
la vie en versant son sang précieux, afin de faire à
Dieu l'honneur le plus grand du monde. Et en
effet jamais Dieu ne fut honoré autant que par
Jésus-Christ se sacrifiant sur la croix, puisque
l'honneur qu'il en reçoit absorbe et surpasse des
millions d'injures que tous les péchés commis ou
à commettre peuvent lui causer.
Mais le feu de l'amour ne s'arrêta pas là. L'hu-
manité adorable de Jésus-Christ voulut honorer
Dieu par un sacrifice latreutique, qui durât plus
de trois heures, qui s'accomplît dans d'autres na-
tions que le peuple juif et dans d'autres lieux que
DES SACREMENTS SSy
la montagne du Calvaire. C'est pourquoi par un
généreux dessein elle institua le sacrifice latreu-
tique de la sainte messe, où cette même humanité
tiendrait lieu de victime sans effusion de sang, —
Dieu ne désirant plus, à cause de l'indicible amour
qu'il avait pour elle, que son sang coulât. — Ainsi
Dieu serait honoré par un sacrifice qui durerait
jusqu'à la fin du monde, qui se renouvellerait
mille et mille fois par jour, non sur une montagne,
mais dans tous les endroits du monde, dans tous
les royaumes de la terre où il y a quelque prêtre
qui offre ce sacrifice pour l'honneur de Dieu et en
reconnaissance de sa Majesté infinie. Dieu souve-
rain connaissant cet admirable dessein de son
Verbe incarné et de l'âme très sainte qui est unie
à son Fils par une union personnelle, appréciant
aussi l'honneur qu'il recevrait de ce sacrifice et
comme en respirant de loin la très suave odeur
qu'il exhalait vers le ciel, ne prend plus plaisir
aux sacrifices et aux holocaustes de la loi de Moïse,
il lui tarde qu'ils soient abolis et que le temple de
Jérusalem soit renversé : « Vous n'agrée^ pas^
« lui dit David, les holocaustes. » (Ps. Sg). Il
s'exprime plus clairement par le prophète Mala-
chie, il demande que l'on ferme la porte du tem-
ple, que l'on n'entretienne plus le feu de son autel
pour consumer les victimes, il fait sentir qu'il en
a assez et qu'il ne les a plus pour agréables à
cause de l'excellence du sacrifice de la nouvelle
Loi. « Depuis V Orient jusqu'à V Occident mon
« nom est grand parmi les nations ; en tout lieu
« on sacrifie et on offre à m,on nom une oblation
« pure, car mon nom est grand parmi les
' 1!
358 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« Gentils^ dit le Seigneur des armées. » (Mal. i).
Arrêtez-vous et pesez bien ce grand dessein de
Jésus-Christ, ainsi que Tamour indicible qu'il a
eu en s'offrant sur la croix et en s'offrant sur les
autels. Qui pourrait estimer dignement le courage
et la magnanimité de cette âme adorable et in-
comparablement plus aimable que toute chose
créée ? O âme sacrée, qui aimez et honorez si
grandement la divinité ! O divinité sublime si
aimée et si honorée par cette âme bénie ! O Dieu
infini, quelle immense joie c'est pour moi que
vous ayez créé cette âme si noble, et qui vous a
procuré tant d'honneur et de gloire ! Oh ! vive
cette âme glorieuse ! Oh ! vive son dessein si gé-
néreux ! Oh ! qu'il dure toujours son sacrifice !
O Dieu infini, que jamais la rage des infidèles ne
puisse l'abolir! Oh ! que cet holocauste brûlé par
les flammes de l'amour vous soit toujours agréable,
qu'il soit toujours adorable et vénérable, aux yeux
des Anges et des hommes ! Oh ! malheur aux hé-
rétiques qui conduits par Satan, l'ennemi de la
gloire de Dieu, s'efforcent de détruire une prati-
que de seize siècles ! O Jésus, amateur de la divi-
nité, je désire à votre exemple, me sacrifier, au-
tant que je le pourrai, au service et à la gloire de
Dieu ; et que je voudrais pouvoir le faire en tout
temps et en tout lieu ! Oh ! exaucez mon désir
pour l'extension de votre amour et de vos desseins
glorieux, faites que j'en vienne à l'accomplisse-
ment.
DES SACREMENTS SSg
II
Considérez que Jésus-Christ sur la croix avait
encore le dessein "de remercier la divinité des
grâces et des perfections très éminentes qu'il avait
reçues dans son humanité, et qu'il poursuit le
même dessein dans le sacrifice de la messe, où il se
sacrifie lui-même pour la remercier continuelle-
ment et en tous les endroits du monde, afin de lui
témoigner partout et en tout temps, la grande
reconnaissance qu'a son âme pour avoir été favo-
risée et chérie infiniment au-dessus de tout ce qui
est créé. L'humanité qui était parfaite en vertu,
ne pouvait être ingrate et méconnaître que Dieu
s'était donné à elle par une union personnelle, de
la façon la plus intime et la plus sublime dont il
peut se communiquer à une créature. Elle désira
à son tour se donner et se consacrer à lui de
la façon la plus parfaite dont une créature peut se
donner, c'est-à-dire par le sacrifice ; par le sacri-
fice en effet elle se détruit elle-même et se réduit
au néant, autant que possible, pour faire paraître
la grandeur infinie de Dieu par le contraste de son
abaissement. Cette humanité sacrée ne connut pas
de moyen plus parfait de remercier la divinité ;
c'est pourquoi elle se porta au sacrifice sanglant
de la croix sur laquelle elle a voulu mourir, et
rendre sa vie à celui qui en était l'auteur. Le pro-
phète royal nous représente Jésus-Christ souhai-
tant la mort par un motif de gratitude et de
reconnaissance, quand il lui fait dire ces paroles :
« Que rendrai-Je au Seigneur pour tous les
« biens qu'il m'a donnés? Je prendrai le calice
36o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« du salut. » (Ps. II 5). Je mqurrai pour sa gloire,
puisqu'il m'a obligé de telle sorte, et je lui donne-
rai ma vie en actions de grâces. « Mon hien-aimé
« est à moi et je suis à lui. » (Gant. 2). Il s'est
donné à moi et je me donne à lui.
Mais Jésus-Christ ne s'est pas contenté de ce
remercîment, il a voulu qu'il fut perpétuel et
connu du monde entier; c'est pourquoi il l'a per-
pétué dans le saint sacrifice de l'autel, institué
dans le même but. ^G'est aussi pour ce motif que
ce sacrifice est appelé Eucharistie, c'est-à-dire
bonne grâce ou bon remercîment, car Jésus-Christ
y remercie son Père des biens qu'il a accordés à
son humanité et à tous ses membres qui sont dans
l'Eglise. De là vient que les Evangiles font men-
tion expresse que, lorsqu'il institua ce mystère, il
remerciait Dieu et lui rendait grâces : « // rendit
(K grâces^ le rompit et le donna en disant., etc. »
De plus, tandis que la version commune du
psaume que nous venons de citer porte : « Que
« rendrai-je au Seigneur pour tous les biens
« qu'il m'a donnés"^ Je prendrai le calice du sa-
« lut » ; au lieu de ce mot: a je prendrai », le
texte hébreu porte, comme Ta remarqué un savant
interprète (i) : « f élèverai le calice », pour nous
donner manifestement à connaître la cérémonie qui
se pratique à la messe où on élève le calice, et que
cette cérémonie se fait comme remercîment et
comme témoignage de reconnaissance. Aussi saint
Augustin (2) dit: comment pourrions-nous rendre
I. Jansenius Gandavensis, in hune locum.
3. L. I, c. 18, Contra advers. leg. et prophet.
DHS SACREMENTS obl
à Dieu de plus grandes actions de grâces que par
Notre Seigneur Jésus-Christ, dans le saint sacri-
fice de la messe ? C'est ce que savent bien les
fidèles. En effet, par ce sacrifice, nous sommes as-
sez riches pour remercier Dieu du plus grand de
ses bienfaits, je veux dire du don de son Fils uni-
que, qu'il a livré pour nous à la mort et qu'il nous
donne dans le Saint-Sacrement. Par ce sacri-
fice nous lui rendons ce même Fils, et ainsi nous
le remercions par une reconnaissance juste et
égale au bienfait. Or si ce sacrifice est suffisant
pour remercier Dieu de ce don inestimable, il le
sera bien plus pour le remercier de ses autres fa-
veurs et entre autres de celle qu'il nous fait, quand
il nous rend vainqueurs de toutes nos passions et
de tous les ennemis de notre salut. C'est pourquoi
il fut figuré par le sacrifice de Melchisedech, qui
en actions de grâces de la victoire qu'Abraham
venait de remporter sur quatre rois, offrit en sa-
crifice du pain et du vin ; « car, dit le texte sacré,
« ïl était prêtre du Très-Haut. » (Gen. 14), et à
ce titre il lui appartenait de sacrifier. Ainsi Jésus-
Christ, << prêtre éternellement selon l'ordre de Mel-
, chisédech y) (Ps. 109), offre ici admirablement le
sacrifice de son corps et de son sang sous les es-
pèces du pain et du vin, en action de grâces pour
les victoires que remportent les fidèles contre
leurs ennemis et pour toutes les autres grâces qui
leur sont départies.
Constatons, d'après cette considération, combien
c'est chose importante d'être reconnaissant envers
Dieu, puisque Jésus-Christ fait des œuvres si
étonnantes dans ce but. Que pouvons-nous avoir
302 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
de meilleurdans notreesprit, dit saint Augustin (i),
que pouvons-nous exprimer de meilleur par notre
bouche ou écrire avec notre plume que ces mots :
grâces à Dieu? On ne peut rien dire de plus court,
rien entendre de plus joyeux, rien comprendre de
plus grand, on ne peut rien faire plus fructueuse-
ment. Détestons donc toute ingratitude et confor-
mons nos pensées aux pensées sacrées de Jésus, qui
nous procurant tous nos biens par un trait d'amour
signalé, offre lui-même pour nous les remercîments
de son sacrifice. Remercions Dieu tous les jours,
par des cantiques de louange et par des hymnes
de bénédiction, et donnons-nous tout à lui. Et
puisque, quand bien même nous lui donnerions
mille et mille fois notre âme et tout ce que nous
avons, ce ne serait à peu près qu'un néant en face
de sa majesté, offrons-lui de tout cœur, soit en di-
sant la messe, soit en y assistant, en supplément
de reconnaissance et de satisfaction, cet admira-
ble sacrifice.
III
Considérez le troisième dessein de Jésus-Christ
sur la croix ; ce fut d'apaiser Dieu pour les péchés
du monde. Il poursuit ce même dessein dans le
sacrifice de la messe, qui est propitiatoire pour la
peine due aux péchés des hommes. Le disciple
bien-aimé affirme la première partie de notre
considération, quand il dit au Fils de Dieu : « //
« est la victime de propitiation pour nos péchés^
« et non seulement pour les nôtres^ mais aussi
I. E]pist. "jT, Deo grattas.
DES SACREMENTS 363
« pour ceux du monde entier. » (Jean, 2). En se
sacrifiant sur Tautel de la croix il demanda pardon
à Dieu au nom de tous les hommes par autant de
bouches et de voix qu'il avait de plaies sur tout
son corps et qu'il versa de gouttes de sang, il le
supplia avec de grands soupirs, avec des sanglots
et des larmes dans les yeux, d'avoir pitié d'eux.
Tel fut l'effet de son sacrifice que Dieu voulut à
l'avenir et pour ce motif, offrir des moj'ens de
salut à tous les hommes, afin de les réconcilier
avec lui effectivement, s'ils se les appliquaient et
en faisaient bon usage. Ces moj'ens sont en pre-
mier lieu les grâces sanctifiantes, la foi, les sacre-
ments, les œuvres saintes et le sacrifice de la
messe.
Mais comme « sa Rédemption est abondante »
et surabondante, selon ce que dit le prophète
(Ps. 129), et comme il a voulu satisfaire à la
justice divine avec excès ; ce qu'il fit sur la croix,
il continue de le faire sur les autels, où il se sacrifie
pour rendre Dieu propice aux hommes coupables.
C'est pourquoi à la messe, disait l'apôtre saint
Jacques (i), on supplie Dieu d'accepter l'oblation
comme propitiation pour les péchés et les igno.
rances du peuple. Dans la messe de saint Basile
on lit ces mots : rendez-nous dignes de vous offrir
ce sacrifice vénérable et non sanglant pour nos
péchés et pour les ignorances du peuple. Dans
celle de saint Jean Chrysostome nous lisons :
rendez-nous aptes à vous offrir des sacrifices pour
nos péchés et pour les ignorances du peuple. Et
I. In Bibliot. Patrum.
364 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dans le canon de notre messe, telle que nous le
disons aujourd'hui, nous déclarons que nous
offrons ce sacrifice pour la rédemption de nos
âmes, et nous prions qu'il soit l'ablution de nos
fauter, (i). On peut remarquer en passant la
mention qu'on y fait de l'ignorance du peuple,
soit parce que c'est une chose intolérable pour
des hommes apostoliques de voir si peu d'instruc-
tion dans le peuple chrétien, soit afin d'imiter
Jésus-Christ qui, priant sur la croix pour ses
ennemis, alléguait leur ignorance : « Pardonne^-
« leur^ ils ne savent ce qu'ils 'font. » (Luc, 23).
Or la raison pour laquelle se sacrifice est pro-
pitiatoire, c'est qu'il honore Dieu; car celui qui a
été blessé dans son honneur, s'apaise quand son
honneur est réparé. Egalement Dieu y est remer-
cié pour ses bienfaits et rien n'a autant de pouvoir
pour apaiser une personne que de lui témoigner
de la reconnaissance ; c'est pourquoi, puisque le
sacrifice de la messe est latreutique et eucharis-
tique, il ne faut pas s'étonner qu'il soit encore
propitiatoire et réconciliant. Tu demandes, dit un
philosophe païen (2), comment tu te feras bientôt
un ami, le voici : ce sera si nous nous accordons
sur ce point que je te rende sur le champ ce que
je te dois.
Tout ce que les hérétiques apportent de plus
fort contre cette vérité, c'est que le sacrifice de la
croix suffit seul pour détruire tous les péchés des
1. 1 Sit ahliitio scelerum. »
2. Seneca,Epist. 9 : «6"/ ilUid tihi mccum convenerit
« ut sîatim tibi solvam quod debeo. »
DES SACREMENTS 3()D
hommes et que c'est lui faire tort de parler du
sacrifice de la messe. Mais les hérétiques sont peu
spirituels et n'ont que des pensées très basses, ils
ne comprennent rien au grand zèle et à l'amour
insatiable de Jésus-Christ. Quand bien même le
sacrifice de l'autel ne remettrait pas la peine des
péchés, il ne s'ensuivrait pas qu'il fut inutile, car
il servirait à honorer Dieu et à le remercier excel-
lemment, selon le désir de Jésus et le zèle de son
âme très sainte. Mais à Dieu ne plaise que nous
leur accordions que ce sacrifice ne soit pas propi-
tiatoire pour les péchés. Au contraire nous con-
fesserons avec l'Eglise qu'il l'est, et nous n'esti-
merons pas faire tort au mérite de la croix et à
l'oblation qui lut faite sur la croix. L'oblation de
la croix en effet n'empêche pas l'effet de l'oblation
que fit Jésus-Christ de lui-même, quand il entra
dans ce monde, et de celle qu'il fit au temple le
jour de sa présentation, ni de toutes celles qu'il
fit tous les jours de sa très sainte vie avant sa
mort. Aussi ne doit-elle pas empêcher l'effet de
l'oblation de lui-même qu'il renouvelle tous les
jours depuis sa mort dans ce sacrifice, afin de nous
racheter ainsi abondamment, en se donnant des
millions et des millions de fois pour nos péchés.
Si saint Paul a dit que « par une seule ablation
« il a consommé, c'est-à-dire rendu parfaits pour
« toujours, ceux qu'il a sanctifiés » (Héb. lo),
saint Paul n'entend parler que des Juifs qui étaient
morts en état de sainteté avant sa Passion et qui
n'ayant pu être purifiés de leurs péchés par la
multitude des victimes de la loi mosaïque, furent
sanctifiés en vertu du sacrifice de la croix et par
366 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
le mérite de ce sacrifice, c'est-à-dire par une seule
oblation. Le sacrifice de l'Eucharistie en effet n'a
pas été institué pour eux, mais pour les chrétiens
qui sont venus après la Passion, que Jésus-Christ
assiste diversement et autant qu'il lui plaît, ou
qu'il le juge convenable, non seulement par l'obla-
tion sanglante de sa croix, mais encore par l'obla-
tion non sanglante des autels. Enfin si l'on veut
étendre les paroles de saint Paul plus que lui-
même n'en a eu l'intention, il faut dire que saint
Paul se sert du substantif et dit : une oblation,
pour signifier une seule chose offerte, à savoir son
humanité précieuse. Dans ce passage en effet il
oppose et préfère l'unique victime de la croix à la
multitude des sacrifices d'Aaron, sacrifices qui
n'avaient pas la vertu de sanctifier les Juifs. Or,
bienque Jésus-ChristperfectionnelesSaints soit par
l'oblation de la croix, soit par celle des autels, il est
toujours vrai qu'il les perfectionne par l'offrande
d'une seule chose, puisque dans l'une comme
dans l'autre oblation, c'est la même victime.
Demeurons donc fermes dans la foi et la
croyance de la sainte Eglise, notre mère ; persis-
tons dans cette foi qu'ont conservée tous les
siècles depuis sa fondation. Cette foi nous ap-
prend que le sacrifice de l'autel est propitiatoire
pour les peines des péchés, et que Jésus-Christ se
donne mille et des millions de fois pour la liberté
de nos âmes qu'il rachète ainsi abondamment.
Parmi les objets de cette foi invariable, admirons
grandement les procédés pleins d'amour de Jésus,
notre libérateur, qui s'immole encore tous les
jours, afin de satisfaire pour les péchés d'autrui.
DES SACREMENTS 367
Ah! mon âme, que ne devons-nous pas faire à son
exemple dans le but de satisfaire pour nos péchés ?
Hélas ! que sont nos pénitences si Iroidé? au prix
de ce que fait notre Rédempteur? Faut-il, ô mon
âme, que ce doux Agneau fasse tout tout seul ?
qu'il adore toujours, mais pour nous, qu'il soit
toujours chargé de remercier Dieu en notre nom
et qu'il porte tout seul le fardeau de nos offenses ?
Ah ! que nous devons être confus en voyant que
nous faisons de si légères pénitences pour nos
propres fautes qui sont énormes ? Que ne nous
sacrifions-nous donc tous les jours de notre vie,
pour rendre Dieu propice et pitoyable à nos
iniquités ? Mais nous n'en faisons rien. Et puis
nous nous étonnerons de ressentir quelque peine
intérieure, parce que nous ne savons pas si nous
avons apaisé Dieu, et si nous avons satisfait à sa
justice. Oh ! que deviendrions-nous, Seigneur,
sans votre zèle et votre très brûlante charité ? O
très noble Jésus ! unique espérance de notre sa-
lut! Oh! continuez toujours à offrir votre sacri-
fice pour nous. Quant à nous, nous continuerons
toujours à offrir votre sacrifice pour nous, et nous
renouvellerons les souhaits du saint prophète Da-
vid touchant ce sacrifice expiatoire. Nous désire-
rons qu'il soit toujours offert à Dieu et que les
desseins de Jésus y soient accomplis pour le salut
de nos âmes. Chantons donc au Roi des rois im-
molé sur les autels :
En ces jours si troublés qu'une guerre effroyable
Tâche à tout renverser^
Soit aux vœux que tic fais V Eternel favorable,
Et te veuille exaucer.
368 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Du grand Dieu de Jacob le secours V accompagne.
D'en-haut te secourant^
De tes oblations sa mémoire touchée
S'aille ressouvenant.
Qu'aux désirs de ion cœur débonnaire il s'incline
Et les rende accomplis.
Les conseils, les projets que couve ta poitrine
De bonheur soient remplis (i).
Donc, Père éternel, que cette charité immense
de votre Fils très aimé touche votre cœur ; par
amour pour lui et en considération de l'affection
si grande qu'il a pour nous, pardonnez-nous nos
offenses.
I. Desportes sur VExaitdiat.
DES SACREMENTS 36c)
X\T MÉDITATION
DES TROIS ACTES DE
DÉVOTION ENVERS LE SAINT-
SACREMENT QUE
PRATIQUENT LES AMES PIEUSES
SOMMAIRE
La dévotion au Saint-Sacrement porte les âmes
pieuses : i) à lui rendre un culte de latrie —
2) à raccompagner aux processions et quand on
le porte aux malades — ?>) à le visiter.
I
CONSIDÉREZ que la dévotion envers le Saint-
Sacrement porte les âmes fidèles à l'hono-
rer de plusieurs manières, et entre autres à lui
rendre le culte de latrie ou d'adoration, tant par
la soumission intérieure de l'esprit, que par la
génuflexion ou l'inclination, ou la prosternation
du corps (i). Les Ecritures saintes nous indiquent
ce premier acte de dévotion ; le prophète royal
parlant de l'Eucharistie, dit que les grands de la
terre l'ont mangée et Tout adorée : « Tous les
« grands de la terre ont mangé et adoré » (Ps. 2 1 ).
