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K/:^
P BIBLIOTHEQUE
Ed. bonnet, q. m. p.
JÙT
LA VIE ARABE
ET LA
^ . ^
SOCIETE MUSULMANE
MICHEL LÉVT JRËRES, ÉDITEUltS
OUYI^AGES
bv
GÉNÉRAL E. DAUMAS
Format in-8*.
Les Chevaux do Sahara et les Moeurs du
Désert 1 vol.
Format grand ln-18.
Les Chevaux du Sahara et les Moeurs du Dé-
sert, 4« édition, revne el augmentée, avec des commen-
taires, par Yémir Abd-el-Kader 1 vol.
Le Grand Désert, en collaboration ayoc M. Ansone do
Chance!, 6« édition 1 —
CWthj. — Imp. M. LoirsHOif, P. IKpdm et C>e, ran du Rac-d'Aïuièret, là.
LA
VIE ARABE
ET LA
r r
SOCIETE MUSULMANE
pAn
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LE GENERAL E. DAUMAS
ANCIEN DIRECTEUR DES AFFAIRES ARABES E?f ALGitRIE
AlfClEN DIRECTEUR DES AFFAIRES DE L'ALGÉRIE
AU MINISTÈRE DE LA GUERRE
PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS
SUE TIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 1.%
A LA LIBKAIIUB NOUVELLE
1869
Droits de reproduction et do traduction réservée
AVANT-PROPOS
Après avoir publié plusieurs ouvrages sur
l'Algérie, ouvrages dans lesquels je m'étais pro-
posé de faire connaître un peuple si différent du
portrait que l'opinion s'en était formée, je vou-
drais encore faire un livre qui réunit les trois
conditions suivantes :
1"* D'arriver à ce résultat, qu'en apprenant
l'arabe, on apprenne, en même temps, pour ne
pas les froisser sans nécessité, la religion, les
mœurs, les coutumes et même les préjugés du
peuple vaincu.
Montesquieu a dit [Esprit des lois, livre X,
chapitre xi) :
« Dans les conquêtes, il ne suffit pas de lais-
ser à la nation vaincue ses lois : il est peut-
être plus nécessaire de lui laisser ses mœurs.
Il AVANT-PROPOS
parce qu'un peuple connaît, aime et défend
toujours plus ses mœurs que ses lois. »
2o De contribuer, ne fût ce que pour une faible
part, à vulgariser, je ne dis pas l'arabe écrit,
mais Tarabe parlé suivant le génie spécial de la
langue, c'est-à-dire avec des idées arabes et non
avec des idées françaises exprimées par des
mots arabes.
8® Et enfin d'être ainsi utile à notre armée,
aux magistrats, aux administrateurs, aux colons,
aux commerçants, aux voyageurs, aux explora-
teurs, à tous ceux qui. Français ou non, peuvent
se trouver en rapport avec la société musulmane.
La langue arabe est composée de phrases toutes
faites, de formules consacrées, de proverbes et
de sentences dans lesquels le nom de Dieu joue
toujours un très-grand rôle et qui ne sont, en
définitive, que l'habillement des mœurs natio-
nales. Ces formules, je vais essayer de les faire
connaître. Tout le monde les sait ; il nous faut
donc les savoir pour en tirer parti dans l'intérêt
même de notre domination, ou vivre à jamais
avec les Arabes, côte à côte, ennemis, étrangers,
inconnus.
Sans la connaissance complète du peuple qu'on
a la prétention non-seulement de gouverner,
AVANT-PROPOS m
mais encore d'administrer, on n'arrivera que
très-difficilement, suivant moi, à un système
qui permette de résoudre cette redoutable ques-
tion de l'Algérie.
Pourquoi? parce que, sans le vouloir, et
même avec les meilleures intentions du monde,
on est alors fatalement conduit à commettre
de ces fautes contre la religion et contre les
mœurs que les vaincus ne pardonnent jamais.
Le livre que j'annonce, je ne l'ai pas trouvé
dans d'autres livres, mais je l'ai rencontré sous
les pas de mon cheval, pendant mon long
séjour en Afrique, fragment par fragment, tan-
tôt sous la tente, tantôt sous le gourbi ; un jour
assis sur la natte du pauvre, un autre sur les
tapis du riche. Je pourrais presque dire qu'il a
été fait en collaboration avec le peuple arabe
tout entier.
Je l'offre à l'armée.
Qaï E. Daumas.
PRONONCIATION APPROXIMATIVE
EN FRANÇAIS
DES LETTRES ET DES MOTS ARABES
L'alphabet arabe se compose de vingt-huit lettres:
voici :
les
Alif.
Ba.
Ta.
Tsa.
Djim.
Hha.
Kha.
Dal.
Dzal.
Ra.
Zine.
Sine.
Chine.
Sad.
I
z
z
Dad.
(>
Tha.
\0
Dha.
là
Aalne.
t
Chine.
^0
m
t
Fa.
•
Kaf.
•
(3
Kaf.
d
Lam.
J
Mime.
r
Noun.
1
Ha.
^
Ouaou.
^
Ya.
^
VI LA VIE ARABE
Sur ces vingt-huit lettres, cinq seulement représentent
des sons que nous ne pouvons obtenir avec les lettres de
Talphabet français.
Le 9» hha.
Le ^ kha.
Le ^ aaïne.
Le ^ ghine.
Et le (3 kaf.
Bien qu'aucun système de transcription ne puisse être
rigoureusement exact, les signes de convention suivants
feront reconnattre ces cinq lettres et indiqueront, si Ton
observe exactement mes prescriptions, comment il faut faire
pour arriver à les prononcer de manière à être compris fies
Arabes.
LE ^ HHA
Toutes les fois que, dans un mot arabe, au commencement,
au milieu ou à la un, on trouvera pour signe de convention
deux hh, il faut les faire sortir du fond du gosier par une
expiration prolongée et en ouvrant la bouche, comme si, en
français, il y avait deux Aft dans le mot hommage.
Exemples :
Commencement 4u mot. hhadid^ fer.
Milieu du mot nehheb^ j'aime.
Fin du mot sebahh^ matin.
Maintenant, n'allez pas confondre le hha ^^ deux hh,
avec le /la ^ , une seule h. Cette dernière lettre, il faut la
prononcer tout simplement comme notre h aspirée : héros,
haine.
PRONONCIATION APPROXIMATIVE m
Exemples :
Commencement du mot. hiya^ elle.
Milieu du mot kakoua^ café.
Fin du mot Allah^ Dieu.
On a, je le sais, montré souvent de la répugnance pour les
lettres redoublées. Je me permets de ne pas être de cet avis.
Suivant moi, leur secours est indispensable dans l'arabe
parlé, notamment pour reproduire en français le ^ , kha^
et le ^ , aaïne.
Exemples :
Ihheb ouldou, ^yec deux AA, cela veut dire : il aime son
enfant.
Iheb ouldoUy avec une seule A, cela voudrait dire: il
souffle son enfant.
El aamer, avec deux aa^ cela veut dire : la vie.
£1 amery avec un seul a, cela veut dire : Tordre.
En voilà assez sur ce sujet inépuisable.
LE ^ KHA
Toutes les fois que dans un mot, au commencement, au
milieu ou à la fin, vous trouverez le signe de convention kh^
pour arriver à prononcer cette lettre, faites une expiration
accentuée, brève, accompagnée d'un raclement de gosier,
comme si vous vouliez cracher pour en expulser un corps
étranger; vous obtiendrez alors le kh, qui n*est au surplus
que le ch des Allemands et le ; des Espagnols.
Exemples :
Commencement du mot. khéima, tente.
Milieu du mot nekhallif je laisse.
Fin du mot tobbakh^ cuisinier.
VIII LA VIE ARABE
Pour le ^ kha, qui est peut-être la lettre la plus diffi-
cile à prononcer de lalphabet arabe , j'ai d*abord voulu
adopter un autre signe conventionnel que le kh, mais j'y ai
renoncé. Pourquoi ? parce que tous ceux que Ton peut indi-
quer ont le ^M'ave inconvénient de provoquer des méprises
regrettables, que le kh adopté par de savants orientalistes
est connu depuis longtemps, et qu'après tout on ne peut
détruire leur ouvrage qu*à la condition de faire mieux.
LE t AAÏNE
Toutes les fois que, dans un mot, au commencement, au
milieu ou à la fin, vous trouverez pour signe de convention
deux fl, à la suite l'un de l'autre, faites-les sentir en les
prononçant, non du bout des dents, mais comme s'ils ve-
naient du fond du gosier. Vous obtiendrez ainsi le aaine^ et
on ne pourra plus le confondre avec Yalif^ que je représen-
terai par un seul a. Cette dernière lettre peut, sans incon-
vénient aucun, être prononcée comme la lettre a de notre
alphabet.
Exemples :
Commencement du mot. aaïne, œil.
Au milieu du mot chaaraj cheveu.
Fin du mot cliemaa, cire.
LE ^ GUINË
Toutes les fois que, dans un mot, au commencement, au
milieu ou à la fin, vous trouverez le signe de convention gh^
prononcez-le comme la lettre r de notre alphabet, mais for-
tement grasseyée comme on le fait à Paris et à Marseille.
PRONONCIATION APPROXIMATIVE ix
Exemples *
Commencement du mot. ghira^ jalousie.
Milieu du mot agha, aga.
Fin du mot seboghy il a teint.
L'observation que j*ai faite à propos du ^ kha^ est appli-
cable en tous points au i ghine, que nous continuerons à
représenter par un gh.
Toutes les fois que, dans un mot, au commencement, au
milieu ou à la fin, vous trouverez le signe conventionnel k
barré en dessous, faites partir cette lettre du fond du gosier
et vous obtiendrez le son arabe kaf, dont le mot coq peut, à
la rigueur, donner une idée.
Exemples :
Commencement du mot . kadi^ juge.
Au milieu du mot nekra^ je lis.
À la fin du mot menntok^ prononciation.
N*allez pas confondre le signe conventionnel k barré en
dessous avec le k non barré en dessous, qui, au lieu de se
prononcer comme coq , ûçix tout simplement se prononcer
comme la lettre k de notre alphabet : kilogramme, kiosque,
kilomètre.
Exemples :
Kafer, infidèle.
Netkellem, je parle.
Allah issellmeky que Dieu te sauve.
LA VIE ARABE
Dans certaines contrées, on remplace le k barré en des-
sous par un g dur.
Exemples :
Kalliy il m'a dit, se prononce alors galli.
AUTRES DIFFICULTÉS
Dans la reproduction en français des sons représentés par
les lettres de Talphabet arabe, il y a encore d'autres difficul-
tés; mais, comme, à tout prendre, on approche beaucoup de
la véiîté avec les lettres de notre alphabet, ne pouvant faire
mieux, conservons-les. Avec de la bonne volonté, on nous
comprendra encore.
Ainsi pour le c:> ta y \e \ù> tsa, qui n*est autre que le th
doux anglais» et le b tha y servons-nous de notre t ; il suffira
pour les commençants.
Pour le ^ dalj le 3 dzal, le jo dad et le da lô, em-
ployons tout simplement notre d.
Pour le jM dite et le ^ sad, gardons notre 8 ou notre c,
en attendant que la pratique nous apprenne que le cine
doit être prononcé comme dans maçon et le sad avec un
peu plus d'emphase que dans sentment.
Et enfin, je représenterai le chine par cA, qu'il faut
prononcer comme dans les mots : cheval^ chameau.
Quand on apprendra Tarabe, et si Ton veut un jour le bien
parler, il faudra donc se former, le plus tôt possible, To-
reille et le gosier à reproduire des sous justes : tronqués ou
émis mal à propos, ils pourraieat changer totalement le sens
PRONONCIATION APP;iOXlMATIVE \i
du mot que Ton veut indiquer. Entre un nombre considé-
rable d'exemples que je pourrais citer à l'appui de cette re-
commandation, je vais seulement en donner un, mais des'
plus saillants :
Lion se dit ax>m cebaa.
Matin ^Lo sebdhh.
Chapelet ^^s^ cebhha.
Sept Hxj^jkié cebaaa
Doigt ^jua sebaa.
Dans ces mots, les nuances, au premier abord, paraissent
iùsignifiantes, quand elles ont, au contraire, une grande im-
portance. En effet, si vous ne les prononciez pas suivant
l'orthographe qui leur est propre, ou si, par défaut d'atten-
tion, vous y glissiez une lettre à la place d'une autre, il pour-
rait parfaitement arriver que l'on comprit tout autre chose
que ce que vous auriez voulu exprimer.
RÈGLES ADOPTÉES
Maintenant, je crois devoir prévenir que, dans le courant
de cet ouvrage^ j'essayerai toujours de représenter, en
français, l'arabe, non comme on l'écrit, mais comme on le
parle.
Partant de là, le mot temps^ qui s'écrit zeman eu arabe,
doit se prononcer zemane :
Religion s'écrit lUUy et doit se prononcer dine.
Croire s'écrit amen, et doit se prononcer amenn.
Il est mort s'écrit matj et doit se prononcer mate^ etc. , etc.
XII LA VIE ARABE
C*est même pour n'avoir pas connu ou suivi cette règle
qu'il nous est arrivé d'estropier la plupart des noms arabes.
Tout le monde sait aujourd'hui que :
De amir el moumenine^ le commandeur des croyants, nous
avons fait le miramoUn.
Et de salahh ed-dine, le protecteur de la religion, le sul-
tan Saladin^ etc., etc.
Pour atteindre la plus grande exactitude possible dans la
prononciation, il m'arrivera aussi, très-souvent, de réunir
plusieurs mots au lieu de les séparer. Ainsi :
Au nom de Dieu^ s'écrit en trois mots : bi essem Allah ;
je n'en ferai qu'un seul : bessemellah.
S'il platt à Dieu, s'écrit en trois mots : an cha Allah ; je
n'en ferai également qu'un seul, ennchaallah^ et ainsi de
suite, toutes les fois que cela sera nécessaire.
OBSERVATION CAPITALE
Après tout ce que je viens de dire sur la manière de pro-
noncer l'arabe parlé, il me reste encore une observation ca-
pitale à faire: c'est qu'outre les mots, il y a les gestes, et que
ceux-ci modifient, augmentent, diminuent, remplacent même
complètement la parole. Ainsi, sans parler, on dit : « Oui, non,
bon, mauvais, viens, pars; » on exprime la confiance en Dieu,
l'admiration, le dédain, le doute, et, par un reniflement
très-prononcé, le mépris, la bravade et le défi.
Ces gestes, je ne puis les représenter ici ; mais qu'on ob-
serve, et la pratique les apprendra. En attendant, tenez pour
PRONONCIATION APPROXIMATIVE iiii
certain que la langue arabe comporte une mimique trës-dé-
veloppée.
ARABE LITTRIiAL, ARABE VULGAIRE
Maintenant, dans la langue parlée, y a-t-il un arabe sa-
vant et un arabe vulgaire? Non.
De même qu'il y a en France un français que Ton parle
mieux dans certaines provinces que dans d'autres, il y a un
arabe que Ton prononce et que Ton parle mieux dans cer-
taines contrées que dans d'autres.
Il n'existe donc qu'une seule langue arabe, avec une pro-
nonciation parfois différente et avec une tendance indiscu-
table à faire souvent plus de fautes, contre les règles, ici
qu'ailleurs. N'en est-il pas de mémo partout?
Cette opinion que, dans Tarabe parlé, il n'y a pas de dis-
tinction à faire entre l'arabe littéral et Tarabe vulgaire, est
aussi celle de M. Bresnier, professeur d'arabe h la chaire
publique et à l'Ecole normale d'Alger'.
Dans son excellent ouvrage : Principes élémentaires delà
langue arabe^ 1867, il a dit avec un grand sens, suivant
moi:
« Une différence très-explicable d'expressions et de pro-
nonciation chez les Arabes, a fdit croire à des personnes
peu habituées à la pratique qu'il existait plusieurs langues
arabes. Sans réfléchir que des incorrections tolérées ou arbi-
traires, dans le langage comme dans l'orthographe, ne con-
stituent jitmais que des altérations de principes, et non un
xiT LA VIE ARABE
idiome, on a, en Europe, par défaut d'expérience, consacré
sérieusement la distinction étrange (Varabe littéral et d'a-
rabe vulgaire. Que dirions-nous d'étrangers qui diviseraient
ainsi notre langue, parce que, dans Tusage populaire, ils
observent des altérations qu'ils ne comprennent pas. ^
C*est encore l'avis du savant orientaliste, M. le baron de
Slane, membre de l'Institut, professeur d'arabe à TÉcole des
langues orientales. Voici comment il s'exprime :
« La distinction qu'on a voulu faire en Europe entre l'a-
rabe littéraire et l'arabe vulgaire est tout à fait imaginaire.
Il n'existe pas d'arabe vulgaire ; dans tous les pays musul-
mans, la langue arabe est une et la même. Elle ne diffère,
de pays en pays, que par certaines locutions, certains tours
usités dans la vie ordinaire, et certaines nuances de pranon-
ciation ; mais, au fond> tous les Arabes, tant de TOrient que
de l'Occident, parlent la même langue, celle qui se parlait
du temps des anciens kalifes, et ils s'entendent très-bien
entre eux. »
Mais, quand on ne se fait pas comprendre, il est si com-
mode de dire : « Il n'y a là rien d'étonnant ! ces gens-là ne
savent pas l'arabe savant, l'arabe littéral, d
Quand, en 1838, j'étais capitaine au !2« chasseurs d'A-
frique et consul de France à Mascara» un personnage, qui se
croyait très-fort en arabe, vint m'y demander l'hospitalité.
Admis quelques jours après en présence d'Aabd-el-Kader,
de qui il avait sollicité une audience, et introduit dans la
salle du commandement où l'attendait l'émir, entouré d'une
douzaine de chefs à barbe blanche, d'un aspect vraiment
imposant , il lui débita un discours qu'il avait préparé avec
soin, étudié, appris par cœur, et même écrit' pour en être
plus sûr. L'émir l'écouta patiemment; puis, se tournant
vers moi. Il m'adressa ces paroles :
PRONONCIATION APPROXIMATIVE xt
— Daumas, qu'est-ce qu'a dit le chrétien? {Ya Doumass,
ach gai erroumi ?)
Mon hôle parut alors vivement contrarié, et, lorsqu'il se
retira, on Tentendit plusieurs fois répétor avec animation:
— Mais, si Aabd-el-Kader ne m'a pas compris, c'est qu'il
ne sait pas l'arabe savant !
LA VIE ARABE
CHAPITRE PREMIEU
LES ANCIENS ARABES
Religions diverses. — Les idoles. — La Kaaba et la pierre
noire.— Le pèlerinage. — La Mecque. — L'àme après la mort.
— Le prix du sang. — Diya. -— Les ogres et les démons. —
Los devins, les sorciers. — Ia science des races. — La
science des traces. — Le Fal. — Le corbeau de la séparation.
— La seconde vue. — Préjugés divers. — Anathèmes. —
Immolation dos filles. — Défenses formelles du prophète.
— Les dix usages conservés par Mahomet. — Usages disparus.
Dans ce livre, je veux essayer de faire connaître les Arabes
de l'Algérie, je désire révéler les traits distinctifs de leur
caractère; mais, avant d*appeler Tattention sur ce qu'il peut
avoir d'exlraordinaire, d'original ou même de poétique pour
nous autres Européens, il me paraît indispensable de dire
quel était Tétat social des enfants d'Ismaël avant l'apparition
de leur prophète Mohhammed, de celui qu'ils appellent l'en-
voyé de Uieu. Rassoul Allah»
1
2 LA VIE AILVBE
En comparant ce qu'ils sont aujourd'hui avec ce qu'ils
étaient autrefois, on pourra, je crois, mieux se rendre compte
d'une foule de pratiques, d'usages plus ou moins bizarres
conservés ou tombés en désuétude, on pourra mieux com-
prendre enfin ce peuple aussi étrange que peu connu.
Tout le monde s'accorde à reconnaître que la loi imposée
par Mohhammed aux Arabes, ou plutôt qu'il sut leur faire
accepter, est un progrès sur l'état religieux, moral et social
qui existait avant sa venue.
Au polythéisme, au fétichisme, à l'idolâtrie, il substitua
le culte d'un seul Dieu. Il restreignit la polygamie, adoucit
l'esclavage, améliora la condition des personnes.
A ce pêle-mêle de tribus aussi différentes que nombreuses,
dont les esprits étaient mobiles et les habitudes nomades, et
(jui ne reconnaissaient d'autre gouvernement que celui de
leurs chefs, d'autres lois que celles de la force, il donna la
communauté des croyances, la conformité des lois civiles et
politiques, en les rattachant toutes par le lien commun d'une
même tradition.
S'il ne réussit que pour un temps à faire une nation de
ces peuplades, nation qui fut un moment, et fort peu d'an-
nées après lui, la plus puissante et la plus éclairée et qui a
laissé des empires redoutables pendant longtemps, impo-
sants encore, il parvint cependant à faire des Arabes, en
quelque lieu qu'ils vivent, un peuple dont la vitalité dis-
tincte et caractéristique ne semble pas près de disparaître.
Aussi les indifférents, les ennemis mêmes, comme les
amis, concèdent-ils tous au prophète arabe le titre de civili-
sateur
Quel était le degré de la sauvagerie que Mohliamined a
remplacée pur risla!nisme ? on le saura par tout ce que les
croyances p «pulaires, les chroniques et les réviis légendaires
LES ANCIENS ARABES ;;
vfHil nous apprendre do T Arabie antique; et, si je n'ai pas la
prétention de faire ici une œuvre d*érudit et de critique,
j'ai du moins celle de rester un narrateur curieux et aussi
fidèle que possible de l'inconnu.
J'entre en matière.
Du tqmps de leurs aïeux, les Arabes allaient taire leui*s
dévotions dans un temple situé à la Mecque. 11 avait été
construit par notre seigneur Abraham, qui lui avait donné le
nom de Kaaba^ et il renfermait la fameuse pierre noire que
range Gabriel était censé lui avoir apportée du ciel pour isanc-
lifier la maison de Dieu. Dite Allah. On voyait dans ce présent
la preuve que la race arabe était privilégiée entre toutes.
On aimait à la trouver aussi dans cette source miraculeuse
que Dieu fil jaillir sous les pieds. d'Ismaël pour apaiser sa
soif quand, par suite de la jalousie tyrannique de Sarab,
femme légitime de son père Abraham, il fut chassé et aban-
donné avec sa mère Agar, Hadje%\ dans les environs de la
Mecque, qui était alors un lieu complètement désert. Cette
source, contenue et aménagée, prit plus tard {e nom de fij/r
Zem-Zem^ le puils de Zem-Zem^ et, aujourd'hui, nul ne re**
vient encore du pèlerinage saps rapporter dans sa famille au
inoins un flacon, Zem-Zemiyay de cette eau sacrée. On rem-
ploiera à puiifier le linceul des morts.
La pierre noire, dans le principe, ét^it un rubis, y^-
koute^ mais les péchés des hommes l'ont noircie. Elle a tes
yeux et une langue, elle voit, elle entend, et, au jour du ju-
gement dernier, elle coudra témoignage pour ceux qui Tair-
ront baisée, contre ceux qui l'auront dédaignée.
Il est curieux de considérer que la représentatioi) de la Di-
vinité par une pierre noire a été de tout teuips, en Asie Mi-
neure, admise et reconnue. Elle arriva en Grèce sous le nom
de Cybèle ; h Rome, sons celui de la Qr^pde Déesse, an^^pée
4 LA VIE ARABE
eu procession par Héliogabalc, empereur et prêtre de ce
culte. On l'avait connue dans Tancienne Lydie, elle avait pé-
nétré en Asie, en Phénicie : Hérodote en parle, et aussi tout
rOrient grec l'adorait. Qui peut savoir pourquoi des peuples
de races différentes et, à certains égards, de même civilisa-
tion, représentaient, sous celte forme primitive et presque
sacrée, la Divinité î Pour moi, qui n'ai point à entrer dans
le fond d'une question de ce genre, je serais tenté de donner
pour origine à ce Culte quelque pierre d'aérolithe devenue
bientôt, comme les boucliôi's de Numa,des emblèmes mêmes
de la Divinité.
Suivant certaines traditions, la Kaaba existait mille ans
avant le premier homme ; les anges et les démons y allaient
en pèlerinage, et, quand Adam fut chassé du paradis, c'est
devant la Kaaba qu'il s'arrêta.
Pendant longtemps, on y adora le vrai Dieu, le Dieu
unique, proclamé par Abraham ; plus tard, ce culte pur fut
remplacé par une idolâtrie confuse, et une grande diversité
de religions et de superstitions régnait dans les familles,
dans les tribus qui constituaient le peuple arabe et en
faisaient une espèce de république composée de fiefs héré-
ditaires.
Un certain nombre d'entre elles, nous citerons les llahéaa^
les Gliossane et les Koddaa, professaient la religion chré-
tienne.
La religion juive était suivie à Houmayr par les Béni"
Kenanate, les Beni-Haredy les Beni-Kaah et Koudate.
Les Tamime pratiquaient la religiou dite Madjouciya. Ils
se prosternaient devant les arbres et le feu.
C'est chez eux que vivait Alaay, fils de Zérara-ben-
doKSSy qui épousa sa propre fille.
Une sorte de polythéisme, connu sous le nom de Zetidaka^
LES ANCIENS ARABES 5
avait fait invasion chez les Koraiche. Cette Unbu, à la-
quelle appartient Mohhammed, était, par son habitation sur
le territoire de la Mecque, par la possession de la Kaaha et
par les fonctions sacrées qui lui étaient dévolues, désignée
aux respects et aussi aux jalousies des autres tribus.
La religion la plus répandue sous diverses formes était
ridolâtrie. On adorait des plantes, des animaux, le cheval, le
chameau, le palmier, etc., etc.
Au nombre des tribus idolâtres, se trouvaient les Béni-
KhelifUj qui avaient pris ce cuite des Aamelek. Un nommé
Ben-Yahya la Jeur avait apportée de Syrie, où iJs voya-
geaient. Ils pensaient que les idoles pouvaient leur donner
de l'eau, quand ils en avaient besoin; et c'est à elles qu'ils
s'adressaient dans toutes les circonstances de la vie.
Les premiers adorateurs des pierres furent les Béni-
Smaïl — Ismaël. Voici comment:
Forcés de quitter les environs de la Mecque, il se disper-
sèrent en emportant chacun une pierre du Hharam. Dans le
principe, leur inlenlion ne fut que de continuer un honneur
traditionnel rendu à ce temple, rappelé par les pierres
qu'ils déposaient là où ils s'établissaient et autour des-
quelles ils pratiquaient des cérémonies religieuses. Ces cé-
rémonies se transformèrent plus tard en une adoration vé-
ritable, de sorte qu'après plusieurs générations, les ensei-
gnements des ancêtres furent complètement oubliés et que
les Beni-Smaïl n'eurent plus pour toute Divinité que des
statues.
Les Koraïche se donnèrent aussi une idole et l'érigèrent
auprès d'un puits, au centre iln la Raaba. Elle se nommait
Babel. Puis deux autres, Assaf et ^aila lui furent al-
joinles et placées auprès du Hyr Zem-Zem.
Assaf était un homme, et Nada une femme ; ils avaient
0 LA VIE ARABE
souillé Ja Kaaba du spectacle de leul*s amours impurs et
avaient été Changés en pierre.
Les Beni-Kenanate possédaient égaieincnt une idole, El
Aaz%a, que conservaient les Beni-^Chibane.
Les Toukûis habitaient ElTaye: ils adoraient £i La/a,
qlii était placé chez les Beni-Mouguite. — A côté d'eux ,
d'autres tribus vénéraient la lune et les étoiles.
Manate était le nom de Tidolc honorée par les Aouss et les
Khe%rodj.
On le voit, Tidolâtrie était partout chez les Arabes ; leur
superstition était telle, quMls n'entreprenaient jamais un
voyage sans consulter leur idole et qu'au retour» avant de
revoir leur famille, ils s'empressaient encore à lui rendre
hommage.
l'ai dit l'origine qu'on assigne aux idoles des Beni-Smail
et des Koraïche ; les traditions variaient pour les autres.
Voici les légendes les plus répandues : on prétend que les
enfants d'Adam se nommaient Yakoute, Ydouk et Nesrane ;
ils étaient religieux, adoraient le vrai Dieu, Dieu l'unique.
Un des trois frères mourut, les deux autres portèrent son
deuil. IjC démon, voyant leur douleur, vint les trouver et
leur persuada de mettre dans le temple l'effigie de celui
qu'ils pleuraient. Ils suivirent son conseil.
Un second frèi'e étant venu à mourir, son effigie, exécutée
en cuivre et en plomb, fut également placée dans le temple,
ainsi que celle du troisième frère lorsqu'il trépassa. L'exemple
fut imité. C'est ainsi que, le démon ayant détourné l'esprit
des hommes du culte de Dieu, ils perdirent peu à peu les
traces de la vraie religion.
Les hommes adorèrent donc les représentations de leurs
aïeux jusqu'à Sid-na Nohheu, notre seigneur Noé, qui s'ef-
força vainement de les faire renoncer à celte coutume. F^e
LES ANCIENS ARABES 7
déluge vint ; il détruisit les idolâtres et enfouit les idoles
sous la terre ; mais le démon les déterra et les fit encore
accepter par les peuples nouveaux.
Une autre version assigne pour origine à l'idolâtrie Ta-
inour des populations pour Yakoute^ Yaotik^ Nesrane, Oud-
demi et Souaane, gens de bien qui ont vécu dans la période
comprise entre Adam etNoé.
Conseillées par le démon et mues par le désir de conser-
ver l'image de ces hommes afin de mieux rappeler leurs
préceptes, elles en auraient d*abord drossé Teffigie; puis se-
rait venue une génération ignorante qui, tout en maintenant
des noms vénérés, aurait fait des dieux de ces vains simu-
lacres.
Yakoute était représenté sous la forme d'un lion; Yaouk,
sous celle d'une jument ; Nesrane, sous la forme d'un aigle;
Ouddenn, sous celle d'un homme, et Souaane, sous celle
d'une femme. Le culte des idoles serait donc né du regret des
vivants pour les morts.
Il faut qu'il y ait du vrai dans cette assertion. Salomon a
dit dans le livre de la Sagesse :
« Un père affligé de la mort prématurée de son fils, fit
faire l'image de celui qui lui avait été ravi sitôt, et il com-
mença à adorer, comme son dieu, celui qui, comme homme,
venait de mourir; il lui établit, parmi ses serviteurs, un
culte et des sacrifices.
j> Avec le temps et l'habitude, cette erreur se changea en
loi, et Tordre des princes fit adorer des morceaux de bois
sculptés.
» Et pour ceux qui étaient bien loin et absents, et qui
manquaient à l'affection des proches, on en fit des por-
traits qu'on honora comme la personne même.
8 LA VIE ARABE
» Et le peuple ignorant, séduit par la beauté des sculp-
tures, fit vite un dieu du portrait d'un homme honoré. »
Maintenant, Salomon a-t-il emprunté cette idée aux Arabes,
les Arabes Tont-ils prise de lui, ou bien encore est-elle com-
mune à tous les peuples de ce temps-là ? C'est là une ques-
tion imporlanle que je me déclare hors d'état de résoudre.
Quoi qu'il en soit, la Kaaba, cet oratoire d'Abraham et
d'Ismaël, en était venue à recevoir dans son sein trois cent
soixante idoles dont les traditions étaient chères à tous les
Arabes. Ils en avaient fait un lieu de pèlerinage remarquable
par son luxe, par ses richesses, et tous professaient un pro-
fond respect pour ce lieu sacré.
Mohhammed conserva ce pèlennage et ce fut un coup de
génie. Créateur d'une religion nouvelle, il se donnait ainsi
l'avantage de la tradition, l'autorité du passé, et le concours
des populations elles-mêmes , dont il paraissait maintenu*
les usages. Mais il changea tout et agrandit tout. La Mecque,
avant lui, réunissait les seules tribus de la péninsule ara-
bique : elles y venaient plus pour le commerce que pour la
religion, et plus pour la religion que pour la politique; une
sorte de fôte fédérale en l'honneur des dieux locaux de
chaque peuplade, quatre mois de trêve aux guerres civiles
pour laisser à la foire commune le temps et le moyen de se
tenir ; puis chacun s'en allait, et rien de général ne sortait
de cette assemblée qui, composée de tribus trop éloignées
les unes des autres, bien qu'avec le même genre de vie, ne
donnait pas le résultat politique atteint ailleurs par des
fêtes pareilles chez les Latins et chez les Grecs. L'idée com-
mune et l'intérêt commun manquaient à la fois aux xVraiies.
Dans le grossier panthéon des idoles rassemblées à la Kaaba,
aucuni» divinité ne dominait les autres ; ainsi la force reii-
LES ANCIENS ARABES 9
gieusc était perdue, détruite par des denii-forces égales. Les
dieux particulière de chaque fraction de territoire avec ceux
des étrangers voisins étaient confondus dans ce temple:
pierre noire, divinités phéniciennes et chauanéennes, impor-
tation du commerce étranger arrivé de Sidon par les Amalé-
cites, — Hobal, Late, etc., etc., — probablement aussi quel-
ques idoles égypli(innes ou nubiennes qu'amenaient la
proximité d'Adulis et d'Axoum, de l'autre côté de la mer
Rouge, et enfm, formant la part de Télément véritablement
sémitique, le Dieu d* Abraham unique et jaloux. De ce poly-
théisme de la Kaaba, Mohhammed lit i*unité de la foi musul-
mane ; d*une réunion de quelques tribus exclusivement
arabes, le point central et permanent des idées, des lois et
des croyances d*une foule de nations différentes de langues
et de races ; d*une habitude des populations, le fondement
de sa religion même, et, si je puis parler ainsi, Tappareil
vital du mahométisme. — On n'a peut-être pas assez, en
Europe, remarqué conmienl vit et respire le monde de
Fislam. Pendant que nos l'itats occidentaux, chacun avec sa
capitale, ses coutumes, ses codes, sa constitution sociale,
s'administrent eux-mêmes et que le jeu des institutions se
développe en dedans des frontières, ayant chacun pour
centre sa capitale, tous les Ëtats musulmans n'ont ensemble
qu'une capitale d'où tout part et où tout revient, et elle
est placée de telle sorte, qu'elle paraît, étant commune à
tous, n'appartenir exclusivement à personne. A travers les
hordes de Turkomans, les déserts des Touaregs, les mœurs
et les coutumes de la Perse, peuple de race indo-euro-
péenne, l'empire des Turcs, peuplederace mongole et tartare,
les Berbères, les Nègres, les Chinois et les Arabes de Tunis,
de Tripoli, d'Algérie et du Maroc, à travers des nations de cli-
mats, langues, caractères et degrés de civilisation inégaux, la
10 LA VIE ARABE
circulation de Tidéc musulmane s'accomplit à la fois pour tous
comme le sang parti du cœur y revient pour s'en éloigner
encore. La Mecque est donc le cœur do rislamisiue, et le
pèlerinage h la Mecque, eKécnté chaque année par des mil-
liers de fidèles venus des quatre coins da monde mahomé-
tan, est le mouvement artériel qui le fait vivre. C'est pour-
quoi, en le conservant et en rétendant, le Prophète créa
vraiment son empire. Tout croyant, pour être sauvé, doit
venir à la Kaaba au moins une fois en sa vie ; c'est son pre-
mier devoir après celui de la guerre sainte. Les femmes,
auxquelles la loi défend pourtant les voyages, doivent se
i*endre aussi à la Mecque si elles le peuvent. Les mosquées
dans les villes, les zaouyas dans les tribus, chacune déposi-
sitaire dune copie du Koran, de ce livre d'où proviennent la
loi et la constitution politique, fournissent en grand nombre
(les aaoulamas, des tolbas et des cheikh qui vont entendre la
lecture du texte original, que la Kaaba doit posséder jusqu'à
la fin des siècles. On sait que c'est un point capital dans la
religion de ne traduire le Korau dans aucune langue : ainsi,
Turcs, Persans, Indiens-mahométans, Kabyles, royaumes
Nègres, qui ont chacun leur idiome et leur littérature na-
tionale, ne peuvent avoir qu'en arabe le texte primilif de
leurs lois civiles et administratives, ainsi que les formules de
leurs prières. Dieu — Allah — est Arabe, et tout musulman
doit d'abord Têtre avant toute nationalité. La nécessité de ne
pas traduire, de n'allérer en rien le texte écrit dans une
langue, d'ailleui's tres-difilcile, fait de la Mecque un concile
permanent de fidèles, une académie de législation, de litté-
rature et de théologie, et, par une suite naturelle d'idées,
une assemblée toujours ouverte aux questions de politique et
de guerre contre les chrétiens. C'est dans ces assises de la
foi musulmane que le fanatisme se consulte, se juge, se
LES ANCIENS ARABES 11
compte, s'examine et s'interprète lui-mëmé chaque nnnëe.
Ainsi, pour le fidèle en particulier, le voyage de la Mecquo
est une condition de salut éternel ; t>our le marabout, une
affirmation de son origine religieuse ; pour le guerrier chef de
tribu, la consécration morale de sa noblesse et de son pouvoir.
Voilà le point vers lequel se tournent tous les regards, d*où
partent tous les mots d'ordre, d*où s'élance pour aller par-
tout Tidéc musulmane, politique, religieuse, httéraire et ci-
vile : c'est le cœur et le cerveau de Tislamisme.
Maintenant, je vais reproduire les diverses croyances des
Arabes sur Tâmé et ses destinées après la mort. ^
Quand un Arabe perdait la vie, on plaçait sa chamelle
préférée à côté de lui : elle devait y mourir de faim et lui
servir de monture dans Tautre monde.
Suivant les uns, Tâme résidait dans le sang ; suivant les
autres, dans la respiration de l'homme ; les premiers trou-
\ aient la preuve de leur opinion dans ce fait que le cadavre
ne contient pas de sang, tandis qu'il y en a dans l'honimc
vivant, et que la chaleur et la moiteur disparaissent du corps
de l'homme mort, qui devient alors sec et froid.
Les seconds assuraient que l'âme était un oiseau qui aban-*
donnait le corps de rhomme au moment où il expire .
Ces opinions, entre lesquels a flotté l'antiquité entière,
ont laissé des traces partout. Dans* les langues sémitiques,
Pâme et le sang veulent dire Tâme et le souffle : il en est
ainsi en hébreu. Dans les langues indo-européennes , les
mêmes mots expriment la même idée. Je rappellerai sur
cette question le onzième chant de VOdyssée montrant
Ulysse descendu chez les Ombres, dont aucune ne peut le
voir ni lui parler avant d'avoir bu le sang des victimes.
Dans l'incantation, il voit sa vieille mère, lui parle, l'ap*
pelle ; elle no le reconnaît ni ne l'entend qu'après qu'elle a bu.
12 LA VIE ARABE
» Elle est assise muelte près du san^' et de son lils ; ,
» Elle ne le voit ni ne lui parle,
» — Dis-moi, ô roi, connncnt je pourrais faire pour
» qu'elle me reconnût.
» — Celui des morts que lu laisseras approcher du sang
et y boire ,
» Il le verra et te parlera.
)> Je demeurai et j'attendis, et ma mère revint et but dans
le sang noir.
» Aussitôt elle me reconnût. »
* (HoxÈRF, Odyssée^ liv. XI.)
•
Dans cet ordre d'idées rentrent les croyances de ceux qui
prétendaient que du crâne do rhomnie assassiné, sans ven-
geance, sortait un hibou qui s'en allail criant au-dessus do la
tombe du défunt : « Di^saltérez-moi, désaltérez-moi, «jus-
qu'à ce qu'on eût puni le meurtrier.
Ce hibou était d'abord petit, puis il grandissait, imprimait
partout la tristesse ; il se logeait de préférence dans les mai-
sons inhabitées, sous les voûtes sépulcrales, et enfin dans
les lieux oii étaient inhumées les personnes mortes île mort
violente. Toujours il appelait, annonçait ou révélait le mal-
heur. N'est-il pas curieux de voir que, de l'Arabie î\ l'Eu-
rope entière, la supei*stition humaine se soit donné la main
pour investir le hibou d'un sacerdoce de terreur? La croyance
est générale et Ton ne sait vraiment comment expliquer
celle conformilé de préjugés entre des races si différentes.
La guerre et la violence étaient pour ainsi dire l'état per-
nianent des Arabes. Ils considéraient la vengeance comme
un devoir sacré, et, dans leurs idées, le sang voulait dn sang.
Le meurtre ne pouvait i?tre satisfait que par un antre meur-
tre, ou par une compensation en léles de chameaux de na-
LES ANCIENS ARABES 13
lure à désinlcresscr la famille de la victime. Se soustraire à
colle obligation, c^était vouloir, de tribu à tribu, se jeter dans
des guerres aussi longues que terribles. On appelait cette
coutume la (Hya ou prix du sang. Celui qui, le premier, ré-
glementa la diya fut Aubd-el-Mettaleb^ Taïeul du prophète ;
voici dans quelles circonstances :
c Seigneur, avait-il dit, si vous me donnez dix enfants, je
vous jure de vous en immoler un en actions de grâces. »
Dieu l'entendit et le fit père neuf fois encore. Aabd-el-
Mettaleb, fidèle a sa promesse, remit au sortàdécider quelle
serait la victime, et le sort désigna Aùbd-Allah, jeune homme
âgé de vingt-qualre ans ; mais, la tribu s'éleyaut contre ce
sacrifice, il fut arrêté, sur l'avis d'une devineresse, Aarrafa^
qu'Âabd-Allah serait mis d'un côté et dix chameaux de
l'autre; ((ue le sort s(;j*ait de nouveau consulté jusqu'à ce
qu'il se prononçât pour l'enfant, et qu'autant de fois qu'il se
prononcerait contre lui, dix chameaux seraient ajoutés aux
première.
Aabd-Allab ne fut racheté qu'à la onzième épreuve, et
cent chameaux furent immolés à sa place.
Quelque temps après. Dieu manifesta qu'il avait accueilli
favorablement cet échange, car il fit natlrc d'Aabd-Allah
notre seigneur Mohhainmed, et, depuis, le prix du sang —
diya — fut fixé légalement à cent chameaux.
Mille superstitions terribles et sinistres troublaient l'ima*
gination des Arabes.
Ils avaient de longs récits sur les ogres qu'ils désignaient
sous le nom de El GhUane et Tnghoul. Les ogres hantaient
les solitudes, prenaient toute sorte de formes et entraient
en communication avec l'homme.
Pour d'aucuns, l'ogre était une espèce d'animal hideux,
tenant de l'homme et de la bête, habitant loin de tout être
14 LA VIE AUAHI':
vivant, et que rien ne pouvait apprivoiser. Quelques voya-
geurs on ont fait la rencontre dans les pays sauvages. El
Khottab prétend en avoir vu un en Syrie et lui avoir donné
un coup do sabre.
Il y a des ogres mâles et femelles ; en générai, Togre est
femelle. PourtiUit, d'après Khottab, Togre est un démon
qu'on trouve du côté de l'Yémen et dans les parties reculées
du Saaïd, en Egypte. Lorsqu'il voit Thomme, il le poursuit,
l'atteint et satisfait sur lui ses immondes désii*s ; la victime
ne tarde pas à mourir rongée par les vers.
La première question qu*on adressait à un homme qui
avait vu un ogre était celle-ci: « L*ogre t'a-t-il vaincu ou bien
en as-tu été quitte pour la peur ? » Suivant la réponse, on le
considérait comme un homme mort ou sauvé. En général, la
vue d'un ogre suffit à faire tomber eiksyncope, les hommes
très-courageux seuls peuvent résister.
Une fois dans ce monde fantastique des Arabes Djahiliyas
— païens, — on se heurte à chaque pas contre l'impossible;
c'est le pays des hallucinations, des vertiges, des illusions
les plus étranges.
Ils croyaient aux djenoufie (singulier, djenn djine),
aux aafrite^ ainsi qu'à un grand nombre d'autres dé-
mons. Suivant eux, il y en avait des deux sexes, et ils pour-
suivaient les hommes et les femmes de leurs infâmes et ter-
ribles amours, qui finissaient toujours par amener la mort
des victimes de leur lubricité.
Ils prétendaient aussi entendre des voix venant d'êtres
invisibles. Abou-Aornar fait à ce sujet des récits merveil-
leux :
« Nous marchions, dit-il, en compagnie de plusieurs pè->
Icrins, quand un étranger nous rejoignit. De t^rnps en
temps, il poussait une exclamation : a Pense-t-elle à moi?
LES ANCIENS \RABES V6
» — Oui, répondit une voix qui semblait venir de loin, et le
9 nomme Hedjeiia t'a déshonoré. C'est un homme roux,
)» court de tailie et qui est bossu. » Notre compagnon se tut.
)» Nous arrivâmes enfm à Bassora, terme de notre voyage.
Un soir, je rencontrai mon inconnu, et, à mon grand étou-
nement, il me fit la confidence suivante : « Croyez-vous quii
i> peine rentré dans ma maison, mes voisins sont venus pour
» me saluer, et que, parmi eux, j*ai trouvé un homme por-
» tant le signalement exact qui m'avait été donné dans notre
9 voyage par la voix inconnue ? Alors, je priai ma femme de
» me dire le nom de cet étranger. — C'est, me répondit-
» elle, le plus agréable de nos voisins, que Dieu le conserve!
» Il se nomme Hedjena. — Bien, répondis-jc, allez trouver
» vos parents. » Et je divorçai.
Nous n*en avons pas fini avec le merveilleux, et de même
que par des communications mystérieuses ils avaient affaire
aux êtres surnaturels, de même, avant l'islamisme, les Arabes
avaient la prétention de connaître l'avenir avec certitude,
bien différents de leurs descendants, qui se font un scrupule
lie prédire du jour au lendemain un changement atmosphé-
rique et n'oseraient dire: « 11 fera tel jour froid ou chaud,
beau ou mauvais temps, » sans ajouter : c S'il plaît à Dieu. j>
Enmliaallah,
Les défenses formelles du Prophète ont détruit cette pré-
tention en môme temps qu'elles ont fait cesser certaines for-
mules augurales tolérées, au moyen desquelles ils consul-
taient le sort et l'avenir. Je parlerai plus loin de ces usages ;
au reste, beaucoup d'anecdoles circulaient à ce sujet, el<
semblaient venir à leur appui,
Rabéaa benn-Nasser-el'Lekhmy eut un songe (lui le trou-
bla fort; il voulut absolument en avoir rexpiicaliun ; ses
courtisans lui per^uadèrenl que deux ho innos, Chak et Sa-
16 LA VIE AUAIM:
tihheu, étaient seuls capables de lui donner satisfaclion. Il
les fit mander et dit à Satihheu :
— J*ai fait un rêve qui lulnquiètc viverneni; si vous
pouvez, ainsi qu'on le prétend, le connaître sans que je l.?
raconte, faites-moi le plaisir de me Texpliquer.
— Vous avez vu, répondit Satihheu sans hésiter, une léte
lumineuse se détacher dans les ténèbres les plus noires, puis
rouler sur une terre féconde, et toutes le3 créatures por-
tant crâne s'empresser d'en manger.
— Vous avez parfaitement deviné, reprit le prince ; mais,
à présent, donnez-moi l'explication de ce songe.
— Eh bien, ajouta Satihheu, les Hliabacli feront invasion
dans vos terres et s'empareront de tous les pajs compris
entre Abiienn et Hhadjer.
— La nouvelle est alarmante! Ces événements auront-ils
lieu sous mon règne ou après ma mort?
— Longtemps après votre mort, dans soixante ou soixante
et dix ans. Plus tard, on fera un grand massacre des Hhabach,
le peu qui en survivra n'aura échappé à la mort ({ue par la
fuite.
— Après moi, quel prince gouvernera?
— Aiynadi Yensser, et c'est lui qui, marchant à la tétc de
Adeur sur les ennemis, les chassera tous de l'Yémen.
— Cet état de troubles durera-t-il longtemps ?
— Non.
— Qui le terminera?
— Un prophète, le meilleur des prophètes envoyés par
Dieu.
— De quelle origine sera ce prophète ?
— De race arabe, de la souche des Oulad-Adnane, Denn-
Tahar^ Befin-el-Malek^ Benn-eUNader^ et ses descendants
commanderont jusqu'à la fin des siècles.
LES ANCIENS ARABES 17
•
— Est-ce que les siècles auront une fin?
— Certainement, il arrivera un jour où seront réunis les
premiers et les derniers, où ceux qui auront fait le bien rece-
vront récompense, et où les méchants seront punis.
— Ce que tu dis là est-il vrai?
— Je le jure par Chafaki et El Hhamary.
Le prince étonné fit ensuite appeler Chak, et sa stupéfac-
tion redoubla quand ce dernier, qui n'avait point entendu
parler Satihheu, lui fit absolument la même réponse.
On raconte encore que Oumiga'benn'Aabd'echam^ vou-
lant savoir qui était de plus noble origine, de lui ou de Hha-
chem'benri'Aabd, Mounafek prit pour arbilre El Khouzai-el-
Hhachetn, qui passait pour être très-versé dans la science
des races. Le vaincu devait immoler dans la Mecque cin-
quante chamelles noires.
Avant de se soumettre au jugement, les deux rivaux vou-
lant éprouver les connaissances de Khouzaï, cachèrent un
objet, puis lui dirent :
— Si vous devinez ce que nous avons caché, vous serez
notre arbitre; si vous ne devinez pas, nous nous adresserons
à un autre.
— Vous avez caché telle chose, répondit immédiatement
Khouzaï.
— C'est vrai ; prononcez maintenant entre nous.
— Eh bien, puisque vous le voulez, reprit Khouzaï,
voici la vérité :
<c Je jure par la lune brillante, par Tétoile étincelante, par
le nuage orageux, par tout ce qui nage dans la mer, par tout
ce qui vole dans Tair, et par Texpérience que le voyageur
doit acquérir, que Hhachem remporte en noblesse sur Ou-
miya; il est noble dès le commencement et sera noble
jusqu'à la fm : le Prophète est sorti plus tard de sa lignée. »
18 LA VIE AliAbK
Ce jugement prouoncé, Ouiniya, coiitormément aux tenues
do la gageure, immola les cinquante chamelles noires et
donna un grand festin aux assistants. Puis il partit sur-le-
champ pour la Syriet où il resta dix ans sans reparaître; on
assure même que c*est de cette contestation que naquit fini-
mitié qui divise encore les Hhachem et les Oumiya.
Hinnd'bennt'Aatiya-bennt'Rebéaa était la femme de El-
Fouak-benn-Meguira des Koraîche; voici l'aventure qui
lui arriva. Son mari eut un jour la pensée d'aller coucher
dans une petite chambre d'ordinaire réservée h ses hôtes ;
vers le matin, il se leva, s'absenta pendant un instant, et vit
en rentrant un homme qui en sortait. C'était un étranger
qui, après avoir fait quelques pas dans cette pièce, avait vu
Hindd endormie et s'était discrètement retiré. '
Benn-Meguira, furieux, s'avance dans la chambre, frappe
sa femme du pied et lui demande brutalement :
— Quel est l'homme qui hort d'ici?
— Je n'ai vu personne, répond-elle, et je ne me suis ré-
veillée que parce que vous m'avez frappée.
— Allez chez votre père; c'est indigne l reprend Benn-
Meguira sans vouloir rien entendre.
Tout le monde se mit à parler de cet événement.
Quelques jours après, le père de Hinnd, désolé, dit à sa fille :
— Le monde jase sur ton compte, il faut en finir. De deux
choses Tune, ou tu es coupable, ou tu es innocente. Dis-moi
la vérité : si tu es coupable, je ferai tuer l'auteur de tous ces
bruits; mais, si tu es innocente, si ton mari est un calomnia-
teur, je le ferai confondre par un devin.
— Je vous assure, répondit Hinnd, qu'on n'a pas raconté
la vérité sur mon compte.
Uussuré, le père de Hinnd s'en alla trouver Benn-Meguira
et lui dit :
LES ANCIENS ARABES 19
— Vous avez mis ma illle dans une triste position, je vous
cite devant un sorcier de rYénien.
lis se mirent en route, accompagnés de quelques témoins
dés Bôfii'Mahzoun, des Deni-Mennf et do Hinnd, suivie de
plusieurs pei*sonnes de sa compagnie.
Arrivés dans i*Yémen, le père de Hinnd crut remarquer
une altération dans les traits de sa iillc :
— Je vois que ta ûgure est changée, lui dit-il ; faut-il en
augurer quelque chose de mal?
— Non, mon père, ne concevez aucune mauvaise opinion
sur mon compte ; je suis tout simplement chagrine de voir
que je vais être jugée par une simple créature de Dieu dont
je ne connaîtrai les talents qu*après les avoir éprouvés.
— Ne crains rien, nous allons en avoir le cœur net : je
vais sonder ton juge, nous saurons bientôt à quoi nous en
tenir à cet égai*d.
Il siffle alors s(m cheval qui s*cm presse d*accourir, et il
cache un grain de blé dans l'endroit le plus secret de ranimai.
Le lendemain, ils abordent le sorcier qui les reçoit conve-
nablement. Après le repas, le père de Hinnd lui fit la com-
munication suivante :
— Nous sommes venus vous voir pour une affaire très-
importante; mais, avant de vous Texposer, nous voulons
savoir si vous êtes capable de la décider. Puisque vous savez
tout, qu'avons-nous caché hier?
— Vous avez caché, répondit sans hésiter le sorcier, un
grain de blé dans telle partie du corps de votre cheval.
— C'est vrai; voyez ce que veulent ces femmes.
Le sorcier se dirige alors vers les le nmcs venues avec
Hinnd, se rend de l'une àTautreet leur fVdppe sur l'épanle.
Arrivé près de Hinnd :
-— Levez-vous sans crainte, lui dit-il, vous êles lavéi» île
20 LA VIE ARABE
tout soupçon d'inconduite, et vous mettrez un jour au monde
un prince nommé Maouya,
Le mari de Hinnd voulut alors la prendre par la main,
mais elle la retira vivement et lui cria :
— Eloignez- VOUS, vous avez voulu me flétrir ; je jure par
Dieu le maître 4u monde que le prince dont on m'annonce
la naissance ne vous aura pas pour père.
Ils divorcèrent. Abou-Sefiyane épousa plus tard Hinnd et
elle mit au monde Ternir des croyants Maouya.
La polygamie était permise chez les anciens Arabes, mais
aucune borne ne lui était imposée, c'était un désordre dont
on ne peut se faire une idée. Mohhammed y mit fin en ré-
duisant à quatre le nombre de femmes légitimes, et ce qui
nous paraît encore monstrueux fut cependant une améliora-
tion morale considérable. Dans ce temps-là, pour punir
l'adultère, on élevait un mur autour des coupables, et on les
laissait mourir de faim. Le Prophète remplaça cet horrible
supplice par celui de la lapidation, qui lui parut moins cruel.
Il ordonna, en outre, qu'aucune condamnation ne pourrait
avoir lieu si le crime n'était prouvé par quatre témoins,
sains de corps et d'esprit et de mœurs irréprochables.
On lit dans le Koran chapitre xxiv, versets 6, 7, 8 et 9.
« Ceux qui accuseront leurs femmes et qui n'auront d'au-
tres témoins à produire qu'eux-mêmes, jureront quatre fois
devant Dieu qu'ils disent la vérité.
» Et une cinquième fois pour invoquer la malédiction de
Dieu sur eux, s'ils ont menti.
» On n'infligera aucune peine à la femme si elle jure
quatre fois devant Dieu que son mari a menti.
» Et une cinquième fois, en invoquant la colère de Dieu sur
elle, si ce que le mari a avancé est vrai. »
Les Arabes de ce temps prétendaient encore posséder les
LES ANCIENS ARABES 21
sciences qu'on appelait kiyafate-el'bacher^ la science des
races, et kiyafate-el-aaktery la science des traces.
Ils entendaient par kiyafate-el-bacher le résumé des indi-
cations que peuvent- fournir les os et la construction de
l'homme. Les Beni-Madledj s'en occupaient particulière-
ment. On faisait comparaître un individu devant eux, et, fût-
il au milieu de vingt autres d'origine différente, ils se fai-
saient fort de désigner ses ancêtres.
On raconte que le fils d'un négociant, voyageant à cheval,
précédé d'un serviteur- et passant auprès de la tribu citée,
entendit dire tout haut : « Mais c'est frappant, regardez
donc comme ce cavalier ressemble à l'homme qui marche
devant lui I » Il fut si courroucé de ce propos, que, de retour
dans ses foyers, il ne put s*empècher de le raconter à sa
mère. Elle lui répondit : « Votre père était vieux, et, craignant
que sa fortune ne m'échappât, car nous n'avions pas d*enfants,
je me suis, en effet, donnée à l'homme qui conduisait votre
cheval, et je vous ai mis au jour. Je ne puis vous le cacher,
car, si je ne vous divulguais pas ce secret aujourd'hui, vous
le sauriez dans l'autre monde. »
Quant au kiyafate-el-aaler, c'est l'étude des traces que
laissent les pieds des hommes ou des animaux. Les Arabes,
habitants des pays sablonneux y ont excellé et y excellent
encore, dit-on.
Aucun voleur ne pouvait leur échapper, et ils en étaient •
venus au point de pouvoir dire, à l'inspection de l'empreinte
des pieds sur le sol, si les traces appartenaient à un homme
jeune ou vieux, à un homme ou à une femme, à une vierge ou
à une femme mariée, à un étranger ou à un homme du pays.
On comprend que cette science ne constituant pas un em-
piétement sur les droits de Dieu, qui, seul^ devance et
embrasse l'avenir, et n'étant qu'une certaine habileté à tirer
\
22 LA VIE ARABE
des inductions de signes existants et visibles à tous, n'a pas
été prohibée par le réCormateur des Arabes. Aussi kKafiya,
à Teguer et dans beaucoup d'autres contrées, on trouve
encore des habitants du désert très-savants dans le kiyafate-
el-aater. On en cite même dans noire Sahara algérien, où
il n'est pas rare de rencontrer des Artibes doués d'une
finesse de sens prodigieuse. Nous admettons facilement
en principe que Thabitude d'une vie errante dans des plaines
monotones où rien ne rappelle, au retour, la route que Ton
a suivie, que la nécessité de veiller des oreilles et des yeux,
d'étudier à la fois sans cesse, et l'horizon où l'ennemi vous
attend peut-être, et les plis du terrain qui peuvent le cacher;
nous admettons que «ette lutte incessante développe d'une
manière extraordinaire, chez un individu, les facultés de
l'ouïe, de l'odorat et de la vue : tous les voyageurs l'ont
constaté; mais, nous l'avouons, nous n'avons jamais accueilli
sans défiance les merveilleux exemples qui nous ont été
cités mille fois, et nous ne les donnerons qu'en faisant nos
réserves.
Un habitant de l'Ouad-souff, district situé dans le désert h
l'extrémité orientale de nos possessions d'Afrique, me disait
un jour: « Nous sommes les marcheurs les plus intrépides
du Sahara et nous faisons facilement trente lieues par jour ;
moi, je passe pour n'avoir pas une très-bonne vue et cepen-
dant je distingue parfaitement un chameau d'un cheval à un
jour de marche. J'ai des amis, ajoutait-il, qui, à vingt-cinq
lieues dans le désert, éventent la fumée du tabac ou de la
viande grillée. Nous nous reconnaissons tous à la trace de
nos pieds sur le sable, et, quand un étranger traverse notre
territoire, nous le suivons à la piste, car pas une tribu ne
marche comme une autre; une femme ne laisse pas la
môme empreinte qu'une jeune fille. Quand un lièvre nous
LES ANCIENS ARABES 23
part, nous savons à son pas si c'est un mftlc ou une femelle,
et, dans ce dernier cas, si elle est pleine ou non. En voyant
un noyau de datte, nous reconnaissons le dattier qui Ta
produit. »
Et, comme nous ne semblions pas ajouter une foi naïve h
ce qu'il nous racontait, il se retira mécontent en s'écriant:
tf Pourquoi donc cette incrédulité ? Vos médecins ne pré-
tendent-ils pas reconnaître la maladie d*un homme, rien
qu'à le voir et h le toucher î »
Quoi qu'il en soit, le kiyafate-el-aatcr faillit ^tre funeste à
Mohhammed lui-même. Les Koraïche, en effet, le possédaient
à un très-haut degré, puisqu'ils arrivèrent jusqu'à l'entrée de
la caverne où s'étaient réfugiés Abou Boker et le Prophète,
dont ils avaient pu suivre les traces, lors de leur fuite de la
Mecque, quoique ceux-ci n'eussent cessé de marcher sur
des pierres dures et des rochers polis.
Heureusement, une araignée, en faisant sa toile sur l'ou-
verture de la caverne où les fugitifs s'étaient retirés, leur
rendit le double service de les cacher à leurs ennemis, cl de
persuader que personne n'était entré dans la grotte depuis
un certain temps.
Un jour, entre la Mecque et le désert, deux Arabes étaient
d'avis différent sur les traces d'un quadrupède. « C'est un
chameau, disait fun. — Non, c'est une chamelle, » disait
ràutre. Ils convinrent de suivre l'animal jusqu'à ce qu'ils
l'eussent trouvé. Arrivés à Chaabet- béni- Amer: « Enfin le
voilà ! s'écrient-ils ; examinons. » Le chameau était herma-
phrodite. Ceci rentre évidemment dans le cadre des exagé-
rations arabes.
A la science des races et des traces, les Arabes joignaient
encore celle des généalogies : les femmes la possédaient
comme les hommes. On racontait d'une manière certaine
24 LA VIE ARABE
l'origine des tinbus, des fractions de tribu, et même celle
des familles illustres.
On parlait aussi de gens qui précisaient les événements
nu moyen de figures tracées sur le sable. Ceux-là trouvaient
des incrédules et des railleurs ; cependant, ils disaient vrai
très-souvent.
Aomar benn-Aabd-Allahy partant un jour avec Malek-
ould-harrach-el-Khouzaï pour aller tenter une razzia, vit
une femme qui traçait des figures sur le sable. Malek se mit
à rire et la tourna en ridicule. « Vous avez tort, lui dit-elle ;
je vous jure que je sais ce qui doit vous arriver : vous ne
reverrez plus votre tente, et Aomar, qui est avec vous,
épousera votre femme. » En effet, Malek fut tué, et le reste
de la prédiction s'accomplit.
Les Arabes accordaient encore à quelques individus la
puissance de pronostiquer, d'après des faits qui se pas-
saient sous leurs yeux, certains événements éloignés.
Ainsi Ton citait sur la route de Bagdad un aarraf, devin,
qui disait la bonne aventure aux passants et qui avait la
réputation de ne jamais se tromper.
Un jour, un homme lui demanda si son ami qui était pri-
sonnier serait mis en liberté :
— Oui, répondit Taarraf, sans hésiter, et même on lui
fera des présents.
— Comment pouvez-vous le savoir ?
— Lorsque vous m'avez interrogé, j'ai tourné la tête li
droite et à gauche, et j'ai vu un homme qui portait une outre
pleine d'eau, la vider, puis la recharger sur ses épaules. J*ai
comparé Teau au prisonnier, son versement à la mise en
liberté, et le replacement de Toutre sur ses épaules aux
honneui's réservés à votre ami.
La chose se passa comme Taarraf l'avait annoncé.
LES ANCIENS ARABES S5
. Ils avaient encore confiance au fal. Ils entendaient^ ils
entendent encore aujourd'hui par ce mot, l'augure que l'on
peut tirer de certaines paroles prononcées inopinément.
Ainsi, un malade entendait-il appeler un domestique:
Ya salem, Ya mebrouk, c'était un fut heureux : salem veut
dire le sauvé, mebvouk, l'heureux.
Entendait-il au contraire une parole désagréable, malhon-
nête, injurieuse, comme Allah inaalek! Que Dieu te mau-
disse ! c'était un fal malheureux.
Le Prophète aimait le fal et le conserva. Un jour, se ren-
dant à Médine, il descendit chez Emkeltoum : à peine entré
dans la maison, il entendit cet homme appeler deux de ses
serviteurs en criant : « Ya fatahh, Ya merzoug ! Mais venez
donc. • Le Prophète, joyeux de ce fal, se tourna vers Abou-
Boker et lui dit : « Sans nul doute, cette maison nous sera
un refuge assuré. » Fatahh et Merzoug signifient: le premier
Fouvreur de la porte du bien, et le second l'enrichissant.
Lorsqu'on entend un pauvre crier : Ya rebbi^ Ya louadjeby
en demandant l'aumône, c'est un fal heureux; il invoque le
nom de Dieu.
On parlait beaucoup du corbeau et on l'appelait hatem ;
sa vue, suivant les Arabes, annonçait inévitablement la sé-
paration. Ils le nommaient aussi el aaouer^le borgne, parce
que, prétendaient-ils, il ne prend pas son essor comme les
autres oiseaux, et qu'il n'ouvre bien les yeux que lorsqu'il
est en train de voler. Un de leurs poètes a dit :
« Si le corbeau de la séparation allait se faire entendre,
criez-lui :
« Que Dieu vous éloigne de nous !
>» Vous êtes pour les amoureux plus hideux que la tombe :
)) Par votre marche chancelante,
» Ainsi que par votre noir vêtement de deuil,
26 LA VIE ARABE
» Vous annoncez toujours la misère et le chagrin ;
» Quand on vous voit, il n'est plus d'espoir :
» Vous êtes le précurseur des larmes et des regrets. »
Il était admis que celui qui tirait un pronostic quelconque
d'une chose obtenait les résultats qu'il avait prédits.
Abou-el'Chemmakh SQ mit en route avec Khaled-benn-
Yazidf qui venait d'être nommé gouverneur de Moussoul. En
entrant dans la ville, la hampe du drapeau, emblème du
pouvoir, se brisa. Khaled en conçut un mauvais présage,
mais Abou-el-Chemmakh improvisa sur-le-champ ces vers :
« Le drapeau ne s*est pas brisé dans une affaire malheu-
reuse,
» Le b&ton avait perdu sa force,
» Il s'est brisé parce qu'il se sentait indigne du vaillant
gouverneur de Moussoul. »
Khaled, complètement rassuré, combla son ami de bienfaits.
Ce trait de présence d'esprit ne rappelle-il pas : « Afrique,
je te tiens! » de César tombant sur le rivage au moment de
son débarquement ?
On croyait alors que certains individus avaient le don
de voir avec la lumière de Dieu, el ferara^ seconde vue. La
ferara fut conservée par le Prophète, car Aliya dit :
« Personne ne peut rien cacher, tout se décèle à certains
individus, soit par une parole indiscrète, soit par le jeu des
traits du visage. »
Apparemment, le Prophète n'a pas non plus prohibé el
aatifate, c*est-à-dire la pensée qu'en se mettant en route,
on ne devait se retourner pour aucun motif, sous peine de
malheur. Dans ce cas, ne pas renoncer au voyage, c'était
s'exposer à un grave accident. En effet, maintenant encore,
et je Tai dit ailleurs, on évite do rappeler un homme qui
s'est mis en chemin.
LES ANCIENS ARABES 27
Plusieurs autres croyances ont également semblé înoffen-
sivcs au Prophète; elles étaient fortement enracinées chez
les Arabes, H ne les a ni sanctionnées ni défendues.
Ainsi, lorsqu'ils voulaient entreprendre un voyage, ils
soi*taient pendant la nuit, tâchaient de découvrir des oiseaux
endormis sur les arbres et les effrayaient pour qu'ils s'en-
volassent. Si les oiseaux prenaient à droite, le lendemain le
voyageur se dirigeait vers la droite, et vers la gauche, au
contraire, si les oiseaux avaient pris à gauche.
En route, venait-on à s'égarer, pour retrouver son chemin
il sufûsait de retourner ses habits.
En Vendée et dans plusieurs autres provinces de la
France, le paysan croit encore qu'en retournant ses habits a
une croisée de chemin, il voit infailliblement apparaître le
diable qui le remet dans la route quand il est égaré. Ceci me
rappelle que, chez les Romains, on croyait se i^endre invisible
en employant le même procédé, (yoïv V Ane d*or d'Apulée,)
Pour éviter les maladies qui pouvaient rég^ner dans un
village, on commandait de s'arrêter avant d'y entrer, et do
braire comme les ânes.
Pour se préserver du mauvais œil, aàin, et des sortilèges,
on avait soin de porter sur soi l'osselet de la femelle du lièvre.
Le démon fuit la femelle de cet animal, parce que, d'après
une croyance très-ancienne, elle aurait ses menstrues comme
la femme.
Lorsqu'un Arabe voulait s'absenter, il nouait la branche
d'un arbre appelé retem — genêt. A son retour, trouvait-il
intact le nœud qu'il avait fait, sa femme lui était restée fidèle;
la branche était-elle dénouée, elle l'avait trompé.
Mais ce qui a subsisté malgré les défenses formelles de
Mohhammed, c'est la magie et la sorcellerie. Sorciers, magi-
ciens et imposteurs de toute espèce sont encore nombreux.
28 LA VIE ARABE
quoique maudits par les Arabes. Maintenant, il y en a encore
qui se chargent de faire passer un homme de Tamour le plus
violent à Tindifférence la plus complète, eu lui faisant avaler
le jus d'une herbe appelée selouane.
Jadis ils étaient aussi persuadés que, pour avoir de bonnes
dents, il suffisait de jeter au soleil celles qui tombaient^ en
disant : « Donnez-m'en de plus belles. »
D*autres pratiques n'étaient pas moins superstitieuses ni
plus motivées. Ainsi les chameaux sont souvent la proie
d'une maladie qu'on nomme el enmer; elle ressemble à la
gale. Les Arabes enduisaient de goudron un chameau sain,
prétendant ainsi guérir le chameau galeux.
Lorsqu'un Arabe possédait mille chameaux, il s'emparait
du plus vieux et lui crevait un œil. Si le troupeau s'augmen-
tait, il lui crevait l'autre. Celte opération, nommée taamiya,
devait porter bonheur, c'était un sûr préservatif contre le
mauvais œil.
On disait que, pour faire taire une chamelle qui fatiguait
par ses beuglements, il n'y avait qu'à nommer sa mère.
Un troupeau se refusait-il à boire, les Arabes frappaient
les taureaux, et les vaches obéissaient.
Toutes ces superstitions populaires n'avaient pas de bien
graves conséquences : aussi le Prophète ne s'y arréta-l-il
pas. Mais il se garda bien de donner la sanction de son auto-
rité à tous les désordres de l'imagination, tels que l'ivr. sse,
les jeux du hasard, l'adoration des objets inanimés et l'inter-
rogation du sort avec des formules religieuses. Ils ne pou-
vaient avoir été engendrés que par le démon : Mohhammed
mit un soin d'autant plus grand à interdire ces sacrilèges
aux Arabes de son temps, qu'ils y étaient plus attachés.
Les anathèmes les plus formels ont donc été prononcés
par renvoyé de Dieu contre :
LES ANCIENS ARABES 29
El khamer^
Elmissery
El annsab,
Et enfin elazlam.
El Ijhamer, c'est toute liqueur fermentée qui peut trou-
bler la raison et rendre l'homme semblable à la béte.
Je demandais un jour à un Arabe pourquoi il ne buvait
pas de vin ?
— ïu vas le savoir, me répondit-il.
Et il me raconta Fhistoire suivante :
Le Chytane — le démon — se présenta un jour à un
homme sous la forme la plus effrayante, et lui dit :
» — Tu vas mourir ; cependant, je puis te faire grâce à
Tune des irois conditions suivantes : Tue ton père, couche
avec ta sœur, ou bois du vin.
« — Que faire? pensa cet homme. Donner la mort à qui
m'a donné le jour, c'est impossible. Violer ma sœur, c'est
monstrueux. Je boirai du vin.
» Il but du vin ; mais, s'étant enivré, il tua son père et
outragea sa sœur. »
El missei\ ce sont les jeux de hasard qui peuvent désho-
norer les familles ou les réduire à la misère.
El anmab, on appelait ainsi les pierres ou les statues
qu'on adorait alors.
El azlam^ c'était une espèce de sabre sur la lame duquel
étaient écrits ces mots, d'un côté : « Dieu l'a ordonné ; » et
de l'autre : « Dieu l'a défendu. »
Lorsqu'un Arabe avait un projet en tête, ou méditait un
voyage, avaut de prendre une décision, il consultait le sort au
moyen de ce sabre. Il le jetait en Tair, et, si la lame laissait
lire en tombant à terre : « Dieu l'a ordonné, » il l'entreprenait
plein de confiance ; mais si, au contraire, elle laissait appa-
30 LA VIE ARABE
raîlre: « Dieu l*a défendu^» il s*abstciiait jusqu'à nouvel ordre.
Les Arabes idolâtres interrogeaient encore Tavenif au
moyen de flèches qui étaient conservées avec soin dans le
temple de la Kaaba.
Ce n*est pas tout.
Il était des coutumes impures, tolérées, autorisées même
par la religion.
On cite Thistoire d'Alaaï^ fils de Zerara-ben-Aadoms^
qui épousa sa propre fdle. Ce ne fut 1^ qu'une exception,
j*y consens ; mais que dire de l'usage Fiiivant, consacré par
une pratique universelle ? Quand un homme mourait, 3on
fils atné jetait un vêtement sur la femme du défunt^ et il
pouvait alors succéder à son père pour les droits conjugaux.
Ne se souciait-il pas de cette union : moyennant une nou-
velle dot, il cédait son privilège à l'un de ses frères.
Annonçait-on à un Arabe la naissance d'une fille, sa fi-
gure se contractait de dépit et se rembrunissait comme un
nuage orageux. Il n'était pas rare alors de voir des pères
tuer leurs filles avec la pensée de leur épargner la honte, la
misère ou les malheurs attachés à leur sexe.
On montre encore, près de la Mecque, une montagne que
Ion nomme Bon-Dalamate^ ïq Père -des -Injustices, où les
Koraïche conduisaient leurs filles'pour les enterrer vivantes ;
on ne pouvait les racheter de la mort qu'en sacrifiant à leur
place deux chamelles pleines et un chameau. Mohhammcd
condamna et fit supprimer cette horrible coutume.
Un Arabe des Beni-Oumiya prétendait que son père avait
eu le pouvoir de rappeler les morts à la vie ; on contesta le
fait, mais il répliqua : « Dieu a dit que celui qui sauvait une
personne de la mort en la rachetant , était censé Tavoir
ressuscitéc,etinoi) père a sauvé ainsi les filles de Mouddate,
— En ce cas, lui répondit-on, votre prétention est juste. »
LES ANCIENS ARABES 31
Quoi qu'il en soit, suivant les Arabes, c'est notre seigneur
Abraham, le chéri de Dieu, —Sid'naBrahimKhalil'Allah,
qui, le premier, a mis en pratique les dix usages suivants ;
le Prophète n*aurait fait que les conserver :
1° La circoncision, tahara ;
i"* Les ablutions, el oudou ;
3® Se couper les ongles ;
4® Couper ses moustaches à hauteur delà lèvre supérieure,
ne laissant s'allonger que les coins ;
5® Epiler les aisselles ;
6** Épiler les autres parties du corps ;
7^ Le hhenna ;
»" Le kohhel ;
9** Le souak ;
10** Le tlbe, etc», — les parfums.
On cherche à le prouver en établissant que Sarah et
Agar — femmes d*Abraham — se teignaient les mains avec
du hhenîia bien longtemps avant Tislamisme.
De tout temps, le kohhel a été employé soit comme re-
mède, soit comme ornement; suivant AbourBoker-es^Sadik^
la première femme qui en fit usage» fut une femme de
rYémen, nommée Sedjalia, Elle en acquit une vue si forte,
qu à la distance d'un jour de marche, elle pouvait distinguer
un homme d'une femme.
On faisait le souak avec la branche d'uu arbuste très-com-
mun dans le Yrak, Cet arbuste venant à manquer, on Ta
remplacé par de Técorce de noyer ou de noix. Cette écorce
donne aux lèvres une couleur brune qu'on regarde comme
une beauté. On prétend aussi qu'elle conserve les dents.
Il me parait encore juste d'attribuer aux anciens Arabes
le goût très-prononcé d'une poésie qui savait s'habiller des
couleurs les plus vives, et au sommet do laquelle oA était
32 LA VIE ARABE
toujours certain de retrouver la femme et les combats. En
effet, ils aimaient à peindre par la parole tout ce qui frappait
les regards, tout ce qui pouvait inspirer le goût des belles
actions. Ne sachant, pour la plupart, ni lire ni écrire, ils
chantaient d'inspiration, l'amour, Thospitalité, la guerre, les
hautis faits, la gloire de la tribu. A certaines époques, les
improvisateurs se réunissaient devant une assemblée nom-
breuse, composée de gens distingués de tous les pays, et y
luttaient d'enthousiasme et de talents. Celui qui avait rem-
porté le prix était comblé d'honneurs, et son poëme, repro-
duit en lettres d*or, était suspendu à la Mecque, dans la
Kaaba, où les voyageurs et les pèlerins venaient l'étudier,
l'admirer, et souvent l'apprendre par cœur avec l'intention
de le propager plus lard sous leurs tentes. On voit, par ce
qui précède, que, si Ton peut reprocher à TArabie païenne
une foule de coutumes barbares et de superstitions ridicules,
on doit cependant lui concéder des mœurs très-chevale-
resques qui, sans disparaître entièrement, ont, en général,
depuis Tislamisme, cédé la place au fanatisme religieux.
Maintenant, j'aurai esquissé le tableau des mœurs et des
coutumes ai'abes avant Mohhammed, quand j'aurai rappelé
un usage général qu'on nommait oufada, et signalé encore
quelques pratiques bizarres dont les unes ont été supprimées
dans le nouvel ordre légal, et dont les autres, qui n'étaient
que singulières, sont simplement tombées en désuétude.
On entendait par oufada un tribut payé par les Koraïche
à chaque fête du pèlerinage. Ce tribut consistait en provi-
sions destinées aux pèlerins qui étaient trop pauvres pour
pouvoir se nourrir. Kossaï avait dit aux .Koraïche : « Pour
être les voisins de l'habitation de Dieu, vous êtes fixés dans
le Hharam, les pèlerins sont les hôtes de Dieu ; ils viennent
le visiter ; à ce titre, ils sont plus dignes d'une bonne
LES ANCIENS ARABES 33
rocepliou que les hôtes ordinaires ; pourvoyez doue à leurs
besoins jusqu'à ce qu'ils quittent notre pays. »
Le premier qui se soumit à ce tribut fut le fameux Aabd-
d'}îettaleb^ qui creusa Byr Zeni-Zem, le puits de Zein-Zem.
11 y trouva deux gazelles en or, ornées de pierres fines et
précieuses; plus, cinq sabres et cinq cuirasses complètes.
Les sabres et les cuirasses servirent à confectionner les fer-
rures de la maison de Dieu ; les gazelles furent fondues : on
en fit des ornements pour la Kaaba.
C^est probablement de TOufada que sont sorties, pour
tous, les traditions de cette touchante hospitalité — difa —
que Ton admire encore aujourd'hui chez les Arabes. Dans
ces temps reculés, on ne devait déjà plus rien craindre
quand on avait eu le bonheur, soit d'arriver à la tente de
son plus cruel ennemi, soit de toucher le manteau, aabaya^
de Tune de ses femmes. Il vous devait asile et protection.
Le Prophète, au lieu d^abolir ces coutumes généreuses, leur
donna au contraire la plus éclatante des consécrations en les
faisant entrer dans le dogme. ,
La saaiba, c'était l'action par laquelle un maître affran-
chissait son esclave en lui disant : « Va-t'en, tu es libre. » 11
n'y avait point alors d'autre formule d'affranchissement, et,
cependant, si l'esclave ainsi libéré Tenait à mourir, son an* '
cien maître, dans aucun cas, ne pouvait en hériter.
On appelait ouassila la réglementation de la brebis ; si elle
mettait bas une femelle, celle-ci appartenait au maître du
troupeau, tandis que, si elle produisait un agneau, il était
consacré aux dieux ; si elle donnait jour à deux jumeaux,
un mâle et une femelle, on disait de cette dernière : « Elle a
racheté son frère ; » celui-ci n'était pas sacrifié.
Bahira était la chamelle qui, ayant mis bas cinq fois, avait
fini par produire un mâle. En commémoration de ce fait
3
31 LA VIB ARABE
heureux» on fendait Toreilie à cette chamelle» qui ne pou*
vait plus être immolée ; on ne la tondait plus, elle restait
libre de pi*endre sa nourriture partout où cela lui plaisait» on
en avait lé plus grand sohi.
Quant au Aftom» c'était le chameau qui avait servi dix
années de suite à la reproduction. On disait de lui : Hhami
dahan^f son dos est protégé. Il était dispensé de porter les
fardeaux et on le laissait pattre à sa convenance*
Dans certains cas, on concédait aussi des immunités aux
brebis quand» par leur fécondité» elles avaient augmenté la
fortuné et lé bien-être de leurs maîtres^
Par tous ces soins et tous ces privilèges accordés au cha-
méHU et à la éhàbiellé» on peut juger maintenant de Tamour
des Arabéë pour un animal qulj vivant ou ibori, leur rend
leA plus grands services ^ quils appellent leé vaisseaux •«»
gmân^ t hén -^ de la terré et qui, disent*-ilS| les portent»
eu3t> leurs familles et leurs biisns-, du pays de Toppression
dans celui de lu liberté.
Retenir mot que nous avons déjà vu dans une autre appli*
cÂtion^ émit lé nom donné à la chamelle que Ton conduisait
sur le k>mbeau dé son mattre, éà, les yeux bandés, elle était
condamnée k mourir de fkim^ et devait servir de monture
au décédé.
Toutes lés coutumes qui précèdent provenant de Tigno-
rancé et du paganisme, (Meu» dans le Koran, les a désap-
prouvées. Elles constituaient des œuvres d*idolùlres et
pinvaient les croyants des avantages que les animaux peuvent
procurer.
Pour en finir avec les usages disparus, il ne me reste plus
qu'à dire ce qu'on entendait par le kheddab en-nhhar ; le
n^ssib'€i'-ra^a et le djaz ti HaHmsay,
Le kheihlnb-^en^nhhnr était raclioii d'oiii'lr • de sang le
LES ANCIENS ARABES 35
l>ol(rail du cberai qui mirchait en tête dos cavalière partant
pour la chasse ou pour la guerre» Ce signe indiquait l^exer*
cice auquel on youlait ne livrer^ il portait bonheur.
Les ohefa arabes plantaient toujours un étendard devant
leurs tentes; cet usage avait pour but de les fkire reconnaître
de loin. On le nommait nassib-er-raya.
Ils n'accordaient jamais la liberté à un prisonnier sans lui
couper la mèche de cheveux qui se trouve au-dessus du
front dans la partie de la tête con*espondantc à Tintervalle
des sourcils. Ce traitement était la preuve d'une défaite
et constituait une humlHation; on l'appelait le djaz el
nouassy.
On a maintenant une idée des difficultés que Mohhammed
rencontra pour construire son édifice, et, sans vouloir entrer
dans des considérations plus longues, je ferai seulement re-
marquer avec quelle habileté il marcha vers le but qu'il
voulait atteindre, et de combien de ménagements pour la
tradition il entoura sa tendance opiniâtre vers une réforme
radicale.
N'est-ce pas le cas de citer le proverbe attaché à son
nom : « La montagne ne veut pas venir à moi, j*irai vers la
montagne. »
Ainsi, tout ce qu'il voulait obtenir, il lobtinl, parce qu'il
sut se faire un moyen de tout ce qui lui semblait être un
obstacle. On continue d'aller en pèlerinage à la Mecque ;
mais ce n'est plus le temple des idoles, c'est, d'après les
Arabes, le temple du vrai Dieu, du Dieu unique. Des pierres
qui étaient adorées comme des fétiches subsistent encore,
mais elles ne sont plus visitées que comme des monuments
commémoratifs, et les superstitions grossières, les coutumes
barbares ont disparu. Au point de vue purement religieux,
l'islamisme a donc sa grandeur que nul ne peut mécon-
36 LA VIE AKABE
naître ; après treize siècles, pas un de ses sectateurs n'est
différent. C'est même là ce qui fait que nous avons à con-
tenir en Algérie une population toujours hostile et sur la-
({uelle, malheureusement, nous n'exercerons, pendant long-
temps encore, d'autre prestige que celui de la force.
CHAPITRE DEUXIÈME
LES ARABES DE ï/iSLAMISME
Religion; le bouillon du ctirélicn et le bouillon du musulman;
•la queue du lévrier. — Écriture arabe. — Correspondance.
— Visites. — Salutations. — Le tilre de monseigneur, sidi.
— Salamalec. — Adieux.
I
RELIGION.
Les Arabes qui occupent l'Algérie sont les descendants de
ceux qui l'ont conquise vers le viii* siècle, et qui ve-
naient de rOrient. Ils font remonter leur origine jusqu'à Is-
macl, fils d'Abraham et d*Agar, sont aujourd'hui musul-
mans, se montrent très-tiers de ce que Mohhammed —
Mahomet — le chef de leur doctrine, est sorti de leur sein,
et ils rappellent l'envoyé de Dieu, Rassoul- Allah, La reli-
gion qui leur a été imposée par ce Prophète au nom de
rÉtre suprême est renfermée toute entière dans le Koran,
livre écrit en arabe, descendu du ciel, suivant eux, et que,
pour cette raison, personne ne peut se permettre de blâmer,
de modifier, ni même do discutor. Le Koran règle cependant
3S J A VIE ARABE
jusqu'aux moindres d(HaiIs de la vie civile^ politique et reli-
gieuse.
Le Roran, que Ton prononce en arabe el Korane^ veut
dire la lecture ; on rappelle aussi le livre de Dieu, Ketab-
Allah, ou le livre chéri, Ketab el Aaziz^ et, pour qu'on ne
puisse en altérer le texte, il est partout surveillé avec le plus
grand soin.
On professe un tel respect pour le Koran, que personne
n'oserait le toueher avant de s'être purifié par une ablu-
tion.
La religion musulmane se divise en quatre sectes ortho-
doxes dont ]qs différences ne consistent que dans le rite. Les
voici : La secte Malehi, la secte Hhannafi, la secte Hann-
beliy et la secte Chafaaï. Les Arabes suivent le rite Maleki.
Ces quatre sectes sont soumises au dogme résumé dans le
verset suivant du Koran (Hâ* chapitre) :
« Dieu est un.
9 C'est le Dieu à qui tous les êtres s'adressent dans leurs
besoins.
9 II n'a point enfanté, et n'a point été enfanté.
» 11 n'a pas d'égal eu qui que ce soit. » '
Leur profession de foi est aussi la même :
f |1 n'y 9 point d'autre Dieu que Dieu, et Bfohhammed est
l'envpyé de DieUt > la Udh ha il AUah, ou Mohhammed
RassQul Allah,
Mûhhamme^ veut dire: le glorifié, le trës-'loué.
Et toutes elles reconnaissent les cinq prescriptions sui-
vantes comme obligatoires :
La profession de foi — chahmta.
La prière — eg-mlate.
RELIGION 39
L an mono — e^'^nakate.
Le jeûne — es-siyam,
La pèlerinage — el-^hhedj.
Pour que la prière soit agrëat)]e à Dieu, le musuiu^an doit
préserver de toute souillure les oreilles/ les yeux, la langue^
les mains, les pi^ds, le ventre et les parties sexi^elles. Il y
parvient par l'ablution, le lavage et la lotion — el oudim. r-
Les cas d'impureté so|it prévtis et minutieusement réglés.
Le Prophète a dit:
« Quand vous priez, tpurnez votre visage vers le temple
de la Mecque. >
Le Koran autorise Tesclavage et la polyg^piie. Cloaque
musulman peut épouser quatre femmes légitirpe<) et posséder
autant d'esclaves — djariyate — que sa fortune lui permet
d'en nourrir. La répudiation et Je divorce lui sont permis,
tout en étant assujettis à des formalités que Ton croit ca-
pables d'en corriger l'abus, mais qui, iinalheureusement, ne
l'empêchent pas.
La loi permet d épouser une juive ou une chréfieiine,
mais elle s'oppose absolument à l'union d'un infidèle avec
une musulmane. La rajson de ces prescriptions est facile à
comprendre : les enfants du musulman seront musulmans,
ceux de Tinfidèle seropt infidèles comme lui.
Au point de vue religieux, l^s Arabes ne tiennent aucun
compte de nos divisions géographiques ; à leurs yeux, la
terre, à quelque race qu*e1Ie appartienne, ne doit se partagor
qu'en deux parties :
1® Dar el islayn: le pays, litléralement, la maison de l'is-
lamisme. C'est celui qui est soumis aux princes musulmaiif>
et aux lois du Koran ;
^i' Dar el hharb : le pays, littéralement, la maison de la
<
40 l\ VIE ARABE
guerre. C'est celui qui csl soumis aux princes et aux lois des
infidèles et des idolâtres;
3** Et enfin les savants, chez les Arabes, appellent Beir
el aadjem tous les pays, quels qu'ils soient, où Ton ne parle
pas arabe. La croyance qu'ils sont supérieurs à tous les
autres hommes est tellement enracinée dans leurs cœurs,
que le mot aadjemi — étranger — ne peut être à leurs yeux
qu'un terme de dédain ou de mépris.
Tout homme qui nie rexistence de Dieu, qui lui donne des
associés et qui rend un culte à des statues ou à des images,
est un infidèle ou un idolâtre {kafer^ djahelj 7nadjouss,
zenndek), et la guerre contre les infidèles, djahad^ est or-
donnée par Dieu lui-môme. Il la faut permanente, impla-
cable ; elle doit durer jusqu'à ce qu'il n'y ait plus dans le
monde d'autre religion que celle du vrai Dieu. Tant que ce
but n*aura pas élé atteint, toute paix avec les impies est sé-
vèrement défendue. La loi tolère tout au plus que Ton fasse
avec eux des trêves, des traités à durée limitée, et encore,
cela ne doit-il avoir lieu que lorsque la communauté des
croyants peut en retirer de grands avantages, soit pour ré-
parer ses pertes, soit pour réunir ses ressources, se mieux
préparer enfin à mener plus fructueusement la guerre
sainte.
Dieu annonce aux croyants qu'elle finira par l'anéantisse-
ment des impics. Tout musulman, sans exception, est as-
treint à la faire, à moins d'impossibilités morales ou phy-
siques, et la mort dans le djahad est encore plus agréable à
Dieu que le pèlerinage à la Mecque et la visite au tombeau
du Prophète.
Le Koran met donc hors la loi tous les infidèles : on y lit,
chapitre ii, verset 189 :
« Combattez les infidèles jusqu'à ce que la vraie reli-
RELIGION 41
j^'ioii resle à Dieu seul, sans que Satan y ait aucune
part. »
On y lit encore, chapitre ix, verset 184 :
c Croyants, combattez ceux des infidèles qui sont vos plus
proches voisins, qu'ils trouvent en vous dureté et persé-
vérance h les attaquer. »
Et enfin, on y trouve, chapitre XLVir, verset i :
« Lorsque vous rencontrerez les infidèles, tuez-les jusqu'à
ce que vous en ayez fait un grand carnage^ et serrez fort
les entraves des captifs * . »
Dans le pays de Tislamisme, Dar el ùlam, on peut cepen-
dant tolérer des non musulmans habitant avec les musul-
mans, conservant leur religion, et protégés dans leurs mœurs,
dans leurs biens et dans leurs vies, mais à la condition ex-
presse et comme constatation de leur infériorité, de payer
un tribut spécial que Ton nomme djeziya — capitation. —
Ils sont alors considérés comme des sujets raayaSy d'où
nous avons fait le mot français raja.
Cette protection s'accorde surtout aux gens des livres
hhal el kUabCy c est-à-dirc appartenant à une religion ré-
vélée dont ils aui'aient à la longue changé ou altéré les
textes, comme les chrétiens et les juifs qui ont reçu TÉvan-
gile — Enndjilj le Pentateuque , le Tourate et le Z«-
bour — psaumes de David. Tout le monde sait que, dans
la religion musulmane, on considère comme de grands pro-
t Bien qu'il soit question des infidèles contemporains de Mahome!,
et en partie des Mecquois, ce passage est appliqué, depuis Mahomet, à
tous les infidèles et fait partie du droit d« guerre musulman (voir la
savante traduction du Koran, par M. Kasimirski).
Voir encore, pour plus amples détails au sujet de la guerre sainle,
l'excellent oqvrage sur la législation musulmane, par M. du Gaurroy,
secrétaire interprète au niinistère des relations extérieures.
4t LA VIE ARABE
phèteft Motsft — Sid^a-Moussa -♦ et Noire-Seigneur Jésus-
Christ — Sid-na-Aaïssa.
Il me serait facile Ae poniser plus loin ce^ citations, ruais
eij voilà assez pour nou» éclairer largement sur les senti-
ments qui doivent animer les Arab^ h regard des chrétiens;
leurs devoirs sont, pensent-ils, très-nettement et très-ri-
goureusement (racés ; ils np peuvent s*eu écarter que sous
peine d'encourir la damnation éternelle. Payant de là, il n'est
pas un seul d'entre eux qui ne croie faire une action méri-
toire en tuant un infidèle, comme en s'appropriant sa per-
sonne et ses biens. C'est à nous de nous tenir pour bien
avertis. Vainqueurs, on les trouverait impitoyables; vaincus,
ils sauront dissimuler jusqu'au moment où ils se croiront en
état de secouer un Joug que la religion leur rend intolérable.
Voilà la véiité. Les uns, avec des arguments plus ou moins
spécieux, la nieront au nom du progrès et de la civilisation,
et le» autres me blâmeront peut-être de l'avoir dite. Pour-
quoi , cependant? Au lieu de frapper dans le vide et
d'errer à Taventure, ne vaut-il pas cent fois mieux savoir
à quoi s'en tenir, ne fût-ce que pour proportionner nos
moyens aux difficultés que nous rencontrons en Algérie ?
Elles sont grandes , mais je ne les crois pas insurmon-
tables.
On a, je le sais, prétendu que les idées musulmanes, soit
par le contact ayec les chrétiens, soit par une connaissance
plus complète des bienfaits de notre civilisation, étaient déjà
fortement entamées sur certains points, à Alger, à Tunis, à
Tripoli, à Alexandrie, à Smyrne, à Constantinople, etc., etc.
Examinons donc ce qu'il peut y avoir de vrai dans cette as-
sertion et ne l'acceptons que sous bénéfice d'inventair.\ Tout
ce qui concerne les sectateurs de Haliomet doit être vu de
rès-près.
RELIGION AU
Dans les gi'andes villes ofi le dérèglement des mœurs ne
peut être que difficilement empêché, o&des populations nom-
i)i*euscs sont ibrcément mélangées et composées d^aventuriers
de ^putes les nations, il n'est pas rare de voir, dii-ou, dm gens
(jui boivent du vin, des liqueurs fortes et s'enivrent, qui fré*
quentcnt des lieux de débauche, les maisons de jeu, et se
livrent h tous les excès imaginables, foulant aux pieds les pré-
ceptes de leur religion. Cela peut ètra vi*ai, mais pénétrer
dans rintérieur du pays que vous voulez juger et vous serex
^'randement étonné d'apprendre qu'on y méprise souveraine-
ment ceux qui donnent aux fidèles des exemples aussi déplo-
rables. Vous les trouverez tous flétris par Popinion publique.
Et puis qu'arrive-t-il en dernière analyse?
Je vais vous le dire.
Un jour, cet homme qui vous a paru plus éclairé que
ses coreligionnaires parce qu'il a pris tous nos vices, qui est
devenu tolérant en apparence parce qu'il ne va plus à la mos-^
quée, qui a véeu sans répugnance avec des chrétiens que le
Koran lui ordonne de haïr, qui les a même aidés à asservir
ses frères, cet homme, dis-je, vieillit, sa santé décline, il s'a-
perçoit que sa barbe grisonne. Oh ! alors, les enseignements
de sa jeunesî^e l|ii reviennent à l'esprit, la peur de l'enfer
s'en empare, il déplore son passé, va trouver le représentant
de sa foi et lui dit avec humilité :
— 0 monseigneur, je me repens, je vienji faire roasouniisp
sion à Dieu ! Ya sidi enndemt ou tebt lellahh.
Faut-il repousser le pécheur qui se convertit î Non.
On lui accordera son pardon, et, redevenu blanc comme
neige, il se montrera dans l'avenir d'autant plus passionné,
d'autant plus fanatique , que son contact avec les infi-
dèles Taura davantage compromis et signalé au mépris de
44 LA VIE ARABE
ses coreligionnaires. Pour plus de sécurité encore, et si sa
fortune le lui permet, il fera le pèlerinage de la Mecque, car
il n*a point oublié ces paroles du Prophète :
« Celui qui entrera dans la Mecque en sortira pur comme
Tenfant qui \ient de naître. »
Maintenant, si Ton a voulu parler des progrès compatibles
avec l'esprit et les exigences de la religion musulmane, je
crois aussi qu'il y en a beaucoup de possibles.
Ainsi, les musulmans, bien que leur orgueil souffre tou-
jours de se traîner à la remorque des chrétiens, vous em-
prunteront au besoin tout ce qui pourra être utile k la com-
munauté des croyants, votre organisation militaire, votre'
tactique, votre armement, votre discipline ; ils s'efforcemnt
de mettre de Tordre dans leurs finances ; plus que par le
passé, ils s'occuperont d'améliorer le sort des masses, ils
vous feront quelques concessions insignifiantes dans les
tonnes diplomatiques, peut-être même dans les règles habi-
tuelles de leur société, mais tout cela dans quel but ? Dans
un but parfaitement déterminé. Le voici, exprimé d'une façon
aussi nette que concise :
En vue de la guerre sainte. De niyete el djahad.
C'est-à-dire avec la pensée, non de vous plaire en quoi
que ce soit; au contraire, de se mettre en état de lutter nIc-
torieusement contre les chrétiens, qu'ils craignent et (ju'ils
détestent.
A l'appui de cette opinion, je citerai les passages suivants
d'un livre curieux qui vient d'être publié par un musulman
très-capable, très-intelligent , qui a longtemps habité la
France et que j'ai beaucoup connu. Voici comment il s'ox-
► prime :
UELiGIOxN i:i
Page 8. — € Eu second lieu, j*ai écrit mou ouvrage pour
détromper certains nmsulmans fourvoyés qui, fermant les
\cux sur tout ce qu'il y a de louable et de conforme aux eu-
seiijuements de notre propre loi théocratique chez les peuples
d'une religion différente de la nôtre, se croient, par suite
d'un funeste préjugé, dans l'obligation de le dédaigner et de
ne pas même en parler, considérant comme suspects ceux
qui approu\L'nt ce qu'il y a de bon-comme système ou coinme
institution chez les non musuhnans. Cela pris dans un sens
absolu est la phis grande des erreurs ; car, si ce qui vient
du dehors est bon en soi et conforme à la raison, particu-
lièrement s'il s'agit de ce qui a déjà existé chez nous et nous
a été emprunté, non-seulement il n'y a pas de raison pour
le repousser et le négliger, mais, au contraire, il y a obliga-
tion de le recouvrer et d'en profiter. »
Page H. — « Ce ([ui doit rendre plus précieux pour nous
l'enseignement de nos écrivains militaires, c'est qu'il est con-
forme aux instructions données par le kalife Abou-Boker h
son général Khaled benn-Oulid^ chargé du commandement
d'une armée.
» — Je vous reconunande, lui dit-il, la crainte de Dieu,
le soin de vos subordonnés et les plus grandes précautions
loi'sque vous serez sur les* terres de l'ennemi. Si vous ren-
contrez son armée, combattez-la avec les mêmes armes dont
elle se servira; opposez l'arc à l'arc, la lance à la lance, le
sabre au sabre.
