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BIBLIOTHÈQUE D'HISTOIRE CONTEMPORAINE
J.-L. DE LANESSAN
Ancien Ministre de la Marine,
Afîcien Gouverneur généra] de l'Indo-Chine,
La Tunisie
DEUXIÈME ÉDITION, RKVUE ET MISE A JOUR
AVEC UNE CARTE EN COULEURS
LIBRAIRIE FELIX ALCAN.
LA TUNISIE
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
LIBRAIRIE FELfX ALCAN
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LA TUNISIE
J.-L. DE LANESSAN
Ancien Ministre de la Marine.
Ancien Gouverneur sénéral de llndo-Chine.
DEUXIEME EDITION, REVUE ET MISE A JOUR
Avec une carte en couleurs.
PARIS
LIBRAIRIE FÉLIX ALGAN
108, B 0 U L E V A li D S A I N T - G E R M A I N , 108
1917
Tous droits de reproduction, de Iraduclioii et d'adaptation resserves
pour tous pays.
AUG 2 9 1966
1114241
PREFACE
La première édition de cet ouvrage a été publiée en
1887, à la suite d'une visite de la Tunisie au cours de
laquelle toutes facilités me furent données par
M. Paul Cambon, résident général, en vue de l'étude
du pays et des multiples questions relatives à son orga-
nisation.
L'établissement de notre protectorat dans la Régence
ne remontait alors qu'à cinq années. Les colons fran-
çais étaient peu nombreux ; l'existence des minés mé-
tallifères commençait à peine d'être connue ; celle des
carrières de phosphates ne Tétait pas encore ; la
situation financière paraissait peu favorable aux
réformes profondes qu'il était nécessaire d'accomplir
pour inspirer aux indigènes la confiance dans nos
intentions et dans notre habileté, et assurer aux colons
les moyens de réaliser les profits pour lesquels ils
s'étaient expatriés. Les difficultés de l'œuvre colo-
niale pour laquelle la France avait assumé le pro-
tectorat apparaissaient aux yeux de tous les hommes
clairvoyants. On se rendait compte des obstacles que
la chaleur, la rareté des pluies, la nature du sol, lin-
II l'RKl'AGE
dolence des indigènes et l'insuffisance de la main-
d'œuvre opposaient au développenaent de la colonisa-
tion agricole, sur laquelle toutes les espérances étaient
alors fondées.
En dépit de la perception très nette des difficultés
avec lesquelles Tanivre de la France et des Français
aurait à lutter, une grande confiance en l'avenir
du pays régnait dans les milieux administratifs et
parmi les colons. Ceux-ci mettaient dans leurs entre-
prises une ardeur et une ténacité dignes d'admiration.
Le résident général et ses collaborateurs français
apportaient, de leur côté, dans l'accomplissement de
leur tâche très délicate, un zèle dont les administra-
tions métropolitaines donnent rarement le spectacle.
Comme le gouvernement de la République accordait
au résident général une confiance absolue et ne cachait
pas son désir de voir notre nouvel établissement colo-
nial faire lui-même sa destinée, avec ses ressources
propres, chacun, dans l'administration du protectorat
français, avait conscience de ses responsabilités et de
son devoir ; chacun s'efforçait de mener à bien une
entreprise d'où tous tireraient honneur et profit si elle
réussissait.
' M. Paul Cambon, qui avait eu la charge et l'hon-
neur d'établir le programme politique et administratif
du protectorat français, avait fort bien compris la
nécessité de limiter le rôle de la France, surtout dans
les débuts, au contrôle de l'administration indigène
dans les provinces et à la direction du gouvernement
beylical au moyen de conseils assidus sans être impor-
PRKFACE III
tuns. Aussi raccord le plus parfait régnait-il entre le
résident général, le bey et ses ministres d'une part,
les fonctionnaires tunisiens et les contrôleurs français
d'autre part. Partout, au cours de ma visite, je recueillis
des témoignages incontestables de l'harmonie qui
existait entre les éléments européens et les éléments
indigènes de l'administration. Kt partout aussi, je
constatai que de cette harmonie résultait l'acceptation
bénévole, sinon reconnaissante, du protectorat fran-
çais, par les populations indigènes.
r.e service est, sans nul doute, le plus grand que
M. Paul Cambon ait rendu à la Tunisie, car les habi-
tudes de confiance réciproque établies par lui entre
les indigènes et les Français, ont été conservées par
tous ses successeurs et ont rendu possible le règlement
de questions qui, avec d'autres traditions, auraient pu
être dune solution fort difficile.
Dans la première édition de cet ouvrage, je dus me
borner à exposer la situation dans laquelle se trouvait
la Tunisie au moment de notre occupation, à indiquer
la voie dans laquelle l'avait orientée son premier rési-
dent général et à tracer le programme des réformes
et des travaux indispensables au développement du
pays.
J'achevai ce travail au cours de la mission dont le
gouvernement m' avait chargé en Extrême-Orient et
qui me permit de me rendre compte sur place des
procédés coloniaux appliqués par les Anglais dans
l'Inde, par les Hollandais à Java et par la France en
Indo-Chine. Ce que je vis dans cette dernière colonie
IV PRKFACF.
me confirma dans l'opinion que l'étude de la Tunisie
m avait inspirée ; elle me fit acquérir la convictiop,
très renforcée ultérieurement par ma propre expé-
rience, que le protectorat est de toutes les formes
d'administration des colonies la plus favorable au
pavs colonisé et à la nation colonisatrice, parce qu'il
est le plus économique et le plus humain.
Les faits qui se sont produits en Tunisie depuis
1887 et dont l'exposition est Fobjet principal de cette
deuxième édition, projettent sur cette vérité une
lumière éclatante. De tous nos établissements colo-
niaux, la Tunisie est, sans nul doute, celui qui s'est
développé avecle plus de rapidité, qui a exigé le moins
de sacrifices de la part de la métropole et où l'accord a
été le plus complet entre les indigènes et les Français.
C'est aussi celui qui a le plus fait d'œuvres utiles avec
le moins de personnel.
Il en a été ainsi parce que le gouvernement métro-
politain lui a concédé une indépendance, une self-
direction, dont aucune autre de nos colonies n'a joui.
Si les résidents généraux qui s'y sont succédé depuis
M. Paul Gombon, c'est-à-dire MM. Massicaut, Millet,
Stephen Pichon et Alapetite qui gouverne la colonie
depuis dix ans, ont tous suivi la politique arrêtée par
le premier d'entre eux, c'est que tous ont eu, comme
lui, la pleine conscience des responsabilités qui pesaient
sur leur tète en raison de l'autorité dont ils jouis-
saient. Tous ont fait de la bonne besogne parce que
cette besogne était la leur. Tous ont maintenu le pro-
tectorat, parce que tous ont compris qu'étant le plus
PRÉFACE V
économique des régimes, celui qui exige le moins tle
personnel européen, et celui qui est le plus facilement
accepté par les indigènes, il permet, beaucoup mieux
que le régime de Tadministration directe, de prélever
sur les recettes budgétaires les sommes nécessaires à
Texécution des travaux publics. VA tous étaient dési-
reux de construire des routes, des chemins de fer, des
ports, etc., qui, en créant la ricliesse, leur vaudraient
la reconnaissance des colons et des indigènes. Aucun
n'aurait admis comme règle de conduite cette formule
trop facilement adoptée dans la métropole : « les éta-
blissements d'outre-mer sont faits pour assurer des
places bien rétribuées à ceux qui n'en trouvent pas en
France ».
La Tunisie a échappé à l'application de ce faux prin-
cipe parce qu'elle est placée sous la haute direction d'un
ministère métropolitain dépourvu de caractère adminis-
tratif et n'employant qu'un personnel très spécialisé,
ce qui le soustrait aux sollicitations des gens en quête
de places pour leur clientèle électorale.
C'est probablement aussi à cette condition particu-
lière que la Tunisie doit d'avoir vu ses résidents géné-
raux y faire tous de longs séjours. De 1881 à 1916 elle
en a eu seulement cinq, tandis que de 1884 à 1916
rindo-Chine en a vu passer treize ou quatorze dont
plusieurs n'y restèrent qu'un petit nombre de mois.
De tous ces faits le lecteur conclura sans nul doute
avec moi que le gouvernement de la République ren-
drait à nos établissements coloniaux un bien grand ser-
vice en les dotant d'assez d'indépendance pour que
VI PRÉFACF.
ciiacuii d'euLie eux put se développer coniormémenl
aux conditions particulières dans lesquelles il se
trouve, et en accordant à leurs gouverneurs assez d'au-
torité pour qu'ils se sentent responsables de leur ges-
tion politique, administrative et économique vis-à-vis
de ceux, indigènes et colons, qui y sont directement
intéressés.
Je tiens à remercier, en terminant, le Résident
général et ses collaborateurs ainsi que le président
de la Chambre d'agriculture pour l'amabilité avec
laquelle ils m'ont documente en vue de cette seconde
édition. L'empressement qu'ils y ont mis est à mes
yeux et sera pour le lecteur un témoignage de plus en
faveur de l'excellence de l'œuvre accomplie en Tunisie.
•I.-L. DE Lanessan.
Ecoueu. le iô décembre 191G.
LA TUNISIE
CHAPITRE PREMIER
LE SOL, LE CLIMAT ET LA POPULATION
I I. — Le sol
Avec une superficie généralemenL évaluée à treize mil-
lions d'hectares, c'est-à-dire égalant à peu près celle du
quart de la France, la Tunisie présente la forme d'un
grand rectangle baigné par la mer au nord et à l'est, où
ses bords sont creusés d'un grand nombre de golfes ou de
baies, contigu du côté de l'occident à la province algé-
rienne de Constantine, et se fondant au sud dans les
déserts du Sahara.
Elle est traversée, du sud-ouest au nord-est, par deux
massifs montagneux, que distinguent les caractères géolo-
giques et la végétation. Ils sont formés par le prolonge-
ment des chaînes du Tell et du Sahara qui traversent de
l'ouest à l'est tout le nord de l'Afrique. La plus septentrio-
nale de ces deux chaînes se termine, au nord du golfe de
Tunis, à la hauteur du cap ou Ras-El-Abiad, tandis que
la plus méridionale se prolonge au sud du golfe de Tunis
jusqu'au sommet de la presqu'île du cap Bon. Dans la
partie occidentale de la Tunisie, ces deux arêtes princi-
pales sont réunies par des arêtes secondaires très nom-
breuses, de manière à former un massif en apparence
unique, dont on ne peut aisément distinguer les deux
parties constituantes que par les caractères géologiques :
le grès domine dans la partie qui sert de prolongement au
Tell algérien, tandis que les roches crétacées caractérisent
celle qui fait suite au nassif algérien du Djebel Aurès.
Dans le nord-est de la Tunisie, les deux systèmes de
J.-L. De Lanessan. — La Tunisie. 1
2 LA TUNISIE
monla|2;nes sont plus distincts : ils sont séparés par deux
i^randos vallées qui s'étendent de l'ouest à l'esl jusqu'aux
environs de Tunis et dans lesquelles coulent deux
rivières ayant de l'eau en tout temps : la Medjerdah et la
Milianah.
Dans le sud-ouest, les montagnes sont moins hautes que
dans le nord, et encore moins régulièrement disposées ;
elles envoient vers le sud des prolongements qui con-
touï'nent, à l'est, le grand chott El Djerid et vont se ter-
miner dans les montagnes des Matmatas, entre Gabès et
Zarzis.
La partie la plus élevée de la région montagneuse de la
Tunisie est celle qui confine, dans le nord-ouest, à la pro-
vince de Constantine et qui a reçu le nom de Kroumirie.
C'est là aussi que se trouvent les plus belles forêts de
chênes-zen et de chênes-liège. Le massif de la Kroumirie
fait suite à celui de Bcni-Salah de la province de Constan-
tine. Il est formé de deux chaînes principales entre les-
quelles coule la Medjerdah, qui prend sa source sur le
territoire algérien, aux environs de Souk-Ahras. Il se
complète par un grand nombre de chaînes secondaires plus
ou moins parallèles entre elles. Les grès qui forment ce
massif surgissent, en cent endroits, des flancs des mon-
tagnes, en pitons dressés à pic sur les bords de ravins
profonds ou de vallées étroites, que sillonnent pendant
l'hiver d'impétueux torrents.
Les forêts s'étendent sur tous les sommets montagneux de
la région des Kroumirs, des Nefzas et des Mogods, jusqu'au
bord de la Méditerranée. La base des montagnes qui les
portent est couverte d'arbustes qui se trouvent aussi dans
les vallées intermédiaires. Ces dernières sont d'une grande
fertilité, mais elle.s sont encore peu cultivées. Du reste,
dans toute la région montagneuse de la Tunisie, les habi-
tants sont rares et présentent un degré de civilisation
inférieur à celui des indigènes des grandes et fertiles
plaines de la Medjerdah, de Foued Miliane, des environs
de Tunis, de la presqu'île du cap Bon et de l'Est.
A mesure qu'on avance de l'ouest à l'est ou qu'on descend
LE SOI., LE CLIMAT ET LA POPULATION 3
vers le sud-ouest, la hauteur des montagnes diminue
et les forêts disparaissent. On ne retrouve ces dernières
que dans quelques points peu nombreux : au sud de
Ghardimaou, entre Sidi-Yousef et le Kef, se trouvent
des forets de chênes verts et de pins d'Alep ; il en existe
d'autres des mêmes essences dans les montagnes de
Zaghouan, d"où elles se prolongent vers le sud-ouest,
aux environs de Hessera, de Djidjil, d'El Mekhita, entre
le Djebel-Chamlii et Haidra, et dans le voisinage de Kas-
serine.
En dehors de ces points, les montagnes du centre et
du sud ne portent que des arbustes plus ou moins rabou-
gris et des herbes.
Entre les chaînes montagneuses principales et leurs
ramifications s'étendent des plaines plus ou moins vastes
et d'une valeur très inégale au point de vue de la colonisa-
tion. Entre les rameaux de la grande chaîne septentrionale
qui descendent vers la Méditerranée se trouvent des petits
bassins côtiers dont les plus importants sont : celui de
l'oued El-Kebir qui descend à Tabarka, et ceux des petits
cours d'eau dont les vallées aboutissent à la plaine basse
de Mateur pour alimenter le lac d'eau douce Garaâ-El-
Iskeul qui, lui-même, se déverse, par l'oued Tindja, dans la
mer. Ce bassin est le plus fertile de la Tunisie parce qu'il
est le mieux arrosé.
Le bassin de la Medjerdah est le plus important, comme
étendue, de la Tunisie. Née aux environs de Souk-x\hras
en Algérie, la Medjerdah pénètre en Tunisie à Gliardi-
maou, et, après un parcours de 263 kilomètres, va se
jeter dans la Méditerranée sur la cote orientale de la
Régence, près de Porto-Farina. Ses principaux affluents
forment les bassins secondaires de l'oued Mélègue, de
l'oued Tessa et de l'oued Siliana qui descendent de la
branche septentrionale de la chaîne.
Parallèlement presque au bassin de la Medjerdah s'étend
celui de l'oued Mihane. Née dans la branche méridionale de
la grande chaîne montagneuse tunisienne, l'oued Miliane va
déboucher dans le golfe de Tunis près de Rades. Son bas-
4 LA TUNISIE
sin s'élargit au-dessus de son embouchure pour former la
vaste plaine du Mornag.
Au sud de la branche méridionale de la grande chaîne
tunisienne les rivières se déversent, sous les noms d'oued
Tekka, Menasser, Djirma, Zeroud, Marguellil, Bagla,
Nebane, etc., dans la grande Sebka Kelbia, sorte de lac
marécageux, à sec pendant la saison sèche. C'est dans
cette région que se trouve le vaste domaine del'Enfida; il
reçoit les eaux de plusieurs bassins secondaires.
Au sud-est s'étendent les plaines plantées d'oliviers du
Sahel et dans le sud se trouvent les grands chotts (dépres-
sions sèches et salées) dans lesquels se déversent toutes
les rivières qui descendent du grand massif montagneux
tunisien.
Sauf dans les chotts et dans quelques parties où des
bancs horizontaux de gypse se montrent à la surface du
sol, les plaines du sud de la Tunisie sont susceptibles
d'être cultivées. Dans les années suffisamment pluvieuses,
mais qui, malheureusement, sont très rares, elles produi-
sent des récoltes.
I II. — Le climat
Le climat de la Tunisie ressemble à celui de l'Algérie.
Les quatre saisons y sont assez bien marquées. Le prin-
temps commence vers le milieu de mars et se prolonge
jusqu'à la fin de mai, avec une température de 18° à 25° C
et de rares pluies. Les chaleurs de l'été commencent à se
faire sentir dans le courant du mois de juin ; elles vont en
augmentant jusque vers la fin d'août. Le thermomètre se
maintient alors, d'ordinaire, entre 25° et 30° C, mais il
monte parfois au delà de 40°, non seulement dans le sud-
ouest, qui est la partie la plus chaude de la Tunisie, mais
même à Tunis où, dans le mois d'août, il se maintient
parfois à 40° pendant une quinzaine de jours.
La chaleur est surtout pénible lorsque souffle le vent
du sud-est, que les colons européens désignent sous le
nom de siroco. Il est rare que pendant l'été il tombe de la
LK SOL, LE CLIMAT KT LA POPULATION 5
pluie. Il y a cependant parfois quelques orages de courte
durée. Durant cette saison, les nuits sont généralement
peu Immides, sauf sur les bords de la mer : aussi les
plantes se dessèchent-elles, à partir du mois de juin, avec
une grande rapidité. De vertes et émaillées de fleurs
qu'elles étaient au printemps, les vastes plaines de la
Tunisie prennent alors un aspect jaunâtre ou grisâtre, qui
pourrait faire croire à leur infécondité, si l'on ne voyait à
la surface du sol les traces des champs de blé et d'orge
qui sont moissonnés par les indigènes dans la première
quinzaine du mois de juin.
Les pluies commencent avec Fautomne, c'est-à-dire fin
sept-embre, et durent jusqu'en mars ; elles sont surtout
abondantes pendant les mois de décembre et de janvier,
011 régnent les vents d'ouest et de nord-ouest. Le thermo-
mètre ne dépasse jamais alors 15" à 18", et descend parfois
au-dessous de zéro. Dans la région montagneuse des
Kroumirs, la neige persiste souvent pendant tout l'hiver.
Au point de vue du climat, envisagé dans ses relations
avec la colonisation, on distingue aujourd'hui en Tunisie
trois régions qui se différencient surtout par Tabondance
et la régularité des pluies. La première comprend toute la
partie de la régence située au nord de la Medjerdah, c'est-
à-dire les régions de Bizerte, Mateur, Béja, etc. Les pluies
y étant régulières et abondantes, on y peut cultiver les
céréales avec succès, obtenir de la vigne, surtout quand
on l'irrigue, des rendements assez élevés et faire de
bonnes prairies artificielles. C'est la région la ])lus recom-
mandable pour la colonisation européenne.
La seconde région comprend les bassins de la Med-
jerdah et de la Miliane, ainsi que la presqu'île du cap Bon,
les territoires de Zaghouan et du Mornag. Les pluies y
sont moins abondantes et surtout moins régulières que
dans la première. La culture des céréales est plus aléatoire
et moins productive. Tout domaine doit être pourvu d'un
vignoble, parce que la vigne exige moins d'eau que les
céréales. Plus on descend vers le sud et moins la culture
des céréales est productive.
LA TUNIS IK
La Iroisièinc. n'j;ion comprend los territoirRS de Kai-
roiian. de Sousse et de Sl'ax. Les pluies y sont trop rares
pour (jue l'on y puisse cultiver avec profit les céréales.
Elles n'y réussissent guère qu'une année sur quatre. La
seule culture qui donne des produits certains est celle des
arbres et arbustes fructifères. C'est la région par excel-
lence de l'olivier, auquel on peut ajouter l'amandier, le
caroubier, etc.
La région du sud ne pei-met de cultures que dans les
oasis bien iriM^ué-es.
Sur les treize millions d'bectares que comprend la
Tunisie, trois millions seulement représentent des terres
considérées comme aisément et utilement cultivables.
I IIL — La population
Le nombre des indigènes tunisiens est évalué, en tota-
lité, à 1.700.000 individus de tout sexe et de tout âge.
L'élément dominant n'est pas l'Arabe pur, mais le xMaure,
c'est-à-dire un type créé par le mélange, depuis un gi-and
nombre de générations, du sang arabe avec celui de toutes
les races et variétés humaines qui habitent les bords de
la Méditerranée. Les Maures forment, avec les Juifs, la
presque totalité des populations des villes.
Quant aux gens des campagnes, soit qu'ils vivent à l'état
plus ou moins nomade dans des gourbis en branches ou
sous la tente, soit qu'ils habitent les villages perinanents
qui existent en grand nombre dans toutes les parties fer-
tiles et régulièrement cultivées de la Tunisie, ils appar-
tiennent en majeure partie au type berbère. On trouve ce
type non seulement dans le nord, où il est presque
seul, mais même dans l'extrême sud de la Tunisie, parmi
les tribus errantes des frontières de la Tripolitaine. La
plupart des tribus tunisiennes auxquelles on donne le
nom de nomades, ne le sont, en réalité, qu'à moitié.
Les tribus des grandes plaines du Sud, qui, plus que
les autres, mériteraient cette épithète, sont toutes com-
posées de familles se livrant à la fois à la culture et à
LE SOL, LE CLIMAT ET LA POPULATION 7
l'élevage des bestiaux (bœufs, moutons, chèvres ou cha-
meaux). Quand Tannée est pluvieuse dans le sud, elles
labourent la terre de cette région, l'ensemencent de blé ou
d'orge et attendent sur place la récolte. Lorsque celle-ci
est terminée, elles font paître leurs troupeaux dans les
champs moissonnés et remontent graduellement vers le
nord à mesure que le soleil dessèche leurs plaines. Quand
le sud ne reçoit pas de pluies pendant l'hiver, ce qui est
malheureusement très fréquent, les mêmes tribus vont
louer et cultiver dans le nord des terres mieux arrosées,
sur lesquelles elles s'établissent avec leurs troupeaux. La
plupart de ces tribus ont même des greniers permanents,
dans lesquels elles conservent les grains qu'elles ont
récoltés. Entre Gabès et Zarzis, sur la bande de terrain
qui sépare la chaîne montagneuse des Metmatas de la
mer, il existe un assez grand nombre de ces greniers. Ce
sont des villages bâtis en pierres, avec des maisons à deux
ou trois étages superposés. Au rez-de-chaussée habitent
des familles sédentaires, parmi lesquelles se trouvent un
grand nombre de tisserands, de cordonniers et autres
gens de métiers. Ces familles gardent, dans les étages
supérieurs des maisons, les grains déposés par les nomades.
Parmi ces villages-greniers, nous citerons surtout Ksour-
Métameur et Ksour-Médénine , auprès duquel nous avons
établi un poste militaire sur la seule route par laquelle
on puisse pénétrer du Sahara en Tunisie. Par ce poste,
nous tenons la route stratégique du Sud et gardons les
vivres d'une partie des tribus de cette région.
Quant aux montagnes des Matmatas, elles sont habitées
par des populations, d'origine berbère probablement,
mais parlant l'arabe, refoulées jadis par les nomades.
Elles ont, non pas bâti, mais creusé d'immenses villages,
dont les habitants, hommes et bestiaux, sont logés dans
les entrailles du sol. Les plus importants de ces villages,
Hadedje et Metmata, notamment, comptent plusieurs mil-
liers d'êtres. On estime à près de 10.000 individus cette
population de troglodytes. Comme les pluies sont extrê-
mement rares et que les montagnes des Matmatas sont
8 LA TUNISIE
peu l(M'liI(;s, une parlic Av Icuj's lialtilanLs \ont, chaque
année, dans le nord, louer et ensemencer des terres et
taire paître les troupeaux. Situées sur la frontière du
Sahara, ces populations sédentaires et éminemment paci-
fiques, forment une barrière contre les invasions des tribus
({ui habitent un peu plus au sud, dans la partie du désert
tunisien qui se confond avec les déserts de la Tripolitaine.
D'abord limitée à Métameur et à Zarzis, notre occupa-
tion militaire s'étend aujourd'hui au sud de ces points,
jusqu'à 13en-Gardane, Djeneien et Dehibat, Pervinquière
et Bire-Pistor, en suivant la frontière délimitée d'accord
avec la Turquie, en 1940. Cette frontière, par laquelle notre
Tunisie est séparée de la Tripolitaine, s'étend jusqu'à
13 kilomètres de Ghadamès qu'elle contourne.
Au moment de l'occupation de la Tunisie par la France,
en 1881, il y avait déjà, en Tunisie, environ 19.000 Euro-
péens, presque tous oripjinaires de l'Italie, de la Sicile ou
de Malte. Le nombre des Français n'était que de 708. Dix
ans plus tard, en 1891, on trouve dans la Régence 10.030
Français, 21.016 Italiens ou Siciliens et 11.706 Maltais.
En 1901, le nombre des Français s'est élevé à 24.201,
celui des Italiens et Siciliens à 71.600 et celui des Maltais
à 12.038; il existe, en outre, 3.244 Européens indiqués
par les statistiques comme de « nationalités diverses ».
En 1912, le nombre des Français est de 46.044; celui
des Italiens ou Siciliens de 88.089, celui des Maltais de
11.300 et celui des Européens de « nationalités diverses »
de 3.050.
D'après ces chiffres, le nombre total des Européens
étrangers serait de 102.432 pour 1912, alors que celui des
Français ne dépasserait guère 46.000.
Il faut rapprocher de ces chiffres le nombre des indi-
gènes tunisiens de diverses races qui s'élevait, le
31 décembre 1911, à 1.730.144 et celui des Israélites indi-
gènes qui, à la même date, atteignait 50.383.
La population totale de la Tunisie était donc, au 31 dé-
cembre 1912, de 1.832.576 individus parmi lesquels ne se
trouvaient que 46.000 Français.
CHAPITRE II
LES MINES, CARRIÈRES, ET EAUX THERMALES
La Tunisie ne montre ni terrains arcliéens, ni terrains
primaires. Les roches éruptives y sont rares (roches gra-
nitiques de l'île Galite et pointement du djebel Haddeda
en Kroumirie, avec trachyte à mica noir).
Le terrain le plus ancien est le trias. Il est constitué
par des arg:iles et gypses bariolés, contenant des calcaires
dolomitiques et quelquefois des pointements de roches
vertes ophitiques. Il est remarquable par son aspect caho-
tique et ses relations presque toujours anormales avec les
autres terrains. Il est toujours minéralisé dans son
ensemble ; aussi admet-on généralement que tous les gîtes
actuels de plomb et de zinc proviennent de concentrations,
par voie hydrothermale, des métaux disséminés dans sa
masse. Gomme gisements contenus dans le trias lui-même
ou dans son voisinage immédiat, on peut citer : Bécha-
teur, Fedj el Adoum, El Grefa, Bazina, Ain AUéga, Djebba
(gîte plombeux).
Le Jurassique constitue la masse principale des dômes
simples et complexes qui portent les noms de djebel bou
Kornine (376 mètres), djebel Ressas (795 mètres), djebel
Zaghouan (1.295 mètres), djebel ben Saïdane (818 mètres),
djebel Fkirine (985 mètres), etc., et forment la chaîne de
montagnes désignée sous le nom de « dorsale tunisienne ».
Il est constitué essentiellement par les calcaires massifs
du lias, dans lesquels se trouvent les mines de plomb et
zinc du djebel Zaghouan, du djebel Ressas et du djebilet
el Kohol.
10 LA TUNISIE
Le crélacé inférieur (;st représenté, dans le nord par
les marnes et calcaires du néocornien et du barrémien,
dans h; centre et le sud, par les marnes et calcaires durs
d(> ra{)li(ui, contenant un grand nombre de gisements de
plomb el de zinc (djebel bou Jaber, djebel Hamra, djebel
Azered, djebel Trozza, Kef Chambi, Sidi Amor ben Salem,
Koudial el Hamra, Charren) et les gisements de fer des
djebels Ujérissa, Slata et Hameïma.
Le crétacé moyen ne contient que peu de mines. Dans
le nord il est constitué par des alternances de marnes et
de calcaires. Dans le centre l'albien est constitué par des
marnes bleues, tandis que dans le sud il est marno-gréseux
avec un faciès littoral ; le cénomanien est constitué par
des alternances de marnes et de calcaires gréseux; des
bancs de gypse s'y intercalent dans le sud.
Le crétacé supérieur comporte principalement un étage
de turonien, assez mal délimité et surmonté par le séno-
nien composé de marnes et de calcaires blancs renfermant
de nombreux gisements (Khanguet-Kef-Tout, Sidi Ahmed,
djebel el-Akbouat, Sidi Youssef, Fedj Assène, djebel ben
Amar, djebel Hallouf, Lorbeus).
L'éocène est très développé en Tunisie. Dans le nord, il
est essentiellement marneux à la base et gréseux au
sommet. Ces marnes renferment quelques gisements de
plomb et zinc, notamment ceux de Sidi Driss et de Sidi-
bou-Aouan. Les gîtes de fer de Kroumirie et des Nefzas
se trouvent dans les grès supérieurs. Dans le centre et le
sud, Téocène inférieur se subdivise en deux sous-étages :
un sous-étage inférieur, marno-calcaire et phosphati-
fère, un sous-étage supérieur essentiellement calcaire,
à grandes nummulites. On ne, connaît qu'un seul gîte
calaminaire dans les calcaires nummulitiques, celui de
Djebba.
Les terrains tertiaires supérieurs, miocènes et pliocènes,
ont toujours un faciès littoral ou continental. Ils sont
constitués par des argiles et des grès. Le miocène con-
tient très souvent des couches lignitifères, notamment
dans la région de Djebibina, Monastir et sur le versant
LES MINES, CABRIKRKS KT RAUX THERMALRS H
est de la presqu'flt' du cap Bon, où l'on procède en ce
moment à des travaux de recherches de lignites.
Les terrains quaternaires sont très développés. Ils
constituent les vastes plaines littorales qui s'étendent de
Naheul à Gabès. Ils sont formés d'ariiiles rougeàtres avec
sables. En Tunisie comme en Algérie, ils renferment sou-
vent, près de la surface, une couche de tuf ou de traver-
tin calcaire qui rend le défrichement difficile.
Toutes les mines métalliques actuellement connues ou
exploitées sont situées dans le nord de la Tunisie et au
voisinage de la frontière algérienne. Les principaux gise-
ments de phosphates se trouvent dans les régions du Kef
et Thala, d'une part, Gafsa et Maknassy, d'autre part.
§ I. — Mines de plomb et zinc
Les minerais de plomb sont constitués par de la galène
ou du carbonate de plomb ; accessoirement on rencontre de
l'anglesite (sulfate de plomb), de la pyromorphite (chloro-
pbosphate de plomb), de la mimétèse (chloro-arséniate de
plomb), et de la déchénite (vanadate de plomb). Le zinc se
présente surtout à l'état de carbonate (calamine) ou de
blende. Le silicate et Thydrocarbonate ne se rencontrent
qu'en petite quantité. D'une manière générale, la produc-
tion en minerais de plomb prédomine de plus en plus ;
elle surpasse actuellement celle des minerais de zinc.
Concession de Djehba. — La concession des mines de
zinc, plomb et métaux connexes de Djebba est située au
pied et sur la face nord du plateau nummulitique du
djebel Gorrah. Les amas superficiels de calamine ont été
exploités. On a reconnu en profondeur divers filons plom-
beux disséminés dans les calcaires blancs du sénonien.
Grâce à l'exécution de la voie ferrée Mateur-Nébeur, la
station de l'oued Thibar se trouve à une douzaine de kilo-
mètres seulement de l'exploitation, La production annuelle
est d'environ 4.000 tonnes de minerai de plomb riche à
Oo p. 100 de métal.
13 LA TUNISIi:
CoJicession du djebel Ressas. — Elle est située à 25 kilo-
mètres au sud-est de Tunis. Elle a été connue et ex|jloitée
dès la plus haute anticjuité.
Le gisement du djebel Ressas est principalement cons-
titué : 1" par deux chapelets d'amas minéralisés, alignés
suivant le toit et suivant le mur d'un horizon géologique
comprenant le lias supérieur et le tithonique, et générale-
ment placés à l'intersection de ces contacts avec des
failles transversales; 2° par des amas minéralisés situés
le long de ces mêmes failles. Les minerais de plomb sont
plus abondants dans les parties superficielles des gise-
ments ; les minerais de zinc prédominent à la périphérie
et dans les parties inférieures.
La mine produit annuellement environ 12.000 tonnes
de minerais marchands (un tiers de plomb et deux tiers
de zinc). Elle occupe de 8 à 900 ouvriers. Depuis 1900 sa
production globale peut être évaluée à 90.000 tonnes de
minerais de zinc et 70.000 de minerai de plomb.
Concession de Kanguet-Kef-Tout . — Située à 31 kilo-
mètres de Béja, elle porte sur un massif de calcaires séno-
niens. Le gîte supérieur est constitué par une large cas-
sure dans les calcaires qui, à la rencontre des marnes du
mur, se transforme en un gîte de contact. La partie infé-
rieure, jusqu'au niveau hydrostatique, est prise souterrai-
nement, la partie supérieure est exploitée par un grand ciel
ouvert. Un second gisement, celui d'Aïn-Roumi, est situé
à 8 kilomètres au sud-ouest du précédent.
La minéralisation est constituée par de la calamine et
de la galène. La production de la mine, depuis le début de
l'exploitation, peut être évaluée à 90.000 tonnes de cala-
mine et 30.000 tonnes de galène.
Concession de Sidi-Ahnied. — L'exploitation porte sur
deux colonnes minéralisées situées au contact des calcaires
sénoniens et des marnes supérieures. Les minerais sont
calaminaires dans la partie haute, blendeux dans les par-
ties basses. On y rencontre également des zones plom-
beuses.
LES MINES, CARRIÈRES ET EAUX THERMALES 13
La mine de Sidi-Alimed a déjà produit ;)3.000 tonnes de
minerais de zinc et 20.000 tonnes de minerais de plomb.
Concession, de Fedj-el-Adoum. — Elle est située à 14 kilo-
mètres deTéboursouk, dans le massif du djebel Jouaouda
et appartient à la Société anonyme des mines de Fedj-el-
Adoum (Société française ayant son siège social à Paris).
Lors de l'institution de la concession on avait reconnu
quelques amas importants de calamine affleurant au con-
tact du trias et des calcaires cénomaniens. Les minerais
de zinc ont été exploités en grande partie à ciel ouvert.
Au fur et à mesure de l'approfondissement des travaux,
les gîtes sont devenus plus plombeux. La production en
1913 a été de 170 tonnes de calamine et 2.136 tonnes de
g'alène.
Concession dit djebel Zag/ioua/i. — Elle recouvre le ver-
sant sud-ouest du massif jurassique du djebel Zagliouan, à
60 kilomètres environ au sud de Tunis. On y a exploité
deux lentilles importantes de minerais de zinc à haute
teneur. Les cassures minéralisées paraissent être en rela-
tion avec la faille du Bourzen et avec la grande faille de
Zaghouan qui jalonne la dorsale tunisienne.
La mine de Zaghouan est reliée à la voie ferrée de
Tunis à Zaghouan par une piste carrossable de 14 kilo-
mètres aboutissant à la station deMoglirane. Depuis l'ori-
gine de la mine la production a été de 35,000 tonnes environ
de calamine et ÎJOO tonnes de minerai de plomb.
Concession du djebel el-Akhouat. — Cette concession
est située à environ 20 kilomètres au sud de Téboursouk.
Les gîtes reconnus et en grande partie exploités à Fheure
actuelle, sont constitués par des filons verticaux traver-
sant une formation marno-calcaire très redressée par un
îlot de trias affleurant dans le voisinage. Près de la sur-
face, le remplissage des fractures est formé de minerai
oxydé. Au fur et à mesure de l'approfondissement des
travaux les minerais se montrent constitués par un mé-
lange des trois sulfures : blende, pyrite de fer et galène.
14 I.A ÏUNISIK
La iniiK^ (lEl-Aklioual tîst desservie par la station d'El-
Akhoual, sur la voie jcj-rée de Tunis au Kef. La production
totale, depuis l'origine, est de 13.")0() tonnes de minerai
de zinc et 3.2î>0 tonnes de minerai de plomb.
Concession du djchel Bou-.laber. — Elle est située sur
la frontière algéro-tunisienne, à là kilomètres au sud-
ouest de la gare deKalaa-es-Senam. Elle est constituée par
des bancs presque verticaux de calcaires urgo-aptiens à
« Ostrea-Aquila ». Les fractures minéralisées, de direction
sensiblement est-ouest, font un angle très faible avec la
direction des bancs. Dans les fractures, le minerai de
plomb ou de zinc affecte une allure en chapelet donnant
de temps à autre de belles colonnes minéralisées. Les ins-
tallations de la mine forment un véritable village. On a
construit une grande laverie et une usine pour le traite-
ment des minerais de zinc pauvres. La mine est reliée à
la station de Kalaat-es-Senam par une voie Decauville de
0^60. Depuis l'origine la production de la concession a été
de : 10.000 tonnes environ de minerai de zinc et 13.300 tonnes
environ de minerai de plomb.
Concession de Sakiet-Sidi-Youssef. — Elle est située le
long de la frontière algérienne, sur la piste du Kef à
Souk-Ahrras (54 kilomètres). Ses produits sont exportés
par le port de Bône. Le gîte est constitué par trois cas-
sures parallèles traversant les calcaires sénoniens appuyés
sur le trias. Dans ces cassures, distantes de 160 et 325
mètres, on exploite trois colonnes d'enrichissement conte-
nant des minerais de plomb et de zinc. De plus, entre
deux des cassures, on trouve un gîte interstratifié de car-
bonate de plomb.
La mine a d'abord produit des minerais oxydés. Actuel-
lement l'exploitation étant au-dessous du niveau hydros-
tatique, les minerais sont sulfurés. Les installations exté-
rieures sont très importantes : laverie des oxydés et
laverie des sulfurés, puits d'extraction équipé électrique-
ment, atelier de triage magnétique. Depuis le début de
[.ES MINES, CARRIÈRES ET EAUX THERMALES 15
l'cxploitalion (-1898) la mine a produit ."iO.OOO lonncs de
minerai de zinc (!L 30.U()0 tonnes de minerai de plomb.
Concession de Fedj Assené. — Située à 11 kilomètres
au sud-ouest de Ghardimaou, elle englobe les massifs
montagneux du Kef Cliangoura et du djebel Moutrif. Le
gîte reconnu est constitué par une colonne elliptique de
minerais complexes où la blende, qui domine, si; trouve
incluse dans les calcaires blancs du sénonien. La colonne
minéralisée a été reconnue sur plus de 200 mètres de pro-
fondeur, La mine a produit, depuis le début, environ
8.500 tonnes de minerai de zinc et 150 tonnes de minerai
de plomb.
Concession du djebel A zered . — Elle est située à
20 kilomètres au sud-ouest de Thala, sur un dôme de cal-
caire aptien. La minéralisation se présente sous forme
d'une couche de calamine riche, souvent enrobée dans de
l'argile rouge et comprise entre des calcaires au mur et
un banc de quartzite au toit. La couche de minerai atteint
quelquefois 50 centimètres. Elle produit chaque année 3 à
400 tonnes de calamine, transportées par charrettes à la
gare delvalaa-Djerda, distante de 25 kilomètres, et dirigées
de là sur Tunis.
Concession de Bechateur. — Le gîte j)rincipa! de cette
concession est situé au djebel Gozlem, à 15 kilomètres au
nord-ouest de Bizerte, sur le bord de la mer. 11 est constitué
par un pointemfent triasique recouvert au sud par les cal-
caires et les marnes de l'éocène épigénisées et fortement
minéralisées au voisinage du contact du trias. Toute la
masse minéralisée a été enlevée en grande partie à ciel
ouvert. On a retiré des calamines pauvres, de la blende et
une faible proportion de minerai de plomb. Les parties
profondes du gîte sont exploitées par puits et galeries. Les
minerais sont transportés par mahonnes à Bizerte. Cette
concession appartient à la Compagnie Royale Asturienne
des Mines.
Concession du djebel el Greffa. — Elle est située sur la
16 LA TUNISIE
ligne (!«' cliemin de IVr de Mateur à Tabarka, à proximité
Je la station de Djalta. On y a d'abord exploité à ciel
ouvert un conglomérat tertiaire reposant sur le trias dont
les éléments étaient liés par un ciment calcaro-plombeux,
assez faiblement minéralisé. On exploite actuellement des
lentilles de marnes imprégnées de carbonate de plomb et
situées dans le trias. Cette concession, qui date de 1902,
a déjà produit 24.000 tonnes de minerai de plomb.
Concession du Bazina. — Elle est située à ITi kilomètres
au sud de la gare de l'Aouana, sur la ligne de Mateur à
Tabarka. La minéralisation consiste en sulfure et carbo-
nate de plomb à grain fin, dans une gangue de baryte et
de strontiane. Elle est contenue dans les argiles triasiques
où elle forme une zone parallèle à la stratification générale
et divisée en deux ou trois couches. Depuis la mise en
exploitation, en 1904, elle a produit 22.000 tonnes de mi-
nerai de plomb exporté par Bizerte.
Concession d'Ain-Allega. — Située à 12 kilomètres de
Tabarka, elle contient, dans le trias, un amas minéralisé
en forme de tronc de cône dont l'axe aurait une inclinaison
de 45°. Les minerais oxydés, calamine et carbonate
de plomb, se rencontrent dans les parties supérieures et
extérieures de l'amas, tandis que les zones inférieures et
intérieures renferment des minerais sulfurés, blende et
galène.
Depuis la mise en marche, en 1908, elle a produit
13.000 tonnes de minerai de plomb et 6.000 tonnes de
minerai de zinc embarqués à Tabarka.
Concession du djebel Hallouf. — Elle se trouve à 12 kilo-
mètres au nord de la gare de Souk-el-Khémis (ligne
d'Algérie), à 34 kilomètres du port de Tunis. Le gisement
porte sur un mamelon de calcaires sénoniens dans lequel
on observe une quinzaine de fractures presque parallèles,
dont plusieurs sont encore imparfaitement connues. Le
minerai est principalement formé de carbonate de plomb,
LES MINES, r.ARRlKRES ET EAUX THERMALES 17
quelquefois de galène et contient accessoirement de l'arsé-
niate de plomb.
Indépendamment de ce gîte, la Société du djebel Hallouf
a découvert, dans le périmètre de la concession, un dépôt
superficiel de terres plombeuses provenant d'un remanie-
ment et dont le tonnase est évalué à environ oO.OOO tonnes
à 18 p. 100 de métal.
La production annuelle de cette entreprise varie de 2 à
3.000 tonnes par an de minerai de plomb.
Concession du djehel Trozza. — Elle englol)e le versant
sud de la montagne du même nom. Elle est située à environ
50 kilomètres au sud-ouest de Kairouan, Le gîte est cons-
titué par un remplissage de carbonate de plomb dans une
fracture importante, affectant les calcaires cristallins de
i'aptien. Les épontes du gite renferment aussi des lentilles
calaminaires formées de minerai de zinc silicate.
La mine est reliée à la station de Hadjeb el Aioun, sur
la voie ferrée de Sousse à Henchir Souatir, par une piste
carrossable de 20 kilomètres environ. La production des
trois dernières années a été la suivante : 1913, 4.866 tonnes
de plomb ; 1914, 4.160 tonnes de plomb et 1.200 tonnes do
calamine; 1915, 3. 500 tonnes de plomb.
Concessions du Guern Alfai/a et du Koudicit et Anira. —
Elles sont situées à 25 kilomèti-es au sud du Kef.
Le gîte du Guern-Alfaya était constitué par un remplis-
sage de fracture dans les calcaires sénoniens, au contact
du trias. Le minerai était calaminaire avec des zones
plombeuses. Il a été épuisé en cinq ans (1909-1913) après
avoir produit 15.000 tonnes de calamine et 3.500 tonnes
de galène.
Le Koudiat el Amra, situé à quelques kilomètres du
précédent, renferme, dans les calcaires sénoniens, une
cassure sans rejet à faible ouverture dont les épontes sont
minéralisées sur une épaisseur de 10 à 40 mètres, par des
petites plaques de galène situées dans les fissures du cal-
caire, avec un peu de calamine aux affleurements. L'exploi-
J.-L.JDe Lanessaim. — La Tunisie* 2
18 LA TUNISIE
tation, commencée en 1914, a déjà produit 10.000 tonnes
de minerai de plomb.
Concession de Sidi Amo?' hen Salem. — Exploitée par
la Société « Les Mines Réunies », elle englobe le versant
est du massif du djebel Slata, qui est constitué en majeure
partie par les calcaires durs, jaunâtres à la surface, gris
clair ou bleu foncé en profondeur, de Faptien. Ces cal-
caires s'ordonnent suivant de hautes arêtes capricieuse-
ment dentelées. Le gîte exploité est constitué par un
mélange de galène et de carbonate de plomb, concentré
dans les nombreuses fractures des calcaires, en relation
avec une faille nord 15° ouest qui s'aligne avec l'une des
principales crêtes de la montagne.
Située à 2 kilom. 500 de la station de Salsala, cette con-
cession occupe 700 à 800 ouvriers et produit annuellement
7 à 8.000 tonnes de minerai de plomb à 68 p. 100. Dans
le village construit pour le logement des ouvriers européens
et indigènes, il existe une école mixte, un poste de police,
une infirmerie, une église, un économat, etc.
Concession du djebel Kehouch. — Le massif du djebel
Kebouch est situé à environ 20 kilomètres au nord-est de
la ville du Kef. Il est elliptique, à grand axe dirigé sensi-
blement nord 45° est, parallèlement aux rides montagneuses
de la dorsale tunisienne. Le Kebouch proprement dit est
un dôme de calcaire sénonien assez disloqué, reposant
sur le trias ; et c'est au contact des deux terrains que se
trouve le gîte concédé. Il comporte une couche de minerais
sulfureux reposant directement sur le trias et, par-dessus,
des imprégnations calaminaires et plombeuses dans la
zone oxydée de la formation calcaire.
Desservie par la station de Zafrane, la mine a complété
récemment son outillage par la création d'une laverie
mécanique qui traitera les produits pauvres de l'exploita-
tion. Jusqu'à fin décembre 1915, la production a été de :
3.223 tonnes de galène et carbonate de plomb et 150 tonnes
environ de calamine.
Concession de Sidi-boii-Aouan . — Depuis 1910, la
LES MINES, CARRIÈRES ET EAUX THERMALES 19
Société des mines de Sidi-bou-Aouan exploite une belle
lentille de galène arsenicale reconnue au contact du trias
et de l'éocène, près de la limite ouest de la concession du
djebel Hallouf. Commencée en carrière, l'exploitation du
gîte s'etfectue aujourd'hui par des travaux souterrains
répartis en cinq niveaux et desservis par deux puits
d'extraction. La production annuelle de la mine est
d'environ 6.000 tonnes de galène titrant 70 à 72 p. 100 de
métal.
Concession (ï Ain-Nouba. — Elle est située près de la
station de Kasserine, sur la ligne de Sousse à Hencliir
Souatir, à 202 kilomètres du port de Sousse. Elle englobe
un gisement reconnu à l'extrémité est du djebel Selloum.
La minéralisation y forme une couche interstratifiée dans
les calcaires cénomaniens. Elle paraît avoir pour origine
une faille parallèle à celle qui jalonne, à quelques kilo-
mètres plus au nord, la vallée de l'oued el Hatob. La
puissance de la couche minéralisée varie de 10 à 50 centi-
mètres. Elle fournit, avec des minerais carbonates ou sul-
furés de plomb, une calamine blanchâtre, compacte, à
30 p. 100 de zinc et facilement enrichissable par calcina-
tion. Les épontes calcaires de cette couche sont elles-mêmes
souvent imprégnées de zinc (10 à 14 p. 100).
Cette concession a produit, durant la première année
d'exercice normal, 2.700 tonnes de calamine à 42 p. 100 et
260 tonnes de minerai de plomb obtenu partie par schei-
dage et partie par traitement mécanique ; 2.500 tonnes de
calcaire zincifère ont été cette même année extraits et mis
en stock.
Concession du Kef Chambi. — Le djebel Cliambi est
constitué par un puissant massif de calcaires et de marnes
du crétacé inférieur ou moyen reposant sur des marnes
versicolores du trias. Son sommet constitue le point cul-
minant de la Tunisie (1.544 mètres). Dans un ravin for-
mant axe d'un anticlinal érosé et dans lequel le trias
affleure jusque vers la côte 1100, deux gîtes de galène et
de plomb carbonates ont été mis en exploitation en 1911.
20 LA TUNISIE
L'un (le CCS gîtes, inclus dans un banc de calcaire céno-
nianien, présente un groupe de 4 filons divergents que
recoupent un certain nombre de croiseurs s'étendant en
général sur toute l'épaisseur du banc calcaire. Le second
gîte,' à gangue barytique, est au contact des marnes du
trias.
L'exploitation est comprise entre les niveaux 1150 et
1350, Une voie de 5 kilomètres, à la côte 1150, amène le
minerai tout venant jusqu'à la recette supérieure d'un
câble aérien qui le transporte à la laverie située 350 mètres
plus bas. La production annuelle est voisine de 3.000 tonnes
de galène.
Concession du djebel Lorbeiis. — Elle est située au voi-
sinage de la station des Salines (bifurcation de l'embran-
chement du Kef sur la ligne de Tunis à Kalaat-es-Senam).
Le gisement principal se trouve dans une fracture qui
coupe obliquement les calcaires à petits bancs du crétacé
supérieur et plonge de 65" environ vers le nord. Le rem-
plissage est constitué surtout par de la calamine riche,
enrobée dans les argiles provenant de la décomposition
des calcaires encaissants. Du minerai de plomb à l'état de
carbonate accompagne la calamine.
Les travaux d'aménagement de la concession viennent
d'être achevés et l'on a commencé une exploitation nor-
male depuis le mois d'avril 1911).
Concessions diverses. — Les autres concessions de mines
de plomb et zinc instituées en Tunisie sont les suivantes :
djebel Hamra, kef Lasfar, djebel Touireuf, djebilet el
Kohol, Oued Kohol, djebel Gliarra, djebel Diss, djebel
Touila, djebel Serdj, Sidii, Sidi Driss et Charren.
Le tableau n° 1 ci-joint résume le tonnage des minerais
de plomb et de zinc produits annuellement, de 1892 à
1915 inclus, leur valeur aux ports tunisiens et le cours
moyen de ces métaux.
LES MINES. CARRIKRES ET EAUX THERMALES
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22 I.A TUNISIE
Pendant cette période il a été exporté 550.000 tonnes de
minerai de zinc et 471.000 tonnes de minerai de plomb
représentant une valeur globale d'environ 140 millions,
ce qui ramène le prix moyen de la tonne de minerai à
137 francs.
§ II. — Mines de fer
Les gisements de fer concédés sont situés dans trois
régions : 1" dans le nord de la Tunisie entre Mateur et
TabarUa; 2" au nord du Kef (Nebeur) ; 3° au sud du Kef.
La Société des mines de fer de Kroumirie et des Nefzas
possède la concession de Rm-er-Radjel située à 10 kilo-
mètres à l'est de Tabarka et celles de Bou-Lanayue, djehcl
Bellif, Granara, Tamera, Bourchiba et oued bon Zerma,
situées à une quarantaine de kilomètres de Tabarka, aux
environs de la station de Tamera. Leur superficie totale
est de 3.985 hectares.
Les gisements sont constitués par des amas de terres
ferrugineuses avec blocs de minerais durs, interstratifiés
dans les grès de l'éocène supérieur. Les minerais sont en
majorité terreux et de plus ils sont arsenicaux, défauts qui
jusqu'à présent ont retardé leur mise en exploitation.
Un peu à l'est, près de la station de Sedjenane se trouve
la concessioîi de Douaria où l'on exploite un gîte constitué
par des couches superposées de minerai de fer dans
l'éocène supérieur. L'exploitation se fait à ciel ouvert, elle
est reliée àla station de chargement, distante de 3 kilomètres,
par un plan incliné à câble sans fin fonctionnant automa-
tiquement et pouvant transporter 250 tonnes à l'heure.
L'exploitation a débuté en 1913 avec 33.639 tonnes. En
1914, jusqu'au 1""' août, la production a été de 72.330 tonnes.
La mine est outillée pour une production annuelle de 2 à
300.000 tonnes.
A 15 kilomètres au nord du Kef est située la concession
de Nebeur qu'une voie ferrée relie à Béja et Bizerte. Le
gîte, constitué par des couches de fer dans le crétacé moyen,
au voisinage du trias, n'a encore donné lieu à aucune
exploitation.
LES MINES, CARRIÈRES ET EAUX THERMALES 23
Entre le Kef et Thala se trouvent les trois concessions
des djebels Slata, Hameima et Djerissa toutes trois dans
les calcaires aptiens.
La concession du Slata renferme des cassures remplies
par du minerai de fer traversant un banc de calcaires
aptiens avec des épanchements sur les deux épontes du
banc calcaire. Le minerai du Slata est très pur, sauf quel-
ques zones plombeuses. On se borne à exploiter les mine-
rais dont la teneur est supérieure à 50 p. 100. Depuis le
début de l'exploitation (1907) la mine a produit 423. 000 tonnes
de minerai.
La concession du djebel Hameïma qui appartient à la
même Société que la précédente n'a pas encore été mise
en exploitation. Celle-ci est subordonnée à la construction
d'une voie ferrée d'environ 18 kilomètres.
Tableau n° IL — Valeur et tonnage des minerais de fer
EXPORTÉS annuellement DE TuNISIE
ANNÉES
TONNAGES
VALEUR
Fob Tunis.
OliSERVATlONS
1908
1909
1910
1911
1912
1913
1914
1915
Totaux . . .
Tonues.
97.500
217.100
365.800
403.196
478.391
594 . 1 99
529.170
297.134
Francs.
1.280.000
2.400.000
4.400.000
5.241.000
6.219.083
7.427.487
7.408.380
5.051.278
1
2.982.490
39.427.228
C'est dans cette même région qu'est située la concession
du Djerissa, la plus importante de la Tunisie. Le djebel
Djerissa est un dôme aptien ceinturé par les marnes
albiennes. Le minerai de fer forme une couche interstra-
tifiéc dans les calcaires aptiens qui vient s'étaler au
sommet de la montagne en formant un affleurement d'une
superficie de six hectares. Des travaux de recherches ont
24 LA TUNISIE
reconnu (jue la couche de minerai s'enfonçait vers le
nord, sous les calcaires aptiens, avec une pente de 45".
Ces travaux ont montré vuie traversée liorizontale de
60 mètres et une traversée verticale de 52 mètres. Le
tonnage actuellement reconnu est d'au moins 15 millions
de tonnes.
L'exploitation se lait à ciel ouvert: elle fournit des
hématites d'une grande pureté, titrant de 50 à 60 p. 100
de fer et 2 p. 100 de manganèse. Les minerais sont em-
barqués à la Goulette. Limités en 1908 à 45.000 tonnes,
ils ont atteint 445.000 tonnes en 1913. La production glo-
bale jus(ju'à ce jour est de 2.400.000 tonnes environ.
L'exploitation des minerais de fer remonte seulement à
1908. Les résultats (|u'elle a fournis sont indiqués dans
le tableau n" 2 ci -joint. Pendant cette péiiode de huit
années il a été exporté 2.982.490 tonnes de minerai
représentant une valeur globale de 39.427.228 francs, le
prix moyen de vente de la tonne fob ports tunisiens res-
sortant à 13 francs.
La diminution considérable de production de l'exercice
1915 résulte uniquement delà rareté et de la cherté exces-
sives des frets, conséquences delà guerre, et de la pénurie
de main-d'œuvre.
^ III. — Mines de cuivre et de MAN(iANÈSE
La concession du djebel Chouichia est la seule qui ait
produit du cuivre en Tunisie. Elle est située à 43 kilomètres
au nord-ouest de Souk-el-Arba. Le gîte est constitué par
une masse ferrugineuse, à la périphérie duquel on ren-
contre des lentilles de minerais cuivreux (azurite, mala-
chite, cuivre gris et pyrites cuivreuses) d'une teneur
moyenne de 2 à5 p. 100 de cuivre seulement.
Pour en tii'er parti une fonderie fut installée qui de 1904
à 1909 a produit environ : 1.800 tonnes de mattes à 35/40
p 100 de cuivre et 1.800 tonnes de speiss à 42/48 p. 100
de cuivre correspondant à 1.500 tonnes de cuivre métal-
lique.
LES MINES, CARRIERES ET EAUX THERMALES 2a
La faible teneur des minerais et le prix de revient élevé
du coke rendu à Tusine ont provoqué la suspension momen-
tanée de Texploilation.
Des minerais de manganèse ont été reconnus dans le
djebel Batoum, à 48 kilomètres au sud-est de la ville de
Gafsa et notamment aux environs de Ghardimaou, à la
mine de Thuùurnic. où ils sont exploités depuis le com-
mencement de l'année 1915,
Le gisement de Thuburnic, de forme lenticulaire, est
constitué par une masse de manganèse ferrugineux, repo-
sant sur les marnes de. l.'infra-crétacé et recouverte par
des argiles et galets gréseux post-tertiaires. On rencontre
dans Tamas minéralisé de véritables poclies de pyrolusite
donnant des minerais à 45/o0 p. lOU de manganèse métal.
La production, en 1915, a été de 1.460 tonnes.
§ IV. — Phosphates de chaux
La substance à laquelle la Tunisie doit son impoi'tance
minière capitale est, sans contredit, le phosphate de chaux,
dont les immenses amas ont été découverts par M. Philippe
Thomas, vétérinaire principal de l'armée, au cours d'une
mission d'exploration de la Tunisie. Malgré la publicité
qu'il donna à ses découvertes, c'est seulement en 1893
que l'administration du Protectorat crut pouvoir faire appel
à l'industrie privée pour la mise en valeur des gisements,
sous forme de concession. Ce n'est qu'en 1895 et après
3 adjudications successives, qu'elle put traiter avec une
Société sérieuse, la Compagnie des Phosphates et du Chemin
de fer de Gafsa.
Concession de Gafsa. — Le périmètre qui fut alors con-
cédé englobe les terrains domaniaux situés au sud-ouest
de Gafsa, dans une zone d'environ 50 kilomètres de lon-
gueur sur 10 kilomètres de largeur, jusqu'à la frontière
algérienne, et comprenant les djebels Zitoun, Zimra.
Alima, Metlaoui, Redeyeff, Stah, ainsi que les djebels situés
au nord et dans le voisinage de Tamerza. En outre, le
concessionnaire jouit d'un droit de préférence, à condi-
26 LA TUNISIE
tions égales, pour rexploitation de tous gisements de phos-
phates domaniaux qui viendraient à être découverts dans
un périmètre de protection hmité : au nord par le paral-
lèle de Sfax ; à l'est par la mer ; au sud, par le parallèle
d'El Hamma du Djerid ; et à l'ouest, par la frontière algé-
rienne.
La concession en jouissance entière était faite pour
soixante années, moyennant rengagement de construire
la voie ferrée de Sfax à Gafsa (250 kilomètres) et le paie-
ment au gouvernement tunisien d'une redevance de
1 franc par tonne jusqu'à concurrence d'une production de
150.000 tonnes par an, avec minimum de 150.000 francs,
exigible à l'expiration des sept premières années d'exploi-
tation. Lorsque l'exploitation dépasserait 150.000 tonnes
par an, la taxe se réduirait à 65 centimes pour les 100 pre-
mières mille tonnes supplémentaires et à 30 centimes
pour le surplus. Il était stipulé que le gouvernement tuni-
sien ne pourrait exiger de la Compagnie, pendant toute la
durée de sa concession, aucune taxe dont serait frappée
l'extraction ou l'exportation des phosphates. Les phos-
phates de Gafsa se trouvaient par là exonérés de la taxe
d'extraction de 50 centimes par tonne qui a été imposée
par le décret du l"' décembre 1898, et qui est perçue au
moment de l'exportation.
Gisement de Gafsa. — ■ Comme tous les autres gisements
du sud de la Tunisie et de l'Algérie, les phosphates de la
région de Gafsa sont situés à la base de Téocène inférieur.
« L'éocène débute par des marnes gypseuses brunes assez
puissantes, reposant en concordance de stratification sur
les calcaires sénoniens. Au-dessus vient le niveau phos-
phaté, comprenant plusieurs couches séparées par des
bancs de marnes gypseuses et de calcaires à lumachelles.
Cette formation est, en général, couronnée par un gros
banc de calcaire coquiller. Une puissante formation gyp-
seuse surmonte le tout ; le faciès est donc nettement lagu-
naire. »
La chaîne du Seldja où se trouvent les mines actuelle-
LES MINES, CARRIÈRES ET EAUX THERMALES 27
ment exploitées « présente une structure anticlinale très
nette; sa partie centrale est constituée pai- une voûte de
crétacé supérieur. Sur les deux retombées, au nord et au
sud, apparaissent deux bandes de terrains éocènes phos-
phatifères qui constituent les pieds-droits d'une deuxième
voûte dont la partie centrale a été enlevée par érosion.
Dans la région de Metlaoui, toutefois, une partie de la
voûte éocène subsiste encore, formant une série de tables
séparées par de profonds ravins. C'est sur plusieurs de ces
tables que porte l'exploitation actuelle ».
La concession fut constituée en avril 1897; la mine et
le chemin de fer furent ouverts à l'exploitation en avril
1899. Depuis lors, un succès croissant a marqué chaque
année le développement continu de cette grande entreprise
dont la production est passée de 70.000 tonnes en 1899 à
522.000 tonnes en 1905; 974.000 tonnes en 1910 et
1.355.000 tonnes en 1913.
On sait que le prix de vente du phosphate est déterminé
par sa teneur en phosphate tribasique de chaux, à raison
d'un certain nombre de centimes par unité pour 100 et
par tonne de 1.000 kilos : le prix de la première catégorie
à une teneur de 63 à 68 p. 100 étant d'ailleurs plus élevé
que celui de la 2- catégorie à une teneur de 58 à 63 p. 100.
En 1908 et 1909, la valeur des phosphates s'étant abaissée
de 50 centimes qu'elle atteignait en 1895 à 40 centimes,
puis à 35 centimes par unité pour 100, les mines de la
Tunisie se trouvèrent en présence d'une crise qui fut res-
sentie surtout par celles du centre, dont l'organisation
était moins économique que celle de la Compagnie de
Gafsa. Pour éviter leur ruine, l'administration du Protec-
torat s'efforça d'abaisser les frais de transport des mine-
rais du centre, en accordant à la Compagnie de Gafsa des
avantages qui pussent lui permettre de faire des sacrifices
au profit des autres mines et du Protectorat. On lit à ce sujet,
, dans le rapport au Président de la République pour 1909
(page 36) : « Par une convention en date du 15 octobre
1909 la Compagnie de Gafsa qui ne payait dans l'ensemble
qu'une redevance d'environ 0 fr. 50 par tonne, consentait,
28 LA TUNISIE
à partir du l"' janviei- 1910, à poiLer cette redevance à
1 fr. 50 \ moyennant une prolongation de dix années dans
la durée de sa concession. En même temps, la Compagnie
Bône-Guelma abaissait de 8 fr. 50 à 7 fr. 65 le prix de ses
transports sur voie ferrée, moyennant certaines conditions
à remplir par les expéditeurs. En définitive, l'écart dans
les prix de revient de la Compagnie de Gafsa et les plios-
phatiers du centre était réduit à i fr. 85 par tonne. » Les
mines du nord étaient sauvées. Celles du sud obtenaient
dix années d'exploitation de plus qu'il n'avait été prévu
au moment de la concession. Quant au Protectorat, il
voyait tout de suite les redevances de la Compagnie de
Gafsa s'élever d'un million par an.
Fort lieureusement pour les mines tunisiennes, l'emploi
des phosphates dans l'ag-riculture s'étend peu à peu à
toutes les parties du monde, et, d'autre part, les phosphates
tunisiens sont tous d'excellente qualité. Ceux de Gafsa
sont « caractérisés avant tout par la grande régularité de
la teneur en phosphate tribasique de chaux » (60 p. 100).
Autres gisements;. — Au centre de la Régence, entre le
Kef, Maktar et Thala, de très nombreux gisements attes-
tent la présence, aux temps géologiques, « d'une couche
continue qui devait s'étendre sur toute la contrée et qui a
été affectée dans la suite par deux séries de plissements
rectangulaires dirigés, les premiers sud-ouest, nord-ouest
(ce sont de beaucoup les plus importants), les seconds
sud-est, nord-ouest. Dans toute la région s'est produit le
phénomène de l'inversion des reliefs. Les hamadas cal-
caires, qui forment les points dominants, correspondent à
des fonds synclinaux nummulitiques ».
La concession de Kalaat-es-Senam qui appartient à la
Compagnie écossaise du Dyr et celle du Kef Rebiba qui
appartient à la Compagnie de Saint-Gobain, sont situées à
mi-chemin du Kef et de Tebessa, près de la frontière algé-
rienne. « La table de Kalaat-es-Senam (altitude moyenne
1.200 mètres) est bordée d'une falaise à pic de 100 mètres
1..1 franc par tonne de redevance, plus 0 fr. 50 de droit d'extraction.
LES MINES, CARUIÈRES ET EAUX THERMALES 29
de hauteur constituée par un gros banc d»; calcaire num-
uiulitique (éocèntî inférieur) reposant sur des marnes
suessoniennes, en stratification concordante avec les cal-
caires à inocérames du crétacé supérieur. Le gîte de Kef
Rebiba est de constitution géologique identique à celle de
Kalaat-es-Senam, dont il est séparé par une série de failles
que l'on fait descendre presque au niveau de la plaine. Le
gisement de Kalaat-es-Senam contient de 5 à 6 millions
de tonnes de phosphate exploitable, disposé en une couche
épaisse en moyenne de 1 m. 60. Sa teneur en phosphate
de chaux tribasique est d'environ 60 p, 100. Les minerais
sont transportés à Tunis par voie ferrée.
Le gisement du Kef Rebiba contient également un ton-
nage important de phosphate à teneur plus élevée, 63 à
68 p. 100.
La concession de Kalaa-Djerda, de la Société des phos-
phates tunisiens, est située à 15 kilomètres environ au
nord de Thala. Le massif dans lequel se trouve le gisement
de phosphate appartient à l'éocène ; il est divisé en deux
par une faille sud-est-nord-ouest, qui a amené les calcaires
sénoniens en contact avec les calcaires nummulitiques. A
l'est de cette faille se trouve le djebel Sif, à l'ouest se trou-
vent la table de Kaala-Djerda et le Kef Souétir » qui ren-
ferment des gîtes dont les minerais contiennent de
60p. lOOjusqu'à 66 p. lOO de phosphate tribasique dechaux.
D'autres gisements existent dans la même région, près
de Sbiba, dans les djebels Chaketma, oi^ile gisement atteint
une vingtaine de mètres de puissance, entre Kairouan et
Gafsa au djebel Nasser Allah, oii les phosphates sont pau-
vres ; à Aïn Rebaou, au Kef-Massouje, dans le contrôle de
Thala; dans la Sra Oumtane, au sud de Ksour ; à Sidi-
Ayed dans le contrôle du Kef; à Aïn Kerma à l'ouest de
Thala; et dans un grand nombre de terrains particuliers,
notamment à Salsala, à Aïn-Taga, et Bou-Gammouche, à
Bir-el-Afou, etc. Mais les gisements les plus importants
comme tonnage et comme régularité sont les gisements
domaniaux situés au sud et au sud-est de Gafsa : djebels
Sehib, Berda et El Ayaicha.
30
LA TUNISIE
Il oxisto enfin, sur divers points, notamment dans le
djebel Zaghouan et le djebel Ressas des gisements de phos-
phorites très peu importants, comme tonnage, mais con-
tenant jusqu'à 70 et 80 p. 100 de phosphate tribasique de
chaux. Ces gisements restent inexploités.
Gisements de phosphates en exploitation. — Les gise-
ments de phosphates en exploitation sont au nombre de
10 dont 4 en terrains domaniaux : Metlaoui, desservi par
la ligne de Sfax-Gafsa, Redeyef-Aïn-Moularès, desservi
par la ligne de Sousse à Henchir-Souatir ; Kalaat-es-Senam
et Kef-Rebiba, desservis par la ligne de Tunis à Kalaa-
Djerda et embranchements et 6 en terrains privatifs :
Kalaa-Djerda, Salsala, Bir Lafou, Gouraya et Aïn-Taga,
desservis par la ligne du Kef et embranchements, et Mak-
nassy desservi par la ligne de Sfax à Gafsa. Ces derniers
gisements ne sont astreints qu'à un droit d'extraction de
0 fr. 50 par tonne de phosphate exportée hors de la
Régence. Quant aux gîtes en terrains domaniaux, ils
paient à l'État, y compris Gafsa, en outre de ce droit
d'extraction, une redevance d'adjudication variable sui-
vant leur situation, leur consistance et leur qualité.
Les gisements domaniaux amodiés depuis l'origine sont
les suivants :
NOMS
DES GISEMENTS
Gafsa
Kalaa-Es-Senam
KefRebiba. . .
Ain Moularès. .
Méheri Zebbeus -
REDE\
■.A.NCE
ANNEE
MINIMUM
minima
de
d'extraction
par tonne.
l'amo-
annuelle
diation:
fixé.
-" ^^
-^ "--
fixée.
ofterle.
Tonnes.
francs.
francs.
1895
loO.OOO
0,50
1.001
1901
60.000
»
1.77
1901
40.000
»
1.77
1912
250.000
1,50
1,52
1912
150.000
2.00
3.88
CAUTIONNEMENT
francs.
250.000
60.000
40.000
100.000
100.000
1. Convention de 1909.
2. En période de préparation.
LES .MINES, CARRIÈRES ET EAUX THERMALES
3 1
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32 I-A TUNISIi:
La convention d'amodiation relative au gîte domanial
du Meheri-Zebbeus prévoit un délai de trente-deux mois
pour la mise en exploitation. A l'expiration de ce délai,
l'exportation minima sera de 50.000 tonnes pendant les
trois premières années, 100.000 tonnes pendant les trois
années suivantes et 150.000 tonnes à partir de la septième
année.
Les phospiiates tricalciques du nord de l'Afrique sont
suffisamment connus aujourd'hui pour qu'il ne soit pas
nécessaire d'en donner ici une analyse. Mentionnons que
ceux de la Régence se classent en deux catégories, la pre-
mière a une teneur légèrement supérieure à 63 p. 100,
avec moins de 2 p. 100 de fer et alumine réunis et moins
de 14 p. 100 de carbonate de chaux.
Le tableau n" 3 donne la valeur approximative des phos-
phates exportés annuellement par chaque entreprise,
depuis l'origine.
I V. — Résumé et conclusions
Des observations qui précèdent on peut déduire que le
plomb, le zinc, le fer sont les métaux dont les minerais,
signalés en un très grand nombre de points, paraissent le
plus abondants. Ceux de manganèse semblent susceptibles
d'être exploités dans la région de Ghardimaou et peut-être
dans le sud; par contre ceux de cuivre, très disséminés,
n'ont pas encore donné lieu à une exploitation suivie.
Si, dans l'ensemble, ces divers gîtes métallifères sont en
général peu importants, leur" nombre rachète en partie ce
manque de consistance et il en existe qui montrent des
réserves assez considérables de produits.
D'ailleurs, il reste encore beaucoup à faire pour com-
pléter l'exploration des gîtes métallifères de la Tunisie.
Quant aux gisements de phosphates de chaux déjà
connus, leur consistance permet un accroissement de pro-
duction susceptible de satisfaire dans tous les cas aux
besoins de la consommation.
LES MINKS, CARRIÈRES ET EAUX THERMALES .i'i
En résumé, pendant la période (jui a suivi l'occupation,
le bilan de la production minière de la Tunisie peut se
récapituler ainsi :'
Tonnes. l'rancs.
Minerais de zinc . . . . 549.234 valant fob Tunis. 71.;548.iiUO
lAIinerais de plomb . . 471.646 — 68.466.000
Minerais de fer 2.982.490 — 39.427.000
Minerais de cuivre . . . 3.600 — 1.800.000
Minerais de manganèse. 2.300 — 11 S. 000
Phosphates de chaux. . 15.884.000 — 348.322.000
ToTAi 529 . 478 . 500
Ce n'est guère qu'à partir de 1900 que date la produc-
tion des mines de plomb et des exploitations de phosphates.
Quant à celle des minerais de fer elle remonte seulement
à 1908. De semblables résultats montrent assez le rôle
fécond de l'industrie extractive dans la prospérité de la
colonie. On peut môme prévoir, presque à coup sûr, un
prochain élan beaucoup plus marqué dans la production
facilement extensible des phosphates; elle devra passer
bientôt à trois millions de tonnes par an, celle, des mine-
rais de fer pouvant atteindre un million de tonnes et les
minerais de plomb, zinc et divers 100.000 tonnes. Cet
essor minier, dû au labeur de prospecteurs persévérants
et aux efforts intellio;ents d'ingénieurs d'élite, a été remar-
quablement favorisé par la création rapide de routes, de
ports et de chemins de fer qui, dans certaines régions, ont
devancé pai'fois l'éclosion des entreprises minières et sans
lesquels celles-ci seraient demeurées longtemps paralysées
sinon délaissées.
I VI. CARRn':RES
Les carrières de marbriîs, de calcaires el de grès pour
construction, de plâtres et de pierres à chaux sont très
abondantes en Tunisie. La législation les considère comme
appartenant aux propriétaires du sol et ne soumet leur
exploitation qu'à certaines règles de police.
Les carrières de marbres les plus célèbres sont celles de
Ghemtou. Elles furent exploitées par les Carthaginois et
J.-L. Dk Lanf.ssan, — La Tunisie. 3
34 - LA TUNISIE
les Romains. Situées dans la vallée de la Medjerdali, à
quelques kilomètres seulciiunit de Ghardimaou, elles con-
tiendraient plus de 2(J.0UO,O0U de mètres cubes de marbre
à exploiter directement dans les lianes des collines. Leurs
marbres sont très fins et très ricbement colorés, mais ils
sont l'econnus atteints d'un défaut grave : ils contiennent
des veines ferrugineuses et calcaires qui les rendent cas-
sants. Une Société s'était formée, en \HH'A, pour leur exploi-
tation ; elle a dû renoncer, en 1890, à son entreprise, à
cause de ce défaut.
Les calcaires et les grès pour construction abondent
dans les parties montagneuses de la Tunisie. Les carrières
du Keddel vl du Gattouna, dans le voisinage de Soliman
et celles de Béja et d'El-Haouaria (cap Bon), fournissent
de belles pierres de taille : celles de Korbous donnent des
grès qui ont été utilisés dans la construction du port de
Tunis, etc.
Le massif dit Djebel-Bou-Kournine, aux environs de
Tunis, fournit des calcaires excellents pour fabriquer de
la cbaux bydraulique. Dans le domaine Potin, à Bordj-
Cedria, on les utilise pour la fabrication d'un ciment de
très bonne qualité.
La pierre à plâtre ou gypse, abonde dans tout le sud,
où elle constitue des masses puissantes dans les terrains
crétacés et éocènes. Dans le nord, elle forme des pointe-
ments accompagnés de marnes bariolées et de dolomies ;
on l'exploite près de Tébourba,. sur la ligne de Tunis à Bône.
La quantité des matériaux extraits des différentes carrières
indiquées ci-dessus est évaluée à environ 900. 000 tonnes,
valant sur les lieux d'emploi 6 à 7.000.000 de francs \
I Vil. — Eaux minérales
Les sources minérales, chaudes ou froides, sont nom-
breuses en Tunisie. Nous devons citer particulièrement les
1. Xofice sur la Tunisie, publiée par la Direction de l'ayriculturc, du
•uiiiiiierce et de la eolunisation on 1909, p. 78.
LES MINES, CARRIÈRES ET EAUX THERMALES 35
sources thermales d'Hammam Lif, près de Tunis, el celles
de Korbous, dans la presqu'île du cap Bon. Ce sont des
eaux chlorurées sodiques, analogues à celles de Bourbon-
l'Archambault et de Bourbon-Lancy. De 2:rands travaux
ont été faits à Korbous pour aménager la station en vue
des Européens. Une très bonne route en corniche la relie
à Tunis.
Il existe encore des sources thermales à Hammam
Zeriba, Hammann Djedidi , El-Hamma de Gabès, El-
Hamma du Djerid et Nefta.
Une Société a exploité les eaux minérales froides d'Aïn-
Garci, qui sont légèrement gazeuses et ferrugineuses et
très agréables au goût.
CHAPITRE m
LES FORÊTS
Les forêts de la Tunisie peuvent être divisées, d'après
leur situation, la nature des essences qui les composent
et leur valeur commerciale, en deux groupes très dis-
tincts : celles qui sont situées au nord de la Medjerdah et
celles qui s'élèvent dans l'ouest et le centre du pays.
Dans le nord, sur des montagnes à base de grès, sont
des forêts de chênes-zen et de chênes-lièges; dans Touest
et au centre, sont des forêts de pins d'Alep et de chênes
verts. Vers le sud, se trouve un massif unique, formé
d'acacias qui produisent une certaine quantité de gomme.
Très négligées par le gouvernement tunisien, les forêts
n'ont été l'objet d'études sérieuses que depuis l'établisse-
ment du protectorat, ou, pour mieux dire, depuis 1883
seulement. Les premières observations furent faites par
M. Lefèvi'e, directeur des forêts. Il établit que dans toutes
les forêts du nord et du nord-ouest de la Régence, les
chênes-zen et les chênes-lièges ne se trouvent que sur
les grès nummulitiques qui reposent sur les terrains cré-
tacés supérieurs, et que ces essences disparaissent com-
plètement dès que les calcaires, qui constituent la ma-
jeure partie de l'étage crétacé, apparaissent à la surface
du sol.
Le chêne-zen se trouve uniquement sur les versants
des montagnes qui regardent le nord et dans le fond des
vallons étroits, tandis que les chênes-lièges habitent les
versants tournés vers le sud.
Les arbres de haute taille sonl confinés sur les parties
LES KORKTS 37/
supérieures des montagnes. La moitié ou les deux tiers
inférieurs de ces dernières ne sont couve its que de brous-
sailles.
Du côté de la mer, aux montagnes boisées font suite
des dunes en partie couvertes d'arbustes et dont le boise-
ment doit être considéré comme nécessaire. Leur surface
totale avait été évaluée par M. Lefèvre à 16.000 hectares
environ. En supposant ce boisement opéré, il y aurait
une surface totale de 11)2.000 hectares, dont 124.000 déjà
utilisables.
En Tunisie, les forets font partie du domaine beylical.
Ce principe est du moins absolument incontesté en ce qui
concerne les massifs forestiers situés au nord de la Med-
jerdah. L'administration française, qui agit au nom du
Bey, avait donc le droit d'adopter pour les forets le régime
qui lui paraîtrait le plus convenable. Elle pouvait, soit
les aliéner, soit les concéder pour une durée plus ou moins
longue, soit les mettre elle-même en valeur et en vendre
directement les produits. C'est à ce dernier système quelle
s'arrêta.
Il y avait d'abord à créer des routes et sentiers, et à pra-
tiquer des tranchées assez larges pour arrêter la marche
des incendies. Il y avait aussi à mettre en état les arbres
eux-mêmes, c'est-à-dire à marquer les chênes-zen qu'il
était nécessaire d'abattre, à démascler les chênes-lièges et à
marquer ceux qui, étant trop vieux, n'étaient plus bons à
exploiter que pour h^ tannin, (les diverses opérations
devaient entraîner des dépenses considérables, auxquelles
il en fallait encore ajouter d'autres pour le personnel.
Afin de couvrir ces dépenses, il ne fallait pas songer
au liège : puisque les arbres n'étaient pas encore démas-
clés, on ne pouvait compter exploiter le liège de ceux
auxquels on allait faire subir cette opération qu'après une
période de dix années. Mais on pouvait fonder des espé-
rances, d'une part sur le tannin dont il serait aisé de con-
céder l'exploitation, d'autre part, sur la vente des chênes
immédiatement exploitables.
D'après le Rapport au président de la République sur
38 LA TUNISIE
la si tuation de la Twiisie pour 1009 : « 30.420 quintaux de
lièg:e de reproduction ont été adjugés pour la somme de
!j70.000 francs. La vente des écorces à tan (30.580 quin-
taux) a produit 233.800 francs, et celle des coupes de bois
d'œuvre (10.780 mètres cubes de chênes-réen) 192.000 fr.
Les recettes du service des forêts ont atteint en 1909, la
somme totale de 1.168.722 francs 75 centimes. »
Les dépenses, sont portées, en effet, au budget de 1909,
pour une somme totale de 694.650 francs, se divisant en :
personnel, 197.350 francs; matériel, 112.555 francs; déli-
mitation et amélioration des forets, 277.720 ; entretien des
forêts, 84.025; fixation des dunes, 23.000 francs.
Les massifs forestiers situés au sud de la Medjerdaii,
dans les terrains calcaires, sont formés surtout de pins
d'Alep, de chênes verts et de genévriers. Les plus importants
sont ceux des montagnes de Zaghouan d'où naissent les
sources qui alimentent Tunis en eau potable; ceux du
Djouggar et du Djebel-Reças, aux environs de Tunis; celui
d'Aïn-Fouma dans la partie supérieure de la vallée de
rOued Milianali, presque entièrement formé de pins d'A-
lep ; celui de la Kessera, sur la route du Kef à Kairouan,
long de douze kilomètres et large de plusieurs kilomètres;
ceux des montagnes des Zlass, à l'est de Kairouan; ceux
de Sidi-Youssef et de l'Oued Mélègue sur la route du Kef
à Souk-Ahras ; celui de Nébeur, sur la route du Kef à
Souk-el-Arba; celui d'Haïdra, près de la frontière d'Algérie
continuation en Tunisie des massifs forestiers algériens
du cercle de Tebessa; enfin, celui de Blad-Thalah, dans
l'ouest de Sfax, distinct de tous les autres en ce qu'il est
formé par une espèce d'arbre inconnu dans tout le reste de
la Tunisie et en Algérie, Y Acacia tortissima.
D'après une note de source officielle qui m'a été remise
en juillet 1914, la surface totale des forêts situées au sud
de la Medjerdah et dans la presqu'île du cap Bon atteint
898.212 hectares dont il est dit dans la note à laquelle
je fais allusion : « on ne peut pas les considérer comme
totalement inexploitables puisqu'elles fournissent le bois
de chauffage et le bois de construction nécessaires aux
LES FORÊTS 39
populations indigènes stationnées dans la région, mais on
ne peut pas les considérer non plus comme susceptibles
de fournir des exploitations régulières. Quelques massifs
cependant, pourront, après aménagement, être mis en
coupes réglées, notamment aux alentours des concessions
minières. On peut évaluer au maximum de 200.000 iiec-
tares la contenance de ces massifs susceptibles d'être un
jour exploités régulièrement ; à 400.000 bectares la
superficie des terrains boisés qui pourront fournir, sans
exploitation régulière, les produits nécessaires aux popu-
lations usagères de la Régence et, enfin, à 300.000 bec-
tares la superficie des forets complètement inexploi-
tables ».
La foret d'acacias gommifères citée plus baut mérite
une mention spéciale. Elle est située à 09 kilomètres
de Gafsa et à 28 kilomètres seulement d'Aïaïcba,
poste situé sur la route de Gafsa à Sfax. La plaine de
Tbalab, dans laquelle s'étale la forêt, est formée par un
terrain d'alluvion très ricbe, sur lequel les indigènes font,
quand il pleut, de magnifiques cultures de blé et d'orge.
Entourée de montagnes calcaires, cette plaine olfre un
grand nombre d'ondulations stériles, constituées par des
débris de rocbes calcaires et gypseuses qui sont descen-
dues des montagnes voisines, et des dépressions remplies
de terres alluvionnaires. C'est uniquement dans ces der-
nières que poussent les gommiers. Ceux-ci ne dépassent
guère 3 mètres de baut; au centre de la forêt, ils sont
écartés de 40 à oO mètres les uns des autres et disposés
presque toujours par bouquets, ce qui montre qu'ils
représentent des repousses de souches plus anciennes.
Autrefois, la forêt de Tbalab avait une étendue beaucoup
plus considérable ; elle occupait une surface longue d'en-
viron 3o kilomètres et large de 8, ainsi qu'en témoignent
des pieds ou de petits bouquets isolés, épars sur cette
surface ; actuellement, elle n'a guère plus de 8 kilomètres
de long et 2 kilomètres de large. Sa décadence doit être
attribuée à l'exploitation inconsidérée qu'en font depuis
longtemps les tribus qui viennent cbaque année y faire
40 LA TUNISIE
paîiro leurs troupeaux, oL à la destruction des jeunes
pousses par les chameaux et les chèvres; les premiers
mangent les rameaux entiers malgré les épines qui gar-
nissent les feuilles ; les secondes hroulent toutes les
feuilles qui sont à leur portée. En outre, les larves d'un
coléoptère, le Bruchus Aurevillii, dévorent beaucoup de
graines qui formeraient des semis naturels.