Saint Augustin (2) interprète ce passage de la sainte
1. De Saintes, repet. 9, c. 4.
2. « Mandiicaveriint corpus humilitatis Domini ».
Bail, t. ix. 34
SyO LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Eucharistie et le Concile (i) prononce l'anathème
contre quiconque soutiendra que le Fils unique
de Dieu ne doit pas être honoré dans le Saint-
Sacrement d'un culte de latrie. En effet l'adora-
tion est due au Fils de Dieu dans tout lieu ou tout
état dans lequel il se trouve. C'est pourquoi il est
ordonné aux Anges de l'adorer dès le premier ins-
tant de son Incarnation, dans les flancs sacrés de
la Vierge « et que tous les Anges V adorent »,
(Héb. i). Les bergers l'adorèrent, et, les rois, après
avoir fait un long voyage, se prosternèrent devant
le Sauveur couché dans la crèche et lui offrirent
leurs présents. Il fut adoré sur le chemin par le
lépreux et la Chananéenne, dans le temple par
l'aveugle-né, sur le navire par les nautonniers, en
Galilée par les Apôtres, dans la Judée par tous
ceux qui le connurent, sur la croix par le bon lar-
ron et dans les cieux par tous les bienheureux. Si
donc partout où il est présent, il est reconnu et il
reçoit comme hommage l'adoration, pourquoi ne
la recevrait-il pas dans l'Eucharistie, surtout si
nous considérons qu'il nous y témoigne autant
d'amour et de bienveillance qu'en aucun lieu du
monde, car il y est présent pour converser avec
nous plus intimement et plus familièrement, sans
dédaigner notre extrême bassesse, sans avoir hor-
reur de nos corps, de notre bouche et de notre
poitrine. Certes c'est un prodige qu'une âme ne
soit pas touchée à la vue du procédé si plein
d'amour de ce Roi des rois, qui est assis et règne
à la droite de Dieu son Père. Car qu'est-ce qu'il y
3. Sess. 13, can. 6.
DES SACREMENTS Syi
a qui oblige davaniagc a vénérer une personne de
haute qualité, que de la voir s'abaisser, et, pour
ainsi dire, oubliant sa grandeur, avoir de gracieuses
faveurs pour une personne de peu ? C'est ce qui
doit exciter à lui rendre de plus grands honneurs,
de plus profondes révérences et une plus absolue
soumission. Ainsi Sainte Elisabeth honora la
Sainte Vierge, qui, alors qu'elle était déjà la Mère
de Dieu, qu'elle avait conçu du Saint-Esprit,
s'abaissait jusqu'à la visiter en personne, a Et d'où
« me vient, dit-elle, cet honneur, que la Mère de
« mon Dieu vienne à moi ? » (Luc, i). Ainsi Saint
Jean-Bapiiste était plein du sentiment de la gran-
deur de Jésus, quand ce divin Sauveur voulut se
soumettre à recevoir le baptême de sa main. « C'est
v. moi, dit-il, qui dois être baptisé par vous et
« cest vous qui vene^ à moi », (Matth. 3). Saint
Pierre le voyant près de lui, s'estimait indigne de
sa présence : « Retire^-votis loin de moi, Seigneur,
« car je ne suis pas digne de m'approcher de
« vous », (Luc, 5 ; Matth. 8). Il en fut de même
du centurion qui professa d'autant plus haute-
ment son indignité et la dignité de Jésus-Christ,
qu'il le voyait résolu à descendre dans sa maison,
pour y guérir son serviteur. Si bien que c'est une
chose comme naturelle d'accorder plus de véné-
ration aux grands que nous voyons portés à s'abais-
ser pour nous faire du bien.
Or Jésus-Christ dans ce sacrement s'abaisse
pour nous à un tel point qu'il semble avoir oublié
ce qu'il est, sa noblesse, sa royauté et l'état de ses
sublimes grandeurs. C'est pourquoi nous devons
nous sentir portés à nous soumettre plus profon-
372 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dément à lui et à Tadorer plus profondément,
puisque d'ailleurs il est adorable à cause de sa
personne à laquelle est dû un respect infini.
D'ailleurs il n'est pas nécessaire que cette ado-
ration soit conditionnelle, c'est-à-dire que nous
l'adorions dans le cas où l'hostie est légitimement
consacrée ; il suffit d'avoir une certitude humaine
et morale de la présence et de la dignité d'une
personne pour l'honorer selon son mérite. Autre-
ment il ne faudrait respecter les prélats et les
prêtres que sous condition, c'est-à-dire s'ils étaient
validement ordonnés. Ainsi on pourrait tout révo-
quer en doute et ne respecter absolument per-
sonne, mais mettre toujours en avant quelque si
ou quelque moyennant ; ce qui ne nuirait pas
médiocrement à la politesse humaine. Il suffit donc
de croire de bonne foi que le pain a été consacré
pour rendre le culte de latrie à Jésus-Christ,
présent sous les accidents qui restent. Peu importe
que le Saint-Sacrement soit peut-être entre les
mains d'un prêtre vicieux ; les ordures de l'étable
de Bethléem et les animaux qui s'y trouvaient
n'empêchèrent pas les rois mages d'y adorer
Jésus-Christ, qui porte partout sa grandeur.
Par conséquent nous nous mettrons sans crainte
en devoir d'adorer Jésus-Christ sur le trône sacré
de son Eucharistie ; comme des enfants nous ré-
vérerons notre bon Père, comme sujets notre
Prince légitime, comme criminels notre Juge très
équitable, comme esclaves notre Libérateur, comme
créatures notre souverain Créateur. « Vene\ donc,
« adorons et prosternons-nous devant le Sei-
<i. gneur ». (Ps. 94). Disons-lui d'esprit et de bou-
DES Î?ACRENTENTS 37^
chc : 6 Jésus, je vous adore dans votre sacrement,
comme le Fils unique de Dieu par nature, le pre-
mier principe de toutes choses, comme mon
Sauveur qui doit être aussi mon juge et prononcer
sur moi l'heureuse parole d'éternelle bénédiction
ou la parole redoutable de malédiction éternelle.
Je vous adore, ô Jésus, qui êtes contenu vérita-
blement et réellement dans ce très auguste et très
vénérable m3'stère, vous qui êtes né de la Vierge
pour notre salut, qui avez vécu trente-trois ans sur
la terre, qui avez été crucifié pour la rédemption
du genre humain, qui ensuite êtes ressuscité et
monté au ciel, à la droite de Dieu le Père où de-
meurant toujours et sans vous en séparer, vous
daignez néanmoins vous rendre présent sur les
autels, afin d'y servir de sacrifice et de sacrement
pour moi, très vil vermisseau. O mon Seigneur,
mon Dieu, en esprit d'amour pour votre bonté,
en esprit de crainte pour votre toute-puissance,
en esprit d'humilité et de respect en face de votre
sagesse et de votre majesté, je vous loue, je vous
glorifie et je me soumets à ne vivre et à ne res-
pirer dans le temps et dans l'éternité, que sous
votre dépendance. O Jésus, remplissez le monde
entier du sentiment de votre grandeur et de votre
majesté infinie, afin que chacun s'anéantisse en
esprit et se prosterne profondément devant vous.
O Dieu de majesté qui êtes adoré par tous les
Anges et par tous les Saints, je vous adore, je
m'unis à toutes les adorations qui vous sont ren-
dues au ciel et sur la terre par l'Eglise triomphante
et par l'Eglise militante. O Père éternel, que votre
Fils qui est ici humilié et mis en état de victime
374 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pour l'amour des âmes, soit reconnu par toutes
les âmes ; qu'il n'y en ait pas une seule, ô Dieu
éternel, qui lui refuse l'amour et le respect qui
lui sont dus.
II
Considérez que la dévotion envers le Saint-
Sacrement porte encore les âmes à l'accompagner
en deux occasions : dans les processions publiques
et quand on le porte aux malades. Car de tout
temps, l'Eglise a eu coutume de porter le Saint-
Sacrement d'un lieu dans un autre pour divers
motifs ; soit pour qu'on put communier chez soi,
comme faisaient les premiers chrétiens, qui en
temps de persécution n'ayant pas la liberté de
fréquenter les assemblées de l'Eglise, emportaient
avec respect dans leur maison des hosties consa-
crées, afin de ne pas être au besoin dépourvus de
Saint-Sacrement (i) ; soit pour être munis comme
d'une forte et puissante garde contre les divers
périls et accidents de cette vie, comme Saint Am-
broise le raconte de son frère Satyrius, qui portant
l'Eucharistie sur mer, fut préservé du naufrage (2) ,
soit comme signe de paix et d'union, ainsi qu'au-
trefois, en signe de paix, le Souverain Pontife
l'envoyait de Rome aux évêques qui venaient dans
cette ville et même à ceux qui demeuraient dans
leurs églises (i), soit pour exciter les fidèles à une
1. Tertul. 1. 2 AD uxoREM : << Qiiid secreio anie cihiim
gustes ».
2. In FUNEBRI ORAT. DE FRATRE.
I. Euseb. 1. 5. HisT. c. 24 ; Baron, ann. Christi 195.
DES SACREMENTS SyS
plus grande confiance et une plus grande dévo-
tion, ainsi qu'autrefois dans toutes les processions
qui se faisaient aux temples des martyrs on por-
tait toujours l'arche du Seigneur avec les reliques
des saints, c'est-à-dire le Saint-Sacrement comme
le remarque un ancien Concile de l'Eglise (i) ;
soit pour le faire recevoir aux malades, à qui on
le porte en viatique, pour les fortifier au moment
de leur sortie de ce monde, soit enfin pour d'au-
tres raisons. Aujourd'hui il n'y a plus d'autres oc-
casions de l'accompagner que les processions, et
quand on le porte aux malades et le rapporte. Or
la dévotion excite fortement à lui faire cortège
alors et à le suivre par honneur, autant que pos-
sible ; manquer à ce devoir sans excuse légitime,
c'est un témoignage de grande froideur et de bien
peu d'affection à son égard. Certes toutes sortes
de bonnes considérations invitent à ce devoir. La
bonté de la chose ; car qu'y a-t-il de plus juste et
de plus saint que de se mettre à la suite de Jésus-
Christ ? L'honnêteté de cette action ; car qu'y a-t-il
de plus civil aux yeux du ciel, que de rendre cet
honneur à Jésus-Christ, quand il est si peu accom-
pagné sur la terre ? « C'est une grande gloire^ dit
« le Sage, de suivre le Seigneur », (Eccl. 23).
L'exemple des Anges ; car ils le suivent et l'ac-
compagnent fidèlement et avec une grande vénéra-
tion partout où il est porté. Saint Jean Chrysos-
tome (2) affirme qu'ils environnent l'autel où
s'accomplit le sacrifice, avec de très grands res-
1. Synodus Bracarensis, can. 5, circa ann. Christi 654.
2. L. 6. De sacerd. P. 4,
376 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pects, qu'ils font fidèle escorte à ceux qui ont
communié purement dans leur maladie, qu'ils les
environnent comme les gardes du corps environ-
nent leur roi et qu'ils conduisent leurs âmes au
ciel. Il est écrit aussi que les vierges suivent
l'Agneau partout où il va (Apoc. 14). L'indignité
qu'il y a à refuser cette assistance et cet accom-
pagnement à Jésus-Christ dans l'état où il est
dans ce sacrement. C'est comme si des sujets qui
auraient reçu des bontés de leur roi, le voyaient
dans un pays étranger peu suivi et peu accompagné
et ne venaient pas l'honorer par leur présence aux
yeux du monde. Le roi des Perses, Darius, allant
combattre les Scythes, Œbabazus, grand Seigneur
qui avait trois fils, lui en donna deux pour le
suivre et se réserva l'autre pour lui. Le roi trouva
cette action si indigne qu'il fit mourir ces trois
enfants, parce que l'un d'eux s'était abstenu de
venir avec lui (i). Le roi Xerxés allant guerroyer
contre les Grecs, Pithius, riche Lydien, qui avait
cinq fils, lui en donna quatre pour le suivre, le
priant de vouloir exempter l'aîné qui aurait soin
des affaires domestiques. Le roi trouva si mauvais
que cet homme parlât de dispenser un de ses fils
de le suivre à la guerre, où lui-même allait en
personne, qu'il fit démembrer le corps de cet aîné
et fit passer toute l'armée entre ses membres ex-
posés des deux côtés du chemin. Si les rois de la
terre ont jugé ces manquements si indignes de
leur grandeur, que fera Jésus-Christ, le Roi des
rois, pour ceux qui l'honorent et l'accompagnent
I. Herodotus, 1. 4 et 7.
DES SACREMENTS Syy
si rarement dans le Saint-Sacrement ? Enfin leur
utilité personnelle doit encore engager les chré-
tiens à accompagner leur Seigneur et Maître sou-
verain ; car il dit lui-même : « Celui qui me suit
« ne marche pas dans les iêncbres, mais il aura
« la lumière de vie » (Jean, 8). Car c'est bien la
moindre chose que l'on puisse attendre, que d'être
éclairé, quand on suit le soleil, et sans doute Jésus-
Christ qui a souvent accordé des grâces même à
ses ennemis, ne manquera pas d'en accorder à ses
amis, qui le suivent et l'accompagnent par amour.
Il l'a prouvé dans la personne d'un seigneur de la
maisond'Autriche, lecomte Rodolphe de Hasbourg.
Rencontrant en Suisse le Saint-Sacrement porté
par un prêtre a un malade dans un mauvais che-
min, il descendit de son cheval, fit monter le
prêtre dessus et le suivit à pied avec sa compagnie
jusqu'au retour à l'église. Là il entendit le prêtre
lui donner plusieurs bénédictions à lui et à sa
postérité pour le bon office qu'il venait d'exercer.
Peu de temps après le comte visita une femme
de sainte vie, recluse dans un désert, qui lui
prédit que Dieu récompenserait largement sa
piété. En effet, vingt-deux ans plus tard, il fut élu
empereur d'Allemagne, et la couronne impériale
est demeurée depuis cette époque jusqu'à nos
jours dans sa famille (i).
Proposez-vous donc de rendre ce devoir à Jésus-
Christ, autant qu'il vous sera possible ; assistez
de bon cœur aux processions du Saint-Sacrement,
et acconipagnez-le, quand par hasard vous le ren-
I. Spondanus, anno Christi la^i, num. 8.
378 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
contrerez au moment où on le porte aux malades,
ou bien au moment où on le rapporte à l'église. Re-
présentez-vous que c'est votre Juge, celui de la pa-
role ou de l'arrêt de qui dépend votre bonheur ou
votre malheur éternel ; par conséquent soyez bien
aise de lui rendre ce devoir, afin qu'il s'en sou-
vienne en vous jugeant, et vous soit favorable. Si
vous sentez quelque répugnance à le faire à cause
du monde, dites comme le foi David, à qui sa
femme Michol, pleine d'arrogance, avait reproché la
dévotion qu'il avait témoignée à l'arche d'alliance
en l'accompagnant avec joie au milieu du peuple,
revêtu de ses ornements royaux : « Je veux me
« rendre encore plus vil que je ne Vai été et je
« serai plus humble à mes yeux. » (II. Rois, 6).
Occupez-vous, pendant que vous l'accompagnez, à
lui demander quelque grâce. Il est écrit de vous.
Seigneur, que quand vous viviez parmi les hom-
mes, vous avez fait du bien à tous en passant ;
« Il a passé en faisant le bien. » (Act. i). Vous
consoliez l'un, vous enseigniez l'autre, vous
guérissiez l'un, vous ressuscitiez l'autre, vous
donniez la vue à celui-ci, vous redressiez celui-là
et le faisiez marcher droit. O Seigneur très libéral,
si, aux jours de votre état souffrant et mortel, vous
avez ainsi passé en obligeant tout le monde par
bonté d'àme, puisque vous passez encore aujour-
d'hui à travers le monde, dans un état de puis-
sance et de gloire dont vous jouissez dans le ciel,
ne produisez pas, s'il vous plaît, de moindres
effets sur votre passage. O Seigneur, donnez votre
bénédiction aux maisons le long desquelles vous pas-
sez, donnez-la moi tout spécialement à moi-même.
DES SACREMENTS Sy*")
O Seigneur, en qui est mon espérance, apportez,
le remède aux misères de mon âme, donnez-moi
votre grâce, et faites que j'y persévère jusqu'à la
fin.
III
Considérez que la dévotion envers le Saint-
Sacrement porte encore les âmes à une action fort
importante, qui consiste à le visiter souvent dans
les églises où il repose, tantôt pour lui faire hom-
mage de ses services et l'adorer, tantôt pour le
remercier de quelque bienfait reçu, ou pour lui
demander plus efficacement quelque grâce pour
soi-même ou pour autrui, et quelquefois aussi
sans autre prétention que d'être auprès de lui.
Divers exemples et divers motifs engagent les
âmes à rendre ce devoir à Jésus-Christ.
Premièrement, l'exemple des Anges. Ils descen-
dent par phalanges du ciel sur la terre, pour y
voir et honorer leur Maître et Seigneur, qu'ils sa-
vent être caché sous le voile de ce mystère. Quand
le prêtre, dit saint Jean Ghrysostome (i), a accom-
pli ce redoutable sacrifice, à ce moment les Anges
l'assistent et où tous les ordres des puissances céles-
tes y font entendre leurs chants à leur manière ; le
lieu le plus rapproché de l'autel est rempli par les
chœurs des Anges qui honorent celui qui est im-
molé. Ce qui est assez facile à croire à cause de la
grandeur du sacrifice qui s'accomplit alors. Nous
avons ensuite l'exemple des Juifs qui avaient un
commandement formel du Seigneur de visiter
I. L. 6. De sacerdot. c. cit.
38o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
trois fois chaque année le tabernacle ou le Tem-
ple, où résidait l'arche d'alliance. « Trois Jois
« dans Vannée, dit leur loi, tout homme paraîtra
« devant le Seigneur » (Ex. 23), c'est-à-dire en
présence de l'arche. Cette loi obligeait tous les
hommes depuis l'âge de vingt ans jusqu'à l'âge de
cinquante ans, et aucun ne manquait de se pré-
senter devant l'arche trois fois l'année. Un bon
nombre venait de cinquante et soixante lieues
pour remplir ce devoir, plusieurs vieillards, des
femmes et des enfants que la loi n'y obligeait pas,
s'en acquittaient par dévotion, ainsi que fit la
Sainte Vierge, quand Jésus-Christ était âgé de
douze ans. Or si l'on rendait ces visites à Tarche
d'alliance qui n'était que la figure et l'ombre du
Saint-Sacrement, combien est-il plus raisonnable
de les rendre à la Vérité même ! La reine de Saba
vint des extrémités de la terre visiter le roi Salo-
mon, et ici « voici celui qui est plus grand que
« Salomon. » (Matt. ii). Autrefois les chrétiens
entreprenaient de très longs et très périlleux
voyages pour visiter la Terre sainte et les lieux
dans lesquels son humanité sacrée avait passé; ils
disaient avec le prophète : « Nous Vadorerons
« dans le lieu oii il a posé ses pieds. » (Ps. i3i).
Les femmes même les plus enfermées avaient
cette dévotion, comme en témoigne Théodoret, (i)
de Marana et de Cyra, ces deux prodiges d'aus-
térité. Que ne doit-on donc pas faire pour le
Saint des Saints, Jésus-Christ, qui est présent en
corps et en âme dans le tabernacle ? Combien de
I. In Hisior. relig.
DKS SAC RK M EXT S 38 1
fois et avec quelle alTection devrait-on le visiter,
puisqu'il est si près de nous et que nous pouvons le
faire si commodément ? Certes c'est être sans
àme que de n'avoir aucune alTection pour cet
exercice. Lui-même habite parmi nous, il proteste
que c'est son plaisir de vivre au milieu des mor-
tels, quoiqu'ils ne lui soient nécessaires d'aucune
manière. De là viennent ces douces et ravissantes
paroles : « Mes délices sont d'être avec les en-
« fants des hommes », et ces autres : « L'orient
« nous a visites d'en-haiit. » Et nous, nous ne
correspondrons aucunement à cet amour, nous ne
trouverons pas notre plaisir à converser avec lui,
nous qui avons tant besoin de lui ? Laisserons-
nous là tout seul dans le tabernacle ce Roi du
ciel et de la terre, qui n'y est descendu que pour
notre bien? Mettrons-nous perpétuellement en
oubli celui qui à tous les instants de la durée
pense à nous ? Négligerons-nous de faire la cour à
ce monarque plein de bonté et de paraître devant
sa face, alors qu'il a pour très agréables nos petits
devoirs ? Les âmes vraiment zélées et qui con-
sidèrent bien ces choses, ont en horreur la rus-
ticité et la barbarie de celles qui dédaignent de
faire ces visites, et elles sont soigneuses et em-
pressées de les faire elles-mêmes souvent. Ainsi
il y a des maisons religieuses (i;, où la Saint-Sa-
crement est en plus grande vénération, où jour et
nuit il est visité, et où il n'est jamais sans ses
Chérubins, comme l'arche du temple de Salomon,
c'est-à-dire sans quelques créatures angéliques,
I. Le monastère de Port-Royal, à Paris.
382 LÀ THÉOLOGIE AFFECTIVE
qui étendent sur lui les ailes de leur amour ; elles
veillent « à la porte du tabernacle » (Exod. 38)
comme les femmes et les filles pieuses dont Moïse
fait mention.