> Et si c'était aujourd'hui, il aurait mentionné sans aucun
doute les canons rayés, les fusils à aiguille, et, au besoin,
les navires cuirassés, car, 'i)armi les devoirs qu'impose la dé-
fense nationale ordonnée par la loi, se trouve celui de con-
naître la position, la force, les moyens de l'ennemi, pour
pouvoir égaliser les chances et le combattre avec sticcès. Or,
46 L\ VIK AHABD
|)ouiTdit-oii| do nos jours, exécuter toul cela sans être à la
hauteur du progrès actuel ^ ? »
Quoi qa*il éh isott, dans le ôoUrs dé cet ouvrage, par leur
religion, par l^.urs mœurs et leurs usages, par leurs sen-
tences, leurs proverbes et leurs dictons, les Arabes se peîn-
drôiit cuH-mèmeîî ; tls nous (éclaireront largement sur toul ce
qui les si^pare de nous, et chacun pourra ensuite, en pleine
connaissance de cause, aborder et résoudre à son gré, cette
fameuse question, posée depuis si longtemps, et depuis si
longtemps controversée : La fusion avec cp peuple est-elle
possible, oui ou non? Quant à moi, sans chercher à influen-
cer personne, je tiens pour exaôte et pour sincère la réponse
faite à rillusti*e maréchal duc d'Isîy par le vieux Moustapha-
bcn-Ismaël, cet agha si célèbre qui, rallié l'un des pi*emiers
à notre cause, en haine d*Abd-el-Kader, a été nommé géné-
ral, commandeur de la Légion d'honneur, et s*est fait tuer à
notre service, à l'âge de quatre-vingts ans*, par ces incorri-
gibles Flittas que l'on est certain de trouver dans toutes les
révoltes.
— Tu me demandes, disait le vieil agha au duc dlsly,* si,
au lieu de nous entre-détrutre éternellement, vous ne pourriez
pas, au moyen de concessions mutuelles et en développant
un grand blen-ètre parmi les masses, parvenir, un peu plus
tôt, un peu plus tard, à vivre en bonne intelligence, côte h
côte et sur le même sol, avec les Arabes, (jui entreraîenl
ainsi dans la voie du progrès. Veux-tu que je te dise, à cel
égard, toute la vérité? Kt, si je le la dis, ne m'eti voudras-tu
pas?
^Réformes néeeêsains aux tlnls ttinsulmans, ^bt le général Kliéix-
Jine (Khw-ed-Dine), anci««i miuisir* île tu marine, à Tunis, et anclrtn
membre lid Rrand coDieii tunisien. — l**ris, 1868.
RELIGION «T
— Non, je le le jura ; tu me rendras^ au contraire» un
grand service.
— Eh bien, éc(îute-moi aveo attenUoni je vais te pariei*
aussi sincèrement que si j'étais au jour du jugement dernier,
quand nous aurons Dieu pour kadi ci les anges pour le-
moins.
— Parle.
-^ Les Ai*abes ont en horraur toutes les innoYatious du
quelque part qu'elles viennent, et rester exactement dans les
mœursv dans les coutumes, dans la religion de leurs pères
leur parait le suprême bonheur. Quand on leui^ vante ces
progi*ès qui vous séduisent tant^ ils répondent invariable-
ment:
9 — Ahtiû tahaàinêy ou maùhi badaàinê. Nous sommes
Jes gens qui suivent et non des gens qui Inventent.
» Et ils ajoutent :
M '^ Nos aïeux seuls ont eu celte mission ; ils étaient plus
près de la création que nous, nous ne saurions donc rien Oadre
de mieux que ce qu'ils ont fkit. Vous vivez comme si voua ne
deviez jamais mourir, et nous vivons, nous, comme des gens
qui savent qu'il faut mourir un jour. Faites-donc de celle
terra votre paradis ; le nôtre est dans l'autre monde.
» Partant de là, continua Moustapha-ben-*Ismaêl, prends
un Français et un Arabe, mels*les dans une marmite et fais^^les
bouillir eiiseuible à gros bouillon , pendant vingl-qttalinô
lieures. Au bout des vingt-quatre heures, tu reconnalU^as
encore le bouillon du chrétien et le bouillon du musulman.
Ils ne se seront pas plus mêlés que leurs idées ne peuvent se
confondre.
— Quel parti piendre alors ?
— Ah î tu es sultan, et tu en sai^ phis q?ie uiui ; se ikv.nont,
48 LA VII:: AKAHb:
rappelle-toi que, si, un seul jour, on le trouve faible, tu es
perdu. Pour des étrangers tels que vous, l'Arabe est couinie
raniaiiile: quand on veut en man^'er le friiit, il faut en briser
récorce. »
Je puis donner ce qui précède comme certain, en ma qua-
lité de directeur des affaires arabes de TAlgéne, j'étais pré-
sent à l'entretien.
Cette opinion était, du reste, tellement enracinée dans l'es-
prit du général Moustapha-ben-Ismaël, que, dans une autre
occasion et à propos du même sujet, il a dit encore ce qui
suit à un ofiicier général qui a servi pendant longtemps en
Afrique, qui parle très-bien l'arabe et qui mérite la. plus en-
tière confiance :
— Tu n'ignores pas que le lévrier {selougui) porte la
queue en trompette ?
— Non.
— • Eh bien, celle queue, pour la redresser, enferme-la
dans un fourre'au solide, laisse-l'y pendant un an si tu veux,
puis sors-la de son étui, et tu seras tout étonné de la voir re-
prendre sa forme première. L'Arabe, c'est la queue du lé-
vrier. Jam.ais tu ne pourras rendre droit ce que la nature a
fait tortu.
Voilà l'avis du vieux Moustapha-ben-Ismaël ; ses paroles
sont aussi vraies aujourd'hui qu'il y a trente ans ; ne méri-
tent-elles pas d'être méditées par les théoriciens de la civi-
lisation des Arabes ?
Mais, me dira-t-on, vous nous donnez là l'opinion d'un
chef arabe très-expérimenté, sans doute, mais qui, à cause
de son âge avancé, de son éducation première, du milieu
dans lequel il a vécu et dcîs préjugés de sa race auxquels il
obéit sans s'en douter, n'est \ entablement pas en état de dé-
cider la (luestion. Que sait-il dis prodiges opérés par notre
RELIGION 49
civilisation? C'est bien, je comprends : la jeune branche se
redresse sans grand travail , tandis ([ue le gros bois ne se re-
dresse jamais.
Vous voulez im autre exemple, (jue penserez-vous de ce-
lui-ci :
En 1836, les officiers du 2« chasseurs d'Afrique, auquel
j'avais l'honneur d'appartenir, se lièrent avec un jeune Arabe
d'une grande naissance : trouvé spirituel, brave et beau, on
voulut essayer de le gagner à notre cause. Sous notre patro-
nage, il pénétra dans les salons de nos généraux, dans nos
réunions, dans la société française. On le conduisit partout,
partout il se montra trïs-intelligent et fit, sans répugnance,
ce qu'on voulut. Il apprit même le français, nos usages, et
on le croyait parfaitement acquis à notre civilisation, quand,
le rencontrant, dix ans après, dans les rues d'Alger, et
désirant juger par moi-même des résultats obtenus, je lui
offris ma maison, ma table, mes chevaux, l'hospitalité la
plus complète , enfin. Sa réponse détruisit toutes mes illu-
sions.
— Je te remercie, me dit-il avec politesse : tout cela me
faisait plaisir quand j'étais jeune et inexpérimenté; mais le
Tout-Puissant vient de m'envoyer un avertissement (il me
montrait en même temps sa barbe déjà parsemée de quelques
poils blancs), et, plein de confusion et de repentir, je rentre
dans le chemin de ma sainte religion pour n'en plus sortir,
s'il plaît à Dieu.
On le sait maintenant, vieux ou jeunes, barbes blanches,
barbes poivre-et-sel et barbes noires, tout le monde chez les
Arabes est îîu même avis sur la question qui nous occupe.
Après cela, devra-t-on dire pendant longtemps encore : Au-
res hahent et non audient, oculoa habent et non videbimt?
et que faudrait-il de plus pour prouver jusqu'à l'évidence
4
50 LA VIE AHABE
ai
que c'est errer coiupltHcmeat que de compter sur des pro-
grès sérieux, avec des populations qui, nous regardant
comme des étrangers et des oppresseurs, nous sont de plus
en plus antipathiques par les mœurs, ainsi que forcément
hostiles par la religion ?
Cependant, on aurait tort de trop en vouloir à ceux qui, ne
partageant pas les idées que je viens d*émettre, se font des
illusions sur ce que nous pouvons attendre des Arabes. Je
les crois de bonne foi ; mais, n'ayant eu, la plupart du temps,
affaire à eux que dans ces moments de transition où ce
peuple, passé mattre dans l'art de dissimuler, jugeait utile à
ses intérêts de ne pas nous contrarier, de nous plaire, au
contraire, par ses prévenances et sa facihté, tout en nous
séduisant par une apparente bonhomie, ils en ont été cruelle-
ment trompés.
En pouvait-il être autrement? Vous allez en juger.
Nos voyageurs, en pays arabe, soit avec une mission, soit
pour leur plaisir, cliaudoment reconunandés par l'autorité
militaire, ont été l'objet des plus délicates attentions. On
leur a fourni des chevaux, des mulets pour porter leurs ba-
gages, on leur a donné des guides, une escorte, on leur a
tenu compagnie, on a répondu à toutes leurs questions. Pour
les distraire et tout en cheminant , on leur a fait tuer un
lièvre, une outarde et quelques perdreaux qui, le soir, pour-
ront encore améliorer leur souper. Arrivés au gîte, ils ont
été installés dans une bonne tente de campagne — guitoun
— bien orientée, dressée sur un terrain sec, à l'abri du
vent et pourvue de ces chauds et épais tapis que l'on nomme
ferach ; puis, le moment venu, on leur a servi un excellent
kesskessou , une fricassée de poulet très-appétissante —
mekhetei\, — un agneau rôti — kheioul\ — accompagné de
regag ou de messemmemiy pâtes feuilletées délicieuses, le
RELIGION 51
(oui .irrosé par un lait aussi frais qu^aboiuitiiil, ((uaiid un
pauvre officier des bureaux arabes placif sur la lisière du dé-
sert, entre le ciel et le sable, bien loin de sa famille, bien
loin de ses amis, ne leur aura pas, ce qui arrive souvent, of-
fert la dernière bouteille de Bordeaux ou de Cliampagne qu'il
conservait précieusement pour fêter , au besoin , l'arrivée
d'un compatriote. Et enfin, à la tombée de la nuit, on aura
poussé Tattention jusqu'à établir autour d'eux une garde de
dix ou douze hommes que personne ne rétribuera, mais cpii
auront la mission de les protéger contre les entreprises pos-
sibles des fanatiques, des voleurs ou môme des ennemis de
la tribu (ces derniers seraient bien heureux s'ils pouvaient
la compromettre). On ne saurait être plus aimable, vous en
conviendrez.
Pendant ce temps, la conversation a été mise sur toute
sorte de sujets, sur les récoltes, sur les chevaux, sur le
commerce, sur la chasse, et l'on a cru devoir terminer en
parlant aussi de la paix et de la guerres du civil et du mili-
taire. Alors, les Arabes, profitant avec habileté de l'occasion
et sachant que cela irait haut et loin, auront chaleureuse-
ment protesté de leur dévouement à la France, ils se seront
félicités du bonheur que nous leur apportiom, et, le lende-
main, nos touristes auront continué leur route i^arfaitement
convaincus que ces gens-là nous adorent, que leurs cœurs
s'ouvrent au progrès, qu'ils sont mûrs pour la civilisation, et
que le seul obstacle à une colonisation puissante et sérions >,
c'est l'insatiable ambition de l'année. « Diminuez l'armée ! »
publieront-ils en rentrant en France, jette arnu^e dont la pro-
tection et le prestige leur a permis d'arriver sans accident
jusqu'au désert, et la question sera résolue.
Voilà pourtant comme on écrit l'histoil'c.
Non, l'obstacle à l'installation, sur le sol, d'une nombreuse
52 LxV VIE ARABE
population européenne ne vient pas, comme on se plaît à le
répéter, de l'insatiable ambition de l'armée ; il vient du cli-
mat, des mœurs, du pays, et surtout d*un sultan très-puissant
à qui tous les Arabes obéissent les yeux fermés, et qui,
vous l'avez vu plus haut, leur ordonne de faire aux chré-
tiens une guerre permanente et implacable. Ce sultan,
vous le connaissez tous, il se nomme « le Koran » , et,
d'après eux, le Koran est la parole même de Dieu. ^
Sans doute, quelques-uns prétendront que nous sommes
le peuple dominateur, et que c'est au peuple vaincu à ap-
prendre notre langue, à adopter notre religion, à se plier à
nos mœurs, à nos idées, à nos usages. Montesquieu se char-
gera encore de leur répondre, et voici sa réponse :
c C'est la folie de tous les conquérants de vouloir donner
à tous les peuples leurs lois et leurs coutumes, et cela ne
sert à rien, car dans tous les gouvernements on est capable
d'obéir. »
Suivant Montesquieu, il ne s'agit donc que de savoir bien
commander.
Maintenant, je fais mes réserves : si, après avoir lu ce qui
précède, on en inférait qu'eu égard à la religion dans
laquelle a été trempé le caractère des Arabes, je regarde la
question de l'Algérie comme insoluble , on serait dans une
erreur complète. Je pense toutefois que l'une des premières
conditions pour la résoudre sera, sans aucun doute, de ne
nous bercer d'aucune illusion, de connaître à fond les diffi-
cultés qu'elle nous oppose.
Partant de là, puisque ce peuple immobile ne croit qu'à la
orce, renonçons à faire les Arabes à notre image ; laissons-
les à leur religion, à leurs mœurs, à leurs coutumes; mais
soyons toujoui*s grandement en mesure de réprimer le
moindre de leurs écarts, et sachons en tout temps nous faire
RELIGION r»3
craindre et respecter par une fermette inc^branlable. Cette
fermeté, je la veux, bien entendu, fondée sur la justice, la
bienveillance et rhumanité.
Déjà, je ne crains pas de le dire, nous nous sommes mon-
trés, pour le peuple vaincu, plus grands, plus généreux que
tous les gouvernements musulmans qui iu)us ont précédés.
Vous allez en juger.
Nous avons respecté ses croyances ; il peut suivre sa re-
ligion en toute sécurité. On a réparé ses mosquées, ses
zaouyas, ses chapelles — goubba ; — on a encouragé, sou-
tenu ses écoles ; on a même facilité ses voyages à la Mecque,
d'où, malheureusement, il revient plus fanatique et plus in-
tolérant que jamais.
Voilà pour la religion ; qu'avons-nous fait pour la justice ?
Eh bien, la loi musulmane régit encore aujourd'hui toutes
les conventions et toutes les contestations civiles et commer-
ciales entre indigènes, et, quand il s'agit d'un crime du d'un
délit intéressant la société française, et, pour ce motif, déféré
aux tribunaux français, le tribunal appelé à prononcer s'ad-
joint deux assesseurs musulmans choisis parmi les plus
instruits (t les plus recommandables. Ces assesseurs ont
voix délibérative sur les questions de culpabilité. (Décret du
3i décembre 18S9.)
Passons à l'instruction publique.
On a créé des collèges arabes impériaux à Alger, à Oran
et à Constantine.
On a ouvert, pour les enfants arabes des deux sexes, des
écoles primaires gratuites et des écoles d'adultes. On en
compte maintenant plus de deux cent cinquante en Algérie,
abstraction faite des écoles libres, des salles d'asile et des
ouvroirs d'apprentissage, oii l'on enseigne aux jeunes filles
pauvres les travaux à l'aiguille. — Conmic complément de
r.4 LA VIE ABARE
cel ensemble de dispositions libérales, le !•' octobre 1863,
on a fondé une inspection des établissements d'instruction
publique ouverts aux indigènes, et, le 4 mars 1865, l'œuvre
a été couronnée par l'organisation d'une école normale d'in-
stituteurs.
On a été plus loin : pour faire connaître aux indigènes les
actes du gouvernement qui les intéressent, ainsi que pour
éveiller chez eux le goiit de Tinstruction, on a créé un jour-
nal officiel arabe-français : il porte le titre de Mobacher — le
Nouvelliste^ — et il est envoyé à tous les kadis et à tous les
chefs de tribus. N'est-ce point encore là une preuve de notre
sollicitude pour les Arabes et des tentatives que nous avons
faites pour les jeter dans la voie du progrès.
Ce n'est pas tout : à la date du 26 mai 186S, on a institué
dans la province d'Alger une ferme-école arabe-française,
dans laquelle on reçoit et les enfants envoyés volontairement
par leurs familles, et les orphelins indigènes. Ces enfants
doivent avoir dix ans au moins et quinze ans au plus.
Qui ne trouvera dans cette mesure un moyen puissant de
civilisation ?
Ce n'est pas tout encore : en 1855, pour donner du pain
et un état à une foule d'enfants délaissés dans les villes du
littoral, lesquels devenaient, pour la plupart, de fort mau-
vais sujets, on a fondé à Alger une école de mousses — à
bord de l Allier , — et cette institution a déjà formé un grand
nombre de mousses et de novices qui servent à bord des
bâtiments de l'État ou du commerce.
Examinons maintenant ce qui a élé fait pour la pro-
priété.
Par un sénatus-consulte, en date du 22 avril 1863, inspiré,
nous aimons à le croire, par une grande pensée de justice et
d'utilité, on a transformé les simplt»s droits de jouissance des
RELIGION 5
oo
tribus on titres incommutables de propriété en se donnant la
lourde tâche :
i** De procéder sans retard à la délimitation territoriale
de huit à neuf cents tribus (sans compter la Kabylie), qui
ont été reconnues ainsi propriétaires des terres dont elles
n'avaient qu'une jouissance traditionnelle ;
2® De délimiter encore et de répartir d'une manière col-
lective ces mêmes territoires de tribus entre toutes les frac-
tions de tribus/ et Dieu sait si elles sont nombreuses ;
3" De constituer la propriété individuelle dans chaque
douar de toute tribu, c'est-à-dire en mettant la Kabylie en
dehors, — chez trois cent mille familles h peu près, — soit
sur la demande des indigènes, soit à la volonté du gouver-
nement quand il le jugera convenable;
4® Enfin d'^issurer immédiatement la liberté complète des
transactions entre Européens et indigènes, pour les pro-
priétés, aussi bien en territoire militaire qu'en territoire
civil. En vue de favoriser cet état de choses, les terres dis-
tribuées aux Arabes ont été déclarées insaisissables pour
dettes. (13 décembre 1866.)
Nous avons ainsi donné en toute propriété 12 millions
d'hectares à 1 ,800,000 Arabes qui, jusqu'ici, n'avaient ja-
mais pu en cultiver plus de 2 millions au maximum.
Pouvait-on se montrer plus généreux, je le demande?
J'arrive à l'état des personnes.
Aux termes d'un sénatus-consulte en date du 14 juillet
1865, sur l'état des personnes et la naturalisation en Algérie,
l'indigène musulman est Français et il peut être admis à
servir dans les armées de terre et de mer : dans ce cas, il
est régi par les lois civiles et politiques de la France.
Les troupes indigènes, tant dans Tarmée de terre que dans
Farmée de mer, font partie de l'armée française ; TArabe
S6 LA VIE ARABE
reconnu apte à entrer à l'École militaire de Saint-Cyr y est
admis, et en soit officier au même litre que tout Français.
Quant aux indigènes qui ne veulent pas servir dans lar-
mée, ils peuvent être revêtus de fonctions et d'emplois ci-
vils qui leur donnent droit à une pension de retraite, confor-
mément à la loi qui régit la matière.
Je ne terminerai pas cette longue énumération de mesures
toutes empreintes d'une rare bienveillance, sans faire remar-
quer aussi que le commerce des Arabes a reçu une large
extension de la sécurité et des facilités créées par nos routes,
nos lignes de fer, les ponts et les ports que nous avons con-
struits ou améliorés, ainsi que par les autres travaux publics
dont nous avons doté le pays. La valeur de leurs produits
en a certainement décuplé ; et si, malgré nos efforts, ils se
sont trouvés dernièrement en proie à la plus affreuse misère,
c'est que Dieu leur a envoyé des fléaux que personne ne
pouvait conjurer : tremblements de terre, sauterelles, sé-
cheresse prolongée, disette, choléra, typhus^ etc., etc.
En résumé, nous n'avons rien négligé pour améliorer
la condition des Arabes. Nul ne peut le contester. S'en
montreront-ils reconnaissants? Peu importe; cette con-
duite nous honore aux yeux du monde entier. Persévérons
donc; mais en même temps, organisons, avant tout, un bon
et solide gouvernement des indigènes qui paralyse leur
mauvaise volonté à notre égard et les réduise à Timpuissance.
Réprimons sévèrement toutes les tentatives de révolte.
Et, quand, dans l'intérêt de la France, nous aurons quel-
que chose de raisonnable à exiger du peuple vaincu ;
Quand, enfin, le moment sera venu de placer à côté de lui
une nombreuse population européenne dans de bonnes con-
ditions de succès et de complète sécurité, seul moyen de
dinnimcr un jour notre année et nos dépenses ;
RELIGION 57
Parlons haut et ferme, agissons, s'il le faut, avec énergie,
et il se résignera parfaitement, en se consolant par cette
maxime favorite de ses pères : «
C'était écrit chez Dieu! Mektoub rebbi !
Un dernier mot.
Je ne quitterai pas un sujet aussi controversé, je ne
crains pas de Tavouer, par des esprits trës-éminents, sans
ajouter que si, malgré une assez longue expérience, je
me suis trompé dans les appréciations qui précèdent, je
me suis certainement trompé de bonne foi, sans aucune
pensée de dénigrement et mû par le patriotique désir do
dire à mon pays ce que je crois être d'utiles vérités. Pour-
quoi ne me servirais-je pas du mot vérités quand, j'en ai
des preuves matérielles entre les mains, ma manière de
voir, à cet égard, est partagée par les hommes les plus pra-
tiques et les plus éclairés? Je pourrais, au besoin, citer
des noms très-autorisés.
Quoi qu'il en soit, l'étude qu'on va lire est le résumé de
longues observations, de travaux consciencieux, dont je dé-
sirerais faire profiter tous ceux qui, après moi, voudront
aborder d'une manière utile la question si importante pour
notre pays de la société arabe.
Le peuple arabe a pour traits distinctifs dans son caractère
une susceptibilité ombrageuse et fanatique, une dignité exa-
gérée peut-être, parfois même un peu farouche, mais qui
certainement n'est pas sans grandeur. Il serait aussi in-
juste de la méconnaître que de la froisser sans nécessité.
Il existe pour cette nation tout entière des règles de con-
duite parfaitement tracées, nettement définies, elles reposent
sur des principes acceptés par tous : personne ne les discute,
les chefs de famille et les vieillards se plaisent à les ensiM-
58 LA VIE ARABE
gner, et elle» ont certainement leur origine dans des motifs
qu*une philosophie sérieuse doit étudier.
Ce sont ces règles, indispensables pour qui veut pénétrer
dans le labyrinthe des mœurs arabes, que nous voulons
faire connaître aujourd'hui. Il en est de ce nouveau travail
comme de tous ceux qui l'ont précédé. Il ne s'agît pour
nous d'engager aucune controverse, d'établir aucune compa-
raison, d'amener le triomphe d'aucun système, mais tout
simplement d'appeler l'attention des hommes pratiques sur
une question où se confondent un intérêt philosophique et
un intérêt national.
II
ECRITURE ARABE
Les savants, chez les Arabe?, assurent que l'écriture, el
khott, fut inventée par Adam, qui, après avoir déterminé les
caractères, les (raça sur de Tarp^ile très-épaisse, durcie par
le feu, ce qui, d'après eux enrore, explique comment ils ont
pu être retrouvés après le déluge» Cela ne supporte pas la
discussion. Certains auteurs accordent à l'écriture une ori-
gine moins ancienne et en font honneur à Idriss.
Ils en comptent douze principales :
1° Lakhem'iariti,
2** Uarabe proprement dite
3® La persane^
A" Végyptienney
5" Véthiop'xenney
G° La syriaque.
T* Uhébraique,
8** La grecque,
O*» La latine,
10'' L* indienne,
11** La tartare,
lia"* La chinoise.
ÉCBITURE ARABR 59
. La première des écritures connues est, disent-ils, la khe-
mlariti. L'arabe n'y fut substitué que longtemps après, et ils
en font remonter Torigineà trois frères de la tribu de Thaï,
Le premier, nommé Morar, imagina les lettres ; le second,
nommé Aselam, leur assigna des figures différentes suivant
qu'elles sont liées ou isolées, et enfin le troisième, Aamer,
y joignit les points diacritiques.
La plus ancienne écriture arabe est celle de la Mecque;
vient ensuite celle de Médine, puis celle de Bassora, puis
celle de Koufa et, en dernier lieu, celle qui est aujourd'hui
généralement usitée en Orient. Elle est due à Benn-Mokla ;
on l'appelle el tiesskhi.
De cette dernière, que se sont appropriés les Turcs et les
Persans, dérivent plusieurs autres qui prennent les noms
de taalik, rihhani, tulth, roka, diouani et chikti, suivant
qu elles diffèrent entre elles par la forme plus ou moins ar-
rondie, plus ou moins effilée des lettres, comme aussi par
leur enjambement ou leur entrelacement.
La moghrebi est celle qui est usitée dans toute l'Afrique.
Les princes et les musulmans lettrés font un très-grand cas
d'une belle écriture; ce talent est indispensable à quiconque
aspire à de hautes fonctions; aussi nomme-t-on chez les
Arabes la profession d'écrivain une profession d'or.
Benn-Kheldoun a dit :
« L'écriture peint la parole aux yeux comme la pensée
peint la parole à l'ouïe. »
On trouve des calligraphes d*une habileté incroyable. Dans
leurs écritures illustrées, les Arabes varient à l'infini et les
dessins et les dorures.
Ces écritures illustrées portent le nom de taadime el
khott. On les emploie ordinairement en tête des manuscrits
de luxe ou pour mieux faire ressortir aux yeux des lecteurs
60 LA VIE ARABE
les divers chapitres du livre saint que les fidèles tiennent
en grande vénération. Il n'est pas rare en pays arabe devoir
des Korans qui , par le grand soin mis à récriture, ainsi
que par la richesse des dorures, arrivent au prix de cinq à
six mille francs.
Le taadime el khott est aussi en usage pour reproduire
des sentences ou maximes élevées dont lésa aoulamas et les
tolbas — lettrés — ornent les mosquées, les écoles ou les
prétoires des kadis. Nous avons plus d'une fois admiré, dans
les établissements religieux ou dans les anciens palais des
souverains, l'élégance et le goût apportés soit en sculpture,
soit en écriture, aux pensées et aux versets du Koran qu'on
avait, à dessein, mis en évidence.
Les Arabes , à l'opposé de nous, écrivent de droite à
gauche et lisent forcément de droite à gauche. Chez eux, la
première page d'un manuscrit ou d'un livre est toujours la
dernière d'un livre français. J'ajouterai qu'ils ne peuvent
écrire ni avec des plumes d'oie ni avec des plumes de inétal.
Il écrivent avec des plumes taillées daiis de petits roseaux
bien secs, — kelem^ kelouma.
III
CORRESrOXDAXCR
Toutes les lettres écrites en arabe commencent par la
formule sacramentelle :
c Louanges à Dieu Tunique ! »
El hhamedou lellah ouahhédaou!
CORRESPONDANCE 61
buivic (l*im complément qui peut varier , mais dout les plus
usités sont les suivants :
« Que Dieu soit propioe à notre seigneur Mohhanuned !
« Il n'y a d'éternel que Tempire de Dieu,
« Et il n*a pas d'associé. »
Salin allah aala sid-na Mohhammed.
Oua la idoum il a melkou.
Oua la charik la-hou.
Ces formules, on le voit, sont par elles-mêmes une pro-
fession de foi musulmane, profession de foi dans laquelle se
trouvent mêlés et le nom de Dieu et le nom du Prophète.
Ne point tenir en grand honneur ces noms respectés, c'est in-
sulter à la religion. Partant de là, quand il ne doit pas con-
server les lettres qu'il a reçues, l'Arabe les déchire en petits
morceaux, les cache dans un endroit où ils n'ont à craindre
aucune impureté, ou bien les enfouit dans la terre. L'une des
plus grandes énormités aux yeux d'un musulman, c'est d'af-
fecter une lettre à un usage quelconque. La salir par une
souillure devient une véritable profanation.
Le cachet — tabaa, — pour les Arabes, remplace la signa-
ture. Ce peuple en est encore au temps où nos ancêtres
déclaraient ne pas savoir signer eu leur qualité de gentils-
hommes. Le gentilhomme arabe, même lettré, est toujours
accompagné d'un secrétaire — khadja, — chargé de sa cor-
respondance; quant à lui, son rôle se borne à apposer son
cachet sur la lettre quand elle est écrite.
Le cachet ne peut être employé que par les personnes qui
sont au pouvoir. Il contient en général la désignation de
l'emploi du fonctionnaire avec une phrase religieuse qui
rime avec son nom. Voici celui que les lettrés m'avaient fait
(|uand, directeur des affaires de l'Algérie, j'étais obligé de
G2 LA VIK AKABK
correspondre chaque jour avec les indigènes, au nom du
ouverneur général, M. le maréchal duc d'Isly :
II
« Celui qui s'appuie sur le Dieu de tout le monde,
» Monsieur le colonel Daunias,
» Chargé de toutes les affaires arabes, — 1841. »
El ouatek bi rebb en nass^
Sid el kourounil DoumasSy
Metoulli bi kafet aamour el aareb,
J*ai eu un moment entre les mains le fameux cachet de
l'émir Aabd^l-Kc^der : les inscriptions s'y trouvaient dispo-
sées autour des angles d*un hëxagoxe, ligure que Ton ren-
contre souvent sur les monuments arabes. On y lisait au
milieu :
Aabd-el'Kader, fils de Mahlii-ed-Dine, — 1248.
Dans les triangles aigus formés par l'hexagone, en com-
mençant par le haut et en marchant de droite à gauche, on
trouvait :
Allah, Mohhammed, Abou-Boker, AomaVy Aathman et Aaly.
Ces six noms, dont les quatre derniers désignent les quatre
premiers kalifes, sont les plus vénérés des diverses sectes
musulmanes.
Les six angles obtus renfermaient ces mots :
*i Notre maître, le prince des croyants, qui a reçu la vic-
toire (lu Dieu vivani et tout-puissant. »
Et enfin la légende consistait dans ces vers du poëine inii-
lulé le ïlorda :
a Celui qui met son appui dans l'envoyé de Dieu, s'il esl
surpri:> par les lions, ccuv-i'i reslcnt stupéfaits. »
LVniirXribd-el-hiuler nt* sl* servait de son grand eacliei
VISITES 63
que pour les affaires gouvemerueutales. Il avait un cachet
plus petit pour les affaires confidentielles. Quand il écrivall
à sa famille, à ses parents, à ses amis, il le faisait sans ca-
chet, son écriture leur étant connue.
De supérieur à inférieur, le cachet se place en tète de lu
lettre, après la formule qui la commence.
D*inférieur à supérieur, le tabaa doit, au contraire, être
apposé immédiatement après le dernier mot. Agir autrement
serait plus qu'une impolitesse, ce serait une insolence.
IV
VISITES
Nous dirons bientôt ce qu'il convient de faire et ce qu'il
convient d'éviter ([uand on se trouve en rapport avec les
Arabes ; mais, auparavant, une première question est à ré-
soudre. -^
A qui et par qui les visites sont-elles dues dans la société
musulmane ?
La principale règle à laquelle les Arabes ne manquent ja-
mais de se conformer est commune à tous les peuples. L'in-
férieur doit le premier rendre visite à son supérieur. Celte
obligation ne soulève aucune difficulté lorsqu'elle s'applique
à des fonctions dont les titulaires sont subordonnés les uns
;iu\ autres ; il n'en est pas de même quand il s'agit de hiérar-
chies différentes, ou de celle noblesse religieuse que nous
avons comprise sous le nom de cliérifs et de marabouts.
En principe, le marabout ne doit de visite ni au chef de la
tribu, ni à aucun des dépositaires du pouvoir. Hotui mes-
64 LA VIE ARABE
senahh — il est libre. C'est, au conlrairo, à rautorité, aux
hommes du niakhzen — du gouvernement — à aller le visi-
ter, ne serait-ce que par politique, et pour prouver à leurs
administrés combien ils honorent le caractèi*e de . sainteté
dont il est revêtu. En agissant autrement, on s'expose aux
(;ritiques de tous.
Une considération analogue, cependant déjà moins grande,
s'attache aux personnages qui appartiennent au culte, à la
justice ou à la science. Ce n'est plus à eux à attendre la vi-
site des chefs de la tribu ou de la ville, c'est à eux à la leur
faire les premiers ; mais cette visite doit leur être prompte-
ment rendue , car tout représentant de l'autorité doit un
hommage à la religion, à la justice et à la science, trois
choses qui se touchent de bien près chez les Arabes.
A côté de cet ordre de préséance, il est des règles acces-
soires qui sont également observées. Par exemple, lorsqu'une
personne reçoit la visite d'une autre personne moins élevée
en dignité, mais qu'elle veut cependant honorer d'une ma-
nière particulière, il convient qu'elle quitte sa place pour la
céder au visiteur, auprès duquel elle ira s'asseoir dans une
position inférieure.
Dans le cas où le supérieur juge convenable d'accorder un
honneur moins significatif, il se borne à faire placer son
hôte à côté de lui.
Enfin, s'il s'agit d'un visiteur auquel il est dû une certaine
considération, sans qu'il soit nécessaire de lui montrer une
déférence aussi grande que dans les deux premiers cas, le
visité se bornera à se lever pour le recevoir et, après les
compliments d'usage, lui fera signe de s'asseoir à l'une des
places disponibles.
Le marabout seul n'est tenu à se lever devant qui que ce
soit ; mais le marabout est homme, et il sait toujours, et
VISITES 65
surtout quand son intérêt le lui commande, allier le respect
de sa dignité avec celui qu'il doit aux puissants de la
terre.
On voit donc que chez les Arabes, comme chez nous, la
question des devoirs du visité et du visiteur est une question
de tact et d*appréciation des positions respectives. Mainte-
nant, quelles sont les formules de politesse employées dans
les visites, les voici :
Sois le bienvenu.
Tu nous as honoré.
Tu as honoré notre place.
Marhhaba bik.
Chereft-na.
Chère ft medrob-na.
Une bénédiction est venue nous visiter.
Zaret-na el baraka.
En fait de visite, cependant, il est toujours convenable
de se conformer aux préceptes contenus dans le dicton sui-
vant:
Que Dieu accorde sa bénédiction à celui qui a fait visite et
n*a pas été long.
Allah irhham menn zar ou khoff.
Quand un Arabe entre dans un appartement ou dans une
tente, il ne manque jamais d'ôter ses souliers — sebbate —
ou ses pantoufles — belgha. — Cet usage lui est commandé
par la propreté et par la religion.
Par la propreté, parce qu'il n'y a pas une maison, une
tente, où Ton ne trouve un tapis ou une natte.
Par la religion, parce qu'il est toujours ainsi prêt à faire,
sans gêne aucune, les ablutions qui doivent précéder les
prières ordonnées par la loi.
S*il descend de cheval, l'Arabe ôte ses bottes en maroquin
5
66 LA VIE ARABE
— temague, — et chausse tout de suite lessebbate ou belgha
qu'il a placés dans sa djehivay espèce de sabretache très-
commode, plus ou moins ricbe, plus ou moins ornée, sui-
vant sa fortune, et qui raccompagne dans tous ses voyages.
SALUTATIONS
Il est inutile de déduire ici tout au long le prologue du code
de la politesse, ces litanies interminables de formules tou-
jours les m^^mes que les Arabes se renvoient mutuellement
et imperturbablement lorsquMls se rencontrent. Cependant,
comme Tétiquette officielle est rigoureuse et que chaque
signe en est noté scrupuleusement, j'en parlerai avec quel-
ques détails.
L*inférieur salue son supérieur en lui baisant la main,
s'il le rencontre à pied, le genou s'il le trouve à cheval.
Les marabouts et les tolbas, les hommes de la religion,
à quelque titre qu'ils lui appartiennent, savent concilier ia
fierté qu'au fond du cœur ils ont pour la sainteté de leur
caractère, l'orgueil de leur caste, avec leur pieuse humilité.
Us retirent vivement la main, mais ne la dérobent au
baiser qu'après que le simple fidèle s'est mis en posture de
le donner.
Ils se prêtent à une respectueuse accolade, ou se laissent
seulement effleurer soit la tête, soit l'épaule. Cette déférence
n'a plus rien de commun avec forgueil des salutations exi-
gées par les puissants de ce monde.
Quand un inférieur à cheval aperçoit sur sa route un
SALUTATIONS «7
bomme tout à fait considérable, il met pied à terre de loin
pour lui embrasser le genou.
Deux égaux s'embrassent sur la figure, ou, s'ils ne sont
pas liés par l'amitié, se touebent légèrement la main droite,
et chacun se baise ensuite Tindex»
Un Arabe ne se découvre jamais la tête pour saluer. Les
musulmans n'y sont point tenus, même devant les sultans^et
ils ne l'exigent pas des étrangers. Le cbapeau de paille — me-
doll — fait cependant exception, on ne le garde pas en par-
lant à un supérieur ; mais remarquez que, quand on Ta ôté, la
tète reste encore couverte par la chachiya , le hhàik et la
corde de chameau. Le medoll ne se porte que pendant les
grandes chaleurs de l'été ; il est très-haut, ses bords sont
très-largiBS ; il préserve admirablement du soleil. On en
voit, dans le désert principalement , qui sont entièrement
couverts de plumes d'autruche ; à cheval, c'est joli, malheu-
reusement c'est fort lourd. De loin, vous jureriez un énorme
bonnet à poil de sapeur auquel on aurait ajouté des bords
démesurés.
Dans les grandes occasions, pour saluer une entrée triom-
phale, le retour d'une heureuse et longue expédition, ce que
nous appellerions enfin une cérémonie publique, les femmes
et les jeunes filles poussent avec ensemble des cris de joie
sur un ton aigu qui ne manque pas d'un certain charme :
Tezegherite.
Le mot salamaleCy que nous avons pris aux Arabes et qui
vient sans aucun doulc de la formule salam-aalik, que le
salut soit sur toi, suffit à montrer combien Jes musulmans
tiennent aux formules d'urbanité, de quel prix ils estiment
cette monnaie courante de la politesse, qui, suivant le mot
d'un gentilhomme français, est celle qui coûte le moins et
qui rapporte le plus.
68 LA VIE ARABE
Personne, en effet, mieux qu'un Arabe, ne sait entourer
son abord de ces caresses de langage qui facilitent l'accès et
préparent un accueil favorable ; personne ne sait mieux en-
core se conformer aux exigences respectueuses des positions
sociales, en traitant chacun suivant son rang.
On vous donne ce qu'on vous doit, rien de plus, mais
rien de moins.
Tout est gradué, tout aussi est, en quelque sorte, régle-
menté et fait l'objet d'une théorie traditionnelle dont les
préceptes sont répétés avec soin par les pères et pratiqués
par les enfants avec l'attention qu'ils accordent respectueu-
sement à toutes les leçons de la sagesse des ancêtres.
L'ignorance dans laquelle on se trouve généralement,
même en Afrique, des principes de civilité admis par la so-
ciété musulmane, expose trop souvent les Européens à man-
quer aux règles tracées par l'usage, ou à se placer, vis-à-vis
des indigènes, dans un état d'infériorité dont ceux-ci ne
manquent pas de se prévaloir.
C'est ainsi que nous avons entendu maintes fois prodiguer
par des Français revêtus du pouvoir les qualifications de sidi
— monseigneur — au moindre Aaïd, nous dirons plus, à de
simples mekhaznis — cavaliers.
Sans doute nous devons aux Arabes l'exemple de Turba-
nité; nous le devons, et comme peuple dont la civilisation
est plus parfaite et comme peuple dominateur ; cependant,
ne leur accordons que ce qu'il est convenable de leur ac-
corder.
Pour nous guider en cette matière difficile, voyons à qui
l'Arabe donne la qualité de sidi :
Il la donne :
1® Aux fonctionnaires du gouvernement : kalifas^ aghas,
kaids.
SALUTATlOiNS 69
2® Aux chefs de la justice et du culte : muphtis^ kadiSy
imam, aadel.
3® A la noblesse religieuse : marabouts^ cherfaa.
i^ Aux personnages considérables , soit à raison de leur
fortune, soit à raison de leur origine. Djouad — noblesse
d'épée.
Ils donnent seulement le titre de si — monsieur, — con-
traction de sidi^ aux individus lettrés — tolbOs^ — ainsi
qu'à tout musulman qui a fait le voyage de la Mecque. Dans
ce cas, si c'est un homme, on fait précéder son nom de la
qualification de sid-el-hkadj^ monsieur le pèlerin, et, si c'est
une femme, de lalla khadja^ madame la pèlerine. C'est là
encore une preuve de la considération qui s*attache à tout ce
qui touche à la religion.
Quant à ceux qui ne sont ni nobles, ni fonctionnaires, ni
lettrés, on les appelle simplement par leur nom, Aabd'Al-
lah, Mohhammedj Bachir^ etc.
Un jour, j'offris un cigare à un chef arabe et je lui dis :
€ Veux-tu fumer, prends ce cigaro (c'est le nom estropié
qu'ils donnent au cigare). » Il me répondit : t J'accepte ton
garo, mais je ne vois pas pourquoi tu lui appliques le titre
de si — de monsieur; — $faro tout court^ c'est bien assez
pour lui.
Ces renseignements préliminaires donnés, j'arrive aux sa-
lutations proprement dites :
jusqu'à hcdi :
Que ton jour soit heureux I
Que ton jour soit béni !
Que ta matinée soit avec le bien !
Sebahh le khér !
Youmek saàid !
Nharek mebrouk !
70
LA VIE ARABE
Que Dieu rende heureux ton matin !
Allah issaad sebahhak !
Que ton jour soit pur comme le laitl
Nharek ki Ihhalib !
APRÈS MIDI :
Que ta soirée soit avec le bien !
Messa le khér !
Que Dieu vous fasse passer la soirée avec le bien !
Allah mmessi'koum bel khér!
Que Dieu rende fortunée ta soirée!
Allah issaad messak !
A TOUTE HEURE :
Sois le bienvenu.
Sois avec ta santé.
Sois avec la paix.
Comment toi?
Gomment ton temps?
Comment es-tu fait?
Comment es-tu?
Comment vas-tu?
Les enfants vont-ils bien ?
Marhhaba bik,
Aala selamtek.
Aal selama.
Ouach ennta?
Ouach hhalek ?
Ki rak dair?
Kirak?
Kifennek ?
Li chachera be khér.
Tu trouveras ici la famille et du large.
Halenn ou sahalenn.
Chez les Arabes, le mot temps revient à chaque instant dans
la conversation. Au lieu de dire : « Comment te portes-tu?»
on dit : « Comment va ton temps? » c'est-à-dire : c Comment
SALUTATIONS 71
te trouves-tu pendant le temps que Dieu t'a donné à passer
sur cette terre. »
Il est une nuance moins marquée, moins connue, qu'on ne
saisit pas tout d'abord quand on n'a pas une grande habi-
tude des usages arabes. Je veux parler du détour au moyen
duquel ils s'informent de l'état de la femme de leur interlo-
cuteur.
La nommer, fût-elle à la mort, serait une haute inconve-
nance ; aussi l'intérêt qu'on veut lui témoigner se mani-
feste-t-il par des désignations indirectes, par des allusions.
Comment va ta tente?
Comment vont les gens?
Comment va la famille?
Comment vont tous les tiens?
Ki rahi khéimtek ?
Ki rahoum nassek ?
Kirahi aayalek?
Ki rahi djemaatek ?
Comment vont les enfants d'Adam?
Ki rahoum banou Adem ?
Comment vont ceux qui t'aident?
Ki rahoum el aaouana f
Toute désignalion trop claire éveillerait la jalousie : Il a
donc vu ma femme, il la connaît donc, qu'il s'inquiète
d'elle?
A moins d'une très-proche parenté, il est défendu aux
femmes de se montrer aux hommes et aux hommes de re-
garder les femmes. Ceci explique pourquoi les hommes seuls
peuvent aller au marché quand il s'agit de pourvoir aux be-
soins de la famille. Dans riiUimité, on ne peut voir que ses
sœurs, ses belles-sœurs, ses tantes, et encore, pour cela,
faut-il montrer une grande discrétion. Que voulez-vous I la
jalousie est dans le sang du peuple arabe. Un poète a dit :
« Je t'aime tant, 6 Safiya — la pure — que je suis jaloux
78
LA VIE ARABE
de ffloi-mémey de Taffection que je te porte, de ta grâce, de
ta beauté, du milieu dans lequel tu vis, de l*air que tu res-
pires. Si, pour être sûr de te posséder seul, je pouvais te
placer dans la prunelle de mes yeux, cela ne m*empécherait
pas d'être encore jaloux de toi jusqu'au jour du jugement
dernier. »
Le tutoiement, qui est pour ainsi dire exclusivement em-
ployé par les Arabes, cesse souvent dans les conversations
de mari à femme. Un bomme bien élevé ne parle d'habitude
à la mère de ses enfants qu'à la deuxième personne du plu-
riel. Il y a dans ce fait une certaine déférence.
RÉPONSES AUX SALUTAT10?rS
Je vais bien, très-bien.
Bien, je suis reposé.
Je ne fais que gazouiller.
Je ne fais que dire.
Il ne me manque que ta société
Bien, j'ai pris respiration.
Rani be khér^ be khér nezha.
Be khér y rani metardhh.
La nedenndenn.
La negouL
Ma khoss-ni ghér djemaatek,
Be khér, rani meriahh.
Je vais bien et je remercie Dieu.
Rani be khér y nhhamed Rebbi.
Je vais bien avec la tranquillité.
Rani be khér, ou aafya.
Quand tu es bien, je suis bien,
Menine ennta be khér, ana be khér.
Bien, je suis sur mon contentement.
Be kliéry rani aala kifi.
SALUTATIONS 73
Nous ne faisons que louer Dieu.
Ghér nechekkerou Allah.
Je vais bien, nous sommes dans l'abondance.
Be khér, rana kafiine.
Bien, il ne nous manque rien.
Be khér, ma khossna chaain.
Je vais bien, il ne me manque que ta figure el le prolon-
gement de ton existence.
Rani be khér y ma khoss-ni ghér oudjhek ou toulane aamrek.
Je loue Dieu et je déchire la créature.
Nhhamed Rebbi ou necherreg el aabd.
Je suis réglé comme une horloge.
Rani aala hhassab el magana.
Nous ne demandons que de vos nouvelles.
Ghér nessalou aali-koum.
Nous allons tous bien, jusqu'aux chiens de la tente.
Rana be khér, hhatta be kelab el khéima.
Je vais bien, que Dieu te bénisse.
Rani be khér, Allah ibarck fik.
Je vais bien, que Dieu te sauve.
Rani be khér, Allah issellmek.
Je vais bien, louanges à Dieu.
Rani be khér, Ihhamedou lellah.
Nous ne demandons à Dieu que sa protection et le pro-^
longement de la vie.
Ghér netlobou Rebbi fi ceterr ou toulane el aamer.
74 LA VIE ARABE
Tout le bien est étendu (autour de nous).
Koull khér bassott.
Dans la conversatfon, les formules pieuses, le nom du
Prophète surtout, interviennent fréquemment; mais il peut
se trouver, parmi ceux que Ton salue, des gens d'une reli-
gion étrangère, et par conséquent ennemie ; pour ne pas
blesser ces personnes, qu'après tout il faut ménager, par des
souhaits auxquels elles n*accoi*deraient aucune valeur ; pour
ne pas, d'un autre c6té, compromettre des mots sacrés en
compagnie d'infidèles, la formule est plus vague, plus gé-
nérale.
On dit^ par exemple :
Salut à mes gens. | Salam aala kali.
Vous trouverez même de nombreux fanatiques dont la con-
science farouche et timorée ne s'accommode pas d'un pai*e'il
compromis, et qui se croiraient damnés s'ils n'établissaient
pas une séparation bien marquée entre eux mêmes et des
mécréants.
Ceux-là, quand ils entrent dans une réunion où se trou-
vent des chrétiens ou des juifs, ne manquent jamais de
dire :
Salut aux gens du salut! | Salam aala hal es-salum.
Salut à ceux qui suivent la bonne direction.
Saalam aala menu tabaa Ihotula,
On comprend néanmoins que, dans les pays soumis à notre
domination, la prudence fait taire le fanatisme, et qu*on ne
se hasarde pas à froisser des gens qui, parlant arabe, sau-
raient ce qu'on veut dire, et pourraient faire payer assez
cher une impolitesse.
SALUTATIONS 75
Dans tous les cas, la conduite la plus simple à tenir avec
ces grossiers personnages, c'est de ne paraître s'apercevoir
de rien, ou de leur répondre très-froidement :
Sur toi, comme tu as dit. | Aalika ma goult.
Quand un Arabe aborde un Israélite, un membre de cette
population si longtemps et si rudement asservie par les
sectateurs de l'islam, s'il consent à lui adresser la parole le
premier, s'il croit devoir être gracieux avec lui, il lui dit:
Que Dieu te fasse vivre I
Que Dieu te soit en aide !
Allah ïaaichek!
Allah taaounek!
Et ce simple mot de politesse exceptionnelle accordée à
an juif, serait, dans le cas spécial, une insulte pour un mu-
sulman.
Un Arabe ne passera jamais devant une réunion de ses
égaux ou de ses supérieurs, sans dire, en mettant la main
droite sur son cœur :
Que le salut soit sur vous ! | Salam ou aalikoum !
Que le salut soit sur vous avec la miséricorde de Dieu I
Salam ou aalikoum ou rahhmet Allah !
On lui répond toujours :
Sur vous soit le salut ! | Aalikoum es-salam !
Même en parlant à un ami que Ton rencontre seul, on dira
toujours : € Que le salut soit sur vous ! » au pluriel.
Pourquoi ? Parce que cet bomme que vous voye». seul est
accompagné de son ange gardien que vous ne voyez pas, et
qu'il faut les saluer tous les deux.
76 LA VIE ARABE
Au surplus, pour les salutations en plein air, voici les
principes invariables :
Quelle que soit sa naissance, son état ou la dignité dont il
est investi, celui qui est à cheval doit, le premier, envoyer
le salut à l'homme qu'il rencontre marchant à pied ou
arrêté.
Celui qui marche à pied doit en faire autant pour Thomme
assis près duquel il vient à passer.
Celui qui est monté sur un cheval, doit aussi saluer le
premier tout individu qui n*a pour monture qu'un mulet.
Il en est de même pour Thomme monté sur un mulet,
quand il trouve sur sa route un pauvre voyageur cheminant
sur un fine.
Il ressort de ces règles minutieusement posées et scrupu-
leusement observées, que, par esprit d'humilité, le salut
doit toujours partir d'en haut pour aller en bas, et non d'en
bas pour aller en haut.
Cependant, si deux hommes d'une condition égale, vien-
nent à se croiser soit à pied, soit à cheval, c'est le plus
jeune qui, le premier, doit saluer le plus âgé. Cette excep-
tion a pour but de consacrer le respect pour la vieillesse.
Les saints sont prononcés d'une voix grave et solennelle,
qui fait contraste avec notre habitude de nous aborder en
riant.
Demander à quelqu'un de ses nouvelles d'un ton léger,
presque narquois, le saluer à l'étourdie, prendre une atti-
tude qui ne soit pas en harmonie avec cette sérieuse parole:
c Que le salut de Dieu soit sur vous ! » paraît aux Arabes la
chose la plus choquante du monde ; ils ne tarissent pas en
reproches sur cette façon d'agir. « C'est donc bien risible,
disent-ils, que de demander à son parent ou à son ami :
« Comment vous portez-vous ? »
SALUTATIONS Tl
On ne peut se faire une idée des plaisanteries qu'inspire
aux Arabes notre manière de saluer. lis disent que nous
portons une espèce de vase de nuit sur la tète, et que, quand
on se rencontre, on se l'offre le plus gracieusement possible,
en se demandant réciproquement si Ton n'a pas quelque be-
soin pressant à satisfaire.
Les salutations, cbez les Arabes, sont interminables. Tou-
jours une conversation sur la paix, le commerce, la guerre
ou la chasse, etc., etc., est interrompue par un retour subit
aux formules avec lesquelles on s'aborde : « Comment es-tu ?
— Bien. — Comment va ton temps? — Très-bien. — Com-
ment va ta tente ? — Tout le monde va bien. » Et, après avoir
épuisé ce vocabulaire, on reprend la conversation au point,
à peu près, où elle était restée.
Ces alternatives de causeries, avec intermède de politesses,
se renouvellent à diverses reprises ou se multiplient en rai-
son de l'amitié qu'on porte à l'interlocuteur, ou du temps
qu'a duré l'absence. J'en ai été souvent témoin, et je ne suis
pas étonné que des Français leur aient donné le nom de sa-
latnalec.
En résumé, jamais des salutations 'ou des compliments ne
doivent rester sans réponse, et, si l'on vous en apporte de la
part d'un ami ou d'un étranger, ayez soin de dire au messa-
ger:
Qu'il y en ait encore davantage pour toi !
Ketir lek !
Ou bien :
Bienvenus tes compliments.
Salue-le sur ma langue.
Salue-le de ma part.
Marhhaba be selamek,
Sellem aalih aala lessani,
Sellem aalih menn aandi.
78 LA VIE ARABE
VI
ADIEUX
Après les salutations viennent tout naturellement les
adieux que Ton adresse, soit pour quitter une tente où l'on a
été reçu, soit pour se séparer de ses amis, ou bien encore
lorsqu'on veut entreprendre un voyage.
Un Arabe entre dans une compagnie, salue, parle à son
tour et s*en va sans rien dire ; mais, s'il est de bon ton de ne
pas attirer Tatlention de son hôte lorsqu'il a plusieurs per-
sonnes chez lui, ce serait une grande impolitesse que de ne
pas lui faire ses adieux lorsqu'il est seul, ou quand il est
impossible qu'il ne s'aperçoive pas de votre départ.
Les formules usitées en pareil cas sont celles-ci :
Je pars, restez avec le bien.
Rani machi^ bkaou aala khér.
Je vous laisse avec le bien.
Khallite-koum aala khér.
Je vous laisse dans la main de Dieu.
Khallite-koum fi idd J^ebbi.
S'il platt à Dieu, nous entendrons toujours dire que vous
êtes bien.
Ennchaallah^ daim nessmaaou aalikoum el khér,
m
Que votre soirée soit avec le bien !
Messa le khér aalikoum !
Que ta soirée soit avec le bien ! Dors avec la paix.
Temessa aala khér ! Ergoud be selama.
ADIEUX 79
Prends soia de la famille.
Tehalla fel khéima.
Je pars, et je vous laisse mon cœur.
Mechite au galbi khallite.
RÉPONSES AUX ADIEUX
Que ton voyage soit heureux,
Avec la protection de Dieu !
Que Dieu soit avec toi !
Va, avec la paix.
Rohheu be selama.
Sofra mebrouka^
Fy amane Allah !
Allah ikoun maak!
Que Dieu te fasse rencontrer le bien !
Allah idjaalek telka el khér!
Tu pars et tu emportes mon cœur.
Mechite ou galbi editt.
Rencontre le bien et la tranquillité.
Maared khér ou aafya,
Nous ne sommes pas rassasiés de ta société.
Maranach chebaanine nienn djemaatek.
Que Dieu n'allonge pas ton absence I
Allah la itououell aatik, el ghaiba !
Que demain ta matinée soit avec le bien et la tranquil-
lité !
Tessebahh be khér ou aafya !
80 LA VIE ARABE
Que Dieu te fasse arriver avec le bien et te ramène avec
le bien !
Allah yousselek aala khér ou idjibek aala khér !
Que Dieu nous réunisse dans une heure fortunée !
Allah idjemaarna /î saa mebroiika !
S*il platt à Dieu nous nous rencontrerons dans une belle
heure.
Ennchaallah netlnkaou fi saa zina.
Quand un Arabe se met en voyage, eût-il omis des choses
importantes, ne le rappelez jamais. Ce serait d'après ses
idées, lui porter malheur. Cependant, si vous le faites, au
moment où il se retournera, dites-lui :
Que ton chemin soit avec le salut !
Trék selama !
et tout danger sera conjuré.
Lorsqu'un enfant quitte sa famille, dans la pensée que
cela lui portera bonheur et le ramènera au pays, avant son
départ, on lui fait boire de Teau puisée à la source la plus
voisine. Cet usage n'est-il pas touchant?
Heureux celui qui prend la route un samedi. Pourquoi ?
Parce que le Prophète préférait ce jour à tous les autres.
Les Arabes croient encore au fal, c*est-à-dire à Taugure
que Ton peut tirer de certains faits qui se produisent inopi-
nément.
Ainsi, voir un chacal en se levant, présage heureux. Mais
voir un corbeau voler seul et comme égaré dans le ciel, pré*
sage malheureux. Si, au contraire, deux corbeaux, Theu-
reux et Theureuse, messaaoud et messaaoudaj paraissent jouer
ADIEUX 81
ensemble dans les airs et te faire compagniey pars avec con-
fiance.
En un mot, chez les Arabes, tout ce qui est beau, jeune,
éclatant et riche porte bonheur, tandis que tout ce qui est
vieux, infirme, pauvre et déguenillé porte malheur. Ceci
admis, si, en sortant de chez toi, tu rencontres une femme
laide ou vieille, une jument décharnée, mal équipée, une
esclave, un homme estropié, garde-toi bien de quitter ta
tente ou ta tribu.
Mais ce qui peut arriver de plus heureux à un voyageur,
ainsi qu*à un parti de cavalerie sur le point d*entrer en cam-
pagne, c'est de trouver, au départ, une jeune et jolie femme,
resplendissante de santé et richement vêtue, qui, dénouant
sa ceinture, vous regarde et en agite les deux extrémités en
^ vous souriant avec grâce et bienveillance. Elle appelle sur
vous la bénédiction de Dieu.
A propos de voyage, je dirai que l'émir Aabd-el-Kader ne
contrevenait jamais à Tusage universel, qui veut que, lors-
qu'on va monter à cheval pour une longue excursion, la
femme, une négresse ou bien encore un serviteur, jette un
peu d*eau sur la croupe ou sur les jambes de la monture.
C'est un souhait et à la fois un heureux présage. Souvent
c'est le cafetier qui répand du café sur les pieds des chevaux.
A ce même ordre d'idées appartient la superstition qui
fait considérer une averse au départ comme de bon augure.
L'eau est toujours la bienvenue dans un pays où souvent
elle manque. De là aussi ce compliment fréquent que l'on
adresse aux hommes du pouvoir, lorsqu'il leur arrive de se
mettre en route par une pluie battante :
0 monseigneur, ton éperon est vert !
Ya sidij chabirek kheder !
82 LA VIE ARABE
C'est-à-dire : Tu nous portes bonheur, car tu nous amènes
Teau qui produit la verdure, l'eau qui est toujours si propice
à la moisson et à nos troupeaux.
Telles sont, dans leur ens^auble, les rès^les de la polites&e
ordonnée par Dieu lui-même. Ou trouve dans le Koran, cha-
pitre XXIV, verset 61 :
c Quand vous entrez dans une maison, saluez-vous réei*
proquement (celui qui entre et celui qui reçoit), en vous
souhaitant de par Dieu une bonne et heureuse santé. C'est
ainsi que Dieu vous explique ses signes afin que vous les
compreniez. »
Maintenant, pour entrer, pour sortir, pour interroger ou
pour répondre, on n'a plus qu*à choisir, parmi celles que j*ai
données, les formules qui conviendront à Tesprit ou au rang
de l'interlocuteur. Dans la plupart des cas, on fera bien de les
mettre au pluriel.
CHAPITRE III
Remerciments et souhaits. — Supplications. — Serments.
Injures. — Imprécations. — Consolations. — Félicitations.
lEMERCIMENTS ET SOUHAITS.
Je crois avoir déjà soulevé un coin du voile qui, avant
la conquête de TAlgériey se plaçait entre les Européens
et les Arabes pour nous cacher leurs mœurs, leur ca-
ractère et leurs pensées intimes; mais ce que, sous peine
de lasser la patience la plus robuste, il serait très-diffi-
cile de dérouler tout au long, c*est la kyrielle des remep-
ciments , des souhaits , des prières et des instances que
prodigue ce peuple souple, liant, abondant en amabilités Ver-
beuses, lorsqu'il veut en venir à ses fins, demander un
service, implorer une grâce, solliciter une faveur. Je vais
cependant essayer de le faire.
Quand un Arabe est en présence d'un sultan, d*un che
ou d'un protecteur quelconque qu*il a besoin de ménager, il
saura toujours, si Ton veut tolérer l'expression, amadouer
84
LA VIE ARABE
son homme, ainsi que le lui commande du reste le proverbe
suivant :
A celui que tu vois monté sur un âne, dis :
c 0 monseigneur, que ton cheval soit heureux I »
Le tessibou rakeb aala hhemar^ goullou:
Ya sidiy mebrouk el aaoud !
Et puis ne faut-il pas encore se conformer à ce sage
principe des aïeux :
Baise le chien sur la bouche.
Jusqu'à ce que tu en aies obtenu ce que tu veux.
Boms el kelb menn foum-hou,
Hhatta tekdi messaltek menn-hou.
Pour comprendre l'énergie de ce dicton, il faut savoir que,
le chien étant un animal impur aux yeux des musulmans,
ils méprisent souverainement ceux qui passent leur vie à le
caresser et à Tembrasser.
Quand un Arabe a touché un chien, il ne peut plus prier
sans s'être purifié par une ablution.
Ils sont nombreux, les baisers à donner au chien, les com-
pliments à faire au corbeau qui tient un fromage, et je sais
plus de cent phrases différentes, concernant ce sujet, de-
puis :
Que Dieu augmente Ion bien !
Jusqu'à :
Que ton ventre n'ait jamais faim !
A mettre en regard de notre éternel : a Dieu vous assiste !
Dieu vous le rende I »
En voici quelques-unes :
REMERGIMENTS ET SOUHAITS 85
Que Dieu te sauve I
Que Dieu te le remplace !
Que Dieu prolonge ta vie !
Que Dieu te bénisse I
Que Dieu te couvre !
Que Dieu te chérisse !
Que Dieu te favorise !
Allah issellmek !
Rebbi ikhelef aalik !
Allah itotiel aamrek !
Allah ibarekfik!
Allah istor aalih !
Allah yàazek !
Allah ihhafedek!
Que Dieu augmente ton bien !
Allah iketter khirek !
Que Dieu ajoute à ton bien !
Allah izid fi rezkek!
Que Dieu te fasse gagner !
Allah idjaalek terbahh !
Que Dieu accomplisse ton désir !
Allah ikemmel moradek !
Que Dieu te donne tout ce que lu désires !
A llah taatik koull ma tetemenna !
Que Dieu se rappelle tes parents !
Allah irhham onaldik !
Que Dieu te rougisse la figure !
Allah ihhammer lek oudjhék !
Que Dieu ajoute à ta considération !
Allah izid fi hhermetek !
Que Dieu te conserve ta place !
Allah laiguelaalék medrobek!
Que Dieu te pardonne tes péchés !
Allah ighefor denoubek!
86 LA VIE ARABE
Qae Dieu te fasse mourir couverl ^
Allah imiitek mestour !
Que Dieu te récompense avec le bien ^
Allah ikafik bel khér!
Que Dieu te conserve la santé !
Allah icheddUk fi sahhatek !
S'il platt à Dien, tu prospéreras !
Ennchaallah terbahh !
Que Dieu te rende heureux !
Allah issaadek!
Que Dieu te donne toute espèce de bien !
Allah taatik koull khér!
Que Dieu ne te fasse voir aucun mal !
Allah la iourrilek bass!
Que Dieu te préserve de Tenfer et des enfants du péché !
Allah isellkek menn en-nar ou nienn oulad Ihharame !
Que Dieu embellisse ton temps !
Allah iziyenn hhalek!
Que Dieu accorde sa miséricorde aux auteurs de tes jours!
Alluh irhham oualdlk!
Que Dieu fasse durer ton heure !
Allah idomn saatek !
Que Dieu fasse réussir tes enfants !
Allah issedji ouladek!
Que Dieu soit miséricordieux pour le ventre où tu as bouilli!
Aliah irhham el kerch faine ghellite !
REMëRGIMëNTS et souhaits 87
Sur toi la protection de Dieu !
Aalik amane Allah !
Que Dieu te donne cent et une chamelles !
Allah ïaatik myate naga ou naga !
Que Dieu soit miséricordieux pour le ventre dans lequel
tu t'es remué !
Allah irhham el bethonn li etkhebott (ih !
Que Dieu te place dans le paradis après ta mort !
Allah imiitek, fel djenna!
Que Dieu fasse réussir tout ce qui t'appartient !
Allah issedji ma aandek !
Que Dieu te compte au nombre des amis du Prophète !
Allah idjaalek menn sahhab en-nebi!
Que Dieu te rende tout facile I
Allah issahel aalik koull-chi!
Que Dieu te compte au nombre des amis de la Mecque et
de Médine !
Allah idjaakk menn sahhab Mekka ou el Madina!
Que Dieu te contente avec le bien !
Allah idjazik bel khér !
Que Dieu t'accorde la tranquillité !
Allah thennlk!
Que le mal soit loin de toi !
Baaid el bêla aalik!
Que Dieu remplisse ta tente !
Allah ïaammer-lek el khéima!
88 LA VIE ARABE
Que Dieu éloigne de toi les dettes et les malédictions des
auteurs de tes jours !
Allah ibaad aalik ed-dine ou daa el ouoldine !
Que Dieu vous préserve de tout malheur pendant la durée
de votre vie !
Allah yaafi-koum menn koull moussiba be toul hhayate-
koum!
Que Dieu te fasse mourir sur un lit de soumission !
Allah immiitek aala ferach taa!
Que Dieu rende notre fin meilleure que notre commence-
ment !
Allah idjaale akher-na khér menn oueul-na!
* ■
Que Dieu te rende comme un poisson savonné: on le
touche sans pouvoir le prendre !
Allah idjaalek ki Ihhouta metliya be sabaune: tenmess
ou ma tenhhakemch!
Que Dieu aplanisse tout derrière et devant toi I
Allah ïouttihalek men ourak ou kouddamek!
Que Dieu ne laisse jamais ton ventre avec la faim,
Et ton corps dans la nudité !
Allah la idjouaalek bethenn,
Ou la iaarikk bedenn !
Que Dieu te rende facile toute affaire difficile !
Allah issahel aalik koul amer saaib !
Que Dieu te rende comme Teau: on la prend, mais elle
s'échappe !
Allah idjaalek ki le ma: tenhhakemou teflet!
REMERCIMENTS ET SOUHAITS 89
S*il plattà Dieu, tu réussiras et tu gagneras !
Ennchaallah tendjahh ou terbahh!
Que Dieu te fasse mourir dans la guerre sainte !
Allah imiitek fel djahad !
Que Dieu te fasse mourir avec le témoignage, sur un bou
cheval et kaîd de ta tribu I
Allah immiitek aal chahada, ou rekoub el khér, ou le
kiyada!
Que celle qui t'a fait, en fasse encore cent comme toi !
Li ouldatek, tezide mennek mya!
Dieu te récompensera dans ce monde et dans Tautre !
Allah ikafik fi hadi ou fi lakhéra !
On pousse la politesse plus loin encore : on ne s*en tient
pas aux paroles, et l'on sait flatter par des actes.
Dans une course de chevaux, un kaïd et un puissant agha
se trouvaient en présence ; le kaïd fit tous ses efforts pour
se laisser battre, il y réussit. Quiconque connaît Tamour-
propre d'un Arabe pour la réputation de son cheval appré-
ciera la grandeur du sacrifice.
La course finie, Tagha dit au kaïd : « Ton cheval est excel-
lent ; tu Tas retenu, il n'est pas possible qu'il en soit autre-
ment. — Ah ! monseigneur, répondit le kaïd d'un air de
bonhomie, jamais, dans mon pays, le cheval d'un kaïd n'a
battu celui d'un agha. »
Entre Arabes, ces gracieusetés se payent de la même mon-
naie, c'est-à-dire avec des paroles ; mais, quand elles nous
sont adressées, à nous autres chrétiens, nous ne nous y at-
tendons guère et nous pouvons nous y laisser prendre, tandis
que, loin de faire quelque fond sur ces compliments, nous
90 L\ VIE ARABE
devrions peut-être les regarder comme. un avertissement et
nous tenir en méfiance.
Nous n*avons besoin pour cela que de nous rappeler Tin*
tolérance ombrageuse de ce peuple, qui, après nous avoir
combattu vainement par les armes, a recours à la parole.
Lutter contre un cbrétien avec toutes les ressources que Dieu
fournit doit être agréable à TÉtre suprême. Que sera-ce donc
si rintérét s*en mêle et vient à l'appui de la piété.
Il existe quelques exceptions, mais elles sont rares, et
le mieux, en définitive, est de rester toujours sur ses
gardes.
Il faut même se prémunir contre ces allusions que se per-
mettent vos compagnons habituels, ceux que vous croyez
vos meilleurs amis : profitant de votre inexpérience, ils ne
laissent écbapper aucune occasion de faire rire S vos dépens,
par quelque mot à double entente compris seulement de
ceux qui vous entourent. La langue arabe en est très-riche ;
il pourrait vous arriver de prendre une assez grossière
injure pour une gracieuseté.
II
SUPPLICATIONS
Pour Tamour de Dieu.
Tu es notre père.
Fi sabillah,
Hnnta baba-na.
Je suis entré chez toi par Dieu.
Daklwlt mltk bellah.
SUPPLICATIONS 91
Je n'ai que toi et Dieu.
Maandi ghér ennta ou Rebbi.
Monseigneur, je suis ton chien.
Ya sidij ana kelbek.
Monseigneur, je suis ton serviteur.
Ya sidiy ana khedimek.
Je suis une plume de tes ailes.
Ana richa menn djenahhak.
Ne me jaunis pas la figure.
Ma tasseferliche oudjhi. .
Donne-moi un peu de ce que Dieu t'a donné.
Aaténi menn H aatak Rebbi.
Je suis compté sur Dieu et sur toi.
Rami mahhassoub aala Rebbi ou aalik.
Monseigneur, ne réjouis pas mes ennemis.
Ya sidiy matechef^che fiya el aada.
Donne-moi la considération devant ma famille.
Aaténi Ihheima kebal laamoumiya.
Monseigneur, fais-moi cette grâce, et cette grâce restera
dans ma tête.
Ya sidiy djemmel aaliya ou djemilek fi rassi.
Au nom de ton amour-propre , et Tamour-propre vaut
cent.
Dekhil aala aardck ou laard issona mya.
Pense à moi, je suis nommé chez toi et chez Dieu.
Kheinmem fiya : rani messemmi aala Rebbi ou aalik.
93 LA VIE ARABE
J'ai patienté, mais le sabre est arrivé jusqu à l'os.
SeberH, ou sekkine otissel el aadom.
Tu es le couteau et moi la chair» tranche comme tu vou-
dras.
Ennta le khodmij ou ana el Ikham, guetaa ki ma
bghite.
Je suis un enfant de grande tente, seulement le temps m'a
trahi.
Ana ould khéima kebira^ ghér tahh biya Ihhal.
Je suis un mattrc du bras, et, au jour de la poudre, mes
amis, mes enfants et moi, tous nous mourrons devant ton
cheval.
Ana moula deroa^ ou nhar le baroud^ be oulidati ou sah-
habU gaa nemoutou gouddam aaoudek.
0 monseigneur ! il y a longtemps que je suis entré sous
les ailes de ton bernouss.
Ya sidi ! menn zemane dekholt thhatt djenahh bernous"
sek,
0 monseigneur! je suis sous ton ombre.
Ya sidi ! rani thatt dollek.
Si tu ne me rends pas justice^ je me plaindrai de toi à
Dieu.
lia mataaténich cheraa nechteki bik aand rebbi.
Je suis entre tes mains.
Rani bine iddik.
On le voit, l'Arabe est prodigue de paroles touchantes
quand il veut demander et obtenir quelque faveur ; mais, si
les positions respectives du protecteur et de l'obligé sont
SERMENTS 93
changées, s'il n*a plus besoin de vous, si les rôles sont iu-
tervertis, l'homme naguère humblement pressant, pourrait
bien vous dire un jour avec insolence :
Mon cheval te connaît; quant à moi, je ne te connais plus.
Aaoudi yaarfek ; ou ana manaarfek-chi.
Cela s*est vu, bien que, pour rendre hommagq à la vé-
rité, cela ne soit pas général. Partout il y a de nobles carac-
tères ; néanmoins, de chrétien à musulman, si vous ne vou-
lez éprouver de cruelles déceptions , sachez toujours à qui
vous avez affaire. N'oubliez pas que vous traitez avec un
peuple qui n*a jamais manqué de paroles mielleuses pour en
venir à ses fins, mais qui est condamné fatalement à la
haine, par sa religion, à Tégoïsme, par le genre de vie qu'il
mène.
III
SERMENTS
Je n*ai parlé jusqu'à présent que des remerctments, des
souhaits et des supplications : chez un peuple qui n*en est
point avare, ce sont peut-être là des paroles de peu de va-
leur. En est-il de même des serments ? Jusqu'à quel point
engagent-ils celui qui les prononce ? Nous le dirons pi us tard.
I
Par Dieu ! Bellah ! Ouallah !
Par la ligure de Dieu I Aala oudjh Allah !
^ { Be amane Allah !
Par la croyance de Dieu ! ) . * au ut
^ { Amanate Allah!
94 LA VIE ARABE
Par ma tête et par mes yeux!
Par la bénédiction du pain I
Par la tôle de ton père I
Par ma tête et par la tienne !
Que Dieu vide ma selle !
Aala ras9% ou aaini !
Berkete en-naama !
Aah rassbabak!
Ou rassi ou rassek !
Allah ikhelli serdji !
Par la tête du Prophète de Dieu !
Be ras rassoullah !
Par la bénédiction de Dieu !
Berkete Rebbi!
Par la vérité du Dieu très-haut !
Ou hhak Allah taaln !
Par la bénédiction du Prophète !
Bei'kete en-nebi !
Par mon cou et par ton cou !
Aala rokebti, ou aala rokebtek !
Que je ne sois pas un musulman !
Hani manichi messlem !
Que je sois un enfant du péché !
Rani tnenn oulad el hharam I
Par la vérité des cieux créés par Dieu !
Ou hhak samaauate Allah !
Que ma religion soit un péché pour moi !
Hharame dini /
Que j'accepte la religion des juifs !
Rani aala dine el thoude !
Par Dieu qui ne dort et qui ne rêve !
Ou hhak Allah H ma-irgoud ou la inoum !
SERMENTS 95
Que Dieu me maadisse comme un juif !
Allah inaalni ki lihoudi !
Par la vérité, demain jour où l*on payera les dettes du
jugement dernier !
Bel hhak, ghedoua yaum eddine!
Si je f ai Inenti, que Dieu me coupe la langue !
Ida kedebt aalik Allah iktaorli lessani !
Que mes femmes soient un péché pour moi !
Hharam nesmya !
Par la vérité de Dieu, le maître du monde, et du Proph&te,
le généreux !
Ou khak rebb el aalaminey ou ennabi el karim I
Que mes femmes soient séparées de mon cou !
Rahoum nessaya maazouline menn oangui !
Que ma femme soit un péché pour moi au troisième di-
vorce !
Hharam marti fi talak talate !
Que Dieu rende ma religion comme la tienne !
Allah idjaal dini aala dinek!
Le divorce est permis chez les musulmans. Ils en usent et
ils en abusent.
On sait déjà qu'ils peuvent épouser quatre femmes légi-
times et posséder autant d'esclaves qu'ils en peuvent nour-
rir.
Quand la femme esclave devient enceinte du fait de son
maître, elle ne peut plus être vendue et elle prend le titre
de oum el oulid — la mère de Tenfant. — Cet enfant a le
droit d'hériter de son père.
Cependant, une esclave qui ne serait pas enceinte d'au
moins six mois pourrait encore être vendue.
91 LA VIE ARABE
Dans tous les cas, la loi défend le mariage entre le pro-
priétaire et Tesclave.
Par ma tête, le jour du jugement dernier, quand Dieu
sera kadi et les anges témoins !
Be rassi, ghedoua youm el kiyama menine ikoun rebbi
kadi ou le melaika chehoude ! *
Que Dieu me fasse perdre le témoignage au moment de
ma mort !
Allah itellef aaliya echahada oiiakt el ma mate !
Tout musulman, en danger de mort, est tenu de prononcer
la Chahada. S*il a perdu la parole^ il doit lever un doigt
vers le ciel, en témoignage de Tunité de Dieu ; s'il ne lui
reste pas assez de force pour faire de lui-même ce signe
symbolique de la croyance dans laquelle il a vécu et dans
laquelle il meurt, un des assistants lui prend la main
droite, en soulève l'index et l'aide ainsi à accomplir ce der-
nier devoir.
Que Dieu me fasse témoigner avec le pied !
Allah idjaalni nechahad be keraaiya !
Que Dieu envoie un accident sur ma tête !
Allah ibaatli moussiba aala rassi!
Par la bénédiction de Dieu qui m'a fait et qui t'a fait !
Berkete Rebbi li khellok-ni ou kholkek !
Par la grille du Prophète I
Be chebbak en-nebi!
Le tombeau du Prophète est à Médine ; il est entouré
d'une grille. Quand deux Arabes veulent faire un serment
d'une grande importance, ils entrelacent leurs doigts de la
SERMRNTS 97
main droite en disant: « Je le jure, par la grille du Pro-
phète. > Dans leur pensée, il arriverait malheur à celui qui
manquerait k sa parole.
Que je devienne amoureux de ma sœur, sur la noble
Kaaba!
Rani nezeni Kheti fel Kaaba chéri fa!
La Kaaba est un édifice carré de trente à trente-cinq pieds
de long sur trente ou trente-cinq pieds de large, situé à la
Mecque, au centre d'une grande place également carrée,
dont les quatre murailles supportent des minarets du haut
desquels les moudden — crieurs des mosquées — appellent
les fidèles à la prière.
Le mot kaaba signifie : cheville du pied.
Que Dieu m'enterre debout comme un juif !
Allah idfen-'ni be loukaf ki lihoudi!
C'est une calomnie, on n'enterre pas les juifs debout;
mais c'est encore une preuve de l'aversion que les musul-
mans ont pour les Israélites. Les juifs honorent les morts,
les lavent, prient sur eux, et, comme les autres peuples, ne
les enterrent qu'étendus dans leur tombeau, où ils doivent
être revêtus d'un habillement blanc complètement neuf, ou
qui, du moins, n'ait jamais servi. Pour les pauvres comme
pour les riches, ce vêtement funèbre se compose d'un pan-
talon très-long qui recouvre les pieds, d'une chemise et
d'une pièce de cotonnade roulée autour de la tête. Le croi-
rait-on ? les Israélites qui sont établis dans les villes que
nous occupons en Algérie, ont trouvé très-commode de
remplacer cette espèce de turban par notre populaire bonnet
de ce ton.
98 LA VIE ARABE
Par ma lôtc cl par la tienne, et raa tête sauvant la tienne !
Ou rassi ou rasseky ou rassi feda rassek !
Par ta vie et par celle de tes enfants!
Be lihayatek, ou be hhayate ouladek !
Par le serment de Dieu et par le serment de notre seigneur
Brabim, le chéri de Dieu!
Aahad Allah ou aahad sid-na Brahim, khalil Allah!
Par la bénédiction de sidi Hamed ben Youssef, le mattre
de Milianah, qui a pris un lion pour cheval et un serpent
pour bride !
Berkete sidi Hhamed benn Youssef, moula Meliana, li
dar laaoud sebaa ou Ihhanech el djam!
Sidi Hamed ben Youssef est un marabout célèbre en Algé-
rie : il a beaucoup voyagé et laissé des dictons sur tous les
pays qu'il a parcourus. On lui concède un grand talent d'ob-
servation ; ses appréciations, nous les rencontrerons plus
tard. Son tombeau est à Milianah.
Que Dieu me rende semblable à la selle d'un cavalier :
siège pendant le jour et coussin pendant la nuit !
Allah idjaal-ni ki serdj le jnekhazeni : fennar megaada^
ou fel lille ousada.
Que demain Dieu ne me fasse pas voir le matin !
A llah la issebbahh-ni !
Si je t*ai menti, que Dieu me donne pour père celui qui a
bâti Paris.
lia kedebt aalik, Allah idjaal bouya H bena Barize.
Ce serment singulier prouve que, si, depuis notre occupa-
SERMENTS 99
lion de l'Algérie, tous les Arabes a*ont point encore vu Pa-
ris, ils en ont du moins beaucoup entendu parler, et surtout
qu ils le détestent instinctivement, comme citant la léte d'une
nation ennemie.
Que Dieu me condamne à frapper la danse (à me prome-
ner sans motif), comme un chrétien I
Allah idjaalni nedrob eddansa kif er-roumi!
0 monseigneur ! si j'ai volé, que Dieu me fasse répandre
de l'eau debout comme les infidèles !
Ya sidi! ida khouent Allah ivjaalni nezerreg ki le
kafara !
Les Arabes portent la plus grande attention à ce que la
moindre goutte d'urine ne vienne à toucher leurs vêtements.
Elle suffirait à les rendre impurs pour la prière. Afm d^éviter
cette souillure, ils s'accroupissent en étendant avec soin leur
bernouss autour d'eux.
Par celui qui est le Dieu unique, le demandeur et le vain-
queur, je te tuerai comme un chien !
Fa belladi la ilaha ella houa^ et-taleby el ghaleb, îiektelefç
kilekelb!
Que Dieu ne me donne pas ce que je désire.
Et ne me fasse pas entrer au paradis!
Allah la ïaaténi ma-netemennay
Ou la iddekholni lel djenna !
Par Dieu qui a créé la terre, les sept cieux, le trône, le
paradis et l'enfer !
Bellah H khelok el arde, ou sebaa semaoualey ou le
ioursiy ou le djeuna^ou en-nar!
100 LA VIE ARABE
Si je t'ai menti, que Dieu me fasse porter uq chapeau
comme les chrétiens !
lia kedebt aalik Allah idjaaUni nelbess el barreta kif
en-nessara !
Je le répète, les Arabes ont pour notre chapeau, baretta^
une aversion incroyable. Il aiment bien l'argent, et cepen-
dant on ne pourrait décider, n'importe pour quel prix, même
un homme de la plus basse extraction, à paraître dans un
lieu public, avec notre coiffure. Il craindrait de passer pour
un renégat, et son témoignage ne serait plus reçu en justice.
Voilà les serments les plus usités, non pas dans les villes,
mais dans les tribus : un Arabe prudent et qui garde une
arrière-pensée, évitera de prononcer certaines de ces pa-
roles sacramentelles devant témoins. Appelé devant la jus-
tice, où les caractères civils et religieux sont confondus, il
serait peut-être forcé de s'exécuter, s'il n'avait la ressource
de se faire relever de son langage aventureux par un taleb
complaisant. Il est facile d'en trouver qui ne sont pas très-
scrupuleux, mais il en coûte toujours quelque présent.
Quant aux femmes, on n'est pas non plus très-sévère à
leur égard, s'il faut en croire les vers suivants :
c Si elles jurent qu'elles vous aiment et que jamais elles
ne vous trahiront, ^
» Rappelez-vous que celles qui mettent du kohhel à leurs
paupières,
» Et qui se teignent les doigts avec du henna,
> Ne se croient pas obligées de garder leurs serments. »
Les Arabes, surtout les gens de guerre, se font quelque-
fois sur l'avant-bras des brûlures très-visibles avec le four-
neau d'une pipe allumée. J*en ai demandé la raison, on m'a
liNJURES
101
répondu qae, le plus souvent, c'était pour ne pas perdre le
souvenir d*on serment d'amour ou de haine. La cicatrice
devait le leur rappeler incessamment.
IV
l.'VJURES
Chien, fils de chien.
Infidèle, fils d'infidèle.
Impie, fils d'impie.
Maudit, fils de maudit.
Voleur, fils de voleur.
Juif, fils de juif.
Nazaréen, fils de nazaréen.
Fils de la prostituée.
Enfant du péché.
Enfant de la rue.
Charogne, fils de charogne.
Traître, fils de traître.
Démon, fils de démon.
Intrigant, fils d'intrigant.
Mendiant , fils de mendiant.
Fils de l'extraordinaire.
Dégoûtant, fils de dégoûtant.
Enfant de l'injustice.
FUS de l'adultère.
Bâtard, fils de bâtard.
Enfant de la débauchée.
Religion de rat.
Kelb benn el kelb.
Kafer benn el kafer,
Khardji benn khardjL
Meskhoute benn meskhoute.
Khaïne benn khaïne.
Ih(mdi benn ïhoudi.
Nessrani benn nessrani.
Ould el kahhba.
Ould el hharam.
Ould zennka.
Djifa benn djifa.
Gheddar benn gheddar.
Chytane benn chytane.
Khellate benn khellate.
Sassi benn sassù
Ould el aadjeb.
Aàifa benn adifa,
Benn delam.
Ould zena,
Hharami benn hharamL
Ould charmouia.
Dine el far.
102
LA VIE ARABE
Religion de bois.
Religion de moineau.
Menteur, iils de menteur.
L&che, fils de lâche.
Avare, fils d'avare.
Injuste, fils d^injuste.
Enfant de la chienne.
Gâté, fils de gâté.
Druse, fils de Druse.
Cochon, fils de cochon.
Baladin, fils de baladin.
Révolté, fils de révolté.
Coupeur de route.
Ennuyeux, fils d'ennuyeux.
Grossier, fils de grossier.
Animal, fils d'animal.
Poltron, fils de poltron.
Fils de charogue.
Puant, fils de puant.
Difie el hhatoby
Dine ezaouche.
Keddab benn keddab.
Djayahh benn djayahh.
Bekhil benn bekhiL
Dalem benn dalem.
Ould el kelba.
Fassed benn fassed,
Derzi benn derzi.
Hhallouf benn hhaïlouf.
Zeffane benn %effane,
Derkaoui benn derkaoui.
Kttaa ettrék.
Samott benn samott.
Kliechitie benn khechine.
Behim benn behim.
Khouaf benn khouaf,
Ould djifa.
Fayahh benn fayahh.
Va-nu-pieds, fils de va-nu-pieds,
Zoukti benn zoukti.
Enfant de celle qui n'a jamais dit non.
Ould li aamer-ha ma galet: la-la.
Banqueroutier, fils de banqueroutier.
Falfss benn faless.
Mangeur de cochon et buveur de vin.
Oukal el hhallouf ou chareb echerab.
Désireux de barbe, puant de la bouche, figure de vieille
femme.
Mechetak el lahhya, khanez el foum^ oudjh el aadjouM.
INJURES 1C3
Il existe encore d'autres injures, mais la pudeur et les
convenances me défendent de les reproduire.
Imbécile, fils d'imbécile.
Boudjadi benn boudjadi.
Porteur de triques, fils de porteur de triques.
Haraoudji benn haraoudji.
Fumeur de hhachich, fils de fumeur de hhachich.
Hhachàichi benn hhachàichi.
On entend par hhachich, et quelquefois par tekrouri^ les
feuilles, les fleurs et les graines d'une espèce de chanvre
que l'on fait sécher et que Ton fume ensuite dans des pipes
très-petiies. Cette substance a le pouvoir de causer une
ivresse assez forte et d'amener une gaieté factice extraor-
dinaire. On prétend même qu'elle procure des songes déli-
cieux et un état d'extise plein de charme ; cependant, tout
le monde s'accorde à dire que l'usage n'en est pas très-
dangereux. Ceux qui ont l'habitude de fumer cette graine
peuvent tomber dans le délire, compromettre gravement leur
santé, et, à la longue, perdre la raison.
U y va une infinité de manières d'employer le hhachich : on
le fume souvent mélangé avec du tabac fort, on le prend en
boisson ou on le mange. Dans certaines villes de l'Algérie,
on prépare, avec les différentes parties de celte plante, des
confitures qu'on appelle mcadjoun. Les femmes en font
usage quand elles veulent se mettre en gaieté.
Quoi qu'il en soit, le hhachich est presque un poison, qui
use, en peu de temps, le corps et l'intelligence : on méprise
généralement ceux qui s'en servent. Dans tout l'Orient, il est
connu ; les souverains musulmans l'ont défendu.
En Egypte, l'émir Cliikh Khouni, vers l'an 700 de l'hé-
104 LA VIË ARABE
gire, fît arracher les dents à ceux qoi furent convaincus
d'en avoir usé, et le général Bonaparte, à son arrivée dans
le même pays, sur les conseils des médecins et des savants
tels que Berthollet, Desgenettes et Larrey, le prohiba sévè-
rement. 11 fit fermer les cafés, ainsi que les établissements
dans lesquels on permettait de remployer (1) .
En arabe , le mot hhachich signifie herbe : c'est sans
doute par extension que le chanvre a été ainsi désigné.
Quand on veut fumer le hhachich, on dit : € Allons faire
notre kif; » c*est-à-dire : c Allons nous hvrer au plaisir d'une
douce ivresse. •
IHPRÉCATIOXS
Après les injures, il me semble utile de faire connaître
aussi les imprécations les plus usitées. Elles nous feront voir
à leur tour ce que la haine peut inspirer ^i un peuple qui, bien
que religieux, passe, avec raison, pour très-rancunier.
Que Dieu maudisse ton père, le chien !
Allah inaal babak el Mb!
Que Dieu te maudisse autant de fois que tu as de cheveux
sur la tête !
Allah inaakk kodma menu chaara fi rassek !
(1) Voir, pour plus amples renseignemonls sur le hhachich et le kif,
le vocabulaire d'histoire naturelle par le savant docteur Lagger. On le
trouvera dans le Grand Désert t du général Daumas , et Ausbne de
Chancel.
IMPRÉCATIONS 105
Que la malédiction de Dieu soit sur toi!
Naalale Allah aalik !
Que Dieu maudisse les auteurs de tes jours!
Allah inaal oualdik !
Que Dieu disperse ta famille !
Allah ichettet chemelekJ
Que Dieu maudisse le portier qui t'a fait entrer !
Naalate Allah aal bouab li dekholek I
Que Dieu maudisse ta religion de bois !
Allah inaal dinek, dine el hhatob !
(Ceci se rapporte à la croix des chrétiens.)
Que Dieu maudisse ta mère qui n*a jamais dit non !
Allah inaal immak li aamer-ha ma galet : hy la !
Que Dieu maudisse la femme qui t*a mis au monde!
Allah inaal el mra li ouldatek!
Que Dieu fasse que tu te couches pour ne plus të re-
lever!
Allah idjaalek tergoad ou ma tenaude!
Que Tenfer soit pour toi!
Djaliennem aalik !
Que Dieu efface ta trace de ce monde et qu'il détruise ta
tente!
Allah immedi djerrtek, ou iterek khéimtek.
Que Dieu diminue ta respiration!
AUah ikollel nefssekl
108 LA VIE ARABF:
gure découverte. Pourquoi? Ce n'était pas un homme, c'était
un juif ; il partageait ce privilège avec les esclaves.
Sans entrer dans de plus grands détails, telle était à peu
près la situation détestable des Israélites au moment de la
conquête. La France ne pouvait la tolérer ; aussi, malgré les
difficultés politiques que cela devait nous susciter, a-t-elle,
dès le principe, montré par ses actes combien les préjugés
invétérés des Arabes lui paraissaient injustes et barbares.
On a connu des chefs arabes fanatiques qui ne venaient
plus dans nos villes qu'avec une extri^me répugnance, pour
ne pas être exposés, disaient-ils, à y être traités par les juifs
sur le pied de Tégalité. C'était quelquefois embarrassant ,
mais nous nous devions à nous-mêmes de faire taire toutes
ces considérations devant un grand acte de justice et de ci-
vilisation.
Les juifs, aujourd'hui, sont citoyens français en Algérie
comme en France; toujours haïs des Arabes, c*est vrai,
mais hors de leur domination.
Que Dieu brûle ton père !
Allah ihharek babak!
0
Que Dieu noircisse ton bonheur !
Allah issoued saadek!
Que Dieu te rende semblable au coq : il s'en va content et
revient le cou coupé !
Allah idjaalek kif ed-dik : yemchi mecheivhheu ou ioulli
medebohheu !
Que Dieu te punisse parla maladie, par la pauvreté et par
l'absence de ceux que tu aimes!
Allah ibellik bel mordy ou le fekeir^ ou le gherba !
IMPRÉCATIONS 109
Que Dieu te condamne au chagrin, à la tristesse^ au mé-
pris et au peu en tout !
Allah issellot aalik el hhem, ou le ghebiruiy ou le dell^ ou
le koll fi koul'Chi!
»
Que Dieu te place dans le paradis d'Abrouk!— des juifs» —
Tu auras le feu par-dessous et le bois par-dessu3.
Allah idjaalek menn djennet aabrouk;
Nar nenn ikhaie^ ou Ihhatob menn fouk.
Que Dieu te rende comme un bœuf de boucherie !
Tu entreras sur quatre et tu sortiras sur sept.
Allah idjaalek ki ferd el djezzarine.
Tedkhol aala arbaa ou tekhrodj aala sebaa.
Que Dieu te rende comme le tambour d'un jour de fête !
Tu auras la voix haute et le ventre creux.
Allah idjaalek ki lebel nhar el adid !
Hhessek aali, ou kerchek khali.
Que Dieu ne fasse rien sortir de toi ni de ta postérité.
Allah la idjaal mennek ou la menn derrltek !
Que Dieu te laisse étendu entre deux partis de cavalerie !
Allah ibekkik memdoud bine el goumm ou le goumm l
Que Dieu te rende comme la poignée de la porte : tu cou-
cheras toujours dehors !
Allah idjaalek ki khctrset el bab: daim tebate barra !
Que Dieu ne me montre ta figure, figure de chien, ni dans
cette maison ni dans Tautre !
Allah la iouri-ni oudjhek, oudjh el kelb, la fi had ed-dar
ou la fi dik !
110 LA VIE ARABE
Dieu fasse qu'au jour du gain tu sois toujours absent !
Allah idjaalek youm rebahhy tekoun dma ghdib!
Que Dieu te rende comme la terre d*une montagne; elle
peut descendre, mais elle ne remonte jamais !
Allah idjaalek ki trabe el djebel: thabot ou ma tetlaa !
La mer et un sac pour toi
El bhhar ou chekara aaliâl
Que Dieu égare ton tombeau au moment de ta mort !
A llah nielle f keberek ouakt el moût !
Que Dieu ne fasse sortir de toi ni grains ni semences !
Allah la idjaal mennek la zeraa oula zeréaa !
Que Dieu noircisse ton cœur !
Alhh ikahhal galbek f
Que Dieu ne fasse pas paraître ton fusil au-dessus des
autres fusils !
Allah la ibiyenn mouqhhaltek bifie el meqhhal !
Que Dieu fasse que tes yeux ne jouent plus jamais dans
ta tête !
Allah idjaal aalnik aamer-houm ma ilaabouchefi rasaek!
Que Dieu maudisse le conducteur qui t*a amené !
Allah inaal el hhammar H djabek !
CONSOLATIONS 111
VI
CONSOLATIONS
Les renseignements que nous venons de donner peuvent
servir à guider l'Européen dans ses rapports avec les Arabes,
mais ils ne suffisent pas à ceux qui, habitant le pays et mê-
lés à Tadministralion ou aux affaires, sont appelés par cela
même à s'inilier davantage à la vie des indigènes. Sous
peine d'être souvent embarrassé dans la pratique, il faut
encore savoir comment on console et comment on félicite.
' Lorsqu'on aborde une personne dont le deuil tout récent a
été causé par la mort d'un parent, ou d'un ami, les conso-
lations les plus usuelles sont celles-ci :
Mort d*uii homme.
Que Dieu fasse descendre sa bénédiction sur ta tête !
Allah idjaal el baraka fi rassek !
9
Elargis ton intérieur, nous devons tous mourir; Dieu
seul reste.
Oussaa khatrek : gaa nemoutou, ma ibka ghér Rebbi!
La mort est une contribution frappée sur nos cous ; nous
devons tous la payer !
El monte ferd aala rekab-na : labed nekhallessou-ha!
Vois : notre seigneur Noé a vécu quinze cents ans, et il a
fini par mourir I
Chouf: sid-na Nohheu aach khamssetach mtate sena^ou
nhar el tali mate !
ii2 LA Vie ARABE
Vois encore un tel ou un loi, qui dif5aient et qui disaient,
et cependant, au dernier jour, rien n'a pu les sauver, ni le
pouvoir, ni les nehesses !
Chouf tani felane ou felane li kane igoul ou igoul^ ou el
hhassouly ma enfau-houmch la mal oula liherma.
La terre est comme un pont : on y entre par urn côté et on
en sort par l'autre.
Eddenya mettel el kanntera : tedkhol menn djiha ou te-
khrodj men djiha lokhra.
Si Dieu n'avait pas inventé la mort, nous* nous mangerions
les uns les autres.
Loukane Rebbi ma-dairchi le moutej loukané nakoulou
baad-na baad.
Nous avons été faits avec de la terre et nous retournerons
à la terre.
Ahhna mekheloukine menn et-lrab ou nerdjaaou le irab.
Dès le jour où il était dans le ventre de sa mère.
Sa mort était écrite sur son front.
Menn nhar li kane fi ketch oummou,
Elmoute mektouba fi djebinou.
La mort, c'est le chemin de tout le monde.
El moule, Irék ennass el koull.
Il avait fini son temps. Il est mort en son temps.
Oufaa adjelou. Mate fi ouaktou.
Il faut que chacun goûte à la mort.
Koull nefss labed idouk el moute.
Les pleurs, les lamentations sont sévèrement défendus
CONSOLATIONS 113
par la religion musulmane. Le Prophète a dit : a Ne suivez
les morts ni avec des pleurs ni avec du feu. »
Dieu a promis d'immenses récompenses à ceux qui seront
résignés.
Cependant, il n*a jamais pu anéantir complètement les
signes extérieurs de la douleur, soit à cause de leur anti-
quité, soit parce qu'ils ont leur source dans les faiblesses du
cœur humain. Lui-même, lorsque son fils Ibrahim mourut,
n'eut pas la force de retenir ses larmes en présence de ses
disciples. Ils lui dirent: « 0 prophète de Dieu I ne nous as-tu
pas défendu de pleurer?— C'est vrai, leur répondit-il; mais,
si mon œil pleure, mon cœur est profondément soumis/ et je
ne me révolte pas contre Tordre de Dieu. »
Mort d*uDG femme.
Les compliments de condoléance pour la mort d'une
femme sont les suivants :
Tiens ton âme : la vie est dans la main de Dieu.
Chedd rohhak : el aamer fi idd Rebbi.
C'était sa limite : Dieu Ta apportée, Dieu l'a enlevée.
Hadak hhad-ha : Rebbi djab-ha, Rebbi dda-ha.
C'est l'ordre de Dieu : c'était tout ce qu'elle avait à vivre.
Hhakoum Rebbi : hadak ma djabet fi aamer-ha.