La forêt de ïalah est la seule de la Tunisie qui puisse
fournir dos bois à l'ébénisterie. Ouoiquc les acacias qui la
forment n'atteignent pas une forte grosseur, leur cœur
peut donner des planches larges de 20 à 30 centimètres,
d'un bois dur, à grain lin, coloré en jaune foncé et sus-
ceptible d'un très beau poli. Il y aurait donc grand intérêt
à reconstituer cette forêt qui est une exception en Tunisie.
Une partie des montagnes qui entourent Tunis et
Zaghouan sont actuellement couvertes de thuvas rabou-
gris, ne dépassant guère 60 k 80 centimètres de hauteur.
A en juger par l'uniformité de la taille, un observateur
superficiel pourrait croire que les thuyas de ces mon-
tagnes sont incapables d'acquérir des dimensions supé-
rieures à celles que nous venons d'indiquer. 11 n'en est
rien. Cette uniformité si remarquable de taille et cette
disposition buissonneuse sont déterminées par les chèvres.
Dans les quelques propriétés où l'on a interdit à ces ani-
maux le pâturage dans les broussailles de thuyas, ces
derniers n'ont pas tardé à s'élancer, et de véritables arbres,
très droits se sont développés. Dans le domaine de
l'Enfida, de très nombreux et magnifiques thuyas, et des
oliviers sauvages de belle taille se dressent aujourd'hui
dans des lieux où naguère n'existaient que de maigres et
courts buissons. Il a suffi, pour obtenir ce résultat, de
défendre aux indigènes de mener paître leurs troupeaux
sur les terrains que couvraient les buissons. Dès qu'il faut
semer ou planter, le reboisement devient une opération
difficile, à cause de son prix et des risques que la séche-
resse, toujours à craindre, fait courir aux semis.
Sans négliger entièrement les semis ou les plantations,
il est donc préférable, dans l'intérêt des finances du pays,
I.KS FORKTS 41
de se préoccuper d'abord des montagnes donl les brous-
sailles sont susceptibles de devenir arborescentes. Il suffi-
rait de prendre quelques soins de ces broussailles, de les
ébrancher et de les mettre à l'abri des animaux pour les
transformer en forêts.
CHAPITRE IV
L AGRICULTURE INDIGÈNE
Il existe en Tunisie trois grandes cultures indigènes :
celle des céréales, celle des oliviers et celle des dattiers,
auxquelles il faut joindre celle que l'on appelle dans le
pays « les jardins ». Celle-ci comprend, avec les plantes
maraîchères, une certaine quantité d'arbres, d'arbustes et
d'herbes qui fournissent des éléments à l'alimentation de
l'homme ou des animaux et qui exigent des soins spéciaux
et un arrosage régulier. Les indigènes ont également cul-
tivé de tout temps de la vigne pour les fruits qu'ils
mangent frais ou séchés.
I I. — Culture indigène des céréales
Sous le titre de culture des céréales, nous comprendrons
surtout celle du blé et de l'orge. Les centres principaux de
ces cultures sont : dans le Nord, les plaines de la Medjer-
dah, parmi lesquelles il faut citer la vaste vallée qui
s'étend entre Béja et Ghardimaou sur une longueur de plus
de 80 kilomètres et une largeur moyenne de i^) à 6 kilo-
mètres ; celle d'Utique au voisinage de l'embouchure du
fleuve dans le golfe de Porto-Farina ; la région de Mateur
qui est aujourd'hui en pleine culture et qui figure parmi
les plus fertiles et les mieux colonisées de la Tunisie; les
plaines de la Milianah, etc. : dans l'est et le sud toute la
partie du pays qui s'étend entre la mer et les montagnes.
Si toutes les parties de la Régence recevaient régulière-
ment des pluies pendant l'hiver, toutes se prêteraient
L AGRICULTURE INDIOKNE 43
ég'alement à la culture des céréales, parce que toutes ont
un sol suflisamment fertile. Mais, ainsi que nous l'avons
dit plus haut, les pluies ne sont régulières qu'au nord de
la Medjerdah ; elles sont moins abondantes, avec moins
de régularité, au-dessus d'une ligne qui couperait trans-
versalement la Régence de Sfax à Feriana.
Même dans ces régions, de simples gourbis en bran-
chages ou des tentes en toile brune sont à peu près les
seules manifestations de la vie agricole indigène que l'on
trouve dans une foule de lieux où se dressaient jadis les
maisons en pierre des agglomérations romaines. Des sur-
faces immenses, des terres magnifiques ne portent que
des chardons ou des broussailles ; quant aux parties culti-
vées en blé ou en orge par les Tunisiens, elles ne sont
jamais fumées et ne reçoivent qu'un labour insignifiant.
Après les premières pluies de l'automne, les indigènes font
passer dans les champs qu'ils veulent ensemencer une
charrue de très petite taille qui ne fait que racler le sol;
puis ils sèment le blé ou l'orge et ne s'occupent plus de la
terre que pour faire la moisson dans le courant du mois de
juin. Ils coupent alors la partie supérieure des tiges du
blé ou de l'orge, laissant un chaume très haut qui servira
de pâture aux bestiaux. Le dépiquage est fait avec un
appareil qui paraît dater de Tépoque carthaginoise.
Avec une semblable culture, le rendement des terres ne
peut être que minime. On l'estime à 6 hectolitres seule-
ment par hectare. Aussi, la Tunisie faisait-elle, au moment
de la conquête, à peine assez de blé et d'orge pour la
nourriture de ses habitants.
Depuis quelques années, à l'imitation et sur les conseils
des colons français, un certain nombre d'indigènes ont
notablement amélioré leurs procédés de culture, surtout
dans le nord. Afin de les y engager, on a réduit l'impôt à un
dixième de son taux normal pour les terres cultivées à la
charrue française ; mais il n'y a que les indigènes riches
qui peuvent faire usage de cet instrument « La charrue
française, fait observer avec raison M. Alapetite, est très
dure à tirer, surtout lorsque la terre est sèche ; il faut un
44 LA TUNISIE
cheptel, luiit ou dix paires de bœufs » que les indigènes
possèdent rarement. Le résident général faisait observer
(jue la prime à la charrue française ne profite guère qu'aux
agriculteurs européens et il ajoutait non sans raison :
« une pareille prime ne sera légitime et ne pourra être
maintenue que si les pauvres peuvent accéder au bénéfice
de cette prime par l'aide que nous leur apporterons ' » .
Les terres à céréales n'appartiennent pour ainsi dire
jamais aux indigènes qui les cultivent. Ces derniers ne
sont, en général, que des locataires temporaires, indépen-
dants, ou des métayers d'une sorte particulière, auxquels
on donne le nom de « Khammès ».
Lorsque les locataires sont indépendants, ils possèdent
la charrue et les bœufs nécessaires au labour: ils payent
au propriétaire une certaine somme pour la location du
terrain, ensemencent et récoltent à leurs frais, puis gardent
toute la récolte.
Les locations n'étaient faites autrefois, d'ordinaire, que
pour un an, parfois pour deux ou trois années au plus.
Elles sont aujourd'hui, en moyenne, de deux ou trois ans
et même de quatre années pour les terres louées par les
Habous. Cette durée est encore trop courte pour que le
locataire ait un notable intérêt à améliorer les terres de
son propriétaire. Son insouciance à cet égard est si grande
qu'il ne se donne même pas la peine d'arracher ou de
couper les broussailles ; il les contourne avec la charrue,
sans y toucher plus que si elles étaient sacrées. Si les
broussailles sont formées de plantes que respectent les
moutons, les bœufs et les chèvres, comme les jujubiers
épineux et les lentisques, elles se multiplient à leur aise,
envahissant chaque année une portion nouvelle du champ,
qui ne tarde pas à être tout entier impropre à la culture.
Beaucoup d'excellents terrains ont été ainsi perdus par la
négligence des agriculteurs indigènes.
1. Discours prononcé à la Chambre des Députés, le 26 janvier IMS. Un
s igrand progrès a été réalisé depuis cette époque que, en 1916, le dégrè-
vement dos neuf dixièmes de Tachour a prolité aux E-uropéens pour
394.000 francs et aux indigènes pour 308.000 francs.
L AGRICULTURE INDIGÈNE 45
Dans l'enquête sur l'agriculture indigène faite par une
commission que présidait M. Decker David, directeur de
l'enseignement atçricole. beaucoup d'indigènes demandè-
rent que la durée des baux fût élevée à neuf ans, moyen-
nant quoi ils défricheraient les terres et les améliore-
raient. C est une satisfaction qu'il nous paraît nécessaire
de leur donner.
La catégorie des khammès est beaucoup plus impor-
tante que celle des locataires indépendants. Le khammès
reçoit du propriétaire, pour la méchia de terre (environ
dix hectares) qui lui est allouée, une paire de bœufs qu'il
doit nourrir et entretenir en bon état, une charrue et la
quantité de g^rain nécessaire à l'ensemencement. Il laboure
le sol, le sème, fait la récolte avec le concours du proprié-
taire, dépique l'orge ou le blé, met la paille en meules et
nettoie le grain.
Après la récolte, qui ne rend pas plus de cinq pour un,
on prélève l'impôt, puis le propriétaire prend quatre cin-
quièmes des grains et en laisse un cinquième au kham-
mès. Si Ton estime la récolte à six hectolitres par hectare
ou soixante hectolitres par méchia de dix hectares et l'im-
pôt au dixième, soit six hectolitres, la semence à un hecto-
litre par hectare, soit dix hectolitres pour la méchia, il reste
à partager enti-e le propriétaire et le khammès quarante-
quatre hectolitres par méchia, dont le cinquième, d'environ
neuf hectolitres, constitue la part du khammès. A douze
francs l'hectolitre, le khammès retire de sa peine environ
cent francs par méchia enseinencée.
Le khammès peut cultiver pour son compte quelques
légumes dans un jardin dont le propriétaire lui concède
l'usage exclusif. Il élève souvent une vache, quelques
chèvres et des volailles qui vivent comme elles peuvent.
Même dans les années de bonnes récoltes et en réunissant
les conditions les plus favorables, son revenu est à peine
suffisant pour lui permettre de vivre.
La sobriété et la simplicité de vie du khammès attei-
gnent un degré dont il est impossible d'avoir une idée
quand on n'a pas observé les choses directement. Son
46 LA TUNISIK
habitation est une hutte ou gourbi permettant à peine de
se tenir debout et entouré d'un parc dans le(juel est logé
son bétail. Son lit est une natte ou une peau de mouton.
Son vêtement se compose de loques et d'un burnous qui
semble avoir servi à plusieurs générations. Les femmes
sont vêtues d'une simple pièce de cotonnade bleue. Les
enfants vont nus, ou peu s'en faut. Quant à la nourriture
de la famille, elle se compose d'eau comme boisson, de
galettes de semoule pétries par les femmes et cuites dans
de petits fours en terre, d'huile rance dans laquelle on
trempe légèrement le pain, et, une fois par jour seule-
ment, de couscouss, avec, ou plus souvent, sans viande.
Celle-ci est i-eprésentée soit par des volailles maigres,
soit par la chair ou simplement les intestins frais ou
séchés au soleil du mouton ou du bœuf.
Lorsque l'année est mauvaise, c'est-à-dire lorsque la
pluie a été trop rare, le khammès a vite consommé sa
maigre part de grain ; il s'adresse alors à son propriétaire,
qui est tenu par la coutume de lui faire des avances, mais
auquel, à partir de ce jour, il sera presque indissoluble-
ment lié. Gomment, en effet, pourra-t-il rembourser les
cent, cent cinquante ou deux cents francs qui lui seront
donnés en acompte sur la récolte future? Désormais le
khammès est un serf; il ne pourra quitter le propriétaire
auquel il doit, et se lier à un autre, qu'à la condition que
celui-ci rembourse au premier sa créance.
L'inlluence d'un pareil état de choses sur le régime éco-
nomique du pays en général, et sur son agriculture en par-
ticulier, ne peut être que funeste. N'ayant aucune chance
de devenir propriétaire du sol, ne pouvant même pas
caresser l'espoir de se libérer vis-à-vis du propriétaire, le
khammès ne fait aucun effort pour améliorer la terre et se
laisse volontiers aller à ne faire que la somme de travail
tout à fait indispensable pour assurer sa subsistance.
D'autre part, comme le propriétaire retire de sa terre,
sans efforts et presque sans dépense, un revenu relative-
ment élevé, il ne se préoccupe pas plus que le khammès
des moyens d'augmenter le rendement du sol.
l'aGIUCULTCRE INDIC.KNE 47
De là le mauvais état de la plupart des terres à céréales
de la Tunisie, la néglierencc apportée dans le labour, Tab-
sence absolue de fumure et de sarclages ; de là, en un mot,
la situation déplorable de l'agriculture indigène dans un
pays où sont réunies la plupart des conditions poui- qu'elle
soit prospère.
Cependant, des progrès notables ont été réalisés dans la
culture indigène des céréales. « D'après nos rôles de
l'impôt, dit M. Alapetite\ au début du protectorat les
indigènes ne labouraient que 600.000 hectares, ils labou-
rent maintenant 1.000.000 d'beclares, sans compter les
100.000 bectares labourés par les Français. » M. Alape-
tite ajoute : « Au moment de l'avènement du protectorat,
la production céréalière de la Régence pour la moyenne
des cinq premières années, était d'environ 1.900.000 hec-
tolitres. Aujourd'hui la production céréalière des Français
seuls atteint ce chiffre, et pendant ce temps la production
indigène s'est élevée de 1.900.000 hectolitres à 5 millions
d'hectolitres, moyenne des cinq dernières années. » Il
résulte de ces chiffres non seulement que la surface culti-
vée s'est accrue, mais encore que le rendement à l'hectare
a augmenté.
§ II. — Culture des oliviers
La seconde grande culture indigène de la Tunisie est
celle de l'olivier.
Les localités dans lesquelles les oliviers sont cultivés
par les indigènes sur une vaste échelle sont : les environs
de Tunis, de Tebourba et de Bizerte, la partie inférieure de
la presqu'île du cap Bon (Grombalia, Soliman, Menzel-
Bou-Zalfa, les alentours de Zaghouan et du Kef), les caï-
dats de Sousse, de Djemmal,de Monastir et de Mabdia,les
environs de Sfax, ceux de Gafsa, de Zarzis,les Matmatas et
l'île de Djerba. Nous ne citons que les lieux dans lesquels
ils forment des cultures assez importantes et assez homo-
gènes pour mériter le nom de bois ou forêts d'oliviers. Mais
1. Loc. cil.
48 LA TUNISIE
rolivior esl cultivé en moindre (|uantité dans un grand
nombre d'autres localités, ou pour mieux dire, au voisi-
nage de la plupart des centres de population.
Partout où les oliviers forment des bouquets ou des bois
plus ou moins étendus, ils sont plantés de douze à vingt-
quatre mètres les uns des autres, souvent en rangées quin-
conciales ; ils ne sont pas entremêlés d'autres arbres, et,
lorsqu'ils sont en plein développement, on ne fait sous
eux aucune culture.
D'après les statistiques officielles, il existerait en Tunisie,
actuellement, 11.756.000 oliviers dont 3.278.000 ayant
moins de vingt ans et par conséquent, plantés depuis l'oc-
cupation française. Au moment où notre protectorat fut
établi dans la Régence, on admettait l'existence d'une
dizaine de millions de ces arbres, mais cette estimation
paraissait fort contestable parce que les percepteurs de
l'impôt comptaient souvent deux arbres pour un lorsqu'ils
étaient en mauvais état.
Quant à la valeur des arbres, elle est très dilierente dans
les diverses localités. Les oliviers des environs de Tunis
sont pour la plupart très vieux, en mauvais état et mal cul-
tivés. Cela est vrai surtout pour ceux qui couvrent les col-
lines entourant immédiatement la ville de Tunis. On fait
remonter la plantation de la majeure partie de ces arbres à
l'époque romaine, c'est-à-dire à plus de deux mille ans. Un
grand nombre sont creux, réduits à la portion corticale du
tfonc et couronnés par un maigre bouquet de branches;
d'autres sont des repousses déjà centenaires de souches
énormes. Tous ces vieux débris sont presque entièrement
abandonnés à eux-mêmes ; on ne les taille presque jamais;
on ne les fume pas ; la récolte se fait sans aucun soin, souvent
en brisant les branches les plus jeunes et les plus produc-
tives ; le sol n'est labouré que superficiellement et deux
fois seulement chaque année; il se montre presque par-
tout couvert d'herbes qui vivent aux dépens des oliviers.
Tous ces arbres ont été plantés à une distance trop
faible les uns des autres (7 ou 8 mètres). La culture en
est rendue difficile et les arbres se gênent réciproquement,
L AGRICULTURE INDIGÈNE 49
car leurs racines s'allongent souvent, tout autour de
l'arbre jusqu'à 6 et 7 mètres.
Ces oliviers d'un âge trop avancé donnent à peine une
bonne récolte tous les huit ou dix ans. Ils occupent inuti-
lement un sol fertile; mais la négligence des propriétaires
est telle qu'on les laisse mourir sur place plutôt que de
faire les dépenses nécessaires à leur remplacement par
des cultures rapportant davantage.
Près de Bizerte, on trouve encore un assez grand
nombre de ces vieux troncs ; cependant, la plupart des
oliviers de cetl<' région sont en meilleur état (jue ceux dont
nous avons parlé plus haut.
Ils sont plus beaux dans les forets assez étendues qui
entourent les petites villes de Soliman, de Menzel-Bou-Zalfa,
de Nebeul, de Menzel-Temime, et de Kelibia, dans la pres-
qu'île du cap Bon.
On estime, aujourd'hui, en Tunisie que les oliviers
seraient remplacés, dans le Nord, avec avantage, par les
céréales. M. Minangoin, inspecteur de l'agriculture, dit au
sujet des olivettes de toutes les régions septentrionales :
« Les terrains sont en général moins favorables à cet
arbre et la quantité d'eau qu'ils reçoivent annuellement
étant plus grande, on a tout avantage à les consacrer à la
culture des céréales ou à la production des fourrages.
Néanmoins, on trouve dans le nord des régions oli l'olivier
doit être maintenu, ce sont celles oii la nature sablon-
neuse du terrain se prête à cette culture et celles oi^i les
olivettes, bien qu'anciennes, donnent encore un produit
suflisant pour payer les frais culturaux. ^ »
Les oliviers les plus jeunes, les plus beaux et les mieux
cultivés de la Tunisie sont ceux du Sahel, c'est-à-dire de
la région comprise autour des villes de Sousse, Monastir,
Mahdia et Sfax. Les statistiques officielles dressées après
notre arrivée en Tunisie indiquaient dans le Sahel plus de
trois millions deux cent mille pieds d'oliviers (exactement
trois millions deux cent mille quatre-vingt-trois), mais ce
1. Bulletin de la Directi.ot de l'agriculture, du commerce et de la coloni-
sation, 20 série, 1909.
J.-L. De Lanessan. — La Tunisie. 4
50 LA. TUNISIE
chiffre était pi'obabloniont trt'S inférieur à la réalité. L'impôt
étant payé à raison de tant par arbre, les indigènes avaient
tout intérêt à en dissimuler le nombre exact.
Dans tout le Sahel, le sol des bois d'oliviers est labouré
au moins trois ou quatre fois chaque année, la récolte se
fait avec un assez grand soin et les arbres sont taillés
régulièrement. Les meilleures dispositions sont prises
pour qu'ils bénéficient de la plus grande quantité possible
d'eau des pluies. Des levées en terre limitent des espaces
à peu près quadrangulaires, comprenant quatre à six
arbres, espaces dans lesquels toute Teau tombée s'accu-
mule et reste enfermée jusqu'à ce qu'elle ait été absorbée
par le sol. Dans tous les points où le bois est voisin d'une
colline inculte, ces levées de terre sont aménagées de façon
à conduire aux pieds des arbres l'eau qui tombe sur la
colline. Aux environs de Sousse, ces levées coupent les
pistes tous les vingt ou trente mètres et les rendent
presque impraticables aux voitures.
Bien qu'ils soient relativement jeunes, la plupart des
anciens oliviers du Sahel paraissent avoir une centaine
d'années, mais ils sont en pleine production, très vigou-
reux et de grande taille. Les plus grands des environs de
Nice pourraient à peine lutter avec eux pour les dimensions.
Quant à ceux des environs d'Aix, ils paraîtraient des pyg-
mées à côté de ces géants aux belles et robustes formes.
Depuis notre occupation de la Tunisie, les olivettes des
environs de Sousse se sont beaucoup accrues, soit au
nord en allant vers l'Enfîa, soit au sud, en descendant
vers El-Djem, soit à l'est, dans la direction de Mahdia.
Les environs de Sfax étaient occupés, à l'époque de
notre arrivée, sur une région variable entre (1 à 8 et 10 à
12 kilomètres autour de la ville, par des jardins formés en
majeure partie d'oliviers auxquels sont parfois mélangés
des figuiers, des amandiers, des grenadiers et quelques
autres arbres fruitiers. Il a dû y avoir, autrefois, de nom-
breuses plantations dans la vallée qui s'étend entre El-
Djem et Sfax, car on trouve, tout le long de la route qui
relie ces deux villes, de vieux oliviers épars dans la
L a(;riculture indigène 51
plaine; ils restent, avec les ruines romaines, abondantes
dans cette région, comme les témoins d'une ancienne
prospérité.
Les plantations d'oliviers faites depuis notre occupation
s'étendent en demi-cercle autour de Sfax jusqu'à une qua-
rantaine de kilomètres de la ville.
Autour de Zarzis, il existe une ancienne oasis de dat-
tiers de 2 à 3 kilomètres de diamètre, aujourd'hui très
néi2;ligée en ce qui concerne les dattiers, mais où les
indi§:ènes tendent à remplacer les dattiers par des oli-
viers. Les plus àg-és d'entre ces derniers paraissent n'avoir
pas plus d'une trentaine d'années, sauf un petit nombre
de pieds qui ont survécu à la ruine d'anciennes cultures.
En dehors des bouquets d'arbres en production, se voient
un grand nombre de plantations plus récentes. Le gouver-
neur de l'Arad prit sur lui, en 1881, afin d'activer ce
mouvement, d'ordonner la plantation de 60 à 80.000 jeu-
nes oliviers. Ses ordres furent exécutés et son exemple
imité par les indigènes, mais les plantations d'oliviers
de Zarzis ne peuvent pas être comparées à celles de
Sfax.
Dans l'île de Djerba, ces arbres sont très nombreux; la
plupart sont d'un âge avancé et les plantations nouvelles
sont rares. Tout, dans cette île, dont le climat est relative-
ment agréable et oii l'eau est abondante à une légère pro-
fondeur, tout, dis-je, semble indiquer une prospérité en
décadence. Les dattiers ont dû autrefois couvrir l'île; ils
sont aujourd'hui négligés, non sans raison, il est vrai, car
leurs fruits sont, comme ceux de Zarzis et Gabès. peu
estimables; mais les oliviers, qui donneraient d'excellents
produits, sont beaucoup moins bien soignés que dans le
Sahelet dans les environs de Sfax. Ils sont mal taillés et
le sol est encombré d'herbes nuisibles. Je ne sais à quoi
tient cette décadence de l'île de Djerba, mais elle me
frappa beaucoup lors de ma première exploration de la
Tunisie, en 1886 et je crus utile de la signaler afin que
les personnes autorisées s'en préoccupassent. Avec ses
eaux abondantes et superficielles, sa température insu-
52 LA TUNISIli
laire, c'est-à-dire relativement tempérée et exempte des
variations brusques que l'on rencontre sur beaucoup de
points du continent, l'île de Djerba se prête admirablement
à toutes les cultures arbustives, particulièrement à celles de
l'olivier et de la vigne.
Si l'on compare la surface relativement minime des
terres plantées en oliviers avec celle qui se prêterait à
cette culture, si surtout on compare l'état des oliviers dans
les diverses régions où ils se trouvent, on est naturelle-
ment amené à se demander pourquoi, dans certaines
régions, les oliviers sont négligés.
Parmi les causes qui ont dû entraver le développement
de la culture de l'olivier, il faut noter la lenteur avec
laquelle cet arbre se développe et le nombre relativement
considérable d'années qui s'écoulent entre l'époque de la
plantation et celle de la production. On estime géné-
ralement, en Tunisie, qu'un olivier ne commence à
rapporter quelques fruits que cinq ans après la planta-
tion et que c'est seulement au bout de douze à quinze ans
qu'il entre en plein rapport. Pour un peuple indolent,
ayant peu de besoins, encore moins de prévoyance, et
ne pouvant disposer que de bien faibles capitaux,
attendre douze ans une première récolte rémunératrice,
c'est sans contredit une condition bien peu favorable à
la culture, même la plus riche. Cette première condition
nous paraît avoir joué un grand rôle dans l'abandon
dont les oliviers sont l'objet depuis longtemps déjà de la
part des Tunisiens.
Il faut aussi noter comme cause de la négligence dont la
culture de l'olivier était l'objet de la part des indigènes
tunisiens, avant notre occupation, l'absence presque com-
plète de relations commerciales entre la Régence et l'exté-
rieur et l'inhabileté des agriculteurs à extraire l'huile dans
des conditions convenables. Toute l'huile produite étant
consommée sur place et sa qualité étant défectueuse, il y
avait, pourrait-on dire, assez d'arbres pour les besoins de
la population.
Cependant des efforts importants avaient été faits dans
i/agriculture indigène 53
le but de remédier aux inconvénients qui résultent de la
lenteur du développement de l'olivier. Dans les environs
de Sfax, les propriétaires du sol avaient imaginé une ma-
nière de procéder qui leur permettait de faire des planta-
tions sans avoir à débourser des sommes importantes. Un
grand nombre des indigènes de la région auraient fait
fortune grâce à l'emploi de cette méthode qui est encore
employée dans une large mesure. Le propriétaire met à
la disposition d'un khammès ou m'gharsi une surface
déterminée de terrain à planter en oliviers, et lui fait une
avance de fonds pour l'achat de chameaux et d'instruments
aratoires et pour sa nourriture pendant deux ans environ.
Le khammès fait la plantation et la soigne jusqu'à ce
qu'elle rapporte. A partir de la troisième année il sème
sous les oliviers des céréales dont le produit est partagé
entre lui et le propriétaire dans la proportion d'un tiers
pour ce dernier, qui fournit un tiers de la semence, et de
deux tiers pour le m'gharsi. Lorsque les oliviers ont
atteint l'âge d'une production moyenne, les arbres sont
partagés, par parties égales entre le propriétaire et le
m'gharsi. Le propriétaire prolonge alors, en général, le
contrat qui le lie au m'gharsi au moyen d'un nouveau
contrat, appelé contrat de Moucekate qui lui permet de
conserver le m'gharsi, dont il a besoin pour cultiver ses
arbres. La question de la main-d'œuvre est devenue capi-
tale pour les propriétaires sfaxiens, par suite de l'accrois-
sement de la culture des oliviers et de la diminution cor-
respondante des terres de parcours sur lesquelles vivent
les indigènes.
Par le système exposé ci-dessus, grâce à une première
mise de fonds d'environ cinq cents francs, le propriétaire
se trouve au bout de douze ans en jouissance d'un revenu
qui, dès la première année souvent, le rembourse de ses
avances et qui désormais est pour lui tout bénéfice jus-
qu'au jour oij il rentre en entière et absolue jouissance
d'une terre en plein rapport. Dans un pays où le prix de
la terre est très minime, un pareil système ne peut qu'en-
richir celui qui l'emploie. Ajoutons que, sans être aussi
t)4 LA TUNISIE
avantageux au khammès (|u'au propriétaire, il est loin de
lui être défavorable : le khammès, en effet, peut vivre en
attendant les premières récoltes à l'aide du travail qu'il a
le loisir de faire en delioi's de la plantation et à l'aide des
animaux qu'il élève {)0ur son propre compte. A partir du
jour où les oliviers connuencent à rapporter, sa situation
devient réellement bonne.
Le g^ouvernement tunisien se préoccupa, de son côté,
de favoriser la plantation des oliviers. Un décret de
Mohamed Es-Sadock-Bey du 1"' chaaban 1286 (.^ novembre
18t>9) dispensa de l'impôt les oliviers et les dattiers plan-
tés dans les terrains où il n'en existait pas précédem-
ment, et cela pendant quinze années.
En vertu de ce décret, les terres incultes et peu fertiles
des environs de Sfax, connues sous le nom de « terres
sialines » furent concédées, dit M. Alapetite ^ « à une
famille noble du pays, à laquelle le bey avait délég^ué le
droit de percevoir la redevance pour la plantation des
oliviers. Cette terre des environs de Sfax est, en effet,
assez aride, et comme elle était parcourue par une tribu,
celle des Métellits, qui était une tribu guerrière et pasto-
rale, on y labourait peu, en sorte qu'un bey, bien avisé,
à mon sens, a cru qu'il fallait encourager la reconstitution
de l'ancienne forêt romaine, sur les terres sialines, et a
décidé que, dorénavant, il délivrerait lui-même les autori-
sations de planter moyennant une redevance qui était
une source de lucre pour le trésor de l'Etat ». En 1892,
le bénéfice de cette mesure a été étendu aux Euro-
péens.
C'est grâce à cette législation bienveillante que s'est
produit le mouvement assez actif de plantation d'oliviers
dont nous avons parlé plus haut à propos des régions de
Sfax et de Zarzis. Mais il importe de noter que les indi-
gènes n'ont demandé que de petites surfaces, celles que
chacun pouvait planter par ses propres moyens, tandis
que les Européens en ont demandé de très grandes.
1. Discours à la Chambre, 20 janvier 1912.
l'agriculture indigène 55
Aujourd'hui, d'après M. Alapetite, les indigènes sont
6.000 pour 44.000 hectares, tandis que les Européens ne
sont que 150 sur 100.000 hectares. M. Alapetite ajoutait:
« ce qui est planté par les indigènes, c'est la partie la
plus rapprochée de la ville, celle où Ton peut aller chaque
soir avec la monture primitive dont disposent les habitants
de Sfax. Les colons européens, eux, ont reculé la culture
de l'olivier beaucoup plus loin et, ce faisant, ils ont entrepris
une œuvre infiniment plus difficile et plus onéreuse que
celle des indigènes, car ils ont été obligés de risquer cette
culture dans des régions oii il était très difficile de trou-
ver des cultivateurs indigènes sachant cultiver l'oli-
vier ».
I III. — Culture des dattiers
La culture des dattiers caractérise les oasis, dont les
trois principales sont celles de Gabès, du Nefzaoua et du
Djerid. D'après la statistique officielle, il existerait :
96.000 dattiers deglas et 2.042.000 dattiers communs.
L'oasis principale de Gabès est arrosée par TOued-Gabès
dont les eaux, habilement distribuées par de petits canaux,
entourent et traversent chaque propriété. Sous l'ombrage
des dattiers, dont les troncs atteignent lo et 20 mètres de
haut, les indigènes ont planté des grenadiers, des aman-
diers, des abricotiers, des pruniers, des vignes, dont les
sarments s'enlacent aux arbres et forment entre eux
d'énormes et élégantes guirlandes. Le sol est couvert
d'orge, de maïs, de légumes, de piments, de tomates, de
toutes les plantes que mangent les hommes et les ani-
maux, souvent entremêlées de henné, de rosiers et de
géraniums. Au milieu du désert aride qui l'entoure, sur le
bord de la vaste mer bleue qui baigne l'un de ses flancs et
dont les dunes Tenvahissent peu à peu, cette oasis toujours
fraîche et riante produit sur le voyageur l'un des effets les
plus séduisants que nous ayons éprouvés pendant le cours
de notre voyage à travers la Tunisie.
Malheureusement l'eau de l'Oued-Gabès n'est pas
56 LA TUNISIE
potable et les eaux des puits sont mauvaises, sulfatées ou
saumâtres. La dysenterie décimait autrefois les troupes
(jue nous entretenons auprès de cette riante oasis. Grâce
à des travaux dassainissement, cette région est, aujour-
d'hui, beaucoup moins malsaine qu'au début de notre
occupation. Mais les eaux sont toujours mauvaises
comme dans tout le sud de la Tunisie, notamment à
Sfax où l'Etat a dépensé une dizaine de millions pour faire
venir l'eau potable de Sbeilla.
On compte à Gabès de cent à cent vingt mille dattiers,
en y comprenant les deux ou trois oasis plus petites et
moins belles qui entourent celle dont nous venons de par-
ler. Malheureusement, les dattes qu'elles produisent ne
mûrissent qu'imparfaitement et sont de trop mauvaise
qualité pour être recherchées par l'exportation; elles ne
servent guère qu'à la nourriture des indigènes de la loca-
lité et à celle de leurs chameaux. Il manque aux dattiers
de Gabès l'une des conditions indispensables à la matu-
rité de leurs fruits : une température suffisamment éle-
vée. Suivant un proverbe arabe bien connu, il faut que ces
arbres aient « les pieds dans l'eau et la tête dans le feu ».
A Gabès ils ont les pieds dans l'eau, mais la tète manque
du feu qui lui est indispensable. Il en est de môme de tous
les dattiers qui croissent au bord de la mer; la fraîcheur
des vents met obstacle à la maturation de leurs fruits.
C'est pour cela que les dattes de Zarzis, de l'île de Djerba,
de Tripoli, sont si peu estimées. C'est seulement dans
l'intérieur des terres, à l'abri des brises rafraîchissantes de
la mer, que le dattier trouve les conditions nécessaires
à la production de fruits succulents et sucrés, pourvu
toutefois que l'eau abonde à ses pieds.
Ce qui fait la valeur de l'oasis de Gabès, ce sont surtout
les arbres fruitiers (grenadiers, amandiers, pêchers, etc.),
et les plantes alimentaires que les indigènes cultivent
sous les dattiers. Ceux-ci ont l'avantage de protéger les
autres cultures de leur ombre, tandis que l'Oued-
Gabès leur fournit en abondance l'eaa dont elles ont
besoin.
l'agriculture indigène 57
C'est à une dizaine de kilomètres des oasis de Gabès, à
l'entrée de la ligne des chotts du Sud, que le commandant
Landas a creusé son premier puits artésien. L'immense
quantité d'eau qui en jaillit (huit ni'Ue litres à la minute)
témoigne de la riciiesse de la nappt. aquifère qui s'étend
au-dessous du sol.
Il existe dans cette région une autre oasis assez impor-
tante, celle d'El-Hamma, qui compte, au moins, soixante-
dix mille dattiers. Elle est située à une trentaine de kilo-
mètres à l'est de Gabès, au pied de l'extrémité orientale
de la chaîne du Tebbaga et autour d'une source thermale
qui a une température de 45° centigrades. A sa sortie du
sol, Teau tombe dans des piscines romaines, d'où elle est
distribuée dans l'oasis. Cette dernière est aujourd'hui en
mauvais état, mais elle a dû être autrefois très prospère,
si l'on en juge d'après les ruines romaines qui sont abon-
dantes. La présence del'Oued-Hamma, qui vient des Mat-
matas et qui contient toujours de l'eau, permettrait de
donner un grand développement à cette oasis dont les
dattes sont assez bonnes.
Ce que nous avons dit des dattiers de Gabès s'applique
entièrement à ceux de Zarzis, et de l'île de Djerba. A
Zarzis, les indigènes abandonnent chaque jour davantage
la culture du dattier pour se livrer à celle de l'olivier qui
promet d'être beaucoup plus avantageuse. L'oasis de Zar-
zis est, pour ce motif, beaucoup moins riante que celle de
Gabès. L'eau, du reste, y est moins abondante et surtout
plus difficile à obtenir. Tandis que Gabès est arrosé par
un fleuve dont il suffit de détourner les eaux pour les dis-
tribuer dans les jardins, Zarzis n'est desservie que par
des puits. Il est vrai que ceux-ci sont très nombreux et
que l'eau se trouve à 5 ou 6 mètres seulement de pro-
fondeur, mais il n'en est pas moins nécessaire de dépenser,
pour l'amener à la surface, une main-d'œuvre assez coû-
teuse. Indépendamment du creusement et de l'entretien
des puits, il faut que, pendant la journée, un animal (cha-
meau, bœuf ou cheval) soit employé à faire monter l'eau.
A cet animal, il faut un gardien. Ce sont bouches à nourrir
58 LA TUNISIE
et à entretenir d'un bout de l'année à l'autre, car il pleut
l'aiement à Zarzis, et la (|uanlité deau que fournit un puits
suffît à peine à l'arrosage d'un ou deux hectares. Les
dattes de Zarzis et de Djerba, étant de qualité inférieure,
sont incapables de rémunérer un pareil travail. Il n'est
donc pas étonnant que leur culture soit peu à peu délaissée.
Dans les conditions d'arrosage dont nous venons de
parler, Zarzis et Djerba ne peuvent faire que des cultures
de jardins ou la culture de plantes pouvant se passer de
pluie, dans une certaine mesure, comme l'olivier et la
vigne.
Les oasis dont il me reste à parler se présentent dans
de tout autres conditions et seules méritent véritablement
d'attirer l'attention des Européens qui voudraient se livrer
à une culture productive des dattiers.
Arrêtons-nous d'abord dans les oasis du Nefzaoua qui
sont les plus rapprochées des précédentes. On donne le
nom de Nefzaoua aune région du sud delà Tunisie, bornée
au nord par la petite chaîne de montagnes de Tebbaga.
Celle-ci est dirigée, à peu près, de l'est à l'ouest ; elle est
située au sud du chott El-Fedjejd qu'elle sépare de Textré-
mité orientale du chott El-Djerid; elle s'avance de Test à
l'ouest entre ces deux grandes dépressions, sous la forme
d'une sorte de promontoire. La chaîne du Tebbaga est
formée de deux chaînons à peu près parallèles, séparés
par une vallée, très étroite à l'est, mais s'élargissant de
plus en plus à mesure qu'on s'avance vers l'ouest. Les
deux chaînons sont formés par des soulèvements de cal-
caires crétacés ; le fond de la vallée qui les sépare est cons-
titué par des alluvions que l'on trouve également dans le
fond des chotts et sur les flancs de la chaîne de montagnes.
C'est sur ces alluvions que se dressent les oasis du
Nefzaoua.
Les plus importantes sont situées sur le flanc méridional
de la chaîne de Tebbaga, sur une bande de terrain large
seulement de quelques kilomètres, entre Kebili à l'est et
Debabcha à l'ouest. On peut donner à cette portion du
Nefzaoua le nom de Nefzaoua septentrional. Au sud de
l'aGUICULTURE INDIUKNE 59
Kebili, dans la partie du Nefzaoua que Ton peut dénommer
Nefzaoua méridional et qui est formée par un terrain tout
à fait plat, sur la rive orientale du chott El Djerid, les
oasis sont beaucoup plus petites et les ag'glomérations
humaines moins importantes Le réprime des eaux est éga-
lement différent dans les deux parties du Nefzaoua.
Les oasis du Nefzaoua méridional sont au nombre de
trois cents, mais chacune d'elles n'a pas plus de quelques
hectares de superficie et se compose d'une ou parfois plu-
sieurs sources entourées d'un petit nombre de palmiers,
souvent sans aucune agglomération de maisons, chaque
village contenant d'habitude des familles qui cultivent
plusieurs oasis. Toutes les sources y sont superficielles.
Le terrain est sablonneux et les oasis sont entourées de
dunes de sable dont les vents modifient sans cesse la sur-
face en les chassant contre les plantations qu'elles tendent
à envahir et à détruire en comblant les sources. Le mal
est surtout causé par le sable que les vents enlèvent de la
crête des dunes et qu'ils abandonnent au pied de lobstacle
formé par les palmiers.
Le sol des oasis a été ainsi graduellement exhaussé au
point que chacune semble reposer sur un petit monticule
de sable, plus haut que la plaine voisine et dont le point
culminant est occupé par la source fécondatrice. Pour
éviter fensablement de cette dernière, les indigènes ont
soin d'exhausser ses bords à mesure que le sol s'élève par
les dépôts de sable. Suivant que les vents ont une direc-
tion constante ou variable, les oasis sont envahies soit
sur tous les points à la fois, comme dans le cas précé-
dent, soit sur un ou plusieurs côtés ; dans ce dernier
cas des dunes de huit à dix mètres de haut se dressent dans
un point de la circonférence correspondant à la direction
des vents les plus habituels. Afin d'éviter l'envahissement
par ces dunes, les habitants ont soin d'élever leurs maisons
entre elles et l'oasis, mais cette précaution est habituelle-
ment insufhsante à cause de la violence des vents qui
transportent le sable à de grandes distances et à une
hauteur suffisante pour défier l'obstacle offert par les
60 LA TUNISIK
maisons basses des Arabes. Dans certains points, notam-
ment à liécbilli, les indigènes déplacent leurs jardins au
furet à mesure que le sable gagne; ils fuient, en quelque
sorte, devant l'ennemi, emmenant avec eux l'eau de la
source, à l'aide de canaux souterrains. Les jardins nou-
veaux de Bécbilli se trouvent aujourd'hui à une distance
de plus de cinq cents mètres à l'est des anciens ; l'eau de
la source qui arrosait ces derniers et qui était placée à leur
centre est drainée dans les jardins nouveaux par des con-
duits souterrains.
On peut considérer comme une dépendance du Nefzaoua
méridional un certain nombre de petites oasis assez sem-
blables aux précédentes et répandues au sud de celles dont
nous venons de parler, à la lisière de l'Areg- ou Sahara sans
eau, autour de Douz et d'El-Aouïna, sur le territoire des
Mérazigs, des Adaras et des Gheribs. Les oasis disposées
autour des sources sont encore plus petites que dans le
Nefzaoua inéridional; elles sont plus ensablées; beaucoup
même sont en voie de disparition ou ont déjà disparu,
laissant des puits à demi ensablés et isolés dans la plaine.
Cependant, l'eau doit être à une très faible profondeur,
car toute cette région est couverte de bosquets, de grands
arbustes dont quelques-uns atteignent et dépassent trois
ou quatre mètres.
Ces détails montrent (jue les oasis du Nefzaoua méri-
dional ne peuvent avoir une grande importance. Cependant
les dattes sont de bonne qualité, et il est du devoir de l'ad-
ministration de favoriser le développement des petits
centres fixes qui existent dans cette région. Attacher l'in-
digène au sol doit être partout notre plus grande préoccu-
pation. En Tunisie, la tâche est facilitée par le caractère
des populations. Partout où on leur donnera de l'eau en
quantité suKisante, elles formeront des établissements
stables.
Le Nefzaoua septentrional fournit une preuve de la
justesse de cette proposition : ayant davantage d'eau, il a
une population fixe beaucoup plus nombreuse. Les oasis
du Nefzaoua septentrional forment une chaîne presque
l'agriculturk indigène 61
continue, depuis Kebili au sud-est Jusqu'à Debabclia au
nord-est, c'est-à-dire sur une longueur d'environ trenle-
cinq kilomètres. Elles sont toutes d'une grande dimension
et accompagnées d'agglomérations importantes, formant
des villages très peuplés. Leurs sources sont de deux
sortes : les unes venant de nappes superficielles; les
autres, de nature artésienne, c'est-à-dire ascendante, et
provenant de couches profondes. On a émis l'idée que
ces dernièi'es ont été amenées à la surface par des forages
artésiens remontant à une époque très reculée.
Les habitants de certaines de ces oasis ont fait preuve
d'une grande ingéniosité en drainant, par des canaux sou-
terrains creusés dans le calcaire de la montagne, les eaux
qui filtrent entre les couches de cette dernière. Ce sont
particulièrement les villages situés au sud du chaînon
inférieur du Tebbaga et principalement ceux de Menchia
qui se sont livrés à cette pratique; ils donnent à leurs
galeries de drainage le nom de « leviga ».
Le sol des oasis du Nefzaoua septentrional est extrême-
ment productif et l'eau y abonde. Les oasis devraient
donc être d'une grande fertilité. Il n'en est cepen ant pas
ainsi. En premier lieu, elles ont été, autrelois souvent
ravagées par des tribus divisées en deux clans ou çofs
se livrant les uns contre les autres aux plus regrettables
excès. En second lieu, les sables tendent à les envahir,
mais dans des conditions moins déplorables que dans le
Nefzaoua méridional. Les dunes mobiles que nous avons
signalées plus haut n'existent pas dans le Nefzaoua sep-
tentrional ; les sables qui y sont apportés par le vent sont
simplement arrachés à la surface des plaines voisines;
ils sont par consé(juent apportés en beaucoup moins
grande quantité que s'ils étaient pris sur des dunes
et il sera plus aisé de remédier aux dégâts qu'ils pro-
duisent. C'est surtout à la lisière des oasis que le sable se
dépose, arrêté qu'il est par les palmiers et les autres arbres
et par les talus des canaux d'irrigation. 11 s'est formé
ainsi autour des oasis, par suite de l'apport du sable, des
bourrelets circulaires qui atteignent jusqu'à quatre et
62 LA TUNISIE
cinq mètres de liaut et qui ont depuis (juelques mètres
seulement jusqu'à trois cents et quatre cents mètres de
largeur. « Il suffirait, disais-je dans la première édition
de ce livre, de fixer ces sables à l'aide de plantes à racines
profondes pour diminuer dans de très fortes proportions
sinon pour arrêter entièrement l'envahissement, car ce
dernier résulte de la marche graduelle mais très lente du
sable, de l'extérieur vers l'intérieur de l'oasis. » Les tra-
vaux auxquels je faisais allusion ont été commencés
ailleurs que dans la région du Nefzaoua, notamment dans
le Djerid et dans les environs de Bizerte.
L'administration militaire est en train de transformer
les oasis du Nefzaoua, notamment Kebili, par le forage de
nombreux puits artésiens qui ont permis de développer et
de rénover les cultures du dattier par l'introduction de
palmiers degla et l'extension des oasis.
Au nord de la chaîne du Tebbaga existent encore deux
oasis, peu importantes, celle de Seftimi et celle de Lima-
guès, que nous réunissons aux précédentes parce que
leurs habitants sont en relations fréquentes. Les sources
de Seftimi n'ont qu'un faible débit, mais elles ne sont pas
ensablées. Celles de Limaguès sont très belles et donne-
raient beaucoup d'eau si elles étaient remises en bon état,
ce qui ne demanderait que très peu de travail.
Le Nefzaoua ne contient pas moins de trois cent mille
dattiers, si l'on en croit les statistiques ofticielles; mais
l'avis général est que le nombre de ces arbres y est
beaucoup plus considérable. On y compte, en outre,
officiellement, plus de six mille oliviers. Les habitants
cultivent aussi quelques plantes potagères et quelques
arbres fruitiers, mais dans une proportion beaucoup
moindre qu'à Gabès. Ils sèment également du blé et de
l'orge dans les années où la pluie tombe en quantité suf-
fisante.
Les dattes du Nefzaoua sont de qualité supérieure à
celles de Gabès et les habitants en exportent une certaine
quantité ; mais, par suite du mauvais état de la plupart
des oasis, la récolte est très inférieure à ce qu'elle pour-
l'acriculture indigène 63
rait être et la majeure partie est consommée par les habi-
tants.
Les plus belles oasis de dattiers de la Tunisie, celles
aussi dont les fruits sont le plus estimés sont celles du
Djerid. On désigne sous le nom de Djerid la portion de la
Tunisie méridionale qui forme une sorte d'isthme entre le
chott El-Djerid et le chott Rharsa. Il existe dans cet isthme
quatre oasis : celles de Tozeur, El-Oudian, Nefta et El-
Hamma. Nous les avons, dans cette énumération, dis-
posées dans l'ordre de leur étendue ; cependant, les trois
premières ne difïèrent que peu par la superficie, tandis
que la quatrième, celle d'El-Hamma, est plus petite de
moitié que les autres. Elle est aussi la moins bien cultivée
et celle qui donne les plus maigres résultats, quoique son
sol soit fertile et son eau abondante. La plus fertile et la
plus peuplée est celle de Nefta ; celle de Tozeur vient, à
cet égard, au second rang et celle d'El-Oudian au troi-
sième.
L'oasis de Nefta est située auprès dune ville véritable
d'oii elle tire son nom et qui compte aujourd'hui, avec ses
sept faubourgs, une population de 12.000 habitants. Son
importance est appelée à s'accroître encore beaucoup, à la
suite de la construction de la voie ferrée, qui a atteint
récemment Tozeur, en venant de Gafsa et Metlaoui.
On compte, dans l'oasis de Nefta, plus de 200.000 dat-
tiers taxés, ce qui permet de penser qu'il y en a au moins
300.000. Sous les palmiers, on cultive une couple de cen-
taines d'oliviers et un certain nombre d'autres arbres
fruitiers, ainsi que des plantes alimentaires et fourragères,
mais le dattier absorbe la majeure partie des soins des
habitants, et c'est de lui qu'ils tirent véritablement leur
richesse. L'oasis de Nefta exporte, en moyenne, plus de
6.000.000 de kilogrammes de dattes et l'on estime sa pro-
duction à plus de 8.000.000 de kilogrammes. Elle est
arrosée par des sources qui prennent naissance au fond
d'une sorte de cirque profondément entaillé dans le pla-
teau sablonneux sur lequel est bâtie la ville. Les eaux,
très abondantes, sont distribuées par un système de canaux
64 LA TUNISIE
(jui s'élalent en éventail dans toutes les parties de l'oasis.
Mallieureusement, les sables envahissent rapidement celle-
ci et son état actuel ne donne qu'une idée très insuffisante
de ce qu'elle était autrefois. Sa superficie a dû être double
ou triple de ce qu'elle est aujourd'hui. Les sables apportés
par le vent s'accumulent autour d'elle, y forment des
dunes envahissantes qui comblent les canaux et peu à peu
détruisent les cultures. Les habitants ont fait de 2;rands
efforts pour combattre cet ennemi ; ils élèvent des talus et
construisent avec des broussailles et àii sable de véritables
fortifications ; mais ces travaux, ayant été exécutés sans
vues d'ensemble, ont été impuissants. Aujourd'hui, la
partie qui reste de l'ancienne oasis est déjà coupée en
deux, dans le nord, par une dune de sable qui s'enfonce
comme un coin entre les cultures, et les sources elles-
mêmes, sont fort menacées. Afin de les préserver contre
le danger qui les menace, on est en train de planter les
dunes.
L'oasis de Tozeur, située sur le bord du chott El-Djerid,
qui la limite immédiatement au sud et à l'est, est la plus
grande des oasis du Djerid et par conséquent de toute la
Tunisie; elle compte plus de palmiers que celle de Nefta,
mais le nombre cje ses habitants est moindre, il ne dépasse
guère 6.000. On y compte officiellement près de 200.000 dat-
tiers, dont plus de 13.000 « degla » ou de première qualité ;
mais le nombre de ces arbres doit être beaucoup plus con-
sidérable ; il est probablement double du chiffre officiel.
La quantité de dattes produites est évaluée, en moyenne,
à 8.000.000 de kilogrammes.
Dans cette oasis, les oliviers sont peu nombreux, envi-
ron 300 : il en est de même des autres arbres fruitiers, qui
sont, par ordre d'abondance, l'abricotier, le citronnier,
le grenadier, le pommier, le pêcher, l'amandier et le juju-
bier.
Les sources qui arrosent l'oasis sont au nombre de 155 ;
elles prennent naissance dans lesanfractuosités d'un ravin
très ramifié, couvert de palmiers et situé à l'ouest de
Tozeur, à une certaine distance de la ville. La gorge prin-
l'agriculture indigène 65
cipale du ravin a un kilomètre et demi de longueur. De
ces sources résulte une petite rivière, dont les eaux, habi-
lement distribuées, vont arroser toutes les parties de l'oasis
et se répandent ensuite en dehors, dans le chottEl-Djerid.
Comme l'oasis de Nefta, mais à un moindre degré, celle
de Tozeur est menacée par les sables, particulièrement
au nord et à l'ouest, où elle est dominée par le plateau
sablonneux d'où sortent les sources. Des dunes impor-
tantes se sont formées sur ces points et le sable empiète
graduellement sur les cultures. A l'est et au sud, l'oasis
ne court aucun danger, le sol du chott qui la borne étant
solidifié par la couche de sel incorporé au sable. L'enva-
hissement des sables à l'ouest et au nord est favorisé par
le fait que les habitants arrachent pour chauffer leurs fours
les arbustes du plateau qui domine les sources ; le sable
de la surface ainsi dénudée devient très mobile, puis est
enlevé par le vent, qui, ne rencontrant plus d'obstacle, le
transporte jusque dans l'intérieur de l'oasis. Malgré cela,
l'oasis de Tozeur a beaucoup moins à redouter l'envahis-
sement que celle de Nefta et il sera plus facile de la pro-
téger contre ce redoutable destructeur des cultures du
désert.
L'oasis d'El-Oudian, qui vient au troisième rang, par
ordre de richesse, est cependant la plus étendue de toutes
celles du Djerid. Elle a 8 kilomètres environ de lon-
gueur et 1 à 3 kilomètres de largeur; mais sa population
dépasse à peine le chiffre de 4.000 individus, et le nombre
officiel de ses palmiers, nombre, il est vrai, très inférieur à
la réalité, n'est que de 118.000, dont 8.000 « degla ». La
quantité des dattes produites est évaluée à 5.000.000 et
demi de kilogrammes. El-Oudian compte plus de 25.000 oli-
viers payant l'impôt, ce qui doit faire supposer l'existence
d'un nombre bien supérieur de ces arbres. Les orangers
et les citronniers y sont très abondants et donnent des
fruits d'excellente qualité ; il y existe aussi beaucoup
d'abricotiers, de pommiers, de pêchers, de grenadiers, de
figuiers, d'amandiers, etc. Le petit nombre relatif des dat-
tiers et le grand nombre des oliviers s'expliquent aisément
J.-L. De Lanessan. — La Tunisie. 3
66 L\ TUNISIE
par ce fait que l'oasis d'El-Oudian ne reçoit qu'une quan-
tité d'eau très inférieure à celle (|ui arrose Nefta etTozeur.
Or, le palmier a besoin de beaucoup plus d'eau que les
oliviers et les autres arbres fruitiers.
On compte actuellement à El-Oudian 44 sources ; elles
prennent naissance dans la chaîne de collines qui forme
l'axe de l'isthme de Kriz entre le chott El-Djerid et le chott
Rharsa. Il en existait autrefois 57, mais 13 s'étaient taries ;
on (ist en ti-ain de les désaveugler. Toutes sortent de terre
dans des bassins profonds creusés de main d'homme et
leurs eaux sont dirigées vers l'oasis par des canaux très
encaissés qui ont demandé un travail considérable. Le
débit de ces sources est très faible et si les habitants n'ont
pas le soin d'arrêter l'eau, pendant une partie de la journée
ou de la nuit, par de petits barrages, elle se perd avant
d'arriver aux parties éloignées de l'oasis. Celle-ci n'est
donc arrosée que d'une manière intermittente et insuffi-
sante. En revanche, les sables ne lui font courir que peu
de dangers; elle est bordée, au sud et à l'est, par le chott
El-Djerid, à sol formé de sables agglutinés par le sel et
peu mobiles, et au nord-ouest, par des collines rocailleuses,
à surface peu friable. Le seul péril qu'il y ait à craindre et
à prévenir est l'envahissement des sources par le sable
qui se détache des flancs de la colline d'où elles sortent.
L'oasis d'El-Hamma est située dans le bassin du chott
Rharsa, sur le versant nord de la chaîne de collines qui
forme l'axe de l'isthme Kriz, entre le chott Rharsa et le
chott El-Djerid. En raison de sa position, elle jouit d'une
température moins élevée que ses voisines et ne peut rap-
porter ni autant de fruits ni des fruits d'aussi bonne qualité
que les oasis de Tozeur, de Nefta et d'El-Oudian. On la
considère même comme étant dans des conditions plus
défavorables que celles du Nefzaoua dont nous avons parlé
plus haut.
L'oasis d'El-Hamma ne contient guère plus de 900 habi-
tants, distribués dans deux ou trois villages. Les dattiers
sont au nombre d'environ 52.000, sur lesquels on compte
moins de 600 « degla ». Elle ne produit guère que
L AGRICULTURE INDIGKNE 67
1.700.000 kilogrammes de dattes. Il n'y existe pas plus
de 200 oliviers et un nombre restreint d'arbres fruitiers.
L'oasis d'Ei-Hamma est arrosée par une quinzaine de
sources, dont une chaude, qui lui a valu son nom. Quoique
ces sources soient en mauvais état et mal entretenues,
elles pourraient arroser une étendue double de celle de
l'oasis actuelle, mais celle-ci est très négligée, peu cul-
tiv^ée, entièrement abandonnée même sur certains points,
très menacée par les sables auxquels les habitants n'op-
posent aucune résistance, et probablement condamnée à
disparaître si Ton ne modifie pas les conditions qui ont
provoqué cet état de choses.
Il résulte de tout ce qui précède, que la région de la
Tunisie la plus propre à la culture du dattier est celle du
Djerid ; le Nefzaoua vient ensuite, puis le nord de la chaîne
du Tebbaga et enfin la région de Gabès, qui est très infé-
rieure, de même que celles de Zarzis et de Djerba. La
médiocre qualité des dattes de Gabès, de Zarzis et de
Djerba fait de la culture du dattier dans cette région,
une opération agricole très secondaire et peu rémuné-
ratrice.
Il en est autrement dans le Nefzaoua et surtoul dans le
Djerid, où l'extrême ciialeur et l'absence de pluie rendent
très aléatoires toutes les autres productions du sol. Dans
ces régions, le dattier constitue la première source de
richesse des habitants. Si l'on part de ce fait, on est étonné
de voir qu'ils prennent si peu de soins de la plupart des
oasis, qu'elles sont graduellement envahies par le sable
et seraient condamnées à disparaître, peut-être dans un
temps assez court, sans rintervention de l'administration
française.
L'indolence naturelle à la race indigène n'est pas la seule
cause qui puisse être signalée pour expliquer le peu d'ef-
forts faits par les habitants des oasis pour les proté"-er
contre l'envahissement des sables. Sans doute cette indo-
lence y est pour quelque chose, mais il s'y joint une autre
raison qu'il me paraît utile de signaler : l'élévation des
impôts qui frappent les dattiers et les dattes.
68 LA TUNISIE
Dans toute la région du Djerid, les dattiers paient un
impôt dit de « khanoun », qui était de 16 caroubes, envi-
ron 0 fr. 65, par pied, pour la variété commune et de
32 caroubes par pied pour la variété supérieure dite
« degla ». Cet impôt a été abaissé, mais il est encore
aujourd'hui plus élevé qu'en Algérie et nuit beaucoup à
la culture des dattiers du Djerid dont les fruits sont supé-
rieurs à ceux des dattiers algériens de l'oued Rhir.
Les dattiers payent le khanoun à partir de Vêige où ils
commencent à porter des fruits. Les pieds mâles en sont
exempts. Au Djerid, l'âge de la fertilité varie entre quatre
et sept ans ; dans l'oasis de Tozeur, quelques pieds parti-
culièrement bien favorisés commencent à donner des fruits
dès l'âge de trois ans. Dans l'oasis d'El-Hamma, où la
température est moins chaude, par suite de Texposition
au nord, les pieds les plus favorisés portent leurs fruits à
cinq ans, et ceux qui le sont moins attendent parfois leur
dixième année. Il en est à peu près de même à El-Oudian,
à cause de la rareté de Feau, dans le Nefzaoua et surtout
dans la région de Gabès, à cause de la moindre élévation
de la température. Dans le Nefzaoua, l'impôt du khanoun
est moitié moindre que dans le Djerid; il est encore un
peu plus faible dans la région de Gabès et dans tout l'Arad.
Les oasis les plus favorisées du Djerid, c'est-à-dire celles
de Nefta et de Tozeur, supportent assez aisément le kha-
noun, du moins dans les bonnes années, parce que leurs
dattes sont de qualité supérieure et atteignent un prix
élevé. Celle d'El-Oudian, dont les dattes sont moins esti-
mées, se rattrape sur le produit des oliviers, qu'elle ren-
ferme en grand nombre et sur celui des autres arbres
fruitiers. Quant à l'oasis d'El-Hamma, dont les dattiers
sont moins productifs et les dattes de qualité inférieure,
et qui n'a que peu d'oliviers ou d'arbres fruitiers, elle est
littéralement ruinée par l'impôt. Ainsi que nous l'avons
dit plus haut, celui-ci est, en effet, le même pour loasis
d'El-Hamma, peu favorisée par le climat, que pour les oasis
les plus riches du Djerid. Dans certaines années, les habi-
tants d'El-Hamma récoltent à peine de quoi payer l'impôt;
L AGRICULTURE INDIGKNK 69
aussi abandonnent-ils peu à peu une contrée qui, si elle
était traitée avec moins de dureté par le fisc, serait en
mesure de les faire vivre.
De cet exposé de l'état des dattiers en Tunisie, nous
sommes tenus de conclure qu'à l'heure actuelle, cette cul-
ture ne fournit que des résultats généraux assez peu satis-
faisants. Des trois régions où existent des oasis de dattiers
de quelque importance, c'est-à-dire l'Arad, le Nefzaoua et
le Djerid, ce dernier est le seul oii l'on obtienne des fruits
d'une qualité supérieure et vraiment propres à l'exporta-
tion. Comme ils jouissent dans toute l'Afrique septentrio-
nale d'une réputation exceptionnelle, le Nefzaoua leur doit
encore une réelle prospérité. Quant à TArad, s'il ne con-
tenait que des dattiers, il seiait misérable.
Ajoutons, pour être exact, que toutes les oasis de la
Tunisie ont heureusement d'autres ressources. Les oliviers
qui abondent dans celle d'El-Oudian, les arbres fruitiers
qui existent en assez grand nombre dans toutes les autres,
les plantes maraîchères enfin, trouvent dans les coins de
terre dont nous parlons, un arrosage suffisant et sont,
pour leurs habitants, de précieuses sources de bien-être ;
aussi voyons-nous toutes les oasis entourées de villages
stables. Fort sagement, l'administration se préoccupe de
les conserver et de les multiplier en leur fournissant
de l'eau partout oii il est possible de creuser des puits
artésiens.
§ IV. — Les jardins
Ce mot n'a pas, en Tunisie, exactement la même signi-
fication que chez nous. Il y désigne, d'une manière géné-
rale, toutes les cultures qui ont besoin d'être arrosées en
tout temps, soit à Faide des rivières ou des sources, soit à
l'aide des pluies. A ce titre, toutes les oasis dont nous
venons de parler sont des jardins, car à Fombre des dat-
tiers on y cultive toujours, en quantité plus ou moins
considérable, des plantes qui ont besoin d'être arrosées
pendant la saison chaude, comme les légumes, le maïs,
70 LA TUNISIE
certains arbres fruitiers tels que le citronnier et l'oranger,
raïuandier, le grenadier cl l'abricotier, etc.
Parmi les localités dont les jardins sont le plus renom-
més et produisent le plus, nous devons citer : la Manouba,
l'Ariana et la Marsa, prcs de Tunis ; Soliman et Nebeul
dans la presqu'île du cap Bon, les environs de Porto-
Farina et de Ras Djebel, ceux de Sfax, au nord du golfe
de Gabès. Les anciens Jardins de l'Ariana, de la Manouba
et de la Marsa étaient presque tous des dépendances de
palais appartenant à de g^rands seigneurs tunisiens.
C'étaient des jardins d'agrément plutôt que de produit ;
mais depuis l'occupation française, il s'en est créé un
grand nombre d'autres aux environs de Tunis ; on y cultive
surtout des orangers et des citronniers qui donnent des
fruits excellents, de la vigne dont les raisins, très bons, ne
servent que pour la table, des figuiers, des amandiers,
des pommiers, des poiriers, des abricotiers pour les fruits,
du henné pour ses feuilles, dont la poudre sert à teindre les
ongles et la peau des mains et des pieds en jaune rou-
çeâtre, des roses et des jasmins pour leurs fleurs qui sont
très recherchées des indigènes et qui servent à la prépa-
ration des parfums ; des géraniums avec lesquels on fabrique
une fausse essence de roses, etc. Les légumes y étaient
autrefois peu nombreux, ils le sont beaucoup plus aujour-
d'hui. A l'Ariana, Feau des puits est généralement trop
saumâtre pour servir à l'arrosage et les propriétaires font
venir l'eau du dehors. A la Manouba et à la Marsa, on arrose
avec l'eau des puits, qui est assez bonne pour cet usage
sans être potable. Les puits sont ordinairement munis de
norias très simples, à godets en terre et à roues en bois
que fait tourner un cheval ou un chameau. Comme dans
tous les jardins de la Tunisie, l'eau est reçue, à sa sortie
du puits, dans un bassin d'où elle se répand, à l'aide de
petits canaux, dans toutes les parties du jardin, chaque
arbre étant entouré d'un talus qui la retient.
Il existe en outre, aux environs de Tunis, des jardins
maraîchers où des Arabes, des Maltais, des Siciliens culti-
vent des légumes, mais en trop faible quantité pour sut-
l'aGRICULTURK INDKIKNE 71
fire à la consommation des Européens. Quelques espèces
manquent à peu près entièrement, notamment les asperges
et les artichauts. Les pommes de terre, les tomates, les
concombres, qui entrent dans l'alimentation des indigènes,
sont, au contraire, abondants et de bonne qualité. L'eau
des puits est assez bonne sur certains points des environs
de Tunis pour servir àTarrosage, et les détritus de la ville
pourraient être utilisés pour la fumure des terres si l'on ne
les redoutait pas.
Les jardins les plus pi'oductifs en fruits et en légumes et
les mieux entretenus de toute la Tunisie sont situés dans
la presqu'île du cap Bon, particulièrement aux environs
de Nebeul et de Soliman. Gomme presque tous ceux de ce
pays, ils sont entourés de talus en terre surmontés de
haies très épaisses de figuiers de Barbarie. Dans les envi-
rons de Soliman, on cultive surtout des arbres fruitiers,
des légumes et des plantes fourragères. A Nebeul, on y
ajoute des roses et des jasmins. L'eau de ces jardins est
fournie par des puits d'où elle est élevée par des norias, ou
bien, plus souvent, à l'aide d'une outre que tire un bœuf ou
un chameau, suivant un système à la fois très simple et très
commode, que beaucoup de gens font remonter aux Cartha-
ginois. Les jardins de la presqu'île du cap Bon expédient
des pommes de terre, des concombres, des tomates, des
melons, non seulement à Tunis, mais dans une grande
partie de la Régence. Des habitants de Solinum et de
Nebeul font soixante ou soixante-dix kilomètres avec un
petit âne pour aller vendre àl'Enfida des concombres, des
melons et des tomates. Les cultivateurs de ces localités
donnent d'ailleurs beaucoup de soins à leurs jardins; non
seulement ils les bêchent, en extirpent les mauvaises
herbes ; mais encore, chose rare en Tunisie, ils les fument
rég'ulièrement. Il existe dans le sous-sol de la plupart des
maisons de ce pays des sortes de caves dans lesquelles
on fait pourrir le fumier des animaux et les ordures ména-
gères avant de les utiliser à la fumure des jardins.
Les jardins de Sfax qui sont, après les précédents, les
plus réputés de la Tunisie, en diffèrent par l'extrême rareté
72 LA TUNISIE
de l'eau. Aussi n'y cultivc-l-on que des plantes ayant peu
besoin d'arrosage et surtout des arbres et arbustes fruitiers,
particulièrement le liguier, l'amandier, l'abricotier, le
pommier, la vigne et le pistachier. Sfax est le seul point
de la Régence où le pistachier soit cultivé en abondance;
il y donne des fruits exc(dlenLs et très recherchés dans toute
la partie orientale de la Méditerranée. Comme l'eau est
très rare, on n'arrose que les arbres et les arbustes nouvel-
lement plantés ou encore très jeunes. Les jardins ou plu-
tôt les vergers de Sfax entourent immédiatement la ville.
Plus loin, s'étendent les cultures d'oliviers.
Nous n'avons cité que les jardins les plus renommés de
la Tunisie, ceux dont la culture est le plus soignée. Tl en
existe d'analogues au voisinage d'un certain nombre de
villes, comme Sousse, Monastir et Mahdia dans le Sabel,
El-Djem, etc., mais on se tromperait si Ton croyait qu'il
existe, comme en France, des jardins autour de toutes les
villes. Il n'en est absolument rien. Certaines villes tuni-
siennes sont encore entièrement ou presque entièrement
dépourvues de ces sortes de cultures. Je me bornerai à
citer Kairouan, dont l'enceinte des murailles blanches et
crénelées apparaît de fort loin au milieu d'une plaine
entièrement nue. Beaucoup de villages sont dans le même
cas.
La cause principale de la rareté relative des jardins doit
être cherchée dans la difliculté d'avoir de l'eau en quantité
suffisante pour faire les arrosages abondants qu'exigent
les plantes maraîchères. L'absence de pluie pendant une
grande partie de l'année, et, dans quelques régions, pen-
dant des années entières, oblige à faire usage pour les
jardins de l'eau des puits. Or, il n'est pas partout aisé
d'avoir cette eau avec les qualités qu'exige la culture.
Dans beaucoup de points de la Tunisie, l'eau des puits
est trop chargée de chlorure de sodium et de magnésium
pour qu'on puisse l'utiliser à l'arrosage. Il faudrait aller
chercher, à l'aide de forages, des nappes plus profondes,
contenant une eau de meilleure qualité.
D'une façon générale, quoique les indigènes connaissent
I, 'agriculture indigène 73
la grande valeur de l'irrigation dans un climat chaud et à
terre sèche, ils n'en usent que d'une manière très insuffi-
sante. Je lis dans une conférence faite par M. Gounot
devant l'Association des anciens élèves de l'Ecole coloniale
d'agriculture de Tunisie (annuaire 1912, p. 54) : « Au
printemps, dans presque tout le nord de la Régence, les
indigènes qui disposent d'eau de source en usent très lar-
gement pour irriguer leurs céréales, mais les rendements
qu'ils obtiennent sont inférieurs à ceux réalisés dans les
fermes françaises en culture sèche ; l'intervention d'eau
d'irrigation est donc inutile. Quant aux vergers, qui n'a vu
en Tunisie des plantations de cognassiers, de grenadiers et
d'arbres fruitiers de toutes sortes ; or, lorsqu'on arrive à ces
oasis de verdure, on apprend avec surprise que ces jardins
quoiqu'irrigables ont une valeur locative de 50 ou 100 IVancs
à peine. Bien souvent même ces jardins sont complètement
abandonnés par leurs détenteurs, preuve évidente qu'ils
ne donnaient pas de revenus appréciables. Ces exemples
suffisent pour établir que les indigènes du nord de la
Régence sont pour la plupart de mauvais irrigateurs, et,,
sauf dans la banlieue des villes, ils arrivent rarement à
créer une culture intensive et à tirer un profit de leur eau. »
Il est probable qu'ils ne travaillent pas la terre de manière
à lui permettre d'absorber l'eau qu'ils lui donnent.
Une autre cause entravait autrefois considérablement
les cultures de légumes et d'arbres fruitiers ; je veux
parler des taxes énormes qui frappaient les produits des
jardins et des vexations de mille sortes dont la perception
decestaxes était accompagnée. Un décretdu l^'janvier 1907
a supprimé les taxes anciennes dont les populations se
plaignaient amèrement et a beaucoup favorisé la culture
de toutes les plantes qui alimentent les marchés.
La vigne doit faire l'objet d'une mention spéciale parmi
les plantes que les indigènes cultivent dans les «jardins ».
On estime à 1.666 hectares la surface complantée en vignes
par les indigènes, cette surface étant restée stationnaire
depuis 1889. La production totale de ces vignes serait de
20.000 à 30.000 kilogrammes de raisins provenant de
74 LA TUNISIE
variétés exclusivement locales (baldi, meski. assli, etc.).
Los cinq dixièmes de la pioduciion sont consommés à
l'état frais ; le reste est, soit séché, soit vinifié en vue de
la fabrication du vinaigre. Les localités dans lesquelles
les indigènes cultivent particulièrement la vigne sont : l'île
d(; Djerba, l'oasis de Gabès, le cap Bon et les environs
de Porto-FarinaV
§ V. — La culture du tabac
A côté des cultures dont nous venons de parler, nous
devons dire quelques mots de celle du tabac, qui s'en rap-
proche par la nature des soins qu'elle exige, mais qui doit
être envisagée séparément parce qu'elle est soumise à des
conditions tout à fait spéciales.
En Tunisie, au moment de l'occupation française, le
tabac était, ainsi qu'une foule d'autres produits, l'objet
d'un monopole mis en adjudication et abandonné à des fer-
miers qui, en échange, s'engagaient à verser au Trésor
une somme déterminée.
En principe, le fermier ne devait employer dans sa
fabrication que des tabacs fournis par la Tunisie ; mais, en
fait, il tendait de plus en plus à s'approvisionner au dehors
et à décourager les producteurs indigènes. Le motif de
cette conduite est aisé à découvrir. Le fermier étant obligé
de surveiller à ses frais la culture du tabac, ne pouvait
le faire qu'à l'aide d'un personnel dont le traitement venait
en diminution de ses recettes. Il avait donc tout intérêt à
la faire disparaître, car il supprimait à la fois ses frais de
surveillance et toute crainte de contrebande intérieure. Il
est vrai que, d'après le cahier des charges, le fermier était
« tenu de recevoir tous les tabacs indigènes, quelle qu'en
fût la quantité, provenant des plantations qui auront été
autorisées dans les provinces et localités où cette culture
est permise ». Mais, pour détourner les indigènes de la
culture du tabac, les fermiers avaient à leur disposition
1. Vuy. La vigne en Tunisie, p. 11.
l'agriculture indigène 75
bien des moyens (ju'il est assez aisé de deviner, tels que le
classement des tabacs dans une catégorie inférieure à
celle (jui leur revenait réellement, l'évaluation exagérée de
la quantité cultivée, permettant de toujours prendre le
producteur en faute, de lui infliger des amendes, etc.
L'administration tunisienne favorisait, du reste, très ou-
vertement les fermiers dans leurs efforts pour provoquer la
disparition de la culture indigène. Le cahier des charges
autorisait le fermier à faire venir de l'étranger des tabacs en
feuilles et fabriqués, et il le dispensait des droits de douane
que ces tabacs auraient à payer s'ils étaient introduits par
des particuliers. La seule condition mise à cette autorisa-
tion était que le produit de la récolte indigène fût inférieur
aux besoins de la consommation, ce que le fermier se.
chargeait aisément d'obtenir par les moyens indiqués plus
haut ou par d'autres de môme nature. Non content d'au-
toriser le fermier à recevoir des tabacs étrangers, le cahier
des charges lui imposait l'obligation de mettre en vente
certaines variétés de ces tabacs, tels que le scaferlati, le
chebli, les cigarettes algériennes, les cigarettes de Vir-
ginie, etc., et les cigares de Malte, de Virginie, etc.
Pour aider encore à la suppression de la culture indi-
gène du tabac, l'administration limitait chaque jour davan-
tage les autorisations nécessaires et le nombre des localités
dans lesquelles ces autorisations pouvaient être accordées.
Dans ces conditions, la culture du tabac ne pouvait que
diminuer et même disparaître. L'administration française
des tabacs ne fut pas étrangère à ce fait. Il y a plus de
vingt-cinq ans déjà, l'ingénieur en chef, inspecteur, M. Ga-
ron, exposait dans un rapport officiel tous les arguments
favorables à la suppression de la culture des tabacs en
Tunisie. Après avoir conseillé le remplacement de la ferme
par une régie d'Etat, il ajoutait : « Quant à la culture du
tabac, il n'y aurait pas autre chose à faire que de prononcer
son interdiction ; elle n'a qu'une minime importance ; ses
produits sont de mauvaise qualité et payés d'un prix exces-
sif; ils n'entrent que pour une part insignifiante dans le
total de la production agricole. Le sol du nord de la Tunisie
76 LA TUNISIE
OÙ se Irouvenl si Lues tous les cantons planteurs de tabac,
est très fertile et ne nian(jue pas d'eau ; les vallées con-
viennent parfaitement à la culture des céréales, les collines
à celle de la vigne; les montagnes peuvent presque partout
se regarnir spontanément de forêts. Ce sont là les vrais
éléments de richesse de la Tunisie, qui n'a rien à gagner
au maintien, sur quelques parcelles de son territoire, d'une
culture sans chance de développement, dont l'existence est
subordonnée à la plus-value factice accordée à ses pro-
duits ».
Le desideratum exprimé dans les lignes qui précèdent fut
-vite réalisé, sans que l'on eût besoin de prononcer l'inter-
diction. La culture du tabac n'existait déjà plus en Tunisie,
lorsque parut la première édition de ce livre, dans laquelle
je disais : « Les seuls motifs invoqués dans la citation
faite plus haut en fav eur de l'interdiction de la culture du
tabac étaient, d'une part que les terres employées à cette
culture pouvaient servir à d'autres opérations agricoles,
d'autre part que la quantité de tabac produite était très
minime et sa qualité défectueuse. Au premier argument
il est aisé de répondre que plus un cultivateur demande à
sa terre de produits différents, et plus il se met à Tabri
de la misère résultant des mauvaises récoltes. Si à côté
de son champ de blé ou d'orge, il peut exploiter un carré
de tabac, c'est une source de revenus de plus qu'il se donne,
et l'on n'a jamais vu un gouvernement défendre une culture
quelconque sous prétexte que le sol peut en supporter
d'autres ».
Depuis l'époque oii je présentais ces observations, la
ferme des Tabacs a été remplacée par une régie d'Etat
qu'exerce l'administration des monopoles. Pour donner
satisfaction à un courant d'opinion qui s'était produit dans
le sens des idées que j'avais exprimées dès 1887, un
décret du 2o août 1898 autorisa la culture du tabac dans
des conditions empruntées à la législation française. Les
planteurs doivent obtenir une permission délivrée par le
Directeur des monopoles après avis d'une commission
locale: ils sont soumis aux visites et exercices des agents
I, AGRICULTURE INDIGÈNE 77
des monopoles, tenus de donner à leurs plantations des
façons rigoureusement définies, et de livrer la totalité de
leur récolte conformément aux prévisions des inven-
taires, etc. Ils peuvent même cultiver pour l'exporta-
tion.
Ni les indigènes, ni les Européens n'ayant fait la moindre
tentative de culture en vertu de ce décret, l'administration
décida de procéder elle-même à des essais au sujet des-
quels il est dit dans une note officielle qui m'a été remise
en juillet 1914 : « En vue d'assurer la production des
tabacs nécessaires à ses besoins, l'administration a été
amenée à faire entreprendre des cultures sous une régle-
mentation en quelque sorte officieuse et pour son propre
compte. Des cultures de l'espèce sont effectuées dans la
région des Mogoods, dans le caïdat de Bizerte et dans les
environs de Gabès. En souscrivant leur demande d'autori-
sation, les planteurs déclarent se soumettre à toutes les
clauses d'un règlement qui précise les différentes opéra-
tions à faire subir aux plantations (semis, repiquage, ali-
gnements, distances des pieds, épamprement, écimage,
ébourgeonnement, livraison, etc.); les pénalités auxquelles
ils s'exposent sont alors prévues par le décret du 2o août
1898. Ces essais ont donné des résultats encourageants.
Guidés et conseillés par les agents de culture des mono-
poles, les planteurs perfectionnent rapidement leurs pro-
cédés et paraissent s'intéresser au développement de
la production du tabac ». Tous les planteurs sont des
indigènes.
En 1898, la surface cultivée en tabac était de 34 hec-
tares; elle a été, dans les conditions exposées ci-dessus,
de 56 hectares en 1909; de 94 hectares en 1910, de 91 hec-
tares en 1911 et de 101 hectares et demi en 1912. Le poids
du tabac livré et payé, cette dernière année, atteint près
de 135 426 kilogrammes, représentant une valeur totale
de 170.889 francs. Les prix varient, suivant la qualité, de
130 francs à 20 francs les 100 kilos. « X titre d'encourage-
ment, une prime de 50 francs par 100 kilogrammes de
tabac dit de « surchoix » est accordée aux planteurs les
78 LA TUNISIE
plus soigneux ; cette prime est attribuée à des fractions de
récolte arbitrées par la commission de réception. »
§ VI. — La culture du chanvre
On fume en Tunisie, une certaine quantité d'une sorte
de haschisch représenté par les bouquets floraux femelles
du chanvre. On donne à ce produit, très recberché par
certains indigènes en raison de l'ivresse qu'il détermine,
le nom de takroiiri ou kif. Les fumeurs de haschisch font
brûler les pellicules, desséchées et broyées de ces bouquets
floraux, dans des pipes à petits fourneaux.
L'ancienne ferme des tabacs ayant le monopole du ta-
krouri n'avait trouvé aucun autre moyen de se mettre à
l'abri de la fraude intérieure que de provoquer l'interdic-
tion absolue de la culture du chanvre dans toute la
régence. Cette interdiction fut consacrée par le décret du
31 janvier 1875. Je disais, à ce sujet dans la première
édition de ce livre : « Un agriculteur français m'a raconté
qu'il avait essayé de cultiver du chanvre dans un terrain
oii cette plante paraissait devoir se développer admi-
rablement : interdiction lui a été signifiée de poursuivre
cette tentative. Du reste, je n'ai pas vu un seul pied de
chanvre dans toute la Tunisie. Or, le chanvre est encore
un produit riche, dont l'exploitation peut être faite aisé-
ment, sans préjudice de celles plus importantes de la
vigne, des céréales, etc., et pour le plus grand profit de
l'agriculteur. Interdire sa culture dans tout un pays, c'est
évidemment le priver d'une source de bénéfices très appré-
ciables ».
L'interdiction générale de la culture du chanvre existe
encore; mais, pour faire face à ses besoins de takrouri,
l'administration fait procéder chaque année, par un nombre
restreint de propriétaires français et indigènes, aux planta-
tions nécessaires. Ces cultures sont exécutées conformé-
ment aux règles indiquées dans des contrats qui précisent
toutes les opérations culturales (labours, fumure, semail-
les, irrigations, binages, arrachages des pieds mâles.
I. AGRICULTURE INDfGKNE 79
récolte à maturité, dessiccation ralentie, emballage, trans-
port, gardiennage, etc.). Les cultures sont soumises aux
vérifications des agents des monopoles, et un rendement
minimum en argent est garanti aux planteurs.
Pour fabriquer le takrouri que la régie met en vente, on
sépare les bouquets floraux femelles des tiges et on les
hache à la main. Il en est vendu chaque année environ
5.000 kilogrammes, en boites de 5 grammes coûtant
20 centimes, soit 40 francs le kilogramme.
Je persiste à croire que l'administration des monopoles
commet une erreur économique en interdisant la culture
du chanvre.-
I VII. — L'exploitakon de l'alfa
Parmi les produits du sol tunisien, il en est un fort
important dont il est indispensable de parler : je fais allu-
sion à l'alfa.
L'alfa est tine plante de la famille des graminées, à
rhizome rampant et vivace comme celui du chiendent. Les
feuilles sont enroulées au point de paraître cylindriques,
hautes de 30 à 50 centimètres, et propres à une foule
d'usages, depuis la fabrication de nattes et de paniers, etc.,
jusqu'à celle d'un papier d'excellente qualité. L'alfa vient
en touffes, tantôt éparses au milieu d'autres herbes ou d'ar-
bustes qui recherchent, comme lui, les terres arides, tan-
tôt réunies en si grande quantité qu'elles constituent
presque la seule végétation sur des espaces considérables.
C'est surtout sur ces derniers points qu'on l'exploite à
cause de la facilité de la récolte. Celle-ci peut se faire en
tout temps; elle consiste simplement à tirer sur les feuilles
de manière à les détacher sans briser la tige qui les
porte.
On trouve de l'alfa dans presque toutes les régions
incultes et arides de l'est et du sud de la Tunisie; mais
son terrain de prédilection, celui où il existe en assez
grande abondance pour que sa récolte soit rapide et par
conséquent productive, répond à la partie de la Régence
80 LA TUNISIK
qui s'étend entre l'Oued-Zeroud au nord, le Sahel et Sfax à
l'est, la frontière algérienne à l'ouest, les cliotts El-Djerid et
El-Fedjedj au sud. Le maximum de la richesse en alfa cor-
respond à peu près au centre de l'espace dont nous venons
d indiquer les limites.
L'exploitation de l'alfa était autrefois entièrement libre
dans toute la Régence. Dans la région centrale il était
récolté et apporté à Sfax par les Neffet, les Zlass, les
Hammama, les Frechich. les Ouled Aïar, les Ouled Aziz et
les gens du Senet. Les Neffet le récoltaient au Gouleb, à Er-
Rehem, au Douara; les Zlass le récoltaient au Djebel-Si
Abi-ben-Naceur -Allah, au Djebel-Ledjebel, au Djebel-Si
El-Hafi, au Djebel- Sidi-Knelefa, à El-Hnordj, dans la par-
tie est du Djebel-Er-Rehem. Les Hammama le récoltaient
dans la partie ouest du Rehem, au Goubet, au Metlegel
Rhanga, au Djebel-Hanou, au Djebel-Kas-El-Aïn (Aïn
Faouar), au sud de Gamouda, au Djebel-Si-Ali-Ben
Aoun, au Djebel-El-Ameur, à Gammoura, au Djebel-Sekh-
del, à El-Achana, et jusqu'aux environs de Gafsa. Les
Frechich le récoltaient à l'Allong El Mekhilla, à Sbeitla,
à El-Achachim, au Djebel-Abiod. On en récoltait aussi
dans les environs de Chelba.
Les tribus nommées ci-dessus récoltaient et apportaient
l'alfa à Sfax en toute saison, sauf pendant les périodes
des semailles et des moissons. Sfax en recevait jusqu'à
10.000 tonnes par an.