Et alors même que ces visites dussent être pra-
tiquées sans espérance de récompense, unique-
ment pour y glorifier Jésus-Christ, et parce que
c'est une chose très juste et très équitable de
lui rendre hommage, on ne devrait pas y man-
quer; néanmoins comme il a rendu sa gloire
inséparable de notre utilité, et qu'une âme pure
n'est jamais privée de récompense, bien que peut-
être elle ne dirige pas son intention de ce côté,
ces visites ne manquent jamais d'être fructueuses
pour les personnes qui savent les faire comme il
convient. Cependant il ne faut pas juger de la
vertu de ce sacrement comme de celle des agents
naturels, qui ont leur sphère d'activité limitée,
c'est-à-dire qui agissent jusqu'à une certaine dis-
tance et dans un lieu déterminé qu'ils ne sauraient
dépasser, ainsi que le feu qui chauffe et le flam-
beau qui éclaire jusqu'à une certaine distance ;
car Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement peut
étendre sa vertu d'un bout du monde à l'autre,
s'il le veut. Le fruit donc de ces visites provient de
ce que la personne qui les fait se rend plus digne
de ses faveurs ; car elle lui témoigne plus d'amour,
elle lui rend plus d'honneur, elle lui fait une pro-
testation plus évidente de sa foi et de sa confiance
en lui. Toutes choses qui l'engagent à se rendre
plus libéral, comme il l'était sur la terre, à l'égard de
ceux qui s'approchaient de lui et qui s'offraient pour
être touchés par lui, ou pour le toucher lui-même,
DES SACREMENTS 383
ne fut-ce que pour toucher la seule frange de sa
robe, comme rhémorroïsse, qui en éprouva sur le
champ une douce et favorable influence. (Matt. 9).
Il faut donc pratiquer ces saintes visites, il faut
faire saintement sa cour au Roi du Temple des
Anges, tantôt pour lui faire sa révérence, comme
fait un sujet à son seigneur, tantôt pour le remer-
cier des dangers auxquels on a échappé, des biens
que Ton a acquis, de la communion que l'on a
reçue, des tentations que Ton a surmontées, tantôt
pour lui adresser ses prières avec plus d'efficacité,
d'autres fois enfin pour goûter la douceur et sen-
tir la consolation qu'il y a d'être auprès de lui,
comme Madeleine qui se tenait à genoux à ses
pieds. O Jésus, mon Rédempteur, attirez ainsi
souvent toutes vos âmes fidèles devant votre trône
sacré. Vous avez dit, que, lorsque vous seriez
exalté de la terre au ciel, vous attireriez tout à
vous ; attirez-nous donc souvent après vous par la
puissance et la vertu de votre sacrement. Arra-
chez-moi à mon amour-propre pour me soumettre
tout entier à votre volonté. Arrachez-moi à
l'amour des choses créées pour m'unir à vous par
la charité. Arrachez-moi aux embarras de la vie
du monde et attirez-moi dans le lieu où vous êtes
présent, afin que moi qui ne puis vivre sans vous,
je ne vive qu'avec vous. Que là, Seigneur, en
votre présence mon cœur s'épanche, qu'il vous
parle seul, à la place de ma langue. Qu'il proteste
de la grandeur de la foi par laquelle il croit que
vous êtes sous les espèces, aussi fermement que
si les yeux du corps vous y voyaient. Qu'il vous
dise la grandeur de mon espérance, qui lui fait
384 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
attendre de vous tout son bien et toute sa félicité.
Que là encore il vous exprime toute sa charité,
qui lui fait souhaiter que vous viviez toujours, que
vous régniez toujours, que vous triomphiez tou-
jours, que ni votre règne ni votre triomphe ne
soient jamais bornés et ne finissent jamais, O
Jésus, si vous me trouviez digne d'une seule
œillade, je l'estimerais beaucoup plus que tous les
biens de la terre et que toutes les grandeurs du
monde. O Jésus, Famour des Séraphins et des
Anges qui vous visitent par milliers dans votre
sacrement, je crois en vous, j'espère en vous, je
vous aime et je vous adore ! Mais, hélas! pourquoi
avez-vous caché toute votre beauté sous le voile
de ces espèces? Comment, vous y voyant présent,
ne gémirais-je pas, comme si vous étiez absent ?
Je vous y touche, pour ainsi dire, mais je ne vois
pas votre beauté infinie, comme si j'étais frappé
d'aveuglement. Hélas ! ô mon espérance et ma
force dans cette terre des mourants, de quels
désirs ne suis-je pas ^embrasé de voir enfin votre
face plus gracieuse que l'aurore et plus brillante
que le soleil ! Oh ! si une fois, — ne serait-ce que
pour un moment, — vous faisiez paraître à mes
yeux un seul rayon de sa lumière ! Oh ! quel
ardent amour il susciterait dans mon âme, et que
le souvenir de cette vision me causerait de chastes
joies! Gomme, pendant le reste de ces jours misé-
rables, mon cœur demeurerait suspendu et hale-
tant après vous, jusqu'à ce que je fusse pleine-
ment rassasié, en vous regardant face à face, le
rideau des espèces ayant été tiré, au milieu de
votre paradis.
DHS SACRKMHNT^
38:
XX^ MÉDITATION
DE LA PÉNITENCE
CONSIDÉRÉE COMME VERTU
SOMMAIRE
La Pénitence est une vertu qui nous porte à vou-
loir satisfaire à Dieu pour les péchés commis.
— Quelques excellences de cette vertu. — Ses
actes intérieurs et ses actes extérieurs.
I
CONSIDÉREZ que la Pénitence est une vertu
morale qui nous porte à vouloir satisfaire
à Dieu pour les péchés commis et à vouloir les
détruire entièrement, en tant qu'ils sont injurieux
à Dieu, avec la résolution de n'y plus retomber à
Tavenir. Elle est appelée une vertu morale, parce
qu'elle incline la volonté à une action difficile,
équitable, honnête et conforme à la raison. Or
toute habitude qui incline l'àme à de semblables
actions est appelée vertu, et par conséquent c'est à
bon droit que la Pénitence porte ce nom. Cette
action dilficile consiste à détruire les péchés déjà
commis, à satisfaire à Dieu pour ces péchés, avec
le ferme propos de ne Jamais y retomber (i). Cette
action est vraiment difficile, puisque plusieurs
ont de la peine à s'y résoudre, et la fuient sponta-
I. D. Thom. q. 5, art. i.
Bail, t. \x. 25
o86 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
nément, à cause de la répugnance qu'ils éprouvent
à la faire; tels sont les athées, les hérétiques, les
voluptueux et tous ceux qui se souillent tous les
jours par de noaveaux péchés. En effet si c'est une
entreprise épineuse de vouloir apaiser la colère
d'un roi offensé, colère qui, aux termes de Salo-
mon, « est semblable an rugissement du lion »
(Prov. 19); qui pourra contester que ce ne soit une
entreprise encore plus haute et plus hardie, de
vouloir apaiser la colère d'un Dieu tout-puissant,
traité injurieusement par les péchés et les déso-
béissances de ses créatures ? Ainsi la Pénitence ne
peut manquer d'être une vertu du côté de la diffi-
culté de l'action à laquelle elle porte ou habitue la
volonté. Elle ne peut aussi manquer de l'être du
côté de l'honnêteté et de la droiture de cette même
action; car qu'y a-t-il de plus juste et de plus rai-
sonnable au monde, que de s'indigner contre le
péché pour le détruire, parce qu'il est injurieux à
la majesté de Dieu, et que de vouloir en faire
toute la satisfaction possible ? « Si nous nous
jugions nous-mêmes^ dit saint Paul, nous ne se-
rions pas jugés par le Seigneur. » (II Cor. 11).
Cette action est si sainte et si équitable, qu'elle
arrête les foudres de la justice divine et qu'elle
nous exempte de la rigueur et de la sévérité de ses
jugements. C'est pourquoi Jésus-Christ disait :
« Si vous ne faites pas pénitence^ vous périrez
« tous y) (Luc, i3); par là il nous donne à con-
naître que le mo3^en de ne pas périr, et de ne pas
être condamné à son effroyable jugement, c'est de
pratiquer cette vertu. Si nous considérons tant soit
peu ce que Dieu est et ce que nous sommes, il ne
DES SACREMENTS ?87
sera pas possible que nous ne reconnaissions très
manifestement la justice et la bonté de cette ac-
tion. Dieu en effet est notre Roi d'une façon plus
élevée et plus éminente que tous ceux qui portent
ces noms sur la terre, il est notre Créateur et no-
tre Conservateur, notre Sanctificateur et notre
Glorificateur, il est notre principe et notre fin,
l'objet de notre espérance pour l'éternité; en un
mot, il est tout ce que nous pouvons souhaiter,
celui (.(. en qui nous vivons, nous avons le mou-
vement et V être. » (Act. 17). Si bien que nous dé-
pendons absolument de lui ; nous n'avons pas un
seul filet de vie, une seule inspiration, si ce n'est
grâce à son assistance et à sa volonté. N'est-il
donc pas bien raisonnable que nous ressentions
vivement les mépris et les injures que nous lui
avons faits nous-mêmes par la malice de nos pé-
chés ? Si un sujet fidèle à son prince ne peut sup-
porter de le voir méprisé et traité avec ignominie,
si un enfant qui ne se remue pas, mais demeure
insensible quand il voit le roi, son père, moqué,
bafoué et détrôné, est tenu pour dénaturé'; que
sera-ce de nous, si nous permettons, sans nous
émouvoir, que notre Dieu, notre Père tout-puis-
sant, notre Souverain Seigneur, notre Bienfaiteur
infini, soit attaqué et offensé dans son honneur?
Ne serons-nous pas considérés comme insensibles
ou déraisonnables, si nous manquons à un devoir
si juste ? Le bon roi David, fuyant de Jérusalem à
cause de la révolte et de la conjuration de son fils
Absalon, fut injurié et maudit par Seméï; alors la
fidèle Abisaï dit au roi : <.<. Pourquoi ce chien mort
« maudit-il mon roi ? J'irai et je lui trancherai
388 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« la tête. » (Il Rois, 17). En cela il remplit le de-
voir d'un bon vassal, qui ne peut supporter de
voir son prince outragé. Mais que parlè-je d'un
homme? C'est ce motif qui porta le Fils de Dieu à
s'incarnei, et à souffrir, après s'être incarné, mille
tourments. Ce qui l'inspirait, c'était le désir de
satisfaire à Dieu en rigueur de justice pour toutes
les offenses du monde, qui était incapable de sa-
tisfaire lui-même. Il se livra pour ce motif à toutes
sortes de hontes, de mépris, de tourments, et à la
mort même, qui est la peine propre du péché.
Aussi rien n'est plus vrai que ceci : vouloir satis-
faire à Dieu pour l'offense que lui font les péchés,
c'est une entreprise très juste et par conséquent la
Pénitence mérite bien le nom de vertu, puis-
qu'elle dispose et incline à cela la volonté.
Il faut donc estimer grandement la vertu de
Pénitence, il faut avoir un grand zèle pour répa-
rer l'honneur de Dieu et venger sur soi-même les
péchés commis contre sa grandeur. Eh quoi !
devons-nous dire, endurerai-je que celui qui me
donne tous les jours son pain pour vivre, son
air pour respirer, sa main pour me soutenir, ses
bras pour me porter, son sein pour me reposer,
son soleil pour m'éclairer, tout ce qu'il me faut
dans l'ordre de la grâce et dans celui de la nature,
souffrirai-je qu'il soit offensé, maltraité, bafoué,
injurié, etc ? Ah! fût-ce moi-même qui aurais fait
la faute; je vengerai ce tort fait à mon Dieu, et il
n'y aura moyen que je n'essaie pour en venir à
bout. Ah! mon Seigneur Jésus-Christ, qui avez
été rempli de ce zèle brûlant pour les péchés
d'autrui, faites-moi la grâce d'en être au moins
DES SACREMENTS 3<S()
rempli pour mes propres péchés. Vous avez com-
mencé la prédication de la loi évangélique par ces
paroles très saintes et très remarquables : « Faites
pénitence^ car le royaume de Dieu est proche. »
(Matth. i). Donnez-moi le courage de pratiquer
cette vertu, faites que reconnaissant Ténormité des
injures que vous ont causées mes péchés, et con-
naissant aussi la grandeur de votre majesté offen-
sée, j'ai dorénavant cette vertu à cœur, au point
de vous satisfaire, autant que possible, pour tous
les péchés de ma déplorable vie (i).
II
Considérez quelques excellences de la vertu de
Pénitence (2).
D'abord elle est en un certain sens la première
des vertus dans la justification du pécheur, car la
grâce que Dieu lui envoie pour le faire sortir de
Tétat de péché, l'excite premièrement aux actes
de Pénitence. Comme la grâce déloge de l'àme le
péché, avant de la promouvoir au bien, ainsi pour
être justifié, le pécheur doit premièrement être
délivré du péché et l'avoir en haine, avant d'être
dirigé vers le bien et d'y arriver. En effet il faut
quitter le point de départ avant de toucher au
point d'arrivée ; c'est pourquoi il faut quitter le
péché et s'en éloigner par la Pénitence, avant que
l'on puisse atteindre le vrai bien vers lequel nous
1. Jean de Sainte-Marie, t. 2, Méd. 8. Pour se bien
confesser.
2 . D. Thom. g. 85, art. 6. — D. Bonavent. in 4, dist.
14, art. 2, p. 2, q. 3.
3gO LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
portent les autres vertus. C'est pourquoi le Fils
de Dieu commença ses saintes exhortations par
la vertu de Pénitence. O bienheureuse Pénitence,
dit un saint personnage (i), le Fils de Dieu t'a
recommandée dans les premiers de ses sermons,
quand il a dit : « Faites pénitence^ car le royaume
« des deux approche. » (Matt. 3o).
La seconde excellence de cette vertu est son
antiquité et sa durée, car, dès le commencement
du monde et après le péché d'Adam, elle a été
pratiquée et elle a sauvé tous les saints de l'ancien
Testament, qui étaient tombés dans quelque
offense, dont elle les a délivrés, comme Adam,
Noë, David et une infinité d'autres. Aussi tous les
prophètes de l'ancien Testament ont-ils exhorté
les homm.es à la Pénitence. Et quoique le Fils de
Dieu ait institué la Pénitence sous forme de sacre-
ment, la vertu de Pénitence n'a pas cessé de sub-
sister. Elle a été l'exercice commun de tous les
saints de la Loi évangélique, qui en ont fait des actes
remarquables jusqu'à la fin de leur vie, et il est
aussi à espérer que les saints qui viendront encore
jusqu'à la fin du monde, vivront dans la pratique
de cette vertu, qui déjà est des plus remarquables
par son antiquité et sa durée. Aussi le saint Doc-
teur (2) dit-il qu'elle appartient au droit naturel,
parce que la raison naturelle suggère aux hommes
et leur dicte qu'il faut réparer le tort fait à autrui
et qu'il faut satisfaire à Dieu pour les péchés com-
mis contre sa grandeur. Ce qui est principalement
1. Laurent. Justin. De perfect. grad. c. 3.
2. D. Thom. q. 85, art. 9.
DES SACREMENTS 3f)I
vrai, quand cette raison naturelle est éclairée du
rayon de la foi et assistée de la grâce, comme
elle l'a été dès le commencement du monde ; c'est
pour cela que la Pénitence a toujours été pratiquée.
La troisième excellence de cette vertu est qu'elle
comprend toujours les autres vertus et les met en
mouvement, afin qu'elles l'assistent dans ses pro-
pres actes. En effet, la foi l'éclairé et la conduit,
et sans elle, il n'y a point de justification; l'espé-
rance la fortifie, car personne ne fait pénitence,
s'il i^ l'espoir du pardon et s'il n'a confiance dans
la mi^^icorde de Dieu ; la charité la perfectionne
et la couronne, car la Pénitence n'est vraiment
parfaite que, quand elle est animée et informée
par cette vertu maîtresse; la prudence la dirige,
l'empêchant d'être défectueuse ou excessive ; la
justice l'accompagne de près, parce que son but
est de venger justement le péché et de satisfaire à
Dieu, à tel point que si la créature était capable
de satisfaire à Dieu selon l'égalité, et de lui rendre
exactement ce que le péché lui a ravi, la Péni-
tence ne serait pas distincte de la justice (i); la
I. La Pénitence est une partie potentielle de la
justice. Les vertus qui se rattachent comme parties
potentielles à une vertu principale ou cardinale, sont
celles qui ont quelque chose de commun avec la vertu
principale, mais auxquelles il manque un élément
essentiel, pour pouvoir leur être entièrement assimi-
milées. Telle est la Pénitence à l'égard de la justice.
Elle tient de la justice en ce qu'elle a pour objet la
réparation du droit de Dieu lésé, mais elle s'écarte de
la justice en ce qu'elle est incapable de satisfaire à
Dieu selon l'égalité.
392 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
force lui est des plus nécessaires, car elle est une
espèce de martyre et se plaît dans les souffrances,
les adversités, les plus rudes travaux et âpretés
de la vie spirituelle, toutes choses pour lesquelles
le courage est requis; enfin la tempérance vient à
sa suite; car cette vertu tend à sevrer l'homme des
plaisirs et des douceurs de la vie, non seulement
des plaisirs illicites, mais aussi des plus innocents
et des plus permis, afin d'exercer une plus rigou-
reuse vengeance par la privation de certains biens.
Enfin la vertu de Pénitence constitue la dispo-
sition la plus propre que puisse avoir l'homme
pour s'approcher du sacrement de Pénitence et il
a véritablement l'esprit qu'il faut pour ce sacre-
ment, quand il s'exerce dans la vertu de Pénitence.
Aussi si plusieurs s'approchent inutilement du
confessionnal et n'en retirent pas le fruit qu'ils
devraient percevoir d'un sacrement si salutaire, la
cause en est que l'esprit et la pratique de cette
vertu leur font défaut. C'est pourquoi le Fils de
Dieu ne voulut donner au monde le sacrement de
Pénitence que quatre mille ans après que la vertu
de Pénitence y eût été pratiquée. Peut-être si les
chrétiens pratiquaient cette vertu quatre jours ou
tout au moins quatre heures avant de recevoir le
sacrement de Pénitence, feraient-ils un tout autre
progrès dans la perfection, peut-être y avanceraient-
ils à pas de géant et non à pas de tortue. Or non
seulement cette vertu dispose et prépare les coeurs
au sacrement de Pénitence, mais elle fournit aussi
à ce sacrement une partie de son essence, à savoir
sa matière qui consiste dans les actes de contri-
tion, de confession et de satisfaction, qui sont les
DES SACREMKNTS SgS
actes propres de cette vertu. Il est vrai que cette
vertu ne remet pas le péché par le seul fait de
l'œuvre opérée, comme fait le sacrement de Péni-
tence, et en cela elle lui est inférieure ; mais elle
le remet en vertu de l'œuvre de l'opérant, c'est-à-
dire par l'énergie de ses actes, qui méritent d'un
mérite de convenance le pardon des péchés.
Les excellences de cette vertu sont si grandes
qu'elle est comparée à Téchelle de Jacob par laquelle
on monte au ciel. Les deux bras de l'échelle sont
ladoil^irdes péchés passés et la résolution de les
éviter a l'avenir, ses échelons sont la contrition,
la confession et la satisfaction, qui comprend en-
core trois échelons : le jeune, l'aumône et la prière.
Les Anges montent le long de cette échelle, pour
porter à Dieu les prières, les soupirs et les gémis-
sements des âmes repentantes ; ils descendent
aussi pour leur apporter les consolations du ciel.
Son extrémité touche le ciel, parce que la Pénitence
parfaite et consommée introduit le pénitent au
ciel. Dieu paraît au sommet de cette échelle et la
tient ; il exhorte ceux qui y montent en leur
disant : « Faites pénitence^ car le royaume du
« ciel est proche ». (Matt. 3) (i).
Faites sortir de ces réflexions les mêmes affec-
tions que du premier point. Regrettez encore
qu'une vertu si excellente, soit si peu connue et
si peu pratiquée par la plupart des pécheurs et par
vous spécialement. O très noble vertu, que ta puis-
sance est grande ! Tu es le refuge des humbles, le
soulagement des affligés, la porte du pardon, l'es-
I, Raulinus, Serm. 14 De Pœnii.
394 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pérance de l'indulgence, la maîtresse de la con-
naissance de notre misère, la terreur des démons,
la nourricière des vertus, la gardienne des grâces,
Tavant-courrière de la miséricorde, la source des
larmes, Tamie des anges et la règle principale de
la vie spirituelle (i). Donc, puisque cette vertu a
tant de perfection, désirez d'en^pratiquer les actes.