Tu n'a pas de mal : la femme se remplace.
La bass aalik: el mra mekheloufa.
Nous ne sommes que de la poterie, et le potier la façonne
comme il lui plaît.
Ahhna ghér fekhar, ou moul fekliar issenaa kl ma
bgha.
8
iU LA VIE ARABE
Remercie Dieu, elle t*a laissé tes enfants déjà grands.
Hhained Rebbi, khellate ouladek kebar.
Que Uieu accorde sa bénédiction à les enfants.
Alluh idjaal el baraka fi ouladek.
S'il platt à Dieu, tu la trouveras devant loi, dans le pa-
radis.
Ennchaallah tedjeber-ha kouddamek fel djenna.
Ta tête est sauve, dis : je remercie Dieu.
Selamt rassek^ goiill: Ihhamedou lellah.
Quand il le peut, un Arabe ne manque jamais d'assister
aux funérailles de ses parents, de ses amis. Le Propbète a
dit:
« Conduire un mort à sa dernière demeure, c'est une ac-
tion méritoire qui compte pour une bonne action dans l'autre
monde : en le portant, ou en aidant à le porter, pendant
l'espace de quarante pas, on peut obtenir la rémission d'un
grand péché. »
Cependant, on empêche les femmes d'assister aux enterre-
menls. Leur présence, disent les Arabes, y est au moins
inutile : d'abord, par leurs gémissements, elles empêchent
de suivre et d'entendre la prière des funérailles :— Sa/af^ el
djenaza ; — puis la vue de leurs charmes peut jeter l'in-
quiétude et le lroul)le dans le cœur des fidèles. Le cimetière
est un lieu de réflexions sérieuses, où rien ne doit détourner
l'homme de cette pensée que, venu de la poussière, il doit
retourner à la poussière.
CONSOLATIONS 115
Pour un ble<9>'.
Personne n'est aussi heureux que toi : bieu t'a accordé
une blessure dans la guerre sainte.
Makane hhad kifek: endjerahht fel djahad be amer
rebbl.
Dieu Ta marqué pour ne pas t'oublier.
Bebbi recheinek bacli ma ïnssakche.
Dans ce inonde, tu seras heureux ; dans l'autre, tu seras
compté pour un martyr.
Fi hadi saaïdy ou fel akhra chihid.
Seulement, ne laisse pas entrer tes femmes, et supporte
la sonde avec patience.
Ghér, balék idkolou en-nessa^ ou sebeir ed-delile»
Ne ménage pas le beurre rance, prends garde à l'air,
couvre-toi selon le temps, et permets au médecin de faire
ce qu'il voudra.
Keterr dehane, ou balék erréhh ; balék el ma, ou berber
aal zemane, ou khalH sanaa issenaa kl ma bgha.
Dans leurs traitements pour les plaies d'armes à feu, les
Arabes versent du beurre rance dans les blessures, et re-
commandent par-dessus tout d'éviter Tair et l'eau. Ils pré-
tendent se trouver très-bien de ce régime.
S'il plaît à Dieu, tu guériras, et tu remonteras h cheval
pour combattre les infidèles.
Ennchaallah , tebra ou terkeb tant, ou toulli teddague el
kafara.
416 LA VIE ARABE
Pour nn iniilade.
Ne te chagrine pas, les joui*s de la maladie sont comptés *
chez Dieu.
Ma telghobenn-chi : yame cl mord maadoud aand Allah.
La maladie allège les péchés.
El mord tekhefif menn el denmb.
Comment vas-tu ? La maladie, c'est de l'or ; ce ne sera
rien, s*il plaît à Dieu.
Kif rak ? Eclwrr deheby maandek bass^ ennchaallah.
Que Dieu place ta maladie en augmentation dans la ba-
lance de tes bonnes actions I
Allah idjaal mordek ziyada fi mizane hhassanatek.
Ta couleur est bonne, bientôt tu seras debout.
Lounek meléhh, delouakt tenaude.
Ce ne sera rien, Dieu te guéiira.
La bass aalik: Allah ichefik.
Aie confiance dans le médecin : Dieu guérit par Tinter-
médiaire de la créature.
Admenn fe tebib : Rebbi idaoui ou laabd sebbab.
Pour la baiitonnadc.
La compassion que Ton témoigne à un camarade qui a
reçu la bastonnade ne va pas sans un peu de raillerie, et
Ton glisse toujours quelques gaillardises dans les paroles
qu*on lui adresse. Ainsi, on lui dit :
CONSOLATIONS 117
Élargis ton intérieur : la trique est faite pour les hommes
et non pour les femmes.
Oussaa khatrek : el aàssa mtaa redjal^ machi mtaa nessa.
Les hommes sont faits pour la trique, pour Tamour, pour
la misère comme pour toute espèce d'accidents.
Redjal enndaroti aala khater laassa, ou lamchk^ ou temer-
mid, ou aala khater koul moussiba.
Qu'importe ! dans les nuits du vingt-quatrième du mois,
quand règne l'obscurité et que les chiens sont endormis, les
jeunes gens ne font que dire et dire, et ils entrent chez
leurs maîtresses, Teau vînt-elle à tomber du ciel comme
une corde.
La bass! fel liyali mtaa arbaa ou aacherine^ ouakt
delame ou le kelab raguedine^ el chachera ghér issououlou
ou igoulou^ ou idokhelou aala khov/itet-houm, ou ennau
khêite menn sema.
L* Arabe ne se croit pas déshonoré pour avoir reçu la bas-
tonnade : offrez-lui le choix, il la préférera à la prison. En
me privant de ma liberté, dit-il, vous m'empêchez de pour-
voir aux besoins de ma famille ; tandis qu'en me gratifiant
de quelques coups de bâton , vous m'occasionnez seule-
ment une douleur passagère qui ne m*empêchera nullement
de travailler pour nourrir mes femmes et mes enfants.
Les Arabes ne donnent pas la bastonnade comme les
Turcs, sur la plante des pieds, ce qui peut estropier. Us
l'appliquent tout simplement sur les parties les plus char-
nues du corps, recouvertes d'ordinaire par un épais bcrnouss
qui amortit les coups. Après une centaine de coups de bâ-
ton, j'ai vu des Arabes se relever et courir comme des san-
gliers dans la forêt.
1!8 LA VIE AUABE
La bastonnade est le plus souvent administrée par un
chaouchy espèce d'agent de police, muni à cet effet d'une
l)aguette d'olivier sauvage, et c'est probablement la manière
dont il s*acquitte de ses fonctions qui a fait dire en pays
arabe :
Le père de l'olivier guérit même les estropiés.
Bon zeboudja iberri zhhaf.
Perte dVrgent ou d'esclar^.
Enfin, quand un homme a fait une perte d'argent ou
qu'un esclave lui a été enlevé^ la politesse commande de lui
dire :
. Dieu t'en apportera un autre qui te sera plus heureux.
Idjiblek rebdi maberek mennoti.
Dieu te couvrira de tes pertes.
El khessara inekheloufa menn aand Rebbi.
Si Dieu allonge ton existence, tes richesses s^augmente-
ront.
lia Rebbi itouel el aamev, tedir keier menn had-chi.
Quand la tête est sauve, ne t'inquiète pas de la chachiyu-
fessy.
lia aach errass matekheminem fe chachiya.
FÉLICITATIONS U9.
VI
FÉLICITATIONS
Pour un succès de guerre,
Louanges à Dieu pour la victoire !
El hhamedou lellah aalel nesser !
Que Dieu fasse triompher notre seigneur et mailre !
Allah innsorr sid-na ou moula-na!
Que Dieu fasse que tu sois une épine dans Toeil de ton
ennemi !
Allah idjaalek chouka fi aain aadouk !
Que Dieu fasse triompher notre seigneur et le rende tou-
jours victorieux !
Allah innsorr sid-na, ou daim ikoun ghaleb !
Que Dieu fasse triompher les soldats de Mohhammed !
Allah innsorr laasker el Mohhammadi !
Nous remercions Dieu qui ne nous a appws que du bien
sur le compte de notre seigneur et maître.
El hhamedou lellah H smau-na aala sidtia ou moula-na
ghér le khér.
Pour un mariage.
Dis-moi: as-tu été un homme ?
Khobarek : kount radjel ^
lîO LA VIE ARABE
Qu'elle entre chez toi avec la protection de Dieu !
Tedkhol aalik be ceteurr Allah !
Que Dieu vous accorde un temps heureux, et qu'il pro-
longe votre existence !
Allah yaatikoum zeinane meléhh ou itououel aamerkoum I
Que Dieu fasse durer votre joie !
Allah idoum ferahhkoum !
Dieu fasse qu'elle remplisse ta tente !
Allah idjaal'ha taamer-lek el khéima !
Que Dieu t'accorde une postérité vertueuse !
Allah taatik derriya salahh !
Que Dieu vous fasse vivre en bonne intelligence !
Allah um/fek bine-koum!
Dieu fasse qu'elle te donne cinq garçons !
Allah idjaal-ha touled khamsa dekoura!
Maintenant, pourquoi ce nombre de cinq plutôt qu'un
autre ? Parce que, d'après les idées arabes, c*est un nombre
qui porte bonheur, qui rappelle les cinq doigts de la main
droite, et qui a le pouvoir de rendre nuls tous les dangers
du mauvais œil — aain. — Voilà les raisons pour lesquelles,
dans les villes, on voit souvent imprimées sur les portes des
mains à doigts ouverts, peints en rouge ou en vert, et que,
partout, chez les citadins comme chez les campagnards,- les
riches se plaisent à attacher sur la calotte qui couvre la tête
de leurs enfants — chachiya — une main en or ou en ar-
gent. Les pauvres y placent seulement à côté l'une de l'autre,
et sur le même rang, cinq pièces de monnaie.
FÉLICITATIONS 121
Pour la naissance d'an garçon.
Que le nouveau-né soit heureux, et que Dieu allonge son
existence !
Mebrouk el mouloudy Rebbi itououel aamrou !
Que Dieu le fasse réussir !
Allah issedjih!
Il vous est né un garçon : que Dieu vous accorde sa béné-
diction !
Zadkoum ichir : Allah idjaal fikoum el baraka !
S'il plaît à Dieu, il portera un jour un fusil, il montera à
cheval et il frappera la poudre avec toi.
Ennchaallah iifed-lekel mouqhhala^ irkeb-lek el aaoud^
ou idrob maak el baroud.
Les Arabes procèdent d'une manière toute différente de
celle des peuples chrétiens dans Tappellalion de leurs en-
fants. Chez nous, le nom que le père a reçu de ses aïeux, il
le transmet à ses descendants, qui se distinguent à leur tour
par un nom spécial et variable, celui de leur baptême.
Chez les musulmans, au contraire, le nom de famille
n existe pas, excepté dans quelques familles très-illustres; il
est remplacé par un nom de désignation, et notre prénom
devient chez eux un surnom — agnomen.
Un enfant vient de nattre : sept ou huit jours après, le
père, ainsi que je Tai dit plus haut, réunit dans une fête ses
parents et ses amis, prend le nouveau-né, convoque ou fait
convoquer à la prière — izzane^ — el l'appelle ensuite tout
haut par le nom qu'il veut lui donner — nomen.
1» LA VIE ARABE
S'il s'agit (l'un garçon, ce nom — aalam^ mot qui signifie
désignation — sera tantôt celui du Prophète ou de Tun des
compagnons du Prophète, tantôt il consistera dans le mot
Adbd — serviteur — suivi de Tune des épithëtes données à
Dieu.
Aabd-el'Kader^ serviteur du puissant.
Aabd'er-Rahhmane, serviteur du miséricordieux.
Aubd-el-Kerirriy serviteur du généreux.
S'il s'agit d'une fille, l'aalam qui lui sera donné sera de
préférence emprunté à l'une des femmes de Mohhammed :
Khedidja, Zohra^ Aaicha, à sa fille Fatma, ou à Tune des
jqualités de la femme, comme Aaziza — chérie — Saaida —
heureuse — Loulou — perle.
Mais, comme il est facile de le concevoir, le nom des
aalam est excessivement restreint.
Une immense quantité d'individus porteront donc le même
nom, celui de Mohhammed par exemple;. dès lors, comment
distinguer le Mohhammed qui appartient à telle famille du
Mohhammed qui appartient à telle autre ?
Les musulmans arrivent à établir cette distinction en
ajoutant à l'aalam donné à l'enfant le mot benn^ fils, ou
bennt^ fille, suivi du nom du père.
C'est ainsi que l'on dit :
Aali benn Mohhammed. — Aali, fils de Mohhammed.
Aali benn Moustafa. — Aali, fils deMoustapha.
Aali benn Hhamed. — Aali, fils de Hhamed.
Aaicha bennt Hhassane. — Aaïcha, fille de Hhassane.
Falma bennt Smail. — Fatma, fille d'Ismaïl.
Kliéra bennt Kaddour. — Khéfa, fille de Kaddour.
On ne pourra donc plus confondre les individus portant
le même aalam.
FÉLICITATIONS 123
Remarquons en passant que la femme mariée ne perd
pas laalam qu'elle portait étant jeune fille. Avant comme
apr^s le mariage, elle continuera à s'appeler du nom qu'elle
a reçu de son père, elle sera toujours Aaïcha, fille de Hha»-
sane.
Nous ne parlerons ici des surnoms kounya — que pour
faire remarquer quMls varient à Tinfini. Ils se rapportent à
une qualité, à un défaut, à un fait particulier, ou bien encore
à l'origine. En voici quelques exemples :
Moustafa hou tnezrag. — Moustapha, le père de la lance.
Mohhammed bon maza. — Mohhammed, le père de la
chèvre.
Aabd-el'Kader^ bou cAe/a^Aam.— Aabd-el-Kader, le père
aux moustaches.
Zina el messerara, — Zina la gracieuse.
Sept jours après la naissance d*un garçon, il est d'usage
de donner une grande fête — oulima ; — les gens pieux, au
lieu de régaler leurs amis, font manger les pauvres.
Pour la naùsance d'une Lile.
Que le tout soit béni, s'il platt à Dieu !
Koul'Chi mebrouky ennchaallah !
Ce qu'a donné le bon Dieu est bon !
Li aata el melehhy mellehh !
La sécheresse de ce compliment fait comprendre que l'on
s'adresse à un père qui vient d'éprouver un mécompte.
124 LA VIE ARABE
Paratt-il chagrin d*avoir une fille au lieu d'un garçon, on
essaye de le consoler ainsi :
c Ne te tourmente pas, Dieu la préservera des tentations du
diable. Elle donnera le jour à des musulmans, et ses enfants
seront des saints ou des guerriers de la foi — Moudjahadine. ^^
Un chef arabe de haute naissance, nommé Djilaliy ayant
un jour à ses côtés deux de ses petits-fils, l'un issu de son
fils et l'autre de sa fille, demanda comment ils se nom-
maient. Le premier répondit : « Je me nomme Aabd-el-Kadery
fils de Mohbammed , petit-tils de Djilali ; » mais le second
ayant indiqué, comme cela devait être, d'autres noms, le
grand-père s'écria avec émotion : « Décidément, les enfants
de nos fils sont nos véritables enfants, ceux de nos filles
ne sont que des étrangers. »
Si les Arabes désirent avoir des enfants mâles, c'est, di-
sent-ils, à cause de futilité qu'ils peuvent en retirer. Il est
fort rare que ce peuple soit complètement soumis à l'autorité
d'un souverain, et placé, par conséquent, dans la situation
qui met sur le même niveau l'homme qui a une famille
nombreuse et l'homme qui n'en a pas. Dans cet état d'indé-
pendance où le plus courageux et le plus fort impose presque
toujours sa volonté, celui qui a des oncles, des frères, des
fils et des cousins pour l'entourer, le soutenir et le défendre,
est à l'abri de la tyrannie et de l'oppression, tandis que celui
qui vit pour ainsi dire isolé, se voit chaque jour en butte à
l'insulte et au mépris. Eh bien, les hommes sont aptes à se
servir des armes aussi bien pour secourir leurs parents et
leurs alliés que pour conserver leur liberté; mais les femmes
ne peuvent ni l'un ni l'autre: joignez à cela que le fils hérite
ordinairement du rang de son père, que le père ait été sul-
tan, vizir, guerrier, savant, agriculteur, commerçant ou
pasteur, et terminez en pensant que l'homme qui, à sa mort,
FÉLICITATIONS 125
est remplacé par un enfant mâle s'en va, dans l'autre monde,
avec la satisfaction de voir son nom vivre encore parmi les
hommes. Les Arabes disent :
Celui qui ne laisse pas d'enfant mâle
Ne laisse pas de souvenir.
Li ma ikhalliche dekn
Ma ikhalliche deker.
(L*éniir Aabd-f-I.-Kadkr.)
Pour une circnocision.
Que la circoncision de ton enfant soit bénie !
Mebrouk ettafiara!
Tu lui as donné aujourd'hui le signe de Tislamismel
Elyoum aatitou nalamet el isslam !
Que Dieu te fasse mourir dans le paradis!
Allah imiitek fel Djenna!
La circoncision est de pratique senna, c'est-à-dire obliga-
toire. Au lieu d'y procéder comme les juifs, dans les pre-
miei*s jours qui suivent la naissance, les musulmans ne
Topèrent que lorsque Tenfant a déjà accompli sa septième
année. Dans certains cas et pour certains motifs, on peut
attendre jusqu*à la dixième année ; mais on ne peut jamais
la dépasser.
Les opinions sont partagées au sujet 71e Tinfidèle qui a
embrassé Tislamisme et qui craint de se faire circoncire. Les
uns veulent qu'il le soit, les autres qu'on l'en dispense.
Cela peut dépendre, disent les savants, de l'âge, de la santé,
du rang ou des services que le nouveau converti peut rendre
à la cause de Dieu.
La circoncision, c'est le baptême des musulmans.
1S6 LA VI£ ABABE
Pour la naissance d'un poulain de race.
Dieu a augmenté vos richesses.
Allah ketter khér-koum.
Répondez, à votre choix :
Avec toi la vérité, c'est un enfant qui vient de vous
nattre.
El hhak maak: zad-na ould.
Que Dieu le protège et vous fasse gagner avec hii.
Allah idjaalou be ceterr ou rebahh.
Pour un habit neuf.
Quand un ami revêt un habit neuf» complimentez-le de la
manière suivante :
Avec la santé, rhabillenient.
Be sahhatek el kessoua.
S*il platt à Dieu, il te sera comme une robe du paradis.
Ennchaallah tekoun aalik kif toub el djemia.
S'il plait à Dieu, tu le porteras et tu le renouvelleras.
Ennchaallahy telbess ou tedjedded.
Il répondra :
Que Dieu te récompense avec du bien !
Allah ikafik bel khér!
L'Arabe, quand il le peut, est toujours propre et conve-
nablement v^tu, dût-il pour cela s'imposer des privations.
En voulez-vous la preuve? lisez le proverbe suivant:
FÉLICITATIONS i«7
Mange à ta fantaisie, mais habille-toi au goût du monde.
Kotil be ghardeky ou lebess be ghard etuiass.
Et le goût de son monde, en pareille occurrence, n*est pas
d*inventer des modes nouvelles dont il a horreur, tant il
veut rester, par conviction, slationnaire et immobile, mais
tout simplement de suivre les errements de ses pères qui lui
ont donné un costume élégant, commode et parfaitement
approprié au climat qu'il habite. Il ne le changerait certes
pas pour le nôtre, qui excite son hilarité.
Maintenant, en disant que TArabe, dès que sa fortune le
lui permet, tient à être propre et convenablement vôtu,
je me suis exposé, je le sais, à recevoir de nombreux dé-
mentis. Ils n'auront aucune valeur à mes yeux. En effet,
chez les musulmans, les habits peuvent être sales, mais le
corps est, d'ordinaire, irréprochable.
N'oublions pas que les ablutions prescrites par le Koran
avant chaque prière, et dans d'autres cas, prévus par la loi,
veulent qu'il en soit ainsi. Les Arabes ont, du reste, un dic-
ton qui prouve la vérité de mes assertions. Le voici :
0 le bien peint à Textérieur ! comment es-tu fait à l'in-
térieur ?
Ya mezonok menn barra! ouach hhaîek menn dakhoL
Pour le retour d'un pèlerin.
Quand un Arabe de quelque importance revient de la
Mecque, c'est l'occasion d'une grande réjouissance dans la
famille, dans son douar, quelquefois dans sa tribu. On se
porte à sa rencontre , on brûle de la poudre en son hon-
neur— fantazia; — les femmes mêmes l'accueillent avec
126 LA VIE ARABE
leurs cris de joie des grands jours — You ! you ! — Dès
qu'il paratt, de toutes parts on lui crie :
0 monsieur le pèlerin, que ton pèlerinage soit béni !
Ya sid el hhadj, mebrouk el hhadja!
S'il plaît à Dieu, ce sera notre tour.
Ennchaallah noubet-na.
Que ton pèlerinage soit accepté.
Et tes péchés pardonnes I
El hhadj messeroury
Ou Ihharam meghefour!
On répond :
Que Dieu vous compte un jour parmi les amis de la
Mecque !
Allah idjaal'koum tnenn sahhab mekka!
Que Dieu ne vous empêche pas d'aller le visiter !
Allah la ihharem-koum men ziyartou!
Ou bien :
Je demande à Dieu et au Prophète que vous fassiez partie
du premier pèlerinage.
Netlob Rebbi ou en-nebi idjaal-koum menn Ihhadja
lououla.
Ces compliments terminés, le pèlerin tire ou fait tirer d'un
sac de voyage quelques kilogrammes de terre qu'il a pieuse-
ment rapportée de la Mecque, puis il en fait la distribution à
ses parents, à ses amis, à ses voisins. C'est alors une joie
dont on n'a pas d'idée. Cette terre sanctifiée, c'est le bon-
heur, on l'enferme dans de petits sachets brodas en or ou
en argent^ et on la porte sur soi comme un précieux talisman.
Le pèlerinage de la Mecque est au nombre des pratiques
FÉLICITATIONS 129
d'institution divine — ferd ; — il est obligatoire au moins
une fois dans la vie. Nul croyant, homme ou femme, ne
peut s'en dispenser : homme, à moins qu*il ne soit pauvre,
fou, esclave, mineur ou maladif, encore un mineur doit-il
l'accomplir s'il peut trouver un guide; femme, à moins
qu'une sainte famille ou qu'un homme craignant Dieu ne
se trouve point pour lui donner protection dans le voyage.
Terminons les félicilations par la bechara. La bechara
c'est le prix de la bonne nouvelle ; on vous la demandera
pour tout ce qui peut être un sujet de joie, pour la naissance
d'un garçon, pour celle d'une pouliche, pour un succès, pour
un avènement au pouvoir. Donnez-la sans vous faire tirer
l'oreille, mais n'acceptez la nouvelle que sous bénéfice d'in-
ventaire. Il faut être généreux tout en se gardant d'être dupe.
— Donne-moi la bechara, dit un jour un Arabe à son chef.
— Pourquoi ?
— Eh ! tout simplement parce que, cette nuit, dans un
songe, tu m'es apparu, placé sur le sommet d'un palmier
tellement haut, que, de là, tu dominais le pays tout entier.
Gela veut dire évidemment que tu vas arrivera la richesse,
aux honneurs, au pouvoir, et que tes vœux les plus 'hors
ne tarderont pas à être exaucés.
— Au pied du palmier, y avait-il beaucoup de monde?
— Certainement, la foule était grande, et déjà plusieurs
individus, après avoir fait de grands efforts, étaient sur
le point de te rejoindre.
— Puisqu'il en est ainsi, s'écria le grand seigneur arabe,
ami, cours demander la bechara à ces gens-là : ils doivent
arriver ; quant à moi, tu m'as vu dans une position si élevée,
que, ne pouvant plus monter, je dois fatalement descendre.
9
CHAPITKE QUATRIÈME
MOUT DE LA V K M M K A R A B E
Soins pendant la maladie. — Provisions pour la dernière
heure. — Recommandations de la mère. — Demande de
pardon. — Profession de foi. — La mort. — Ablutions. —
Les linceuls. — La réponse à Pange interrogateur. — Chant
des pleureuses. — Prières des tolbas. — Chant de la gouala.
— La prière des funérailles. — Inhumation. — Le fadaoua.
— Le deuil. — Note de l'émir Aabd-el-Kader !
Peut-être un jour dirai-je la naissance de la femme arabe,
Paccucil qui lui est fait à son entrée dans la vie^ les jeux
de son enfance, les enseignements de sa jeunesse, les de-
voirs qui lui sont imposés, Ja place qu'on lui accorde dans
le monde, ainsi que ses occupations d'épouse et de mère.
Mais, aujourd'hui, presse par le temps, et pour compléter
les études qui précèdent, je me bornerai à raconter ses
derniers moments, à décrire sa mort.
132 LA VIE ARABE
Quand une fenime est atteinte d*une maladie grave, son
mari ne néglige rien pour éloigner le danger, pour l.i sau-
ver.
Il appelle d*abord le médecin — teblb^ — qui, le plus sou-
vent, n'est qu'un vulgaire empirique.
Il passe ensuite aux recettes surnaturelles, dont les vieilles
■
femmes — adjaize — ont seules le secret.
Puis il a recours aux savants — tolhas, — à ceux qui, sûr
cette terre, passent pour être les privilégiés de Dieu ; si la
mort n'est pas décrétée, ils obtiendront pcut-ôtrc la guérison
au moyen de formules religieuses — khotty — talismans
qu'ils feront porter sur différentes parties du corps, ou brû-
ler, pour qu'on puisse en absorber la cendre délayée dans
certaines boissons.
Et enfin, en désespoir de cause, il fait aux pauvres d'a-
bondantes aumônes.
« L'aumône, a dit le Prophète, peut, parfois, prolon-
ger une existence. »
Mais la malade ne se rétablit pas; loin de là, son état
s'aggrave ; la famille a perdu tout espoir; l'époux fait alors
venir son plus proche parent ou son meilleur ami, et il lui
dit:
— Ce qui est écrit sur le front, la main de l'homme ne
saurait l'effacer; j'ai usé de tous les moyens, aucun ne
m'a réussi:
» Ni les fumigations de ï'acheb (1),
» Ni les décoctions du farouni^
t Ni les applications du bou nafaay
» Pas même le feu — el kii.
(1) Kl àcheby el farouui cl bou vafaa, plantes connues pour leurs
propriétés médicinales.
MORT DE LA FEMME ARABE 133
» Pas même les talismans de nos marabouts les plus vé-
nérés I
» Rien, je le répète, n'a pu chasser le froid qui la tue.
» Le Seigneur m'est témoin que, pour nos zaoïiyas et les
pauvres de Dieu, je n'ai ménagé ni mes agneaux, ni mon
blé ;
» J'ai sacrifié des poules noires, des poules roujîes et des
poules blanches ;
» J'ai même immolé des chameltesi;
» Tout a été inutile :
» Sa couleur n est pas bonne, et je vois bien que le mo-
ment fatal approche
» Rendez-moi le service ie convoquer nos parents, nos
alliés, nos amis.
» Au reste, je suis prêt pour ce cruel événement :
» J'ai rapporté de la ville des linceuls ;
V J'ai du musc, du camphre, de Tencens, de Taloës, du
bois de sandal, du benjoin et même de Teau du byv Zem-Zem
dont mon oncle m'a fait présent à son retour du saint pèle-
rinage.
» Mes provisions sont abondantes :
» J'ai des moutons, du beurre et du keskessou — kouskous-
sou; — le lait ne me manque pas ; j'ai des figues, des raisins
secs, des dattes et, Dieu merci, beaucoup de sel et beaucou
de poivre (i).
» Dites à tous que je ne veux rien épargner; car, si le To^
Pirissant m'a largement pourvu des ordures de ce monde —
zoubiyet ed'denya—àc richesses,— j'entends en user pour le
plus grand honneur de la famille.
(l) L« poivre — felfel^ — c'est le vin des Arabes; il joue un grand
rôle daus leur cuisifie et dans leur liy^iène.
134 LA VIE ARABE
• Vous m'aimez, je le sais, d*une sincère affection ; veuillez
m'en donner une nouvelle preuve en vous chargeant aujour-
d'hui de tous ces pénibles détails,..
La famille entière ne tarde pas à se réunir autour du Ht ^
de douleur. Quand la malade se voit ainsi entourée de tous
les siens, elle comprend que sa dernière heure est arrivée.
Sans plainte, sans murmure, elle se résigne courageuse-
ment.
On lui amène ses enfarits les uns après les autres; les plus
grands lui demandent sa bénédiction, elle donne aux plus
jeunes le dernier baiser maternel.
Si elle ne les reconnaît pas, on les lui nomme.
Elle les recommande à ses proches, aux personnes les
plus considérées :
— Veillez sur eux, ce sont des orphelins ; je les laisse
devant votre figure, souvenez-vous que le bien fait dans ce
monde nous est toujours rendu dans l'autre. — • Et vous,
mes chers enfants, adieu, restez sur le bien — ebakou
aala khér; — je vais quitter cette maison — la demeure
terrestre ; — ne soyez pas affligés : votre père ou, à son
défaut, un tel veillera sur vous.
' Si l'accord n'a pas toujours régné entre la femme et le
mari, ce dernier, d'ordinaire, au moment suprême, vient lui
dire:
— Au nom de Dieu, devant qui vous allez paraître, par-
donnez-moi le passé.
L'.4rabe qui se refuserait à cette démarche encourrait la
réprobation générale, on s'écrierait :
— Il a vu sa femme mourir et ne lui a pas même demandé
pardon.
La mchiraute, elle, ne demande pardon à pei*sonne, elle
n'a de grâce à implorer que de Dieu, aussi bien pour elle
MORT DE LA FEMME ARABE 135
que pour ceux qu'elle va laisser dans celle vallée de mi-
sères.
Les derniers moments approchent : c'est Tinslant de
confesser la foi, de rendre le témoignage à Dieu — cfta-
hada.
Un des assistants prononce plusieurs fois de suite et sans
paraître y mettre d'intention :
« Il n'y a de Dieu que Dieu, et notre seigneur Mohham-
med est l'envoyé de Dieu. »
D'autres pereonnes répèlent ensuite ces paroles jusqu'à ce
que la malade dise à son tour, et sans y avoir été invitée, la
phrase sacramentelle, ou, si elle ne peut plus parler, place
devant sa bouche l'index de la main droite , levé vers le
ciel^ ce qui suffit pour indiquer qu'elle reconnaît et proclame
l'unité du vrai Dieu.
On ne doit pas brusquer ni forcer la récitation du témoi-
gnage. 11 n'y a que les gens mal élevés et grossiers qui le
fassent. Si la mort vient sans que la profession de. foi mu-
sulmane ait été prononcée, les hommes croient que la mal-
heureuse a quitté celle terre sans être en état de grâce y
inais Dieu est le plus savant.
La femme rend enfin le dernier soupir; aussitôt un vieil-
lard ou une parente s'empresse dé lui fermer les yeux et la
bouche ; (es amis essayent de consoler ainsi le mari con-
sterné :
€ Dieu vous l'avait donnée, Dieu l'a reprise. »
« Nul ne peut avancer ni retarder le terme de la vie. »
On éloigne tout le monde de la chambre mortuaire; on
emmène les enfants ; les proches sortent en gémissant.
A peine sont-ils partis, que deux femmes âgées, connues
pour leur piété et leur dextérité à accomplir les ablutions
suivant le rite, arrivent en toute hâte,
136 LA VIE ARABE
Elles prennent du savon, de Teau chaude, des lanières de
laine, ou simplement un morceau d'étoffe de coton, cl pro-
xèdent au lavage de toutes les parties du corps, qu'elles
essuient d'abord et habillent ensuite avec un soin reli-
gieux.
Dans cette toilette funéraire, le camphre n'est point ou-
blié. On met à la défunte une chemise de coton très-longue,
elle couvre la poitrine, les bras et les genoux ; puis un pan-
talon qui descend jus(iu'à la cheville. Par-.lessns la che-
mise, on place une large gandouray espèce de robe flot-
tante.
La figure est cachée par un voile léger — fc/i^mar, — et la
partie supérieure de la tête disparaît sous un énorme bonnet
nommé koufiya.
On termine ces détails en enveloppant le tout d'un grand
drap — kecher, — et oa le lie au-dessus de la tête, à hauteur
du cou, de la poitrine, des hanches et au-dessous des pieds,
à cinq reprises différentes enfin, parce que Dieu, étant unique,
aime l'unité et l'imparité.
Pendant toutes ces opérations, on asperge le linceul avec
des eaux de senteur et de Teau du puits Zem-Zem.
Les gens riches couvrent le cadavre de quatre chemises,
quatre gandouras et quatre kechers.
Pour exprimer qu'une femme appartenait à une grande
famille, on dit :
« Elle a été ensevelie dans quatre linceuls! »
Quelquefois, ces objets sont en soie ou en étoffes pré-
cieuses ; mais alors ils doivent être de couleur verte.
L'or et les pierreries sont interdits à la femme dans la
tombe. Les boucles d'oreilles, les colliers lui sont enlevés,
on peut lui laisser les anneaux qu'elle portait î\ sa dernière
heure.
MORT DE LA FEMME ARABE 137
Le mari qui vient de perdre une épouse bien-aimée, ne
néglige jamais de lui faire placer sur la tôle un écrit qu'il
s'est fait délivrer par un marabout réputé pour sa sainteté.
Cet écrit porte le nom de berale el soual, la réponse à Tin-
terrogation ; il est destiné à Fange qui doit régler le compte
de la vie passée, il a pour but de conquérir sa bienveil-
lance.
Voici ce que demande invariablement l'ange du dernier
jour:
« 0 toi^ qui fus si présomptueuse pendant ta vie !
Quel est ton Dieu?
Quelle est ta religion ?
Quelle est ta kebla ?
Quel est ton guide ?
En qui as-tu placé ton espoir ? »
Et la défunte doit répoudre :
« Mon Dieu est le Dieu unique,
La religion musulmane est la mienne,
La Mecque est ma kebla,
Le Koran est mon guide,
Et j'ai mis mon seul espoir dans la miséricorde de Dieu.»
<
Pendant qu'on s'occupe de laver le corps, on entend les
plaintes des parentes et amies de la famille qui expriment
leur douleur en jetant des cris et en se déchirant la figure
avec leurs ongles. Suivant le temps et la saison, elles sont
placées en plein air ou dans une tente voisine.
Ces lamentations sont dominées par les chants funèbres
des pleureuses — neddabate — qui, s'accompagnant du
toubila — tambourin, — vantent les qualités et les vertus de
celle qui vient de mourir.
138 LA VIE ARABE
c ûu*est devenu l'appui de notre tente ?
Qu'est devenu l'orgueil* de nos enfants ?
)» C'était une terre féconde^
C'était la providence du voyageur.
C'était la mère du pauvre,
C'était l'anneau d'une chaîne d'or.
Elle savait enflammer les guerriers,
Et faire briller, par ses chants, la gloire de la tribu.
» Et maintenant, qui soignera les invités de Dieu — hôtes,
Qui tissera nos beaux bernousa,
Qui s'occupera de nos chamelles,
Qui nourrira nos juments nobles?
Le tison ardent peut briller comme le rubis,
Mais le tison s'éteint, et le rubis reste toujours rubis.
» Qu'est devenu l'appui de notre tente?
Qu'est devenu l'orgueil de nos enfants ? />
Le corps une fois purifié, on allume des cierges et l'on
fait entrer dans la chambre mortuaire les tolbas qui ont été
convoqués pour y réciter des invocations et pour y débiter
de mémoire des fragments du Koran, quelquefois le Koran
tout entier. Ce devoir accompli, ils prononcent le fatahli, le
tekbir et enfin le daa — les vœux; — car sidi Khelil a dit
que la prière ne peut profiter aux morts, qu'elle est utile
seulement h ceux qui la font, et que la véritable prière pour
les trépassés ne doit consister qu'eu vœux adressés en leur
faveur à Celui qui ne meurt pas.
Les tolbas sortent après avoir terminé leur mission ; ils
sont remplacés par une gouala — improvisatrice —mandée,
quelquefois de très-loin, par la famille. Seule elle est étran-
MORT DE LA FEMME ARABE laO
gère, les femmes qui Teutourent sont des parentes ou des
amies. Chacune s'applique à retracer à son esprit ou des
cliai^rins antérieurs, ou la perte récente qu'elle déplore, et
bientôt on n'entend plus qu'un concert de plaintes et de gé-
missements, entrecoupé par les stances de la gouala. Celle-
ci marque une mesure régulière sur son tambourin et donne
cours à des paroles qu'elle prononce avec exaltation^ d'un
air inspiré et qui rappelle les anciennes pythonisses.
F^a gouala est toujours une femme renommée pour son
talent ; elle improvise une série de louanges en Thonneur
de la morte. Ces sortes d'hymnes se psalmodient à peu près
comme nos litanies ; en voici un spécimen :
ce Crie, ô fils de la gazelle,
Le maître de l'heure est arrivé — moul sda,
Cric du Iiaut de ces montagnes,
Notre colombe s'est envolée.
» Elle était belle, elle était bonne,
Jamais sa main n'était fermée;
Los malheureux priaient pour elle,
Et cependant elle a dû nous quitter.
» C'est qu'il n'y a dans ce monde
D'éternel que le vrai Dieu;
C'est que les richesses de la terre
Ne valent pas l'aile d'un moucheron.
» Voyez cette femme d'ori^^ine;
On la pleure dans nos tribus ;
Si notre amour pouvait la racheter,
Elle ne serait point dans cç linceul.
140 LA VIE ARADE
» Allons, architectes du mensonge, .
Agitez-vous, bAtissez des palais ;
Môlcz'-y Tor au marbre et au porphyre ;
Vous partirez et vous les laisserez.
» Pour moi, je ne désire que la voûte des cieux,
Nos troupeaux, nos pays sauvages.
Quand j'ai soif, je bols, du lait.
Gela suffit à ceux qui savent.
» Il n'y a pas d'autre Dieu que Dieu,
Et Hohharamed, prophète de Dieu ;
Il n*y a qu'un seul Dieu,
Et Mohhammed le généreux. »
La gouala, secondée par les assistants, continue ainsi pen-
dant une heure ou deux, jusqu'au moment des funérailles
qui ne tarde pas h arriver, parce que, chez les Arabes,
l'enterrement se fait d'ordinaire le jour même du décès, cm
le lendemain matin, de très-bonne heure, si le décès a eu
lieu au commencement de la nuit.
Dieu a dit :
c Hâtez-vous d'inhumer vos morts, afm qu'ils jouissent
promptement de la félicité éternelle s'ils sont morts ver-
tueux, et afm d'éloigner de vous des créatures condamnées
au feu si leur vie a fini dans le mal et dans le péché. »
En conformité de ce précepte religieux, tous les parents,
amis et voisins ont été prévenus à temps.
On s'est dit, dans les environs, à dix lieues à la ronde : « Un
tel ensevelit sa femme, aujourd'hui à telle heure ; » hommes,
femmes et enfants, riches ou pauvres, arrivent de tous les
côtés à pied, à cheval, sur des mul«$ ou des chameaux. L'as-
MORT DE LA FEMME ARABE 141
sistance est toujours nombreuse, car conduire un mort à
sa dernière demeure, est une action méritoire qui compte
pour une bonne œuvre dans l'autre monde.
La loi de fendant la prière funèbre dans les mosquées, on
conduit les raorls directement, de la maison ou de la tente,
dans les cimetières publics.
Une litière — naache — reçoit le corps ; elle est portée
par quatre hommes de bonne volonté qui sont remplacés,
de distance en distance, quand ils sont fatigués. Si l'on n*a
pas de litière sous la main, ce qui est fréquent dans les tri- .
bus, on place tout simplement la défunte sur un brancard
improvisé avec les montants d'une tente.
Le Prophète a dit :
«Il est méritoire de porter un mort ; celui ([ui le porte l'es-
pace de quarante pas se procure l'expiation d*un grand
péché. »
Les pleureuses suivent en silence, elles ne doivent com-
mencer leurs gémissements que hors du douar et cesser un
peu avant d'arriver au cimetière.
Lorsque le convoi est parvenu à la hauteur de la fosse qui
a été préparée à l'avance, il s'arrête ; toute l'assistance se
range en cercle dans le plus profond recueillement, et alors
le plus savant et le plus respecté des toîbas prononce à haute
voix la prière des funérailles. C'est ordinairement un beau
vieillard dont la barbe blanche commande à tous la confiance
et le respect.
Élevant les mains vers le ciel, les abaissant alternative-
ment, il s'exprime ainsi :
« 0 mon Dieu ! elle était votre esclave, fille de l'une de
vos esclaves et membre de votre peuple.
)) Elle avait pour profession de foi : «Il n'y a de Dieu que
149 LA VIE ARABE
1 Dieu, et notre seigneur Mohhamined est l'envoyé de Dieu. »
1 0 mon Diea I si elle a fait de bonnes œuvres, doublez-en
le nombre, et, si elle a failli, pardonnez-lui : vous êtes misé-
ricordieux.
» G*est vous qui Tavez créée ;
» C*est vous qui lui avez donné ce qu'elle a possédé ;
> C'est vous qui Tavez fait mourir ;
> C'est vous qui devez la ressusciter ;
> Qu'elle soit auprès de vous un heureux intercesseur
pour sa famille et les auteurs de ses jours.
» 0 mon Dieu I en pesant un jour leurs œuvres, faites en-
trer dans la balance les bonnes œuvres de leur fille ; faites
qu'elle soit une des causes du mérite qu'ils acquerront à vos
yeux.
» Nous vous le demandons par notre seigneur et maître
Mohhammed votre envoyé ; que la prière et le salut soient
sur lui! Aminé — ainsi soit-il.
> — Amine^ > répètent à la fois tous les assistants.
La prière est terminée; on approche le cadavrode la fosse^
on le descend avec précaution et on l'y place la tète tournée
vers l'Orient, en prononçant ces paroles :
c Au nom de Dieu et au nom du peuple soumis au Prophète
de Dieu ! »
On le couvre ensuite de pierres juxtaposées, puis Ti-
man donne, ainsi, le signal de combler la fosse. Trois fois de
suite, il remplit ses mains de ^terre, et trois fois de suite il
les vide sur la tombe.
A la première, il dit :
c Vous en avez été créée ; >
A la seconde :
< Nous vous y faisons retourner ; 9
MORT de: la femme arabe 143
A la troisième :
« Nous vous en ferons sortir. »
Chacun imite son exemple; on place à la tête et aux
pieds du tombeau deux pierres plates assez hautes pour do-
miner le sol, ce sont les chouahed — témoins, — puis on
reprend, dans le recueillement, le chemin de la tribu. Celui
qui a conduit le convoi se met en évidence^ et tous ceux qui
ont suivi les funérailles passent devant lui en disant :
« Dieu est tout puissant, qu'il t'enrichisse de sa résignation I »
D'une voix mélancolique, il leur répond :
c Que Dieu vous maintienne en santé et vous comble de
ses grftces ! >
On arrive à la tribu : là, on trouve préparée par les soins
de la famille, ou des voisins, une large hospitalité pour tout
le monde, mais principalement pour les pauvres et les or-
phelins de la contrée. Pendant trois jours consécutifs, d'a-
bondantes provisions sont offertes à qui veut s'arrêter et
manger.
Cette hospitalité est distincte de celle nommée difa: sui-
vant les localités, elle prend tantôt le nom de mdaka -* au-
mône, — tantôt celui de fadaoua — rachat, — toujours
dans la pensée que, par cette bonne œuvre, on peut racheter
des peines de l'autre vie la personne qu'on a perdue.
Les pleureuses doivent aller se lamenter au cimetière le
lendemain, le quinzième et le quarantième jour après le
décès.
A chaque fois, on rassasie encore les malheureux*
La dernière visite au cimetière se nomme ferak et keber
•^ la séparation de la tombe*
Le deuil, chez les hommes, consiste à ne pas se Mre raser
la tête pendant quarante jours, comme à ne pas changer de
Vêtements pendant le même laps de temps. On s*interdit lés
Hi LA VIK ARABE
habillements neufs et les couleurs éclatantes durant trois ou
six mois, suivant le terme que, dans sa douleur, on s*est fixé.
Les six premiers mois, les femmes ne sMiabiilent que de
noir, en affectant, dans leur toilette, la plus complète né-
gligence. C'est dire qu'elles renoncent absolument au A/i^nna,
au souak^ au kohitel, aux parfums et aux bijoux. Les six
mois suivants, elles portent un deuil moins sévère.
Voilà comment se passent, à peu près, dans leur en-
semble et dans Tusagc, toutes les cérémonies des funérailles.
Je dis dans Tusage, parce que les pleurs, les lamentations
et tout signe extérieur de douleur, sont, je Tai déjà fait [Re-
marquer plus haut, sévèrement défendus par la religion.
NOTE
Voulant nf éclairer d'une manière complète sur Texactitude
du tableau que je viens de présenter, et dont j'avais entendu,
parfois, contester la véracité, j'ai posé la question suivante
à rémir Aabd-el-Kader, si profondément versé dans tout ce
s
qui concerne la religion et la vie musulmanes :
c On assure que, chez les musulmans, quand une femme
vient à mourir, on ne lui rend pas les mêmes honneurs fu-
nèbres qu'à l'honnne. Pourquoi? »
Voici sa réponse :
n Le fait n'est pas exact : .c'est le contraire qui est vrai ;
chez nous, on n'établit aucune différence dans les honneurs
funèbres rendus aux deux sexes. Dieu a placé la véritable
égalité dans la morl.
MORT DE LA FEMME ARABE 145
Il est du devoir des survivants de laver les corps de ceux
qui ont perdu la vie, de les entourer de linceuls, de pro-
noncer sur eux les prières usitées, et de les inhumer ensuite.
Voilà une obligation à laquelle nul ne peut se soustraire,
soit qu'il s'agisse d'un homme, soit qu'il s'agisse d'une
femme. Il est même permis d'ensevelir les femmes dans des
vêtements de soie, tandis que cela est interdit pour les
hommes. Les riches peuvent, s'ils le veulent encore, parer
les femmes des étoffes les plus somptueusement brodées. On
leur permet, en outre, de les placer dans des cercueils, tan-
dis que le corps de l'homme sera tout simplement mis en
contact avec la terre d'où il est venu. Il en résulte que les
frais de sépulture sont, en général, plus élevés pour la
femme que pour l'homme.
Quant aux cérémonies religieuses, aux prières et aux aa-
mAnes, je le répète, dans les villes comme dans les tribus,
elles sont absolument identiques.
On raconte qu'un Arabe issu d'une famille très-riche, se
voyant, par suite de malheurs immérités, réduit à une pro-
fonde misère, se décida à faire ouvrir les tombeaux de ses
ancêtres. Arrivé à ceux des femmes, ses parentes, il en re-
tira une telle quantité d'étoffes précieuses, qu'en les faisant
brûler, il obtint assez d'or et d'argent pour passer le reste
de sa vie dans une grande aisance.
Un tel fait suffit à prouver la vérité de mes assertions.
A la mort de son mari, l'excès de la douleur chez la
femme, la porte à se déchirer la figure avec les ongles, bien
que la loi religieuse lui défende expressément de se livrer à
de semblables démonstrations. Pour prouver qu'après la
perte de son époux, elle ne vent plus avoir aucun souci de
sa beauté, elle revêt des vêtements grossiers, d'une couleur
sombre, et, pour que le deuil matériel de sa maison lui rap-
10
146 LA VIE ARABE
pelle, saus cessa, sa douleur, elle dépouille son intérieur
de tous led meubles et objets de luxe qui peuvent s*y trou*
xer ; se condamnant ainsi, quand elle a du cœur, de la sen-
sibilité et de raffection, à vivre dans la tristesse et dans
risolemeut*
Chea Thomme, qui esl doué d'une plus grande force de
caractère, et qui possède à un degré supérieur le sentiment
du caloie et de la patience, le chagrin, à la mort de la
femme, se traduit d'une manière moins ostensible. Il ne se
déchire ni ne se frappe le visage, il ne prive pas sa demeure
des embellissements qui peuvent s y trouver réunis, il se
soumeli enfin, avec plus de . résignation aux décrets de la
Providence^ tout en pleurant, sans se cacher, d*abondantes
larmes, et en conservant profondément gravé dans son sou^
venir le deuil de sa compagne. Il va visiter pieusement sa
tombe, fait dire et dit lui-même de nombreuses prières à son
intention, et distribue de nombreuses aumônes propitia*
totres*
Il ne faudrait pas conclure de cette différence dans Tex-
pression apparente de la douleur, que Thomme ne ressent
pas aussi vivement la perte de sa femme, que la femme,
h perte de son mari. On serait dans une erreur d*au«
tmi plus profonde qu*on a vu beaucoup d*Arabes ne pas
vouloir se remarier après la mort de l'épouse qu'ils aimaient
et, . eeia^ en témoignage du souvenir affectueux qu'ils lui
conservaient^ aussi bien que par attachement pour les en-
fuUs qu'ils en avaient eus.
J'ajouterai que les mérites spirituels que l'on recueille eu
suivant le convoi d'une femme, sont aussi grands que ceux
que l'on obtient en accompagnant le convoi d*un homme.
Louange à Dieu qui fait mourir et qui fait vivre ; c*est à
lui seul qu'appartiennent la puissance et le commandement.
MORT DE LA FEMME ARABE U7
Qu*il soit donc exalté. Celui qui a placé l'égalité dans la
mort de ses créatures !
Que la prière soit aussi sur notre seigneur Mohhammedy
renvoyé de Dieu, sur ses parents et sur ses amis!
L'émir Aabd-el-Kader.
CHAPITRE CINQUIÈME
Phrases applicables aux hommes. — Phrases applicables aux
femmes. — Phrases applicables aux chevaux. — Phrases
applicables aux armes.
La guerre, les femmes, la chasse, les armes et les cher
vaux, ont de tout temps joué un grand rôle dans la vie dés
Arabes. Partant de là, à force d'en parler sous la tente, en
campagne, dans les réunions intimes où, sans y penser, on
contracte une grande habitude de la parole, il s*est, à la
longue établi une foule de phrases plus ou moins pratiquas,
plus ou moins pittoresques, toutes empruntées à la nature ;
mais qui ont Tavantage de résumer TopinioÀ générale sur
ces sujets intéressants. Elles sont à peu près les mêmes par-
tout, et il ne peut y avoir que profit à les connaître pour s'en
servir au besoin, ne fût-ce que ppur bien comprendre par la
forme qu'il donne à ses idées, et Fesprit et les mœurs du
peuple que nous voulonsi dominer. Elles nous apprendront en
outre que, la mythologie dont nous avons fait souvent abus
lui étant tout à fait étrangère, c'est dans les objets qui l'en-
vironnent qu'il va chercher ses comparaisons. A' ce point de
vue, ce sera encore du nouveau.
150 LA VIE ARABE
Chacun en prendra suivant ses besoins ou suivant son
goût.
I
PHBASES APPLICABLES AUX HOMMES
En Men.
G*est un noble parmi les nobles.
Djiyed bine le djouad.
Djiyed, pluriel djouad, membre de la noblesse d*épée. Les
djouad constituent la noblesse militaire en Algérie ; ce sont
eux qui mènent les Arabes fiu cpmbat. Plus ils sont braves,
généreux, hospitaliers, plus le nombre de leurs clients
augmente.
•
C'est un homme g/&néreax, sa tente est celle du pauvre.
Badjel kerith^ khéimtou khéimi el gueUil.
C*est un homme pauvre, mais son cœur est riche.
Radjel fakir ^ ou galhou ghani.
C'est un homme génèrent : il nourrit celui qui a faim.
Et il habiSle celui qui est nu.
Kerim : Uaam el aaryane.
Ou iksti el uryaane.
Il sait ce qu'a dit Dieu, et le Prophète.
laarf ach gai Allah ou errassouL
Jamais il n*a questionné Tétranger.
Àamrou ma souel el berrani.
PHRASES SUR LES HOMMES 151
Sa tente est la tente de la sûreté.
Khéimtou khéimt el amane.
Jamais il n'a mangé seul.
Aamrou ma kela ouahhédou.
S'il ne mange pas, il fait manger.
Ann lemm yaakoul, youkkel.
Dans sa tenté, on appelle le pauvre : un invité de bieu.
Fi kliéimtou, el guelHl itssemma : dif Rebbi.
Il nourrit de ses troupeaux et protège de ses armes.
Youkkel be malou, ou ihharem be selahhou.
Le malheureux, chez lui, peut rassasier son venti*e.
£1 gtiellïl fi khéimtou, ma kane la ichèbaa kerchou.
Au jour du malheur, il dissipe les chagrins. .
Nhar eddiyek, iguelaa le ghehaine.
Il est comme la pluie; il convient k tout le monde.
Ki cheta : Innfaa gaa lel nass.
C'est un homme adroit.
IMjel chuter.
•Cest un démon, fils de démon, pour les chevatix.
Djenn benn el djenn fel khéiL
C'est un berger de chevaux, — excellent cavalieri
Raax le khéil.
Ces éloges me fournissent Toccasion de dire que, si vous
voyez sur les jambes nues d'un Arabe, un peu au-deàsus du
cou-de-pied, des exostoses avec épaississement de ia peau,
vous pouvez être certain que vous avez affaire à un cavalier
152 LA VIE ARABE
de naissance. Ces grosseurs se nomment maaziyate ; elles
proviennent du contact permanent de l'œil de l'étrier avec
la partie inférieure du tibia, et on en souffre jusqu'à ce que,
par une longue habitude, la partie du corps que je viens
d'indiquer, soit devenue tout à fait insensible. Ceux qui ne
sont pas porteurs de cet indice, dont on tire généralement
vanité, regardez-les comme des gens de religion, ou des
gens pauvres qui n*ont pas pratiqué le cheval.
Après une insurrection, un bey de la province d*Oran fit
mettre à mort tous tes révoltés qui lui tombèrent entre les
mains, chez qui Ton reconnut les maaziyates dont je viens
de parler.
Les regardant comme des ennemis peu dangereux, il fit
mettre en liberté ceux qui en étaient dépourvus. C'étaient
des fantassins.
Quand il galope ventre à terre, on dit :
c II est cloué sur la selle. >
Menine ïedji talok^ tegoul : ra messemmer.
Il pense à son cheval avant de penser à lui.
Ikhemmem fi aadou kebel ma ikhemmem fi nefssou.
S'il te dit: « Va-t'en, » tu peux être tranquille, pars
sans crainte.
Menine igoullek: rohheu^ rak mahnni^ ghér rohheu.
Il raye son cheval depuis le nombril jusqu'à la colonne
vertébrale.
Idjebed el aaoud menu serra hhatta el sennssouL
Les éperons arabes ne comportent qu'une seule et longue
tige pointue, sans molettes. Il est très-difficile de s'en servir :
un maladroit peut piquer son cheval à la rotule et l'estro-
PHRASES SUR LES HOMMES 153
pier. SuiTant les Arabes, les éperons, qaand oh sait les em-
ployer avec talent, ajoutent un quart à Téquitation du. ca-
valier et un tiers aux moyens du cheval.
Dès son enfance, il a chassé avec son père.
Menn seghorouj làne isstad maa babah.
Quand il tue un sanglier, il est heureux.
Menine iktel el hhallouf, ifrahh.
Un grand plaisir des chefs arabes, c*est de se réunir le
vendredi — nhar el djemmaa — qui est le dimanche des mu-
sulmans, et d*ailer chasser le sanglier avec une douzaine
de beaux lévriers dressés à cet effet. Us en font des héca-
tombes et les donnent à leurs chiens. La chair du cochon
étant défendue par la religion, ils se garderaient ))ien d*y
toucher. Depuis quelque temps, cependant, les pauvres
quand ils ont tué un sanglier, viennent le vendre aux chré-
tiens dans les villes; mais ce commerce est tenu pour mépri-
sable.
Il est toujours prêt à mourir pour celles qui se teignent
les doigts avec du henna, et mettent du noir à leurs pau-
pières.
Li isseboghou seboai-houm; ou ikahhalou aaini^houm
ma kane la imoute aaH-houm.
C'est un fils de grande tente.
Ould khéima kebira.
Cest un enfant de bonne famille.
Benn ennass.
C'est un maitre de la respiration.
Moula nefss.
154 LA VIE ARABE
Poor là matiresso des bagaes, il sacrifierait to vie.
Aala motdate él khouatcmy mebbel aamrou.
Les Arabes disent:
Toujours la colombe a fait soupirer la colombe.
Et de tout temps la lionne a fait rugir le lion.
Quand les jeunes filles poussent leurs cris de joie, il ne
sait plus où est son ftme.
Menine elichirate izeghrtou^ itellefrohhou.
On appelle te%egherite les cris de joie : You ! you ! pous-
sés sur un ton très-aigu et très-élevé par les femmes et les
îeunes filles dans les réjouissances publiques ou privées.
Lorsqu'ils les entendent, les cavaliers s'animent, les chevaux
dansent ; on serait tenté de croire que c'est là pour eux une
musique sans pareille.
Cest un homme sage et courageux.
Radjel aakel au rakelw.
C'est un mattre du fusil, un mattre de la poudre.
Moula tnouqhhala, moula baroud.
Il vit de son fusil.
lamch aala mouqhhaltou.
C'est un mattre du bras ; un fils de son bras.
Moula deraa ; benn deraaou.
«
C'est un maître du nez.
Radjel moula nif.
Ici, le nez représente l'amour-proprc.
C'est un homme malin.
Radjel khéilL
PHRASES SUR LES HOMMES ]2»(
C'est un bon tireur, il ne quitte jamais la mouche.
Radjel derrab, ma iferokchi nichane ed^deb^M.
D ne lâche que celui qui a la vie longue* .
Ma itlog ghér li aamrou touil, . .
• • ■ •
Ne s*aiTëte devant lui que celui dont Dieu a raccourci la
vie. .
Ma iaugueff kouballou ghér li Rebbi guesser aamrou.
Il ne frappe que dans l'œil, sa balle ne tombe jamais à
terre. •
idrob ghér fel aaln , ressasstau aamer-ha ma tetékh
fi larde. •
Quand la poudre tousse, il conserve toujours soo sing-
froid.
Menine el baroùd ikahheuy ma ikhhrodj menn aakelou.
G*est lui qui porte le drapeau dans les jours de danger«
Irfed etterada, nhar el kàina. . .^
Il ne tire jamais de loin, sa batterie ne s*allume que lors-
qu*il chatouille les capuchons avec le canon de son fusil.
Ma idrob menn el baad^ ghér iïa doghdogh bine el guela-
mine, ou zenad ichaal.
Quand il vise un homme, et que le' chien de son fusil
aboie, il le jette à terre comme s'il était mort depuis Tannée
dernière.
Menine iched fi benn adem^ ou le kelb innbahh, idjiboufi
larde miyete menn aam hmel.
Tu ne t'en tireras avec lui que si la batterie de son fusil
te fait grâce.
Ma tesselek mennou, ghér ila djemmel aalik zenad.
156 LA VIE ARABE
C'est un philosophe.
Radjel felafm.
C'est un brave : dans les jours néfastes, il ne frappe qu'a-
vec le sabre.
Rakeba : nhar echoum ma idrob ghér be sekkine. .
On le voit toujours soutenant la retraite du goum : il al-
longe les rênes, tire par^dessus la croupe de son cheval, et,
quand son fusil vient à mentir — rater, — il met le pistolet
à la main.
Ichedd aala aagab el goum ; rdkhef serauy idrob aalel
kefel^ ou ida ledebete mouqhhaltou idjebed redif.
Quand il entre en campagne, les vautours le suivent tout
joyeux.
Kif i%emmeU ennessoura itebaaou fih bel ferahh.
C*est un homme de bonne compagnie.
Badjel motUa miyaad.
C'est un homme expérimenté.
Badjel khebir bel oomour.
C'est un homme de bonne foi.
Radjel moula niya.
C'est un homme de bon conseil.
Radjel moula mechououra.
Jamais il ne déchire sa bouche -^ il ne médit pas.
Ma icherreg-chi foummou.
n a la langue douce.
Lessatwu hhalou.
PHRASES SUR LES HOMMES 157
C'est un homme de bonne réputatiop.
Radjel moula chlaa.
Il dit du bien ou se tait.
Itekellem bel khér oulla iskout.
C'est un homn^e de tète. — Il est sûr comme un compas.
Radjel koumbass.
G* est un homme intelligent.
Radjel kenabsi-fahim.
Il fait manger le kouskoussou.
Oukal taatn.
C'est un homme d*action*
Radjel khessal.
Il possède la patience de notre seigneur Job.
Saber ki sid-na toubb.
Sa parole, c'est la tête de son bien.
KelemtoUf rass malou.
Sa parole passe — a du poids.
Kelemtou djatza.
Quand sa parole est partie, elle ne reyient plus.
lia enntok kelemtou^ matoullich.
Il déteste le mensonge à Tégal de la peste.
Ikerah le kedeb ki Ihhabouba.
Sa culotte est propre : il suit le chemin de Dieu.
SerouaUm neki: itebaa trék Rebbi.
158 LA VIE ARABE
Il jeûne, il prie, il fait ses ablutions, il pratique TaninAne
et ne pense qu'à faire le pèlerinage. .
Isoum^ isalli^ itowudaa, iseddok le guellaline, ou mora--
dou Ihhedj.
Jeûner, prier, faire ses ablutions, donner aux pauvres et
'Visiter la maison de Dieu, voilà, en effet, avec la profession de
foi — chahada^ — les bases fondamentales de Tisiamisme ;
celui qui, cbez les Arabes, s'appuie rigoureusement sur elles,
est certain d'obtenir la considéralion générale et de passer
pour un vrai croyant.
Le jeune — siyam — consiste à ne rien manger ni boire,
comme à ne fumer ni priser pendant toute la durée d'un
mois lunaire, qu'on appelle ramadane, depuis le moment où
l'on peut distinguer un fil noir d'un fil blanc, jusqu'au cou-
cher du soleil. C*est là un jeûne très-sévère et surtout très-
fatiguant quand on doit s'y soumettre pendant les grandes cha-
leurs de l'été. On le rompt néanmoins rarement, et, quand
on le rompt, pour cause de maladie par exemple, on doit,
plus tard, remplacer par autant de jours de jeûne ceux où il
a été suspendu. Après le coucher du soleil et la nuit arrivée,
on recouvre la liberté de manger et de boire, de fumer et de
priser tant qu'on le veut, mais à la conditiou de reprendre
l'abstinence au point du jour.
Les pkiéres. — Elles sont au nombre de cinq :
Prière du point du jour.— Salate el fedjer. — Elle oblige,
on le voit, le musulman à se lever de très-bonne heure, été
comme hiver.
Prière de midi. — Salate el aalam — eddohor.
Prière de trois heures. — Salate el aasser.
Prière qui précède le coucher du soleil. — Salate el
moghreb.
PHRASRS SUR LES HOMMES 12S9
Prière qui prjécède le souper, ènriron huil heores eu
soir. — Sainte el aacha.
Ces prières^ bien entendu, sont un peu avaneées ou retar-
dées, suivant la saison.
On invite les fidèles à la prière au son de la voix humaine,
et non au son des cloches, que les musulmans ont en horreur,
probablement parce que les chrétiens s'en servent. Voici la
formule invariablement employée par les mouddenn^ ou
gens chargés de cette convocation.
Dieu est le plus grand.
Allahou àkber.
Préparez- vous à la prière.
Hheyya aal scdate.
Préparez-vous au bonheur.
Hheyya aaleî falahh.
Ils doivent la répéter deux fois, en la faisant précéder^
comme en la faisant suivre, de la profession de foi — eha^
hada-^^ que j'ai déjà citée»
Ablutions. — El audou : elles se divisent en grandes et
petites. La petite ablution doit précéder chacune des cinq
prières que je viens de signaler. On Tappelie : <mdou es
seghir^ et la grande, oudou el kebir, n*est pratiquée qu'après
des cas exceptionnels, prévus par la loi, et dont il est au
moins inutile de parler ici. L'ablution qui se fait au point du
j.our n'aurait, je crois, rien de bien attrayant pour des Elu-
ropéens.
L'AUMONE. — Sadaka : elle est aussi très-recommandée
par la religion musulmane. L'aumône faite en secret et sans
ostentation apaise la colère de Dieu et préserve des morts^
160 LA VIE ARABE
violentes. Diea n'accordera sa miséricorde qu'aux miséricor-
dieux.
Le pèlerinage — el hhedj : j'en ai déjà parlé. C'est là,
je ne dirai pas Tunique, mais le plus important voyage des
musulmans, à qui il est formellement interdit de parcourir
le pays des infidèles, surtout avec leurs femmes. Il est très-
dangereux, très-fatigant, et, pour nos Arabes, quand il s'ac-
complit par terre, ne dure pas moins d'un an.
C'est un savant ; il lit le Koran sans s'asseoir.
Radjel aalem : ikra le Korane be louakfiya.
On passe pour un homme savant, et même très-savant
chez les musulmans, quand on sait :
i® Lire couramment, ce qui est déjà si difficile que l'on
voit rarement un taleb déchiffrer du premier coup une
lettre ou un manuscrit rédigé en arabe élevé.
Écrire, ce qui demande aussi beaucoup de temps, non
pour la calligraphie, qui, d'ordinaire, laisse peu à désirer;
mais pour arriver à un style correct, ainsi qu'à un bon
choix d'expressions. L'Arabe est un puits sans fond: byr
bêla kaa.
2^ Le texte du Koran, jusqu'à le réciter intégralement
sans une faute, et avec la psalmodie et l'intonation conve-
nables qui servent à maintenir la pureté du langage.
3* La grammaire arabe » djaraumiya.
4^ Les diverses branches de la théologie — touhhid el
tassouef.
5* Le droit , c'est-à-dire le commentaire du Koran au
point de vue légal, par sidi Khelil, qui fait foi dans tout le
rite malekiy par conséquent chez les Arabes.
6^ Les conversations du Prophète : — Hhadite sid-fia
Mohhammed.
PHRASES SUR LES HOMMES 161
•
' 7° Les commentaires sur le Koran, tefessir el Korane^
c'est-à-dire Tinterprétatiou du livre saint : on compte sept à
huit commentaires faisant autorité; celui de El Khazine est
le plus estimé.
8® L'arithmétique — hhassab el ghobari ; la géométrie —
hhassab el mennberr, et Tastronomie — œulm el faleh.
9* La versification — (etUm elaaraud; — presque tous les
tolba$ se croient poêles.
10» Et enfin l'histoire, non-seulement de son pays, mais
de sa nation.
Voilà, à peu près, toute la science chez les Arabes, ce
bagage peut nous paraître léger ; il n'en est pas de même à
leurs yeux. Ils prétendent qu'il faut toute la vie d'un homme
pour l'acquérir, et Ton a vu chez eux des princes faire grâce
de la vie à de grands criminels par cette seule raison qu'ils
les regardaient comme des flambeaux théologiques tellement
rares qu'on ne pouvait les remplacer. Si j'ai bonne mémoire,
cela est arrivé à l'émir Aabd-el-Kader.
Il a toujours la main allongée,
Le sabre tiré,
Et une parole qu'on ne renvoie pas.
Iddou memdoudj
Sifou medjeboud,
Ou kelemtou bêla meredotul.
Son plus grand désir est de mourir dans la guerre sainte.
Moradou imoute fel djahad.
Il a toujours le chapelet à la main.
Tes'ibéhh dxma fi iddou.
Le chapelet ai'abe compte quatre-vingt-dix-neuf grains,
11
162 LA VIE ARABE
sans doute pour rappeler constamment au fidèle les quatre-
vingt-dix-neuf noms qu'on a donnés à Dieu.
Par ma tête, c'est un cbérif, on doit le compter au nombre
des amis du Prophète.
De rassi, houa cherif, menn sahhab rassouJ Allah.
Clierif — pluriel, cherfa — noble. d'origine. Ce titre
ne peut ôtre donné qu'aux descendants du Prophète par sa
fille Fatma. Le peuple professe un grand respect pour h s
chërfa, qui, seuls, ont le droit de porter la couleur verte
dans leurs vêtements.
Dans les jours noirs, le cbérif se découvre la tôtc et crie
à son monde:
A la nage — au galop, ~ les jeunes gens, à la nage î
Les balles ne tuent pas ;
Il n'y a que la destinée qui tue.
Fi nharate el kohhel, xanri rassou ou izgui lel jiassou :
Aaouam ya le chachera, aaouam!
Ed'doun ma iktelche ;
Ma iktel ghér ladjel.
Les Arabes ont toujours un triple besoin de gloire, de ven-
geance et de butin. Pour le satisfaire, ils ont trouvé un pro-
cédé très-expéditif et très-efficace; c'est la razia, envahisse-
ment par la force ou la ruse du lieu occupé par rennemi, ou
du dépôt de tout ce qui lui est cher, famille et fortune. Chez
eux, la gloire n'est pas de la fumée.
Quand tous les renseignements sont recueillis et qu'on est
tout près de la tribu à envahir, il faut tomber sur elle dès la
pointe du jour, à l'heure où Ton trouve :
La femme sans ceinture
Et la jument sans bride.
El mra bêla hhazam
Ou laaouda bêla ledjam.
PHRASES SUR LES HOMMES 163
Un de leurs iK)ëtes a dit :
A h pointe du jour, les combats ;
A la tombée de la nuit, les festins;
Le matin, Tennemi;
Le soir, les hôtes, les pauvres et les amis.
C'est un maître dans l'art de la blaga.
Radjel maallem fel blaga.
Chez les Arabes, la blaga est l'art de se servir hëbileuieiit
de mots qui, non compris par ceux qui ont peu d'intelli'*
gence, comportent un autre sens pour ceux qui sont doués
d'une viye compréhension. Il en existe de nombreux traités.
Il me paraît certain que notre expression blague vient du
mot arabe blaga. Comment? Est-ce par l'Espagne, l'Algé^
rie, ou est-ce encore un souvenir des croisades? Je laisse
aux savants le soin de décider la question. Le mot blague
est généralement pris en mauvaise part ; c'est le contraire
chez les Arabes. Si j'ai écrit blaga avec un gaf^ c'est que
c'esl bien là le son reproduit à mon oreille. On devrait
peut-être l'écrire avec un ghme^ parce que, dans le désert
et dans le Maroc, de tous les ghine on fait des gaf.
Il n'a pas son pareil dans le siècle.
Ma kane^hi metelou fel korn.
En mal.
C'est un homme difficile.
C'est un homme grossier.
C'est un gourmand.
C'est un père du ventre.
C'est un coureur de femiuv's.
Radjel ouaar,
Radjel khechine,
Radjel melhovf.
Dou kerch.
Radjel meiiaulé
1<>4 LA VIE ARABE
Les Arabes font très-peu de cas de Thomme qui boît et
mange beaucoup. S*il devient obèse, ils le considèrent comme
hors d*état de faire la guerre^ et ils disent de lui :
« Voilà un malheureux qui porte un vêtement tissu par
ses dents. )i
Suivant l'émir Aabd-el-Kader, l'homme a été fait avec de
la soie et du fer. S'il s'habitue au luxe, à la mollesse, à
la bonne nourriture, la soie domine, et bientôt il n'est plus
bon à rien; si, au contraire, il tient son âme en bride, et s'il
repousse impitoyablement toutes les jouissances de la vie, le
fer l'emporte, et il restei apte à supporter les plus grandes
fatigues, à exécuter les plus grands travaux.
Personne ne pouvait tenir ce langage avec plus d'autorité
que ce chef illustre des Arabes. En effet, pendant la guerre
de la conquête, et dans un pays dénué de ressources, il lui
est souvent arrivé d'accomplir à cheval des courses fabu-
leuses, sans manger autre chose, dans le cours d'une jour-
née, que deux ou trois poignées de blé bouilli dans de l'eau
salée — cherche7n. — Cette incroyable sobriété, partagée
du reste par beaucoup d'autres Arabes, lui avait permis
d'arriver à une mobilité telle, qu'il paraissait quelquefois
dans une province, quand, peu de temps auparavant, on l'a-
vait vu dans une autre.
C'est un ignorant.
Ce n'est qu'un moineau.
Il procure sa femme.
C'est un fou.
C'est un avare.
C'est un peureux.
Radfel djahel.
La zaouch.
Ichekemm martou.
Radjel mahbouL Mesegooeu.
Badjel bekhil. Yabess.
Radjel khouaf.
C'est un homme possédé du démon.
Radjel inedjennoun.
PHRASES SUR LES HOMMES 165
Il ne vaut rien, il n*est bon à rien.
Ma issoua, ma isselahh.
Toute la journée, il joue aux cartes.
Nhar kamel ilaab el Karta.
Sa tente est la tente du mensonge.
Khéimtou^ khétmty le kedeb.
C'est un homme haineux ; le poison lui coule par le nez.
Radjel mebghotid; essemm issil men nifou.
Sa tente est ia tente de la viande salée.
KhéimtoUy khéimt le kheléaa.
Ceci veut dire que les hôtes de cet homme ne mandent
jamais de viande fraîche. Le khéliua^ nous l'avons déjà dit,
est une viande cuite dans l'huile, salée et séchée au soleil.
On ne s'en sert pas ordinairement pour donner Thospitalité,
mais seulement comme ressource dans un cas pressé ou
quand on est en expédition.
Il passe sa vie à dire du mal des femmes.
Dam idjedeb fe nessa.
C'est un carotticr.
C*est un homme sauvage.
Radjel temmaa.
Radjel khelaoui.
C'est comme un chien : il n'a ni parole ni considération.
Ki le kelb : la kelma^ la hherma.
Ce n'est qu'un marchand de sucre — épicier.
La sekakri.
Il n'a pas d'autre métier que celui de se chauffer au soleil.
La semmache.
166 LA VIE ARABE
C'est un gros serpent.
G*est un gros ogre.
C*est un grand diable.
Taabane kebir.
Ghoul kebir.
Aafrite kebir.
Il est courageux comme sa femme.
Rakéba ki martou.
Pour la poudre, sa femme vaut mieux que lui.
Martou fehbaroud khér mennou.
Le jour du combat, il reste sur les mamelons.
Nhar el baroud ioogouf fe Ihhamamir.
C'est comme une femuie, .
Il passe sa vie à se regarder dans un miroir.
Kifou kif le mra.
Dam ichouf oudjhou fel meraya:
Jamais l'Arabe ne se regarde dans un miroir; d'après lui,
c'est mie faiblesse indigne de l'homme, il le laisse aux
femmes avec l'usage des parfums.
Mais, s'il ne s'en sert pas, en revanche il emploie souvent
le peigne pour soigner sa barbe à laquelle il tient beaucoup
et qu'il doit porter jusqu'à sa mort sans qu'elle ait éié rasée
une seule fois.
11 rend son fusil chargé cl armé.
Imedd mouqhhaltou maamera ou metallaa.
Aux jours de la poudre, son cheval est toujours boiteux.
Fi nharate el baroud, daaïm aaoudou dalaa.
C*est comme une jeune fille, il n'est bon h rien pour la
poudre.
Kifou ki Uchira, ma isselahhch fel baroud.
PHRASES SUR LES HOMMES 167
Quand an homme tourne le dos, il commence à en dire du
mal.
Menine radjel iderreg aalih^ ibda idjebed fih.
Dans les réunions, il déchire sa bouche et pour l'action ce
n'est plus qu'un juif.
Fel djemaa icherreg fouminoUy ou fel khessela la ki li-
houdi.
Il n'a jamais ramené un cheval de prise.
Aamrou madjab gueléaa:
Il ne suit pas sa religion, il boit des liqueurs fermentées.
Ma itehbaach dinotiy ichroh el khemer.
Toute liqueur fermenlée pouvant troubler la raison el
rendre Thomme semblable à la bêle, esl sévèrement prohibée
liar la religion musulmane. Mainlcnant, sur le littoral el dans
les villes que nous occupons en Algérie, il y a beaucoup
d'Arabes qui boivent du vin, de la bière, des liqueurs, etc.;
nous les regardons comme étant en progrès, mais, pour ce
fait, ils sont souverainement méprisés par leurs coreligion-
naires.
C'est un grand voleur : attache le cheval avec dix en-
traves en fer et il l'^-nlèvera tout de même.
Khàine kebir : ou loukane el aaoud be aachera hhadaid,
makane la ivfedou.
L'adresse des voleurs de chevaux est telle, que très-sou-
vent, malgré nos grand'gardes, nos petits postes et nos sen-
tinelles avancées, on est venu nous en enlever au milieu de
nos camps. Ils profitaient des nuits sans lune et sans étoiles,
et ceux que nous avons tués, nous les avons toujours trouvés
tout nus, munis seulement d'une ceinture de course à la-
168 LA VIE ARABE
quelle étaient suspendus un pistolet et un petit couteiau —
mouss.
Ce n'est qu'un criard et un bavard.
La zeggaye ou fedoulu
Les Arabes ont les bavards en horreur.
Ils disent :
Tout bavard est ennuyeux ;
Il appelle le mal sur sa tête,
Et il mérite un coup de rasoir
Qui lui mette les molaires à découvert.
Koul douaye messousSj
Idjib el helika fi rassou ;
Ou istahel derba be mousSj
Hhatta ibanou derassou.
Ce n'est qu'un buveur de tabac — fumeur.
La chareb edokhane.
N'allez pas croire que tous les Arabes fument. La pipe
fait partie du bagage des gens de guerre ; mais les
hommes de science et de religion, c'est-à-dire les tolbas
et les marabouts ne fument pas. Le pauvre aussi ne fait
point usage du tabac, il est trop cher pour sa bourse.
Les chefs et les riches qui fument ont un esclave préposé
aux soins que réclame cette habitude ; c'est lui qui est
chargé de nettoyer la pipe, de la bourrer, de. la présenter el
de l'allumer avec un charbon ardent, ce qui, d'après les
raffinés, est la meilleure manière de le faire. En campagne,
on garde le culot de la pipe qui tinit, pour le placer sur la
surface de la pipe qui va commencer. Il faut que celle ma-
PHRASES SUR LES HOMMES 1G9
nif^re de faire ait de grands avantages, puisqu'elle a donné
naissance au proverbe suivant :
Le culot d*une pipe sur une pipe
Vaut une jeune fille dans un fauteuil.
Tofia foug sebsi,
Ou iofla foug kersi.
•
Dans ce dicton, les Arabes ont fait un accroc h la raison
en faveur de la rime.
J'ai rencontré des Arabes qui chiquaient, quoi ? le croi-
rait-on, du tabac à priser.
Le tabac n'était pas connu du temps du Prophète, il n'a
donc pu le prohiber. Partant de là, les savants disent qu'il
est seulement. haïssable — mekrohheu. — Si l'on s'en
abstient, cela vaut mieux, parce que toute privation d*uno
chose agréable acceptée en vue de Dieu, ne peut qu'être
utile au salut.
Ce n'est qu'une peau de lion sur le dos d'une vache.
La djeld sebaa aala dahar el begra.
On a cru pendant longtemps qu'une haute stature et la
force corporelle produisaient une vive impression sur les
peuples orientaux. C'est une erreur ; ce qu'ils estiment, c'est
l'adresse, Tagilitéet le courage; peu leur importe qu'on soit
grand ou petit, et souvent même on eiHend les Arabes dire en
regardant quelqu'un que l'on vante devant eux: « Que nous
fait la taille et que nous fait la force ! voyons le cœur. Ce
n'est peut'-étre là qu'une peau de lion sur le dos d'une
vache. »
170 LA VIE ARABE
II
PHRASES APPLICABLES AUX FEMIIE8
En hicc,
Patnia — nom d'une fille du Prophète — est une fille de
grande tente. Ses cheveux sont noirs comnie les plumes de
Tautruche mâle.
Fatma bennt hhéima kebira : chaar-ha kohhel kif rich
ed'delim.
Ses sourcils sont des arcs venus du pays des nègres, et
ses yeux, vous diriez deux pistolets armt^s, prêts à faire feu
cl chargés avec de la poudre chaude.
Hhaouadjeb-ha kouass eswudatie, ou aaini-ha tegoul
zouidja konabess metallaàine kl hhatta, moudjoudine ou
rafedine le baroud el hhami.
Sa bouche, dis : c'est un rubis monté sur une bague.
Foum-ha^ goul : yakout mebeni aala khalem.
Ses dents sont blanches comme le lait de la chamelle.
Senane-ha kif hhalib entiaga.
Son cou, c'est comme le cristal.
Kokcbt'ha kif el bellar.
Ses bras ressemblent à deux sabres montés en argent.
Deraài'haki siyouf imuimevine bel fodda.
Sa poitrine, c'est comme la neige de nos montagnes.
Zouazi'ha ki teldj djebol-na.
\
PHRASES S4JR LES FEMMES 171
Et sa taille élancée rappelle le palmier du désert.
Ou touUha ki nekhol es-'Sahhara.
Son souvenir me vient toujours quand je vais m'endorrair.
Menine nergoud daim nekhemmem fi- ha.
Louanges à Dieu qui Ta créée !
Sebahhane àllah H kheM-ha!
Chez les Arabes, les femmes ne procurent pas la noblesse
aux hommes. Ceux-ci ne la tiennent que d*eux seuls. Un
homme de grande origine pent donc, si cela lui platt, acheter
une esclave, Tépouser après l'avoir affranchie et en avoir
des enfants, sans que pour cela, aux yeux du monde, sa
lignée soit entachée. Dans le mariage musulman, Tégalité du
sang n*est une obligation que pour la femme ; si elle appar-
tient à une classe élevée, elle ne peut se mésallier.
L'homme, au contraire, sans déshonneur pour son nom, est
libre de s'unir à qui bon lui semble.
Djamila — la Parfaite — est belle de loin, gracieuse de
près ; sa vue guérirait un malade. Elle aime le kohhely les
parfums et les bijoux.
Djamila chabba menn el baad^ ou messerara menu le
(jorb : Il merid ou ichouf-ha ma kane la ibra. Tehheb el
kohhely tehheb el bekhour ou tehheb es-siagha.
On fait le kohhei avec du sulfure d'antimoine, dô l'alun —
toutiya, — du musc quand on peut s'en procurer, et un peu
de noir de fumée. Il donne aux yeux plus d'éclat et passe
pour préserver des ophtalmies, arrêter l'écoulement des
larmes et fortifier la vue en la préservant des rayons trop
éclatants du soleil. Tous les peuples musulmans en font
usage; en serait-il ainsi s'il n'avait aucune propriété bienfai-
sante? Évidemment non.
172 LA VIE ARABE
En outre du kohhel qu'elles emploient, ainsi que beau-
coup d*hommcSy du reste, on peut le dire, avec amour, les
femmes arabes se teignent encore les doigts avec du bhenna,
et les lèvres avec du souak, qui n'est autre chose que Técorce
du noyer.
Le hhenna produit la couleur rouge-orange, et le souak
amène une couleur d'un rouge beaucoup plus foncé. Ce dernier
contribue, dit-on, à faire ressortir la blancheur des dents.
Quant aux parfums, ils sont aussi très-recherchés. Ceux
qu'on emploie de préférence sont :
L'essence de rose — aater el ouarde.
L'essence de jasmin — aater el iassmine.
L'essence d'acacia à fleurs jaunes — aater el lebane.
L'essence de sandal — aater essarmdel.
L'essence de géranium — aater echahh.
L'eau de fleur d'oranger — ma zahar.
Une essence composée avec du sandal, du kaskari, de
l'ambre gris — aannbery — du musc — messk — et de la
liqueur tirée de la civette; on l'appelle el mekhannbel.
On fait encore des chapelets très-estimés avec du musc et
de l'ambre gris — tessbéhh.
Les femmes du peuple aiment beaucoup l'odeur des clous
de girofle — kronnfel.
Les bijoux sont aussi en grand honneur chez les femmes
arabes ; celles qui sont riches s'en surchargent. Elles por-
tent des boucles d'oreilles en haut et en bas, au nombre de
quatre, quelquefois de six — khoss — menaguech — mek"
foui. — On emploie à ces joyaux, depuis le diamant jus-
qu'aux pierres les plus communes, depuis l'or jusqu'au
cuivre le plus vulgaire. Ils sont d'ordinaire très-lourds, et,
pour que l'oreille n'en soit pas déchirée, on les maintient par
uno petite chiitne qui vient s'accrocher sur le front en for-
PHRASES SUR LES FEMMES 173
mant une espèce de diadème — el aassaba, — On donne au
goût de la femme arabe pour les boucles d'oreilles, une ori-
gine curieuse et peu connue ; la voici :
Sara, femme de notre seigneur Brahim — Abraham, —
étant devenue très-jalouse de Hadjer — Âgar, — servante de
son mari, lui fit, dans un moment de colère et autant pours*en
venger que pour l'humilier, percer cruellement les oreilles ;
mais Hadjer passa des anneaux d*or dans ses blessures et
son affront fut effacé. Toutes les autres femmes trouvant cet
ornement de leur goût, s*empressèrent d*imiter son exemple.
Les colliers sont de toutes les formes, de tous les prix el
de toutes les dimensions — cberka — kelada. — Les femmis
riches en font avec des pierres précieuses, des perles, des
pièces d*or, du borail, de Tambre, et pour les jours de fête,
en fleure d'oranger, ce qui est très-gracieux — aaked mtaa
ezahar; les femmes pauvres en font avec des pièces de mon-
naie, des boutons de nos soldats, des coquillages, ou bien
encore de très-volumineux en clous de girofle -— mekhanga.
— Joignez à cela des bracelets de mains de tous les métaux -
messaiss — et des bracelets de pied — kholkhal — façonnés
comme un fer à cheval. Ils ont plutôt Tair d'un signe d*es-
clavage que d'un ornement.
Enfin ce sont des quantités de bagues en or, en argent ou
en cuivre — khatem — berim.
Âaïcha — la Vie — est une femme de religion ; elle s'ef-
fraye même de son ombre.
Aaicha mra diina ; tekhafmenn kh'iaUha.
Nedjema — l'Étoile — a des yeux déchirés jusqu'à l'o-
reille, elle dit à la lune : « Brille ou je vais briller. >
Aaini'ha mecherreguine hhatta kl oudenn; tegoul el
guemera : Giiedi oula neguedi.
174 LA VIE ARABE
Les Arabes, quand ils veulent pariée d'une jolie femme,
ne manquent jamais- de la comparer à la lune. La lune,
disent-ils, éclaire d'une clarté plus douce que celle du
soleil ;, elle amène le calme, la fratcheur et dispose aux
rêveries amoureuses.
Djoliar — la Perle — est une femme noble : elle rougit
rien qu'en voyant un coq. Que Dieu me fasse la grâce d'en
être aimé.
Mra hhorra : tesstahhi tnemi serdouk. Allah idjaal'ha
tebghini,
Safya — la Pure — marcbe comme un bey ; il ne lui
manque que le commandement et des tambours.
Tetemecha H el baye: ikhoss-ha ghéfy Ihlmkoum ou
teboul.
Yamina — la Prospère — n'a qu'une seule parole ; quand
elle dit à son frère : « Attends-moi là^ dans un instant je vais
venir, » elle vient, quand bien même on devrait lui couper la
tête.
Aand'ha kelma bon fa : il a galett khou-ha : ogood temm,
delouakt nedji, ma kane lu tedji, oua loukane inkeiaa
rass-ha.
Soultana — la Sultane, — c'est une maltresse de la fan-
tazia ; elle marche en se balançant comme le pigeon sauvage.
Moulate el fantaziya : tederrodj ki Ihhamamé
N'épousez jamais une femme pour son argent^ les ri^
cbesses peuvent la rendre insolente; nt pour sa beauté, sa
beauté peut la perdre ; épousez-la pour sa piété<
PHRASES SUR LES FEMMES 175
0 Rahhma — la Miséricorde ! — contentc-nioi ou dc-
testc-inoi, ou dis-moi : « Dieu l'en apportera d'un autre côlé.»
Ya Rahhma! fen'ahhini ou kerahhini, ou goul4i : idjiblek
Rebbi menn djiha okhra
Aafya — la Paix — ne ferait pas une chose honteuse :
c'est une fille de bonne famille et d'une grande tente ; si ses
parents en entendaient parler, ils la couperaient en mor-
ceaux et la jetteraient aux chiens.
Aafya ma taamelch el aaib : bennt ennass oti bennt khéima
kebira; oualdi-ha loukane issmaaou bi-ha^ iktaaou^ha traf
ou yaatoU'ha lel kelab.
Hhâlitna — la Douce — sourit avec délicatesse, et c'est
par onces qu'elle lâche les gracieusetés.
Tetbessem be drafa^ ou tetlok es-serr bel oukiya.
Zhora — la Fleur — aime la guitare, les fleurs et la poudre
dans les fêtes. C'est une femme qui porte bonheur.
Tehheb el kouitra, ou ennouar, ou le baroud fel ouadaa.
mra mebrouka.
Chez un peuple qui proclame sans cesse que tout vient de
Dieu, le bien comme le mal, il existe une foule de supersti-
tions et de préjugés qui peuvent être funestes même à la
femme la plus vertueuse. Il est donc indispensable qu'à
toutes les autres qualités, elle joigne le bonheur. Est-elle
pour son mari une cause vraie ou supposée de fortune, on
l'appelle la bénie, l'heureuse et on la comble d'honneurs et
de bons procédés. Hais, si au contraire, dès les premiers jours
de son union, un Arabe n'a jamais vu qu'une diminution
dans ses biens ou dans sa position sociale, s'il a été con-
trarié dans toutes ses entreprises, il ne peut s'empêcher de
croire que sa femme lui porte malheur ; il en est troublé, et
17G LA VIE AUABE
quelquefois il la rend à ses parents. Ou donne le nom de
hhercha à la femme qui passe pour porter malheur.
Les Arabes croient reconnaître la femme qui porte
malheur à ce signe que le tendon de sa jambe, en arrière de
la cheville du pied, est toujours sec, tranchant et bien dé-
taché. Ils disent :
Celle qui, avec son tendon, peut couper le cou à un oiseau,
Fuis-la ; elle ne renferme aucun Lien.
Li be aargoub-ha tedebahh et-tair^
Ilorob menn-ha ; mafi-ha khér.
J'ai parlé à l'émir Aabd-cl-Kadcr de ce sot préjugé; voici
ce qu'il m'a répondu :
«C'est là une superstition qui existait du temps de ridolâ-
trie ; la loi musulmane en a fait juî^tioe. Les Arabes croyaient
autrefois que le profit et la perte étaient attachés h la che-
velure des femmes, à celle dos enfants ou à la crinière des
chevaux; aujourd'hui, nous repoussons ces influences oc-
cultes et nous disons tout simplement :
> La femme malheureuse est celle qui est stérile ou affligée
d'un mauvais caractère.
> Le cheval malheureux est celui qui est lent à la course ou
dont on ne se sert que pour entreprendre des expéditions
injustes et déloyales.
» On trouve bien encore chez quelques Arabes grossiers et
ignorants I cette croyance profane que la femme, suivant
qu'elle est née heureuse ou malheureuse, apporte en dot à
son mari le bonheur ou le malheur; mais les hommes
sages et qui connaissent bien leur religion la repoussent avec
dédain et pensent que Dieu seul fait ce qu'il veut de ses
créatures. C'est lui qui est le souverain appréciateur et
maître : il leur envoie la prospérité ou l'adversité, comme
PHRASES SUR LES FEMMES ITT
bon lui semble, et il ne dépend ni de la femme, ni de l'en-^
fant, ni du cheval pas plus que d^aucune autre chose créée,
d'empiéter sur les attributions du Créateur. Celui, donc, qui
possède une croyance sincère jointe à une foi profonde ne
peut, je le répète, attacher aucune importance à des su-
perstitions aussi vulgaires que ridicules. »
Khéra — le bien — est belle: son visage resplendit
comme la pleine lune.
Khéra chabba : oudjh-ha iguedi ki le bederr.
Aarbiya — TArabe — vous ensorcelle par sa beauté et
par sa parole.
Aarbiya tesshherr be djonal-ha^ ou lessann-ha.
Djenna — le paradis — a fait le pèlerinage de la Mecque :
elle ne sort que voilée, ne s'occupe que des pauvres de Dieu,
et ne pense qu'à Tautre monde.
Hhedjete : tekhroddj ghér mennkeba, teched aalel guella-
Une ou tekhemmem fel akhéra.
Les femmes arabes ne peuvent aller au marché, tenir bou-
tique, vendre ou acheter dans les rues ; les hommes seuls
sont chargés de ces soins. Lorsqu'elles sortent pour visiter
des parentes, des amies, des lieux sanctifiés, pour assister
aux fêtes des marabous vénérés, — el otuuiaa, — pour se
rendre au bain, eUes se revêtent d'un hhaîk dont la finesse
est en rapport avec leur fortune, ou tout simplement d'une
pièce de calicot — melhhafa — dont elles s'enveloppent
tout entières, à Texception d'un œil indispensable pour se
conduire, ce qui leur donne un aspect si mystérieux. C*est
là une des prescriptions de la pudeur, recommandée à la
femme arabe par la religion et consacrée par la pratique.
En résumé, la Jemme ne doit pas regarder Thomme, ni
12
178 LA VIE ARABE
être vue de lui, de manière à exposer son cœur aux dangers
de la tentation. Les regards énervent l'âme et affaiblissent
les facultés. Cependant, dans les tribus, les femmes de noble
origine font seules, à la jalousie des hommes, ces rigoureux
sacrifices ; les femmes du peuple, obligées de vaquer aux
mille travaux de lat tente, sortent d'habitude le visage dé-
couvert.
La loi islamique n'empêche pas la femme d'aller prier
dans les mosquées ; toutefois, les jurisconsultes et les doc-
teurs sont d'avis qu*il est plus convenable qu'elle reste dans
son intérieur pour y accomplir ses devoii'S religieux. Il faut,
disent-ils, qu'elle aime et respecte son mari, qu'elle s'efforce
de lui être agréable et qu'elle ne le trahisse jamais ni dans
ses biens ni dans son honneur. Si, en outre, elle ne sort ja-
mais de chez elle qu'avec son consentement et le visage voilé
afin de dérober ses traits aux regards étrangers ; si, dans la
rue ou dans tout autre lieu public, elle évite la foule et se
tient rigoureusement àTécart ; si, au dehors, elle ne Ht point
aux éclats et ne fait jamais entendre le son de sa voix, de
misinière à être remarquée ; si elle apporte tous ses soins au
bien-être de son ménage, et place toujours l'intéi^êt de son
époux avant le sien ; si elle s'attache à être très-propre sur
son corps et sur ses vêlements ; et si, enfin, elle chérit,
soigne et élève bien ses enfants, il importe fort peu qu'elle
fasse ses dévotions à la mosquée ou dans sa maison, pourvu
qu'elle les fasse régulièrement.
L'émir Aabd-el-Rader.
Saadiya — l'heureuse. — Elle remplit d'enfants mâles la
tente de son mari. Que Dieu lui accorde sa bénédiction I
Taamer el khéima be dekoura. Allah ibarek fi- ha !
Auprès de DieU; le maître du monde, une fille vaut un
PHRASES SUR LES FEMMES 179
garçon. Ainsi s'exprime, dans un proverbe, la sagesse mu-
sulmane; mais, comme il arrive d'ordinaire, ici-bas, la théo-
rie et la pratique sont loin de s*accorder en cette matière.
Les hommes, en pays arabe, se chargent de faire la diffé-
rence que, suivant eux. Dieu ne fait pas. Tandis que le gar-
çon reste avec sa famille, ajoutant à la force de la tribu,
dont 11 soutient la fortune et Thonneur, la jeune fille, aussitôt
qu'elle est parvenue à Tâge nubile, suit la destinée d'un
mari, elle quitte ses parents et va devenir quelquefois, sous
une tente lointaine, une femme étrangère à sa tribu.
Zina — la jolie. — N'a pas de sœurs dans les quatre coins
du monde : elle chante les malheurs ou la gloire de sa tribu.
Que Dieu la préserve du mauvais oeil I
Maand'ha khouatate fed~denya : fel khêr ou fe chorr
teghenni aala aarch-ha. Allah ihhadjeb-ha menn el
aam!
Ce sont les femmes qui, dans les tribus et concurremment
avec les trouvères, augmentent la popularité des chants qui
sont faits par les iolbas — lettrés — pour perpétuer sous la
tente le souvenir des combats glorieux ou des revers affli-
geants. Nous autres, chrétiens, nous y sommes la plupart du
temps très-maltraités ; cela entretient la haine qu'on nous
porte.
De nos jours, on voit encore des femmes arabes, montées
sur des chamelles ou sur des mules richement caparaçon-
nées, assister aux combats livrés par les tribus. Leur pré-
sence relève le courage des faibles et surexcite l'énergie des
forts. Si un homme vient à fuir, elles l'accablent d'injures,
et, quand elles le peuvent, dans le but de le signaler à tous
comme un lâche, elles répandent du hhenna liquide sur ses
habits.
leo LA VIE ARABE
Meryem — Marie. — Dès qu'elle a pu porter une cruche
à sa bouche.
Elle a porté ce qu*a porté sa mère.
Menine refedett el hhalab el foum-ha^
Rtfedett ma refedett imma-ha.
Cette assertion ne paraîtra pas trop empreinte d*exagéra-
tîon quand on saura qu'il n'est pas rare de voir, en Afrique,
une jeune fîtle arriver à la nubilité vers Tàge de dix ans.
J'ai entendu citer Texemple d*une mère qui avait onze ans
à peine de plus que sa fille. Elle était grand*mère à vingt-
deux ans.
Chez les Arabes, on ne veut pas qu'une jeune et jolie fille
soit soustraite longtemps aux liens conjugaux. Tandis que sa
beauté s'accroît, on craint que sa réputation ne diminue.
0 Richa! — la Plume, — par ta douce beauté, donne-moi
seulement un coup d'œil, cela rafraîchira mon cœur.
Ya Richa ! be zinek el hhalou, chouf fiya ghér clwufane;
iberred galbu
*
Prends une femme de noble origine,
Et dors sur une natte.
Khodel mra el assila^
Ou naam aalel hhassira.
Quel dommage que les chrétiennes ne connaissent pas
Dieu !
Khessara er-roumiyat maiaarfouch Rebbi !
Leurs yeux sont les yeux de la gazelle.
Aaini'houm ki aatnine le ghezal.
PHRASES SUR LES FEMMES 181
Et leurs flancs sont serrés comme ceux des chevaux du
Sahara.
Ou djenab'houm ki khéil es^Sahhara.
Celui qui aime la beauté, qu*il prenne une géorgienne;
Celui qui aime la ruse, qu*il prenne une juive;
Celui qui aime la tranquillité^ qu*il prenne une chré-
tienne ;
Celui qui aime Torgueil, et la fantaziya^ qu*il prenne une
turque ;
Et celui qui aime la noblesse et la générosité, qu*il prenne
une femme arabe.
Li sahhab ez-zinCy ïakhod gourdjiya ;
Li sahhab el hhéila^ ïakhob ihoudiya ;
Li sahhab el aafya, takhod roumiya;
Li sahhab en-ne fkha ou le fantaziya iakhod terkiya ;
Ou li ihlieb el djoud au el kerem, takhod mra aarbiya.
La femme, pour être belle aux yeux des Arabes, doit
avoir quatre parties de son corps noires, quatre blanches,
quatre rouges, quatre larges et quatre petites.
Les noires sont les cheveux, les sourcils, les paupières et
la pupille des yeux.
Les blanches sont le teint, les dents, les ongles et la cor-
née opaque de l'œil.
Les rouges sont les joues, les lèvres, la langue et les gen-
cives.
Les larges sont le front, les yeux, la poitrine et les han-
ches.
Les quatre petites sont les oreilles, la bouche, les mains
et les pieds.
182 LA VIE AUABE
En mal.