L'alfa est une denrée avec laquelle chacun est toujours
siir de faire un peu d'argent; c'était donc principalement
le besoin de numéraire qui déterminait la plus ou moins
grande activité de la récolte de cette plante. Le prix de
l'alfa était, à Sfax, de cinq à sept piastres (3 francs à 4 fr. 20)
le quintal tunisien. Celui de Sbeitla, qui est plus fin et plus
long que celui des autres localités, se vendait jusqu'à trois
piastres (1 fr. 80) de plus.
Avant que la France eût assumé le protectorat de la
Tunisie, un Français, M. Duplessis, sollicita du gouver-
nement tunisien la concession du monopole de l'alfa dans
toutes les régions dont nous venons de parler. M. Rous-
l'agricli.ture INDIGKNE <S1
laii, alors consul général de France à Tunis, était préoc-
cupé par-dessus tout de donner à ses compatriotes une
situation prépondérante dans la Régence, et favorisait
autant qu'il était en son pouvoir toutes les opérations
d'ackat, de concessions de terrains ou de monopoles ten-
tés par des Français. C'est ainsi que furent créées les
grandes propriétés de l'Enfida et de Sidi-Tabet, qui
devaient jouer plus tard un rôle si considérable dans la
question franco-tunisienne. M. Roustan appliqua sa mé-
thode à la demande de M. Duplessis, et celui-ci obtint du
gouvernement tunisien, par décret du 13 juin 1881, la
concession du monopole de l'exploitation de l'alfa sur un
terrain qui comprenait, d'après l'article 1"'' du contrat de
concession signé le 14 juin 1882, « les montagnes dénom-
mées Djebel-Bou-Hedma au nord de la route de Gafsa;
Djebel-Madjourah, dans les Hammamas, sur la route de
Gafsa à Kairouan; Djebel Ayacha, Heddaj, au nord-ouest
de Bou-Hedma ».
La délimitation exacte était renvoyée à une époque
ultérieure par l'article 2 du môme contrat : « Un agent,
disait cet article, sera désigné par nous pour procéder à
la délimitation des exploitations, qui sera faite en présence
du concessionnaire ou de ses ayants droit ». Des décrets
du 18 août 1883 et du 21 décembre 1887 approuvèrent les
délimitations.
Soit que M. Duplessis se fût prêté à une manœuvre
habilement concertée d'avance, soit qu'il fût dominé par
la seule préoccupation du besoin d'argent, il vendait
bientôt sa concession à une Société anglaise. D'après les
limites adoptées par nos agents, la Compagnie se trouvait
avoir le monopole de l'exploitation de l'alfa dans toute la
partie de la Tunisie la plus riche en cette plante, et les
tribus nommées plus haut étaient dépossédées d'une très
importante source de revenus, car quoique la Compagnie
ne fût pas assez riche pour acheter tout l'alfa qu'elles
avaient l'habitude de récolter, elle leur interdisait de vendre
à d'autres (ju'à elle-même. D'un autre côté, n'ayant plus à
redouter aucune concurrence, elle abaissa considérable-
J.-l>. Df. La.nkssan. — La Tuiiisic. . tj
82 LA TUNISIE
menl k' prix de l'alfa qu'elle achetait. Enfin, établie à la
Skliira, près de Sfax, la Compagnie exigeait que tout
l'alfa fût apporté dans ce petit port, au détriment de Sfax.
« Une aussi profonde modification des conditions anté-
rieures de l'exploitation et du commerce de l'alfa, disais-je
dans la première édition de ce livre, ne pouvait manquer
d'apporter des perturbations considérables à la fois sur le
marché de Sfax et dans la vie des tribus qui se livraient
à cette industrie. Les commerçants de Sfax ne cessent de
faire entendre les plaintes les plus amères et les mieux
justifiées sur le mauvais état de leurs affaires. Quant aux
indigènes, d'après les renseignements que j'ai reçus, ils
ont déjà abandonné le pays et sont allés s'établir dans la
Tripolitaine. J'ai pu voir sur le marché de Tripoli un
grand nombre de chameaux chargés d'alfa et conduits par
des indigènes qui m'étaient désignés par des personnes
compétentes comme ayant abandonné la Tunisie. Leur
alfa venait-il de leur ancienne patrie? l'avaient-ils récolté
dans les déserts qui entourent Tripoli? Il serait bien diffi-
cile de répondre à cette question, mais ce qui ne fait
aucun doute pour les hommes les plus autorisés, c'est
que, depuis quelque temps, le marché aux alfas de Tri-
poli augmente d'importance, tandis que celui de Sfax est
en grande partie ruiné. » J'insistais pour que l'on trou-
vât un moyen légal de supprimer la concession Duples-
sis.
Une entière satisfaction ne tarda pas à être donnée à ce
vœu. Un décret beylical du 31 juillet 1887 résilia la con-
cession, en s'appuyant sur ce que le concessionnaire
n'avait pas exporté le minimum de 10.000 tonnes prévu
par son contrat. Une circulaire du premier ministre, en
date du 11 août 1887, rétablit le principe de la liberté de
l'arrachage et du trafic dans la Régence. Depuis lors, ce
principe a été constamment respecté, malgré dé très
nombreuses demandes de concessions de terrains alfa-
tiers.
Les principaux chantiers d'alfa sont situés le long de
la voie ferrée de Gafsa à Sfax (Sened, Maknassy) et
L AGRICULTURE INDIGÈNE 83
d'Henchir Souatir à Kairouan (Kairouan, Sbeïtia, Hadjeb-
el-Aïoun) et l'exportation se fait par les ports de Sousse,
Sfax, la Skhirra et Gabës.
La presque totalité de l'alfa exporté va en Angleterre
oij l'on fabrique beaucoup de papier avec cette matière.
En 1913, il a été exporté en totalité 493.195 quintaux
d'alfa, dont 439.949 quintaux à destination de l'Angleterre
et 47.164 à destination de la France.
I VIII. — L'élevage du bétail (Boeufs, moutons,
CHÈVRES, chevaux)
L'élevage des bœufs, des moutons, des chèvres, des
porcs occupe en Tunisie, malgré la rareté des pâturages,
une place considérable dans les préoccupations des indi-
gènes. Les chameaux, les chevaux, les ânes et les mulets,
existent aussi en assez grand nombre, mais sans avoir la
même importance que les précédents.
D'après la statistique officielle de 1912, il y avait dans
toute la Tunisie, y compris les établissements agricoles
européens, au 31 décembre 1911, les nombres suivants
d'animaux domestiques :
Chevaux 39.941
Anes 86.951
Mulets 13.239
Bovins 191.430
Caprins 468.828
Ovins 686.730
Porcins 17.898
Chameaux 110.707
Les bœufs appartiennent à la même race que ceux de
l'Algérie : ils sont de petite taille, mais très bien faits, avec
le mufle et le dessus du cou noirâtres, les cornes peu
développées et élégamment recourbées sur la tête. Les
vaches donnent peu de lait. Les bœufs s'engraissent diffi-
cilement. C'est surtout dans le nord et le centre de la
Régence que les bœufs abondent. Dans les régions de Béja,
du Kef et du cap Bon, il en existe une race jouissant de
84 LA TUNISIE
qualités spéciales et qui pouiraient servii' à la formation
d'une variété mieux [étofléc, s'en*^raissant mieux, etc., (juc
la race commune.
Les chevaux appartiennent à la race arabe; ils sont
généralement de petite taille, mais trës résistants, très
dociles et propres à tous les services. On a commencé
avec succès un croisement de la race locale avec le pur
sang arabe. Les indigènes profitent très volontiers pour
leurs juments des étalons mis à leur disposition dans des
stations de remonte dont le nombre va sans cesse en
augmentant.
Les mulets et les mules sont, depuis une époque reculée,
très appréciés par les indigènes. Un équipage de belles
mules était un luxe recherché par les riches Tunisiens.
Afin d'améliorer la race, qui est petite mais très robuste,
l'administration du protectorat a commencé de mettre à
la disposition des indigènes des baudets-étalons du Poi-
tou et des Pyrénées, notamment dans la région de Béja
où l'élevage du mulet est particulièrement pratiqué, et
dans celles de Teboursouk, Mateur, Zaghouan, environs
de Tunis, etc.
Les chameaux sont, à proprement parler, des droma-
daires ou chameaux à une seule bosse. Ces animaux sont
surtout très nombreux dans le sud de la Tunisie, où ils
font à peu près tous les transports de quelque impor-
tance.
Les ânes existent dans presque toutes les familles tuni-
siennes, si pauvres qu'elles soient. Ce sont des animaux
de très petite taille, mais robustes et plus sobres encore
que le chameau, si la chose est possible. C'est à eux
qu'incombent toutes les corvées domestiques; c'est avec
eux que les femmes vont chercher de l'eau aux puits, que
les hommes portent au marché leurs denrées; ce sont
eux qui transportent au village tous les produits des jar-
dins et des champs, le maïs, la luzerne pour les moutons
et les bœufs, le blé et Forge qui viennent d'être moisson-
nés; c'est à eux encore que revient le soin de transporter
le matériel restreint des ménages qui émigrent. L'âne est.
l/Ar.RICULTURE INDIGKNK 85
enfin, le coursier des gens pauvres. L'indigène ne
demande guère au cheval et même au mulet et. à la mule
que de porter son maître ou de traîner les voitures et les
arabas (petites charrettes du pays): c'est à l'àne et au cha-
meau qu'incombent tous les transports faits à dos d'animal.
Quant aux labours, les indigènes les font toujours avec
des bœufs ou des chameaux.
Les moutons appartiennent tous à la race à grosse queue
qui, on le sait, est peu estimée en France. On a fait des
essais en vue de l'introduction du mouton à queue fine
d'Algérie que l'on croiserait avec le mérinos de la Crau ;
mais on n'en est encore qu'aux premières expériences.
Les indigènes utilisent la plus g'rande partie de la laine de
leurs moutons pour le tissage des vêtements de laine.
Les chèvres indigènes ressemblent à celles de la Nubie.
Les indigènes les élèvent surtout pour la viande, et font
des tapis ou des manteaux avec les peaux recouvertes de
leurs poils.
Les animaux dont nous venons de pai-ler sont presque
tous élevés par les indigènes en plein air. Les chevaux
seuls sont souvent abrités sous de petits hangars en bran-
chages. Quant aux chameaux, aux ânes, aux bœufs, aux
moutons et aux chèvres, ils vivent constamment dehors.
11 résulte de cette manière de faire que les indigènes sont
entièrement privés de fumier.
Les pâturages sont, il faut le dire, dans la majeure par-
tie du pays, d'une extrême maigreur. Les seuls lieux
dans lesquels existent des prairies sont les bas-fonds
situés sur le cours d'un petit nombre de rivières : nous
citerons les plaines que traverse le cours inférieur de
la Medjerdah, entre Utique et Porto-Farina, celles qui
bordent les parties les plus basses de l'Oued Miliane, et,
près de Soliman, les plaines qui entourent lOued Bézirh,
au point où il va se déverser dans le golfe de Tunis. Plus
au sud, citons quelques parties basses de l'Enfida, le
pourtour du lac Kelbia, entre Sousse et Kairouan, etc.
Partout ailleurs, les troupeaux paissent, pendant l'hiver,
dans les terres laissées en jachères et dans les parties
86 LA TUNISIE
tout à lait incultes du pays. Dans le Nord, p:râce aux pluies
relativement abondantes pendant cette saison, les animaux
trouvent alors assez facilement à vivre. Pendant l'été, il
en est autrement. Afin de leur ménai^er une ressource, les
indigènes ont soin de couper les orges et les blés à vingt
centimètres environ au-dessous de l'épi, de manière à
laisser sur le sol un chaume très haut. Dès que les mois-
sons ont été enlevées on mène paître les troupeaux dans
les champs de blé et d'orge où ils trouvent, avec les
chaumes dont nous venons de parler, une certaine quan-
tité d'herbes épargnées par la faux du moissonneur. Jusque
vers le milieu du mois de juillet, les animaux ont ainsi à
peu près de quoi vivre ; mais le soleil grille peu à peu les
herbes et le sol, et, du lo juillet au milieu de septembre,
ils n'ont plus rien à se mettre sous la dent que quelques
touffes d'herbes aussi dures que desséchées, et les feuilles
des arbustes. On a peine à imaginer comment font les
bœufs, les moutons et les chèvres pour vivre pendant ces
deux mois. Quant aux chevaux, on leur donne de l'orge
et quelques fourrages verts.
Si l'alimentation du bétail est très difficile dans le Nord
pendant l'été, elle est tout à fait impossible dans le Sud,
où les pluies sont très rares. Aussi voit-on les habitants du
Sud remonter vers le Nord, avec leurs troupeaux de cha-
meaux, de moutons, de chèvres, de bœufs, à mesure que la
sécheresse envahit leurs terres.
Notons qu'en Tunisie, le pâturage n'est libre que sur
les points où l'absence totale de culture fait de la terre une
propriété commune, ou plutôt beylicale, par exemple sur
les montagnes et les collines qui n'ont jamais été cultivées,
ou qui ne le sont plus de temps immémorial, et dans les
forêts qui sont propriétés beylicales.
Partout ailleurs, le droit de pâturage n'est concédé que
moyennant une redevance pavée au propriétaire, en
nature; celle-ci est ordinairement d'un mouton ou d'une
chèvre pour cent. Beaucoup de propriétaires ajoutent
ainsi à leurs autres revenus des dîmes importantes, sans
aucun frais, et en bénéficiant de la fumure, peu abon-
i/agriculture indigène 87
danle, il est vrai, que laissent les troupeaux sur leurs
terrains.
L'élevag:e des animaux domestiques n'est Tobjet, de la
part des indigènes, que de peu de soins. Gela est vrai, non
seulement pour les moutons, les chèvres et les bœufs, mais
même pour les ânes, les chameaux et les chevaux. On laisse
les animaux s'accoupler librement, sans se préoccuper du
choix des producteurs; quant aux agneaux, aux chevreaux,
aux génisses et aux veaux, ils se tirent d'affaire comme
ils le peuvent ; personne ne s'occupe de leur alimentation ;
personne non plus ne se donne la peine de fixer l'âge oîi
ils commencent à se reproduire. Beaucoup sont tués chaque
année par le froid ou la pluie. Les races ont diminué de
taille, de force et de valeur. L'administration a déjà pris
quelques mesures pour remédier à ces vices ; elle aide
notamment à la création d'abris pour le bétail.
L'élevage des porcs n'est guère pratiqué que dans les
régions forestières du nord de la Régence où ces animaux
trouvent à se nourrir de glands, dans les forets. On sait que
le même élevage aux dépens des fruits des arbres des
forêts a été pratiqué de tout temps en Europe. Chez les
Mogods et les Kroumirs, ainsi qu'aux environs de Tabarka
et d'Aïn-Draham, l'État loue aux indigènes le droit de faire
pacager les porcs dans les forêts.
Les indigènes élèvent une grande quantité de volailles
ou pour mieux dire de poules et de coqs qui appartiennent
à une variété assez analogue à la variété la plus commune
de notre pays. Ces volailles vivent d'ailleurs comme elles
peuvent dans les champs et ne sont l'objet d'aucun soin.
L'apiculture est aussi fort en honneur parmi les indi-
gènes de la Tunisie, depuis une époque très reculée. Elle
est favorisée par la grande abondance des plantes el
arbustes à fleurs mellifères, telles que le thym, la lavande,
le romarin, les genêts, les cistes, les oliviers, etc., et par
la grande quantité d'essaims sauvages qui vivent dans les
vieux troncs d'arbres, particulièrement dans ceux des
antiques oliviers. Dans l'Enfida, les habitants des villages
berbères se livrent particulièrement à la chasse de ces
88 l,A TUNISIF.
essaims (|u'ils vendent aux indigènes apiculteurs ou qu'ils
éIèv<Mit eux-mêmes. Le miel et la cire provenant des
abeilles élevées par les indigènes sont d'excellente qualité
et font l'objet d'une très importante consommation dans
le pays même. On a commencé à exporter le miel dans
la proportion d'environ 10.000 kilog"rammes par an, et la
cire dans la proportion d'environ 150.000 kilogrammes,
valant, à Tunis, de 3 francs à 3 fr. 50 le kilogramme. Les
cires tunisiennes passent pour être d'excellente qualité.
§ IX. — L'agriculture indigène
ET LES SOCIÉTÉS INDIGÈNES DE PRÉVOYANCE
Dans tous les pays du monde, l'un des obstacles les
plus sérieux au développement de l'agriculture réside dans
l'insuffisance des ressources financières dont jouissent la
plupart des agriculteurs, surtout dans les régions oii la
propriété est très divisée, dans celles où les récoltes sont
rendues incertaines par les conditions climatériques et
aussi dans celles dont la valeur des produits du sol est
faible.
En Tunisie oii les agriculteurs indigènes sont soumis à
ces trois causes d'infériorité, le manque d'argent est une
règle sous laquelle tous sont à peu près également courbés.
Dès que la récolte est mauvaise, l'indigène est obligé
d'emprunter pour faire les semailles et de subir le taux
d'intérêt qu'il plaît à son prêteur de lui imposer. Le taux
normal pour ces sortes de prêts est de 35 à 50 pour cent,
mais il n'a pas de limites et varie avec l'intensité des
besoins de l'emprunteur. M. Alapetite a cité à la tribune
de la Chambre le cas d'un magistrat de Tunis qui avait
vu payer devant lui un contrat oiî était stipulé un intérêt
de 250 pour cent.
Dans le but de faire disparaître ce vice, qui est l'une
des principales causes de la misère de l'agriculteur indi-
gène, le protectorat a institué, au cours des dernières
4. Voir au Journal officiel. Discours du 26 janvier i912.
l/ AGRICULTURE INDIGÈNE 89
années, des « Sociétés indigènes de prévoyance » dont le
« fonctionnement est ol)ligatoire poui" les indigènes » et
dont les « ressources sont alimentées par des centimes
additionnels à l'impôt direct ». M. Alapetite, parlant de
ces sociétés à la tribune de la Chambre, ajouta : « Les
Sociétés de prévoyance font l'avance, au prix coûtant, aux
indigènes, des semences dont ils ont besoin si l'année a
été mauvaise, ou même, quand l'année a été bonne, si
l'indigène a eu l'imprévoyance de se démunir de sa récolte
avant le moment de semer ; il a ainsi le grain nécessaire
sans devenir pour cela le prisonnier de l'usurier. [Très
bien! très bien!) Malheureusement, les premières années
qui ont suivi l'institution des Sociétés de prévoyance indi-
gènes ont été très mauvaises, en sorte que, chaque fois,
la somme accumulée par les cotisations des indigènes a
été absorbée par les prêts de semences, ce qui nous a
interdit de fonder sur cette institution nouvelle des
œuvres d'une autre portée que nous avions déjà conçues.
L'année 1911 a été heureusement très favorable. 11 a plu
beaucoup. Nous n'avons pas eu à faire de prêts de
semences, et nous avons ainsi pu disposer des sommes
considérables qui étaient déjà dans la caisse des Sociétés
de prévoyance. Nous en avons profité pour instituer tout
de suite le prêt à long terme au profit des agriculteurs
indigènes. [Très bien! très bien!) Nous n'avons pas pu le
faire tout de suite partout.
« Je nai pas besoin de faire remarquer que c'est une
œuvre délicate, qu'il est indispensable d'approprier aux
habitudes spéciales de chaque région. Nous avons com-
mencé par les régions oii la propriété indigène était le
mieux et le plus nettement assise, oij, par conséquent, le
gage à offrir était le plus simple. Et nous avons imaginé
là, mettant à profit les habitudes de solidarité de la popu-
lation indigène, un mode de gage qui remplace très heu-
reusement les signatures multiples que l'on demande dans
la métropole. Nous avons décidé que tout contribuable
appartenant à la Société indigène de prévovance du Djerid
serait solidaire de ses compatriotes jusqu'à concurrence
90 LA TUNISIE
de deux années du principal de l'impôt direct qu'il paye.
Nous espérons bien que colle g-arantie ne jouera pas, mais
elle nous a suffi pour obtenir des élablissements de crédit
qu'ils missent à noire disposition les sommes dont nous
avions besoin. Déjà, la Société indigène du Djerid est
saisie de demandes de prêts à long terme pour plus de
500.000 francs. 11 ne s'agit pas, croyez-le bien, messieurs,
d'un stimulant donné à cette population indigène pour
l'amener à emprunter, alors qu'auparavant elle n'en aurait
pas senti le besoin. Il s'agit, au contraire, pour elle, de se
rédimer des dettes anciennes, qui pesaient si lourdement
sur elle. Nous allons continuer. Nous avons déjà étendu
l'institution des Sociétés de crédit à plusieurs autres con-
trôles, à plusieurs autres caïdats. Nous sommes assurés
que les idées de saine raison économique se propageront
de plus en plus dans la population indigène et aussi, en
attendant que les usuriers disparaissent, que nous allons
faire baisser considérablement le taux de leurs prétentions.
On me disait dernièrement que, dans la petite ville de
Souk-el-Arba, tout près de la frontière algérienne, où il y
a une population considérable d'immigrants kabyles, qui
pratiquent l'usure, ces Kabyles avaient été obligés de
repasser la frontière, ne faisant plus leurs affaires. Ils ne
pouvaient plus placer leur argent à assez gros intérêts. »
[Très bien! très bien!)
M. Alapetite ne pouvait pas dire à la Chambre que la
création des Sociétés indigènes de prévoyance est son
œuvre et marqua l'esprit de la politique qu'il se proposait
d'appliquer aux indigènes. Le décret qui a créé ces Sociétés
est du 20 mai 1907. (M. Alapetite avait pris possession de
la résidence générale le 7 février 1907.) Il assigna aux
Sociétés indigènes de prévoyance le rôle complexe que
voici :
1" Permettre à leurs adhérents, par des prêts en
argent ou en nature, de faire leurs ensemencements, de
développer et d'améliorer leurs cultures et leurs planta-
tions, leur outillage agricole et leurs troupeaux ;
2° Venir en aide, par des secours temporaires, aux
l'agriculture indigène 91
indigènes pauvres, cultivateurs ou ouvriers, gravement
atteints par les maladies, les accidents, les calamités agri-
coles, les épizooties, etc.
3" Contracter des assurances collectives contre l'incen-
die, la grêle, etc. ;
4" Grouper leurs membres en associations coopératives
d'achat et de vente.
Un décret du 11 janvier 1911 autorisa, en outre, les
Sociétés indigènes de prévoyance à consentir à leurs
membres des prêts hypothécaires à court ou à long terme.
Les emprunteurs peuvent ainsi non seulement se procurer
les semences dont ils ont besoin, mais améliorer leurs plan-
tations ou en créer de nouvelles, acheter des outils ou des
animaux et, d'une manière générale, perfectionner les
conditions de leurs exploitations agricoles.
Le but principal des Sociétés indigènes de prévoyance
étant d'assurer des semences au.v agriculteurs indigènes,
il leur a été imposé l'obligation de réserver constamment
une partie de leur encaisse pour faire face aux demandes
d'avances pour semences. Le montant des prêts consentis
pour quelque objet que ce soit ne peut pas excéder
60 p. 100 de la valeur des biens offerts en gage.
L'État consent aux Sociétés de prévoyance indigènes et
aux associations coopératives d'achat et de vente, des
avances, non productives d'intérêts, dont le montant,
pour les sociétés de prévoyance, peut s'élever jusqu'à
500.000 francs.
D'autre part, alin de permettre à ces Sociétés de faire
des prêts hypothécaires, il a été décidé par le décret de 1911
que l'Etat pourrait leur faire des avances générales, préle-
vées sur les redevances annuelles de la Banque de l'Algé-
rie, à concurrence de la moitié du total cumulé de ces
redevances, l'autre moitié étant réservée aux œuvres de
mutualité créées par les Français et ouvertes aux indi-
gènes. Le même décret autorise les Sociétés de pré-
voyance indigènes à contracter des emprunts auprès de
tiers agréés par le gouvernement, en déposant comme
gage tout ou partie de leur actif.
92 LA TUNISIE
De 1007 à 19H, les Sociétés de prévoyance avaient
réparti entre leurs adliérenls pour 4 millions de prêts de
semences de céréales. En 1912, elles en ont réparti pour
environ 2 millions de francs.
Les dispositions du décret du 2(5 janvier 1911 ont été
d'abord appliquées dans le Djerid, puis étendues aux con-
trôles civils de Sousse et de Souk-el-Arba. Elles seront
ultérieurement appliquées dans les autres régions de la
Régence. Dans le Djerid où le taux des intérêts était de
40 à 50 p. 100, l'application du décret de 19H a fait
tomber le taux à des chiffres normaux. 11 a, pendant la
guerre, beaucoup contribué au soulagement des misères
qu'elle a déterminées.
I X. — L'enseignement agricole, pour les indigènes
L'organisation dont les écoles primaires indigènes sont
dotées depuis quelques années, en Tunisie, pourrait être
utilement consultée par notre Ministère de l'instruction
publique, car elle tend à faire des petits Tunisiens non
point des mandarins comme le deviennent les meilleurs
élèves de nos écoles primaires, mais des agriculteurs ou
des ouvriers. Dans le Rapport au président de la Répu-
blique pour 1909, je lis avec un véritable plaisir ce qui
suit : « Des notions de culture sont données dans la plu-
part des écoles de l'intérieur, un certain nombre sont
pourvues d'un jardin et d'un petit champ de démonstra-
tion; l'instituteur y établit la supériorité des méthodes
culturales modernes sur les procédés indigènes... Des
jardins scolaires ont été acquis à Kebili, à Foum-
Tatahouine, à Djerba, etc. On s'efforcera d'y faire réussir
la culture des légumes et des primeurs qui peut être une
source de richesse pour la région des oasis ». Il s'agissait,
on le voit, d'une œuvre naissante.
L'utilité, la nécessité même en était établie dans les
lignes suivantes du rapport, que l'on peut recommander à
la méditation de la direction métropolitaine de l'enseigne-
ment primaire car elles s'appliquent à un grand nombre
i/aHRICULTURK INDKiKNK 93
de nos paysans ol surtout à leur progéniture : « La géné-
ralisation de ces etl'orts s'impose avec un intérêt d'autant
plus pressant que l'agriculture est en général tenue en
piètre estiiiie par la partie aisée de la classe indigène qui
préfère les carrières administratives ; on voit trop souvent
des fils de gros agriculteurs renoncer à cultiver eux-
mêmes pour ne pas s'astreindre aux travaux des champs
considérés comme serviles. Un fait typique en passant :
quelques élèves d'une école du Sud, au moment où il fut
question de leur donner un enseignement horticole pra-
tique dans le jardin scolaire, proposèrent à leur maître de
faire faire le travail pai* leurs khammès. Seule l'école, par
l'action à longue échéance qu'elle exerce, parait pouvoir
entreprendre cette réhabilitation de la terre et arriver à
remplacer, dans un laps de temps qui sera peut-être consi-
dérable, le fellah d'aujourd'hui, obstiné dans son igno-
rance, par un ouvrier agricole conscient de la supériorité
de nos procédés de culture.
« Si le zèle des instituteurs actuels est à la hauteur de
cette tâche, si d'autre part il est relativement facile de
préparer pour l'avenir un personnel possédant toutes les
connaissances techniques nécessaires en faisant suivre
aux élèves-maîtres les cours d'agronomie professés au
collège Alaoui, l'instrument premier de cette réforme par
l'enseignement, le livre, fait encore défaut; mais des
démarches sont entreprises pour doter la clientèle indi-
gène de nos écoles d'un manuel d'agriculture pratique et
concis qui pourra d'autre part, une fois traduit en arabe,
être répandu dans les milieux agricoles et contribuer à
l'instruction des adultes. »
Le rapport de 1910 prouve que M. Alapetite poursuit
avec ténacité son but et tient à faire de l'école primaire
tunisienne une institution essentiellement sociale, pra-
tique et utile aux indigènes dans tout le cours de leur
existence. On y lit, en effet, ce qui suit : « On s'est atta-
ché à multiplier le nombre des jardins scolaires^ étan^
entendu qu'il ne s'agit plus de menus enclos consacrés à
la production de quelques fleurs, mais de véritables petits
94 LA TUNISIE
cliamps d'expériences, ou tout au moins de démonstration,
pouvant servir à l'instruction des indigènes adultes comme
à celle des élèves. Actuellement, sur 48 écoles rurales
fréquentées par une majorité d'mdigènes, 36 possèdent
des jardins.
« L'effort a surtout porté sur le Sud où nos établisse-
ments scolaires doivent jouer un rôle éducatif d'autant
plus grand qu'ils sont plus clairsemés, et qu'ils repré-
sentent à peu près le seul instrument dont nous puissions
nous servir pour civiliser des populations encore très
arriérées. Des obstacles sérieux ralentissent d'ailleurs
l'exécution complète du programme d'enseignement agri-
cole qui conviendrait à ces régions : il est difficile de
trouver près des écoles des terrains convenables, les for-
malités d'acquisition sont longues et compliquées et l'irri-
gation est un problème toujours malaisé à résoudre. A
l'heure actuelle, en dehors de El-Adjim, Ben-Gardane,
Chenini, Houmt-Souk, Foum-Tatahouine, El-Hamma,
Kebili, Médenine, Nefta, qui possèdent des jardins, trois
centres plus importants ont été créés à Gabès, Gafsa et
Zarzis. Dans chacune de ces oasis un grand champ d'expé-
riences a été acquis par la Direction de l'Agriculture, une
partie en a été cédée à celle de l'Enseignement, et des
notions pratiques y sont données, soit par l'instituteur,
soit par un jardinier, aux enfants des écoles et aux
adultes, pour lesquels des conférences spéciales sont
organisées. On s'efforce d'amener les indigènes à la cul-
ture des primeurs, et on leur enseigne les procédés de
l'arboriculture, deux sources d'enrichissement possible
pour les oasis.
« Dans le Nord, où la colonisation française est établie,
des essais d'apprentissage agricole cliez des colons de
bonne volonté ont été tentés. Quelques exemples peuvent
être cités de ce qui a été fait dans cette région. A Grom-
balia, quatre jeunes gens qui suivent les cours de l'école,
choisis parmi les fils de cultivateurs, ont été placés ciiez
des colons du voisinage. Ils s'y rendent trois fois par
semaine, le matin, et effectuent, tour à tour, sous la direc-
L AGRICULTURE INDIGENE 95
tion du chef de l'exploitation, tous les travaux agricoles.
A leur rentrée en classe, le maître leur enseigne la théo-
rie des notions pratiques acquises à la ferme. Une tentative
du même genre a été organisée à Béjà. On s'occupe de
faire un essai semblahle à Zaghouan. A Soliman, pays de
terres fertiles et de culture maraîchère intensive, l'institu-
teur s'est fait donner par un gros cultivateur indigène la
disposition d'une partie de sa propriété jusque-là cultivée
à l'Arabe. Aidé par ses élèves, il l'a transformée en un
véritable champ d'expériences ; il cultive, remet au proprié-
taire les fruits de l'exploitation, bien supérieurs aux pro-
duits des terres voisines, et convoque périodiquement les
notables de la localité à cette démonstration éclatante de la
supériorité des cultures modernes.
« Dans le Sahel, deux anciens élèves de Lansarine,
nommés moniteurs de culture, ont été affectés, chacun à
un groupe d'écoles rurales dont ils doivent visiter tour à
tour les jardins.
« La réorganisation de l'école d'agriculture indigène
de Lansarine a permis de fonder à Smindja, près de Zag-
houan, avec le concours de Tadministration des Habous,
la ferme-école de Sidi-Nasseur, ouverte en octobre 1914.
C'est une école spéciale d'agriculture, annexée à une
exploitation modèle, oi^i l'on complète les notions agricoles
élémentaires données dans les écoles franco-arabes. On
se propose, par un enseignement d'un caractère avant tout
pratique, de former une élite d'agriculteurs indigènes,
recrutés parmi les fils de propriétaires fonciers musulmans,
en leur montrant comment améliorer les méthodes des
cultivateurs indigènes et par là comment augmenter le
rendement des terres. La durée des études est de trois ans ;
les promotions se composent chacune d'une vingtaine
d'élèves. »
L'administration a dû, en effet, se préoccuper d'ad-
joindre aux instituteurs des jardiniers ayant les connais-
sances techniques que la pratique seule permet d'acquérir.
On lit, à cet égard dans le Rapport au président de la
République pour 1912 : « En organisant l'apprentissage
90 LA TUNISIE
agricole dans certains jardins d'essais, radministralion
compte bien que les futurs jardiniers à adjoindre aux ins-
tituteurs des écoles rurales pourront se recruter parmi les
jeunes gens qui font aujourd'hui cet apprentissage à Tunis,
Kairouan, Sousse <'t Gabt'S, ainsi qu'à Sfax oij une section
d'apprentis a été constituée au jardin d'essais dansles mêmes
conditions qu'à Tunis. En décembre 1912, l'effectif total
de ces diverses sections d'apprentissage agricole s'élevait
à 55 apprentis, dont 25 àGabès... On peut, dès maintenant,
prévoir le moment prochain oi^i la section agricole de
Gabès — avec internat — constituera, pour l'Extrême-
Sud, le centre où les indigènes viendront s'initier à la
culture en oasis. Peut-être deviendra-t-elle un jour la
pépinière où pourront se recruter les moniteurs agricoles
et les jardiniers indigènes à adjoindre aux instituteurs
ruraux du Sud ».
D'après le même Rapport : « A la fin de 1912, sur
76 écoles de garçons fréquentées par une majorité d'indi-
gènes, dont 67 écoles rurales, 50 de ces dernières possé-
daient des jardins ou champs' d'expériences représentant
une superficie totale de 31 hectares ».
L'organisation de l'enseignement pratique, dans les
écoles de la Tunisie, se poursuit donc activement d'année
en année, pour le plus grand profit des indigènes et de
l'agriculture indigène.
Il importe de noter que les indigènes ne sont pas du tout
rebelles à l'adoption des procédés de culture et de l'outil-
lage agricole des Européens. Les colons se félicitent géné-
ralement des services qui leur sont rendus par leurs
ouvriers et employés indigènes. Ceux qui ont bien voulu
s'en donner la peine sont parvenus à leur faire faire la plu-
part des besognes qui, au début de la colonisation, étaient
exécutées par des Européens. M. Coeytaux dit au sujet de
l'adoption par les indigènes de nos procédés de culture : « Je
constate aussi que les indigènes ne sont pas réfractaires au
progrès; ils ont constaté que les bonnes cultures étaient
préférables à celles rudimentaires qu'ils ont pratiquées
jusqu'à ce jour. Plusieurs fellahs m'ont chargé de leur
L AGRICULTURE INDIGÈNE 97
procurer des charrues vigneronnes ; maintenant il y a autour
de chez moi plus de 30 de ces instruments. Ils ne se sont
pas encore mis aux labours de printemps, mais cela viendra
peut-être bientôt ' «.
1. Voir : G. Loth, L'Enflda et Sidi-Taôel, p. la'i.
J.-L. Dk La.nkss.vn. — La Tiiui:
CHAPITRE V
L'INDUSTRIE INDIGÈNE
Un jjKLil (lire (jue, sans être abàoluiiienl nulle, Tinduslrie
indigène est aussi rudimentaire que possible.
L'huilerie est, de beaucoup l'industrie indigène la plus
importante; c'est celle dont la transformation par les
Européens était susceptible de donner les résultats les plus
immédiats; aussi est-ce vers elle que se sont portés les
premiers eflbrts de nos compatriotes.
L'installation d'une huilerie indigène est aussi simple
que possible. Elle se compose essentiellement d'une
chambre obscure pour conserver les olives, d'un moulin
et d'une presse. Aussitôt après la récolte, on entasse les
olives dans la chambre obscure, en ayant soin de faire
alterner une couche d'olives avec une couche de sel. On
laisse mariner les fruits pendant trois ou quatre mois.
Sous l'action combinée du ramollissement qu'elles subissent
et du sel avec lequel on les a mélangées, les olives per-
dent une grande partie de leur eau; celle-ci s'écoule par le
fond de la chambre obscure dans un réservoir creusé au
dehors en entraînant une petite quantité d'huile qui flotte,
en vertu de sa moindre densité, à la surface de l'eau où
l'on a soin de la recueillir. Ajoutons que les olives moi-
sissent et fermentent, et que l'huile contenue dans leurs
tissus devient plus ou moins l'ance avant même d'avoir été
extraite.
Lorsqu'on estime la perte d'eau suffisante, c'est-à-dire
au bout de trois ou quatre mois, on met les olives dans le
moulin. Celui-ci se compose d'une simple auge en pierre
I.INDUSÏRIE INDIGÈNE 99
dans laquelle tourne une meule verticale mue par un
homme, un cheval, un chameau ou un âne. La meule
broie à la fois la pulpe et le noyau, au grand détriment de
la saveur de l'huile, qui, du reste, comme nous l'avons
dit, est déjà rance.
La pulpe obtenue par le broyage est mise dans des sacs
en Jonc et soumise à une presse à vis en bois assez sem-
blable par la forme à celles dont on fait usage en France.
Souvent la presse se compose simplement de deux pièces
de bois dont l'une est pressée contre l'autre par un levier
formé d'un tronc d'arbre. J'ai particulièrement remarqué
ce système rudimenlaire dans les montagnes des Matmatas.
Quelle que soit, d'ailleurs, la presse employée, elle est
toujours trop faible pour extraire de l'olive toute l'huile
qu'elle contient, et les marcs ou grignons qu'elle laisse
sont assez riches en huile pour être susceptibles de donner
de beaux bénéfices à celui qui sait les utiliser.
Dans les environs de Tunis, le gouvernement fournis-
sait autrefois les moulins à huile ; on peut même dire que
les propriétaires étaient obligés d'aller faire moudre et
presser leurs olives dans des huileries gouvernementales.
Cette méthode avait été adoptée afin de faciliter la percep-
tion des impôts. En effet, au moment de la trituration des
olives, le fermier de l'achour percevait 11 p. 100 en
nature sur le pi'oduit fabriqué.
Le gouvernement tunisien a cessé de fournir les moulins
à huile. Il y a beaucoup d'huileries modernes en Tunisie,
même chez les indigènes.
Dans les parties de la Tunisie où l'impôt des oliviers est"
payé par pied d'arbre, comme dans le Sahel, la fabrication
de l'huile est entièrement libre ; le propriétaire paie à l'in-
dustriel qui broie ses fruits, sous sa surveillance, une cer-
taine redevance calculée d'après leur poids au moment de
la trituration. La diminution de poids que subissent les
olives en perdant leur eau pendant la macération dont nous
avons parlé plus haut, entraînant une diminution propor-
tionnelle de la redevance due au moulinier, il est probable
que l'intérêt est la cause principale de l'habitude qu'on
iOO LA TUNISIE
les indigènes de faire macérer leurs olives avant d'en
extraire lliuile. Il me parait, en eifet, dit'lieile de croire
que cette habitude résulte d'un goût particulier qu'ils
auraient pour l'huile rance. Quoi qu'il en soit, ils y restent
fidèles, même dans les lieux oii les Européens mettent à
leur disposition des moyens perfectionnés de fabrication.
« J'ai pu voir, disais-je dans la première édition de ce
livre, près de Tunis, une usine mue par la vapeur dans
laquelle les Arabes portent leurs olives à triturer, et où Ton
a dû mettre à leur disposition des chambres de macéra-
tion. En modifiant la base de la redevance pour la fabri-
cation, en la faisant payer, par exemple, d'après la quantité
d'huile obtenue et non d'aprjs le poids des olives, on
amènerait peut-être les indigènes à renoncer à un procédé
qui rend leur huile absolument impropre à l'alimentation
des Européens. Mais il est encore préférable de créer des
huileries perfectionnées, achetant les olives aux proprié-
taires indigènes. » C'est ce qui s'est produit.
La tannerie est, après l'huilerie, l'industrie indigène la
plus importante de la Tunisie. Elle n'est, d'ailleurs, pas
moins rudimentaire que la précédente. Les écorces tan-
nantes employées sont surtout celles du pin d'Alep et du
grenadier. Les fosses ou cuves dont on fait usage en Eu-
rope pour le traitement des peaux par la chaux d'abord,
et par les écorces tannantes ensuite, sont remplacées par
des jarres d'une contenance d'environ centcinquante litres.
On débarrasse les peaux de la chaux qu'elles ont absorbée
en les traitant par de la fiente de chien ; le lavage des peaux
est fait à l'eau salée ; quant au tannage proprement dit, il
y est procédé à l'aide d'un extrait liquide d'écorce de gre-
nadier ou de pin d'Alep. On teint ensuite les cuirs en jaune
ou en rouge pour la fabrication des babouches. A Tunis,
à Sfax, et dans quelques autres villes, la tannerie offre une
certaine importance, mais partout elle emploie les mêmes
procédés. Ceux-ci, en élevant le prix de la main-d'œuvre,
donnent au produit une valeur qui ne lui permet pas de
lutter contre les cuirs européens. La plupart des Tunisiens
riches ont, d'ailleurs, renoncé aux babouches jaunes ou
L INDUSTRIE INDIGÈNE 101
rouges de leurs ancêtres et portent des pantoufles ou des
souliers fabriqués avec un cuir verni, d origine française
ou italienne.
« Rien ne serait plus aisé, disais-je dans la première
édition de ce livre, que de créer en Tunisie des tanneries
perfectionnées. Un tan d'excellente qualité serait fourni par
Fécorce des chênes du Nord de la Réo^ence ; quant aux
peaux de bœufs, de moutons, de ciievreaux, etc., elles sont
très abondantes.
La troisième industrie indigène de quelque importance
est la teinturerie. Celle de Zaghouan, pour les chéchias,
était la plus renommée. On attribuait la qualité de ses pro-
duits àTeau qui descend des montagnes s'élevant derrière
la ville. Aujourd'hui il n'y "a plus de teintureries à
Zaghouan.
A Sfax il existe des teinturiers indigènes qui teignent
chaque année une grande quantité de cotonnades dont la
majeure partie vient d'Angleterre. La couleur bleue est
presque la seule donnée à ces étoffes, qui sont destinées
aux vêtements des femmes de la campagne ; elle est obtenue
par Findigo.
Nous trouvons ici un exemple du goût très particulier
qu'ont les habitants du continent africain pour les teintures
de bonne qualité. A la côte occidentale d'Afrique comme
en Tunisie, ils ne se préoccupent que fort peu de la soli-
dité de Fétoffe, mais ils repoussent absolument celle qui
n'est pas teinte à l'aide de Findigo.
Comme les industries dont nous avons déjà parlé, la
teinturerie tunisienne n'emploie que des procédés très pri-
mitifs. L'outillage se compose principalement de cinq
jarres d'une contenance moyenne de cent litres, renfer-
mant des bains de différentes forces par lesquels on fait
passer successivement les pièces de cotonnade. Chaque
série de bains sert à teindre dix pièces. La réduction
de Findigo est obtenue à Faide de la chaux.
Les ouvriers teinturiers indigènes ne manquant pas en
Tunisie, et ayant l'habitude de se contenter d'un salaire
minime, il n'est pas douteux qu'il serait aisé de donner à
102 LA TUNISIE
l'industrie de la teinture une vigoureuse impulsion avec
la certitude de réaliser de jolis bénéfices. Mais il faudrait
s'appliquer à imiter très exactement les procédés indigènes,
afin de ne pas perdre la clientèle très méfiante des teintu-
reries actuelles.
Le tissage du colon, de la laine et même dç la soie est
très répandu dans les diverses parties delà Régence, mais
on n'y fait que très peu d'étoffes de prix; celles que portent
les indigènes viennent presque toutes d'Europe.
On trouve des tisserands dans toutes les villes, jusque
dans les gourbis des campagnards et sous les tentes des
tribus nomades. Les métiers sont extrêmement rudimen-
taires, mais les ouvriers sont assez habiles. Les tapis de
Kairouan et les couvertures de Djerba jouissent avec raison
d'une certaine renommée. Les burnous de laine fabriqués
par les nombreux tisserands de Ksour-Métameur et de
Ksour-Médénine sont grossiers, il est vrai, mais d'une
extrême solidité. Les étoffes légères à bandes de soie rouge
ou bleue alternant avec des bandes blanches de coton
grossièrement filé, qui sortent des mains des ouvriers de
Tunis et de quelques autres villes, ne manquent pas de
caractère. Les lainages blancs avec lesquels sont faits la
majeure partie des burnous sont solides et souples. En un
mot, si le métier est mauvais, on peut dire sans exagéra-
tion que l'ouvrier est bon.
Mais le travail manque chaque jour davantage au tisse-
rand indigène. L'extrême simplicité des métiers mis en
œuvre entraîne une lenteur de fabrication qui élève con-
sidérablement le prix du produit et le met hors d'état de
lutter contre les tissus moins solides, mais beaucoup moins
chers et plus séduisants à IVeil des industries européennes
qui envahissent le marché tunisien. On importe dans la
Régence non seulement, les cotonnades destinées à la con-
fection des vêtements des indigènes, mais même les tapis
et les étoffes plus riciies que recherchent les amateurs et
que ceux-ci achètent dans les magasins de la Tunisie
croyant qu'ils ont été fabriqués dans le pays.
« Il serait cependant possible, à notre avis, disais-je-,
l'industrie INDKiKNK 103
dans la première édition, d'utiliser les tisserands tunisiens
pour le plus grand profit de leur pays et des capitaux
français. 11 serait facile de les iiabituer à se servir dun
métier plus perfectionné, et l'on pourrait alors les appli-
quer à la fabrication d'étoffes que la Tunisie achète aujour-
d'hui aux Anglais. Avec des avances de fonds permettant
à l'ouvrier d'acheter un outil meilleur, et moyennant la
fourniture de la matière première, un industriel habile
bénéficierait de l'excessif bon marché de la main-d'œuvre
indigène. Je me borne à soulever ici cette question, lais-
sant aux intéressés le soin de l'approfondir. »
A côté du tissage, nous devons parler de la fabrique
tunisienne des chéchias. La chéchia, que portent tous les
indigènes, sans distinction de catégories sociales, diffère
de celle des autres pays musulmans. Au lieu de h^ forme
en tronc de cône qu'affecte le bonnet des Turcs, des Egyp-
tiens, des Algériens, etc., elle est tout à fait cylindrique
et surmontée d'un petit appendice qui sert de support à
un gland toujours très long et très gros, teint en bleu
indigo. Ces chéchias sont fabriquées, ou, du moins, étaient
autrefois exclusivement fabriquées à Tunis et teintes en
rouge par la garance de Zaghouan. C'était pour ces deux
villes une source importante de richesse. Mais cette
industrie dépérit comme celles dont nous avons déjà parlé
et pour les mêmes motifs. Fabriquées à l'aide de procédés
très primitifs, les chéchias de Tunis coûtent trop cher
pour faire concurrence à celles qu'on importe du dehors.
Dans cette industrie comme dans la précédente, l'ouvrier
étant d'une réelle habileté, le bas prix relatif de la main-
d'o^uvre permettrait à un industriel français de faire valoir
avec avantage ses capitaux.
Parmi les anciennes industries tunisiennes, il en est une
particulièrement intéressante : c'est celle de la fabrication
des faïences peintes et émaillées qui décorent le sol et les
murs de tous les anciens palais. Les Italiens inondent
depuis longtemps la Tunisie de carreaux à bas prix, devant
lesquels ont définitivement succombé les produits beau-
coup plus beaux, mais aussi beaucoup plus chers de l'in-
104 LA TUNISIE
dustrie locale. Kn laveui' de la nécessité du relèvement
de celle-ci, il importe de noter la persistance du goût des
riches tunisiens pour les faïences émaillées. Tous les
appartements des riches maisons tunisiennes sont carrelés
et souvent tapissés à l'aide de ces faïences, fournies actuel-
lement par l'Italie.
Quant aux ouvriers capables de creuser dans le plâtre
les magnifiques arabesques dont sont ornés la plupart des
vieux plafonds des palais tunisiens il n'en existe plus qu'un
petit nombre. Je crois savoir que l'administration actuelle
du Protectorat se préoccupe de relever cette fort intéres-
sante industrie.
En résumé, les industries indigènes de la Tunisie, après
avoir joui d'une assez grande prospérité, sont tombées en
décadence. « Il serait aisé, disais-je dans la première
édition de ce livre, de les relever. » Des tentatives ont
été faites, depuis quelques années, pour restaurer un
certain nombre d'entre elles. En même temps que M. Ala-
petite se préoccupait de l'enseignement agricole des indi-
gènes, il s'attachait à créer, dès l'école primaire, des
ouvriers pour les diverses industries. Des résultats notables
ont été déjà obtenus pour la pêche, le tissage, les tapis, la
broderie sur étoffes et cuirs, les faïences, etc.
On lit à ce sujet dans le Rapport sur l'année 1910 les
renseignements que voici : « L'école de pêche et de navi-
gation dirigée à Sfax par M. Gapriata fonctionne comme
établissement de second degré. La direction de l'En-
seignement étudie, de concert avec celle des Travaux
publics, le programme dun enseignement spécial qui y
serait donné en vue de former des instituteurs pour les
écoles du littoral. Les connaissances acquises trouve-
raient leurs sanctions dans un diplôme spécial, délivré
en fin d'études.
« L'enseignement du tissage, industrie qui occupe beau-
coup d'ouvriers en Tunisie, mais qui est pratiquée au
moyen de procédés tout à fait défectueux, a été développé,
à Tunis, à l'Ecole Emile-Loubet, et organisé à Ksar-
Hellal (Sahel). A Tunis, à l'atelier de tissage de l'Ecole
L INDUSTRIE INDir.KNE dOS
professionnelle, les résultats attendus de la présence des
élèves adultes se sont déjà produits. »
• L'atelier de tissage de l'Ecole Emile-Louhet a été ouvert
le 1"' octobre 1909. Il a des cours de jour qui, en 1910,
furent suivis par une dizaine d'élèves indigènes, et des
cours du soir fréquentés, la môme année, par une soixan-
taine d'élèves. Le rapport de 1910 dit à ce sujet : « Les
résultats espérés lors de l'installation de l'atelier commen-
cent à se manifester. Par les soins de l'Ecole, des métiers
à bras lyonnais ont été achetés et revendus aux indigènes
qui en désiraient, dans des conditions très avantageuses
et avec facilités de paiement... Quelques indigènes ont
modifié leurs anciens métiers d'après ceux qu'ils avaient
vu fonctionner à l'école n.
A Ksar-Hellal, centre d'un pays oi^i le tissage du coton
est beaucoup pratiqué, il a été adjoint à l'école un atelier
oii furent installés, en 1910, un métier de Lyon pour les
étoffes de soie et un métier d'Orléans pour les cotonnades.
A la tète de l'atelier se trouve un moniteur indigène,
ancien élève de l'Ecole Emile-Loubet ; il enseigne le tis-
sage, théoriquement et pratiquement, aux élèves de l'école
et aux adultes de la localité, qui viennent suivre ses
leçons. Les tisserands de la région ont commencé d'appli-
quer sur leurs vieux métiers les procédés modernes ensei-
gnés à l'école et quelques-uns ont acheté des métiers
français.
L'industrie des tapis a été l'objet de mesures analogues
à celles dont il est question ci-dessus. Le rapport pour 1910
dit à propos des tapis de Kairouan : « De nombreuses
maquettes en couleur, reproduisant des dessins de tapis
anciens, ont été mises à la disposition des ouvrières. Des
métiers nouveaux, de modèles divers, leur ont été cédés.
Ln appui efficace a été prêté à la Manufacture de tapis,
société essentiellement indigène, pour l'installation d'une
teinturerie moderne ».
La commission de relèvement des arts indigènes s'est
également préoccupée des tapis d'El-Oudref (oasis voisine
de Gabès) et des tribus nomades des Zlass (centre tuni-
lOti • LA TUNISIK
sien). Des avances en argent ont été faites et des métiers
nouveaux ont été cédés aux indigènes.
On s'est préoccupé aussi d'enseigner la fal)rication des
tapis aux filles indigènes des écoles primaires. « En raison
de la vogue croissante dont les produits jouissent en
Europe, dit le rapport pour 1010, cette industrie familiale
peut devenir une profession rémunératrice pour la femme
musulmane, que sa claustration met dans l'impossibilité
de gagner sa vie au dehors. »
Le rapport pour 1912 dit encore : « Etudiant les movens
de relèvement de l'industrie, autrefois florissante à Kai-
rouan, du tissage des étoffes de laine et notamment des
couvertures, nous cherchons à introduire dans cette ville
un nouveau type de métier adapté à ce tissage spécial...
Des apprentis kairouannais venus à Tunis pour s'exercer
à l'usage du nouveau métier, sont prêts à rentrer à Kai-
rouan où ils l'emploieront... Des démarches sont faites
auprès de l'administration des Habous pour qu'elle veuille
bien substituer dès maintenant le nouveau métier à l'an-
cien dans les ateliers de tissage qu'elle loue elle-même,
outillage compris, aux artisans de Kairouan. On a créé
également à Kairouan un petit atelier de démonstration
pour le tissage, annexé au laboratoire de teinture. Les
leçons pratiques du moniteur de cet atelier doivent
s'adresser aux élèves de l'école franco-arabe, à des apprentis
et à des tisserands adultes ».
Cette préoccupation fort sage a déterminé l'administra-
tion de M. Alapetite à multiplier autant que possible les
écoles de fdles musulmanes, en leur faisant donner un
enseignement pratique. Au 31 décembre VM2 il existait
de ces écoles dans 8 centres et elles avaient 613 élèves,
dont 78 à Tunis, 112 à Nebeul, io2 à Kairouan, 82 à
Sousse, 72 à Soliman, etc. A Nebeul l'enseignement de
la broderie et de la dentelle « a pris, dit le Rapport, le
caractère vraiment utilitaire d'une production industrielle
régulière, permanente et aux débouchés assurés ».
Afin de faire connaître les produits de ces industries, il
a été créé, dans un grand magasin de Tunis, un dépôt des
I. INDUSTRIE INDIGÈNE 107
tapis (le Rairouan et des autres localités citées plus haut ;
mais leur entrée en France est rendue difficile par un droit
de douane excessif (5,50 par mètre carré).
La poterie et la céramique tunisiennes ont été aussi
l'objet de mesures ayant pour objet de les relever. « A
Nebeul, dit le Rapport pour 1910, centre de cette fabrication,
des élèves de l'école primaire ont été placés en apprentis-
sage dans les usines oii l'on n'emploie que la main-d'œuvre
indigène et oii l'on remet en usage les procédés et les
dessins anciens. Aujourd'hui, les produits obtenus, notam-
ment les panneaux de faïence, peuvent rivaliser avec les
très belles productions dupasse. »
On n'a pas essayé de restaurer l'art des arabesques, a II
eût été chimérique, dit le Rapport pour 1910, de prétendre
ressusciter certains travaux d'art comme ceux des sculp-
tures sur plâtre (nakatp), très beaux en eux-mêmes, mais
que leur prix de revient trop élevé rend inabordables aux
budgets actuels, publics ou privés. Les merveilles de ce
genre qui existent en Tunisie dans les palais, les mosquées
ou les habitations, doivent être protégées et conservées
par les soins de l'Etat, toutes les fois que son interven-
tion est possible, comme des vestiges précieux du passé ;
il ne peut être question d'en favoriser la production à
l'avenir. »
Tandis que l'administration de M. Alapetite s'efforçait
d'organiser l'enseignement professionnel, soit dans les
Ecoles spéciales comme l'Ecole Emile-Loubet de Tunis,
soit dans les écoles primaires, elle donnait des soins à la
formation d'apprentis indigènes dans les divers métiers. Il
y eut des résistances à vaincre pour réaliser ces œuvres,
en raison du dédain dans lequel les indigènes tiennent
les travaux manuels. Cependant, la nécessité de vivre a
commencé de leur faire comprendre les avantages qu'ils
trouveraient dans la connaissance de professions devant
lesquelles les Européens ne reculent pas. Il a été possible,
depuis 1909, de former des apprentis à Tunis, à Béja, à
Bizerte, à Kairouan, à Nebeul, etc., pour les métiers de la
menuiserie, de la ferblanterie, de la serrurerie, des forge-
i08 LA TUNISIE
rons marécliaux-ferrants, etc. Un internat a été ouvert à
Tunis pour des jeunes gens de la province à la sortie de
l'école primaire ; on leur apprend un métier et on les éta-
blit ensuite dans les petits centres indigènes de l'intérieur
d'oii ils sont venus.
D'après le Rapport au Président de la République
pour 1912 : « L'apprentissage industriel est actuellement
en plein fonctionnement dans 19 écoles se répartissant
en il) localités. Le nombre des apprentis, qui était de 133
au 31 décembre 1910, et de 276 au 31 décembre 1911, s'est
élevé à 438 au 31 décembre 1912 ». Tunis en comptait 250,
Gabès 37, Sfax 34, Ksar-Hellal 26, Metlaoui 21, Potin-
ville 15, Kairouan 13, etc. A Tunis et partout où cela est
possible, les apprentis sont placés chez des patrons. « On
peut dire sans exagérer, affirmele Rapport pour 1912, qu'à
cette heure, l'organisation de l'apprentissage... approche
de sa forme définitive et promet des résultats certains et
peu éloignés. »
Il faudra beaucoup de temps pour que toutes ces me-
sures donnent les résultats qu'on leur demande ; il faut
surtout apporter dans leur exécution une grande ténacité
et suivre des méthodes rigoureuses. Or, il semble bien que
ces qualités soient précisément celles que tient à leur
imprimer l'administration deM. Alapetite. Aussi la Chambre
lui fit-elle un véritable succès lorsque, dans son discours
du 26 janvier 1912, il en exposa le programme et rappela
les encouragements donnés à l'enseignement professionnel
par les membres de la Conférence consultative qui repré-
sentent les indigènes.
CHAPITRE VI
L AGRICULTURE EUROPÉENNE
Dès le début de l'installation du protectorat français en
Tunisie, de très beaux établissements agricoles furent
créés par des Européens, je devrais dire par des Français,
car la presque totalité des premiers domaines se trouvait
entre les mains de nos nationaux. Il en est de même
aujourd'hui pour les grands domaines. Je m'empresse
d'ajouter que pas un seul d'entre eux ne provenait et ne
provient de concessions gratuites. Les premiers avaient
tous été achetés aux indigènes. C'est en grande partie à
cette circonstance qu'il faut attribuer, selon moi, le rapide
développement de la colonisation française dans la
Régence. Ayant engagé dans l'achat des terrains des
sommes souvent considérables, les colons se sont hâtés de
mettre le sol en culture afin d'en tirer aussitôt que pos-
sible l'intérêt de leur argent.
Je crois utile de dire quelques mots des établissements
agricoles les plus importants. Ce sera le meilleur moyen
de donner une idée exacte de ce qui a été déjà fait et de ce
qui reste encore à faire pour mettre en valeur le sol de la
Tunisie.
I I. — Domaine de l'Enfida
Le domaine français le plus ancien et le plus considé-
rable est celui de l'Enfida. Son acquisition remonte à
l'année 1880, c'est-à-dire qu'elle est antérieure à l'établis-
sement du protectorat. Le général Khérédine avait reçu
cette propriété du Bey, en échange d'une rente viagère
110 L/\ TUNISIE
(juc celui-ci stMvail à son ministre depuis un certain
nombre d'années. Plus tard, tombé en disgrâce et retiré à
Constantinople, le général Khérédine voulut se débarras-
ser d'un domaine qu'il craignait sans doute de se voir
enlever un jour par le successeur de celui qui le lui avait
donné. 11 i)roposa d'abord à quelques-uns de ses compa-
triotes de le leur vendre; mais n'ayant obtenu que des
refus, il s'adressait, le 15 avril 1880, à la « Société Mar-
seillaise de Crédit Industriel et Commercial et de Dépots »,
société fondée avec un capital social de soixante millions
de francs. 11 s'engageait à vendre en bloc à la Société ou
à tel syndicat qu'elle lui présenterait, tous les biens qu'il
avait en Tunisie et dont le plus important était le domaine
de l'Enfida.
Quoique le prix demandé par le vendeur (quatre mil-
lions de francs), tût avantageux pour la Société marseil-
laise, celle-ci avait plus d'un motif d'hésiter à accepter les
propositions qui lui étaiertt faites. En premier lieu, on
avait affaire à un pays encore peu connu, à des terres
en majeure partie incultes et presque dépeuplées; en
second lieu, il était permis de se demander si le gouverne-
ment beylical respecterait les droits des acquéreurs .
Seules, les autorités françaises pouvaient, à cet égard, cal-
mer les inquiétudes de la Société Marseillaise; or, à
l'époque dont nous parlons, des prétentions rivales s'agi-
taient en Tunisie, et il suffisait dun instant de faiblesse de
la part de notre gouvernement pour que ce pays nous
échappât, soit qu'il restât dans la situation d'indépendance
où il se trouvait, soit qu'il tombât entre les mains d'une
autre nation. Notre influence était, il est vrai, puissante
mais elle était vivement combattue par les représentarits
des autres nations, en particulier par ceux de l'Apgleterre
et de l'Italie et le Bey Es-Sadock était dominé par les
partis hostiles à la France. L'acquisition par des Français
d'une propriété aussi étendue que celle de l'Enfida ne pou-
vant être envisagée par nos rivaux et par les Tunisiens
ennemis de notre autorité que comme une sorte de
mainmise de nos nationaux sur une partie de la Tunisie,
I. AGUICULTURR EUUOI'KKNNK 111
011 no iiiiinquerail |)as (l'onVayei' ie Hey cl <le lui roiJi-c''-
seiiler la France coinuu^ convoilant ses Kl.als, alin de
l'amener à déposséder les nouveaux propriétaires.
Les acquéreurs durent mener l'affaire aussi secrètement
que possible; ils étaient d'ailleurs puissamment encoura-
gés par notre représentant et même par le gouvernement
de la Républi(jue, où figuraient des hommes résolus à ne
pas laisser tomber en des mains étrangères un pays telle-
ment fondu avec l'Algérie que l'avenir de celle-ci aurait
été compromis si la Tunisie était devenue une colonie
étrangère. Le 29 juillet 1880, la Société Marseillaise infor-
mait Khérédine de son acceptation et f'invitait à faire
dresser les actes de vente conformément à la loi tunisienne.
A peine la conclusion de ce contrat était-elle connue
que des intrigues de toutes sortes se nouaient autour du
Bey pour empêcher la réalisation de la vente et que des
démarches étaient faites auprès de Khérédine pour le
pousser à violer ses engagements. Une Société italienne
lui offrait de gros avantages pour se substituer à la Société
Marseillaise, tandis qu'un bénéfice considérable était pro-
posé à l'administrateur de cette dernière Société pour le
décider à revendre k des étrangers la propriété qu'il venait
d'acquérir. On renouvelait auprès de lui l'opération qui
avait si bien réussi auprès de M. Duplessis pour la conces-
sion des alfas.
Les acquéreurs ayant repoussé les offres qui leur étaient
faites, il fallait chercher un moyen de les mettre dans
l'impossibilité d'entrer en jouissance de leur propriété. On
crut le trouver dans une disposition de la loi musulmane
connue sous le nom de Glielfàa, dont il ne sera pas hors
de propos de parler ici, car elle constitue l'un des pièges
les }dus dangereux parmi ceux qui entourent le droit de
transmission de la propriété en Tunisie.
Le droit de Ghefîâa, que nous pouvons désigner d'une
façon plus compréhensible et surtout plus française sous
le nom de « droit de préemption », se résume en ceci :
lorsqu'un propriétaire vend sa terre, l'un quelconque des
propriétaires voisins peut invoquer et obtenir le droit de
112 LA TUNISIE
se .subsliliit'i- à raccjuéreur, à la condilion d'exécuter cer-
taines iorin alités et de payer la somme consentie par
l'acheteur comme prix de la propriété. 11 est permis de
supposer qu'en introduisant dans la loi musulmane le
droit de Gliefl'àa, on n'a pas eu seulement pour but de
faciliter l'extension des domaines agricoles, mais encore
et surtout de rendre très difficile, sinon impossible, l'ac-
quisition des terres par les étran2:ers.
11 est vrai (jue la loi elle-même fournit les moyens de
rendre vain le droit de Clieffâa qu'elle consacre. Ils sont
au nombre de deux principaux : ou bien le vendeur a
soin de faire fig-urer dans l'acte, à côté du prix d'achat
réel, l'indication d'une somme ou poignée de monnaie
indéterminée (Kemtcha Medjhoula), dont l'acquéreur lui-
même ne connaît pas exactement la valeur et que par con-
séquent le voisin réclamant le droit de Gheffàa est inca-
pable de payer, ne la connaissant pas ; ou bien le vendeur
se réserve, par l'acte de vente, tout autour de la propriété
vendue et autour des enclaves qu'elle peut contenir, une
bande étroite de terrain, de manière à devenir le seul voi-
sin de l'acquéreur. Peu importe, d'ailleurs, la largeur de
cette bande : qu'elle ait un mètre ou une lieue, elle a les
mêmes effets; elle permet au vendeur de se substituer à
tous les voisins et, par conséquent, de rendre impraticable
le droit de Chefïâa.
Khérédine, très versé dans la loi musulmane dont il
avait publié un commentaire, usa de ce dernier moyen
pour mettre la Société marseillaise à l'abri de la Gheffàa.
Néanmoins, un Maltais, sujet anglais, prétendit, en invo-
quant ce droit, empêcher les propriétaires français d'en-
trer en possession de l'Enlida, et ce n'est qu'après des
péripéties de toutes sortes, dont il serait trop long de par-
ler ici, que la Société Marseillaise put entrei" en jouissance
de son domaine \ On peut dire que la prise de possession
de la Tunisie par la France date du jour où la Société Mar-
seillaise signa avec Khérédine lacté d'achat de l'Enhda.
1. Voyez pour l'hisloiro de la vente de l'Enfida : Gaston Lotli. L'ivn/k/a
et Sidi-Tabel.
i/agriculturk européenniî li:i
Ce domaine est situé sur le bord du golfe de Hamnia-
aiet, qu'il longe sur une longueur d'environ vingt kilo-
mètres; il s'étend du nord au sud, depuis le voisinage de
Zaghouan jusqu'à une petite distance de Kairouan. Son
centre principal, Dar-el-Bey (aujourd'hui Enfidaville) ,
n'est qu'à deux kilomètres du bord de la mer, à soixante-
dix kilomètres en ligne droite de Tunis et à une quaran-
taine de kilomètres de Sousse, sur la route de Tunis à
Sousse d'une part et à Kairouan de l'autre.
La surface totale du domaine avait été évaluée d'abord
à 100 ou 120.000 hectares. L'enquête exécutée en vue de
l'immatriculation a établi que la superficie totale ne
dépasse pas 96.000 hectares. C'est encore le plus grand
domaine qui existe dans notre Afrique du nord. D'après
M. Loth ' « dans l'immense plaine de jujubiers et de len-
tisques il y avait environ 30.000 hectares de terres labou-
rables. On pouvait estimer à 40.000 hectares environ les
régions couvertes de broussailles, mais qui, défrichées,
étaient bonnes pour la culture. Les 25.000 hectares res-
tants étaient constitués par des terrains en montag'nes ou
par les parties basses voisines du littoral, trop salées pour
qu'il fût possible d'y faire passer la charrue. En raison des
conditions climatériques et de la nature du sol, l'ensemble
de ce gigantesque domaine paraissait donc convenir aux
entreprises agricoles les plus diverses. Le blé et l'orge,
l'avoine, les fèves et les pois chiches pouvaient y donner
de belles récoltes. De grandes surfaces étaient propices à
la culture de l'olivier, de l'amandier et de bien d'autres
arbres fruitiers. Les fourrés de la montagne constituaient
un excellent terrain de parcours pour les bovins ; sur les
pentes couvertes d'une herbe courte, mais drue, dans les
« prés salés » bordant le littoral, on pouvait faire l'élevage
du mouton. Considérées dans leur ensemble, ces conditions
étaient suffisantes pour permettre de tenter une exploita-
tion méthodique ».
Malheureusement, les populations étaient l'ares : « un
1. Loc. cil., p. 105.
J.-L. Dk Lanessan. — La Tunisie. 8
H4 LA TUNISIE
recensement rapide des douars établis sur le domaine
amena à constater que les événements de 4881 avaient eu
pour eilet de diminuer considérablement l'effectif de la
population indigène. Avant l'insurrection, les Ouled-Saïd
et les autres fractions ac^glomérées à cette tribu ou vivant
côte à côte avec elle sur le domaine représentaient une
population totale d'environ 9.000 âmes. Environ 3,000 in-
dividus avaient obéi aux injonctions des chefs révoltés et
s'étaient retirés en Tripolitaine. Il ne restait donc plus
qu'une population d'environ 6.000 âmes pour l'exploita-
tion de TEnlida, c'est-à-dire un groupement ne pouvant
guère fournir plus de 1.000 à 1.200 laboureurs ou pâtres,
soit un homme pour 60 ou 70 hectares ».
La rareté de la population devait, sans contredit, être
l'obstacle le plus sérieux à la mise en valeur de ce domaine,
pour l'exploitation duquel se constitua la Société agricole
et immobilière dont le premier président fut M. Rey et
qui est présidée actuellement par M. Bohn, M. Gros étant
administrateur délégué et M. Coeytaux, directeur du
domaine.
Le centre administratif du domaine fut placé à Dar-el-
Bey, devenu plus tard Enfidaville et c'est autour de ce
centre que furent concentrés tout d'abord les efforts les
plus considérables de la colonisation. Là se trouvent
d'excellentes terres à céréales, des bas-fonds suffisam-
ment humides pour constituer d'excellents pâturages, des
terrains propres à la création de vignobles. Afin d'utiliser
les eaux de l'hiver, des barrages intelligemment disposés
furent construits sur les rivières qui traversent la pro-
priété de l'est à l'ouest pour aller se jeter dans le
golfe de Hammamet. Grâce à eux, ces eaux sont répan-
dues, pendant l'hiver, sur les plaines avoisinantes qu'elles
fécondent non seulement en les arrosant, mais encore en
les couvrant d'humus entraîné des coteaux voisins. Les
prairies ainsi irriguées donnent, à la fin d'avril, une coupe
de fourrage qui produit jusqu'à trente et quarante quin-
taux par hectare. Pendant l'été, elles servent au pâturage
des troupeaux.
L AGRICULTURE EUROPKRNNE 115
La Société fit aussi réparer et remettre en état une ving-
taine d'anciens puits datant de Tépoque romaine ou creu-
sés par les Berbères et en fit elle-même creuser une dou-
zaine d'autres. Puis elle lit procéder à la ca.ptation de
diverses sources, de manière à fournir de l'eau aux centres
de colonisation qui ont été créés. De vastes projets
hydrauliques avaient été dressés dès le début de l'occupa-
tion du domaine; on les met à exécution au fur et à mesure
des besoins.
Dans la première période de son évolution, la Société
s'était préoccupée surtout d'établir elle-même un impor-
tant vignoble, car on croyait alors que le domaine se prê-
terait surtout à la culture de la vigne. Elle en complanta
tout de suite 300 hectares autour de Dar-el-Bey et cons-
truisit un cellier pour vingt mille hectolitres de vin.
Déjà, en 1886, le village se composait de la maison d'ha-
bitation des administrateurs, d'une église, d'une maison
d'école entretenue par la Société, de quelques maisons
dans lesquelles logeaient les employés et les ouvriers
européens, de la maison du Caïd, d'une auberge pour les
indigènes et leurs animaux et de quelques autres habita-
tions de moindre importance. A quelque distance se trou-
vait un village maltais (jui fournissait des ouvriers au
domaine.
Les travaux de construction et de défrichement exé-
cutés dans les premières années, coûtèrent près de
700.000 francs. Le défrichement des terres était particuliè-
rement onéreux.
Les vins produits par TEnfida sont de bonne qualité,
surtout les vins blancs, mais le rendement n'a jamais
dépassé une trentaine d'hectolitres à l'hectare. La faiblesse
de ce rendement et la difficulté de placer la récolte qui se
produisit bientôt amenèrent la Société à réduire son vi-
gnoble. Il ne couvre plus aujourd'hui que 90 hectares
environ.
La vigne a été remplacée en partie par des arbres frui-
tiers, en particulier par des amandiers qui couvrent envi-
ron deux cents hectares et comptent 16.000 arbres.
116 LA TUNISIE
La Société se livra ensuite à la plantation des oliviers.
Commencée en 1907 et poursuivie activement depuis
cette époque, Tolivette de rEnlida s'étend aujourd'hui sur
plus de 400 hectares et compte plus de 20.000 arbres qui
paraissent devoir être d'un très bon rapport.
En même temps qu'elle procédait à ces plantations, la
Société continuait à faire exécuter des défrichements.
« Au total, en y comprenant le vignoble, les plantations
d'oliviers et d'amandiers, près de 4.200 hectares, dit
M. Lotli (p. 166) ont été ainsi arrachés à la brousse. Si
Ton songe que les buissons dont il fallait débarrasser le
terrain étaient d'ordinaire composés de jujubiers épineux
aux racines profondément enfoncées dans le sol, on pourra
mesurer l'importance de la tâche accomplie. Pour extirper
entièrement toute la ramification souterraine de certaines
souches, il a fallu creuser jusqu'à 2 et 3 mètres de pro-
fondeur. Aux abords immédiats du village, oii l'opération,
si coûteuse qu'elle fût, était absolument indispensable, le
défrichement de certains hectares a coûté plus de
1.500 francs. »
Prévoyant les difficultés que rencontrerait la Société
franco-africaine dans la mise en valeur de son immense
domaine, je disais dans la première édition de ce livre :
« Pour l'exploitation complète d'une aussi vaste étendue
de terres, il faudrait des capitaux énormes et une admi-
nistration tellement compliquée qu'elle rappellerait bientôt
celle d'un petit Etat. Les propriétaires de TEnfida l'ont
compris et se préoccupent d'attirer non seulement des
ouvriers indigènes, mais encore des colons français ».
L'idée capitale des premiers directeurs de l'Enfida fut d'at-
tirer autant d'indigènes que possible sur le domaine.
La plupart des Français qui s'établirent en Tunisie au
début de l'occupation voyaient les indigènes d'un mauvais
œil et s'efforçaient de les éloigner de leurs terres. Ils ne
manquaient pas pour cela de motifs, tels que la crainte des
voleurs et celle de la dévastation des terres par les trou-
peaux de chèvres ou de moutons qui suivent toujours les
indigènes. Il serait difficile de nier la justesse de ces rai-
l'agriculturr européenne 117
sons; « mais, disais-je dans la première édition de ce livre,
il en est d'autres, non moins justes et plus importantes
selon moi, qui plaident en faveur du système mis en pra-
tique à l'Enfida. En premier lieu, à moins d'adopter le
système aussi inhumain ({u'inintelligent et impraticable du
refoulement des indi2;-ènes et de leur remplacement impos-
sible sur le sol entier de la Tunisie par des Européens, il
faut songer à utiliser leurs forces, et, pour cela, il faut les
fixer. Or, dans ce but, deux moyens pourraient être tentés.
Le premier consisterait à concéder des terres aux tribus
nomades, à condition qu'elles y élèveraient des établis-
sements à demeure. On peut aussi fixer les indigènes au
sol par l'appât d'un gain à réaliser à l'aide de leur travail.
Or, la condition actuelle des kbammès est tellement déplo-
rable que son amélioration est la chose du monde la plus
facile à faire, sans qu'il en résulte aucune perte pour le
propriétaire. En apportant plus de soin à la culture, le
-. propriétaire retirerait de la terre des produits plus abon-
dants et meilleurs. Il pourrait, par conséquent, en aban-
donner une partie aux travailleurs, non seulement sans
diminuer son profit, mais même en l'augmentant dans des
proportions très sensibles. Rendu plus heureux par son tra-
vail, le khammès ne manquerait pas de se fixer auprès du
champ d'où lui viendrait le bien-être. En agissant comme
ils le font, les propriétaires de l'Enfida ne peuvent manquer
d'aboutir à ce double résultat : amélioration du sort de
l'indigène et fixation du nomade au sol ; accroissement
des revenus annuels et de la valeur marchande de leur
domaine ».
J'ajoutais que ce dernier résultat, tout à l'avantage des
colons français, ne pouvait être obtenu dans toute sa plé-
nitude qu'à la condition d'attirer l'indigène sur les pro-
priétés françaises et de le fixer. « Sans atteindre la surface
énorme de l'Enfida, la plupart des propriétés acquises en
Tunisie par nos compatriotes, disais-je, ont des étendues
extrêmement considérables. Les domaines de 4, 5, 6, 7, 8 et
10.000 hectares sont les plus nombreux. Or, il n'est guère
permis de croire que des propriétés aussi étendues puissent
H8 LA TUNISIE
jamais être travaillées exclusivement par des Français. Il
y a [)Our cela îles motifs bien puissants : d'abord il faudrait
un nombre d ouvriers très supéi'ieur à celui que nos cam-
pa2:nes déjà dépeuplées elles-mêmes peuvent fournir à la
colonisation ; ensuite, le salaire qu'exigerait en Tunisie
un ouvrier français serait trop élevé. Le principal avan-
tage des pays neufs, c'est que non seulement la terre, mais
encore la main-d'œuvre y sont à vil prix ; c'est ce qui
séduit l'Européen et le décide à s'expatrier. S'il renonce
à la patrie, à la famille, aux amis, aux habitudes contractées
depuis l'enfance, à la douceur des climats tempérés, pour
aller coloniser des pays moins civilisés, c'est qu'il est poussé
par l'espérance de faire plus rapidement fortune dans ces
contrées que dans son pays natal. En Tunisie, la main-
d'œuvre la plus basse est fournie incontestablement par les
Arabes. Le propriétaire français qui repousse les indigènes
et les éloigne de son domaine commet donc la faute énorme
de se priver de l'ouvrier qu'il aurait au meilleur compte.
Ajoutons qu'il se condamne, en outre, à laisser la majeure
partie de ses terres en friche, car il lui serait impossible
de trouver assez de journaliers, je ne dirai pas français,
mais même maltais ou siciliens, pour les travailler. Seul
l'Arabe se prête convenablement à ces combinaisons de
culture payées en nature dont nous avons parlé plus haut,
combinaisons grâce auxquelles le propriétaire peut tirer un
gros béiiéRce de sa terre, presque sans faire d'avances de
fonds et sans compromettre son capital. Convenablement
dirigées par l'agriculteur français, ces cultures ne peuvent
manquer de donner au sol une valeur plus considérable
qui serait même beaucoup augmentée par le seul fait de la
présence de la population attirée et fixée sur ses terres.
Plus un pays est peuplé, plus en effet les produits du sol,
particulièrement les produits secondaires, trouvent un
facile écoulement.
« Je ne puis donc qu'applaudir aux efforts faits par le
directeur de l'Enfida pour attirer et fixer sur cette pro-
priété des familles et des tribus indigènes. Il augmente
ainsi les revenus du domaine, il accroît sa valeur intrin-
l/ AGRICULTURE KUROPKKNNR 119
sèque, enfin il collabore dans une puissante mesure au
rapprochement des colons français et des indigènes pour
le plus grand profit matériel des premiers et l'avantage
moral des seconds. »
Le premier soin de la Société franco-africaine fut, en efîet,
d'attirer et de fixer sur le domaine del'Enfida le plus grand
nombre possible d'indigènes. « Elle leur consentit, dit
M. Lotli (p. 106) des baux de location au prix de 25 piastres
ou 15 francs (par méchia) soit 1 fr. 50 l'hectare dans les
terrains non irrigables. Un supplément de 5 piastres était
exigé pour chaque méchia en terrain irrigable, soit 18 francs
ou 1 fr. 80 par hectare. En raison de l'état de détresse où
ils étaient peu à peu parvenus par suite de l'insécurité
régnant dans tout le pays et aussi de leur humeur batail-
leuse, les Ouled-Saïd ne possédaient plus que quelques
milliers de têtes de bétail. Il était donc urgent de les encou-
rager à reconstituer leurs troupeaux . Dans ce but, la
Société consentit à ne recevoir comme redevance annuelle
de pacage ou « acheba » qu'un agneau par cent brebis et
un chevreau par cent chèvres. » Elle supprima en outre la
« mahouna » ou coutume en vertu de laquelle chaque
cultivateur doit une journée de labour et une journée de
moisson au propriétaire pour chaque méchia cultivée.
« L'influence de ces mesures ne tarda pas à se faire sentir.
La majeure partie des 3.000 dissidents réfugiés en Tri-
politaine revint s'établir sur le domaine. » En 1886,
lorsque je visitai FEnfida on estimait à une douzaine de
mille le nombre des indigènes qui s'y étaient établis à
demeure.
Trois villages de Berbères (Takrouna, Djeradou et
Zeriba) qui existaient depuis longtemps dans les parties
montagneuses du domaine se relevèrent rapidement à la
suite de la mesure bienveillante par laquelle la Société
leur accorda la libre jouissance de l'emplacement de leurs
habitations et des terres avoisinantes . La plupart des
hommes de ces villages devinrent locataires du domaine.
Indépendamment de l'élevage et de la culture, ils se livrent
volontiers à l'apiculture et cueillent l'alfa. C'est près du
120 LA TUNISIK
village de Zeriba que se trouve la source thermale de Hani-
jiiani Zeriba.
On avait établi à Dar-el-Bey un marché où se rendaient
tous les dimanches plusieurs centaines de marchands dont
un grand nombre venaient de fort loin. J'y ai vu, il y a près
de trente ans déjà, des gens de Nebeul, avec leurs légumes
et leurs poteries, des habitants du Sahel avec leur huile
d'olive, des juifs ambulants avec leurs vêtements, leurs
étoffes, etc. Un grand mouvement se fit ainsi rapidement,
chaque semaine, autour du chef-lieu de i'Enfida. Attirés
par les Européens et par les bénéfices que ceux-ci leur
procuraient, les indigènes tendaient de toutes parts à
pénétrer dans le domaine, et la Société franco-africaine
donnait ainsi un très bel exemple à nos colons.
En dehors des habitants des villages berbères, les indi-
gènes de I'Enfida vivent à peu près tous sous la tente ou
dans des gourbis en branches et se déplacent avec leurs
troupeaux sur le domaine, mais presque tous tendent à se
fixer au sol. «Leur tendance au sédentarisme, fait observer
M. Loth (p. 113), s'affirma dès qu'ils eurent la certitude de
récolter en toute sécurité le produit de leurs semailles.
Sans doute, beaucoup d'entre eux continuent à faire trans-
humei- leurs troupeaux, mais ces déplacements qu'imposent
les nécessités climatériques sont effectués dans un rayon
extrêmement court. Ce n'est plus que du demi-nomadisme.
Cette population, vivant autrefois presque exclusivement
des produits du pâturage, se transforme peu à peu en
groupements de paisibles agriculteurs menant de front les
travaux de la terre et les soins à donner aux troupeaux. »
Le nombre de leurs têtes de bétail s'est accru au point
d'atteindre aujourd'hui le chiff"re de 115.276, dont plus de
77.000 moutons, près de 28.000 chèvres, près de
5.000 bœufs, près de 1.400 chevaux et près de 2,700 cha-
meaux. 11 y faut ajouter près de 2.000 ruches d'abeilles.
« Sans doute, dit M. Loth, les efforts tentés pour atténuer
les funestes effets de l'imprévoyance n'ont pas toujours
été couronnés de succès. Il arrive encore que faute d'abris
les troupeaux des indigènes sont décimés par le froid et la
L AGRICUl/rURE EUROPÉENNE ' 121
maladie, que dans les années sèches la terre insuflisam-
ment préparée ne donne pas de rendements suffisants,
mais cependant chaque année on constate que l'étendue
des terres cultivées augmente de quelques méchias, le
troupeau de quelques centaines de têtes ».
La meilleure preuve que l'on puisse donner du progrès
réalisé par la culture indigène dans le domaine est fournie
par l'élévation graduelle du revenu des locations de terres
faites par la Société aux indigènes. En 1882-83 « le total
des perceptions effectuées n'avait pas atteint 40.000 francs ;
en 1883-84, le montant des locations et des droits de pacage
s'éleva à 72.640 francs... Dans l'année agricole 1886-87
les recettes atteignirent 126.000 francs, c'est-à-dire trois
fois plus qu'en 1882-83 (p. 114) ». En 1908-09, elles
ont atteint 257.781 francs. « Pendant la longue période
qui s'étend entre ces deux dates, il y eut parfois des
fléchissements déterminés par de mauvaises conditions
climatériques, mais le mouvement général ascensionnel
persista toujours. Le total des revenus fournis par les
locations en vingt-neuf ans donne une moyenne annuelle
de 150.000 francs. En prenant seulement les dix premières
années, la moyenne ne dépasse pas 79.000 francs. Pour la
période de 1890 à 1899 elle s'élève à 163.000 francs. Et
enfin de 1899 à 1908 elle atteint le chiffre de 193.000 francs.
11 y a donc progression constante, attestant la remise en
exploitation de la plus grande partie d'un sol resté jus-
qu'alors inculte et la collaboration toujours plus grande
de la population indigène. » M. Loth rappelle qu'au
cours de la dernière session de la conférence consultative,
M. de Carnières, président de la Chambre d'agriculture
de Tunis, fit observer à ses collègues combien la collabo-
ration des indigènes à l'œuvre de colonisation agricole des
Français contribue à l'amélioration du sort matériel de la
population indigène de l'Enfida, et il conclut que cette col-
laboration des indigènes à l'œuvre de colonisation de la
France est « l'explication la plus véridique que Ton puisse
donner des heureux changements économiques survenus
dans toute cette partie du Sahel ».