III
Considérez divers actes de la vertu de Péni-
tence, dont les uns sont intérieurs et résident
dans rintelligence ou la volonté, et les autres sont
extérieurs et perceptibles par les sens.
Les actes intérieurs (2) sont : la haine du péché,
par laquelle on abhorre le péché comme étant in-
jurieux à Dieu et comme rendant l'âme coupable
aux yeux de sa justice; la confusion devant Dieu,
devant les Anges, devant les hommes d'avoir
péché, confusion qui fait que nous n'osons plus
paraître; la détestation ou le déplaisir, ou bien la
contrition par laquelle on voudrait n'avoir jamais
commis le péché et on le regrette comme un grand
malheur; la douleur ou la tristesse par laquelle
on est affligé intérieurement de l'avoir commis;
le désir que Dieu soit satisfait et que la justice soit
observée à son égard par la vengeance et la puni-
tion du péché; le ferme propos démettre à exécu-
tion cette justice et cette sainte vengeance, afin
que Dieu ait son compte et que son honneur soit
réparé; l'offrande de soi-même à la justice de Dieu
1. Laurent. Just. Ibid.
2. Suarez, disp. 3, sect. i et a. De pœnit ,
DES SACREMENTS 3c)b
pour soLilVrir tels châtiments qu'elle ordonnera; la
recherche de tous ses péchés par un examen de
conscience attentif et sérieux; l'accusation inté-
rieure et spirituelle de tous les péchés devant
Dieu; la satisfaction par les actes intérieurs de
l'oraison, de la méditation et des autres exercices
spirituels; la résolution de garder à l'avenir les
commandements divins; la joie d'avoir fait péni-
tence et d'avoir satisfait à Dieu; car, dit saint Au-
gustin %^, que le pénitent s'attriste du péché, et
qu'il se rejouisse de sa tristesse.
Les actes extérieurs sont encore en beaucoup
plus grand nombre. Car, comme la Pénitence a
deux offices qui sont d'expier le péché passé et de
l'évitera l'avenir, elle provoque plusieurs sortesd'ac-
tions qui sont propres à ces fins, quoique ces mê-
mes actions puissent être produites par d'autres
vertus, mais pour d'autres motifs (2). Telles sont
les austérités corporelles, ces inventions cruci-
fiantes que l'esprit de vraie pénitence a fait décou-
vrir aux saints en plus grand nombre que les plaisirs
divers inventés pour leur propre contentement
par tous ceux qui s'aiment eux-mêmes. Telles
sont aussi les retraites et les solitudes, pour éviter
les occasions de tomber dans le péché. Telle est
la confession publique ou secrète de ses péchés.
Telles sont toutes les œuvres de satisfaction qui font
subira l'homme par leur rigueur et àpreté quelque
chose des peines dues pour leurs offenses. Si ces
peines semblent contraires à la nature, elles sont
1. De vera et falsa pœnit . c. 13.
2. Suarez, disp. 6, sect. i et 2.
3g6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pourtant conformes à la grâce et aux paroles de
Dieu qui y invite les pécheurs par les prophètes?
les évangélistes et les apôtres, notamment par
saint Paul, qui donne l'exemple quand il dit : a Je
« châtie mon corps^ de peur qu'après avoir prê-
« chéles autres, je ne sois réprouvé y> (I Cor. 9);
le mot grec signifie : Je plombe mon corps^ je le
rends bleu àf or ce de coups {i). Depuis tous les saints
ont pratiqué diversement ces actes et ont usé d'une
merveilleuse sévérité contre eux-mêmes. Les livres
de tous les siècles en rendent témoignage; ils
reprochent aux mondains leur vie délicate et leur
donnent sujet d'appréhender des châtiments éter-
nels, à défaut des châtiments temporels qu'ils
ont en extrême aversion. Il suffit de lire la vie de
ces grands hommes et de quelques femmes écrite
par Théodoret (2), pour voir combien sont variés les
actes de la Pénitence. On dirait que ce ne furent
pas des hommes, tant leur vie est prodigieuse à
cause des croix et de l'austérité, si l'auteur même
qui en fait le récit n'avait été témoin oculaire de la
plupart des faits, s'il n'avait touché les chaînes de
fer dont ils se chargeaient le corps par pénitence,
s'il n'avait visité leurs retraites et examiné leur vie •
Apprenez à choisir dans cette multitude d'actes
ceux que vous pratiquerez, afin de satisfaire à Dieu
pour vos offenses et de venger ces offenses' sur vous-
mêmes. Si vous ne l'avez pas fait jusqu'à présent»
nous n'en êtes pas meilleur ; ayez-en de la confu-
sion. Si vous ne le faites pas à l'avenir, appréhendez
1. « Lividum facio . » A Lapide, ibidem.
2 . In Histor. relig .
Dl'S SACREMENTS .•>97
la justice de Dieu ; vous n'êtes pas plus cher à
Dieu que les Saints qui ont pratiqué ces péni-
tences et vous ne devez pas penser que Dieu vous
donnera son paradis à meilleur compte qu'à eux.
Car pourquoi le ferait-il ? Qu'ètes-vous de plus
qu'eux, sinon peut-être un plus grand pécheur, un
chrétien chargé de plus grands crimes.
XXr MÉDITATION
DU SACREMENT DE PÉNITENCE
ET DE
CE QUI LUI EST ESSENTIEL
SOMMAIRE
La Pénitence est aussi un sacrement de la Lot
nouvelle qui consiste dans les actes du péni-
tent d'une part et dans l'absolution du prêtre
d'autre part. — Les actes du pérÀtent, contri-
tion.^ confession et satisfaction sont pénibles et
laborieux. — Vertu, de r absolution.
I
CONSIDÉREZ que la Pénitence n'est pas seu-
lement une vertu, mais qu'elle est aussi
un sacrement de la nouvelle Loi, qui consiste
d'une part dans la douleur des péchés, dans leur
SgS LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
déclaration au prêtre et dans la satisfaction pour
les mêmes péchés, et d'autre part dans les paroles
de l'absolution prononcées vocalement par le
prêtre, pour remettre les péchés commis après le
baptême. Dans cette définition sont contenues les
parties essentielles de la Pénitence considérée non
plus comme une vertu morale, mais comme l'un
des sept sacrements institués par Jésus-Christ et
donnés à l'Eglise pour la sanctifier. Elle est ap-
pelée ici sacrement, parce qu'elle renferme une
multitude de signes sensibles ou de cérémonies
religieuses instituées par Jésus-Christ pour repré-
senter et produire la grâce. Ces figures sensibles
sont d'une part la contrition, la confession et la
satisfaction, et d'autre part l'absolution du prêtre.
Ces choses en effet signifient que le pécheur est
quitte et affranchi de son péché et qu'il est remis
en grâce et réconcilié avec Dieu. On conjecture en
effet qu'une personne n'est plus dans le péché,
quand on lui voit produire au sujet de ses péchés
des actes de douleur, de confession et de satisfac-
tion ; mais on en a comme la certitude, lorsque
le juge plein de pouvoir et d'autorité lui remet son
péché et la renvoie absoute. Car il y a bien moins
de raisons de douter après l'arrêt prononcé par le
juge en faveur d'une personne, que lorsqu'il n'y a
encore en elle que les seuls actes de douleur, de
confession et de satisfaction ; ces actes ne mar-
quent pas aussi évidemment l'état de grâce et la
sortie du péché que ne le fait la sentence d'absolu-
tion prononcée avec l'autorité et le pouvoir légiti-
mes. C'est pourquoi les actes de douleur, de con-
fession et de satisfaction tiennent lieu de matière
DES SACREMENTS 3()9
dans ce sacrement et l'absolution du prêtre en est
la forme, le couronnement et la perfection, car elle
signifie avec plus de certitude et d'évidence la
grâce sanctifiante qui elTace les péchés. Le saint
Docteur (i) confirme cette doctrine ; il dit en effet
qu'il est manifeste que dans la Pénitence les cho-
ses se passent de telle sorte qu'il y a quelque chose
de saint qui est signifié, tant du côté du pécheur
qui se repent, que du côté du prêtre 'qui absout.
Le pécheur montre qu'il est éloigné du péché par
ce qu'il fait et par ce qu'il dit; également ce que
fait et ce que dit le prêtre sur le pénitent signifie
l'œuvre de Dieu qui remet les péchés. D'où il est
évident que la Pénitence qui se pratique dans
l'Eglise est un sacrement.
Il est ajouté à la fin de la définition que ce
sacrement consiste dans les actes de douleur, etc.,
et dans l'absolution du prêtre, pour remettre les
péchés commis après le baptême. Le péché origi-
nel et ceux que commettent les adultes avant la
réception du baptême, sont remis par le baptême.
Si l'on vient à pécher après le baptême, ce qui
arrive ordinairement aux hommes faibles, il est
nécessaire, — car le baptême ne peut être réitéré,
— d'avoir recours à la Pénitence, qui répare et
accroît les biens de la grâce acquis par le baptême.
C'est ce qui a donné sujet d'appeler la Pénitence,
la seconde planche après le naufrage (2); car
quand nous nous noyions et nous nous abîmions
dans la mer du péché originel, le baptême a été
I. D. Thom. q. 84, art. i.
3, ^Secunda post naufragium tabula, »
400 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
notre première planche, sur laquelle nous sommes
montés pour échapper au naufrage, et lorsque
nous nous sommes perdus de nouveau et noyés
dans d'autres péchés survenus après le baptême,
nous avons pour seconde planche la Pénitence,
afin de nous sauver sur cette planche une seconde
fois. On rappelle aussi la seconde échelle après
le baptême; car par elle le chrétien peut de nou-
veau remonter à Jésus-Christ. Cette échelle a
trois échelons : la contrition dans Tàme, la con-
fession dans la bouche et la satisfaction dans
l'action, au moins en désir ; après cela vient
l'absolution et ainsi l'homme arrive à la rémission
et au pardon. Il s'unit de nouveau à Jésus-Christ
et se réconcilie avec lui.
Louez Dieu de vous avoir donné ce sacrement
pour réparer les fautes commises après votre bap-
tême. Il faut certes que sa bonté soit grande et
sans bornes, puisqu'il a formé de toute éternité
le dessein d'instituer ce sacrement, pour suppléer
au bapêtme qui ne se donnerait qu'une seule
fois ; car Tàme se montre beaucoup plus ingrate
quand elle offense son Dieu après la faveur et la
grâce du baptême, et Dieu n'aurait qu'un trop
juste sujet de l'abandonner dans son péclié, après
l'en avoir une fois retirée. Mais sa bonté ne se
fixe pas de limites dans ses œuvres. Il institue ce
sacrement pour servir comme d'un nouveau bap-
tême, quand l'àme sera retombée dans son état
de perdition, afin qu'elle n'entre pas en défiance
et ne se désespère pas après ses rechutes,
comme si Dieu qui lui a pardonné une fois dans
le baptême, ne voulait plus pardonner les fautes
DES SACREMENTS 40I
que Ton commettrait après le baptême, à Texem-
ple des souverains de la terre qui ne pardonnent
ordinairement pas une seconde fois les infidélités
commises envers eux, et qui trouvent que c'est
beaucoup de les pardonner une fois. Dieu institue
ce sacrement comme mo3'en de salut et pour la
sécurité du pécheur; car le pécheur entend le
prêtre qui tient la place de celui qui a été offensé
et contre qui le péché a été commis, lui donner
l'absolution. O Dieu éternel ! qu'elle est douce la
manière de procéder de votre Providence admira-
ble! Elle rappelle suavement et elle ramène à
vous les âmes pécheresses, elle donne des signes
sensibles et des témoignages évidents de votre
amour à des créatures ingrates qui ne mériteraient
que des foudres et d'horribles châtiments. Oh ! Je
désire à votre exemple donner de véritables signes
de réconciliation à qui m'aura offensé, etc.
II
Considérez plus particulièrement que ce sa_
crement consiste dans les actes du pénitent,
qui sont la contrition, la confession, la satisfac-
tion. Ces trois actes appartiennent à l'essence ou
à l'intégrité et à la composition de la Pénitence ;
ils en sont la partie matérielle (i). Ce sont trois
I. Il existe sur ce point une grave controverse. Tous
les théologiens admettent, surtout depuis le Concile de
Trente, que les actes du pénitent sont dans un certain
sens la matière prochaine du sacrement de Pénitence,
mais le sont-ils de telle sorte qu'ils aient été institués
par Jésus-Christ comme devant former, unis à l'absolu-
Bail, t. IX. 36
402 LA THEOLOGIE AFFECTIVE
actes pénibles, laborieux et difficiles à pratiquer. Ce
point est d'autant plus important que ce semble être
une chose particulière à ce sacrement. Car dans
les autres sacrements l'homme n'agit pas, comme
par exemple dans le baptême, où l'eau lui est appli-
tion du prêtre, le signe efficace de la grâce, ou, en
d'autres termes, les actes du pénitent produisent-ils la
grâce ex opère operato ? L'auteur embrasse cette dernière
opinion, puisqu'il dit un peu plus loin (page 405) : que
« les actes du pénitent sont cause efficace et sacramentelle
« de la grâce, en vertu de l'œuvre opérée, comme l'est l'eau
« du baptême. » Cette opinion, combattue par Scot et
les scotistes est aujourd'hui de beaucoup la plus com-
mune ; c'est celle de saint Thomas et des thomistes,
tels que Gonet, Bellarmin, Suarez, Vasquez, de Lugo.
Le Concile de Trente dit(sess. 14, chap. 3) : ^Les actes
« suivants du pénitent : la contrition, la confession et la
« satisfaction en sont comme la matière (du sacrement
« de Pénitence). Ces actes sont appelés parties de la Pé-
« niience, parce que, d'après l'institution de Dieu, ils
« sont requis dans le pénitent pour que le sacrement re-
.« çoive son intégrité et lui procure pleine et entière rémis-
« sion de ses péchés. » Le Concile n'aurait pas dit que
ces actes sont des parties de la Pénitence, s'ils n'étaient
qu'une simple condition pour recevoir ce sacrement, et
si ces mots ^ comme la matière'» ne signifiaient qu'une
simple condition. Le Catéchisme romain donne d'ailleurs
la raison pour laquelle le Concile a employé cette ex-
pression : « Ces actes ne sont pas appelés par le saint
« Concile comme la matière de ce sacrement, pour cette
« raison qu'ils n'en seraient pas véritablement la matière,
« mais parce qiCils ne sont pas une matière de la
« même espèce que celle qui est employée extéricure-
« ment, comme l'eau dans le baptême et le chrême dans la
DES SACREMENTS 40J
quée par un autre, ou dans la Confirmation, dans
laquelle il reçoit le chrême, etdans l'ExtrèmeOnc-
tion, où il est oint par le prêtre sans faire lui-même
aucune action. Et, quoiqu'il semble agir dans
l'Eucharistie en mangeant Thostie et dans l'Ordre
en touchant les objets sacrés et dans le Mariage en
donnant son consentement, néanmoins tous ces
actes sont si faciles que Ton considère l'homme
comme ne contribuant en rien à ces sacrements (i).
« confirmation. » (p. 2, c. 5, n. 13). Le même Concile
« fournit un autre argument en faveur de cette doctrine
quand il « enseigne de plus que la forme du sacrement de
« Pénitence, où réside principalement sa vertu, consiste
« dans ces paroles du ministre : Je f absous, etc. » (vers. 14
ch. 3); ces paroles supposent clairement que la vertu
de ce sacrement réside aussi dans sa matière, qui ne
peut être autre chose que les actes du pénitent. A no-
ter aussi que seuls les actes extérieurs et sensibles peu-
vent être la matière du sacrement; or de ces trois actes
du pénitent il n'y a que la confession qui soit sensible
par elle-même, il n'y a donc que la confession qui soit
par elle-même la matière de ce sacrement, mais la con-
fession faite en vue de recevoir l'absolution et par con-
séquent accompagnée de la contrition et de la volonté
de satisfaire à Dieu.
I. C'est faux pour le sacrement de Mariage, puisqu'il
est certain que le signe sacramentel se trouve tout en-
tier dans le consentement des futurs époux, exprimé
verbalement ; d'après l'opinion la plus commune, les
paroles par lesquelles on formule le consentement sont
la matière du mariage, en tant qu'elles expriment la
tradition des corps, et en sont la forme, en tant qu'elles
expriment l'acceptation de cette tradition. Aussi est-il à
noter que le sacrement de Pénitence ressemble plus qu'à
404 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
De telle sorte qu'il n'y a que le sacrement de Pé-
nitence qui soit composé des actes de celui qui le
reçoit, pour lesquels actes il éprouve de la diffi-
culté et s'évertue avec peine et travail. Le saint
Docteur (1) a donné la raison de cette différence.
Les sacrements, dit-il, sont comme des remèdes
destinés à rendre la santé. Or, parmi les remèdes,
les uns consistent dans certaines choses extérieu-
res que Ton applique au malade, tels que les em-
plâtres et les appareils; les autres consistent dans
certains actes de ceux qu'il faut guérir, tels que
certains exercices que prescrivent les médecins.
C'est de cette dernière espèce qu'est le sacrement
de Pénitence ; c'est un remède de la maladie, qui
consiste dans les actes du malade. Il faut qu'il
peine et qu'il s'exerce, qu'il se remue et qu'il
agisse en formant des actes de douleur, en se con-
fessant, en réparant les mauvaises œuvres de son
passé par des bonnes œuvres contraires. Au reste
cette comparaison explique pourquoi les actes de
tout autre au sacrement de Mariage. L'un et l'autre ont
cela de commun qu'ils n'ont pas de matière éloignée qui
entre dans leur composition. La raison en est que, dans
ces deux sacrements, le signe sacramentel réside tout en-
tier dansson action. Or les actions ne comportentpasune
application spéciale, telle qu'elle est nécessaire pour la
matière proprement dite, par exemple pour l'eau et le
saint-chrême. On ne saurait considérer les péchés
comme la matière éloignée destinée à faire partie du
sacrement de Pénitence, car Jésus-Christ n'a pas institué
les péchés comme un signe capable de sanctifier. (Cf.
S. Thom. 3, q. 14, a. i).
I. Ibid. ad. i.
DES SACREMENTS 4o5
l'homme interviennent dans '-e sacrement, mais
elle n'explique pas suffisamment pourquoi ce sont
des actes pénibles et difficiles à la nature, car on le
constate par ce fait que plusieurs ont une grande
violence à se faire pour avoir la contrition et qu'ils
endureraient plus facilement des jeûnes et de ru-
des disciplines que de s'accuser à un prêtre de
leurs péchés honteux. Aussi il faut encore consi-
dérer que ces actes sont laborieux et pénibles,
parce qu'il faut détruire les péchés commis après
le baptême et qui, par cela même, sont plus volon-
taires et plus injurieux à Dieu. Car avant le bap-
tême, le principal péché qui règne en nous est le
péché originel, que nous avons contracté plutôt
par la volonté d'Adam, notre premier père, que
par notre propre volonté. Si ceux qui sont baptisés
dans un âge plus avancé ont commis d'autres pé-
chés, auxquels leur volonté propre a donné son
consentement, il est vrai néanmoins de dire que la
nature corrompue et inclinée au mal par le pli que
lui a donné le péché originel, pousse grandement
à les commettre, tandis qu'après le baptême, la
nature étant réparée, le péché originel étant aboli
et l'inclination au mal affaiblie par la grâce sancti-
fiante et par les vertus infuses, tout péché que
commet l'homme vient de son propre gré et de son
propre consentement; c'est pourquoi il est inexcu-
sable. Ajoutez à cela que dans le baptême l'homme
reçoit de Dieu des bienfaits signalés qui surpas-
sent toutes nos pensées, et que, comme l'offense
croît en gravité selon qu'elle renferme plus d'in-
gratitude et qu'elle se commet contre un bienfai-
teur plus grand et plus libéral, les péchés des
406 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
hommes sont pour ce motif plus graves. En effet
les hommes perdent l'état de grâce qui leur avait
été acquis par le sang précieux de Jésus-Christ, ils
n'offensent pas seulement Dieu comme Créateur,
mais aussi comme Rédempteur et Sauveur, qui
les avait délivrés par son sang, ils offensent toute
la société chrétienne et tous les membres de Jésus-
Christ, ils outragent un Dieu fait homme et cru-
cifié pour leur salut, un Père très clément et leur
Libérateur très bon. Or, plus Dieu a fait pour
nous, plus il s'est sacrifié à nos besoins, plus est
atroce et sanglante l'injure qui lui est faite (i)-
Puisqu'il en est ainsi, Dieu a de justes raisons
d'effacer de tels péchés par un sacrement plus
pénible, plus rude, plus humiliant, plus mortifiant
et qui coûte davantage aux chrétiens, car ils ont à
produire des actes de douleur, à découvrir leurs
vices, à y payer des amendes et à faire des œuvres
satisfactoires. L'énormité de leurs péchés et leur
ingratitude après le baptême ont mérité un châti-
ment plus grand. Ainsi il ne faut pas s'étonner
que les actes humains pénibles et laborieux entrent
dans la composition de la Pénitence et qu'ils ap-
Dartiennent à l'essence et à intégrité de ce sacre-
ment.