Felima — la petite Fatma — est une femme laide.
Fetimaj mra china.
Ce n*est plus qu'une rose flétrie.
Là ouarda medebala.
Liltty — la Nuit, — le premier venu est son maître.
Liltty menn ouala-ha^ matUa-ha.
Quand bien môme ma chair se rencontrerait avec sa ctiair,
dans un chaudron, je me sauverais encore d'elle.
Baadema Ihhammi itlagaa maa Ihhamm-ha fel guedra^
ma kane la nherob menn-ha.
Rien qu'en la voyant, mon feu s'éteint.
Ghér nechouf fi ha ou tetefaa nari.
Aa%i%a — la Chérie — est une femme stérile. Quel dom-
mage !
Mra aaguer. Khegsara !
Les Arabes ne pardonnent pas la stérilité aux femmes.
Chez eux, c'est presque toujours un sujet de répudiation.
Elle dit : « Mon enfant est endormi dans mon sein. »
Hiya tegoul: Ouldi ragued fi kerchi.
En pays arabe, il existe une opinion très-extraordinaire :
on y croit qu'un enfant peut être endormi pendant plusieurs
années dans le sein de sa mère, avant de voir le jour. Ce
préjugé peut sauver l'honneur des familles, empêcher les
répudiations, ou raviver la tendresse d'un mari pour sa
PHRASES SUR LES FEMMES 183
femme. C'est probablement dans ce but qu*ï\ a été inventé
et propagé.
Une telle sent mauvais.
Felana fi^ha réhha china.
Elle exhale une odeur fétide.
Mekhenana.
C'est une femme malpropre.
Mramoussekha.
C'est une femme vieille.
Mra charefa. — Aadjouza.
C'est une femme débauchée : elle danse devant le monde.
Mra fasseda : tergouss gcmddam en-nass.
Les danseuses publiques font un métier peu estimé. Leur
danse est, en général, dépourvue de toute pudeur : elle con-
siste à remuer, avec mollesse d'abord, puis ave& plus de vi-
vacité, les reins et les hanches, sans que les pieds et les
jambes prennent pour ainsi dire part au mouvement. C'est
une succession de scènes lascives qui, si elles ne portaient
plutdt au dégoût, pourraient, à la longue, agir sur l'imagi-
nation.
Une telle est une servante du démon.
Felana, khedimett echitane.
Kheroufa — Petit-Agneau. — Le jour où son mari Ta bat^
tue, est celui qu'elle choisit pour rencontrer son frère — *
amant, — et cela en plein soleil.
Nhar li souett-ha radjel-ha, dak elyoum telka khou-ha^
ou el gdila hhamya.
184
LA VIE ARABE
Le savant Benn Tonmy a dit :
Dans la ruse des femmes, il y a toujours deux ruses,
Aussi de leurs malices me suis-je toujours éloigné ;
Elles se ceinturent avec des vipères,
Et elles s'ëpinglent avec des scorpions.
Kid en nessa fi kidine,
Ou mena kid-houm djit hareb,
Ithhazeniou be lefaa,
Ou ithhallelou be laagareb.
La soumission aux femmes fait entrer dans Tenfer.
Taat en-nessa iddekhol tel nar.
m
PHRASES APPLICABLES AUX CHEVAUX
En bien.
G*est un bon cheval.
Aaoud merkoub.
C*est un joli cheval.
Aaoud %ine.
C'est un fort cheval.
Aaoud metine.
C'est un cheval ramassé.
Aaoud koummiii.
C'est un bon marcheur.
Aaoud ciyar.
C'est un cheval obéissant.
Aaoud meddoub.
C'est un caracoleur.
Aaoud hhammach.
C*est un coureur.
Aaoud djerraye.
C'est un cheval en bon état.
Aaoud makharouz.
C'est un trotteur.
Aaoud khozaz.
C est un cheval très-doux.
Aaoud guelliU
PHRASES SUR LES CHEVAUX
18S
H tire la larme de Toeil.
C'est un cheval sage et adroit.
C'est la tête des chevaux.
C*est un cheval de race.
C'est un cheval près de terre.
Il a le tambourin dans la tète .
Il atteint la gazelle.
Il est pur comme l'or.
Il devance l'amorce.
Il devance le vent.
Il danse sur sa queue.
C'est un cheval rapide.
C'est un cheval complet.
Il porte bonheur à son matlre.
C'est un cheval sur la parole.
Ittayer demaa menn el aain.
Aaoud aakel ou ehaterr.
Aaoud ras8 el khéiL
Aaoud hhorr.
Aaoud mekouer.
El guellal fi rasaou.
llhhag el ghezal,
Safi ki deheb.
Issebok telhhaxk.
Issebok erréhh,
Ichetahh aalà kaaltou*
Aaoud sabok.
Aaoud kameL
hsaad mouUih.
Aaoud aalel kelma.
C'est un cheval qui se nourrit bien.
Aaoud aallaf.
Personne n'a possédé son pareil.
Ma kessbou hhad.
Il saute le saut d'une gazelle.
Ineguezz tennguizzete el ghezal.
Pour lui, le loin est toujoui:s près.
El baaxd aandou guerib.
■
Il est plus vite que le coup d'œil.
Ikhetof el (Burmach.
Aucun l^ridé ne peut courir avec lui.
ttatta meldjoum ma idjeri maah.
la^ LA VIE ARABB
G*est ua cheval sans défout.
Aaaud khakss menn haull aq'ib.
Il a l'épi dn snltan.
Aandou nekhelete es-Bottltane.
Aucun prince n'a possédé son pareil.
Ma kessbou malik.
Je compte sur lui comme sur mon cœur.
Nedonn aalih ki galbi.
Découvre son dos et rassasie ton œil.
Aari daharo^ ou chebaa aaînek.
Ne dis pas que c'est mon cheval, tlis que c*est mon fils.
Uategaidch aaoudi^ goul ghér ouldù
Il a la vue si bonne, qu'il voit un cheveu pendant la nuit.
Aàinih melahh, ichouf chaara fel lill.
Au jour de la poudre, il se réjouit du chant des balles.
Nhar el baroudf iferahh menn tezegherite er-rcssas.
Il dit à Taigle : « Descends, ou je monte vers toi. »
Igoul el aagab : Hhabote oula netlaalek.
Il est amoureux comme son maître.
Mer y oui ki moulah.
Quand il entend les cris de joie des jeunes filles, il se met
à hennir de plaisir.
Menine issmaa tezegherite el ichirate inahhnahh.
C'est un cheval des jours noirs, quand la fumée de la
poudre obscurcit la lumière du soleil.
Aaoud mtaa nharate el kohhel, menine toulll eehemsse
makannch, ou ghér dokhatie el baroud.
PHRASES SUR LES CHEVAUX 187
Il écoute ses flancs et observe toujours tes talons de ^n
cavalier.
Isentwte djenabou^ ou acumu aalel guedam.
Quand il entend le bruit des éperons, il tremble comme la
feuille sur Tarbre.
Menine issmaa chabir^ issteffog ki louarka fi sedjera.
Et, en effet, il y a de quoi trembler, car les éperonà
arabes sont très-longs, pointus et dépourvus de molettes.
Avec eux on ne pique pas, mais on fait sur le ventre et sur
les flancs ducbeval des raies sanglantes qui lui impriment
la terreur et le forcent toujours à obéir. Us ne sont împi|is-
sants, dit-on, que devant la mort. • j
* •
Si je lui place les talons, je suis arrivé ôhez eux, et n'ai
plus quà dire : « Que le salut soit sur vous ! »
Ha nehhot-lou le guedem, toussel^ni aand-houm ou ne-
goul : Saktm ou aalikoum !
Lorsqu'il est lancé à fond de train, aussitôt le coup de
fusil parti, de lui-même, il fait demi-tour.
Kif idjeri aala chedd le mêla, la tedrob tarakay \/edji
melefett.
On donne cette éducation au cheval, non-seulement pour
s* en servir dans la fantaziya qui est un jeu brillant des cava^
tiers, mais encore à cause de Tutiliié qu'elle peut avoir à la
chasse ou h la guerre. Avec un cheval ainsi dressé, l'Arabe se
précipite en temps opportun sur son ennemi, le tue à bout
portant d'un coup de fusil ; puis, sans changer d*allure, fait
un demi-tour à gauche, el rejoint.les siens, le plus souvent
sans accident.
188 LA VIE ARABE
Il comprend aussi bien qu*an fils d'Adam, il ne lui manque
que la parole.
If hem ki benn Adem^ ma khossou ghér le kelam.
Il a été élevé dans ma tente comme un de mes enfants.
Merebbi fi khéimtiJci ouahhéd menn ouladû
Quand la poudre tousse ^ il dresse alternativement une
oreille et baisse l'autre, il bennit et creuse la terre avec son
pied.
Menine el baroud ikohheu; oudenih, irfed ouahéda ou
ihhott ouahéda, inahhnahh, ou ihhafer el arde.
Il a le pas si doux, que, sur lui, tu porterais une tasse de
café sans la verser.
Aaoud ciyarry teched fendjal kahoua fi iddek ou ma id-
defeg-chi.
Les Arabes détestent le cbeval qui trottine sans cesse. Us
ne vont d'ordinaire quau pas et au galop, et ils appellent le
pas : le galop de toujours.
Une musette le rassasie, un sac le couvre — rein court.
El aamara taachihy ou el gherara teghetih.
Il est si léger, qu'il danserait sur le sein de ta maîtresse
sans l'abîmer.
Khefif: ichetahh bine bezazil khetek ou ma i fesse-
dhaumch.
Il lève les pieds de devant et il déménage avec les pieds
de derrière.
Irfed louline ou irhhal be iouala.
C'est un marabout ; les femmes viennent le visiter.
Houa mei^abete ; en-nessa izourouh.
PHRASES SUR LES CHEVAUX
189
11 peut sapporter toute espèce de fatigues et de misères.
Inedjemm koul temermid.
Il n'a pas de frère dans ce monde, c'est une hirondelle.
Maandou khou fed denya; ki le khetaïfa.
m
En mal.
Il mouille la musette.
Il ne voit pas clair la nuit.
Il est panard.
Il est cagneux.
C*est une rosse.
Il est boiteux.
Il a les épaules chevillées.
Il est aveugle.
Il est borgne.
Il a un cor.
II a le lampas.
Il refuse les éperons.
Il est ombrageux.
Il se nourrit mal.
L'eau Ta frappé — fourbu.
Il mord comme un chien.
Il a le farcin.
Il est châtré.
Il est bistourné.
C'est un cheval ensellé.
Il a la morve.
Il jette sa gourme.
Il a la bouche dure.
Il a la gale.
Ichemekh el aamara.
Mebouher.
Fetchaa le dakhol.
Fetchaa le barra.
Kidar.
Aaoud dalaa.
El ketafiate bih,
Aaoud aama.
Aaoud aaouer.
Aandou se fa.
Aandou Ihéi.
Innkorr chabir^
Ikhayel.
Machi aallaf.
Drobou el ma.
Faad ki le kelb.
Aandou le djedri.
Aaoud mekhssi.
Aaoud mebroum.
Aaoud maaôudj.
Aaoud mechekher.
Aaoud mekhanguL
Foummon iassahh.
Aaoud medjeraù.
190
LA VIK ARABE
Il a une taie sur Toeil.
Il n*a pas de croupe.
Il emmagasine Torge.
Il a une rétention d'urine.
C'est un cheval rétif.
Il se cabre. Il rue.
11 donne des coups de pied.
Il mange l'entrave.
Il butte et il s'abat.
Il trottine toujours.
Il se coupe.
C'est un ambleur.
Il a des vessigons.
Il a des bleimes.
Il a des suros.
Il fait tête à queue.
Il ne prend pas le mors.
Il a le feu.
Il est blessé sur le dos.
Il a des molettes.
Il a une seime.
Il fouette avec sa queue.
Il n'a pas de garot.
El biyad aala aaïnou.
FA kefel makannch.
Ikhezenn zet^aa.
Ma ifougch.
Aaoud hharrane.
IbenL haaret.
Issonk.
Yakoul retaa. Lhhadjala.
laaten ou ibrek,
fhandez.
Izened.
Aaoud haraoul'ii
Aandouel hêidate.
Aaoud merhhouss.
Il aadam fih,
Ichetemel,
Innkoir el lazma.
Aaoud mekouL
Meddebour fi daharo,
Aandou menafess.
El hhafer mechekouL
Jchahate be kaaltou,
El ghareb makannch.
Il a le redressemeut de la gazelle — bouleté.
Terkib el ghezal.
C'est un cheval piqué à la rotule.
Aaoud metfouH.
Il tient à la tente, aux entraves.
Maissaud cki menn el khétma, menn retaa.
Il tient aux autres chevaux.
Ma issaudchi aalel khéil.
PHRASES SUR LES CHEVAUX 101
Il a une maladie de poitrine.
Aaoud meriohheu.
Il a été frappé par le vent.
Medroub be rehh.
Il a des amandes — formes — sur la place des bracelets
de pieds — paturons.
Ellouz fel khelakheL
C'est un cheval jaune du juif — Isabelle^ queue et erins
blancs.
Aaoud se f er ellhouéU.
Il a un épi sur la place de la djebira — Indice malheureux.
Aandou nekhela fi rahhbete el guerab.
Au premier jour de poudre, son mattresera tué.
tfhar el baroudy fissaa tnoulah imoute.
Il se refuse au jeu de la fantaEiya — signe de malheur.
Innkorr el laab.
Il a répi de la croupière.
Nekhelat tefer fih.
C*est un cheval diflicile : le tombeau de son cavalier est
toujours ouvert.
Aaoud ouaar : keber moulah daïm mhhallouL
De tout temps, les Arabes ont beaucoup aimé les chevMtfx^
et la religion musulmane n*a fait qu'augmenter Taffection
qu'ils avaient pour eux.
La loi défend de les maltraiter, comme de les vendre aix
ennemis de Tislamisme.
192 LA VIR ARABE
Le Prophète a dit :
c Les biens de ce monde jusqu'au jour du jugement dernier,
un riche butin et les récompenses éternelles sont attachés
aux crins qui flottent entre les yeux de vos chevaux —
toupets. »
Not chf raux.
Quand nos chevaux se précipitent en avant, ils res-
semblent aux étoiles filantes lancées par les anges contre les
démons.
Ce sont des aigles montés par des lions féroces ; Téclair
lui-même se fatiguerait sans pouvoir les atteindre. Tous ils
captivent les regards et font Tadmiration des hommes de
guerre.
Les uns ont la couleur de minuit, quand, au firmament,
il n'y a ni lune ni étoiles — noirs, — La blancheur de leurs
fronts suffit pour éclairer la terre.
Les autres brillent d'un éclat doré — alezans ; — ils res-
semblent à la cornaline, rouge comme le sang qui sort d'une
blessure.
Ceux-ci sont des tisons en feu — bais bruns ^ — ils sèment
Tair de leurs étincelles. Leur démarche est fière : ils ont des
oncles paternels et maternels qu'on cite dans nos tribus.
Ceux-là, vous les prendriez pour des gazelles — isabelles
à queue et à crins noirs. — Par la longueur de leurs cri-
nières, ils rappellent aux amoureux, blessés par la séparation,
la longueur de la nuit.
Et nos chevaux blancs? c*est la monture des princes:
quand Taurore se montre, ils font pâlir la lune.
Combien de fois Tennemi n'a-t-il pas fui devant nos bu-
veurs d'air?
PHRASES sua LES ARMES 193
L*ardeur du soleil ne fait qu^animer leur course. Ils font
voler la poussière, et cette poussière forme un nuage qui
amène Tobscurité en plein jour.
Mais nos lances sont longues, droites, étincelantes, et leur
fer jette une lumière assez vive pour nous faire découvrir
la victime qui veut se dérober à nos coups.
L'émir Aabd-el-Kader.
IV
PHRASES APPLICABLES AtX ARMES
Fatil. — Mouqkhala (réminio).
Mon fusil porte jusqu'au rassasiement de Toeil.
Mouqhhalli toussel aala rouaaite el aatn.
C*est un fusil d*Alp^er, il est couvert de corail et monté en
argent.
Mouqhhala dziri^ meghetiya bel mordjane, ou bel aamara
béda.
Son canon est damasquiné, et sa batterie est albanaise.
Djaba djouhardar^ on zenad ghamaoute.
Sa batterie est niellée: un grain de poudre, et il part.
Zenad meniyel : aala hhaba temude.
Avec la pierre à feu de mon fusil, je puis saigner un
coq.
Be che frète mouqhhalli nedebahh ed^dik,
13
194 LA VIK ARABE
Son canon est catalan, charge-le avec sept balles, lâclie la
détente, et il ne te dira jamais non.
Djaba katalane : aamer-ha be sabaa ressdiSy kross ou ma--
tegoulche la la.
Avec lui, je perce de part en part un soc de charrue.
Tekhereg sekka.
Le kadi peut mentir, mais mon fusil ne ment jamais — ne
rate pas.
El kadi ikedeb, ou hiya matekedeb-chi.
Les Arabes ont des fusils de tous les calibres, de tous les
pays, de toutes les dimensions. On voit chez eux des fusils
courts, des fusils longs, des carabines et d'horribles tremblons.
Ils leur viennent d'Alger, de la Kabylie, de Tunis, du
Maroc, de la France, de l'Angleterre, etc., etc. Les pèlerins
qui rentrent de la Mecque, en rapportent aussi beaucoup ;
ce sont, eu général, de mauvaises armes, des armes de
pacotille, grossièrement ornées, avec lesquelles il arrive
d*autant plus souvent de s'estropier qu'on ne sait même pas
par qui faire faire les répai»ations dont elles peuvent avoir
besoin. Il y a bien quelques ouvriers dans les villes ; mais,
dans les tribus, ce sont des maréchaux ferrants qui en sont
chargés. Aussi, combien ne rencontre-t-on pas de canons
sérieusement compromis, de batteries hors de service, et de
bois raccommodés avec des ficelles. N'importe, c'est avec de
pareils instruments de guerre que les Arabes viendront
lutter contre nos armes meurtrières et perfectionnées. Tout
n'est-il pas écrit chez Dieu ! le croirait-on ? Ils préfèrent
encore le fusil à pierre au fusil à percussion, d'abord à
cause de la longue habitude qu*ils en ont, puis à cause des ,
difficultés qu'ils éprouvent à se procurer des capsules. Le
PHRASES SUR LES ARMES 195
fait saivant prouvera, et leur prudente métiance à cet égard,
et le peu de confiance qu*ont ceux-là mêmes qui nous ser-
vent, dans la durée de notre domination.
Un de nos généraux de brigade, commandant une sub-
division en Algérie, était depuis longtemps vivement solli-
cité par un chef arabe qui avait, il faut le dire, rendu plus
d'une fois des services réels à notre cause, notamment pen-
dant les insurrections. Il résolut d'appeler sur cet homme la
bienveillance de M. le gouverneur général, et, lors des coui*ses
qui ont lieu chaque année à Alger, il lui fit donner un très-
beau fusil à deux coups et à percussion, par l'illustre maré-
chal duc de Malakoff.
— Eh bien, tu dois être content aujourd'hui, lui dit alors
le général, voilà tous tes vœux exaucés.
— Je te remercie, lui répondit TArabe ; cependant, si
tu veux que je te parle avec franchise, j'aurais préféré un
fusil à pierre ; car, quand vous aurez quitté notre pays, je
me demande où je pourrai trouver des capsules.
Les Arabes ne mettent pas comme nous le fùsii à la gre-
nadière, c'est-à-dire le canon en l'air, la crosse en bas, et la
bretelle engagée dans une seule épaule, non : ils le passent
par-dessus la tête, la bretelle appuyée dans toute sa longueur
sur la poitrine, et le canon également à plat derrière le dos.
Les bernouss épais dont ils sont couverts empêchent qu ils
n'en soient blessés. Les cavaliers veulent- ils se reposer, ils
placent le fusil en travers sur la selle, en arrière du pom-
meau — kerbouss^ — et l'y maintiennent, pendant la marche,
avec la main droite. On comprend que ces deux manières
de porter le fusil ne peuvent convenir qu'à des gens qui
combattent toujours en tirailleurs*
Quant à la poudre, on en fait beaucoup dans la Kabylie,
ainsi que chez certaines tribus arabes. Loin de nous, elle se
19G LA VI£ ARABE
vend en plein marché. Elle n'est ni lisse ni égale, elle est
moins forte que la ndtre» souvent elle tache la main; malgré
cela, en augmentant la dose, ils en tirent encore un assez
bon parti.
Dans le langage familier, les Arabes appellent le fusil
tmma Adicha^ ma mère Aaïcha. En arabe, fusil est du genre
féminin.
Pistolet. — Kabonts. — Redif.
Je compte sur mon pistolet comme sur mon père.
Endonn aalih ki bouya.
Je le mets dans Teau, je lâche la détente, et jamais il ne
dit : « J*ai mal à la tête. »
Nedirou fel ma ou nekross^ ou ma igoulche abadane :
Rassi ïoudjaa-ni.
C'est une arme des nuits sombres, quand tu lèves un doigt
en Tair et que tu ne peux même l'apercevoir.
Mtaa liyali el kohhely menine tououkkef sebaak ou maie-
choufouch.
Celui qui se met entre mon pistolet et ma sœur ~ ma
maîtresse — est sûr d'attirer un malheur sur sa tête.
Li iedji binon ou bine kheti^ ma kane la idjib moussiba
aala rassou.
Les Arabes n'ont, d'ordinaire, qu'un seul pistolet, ils le
portent sur la poitrine, du côté gauche, dans un porte-pisto-
let nommé kebouratCf et maintenu par une lanière ou par
un cordonnet en soie qui, après avoir fait le tour du cou,
vient se fixer à la poignée de Tarme. On trouve à cet arran-
gement les deux avantages suivants :
PHRASES SUR LES ARMES 197
1® De ne pouvoir perdre son pistolet après s'en être
servi.
â® Si le cheval vient à être taé, d*avoir encore une arme
sur soi pour se défendre.
Seuls, les chefs très-haut placés, ont des fontes à leurs
selles. A leurs yeux mêmes, c*est plutôt une distinction
qu'une utilité.
Dans les camps» on donne au pistolet le nom de kara
Mohhammed.
Sabre. - Sekkinf. — Sif.
Devant mon sabre, la tête d'un homme n*a pas la valeur
d'une citrouille.
Gouddam sifiy rass benn adem kabouya khér menn-ha.
Sa poignée est en corne de rhinocéros, et sa lame vient du
Khorassane. Il coupe même le fer.
Kebda kerkedane^ ou chefra Khorassane : iktaa Ihhadid.
Mon sabre coupe comme un rasoir.
Sekkini gaiaa kifel mouss.
Mon sabre peut porter des coups et servir au besoin d'as-
sommoir.
Sifi iktaa ou issraa.
Sans comparaison, mon sabre est comme le sabre de notre
seigneur Aali.
La youmettely sifi ki sif sid-^na Aali.
On appelait le sabre de Aali Dou el Fikar. Les Arabes
croient qu'avec cette arme ce cousin et compagnon du Pro-
phète pouvait tuer 80,000 hommes d*un seul cou[^
198 LA VIE ARABE
Le sabre est romement du guerrier^ et il embellit une
assemblée.
Sekkine mymn el moudjahad, ou iziyenn d djemaû.
Il n'y a pas d'ami à lui comparer, quand le cœur est aussi
fort que le bras.
Ma kane Khabib metloUy menine el galb aala kodd ed-
deraa.
Cependant, les Arabes de rAigérie n aiment pas le sabre,
peut-être parce qu'ils ne savent pas s'en servir et qu'il est
gênant sous leurs vêtements. Ceux qui en ont, et ils sont
clair-semés, au lieu de l'attacher comme nous autour du
corps, le placent tout simplement, dénué de ceinturon, sous
le quartier gauche de la selle, où il est maintenu par la
sangle, la poignée en avant.
Les cavaliers ordinaires emploient le sabre de fass-fez,
dont la lame est large, presque droite, lourde et mal trem-
pée. Son fourreau est en cuir, sa poignée n'a qu'une seule
branche. Il leur vient du Maroc.
Les grands seigneurs portent quelquefois, par-dessus leur
bernouss et à la manière des Turcs, des sabres orientaux
d'un grand prix. Ils sont montés en or ou en argent, la lanio
en est précieuse ; rien ne résiste à son tranchant. Ces
armes sont des armes de famille, reçues en cadeau par leurs
ancêtres ; elles ont été tirées de Constantinople, de Damas
ou du Kborassane. On les a conservées pour les jours de
grande représentation.
En résumé, quand, à la guerre, un Arabe a tiré son coup
de fusil, s*il n'a pas le temps de le recharger, il trouve plus
sûr et plus prompt, quel que soit son rang, de se servir du
pistolet collé sur sa poitrine ; il met donc rarement le sabre
h la main.
PHRASRS SCR LES ARMES 199
Les gens do makhxenn ^ da gouvernement — appellent
le sabre « mon ami Joseph » — sahhabi Yotmef. -
Lcince. — Mrzrag,
La lance est le frère du cavalier. (Lance est masculin.)
El mezrag khou le faress.
Ma lance est aussi aiguë qu'une aiguille : avec elle, on peut
ramasser un grain de blé par terre.
Mezragui mechouek ki libra : ilegott el hhàbba menu el
arde.
Son fer brille tellement, que, même pendant la nuit, celui
qui a fui, je le vois et je l'atteins.
Hhadldou ibrek, ou baadma fel lilly H hareb, nechoufou
ou Jielhhagou.
Autrefois, les Arabes tenaient la lance en grande estime ;
ils l'appelaient le frère du cavalier; mais, aujouinl'hui, pres-
que partout, elle a été remplacée par le fusil. On ne cite plus
guère comme employant la lance que les tribus du désert
fort éloignées du littoral, et qui, comme les Touareg, par
exemple, ne peuvent se procurer des armes à feu qu'avec les
plus grandes difficultés, et à des prix très-élcvés.
Trique. — Metrek. — ttaraona, — Kalhouta.
Mon metrek est fait avec un bois dur comme le fer.
Metreki yabess kif el hhadid.
Sa léte est parsemée de clous.
Rassou messemmer bel messamir.
900 LA VIE ARABE
Avec ma trique, d'un seul coup, j*amëne mon homme en-
dormi sur la terre.
Be haraouti ghér be derba ouahhéda, nedjib sahhabi ra-
gued fi larde.
Le métrek, c'esl la balle froidef.
El metreky resass el bared.
Avec ma trique, je ferai tomber de quoi remplir un cime-
tière.
Be haraouti netayhahh djebbana.
Le metrek, c*est le compagnon du pauvre,
Quand il esl courageux,
Et qu'il marche pendant la nuit, escorté par la faim.
El metrek sahhab el guellily
lia ikoum redjil,
Ou itemcha djiyaane (el lilL
La trique est Tarme des voleurs, et les voleurs, en pays
arabe, ne se mettent jamais en campagne quand la lune est
dans son plein. On a remarqué que c'était à la fin des mois
lunaires qu'il y avait le plus de vols et d'assassinats.
Canon. — Medfaa.
L'émir Aabd-el-Kader, pendant la longue lutte qu*il a sou-
tenue contre nous, a possédé un certain nombre de canons.
Us étaient en général servis par des kouroughlis^ fils de
Turcs et de femmes arabes, qui, sous la domination de leurs
pures, en avaient déjà contracté une certaine habitude. Ces
canons lui venaient du Maroc, du gouvernement turc, et
d'une fabrique qu*il avait établie à Tiemcen. Elle était diri-
gée par un déserteur espagnol. Convaincu que nous nous en
PHRASES SUR LES ARMES 201
emparerions, il s'en est très-rarement servi dans des combats
conlre les Français; mais ils lui étaient très-utiles pour frap-
per Timagination des Arabes, et les maintenir dans Tobéis-
sance, en leur donnant une haute idée de sa puissance. Les
kalifas les employaient surtout quand ils allaient faire ren-
trer des impôts en retard. Nous les avons tous pris.
Depuis la chute d'Aabd-el-Kader, les Arabes n'ont donc
plus de canons, mais ils connaissent par expérience ceux des
Français, et en supportent, quand il le faut, les coups très-
courageusement.
De ce côté, nos troupes indigènes ont aussi fait leurs
preuves, taiTt on Grimée qu'en Italie, où elles ont combattu
dans nos rangs.
Lorsqu'ils veulent plaisanter , les Arabes appellent le
canon : c mon père Merzoug, bouya merzoug. Aux yeux
des Arabes,
Le cavalier sans armes
Est comme un oiseau sans ailes.
El faress bêla selahh, »
Ktf et-tair bêla djeenahh ,
CHAPITRE SIXIÈME
LE CHEVAL ARABE PUR SANG
Lettre de Fémir Aabd-et-Kader au général Daumas. — Origine
des chevaux arabes. — Chevaux de race pure. — Chevaux
dégénérés. — Le climat. — La nourriture. — La boisson.—
Le travail. — Croisement de l'étalon anglais avec la jument
arabe. — Prix qu'on attache à la pureté du sang. — On le
trouve dans le vrai désert.— Course fabuleuse. — Réflexions
de Fauteur.
L*accueil fait aux études que j'ai publiées sur les che-
vaux du Sahara m*a engagé à poursuivre le même sujet et
il rechercher, pour le faire connaître en France, comment
les Arabes conçoivent et jugent encore certaines questions.
Je n*ai pas cru pouvoir mieux faire que de m'adresser de
nouveau à Témir Aabd-el-Kader. Tout le monde sait quelle
autorité ses jugements obtiennent au pays musulman.
N*était-il pas utile de soumettre ensuite les appréciations
de cet homme éminent au contrôle des idées européennes ?
La lettre qui suit ma donc paru de nature à intéresser
tous ceux qui, à divers titres, s'occupent de science hip-
pique : voilà pourquoi je la livre à la publicité.
3(U LA VIE ARABE
ORIGINE DES CHEVAUX ARABES
Louange à Diea l'unique.
Son règne seul est éternel.
A notre ami M. le général Daumas^ que Dieu le couvre de
sa protection. Ainsi soit-il (aminé).
Ensuite, voici ma réponse aux questions que vous m* avez
encore posées au sujet des chevaux arabes. Suivant moi,
elle est l'expression de l'exacte vérité.
Sachez donc que Dieu a créé les premiers chevaux dans
le pays des Arabes, compris entre la Méditerranée, la mer
d'Aden, la mer Persique, la mer Rouge et TEuphrate. C'est
pourquoi ces animaux s'appellent irab^ pur sang. Ils étaient
alors sauvages et inabordables, tous ils fuyaient l'homme ;
mais Ismaël, fils d'Abraham — Brahim — fut le premier qui,
environ deux mille ans après Adam, eut le courage de les
monter et le talent de les dompter. Il ressort de ce qui
précède, que tous les chevaux qui sont en ce moment ré-
pandus sur la terre entière tirent leur origine de l'Arabie.
Les chevaux arabes sont, de tous les animaux, ceux dont
le tempérament est le meilleur, et dont le caractère et les
belles qualités se rapprochent le plus de la nature de
l'homme. Gomme ce dernier, ils connaissent l'honneur et la
fierté. Un cheval de race pure — hhorr — ne mangera pas
les pestes d'un autre cheval.
Les chevaux connus chez nous sous le nom de beradine,
animaux au corps lourd et aux allures lentes^ et de ked-
LE CHEVAL ARABE PUR SANG 205
chaney bètcs de somme ou de trait, n'existaient pas autre-
fois. Ils ont été produits par des combinaisons artificielles
inventées par les hommes. C'est à la négligence et aux mau-
vais procédés d'élevage d'un roi persan que Ton doit la pre-
mière dégénération de la race pure. Elle amena des beradine
et des hadjinCy espèces caractérisées par une vilaine tête,
des extrémités communes et empâtées, ainsi que par des
formes peu gracieuses dans leur ensemble. La postérité de
ces premiers abâtardis produisit les kedchane, qui ont les
naseaux étroits, les reins longs et les crins grossiers. On ne
doit pas s'en étonner ; l'or, pour rester or pur, repousse
tout alliage.
Alexandre le Grand fut le premier qui accoupla des ânes
et des juments. Il en naquit des mulets. Plus tard, du croi-
sement des chevaux avec des ânesses, il obtint un mulet
d'une espèce plus petite, au nez aplati, à la tête courte. Et
cela se comprend, l'ânesse ayant le ventre et le bassin plus
étroits que la jument.
Si certains chevaux, quoique descendant de race pure, ont
cependant dégénéré comme qualité et comme physionomie,
il faut l'attribuer à des causes ou à des accidents fortuits,
remontant à la souche paternelle ou maternelle. Puis, ces
mêmes influences venant à se reproduire, la constitution
des animaux s'en est ressentie, et, avec les siècles, d'autres
espèces plus ou moins avilies se sont constituées.
Ne voyons-nous pas les mêmes effets chez les hommes ?
Un habitant des climats tempérés, aux mœurs douces et ci-
vilisées, au corps sain, au teint blanc, se rend dans le Sou-
dan et s'y marie avec une négresse. De génération en gé-
nération, les descendants se transforment; ils perdent
progressivement type, couleur, en un mot toutes les qualités
physiques et morales de leur premier père. La peau sera
206 LA VIE ARABE
noire, les cheveux crépus; ils auront le caractère fougueux
et sauvage ; leur intelligence sera étroite, leurs mœurs lé-
gères ; et enfin, comme les nègres, ils ne tarderont pas à se
distinguer par une dissipation extrême, et par un amour
excessif de la danse.
Il existe donc, on le voit clairement, deux catégories de
chevaux bien distinctes :
i"* Une catégorie de chevaux arabes pur sang, qui ont
conservé intacte toute leur valeur, parce que la nature n'a
été modifiée en eux par aucune cause nuisible ;
2° Une catégorie quiVest plus de race pure, pour avoir
subi des altérations profondes au moral comme au phy-
sique.
Si, pour mieux se faire comprendre, on voulait recourir à
une comparaison, on pourrait dire que les chevaux de race
entièrement noble sont aux beradine et aux kedchane ce que
la gazelle est à la chèvre. Les muscles et les os des beradine
et des kedchane sont en apparence plus gros que ceux des
irab pur sang; mais, en réalité, ils sont moins pesants, moins
forts, et surtout beaucoup moins résistants. Il est admis chez
nous que le cheval noble surpasse tous les animaux, même
ceux qui servent de bêtes de somme, en patience et en vi-
gueur. Il est à la fois le plus souple, le plus léger et le plus
fort de la création. On peut le considérer, en outre, comme
le plus facile à nourrir et à désaltérer aux joui*s de poudre
ou pendant ces courses de longue haleine que nous faisons
dans le désert.
Les principales causes qui amènent des altérations dans
les races sont les quatre suivantes : le climat, la nourriture,
la boisson, le travail. Nous allons en parler.
LE CHEVAL AUABE PUU SANG îiU7
II
LE CLIVAT
Daus les pays excessivement chauds, comme la Nigritie et
les contrées environnantes, les chevaux sont de faible con-
stitution ; leurs membres ne sont pas proportionnés, et Ton
dirait que leur poil a été brûlé par le feu. Ils manquent
d'intelligence et ont Thumeur rétive.
Dans les contrées froides ou très-humides, les chevaux
sont en général de haute taille, lourds et apathiques ; leurs
proportions sonl loin d'être agréables et régulières ; ils ont,
en général, les formes massives, le poil long et les os gros,
sans résistance ; tandis que les chevaux des pays tempérés
sont de taille moyenne, ni trop grands, ni trop petits, d*un
caractère également équilibré, d'un bel extérieur, très-
agiles, avec le poil luisant et court.
L'influence du climat, qui pourrait donc la nier ? Elle va
jusqu'à se faire sentir sur les chevaux d'un même pays, sui-
vant les différentes régions. Ainsi, pour ne parler que de la
péninsule arabique, les chevaux du Hedjaz — Arabie Pétrée
— ont de beaux yeux noirs, des oreilles longues, la poitrine
profonde, la bouche et les lèvres minces, les chevilles fines
et les sabots durs.
Ceux du Nedjed — plateau de l'Arabie — ont l'encolure
plus longue qu'aucun autre cheval arabe ; chez eux, la tète
est courte, dépourvue de chair aux joues, la croupe large> le
ventre vaste, les jambes sèches, les articulations bien sou*
dées et les cuisses fortes*
Les chevaux de l'Yémen ont le corps arrondi, la peau
208 LA VIE ARABE
dure, la croupe un pou étroite, les cuisses cependant four-
nies de muscles; les tendons bien séparés, bien détachés des
os, et Tencolure courte comparativement aux autres clie-
vaux arabes, mais longue encore, si Ton regarde ceux des
autres pays.
Les chevaux syriens sont tous beaux de couleur; ils ont
les yeux grands, les coins de la bouche très-ouverts, le poil
fin, le crâne chauve. Leur corps plaît à Tœil ; mais ils n*ont
pas le fond et la résignation des chevaux de TArabie pro-
prement dite. Leurs sabots sont tendres.
Ce qui donnera toujours une grande supériorité aux che-
vaux de ces pays-là, c'est l'air, la lumière et le soleil, ces
grands vivificateurs. On ne les élève certes pas dans des
écuries.
III
LA .NOURRITURE
Nos ancêtres ont remarqué que, dans les pays arides où
la paille, l'herbe et les grains sont rares, le cheval est bien
supérieur à celui qui vit dans les pays bien cultivés, où Ton
trouve à satiété des fourrages. Le premier est mieux con-
formé ; il a les membres plus secs, les tissus plus fermes, la
peau plus fine, la couleur plus vive, le poil plus soyeux et
la santé meilleure, avec un fonds inépuisable. Pourquoi ?
Parce qu'une nourriture trop abondante, engendrant tou-
jours dans le cheval des humeurs nuisibles et développant
certaines parties du corps seulement, au détriment de toutes
les autres, fait naître ces disproportions dans l'ensemble et
LE CHEVAL ARABE PUR SANG t09
ce teint terne qui rend l'extérieur de ranimai si laid. Elle
produit, en outre, la graisse, la pesanteur, la déformation,
et surtout ces vices de respiration qui sont les signes certains
de la non-aplitude au travail et à la fatigue.
Les chevaux arabes du Sahara me fournissent encore la
preuve de ce que je viens d*avancer. Ils sont plus intelli-
gents, plus légers, plus accessibles à Téducation, et ils sup-
portent les fatigues, les misères, les longues courses, la
faim et la soif beaucoup mieux que leurs frères également
arabes, mais qui ont été élevés moins sobrement ailleurs.
Pour maintenir leur supériorité, il leur suffit de boire, quand
on peut leur en donner, du lait de chamelle, de dépouiller
quelques arbustes parfumés, incapables de corrompre le
sang, ou de brouter quelques végétaux qui contiennent, il
est vrai, des principes toniques et très-nutritifs, mais sous
un petit volume. Les grains leur sont à peu près inconnus,
bien qu'ils soient soumis à un entraînement perpétuel.
Au surplus, le cheval du désert ne forme pas une excep-
tion à la règle générale. Voyez la gazelle, le bœuf et le mou-
ton sauvages, la girafe, Tonagre, etc., etc. Us vivent sur des
pays secs et stériles, et cependant, ils sont très-supérieurs à
leurs congénères domestiques, nourris copieusement sur des
terres fertiles. .
L*honmie ignorant croit que Tespèce modifiée est d'une
autre famille que celle qui a conservé sa nature primitive.
C'est une erreur, la chèvre est sœur de la gazelle, le bœuf
et le mouton sauvages sont frères du bœuf et du mouton
domestiques, le chameau est frère de la girafe^ et Tonagre
est aussi frère de Tâne que nous connaissons. Seulement, les
uns sont restés conformes au type primordial, tandis que les
autres ont changé de physionomie, soit par défaut d'exer-
cice, soit, ce qui est encore plus certain, par suite d'intem-
ii
M LA Vtfi AKAyfe
péraiice dans le boire et le tilAtigei*. Us Be soiU ë(>AiS5ifti
oui contracté des humeurs viciées-, le certes ;*esl htibiuté
à des sécrétions maisaines) et ces conséquences de là
servitude ont à la longue réagi sur le physique et M
moral.
Manger peu , de manière à h^èire jamais complètement
rassasié, et toujours consommer des aliments qui tàe soinitt
pas de nature à altérer le sang, telles ^ont les conditions q«i
ont une si heureuse influence sur les chevaux du désett. Ili
leur doivent la pureté, la foi*ce, la vitesse, la beauté et teiir
admirable caractère.
81 le chevél fait un abus constant de nourriture^ la motHMrtt
privation lui pèse, il dé|.)érit rapidement. Gela se conçoit^ M
a élargi outre mesure ses intestins ; la^ diminution des aif«
ments amène leur rétrécissement ; l'humidité leur manque;
ils se dessèchent, l'infiammation arrive, et Tànimal eal
perdu.
Le contraire se produit chez les chevaux qui, poar apaiser
leur faim^ se contentent des arbrisseaux dont j*ai déjà parié)
du ketoff {atriplex halmus)^ de ces graminées que aooi
appelons el alfa (lygeum spartium)^ du disSi. {arut^û (eêîw^
coides de Desfonlaines), du doumniy palmier nain; en «a
mot, de tout ce qui leur tombe sous la dent» Geux-là nt
mangent jamais avec excès, conservent Testoipac libre tX les
intestins dans un état normaL Ces oi^anes déiîci^ lie s'é'-
largissent pas> a'accoènmodent de tout aliment natuicâ et ne
sont pas sujets à s'altérer, non plus qu a se dessécàtr eu 4
s'enflammer.
Tous les grains ne so&t pas salutaires aux cIteviMixf l'oi^
seule exerce sur leur hygiène une action salataircv £âle a
surtout une propriété spéeialei celle de nourrir ranimai sans
réchauffer, fisi-il bien conformé » il en tire une vitesse
LE CHEVAL ARABE PUR SANG Sli
extrême. Dans le pays arabe, l'orge est donc un excellent
aliment.
Donner aux chevaux des fèves, comme on le fait en Egypte
et ailleurs, cela ne vaut absolument rien. En agissant ainsi^
on les gâte entièrement.
On nourrit les chevaux du Hedjaz avec de l'orge, du mil
— derra^ — des dattes et des noyaux de dattes. Le lait est
leur boisson habituelle.
Dans le Nedjed, il n'est pas rare de voir donner aux che-
vaux de la viande salée et séchée au soleil — kadid (1)
— et, à l'occasion, des sauterelles cuites à Tétuvée (2).
On les abreuve aussi avec du lait, on leur fait brouter les
feuilles de certains arbustes, entre autres celles du tamarin,
du chihhé {artentisia judaica)^ du gandoul (spartium spU
nosum)^ et ils paissent le mouron et le drine, dont les grai-
nes, nommées el laule^ sont très-nourrissantes (sHpa barinUa
de Desfontaines).
Pour en finir avec la nourriture, je dirai encore que, pai*-
(1) Chiidi Athmane, chef itifluent de la tribu des Touareg, ces pi-
raies du graod désert, atsure que les eh€vaa\ aont très-friands de la
viande de ofaameau. Voient-ils découper et préparer devant eux la chair
de cet animal, ils hennissent de joie et grattent la terre du pied avec
force, témoignaât ainsi de leur impatiente avec la même énergie que
le cheval de nos coalrées, quand il entend mesurer ov vanner aoe orge
bien gagnée et attendue depuis longtemps.
(S) Quand il y a une invasion de sauterelles dans le Nedjed, ce qui
arrive tous les sept à huit ans, les Arabes font la classe k ces petits
animaux dévastateurs, se bâtent d'en remplir dos f acs et les conservent
comme provisions alimentaires. Ils les font cuire dans des trous
pratiqués en terre, et, quand la cuisson en est complète, ils les laissent
refroidir et les donnent ensuite à leurs chevaux, qui s'en montrent
très-friands. Dans le pays, on prétend même, «t des gens dignes de foi
me l'ont assuré, qu'il n'est pas d'état de maigreur qui puisse résister à
une pareille nourriture administrée pendant quinze jours. {Voyage dans
la hùnle Asie, par M. Vétiniand, inspecteur général des haras.)
212 LA VIE ARABE
tout chez les Arabes, lorsqu^on veut exiger ou lorsqu'on a
exigé des efforts considérables d*uii cheval, on ne le fait ja-
mais manger immédiatement avant le départ, ni aussitôt
après le retour. Des accidents sérieux pourraient être la
conséquence de la non-observation de ce principe.
IV
LA BOISSON
La boisson exerce également une notable influence sur la
nature du cheval : si Ton n'y porte une grande attention, elle
peut déterminer des accidents fâcheux qui, à la longue, de-
viendraient chroniques et pourraient transformer sa consti*
tution.
Les chevaux du Sahara ne boivent qu'une fois par jour
quand ils trouvent de Teau ; autrement, ils se passent facile-
ment de boire deux jours et môme trois. Le meilleur mo-
ment pour les abreuver est le milieu de la journée.
Dans les tribus qui possèdent beaucoup de brebis et de
chameaux, on donne de préférence du lait aux chevaux.
C'est la boisson la plus réconfortante et la plus saine. Là où
il n'y a que des brebis, on a soin de leur donner du lait au
moins au printemps. Dans tous les cas, on ne sèvre les pou-
lains qu'au moment où on peut remplacer le lait de la mère
par celui des chamelles et des brebis.
Le lait a la propriété de fortifier les muscles en les dé-
pouillant d*une graisse inutile, de faciliter la respiration et
de rendre ainsi le cheval infatigable. Celui de la chamelle
LE CHEVAL ARABE PUR SANG «213
possède surtout l'avantage d'affermir la moelle et d'entrete-
nir la santé, ce qu'on reconnaît toujours à la gaieté, ^u bril-
lant du poil et à la souplesse des crins.
Le cheval arabe n'aime à boire que de Teau trouble. Est-
elle claire et crue, il la trouble lui-môme avec ses pieds. Ne
peut-il le faire, il boit avec une visible appréhension.
Les habitants des villes et des pays fertiles ont grandeinenl
tort de faire boire leurs chevaux jusqu'à trois fois par jour.
L'absorption d'une trop grande quantité de liquide donne de
la mollesse aux muscles, grossit le corps et gonfle les chairs.
Elle détermine souvent des tremblements, et rend le cheval .
impropre à la course. On abîme encore sa constitution en le
faisant boire immédiatement ou peu de temps après qu'il a
marché.
L'eau venant de loin et qui a parcouru des tuyaux de
plomb ou des conduits de plâtre est également très-nuisible.
L'expérience l'a démontré. On prétend qu'à la longue elle
est capable d'altérer la constitution primitive au point d'é-
tioler la descendance.
Dans certaines tribus, quand un cheval a été fatigué par
de longues journées de chasse ou de courses, on lut fait
boire du bouillon de mouton étendu d'eau fraîche. Ce ré-
gime le remet promptement.
Plus un cheval a travaillé, plus on doit lui distribuer
l'eau avec précaution ; c'est le moyen d'éviter les refroidis-
sements du corps et les arrêts de transpiration. Souvent,
le jour d'une course excessive, on ne le fait pas boire du
tout.
En résumé, les Arabes empêchent leurs chevaux de boire
beaucoup. Ils disent que l'excès de la boisson pousse au
ventre, ramollit les tissus et diminue l'ardeur au travail.
214 Là VIR ARABR
V
LE TRAVAIL
Le cheval étant, par sa nature et par son tempérament,
plus impressionable et plus sujet à se modifier que tout
autre animal, il est hors de doute que le travail exerce aussi
une grande influence sur sa constitution. Si on raccoutnme,
par exemple, à porter de lourds fardeaux comme le chameau,
Il deviendra infailliblement une bête de somme. Si Pon s'en
sert pour traîner la charrue, pour dépiquer les grains, Il
deviendra semblable au bœuf et au mulot. Dieu a créé lo
bœuf pour cultiver la terre, le chameau pour enlever les
fardeaux, et le cheval pour les courses rapides ; par consé-
quent, remployer à un travail pour lequel il n*esi pas né,
c'est vouloir rhumillér, détruire ses qualités et le :90umettre
i\ une contrainte peu compatible avec sa nature. Toute vio-
lence ftite aux lois posées par Dieu lui-m^me devient in-
digne de ceux qui la pratiquent, en môme temps que funeste
h ceux qui la subissent. Regardez la gazelle, la vache des
pays déserts, rhéniione, que deviennent-ils quand ils se
soumettent à la dictature de l'homnic et quMIs abdiquent
entre ses mains la puissance de leur état sauvage ? Ils perdent
leur force, leur énergie, leurs allures, ainsi que leur noble
et belle apparence.
Les chevaux des pays déserts du Sahara sont les plus
beaux et les meilleurs chevaux du monde. A quoi doivent-
ils leurs brillantes qualités? A une cause très-simple, la
voici : on ne s'en sert que pour les monter, pour accomplir
des courses longues et rapides ; puis, sans leur imposer au-
LE CHEVAL ARABE PUR SANG iit5
eun autre travail, on les rend à leurs habitudes naturelles,
en les laissant paître h leur guise et en liberté, de telle sorte
que, tout en étant apprivoisés, ils conservent cependant les
avantages de l'état sauvage.
Il y aura donc toujours une grande difrérence entre les
chevaux des pays riches, où il mangent beaucoup et sont
astreints à des travaux avilissants, et ceux de^ pays dése{ts,
ou ils sont d'une extrême sobriété, et ne font pas autre
chose, dès leur plus jeune ige, que de chasser, que d'atta-
quer, de poursuivre ou de fuir Tennemi. La même chose
n*a-t-elle pas lieu pour les hommes ? Prenez des Arabes,
des Bédoliins moitié sauvages, habitant des pays arides ; ils
sont braves, forts, insensibles à la misère, à la soif et à la
faim, rompus à toutes les fatigues ; transplantez-les dans les
coptrées fertiles, eondamnez-les au repos et h une nourri-
ture abondante, leurs forces diminueront, leur courage ç'ftfr
faiblira, leur résignation ne sera plus la même, bientôt yo^s
ne les reconnaîtrez plus.
Je conclus: le ebeval n'est pas dans Tinaction et la
graisse; mais il est tout entier dans le travail et la teinpé-
rance.
Eit, quand vous exigerez de lui un travail excesi«if, augrpçf)-
tez un peu sa nourriture habituelle, vous en obtiendrez alors
des efforts inouïs. Quel serait, nu contraire, Tayant^ge de
celte augmentation, avec un cheval habitué de tout temps
k une ^bondauc^ exagérée ? Il serait nul ; on n*y trouverait
que le danger de le tuer, et, si son estomac y résistait, la
preuve qu'ayant toujours eu de trop, c'est pour cette raison
qti'il pe peq^ riep ^Q^ncr de plus en f^it de vitesse et de ré-
sistance.
Mais en voilà assez sur ce sujet ; passons aux accouple-
ments sur Icf^qpe]^ yQ^^^ désirez aussi mon avis.
216 LA VIE ARABE
Les Arabes ont en horreur les accouplements inces-
tueux (1), ils ne feraient jamais saillir la fille par le père, la
mère par le fils, la sœur par le frère. Il est, du reste, avéré
que, dans ces cas-là, un étalon arabe pur sang n'éprouve
pas le moindre désir. Des gens du Hedjaz m'ont raconté der-
nièrement qu'un étalon de leur pays, fils d'une jument ale-
zape, n'avait jamais voulu saillir des juments de cette cou-
leur. Quand ils les voyait, soit qu'elles lui rappelassent sa
mère, soit pour tout autre motif, il s'en éloignait sans mani-
fester aucune envie.
Au surplus, en accouplant le père avec la fille, la uièrc
avec le fils et la sœur avec le frère, on risquerait de n'avoir,
avec une descendance ainsi continuée, que des rejetons
faibles, dégénérés, incapables de rendre des services.
Il est avantageux, au contraire, suivant les Arabes expé-
rimentés, d'accoupler des sujets de la même famille, quand
ils sont parents à tout autre degré, et que, surtout, la con-
stitution qu'ils doivent à des père et mère irréprochables n'a
été modifiée ni altérée par des causes extérieures, étran-
gères à l'origine. Ils assurent qu'en transmettant toujours
ainsi les qualités et non les défauts, on arrive bien plus sû-
rement à conserver une noble race pure de tout mélange (!â).
Vous m'avez dit que certaines personnes, en France, dont
les jugements sur la question chevaline ont de la valeur,
croyaient que, le pur sang arabe ayant dégénéré, il serait
possible de le faire remonter à sa pureté primitive par des
(1) Les anteors anciens ont aussi prétendu que les chevaux avaient
horreur de l'incesto; c'est Topinion de Varron, de Virgile, etc., etc.
(Court de teience hippique professé à l'École des Haras, par M. Ephrem
Houel.)
(2) C'est également l'avis du fameux duc de Newcastle, qui, l'un des
premiers, s'est occupé du pur san^r et des croisements.
LE CHEVAL ARABE PUR SANG 217
croisements bien entendus avec ces étalons anglais dont la
réputation s'étend dans le monde entier. Suivant moi, c'est
là une grave erreur, parce que les chevaux européens, quels
qu'ils soient, comme, du reste, tous ceux qui vivent dans
les pays fertiles, où ils subissent déjà une dégénérescence
par un excès de nourriture, et je comprends avec eux les
chevaux de la Syrie, de l'Egypte, de l'Irak et du Maghreb
(ouest), ont, en outre, des taches originelles, soit du côté
paternel, soit du côté maternel, souvent des deux côtés à la
fois, ce qui ne permet plus de les considérer comme des
animaux dotés d*un sang entièrement pur. Partant de là,
pour rien au monde, un Arabe, possesseur d'une jument
vraiment noble, ne consentirait à l'accoupler avec le plus
bel étalon auglais. Ce serait à ses yeux une complète mésal-
liance. Ceci peut vous expliquer les paroles d'un poète cé-
lèbre de l'Arabie. Il a dit :
Les ignorants croient qu'il y a beaucoup de chevaux purs;
Mais ils sont encore plus rares que les vrais amis.
Vous m'apprenez que le gouverneur de l'Egypte a fait
saillir des juments arabes pur sang par des étalons anglais.
Si le fait est exact, j'en suis fâché pour lui, car il n'y a
qu'un défaut de connaissances, en fait de science hippique,
qui puisse lui servir d'excuse. Je sais, moi, que, si l'on accou-
plait des juments arabes d*une pureté bien constatée avec
des étalons anglais, on ne pourrait en obtenir que l'espèce
de chevaux que nous appelons moukeref, c'est-à-dire nés
d'une jument entièrement noble et d'un père dont l'origine
est entachée. Ils sont encore plus mauvais sous tous les rap-
ports que le produit d'un père au sang pur et d'une mère au
sang mêlé — hadjine. — Leur postérité ne pourra que s'avilir
918 LA VIE AHA9E
,& la longue ; car, quand bien niérae les descendi^ots de ces
accouplements irrationnels se distingueraient en apparence
par un bel extérieur, ils ne vaudraient jamais, pour le fondis
et pour les qualités, ceux qui vieuneqt d*un P^r^ noblfi ; ^
plim forte r^Uon, de^ béritiers d*une race pppflripép 4f!s
4011$ côtés, et par le sang et par l'antiqqité.
Je me résume ^i je dis :
Lq hhor noble, ou, ce qui fi^t la inèirpe chose, le ai^tilç, qui
«igpifie excellent au plus baut degré, mi^rche chez UQUS le
Ifemier d^ns Téobelle des races.
Après lui vient le bftdjine, Tineomplet, 1m dérepi^^Hx,
dmt le père est pur et la mère d'origine inférieure.
Perrière le hadjine so présente la moukeref; sa mèw es*
Qoble, son père dé basse ei^tr^Ption.
En effet, du moukpref, nou^ arrivons au berdoun<^ (§ingw-
lier de beradine) ; on n*en fait aucun e^S s son père et ^a
mère sont roturiers.
Vous le vQye^ç, et je prpjs voqs r^vojr d^Jà 4!l| le prix du
cheval est dans sa race.
Et enfîn, le poulain ressemble d'ordinaire à son père par
les organes principaux : la tête, la cervelle, les ppumqns, le
Pfippr, le fqie, {es ps, les nerfs et les tendons. 11 tien| le reste
dp sa mère. On a constaté encore que l'étalon transmet à ses
produits la plupart de sps défauts pbysiqi^es pu ipprai^x.
Aussi se g^rc-tron ^vec |e plus grand ^oin dps maladies qqi,
t^h^z un étalon, sont inhérentes aux ps, aux vefqps, apx (^p-
4qn^, et repqusse-t-pn ppur la monte les m^uy^is c^r^ctèrçs
ptla r^tiyité;
jfe ne cpunais pas beaucoup les ehayaux anglais, et ce-
pepdi^nt, p^r tout pe que jV yu, lu ou entendu dire, je suis
certain qu'ils sont l^içn loin de y^loir les pbpvaq^ ftr^bas. Si
lea cheviiux anglais devancent les cheyau^ arabes ^( fpur-
LE CHEVAL ARABE PUR SANG 119
nissent une course brillante sur un hippodrome pendant
quelques minutes, pendant une heure môme, j*y consens, il
ne faut Tatlribuer qu'à leur haute taille, à leur croupe éle-
vée, à leurs longues jambes ainsi qu'à Tentpaînement qu'on
leur fait subir; mais, s'ils devaient, comme les nôtres, courir
pendant sept à huit heures sans s'arrêter, ils ne soutien-
draient pas leur réputation. Plus la distance sera grande
et le terrain accidenté , plus vite apparaîtra rinfériorité.
Leur organisation, quoi qu'on en dise, ne leur permet pas
de supporter longtemps, et sans souffrir, la colonne d'air
que déplace toujours une course rapide (1).
Le cheval arabe, grâce à sa poitrine profonde, à sa puis-
sante respiration, à ses laides fosses nasales, à l'ampleur de
ses flancs et de son rein, à ses membiuîs de fer et à sa s4«-
(1) ToDtes les fois que les ehevaux de eoorse anglais, les raêi-hûriêê
oi\{ loué de vitesse contre les cl^^vaux j^fâb^s, \\^ l'ont tqpjoiffit eB|-
porlé, dans les conditions ordinaires, c'est-à-dire dans une arène je
deux ou trois milles ; mais reculez les limites du terrain, el il en sera
tout putrrment. 11 y a quelques années, des Anglais ayant amené avec
eux des chevapi pur sang se trouvaient dans la prqvinpe de fil§4ji MA^
contrée de l'Arabie centrale; l'idée leur vint de proposer un défi t^^\
RéJouins, dont les chevaux maigres et osseux ne leur inspiraient point
d'al.ord une grapde eUin^e. Le^s Bédouins acceptèrent et dtraandèreiit
cunibien dff jovr^ dqrera|t la cpMrsc; les Af)^iais, qo 1^ peo«e l^jfD, i^
rrrrii^rent. il fut enfin convenu qu'on réduirait l'épreuve à trois heures;
ce fut eiicore beaucoup trop pour les chevaux anglais, qui, après avoir
pris la lôte au départ, se trouvèrent bientôt e.<8oufflés, épuisés, moo-
rants, tandis que le^ chevauii. arabest arfiyèrcq^ sains pi sapfs ^p 1)9|.
Je ne veux point faire ici de comparaison injurieuse, mais tous les
sportgmen conviennent qu'il existe plus d'un rapport entre le pedettrian
et la raee-horu. Il résulterait donc des faits connus que la civilisation
accroît chez l'homme et chez les animaux la forpe 4'ifppMlsiQD9 m^s
qu'elle affaiblit chez eux la force de résistance à la fatigue, ce que les
Anglais appellent emiurnnee.
(Revue <|<?< Deux Mondes, m mai 4 SAS, Rsqairof.>
iHO LA VIE ARABE
vèrc éducation, aussi bien sous le rapport de la sobriété que
sous celui des fatigues et des intempéries, le cheval arabe,
dis-je, peut courir sans entraînement réglementé (car il est
toujours entraîné), sur tous les terrains et par tous les
temps, une demi-journée et plus sans reprendre haleine.
Chez nous, on nomme modjelli le cheval qui arrive le pre-
mier aux courses et qui gagne le prix ; niosally, celui qui
vient après lui, et sokit (le silencieux), ranimai qui touche
au but le dernier. On lit le trouble dans ses yeux et Thumi-
liation sur sa face.
Toutes les fois qu'on verra dans le monde un cheval se
distinguer par la fierté, la souplesse, l'élégance et des qua-
lités extraordinaires, on peut être sûr qu'il a du sang arabe
dans les veines. D*où lui vient-il ? De son père, de sa mère
ou de ses ancêtres.
Chez les Arabes, on attache tant de prix à la pureté du
sang qu'aujourd'hui encore les habitants du Nedjed et du
Hedjaz ne voudraient pas, pour leurs juments, d'un étalon
du plus bel extérieur, fût-il renommé pour la course, si sa
généalogie leur était inconnue. Ils lui préféreront toujours
an étalon dont les formes seront moins agréables, mais
d'une origine incontestée, quand bien même il paraîtrait va-
loir dix fois moins. La raison en est que, d'après eux, si le
poulain ressemble quelquefois à son père et à sa mère, il tire
aussi souvent ses qualités de son grand-père, de son aïeul
ou de son bisaïeul, etc., etc. Ainsi, bien loin d'attacher, en
fait de reproduction, une si grande importance à ce qui,
dans un étalon, peut séduire les yeux, il faut, avant tout, sa-
voir exactement à quoi s'en tenir sur la pureté de son ori-
gine et de sa race.
Après cela, j'avoue qu'il est bien rare et bien difficile, à
présent, de trouver des chevaux arabes primitifs, c'est-îi-dire
LE CHEVAL ARABE PUR SANG 2il
tout à fait pur sang, et dont la nature n*ait été modifiée soas
aucun rapport, ni par le travail, ni par la nourriture, ni par
des alliances malheureuses avec des étrangers. On ne doit
pas donner ce nom a ceux qui, trop nourris d'habitude,
portent des fardeaux, labourent la teri*e, dépiquent les grains
et qui, de bonne heure, n'ont point été exercés aux longues
courses, aux fatigues, aux intempéries, ainsi qu*à supporter
avec résignation la soif et la faim.
Le seul pays où l'on peut rencontrer le pur sang dont j'ai
parié, c'est dans le vrai désert, chez les Arabes errants, no-
tamment chez les grandes tribus des Zenata et des Senhadja*
Là, de temps immémorial, la race n'a été altérée par aucun
mélange nuisible, et chacun y connatt la parenté de ses che-
vaux, père, mère, sœurs, oncles et tantes paternels et ma-
ternels, grand-père, grand'mère, aïeul, etc., etc.
Autrefois, les Arabes avaient très-peu de rapports avec
les étrangers, et alors il leur était facile de conserver leurs
races. Mais, depuis qu'ils se sont laissé entamer par des voi-
sins persans, égyptiens, turcs, etc., etc., elles ont subi de
profondes modifications. Maintenant, est-ce à dire qu'avec
nos chevaux tels qu'ils sont aujourd'hui, on ne puisse entre-
prendre de belles actions ; je crois le contraire, et j'y suis
amené par tout ce qui s'est passé sous mes yeux pendant ma
longue carrière de guerre. J'ai vu alors bien souvent, non un
seul cheval, cela ne prouverait rien, mais des réunions de
mille à deux mille chevaux de nos pays, ft*anchir sous leurs
cavaliers des distances énormes dans les circonstances les
plus déplorables.
En ^845, du Maroc où j'étais établi avec ma déira, non
loin de rembouchurcdclaMoulouya, je me suis mis en cam-
pagne avec une nombreuse cavalerie pour faire une razia
dans le Djebel-Âainour, dont les tribus m'avaient trahi et
tSt LA ViË ARABE
donné de gitinds sujets de mécontentement. Le succès cou-
ronna mon entreprise, et, marchant le jour, marchant la nuit,
né prenant de loin en loin qu'un peu de repos, nous rentrâmes
ches nous chargés de butin, après avoir ainsi parcouru
860 kilomètres, tant pour aller que pour revenir.
En arrivant dans notre camp, nous pûmes encore, pour la
plupart, foire la fantazi^-a devant nos femmes et nos enfants,
qui poussaient des cris de joie pour saluer notre heureux
retour.
Pendant ce long trajet, nous n'avions donné que huit re*-
pas d'orge à nos chevaux; ils n'ont bu d*ordinaire que tous
les deux jours, et cependant^ il n*en est resté que quelt|ues-*
uns en arrière^ Gomment s'étaient-ils donc soutenus ? Tout
simplement avec les plantes et les arbustes du Miséricor-
dieux dont le Sahara est parsemé. Voilà ce qui prouve que,
si chez nous le sang a subi des altérations, il en l'esté encore
assez pour accomplir des choses étonnantes.
En eflfet, s*il est impossible de faire d'une race oh le sang
est mêlé une race pure, il est, au contraire, reconnu que l'on
peut, au moyen d'alliances bien comprises, faire remonter à
la noblesse primitive celle qui n a été appauvrie que par des
privations excessives, un manque de soins ou par des tra-
vaux abusifs.
Voilà surtout ce qui devrait engager les Arabes à ne con*
sentir à aucune mésalliance, comme à maintenir dans toute
leur intégrité Jes saines méthodes d'élevage qui nous ont été
transmises par nos aïeux. Le cheval lui-même dit:
Éléve-moi comme si j'étais ton frère,
Et monte-moi comme si j'étdis ton ennemi.
Kebbi'Hi ki khouk,
Ou rekkeh-ni ki aadonk.
LE GUEYAL AUAbiS l»Ull iïANG ^m
Qtt6 It^ Baliil soil sur roil«> à U fia commis AU eomikite^ili^»
ment de eette lettre.
Écrit par le pauvre en Dieu, Sid-£L-Uadj ^Vabd-£L-Kadbr
BEX-!tfAHHI-ED-DlNE.
Oamûê) îe 10 mat 1866.
Telle est la réponse de rëmir Aabb-el-Kader aux questions
que je lui avais posées. Je crois qu*au point de vue exclusif du
clieval de selle, il a raison. En effet, les chevaux arabes, ainsi
que les chevaux barbes, et j*ai eu bien des fois les moyens de
nVen assurer quand j'étais en Algérie, sont condamnés dès
leur naissance à vivre en plein air, à supporter Thumidité des
nuits et la chaleur brûlante du jour. Ils sont encore accoutu-
més de très-bonne heure à la fréquentation de Thomme, à la
vue des objets extérieurs, à Taudition des bruits les plus
étranges, tels que cris de joie {you you) poussés par les
femmes et les jeunes filles dans toutes les circonstance» heu-
reuses, à la détonation si fréquente des armes à feu (baroud)^
aux rugissements effrayants du lion qui vient rôder autour des
tentes, aux hurlements féroces et saccadés de Thyëne, aux
glapissements sans fin du chacal, aux beuglements assourdis-
sants du chameau qui couche dans le douar, aux aboiements
précipités du chien <le garde, aux mugissements du tambourin
iguellalé) et du lambourde basque {benndàir), dont on se sert
pour égayer les jours de fête. On les voit presque toujours
sellés et bridés, et, lorsqu'ils marchent, soit pour des actions
de guerre, soit pour trouver leur nourriture, ils franchissent
habituellement de grandes distances par des chemins difficiles^
raboteux, accidentés, dans des contrées parsemées de pal-
miers nains, de lentisques et de buissons épineux. C*est là une
vie qui fortifie les organes de la respiration, qui donne de la
tu LA VIE ARABE
force aux articulations, et qui rend les reins, les muscles et
les membres robustes; aussi les chevaux arabes peuvent-ils
supporter, sans que leur santé s'en ressente, des courses et
des privations auxquelles ne pourraient résister des chevaux
de moins de sang et autrement élevés. Pour moi, c*est une
conviction. Sur quoi s'appuie-t-elle ? sur ce fait, que je puis
dire avec vérité :
L'oreille a eoleodo, et Tooil a vu.
CHAPITRE SEPTIÈME
Dictons sur les villes et sur les tribus. — Division du temps.
— Distance. — Quel âge as- tu? — Mets chez les Arabes.
I
DICTONS son LES VILLES ET SUR LES TRIBUS
J'ai recueilli sur les villes et sur les tribus de l'Algérie, un
certain nombre de dictons qui ont cours chez les Arabes. Ils
sont dus en général à des marabouts célèbres qui ont parcouru
le pays et nous ont laissé leurs impressions. Il y a peut-être
un certain intérêt à les reproduire ici.
Tlemeea. — En arabe, TlemtQM (!}.
Tlemcen,
Embellissement des cavaliers.
Son eau, son air et le voilement de ses femmes,
(1) Consalter au besoin, pour les locaUtès désignées, le remarquable
ouvrage de M. 0. Mac Carlby, membre de la société historique d'Al-
ger, de la société archéologique de Constantine, etc., etc., il a pour
litre : Géographie phyiique^ économique et poliiique de V Algérie,
15
ne LA VIE ARABE
Ne se trouvent dans aucun pays.
Tlemsafiej
Meziinete el fersane,
Ma-ha ou haoua-ha ou telbaif nessa-ha.
Ma kane fel beldane,
Tlemcen, ville importante, située à l'ouest et à 130 kilo-
mètres d'Oran. C'était autrefois la capitale d'un royaume
ai'abe assez considérable.
On rencontre, presque sous les murs de Tlemcen, dans la
plaine de la Safsaf, la plus belle forêt d*oliviers qu'il y ait en
Algérie.
Aux portes, pour ainsi dire, de cette ville, on voit encore
les tombeaux de deux marabouts célèbres, sidi Bou-Medine
et sidi Senoussi. D'après les Arabes, le fait suivant aurait
définitivement consacré leur réputation de sainteté.
Sidi Senoussi, se promenant un jour dans les rues de
Tlemcen, eut une altercation avec le kadi de cette ville, qui
lui donna un violent soufflet. Il se tint coi, puis rentra paisi-
blement chez lui ; mais sa famille indignée ne cessait de lui
dire : « Comment un homme comme vous peut-il supporter
une pareille injure? vous n'avez donc aucune puissance? —
Vous allez le voir, puisque vous y tenez absolument, répondit
à la fm sidi Senoussi ; mais, tout marabout que je suis, j'ai
des chefs qui, eux aussi, ont des supérieurs, — leçon pour
consacrer la hiérarchie — et je vais m'adresser à sidi Bou-
Medine. Il jugera lui-même s'il doit transmettre ma plainte
à Dieu. »
Le saint outragé se mit alors en oraison, priant sidi Bou*
Uedine de lui faire rendre justice; à peine avait-il prononcé
quelques mots, qu'on vint lui dire : c Vos désirs sont exaucés.»
La maison du kadi coupable s'était soudainement écroulée,
écrasant ce magistrat et toute sa famille.
DICTONS SUR LES VILLES ET TRIBUS iS7
La légende concède à sidi Senoussi le pouvoir d'accorder
des garçons aux pères qui regrettent de n'avoir que des
filles.
Cran. — En arabe, Oukêrêne.
Oran, la prostituée,
Nous t'avons vendue aux infîdèles,
Jusqu'au jour du jugement dernier!
Ouharane el fassedn,
Baana — koum el kdfara,
Hhatta youm el kiyama !
On attribue cette malédiction à un marabout vénéré, sid ei
Haouari, dont le tombeau et la goubba sont à Oran. Yoîci
dans quelles circonstances elle se serait produite :
Les fils du bey de cette époque étaient jeunes, violents et
orgueilleux ; se trouvant un jour en cbasse, et sur un pré-
texte des plus futiles, lis firent impitoyablement manger par
leurs chiens un pauvre enfant de quatre à cinq ans qui ap-
partenait à sid el Haouari. La consternation, comme on doit
le penser, fut grande dans la famille ; mais, siir le moment,
le marabout contint sa douleur et n'exhala aucune plainte.
Quelques jours après, dans sa maison et en sa présence, une
poule couveuse se précipita avec fureur sur un chat qui rôdait
autour de ses petits poussins pour les mangei*. < Vois, fui dit
sa femme, ce qui se passe sous tes yeux : une simple poule
protège vaillamment sa progéniture, et toi, tu n*as su ûî dé-
fendre ni venger la tienne, c'est une honte ! — Silence, s'é-
cria alors sid el Haouari, Dieu s'en chargera ; * etit proféra
alors la malédiction que j'ai citée plus haut. Telle esï, d'a-
près les Arabes, la cause de la longue occupatidù d*0^àn par
les chrétiens.
S28 LA VIE ARABE
Oraii, pour la vente et pour Tachât,
Aucune ville ne peut lui être comparée.
Celui qui y pénètre pauvre,
Kst sûr de devenir riche.
Ouharane fel béaa ou chera,
La tekisS'ha belad.
Menn dekhoirha fekir
Aad ghani.
Oran est le chef-lieu de la province: elle est située sur le
bord de la mer, au pied d'une haute montagne, et elle est
partagée en deux parties par un ravin très-profond. C'est
une ville de commerce; son port principal est à Mers-el-
Kebir. Les Espagnols ont habité cette ville pendant plu-
sieurs siècles.
Mascara. — En arabe, Moatkerr.
Voici les paroles qu'on attribue à sidi Hhamed bon a
Youssef :
Les gens de Mascara vous aiment le matin
Et vous baissent le soir.
Ils vous aiment sans cœur . -
Et vous détestent sans motif.
Ils médisent môme du pain
Et se réjouissent toujours du mal.
Maaskriya, issahhabouk sebahh,
(hd iboghedotik el odchiya.
Ihhebouk bêla galb.
Ou ikerohhouk bêla siya^
Hassadine el naama
Ou farahhine lel nokema.
DICTONS SUR LES VILLES ET TRIBUS 229
De l'est à Touesl, j*ai rassemblé tous les enfants du péché :
je les ai conduits auprès de sidi Mohammed Bou-Djellal. Là,
ils m*ont échappé : une partie est entrée dans Mascara, et
l'autre partie est descendue dans la plaine de Gheriss.
Menn eo^herg lel gharby lemmite oulad el hharame djebt-
houm hatta ndi Mohhammed Bou Djellal, harebou li tem^
matik; chi dekhol lel Maaskerr^ chi habott lel Gheriss.
Maasker est l'abrégé de Oum el aasker^ qui veut dire la
mère des soldats. C'est une ville de la province d'Oran,
située à 70 on 75 kilomètres du littoral. Son marché est
très-fréquenté par les Arabes. On y vend des laines, des
huiles, des farines, des chevaux, et aujourd'hui on y fa-
brique des vins, pour les chrétiens, bien entendu. C'est là
qu'on fait ces beaux bernouss noirs — zoughdani — que les
cavaliers portent dans l'Ouest.
Mascara était autrefois la capitale de l'émir Aabd-el-
Kader.
Les Hhûehem.
Laboureurs, ils achètent le blé,
Tisserands, ils vont tous nus.
El hhachemy hhafratiney kiyaline,
Nessadjine, aaryanine.
Un taleb de la plaine de Gheriss
Ne vaut pas un centime en cuivre.
Derhemm nahhissU
Khér mena thaleb gherissi.
^a tribu des Hhachem habite la belle et vaste plaine
de Gheriss, qui s'étend aux pieds de Mascara. L'émir Aabd-
el-Kader est né dans son sein. Autrefois, elle pouvait mettre
sur pied un grand nombre de cavaliers.
230 LA VIE ARABE
Beui Aamer.
Beui Aaiiler, je vdtis tiens poiii* des juifs :
Vous êtes toujours jlrêts à dônnel' Totre argent — àii raih-
queùt*.
Béni aamer dairt-koufn thoud :
Ou drahatn-koum dimà moudjoud.
Grande tribu dont le terriloire est pour aliisi dire cooitiHs
entre Mascara et Tlemcen : était ti'fes-pbpuleuse, irès-richè {
mais a beaucouji soUffeft pendant la guerre de là cdnituèlb'.*
Oulad Yaagoub, -~ Les Bôfanti de Jacob.
Plutôt un furoncle à mon jarret,
Que de fréquenter un yaagoubi.
Nefta H aargoubiy
Oula khelate yaagoubi.
Habra. — RiTière.
En été, elle n*a pas étanché ma soif ;
En hiver, je n'y ai pas trouvé assez d'eau poiir faire mes
ablutions.
Djit-ha feS'Sify ma rouate-ni.
Ou fel mecheta ma ouddate^ni.
Moslagonem. — En arabe, Mestrghùuim.
Les gens de Mostaganem chaussent les quartiers de leurs
pantoufles,
Rieii qu*au bruit des mftchoires.
Mestegha, irnetallaàine el belgha^
Aala hhess el medegha.
DICTONS SUR LES VILLES ET TRIBUS «31
Les Arabes portent habituellement pour chaussures des
savates jaunes, — helgha,; — eUes sont en cuir de Maroc,
— filali, — Le plus souvent, ils ne les chaussent pas, parce
que c'est plus commode pour eux, soit pour entrer dans les
mosquées, soit pour faire leurs ablutions.
Suivant ce dicton, il paraîtrait que les habitants de Mos-
tagânera sont très-gourmands, car ils reîëveraient les quar-
* , *
tiers de leurs pantoufles pour mieux marcher ou pour mieux
courir, quand il s'agit d'aller prendre, au loin, leur part d*un
festin quelconque.
Mostaganem,
C'est le musc du butin maritime.
Celui qui y pénètre est sauvé.
Et celui qui lui fait des injustibes ne meurt pasi comme il
veut.
Mesteghanim,
Messk el ghenaim,
Li dakhol'ha chahul
Ou dalem-ha ma imoute kif irid,
Mostaganem, ville de la province d'Oran, située sur le
bord de la mer. Elle es( divisée en deux parties par le ravin
de Aàiri'Sefra; les environs sont cités pour la beauté et la
fécondité de leurs Jardins.
Mazoana.
Le Mazouni vend son bernouss
Pour acheter un pistolet,
Et il sort de sa maison
Pour le décharger sur son voisin.
El Mazouni ibeaa le bernouss,
tat LA VIE ARABE
Ou ieheri le kabouss,
Ou ikhrodj menn ed-dar
Ou ikob fél djar.
Mazouna est une petite ville arabe du Dahara, remarquable
par l'abondance de ses eaux, qui vont se jeter dans le Ghélif.
On y trouve un petit fortin en ruine et une source magni-
fique nommée Tamda.
Tenèf. — Ed arabe, Tfueu.
Tenès
Est bâtie sur du cuivre;
Son eau est du sang;
Son air est du poison,
Et sidi Hhammed Benn Youssef a juré qu*il n'y passerait
pas la nuit.
Disparais, 6 le chat !
Tenesê
Mebeniya aala deness ;
M a- ha demm
Ou haoua-ha semm
Hhalef sidi Hhamed Benn Youssef^ la ibaat temm.
Sodd y a le gott !
Les habitants de Tenès avaient offert au marabout, pour
difa, un chat au lieu d*un lièvre. Comprenant qu'on se mo-
quait de lui, il punit les mauvais plaisants en les tournant
en ridicule et en ordonnant au chat rôti de ressusciter, ce
qui eut lieu.
Tenès est une ville de la province d* Alger bâtie sur le lit-
toral : en face de la ville arabe, s*élève une ville française
qui prend de l'importance. On y fait un grand commerce de
grains.
DICTONS SUR LES VILLES ET TRIBUS 233
Cherchèl. — En arabe, Cherckali.
Cherchêl, c'est une ruine,
On y trouve l'avarice et la lâcheté ;
Sois-y marin ou forgeron,
Ou bien sors de cette ville.
Cherchall^ cherchalla,
El bekhol ou reddala.
Bahhari oulla hhadad,
Oulla khrodj menn el belad.
Cherchèl est une ville située sur le littoral, à 90 kilomètres
d'Alger, c'est l'ancienne Julia Ccesarea. Elle fait un assez
grand commerce de cabotage; son port est petit, mais sûr
pour les navires d'un faible tonnage.
Médéab. — En arabe, M ediy tt.
Celui que tu vois vêtu d*un petit haïk,
Tenant à la main un petit bâton,
Placé sur un petit mamelon
Et disant fièrement à la dispute :
« Viens me trouver 1 »
Keconnais-le pour un enfant de Médéah.
Li labess kessiya^
Ou fi iddou aassiya,
Ouaguef aala koudiya
Ou igoul lel bêla :
Adji liya!
Aarfou menn oulad Mediya.
Médéah, c'est un cadeau de la Providence.
La faim y entre le matin
2S4 LA VIE ARABE
Et elle en sort le soir.
Si c'était une fertime
Je n*épouserais jamais qu'elle.
Mediya mhadiya
IdkhoUha chorr sebbahh
Ou ikhrodj'ha laachiya.
Loukanete hiya mra
Matiakhod la hiya.
Hédéah est une ville bâtie dans le Tëll, h 88 Rilotnëtrcs
d*Alger. Elle est placée sur un màtnelofi, ft 940 thètfeà au-
dessus du niveau de la mer, ce qui fait que son climat res-
semble beaucoup à celui de la France. La vigne y réussit
admirablement : on y fait un grand commerce de grains, de
laine et de bestiaux.
Aain-Mhadi.
Aaïn-Mhadi, sa figure est la figure de la brebis,
Et sa morsure est îa morsure du cbacal.
Aain Mhadi^ oudjh, oùdjiî en-nàdja.
Ou aadd'ha aaddett ed-dib.
Aaïn-Mhadi, petite ville située dans le désert, à 640 kilo-
mètres sud-ouest d'Alget*. Son chef Ould TedjinU marabout
très-inflnent, a soutenu, en 1838, un siège meurtrier contre
l'émir Aabd-el-Kader, qui, ne pouvant venir à botit de ses
desseins, lui offrit i^ne capitulation honorable.
Cirate.
Si le paradis est au ciel, regar4e Cirate, — tu en auras
une idée.
Et, s'il est sur la terre, Cirate, c'est lui.
DICTONS SUH LES VILLES ET TRIBUS 23S
Ida kanete Idjenna fe sernUy regueb aala Cirate;
Ou ida hiya fi larde ^ hiya Cirate.
Cirate est une plaine de la prôvirtce d'Orilrti fedéiJHse
entre Mostaganem et Mascara.
MiUanah. — En arabe; Mel§Mêh,
Si tu trouves le Miliani vendant,
N*achète rien de lui ;
Et, si tu le trouves achetant,
Ne manque pas d*acheter avec lui.
Ida sobt le Melyani ibéaa^
La techeri mennou;
Ou ida sobt le Melyani icheri
Chéri maaou.
A Milianah, les femmes sont des vizirs,
Et les hommes sont des esclaves.
Fi Melyanahy en nessa^ ouzera^
Ou Er-reddjal youssera.
Celui que tu vois petit et barbu,
Dis : c C'est un enfant de Milianah. »
Li techoufou kessir ou lahhyanl,
Goul : Melyani.
Milianah, ville de la province d'Alger, bâtie sur un plateau
au sud du Zakkar. Les eaux y Isoiit très-âboiidantes et
donnent une grande valeur aux beaux jardins ((lii desci^rident
vers la plaine du Chélif. On y trouve le tombeau de sldi
Hhamed benn YousseJ^, ce marabout célèbre par ses dictons
sur TAlgérie.
236 LA VIE ARABE
Les Thamiff.
Les Thamiss ont toujours !& poitrine pleine de chagrins,
Et les ongles couverts de sang :
Quand ils poursuivent, ils tuent,
Et, quand ils sont poursuivis, ils tuent encore.
Hhamiss^ cedirate el hemm
Ou defirate ed demm ;
Nadirine iktelou^
Ou menououdine iktelou.
Blidah.
Le monde t*a nommée petite ville,
Et moi, je t'appelle petite rose.
EnnasSj semmaouk Blidah^
Ou ana semmitek ourida.
Celui que tu vois avec un pain et un morceau de viande à
la main, *
Reronnais-ie pour un enfant de Blidah.
Li fi iddou khobza ou kedida
Aarfouh merm oulad el Blidah.
Blidah est située à 48 kilomètres d'Alger. Elle est entourée
de nombreux jardins et d'orangeries magnifiques, parfaite-
ment entretenus par des eaux abondantes. Malheureusement,
les tremblements de terre y sont fréquents.
La Mitidja. — En arabe Metidja.
Les gens de la Mitidja sont noyés pendant l'hiver.
Et, pendant l'été, ils sont grillés.
DICTONS SUR LES VILLES ET TRIBUS 137
El Metatidj^ fe cheta meghroukine^
Ou feS'Sif mhJuiroukine.
La Hitidja est une plaine située pour ainsi dire aux portes
d'Alger et qui s*étend sur un arc de cercle de trente lieues,
de la rivière du Corso, à Test, jusqu'à la montagne du Che-
noua, à l'ouest. Elle sépare le Sahel de l'Atlas ; sa fertilité
est proverbiale; les Arabes l'ont appelée : la Mère du
pauvre.
Alger. — En arabe Diatr ou DjtJUir,
Grand et fainéant,
Reconnais-le pour un enfant d'Alger.
Touil ou hlialr,
Aarfou menn oulad Eddzir.
Partout le bien n'est ((u*un prêté :
Chez l'Algérien, il est perdu.
Koul khér messlouf:
Ghér fel Dziri metlouf.
11 existe dans la banlieue d'Alger, une koubba — chapelle
— très-honorée, à laquelle on attribue des vertus merveil-
leuses, et que les fidèles viennent visiter de fort loin. C'est
celle de sidi Mohhammed benn Aabd-er-rhhaman ^ bou
Keberine, le Père aux deux tombeaux. Ce surnom est fondé
sur une légende étrange quoique assez récente. Sidi Mohham-
med venait de mourir el de recevoir la sépulture dans le
Djerdjeray — grande Kabylie, — lorsque des habitants
d'Alger, où Ton appréciait aussi beaucoup sa sainteté, allè-
rent prier sur sa tombe. On négligea de les surveiller, et
ceux-ci, par une fraude pieuse, s'approprièrent le corps du
marabout, qu'ils vinrent déposer près de la route du Hham-
t38 LA VIE ARABE
ma, un peu avant d*arrivcr au café des Platanes, au lieu où
Ton trouve aujourd'hui le tombeau de ce saint musulman.
Mais bientôt la rumeur publique apprit cet événement aux
Kabyles; ils en conçurent une violente indignation, et de
longues vengeances se seraient sans doute exercées, quand,
tout en niant le fait, on leur sui?géra la pensée d*ouvrir la
tomb^ qu'ils possédaient chez eux. I)s le firent, et, chose mi-
raculeuse, les restes de sidi Mohhammed s'y trouvèrent en-
core. De là redoublement de respect et de confiance des deux
côtés.
Alger est bâtie eu amphithéâtre sur un contre-fort qui
domine la mer. Elle se divise en ville haute et en ville
basse. La ville haute est encore arabe, la ville basse est eu-
ropéenne. Son port est d'une étendue de 90 à 100 hectares.
Bou-Saada, — lo Père du bonheur.
Leui*s chefs savent donner des conseils,
Et leurs jeunes gens savent garder le secret.
Kebar-houm idebberou
Ou seghar-houm ma-ikkebberou.
Bou-Saa4a : ville arabe de la province de Constantiue,
remarquable par ses jardins de palmiers, par ses eaux, par
ses mosquées et par un commerce important avec les gens du
désert. Pour maintenir les pays environnants, les Français y
ont bâti un fort.
Le Kabyle.
Le Kabyle, dans la montagne, c'est un lion ;
Mais, dans la plaine, ce n'est qu*unc vache«
& l^ebaili fèl djebel sebaa^
Ou fel outa^ begra.
DICTONS SLR LES VILLES ET TRIBUS 839
Et^ eu effet, les Kabyles, qui défeudeut leur pays avuc une
grande énergie, ne valent pas grand*chose quand ils en sor-
tent. Ils ont, surtout, une frayeur horrible de la cavalerie.
L'Arabe est né cavalier : il n'aime pas la montagne. Le Ka-
byle est né fantassin, il se déûe de la plaine.
Les Kabyles appartiennent à la race berbère. Us dérivent
d'un seul et même peuple, autrefois compacte, do]g})f|2f).cyi* du
pays entier, mais, plus tard, refoulé dans les moitfagnc3 ^ ar
des conquérants qui s'approprièrent les plaines. C'çst ainsi
qu'il a été morcelé en grandes fractions (Revenues à ](i Ionique
presque étrangères les unes aux autres.
Leur langue s'appelle, suivant les contréç^s, el berbriya ou
el kebailiya. Elle adonné naissance aux dialectes suivants :
Le targuiya;
Le zenatiya ;
Le chellahhiya;
Le chaouya;
Le zouaouya.
L'alpbabet berbère est perdu (i). Dans tout le pays kabyle,
il n* existe pas aujourd'hui un seul livre écrit en beii)ère.
Aussi, de nos jours, le berbère ne s'écrit plus qu'avec des
caractères arabes.
Un Arabe n'apprend point Tidiome berbère ; il en retient
quelques mots pour son usage, s il a des relations fréquentes
avec les Kabyles.
Tout Kabyle, au contraire, s'initie plus ou moins à Tarabe,
ne fût-ce que pour suivre sa religion, qui est la religion mu-
(1) Dans ces derniers temp^, le savant colonel du génie Hanoleau,
commandant du fort Napoléon, est parvenu à reconstruire la grammaire
berbère. C'est là un travail de patience et d'intelligence qui sufGt i
illustrer la carrière d'un homme.
S40 LA VIE ARABE
sulmane. Celui qui commerce ou voyage éprouve, en outre,
la nécessité de savoir Tarabe; bientôt il Tentend et le
pai*Ie avec facilité. Aucun chef important ne l'ignore.
Constantine. — En arabe, Ketsemtina.
Constantine invente,
Alger améliore
Et Oran gâte.
Kessemtina têbdouy
Dzair tessenaaa,
Ouharane tefessed.
Ce dicton a principalement cours pour la poésie et pour la
manière de s'habiller.
Constantine, Tancienne Cirta des Numides, est une ville
bfltie sur un rocher très-élevé, d'où s'élancent des cascades
magnifiques^ et au pied de laquelle coule, avec fracas, le
Roummcl, rivière torrentueuse. Avant Tinvention de la poudre
elle devait être une place très-difficile à prendre, bien que
dominée par plusieurs plateaux qu'on nomme Sidi-Hessid,
et Mansoura.
A dix kilomètres environ, à Touest de Constantine, on
trouve le tombeau de sidi Zouaoui. Il est situé sur la mon-
tagne qui porte son nom. Au nombre des miracles accompli»
par ce marabout, tenu en très-grande estime par les Arabes
et par les habitants de la ville, on cite le suivant, qui aurait
eu lieu en 1779, au moment de l'expédition espagnole contre
Alger :
Sidi Zouaoui possédait une jument de race nommée Rekta;
elle disparut un soir de sou écurie. Les serviteurs, au déses-
poir, coururent toute la nuit pour découvrir ses traces et ils
DICTONS SUR LES VILLES ET TRIBUS «41
rentraient le lendemain honteux de rinsuccès de leurs re-
cherches, quand, en regagnant l'habitation de leur mattre,
ils retrouvèrent à sa place la noble Rekta, qu*ils croyaient
perdue. Seulement, elle était restée sellée , ruisselante de
sueur, et ses flancs ensanglantés étaient labourés de coups
d*éperon. A ce moment, le chikh sidî Zouaoni^ entouré
comme à l'ordinaire et suivi de ses nombreux disciples, s'ap-
procha de la jument, qui, en le voyant, se mit à hennir de
joie, puis à uriner d'une* façon extraordinaire. Tous les arri-
vants s'écartèrent alors pour ne pas être salis ; mais le saint
homme leur dit : c Ne craignez rien, restez. Par Dieu, et par
son prophète, je vous jure que vous ne serez pas souillés
par cette urine, car Rekta s'est rendue digne de votre respect
et de votre amour. Je l'ai montée cette nuit pour me rendre
à Alger, auprès des troupes victorieuses de Salahh Baye, et
j'y ai assisté à la destraetion de l'armée espagnole sur les
bords de l'Hharach. » Ces paroles furent immédiatement rap-
portées aux populations, très-impatientes, alors, de connaître
le sort de leurs frères qui étaient allés combattre les infi-
dèles, mais on doutait encore de cette yictoire quand, peu
de jours après, la nouvelle de la défaite des chrétiens parvint
officiellement à Constantinei Les contingents de la province
qui avaient pris part à la lutte affirmèrent, à leur retour,
qu'ils avaient tous vu sidi Zouaoui, monté sur Rékta^ com-
battre à leurs côtés pendant la nuit du. désastre des Espagnols,
et qu'ils l'avaient même entendu pousser des cris pour
exciter le courage des guerriers musulmans.
Je vous laisse à penser combien cette preuve de la béné
diction divine sur la tête du marabout augmenta sa réputation
de sainteté dans le pays. Depuis cette époque, ce fut & qoi
se déclarerait son serviteur et lui demanderait son deke?«
La légende ajoute.en^n : A la mort de Rekta^ sidi Zouaoui
16
942 LÀ VIE ARABE
pleura snr elle, et, ce qui est plus extraordinaire, il l'ense*
velit lui-même dans ua linceul.
II
PITISIOM DU TEMPS
En pays arabe, si vous demandez : c Quelle heure est-U?»
^^Keddadi Saaî — on tous comprendra d'autant moins que^
en dehors des chefs haut placés, des satants — aaoukmas^
4^lbas et marodotite, des gens qui servent dans les troupes
indigènes^ on des commerçants qai nous ont fréquentés, on
n*]r sait pas même ce que c'est qu'une montre, à plus forte
irâon une pendule et une horloge. Comment ftdt-oa alors
pour s'en tirer dans Ui pratique de la vie?
Les Arabes divisent le temps à leur manière, et cette divi-
sion, toute incomplète qu'elle esty leur permet eepenèimt
é^atteindre, lorsque le besoin s'en fait sentir, une exactitaâe
rétive. Us ont : >
Le point du jour, -r-t El fedjer.
Cest le moment d^tlhe prière que l'on appelle :
Salate el fedjer ou Mlate es^sebahh.
La prière de l'aurore ou la prière du matin.
Les Arabes reconnaissent deux aurores : l'aurore du
mensonge — el fedjer el kad^j — et l'aurore vraie — el
fedjer ei-sadok,
La première se manifeste, du côté de l'oriem, par une
DIVISION DU TEMPS 243
clarté étroHe et allongée, affectant la forme d*une qnette de
loup, laquelle ne tarde pas à disparaître dans les rayons
dorés de la lumière qui va bientôt envahir le ciel«
Quand tu peux distinguer le chien du chacal.
Kod-ma teferrez el kelb menn ed-dib.
C'est l'instant qui suit immédiatement le point du Jonr.
-, , , ., ( telooeu echemss.
Le lever du soleil . . . { . , ,
[ chourouk echemss.
Quand le soleil arrive à la longueur d*une lance.
Menine toulli echemss aala taul el mezrag.
Moment de la matinée où, après le lever du -soteit, la
clarté est complète partout.
ùuakt ed-4hha.
Il est à peu près huit heures du matià.
C'est l'instant que l'on choisit pour faire sortir les moulons
du douar et les envoyer au pâturage* La rosée n'aura j^lus
pour eux aucun inconvénient.
Dix heures ou dix heures et demie du matin.
Ed^hha el aali.
La lumière est transparente, la chaleur est déjà grande, le
soleil monte à l'horizon, on se rapproche du milieu du
jour.
La moitié du jour. Le drapeau.
Nouss en-nhar. El aalam.
Il est midi : à cette heure, on hisse un drapeau sûf les
minarets pour que chacun soit averti et puisse se préparer à
la prière.
Les Arabes assurent qu'ils sont arrivés à la moitié du jouir
Î44 LÀ VIE ARABE
lorsqu'un homme debout et à pied ne produit autour de lai
aucune parcelle d'ombre.
Une heure après midi.
Ed-dohor.
G*est le moment d'une prière qu'on appelle : SakUe ed-
dohor.
L'ombre de l'homme parait en entier, mais elle n'a alors
qu'une longueur de six semelles.
Setta guedame,
A peu près trois heures du soir.
Elaasser.
C'est le moment d'une prière qui prend le nom de : Salate
el aasser.
Quelle que soit la saison, el aasser doit partager exacte-
ment le temps qui s'écoule de midi au coucher du soleil.
L'ombre de l'homme mesure neuf semelles.
A peu près quatre heures du soir.
El aasser diyek. Laasser étroit.
Celui qui n'a pu prier à Vaasser peut accomplir ce devoir
à Vaasser diyek^ c'est-à-dire un peu plus tard.
La danse du soleil.
Terguiss echemsse.
Les Arabes ont remarqué que le soleil, ayant de se cou-
cher, oscille un instant sur l'horizon.
Le coucher du soleil.
Ghauroub echemsse. Temessate echemsse.
Cinq minutes après le coucher du soleil.
El moghreb.
On reconnaît que le moghreb est arrivé quand, après le
coucher du soleil, on voit encore, du côté de l'Orient, quel-
DIYISlOiN DU TEMPS 245
ques petits nuages affectant la couleur et la forme d*an cou
de pigeon sauvage.
La nuit. — El lill.
Elle est plus ou moins avancée ou retardée, ainsi que tout
ce qui précède, suivant la saison dans laquelle t)u se trouve.
Huit heures du soir environ.
El aacha. El aaicha^ El aatma.
C'est le moment de la dernière prière : Salate el aacha.
Elle précèdç un peu le souper.
Dix heures du soir.
Le premier plongeon dans le sommeil. — El ghotsM
loucula.
La première garde. — El aassa lowmla.
Cet instant serait indiqué, d'une manière certaine, par le
chant du coq.
Minuit. — Houss el lill.
La seconde garde. — El aassa eManiya.
On sait qu'on est arrivé à la moitié de la nuit quand le
coq fait entendre son second chant. — Toudina eUtaniya.
Deux heures du matin.
Troisième chant du coq. — Toudiiia et-taleta.
Il est deux heures du matin quand parait une étoile
nommée el Koddar.
A cette heure, on place la troisième garde.
ElaassaeMaleta.
Quatre heures du matin.
La quatrième garde. — El aassa er-rabaa.
Quatrième chant du coq. — Toudina er-rabaa.
On aperçoit, à quatre heures du matin, une étoile que les
Arahes nomment : el Gherar.
U6 LA VIE ARABE
£t enfin l'étoile do point du jour.
Nedjemete el fedjer.
On la verrait un instant avant l'aurore.
Le crôirait-on? ceux qui, en pays arabe, ont le mieux
conservé, en astronomie, les notions de leurs pères, ce sont
les simples cavaliers porteurs de messages et les voleurs de
nuit. Pourquoi? Parce qu'ils ne peuvent exercer leur très-
dangereux métier qu'en se râlant sur des étoiles dont la
narche leur est parfaitement connue.
Maintenant, veut-on donner an rendez-vous on préciser
l'heure d'une réunion quelconque, on se sert de l'une des
divisions du temps indiquées ci-deseus, en l'avançant on la
dépassant par ces mots kebel — avant, ou bâad — ^très.
Cela m*a toujours réiuei, qoand, en ma qualité de direclenr
■den afTitires arabes, j'ai dû, par les ordres du marAefaal duc
d'Islf , opérer des concentrations de cavaliers arabes sor on
point ou sur un autre.
Dans les villes, pour savoir l'heure et appeler les fidèles
.h la prière, oa se sert d'un sablier — remeliya. — li est
inconnu dansl es tribus.