122 LA TUNISIE
Je suis heureux de voir dans ces faits la justification des
ol)seivalioiis que j'avais présentées dans la première édi-
tion de ce livre. Après avoir reproduit ces observations,
M. Loth ajoute (p. 116) : « Les calculs précédents dé-
nionlrent que M. de Lanessan ne s'était pas trompé. Ce
(ju'il écrivait en 1887 est aujourd'hui vérifié. Voir notam-
ment plus loin, dans le journal d'un colon de l'Enfida. ce
que dit M. Emile Coeytaux de la disparition presque totale
des khammès à El-Kley ».
M. Coeytaux dit, en elFet (p. 150), au sujet de la main-
d'œuvre et des khammès de son domaine d'El-Kley :
« Comme main-d'œuvre ce sont les indigènes que j'ai tou-
jours emplovés, particulièrement les Mehedbi, domiciliés
dans la région. Je suis arrivé à faire tracer une ligne droite
à la charrue par mes laboureurs et sans aucun jalon; à
régler une Bajac double aussi bien que pourrait le faire
un Européen ; à l'époque des moissons, ce sont eux éga-
lement qui me conduisent mes moissonneuses-lieuses. J'ai
comme engraisseurs deux Arabes qui se relèvent de deux
heures en deux heures et qui font le graissage de cette
machine. La presse à fourrage est également équipée et
servie par des indigènes. Les khammès Mehedbi n'existent
presque plus à El-Khlev. Plusieurs de ces anciens prolé-
taires possèdent aujourd'hui des troupeaux de moutons, des
vaches, des bœufs de labour, des animaux de trait ».
En même temps qu'elle s'efforçait de fixer les indigènes
au sol, la Société franco-africaine tenta d'attirer des Euro-
péens. Mais il n'y avait alors dans la Régence qu'un petit
nombre de gros colons fixés dans les environs de Tunis
d'où il était difficile de s'éloigner car il n'y avait pas de
routes. Quant aux agriculteurs français, ils ne pensaient
pas à la Tunisie et il faut ajouter que le protectorat ne
faisait rien pour les y attirer. Il craignait de renouveler,
au détriment de la Tunisie, les expériences de colonisation
officielle faites en Algérie,
Plus audacieuse que l'administration, la Société de l'En-
fida fit d'abord un essai de colonisation avec une centaine
de Maltais, hommes, femmes et enfants, qui furent logés
L AGRICULTURE EUROPÉENNE 123
dans des baraques àEl-Khley. On donna à chaque famille,
en toule propi'iélé, une vache, deux bœufs, ving-t-cinq
brebis, un lot de terre cultivable de 5U hectares et des
avances en argent, à raison de trois francs par jour et par
famille. Dans chaque lot, un puits avait été creusé en vue
de la culture maraîchère. L'argent fut mangé, le travail ne
fut fait que très incomplètement et, au bout de deux ans,
le village ne contenait plus personne. La Société avait
dépensé 40.000 francs en pure perte.
Une deuxième expérience fut faite avec des habitants de
l'île de Pantellaria, qui sont très misérables. Elle eut lieu
à Rey ville. Il fut alloué à chaque famille des terres payables
en dix ans à raison de loO francs l'hectare. L'expérience
fut contrariée par Finclémence des premières années et la
majeure partie des colons disparut. Trois ou quatre familles
seulement « plus tenaces et disposant peut-être aussi de
ressources pécuniaires un peu plus grandes » s'obstinèrent
et finirent par réussir, à partir de 1889, grâce à quelques
bonnes années. « Les maisons des anciens colons reçurent
de nouveaux habitants, le village devint prospère; depuis
il n'a pas cessé de l'être. Dix ans plus tard la terre valait
350 francs Thectare. On ne peut en trouver aujourd'hui à
moins de 500 francs. Le succès de Reyville détermina, en
1900, la création de Bou-Ficha, où fut organisé un centre
de colonisation comptant quarante fermes. Aux Pantella-
riens vinrent se joindre quelques Siciliens. Tous ces nou-
veaux immigrants acquirent des lots urbains payables
1 franc le mètre en dix ans sans intérêt, et des lots de cul-
ture d'une superficie de 10 hectares à 300 ou 350 francs,
payables un quart au comptant, le reste en dix ans avec
6 p. 100 d'intérêt. » Ces colons plantèrent d'abord exclu-
sivement de la vigne et leur vignoble atteignit une conte-
nance de 500 hectares. Une crise vinicole ayant troublé
leurs efforts, ils renoncèrent à faire du vin que, d'ailleurs,
ils réussissaient mal, produisirent du raisin de table dont
ils trouvaient un écoulement facile à Tunis et à Sousse et
s'adonnèrent à des cultures variées ; ils créèrent même
des vergers à fruits et des olivettes. « Sur une longueur de
124 LA TUNISIE
deux kilomètres, aux abords de la station de Bou-Ficha,
de part et d'autre de la voie ferrée, la caiiij)ag"ne change
d'aspect, grâce aux persévérants efforts des petits colons
italiens et donne vraiment Tidée de ce que devait être
le pays tout entier au temps de la domination romaine
(p. 124). » M. Lolh ajoute que l'un de ces petits colons « a
réussi à transformer ses dix hectares en un jardin si mer-
veilleusement agencé (ju'on lui offrait récemment de ce
coin charmant une vingtaine de mille francs «.
A Enfidaville, la Société essaya d'abord sans succès de
faire de la colonisation avec les ouvriers italiens du do-
maine; puis elle y installa des familles choisies avec soin
et, après quelques épreuves, elle a obtenu de bons résul-
tats. M. Loth fait remar(juer avec raison que cette petite
colonisation n'a pu réussir que grâce à la situation parti-
culière dans la(]uelle se trouvaient les familles. « Avec des
colons, dit-il, se contentant d'être un peu moins mal que
dans leur patrie, le système de morcellement inauguré à
Rey ville et à Bou-Ficha auprolit des Siciliens était possible.
Avec des cultivateurs français quittant leur pavs pour
trouver aux « colonies » plus de bien-être, des combinai-
sons de ce genre étaient irréalisables » (p. 126). 11 faut
noter que les expériences de petite colonisation dont il est
question ci-dessus sont les seules qui aient réussi depuis
trente ans sur le domaine de l'Enfida.
On y a fait aussi des essais de colonisation dite
« moyenne », c'est-à-dire portant sur des étendues de 150
à 200, 300 et même 800 hectares. « Deux lots de 300 hec-
tares et un lot de 800, un lot de 100 hectares, un autre de
o30 furent cédés en toute propriété movennant le quart du
prix de vente payable comptant et les trois quarts restants
en dix annuités portant intérêt annuel de 6 p. 100, Pro-
ducteurs de céréales, éleveurs de bétail, les possesseurs
de ces divers lots ont assez bien réussi pour que le pro-
blème de la moyenne colonisation française à l'Enfida
puisse être considéré comme résolu. »
La solution du problème a dû être cherchée dans un
traitement spécial des terres et un choix particulier des
L AGRICULTURE EUROPÉENNE 125
semences, adaptés aux conditions dans lesquelles se trou-
vent le sol et le climat de l'Eniida. Il fallait découvrir les
procédés de culture qui conviendraient le mieux à des
terres sèches et à un climat chaud avec des pluies rares.
La solution fut donnée par un travail raisonné du sol, ayant
pour objet de lui permettre d'emmagasiner et de conserver
la presque totalité des eaux pluviales et par l'emploi de
variétés de céréales résistant à la sécheresse et se déve-
loppant aussi vite que le nécessite la courte durée de la
vég-étation. D'après les expériences faites par MM. Achille
Coeytaux et Dehrit à Upenna et à Bou-Ficha, il faut ameu-
blir la terre et la rendre perméable aux pluies par « trois
labours pendant l'année de jachère, un premier exécuté
immédiatement après les semailles, avec une Brabant
n° 42, le second croisant le premier au printemps, et le
troisième enterrant la semence en automne » (p. 127).
Grâce à ces procédés, sept métayers européens sont
établis aujourd'hui sur le domaine de l'Enfida. « Les ré-
sultats obtenus sont assez satisfaisants pour que le colon
réalise des bénéfices suffisants, en même temps que la
Société obtient une redevance au moins double de celles
que lui procurent les contrats de location aux indigènes »
(p. 130). On lira dans la brochure de M. Loth, avec beau-
coup d'intérêt, le journal dans le([uel M. Coeytaux, direc-
teur actuel du domaine de l'Enfida, donne un récit détaillé
des efforts qu'il a faits et des résultats qu'il a obtenus pen-
dant neuf années, sur un terrain qu'il avait pris en location
pour dix ans. Le lecteur en déduira sans peine que tout
colon intelligent doit réussir, à la condition de déployer une
grande activité, et de tenir un compte très exact des
diverses conditions spéciales de sol et de climat qui existent
dans ce domaine.
Les résultats favorables obtenus par les colons français
ont déterminé l'administration à faire achat de plusieurs
milliers d'hectares du domaine, dans la région voisine de
Zaghouan, pour établir des centres de colonisation fran-
çaise. Le premier de ces centres fut établi, en 1909, à
Segermès, ancienne colonie romaine, sur des terrains
126 LA TUNISIE
avant une surface de 3.500 hectares et s'étendant sur une
loni^ucur de 8 kilomètres, entre Bou-Ficha et Zaghouan, en
travers delà voie ferrée qui doit relier ces deux localités. Il y
fut constitué quinze lots de culture que Ton vendit à raison
de 40 à 180 francs l'hectare suivant la valeur des terres.
Tous les lots sont aujourd'hui cultivés en céréales. D'au-
tres terrains ont été achetés, dans le môme but, par l'admi-
nistration du protectorat à la Société de l'Enfida et l'on a
projeté la formation dun nouveau centre de colonisation
européenne à Zeriba où près de 11.000 hectares vont être
mis en vente en une quarantaine de lots.
L'immense domaine se morcelle ainsi petit à petit pour
le plus grand avantage de la colonisation. Il importe de
noter que la plupart des lots vendus et mis en culture
sont entre les mains de colons français.
J'ai parlé en premier lieu du domaine de TEnfida parce
qu'il est de beaucoup le plus considérable de tous ceux qui
existent en Tunisie ; mais, s'il n'a pas de rivaux pour
l'étendue, il en a pour la richesse et les soins apportés dans
la culture.
Deux immenses propriétés françaises, de plusieurs mil-
liers d'hectares chacune, furent constituées, dès les débuts
de l'occupation, sur le cours de la Medjerdah. La vallée
qui s'étend de chaque côté de la portion intérieure de la
Medjerdah est l'une des plus belles et des plus riches de la
Tunisie; c'est aussi l'une des mieux cultivées par les
Arabes. Dans les parties basses qui environnent Utique,
elle donne des fourrages excellents ; partout ailleurs, elle
produit des céréales. La propriété de Sidi-Tabet, située
dans le fond de la vallée, à une douzaine de kilomètres de
l'embouchure de la rivière, à six kilomètres d'Utique,
mérite une mention particulière en raison des conditions
dans lesquelles on l'a créée.
§ II. — Domaine de Sidi-Tabet
Le domaine de Sidi-Tabet, situé à 21 kilomètres de
Tunis, sur la route de Tunis à Bizerte, s'étend sur une sur-
L AGRICULTURE EUROPÉKNNE 127
face de 5.300 hectares. Il fut concédé en 1877, par décret
beylical, à un Français, M. de Sancy, puis transféré en 1880
à la Société franco-africaine, à la condition qu'on y établi-
rait un haras pour la production de chevaux à Taide du
croisement des races arabes avec les races ang'laise et
autres, et une étable modèle pour le croisement de la race
bovine arabe avec les races européennes.
Cette obHgation constituait une charge énorme. Pendant
longtemps, le haras ne donna que des résultats déplorables.
On y achetait de vieux étalons de course dont les produits
n'avaient aucune des qualités à exiger des chevaux dans
un pays oii il faut se préoccuper beaucoup plus de créer
des animaux de fatigue que des hôtes de luxe et de course.
« Aujourd'hui, écrivais-jeen 1887, les choses vont mieux,
mais les conditions imposées par le gouvernement beylical
n'en sont pas moins contraires aux véritables intérêts de
rétablissement », et je demandais que l'on consacrât « le
haras et l'étable de Sidi-Tabet au perfectionnement des
races indigènes ». « Celles-ci, disais-je, sont depuis des
siècles en voie de dégénérescence par suite du peu de soins
dont elles sont entourées, mais elles ont acquis, de par les
mêmes influences, des qualités spéciales qui les rendent
aussi propres que possible au pays. Bêtes à cornes et che-
vaux sont d'une solidité et d'une rusticité remarquables.
Les bœufs se contentent de paille et de maigres herbes
qu'ils ramassent à grand'peine dans les champs ; les che-
vaux vivent de quelques poignées d'orge distribuées deux
fois par jour, d'un peu de paille, et ne boivent qu'une seule
fois par vingt-quatre heures. Malgré une si chétive alimen-
tation, les bœufs sont assez beaux ; ils ne maigrissent d'une
manière sensible que pendant les mois d'août et de sep-
tembre, les pâturages étant alors entièrement desséchés et
épuisés. Quant aux chevaux, ils peuvent faire tous les
jours, si on l'exige, des étapes de huit et dix lieues sans
repos. Ce qui manque le plus à ces animaux, c'est la taille.
Il serait aisé de la relever par la sélection, aidée d'une
nourriture suffisamment substantielle. Ce procédé vaudrait
mieux que des croisements qui ne peuvent manquer de
128 LA TUNISIE
déterniiiK^r une diminution Je la rusticité. Or, cette qua-
lité est altsoluiiient indispensable dans un pays où les four-
rages et les pâturages sont rares, et oia la température est
souvent excessive.
« En choisissant comme sujets des étalons et des juments
arabes d'une taille élevée, comme on en produit aujour-
d'hui en Algérie pour notre cavalerie; en mettant ces éta-
lons à la disposition des Arabes, qui ne manqueraient cer-
tainement pas de leur amener des juments, on ne tarderait
pas à élever la taille moyenne des chevaux tunisiens. Ils
pourraient alors être achetés pour les services qui deman-
dent de la force et pour la cavalerie. Comme ils augmente-
raient de valeur, les indigènes seraient intéressés à soigner
davantage les produits de leurs écuries et ils y mettraient
sans aucun doute quelque amour-propre.
« Ce que je viens de dire du perfectionnement des che-
vaux peut s'appliquer aux bêtes à cornes. C'est bien plus
à la sélection et au régime alimentaire qu'au croisement
qu'il faut demander l'amélioration de la race bovine de la
Tunisie. J'ai vu, il est vrai, à Sidi-Tabet, de très jolies
bêtes obtenues par le croisement de la race charolaise avec
la race tunisienne. Mais ces produits exigent des soins
très grands, qu'il serait difficile aux indigènes de leur
donner. Il est même permis de se demander si à la deuxième
ou troisième génération les métis ne perdraient pas, sous
l'influence du climat, une partie des qualités qu'ils ont à
la première.
« Tel est, à mon avis, le principe sur lequel devrait
être organisé le haras do Sidi-Tabet pour rendre à la
Tunisie des services réels et pour rapporter à ses proprié-
taires des bénéfices dénature à encourager leur entreprise.
Cela n'empêcherait pas de faire des expériences de croise-
ments entre les races africaines et celles de l'Europe.
« Parmi les clauses imposées à la Société, il en est une
particulièrement défavorable à l'entreprise de Sidi-Tabet
et contraire aux intérêts de la Régence, c'est celle qui
interdit aux propriétaires du haras de faire des mulets.
En effet, le mulet et la mule sont rares en Tunisie; ils y
l,'.\(iRICi;i.TURr. EUROI'KENNF. 129
sont très estimés el alloigiienl des prix éhivés. Or, on fait
peu de mules dans la Régence. Presque toutes celles qu'on
y trouve viennent de la Sicile. Est-ce pour pi'otéger le com-
merce italien qu'une influence hostile à la FYance a fait
inscrire dans le cahier des charges de Sidi-Tahet l'interdic-
tion de faire des mulets? Je l'ignore, mais tout permet de
le supposer. Quoi qu'il en soit, la situation prépondérante
que la France occupe aujourd'hui en Tunisie nous impose
le devoir de faire tomher toutes les barrières qui ont été
autrefois dressées contre notre œuvre de colonisation. »
Les desiderata que j'exprimais en 1887, dans la page
ci-dessus, ont été réalisés, car je lis dans la brochure de
M. Loth sur l'Enfida et Sidi-Tabet (pubhée en 1910,
p. 184) : « Le haras, agrandi à plusieurs reprises, possède
un effectif permanent de quarante juments poulinières,
dont trente sont de pur sang arabe. Ces bêtes sont le pro-
duit d'une sélection minutieuse, et il est difficile de ren-
contrer une jumenterie présentant un pareil ensemble
d'animaux. Trois étalons de pur sang arabe sont ég;alement
attachés au haras où fonctionne une station de monte,
chaque année, de janvier à fin avril. Il y a. en outre, trois
élèves étalons. Parle croisement d'un baudet appartenant
à l'une des meilleures races d'Europe avec des juments
barbes bien choisies, on obtient des mulets très recherchés
dans toute la Tunisie.
« L'élevage des bovins est pratiqué avec la même
méthode scientifique. M. Duprez (le régisseur de Sidi-
Tabet) se préoccupe surtout de sélectionner les races du
pays... La bouverie compte plus de trois cents bêtes à
cornes.
« En dehors du contrat passé avec le gouvernement, une
intéressante tentative est poursuivie depuis huit ans à
l'aide du zébu. Le croisement de cet animal avec des
vaches de race tunisienne ou de race italienne a donné
d'excellents produits. Les défectuosités de la vache tuni-
sienne ont été corrigées, et l'on remarque dans les croisés
zébus des formes plus développées, une force et une ag^i-
lité plus grandes. Ces animaux, sobres et endurants à la
.1.1, Dk Lankssan. — La Tunisie. li
130 LA TIINISIK
J'aligue, résistent bien aux maladies fréquentes et habi-
tuelles en Tunisie. De plus, la vitesse du pas des croisés
zébus dépasse aux labours celle du mulet. Leur dressage
est relativement facile, ils s'attellent à la charrue et même
à la voiture, car ils trottent. Enfin, leur poids de viande
dépasse 70 p. 100. »
Ail mois de mai 1913, à la suite dune convention passée
entre la Société franco-africaine et le gouvernement,
celui-ci a pris à son compte le haras et la jumenterie ainsi
que la majeure partie du domaine, en reconnaissant à la
Société un droit absolu de propriété, conformément au droit
commun, sur 1.335 hectares sur lesquels se trouvent les
bâtiments de l'administration, les divers services, les écu-
ries, étables et bergeries, le cellier, le magasin à four-
rages,^ etc. Les terres reprises par le gouvernement et qui
s'étendent, après un achat de oOO hectares, sur 3.300 hec-
tares doivent être alloties graduellement en vue de la
création d'une trentaine de fermes françaises.* Le haras
et la jumenterie sont placés sous la direction d'un spécia-
liste qui lui-même dépend du directeur de l'élevage,
M. Ducloux. Celui-ci, vétérinaire de l'armée, a rendu déjà
de grands services en Tunisie dans le domaine de l'éle-
vage. C'est à lui qu'est due la création des. petites stations
de remonte dans lesquelles des étalons sont mis à la dis-
position des juments indigènes.
La Société a conservé surtout les terres en plaine, irri-
gables et submersibles par les eaux de la Medjerdah et
les coteaux qui se prêtent le mieux à la culture de la
vigne. D'après une note que le directeur de l'exploitation,
M. Duprez, a bien voulu me remettre tout récemment, lés
terres à céréales occupent environ 500 hectares ; les vignes
irrigables et submersibles, 90 hectares ; les vignes de
coteaux, 175 hectares ; les prairies et luzernières, 150 hec-
tares ; les terres de parcours pour les bestiaux, 300 hec-
tares. Les eaux d'irrigation sont puisées dans la Med-
jerdah au moyen d'une machine qui donne 400 à 500 litres
à la seconde. Une voie Decauville de O^jGO dessert la
majeure partie de l'exploitation. On a construit 15 kilo-
L AGRICULTURE EUROPÉENNF. 131
mètres de chemins d'exploitation bordés d'arbres et 8 kilo-
mètres de canaux en ciment armé pour la distribution de
l'eau d'irrigation. Une école et un bureau de postes et télé-
graphes fonctionnent depuis plusieurs années.
« Toutes les variétés de céréales, dit M. Lolh ip. 183),
sont produites à Sidi-Tabet, mais on sème de préférence
l'avoine, plus rémunératrice et craignant moins que le blé
les. effets de la rouille et de la coulure provoquées par le
voisinage de la Medjerdah. En raison de la compacité des
terres, les rendements en orge sont très irréguliers. Cepen-
dant la Société a introduit sur le domaine une variété
d'orge noire, précédemment inconnue en Tunisie, qui a
donné 32 quintaux à l'hectare... Dans le verger avoisinant
le bordj, les orangers, amandiers, cognassiers, néfliers
forment un cadre charmant. » Dans les surfaces irrigables
on a créé des prairies artificielles constituées par un
mélange d'avoine, de fenugrec, de sarrazin et de vesces
et des luzernières oii l'on fait jusqu'à sept coupes par an.
Le maïs, le sorgho, la betterave alternent avec les luzer-
nières. La vigne produit environ ol hectolitres à Ihec-
tare. La direction attache une grande importance au déve-
loppement des troupeaux de bœufs et de moutons. Ces
derniers sont au nombre de plus d'un millier : ils sont
obtenus par le croisement de brebis algériennes à courte
queue, sélectionnées, avec des métis mérinos de la Crau.
A Sidi-Tabet, comme à l'Enfida, la Société franco-afri-
caine s'est attachée à fixer des indigènes sur son domaine,
avec la préoccupation principale de s'assurer de la main-
d'œuvre. Plus de douze cents individus, hommes, femmes
et enfants sont aujourd'hui fixés au sol et entretiennent
plus d'un millier de ba^ufs et vaches, 300 chevaux ou
mulets, 100 ânes et 2.000 moutons. Sur les terres qu'ils
ont prises en location, ils récoltent plus de 25.000 quin-
taux de céréales.
D'après M. Loth (p. 191) : « Plus de 400.000 francs ont
été consacrés aux constructions et abris, aux aménagements
de fosses d'écoulement, de routes en pistes, aux planta-
tions d'arbres de grande venue (eucalyptus, frênes, peu-
132 LA TlINISIF.
pliers, saules, acacias, mûriers, vernis du Japon, carou-
biers, etc.). La création et la mise en état du vignoble,
l'aménagement des canaux d'irrigation, etc., ont exigé,
d'autre part, une mise de fonds d'environ 600.000 francs.
Enfin, 500.000 francs ont été consacrés à diverses autres
améliorations, ce qui donne un capital de premier établis-
sement de 1. 500.000 francs... Parla bonté de ses cultures,
l'importance des plantations, l'ouverture de nombreux
chemins carrossables en toutes saisons, la diversité des
essais, l'intensité de l'élevage, le domaine de Sidi-Tabet
constitue pour la colonisation française la meilleure des
leçons de choses ».
Cette leçon de choses est d'autant plus intéressante qu'elle
est donnée dans l'une des régions de la Tunisie les plus
favorisées au double point de vue de la nature du sol, de la
facilité de l'irrigation et de l'inondation et de la quantité
des pluies qui tombent chaque année. Celles-ci sont
presque aussi abondantes que dans la région de Mateur
qui est la partie la mieux arrosée par la pluie de la Régence.
Or, il apparaît bien clairement qu'à ces conditions excel-
lentes de sol et de pluie il faut encore ajouter l'irrigation
et des soins très assidus, qui entraînent de très grosses
dépenses. Et il en faut conclure qu'en Tunisie, comme par-
tout ailleurs, on n'obtient rien de la terre sans sueur et
sans or.
!§ III. — Les principaux domaines des Européens
L'histoire de toutes les autres propriétés européennes
dont nous allons parler confirme pleinement cette vérité.
Au nord-ouest de Tunis et au voisinage delà Medjerdah,
indépendamment du domaine de Sidi-Tabet, il s'est cons-
titué une dizaine de propriétés oi^i Ton cultive à la fois
les céréales et la vigne. Le domaine de Saint-Cyprien, dont
l'étendue est de 1.800 hectares, appartient à la Société
des fermes françaises de Tunisie et a pour directeur
M. Saurin. On y cultive les céréales et près de 90 hec-
tares de vignes qui produisent surtout des raisins de table.
L AGRICUI/l'URE EUROPÉENNE 133
Le domaine de Bellevue (500 hectares! qui appartient à
MM. Licari, négociants en vins à Tunis, produit des
céréales et du vin. Il va été planté 165 hectares en vig-nes.
Les E tic kirs Kediet En/iesoura/i et Nahli, dont la surface
atteint 1.107 hectares et qui appartiennent à M. Amaury
de Givenchy, produisent des céréales et un millier d'hec-
tolitres de vin dont près de 200 hectolitr-es en vin hlanc
d'Alicante. La surface cultivée en vignes rouges est de
28 hectares. L'un des domaines les plus importants de
cette région est celui de M. Billy, memhre de la Chamhre
d'agriculture, et de la Conférence Consultative. La vigne
y est cultivée avec beaucoup de soin et donne des vins
réputés. Il existe encore dans la région de la Manouba six
ou sept domaines de moindre impoitance (36 à 135 hec-
tares) où des Européens cultivent les céréales et la vigne.
Dans la région de Téhourba, à une distance de 20 à
40 kilomètres au nord-est de Tunis, se trouvent quelques
grands domaines favorisés par la qualité des terres et par
des pluies régulières. Le domaine de Shuiggui qui appar-
tient à la Société immobilière du même nom, dont M. Paul
Leroy-Beaulieu est administrateur et M. Seguin régisseur,
s'étend sur près de 6.000 hectares dont 400 sont cultivés
en vigne. Une partie de la propriété est en montagne.
Le domaine de Bordj-el-A/nri, sur la route du Kef,
entre Saint-Cyprien et Massicault, dont la surface est de
3.050 hectares et qui appartient à MM. Canino et C'" a
été divisé en un grand nombre de petites fermes cultivées
par des Italiens qui y font de la vigne et des céréales.
Les vignes donnent 8 à 0 000 hectolitres de vins rosés,
rouges ou de liqueur (type marsala) et 180 quintaux de
raisins de table.
Le domaine de Chaoaat, sur la route de Bi/erte, près
de Djedëida, qui appartient aux héritiers de M""'Lagrenée
et s'étend sur 2.000 hectares entièrement cultivés, con-
tient 82 hectares de vignes en grande partie rouges. La
culture des céréales s'y fait conjointement à celle de la
vigne.
Le domaine de Djedeïda et Bejaoua (4.000 hectares)
134 LA TUNISli:
appartient à la Société pour Tapprentissage agricole en
Tunisie. L'Alliance israélilc universelle y afondé, en 189o,
une l'ertne-écolt; oij Ion cultive surtout des céréales et
30 hectares de vignes.
Parmi les domaines de cette région ceux de l'Omnium
mobilier tunisien méritent une mention spéciale. Cette
société, fondée au capital d'un million cinq cent mille francs,
a entrepris l'exploitation de grands domaines. Ceux-ci ont,
en général, leur autonomie et ont constitué des sociétés
filiales dans lesquelles l'Omnium est largement représenté.
Les principaux domaines ruraux de l'Omnium sont :
LiB domaine de Saida comprenant 1.300 hectares de
terre dàlluvion de la Medjerda, près de Djedeida, domaine
loué à un locataire commandité par l'Omnium. — Le do-
maine de Djaffar (100 hectares) dans la plaine de FAriana.
— Le domaine de Sidi-Salem, comprenant 550 hectares
dont 16 de vigne dans la plaine de Mateur. — Le groupe
de Draa-ben-Ioftdcr , Deroidch et Charchara, comprenant
7.000 hectares, principalement en brousses, adossé au mas-
sif de Zaghouan, dans une région favorisée par les pluies.
La guerre a interrompu la mise en exploitation de ce
groupe sur lequel 1.000 hectares environ ont reçu la
charrue française. — Le domaine de Ghéradoc comprenant
environ 7.000 hectares, dans la région de Sbeitla. Il est
remarquable par sa richesse en eau courante pendant
toute l'année. — Une partie du domaine de VOued-Meiah,
partie indivise d'une propriété située à 20 kilomètres de
Gabès, comprenant 20.0(J() oliviers en rapport, et 4 puits
artésiens donnant environ i.OOO mètres cubes d'eau d'ir-
rigation par vingt-quatre heures. Deux de ces puits ont été
forés par la Société. La superficie est de 1.000 hectares. —
Le domaine de Terre Noire (350 hectares) sur les coteaux
({ui limitent à l'est la plaine de Mateur.
Les propriétés qui ont fait l'objet de hliales sont :
Le domaine de Montarnaud, exploité par la Société
Martinier et C'^ Société en commandite au capital de
525.000 francs. Il comprend 2.790 hectares dans le contrôle
de Medjez, on y cultive l.OÔO hectares de céréales par an.
l/AORICUr/l'UHE EUHOl'KKNNK 133
— Le domaine de la Brauce Tunisienne , à Oued-Zargua,
appartenant à la Rurale Tunisienne, Société anonyme au
capital de 400.000 francs. Il comprend 2.650 hectares à
Oued-Zargua. On y cultive 1.100 hectares de céréales par
an. — Ces deux dernières propriétés n'avaient pas 20 hec-
tares chacune de défrichement au moment oii l'Omnium
s'y est intéressé. — Le domaine de Ben-Dou exploité par
la Colonisation de l'Oued-Ramel, Société anonyme au
capital de 350.000 francs. Il comprend 1.700 hectares
situés à Oued-Ramel. — Le domaine de Zouitina exploité
par la Société du Maiana, Société anonyme au capital de
400.000 francs. Cette propriété est située à Tébourba. Elle
comprend 900 hectares en voie de défricliement. La So-
ciété du Maiana possède en plus 20.000 pieds d'oliviers
dans la forêt de Tebourha.
Toutes ces entreprises ont demandé de très gros efforts
de toutes sortes. Elles étaient dirigées par un personnel
uniquement français qui a été mobilisé dès les premiers
jours d'août 1914, et qui a été remplacé par des moyens
de fortune.
Il existe encore dans la région de Djedeïda quatre ou
cinq autres domaines de moindre étendue dont un, le plus
important après les précédents, celui de Saint-Joseph d'El
Mahrine, cultive 191 hectares de vigne; les autres en cul-
tivent de 20 à 75 hectares.
La région de la Marsa. près de Tunis, sur les bords du
golfe, ne présente que deux propriétés : celle dite de l'ar-
chevêché, appartenant à la Société civile immobilière La
Tunisienne, composée de 65 hectai-es plantés en vignes et
celle de M. Bessis, près de la Goulette, dont la surface totale
est de 100 hectares. 40 hectares sont plantés en vignes qui
donnent exclusivement du vin de liqueur, type muscat.
Le domaine d'Utique a été constitué autour de l'an-
tique ville punique ; il est l'un des plus étendus de la
Régence. Il embrasse plus de 6.000 hectares et appartient
à un Français qui y réside, M. de Chabanes La Palice. Il
ne contient que 20 hectares de vignes rouges, plantées
au début de l'occupation. Les céréales y sont cultivées sur
136 LA TUNISIE
une grande étendue avec des machines à vapeur et donnent
de bons résultats. Plusieurs fermes ont été créées en vue
de l'exploitation par métayage.
La région de Mornag, située au sud-ouest et à une faible
distance de Tunis est celle où se trouvent actuellement
réunis le plus grand nombre de domaines européens.
Presque tous appartiennent à des Français. J'ai sous les
yeux une liste de vingt-huit domaines situés dans cette
région, qui tous font des céréales, de l'élevage et du vin
dans des conditions aussi favorables qu'il est possible de
les trouver en Tunisie.
Le domaine de Potineille (2.800 hectares), situé plutôt à
l'entrée de la presqu'île du cap Bou que dans le Mornag
proprement dit, est le plus important. Il est situé à deux
kilomètres de la station de Hammam-El-Lif, sur la ligne
de Tunis à Sousse, et s'étend des pieds du massif monta-
gneux de Bou-Kornine jusqu à la mer. Acheté en 188i
par M. Paul Potin, et régi par M. Gauvry, il possédait
déjà en 1888 un vignoble de plus de 400 hectares, porté
depuis à près de 600 hectares. C'est le vignoble le plus
important et le mieux aménagé de la Tunisie, grâce aux
dépenses considérables faites pour son installation, son
entretien et son exploitation. Il produit de 15 à 23.000 hec-
tolitres de vins dont une partie notable est représentée
par des mistelles et par des vins de liqueurs iMuscat,
Porto, Banyuls). Une centaine d'hectares sont ensemencés
tous les ans en céréales. L'élevage est représenté par d'im-
portants troupeaux de bœufs et de moutons. On y a créé
une fabrique de chaux hydraulique et de ciment dont les
produits sont très estimés en Tunisie et au dehors.
Le domaine de Crétéville, à 20 kilomètres de Tunis, fut
acheté, en 1884, par un officier de cavalerie, M. Maurice
Crété, qui planta rapidement 250 hectares de vignes.
Actuellement son domaine produit en moyenne 13.000 hec-
tolitres de vin rouge, de vin blanc et de muscat. M. Mau-
rice Crété est un des colons français qui ont montré le
plus d'ardeur, de ténacité et d'intelligence dans leur
œuvre. Je disais de lui dans la première édition de ce
l'agriculture europkrnnr 137
livre : « Tandis qu'on défonçait ses terres, qu'on plantait
son vignoble et qu'on bâtissait son habitation, il logeait
sous la tente, au milieu de la plaine ». D'après une note
qui m'a été communiquée tout récemment, il a créé deux
autres domaines pour des sociétés filiales de la sienne,
l'un à Belli, dans la presqu'île du cap Bon, l'autre à Prot-
ville, sur la route de Bizerte, près du pont de la Medjerdah.
On estime que les trois domaines doivent posséder
ensemble environ 700 hectares plantés en vignes. Le
domaine de Belli (situé dans la région de Grombalia) a une
étendue de 600 hectares dont 160 plantés en vignes
rouges et blanches. Le domaine de Protville, dont l'étendue
est de 1.100 hectares, en a 170 plantés en vignes rouges,
blanches et muscat. Dans ces domaines on cultive des
céréales et on fait de l'élevage.
Le domaine de Bir-Kassad, situé à 4 kilomètres seule-
ment de Tunis et dont l'étendue atteint 644 hectares, fut
créé en 1888 par M. Savignon, ancien maire d'Alger. Il
appartient aujourd'hui à la Société de colonisation tuni-
sienne qui est une société de retraite, également propriétaire
des domaines de Ksar-Tyr (3.400 hectares dont 140 en
vignes) dans le contrôle de Medjez-El-Bab et du domaine de
Zaïana,près de Fondouk Djedid (cap Bon), créé parle géné-
ral Toutée. A Bir-Kassaâ, il existe 148 hectares de vignes.
En face de ce domaine, se trouve celui d'Hassen Bey,
dont la propriétaire est M"" d'Espaigne et le locataire,
M. Renoux, de Tunis. Son étendue est de 400 hectares,
dont 118 plantés en vignes rouges, blanches et muscat. Il
produit près de 200 quintaux de raisin de table, et plus de
7.000 hectolitres de vin dont environ 600 en vins de
liqueur, 300 en vin blanc, 3.400 en vin rosé et 2.500 en
vin rouge, on y cultive aussi des céréales.
he domaine d'Ahmed-Zaïd (^600 hectares) fondé au début
de l'occupation par M. Terras, appartient aujourd'hui à
son hls M. Antoine Terras, membre de la Gliambre
d'agriculture et de la Conférence consultative. On y cul-
tive 80 hectares de vigne et des céréales. On y a établi
une très belle orangerie.
I3!S LA TUNISIK
Le domaine de Marquey, situé à 18 kilomètres de Tunis,
appartient à MM. Armand Reclus et Guignard. Son étendue
est de 787 hectares dont 100 cultivés en céréales et four-
rages et 100 en vignes rouges et blanches
Le domaine de Ben-Arons appartient à la Société des
lermes dont le directeur est M. Saurin. Il est situé à
3 kilomètres seulement de Tunis, près de la gare de
Djebel-Djelloud où s'est constitué un centi'e industriel. Il
y est cultivé i'ô hectares de vignes blanches et rouges.
Le domaine de Sidi-Salem, propriété de M. le docteur
Jude Hue, est situé dans le Haut-Mornag, Il figure parmi
ceux dont les vignes ont le rendement le plus fort. S-on
étendue est de :U9 hectares, dont 63 sont plantés en
vignes rouges.
Le domaine d'Eschamufies également situé au Mornag,
propriété de M. de Warren, cultive 40 hectares de
vignes dont le rendement est l'un des plus élevés de la
Régence. M. de Warren fut avec M. de Carnières, prési-
dent de la Chambre d'agriculture et M, de Bouvier, aujour-
d'hui décédé, l'un des créateurs du Crédit rural et de
l'Association agricole.
La plupart des autres domaines de la région ont une
surface inférieure à 300 hectares et cultivent entre 20 et
80 hectares de vignes. Tous font des céréales ; tous sont
considérés comme prospères.
La région de Grombalia, qui s'étend au sud-est et k
l'est de la précédente, contient de vingt-cinq à trente
domaines dont quelques-uns figurent parmi les plus anciens
de la Tunisie.
Le domaine de M' Raissa donl l'étendue est de 1.700 hec-
tares appartient à cette catégorie. Il fut fondé au début de
l'occupation par MM. Laurans et Mille, sur les bords du
golfe de Tunis, près de Soliman, dans les plaines qui
entourent l'embouchure de l'Oued Bezirk. Les vignes oc-
cupent 74 hectares. Après l'avoir visité, je disais, en 1887,
dans la première édition de ce livre : « la propriété de
M'Raissa est l'une de celles qui se prêteront le mieux à
l'élevage du bétail. Les plaines qui entourent l'embouchure
i/acricui-turi-: kuropkrnniî 139
de rOiied Bezirk sont très liimiides, et constituent des
pacages naturels qu'il serait aisé de transformer en riches
prairies. Pendant les plus fortes chaleurs de l'été, les
hœufs Y trouvent encore une abondante nourriture. Les
propriétaires n'ont pas négligé cette source de revenus ;
ils achètent à la fin de l'hiver des bœufs qu'ils font pâturer
pendant sept ou iiuit mois et qu'ils revendent ensuite
avec de beaux bénéfices. Si l'exportation de ces animaux
était possible, si elle n'était pas entravée par des droits
excessifs, ils pourraient la pratiquer dans d'excellentes
conditions, car ils embarqueraient leurs bœufs sur les
bords mêmes du pâturage. Il existait autrefois à M'Raissa
un petit port romain dont on voit encore les traces et qu'il
serait aisé de rétablir, pour le plus grand profit des habi-
tants de la riche région qui entoure Soliman ».
La construction du chemin de fer de Tunis à Soliman
a rendu inutile le rétablissement du petit port de M'Raissa
et le domaine créé par M. Mille (décédé) et M. Laurans
est indiqué comme l'un des plus prospères de la Tunisie.
On y cultive les céréales. On y a développé les prairies
(ît l'on y élève une quantité notable de bétail, dont aujour-
d'hui rex])ortation est libre.
Le domaine du Khanguet, propriété de M"'^ V' Gillet,
dont l'étendue est de 2.000 hectares, est situé au Khanguet-
el-Hadjaj, près de Grombalia. On a planté 130 hectares
en vignes rouges. On y cultive les céréales, et l'on y
élève du bétail. Une partie du domaine a été aliénée par
M""= Gillet à MM. Licari et Riant.
A signaler aussi au Khanguet, le domaine de M. Riant
et celui de M. Leclorc, fils d'un des anciens généraux qui
ont commandé la division d'occupation. On y cultive sur-
tout la vigne.
Le domaine de Khangxet Gnesnon, près de Grombalia,
propriété de M. Guesnon, étendue sur 600 hectares, pos-
sède 144 hectares de vignes rouges. On y cultive les céréales
et l'on y élève du bétail.
Le domaine Oued-ei-Abid, de 6.806 hectares, propriété
du Crédit mobilier de Paris, situé sur les bords de la mer,
140 LA rUNISIti
prrs (le la pointe du cap Bon, ne cultive que TiO hectares
de vignes, sous la direction de M. de La Poterie.
Le domaine de Foudouk Djedid (100 hectares), propriété
de M. de Carniëres, président de la Chambre d'agriculture
du nord de la Tunisie, est remarquable par le rendement
de ses vignes, qui couvrent trente hectares. Dans le reste
du domaine on cultive des céréales.
Il faut rappeler : le domaine de Belli (600 hectares)
qui appartient à la Société filiale de la Société Crété ; on
y culti^■e 160 hectares en vignes d'un très bon rendement
moyen ; le domaine créé par le général Toutée à Fondouk-
DJcdid, où l'on cultive 180 hectares en vignes; le domaine
de El-Haouarya appartenant à M. Paris , (400 hectares
dont 45 en vignes), près de Soliman , où l'on fait du vin
rouge, du vin blanc et du vin de liqueur, les vignes ayant
un bon rendement moyen ; le domaine de Kelhia (893 hec-
tares dont 30 en vignes) près de Grombalia ; le domaine-
de El Aouina (350 hectares) appartenant à M. Lehucher,
gendre de M. de Carnières, où l'on fait de la vigne et des
céréales et où l'on élève du bétail ; les divers domaines du
centre de Bir Meroita, créé par la Direction de l'Agricul-
ture, etc.
Le domaine de M. Branima à 5 kilomètres de Soliman,
dans la forêt d'oliviers, ne comprend que des oliviers,
25 à 30.000 pieds, cultivés avec le plus grand soin
et une fabrique d'huih' montée avec tous les progrès
modernes.
Les autres domaines de la région ont des étendues
inférieures à 300 hectares et cultivent de 20 à 75 hectares
en vignes. Presque tous appartiennent à des Français.
Dans la région de Sedjoumi. au sud et à une faible dis-
tance de Tunis, se trouvent quatre ou cinq grands
domaines appartenant à des Français et (juatre ou cinq
petits ayant pour propriétaires des sujets italiens.
Le domaine de M'Rira qui s'étend sur 2.000 hectares, à
9 kilomètres de Tunis, sur la route de Kairouan, appartient
à M. Edouard Prouvost, de Roubaix. Il y a été planté
500 hectares de vignes rouges et blanches. On y cultive
L A(jRICULTURR EUROPKENNR 141
aussi (les céréales et l'on y fait de l'élevag-e. Une partie
de la propriété est exploitée par des enzellistes.
Le domaine de Bordj-Chakir dont les propriétaires sont
MM. Reynier Irëres, de Grenoble, et qui est géré par
M. Yver de la Bruciiollerie, s'étend sur o90 hectares, à
11 kilomètres de Tunis, sur la route du Kef. Cent hectares
sont cultivés en vignes rouges, blanches et muscat. On
cultive aussi des céréales et on fait de l'élevage.
Le domaine très important de Ben Attar, dune conte-
nance d'environ 1.400 liectares, appartenant à M. Blaive.
L'Enchir Birinc, à 15 kilomètres de Tunis, derrière le
lac Sedjoumi offre, sur une étendue de 773 hectares,
61 hectares de vignes rouges et blanches qui donnent du
vin et 500 quintaux de raisins de table. Ce domaine est,
en grande partie, entre les mains d'Italiens.
Le domaine de Zarouni (250 hectares) propriété de
M. Eugène Terras, situé à 6 kilomètres de Tunis, près de
Manouba, offre 60 hectares de vignes rouges, blanches et
de muscat. On y fait près d'un millier d'hectolitres de
vin muscat qui pèse près de 15 degrés.
Citons encore les domaines de M. Dominique Bergonzo
àM'Rira, avec ses 28 hectares de vignes; celui de M. Gram-
matico Vincenzo, à Birine où Ton cultive 24 hectares en
vignes, etc.
La région de Sedjoumi est un lieu d'élection pour les
Italiens et les Siciliens qui la défrichent avec une remar-
quable ténacité mais n'ont que de petites propriétés.
La région de Zaghouan, au sud de Tunis, présente une
douzaine de belles propriétés appartenant à des Français,
notamment celle que créèrent le colonel de P'aucamberge
et M. Morel, celle de Finet, qui contient de magnifiques
prairies naturelles, quelques vignes appartenant à la Com-
pagnie des eaux, etc. Cette région est à la fois l'une dès
plus riches et des plus belles de la Tunisie. Elle est
égayée par les arbres et les arbustes qui couvrent la
chaîne du Zaghouan, la plaine et les collines qui la bor-
dent, par la pittoresque petite ville de Zaghouan, entourée
de jardins oià poussent tous les ai'bi-es fVuitiers de notre
142 LA TUNISIE
pays mêlés à des oliviers, à des grenadiers et à des vignes
(|u' arrosent l<'s eaux de la montagne, ces eaux dont on
parle avec enthousiasme dans toute la Tunisie parce
qu'elles sont les plus abondantes et les meilleures qu'on y
connaisse. Tour à tour les Carthaginois et les Romains
ont bu ces eaux qu'ils amenaient par des aqueducs à
Garthage et à Tunis. Les Romains ont bâti, au-dessus
des larges fissures des roches par lesquelles les eaux
sortent, un temple encore debout et presque intact, témoin
de la vénération dont cette petite ville a toujours été
entourée.
En 1890, une société lyonnaise acheta, dans cette région,
le domaine de l'Oued Hamel comprenant IG.OOU hectares
qui furent partagés entre ses membres. Il faut signaler le
domaine de Ren Dou, récemment cédé par M. Birot à
l'Omnium, celui de Sidi Cherif à M. Chavant, récemment
décédé, membre de la Chambre de commerce de Lyon.
Le domaine de cette région le plus important par son
étendue, est celui de Beni-Derrage (2.500 hectares) à
10 kilomètres de Zaghouan. Il appartient à la Société
immobilière de Beni-Draj. On y cultive 40 hectares en
vigne. On y fait des céi'éales et l'on y a créé des |)rairies
en vue de l'élevage.
Le domaine de Djimla (1.500 hectares), propriété de
MM. Radius et Duprez, est situé près de Zaghouan. On y
cultive 25 hectares en vignes qui produisent des vins rosés
et rouges. La plus grande partie du domaine est cultivée
en céréales.
Le domaine de Bir-Cliana^ à Mograne, près de Zaghouan,
l'ut créé par le colonel de Faucamberge dès le début de
l'occupation. Il devint ensuite la propriété de M"'' Thérèse
Humbert puis celle d'un guadeloupéen, M. Larraque. On
y a planté 215 hectares en vignes. On y cultive en outre
des céréales, on y a créé des prairies et l'on y fait de l'éle-
vage.
Le domaine dp Val-joie, propriété créée par M. Duffo,
président du Syndicat général des viticulteurs, mort récem-
ment, est situé à Aïn-el-Asker, à 2 kilomètres delà station
l'agriculture européenne 143
(lu Djebel OusL II s'élend sur 350 lieclares. doril, 'l'I cul-
livés en vignes.
Le domaine ou établissement agricole de Sainte- Marie
du Zil , propriété de M. Vidou, s'étend sur 47o bectares, à
18 kilomètres de Zaghouan. On y cultive 33 hectares en
vignes blanches et rouges. La culture des céréales y
occupe une place importante. Ce domaine faisait partie
de l'Oued Ramel. Il fut donné, par la Société Lyonnaise,
à M. l'abbé Boisard pour y créer un orphelinat agricole
(500 hectares). L'abbé Boisard a passé la main à une
Société patronnée par M. Jolv, de l'Institut, qui continue
à élever des orphelins.
Le domaine d'A'r/t-el-Asker à 4 kilomètres de la station
de Djebel Oust, s'étend sur 550 hectares. Il a pour proprié-
taire M. Jules-François Krayembùhl. On y fait beaucoup
de céréales et 28 hectares sont plantés en vignes.
Notons encore, dans cette région, le domaine de Dial-el-
Arous (358 hectares dont 22 en vignes, le vignoble de
MM. Machuel et Bérard, à Bir M'Gherga (22 hectares de
vigne et les vignobles de M. Célix (20 hectares), de
MM. Aula et Virgélio (30 hectares), de M. Houde. prési-
dent de l'Association des colons d'Aïn-el-Asker. etc., etc.
Dans la région de Sfax, nous trouvons encore un
domaine où l'on fait de la vigne, celui qui porte le nom de
Enchir-el-Haj eb , dont la sui'face totale est de 400 hectares,
avec 40 hectares de vignes. Il produit 3.000 kilogs de rai-
sins de table ainsi que des vins rouges et blancs et du vin
de muscat. Il appartient à M. Henri Cuny qui y cultive
des céréales, des amandiers et des oliviers.
La statistique générale de la Tunisie pour 11)12 indique
dans la région de Sfax 48 viticulteurs européens dont
32 français, 13 italiens, 2 anglo-maltais et 3 grecs cultivant
ensemble 216 hectares de vignes dans lesquels figurent
probablement les 40 hectares du domaine El-Hajeb. Le
nombre des hectares cultivés en vignes par les 32 français
étant de 205, il ne reste pour les autres européens que des
surfaces très réduites.
La région de Sfax est surtout remarquable par les cul-
144 LA TUNISIR
tures d'oliviers et (ramandiors (lu'y i'aisaienl, depuis fort
longtemps les indigènes et- vers lesquelles se sont portés,
depuis une quinzaine d années, un certain nombre de colons
français.
Parmi les principaux domaines créés par les Français,
nous devons citer ceux de M. Boucher, sénateur, ancien
ministre (10.000 hectares), géré par un de ses (ils; de
M. Cochery, ancien ministre, député du Loiret, mort
récemment (près de 3.000 hectares) ; le domaine de la
Fauconnerie, appartenant à M. Faucon, liquidateur judi-
ciaire à Paris, et géré par M. Gharroin, cultivateur émé-
rite qui fait des expériences pour le compte de la Direction
de l'Agriculture: on y voit une autrucherie récemmeni
achetée par l'État tunisien: celui de M. Mougeot, sénateur,
ancien ministre ; ceux de MM. Sirv, Liby, Boizel, etc., etc.,
tous créés dans les Terres sialines, vendues par l'Etat à
10 francs Thectare, à la condition d'être plantées en oli-
viers. M. Regnault, ancien résident du Maroc, ambas-
sadeur au Japon, M. Serres, Contrôleur civil à Tunis, le
docteur Chrétien, de Nancy, etc., etc., ont également
planté des oliviers dans cette région devenue tout à fait
florissante.
La plupart des propriétaires européens ont adopté pour
leurs plantations le système des m'gharsis dont il a été
question plus haut, qui aboutit au partage des oliviers
par moitié entre le propriétaire et le travailleur lorsque
les arbres commencent à produire. D'autres ont préféré
garder à leur charge tous les frais de la plantation et de
l'entretien des olivettes, afin d'en avoir l'entière propriété.
Les uns et les autres ont éprouvé des difficultés dans
le recrutement des m'gharsis, d'autant plus grandes que
leurs propriétés étaient plus éloignées de Sfax. L'ancien
Directeur de l'Agriculture, M. Bourde, à qui l'on doit le
développement de la culture des oliviers par les Euro-
péens, dans les environs de Sfax, doit être félicité pour
cette œuvre éminement utile à la colonisation française en
Tunisie.
Dans la région de Sousse la statistique signale l-)2 viti-
l/Af.Rir.LLrLMlK la' ItOl'KKNNi; 14o
culteurs dont 23 français, KiO italiens et 9 anglo-maltais
cultivant ensemble 987 hectares de vignes. Les 23 fran-
gais en ont ensemble 187 hectares ; les 160 italiens en
ont 785.
L'un des domaines les plus anciens de la Tunisie, celui
de Kliroussia, se trouve près de Sousse. non loin du lac
Kelbia, dans une localité très riche en eau. On y avait
planté une cinquantaine d'hectares de vignes qui n'ont pas
réussi. On y fait des fourrages et l'on y appliquait pour
la culture des céréales un système sur lequel on avait
fondé de grandes espérances. Les propriétaires louaient
aux Arabes la majeure partie de leurs terres moyennant
une faible somme d'argent et l'obligation de cultiver, au
profit exclusif du propriétaire, une certaine étendue de
terres. Grâce à ce système le propriétaire n'avait que peu
d'avances de fonds à faire et l'Arabe était fixé au sol par
ses intérêts. Mais la sécheresse est trop grande dans cette
région pour que la culture des céréales soit avantageuse.
On se heurta pour la culture de la vigne, à une autre dif-
ficulté : la trop grande richesse du sol en chlorure de
sodium, en sels magnésiens et en gypse. Partout oi^i le sol
est salé la vigne refuse de vivre.
Dans la région de Gabès M. de Lesseps possédait un très
vaste domaine qui passa aux mains du commandant
Roudaire et qui est actuellement divisé en deux parties :
l'une appartenant à MM. Person et Maugery, l'autre à
f Omnium immobilier, société tunisienne dont nous avons
déjà parlé. L'origine de ce domaine remonte au projet
de M. Roudaire, relatif à la création d'une mer intérieure
s'étendant sur tous les chotts du sud de la Tunisie et de
l'Algérie. Un canal de près de deux cents kilomètres devait
relier les chotts au golfe de Gabès et permettre leur
envahissement par l'eau du golfe. Par décret du 22 no-
vembre 1883 le Bey concédait à M. de Lesseps le droit de
creuser des puits artésiens dans toute la région des chotts
et s'engageait à lui vendre autour de chaque puits une
surface de terre de 100 hectares par chaque mètre cube
de débit à la minute, à un prix calculé d'après la valeur
J.-L. Dr Lanei4sa>'. — La Tunisie, 10
146 I^A TUNISIE
du terrain avant lo forage du puits. En 1887, j'assistai au
creusement du premier de ces puits sous la direction du
commandant Landas. Les projets primitifs ont été aban-
donnés, mais de nombreux puits artésiens ont été creusés
dans le sud.
La statistique signale encore dans la région de Gabès-
Djerba, l'existence de 9 viticulteurs européens, dont 4 fran-
çais, 4 italiens et 1 grec, cultivant ensemble près de 10 hec-
tares de vignes.
Dans la région de Zarzis, la ^statistique signale 8 viti-
culteurs européens, dont 6 français et 2 italiens, qui cul-
tivent ensemble environ 34 hectares de vignes.
Dans la région de Gafsa, elle indique 5 viticulteurs
français cultivant ensemble environ 6 hectares de vignes.
Dans le Nord et l'Est de ja Tunisie, il existe un grand
nombrede domaines dont quelques-uns de grande étendue,
tous favorisés par la régularité et l'abondance des pluies
et la facilité des communications.
Dans la région de Bizerte, nous avons déjà noté le
domaine de Protville qui appartient à une filiale de Ja
Société Crété. W s'étend sur 1.100 hectares dont 170 plantés
en vignes rouges, blanches et de muscat. On y cultive
aussi des céréales et Ton y fait de l'élevage.
C'est aussi dans cette région que se classe le domaine
d'Utique dont il a été question plus haut.
Le domaine de El-Hao?ad [l.\W hectares) situé comme
le précédent sur la route de Bizerte à Tunis, propriété
de M. Alexandre Grammont, gérée par M. Villard, offre
74 hectares plantés en vignes d'un bon rendement. On y
cultive des céréales et l'on y fait de l'élevage.
Sur les rives nord du grand lac de Bizerte, s'étend une
région fraîche, celle de El-Azib, où s'est développée de
façon heureuse, sur des terres légères, la moyenne coloni-
sation : une dizaine de propriétaires y font, sur des éten-
dues variant de 50 à 200 hectares, les fourrages, l'élevage
en demi-stabulation, les cultures maraîchère et fruitière et
un peu de céréales. L'eau, très abondante et bonne, y per-
mettrait l'établissement de luzernières.
L AC.RICULÏURE EUROPÉKNiMi 147
iVu sud du lac, sont les domaines de M. Doyen, de
M, de la Haye, le vignoble de la société de Tindja.
A l'ouest, entre le lac et la mer, on voit le centre de
Sidi-Ahmed créé par la Direction de l'Agriculture, puis le
centre de Sidi-Bou-Hadid issu du morcellement des
3.000 hectares qui appartenaient à la Société Anonyme de
Sidi-Bou-Hadid et formant les domaines de MM. Rouget,
de Nadaillac, Descamps, de Ganay, Dufaure et Rousset,
variant de 100 à 500 iiectares et propices aux céréales et
à l'élevage.
Enfin sur les rives nord du lac Ichkeul est un autre grou-
pement formé parles propriétés de MM. Clary, de Ganav,
Leclercq et Daverède.
Citons encore le domaine de Sidi-Scdem, près de Mateur,
propriété de M. Gabriel-Jullien, étendu sur 866 hectares
avec 20 hectares de vignes, loué à M. Costet, ancien
élève des Écoles d'Agriculture de France, vice-président
de l'Association agricole de Tunisie.
La région entre Bizerte et Mateur est une de celles qui
se prête le mieux à la colonisation européenne, à cause de
la régularité et de l'abondance des pluies et de la qualité
des terres.
Mateur même est un centre des plus fertiles et oii les
pluies sont les plus régulières. ïl y faut noter d'une façon
particulière les propriétés très importantes et très bien
tenues de MM. Loyer, Lapalu, Marchegay, Rœderer,
Lavotte, Massini, Pinhède, Lespinasse, Desportes de
La Fosse (ministre plénipotentiaire, ancien délégué à la
Résidence Générale.
La région de Mateur commence en réalité après Chaouat,
à Sidi Athman (propriété admirablement tenue de feu
M. de Bouvier) ; elle englobe les domaines d'Ain Rhelal,
appartenant à M. Boissonnas, récemment acheté par
M, Auvergnat, à M. Wartelle, à M. le comte de Bazignan,
et s'étend jusqu'aux Mogods et aux Hédils. Cette région
est éminemment propre aux céréales et à l'élevage.
La région de Béjà contient deux beaux et grands
domaines : celui de VOned-Zerga et celui de Mimc/iar,
148 LA TUNISIE
propriété de la Société des Fermes françaises de Tunisie,
avec ris iiectares plantés en vl^-nes. Il est diriçi-é par M. Sau-
rin.
L'Oued-Zerga fut acheté par M. Gery à Moustapha-ben-
Ismacl, avant l'occupation. Tl a été ailoti par les soins de
M. Acquaviva, aujourd'hui décédé, membre de la Chambre
d'Agriculture, délégué à la Conférence consultative, fon-
dateur des Assurances mutuelles ; il y a maintenant une
quinzaine de domaines importants : le principal celui de
M. Acquaviva, contient les vignes : à citer MM. Ponson,
président de l'Association des colons, Ballut, Roméas,
Gaulliier, Héberger, Guyétand, etc., etc.
La région de Déjà est l'une des plus favorables de la
Régence à la colonisation européenne. Elle ne connaît pas
les mauvaises années. On y cultive avec profil les céréales
et l'on y fait de l'élevage dans d'excellentes conditions.
Il y a été créé un grand nombre de fermes françaises de
petite étendue et qui toutes sont prospères. Leur création
a été due en partie à la Société que préside M. Saurin et
en partie à la Direction de l'Agriculture. Dans une note
qui vient de m'ètre communiquée, on estime à au moins
150 le nombre des fermes de cette région, dont la partie
la plus fertile est celle qui s'étend dans la vallée de l'oued
Zerga entre la ville de Béja et les collines qui, en raison
de leurs sommets dentelés, ont reçu le nom de la Scie.
La richesse proverbiale des terres de cette région est
due à une précipitation annuelle de pluie oscillant entre
600 millimètres et 800 millimètres et à des sources nom-
breuses, à débit abondant.
Les colons y étaient relativement peu nombreux jus-
qu'en 1900 ; ils ont vu leur nombre s'accroître en grande
proportion. Seule, la cherté progressive des terres apporte
actuellement un obstacle à leur multiplication. Les élé-
ments de cette colonisation sont excellents, formés en
grande partie par des paysans originaires de l'Ouest, et
des jeunes gens sortis de l'École d'Agriculture coloniale
de Tunis, tous installés sans esprit de retour.
La situation géographique particulièrement favorable
i/aGRICUM'URF, ruropkrnnr 149
(le celle contrée, les qualités agricoles de ses émigranls
ont déterminé une suite de progrès particulièrement inté-
ressants dans les assolements, procédés culturaux, sélec-
tion et adaptation des semences, etc.
L'élevage, édifié d'une façon rationnelle, a adopté la
formule du croisement (Salers, Tarentais. Modica, etc.) ;
les résultats acquis ont été mis particulièrement en évi-
dence sur les propriétés de MM. Leclerc, Roy, Vénè(|ue,
Carrier, Gagne.
Des croisements fort intéressants aussi ont été réalisés
sur les brebis d'origine algérienne et les porcs. L'élevage
du cheval a donné des résultats particulièrement satisfai-
sants chez M. Duifau d'El Aifareg. Il convient aussi de
mentionner particulièrement l'introduction par M. de Lan-
nurien de nombreuses juments bretonnes dans le pays,
en vue de croisement avec les baudets, du Poitou ou des
Pyrénées.
Il semble malaisé de mettre en relief tel domaine ou
telle propriété. Partout on trouve un eiïort constant et
une émulation progressive. Sur le lot de «0 hectares,
comme sui- l'henchir de 500 hectares, on pratique l'emploi
judicieux, basé sur l'analyse des terres, de superphos-
phates, scories et autres engrais; partout les dernières
créations du machinisme agricole sont étudiées et accueil-
lies avec satisfaction.
En résumé, cette jeune colonisation a fait ses preuves
et semble appelée à un plus bel avenir encore. Etant
donné l'exemple remarquable de collaboration intelligente
avec les indigènes dans la pratique des œuvres culturales.
le bel esprit de mutualité qui l'anime, ses succès grandi-
ront encore. Souhaitons aussi que le nombre des colons
s'accroisse. Les preuves de réussite sont acquises et il faut
espérer que la Direction de FAgriculture continuera à
développer cefoyer d'efforts français.
Dans la région deMedjez-el-Bab, se trouvent deux grands
domaines : celui de Ksar-Tyr propriété de la Société d<'
colonisation française, 3.400 hectares, dont 140 en vignes
et celui de Cliassart-Tefalia actuellement à M. de Wou-
150 LA TUNISIK
liis. sujet bolg-e, (3.000 hectares, dont 103 en vignes
rouges, blanches et de muscat).
A citer encore les beUes exploitations de MM. Deligne,
membre de la Chambre d'ag'riculture, Blanc, Soulier,
Morand, Muzart, Raffin, etc., etc. Céréales et bétail.
Les colons de Medjez et du centre voisin, à 10 kilo-
mètres du (jroubellat (Direction de l'agriculture), onl
fondé une Société d'élevage qui constitue, par la sélection
des bovins indigènes, un superbe troupeau.
Dans la région de Souk-el-Arba se trouvent trois beaux
domaines : celui de Zama, à Souk-el-Khemis (ol7 hectares
dont 40 en vignes), fut créé par M. Féret, il appartient
aujourd'hui à M. de Waumas ; celui de Romani au comte
de Chabannes (300 hectares dont 40 en vignes rouges) ;
et celui de Zaouetn, propriété de la Société foncière et
agricole des vignobles de Souk-el-Khemis, dont le directeur
est M. Charles Fabre. Ce domaine a une étendue de
1.500 hectares. Le phylloxéra s'étant introduit dans son
vignoble, il y a quelques années, on arracha d'abord la
vigne sur un hectare. De nouvelles taches s'étant formées
dans ces derniers temps, la Giiambre d'agriculture et le
Syndicat des viticulteurs ont pris l'initiative de provoquer
l'arrachage du vignoble entier. On espère que grâce à cette
mesure et à l'isolement des autres vignobles, le phylloxéra
ne s'étendra pas dans la Régence. Afin de le prévenir il a
été pris, depuis longtemps, des mesures très rigoureuses.
Signalons les très importants domaines, à Souk-el-Khe-
mis, de M. Cailloux, dont les installations électriques
sont tout à fait remarquables, de M. Gounot, délégué à la
Conférence consultative, de M. de Waumas, membre de
la Chambre d'agriculture, etc., etc., le lotissement de la
Direction de l'agriculture à la Merdja-Khérédine.
Dans la région de Teboursouk, se trouve le grand
domaine (2.000 hectares) des Pères blancs, connu sous
le nom de Saint- Joseph de Thibar. Il est situé à 20 kilo-
mètres de Teboursouk ; 50 hectares sont cultivés en
vignes.
Nous devons citer encore les domaines très importants
l'agricui.tubk F.UROPKENNE itil
(le Aïn-Garsa à MM. PerriqueL, de MM. Fabre, Nancy,
Sériot de Dion, Gauthier, etc., etc.. et le lotissement
récent de la Direction de l'Agriculture à Tenchir Khalled.
§ lY. — L'exploitation des domaines européens
La mise en valeur de tous les grands domaines dont
nous venons de parler est beaucoup favorisée par le sys-
tème du métayage qu'emploient déjà un certain nombre
de nos compatriotes. Les métayers eux-mêmes pouvant
T'tre soit des indigènes, soit des Italiens, des Siciliens ou
des Maltais. Dans un mémoire publié par M. Renard dans
l'annuaire pour 1912 de l'Association des anciens élèves
de l'École coloniale de Tunis, le métayage est particulière-
ment recommandé comme moyen d'attirer en Tunisie les
agriculteurs français.
Il a été reconnu, en elfet, qu'un Français, cultivateur
de métier, peut difficilement réussir s'il ne dispose, à son
arrivée en Tunisie, d'un capital d'au moins vingt mille
francs ; s'il n'est pas agriculteur, le nouveau venu devra
avoir à sa disposition des ressources beaucoup plus consi-
dérables. Or, pour ceux qui connaissent le tempérament
du paysan français, il est évident que celui qui dispose
d'un semblable capital préférera rester en France plutôt que
venir le risquer en Tunisie ; en fait, il est très rare que la
Direction de l'Agriculture vende des terres à des colons
de cette catégorie.
« Au contraire, beaucoup de petits propriétaires et d'ou-
vriers agricoles, munis d'un capital de un à cinq mille
francs, viendraient volontiers en Tunisie, pour laquelle
ils seraient de précieuses recrues, s'ils savaient pouvoir
y trouver une bonne situation d'attente et s'ils avaient
l'espoir d'y devenir propriétaires. Or, le métayage —
l'expérience l'a prouvé — est pour cette catégorie si inté-
ressante de nouveaux venus, le moyen de se familiariser
avec l'agriculture de ce pays et de parvenir sûrement à la
prospérité. »
M. Saurin lui-même a publié sur le métayage envisagé
152 LA I UNI sir.
cornine moyen do dévt'loppiu- la coloiiisalioii tïançaise en
Tunisie des observations dont il me paraît utile de mettre
quelques-unes sous les yeux de ceux de nos compatriotes
qui liront ce livre. Il pose d'abord en principe que pour
réussir dans l'agriculture en Tunisie il faut, comme par-
tout d'ailleurs, réaliser Tunion d'un bon cultivateur labo-
rieux, sobre, intelligent et d'un capital suffisant. « Le vrai
paysan, dit-il [fOEuvre française en Tunisie, p. 28), malgré
ses qualités de travail et d'endurance ne peut pas s'établir en
Tunisie avec chances de succès s'il ne dispose pas du capital
nécessaire. Il ne peut pas y vivre comme journalier à cause
du bon marcbé de la main-d'œuvre indigène et italienne,
il ne peut donc s'y établir que comme maître-valet, mé-
tayer, fermier ou petit propriétaire. Quelle que soit la
combinaison adoptée, il doit acheter le sol, construire une
maison et une écurie, disposer d'un cheptel, des instru-
ments de labour et posséder les avances pour vivre en
attendant la récolte. » Tout cela représente une somme
importante. M. Saurin donne des chiffres « établis, dit-il,
à la suite d'une expérience personnelle de douze ans ».
Il envisage d'abord une ferme de 10 hectares dont 5 en
vignes. « Elle exige, dit-il. un capital de 12.U00 francs,
ainsi employés: achat du terrain 1.50U francs ; construc-
tion 2.500 francs; cheptel, 1.000 francs; divers 1.000 francs,
création du vignoble, 5 hectares, première mise de fonds,
6.000 francs. Elle rapporte brut, à partir de la cinquième
année, 5.000 francs. Celui qui établit cette ferme doit être
un cultivateur de profession, exécutant lui-même tous les
travaux des champs, vivant' en grande partie du produit
de son sol et allant chercher autour de lui, dans les pre-
mières années, un travail complémentaire, car ce petit
domaine ne saurait occuper tout son temps. » Il ajoute
qu'un colon peut vivre dans ces conditions « dans une
large aisance », mais encore faut-il qu'il possède un capital
initial d'une dizaine de mille francs ou que quelqu'un fasse
tous les premiers frais pour lui.
Il envisage un second cas, plus favorable, offrant une
situation plus enviable à la famille paysanne française qui
i/a(.RICULTURR RUROPÉI'.NNI'. i")3
voudrait s'expatrier. « Une ferme de ."iO liectares, dil-il,
dont 5 en vignes, exige une première mise de fonds de
32.000 francs et rapporte brut 10.000 francs. Le prix de
revient se décompose ainsi : achat du sol, 7.o00 francs ;
constructions. o.OOO francs; cheptel, 3.000 francs; divers,
3.500 francs. La création du vignoble nécessite une pre-
mière dépense de 1.200 francs par hectare. Les revenus
se composent du revenu de la vigne, 600 hectolitres de vin
vendus à 12 francs = 7200 francs; et du produit de
40 hectares en céréales et en fourrages, qui donneront de
50 à 150 francs brut à Thectare suivant les années et sui-
vant qu'on se trouvera dans la Tunisie n'' 1 (vallées
secondaires situées au nord de la Medjerda oij les pluies
sont régulières et abondantes ou n° 2 (vallées de l'oued
Miliane, de la Medjerdah et du Cap Bon). Ainsi, règle géné-
rale, dans une entreprise bien conduite, avec un capital
de 32.000 francs, on retirera brut 10.000 francs. Il y a là
de quoi rémunérer à la fois le cultivateur qui exploitera
le sol et le capitaliste qui aura fourni les fonds indispen-
sables à l'œuvre de colonisation. En admettant qu'on par-
tage le produit brut entre les (b'ux éléments, suivant un
contrat de métavage, il reste 5.000 francs pour le paysan
et 5.000 francs pour le capital. Ce sera là une excellente
affaire pour le paysan. Comme il n'y a pas de morte-saison
en Tunisie, un seul attelage peut très bien mettre en
céréales ou en fourrages une trentaine d'hectares et
labourer dix hectai'esde vigne. Le paysan trouve autour de
lui la main-d'œuvre à bon marché (l'Arabe se paie 1 fr. 25
à 1 fr. 50 sans nourriture) ; il est d'ailleurs muni d'une
moissonneuse-lieuse. Dans ces conditions, même sans
enfants en âge de travailler, il dépensera à peine 500 à
600 francs de journées supplémentaires et il pourra toujours
mettre de côté 1.000 à 2.000 francs par an, s'il est éco-
nome et laborieux. Que fera ce paysan de ses économies
dans un pays où le sol vaut de 150 à 200 francs l'hectare?
Il aura vite acheté une propriété sur laquelle il s'établira
à sontoui-. L'affaire sera tout aussi bonne pour le capital,
puisqu'il retira du 12 ou 15 p. 100 du capital engagé.
154 lA TUNISIE
Celui (jui ne dirigerait, pas lui-même l'exploitation devra
retranchei" une partie du rendement pour payer les frais
de gérance et de surveillance ; mais il lui restera du o au
8 p. 100. C'est là un taux bien supérieur au rendement
des capitaux de France. De plus, il aura une plus-value
certaine dans un pays neuf, encore peu habité. »
Cette plus-value sest produite depuis le jour où ces
lignes furent écrites et cela oblige à modifier dans des
proportions assez fortes sans doute, les chiffres ci-dessus.
Dans les régions de Béja et de Mateur, le prix des
terrains s'est beaucoup élevé. On parlait, récemment,
d'un millier de francs à l'hectare pour les terrains de
seconde valeur des environs de Béja. Il y a une douzaine
d'années les mêmes terrains valaient 130 à 200 francs. Il
faut donc prévoir pour l'achat des terres une somme très
supérieure à celle qui est prévue plus haut. D'autres
chiffres certainement doivent encore être élevés.
M. Saurin insistait, non sans raison, sur (la nécessité
de ne choisir pour métayers que de véritables paysans,
laborieux et intelligents. « Le pavsan, dit-il, doit être un
laboureur, conduisant lui-même sa charrue ou sa char-
rette, maniant la pioche aussi bien que le sécateur et ne
craignant pas de salir ses souliers dans le fumier. Il doit
vivre de la vie du paysan. Voyez autour de vous à la
campagne comment vivent nos cultivateurs. Us se nour-
rissent presque exclusivement avec les produits de leur
champ; ils ont une basse-cour bien garnie, un jardin
bien tenu, une vache ou une chèvre. Dans un coin de la
ferme, on entend le grognement du cochon qui fournira
la graisse, le lard et le jambon. Dans ces conditions, il
suffira de peu de chose pour joindre les deux bouts. Les
paysans qui veulent vivre en citadins ou en bourgeois
avant d'avoir réalisé des économies sont voués à une
ruine certaine. » Le paysan français qui accepte un
métayage en Tunisie doit, en somme, se dire qu'il ne
devra ni moins travailler ni se donner plus de confor-
table en Tunisie qu'en France, mais qu'il pourra s'élever
plus facilement à l'état de propriétaire dans le premier de
[, AC.RICULTURR KUROPKENNIÎ 155
ces pavs (jue dans le second parce que la terre y est.
meilleur marché. J'ajoute qu'il est plus facile et moins
coûteux de vivre dans un pays chaud que dans un pays
où il existe un hiver.
M. Saurin exag-érait probablement l'importance du
métayage lorsqu'il ajoutait : « A mon avis, le métayage
est le seul mode d'exploitation pratique pour celui qui ne
réside pas sur ses terres ou qui ignore les éléments de la
culture. Sans doute, il a ses imperfections comme toutes
les choses de ce monde, mais il offre de grands avantages,
celui qui habite son domaine et qui connaît bien son métier
aura parfois intérêt à employer le maître-valet qu'il paie
au mois ou à l'année. Quelle que soit la combinaison
adoptée, il faut que le citadin se double d'un bon paysan
français. 11 ne trouvera ni dans l'Arabe, ni même dans
l'Italien, l'habileté professionnelle, le bon sens, l'intelli-
gence pratique qu'on rencontre dans le cultivateur fran-
çais »,
Si le colon, propriétaire, habite sur son domaine pen-
dant la plus grande partie de l'année, s'il possède 100 à
300 hectares et qu'il veuille employer des maîtres-valets,
M. Saurin estime qu'il « vaudra mieux pour lui, morce-
ler son domaine en cinq ou six exploitations que de créer
une seule exploitation géante. 11 lui faudra dépenser
quelques milliers de francs de plus pour construire les
logements nécessaires, mais il les aura vite retrouvés
dans les économies réalisées sur le transport des fumiers
ou des récoltes. Il les retrouvera dix fois dans la plus-
value du sol le joui- oii il voudra morceler le domaine
pour n'importe quel motif ». Il estime que le rendement
sera plus fort. « Peut-on soutenir par exemple, dit-il, qu'un
vignoble de 300 hectares confié, par lots de lo hectares,
à vingt cultivateurs français ne sera pas beaucoup mieux
soigné que s'il est cultivé par des journaliers indigènes ou
italiens, dirigés par deux ou trois contre-maîtres français?
En cas de mévente des vins, l'exploitation du grand
vignoble deviendra ruineuse partout où la vigne ne pro-
duii'a pas 80 hectolitres à l'hectare ; elle sera encore
156 I,A TUNISIK
lémuiiérati'ict' dans rexploitation en métayage, parce que
le métayer, père de deux enfants en âge de travailler, peut
exécuter tous les travaux sans dépenser un sou et qu'il
retire du soi les principaux éléments de son alimentation. »
M. Suurin expose le système qu'il a lui-même appliqué
avec avantage. « J'ai créé, dit-il, deux gr'oupes de fermes
avec le concours de divers capitalistes qui m'ont honoré
de leur confiance, et j'ai pu établir ainsi dix-huit chefs de
famille. A chacun je donne en métayage une ferme
de 40 à 50 hectares pourvue de ses constructions et de son
cheptel. Les 10 à 20 hectares consacrés aux vignobles
sont défoncés à la vapeur, plantés et entretenus à mes
frais par le métayer jusqu'au moment de la production. Le
cultivateur dispose d'un capital variant de 500 à 2 000 francs;
on lui avance le capital complémentaire s'il est sérieux.
Il fournit le matériel de culture et le travail. Les produits
sont partagés par moitié. Toutefois, le métayer a pour lui
seul les produits de la basse-cour et du jardin. »
A la suite de visites répétées de diverses régions de la
France pour le recrutement de métayers et d'études faites
en Algérie, M. Saurin écrivait : « A la suite de ma longue
expérience, je puis formuler avec certitude les trois lois
suivantes : 1' tout paysan français qui vient en Afrique y
reste; 2" tout paysan français qui vient en Afrique y devient
propriétaire du sol; 3° tout paysan français venu en Afrique
y attire un ou deux compatriotes ». Et il concluait très
logiquement que le devoir de l'administration française
est d'attirer en Tunisie le plus grand nombre possible de
payiians français .
§ V. — La mutualité agricole en Tunisie
Les colorts de la Tunisie ont beaucoup aidé au progrès
de leur œuvre par l'institution de la Mutuahté agricole,
dont l'initiative fut prise par la Chambre d'Agriculture.
La première manifestation de la Mutualité agricole con-
sista dans la création de la Caisse régionale de Crédit
agricole.
i/agiucultuiie EUROPKKNNK 157
Los bases de ca\ groupement furent jetétîs après la pro-
mulgation du décret du 25 mai 1905. Le 10 novembre de
cette même année, à la suite d'une réunion que présidaient
M. de Carnières, président de la Chambre d'agriculture,
MM. de Bouvier et de Warren, on fonda la Caisse régionale
de Crédit mutuel agricole du Nord avec 105 sociétaires
représentant 314 parts. Le capital de fondation de cette
Société fut fixé à 40.000 francs.
Quatorze Caisses locales se fondèrent aussitôt, groupant
leurs opérations autour de la Caisse régionale et lui per-
mettant d'utiliser les avances gratuites de l'Etat.
Ce groupement ne prit véritablement tout son essor que
quelques années après sa création, les agriculteurs ne
s'étant pas rendu compte tout de suite des services que
pouvait lui rendre le Crédit agricole.
De 14, le nombre des Caisses locales fut porté à 18 et
en 1913, 25 locales étaient définitivement organisées, prê-
tant annuellement aux colons plus de 1.200.000 francs.
Ces Caisses établies les unes sur le principe de la soli-
darité limitée, les autres sur celui de la responsabilité illi-
mitée comportent pour la plupart, en dehors des colons fran-
çais, des cultivateurs indigènes, d'oii leur nom de Caisses
mixtes. Leur taux d'escompte varie entre 5 1/2 et (i 1/2.
La guerre n'a pas empêché le développement de cette
institution. Grâce au concours bienveillant du résident
général et du commandant du coips d'occupation, grâce
aussi, d'après ce que Ton m'écrit de Tunisie, à l'admirable
dévouement des femmes des colons que la guerre enleva
à leurs travaux, la Colonisation française et la Mutualité
agricole continuent de prospérer. Le président de la Caisse,
M. de Warren, ancien officier, est aujourd'hui capitaine
d'état-major, mais la Caisse n'en fonctionne pas moins
très activement, grâce au dévouement de M. de Carnières.
Des prêts de subsistances ont même pu être faits aux
colons que la guerre avait trop ci'uellement frappés dans
leurs intérêts et les semailles de 1914 ont pu, grâce à l'in-
tervention de la Caisse, être plus abondantes que celles
de l'année précédente.
158 LA TUNISIE
Sur la baso de la solidarité illimitée, se fondèrent, au
sein des Caisses locales, des Coopératives d'élevage ayant
pour but de permettre l'achat de reproducteurs de prix
soit en France soit en Algérie. Six de ces Coopératives
d'élevage fonctionnent acLuellement; leurs opérations se
montent à plus de lOO.UOO francs. Les prêts alloués par ces
Sociétés sont à plus longue échéance et sont consentis
pour une durée de deux ans.
Enfin la Caisse régionale admet, depuis deux ans, des
dépôts à vue, comptant- à ses déposants un intérêt de
3 p. 100. En 1914, le mouvement des dépôts à vue a
atteint le chiffre de 800.000 francs.
La Caisse régionale avait, au 31 décembre 1914, un
capital de 160.000 francs. Elle avait obtenu de l'Etat à
titre d'avance une somme de 535.000 francs. Une partie
de ces sommes (100.000 francs) a été convertie en valeurs
mobilières et déposée en Banque pour cautionner les opé-
rations de réescompte de la Caisse. Le reste est utilisé en
escompte direct aux Caisses locales.
La Caisse de Crédit agricole ne suffit bientôt plus aux
besoins des cultivateurs tunisiens qui comprirent la néces-
sité de se grouper pour les opérations d'achat et de
vente.
Les Syndicats agricoles ne pouvant exister en Tunisie,
les agriculteurs fondèrent en 1906, à la suite d'une réunion
tenue à la Chambre d'Agriculture et présidée par M. de
Carnières, un groupement qui prit le nom d'Association
agricole.
Cette société, à capital variable et à responsabilité
limitée, fut constituée au capital de 10.000 francs divisé
en parts de 20 francs.
L'Association agricole se préoccupa tout d'abord de
procurer à bon compte à ses adhérents les produits les
plus indispensables et c'est surtout sur le marché des
engrais chimiques et des produits œnologiques que se
portèrent les premiers efforts.
Une section d'Etudes fut adjointe à l'Association com-
merciale, son rôle fut d'étudier les questions agricoles,
L AGRICULTURE EUROPÉENNK lb9
permettant aux colons d'exposer leurs idées, le résultat
de leurs études et de leurs expériences.
L'Association agricole a donné naissance à la Société
des Agriculteurs de Tunis, société d'études agricoles et à
la Coopérative centrale des Agriculteurs.
La nouvelle Coopérative, créée sous le régime du dé-
cret du 4 juillet 1907, porta son capital de fondation à
31.200 francs, représenté en parts de 30 francs. Depuis, ce
capital a atteint 89.000 francs. L'Etat a avancé à la Coo-
pérative, sur les fonds du Crédit mutuel, une somme de
150.000 francs. Elle vend à ses adhérents divers produits
et se cliarge également de la vente de leurs récoltes.
A la faveur d'un décret beylical du 13 juillet 1912 qui a
autorisé les agriculteurs à former entre eux des sociétés ou
caisses d'assurances mutuelles agricoles, la Caisse cen-
trale algérienne a créé à Tunis une Caisse régionale. Ses
opérations, limitées jusqu'en 1915 aux risques agricoles
résultant de l'incendie et de la grêle, vont s'étendre aux
accidents. Elle a créé 24 caisses locales. L'ensemble des
valeurs assurées s'élève à 1 0.500.000 francs pour la branche
grêle et 16.300.000 francs pour la branche incendie.
I VL — Les italiens et la colonisation
Les étrangers possèdent en Tunisie 1.814 propriétés
réparties de la manière suivante d'après la statistique :
les Italiens en possèdent 1.513 représentant une super-
ficie de 87.122 hectares et les autres étrangers ensem-
ble 301 embrassant une superficie totale de 48.542 hec-
tares.