Il faut plutôt reconnaître l'équité de la Provi-
dence et de la conduite de Dieu sur le salut des
hommes, de cette Providence qui sait ordonner
toutes choses avec sagesse et avec une justice admi-
rable. Il faut apprendre par là à avoir ses péchés
de plus en plus en abomination, en pensant qu'on
I. Raymondus Sabond. in L. créât, ûi. 295.
DES SACREMENTS 407
a eu Taudace de les commettre après le baptême
dans lequel on avait reçu le prix du sang précieux
de Jésus-Christ, c'est-à-dire un état de grâce qui
lui avait coûté d'ineffables douleurs et même la
vie sacrifiée dans ce but. Quelle confusion ne doit
point ressentir un chrétien à cette pensée? Mais
combien sa confusion doit être plus grande, si
non seulement il a été baptisé, mais s'il a été
aussi confirmé, s'il a reçu la sainte Eucharistie, si
l'absolution et le pardon lui ont été accordés, plu-
sieurs fois même; alors il n'j'- a pas de paroles
capables de faire comprendre la gravité de ses
crimes ainsi que la grandeur.de la pénitence et de
la satisfaction qu'il devrait en faire. Qu'il souffre
donc volontiers ce qu'il y a d'âpreté et de rigueur
dans le sacrement de Pénitence, qu'il n'estime
pas trop faire, quand il s'efforce de produire des
actes de contrition, de confession et de satisfac-
tion, qu'il croie au contraire qu'à ce prix, il s'en
tire à bon marché et qu'il loue Jésus-Christ, pour
avoir institué ces choses.
III
Considérez la vertu de l'absolution. Quoique les
actes du pénitent interviennent comme parties
essentielles dans ce sacrement, et qu'ainsi ils
soient causes efficaces et sacrementelles de la
grâce en vertu de l'œuvre opérée, comme l'est
l'eau du baptême; néanmoins le pénitent ne s'ab-
sout pas lui-même de ses péchés, c'est le prêtre
qui seul l'absout, quand il applique la forme en
disant : «/^ f absous de tes péchés. y> Cette consi-
dération est nécessaire pour éviter une difficulté
4o8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
que Ton pourrait faire contre ce que nous venons
de dire. Car l'effet du baptême n'est pas attribué
seulement à la forme et à la vertu des paroles,
mais aussi à l'eau; c'est ce que dit Saint Augus-
tin (i) en ces termes : D'où vient à l'eau une si
grande vertu qu'elle touche le corps et lave le
cœur ? Pourquoi donc également les actes de dou-
leur et de confession qui sont la matière de la
Pénitence, n'effacent-ils pas les péchés, et pour-
quoi le pénitent ne s'attribuerait-il pas cet effet,
puisque ces actes procèdent de lui? Le Docteur
angélique (2) a écrit sur ce sujet des paroles très
remarquables, pour contenir l'esprit humain dans
l'humilité et l'empêcher de rien attribuer à sa
propre vertu. Il affirme que la Pénitence est ins-
pirée aux hommes suivant les paroles du pro-
phète : « Après que vous m'ave^ converti^ f ai fait
pénitencey> (Jér. 3i); il dit que les actes humains
qui en sont la matière, viennent de l'inspiration
de Dieu et qu'ainsi c'est Dieu opérant seul qui
fournit la matière de ce sacrement, que le prêtre
achève, quand il absout le pécheur. D'où il nous
laisse à conclure combien est misérable l'homme
pécheur et pénitent, combien sa pauvreté est
grande, afin qu'il ne s'attribue pas l'absolution de
ses fautes, mais qu'il l'attribue toute à Dieu, qui
lui a inspiré les actes de contrition et de confes-
sion et qui a donné au prêtre les clefs et le pou-
voir pour prononcer efficacement cette parole : a Je
f absous de tes péchés y>. D'autres théologiens (3)
I. Tract. 80 IN JoAN : ««/ corpus tangaiet cor abluat. »
3. Thom. q. et art. iisdem, ad 2.
3. Suarez, disp. 28, sect. 2.
DES SACREMENTS 409
répondent que les actes de douleur et de confes-
sion ne contribuent pas autrement en vertu de
l'œuvre opérée, qu'en tant qu'ils sont unis à la
forme et aux paroles de l'absolution, et que par
elles ils sont élevés à cette haute puissance de
remettre les péchés, et qu'en conséquence la rémis-
sion des péchés ne doit être attribuée qu'au prê-
tre, qui applique la forme. D'auires(i) disent que,
pour absoudre des péchés, il faut produire la
grâce comme juge par le pouvoir juridictionnel, et
que cet acte convient au prêtre seul, et non pas au
pénitent. Enfin de même que lorsqu'il s'agit d'un
composé naturel ou artificiel, l'honneur d'avoir
accompli l'œuvre est attribué seulement à celui
qui en produit la forme ou qui l'unit à la matière
et n'est nullement attribuée à l'auteur de la
matière, comme c'est à l'architecte qui a donné la
forme à l'édifice, plutôt qu'à ceux qui ont fourni
la pierre et le ciment, que revient l'honneur de
l'avoir bâti; de même celui qui efface les péchés,
c'est le prêtre qui donne la forme à ce sacrement
et non pas le pénitent qui y apporte la matière.
Or, ce qui est ici plus considérable, c'est la
manière dont le prêtre remet les péchés dans ce
sacrement; ce n'est pas seulement par prière et
supplication adressées à Dieu, mais c'est par une
autorité et une puissance qui lui est communiquée
par Dieu. Il ne déclare pas seulement que le
pécheur est absous de ses péchés à cause de sa
douleur ou de sa contrition, mais il l'absout véri-
tablement et efface ses péchés, aussi bien qu'il le
I. Nœrat. De pœnit. disp. 3, sect. i.
410 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
fait dans le baptême, quand versant de Teau il
prononce ces paroles : Je te baptise, etc. C'est
pourquoi Saint Ambroise (i) dit : Jésus-Christ
veut que ses disciples aient un grand pouvoir; il
veut que ce qu'il faisait sur la terre, ses petits
serviteurs le fassent également en son nom. Enfin
il leur dit : vous ferez de plus grandes choses
encore. Saint Ambroise ajoute après plusieurs
exemples : Dans le baptême se trouve la rémission
de tous les péchés. Qu'importe que les prêtres
s'attribuent ce droit par la Pénitence ou par le
Baptême ? Saint Jean Chrysostome (2) dit qu'il y a
une différence entre les prêtres de l'ancienne Loi
et ceux de la nouvelle ; ceux-là avaient le pouvoir
non pas de guérir les lépreux, mais de déclarer
qu'ils étaient guéris, quant à ceux-ci, ils ont le
pouvoir pour ce qui regarde non plus la lèpre du
corps, mais celle de l'àme, je ne dis pas de décla-
rer que cette lèpre est guérie, mais de la guérir
entièrement. En effet, de même que Jésus-Christ
en disant ces paroles : inAlle^, enseigne:^ toutes les
« nations^ haptise^-Jes au nom du Père, du Fils
« et du Saint-Esprit » (Matt. 28), institua la forme
du baptême, forme qui signifie et qui produit son
propre effet, à savoir la grâce sanctifiante et la
rémission de tous les péchés; également, quand
il a dit ces paroles : « Recevez le Saint-Esprit^ les
« péchés seront remis à qui vous les remettre^ »
1. L. 1. De pœnit, c. 1 : ^Quid interest uirum per
« pœnitentiam aut per lavacrum^ hoc jus sibi datum
« sacerdotes vendicent? ».
2. De sacerd. 1. 3, c. 6.
DES SACREMENTS 41 I
(Jean, -jo;, il institua la forme du sacrement de
Pénitence : Je f absous de tes péchés. Cette forme
est à la fois significative et effective de son propre
effet, ainsi qu'il appartient à la forme des sacre-
ments et comme cet effet est la grâce sanctifiante
qui remet tous les péchés mortels, elle a le pou-
voir et la vertu de la produire. C'est pourquoi,
quand le prêtre prononce ces paroles, il fait une
œuvre de sanctification, il fait grâce au pécheur,
le pardonne, et le purifie de ses taches ; ce qui
l'oblige à être saint et immaculé, puisque les
pécheurs espèrent et recherchent d'être sanctifiés
par lui (i). Le Docteur séraphique (2) dit que
Dieu ayant des différends avec le pécheur, a fait
un compromis; il a choisi le prêtre comme arbi-
tre de ces différends, afin de mettre fin par le
jugement du prêtre à des inimitiés réciproques et
de faire la paix. C'est pourquoi le prêtre exhorte
le pécheur à déclarer sa faute entièrement, à
demander pardon à Dieu avec regret et humilité,
et, lui ayant fait remplir ces devoirs de soumis-
sion, il l'absout de ses péchés et le condamne à quel-
que amende spirituelle, à savoir à une pénitence
qu'il lui enjoint d'observer. N'est-ce pas là tout
ce que pourrait faire un arbitre entre un grand
prince porté à la miséricorde et un homme de
basse condition qui aurait eu des torts ? Mais si
c'est un honneur très grand d'être choisi par un
roi de la terre comme arbitre de ses différends, il
n'y a pas de paroles qui soient capables d'exprimer
1. Guillel. Paris. De Pœnit. c. 21.
2. In 4, disp. 15, p. 2, art. i, q. 2.
412 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
quel honneur c'est pour les prêtres d'être choisis
par Dieu même comme arbitres, avec le pouvoir
de réconcilier Dieu avec les pécheurs et les pé-
cheurs avec Dieu.
Etonnez-vous donc de ce merveilleux pouvoir
que reçoivent des hommes mortels et misérables,
pouvoir qui consiste à administrer ce sacrement.
Oh ! que Dieu est admirable, « qui a donné un
« tel pouvoir aux hommes! » (Matt. 9). Oh!
quelle confiance doit avoir le pécheur de voir ses
différends et ses inimitiés avec Dieu se terminer à
son avantage, puisque celui qui a été choisi par
Dieu pour arbitre et pour juge est de son parti !
C'est un homme comme lui, un homme qui con-
naît par sa propre expérience l'infirmité humaine,
en face de laquelle il est par conséquent plus dis-
posé à éprouver de la pitié. Cet état de chose
n'est-il pas plus souhaitable, que si c'était un
ange du ciel étincelant comme la foudre et plus
brillant que le soleil ? Oh ! Dieu ! quel saisisse-
ment, quelles angoisses éprouverait le pécheur à
manifester ses souillures sous les yeux de cette
pureté, ainsi que ses infirmités et ses défauts à la
face de cette grandeur du ciel ? Quelle crainte que
cet ange, qui a une autre nature que lui, refusât
d'être gracieux et favorable à son égard ! Quel res-
pect faut-il donc témoigner au prêtre à qui la
puissance du ciel a été confiée ! Car Dieu le Père
« a remis tout jugement à son Fils. » (Jean, 6).
C'est pourquoi si celui qui aurait reçu du roi le
pouvoir d'emprisonner ou de mettre en liberté
qui il voudrait, serait admiré dans le royaume et
redouté, que ne doit-on pas éprouver en face du
DES SACREMENTS 4l3
prêtre, qui a reçu un pouvoir d'autant plus grand
que ràmc l'emporte sur le corps et le ciel sur la
terre ? Quel est donc le prêtre qui osera peu
estimer son état, et à qui sa condition déplaira
comme une chose basse ? Arrière, arrière une telle
folie, de mépriser une si grande puissance, sans
laquelle nous ne pouvons acquérir le salut ni les
biens qui nous sont promis (i) !
XXir MÉDITATION
DES EFFETS
DU SACREMENTJDE PÉNITENCE
SOMMAIRE
Le grand effet du sacrement de Pénitence est la
rémission de tous les péchés mortels sans délais
sans fin et à tout jamais — Un autre effet du
sacrement de Pénitence est la restitution de la
grâce et des vertus perdues — Autres effets
qui sont la conséquence de ceux-là.
I
CONSIDÉREZ qu'un des grands effets du sacre-
ment de Pénitence, est la rémission de
tous les péchés mortels, sans exception, sans délai,
sans fin et à tout jamais. Dieu promet cet admi-
I . D. Chrysost. ubi supra, c. ^.
414 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
rable effet à la vertu de Pénitence. « Si l impie
« fait pénitence, je ne me souviendrai plus de
« ses iniquités. » (Ezéch. 18). Et encore : « Qiie
<(. l'impie abandonne sa voie, qu'il se convertisse
« au Seigneur et il obtiendra m.iséricorde. »
(Is. 55). Il n'y a point en effet de péché qui ne
cède à la puissante vertu de la Pénitence. Or il est
constant que le sacrement de la Pénitence a plus
d'efficacité que la vertu même de Pénitence ;
parce que son effet est infaillible, et que ce sacre-
ment agit en vertu de Tœuvre opérée, alors même
que le pécheur n'a que la douleur de Tattrition.
C'est pourquoi il efface également tous les péchés
mortels, sans en excepter un seul, car en vérité
Jésus-Christ n'excepte rien quand il dit : « Les
« péchés seront remis à ceux à qui vous les re-
« mettre^. » (Jean, 20). Aussi ne peut-il jamais
arriver qu'un péché mortel soit remis dans une
même âme et qu'au même instant les autres ne
soient pas remis également, car tout péché mor-
tel est remis par l'infusion de la grâce sanctifiante,
qui est incompatible avec n'importe quel péché
mortel. C'est pourquoi s'il pouvait se faire que
tous les péchés des démons et des damnés fussent
réunis dans une même âme et que cette âme re-
çut seulement la centième partie de la grâce sanc-
tifiante qui est donnée à un enfant nouvellement
baptisé, ce serait assez pour purifier cette âme de
tous ses péchés et la rendre nette au yeux de
Dieu, comme un rayon de soleil. Dieu en effet ne
pardonne pas à demi, il pardonne tout ou rien,
pour ce qui est des fautes et des offenses mortelles.
Aussi « les œuvres de Dieu sont parfaites », di-
DES SAC REM H NT S 4l5
sait Moïse (Deut. 32), et saint Paul ajoute : « //
« « j' a aucun sujet de damnation dans ceux qui
« sont en /ésus-Christ. » (Rom. 7). Pour énor-
mes que soient les péchés, pour sanglants et
atroces qu'on puisse les imaginer, quand ce serait
des monstres de péché et des furies de concupis-
cence, si la Pénitence s'étend jusqu'à eux, elle
les efface et les absorbe entièrement. Il n'y a que
le péché de l'obstination et de l'impénitence finale
qui soit irrémissible, parce que la Pénitence n'a
pas de prise sur lui et que le pécheur ne lui sou-
met jamais ce péché, avec lequel il meurt et périt.
Non seulement le sacrement de Pénitence dé-
truit tous les péchés sans exception, mais il les
détruit aussi sans délai et sans retard ; au même
instant où l'absolution est prononcée, le pardon
en est donné et entériné absolument autant pour
mille péchés que pour un seul, la grâce ne met-
tant pas plus de temps pour remettre un million
de péchés, que pour en remettre un seul. La
Pénitence est prompte, dit la Bouche d'or (i),
mais la rémission est encore plus prompte ; d'ail-
leurs il n'y a aucune raison pour que la rémission
soit différée. De même que le péché mortel ne
met pas de temps à détruire la grâce sanctifiante,
et à en priver l'âme qui le commet, de même
cette grâce ne tarde pas à détruire et à ruiner tous
les péchés. Si bien qu'une ancienne version de
l'Ecriture sainte souvent alléguée par de graves
auteurs (2), portait dans Ezéchiel : « A quelque
1. Homil. I, tnPsal. ^o.
2. Lanspergius, in Pharetra div. amor.
4l6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
« moment que gémisse le pécheur^ je ne me sou-
« viendrai plus de toutes ses iniquités. »
(Ezéch. i8). Cette vérité est confirmée par un dé-
vot contemplatif (i), qui fait parler ainsi Dieu
lui-même. Je pardonne mille péchés comme un
seul. Je vais dire une chose merveilleuse et digne
d'étonnement, et qui cependant doit être tenue
pour vraie d'une foi très certaine et indubitable.
Si tout Tunivers était un globe de feu et qu'au mi-
lieu il y eût une poignée d'étoupes, elle ne s'en-
flammerait pas aussi promptement que mon
insondable miséricorde ne reçoit le pécheur pénitent
qui veut se convertir. Car dans cette action na-
turelle il y a quelque durée, il y faut un certain
temps, pour si petit et si imperceptible qu'il soit;
mais il n'y en a aucune entre le pénitent et celui
qui remet le péché, entre celui qui gémit et celui
qui exauce son gémissement.
Considérez de plus que cette rémission se re-
nouvelle sans fin, non pas trois ou quatre fois
seulement, mais autant de fois que le pécheur fait
pénitence. « Toutes les fois qu'ils ont fait péni-
« tence^i il leur a donné la force de résister. »
(Judith, 5). « Dieu., dit le prophète, oublier a-t-il
« de faire miséricorde'^ » (Ps. 76.) Sa miséricorde
est une source qui ne peut tarir ou être épuisée
par la multitude des pardons que l'on en tire. Le
Fils de Dieu instruisit saint Pierre de ce mystère, et
à cause de sa qualité de Chef de l'Eglise, de
Prince des apôtres, de tous les pasteurs et de tous
les confesseurs, il lui apprit qu'il fallait pardonner
I. In Instit. cJirist. ad virer. Claram.
DES SACREMENTS 417
sans tin et sans limite : « Je ne dis pas jusquà
« sept fois, mais jusqu'à soixante dix-sept fois
« sept fois » (xMatt. i8) ; ce qui fait quatre cent
quatre-vingt dix fois (i). Cette parole donnait
sujet à saint Jean Chrysostome, le plus zélé de
tous les anciens Pères à entendre les confessions
et à absoudre les pénitents, de les inviter à venir
réveiller pendant son sommeil, pour se faire
absoudre. Il leur disait ces paroles : Si vous re-
connaissez votre état dix mille fois par la péni-
tence, entrez dans TEglise, je suis toujours prêt à
recevoir les pénitents. Ainsi il n'y a point lieu
pour le pécheur de désespérer du pardon, à la
vue de la multitude de ses rechutes, dont il peut
se relever toutes les fois. Si TertuUien (2) dit qu'il
ne faut faire qu'une fois pénitence, il entend par-
ler des pénitences publiques ; quand un pénitent
avait fait une pénitence publique pour de grands
crimes, s'il était relaps, toute sa vie il était con-
sidéré comme irrégulier, quoiqu'il ne laissât pas
d'obtenir le pardon devant Dieu par la confession
secrète (3). Mais qu'est-il besoin de plus longs dis-
1. D. Hieron. ibid. « Id est quadringentis nonaginta
« vicibus. » anno Christi 56, apud Nicephor, 1. 12,
c. 36.
2. De pœnit.
3. Les Pères disent en effet souvent que l'Hglise ne
permettait aux grands pécheurs que de faire une seule
fois pénitence. Outre TertuUien, on peut citer Hermas
(Mandat. 4, 3, n. 6) ; Funk, (Patres apostol. p. 399),
Clément d'Alexandrie (Strom. 1. 2, c. 13 ; M. 8,994),
Origène (in Levit. tom. 15, n. 2; M. 12, ^61). Mais
dans ces divers textes il ne s'agit, comme le dit l'au-
Bail, t. IX. *7
4l8 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
cours sur ce sujet, quand le Concile (i) nous
assure que Dieu a voulu que les pécheurs fussent
absous au tribunal de la Pénitence, toutes les fois
qu'ils s'en approcheraient vraiment pénitents. Si
teur, que de la Pénitence publique ; c'est ce que con-
firme le témoignage de saint Ambroise : « C'est à bon
« droit qu'on blâme ceux qui prétendent qu'on doit faire
« souvent pénitence car de même qu'il n'y a qu'un
« seul baptême, il n''y a aussi qu'une seule pénitence /
<(. j'entends une seule pénitence publique^ il convient en
« effet que nous nous repentions chaque jour de nos
« péchés .:» (D-E pœnit. 1. 2, c. 10; M. 16, 520). L'Eglise
avait de graves raisons pour n'admettre qu'une seule
fois les pécheursà la Pénitence publique. D'abord si on
en avait fait usage plusieurs fois pour le même péni-
tent, elle aurait produit moins d'effet. « C'est prudem-
« ment et utilement, dit saint Augustin, qu'il a été
« établi que l'Eglise n'admettrait qu'une seule fois à la
« pénitence la plus humble » (c'est ainsi que saint Au-
gustin appelle la Pénitence publique), « de peur que le
« remède étant avili fut moins utile aux malades ; la
« pénitence est en effet d'autant plus salutaire qu'on
« l'estime une plus grande chose. » (Epist. 153 ad Mace •
DONiuM, c. 3 ; M. "^^^ 656). De plus les exercices que
comprenaitla Pénitencepublique étaient très pénibles et
duraient très longtemps, de telle sorte que difficilement
la même personne pouvait les recommencer. Outre ces
deux raisons, en voici de mystiques, que donne saint
Thomas: <i La pénitence solennelle ne doit pas être re-
« commencée pour trois raisons. De peur qxie recomman-
I. Trid. ses. 14, de sacram. pœnit. c. 2 : « Ante hoc
« tribunal tanquam reos sisti voluit, ut per sacerdoium
« senteniiaSf non semel, sed quoties ab admissis peccatis
« ad ipsum pœnitcntes confugerint, passent liberari. »
DES SACREMENTS 419
Dieu le veut ainsi, lui qui est le Maître de ses
dons et de ses miséricordes, pourquoi des hommes
de terre veulent-ils s'opposer à cette volonté
suprême ? Pourquoi rejettent-ils les pénitents
après quelques rechutes dans les mêmes péchés
et les renvoient-ils sans pardon ? Peuvent-ils
être plus fidèles dispensateurs des grâces de
Dieu, qu'en les distribuant selon sa volonté, qui
est infiniment plus libérale et plus magnifique
que les esprits des hommes ne peuvent le conce-
voir ?