Si l'Arabe ne connaît ni les montres, ni les pendules,
ni la division du temps par l'heure, il connaît encore
moins les lienes, les milles et les kilomètres. Ne lui de-
mandez donc jamais combien il y a de lieues, de milles ou
DISTANCES 217
de kilomètres d*ufi point à un autre ; mais employezi seule-
ment avec lui des termes de comparaison s'exerçant sur des
contrées qui vous sont mutuellement connues, et alors, mal-
gré la difficulté, avec de l'intelligence, et surtout beaucoup
de patience, tous approcherez^ peut-être, de la vérité. Ainsi,
le cas échéant, dites-lui par exemple : c Y a-t-il aussi loin de
tel endroit à tel endroit, que de tel pointa tel autre point? >
Il fermera alors les yeux pour mieux voir, prétendra-t-il ; il
se recueillera pendant quelques instants ; puis il vous ap-
prendra que c*est exactement la même chose, ou bien que
c*est un peu plus près ou un peu plus loin. Inutile d'ajouter
que, suivant l'importance du renseignement à obtenir, quel-
ques douros et la crainte du châtiment stimuleront sa bonne
volonté, ou, pour être plus exact, paralyseront son mauvais
vouloir.
Je ne terminerai pas cette affaire des distances sans con-
seiller, en outre, de se méfier beaucoup, quand on est en
voyage ou en expédition, des indications qui peuvent être
données par des Arabes inconnus. Suivant eux, vous touchez
toujours au but.
C'est tout près. | La guerib.
Dépasse ce mamelon, et tu es arrivé.
Foute el kauuliya ou toussel.
Ce n'est pas plus loin que du nez à Toreille.
Ki menn nif lel oudenn.
Vous avez compté sur leur bonne foi, et vous êtes ensuite
tout étonné de la longueur du chemin que vous avez encore
à parcourir. Ceci n'arrive pas seulement entre musulmans
et chrétiens, — on conçoit le plaisir qu'un Arabe éprouve à
S48 LA VIE ARABE
tromper un roumi, — mais encore entre gens de la mâme re
ligion. En vontez-vous )a preuve, lisez le proverbe suivant
Quand un Arabe te montre avec sou bec, — c'est-k-dir
en levant le nez —
Dis : ■ J'en ai encore pour un jour de marche. >
Menine cl AarH toutik bel kamkoum,
Goul meciiret youm.
Maintenant, si je me suis autant étendu sur les distancer
sur ce sujet si sérieux, bien qu'en apparence insignifiant
c'est que. je sais, pour l'avoir souvent éprouvé, combiea
peut Être utile d'apprendre À se tirer d'embarras dans u
pays d'une topographie difficile, sans routes dès que vov
quittez les routes stratégiques, sans cartes qui puissent von
guider dans l'intérieui', et où, soit une méprise, soit un fan
calcul, peut avoir, en temps de guerrç, les conséquences l(
plus graves.
Si vous demandez ii un Arabe :
Combien y a-t-il d'années dans ta vie? — Quel Ageas-ti
Keddach menti sena (i aamrek.
Il vous répondra invariablement :
Dieu le sait, quanta moi, je ne le sais pati.
Idri Allah, ou ana manaarfchi.
QUEL AGE AS-TU? S48
Et souvent il ajoutera d'un ton dédaigneux :
Mais pourquoi toujours cette question ?
Nous vivons jusqu*à notre mort.
Naàichou hatta nemoutou.
Sans nous inquiéter des affaires qui ne peuvent être que
dans la main de Dieu — fiidd Rebbi. — Et, en vous tenant
ce langage, il ne vous aura pas trompé ; car, dans les tribus,
il n*y a pas de registres de l'état civil ; à peine y trouvé-
t-on quelques familles d'élite qui, sur un Koran, ou sur ttii
autre livre religieux, conservent la date précise de la nais-
sance de leurs enfants.
Tenez-vous, cependant, à obtenir un renseignement ap-
proximatif, vous pouvez, en vous ingéniant beaucoup, savoir
qu'un tel est né dans un moment qui a été éignalé à Tat-
tention publique par un événement remarquable, comme
par exemple :
L'année de la peste.
L'année de la révolte.
Du temps des Espagnols.
L'année des sauterelles.
L'année de la prise d'Alger.
Aam el hhabouba.
Aam derkaoua.
Zemane Essbagnoul.
Aam el djerad.
Menine tekhodet ed-Dxàir.
L'année de la faim — disette.
Aam el djooeu.
L'année du bon marché — l'abondance.
Aam rekha.
L'année du tremblement de terre.
Aam zennzela.
L'année du bey, qui a été écorché tout vif.
Aam el baye le messeUmkh.
M LA VIE ARABE -
Si VOUS confiaiM» l'histoire du pays^ T<Hpt feres vmre 4^1-
cal en conséquence^ et vous approcherez de la vérité.
Je le répète, cette demande : c Quel (ge as-tu ? » est telle-
ment désagréable aux musulmans, que souveot ils se mon-
trent très-ironiques à l'égard de ceux qui la leur posent.
.En 1836, j'ai entendu un Arabe, traduit devant un conseil
de guerre, sous la prévention d'avoir assassiné un soldat
ïrançaiç, faire au président qui lui demandait son âge, la
réponse suivante : c Je n'en sais vraiment rien ; cependant,
comme on assure que vous autres chrétiens vous connaissez
rage à la seule inspection des dents, examinez, si vous le
VQulez, ma mâchoire. » Et en même temps, il ouvrait la
J)ôache comme un homme décidé à se soumettre à une pareille
ÎQvestigation. Le gaillard faisait ainsi une allusion moqueuse
|i la conduite de nos officiers de remonte qui n'achetaient
jamais un cheval sans lui ouvrir la bouche pour s'assurer de
son ftge.
— Et puis, disent encore les Arabes, qui ne comprennent
pas les besoins de notre civilisation, à quoi cela peut-il vou|
être[utile de connattre exactement votre âge ! Tant que vous
êtes jeunes, nous concevons, à la rigueur, que cela puisse vous
faire un certain plaisir; mais^ lorsque vous devenez vieux,
que trouvez-vous donc de si agréable à vous en donner
chaque jour la confirmation? Quant à nous, nous aimons
mieux n*y pas penser et nous nous endormons tranquille-
ment sur ce dicton de nos pères :
Celui que Dieu a inscrit pour soixante ans,
Ne meurt pas à quarante ans.
Li ketelhloUy Rebbi, cettinCy
Maimoutchi fi arbaain.
METS CHEZ LES ARABES SSI
» ■ ■ .
METS CHEZ LES AlABES
Les Arabes ignoraient autrefois la diversité des inets. IJ|s
faisaient tout bonnement bouillir ou rdtir la viande en Tas-
saisonnant d*un peu de çel ; ils sont plus raffinés aujour-
d'hui.
Voici les mets dont ils peuvent faire usage eu égard à Ja
contrée qu'ils habitent :
Eil kebch VMehouU -^ MonXon f6ti.
Les Arabes sont les premiers rAtissenr» du nopidé.
El kebab..) ^ ^ . . , , . ^ *
171 /. i. j [ Brochettes de viande de mouton roti.
Elsefafed,)
Terbiya. — Ragoût de mouton aux œtfs.et aun tooMtes.
El hhamiss, — Ragoût de mouton aux tomates et bxljl lé-
gumes.
El m^i/i^tl^r.— Fricassée de potlet avec des pois ohicbes.
Dolma. — Viande farcie avec toute sorte de légQmes;
très-relçvée avec du poivre rouge.
El beraniya. — Poitrine de mouton coupée en morceain(,
accommodée avec du beurre« des œufs, des aitichauts sau-
vages, du fromage pilé et beaucoup d*épices. On fait cuire
avec du feu dessus et dessous; c'est très-bon.
El kabama. — Ragoût de mouton cuit tout simplement
avec du beurre, de Teau, du poivre et du sel. Avant de le
servir, on le couvre avec du persil ei des oignons chis oou-
pés en petits morceaux.
. Zellif. — Tête de mouton bouillie et ass^sannée avec du'
vinaigre, du sel et de l'ail. On la désosse et on en sert la ebair
LA VIE ARABE
avec du pain grillé, recouvert par deux ou trois jaunes
d*œurs.
£1 aassebane. — Intestins coupés en petits morceaux, mê-
lés avec de la viande et accommodés avec du riz, du poivre,
du sel et beaucoup d'épices.
El klieléaa. — Viande de mouton préparée pour les expé-
ditions; on la coupe par morceaux, on la lave, on la sale,
on la fait tremper dans Thuile, puis on Texpose aux ardeurs
du soleil qui la durcit comme du bois. Elle devient alors
très-portative, et se conserve longtemps. Ramollie par Tac-
tton du feu, et mêlée à d'autres aliments, tels que le t^st-
kessou et le riz, elle n'est nullement désagréable à manger.
Merka. Chorba. ^ Bouillon de mouton ou de poule. On
n'en boit qu'en cas de maladie.
El mejçetefa.
n . . ' } Espèces de vermicelle.
Tareeheta. .
Bissar. — Fèves cuites avec du beurre et du lait.
. El bride. — Soupe à la semoule.
El boufetata. — Soupe à la mie de pain.
El mahhmessa. — Soupe avec des boulettes de pâle au
citron.
El blaou. — Riz accommodé avec du kheléaa. Pilau.
El berghouL — Blé écrasé, préparé avec du beurre et du
kheléaa.
Khob% el koucha. — Pain cuit au four.
El mebessess, — Pain cuit au beurre.
Refiss , mebefsess coupés en petits morceaux , baignant
dans le beurre avec des dattes pilées ; le tout mélangé avec
du sucre.
METS CHEZ LES ARABES i!»
,.'. * ' { Pain f&it dans un plat.
Elmetloeu,
Khobz tadjine,
Regag. Bride, — Feuilles légères de pftie au beurre.
El meehaliad. — Pâte feuilletée, nageant dans le beurre.
El messemmenn. — Pâte feuilletée qui se mange ordinai--.
rement avec du miel. Régal des jours de fête. Quand on roua
a donné des messemmenn^ vous avez été bien traité*
El mekroude. — Gâteaux de semoule où le miel et la caa*
nelle doibinent.
El gheribiya. — Gâteaux de semoule au sucre, au bewre
et au citron.
Baklaoua. — Gâteaux faits avec de la semoule, des aman-
des, du beurre et du miel.
Zelabiya. — Pâtisserie légère cuite dans Fhuile et étouf-
fée dans le miel.
Tomina. — Semoule grossière, grillée dans une casse-
role en terre et plongée dans du beurre et du miel bouil-
lants.
£1 kaak. — Gâteaux eu forme d*anneau, renfermant soit
des dattes, soit de la viande hachée.
Et, enfin, sebaa el aaroussa — le doigt de la fiancée. — '
Sucrerie, friandise pour laquelle Bagdad est citée. Elle a un
renom populaire fort ancien ; mais elle est presque incomiue
en Algérie.
Sebaa el aaramsa représente les doigts effilés d*nne jeaAe
fille ; aussi, dit^on qu'il n'y a pas au monde de main ptes
séduisante et plus belle que celle dont les doigts ressemblenit
aux sebaa el aaroussa.
Parmi les mets que je viens de citer, beaucoup viensent
de la domination turque ; ils sont totalement étrangers aux
pauvres.
Mais la nourriture chérie des Arabes, celte dont je n'ai
tt* LA VfE ARABE
point encore parlé , c'est le kesskessout que Von appelle
aussi, suivant les contrées, laam et messâfùuf. On le fait
avec .de la fsriiie da blé passée âu tamis, reniée sous
las «doigts, cuite à la vapeur, arrosée ensuite, soit avec du
MmUion, «oit avec du lait; la classe aisée y joint de la viande
de mouton^ du poulet^ des œutê durs, des fèves, des arti-
chauts sauvages, du sucre, des raisins secs et même, depuis
^nelqiie temps, mais seulement près du littoral, des pom-
mes de terre qu'on achète aux chrétiens. La farine de blé
s^ahÉidnA au moyen de petits moulins à bras, manoeuvres par
les femmes.
'Le ke$8kes$ou est la base de la cuisine arabe. Il est par-
faitement approprié au climat, et il peut recevoir, selon les
circonstances, les modifications ou les additions dont nous
avons parlé. Pauvres et riches, personne ne s'en lasse, de-
puis le commencement jusqu'à la fin de Tannée. Il s'ap-
pMte lestement, rassasie promptement, et doit être très-
commode pour des gens qui, passant leur vie en campagne,
KUaiiquent souvetit de pain. C'est le mets national.
Cependant^ quand il n'est point assez cuit — kheder, — il
est d'une digestion pénible et difficile. On ne le mange ja*
mais froid.
La nourriture des indigents consiste la plupart du temps
dHis la ilcftîekéi, blé griHé, simplement écrasé que Ton fait
liMillir avec un peu de beurre, et dans la rotrina, orge gri^
;lAs aassi, bien moulue, que l^on ne prend pas la peine de
faire cuire, et que, se trouve-t-on pressé, on se contente de
délayer avec un peu d'eati, quelquefois k défaut de récipient
4ans un coin de son bemouss. La rùiânû est une détestable
nourriture ; cependant, c'est avec elle que les gens du peuple
^anlrepreanenft leurs voryages et leurs expéditions.
METS CHEZ LES ARABES
Ils atteigne»! le même bat, tfoènd Us peavenl se prècmtr
des fèves que Fon convertit en farine.
ir est encore an mets ^tié les Araèes aiment keftueoîip,
c'est le merinex. Qiojkû. Y orge est près d'arriver à ri& nitil-
rité, mais avant qu'elle y soit arrivée^ on en coupe les é^
on les égrène, après les avoir fait légèrement gnBer, puis
on les moud avec le petit moulin à bras — rahha r^ de ma^
mère & en obtenir une farine grossière. Cette farine, an l%p-
prête av0c de l'eau ou du lait, un peu de viande salée et eu
beurre, et Ton es faraie ainsi une bouillie fort agréaUe à
manger. Les ebefs s'en régalent : dans certaines famillea,0|i
prépare le fMrme% à la vapeur, comme le keskknsou*
A<ncha, Tune des femmes de Mobbammed, disait aoavenll:
« Par le nom de Dieu, je jure que, jusqu'à la mort da Pro*
phète, nous n'avons jamais eu de farine de blé tamisée, tt
que bien rarement nous avons mangé du pain. — Et pem^
quoi vous étiez-vous condamnés à ne manger que de l'orge ?
— Pourquoi ? Mais pour obtenir la rémission de nos pécbés. »
En fait de sobriété, les Arabes vont plus loin encore.
Quand on doit oj^rer dans un pays dénué de toutes res-
sources, ce qui n'est, eertes, pas rare en Afrique, on fait
bouillir du blé dans de l'eau salée, et avee cet allaient on
peut se passer facilement, dit-on, et pendant ptaMieurs joatl,
de toute autre nourriture. Le blé, ainsi préparé, prend le
nom éeeherehem.
Tai vu encore de^ Arabes se délecter en mangeant ow
poignée de blé gâté par Thiimidité dans un aitos* ïù^Yw^
pellent hhamoumy et, cbose étonnante, Ma en fént gmnd
eas. Une tasse de petit-lait par*dessus les combla de joie.
Les Arabes connaissent, en outre, une foule de planles et
déracines contenant des principes très-natritifa<^j'andoiiÉe
aH^leurs la nomenclature^^et avec lesquelles an liarania |mit
s» LA VIE ARABE
marelier longtemps ^ans s'épuiser et sans maarir ni de fUm
ni de soif.
La elasse aisée mange de très-beau pain fait avec de la
ûffîne de blé dur ; le peuple, ainsi que je l'ai dit, mange des
g$ifiite& cuites à la hftte dans des plats de terre.
Le pain fait avec de l'orge nouvelle est un régal pour tout
Ifr monde.
Le poivre noir et le poivre rouge jouent un réle dans la
cÉisine. arabe. La quantité qu'on en mange est effrayante;
€dmme tonique^, je conçois &>rt bien qu'ils puissent rem*
placer le vin et les liqueurs fortes,, dont on ne fUt jamais
usage. Pour les pauvres, c'est une joie et un luxe tels, que,
lorsqu'un homme du peuple quitte sa tente pour se rendre à
«n marché quelconque, sa femme, après lui avoir fait toutes
ses recommandations, ne manque jamais de terminer en di-
sant^
Et surtout, n*oublie pas le poivre !
Ou ma tennssach el feifel.
On croit, cependant, que le poivre noir, pour ne pas être
malfaisant, doit être cuit avec les aliments.
Le beurre frais n'existe pas en quelque sorte. Il se bat
dans des peaux de bouc, il est salé et d'une désagréable sa,-
f eur. Si l'on ne connaissait pas le .goât des indigènes pour le
beurre rance — dehane^ — on serait tenté de croire que,
pour s'en servir, il faut de la résignation. Us lui attribuent
dm vertus médicinales très-gi*andes..
Les Arabes ont une grande passion pour le laitage ; ils
sont fous du lait caillé — ruib — ainsi que du petit-lait mé-
langé d'eau — lébenn. Chenine. — lis prétendent que cette
dernière boisson peut griser. Le fait est, qu'au printemps,
mopnent où l'on peut se la procurer en abondance, les ^pe-
METS CHEZ LES ARABES t57
relies entre particuliers et entre tribus deviennent plus firé->
quentes. Quant au lait pur de vache — hhalib el begra^ —
j'ai cru remarquer qu'on en buvait rarement. Daùs certaines
familles, on va jusqu'à lui prêter des propriétés malfai-
santes, notamment celle de donner des maladies de foie. Il
n'en est pas de même du lait de chamelle — hhalib en-naga^
— il est fort estimé, dans le désert surtout, où Ton prétend
qu'il augmente la vigueur des hommes et des chevaux. Pour
ces derniers, il remplacerait Forge d'uâe manière très-avan-
tageuse. Quant au lait de brebis — hhaUb en-nadja^ — et
au lait de chèvre — hhalib el maza^ — on en tire aussi dif-
férents partis très-utiles.
La principale fortune des Arabes consiste en troupeaux, et
cependant, à Texception des familles riches et puissantes,
ils ne mangent guère de viande que les jours de fête, ou
lorsqu'ils sont forcés de donner Thospitaiité. On conserve
les taureaux pour la reproduction, les vaches pour avoir du
lait, du beurre et du fromage, et les moutons pour s'abriter
et se vêtir avec leurs dépouilles. La vente de ces animaux
n'a lieu que dans les grandes occasions, lorsqu'il s'agit, par
exemple, de marier une fille, d'acheter un bon cheval, de
belles armes ou de faire des frais pour arriver aux honneurs
et au pouvoir. Les Arabes ont donc raison quand ils disent :
c Nos troupeaux sont la tête de notre bien — rass mal-^na^
— notre capital. »
On mange aussi avec plaisir la viande du chameau. Dans
le Tell, on ne le fait qu'exceptionnellement ; dans le Sahara,
c'est plus fréquent. La bosse de cet animal passe pour être
un mets délicat.
Quant au sanglier et au cochon — hhallouf, — les Arabes
n*çn mangent pas ; sa chair est prohibée par la loi. Solvant
le peuple, il n'y a cependant dans ces animaux qu'une seule
17
S88 LA VIE ÂKABE
pMie du corps réputée «impure ; mats, <eami»e, ssitis doute,
on ne kl connait pas, on s'abslieirt.
En cas d*impérieuse nécessité, pour sauver sa vie, on peut
«lûiger de tout, mèntie du cheval ; cependant, si o^ a te
choix entre un cochon et le cadavre d'un animal mort sttfift
avoir été égorgé, selon la formule, il faut commencer par t;e
dernier.
Tout rOrient repousse le porc de sa nonrriture, c^est Ife
damné de la création.'
c Les Libyens nomades, dit Hérodote (MelpoUnène, ch.l86),
depuis l'Egypte jusque bien loin & roccîdent de Tunis, ne
mangent pas plus de porc que les Égyptiens. ^
Chez les musulmans^ il est tellement déconsidéré, i^ue les
docteurs de la loi recommandent, le oroiraît-<m, au^Wdètes
de voler plutAt que de nangér du porc, se 4rouvât-^on éwb
k nécessité la. plus pressante. Encore aujourd'hui, i'uA déa
pins grands plaisirs des Arabes est de chasser le sanglier le
vendredi, ifai est leur dimahche, et «de le donner eii pfttut^
à 'leurs lévriers — selougui.
L'Indoustan : on se rappelle qn^^une des causes de la der-
nière révolte dé rinde anglaise fut rusage des Cai^oachés
enduites de saindoux données aux ciptfyes.
Les juifs: on sait ce qu41s en penserft. Toute l'antiquité
romaine connaissait l'horreur qu'ils éprouvaient ffour ce
malheureux animal ; aussi, après la dernière révolte de Je-
ruBalera, Adrien, pour anéantir le nom hébreu, ne trouva
rien de mieux que de foire sculpter sur les portes de la
ville, eomme me défense éternelle d'y renflrer, l'image d'nn
porc.
Sera-t-il ailleurs l-ôh^ de la même répulsion T Non. On
le mangera, mais il ne fera qœ ehanger de misère. Voici
IHSiirope couverte de forêts de chênes, de l^ral à l'Atlan-
METS CHEZ LES ARABES S89
tique. La première fois que la poésie le nomme chez nous,
elle le fait rôtir en Thonneur d*Ulysse, au fond d'une clai-
rière, au milieu de la nuit. Au commencement de Thistoire
de Rome, les premiers chants des paysans le livrent en sa-
crifice à Mars. C*est toujours lui qui, à l'occasion des fôt^s
populaires, est la victime immolée à Tautel des dieux rus-
tiques et qui meurt partout sans prestige, tout en protestant
avec énergie. D'où vient donc cette persévérance de malheur
dans deux mondes si différents 7 C*est une histoire de cli-
mat. Dans l'un, la chair du porc donne la lèpre, peut-étoe
la trichine ; dans Tautre, elle est une question d'alimeoUi-
tion pour les peuples, sans présenter les mêmes dangers.
Il est permis de manger tous les animaux sauvages doat
Ut chair n'e^t pas défendue par les livres sainte.
Quand on veut tuer les animaux dont on peut manger la
chair, il faut leur tourner la tête du côté de l'Orient, et leur
couper la gorge en s'écriant :
Au nom de Dieu ! Dieu e3t le plus grand I
Bessemellah ! AUahau akeber !
Le sang rend la chair impure : on crdU la purifier .en le
répandant. Pour rien au monde vous ne feriez fqaoger à {^
Avabe la chair d'un animal mort de maladie ou tué autre-
ment que je viens de le dire. S'il n'a pas été saigné confor-
mément A la loi religieuse, à ses yeux, ce n'est plus qu'4ine
charogne — djifa. — Cette règle s'applique même ai^gilûer.
On ne toucherait point à un animal quelconque rentrant
dans cette catégorie si, avant de mourir, il n'avait ^té saigné
au nom de Dieu, ou si, avant de I0 tuer, soit avec un hftton,
soit avec un fusil, on n'avait pas, en l'ajustant, .prononcé l^s
. paroles sacramentelles que je viens de citer.
teo LA VIE ARABB
Les doctrines, suivant les rites, varient à l'égard du
poisson.
Les unes permettent de manger tout animai vivant dans
Teau, tandis que les autres ordonnent des exceptions. La
grenouille, surtout, a été l'objet de nombreuses discussions.
La cbair des sauterelles est permise, pourvu que ces in-
sectes aient été pris vivants et tués par des musulmans.
Dans le désert, on leur enlève les ailes, les pattes, la tête, et
on les mange grillés ou bouillis avec du kesskessou. C'est,
dit-on, une bonne nourriture, aussi saine pour les hommes
que pour les chevaux, qui en sont très-friands.
Les femmes du Prophète, quand on leur envoyait des sau-
terelles en présent, les considéraient comme un^mets déli-
cieux dont elles ne manquaient jamais de faire bénéficier
leurs amies. C'est la crevette du désert.
Le kalife Aomar^ un jour qu*on lui demandait si Tusage
des sauterelles était permis, répondit : « Je voudrais en avoir
un plein panier pour les croquer. »
De tous ces témoignages, il résulte, à n'en pas douter, que
suivant les musulmans, les sauterelles ont été données à
Thomme pour qu'il en fît au besoin sa nourriture.
On ne manque pas ^e poules dans les tribus du Tell, il s*y
mange pourtant très-peu d'œufs ; on préfère les vendre dans
les villes. En tout cas, on ne sait que les faire durcir. Dans
le Sahara, il n'y a pas de poules, non qu'on ne puisse les y
élever, mais parce qu'elles gênent dans les déménage-
ments.
Les Arabes aiment beaucoup les melons, les concombres,
les pastèques, les figues et les raisins frais ou secs, les
oranges, les citrons, les grenades, les pommes, les poires, les
noix, les cerises, les pêches, les abricots, les dattes, etc., etc.
On trouve tous ces firuits dans les villes, dans les vil-
METS CHEZ LES ARABES 261
lages, autour des zaouyas, dans les oasis du désert ; mais ils
ne valent pas les nôtres. On ne leur donne pas, du reste, le
temps de mûrir, tant on redoute de les voir passer aux mains
des voleurs.
Le firuit qui est le plus en honneur, c'est le raisin. Dieu
aurait dit :
Si je mangeais, je mangerais du raisin avec du pain.
Loukane nakoul^ nakoul el aaneb maa el kessera.
Ceci nous donne la mesure de bonheur qu'on doit éprou-
ver sous un ciel en feu, à boire, pour ainsi dire, un pareil
Aruit.
Quant aux dattes, il faut, autant que possible, les numger
avec du kesskessou^ de la viande ou du lait, autrement elles
peuvent faire mal.
Les dattes avec du lait,
N'en mange que l'ami.
Temerr ou Ihhalib.
Ma lakoul'houm ghér Ihhabib.
Ce luxe est interdit aux pauvres.
Le peuple Arabe possède, on le sait, de nombreux trou-
peaux, le lait ne lui manque donc pas; cependant, il ne con«
natt qu'une espèce de fromage. Pour le faire, on caille le
lait avec de la fleur d'artichaut sauvage ou avec de l'herbe
non digérée que l'on rencontre dans l'estomac des moutons
qu'on a égorgés. II en sort un fromage blanc , compacte,
mais qui ne se conserve pas, parce qu'en général, il n'est
pas salé.
Les riches seuls prennent du café, sa réputation est méri-
tée, bien qu*on le serve avec le marc, ce que les Fluropéens
n'aiment pas. Son goût est agréable : on y ajoute un peu de
Î6t LA VIE AUABE
fleur d'oranger ;. il est léger et ne trouble pas le somaieil
coaiiiié le nôtre.
Depuis qu'on peul se le procurer à des prix modérés, ce
qui n'existait pas pendant la guerre, on rencontre, parlMs, à
proximité de certaines tribus^ des tentes ou des gourbis —
cabanes — décorées du nom de café. Ces établissements no-
mades sont tenus avec la permission des cbefs. On n'y voit
pas d'autre ameublement que des nattes pour s'asseoir. Les
cartes y sont probibées, le tabac y est toléré, le jeu de dames
y eBt eh honneur. C'est là que les simples cavaliers, les roya-
gettrS'et les commerçants vont, après une journée de far*
tigues se délasser et écouter, dans le plus gi*and recueilleK
nmaXi ees conteurs intarissables qui cbarment leurs loîstfs.
Vous pourriez, si vous étiez musulmans, y enleiidre quel-
ques cbants populaires ou le récit d'un événement impor-
tant qui vit toujours dans la mémoire des populations.
Depuis que nous sommes en Algérie, pas une ville n*a été
prise, pas un combat sérieux n'a été livré, quin*aîtété chanté
par quelque poète arabe.
Le peuple dont nous nous occupons ne vit que de traditions;
l'histoire est presque tout entière pour lui dans les récits et
dans tes chants populaires, où son esprit enthousiaste a con-
signé, pour l'éducation virile de ses enfants, les faits dans
lesquels il a cru voir le doigt de Dieu. L'érudition et la poli-
tique y découvriraient une mine inépuisable d*études et de
renseignements qu'on a malheureusement trop négligés.
C'est, en un mot, la littérature nationale, et c'est là qu*on
peut véritablement trouver l'empreinte du caractère d'une
nation qui nous ferme son intérieur, et dont les habitudes,
antipathiques aux nôtres, empêchent de bien apprécier les
actes.
Quoi qu'il en soit, le conteur arabe porte le nom de kher^
METS GH«Z LBS ARABES i63
rfl/ OU de fedaoui. 11 joue ùu grand râle dans \»& caHé et
dans les tribus. Pénétré de son importance, il affecte lés al-
lures aristoeratiques., et le bemoHss dans lequel il se drape
ms^estueusemont, comme s*il était Fégal des plus saTanIs
toUw-^ est, sinon pluJs fin, du moins plus propre que celui
du oommuii des oMHPtels. 11 salue les habitués, qui Vattendenl
impatiemment, d'un air de proteclion, et s'assied gravemeni
à la place (\}à Vui est réservée. Quand il a commencé son
histoire, gardiez-veus bien de laisser poindre le moindre
signe de distraction, il s'arrêterait tout court el ne continue*'
rait que si vous lui prouviez que vous n*avez pas perdu un
seul mot de ce qu-il a dit. Il s'arrêterait encore si, après
chaque pause, vous ne l'encouragiez pas par ces paroles : £1-
itaam ya^ sidi! C'est bien cela, monseigneur! Souvent le
kherraf est très-intéressant à entendre : on est étonné de
voir un homme qui, d'ordinaire, ne sait ni lire ni écrire,
parler avec une facilité admirable et parler des heures en-
tières sans se reprendre une seule fois. Grâce à sa féconde
imagination, il mesurera son conte ou son histoire au temps
que vous pouvez lui accorder ; il vous racontera au besoin
plusieurs fois la même chose sans devenir monotone, parce
qu il saura improviser de nouvelles situations et inventer
d'autres détails.
Le kherraf y soit pour varier les plaisirs de ses auditeurs,
soit pour se reposer, alterne toujours avec le trouvère —
meddahhj — ce commis voyageur de la guerre sainte, qui,
depuis notre arrivée en Algérie, ne fait qu'exciter les masses
contre nous, en apprenant et en reportant aux populations
des chants de haine qui provoquent toujours de frénétiques
approbations.
Celui que je vais donqer ^ éi^ fait, par les Arabes» en i848.
A cette époque, leur SQi^^iii^an 4amit déjè 4ci ^W^ a99 ; ils
964 LA VIE ARABE
ayaient tant bien qncf mai répare leurs pertes, et le moment
leur paraissait venu de tenter de nouveau le sort des armes*
Ils supplient donc Fémir Àabd-el-Kader qui, après la prise
de la Zemala, avait été rejeté dans le Maroc, de reve-
nir se mettre à leur tête pour en finir avec les chrétiens.
Ce chant a été la Marseillaise de la grande insurrection de
De qui le tiens-je ? d*un officier de la cavalerie rouge de
l'émir : mourant de faim, sa fortune détruite, ses femmes dis-
persées, il était venu demander à servir dans nos spahis, non
par amitié pour nous, mais pour y trouver du pain. Je dois à
la vérité d*ajouter qu'il se conduisit vaillamment en toute
circonstance.
CHANT DES ARABES
lis tupplioit l'émir Atbd-el-Kad«r do venir let délivrer du chrétien
Héros renommé, terreur des infidèles,
Toi qui as soumis à tes lois,
Les plaines et les montagnes.
Les Arabes et les Kabyles ;
Toi qui détestes ceux qui mangeut du cochon.
Et qui boivent du vin dans des verres.
Réveille-toi de ton sommeil.
Les vrais croyants sont dans la peine :
Reviens, pour bénir nos linceuls.
Ou prends les armes pour nous venger.
Ils sont chez nous les impurs qui triplent la Divinité
Et se prosternent devant un morceau de bois ;
Le corbeau du malheur les avait annoncés:
METS CHEZ LES ARABES ttô
La terre en est couverte comme d'un habillement lugubre,
Leur horrible tambour hurle dans nos campagnes.
Et Foiseau des ténèbres lui répond en gémissant.
Allez, mes larmes, coulez ; nagez sur ma figure,
Notre pays n*est plus qu'un cimetière ;
Quand viendra donc pour lui le jour de la résurrection ?
Les temps sont bouleversés :
Plus de modestie, plus de politesse.
Beaucoup de médisance et de vanité ;
On est noyé dans le péché.
Le sage est devenu menteur,
L'argent est devenu cuivre,
Le léger nous paraît lourd.
Ces calamités, l'impie les appointa !
Les enfants mêmes en ont blanchi ;
De chagrin, leur corps s'est courbé comme un arc.
0 mon Dieu ! maudis-le dans ce monde et dans Tautre.
C'est le peuple de la démolition :
On trahit, ou inquiète les vivants ,
On plante la croix dans nos mosquées ;
Les morts tressaillent dans leur tombeaux.
On disperse les hommes de Tobéissance,
On humilie les musulmans^
Les juifs seuls sont glorifiés.
Qui Taurait jamais cru ?
On les entend aujourd'hui murmurer contre nous des paroles;
Seraient-ils, par hasard, devenus des Turcs?
Les réprouvés ont des flèches au bout de leurs fusils —
baïonnettes ;
De loin, elles brillent avec éclat :
Wi LA VIE ARABE
ClMCWi 4*eiix perle une boateiUe, -^ gvarcb
Un verre aussi» pour que te «echoApaisse bMre ;
Us sont ferrés comme des. cheyaax.
Ils sont biKe coiaiBe des baudela; — ie sae.
Et, quand ils sont ivres, ils chargent, saoft asu^
Dans leur fureur, ils ont dit :
c Nous abaisserons les Arabes ;
Us nous payeront des coutributioos ;
Nous en prélèverons sur les troupeaui^« sur l<)a v4c<4tes»
Sur les hert)ages, même sur les poules ;
Us nous appelleront monseigiMUir -^ iidi.
Et ils viendront nous baiser la maiu< *
Avons-nous assez bu dans la CQupe wn^re 4tt 44sbMU^«r •
Qui nous délivrera de nos suffocations ?
0 geps de Dieu, venez à notre secours !
Chaque Jour, on voit des musulmans
Choisir Tenfèr au lieu du paradis :
Les infâmes se font les gendarmes des chrétiens ;
Us les aident à piller leurs frères ;
Nos misères et nos pleurs les réjouissent ;
Le monde entier connaît leurs turpitudes ;
Le monde entier verra leur, peu de jugement.
Les gendarmes des chrétiens : quand les tribus commen-
cèrent à se soumettre, et que les Arabes consentirent à marcher
dans nos rangs, la consternation fut grande chez ceux qui se
disaient les purs, surtout chez les grands chefs nommés par
l'émir Aabd-el-Kader. Ces derniers firent tous leurs efforts
pour arrêter tes défections ; voici un spécimen de leurs pré-
dications fanatiques :
c U n*y a pas d'action plus blâmable sur la terre que celle
METS CHEZ LES ARABES 267
de servir les infidèles, comme U n*y a |^as de plus maovaiie
excuse aux yeux de Dieu 411a ecUe de la peur. Dans Les cir-
constances ou voift voua trouves, elle eat tout à bit ioM-
missible, parce que c'est la fuite qui voua eat preserîtoA et
que le pays de3i iQUSulmaas est assex vaste pou;r vous, rece-
voir. Rappelez-vous (^e le oionde> e'ost la priafoa du cro^yai^t
et le paradis de Timpiâ ; n*eii demaudea donc que gq qiui
convient au passage d'un skaple voyageur, et n'allés. §1^9
chaque jour, avilir votre religion en secouant le joug c|^
lois divines et en vous rangeant sous le drapeau des chré-
tiens, etc., etc. » (1).
Oui, pervertis que vous êtea>
Les moines vous ont trompés :
Vous avez vendu vos imes ;
Mais Iteure de l'infidèle passera,
Et les décrets s'accomplironL
Vos demeures seront habitées par les chiens.
Vos femmes et vos ènfauls iront pieds nus„
On vous saluera comme on salue des ânes ;
Vous compterez au nombre des maudits.
Quel bonheur peut-on trouver avec les roumis ?
Toujours en prison dans les villes,
L'air qu ils respirent est impur ;
Us n*ont ni chasses, ni parties de plaisir.
Et sur chaque dizaine d'hommes^
Il y a un homme pour les garder.
Ah ! traîtres, vous avez changé votre repos en deuil ;
Que direz- vous au jour du jugement?
(1) Circulaire du kalifa si Hhanied Beti Salem aux tribas de son
goaTcrnemeot — 1844.
i68 LA VIR ARABE
Si TOUS quittez les gens du crime.
Vos péchés vous seront pardonnes ;
Et nous redeviendrons frères comme par le passé ;
Si vous restez dans votre idolâtrie.
Le sorcier y lui-même, ne pourra vous sauver.
Avec des balles chaudes, nous vous rassasierons,
Votre sang coulera comme des fleuves ;
Vous aurez beau vous déchirer les joues.
Nous vous ferons manger par les corbeaux.
Mais c'est assez supporter la honte,
Les tribulations, la défaite et le mépris.
Achetons une mort honorable^
En vendant nos vies au Tout-Puissant.
Où sont les médecins qui guérissent les f\ractures ?
Où sont les maîtres de l'heure qui disposent d'une époque?
Où sont les braves qui veulent une revanche ?
Où sont les ogres de la foi ?
Qu'ils viennent des quatre coins du monde ;
Il faut régler nos comptes, il faut exterminer les loups!
0 notre sultan, ô notre maître !
0 notre seigneur Aabd-el-Kader !
Accours avec tes cavaliers rouges.
Et donne aux croyants un rendez-vous.
De Tlemcen à Gonstantine,
De la mer jusqu'au Sahara,
Petits et grands, nous te suivrons.
Le pays est comme un tapis d'amadou,
Tu seras rétincelle qui le mettra en feu.
Hàte-toi, nous t'attendons :
Nos feux pétilleront.
METS CHEZ LES ARABES fi09
Tous ensemble nous nous élancerons,
Les adorateurs des idoles, nous les chargerons, .
Et, s'il platt à Dieu, nous les chasserons.
Ils iront habiter leurs bateaux ;
Nos contrées respireront.
A répoque où ce chant a paru, les hommes politiques et
les hommes de religion faisaient croire au peuple arabe que,
n'ayant point de terres cultivables dans notre pays, nous ha-
bitions des bateaux sur les mers et sur les fleuves. De là la
pensée que, si nous avions tenté la conquête de TÀlgérie,
c'était pour apaiser une faim qui nous poursuivait sans
lâche.
Oui, que le sabre et le couteau.
Coupent en morceaux les ennemis de notre foi :
Leurs cadavres pourriront sans sépulture.
Ce sera la difa des aigles et des vautours ;
Avec leurs têtes de chiens nous ferons des fêtes ;
Nos enfants s'en amuseront.
Le temps presse, brûlons le père et le fils.
Et que la mère, ses sœurs et ses filles,
Soient aussi brûlées dans l'enfer !
0 mon Dieu ! vous dont la gloire est sans égale ;
0 mon Dieu ! vous, le seul digne d'être loué ;
Multipliez les malédictions,
Brisez la fortune des infidèles ;
Semez la crainte dans leurs cœurs ;
Et faites-nous mourir bons musulmans.
0 notre seigneur Mohhammed I
Vous qui savez faire réussir les vœux ;
Intercédez pour nous, préservez-nous de l'erreur,
-tro LA VIE ARABE
Et délivrez-nous de 4a ttpre do olïTëtieii.
Faites-Jui boire le fiel dans une coq pe épîneiiBe.
Nous vous en prrions par Aali, par Atlnnami,
Par Abou-Boker, par Aoinar,
Par tous vos vaillants compagnons ;
N'ont-ils pas autrefois subjugué le monde ?
Quand on aura lu ce cbantétrange* où respire le fanatisme
le plus ardent, et qui a été conrposé, du reste, au plus fort
de la guerre, on saura, à peu près, tout ce que les Arabes
dSftetit de nous dans ^urs poésies populaires. J'en possède ttn
'glMsû nombre : on y trouve la mévSt fiaine, les mêmes aspi-
rations, les mêmes reproches formulés d'une manière presque
identique. Si j'en ai le temps, je les publierai un jour.
Je reviens à mon sujet.
Le peuple mange avec les doigts : chez les gens aisés, on
se sert de cuillers en bois ; nulle part on ne trouve de chai-
ses, de nappes, d'assiettes, de fourchettes^ de bouteilles et
de verres. Que ferait-on sous la tente de tout ce mobilier
fragile et compliqué ? Que devien4rait-il, surtout, pendant
les changements de résidence, ies déménagements qui ont
toijgours lieu à dos de mulet, d'ftne ou de chameao, et com-
ment les remplacerait-un ? On wrt le keeskessoii dans un
grand plat en bois nommé '§ue9taa ; les autres mets dans de
la poterie aussi grossière que solide ; et tout le monde boit à
la ronde dans une écuelle en terre ou dans un vase en
cuivre. Quand les Arabes assistent à nos repas, étonnés par
le bruit de nos ustensiles de table pour ne* voir, en définitive,
METS CHEZ LES ARABES iTt
purattre que (las nets peu sobstantiels en «omparaisoii des
leurs, ils ne manquent fsmais de dire en i^emraat clies eox :
Chez les chrétiens, il y a beaucoup de cliquetis ;
Mais peu de chose à picoter — manger.
Aand en^nessara tekerkib^
Ou kollei enrnékib.
Les Arabes nomades ne se servent pas de tables — mida.
— Quand ils veulent manger, ils étendent tout sia^plement,
dans le milieu de la tente, un tapis souple en peau tannée.
Ce tapis ae doit être employé à aucun autre usage ; il est
plié soigneusement et enfermé dans un lieu où il ne MtàX
exposé à aucun contact impur. Il a porté la nourriture que
Dieu envoie» il a réuni autour de lui, dans une commuoioa
fraternelle, plusieurs fidèles que les hasards de la vie no-
made vont disperser demain peut-être aux quatre coins 4e
l'horizon ; le même plat a servi à tous, que le tapis soit donc
sacré comme le pain, père de la vie.
Le pain ne doit jamais tomber à terre. Quand un Arabe
en trouve un morceau perdu, il le jramasse religieusement,
le baise, le mange ou le fait manger. Les restes de la table
doivent être distribué»aux pauvres, et les miettes recueillies
avec soin. Il vaut mieux les donner aux animaux que de les
laisser 4ratner à teire. On jure par le pain :
Par la bénédiction du pain. ^^
Berkete m-naama.
Ce respect du pain s'étend jusqu'à ne jamais se servir d^
couteau pour le toucher», ce serait lui faire violenee. La
noarrilore donnée par Dieu et bénie en son nom «avant le
STi LA VIE ARABE
rejMis, ne doit pas être souillée par le voisinage même d'un
instrument pareil. La table est vénérable et sacrée ; rien de
profane n*y peut être admis. Cest à ce point que, si l'on voit
quelques grains de blé par terre, on doit ôter sa chaussure
pour aller les ramasser.
Les Arabes du peuple ne font usage ni de vin, ni de bois-
sons fermentées, et, quant aux cbefs, aux tolbas, aux cava-
liers du Makhzenn, qu'on aurait pu voir buvant des liqueurs
fortes, ils sont, je Tai déjà dit et je le répète, complètement
déconsidérés aux yeux des populations.
Si les Arabes ne boivent pas de vin, bien qu'avant la ve-
nue dti Prophète, leurs ateux l'aient glorifié dans toutes
leurs poésies, ils sont, en échange, très-difficiles sur le choix
de Teau qui, avec Te laitage, doit être leur unique boisson.
Telle source dont ils auront éprouvé la saveur particulière
et les propriétés salubres sera leur chàteau-margaux, telle
autre leur clos-vougeot, etc., etc. Ils ne négligeront rien
pour s'en procurer. En un mot, ils savent déguster Teau
avec une délicatesse de goût comparable à celle qu'emploient
ponr les vins les courtiers les plus renommés de nos pays
vignobles. Et non-seulement, quand ils peuvent la trouver,
ils veulent Teau bonne et saine pour eux et leur famille,
mais ils la recherchent encore pour leurs animaux.
Dans nos expéditions, j'ai vu souvent, après de longues
journées de marche, par des chaleurs intolérables, par un
vent du sud qui nous soufflait le sable et la poussière au vi-
^kge, quand, cavaliers et fantassins, tous haletants, inertes,
épuisés, nous nous laissions aller, affaissés, à un repos fati-
gant encore et parfois troublé par des alertes que nous cau-
sait l'ennemi rMant et tournoyant aux environs, j'ai vu, dis-
je, des Arabes qui marchaient avec nous, se rendre à une
Ueue du bivac pour faire boire leurs chevaux à une source
METS CHEZ LES ARABES 273
pure qui leur était connue. Us aimaient mieux risquer ainsi
leur vie que d'avoir la douleur d'abreuver leurs chevaux
dans les ruisseaux peu abondants du camp, ruisseaux dont
le piétinement des hommes et des bétes de somme avait
souvent fait autant d'infects cloaques.
Les ArsCbes du désert disent :
La meilleure nourriture est Torge ;
La meilleure chair, celle du chameau,
Et la meilleure eau, l'eau du ciel — des mares.
Khiar el makela^ chaaïr;
Khiar el Ikhamm^ Ihhamm el baatr,
Ou khiar el ma, le ghedir.
Peu de personnes, je crois, seront de leur avis.
On trouve aussi dans les conversations du Prophète :
Il y a trois choses dans le monde qui font le bonheur des
croyants :
La beauté, la verdure,
Et le bien qui court — l'eau.
Zine ou le khadouri,
Ou le mal djari.
C'est-à-dire les rivièi*es, les sources et les ruisseaux;
Teau enfin, si précieuse dans les pays arides, parce qu'elle y
assure et conserve la vie.
L'eau répandue sur la table, par hasard, est un bon pré-
sage. Ainsi du café, du lait et de l'huile ; ce sont les biens ';>*
de Dieu, il nous les a donnés; qu'ils se répandent, il les
remplacera.
L'eau sort du paradis : elle est la source et le symbole du
bonheur.
Ce serait le plus énorme de tous les péchés que de cra-
18
r?4 LA VIE ARABE
cher dcftguH, oomroo, du reste, sur tout ce qui vient de Dieu,
fVLv riionime, sur les fleurs, aur le feu, cnèine sur les ani-
maux.
Tels sont donc aujourd'hui le respect et la prédilection
que les Arabes ont pour Teau, quand cependant, s'il faut en
croire ces vers charmants d'un poëte do leur nation , ils ont
autrefois beaucoup aimé le vin :
Chez nous, on aime à boire, au milieu des roses,
La liqueur couleur de rose ;
Et nos vins, que Ton peut comparer k des perles enchâs-
sées dans de lor.
Auront toujours la vertu de rapprocher les rangs les plus
éloignés,
Et de faire épanouir les visages les plus sombres.
Je ne quitterai pas l'eau sans dire que les Arabes en
voyage ne boivent jamais d'eau que' la marche a battue et
. que le soleil a chauffée dans les outres, avant de lui avoir
ait prendre l'air un instant. Il disent :
Bois à la bouche de la vipère ;
Mais ne bois ja nais k la bouche de la peau de bouc.
Echrob menn fotitn lefaa;
Ou la techrob memx.foum el guerba.
Pour mettre l'eau en contact avec l'air, on boit à la réga-
lade.
F.es Arabes estiment très-peu ceux qui mangent d'une ma-
.' nièrf déréglée ; quand, par sa faute, un homme est affligé d'un
excès d^embonpoint, ils ajoutent d'ordinaire h son nom le
sobriquet ironique de :
Bou kerch — le père du ventre.
Du temps des Turcs, on fit un jour cadeau, dans la pro-*
METS CHEZ LES ARABES S75
viuce d'Onn, k un hey qui était obèse, d'une selle splcndide
dont les étriers étaient en or massif et dont tous les acces-
soires étaient délicieusement brodés. Il voulut l'essayer sur-
le-champ ; il fil seller un cbevnl, Tenfourcba; mais il mit
aussitôt pied à terre, en faisant connaître d'un ton dédai-
gneux qu'il la trouvait trop étroite. Les chefs arabes qui la
lui avaient apportée, profondément blessés de ce manque de
savoir-vivre, lui dirent alors sèchement : « Ce n'est pas U
selle qui est trop étroite, c'est ton ventre qui est trop gros. >
Puis ils se rjtirèrent iiumédiatement dans leurs tribus.
Le gouvernement eut toutes les peines du monde à calmer
leur irritation qui se traduisit par des mouvements insurrec-
tionnels.
Aaïcha prétend que le Prophète voulant acheter un esclave
lui lit offrir des dattes. Le pauvre diable en mangea tant et
avec une avidité telle, que lenvoyé de Dieu, grand partisan,
comme on le sait, de la sobriété, le renvoya en s'écriant :
- Trop manger nuit.
La modération dans le boir^ et le manger est donc en
grand honneur parmi les Arabes; on trouve cependant chez
eux des individus qui se font une réputation de gros man-
geurs. Leur souvenir est devenu légendaire ; mais les gens
expérimentés ne les citent que pour inspirer le dégoût de
l'intempérance qui, diaprés eux, diminue toujours la vigueur
et les qualités d'un guerrier.
Il ne manque pas, je le sais, de gens qui prétendent qu'au-
tant les Arabes paraissent sobres et modérés, dans la pra-
tique habituelle de la vie, autant ils se montrent voraces
quand ils trouvent occasion de satisfaire leur appétit sans
qu'illeur en coûte rien. Il y a du vrai dans cett3 assertion.
N'allez pas cependant en conclure que, s'ils le pouvaient,
chaque jour, ils commettraient des excès de nourriture, vous
rie LA VIE ARABK
seriez dans l'erreur. Au bout de peu de temps, ils retour-
neraient avee un grand plaisir à leur modeste kesskessou.
Voulant en avoir le cœur net, j'ai, moi-même, fait plusieurs
fois cette expérience, et toujours j'ai obtenu la preuve de ce
que j'avance. La plus décisive dont j*aie souvenance est
celle-ci :
En 1838, pendant que j'étais consul de France à Mascara,
on amena un jour chez moi un Arabe de la tribu des ff/m-
chem qui, à la chasse, avait eu la main gauche presque em-
portée par son fusil dont le canon venait d'éclater. Il était
de noble origine, on le disait môme parent de l'émir Aabd-el-
Kader. Nous lui donnâmes tous les soins imaginables ; mais
la blessure était tellement grave, que M. le docteur War-
nier, médecin militaire distingué, alors attaché au consulat,
fut obligé, pour le sauver, de lui séparer la main en deux
parties par l'amputation complète de l'annulaire et du petit
doigt. Avec la résignation qui caractérise sa race, le Hha-
cheini supporta sans sourciller cette douloureuse opération
qui, du reste, réussit admirablement Nous le gardâmes chez
nous, c'était le moyen de lui épargner des allées et des venues
pour les pansements ultérieurs. Les voitures étant complè-
tement inconnues dans sou pays, il aurait été obligé d'entre-
prendre ces déplacements à cheval ou a dos de mulet, ce qui
l'aurait fait horriblement souffrir.
Nous lui offrîmes notre table ; il accepta. Ce que cet
homme mangea, pendant les premiers jours, est incroyable;
tout ce qu'on nous servait disparaissait avec une célérité qui
nous donnait à réfléchir fortement, je l'avoue, sur celte so-
briété si vantée des Arabes, et nous commencions à en dou-
ter beaucoup, quand, un malin, se trouvant en pleine con-
valescence, nous le vîmes entrer dans notre appartement, où
il nous tint ce langage : *
METS CHEZ LES ARABES 277
— Mes frères ne nrauraient pas soigné mieux que vous ;
j'étais dans l'étroit — dans rembarras, — et, avec l'aide de
Dieu, vous m'en avez tiré. Depuis que je suis votre hôte, j'ai
mangé de votre bien et vous ne me Tavcz certes pas ménagé.
Que Dieu vous le remplace et vous couvre de sa protection !
Aujourd'hui, je sens qu'il m'est impossible de continuer nne
pareille existence; la vie, pour nous, doit être rude; je
crains de m'habituer au bien-être et à la mollesse ; ne m'en
veuillez pas, permettez-moi de rentrar dans ma tribu et re-
cevez mes adieux.
Notre Arabe était en bonne voie de guérison ; le docteur
lui donna son exéat. Nous le revîmes de loin en loin; ja-
mais il n'accepta plus notre dîner, qui, modçste en réalité,
lui avait toujours paru un repas somptueux.
Mais il est temps de terminer : je le ferai en citant encore
quelques préférences et quelques préjugés arabes au sujet
de la nourriture. Chacun en croira ce qu'il voudra.
Le Prophète préférait la viande à toute chose; suivant lui,
elle augmente la finesse de l'ouïe. Toutefois, il recomman-
dait souvent d'honoi*er le pain, et il disait qu'on l'honorait
en le mangeant tout sec.
Mobhammed aimait aussi la courge qui a la vertu de
rendre la force à une ftme attristée, tout en donnant de la
consistance au foie, en même temps qu'elle raffermit le cer-
veau. Il ne détestait pas non plus les lentilles, parce que, di-
sait-il, elles ont le pouvoir de disposer le cœur à l'attendris-
sement et les yeux aux larmes.
Benn Sahel prétendait que le riz prolongeait les jours des
hommes. Il est certain que les Indiens qui ne mangent que
du riz ont toujours des rôvcs agréables, et qu'ils vivent assez
longtemps.
Benn Mannssour a dit : « Celui qui s'abstient de manger
%n LA VIE ARABE
de la viande pendant quarante jours, dépéiit. ( Les musul-
mans font-ils ainsi allusion à notre carême ? ) Et celui qui,
pendant quarante jours, ne mange que de la viande, devient
inévitablement cruel. »
Si Tabar s*élant pi'i^senté cbez Tëmir Dolla, le trouva a^sis
devant une corbeille remplie de bananes; mais le prince
ne l'invita pas à en manger. Il lui en demanda la raison.
— Faites-moi Téloge de ces fruits, lui dit l'émir, et vous
attres acquis le droit d*y toucber.
— La banane, s'écria alors si Tahar, est un lingot d'or
farci.de beurre frais ; elle est plus douce que le miel et plus
fondante que la moelle ; on peut facilement la peler, la cou-
per, et elle glisse sans effoH dans le gosier qu'elle imprègne
de douceur.
Et enfin, Bou Harirate avait coutume de dire :
« Les dattes préservent des rbumatismes ;
» Le miel, pris à jeun, garantit des convulsions ;
y> Les grenades assainissent le foie ;
» Les raisins secs conviennent k une santé altérée ;
» Le céleri rétablit Testomac et donne à l'iialeine une
bonne odeur;
» Et celui qui mange beaucoup de coings est sûr d^avoir
beaucoup d'enfants. »
Les Arabes sont aussi convaincus que le caractère de
l'bomme subit malgré lui Tinfluence des aliments dont il se
sert. Ils ont même un dicton a et égard. Je le tiens de Te-
rnir Aabd-el-Kader.
Cinq mangent cinq.
Khainssa ijakoulou khamssa.
Voici connnent ils expliquent c^s i):iroles :
Sur la terre, il y a cinq peapb's qui ont du goût |)Our
METS CHEZ LES ARABES ti79
v'nu\ animaux différents , dont ils contractent les habi-
tudes.
Les Chrétiens mangent le porc : ils ignorent le sentiment
de la jalousie, et sont en général gourmands et cupides.
Les Turcs mangent le cheval : leur cœur est endurci ; ils
manquent totalement de miséricorde.
Les Egyptiens mangent les rats : comme eux, ils sont
portés au larcin.
Les Nègres mangent les singes : ils sont passionnés pour
la danse.
Les Arabes mangent le chameau : comme lui, ils sont
très-disposés à la rancune.
CHAPITRE HUITIÈME
HOSPITALITE
Mahomet cq fait un dogme— Hospitalité publique, religieuse
et privée. — Lu Senndouk, babut des Arabes. — Les Arabes
sont des conteurs charmants. — La Ghomza, clignement
imperceptible de l'œil. — Cassez la glace, vous trouverez
rhypocrisie. — La tente de campagne. — Guitoune. — Un
invité de Dieu. — Les pantalons et les sous-pieds. — Si
vous ne voyez pas la femme, elle vous verra. — Défauts
qu'il faut éviter îi table. — Principes pour les invitations.
— Règles à observer avec les invités. — Départ de l'hôte.
— Grâces accordées par Dieu à celui qui est bospilalier. —
La légende des sept cœurs. — Hospitalité de la mer.
L*hospitalité est Vnw des caractères dominants des races
sémitiques. Quelque loin qu'on remonte dans l'histoire de
rOrient, on retrouve partout cette vertu en honneur. Si nous
ouvrons le plus ancien des livres, la Genèse, nous voyons
Lotb s'agenouiller devant les anges qui ont revêtu la forme
humaine, et les supplier de s'arrêter chez lui afin qu'il puisse
leur laver les pieds et leur offrir la nourriture dont ils
paraissaient avoir besoin ; nous voyons Sarah préparer de
SSa LA VIE AHAUli
ses iiiitiHs I)'. rii|jiis des liotes irAbralmiii, el Kébccea courir
à la S(]uri«! voisine |)(ku' eu rappoi'ler l'eau iit-cessaire aux
invités de Dicir, aux hftlcs.
Lorsqu'au roueontre aiiitti les itiâiiies mœurs n'iinudues
depuis les preitiiejs âges du monde sur une luiniensc élen-
due du pays, un serait saisi d'un profond élonncnietit, e(
tout u il lu l'eu ornent porté 'a se demander comment elles ont
pu se perpétuer jusqu'il nos jours à travers les ^'énératious,
si l'on n'ariivait bientôt à conipreudre que l'Iiospilalité est
pour les Oricutaux )a condition essentielle de leur exislence.
El) effet, au milieu de leur vie nomade, de ce va-et-vient
perpétuel de (,'ens vivant sous lu tente, loin des villes et de
leurs ressources, pour arriver à établir des relalioiis poli-
tiques ou commerciales, pour enlrelunii- des nipports utile»
soit avec la famille, soit avec la Iribu , il fallait évidCLiniient
inventer un lien qui, sur des. espaces immenses, rendit pos-
- sibles les voyages et les déplacc;ucnls. De là, ce terrain
iieulre uceep'é pur lous, que l'on appelle l'hospitalité et sur
lequel l'homme isolé peut trouver, momentanément du
moins, prolectijn, sécurité et iniîn-ètrc, ii la coiidiliou dt
rendre le Icudeinaùi le sertii'c i|u'l1 aura reçu la veille. Il y
a donc, nu fond de ce qui excite nos synipatliics et notre ad-
miration, un calcul intelligent, un sentiment ti-ès-prononcé
d'intérêt personnel que sut développer encore, avec une
extrême Iiabilctc, l'Iiouime étonnant qui devait porter si haut
et si loin la renommée du nom arabe. Hohhammed avait
beaucoup voyagé, il avait connu la séparation, l'exil, les
difficultés de la vie nomade ; mieux que tout auii'c, il devait
dnnc comprcndi'C l'ulililé <lc créer, entre les peuples qui
comriiejiçaicut à se ranger sous sa loi, une sorte de garantie
personnelle; aussi s'empressa-t-il de donner une conséei-a-
lion divine à des principes suivis avant lui, mais variables,
HOSPITALITÉ »3
et qu'il fixa. Le Proplièlc musulman, dans celte circon-
stance comme dans beaucoup d'autres, ne fut point un no-
vateur, ce fut un réformateur de génie : au lieu de heurter
les idi^es re(*ues, il s'appuya au contraire sur elles, pour les
modifier dans un sens meilleur. D'une qualité , il fit' un
dogme ; l'hospilalité devint, entre ses mains, une condition
essentielle de salut dans ce monde et dans l'autre. Il alla
plus loin, et, si le Koran, qui est, d'après les Arabes, la pa-
role même de Dieu, impose d'une manière formelle ce de-
voir sacré connue preuve d'union et de fraternité, comme
moyen de rapprochement entre étrangers, souvent même
entre ennemis, les conversations de Mohhammed — Hadite"
Sid-na Mohhammed — recueillies avec soin, contiennent en
outre de fréquentes leçons sur la manière de l'accomplir
avec dignité, avec sympathie, sur les traitements affectueux
que se doivent réciproquement les hôtes. A ce point de vue,
l'envoyé de Dieu, — rassoul Allah, — déjà législateur civil,
politique et religieux, déjà promoteur de l'unité nationale,
serait encore l'anleur du droit des gens chez les musulmans,
le codiflcateur des relations individuelles, le père de l'éli-
quetle arabe, et de ce que j'appellerais l'urbanité, si l'étymo-
logie de ce mot permettait de l'appliquer à un peuple vivant
sous la tente, et dont les grands seigneurs, les meilleurs gen-
tilshommes dédaignent volontiers les habitants des villes.
Ce qu'on sait d'ailleurs des cours brillantes de Damas, de
Bagdad, de Tlemcen, du Maroc, de Cordoue et de Gre-
nade, prouve que les kalifes ont été les dignes successeurs
de Mohhammed, comme le peu de temps écoulé entre l'ap-
parition de celui-ci et Tépoque où ces cours eurent le plus
d'éclat, démontre aussi que c'est au Prophète seul qu'appar-
tient l'honneur d'avoir posé les règles de rhos;)italité arabe,
telle qu'elle est pratiquée maintenant, et, c'est là le point
884 LA VIE ARABE
capital, de l'avoir tcHeiiiciU liée ù la religion, qu*elle ne
8*en distingue plus en aucune manière.
Les considérations qui précèdent n*étaient pas^ je crois,
inutiles pour expliquer comment je vais ôtre amené à ne pas
séparer des choses qui, s*il s*agissait d'un autre peuple,
sembleraient tout à fait sans rapport ; c'est-à-dire l'hospita-
lité, devoir de religion, la bienfaisance, devoir aussi d'ordre
religieux, mais dont Taccomplissement se manifeste par des
institutions politiques et administratives, et enfin l'étiquette
générale et la politesse privée.
Si donc, dans cette étude, je mets souvent en scène et
quelquefois ensemble les sultans, les grands seigneurs, les
saints et les hommes du peuple ; si je passe brusquement du
palais ou de la mosquée aux simples détails d*un repas, si
je tente de montrer la relation qui peut exister entre un
mets de table et un verset du Koran, qu 0:1 ne me blâme
pas, j'y suis entraîué par la force des choses. Au contraire
de nous autres chrétiens, les Arabes disent : Bessemellah,
au nom de Dieu, avec autant de solennité quand ils (égorgent
un mouton pour le manger, que lorsqu'ils tirent le sabre pour
défendre leur pays et leur religion. A Tacte le plus insigni-
fiant en apparence préside toujours la préoccupation du sa-
lut éternel, au moins tel qu'ils l'entendent. Que voulez-
vous ! ce qui serait pour nous une banale formule, est pour
eux un article de foi. Le Prophète a dit :
€ Ce qui constitue la foi, c'est Texercice constant de l'hos-
pitalité, et la sn*icte observation de rendre le salut à celui
qui vous l'a adressé. »
Et il a ajouté :
« Le meilleur pèlerinage, celui dont on peut espérer le
plus de fruit, consiste à donner à manger, ainsi qu'à par-
HOSPITALITÉ 185
1er toujours avec bonté. Les anges ne hantent pas la de-
meure (le ceux qui n*adineltent pas les hôtes. »
Ceci posé, je vais pénétrer plus avant que par le passé
dans l'examen de Tune des qualités éminemment saillantes
du peuple arabe et réunir en un corps de doctrine des no-
tions jusqu'ici éparses, multiples, incomplètes. Le lecteur
prononcera cette fois et dira si je suis parvenu à répandre
de la clarté sur un sujet déjà, proverbial, j*en conviens, ce-
pendant dépourvu de cette union, de cette harmonie qui
peuvent en faciliter Tintelligence. Dans tous les cas, qu'on
se rassure, je me garderai d'entreprendre un traité de théo-
logie musulmane. Le peuple dont je vais m*occuper a ce
bonheur d*étre pour nous assez nouveau, et Ton peut, en
parlant de lui, devenir peut-être intéressant, tout en res-
tant sérieux» romanesque même, sans cesser d*ôtre vrai.
Les Arabes reconnaissent trois espèces d'hospitalité :
1® L'hospitalité publique : Elle est donnée par le gouver-
nement. C'est lui qui reçoit les hôtes et cela se passe à peu
près comme partout. On les loge, on les nourrit, on les dé-
fraye, on pourvoit entin à tous les besoins, avec plus ou
moins de générosité, avec plus ou moins de luxe et d'éclat,
suivant le caractère du souverain, l'importance des visiteurs,
la richesse de la nation.
3^ L'hospitalité religieuse: Si le voyageur en danger,
riiomme qui a perdu sa route, le pauvre qui a faim, n'ont
rien à attendre des agents du pouvoir, ils sont encore secou-
rus d'une manière efficace au nom de Dieu. Alors, ce sont
les zaouyas qui se chargent de ce soin. Voyons donc ce que
c'est que la zaouya. C'est à la fois une mosquée, un tom-
beau, un séminaire, une école primaire et secondaire, une
école supérieure et une hôtellerie gratuite.
3** Et enfin l'hospitalité privée : Nous no .s étendrons da-
SS6 LA VIE ARABE
vantage sur c.clle-oi, qui, eu définitive, est la base des deux
autres.
Le principe de l'hospitalité, ainsi que nous Tavons déjà
montré, préside aux circonstances les plus ordinaires de la
viç arabe; en station, en marche, à la guerre, à la chasse,
dans les fêtes, partout, la noblesse religieuse et la noblesse
d'épée, le marabout et le djiyed, le riche et le pauvre, le
pasteur comme l'agriculteur, tout le monde s'efforce de le
ipettre en pratique. Il règne dans le Tell et dans le Sahara,
c'est un des pivots de la société arabe.
Cela est vrai ; mais ce principe absolu est-il sans incon-
vénient? Il en existe, sans doute, qu'on peut signaler tout en
reconnaissant la grandeur et la beauté de l'hospitalité arabe.
M Adrien Berbrugger, le savant conservateur de la
Bibliothèque d'Alger, qui connaît si bien la langue et les
mœurs arabes, dans un article très-bien pensé, lui trouve
le tort d*entretenir une masse de mendiants et de vagabonds.
|e suis dû son avis. Voici, du i^este, comment il s'exprime :
« Les gens qui n*aimeiit pas le travail, et ils sont nom-
breux en pays arabe, peuvent se livrer tout à leur aise au
culte de la paresse, moyennant ^e système d'hospitalité exa-
géré qui règne parmi les indigcQçs. Depuis l'océan Atlan^
tique jusqu*en Syrie, et même au delà, un fainéant est ^ûr
de rencontrer partout sur sa route, et chaque jour, Tabri et
\f^ nourriture gratuitement. Comment résist r à une pareille
séduction quand ou appartient à une race dont les besoins
sont si peu nombreux 1
» Les indigènes i\ qui nous avons parlé des dangereux
abus de l'hospitalité arabe, en convenaient eux-mêmes; mais
Us objectaient que, leurs pères Tayaut ainsi exercée de
temps immémorial, ils no pouvaient faire autrement qu'eux. »
. Vous le voyez, toujours Timmobilité.
HOSPITALITÉ ^7
Bien que dans certaines villes cl même en pays sauvage —
belad el khela — on rencontre des caravansérails —fennd^kj
— où les voyageurs, moyennant une légère rétribution,
peuvent trouver un abri pour eux, leurs montures et leurs
bêtes de soiiime, l'hospitalité publique n*a pas encore tué
rhospitalité privée. Cependant, dans les villes, les relations
quotidiennes n*entratncnt pas l'admission dans la maison. On
' se voit dans un café, dans une boutique, et, si Ton veut re-
cevoir, c'est dans une chambre préparée à cet effet, loin
des femmes et des enfants. Les fonctionnaires, les hommes
d'affaires sortent le matin de chez eux et n'y rentrent que le
soir.
Dans les tribus où, en dehors de la politique, la noblesse
n*a pas d*autro occupation que celle de surveiller sa fortune,
protéger ses clients, chasser, prier Dieu, et traiter ses ami3
proches ou éloignés, les chefs font toujours drci^ser pour ce
dernier objet une tente de campagne ■— bile ed-diyaf — la
chambre des hôtes, — à quelques pas en dehors de leur douar.
Les étrangers ne pourront ainsi se mêler à leurs familles, ni
voir le visage de la maîtresse de la tente, ce qui les contrii^
rierait au suprême degré ; mais, soyez tranquilles, s*i|s ne
voient pas, ils seront vus.
Il y a bien loin d'ici à Abraham, mais cette race arabe a tout
conservé: idées , sentiments, habitudes, tour de Tesprit,
prescriptions légales; même le costumo, même la foraie des
instruments de culture; même, ce qui est plus étonnant
pour des Européens, ce que j'appellerai la mode pour les pa-
rures et les bijoux des feM)mes. Quand arrivent des étrangers,
pela se passe aussi de la même manière que du temps de ce
patriarche.
% Comme il levait les yeux, il vit trois hommes, il courut
h eux se prosternant, et leur dit: « Seigneurs, si tous
288 LA VIE ARABE
m'en trouvez digne, ne passez pas sans vous arrêter. Je
vous apporterai de Peau, je vous laverai les pieds, et vous
vous reposerez sous cet arbre pendant que je vous donne-
rai à manger. »
> Puis rentrant dans la tente, il dit à Sarah : c Préparez
> des pains cuits sous la cendre, et je vais tuer un chevreau
> de notre troupeau. >
» Et, pendant qu'ils mangeaient, il les servait et se tenait
debout devant eux. >
« Où est Sarah, demandent-ils? — Seigneurs, elle est là-
» bas, dans ma tente. » Mais Sarah les voyait et les enten-
dait. »
Ce n*est donc pas chez lui, dans son intérieur, qu*il est
possible d'étudier les mœurs intimes de TArabe. Si long-
temps que vous soyez son hôte, vous ne le connaîtrez pas,
grâce à l'étiquette d'une hospitalité dont toutes les condi-
tions sont arrêtées, prévues, immobilisées dans des règles
religieuses, et qui sait concilier la réserve avec la cordialité;
grâce surtout à la disposition intelligente de son habitation.
Sa lente — khéltna — est vaste, formée d'un tissu de pal-
mier nain, de laine, de poil de chèvre et souvent de cha-
meau ; elle est impénétrable au soleil et à la pluie. Vous ne
pourriez y entrer qu'en rampant, tant elle est bas tendue^ et
puis qu'y verriez vous? Rien. L'intérieur est partagé par un
rideau, en deux parties: l'une dans le fond pour les femmes,
l'autre sur le devant pour les hommes, qui doivent être tou-
jours prêts à défendre leurs biens et leur honneur parce
qu'ils sont toujoui*s en danger. Les vêtements, sacs, provi-
sions, occupent le milieu, les harnachements reposent dan
un coin ; les armes sont attachées aux supports de cette
maison singulière. C'est la tente, c'est la maison de poil —
bite echaar. — Des lits? à quoi serviraient-ils ? il n'y a que
HOSPITALITÉ S89
des nattes chez les pauvres, et, chez les riches, des tapis
plus ou moius moelleux. Quant au mobilier, pas Tombre.
Déménager, chez nous, avec tant de moyens de transport, et
la passion que nous portons à nos meubles, équivaut presque
à un incendie. C*est Franklin qui Ta dit, et nos ménagères
le savent. Chez les Arabes, toujours en alerte, toujours prêts
à lever le camp , quel genre de meubles, je le demande,
pourraient résister à la vie nomade ?
Le seul meuble qu'il y ait dans chaque tente, c*est un
senndouk^ grand coffre solide, plus ou moins incrusté de
cuivre^ qui, chez les riches, sert à enfermer les étoffes pré-
cieuses, les titres, les papiers importants ou les bijoux que
les femmes ne peuvent emporter sur elles. Ce coffre, arche
de famille, est fait de manière à pouvoir être jeté rapidement
sur les bêtes de somme en cas de départ précipité. Voilà dés
mœurs bien étranges. Il n*y a pas si longtemps qu'en France
le paysan n'avait guère d'autre meuble à lui. Le colon, le
fermier, non possesseur de terre, quoique attaché au
sol par contrat, n'avait pas d'autre fortune que son arche
ou bahut, grand coffre — et souvent peu rempli — qui conte-
nait tout son avoir. Les manuscrits de quelques coutumes
du quinzième siècle présentent une série de miniatures qui
accompagnent les différents textes de la loi : toutes les fois
qu'à l'occasion de bail, de colonage, de cheptel, de saisie,
de saisie surtout, il y a des paysans à représenter, le peintre
a mis à côté d'eux le coffre rustique ; c'est le seul meuble
l^al du vilain. Entrez encore aujourd'hui chez certains
métayei*s, en Vendée et en Bretagne ; au pied du lit drapé
de serge verle, entre le foyer où pend un fusil et le po-
teau où le berceau s'appuie, vous verrez l'arche, c'est le
mot consacré ; il sert de marchepied au lit ; le maître seul
s'assied dessus ; il se transmet par héritage.
19
2K) LA VJë arabe
Est-ce abuser des ressemblances? Ce meuble unique chez
TArabe, jamais fixé au sol, ce meuble unique chez Tanclea
'colon, pas encore propriétaire, m'a paru bon à considérer. U
est, chez nous, le commencement de la prise de possession
du soi, il est chez eux, peuples nomades, réternelle expres-
sion de la vie errante*
11 n'y a donc pas, dans ce qu'on voit sous la tente, ma-
tière à grande observation : heureusement pour les curieux,
la honte s'attache aux habitudes casanières. Quand le temps
le permet, un Arabe ne passe jamais la journée chez lui, il
serait montré au doigt. Après avoir accompli les devoirs qui
leur sont imposés par la religion, par l'état du pays, ou par
la surveillance de leurs terres ou de leurs troupeaux, les
hommes se réunissent loin des femmes, en dehors du douar,
et, là, assis à la manière orientale, protégés contre l'humi-
dité par leurs épais bernouss, ils s'égarent à plaisir dans de
longues causeries. La parole est au plus âgé, au plus brave^
au plus expérimenté : les jeunes gens savent écouter, ils
parieront plus tard, leur barbe ne prendra que trop vite la
couleur poivre et sel —grise. — Les sujets sont variés parce
qu'ils sont féconds. On passe en revue la religion, la guerre,
le roumi — chrétien, — l'amour, les chevaux, les armes et
la chasse^ matières toujours commentées, toujours inépui-
sables. Ainsi se propagent les traditions des aïeux, ainsi se
préparent les thèmes tout faits, les réponses aux questions de
tout genre, les solutions pratiques pour les cas de la vie
ordinaire, et la vie ordinaire est hérissée de difficultés telles,
que l'expérience de chacun n'y saurait suffire si elle ne s'é-
tayait de l'expérience de ceux qui ont précédé. U faut qu'ils
tirent tout d'eux-mêmes, leur défense et leur sécurité. C'est
aussi par cette méthode et cette discipline de rintelligence
quMls s'assouplissent, s'instruisent, et finissent par acquérir
HOSPITALITÉ 291
une grande habitude de là parole. Ne vous laissez pas
cependant séduire par leur façon de parler; pleine de
souplesse et de grâce, elle manque, le plus souvent, de sincé-
rité. Forcés, dès leur plus jeune âge, de lutter avec des pé-
rils toujours renaissants, de débattre eux-mêmes leurs inté-
rêts, de s'ingénier enfin, rien que pour vivre, ils ont tous,
depuis le chef le plus élevé, jusqu'au dernier berger, une
finesse et une habitude de s'exprimer telles, qu'eux-mêmes
ont dû le constater. Ils disent :
L'Arabe, tue-le avant qu'il ait parlé.
El Aarbi ketelou kebel ma itkellem.
•Parce que, si tu le laisses parler, quel que soit son crime,
il parlera si bien, que tu ne pourras plus le punir.
Conteurs charmants comme des poètes, conteurs discrets
comme des diplomates, les Arabes, en général, ne savent ni
lire ni écrire, et pourtant vous les trouverez parfaitement au
courant des affaires de leur pays. Leur maintien sera toujours
grave : ils comprennent que la prudence leur est commandée
par leur état politique, par les dangers qu'ils courent réelle-
ment, par ceux auxquels leur rancune ne les dispose que
trop à croire. Us sentent, dans un pays livré à l'arbitraire ou
soumis à la domination étrangère, la nécessité de ne rien
donner au hasard. Entre eux, devant un chrétien surtout, ils
se comprennent sans parler : chrétien ou musulman, son
ennemi, c'est son maître ; mais, quand rien ne gène l'expan-
sion, entre compagnons de plaisirs ou de méfaits, on se dé-
dommage de la contrainte, on est d'une gaieté bruyante. Elle
doit durer si peu ! On ment, on médit, on se moque. Le Ko-
ran a permis, assure-t-on, de mentir pour sauver sa tète ;
seulement, on use de la permission comme si l'on était tou-
292 LA VIE ARABE
jours en danger de mort. Aussi, quand un Arabe traitant avec
un chrétien, lui dit d'un air de bonhomie :
0 monseigneur ! tu peux avoir confiance en moi, le men-
songe est un péché dans ma religion.
Ya sidi ! amenn fiya, el kedeb hharam fi dini.
J'engage le chrétien à redoubler d^attention, s'il ne veut
pas être trompé.
Il est juste de se défier encore, en affaires, de ce dicton
très-répandu :
Un seul Dieu, une seule parole.
Rebbi ouahhédy kelma oimhhéda.
On vous le glissera à chaque instant dans la conversation ;
n'en prenez pas moins vos précautions.
Médisant : il faut bien reprendre un peu de ce qu'on a
donné en compliments, en protestations d'amitié et de dé-
vouement.
Gela rafraîchit le cœur.
Iberred el gaïb.
Moqueur : craignez les mots à double sens. La langue
arabe en est très-riche, et, si vous n'en comprenez pas la ma-
lice, on vous les prodiguera avec tant de finesse et d'esprit,
qu'on vous couvrira de ridicule aux yeux des assistants,
parce qu'il vous arrivera souvent de prendre une raillerie
pour une louange, une injure même pour une gracieuseté.
De même, soyez très-méfiant, lorsque vous verrez votre
interlocuteur relever son hhàiky et s'en couvrir entièrement
la bouche, quelquefois le nez. Les Arabes croient, en agis-
sant ainsi, se rendre complètement impénétrables. L'expres-
sion involontaire de la bouche passe chez eux pour trahir
HOSPITALITÉ 293
mieux que les yeux, cependant appelés chez nous le miroir
de rame, les impressions les plus profondes. La parole
peut s*animer, la physionomie doit toujours rester muette.
Tenez-vous également sur vos gardes si, causant avec un
marabout, un taleb, un Arabe quelconque, vous l'apercevez,
pendant que vous lui parlez^ tournant et retournant entre
ses doigts les grains de son chapelet : c*est un fanatique. Le
brave homme ne répète pas des prières en retard, non ; il
prie tout simplement Dieu de lui pardonner le péché qu'il
commet en s*entretenant avec un chrétien, et d'éloigner de
lui les démons qu'il sait, de source certaine, accompagner
toujours un infidèle. Tirez-en le meilleur parti possible en
fermant les yeux sur ses grimaces.
Que voulez-vous ! jusqu'à la fin des siècles, le musulman
dira toujours, en parlant du chrétien :
C'est mon frère par la terre,
Et mou ennemi par la religion.
Khouya menn et-tine,
Ou aadouya menn ed-dine.
Si l'Arabe, de nation à nation, ne peut avoir d'amitié pour
nous, il est pourtant juste de dire que, d'Arabe à Français,
les guerres d'Afrique ont suscité des actes mutuels de dé-
vouement et d'attachement dont je donne avec plaisir ici un
exemple qui m'est personnel.
En revenant de Taguedempl, en 1841, et après avoir dé-
passé Mascara, l'armée devait camper à El Bordj . En ma
qualité de directeur des affaires arabes, j'étais tout naturel-
lement en avant du corps expéditionnaire, chargé de recon-
naître où l'on pourrait trouver pour la nuitée du bois, de la
paille et de Teau. Mes renseignements pris, suivi d*un
seul Arabe que j'avais choisi pour m'accompagner, je me dé-
294 LA ME AKABi:
cidai à aller faire boire moa cheval, qui en avait grand be-
soin, à une source d*eau très-pure placée à une demi-lieuc
environ du bivac où nous devions passer la nuit.
La source était au fond d'un ravin couronné par des mu-
railles escarpées, un sentier de chèvres montant et descen-
dant y conduisait. Des broussailles suspendues aux parois
de la montagne et dégringolant entre les roches croissaient
et reluisaient au soleil. C'était un paysage fort curieux; mais
je n'étais pas venu pour cela. Je débride mon cheval et le
vois plonger avec délices ses naseaux dans cette eau transpa-
rente, quand tout à coup, une balle arrive, puis une autre,
puis une troisième qui fait jaillir Teau autour de moi ; enfin
elles se mettent à pleuvoir, en même temps qu'un ouragan de
cris et d'injures, à l'adresse du chrétien, part d'en haut, d'un
groupe d'éclaireurs ennemis dont j'aperçois seulement alors
les tètes, au-dessus du versant opposé. S*en aller, et vive-
ment, il n'y avait que ce parti à prendre ; mais c'était là le dif-
ficile. J'essaye de brider mon cheval, j'ai toutes les peines
du monde à lui placer le mors dans la bouche, et, comme tou-
jours, pour vouloir aller trop vite, je vais trop lentement ; la
position devenait critique. Mon Arabe, alors, avec la mer-
veilleuse aptitude qu'ils ont tous pour faire obéir les ani-
maux, passe la bride, me tient l'étrier, et tous d'eux, d'un
temps de galop, nous nous mettons hors de la portée de l'en-
nemi qui commençait à descendre. Une fois en sûreté, il
s'arrête et me regarde en riant : c Me reconnais-tu? — Non,
lui dis-je. — Eh bien, je suis le frère de cet homme que tu as
sauvéàOran, il y a deux ans, et qui allait être passé par les
armes. Nous sommes quittes, adieu, commanndar — com-
mandant 1 » Et il s'éloigna pour rejoindre les siens. Je me
rappelai alors cette histoire. Elle était très-simple. Mou
Arabe appartenait à la tribu des Douérs, dont une partie était
HOSPITALITÉ i95
encore dans les rangs ennemis, et son frère, qui venait le
voir, arrêté un jour comme espion, allait être fusillé, quand
j'eus la bonne fortune de le sauver en prouvant son inno-
cence.
Surveillez surtout la ghomza. La ghomza est un cligne-
ment presque imperceptible de la paupière inférieure, au
moyen duquel deux individus peuvent s'entendre pour rail-
ler, tromper ou trahir. En pays arabe, plus d'une vie a
été tranchée sur un arrêt de la ghomza. On dit à ce sujet:
L'intelligent comprend au coup d'œil,
Et l'ignorant ne comprend qu'au coup de poing.
El fahim bel ghomza^
Ou le djahel be debeza.
Quand vous traitez avec un A.rabe, ne vous montrez jamais
trop pressé d'en finir. Parlez peu, et, si vous le pouvez, res-
tez impénétrable. C'est le moyen de réussir. Autrement, il
vous tiendrait en suspicion, serait heureux de vous avoir de-
viné, mettrait vos impatiences sur le compte de votre igno-
rance des choses de Dieu, n'en irait que plus lentement, ne
fût-ce que pour vous contrarier, et, le dogme de la fatalité
aidant, vous risqueriez fort d'en être pour vos frais d'élo-
quence. Écoutcz-le, il va se peindre lui-même :
Je marche, je marche encore.
Et, quand je suis fatigué, je me repose;
L'écrit de Dieu m'arrivera,
Quand bien même je le fuirais avec des ailes. .
Neteincha, netemcha,
Ou ila aait nesterahh,
El mektoub aaliya^
Otia loukane netair bel djennahh.
S96 LA VIE ARABE
Le mieax est donc, si vous voulez atteindre le but que
vous vous proposez, de prouver doucement et habilement à
votre homme que votre intérêt est tout à fait d'accord avec
le sien.
Devant les Arabes, ayez toujours de la tenue, ils vous ob-
servent. Ne criez pas, ne jurez pas, ne mettez pas la conver-
sation sur les femmes, ni sur un sujet licencieux, et, par-
dessus tout, ne dites ni ne faites rien contre les lois les plus
strictes de la pudeur et de la bienséance. En vous conduisant
autrement, vous leur prêteriez le flanc; car, ainsi que je l'ai
, dit plus haut, trouvant naturellement parfaites les règles de
la société musulmane, ils ne sont que trop disposés à se
montrer impitoyables envers tous ceux qui n'en connaissent
pas ou qui n'en suivent pas les usages. Dans la pratique, au
fond, ils ne valent certes pas mieux que les autres peuples ;
cependant, on ne peut leur refuser de posséder, à un très-
haut degré, le respect de la forme extérieure, quelque gê-
nante qu'elle puisse être. Ce sont les pharisiens de Tisla-
misme. On les entend souvent dire :
— L'écriture, la parole et le discours doivent toujours
être habillés avec décence.
L'axiome est beau, mais, pour mon compte, je leur en
sais d'autant moins gré que leur morale s'arrête généra-
lement à la superficie ; leur conduite ne répond pas toujours
à leur langage. Les proverbes sont la sagesse des nations et
l'indice de leur caractère. Les Arabes se connaissent bien, si
j'en juge par celui-ci :
Pèche dix fois devant Dieu,
Plutôt qu'une seule fois devant l'esclave.
Aachera thhate rebbi,
Ou la ouahhéda thhate el aabd.
«c
HOSPITALITÉ »7
Somme toute, l'Arabe est très-fier de ses mœurs et de ses
usages ; il lui arrive, au surplus, de ce côté, ce qui arrive à
beaucoup d'autres peuples ; ne le froissez donc pas sans né-
cessité. Il croit que ce qu*il a vaut mieux que ce que les
autres ont, et que ce qu'il fait vaut mieux que ce que les
autres font. Il exprime même ingénument sa pensée dans
le dicton suivant :
La cuisine des juifs,
Le lit des chrétiens.
Et la société des musulmans.
Mdkelei el ïhyoude^
Ferache en-nessara^
Ou djemaat el messelmine.
Puisque les Arabes citent avec tant d'éloges la cuisine des
juifs, c'est peut-être ici le lieu d'en dire un mot. Eh bien;
elle est vraiment propre, appétissante et très-recherchée par
les musulmans, qui, trouvant, à peu de chose près, chez ces
gens-là, les mêmes mets que chez eux, et surtout la même
manière de tuer les animaux destinés à la consommation,
n'éprouvent aucune répugnance à s'en nourrir. Tout le
monde sait que les Israélites attachent à la qualité de la
viande une importance telle, qu'ils donnent à un rabbin la
mission d*en constater la salubrité. Ce rabbin, partant du
principe que l'écoulement du sang purifie la victime, re-
pousse impitoyablement tous les animaux morts de maladie,
suffoqués ou assommés, et il égorge lui-même ceux qui
réunissent les conditions voulues par la loi, en leur cou-
pant la trachée artère avec un couteau dont la lame, pro-
bablement dans une pensée d'humanité, doit être aussi unie
qu'un cheveu, aussi tranchante qu'un rasoir.
Maintenant, si nous goûtons volontiers à la cuisine des
298 LA YIK AKABF.
jaifSy nous payent-ils de réciprocité ? Non. Pour rien au
monde, ceux qui suivent fidèlement leur religion, et ils sont
nombreux en Orient, ne voudraient toucher aux aliments
préparés par un Arabe ou par un chrétien. Employer les us-
tensiles dont nous nous sommes servis suffit déjà, le croi-
rait-on, pour constituer à leurs yeux un énorme péché. Cela
vient peut-être de ce qu'il leur est formellement interdit
d'assaisonner aucune espèce de viande, soit avec de la graisse
de porC; soit même avec du beurre, et que nos récipients ont
pu en conserver Todeur. Est-ce là une prescription hygié-
nique dont la sagesse leur a été démontrée depuis les temps
les plus anciens? Je l'ignore, mais ce qu'il y a de certain,
c'est que les Israélites considèrent le beurre et la viande
comme tellement antipathiques l'un àTautre, que, chez eux,
personne n'oserait jamais manger du beurre que six heures
au moins après avoir mangé de la viande.
Le peuple juif a, contre la table des chrétiens, bien d'au-
tres préventions encore ; ainsi, il ne veut pas boire de leur
vin, parce que, dit-il, Jésus-Christ a prêché que c'était son
sang; il repousse leur fromage comme pouvant avoir été
préparé dans des vases imprégnés de graisse de porc, et leur
eau-de-vie lui est également odieuse, parce que, le plus sou-
vent, elle est faite avec du vin. Il prépare la sienne —
mhhaya — avec des figues, des raisins secs ou des dattes, et
il l'aime beaucoup, car il en boit même en mangeant.
Mais la règle la plus sévère et la plus gênante, suivant
moi, que Moïse ait imposée aux Israélites, c*est la suivante :
depuis le vendredi soir, après le coucher du soleil, jusqu'au
lendemain, quand l'obscurité ne permet plus de reconnaître
les figures, la loi leur défend d'allumer du feu, fût-ce même
pour faire cuire leurs aliments. Pourquoi? Sans doute, parce
que, le samedi — se6^ — étant le septième jour de la semaine
HOSPITALITÉ r}9
consacré par Dieu au repos, on ne doit, ce jour-ià, ni vendre
ni acheter, ni parler d'affaires commerciales, ni se livrer
enfin à aucune espèce de travail manuel. Aller de la maison
à la synagogue et de la synagogue à la maison : voilà tout ce
qui leur est permis. Comment font-ils donc alors pour man-
ger le vendredi soir et le samedi? Voici: La veille du sa-
medi, chaque famille, dès trois heures de Taprès-midi, place
sur des réchauds artistement préparés les aliments dont elle
veut se servir, et, par des procédés trop longs à énumérer
ici, ils y cuisent lentement et s*y maintiennent chauds sans
qu'on soit obligé de jamais toucher au feu. S'il s'éteignait,
on ne pourrait le rallumer.
Ce qui précède explique nécessairement aussi la défense
de fumer.
Mais revenons aux chrétiens. Ils n'ont de bon que le lit ;
quand sur la terre entière rien ne peut se comparer pour la
délicatesse, la dignité et les bonnes manières à la société
des musulmans ; n'est-ce pas le cas de dire avec eux :
Chaque tortue, aux yeux de sa mère, passe pour une ga-
zelle.
Koul fekroun aand oummou,fihezaL
En pays arabe, on se lève au point du jour. La prière du
Fedjer et les ablutions qui en sont les préliminaires, l'exigent
impérieusement. On ne peut pas, comme chez nous, s'y dor-
loter dans son lit, ou plutôt sur ses nattes ou tapis; ce serait
vouloir se faire montrer au doigt. Et puis on prétend que
c'est à cette heure de la journée que l'air est le plus favo-
rable à la santé.
C*est donc le matin que le chef de la tribu recommence
tous les jours l'apprentissage des vertus de politesse, de gé-
300 LA VIE ARABE
nérosité et de patience surtout, dont il aura à se servir le
soir à la table des hôtes. Le soleil est à peine levé ; un brouil-
lard léger court sur le sable, les dernières étoiles disparais-
sent, les douars se réveillent, tout crie à la fois. Les chiens
de garde, las d'avoir aboyé à la lune, rôdent autour des ha-
bitations ; les chevaux, au piquet, tendent la tête vers les
femmes et les enfants qui vont les caresser ; les troupeaux
se préparent à aller aux pâturages, et les chameaux lancent
consciencieusement leurs sonores et plaintifs beuglements
dans le concert. Un œil pour voir s'il n'a pas été volé pen-
dant la nuit, un œil levé pour la prière, TArabe sort de chez
lui : il va saluer celui qu'il appelle son seigneur et mattre —
Sidr^a ou Moula-na. — Gravement assis, avec cette dignité
d'attitude qui est le secret des Onentaux, celui-ci accueille
tour à tour tout le monde. Riche, pauvre, faible, puissant,
chacun est reçu, explique son affaire, attaque, se défend, se
justifie, et, quand c'est fini, recommence. Il pleut des ser-
ments. Calme au milieu de ce lit de justice, le chef, assisté
du kadiy concilie ou juge.
« 0 monseigneur, la part de Dieu ! vient quelquefois dire
une jeune femme, que son mari a trop négligée. — Oui, ma
fille : la religion des femmes, c'est l'amour. Nous donnerons
un délai à ton mari, et, s'il ne se conduit pas mieux à l'avenir,
la loi t'accordera le divorce. »
c 0 monseigneur I un tel, fils d'un tel, refuse de me rendre
des grains que je lui ai avancés pour ses semailles. » Ou bien:
• Il ne veut pas me remplacer le cheval que je lui ai prêté
et qui est mort, par sa faute, dans une course lointaine, etc.
— Et vous qu'il accuse, qu'avez-vous à répondre ?» La
perspicacité, l'habileté à trancher d'un mot des contestations
inextricables , la gravité pour tout écouter, tout entendre ,
telles sont les qualités les plus ordinaires que la tribu exige
HOSPITALITÉ 301
de son chef, lequel doit avoir toujours présente à l'esprit
cette maxime de ses pères :
La patience est la clef de la réussite.
ES'Seberr meftahh le feredj.
Qu'y a-t-il d'étonnant à cela, quand on voit dans le poëme
le plus arabe que nous connaissions — le Livre de Job — les
enfants de Dieu venant saluer leur père dans le ciel, Satan
se présenter au milieu d'eux, et, bien reçu, parler et ré-
pondre. U s'est fait hôte, il sera bien accueilli. Nous donne-
rons, à la fin de ce chapitre, une autre légende qui montrera
au même point de vue quelle est la bienveillance du Tout-
Puissant pour ceux qui se font les esclaves de l'hospi-
talité.
Voici bien des détails de mœurs : sont-ils étrangers à mon
sujet? Je ne le crois pas. Pourra-t-on en contester l'exacti-
tude ? Cela me semble difficile. Ils s'appuient, en général,
sur des dictons populaires qui certes n'ont point été inventés
pour les besoins de la cause.
Je reviens à Thospitalité privée: voici son invariable
théorie.
Dans le Tell comme dans le Sahara, toutes les familles
riches, je le répète, ont soin de faire installer une tente de
campagne — guitoun — en dehors du centre commun. C'est
là qu'on recevra les étrangers et qu'on les défrayera, eux,
leurs montures et leurs gens. Des serviteurs actifs et intelli-
gents désignés à cet effet pourvoiront à tous leurs besoins.
On évitera, de cette manière, l'ennui toujours si grand de
laisser pénétrer des inconnus dans son intérieur.
Le voyageur se dirige vers la première habitation qui s'offre
à sa vue, s'arrête à une trentaine de pas avant d'y arriver, et
crie de manière à se faire entendre :
302 LA VIE ARABR
0 le mattre de la tente I
Un invité de Dieu.
Ya moul el khéïma!
Dif Rebbi.
Cela suffit, on le salue par ces mots :
Sois le bienvenu I
Tout te sera facile.
Marhhaba bik!
Koul chi sahel aalik.
Puis on le conduit vers la tente dont j*ai parlé, on lui tient
rétrier pour descendre de cheval, et on lui dit :
Monseigneur, entre dans ta maison.
Ya stdi edkhol fi darek.
Quand on s'annonce, ainsi que je viens de le dire, il faut
toujours être assez délicat pour donner à son hôte le temps
de faire retirer ses femmes. Cette pensée est exprimée dans
les vers suivants :
0 toi ! qui appelles devant la porte,
Appelle, mais sois prudent :
Souviens-toi que rien ne brouille les amis
Comme les femmes ou l'argent.
Ya ! H taayety gouddam el bab^
Aayet ou kaun fahem :
Ma ifessed bine Ihhabab,
Ghér en-nessa ou drahem.
Quand l'étranger a pénétré dans la tente qui lui est desti-
née, on donne Tordre de lui offrir sur-le-champ une colla-
HOSPITALITÉ 303
tion préalable, du pain, du lait, des figues, des raisins secs,
des dattes, du café, tout ce qui est prêt immédiatement. Ce
repas est destiné à faire prendre patience jusqu'à ce que le
dîner puisse être servi.
Là où n^exislent pas ces tentes uniquement consacrées à
Thospitalité, ou bien, lorsqu'au lieu de voyageurs isolés, il
s'agit d'un groupe de cavaliers — goumm — se rendant en
guerre ou en chasse, la troupe, aprèjs avoir pris les précau-
tions que je viens d'indiquer, pénètre jusqu'au centre du
douar — merahh. — On se hâte alors de faire cacher les
femmes, on sépare les tentes en deux parties au moyen d'un
rideau — hayale; — puis, avec les mêmes formules, chacun
se dispute les hôtes. Le voyageur ne doit plus se préoccuper
de son cheval ; il ne sera point cependant entravé ailleurs
que devant sa tente. Ce serait manquer à Thospitalilé que de
priver un Ai*abe de la société de son plus cher et plus fidèle
ami, dont la vue lui réjouit l'esprit et le cœur. Plus tard, en
temps opportun, on fera boire le noble animal, on lui appor-
tera la paille et l'orge, une bonne couverture pour le pré-
server du froid de la nuit ; on le comblera, en un mot, des
soins qu'il mérite en toute circonstance, mais qui seront
d'autant plus empressés qu'il s'agit du cheval d*un hôte.
Le souper arrive enfin ; le mattre de la tente, qui, jusque-là,
a pourvu à tout sans se rendre ennuyeux ou indiscret, prend
alors le premier plat qu'on apporte et le pose lui-même sur
la table, en face de son hôte principal, en lui disant gra-
cieusement, quand il veut Thonorer d'une manière toute
particulière : c Mange, mange, ô mon ami ! ce repas a été
préparé par les mains mêmes de la mattresse de la maison. »
Il est bon de dire en passant qu'aujourd'hui Ton apporte
les plats les uns après les autres ; mais on regrette l'an-
cienne méthode qui consistait à placer sur la table tous les
304 LA VIE ARABE
plats à la fois, afin que chacun des convives pût voir du pre-
mier coup d*œil ceux qu'il préférait.
Quand on reçoit des hôtes, la femme ou les femmes ne
paraissent jamais. C'est de règle religieuse. On trouve dans le
Koran, chapitre de la lumière et des femmes :
c Dis, ô Prophète! aux femmes croyantes que les hommes
leur sont supérieurs, parce que Dieu Ta ordonné; qu'elles
doivent obéir à leurs volontés, garder leur secret, et qu*un
mari peut les frapper si elles désobéissent. Dis leur encore
qu'elles doivent contenir leur vue, ne pien montrer de
leur beauté que ce qui doit paraître, couvrir leur sein, se
voiler le visage, et vivre chastement. »
Mais, si les femmes arabes se dérobent à la vue du public,
suivant le rang ou la fortune de leurs maris, elles préparent
ou font préparer sous leurs yeux les aliments, qu'apporteront
sur la table des esclaves ou des serviteurs. Tout au plus
leur permet- on, pour satisfaire celte curiosité inhérente à
leur sexe, de jeter un coup d'œil furtif à travers le rideau
qui sépare toujours la chambre de Thomme de celle des
femmes. — Je laisse deviner l'étonnement de ces pauvres
créatures quand elles ont affaire à des chrétiens dont le
costume, le langage et les habitudes diffèrent si fort de ce
qu'elles ont vu et entendu depuis leur enfance. On prétend
qu'elles s'égayent beaucoup k nos dépens ; la difficulté que
nous éprouvons à nous asseoir les jambes croisées à la mar-
nière orientale, avec nos pantalons, nos chaussures et nos
sous-pieds, les amuse particulièrement. Il est de fait que nous
devons leur paraître bien roides et bien gênés.