« Il est très remarquable, disais-je en 1887, que les Ita-
liens, si nombreux dans la Régence, oii ils ont exercé
pendant longtemps une intluence prépondérante, ne pos-
sèdent aucune propriété rurale importante. Ils se sont
toujours bornés à faire du commerce et n'ont jamais dirigé
leurs efforts vers la possession du sol, commettant ainsi
la faute la plus grave que puisse commettre une nation
désireuse de prendre racine dans un pays neuf et de s'en
160 LA TUNISIE
rendre jii<ulr«'sse. Or, nul ne conteslera que l'Italie et les
Italiens aient eu sur la Tunisie des convoitises très ardentes,
justifiées, il faut le reconnaître, par le voisinage des deux
pays et par l'ancienneté de leurs relations. Faut-il attri-
buer la faute que je viens de signaler à l'ignorance et à la
négligence, ou au manque de capitaux? Je n'oserais pas
me prononcer d'une manière absolue, mais je suis convaincu
que la troisième raison est celle qui a joué le plus grand
rôle dans leur conduite, conduite si préjudiciable à leurs
intérêts et à leurs ambitions. Ce qui prouve bien qu'ils
n'ignoraient pas l'importance des acquisitions de terres,
c'est qu'ils firent des efforts inouïs pour entraver celle dont
il a été question au début de ce chapitre. Mais pour faire
des opérations agricoles de quelque étendue, il faut des
capitaux considérables, qui faisaient défaut aux colons ita-
liens de la Tunisie ; il faut aussi que ces capitaux soient
assez hardis pour ne pas reculer devant les risques de
pertes. Or, la hardiesse des capitaux résulte partout
de leur abondance. En vérité, je suis très porté à croire
que si l'Italie s'est laissé devancer en Tunisie par la France,
c'est parce que ses colons et son gouvernement n'ont pas
su ou n'ont pas pu faire les sacrifices pécuniaires indis-
pensables dans les entreprises de ce genre. On ne doit
jamais perdre de vue, quand on traite de questions colo-
niales, que pour coloniser il faut beaucoup d'argent. »
Ces observations ne sont pas moins justes aujourd'hui
qu'en 1887. Quoique le nombre des Italiens ait beaucoup
augmenté dans la Régence, on ne trouve qu'un petit nombre
d'entre eux à la tête de grands domaines. Il s'est même
produit, depuis 1901, un mouvement de recul parmi les
Italiens et les Siciliens au point de vue de la propriété
rurale. Ce fait a été déterminé par l'abaissement du prix
des vins. « Le colon sicilien, dit M. Saurin (p. 12) qui
achetait à enzel ou louait à long terme un lot de 2 à 10 hec-
tares ne pouvait vivre sur des surfaces aussi restreintes
qu'en les consacrant à la vigne. Il ensemençait un ou deux
hectares en céréales ou louait ses bras aux domaines voi-
sins pour assurer son existence quotidienne, mais il ne
i.'Acaacui.TURK kukoi'kknnk loi
|)(tiiv;iil t'aiiH" l'ace à ses cliarj^es qu'avec le [jioduil de l;i
\ igné. Ur, depuis 1903, le prix des vins s'esl maintenu
Lies bas, entre G et 10 francs l'hectolitre, ce qui l'a obligé
de recourir à l'emprunt. La plupart résistent péniblement,
et il ne se crée plus d'exploitations de ce genre... On peut
donc affirmer que la mévente des vins a préservé la
Tunisie delinvasion italienne. » M. Saurin ajoute que cette
invasion a également été arrêtée par le fait que les Arabes
de la Tunisie, les Kabyles de l'Algérie et les Tripolitains
s'adonnent de plus en plus aux travaux publics et à ceux
des mines métallifères et des carrières de phosphates.
Comme ils se contentent de salaires inférieurs à ceux des
Italiens et des Siciliens, on leur donne la préférence sur
les ouvriers européens.
I VII. — La colonisation officielle. Les Habous
Pendant les premières années de l'occupation, les
paysans français ne connurent pas la Tunisie. Tous les
premiers colons furent, ainsi qu'il résulte des indications
données plus haut, des capitalistes ou des sociétés recher-
chant les domaines de grande étendue, soit en vue de
l'exploitation immédiate d'une partie plus ou moins grande
des terres, soit avec la pensée de spéculations ultérieures
L'administration ne pensait même pas à la création des
centres de petits colons; elle était elfrayée, non sans raison,
par les échecs que la colonisation officielle avait subi en
Algérie. Elle était, en outre, justement hostile au système
des concessions gratuites, estimant qu'il est nécessaire de
demander au colon un sacrifice pécuniaire où se trouve
la garantie de son désir de faire véritablement œuvre colo-
nisatrice. G est seulement à partir de 1892 que, sous la
poussée de l'opinion des Français établis en Tunisie, l'admi-
nistration du protectorat s'est décidée à envisager ce que
l'on peut appeler la colonisation officielle. Celle-ci consiste
essentiellement dans la création de centres agricoles dont
les terres sont alloties et vendues par l'administration.
Celle-ci se charge de construire les routes nécessaires
J.-L. Dr L.^nkssan. — La Tunisie. 11
102 LA TUNISIR
dans les diverses parties du centre, les écoles, les burea
de poste, etc.
Les premières tentatives de ce genre furent faite|i
de 1892 à 189o, dans des conditions spéciales : le colq
était tenu de paver son lot au comptant, d'y construi
une habitation et de s'y installer lui-même ou d'y insta!
1er une famille française. Les trois premiers centres crée
furent : celui de Oum-Zid, près de Mateur. comprenai
4U0 hectares, divisés en 9 lots ; celui de Nassen, près d
Tunis, doTit les 134 hectares furent divisés en 4 lots; €
celui de Bordj-Touta, près de Tebourba, dont les 1.536 hec
tares étaient divisés en 26 lots. D'après M. Saurin(p. oS
voici quel fut jusqu'en 1909 le sort de ces trois centres
« A Oum Zid, 4 lots ont été achetés par un seul propriétaire
2 ont été revendus à des Italiens, 2 seulement appartiennen
encore aux acquéreurs delà première heure. Aux Nassen
un des lots a passé successivement entre les mains de quatri
propriétaires différents ; le deuxième a été alloti entn
six petits colons siliciens : deux lots appartiennent encort
aux deux premiers propriétaires qui étaient des paysans
A Bordj-Touta, il ne reste plus qu'un seul des coloni
du début, c'est un forgeron installé dans le village de
Tebourba; tous les autres sont partis et deux ou troi.'
propriétaires possèdent huit à dix lots ». Les trois centres
ont été, en somme, trois insuccès. Les deux premiers ne
comptent plus guère que des Italiens, le troisième a si peu
d'habitants que l'on n'a pas jugé utile d'y créer une école
La cause principale de ces échecs ne pouvait être attri-
buée qu'à l'obligation du paiement des lots au comptant,
car cette clause éloignait les paysans français, qui, en
général, ne sont pas assez riches pour verser de suite le
prix d'achat de la terre. Mais les personnes les plus com-
pétentes ajoutent que les lots établis par l'administration
étaient d'une étendue trop faible pour que leurs produits
pussent rémunérer le propriétaire de ses dépenses et de
son travail.
En 1896, il fut décidé que le paiement de la terre aurait 1
lieu en quatre annuités; aujourd'hui, il est effectué eu
i;'AGRlCUI/riIRl': KUHOI'KiîNNF, 163
dix annuités , avec faculté de dififérer la deuxième
annuité d'un an, ce qui accorde à Facheteur un délai de
onze années pour se libérer vis-à-vis de l'administration.
Celle-ci a, d'autre part, décidé de faire varier Tétendue
des lots conformément aux demandes des acquéreurs.
Elle se procure les terres à allotir, soit par achat à leurs
propriétaires, soit au moyen des habous qui lui sont con-
cédés par l'administration de cette sorte de biens.
En vue de l'achat des terres à colonisation, il a été créé,
par décret du l'"' décembre 1897, un fonds de colonisation
dont la dotation initiale fut 1.500.0U0 francs. Elle fut aug-
mentée de 800.000 francs en 1904 et de 700.000 francs
en 1903. En 1907, il y fut ajouté ."j millions prélevés, en vertu
d'une loi, sur l'emprunt tunisien de 75 millions autorisé
en 1905. Ce fonds sert à l'achat des terres et se reconstitue
automatiquement par la rentrée des prix d'achat.
Les habous étant des biens à caractère religieux, l'admi-
nistration du protectorat hésita pendant longtemps à en
faire usage au profit de la colonisation; elle craignait de
froisser les sentiments religieux des populations et d'enle-
ver aux pasteurs indigènes des terres sur lesquelles ils ont
l'habitude de faire paître leurs troupeaux, car elles ne
sont pas cultivées. Cependant, bien des raisons peuvent
être invoquées en faveur de la prise de possession et de
l'utilisation des habous. «La terre habous, ainsi que l'exposa
M. Alapetite à la Tribune de la Chambre (discours du
29 janvier 1912), est celle qui a été placée sous la protec-
tion de la loi religieuse (et rendue inaliénable) pour des
raisons souvent très diverses. Quelquefois c'est parce
qu'on craignait la main du souverain ou de ses favoris ;
d'autres fois parce qu'on se trouvait dans le voisinage
d'une tribu belliqueuse dont on craignait la force ; d'autres
fois il s'agissait d'un père de famille qui n'avait pas con-
fiance dans l'esprit de prévoyance de ses enfants. Que ce
soit une raison ou une autre, l'affectation habous avait
pour conséquence que les héritiers du constituant ne pou-
vaient plus disposer de la propriété; le sol devenait ina-
liénable et était placé sous la protection de la loi religieuse.
i()4 I, \ IINISIK
Plus on s'éloigne de la date de la fondation, plus le nombre
d(;s luM'i tiers se niultiplianl. la part de chacun dans le produit
des terres se réduit, au point (|u'il n'a pas beaucoup d'in-
térêt à s'occuper de sa gestion pour gagner quelques cen-
times de plus. » Si l'indifférence des héritiers n'est pas assez
grande pour que le habous soit abandonné, il est géré par
un individu que les héritiers désignent et que l'on qualifie de
mokaddem. Nonchalant comme tous les Arabes, le mokad-
dem « trouve que la façon la plus commode d'administrer
la fondation, c'est de se contenter de faire payer un péage
à tous les bergers qui veulent conduire des troupeaux sur
la terre habous ». Les habous deviennent ainsi une res-
source précieuse pour les pauvres gens qui y font paître
leurs troupeaux à peu de frais, mais ils n'ont presque pas
de valeur pour les héritiers. Il arrive de temps à autre
que ceux-ci disparaissent et alors le habous, devenu sans
maître, est réclamé par l'administration des habous qui le
fait gérer. S'il est au voisinage des villes, elle en tire de
réels profits en le louant pour la culture; s'il est rural, il
ne sert qu'au pacage du bétail et ne rapporte presque
rien.
Gomme les habous ont été des propriétés privées et que
celles-ci existaient jadis seulement dans le nord de la
Régence, c'est dans la partie du pays la mieux adaptée à la
colonisation par son climat, ses pluies et la nature de son
sol que se trouvent les habous privés et publics. Aussi, les
Européens de la Tunisie réclament-ils depuis fort long-
temps la mainmise de l'administration sur ces biens en
vue de la colonisation. L'administration hésitait nécessai-
rement devant l'acte qu'on réclamait d'elle. Non seule-
ment elle redoutait de froisser les sentiments religieux des
populations, mais encore elle ne pouvait méconnaître le
préjudice qu'elle porterait aux pauvres gens en supprimant
une pai'tie de leurs terres de parcours. Une autre raison
la retenait : c'est que les habous du nord servaient au
pacage du bétail des tribus du sud. Celles-ci, chaque
année, lorsque les herbes sont desséchées dans le sud et le
centre remontent avec leurs troupeaux vers le nord oi^i,
I. a(;hj(:ui.i'URK kiiropkknnf 16S
iiràce à la (luasi-régularité ries pluies, il existe encore
quelques herbages. Transformer les habous du nord en
propriétés européennes, ne serait-ce pas troubler profon-
dément l'équilibre économique de la Tunisie, en condam-
nant les populations du sud à ne plus pouvoir remonter
vers le nord lorsque la sécheresse empêche leurs troupeaux
de se nourrir dans le sud?
Le protectorat avait donc raison d'hésiter devant la
mesure que les Européens réclamaient de lui ; mais ainsi
que le déclara M. Alapetite à la tribune de la Chambre, il
ne considérait pas cependant « la condition de tous les
habous comme intangible ». Le résident général ajoutait :
« Il faut trouver un moyen de leur faire rendre davantage,
mais il ne s'agit pas de trouver ce moyen nous-mêmes,
d'office, et de l'imposer par la force [très bien! trh bien!).
De concert avec les représentants des indigènes, sans
violer leurs convictions, sans leur faire sentir que c'est la
main du conquérant qui pèse sur eux {très bien! très bien!) ,
il faut trouver le moyen de les amener à une collaboration
avec nous qui fasse fléchir un peu la rigidité de la tradi-
tion musulmane, en respectant ce qu'elle a d'essentiel, le
souci qu'a eu le constituant d'assurer à sa descendance un
revenu perpétuel et inaliénable »,
La question est ainsi, avec l'approbation delà Chambre,
parfaitement posée ; il sera d'autant plus facile de la
résoudre, que les indigènes eux-mêmes se montrent, à
notre exemple, plus portés qu'autrefois à mettre la terre en
valeur et à se constituer propriétaires. M. Alapetite cita
un fait d'oi^i il appert assez nettement la possibilité d'inté-
resser les indigènes eux-mêmes à la leconstitution des
propriétés pi'ivées au moyen des habous. Il s'agit d'un
habous public du cap Bon, situé auprès d'une petite ville
et cultivé par des habitants de cette dernière qui en
payaient la location très cher. Ne voulant pas priver les
indigènes de ces habous, le résident général prit les mesures
suivantes : « il laissa aux indigènes toutes les terres qui
étaient près de la ville, où ils pouvaient se rendre chaque
jour et qui leur étaient d'une exploitation commode » et il
16(3 LA. TUNISIK
obtint par là qu'ils renonçassent aux autres. Il disait à
la tribune de la Gbambre : « nous avons pu ainsi installer
dans ce pays quelques colons français qui y donneront,
j'en suis convaincu, l'exemple du progrès ap:;ricole [applau-
dissements à gauche et sur divers bancs à l'extrême
gauche).
Un décret beylical du 31 janvier 1898 autorise la loca-
tion à lonç terme des habous publics et privés ; un autre
décret, du 12 avril 1913, organise la mise en valeur, au
moyen de la vente à enzel, des propriétés rurales consti-
tuées en habous.
Au moyen des habous d'une part, des terres achetées
aux indigènes ou aux premiers colons d'autre part, l'admi-
nistration du protectorat a pu créer, depuis une vingtaine
d'années, un nombre important de centres de colonisation
qui, en général, ont prospéré. M. Saurin a publié, en 1909,
le résultat de ses observations personnelles dans tous les
centres de colonisation déjà créés à cette époque. « Deux
grandes vérités, dit-il, ressortent de cette étude surja colo-
nisation officielle : la réussite complète des paysans dis-
posant de quelques ressources et doués de qualités person-
nelles moyennes ; rextrème mobilité des bourgeois ou
citadins qui se fixent plus difficilement au sol. On m'a
rarement signalé des paysans ayant échoué. A la Morna-
glvia, au Goubeilat, à La Merdja (trois centres au sujet des-
quels il donne des détails], pas un seul paysan n'a vendu
son lot. Les lots acquis par des bourgeois ou des citadins
présentent au contraire des changements continuels. Tel
lot a déjà passé entre les mains de cinq propriétaires dans
une période de huit ans. A Bordj-Touta, il n'existe plus un
seul des acquéreurs primitifs, qui étaient tous des citadins.
A El-Arich, au cap Bon, les lots acquis par les jeunes élèves
de l'Ecole coloniale ont en grande partie passé entre, les
mains de nouveaux propriétaires. La proportion de ceux
qui vendent leur lot est considérable, on peut l'évaluer à 60
ou 70 p. 100, tandis qu'elle n'atteint pas 3 p. 100 pour les
paysans. » Mais il ajoute que « les citadins qui réussissent
fournissent au centre un élément précieux ; ce sont eux qui
L AGRICULTURE KUHOPKKNNE 167
donnent l'exemple de toutes les améliorations culturales
(labours préparatoires, emploi des superphosphates, cul-
ture des légumineuses fourragères, etc.). Ils dirigent les
associations locales, les syndicats et les caisses de crédit ».
Ceci dit, voyons quels efforts ont été faits par l'adminis-
tration tunisienne pour créer des centres de colonisation.
D'après la Statistique générale de la Tunisie pour 1912 :
« De 1892 à 1912, le Domaine a créé 102 centres ou lotisse-
ments. Pendant la môme période, l'Etat tunisien a consenti
à nos compatriotes la vente de 1 .340 lots ruraux de colonisa-
tion ». De 1892 à 1912, il fut vendu aux colons 137.482 hec-
tares de terres, représentant au prix de vente une valeur
de 17.469.380 francs. Au 31 décembre 1912, le nombre
des propriétés rurales possédées par des Français s'élevait
à 2,919, représentant une surface de 774,207 hectares, A
la même époque, le nombre des propriétés appartenant à
des étrangers s'élevait à 1.814 représentant une surface
globale de 135.674 hectares.
Il faut ajouter au chiffre des surfaces appartenant aux
colons français 108.079 hectares vendus « à nos compa-
triotes en vue de la plantation d'oliviers dans le centre et
le sud. » C'est donc un total de 882,286 hectares qui ont
été vendus, de 1892 à 1912, à des Français, en vue de la
colonisation.
I VIII, — Grandes et PETrrEs propriétés
En 1887, dans la première édition de ce livre, je disais :
« 11 n'existe encore en Tunisie que de très vastes propriétés
européennes, c'est par milliers d'hectares que se mesurent
les domaines achetés par nos compatriotes. Bien des per-
sonnes se demandent si ce mode de colonisation est le
meilleur, et si la constitution de la petite propriété ne serait
pas plus avantageuse ». Faisant allusion à l'accusation de
spéculation qu'on lançait contre les possesseurs de très
grands domaines, je disais que l'on ne pouvait guère cri-
tiquer les spéculateurs lorsqu'ils agissaient avec leur argent
et lorsqu'ils mettaient la terre en culture aussitôt après
168 LA TUNISIK
l'avoir achetée, ainsi que cela se faisait en Tunisie, v Je
crois même, ajoutais-je, que, dans de telles conditions, la
spéculation est chose utile. Si celui (jui s'y livre l'éussit,
tout va pour le mieux ; il lait sa fortune particulière, il
enrichit le pays en cultivant le sol, et, s'il vend ses terres,
il crée, autour de son propre établissement, un centre de
colonisation qui seul peut rendre possible la constitution
de la petite propriété. Celle-ci, en effet, ne saurait exister
dans un pays encore inculte, inhabité et dépourvu de voies
de communication.
« Ce qui caractérise essentiellement le petit propriétaire,
c'est qu'ayant engagé dans l'agriculture la totalité ou, du
moins, la plus g'rande partie de sa fortune, il faut que, dès
le premier jour, la terre produise suffisamment pour le
faire vivre lui et sa famille. Or, pour réaliser cette condi-
tion, il faut, en premier lieu, pouvoir" faire des cultures
très diverses et particulièrement des plantes vivrières, il
faut, en second lieu, que tous les produits du sol puissent
être aisément vendus et même vendus à un prix élevé.
« Ces conditions sont-elles actuellement réalisables en
Tunisie? Je ne le crois pas. D'une part, la rareté de l'eau
rend très difficile et très onéreuse la culture des plantes
vivrières ; en second lieu, l'absence presque absolue de
voies de communication et la rareté des g'randes agglomé-
rations rendent difficile la vente des produits du sol. Il
faut donc que le propriétaire soit en mesure, à la fois, de
faire des avances de fonds pour la mise en œuvre de son
domaine, et d'acheter les objets nécessaires à son alimen-
tation, objets qu'il est incapable de produire lui-même.
Dans de telles conditions, ceux-là seuls qui disposent de
grosses sommes d'argent peuvent entrer en scène. A ceux-
là revient le soin de créer les centres de colonisation, les
ag-glomérations humaines qui manquent, de défricher le
sol, de le féconder par leurs capitaux jusqu'au jour oii,
1 ayant mis en pleine production, ils peuvent le vendre à
des propriétaires moins riches qui n'auraient pu faire les
travaux préparatoires et long'temps improductifs de la colo-
nisation. Il est vrai que ceux-ci achèteront la terre aux
I, A(iKI(.UI.TURK KUnOPKKN'NK 169
prTiiiifis possesseurs à un prix relaliveuu^nl élevé, mais
ils rachèteront en pleine production, et au moment oi!i le
placement rapide (les produits aura été assuré par le peu-
plement des, domaines.
« Notre protectorat n'en est encore qu'à la première phase
de la colonisation, à celle où la terre, en partie inculte et
non peuplée, exige d'énormes capitaux, se prête admira-
hlement à la grande propriété et provoque les convoitises
de la spéculation. Pendant cette période, il n'y a pas lieu
de discuter si la petite propriété serait plus ou moins avan-
tageuse à la colonie que la grande, il faut se borner à
constater l'impossibilité de se constituer dans laquelle elle
se trouve et à souhaiter que les propriétaires actuels et les
spéculateurs agissent avec assez d'intelligence pour ne pas
compromettre à la fois leurs capitaux et l'avenir du
pays. »
J'ajoutais, comme conclusion : « En résumé, quels que
soient les motifs qui ont poussé les Français à acheter des
terres en Tunisie, je crois pouvoir affirmer, sans crainte
de me tromper, que jamais, dans aucune colonie, le mou-
vement de la colonisation n'a été aussi rapide et aussi
intense qu'il l'est dans ce pays depuis notre établissement.
Nous devons nous borner à souhaiter que les pouvoirs
publics prennent les mesures indispensables pour qu'il ne
se produise aucun arrêt dans la marche de ce progrès civi-
lisateur ».
L'évolution que je prévoyais en 1887 s'est produite :
au fur et à mesure que les grandes propriétés ont été mises
en valeur et que les voies de communication se sont mul-
tipliées, la moyenne et la petite colonisation, devenues
possibles, se sont constituées. Les illusions que les direc-
teurs des grands domaines avaient conçues se sont, dail-
leurs, dissipées et ont facilité la transformation du système
colonial. Au début de l'occupation, on croyait que la
Tunisie était la terre d'élection de la vigne et tous les
propriétaires se livrèrent à l'établissement de vignobles
dont ils espéraient retirer des profits suffisants pour n'avoir
pas à se livrer à d'autres cultures. Mais bientôt on s'aperçut
470 ^ LA TUNISIE
que le rendement de la vigne serait toujours faible à cause
de rinsuffisance de l'humidité même dans les régions plu-
vieuses, et l'on souffrit de la mévente parce que les vigno-
bles métropolitains s'étaient reconstitués. Aujourdhui, il n'y
a pas un seul colon tunisien qui ne reconnaisse la néces-
sité de joindre à la culture de la vigne celle des céréales
et, si possible, la création de prairies artificielles. Or, de
cette nécessité découle celle de rechercher les terres qui
se prêtent le mieux à la culture dos céréales et à celle des
légumineuses. lien est résulté un déplacement de la colo-
nisation. Tout d'abord elle s'était portée vers l'est de la
Régence, larégiondeTunisetducapBon, celle de Zaghouan,
celle de l'Enfida, celle de Sousse où des surfaces énormes de
terre pouvaient êtreacquisesà vil prix. Aujourd'hui, son lieu
d'élection est le nord, dans la région située au-dessus de
la Medjerdah où les terres sont très bonnes et où les pluies
sont régulières. Les terres de cette région ont, par suite,
acquis une valeur très supérieure à celle qu'on leur recon-
naissait au début de l'occupation, et les propriétaires des
grands domaines ont jugé le moment venu de vendre les
parties de leurs terres qu'ils ne peuvent pas ou ne veulent
pas mettre eux-mêmes en valeur. Leur désir très légitime
de vendre ne fut pas, sans doute, étranger au mouvement
d'opinion qui se produisit, il y a une quinzaine d'années,
en faveur de la colonisation officielle et de la création des
petites ou moyennes propriétés.
La Tunisie est entrée dès lors dans la deuxième phase
de son évolution. En 1887, la superficie totale des propriétés
rurales possédées par les Français n'était que de 284 . 000 hec-
tares répartis entre 275 propriétaires. En 1897, cette super-
ficie n'était encore que de 467.000 hectares partagés entre
943 propriétaires. En 1907, la superficie était de 677.000
hectares divisés entre 2.246 propriétaires. En 1912, la
superficie atteignait 774.000 hectares partagés entre
2.719 propriétaires. On voit que de 1887 à 1912 le nombre
des propriétaires est devenu huit fois plus grand, tandis
que la superficie totale des propriétés n'a même pas triplé.
Il en résulte bien manifestement que l'évolution s'est faite
L AGRICULTURE EUROPÉENNE 171
dans la direction de la substitution de la moyt;nne propriété
à la grande. Cette évolution est beaucoup favorisée en ce
moment par le fait qu'une partie notable des terres alloties
par l'administration en vue de la création de nouveaux
centres de colonisation est achetée aux grands proprié-
taires.
De la multiplication des colons est résulté naturellement
une transformation de Faspect général du pays qui saute
aux yeux de tous ceux qui ont vu la Tunisie au début de
l'occupation et qui la revoient aujourd'hui. Il est à peine
utile d'ajouter que la construction des routes et des chemins
de fer a contribué puissamment à cette transformation, en
rendant possible la création de centres de colonisation sur
des points où elle eût été impossible lorsque les moyens de
communication n'existaient pas.
Le jeudi 4 juin 1914, à la fin du banquet offert par les
colons de Mateur au résident général, un des plus anciens
colons de la région, M. Pelletier, parlant de l'état de cette
région en 1895 et aujourd'hui, disait : « J'ai assisté, et
travaillé, au merveilleux épanouissement de Mateur :
en 1895, ce n'était pas la ville florissante d'aujourd'hui,
toute frissonnante d'activité colonisatrice et de jeunes
énergies, ville auxdiôtels confortables, aux larges avenues
plantées d'arbres, à la gare encombrée de marchandises,
centre et rendez-vous d'une admirable région, sillonnée de
routes 011 sonnent joyeusement les trompes d'automobiles,
peuplée de fermes oii les colons dépensent des trésors
d'endurance, de ténacité et de bonne humeur. Non! dans
ce temps-là, pas de ville : une bourgade arabe, presque
séparée du reste de la Tunisie, et endormie dans son iso-
lement séculaire... Dans le bled, pas de routes : pour aller
à Tunis, 70 kilomètres de pistes, transformées l'été en
océans de poussière, l'hiver en marécages infranchissables.
Trois fermes, distantes les unes des autres de 8 à 10 kilo-
mètres, jalonnant une plaine fertile, mais nue et non
défrichée, et d'une sauvage grandeur. Quatre ou cinq
Français à peine, dans ce coin perdu...
« Et maintenant que de changements ! La région est
172 LA TUNISir.
sillonnée do chemins de fer, dont chaque station devient un
centre de rayonnement français...
(1 Les écokis s'élèvent. Irop petites, si spacieuses soient-
elles, pour la population scolaire qui les envahit.
« Nous allons aujourd'hui, Monsieurle Ministre, inaup^urer
l'hôpital-dispensaire, attestant que partout où se trouvent
réunis des Français, s'imposent ces sentiments de pitié
pour les humbles et les souffrants, et l'union dans la bien-
faisance, qui sont l'apanage de l'âme française. Cette créa-
tion est un peu l'œuvre de tous : budget municipal, sub-
vention des Habous, crédits votés par la Conférence, dons
volontaires, tout a été mis à contribution.
«Enlinet surtout, les colonsont travaillé : ilsonl défriché,
cultivé, assaini la région : ils ont élevé d'innombrables
fermes, affichant, sous le clair soleil, le toit rouge^ que j'ai
si souvent dépeint comme le signe palpable de la prise de
possession du sol par les fils de France : ils ont créé, à
côté de leurs entreprises personnelles, tout un ensemble
d'oeuvres de mutualité ; Caisse locale de Crédit mutuel,
Coopératives d'achat, de vente, d'élevage, Caisse locale
d'Assurances mutuelles, où s'affirment victorieusement
leurs sentiments de solidarité et de fraternité, et qui
constituent, en quelque sorte, leur ^irmure contre les
coups du sort.
« Quand j'aurai ajouté qu'ils entretiennent les meilleurs
rapports avec les indigènes, dont ils sont les éducateurs,
les bienfaiteurs, les enrichisseurs, je crois que j'en aurai
assez dit pour vous convaincre que vous avez autour de
vous des hommes en qui le souci de leurs affaires person-
nelles n'a pas éteint la préoccupation du bien public, et
qui s'appliquent, avec sérieux et modestie, à l'exécution de
tous les devoirs. »
Après avoir rappelé que le travail des colons est favorisé
à Mateur par « un régime pluvial à peu près normal et des
terres de premier ordre » et parlé des « magniliques
domaines, magistralement gérés, où sont appliqués tous
les préceptes d'une science agricole avisée, ingénieuse,
expei^te », l'orateur faisait allusion aux difficultés avec les-
i.'a(;ui(:ui/i'Ukiî kuroukennk 173
quelles les petits colons sont aux prises et il ajoutait :
« La petite colonisation, celle par laquelle le peuple-
ment français se fera réellement, se développera de façon
systématique et continue, fait ici défaut presque complè-
tement. La Direction de l'Agriculture a alloti tout près
d'ici un seul enchir, l'enchir Bou-N'Kila : et les heureux
bénéficiaires de cet allotissement sont un exemple vivant
du succès que rencontreraient des expériences plus nom-
breuses du même genre. C'est depuis 15 ans ce que je
prêche infructueusement : on m'a objecté souvent labrèche
que pratiqueraient dans les fonds de colonisation des achats
assez importants pour faire ici de la colonisation intensive.
Je sais bien, je le disais tout à l'heure, que la terre est
chère à Mateur : tant mieux ! serais-je tenté de répondre :
le haut prix où on la paie est la preuve qu'on la sait moins
ingrate ici qu'ailleurs; et l'intérêt de tous est indiscutable-
ment qu'aucun colon ne soit voué à l'insuccès. 11 vaut
mieux, pour l'œuvre de la colonisation, installer 10 colons,
même à grands frais avancés, dans nos régions pluvieuses,
que 30 dans d'autres points où ils seront livrés aux aléas
des années mauvaises... Nous demandons à M, le Direc-
teur de FAgriculture de faire rechercher, avec plus
de soin que ses prédécesseurs, les terres k vendre dans
les environs, et d'aider aussi, dans une certaine mesure,
à l'allotissement, naturel et logique, des grands do-
maines. »
J'ai cru devoir reproduire ces paroles parce ({uelles tra-
duisent très exactement la pensée de tous les colons fran-
çais de la Tunisie. Tous, à l'exemple de M. de Carnières,
président de la Chambre d'agriculture, réclament depuis
longtemps la multiplication des centres de colonisation,
en insistant sur l'avantage qui en résultera pour la domi-
nation française et sur les bénéfices qu'en tirera le trésor
du Protectorat. J'ai dit pourquoi l'administration avait
résisté pendant longtemps aux sollicitations des colons,
j'ai dit aussi qu'elle devait être félicitée d'y avoir cédé ; je
veux maintenant attirer l'attention des colons français sur
les inconvénients qui résulteraient d'une extension trop
174 LA TUNISIE
grande et trop rapide des mesures qu'ils réclament avec
raison.
Pour que la colonisation officielle conserve les faveurs
du public français et des colons tunisiens actuels, il faut
(ju'elle évite toutes les causes d'échecs qui la déconsidére-
raient pour longtemps, sinon pour toujours. Ainsi qu'on Ta
vu dans les pages qui précèdent, il s'en est déjà produit un
certain nombre dus soit à ce que les lots étaient trop peu
étendus, soit à ce qu'ils étaient situés dans des rég'ions
insuffisamment favorisées par la nature, soit à ce que les
colons auxquels ils étaient attribués n'avaient pas les
aptitudes nécessaires à l'agriculture ou bien désiraient
faire œuvre de spéculation. Ces causes d'insuccès étant
connues, l'administration a le devoir de les éviter et ne le
pourra qu'à la condition de procéder à la création de nou-
veaux centres avec une extrême prudence.
Les colons eux-mêmes, ceux en particulier qui possèdent
des domaines susceptibles d'être morcelés, n'ont pas intérêt
à ce que l'administration procède à son œuvre colonisatrice
avec une hâte excessive, car plus la mise en valeur des
terres se développera, plus le prix de leurs propriétés s'ac-
croîtra.
Une augmentation aussi rapide que possible des colons
français est, il est vrai, d'autant plus désirable que les étran-
gers sont actuellement beaucoup plus nombreux en Tunisie
que les Français ; mais il faut se dire que la domination
d'une race en un pays quelconque ne tient pas seulement
au nombre des individus qui la représentent. Elle dépend
surtout de la valeur intellectuelle, morale et économique
de ces individus. Or, on a vu que si les Italiens sont en
Tunisie plus nombreux que les Français, ils y occupent, en
général, une situation inférieure à celle de nos compatriotes
et remplissent des fonctions dans lesquelles les Français
ne voudraient pas les remplacer et d'où ils se voient eux-
mêmes chassés par des indigènes, tant il est facile de les
remplir. Si l'on veut que la supériorité de notre race se
maintienne, il est indispensable de sélectionner avec
soin les colons français auxquels seront attribués les nou-
l'agriculture européenne 175
veaux lots de la colonisation officielle. Il faut que tous,
autant que possible, réunissent les qualités nécessaires au
succès. Dans ces conditions, la France n'aura rien à
redouter de la présence des étrangers dans la Itégence ;
elle devra même s'en réjouir puisqu'ils y rempliront des
rôles pour lesquels on ne trouverait pas de Français.
Pour terminer ce chapitre, je crois utile de donner le
tableau ci-dessous, dressé par l'administration de la Tunisie
et dans lequel se trouvent détaillées toutes les opérations de
la colonisation officielle de 1893 à 1913.
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CHAPITRE VII
LES INDUSTRIES EUROPÉENNES
Les colons se sont moins portés vers l'industrie que
vers l'agriculture. Cependant, dès les débuts de la prise
de possession de la Régence par la République française,
des établissements industriels de quelque importance
furent fondés. « A Tunis et dans les environs, écrivais-je,
en 1887, des minoteries perfectionnées ont été créées pour
la fabrication des semoules destinées soit à faire du pain,
soit à faire du couscous w, et je citais la minoterie de
« M. Raymond Valensi à Djedeida, installée sur le bord de
la Medjerdaii à laquelle elle emprunte sa force motrice et
qui présente les meilleurs aménagements pour une pro-
duction rapide, régulière et économique ». Après avoir
cité une briqueterie mécanique, « installée aux pieds de
Sidi-Bou-Saïd, sur le bord du golfe de Tunis, pour produire
non seulement des briques et des tuiles, mais encore tous
les objets en terre dont les Européens et les indigènes font
usage » j'ajoutais : a L'industrie (jui paraît faire le plus
de progrès est l'huilerie. Près de Tunis, à l'entrée de la
vallée de Mornag, il a été créé, il y a deux ans à peine, une
huilerie à vapeur qui travaille à la fois pour les indigènes
et pour elle-même. L'huile faite à l'aide des fruits achetés
par les propriétaires de l'usine est entourée de tous les
soins qu'on lui prodigue en Europe et se vend en partie
sur le marché de Marseille; une autre partie est expédiée
dans les pays d'Orient. Pour celle fabriquée au compte
des indigènes, on se soumet à leurs habitudes, c'est-à-dire
qu'on laisse macérer les olives dans des chambres obscures
182 LA TUNISIE
avec du sel, avaiil de les soumettre au moulin et à la presse.
A Sousse, un Alsacien aussi intelligent qu'actif, M. Deiss
a créé récemment une magnifique usine à vapeur pour le
traitement des grignons d'olives par le sulfure de carbone.
Il est outillé de manière à fabriquer jusqu'à 120.000 kilo-
grammes dbuile par jour. Le combustible est fourni par
les résidus ligneux que laissent les grignons après avoir été
traités par ce procédé. La dépense est ainsi diminuée dans
la plus large mesure possible. Une autre usine du même
genre commence à s'élever auprès de celle de 31. Deiss
pour la fabrication des huiles comestibles, sous la direction
d'un conseiller général des Bouches-du-Rhône, M. Louis. »
Après avoir cité ces faits j'écrivais : « Ces établissements
n'ont pas été sans soulever dans la colonie quelques obser-
vations dont il me paraît utile de parler. Il existe dans
les villes du Sahel quelques commerçants européens ayant
pour spécialité d'acheter aux indigènes les grignons
d'olives qu'ils expédient en Italie et en France, oii ils
subissent le traitement par le sulfure de carbone. Ces
négociants n'ont pas vu sans inquiétude s'élever dans la
Régence même des maisons qui achètent sur place et
directement les grignons. D'un autre côté, les industriels
français, qui traitaient autrefois les grignons recueillis dans
le pays, sont menacés de manquer de matière première.
Cette modification des conditions économiques anciennes
a été l'occasion de discussions assez vives relativement à
la question de savoir si la métropole devait encourager ou,
au contraire, empêcher le développement des industries
dans ses établissements coloniaux. Les adversaires de ce
développement invoquent à l'appui de leur thèse la concur-
rence que les industries coloniales ne peuvent manquer de
faire aux industries similaires de la métropole , ils repré-
sentent les intérêts de la France comme battus en brèche
par les colonies qu'elle protège de ses soldats et fait vivre
de ses subsides, et ils voudraient que toute industrie ayant
sa similaire sur le territoire français fût interdite en
Tunisie.
LES INDUSTRIES EUROPÉENNES 183
« Si Ton admettait une semblable théorie, ce n'est pas
seulement le progrès industriel des colonies qu'il faudrait
arrêter, mais encore leur progrès agricole. Il faudrait, par
exemple, interdire la culture de la vigne dans notre pro-
tectorat, sous le prétexte que la France })roduit du vin
au(juel celui récolté par nos établissements africains fera
concurrence : il faudrait interdire la culture du blé, de
l'avoine, du maïs, (jue notre propi'e pays pioduit; il fau-
drait fermer nos frontières aux peaux, aux cuirs, aux
laines de la Régence, parce que ces produits risquent de
faire baisser le prix de ceux que nos agriculteurs appor-
tent sur les marchés français ! En un mot, il faudrait
traiter nos colonies comme des pays étrangers, et nous
protéger contre elles, ou bien les réduire volontairement à
la misère qui ne manquerait pas de résulter de l'arrêt de
leur production.
« Il suffit de mettre en relief les conséquences de ce
système pour en montrer les vices et faire prononcei" sa
condamnation. Il est né d'une conception fausse des rela-
tions qui doivent exister entre une colonie et sa métro-
pole.
« L'organisation politique et administrative d'une colonie
peut et souvent doit différer essentiellement de celle de la
métropole, à cause de la différence des mœurs de l'une et
de l'autre; mais, envisagée au point de vue économique,
la colonie ne doit être considérée (jue comme un simple
prolongement de la mère-patrie, et si quelque lutte écono-
mique doit être engagée entre les nations, le rôle des
colonies est d'y aider la métropole, soit en lui fournissant
les matières premières qui lui manquent, soit en ajoutant
ses productions industrielles à celles que la mère-patrie
exporte dans les autres pays. Dans les mouvements
d'échanges qui se produisent entre une métropole et ses
colonies unies économiquement, il ne peut résulter que
l'avantage commun si chacune arrive à produire de préfé-
rence les objets que son clihiat, sa population, etc., lui
permettent de produire dans les meilleures conditions et
à plus bas prix. Si les actes du gouvernement chargé de
184 LA TUNISIE
présider à la destinée des colonies sont dirigés par ce
principe, il s'efforcera de provoquer chez elles le dévelop-
pement des industries qui n'existent pas dans la mère-
patrie, de manière à ce (jue le commerce des deux pays
soit aussi intense que possible. Mais un pays qui envisage-
rait les territoires qu'il possède au delà des mers comme
des rivaux ou comme des fermes, et non comme des frac-
tions importantes de lui-même, devrait se hâter de s'en
défaire, car en arrêtant sur ces territoires tout progrès, il
les condamnerait à la misère et s'exposerait lui-même à la
ruine. »
Depuis l'époque où ces lignes furent écrites les idées
économiques des dirigeants de la métropole se sont peu
modifiées; la plupart d'entre eux persistent à voir dans
les colonies non des prolongements de la mère-patrie mais
des fermes à exploiter. Lorsque j'étais gouverneur général
de rindo-Chine, j'eus une discussion très vive avec l'un
de nos hommes politiques les plus éminents parce que
j'avais encouragé la création, à Hanoï, d'une filature de
coton. Plus récemment, un administrateur colonial à qui
je faisais observer que nous multipliions trop les fonction"
naires européens dans nos colonies, me répondit que « les
colonies devaient entretenir le plus grand nombre possible
de Français ; que c'était cela qu'il fallait d'abord leur de-
mander ». La Tunisie a souffert, comme tous nos autres
établissements coloniaux, de ces théories. Ce n'est qu'à
regret que l'on a ouvert les portes de la métropole à ses
produits naturels ou à ceux de ses industries. Celles-ci en
ont souffert en ce sens qu'elles ne se sont pas développées
aussi rapidement qu'elles l'auraient fait sous un régime plus
favorable. Je lis, en effet, dans l'excellent livre de M. Gaston
Loth sur La Tunisie et l' œuvre du protectorat français * :
« Peu de métiers sont encore exercés par des Européens,
mais presque tous visent exclusivement à satisfaire les
besoins locaux. Fabriques de pâtes, minoteries, brasseries,
distilleries, usines métallurgiques travaillent uniquement
\. \\ 193.
LES INDUSTRIES EUROPÉENNES 185
pour les consoininalcLirs tunisiens. Seules les grandes hui-
leries modernes du Sahel, de Sousse et de Sfax, de Tunis
et de Tebourba se préoccupent des besoins de la clientèle
extérieure. Quelques industriels traitent aussi les grignons
par le sulfure de carbone; ils ont à leur disposition environ
50.000 tonnes de matière première chaque année. Dans
presque toutes les huileries on se livre également à la
fabrication du savon, et déjà la Tunisie fournit des produits
renommés ». Je trouve, d'autre part, une explication du
développement dont les minoteries et les huileries ont été
l'objet dans les lignes suivantes de la Notice sur la
l^inisie publiée en 1909 par la Direction de l'Agriculture
et de la Colonisation : « La réforme douanière du 19 juillet
1904 a donné naissance, notamment à Tunis, à d'im-
portantes minoteries' ». Je lis dans la même notice :
« De nombreuses huileries montées d'après les procédés
les plus perfectionnés ont été créées à Sousse, dans le
Sahel, à Sfax et dans la région du Nord (Tunis, Bizerte,
Tebourba, le cap Bon, etc.), elles traitent les grignons
dont les indigènes ne savent pas tirer parti » et j'en vois
la raison dans ces lignes du même document- : « Les huiles
d'olives tunisiennes, comme les vins de même origine,
prenaient presque exclusivement, jusqu'ici, le chemin de
la France, où elles bénéficiaient d'un régime douanier de
faveur (c'est-à-dire n'étaient pas traitées comme les huiles
étrangères) mais les dernières expositions internationales
leur ont fourni des occasions de se faire connaître et appré-
cier à l'étranoer : depuis lors, elles trouvent des débouchés
sans cesse plus importants, non seulement dans les pays
voisins comme l'Italie, mais aussi dans le nord de l'Eu-
rope. C'est ainsi qu'en 1907, la Tunisie a exporté
3.850.000 kilogrammes d'huiles d'olives à la destination
des pays ci-après : Angleterre, 15.210 kilogrammes ; Ile de
Malte, 393.068 kilogrammes; Italie, 2.758.511 kilo-
grammes; Norvège, 190.894 kilogrammes; autres pays,
1. 1». 77.
:*. P. 58.
18(J LA TUNISIE
222.287 kilogrammes ». En 1912, les chiffres de ces expor-
tations s'étaient sensiblement élevés pour certains pays.
La statistique officielle indique : pour l'Angleterre,
25. 306 kilogrammes; pour l'Italie, 4.974.681 kilogrammes.
Dans les autres pays, l'exportation avait diminué. Le
chiffre donné par la statistique pour la France était :
14.924.618 kilogrammes.
Parmi les autres industries à la création ou au dévelop-
pement desquelles pourraient donner lieu les productions
vég^étales de la Régence, je me bornerai à citer, d'après la
Notice sur la Tunisie, la fabrication des conserves de
tomates, car ce fruit vient en abondance dans certaines
parties de la Régence, notamment aux environs de Tunis
et de Sfax. « Une usine installée aux environs de Tunis,
dit la Notice, livre chaque année plusieurs milliers de
boîtes de tomates en sauce ou en coulis » ; les industries
tinctoriales de la garance, du carthame, du henné ; les
industries productrices des essences, notamment du géra-
nium rosat, de l'oranger, du cassia, du jasmin, de l'euca-
lyptus, du tliym, de la menthe, des tubéreuses, etc. Mais
je ne répéterai jamais trop que, seul, un régime douanier
bienveillant pourra déterminer le développement de toutes
ces sources de richesse.
CHAPITRE VIII
L'EXPLOITATION DES MINES ET CARRIÈRES
I I. — Exploitation des mines métallifères
Les industries européennes qui ont pris le plus de déve-
loppement en Tunisie sont celles des mines métallifères et
des carrières de phosphates. En 1887, lorsque je publiai
la première édition de cet ouvrage, l'administration et la
plupart des colons ne croyaient pas que le pays fût riche
en mines. « Il n'existe à ce jour, disais-je, que quatre
mines concédées : les mines de plomb et zinc de
Djebba, concédées à la Vieille Montagne en 1876, les
mines de plomb et zinc de Djebel Rezas, concédées en
1877 et les deux gîtes de fer des Nefzas et des Mechnas,
qui ont été attribuées à la Compagnie des mines de
Mokhta-el-Hadid et au comité des mines de Tabarka. » Je
savais que des gisements de minerais de zinc et plomb
avaient été découverts du côté de Réja, mais on n'était
pas encore très lixé sur leur valeur. M. Joseph Faure fut,
si je ne me trompe, le premier qui eut conUance dans
leur avenir. Sa concession (mines de Khanguet) qui est
l'une des plus anciennes est aussi l'une des plus impor-
tantes. Elle remonte à 1889, et c'est seulement à partir de
1894 que l'on voit les concessions se succéder avec rapi-
dité. C'est aussi à cette époque qu'eut lieu la première
concession de phosphates, celle de Gafsa.
Dès lors, les mines métallifères et phosphatées devin-
rent l'élément le plus important de la colonisation, d'un
côté, parce qu'elles exigèrent l'emploi d'un très nombreux
personnel euiopéen, d'un autre côté parce (ju'elles dé 1er
188 LA TUNISIE
iniiÙTcnL la ci'éation de voies ferrées. Celles-ci n'auraient
pas été construites aussi rapidement qu'elles le furent si les
mines ne leur avaient assuré un trafic rémunérateur. La
ligne de Sfax à Gafsa — Metlaoui et Redeyef — longue
de plus de 280 kilomètres a été construite entièrement
aux frais de la compagnie des mines de Gafsa. La ligne
de Sousse à Henchir-Souatir, dont la longueur dépasse
300 kilomètres, n'aurait pas été construite par la com-
pagnie de Bone Guelma si elle n'avait pas eu à desservir
les mines très importantes et exploitées d'Aïn-Moularès,
etc., qui se trouvent au bout de son parcours. Il en est de
même de la ligne de Tunis à Kalaa-Djerda et à Kalaa-es
Senam, avec embranchements sur le Kef, sur le Slata, etc.
La même observation s'applique à la ligne de Bizerte à
Tabarka qui dessert les mines de Nefzas, etc. Or, la cons-
truction de ces lignes n'a pas eu seulement pour effet
d'attirer des ouvriers européens dans la Régence, elle a
déterminé en outre la fixation au sol tunisien d'un très
grand nombre de familles attachées au service des voies
et des gares. Toutes ces familles cultivent des parcelles
plus ou moins considérables du sol et font souche de
colons.
D'un autre côté, les mines elles-mêmes occupent un
personnel considérable. Dans toutes les mines actuelle-
ment exploitées, les ingénieurs, les chefs mineurs et les
géomètres sont des Européens, presque toujours des Fran-
çais. L'abatage du minerai, les recherches, la conduite des
fours et, en général, tous les travaux exigeant des connais-
sances techniques sont confiés à des ouv^riers européens.
Ces derniers, presque tous de nationalité italienne, ont été
empruntés aux mines de la Sardaigne ou aux soufrières
de la Sicile. Depuis quelques années, on emploie aussi
pour l'abatage des ouvriers kabyles et marocains ayant
travaillé dans les mines algériennes. Les travaux de simples
manœuvres sont exécutés par des indigènes de la Tunisie,
que l'on paie peu, mais dont le travail est lent et irrégulier.
« L'indigène, dit M. Roberty, se fixe rarement à la mine et
les services qu'il rend sont essentiellement temporaires.
L EXPLOITATION DES MINES ET CARRIÈRES 189
C'est d'ailleurs une remarque générale applicable aux
exploitations minières et peut-être aux exploitations de tout
genre du nord de l'Afrique : le personnel ouvrier s'y trouve
en état d'instabilité perpétuelle ; il se déplace et se renou-
velle constamment. »
D'après la sixième édition (1909) de la Notice sw la
Tunisie publiée par la Direction de l'Agriculture, etc., le
nombre des ouvriers européens employés dans les mines
métallifères atteindrait près de 3.000, celui des ouvriers
indigènes dépassant 6.000. Les mines de phosphates occu-
peraient de leur côté près de 2.000 Européens et plus de
6 000 indigènes. Quant aux carrières de matériaux de cons-
truction elles occuperaient plus de 2.000 ouvriers. Il y
aurait donc près de 20.000 hommes employés dans les
industries d'exploitation du sous-sol tunisien. La notice
estime à plus de 14 millions de francs le montant annuel
des salaires de ces ouvriers.
La presque totalité des minerais produits par la Tunisie
est exportée, soit en France, soit à l'étranger. Les marchés
étrangers principaux des minerais de zinc et de plomb de
la Tunisie se trouvent en Belgique, en Angleterre et en
Allemagne. D'après le rapport au président de la Répu-
blique pour 1909 (p. 73) ce fait « tient, entre autres, à ce
que les minerais tunisiens jouissent en Allemagne, en
Angleterre, en Belgique, etc., d'une entière franchise doua-
nière qui ne leur est pas acquise en France ». Il faut
ajouter que l'Angleterre, la Belgique et l'Allemagne sont
beaucoup mieux outillées que la France pour le traitement
des minerais.
Depuis quelques années, certains minerais de plomb sont
traités en Tunisie même. En 1910 la Tunisie exporta pour
la première fois du plomb ouvré en masses, barres ou
plaques (3.015 quintaux valant 152.860 francs). En 1911,
elle en a exporté 52.114 quintaux représentant une valeur
de 1.728.625 francs. Elle a importé, la même année
4.454.421 kilogrammes de résidus de pyrites grillées que
la Société métallurgique de Mégrine utilise comme fondants
pour la fusion des minerais de plomb (Rapp. 1911, p. 74).
190 l>A TUNISIE
Les lïiiriL's de la Tunisie vendent en général leurs mine-
rais de zinc à des usines de traitement françaises ou
étrangères par des marchés à long terme dont les bases
sont fournies par la teneur du minerai et le cours du zinc.
Les redevances pavées à l'administration de la Régence
par les exploitants de mines ne s'élevaient en 1903 qu'à
21.587 francs, en 1904 à 76.874 francs, de 1905 à 1911
elles oscillaient entre 100.000 et 200.000 francs. Pendant
les exercices suivants elles ont atteint : 22(). 300 francs
en 1912, 297.092 francs en 1913 et 318.066 en 1914. A la
suite de la mise en vigueur de la nouvelle législation elles
se sont élevées à 619.322 francs en 1915.
Depuis le 29 décembre 1913 la Tunisie possède en effet
une législation générale sur les mines dont le besoin se
faisait vivement sentir. Dans son Traité de législaiion des
mines en France (nouvelle édition p. 91)0-1903), M. l'Ins-
pecteur général des mines Aguillon écrivait : « Bien que
la Tunisie ait une législation générale très complète et,
notamment en matière immobilière, bien que l'industrie
extractive v ait une importance relativement assez consi-
dérable, ce pays n'a pas encore de loi, de règlement général
sur le régime et l'exploitation des mines. C'est peut-être
le seul pays du monde dans cette situation... Toutes les mines
existant en Tunisie ont été instituées en vertu d'actes
particuliers, émanés du Bey, qui constituent la loi rie la
mine que l'acte concerne ».
Antérieurement à 1913 la législation minière ne com-
portait que deux actes généraux : un arrêté du premier
ministre du Bey, en date du 1"' décembre 1881 proclamant
le principe de la domanialité des mines conformément à
l'esprit du droit musulman, et un décret beylical, du
10 mai 1893, qui avait plus spécialement pour objet de
réglementer les recherches de mines.
Le décret du 29 décembre 1913, applicable à partir du
1" janvier 1914, n'a apporté aucune modification profonde
dans le régime des mines, il n'a fait que préciser et définir
certains droits, qui précédemment n'avaient d'autre base
que la coutume.
L EXPLOITATION DES MINES ET CARRIÈRES 191
Le décret pose d'abord la distinction entre les mines et
les carrières. Les mines sont divisées en cinq groupes :
1" combustibles fossiles ; 2° pétroles ; 3° substances métal-
liques ; 4" aluns et borates ; 5" nitrates et sel gemme.
Tous les gîtes non classés dans les mines sont considérés
comme carrières et appartiennent au propriétaire du sol.
Les mines sont propriétés domaniales ; aucune recberche
ne peut avoir lieu sans l'autorisation du Directeur général
des travaux publics, délivrée sous forme de permis de
rechercbeàla prioritédes demandes. Le permis de rechercbe
est valable pour un seul groupe de substances, sa super-
ficie est de 400 hectares ; il donne le droit exclusif de faire
des travaux dans son périmètre ; il donne en outre, si les
travaux ont démontré l'existence d'un gîte exploitable, le
droit exclusif à l'obtention soit d'un permis d'exploitation,
soit d'une concession. Le permis de recherche est valable
pour trois ans, il peut être renouvelé une seule fois pour
une période de trois années. Le permis de reclierche ne
donne pas le droit d'exploiter le gîte ; toutefois, le permis-
sionnaire peut être autorisé à disposer du produit de ses
recherches.
Le permis d'exploitation est valable pour cinq ans, il
ne peut être renouvelé, mais il donne droit à l'obtention
d'une concession s'il contient un gîte dont l'exploitabilité
est démontrée. Il est institué sur simple demande du titu-
laire du permis de recherche ; il convient particuhèrement
aux gisements peu importants et de courte durée, qu'il
dispense des formalités plus compliquées de la demande en
concession.
La concession est perpétuelle. Elle est accordée à la
suite d'une enquête publique de deux mois et la constata-
tion de l'existence d'un gîte exploitable.
Le décret sur les mines contient comme principale inno-
vation la création d'une sorte d'hypothèque minière : Tous
faits ou conventions ayant pour effet d'instituer, trans-
mettre, modifier ou éteindre un droit réel sur un permis
ou une concession doivent pour être opposables aux tiers,
être constatés par écrit et ti^anscrits par le service des
192 LA TUNISIE
mines, sur un registre à ce destiné. L'ordre des transcrip-
tions détermine le rang des ayant droit; le service des
mines délivre à tous ceux qui le requièrent copie de toutes
les transcriptions concernant une mine ou certificat qu'il
n'en existe aucune. Ces dispositions sont de nature à
faciliter grandement les opérations sur les mines.
Les taxes spéciales aux mines sont les suivantes :
1" Pour les permis de recherches, 2o0 francs par demande et
500 francs par renouvellement ; 2° pour les permis d'exploi-
tation, 500 francs pour l'institution et une taxe fixe
annuelle de 0 fr. 50 par hectare. Les minerais marchands
extraits et prêts pour la vente subissent en outre une taxe
fixée par l'arrêté d'institution ; 3° pour les concessions,
1.000 francs pour l'institution et une taxe annuelle de
1 franc par hectare indépendamment d'une taxe propor-
tionnelle de 5 p. 100 sur le produit net.
Les minerais de fer sont assujettis à une taxe spéciale
supplémentaire de 5 p. 100 de la valeur des minerais
franco bord au port d'embarquement, sans que cette taxe
puisse dépasser 20 p. 100 du bénéfice au delà de 2 fr. oO
par tonne.
Enfin, le décret prévoit pour les concessions futures une
taxe complémentaire sur les extra-bénéfices dépassant
10 p. 100 du capital de premier établissement.
I IL — Exploitation des phosphates
L'industrie la plus importante de la Tunisie avec celle
des mines métallifères es! représentée par l'extraction, la
dessiccation et le transport des phosphates de chaux. On a
vu au chapitre ii que la valeur des phosphates exportés
était passée de 3.700.000 francs en 1900, à 9.500.000 francs
en 1905, 29.000.000 de francs en 1910 et 45.500.000 francs
en 1913.
Parallèlement, les recettes qu'ils procurent au protectorat
et qui se composent : 1° de la redevance d'adjudication
pour les phosphates domaniaux ; 2° de la taxe d'extraction
de 0 fr. 50 par tonne sur tous les phosphates, ont atteint
I, EXPLOITATION DKS MINIÎS ET CARRIÈRES 193
successivement l()8. 000 francs en 1900 ; ::2'.)7.O00 francs en
1905; 2.000.000 en 1910 et plus de 3.000.000 en 1913.
L'exploitation des phosphates est analogue à celle du
charhon, avec les dangers d'incendie et d'explosion en
moins. Avant d'être expédié, le piiosphate est séché, soit
sur des aires spéciales, en l'étendant en couche mince et
en le labourant, soit dans des fours rotatifs.
La teneur en phosphate de chaux des produits tunisiens
exportés varie de 58 à ()5 p. 100.
Le prix de vente des phosphates est déterminé par la
teneur en phosphate Iribasique, les plus riches étant ceux
qui se paient le plus cher. Tous les phosphates de la Tunisie
sont garantis contenir moins de 2 p, 100 de fer et d'alu-
mine, substances dont la présence en proportion supérieure
à ce chiffre amène une dépréciation du minerai.
Les gisements de phosphate de chaux et de phosphorites
sont classés par la législation tunisienne parmi les carrières
qui sont à la disposition des propriétaires du sol, le pro-
priétaire pouvant être soit le domaine public, soit un par-
ticulier. Dans le premier cas, l'Etat pourrait exploiter
directement s'il ne trouvait pas avantage à faire des con-
cessions; dans le second, tout particulier peut exploiter les
phosphates de son domaine à la seule condition de remplir
certaines obligations de police.
Au point de vue des carrières l'Etat est considéré comme
propriétaire non seulement dans les territoires domaniaux,
mais encore dans les habous publics ou privés.
En vertu du décret du 1" décembre 1898, les recherches
de gisements de phosphates ne peuvent être opérées dans
les terrains domaniaux ou dans les habous publics ou
privés qu'après autorisation du Directeur des travaux
publics. Cette autorisation ne peut être accortlée qu'à une
personne morale unique et non à une association ou col-
lectivité quelconque; elle est personnelle et ne peut être
cédée à un tiers qu'avec l'autorisation du Directeur des
travaux publics. La personne qui a fait les recherches ne
peut être reconnue inventeur d'un gisement qu'après l'exé-
cution de travaux susceptibles de faire connaître la valeur
J.-L. De LAfEssÀN. — La Tunisie. 13
194 LA TUNISIE
industriollc rlu gîtf. L'inventeur acquiert le droit à un
dixième de la redevance que touchera l'Etat pendant trente
ans, mais il n'a aucun titre à Fexploitalion. Celle-ci est
donnée à l'adjudication publique. Si le gisement est situé
en terrain habous, la part de la redevance attribuée à l'Etat
par l'adjudication est remise à l'administration des habous
pour le compte des intéressés.
Indépendamment de la redevance au profit de l'Etat, sur
laquelle se fait l'adjudication, le décret de 1898 impose
une taxe de oO centimes par tonne à tous les phosphates
exportés. Un décret du 22 août 1900 a porté de 300 hectares
à 2.000 hectares la surface maxima des terrains pour les-
(juels des permis de recherches peuvent être accordés.
I TH. — L'industrie du sel
L'industrie représentée par l'exploitation des salines et
la vente du sel constitue, en principe, un monopole
d'Etat, institué par le décret de 14 hidgé 1301 (3 octobre
1884). D'après l'article 81 de ce décret « l'achat, la fabri-
cation et la vente du sel naturel ou artificiel, sont exclusi-
vement réservés au monopole dans toute l'étendue de la
Régence ». Par l'article 82 « les sels naturels et artificiels
de provenance étrangère sont prohibés à l'entrée de la
Régence, à moins qu'ils ne soient achetés pour le compte
de la régie ». Cependant les sels étrangers destinés à la
salure des poissons, particulièrement des sardines et des
tiions que Ton pêche en assez grande quantité sur les côtes
de la Régence, étaient soustraits à cette interdiction jus-
qu'au jour « où le monopole sera à même de distribuer
aux saleurs la quantité de sel qui leur sera nécessaire ».
Le même décret interdit à tout habitant de la Régence de
détenir en sa possession plus de 15 kilogrammes de sel
sans justifier de sa provenance et autorise les agents du
monopole ou des douanes à faire « les perquisitions les
plus minutieuses dans les maisons des personnes soup-
çonnées de se livrer à la contrebande ». Il est vrai que
« les perquisitions ne peuvent être faites, s'il s'agit de jus-
L INDUSTRIE DU SKL 195
liciabk'S des ti"il)unaux français, qu'en présence d'un
délég"ué de la municipalité ou d'un officier de police judi-
ciaire, ou d'un fonctionnaire qui sera désigné pour en
remplir les fonctions; s'il s'agit de justiciables des tribu-
naux indigènes, les perquisitions ne pourront être faites
qu'en présence de l'autorité tunisienne ».
Le sel étranger entrant en Tunisie pour le monopole
est exempt de tout droit de douane.
Le monopole exploite directement la saline de La Prin-
cesse près de la Goulette et les sources salines de Lorbeus
près du Kef.
L'Etat a concédé, en outre, à des particuliers 13 salines :
celles de Ras Dimas (Mehdia), de Ben-Ray ada (Mahdia), de
Soliman, de Kerbennah, de Kniss (Monastir), de Sidi-
el-Hani (Kairouan), d'Assa-Djerida (Sousse), de Sidi-
Salem (Sfax), de Sidi-Khalifa f Sousse), de Halk-el-Menzel
(Sousse), de Mégrine et de M'taâ el-Ghorra et de Zarzis.
Tout le sel produit par ces salines doit être exporté. C'est
une condition essentielle de la concession, pour laquelle
une redevance est payée à l'Etat.
Le produit du monopole du sel au profit du budget de
la Tunisie était de 693.000 francs en 1892: il s'est élevé,
en 1912, à près d'un million de francs.
I IV, — L'industrie de la pèche
L'énorme étendue des côtes de la Tunisie, l'existence
sur ses bords de grands lacs qui communiquent avec la
mer et l'abondance des poissons, du corail et des éponges
dans les eaux territoriales de la Régence donnent à l'in-
dustrie delà pêche une importance qui, très probablement,
ira sans cesse en saccroissant.
D'après M. E. de Pages', le domaine de la pêche mari-
time, en Tunisie, comprend plus de 1.200.000 hectares.
« Les côtes de la Tunisie, dit-il, ont en effet un développe-
ment d'environ 1.200 kilomètres. En multipliant cette lon-
1. Les pèches maritimes de la Tunisie, p. 10.
196 LA TUNISIK
gueur par la largeur de la zone territoriale, en y ajoutant
la surface des bancs sous-marins appartenant à la Régence,
ainsi que celle des lacs et élan|2rs salés, on arrive facile-
ment au chiffre que nous venons d'indiquer. »
Toute cette surface n'est pas soumise, au point de vue
de la pèche, au même régime légal. Dans la zone des eaux
territoriales qui, en Tunisie, a été fixée à deux myriamètres
du rivage par le décret du 20 mai 1899, les droits de pro-
priété et de police du gouvernement tunisien sont absolus.
Or, sur la partie du littoral comprise entre la frontiire
algérienne et le cap Africa, la Régence étend ses droits, au
point fie vue de la pêche, non seulement sur les eaux
territoriales, mais encore sur les bancs de coraux situés
en dehors de la zone de ces eaux. Depuis le cap Africa
jusqu'à la frontière de la Tripolitaine, la Régence jouit,
depuis des temps immémoriaux, de droits sur les bancs où
croissent les éponges. Ces droits ont été formellement
reconnus par les grandes puissances avec lesquelles le
gouvernement beylical a traité. « De nombreuses contra-
ventions, dit M. de Fages ', constatées par procès-verbaux
authentiques, ont été dressées contre des pêcheurs de dif-
férentes nationalités sans que le principe de Tintervention
des agents du gouvernement tunisien ait été jamais con-
testé. En 1875, deux jugements consulaires, ont reconnu
le caractère territorial des bancs d'épongés situés à plus
de quinze milles des côtes. Un usage immémorial, reconnu
solennellement par les principales puissances européennes,
a attribué à la Tunisie l'exploitation des bancs situés sur
son littoral. Ce droit d'usage, tout différent des droits qui
s'appliquent à la mer territoriale, ne porte aucune atteinte
au principe de la liberté des mers et au droit de la navi-
,gation. 11 est en parfait accord avec l'intérêt même des
puissances maritimes, car il permet à la Tunisie d'exercer
sur l'exploitation des bancs une police efficace qui assure
la conservation d'une richesse naturelle importante. Sans
cette police, dont la charge se traduit, pour la Régence,
1. Loc. cit., p. 14,
LA PÊCHR 197
par une dépense de plus de 50.000 francs par an, les
pêcheurs, livrés à eux-mêmes, auraient, en peu d'années,
épuisé des bancs (jui font vivre actuellement plus de quatre
mille cinq cents marins et leurs familles, arabes, grecs et
surtout italiens. »
En vertu des conventions signées par le gouvernement
beylical « les Italiens et les nationaux de toutes les puis-
sances qui ont avec la Tunisie le régime de la nation la
plus favorisée peuvent exercer librement l'industrie de la
pêche dans les eaux tunisiennes, le gouvernement beylical
conservant, bien entendu, sur les eaux, les pouvoirs de
souveraineté et de police qui sont dans les attributions de
tout gouvernement ' ». Néanmoins les beys ont. depuis
une époque indéterminée, contracté l'habitude de concédci-
des droits spéciaux sur certains points du littoral en vue
de l'établissement de pêcheries dont quelques-unes, les
thonaires par exemple, ont une grande importance.
Les eaux des lacs sont placées en dehors de ce régime.
Le gouvernement tunisien y jouit d'un droit absolu de pro-
priété, <m vertu duquel il a pu amodier l'exploitation de
la pêche dans les lacs de Bizerte, d'Iskeul, de Porta-Farina,
de Tunis et des Bibans.
La plus importante de ces exploitations a été pendant
longtemps et est peut-être encore celle des lacs de Bizerte
et d'Iskeul. Le lac de Bizerte a une superficie de 150 kilo-
mètres carrés; il communique avec le lac d'Iskeul, dont
la superficie est de 120 kilomètres carrés par un chenal
sinueux, long' de 5 kilomètres, connu sous le nom d'oued
Tindja. Pendant neuf mois de l'année cet oued coule du
lac Iskeul vers le lac de Bizerte ; pendant les trois mois de
fortes chaleurs il coule du lac de Bizerte vers le lac d'Is-
keul. La composition des eaux de ce dernier lac varie sui-
vant la direction du courant. Avant l'établissement du
Protectorat et le creusement du canal qui joint aujourd'hui
directement le lac de Bizerte à la mer, les poissons ne
pouvaient entrer ou sortir du lac que par un canal sinueux,
I. IbicL, p. 15.
198 I.A TI'NISIK
lon«^- cl, élroil (jui rendail la pùclic liî's iacilc. M. Je Fagx's
rappelle (ju«', traprès un rapport ofliciel, on avait pris « d'un
seul coup jus([u'à 22.U00 daurades, du poids de 2 à 5 kilog.
(•harune » et il ajoute : « l'Etal, qui mettait en adjudication
l'exploitation de la pèche dans le lac de Bizerte a, depuis
1870, retiré de cette ferme jusqu'à loO.OOO francs par an.
Les frais du fermiei- étant au moins égaux à cette somme,
on voit que le lac de Bizerte, qui laissait un bénéfice sen-
sible, devait donner environ 400.000 francs de produits
par an '. » Lorsque le Protectorat traita pour la construc-
tion du port de Bizerte, il accorda à la Société conces-
sionnaire le monopole de la pêche pour toute la durée de
sa concession (75 ans) dans les lacs de Bizerte et d'iskeul.
avec exemption de tout droit sur le poisson qu'elle pren-
drait. On expédiait une partie de ce poisson à Marseille
dans la glace. On prépara aussi des œufs pour les pays
d'Orient. La pêche ne donnait, en réalité, que des résultats
médiocres, en raison des difficultés de la vente et de l'ou-
verture très fréquente de la porte du barrage du canal qui
favorisait la fuite du poisson. La marine se plaignait, de
son côté, d'être gênée par les pêcheries dans les mouvements
de ses navires. En 1906 l'Etat racheta le monopole dont
jouissait la Compagnie et mit en adjudication l'exploita-
tion de la pêche dans le seul lac d'Iskeul.
Le lac de Porto-Farina, dont la superficie est d'une
trentaine de kilomètres et qui communique avec la
mer par une passe ayant 500 mètres environ de large,
a été amodié en vue de la pêche en 1896, pour la pre-
mière fois.
Le lac marécageux de Tunis, dont la superficie est
d'environ 50 kilomètres carrés n'a été amodié en vue de
la pêche qu'à partir de 1896. La pêche, auparavant, y était
libre. Les résultats de la modiation paraissent avoir été
également avantageux pour les fermiers et pour le pro-
tectorat.
Il en est de même pour le lac des Bibans, situé au voi-
1. IbicL, p. 93.
LA l'KCHK 199
sinage de Zarzis el donl la superficie esl denviron 300 kilo-
mètres carrés.
Les établissement, déiiomrnés « tiionaires » situés près
des cotes et dans lesquels on pêche et prépare les thons
sont l'objet depuis longtemps de concessions de la part
des autorités de la Régence et donnent des résultats inté-
ressants. L'ancienne thonaire de Sidi-Daoud, par exemple,
« a capturé, en 1906, 8.000 thons pesant 600.000 kilos,
valant 250.000 francs à l'état frais et plus de 600.000 francs
après préparation^ ». Elle occupe pour la pèche, la pré-
paration et la fabrication des conserves à l'huile, plus de
230 personnes. La thonaire de Ras-el-Ahmar, concédée
en 1906 pour quarante années, a pris dès sa première
campagne plus de 2.000 thons que l'on prépare à Sidi-
Daoud. La très ancienne thonaire de Monastir, reconcédée
en 1892 pour quatre-vingt-six ans, est organisée pour con-
server le thon dans le sel et dans l'huile. Elle occupe
320 hommes et a capturé en 1906 plus de 4.000 thons,
pesant 335.000 kilogrammes. Notons encore les thonaires
récentes d'El Aouaria, de Ras-el-Mihr, de Ras Marsa, de
Kuriat, de Bordj Khadidja, de Ras Salakia, de Menzel
Temine et de Mehdia. Tous ces établissements ont été créés
en vue de la pèche des thons qui circulent, à certaines
époques, en grandes bandes, le long des côtes orientales de
la Régence. La concession est faite moyennant une rede-
vance de 1 franc pour 100 kilos de thons capturés, plus
5 francs de supplément par chaque quintal au-dessus de
8.000 quintaux.
Le gouvernement beylical avait, depuis un temps immé-
morial, contracté la coutume de concéder aux habitants de
la Régence le droit de créer et d'exploiter des pêcheries
sur divers points des côtes. II existe environ un millier
de ces pêcheries dont le rendement est fort variable de
l'une à l'autre. « Les pêcheries indigènes sont situées tout
autour des bancs de Kerkennah et principalement dans
l'est ; on en trouve également sur toute la côte est et sud.
1. Luc. cil., p. li'l.
200 LA. TUNISIE
de Ras Kapoudia à la Squira, à Djerba, aux environs de
Zarzis et dans la mer de Bou-Grara; il en existe aussi
quelques-unes dans le g^olle de Monastir\ »
Au point de vue de leurs rapports avec l'industrie de la
pêche, les poissons les plus intéressants de la Tunisie sont
rationnellement classés par M. de Fages en trois caté-
gories :
1" Les espèces sédentaires. Elles fréquentent d'une
manière permanente certains parages où les pécheurs ont
des chances de les trouver. Citons parmi elles : la bar-
bue, le congre, la limande, la loubine, le bar ou loup, le
merlan, les diverses variétés du mulet, la raie, le rouget,
la rascasse, la sole, le turbot, le grondin, la vieille, la
vive, etc.; on les trouve en tout temps, un peu partout, le
long des côtes.
2" Les espèces aventurières. A certaines époques de
l'année, variable pour chaque espèce, elles s'approchent
des côtes ou entrent dans les lacs qui communiquent avec
la mer, y séjournent pendant un certain temps, puis s'en
éloignent. Citons parmi elles : l'aiguille qui passe de mai
à septembre, abondante en juin et juillet ; l'anguille,
d'octobre à février, abondante en décembre et janvier ; la
daurade, de septembre à janvier, abondante en décembre
et janvier; la maigre, de juillet à novembre. Ces poissons
sont péchés surtout dans les lacs.
3° Les espèces migratrices . Citons : l'anchois, de pas-
sage sur les côtes de la Tunisie en juin, juillet et aoiit ;
la bonite, absente pendant l'hiver, abondante surtout en
juin et juillet ; le maquereau, absent aussi pendant l'hi-
ver, abondant surtout de juin à aoiàt ; la sardine, de pas-
sage entre avril et août, abondante surtout en juin et
juillet ; l'allache ou alose feinte, de passage en avril, mai
et juin, abondante surtout en juin ; le thon, de passage en
mai et juin. Parmi ces espèces, la sardine et l'anchois d'une
part, le thon de l'autre, méritent une mention spéciale.
La sardine a été pêchée de tout temps par les Siciliens
1. ibxd., p. 43i>.
LA PKCHE 201
et les Italiens sur les côtes nord de la Tunisie, spéciale-
ment dans la région de Tabarka. En 1888, à la suite de la
rupture des traités de commerce entre la France et l'Italie,
Tabarka vit se réunir aans ses eaux les pêcheurs siciliens
qui fréquentaient auparavant les côtes voisines de l'Al-
gérie, notamment le petit port de la Galle, parce qu'en
Tunisie la pêche était libre. De 1888 à 1897, la pêche de
la sardine et de l'anchois fut très prospère à Tabarka. « Elle
atteignit son apogée en 1893, avec 22o barques jaugeant
1.421 tonnes, montées par 1.340 pêcheurs. A partir de
1897, le nombre des barques diminua graduellement, et
tomba, en 1904, à 27, jaugeant 99 tonnes et montées par
180 hommes. En 1906, celte pêche a été exercée pai'
60 barques, jaugeant 210 tonnes, montées par 455 pé-
cheurs^ » Il ne paraît pas v avoir eu de changement notable
dans cette situation depuis 1906. Elle paraît due à là trop
faible rémunération du travail des pêcheurs. M. de Fages
dit à cet égard : « D'après les statistiques exactes suivies
depuis 1894, chaque barque pêche, en moyenne, dans une
campagne de cinq mois,, 3.100 kilogrammes de sardines et
1.050 kilogrammes d'anchois. Au prix moyen de 26 francs
les 100 kilogrammes pour les sardines et de 70 francs les
100 kilogrammes pour les anchois, une barque de pèche
gagnerait 1.349 francs dans une campagne, ce qui repré-
sente par mois un gain de 46 fr. 50 pour le patron et de
31 francs pai- homme d'équipage ; salaires bien minimes si
Ton tient compte de la dure existence de ces hommes qui
restent parfois campés pendant plusieurs mois dans des
criques désertes, loin de leur famille et de toute civilisa-
tion ». Ces conditions expliquent pourquoi ont échoué
toutes les tentatives qui furent laites par le protectorat
pour attirer en Tunisie des pêcheurs métropolitains. Après
avoir rappelé ces échecs, M. de Fages ajoute : « En se
plaçant au point de vue strict de la pêche, la Tunisi<^ ne
peut actuellement accueillir des pêcheurs métropolitains,
soit du Nord, soit du Midi, avec quelque chance de suc-
1. Ui- Pa^es. Luc. cil., [j. 70.
202 |..\ TIINISIK
ces. Ce seiaiL une imprudence de la pari du gouverne-
ment du Protectorat, de s'engager dans cette voie et
d'encourager une émigration qui ne saurait lutter avanta-
geusement contre des Italiens acclimatés, connaissant
parfaitement les lieux et les méthodes de pèche, se con-
tentant de gains très faibles et vivant avec une parci-
monie qui n'est pas dans les habitudes françaises ».
On pêche aussi quelques sardines sur la côte est; mais
ce sont surtout les allaches ou aloses feintes qui y sont
particulièrement pechées, depuis Kebilia jusqu'à Mehdia.
« En 1906, 152 barques inscrites à Mehdia, jaugeant
600 tonnes, montées par 7"6 liommes, ont capturé
911.000 kilogrammes dallaches valant 218.700 francs ^ »
La pêche la plus importante de la côte orientale de la
Régence est celle du thon. En mai et juin, chaque année,
des bandes considérables de thons adultes descendent le
long de cette côte, cherchant les hauts fonds pour y frayer.
On dispose sur leur passage, dans chacune des thonaires
dont il a été question plus haut, des filets fixes, connus sous
le nom de « madragues », qui sont tendus à partir de la côte
et perpendiculairement à elle jusqu'à deux ou trois kilo-
mètres, de manière à atteindre les fonds de 25 à 30 mètres.
Vers le milieu de la longueur du filet sont disposées des
chambres, ayant 3 à 4 mille mètres carrés de surface, dans
lesquelles le poisson entre croyant échapper au filet et
dans l'une desquelles on le chasse pour le pêcher. Une
madrague de dimension moyenne ne coûte pas moins de
130.000 francs. On évalue à 400.000 francs environ la
dépense occasionnée par l'installation d'une thonaire avec
ses établissements pour la préparation du poisson, ses
embarcations, etc. « Les madragues, dit M. de Fages -,
doivent avoir leur entrée du côté d'où l'on attend le pois-
son et être installées autant que possible à l'extrémité des
golfes, à l'abri des gros vents, des courants et en eaux
claires. Les courants portent souvent préjudice à la pêche
1. IbicL, p. 75.
2. Loc. cit., p. 77.
LA PKCHK 20:{
parce qu'ils foni incliner la nappe supérieure des iilels, ce
(jui permet aux Liions de s'échapper. En Tunisie, les vents
de l'ouest au nord, quand ils ne souillent pas avec vio-
lence, facilitent l'entrée des thons dans les madragues, et
c'est généralement après une jolie brise venant de cetti?
direction qu'ont lieu les belles pêches. » M. de Pages juge
la manière dont la pêche du thon est faite en Tunisie de
la manière suivante : « La pêche du thon ne peut être
mieux pratiquée qu'elle ne l'est aujourd'hui ; seulement,
pour que cette industrie puisse prospérer, il faut beaucoup
de capitaux, de la patience, un bon vais (capitaine de
pêche), une bonne administration, une bonne discipline.
Il faut aussi que les pêcheurs, ce que l'on appelle
l'équipe de mer, soient intéressés dans le produit de l;i
pêche ».
La pêche du corail a été pendant longtemps lune des
industries intéressantes de la Tunisie. Elle avait lieu sui*
les bancs qui s'étendent à plusieurs milles de la côte
septentrionale entre Tabarka et ha Galle. Elle fut d'abord
accordée en monopole à la République de Pise, puis à la
France, jusqu'en 1824. Une compagnie anglaise se la lit
alors concéder par le bey, mais' elle fit de mauvaises
affaires et la France redevint concessionnaire du monopole
à perpétuité par une convention de 1832 encore en vigueur.
La pêche du corail était faite surtout par des Italiens,
« Avant la dénonciation du traité de commerce et de navi-
gation entre la France et l'Italie, La Galle était le port de
concentration de tous les bateaux corailleurs italiens qui
péchaient du cap Rosa (Algérie) jusqu'à la hauteur de l'iIe
de La Galite... Deux à trois cents bateaux corailleurs ita-
liens arrivaient aux époques de la pêche et contribuaient à
la prospérité de La Galle. En 1888, la rupture du traité de
commerce et de navigation entre la France et l'Italie éloi-
gna les pêcheurs italiens de l'Algérie et La Galle perdit
une partie de ses ressources'. « La production par les
maisons allemandes de faux coraux fit ensuite baisser la
1. Dl' Pages, Loc. cit... [t. 87.
204 LA TUNISIE
valeur du corail vrai au point que la pêche ne fui plus
reprise. Peut-être le sera-t-elle de nouveau plus tard.
La pêche des poulpes, dont les indigènes font une impor-
tante consommation et que l'on exporte en Grèce pendant
le carême des orthodoxes, était autrefois l'objet d'une régle-
mentation semblable à celle des éponges, sans doute parce
qu'elle se fait sur les mêmes bancs de la côte orientale. Les
poulpes se cachent dans tous les creux de pierres ou entre
les objets qui peuvent les protéger. On en prend beaucoup
sur les côtes en disposant des branchages sur le fond de la
mer. A marée basse on vient recueillir ceux qui s'y sont
abrités. Aujourd'hui cette pêche est libre, mais les poulpes
paient un droit de U. 05 cent, par kilogramme en dehors des
villes et de 2 francs par 100 kilogrammes dans les villes
comptant plus de 500 habitants.
La pêche des éponges a constitué pendant longtemps un
monopole que les beys de Tunis concédaient ; elle est
aujourd'hui libre mais réglementée et soumise au paiement
de patentes (|ui varient, d'après les procédés employés
pour la récolte des éponges. Les lieux dans lesquels celles-
ci se développent en grandes quantités sont les bancs du
Kerkenna, le banc de Dragana, au milieu du golfe de Gabès,
les bancs de Djilidj et de Ras Moustapha, le premier à
l'ouest, le second à l'est de Djerba, le banc de Fango ou
Laspi, à 45 milles au nord-est du Ras Turgœness, et les
petits fonds qui avoisinent la côte. Les éponges s'y déve-
loppent souvent sur les zostères qui tapissent le fond de la
mer. Les éponges les plus recherchées sont celles qui se
développent sUr les bancs de Kerkenna, au nord de Djerba
et dans le voisinage de la frontière tripolitaine. Plus on
remonte vers le nord et moins les éponges sont fines. Les
espèces pêchées dans ces lieux appartiennent toutes aux
deux genres Euspongia qui fournit les plus fines et au genre
Hipposjjongia. La pêche est faite soit par des plongeurs qui
arrivent à rester jusqu'à deux et trois minutes sous Teau,
soit par des scaphandriers, soit au moyen de tridents, de
foënes ou de filets. Elle est pratiquée par les indigènes de
la Tunisie ou par des Grecs, ceux-ci se servant en général
LA PÊCHE 20î;
(lu scaphandre. D'après M. de Fages^, « il a été péché «sn
1906 sur les côtes de la Régence, 150.600 kilogrammes
d'épongés valant 2 630.000 francs. Les pays impoi-tateur-s
de ce produit sont : la France pour la plus grande partie,
l'Italie pour un cinquième; viennent ensuite, par ordre
d'importance, la Hollande, la Belgique, l'Angleterre, la
Grèce, etc. ».
On a fait des essais de multiplication et d'élevage des
éponges dont les résultats sont encore incertains.
L'industrie delà pêche ne fournit au budget tunisien que
des recettes minimes. En 1904, la somme inscrite au bud-
get sous ce titre était de 162.200 francs; en 1912 elle
s'élevait à 192 900 francs.
En résumé, la Tunisie ne peut que se louer et être louée
du développement pris, depuis l'établissement du Protecto-
rat, par toutes ses industries. La métropole y a contribué par
le libéralisme relatif du régime douanier qu'elle a concédé
à. la Régence. Il est permis d'espérer qu'elle y contribuera
encore dans l'avenir en assimilant de plus en plus les pro-
duits tunisiens à ceux de la France. La vérité économique,
en ce qui concerne les colonies, est que la métropole doit
les considérer comme de simples prolongements de son
territoire.
La Tunisie, de son côté, a fait déjà des efforts notables
pour faire connaître ses minerais, ses piiosphates, ses
huiles, etc., sur les marchés étrangers. On ne peut que
l'encourager dans cette voie.
1. i.oc. cil.^ -*41 .
CHAPITRE IX
LE COMMERCE DANS SES RELATIONS
AVEC LE REGIME DOUANIER. LES IMPOTS ET LE CRÉDIT
§ T. — Le développement du commerce
DANS ses relations AVEC l'oCCUPATION FRANÇAISE
Au moment de l'occupatiGn de la Tunisie par la France,
le commerce de la Régence était à peu près nul et il n'y
avait pas lieu de s'en étonner car ni Tagriculture, ni l'in-
dustrie indigènes n'étaient suffisamment développées pour
produire au delà des besoins de la consommation locale
quoi que ce soit qui pût être exporté. L'indigène, d'autre
part, n'était pas assez riche pour acheter en quantités
notables ce que les étrangers auraient pu importer.
D'après les statistiques officielles, la valeur totale des
produits importés en Tunisie du 1"' juillet 1875 au
30 juin 1876, s'élevait, en chiffres ronds, à 12 millions de
francs. Du 12 octobre 1884 au 12 octobre 1885, elle fut
de 26.400.000 francs. Quant aux exportations, du 1*'' juil-
let 1875 au l^' juin 1876, elles représentèrent une valeur
de 15 millions de francs. Du 12 octobre 1884 au 13 oc-
tobre 1885, elles s'élevaient à 18.6()0.000 francs.
L'année 1880-1881, pendant laquelle nous procédâmes
à l'occupation de la Régence, vit s'élever à la fois les
importations et les exportations. Du l*"" juillet 1879 au
30 juin 1880, la valeur des importations avait été de
11. 400.000 francs ; du i'' juillet 1880 au 30 juin 1881, elle
s'éleva à 15.600.000 francs et sa marche ascensionnelle
continuait pendant les années suivantes. Quant à la
valeur des exportations, elle avait été, en 1879-1880, de
LK COM MERCK 207
10.840.(100 francs, en 1880-1881, elle s'élevait subitement
à 21.600.000 francs. L'année suivante, elle descendait à
10.800.000 francs, mais, en 1882-1883, elle remontait à
17.400.000 francs, et depuis ce jour, elle ne cessait de
s'accoître. pour atteindre, en 1884-85, le chiffre de
18.600.000 francs.