« cée elle devienne vile. Secondement, à cause de sa signifi-
« cation ; elle signifie en effet Vexpulsion du premier
« homme du paradis ; or le premier homme n'en a été
« chassé qiCiine fois. Troisiètnement, la solennisation de
« la pénitence équivaut à la profession de faire toujours
« pénitence^ voilà pourquoi la pénitence solennelle ne
« veut point être recommencée. » (Suppl. q. 28^ a. 2). —
Il est historiquement démontré que, contrairement aux
affirmations d'Albespy ( De veteribus Ecclesiœ ritibus,
1. 2, observât. 5 suiv.)etde Fechtrup (Theol. Quart als
CHRiFT, Tiibing. 1872), l'Eglise n'a jamais refusé d'ab-
soudre même ceux qui étaient retombés dans de grands
crimes après avoir été admis à la pénitence publique.
(Voir Sardagna, Theol. dogmaticopolemica, tract, de
PŒNiT., Palmieri, de pœnit., Hurter, Theol. dogmat.
compendium, édit. 8, tom. m, Frank, Bussdisciplin).
Pie VI dans le bulle Auctorem Fidei a condamné « la
« doctrine d'après laquelle^ le Concile ('de Pistoie) après
« avoir déclaré qu'il ne pouvait s'empêcher d'admirer
« cette discipline si vénérable de Vantiquité, qui, dit-il,
« consistait à ne pas admettre facilement ou petit-être
« même à ne jamais admettre à la pénitence celui qui
« après un premier péché et une première réconciliation
426 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Enfin la rémission des péchés se fait encore
sans retour des mêmes péchés une fois pardonnes.
Alors même que le pénitent vient à rouvrir ses
plaies et à commettre d'autres péchés, néanmoins
les anciens péchés effacés par la Pénitence de-
meurent entièrement abolis et ne reviennent plus.
La raison en est qu'il faudrait un miracle pour
faire revivre dans une âme des péchés que la
Pénitence y a une fois éteints et réduits à néant.
Car qui pourrait les produire de nouveau ? Mais
cette vérité mérite une plus grande discus-
sion.
En attendant apprenez à la suite de cette consi-
dération quelle est la vertu incomparable du sacre-
ment de Pénitence pour déterminer les péchés
mortels. Retirez-en d'ardents désirs de le fréquen-
ter pour participer à un si merveilleux effet, sans
vous décourager à cause de l'énormité de vos
offenses, ni à cause de leur multitude ni à cause
du grand nombre de vos déloyautés, de vos rechu-
tes et des manquements à vos résolutions de ne
« était retombé dans le péché, ajoute que cette crainte
« d'être exclu de la communion et de la réconciliation,
« même à l'article de la mort, sera un grand frein pour
« ceux gtii considèrent pett le mal du péché et le craignent
« encore moins : cette doctrine, dit Pie VI, est contraire
« au I ^^ canon du I" Concile de Nicée, à la décrétale
« d'Innocent I à Exupère de Toulouse et à la décrétale de
« Célestin Z^"" aux évéques de Vienne et de la province
« Narbonnaise, elle sent l'erreur que dans la même
« décrétale le saint Pontife repousse avec horreur. »
(Prop. 38'' parmi les 8^ du Concile de Pistoie condam-
nées par Pie VI, le 28 aoîit 1894).
DES SACREMENTS 421
plus pécher, manquements dont vous vous êtes
rendu coupable tant et tant de fois. Rien de tout
cela n'empêche Telficacité de la Pénitence. Elle
est au-dessus de tous ces obstacles qui retardent
les âmes peu avisées de se bien reconnaître et de
recourir à une miséricorde qui ne peut être vain-
cue, ni surmontée par la grandeur des misères.
Enfin formez des désirs d'imiter la miséricorde de
Dieu à l'égard de ceux qui vous offensent ; par-
donnez-leur tout sans exception, sans délai, sans
limite et sans reproche.
II
Considérez un autre effet de la Pénitence, qui
est la restitution entière de la grâce et des vertus
perdues par le péché mortel, ainsi que le rétablis-
sement de tous les mérites et de tous les droits à
la gloire éternelle. Cette vérité est d'autant plus
importante, qu'elle offre au pénitent un notable
avantage et un bien très considérable. Mais pour
en avoir l'intelligence plus parfaite, il faut supposer
que le péché mortel prive l'àme de la grâce sanc-
tifiante, de la charité et des autres vertus morales
infuses en même temps qu'elle dans la volonté.
De plus il fait perdre à l'âme tous les mérites de
ses bonnes oeuvres passées, il la met dans un tel
état que, si elle partait de ce monde avant d'avoir
fait pénitence, elle n'obtiendrait jamais aucune
récompense dans le ciel. C'est pourquoi, par le
péché, elle est devenue semblable à un sujet qui
s'est révolté contre son prince ; car elle a pris
parti pour Satan; elle a commis des félonies et
422 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
des trahisons avec lui. La condamnation à mort
s'en est suivie, en même temps que la dégrada-
tion et la confiscation de tous ses biens et de tous
ses profits spirituels. Toutefois comme Dieu est
plus enclin à la miséricorde qu'à la justice et
plus porté à faire grâce et à accorder ses faveurs
qu'à exercer des rigueurs envers ses créatures,
comme, d'autre part, de toute éternité il prévoyait
les péchés des âmes qui auraient joui de sa grâce
et acquis quelques mérites par des actions ver-
tueuses; il décréta de ne pas les priver de ces
biens sans espoir de restitution, si elles rentraient
dans le devoir, si elles faisaient pénitence en im-
plorant sa clémence et en promettant de s'amen-
der. Dans ce cas il résolut de leur redonner la
vie de la grâce, qu'elles avaient eue tout d'abord,
la dignité des vertus qu'elles possédaient, comme
aussi de les rétablir dans leurs mérites et dans
leurs biens comme par une sorte de restitution
entière. Ensuite, il se proposa de ne pas priver
éternellement une âme d'aucun degré de grâce
ni de gloire pour un péché qui aurait été par-
donné pendant cette vie. Tout cela s'accorde avec
ce qu'il promet par le prophète : « Si limpie fait
« pénitence de tous ses péchés^ je ne me souvien-
« dr ai plus de toutes ses iniquités. » (Ezéch. i8).
Saint Paul écrivant aux Hébreux qui étaient pas-
sés de la vertu au vice et de la grâce au péché, les
exhorte à venir à résipiscence sous cette promesse
que les biens qu'ils avaient faits autrefois leur
seraient comptés et alloués par Dieu, afin qu'ils
en fussent récompensés. « Dieu n'est pas injuste
» au point d'oublier votre œuvre et V amour que
DES SACREMENTS .\1J
» VOUS lui avc:^ iihnoigiic, vous qui ave^ rendu
» service aux saints. » (Héb. i6)(i). Si bien que la
grâce ayant été infusée dans i'àme pour y être
I. L'auteur cite en faveur de cette interprétation
Théophilacte, Théodoret, saint Anselme et saint Tho-
mas; on pourrait citer encore saint Epiphane, Prima-
sius, Alcuin, etc. C'est la preuve que les SS. Pères ont
admis la doctrine de la reviviscence des mérites, preuve
de tradition. Mais il semble bien que les Pères partant
de l'hypothèse fausse que les destinataires de cette
lettre avaient perdu la foi, ont attribué à ce passage un
sens qu'il n'a pas. Le contexte prouve que les Juifs
convertis à qui s'adresse l'Apôtre ont simplement be-
soin d'être fortifiés à cause des dangers qui menacent
leur foi, mais qu'ils conservent encore cette foi. Il y a
une terre qui ne porte que des ronces et des épines et
qui est menacée de malédiction ; mais « tioiis avons, dit
« l'Apôtre, nne meilleure opinion de voust»^ parce que
« vous produisez des œuvres « voisines du salut et que
« non-seulement vous ave^ assisté les saints, mais que
« vous LES ASSISTEREZ ENCORE. » Afin que ces œuvres
aient leur récompense, l'Apôtre les engage à persévérer
dans l'état de grâce : « Mais nous souhaitons que chacun
« de vous fasse paraître jusqiC à la fin le même ^èle, afin
« que votre espérance soit accomplie. :^ (v. ii). Le Con-
cile de Trente fait donc un usage judicieux de ces
paroles : « Dieu nest point injuste », quand il s'en sert
pour démontrer que les œuvres des chrétiens en état
de grâce méritent la vie éternelle d'un mérite de condi-
gnité. (sess. 6, c. 6). Le Concile ajoute, il est vrai,
qu'il en est de même pour ceux qui ont recouvré la
grâce, après l'avoir perdue, que pour ceux qui l'ont
toujours conservée ; et il a pu le dire à bon droit,
quoique saint Paul n'ait eu nullement l'intention d'af-
firmer dans ce passage la reviviscence des mérites.
4^4 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
éternelle et ne jamais périr, et les bonnes œuvres,
que cette grâce a vivifiées, étant dignes en Justice
de la récompense éternelle, tous ces mérites ont été
arrêtés et comme tenus en suspens par l'obstacle
du péché mortel qui est survenu. De là vient que
cet obstacle une fois ôté par la Pénitence, la
grâce reprend son cours dans l'âme et les mérites
du passé reprennent leur première vie et vigueur.
Et alors Dieu reçoit le pécheur, comme le père de
l'enfant prodigue le reçut à son retour, avec de
grandes caresses et de tendres embrassements.
« Vite, vite, qu'on se dépêche. apporte\-lui sa
« première robe. » (Luc, i5). C'est ainsi, en effet,
que Dieu traite le pécheur qui vient à résipis-
cence, sans délai et au plus tôt il lui rend la pre-
mière robe de la grâce et de la charité qu'il avait
eue, il lui tient compte aussi de tous ses services
antérieurs et il ne veut pas qu'il en perde un seul.
Il lui rend tout le butin que le démon avait fait sur
son âme, ainsi que fit Abraham à l'égard de Loth
(Gen. 19), quand il l'arracha aux mains de ses
ennemis qui l'emmenaient prisonnier. Et comme
la nouvelle conversion et pénitence porte encore
avec elle de nouveaux degrés de grâce ces
nouveau degrés joints aux précédents font une
grâce plus forte et plus grande ; si bien que
grâce à cette conjonction, toutes les fois que
le pécheur fait pénitence, il possède une grâce
plus abondante et un plus riche trésor qu'aupa-
ravant. C'est pourquoi quand l'homme juste est
rappelé de cette vie, c'est toujours pour recevoir
sa récompense dans l'état de grâce le plus élevé et
le plus parfait qu'il a eu dans tout le cours de sa
nES SACREMENTS 425
vie. Cette vérité n'est nullement contredite par le
décret de la Faculté de Paris (i) qui a condamné
cette proposition : Dieu retire toujours l'homme
de cette vie dans son meilleur état; parce que
ceux qui la mettaient en avant y comprenaient les
réprouvés aussi bien que les prédestinés, tandis
que seuls les prédestinés sont rappelés de cette
vie dans leur meilleur état, et non pas les
réprouvés.
Le fruit que vous devez recueillir de cette vé-
rité si excellente, c'est l'amour et le désir de la Pé-
nitence, qui a tant de vigueur et d'efficacité. Oh !
si vous avez vécu autrefois dans les délices de la
vie spirituelle et que vous ayez fait une quantité
de saintes œuvres, dont vous êtes déchu par quel-
que surprise de Satan, ou par la perfidie de vos
passions qui vous ont jeté dans le vice ; oh ! que
vous vous faites grand tort ne pas recourir à la Pé-
nitence pour regagner toutes vos richesses spiri-
tuelles, toute votre grâce et les mérites qui ont
abondé en vous ! Dites-nous, généreux pénitents
qui, après le sac et le cilice, après l'accomplisse-
ment de vos pénitences, êtes rentrés en grâce avec
le Souverain Créateur, combien courte et légère a
été votre peine, pour un si grand avantage que
que vous avez reçu ; que vous manque-t-il des
biens que vous aviez obtenus autrefois par une
courte affliction? Vous avez acquis des consolations
éternelles. O fruit de la Rédemption abondante de
Dieu ! Qui ne voudrait à votre exemple s'enrôler
I. Apud Major, in 4, dist. 22, quœst. unica. Opposi-
tus est error Parisiis damnaUis, (Note de l'auteur).
426 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
dans votre compagnie, sous Tétendard de la croix ?
Que ne fait-on pas en effet pour le recouvrement
du butin que l'ennemi a enlevé dans ses courses ?
« V ennemi a porté sa main sur tout ce qu'elle
« avait de plus désirable. » (Lament. i). Le cou-
reur des enfers a tout ruiné chez vous par le pé-
ché mortel. Ayez donc recours à la Pénitence,
dans ce passage étroit chargez brusquement votre
ennemi et vous ferez la reprise de toute votre
substance spirituelle. O mon âme, « loue^ avec
« moi le Seigneur., parce qu'il est bon., parce que
« sa miséricorde s'étend dans tous les siècles. »
(Ps. 117). — « Oh! ses miséricordds sont au-des-
« sus de toutes ses œuvres. » (Ps. 144).
III
Considérez encore d'autres eff"ets de ce sacre-
ment de Pénitence ; ces effets sont la consé-
quence des précédents, à savoir de la rémission
des péchés et de la restitution de la grâce, car
tout ce qui se dit de grand de la Pénitence se tient
comme un anneau tient à un autre anneau dans
dans une même chaîne.
Le premier de ces nouveaux effets est la déli-
vrance de la servitude du démon, car quand les
péchés dont l'àme était captive sont effacés, elle
entre dans une noble liberté, qui est signifiée par
la sortie des enfants d'Israël de la terre d'Egypte,
on ils vivaient sous la tyrannie du cruel Pharaon.
Et de même que les enfants d'Israël disaient :
Pour en sortir, « Nous ferons dans le désert une
« marche de trois Jours. » (Exod. 8); ainsi les
pécheurs font dans le désert de la Pénitence un
DES SACREMENTS 427
chemin de trois jours spirituels qui sont la contri-
tion, la confession et la satisfaction.
Le second etVet est la résurrection du mort,
parce que la Pénitence remettant le péché et re-
donnant la grâce, retire l'homme du non-être et
lui donne l'être, la vie, et le mouvement des saintes
actions, comme la résurrection le fait à l'égard de
celui qui est mort (i). Aussi peut-on y remarquer les
traits principaux de la résurrection générale. Au
jour de la résurrection générale, à la voix du Fils
de l'Homme et au son de la trompette de l'ange,
la poussière des corps humains sera rassemblée
en un seul lieu, où ils ressusciteront. Dans ce sa-
crement les exhortations célestes, toutes les pen-
sées de l'homme pécheur sont recueillies en une
seule, il ne pense qu'à ressusciter. Là la terre sera
ébranlée, elle tremblera ; ici le cœur humain est
secoué par l'horreur de ses fautes et par les justes
craintes de la colère de Dieu. Là les corps sorti-
ront de leurs cercueils, ici les âmes sortent de leurs
amours déréglés qui sont leurs tombeaux, parce
que l'amant demeure enseveli dans l'objet qu'il
aime ; « Le désir de l'impie, dit le Sage, est le tom-
« beau des pervers. '>^ [Prov. 12). Là l'arrivée de
Jésus-Christ dissipera toutes les ténèbres, ici les
consciences sont éclairées et le pécheur y voit
toutes ses laideurs et toutes ses difformités. Là
se fera la comparution devant le tribunal de Jésus-
Christ ; ici elle se fait devant le prêtre qui repré-
sente la personne de Jésus-Christ. Là les méchants
et les impies seront condamnés à l'enfer, les justes
I. Guillel. Paris. De sacrant. Pœnit. c. 6.
428 LA THÉOLOGIE AFFFECTIVE
seront rétablis dans leur honneur et élevés à la
gloire; ici les péchés sont condamnés à une mort
éternelle par la puissance des clefs qui les exter-
mine sans espoir de retour, les actions saintes, la
grâce et les vertus reprennent leur lustre et reçoi-
vent une vie qui doit être éternelle.
Le troisième effet est la paix avec Dieu. Son
courroux est apaisé par la Pénitence, qui humilie
les âmes devant lui. Et de même que le lion gé-
néreux renonce à sa fureur à la vue de ceux qui se
prosternent devant lui et qui s'abattent à terre en
sa présence; ainsi Dieu sent fléchir sa rigueur,
quand il voit le pécheur prosterné devant lui par
la Pénitence, n N'as-tu pas vu, dit Dieu, Achab
« humilié devant moi'^ » (III Rois, 21). Ainsi
les Ninivites l'apaisèrent quand se couvrant du
sac et de la cendre, ils firent jeûner les enfants et
les animaux, afin que par leurs cris et leurs gémis-
sements, ils fussent eux-mêmes plus excités à
pleurer leurs offenses (i). Ainsi, dit Tertullien (2),
la satisfaction est disposée, c'est-à-dire réglée, par
la confession. De la confession naît la Pénitence,
et par la Pénitence Dieu est apaisé. De sorte que
la Pénitence est un art de prosterner et d'humilier
l'homme, en lui enjoignant une manière de vivre
qui provoque et attire sur lui la miséricorde de
Dieu.
Le quatrième effet est l'ouverture du paradis.
i.Theodoret. injonam.
2. L. DE Pœnit. « Exomoîogeris prostcrnendi et humi-
liandi Jwminis disciplina est, conversationem injungens
misericordice illicem. »
DES SACREMENTS 429
« Faites pénitence, disait Jean, car le royaume
« de Dieu est proche. » (Matt. 3). Ainsi quand le
bon larron confessa son crime devant Jésus-Christ,
avec un déplaisir cuisant d'avoir offensé celui qu'il
voyait mourir pour lui, et quand il accepta pour
satisfaire à ses péchés les tourments de la croix et
la jmort, il entendit cette si désirable promesse :
« En vérité, je vous le dis, vous sere^ aujourd'hui
« avec moi dans le paradis. »
Mais que faisons-nous, quand nous voulons con-
cevoir tous les gracieux effets de la Pénitence. Ses
louanges sont sans lin. Elle est la lumière de
l'aveugle, la récréation de celui qui était anéanti,
la réconciliation d'une épouse adultère avec son
chaste Epoux ; elle rapproche de Dieu celui qui
en était éloigné, elle remet dans la voie celui qui
s'en était écarté, elle acquitte les dettes, elle guérit
les infirmes, elle retire des portes de l'enfer, elle
renouvelle l'homme, elle extermine tout mal et
procure tout bien.
Rendons des actions de grâce à Dieu pour tant
d'amour et de bienveillance qu'il nous témoigne
dans ce très utile sacrement. Que ce grand Dieu
sait tirer de biens de nos maux, qu'il sait changer
nos misères en honneur et en félicité ! Ce n'est
pas assez pour sa bonté sans mesure de biffer sim-
plement nos péchés dans la Pénitence et de casser
l'arrêt ne notre condamnation ; mais encore dans
ce même instant il nous remplit de biens et nous
comble de faveurs. Oh ! que je déplore l'aveugle-
ment et la misère des pécheurs impénitents et en-
durcis dans leur vie dépravée ! Hélas ! qu'ils se
font de tort et se priventde plein gré de très grands
43o LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
avantages ! La Pénitence, ô pécheur semblable à
moi (ou plutôt moins pécheur que moi, car je re-
connais que Je remporte sur toi par mes péchés)
saisis-la, embrasse-la, comme celui qui fait nau-
frage saisit une planche pour se sauver dessus (i).
Elle te relèvera alors que tu t'enfonces dans les
flots de tes péchés, et t'amènera au port de la clé-
mence divine. Profite de cette occasion qui est
pour toi un bonheur inespéré, afin que toi qui
n'étais rien devant Dieu qu'un peu de poussière,
qu'une gouttelette d'eau, qu'un petit vase de terre,
tu deviennes un bel arbre planté le long des eaux,
qui pousse ses feuilles et donne des fruits, qui ne
craint ni la cognée ni le feu. Repends-toi de tes
erreurs, maintenant que tu as trouvé la vérité,
repends-toi d'avoir aimé ce que Dieu n'aime pas (2).