Pour mon compte, j'avoue qu'invité à dtner en 1837 par un
marabout puissant de la plaine des Gheriss — sidi Mokham-
med benn Haoua^ — je me trouvai chez lui fort embarrassé
de toutes manières. Au moment de nous mettre à table, je
HOSPITALITÉ 305
n*aperças ni sièges, ni boateilles» ni verres, ni assiettes, ni
couteaux, ni cuillers, ni fourcbettes, ni rien, et je me deman-
dais déjà comment j'allais me tirer de ce guet-apens, quand
la pensée me vint de ne pas me presser, d'observer et de me
régler en tout sur mes voisins, vieillards à barbe blanche,
d'aspect assez imposant, et qui, malgré leur longue habitude
de dissimulation, ne pouvaient s'empêcher de laisser de
temps en temps échapper un léger sourire ironique. Ce sou-
rire me semblait vouloir dire: « Comment le chrétien va-t-il
s'en tirer? »
Tout le monde était assis, les jambes croisées comme
les tailleurs de nos pays, au milieu de la tente et autour
d'un tapis en peau tannée — sefra — qui tenait lieu de
table, c'était primitif; à cause de mon pantalon collant
et de mes sous-pieds, j'eus bien de la peine à imiter leur
exemple.
On servit alors le kesskessou dans un énorme plat de bois
qu'on appelle guessaa : chacun y plongea l'index et le pouce
de la main droite, forma une espèce de boulette et se l'en-
voya dans la bouche, absolument comme nos enfants lancent
les billes avec lesquelles ils jouent. J'en fis autant. Un instant
après, je mangeai aussi, avec mes doigts, le mouton rôti —
kebch méchoui^ — mets délicieusement préparé, sans lequel,
chez les Arabes, aucune réception n'est complète.
Le festin terminé, nous bûmes tous à la ronde, les uns du
lait aigre — cheniney — les autres tout simplement de l'eau
dans des écuelles en bois — guedahh — ou dans des vases
de terre — maaoune; — puis on nous présenta unç espèce
d'aiguière pour nous laver les mains avec un peu de savon
noir, et la séance fut levée.
Selon l'étiquette arabe, il ne faut boire qu'une fois et à la
fin du repas, la boisson n'étant pas faite pour augmenter,
ÎO
306 LA VIF. ARABR
éntretnnir oa faire revenir l'appétit. Dès qu'on a soif, c'est
preuve qu'on est rassasié; on boit, le repas est fini.
A celui qui a bu, il faut dire :
Que Dieu te donne la santé (force).
Sahha.
Ou bien :
Dieu a apaisé la soif.
Rouak Allah!
Et il doit vous répondre :
■.-.., ( Nedjak Allah.
Que Dieu te sauve :},„,. „ . ,
( Allah issellmek!
Que Dieu se rappelle les auteurs de tes jours.
Allah irhham oualdik.
La formule d'invocation avant de manger est, à peu près,
partout celle-ci :
Au nom de Dieu I
0 mou Dieu, bénissez ce que vous nous donnez à manger.
Et, quand ce sera consommé, rep)*oduisez-]e.
Servez-vous de la main droite pour boire et pour manger :
le démon boit et mange de la main gaucbe.
Mangez avec une grande propreté, ne soufQez ni sur la
nourriture, ni sur la boisson, et ne vous servez pas d'un cou-,
teau. Le Prophète a cependant recommandé de ne pas man-
ger trop chaud.
En sortant de table, on remercie le Tout^Puissant par ces
autres paroles :
Je Fuis rassasié, louange à Dieu!
Bani chebaane, elhhamedoulellah!
HOSPITALITE 307
Celui qui reçoit un personnage considérable, ne doit pas
manger avec lui. Son devoir est de se tenir debout pendant
le repas, de veiller à ce que l'hôte ne manque de rien. S*agit-
il d*un voyageur de moindre importance, le maître de la
tente se fera son convive, et, pour rengager à manger, il so
gardera bien, lui, de dire que sa faim est apnisée. Le prin-
cipe est celui-ci :
Si tu ne manges pas, fais manger.
Enn lem takoul, oukkel.
J'appris plus tard que, pour mes d<^butscbez sidi Mohham-
med benn Haoua, l'on ne m'avait pas trouvé trop maladroit.
Cela me fit plaisir, parce qu'alors, capitaine au 2* chasseui*s
d'Afrique, j'arrivais à Mascara, en qualité de consul de
France, auprès de l'émir Aabd-el-Kader, que tous les yeux
me fusillaient, et que les Arabes pas plus que les Français ne
pardonnent le ridicule.
Depuis, j'ai mangé bien souvent sous la tente. J'avais
acquis de l'expérience, et ce qui m'avait autrefois paru d'une
difQculté inouïe m'a semblé plus facile, à la condition toute-
fois de ne pas porter de pantalons collants, et de mettre
toujours mes sous-pieds dans ma poche avant de ra'asseoîr
sur un tapis. Il est vrai d'ajouter que, plus tard, j'ai trouvé
à peu près partout des cuillers, non en argent, ce luxe est
défendu par le Prophète, mais tou^ simplement en bois* Cet
instrument de table est donc connu chez les Arabes, bimi
qu'en campagne, hors du logis, dans les expéditions rapides,
on ne s'en serve pas toujours. Quant aux fourchettes, je n'en
ai jamais vu, excepté chez quelques chefs haut placés qui
s*en étaient pourvus pour nous faire plaisir.
La femme est chez nous la maison vivante, elle préside à
la table de famille, elle y accueille l'invité, et sa seule pré-
308 LA VIE ARABE
sence donne à l'hospitalité un caractère de dignité et de
grâce qui double le prix de Tinvitation. C'est la maison tout
entière qui fête l'étranger; les enfants viennent vers lui, sans
crainte, les serviteurs s*enipressent sans bruit, l'âme du
foyeralairde vous reconnaître; entrez, hôte, vous êtes
chez vous.
Dans la vie arabe, nous l'avons déjà fait comprendre, la
femme est exclue de la table où l'étranger s'assied. C'est la
religion qui la remplace, Dieu y est l'invité permanent. Tous
les actes du repas sont déterminés comme un sacrifice par
des règles ; je dirai presque par un rite immuable. Lé pain,
les mets, le tapis qui les porte, sont sacrés. On mange sans
parler comme si l'on faisait une prière mentale. Une ombre
glissant de l'autre côté du rideau qui ferme la chambre des
hôtes; un regard furtif qu'il semble avoir senti passer dans
l'air, quelquefois un murmure gracieux et railleur qui s'é-
toufTe derrière la draperie; c'est tout ce qu'on voit et entend
de la femme. On reprend la cérémonie du repas avec la
même gravité religieuse. Pour un Européen, habitué à d'autres
mœurs, il ne peut lui rester de tout cela que l'impression
fugitive d'un rayon de soleil qui a traversé la tente où il a
été reçu.
D'où vient cette différence du rôle de la femme dans les
deux civilisations?
Il Y aurait là-dessus bien à dire, et peut-être un jour je
traiterai cette question. Je montrerai la femme arabe, sans
influence apparente au dehors de la tente, sultane dans son
intérieur; conseillant, gouvernant, en somme, toutes les
actions de son seigneur, et, comme Eve dans le paradis ter-
restre, sachant quelle est faite pour obéir, mais commen-
çant sa vie par commander.
Ainsi, le pouvoir de la femme, ne s'exerçant que dans la
HOSPITALITÉ 309
«
tente, ne crée pas, comme chez nous, la société, la cité, la
civilisation; et cette incarnation souriante de nos foyers que
le pauvre en frappant à la porte, que Tétranger présenté, que
l'ami revenant de voyage, trouvent d'abord au seuil de la
famille, manquera éternellement chez eux.
L'invité introduit dans la tente est donc bien certain qu'il
ne verra pas le visage de la maîtresse de la maison, il sait
qu*il sera vu, car la curiosité fait des miracles; il devine, à
l'ordre du repas, aux soins dont il est l'objet, à la prompti-
tude du service, qu'elle est tout près et dirige les gens.
Quant au reste, la bienveillance de l'accueil qui fait trouver
le pain meilleur, la politesse et la dignité, la mesure dans la
familiarité, la grâce dans les dons, et la réserve dans les
paroles, il est sûr de les rencontrer réunies chez celui qui le
reçoit : tous les Arabes sont nés grands seigneurs.
Le moment me paratt venu de réunir en un corps de doc-
trine les devoirs des invités.
La délicatesse des usages admis entre Arabes fait une
véritable obligation à celui qui a reçu une invitation de se
déranger pour s'y rendre. L'éloignement, la pauvreté, le rang
inférieur, le peu d'influence de l'homme qui vous a prié à
dîner, ne sauraient excuser un refus. Le Prophète a dit :
c Faites un mille pour visiter un malade, deux pour assis-
ter à un enterrement, trois pour vous réunir à votre frère
en Dieu, et quatre pour répondre à une invitation. »
Quand vous êtes assis à une table hospitalière, conservez
une tenue correcte. Ne regardez pas vers l'appartement des
femmes. Laissez d'abord placer les chefs et les vieillards.
Trouvez tout bon, touchez à tout ce qui paraît sur la table.
Etes-vous triste? ne le montrez pas. Eles-vous préoccupé ?
cachez vos pensées, c'est le devoir commun de l'invité et de
l'hôte de ne rien faire voir qui assombrisse le repas.
810 LA VIE ARABli:
A l'appui de cette règle, je crois devoir donner un exempio
récent et personnel.
Chargé dernièrement de l'inspection générale de la cavale-
rie d'Afrique, je me trouvais à Constantine dans le mms
d*octobre 1867, et j*y fus invité, en ma qualité de vieil
arabisant, à manger un kesskessou et un mouton rôli qui
m'étaient offerts chez le brave général Dargent, comman-
dant la subdivision, par le kalifa Benn ba Hhamed quj
j*avais beaucoup connu et autrefois obligé quand je dirigeais
les affaires arabes de l'Algérie. Le jour fixé arrive : les invi-
tés sont réunis, la conversation s'engage, le repas suit son
cours habituel, prolongé par ces pâtisseries de toute forme
et de toute figure qui entretiennent la fin d'un dincr
arabe. Calme, digne, tranquille et vraiment à son aise, le
kalifa prend part à tout; son hospitalité est complète. A dix
heures, nous en étions au café, quelqu'un entre et manifeste
son étonnement de voir Benn ba Hhamed près de nous. Ou
l'interroge; il nous apprend que, le matin même, ce chef a
perdu sa fille par le choléra, jeune fille de dix-huit ans, citée
dans la ville parmi les plus belles.
A nos exclamations, qu'on peut deviner, et aux reproches
que nous lui faisons, car cette extrême délicatesse nous
devient alors blessante, le kalifa se coutente de répondre
avec une résignation virile :
« L'affaire qui vient de Dieu, il faut l'accepter les yeux
fermés ;
> Quant à celle qui vient des hommes, on peut essayer de
lutter. »
Hhadjet Hebbi^ bessif nekobelou-ha;
Ou hhadjet el aabd imkenn nedfaaou-ha.
HOSPITALITÉ 311
Si ce livre tombe entre les mains du général Dargent, je
suis certain qu'il se rappellera celte scène touchante.
Iilprouvez-Tous de Tennui, de la répugnance à vous ren^
contrer à table avec un homme envieux, méchant, de mau-
vaise compagnie, qui vous déteste et que vous n'aimez pas,
vous pouvez vous en débarrasser en mettant adroitement en
pratique cette maxime arabe :
Ton ami, faîs-luî face,
Et ton ennemi, place-le à ton côté.
Snhhabek gabelou.
Ou andouk djanebou.
Pourquoi?
Parce que, quand Tœil ne voit pas.
Le cœur ne souffre pas.
Aala khater aain la taraa,
Galb la youdjaa.
Partant de là, on doit s'étudier à ne jamais convier à sa
table des personnes qui sont notoirement antipathiques l'une
à l'autre. La réunion ne pourrait qu'en être assombrie. •
Soyez digne :
Acceptez tout d'un riche appauvri ;
Rien, d'un pauvre devenu riche.
Khoud'ha menn idd chebaane iladjaa;
Ou la takhod-hache menn idd djyaane ila chebaa.
Soyez discret :
Sage, celui qui étend son bernouss •<— devant vous — en
guise de tapis ;
Fou, celui qui s*assied dessus.
Kiyess, menn ferrech kesaatou;
Mahboul^ U gaad aali-ha.
A
312 LA VIE ARABE
N'allez pas contrarier votre hôte en lui laissant soupçonner
que sa réception laisse à désirer ou que l'on n'a pas trouvé
ses mets bons.
Soyez poli :
Ne vous occupez ni de votre cheval, ni de vos domesti-
ques; c'est le devoir, c'est l'affaire du maître du logis. Évitez
de donner des ordres à ses serviteurs; c'est à lui seul à
veiller sur vous. Ne crachez pas dans les lieux destinés à
l'habitation.
Sortir, rentrer, chercher, appeler les amis de la maison,
s'attrister de leur absence, parler à haute voix, s'immiscer en
un mot dans les détails de la famille, tout cela est du plus
mauvais ton.
Se plaindre de la dureté des temps, du caractère de sa
femme, de son orgueil, de sa vanité, ou raconter ses cha-
grins au public, c'est vouloir se déconsidérer. Vous pourriez
encore, en agissant ainsi , provoquer la jalousie de la
maîtresse de la tente, qui n'est pas là, mais qui n'est pas loin,
qui vous écoute quoique vous ne la voyiez point. Le récit de
vos prodigalités domestiques ne ramènerait-elle pas à de^
comparaisons fâcheuses qui pourraient provoquer un divorce T
Dispensez-vous de faire des observations déplacées et ne
donnez à votre hôte aucun conseil, aucun avis^ ni sur sou
intérieur, ni sur son ameublement, ni sur sa manière de
faire présenter les plats, les fruits, etc., etc.
N'allez pas médire de ceux qui vous admettent à leur table
hospitalière ; les tourner en ridicule, ou même, mù par un sen-
timent odieux d'envie, de jalousie, leur désirer des malheurs.
Le sac (de blé) d'où tu tires ta nourriture
Ne souhaite pas qu'il se vide.
Ec'Chakara li takoul menn-ha
Ma-tedaailhache bel khela
HOSPITALITÉ 313
Soyez modéré :
SI une parole vous a échappé, dites : t J'ai entendu; >
Et si un plat vous a dépassé, dites : « Je suis rassasié. »
Ida fatet el kelma, goul : Smaat ;
Ou ida fatet el makeUij goul : Chebaat.
A la fin du repas» n'allez point bourrer vos poches de
sucreries et surtout ne vous permettez pas d'amener avec
vous des enfants à qui, d'avance, on ait fait cette leçon:
c Vous pleurerez quand on en sera aux gourmandises et alors
on vous laissera plus longtemps à table. » (La défense me
paraît démontrer que le fait doit se présenter.)
Si vous êtes reçu par un homme âgé et que dans la con-
versation il vienne à se plaindre de ses infirmités, écoutez-le
avec patience, et. surtout ne lui répondez .pas, ainsi que le
font souvent des gens mal élevés : « Quant à moi, chaque
année qui s'écoule augmente mes forces^ et, de jour en jour,
je me trouve plus alerte et plus vigoureui. »
Entendez-vous demander l'aumAne pendant un repas
auquel vous êtes convié? rappelez-vous qu'il faut attendre
la permission du mattre de la tente pour disposer de ce qui
lui appartient.
Assistez-vous à l'une de ces fêles publiques — (madaa —
où l'usage permet aux femmes de paraître quoique voilées,
soit pour accomplir un devoir de religion, soit pour encou-
rager les cavaliers par leur présence, prenez garde de vous
extasier dans la contemplation de leurs vêtements, de vous
délecter aux parfums qui s*en exhalent, de remuer la tête
en mesure au son des instruments, de vous lever et vous
asseoir à chaque instant, comme pour montrer les avantages
de votre taille, ou les grâces de votre tournure. Vous passe-
314 LA VIE AUABE
riez pour un fat qui pense avoir séduit tout le inonde et qui
s'attend à recevoir des messages d'amour.
Celui à qui Ton donne rhospitalité ne doit demander que
deuK choses: La KeblAy où est TOrient, pour savoir de quel
côté il devra se tourner quand il fera ses prières, et certains
détails dont la connaissance lui est indispensable pour que,
le cas advenant, il ne soit pas incommodé.
On se lave les mains avant de manger, on se les lave
encore après le repas; puis, sous peine de passer pour un
liomme sans éducation, il faut se rincer la bouche avec soin.
Quand on dine chez les autres, grands ou petits, voici les
défauts qu*il faut éviter :
On ne doit pas être metcharef^ c'est-à-dire insatiable,
s'inquiéter, tourner la tète pour voir si l'on apporte d'autres
plats.
Addadj c'est le convive qui compte sur ses doigts le
nombre des mets et qui les montre de la main ;
KerrafesX celui qui essuie le plat avec le. pain qu'il a
porté à sa bouche ;
Rechaf se dit de l'homme qui mâche et avale avec force
et avec bruit, de manière à être entendu des voisins ;
Kessam est le convive qui prend un morceau, le coupe
avec ses dents et en remet la moitié dans le plat;
Le nekate prend un morceau, le porte à sa bouche et
secoue ensuite ses doigts dans le plal ;
Le behhate, Tceil sur ses voisins, les prévient, va prendre
le morceau qu'ils avaient choisi et qu'eux-mêmes allaient
prendi*e ;
Le aaouam envoie sa main à droite et à gauche pour
ramasser la sauce ;
Le mekhallel se cure les dents avec les doigts;
Le mezid emporte la nourriture chez lui ;
HOSPITALITÉ 315
Le merihk trempa son pain dans le plal pour ea puiser la
sauce ;
Le tnoacheb déchire les poulets rôtis avec une impatience
qui trahit sou avidité ;
Le mefatteeh fouille dans le plat et y cherclie, d'une
manière peu propre, la viande avec ses doigts ;
Le menachef suce ses doigts imprégnés de graisse ;
Le melaab s'amuse à faire des boulettes de pain pour les
tremper dans le p]at et les manger ensuite;
Le sebbaaye tourne et retourne dans la sauce les morceaux
qu'il prend ;
Le bekkar souffle sur les mets;
Le mehhami prend la viande dans ses mains, la tripote et
Taccapare pour que ses voisins ne puissent pas y toucher;
Le djennab est le fâcheux qui» pour manger à son aise,
se fait une plus large place en jouant des coudes ;
Le satrandji prend un morceau, le remets en prend ou
autre, revient au premier, touche au troisième, comme un
jour d'échecs irrésolu;
Le mehindess usurpe, pour avoir devant lui les meilleurs
morceaux, les fonctions de maître de la maison. Il dit aux
serviteurs : < Mettez ce plat ii^i, cet autre là ; »
Le djoufaniy c*est le- glouton envieux et maussade qui
voudrait ôtre seul à table pour tout dévorer ;
L2 fedouli est la mouche du coche, un brouillon toujours
préoccupé de ce qui ne le regarde pas. Il dispose des reliers
du festin, en disant à son hAte à la fin du repas : « Faites-
en ceci, failes-en cela. »
C^est après le souper seulement que l'on posera des ques-
tions aux voyageurs : on le fera toujours avec douceur et
ménagement plutôt pour les distraire par quelques paroles
dignes et affectueuses, que par une importune curiosité:
316 LA VIE ARABE
c Qui étes-YOus? De quel pays venez- vous? Où allez-vous ? »
S cela leur platt, ils répondent ; s'ils veulent se taire, on n'in-
siste pas; on engage alors la conversation sur d'autres sujets.
La plus stricte décence est gardée, on évite toute allusion
licencieuse; on tourne les mots scabreux; une jeune fille
pourrait, sans rougir, entendre un tel dialogue.
L'usage invariable est de ne jamais appeler ni nommer les
absents; il ne faut pas avoir l'air de s'en occuper. Cette con-
vention tacite est dictée par la politesse et surtout par la
prudence. Celui dont vous allez remarquer l'éloignement, où
est-il ? que fait-il? Vous n'en savez rien. Taisez-vous donc;
peut-être, sans vous en douter, vous feriez naître des soup-
çons qui allumeraient des querelles interminables et des
vengeances sans merci. La femme est encore là ; quoique
absente, elle est au fond de toutes les pensées. Cette réserve
se concilie avec le discernement que les principes religieux,
aussi bien que les dictons populaires, assez narquois quel-
quefois, recommandent à l'attention publique cbez les Arabes.
Toute maxime a son corollaire pratique.
c Si vous pouviez voir, disent les sages, le registre où sont
écrites vos bonnes et vos mauvaises actions, vous déchireriez
votre langue. »
On demandait à l'un d'eux combien il comptait de vices
dans un fils d'Adam.
c Us sont si nombreux, répondit-il, qu'on ne saurait en
faire le calcul ; mais j'ai remarqué qu'une seule vertu pou-
vait les racheter tous. — Et quelle est cette vertu ? — La
retenue et la convenance dans les discours. »
Évitez donc les personnes mal famées, et n'admettez à
votre table, si faire se peut, que des gens craignant Dieu.
C'est le moyen de consolider votre foi.
HOSPITALITÉ 317
Recherchez le pauvre: il doit élre préféré au riche. Voilà
des préceptes dévots : on est forcé de leur reconnaître une
certaine dignité austère.
Il faut inviter tout le monde, excepté un ennemi, parce
que vous ne pouvez pas faire du mal à celui qui s* est assis
à votre tahle. Le Prophète défend de saisir une pareille
occasion pour se venger.
Il eu est de même lorsqu'un ennemi, trahi par la fortune,
est cependant parvenu, sans accident, jusqu*à votre tente.
Tant qu*il est chez vous, sa personne doit vous être sacrée;
une fois parti, il rentre dans la loi commune.
N'engagez pas non plus les personnes que vous prévoyez
devoir refuser; un acte de ce genre serait du plus mauvais
goût.
Écoutons, maintenant, la goguenardise des proverbes
familiers :
A l'Arabe et au rat,
N'ouvre jamais la porte de ta maison;
Ils auraient toujours une main dans le plat.
Et Tœil sur ta femme.
El Aarbi ou le far
Ma tehhel^hi bab ed-dar ;
Iddou fel metred,
Ou aainou fi moulate ed-dar.
Ge dicton prouve que, si l'Arabe exerce largement Thospi-
talité, il n'en apporte pas moins une extrême circonspection
dans les habitudes de sa vie privée. Avant de se lier avec
quelqu'un, il veut savoir*à qui il a affaire. On dit encore :
918 LA VIE ARABE
L'Arabe, quand il s'installe,
Est comme un clou qu'on a rivé.
El Aarbi menine idjeless,
Kifel messemar menine itfelless.
Les Arabes, on le voit, se jugent eux-mêmes assez impar-
tialement. En effet, que Tun d*eux soit assis commodément
dans une bonne tente, à l'abri des intempéries et buvant un
café qui ne lui coûte rien, où voulez-vous qu*il aille pour
t^trc mieux ? Vous avez beau lui faire entendre que vous avez
des affaires: il allongera la convers<ition à [ilaisir, il en va-
riera les sujets, il feindra de ne pas vous comprendre; il se
trouve bien où il est, le temps n'est rien pour lui, il y res-
tera sans paraître même s'apercevoir de vos impatiences si
vous en avez.
Il est tout à fait contraire à la bienséance, et Denn-Abbas
lui-même affirme que le Propbète Ta défendu, de s'observer
entre convives. On serait accusé de vouloir contrôler l'appé-
tit de ses invités*.
Aali dit à un Arabe qui prenait son repas avec lui :
t Vas-y plus doucement. — Et toi, reprit son convive, ap-
prends à dompter tes regards. »
« Ote ce cbeveu du morceau que tu tiens, dit un Arabe à
son convive. — Puisque tu m'observes, répliqua l'enfant du
désert, au point d'apercevoir un cbeveu sur mon plat, je te
jure, par la tète du Propbète, que de ma vie je ne mangerai
cbez toi. *
Le peuple arabe vit de légendes ; on juge bien qu'il n'a pas
manqué de s'en créer sur un siyet aussi fécond que celui de
a table. Son imagination comprend tout, comme nous Tavons
montré. La beauté, hi puissance, l'invisibilité, le bonbeur et
parfois la sagesse, sous forme d'histoires plus ou moins
HOSPITALITK 31»
neuves, plus ou moins intéressantes. Combien n*en ai-je pas
entendu dans ma vie d'Afrique! Marabouts, trouvères,.
cavaliers, bergers, tolbas, gens du Tell et gens du Sahara,
pèlerins revenus de la Mecque ou commerçants qui fréquen-
taient nos marchés, quand je les interrogeais sur i*hospi-
talilé, ils étaient inépuisables, et la frugalité qui leur est na-
turelle donnait une couleur curieuse à quelques-uns de leurs
contes.
Un homme fut reçu par un derviche qui lui offrit d*abord
deux pains et se rendit à la cuisine préparer un plat de len-
tilles. Il apporte le plat, plus de pains : il le pose sur la table
et va en chercher d'autres. Il revient, les lentilles ont dis-
paru. « Marche, bon derviche, tu n'as pas fini. Tiens, mon
ami, voici encore des lentilles. — Mais je nai plus de pain,
ô mon hôte î — C'est bien, je vais t'en donner. »
Dix fois de suite le derviche recommença, l'invité aussi :
les pains et les lentilles ne purent jamais se rencontrer,
« Où vas-tu en sortant d'ici: — A Irdane. — Et qu'y faire?
— Il existe, m'a-t-on dit, dans cette ville, un très-grand
médecin; je suis malade. Je vais le consulter sur mon man-
que d'appétit. — S'il en est ainsi et qu'il te guérisse, je t'en
conjure, par la tête du Prophète, ne passe pas chez moi à ton
retour. »
C'est ici le cas de répéter cette maxime populaire des
Arabes :
A l'hôte d'une nuit nous pétrirons des gâteaux,
Mais à l'hôte de toujours que lui donnerons-nous?
ûifel lila nerfessot^lou.
Ou difed'dimay ki nedirou-lou?
Elle me semble dire très-clairement : « Recevez F hospita-
lité, mais n'en abusez pas. »
390 LA VIE ARABE
Suivant le savant El-Madani^ notre seigneur Brahim
— Abraham — est le premier qui ait organisé les grands
festins publics, comme Aabd- Allah benn Abassa a été aussi
le premier qui ait traité chez lui les musulmans. Il avait
l'habitude de faire installer sa table sur la grand' route.
Dieu a dit :
c 0 vous qui avez la foi en partage, mangez les mets
choisis que j'ai mis à votre disposition et remerciez-moi si
vous m'adorez. Usez de ce que je vous ai créé de bon, ainsi
que des produits de la chasse, pour laquelle vous trouverez
des oiseaux et des chiens exercés. Mes dons doivent pro-
fiter aux créatures. »
Celui qui reçoit l'hospitalité doit se montrer empressé, de
bonne composition et docile à toutes les offres de son hdte,
sans les provoquer par aucune espèce d'importunité. Il doit
surtout la rendre de bonne grâce.
Pour cela, il faut qu'il ait toigours présents à Tesprit ces
antiques dictons :
La barbe de l'invité est dans les mains du matfre de la
tente.
Lahhyte ed-diffi idd moul el khéima.
Celui qui mange les poules des autres
Doit engraisser les siennes de bonne heure.
Li yakaul djadj en-nassy
Issemmenn djadjou assert.
Un homme arriva un jour chez un Arabe qui le fit asseoir
et lui offnt la difa, € Je n'ai pas faim, dit l'étranger, je n'ai
besoin que d'une place pour me reposer cette nuit. — Va
donc chez un autre, lui répondit TArabe ; je ne veux pas
HOSPITALITÉ 321
qu'un jour lu puisses dire : « J'ai couché chez un lel. » Je
veux que tu dises : « J'y ai rassasié mon ventre. »
On demandait à un homme généreux comment il avait pu
acquérir tant de savoir-vivre. « C'est, répondit-il, en don-
nant souvent l'hospitalité. J'observais mes hôtes; je tâchais
d'éviter leurs défauts, d'acquérir leurs qualités. »
Nous avons dit comment on arrive; faisons connaître
maintenant comment on se quitte. C'est très-simple; si vous
ne pouvez pas demeurer plus longtemps dans une tente qui
vous a reçu, vous annoncez votre intention, on prépare vos
bétes de somme, on vous amène votre cheval, on vous ak^com-
pagne jusqu'à une certaine distance. Vous remerciez en di-
sant :
Que Dieu augmente ton bien !
Allah iieter khérek !
Ou bien :
Dieu te le remplacera (sous-entendu : les dépenses que tu
as faites pour nous).
Hebbi ikhelef aalik.
On vous répond :
Pars avec les compliments.
Rohheu be selama.
Demande ton bonheur.
Tlob saadek.
Rencontre le bien.
Telka el khér.
Et tout est fini. Cette phrase : « Demande ton bonheur, 9
signifie : « Tant que tu as été mon hôte, ami ou ennemi, j'ai
répondu de ta sécurité. Nous nous séparons. Fais appel à ta
31
3^ LA VIE ARABE
cliauce. Quoi iju il arrive, je m'en lave les mains. » Il n'est pas
sans exemple, dit-on, que le même Arabe qui vous a accueilli
et qui vous aurait di^fendu au péril de sa vie pendant que
vous étiez son hule, soit allé vous attendre loin de sa Iribft,
pour vous piller ou pour vous faire un plus mauvais parti
encore. Toutefois, ces exemples sont rares.
- Si vous avez été recommandé, on vous fournira des
guides, des vivres pour pouvoir continuer votre route ; on
vous donnera même des lettres pour les voisins. Ces der-
niers vous feront alors un accueil des plus empressés.
Quand on est moralement forcé d'offrir riiospilalité à des
chrétiens, les formes sont à peu près les mêmes q'ie celles
que j'ai décrites. Seulement, en pays tout à fait arabe, c'est-
à-dire encore très-fanatique, on ne croit pas y manquer en
leur jouant une foule de mauvais tours. On les emburrassora
comme je fus moi-même embarrassé cliez sidi Mohhammed
benn Haoua ; on préparera leurs alimenls avec du beurre
mncc — dehane^ — ou bien on dressera leurs tentes sur
remplacement d'un marcbé, sur un ancien cami>cment aban-
donné, à côté d'un délicieux cours d'eau, c'est possible,
mais où ils seront cependant martyrisés par les puces et les
moustiques. Pour varier les plaisirs et quand il s'agira surtout
d'un individu venu dans le pays pour en étudier la topogra-
phie ou pour en répartir les impôts, on établira quelquefois
dans son voisinage soit un jeune cbameau récemment sevré,
qui emploiera son temps à réclamer bruyamment sa mi>re ;
soit un coq dont le cri strident réveillerait un mort, soit un
âne amoureux qui, s'il y a clair de lune, ne cessera de braire
pendant toute la nuit. N'y a-t-il pas là de quoi vous donner
des altaques de nerfs? J'ai plus d'une fois éprouvé ce sup-
plice et je me promettais bien d'en tirer vengeance, quani,
le lendemain, je me trouvais désarmé par mon hôte qui,
HOSPITALITÉ 323
avec un air de candeur et de bonhomie incroyable, venait
de bon malin, avec force salamalec^ me demander comment
j'avais doriui. « Très-bien, » lui répondais-je.
Que Dieu accorde sa miséricorde aux auleurs de tes jours !
Allah irhham onaldik !
J*avais compris que h mcillear i)arti à prdodre était do
me résigner pour ne pas lui donner le plaisir de lire sur
mon visage la moindre contrariété. II en aurait été si heu-
i*eu\ I Que voulez-vous ! quand on ne peut faire la guerre
sainte à coups de fusil — djahad^ — c'est encore une ma-
nière très-agréable à Dieu que do la faire à coups dl(é-
pingle.
En résumé, pour tout le monde, chez les Arabes, voici les
principes de Thospitalité. Ils seraient admirables si, chez
eux comme ailleurs, il n'était pas avec le ciel des accommo-
dements.
Dépense ton bien, plutôt que de changer tes amis en
ennemis.
Khesart el mal ou la aadout sahhab.
Un maître du kcsskessou vaut un maître de la poudre.
Moulu taam Ici moula barond.
Malheur à riiomme dont la main est toujours fermée et
qui, au lieu de s'occuper d'un hôte, laisse les chiens aboyer
après lui, les évite et se cache. Les imprécations vont l'ac-
cablor ;
« Que la malédiction de Dieu soit sur toi, autant do fois
que tu as de poils dans la barbe! 0 le vilain ! ô le juif! Non,
tu n'es pas de notre goum ! »
L'avare est méprisé, déconsidéré, jusqu'à ne plus pouvoii*
se présenter ni parler en sociétî^* Souvent même il arrive
324 LA VIE AKABi:
que la tribu lui impose, au profit des é( rangers, une amen le
(le liesskessou, de beurre et de moulons, tout en accompa-
gnant celle punition de sévères réprimandes.
« Si tu nous jaunis encore la figure, si tu fuis les bittes,
nous te prendrons celte fois un chameau, des moutons, peiit-
i^trc ton cheval, et nous te mettrons h pied comme un vil
fantassin. Comment ! tu es un maître des moutons, des cha-
meaux, des chevaux ; tu es riche et tu fuis les invités de
Dieu ! C'est une honte pour nous tous ! >
Soyez donc généreux envers votre hôte : en entrant, il
apporte une bénédiction ; en sortant, il emporte vos péchés.
On demandait à notre seigneur Abraham — sid-tia Brahim
Khalil Allah — pourquoi Dieu l'avait choisi pour ami ; il ré-
pondit :
« Parce que, en présence de deux choses, j*ai toujours
préféré celle qui pouvait lui être agréable, que je ne me suis
jamais mis en peine des affaires dont lui seul a le soin , et
qu'enfin je n'ai jamais pris de repas sans le faire partager à
des hôtes. »
A celui 'qui sera hospitalier. Dieu accordera les grâces
suivantes :
Il mettra sa confiance dans Celui qui ne meurt pas ;
A ses yeux, les biens de ce monde ne vaudront pas l'aile
d*un moucheron ;
Il donnera sans ostentation et fera toujours Taumône en
cachette ;
Il accueillera le pauvre aussi bien que le riche ;
Son cheval n'aura pas de fiere dans ce inonde ; il arra-
chera la larme de Tœil ;
11 sera préservé du mauvais œil ^ uain;
HOSPITALITÉ 325
Sa famille suivra le chemin de Dieu f sa femme rougira
rien qu'en voyant un coq ;
Uieu remplira sa tente d*enfants mâles ;
Il possédera la résignation de notre seigneur Job ;
Il sera simple, modeste, et ne se vêtira que de lain î ;
Son bonheur sera l'espoir d'une autre vie ;
Il visitera la chambre de Dieu — bite Allah! — la
Mecque ; ,
Dieu allégera le poids de ses péchés ;
Il sera considéré, fùt-il de mince origine ;
On le comptera au n*bmbre des amis du Prophète ;
Et enfin, s'il plaît à Dieu — ennchaallah, — jamais ok
ne l'entendra dire à un chrétien :
Que le salut soit sur vous! — Salam ou aalikoum!
Cette dernière faveur accordée à Thomme hospitalier no
peut avoir été inventée que par un fanatique ignorant commc^
du reste, on en rencontre beaucoup. En effet, il est, au con-
traire, dit dans le Koran :
Dieu ne vous défend pas d'établir des relations avec ceux
qui ne vous combattent pas pour cause de religion et qui
ne vous chassent pas de vos foyers.
Faites-leur des politesses et soyez équitables à leur égard,
car Dieu aime les homm *s équitables.
La ïennha-koum mouUahou aani elladina lem toiika'
tilou-koum fed-cline , oua lem ïonkhridjou-koum menu
dïari-koum,
Enn teberrou-houm oua toukcitou ilihem, enn allaha
ïouhhebou le moksstine.
Si vous devez vivre avec des musul.nans, apprenez celte
326 LA VIE ARABE
phrase par cœur. Appliqut^e à propos, elle ne manquera ja-
mais de remettre dans le droit chemiti ceux qui seraient
tentés de s'en écarter. De méprisé, vous deviendrez consi-
déré.
Telles sont dans leur ensemble les principales règles ob-
servées en pays arabe ; les Européens ne les désavoueraient
pas : ce sont, à peu de chose près, les nôtres. D'où vient
cette ressemblance? I^s avons-nous rapportées d'Orient?
Les Arabes nous les ont-ils empruntées ? Ou bien la politesse
se forme-t-elle de la même manière partout ? C'est ce que je
ne saurais dire.
Terminons par une légende : elle ^^a résumer, sous une
forme invraisemblable pour nous, mais acceptée les yeux
fermés par les musulmans, tout l'intérêt qui s'attache aux
devoirs sacrés de l'hospitalité. Je l'ai écrite sous la dictée
d'un Arabe, je ne changerai rien à son récit.
Il y avait deux frères : l'un, depuis quarante ans, s'était
retiré sur une montagne pour adorer Dieu, dans la solitude;
l'autre était devenu voleur de grand chemin. Il avait tué
quatre-vingt-dix hommes dans sa vie.
Un jour, un voyageur se présente chez le derviche et lui
demande l'hospitalité,
— Va-t'en ailleurs, répondit l'homme en prières, je suis
seul ici et je n'ai rien à t'offrir.
— Laisse-moi au moins coucher chez loi; tu ne me don-
neras ni à boire ni à manger !
— Eh bien, soit. Couche chez moi.
Or, ce voyageur était l'ange Gabriel, envoyé par Dieu
vers celui qui s'était voué aux exercices de piété.
Le lendemain, le maître de la cabane cherche son hôte :
il avait disparu.
Il était allé demander Thospitalité au brigand.
HOSPITALITi;: 3i7
— Un iuvilé de Dieu ! eria-t-il à la porle de lu icnle,
dont le niattre était absent.
La femme sort, raccueille. Soyez le bienvenu, entrez. Le
voyageur n'accepte pas, malgré toutes les instances. A trois
lieures de l'après-midi, arrive le bandit. Il apprend que l'hôte
n'a pas voulu pénétrer cbez lui ; il fait une scène à sa femme,
enlève sa tente, la porte vers le voyageur, la dresse sur sa
télo et lui dit :
— Tiens, puisque tu n as pas voulu te reposer (Je bon
gré dans mon habitation, t'y voilà Vnaintenant par force.
On apporte à souper, le voyageur refuse tout ce qu'on lui
offre, et déclare qu'ayant fait un vœu, il ne peut accepter
qu'un plat composé de sept cœurs.
Le brigand n'avait que cinq chèvres pour toute fortune,
il les tue, lui voilà cinq cœurs. Comment se procurer les
deux autres? Il cherche, il fouille partout. Ses regards tom-
bent sur ses deux petits enfants qui se roulent à terre en
riant comme on rit à leur âge. Lui, il ne pense qu'à l'hos-
pitalité et à la demande de l'invité de Dieu.
Le malheureux tue ses enfants, leur enlève le cœur, les
fait cuire avec les autres, et les sert en disant :
— Monseigneur, voici les sept cœurs que vous avez
demandés.
Alors, l'hôte lui répond:
— As-tu des enfants?
— J'en ai deux.
— Eh bien, je ne mangerai pas avant qu'ils soient ici.
— Cela ne se peut pas, monseigneur, ils sont très-jeunes
et mal habillés.
— Comment se nomment-ils ?
— Ils se nomment Aali et Aabd-ol-Kader.
Puis il s'enfuit pour raehci' ses larmes.
3Î8 LA VIE ARABE
L'ange Gabriel appela trois fois par leur nom les petits
enfants morts. Dieu leur rendit la vie. Quand le père rentra
un instant après dans la tente, il les vit éveillés et joyeux
autour de la table. Mais le voyageur avait disparu. Où était*
il allé ?
Il était allé trouver Dieu pour lui raconter Thistoire des
deux frères, dont Tun, Tadorant depuis quarante ans, lui
avait brutalement refusé Thospilalité, et l'autre, quoique
brigand, avait tué ses enfants pour nourrir un bdte.
Dieu lui dit :
— Retourne auprès de celui qui m'adore depuis qua-
rante ans, et qui t'a refusé Thospitatité, et fais-lui savoir
que, m*adoràt-iI encore pendant cent autres années, cela
ne lui servirait de rien dans ce monde ni dans Tautre. Puis
va trouver le brigand qui s'est si bien conduit h ton égard,
dis-lui que je pardonne tous ses crimes, qu'il entrera dans
mon paradis et que je le tiens pour un saint de septième
classe. L'invité de Dieu, c'est Dieu.
Me voici arrivé à la fin de cette étude ; j'ai considéré l'hos-
pitalité arabe sous les diverses formes, publique, privée, ci-
vile et religieuse, acceptée, proposée ou reçue, et, comme,
pour justifier la théorie par des exemples, mes lecteui*s et
moi, nous avons pénétré en voyageurs dans tous les détails
de la vie arabe, même dans ceux qui paraissaient d'abord ne
pas se rapporter à notre sujet. Pourquoi donc cette nécessité
de parler de tout h propos.de l'hospitalité? Cette nécessité
vient de la constitution môme du peuple arabe, de son cli-
mat, de la nature de son pays. Elle vient encore de la loi
musulmane d'où dérivent un grand nombre d'obligations en
tète desquelles on doit compter la fraternité entre coreli-
gionnaires, l'aumône, sans compassion, je le veux bien, mais
HOSPITALITÉ 3i9
enfin le soulagement dos misères» le respect des conventions
de musulman k musulman, Tapaisement des querelles, et,
par-dessus tout , la convenance dans les rapports indivi-
duels.
Aujourd'hui, la sécurité des chemins, la facilité des
voyages et des approvisionnements, en un mot toute notre
civilisation rend, chez nous, Thospitalité sans objet: elle
n*est plus qu*un plaisir privé, elle a cessé d*être un devoir
public. Il existe cependant un lieu oh, déterminée par des
règlements aussi minutieux que chez les Arabes, Thospitalité
chrétienne est encore aujourd'hui, comme au désert, la sau-
vegarde et l'assurance mutuelles des gens toujours en
marche et toujours en péril.
Ce lieu, c'est la mer. Le code maritime de toutes les na-
tions impose aux navires l'observation la plus large de l'hos-
pitalité et du secours mutuel. C'est que rien ne ressemble
plus au désert que l'Océan ; môme genre de dangers, même
façon de les surmonter. Dans les deux, l'homme n'est fort
que de l'assistance qu'il tire du voisin, et il est toujours au
moment de la prêter ou de la demander à son tour. Cette
solidarité nécessaire, s'exerçant dans des circonstances pa-
reilles, crée des habitudes identiques.
Vn navire, même ennemi, fait un signe de détresse ; 11
brûle, on court à lui, on le sauve. Un autre, ù moitié enfoncé
dans les flots, traîne, hors de la route loin de laquelle les
vents l'ont poussé, un équipage exténué; c'est la faim qui
tient le gouvernail. Vu vaisseau passe ; de quelque nation
qu*il soit, il doit remettre ces malheureux dans leur route et
partager ses ressources avec eux.
Une koubba, chapelle perdue dans le désert, reçoit en
dépôt des provisions ù l'usage du voyageur égaré qui la
330 LA VIR AUAHE
rencoiUrora afTnihli par la fatigue et les privations. Dans \vs
déserts glaei^s des inei's polaires, des cairncs — espèces de
silos — surmontés de poteaux pour signes indicateui*s,
cachent sous la gla/îe ou la neige les vivres déposés par les
équipages à l'usage des naufragés à venir. Les mêmes causes
ont conduit, par force, aux mêmes usages.
Je ne saurais mieux terminer tout ce qui concerne l'hos-
pitalité chez les Arahas qu'en offrant encore aux lecteurs ce
beau et puissant précepte qui me paraît résumer toute leur
pensée à cet égai'd :
Si tu as beaucoup, donne de ton bien ;
Si tu as peu, donne de ton cœur.
lia aandek keiU\ aati menn malrk;
lia aandek klil, aali menn galbek.
CHAPITRE NEUVIÈME
PHRASKS UTILES ET USUELLES,
Apprenez cinq mois par jour. — Adverbe?. — Le mot temps.
— Le mot tuer, — Le mot âme. — Le mot respiration. —
Le mot boire. — Le mot frapper. — Le mot nez. — U
mange de ma ceinture. — Les Arabes du milieu. — Il a le
sang jaune. — Rafraîchir la salive. — La langue arabe est
un puits sans fond. — Ilcproclies adressés aux chrétiensr-^
Les ordures de ce monde. — Le moul saa. — La révolte, -^
Ils payeront Tancien et le nouveau. — Le café consolide les
os et court dans les membres. — La tôle de la boutique. —
La guerre. — Aujourd'hui, c'est le jour de la mort. — Les
impies couvrent Tœil du soleil. — La poudre a mangé tous
nos hompaes, — Le troupeau sans berger. — Quel dommage
que les Français ne se fassent pas musulmans! — 0 mon
Dieu, c'est toi qui nous as amené l'infidèle, c'est toi qui dois
nous l'enlever.
Comment appelle-t-on cela?
Kifach essmou liada ?
Pour apprendre l'arabe parlé, voilà la première phrase
qu'il faut savoir. En effet, quand vous aurez posé la ques-
tion : « Comment appelle-t-on cela ? » écrivez la réponse sur
votre calepin, en vous ingéniant pour bien reproduire la
S3â
LA VIE ARABE
prononciation, d'api t^^s les règles que j ai tracées au commen-
cement de ce livre, retenez ainsi cinq mots par jour, cela
vous fera cent cinquante mots par mois et dix-huit cents à
la fin de Tannée. Joignez à ce bagage les verbes usuels; des
adverbes, des prépositions, des conjonctions, etc., etc., et
bientôt on vous comprendra et vous volerez de vos propres
ailes.
Des savants assurent que, lorsqu^on connaît et que Ton
sait prononcer h'uit cents mots d*une langue étrangère, on
doit la parler de manière h pouvoir satisfaire à toutes les
exigences de sa position.
Moi. Toi. Lui.
Nous. Vous. Eux.
Oui.
Non.
Aujourd'hui.
Demain.
Après-demain.
L'autre après-demain.
Hier. •
Avant-hier.
Avant-hier.
L'autre avant-hier.
L'autre avant-hier.
A l'avenir.
Quand?
Toujours.
Jamais. De ma vie.
Rien.
Bien.
Peu
Ana. Ennta. Houa.
Ahhna. Enntouma. Houma.
Ih. Oua. Noam. Eioua.
La. La-la. Rahha.
Elyoum.
Ghedoua. Gheda.
Baadgheda. Mennghodd.
Li cheggou.
El baraihh. Amess.
Loul menu amess.
Loid el baraihh.
Loul el barraihhine.
Loul menn amessine,
Menna legouddam.
Oiïimta ? Ouaktach ?
Dima. Daim. Lebda.
Abadenn. Aamri.
Oualou. Chaîne.
Meléhh. Tayeb. De iebaa.
Chouiya. Kelil.
PHRASES UTILES ET USUELLES
3?3
Beaucoup.
Mauvais.
Enfin.
Assez.
A la longue.
Pas du tout.
Pourquoi ?
Parce que.
Combien?
AllcrnativemenL •
De temps en temps.
Exprès.
Bientôt.
Tout de suite.
Volontiers.
A i'improvistc.
C'est égal.
En cachette.
Eu secret.
Doucemeut.
Partout.
En vérité.
Cependant.
Avec tout cela.
Il le faut.
C'est possible.
C'est impossible.
A peu près.
Autrefois.
A la fin.
C'est la même cUose.
Dezzaf. Ktir. Yasser.
MamennoNch. Douni.
El hhassouL
Barka. Ikfi.
Del metoul. Bel toul.
Del koull.
Aalach? LiyahJ
Aala khater. Aala sebetl.
Kedilach. DechhaL Kern.
Detinouba,
Saa aala saa.
Delaani. Delkessod.
Aan keiib. Kerib.
Fi saa. Fel hhine.
Tayeb. Maalih. Del ghard.
Aala ghefla.
Denniya. Siérsa.
Bel khefiya. De serka.
Desser.
\ Choulya-Chomya.
I Ouahhda-Ouahhda,
Fi koiill Medrob. Modaa.
Dessahh. Del hhak.
Oua lakenn.
Dini ou bini.
Lazem. Labed. Bessif.
Imkenn.
Ma-imkennche, MohhaL
Zaid nakoss.
Fi sabok. Zemane.
Fe laagab. Fel akher.
Kif-kif. Soua-soua.
334
LA YIG ARABE
Quand bien m6mc.
C*esl-à-dii*e.
En deçà.
Au delà.
Tout.
Qu'est-ce (lue cela ?
Viens.
Beau.
Lequel vaut le mieux.
C'est ainsi.
Par exemple.
Tout au plus.
Sans aucun doute.
C'est évident.
Tout autour.
Probablement.
Au lieu de.
Il n'y a pas de mal.
Mieux.
Tout droit.
Par force.
Sauf votre respect.
Entre les deux.
C'est connu.
Gratis.
C'est permis.
C*est défendu.
Écoute.
Allons, courage.
\ a-t-il ?
Il n*y en a pas.
Hûte-toi.
Baadema.
Yaani, Zama.
Donne,
Cheg.
El konIL
Ouacheta hada.
Adji.
Zine chebab,
Ama khér.
Hakda. •
Bel -me tel. Meteknn.
Bel hhara.
Delà chek.
Maaloim. Be daliar,
Dair-saïr.
Ouakila.
Aaouad.
La bass. Ma-idorche.
Khér. Hhassenn.
Koubala^ koubala.
Dessif. De-zzour. Be deraa,
Hhachak»
Dine el Mnine,
Maarouf. Maaloum.
DatoU
WialaL
Hharam.
Esmaa. Semwlt,
Yallah, redjoulhja.
Kane^chi ?
Ma-kannche.
Aamel kkefif.
PHRASES UTILES ET USUELLES
3S5
Sans plaisanterie.
Cela n'est pas supposable.
Ainsi soil-il.
Va-ren.
Encore.
Qu'est-ce que lu as?
Présentement.
Brièvement.
Auparavant.
Inutilement.
Injustement.
Surabondamment.
Indubitablement.
Sincèrement.
Séparément. .
Proprement.
Désagréablement .
Visiblement.
Vigoureusement.
Tristement.
Insolemment.
Vite.
Orgueilleusement.
Finalement.
Fidèlement.
Entièrement.
Joyeusement.
Délicatement.
Courageusement.
Amicalement.
Maladroitement.
Malicieusement.
Delà temesskhir.
La houa, la guemma.
Aminé,
EmchL Rohheu.
Zid. MazaL
Achbik? Maalek?
Deloiiakt, Tououa.
BeUekssir.
Kbel
Fel batoL
Beddolm.
De ziyada.
Bettlihakilj.
Bessedok.
Koulouahhéd ouahhédon.
Be nekaoïia,
Bla kif.
Beddahar.
Bel koua.
Bel hhezenn.
Bel kebahha.
Bel kheffa. Bih fih.
Bennefkhn. Be keber.
Fi lakher.
Bessedok
Bel kouHitia.
Bel ferhha.
Beddrafa,
Bel galb. Be chedjaa*
Bel mahhabba.
Be kolt el maarifa.
Bel hhéila.
33t5
LA VIE ARABE
Bêtement.
Sans raison.
Il n*est ni grand ni petit.
J*ai oublié son nom.
Littéralement.
Patiemment.
Violemment,
Volontairement.
Souvent.
Dépêche-toi.
Sagement.
Follement.
A contre-cœur.
Voilà tout.
Tiens ta langue.
Qui est-ce ?
Je ne me rappelle pas.
La vérité est avec toi.
Entre toi et Dieu.
Qu'en penses- tu?
Consulte ta tête.
Combien y a-t-il de temps?
Cela est loin de moi.
Il n'est venu personne.
J'ai beaucoup d'affaires.
Je m*ennuie.
Quelle heure est-il?
Apporte le café.
Donne-moi une pipe.
Je compte sur toi.
Nous mangeons du pain noir.
Bel khechana.
Menn koU el oakeL
La kebir ou la seghir,
Nessil essmou.
Kelma bel kelma.
Bessebetr,
Dezzour.
Del ghard.
Aala koull saa.
\ Khof. Ghaouel.
\ Zerem. Aazein.
Bel aakel.
Bel hebaL
Bla galb.
Hada ma kane.
Chedd lessanek.
Ahh koun ?
Manichi tabett.
FA hhak maak.
Binek ou bine IlebbL
Ouachta daharlek?
Chaour rassek,
Elyoum keddach ?
Hada baatd aaliya.
Ma-djach hhatta ouahhéd.
Ana moula kelfa.
Idik khatri. Rani mediyd\
Keddach saa. Saa kem î
Djib el kahoua.
Aaténi sebsL
Rani netkel aaliL
Nakoulou khobz gourchala.
PHRASES UTILES ET USUELLES
337
Je n*ai pas de bonheur.
Je n*ai pas d*argent.
Il connaît ses affaires.
Ce n'est pas une faveur.
Que le rnal soit loin de lui !
Qu'est-ce que cela rae fait?
Élargis Ion intérieur (cœur).
Le passé est mort.
Âmène-moi un conducteur.
Ne comble pas la source.
Ils sont embusqués.
Ce sont des traînards.
Ce sont des pillards.
Un homme poignardé.
Ma mère a eu des envies.
J'ai compris le contraire.
Allons, tenons conseil.
C'est une méprise.
Il vend en détail.
Décris-moi le pays.
Us se ressemblent tous.
Il y a quelques jours.
Cela ne se dit pas.
Donne-moi mon argent.
La mer s'est calmée.
J'ai consenti.
Pourquoi me boudes-tu ?
Il n'a pas d'épaules.
Je me vengerai de lui.
Bôlises sur bêlises.
Il a le cœur dur.
h fais la sieste.
Maandi saad.
Maandi felouss.
laarf soualahhou.
Machi bel meziya.
Baàid el bêla aalih !
Ach aandi fih?
Oussaa khatrek,
Li fate, mate.
Djib'li gououad.
Materdemche laain.
Bahoum mekmine.
Hadouk mostakherine.
Nas8 kliettafine.
Radjel medegoug.
Imma touhhamete.
Fehemt el mekloub.
Ayya^ netrayaou.
Hadi khatalla. Gholta.
Ibéaa be tekchir.
Oussef-ni el belad.
Gaa ouahhéd frid.
Elyoum chi yamate.
Had'Chi ma Uougalch.
Lahhag ni — drahamu
El bahhar ennfech.
Kobelt, Reddite,
Aalach teghdob aaliya ?
Maandouch le ketaf,
Nekhelef hhasaifa mennou.
Tiriri fi tiriri.
Galbou kassahh.
Rani me(/uiyel.
338
LA VIE ARABE
Je tourne suivant ma tête.
Je tourne et je tournaillei
De quel pays es-tu?
0 esclave de Dieu!
Quelles nouvelles y a-t-il?
Il n*y a que du bien»
Ne me jaunis pas la figure.
Je te couperai la têle.
Cela me rafrakhira le cœur.
Rends-moi la réponse.
Un tel est vivant.
Tu n'auras pas de mal.
Cela ne me convient pas.
Le temps est beau.
Le temps est mauvais.
Quel temps fait-il ?
Le temps tourne»
Comment ton temps ?
Le temps est nuageux 4
Il n*a rien dans sou temps.
Le temps a tourné sur moi;
Je trouve le temps long.
Le temps vole — fuit.
Il ne reste plus de temps.
Embellis-lui le temps.
Dore-lui la pilule.
Va à ton temps.
A tes affaires.
U est temps encore.
Le temps est parti.
Il est de bonne beure.
Ntdour aala ra^si.
Nedour ou nedouder,
Enntamenine?
Ya aabd rebbi !
Ach lekhobar?
Khobar el khér.
Matesseferlich oudjhi.
Nektaa rassek.
Ibeired galbi.
Rodd'li lotidjab. Le djouab,
Felane ra hhai,
La ba$s aalik,
Hada ma ilikchi biya,
Lhhal meléhh.
Lhhal mamemwiich.
Kifach lhhal ?
Lhhal idour.
Ouach hhalekf
Lhhal messahhab.
Ma fi hhalouch.
Dar aaliya IhhaL
Tal aalya lhhal.
Lhhal itair,
Ma-bka hhaL
Ziyenn-lou lhhal.
Rohheu fi hhalek,
Mazal lhhal,
Mecha lhhal,
Lhhal hekrL
PHRASES UTILES ET USUELLES
339
C'est près.
C*est loin.
Il fait frais.
Le temps est lon^.
En tout temps.
Depuis longtemps.
Au temps de la guerre.
Chaque temps a son temps.
Le temps est venu.
Le temps est parti.
Depuis les temps anciens.
 tout moment.
Dans quel moment.
Dans ce moment-là.
En ce moment.
Dans son moment.
Dans un moment connu.
Le moment de donner Tor^'e.
Avant le moment.
Le moment est arrivé.
Le moment est passé.
Le moment des semailles.
Le moment du labourage.
Le moment de la moisson.
Le moment du dépiquage.
Le moment de l'abreuvoir.
Moment inopportun.
Le moment de la mort.
Le moment où il est venu.
Indique le moment.
Choisis le moment.
Guerib Ihhal.
Baaid Ihhal.
Berd Ihhal.
Zemane touil.
Fi koull zemane.
Menu zemane.
Fi zemane el aadaoua.
Koul zemane on zemanou.
Dja zemane ou mecha ze-
mane.
Menn kedim zemane.
Fi koull oîiakt.
Faï oudkt.
Fi dak el ouakt.
Delouakt.
Fi ouaktoii.
Fi ouakt el maaloum.
Ouakt el aalf.
Kebel el ouakt.
Oussel el ouakt.
Fate el ouakt.
Ouakt ezzeréaa,
Ouakt el hhartt.
Ouakt el hhassad.
Ouakt edderras.
Ouakt el mirade.
Fi ghér ouakt*
Ouakte el monte.
Ouakt H dja.
Aaiyenn el ouakt.
Khetar el ouakt.
340
LA VIE AHARK
Maintenant, en quoi consiste la diiTërcncc entre les mots
hhaly zemane et ouakt^ qui, à la rigueur, peuvent tous dési-
gner le temps.
Elle me paraît résider dans une succession d*instantsplus
ou moins étendus ou plus ou moins limités.
Quoi qu'il en soit, comme hhal, zemane et ouait donnent
naissance à une foule de phrases très-usitées et fort utiles
dans la conversation, j*ai cru devoir appeler sur eux l'atten-
tion.
Toi et ton caprice.
Toi et ton intérieur.
Toi et ta volonté.
Toi et ton désir.
Toi et ton bonheur.
Toi et ton conseil.
Toi et ton cœur.
J'ai faim.
J'ai soif.
Je suis rassasié.
Je suis en transpiration.
J'ai froid.
Je suis tout nu.
Je marche pieds nus.
Je suis en colère.
Chacun son pays.
Chacun sa langue.
Chacun son plaisir.
Chacun son tour.
Chacun sa religion.
Tue ton ennemi.
Ennta ou kifek,
Ennta ou khatrek.
Ennta ou ghardek.
Ennta ou moradek.
Ennta ou saadek.
Ennta ou rayek.
Ennta ou galbek.
Rani djiyaane.
Rani aatchane.
Rani chebaane.
Rani aargane.
Rani berdane.
Rani amryane.
Rani hhafyane,
Rani zaafane.
Koull ouahhéd ou beladou.
Koull ouahhéd ou lessanou.
Koull ouahhéd ou kifou.
Koull ouahhéd ou iwubtou,
Koull ouahhéd ou dinou.
Ktel aadouk.
PHRASl!:S l'TiLl!:S £T USUELLES
341
I s'est tué.
Tue le vin.
Mets-y de l'eau.
Tue Ion cœur.
Eii(lurcis-le.
Tue ton conseil.
Décide-toi.
Tue la terre.
Va-t'en à la découverle.
Affaires de délicatesse.
Affair s d î vanité.
Affaires de princes.
Affaires de femmes.
Affaires du démon.
Affaires du domaine.
Affaires du gouvernenient.
Affaires de la reli{5'ion.
Affaires d'orgueil.
0 mon âme !
Commande à ton àuie.
J'ai égaré mon âme.
J'ai retrouvé mon âme.
Il n'aime que son ftme.
Tiens ton âme.
Unissons nos âmes.
Reste chez ton âme.
Tiens-loi tranquille.
Grand par la taille.
Grand par les honneurs.
Grand par l'âge.
Grand homme.
I Ktel nefssou,
? Ktel cherab.
. Ktel galbek.
Ktel rayek.
Ktel el arde.
Cheghoul eddrafa.
Cheghoul ezzyakha.
Cheghoul el moulouk.
Cheghoul ennesi^a.
Cheghoul echitane.
Cheghoul el bàilik.
Cheghoul el makhzenn,
Cheghoul edditte.
Cheghoul emiefkha.
Ya rohhi !
Hhakem fi rohhak,
Telleft rohhi,
Sebt rohhi.
Ihheb gher rohhou.
Chedd rohhak,
Evbolt rohhak maa rohhi.
Ogoud aantl rohhak.
Touil.
Kebir fe trék,
Kebir fe senn.
Hadjel aadim.
(
\
342
LA VIE ARABE
Il frappe la poudre.
Il frappe les éperons.
Il frappe monnaie.
Je Tai frappé injuslemeiil.
Il frappe le tambour.
Ils ont frappé le divan.
Ils ont tenu conseil.
Je Tai frappé avec le soupçon.
La poudre parle.
La poudre tousse.
Maître de la poudre.
La poudre est dangereuse.
Gare.
Prends garde.
Préte-moi attention.
Cela ne se dessine pas dans
mon intérieur.
Je suis souffrant.
Montre-moijle chemin.
Combien te dois-je?
J'ai mal aux dents.
Je n*ai besoin de rien.
Il nfa tourné le dos.
Il m*ont bien accueilli.
Tu ne me reconnais pas.
Donne-moi un délai.
Je suis mal à mon aise.
Je payerai comptant.
Je suis venu à pied.
Donne-moi à crédit.
Bois du blanc — du lait.
Idrob el baroud.
Idrod chabiv.
Idrob sekka.
Drobtou bêla hhak.
Idrob ettebel,
Drobou eddiouane,
Drobtou be donn,
El baroud itkellem.
El baroud ikohiieu.
Moula baroud.
El baroud ouaur,
Balék.
Rodd balék.
Aaténi balék.
I Hada ma, issouer fi bali.
Rani mederour,
Ourini eirék.
Keddach tessalni ?
Senani ïoudjaaouni.
Manichi mahhiadj.
Aata7ii bel kcfa.
Keberou biya.
TeUeftni.
Aaténi tidjal. Midjal.
Rani matemmach.
Nekhalless bel hhadei'.
Djite aala ridjeli — terrass.
Aaténi bettèlouk.
Cherob el byad.
PHRASES UTILES ET USUELLES
3i3
La société fait man^^er.
C'est la tête de mon bien.
Ma tente est détruite.
C'est un joueur de religions.
Ne lui fais pas l'œil.
C'est un homme mort.
Il a mangé la bastonnade.
Tu fais blanchir ma barbe.
C'est ma soeur du démon.
Ils t*ont menti.
Tu fais des bêtises.
Découvre ta tête et jure.
Apporte-moi la mosquée.
Il peut sa tête — habile.
Je lui tirerai la langue.
De quelle origine es-tu ?
Rince-toi la bouche.
C'est la coutume.
Le voyageur est pardoiuié.
Tu es fou.
Je n'ai pas de monnaie.
Mes cheveux «ont longs.
J*ai sacrifié ma vie.
Je suis blessé au cœur.
Dieu est entre nous.
0 mon pain ! frappe -moi.
C'est un homme de TOuesl.
J aime le lait.
Comme si tu le vovais.
Le feu fait des cendres.
Apporte-moi de Teau.
Va-fen à tes affaires.
Errefaga tououkkel,
Hadarass malL
Khela khéimti.
Laab be le diyane.
Ma leghmezlouch.
Radjel miyete, '
Kela laassa. Lharaoua,
Rak techiyeb-ni.
Kheti menn echytarie:
Guedehou aalik.
Rak tekher.
Aari rassek ou hhalef.
Djibli el djamaa.
Inedjemm rassou,
Nedjebedloiir lessanou,
Ennta fel assel menhie.
Mossmoss foumek.
Hadi laada,
El moussafer, meglwfer.
Rak messgooeu. Maliboitl.
Esserf maandiche.
Rani meghofeL Meghouef,
Sebbelt aamri.
Rani metaaoun.
BéinaUna rebbi.
Edrod-ni ya khobzi !
Radjel megharbi.
Nehheb el hhalib.
Ki H rak techouf be aainek.
Ennar tekiielef erremad.
Djlb'H el ma. Moiiya.
Rohheu le soualahhk.
344
LA Vl£ ARABE
Le tambourin meplatt.
Il fait revivre un mort.
Est-il noble ou roturier?
Ont-ils apporté du butin ?
Il a des yeux à la nuque.
Quel monde 1
Quelle organisation I
Tu m'as trahi.
Ne fais pas de bruit.
Donne-moi la peau de bouc.
Allons consoler un tel.
Allons complimenter un tel.
Ce qui est répété est fade.
J*ai été effrayé.
Je suis stupéfait.
Je jeûne.
Les Arabes nomades.
Les Arabes du milieu.
laadjeb'îH el guellal.
Ihha'i el miyete.
Djiyed oula tei^bi f
DjaboU'Chi kech el yhazia If
Aaïnine fel aanguera,
Ach menn denya!
Achmenn taouill
Ghedderit-ni,
Ma tekiterchi el hhess.
Aaténi guerba.
Ayya naaziou felane.
Ayya jiebourekou felaiie.
El maaoud messous.
Ennkhelaat,
Rani dhhachane.
Rani sàim,
Aareb rahhala,
Aareb el ouasta.
On entend par Arabes du milieu, tous ceux qui sont com-
pris entre l'Egypte et le Maroc.
Qu'est-ce que tu dis ?
Je n*ai rien à dire.
Il ne nous manque rien.
J'aime le tabac fort.
Je n'ai pas compris.
Raconte-moi cette histoire.
Il a la langue longue.
Tu n'as pas de mai.
Il voit Tavenir.
Je suis sorti de ma raison.
Ne montre pas mes défauts.
Ouacheta rak tegoul ?
Maandi ma negoul,
Ma-khessna chaain.
Nehheb cddokham gataa,
Ma-fehemtche.
Hhakili dik ed-daoua,
Lessanou touiL
Maandek saii. Bass,
Ichouf el baud.
Khordjt menu aakeli.
Matekeche (niche.
PHRASES UTILES ET USUELLES
34
Y a-t-il de loi aujourd'hui?
Tu t'es beaucoup arabisé.
Parle francheinenl.
Il ifa pas de provisions.
Je n*avalc pas la fumée.
Un lel est revenu bredouille.
As-lu des épiées?
Prends à droite.
Prends à gauche.
C'est mon devoir.
Allons, prends respiration,
Ayya elnefess.
Kannche mennek, elyoum î
Taarbite bezzaf.
Etkellem koubahiy koubala.
Ma-aandouch el aaouine.
Manekemmich dokhane.
Felane oulla yammahh.
Aandekclii elaatriyaf
Tïyamenn.
Tiyasser.
Ouadjeb aaiiya.
DitïicuUé de respiration. | Dikete ennefss.
C'est un maîlre de la rospiralion. — Coura^'eux.
Moula nefss.
J'ni la respiration maigre. — Je ne suis plus un homme.
Nefssi daaifa.
Il est venu avec sa respiration. — Lui-même.
Dja houa be nefssou.
Il n'a pas de respiration. — Peu vaillant.
Nefss makanncUe.
Tu m'as coupé la respiration.
Ketaat'li ennefss.
Il ne pense qu'à sa respiration — à soi.
Ikhememm ghér fi nefsou.
Il boit la feuille de ce chanvre qui prod.iit l'ivresse el
l'extase (hhachich).
. Ichrob el kif.
346 LA VIE ARABIî:
Il boit des liqueurs ferraentccs.
Ichrob el khemer.
Il boit le tabac — fume.
Ichrob dokhane.
C'est un buveur d'air.
Chareb erréhh.
C'est un maître du nez — de Tamour-propre.
Moula nif.
Je suis frappé dans mon nez.
Rani medroub fi nifi.
Pourquoi fais-tu ton nez ? — Pourquoi fais-tu tes eni
barras ?
Aalach ieiniyefi
Il n'a pas de nez.
Nif maandouch.
Nous avons marché toute la nuit.
Bettna càirine.
Cela ne me fait pas de peine.
Ma-ighidniche.
Tu es un habitant de la ville.
Ennta medini.
Une parole comme une balance. — Juste.
Hadi kelma mizane.
Je suis ton écolier.
Ana (janndouzek. — Telmidek,
PHRASES UTILES ET USUELLES 347
In gitiihl cri. Le bien de Dieu. Il y alongteraps.
AuUa, khér Allah, zemmie.
Le temps de faire cuire uupain. — Promplemenl.
Marna thiyab el khobza.
Et CiTlera, et cœtera.
lia akhéri. Ou menn ghëv ilaliL
Une seule fois.
Marra frida. Khratra ouahhéda.
j Menn hena le fouk.
\ Menn hena le goiuldam.
Je suis occupé sur ma tête.
llani mecheghouL
Hani Iha'i aala rassi.
Réveille ton cheval avec le bruit des étriers.
Kerbaa aaoudek.
Donne-moi un morceau de nouvelles.
Aaténi guerdaa khobar.
Ils se servent encore de la fronde.
Mazal idrobou bel mouglaa.
Comme ci, comme ça — une grande tente, une petite
tente.
Khéima ou khouima.
Bois cela sur la salive — à jeun.
Chrob hada aal rig.
La tente de mon père est détruite.
Khela khéimt bouya.
348 LA YIË AHABE:
J'ai eiiteudu les ëelaireurs de nuit.
Smaat el keroualhie.
Les chevaux fo^t voler la poussière.
El kliéil ghér teghebbor,
La Icrre dompte le cieL — Le beau tiujps est veuu
FA arde tegheleb sema.
Je demande mon bonheur. — Je cours ma chance.
Netlob saadL
Laisse-moi tranquille, ô homme!
Kil-ni ya radjel !
Comment Dieu t*a-t-il nommé?
Kisemmak allah?
A portée de fusil. — A la jeti»e de la balle.
Aala remait eressas.
C'est un menton sans barbe.
Dekenn bêla lahhya.
C'est un grand fauteuil. — Troue.
Kersi kebir.
Tu ne trouveras pas son pareil.
Matessibch metlou.
Allons, poursuivons reuuenii.
Ayya, mrdefou laadoiu
A boire, pour l'amour de Uieu.
Houini fi sabillah.
Sa physiouomie ne me plaît pas
Sifton mataadjebnich.
PHRASES UTILES ET USUELLES 349
Je passe li soirée chez un tel.
Neguesser aani felane.
Ce sont des ramasseurs de poussière. — Gpiis de rien.
Leggatine el aadjadj.
Que Dieu noircisse vos cœurs!
Allah iqhhal gueloiib-koum !
Je Tai sur le bout de la langue.
Ra aala terf lessani.
Nous n'avons pas de relations.
Maandena kholta.
Il mange de ma ceinture. — Il vit à mes dépens.
Yàkoul mena hhazami.
C'est le chef du troupeau. — Nation.
Houa kebir eddoula.
Ma barbe est dans ta main. — Je suis tout à toi.
Lhhaïti fi iddek.
Montre-moi la date. — Précise l'époque.
Ourrini eîtarikh.
Suis mes avis ; sois d'accord avec moi.
Saaf-niy ouafek-ni.
Il a le sang jaune. — Lâche.
Demmou sefer.
Celui qui ni*aime, je Taime.
Menn ihhebni nhhebou.
Le cœur est bâti sur le cœur.
El galb mebeni aalel galb.
350 LA VIE ABABR
Tu veux remplir le vide. — Tu lentes l'impossible.
Bghite taammer el farghov.
Donne-moi une bouchée de paiu.
Aaténi foum el kessera.
Ils ne font que se chauffer au soleil.
Ghér issemmechou.
Je te couperai ta tête de mouton.
Nektaalek bou zellouf.
Il fait le samedi comme un juif.
Issebett ki Hhoudi,
Tu as retroussé tes vêtements.
Rak ineyuelfete.
Pourquoi me suis-tu^ pas à pas?
Aalach toagueb-nif
Assez de paroles malhonnêtes.
Barka menn kelam el aar.
Le soleil envoie sss lances. — Il fait tr^s-chaud.
Echemss tebaat mezrag-ha.
As-tu des enfants de poule, — œufs?
Aandekchi oulad el djadj f
Où passes-tu Tété, cette année?
Ouine tessiyef esseria ?
L'arc du Prophète, — arc-en-ciel.
Kouss ennebi.
Tu le vaincras par la honte.
Teghelbou bel lihaya.
PHRASES UTILES ET USUELLES 351
Les chameaux sont les vaisseaux de la terre et les mou-
tons sont des silos ambulants.
El djemal gouareb el berr^ ou el ghelem metamir ra-
lihala.
0 les croyants! donnez-moi de ce que Dieu vous a donné.
Ya le moumenine menn H aatà-koum Rebbi.
Je t'ai montré le bien, je t'ai montré le mal ; choisis.
Ouritlek el khér, ouritlek echorr : khiyer. Khetar.
Si tu buttes, ne me fais aucun reproche.
lia taaterr, ma-teloumniche.
Il faut que nous mangions le sel ensemble.
Labed netmalahhou.
Donne-moi du pain avec quelque chose pour le faire
passer.
Aaténi khobz bel djouaz.
Nous avons bu, nous avons mangé, et nous remercions
Dieu.
Kelina, cherobna, ou ihhamedou lellah.
0 le chrétien! donne-moi quelque chose pour que nous
devenions amis. — Quelle amitié!
Ya le Roumt! aatênl chi hhadja bach nessthhabou.
Ne fais pas tomber mon honneur.
Mateiaiyahhlich hhermeti,
Qu'est^e qui connaît mon fil dans le bât? — Je «tuis sans
influence.
Menn ïaarf khéiti fd berdaa.
352 LA VIE ARABE
C'est la sœur : par ton père ou par le diable ?
Khetek : menn babak oulla menn echitane? *
Ne sont honteux de la pauvreté que les enfants du pécht5.
Moristahhou bezoll ghér oulad Ihharam,
La vie vaut mieux que tout.
El aamer khér menn koul-chi.
Pourquoi te révoltes-tu contre ton Créateur?
Aalach taassi aala khalkek ?
Il n'y avait qu'un tel et un tel ; des épis arrosés. — Des
gens de marque.
Ghér felane ou felatie^ seboulete el messeref.
Il y a aujourd'hui trois jours qu*il n*est pas tombé dans
mon ventre la moindre mouture de moulin. — Que je n'ai
rien mangé.
Eliioum telt yam ma tahhch fi kerchi metehhounete er-
rahha.
Celui qui affranchit un esclave devient chéri de Dieu.
Li ifedi el aabd, ivddjaa aaziz aala Rebbi.
Celui qui nous aime, que Dieu lui place un clou de girofle
sur la tête,
Et celui qui ne nous aime pas, que Dieu lui place du poi-
vre dans la bouche.
Li ïhheb-na, Allah idjaal el honnfela aala rassou,
Ou li ma Ikheb-na, Allah idjaal el felfela fi foummou.
Ce que Dieu t'a écrit dans le ciel, tu le mangeras sur la
terre. (On dit cela à ceux qui reçoivent la bastonnade.)
Li kteb-lek Bebbi fi sema, takoulou fi larde.
PHRASES UTILES ET USUELLES 353
Si tu n as pas de pain, maniée du biscuit.
lia maandek'Chi khobz^ koul el bechemate.
N*ouvre pas l*œil du Bédouin, tu n'auras pas à te fatiguer
ensuite pour le fermer.
La tehhel aaïn le Redoui; la tehhir /î seddane-ha.
Avec douceur et intelligence.
DesFiiyassa ou riyassa.
Va le remercier.
Emchi steketer menn khérou.
Les Arabes boivent le café avec le marc.
El Aareb ichrobou el kahoua be teloua.
Les Arabes mangent les sauteœlles.
El Aareb iakoulou le djerad.
Ils disent que cet animal a la tête du cheval, les3 yeux de
réiéphant, le cou du taureau, les cornes de Tantilope, la
poitrine du lion, les ailes de l'aigle, les cuisses du chameau,
les p*attes de Tautrucbe. le vcniro du scorpion et le corps du
serpent.
Tu dépenses ton argent rien que dans le péché (sans au-
cun profit).
Tekhesser drahamek, (jhér fel hharam. Fel batol.
Donne-moi pour me rafraîchir la salive (à boire).
Aaténi bach neberred errig.
Entre loi et moi, il y a le serment de Dieu.
Bini ou binek ahad Allah,
J'ai été malade ; je suis arrivé jusqu'à l'œil de la mort.
Kounnt merUle, ousselt fi aain el moule,
23
35i LA VIE ARABE
Sa taille est longue et son esprit petit.
Kametou touila ou aakdou kessir.
Il n'est pas jusqu'à l'enfant qui tette qui ne connaisse ses
affaires. ,
Hhatta lichir H irdaa iaarf sonlahhou.
On n*a pas bâti Alger dans un jour.
Ma bennaouch Dzair fi nhar ouahhéd.
Le sultan des deux terres et des deux mers.
Soultane berrine ou le bahharine,
La loi l'a condamné à mort.
Cheraa hhakem aalih imoute.
Je compte sur Dieu et je pars.
Netekel aala Rebbi ou nerobheu,
La charrae déchire encore la terre.
El medemod ma%al icherreg.
Il n'y a que le démon qui désespère.
Màiguetaa lyass ghér echitane.
Il est encore un peu chagriné dans son gosier. (On dit cela
des gens qui, apprenant l'arabe, le prononcent encore maL)
Mazal meghboun fi guersih.
II frappe (parle) l'arabe avec une hache.
hlrob laarbiya be chakour.
■ (
I
Il a des petits chiens dans le gosier.
El djeraou fi guersih.
Il parle l'arabe des porteurs de iriqiio.
Itkellem laarbiya mtaa Iharaoudjiya,
PHRASES UTILES ET USUELLES 355
La prononciation est loin de lui.
El menntok baaid aalih.
Sais-tu lire et écrire?
Tekra on tekteb 1
Chaque oiseau parle sa langue.
KouU tair iigha bel ghah,
L*arabe est un puits sans fond.
El aarbii/a bir bêla kaa,
La connaissance d'une langue complète Thoinme.
El lessane ziyada fel eussane.
Pardieu ! je suis ensorcelé.
Ouallah! ranl messehhour.
Personne ne sort savant du ventre de sa mère.
Makane menn ikhrodj maallem menn kerch oummou.
Ils ne parlent qu'en criant.
Itkellemou ghér be zegga.
Les chrétiens portent des t^tements étroits; ils n'ont pas
de pudeur.
En-nessara labessine diyek : ma-isstahhouth.
Les chrétiens répandent de l'eau debout : c'est un grttnd
défaut.
En-nessara izerregou : aaib kebii\
Les chrétiens dansent avec les femmes : ils n'ont pas de
nez (amour^propre).
En-nessara iclietahhau maa nessa : moHiandhoum nif.
^ LA VIE AHABE
Les chrétiens frappent la danse (se promènent ii pied): ils
sont fous.
En-nessara idrobou ed-dansa : mahbel.
Ijes chrétiens jouent aux cartes : c'est un péché dans noire
religion.
En-nessaru ilaabou el karta : hharam fi dine-na.
Nous sommes frères; mais Dieu a fait et il a séparé.
Ahhna khoutt, oua lakenn Rebbi khelok ou ferek.
Le chien ne se sauve pas du pain.
El kelb maAherob menti el kessera.
Il t*a donné la vie, celui qui t*a instruit.
Hhayatek^ elladi aallemek.
Écoute, écoute et prie sur le Proplièle.
SefmoH, sennott^ ou salli aal nebi.
Dieu seul peut apprendre ce qui est dans les cœurs.
Ma-îaallem bel glouby ghér llebbi.
Il commande d*après la loi.
Ihhakem aala hhassab echeraa.
Le maître de la ruse ne pmspère pas.
Moul el hhéila ma-irbahhch.
L'absent est toujours injusticié,
El ghaïb dima medloum.
Ne me donne pas de la monnaie des infidèles.
Malaaténich ferk el kafara.
Nous méprisons les oinlurcs de ce monde (les richesses).
Ma-aandna hhadja /! zoubiyet eddenya.
fe
PHRASES UTILES ET USUELLES 357
Entrave les chameaux. Entrave les chevaux.
Aagol el djemal, Anltoll el khéiL
lis ne connaissent pas le prix d'un homme.
Ma-marfouch kimt radjel,
Pei*sonne ne connaît ma douleur que Dieu.
Makane hliad xaarf dorri ghér Rebbi.
Le jour de ton tombeau, tu ne coucheras pas dehors.
Nhar keberek matebatchi barra.
Dans le pays de la sûreté» n*aie pas encore confiance.
Fi belad el amane, matamennch.
Si Dieu ne pardonnait pas,
Son paradis resterai l vide.
Ida Rebbi mù-ismahhj
Djennetou nia-tebka ghér khaUija,
C'est un homme noble, j*en réponds.
Radjel djiyedf rani damenn flh.
Les Français n'acceptent pas le baisem ^nt de la main.
El Franssess ma ïkobelouch hhebbett el idd.
Il est venu, et je lui ai étendu des tapis (pour s asseoir).
DJa, ou ferrechtlou.
Les escargots blancs (cavalerie de TËst, vêtue de bcr-
nouss blancs].
El bebouch le biyod.
La cavalerie noire (cavalerie de l'Ouest, vêtue de bornoiiss
noirs).
El goumm souda.
358 LA VIE ARA m:
L*infaiiterie inusulinaue.
El aasaker el mohhammadiya,
La nudité vient de Dieu, mais la malpropreté vient du
démon.
El aura inenn Allah, ou loussekh menn ecliUane.
Mariez-vous pauvres; Wea vous enrichira.
Tezoïioudjou Fokara; iglienni-koum Allah.
Celui qui a laissé un successeur (un lieutenant) n^est pas
mort.
Li khellef el khelifa, nia-matche.
Il va à la chasse du vent avec un filet (il perd son lemps).
Isstad erréhh be chebka.
Quelle vie êtes-vous en train de vivre?
Ach menn aàicha rakoum aaichine,
(i*est un avare : sa main gauche, il ne la donnerait pas à
sa main droite.
Radjel bekhil: hhatla iddou Hssar ma-matihach idduu
limine.
Le houcher soupe avec des navets.
El djezzar itaacha bel left.
Je ferai cela, à moins que la mort ne vienne à me vaincre.
Nedir hada, ghir ila ghelebet-ni el monte.
11 faut que tu payes le prix du sang.
Lazem tekhalless hhak eddem.
Il faut ({ue tu donnes le pri\ de la mort.
Labed taati eddiya.
PHRASES UTILES ET USUELLES Xy'3
Trahis ton voisin et ne consulte pas.
Khedaa djarek ou ma-techaourch.
Le maître de Theure est arrivé.
Moul saa dja.
La terre s'est levée.
Eddenya rahi kaïma.
Elle était comme un fenouil allumé par devant et par der-
rière.
Kunet kl kelhha mechaaottla mena gouddam on menu
loura, Oura,
La terre va de travers.
Eddenya rahi maaoudja.
Les tribus se sont révoltées; elles déménagent.
El aarrache aassaou; rahoum rahhline.
Les tribus s'enfuient.
Ennedjooeu rahoum djafeline,
y a-t-il un bon conseil, ou n'y en a-l-il | as?
Kannche raye, oulla makannche?
La terre est sur son bras.
Eddenya aala deraat-ha.
Les femmes se lamentent.
Ennesm rahoum inndebou.
Les Arabes ne marchent que par la force, le pillage des
silos et le coupcment des têtes. (Ce sont eux (jui le disent.)
El Aareh ma-itemchou ghér bezzoWy bel hhaoms ou be
(juiiaa errass.
360 LA VIE AUABE
Ils payeront Tancien et le nouveau.
Ikhallessou el kedim ou le djedicL
Leurs biens ne surfirent pas poiir niclivjlor tcurs tètes.
Mal'houm ma idzi aala rouss-houm.
Nous ne nous soumettrons pas : les moutons de là tribu
verte mangeront jusqu'aux pierres.
Manemrouch : el ghelem mtaa nedjaa le kheder j/akoutou
Ihhadjer.
La Icrre s'est refroidie.
Eddenya benedett.
Le pays est pacifie.
Eddenyt aaouafi.
Nos krmes nageaient sur la ligure.
Ed-demoœu kanou taaouinou fel oudjh.
Que Dieu nous enrichisse de la tranquillité.
Allah irezekna bel aafya.
Je vais donner ce qui revient à Dieu — prier.
Rani machi jiaaH hhak RebbL
Il coupe la justice avec sa main.
Iktaa cheraa be iddou.
Honore-moi et mange mon dîner.
Keber Mya ou koul aachaya.
Ou r,aigui|le a passé, le til passera.
Ouiiie fatet el ibra^ ifoute el khéite.
Je le connais depuis le déluge.
Naarfou menn ettoufane.
PHRASI-S UTILES ET USUELLES 361
]^a beauté ne voyage pas par capavanes — rare.
Ezzlne ma sifertlnu kefnuL
Embellis ta bonne foi.
Ziyenn niitek.
Les Arabes se réunissent souvent.
El Aareb imiyaadou bezzaf.
Quand le cœur est chagrin, la nouvelle en est sur la
figure.
Menine el galb meghiyery el khobar fel oudjh.
Deux capilaincs à bjril d'un vaisseau le font toujoui's noyer.
— Sombrer.
Hahsine [i sfiiia makane la tennylierok.
Le café fortifie les os et court dans les membres.
El kahoua tcchedd el audame ou tedjevi fel gouayetn.
Entre moi et toi, il n*y a ni demandeur ni demandé. (Nous
sommes quittes.)
Ma bini ou binek la taleb ou la metloub.
Les Arabes connaissent le jeu de la lutte.
El Aareb iaarfou itgairchou.
La lutte arabe que Ton nomme : gucrach, koia, ou aafar,
a beaucoup d*ana1ogic avec la lutte française ; seulement, le
croc-(în-jarnbe — tchànngal — y est permis, tandis que,
chez nous, il est défendu.
Indique-moi un proverbe qui soit rimé.
Ourini metel bel kafiya.
Il a demandé grâce.
Tlob el aafou.
362 LA VIK AUABE
Je le connais dopais la tête jusqu'au talon.
Naarfou menn ev-rass h Imita le guedem.
Grise-le el interroge.
Essekih ou saisi h.
Il maudit le sultan quand il est loin.
hmal essoultane fi ghihtou.
Il ne pense qu'à terblanter sa personne. — A se bichon-
ner.
G lier Ikozder rohhou.
Rassasie-loi avec peu, et Dieu le donnera beaucoup.
Stekennaa bel klil, iaatik Allah el ketir.
Apporte-moi la tôle de la boutique — épices.
Djib-li rass el hhanoute.
Ne me loue pas avant d'en avoir éprouvé un autre.
Ma-ttihamed-ni hhatia tedjerreb ghéri
Le pauvre est un étranger dans son pays.
El guellil bcrrani fi beladou.
L'affaire d'argent donne-la à un juif, il t'en tirera.
Hhadja bedrahàm aali-ha ïïhoudi, ikediha-lek.
La meilleure ruse consiste à ne pas user de ruses.
El hhélla fi terk el hheyal.
Le lion a dit : « Personne ne fera n»on affaire mieux que
moi. » •
Essebaa gai: hhad ma-ikedl lihadjcli metli.
PHRASES UTILES ET USUELLES 363
Un lel t*sl un maître dans le jeu de la poudre.
Felane maailem fi laabel baroud.
Le jeu de la poudre, c'est celui auquel nous avons donné
le nqni de fantaziyUy à cause de Taniinaliou extraordinaire
qu'il amène Voici en quoi il consiste :
Un parti de cavaliers, d'ordinaire bien montés et bien
habillés, veut rendre des honneurs à un chef quelconque,
qui, pour le cas spécial, se place en face de lui, à une dis-
lance assez grande.
Par deux, par quatre ou sur un plus grand front, bien
unis, bien alignés, ces cavaliers arrivent ventre à terre jusr
qu'auprès du héros de la félc et lui lâchent leur coup de
fusil presque dans la ligure. La détonation entendue, ils
font derni-tour à gauche sans changer d'allure, et ils vont
prendre du champ en arrière pour recommencer, s'il y a lieu.
Ce jeu si cher aux Arabes n'est pas sans danger : un3 balle
oubliée dans une cartouche, une baguette laissée dans un
fusil, peuvent amener mort d'homme. Cela n'arrive que trop
souvent.
J'ai vu faire ce jeu avec les fusils chargés à balles. On tire
alors en Tair, mais une maladresse ou un cheval qui s'abat
font courir de grands périls.
On diminue beaucoup les accidents en se mettant, non en
face, mais sur le flanc des coureurs.
Un tel est un ami des infidèles : il a encore de la viande
de cochon entre les dents.
Felane hhabib el kafara : mazal Ihham el hhallouf bine
senanou.
Les croyants sont doux et chéris de Dieu.
El mouinenine hhalouine ou aazaz (uila ttebbi.
S6l L.V VIE ARAHE
Celui (lui a le saiij^ jaune — le lâclie, — ne le lucz pas.
Sefer eddeni ma tektehuch.
Je neveux tiue dos douros, pères du eanon. — On prend
pour des canons, les colonnes qui sont sur les pièces de mon-
naie espagnoles.
Ma-nehheb ghér douro bou inedfaa.
Le mensonge ne paye pas les deltes.
El keddeb ma ikhalless eddine.
Le vent qui vient, Temniène. — Pas de volonté.
Erréhh li dja, iddih.
Les homiiies font vaincu sur le marché et il a appoi lé la
dispute dans sa maison.
Ghekbouh enedjal ft'ssouk ou djah el khassema feddar.
Il entend la rosée tomber sur les teUillcs du roseau. —
L*ouïe très-fine.
Isinaa enneda aala ourei el kessba.
Dans le Sud, les chameaux portent des sonnettes,
Vel guebla el djemal irfedou ennakouss.
Pour toi, j'ai été Timplorer.
Aala khatrek, mechit-lou fel djaha.
Celui qui a du blé, trouve à emprunter de la farine.
Li aandou el guemhhy issellef eddeguig.
Celui qui m mie le miel, ne peut moins faire que de se
lécher les doigts.
Li ikhelloH el aassel, labed ilhhess souabaaou.
PHUASES UTILES ET USUELLES 365
Le luonde connaît le monde, et les chevaux connaîssent
leurs cavaliers.
Ennass taarf ennasSy ou le khéil tarf rekkab-ha.
■•
S'il platt à Dieu, je ferai une petite bagne pour ton doigt.
-— Tu me fatigues de tes' exigences.
Ennchaallah, tiaamel khouHma aala kodd sebaak.
De quoi est-il mort? de la mort de Dieu.
Bach mate ? monte Allah,
Le niattre do Tor, on Taime quand bien même il est chien
fils de chien.
Moul eddeheb inhheb oua loukane ikoun kelb benn el kelb.
Le chameau est pai*ti : il n*a laissé que ses croltes. — En-
fants dégénérés.
Mecha el djemely ou khalla baarou.
Un tel est brûlant au coiumencement, mais à la fin il n*v
a plus que de la cendre.
Felaney chaou Ihhal iguediy ou felaagab ghér remad.
Ils ont été frappés d'une amende de cent douros.
Ethhettaou be mya douros.
La fourmi peut conduire un chameau. — Animal très-
doux.
Ennemla tegoued el djemel.
L'homme qui est gras, nous ne Taimons pas.
Erradjel smine, manehhebouch.
Aujourd*bui, ils disent d*uae manière, et, demain^ ils
disent d*une autre.
Elifoum igoulou tebaa^ ou ghedtu igoulou tebaa akkor.
306 LA VIE ARABR
Pliilôl sentit* brAlcr mon ventro
Que (le sortir de mon pays,
Hharig bedani
Ou la kheroudj menu oiitani.
Les Turcs jetaient les femmes à la mer.
Etterk kanou ibahharou evnessa.
Le point du jour, ne le surveille pas^ et les nouvelles,
n'en demande pas.
El feàjer, ma tetolch aalih.
Ou le kheber^ ma tessalch aalih.
Celui qui vole une aiguille,
Peut voler une vache.
Li isserrek ibra
Isserrek begra.
Je n'ai pas de croist^e par où me sauver.
Ma aandi taga bach neselek.
Les juifs, quand ils font lire leui*s enfants, ne leur appren-
nent que les négations, — Craignent toujours de se com-
promettre, ne disent jamais oui.
El ihoude, ikerrou oulad^fioum ghér bel mime.
Nous sentons le vent de la guerre.
Rana nechemmou réhhet el aadaoua.
J'ai monté à cheval^ j'ai tuô la terre, j'ai M à la décou-
verte — et j'ai envoyé des éclaireurs.
Erkebt, ktelt el arde, ou zifett echouafine.
Nous avons vieilli uu j>e^ sur le mamelon, — nous nous
sommés arrêtés — et nous avons vu les cbréticns.
Che)'ef-na choinya fel koudga, ou chef-na en^nêssara.
PHRASES UTJLES ET USUELLES 367
L'infidèle est sorti avec une armée très-forte.
El kafev khrodj be mehhala kouya.
S'il plaît à Dieu, nous le casserons. — Nous le vaincrons.
Enchaallah vekesserouh.
Aujourd'hui, c'est le jour des chevaux.
. Elyoum nhav el khéil.
Aujourd'hui, c'est le jour de la mort.
Elyoum nhar el inouïe,
Les impies couvrent l'œil du soleil, c'est comme les saute-
relles.
El khouaredj ighelou aain echemsse; kl le djerad.
Dieu seul en sait le nombre.
Maiaarf aadad'ha gher llebhL
Us marchent ferrés comme den chevaux. — Jamais les
Arabes ne mettent de clous à leurs souliers.
Itemchou ki le khéily messemmerine bel lihadid.
Celui-ci derrière celui-là, comme les mulets d'une cara-
vane.
Hada menn oura hada, ki %ouàil el Içafla.
Ils portent le bât comme des «Anes. — Le sac.
hfedou el berdaa ki Ihhamir.
Ils ont des lances au bout de leurs fusils. — Baïonnettes.
Bel mezarUf fi rass meqhhaUhoum, -
Ils ont des moustaches qui ressemblent à des balais de
palmier nain.
Dàirine chelaqham ki mesalahh mtaa eddoum.
368 LA VIE ARABE
Leur tambour mugit comme la vague.
Teboul'houm terghi ki le moudjaa.
Ils supportent la blessure comme le sanglier.
Irfedou el makena ki Ihhallouf,
Ils obéissent à Tordre et à la parole.
Itemchou aal amer ou ennha.
Leur chef marche comme un vieux sanglier à la tête de
son troupeau.
Kehk^hovm ki chiti fi rags eddôula.
Nous sommes des croyants: nous combattrons et nous
mourrons pour notre religion.
Ahhna moumenine : netaredou ou nemoutou aala khater
eddine.
Le jour où les bouches des fusils se feront face» la salive
se séchera dans la bouche.
Nhar li Hgabelou fouam le djaabj inncheferrig.
Un jour comme aujourd'hui ne se retrouvera plus.
Nhar elyoum ma-inmabch.
Les montagnes vanteront la poudre — échos.
El djebal ichekerou le baroud.
Le sang coulera comme une rivière.
Ed'demm issil kif el ouad.
Dieu a permis de les tuer.
Heblri hhallel fi-houm el keteL
Les hoims pousseront des cHs de joie dans le ciel.
El hlumuri^ %%egha'tùu fe sema.
*
Les houris: jewnesftlles d'une beauté inexprimable, d*une
PHRASES UTILES ET USUELLES 909
virginité toujours renaissante, qui ne peuvent vieillir et qui
sont réservées pour compagnes, dans le Paradis, aux martyrs
de la guerre sainte, ainsi qu'aux fidèles observateurs de la loi
de Dieu et de son envoyé.
Le boulet tournoie.
El kora telouez.
m
La poudre pétille comme une poignée de sel qu'on jette
dans le feu.
El baroud ki le gliya.
Allons ! placez Dieu dans vos cœurs, fermez les yeux et
marchez sur le canon.
Yallah! dirou Rebbi fi gueloub-koum, ghemedou aaîni''
koum^ ou guedemou Ici medfaa.
Les Arabes ! personne ne peut les vaincre.
El Aareb! ma igheleb-houm hhad.
Mais, quand la poudre tousse, elle prend son dtner.
Oua lakenn menine el baroud ikohheu, iddi aachah.
Elle a mangé tous nos hommes.
Kela gaa redjal-na.
Le guerrier de la foi ! il faut qu'il sache tuer son cœur. —
Qu'il soit insensible.
El moudjahad ! labed iktel galbou.
Notre chef est mort : il nous a laissés comme un troupeau
sans berger.
Chikh-^ia mate : khalla-na ki eddoula bêla raài.
u
870 LA VIE ARABE
Les chrétiens Tont tué avec des balles : son corps est percé
comme un crible.
Etmessara ktelouh be ressas : oulla ki le boussiyar.
Nos silos sont pillés, nos familles sont tourmentées, nos
chevaux sont fatigués.
Metamir-na mahoussine^ khiam-7ia mahouliney ou khéil-na
aayanine.
m
Les Français frappent la poudre sur la main de la justice,
très-bien ; — quel dommage qu'ils ne se fassent pas musul-
mans!
El Franssess idrobou le baroud aala idd echeraa, khessara
ma-ichahadoiich !
Il faut nous rendre : nous donnerons les chevaux de sou-
mission, nous donnerons des otages.
Bessif nessirou : naatou le gadate^ ou naatou le mer-
haine.
D'après les mœurs et les coutumes arabes, toutes les fois
que des tribus, après s'être révoltées, se voient forcées d'im-
plorer leur pardon, Tusagc veut que, comme preuve de sou-
mission complète, elles fassent présent au vainqueur d*UQ
certain nombre de chevaux d'élite qui, dans cette circonstance,
prennent le nom de gada-gadate. — Il va sans dire que, si
l'on peut faire accepter des rosses au chrétien, on n'y man-
que jamais.
Lors de favénement au pouvoir d'un chef de marque, on
en fait autant. Cela veut exprimer qu'on est sincèrement dis-
posé à obéir.
Le prix de ces chevaux de gada est toujours réparti entre
les populations, et devient, en général, Toccasion de grandes
exactions de la part de leurs administrateurs, qui, demandant
PHRASES UTILES ET USUELLES 371
toujours plus qu'il ne faut, mettent Texcédant dans leur
poche.
0 mon Dieu ! nous sommes tes esclaves.
Ya Rebbi ! ahhna aabidek.
Cest toi qui nous as amené l'infidèle, c*est toi qui dois nous
l'enlever.
Emita djebtlena le kafer, ennta teddih.
Quand on aura lu ce qui précède, on saura, à peu près,
tout ce que les Arabes disent sur nous à propos de la guerre.
CHAPITRE DIXIÈME
VIGUEUR ET SOBRIETE
L'émir Aabd-el-Kader dans la grande Kabylie. — Les joueurs
de flûte. — Un rekass ou messager arabe. — Son portrait.—
Trente heures de'marche; quatre biscuits de soldat. —
Dieu s'est chargé du reste. —Le trot du chien. — Rencontre
d'un lion. — Plantes et racines avec lesquelles un homme
peut vivre dans les pays sauvages. — Exploits de Saaldane,
coureur arabe. — Le cheval de son àme. — Énergie des.
chasseurs du désert. — L'àme domine le ventre. — Provi-
sions des Touareg en expédition. — Manière de boire le
sang. — Comparaison entre un estomac sauvage et un
estomac civilisé.