L'occupation française avait donné comme un coup de
fouet au commerce de la Régence. On doit probablement
l'attribuer à ce que les commerçants et les fournisseurs
d'armées arrivés en Tunisie avec nos troupes se jetèrent,
en quelque sorte, sur le stock de produits tunisiens expor-
tables qui restait des années précédentes et qu'ils purent
avoir à bas prix. L'année suivante, les produits étant
devenus plus rares et les prix s'étant, par conséquent,
élevés, le chiffre des exportations devait forcément s'abais-
ser. Au bout de deux ans, l'équilibre s'établit entre la pro-
duction et l'achat ; la première s'accroît en proportion des
demandes qui lui ont été faites pendant les deux années
précédentes et ([ui continuent à lui être adressées : par
conséquent le chiffre des exportations s'élève et il ne cesse
plus de s'élever parce que les mêmes causes continuent
d'agir.
Ce phénomène n'a rien de spécial à la Tunisie. Il se
produit dans tous les pays nouveaux où les puissances
européennes débarquent des troupes en grande quantité.
Celles-ci ont une foule de besoins qu'il importe de satis-
faire rapidement et sans compter. Aussi achètent-elles aux
indigènes tous les objets qu'ils peuvent leur fournir, et à
des prix bien supérieurs à leur valeur antérieure. Ces
achats sont une excitation puissante à la production, qui
ne tarde pas à augmenter. D'un autre côté, les trafiquants
apprennent à connaître des produits qui étaient restés jus-
qu'alors le monopole de quelques personnes. La concur-
rence qu'ils se font pour les acheter et les expédier dans
la mère-patrie en fait augmenter la valeur et donne une
nouvelle excitation à la production. Quant aux importa-
tions, elles ne peuvent pas manquer de s'accroître égale-
ment. La présence des troupes et celle des fournisseurs,
208 l.X TUMSIE
des femmes, etc., qui les accompagnent toujours, déter-
mine l'importation d'une quantité considérable de produits
de la métropole jusqu'alors ignorés ou peu connus des
populations; celles-ci se trouvant enrichies par la vente
de leurs propres produits achètent ceux de la métropole,
d'abord par simple curiosité, puis parce qu'elles prennent
goût à ces objets nouveaux toujours supérieurs aux objets
similaires du pays, ou moins coûteux. Importations et
exportations s'accroissent ainsi simultanément et parallè-
lement pour, des raisons fort simples et qui découlent de
la nature même de l'esprit humain.
Les statistiques du commerce tunisien confirment l'exac-
titude de ces considérations. Elles montrent que les
importations accrues très subitement pendant la première
année de l'occupation du pays par nos troupes, ne se sont
pas ralenties à mesure qu'on a diminué le nombre de
celles-ci, mais ont, au contraire, continué de s'accroître
dans de très fortes proportions. En 1880-81, la valeur des
importations est de 15.600.000 francs avec un corps de
troupes d'environ 48.000 hommes. En 1881-82, bien que
le nombre des soldats soit descendu à 40.000, le chiffre
des importations a continué son mouvement ascensionnel;
il est de 22.200.000 francs; en 1882-83, le nombre des
hommes n'est plus que de 30.000, le chiffre des importa-
tions s'élève à 26.400.000 francs. En 1884-85, le nombre
des hommes est descendu à 16.000 et cependant le chiffre
des importations est le même que l'année précédente.
Est-ce la France qui profita de tout l'accroissement du
commerce tunisien dû à son occupation du pays, ou bien
travailla-t-elle, comme on l'a dit, au profit des autres
nations? Les statistiques répondent qu'en 1886, la France
fournit à peu près la moitié des marchandises importées en
Tunisie, et que l'autre partie provenait de l'Angleterre
pour environ 25 p. 100, de l'Italie pour 11 à 12 p.. 100;
de Malte pour 6 à 7 p. 100, de l'Algérie pour 4 p. 100, etc.
Pendant l'année 1885, la valeur des importations de la
France en Tunisie s'éleva, en chiffres ronds, à 14.000.000
dp francs. Les principales marchandises françaises ou fran-
LE COMMERCK 209
cisées importées en Tunisie étaient, les peaux pi'éparées,
les cuirs et les chaussures pour plus de 2.000.000 de
francs ; les vivres pour une somme presque égale ; les
soies pour un million et demi ; les vêtements pour plus
de (SOO.OOO francs : les tissus de laine pour environ
700.000 francs, etc.
Il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de savoir
si tous ces produits étaient réellement d'origine française,
ou s'ils provenaient, en proportion plus ou moins grande,
d'autres pays, car les statistiques officielles réunissent sous
le titre de Commerce spécial \eR marchandises simplement
francisées, c'est-à-dire d'origine étrangère, mais ayant
payé en France les droits de douane, et les marchandises
fabriquées en France même. Il n'est pas douteux que,
parmi les marchandises expédiées de France pour la Tuni-
sie, il s'en trouvait une assez grande quantité provenant
d'autres pays que le nôtre.
Dans son Exposé de la situation économique de la
Régence de Tunis, la Chambre de comm.erce de Tunis, fai-
sant allusion aux chitïres donnés par la statistique officielle
tunisienne pour le premier trimestre de 1885-86. faisait
remarquer que la Suisse figurait seulement pour une
somme de 4.000 francs et elle ajoutait : « Or, un seul
marchand de soieries des souks de Tunis a fait venir de
Suisse dans ce premier trimestre pour plus de 40.000 francs
de marchandises ». Puis elle continuait : « l'Angleterre,
portée seulement pour 1.325.000 francs pour le premier
trimestre de l'exercice de 1885-86, importe annuellement
en Tunisie pour 7.325.000 france, ainsi qu'il résulte d'une
statistique officielle qui a été mise sous nos yeux, oi^i l'An-
gleterre figure pour 5.700.000 francs et l'île de Malte
(articles divers d'origine anglaise) pour 1.625.000 francs.
D'un autre côté, l'Allemagne est portée pour le modeste
chiffre de 10.000 francs ; comment expliquer, dans ce cas,
(ju'un document officiel, en novembre dernier, appelait
l'attention de la chambre de commerce de Tunis sur l'ex-
tension que prenaient les relations commerciales de l'Al-
lemagne avec la Tunisie ? Cet appel à la Chambre a con-
.l.-L. Dr. Lanes-s\.n. — La Tunisio. 14
210 l..\ TUNISIK
(luit celle-ci à reclieicliei' (juel pouvait ùLie le cliili'ie des
iinportaLions allemandes : ce chilïre ne serait guère infé-
rieur à 4 millions ». La Chambre de commerce terminait
par cette observation très judicieuse : « Cet ensemble
de faits suffit pour monti-er le peu d'exactitude des chiffres
cités plus haut ».
Dans la première édition de ce livre j'ajoutais : « Je ne
puis que m'associer à cette observation. Quel que soit le
soin avec lequel les statistiques sont faites, elles ne don-
nent jamais, à mon avis, qu'une idée très imparfaite des
phénomènes économiques. En veut-on un autre exemple,
sans sortir du sujet qui nous occupe? En voici un ! Nous
avons dit plus haut que les statistiques réunissaient sous
la môme rubrique, celle de « Commerce spécial », les
produits simplement francisés et ceux qui sont fabriqués
en France. Eh bien ! les distinguât-elle, nous ne serions
pas beaucoup plus instruits sur leur origine véritable.
Tout le monde sait que beaucoup d'industriels ou de coni-
merçants français font fabriquer en AUemag-ne des pro-
duits qu'ils vendent ensuite comme étant d'origine fran-
çaise. De même des industriels allemands et anglais
achètent en France des objets auxquels ils donnent une
marque de fabrique anglaise ou allemande. Pour que les
statistiques fussent exactes, il faudrait quelles suivissent
ces produits dans leurs migrations, ce qui est, sinon im-
possible, du moins très difficile. Mais si les statistiques,
malgré leur apparence de rigueur mathématique, sont
incapables de donner une idée très exacte des faits écono-
miques, elles en indiquent du moins les caractères princi-
paux. Cela suffit pour révéler à l'observateur attentif les
points sur lesquels doit porter plus particulièrement son
attention. »
Il n'était douteux pour personne, quelques années après
notre occupation de la Tunisie, que la presque totalité des
cotonnades européennes consommées dans ce pays prove-
nait d'Angleterre. On savait qu'une partie importante des
soieries vendues dans les souks de Tunisie venaient de
Suisse et d'Allemagne ; que les meubles bariolés de rouge.
LE COMMERCE 211
(le bleu, de vert, et décorés de fleurs multicolores, si
recherchés par les indigënes, sortaient d'Italie, ainsi que
les carreaux en faïence émaillée, les légumes secs, etc.,
tandis que la France fournissait principalement les vins et
les liqueurs, les vêtements confeclionnés, les chaussures,
les cuirs préparés, etc.
De cette simple notion il était aisé de l'aire découler les
considérations les plus utiles à notre commerce et à notre
industrie. Sachant, par exemple, d'une manière générale,
que l'Angleterre l'emportait en Tunisie pour ses cotonnades
sur toutes les autres nations industrielles de l'Europe,
nous devions rechercher les causes de cette supériorité et
nous efforcer de les combattre. Ces causes, tous ceux qui
voulaient observer les faits d'assez près les connaissaient :
C'était le bon marché et surtout l'adaptation de la marchan-
dise aux goûts des acquéreurs. On insiste peut-être trop,
d'habitude, sur l'importance du bon marché ; sans doute,
il joue un grand rôle dans la préférence que les consom-
mateurs donnent à un produit ou à un autre, mais il est
moins important que la nature même de la marchandise.
Les habitants des pays imparfaitement civilisés ont une
Uxité de goûts dont on se fait difficilement une idée quand
on n'a pas vécu parmi eux. Tout objet qui n'a pas les carac-
tères traditionnellement exigés ou (|ui même ne porte pas
la marque connue depuis longtemps est impitoyablement
refusé. Connaître les préférences et les habitudes dont
nous parlons est la qualité la plus indispensable à un
industriel ou à un commerçant qui veut gagner.de l'arg-ent
dans les pays neufs. Cela s'applique aussi rigoureusement
que possible à la Tunisie. Si les cotonnades ang-laises y
réussissent c'est que l'industriel anglais se conforme d'une
manière absolue dans leur fabrication à l'indication des
Tunisiens. Il donne à ses pièces la largeur, lalong-ueur, la
consistance exigées par l'indigène ; il les teint des couleurs
qui ont été de tout temps recherchées dans le pays, etc.
Bien loin de se mettre en frais d'imagination pour trouver
des formes et des couleurs nouvelles, il se borne à copier
servilement celles que l'on aimait dans le pays avant l'in-
212 I.A TUNISir,
troduction de l'industrie eui'opéenne. Encore ne réussil-il
pas toujours à imiter convenablement les modèles, ainsi
que nous l'avons fait remarquer à propos des cotonnades
teintes en bleu par l'indigo. Cependant, il est impossible
de distinguer une couverture faite à Djerba de celles que
TAngleterre fabrique pour y être vendues, ni certains tapis
de Kairouan des imitations anglaises.
C'est, à mon avis, à leur habitude de se plier aux goûts
des consommateurs indigènes, beaucoup plus qu'au bon
marché de leurs produits, que les Anglais doivent leur
succès dans les pays exotiques. Si les Italiens peuvent cou-
vrir la Tunisie de leurs meubles, c'est que, presque sans
souci du bon goût ou du moins de ce que nous entendons
par là, ils ont su copier les formes et les couleurs des
meubles autrefois fabriqués par les indigènes eux-mêmes.
Produisant mécaniquement et par suite meilleur marché,
en même temps qu'ils se conformaient strictement aux
désirs des acheteurs, ils ont très vite détrôné l'industrie
indigène. Ils y ont également réussi pour les faïences.
§ I[. — Le commerce et le régime douanier
Jusqu'en 1890, le commerce de la Tunisie fut beaucoup
gêné par le régime douanier, par certains impôts inté-
rieurs et par l'absence des institutions de crédit. En 1887-89,
le commerce total de la Régence, importations et expor-
tations réunies, n'était que de 50 millions. Deux ans plus
tard, en 1891, il atteignait le chiffre de 77 millions de
francs. Il avait suffi, pour déterminer cet énorme accrois-
sement, de la loi du 19 juillet 1890 qui modifia le régime
douanier.
Dans la première édition de ce livre, en 1887, attirant
l'attention des pouvoirs publics sur les entraves mises au
commerce tunisien par les impôts intérieurs et les droits
de douane, je citais l'exemple suivant : « 100 toisons de
laine, dite en suint, c'est-à-dire non lavée, vendues au
marché 300 piastres ou 186 francs, payent d'abord le droit
de G 1/i pour 100 qui frappe toutes les ventes, soit
LE COMMERCK -l-^
18 piastres 71) ; puis un certain nombre de droits qui ne
fiijurent sur aucun tarif officiel, mais qui sont dus en
vertu des usages : le vendeur donne deux toisons de boni
à l'acheteur, et une toison au crieur public qui a fait la
vente; il paye pour le notaire et pour le papier timbré de
la quittance, environ 3 piastres 25 ; il a en outre payé
2 piastres pour le chameau qui a porté les toisons au
marché, soit en totalité 32 piastres ou 20 francs pour des
toisons qui valent ISfi francs. Si ces toisons sont expor-
tées, elles payent encore à la sortie 5() piastres ou 2-) trancs
pour 2o6 kilogrammes, ce qui est le poids ordinaire de
100 toisons. Au moment où elles quittent la Tunisie, les
100 toisons ont donc payé 53 francs de taxes diverses
pour une valeur de 186 francs. Il est vrai qu'à l'entrée en
P'rance, elles sont plus favorisées que l'huile d'olive et ne
sont soumises à aucun droit d'importation. Au droit qui
frappe la laine, il faut joindre les droits à l'exportation
auxquels sont soumis les moutons à la sortie de la Tunisie.
J'ai signalé ailleurs les procédés qu'emploientles indigènes
pour éluder toutes les fois qu'ils le peuvent les impôts sur
les laines dont nous venons de parler. La plupart de ceux
([ui ont leurs troupeaux sur les frontières de l'Algérie les
font passer dans ce dernier pays au moment de la tonte,
coupent et vendent leurs laines sans avoir quoi que ce soit
à payer, puis rentrent dans la Régence. Ce qu'ils
cherchent à éviter, ce n'est pas tant l'impôt lui-même que
les vexations de mille sortes dont sa perception est accom-
pagnée de la part des fermiers des Mahsoulats. Le trésor
perd ainsi chaque année des sommes considérables qui
rentreraient dans ses caisses si l'impôt était établi sur
d'autres bases ».
Les huiles d'olives de la Régence étaient soumises à un
régime d'impôts et de droits de douane qui rendait égale-
ment leur exportation fort diflicile. D'après une note qui
m'avait été remise par un colon tunisien dont les alïaires
commerciales et industrielles portaient principalement sur
les huiles, des charges supportées par l'huile d'olive dans
l'intérieur de la Tunisie s'élevaient à 28 p. 100 de sa
214
?-A rilNISIR
valeuj- ; il y l'allail ajoulci- \v dioil d'exportation représen-
tant 13 p. 100 de la valeur et les droits d'entrée à Mar-
seille qui s'élevaient à 5 p. 100. C'était donc un total de
46 p. 100 de leur valeur que les huiles fabriquées dans la
région de Tunis, de Bizerte, du cap Bon, etc., avaient
payé quand elles étaient entrées en France. Si elles étaient
consommées dans la Régence, elles payaient encore, avant
d'entrer dans le commerce, 28 p. 100 de leur valeur. Il
fallait ajouter à ces charges fiscales, les entraves de
diverses sortes mises à la culture des oliviers par les
règlements beylicaux et les impôts dont les oliviers eux-
mêmes étaient frappés pour se rendre un compte exact
des difficultés que rencontrait le développement du com-
merce de la Tunisie en ce qui concerne ce produit.
Or, il en était de même pour tous ceux de l'agriculture
tunisienne. Il n'y en avait pas un seul qui ne fût frappé
de droits de douane à l'exportation, ces droits étant tou-
jours d'autant plus élevés que le produit avait plus de
chances d'être exporté. Ainsi, les chevaux payaient à la
sortie de la Régence plus de 100 piastres par tête, les cha-
meaux plus de 30 piastres, les bœufs et les veaux ainsi
que les mulets plus de 23 piastres, les ânes plus de
10 piastres ^ ; or, la Tunisie peut produire ces animaux
sans trop de difficultés en quantité suffisante pour en
exporter, et certains pays peuvent les désirer. Les dattes,
qui sont l'un des produits de la Régence que la France et
d'autres pays peuvent rechercher étaient frappés de droits
d'autant plus élevés que leurs qualités étaient plus appré-
ciées en dehors de la Régence. Les éponges, les poissons,
les peaux, etc., étaient frappés à la sortie de droits élevés.
Ces faits sont très significatifs de l'inaptitude à gou-
verner et administrer dont était frappé le gouvernement
beylical. Ayant besoin, comme tous les gouvernements du
reste, de recettes, il cherchait à les obtenir en frappant les
produits du pays de droits intérieurs ou de taxes doua-
nières à la sortie d'autant plus élevés qu'ils étaient plus
1. La piastre vaut envii-on Û',62a.
I.K COMMKRI.I': 215
recherchés par hi consoiiiniation soit au dedans soit à
l'extérieur, et il étahlissait les impots ou les taxes de
douanes sans se demander si leur élévation ne détermine-
rait pas une diminution de la consommation, laquelle
aurait pour conséquence inévitable une réduction propor-
tionnelle de la production. Or, ce dernier fait ne man-
quant jamais de se produire, les recettes sur lesquelles le
gouvernement avait compté lui faisaient défaut, en même
temps que le pays s'appauvrissait.
I III. — Le commerce et les impots
Parmi les impôts les plus nuisibles au développement
du commerce de la Régence avant notre occupation, il faut
citer : l'achour sur les céréales, le kanoun sur les oliviers
et les dattiers, la dîme sur les produits des oliviers et les
mahsoulats.
L'achour sur les céréales était une véritable dîme payée
par le blé et l'orge. Il était payé en nature. Primitivement,
après la récolte, on passait chez l'agriculteur et on pré-
levait une gerbe sur dix ; plus tard, on perçut la dîme
sous la forme de grains à raison de cinq ouibas ^ de blé ou
d'orge par méchia". Le blé et l'orge de rim.pôt étaient
conservés dans des silos et vendus par les soins du gou-
vernement. Les tribus isolées payaient ordinairement
l'achour en argent, à raison de 50 piastres par méchia. Le
contribuable payait en outre : S piastres pour le collecteur,
\2 karoubes " pour les remises à divers receveurs, 2 ka-
roubes pour la quittance, un demi-karoube pour le
timbre de la quittance. L'achour sur les céréales était l'un
des impôts les plus impopulaires de la Tunisie, parce qu'il
était l'un de ceux qui se prêtaient le plus aux abus. Chaque
année des commissions spéciales étaient chargées de
déterminer dans quelle mesure chaque propriétaire pou-
1. La oui ba vaut rnviroii -50 litres.
'2. La méchia représente environ 10 à 12 iieetares.
:i. Le karoube vaut 0i,04.
2tG |,A TUNISIE
vail être exonéré d'une partie de Timpôt en raison des
accidents climatériques ou autres qui avaient pu réduire
l'importance de la récolte. La commission, composée
d'un fonctionnaire président, d'un asrent du caïd, d'un
aminé ou expert et d'un notaire choisis par le gouverne-
ment en dehors de la région, se rendait sur les lieux, con-
voquait les notables et s'enquérait auprès d'eux du nombre
de méchias qui avaient été ensemencées ; elle prenait les
noms de tous les cultivateurs et se transportait dans leurs
champs pour déterminer sur place la nature de la récolte
et fixer le taux de l'impôt. L'habitude était de le réduire
toujours d'un ou plusieurs seizièmes. Les décisions de la
commission étaient définitives ; le propriétaire n'avait
contre elles aucun recours auprès d'aucune autorité ; le
seul contrôle auquel la commission fût soumise était
celui de l'inspecteur indigène des finances, qui avait le
droit de révoquer l'aminé et de le remplacer par un
autre. Les commissions commençaient de fonctionner au
mois de mai. Comme le territoire sur lequel chacune
d'elles devait opérer était très étendu, il arrivait souvent
que l'époque de la moisson survenait avant qu'elle eût ter-
miné son inspection, de sorte qu'elle était obligée ou bien
de prendre des décisions sans avoir vu les récoltes, ou bien
d'interdire aux cultivateurs de procéder à celles-ci avant
qu'elle eût fait sa tournée. Il y avait là une première
source de difficultés et de contestations souvent très vives
entre l'autorité et les agriculteurs. D'autre part, un grand
nombre d'aminés ne se faisaient aucun scrupule d'exo-
nérer plus ou moins tels ou tels propriétaires pour des
motifs inavouables, ce qui déterminait le mécontentement
des autres. Je disais àce sujet dans la première édition du
présent livre : « Je serais obligé de donner beaucoup trop
d'étendue à cette partie de mon travail si je voulais consi-
gner ici toutes les protestations et réclamations que j'ai
moi-même entendues de la bouche des agriculteurs indi-
gènes. Je ne citerai quune seule de ces plaintes. Des cul-
tivateurs, dont les «diamps sont situés sur une colline peu
fertile, se plaignent de ce que la commission les a impo-
LK COMMERCE . 217
ses au même taux que les cultivateurs des champs situés
dans les parties les plus productives et les mieux arrosées
de la plaine. Ils avaient porté une réclamation au caïd.
lis n'ont obtenu d'autre résultat que de se voir augmenter
les uns de deux, les autres de quatre seizièmes, en sorte
qu'ils vont payer pour de mauvaises récoltes beaucoup
plus que leurs voisins pour des récoltes excellentes ».
L'achour est en somme un impôt très lourd, d'une appli-
cation difficile et prêtant aux abus. Il offre, en outre, l'in-
convénient d'être d'un rendement' tout à fait incertain.
Afin d'en rendre la perception plus facile, on ne le fait
plus payer qu'en argent et l'on a supprimé les commis-
sions de répartition ; mais il n'en reste pas moins impar-
fait et susceptible de provoquer les abus. Dans son dis-
cours devant la Chambre des députés, le 26 janvier 1912,
M. Alapetitc disait à son sujet : « En réalité, c'est ladime,
mais une dîme aggravée. Jadis c'était bien la dîme, on
passait après la récolte et sur dix gerbes on en prenait
une. Vous pensez bien qu'une administration financière,
soucieuse de sa bonne renommée, n'a pas pu s'astreindre
à un régime aussi primitif. On a converti l'achour en un
impôt en argent et on en a fait, en (juelque sorte, un abon-
nement, c'est-à-dire qu'au lieu de prendre une dixième
gerbe, on a dit que l'achour devait correspondre avec une
somme donnée par superficie ensemencée, que Tannée
soit bonne ou que l'année soit médiocre.
« Lorsque l'année est tout à fait mauvaise, lorsqu'il n'y
a aucune récolte, il est évident qu'on ne peut pas perce-
\oir, mais lorsque la graine semée a donné seulement
deux ou trois grains on appelle cela une récolte médiocre
et pour que l'équilibre financier fût assuré, il fallait tout
de même que l'achour fût perçu. Il y avait aussi les com-
missions d'achour dont a parlé l'autre jour M. Thalamas,
en omettant de dire toutefois que c'est moi qui les ai sup-
primées.
« Ces commissions d'achour, qui se composaient
d'aminés indigènes, avaient bien conservé quelque chose
des traditions de la vieille administralion musulmane. On
21 s LA TUNISIK
nous a parlé des caïds, des clieiks, de leurs mauvaises
habitudes. Je ne prétend'^ pas que ce personnel donne des
g^araiities aussi complètes d'intégrité et de savoir que l'ad-
ministration qui s'est constituée en France au lendemain
de la Révolution. Ce n'est pas du jour au lendemain que
Ton change ainsi les mœurs d'une race. Mais ces chefs
indigènes sont aujourd'Imi très étroitement surveillés.
J'ai ici la liste des peines disciplinaires qui ont été pro-
noncées depuis que je suis là. Ça été un massacre. »
Le kanoun sur les oliviers et les dattiers peut être
déhni un impôt de capitation sur les arbres, puisque
chaque olivier ou dattier paie, chaque année, en espèces,
une taxe lixe. Celle-ci varie avec les localités; elle est
d'autant plus élevée que l'arbre produit plus de fruits et
des fruits de meilleure qualité. L'impôt est (perçu par le
cheik, sous la surveillance du caïd. Il est généralement
considéré comme trop lourd et mal réparti. Je disais dans
la première édition de ce livre : « Ce n'est un secret pour
personne, en Tunisie, que les statistiques officielles des
oliviers sont absolument fausses, et que le nombre des
arbres portés sur le rôle des contributions est de beaucoup
inférieur à la réalité ». La source de l'abus se trouvait dans
le fait que les cheiks jouissaient de la faculté de réunir
en une seule unité deux, trois ou quatre arbres lorsque
ceux-ci sont de faible rapport. Dans cette opération, « ils
cédèrent volontiers, disais-je, aux influences et aux solli-
citations ». Ces abus n'ont été diminués que dans une pro-
portion insuffisante et l'on considère généralement l'impôt
du kanoun sur les oliviers et les dattiers comme un obs-
tacle au développement de la culture de ces arbres. Pour
combattre cet obstacle, il a été décidé que les nouvelles
plantations et les oliviers nouvellement gretiés seraient
exemptés d'impôt les premiers pendant vingt ans, les
seconds pendant dix ans. Il est à souhaiter que l'on mo-
difie la natuie même delimpôt.
Les mahsoulats comprenaient des droits frappant tous
les produits de la terre autres que le blé et l'orge qui se
vendent dans les villes ou sur les marchés de la Régence.
I.K COMMERCE 219
« Ces droits, disais-je dans la pi'emière édition de ce livre,
sont très lourds pour certains produits qui paient parfois
jusqu'à 45 p. 100, et parmi lesquels sont compris les
légumes frais, les choux, les salades, etc. » La perception
de tous ces droits était adjugée à des fermiers, chaque
année, au mois de septembre. On comptait près de 150 fer-
mages. La base de la perception était soit la charge d'un
animal (ex. : les abricots), soit le nombre (ex. : les noix),
soit le poids (éponges, savons, raisins secs, amandes,
oranges, etc.), soit la mesure (sésame). Certains droits
étaient perçus mensuellement, par exemple les droits sur
les boutiques qui vendaient des saucisses, des ragoûts,
des fèves, du charbon, des herbages et légumes frais, des
viandes rôties ou en brochettes, des fruits secs, de la
viande fraîche. Des droits spéciaux étaient perçus sur les
vendeurs occupant certains emplacements. Certains droits
étaient payés par l'acheteur, par exemple pour les fruits,
les melons, etc. « On comprendra facilement, disais-je,
les abus auxquels donne lieu un semblable régime, quand
on saura que le tarif général de ces droits est partout
modifié par des usages locaux dont personne ne connaît
exactement la nature... Les indigènes sont à la merci des
collecteurs d'impôts qui les exploitent sans vergogne.
L'absence de tout texte précis, la faculté d'évaluer la mar-
chandise sont autant d'armes dangereuses laissées entre
les mains des fermiers. L'innombrable quantité de taxes
qui frappent de toutes les façons le vendeur et l'acheteur
arrêtent la production et paralysent le commerce et l'agri-
culture dans une contrée où un régime de liberté les déve-
lopperait avec une incroyable rapidité. Il faut à un pays
ainsi atteint dans sa production une vitalité énorme pour
y résister, et on peut espérer beaucoup de la Régence qui
supporte de pareilles charges, et qui, néanmoins, ne
cesse de se dévelo])per. »
Ce régime, comme celui des douanes, était dû à l'incapa-
cité de gouverner et d'administrer du gouvernement bey-
lical. Pour avoir de l'argent, il frappait toutes les sources
de la production, et comme il se sentait incapable de les
220 LA TUNISIE
Irapper (lirccteiiienl, au moyen d'agents (juil contrôlerait,
il en livrait l'exploitation à des fermiers. Ceux-ci ne con-
sentaient à payer les prix convenus pour le fermage qu'à
la condition de pouvoir s'eni'ichiret, dans ce but, exigeaient
une liberté d action allant jusqu'à l'arbitraire.
Le protectorat français envisagea tout <le suite les vices
d'un pareil régime, mais il dut le laisser subsister pendant
un long temps dans la crainte de perdre, en le modifiant
tout de suite, les recettes qu'il fournissait au budget. C'est
seulement à partir de 1903 que la réforme des mahsoulats
fut sérieusement abordée. On lit à ce sujet dans le Rapport
au président de la République sur la situation de la
Tunisie en 1904, les observations suivantes : « L'impôt
grevant les fruits et légumes frais était primitivement
perçu sur les ventes à raison de 25 p. 100 du prix des
légumes et de 12,50 p. 100 du prix des fruits. Le décret du
29 janviej" 1895 fit disparaître l'ancien droit de vente à
Tunis et le remplaça par des droits d'entrée dont le tarif,
conçu de manière à constituer par lui-même un premier
dégrèvement, a été encore notablement abaissé par le
décret du 11 mars suivant, de manière à n'atteindre ces
produits de première nécessité que dans une proportion
de 8 à 10 p. 100 de leur valeur.
« Un décret du 12 décembre de la même année sup-
prima également le droit de vente dans le reste de la
Régence et le remplaça : 1" dans les villes oii la perception
est effectuée aux portes, par des droits perçus à l'entrée,
et, en outre, lorsque les produits étaient exposés en vente,
par des droits de stationnement ; 2" sur tous les autres
marchés par un droit de stationnement constant des den-
rées de première nécessité. Le gouvernement fut saisi de
demandes tendant à obtenir une réforme du régime fiscal
des fruits et légumes frais ; mais il avait dû les écarter pour
des considérations budgétaires.
« Ce n'est qu'à la session de mai 1904 de la Conférence
consultative que la question fut nettement posée. La délé-
gation du troisième collège, estimant que la suppression
des taxes grevant les fruits et légumes constituerait une
\.E COMMERCE 22i
première mesure susceptible d'apporter un palliatiC au ren-
chérissement de la vie matérielle, déposa un projet en ce
sens.
« La conférence consultative s'étant prononcée à l'una-
nimité moins une voix pour l'adoption de la réforme ainsi
proposée, cette réforme a été réalisée par un décret du
2 juin 1904. »
L'administration du protectorat poursuivit la réforme
des mahsoulats et la réalisa en majeure partie par un
décret du 8 décembre 1906. On lit, à ce sujet, dans le Rap-
port au président de la République pour J90G, les obser-
vations suivantes : « Les précédents rapports ont décrit
les efforts faits par le gouvernement du Protectorat pour
modifier le régime des droits intérieurs connus sous le
nom de droits de mahsoulats. Ces droits, qui étaient exi-
gibles sur les ventes et reventes de la plupart des denrées
et produits circulant dans la Régence ou exposés sur les
marchés, pouvaient grever indéfiniment un même produit,
lis constituaient un obstacle sérieux aux transactions
« La réforme a débuté par le remplacement de la plu-
part des droits de vente par des droits perçus à l'entrée des
principales villes. iMais elle n'a pu être réalisée que par
étapes successives, de manière à habituer les populations
au nouveau régime et à éviter au Trésor des transforma-
tions de nature à nuire à l'équilibre budgétaire.
« Les principaux droits de vente encore existants en
1906 frappaient des produits intéressant particulièrement
rindustrie et la culture indigènes, notamment les peaux,
les laines et tissus de laine et les dattes. Il n'avait pas
paru possible jusqu'ici de réformer le régime fiscal de ces
produits, parce que cette réforme, conduisant à une moins-
value considérable dont on ne pouvait trouver l'équivalent
dans une modification des taxes qui les grevaient, il fallait
chercher ailleurs la compensation. La Conférence consul-
tative a admis le principe de cette compensation dans sa
session de mai 1906, et, d'accord avec elle, le gouverne-
ment a pu réaliser la transformation définitive des derniers
vestio:es de l'ancien rés-ime des mahsoulats.
222 LA TINISIE
a (^cILe Lransformation, entrée en vigueur le 1" jan-
vier 11)07, a été décidée par l'important décret du H dé-
cembre 1906. »
Le décret du 8 décembre 1906 avait maintenu quelques
anciennes taxes, autres que des droits de vente, qui ne se
prêtaient pas à une conversion en droits d'entrée, de con-
sommation ou de fabrication, et dont la nature spéciale
ne permettait le recouvrement que par l'intermédiaire de
fermiers. C'étaient le droit sur la musique indigène et le
droit sur la fabrication ou la vente de certains produits
alimentaires pendant les fêtes religieuses. Les fermages
ont donc subsisté exceptionnellement pour ces taxes jus-
qu'au 1" janvier 1911, date de l'application du décret du
31 décembre 1910, qui a rayé de la nomenclature budgé-
taire de la Régence les derniers vestiges des mahsoulats,
en créant des droits de licence à la charsre des indigènes
exerçant certaines professions, telles que celles de cafe-
tiers, épiciers, hôteliers, restaurateurs, pâtissiers.
Le système du fermage de l'impôt a définitivement dis-
paru. Si l'Etat adjuge encore des perceptions à eliectuer
sur les marchés extérieurs, c'est-à-dire sur les marchés qui
se tiennent en dehors des localités assujetties aux droits
d'entrée, les seules oii il existe des agents du Trésor, il
convient de remarquer que ces perceptions ne compren-
nent pas d'impôts proprement dits, mais seulement des
taxes de stationnement et, accessoirement, des taxes de
pesage et de mesurage. C'est en somme la situation exis-
tant dans beaucoup de villes de France où les droits de
marché ou de place sont mis en ad.judication.
I IV. — Le Protectorat
ET LA RÉFORME DU RÉGIME DOUANIER
En même temps que le gouvernement du Protectorat
réformait le régime des impôts intérieurs de manière à
favoriser le développement de la production indigène et
européenne, il travaillait, avec la même préoccupation, à
la réforme du régime douanier. Les résultats qu'il obtint
LE COMMERCR 223
|)eu\eiil ùlie considérés coiiiine foil imporlanls, si l'on
lient compte des résistances qu'il rencontra, dans la métro-
pole, de la part des protectionnistes.
Il faut distinguer les droits à l'importation en Tunisie ou
à l'exportation de Tunisie qui sont établis par décrets bey-
licaux et les droits à l'importation en France qui sont
établis par la métropole.
Pendant les premières années du Protectorat, le rétiime
appliqué aux objets importés en Tunisie était fort simple :
tous payaient une taxe de 8 p. lUU ad valorem. J'ai déjà
(lit ([ue tous les produits exportables étaient soumis à un
droit de sortie plus ou moins élevé. Dès le 3 octobre 1884,
l'administration du Protectorat modifia ce régime. « Divers
droits perçus à l'exportation, connus sous le nom de Kataia
et Giornata, étaient supprimés, ainsi que les droits d'ex-
portation sur les céréales et les légumes secs. Ceux qui
pesaient sur l'huile étaient réduits. Les douanes inté-
rieures disparaissaient. En 1885, les produits de la mino-
terie, les ouvrages en alfa, la graine de lin furent admis
au bénéfice du nouveau régime. En 1888 et 1889, des
décrets permirent également la libre sortie des écorces à
tan, de la laine lavée, des amandes, des citrons, des figues
sèches, du miel, etc. Enfin, en 1890, était autorisée la libre
exportation du bétaiP. » Actuellement, un grand nombre
d'articles français entrent en franchise dans la Régence,
notamment les animaux vivants, les céréales en crains et
leurs dérivés, farines, semoules, gruaux, pâtes, etc., le
beurre, les laines et les soies, les sucres, les huiles d'olive,
les vins, les eaux-de-vie, les alcools et liqueurs, le fer, le
cuivre, le plomb, l'étain, le zinc, les fils et tissus, les
vêtements, les machines, la carrosserie, etc. Sont égale-
ment admis en franchise quelle que soit leur provenance :
les instruments et machines agricoles ; le "ibier mort, les
volailles mortes, les li\res, brochures et journaux, les
douilles et bourres, l'or et 1 argent en lingots, les pierres
meulières, les appareils de sondage et de forage des puits
1. (iasloii Ldlli. 1.(1. Tunisie et l'u'inirc du pru/cclorul françcm. p. 70^
224 LA TUNISIF.
artésiens, les produits chimiques destinés à l'amendement
des terres ou au traitement des maladies de la vigne, et
tous les produits qui sont admis en franchise dans l.i
métropole. Les céréales et les fèves et leurs dérivés d'ori-
f^ine étrangère sont admis au tarif minimum français. Les
autres produits, quelle (jue soit leur provenance, sont
assujettis à des droits spécifiques déterminés par le tarif
annexé au décret du 30 mai 191G; auparavant, ils sup-
portaient un droit de 8 p. 100 ad valorem. L'importation
dans la Régence d'un certain nombre de produits est abso-
lument prohibée, soit en vue de protéger les monopoles
(kif, haschich et chira dérivés du chanvre, 'tabac, sel,
allumettes, cartes à jouer, poudres, etc.), soit pour proté-
ger la Régence contre le phylloxéra (plants et ceps de
vigne, boutures, marcottes, engrais végétaux, terres
végétales, terreaux, fumiers, etc.). Une surveillance
étroite est en outre exercée sur toutes les plantes ou
autres objets qui pourraient introduire le phylloxéra. Ce-
lui-ci, grâce probablement à ces mesures, n'a fait (jue
peu de mal aux vignobles tunisiens. Dans un but de pro-
tection de certaines industries ou de l'élevage tunisien,
« les éponges, les huiles, les olives fraîches, les peaux
brutes, les poissons frais, les poulpes, les grignons d'olives
et les chiffons, sont frappés de droits de sortie d'ailleurs
peu élevés et qui finiront vraisemblablement par être sup-
primés. Les poulains de moins de quatre ans, d'une part,
les pouliches et juments de moins de six ans, de l'autre,
sont respectivement passibles d'une taxe de sortie de 50 à
75 francs par tête. Cette mesure, essentiellement transi-
toire, a tout à la fois pour but d'atténuer l'exportation
parfois exagérée de ces animaux et de compenser la perte
subie de ce chef par l'Etat tunisien qui s'impose, en vue
de l'amélioration de l'espèce chevaline, des sacrifices dont
cet exode exagéré lui fait perdre naturellement le fruit ^ ».
Tandis que la Tunisie ouvrait ses portes aux produits
du dehors et permettait à ceux de son sol ou de son indus-
1. Notice sur la Tunisie, publiée par la Direction de ra^ricultuie. du com-
merce et fie la coloni.sation, p. 24.
I.R COMMERCE 22;.
li'ie de sortir, la Kraiice modifiail, son ré^iiiiL' douanier au
profit de la Tunisie. Ce fut l'objet des lois du lî) juillet 1890
et 19 juillet 1904. En vertu de la première de ces lois,
les huiles d'olives et de p:;rig"nons d'olives, les grignons
d'olives, les chevaux, ânes, mulets, les animaux des
espèces bovine, ovine, caprine et porcine, les volailles et
le gibier sont admis en franchise dans la métropole jus-
qu'à concurrence de quantités déterminées chaque année
par décrets du Président de la République et à la condition
d'être accompagnés de certificats d'origine délivrés par
les contrôleurs civils.
Les fèves et les vins de raisins frais (ceux-ci sous réserve
d'un modique droit de 0 fr. 60 par hectolitre, augmenté à
partir d'un titre alcoolique de 11"9, d'une taxe de 0 fr. 70
par degré supplémentaire, bénéficient des mêmes disposi-
tions. — Le régime applicable aux vins de raisins frais
s'étend, depuis le 12 juillet 1899 , aux vins mutés à l'alcool
et aux vins de liqueur, à la condition que ces produits soient
destinés à la fabi'ication de vermouths et autres produits
similaires, et comme tels pris en charge par la régie mé-
tropolitaine dès leur arrivée en France. — Enfin, les moûts
de vendange mutés autrement qu'à l'alcool, jouissent, eux
aussi, du même traitement de faveur jus(|u'à concurrence
dun titre glycométrique de 12" Baume, ceux dont le titre
est plus élevé sont frappés d'un droit de lo k. -W) par
100 kilogrammes.
Tous les autres produits sont passibles des droits du
tarif minimum français, exception faite toutefois pour les
céréales. Ces dernières étaient naguère soumises au même
régime que les huiles, les fèves, etc., c'est-à-dire que leur
importation en France ne pouvait s'effectuer que dans b
limite des quantités annuellement déterminées par le&
décrets susvisés. Par contre, et bien que les blés tunisiens
ainsi importés dans la Métropole n'eussent pas acquitté,
en y pénétrant, le droit de douane de 7 francs par 100 kilo-
grammes qui frappe en pareil cas les blés de provenance
étrangère, l'exportation de farines françaises dans la Ré-
gence était assimilée aux exportations à destination de
.l.-L. De f.ANr:ss.vN. — La Tuuisii;. 1.5
226 L/V TUNISIE
l'otrunf^er et bénéficiait des dispositions de la législation
métropolitaine sur l'admission temporaire des grains. Ceux
(lui s'y adonnaient, lecevaient, en conséquence, du Trésor
français, par quintal de farine expédiée en Tunisie, une
somme proportionnelle à celle qu'ils étaient censés avoir
payée à la douane, lors de l'entrée en France d'une quan-
tité correspondante de blés tunisiens.
La loi du 19 juillet 19U4 a mis fin à cet état de choses,
jugé anormal, en instituant, à l'égard des céréales, l'union
douanière de la France et de la Tunisie : c'est-à-dire que
les produits dont il s'agit (blés, orges, avoines, seigles) et
leurs dérivés pénètrent librement d'un pays à l'autre, sans
limitation de quantités et sans taxes douanières, mais
aussi sans primes d'exportation d'aucune sorte. Leur ad-
mission en France demeure d'ailleurs subordonnée aux
autres dispositions de l'article 5 de la loi de 1890 (certificat
d'origine, transport par navires battant pavillon français).
La métropole a, en outre, étendu à la Tunisie « les
traités et conventions de toute nature en vigueur entre la
France et l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, le Danemarck,
l'Espagne, la Russie, la Suisse, la Suède, la Norvège, la
Belgique, les Pays-Bas et la Grèce ».
Les lois des 1"' avril 1914 et 25 novembre 1915 ont
étendu le bénéfice de l'admission en franchise en France
aux produits suivants : viandes frigorifiées, oranges,
mandarines, citrons, cédrats et leurs variétés non dénom-
mées, amandes, dattes, caroubes, bananes, raisins muscats
— ces derniers seulementpendantlapériode du 14 novembre
au 15 septembre — et les pommes de terre — pendant la
])ériode du 1^' novembre au 15 mai. Ce bénéfice est subor-
donné à toutes les autres conditions de la loi du 19 juil-
let 1890.
I V. — Le commerce et le cRÉorr
Parmi les conditions qui, dans la Tunisie beylicale, met-
taient obstacle au développement du commerce, et en géné-
ral, de la richesse publique, j'ai cité plus haut l'absence
LK COMMERCE 22/
des institutions de crédit. H me paraît nécessaire d'insistei-
sur ce sujet.
Lorsque la France assuma le protectorat de la Régence,
il n'y existait aucun établissement financier. Quelques
banques privées et un grand nombre d'usuriers fournis-
saient seuls au commerce et à l'industrie le crédit sans
lequel nil'uneni l'autre de cesbranchesdel'activité humaine
ne peuvent vivre. On ne pouvait se procurer de l'argent
qu'à des conditions extrêmement onéreuses : en 1879. le
taux de l'escompte était à 12 p. 100 et celui des prêts
hypothécaires n'était pas inférieur à 20 p. 100. La g;arantie
des marchandises n'existant pas, la plupart des commer-
çants ne pouvaient emprunter qu'à des taux atteig-nant
30, 40 et 50 p. 100. Pour les cultivateurs les conditions
de l'emprunt étaient plus onéreuses encore. Dans le Sahel,
par exemple, les propriétaires d'oliviers ayant constamment
besoin d'argent pour payer leurs ouvriers avaient con-
tracté la coutume de vendre leur huile six mois et même
parfois près d'un an avant la récolte. L'acheteur retenait
ordinairement, à titre d'intérêts, le quart de la somme
avancée. Si la récolte était mauvaise et que le propriétaire
se trouvât dans l'impossibilité de livrer à son acheteur la
quantité d'huile convenue et payée à l'avance, il souscrivait
un nouvel engagement, en vertu duquel il devait fournir
l'année suivante une quantité d'huile double de celle qui
avait fait défaut. A partir de ce jour, il était enchaîné au
commerçant et voyait chaque année grossir sa dette par
les intérêts usuraires, en nature ou en argent, qu'il était
obligé de payer. En 1886, on estimait à 20 ou 25 millions
de francs le total des dettes impayées qui avaient été con-
tractées dans ces conditions par les propriétaires du Sahel.
Des faits analogues se produisaient pour les indigènes
cultivant le blé ou l'orge. Ils vendaient souvent leurs
récoltes avant la moisson et se trouvaient exposés à des
mécomptes qui les livraient aux usuriers.
L'usure sur les bijoux s'exerçait, d'autre part, sur une
large échelle. Les indigènes sont essentiellement thésauri-
seurs. La plupartmettentde côté la majeure partie des pièces
228 LA TUNISIK
il (Il (jLi iKs pcuvenl. se procurtîr. Les plus piudigues s en
serv«mt pour acheter des bijoux (|u'ils oHVent à leurs
femmes. Qu'un besoin d'argent se fasse sentir, on va
porter les bijoux chez un usurier en garantie d'un em-
prunt pour lequel on paye un intérêt exorbitant. Si,
à l'échéance convenue, on ne peut pas rembourser la
somme prêtée, on s'engage, moyennant une grosse
prime, pour une période nouvelle et, ainsi de suite,
jusqu'à ce que le bijou devienne la propriété du prêteur,
ce qui d'ordinaire n'exige pas beaucoup de temps. Dans
les opérations de ce genre, il n'est pas rare, en effet,
que l'intérêt atteigne au delà de 50 et jusqu'à lUO p. 100
ou même davantage.
Une première amélioration dans les conditions de crédit
auxquelles se trouvait soumise la Régence, fut déterminée
par la création, le i"'' avril 1879, de la « Société franco-
tunisienne ». Transformée, le 1*^' mai 1880, en « Société
des comptoirs maritimes » puis, le 1'^' octobre, en « Agence
de la banque transatlantique », enlin, le P' octobre 1884.
en « Banque de Tunisie », cette société, fondée au capital
de 8 000.000 de francs, détermina rapidement une baisse
notable du taux de l'intérêt de l'argent. Pendant l'exercice
1883-86, elle abaissa ce taux à 7 p. 100. Le taux des prêts
hypothécaires descendit de son côté à 9 et 8 p. 100. Un
abaissement analogue se produisit dans l'intérêt des
emprunts d'Etat. Avant l'établissement définitif du Protec-
torat et la liquidation de la dette tunisienne, la commission
financière empruntait tous les ans un ou deux millions de
piastres pour faire face à ses engagements. Ces emprunts
se faisaient dans le silence du cabinet, sans aucune con-
currence, et le taux moyen de l'intérêt payé par le gouver-
nement beylical s'élevait à 12 et 13 p. 100. En 1879, la
Société franco-tunisienne, à peine établie depuis six mois
dans la Régence, et qui n'avait encore qu'un capital de
500.000 francs versé, protesta contre cette manière d'opé-
rer, et força le gouvernement tunisien à faire ses emprunts
aux enchères. En août 1879, elle se faisait adjuger Tun de
ces emprunts au taux de 8 p. 100. C'était une économie de
LE GOMMERCK 229
4 à 7 p 100 que faisait le gouvernement tunisien sur les
intérêts à payer. Or, cet abaissement du taux des intérêts
payés par TÉtat s'est, depuis cette époque, toujours main-
tenu.
L'amélioration considérable introduite dans les condi-
tions du crédit par la « Banque de Tunisie » fît rapidement
naître dans l'esprit des colons le désir de voir fonder dans
la Régence un établissement de plus grande importance,
qui serait autorisé à émettre des billets. En 1886. ils
adressèrent au Résident général, M. Cambon, une péti-
tion qui offre encore un grand intérêt au point de vue de
l'histoire de l'évolution de notre protectorat. En voici le
texte : a Les soussignés, représentant, dans les diverses
branches de l'agriculture, de l'industrie et du commerce,
les principaux intérêts de la Tunisie, ont l'honneur de
vous exposer : i" que l'intérêt de l'argent, bien qu'ayant
été sensiblement abaissé par les institutions françaises de
crédit, est encore trop élevé dans la Régence pour per-
mettre aux entreprises vraiment utiles de s'v établir ;
2° que la Tunisie, en agissant avec ses ressources réelles
seulement, est placée dans un état d'infériorité nuisible à
sa prospérité vis-à-vis des nations ou des places avec
lesquelles elle est en relations d'affaires, tous les Etats qui
l'avoisinent possédant en effet des banques d'émission.
Une banque d'émission a pour effet de remettre en circu-
lation une partie du numéraire déjà employé et de multi-
plier ainsi la force première. Son capital, au lieu de s'em-
ployer successivement, se multiplie instantanément sui-
vant les besoins de la place et peut ainsi diminuer de
beaucoup le prix des services. Beaucoup d'autres consi-
dérations pourraient être mises en avant, mais les sous-
signés sont persuadés, Monsieur le Ministre, que votre
connaissance des choses suppléera au laconisme dans
lequel doit se renfermer une pétition. Les soussignés vous
prient instamment de soumettre à Son Altesse le Bey et
au gouvernement français, en l'appuyant de votre haute
autorité, le projet d'une banque beylicale d'émission, dont
l'établissement aura une énorme et bienfaisante influence
230 I,A TUNISIK
sur le développemeni de la fortune publique dans la
Régence ».
Après avoir cité ce texte, je disais dans la première édi-
tion de ce livre : « Il est impossible de ne pas s'associer
aux vœux exprimés dans cette pétition, et nous sommes
convaincu (|ue satisfaction ne tardera pas à lui être donnée
par les autorités de la Tunisie. Attendre plus longtemps,
ce serait compromettre l'avenir commercial, industriel et
agricole de notre protectorat ». J'exposais ensuite les dis-
cussions qui existaient à cette époque, en Tunisie, au sujet
des conditions dans lesquelles pourrait et devrait fonc-
tionner le grand établissement de crédit dont la création
était réclamée. A peu près unanimement, les colons dési-
raient que la Tunisie restât indépendante de l'Algérie. Ils
affirmaient que la Tunisie était assez riche pour garantir
une banque exclusivement tunisienne. D'autres, deman-
daient que les efforts du gouvernement du Protectorat se
portassent plutôt vers la création d'un établissement de
Crédit foncier que vers celle d'une Banque. A ces derniers,
les partisans de la Banque objectaient qu'un Crédit foncier
tunisien aurait un rôle très restreint.
Ces discussions eurent, sans aucun doute, pour effet de
retarder beaucoup la solution du problème posé dans la
pétition rappelée ci-dessus. Le Comptoir d'escompte de
Paris, le Crédit foncier et agricole d'Algérie, la Compagnie
algérienne établirent des succursales à côté de la Banque
de Tunisie, mais tous ces établissements, ainsi que le fait
observer M. Gaston Loth^, éprouvaient de sérieuses diffi-
cultés pour le réescompte du papier qu'elles avaient en
portefeuille. Il ajoute : « Pour obvier à cet inconvénient,
la Conférence consultative demanda, le 23 avril 1892,
qu'une succursale de la Banque de France fût créée en
Tunisie. Il ne fut pas donné suite à ce vœu, mais l'on put
constater, dès 189o, une tendance à la baisse du taux de
l'intérêt, par suite de la concurrence que se faisaient entre
eux les grands établissements de crédit ». La question du
1. Loc. cit., p. là.
LE COMMERCE 231
crédit commercial paraissait donc, d('S ce moment, en
partie résolue. Elle reçut une solution complète à la suite
de la loi du 5 juillet 1900 qui renouvela le privilège de la
Banque de l'Algérie. En vertu de conventions passées
entre la Banque d'Algérie et le gouvernement métropoli-
tain, consacrés par un décret du bey on date du 8 jan-
vier 1904 et par deux décrets du président de la République
datés du 7 mai 1904, la Banque d'Algérie fut autorisée à
émettre du papier- monnaie tunisien, moyennant cer-
taines conditions avantageuses pour le Protectorat. Son
concours financier permit de créer, par décret du 25 mai
1903, la caisse de Crédit mutuel agricole dont J'ai parlé
dans un chapitre précédent.
Les colons européens, de leur côté, s'étaient ralliés de
plus en plus à l'idée de la création d'un établissement de
Crédit foncier contrôlé par l'Etat. Dans sa session d'a-
vril 1897, la Conférence consultative émit un vœu favo-
rable à cette création. Elle fut réalisée seulement en 1900.
Le 20 juin 1900, un décret beylical a déterminé les con-
ditions d'organisation et la réglementation des Sociétés de
Crédit foncier dans la Régence, La Société anonyme « Le
Crédit foncier de Tunisie » s'étant constituée le 7 août 1906,
un décret du 8 décembre suivant autorisa son fonctionne-
ment et approuva ses statuts. Mais celte société eut vite
fait d'épuiser en prêts fonciers à long terme les quelques
disponibilités qu'elle possédait et dut liquider en 1908. Le
Gouvernement entreprit, alors des négociations avec le
Crédit foncier.de France, qui fut autorisé, par décret fran-
çais du 24 août 1909 et par décret beylical du 16 septembre
delà même année à faire des prêts fonciers dan s la Régence.
Le Crédit foncier de France n'opère pas lui-même direc-
tement. Il use de l'intermédiaire du Crédit foncier d'Algérie
dont les statuts sont plus souples et qui a pris le nom de
Crédit foncier d'Algérie et de Tunisie. Cet établissement
sert, notamment, de banque de réescompte aux Caisses de
crédit agricole et aux coopératives.
Une des plus heureuses créations du Gouvernement du
Protectorat est celle des sociétés indigènes de prévovance.
232 l,.\ Tt'NISIK
InstilutMîS pai- le décrol du :2(l mai 1907, dans chacun des
caïdats de la Régence, ces sociétés fonctionnent sous le
contrôle de l'État. Leurs caisses sont alimentées par des
centimes additionnels aux divers impôts directs indigènes
par des subventions prélevées sur les redevances de la
Banque de l'Algérie.
Leur objet principal consistai! . à l'origine, en prêts de
semences qui, pendant les huit premières années, se sont
élevés à 14 millions.
Elles procèdent aussi dans les mauvaises années, à des
prêts de subsistance qui ont atteint à ce jour un total de
5 millions.
Un décret du 2(» janvier 101 1 a organisé les prêts hypo-
thécaires à long terme qui ont rendu de grands services
notamment dans Djérid, le Sahel, le Cap Bon, etc., oij
l'usure à 20, 30 et 40 p. 100 faisait de très gros ravages.
Ces prêts sont généralement amortissables en quinze ans.
Ils ont atteint un chiffre total de 1 .800.000 francs.
Enfin, les sociétés indigènes de prévoyance ont créé,
sous la forme d'associations coopératives industrielles ou
commerciales, des filiales auxquelles elles ouvrent le crédit
nécessaire.
L'actif net des sociétés indigènes de prévoyance au 31 dé-
cembre 1915 a près de îi millions de francs.
I VL — Le développement du commercf.
Importation et exportation
Grâce aux importantes améliorations introduites dans
le régime économique de la Tunisie par les réformes
douanières et fiscales rappelées ci-dessus, ainsi que par
la création de conditions avantageuses de crédit, grâce
aussi à la création des routes et voies ferrées dont il sera
question dans un autre chapitre, grâce aux progrès consi-
dérables réalisés par l'œuvre colonisatrice proprement
dite, la situation commerciale de notre établissement afri-
cain est allée sans cesse en progressant. En 1879-80,
c'est-à-dire avant l'occupation française, le chiffre des
LE COMMERCK 233
exportations de la Tunisie était de 10.840.000 francs,
Celui des importations de H. 400. 000, soil pour la totalité
du mouvement coiumercial : 22 200.000 francs. En 1884-85,
quatre années après l'occupation, les exportations s'éle-
vaient à 18.600.000 francs et les importations à -26.400.000
francs, soit au total 45.000.000 de francs. Dix ans plus
lard, en 1895, le chiffre des exportations était 41. 24(5. 000
francs, celui des importations 44.085.000 francs, soit au
total 85.331.000 francs. En 1904, les exportations repré-
sentent 76.831.060 francs et les importations, 83.384.437
francs, soit, an total, 160.215.000 francs. En 1912, les
exportations représentent 154.655.000 francs et les impor-
tations, 156.293.000 francs, soit, pour la valeur totale du
commerce, le chiffre énorme de 310.948.000 francs. On
remarquera que si le chiffre des importations a toujours
été supérieur à celui des exportations, la différence est
allée sans cesse en s'atténuant.
En 1886, on s'inquiétait beaucoup, non seulement en
France mais encore en Tunisie, du fait que les importations
l'emportaient beaucoup sur les exportations. La Chambre
de commerce de Tunis exposait, dans le document rappelé
plus haut, les réllexions suivantes : « Ces chiffres n'ont
rien de satisfaisant, car il en résulte que la Tunisie a
beaucoup plus à payer qu'à recevoir. Les récoltes des
trois dernières années ont pourtant été bonnes ; et si l'ac-
croissement considérable des importations ne venait pas
d'un fait particulier, l'entretien d'un corps d'occupation
important, la Tunisie ne pourrait se maintenir long-temps
dans une situation aussi anormale au point de vue écono-
mique ».
Je répondais à ces observations dans la première édi-
tion de ce livre : « Les craintes exprimées dans les obser-
vations précédentes ne me paraissent pas justifiées. Il
n'est d'abord pas démontré qu'on doive considérer comme
nécessairement mauvaise la situation économique d'un
pays parce que ses exportations sont inférieures à ses impor-
tations ; mais, même en supposant que cela fût vrai pour
les nations civilisées, il ne faudrait pas en conclure qu'on
234 LA TUNISIE
doive l'admettre pour les colonies, surtout pour celles
qui sont en voie de création. Ainsi que je l'ai indiqué plus
iiaut, le premier phénomène qui se manifeste, au début de
la prise de possession d'une colonie, c'est une aug^menta-
tion considérable des importations des produits européens
destinés aux troupes d'occupation. Ces produits, nouveaux
pour les indigènes ou du moins pour un grand nombre
d'entre eux. tentent leurs convoitises et les excitent à pro-
duire des objets en échange desquels ils pourront obtenir
ceux qu'ils désirent ardemment. Mais il faut un temps très
long pour transformer un pays neuf, imparfaitement
civilisé et pour augmenter dans des proportions très sen-
sibles sa production agricole ou industrielle. La paresse
héréditaire des habitants, leur ignorance des procédés à
l'aide desquels on augmente la richesse du sol, l'état pri-
mitif des industries locales, l'absence de voies de commu-
nication, etc., sont autant d'obstacles à l'évolution ascen-
dante des colonies nouvellement conquises, et, pendant
longtemps, celles-ci produisent tout au plus ce qui est
nécessaire aux échanges à l'aide desquels les indigènes
cherchent à satisfaire leurs nouveaux besoins. Pendant
toute cette période, les importations des produits métro-
politains dans la colonie sont fatalement supérieurs aux
exportations de la colonie dans la métropole. Cependant,
si le pays est riche, le chiffre des exportations augmentera
dune façon sensible à partir du jour de l'occupation, parce
que ses produits étant mieux connus seront plus recherchés
qu'ils ne l'étaient auparavant. C'est précisément ce que
nous avons vu se produire en Tunisie à partir de 1881,
c'est-à-dire à partir de l'année où nos trafiquants ont fré-
quenté en plus grand nombre notre nouvel établissement
colonial.
« Cette première considération, tirée de la nature même
des faits économiques qui se produisent nécessairement
dans toute colonie nouvelle, doit nous mettre à labri des
craintes exprimées dans la citation faite plus haut. Au lieu
de nous effrayer de ce que les importations sont actuelle-
ment supérieures, en Tunisie, aux exportations, nous
LE COMMERCR 235
: sommes plutôt tentés de nous en réjouir. La supériorité
des importations est due. en effet, non seulement à ce que
les indigènes recherehenl davantaue nos produits, mais
encore à ce que le nombre des colons habitués à les con-
sommer est en voie d'augmentation. Les capitaux apportés
par les colons servent à la fois à enrichir les commer(:ants
français dont ils achètent les marchandises et les indigrènes
(|u'ils emploient comme ouvriers Plus de dix ou quinze
millions ont déjà été importés en Tunisie par les seuls
propriétaires français. Une partie de cette somme est
emplovée à l'achat des objets de toute nature importés par
la métropole, l'autre est dépensée en salaires dont les ou-
vriers se servent pour satisfaire des besoins prolitables à
l'industrie européenne. Il résulte nécessairement de tout
cela une augmentation sensible des importations. Celles-ci
resteront supérieures tant cjue l'agriculture et l'industrie de
la Tunisie n'auront pas atteint un développement tel qu'elles
puissiMit fournir à la satisfaction de tous les besoins des
colons et îles indigèiu^s. lînvisagée de cette façon, la supé-
riorité des importations sur les exportations, bien loin de
nous elliaver, nous apparaît connue un signe des progrès
qu'a faits la llégence dans la \oie do la colonisation.
H Je in"(Mnpresse d'ajouter (ju'un pareil état de choses.
(>xctdlenl audt'bnt d'une colonie, devrait donner des inquié-
tudes sérieuses rtdatix (MUimU à sa richesse naturelle s'il se
jn-olong(>ait indtMiniment. si surtout le chitYre des exporta-
lions n'allait pas (Mi s'aci'roissant d'annt'e en année dune
manitM'e sensible. A cet égard, nous devons être rassurés
sur l'avenir Ao \:\ Tunisie, car nous voyons ses exporta-
tions augmenter lapidement et d'une manière continue
dt>puis (iu'ellt> a ete placée sous le protectorat de la France. «
J'ajoutais (|ue la marche ascendante du connnerce di> la
UégiMu-e ne pourrait être em-ayée que si l'on nauudiorait
pas l(>s conditions du crédit existant à l'époque où j'écrivais
t>l si l'on uo réformait pas les impôts et le régime doua-
nier Lt> crédit ayant été anu'dioré et le reginu^ tiscal pro-
fondément réformé, sm'tout au point de vue des douanes,
l'évolution (jue j'avais prévue s'est réalisée : les t^xporta-
•236 LA TITNFSIK
lions sont allées sans cesse en s'accroissanL au point que
leur chiffre a presque atteint, en 1912, celui des importa-
tions.
Parmi les pays auxquels sont destinées les exportations
de la Tunisie, la France occupe le premier rang. En 1912,
elle reçut pour 67.773.000 francs de produits tunisiens, en
tête desquels figuraient : les produits des mines pour
21.247.000 francs; les huiles et sucs végétaux pour
14.924.000 francs : les farineux alimentaires, pour
12.864.000 francs; les boissons pour 5 1.56.000 francs ; les
ouvrages en matières diverses pour 3.392.000 francs; les
substances animales propres à la médecine et à la phar-
macie pour 2.653.000 francs; les produits et dépouilles
d'animaux pour 2.164.000 francs; les animaux vivants
pour 1.804.000 francs; les fruits et graines poui-
989 000 francs; etc. Le pays qui, après la France, a reçu
la plus grande quantité des produits de la Tunisie, en 1912,
est ritaiie : les produits tunisiens y furent exportés pour
une valeur de 25.256.000 francs; ils étaient représentés
surtout par : les produits des mines pour 12.512.000 francs;
les huiles et sucs végétaux pour 4.974.000 francs; les
animaux vivants pour 1.826.000 francs; les produits de la
pêche pour 1.728.000 francs ; les farineux alimentaires
pour 610.000 francs; les substances animales propres à la
médecine et à la parfumerie pour 572.000 francs ; les bois
pour 529.000 francs; les fruits et graines pour
363,000 francs; les ouvrages en matières diverses
pour 288.000 francs; les teintures et farines pour
257.000 francs ; etc. L'Angleterre vient au troisième rang
des pays qui reçoivent les produits de la Tunisie. Elle
figure dans les statistiques de 1912 pour 13.751 000 francs
de ces objets, aux premiers rangs desquels figurent : les
produits des mines pour 9.338 000 francs; les filaments,
tiges et fruits à ouvrer^ et particulièrement l'alfa pour
3.821.000 francs; les peaux et pelleteries ouvrées pour
219.000 francs, etc. La Belgique reçut, en 1912, pour
9.057.000 francs de produits tunisiens, en tête desquels
figuraient les produits des mines pour 8,709.000 francs.
LE COMMEHCR 237
L'Algérie reçut, en 1912, pour 7.738.UU0 IVancs de produits
tunisiens parmi lesquels figuraient au premier rang- : les
produits des mines pour 1. 333.000 francs; les bois pour
1 . 07.i .000 francs ; les animaux vivants pour 1 . ():2(i . 000 francs ;
les fruits et graines pour 962.000 francs; les produits et
dépouilles d'animaux pour 022 000 francs ; les farineux
alimentaires pour .j73.000 francs; les tissus pour
437.000 francs; les ouvrages en matières diverses pour
379.000 francs ; les meubles et ouvrages en bois pour
265 . 000 francs ; les ouvrages en métaux pour 244 . 000 francs ;
les builes pour 103.000 francs ; etc. La Tripolitaine reçut,
en 1912, pour 7.257.000 francs de produits tunisiens en
partie destinés aux troupes italiennes en tête desquels
venaient les animaux vivants pour 3.240.000 fiancs; les
farineux alimentaires pour 1.346.000 francs: les produits
et dépouilles d'animaux pour 602.000 francs ; etc . L'Espagne
et le Portug-al reçurent pour 3.958.000 francs de produits
tunisiens, dont 3.833.000 francs de produits des mines.
L'Allemagne en i-eçut aussi pour 3.860.000 francs dont
3.484.000 francs de produits des mines. Malte en reçut
pour 2.378.000 dont 1.376.000 francs d'animaux vivants.
La Suède etla Norvège reçurent pour plus de 400.000 francs
de produits des mines. La Russie en reçut pour
455.000 francs; l'Autriche pour 1 .153.000 francs, etc., etc.
La valeur totale des impoi'tations de la Tunisie s'éleva,
en 1912, à 156.293.999 francs. Elles provenaient de la
France pour 80.264.000 francs; de l'Algérie pour
17.834.000 francs : de l'Angleterre pour 14.544.000 francs;
de l'Italie pour 8.972.000 francs; de la Russie pour
4.957.000 francs; de l'Allemagne pour 3.405.000 francs ;
de la Belgique pour 3.281.000 francs; de l'Autriche pour
2.154.000 francs; de la Turquie pour 1 683.000 francs,
de l'Espagne et du Portugal pour 1.237,000 francs; de la
Suède et de la Norvège pour 1.189.000 francs; de la Grèce
pour 603.000 francs ; de l'Egypte pour 477.000 francs; de
Tripoli pour 41)8 000 francs ; de divers autres pays, enfin,
pour 14.963.000 francs. La France importe surtout en Tu-
nisie : des métaux bruts et ouvrés, jtour 15.013.000 francs;
238 LA TUNISIE
des denrées coloniales (sucres bruts et raffinés, café,
poivre et piment), pour G. 702. 000 francs; des farines et
semoules pour 6.()50.000 francs ; des tissus de coton pour
G. 438. 000 francs: des machines et mécaniques pour
3.320.000 francs; des soies srèses, moulinées et teintes et
fils de toutes sortes pour 2.404.000 francs ; des vins, eaux-
de-vie et alcools pour 1.G98.000 francs; des peaux prépa-
rées de toutes sortes pour 1.627.000 francs; des vêtements,
pièces de lingerie et autres articles analogues pour
1. 103. 000 francs; des bois à construire pour 900.000 francs;
des céréales et graines pour 149.000 francs et diverses
autres marchandises pour 34.628,000 francs. L'Algérie
envoie en Tunisie pour 3.240.000 francs de farines et
semoules; pour 4.378.000 francs de céréales en graines
(froment et orge) ; pour 237.000 francs de bois à cons-
truire, etc. L'Angleterre v importe pour G. 377. 000 francs
de tissus de coton; pour 1.013.000 de machines et méca-
niques; pour 344.000 francs de métaux bruts et ouvrés;
pour 237.0j00 francs de soies grèg-es et de iils ; etc. La Hon-
grie lui envoie pour 1.292.000 francs de bois à construire ;
la Belgique pour 742.000 francs de tissus de coton ; l'Italie
pour 2,953.000 francs de tissus de coton; pour
821.000 francs de soies g'règes ; pour 477.000 francs de
machines et mécaniques, etc. La Russie importe en Tuni-
sie pour 3.353.000 francs de céréales et grains. La Suède
et la Norvège pour 931.000 francs de bois à cons-
truire; etc., etc.
D'après ces chiffres, empruntés à la Statistique officielle
pour 1912, la valeur des importations de la France en
Tunisie l'emporterait de beaucoup sur celle des importa-
tions de tous les autres pays, même pour des produits tels
que les tissus de coton ou de soie, les machines, etc. Mais
il importe de noter que la douane tunisienne ne distingue
pas et ne peut pas distinguer les objets véritablement
français de ceux provenant de l'étranger qui ont été fran-
cisés par leur entrée dans notre pays. Les chiffres donnés
par les statistiques ne sont, en conséquence, que peu pro-
bants au point de vue des services que la Régence rend
réelleiiienL aux industries françaises. Une autre observa-
tion découle des cliifiVes donnés plus haut : il en résulte
(jue la Tunisie, (juoique produisant des quantités impor-
tantes de céréales dont elle exporte une partie, n'en
produit pas assez pour sa consommation. Mais, ainsi que
nous l'avons déjà dit, sa production de froment, d'orge, de
maïs, etc., va sans cesse en augmentant et s'accroîtra sans
doute considérablement dans l'avenir par le fait de la
mise en culture de terres qui, à l'heure actuelle, sont
incultes ou ne sont (ju'imparfaitement cultivées.
Deux chiffres suffiront pour montrer les admirables
progrès réalisés, au point de vue commercial, par la
Régence depuis Tépoque où la France y a établi son pro-
tectorat. En 1879-1880, à la veille de l'intervention de
la France, la valeur totale du commerce de la Tunisie
était de 22.240.000 francs : en 1912 elle atteignait
310.949.188 francs.
CHAPITRE X
LES_ROUTES, LES CHEMINS DE FER ET LES PORTS
I I, — L'État des routes \u moment de l'établissement
DU protectorat
En 1887, dans la première édilion de ce livre, je disais
au sujet des voies de communication : « Au moment où la
France a pris le protectorat de la Tunisie, il n'existait dans
ce pays d'autres voies de communication que le chemin de
fer de la Goulette à Tunis et celui de Tunis à Ghardimaou.
Quant aux routes carrossables, il n'en existait pas une
seule. Piétons, chevaux et voitures suivaient des lig-nes
plus ou moins directes entre les principaux centres de
popuhition de la Régence. Le sol battu sur ces trajets se
transforme en sortes de pistes qui se déplacent peu à peu
selon les besoins de la circulation. Pendant J'été, on peut
parcourir assez aisément sur ces pistes la majeure partie du
pays, non seulement à pied et à cheval, mais encore en
voiture, parce que le sol est durci par le soleil et que les
rivières sont dépourvues d'eau. Pendant l'hiver, la circula*
tion est fréquemment interrompue par les ruisseaux et les
rivières. Il n'existe, en effet, dans toute la Tunisie qu'une
dizaine de ponts. Quant aux parties montagneuses de cette
contrée, elles n'offrent que des sentiers à peine praticables
pour les piétons et les chevaux. Depuis que la France a
occupé la Régence, la ligne de Tunis à Ghardimaou a été
prolongée jusqu'à la frontière d'Algérie et on a construit
une voie ferrée reliant Tunis à Hammam-Lif, sur le bord
du golfe de Tunis, dans la direction du cap Bon et de l'En-
fida. Des études importantes ont été faites dans le but de
LES ROUTKS, LES CHEMINS UE FEI5 ET LES l'ORTS 241
doter le pays do routes carrossables. Déjà on en a construit
une entre Tunis d'une part, la Goulette,Ia Marsa, le Bardo
de l'autre ; on travaille activement à une route, déjà faite en
quelques points, entre Tunis et Bizerte. Mais ces travaux
coiitent très cher, à cause des nombreux ponts qu'il faut
établir sur les ruisseaux et les rivières et des chemins qu'il
faut élever dans les lieux marécageux ». Je notais l'opinion
de quelques colons qui, en présence de ces difficultés,
demandaient à l'administration de modifier ses plans, de
s'occuper des ponts plutôt que des routes, afin que pen-
dant l'hiver on ne fût pas arrêté par les rivières et les
torrents et de s'attacher plutôt à construire des chemins de
fer que des routes. Mais cette opinion était celle d'une
minorité, et je notais que partout oii j'étais passé, les indi-
gènes comme les Européens réclamaient à la fois des routes
et des chemins de fer le plus tôt possible. « Je ne dissi-
mule pas, disais-je, que j'écoutais avec quelque complai-
sance ces observations. Je suis d'avis que le premier élé-
ment de colonisation et le plus puissant moyen d'accroître
la production d'un pays neuf, c'est de le doter aussi promp-
tement que possible de voies de communication, et j'ajoute
de voies de communications rapides, autrement dit de che-
mins de fer. Les routes ordinaires, même les meilleures,
sont loin de produire les mêmes effets économiques que les
chemins de fer. J'ajoute que cela est vrai surtout pour la
Tunisie. Ainsi que je l'ai dit plus haut, on peut la parcourir
presque dans tous les sens, sauf dans les montagnes, avec
des charrettes et des voitures. J'en ai moi-même visité la
plus grande partie avec une voiture à quatre roues, que
traînaient presque toujours au trot quatre chevaux attelés
de front. Il est vrai que j'ai fait le voyage en été, c'est-à-
dire à une époque où l'on peut traverser presque toutes les
rivières à pied sec; mais, sauf en ce (jui concerne le pas-
sage des rivières, mon voyage aurait pu être fait en tout
temps et dans les mêmes conditions.
« Dans un pareil pays, les routes carrossables n'ont sur
les conditions économiques qu'un effet proportionnellement
très inférieur aux dépenses qu'elles entraînent, puisqu'elles
J.-L. De LaxbÏan. — La Tunisie. 16
242 I.A TUNISIE
fiaugiiienlcnt que fort peu la sécurité et la facilité des
communications et pas du tout leur rapidité. Il en serait
tout autrement des cliemins de fer. Avec eux, sécurité,
facilité, rapidité des communications seraient simultané-
ment accrues <lans des proportions dépassant l'imagination
des indigènes et produisant sur eux une intluence trans-
formatrice absolument irrésistible, en même temps quelles
placeraient les colons dans des conditions auxquelles ils
sont accoutumés dans la mère-patrie. »
§11. L'ÉTAT DKS 1>0RÏS A l'ÉPOOUE DK LÉTABLISSEMENT
DU PROTECTORAT
Après avoir insisté sur l'urgence de la construction des
routes et des cliemins de fer je disais : « La Tunisie a non
moins besoin de ports que de voies de communication. Ce
ne sont pas les lieux convenables qui manquent pour cela,
mais rien ou presque rien n'a été fait depuis des siècles
pour améliorer les ports naturels du pays et les doter de
l'outillage indispensable au commerce moderne. »
Sur la côte septentrionale de la Tunisie je montrais
deux ports à créer : Bizerte et Tabarka.
La ville indigène de Bizerte était située sur les bords du
golfe de ce nom, entre la mer et le lac de Bizerte, sur les
bords des deux bras d'un petit canal qui reliait la mer au
lac. Les deux bras de ce canal traversaient la partie basse
de la ville en entourant un petit quartier européen. Celui-ci
était relié à la ville par deux ponts : celui de Beb-Tounis
sur le bras est, et celui de la Skala, sur le bras ouest à côté
du marché. Le bras est du canal formait la darse du port de
Bizerte, laquelle était abritée de tous les vents par les mai-
sons et les remparts qui l'entouraient. L'entrée de la darse
était protégée par deux petites jetées d'inégale longueur,
la plus grande n'ayant qu'une cinquantaine de mètres. Au
niveau de son extrémité se trouve une barre sur laquelle
il n'y a pas plus de 1"',80 à 2 mètres d'eau. Mais à 150 mètres
de l'entrée de la darse, le golfe de Bizerte olFre des fonds
de 10 à Ui mètres. Le canal qui reliait le golfe au lac avait
LKS ROUTES, LKS CHEMINS l)K KKIl I.T LES l^ORTS 24S
une long^ueur d'un kilomètre environ et une largeur de
200 mètres ; sa profondeur était minime ; dans certains
points, il n'y avait pas plus de 50 à 60 centimètres d'eau.
Le lac est un des plus beaux lacs marins qui existent. Il
est à peu près circulaire, avec un diamètre de 4 kilo-
mètres environ dans tous les sens. Sa profondeur est très
variable, elle atteint en certains points jusqu'à 12 et
IS mètres. Son fond est formé de sable facile à creuser
par simple dragage. Les eaux sont sans cesse renouvelées
par les marées et, dans l'hiver, par les pluies. Il est entiè-
rement à l'abri des vents.
J'ajoutais, dans la premièi'e édition de cet ouvrage (1887) :
« Actuellement les barques seules peuvent pénétrer dans
le port de Bizerte, aussi est-il absolument désert, et la ville,
qui est cependant placée dans les conditions les plus avan-
tageuses qu'il soit possible d'imaginer, témoigne d'une
décadence qui va chaque jour se prononçant davantage.
Aujourd'hui, la petite ville de Bizerte n'a pas plus de six
mille habitants, elle est entourée de fortifications cons-
truites par les Arabes, et protég'ée par deux forts, situés
l'un à l'entrée du port, l'autre sur un point culminant qui
domine toute la rade. Son alimentation en eau douce est
assurée par des sources, dont une partie sont déjà canalisées,
et qui toutes ensemble pourraient donner 864.000 litres
d'eau par jour, moyennant une dépense évaluée à environ
350.000 francs. Les environs immédiats de la ville sont
couverts de beaux jardins, dans lesquels on cultive, avec
les oliviers, presque tous les arbres fruitiers de notre pays
et la vigne. A l'ouest, la plaine étroite de Bizerte est bordée
par une rangée de collines plantées d'oliviers et cultivées
en céréales par les indigènes. Ces collines s'étendent tout
le long du lac, à l'abri des vents du nord -ouest, jusqu'à
Djebel-Ischeul qui est le point le plus élevé de la région;
elles conviendraient admirablement à la vigne. Les sources
y abondent et permettraient d'y faire toutes les cultures
vivrières qui exigent des arrosages fréquents.
« Mais, pour que les colons français s'établissent dans
cette région, il faut qu'elle soit reliée au reste de la Tunisie
244 LA. TUNISIE
par (les voies de communication. On construit en ce
moment une route carrossable entre Tunis et Bizerte; elle
coûtera fort cher et ne lendra pas à la localité les services
qu'on en attend. Bien mieux eût valu faire tout de suite
l'embranchement du ciieinin de fer de Djedeida à Bizerte
dont j'ai parlé plus haut. Avec cette voie ferrée et l'amé-
lioration de son port, Bizerte entrerait dans une ère de
prospérité. Les colons français ne manqueraient pas de
mettre en culture les riches terres qui l'entourent et de
tirer profit de la beauté de sa plage et de son délicieux cli-
mat.
« Mais cela ne suffirait pas encore pour lui donner toute
l'importance qu'elle mérite. Ce qu'il faut, c'est la doter
du port de premier ordre auquel sa situation topogra-
phique et l'existence d'un superbe lac intérieur lui donnent
droit. Ainsi que je l'ai dit plus baut, l'avis des personnes
les plus compétentes est qu'il faudrait établir entre le lac
de Bizerte et la mer une communication indépendante de
celles qui existent actuellement. On y trouverait l'avantage
considérable de pouvoir faire les travaux à travers les ter-
rains non bâtis et dans des conditions qui rendraient
aussi faciles que possible les relations entre la mer et le lac.
Beaucoup de personnes voudraient qu'on fît un port
exclusivement militaire. Elles font valoir à l'appui de
cette opinion la sûreté absolue dont y jouiraient les bâti-
ments, les arsenaux, les approvisionnements, etc., et
l'admirable situation qu'occuperait ce port de guerre sur
la route du canal de Suez et de Gibraltar, presqu'en face de
Toulon, et à une faible distance du port de Malte que les
Anglais ont transformé en un refuge imprenable... Je
crois que l'on commettrait une faute si l'on se bornait à
créer dans le lac de Bizerte un port exclusivement mili-
taire. Je suis d'avis qu'il y faudrait construire plutôt un port
mixte et franc, comme celui de Malte. En gens pratiques,
les Anglais ne se sont pas contentés d'accumuler à Malte
tous les moyens de défense et l'outillage nécessaires à un
port de guérie ; ils ont également fait tout ce qu'ils ont pu
pour y attirer les commerçants et les navires. Ils n'y ont
I,F,S ROUTES, LES CHEMINS HE FER ET LES PORTS 245
établi aucune douane; ils en uni l'ail une sorte d'entrepôt
oii les navires apportent et viennent prendre des niarclian-
dises de toutes sortes sans avoir à payer autre chose que
les frais les plus ordinaires des ports. Grâce à ce système,
les navires ayant toujours l'espoir, je dirais volontiers la
certitude de rencontrer à Malte des embarquements à
l'aire, presque tous ceux qui passent par celte partie de la
Méditerranée v font escale. Ils y trouvent, avec les mar-
chandises et les passagers, du charbon à meilleur marché
qu'à Marseille et presque au même prix qu'en Angleterre
ou à Anvers.
(( Port de g'uerre de premier ordre par son admirable
situation, son étendue et les fortifications naturelles ou
artificielles qui l'entourent. Malte est devenue, grâce au
système dont nous venons de tracer l'esquisse, l'un des
ports de commerce les plus fréquentés.
« Ce que les Anglais ont fait à Malte, les intérêts politi-
ques et commerciaux de la France exigent qu'elle le fasse
à Bizerte, et elle peut le faire avec la certitude d'en tirer
les mêmes avantages que les Anglais ont retiré du port
■ de Malte.
« Au point de vue géographique, Bizerte n'a rien à envier
à Malte. Comme Malte, Bizerte est située sur la route de
tous les navires qui vont à Gibraltar ou à Suez. Le port
naturel de la seconde est encore plus vaste que celui de la
première, et il est beaucoup plus facile à aménager, à cause
de la nature des terrains qui l'entourent. A Malte, c'est dans
la roche vive qu'il a fallu creuser ; à Bizerte, tout est sable
ou terrain meuble. Quant à la sûreté, Bizerte est supérieur
à Malte en ce que Malte n'a pas de rade, tandis que Bizerte
offre aux navires qui l'abordent la magnifique rade natu-
relle que forme son golfe. Bizeite a encore sur Malte
un autre avantage important. Le port de Malte est creusé
dans une île à peu près improductive, tellement aride
qu'autrefois on n'y laissait pas aborder les navires s'ils
n'apportaient pas une certaine quantité de terre végétale.
Bizerte, au contraire, est placée au centre d'un pays d'une
extrême richesse, propre à toutes les cultures, aisément
240 LA TUNISIE
leliable aux parties les plus féconrles de la Tunisie. Les
navires seraient donc assurés d'y trouver non seulement
les marchandises de transit, mais encore les produits de la
Tunisie et des portions voisines de l'Alg^érie.
« Pour ces motifs, je considère la création d'un port
mixte, à la fois militaire et commercial, à Bizerte. comme
l'une des œuvres dont le gouvernement beylical et surtout
les autorités françaises de Tunis doivent le plus se préoc-
cuper. Mais J'insiste sur le caractère de franchise qu'il
faudrait donner au port de Bizerte. C'est seulement en y
accordant aux marchandises de transit, et particuliè-
rement au charbon, la plus entière liberté d'entrée et de
sortie que l'on donnerait à ce port toute sa valeur. »
La côte septentrionale de la Tunisie présente un deuxième
port dont j'estimais, en 1887, que le Protectorat devrait
s'occuper. Je disais à son sujet : « Protégé par l'île de ce
nom, le petit port de Tabarka est le lieu naturel d'embar-
quement des produits d'exportation de la Kroumirie, c'est-
à-dire des bois et des minerais qui font la richesse de cette
portion de la Tunisie. Actuellement, cette petite ville où
vivent 250 Européens seulement, en majeure partie fran-
çais, est entièrement isolée de tout le reste de la Régence.
Aucune route ne la relie à aucun centre de population;
pendant l'été, on suit des sentiers peu praticables ; pen-
dant l'hiver, les torrents qui coupent ces sentiers en
cent endroits rendent toute communication impossible.
Les habitants demandent, avec raison, que les autorités
beylicales et françaises mettent fin à cet état de choses ;
je ne puis quem'associer au vœu très légitime qu'ils m'ont
transmis à ce sujet ». J'ajoutais qu'il était nécessaire
d'améliorer le port en raison des services qu'il serait
appelé à rendre le jour où l'exploitation des mines et des
forêts de la Kroumirie prendrait de l'importance.