1. TertuU. lib. de pœnit : « Ita invade^ ita amplexare
ut naufragus alicujus tabulœ fïdem. »
2, « Pceniieat amasse quod Deus non amat. »
DES SACREMENTS 43 I
XXIir MÉDITATION
COMMENT LA PÉNITENCE
EFFACE LE PÉCHÉ SANS RETOUR
SOMMAIRE
Dieu pouvait remettre les péchés de telle sorte
qu'ils seraient imputés de nouveau au pénitent
qui y retomberait. — Dieu pardonne le péché
absolument et sans condition, après une par-
faite Pénitence. — Néanmoins les péchés déjà
remis sont encore imputés au pécheur au point
de vue de T ingratitude.
I
CONSIDÉREZ que Dieu pouvait remettre les
péchés avec cette condition, que, si le
pénitent retombait, il serait de nouveau tenu pour
criminel aux yeux de la justice de Dieu, et qu'il
serait privé soit de la grâce, soit de la gloire, et
passible des supplices éternels, en vertu des pé-
chés précédemment effacés et pardonnes par la
Pénitence (i). Pour comprendre cette vérité, repré-
sentez-vous que le pécheur donne par son oifense
trois sortes de droits nouveaux contre lui à Dieu
qu'il offense. Le premier droit qu'il donne à Dieu
1. Thomas Hurtado in Prœcursore Theologo, contro-
vers. a, disp. 2.
432 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
en péchant, c'est le droit de le haïr, d'avoir de
rinimitié pour lui, et de le prendre en dédain et
en aversion. Car, puisque en transgressant la loi
de Dieu, le pécheur se détourne de Dieu et le
traite sans respect, et plutôt avec mépris, Téquité
veut que Dieu agisse d'une manière semblable
envers le pécheur, c'est-à-dire qu'il le prenne en
dédain et en aversion. Le second droit que le pé-
cheur donne à Dieu par son offense, est le droit
de le punir et de lui faire porter la peine de sa
témérité et de son outrecuidance ; car, comme
Dieu est le souverain maître et juge des hommes,
le péché lui met comme l'épée à la main, pour en
tirer une juste vengeance, par des peines propor-
tionnées à la grandeur du péché. Le troisième
droit qu'a Dieu encore, quand l'homme pèche, est
le droit de se tenir pour offensé et méprisé. Il
peut bien avoir cette pensée, puisqu'en effet par
le péché il a été méprisé, désobéi, et que le pé-
cheur a préféré à sa loi la misérable affection de
quelque bien ou de quelque intérêt. Or quoique
Dieu pardonne miséricordieusement le péché
dans la Pénitence^ et renonce volontairement à
ces trois sortes de droits et d'avantages sur le
pécheur ; toutefois rien ne l'oblige à y renoncer
absolument. Il pourrait dire au pécheur : Je re-
nonce aux droits que j'ai sur toi à cette condition
que tu ne retomberas plus dans le péché ; mais si
tu es assez malheureux pour retomber dans quel-
que offense mortelle ou même vénielle, je pré-
tends user de tous ces droits contre toi, quoique
j'aie effacé ton péché et que je t'aie remis dans
l'état de grâce sanctifiante. Ce sera toujours avec
DES SACREMENTS 433
cette réserve que tu en seras de nouveau privé et
que tu seras soumis aux premières peines, si tu
retombes. Il peut en être ainsi dans les affaires
du monde. Un roi peut pardonner à un malfai-
teur son crime et le rétablir dans tous ses pre-
miers honneurs et dignités; à la condition qu'il
ne commettra pas de nouveau le crime qui lui
était pardonné, et que, s'il le commet, il sera
passible du supplice, même pour le crime qui lui
a été remis ; dans ce cas, le roi usera de son droit.
Si un roi peut procéder ainsi, pourquoi Dieu, qui
est si grand, qui est maître et seigneur si absolu
et si puissant, ne pourrait-il point le faire ? sur-
tout si nous considérons que la satisfaction offerte
par le pécheur dans sa pénitence n'est pas telle
qu'elle mérite en rigueur de justice l'abolition
entière de son péché ; Dieu en effet remet toujours
ce péché en exerçant largement sa clémence et sa
miséricorde à l'égard du pécheur pénitent (i). Si
1 . Sans doute Dieu témoigne largement au pécheur
pénitent sa clémence et sa miséricorde en acceptant
que les mérites de Jésus-Christ lui soient appliqués.
Mais cette substitution miséricordieuse des mérites
infinis du Rédempteur à nos propres mérites une fois
admise, il n'en est pas moins vrai que Dieu ne peut pas
ne pas remettre au pécheur pénitent ses péchés abso-
lument et simplement, car la réparation offerte est
adéquate et même supérieure à l'offense. Nous savons
en effet par maints endroits du Nouveau Testament que
Jésus-Christ a pris sur lui tous nos péchés et qu'il a
offert pour ces mêmes péchés une satisfaction entière
et telle que pouvaient l'exiger les lois de la stricte
justice.
Baii., t. IX. a8
434 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
bien que, s'il cède de ces trois sortes de droits, il
pourrait, en faisant usage de sa puissance absolue
ne céder de ces droits qu'en faisant de's réserves,
et à une condition qui n'aurait rien que de raison-
nable. Et puisque Dieu exige du pécheur le bon
propos et la résolution de ne plus retomber, ainsi
il pourrait exiger Taccomplissement et l'exécution
réelle de ce bon propos et à son défaut révoquer
son pardon. Il est vrai que le même acte du péché
ne pourrait pas reparaître; mais absolument il
pourrait se faire que la tache du péché et l'obli-
gation de subir la peine ainsi que l'aversion et
l'inimitié de Dieu revinssent les mêmes après la
rechute (i).
«. Hyquœus, in 4, dist. 22, ad quœs. unicam Scoti
arguit Vasquez, q. 88, art. i, contra sentientem.
(Note de l'auteur). — Il est impossible en effet que le
même acte du péché reparaisse. L'homme a beau
pécher de nouveau, il lui est impossible de produire
numériquement le même acte qu'il a produit dans le
passé. De plus un nouveau péché ne peut jamais taire
renaître un péché antérieur déjà détruit^ car aucun
acte nouveau ne reproduit un acte passé et, si
nous admettions un instant que cela put arriver, il en
résulterait une conséquence absurde, à savoir que le
péché de vol commis par un homme qui aurait obtenu
la rémission de blasphèmes dont il se serait rendu
autrefois coupable, ferait de cet homme un blasphé-
mateur. Enfin Dieu ne peut pas reproduire dans
l'homme le péché précédemment remis et par consé-
quent détruit, car le reproduire, c'est le faire une se-
conde fois. Or Dieu ne peut faire aucun mal moral.
On peut se demander toutefois si cette impossibilité
est absolue. Vasquez (in i, 2, disp. 208, in 3, q. 88),
DES SACREMENTS 435
Je reconnaîtrai donc le grand mal du péché.
Voilà Tétat auquel il me réduit à l'égard de Dieu,
qui, étant donné sa bonté et sa clémence, ne
que cite Bail en note, de Lugo (De PœNiTENX. disp. lo)
Pallavicin, Haunold, Sylveira, etc., l'affirment, confor-
mément à l'opinion commune des théologiens (de Lu-
go, DE PcENiT. disp. lo, sect. \, n. 8). Quelques théolo-
giens soutiennent qu'il est possible, absolument par-
lant, que le péché une fois remis reparaisse soit quant
à la faute, soit quant à la peine ; c'est notamment l'en-
seignement de Grégoire de Valence (t. 4. De Pœnit.,
q. 5, p. i) de Viva et de Suarez; mais ce dernier admet
seulement que le péché remis peut reparaître quant à
la peine. (De PœNix. disp. 13, sect. 2, n. 14). Les ar-
guments que nous venons d'indiquer, nous sem-
blent démontrer que la réapparition des mêmes
péchés est absolument impossible. De plus, pour
que le péché put revivre, il faudrait qu'après la
rémission il restât encore dans l'âme quelque racine du
péché; cette racine du mal pourrait seule motiver la
haine dont Dieu poursuivrait l'homme pour ce péché.
Or il ne subsiste plus après la rémission aucun reste
du péché, car la rémission a été absolue et parfaite,
dautant plus qu'elle a lieu nécessairement par l'infu-
sion de la grâce sanctifiante, dont l'effet est de faire de
l'homme VawA et le fils adoptif de Dieu. ^Cheiles
» hommes, dit Suarez, quand un créancier a remis à un
» débiteur sa dette d'une manière absolue^ il a beau plus
» tard se repentir de l'avoir remise et vouloir rétracter ce
» qu'il a fait, il n'y parviendra jamais... De même si
» Dieu qui est immuable pouvait, par impossible, chan-
» ger pour d'autres choses son décret absolu, il ne le pour-
» r ait pas néanmoins pour celle-là ; parce que l'effet dont
» il s'agit, c'est-à-dire la destruction du péché, est tel que
» Dieu ne peut faire par sa seule volonté que l'effet op-
436 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
pourrait exercer contre l'homme aucune vengeance,
si le péché ne lui mettait les foudres à la main.
Je m'humilierai également dans l'action de la pé-
nitence, parce qu'elle n'est pas si parfaite qu'elle
puisse abolir le péché en toute rigueur de justice,
si Dieu n'usait d'une grande bonté et d'une grande
clémence. Il ne faut donc pas que j'attribue la
rémission de mon péché à ma justice et simple-
ment à la vertu de ma pénitence, mais je doisr
reconnaître toujours la grande clémence et miséri-
corde de mon Dieu. O clémence, que vous m'avez
été favorable ! O miséricorde divine, que vous
m'avez été propice 1
II
Considérez que de fait Dieu n'use pas du pou-
voir qu'il a de remettre le péché à la condition de
n'y plus retomber ; mais qu'il le pardonne et le
détruit totalement après une pénitence entière,
en sorte qu'il ne revient plus et qu'une âme n'est
plus privée de la grâce de Dieu et de ce qui s'en-
suit, en vertu de l'acte du péché passé et remis (i).
» posé existe, c'est-à-dire que l'âme soit en état de péché. »
(De PœNiT. disp. 13, sect. r, n. 6). Toutefois il n'y a
rien qui répugne, comme le soutient à bon droit l'au-
teur, à ce que Dieu, qui est le maître suprême et absolu,
ne remette à l'homme le péché qu'à cette condition et
sous cette menace que le jour où il pécherait de nou-
veau il contracterait une faute et une peine égales à la
faute et à la peine qui résulteraient à la fois du péché
nouvellement commis et de l'ancien péché^ s'il n'avait
pas été remis. Mais Dieu ne Ta pas voulu.
I, Cette thèse est admise par tous les Théologiens.
DES SACREMENT?; 487
Saint Paul insinue cette douce et consolante vérité,
quand il dit : « Les dons de Dieu sont sans repen-
« tance et sans regret » (Rom. 1 1) ; il ne révoque
pas le pardon une fois octroyé (i). L'Apôtre saint
Quelques-uns ont bien pensé différemment, comme
nous l'apprend le Maître des Sentences (Sent. 1. iv,
d. 22), mais personne ne les a suivis. (Voir Suarez, De
Pœnit. disp, 13, sect. i, n. 4; De Lugo, De Pœnit.
disp. 10, sect. I, n. 7 ; Vasquez, in i, n, disp.
208 et in ni, q. 88, art. i, n. 49 et suiv. ; la Théologie
de Wurzbourg, De Pœnit. n. 73). Si les péchés remis
réapparaissaient après un nouveau péché, il y aurait
obligation de les accuser en même temps que ce nou-
veau péché, conformément au décret du Concile de
Trente (sess. 14, c. 5) qui prescrit aux pénitents d'ac-
cuser « en confession iojis les péchés mortels, dont... ils
« se sentent la conscience chargée. » Or rien n'est plus
opposé au sentiment et à la pratique de l'Eglise,
I. « Les dons de Dien sont sans repentance » dit
PApôtre. La grâce sanctifiante et la rémission des pé-
chés sont des dons de Dieu, mais il y a une différence
importante à noter entre la manière dont Dieu nous
confère l'un ou l'autre de ces dons. En ce qui regarde
la grâce sanctifiante. Dieu de son côté ne fait rien, il
est vrai, pour la révoquer, mais il arrive que l'homme
met un obstacle à la possession de cette grâce, et par
cet obstacle qui est incompatible avec le don de Dieu,
il oblige en quelque sorte Dieu à retirer son don. C'est
alors le péché qui chasse la grâce. 11 n'en est pas ainsi
de la rémission du péché. Le péché commis actuelle-
ment n'est nullement incompatible avec la rémission
des péchés antérieurs. En voici la raison : remettre le
péché, c'est le détruire. Si la grâce par laquelle le péché
a été détruit, disparaît, le péché ne revient pas pour
438 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
Jacques dit : « qu'il donne à tous abondamment
« et sans reproche. » (Epist. can. ch. i). En réalité,
si Dieu ne pardonnait les péchés qu'avec cette
condition que, si le pénitent démentait sa bonne
résolution, il retomberait dans la même souillure
et dans la même obligation de l'expier qu'aupara-
vant. Dieu ne remettrait pas effectivement et véri-
tablement le péché, parce que ce qui ne s'accorde
que sous condition d'une chose incertaine et con-
cernant l'avenir, n'est pas accordé absolument et
si la condition ne se réalise pas. Ainsi Dieu n'au-
rait pas décrété absolument de remettre le péché
dans cette vie ; chose que saint Thomas (i) estime
déroger à la grâce de Dieu. Remettre le péché,
dit-il, avec une certaine condition dépendant de
l'avenir, de telle sorte que l'homme ne soit pas
justifié absolument, mais seulement pour le mo-
cela, car dans ce cas l'effet a consisté à détruire et un
tel effet n'exige point la persistance de la cause,
comme l'exige dans certains cas un effet positif à pro-
duire. De plus le péché pourrait absolument être dé-
truit sans l'infusion de la grâce ; donc la destruction
du péché pourrait persister, alors même que la grâce
ne persisterait pas dans l'âme. On doit dire que la ré-
mission des péchés a lieu absolument ; c'est ainsi que
Dieu le veut, et s'il en était autrement, dit saint Thomas
(m. q. 88, art. i), il serait prouvé que la grâce n'est pas
assez puissante pour annihiler le péché ; ce qui est
faux. Au contraire le don de la grâce sanctifiante est
conditionnel ; Dieu la donne à la condition que l'homme
ne péchera pas, et cela, parce que la grâce est une
réalité incompatible avec le péché.
I. I. quœst. 88, art. i.
DES SACREMENTS ^M)
ment, c'est déroger à la grâce de Dieu ; car, s'il
en était ainsi, Dieu ne serait pas cause suffisante
de la rémission des péchés, ce qui est faux. Si
bien qu'il est vrai que Dieu détruit le péché tout
à fait, absolument et sans aucune condition, et
que jamais un péché remis et eflacé ne devient un
obstacle à la grâce de Dieu et à son amour. Dieu
l'elTace de sa mémoire et ne s'en ressouvient plus,
pour retirer, à cause de ce péché, sa grâce au pé-
cheur. Conformément à cela, il déclare par l'or-
gane du prophète Ezéchiel : « Si Vitnpie fait
« pénitence de tous ses péchés, je ne 7ne souvicn-
« drai plus de toutes les iniquités qiiil a corn-
et, mises. » (ch. i8). Ce qui s'accorde avec la parole
d'un pape ancien (i): la divine clémence, dit-il,
I. Gelasius, Divina de poexiTEXTiA, dist. 4. — Ce texte
du pape Gélase prouve non seulement que le péché est
à tout jamais remis, mais aussi la peine due au péché, et
que Dieu n'exigera plus cette peine, quelque puissent
être les nouveaux torts à son égard de l'homme par-
donné. Ce point est admis par la plupart des Théolo-
giens, notamment par saint Thomas ; il est la consé-
quence nécessaire de la non reviviscence du péché,
car la seule raison qui légitime la peine c'est l'existence
du péché, et par conséquent comme le pfché ne revit
pas, l'obligation de subir la peine due à ce péché ne
revit pas davantage. A noter qu'il s'agit aussi bien de
la peine éternelle que de la peine temporelle, mais
avec cette différence que dans la Pénitence la peine
temporelle n'est remise d'ordinaire que partiellement,
tandis qu'il est de foi que '< îa peine éternelle est remise
« en même temps que la faute ^ soit dans le sacrement,
« soit par le désir du sacrement. y> (Conc de Tr. sess. 6,
c. 14).
440 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
ne souffre pas que les péchés remis méritent encore
d'être punis. Saint Prosper (i), qui est celui qui a
le plus parlé et écrit selon les sentiments de
saint Augustin, dit : celui qui s'éloigne de Jésus-
Christ et meurt dans la privation de sa grâce, où
va-t-il sinon à la perdition ? Mais il ne retombe
pas dans ce qui lui a été pardonné et n'est point
damné pour le péché originel. En agissant ainsi
Dieu montre l'aversion et la haine qu'il a pour les
péchés puisqu'il les détruit absolument ; car, s'il
les aimait, il ne les détruirait pas ; en même temps
il fait paraître l'efficacité de la grâce sanctifiante,
qui par sa présence anéantit la faute, de telle sorte
qu'elle n'est plus et ne peut plus revenir. C'est
pourquoi on n'accorde plus aucun crédit à l'opi-
nion d'un ancien Théologien (2) qui soutenait que
les péchés remis revenaient par quatre sortes
d'autres péchés, qui sont la haine du prochain,
l'apostasie, le mépris de la confession et le regret
d'avoir fait pénitence ; car il disait que Dieu ne
remettait le péché qu'avec quatre conditions, qui
étaient d'aimer le prochain, de persévérer dans la
foi, de confesser sa faute et de la détester jusqu'à
la fin. Ainsi, ajoutait-il. Dieu faisait un pacte avec
le pénitent, qui s'engageait à tenir ces conditions
inviolablement, sans quoi Dieu révoquait la grâce
du pardon. Mais, dit saint Bonaventure, quoi-
que cette opinion soit soutenue par un grand
1 . Responsio 2 ad objecta Gaîlorum.
2. Bail met en note: Opinio Prœpositivi rejecta a
D. Bonaveni. in 4, dist. 22, art. /, q. 2.
DES SACREMENT?; 44I
Théologien, elle n'est pas fondée et on ne doit pas
la tenir pour vraie (i).
Dans cette pensée j'exalterai la grandeur de la
miséricorde de Dieu qui invite les pécheurs à la
pénitence par mille moyens et les reçoit si béni-
I. Ces quatre péchés sont énoncés dans le distique
suivant, cité par saint Thomas :
« FratreSyOdit aposiaiafii,spernit que Jateri,
« Pœnituisse piget : Pristina culpa redit. »
(III. q. 88, art. 2, ad i).
Il est vrai que ces quatre péchés ne reviennent pas
proprement, pas plus que les autres, mais on dit qu'ils
reviennent dans ce sens qu'ils témoignent d'une ingra-
titude spéciale. Saint Thomas se pose à lui-même cette
difficultés « // semble que les péchés pardonnes ne re-
« viennent pas par l'ingratitude qui résulte spécialement
« de quatre genres de péchés, c'est-à-dire de la haine f ra-
te ternelle, de l'apostasie de la foiy du mépris de la con-
« fession, du regret qtie V m a d'avoir fait pénitence.
« C'est ce qui a fait dire en vers : Il hait ses frères, de-
« vient apostat, méprise la confession et regrette la péni-
« tencc qu'il a faite ; alors ses anciennes fautes reviennent.
« Car l'ingratitude est d'autant plus grande que le péché
« qu'on commet contre Dieu est plus grave après le bien-
« fait de la rémission des péchés . Or il y a des péchés
« plus graves que ceux-là, comme le blasphème contre
« Dieu et le péché contre le Saint-Esprit. Il semble donc
« que les péchés pardonnes ne reviennent pas plutôt en
« raison de l'ingratitude que l'on commet par ces péchés
« que par d^ autres. » Et saint Thomas répond à cette
difficulté : « On ne dit pas cela spécialement de ces péchés
« parce qu'ils sont plus graves que les autres, mais parce
« qu'ils sont plus directement opposés au bienfait de la
« rémission des péchés. » (III. q. 88, art. 2, ad i).
442 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
gnement qu'il leur pardonne absolument et les
délivre tout à fait de Tabîme des enfers. « Béni
« soit Dieu et le Père de Notre-Seipneur Jésus-
« Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de
« toute consolation ! Le Seigneur est plein de pitié
« et de miséricorde. Le Seigneur est suave à
« regard de tous., et ses miséricordes remportent
« sur toutes ses œuvres. » (II Cor. i — Psau. 144).
O Seigneur, qui vous donnera des louanges infi-
nies et qui vous servira dignement durant tout le
cours de sa vie, en reconnaissance de ce bienfait
admirable ? Une sainte Madeleine et une sainte
Pélagie vous en ont aimé et remercié toute leur
vie et les bienheureux du paradis vous en seront
reconnaissants pendant toute l'éternité. Oh ! que
je vous en sois reconnaissant maintenant, et, puis-
que cette miséricorde s'exerce, non à l'égard des
rebelles et de ceux qui s'obstinent dans le mal,
mais à l'égard de ceux qui s'humilient et revien-
nent à Dieu, je profiterai de cette miséricorde et
j'en ferai un bon usage. Je me réduirai au plus tôt
avec confiance sous le joug de la loi divine et d'une
conversion sincère, comme saint Paul nous y
engage par ces paroles : « Allons donc avec con-
« fiance auprès du trône de la grâce de Dieu., afin
« que nous obtenions miséricorde et que nous
« trouvions avec la grâce un secours opportun. »
(Hébr. 4).