I
En février 1846, lors de cette insurrection formidable qui
commença, dans la province d'Oran, par la destruction de la
garnison de Djemâa-Ghazouate (Nemours), je faisais partie
d'une colonne expéditionnaire commandée par l'illustre ma-
réchal duc dlsly en personne. Elle opérait dans la grande
Kabylie. L'émir Aabd-el-Kader, après plusieurs échecs suc-
cessifs, s'était retiré dans ce massif de montagnes, où l'appe-
lait sid Hhamed ben-Salem, l'un de ses plus fidèles kalifas;
374 LA VIE ARABE
il comptait y trouver, pour continuer la guerre, des res-
sources en hommes et en argent que les Arabes commen-
çaient à lui refuser. Il s'agissait de le forcer à quitter cet
asile trop voisin d* Alger, et d'où il avait naguère sérieuse-
ment menacé la plaine de la Mitidja. II avait fallu un coup
de main aussi hardi qu'heureux, tenté pendant la nuit sur le
camp de l'émir, à Cherrak-Teboul (le déchirement des tam-
bours), pour réprimer l'audace de cet infatigable ennemi.
Nous étions campés sur l'ouad Telata, non loin de Bordj
el-Boghni. Nous avions, à notre gauche, la grande tribu des
Plissas ; à notre droite, les sauvages Guechetoulas, dont les
villages s'étendent jusque sur les pentes abruptes du Djur-
djura ; devant nous, les Hâatekas, et, derrière nous, les Ne-
zelyouas. Toutes ces populations, grossies par les contin-
gents des Zouaouas, des Beni-Raten, etc., et surexcitées par
les prédications de l'émir, étaient en armes autour de nous;
les montagnes s*illuminaient chaque nuit de feux provoca-
teurs, derrière lesquels on voyait circuler des hommes à
peine vêtus, qui, pour mieux nous braver encore, exécu-
taient, en poussant de grands cris, leurs danses barbares au
son de la flûte primitive (djotuik) et d'une espèce de tam-
bourin {guellale).
Cependant, les plus vaillants et les plus fanatiques d'entre
les Kabyles descendaient en plaine; ils s'approchaient de nos
sentinelles en rampant à plat ventre, et faisaient sur elles un
vrai feu roulant, mais dont le résultat était pour ainsi dire
nul, grftce an judicieux système d'avant-postes récemment
introduit dans l'armée d'Afrique par le gouverneur géné-
ral (1).
(1) Consulter, pour cette expédition dans la hante Kaby lie, Tourrage
de M. Bellemare: ayant pour titre: Aabd^el-^ader; sa vie politique et
militaire.
I
VIGUEUR ET SOBRIÉTÉ 375
Nous attendions avec irnpalience l'ordre de marcher en
avant, quand, un matin, de très-bonne heure, nous vtmes un
caporal de zouaves, accompagné de deux soldats, conduire
à rétat-major général un jeune Arabe qui s'était présenté
devant notre camp; tantôt en agitant les pans de son ber*
nouss, tantôt en élevant ses mains désarmées, cet indigène
avait fait comprendre qu'il n'avait aucune intention hostile et
qu'il demandait à être reçu chez nous.
C'était un homme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, forte-
ment constitué, bruni par le soleil et présentant l'un des plus
beaux types de sa race. Il avait le visage ovale, le front dé-
couvert, les yeux noirs et décidés, les dents d'une blancheur
éclatante, la barbe rare, la poitrine haute, la taille élancée,
les muscles saillants, le cou-de-pied élevé et les attaches des
extrémités de la plus haute distinction. Une simple chachya
ifessy) couvrait sa tête, une longue chemise de coton, fermée
par devant, couvrait son corps (kemidja)^ et des espadrilles,
attachées par de mauvaises ficelles, protégeaient ses pieds.
La chachya était maintenue par un mouchoir d*indienne roulé
en forme de turban, et la chemise par une ceinture de course
en filuly (cuir de Maroc), à Uquelle était suspendu, suivant
Tusage, l'un de ces petits couteaux (mottss) enfermés dans
une gatne, dont les Arabes se servent, avec une adresse mer-
veilleuse, aussi bien pour se raser que pour décapiter un
ennemi. Ses jambes étaient ntfes : les ronces et les épines ne
les avaient pas épargnées; mais, sur cette chair marmo-
réenne, elles avaient à peine tracé quelques sillons blanchâ-
tres, là où répiderme d*un Européen aurait été cruellement
déchiré. A son côté pendaient les talismans qui devaient lui
porter bonheur ; enfin, il se drapait dans un bernouss marron,
dont la couleur fanée et les nombreuses déchirures attes-
taient les longs services. Pour arme, il ne portait que le bâton
376 LA VIE ARABE
court et noueux, à tête énorme, garnie de clous grossiei*s et
que les indigènes appellent kezoula.
Interrogé, à diverses reprises, sur les motifs qui [^avaient
amené dans notre camp, le jeune Arabe répondit invaria-
blement qu*il ne pouvait les faire connaître qu'au chef de
Tarmée.
— D*oii viens-tu ? lui demanda le maréchal.
— Monseigneur (sidi)^ je viens de Mesila.
-*- Combien de jours de marche?
— Trois jours, ou plutôt trois nuits ; car, voyageant à tra-
vers le pays du fusil {belad el mouqhhala), je n*ai pu marcher
pendant le jour.
— Que me veux-tu?
— Vous remettre, monseigneur, une lettre du comman-
dant de la colonne qui opère dans nos contrées.
En même temps, il présenta au maréchal un chiffon de
papier qu*ii exhuma de l'un des coins de son bernouss, où il
était soigneusement cousu.
— C'est bien ; mais comment as-tu fait pour vivre au mi-
lieu d'un pays en pleine insurrection ?
— Rien de plus simple, monseigneur : au moment de mon
départ, le chef de Tarmée (kebir-eUmehalla) a fait placer
dans mon capuchon {gtielmouna) quatre biscuits de soldat, et
Dieu s*est chargé du reste.
— Cet homme a risqué sa vie pour nous, dit en s*éloignant
le maréchal ; qu'on le paye généreusement et qu*on ait soia
de lui. Le pauvre diable doit avoir faim.
On le conduisit dans ma tente ; j'étais alors colonel et di-
recteur des affaires arabes de l'Algérie. Je lui fis donner du
pain et du fromage de Gruyères. Il commença par le refuser,
parce qu'on lui avait fait croire que ce fromage était fait avec
du lait de truie; mais il le mangea ensuite avec grand plaisir.
VIGUEUR ET SOBRIÉTÉ 377
sur ma pai*ole que ce n'était là qu'un conte ridicule. D arrosa
le tout avec une bonne tasse d'eau fraîche, et bientAt, fati-
gué, brisé par les péripéties d'une marche aussi longue que
dangereuse» il s'endormit d'un profond sommeil sur une
natte de palmier nain, l'un des luxes de mon habitation de
guerre. A son réveil, il fit ses ablutions, se tourna vers
l'orient et se mit à prier avec toute la ferveur d'une con-
science tranquille. Dès qu'il eut accompli ce devoir religieux,
on lui présenta du café. N'en ayant jamais bu de sa vie, il le
prit pour du vin (cherab) et le repoussa avec dégoût ; mais il
le reprit bien vite et le savoura avec délices, quand je lui eus
fait comprendre que nous n'avions aucun intérêt à le trom-
per ni à lui faire violer les préceptes de sa religion. Je fais
observer en passant qu'on a tort de nous représenter tou-
jours les Arabes avec une longue pipe et une tasse de café à
la main. Cela n'est vrai que des chefs ou des riches; les ma-
rabouts et les tolbas ne fument ni ne prisent, et j'ai connu
bon nombre d'hommes du peuple qui n'avaient jamais bu de
café. Ils ne pouvaient d'ailleurs en recevoir, pendant la
guerre, que de Tunis ou du Maroc, ce qui en avait fait con-
sidérablement hausser le prix.
J'étais impatient de faire causer cet homme, et surtout de
me faire expliquer la réponse qu'il avait faite au maréchal à
propos de la manière dont il avait vécu pendant sa pénible
excursion. Voici ce qu'il me raconta :
Le commandant supérieur de la subdivision de Sétif s'était
porté dans l'ouest de la province de Constantine, pour la
préserver des tendances insurrectionnelles que réveillait par-
tout l'apparition de l'émir. De Mesila, ou il se trouvait, il
avait écrit au gouverneur général et lui rendait compte des
mesures qu'il avait prises. Le kalifa sidi El-Mokrany, chargé
de trouver un homme capable de braver tous, les dangers en
378 LA VIE ARABE
allant porter aa maréchal une lettre aussi importante, Tavait
désigné, et il avait accepté. Laissant de côté Dréat et évitant
rOunougha, où tout frémissait encore du passage récent de
rémir, il avait traversé le djebel Mezita, puis la grande tribu
des Beni-Abbas, où il n*avait échappé qu*avec peine aux ca-
valiers du kalifa de l'émir si Mohammed ben-Abd-es-Selam
et-Tobbal (le boiteux), qui était alors de sa personne à Kalfta;
il avait atteint la vallée de Touad Sahel. De là, choisissant
toujours les parages les plus accidentés, il avait gagné les
environs de Bordj el-Bouira, contourné le pays des Neze-
lyouas, était entré dans la Rabylie par le pays des Benî-
Khelfoune, d*où il avait pu se glisser enfin dans le camp du
maréchal, après avoir ainsi parcouru deux cent cinquante ou
deux cent soixante kilomètres, tant il avait dû faire de dé-
tours pour échapper aux révoltés ou détourner les soupçons.
Il avait mis trente heures à franchir cette distance, demeu-
rant caché et immobile pendant le jour, ne marchant que la
nuit, évitant avec soin les lieux habités (belad el aâfnara)^ et
prenant d'ordinaire une espèce de pas gymnastique qu'il ap*
pelait le trot du chien {khozet el kelb). En sortant d'un bois,
il avait aperçu dans le lointain un parti de rôdeurs ennemis.
Certain d'avoir été vu lui-même, il sentit tout de suite qu'il
se perdrait en essayant de fuir, il marcha bravement à la
rencontre de l'ennemi, et soudain commença à contrefaire
l'idiot ou le fou, avec force gesticulations et gambades. Aussi
fut-il bientôt débarrassé de cette rencontre incommode, et
d'autant plus facilement que rien sur lui ne pouvait tenter la
eupidité. Ces honnêtes partisans, le prenant sans doute pour
un derviche qui allait demander l'aumône dans quelque
saouya (1), lui avaient même offert une pièce d'argent el quel-
(1) Établissement religieux où l*on dispense rinstrnclion supérieure,
•t oà l'on donne l'hospitalité à tovi venant.
VIGUEUR ET SOBRIÉTÉ 379
qaes figaes sèches, qu'il avait dédaigneusement refusées. Par
cette ruse habilement calculée, il avait dissipé tous les doutes.
Plusieurs fois aussi, dans le pays sauvage (behd el-Khela)^
il avait rencontré le lion, qui Tavait suivi pendant des heures
entières, cherchant, suivant son habitude, à effrayer son
homme (sahhabou). Le monstre grognait, cassait des bran-
ches avec sa queue, se roulait à terre, bavait en exhalant
une odeur fétide. Quelquefois, jouant cruellement avec notre
voyageur comme le chat avec la souris, il le poussait avec
son épaule pour le faire sortir du sentier tracé, ou bien il
disparaissait pour aller lui couper le chemin un peu plus
loin ; mais TArabe, messager de la France, avait bien tenu
son âme et s'était toujours débarrassé de ce compagnon plus
qu'incommode, tantôt en Tinjuriant d'une voix haute et
ferme, tantôt en le menaçant hardiment avec son bâton, qui
reluisait sous les étoiles comme une lame de sabre. ,11 s'était
cependant bien gardé de le frapper, ce qui aurait inévita-
blement amené une catastrophe.
— Tout cela n'a rien qui doive vous étonner si fort,
ajoutait-il ; il est prouvé chez nous, de père en fils, que le
lion ne mange que les lâches.
Ces détails trouveront sans doute plus d'un incrédule.
Tout ce que je puis dire, c'est que ce conte, si conte il y a,
est répandu dans toute l'Algérie. J'ai moi-même interrogé
plus de cent Arabes de contrées différentes, qui ne se con-
naissaient pas, qui par conséquent ne pouvaient s'entendre
pour me tromper, et tous m'ont invariablement dit la même
chose à propos du Fion.
Quoi qu'il en soit, pendant cette longue route, notre
homme n'avait vécu que de ses quatre biscuits, auxquels il
avait ajouté des fruits, des racines ou des plantes sauvages,
qu'il me désignait d'une manière générique sous le nom de
380 LA VIE ARABE
khir Rebbi, le bien de Dieu. Il s'était désaltéré avec Teau des
sources ou des mares qu*il avait Tencontrées.
Je trouvai ce récit tellement extraordinaire, que j'engageai
cet Arabe à me donner les noms de ces plantes, ou racines,
avec lesquelles un homme peut marcher aussi longtemps
sans s'épuiser et sans mourir de faim. Il y consentit, et,
séance tenante, mon secrétaire arabe (khoudja) les écrivit
sous sa dictée. Je les donne ici, en lettres arabes, puis en
lettres françaises, et enfin j'indique les noms de celles dont
j'ai pu découvrir la dénomination latine, m'en remettant en
toute confiance aux savants orientalistes que la France pos-
sède, pour compléter cette partie de mon travail. Si ces
détails leur paraissaient dignes d'une sérieuse attention, il
serait facile de faire venir de l'Algérie les spécimens de
toutes les plantes que je vais énumérer.
t^^^Ai^Ol — el teblioua.
'^S^kÀ!^ — e] begougâa, espèce d'arum.
j]^ — el. djemar (m^u{/a pa{m(s).
ikfiAÀààù\ — el senaïria, espèce de carotte.
i^sSU — talghouda.
^^LJl — el selk.
a£ ^^ — fond lekem, utilité du gosier.
^HIL^^^I — el kuemina, petit chardon.
^^^1 — oliva.
"j^^]^ — el hhamaida, oseille sauvage {oxalis herba).
if>j^yù\ — el kouirsa (id.) .
^^1 jUJ — lessane el ferd, la langue du bœuf.
^Cî^ — rotlaï.
jèi^l — el djerniz.
(jf^^l — el khorchef, artichaut sauvage.
VIGUEUR ET SOBRIÉTÉ 381
ja]ÈJ — terfaSy et ^yi\iJÙ^ — el feriass, truffes blanches
[tubei* niverum).
^i\ — addad {chamelcùu albusf.
j^ — moudjir {malva).
^^fiMi31 — el sekoum {^cm sycomorm).
gUpl — el begâa [tubera terrestris species).
^i^aSJÛl \^ — oudenn el naadja, Toreille de la brebis.
g^aiU — el goudjeguidj (spams pinifer).
aI^jH^ — biberass.
vl^l^l — el doumerane {absintha).
JWJLl -- el halhal.
a^Vûl — el nabta.
^ — fliya.
j^:S31 w^ — dersctt el aadjouz, la dent de la vieille
femme.
^y^Jkm^\ — el besbass {myristica moschala).
^n>>,ftu<,01 — el besibessa (diminutif id.).
aà*]x31 — el tafegba, espèce de chardon.
c^l — el toute {morum sylvestre).
jyjU<31 — e\ sskss {arbor in cujus radicibus est amaritudo) .
\^i^\ — el chelmoune.
j^|p31 — el demedi.
Jxjûl — el nebek {fructus loti) .
j\iù\ — el ghazc.
^k^l — el guedayme (planta amara).
j^-?pi — el zeberbour.
^^\ — el bcloute (quercus ballotta).
jlÂûl ,^^9t^^ "~ kermouss en nessara, la figue de Bar-
barie, que les Arabes appellent la ûgue des chrétiens.
382 LA VIE ARABE
j^l vJ — kem el djedi, la corne du chevreau.
^1:1 — talma, salsifis sauvage,
v^l^ — danoune (philiposa lutea et niolana).
Ji^l — el guize, genre chicoracée.
^y^^ — el hharmel.
jyil — el loule, graine du derine.
^j^ — derine {stippa barbara) (1).
vCM]^^ — el goulguelane {doUchos cuneifolius).
Pour rendre cette nomenclature aussi complète que pos-
sible, j*y joins les noms de quelques autres plantes qui m'ont
été indiquées ultérieurement et auxquelles les coureurs» et
généralement tous les Arabes^ ont également recours quand
les vivres viennent à leur manquer dans leurs longues et pé-
nibles excursions à travers la « mer de sable ».
El kredda, ^tatice bouduellL
Bezoulet en nadja, tétine de la brebis.
Talma^ espèce de scorsonère.
Rebiâa, danthonia foskali.
Âssida, sanchus chendriloides.
(1) M. le général Margneritte vient de publier un ouvrage du plus
haut intérêt, qui a pour titre: Chasses de V Algérie,
A propos du derine, on y trouve une note très-curieuse. La voici :
c Le derine produit un petit grain comme du millet très-menu et
très-allongé.
a Dans le pays des Touareg, des familles de fourmis récoltent ce grain
et eu font des réserves considérables. Les gens pauvres vont à sa re-
cherche et en font une sorte de farine avec laquelle ils confectionnent
des galettes et du kooskous. Ceux qui vont ainsi s'approprier la sub-
sistance ramassée à grand'peine par la besogneuse fourmi, ont soin de
laisser quelques poignées de grain dans la fourmilière, aGn que cet
insecte puisse subsister pendant quelques jours et recommencer de
nouveaux approvisonnements. Nous agissons de même, vis-à-yis des
abeilles, quand nous recueillons les rayons de miel. »
VIGUEUR ET SOBRIÉTÉ 38^
Daghmous, apteranthes jussomania.
El tifaf, espèce de laiteron.
Nebegue es-sedra^ jujubes sauvages.
Aneb el-betboum, grappes de pistachier sauvage.
Chikh-Aatmiinn, chef des Touareg, a fait connaître en
outre au colorïel Margueritte les noms suivants :
El yàtil, arbre qui produit des grappes jaunes.
El tolhheu, arbre qui produit la gomme.
El harra, moutarde sauvage.
El djerdjir.
El dhorrane.
El nrefel, espèce de trèfle.
Zaouite, el îhafchif, graminées.
II
L'exemple de vigueur et de sobriété que je viens de citer,
a été donné par un Arabe du Tell. On va voir maintenant ce
que peuvent faire les coureurs du désert. Les détails qu*on
va lire m*ont été communiqués récemment par M. Mar-
gueritte (1), lieutenant-colonel au 12* régiment de chasseurs
À cheval. Cet officier supérieur, dont le témoignage mérite
toute conGance, a été longtemps chef de bureau arabe, puis
commandant supérieur du cercle de Leghouate. Il parle
admirablement l'arabe, et nul n*était plus à portée que lui
d*étre exactement renseigné sur tout ce qui concerne les
indigènes. Précisément à cette époque, il possédait dans son
commandement un individu qui passait pour le type le plus
(1) Le colonel MargneriUe, aujonrdlmi général de brigade, comman-
dant la subdivision d'Alger.
38i LA VIE ARABE
accompli di^ coureur arabe. Je vais rapporter, d'après le
colonel Margueritte, quelques traits de Todyssée, non moins
aventureuse qu'authentique, de son héros.
Beu'-âaaïdane (c*est ainsi qu*il se nomme) est un Arabe
des Oulad-saad-ben-Salem, fraction de la grande tribu des
Oulad-Naïl. En 1858, il avait ou semblait avoir trente-cinq
ou trente-six ans ; sa taille était élevée, sa constitution sèche
et robuste, ses bras et ses jambes admirables de vigueur et
d'élégance. Pour tout vêtement, il n^avait qu'une chemise de
coton, recouverte d'un bernouss très-léger. Il portait aussi
une ceinture en cuir du Maroc, dans laquelle étaient passés
quelques bouts de roseaux qui lui servaient à mettre ses
provisions de bouche. Ses pieds étaient garantis par des
brodequins qu'il fabriquait lui-même avec du cuir de cha-
meau et de la peau de chèvre, et il ne marchait qu'avec son
petit couteau à gatne et son fidèle bâton {kezoula). Les Arabes
prétendent que Ben-Saaïdane a été doué par Dieu du don de
la marche, de la faculté de ne jamais s'égarer, même dans
4es contrées les plus sauvages, les plus inconnues, et surtout
de pouvoir vivre avec très-peu de nourriture. Voici dans
quelles circonstances ces facultés merveilleuses auraient été
conférées ou confirmées, suivant eux, à Ben-Saaîdane par
le commandeur des croyants.
En 1845, l'émir Aabd-el-Kader, comprenant qu'il lui
serait avantageux de s'appuyer sur les Oulad-Naaïl pour con-
tinuer sa lutte avec la France, entretenait, par Tintermédiaire
de si cherif bel-Lahreche, des relations très-suivies avec les
principaux personnages des Oulad-si-Hhamed et des Oulad-
saad-ben-Salem. Bou-Haly, chef de cette dernière fraction,
voulant faire parvenir à l'émir un avis très-important, choisit
pour messager Ben-Saaïdane, qui était déjà en grande répu-
tation comme marcheur. Aabd-el-Kader se trouvait alors
VIGUEUR ET SOBRIÉTÉ 3S5
dans les environs de Tyaret. Ben-Saaïdane ne connaissait
nullement les pays de TOaest: il voulut d*abord décliner
cette mission; mais, Bou-Haly et les gens de sa tribu ayant
fait appel à son amour-propre ainsi qu*à ses sentiments reli-
gieux, Ben-Saaïdane se fit renseigner du mieux possible sur
la direction à suivre, et partit, plein de confiance dans ses
forces et dans son courage, n'emportant pour toutes provi-
sions que neuf à dix onces de farine de blé grillé {rouina)^
enfermées dans les roseaux de sa ceinture, et une petite
peau de bouc {chiboutà) qui pouvait contenir environ deux
litres d'eau. La tribu de Ben-Saaïdane campait en ce moment
dans un endroit nommé El-Hhad, à six lieues sud-ouest de
Djelfa : il la quitta de grand matin, c dès qu'il put distinguer
un fil blanc d*ttn fil noir, i et prit la direction du nord-ouest.
Vers les trois heures de Taprès midi, au moment de la prière
(el âasseur)y il arriva à Mekrouba, non loin de Sidi-bou-Zid. Là,
il s'arrêta pendant quelques instants, mangea trois ou quatre
onces de rouina, et se remit en chemin. La nuit le surprit
sur les hauts plateaux; mais, réglant sa marche sur les
étoiles, il continua hardiment sa route, au risque d'être ren-
contré par les éclaireurs des goums ennemis, ou par ceux
des colonnes françaises. Le lendemain, vers huit heures du
matin, il arrivait à Taguedemt, ou se trouvait Âabd-el-Kader.
Il avait parcouru, pour ainsi dire, sans prendre de repos
et sans autre nourriture que huit à dix onces de farine de
blé, 216 kilomètres en vingt-six heures.
L'émir et tous les chefs qui l'entouraient refusaient d'ajou-
ter foi au récit de Ben-Saaïdane ; ils durent cependant se
rendre à l'évidence quand ils eurent entre les mains la lettre
de Bou-Haly. Cette lettre était datée, et donnait des rensei-
gnements précis sur des faits très-récents et d'une grande
importance pour la conduite de la guerre. Alors, Aabd-el-
Î5
386 LA VIE ARABE
Kader voulut récompenser dignement le reggab (coureur)
des Oulad-Naaïi, et lui dit :
— Demande-moi ce que tu voudras ; si la chose est en
mon pouvoir, je te raccorderai.
— 0 prince des croyants, lui répondit Ben-Saaidane, je
ne le demanderai rien, ni honneurs ni argent; tu combats
pour le triomphe de notre sainte religion, nous sommes trop
heureux quand nous pouvons t'aider à vaincre les peuples à
chapeau (bou^barreta); donne-moi seulement ta bénédiction
et invoque Dieu pour ton serviteur, je me tiendrai pour lar-
gement récompensé.
L'émir le fit alors approcher, et, lui imposant les mains,
il prononça ces paroles:
— Que Dieu place sa bénédiction sur tes jambes, et, par
son pouvoir, tu seras toujours le cheval de ton àme, ton
propre cheval à toi-même.
Puis il le congédia en lui donnant une réponse pour los
Oulad-Naïl. Ben-Saaïdane ne mit guère plus de temps au
retour qu*il n*en avait mis pour se rendre à Taguedemt.
— La bénédiction du saint émir, du moudjahad, c'est-à-
dire du soldat de la guerre sainte, avait produit son effet,
racontait-il ensuite; car je ne me sentais vraiment pas
marcher.
Depuis ce moment, on ne le connaît plus, dans les tribus
du Sahara, que sous le nom ô.^Aaoud'Rohhou^ le cheval de
son âme, son cheval par lui-même.
En 18 i9, Ben-Saa!dane et plusieurs autres Arabes de sa
tribu se réunirent pour aller en caravane acheter des dattes
à Tougoui't. A peine arrivé dans cette ville, Ben-Djellab, qui
en était le chef, leur apprit que les goums de TEst, les Bou-
Azid, les Selmiya et les Fedoul, s'étaient dirigés sur les
Oulad-Naaïl, qui campaient alors entre Messad et le djebel
VIGUEUR ET SOBRIÉTÉ 387
Bou-Kahhi1,avec Tintention de les surprendre et de les piller.
Ben-Saaïdane s'offrit immédiatement pour aller donner l'é-
veil à sa tribu^ et il quitta Tougourt sans y avoir pris le
moindre repos, n'emportant avec lui que deux galettes de
pain arabe, avec sa chibouta pleine d'eau. Il marcha jour et
nuit pendant quarante-huit heures, ne fit que quatre haltes
d'environ une heure chacune, et il arriva assez à temps pour
prévenir les siens, qu'il trouva dans une sécurité complète.
Ils se replièrent aussitôt dans la montagne de Bou-Kahhil,
se dérobant ainsi à la formidable cazzia dont ils étaient me-
nacés. Après quelques heures de sommeil, Ben-Saaidane se
remit en marche pour Tougourt, et il rentra dans cette ville
cent deux heures après son départ, ayant parcouru dans ce
laps de temps 560 kilomètres. Il trouva ses compagnons sur
le point de partir, et il put s'en retourner avec eux.
Depuis 1852^ les Français emploient Ben-Saaïdane comme
coureur. Il a rendu d'excellents services à tous nos chefs de
colonne par la rapidité de ses courses et par sa connaissance
parfaite du pays. Nos généraux l'ont toujours généreusement
récompensé; il est aujourd'hui à son aise; mais il n*en
continue pas moins son métier, d'abord par un besoin impé-
rieux de locomotion, et ensuite pour ne pas laisser s'amoin-
drir dans le désert sa réputation de marcheur infatigable, à
laquelle il tient beaucoup. Dans le seul but^ comme il le dit
lui-même, de s'entretenir les jambes, il se rend souvent de
Djelfa à Leghouate en quatorze heures, franchissant ainsi
d'une seule traite 115 kilomètres.
Ben-Saaïdane accompagnait toujours le colonel Margueritte
qifand il faisait des courses dans le désert ; il tenait à hon-
neur de marcher constamment à la tète des goums (cavalerie
arabe), et d'indiquer la direction à suivre parmi ces vagues
de sable où il n'y a pas de routes tracées. Il devenait furieux
388 LA VIE ARABE
quand les cayaliers ou les fantassins ne se conformaient pas
à ses indications, et souffrait même difficilement qu'on osftl
émettre sur ritinéraire un avis différent du sien. Souvent, en
chassant la gazelle ou Tautruche, nos cavaliers laissaient Ben-
Saaïdane à trois ou quatre lieues en arrière ; mais ils étaient
bien sûrs de le voir lestement arriver. Alors, il ne manquait
jamais, en reprenant la tête du goum, d'arborer son mouchoir
au bout de son bâton, en guise de drapeau, et de Tagiter en
cabriolant devant eux pour narguer nos chevaux.
Au mois de juillet iS57, dans une grande chasse à Tau*
truche, les mekhalif s'amusèrent à taquiner Ben-Saaîdane; ils
lui dirent :
— Puisque tu te nommes Aaoud-Rohhou (le cheval de
ton ftme), pourquoi ne prends-tu pas comme nous des au-
truches à la course?
Ben-Saaîdane leur répondit :
— Vos chevaux ne sont que des ânes du Tell, et je les
ferai tous crever dans une course de fond. Cela est connu
des gens du Sahhara, vous-mêmes ne Tignorez pas ; mais,
puisque vous me mettez au défi, demain je vous jaunirai, à
tous, la figure ; oui, demain, je me trouverai en même temps
que vous au lancer des autruches, et, après avoir rejoint la
première qui sera forcée, je veux être de retour au bivac
avant vous.
La provocation fut acceptée. Le jour suivant, Ben-Saaîdane
suivit les chasseurs au gaâd (lieu où sont réunies les autru-
ches que l'on a reconnues) ; dès qu'elles se montrèrent, on se
mit à leur poursuite de toute la vitesse des chevaux. Le colo-
nel Margueritte força la sienne dans trente-trois minutes,
après avoir parcouru seulement quinze ou seize kilomètres ;
et, comme il achevait de la dépouiller, opération qui avait
encore demandé de trente à trente-cinq minutes, il fut effee-
VIGUEUR ET SOBUIETË 38SI
tivement rallié par Ben-Saaïdane, qui lui cria du plus loin
qu'il put l'apercevoir :
— Tu es témoin que j'ai tenu parole ; maintenant, ta
pourras dire partout que ces chiens de mekhalif ne courent
pas plus vite que leurs femmes, et qu'ils ont mauvaise grâce
à vouloir lutter avec ton fils Ben-Saaïdane. Je vais à pré-
sent regagner notre point de départ ; j*y renverserai leurs
marmites, et, avant qu'ils arrivent, j'aurai pu dormir un
instant avec la même tranquillité qu*un paresseux habitant
des kcsours (villages du Sahhara).
Ce qui fut dit fut fait. Plus de deux heures après, quand
le colonel Margucritte rentra au camp, il y trouva Ben-
Saaîdane installé depuis longtemps et avant tout le monde.
Il se prélassait dans la tente du kaïd des Mekhalif, qui, pour
lui faire fêle et se réconcilier avec lui, lui prodiguait son eau
la plus fraîche et le régalait des meilleurs morceaux de
hammoum, viande choisie de l'autruche, cuite dans la
graisse de cet animal.
Cet intrépide coureur fut mis au nombre des cavaliers,
mekhazeniyas, du bureau arabe de Djelfa. Lorsqu'on voulut
l'inscrire en cette qualité, on lui dit :
— Achète un bon cheval, tu sais qu'un mekhazeni doit
être bien monté.
En entendant cette proposition, Ben-Saaïdane, malgré
son respect et sa bonne tenue habituelle devant ses supé-
rieurs, se mit a rire de la façon la plus bruyante, la plus
comique; puis, quand il put parler, il dit au commandant
du poste :
— Ce n'est pas bien d'humilier ainsi ton serviteur en lui
proposant de se servir d*un cheval, qui consomme ce qui
suffirait à nourrir une famille entière; qui hennit et laisse
des traces que l'on ne peut toujours dérober à Tennemi, des
390 LA VIE ARABE
traces qui, le plus souvent, dénoncent nos entreprises. Tu
veux donc que l'on se moque de moi? Ben-Saaïdane acheter
un cheval! Pourquoi faire, grand Dieu? N*est-ii pas plus
avantageux d*avoir tout simplement à ton service un homme
capable de faire ce que vos meilleurs chevaux ne pourront
jamais faire, et qui n*aura à te demander ni paille, ni orge,
ni frais de ferrage, ni indemnité pour perte de sa monture?
Il n'y avait rien à répliquer, et le coureur Ben-Saaïdane
fut, selon son désir, inscrit cavalier de FÉtat {khiyal)^ à la
condition qu'il ferait à pied le même service que ses cama-
rades avec leurs chevaux. Depuis, il n'a jamais donné lieu à
aucun reproche, et la comparaison faite entre lui et les
khiyalas a toujours tourné à son avantage, surtout pour les
courses lointaines (1).
Ben-Saaïdane était très-original. Il parlait peu ; mais, en
marchant, il murmurait toujours quelques sentences arabes.
Voici celle qu'il semblait affectionner :
« Tuer ou être tu«S voilà notre lot; celui de la femme,
c'est de traîner à terre les longs plis de ses vêtements. »
Au reste, les grands marcheurs ne sont pas rares dans le
désert, et leurs hauts faits y sont connus de tout le monde.
En 1846, un Arabe, nommé El-Thouamy, originaire de
Leghouate, uù il vit encore, fut envoyé par le kalifa sid
(1) Dans le iVaceri, ce remarquable ouvrage dû à la plume du savant
docteur Perron, on trouve, à propos des coureurs arabes, la note sui-
vante :
« Ces lions du désert que les chevaux ne pouvaient atteindre à la
course, étaient la terreur des tribus, l'effroi des caravanes, l'épou-
vante des voyageurs, le désespoir des cavaliers. Véritables coursiers,
aux. muscles durs et bosselant la peau, ces terribles délrousseuri
étaient toujours entraînés, toujours maigres, toujours prêts, toujours
en incursions, toujours l'œil fixe et plongeant dans les profondeurs
du désert, la narine béante, flairant de partout le brigandage et le
meurtre. »
VIGUEUR ET SOBRIÉTÉ 391
Hhamed ben-Salem à Berrivane, ville située dans le district
des Beni-Mezab. Parti à cinq heures du matin de Kesar-el-
Héirane, il arriva au terme de son voyage à sept heures du
soir. Il avait, en quatorze heures, franchi 128 kilomètres, et
fait, par conséquent, plus de kilomètres à l'heure. Dans
la même année, ce même Thouamy se rendit, en vingt et
une heures, de Negoussaà Berriyane; distance: 180 kilo-
mètres. Pendant ces deux courses, il n'avait mangé que
quelques dattes et bu que la valeur de deux ou trois litres
d*eau.
En 1848, Mâarouf ben-Selymane, de la tribu des Larbâa^
parcourut en vingt-neuf heures, et d'une seule traite, la dis-
tance qui sépare Guerrara de Kesar et Héirane, soit 18i kilo-
mètres. Dans une seule journée, de Guerrara, il atteignit
Ouargla (1). En 1850, El-Ghiry Bel-Oussif, de la tribu des
Mekhalif, chassait l'autruche. S'étant acharné à la poursuite
d'un delim (autruche mâle], il se trouva complètement sé-
paré de ses compagnons. Son cheval était tombé mort de
fatigue, sa provision d'eau épuisée. Pendant trois fois vingt-
quatre heures, il erra sur les hauts plateaux sans boire ni
manger; le jour, il dormait sous un betoum (térébinthe
sauvage) t et il se remettait en marche la nuit. Sa famille le
croyait perdu, et on eut de la peine à le reconnaître à son
retour, tant il était épuisé, maigri et noirci par le soleil. Il
raconta ensuite qu'il croyait devoir la vie à des rêves dans
lesquels il voyait sa mère le soigner et lui donner à boire à
discrétion. Ces rêves, disait-il, l'avaient soulagé et soutenu
dans sa détresse.
Mahhammed-ben-Mohhammed, des Harez-Allah, fraction
de la grande tribu des Larbàa, étant en razzia du cdté du Zab,
(1) Voir, |)oar les localilés et pour les dislances, la carte de TAb
gérie.
d9S LA VIE ARABE
perdit son cheval par un accident. Obligé de revenir à pied
chez lui, il marcha pendant quatre jours et quatre nuits sans
boire et sans prendre d'autre nourriture que celle qu'il
trouva dans les racines et dans les plantes du bon Dieu.
C'était, il est vrai, en hiver et la température était froide.
Dridy, de la tribn des Mekhalif, était autrefois un intrépide
chasseur; tombant un soir sur un troupeau de sept mouflons
à manchettes, il les poursuivit de montagne en montagne, et
en tua cinq, après avoir parcouru en six heures une cinquan-
taine de kilomètres dans un pays accidenté. Une autre fois, il
suivit pendant quatre jours les traces d'un troupeau d'autru-
ches; mais, ayant totalement épuisé son eau et ses vivres^ il
se vit contraint de rentrer chez lui, ne mangeant, pendant
quatre autres jours, que des plantes de khedda {statke bou-
duelli). Souvent il est arrivé à Dridy de passer huit ou dix
jours à la chasse, ne vivant, pendant la moitié de ce
temps, que de racines et de plantes dont il connaissait la
valeur nutritive. Dridy existe encore; il habite le village
d'El-Haouyta.
LesMekhalif-el-Djereb racontent que Messaoud-ben-Aaïssa
de leur tribu, mort il y a seulement une dizaine d'années,
forçait à pied des autruches dans le temps des plus grandes
chaleurs. Les exemples de longues marches accomplies rapi-
dement, ainsi que ceux de sobriété exceptionnelle, sont
très-nombreux dans le Sahhara. « Plus on avance dans le
Sud, disent les Arabes, moins le ventre peut dominer
l'âme. »
Ce qu'il y a de certain, c'est que, par la vie rude et pleine
de périls qu'ils sont forcés de mener, les gens du désert sont
mieux préparés à la marche, aux fatigues et aux privations
qu'aucun autre peuple de la terre. C'est une honte chez
eux que de s'exposer, par la paresse ou par l'intempérance.
VIGUEUR ET SOBRIÉTÉ 393
à être appelé bou-kerch (le père du ventre). Je pourrais citer
encore ici bien des traits incroyables de patience, de sobriété
et de vigueur. Je me borne à transcrire Tun des plus authen-
tiques, raconté au colonel Margueritte par celui-là même qui
en a été le héros. C'est un chef des plus influents parmi les
Touareg, nommé Chikh-Aatmann ; il est Tami des Français,
et sa véracité, souvent mise par eux à répreuve, ne s*est
jamais trouvée en défaut.
Donc, l'année 1236 de l'hégire, et en plem été, Chikh-
Àatmann, à la tête d'un parti de soixante-dix guerriers mon-
tés sur des mahra (pluriel de maArt), tenta une razzia sur les
Ghambas d'Ouargla. Ils avaient épuisé l'eau de leurs outres,
et passé déjà cinquante-deux heures sans boire, quand, par
suite du succès inespéré de leur coup de main, ils se trouvè-
rent possesseurs de 2,200 chameaux. Ils saignèrent immédia-
tement 60 chamelles, burent leur sang, l'eau qu'elles avaient
dansTestomac, et furent sauvés. C'est là, en effet, la ressource
suprême des Touareg en cas de disette d'eau; mais il faut,
dit Âatmann, prendre toujours la précaution de recueillir le
sang dans un vase, et d'attendre qu'il y soit coagulé. Alors,
on jette le caillot qui s'est formé, et on ne boit que la partie
liquide et séreuse qui reste. Si l'on n'a pas la patience d'agir
ainsi, le sang que l'on boit tout chaud se fige sur l'estomac
ou brûle les entrailles; il augmenle alors le terrible supplice
de la soif. Pendant six jours et demi, c'est-à-dire pendant
c»nt cinquante-six heures avant la razzia, Chikh-Aatmann et
les siens n'avaient vécu qu'avec la valeur approximative de
six cent cinquante grammes de viande de chameau.
II est également admis en principe, chez les Touareg,
que des guerriers en campagne peuvent, quand l'eau et les
vivres viennent à manquer, prolonger leur expédition en
tuant deux mahras sur trois, mais jamais plus, sous peine
394 LA VIE ARABE
de perdre la vie, surtout quand oq opère dans des régions
trës-éloignées du point de départ. Un mahri, disentriis, peat
ramener et sauver trois hommes; deux se placent sur son
dos, et le troisième s*aide dans sa marche en tenant l'animal
par la queue; mais il succomberait infailliblement si Ton
exigeait de lui davantage.
Le chef des Touareg D*azeguer, Chikh-Ikhenoukhene,
étant en razzia contre les Saaïd, avec quarante des siens, est
resté neuf jours et neuf nuits sans eau. Ses hommes s*en
sont tirés en buvant, tontes les quarante-huit heures, un peu
de sang qu*ils se procuraient en tuant leurs mahras. Lorsque
le chiffre de ces derniers fut réduit à quinze, ils retournèrent
dans leiir pays.
Suivant Chikh-Âatmann, les Oulad-Moulate emploient un
moyen singulier et cruel pour s*assurer, dans leurs excur-
sions lointaines, des provisions d*eau et de viande. Us pren-
nent de vieilles chamelles, les privent d'eau pendant long-
temps, et puis, au moment de partir en razzia, ils les font
boire à satiété, leur coupent la langue et les emmènent.
Quand les vivres viennent à manquer, ils tuent successive-
ment les chamelles et retrouvent toute Teau qu'elles ont
absorbée avant le dépai*t, parce que, faute de langue, pré-
tendent-ils, elles n*ont pu en ramener la moindre goutte
dans leur gosier. Inutile d'ajouter que, dans ce cas, les
Oulad-Houlate mangent aussi, avec un grand plaisir, la chair
des animaux qui, suivant leur pittoresque expression, leur
ont servi de réservoirs ambulants. Chikh-Âatmann assure
que les chevaux se montrent également très-avides de cette
nourriture. Quand ils voient préparer et découper devant
eux la chair du chameau, ils hennissent et grattent la terre
du pied avec une joyeuse impatience. Ces Oulad-Moulate
campent sur les conûns du pays des Touareg ; ils n'ont pas
VIGUEUR ET SOBRIÉTÉ 395
d*aulre métier que d*attaquer et de piller les caravanes qui
se rendent à Timbektou. Ces Arabes ont au plus haut degré
la passion de rindépendance et des aventures ; ce sont eux
qui disent : c Les habitants des maisons sont, partout, forcés
de reconnaître un maître (sultan) ; mais nous, toujours prêts
au combat comme à la fuite, nous ne reconnaissons d'autre
maître que Dieu. >
On retrouve, dit-on, chez ces enfants du désert, les
mœurs chevaleresques des tribus primitives de la grande
Arabie, mœurs si bien décrites dans le beau récit de Fatalla
Sayegbir, que nous a fait connaître M. de Lamartine. Dans
le Sahhara, comme dans THedjaz, partout où la distance et la
difficulté des lieux ont préservé les fils d'Ismaël de la domi-
nation des Turcs, la femme a conservé tout son prestige,
toute son influence: elle n'est pas une vile esclave, mais la
compagne, Tâme du guerrier, Tobjet de son admiration pas-
sionnée, la palme de ses exploits. Au fond des solitudes
africaines^ comme au berceau de sa race, TArabe est encore
tel que l'ont dépeint les prophètes : Thomme libre et sau-
vage, levant la main contre tous, léguant à ses enfants
pour patrimoine le désert, et pour moisson les caravanes.
Voici quelques échantillons de la poésie des Uulad-Moulate,
qui semblent des fragments inédits de Tépopée d'Antar.
Laissez-moi, je veux aller où me portent mes désirs;
Je veux quitter les miens pour les fuir à jamais.
Les maîtres des sabres ont eu peur;
Et, si je pars, c'est sur Tordre de Dieu.
Riche dans ma tribu, tout le monde m'aurait fêté;
Pauvre, dans mon pays, je ne suis qu'un étranger;
Je vais dépenser ma vie à parcourir la terre,
* J*y trouverai peut-être un ami qui plaindra mes malheurs.
396 LA YlË ARABE
Arrête, chamelier, ne presse pas notre marche,
Tes chameaux sont jeunes, ménage-les ;
Avant de me lancer dans la mer des souvenirs.
Laisse-moi lui voler encore quelques coups d^œli.
Frère, ne t* étonne pas des caprices de Tamant.
Déjà le chagrin tourne autour de mon cou ;
Il va ronger ma chair avec mes os,
El mon malheur fait rire mes ennemis.
Ils sont réclair, et moi le nuage sombre :
0 mon œil, pleure du sang, si tu n*as plus de larmes!
On se demandera sans doute quelle est la pensée qui m'a
suggéré ces recherches sur les coureurs du désert, et plus
généralement sur les tours de force qu*accomplissent ses
habitants en fait de sobriété, sur leurs luttes quotidiennes, et
presque toujours heureuses, contre la faim et la soif, ces
deux ennemies redoutables, sans cesse aux aguets sous le ciel
africain. Assurément, je n'ai pas supposé que des Européens
pussent s'habituer à une nourriture aussi primitive; mais
n'est-il pas des circonstances où les voyageurs, les marins,
les soldats, peuvent se trouver fort embarrassés pour se
nourrir : les premiers, au fort des solitudes dont ils vont
interroger les périlleux mystères ; les seconds, sur les plages
inconnues et stériles où peut les jeter la tempête; les der-
niers enfin, dans ces expéditions que la sécurité de notre
colonie algérienne rendra encore longtemps nécessaires, et
qui les entraînent fréquemment loin de nos établissements
et des tribus soumises? Dans de telles circonstances, il peut
être intéressant de connaître les propriétés alimentaires de
ces plantes, de ces racines qu'on dédaigne ou dont on se
méfie. Ces notions pourront être utiles surtout à ceux qui
voudront tenter la traversée du grand désert, soit pour son*
VIGUEUR ET SOBBIÉTÉ 397
dcr les profondeurs du Soudan, soit pour se rendre à Tim-
bektou (Tombouctou), soit enfin pour se livrer à la recon-
naissance si difficile d'une communication entre l'Algérie et
le Sénégal. Aujourd'hui, un Européen, séparé de sa caravane
dans le Sahhara, est un homme à peu près perdu. Tout
récemment encore, Tun des plus intrépides explorateurs de
l'Afrique, le docteur Barth, égaré ainsi pendant vingt-quatre
heures, n*échappait que par miracle à une mort affreuse.
Pour moi, je m'estimerais très-heureux si mes indications
pouvaient sauver la vie rien qu'à un seul de ces touristes
qu'anime le feu sacré des aventures.
Les détails que j*ai pu recueillir sur les coureurs arabes
pourraient peut-être aussi donner lieu à de curieux rappro-
chements historiques avec ceux qui ont exercé la même
profession chez divers peuples de Tanliquité, comme chez
les Perses, où l'on faisait d'eux grand usage, au rapport
d'Hérodote et de Xénophon, et chez les Grecs, où ils étaient
connus sous le nom A'hémérodromes. L'histoire a conservé
le souvenir de quelques-uns de ces messagers infatigables,
notamment du coureur Phidippidc, et de ce Lacédémonien
qui fit en un jour 60 lieues. De la Grèce, l'usage des coureurs
avait passé en Italie, et d'Italie en France, où il s'était main-
tenu chez quelques nobles jusqu*à la révolution française.
Peut-être est-il permis de regretter que ces exemples de
vigueur musculaire, développée par une éducation profes-
sionnelle, disparaissent totalement de la vieille Europe, et
que les hommes appartenant aux races civilisées se trouvent
presque toujours, sous ce rapport, en état d'infériorité
flagrante vis-à-vis des peuples plus voisins de l'état de
nature. On sait quel prestige exercent sur ces peuples les
qualités physiques, comme la force et l'agilité, et souvent 11
serait à désirer, dans l'intérêt même de la civilisation, qu'ils
398 LA VIE ARABE
eussent ce motif de plus pour nous estimer et nous craindre.
Enfin, la science physiologique pourrait, ce me semble,
trouver quelque chose à glaner dans tout cela. Ces détails de
mœurs, ces exemples de sobriété ne sont-ils pas susceptibles
de lui fournir de précieux enseignements, de curieuses com-
paraisons entre les besoins réels et les besoins factices, entre
les nécessités d*un estomac sauvage et celles d*un estomac
civilisé?
CHAPITRE ONZIÈME.
Hiérarchie arabe. — Formules religieuses. — Fêtes pria-
cipales. — La confiance eu Dieu. — - Maladies. — Animaux.
— Noms des jours et des mois. — Points cardinaux. —
Degrés de parenté. — Numération. — Appellation des diffé-
rentes langues.
HIERARCHIE ARABE
Soultane. — Sultan, chef d'empire.
Amir. — Émir, prince musulman.
Amir el moumenine. — Le commandeur des croyants.
Nous en avons fait le « miramoliu. »
Ouziry pluriel ouzera. — Vizir, ministre.
MersouL — Ambassadeur, consul, envoyé.
Khelifa. — Kalifa, calife, lieutenant du sultan.
Sous rémir Aabd-el-Kader, les kalifas étaient gouverneurs
d'une province.
400 LA VIE ARABE
Tout principal fonctionnaire indigène a, pour i*aider, un
kheltfay lieutenant.
Bach agha. — Ce mot est turc ; il veut dire chef des
agas.
Dans Tordre hiérarchique, le bach agha vient après le
kalifa; il est d'ordinaire le chef d'une circonscription de pays
très-étendue.
Agha. — Aga, chef qui est placé sous les ordres du bach
agha.
Du temps de l'émir Aabd-el-Kader, il répondait d'un grand
nombre de tribus.
Kdid el kiyad, — Le kaïd des kaïds. Il commande à plu-
sieurs tribus el relève directement de l'agha.
Katd. — C'est le chef d'une tribu plus ou moins grande.
Selon son importance, la tribu se divise en un certain nom-
bre de fractions, — ferka.
La fraction, à son tour, se divise en douars, ronds de
tentes qui forment des villages arabes dont les maisons, au
lieu d'être en pierres, sont faites avec une étoffe composée
de laine et de poils de chameau. Cette maison, on l'appelle
kheima, — tente, — ou bien encore bite echaar, — la maison
de poils.
Kaid el aachour. — Est une fonction qui n'est ni reli-
giense ni politique. Elle a pour but de veiller à la perception
des impôts et de s'opposer au gaspillage.
Chikh. — Cheik. Chef d'une fraction de tribu, — ferka.
Ce mot s'applique aussi aux hommes âgés et considérés.
Dans ce cas, il est synonyme de vénérable.
HIÉRARCHIE ARABE 401
La réunion des che.iks (i*une tribu forme la djernaa^ ou
conseil municipal.
Kebir ed-douar. — Chef de douar, espèce de village
arabe d^nt j'ai parlé plus haut.
Hhakem. — Chef d'une ville ou d'un village arabe. Il rem-
plit, à l'égard de cette ville ou de ce village, les mêmes fonc-
tions que le kaîd à Tégard de sa tribu.
Aminé. — C'est le nom donné au chef d'une tribu ka-
byle.
Dans les villes, on donne encore le nom d'aminé aux chefs
des corporations musulmanes. Dans ce cas, il est synonyme
de syndic.
Aminé el oumena. — L'aminé des aminés, c'est-à-dire le
chef des aminés.
Cette fonction est tout à fait spéciale à la'Rabylie.
Khoudja, Kateb. — Secrétaire. Les chefs arabes, ne sa-
chant pour la plupart ni lire ni écrire, se font toujours ac-
compagner d'un khoudja qui prépare la correspondance sur
laquelle ils apposent eux-mêmes leur cache.t. On en trouve
de très-habiles et de très-intelligents.
« A déclaré ne pas savoir signer, attendu qu'il était cheva-
lier. »
Kateb es^serr. — L'écrivain du secret, — de confiance.
Seuls, les grands chefs possèdent des secrétaires de cette
espèce.
Khaznadar. — Trésorier.
Oukil. — Chargé d'affaires, intendant, administrateur.
Kebir el mehhalla* — Le chef de l'armée.
26
40S LA VIR ARABE
Bach'tobdji. — Le chef de l'artillerie.
Kaid el mouna. Et aaoutne. — Le chef des vivres.
Aghete el aasker, — L'agha de rinfanterie.
Aghete el khiyalas. — L'agha de la cavalerie.
Bach'hhammar. — Chef du convoi.
Bach-feirag, — Chef du campement.
Siyaf. — Officier.
Kebir le kheba. — Sous-officier, chef de tente.
Chaouch^ au pluriel chouach, — Ses fonctions varient sui-
vant Tautorité auprès de laquelle il est placé. En réalité,
exécuteur des décisions de celte autorité.
Hharssi. — Agent de police.
Makhzenn. — On appelle ainsi Tensemble des cavaliers de
certaines tribus qui sont liées au service et qui jouissent à ce
titre de privilèges particuliers. Uu cavalier du makhxenn
s'appelle mekhazini.
Goumm, — Réunion des cavaliers d'une ou de plusieurs
Iribus, cavalerie irrégulière.
Khiyalas, — Cavalerie régulière. Chez l'émir Âabd-el-
Kader, elle était vêtue de rouge.
Aaoulama. — Pluriel du mot aalem^ savant. On se sert
de ce mot pour désigner les docteurs de la loi.
Cherify pluriel cherfa. — Descendant du Prophète. Per-
sonnification de la noblesse religieuse. Seul, le chérif a le
droit de porter la couleur verte dans ses vêtements.
^
HIÉRARCHIE ARABE 403
Merabete, pluriel merabeïine, — Marabout ; membre de
la noblesse religieuse. Elle est héréditaire. L'influence des
marabouts est immense.
Djiyed, pluriel djouad. — Descendant des premiers con-
quérants arabes; noblesse d*épée.
Mufti, — Jurisconsulte et chef de la religion dans une
certaine circonscription.
Imam. — C'est celui qui dans les mosquées exécute les
prostrations voulues par la loi et lit le KoraA aux fidèles.
Kadi, — Juge qui, d'après la loi musulmane, a le droit de
prononcer sur les litiges civils ainsi que sur les crimes et
délits.
Aadelj pluriel aadoul, — Assesseur du kadi. Pour qu'an
jugement soit valable, il doit avoir été prononcé devant deux
aadoul.
Taleby pluriel tolbas. — Lettré, plus ou moins savant. U
y a de bons et de mauvais tolbas. Ils sont en général très-
fanatiques.
Chikh, -- Instituteur primaire. Il apprend aux enfants de
la tribu à lire, à écrire, à prier; il leur enseigne, en outre,
un certain nombre de versets du Koran. Son école s'appelle
messid.
Mederress. -^ Est un lettré qui enseigne la langue et la
loi. Son école prend le nom de mederssa.
Motidderm. — Crieur des mosquées. Du haut du minaret,
il convoque les fidèles à la prière au son de la voix. Pour ces
fonctions, on choisit toujours un homme doué d'un organe
sonore.
404
LA VIE ABABE
>
El Monakkett. — L'homme de Tinstant. Dans les mos-
quées, il est chargé de faire annoncer les prières à rhcore
exacte. On le veut instruit et trës-honorable. On désire, en
outre, qu*il ait quelques notions d'astronomie.
El hhadj. — Le pèlerin. C'est-à-dire celui qui a fait le
pèlerinage de la Mecque.
II
FORMULES RELIGIEUSES
S'U platt à Dieu.
Au nom de Dieu.
Pour l'amour de Dieu.
Si Dieu le veut.
Dieu nous l'apprendra.
Dieu le sait.
Ce sont les paroles de Dieu.
Dieu verra.
Dieu te l'apportera.
Dieu est généreux.
Il n'y a qu'un seul Dieu.
Dieu est miséricordieux.
Dieu ouvrira — cette porte.
Que Dieu maudisse le démon!
Gloire à Dieu!
A la grâce de Dieu.
Dieu garde.
Dieu te soit favorable !
Ennchaallah .
Bessemellah.
Fi sabillah.
Ha rad Allah.
laalem Allah.
Idri Allah.
Kelam Allah.
Iferredj Allah.
Idjiblek Rebbi.
Allah kerim.
Ouahhéd Allah.
Allah ghafour^ Rahhim.
Ifiahh Allah.
A llah inaal chitane !
Sebahhane Allah !
Aala bab Allah.
Ya lathif.
Naam Allah bik!
FORMULES RELIGIEUSES 405
Il n*y a de force qu'en Dieu.
G*est l'ordre de Dieu.
Avec la permission de Dieu.
C'est écrit chez Dieu.
La kotUL Ua bellah.
Hhakoum Allah.
Bi adenn Allah.
Mektoub Bebbi. Allah,
C'est là une recette admirable dont on se sert dans toutes
les circonstances de la vie. Le difficile est d'y croire.
Un Arabe perd sa femme, ses enfants, sa fortune ; il lui
arrive un malheur, un accident, etc.; il se résigne en disant :
< C'était l'écrit de Dieu ! > Je ne crois pas cependant que ce
fatalisme aveugle soit dans les vrais principes de la loi isla-
mique.
Je racontais, un jour, à un savant arabe qu'un de ses co-
religionnaires, conduit au supplice pour avoir commis un
meurtre, s'écriait en y marchant courageusement : < C'était
écrit chez Dieu ! » Mon taleb fit éclater son indignation :
c L'ignorant, le misérable ! non, ce n'était pas écrit chez Dieu,
puisque Dieu nous défend formellement de tuer. Notre reli-
gion nous a tracé des règles de conduite ; c'est à nous de les
suivre. »
Tout est dans la main de Dieu.
Koul chi fi idd Rebbi.
Ce sont les commandements de Dieu.
Oussayate Allah.
Sur vous la confiance de Dieu.
Aalikoum amane Allah,
Dieu, c'est lui qui est le plus grand.
Allahou^ akber.
406 LA VIE ARABE
Louange à Dieu qui est seul !
Il n'y a de maître que lui ;
On ne doit pas en adorer d'autre.
Lhhamedou lellah auahhidaou !
Oua la rebb ghérou ;
Oua la maaboud siouah.
Il n*y a pas d'autre Dieu que Dieu et Mohhammed est Venr
Yoyé de Dieu. Puisse Dieu le bénir et le saluer!
La ilah ha il Allah, ou Mohhammed rassoul Allah. Salla
A llahou aalihi oua sellera !
C'est la profession de foi des musulmans.
Louange à Dieu qui est seul I il n*a pas d'associé dans son
empire.
Lhhamedou lellah ouahhédaou! la charik la-houfel melk.
Au nom de Dieu le clément, le miséricordieux !
Bessemellah errhhamaniy errhhaimi !
Formule religieuse qui est en tête de tous les chapitres du
Koran.
Louange à Dieu l'unique ! son règne seul est éternel I
Lhhamedou lellah ouahhédaou! oua la idoum ila melkou!
Louange à Dieu qui est seul ! c'est de lui que vient tout
secours !
Lhhamedou lellah ouahhédaou ! ou bihi nestaaîne!
Louange à Dieu ! tout commandement lui appartient !
Lhhamedou lellah! ou lamer koullou lellah!
Louange à Dieu qui a établi la religion de la résignation,
— - l'islamisme, — et Ta exaltée !
Lhammedou lellah illadi chedd dine el isslam^ au re^
faaou!
%
FORMULES RELIGIEUSES 401
Notre seigneur Brahim — Abraham — est le chéri de
Dieu;
Notre seigneur Moïse, à qui Dieu a parlé;
Notre seigneur Jésus-Christ, venu de l'esprit de Dieu ;
Et notre seigneur Hohhamraed est Tenvoyé de Dieu I
Sid-na Brahim khalil Allah;
Sid-na Moussa hilim Allah ;
Sid-na Aayssa menn rohheu Allah ;
Sid-na Mohhammed rassoul A llah !
Louange à Dieu Tunique, qui en tout temps renouvelle le
triomphe !
Lhhamedou lellah elladi fi koull aasser idjedded en-
nesser!
Que Dieu fasse triompher les guerriers de la foi !
Allah innssor el moudjahadine !
0 mon Dieul envoie-nous le maître de Theure.
Ya Rebbi ! baatlena motU saa.
En pays arabe, on croit à Tarrivée prochaine du Moul saa,
du maître de l'heure. C'est lui qui, envoyé par Dieu lui-
même, punira les chrétiens et vengera les musulmans. Cha-
que année, il paraît un fanatique qui prend le titre de maître
de l'heure; il est d'ordinaire suivi des populations, livre un
combat, fait tuer un assez grand nombre de ses partisans, se
fait tuer lui-même ou disparaît. C'est égal, on nous aime
tant qu'on attend toujours le maître de l'heure ; de l'heure,
bien entendu, qui doit nous être fatale.
Que Dieu nous pardonne tout ce qui est arrivé !
Staghfir Allah bi ma kana!
408 LA VIE ARABE
Louange à Dieu Tunique ! que la prière et le salut soient
sur renvoyé de Dieu!
Lhhamedou lellah oiuihhidaou! ou es-salate ou es-salam
aala rassoul Allah !
Gloire à Dieu Tunique! La prière, le salut sur celui qui a
établi la loi de la guerre sainte !
Lhhamedou lellah ouahhédaou! Es-salate ou es-^salam
aala menn senn sennete el djahad !
Que Dieu soit propice à notre seigneur Mohhammed et le
conserve !
Salla Allah aala sid-fia Mohhammed oua sellama.
Un seul Dieu, une seule parole !
Rebbi ouahhéd^ ou kelma ouahhéda !
Dieu accorde sa miséricorde aux miséricordieux !
Er-rhhuiminey irhhemhoum Allah!
Sur vous la miséricorde et la bénédiction de Dieu I
Aalikoum rahhmet Allah ou barakatouhou!
Si Dieu vous aide, personne ne pourra vous vaincre.
Enn innssorkoum moullahouy fa la ghaliba la-koum*
Avec Taide de Dieu tout peut se faire.
Be maaounete Allah issir koul-chi,
La religion de Tislamisme est la religion de Dieu.
Dine el isslam, dine Allah.
Prie sur notre seigneur Tenvoyé de Dieu.
Salli aala sid-na rassoullah.
Il y a cent et cent clefs chez Dieu.
Miya ou miyate meftahh aand Allah.
FÊTES PRINCIPALES 409
III
FÉTKS PRINCIPALES
Ross el aam: — La tète de l'année.
C'est le premier jour de l'année musulmane. Il tombe
le 1*' du mois de mohharem. On jeûne, on prie, on s'em-
brasse et Ton se dit mutuellement : Mebrauk el aam ! — Que
l'année soit heureuse!
El aachoura.
Celte fêle consacre l'anniversaire de la mort de sid el Hhas-
senn et de sid el Hhaoussine, fils du kalifa sidi Aali bou Ta-
leb, gendre du Prophète. Elle a lieu le 10 du mois de moh-
harem.
On assure aussi que, ce jour-là, on a sauvé du naufrage
dix compagnons — sohhab — de l'envoyé de Dieu.
El mouloud.
Jour de la naissance de Mohhammed. Cette fête se célèbre
le douzième jour de rabiaa louel. Elle dure sept jours.
On prie, on allume des cierges dans toutes les écoles pu-
bliques, dans sa maison ; on ne travaille pas, on s'habille de
son mieux, et Ton se réjouit avec des refiss^ pfttes légères
faites avec du miel et du beurre, coupées en petits mor-
ceaux.
4t0 LA VIE ARABE
Aàid eS'Seghky
Aàid el fêter.
Cette fête porte indifféremment ces deux noms : la petite
fête, la fête du déjeuper. Elle tombe le 1'*' du mois de choual.
Sa durée est de trois jours.
On la célèbre en réjouissance de la rupture du jeûne très-
dur imposé par la loi pendant le mois de ramadan — rame-
dane.
On fait une prière supplémentaire le matin. Elle s'appelle
Salate el aatd.
On s*embrasse, on se visite, on s*offre des friandises, hha^
laouate el aàid,
Aaîd el kebir^ chez les kvabes.-- Korbane ou Batramf chez
les Turcs.
La grande fête. Elle tombe le 10 du mois dou el hhadja;
elle dure sept jours et elle a lieu en commémoration du sa-
crifice d* Abraham.
On l'appelle encore Youm el oukouf, — le jour de la pré-
sence, — parce que ce jour-là est celui où les pèlerins qui
vont visiter la chambre de Dieu, — bite Allahy — sont admis
à entrer dans le temple de la Mecque.
Pour la grande fête, dans chaque famille, tout individu
petit ou grand, à moins d'impossibilité absolue, doit sacrifier
un mouton. L'excédant de ces provisions de bouche doit être
immédiatement distribué aux pauvres.
On recherche les moutons qui ont de belles cornes, parce
que la croyance populaire veut que ces animaux sacrifiés
dans les voies de Dieu soient admis, après la mort du croyant,
à lui faire franchir le terrible Cirate, ce pont qui relie l'enfer
>
LA CONFIANCE EN DIEU 411
au Paradis. Monté sur Tun des moutons offerts en holocauste
et se tenant vigoureusement à ses cornes, le fidèle qui aura
été généreux pour les déshérités de la fortune ne tombera
pas dans l'abtme.
IV
LA CONFIAXCE EX DIEU
On assure que du temps de Moulay-Selymane, empereur
du Maroc, une affreuse disette étant venue désoler le pays,
le sultan ordonna que Ton fit briser les instruments de mu-
sique, et que l'on eût à pleurer et à prier. Quelques jours
après ce décret, on lui amena un esclave qui avait été sur-
pris, dans les rues, dansant et chantant, en s'accompagnant
avec des battements de mains. « Pourquoi, lui dit le com-
mandeur des croyants, te livres-tu à de pareilles démonstra-
tions de joie quand tout le monde est dans l'afQiction 7 —
Mon mattre , répondit Tesclave, a des magasins qui sont
remplis de grains ; je n'ai donc point à m'inquiéter, je place
ma confiance en lui, il me nourrira, et c'est là ce qui cause
ma gaieté. — Si celte créature, reprit le sultan, a pu mettre
sa confiance dans une autre créature, que mon peuple place
sa confiance en Dieu. »
Et il leva toutes les interdictions.
Cette légende où respire tout le fanatisme de la confiance
en Dieu, m'a été contée par un Arabe qui se trouvait ces
jours derniers à Bordeaux. Il est de Fez — Fass^ — et il se
nomme Aali benn Hhamed. Atteint d'une de ces maladies
d'yeux assez communes en Afrique, il s'était déterminé, sur
41S LA VIE ARABE
les instances de ses coreligionnaires habitant Paris, à venir
secrètement se faire traiter en France.
Gomment avait-il pu se résoudre à un parti aussi externe T
Car, si l'on voit, de temps 'en temps, en Europe, des ban-
des passagères d'Arabes — hayadas^ — montreurs de tours
de force, — qui parcourent les capitales, Vienne, Berlin,
Madrid, Saint-Pétersbourg, Constantinople, comme on en a
applaudi dernièrement une troupe à Paris, rien n'est plus rare
que de voir un Arabe isolé entreprendre le même voyage,
surtout pour demander à la civilisation européenne la guéri-
son des maladies contre lesquelles l'art musulman s'est dé-
claré impuissant.
Devenir aveugle, s'il demeure ; recevoir cinq cents coups
de bâton de la part de ses chefs s'il se laisse prendre en
partant ; partir et affronter tous les dangers que la politique
des marabouts présente à l'imagination des fidèles pour les
détourner de voyager en pays chrétien : le cas était grave. U
avait consulté un parent, homme de religion, et après bien
des discours, une chapelle — koubba, — cachée dans un pli
de montagne, avait reçu, par une nuit obscure, chacun trem-
blant d'être découvert, le serment réciproque du voyageur
et de l'ami, l'un jurant de ne pas trahir, et l'autre de ne
manquer, pendant le voyage, à aucun précepte de la loi.
Par le serment de Dieu !
Et par le serment du Prophète de Dieu !
Celui qui trahira, Dieu le trahira.
Be ahad Allah !
Ou be ahad rassoul Allah !
Li igheder, ighederou Allah.
Cette formule se prononce les mains droites jointes et le-
LA CONFIANCE EN DIEU 413
vées en Tair, les doigts entrelacés; c'est le serment par
excellence.
Quittant son pays comme nn voleur, sans rien dire à ses
femmes et à ses enfants, sans un denier, un peu de rouinay
farine d'orge enfermée dans des roseaux, cartouches d'un
nouveau genre, contenant la vie d'un jour; couchant la nuit
dans les buissons, marchant le jour par les sentiers détour-
nés, épouvanté de son ombre, Aali arrive à Tanger, se cache
dans la foule des marchands de Figuig, Taza, Merakech,
Oudjeda, Mekeness, qui apportent là le blé, l'orge, la laine,
les peaux de Maroc — filaly, — la gomme, le kermess, les
plumes d'autruche, trouve le port, tombe au hasard dans
une barque de ces maraîchers qui vont approvisionner tous
les matins Gibraltar, se tapit sous une cargaison de légumes,
et le voici en Europe, échappé à la vengeance des siens.
Des canons, des casemates, des soldats rouges, il vit cela
dans un clin d'œil, et en même temps la maison du chargé
il'affaires marocain ; encore le bâton en perspective, ce qui
précipita son départ. De barque en barque, il gagne Barce-
lone : c'était le plus long ; mais le seul chemin qu'il pût
prendre dans l'état de ses finances, et, d'ailleurs, le temps
n'est rien pour un Arabe.
— Que d'eau ! disait-il en se couvrant la tête.
Une troupe de hayadaSy dont le chef Hadj-Aali-benn-
Mohhammed, Marocain comme lui, l'accueille. 11 reste cinq
jours parmi eux, en reçoit des secours, se renseigne, prend
des forces, se confirme dans son projet, va devant lui à la
grâce de Dieu, et, un beau matin, vo^ez-le entrer à Madrid :
ecce homo! Un juif renégat passe, lui adresse la parole,
voilà son affaire ; il est sauvé.
On le met par charité dans le chemin de fer de'Bayonne
— trék-en-nar — le chemin de feu. — Quelle surprise pour
AU LA VIE ARABE
un Arabe I Le bruit, la fumée, les tunnels, le sifflement de
la locomotive, la nuée qui accompagne le monstre, cet atte-
lage invisible qui vole comme la pensée, triomphent un mo-
ment de son impassibilité musulmane. A genoux dans le
wagon et se croyant en danger de mort, il dit sept fois la
profession de l'islam : — « Il n'y a qu'un seul Dieu, et Moh-
hammed est l'envoyé de Dieu ; » — puis se relève. Plus d'un
paysan français a peut-être fait, de même, le signe de la
croix, la première fois qu'il s'est vu emporté dans un train
de chemin de fer.
Enfin, il est à Bordeaux : il avait mis onze jours à venir à
pied de Bayonne. Sans bas, sans culottes, bernouss troué,
rapiécé, une besace vide, sa casserole pendue au cou (il
l'avait achetée à Barcelone pour faire cuire ses aliments)^
son haïk couvert de la boue de tous les fossés; ses cartouches
de rouina vides et rendant le bruit aigre d'un vol de saute-
relles ; comme il pleuvait, les souliers sous le bras par éco-
nomie, et majestueusement^ lentement, p^ravcment, [hâve,
malade, mais fier et plein de confiance, il fait son entrée
dans la ville. Sur sa mine, la police l'arrête ; on le fait cou-
cher à la Permanence :
— Singulière hospitalité ! pense-t-il.
Voilà ses craintes qui lui reviennent.
Un Israélite d'Oran, domicilié à Bordeaux^ qu*on était allé
avertir, répond de lui le lendemain, et l'emmène à l'Alcazar,
où le fils d'Abraham était employé. Là, habillé par les soins
du maître de rétablissement dont la générosité est prover-
biale, puis nourri, couché dans un bon lit d'hôtel, promené
en carrosse, conduit au port, à la cathédrale, au théâtre,
il se laisse faire, accepte tout, en grand seigneur, et observe
tout avec intelligence. Je me le fais amener, je l'interroge, et
voici ce qu'il me dit :
LA CONFIANCE EN DIKU 415
— Je vois aujourd'hui que, chez nous, on s*ingénie à faire
courir bien des calomnies sur votre compte ; moi-même, en
rentrant chez moi, si je les démentais, je serais assommé de
coups. Je viens de parcourir une grande étendue de pays
chrétiens ; partout j*ai été bien traité et personne ne m'a
ôté un cheveu de la tète. Les marabouts et les tolbas (let-
trés) disent cependant que vous vivez dans des îles sau-
vages, sans ressources, habitant des bateaux, mourant de
faim, ne pensant qu*à faire le mal. C*est la misère qui vous
aurait poussés eu Algérie.
» Suivant eux, vous exhalez Todeur du bouc, vous vivez
dans une promiscuité complète ; une femme vous lasse, vous
la quittez sans divorce, parce que le mariage légal vous est
inconnu. Vous avez chez vous des gens qui, pour une con-
trariété, se tuent eux-mêmes, voleurs de leur propre exis-
tence. Vous jurez et sacrez en toute occasion, mangez dans
la rue, et, ce qui est une indignité, vous y accomplissez debout
ce besoin quela pudeur m'empêche de nommer. Dans notre
religion, pour ce fait, un homme ne serait plus admis à
témoigner en justice.
» Et ils ajoutent que vous forcez l'étranger
» A pattre les cochons — tesserrahh el hhdlouf
» Et à ne vivre que d'escargots - ou takoul el bebouch.
» Ce n*est pas tout : on affirme encore que, si quelque
musulman a le malheur de se rendre chez les chrétiens,
vous le pendez par les pieds, la tète en bas ; que, dans cette
position, vous lui placez au bout du nez un serpent qui le
mord et le suce jusqu'à ce qu'il en sorte du poison, et que
c'est avec ce poison, recueilli avec soin, que vous faites
mourir ceux d'CRtre nous qui vont vous demander Thospi-
Ulilé.
416 LA VIE ARABE
» Je sais maintenant que ce sont des mensonges, car, au
lieu de cela, j*ai trouvé tout à souhait. A Barcelone, on m'a
nourri ; à Madrid, les gens m*appelaient dans les rues en me
disant : Moro , Moro ! mandiyar ? (Maure, maure I veux-tu
manger ? (Ici, on pourvoit à tous mes besoins, on me donne
des bottes, des chemises, des bas, une culotte, un turban ;
on me promène en voiture, on me fait boire du thé, du café,
partout on m'a laissé tranquille sur ma religion. Certaine-
ment, je n'ai jamais été mieux dans ma tribu, au milieu de
mes frères.
» Tu me demandes ce que j'ai éprouvé en me trouvant si
loin de chez moi, dans une grande ville des chrétiens ? Rien,
que de la reconnaissance envers Dieu. N'est-il pas le mattre?
Les Arabes disent :
» Engraisse ton chien ; il te mordra,
» Laisse-le avec la faim, il te suivra.
(Semmenn kelbeky yakoulek ;
Khallih bel djooeUy itebbaak.)
» Mais vous ne faites pas comme eux ; vous êtes généreux
pour les pauvres, pour les affligés, pour ceux qui vous ser-
vent, et c'est par la bonté que vous prenez les cœurs ; j'ai
vu bien des choses ici.
> Ce qui est beau, c'est votre port, où viennent aborder
tant de navires. Quelle rivière ! Que de commerce !
» Ce qui est étrange, c'est votre marché et la quantité de
fruits qu'on y trouve ; on m'a assuré que chaque jour il en est
ainsi. Gloire à Dieu ! Sebahane Allah!
» C'est aussi la quantité d'or et d'argent que j'ai vu donner
plusieurs soirs de suite, sans tumulte ni pillage, à la porte
de vos théâtres. Il faut que vous soyez bien riches !
» Ce qui m'a paru inexplicable, c'est le peu de respect que
LA CONFIANCE EN DIEU 417
VOUS portez à la maison de Dieu. En entrant dans votre grande
mosquée, j'ai voulu, comme cela est d'usage chez nous, Ater
mes chaussures ; on m'en a empêché. Voilà qui est curieux.
» Ce que j'ai trouvé extraordinaire, c'est que tous vos sol-
dats se ressemblent. On les dirait frères. Les fantassins sont
vifs; sur le moindre signe, ils s'alignent comme les grains
d'un chapelet ; seulement, pourquoi sont-ils ferrés comme
des chevaux ? ça doit être bien gênant. Quant aux cavaliers,
on les prendrait pour des capitaines — kobtaiie. »
Les lanciers l'avaient frappé, bien qu'il les trouvât trop
serrés dans leurs vêtements.
Un nègre conduisant l'orchestre au théâtre de l'Alcazar,
l'avait indigné. Un nègre conduire des blancs ? On lui fit
comprendre que ce n'était point un esclave, mais simple-
ment un bon musicien ; cependant, il ne se rendit pas. Les
décors, les changements à vue l'étonnaient, il les prenait
pour de la sorcellerie. Cheghoul ed^djenoun.
Pressé de s'expliquer sur les femmes qu'il voyait, contrai-
rement à la religion musulmane, se promener le soir, sur la
place publique, en grande toilette, le visage découvert, et
donnant le bras à des hommes, il se tint sur la plus grande
réserve et n'en voulut dire que ceci :
— Partout elles sont les mêmes.
» Leur bonheur est de traîner à terre les longs plis de
leurs vêtements ;
» Mais, si elles vous aiment, que de portes elles vous ou-
vriront ;
» Et, si elles vous détestent, que de dangers elles vous
feront courir I
» Prenez garde ! avec un simple fil d'araignée,
» Elles bâtiront devant vous un mur de fer. »
Puis il termina en citant ces vers d'un poëte de sa nation :
Î7
4t8 LA VIE ARABE
» Tout le inonde m*obéit,
» Comment se fait-il donc que j'obéisse aux femmes,
» Même à celles qui résistent à mes volontés ?
» En face de Tennemi, nous sommes des hommes de
noble race ;
» En leur présence, nous ne sommes plus que des es-
claves. »
La veille, assistant à un ballet et trompé par la l^èreté
du costume de nos danseuses, Aali, s'étant figuré qn*eUe8
étaient toutes nues, se cachait la figure et les yeux avec les
mains. On eut toutes les peines du monde à le faire revenir
de son erreur.
Le musée, le port, les quinconces, le mouvement cora-
niercial, Tair affairé des habitants, les types différents qa*il
rencontrait, la vivacité des allures, tout se réunissait pour le
surprendre, et presque rien n'y réussit. Une chose pourtant
parut rétonner. ^ Que font donc tous ces individus attablés
dans la rue à la porte des cafés? — Ils boivent. — Quoil
sans soif, pendant toute la journée? Cest impossible. Dans
mon pays, jamais on ne voudra le croire. »
€ Et ces beaux carrosses — fiacres — que je vois là tout
attelés? est-ce que votre sultan est arrivé? — Non. Ils sont à
la disposition de celui qui veut s'en servir et les payer. — Si
c'est vrai, c'est bien commode. Il n'y a de force que par
Dieu ! La kotui ikt bellah. »
* c Mais je n'ai vu personne prier? — Chez nous, on prie
d'habitude dans sa maison ou dans l'église. — C'est drôle !
Y a-t-il au monde une plus belle mosquée que la voûte des
cieux? AlU surplus. Dieu a créé et séparé. Rebbi khelok au
ferrek. »
Sur le musée, Aali émit l'opinion que les peintres, ayant
fait des figures humaines sans pouvoir leur donner des ftmes.
LA CONFIANCE EN DIEU 419
se trouveront comptables envers Dieu au jugement dernier.
On sait qu*en Orient peindre un homme est un sacrilège.
SurTactivité des passants: « Où va tout ce monde en cou-
rant? Est-ce contre les heures que vous vous battez? Pour-
quoi, cependant? Si cette terre valait seulement Taile d'un
moucheron, nos ancêtres ne nous auraient pas laissé ce pré-
cepte si connu :
« Marche, marche, suivant le temps ;
» Et, quand tu es fatigué, repose-toi ;
» L'écrit de Dieu t'arrivera,
» Quand bien même tu le fuirais avec des ailes. »
Le son des cloches Tavait tracassé : c Chez nous, répétait
il, c*est avec la voix de la créature qu'on appelle à l'adoration
du créateur. »
Aali ne pouvait» en outre, s'habituer à notre excès de cu-
riosité. Faire cercle dans la rue pour une bagatelle, s'y arrê-
ter pour écouter ce que disent les passants, ou se retourner
pour admirer quelqu'un ou quelque chose, lui paraissait
contraire à la dignité de l'homme.
La sûreté, l'abondance, la continuité des approvisionne-
ments de toute sorte l'avaient cependant surpris, c Ta en
verras bien d'autres à Paris, lui disait le juif que j'avais at-
taché à sa personne, et que, dans son orgueil, il regardait
comme son domestique. Mais les poulets qu'on vend n'ont
pas le cou coupé I » Celte remarque est à la fois juive et
arabe. Les deux lois sont d'accord, en effet, pour proscrire
l'usage des victimes dont tout le sang n'est pas sorti.
Ce brave Aali, mort de fatigue en arrivant à Bordeaux,
avait refusé de toucher à la viande qu'on lui présentait, dans
la crainte que les animaux n'eussent pas été saignés selon
sa loi: on avait dA le mener à l'abattoir où le rabbin fait
4t0 LA VIE ARABE
tuer selon la formule. En s*y rendant, noayelle histoire ; il
était tombé dans un troupeau de cochons : eoioaré, bous-
culé, plein d*borreur, il ne Tavait traversé qu'en se sauvant
le nez dans la main, et en s'écriant : Ya laihif! ya kUhif!
(Dieu préserve! Dieu préserve I) Rassuré un instant après
sur Forthodoxie de la table, il s'abandonnait sans réserve,
quoique pourtant avec dignité, à l'hospitalité étrangère, le via
nécessairement excepté, car toute liqueur fermentée et pou-
vant produire Tivresse est impitoyablement prohibée par le
Koran.
— Tu vas à Paris, lui dis-je enfin ; où logeras-tu ? Qui te
nourrira? Tu es appelé par des frères; mais tu ne sais pas
même où ils demeurent. Comment vas-tu t'en tirer?
Aali se prit alors à rire d'une façon silencieuse, mais iro-
nique et presque empreinte de mépris.
— Comment ! je pars de Fez sans un denier, j'échappe à la
bastonnade,' à la faim, à la maladie, aux coupeurs de route,
aux bêtes féroces, au naufrage. Je craignais tout des chré-
tiens dont je ne connaissais ni les mœurs ni la langue, et je
n'en reçois que du bien. Sois tranquille. Celui qui m'a
amené jusqu'ici saura bien, s'il le veut, me rendre le reste
facile.
» Au surplus :
» Ce qui est écrit sur le front,
9 La main de Thomme ne saurait l'effacer. »
(Li fi djebine^
Ma immahhi houa iddine,)
Tel est l'Arabe vu chez nous ; en voir un, c'est voir tous
les autres.
Pour achever Thistoire, quatre mois après, je reçus, par la
voie d'Oran, une lettre de Fez : elle était de notre Arabe. Il
LA CONFIANCE EN DIEU 421
avait complètement réussi dans son voyage et retrouvé ses
frères (coreligionnaires) à Paris , par l'intermédiaire d'un
vieux zouave qui savait quelques mots de sa langue. On ne
Tavait laissé manquer de rien ; son mal d'yeux était guéri ; il
était de retour chez lui, et, ce qui m'étonna le plus, il me
remerciait.
Âali terminait en proposant de revenir en France avec un
taleb (lettré) renommé de la province de Souss, qui tenait
de Dieu le pouvoir de guérir, avec des talismans sans doute,
la maladie des démons, c'est-à-dire l'épilepsie, morde ^/
djenoun. Avait-il pris goût à notre pays, ou voulait-il, en
amenant un médecin de sa religion, payer avec usure, dans
sa pensée, la dette contractée envers la médecine chré-
tienne? C'est ce que je ne puis décider.
Quoi qu'il en soit, c'était un homme vraiment extraordi-
naire que celui dont je viens de raconter le passage à Bor-
deaux. Récits, légendes, chants d'amour, de guerre et de
religion, histoire de son pays, détails intimes de mœurs, il
savait tout, et pourtant il ne savait ni lire ni écrire. Je pré-
sume qu'il appartenait à la catégorie de ces trouvères doués
d'une mémoire prodigieuse — goiml, — ou de ces improvi-
sateurs déguenillés — meddahh^ — si communs encore en
pays arabe, et qui, ceitains d'être bien accueillis, se donnent
la mission d'assister à toutes les fêtes, à toutes les réunions,
soit pour y célébrer la gloire ou les malheurs de la tribu,
soit pour y réveiller le fanatisme des populations. On les
écoute toujours avec attention, surtout lorsqu'ils mettent les
chrétiens en scène, ce qui n'arrive que trop souvent depuis
que nous occupons l'Algérie.
Pour caresser Torgueil national, la plupart du temps nous
avons été vaincus et humiliés ; la joie se manifeste alors par
de bruyantes acclamations ; mais, quand, avec la meilleure
42S LA VIE ARABE
volonté du monde, on ne peat dissimuler des revers telle-
ment cruels qu'ils sont connus de tons, les figures se rem-
brunissent et reflètent des pensées sinistres de haine et de
vengeance.
Souvent aussi ce sont des chants religieux qui captivent
rârae des assistants.
En voici un que j*ai écrit sous la dictée d'Aali; je le donne
comme un spécimen du genre :
Ne nous révoltons pas contre l'ordre de Dieu !
Durerons-nous un jour, une nuit?
Le bien, le mal, la vie, la mort.
Tout est dans la main de celui qui, seul, connaît les mys-
tères de Tinconnu.
Je n'ai jamais possédé qu'une chèvre.
Personne cependant n'a connu ma misère :
Si le pigeonneau ne piaillait pas dans son nid.
Le serpent n'irait pas Ty dévorer.
Quand je cours, je cours suivant mes forces ;
Quand je pleure, je pleure avec bonheur.
Et la fatigue vient-elle à m'indiquer que les jours sont las
de moi.
Je me résigne sans dire un mot.
0 mon frère ! sers Dieu : plus tard, tu le trouveras ;
Sa miséricorde est plus vaste que la terre et le ciel
réunis.
Qu'emporteras-lu d'ici-bas ? Rien.
Vois : le monde n'a gardé aucune trace de ceux qui Tont
dominé ; où sont-ils ?
Où sont Adam et Noé, qui l'ont habité si longtemps ?
Où est Nemrod ? où est Cheddad-benn-Mouad?
C'est comme s'il n'y étaient pas demeurés une heure.
LA CONFIANCE EN DIEU 4Î3
Après eux, sont venus des rois et des princes très-puis-
sants;
Ils ont éprouvé le même sort.
Plus tard, la terre a pris une autre figure et s'est montrée
à renvoyé de Dieu (à Mohhammed).
Elle lui a dit: c Regarde moi. »
Mohhammed a répondu : < Va-t'en, éloigne ton ombre
de ces lieux;
» Le démon est ton ami^ tu ne peux être le mien.
)) Jusqu'à la fin des siècles, tu ne seras, aux yeux des
adorateurs de Dieu l'unique,
» Qu'un cadavre impur, corps sans ftme,
» Vil festin des chacals et des chiens errants. »
0 mon frère î ne t'inquiète pas des dettes de ce monde ;
Pense aux dettes du jugement dernier.
L'ange interrogateur t'attend sur le seuil de la tombe ;
Il écoutera ce que tu pourras dire avec ta langue déliée ;
Tes bonnes actions seront inscrites à droite,
Tes mauvaises actions seront inscrites à gauche ;
Puis l'ordre de Dieu s'accomplira.
L'enfer crie trois fois :
« 0 toi, qui m'attises pour raviver mes flammes t
» Livre-moi celui qui n'a fait que le mal ;
» Je le brûlerai sans pitié. >
Le paradis crie trois fois :
c 0 toi, qui m'as embelli par tes eaux, par tes fleurs et
par tes fruits !
9 Accorde-moi celui qui a toujours suivi tes lois,
y Je lui donnerai pour épouse une de mes houris. »
Mattre des créatures ! n'abandonne pas ton esclave :
AU
LA VIE ARABB
Si j'avais consenti à glorifier ce monde.
Les dos se courberaient devant moi ;
J*aarais sur mon corps des vêtements riches,
Devant ma tente, des chevaux nobles, d*un grand prix.
Et bien d*autres choses encore.
Mais ce ne sont point de telles récompenses que j'ambi-
tionne.
Je veux la vie éternelle que toi seul peux donner ;
Qui contracte amitié, doit rechercher le plus puissant;
Un jour, il pourra dire avec orgueil :
c Mon ami^vous ne le connaissez pas? c'est Dieu, n
MALADIES
Fièvre.
Jaunisse.
Teigne.
Lèpre.
Mal d'yeux.
Mai de gorge.
Maladie vénérienne.
Chancre.
Gale.
Hémorroïdes.
Constipation.
Mal de tète.
Hhemma.
BoU'Seffir.
Ferisa.
Djedaui. Bross.
Mord el aainine.
Mord el guerzi.
Morde el kebir.
Hharara.
Djereb,
Bouasser.
Hhasserane.
Oudjaa er-rass.
MALADIES
4Î5
Toux.
Le bouton de la sueur.
Inflammation.
Suppuration.
Rhumatisme.
Fracture.
Blessure.
Mal de cœur.
Rage.
Molaire gâtée.
Ophthalmie.
Urélrite.
Bubon.
Écrouelles.
Petite vérole.
Rougeole.
Scrofule.
Brûlure.
Dartres.
Rhume de cerveau.
Maladie de poitrine.
Point de côté.
Furoncle.
Taie sur Toeil.
Paralysie du nerf optique.
Bourdonnement d*orcilles.
La peste.
Phthisie.
Hernie.
Rétention d'urine.
Mal d*estomac.
Âbcës.
Saala.
Hhabb el aareg.
Nefkh.
Ouaai. El gtiéhh.
El berd. Errehh,
Eeress. Gordd, Tekssir.
Djerhheu.
Oudjaa le galb.
El kleb.
Dersa messouovssa.
Morde el adinine.
Tessfiya.
Oulsiss.
Khenazei\
Djedri.
Bou hhameroun.
El bared:
Hherka.
Hhazaz,
Tezenndikh. Nezla.,
El ghomma.
Bou djennb.
Demmala.
Byada. El byad.
El aama el kohhali,
Zeff.
Hhabouba,
Sell.
El baadj, Fetek.
Hhasserane el boul.
El gueroukha.
Demmala.
426
LA VIE ARABE
Exostoses.
Maladie de foie.
Maladie de la rate.
Mal de ventre. — Colique.
Saignée.
Le vent jaune. — Choléra.
Un bouton.
Entorse.
Inflammation des bourses.
Avortement.
Accouchement.
Éiépbantiasis.
Un coup de soleil.
Un coup de lune.
Kheroudj d aadam.
El ghardouf.
Téhhane.
Oudjaa el betonn.
Fessada.
Réhh lessefer.
Hhabba.
Teflloalss.
Nefkh el hhadjate.
Sekite. Terahh.
Oulada. Nefass.
Koum el yazid.
Boklete echemss.
Boklete el kemer.
Si le ciel est clair, disent les Arabes, tournez le dos à la
pleine lune en vous couchant et couvrez-vous bien la figure
et les yeux ; autrement, vous attraperiez un coup de lune qui
vous occasionnerait des rhumes et de grands maux de tête.
Diarrhée. — La peste du ventre. — La course des intestins.
— La douleur.
Hhaboubet el kerch. — Ujeri messarine. — El hhelak.
Coup d'air (la maladie des imbéciles).
Dorb er-rehh (mord echemaxt).
La bouche du chameau. — Bec de lièvre.
Foum el djemel.
Épilepsie (maladie des démons).
Morde el djenoune.
Les Arabes n*ont pas de médecins — tebib — qui sachent
guérir toutes les maladies : ils n*ont que des spécialistes, et
MALADIES 4t7
Diea sait quels spécialistes! On trouve cependant encore
dans les tribus des femmes âgées — adjai% — qui, connais-
sant par la tradition et par Texpérience la vertu de quelques
plantes ou racines, en tirent souvent bon parti, dans certains
cas qu'il serait trop long d*énumérer ici.
Mais les remèdes souverains aux yeux des indigènes, ce
sont les amulettes et les talismans — hharouz — que les
marabouts et les tolbas, ces grands charlatans, leur fabri-
quent à prix d'argent. On les enferme dans de petits sachets
en cuir de Maroc — filali — plus ou moins ornés suivant la
fortune du croyant, et on les porte au cou, sur la tète, ou
sur les bras. Que renferment-ils? des mots et des versets du
Koran auxquels la crédulité publique prête des propriétés
merveilleuses.
Ce qui précède veut dire que les Arabes, s*imaginant que
la plupart de leurs maladies ne reconnaissent pas d'autres
causes que des influences surnaturelles, telles que les
charmes, les sorts — aaln — ou Taction des démons, —
djenoun, — comptent sur la «Divinité elle-même pour s'en
préserver ou s'en guérir.
VI
ANIMAUX
Lion.
Lionne.
Sebaa, Assed.
Labotuiy Lebiya.
Tout combat contre le lion peut avoir pour devise : « Meurs
ou tue I » Aussi, chez les Arabes, donne-t-on à un homme qui
428 LA VIE ARABE
a tué an lion ce laconique et viril éloge : c Gelai-là, c'est
lai. > Hadak houa.
Sanglier, cochon de la forêt.
Cochon, truie.
Panthère.
Hhalloufelghaba.
Hhallouf^ halloufa,
Nemerr.
La panthère se trouve sur toute la surface de TAlgérie.
Elle n*hahite que les pays couverts, boisés, accidentés et
difflciles.
Partout et toujours le lion est un dangereux ennemi dont
la rencontre est terrible. La panthère n'est redoutable qu'a-
près une agression. Elle ne se résigne à la latte que lors-
qu'elle ne trouve aucun moyen de retraite.
Hyène. | Debaa.
L*hyène est un animal dont les mâchoires sont fortes et
dangereuses, mais timide et fayant le grand jour : sa lâcheté
est proverbiale.
Elle habite ordinairement des excavations que l'on trouve
dans les ravins ou dans les rochers.
Elle ne marche habituellement que la nuit, recherche les
charognes, les cadavres, et commet de tels dégâts dans les
cimetières, que les Arabes, pour s'en préserver, ont soin
d'enterrer profondément leurs morts. Ils ne veulent pas cou-
cher sur la peau d'un animal aussi méprisable.
Chacal.
Renard.
Singe.
Éléphant.
Girafe.
Cheval.
Jument.
Dib.
Taaleb.
Chadi. Kerd.
Fil
Zerafa,
Aaoud. Hhossane.
Aaouda, Feress.
Chevaux.
Chameau, chamelle.
Chameau coureur.
ANIMAUX 429
Khéil.
Djemely naga.
Mahari^àn pluriel mahara.
Le mahariy ou chameau coureur, est au chameau ordinaire
— djemel — ce qu'un cheval de course est au cheval de trait ;
et, suivant les Arabes, ce que le noble djiyed est au serviteur
kheddim. Son allure habituelle est le trot; il peut le tenir
un jour entier. Ce trot est comme le grand trot d'un bon
cheval.
Mulet, mule.
Âne, ânesse.
Chien, chienne.
Chien lévrier, levrette.
Begholy baghla.
Hhemar^ hhemara.
Kelbj kelba,
Selouguiy selouguiya.
Autant le chien de garde, ce qui n'est pas juste, est mé-
prisé par son maitre, autant le selougui jouit de sa tendresse
et de sa considération. C'est que le riche, ainsi que le pauvre,
le regardent comme un compagnon de leurs plaisirs; pour le
dernier, c'est en outre le pourvoyeur qui fait vivre la famille.
On en surveille le croisement avec les mêmes précautions que
celui des chevaux.
Le lévrier peut coucher dans la tente, le chien de garde
jamais. En hiver, on le garantit du froid au moyen d'excel-
lentes couvertures — djellal.
Mouflon.
Gazelle.
Lerouy.
Ghezal.
La beauté proverbiale des yeux de cet animal et la blan-
cheur de ses dents ont donné lieu à des pratiques assez sin-
gulières. Les femmes enceintes font venir une gazelle devant
elles, lui lèchent les yeux, et sont convaincues que les yeux
430
LA VIE ARABE
de leur enfant en auront plus tard le mélancoliqae éclat.
Avec les doigls, elles lui touchent aussi les dents et se les
passent ensuite dans la bouche, croyant ainsi assurer à leur
progéniture une belle dentition.
Zèbre (âne du pays sauvage).
Lièvre, lapin.
Chat, chatte.
Chat sauvage.
Gerboise.
Tortue.
Rat, souris.
Mouton, brebis.
Agneau.
Bouc, chèvre.
Chevreau.
Taureau.
Vache, veau.
Bœuf, bœufs.
Bœuf sauvage.
Autruche.
Hhemar el ouhhach.
Emeb, gounina.
Gott, gotta.
Gott el khela,
Djerboaa.
Fekroun.
Tobay far.
Kebchy naadja.
Kherouf.
AatrousSy maaza.
Djedi.
Tour. Aadjemi.
Begra^ oukrif,
Ferd, ferad,
Beguer el ouhhach.
Naama.
Les jeunes autruches s*apprivoisent aisément; elles jouent
avec les enfants et dorment sous la tente ; dans les déména-
gements, elles suivent la tribu. 11 est, dit-on, sans exemple
qu*unc d'elles, ainsi élevée, ait pris la fuite: elles sont fort
gaies, elles folâtrent avec les cavaliers, les chiens^ etc.
Outarde.
Paon.
Aigle, vautour.
Vanneau.
Perroquet.
Ilhabara.
Taouss.
Aagaby nesser.
Bibite.
Baba ghayou.
ANIMAUX
4SI
Cigogne.
Héron.
Flamant.
Corbeau.
Poule d*eau.
Coq.
Poule, poulet.
Dindon.
Dinde.
Chapon.
Canard, oie.
Faucon (foiseau de race).
Bellaredj.
Battel.
Nihhaf.
Gherab,
Djadj el ma.
Dik. Serdouk.
Djadjdy fellouss.
Serdouk el heinnd,
Djadjete el heinnd.
Meguemi.
Beraky ouzza.
Thair el hhorr.
Pour un faucon bien dressé, il n*est pas rare en pays arabe
de voir donner un chameau, quelquefois même un cheval.
Le faucon fait partie de la famille ; il vit dans la tente, où
il est l'objet des soins les plus attentifs.
Il est des chefs qui ne se séparent jamais de leur faucon;
ils le portent partout avec eux.
C'est une marque de distinction, de gentilhommerie, que
d*avoir sur son bernouss les traces des excréments du faucon.
Les Arabes l'appellent oiseau de race, parce que, pré-
tendent-ils, il ne mangerait jamais de la chair gâtée.
Hibou (la mère de la nuit).
Perdrix, perdreau.
Pigeon, colombe.
Pigeon sauvage.
Tourterelle.
Caille.
Bécasse.
Oumm ellil.
Hhadjela, ferkouss.
Ehamathy zaataute,
Hhamam el khelaouù
Imama,
Semana.
Hhemar el hhadjel.
432
LA VIE ARABE
Bécassine.
Poule de Carthage.
Alouette, étouraeau.
Hirondelle, moineau.
Oiseau.
Nahlier.
Pie, geai.
Chardonneret.
Serpent, vipère.
Caméléon, sept couleurs
Scorpion.
Sauterelle, cigale.
Mouche, moucheron.
Puce, punaise
Pou, les poux.
Poisson.
Écrevisse.
Homard, le père du côté.
Grenouille.
Ver.
Araignée.
Lézard.
€ousin, abeille, frelon.
Coléoptëre.
Fourmi.
Bon mekhiyett,
Sefsafa, Raad.
Koubaa, zerzour,
Hhetaïfa, zaouch.
Aassfour, tair.
Yamoum.
Kaakaa, bon zernik.
Meknine,
nhanech, lefaa.
Tata, sebaa-louane.
Aakreb.
Djerada^ abziz.
DebbanUj namoussa.
Berghoufa^ bokka,
Kemlay kernel.
Hhouta,
Kemeroune.
Bon djennb.
Djerana.
Douda.
Rettila.
Ouzgha.
BrirghUiy nhhala, arrzi.
Khann faussa,
Nemla.
Rossignol (mère de la douceur).
Belbel. Oum el hhassenn.
Cerf -volant (père des ciseaux).
Bon mkoss.
Puisque nous venons de parler des animaux, disons rapi-
JOURS ET MOIS
433
dément un mot de la chasse. Eh bien, les Arabes Taiment
beaucoup, mais les chefs ne chassent qu*à cheval et à balles.