En 1907, M. Gaston Loth parlant de Tabarka disait*:
« Depuis deux ans, les conditions de viabilité de la région
kroumirienne se sont sensiblement améliorées et l'on peut
1. I.ûc. cit., p. L>23.
LES HOUTKS, LES CHEMINS Dr-, FER ET LES PORTS 247
aujourdhui. de Tunis, gagner en ('liemin de Ter Béja. se
l'endre de cotte ville à Tabarka pai' une bonne route, puis,
de là, emprunlani l'ancienne voie mililaire, aboutira Souk-
eKArba, où l'on retrouve la voie ferrée ». Après avoii*
décrit la pittoresque région où s'élèvent les forets de cbenes-
lièges et de cbénes-zen de la Kroumirie et où se dressent
les bâtiments de l'exploitation minière de Khanguet-Kef-
Tout. il ajoutait : « Le point du littoral où sont embarqués
les lièges et les bois provenant des forets kroumiriennes
est la petite ville de Tabarka, la « Thabraca » romaine, où
l'on découvrit il y a quelques années les curieuses mo-
saïques qui ligurent dans les collections du Bardo. Simple
village de pêcheurs, situé à l'abri de la montagne, sur une
étroite lisière bordant la mer, Tabarka compte un millier
d'habitants, à peu près tous Européens. Le quart seule-
ment de cette population est français, le reste se composant
presque exclusivement de pécheurs italiens dont le nombre
s'accroît pendant Tété, car plusieurs centaines de bateaux
siciliens viennent pêcher la sardine et l'anchois dans le
voisinage des côtes. A cette industrie de la pèche, Tabarka
n'ajoute, pour l'instant, aucune autre ressource. C'est à
peine si l'on commence à coloniser la vaste plaine qui
l'avoisine et, malgré les désirs de ses habitants, il est peu
probable que le produit des mines vienne jamais s'embar-
quer à Tabarka ».
Les prévisions de M. Loth ont été réalisées. Les mines,
sauf celles de Khanguet, n'ont pu user du port de
Tabarka et rien n'a été fait pour permettre à ce port de se
développer. Il n'est point douteux, cependant, qu'il est le
mieux situé de toute la côte pour desservir toute la région
(le la Kroumirie. 11 subit les conséquences de la manière
dont les travaux des ports ont été exécutés dans la Régence,
Les sociétés qui ont obtenu le monopole de ces travaux
dans les ports de Bizerte et de Tunis, pour ne parler que
des plus voisins de la Kroumirie ont intérêt à ce que le
plus grand nombre des navires fréquentant la Régence
soient obligés de se rendre à Tunis ou à Bizerte. Le Pro-
tectorat, d'autre part, ayant avantage à ce que les ports
248 LA TUNISJF,
qu'il a concédés à des sociétés privées fassent le plus de
recettes possible, se désintéresse de tous les autres. Or,
il ne me paraît certain que la Tunisie, envisagée dans
son ensemble et du point de vue économique, ait intérêt à
ce que ses grands ports seuls soient fiéquentés. Il est permis
de constater, d'après les statistiques officielles dont je
parlerai plus bas, que ces grands ports sont depuis plu-
sieurs années dans une situation stationnaire, tandis que
les petits ports conservent leur ancienne clientèle. Ne
faut-il pas en conclure que ces derniers répondent à des
besoins réels et que l'administration a tort de les négliger?
Sur la côte orientale de la Tunisie se trouvent les ports
de La Goulette et Tunis, Sousse, Monastir, Mahdia, Sfax
Gabès, Houmt-Souk (île de Djriba) et Zarzis. Il me paraît
intéressant d'analyser ici, à titre historique, ce que je
disais de ces ports dans la première édition de cet ouvrage.
La ville de Tunis est bâtie dans le fond du lac de ce
nom, c'est-à-dire dans le point le plus éloigné de la mer.
Devant Tunis, le lac a une largeur d'environ quatre kilo-
mètres ; il est séparé du golfe de Tunis par un ruban de
terre n'ayant, dans sa partie la plus étroite, qu'une cin-
quantaine de mètres de largeur et ouvert en un seul point
où Ton a établi un pont de bateaux qui permet de faire à
pied sec tout le tour du lac. C'est à l'entrée du lac, entre
celui-ci et le golfe de Tunis, qu'a été bâtie la petite ville de
la Goulette. Elle est reliée à Tunis par un chemin de fer.
Les navires mouillaient encore en 1887 devant la Goulette,
à un mille environ de terre ; on ne pouvait les charger et
les décharger qu'à l'aide de chalands amenés le long du
bord, qui eux-mêmes chargeaient et déchargeaient à la
Goulette, le long d'un quai en bordure d'un petit canal
reliant le golfe au lac de Tunis. Ce dernier n'ayant que
très peu d'eau, de trente à cinquante centimètres, à peine
un mètre dans les endroits les plus profonds, les petites
barques seules y pouvaient pénétrer.
Il résultait de cet état de choses que les marchandises à
destination de Tunis devaient subir la série des opérations
suivantes: 1" débarquement des navires dans les chalands
LES ROUTES. LES CHEMINS DR FER ET LES PORTS 249
en plein golfe, et sans abri contre les vents ou la mer, ce
qui faisait que le déchargement était souvent impossible
pendant des journées entières; 2" débarquement des cha-
lands à la Goulette; 3° embarquement sur les w^agons
et transport à Tunis par voie ferrée ; 4° débarquement des
wagons à Tunis et transport à laide des charrettes dans
les magasins. Il est aisé de se rendre compte de l'impor-
tance des frais dont les marchandises qui avaient subi
tous ces transbordements et transports se trouvaient gre-
vées quand elles arrivaient enfin à destination.
L'idée de créer un port à Tunis devait donc tout natu-
rellement surgir dans l'esprit des colons et dans celui des
administrateurs français. Aussi, dès la fin de 1881, une
convention était elle conclue entre le gouvernement beylical
et une société française, la compagnie des Batignolles, pour
la construction d'un port à Tunis. Mais l'affaire ne marcha
que lentement. Tout le monde n'était pas d'accord sur le
lieu où il convenait de faire le port. On prétendait même
que^quelques intérêts s'étaient opposés à sa construction
dans le but de drainer les produits tunisiens vers l'Algérie
et le port de Bône.
Quant au lieu le plus convenable à l'établissement
du port, il était fortement discuté. Un certain nombre
de bons esprits voulaient qu'il fiit construit sur l'emplace-
ment de l'ancienne Garthage, c'est-à-dire sur le golfe de
Tunis, à l'abri de la pointe sur laquelle est bâtie la char-
mante petite ville de Sidi-Bou-Saïd. Ils faisaient valoir que
Ion pourrait aisément créer en ce point un port en eau
profonde pouvant recevoir les navires de toutes les dimen-
sions, et beaucoup plus rapproché de la grande mer, par
conséquent plus facilement abordable, qu'un port creusé à
Tunis même.
Les adversaires de ce projet objectaient, non sans raison,
que, dans l'intérêt du commerce, les marchandises doivent
toujours être apportées par les navires aussi près que pos-
sible des magasins destinés à leur vente; qu'en faisant le
port à Garthage ou à la Goulette on laisserait subsister
une partie des transbordements et le transport par chemin
250 LA IINISIK
(le fei". Us ajoutaient que la construction coûterait beau-
coup plus cher à Cartliag:e (ju'à Tunis même, et qu'on ris-
(|uerait de compromettre les intérêts et l'avenir de Tunis
au protit d'une ville nouvelle.
Ces sentiments étaient sans doute ceux de l'administra-
tion, car elle se décida pour l'établissement du port à
Tunis même. On creuserait dans le lac de Tunis un canal
de 6 m. 50 de profondeur, réunissant le golfe à la ville, et
l'on construirait auprès de cette dernière, dans la partie
la plus envasée du lac, un port bordé par des quais. Les
plus grands navires de commerce qui viennent à Tunis
étant ceux de la compagnie transatlantique, qui calent
5 m, 50 en pleine charge, on estimait qu'en donnant au
canal et au port une profondeur de G m. oO, on satisferait
largement à tous les besoins du commerce. Rien, d'ailleurs,
n'empêcherait de creuser ultérieurement le chenal et le
port à une plus grande profondeur.
Quant aux dépenses prévues pour cette œuvre, elles
avaient d'abord été estimées à 12 millions, puis à 16 mil-
lions de francs. Le 9 décembre 1885, une convention
intervint entre le gouvernement beylical, représenté par
le Directeur général des travaux publics et la Compa-
gnie des Batisjnolles. A la convention de 1881 étaient
substituées les stipulations suivantes : dans le délai de
deux mois et demi, et sous peine de déchéance, la Compa-
gnie des Batignolles devait remettre au Directeur général
des travaux publics le projet complet d'exécution du port
de Tunis, dressé conformément aux indications générales
d'une note annexée à la nouvelle convention. Le projet
déposé par la Compagnie devait être soumis au Conseil
général des ponts et chaussées de France, qui pourrait
y faire toutes les modifications qu'il jugerait nécessaires
ou utiles, et qui fixerait les prix d'application. Le projet
arrêté souverainement par le Conseil serait notifié à la
Compagnie des Batignolles, qui devrait faire connaître,
dans le délai d'un mois, son acceptation ou son refus des
conditions imposées par le Conseil général des ponts et
chaussées. En cas d'acceptation, la Société des Batignolles
LES ROUTES, LES CHEMINS DE FER ET LES PORTS 251
s'engageait à exécuter les travaux poui' le compte et aux
frais du gouvernement tunisien. En cas de refus, le gou-
vernement tunisien se trouvait délié de loul engagement
vis-à-vis de la Société et pourrait pourvoir à l'exécution
du port par tels moyens qu'il jugerait convenables.
Dans cette convention, il y avait une clause qui ne pou-
vait manquer de frapper l'esprit : c'est l'intervention sou-
veraine de l'administration des travaux publics de la France,
dans une affaire exclusivement tunisienne, car c'est la
Régence qui faisait tous les frais de l'entreprise. Est-ce cette
intervention qui entrava la marche de l'affaire? Je ne sau-
rais le dire exactement, mais en 1887 les travaux n'étaient
pas encore commencés, et ne paraissaient pas devoir 1 être
prochainement.
J'écrivais, à ce propos dans la première édition de ce
livre : « Je saisis volontiers cette occasion pour mettre en
lumière les inconvénients de l'intervention des adminis-
trations centrales dans des affaires dont les pouvoirs
publics des pays de protectorat devraient avoir la direc-
tion et la responsabilité. Le rôle des résidents devient tout
à fait nul, si les affairés dont ils ont la surveillance et le
contrôle sont traitées souverainement en dehors d'eux,
par les bureaux ou les conseils administratifs de la métro-
pole, auxquels manquent presque toujours les éléments
nécessaires à un jugement éclairé. Les travaux publics
de la Tunisie ont déjà beaucoup souffert de cet état de
choses, et tout porte, malheureusement, à croire qu'ils en
souffriront davantage encore dans l'avenir ».
Après Tunis, la ville qui avait le plus besoin d'un bon
port était celle de Sousse. L'ancienne Hadrumetum des
Romains est située dans la partie sud du golfe d'Hammamet,
que limitent, au nord la pointe de Ras Marmor et, au sud,
la pointe de Monastir avec les petites îles qui la prolongent,
La ville de Sousse est bâtie en amphithéâtre sur une
petite colline dont le pied descend jusque dans la mer.
Avec sa muraille blanche, haute de 9 à 12 mètres et cré-
nelée, la ville produit un séduisant effet. Elle peut être
considérée comme la capitale du Sahel, le pays par excel-
252 I.A TUNISIK
lence des beaux oliviers. Elle forme, avec les nombreux
el riches villages qui Fentourent, le centre le plus impor-
tant de la Régence après Tunis. iNon seulement elle est
destinée à concentrer la majeure partie des produits du
Sahel, mais encore elle est le débouché naturel de ceux de
TEnfida et des plaines de Kairouan. Quoique sa rade soit
ouverte ii tous les vents^ le mouillage y est sûr, et il est
rare que les navires soient forcés de la quitter pour éviter
des accidents. L'ancien port était, en 1886, en grande partie
ensablé et n'était plus fréquenté que par quelques barques
de pêcheurs qui venaient s'échouer sur la plage pour se
radouber. On voyait encore, à marée basse, les traces
du brise-lames qui reliait autrefois les deux batteries et
l'on remarquait encore à terre, du coté de la porte Bab-el-
Bahr, des ruines que l'on disait être celles des anciens
murs du quai. La superficie abritée avait été de 3 à 5 hec-
tares.
Après l'occupation française, le service du génie cons-
truisit, pour les bains militaires, un appontement en char-
pente, tandis que le service des travaux publics de la
Régence établissait, pour l'usage du commerce, un second
appontement accoté au premier et muni d'une grue de
trois tonnes, pour le débarquement des marchandises. A
la suite de ces travaux, les barques des caboteurs du pays
mouillaient au sud du môle de la batterie rasante, où elles
étaient à l'abri de tous les vents, sauf ceux de la région
comprise entre le nord-est et le sud-est par l'est. Lorsque ces
derniers vents soufflaient avec violence, les barques allaient
se réfugier dans le fond sud de la baie, oii il existe une
fosse offrant des fonds de 2 à 3 mètres, couverts par une
barre qui s'est formée à une faible distance de la plage et
parallèlement à elle. Les navires de fort tonnage mouil-
laient au large, à un demi-mille ou à trois quarts de mille
de terre. Ils n'y étaient abrités par rien contre les vents
du nord-est au sud-est par l'est. Le chargement et le dé-
chargement des marchandises s'effectuaient au moyen de
« mahones » qui allaient prendre les marchandises le long
du bord des navires et les déchargeaient à l'appontement
LES ROUTRS, LES CHEMINS DE FER ET LES PORTS 253
indiqué plus haut. Mais les communications des mahones
avec les navires n'étaient pas toujours faciles et occasion-
naient de grands frais. Aussi la population réclamait-elle
énergiquement la création d'un véritable port.
Le port de Monastir n'est éloigné de celui de Sousse que
de onze milles ; il est moins important, mais mieux situé,
abrité qu'il est par les îles Kuriat et Egdemsi contre tous
les vents, sauf ceux de la région nord-est, par l'est. Rien
n'avait été fait par l'administration beylicale pour favo-
riser le développement du commerce maritime <le ce port,
dont le trafic annuel n'était cependant pas inférieur à
20.000 tonnes.
Le service des travaux publics du Protectorat construisit
un appontement en charpente de 76 mètres de longueur
et de 8 mètres <le largeur, atteignant les fonds de 2"', 50 à
l'endroit de la plage où se faisaient d'habitude les char-
gements d'huile et où existait un débarcadère embryon-
naire formé de deux madriers reposant sur des chevalets.
Cet appontement, avec la grue dont on l'avait pourvu,
facilitait beaucoup les opérations et était très apprécié par
le commerce.
On relia le port à la ville par une route empierrée, de
8 mètres de largeur. On construisit une cale à huile, une
douane et un terre-plein.
J'écrivais en 1887 : « Il serait possible de créer un abri
ou un bassin fermé à Monastir, et cette création serait
même favorisée par le voisinage des îles Egdemsi, qu'une
passe étroite sépare du continent ».
Le port de Mahdia est situé dans un petit enfoncement
au sud du cap Africa. La rade n'est pas sûre par les vents
d'est, et elle n'est pas très saine. Il existe notamment un
plateau dangereux de roches et d'herbes qui s'avance assez
loin en mer et sur lequel il n'y a pas plus de trois mètres
d'eau, mais les petits caboteurs et les embarcations peuvent
s'abriter dans une espèce de fosse qui existe le long de la
plage et que couvre une barre naturelle sur laquelle les
lames du large viennent se briser. Le port de Mahdia est
fréquenté chaque année par un grand nombre de bateaux
254 LA TUNISIE
siciliens qui vicuiieiiL pocher la sardine sur les cotes. 11
s'y fait un important commerce d'huile d'olive. Le service
des travaux publics y établit, aussitôt après l'occupation,
un quai de débarquement maçonné de 200 mètres de déve-
loppement avec une cale de charg-ement pour les huiles,
et creusa, en avant de ce quai, un bassin d'opération offrant
des fonds de l'^^SO à marée basse. On y construisit, en
outre, un brise-lames de 260 mètres de développement,
dans le but de couvrir la passe et le mur de quai. On se
pi'oposait d'accoler plus tard à ce brise-lames un quai verti-
cal de 13 à 20 mètres de largeur et de draguer le bassin
d'opération ainsi que la passe jusqu'aux fonds de 2", 50.
Le port de Sfax peut rivaliser d'importance avec celui de
Sousse.
Il a, au point de vue nautique, un avantage sérieux
sur ce dernier, résultant de ce que les opérations de
chargement et de déchargement n'y sont jamais inter-
rompues par le mauvais temps. La rade est, en elfet, pro-
tégée du côté du large par les îles Kerkenah. Malheureu-
sement les grands fonds ne se trouvent que très loin de
terre, à quatre ou cinq milles, ce qui rendait autrefois l'es-
cale de mer et les opérations de chargement et de déchar-
gement très onéreuses.
On commença en 1885 la construction d'un mur de quai
en maçonnerie de 200 mètres de longueur, s'avançant de
150 mètres sur la mer et au pied duquel il devait y avoir
2"', 50 d'eau à marée basse. L'administration projetait en
outre le creusement d'un bassin d'opération et d'un chenal
d'accès.
Le port de Gabès n'a d'importance qu'au point de vue
du ravitaillement des troupes d'occupation ; on y embarque
aussi un peu d'alfa. La rade est ouverte à tous les vents
du large et peu protégée du côté des terres parce que
celles-ci sont très basses: aussi arrive-t-il fréquemment,
pendant l'hiver, que les navires de la Compagnie transa-
tlantique soient obligés de partir sans avoir pu débarquer
leurs marchandises, ni même parfois leurs passagers. Le
port de Gahès est, sans contredit, le plus mauvais de toute
LES ROUTES, LES CHEMINS OE FER ET LES PORTS 255
la côte tunisienne. Le génie construisit, en 1885, un appon-
tement en bois de 250 mètres de longueur, qui s'ensabla
très rapidement. Le service des travaux publics avait pré-
paré un projet en vue d'améliorer l'embouchure de loued
Gabès, afin de permettre aux barques d'aller se réfugier
dans Toued lorsque la mer est mauvaise et d'y faire au
besoin leurs opérations. Mais, quoi qu'on fasse, on n'arri-
vera jamais à faire de Gabès un port même passable.
Le port de Houmt-Souk (île de Djerba) se trouve à peu
près dans les mêmes conditions nautiques que celui de
Sfax. Le mouillage est sûr, mais encore plus loin de terre,
à neuf ou dix milles environ. Aussitôt après l'occupation
on améliora un peu la situation en construisant un appon-
tement métallique le long duquel les barques peuvent opé-
rer facilement. On avait projeté le creusement d'un chenal
d'accès et d'un bassin d'opération, mais ces ouvrages
n'ont pas été exécutés.
Le port de Zarzis, peu fréquenté, si ce n'est par les cabo-
teurs du pays et par les pêcheurs d'épongés, pourrait être
aisément amélioré. Il est protégé par un brise-lames natu-
rel semblable à celui de Mahdia, sur lequel il serait aisé
de construire une jetée. La rade est bonne et les navires
peuvent mouiller à un demi-mille seulement de terre.
I TIL — Les travaux des ports exécutés
PAR LE Protectorat
Jules Ferry, à qui la France doit la Tunisie, était d'avis
de créer à. Bizerte un grand port, à la fois militaire et
commercial, en mettant le lac en rapport direct avec la
mer, ainsi qu'il est dit plus haut. Mais il était arrêté dans
l'exécution de ce projet par une opposition très vive
de la Grande-Bretagne. Les Anglais redoutaient à la fois
l'importance militaire que la France acquerrait dans le
centre de la Méditerranée par la création d'un port mili-
taire situé entre Gibraltar et l'Egypte, presqu'en face de
Malte, et la concurrence que ce port pourrait faire à Malte
au point rie vue commercial. En 1887, lorsque je publiai
256 LA TUNISIE
les lignes citées plus haut, nous possédions la Tunisie
depuis six ans et nous n'avions encore rien fait à Bizerte.
C'est seulement en 1888 que Jules Ferry tourna la difticulté
au moyen d'une convention qui remettait à une compagnie
privée le soin de créer un port exclusivement commercial.
Les travaux de ce port furent exécutés par MM. Cou-
vreux et Hersent, auxquels fut substituée plus tard la
Compagnie du port de Bizerte, en vertu d'un contrat entre
ces entrepreneurs et le gouvernement français, en date
du 11 novembre 1889, sanctionné par décret beylical du
17 novembre 1800. L'acte de concession du gouvernement
tunisien visait « le droit exclusif de construire à côté du
port actuel de Bizerte et d'exploiter un port commercial
susceptible de recevoir les navires d'un grand tirant
d'eau ».
Les travaux qui ont été exécutés jusqu'à ce jour com-
prennent : l*" un avant-port dont la surface atteint 86 hec-
tares et qui a été dragué à la profondeur de 10 mètres
sur une étendue d'environ 40 hectares ; 2" deux jetées
limitant cet avant-port; l'une au nord construite dans le
prolongement de la petite jetée de l'ancien port, longue
de 1.200 mètres; l'autre à l'est, longue de 900 mètres;
toutes les deux construites en enrochement ; 3" en avant
des jetées, une jetée-abri, longue de 609 mètres, dirigée
obliquement du nord-ouest au sud-est, également cons-
truite en enrochement Entre ses extrémités et celles des
jetées, des passages de 320 mètres, au nord-ouest, et de
680 mètres, au sud-est, sont ménagés pour le passage des
navires ; 4° entre l'avant-port et le lac, il a été creusé un
canal long de 2.300 mètres, large de 200 mètres ou pla-
fond, profond de 10 mètres, conduisant d'abord dans les
petites baies de Sébra, de Ponty et de Séti-Mériem qui sont
en avant du lac, et ensuite, en s'élargissant, dans le lac
lui-même; 3° dans le prolongement du canal, il a été
creusé, à travers le lac, un chenal de 10 mètres de pro-
fondeur jusqu'aux fonds naturels de 10 mètres ou plus,
et, au delà de ces fonds, jusqu'à la darse de Sidi-Abdallah;
6" dans le fond du lac, on a construit l'arsenal de Sidi-
LES ROUTES, LES CHEMINS DE FER ET LES PORTS 257
Abdallah et une darse, entourée de jet«îes, ayant îiO luictares
de surface. Les navires s'y abritent par mauvais temps.
Sur les bords de la darse, on a creusé trois bassins de
radoub dont l'un a 90 mètres de longueur et les autres
200 mètres ; 7" dans la baie de Sébra, on est en train d'or-
ganiser le port de commerce, de numière à rendre entiè-
rement libre le canal sur les bords duquel se sont faits
jusqu'à ce jour les opérations d'embarquement et de
débarquement de la navigation commerciale ; 8° dans la
baie Ponty (ancienne baie Sans-nom), et dans la baie de
Séti-Mériem, qui touche à la première, on a installé la
défense mobile, la défense fixe, et divers services de la
marine de guerre ; 9° on a bâti, sur le front de mer, des
batteries qui rendent le port imprenable du côté de la mer ;
10° l'arsenal a été mis en relation avec le chemin de fer
de Bizerte à Tunis par une voie ferrée de 5 kilomètres de
longueur.
Dans l'état qui résulte de ces travaux, le port militaire de
Bizerte peut rendre des services i1?otables à notre flotte de
la Méditerranée; mais il est très insuffisant. La concen-
tration dans la Méditerranée de nos trois escadres et de nos
plus forts croiseurs cuirassés exige que des améliorations
considérables soient introduites dans toutes les parties du
port de Bizerte, car Toulon est hors d'état de log'er tous
ces navires. C'est à peine s'il peut donner un asile sûr à
deux escadres cuirassées et à l'escadre légère. La troisième
escadre cuirassée devra être placée à Bizerte. Or, actuelle-
ment, ni le port ni l'arsenal de Bizerte ne sont en état
d'abriter, de ravitailler, d'entretenir et de réparer une
escadre.
Les travaux d'amélioration qu'il est indispensable d'y
I exécuter le plus tôt possible, sont : 1" l'approfondissement
à 12 mètres de l'avant-port, du canal d'accès au lac et du
chenal qui traverse le lac pour aboutir à la darse de Sidi-
Abdallah ; 2" l'élargissement du canal, dont les 200 mètres
au plafond sont insuffisants pour les super-dreadnoughts ;
3" l'organisation des ateliers et magasins de l'arsenal de
Sidi-Abdallah, en vue de l'entretien, des réparations, du
J.-L. De Laness.\n. — La Tunisie. 17
2o8 i,A ruNisii':
lavitailk'ment, elc, dune escadre, et des besoins divers
<jue pourrait avoir l'armée navale de la Méditerranée en
temps de j^uerre, si elle était obligée de se réfugier dans
le lac de Bizerte : i" la construction immédiate de deux
bassins de radoub de 250 mètres, 40 mètres de large et
\ 1 mètres de profondeur prévus au programme naval
1910-1912. D'après les prévisions du programme, l'une de
ces formes ne sera terminée qu'en 1918 et l'autre en 1920.
Il serait indispensable de pousser ces travaux pour qu'ils
fussent achevés beaucoup plus tôt qu'à ces deux dates ;
5" la protection de l'arsenal de Sidi-Abdallali du côté
de la terre, de manière à rendre impossibles les atta-
ques dont il pourrait être l'objet à la suite d'un débarque-
ment dans la baie de Porto-Farina, qui, elle-même,
n'est pas protégée ; 0° l'outillage du port de commerce,
en vue non seulement des besoins de la navigation com-
merciale, mais encore des nécessités du ravitaillement de
la flotte de guerre.
Il faut que la marine de guerre puisse trouver à Bizerte
(lu charbon en abondance, des. vivres, des munitions, etc.
Pour que ces matières puissent être mises à sa disposition
sans gros frais, il faut que la navigation commerciale
apportant à Bizerte ces matières, y trouve un fret de retour.
Celui-ci pourrait facilement être représenté par des mine-
rais de fer ou de zinc et des phosphates, si les gisements
étaient mis en relations faciles, par voies ferrées, avec
notre grand port tunisien. On a rappelé souvent qu'à
l'époque des incidents de Fachoda, en 1898, la place de
Bizerte était dépourvue de charbon, de blé, de viande, etc.
Il est indispensable de créer des usines pour la conser-
vation des viandes, des magasins pour les approvision-
nements de munitions.
Les ports de Tunis, de Sousse et de Sfax ont été consi-
dérablement améliorés dans les directions que j'indiquais
en 1887 d'après les indications des intéressés et des ser-
vices du Protectorat. Les travaux « firent l'objet d'une
convention au profit d'une seule société concessionnaire,
à qui le gouvernement tunisien fît remise de ces trois
LES KOUTES, LES CHEMINS DE FEI\ ET LES l'ORTS 25'J
ports pour une clui'ée de quarante-scpl années à dater du
12 avril 1904, en lui garantissant pour le capitaJ de pre-
mier établissement un revenu annuel de 425 000 francs' ».
Le port de Tunis fut établi dans les terrains marécageux
qui s'étendaient entre la ville indigène et le lac, derrière
le quartier européen dont la construction fut commencée
aussitôt après l'établissement de notre protectorat. Il fut
inauguré le 28 mai 1893. 11 se composait alors d'un bassin
d'opérations de 300 mètres de large et 400 mètres de long,
creusé à 6", 50 de profondeur, et relié à la baute mer, au
niveau de la Goulette, par un canal long de 10 kilomètres,
large de 30 mètres au plafond, profond de 6'", 50. Les quais
en maçonnerie et pavés en bois ont une longueur de
GOO mètres. Une somme de 17 millions 350.000 francs,
dont 13 millions payés par le Protectorat fut consacrée à
ces travaux. Plus tard, on creusa deux autres bassins,
dont un pour les voiliers et un autre pour les navires qui
viennent prendre les phosphates. A la Goulette, on cons-
truisit des quais le long du canal. « En 1904, le nombre
des passages a été de 71.195, et les exportations ou impor-
tations se sont élevées à 450.000 tonnes, l'eprésentant
un mouvement de plus de 3.970 navires. A l'entrée, on
Irouve des céréales de toute nature, farines et semoules,
vins et spiritueux, fer, houille, tissus de coton e.t toiles ;
à la sortie, des blés et de l'orge, des huiles d'olive et de
grignon, des vins, des phosphates et des minerais. Les
importations du port de Tunis ont doublé de valeur
de 1893 à 1899. Les exportations ont oscillé sans ten-
dance marquée' ». En 1912, d'après les statistiques offi-
cielles, le port de Tunis-La Goulette fut fréquenté par
44.526 navires, jaugeant 3.406.600 tonnes, et transportant
1.602.672 tonnes de marchandises, 99.670 passagers et
75.919 têtes de bétail. De 1904 à 1912, le mouvement de
ce port a donc notablement augmenté, sans préjudice
pour d'autres ports.
1. (ia.slon Loth, Loc. cil., \>. 1:27.
2. Ibid., p. 213.
2(50 LA TUNISIE
Le porl de Sousse fui inauguré le 25 avril 1899. 11 est
situé en avant de la ville européenne qui a été construite
entre la vieille cité tunisienne et la mer. Il se compose
d'un bassin d'opérations long de 350 mètres, large de
400 mètres et profond de 6'"50. Sa superficie couvre
14 hectares. Il est protégé contre les vents par une jetée
longue de 670 mètres abritant deux autres digues de
256 et 658 mètres entre lesquelles est ménagé un passage
large de 70 mètres pour l'entrée et la sortie des navires.
« Sousse, disait M. G. Loth en 1907 \ étant le débouché
naturel de toute la Tunisie du centre, le mouvement des
marchandises s'est élevé dès les premières années à
84,000 tonnes. Le nombre des passagers a été annuelle-
ment de 7 à 8.000 » . L'importance de ce mouvement
s'est maintenu » En 1912, d'après la statistique officielle,
le nombre des navires ayant fréquenté ce port fut de
2.037, représentant 974.088 tonneaux de jauge, et trans-
portant 296.958 tonnes de marchandises, 44.087 passagers
et 696 tètes de bétail. Les négociants du Sahel importent
par ce port des céréales, des farines et semoules, des vins et
spiritueux et des tissus de coton ; ils exportent du blé et
de l'orge, des huiles d'olives et des grignons manufacturés
dans les faubourgs de la ville européenne.
Le port le plus important de la côte orientale de la
Tunisie est celui de Sfax. La ville, bâtie dans une vaste
plaine où abondent les jardins et les ouvriers, compte plus
de 50.000 habitants, dont 5.000 Européens parmi lesquels
figurent environ 1.500 Français. Le quartier européen a été
en partie gagné sui* la mer. Le nouveau port fut inauguré
le 25 avril 1897. Il comprend : un bassin d'opérations de
10 hectares, creusé à 6"'50, avec des quais longs de
594 mètres ; un chenal de même profondeur, long de
3 kilomètres; des darses pour la petite batellerie, ayant
l'une 1.200 mètres et l'autre 5.600 mètres de superficie,
desservies par des chenaux spéciaux. M. G. Loth disait en
1907 - : « Les exportations, limitées d'abord aux huiles, aux
1. Loc. ciL, p. 234.
2. Loc. cit., p. 239.
I.KS KOUTKS. LRS CHI'.MINS I»K FI.R RT LES PORTS 2tH
céréales el- aux alfas, ont brusquenienl passé de 25.000
en 1898, à 85.000 tonnes en 1899, année où commença
l'exploitation des phosphates de chaux de Gafsa et à 500.000
tonnes en 1904. Aux importations, on trouve des céréales de
toute nature, des farines et semoules, des vinsetspii-itueux,
enfin de la houille. Il est à remarquer que les importations
ont plus que doublé de valeur de 1892 à 1904. L'ensemble
du mouvement n'a pas été moindre de 639.254 loimes à
l'entrée et à la sortie en 1905. Le nombre des passagers a
atteint 15.115 pendant la même période ». La statistique
officielle pour 1912 donne des chiffres supérieurs à ceux-
là. Le nombre des navires ayant fréquenté le port fut de
5.005, représentant 1.940.075 tonneaux de jauge et ayant
transporté 1.398. 058 tonnes de marchandises, 15.934 passa-
gers et 425.616 têtes de bétail. Le port de Sfaxestun centre
important de pêche. Plus de 450 barques le fréquentent
d'une façon régulière. Pendant la péi'iode de la pêche des
éponges, il reçoit en outre « une quarantaine de sakolèves
grecques, 300 bateaux siciliens et 350 barques tunisiennes.
Cette population maritime représente environ 3.000 âmes
s'approvisionnant dans la ville et y apportant les produits
de leur pêche ^ ».
Il est impossible de ne pas être frappé de l'augmentation
qui s'est produite dans le trafic des trois ports de Tunis,
de Sousse et de Sfax de 1904 à 1912. La poussée provo-
quée dans le mouvement de la navigation de ces ports
par l'entrée en service de leurs bassins et de leur maté-
riel de déchargement et de chargement semble avoir joué
un rôle important dans leurs mouvements maritimes.
En dehors de Bizerte, Sfax, Tunis-La Goulette et
Sousse, les ports tunisiens ne reçoivent que de très petits
bâtiments ou des bateaux de pêche, en raison du faible
tirant d'eau qu'ils présentent ou de la distance à laquelle
les bâtiments de «randes dimensions sont obligés de
mouiller. D'après la statistique officielle pour 1912, nous
citerons : Houmt-Souk dans l'île de Djerba qui i-eçut
1. Ibid., p. l'o'J.
262 LA TUNISIK
1.038 navires ou barques avec 13.741 tonnes de marchan-
«lises ; Gabès qui rerut 837 navires avec 15.410 tonnes de
marchandises; Zarzis qui en reçut 7o3 avec 1.72;i tonnes
de marchandises ; Mahdia qui on reçut 671 avec 3.610 tonnes
(le niai'chandises ; Monastir* (jui en reçut 581 avec
5.808 tonnes de marchandises.
§ IV. — Travaux des routes et chemins de fer exécutés
PAR le protectorat
Les vœux que j'exprimais en 1887 au sujet des routes
et des chemins de fei' ont été réalisés beaucoup plus rapi-
dement et beaucoup plus complètement qu'il n'était permis
de le supposer à cette époque. Des routes de grand par-
cours relietit aujourd'hui tous les centres de population
importants de la côte, depuis Bizerte jusqu'à Tabarka
d'une part, depuis Bizerte jusqu'à Zarzis et Foum
Tatahouine de l'autre. Des routes de même nature relient
aussi toutes les localités principales du nord de la Régence
au-dessus du parallèle de Kairouan. Dans le nord, c'est-à-
dire dans la partie où se développe la colonisation, un
très grand nombre de routes de movenne et petite communi-
cation relient les centres principaux aux centres secondaires
en assurant aux régions colonisées des relations faciles avec
les grandes routes ou les voies ferrées. Dans le centre et
le sud. on n'a fait encore que tracer les routes de grande
communication, mais il a été construit des voies ferrées
qui assurent les principaux besoins de la colonisation.
Le vœu que j'exprimais en 1887 relativement à la pré-
férence à donner, en Tunisie, aux chemins de fer sur les
routes a été pleinement réalisé. Toutes les grandes dépres-
sions géographiques de la Régence sont aujourd'hui par-
courues par des voies ferrées. Celles-ci, comme les
dépressions géographiques elles-mêmes, sont toutes diri-
gées du sud-ouest, c'est-à-dire des frontières de l'Algérie,
vers le nord-est, c'est-à-dire la mer, et toutes aboutissent
à un port. Ce sont, du nord au sud : la ligne de Bizerte à
Tabarka; celle de Nébeur à Bizerte; celle de Ghardimaou
LES ROUTES, LES CHEMINS DE FER ET LES PORTS 263
à Bizerte d'une part, en empruntant une partie de la ligne
précédente et à Tunis de l'autre, entièrement en exploita-
tion; celle de Kalaâ-Djerda à Tunis dont cinq embranche-
ments desservent diverses mines, le Kef, Zaghouan et la
Goulette; celle, plus au sud, de Henchir-Soualir à Sousse ;
celle, encore plus au sud, de Malaoui, Tozeur et Sfax.
Toutes ces lignes sont reliées les unes aux autres, au
niveau de leurs aboutissements à la mer, par une ligne
côtière qui, partant de Bizerte, touche successivement, du
nord au sud : Mateur, Tunis, Bir-Bou-Kebba à la base de
la presqu'île du cap Bon, Sousse, Sfax et Gabès, avec
embranchement de Fondoux-Djedid à Mendel-Bou-Zelfa,
de Bir-Bou-Kebba à Nabeul, et de Sousse à Mahdia.
11 importe de noter que « aucun point du territoire
n'est à plus de 20 kilomètres d'une ligne ferrée dans le
nord, à plus de 50 kilomètres dans le centie et dans le
sud » '.
La construction des chemins de fer tunisiens a été
dominée par des conceptions très diverses suivant les
époques. Pendant une période (jui va de \S1\ à 1881,
c'est-à-dire avant l'occupation du pays par la Fran<;e,
c'est le bey qui accorde le droit de construire, mais ce
sont les gouvernements étrangers qui garantissent les
('apitaux consacrés aux travaux par les particuliers. C'est
dans ces conditions que fut consti'uite la petite ligne de
Tunis-Goulette-Marsa. Garantie par le gouvernement ita-
lien, elle donnait à l'Italie une situation privilégiée dans
la Régence. C'est aussi dans ces conditions que fut concé-
dée par le bey la ligne de Tunis à Souk-el-Arba ou ligne
de la Medjerdah, ([ui fut garantie par le gouvernement fran-
çais et mettait la capitale de la Régence en relations
directes avec l'Algérie.
De 1881 à 1903, le bey ayant abandonné au gouverne-
ment français son droit de concession des chemins de fer,
les concessions furent faites en vertu de lois métropoli-
taines. On vit tout de suite les inconvénients de ce système.
1. Les chemins de jer lunisiev.s, tiappoiL du Uirecleuf (/énéral des Tra-
vaux publics, p. IbR.
264 LA TUNISIE
Les lignes de Djeileïdîi à Hizerle et de Tunis au Saliel
d'une part, au cap Bon de l'autre attendirent, à l'état de
projets, jusqu'à 1894 le vote du parlement n»^,cessaire pour
que les travaux pussent être commencés.
Les inconvénients de ce régime étaient si évidents
qu'en 189(3, lorsqu'il s'agit de relier les minières de phos-
phates de Gafsa au jiort de Sfax, le Protectorat s'entendit
avec le concessionnaiie des mines pour qu'il prît à sa
charge tous les frais de construction et d'exploitation de
la voie ferrée à étahlir.
En 1900, lorsque la nécessité de relier les gisements
phosphatés de Kalaât-es-Senam imposa la création d'une
nouvelle voie ferrée, le Protectorat sollicita du gouverne-
ment fran(;ais l'autorisation d'émettre un emprunt dont les
fonds seraient emplovés aux travaux de celte ligne et à
ceux de divers embranchements, la Tunisie se chargeant
d'exécuter elle-même ou de faire exécuter les travaux. En
d'autres termes, le Protectorat demandait à être le maître
(le ses chemins de fer. Les lois du G avril 1902 et du
30 avril 1902 consacrèrent ce principe et approuvèrent un
emprunt de 40 millions pour la construction des lignes
nouvelles suivantes : embranchement de 13 kilomètres de
longueur de la ligne de Tunis à Kalaât-es-Senam, qui des-
sert les gisements de Kalaa-Djerda ; prolongement jusqu'à
Mahdia de la ligne de Sousse à Mokenine ; prolongement
jusqu'à Tozeur de la ligne de Sfax à Metlaoui ; prolonge-
ment jusqu'aux gisements de phosphates d'Aïn-Moularès,
de la ligne de Kairouan à Sbiba ; embranchements miniers
de Metlaoui à Redeyef et d'Henchir-Souatir à Tabeditt.
Une nouvelle loi du 10 janvier 1907 autorisa un second
emprunt de 75 millions pour la construction des lignes
suivantes : embranchements de Djérissa-Slata et de Bir-
Kassa à la Goulette; ligne de Mateur à Nébeur: ligne de
Nefzas à Tabarka ; ligne Menzel-bou-Zelfa àKelilbia; ligne
de Zaghouan à Bou-Ficha; ligne de Sfax àBou-Thadi.
Une autre loi du 11 avril 1910 autorisa une convention
intervenue le 15 mars 1910 entre la Tunisie et la France
pour préciser le régime des chemins de fer tunisiens.
LES ROUTES, LES CHEMINS DE FER ET LES PORTS 20:i
« Cette convention ouvre pour la Tunisie une quatrième
période dans la gestion de ses chemins de fer : celle oii elle
pourra exercer sa pleine et entière autonomie pour la
totalité de ses lignes sans exception, sous la seule réserve
générale que comporte l'application du régime du Protec-
torat. ^ »
Enfin, la loi du 28 mars 1912 a autorisé le gouvernemeni
tunisien à faire un emprunt de 90.500.000 francs"" pour
« l'achèvement de son réseau de voies ferrées et l'exécu-
tion des travaux complémentaires des lignes en exploita-
tion, suivant la décomposition ci-après : 28.150.000 francs
pour le règlement des travaux des programmes de 1902
et 1907; 27.400.000 francs pour les travaux complémen-
taires du réseau exploité; 34.950.000 francs pour les lignes
nouvelles de Metlaoui à Tozeur (5.900.000 francs), Graïha
à Gahès (7 millions), Tunis àTéboursouk (18.150.000 francs)
et Tunis à Hammam-Lif i4 millions).
Un décret du 29 juillet suivant a autorisé la Régence à
réaliser une première tranche de 58.500.000 francs, appli-
cable respectivement pour 17.350.000 francs, 24.350.000
francs et 16.800.000 francs aux trois catégories de travaux
énumérés ci-dessus,
La situation des nouvelles lignes comprises dans les
programmes de 1902, 1907 et 1912 est actuellement la sui-
vante :
Les lignes de Pont-du-Fahs à Kalaât-es-Senam, les
embranchements du Kef, de Djérissa-Slata et de Bir-Kassa
à La Goulette, la ligne de Kairouan à Henchir-Souatir et
celle de Sousse à Sfax ont été mises en service avant 1912.
Une seule des lignes prévues en 1902 reste à terminer,
celle de Bizerte aux Nefzas ; elle a été ouverte provisoire-
ment à l'exploitation le 15 mai 1910 jusqu'à Jefna', soit
sur 28 kilomètres de longueur ; les travaux ont été retar-
dés par des difficultés techniques et sa mise en service ne
pourra être effectuée qu'en 1913.
1. IbicL, p. 14.
2. Voy. Rapport au Président de la République sur la situation de la
Tunisie, en 1912, p. 105.
•i6(} LA TUNISIE
La lifi^ne de Maleur à Nébeur a été ouverte le 15 novembre
1012 jusqu'à Béjà (6') kilomètres) et jusqu'à Nébeur (77 kilo-
mètres), le 1^' mai 1914.
La ligne Metlaoui à Tozeur a été ouverte le i"mars 1913.
Celle de Graïba àGahès le :iU juillet 1916 et les travaux de
la ligue des Nelzas à ïabarka sont en cours.
Les voies ferrées de la Tunisie ont été construites par
des compagnies, dans des conditions variables, qu'il serait
trop long d'exposer ici. Pour les lignes en exploitation le
15 mai 1911. on trouve les compagnies suivantes :
Compagnie de Bone-Guelma, ctiemin de
fer à voie normale 308 kil. 407,59
Compagnie de Bone-Guelma, chemin de
fer a voie étroite J. 033 kil. 698,92
Compagnie de Gafsa. chemin de fer à
voie étroite 30;j kil. 473.09
Compagnie des Tramways de Tunis, che-
min de fer à voie étroite 37 kil. 767,04
1.680 kil. 346.64
Pour les voies en construction ou à létude au lo mai
1911. on trouve :
Compagnie de Bone-Guelma. chemin de
fer à voie normale, en construction. . 177 kil.
Compagnie de Bone-Guelma, chemin de
fer à voie normale, à létude 40 —
Compagnie de Bone-Guelma. chemin de
fer à voie étroite, à létude 210 —
Compagnie de Gafsa, chemin de fer à voie
étroite, en construction .^)4 —
Compagnie de Gafsa, chemin de fer à voie
étroite, à l'étude 139 —
Compagnie des Tramways de Tunis, che-
min de fer à voie normale 17 —
637 kil.
Le rapport du Directeur général des travaux publics
auquel ces chiffres sont empruntés et qu'il faut consulter
pour toutes les questions relatives aux chemins de fer
tunisiens, présente les justes observations suivantes, en
manière de conclusion des faits exposés : « Si l'on remarque
que, à part la ligne de la Medjerdah, établie par la France
LES ROUTES, LES CHEMINS DE FER ET LES PORTS i^~'
avant la naissance du Protectorat, tout un réseau de voies
ferrées, mesurant 2.000 kilomètres en chiffres ronds, aura
en quelques années été créé par lune des colonies fran-
çaises les plus petites et les moins riches, sans subvention
ni «garantie de la Métropole, on ne pourra manquer
d'être frappé de la grandeur de l'œuvre entreprise et
réalisée ».
Au sujet du régime appliqué à la construction de ces
voies ferrées, le Rapport présente les observations sui-
vantes : « Il faut dire que la construction des chemins de
fer par les compagnies destinées à les exploiter a eu à
l'origine des avantages évidents, que personne, aujour-
d'hui encore, ne saurait méconnaître. Alors que le ser-
vice des travaux publics ne pouvait qu'avec peine
recruter son personnel administratif, les sociétés de
construction lui ont apporté le concours précieux d'un
personnel technique spécialisé, aussi nombreux que les
besoins du moment l'exigeaient. On a en même temps
évité les difficultés résultant de la remise des lignes à un
exploitant autre que le constructeur. Rapidité et, dans une
certaine mesure, économie d'exécution, tels ont été les
avantages primordiaux du système adopté dès le début.
Plus tard, quand le développement même du pays a per-
mis un recrutement plus facile des agents, le gouverne-
ment du Protectorat, d'accord avec la colonie, a pris en
main la construction de ses voies ferrées ».
Faisant allusion aux dépenses faites par le Protectorat
pour la construction des voies par ses soins et à ses frais,
le Rapport dit : « Le premier réseau, celui des concessions
de 1892, qui est resté improductif jusqu'en 1903, avait
été doté sur des fonds de réserve ; il n'a eu par suite
aucune répercussion sur la dette. Quant aux programmes
de 1902 et 1907, le montant des fonds d'emprunt dépensés
pour leur exécution au l'"^ janvier 1911, s'élève à environ
80 millions. Or, le rendement du réseau pendant Tannée
1910 a atteint 2.820.000 francs, soit près de 3,5 p. 100 du
capital, c'est-à-dire sensiblement le total de l'intérêt et de
l'amortissement des sommes empruntées et dépensées. La
268 LA TUNISIE
charge sur le contribuable est donc absolument insensible. . .
On peut admettre que la dépense du réseau créé par le
Protectorat sera dans quelques années voisine de 220 mil-
lions de francs. Sur cette somme une cinquantaine de
millions auront été prélevés sur les réserves et sur les
budgets annuels. Les sommes empruntées atteindront
peut-être 170 millions. L'intérêt et l'amortissement de ce
capital ne dépassant pas i p. 100, il faudra, pour que le
réseau tunisien ne constitue pas une charge, qu'il donne
un produit net annuel de 6.800.000 francs. Ce résultat ne
paraîtra nullement improbable si l'on remarque que la
Tunisie est appelée à nourrir facilement deux fois plus
d'habitants quelle n'en a actuellement i20 habitants au
kilomètre carré dans la région cultivable). Si le réseau ne
rapportait que 6 millions, 5 millions et même 4 millions
par an, le rendement des capitaux employés serait encore
de 3, 2,25 ou 2 p. 100. Il n'est pas certain que le Trésor
français lui-même tire actuellement un meilleur rende-
ment des capitaux qu'il a fournis pour la création du
réseau métropolitain. ... La Tunisie possède ou va possé-
der par tête d'habitant I^'IO de voie ferrée, c'est-à-dire
autant que la France possède de chemins de fer d'intérêt
général, presque le double de ce qu'a réalisé l'Algérie
après 80 ans de domination, après plus de 650 millions
de subventions fournies par la métropole. Déjà le mouve-
ment annuel de son réseau atteint 500 millions d'unités de
trafic kilométrique; il est donc supérieur à celui de tous
les chemins de fer d'intérêt local et de tous les tramways
de France réunis; il est supérieur pour les marchandises,
au mouvement du réseau algérien, cependant deux fois et
demi plus long ».
Le rapport note encore, en réponse à ceux qui ont
accusé le Protectorat tunisien de construire à des prix trop
élevés : « Malgré le renchérissement de tous les produits
et de la main-d'œuvre qui s'est manifesté depuis quatre
ou cinq ans, les voies ferrées tunisiennes ont coûté
sensiblement moins cher que les voies similaires algé-
riennes, construites à une époque où la vie dans l'A-
LES MOUTKS, MCS CHKMINS DK FIÎH Kl l.KS l'OlVI'S 269
frique du nord était certainement moins dispendieuse ».
« En présence de ces résultats, conclut justement le
rapport, nous pensons que la France n'a pas à regretter
l'autonomie qu'elle a eu la sagesse de laisser au gouver-
nement du Protectorat, et que la Tunisie a le droit d'être
fière de l'usage qu'elle a su en faire en matière de chemins
de fer. »
Dans le discours qu'il prononça devant la Chambre des
députés le 2t) janvier 1912, M. Alapetite indiquait, en
excellents termes, le progrès réalisé par la Tunisie en
matière de travaux publics et la cause de ce progrès
lorsqu'il disait : « En 1883, deux ans après l'établissement
du protectorat français, alors que presque tous les impôts
existants aujourd'hui étaient déjà perçus, lorsqu'on avait
payé la dette, lorsqu'on avait payé la liste civile, lorsqu'on
avait payé le chapitre des pensions, il restait en tout et
, pour tout, pour les dépenses ordinaires de la Régence, une
somme de 2 millions. Sur ces 2 millions, il y avait
30.000 fr. pour les travaux publics, c'est-à-dire qu'on
payait un ingénieur et le bureau de cet ingénieur, que
des projets étaient étudiés, mais qu'il n'y avait pas un
centime pour passer à l'exécution.,
« Messieurs, vingt-huit ans après, alors que les impôts
sont les mêmes, alors que le taux n'en a pas été relevé,
que, je l'atteste ici, les dégrèvements ont dépassé de beau-
coup les aggravations, par suite de la perception plus
régulière de l'impôt, mais surtout du développement de
la matière imposable, aujourd'hui, avec le même budget,
nous avons pour les services publics une dotation annuelle
de 34 millions [Applaudissements à gauche], 3 millions
pour l'instruction publique, 3 millions pour les postes et
télégraphes, près de 3 millions pour la police, et enfin
8 millions passés pour les travaux publics, c'est-à-dire
que le seul crédit d'entretien des routes de la Tunisie,
qui s'élève à 3 millions, excède le total du budget ordi-
naire des services publics au moment de l'avènement du
Protectorat. Je vous demande, messieurs, si ce chiffre
n'est pas d'une éloquence tout à fait décisive. »
270 LA TUNISIE
Ces résultats, M. Alapetite les attribuait Justement à la
souplesse que le réprime du Protectorat comporte, v S'il
s'agit, disait-il, de notre administration financière, nous
ne sommes pas tenus dans les compartiments rigoureuse-
ment délimités qui divisent l'administration française. Si,
par exemple, dans un coin reculé de la Tunisie, nous
avons à la fois à, percevoir les recettes des douanes, celles
des monopoles, celles de l'enregistrement et du timbre,
nous employons un seul agent. Si nous voulons établir
un bureau de poste et de télégraphe dans un pays où il
n'v a encore que quelques habitants et où le nombre des
dépêches est très peu élevé, nous n'y plaçons pas un fonc-
tionnaire spécial : nous chargeons l'instituteur de l'en-
droit de tenir à la fois l'école et le bureau postal et télé-
graphique. (Très bien! très bien!)
« Voilà les procédés économiques avec lesquels une
administration qui a son autonomie et qui n'est pas tenue
par la rigueur des règlements de la métropole, peut orga-
niser un pays neuf comme celui-là, qui est pressé, qui est
impatient, qui veut jouir le plus vite possible de tous les
avantages et de toutes les garanties que le régime civi-
lisé de la France assure à sa population. » {Très bien!
très bien!)
CHAPITRE XI
ORGANISATION POLITIQUE, ADMINISTRATIVE,
JUDICIAIRE, FINANCIÈRE, ETC., DE LA TUNISIE
I I. — Organisation politique et administrative
Av'ant le traité qui établit, en 1881, le protectorat de la
France sur la Tunisie, le g-ouvernement de ce pays était
une monarchie autocratique, indépendante en fait, depuis
long:temps, du sultan de Constantinople et aidée dans son
administration par les membres d'un petit nombre de
familles riches, formant une sorte de bourgeoisie adminis-
trative et, militaire. Au-dessous, un peuple soumis, dans
les villes et dans le nord, à tous les caprices du souverain,
garanti dans une certaine mesure, au centre, dans le sud
et dans les montagnes delà Kroumirie, contre les caprices
du souverain, par l'existence nomade des tribus ou la
difficulté de pénétrer dans le cœur des montagnes. Depuis
une époque fort reculée, les beys entretenaient des rela-
tions assez amicales avec la France, mais étaient souvent
impuissants à empêcher la piraterie maritime exercée par
leurs sujets. Louis XIV les dompta par la menace de ses
Hottes. Napoléon obtint leur respect tant qu'il fut victorieux
et redouté. Louis-Philippe reçut le bey à Paris, royalement,
en 1846. Le second Empire obtint du bey, en 1857, la
proclamation d'une constitution favorable aux Européens,
puis imposa à Mohamed Es-Sadock, en 1869, la création
d'une Commission financière internationale, protectrice
des intérêts des créanciers de la Régence. En 1875, le
représentant de la République à Tunis, M. Roustan,
obtint pour une compagnie française la concession du
272 L\ TUNISIli:
cliemin de fer de Tunis à Alger. Au congrès de Berlin de
1878, le représentant de l'Angleterre déclara que la
Grande-Bretagne ne s'opposerait pas « au développement
de rinfluence française dans la Régence ». Mais, en 1880,
ritalie obtint pour un de ses nationaux la concession du
chemin de fer de Tunis à la Marsa-Goulette et l'influence
italienne lutta énergiquement contre celle de la France
auprès du bey.
A cette époque, l'état économique et politique de la
Régence est lamentable. Les tribus du sud et du centre
s'agitent ; les Kroumirs font des incursions répétées en
Algérie. Il devient nécessaire de rétablir l'ordre, pour
garantir les intérêts matériels et moraux de la France. Le
31 mars 1881, nous débarquons des troupes. Le 4 avril,
Jules Ferry obtient carte blanche delà Chambre. Le 11 mai
nos troupes sont campées à la Manouba, près de Tunis.
Le 12 mai le bey Mohamed Es-Sadok signe le traité du
Bardo qui donne à la France le protectorat de la Tunisie
en assurant au gouvernement tunisien le maintien de ses
pouvoirs sous le contrôle de la France. A peine est-il besoin
de rappeler qu'avant la fin de cette même année 1881,
l'ordre était rétabli sur tout le territoire de la Tunisie,
tandis que le protectorat était organisé par M. Paul
Cambon sur des bases aussi rationnelles qu'économiques
et auxquelles il n'a guère été touché.
Les pouvoirs du bey ont été conservés ; tous les décrets
sont pris en son nom et portent sa signature ; mais ils
sont arrêtés par un Conseil que préside le résident géné-
ral de France, ministre des Affaires étrangères de la
Régence et où figurent le général commandant du corps
d'occupation en tant que ministre de la Guerre de la
Régence. Deux ministres indigènes remplissent à peu près
les fonctions de ministres de l'Intérieur, assistés par deux
secrétaires généraux du gouvernement tunisien français, et
les directeurs français des finances, des travaux publics,
de l'agriculture (du commerce et de la colonisation), des
postes et télégraphes, de l'enseignement.
En tant que représentant de la France, le résident
ORGANISATION INTÉRIEURE 273
général a sous son autorité les forces de terre et de mer et
tous les services administratifs, judiciaires, financiers, etc.
Auprès de lui siège un Corps représentatif des Européens
et des indigènes, la Conférence consultative, formé d'un
groupe indigène et d'un groupe européen. Ce Conseil est
consulté sur toutes les questions intéressant la colonie,
notamment sur le budget, les impôts, les travaux
publics, etc., mais il ne jouit pas de pouvoirs propres. Des
Chambres d'agriculture et de commerce sont également
consultées sur les questions qui intéressent l'agriculture
ou le commerce.
L'administration du pays est assurée à la base par les
fonctionnaires et agents indigènes qui existaient avant
l'occupation française (caïds ou gouverneurs des pro-
vinces assistés ou suppléés par des khalifats et cheiks
ou chefs des douars) sous la surveillance et la direction
de fonctionnaires français, les contrôleurs civils, qui
représentent directement le résident général et rem-
plissent, en outre, les fonctions de vice-consuls de France
vis-à-vis des étrangers. Indépendamment de ces fonction-
naires, dont le premier devoir est d'assurer le maintien de
Tordre public, il existe un service spécial de police repré-
senté par la gendarmerie et par une direction de la sûreté
publique (avec commissaires de police, agents, etc.) placée
sous les ordres des secrétaires généraux du gouvernement.
§ H. — La justice
La justice indigène fonctionne, en principe, (Oiiimc par
le passé, c'est-à-dire qu'elle est rendue, en bas de réchelle,
par les cheiks et les caïds et par des tribunaux régionaux,
dont le tribunal de la Driba à Tunis, avec faculté d'appel
au tribunal laïque criminel et correctionnel de l'Ouzara
ou au tribunal religieux du Chaara qui est spécialement
chargé des affaires immobilières et de quelques affaires
civiles.
La justice européenne était exercée, avant le Protectorat,
par les consuls de chaque nationalité; elle est aujourd'hui
J.-L. Dr Lanfssan. — l-a Tunisie. 18
274 '-'^ ruNisiii:
toul. entière aux mains de tribunaux français et de jus-
tices de paix qui sont saisis de toutes les affaires crimi-
nelles ou civiles dans lesquelles des Européens sont
mêlés à des indigènes. Il existe deux tribunaux de pre-
mièi-e instance, avec cour d'assises, l'un à Tunis, l'autre à
Sousse, et des justices de paix dans les centres importants.
Les affaires immobilières étant soumises, dans tous les
pavs musulmans, à la loi religieuse, sont traitées par le tri-
bunal religieux de la Chaara, à moins qu'il ne s'agisse de
propriétés soumises à l'immatriculation.. Ces dernières
sont traitées par un « Ti-ibunal mixte » oii siègent des
indigènes et des Français.
Dans toutes les colonies, la question de la justice est la
plus délicate à résoudre, parcequ'elle soulève, soit des pro-
blèmes religieux, soit des problèmes familiaux et sociaux
ayant une importance capitale aux yeux des populations
indigènes. C'est donc une matière que la nation colonisa-
trice ne doit traiter qu'avec une extrême réserve. En
Tunisie nous avons eu la sagesse de respecter les
anciennes organisations, sauf à les modifier petit à petit
dans l'intérêt des populations plutôt qu'en conformité de
nos conceptions particulières. M. Alapetite exprimait des
idées fort justes lorsque, dans son discours à la Chambre
des députés, le 26 janvier 1912, il disait : « Nous n'avons
pas cherché à détruire la justice indigène, pas plus que
nous n'avons voulu détruire l'administration indigène.
Cette administration indigène, qui est encore imparfaite,
je le confesse, nous la surveillons aussi rigoureusement
que nous le pouvons ; mais nous croyons qu'il est tout à
fait utile de ne pas remplacer ces agents indigènes par
des agents français. [Très bien! très bien! sur divers
bancs.) Nous croyons que si une exaction est commise
par un agent indigène, cela n'a pas le même incon-
vénient pour le prestige de la France que la moindre
faute commise par un agent français. [Ajyplaudissemeîits.)
Je ne chercherai pas à dissimuler ce qu'il peut y avoir d'ar-
chaïque dans le fonctionnement de la justice musulmane.
Mais est-ce une raison pour en faire table rase ? nous
ORGANISATION INTERIEURE 275
croyons que celte justice a besoin d'être léionnée et nous
y travaillons de notre mieux. Nous cherchons à prendre les
choses de loin, à préparer l'avenir ; et comme nous ne
pouvons pas avoir la prétention d'enseigner le Coran mieux
que les musulmans ; comme, il y a quelques années, le
Coran était Tunique source du droit en Tunisie, nous
avons amené les musulmans à consentir à avoir des
codes écrits. Ces codes, nous les établissons aussi vite que
cela est possible. Nous faisons à peu près un code en
dix-huit mois. Il est dû à l'initiative de quel(|ues juriscon-
sultes. Nous le faisons ensuite passer au double crible d'une
commissioi^ française et d'une commission musulmane
avant de lui donner une sanction définitive. [Très bien ! très
bien !) Ces codes, une fois écrits, peuvent devenir la matière
d'un enseignement spécial, enseignement qui peut être
donné par des Français ou avec le concours de Français.
C'est ainsi que se sécularisera, avec le ménagement dési-
rable des transitions, la justice musulmane. [Applaudis-
sements.)
« Nous préparons des fonctionnaires français qui ne
prendront pas la place des magistrats indigènes, qui ne
s'assiéront pas sur leurs fauteuils, mais qui seront chargés
de voir comment se rend la justice, de le voir au nom de
la France et, toutes les fois qu'un abus leur paraîtra avoir
été commis, de déférer au tribunal d'appel la sentence qui
aura été rendue. {Très bien! très bien!)
« Mais, messieurs, ces choses-là ne se font pas en un
jour : il faut que les fonctionnaires que nous allons inves-
tir d'une mission si délicate, aient pu apprendre l'arabe et
non pas l'arabe vulgaire, non pas celui qu'on parle dans
les souks et dans les rues, mais l'arabe des livres sacrés.
La langue arabe est une langue très difficile et ce n'est
pas le moindre des obstacles que nous rencontrons dans
cette réforme que nous proposons, d'avoir le plus possible
de fonctionnaires français capables de prendre contact
avec les populations indigènes. [Très bien! très bien!)
a L'étude de la langue arabe est une étude difficile,
rebutante ; beaucoup se découragent. Heureusement, il v
276 F-A TUNISIE
a (|U('lques jeunes gens à (jui la vif coloniale sourit et qui
sont capables de faire de yiands sacrifices, de s'imposer
de grands efforts pour pouvoir rester en Tunisie et y jouer
un rôle utile. Plusieurs sont déjà très préparés, ils ont
fait un stage auprès du directeur des services judiciaires.
J'espère que très prochainement, avant que la pro-
mulgation de nos codes soit terminée, nous aurons le
personnel qui sera chargé auprès de tous lès tribunaux
régionaux de la Régence de veiller à leur régulière et
impartiale application. » [Applaudissements à gauche et
au centre.)
Abordant dans un autre discours (le 29 janvier 1912) la
question du Tribunal mixte qui avait été l'objet de criti-
ques très vives et qui a pour mission le règlement des
litiges immobiliers entre indigènes et européens, le rési-
dent général disait avec raison : « il fallait bien que ce
tribunal fût mixte puisqu'il . s'agissait d'interpréter des
actes arabes. N'était-il pas utile qu'il y eût des arabes et
des arabes savants dans ce tribunal qui interprète les titres?
Ils jouent un rôle essentiel dans ce tribunal. Ce sont eux
qui éclairent leurs collègues. Ces derniers tirent les con-
clusions juridiques des constatations matérielles qui ont
été faites. Mais l'examen de ce que vaut le titre, ce sont
les juges musulmans qui doivent le faire. [Applaudisse-
ments.) Aussi, messieurs, lorsqu'on arrive devant le tri-
bunal mixte avec tous ces vieux papiers plus ou moins liti-
gieux, avec des tentatives de possession quelquefois con-
sacrées par le jugement d'un tribunal français, on est
très étonné de voir combien le tribunal mixte est méfiant
et circonspect, combien il prend son temps avant de se
décider. C'est qu'une erreur, s'il la commet, est irrépa-
rable. Ce tribunal n'a pas la procédure française; il fait
son instruction lui-même, il peut recourir à tous les
moyens d'information qui lui sont nécessaires. Il a la pro-
tection des incapables et il la prend au sérieux. Il n'y a
pas devant lui, de délai de forclusion ; jusqu'au dernier
moment un justiciable lésé dans son droit peut se présen-
ter devant lui t'I se plaindre ; il échappe au.\ sul)tilités et
()R(;ANISATI0N INTKlillUHK 277
aux arg-uLies de la procédure irançaise. » [Mouvrinonts
divers.)
Répondant à ceux qui auraient voulu que la justice
française se substituât en Tunisie à toute la justice indi-
gène, M. Alapetite, après avoir rendu hommage à nos
magistrats, ajoutait : « Mais si la juridiction française en
Tunisie n"a pas eu que des conséquences heureuses, ce
n'est pas aux magistrats qu'il faut s'en prendre, mais à la
procédure qui a passé la mer avec eux. [Applaudisse-
ments.) Il y a toute une série d'obstacles pour le malheu-
reux indigène illettré et ignorant. (Très bien! très bien! à
gauche et à l'extrême gauche.) Toutes sortes de collusions
sont à craindre pour lui ; il suffît qu'une pièce qu'il a
envoyée ne soit pas parvenue dans le dossier oii elle de-
vrait figurer pour qu'il se voie arracher la terre où ses
pères ont travaillé avant lui et si les jugements de la jus-
tice française sont accueillis avec la déférence qui est due
à cette juridiction, savez-vous ce qui est le plus domma-
geable à la Tunisie? C'est l'exécution de ces jugements
en vertu du code de procédure civile.
« Lorsqu'un indigène a contracté une dette et qu'il a
la chance que son créancier est justiciable des tribunaux
tunisiens, il est condamné, car le créancier a toujours des
titres, et on a constaté que quatre-vingt-quatorze fois sur
cent le créancier a raison. Mais que fait la justice tuni-
sienne ? Elle envoie le jugement au caïd qui est chargé de
son exécution. Il touche le même tant pour cent que sur
les impôts ; il attend le moment de la récolte et, quand il
a encaissé l'impôt dû par le contribuable, il apprécie dans
quelle mesure celui-ci peut acquitter sa dette. Générale-
ment, il ne l'exécute pas... Si au lieu que ce soit le caïd,
c'est l'huissier qui est chargé de l'exécution, l'expropria-
tion ne se fait pas attendre. Songez, messieurs, à ce que
coûte l'exécution, en vertu des lois de procédure française.
L'huissier est à 80 kilomètres; pour signifier une condam-
nation à 30 francs de restitution, il se transporte avec des
témoins, avec un interprète, et tout ce monde est pavé
au kilomètre. C'est la ruine pour ce débiteur. Je mets en
278 LA TL'NISIK
opposition avec cet appareil imposant, respectable mais
redouté, l'appareil — qui n'est pas irréprochable, je le con-
cède, mais enfin, qui convient je crois, beaucoup mieux à
l'état de civilisation peu avancée de ce pays de notre jus-
tice tunisienne et de ce tribunal mixte où il y a des ma-
gistrats tunisiens et où les indigènes sont sûrs qu'il ne
pourra pas y avoir de surprise par suite de l'inexpérience
qu'aurait le juge des subterfuges auxquels on peut recou-
rir. » {Applaudissements.)
Formellement approuvées par la Chambre, les considé-
rations sur l'organisation de la justice en Tunisie, présen-
tées par M. Alapetite, répondent aux conditions dans
lesquelles se trouve la Régence et aux besoins réels des
indigènes. Je n'en veux d'autre preuve que la tranquillité
absolue dont jouit notre grand établissement et la facilité
avec laquelle sont réglées les questions relatives à la
propriété immobilière dans un pays où l'établissement de
la propriété privative indigène est encore gêné par une
foule de traditions religieuses ou sociales et dont une par-
tie même ne connaît que la propriété collective.
§ III. La PIIOPRIKTÉ
Les difficultés avec lesquelles la justice est aux prises
résultent précisément des conditions dans lesquelles se
trouvent, aujourd'hui encore, lés propriétés privatives et
les propriétés collectives.
Ainsi que le fit observer M. Alapetite devant la Chambre,
les difficultés relatives à la propriété privative résultent
de ce qu'elle s'acquiert, « en droit musulman », non seu-
lement par des titres, mais encore par la possession.
« Lorsque les titres sont d'accord avec la possession, ils
ont beaucoup de valeur. » Il y a seulement cette difficulté
que, lorsque le titre remonte un peu loin, il est extrême-
ment difficile de faire la preuve d'une filiation certaine
entre ceux qui s'en servent et ceux au profit de qui ils ont
été constitués. Il y a donc une très grande incertitude dans
l'application des titres.
ORC.ANISATION INTÉRIKURE 270
« Mais la possession, en droit musulman, confère la
propriété lorsqu'elle a été constante pendant dix années.
Il était extrêmement diflicile, autrefois, d'ari'iver à réaliser
celte condition dans le sud de la Tunisie ; il y a des années
où il ne pleut pas du tout et oii 1 on ne peut pas labourer.
Il y a des années où il a plu dans une région, où il n'a pas
plu dans la rép:ion voisine et où ceux qui peuvent labourer
se serrent pour faire accueil à leurs voisins : ob ! à titre
épbémère ! le voisin sera obligé de retourner cbcz lui lors-
qu'il pourra y labourer à son tour. »
On comprend combien il est difficile, dans ces conditions,
d'arriver à la constitution de la propriété privée, avec
quelle facilité, d'autre part, peuvent surgir les contesta-
tions entre indigènes et quel danger il v aurait à introduire
dans ce pays, nos lois sur la propriété, et à appliquer la
procédure de nos tribunaux aux contestations des indi-
gènes entre eux ou avec les représentants du domaine
privé du bev qui, dans le Sud, sans compter les forêts,
n'embrasse pas moins de 800.000 hectares de terres plus
ou moins utilisables pour la culture ou le pacage, soit,
enfin, avec l'administration des Habous.
Faisant allusion aux terres collectives, M, Alapetile
disait dans son discours du 29 janvier I9i2 : « On nous
reproche de ne pas avoir réglementé encore le régime des
terres collectives. Nous avons fait, je crois, l'œuvre essen-
tielle et il était temps qu'elle fût faite ». Après avoir rap-
pelé qu'en Tunisie les titres de propriété sans valeur,
absolument faux, sont très nombreux, il notait les abus
qui en sont résultés, en ce qui concerne les habous et les
terres dites « collectives ».
(c Les habous, autrefois, dit-il, étaient exposés à des
pressions irrésistibles. Lorsqu'un colon influent avait jeté
ses vues sur un lambeau du domaine habous, il était très
difficile aux modestes fonctionnaires de cette administration
de résister. Nous leur avons donné un Conseil supérieur qui
renferme des représentants des plus hautes autorités du
protectorat et l'un des ministres musulmans du bey.
Actuellement, ils sont couverts, et, quand ils résistent, ce
280 LA TUNISIE
n'est pas à eux que l'on peut demander de faii;e la conces-
sion, il faut s'adresser plus haut qu'eux, il faut s'adresser
à un conseil qui présente des garanties d'indépendance et
qui est capable de résister. » (Très bien! très bien!)
Au sujet des terres de propriété collective il montrait les
alms résultant d'une part de la fausseté des titres, d'autre
part de l'esprit qui anime les tribunaux français. « Lorsque,
disait-il, on arrive devant un tribunal français avec un bail
consenti par un indigène à un Français — et il est bien facile
d'obtenir ce bail, il suflit de donner 100 francs à un indi-
gène et de lui faire payer une location de 50 francs, il
vous signera tous les baux que vous voudrez — lorsque,
dis-je, on présente ce bail au tribunal français, la procédure
française joue. Elle ne touche pas les gens de la tribu qui
n'ont point la personnalité juridique. On obtient facilement
un jugement au possessoire et le tribunal qui le rend se
dit : ce n'est pas bien grave, ce n'est pas la propriété que
nous donnons ; s'il y a des droits réels, ils se défendront
devant les tribunaux qui jugent au pétitoire, devant le
Chaara. En sorte que la possession est accordée aux Fran-
çais, qui naturellement doivent jouir de toute la bien-
veillance des juridictions françaises établies. Ce danger était
considérable. Nous avons plus d'un exemple de la gravité
de pareilles tentatives : beaucoup ont été faites, elles ont
échoué devant le tribunal mixte de Tunis... En 1901, il a
été décidé que la terre collective serait inaliénable et
qu'une commission établirait le régime à appliquer à cette
terre. On dit : mais cette commission n'a pas encore ter-
miné ses travaux... Ce n'est une petite affaire que de régle-
menter la terre de jouissance collective en Tunisie. Une
commission fonctionne, qui comprend les plus hautes auto-
rités juridiques de Tunisie et plusieurs de ses membres
se sont imposé de véritables expéditions sous la tente
afin de s'enquérir des mœurs de ceux qui ont cette jouis-
sance.
« Rien ne serait plus vain et rien ne serait plus coupable
(jue de vouloir tirer du cerveau d'un juriste le ré-gime à
appliquer à cette terre. [Très bien! très bien!)
ORGANISATION INTKRIEURE 281
« Il s'agit de savoir quelles sont les traditions, comment
elles se sont nioditiées, comment elles s'améliorent chaque
jour grâce à la sécurité que nous avons apportée dans le
pays; il faut les enregistrer, il faut tâcher d'en faire la
synthèse et de fonder une loi à laquelle tout le monde
obéira, parce qu'elle ne heurlera pas les habitudes reçues
et les croyances acquises. (Très bien! très bien!)
c( Il y a en Tunisie toutes sortes de régimes de jouissance
collective. Il y a un pays dans la Kroumirie, où j'ai eu la
surprise de constater que la dévolution des terres se fai-
sait comme la dévolution du trône : c'est l'aîné des mâles
qui a la jouissance de la terre : elle ne revient pas à ses
enfants quand il meurt ; elle revient à l'aîné des mâles.
Pourquoi? parce que là. co nest pas la culture qui esl le
moyen d'existence habituel; c'est le travail du bûcheron.
Il n'y a pas assez de terre pour tout le monde; et alors on
a suivi l'ordre des préséances comme pour la succession
du trône.
« Il y a d'autres régions où l'on m'a donné cette expli-
cation : « Si nous avions la propriété melk, c'est-à-dire une
« propriété semblable à celle qu'a instituée le code civil
« français, les femmes hériteraient pour la moitié d'une
« part d'enfant mâle. La femme se marie avec un étran-
« ger; elle amène l'étranger chez nous : nous n'en vou-
(( Ions pas. Nous laissons donc à la femme sa part dans la
« propriété mobilière ; mais la propriété immobilière,
« nous préférons qu'elle fasse l'objet d'un accord entre
« nous, sous l'autorité des chefs de la tribu plutôt que de
« passer devant le notaire un contrat qui serait conforme
<( à la règle coranique et dans lequel notre sœur et notre
« beau-frère auraient une part du sol qui doit nous être
« réservée à nous, gens de la fraction et de la tribu. »
(f Eh bien, messieurs, le président du tribunal mixte de
Tunis, il y a deux ans, s'est chargé de faire une enquête
décisive ; et comme il est très sympathique à la population
indigène, comme on sait qu'il est très dévoué à ses droits
«»t à ses intérêts, il a pu obtenir, ce qiii est toujours difli-
cile, qu'on lui parlât à cœur ouvert et que les indigènes
282 LA TUNISIE
osassent lui dire jusqu'oii rrionUiient leurs prétentions à la
jouissance du sol collectil'.
« Cette enquête, il en a rédigé les conclusions dans un
rapport qui ne compte pas moins de 450 pasres ; c'est vous
dire que la discussion de ce rapport devant la commission
qui en est saisie sera probablement longue. Faites-nous
crédit, nous ne voulons pas aller trop vite. Nous espérons
arriver à organiser dans des conditions satisfaisantes la
division de cette propriété sinon entre les individus, du
moins entre les familles, mais nous croyons qu'il serait
tout à fait dangereux de mettre dès l'abord cette propriété
sous le régime du code civil français {Très bien I très bien!),
(le la rendre aliénable. Il faut compter avec les change-
ments, il faut compter avec l'imprévoyance. Que ces
terres puissent faire l'objet de mutations entre les indi-
gènes de la même fraction, je n'y vois pas d'inconvénient,
mais il ne faut pas laisser l'étranger, le spéculateur s'in-
troduire, par des aliénations obtenues de la faiblesse des
indigènes, dans une collectivité qu'il désagrégera ensuite. »
{Applaudissements . )
Abordant ensuite la question des terres que l'on qualitie
en Tunisie de « terres mortes », et dont le caractère
essentiel, au point de vue du droit musulman, est « de ne
point produire de récolte appréciable » mais qui cependant
ne sont pas absolument nues et vacantes car des troupeaux
y circulent, M. Alapetite disait : « La règle en droit
musulman est celle-ci : la terre morte appartient au bey ;
elle appartient toutefois à celui qui l'aura vivifiée avec
l'assentiment du souverain. C'est sur cette formule que
s'était fondé le bey de Tunis qui, en 1872, avait institué
le régime sous lequel nous vivons encore, des autorisa-
tions de planter dans les terres sialines ».
J'ai dit plus haut quelle importance a pris, depuis l'oc-
cupation, la culture des oliviers soit par les indigènes dans
le voisinage de la ville de Sfax, soit par les Européens
dans un rayon de 40 kilomètres environ autour de la ville.
La plantation des oliviers a été accompagnée de la mise
en culture par les indigènes de terres qui jusqu'alors
ORGANISATION INÏKRIEURK 283
étaient « terres mortes ». « Le nombre des hectares labou-
rés est passé de 59.000 à 82.000. » D'autre part, « la
superficie laissée gratuitement à la disposition des indi-
gènes par le gouvernement tunisien y est de 300.000 hec-
tares )). En citant ces chiffres M. Alapetite disait : « Un
jour, sans doute, la population indigène sera assez ins-
truite, assez entreprenante pour que sur ces terres, que
je ne condamne pas à une nudité éternelle, de nouveaux
efforts soient faits et de nouveaux éléments de richesse
soient créés ». Le résident général rappelait que des
efforts ont été faits par l'administration du Protectorat
pour amener les indigènes à l'amélioration de leur élevage
du mouton, puis répondant au reproche qui avait été
adressé au Protectorat d'aliéner une trop grande quantité
de terres mortes au détriment des indigènes, il déclarait :
« Jusqu'à ce qu'une situation économique nouvelle com-
mande d'autres résolutions, il ne sera pas livré de terres
mortes du sud, de terres sialines comme on les appelle, à
des colons uniquement pour y élever des moutons d'une
race supérieure à ceux élevés parles indigènes. Nous pour-
suivons dans celte région les progrès de l'élevage par
une entente avec les communautés indigènes, en tâchant
de leur faire prendre à leur compte le résultat des essais
entrepris par les colons français. Mais il n'y aura pas de
nouveaux prélèvements de terres sialines, j'en donne l'as-
surance à la Chambre ».
Tandis que le Protectorat s'efforçait de régler la ques-
tion des propriétés collectives et de mettre en valeur les
« terres mortes », il se préoccupait de multiplier le nombre
des propriétés privatives et d'assurer leur persistance. Ce
l'ut l'objet du régime de l'immatriculation créé par les
lois du 1" juillet 188n et 17 mars 1892. En vertu de ces
lois, tout propriétaire a le droit de réclamer l'inscription
de sa propriété et des droits réels qui l'affectent sur les
registres publics de la conservation foncière. Il fournit
ses titres, une enquête est faite par les soins du tribunal
mixte et, s'il y a lieu, l'inscription est ordonnée par un
jugement de ce tribunal. Le titre foncier qui en résulte
284 LA TlîNlSIK
constitue désormais la base indis(îutable de la propriété et
celle-ci n'est plus soumise qu'à la législation française.
D'après la statistique officielle pour l'année 1912, le
nombre total des titres d'immatriculation délivrés au 31 dé-
cembre 1912 s'élevait à 18.212 représentant une étendue
de 1.090.960 hectares et une valeur de 171.522.420 francs.
A la même époque, le montant des rentes d'enzel inscrites
sur propriétés immatriculées s'élevait à 2. 025. 753 fr. 20 et
les créances hypothécaires sur ces mêmes propriétés à une
somme de 184.445.000 francs.
Ces chififres fournissent une indication fort intéressante
sur l'état de la propriété immobilière en Tunisie. Il en res-
sort qu'un très grand nombre de propriétés ont été ache-
tées d'après le système de Tenzel, c'est-à-dire qu'au lieu de
la payer en capital, on la paie au moyen dune rente qui,
en principe, est perpétuelle. Autrefois l'acheteur ne pou-
vait se libérer de cette rente qu à la suite d'un accord avec
le vendeur. En vertu d'un décret du 22 janvier 1905 le
débiteur a le droit de se libérer de son enzel, quand il le
veut, par le paiement au vendeur d'une somme égale au
montant de vingt annuités.
Un second chiffre intéressant est celui des créances
hypothécaires qui frappent les propriétés immatriculées.
Tandis que la valeur totale déclarée de ces propriétés est
en chiffres ronds de 171 millions et demi, celle des hypo-
tbèques est de 114 millions et demi environ. Il est évident
que l'immatriculation a beaucoup favorisé les prêts hypo-
thécaires en donnant des garanties aux prêteurs, mais il
apparaît, d'autre part, clairement que la plupart des pro-
priétés sont grevées d'hypothèques.
L'examen du tableau des immatriculations par nationa-
lités est instructif, en ce qu'il montre que les Tunisiens,
d'abord peu favorables à ce régime, s'y adaptent de plus
en plus. De 1886 à 1891 inclus, ils n'avaient fait immatri-
culer que 24 propriétés. En 1891, ils en firent immatriculer
86: en 1912 ils en firent immatriculer 224.
ORGANISATION INTKHIKUBK 285
I IV. — Les finances et le budget
Lorsque la France assuma le Proleclorat de la Tunisie,
la dette du Gouvernement beyiical s'élevait à 145 millions
de francs et exigeait, pour le paiement dos intérêts, une
somme annuelle de 6.307.000 francs. Comme les créan-
ciers de la Régence étaient en majorité des étrangers, il
avait été institué, sur l'initiative de la France, en 1869,
une Commission financière internationale qui surveillait
la perception de certains revenus et en assurait la répar-
tition entre les créanciers. Counne les recettes totales de
la Régence ne dépassaient guère 12 à 13 millions, la plus
grande partie de cette somme était absorbée par la dette,
par la liste civile et par les fonctionnaires indigènes dont
un certain nombre étaient parfaitement inutiles.
Le premier soin du Protectorat fut de convertir la dette,
de manière à réduire le taux des intérêts et, par conséquent,
de réaliser un Ix'-néiice pour le Irésor. Au moyen de trois
conversions successives, opérées en 1884, 1889 et 1892,
le capital de la dette fut porté de 142.550.000 francs à
198.193.000 francs, le total des intérêts ;i payei- restant
fixé à 6.307.580 francs. Le trésor réalisji i»ar ces trois
opérations un bénélice de 20.278.562 francs qui fut oon-
sacré aux chemins de fer. En même temps, sans création
d'impôts nouveaux, mais grâce à une meilleure adminis-
tration et par suite du progrès économique, le chiffre
des recettes alla sans cesse en s'accroissant. En 188—1883,
il était de 12 millions de francs; en 1886-87, il atteignait
26 millions ; en 1898 il atteignait 38.910.000 francs y
compris les fonds provenant d'emprunts; en 1904, dans
les mêmes conditions, il dépassait 77.284.000 francs ;
en 1912, il dépasse 166.234.000 francs, chilfre total dans
lequel figurent près de 63 millions pour les recettes ordi-
naires et 98.553.000 francs de ressources extraordinaires
(emprunts). La Tunisie, en etfet, a contracté, fort ration-
nellement, la coutume de faire face à ses dépenses de
premier établissement au moyen de fonds d'emprunl.
286 LA TUNISll':
C'est ce qui lui ;i permis de réaliser les travaux consi-
dérables dont nous avons déjà parlé sans accroître sensi-
l)lenient les charges fiscales des populations indigènes et
des colons. Elle a donné par cette conduite à la métropole
une- excellente leçon, en même temps qu'elle prouvait
l'excellence de la politique qui consiste à laisser les colo-
nies maîtresses de leurs budgets.
Il n'y a pas en Tunisie de crédits supplémentaires. Il a
été constitué un fonds de réserve sur lequel on prélève les
sommes nécessaires pour faire face aux excédents de
dépenses et dans lequel on verse les excédents de recettes.
Or, depuis 1884, il né s'est présenté que deux exercices,
ceux de 1887-88 et de 1888-89 qui se soient soldés par un
excédent de dépenses, tous les autres budgets ont donné
des excédents de recette. Il n'en faut pas davantage pour
établir l'excellence du régime financier et budg-étaire pra-
tiqué par le Protectorat.