III
Considérez que, bien que les péchés remis ne
reviennent pas en eux-mêmes et avec toute leur
gravité par la rechute, ils reviennent néanmoins
DES SACREMENTS 443
d'une certaine manière et à un certain point de
vue. Ils constituent en ellet une circonstance
aggravante pour le péché, soit mortel, soit véniel,
que l'on commet plus tard (i). Dieu estime ce
péché plus grave et plus punissable à cause de
ringratitude du pénitent, qui, après être rentré en
grâce, au lieu de se montrer reconnaissant à Tégard
de Dieu, son bienfaiteur, qui Ta délivré de Tenfer
et mis au nombre de ses enfants par le pardon,
l'offense de nouveau et pèche encore malgré
l'obligation plus grande qu'il avait de lui être
fidèle (2). C'est ce qui paraît dans la réponse de cet
homme ingrat et cruel, à qui le roi, son maître,
I. « Ainsi donc, dit saint Thomas, par le péché que
« Von commet après la pénitence, on fait revivre d'une
« certaine manière la peine due aux péchés qui ont été
« auparavant pardonnes, non couitne un effet produit par
« ces péchés eux-mêmes, mais comme résultant du péché
« qui a été commis en dernier lieii, et qui se trouve
« aggravé par les fautes antérieures. » (III. q. 88,
art. i). Il est à noter aussi que par le nouveau péché
commis après une première pénitence, l'homme ne se
rend pas toujours plus coupable qu'il ne l'était aupara-
vant, mais il est certainement plus coupable qu'il ne
l'aurait été, s'il n'avait point déjà reçu de Dieu le bien-
fait d'un premier pardon. Néanmoins l'ingratitude que
renferme toujours une rechute après le pardon ne
constitue pas nécessairement un péché d'une nouvelle
espèce, à moins, comme le dit saint Thomas (III. q. 88,
art. 4.) que quelqu'un eût l'intention formelle de
témoigner à Dieu par le péché du mépris pour les
bienfaits qu'il en a reçus.
a. Albertus, in 4, dist. 22, art. i et 2.
444 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
avait fait grâce et avait remis les dettes qu'il ne
pouvait pas payer. Cet homme rencontrant un de
ses débiteurs le traita avec toute rigueur (Matt. i8),
Jusqu'à lui mettre le pied sur la gorge, pour en
obtenir le paiement de sa dette. Le roi justement
irrité le fit jeter en prison jusqu'au paiement de la
dette que lui-même devait au roi : « Ainsi, dit
« Jésus-Christ, vous traitera mon Père céleste, si
« vous ne pardonne^ pas au prochain du fond
« du cœur. » Le Sauveur veut nous indiquer par
là que l'ingratitude de ce serviteur envers le roi
qui l'avait traité si charitablement et dont il trai-
tait impitoyablement le serviteur, excitait sa co-
lère, de telle sorte qu'il se souvenait de ses dettes
passées et remises, pour les punir (i). Ainsi ceux
I. Cette parabole du serviteur ingrat et cruel, constitue
une difficulté grave contre la thèse de la non-réappari-
tion des péchés remis. Mais dans toute parabole nous
devons distinguer, comme saint Jean Chrysostome nous
en avertit, la substance de la doctrine cachée sous le
voile delà parabole de ce qui ne sert que d'ornement.
Le passage de la parabole qui nous montre le roi
remettant au serviteur sa dette, parce qu'il ignore ses
mauvaises dispositions, sert simplement d'ornement à
cette parabole et ne saurait s'appliquer à Dieu qui lit
dans le cœur des hommes (Quelques Pères de l'Eglise
semblent néanmoins avoir considéré cette parabole
comme la preuve de la réapparition des péchés après le
pardon, notamment saint Jean Chrysostome (m hunc
LocuM, M. ^i, 29), saint Grégoire le Grand (Dial. 1. 4,
c. 60 ; M. 77, 428) et saint Augustin (De bapt. 1. 1 , c. 12)
n. 20; M. 43, 120). Vasquez (in 3, q. 88, a. i, n. 41,
croit que tel a été en effet leur sentiment, mais De Lugo
juge cette concession inopportune, car les textes de ces
DES SACREMENTS 445
qui retombent seront punis pour les péchés passés
et pardonnes, dans ce sens que ces péchés consti-
tuent une circonstance aggravante pour les fautes
subséquentes.
Voici ce qu'enseigne le Docteur séraphique (i).
Pour être vraiment reconnaissant, deux choses
sont requises : la première, c'est qu'on se sou-
vienne en temps et lieu du bienfait reçu, pour en
remercier le bienfaiteur ; la seconde est que l'on
soit prompt à servir celui qui nous a obligés et à
lui rendre bien pour bien. De même on est ingrat
de deux manières : en oubliant par mépris le
bienfait reçu, dans le temps et le lieu propre à la
reconnaissance et à en offrir des remercîments ;
alors on commet le péché particulier d'ingratitude
par omission. Secondement, on est ingrat, quand
on a reçu des bienfaits et qu'on rend le mal pour
ce bien; alors l'ingratitude est une circonstance
qui se rencontre dans toutes sortes de péchés et
qui aggrave d'autant plus le péché que le bienfait
reçu est plus grand. D'où vient que, comme la
rémission des péchés passés est un bienfait de
Dieu très signalé, la récidive chez le pénitent
Pères peuvent s'entendre de la réapparition du péché
sous un certain rapport, en ce sens que le second péché
entraine après lui la même peine que le premier, à
savoir la privation du bonheur éternel (De Pœnitent.
disp. 10, sect. i, n. 6). De Augustinis à son tour croit
que saint Augustin fait dans le passage indiqué un
argument ai hominem et raisonne contre les Dona-
tistes d'après leurs propres principes (De Pœnit. p. 143).
I, D. Bonavent. in 4, dist. 22, in littera.
44-6 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
renferme une ingratitude plus notable, qui le rend
plus criminel et digne devant Dieu d'une plus
grande punition. Car celui à qui plusieurs offenses
ont été pardonnées, devait témoigner une plus
grande reconnaissance, et c'est une chose qui le
couvre d'une plus grande honte et lui mérite de
plus grands reproches, que de pécher contre celui
qui lui avait témoigné tant de miséricorde. Si
bien que de cette façon les péchés remis gracieuse-
ment viennent retomber en quelque sorte sur le
dernier péché et entrent en ligne de compte pour
augmenter l'ingratitude. En vérité une âme chré-
tienne lavée de ses péchés passés, avait coûté assez
de sang à Jésus-Christ, quand en vertu de ce sang
ces péchés lui ont été pardonnes. Ne faut-il pas
qu'elle soit dénaturée, pour vouloir coûter encore
davantage par de nouvelles offenses, qui demande-
raient qu'il répandit de nouveau son sang, pour
les laver encore une fois, si son unique mort
n'était pas suffisante pour une infinité de néchés ?
Ne faut-il pas qu'elle soit bien stupide et bien hébé-
tée pour si peu considérer et si peu comprendre
que celui qu'elle offense de nouveau est celui de
qui elle dépend le plus, celui qui a le plus de
pouvoir et d'autorité sur elle, celui dont la justice
est la plus redoutable, puisqu'elle n'a épargné ni
les Anges du ciel, ni le premier homme dans le
paradis terrestre, ni le monde au déluge, celui
enfin à qui elle est le plus redevable, à raison de
ses miséricordes passées (i) ?
I. On peut encore dire, mais toujours improprement
qu'un péché remis par la Pénitence reparaît, quand on
DES SACREMENTS 447
Puisque Dieu ressent ainsi ringratiiudc de celui
qui retombe dans le péché, j'appréhenderai d'offen-
ser la bonté de Dieu par la rechute, et je ne me
reposerai pas sur sa miséricorde de telle sorte que
je n'appréhende la rigueur de sa justice. Je m'éton-
nerai du peu de jugement de certains, qui ne font
autre chose que considérer les promesses de Dieu
et les sentences de sa miséricorde, pour se con-
soler parla eux-mêmes, et les inculquer perpétuel-
lement aux autres et qui passent légèrement ou
même ne pensent pas du tout à ses menaces, aux
sentences où est formulée la rigueur de ses juge-
ments ; et cependant l'Ecriture est pleine de ces
sentences, afin de nous exciter à une crainte salu-
taire qui soit le commencement de notre salut et
nous préserver du péché. Je me représenterai
souvent que je suis devant Dieu comme un servi-
teur misérable, qui a rejeté le joug de sa servitude
et que je me suis livré au démon par plusieurs
rechutes, après tant d'absolutions prononcées sur
mes péchés. Je ne séparerai donc pas la justice et
la miséricorde, mais, comme l'Ecriture sainte m'en
avertit, j'unirai l'une et l'autre, et je dirai avec
David, le roi des pénitents : « Seigneur, je chan-
« tarai votre miséricorde et votre justice. Toutes
« les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité
commet un nouveau péché, en ce sens que l'âme est de
nouveau privée de la grâce et condamnée à la même
peine ; car ce sont là des effets communs à tout péché
mortel. C'est le sens qu'il convient de donner à cette
parole de saint Jacques : « Qiiiconque ayant observé la
« loi la viole en iin seul point, est coupable, comme s'il
« l'avait toute violée. »(Epît. ii, lo).
448 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
a pour ceux qui recherchent son testament »
(Psa. 10 et 24), c'est-à-dire qui s'efforcent de faire
sa dernière volonté.
FIN DU NEUVIÈME VOLUME
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE NEUVIÈME VOLUME
DEUXIÈME TRAITÉ (suite)
DE LA SAINTE VIERGE (suite)
Pages
XIV* MéDiTATioN. — De la purification de la
Sainte Vierge i
La Vierge a été dotée d'une très parfaite pureté. —
Elle n'était point obligée par la loi de la purification.
— Quelques raisons pour lesquelles le Saint-Esprit lui
inspira de s'y soumettre.
XV^ Méditation. — Explication plus ample du
glaive de douleur qui transperça le cœur de la
Vierge 14
Le glaive de douleur de la Vierge — i) est sembla-
ble au glaive du Chérubin — 2) il peut être appelé le
glaive du Seigneur — 3) il peut être appelé aussi le
glaive de la colombe.
XVI® Méditation. — Des mérites de la Sainte
Vierge et combien grande fut sa grâce 2^
La Sainte Vierge a mérité un accroissement de grâce
à chaque instant de sa vie, qui dura soixante-trois ans.
— Elle a mérité par tous les actes de sa vie soit active
Bail, T. ix- 3"
4^0 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
soit contemplative, et la nuit comme le jour. — A
quelle quantité de grâce était-elle parvenue à la fin de
sa vie.
XVII* Méditation. — Du bienheureux trépas de
la Sainte Vierge 43
Belles raisons de la mort de la Vierge. — Elle meurt
par la force de son amour. — Elle est délivrée de trois
misères auxquelles sont soumis les mourants.
XVIII® Méditation. — Du trépas de la Sainte
Vierge et de son Assomption 54
Faveur que reçoit la Sainte Vierge à sa mort. —
Grande félicité qui lui est échue le jour de son Assomp-
tion. — Elle est établie Reine de l'univers et Impéra-
trice du ciel et de la terre au-dessous de Jésus-Christ.
XIX® Méditation. — Conclusion de ce traité : de
la dévotion envers la Sainte Vierge 79
La dévotion envers la Sainte Vierge consiste à faire ce
qui lui plaît, et à éviter ce qui l'offense. — Motifs de
cette dévotion. — Méthode.
TROISIÈME TRAITÉ
DES SACREMENTS
I" Méditation. — Définition et nombre des Sa-
crements 102
Un sacrement est une pluralité de signes sensibles
institués par Dieu pour signifier et produire la grâce
dans la personne qui le reçoit avec les dispositions
requises. — Raisons pour lesquelles Dieu a voulu
TABLE DES MATIÈRES 45l
instituer les sacrements et nous conférer la grâce au
moyen Je signes sensibles. — Il y a sept sacrements.
II® Méditation. — Des effets des sacrements. ... 114
Les trois effets principaux des sacrements sont la
grâce sanctifiante, le caractère et la grâce sacramen-
telle. — Les sacrements confèrent la grâce ex opère
operato, c'est-à-dire par leur propre vertu. — Le mau-
vais état du ministre des sacrements n'empêche pas
ceux-ci de produire leurs effets.
III* Méditation. — De rinstitution des sacre-
ments, de leur excellence et de leur perfec-
tion dans l'autre vie 131
Le temps de la loi de grâce était le temps propre à
l'institution des sacrements. — Les sacrements n'au-
ront leur plein effet et leur perfection que dans l'état
de gloire.
IV* Méditation. ~ Du sacrement de Baptême et
de ses effets
Le Baptême consiste à laver le corps avec de l'eau et
à prononcer des paroles. — Le premier effet du Bap-
tême est la rémission du péché originel. — Le Baptême
produit une grâce égale dans tous les enfants.
V* Méditation. — De l'institution, de la néces-
sité et des cérémonies du Baptême 165
Il convenait que le Baptême fat le premier des sacre-
ments. — Le Baptême est nécessaire à tous les hommes.
— Principales cérémonies du Baptême.
VI« Méditation. — Du sacrement de Confirma-
tion i8i
Ce qu'est la Confirmation. — Merveilleux effets de
la Confirmation. — Pourquoi la plupart des chrétiens
sont si faibles.
VII* Méditation. — De la présence réelle et subs-
tantielle du corps de Jésus-Christ dans le Saint-
Sacrement de l'Eucharistie 197
Première preuve tirée de la promesse. — Seconde
preuve tirée de l'institution. — Troisième preuve tirée
de l'usage de ce sacrement.
Ï45
452 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
VIII® Méditation. — De ce qui est le plus essen-
tiel dans le sacrement de la Sainte Eucharistie, 210
L'Eucharistie est un sacrement de la nouvelle Loi
qui consiste dans les espèces du pain et du vin, et dans
le corps et le sang de Jésus-Christ réellement contenu
sous ces espèces, pour donner à l'âme sa nourriture
spirituelle. — Jésus-Christ est présent dans ce sacre-
ment en vertu des paroles prononcées parle prêtre. —
Dans cette conversion il ne demeure rien de la subs-
tance du pain ni de la substance du vin.
IX® Méditation. — Des divers motifs pour les-
quels Jésus-Christ est présent dans l'Eucha-
ristie 225
Premier motif : la gloire de Dieu. — Second motif:
l'exaltation de l'humanité de Jésus-Christ. — Troi-
sième motif : l'utilité des hommes et leur plus grand
honneur.
X^ Méditation. — De l'union de Jésus-Christ
avec les espèces du pain et du vin dans l'Eu-
charistie 238
Jésus-Christ, en s'unissant aux espèces du pain et du
vin nous prouve — i) son admirable bonté — 2) son
grand désir de se communiquer aux hommes — 3) sa
prodigalité.
XP Méditation. --De la communion sous une
seule espèce 249
Notre Seigneur a donné aux prêtres trois grands
pouvoirs : celui de consacrer, celui de sacrifier et celui
de distribuer son divin corps. — Les prêtres ont dis-
tribué le corps de Jésus-Christ aux laïques, tantôt sous
les deux espèces, tantôt sous une seule. — C'est à tort
que certains se plaignent de l'ordonnance de l'Eglise
qui ne permet la communion que sous une seule
espèce.
XIP Méditation. — Des elïets du Sacrement de
l'Eucharistie 265
Le sacrement de l'Eucharistie est doué d'une grande
vertu. — Exposition en détail des effets de ce sacre-
ment. — L'Eucharistie produit son principal effet dans
le trajet de la bouche a l'estomac.
TABLE DES MATIÈRES 453
XIII" MéuiïATioN. — Des trois sortes de disposi-
tions ù la réception du Saint-Sacrement 280
La disposition nécessaire et suffisante pour recevoir
la grâca saacti6ante de la sainte communion est
l'exemption du péché mortel obtenue par la confes-
sion. — Disposition prétendue suffisante et qui ne l'est
que probablement. — Disposition convenable.
XIV« MéDiTATioN. — De la disposition convena-
ble pour mieux communier (suite), et des effets
de la communion faite avec une telle disposi-
tion 298
Autre pratique pour communier convenablement,
comprenant sept degrés. — Fruits merveilleux qui
proviennent de la communion faite avec cette dispo-
sition. — Pourquoi certzines âmes qui se sont bien
disposées à communier, ressentent si peu le goût de
la dévotion.
XV^ Méditation. — Conduite à tenir après la
Communion 316
Importance de s'entretenir en secret avec Jésus-
Christ après la sainte Communion. — Cet entretien
comprend sept actes de dévotion. — Trois conseils
spirituels qu'il faut pratiquer après cet entretien.
XVI® Méditation. — De la fréquente communion. 328
Généralement parlant, on doit conseiller la com-
munion fréquente. — Ordinairement la communion
ne doit pas être quotidienne. — Règles à observer pour
la communion fréquente.
XVll" Méditation. -^ Du sacrifice de l'Eucha-
ristie
La consécration du pain et du vin est le véritable
sacrifice de la loi chrétienne. — Nécessité d'avoir nn
tel sacrifice dans lequel la victime soit Jésus-Christ.
— Efficacité du sacrifice de l'Eucharistie pour obtenir
un grand nombre de biens.
XVIII® Méditation. — Jésus-Christ poursuit dans
ce sacrifice les trois desseins qu'il avait en
mourant sur la croix
344
Jésus-Christ poursuit dans ce sacrifice son triple
dessein : i) d'honorer Dieu — 2) de le remercier —
3) d'apaiser sa colère.
355
454 LA THÉOLOGIE AFFECTIVE
XIX^ MéDiTATioN. — Des trois actes de dévotion
envers le Saint-Sacrement, que pratiquent les
âmes pieuses "5^ \/ ^
La dévotion au Saint-Sacrement porte les âmes
pieuses : i) à lui rendre un culte de latrie — aj à l'ac-
compagner aux processions et quand on le porte aux
malades — 3) à le visiter.
XX® Méditation. — De la Pénitence considérée
comme vertu 385
La Pénitence est une vertu qui nous porte à vouloir
satisfaire à Dieu pour les péchés commis. — Quelques
excellences de cette vertu. — Ses actes intérieurs et
ses actes extérieurs.
XXP Méditation. — Du sacrement de Pénitence
et de ce qui lui est essentiel 397
La Pénitence est aussi un sacrement de la Loi nou-
velle qui consiste dans les actes du pénitent d'une part
et dans l'absolution du prêtre d'autre part. — Les actes
du pénitent, contiition, confession et satisfaction, sont
pénibles et laborieux. — Vertu de l'absolution.
XXII« Méditation. — Des effets du sacrement de
Pénitence 413
Le grand effet du sacrement de Pénitence est la
rémission de tous les péchés mortels sans délai, sans
fim età tout jamais. — Un autre effet du sacrement de
Pénitence est la restitution de la g:âce et des vertus
perdues. — Autres effets qui sont la conséquence de
ceux-là.
XXIIP Méditation. — Comment la Pénitence
efface les péchés sans retour 43 1
Dieu pourrait remettre les péchés de telle sorte qu'ils
seraient imputés de nouveau au pénitent qui y retom-
berait. — Dieu pardonne le péché absolument et sans
condition, après une parfaite Pénitence. — Néanmoins
les péchés déjà remis sont encore imputés au pécheur
au point de vue de l'ingratitude.
FIN DE LA TABLE DU NEUVIEME VOLUME
EN SOUSCRIPTION
LE CATÉCHISME
OU L'ENSEIGNEMENT
DE LA
Doctrine Chrétienne
EXPLICATION NOUVELLE
d après les données les plus récentes de l'exégèse,
de V histoire , de la critique et de la science, pour
répondre aux exigences de la pensée contempo-
raine et aux besoins de notre époque,
par M. rAbbé Georges BAREILLE
Docteur en théologie et en droit canon
Ancien Professeur de Patrologie à l'Institut catliolique de Toulouse
Collaborateur du Dictionnaire de Théologie
CET OUVRAGE SE COMPOSERA DE
9 volumes in-8^ écu de 500 pages, dont
1 volume de tables générales
PRIX 45 Francs
DIVISION DE L'OUVRAGE
(Chaque partie sera livrée complète)
1" Partie. Le Symbole 2 volumes
IP Pautii';. Les Goinniandemonts 2 —
IIP PAKTiii:. La Grâce, la Prière, les Sacrements.. 2 —
n « Pautiiï. Les Fêtes 2 —
Tables générales des matières i —
Le prospectus détaillé de cette publication .
est envogé franco sur demande
Bergerac — Imprimerie Générale (J. Castanbt), place des Deux-Conils.
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BAIL^ Louis.
La Théologie affective.
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