Les recettes de ce budget sont représentées par : des
impôts directs (Medjba ou impôt de capitation sur les
indigènes qui a été réduit de 26 francs environ à 18 francs ;
l'achour dont il a été question plus haut, sur les céréales, le
Khanon, sur les oliviers et les dattiers, et les taxes diverses
sur les produits végétaux, la taxe sur les terrains maraî-
chers et les vergers, l'impôt sur les propriétés bâties et les
patentes représentant près de 10 millions de francs; des
impôts indirects (timbre et enregistrement, droits de
mutation ; droits de douane, droits maritimes de phares, de
ports, etc. ; droits sur la fabrication. la vente ou la con-
sommation de certains produits) représentant plus de
20 millions de francs ; des monopoles (sel, poudre, tabac,
allumettes, cartes à jouer, postes, télégraphes et télé-
phones, etc.,) représentant près de 25 millions; produits
du domaine, droits d'immatriculation, de chancellerie, etc.,
représentant près de 4 millions de francs.
Les principales dépenses ordinaires sont représentées
par les annuités de la dette publique et autres créances :
12.700.000 francs; la liste civile du bey et de sa famille :
1.900.000 francs en chiffres ronds; la résidence générale,
ORGANISATION INTÉRIEURK 287
les contrôles civils el l'administralion des territoires du
sud : 1.36:2.000 francs; les pensions civiles et militaires
et la subvention aux sociétés de prévoyance des fonction-
naires et employés tunisiens, environ 1.400.000 francs ;
les frais de perception, de régie, d'exploitation des impôts
et revenus publics, environ 9.000.000 de francs ; les postes
et les télégraphes : 3.433.000 francs; les services indi-
gènes, la sécurité publique, l'assistance médicale, la gen-
darmerie, la justice et autres dépenses de l'administration
centrale : G. 500. 000 francs ; les services de Tagricultui'e,
du commerce et de la colonisation : 1.700.000 francs;
les services de l'enseignement : 3.500.000 francs; l'armée
tunisienne : 460 .000 francs ; les services des travaux publics :
8.163.000 francs.
I V. — Instruction publique et assistance
Parmi ces dépenses, celles qui ont pour objet l'instruc-
tion et l'assistance méritent une mention particulière, en
raison des principes excellents qui président à leur emploi.
« Dès qu'il y a eu des Français en Tunisie, disait M. Ala-
petite à la tribune de la Chambre, le 26 janvier 1912, ils
ont demandé des écoles et on les leur a données. Les
Italiens avaient des écoles avant l'avènement du Protecto-
rat, ils les ont conservées. Nous avons voulu, nous, faire à
l'école la fusion de l'élément français, de l'élément euro-
péen et de l'élément indigène. Nos écoles ont été, dès l'ori-
gine, ouvertes à toutes les races, et c'est ainsi que l'ensei-
gnement de la langue française s'est répandu de plus en
plus en Tunisie.
« Mais il y avait tout de même des préventions à vaincre.
Beaucoup de parents musulmans avaient l'habitude d'en-
voyer de préférence leurs enfants dans les écoles cora-
niques, oii l'on récite le coran du matin au soir, sans
enseigner aucune des données positives de la science
moderne. Nous avons voulu attirer les enfants musulmans
dans nos écoles. Pour cela, il nous a fallu transiger avec
les exigences de ces populations musulmanes. Il a fallu
288 LA TUNISIE
régler les heures de telle sorte que le petit musulman pût
aller, par exemple le malin à Kouttab, à l'école coranique,
et l'après-midi à l'école i'ran(;aise ; il a fallu instituer des
cours distincts polir les Français et pour les indigènes, au
moins au début de renseignement; il a fallu conmiencer
par appliquer en quelque sorte la méthode Berlitz aux
jeunes indigènes, il a fallu leur apprendre à pouvoir suivre
le langage du maître, et ce n'est que dans le cours supé-
rieur que la réunion se fait; il a fallu, en d'autres termes,
que notre administration de l'enseignement, au lieu de
transporter purement et simplement en Tunisie les horaires,
les programmes et les livres de la métropole, se pliât aux
exigences diverses de la clientèle scolaire qu'elle devait
recevoir. [Très bien! 1res dieu!) ... Les résultats ont
répondu à notre attente ; car tandis qu'il n'y avait dans nos
écoles, en 1906, que 3.000 musulmans, presque tous dans
les écoles des villes, il y en a aujourd'hui 8.000. Nous
avons créé des écoles pour les musulmans dans les vil-
lages les plus reculés, et l'enseignement par les maîtres
français a tellenjent gagné la confiance de cette population,
celle-ci s'est tellement rendu compte des services que
l'enseignement peut rendre aux enfants, qu'aujourd'hui
partout on nous réclame des écoles, et qu'à peine sont-
elles ouvertes qu'elles sont remplies. [Très bien! très
bien!)
« A côté des écoles de garçons, nous avons pu ouvrir
des écoles de lilles ; et ce n'est pas le moindre;, le moins
remarquable, le moins inattendu, pourrais-je dire, des pro-
grès qui ont été réalisés. Il y a aujourd'hui environ huit
cents petites musUlnianes dans les écoles françaises. Mes-
sieurs, pourquoi"? Parce que nous nous sommes demandé
comment il fallait faire pour vaincre la répugnance des
familles musulmanes, pour obtenir que des petites filles
voilées traversent la rue et aillent jusqu'à l'école sans
qu'aucune protestation se fasse entendre. Nous avons mon-
tré aux familles l'intérêt immédiat de l'enseignement que
nous donnerions en faisant de cet enseignement un ensei-
gnement surtout professionnel.
ORtiANlSATION INTÉRIEURE 289
« Les Arabes sentent aujourd'hui, surtout ceux des villes,
qu'il no leur est pas possible de s'endormir, qu'il faut qu'ils
acceptent la lutte et la concurrence. Jl faut qu'il y ait dans
l'intérieur de chaque famille de nouveaux moyens d'exis-
tence. Il faut que la femme qui, autrefois, était oisive et
vivait du salaire de son mari, contribue maintenant au bien-
être de la famille. Nous enseignons à ces jeunes tilles les
métiers qui conviennent à leur sexe. L'enseignement du
tissage, de la broderie, de la couture, l'enseignement
ménager sont donnés dans nos écoles de filles et occupent
au moins la moitié du temps dont disposent les institu-
trices. » {Applaudissements .)
Nous avons rappelé plus haut les mesures excellentes
prises en vue de l'enseignement professionnel de l'agricul-
ture et des métiers; nous n'y reviendrons pas. Bornons-
nous adonner quelques détails statistiques. « Le nombre
total des élèves, adultes et enfants, qui reçoivent l'ensei-
gnement dans nos écoles, dit le Rapport au président de la
République pour 1912, s'est élevé en 1912 à 40.018 unités.
Si 1 on défalque de ce chiffre les 2.645 auditeurs des cours
d'adultes, les établissements scolaires français de la Ré-
gence comptaient, au 31 décembre 1912, 37.373 élèves
(26.306 garçons et 14.067 filles)... au regard des nationa-
lités, la répartition des élèves (adultes non compris) est
la suivante: Français 8.582; Musulmans 10.787; Israé-
lites 7.905; Italiens 7.942; Maltais 1.817; divers 340. »
Tous ces chiffres sont en augmentation sur ceux de l'année
1911 « mais, dit le Rapport, celle-ci est particulièrement
notable pour les indigènes musulmans (2.279 de plus
qu'en 1911), qui représentent à eux seuls près des deux
tiers de l'accroissement total des élèves et qui sont près de
trois fois plus nombreux qu'il y a cinq ans (3.835 en 1907).
Il convient d'ajouter que sur les 2.645 auditeurs des cours
d'adultes, plus des quatre cinquièmes, soit plus de 2.000,
sont des indigènes musulmans et que les jeunes filles
musulmanes instruites dans nos écoles sont passées de
202 en 1907 à 944 en 1911 et à 1.310 en 1912. Ce résultat
est dû sans doute à la création de nombreuses écoles dans
J.-L. Db La.nessa.n. — La Tunisie. 19
290 I.A TLMSIK
les centres indigènes, à l'ouverture de nouvelles écoles
de filles musulmanes, à l'institution de cours d'adultes
spéciaux d'enseig^nement du français : il est dû surtout à
l'empressement que témoignent nos protégés indigènes
pour l'instruction donnée à l'école française. Ils deman-
dent des écoles et des cours d'adultes avec un empresse-
ment croissant ».
Au sujet de l'assistance pour laquelle il a été beaucoup
fait depuis quelques années, M. Alapetite disait le 26 jan-
vier 1912 à la tribune delà Chambre : « Messieurs, cette
population indigène, il ne faut pas croire qu'elle ignorait
l'assistance avant notre arrivée. Les Arabes ont bien des
défauts, vous me dispenserez d'en parler aujourd'hui, mais
ils ont aussi de grandes qualités. Ils sont très généreux,
ils ont le sentiment très développé de la solidarité entre core-
ligionnaires, entre membres de la même tribu. Dans une
tribu il n'y a pas d'orphelins ; celui qui a perdu son père
est immédiatement recueilli. De même autrefois, dans les
villes, quand il y avait de riches bourgeois qui profitaient
de la faveur du souverain, ces bourgeois avaient, comme
jadis les patriciens à Rome, une clientèle qui venait chaque
matin et chaque soir recueillir les restes du repas de la
famille. Ces habitudes se perdent depuis que nous sommes
là. La bourgeoisie indigène s'appauvrit. Certaines sources
de revenus lui manquent. Elle est moins généreuse et
puis elle compte sur le Gouvernement qui, ayant organisé
l'assistance pour les Européens, doit bien l'organiser aussi
pour les indigènes.
« Il a donc fallu s'occuper de l'assistance aux indigènes.
Il y avait déjà à Tunis un établissement hospitalier con-
sidérable, bien connu, admirablement dirigé, et où l'on
vient de très loin pour les opérations chirurgicales les plus
difficiles, l'hôpital Sadiki. Mais il ne suffisait pas d'un
seul hôpital indigène sur tout le territoire de la Régence.
Il fallait créer de petits hôpitaux, de petits dispensaires ; il
fallait encore leur assurer une dotation. Nous avons créé
des centimes additionnels spéciaux à l'assistance. Nous
avons d'autre part, amené l'administration des habous à
ORGANISATION IN TIÎRIKURE 291
participer à la dépense, en sorte qu'aujourd'liui, sur le ter-
ritoire de la Tunisie, il y a une quarantaine de médecins
qui ne soignent pas seulement la colonie française, qui
sont aussi des médecins affectés à des œuvres d'assistance
aux indigènes... Après le dispensaire de Kairouan et à son
exemple, un grand nombre d'autres établissements ana-
logues se sont fondés et fonctionnent aujourd'bui avec le
concours des médecins civils ou militaires. {Très bien! très
bien!) Le nombre des consultations s'élève chaque année ;
l'an dernier, on n"a pas présenté moins de 60.000 malades
à nos divers hôpitaux et dispensaires. Il y a là une œuvre
française qui esta l'honneur de notre race. n[Très bien! très
bien, !)
En somme, la Tunisie ne saurait trop se féliciter de hi
manière dont ses intérêts financiers, économiques, moraux,
intellectuels, etc., ont été gérés par le Protectorat, Plus
heureuse que la plupart de nos colonies, elle a échappé à
la manie d'administration directe et d'assimilation à la
métropole que les représentants du ministère des Colonies
ont manifestée partout oij ils sont passés. Elle a été admi-
nistrée non point d'après les principes appliqués à la
métropole et dont celle-ci n'a pas toujours à se louer,
mais conformément aux conditions ethnographiques,
sociales, chimatériques, etc., qui lui sont imposées parla
nature ou les traditions, et c'est pour cela que depuis qua-
rante ans elle n'a jamais cessé d'évoluer dans la voie du
progrès. M. Alapetite tirait la philosophie de cette évolu-
tion lorsqu'il terminait ses discours par les considérations
suivantes : « Nous n'avons pas eu l'ambition de couvrir le
sol africain de constructions aussi somptueuses que celles
dont les ruines attestent la puissance de Rome.
« Ce n'est pas dans des murailles colossales que nous
avons voulu mettre notre orgueil et notre sécurité. Nous
avons voulu que toutes les n^ssources de la Régence fussent
employées à accroître le bien-être, les facultés de produc-
tion et d'échange des populations qui l'habitent. [Très bien!
très bien !) Nous avons voulu mener de front l'éducation
qui suscite de nouveaux besoins, en même temps que la
292 LA TL'NISIK
(■ri'>alioii (les iiisLruiiiciils de travail cl ilc liclirssc (|ui per-
mettent de les satisfaire. [Applaudissements.)
« Nous avions devant nous un de ces édifices hétéro-
gènes, qui abritent les traditions orientales et dont il ne
iallait pas faire table rase. [Très bien! Très bien!) Mais,
chaque année, nous essayons d'introduire, dans ce dédale
mystérieux, un peu plus d'air et de lumière. Nous rempla-
çons par des matériaux solides les parties veimoulues. »
CHAPITRE XII
L ETAT MORAL DES INDIGÈNES
En 1887, je teiinniais les considérations relatives aux
[)Oj)ulalions indigènes de la Tunisie par les lig'nes suivantes
que je liens à reproduire intégralement parce que les faits,
malgré quelques incidents déplorables, en ont démontré
l'exactitude : « Ce que nous venons de dire des habitants
des campagnes de la Tunisie permet d'affirmer qu'en
dehors de circonstances exceptionnelles, telles que des
revers subis par la France en Europe et des excitations
provenant du dehors, les colons français qui vont fécon-
der de leur travail et de leurs capitaux les terres fertiles
de la Tunisie peuvent espérer y jouir d'une entière sécu-
rité. Si l'on se place à un point de vue général, celle-ci
est encore accrue par la nature pacifique, je dirais volon-
tiers indolente, des habitants des villes. Ceux-ci sont le
produit d'une civilisation vieillie, plus raffinée que puis-
sante; ils songent bien davantage aux agréments et aux
avantages nouveaux que notre présence peut leur procu-
rer qu'aux froissements produits par un changement de
régime qu'ils considèrent comme une inéluctable fatalité.
« Avec les caractères que nous venons de tracer et la
nature du sol sur lequel ils vivent, les indigènes réunissent
à peu près toutes les conditions nécessaires pour jouir
d'une réelle prospérité., Cependant les industries natio-
nales se sont effondrées, à mesure que les mœurs s'amol-
lissaient et que la civilisation répandue jadis dans le pays
par les Romains allait en s'obscurcissant. L'agriculture
elle-même a perdu cha(jue jour de son énergie sous l'in-
lluence des charges énormes dont elle était accablée. ))
294 I,.\ TUNISIE
Ce qui, en somme, manquait à ce peuple, c'était un
gouvernement dig-ne de ce nom, c'est-à-dire capable de
développer les qualités intellectuelles et physiques de la
population en même temps que de doter le pays de l'or-
ganisation administrative et de l'outillage économique sans
lesquels aucune nation ne peut progresser. C'est cette
double tâche que la France assuma le jour où elle imposa
son prolectoral au gouvernement et au peuple de la Tuni-
sie.
Mais, en dehors de la masse et au-dessus d'elle, il s'est
formé dans la Régence, depuis une dizaine d'années, un
petit groupe de personnalités tunisiennes assez instruites
pour en imposer, assez remuantes pour attirer l'attention
et dont le verbe était assez haut pour qu'on l'entendît
jusqu'aux alentours du Palais-Bourbon. C'est parles mem-
bres de ce petit aréopage que l'opinion sur la Tunisie a
été faite, pendant longtemps, dans nos milieux parlemen-
taires et gouvernementaux. On les désigna chez nous, et
il semble bien qu'ils aient plu à se désigner eux-mêmes
sous le titre de « Jeunes-Tunisiens » par analogie avec les
« Jeunes-Turcs » pour lesquels ils affichaient une grande
admiration.
Issus de familles bourgeoises tunisiennes, ayant reçu,
soit à Tunis, soit en France même, une éducation fran-
çaise, ils se sentaient supérieurs, à la fois, aux « Vieux-
Tunisiens )) dont je parlerai dans un instant, et à la masse
du peuple. Intellectuellement, cette supériorité n'est pas
douteuse. Elle a eu pour résultat de faire naître chez ceux
qui la possèdent, des ambitions dont il est impossible de
contester la légitimité, mais qui ne surent pas toujours
se modérer et qui, surtout, méconnurent les nécessités du
Protectorat. Ils n'aspiraient à rien moins qu'à prendre la
place des F'rançais dans le gouvernement et l'administra-
tion de leur pays et ne se montraient pas plus respectueux
de l'autorité du bey que de celle du résident général. Peu
sympathiques aux « Vieux-Tunisiens » et à peu près
dépourvus d'autorité sur le peuple, ils ne pouvaient faire
valoir leurs prétentions qu'en faisant de l'opposition à
l'ktat moral dks indigènes 29u
tous les pouvoirs constitués. N'avaient-ils pas appris, dans
la fréquentation de nos politiciens, que c'est, en France
même, par l'opposition que Ton arrive? Ils faisaient donc
de l'opposition et ils en faisaient même aux colons français
qui, pour ce motif et quelques autres encore, leur sont, en
général, défavorables. Au moment de l'avènement au pou-
voir des Jeunes-Turcs, quelques-uns d'entre eux allèrent
plus loin encore. « A la suite des événements de Gonstan-
linople, dit M. Alapetite (Discours du 26 janvier 1912),
ils se sont dit que l'établissement de la France à Tunis
les avait sans doute privés d'une occasion (|ui n'aurait pas
manqué de naître pour eux d'exercer le pouvoir dans leur
pays, » et c'est pour cela sans doute qu'ils firent de l'op-
position au bey ; mais si la France n'avait pas le protectorat
de la Tunisie, ils n'existeraient môme pas, car c'est à elle
qu'ils doivent leur formation intellectuelle. Quand éclata la
guerre entre l'Italie et la Turquie à propos de la Tripoli-
taine, quelques-uns « donnèrent à penser, dit M. Alapetite,
soit par leurs écrits, soit par leurs discours, que c'était à
toute la population des Roumis ([u'ils en voulaient ». Ils
allèrent jusqu'à former des complots et mirent le gouver-
nement du Protectorat, d'accord avec celui du Bey, dans
la nécessité de prononcer quelques expulsions. Cette mesure
suffit, du reste, pour faire rentrer dans l'ordre ceux qui
avaient tenté de le troubler. Elle fut d'autant plus efficace
que les expulsés ne trouvèrent pas en France les appuis
sur lesquels ils avaient cru pouvoir compter; leurs excès
avaient ouvert les yeux de nos politiciens. Ils avaient aussi
justifié la défiance qui leur était manifestée depuis longtemps
par les colons français et éclairé les bureaux du Ministère
des affaires étrangères. Depuis cette époque on y a mieux
compris la nécessité de tenir la balance ég:ale entre les
intérêts des colons et ceux des indigènes. La tâcbe poli-
tique et administrative du résident général et de ses ser-
vices ne pourra qu'en être beaucoup facilitée.
La formation du groupement « Jeune-Tunisien » et le
développement de ses ambitions furent beaucoup facili-
tés par l'attitude beaucoup trop réservée que prit la
296 LA TlMSIi:
grande hourgeoisi»; tunisienne après rétablissement du pro-
tectorat dans la Régence. Constituée par un nombre peu
considérable de familles presque toutes alliées les unes
aux autres, cette bourgeoisie vivait de temps immémorial
des faveurs et des fonctions qui lui étaient accordées par
les beys. Elle possédait des propriétés mal gérées, d'un
rapport peu considérable et vivait surtout de ce qu'elle
tirait du trésor beylical. A la suite de Toccupation fran-
çaise, l'existence lui devint en général ^difficile, en raison
des réformes introduites dans le gouvernement et les ser-
vices publics. Quelques familles vendirent leurs proprié-
lés à des Européens et quittèrent la Régence. La plupart
restèrent en Tunisie, mais furent contraintes de réduire
leurs dépenses et même de vendre une portion plus ou
moins grande de leurs biens. Elles s'effondrent ainsi petit
à petit dans l'inaction et l'indolence. D'autres, se ralliant
avec loyauté au nouveau régime, y sollicitèrent des
emplois. Elles détiennent la plupart des caïdats et jouis-
sent d'une autorité non contestée parmi les populations
indigènes. Peu à peu, leur moralité administrative s'est
améliorée, par l'exemple des fonctionnaires français et en
raison du contrôle auquel elles sont soumises; les exemples
.deviennent rares de gros fonctionnaires tunisiens contre
lesquels le gouvernement du Protectorat doit sévir pour
châtier des actes de concussion ou des abus de pouvoir.
Une troisième catégorie de l'ancienne bourgeoisie est
constituée par les familles qui se confinent dans les fonc-
tions revêtant plus ou moins le caractère religieux, telles
que l'enseignement dans les établissements musulmans,
les tribunaux qui jugent au nom du Coran, etc. Elles repré-
sentent, d'après les personnes les plus autorisées, la
partie la plus digne, la plus morale, la plus instruite des
ce Vieux-Tunisiens ». Elles méritent que le Protectorat
s'intéresse à elles et les utilise ; ce serait, sans aucun
doute, le meilleur moyen de contre-balancer l'influence
des éléments d'agitation fournis par les « Jeunes-Tuni-
siens ».
La masse de la population tunisienne a vécu, depuis l'éta-
i/kTAT moral DKS INDIC.KNKS 297
blissement du Protectorat, dans un état de tranquillité ;i
|)eu près constante. Quelques incidents se sont produits de
leiiips à autre, en quehjues points, mais ils n'oni jamais
eu ni durée ni conséquences graves au point de vue de
l'élat moral de la population. Celui-ci est, en somme, aussi
bon qu'il est possible de le désirer. Il s'est même produit
une évolution marquée de la mentalité tunisienne vers la
mentalité française. Le peuple commence à éprouvei-, en
vivant à notre contact, des besoins de bien-être, d'Iiy-
giène, de salubrité qu'il ne connaissait pas, et il com-
mence d'en résulter le désir de travailler plus (ju'il ne le
faisait jadis pour acquérir ces biens nouveaux. Il sera
facile de provoquer l'accentuation de cette marche vers la
civilisation. Trois conditions, particulièrement, y pourront
contribuer : le respect de tout ce ([ui tient aux mœurs tra-
ditionnelles du pays ; celui de tout ce qui touche de près
ou de loin à la religion; celui de la propriété.
La prétention des colonisateurs est, généralement,
d'imposer aux peuples colonisés leurs propres mœurs,
croyances et conceptions de la propriété, sous le prétexte
qu'étant parvenus à un plus haut degré de civilisation ils
sont plus près de la vérité morale et sociale (jue les
peuples auxquels ils ont imposé leur domination. Or, il n'y
a pas d'erreur plus lourde que celle-là ; il n'y eii a pas non
plus qui soient la source de fautes plus graves et de
mécontentements plus dangereux. Quelque dédain, par
exemple, qu'ait un Européen protestant ou catholique pour
l'idole du Nègre ou du Polynésien, celle-ci n'en est pas
moins aux yeux de ceux qui l'adorent une valeui- égale à
celle du Dieu immatériel et universel du catholicisme ou
du protestantisme. La profanation de la plus ridicule des
idoles ne diffère pas, en somme, de celle de l'hostie consa-
crée par le prêtre catholique. Parmi les populations njusul-
manes, la polygamie et l'infériorité de la femme ont pour
conséquence un ensemble de conceptions sociales, poli-
tiques et économiques, dont un prêtre catholique ne sau-
rait parler sans blesser jusqu'au fond du cœur ceux
aui)rJ's desquels sa prui)agande s'exerce. En Algérie, nous
298 LA TUNISIE
avons provoqué un lies vif mécontentement parmi les
indigènes par les tentatives faites en vue de leur naturali-
sation fran(;aise, car celle ci aurait entraîné la violation
d'une foule de coutumes issues de la religion islamique. On
doit féliciter les autorités françaises de la Tunisie de
n'avoir pas imité à C(!t égard celles de l'Algérie.
On n'a pas été aussi respectueux en Tunisie des tradi-
tions relatives à la propriété que des croyances religieuses,
et il en est résulté plus d'une conséquence fâcheuse. Je ne
veux rappeler qu'un fait parce qu'il a fait beaucoup de
bruit en Tunisie et en France et fut le point de départ de
critiques plus ou moins violentes des administrations du
Protectorat. Je supprime simplement les noms pour laisser
au fait lui-même toute sa signification philosophique.
En 1731, un bey de Tunis accorde, par un acte de bien-
veillance assez fréquent alors, à un marabout, le privilège
de prélever sur la population d'un territoire déterminé
certaine taxe dont le produit devait être destiné à l'assis-
tance des pauvres. Personne, à cette époque, ne se mit
et n'aurait pu se mettre en tête que le bey avait donné à
ce marabout un droit de propriété quelconque soit sur le
territoire visé dans l'acte, soit sur les populations de ce
territoire. Et les choses allèrent ainsi tant que dura la
souveraineté des beys. En 1887, c'est-à-dire après que nos
idées romaines et françaises sur la propriété eurent été
introduites en Tunisie, les descendants plus ou moins
authentiques du marabout de 1731 s'avisent qu'ils ont entre
les mains une bonne affaire à exploiter. Ils cèdent leurs
droits à des tiers qui les repassent à d'autres, jusqu'à ce
qu'ils arrivent entre les mains d'un Européen assez habile
pour les faire valoir... à la française. A partir de ce moment,
le territoire sur lequel n'avait été concédé par le bey que
le privilège d'une perception fiscale en faveur des pauvres
devient, dans notre langue et aux yeux de nos administra-
teurs, une propriété de telle nature que l'Européen entré en
sapossession dresse l'étatdétaillé de ce que lui doivent les |
gens, les récoltes et les arbres et emprunte sur ces rêve- >
nus plus de sept cent mille francs. Un territoire dont avant
i.'ktat MoiiAi, i>i;s ini)I(;kni;s 299
1887. le jtiix riail, évalur à 1 .800 francs, élail mainte-
nant représenté coninie produisant plus de 200.000 francs
de revenus constitués par les taxes dont les populations
étaient frappées. D'où était v^enu le droit de frapper ces
taxes? Tout simplement de cequel'onavait considéré l'acte
de 1731 comme ayant concédé la propriété du sol et des
populations à un marabout. Or, en 1731, ni le donateur
ni le bénéficiaire n'avaient la moindre idé<' de la pro-
priété, telle que nous l'entendons. Après avoir rappelé ce
fait dans le Siècle du 1" février 1912, j'ajoutais : « 11 est
bon que ces cboses-là aient été portées à la tribune de la
Cbambre, non par un opposant en quête de scandale, mais
par l'un des administrateurs les plus expérimentés et les
plus lionnêtes de notre pays. Il en résultera peut-être
quelques réflexions utiles dans l'esprit de nos gouver-
nants ». La Tunisie, de son coté, devra [)rofiter de telles
leçons pour éviter de substituer dans ses actes les idées
romaines et françaises de propriété à celles (jui sont tra-
ditionnelles parmi les populations.
Une autre question grave doit attirer l'attention des
administrateurs et des colons de la Tunisie : je veux par-
ler des terres à attribuer à la colonisation. Je ne puis que
répéter ici ce que je disais à cet égard au moment oii la
question fut discutée à la tribune de la chambre\ « Les
colons français de Tunisie aspirent légitimement à l'ex-
tension d'une colonisation dont ils ont le droit d'être très
fiers, parce qu'elle leur a coûté beaucoup d'eflbrts pécu-
niaires et intellectuels. On ne saurait les blâmer de vou-
loir étendre le réseau de leurs cultures et de leurs indus-
tries sur le sol tunisien; mais on doit leur recommander
la méditation de cette observation du résident général : « Les
« indigènes tiennent à la terre, nu'Mne quand elle les ruine. »
Les Tunisiens ressemblent par ce trait de caractère aux
paysans fj-ançais. L'administration tunisienne commettrait
la plus grande des fautes si elle ne tenait pas compte de
ce fait ; si pour donner satisfaction aux désirs légitimes
1. Voir le Siècle, 31 janvier 1912.
300 l,A TUNISIK
d'expansion de la colonie française, elle foulait aux pieds
les droits non moins légitimes qu'ont les indigènes sur la
terre qui les a vu naître et qui les nourrit. Tout progès
réalisé par la colonisation européenne qui ne serait pas
accompagné d'un progrès égal dans la situation écono-
mique, morale et intellectuelle des indigi'nes, serait iné-
(juitable et éphémère r inéquitable, parce qu'il nuirait aux
populations tunisiennes; éphémère parce qu'en irritant ces
populations il compromettrait l'avenir de la domination
française. »
CHAPITRE XIII
CONCLUSION
Il résulte de tous les faits exposés dans les chapitres
précédents que les représentants de la France dans la
Régence ont accompli leurs devoirs envers le peuple tuni-
sien et envers la métropole aussi convenablement qu'il
était possible de le faire. Gomme conséquence, l'état moral
des populations, est aussi bon qu'on peut le souhaiter
après trente-cinq années d'occupation et d'administration
du pays par la France.
J'ajoute que si les indigènes montrent par leur attitude
générale la satisfaction de la manière dont ils sont gou-
vernés depuis l'établissement du Protectorat, la colonie
française témoigne d'une satisfaction non moins grande,
parce que ses intérêts particuliers ont été l'objet de la
part des administrations du Protectorat d'un souci égal à
celui dont bénéficiait les intérêts des indigènes.
L'une des conditions les plus difficiles à réaliser dans
toute œuvre coloniale est précisément l'équilibre entre les
intérêts du peuple colonisateur et ceux du peuple colonisé.
La difficulté est d'autant plus grande que la diversité,
voire l'opposition des intérêts, n'existe pas seulement entre
les colons et les indigènes, mais aussi entre les colons et
les métropolitains.
Ainsi que Je l'ai noté dans mes Principes de colonisa-
tion. ' « l'idée dominante de la France, aussi bien parmi
les commerçants, les industriels et le grand public, ([ue
1. P. 187.
302 LA TUNISIK
parmi les membres du Parlement et du gouvernement, est
que les colonies doivent être, avant tout, des lieux de con-
sommation pour les produits métropolitains ». Il existe
même, au Ministère des colonies, un principe tradition-
nel d'après lequel les colonies sont un lieu de déplacement
pour la jeunesse métropolitaine qui ne trouve pas à se
faufiler en France dans les cadres des administrations
publiques. Un gros fonctionnaire de ce ministère auquel
je faisais observer, il y a quelques années, que l'on multi-
pliait outre mesure les employés de tels et tels services
dans l'une de nos grandes colonies, me répondit : (( Pour-
quoi en limiterions-nous le nombre, du moment où c'est
la colonie qui les paie? » « Parce que, lui dis-je, les
sommes dépensées en traitements de fonctionnaires man-
quent à la colonie pour faire les travaux d'utilité publique
dont elle a besoin. » Il eut un geste qui voulait dire :
« qu'est-ce que cela nous fait? » Et l'on a vu le Ministère
des colonies multiplier démesurément les fonctionnaires
dans toutes nos colonies, afin de donner satisfaction aux
députés ou sénateurs qui ont des clients à placer. Si la
Tunisie a pu échapper à cette ruineuse pratique, il en faut
voir la cause dans le fait que le ministre des affaires étran-
gères dont elle dépend n'a, en raison de ses fonctions,
qu'une clientèle restreinte. C'est grâce à cette condition
que les résidents généraux de la Tunisie ont pu, dans
une très large mesure, ne tenir compte que des besoins
des administrations de la Régence dans l'établissement
des cadres du personnel de chacune d'entre elles.
Le régime économique de la plupart de nos colonies est
rendu défectueux par la prétention qu'a la métropole
d'établir le régime douanier de nos établissements d'outre-
mer, et de l'établir en ne se préoccupant guère que des
intérêts métropolitains. « C'est dans cet esprit qu'a été
conçu, en 1892, le régime douanier auquel nos colonies
sont soumises. Il n'en est pas une qui ne proteste contre
cette législation, faisant valoir que les produits français .
sont presque tous plus chers que les similaires étrangers,
que le fret entre. la France et ses colonies est plus coûteux
CONCLUSION 303
qu'entre les colonies et les ports où elles ont l'habitude de
s'approvisionner, que les droits appliqués aux produits
étrangers n'empêchent pas les indigènes de les rechercher,
que la seule conséquence du régime prolecteur est de les
faire payer plus cher, en appauvrissant les colonies, etc.
Les colonies demandent qu'au moins tous leurs produits
soient favorisés à l'entrée en France dans la même mesure
que les produits français le sont à l'entrée dans les colo-
nies. Elles n'ont obtenu satisfaction sur ce second point
que dans une mesure tout à fait insuffisante. Certains de
leurs produits, tels que le café, le thé, etc., ne jouissent à
l'entrée en France que d'un dégrèvement égal à la moitié
du droit qui frappe les similaires étrangers; d'autres,
comme le riz, sont moins favorisés, parce que les agricul-
teurs français en craignent la concurrence ; les sucres sont
soumis à un régime qui ruine les Antilles, etc. Les colo-
nies se plaignent de ce traitement, peu conforme à celui
auquel on les soumet dans l'intérêt des producteurs métro-
politains, mais elles se heurtent à des forces qu'elles sont
incapables de vaincre'. »
La Tunisie, ainsi qu'il ressort de ce qui a été dit dans les
chapitres précédents, a été traitée moins durement par la
France. Si la porte de la métropole n'a pas été entièrement
ouverte à ses vins, huiles, animaux, dont la quantité sus-
ceptible d'être introduite en France est limitée par des
décrets, ses céréales et farines peuvent entrer librement
dans la métropole. Elle jouit, en un mot, par rapport à nos
autres établissements coloniaux, d'un véritable traitement
de faveur qui n'a pas été étranger au développement de
son agriculture et de ses industries. Ce régime a pour
conséquence de maintenir les liens de solidarité et de sym-
pathie qui devraient toujours exister chez les colons à
l'égard de la métropole et que Ion ne trouve peut-être pas
au même degré qu'en Tunisie dans toutes nos. colonies.
Les Français de la Tunisie ont encore à se louer de la
1. Voy. J.-L. de Lancssan, Principes de colonisation, p. 187, in Bibliotli
Scient. Internat., Alcan, édit.
304 I.A TUNISII',
part qui leur est accordée dans la gestion des affaires de
la Régence. Grâce à la conférence consultative créée par
M. Piclîon et dans laquelle figurent des représentants élus
de la population française, celle-ci peut toujours faire con-
naître ofliciellement ses besoins et ses vœux. Elle prend
part à l'élaboration du budget et se trouve, par conséquent,
en mesure de contrôler la question de toutes les adminis-
trations publiques. L'expérience a montré qu'il y aurait
imprudence à étendre ses pouvoirs au delà du contrôle et
de lui accorder, par exemple, une véritable puissance légis-
lative. Les colons ne seraient pas hommes s'ils n'atta-
chaient plus de prix à leurs intérêts particuliers qu'à ceux
des indigènes; aussi les voit-on chercher toujours à rejeter
les charges publiques sur la population tunisienne. En
1911, lorsqu'il s'agit de remplacer les deux millions envi-
ron que perdait le budget de la Régence par le fait de
l'abaissement du taux de la medjba imposé par la métropole,
les représentants des colons à la conférence déclarèrent
qu'ils accepteraient une partie des charges à créer mais,
ainsi que le fit observer M. Alapetite à la tribune de la
Chambre le 26 janvier 1912, les électeurs, moins généreux
que leurs représentants ou, pour mieux dire, moins bien
renseignés sur les nécessités budgétaires, déclarèrent qu'ils
ne voteraient pour aucun candidat acceptant « de faire
payer un centime aux Français pour dégrever les indi-
Sfènes ». La lutte entre les intérêts des colons et ceux des
Tunisiens se produisait publiquement. Le résident général
dut, pour empêcher qu'elle ne s'accentuât et se prolongeât,
chercher des ressources ailleurs que dans l'impôt. Il les
trouva en partie dans une augmentation des redevances
de la compagnie de Gafsa. Après avoir rappelé ce fait, il
disait avec raison, devant la Chambre, en réponse aux cri-
tiques que certains députés lui avaient adressées : « Le
"ouvernenient est là-bas l'arbitre entre les intérêts des
Français et ceux des indigènes. Rien ne serait plus facile
que d'avoir en Afrique une popularité bruyante {Vifs
applaudissements à gauche et au centre) en allant dans
toutes les réunions de Français et en leur disant : « Vous
CONCLUSION 305
« avez tous les droits, les indigènes ont toutes les obliga-
(f tions. » Je n'ai pas cru que ce fût là mon rôle. J'ai
essayé, et je crois y avoir réussi, de vivre en bons termes
avec la plupart de nos nationaux ; j'ai essayé de les amener
peu à peu par la persuasion à comprendre la légitimité
de l'évolution qui s'était accomplie dans les esprits fran-
çais sur ce problème de la politique coloniale. [Très bien!
très bien!) Je crois pouvoir dire que la plupart d'entre eux
y sont maintenant venus et qu'en dehors de ces réunions
électorales où les têtes se montent, où on en arrive à dire
beaucoup plus qu'on ne pense, à oublier le lang'age qu'on
a tenu aux heures de réflexion, la plupart de nos compa-
triotes savent bien aujourd'hui quelle est la politique colo-
niale de la France républicaine et ils s'y sont ralliés ou
résignés. »
Le résident général aurait pu ajouter que s'il lui a été
possible de jouer utilement ce rôle d'arbitre entre les colons
et les indigènes, c'est parce que le gouvernement métropo-
litain a renoncé à h; jouer lui-même, ainsi qu'il Taxait
prétendu jusqu'à ces dernières années, (jonime le faisait
observer M. Alapetite, après chaque session de la Confé-
rence consultative, les avis de cette assemblée étaient
transmis au ministère des aifaires étrangères et c'est ce
dernier « qui avait à prendre la responsabilité des déci-
sions dans l'intérêt des indigènes, lorsque la section fran-
çaise de la conférence avait méconnu ces intérêts ». Il
est facile d'imaginer quelles erreurs pouvaient être com-
mises dans ces conditions. Eloigné'S de la Régence et, d'or-
dinaire, ne la connaissant pas, les bureaux du ministère
des affaires étrangères et le ministre ne pouvaient décider
entre les opinions contradictoires des indigènes et des Fran-
çais qu'en s'appuyant soit sur les avis du résident géné-
ral, ce qui eût été le meilleur, soit sur les théories ayant
cours autour d'eux, particulièrement dans le monde par-
lementaire. Or, celui-ci est plus souvent guidé par la pas-
sion que par la raison.
Aujourd'hui, la Tunisie est dotée, au point de vu(î linan-
cier, d'un régime véritablement constitutionnel. Lorsque
J.-L. De Lanessan. — La Tunisie. -0
306 LA TUNISIK
les votes de la section indigène de la conférence consulta-
tive ne sont pas conformes k ceux de la section française,
le différend est porté devant un conseil supérieur oii les
ministres et les chefs de service du g^ouvernement tunisien
sont assistés de délégués élus en nombre égal par chacune
des deux sections. Jusqu'à ce jour la conciliation a tou-
jours pu être réalisée devant le conseil supérieur.
La Tunisie a échappé, en somme, jusqu'à ce jour, à la
plupart des erreurs qui entravent la marche de la coloni-
sation française sur d'autres points du globe ; elle y a
échappé parce que la nature de ses relations avec le gou-
vernement de la métropole lui a permis de pratiquer loya-
lement le protectorat. On ne peut que souhaiter de lui voir
conserver cette heureuse fortune, dans son intérêt comme
dans celui de la France.
TABLE DES MATIÈRES
Préface.
Chapitre premier. — Le sol, le climat et la population 1
§ 1. Le sol 1
§ II. Le climat 4
S III. La population fi
Chapitre IL — Les mines, carrières et eaux minérales i)
S L Mines de plomb <■[ i\c zinc H
S II. iMines de fer 2i>
S III. Mines do cuivre et de iiiHii^aïK'sr 24
§ IV. Phosphates de cliaux rJo
§ V. Résumé et cont-lusions 'M
S VL Carrières 33
S VIL Lau.'c minérales 34
Ch.apitre IIL — Les forêts
Chapitre IV. — L'agriculture indigène 42
§ I. Culture indigène d(>s céréales 42
§ IL Culture des oliviers 47
S III. Culture des dattiers ."i.)
S IV. Les jardins 61)
S V. La culture du tabac 74
S VL La culture du chanvre 78
§ VIL L'exploitation de l'alfa ^ 71)
S VIIl. L'élevage du bétail (bd'uls. moutons, chèvres, chevaux). iS3
§ IX. L'agriculture indigène et les sociétés indigènes de i)r'i'-
" voyance 88
S X. L'enseigncmcid agricdlc pour les indigènes 1)2
L'industrie indigène 1)8
Chapitre VL — L agriculture européenne 10!»
Domaine de l'Entida lOU
Domaine de Sidi-Tabet 126
Les principaux domaines des Européens • • 132
L'exploitation des domaines européens 151
La mutualité agricole en Tunisie Ibli
Les Italiens et la colonisation 151)
La colonisation officielle. Les llabous 161
§ VIIL Grandes eL petites propriétés 167
c,
iIAPITRE V
Cl
HAPITRE V
§
L
S
IL
s
m.
s
TV.
s
V.
s
VI.
s
VIL
308 TABLE DES MATIÈRES
Chapitue Vil. — Les industries européennes 181
Chapitre VllI. — L'exploitation des mines et carrières 186
S I. Exploitation des miues niétallifères 186
§ 11. Exploitation des phosphates 192
S m. L'industrie du sel 194
§ IV. L'industrie de la pèche lOo
ChapitreMX. — Le commerce dans ses relations avec le régime
douanier, les impôts et le crédit iO(i
§ I. Le développement du commerce dans les relations avec
l'occupation française 206
§ II. Le commerce et le régime douanier 212
g III. Le commerce et les impôts 215
§ IV. Le Protectorat et la réforme du régime douanici' .... 222
S V. Le commerce et le crédit 226
S VJ. Le développement du commerce. Importation et exporta-
tion 232
Chapitre \. — Les routes, les chemins de fer et les ports . . . 240
§ I. L'état des routes au moment de rétablissi^ment du Pro-
tectorat 240
S II. L'état des ports à l'époque di' r('tablissement du Protec-
torat 242
§ 111. Les travaux des ports exécutés par le Protectorat. . . . 2a5
g IV. Travaux des routes et chemins de fer exécutés par le Pj'o-
tectoral 262
Chapitre XI. — Organisation politique, administrative, judi-
ciaire, financière, etc.. de la Tunisie 271
§ I'. (trganisatioii politique et administrative 271
§ II. La justice 273
§ III. La propriété 278
§ IV. Les finances et le budget 28.t
S V. Instruction publique et assistance 287
Chapitre .\11. — L'État moral des indigènes 293
Chapitre XIII. — Conclusions 301
Carte de la Tunisie
EVltELX, imprimerie Cil. H É 11 I S S E Y
In
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BALDWIN (J.-M.). — Théorie de la réalité. Le Pancalisme, trad E. Phi-
Lippi 20
— Le Médiat et l'Immédiat, trad. par E. Philippi 40
BARUZl (J.). — Saint Jean de la Croix et le problème de l'expérience
mystique, 2^ éd . revue 80
BASCH (V). — Les Doctrines politiques des philosophes classiques de
l'Allemagne 30
BAUDOUIN (Ch.). — Psychanalyse de l'art 30
BAYET (A.). — Histoire de la morale en France.
T. I. — La morale des Gaulois 35
T II. — La morale païenne à 1 époque Galio-Romaine 70
BELOT (G.), inspecteur générai de l'Instruction publique — Etudes de
morale positive, t. 1, épuisé, t. II 30
BENRUBl (J.). — Les sources et les courants de la philosophie
contemporaine en France, 2 vol lOO
BERGSON (H.), de l'Académie française et de l'Académie dés Sciences
morales et politiques. — L'Evolution créatrice, 39"^ éd 25
— Essai sur les données immédiates de là conscience, 30*^ éd 20
— L'Energie spirituelle, 1 6*-" éd 20
— Matière et mémoire, essai sur la relation du corps à l'esprit 26*^ éd.. 25
— Les deux sources de la morale et de la religion, 12"^ éd 25
— La pensés et ie mouvant 23
BERTHELOT (R.). — Evolutionnisme et platonisme 20
— Un Romantisme utilitaire, étude sur le mouvement pragmatiste, 3 vol.
T. I. — Le pragmatisme chez Nietzsche et chez Poiricaré {épuisé).
T. II. — Le pragmatisme chez Bergson (épuisé) .
T. III. — Le pragmatisme religieux chez W. James et les catholiques
modernistes 35
BLONDEL (M.). — La pensée, 2 vol. :
T. I. — La genèse de la pensée et les paliers de son ascension
spontanée ., 60
T. II. — Les responsabilités de la pensée et la possibilité de son
achèvement {sous presse)
BOIRAC (E.). — La Psychologie inconnue, introduction et contribution à
l'étude expérimentale des Sciences psychiques, 3"^ éd. revue 30
— L'Avenir des Sciences psychiques 25
BOPP (L.). — H. F. Amiel. 2^ éd 35
BOUCHET (H.). — L'individualisation de l'enseignement. L'indi-
vidualité des enfants et son rôle dans l'éducation 50
BOUGEE (G.), directeur adjoint de l'Ecole normale Supérieure. — Les Idées
égalitaires, 3*^ éd 20
— Essais sur le régime des castes, 2*^ éd.(Travauxde l'Année Sociologique). 30
BOURDON (B.). — L'Intelligence 30
BOUTROUX (E.), de l'Académie française. — Etudes d'Histoire de la Phi-
losophie, 5^ éd 35
— Nouvelles études d'Histoire de la Philosophie 25
BOZZANO (E.). — Les Phénomènes de hantise, trad. de l'italien par G. de
Vesme, préface du Dr J. Maxwell. . 2"^ éd ". 25
ÇROCHARD (V.), de l'Institut, - De l'Errewr, 3« éd. . . . , 2?
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BRUNSCHVICG (L.). de l'Institut, — Les Etapes de la philosophie ma-
thématique, 3^' éd 60 »
■^ L'Expérience humaine et la causalité physique 50 »
— Spinoza et ses contemporains, 3^ éd 35 »
— Le Progrès de la Conscience dans la philosophie occidentale, 2 vol.,
ensemble 75 »
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de H. J. Watt, de Messer et de Buhler 15 »
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BUSCO (P.). — Les Cosmogonies modernes et la théorie de la connais-
sance 50 »
CARRÉ (j. R.). — Philosophie de Fontenelle ou le sourire de la raison . 70 »
CARTAULT (A.). — Les Sentiments généreux 20 »
•^ L'Intellectuel, étude psychologique et morale 20 »
CELLERIER ET DUGAS. - L'Année pédagogique, 3 années : 191 I -1 3.
3 vol., chacun 25 »
CHASLIN (Ph.). — Essai sur le mécanisme psychologique des opéra-
tions de la mathématique pure 30 »
CHIDE (A.). — Le Mobilisme moderne 20 »
COSTE (Ad.). — L'expérience des peuples et les prévisions qu'elle
autorise 30 »
CREPIEUX-JAMIN.— L'Ecriture et le caractère, 9« éd. revue et augmen-
tée, avec 232 figures 40 »
CRESSON (A.). — La morale de la raison théorique 20 »
CZARNOWSKl (S.). — Le Culte des héros et ses conditions sociales,
Saint-Patrick, héros national de l'Irlande, préface de H. Hubert 30 »
DAVY (G.), doyen de la Faculté des Lettres de Dijon. — La Foi jurée. 30 »
-^ Sociologues d'hier et d'aujourd'hui 40 »
DEJEAN (R.). — L'émotion 35 .>
DELACROIX (H.), doyen de la Faculté des Lettres de Paris. — La Psycho-
logie de Stendhal 25 »
— Le langage et la pensée, 2^ éd . revue 60 »
— Psychologie de l'Art 50 »
— La Religion et la Foi 50 »
DELBOS (V.). — La philosophie pratique de Kant, 2« éd 80 »
DELMAS (D'"F.-A.). — Psychologie pathologique du suicide 30 »
DELVOLVÉ (J .). — La Technique éducative 35 »
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DIDE (Dr M.). — Les émotions et la guerre 20 »
DRAGHICESCO (D.). — La réalité de l'esprit, essai de sociologie subjective 25 »
— Vérité et révélation, t . 1 40 »
DUGAS (L.). — L'Amitié antique, 2® éd. refondue 20 »
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DURKHEIM(E.). — L'Education morale 35 »
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FAUCONNET (A). — L'Esthétique de Schopenhauer 25 »
FAUCONNET (P.). — La Responsabilité, étude de Sociologie 40 »
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sur l'Expérience, 3*^ ed ._ ^
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— Esquisse d'une interprétation du monde, 2' éd
— Le Mouvement idéaliste et la réaction contre la science positive, 5'=éd.
— Psychologie du peuple français, 8"^ éd
— Esquisse psychologique des peuples européens, 8"-' éd
— Le mouvement positiviste et la conception sociologique du monde,
4« éd ^.
— Les éléments sociologiques de la morale, 3*^^ éd
— Le Socialisme et la sociologie réformiste, 4*^ éd
— La démocratie politique et sociale en France, 3*^ éd
— La France au point de vue moral, 1"^ éd
— Le moralisme de Kant et l'amoralisme contemporain, y éd....
FREUD (S.). — La Science des rêves, trad. par 1. M^verson
FRUTIGER (P.). — Les Mythes de Platon
FULLIQUET. — Essai sur l'obligation morale
GENTILE (G.). — L'Esprit, acte pur, trad. A. Lion
GERARD-VARET, recteur de l'Académie de Rennes. — L'Ignorance et
l'irréflexion
GRAMONT-LE:)PARRE (A. de) — Ess^i sur le sentiment esthétique.
GR.AMDJEAN (F.) — La Raison et la Vue... _.
GRANET (M.). — Danses et légendes de la Chine ancienne (Travaux de
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GUEROULT (M.). — La philosophie transcendantale de Salomon
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— L'Art au point de vue sociologique, 15"^ éd
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— Les Problèmes de l'esthétique contemporaine, 12'-' éd
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GUY-GRAND et divers. — La Renaissance religieuse
HALBW.ACHS (M.). — Les Cadres sociaux de la mémoire (Travaux de
l'Année Sociologique)
— Les causes du suicide
H.ALEVY (E.). — La Formation du radicalisme philosophique en
Angleterre, 3 vol.
T. l. — La Jeunesse de Bentham
T. II. — L'Evolution de la doctrine utilitaire
T. III. — Le radicalisme philosophique
H.AMELIN (0.). — Essai sur les éléments principaux de la représen-
tation, avant-propos de M. Darbon, nouvelle édition
— Le système de Descartes, publié par L. Robin, préf. de E. Durkheim,
2"^ éd. revue
HARTENBERG (Dr P;)., — Les timides et la timidité, 4« éd. ......
HEP'RRT (M.). — Le Divin, expériences et hypothèses, étude psychologique.
HERTZ (R.). — Mélanges de Sociologie Religieuse et Folklore
HEYMANS (G.). — La Psychologie des femmes, trad. par L. Le Senne,
avec une prélace du traducteur
HOFFDING (H.). — La relativité philosophique, trad. de Coussange.
— is de la Philosophie moderne, 2 vol., ensemble, 3^ éd...
— Philosophes contemporains, 3"^ éd .
HUBERT (R.) /— Les sciences sociales dans l'Encyclopédie, la philoso
ohie de l'Histoire et le problème des origines sociales
HUBERT (R.) et MAUSS (M.). — Mélanges d'histoire des religions.
INGENIEROS (I.). — Principes de psychologie biologique
JAKUBISIAK (A.). — Essai sur les limites de l'espace et du temps. . .
JANET (Paul), de l'Institut, — Histoire de la Science politique dans ses
rapports avec la morale, 5® éd. , 2 vol., ensemble 80
0
n
0
»
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jAjNKELEVirCH (V.). — L'odyssée de la conscience dans la der-
nière philosophie de Schelling 45
JASPERS (K.). — Psychopathologie générale, trad. A. Kastler et
J. MenDOUSSE, nouvelle édition 70
JEUDON (L.). — La morale de l'honneur 20
JUNG (E.). — Le principe constitutif de la nature organique 50
KARPPE (S.). — Essai de critique et d'histoire de philosophie 20
KLAGES (L.). — Les principes de la caractérologie 35
KOEHLER (W.). — L'Intelligence des Singes supérieurs trad.
P. Guillaume 50
KRZESINSKI (A.). — Une nouvelle philosophie de l'immanence.. 23
LACHELIKR (J . ). — Œuvres de Jules Lachelier, 2 vol 80
LACHIEZE-REY (P.). — Les origines cartésiennes du Dieu de Spi-
noza .' 40
— L'idéalisme kantien 60
LACOMBE (R . ). — La psychologie bergsonienne 30
L.ALANDE (A.), de l'Institut. — Les illusions évolutionnistes 50
L.ALO (Ch.). — L'expression de la vie dans l'art 35
LANDRY (A.). — Principes de morale rationnelle 20
LANDRY (L.). — La Sensibilité musicale 30
LASCARIS (P. -A.). — L'Education esthétique de l'enfant 50
LA VALETTE-MONBRUN (A. de). — Maine de Biran, critique et dis-
ciple de Pascal, d après de nombreux documents inédits 20
L'E BON (G.). — Psychologie du Socialisme, 11^ mille 30
LECHALAS (G.). — Etudes esthétiques 20
LECHARTIER (G.). — David Hume, moraliste et sociologue 20
LECLERE (A). — Essai critique sur le droit d'affirmer 20
LEENH.ARDT (H.). — La nature de la connaissance et l'erreur
initiale des théories 35
LEMARIE (O.). — Esquisse d'une philosophie 40
LE SENNE (R.). — Introduction à la Philosophie 30
— Le mensonge et le caractère 45
— Le devoir 70
LEUBA (James H.). — Psychologie du mysticisme religieux, trad de
l'anglais, par Lucien Herr 35
LEVINAS (E.). — La théorie de l'intuition dans la phénoménologie
de Husserl 30
LEVY-BRUHL (L.), de l'Institut. — La Morale et la science des mœurs
1 0*^ é d ._ ._ 35
— La Philosophie de Jacobi 20
— La Philosophie c 'Auguste Comte. 5** éd. revue 30
— Lettres de Stuart Mill à Aug. Comte 30
— Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, 8*^ éd 40
— La Mentalité primitive, 8*^ éd. revue 50
— L'Ame primitive, 3^ éd 50
— Le surnaturel et la nature dans la mentalité primitive, 3'^ éd. . 60
LODGE (sir Oliver). — La survivance humaine, étude des facultés non
encore reconnues, trad. par le Dr H. BoURDON, prétace de J. Maxwell 25
LOMBROSO (G.). — L'Homme criminel, 2^ éd , 2 vol. et atlas de 64
planches, ensemble.. , 60
— L'Homme de génie, 4*^ éd., avec 15 planches hors-texte 30
— Le Crime, causes et remèdes, 2*^ éd., illustré 30
LOMBROSO (C.) et LASCHL — Le Crime politique et les Révo-
lutions. 2 vol 40
LOSSKY (N.). — La matière, l'intuition et la vie 20
LUBAC (E.). — Les niveaux de conscience et d'inconscient et leurs
intercommunications 20
LYON (G.). — Enseignement et religion, études philosochiaues 20
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MAINE DE BIRAN. — Œuvres (voir Tisserand).
MALGAUD (W.). — Le problème logique de la Société 30 «
MAMELET (A.). *— Le relativisme chez Georges Simmel, préface de
V. DelBOS, de l'Institut 20 »
MARCERON (A.). — La Morale par l'Etat 20 »
MASSABUAU (J.)- — L'Etat contre la Nation 30 »
MAUDUIT (R.). • — Auguste Comte et la science économique 30 »
MAXWELL (J.)- """ Les phénomènes psychiques, préface de Ch. Richet,
de l'Institut, 6« éd 30 »
MEDITCH (P.). —La théorie de l'intelligence chez Schopenhauer.. 30 »
MENDOUSSE (P.). — L'Ame de l'adolescent, 4« éd 30 »
— L'Ame de l'adelescente 35 »
METZGER (H). — Newton, Stahl, Boerhaave et la doctrine chi-
mique 40 »
MEYERSON (E ). — Identité et réalité. 4"^ éd.'. 50 »
— Le cheminement de la pensée , 3 vol 1 30 »
MIGNARD (M.). — L'unité psychique et les troubles mentaux 35 »
MILHAUD (G.). — Descartes savant.... 25 »
MOCHI (Dr A.). — La connaissance scientifique 25 «
— De la connaissance à l'action 25 »
— Science et morale dans les problèmes sociaux 60 ■
MONTAGNE (R.). — Les Berbères et le Makhzen dans le sud du
Maroc. Essai sur la transformation politique des Berbères sédentaires
(groupe Chleuh) 75 »
MONTMORAND (M. de). — Psychologie des mystiques catholiques
orthodoxes 30 »
MULLER (Maurice). ■ — Individualité, causalité, indéterminisme... 25 »
NAVILLE (A.). — Classification des sciences. Les idées maîtresses des
sciences et leurs rapports, 3*^ éd 25 »
NAVILLE (E.). — Les systèmes de philosophie ou les philosophies
affirmatives 25 »
NORDAU (M.). " La biologie de l'Ethique 25 »
NOVICOW (J.). — La critique du Darwinisme social 25 »
— La Justice et l'expansion de la vie 25 »
— La morale et l'intérêt dans les rapports individuels et internatio-
naux 20 »
OLDENBERG. — Le Bouddha, trad. P. Foucher, préface de S. LÉvi, pro-
fesseur au Collège de France, 4*^ éd {sous presse)
OLTRAMARE (P.). — La religion et la vie de l'esprit 20 »
L'ORIENTATION ACTUELLE DES SCIENCES par J. Perrin.
P. Langevin, G. Urbain, L. Lapicque, C. Perez, L. Plantefol. — Intr.
de L. Brunschvicg 25 »
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— La philosophie russe contemporaine, 2*^ éd 20 »
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27« — 1926 90
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30'^ — 1929, 2 vol 120
31e — 1930, 2 vol •••• 120
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et 95 sont épuisées), chaque volume 20
PIOGER (Dr ].). — La vie et la pensée 20
— La vie sociale, la morale et le progrès 20
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QUERCY (P.). — L'haliucination ï. Philosophes et mystiques 40
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RAUH (P.). — L'Expérience morale,^ 3^ éd 20
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RENOUVIER (C), de l'Institut.^ — Le personnalisme, 2^ éd 45
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REVAULT D'ALLONNES (G.). - Psychologie d'une religion, Guil-
laume Monod (1800;1896) ^ ._ 20
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bergsonisme 20
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le bergsonisme 20
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distribution E;éos;raphique des êtres vivants 35
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problèmies sociaux 20
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VACHEROT (E.), de l'Institut. — Essais de philosophie critique.... 25 »
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de J . Pavot 15 »
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fran'"^ise et la guerre
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cinations hypnasogiques) . nouvelle édition
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BERTHELOT (R.), de l'Académie de Belgique — Science et philosophie
chez Goethe
BIANQUIS (G.). — Nietzsche en France
BLONDEL (D' C.). — La psycho-physiologie de Gall, ses idées
directrices
BOS (G.). — Psychologie de la Croyance, 2"^ éd
BOUGEE (C.). — Qu'est-ce que la Sociologie ? 6"^ éd. augmentée . . .
BOURDEAU (J.). de l'Institut. — La Philosophie affective
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pement industriel
BOUTROUX (E.), de l'Académie française. — De la contingence des lois
de la nature, 1 0*^ éd
— Des Vérités éternelles chez Descartes
BROCHER (H.). — Le mythe du héros et la mentalité primitive...
BRUNSCHVICG (L.), de l'Institut. — L'Idéalisme contemporain, 2"-' éd.
— Introduction à la vie de l'esprit, 5'-' éd
CHALMERS-MITCHELL (P.). — Le Darwinisme et la guerre, trad.
D. SOLOVINE, préface de E. BoUTROUX, de l'Académie française
CHOISNARD (P.). — Les probabilités en science d'observation
COIGNET(C.).— L'Evolution du protestantisme français auXIX' siècle
COMBES (R . ). Histoire de la biologie végétale en France
CONDILL.AC. — Traité des sensations, introduction par Georges Lyon,
recteur de l'Université de Lille, nouvelle édition
CRESSON (A.). — Les Réactions intellectuelles élémentaires
DANVILLE (G.). — Psychologie de l'amour, 9*^ éd
DAVY (G.), doyen de la Faculté des Lettres de Dijon. — Le Droit, l'Idéa-
lisme et, l'Expérience (Travaux de l'Année Sociologique)
DELVOLVÉ (J.). — L'Organisation de la conscience morale
DESCARTES. — Discours sur la méthode
DIDE (Dr M.). — Les idéalistes passionnés
DIDE (M.) et JUPPONT (M.). -> La Métaphysique scientifique
D0NTCHEF-DELEU2E (Mme). — L'Image et les réflexes condition-
nels, dans les travaux de Pavlov, préface de G. BoHN
DOROLLE (M.). — Les problèmes de l'Induction, prêt, de A. Lalande
DUGAS (L.). — Les grands timides
— Les timides dans la littérature et l'art
DURKHEIM (E.). — Education et sociologie, intr. de P. Fauconnet.
— Les règles de la méthode sociologique, 8'^ éd
— Sociologie et Philosophie, préface de C. BouGLÉ
DWELSHAUVERS (G.). — Les Mécanismes subconscients
EICHTHAL (E. d'), de l'Institut. — Du rôle de la mémoire, dans nos con-
ceptions métaphysiques, esthétiques, passionnelles, actives
ESTEVE (L.). — Une nouvelle psychologie de l'Impérialisme,
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FOUILLÉE (A.). — Humanitaires et libertaires
— La propriété sociale et la démocratie
GAUL'TIER (J. de). — La philosophie officielle
GELEY (Dr G.). — L'Etre subconscient, 5'^ éd
GIRAN (P.). — Les origines de la pensée
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de l'Académie française, b*'' éd 10 »
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sommaires analytiques et un lexique par R. ThamIN, de l'Institut, 5'^ éd. 9 »
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LACOMBE (R.). — La méthode sociologique de Durkheim 10 »
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LALO(Ch.). — L'art et la morale. 2« éd 12 »
LANESSAN (J.-L. de). — L'Idéal moral du matérialisme et la guerre. 10 >•
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peuples, 18*^ éd 12 »
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LENOIR (R.). — Les historiens de l'esprit humain 12 )
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LEVY (Em.). — Les fondements du droit 15 »
LICHTENBERGER (H.). — La philosophie de Nietzsche, suivie d'apho-
rismes et morceaux choisis, 12'^ éd -^0 »
LODGE (sir Oliver). — La vie et la matière, trad. J. Maxwell, 4^ éd.. 8 «
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MAMELET (A.). — L'Idée positive de la moralité devant la critique
philosophique 12 »
MAUNIER (R.). — Essais sur les groupements sociaux 12 »
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METZGER (H.). — Les concepts scientifiques, préface de A. Lalande.
de l'Institut 12 »
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tude logique, 4^ éd 12 »
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NICOLLE (Ch.). — Biologie de l'invention 15 »
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OSTWALD (W.). — Esquisse d'une philosophie des Sciences, traducteur
M. DOROLLE _ 10 »
PACOTTE (J.). — La pensée mathématique contemporaine 12 »
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sique) 15 »
PALHORIES (F.). — L'héritage delà pensée antique 15 »
PAPILLAULT (Dr). — Science française et scolastique allemande.. 10 »
PARISOT (E.) et MARTIN (E.). — Les postulats de la pédagogie 10 »
PARODI (D.), inspecteur général de l'Instruction publique. — Les bases
psychologiques de la vie morale 15 »
PAULHAN (Fr.). — Psychologie de l'invention, 4« éd 10 »
— La fonction de la mémoire et le souvenir affectif 15 »
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tales chez les écoliers, 4*^ éd 12
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PIOGER (Dr). — Le monde physique, essai de conception expérimentale. . 10
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RADHAKRISHNAN (S.). — L'hindouisme et la vie, trad. P. Masson-
OURSEL 12
RASMUSSEN (V.). — La psychologie de l'enfant (l'enfant de 4 à 7 ans).
trad. du danois par Mme Cornet, préface de H. HoFFDiNG, avec figures. 18
RAVAISSON. — De l'habitude 12
RENARD (G.). — Le régime socialiste, 7"^ éd 12
RIBOT (Th.), de l'Institut. — Les maladies de la mémoire, 28^ éd 12
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RICHET (Ch.) de l'Institut. — Essai de psychologie générale, 1 1*^ éd. 12
RIDEAU (E.). — Le Dieu de Bergson.... 12
RILEY (W.). — Le génie américain, trad. de l'anglais par E. Renoir, préface
de H. Bergson, de l'Académie française 15
ROBERTY (E. de). — Les concepts delà raison et les lois de l'univers ' 10
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— Un m ouvemsnt mystique contemporain, le réveil religieux au pays de
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ROISEL. — De la substance 10
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ROUGIER (L.). — La structure des théories déductives 15
RUSSELL (B.). — Les problèmes de la philosophie, trad. de lang'ais par
Mlle J.-F. Renauld 12
SCH0PENH.4UER. — Essai sur le libre arbitre, trad. par S. Reinach,
de l'Institut, 13*^ éd '. 12
— Fondement de la morale, trad. A. Burdeau, 11*^ éd 12
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SÉAILLES (G.). — L'origine et les destinées de l'art ' 12
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SECOND (J.). — La prière, étude de psychologie religieuse, 2*^ éd. entiè- 12
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SERRUS (Ch.). — L'Esthétique transcendantale et la science moderne. 1 0
' — La méthode de Descartes et son application à la métaphysique 1 2
SOLLIER (Dr P.). — La répression mentale 13
SOURIAU (P.). — L'entraînement au courage 10
SPENCER (H.). — Classification des sciences. 11' éd 12
STUART-MILL. - L'Utilitarisme, 10^ éd 12
SULLY-PRUDHOMME. — Psychologie du libre-arbitre 10
SWIFT. — L'éternel conflit .•••.••■; 10
TARDE (G.), de l'Institut. — La criminalité comparée, 8'^ éd 12
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TASSY. — L'activité psychique 10
TRUC (G.). — Les Sacrements, nouvel essai de psychologie religievise, 2*^ éd ■ 10
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Professeur à l'Université de Cambridge
MORCEAUX CHO SIS DES PENSEURS FRANÇAIS DU XV* AU XIX^ SIÈCLE
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FILLIAÏRE (Ch.). — La philosophie de Saint Anselme, in-8 18 fr.
GUYAU (J.-]\I.). — La Morale d'Epicure, in-S 20 fr.
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IIAMELIN (0.). — Le Système d'Aristote, 2*^ éd. revue, in-8 50 fr.
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KANT (E.). — Critique de la raison pure, in-8 50 fr.
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siècle, in-S 25 fr.
LASBAX (E.). — La philosophie dans l'Afrique du Nord et l'histoire
de l'esprit africain, in-8 8 fr.
LEIBNIZ. — Voir COUTURAT.
LÉVY (A.). — David-Frédéric Strauss. La vie et l'œuvre, in-8 10 fr.
NAMER (E.). — Les aspects de Dieu dans la philosophie de Giordano
Bruno, in-8 15 fr.
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Pascal, in-16 G fr.
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rapports avec la philosophie de Kant, in-8 12 fr.
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dans la philosophie grecque depuis les origines jusqu'à Théo-
phraste, in-8 18 fr.
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SABRIÉ (J.-B.). — De l'humanisme au rationalisme, Pierre Charron,
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SEILLIÈRE (E.). — La morale de Dumas fils, in-lG 14 fr.
— George Sand, Mystique de la passion, de la politique et de l'art,
in-16 14 fr.
SCHIMBERG (A.). — Les fragments philosophiques de Royer-
CoUard, in-8 10 fr.
SIWEK (P.). — La psychophysique humaine d'après Aristote, in-8. 30 fr.
• — L'âme et le corps d'après Spinoza, in-8 25 fr.
SOULHIÉ (J.). — La notion platonicienne d'intermédiaire dans la
philosophie des dialogues, in-8 10 fr.
STEFANESCU (M.). — Essai sur le rapport entre le dualisme et le
théisme de Kant, in-8 6 fi
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Kant, in-8 , 10 fr.
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VOCABULAIRE TECHNIiJUE et CRITIQUE DE LA PHILOSOPHIE
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Première partie : xvii' et xviif siècles 40 fr.
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2. — Période Hellénistique et Romaine 20 f r.
3. — Moyen Age et Renaissance 20 fr.
Tome II
1. — Le dix-septième siècle 20 fr.
2. — Le dix-huitième siècle 20 fr.
3. — Le XIX* siècle, période des systèmes (1800-1850) 25 fr.
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BOZZANO (E.). — Les Phénomènes de Hantise, 1 vol. in-8" 25 fr.
CAILLIET (E.). — La Prohibition de l'Occulte, 1 vol. in-16 15 fr.
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l'Homme, 1 vol. in-KÎ 10 fr.
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Psychologie Astrale destiné à l'Interprétation, 1 vol. in-S° 12 fr.
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minisme du sexe et l' intersexua-
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LESPIEAU (R.). — La Molécule chi-
mique.
LOEB (J.). — La Conception méca-
nique de la vie.
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loïdaux.
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que moderne et les grands travaux.
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Danïec, P. Delbet, Th. Ribot, E.
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Deuxième Série par E. Borel, B.
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R. Zeiller, L. Blarint.hem, S. Rei-
XACH, G. Lansox, L. March, a. Meil-
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XICOLLE (Ch.). — Nais,sance, vie et
mort des maladies infectieuses.
OSTWALD (W.). — L'Energie.
PAIXLEVE (P.), BOREL (E.) et
MAURIX (E.). — L'Aviation.
PERRIX (.J.). — Les Atomes.
PETROVITCH (M.). — Mécanismes
communs aux phénomènes dispa-
rates.
RICHET (Ch.). — L'Anaphylaxîe.
ROSXY (J.-H.), — Les Sciences et le
pluralisme.
RO THE (Ed.). — Les Tremblements
de terre.
ROUCTI (J.). — Les Méthodes de
prévision du temps.
— Les Régions polaires.
SAGERET (J.). — La Révolution
philosophique et la science.
STORMER (C). — De l'Espace à
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SODDY (F.). — Le Radium.
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Vol. VII. — La Fin du Moyen rope et la Révolution américaine;
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collaboration de M. Handelsman. T- triomphe de l'idée nationale (1860-
1, La Désagrégation du Monde médie- 1878) ; XVIII. Le mouvement indus-
val (1285-1453) 60 fr. triel et l'impérialisme colonial (1878-
ï. 2. L' Annonce des temps nou- 1904) ; XIX. La crise européenne et
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PRAVIEL (Armand). — Madame de Montespan, empoisonnense. __^
LES QUARANTE
Collection publiée sous la direction de Jacques des GACHONS
Fauteuil 7. — *Henri Bergson, par Jacques Chevalier.
Fauteuil 8. — *Mgr Baudril'art, par René Johannet.
Fauteuil 12. — Prançois de Ourel, i)ar Gilbert de Voisins.
Fauteuil lo. ■ — Albert Besnard, par Jean-Louis Vaudoyer.
Fauteuil 20. — Henry Bordeaux, par Pierre Benoit.
Fauteuil 21. — • Edouard Estaunié, jjar Daniel Rops.
Fauteuil 25. — *Maurice Donnay, par Henry Duvernois.
Fauteuil 27. — Duc de La Force, par J. de Pesquidoux.
Fauteuil 30. — René Bazin, par François Mauriac.
Fauteuil 32. — *Pierre de Noihac, par Maurice Levaillant.
Fauteuil 33. — Paul Bourget, par Francis Carco.
Fauteuil 34. — "Raymond Poincaré, par Maurice Reclus.
Fauteuil 35. — • *Le Maréchal Joffre, par René Benjamin.
Fauteuil 38. — *Paul Valéry, par Valéry Larbaud.
Chaque volume in-S° écu sur vélin bibliophile, avec des pages inédites,
un portrait de l'Académicien et l'histoire du fauteuil 25 fr.
150 exemplaires sur Hollande, numérotés 75 fr.
15 exemplaires sur Hollande, numérotés, signés par l'Académicien et
les Auteurs 150 fr.
Les ouvrages marqués d'un astérisque existent seulement stir Hollande à 75 fr.
ESSAIS DE MICHEL DE MONTAIGNE
Nouvelle édition conforme au texte de l'exemplaire de Bordeaux
par Pierre VILLE Y
3 vol. in-16, chaque 20 fr.
Edition de luxe à tirage limité, en 3 vol. in-8" carré sur pur fil Lafuma
3 vol 350 fr.
Prospectus spécimen sur demande
POUR LES ENFANTS^
COI.I.ECTION BENJA3MIN
JABOUNE et CHAPOULET. — Les jumeaux as. Illustré par J. Erik.
BILBOQUET. — Mes souvenirs. Illustré par J.-P. Pinchon.
MARTHE FIEL. — L'étonnante journée. Illustré par J.-J. Roussau.
— Suzette et la vérité. Illustré par J.-J. Roussau.
VICTOR FORBIN. — Le Mystère de l'Ile Z. Illustré par Jean Routier
JACQUES DES GACHONS. — Jeantite et Mizo. Illustré par Félix T<or'otix
PH. NOORT. — I/Oule du Diable. Illustré par Ch. Naurac et J.-J. Roussvu
CLAUDE SYLVAIN. — Alcindor et BouUot. Illustré par Jaccpies Nam.
Chaque volume sous couverture en eouleui's. 8 fr. Relié toile bleue 12 fr..
AI.BVMS
Ardant le Chevelu. Album en couleurs au pochoir, par JEAN VEBER. 15 fr
Histoires à raconter. Album en couleurs de JACQUES TOUCHET. 8 fr!
— 22 —
LES aiAITRES DE LA MUSIQUE
Collection publiée sous la direction de Jean CHANTAVOINE
Secrétaire général du Conservatoire National de Musique
ALBENIZ et GRANADOS, par H.
COLLET.
BACH, par A. PIRRO.
•BEETHOVEN, par Jean CHANTA-
VOINE.
BERLIOZ, par P.-M. MASSON.
BIZET, par P. LANDORMY.
BRAHMS, par P. LANDORMY.
CÉSAR FRANCK, par VINCENT
D'INDY.
•CHOPIN, par H. BIDOU.
LES COUPERIN, par Julien TIER-
SOT.
Les Créateurs de l'Opéra français,
par J.-L. DE LA LAURENCIE.
Un demi-siècle de Musiç[ue française
(1871-1920), par J. TIERSOT."
•FAURÉ, par R. KŒCHLIN.
GOUNOD, par C. BELLAIGUE.
*GRIEG, par P. DE STŒCKLIN.
H^NDEL, par ROMAIN ROL-
LAND.
•LISZT, par J. CHANTAVOINE.
LULLY, par L. DE LA LAUREN-
CIE.
*MASSENET, par R. BRANCOUR.
MENDELSSOHN, par C. BELLAI-
GUE.
MEYERBEER, par L. DAURIAC.
MONTEVERDI, par H. PRUNIE-
RES.
MOZART, par H. DE CURZON.
ORLANDE DE LASSUS, par Ch.
VAN DEN BORREN.
PALESTRINA, par M. BRENET.
PURCELL, par H. DUPRE.
RAMEAU, par L. LALOY.
ROSSINI, par H. DE CURZON.
J.-J. ROUSSEAU, par J. TIERSOT.
SAINT-SAENS, par G. SERVIE-
RES.
SCHUBERT, par T. GEROLD.
SCHUMANN, par V. BASCH.
SCHUTZ, par A. PIRRO.
Trouvères et Troubadours, par P.
AUBRY.
VERDI, par A. BONAVENTURA.
WAGNER, par H. LICHTENBER-
GER.
WEBER, par A. CŒUROY.
Chaque volume in-8° écu (13x20) 12 fr.
Les volumes marqués d'un astérisque sont à 15 fr.
NOUVELLE SÉRIE
Publiée sous la direction de LÉox VALLAS
CORELLI, par Marc PINCHERLE, 1 vol. in-8° écu 15 fr.
L'interprétation de la musique française (de Lully à la Révolution),
par Eugène BORREL {Sous presse.)
LIVRES SUR LA MUSIOUE
ALEXANDRE (A.). — Les Années
de Captivité de Beethoven. {Pré-
face de Robert de Fiers, de l'Aca-
démie française.) In-S° écu. 15 fr.
BASCH (Victor). — La Vie doulou-
reuse de Schumann. Avec 4 plan-
ches hors texte, in-S" écu . . 15 fr.
GODET (R.). — En marge de Boris
Godounov. (Notes sur les docu-
ments iconographiques de l'édition
Chester), 2 vol. in-8° écu. Chaque
volume 20 fr.
LANDRY (L.). — La Sensibilité
musicale. Ses éléments, sa forma-
tion. Nouvelle édition, in-8°. 30 fr.
LICHTENBERGER (H.). — Richard
Wagner, poète et penseur. Nouvelle
édition augmentée, gr. in-8°. 60 fr.
LISZT (Fr.). — Pages romantiques,
publiées avec une introduction et
des notes, par Jean Chantavoine,
in-16 S fr.
NEWMARCH (R.). — L'Opéra
russe, in-8° écu 14 fr.
TIERSOT (J.). — La Musique aux
temps romantiques, avec 12 plan-
ches hors texte, in-8° écu. 20 fr.
VALLAS (L.). — Claude Debussy et
son temps. 400 pages de texte, 90
pages de musique gravée, 16 plan-
ches hors texte. Portrait en couleurs
par Marcel Baschet, in-4'', 75 fr.
— 23 —
TABLE DES COLLECTIONS
bibliothèque de Pliilosopliie Contem-
poraine 2 à 11
Bibliothèque de Psvchologie de
l 'Enfant ' 13
Collection Benjamin 21
Collection Historique des Girands
Philosophes 1-i
Collection des Principaux Economis-
tes 20
Les Enigmes de l 'Histoire 21
Les Grands Philosoplies 12
Graphologie 1(5
Histoire de la Philosophie 15
Les Maîtres de la Musique 22
Médecine 18
Métapsyehique 1<3
Nouvelle Bibliothèque Economique.
Nouvelle Collection Scientifique . . .
Occultisme
Peuples et Civilisations
Philosophes et Savants français du
XX* siècle
Les Quarante
Les Questions du Temps présent . .
Kéformateurs sociaux
Les Religions
Sexologie
Textes et traductions pour servir à
l'histoire de la pensée moderne.
Les Vade-Mecum du Chef d'Entre-
prise
20
17
10
ly
25
20
1?>
13
18
20
TABLE ALPHABETIQUE DES AUTEURS
Ponr la BIBLIOTHÈQUE DE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE,
se reporter aux pages 2 « 8 pour le format in-S° et aux pages 8 à 11 pour le
petit format.
BuYSE (voir De-
croly)
Abramowski ....
AcHE (voir Helle)
Albertini
Alexandre
Alexandee-Bisson
Antoine
Appell
AUBRY
16
20
19
22
10
20
17
Bac 21
Baruzi 2,12,14
Basch 2,22
Bastide 20
Bellaigue 22
Benjamin 21
Benoit 21
Bernard 17
BiDOU 22
Bilboquet 21
BiNET 18
Bise li
Blondel (Ch.) ... 18
Blondel (Ch.) . . . 9,18
Bonaventura .... 22
Bonnier 17,18
Boirac 2,16
Borel 17
Borrel 20,22
Boubier 17
Bouclé 2,9,13
BouiN 18
Boulgakoff 13
Boutaric 17
BOZZANO 16
Brachet 17
Brancol'r 22
Bréhiek 12,15
Brenet 22
Broyard 20
Bruiiat 17
Brunhes 19
Bruno rc
Hrissox 13
Caillet 16
Cambo 20
Campbell 17
Cargo 21
Cerfbeer de Me-
delsheim 20
Césalpin
Chantavoine 22
Chapoulet (voir
Jaboune) 21
Charléty 13
Chevalier 14,21
Choisnard 9,16
Domet de Vorges. 12
Dubreuil 20
Dumas 15,17
Du POTET
DUPRÉ
DUVERNOIS
16
22
21
Chois Y
Cœuroy
Collet
cornillier
Couailhac
couchoud
Courcelle-Seneuil
couturat
Crépieux- Jamin . .
CUÉNOT
Curie
CURZON
CUSA
Dante
Danville 9,16
16
22
22
16
12
12
20
14
3,16
18
17
22
12
12
Ellis 18
essertier 3,12
Pano 17
Faugères-Bishop .. 18
Fiel 21
PlLLIATRE 14
FiNOT 3,18
FlOLLE 17
FONTENELLE 12
FORBIN 21
Freud 4,16,18
Fribourg-Blanc
(voir Rodiet). 18
Des Gâchons 21
GÈLEY 9,16
17
oo
Darwin
Dauriac .
Debidour .
Decroly . .
Dedieu . . .
De Man . .
Deschamps
Desgrez . .
Dhanys . .
l'iNA . . . , ,
18
22
19
13
12
20
18
18
21
16
Germain
Gérold
GiRAUD
Godet
Goldschmidt ....
Gordon (voir Thom-
son)
Goyau
Guillaume
Guillet
Guyau 4,14
Guyot 19
21
22
17,18
18
13
13
1'
Haddon 19
Halbron 18
halbv7achs 4,20
Halévy 4,13,14
Halphen , 19
- 'U -
nAMELIN 4,14
IIarsin -"
Hauseu 19
Helle 20
Hendekso.v 10
héritier 21
Hesnard (0.^ 14
Hesnard (A.) (voir
RÉGIS) 10,18
HUAN 14
HUMB 14
Ingenieros 4
James 1?>
Jaboune 21
Jakkéléviïcii .... 12
Jennings 17
johanneï , 21
JUVET 17
Kant 14
Kephren 1()
Klages IG
koechlin 22
Labbé 17
Lalande 15
La Laurexcie .... 22
Laloy 22
Landormy 22
Landry (B.) 12,14
Landry (L.) 22
Lande 16
Lanson 13
Larbaud 21
Lasbax 14
Lecanuet 19
Leclerc du Sablon 17
Lefebvre 19
Lefort 20
Leroy 13
Lespieau 17
LÉvi 16
Levailant 21
LÉYY (A.) 14
LÉVY (L.-(T.) 12
Lichtenbeugek . . . 10,22
Liszt 22
LoDOE 5,10,16
LOEB
LOUTCHITCII 20
LUQUET 13
Machiavel 12
Mackenzie 18
Malaparte 20
Mamelet 5,10
Man (de) 20
March 20
Marchis 17
Marcotte 17
Martin (.1.) 12
Masson 22
Mauduit 5,20
Maukiai. ......... 2\
Maxv.'Ei.:, O.li".
Mknari) 16
Méquet 20
Metchnikuh' .... 17-lS
Méthode dans les
Sciences 17
Metz 17
Metzger ÇS[.) .... IS
MiLLIKA.V 17
MlTZAKI.S 20
MONOD 13
MONTAIfi.NE 21
Montandon' 16
IMOREAU 21
MORAX 18
MORINI-Co.MBV ... 20
Namer 14
NEDELKOvrrcii ... 14
Newmaiu'U 22
NicoLT.i: 10,17,18
Noort 21
OST WALD 10,17
OSTY 0,16
Painlevé 17
Palhouies 10,l;i,l4
Paul-Boxcour ... 13
Perrin 17
Pesquidoux ...... 21
Petrovitcii 17
Philip 20
Piaget 13
Put 6,12
Petrarqi^e 12
PiGANIOL 19
PlNCHERLE 22
PiREXNE 19
PiRRO 22
Poirier 12
Poissox 13
Praviel 21
Premières civili-
sations 19
Priok 13
Prunières 22
Quartara 18
Eathery (voir Des-
GREZ) 18
Reclus 21
RÉGIS 18
Renaudet (voir
Hauser) 19
Eévolutiox fran-
çaise 19
Riciiet 7,11,10,17
Rivaud 14
Robin 14
Rodiet 18
rodriguf-k 7
ROGUES DE FuRSAC. 11,18
til>l.l,AS[i
KOPK . . ,
RosxY . .
llOTUÉ . .
Roucir .
Rougi ER
KoussKi,
KOY
ROYDEN .
KUTOT . .
RUYSSt.N
SAim/?,
Sagnao
Sagekkv , . , ,
Saiiuqi:é . . , .
Sanonif.k ...
SCHIMHKKt. . .
SCHO]'E.NH vCK!
SEII.Llf i;t: ...
SERTILL.Wi.h.S
Servi fuKs . .
SlMIANI. . . . .
SlVl'EK
SODDY
SOLLIEK . . . .
solovine ...
soulii i k ....
Stepanescu .
Stœcklin ...
Stormer ...
Strowski . .
Sylvain ....
szilassy . . .
Tassy . . .
Thomas .
Thomson
Tiersot .
touciiet .
Toussa L\T
Vallas
Vallaux
Van Bié.ma
Van den Borren ..
Vandervelue . . . .
Varigny
Vauban
Vaudoyer
Veber
Vernad.sky
Villey
ViNCHON (voir Des-
champs)
Voisins
Wagemann
Wallon
Warburg
Warcollieii
Wayneaitm
Weill (Ct.)
Weill (.J.)
WiLBOIS
WiLLIA.MS
22
21
17
17
17
11
19
20
18
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7,12
14
19
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17
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13
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21
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19
13
20
18
PUF. - PARI.s. 5.33.
0NOING SECT. :EC 2 1 t96f
HC Lanessan, Jean Marie
547 Antoine de, 1843-1919
T8L3 La Tunisie,
1917 2. éd., rev. et
mise à jour.
A. Alcan (1917)
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