Les hommes du peuple, depuis Tarrivée des chrétiens dans
leur pays, et instruits par leur exemple, commencent à em-
ployer le petit plomb. Depuis longtemps, ils connaissent la
manière de prendre les oiseaux au filet. Ils font aussi des
battues dans lesquelles, par les grandes chaleurs et avec de
simples bâtons, ils tuent beaucoup de lièvres et de perdrix.
Un de leurs poètes a dit :
<r La poursuite des bêles sauvages enseigne la poursuite
des hommes.
ff Les jours de chasse ne comptent point parmi les jours
de la vie (1). »
VII
JOURS DE LA SEMAINE
Dimanche.
El hhad.
Le premier.
Lundi.
Le tenine.
Le deuxième.
Mardi.
El tlata.
Le troisième.
Mercredi.
El arbaa.
Le quatrième.
Jeudi.
El khemiss.
Le cinquième.
Vendredi.
El djemaa.
La réunion.
C'est le dimanche des musulmans.
(1) Si Ton vent des détails très-complets snr la chasse en pays arabe,
voir les Chevaux du Sahara^ par le général Daumas.
28
434
LA VIE ARABE
Samedi.
I ES'Sebt.
I Le septième.
G*est le dimanche des Israélites.
On peut, si l'on veut, faire précéder ces chiffres du mot
jour — youm ou du mot nhar qui a la même signification.
Exemples :
Jour le premier.
Jour le second.
Youm el bhad.
Nhar le tenine.
Mais cela n'est pas indispensable.
VIII
MOIS DE
l'année
Premier.
Mohharem.
Janvier.
Djennaïr.Yennaxr
Deuxième.
Safer,
Février.
Fourar.
Troisième.
Rabiaa louel.
Mars.
Merss. Moghress.
Quatrième.
Rabiaa et-tani.
Avril.
Ibrir.
Cinquième
Djoumad louel.
Mai.
May ou.
Sixième.
Djoumad et-tani.
Juin.
Younyou.
Septième.
Redjeb.
Juillet.
Youlliyou.
Huitième.
Chaabane.
Août.
Ghroucht.
Neuvième.
Ramedane.
Septembre
Chetounnber .
Dixième.
Choual.
Octobre.
Ktouber.
Onzième.
Dhou le Kada.
Novembre.
Nouanmber.
Douzième.
Dhou et hhadja:
Décembre.
Doudjamber.
POINTS CARDINAUX - DEGRÉS DE PARENTÉ 435
IX
POINTS CARDIIVAUX
Nord.
Sud.
Est.
Djouf. SemaouL Bhhari.
Kebla.
Cherk ou cherg.
Se dit de tous les pays situés à Test de celui que Ton ha-
bite ; mais il s'emploie surtout pour désigner la Syrie.
Ouest.
I Gharb.
Se dit plus particulièrement, en Algérie, du Maroc; mais
il se dit également de tous les pays situés à l'occident du lieu
où Ton se trouve.
DEGRÉS DE PARENTÉ
Aïeul, aïeux.
Grand-père, grand'mêre.
Mon père, ma mère.
Époux, épouse.
Mon fils, ma fille.
Jeune garçon.
Jeune fille.
Djedd^ djedoud.
Djedd, djedda.
Bouyay imma.
Radjel, zoudja.
Ouldiy bennti.
Tfol^ ichir.
Tofla^ ichira.
436
LA VIE ARABE
Mon frère, ma sœur.
Mon frère de père et de mère.
Mon frère de mère seulement.
Mon frère de père seulement.
Mon frère aîné.
Ma sœur atnée.
Mon frère cadet.
Ma sœur cadette.
Mon frère de la mamelle.
Mon frère de lait.
Mon beau-fils, ma belle-fille.
Mon gendre, ma bru.
Mon oncle paternel.
Mon oncle maternel.
Ma tante paternelle.
Ma tante maternelle.
Mon cousin paternel.
Mon cousin maternel.
Ma cousine paternelle.
Ma cousine maternelle.
Neyeu, fils de mon frère.
Nièce, fille de mon frère.
Neveu, fils de ma sœur.
Nièce, fille de ma sœur.
Jumeaux, jumelles.
Veuf, veuve.
Orphelin, orpheline.
Vierge.
Parents (auteurs de ses jours) .
Famille.
Postérité.
Origine. ■!
Khouya^ kheti.
Khouya chekik.
Khouya menn imma.
Khouya menn baba,
Khouya le kebir.
Kheti le kebir a.
Khouya es-seghir.
Kheti eS'Seghira.
Khouya menn le bezoula.
Khouya menn el hhalib.
Rebib, rebibti.
Nesibiy mart ouldi.
Aammi.
Khali.
Aammti.
Khaltl
Benn aammi.
Benn khali.
Bennt aammi.
Bennt khalti.
Ould khouya^ hhafidi.
Bennt khouya, hhafidti.
Ould kheti.
Bennt kheti.
Toimmy touamate.
Hadjal, hadjala.
Itime, itima.
Sbiya. Bekra. Aatok.
Oualdine.
Aayal.
Derriya.
Assel,
DEGRÉS DE PARENTÉ 437
Premier-né, première-née. | El béker^ el bokra.
Femme. — Mon beau-père, ma belle-mère.
Nesibiy nesibtù
Mari. — Mon beau-père, ma belle-mère.
Hhamouyay hhamati.
Mon beau-frère, ma belle-sœur.
Nesibi^ nesibti.
Seconde femme, autres femmes.
Dorra, deràir.
Bâtard, enfant du péché.
Ould Ihharam^ ould zena.
Les parents (alliés par le sang du père).
Nessbane el aamoum
Chez les Arabes, plus une famille est nombreuse, plus
elle est puissante ; mais, malgré cet avantage incontestable,
il n'est pas rare de voir des frères, des cousins, des parents
enfin, se jouer tous les mauvais tours imaginables et se dé-
tester cordialement. C'est à qui arrivera aux honneurs, aux
richesses et au pouvoir ; cette rivalité n'empêche pas cepen-
dant de marcher tous ensemble, quand il le faut, contre l'en-
nemi commun.
Lorsqu'on dit à un Arabe que quelqu'un le déteste, tient
des propos sur son compte et veut lui faire du mal, il réflé-
chit comme s'il cherchait dans sa tête les causes de cette
haine, puis il répond s*il y a lieu :
Ce n'est pas possible.
Il n'est ni mon voisin ni le fils de mon oncle.
Menn el mohhalj
La djari ou la benn aammi.
i38
LÀ VIE ARABE
XI
NUMÉRATION
Un.
Deux.
Ouahhéd.
Zoudj. Tenine.
Zoudj s'emploie toutes les fois que le chiffre deux n*est
pas joint à des dizaines ou à des centaines.
Dans les autres cas, on se sert de tenine.
Trois.
Quatre.
Cinq.
Six.
Sept.
Huit.
Neuf.
Dix.
Tlata.
Arbaa.
Khamssa.
Sella.
Sebaa.
Tmanya.
Tessaa.
Aachera.
Depuis deux jusqu'à dix, on met au pluriel le nom de la
chose que Ton compte ; mais, au-dessus de dix, on le remet
au singulier. Exemple :
Un chacal.
Dix chacals.
Onze chacals.
Ouahhed ed-dib.
Aachorr diyab.
Ahhdach enn-dib.
Dans ce dernier cas, l'usage veut que le chiffre onze soit
joint au substantif chacal par la conjonction enn ; il doit en
être de même jusqu'à dix-neuf.
NUMÉRATION
439
Pourquoi? Je n*ensais rien. Probablement parce que cette
conjonction sert à lier et à adoucir le nom du chiffre et du
substantif.
Continuons :
Douze chacals.
Treize chacals.
Quatorze chacals.
Quinze chacals.
Seize chacals.
Dix-sept chacals.
Dix-huit chacals.
Dix-neuf chacals.
Vingt chacals.
Trente chacals.
Quarante chacals.
Cinquante chacals.
Soixante chacals.
Soixante-dix chacals.
Quatre-vingts chacals.
Quatre-vingt-dix chacals.
Cent chacals.
Etnach enn-dib.
Tlaiach enn-dib.
Aarbaatach enn-dib.
Khamssetach enn-dib.
Settach enn-dib.
Sebaatadi enn-dib.
Temenntach enn-dib.
Tessaaiach efin-dib,
Aacherine dib.
Tlatine dib.
Arbaaïne dib.
Khamssine dib.
Settine dib.
Sebaaïne dib.
Temanine dib.
Tessaaine dib.
Myatt dib.
Jusqu'à cent, quand on veut joindre des unités aux di-
zaines, Tunité, au contraire de ce qui se passe chez nous,
doit être exprimée avant la dizaine. Exemple :
Un et vingt.
Oudhhéd ou aachriney
Six et trente.
Setta ou telatine.
Huit et quatre-vingts.
Tmanya ou temanine.
Deux cents.
Mitine.
Trois cents.
Telt mya .
440
Quatre cents.
Cinq cents.
Six cents.
Sept cents.
Huit cents.
Neuf cents.
Mille.
LA VIE ARABE
Arbaa mya,
Khamse mya,
Sett mya.
Sebaa mya.
Temenn mya.
Tessaa mya.
Alef.
Dans un nombre composé de centaines, de dizaines et
d^unités, on prononcera d*abord les centaines, ensuite les
unités, puis les dizaines. Exemples :
Cent trente-six hommes se prononcent : Cent et six et
trente Iwmme.
Cent trente-six hommes.
Mya ou setta ou telatine radjel.
Deux mille.
Trois mille.
Dix mille.
Elfine.
Telia laf.
Aachera laf.
Maintenant^ au-dessus de dix mille, le nombre mille re-
tourne au singulier, conformément aux principes émis plus
haut.
Vingt mille.
Trente mille.
Quarante mille.
Cinquante mille.
Soixante mille.
Soixante-dix mille.
Quatre -vingt mille.
Quatre-vingt-dix mille.
Cent mille.
Aacherine alef.
Telatine alef.
Arbaaine alef.
Khamssine alef.
Settine alef.
Sebaaine alef.
Temanine alef,
Tessaaine alef.
Myaii alef.
\
NUMÉRATION
411
Quand à des mille viennent s'ajouter des centaines, des
dizaines et des unités, il faut énoncer d'abord les mille,
ensuite les centaines, puis les unités et enfin les dizaines.
Exemple :
Deux mille trois cent cinquante-quatre chevaux s'énon-
cent : Deux mille et trois cent et quatre et cinquante cheval.
Deux mille trois cent cinquante-quatre chevaux.
Elfine ou telt mya arbaa ou khamssine aaoud.
Je ne m'étendrai pas davantage sur ce sujet. En voilà
assez pour qu'on puisse se tirer d'embarras, et surtout com-
prendre et apprendre tout seul, par la pratique, les quel-
ques autres difficultés qui peuvent se présenter.
FRACTIONS
Un quart.
Un tiers.
Une demie.
Un cinquième.
Un sixième.
Un septième.
Un huitième.
Un neuvième.
Un dixième.
Reboeu.
Telt. Toult.
Nams. Nouss. Noussf.
Khomess. Khoumouss.
Sedess. Soudonss.
Seboeu,
Temenn. Temoun.
Tessoeu.
Aachor.
En dehors des chefs, des lettrés et des commerçants, les
Arabes du peuple ne savent guère compter que jusqu'à cent.
Pour arriver à ce chiffre , ils emploient avec une grande
prestesse les phalanges intérieures des doigts de la m am, ou,
quand ils en ont, les grains de leur chapelet.
442
LA VIE ARABB
APPELLATION DES DIFFERENTES LANGUES
L'arabe.
Le turc.
Le persan.
L'hébreu.
Le kabyle.
Langue des Beni-Mezab.
Le nègre.
Le français.
L'anglais.
Le russe.
L'espagnol.
L'allemand.
L'italien.
Le suédois.
Le grec.
El aarbiya. — El aarabi.
Terkiya,
El aadjami. — El farssiya.
El aabraniya.
ElKebàiliya. — El Berbriya.
El mezabiya.
El guenaovya.
El frannssaouya.
Vinnglèziya.
RotLssiya. — El mouskou.
ES'SbagnovJ^
En-namssaouya.
Talyane.
Es'Souid,
El gréguiya.
Nos Arabes ne connaissent pas les Grecs, mais ils les dé-
testent instinctivement. Ds disent que celui qui apprend seu-
lement sept mots de grec est sûr d'aller en enfer. Cette haine
date probablement de la prise de Constantinople, et elle
s'est transmise par tradition.
Quant aux autres nations dont je n'ai pas cité les noms,
elles peuvent être connues de quelques savants arabes, mais
elles sont totalement ignorées du peuple.
CHAPITRE DOUZIÈME
La Zyara. — L Ouaada. — La Maaouna, chant de triomphe el
chant de détresse. — Le Deker. — L*Amane. — Les Khouane.
— Les Moul-Saa. — Les Derkaoua.
LA ZT AR A
La zyara est la visite que les Arabes des tribus rendent
au tombeau du saint qu'elles vénèrent, qui possède leur
confiance, et dont ils se sont déclarés les serviteurs — khed'
dam, — Us tiennent à honneur de faire des . cadeaux à la
zaouya où il est enterré. Us lui apportent, ou les frères des
congrégations religieuses — khouane — vont chercher chez
eux, de Thuile, de la cire, du beurre, du miel, de Torge, des
raisins secs, des pains de figues, des poules, des œufs, des
moutons, des chèvres et quelquefois de Targent. Ces provi-
sions, sans cesse renouvelées, servent à défrayer, à nourrir
et à soulager tous les étrangers qui viennent y demander
rhospitalité. Dieu sait s'ils sont nombreux !
441 LA VIE ARABE
La zyara a, d'ordinaire, lieu une fois par an : à Tépoque
déterminée, les visiteurs puissants ou faibles, riches ou pau-
yres, malades ou bien portants qui veulent raccomplir, sont
accompagnés de toute leur famille, hommes, femmes, en-
fants, esclaves, etc., etc.
La marche est ouverte par les bannières de la zaouya au
milieu desquelles est porté l'étendard vert du Prophète : la
hampe en est très-haute, dominée par trois grosses boules
en argent et terminée par un large croissant, signe de la lu-
mière de l'islamisme.
Puis viennent les drapeaux aux couleurs de la tribu. Der-
rière eux se trouve d'ordinaire une musique composée de
tambourins et de hautbois -— teboul-ghaita^ — quelquefois
de cymbales retentissantes. Dans ce cas, le cymbalier est
toujours un jeune nègre, le plus beau et le plus luisant qu'on
a pu trouver ; il est splendidement habillé et placé sur un
magnifique cheval blanc, conduit au moyen de deux longues
rênes tenues, à droite et à gauche, par' deux autres vigou-
reux cavaliers, montés sur des chevaux entièrement
noirs.
Enfin, paraissent les guerriers et les chefs de la tribu ; ils
sont suivis par la caravane en habits de fête. Les chevaux
sont richement harnachés ; les palanquins des femmes ont
revêtu leurs étoffes les plus voyantes, les plus somptueuses ;
les bêtes de somme elles-mêmes, notamment les chamelles,
sont parées avec soin. Le cortège entonne de temps en temps
des chants religieux ou guerriers, et, sur tout son parcours,
il ne manque jamais dMndiquer aux populations voisines,
par des coups de fusil étourdissants, que le moment de se
joindre à lui est venu. De cette manière on augmente consi-
dérablement le nombre des pèlerins qui vont se trouver
réunis à la zaouya. Ce spectacle ne manque ni de grandeur
LA ZYARA 445
ni d'originalité; la preuve, c'est que, quand on Ta vu une
fois, on l'oublie difficilement.
Dès leur arrivée, les familles s'installent dans le cimetière
qui entoure le marabout en réputation. Elles s'isolent les
unes des autres au moyen de cotonnades apportées à cet ef-
fet, tendues avec intelligence ; les chevaux, les mulets, les
ânes et les chameaux sont entravés à la corde sur les espaces
restés vides entre les tombeaux.
Pendant que les serviteurs préparent le campement et les
aliments, les pèlerins vont faire leurs ablutions à la fontaine
voisine et se rendent ensuite, nu-pieds, dans la chapelle du
saint qu'ils sont venus visiter ; il y allument une foule de
cierges de toutes les dimensions, de toutes les couleurs, et y
font brûler les paifums en usage dans l'Orient : l'encens, le
benjoin, le bois de sandal, etc., etc. — Bekhour. — Cette
cérémonie pieuse est complétée par la récitation à haute
voix de versets du Koran ou de prières appropriées à la cir-
constance.
Le lendemain, après un nouveau pèlerinage, on fait, en
l'honneur du marabout, une fantazia effrénée, que savent
encore animer ou encourager par leurs cris de joie habituels
— you ! you ! — les femmes et les enfants sous les yeux
desquels elle se passe ; puis, le troisième jour, chacun rentre
dans sa tribu, après avoir fait à la zaouya de nombreuses
offrandes tant en nature qu'en numéraire.
446 LA VIE ARABE
II
l'ouaada
Vouaada est une fête patronale, son origine se perd dans
la nuit des temps, et il nous serait bien difficile d'expliquer
la cause réelle de cette institution.
Le mot ouaada veut dire paix ou rendez-vous auprès d*un
lieu saint. Paix, veut dire chez les Arabes, comme chez tous
ceux qui sont habituellement en guerre, repos, fêtes et
plaisirs.
On entend encore par ouaada^ Thospitalité donnée aux
pauvres de la contrée pour se libérer d'un vœu formé dans
des circonstances difficiles et qui a été exaucé.
Au jour convenu, on voit accourir autour de la koubba —
chapelle — désignée comme lieu de rendez-vous, non-seu-
lement de la tribu, mais encore de dix à quinze lieues à la
ronde, tous les parents, les amis, les alliés, en un mot tonte
la clientèle du marabout, et nous entendons par ce mot
clientèle, les individus qui sont plus particulièrement placés
sous son patronage et qui se sont déclarés ses serviteurs —
kheddam. — Les uns arrivent caracolant sur leurs plus
beaux chevaux, vêtus de leurs habits les plus riches, les
autres à dos de mulet ou de chameau ; l'âne est la monture
des moins aisés ; quant au pauvre, il arrive à pied. Il mar-
chera, il est vrai, pendant toute la durée d*un soleil ; mais ne
sait-il pas que comme dédommagement il prendra part à un
immense festin I
Les femmes, toujours friandes de fêtes et de fantaziyas, ne
manquent jamais ces ouadaas; elles s*y rendent sur des mules
ou des chameaux, assises dans leurs palanquins aux rideaux
L'OUAADA 447
de soie — aatatiche^ — parées de leurs oraements les plus
somptueux, couvertes de leurs plus beaux bijoux. Puis cha-
cun dresse ses tentes autour de la zaouya, qui devieut ainsi
le centre d'un vaste douar — tentes placées en cercle.
La fête commence par l'invocation du fatahh^ suivie de la
récitation de certaines prières, spécialement consacrées à la
circonstance. Ce sont, le plus souvent, les louanges du Pro-
phète, celles d'un marabout vénéré, le récit de sa vie, l'exal-
tation de ses vertus.
Les prières terminées, vient le tour des plaisirs et de la
joie. Or, pour l'Arabe, leur expression la plus forte, c'est la
fantaziya, qu'il y prenne part comme acteur ou qu'il se
borne à regarder.
Nous avons déjà fait connaître le bonheur qu'éprouve le
cavalier à briller au milieu de cette image de la guerre et des
combats, à faire parler la poudre, à appeler sur lui l'atten-
tion et les applaudissements des femmes, lesquelles, du haut
de leurs montures, assistent, bien que voilées, à ce drame
émouvant, voilées, oui, mais reconnaissables cependant aux
yeux de l'amant. Qui a jamais pu empêcher cela 7 Tout le
monde sait, du reste, comment cela se passe : averti que sa
maîtresse sera à l'assemblée, l'amant la devine à ses vête-
ments, au chameau, au mulet qu'elle monte : c C'est la fille
du chikh un tel. » — Il y a peut-être encore de meilleurs
signes de reconnaissance.
Hais le spectacle auquel nous voudrions faire assister le
lecteur, c'est celui de cette difa qui termine la journée, et
qui me ramène à mon sujet. On donne un grand éclat à cette
réjouissance qui sera, pendant une année entière, le récit de
la tente. Que de moutons, de chevreaux égorgés I Quelle hé-
catombe de poulets ! Quelle mer de kessl^essou offerte à tout
venant, où nage une générosité sans limites! Bruit des
448 LA VIE ARABE
dents, bruit des mâchoires, musique chère à tout ventre
araoe quand s'en présente l'occasion. Aussi, les malheureux
ne manquent-ils jamais d'en profiter.
Il y en a qui font métier d'assister à toutes les (maadûs
dont la renommée aux ailes rapides leur apporte la noavelle.
Ce pèlerinage de pique-assiettes est bien caractérisé par ce
dicton populaire :
Ils relèvent les quartiers de leurs pantoufles,
Dès qu'ils entendent le bruit des mâchoires.
Metallaaine el belgha^
Aala hhess el medegha.
Pour en comprendre la raillerie, il faut savoir que les
Arabes portent d'ordinaire leurs chaussures sans relever les
quartiers des talons, à moins qu'ils ne veuillent courir.
Dans VotAoaday et pour capitaliser à son profit des actes
de bienfaisance, on donne à manger à tout venant , pa-
rents, amis, voisins, voyageurs, orphelins, aveugles, estro-
piés, pauvres et serviteurs quels qu'ils soient. Ce sont des
repas homériques. Le maître de la tente qui reçoit les invités
de Dieu, veille à tout. Chacun mange selon sa qualité, d'a-
bord les gens de condition, puis ceux d'un rang moins élevé,
et enfin la multitude. Il se déroule alors le tableau le plus
pittoresque et le plus bruyant, tout cela grouille, se coudoie,
se bouscule, c'est à qui arrivera le premier, c'est à qui ras-
sasiera mieux son ventre, fût-ce même aux dépens du voi-
sin. Je présume qu'il devait déjà en être ainsi au temps des
anciens patriarches.
Ce qui distingue la zyara de Vouaada, c'est que, dans
Vouaada on se défraye soi-même, en faisant, en outre, man-
ger tous les malheureux, tandis que, dans la^t/ara, on re-
çoit, au contraire, l'hospitalité la plus complète.
LA MAAOUNA 449
III
LA MAAOUNA
Un homme ne peut enrichir une assemblée,
Hais une assemblée peut toujours enrichir un homme.
Ouahhéd ma iyheni djemaa.
Ou djemaa tegheni ouahhéd.
Chez les Arabes, les possesseurs de chameaux, de mou-
tons et de chevaux, les maîtres de la fortune enfin, ne man-
quent jamais d'aider un homme dont le cœur est aussi noble
que le bras est fort. S'il est dans la gène, ils lui font des
avances, se gardent bien de le négliger, le soutiennent en
tout temps, se réjouissent et se glorifient de lui. Ils se co-
tisent d'ordinaire pour le tirer d'embarras. Malheur à nous,
disent-ils, si nous laissons un tel dans la misère ; c'est le
seigneur des hommes braves et courageux, et il ne pourrait
même nourrir sa famille et son cheval, ce cheval qui a con-
tribué à la fortune et à la gloire de la tribu. C'est impossible,
il faut les secourir tous les deux ; car ils augmenteront, à an
jour donné, nos richesses et notre réputation.
C'est, sans aucun doute, cette preuve de solidarité qui est
devenue, dans certaines contrées, l'origine de ces fêtes de
nuit — lillt el maaouna — la nuit du secours, — d'un ca-
ractère tellement original, qu'on pourrait les appeler fêtes à
bénéfice, puisque celui qui reçoit, au lieu de se ruiner en
dépenses, en tire au contraire un grand profit.
Toutes les fois qu'un fils de son bras — benn deraaou —
se trouve dans le besoin, soit parce que des récoltes ont été
29
i50 LA VIE ARABE
ravagées par quelque fléau, qu'une épizootie a décimé ses
troupeaux ou qu'il a perdu son chevaK soit enfin parce qa*il
a été frappé par un malheur quelconque, cet homme est cer-
tain d'être soutenu par ses frères. Il est même rare qu'on ne
réussisse pas à le tirer de la .misère dans laquelle il est
tomhé d'une manière imméritée.
Voici comment les choses se passent habituellement.
Le déshérité de la fortune, profitant d'un jour de marché
ou d'une réunion considérable de la tribu, va trouver son
kàid, lui expose sa situation. Séance tenante, le chef ras-
semble autour de lui les chikh^ les gens influents de la con-
trée, le peuple même, puis il fait connattre à tous le dénû-
ment de celui qui fait appel à leur générosité. Ses paroles
bienveillantes sont toujoui*s entendues. Il n'a plus alors qu'à
indiquer aux assistants le moment où ils devront se rendre
chez celui qui a besoin de leur aide, et, afin que personne
n'en ignore, il va jusqu'à faire annoncer par seschaouchs ou
par ses crieurs publics que tel jour, à telle heure, il y aura
une maaouna chez un tel, fils d'un tel.
Le jour de la fête est venu : avant le coucher du soleil —
inoghreb^ — de tous les points de l'honzon, on voit accourir
le chef, sa suite ordinaire, les amis du héros de la journée, et
surtout ceux chez qui ce dernier s'est rendu autrefois en pa-
reille circonstance, et pour lesquels c'est un devoir sacré de
venir, à leur tour, aider un frère dans l'infortune. Ces der-
niers, afin que leur présence soit bien constatée, ne man-
quent jamais d'aller saluer et les notables et l'ëmphitryon.
Tout le monde est réuni, le mattre de la fête fait, sans re-
tard, servir le dîner aux divers groupes qui se sont formés
autour de sa demeure. Ce repas est très-simple ; il est offert
de bon cœur par une main hospitalière^ mais, si pauvre qu'il
soit, on a le bon goût de s'en contenter.
LA MAAOUNA 451
Le repas est terminé : les diverlissements commencent*
On voit alors des musiciens venus quelquefois de très-loin,
des chanteurs et des conteurs résidant dans la tribu ou de
passage, des danseurs raêiue — zeffane — faire de la mu-
sique, chanter, raconter ou danser avec un yatagan dans
chaque main, en passant successivement devant les invités.
Ce spectacle, plein de verve et d*enti*ain, est vraiment très-
curieux. Pendant que la soirée s* écoule ainsi, Thôte va de
Tun à Tautre, s'ingéniant à trouver un mot gracieux pour
chacun, veillant à ce que personne ne manque de rien.
Minuit — nouss el lill — arrive : c'est à cette heure qtf a
lieu la partie la plus sérieuse de la fête. Un homme (il y en
a qui font ce métier) doué d*une voix retentissante, d'une
parole agréable, vient se placer devant le groupe des per-
sonnes les plus considérables, et, là, sur un tapis qu'on étend
à ses pieds, les invités vont tour à tour déposer leur of-
frande. Elle est d'ordinaire proportionnée à la fortime qu'on
possède, à Timportance du malheur à réparer, au plus ou
moins de sympathie qu'on éprouve pour l'homme qui est
dans la peine, comme aussi à la valeur du cadeau que ce
dernier, dans des circonstances identiques, a peut-être fait
lui-même autrefois à celui qui vient aujourd'hui le secourir.
On en a d'autant mieux gardé le souvenir, que l'usage force
à donner au moins autant qu'on a pu recevoir ; le contraire
serait sévèrement blâmé par tout le monde. Pour opérer
cette restitution moralement obligatoire, il n'est pas rare de
voir contracter des emprunts.
Le crieur public — berrahh^ — à chaque présent, riche
ou chétif, qu'on lui remet, proclame de toute la force de ses
poumons et de manière à être également entendu par les
femmes reléguées dans un lieu réservé, qu'un tel, fils d'un
tel, a donné tant de boudjous ou tant de douros (pièces de
/
i5ft LA VIE ARABE
Je n'abandonnerai pas la maaowia, sans ajouter que c*est
aussi pendant cette fête, au milieu des plaisirs et de Tani-
mation dont j*ai parlé plus haut, que les goual — diseurs —
et les meddahh — trouvères, — ces représentants des pas-
sions populaires, quelquefois ces improvisateurs, font en-
tendre soit des chants religieux, soit des chants de guerre
ou d'amour, dans lesquels, sur une cadence progressivement
entraînante, ils exaltent Dieu, les femmes, la gloire ou les
mfdheurs des tribus. On les trouve partout, ils ont le privi-
lège d*étre servis les premiers, afin que, leurs besoins satis-
faits, ils puissent encore charmer le repas des hôtes*
Quand le ventre est rassasié.
Il dit à la tête : < Chante. »
Menine el kerch techebaa,
Igoul er-rass: ghenni.
Voici Tun de leurs chants ; il a fait fureur dans la province
d'Alger. Je le reproduis parce qu'il donne une idée vraie, de
Torgueil et du fanatisme qui animaient les Arabes dans les
premiers temps de la conquête. Alors, ils ne parlaient de
rien moins que de prendre un jour Paris. C'est à ne pas y
croire.
chant des Hadjoutcs.
Un dit que les Français sont puissants,
Qu'en guerre leurs soldats sont courageux.
Qu'au moment du combat leurs rangs frémissent,
Qu'au bout de leurs fusils ils portent des lances,
Que leurs canons font voler la poussière,
El qu'ils chargent avec franchise et vigueur.
LA Al A AOL N A 455
0 VOUS, qui parlez ainsi, vous avez donc oublié
La puissance de Dieu l'unique !
C*est lui qui gouverne et meut le firmament.
Nul ne peut lui être comparé ;
Il confond ses ennemis, punit les orgueilleux,
Et protège celui qui combat les impies.
0 TOUS, qui dites cela, vous ne connaissez donc pas
Ces Hadjoutcs qu'on cite dans les livres,
Ces Arabes qui suivent les lois du Prophète,
Et ne pensent qu'à mourir dans la guerre sainte?
Ils obéissent au sultan que Dieu leur a donné.
Au chérifdes cbérifs, à Témir Aabd-el-Kader ;
Cavaliers de naissance et rôdeurs de nuit.
Il faut les voir quand ils courent à la poudre :
Par la tète du Prophète, vous diriez des faucons
Qui, du haut des airs, s'abattent sur leur proie.
Dans les combats, voici leur chant de guerre :
« Nous sommes Hadjoutes, nous sommes des gens de cœur,
Nous avons vendu nos âmes à Dieu,
Et nous méprisons la vie.
Chez nous, le feu de Thôte ne s'éteint jamais ;
Nous protégeons les faibles, nous dispersons les forts;
Nos chevaux sont des aigles qui ploient les dislances ;
Dans la mêlée, nous faisons voir nos lames,
Nos longs fusils sont montés eu corail,
Nos balles font craquer les os,
Et c'est par la poudre que nous répondons aux questions.
» C'est nous qui rendons la Mitidja déserte.
Et qui bloquons les infidèles dans Alger ;
C'est nous qui ravageons Bouffarik et Blidali,
456 LA VIE ARABE
Les Béni Moussa, le Sahel et la Maison Carrée ;
Aucun chrétien ne peut s*y installer.
Nous combattons de jour, nous combattons de nuit.
Et nous faisons avaler le fiel
Aux Français, aux renégats, ainsi qu'à tous leurs géné-
raux !
Si vous saviez par combien de poursuites nous les avons
essoufflés !
» C'est nous qui soutenons le fils de Mahhi-ed-Diiie —
Aabd-el-Kader,
Ce sultan qui rend fou les roumis.
Que de fois ne leur a-t-il pas fait verser des pleurs de rage I
Que de fois ne leur a-t-il pas fait grincer les dents !
H leur a bien souvent brûlé le foie !
Son nom, jamais les Français ne pourront Toublier :
Il est écrit dans tous leurs désastres ;
Ils le retrouvent chez leur papass égaré — évéqae.
Quand ils débattent leurs intérêts,
Lorsque les veuves se remarient,
Quand les orphelins partagent les successions,
Partout enfin, les chefs même rapprennent à leurs enfants.
» Toute chose vient en son temps !
S'il plail à Dieu, avec le sultan, ses kalifas et ses troupes,
Suivis par d'innombrables guerriers.
Bientôt nous chasserons les Français d'Alger.
Oui, nous passerons les mers sur des barques.
Nous descendrons chez eux, nous nous vengerons ;
Chaque jour sera pour nous un spectacle nouveau ;
Nous prendrons Paris, nous nous y réunirons,
Puis nous nous emparerons des autres Ëtats,
Et nous leur apprendrons Tunité du vrai Dieu.
LA MAAOUNÀ 457
» N*allez pas dire : € Cela n'est pas possible ! »
Rien ne prévaut contre la volonté de Dieu !
11 aplanira les diffienltés,
Il nous fortifiera de tout.
Il animera nos années
Et confondra les adorateurs des morceaux de bois.
Les chrétiens comptent sur leurs soldats.
Sur leurs vaisseaux, sur leurs richesses,
Us ignorent ceei, les malheureux :
Nul ne peut éviter ce que l'Éternel a décrété ! »
0 mon Dieu, la chose est dans ta main :
Ordonne que les musulmans triomphent,
Et que les Français leur soient soumis ;
Aucun secret ne t*est caché,
Tu n'as qu'à dire : « Sois! » et ce que tu veux arrive.
NOTE.
Pendant la guerre de la conquête, la tribu des Hadjoutes
campait à Touest de la Mitidja, de Taatre côté de la Chiffa,
et renforcée par les aventuriers et les fanatiques du pays
arabe, elle jouait alors un râle très-important.
Ses cavaliers étaient nombreux , hardis et entreprenants ;
ils battaient la campagne de jour et de nuit ; sans cesse en
mouvement, ils tenaient en haleine les postes que nous oc-
cupions, attaquaient les convois, enlevaient les traînards, les
hommes isolés, les colons imprudents, les femmes, les en-
458 LA VIE ARABE
fants, et semaient ainsi la terreur dans nos centres de popu-
lation.
L*émir Aabd*el-Kader et ses kalifas accordaient de grands
privilèges aux Hadjoules. On les exemptait d'impôts, de cor-
vées, on leur remplaçait les chevaux tués par Tennemi» et
le béylik leur fournissait les munitious de guerre dont ils se
servaient si bien pour nous tracasser.
Depuis la pacification, ces intrépides partisans ont été en-
globés dans la population européenne. Les étrangers qa*a-
menaient dans leur pays le fanatisme et Tamour du pillage
sont rentrés chacun chez soi ; tous ont déposé les armes, et,
sans nous aimer davantage, il se livrent aujourd'hui paisi^
blement au commerce et à l'agriculture en attendant, comme
ils le disent, des jours meilleurs.
«
Le chant des Hadjoutes qu'on vient de lire a été composé
dans un moment d'exaltation, d'orgueil et d'espoir ; voyons
maintenant quelles inspirations les Arabes out trouvées
lorsque, plus tard, ils ont été forcés de reconnaître notre su-
périorité et de se soumettre à nos lois.
Le chant qui va suivre est adressé W l'émir Aabd-el-
Kader; lorsqu'il parut, il retraçait exactement la situation
des Arabes.
Il est curieux de voir de quelle manière les musulmans
considèrent leurs défaites, comment il les expliquent et
comment ils exposent leur détresse, tout en gardant quelques
vagues espérances. La vérité perce à travers les illusions de
la foi religieuse. On comprend aussi rexcellence du système
de guerre suivi par M. le maréchal duc d'Isly, et l'on voit
que la terreur imprimée aux populations arabes par la guerre
infatigable que nous leur avons faite, était le seul moyen de
LA MAAOUNA 459
les amener à composition et de leur faire accepter, comme
elles le disent, les décrets du Miséricordieax.
SOUHISSIO?r DES TRIBUS.
Chant de'délMMe.
Nal ne peut s*opposer à la volonté de Diea !
Il a créé le ciel et la terré",
Les étoiles et la lune qu'on admire.
Le soleil et le dernier jour.
Le sabre nous sépare du chrétien,
C*est l'ennemi de notre foi ;
Mais ceux qui croient et se soumettent
Auront certes le paradis pour séjour.
Les infidèles se sont emparés d* Alger,
Les Turcs, ils les ont dispersés ;
Puis ils se sont rués sur nos campagnes.
Sauterelles venues en leur temps.
Alors, un sultan fut élu ;
Il se nomme Âabd-el-Kader, fils de Mahhi-ed-Dine,
Par son courage et par sa science.
Il mérite la suprématie.
Les habitants des plaines et des montagnes,
Même ceux des pays saunages.
Tous sont accourus à sa voix
Pour marcher contre les impies.
Ce prince est né pour la gloire des musulmans !
De l'est à l'ouest, du nord au sud.
460 LA VIE AHABE
. Partout nous avons suivi ses drapeau.
Partout nous avons frappé la poudre avec lui.
LMntidèle sortait par masses ;
Nous le défaisions^ nous le brisions»
Nous le ramenions jusqu'à la mer ;
Ses prisonniers, nous les parquions dans l'intérieur.
Dieu avait embelli notre temps :
Prêts à combattre, prêts à mourir,
Prêts à faire de belles actions,
La victoire nous consolait de tout.
Mais le traître prit un jour de meilleures dispositions:
Il diri(,'ea contre nous des attaques incessantes,
Il brûla nos moissons, il pilla nos silos.
Et nous réduisit par la misère et par la maladie.
Il s'empara de nos femmes, de nos enfants.
De nos troupeaux, de nos bêtes de somme ;
L*incendie gagnait en avant.
Et nous, toujours lialelants, nous fuyions devant lui ;
Fuyant le jour, fuyant la nuit,
En été, dans la saison pluvieuse,
Sans cesse assiégés par la peur.
Toujours affaiblis par la faim.
Le chef des infidèles (I), vous le savez tous,
 le cœur plein de fiel ;
Il a dit aux siens : « Courage !
Je vous réponds de soumettre les Arabes. »
(1) Le maréchal Bugeaiid.
LA MAAOUNA 461
Il rangeait ses troupes en lignes redoutables.
Il se retirait, puis revenait
Avec des soldats plus nombreux.
Attaquant chaque lieu séparément.
Il se mettait en marche avec yingt corps d*armée,
Ety quand un point était ravagé,
En connaissait-il un autre,
Il y courait avec célérité.
Nous le recevions en combattant ;
Nous le harcelions comme une bête fauve,
Mais il ne comptait pas ses morts,
Et ne pensait qu*à marcher en avanl.
Il a de la tactique, le maudit I
On le compte au nombre des grandes nations,
Quand il nous cerne de toutes parts.
Personne ne peut nous délivrer.
Ses soldats portent tout avec eux :
Ils s'alignent comme les grains d*ao eollier ;
Un mot suffit pour les diviser en fractions ;
On dirait des remparts précédés d*un nuage tonnant.
Avec des cavaliers et des canons.
L'infidèle nous charge et nous disperse.
Tandis que ses fantassins le suivent
Comme des torrents qui débordent.
Oui, quand le roumi se précipite sur nous,
C*est comme une nuée grosse d'un déluge de balles ;
Nous n*avons pas trouvé de pouvoir sur lui,
Ses feux sont meurtriers.
4tô LA VIE ARABE
Plaines faciles, ravins escarpés.
Déserts, montagnes, il les a parcourus ;
Chaque jour, il change sa maison — hivac ;
Il marche et se repose en masse.
Les Français voient leurs rangs s*accrottre
D'un grand nombre d*Arabes renégats,
Leurs armées se fortifient, les nôtres diminuent.
Nous ne pouvons plus continuer la lutte.
D'heure en heure, ils gagnent du terrain :
Le Dieu de forts leur donne la victoire ;
Nous en avons perdu le sens et le conseil,
Sultan, laisse-nous libres de faire ce qui convient.
Ils nous mangent si nous allons à toi.
Tu nous manges si nous allons à eux.
Nous ne savons plus où sont nos âmes ;
Est-il une plus horrible maladie?
Il ne nous appartient pas de te faire des reproches :
Ce qui est écrit est écrit ;
Mais, au nom de Dieu, sultan, prends pitié de nos misères.
Et ne va pas détruire ta réputation.
Vois l'état des musulmans :
Leurs familles sont décimées.
Leurs chevaux sont épuisés.
Et le riche est aujourd'hui sans pain.
La poudre a mangé tous nos braves :
Ils sont au paradis, c*est vrai ;
Mais que veux-tu, sultan !
Pei*sonne ne peut braver la volonté divine.
LA MAAOUNA 463
Quelle chose possible avons-nous négligé de faire?
Quel jour ayons*nous refusé le combat ?
Nous t'avons soutenu de notre sang,
Nous t*avons donné nos enfants sans jamais murmurer.
Ils ne te font donc pas pitié.
Ces vieillards, ces femmes et ces enfants,
Et toutes ces créatures souffrantes
Qui n*ont trouvé nul chemin pour se sauver ?
Nous sommes pris entre la pierre et la batterie :
Toutes nos richesses se sont évanouies,
Nous n'avons plus rien à te sacrifier ;
II faut nous résigner.
Le sabre est arrivé jusqu'à Tos :
Nous avons subi toutes les iniquités du monde.
Heureux ceux qui reposent sous la terre,
lis ne voient plus les rouinis aux jambes rouges !
0 notre seigneur, 6 notre ami !
Compatis à notre sort.
Éloigne -toi, ne t'occupe plus de nous.
Ou nous compterons ensemble au dernier jour.
Nous ne te haïssons pas, sultan !
Nous prions Dieu qu'il te conserve;
Toute chose de travers se redressera.
Et Tancien temps reviendra.
Ne dis pas : ^ Ils deviendront infidèles ; »
Nous ne ferons que respecter un voisin.
L'heure du chrétien est arrivée ;
Elle passera, et nous t'obéirons comme autrefois.
464 LA TIE ARABE
La fortune trompeuse a pour coutume
De faire luire des jours tantdt heureux ettantdt malbemren.
Aujourd'hui Ton pleure une défaite, et demain on chante
une victoire,
Cest ainsi que le Créateur Ta voulu.
0 mon Dieu, par le Koran,
Par les anges, par les savants.
Et par les habitants du paradis,
Rendez la victoire aux musulmans !
Brisez la fortune des infidèles ;
Qu'ils soient chassés, qu*ils partent
Avilis par les coups des guerriers de la foi.
Nos contrées se repeupleront et les créatures vous béni-
ront.
Mille saints aux Arabes qui patientent,
A ceux qui sont morts pour la religion,
A ceux qui veulent une revanche,
Et qui continueront un jour la gloire de leurs ancfitres.
Mille prières sur le Prophète,
Sur ses compagnons, sur ses amis,
Et sur les chefs de la loi,
Autant de fois salut que la poudre a tonné.
Certes, comme il arrive presque toujours en pareille occa-
rence, les critiques les plus amères n'ont pas manqué au
système de guerre inauguré, en 1841 , par le maréchal, duc
d-lsly ; mais les Arabes, ainsi qu*on Ta vu plus haut, en ont
immédiatement compris la portée, et les 'vaincus ont pris
soin de ri^diger eux-mêmes, le bulletin de nos succès. Ce
LE DEKER 465
témoignage, émané d*an ennemi aux abois, me parait pré-
cieux.
En effet, quel brillant éloge on y trouve de cette armée
d'Afrique, où, malgré les énormes difficultés des distances
et du terrain, malgré Téparpillement d*un ennemi brave,
fanatique et subtil, tout avait été combiné pour jouer an r6le
utile, ne laisser aucun repos, aucun espoir à nos insaisis-
sables adversaires et leur prouver que nulle part ils n'é-
taient à Tabri de nos coups !
Voyez-vous ces colonnes expéditionnaires opérant dans un
pays absolument dénué de ressources ; obligées de porter
avec elles de quoi satisfaire à tous leurs besoins, de quoi
pourvoir à toutes les nécessités causées par les combats,
les fatigues et les maladies, par le respect de la vie des
hommes enfin, et contraignant cependant le peuple arabe à
supplier son chef bien-aimé de se retirer en abandonnant
une lutte qu'il déclare désormais impossible. On ne parle
plus d*aller prendre Paris pour y enseigner aux infidèles
l'unité du vrai Dieu ; le désespoir a succédé à l'enthousiasme.
N*est-ce pas là une page saisissante de notre histoire de
r Algéne !
IV
Ll OIKIR
J'ai parlé des serviteurs volontaires — kheddam — qui se
donnent par masses à un tombeau de marabout, dans une
zaouya. Voici ce que c*est : Les gens d'une tribu ont éprou-
30
466 LA VIE ARABE
vé quelque mésaventure, on leur a volé leurs troupetox,
Teau manque à la récolte, il y a une épidémie, ou bien c'est
pour acquitter un vœu, ils vont trouver celui en qui ils ont
placé toute leur confiance. La cérémonie est simple :
« 0 monseigneur, disent-ils, nous sommes des gens de
telle tribu, nous avons entendu parler de ta puissance et
de tes miracles ; nous venons à toi pour que tu nous fasses
obtenir par tes mérites la protection divine. Ton deker est
court, il est bien meilleur que celui des autres ; donne-le-
nous ; il nous portera bonheur, et nous serons tes servi-
teurs à jamais. »
Le deker est une prière de quelques mots seulement im-
posée par un saint homme, avec Tobligation de la dire plu-
sieurs centaines de fois par jour, le matin et le soir, en
comptant sur son chapelet.
Quand un pareil lien s'est établi entre un marabout et une
tribu, celle-ci ne tirera plus un seul coup de fusil en guerre,
ne prendra pas une seule décision importante, alliance, dé-
placement, expédition, sans avoir consulté le chef spirituel
qu'elle s'est donné. En échange de sa protection et de ses
vœux, tous, au besoin, se feraient tuer pour lui.
Il ressort de ce qui précède que la puissance des mara-
bouts a pour principe la reconnaissance et le respect des
croyances religieuses dont cette aristocratie théocratique est
la représentation visible. S*élonnera-t-on après cela qu'à sa
voix, les tribus ennemies éteignent leur colère ? S'étonnera-
t-on encore qu'elle puisse soulever le peuple contre une in-
vasion étrangère dont le succès serait la perte de leur
influence. Dans la pensée des masses, le sultan même passe
après le marabout, car, disent-elles , si le sultan peut nous
faire du mal. Dieu peut nous en faire bien davantage. Il suffit
donc au marabout d'une menace : « Que Dieu vous maudisse !
LE OEKER 467
qu'il rende vos femmes, vos palmiers et vos chamelles
stériles I » pour que tous vienûcnt lui baiser les pieds.
— Au surplus, nihil novi sub sole. Dans les monastères
du Thibet et de la Cbine, en même temps séminaires et
hospices comme les zaouyas , on retrouve absolument le
]nême deher^ la même inféodation à des saints comme chez
les Arabes.
On va même plus loin qu'eux : Quand le chapelet, aussi
d*origine asiatique, ne peut plus fonctionner entre les mains
du fidèle qui travaille, dort, boit ou mange, on croit encore
continuer ses prières par l'intermédiaire de petits moulins
en matière légère exposés au vent, au-dessus du toit de la
maison. Comme il faut être sans cesse en communication avec
la Divinité, on leur a fait mentalement une délégation fictive
et religieuse, et on les appelle moulins à prières. Le voyageur
en voit de toutes les couleurs, de toutes les dimensions ;
cela tourne incessamment avec un empressement joyeux ;
ainsi l'imagination, toujours habile à se tromper, emploie
différents procédés suivant les lieux et les circonstances. En
Europe, on a vu des femmes, pour doubler leur créance
dans le ciel, faire jeûner leurs domestiques. En Asie, ce
sont des moulins qui aident à terminer les prières impo-
sées — deker, — Combien d'héritiers ne chargent-ils pas
aussi des saules à branches souples et pendantes de prier
seuls sur les tombes de leurs ancêtres ? Il y a là une raison
profonde : L'âme en présence de l'infini sent son néant et se
cherche des auxiliaires. — Le deker « Dieu est grand, le
plus grand! » que cet Arabe accroupi broie entre ses
dents, est de la même famille que les superstitions dont je
viens de parler. Les lèvres remuent, l'esprit est ailleurs ;
mais ou a donné extérieurement satisfaction à la loi ou à la
coutume religieuse, et c'est l'essentiel.
468 LA VIE ARABE
Je ne quitterai pas le deker sans dire encore que, si le ser-
viteur d'un marabout en réputation se marie, Tusage veut,
dans certaines contrées^ qu'il lui conduise son premier-né
soixante jours après sa naissance. Le saint rasera de ses
propres mains la tête de l'enfant, en lui laissant sur le som-
met une touffe de cheveux qui prend le nom de guetaya.
Cette touffe de cheveux, il devra la conserver jusqu'au mo-
ment où,après s'être marié lui-même, il lui nattra un fils qui,
à son tour, subira la même opération. Ce jour-là, mais ce
jour-là seulement, le père pourra faire couper sa guetaya^
car il aura transmis religieusement à sa descendance la
bénédiction dont il aura été l'objet.
Le mot marabout, que les Arabes prononcent merabet au
singulier, et merabetine au pluriel, veut dire lié. Il a la
même signification que le mot « rehgieux, » qui vient de ligare.
Le marabout est la personnification de la noblesse reli-
gieuse.
Les Français ont donné, par extension, le nom de mara-
bouts aux petits monuments qui renferment des tombeaux de
marabouts, et qui s'appellent en réalité — koubba — ddmes.
Voici le portrait du marabout fait par les Arabes :
La culotte toujours fermée ;
Le coffre toujours ouvert au nom de Dieu ;
Ils ne marchent qu'entourés des gens de race.
Serotml el mekfoul^
Sendouk el mahhaloul — lellahh.
Itemchou ghér be oulad el aassoul.
LES KUOUAI^E MQ
l'AM A!f B
L'amane est tantôt un sauf-conduit et tantôt une amnistie.
Dans les deux cas, et cela se conçoit, il ne peat être donné
qu'à des envoyés, à des coupables ou à des vaincus. C'est ik
sa grande différence avec l'anaya kabyle, dont j'ai parlé
longuement ailleurs. Ce dernier n*est qu'un passe-port que
tous et chacun peuvent donner, si cela leur plait, à un
étranger.
Pour un motif ou pour un autre, un Arabe a encouru la co-
lère de son chef, il a quitté sa tribu, il n'y retournera que
s'il a obtenu par écrit Tamane. Voilà le sauf-conduit qui
protège désormais sa vie.
Maintenant, une tribu ou une fraction de tribu s'est ré-
voltée ; elle a comujis des méfaits, et, pour se soustraire
à une répression sévère, elle a abandonné son pays. Au bout
d'un certain temps, lasse de sa fuite, elle veut revenir; d'un
autre côté, pour des raisons politiques, on est disposé au
pardon. Comment va-t-on faire pour s'entendre ? La tribu
demande l'amane, s'engage à une soumission complète : on
le lui envoie, et le passé est oublié. Voilà l'amnistie.
Il est extrêmement rare que le pouvoir trahisse l'amane
accordé : le faire, c'est renoncer pour toujours à toute in-
fluence, à tout crédit.
Le mot aniane est le substantif du verbe amenny croire,
se fier, avoir confiance.
470 LA VIE ARABE
VI
LES KHOUANE, LES FRÈRES — LES MOUL-SAA —
LES DERKAOUA '
Par la longue nomenclature des phrases et forodules con-
tonues dans ce livre, j*ai déjà assez indiqué la force du sen-
timent religieux qui porte les Arabes à fonder partout sur le
Koran leur organisation civile, politique et administrative. La
terre,, je le répète, est divisée pour eux en deux parts : les
musulmans et l'ennemi.
C'est aussi la formule romaine : adversus hostem ottema
auctoritas esto. Tout ce que les Romains purent prendre sur
eux de faire dans les commencements de leur puisance à
l'égard de ce qui n'était pas eux, fut de le considérer comme
un ennemi cessant momentanément de l'être : hostis^ hospeSy
hôte.
Une personnalité aussi vivace qui a résisté aux guerres in-
testines, aux mélanges des populations, aux différences de
climat, maintient réunis sous une idée commune tous les
membres épars de cette grande famille de l'islam. Un musul-
man, quel qu'il soit. Turc, Arabe, Persan, Indien, Tartare,
etc., etc., est toujours le même partout. L'obligation absolue
du pèlerinage de la Mecque est la chatne qui relie tout ce
monde-là. Je Tai montré au commencement de cet ouvrage.
Mais, en dehors de Torganisation puissante dont je viens
de parier, il existe en outre dans l'Algérie des associations
particulières qu'il est utile de bien connaître et surtout de
bien surveiller. Ce sont les klumane, les frères ; ces volon-
taires de la foi, qui constituent des ordres religieux indé-
LES KHOUANE 471
pendants les uns des autres. Chacune de ces congrégations a
ses statuts et ses prières propres, qui consistent soit dans une
formule — deker — dictée par le chef auquel elles se sont
données, soit dans une manière spéciale de réciter le chapelet.
Entrer dans Tune ou dans Tautre s'appelle prendre la rose de
tel ou tel saint, faire partie de la confrérie de tel rosaire.
Voici les principales, désignées par le nom de leurs fonda-
teurs :
Sidi Aabd-el^Kader el Djilaliy dont le tombeau est à
Bagdad.
Sidi Aupd-er-Rlihamane bou Keberiney le père des deux
tombeaux. L'un se trouve dans le Djerdjera, et l'autre aux
environs d'Alger.
Sidi Hamed-el'Tedjini^ mort dans le Maroc ; ses descen-
dants habitent encore Aàin-Mahdi.
Sidi Moulay Thayeb, chérif^ descendant du Prophète, dont
l'ordre jouit d'une très-grande influence^ principalement dans
le Maroc.
Sidi Mohhamed ben Adissa^ père de la secte des adissaoua^
qui joignent à l'exaltation religieuse commune aux autres con-
fréries la spécialité de faiseurs de tours et de charmeurs de
serpents, moyens de persuasion infaillibles sur les popula-
tions arabes. Des différents ordres de khouane^ c'est peut-
être le plus dangereux, parce qu'il échappe généralement à
la défiance, voyage partout avec un bon prétexte, toujours
bien accueilli. On se rappelle involontairement, en les
voyant, ces psylles, qui de Numidie, venaient amuser Romç
de leurs jongleries célèbres.
On doit bien s'attendre à ce que la haine du chrétien, de
l'étranger, possesseur du pays, soit une des plus étroites
obligations des khouane. C'est en effet de chez eux que sont
lancés contre notre domination ces moul saa, ces mattres de
472 LA TIE ARABE
rheure et ces cherfa, chérifs vrais ou faux» en qui les tribus
frémissantes sont toujours prêtes à saluer le libérateur. Aussi,
sans cesse en marche pour parcourir le pays, souffler la
guerre, diminuer les défaites par des prophéties après coup,
et ramasser pour l'instant favorable toutes les forces musal-
manes contre l'infidèle, tel est le rôle de ces ordres redou-
tables et insaisissables à la fois, qui étendent du Maroc à la
Mecque leur action persévérante et cachée.
Je n'ai qu'un mot à dire d'une autre secte, les derkaouaj
qui est véritablement une société secrète, politique et reli-
gieuse tout à la fois. Leur nom signifie c les ragiécés n, à
cause de leurs vêtements qu'ils affectent de porter en loques,
et c les cachés », à cause du mystère dont ils enveloppent leurs
statuts. Également ennemis des Turcs, d*Âab-el-Kader et des
Français, ils ne connaissent que leurs chefs; aussi la qualifi-
cation de révoltés s'attache-t-elle en outre à leur ordre dans
toute l'Afrique. La guerre contre tout pouvoir établi, le re-
tour à la pureté primitive de Ja religion, qu'ils prétendent
altérée, voilà leur objet et leur but (1).
(1) Consulter, pour les ordres religieux de l'Algérie, le très-Dtiie oa-
Trago de M. le capitaine d'état-major de Neveu, aujourd'hui général do
brigade. Il a pour titre : les Khouan.
CHAPITRE TREIZIÈME
PROVERBES ET SENTENCES
Les proverbes sont nombreux sous la tente. — Le hbenna,
c'est la terre du paradis. — La femme est reine dans sa
maison. — Où est passé votre argent, ô les chrétiens? -7- La
terre musulmane verse des pleurs de désespoir. — Le monde
est avec celui qui est debout. — C'est celui qui a mal aux
dents qui doit courir après le dentiste. — L'aigle lui-même
ne peut pas voler sans plumes. — Le taureau ne se fatigue
pas de porter ses cornes. — Quand le cri de l'oiseau de race
(faucon) se fait entendre, tous les coqs se taisent.
Au point où nous en sommes, il est, je crois, temps de
dire un mot sur les sentences et proverbes principaux qui
ont cours eu Algérie. Celui qui saura les appliquer à propos
dans la conversation passera aux yeux des indigènes, non-
seulement pour un homme de savoir-vivre, mais, ce qui lui
sera plus utile encore, pour un hornme habitué aux usages et
à la langue du pays. Il obtiendra, par ce moyen, une facilité
de relations et une considération plus grande.
Les proverbes sont nombreux sous la tente. Là, comme
chez nous, ils sont la sagesse des nations. Je vais en citer
474 LA VIE ARABE
quelques-uns ; en même temps qu'ils seront un exeinpic, ils
serviront peut-être mieux que toutes les descriptions à mon-
trer le caractère du peuple arabe. Je les ai recueillis moi-
même dans les tribus :
L'oiseau de la nuit (la cbauve-souris) dit aux rats : t Je
suis votre frère. »
Il dit aux oiseaux : < Je suis des vôtres. »
Viennent les rats, il leur montre ses dents ;
Viennent les oiseaux, il leur montre ses ailes.
Tair ellill igoul el firane : ana khou-koum.
Ou igoul le tïaur : ana men koum,
Idjiou le firane, touri-houm sennine.
Idjiou el-ttaur^ wuri'houmdjennhhaine,
La guerre avec les infidèles,
Quand bien même avec des pertes.
El djahad fel kafara,
Otia loukane bel khessara.
Ce proverbe, très-répandu, et malheureusement trop
suivi, nous donne encore la mesure de Tamitié que nous
portent les Arabes.
Une pierre de la main d'un ami, c'est une orange.
Hhadjera menu idd Ihhabib tchina.
Le chameau ne voit pas sa bosse,
Mais il voit très-bien celle de son frère.
El djemel ma ichouf hhedebtou,
Ou ichouf lihedebete khouh.
PROVERBES ET SENTENCES 475
Celui qui met la iéte dans le son
Sera picoté pai* les poules.
Li idir rassou fel nekliala^
Iberbechouh le djadje.
Ceci s'applique aux gens qui, ne tenant pas leur rang et
fréquentant des gens mal élevés, s'étonnent ensuite de leur
grossière familiarité.
Vante le brave quand bien même il est ton ennemi.
Cheker el aarrouMy otia loukane ikouîi aadouk.
La forêt n'est jamais br&lée que par son propre bois.
El ghaba ma hhareg-ha ; ghér ooud menn-ha.
L'oiseau de race vante toujours son gtte.
Tair el hhorr icheker be mebatou.
Quand tu vols un cbacal suer^ dis : « Le lévrier est à ses
trousses. »
Kifïaareg, ed-dib, goul: selougi menn ourah.
Celui qui compte sur son voisin se couche sans souper.
Li itekel aala djarou ibat bêla aacha.
Celui qui a du blé trouve Remprunter de la farine.
Li aandou elguemhheUy isselef ed-deguig .
Celui qui ne se rassasie jamais, mourra un jour avec la
faim.
Li ma-icheboachy makane la imoute djiyaane.
On se sert de ce proverbe pour blâmer l'ambitieux que
rien ne peut satisfaire.
476 LA VIE ARABE
La beauté de Thomme consiste dans son esprit»
Et l'esprit de la femme consiste dans sa beauté.
Zine er-radjel fi aaMou^
Ou adkel lemra fi hhessenn-ha.
Le hhenna^ c'est la terre du paradis.
El khenna^ trab el djenna.
Le hhenna-lawsonia inermis^ disent les Arabes, a une
couleur et une odeur agréables.
Sept jours après la naissance de ses petits-fils, sid el
Hbassenn et sid el Hhaoussine, le Prophète en a fait orner
leurs mains. Depuis, cet exemple est suivi pour tous les
enfants qui viennent au monde.
Les jeunes mariés se conforment aussi à cet usage. Il porte
bonheur.
Avant le mariage, les femmes se teignent les cheveux en
rouge avec duhhenna,et, dès qu'elles sont mariées, en noir,
toujours avec du hhenna mélangé avec de la noix de galle.
On teint également en rouge avec du hhenna la queue et la
crinière des chevaux d*élite ; quelquefois même, la laine des
agneaux que l'on garde dans les familles pour la récréation
des enfants.
On s'en sert encore pour durcir la peau des chevaux qui
se blessent facilement, et, dans le but de guérir certaines
maladies, on l'administre à l'intérieur.
Et enfin, comme Mahomet avait la barbe rouge, souvent,
dans leur désir de lui ressembler en tout* les fanatiques, les
gens de religion, se teignent la barbe en rouge avec du
hhenna.
C'est une bonne action, lors des jours de fête, que de
donner du hhenna aux familles pauvres qui n'ont pu s*en
PROVERBES ET SENTENCES 477
procurer. On en trouve, du reste, aujourd'hui dans tous les
pays musulmans.
Les Hébreux le connaissaient sous le nom de hacopherj et
les Grecs sous celui de cijpros.
On croit que le hhenna contient beaucoup de matière co-
lorante, mais les Arabes ne s*en servent pas pour teindre
leurs étoffes.
Consulte toujours ta femme,
Et fais ensuite à ta tète.
Chaour martek
Ou dir rayek.
Dans ce proverbe, les Arabes se vantent; cela ne se passe pas
toujours ainsi ; gardons-nous donc de croire que Tinfluence de
la femme est nulle dans la famille^ quand son action va jusqu'à
s*exercer quelquefois dans la tribu. Tout le monde sait au-
jourd'hui que l'émir Aabd-«1-Kader, pendant sa captivité en
France, n'a cessé de témoigner à sa mère, lalla Zohra, des
égards tels, qu'ils auraient honoré même un enfant de notre
civilisation. Il est juste de dire quelle passait pour avoir
grandement contribué à son élévation, pour Tavoir aidé dans
la prospérité et noblement soutenu dans le malheur, aussi
bien par son énergie que par la sagesse de ses conseils.
La femme arabe professe un grand respect pour son mari,
elle ne l'appelle que sidi^ monseigneur, c'est vrai ; elle lui
baise la main à l'époque de certaines fêtes religieuses, ou
bien quand elle le reçoit après une longue absence, c'est en-
core vrai ; mais lui, de son côté, ne prend pas une décision
importante sans son assentiment. J*ai vu souvent, en plein
marché, des Arabes remettre à huit jours une affaire par ce
motif qu'ils voulaient, pour la terminer, avoir l'approbation
478 LA VIE ARABE
de leurs femmes. Lie principe général est celui-ci : Poor
tout ce qui concerne le ménage, les enfants, Tintérieurde Ja
famille, la femme est la maîtresse absolue ; pour tout ce qui
concerne, si j*ose m'exprimer ainsi, les relations extérieures,
politique, pouvoir, honneurs, commerce, etc., etc., c'est
rhomme qui décide.
Le silence or, la parole argent.
Sommt deheby ou el hadera, fodda.
Un Arabe a dit : « Lorsque j'avance une parole, j*en de-
viens Tesclave, tandis que, si je la retiens, j'en reste le
maître. »
Youness — Jonas, — étant sorti du ventre de la baleine,
resta muet pendant quelque temps. A ceux qui lui en de-
mandèrent la raison, il répondit : « Pourquoi voulez-vous que
Je recommence à parler à tort et à travers, quand ce sont
mes discours insensés qui m'ont conduit à habiter le corps
d'un poisson ! »
Dans la bouche qui est fermée, la mouche ne peut entrer.
El foum el meghlouk matedekhollou debbana.
Celui que notre mère a épousé,
Nous le tenons pour notre père.
Li khedat imma-nay
Itsemma baba-na.
Les Arabes emploient assez souvent ce dicton avec les
Français, surtout quand ils ont intérêt à les tromper en leur
faisant croire qu'ils se sont soumis à notre domination sans
aucune espèce d'arrière-pensée.
Celui qui augmente le nombre de ses amis reste sans
ami.
Li kelier el hhababy ibka bêla hhabib.
PROVERBES ET SENTENCES 479
Les juifs à la broche,
Et les chrétiens à Thameçon.
El thoud fi se/foud^
Ou en-nessara fi sennara.
Ton ami, s'il est près,
Vaut mieux que ton frère, s'il est loin.
Hhabibekelguerib,
Khér menn khouk el baaïd.
L'absent n'est plus qu'un «étranger.
FI ghaiby gherib.
Le rire sans motif
Provient du peu d'éducation.
Ed'dhhak bla aadjeb^
Menn kolki el aadeb.
C'est quand on est dans l'embarras que Ton peut distin-
guer l'ennemi de l'ami.
Fed-dik idhar el aadou menn es-sedik.
Sois bon pour ta femme,
Tu prendras la femme de ton voisin.
Hhassenn be martek,
Takhod mari djarek.
La religion maintient l'honime,
Comme le mors maintient le cheval.
Ed-dine ichedd el ennsann,
Kifel lazma techedd el hhossann.
Celui qui prête à usure,
Un chien vaut mieux que lui,
Bel marda li laati drahamou,
Kelb khér mennou.
480 LA VIE ARABE
Donne des ordres au paresseux, il te donnera des con-
seils.
Keddi el aaijezane^ idebber aalik.
Celui qui épouse sa maîtresse,
Devient tahhane dès la première nuit de ses noces.
Li izouedj khelliliou,
Tahhane menti lilltou.
Le mulet seul renie son origine.
Ma tnnker asselou ghér le beghoL
Les enfants des ânes se battent à coups de pied,
Mais les enfants des princes se battent à coups de sabre.
Oulad el hhamyr be rekla^
Oulad el moullouk be sekkine.
Donne à celui qui est présent,
Couvre celui qui dort,
Et oublie celui qui est absent.
Li hhader, aatouhy
Li ragued ghettouh,
Ou li ghdib ennssouh.
Comme en pays arabe on dort presque toujours sous la
tente ou en plein air, on ne manque jamais de couvrir,
même pendant le jour, celui qui, peu vêtu, a été surpris par
le sommeil.
C'est là une précaution hygiénique reconnue bonne par
tout le monde. On la prend pour autrui, certain qu*à Tocca-
sion il vous rendra le même service.
Le chien ne se souvient que du lieu où il a été battu,
Ou de celui oii il a rassasié son ventre.
El kelb ma itfeker ghér faaxne kela tréhha,
Oulla faaxne chebaa kerchou.
PROVERBES ET SENTENCES 481
Tu as la main dans la peau de bouc; si tu n'en tires pas du
beurre, tu en tireras toujours du lait caillé. (On fait le beurre
dans des outres en peau de bouc.)
Iddek fe chekoua : ila ma-tedjebed zebda^ tedjebed raîb.
Ce proverbe peint bien la vie arabe. Les employés du gou-
vernement n'étant pas payés, quand on est au pouvoir, on se
hâte d'en profiter pour faire ou pour augmenter sa fortune.
Exactions, ruses, tromperies, concussions, tous les moyens
sont bons pour en arriver là. Ce sont les administrés qui
sont la peau de bouc dont il est parlé. Cependant, il est juste
d'ajouter que les chefs donnent en général une généreuse
hospitalité et qu'ils sont astreints à une représentation qui
entraîne des dépenses considérables.
Chaque pays se croit la Syrie.
Koul berr aand halou Cham.
La queue du lévrier ne se redressera pas, quand bien
même tu la mettrais pendant vingt ans dans un étui.
Dennb esselougui ma ilssegtœynm oua loukane tedirau fel
kaleb aacherine setia.
Les chefs arabes m*ont souvent répondu par ce dicton
quand je les engageais à jeter les leurs dans la voie de notre
civilisation.
0 le médecin ! guéris-toi toi-même, avant de vouloir gué-
rir les autres.
Ya tebib ! daoui nefssek kebel ma tedaoui en-nass.
La mort avec la vengeance vaut mieux que la vie avec le
déshonneur.
El monte fi akhod et-tary khér menn el aatcha maa laar.
31
482 LA VIR ARABR
LVimi sincère ne se connaît que dans le moment du
«lanpfer.
ES'Sedik ma-inaaref la ônàki ed-dlk.
La terre est une charogne; ceux qui la reclierclient sont
des chiens.
Ed'denya djifa^ ou tollab-ha, kelab.
Un ennemi doué de raison
Vaut mieux qu*un ami ignorant.
El aadon el aakel^
Khér menn es-sedik el djaheL
Le froid apprend à voler le charhon.
El berd yaalleni serkel el fahham.
Où est passé votre argent, ô les chrétiens?
Ils ont répondu: « Dans Tentetement et dans les pertes
(dans les folles dépenses). »
Ouine mechaou drahamAoum ya nessara ?
Galou: fel aanade ou le khessara.
En effet, les Arabes, depuis le dernier cavalier jusqu au
chef le plus puissant, tous, malheureusement pour nous, ont
la conviction qu'un peu plus tôt ou un peu plus tard, nous
quitterons leur pays. Notre présence chez eux est une cala-
mité qui leur a été infligée par Dieu, en punition de leurs
péchés. Le Tout-Puissant satisfait, il pardonnera, et les chré-
tiens seront, à leur tour, vaincus et humiliés. Quand cela
arrivera-l-il ? ils l'ignorent. Comment cela se passera-l-il ?
ils n'en savent absolument rien ; mais les Français auront
un jour de grands embarras européens, ils ne pourront con-
tinuer ni leurs armements, ni leurs dépenses ; un mattre de
PROVERBES ET SENTENCES 483
l'heure viendra — moul saa, — se produira, et la délivrance
aura lieu au moment où Ton y pensera le moins.
Un chef illustre de notre armée plaçant un matin son
camp dans les environs de Goudiyel — province d'Oran, —
vit un berger qui, appuyé sur son bâton, paraissait plongé
dans une profonde méditation^ et qui, au lieu de s'éloigner,
n'avait pas même Tair de s'apercevoir de tous les mouve-
ments de troupes qui s'opéraient autour de lui. Étonné de
riudifférence de cet homme, il s'en approcha, a Que fais-
tu là? lui dit-il — Ce que je fai?-là, lu veux le savoir? —
Oui. — EU bien, je regarde la ferre musulmane qui, envahie
par les chrétiens^ verse des larmes de désespoir. » La rosée
avait été abondante, et notre fanatique faisait ainsi allusion
aux gouttes d'eau qui étaient suspendues h chacun des brins
d'herbe que nous foulions aux pieds.
Celui qui a été sauvé par ses jambes
L'est aussi bien que celui qui a été sauvé par son bras.
Li mennaaou, keraaoUf
Ki li mennaaou deraaou.
Les Arabes, ainsi que je l'ai dit, tiennent en grande es-
time le courage, et cependant, chose étonnante, ils n'acca-
blent pas de leur mépris ceux qui en sont totalement dé-
pourvus. Ce n*est pas leur faute. Dieu l'a voulu, il faut les
plaindre au lieu de les blâmer. L'homme faible de cœur peut
même arriver, chez eux, à une certaine influence s il fait un
noble usage de sa fortune, et s'il est habile dans les conseils.
Après Yaasser (trois heures de l'après-midi), ne dépasse le
pays habité
Que l'enfant d'une ânesse. .
Menn baad el aasser, ma ifouie el aamara.
Ghér ould el hhamara.
484 LA VIE ARABE
C'est là un conseil donné par Texpérience, et qae les Eu-
ropéens devraient bien suivre plus souvent. Il n'arriverait
pas autant d'accidents dans un pays si vaste et si désert, ou,
pendant le jour même, on a toutes les peines du monde à les
éviter. Quand la nuit paratt, comment protéger les voyageurs
contre les entreprises des bandits ou des fanatiques, s'ils ne
s'arrêtent pas à temps dans une tribu, dans un douar, à
proximité de l'un de ces nombreux postes de surveillance
établis pour leur sécurité ? C'est presque impossible. Aussi
qu'arrive-t-il ? Des crimes et des vols sont commis , et
l'on en rend responsables les Arabes, tandis que ce sont
les entêtés et les imprudents qu'il faudrait punir.
Ce qu'ont fait nos ancêtres, ils Tonl fait,
Et ce qu'ont ajouté les poètes, ils l'on ajouté .
Li darou djeâctid-na darou,
Ou li zadou le medahh zadou.
Quand le coq a faim, il rv\e qu*il se trouve sur le marché
aux grains.
Mefiine ed-dik idjooeuy inoum rohlwu fel rahhba.
Ne jette pas Teau avant d'avoir trouvé de l'eau.
Ma lekiss ma, hatta tessib ma.
Celui qui va tout droit
Vaut mieux que celui qui marche en zigzag.
Li îemchi koubala koukala,
Khér menn li Iemchi chaterouane.
Celui qui n'a pas de couteau
Est bien malheureux au milieu des artichauts — sau-
vages.
Li maandou ukkine,
Bine el kherachef meskine.
PHOVËRBl^S KT SKMËNCËS 4S5
Une pièce d'argent dans la main
Vaut mieux qu'une pièce d'or perdue.
Oukiya fel ke/f
Khér menn soultani fet-telf.
Le lévrier, quand il va à la chasse, dit :
« Si mon mattre tue, je mangerai;
Kt, si mon maître est tué, je mangerai encore. »
Selougui menine istad, igoui :
lia maulaya ïktel, nakoul^
Ou ila moulaya imoute^ ndkouU
Ce proverbe suffit à lui seul pour peindre le caractère des
Arabes : mobile, pillard, fataliste et égoïste. Vous êtes vain-
queurs. Dieu l'a voulu, je suis à vous ; vous êtes vaincus,
Dieu vous a retiré sa protection, gare à vous! En voulez-vous
la preuve ? La voici : A la bataille d*Is1y, lorsque le camp
du fils de Tcmpereur du Maroc fut enlevé par Tillustre ma-
réchal Bugeaud, tous nos officiers de cavalerie ont vu de
très-nombreux Arabes qui marchaient sous la bannière enne-
mie profiter de la déroute générale qui fut la suite de cette
vigoureuse action de guerre, mettre pied à terre, piller les
tentes et les bagages de leur mattre, et crier à nos spahis,
qui, à trois cents pas d*eux tout au plus, leur envoyaient
encore quelques balles :
— 0... nos frères, pourquoi brûler encore de la poudre?
Tout est fini; mangez (pillez) de votre côté et laissez nous
manger du nôtre .
Et il fut ainsi fait.
Si tu ne peux entrer par la porte de Tamour,
Entre par la porte de Tor*
lia bah el œuchk ineghlauk.
Foute aala bab deheb.
9
486 LA VIE ARADE
Le cheval noble dit :
« Fais-moi manger comme si j'étais ton frère,
Et monte-moi comme si j'étais ton ennemi, ji
El aaoud Ihhorr igoul :
Oukkelni ki khouk.
Ou rekkebi-ni ki aadouk.
Où est passé votre argent, ô les juifs ?
Ils ont répondu : « Dans les samedis et dans les fêtes.
Ouine mechaou draham-koum , ya lihoude^
Galou : Fi seboute ou laayoïide.
Et, en effet, les juifs, dans le courant de Tannée, célèbrent
un nombre incroyable de fêles. Parmi les principales, je ci-
terai :
1" Le premier jour de Tan. Rechana, en hébreu; rass el
aam en arabe.
2° Le jour du pardon. Keppour^ en hébreu ; nehar semahh
en arabe.
3® La fôte des cabanes. Sekoute^ en hébreu ; aàid en nouala
en arabe.
Elle a été instituée pour perpétuer le souvenir des mi-
sères que les Israélites ont eu à supporter dans le désert
après leur fuite de rÊgypte. Cette fête dure huit jours.
4® La fête dos friandises. PoMf/m, en hébreu ; aaïd el hlia-
laouate en arabe.
Elle a été établie en Thonneur d'Esther, qui, par son dé-
vouement et sa merveilleuse beauté, sauva les Israélites des
fureurs d'Assuérus, à qui son premier ministre, Amane, avait
arraché un ordre général d'extermination.
5® La fête des galettes. Pissahh, en hébreu ; aaid le fetira
en arabe.
PUOVKUBES ET SENTENCES 487
Elle rappelle le repas avec des galettes sans sel et sans le-
vain que, par ordre de Moïse, les Israélites durent faire avant
de se mettre en route pour quitter Tlilgypte. C*est la Pâque,
elle dure huit jours.
6** Et, enfin, la fête de Toau ou des semaines. Chaboti
oout^ en hébreu ; aaïd el ma en arabe.
On la célèbre, suivant les Arabes, en souvenir de Teau
pure et abondante que Moïse fit jaillir d*un rocher pour
apaiser la soif ardente de son peuple , exténué par une
marche longue et pénible dans le désert; et, suivant les
juifs, à cause des sept semaines qui se sont écoulées depuis
la Pâque, dans le but de rappeler fépoque où la loi fut don-
née par Dieu à Moïse sur le mont Sinaï. Je crois cette der-
nière version la plus exacte.
Maintenant, si à ces fêtes et à quelques autres que je n'ai
pas citées on ajoute tous les samedis de l'année — diman-
ches des juifs,— qui sont, je crois, au nombre de cinquante-
deux, pendant lesquels personne, mais absolument personne,
ne travaille, on verra que, chez les Israélites, le nombre de
jours de chômage est considérable. Comment expliquer alors
Taisance, la richesse, le luxe même que ces gens-là montrent
en tous lieux, si ce n*est par la conduite, l'habileté dans les
métiers, le besoin qu'on a d'eux dans les contrées arriérées,
et, surtout, par une intelligence supérieure du commerce
qui appartient réellement à cette race ?
Quoi qu'il en soit, pendant les jours de fête, on est vrai-
ment étonné de la somptuosité déployée dans les vêtements
par les Israélites des deux sexes. Les hommes sont propre-
ment, convenablement habillés, et les femmes, couvertes de
bijoux souvent d'un grand prix, ne portent, en général, que
des robes de soie — lebedenn — garnies de broderies en
or sur la poitrine et recouvrant d'habitude de riches vestes à
488 LA VIE ARABE
manches, lesquelles ne dépassent pas le coude — keftane.
— Leur tète est entourée d'un sarma^ espèce de bonnet en
or ou en argent, rappelant, par sa forme et par son éléTation,
celui de nos Cauchoises ; leurs épaules sont couTertes par nn
chàle à couleurs éclatantes — tekhelila, — et leurs pieds
sont enfermés dansées pantoufles élégantes — bechemak, —
La question des modes étant réservée, je serais porté à
croire que nulle population au monde ne remporte de ce
côté sur le bien-être général des Israélites. Il est vrai que,
dans tout l'Orient, ils le payent très-cher, par les vexations
sans nombre que des gens cruels quelquefois, fanatiques
toujours, leur font supporter ; mais ils s'en vengent en leur
soutirant le plus d'argent qu'ils peuvent.
Celui qui a trahi le premier, trahira le second.
Il gheder louel, igheder et-tani.
L'avare, vole-le, et ne lui demande rien.
El bekhil^ khouene-lou oua la tetlob-lou.
C'est un homme âgé, il se souvient du creusement de la
mer.
Radjel kebir^ ïaakel aala hhafir el bahliar.
Le maître de la bonne foi l'emporte toujours sur le maître
de la ruse.
Moul niya igheleb moul Ihhéila.
Le miel, les moutons et la poterie.
N'en font commerce que les fous.
Dak, sak ou le bak,
Ma issebebou fi-ha ghér Ihhomak.
PROVERBES ET SEMENCES 489
Celui qui n'a pas d*épaulcs (de protecteurs) est méprisé.
Klil le ketaf^ inndel.
Je comprends ce proverbe chez les Arabes. En effet, dans
un pays où, avant Tarrivée des Français, la force brutale
dominait presque toujours la justice et la loi, où des familles
nombreuses et puissantes étaient, de temps immémorial, en
possession du pouvoir, des hommes et des richesses, on con-
çoit que celui qui n'avait ni parents ni amis pour le sou-
tenir ou le défendre, devait être bien exploité et bien mal-
heureux. Il ne pouvait s*en tirer qu'en devenant le client
d'un grand seigneur, qui, moyennant certains services et
certaines redevances, lui accordait sa protection. Du temps
de la féodalité, cela ne se passait pas, du reste, autrement
chez nous.
La parole oui, amène les tracas ;
La parole non, éloigne les ennuis.
Kelemete oua^ tedjib le gliebina ;
Kelemete la^ inatedjib bêla.
La connaissance des hommes : trésor.
La parole des femmes : vent.
Œurf er-redjal^ kenouz,
Kelab en-nessay réhh.
Le plus noble des hommes
Est celui qui est utile à tout le monde.
AcherefennasSy
Li mfaa gaa lel nass..
400 LA vif: AUARt;
La poitrine des hoinines de race
Est le tombeau du secret.
Sedour el hharrar,
Kebour le serar.
Passe sur la rivière qui fait du bruit ;
Méfie- toi de celle qui est silencieuse.
Djoxa aala ouad el hharare,
Ou la tedjouz aala ouad sakouti.
Ne fait deux choses à la fois que le cbicn :
Il aboie et il agite la quene.
Ma-idir zoudj messail ghér el kelb :
Innbahh ou iriyech be kaaltou.
Personne ne s*est encore <!»chappt5 de son lon)bcau.
Ma-kane menn dja harebane menn keberou.
Travaille pour ton honneur jusqu'à ce qu'il soit réputé,
Et, quand il est réputé, dors et reste tranquille.
Khedem aala aardek hhatta ichéaa,
Ou ila chaa^ ergoud ou khalli.
0 l'acheteur î pense au jour de la vente.
Ya chari ! etfeker ijoum el béaa.
N'engraisse pas ton chien, il te nioi*dra ;
I^aissc-le avec la faim, il te suivra.
Ma-tessemmennchi kelbek, yakoulek ;
Kliallih bel djooeu, ilebbaak.
PROVERUES ET SENTENCES 491
Celui qui a fini son temps,
N*a plus qu'à allonger ses jambes.
Li otifa adjelou,
Imedd ridjelou.
Celui qui est décidé à mourir ne supplie pas.
Li imoutey ma idemmem.
Enquiers-toi de ton voisin,
Avant de Cenquérir de la maison ;
Et renseigne-toi sur ton compagnon,
Avant de demander le chemin.
Choiif le djaVj
Kebel ed-dar ;
Ou chouf, er-refik
Kebel et-trik.
Le voisin n'est bon qu'à augmenter les ordures et à faire
des cancans.
El djar iketer ez-zebel ou ikherodj el khobar.
Le renversement des selles,
Le labourage des marais,
Et l'amour des renégates.
Gliarfate esseroudj,
Hhart el merot/dj,
Ou sahhabet el aaloudj.
Celui qui patiente vaut mieux ((ue celui qui désire,
Et celui qui désire vaut mieux que celui qui désespère.
Li isstenna kher mcnn H itemenna,
Ou li itemenna khér menu li gataa lya$8>
Oudjed aaoudek tel mechi;
Ou menine techouf el hhamora fes-sebabh^
Dekhol aacudek lel merahh.
La bonne nouvelle, que Dieu rapporte.
Et la mauvaise, que Dieu réloigne,
Li fiha khér, Allah idjib-ha,
Ou li mafi'ha khér, Allah iboad-ha.
Il a passé une nuit dans le marais, et, le lendemain maiio
il était le cousin des grenouilles.
Bat lila fel merdjUy sebahh benn aam el djerane^
La montée pour aller à un ami, c'est une descente.
El aagueba toual Ihhabib hhadoura.
L'ennemi ne devient jamais ami,
Et le son ne devient jamais farine.
El aadou ma irdjaa sedig.
Ou en-nekhala ma terdjaa deguig.
r . t!
PROVERBES ET SENTENCES 493
Quand le chien a de Targent, on lai dit : c Monseigneur le
chien I »
El Mb menine ikoun aandou drahame , igouloulou :
sidi kelboune.
Celui qui dit : « Le lion n'est qu un âne ! »
Eh bien, qu*ii aille lui mettre un licou.
Li igoul : es-sebaa hhemary
Irohheu iressennou.
Ce proverbe est souvent appliqué par les Arabes à ceux
d'entre eux qui, par haine contre nous, se plaisent à nier
jusqu'à la bravoure de nos soldats, dont, au fond, ils sont
par expérience très-convaincus.
Le maniement des chevaux,
Le lâchement des lévriers.
Et le cliquetis des boucles d'oreilles.
Vous dtent les vers d'une tête (dissipent les chagrins).
Rekoub le feras8,
Teloug le merass^
Ou tékerkib le kherasSj
Iguelaa edrdoude menn er-rass.
C'est un homme habile : il prend des gazelles monté-sur
un àne.
Radjel kambass : ihhakem le ghezal aala dahar el hhe-
mar.
Les Arabes, qui sont d'une mobilité extrême et qui cepen-
dant ont été très-souvent atteints dans leurs intérêts maté-
riels par nos lourdes colonnes dont ils se moquaient avec
bonheur, emploient maintenant ce dicton quand ils parient
des Français :
494 LA VIE ARABE
Le inonde est avec celui qui est debout.
Ed'denya maa lotiakef.
La peur apprend à courir vite.
El khoufîaallem es-sebok.
Le raisin sec n*est bon à manger que lorsqu'il est ridé.
Ez'Zebib ma itkel ghér mekenimech.
On se sert, en général, de ce dicton pour excuser un ami
que Ton entend blâmer d*avoir épousé une femme belle en-
core, mais déjà vieille.
La femme fuit la barbe blancbe,
Comme la brebis fuit le chacal.
El mra therob menn echib,
Kif en-naadja nienn ed-dib.
On raconte qu*un homme âgé et à barbe blanche ren-
contra, un jour, en voyage, une femme dont la tournure el
la démarche, bien qu'elle fAt entièrement voilée, excitèrent
au plus haut point son attention. « Qui que tu sois, lui dit-il,
si tu n*es pas mariée, je t'épouse en te donnant la dot que
tu voudras, et, si tu es mariée, que Dieu bénisse ta famille et
ton mari à cause de toi. — Je ne suis pas mariée, lui répondit-
elle, mais mes cheveux sont tout blancs et je pense que
cela ne vous conviendra pas. — Assurément, répliqua le vieil
Arabe sans balancer. » Et il la quitta d'un pas pressé. Quand
il fut un peu plus loin, la femme ainsi abandonnée le rappela
et lui cria de toute la force de ses poumons: < Par Dieu,
monseigneur, je n'ai pas encore vingt ans, et mes cheveux
sont noirs comme l'aile du corbeau; mais j'ai voulu vous
PROVKRDES ET SENTENCES 49r»
montrer aussi que je n'aimais pas non plus ce que vous
n'aimiez pas vous-même.
Dieu pardonne à Tamant et à la mattresse :
Il ne pardonne jamais à celui qui les fait se rencontrer.
Rebbi ighefor le-zani ou ez-zaniya :
Ou ma igheforch el moulakû
Celui qui veut manger du miel doit savoir supporter la pi-
qûre des abeilles.
Li ihheb el aassel issberr aala lessaa en-imhhaL
Celui qui dit ce qui ne plait pas,
S'expose à entendre ce qu'il ne désire pas.
Li igoul ma innbaghi,
Issmaa li ma ichthi,
m
Une tête sans finesse,
Une citrouille vaut mieux qu'elle.
Rass bêla hhêila^
Kabouva khér menn-hd.
— «.
Les chrétiens sont les ennemis de Dieu ;
On ne peut les vaincre qu'en leur jurant par Dieu.
En-nessara aadiyane Allah,
Ou itkhodou ghér be aahad Allah !
Ainsi, on ne peut vaincre les chrétiens que par des ser-
ments faits au nom de Dieu. Ce proverbe, ce n'est pas moi
qui l'ai inventé, il a cours dans tout le pays arabe. A bon
entendeur, salut.
490 LA ViB ARABE
Si tu yeux te venger d'un homme , envoie-lai une jolie
femme,
Et, si tu veux te venger d'une femme, envoie-lui un beau
jeune homme.
Ida tehheb tenntkom menn radjel, siyeb aalih mra zina.
Ida tehheb tenntkom menn mra, siyeb chebab aali-ha.
La nuit des accidents, aucun chien de garde n'aboie.
Lillt le keda 7na innbahh firha kelb.
Mets tes chagrins dans un filet,
Il en tombera et il en restera.
Dir el hemm fe chebka,
Chi itéhh ou chi ibka.
Couche-toi avec du chagrin plutôt qu'avec du repentir.
Bâte fel ghid ou la tebate fe nedama.
Je te donnerai le pouvoir quand germera le sel,
Et fleurira le charbon.
Naatik el hherma menine innbett el melhh,
Ou inououer el fahham.
Le rat qui se presse fait le bonheur de la chatte.
El far mekallok menn saad el gotta.
L'année de la glace.
Laboure et laboure encore.
Aam el djelid,
Hharett ou %id.
Le mensonge n'ajoute rien au courage.
El kedeb ma kidche fer^rekoubiya.
PROVERBES ET SENTENCES 497
Il n'y a que la terre — tombe — qui puisse raraasier l'œil
— de Tanibitieux.
La ichebbaa el aairiy ghér et-troh
Cavalier celui qui monte aujourd'hui.
Faress menn erkeb elyoum.
Le mort, que Dieu lui soit miséricordieux.
Et le vivant, que Dieu le sauve.
Li mate Allah irtihamoUy
Ou li aach Allah mellemou.
Fais-moi vivre aujourd'hui, tu me tueras demain.
Hhayini elyoum ou ktelni gheda.
Quand la porte est ouverte,
11 peut entrer un lion ou un ogre.
El bab el mahhaloul.
Idkhol sebaa ou le ghoul.
C'est celui qui a mal à la dent
Qui doit courir après la tenaille — le dentiste.
Li dorrtou dersstoUj
Iffetech aalel koullab.
Ne vante le marché
Que celui qui y gagne.
Ma icheker es-souk,
Menn ghér li irbbahh (ih.
C'est la répoiise que font les Arabes à ceux de leurs core
ligionnaires qui, devant eux, se permettent de vanler les
chrétiens.
3i
493 LA VIE ARABE
Que lui manquc-t-il ? C'est un ciseau de la mosquée
Il boit dans un bassin et il couche sur les tuiles.
Oiiatchta khessou : zaoudj el djamaa,
khrob fel khassa^ ou ibal fel karmoude.
Le lion brise et les chacals mangent.
Es'Sebaa ïherress ou diyab takouL
Le cavalier qui n*a pas d'armes,
C'est comme un oiseau qui u*a pas d'ailes.
El faress bêla selahh^
Kifet'tair bêla djenahh.
Ohl Timpatient! pourquoi te presscs-lu?
Rien ne se fait que par Tordre de Dieu.
Ya le mekallok aalach tetkalloky
Koul'Chi, be amer Allah.
Quand celui qui parle est insensé, celui qui l'écoute doit-
être sage.
lia kane el metkellem mahboul, ikoun el messennoU
aakel.
Achète un cheval rapide, si tu poursuis, tu atteins.
Et, si tu es poursuivi, tu te sauves.
Echeri aaoud sabok, ila tetred^ telhhag ;
Ou ila tekoun metroud, temnaa.
Pour un secret, ne soyez que deux.
Un troisième ne serait qu'un bavard — indiscret.
Es serr bine tenine ;
Ou el-talete ghér fedovti.
PROVERBES ET SENTENCES 499
Dans ce monde, il y a trois choses auxquelles il ne faut
jamais se fier :
La fortune, les femmes et les chevaux.
Telt messail ma itoumanouch fed-denya :
Ez-zemaney en-nessa ou le khéiL
Maintenant, me dira-t-on, voilà des proverbes et des sen-
tences qui peuvent, nous en convenons, donner une idée
des mœurs et de la tournure d'esprit des Arabes ; mais,
dans la pratique, comment les approprier aux besoins si va-
riés des circonstances et de la conversation î Je vais essayer
de le faire pour quelques-uns, ils serviront d*exemple pour
les autres.
Balance-t-on devant vous à tenter une entreprise juste,
honnête, mais cependant pleine de périls, dites :
Mets ta confiance en Dieu et ne crains plus rien.
Amenn be Rebbi, ou la telhaf.
Vous trouvez-vous en face de gens faibles, indécis, se dé-
courageant pour la moindre contrariété, pour le plus petit
obstacle, remontez-leur le moral par les maximes suivantes
prononcées d'un ton doctoral :
La patience est la clef de la réussite.
ES'Seber meftahh le feredj.
Ou bien :
Le toujours (la persévérance) use même le marbre.
Ed'douam ilkob er-rekham.
Entendez-vous un homme, trahi par la fortune, faire bon
marché de sa dignité, gémir, se plaindre ou se mettre en
fureur au lieu de se résigner, dites-lui :
500 LA VIE ARABE
L'oiseau de race (le faucon), quand il est pris, ne se débat
plus, — se soumet à son sort.
Tair IMwrr^ ila hhassely mailkhebotche.
Vient-on à citer un homme qui réussit dans toutes ses
entreprises, et qui, cependant, ne parait mériter les faveurs
de la fortune, ni par ses talents, ni par son intelligence, ap-
pliquez-lui cette sentence :
Une once de bonheur vaut souvent mieux qu'un quinlal
d'intelligence.
Oukiya saad khér menn konntar aatel.
A celui qui se vante d'avoir fait de belles actions et qui
n*en attribue pas la moindre part à ses compagnons, ré-
pondez :
L'aigle lui-même ne peut pas voler sans plumes.
El oogab ma-ttairchi bêla rich.
Trouvez-vous sur votre route un homme vaniteux, ridi-
cule, qni s'ingénie pour faire croire à tous qu'il est d'une
noble origine, bien que réellement il soit d'une basse extrac-
tion, donnez-lui un salutaire avertissement en glissant adroi-
tement ce qui suit dans la conversation :
On a demandé : « Quel est ton père, ô monsieur le mulet ? »
Il a répondu : « Le cheval est mon oncle, p
Galon : achekoun habak ya sid le beghol?
Djaoub : khali laaoud.
Vous convient-il de donner un bon conseil à celui qui.
PROVEaCES KT SEMExNGES 501
malgré son vif désir, n'ose cependant point entrer en lutte
avec un homme puissant et dangereux, dites-lui :
Serre les dents,
El tu feras desserrer les dents de ton ennemi.
Ziyer senanek,
Irtekhefou senane sahhabek.
S*agit-ii d'un jeune homme arrivé trop vite au pouvoir,
qui s'y essaye avec ardeur, mais dont les actes inexpéri-
mentés sont un sujet continuel de plaintes pour les adminis-
tres, dites avec les Arabes :
Les barbiers apprennent à raser
Sur la tête des orphelins.
Ytaalemou el hhaffafa
Aala rouss el itama.
Pour comprendre la force et la vérité de celte sentence, il
faut savoir que, dans les tribus, les Arabes se font d'ordinaire
raser avec un mauvais petit couteau, — mouss, — plus ou
moins tranchant, plus ou moins bien repassé, et qui, je l'ai
vu moi-même, leur arrache souvent, avec des grimaces ner-
veuses, des larmes involontaires. Le pauvre orphelin n'a
aucun purent qui puisse exiger pour lui que le couteau coupe
mieux.
Vous blâme-t-on de vous montrer trop sensible à quelques
mauvais procédés, à quelques propos méchants partis de bas,
et qui ne peuvent par cela même porter aucune atteinte à
votre honneur, ni à votre considération, d'un air impatienté,
ne craignez pas de laisser échapper la sentence suivante :
502 LA VIE ARABR
La vérité est avec toi : la mouche ne tue pas ;
Hais cependant elle finit par faire mal au cœur.
El hhak maak ed-debhana ma tektelch,
Otia lakenn loudjaa le galb.
Si quelqu'un se plaint vivement de votre sévérité à son
égard, ainsi que de la franchise avec laquelle vous lui repro-
chez ses torts ou ses défauts, rainenez-le à des sentiments
meilleurs par cette maxime pleine de sens et de vérité :
Les paroles de Fennemi font rire; les paroles de Tami font
pleurer.
Kelam el aadou, idahhak, ou kelam Ihhabib ibekki.
Quand, à la guerre, malgré les bonnes mesures que vous
avez prises, l'un de vos inférieurs veut discuter, et trouve
toujours pleines de périls les entreprises dont vous le char-
gez, persistez dans rexé<;ution de vos ordres, et terminez
ainsi la conversation :
Au surplus, la montée est aussi difficile pour le chacal
que pour le lévrier.
Oua baadoti, el aagueba ed-dib ou selougui.
Fait-on remarquer que, si vos armes sont bonnes, on les
trouve cependant trop lourdes, dites tout simplement :
Le taureau ne se fatigue pas de porter ses cornes.
El aadjemi ma iaayach be guerounou.
Et vous passerez pour un homme rompu aux fatigues de
la guerre.
Parle-t-on eu votre présence d'un homme qui, doué d'une
PROVERBES ET SENTENCES 503
rare énergie, a su, dans un moment difficile, maintenir une
foule en fureur et faire accepter sa supériorité par tous, di-
tes : Je n'en suis pas étonné :
Quand le cri de Toiseau de race (le faucon) se fait enten-
dre, tous les coqs se taisent.
Ydu enntok et-thair Ihhorr mabka dik uldenn.
CHAPITKE QUATORZIEME
LE SAVOIR-VIVRE
Soyons humains, polis et bienveillanls pour les vaincus. — Le
savoir-vivre est agréable à Dieu. — Ne jouez pas avec les
chiens, ils se diraient vos cousins. — L'Arabe est égoïste.—
Les gens heureux portent bonheur. — N'oubliez ni le bien ni
le mal. — L'arabe de bonne compagnie. — On met le nom
de Dieu partout. — Comment on se gare du mauvais œil. —
Le rouge et le jaune. — Usages délicats. — Ne sifflez ni ne
chantez auprès des tentes. — Comment on se débarrasse des
importuns, — Les cinq questions qu'il ne faut jamais poser.
— L'écriture du démon. — Orgueil efl'réné des Arabes. —
On peut être ignorant, on n'est pas mal élevé.
Dans les chapitres précédents, j'ai essayé de faire con-
naître aux personnes qui étudient les mœurs des peuples
dans un intérêt purement spéculatif quelles sont celles des
Arabes.
J*ai tenté principalement de donner, sur ce point, des
idées vraies aux fonctionnaires civils et militaires, aux ma-
gistrats , aux voyageurs, aux commerçants, aux colons, à
^ous ceux enfin qui peuvent se trouver en relation avec la
506 LA VIE AHABE
société mulsumane ; j*ai désiré surtout leur indiquer ce qu'il
convient de faire et ce qu'il convient d'éviter quand ils ne
voudront pas froisser ou irriter, sans aucune espèce de pro-
fit, une race guerrière, très-orgueilleuse d'une religion oppo-
sée à la notre, impatiente du joug, et avec laquelle nos re-
lations sont cependant incessantes, tant pour en obtenir une
complète soumission que pour en exiger des sacrifices pé-
nibles, sans doute, mais indispensables à notre installation
sur le sol.
Envisagée à ce point de vue, cette question, à laquelle je
vais encore donner quelques développements, me parait avoir
un caractère de haute politique. En effet, pourquoi pousser
à Tanimosité, à la rancune, à la révolte peut-être, par de mi-
sérables blessures faites à Tamour-propre, quand, avec les
•vaincus, nous avons déjà tant de sujets capitaux sur lesquels
nous sommes forcément en désacord? Restons donc à leur
égard humains, polis et bienveillants dans la vie habituelle;
la force, quand il faudra en faire, n'y perdra certes
rien (1)
(1) Au milien des graves soucis qui le préoccupaient alors, Bona-
parte ne négligeait aucune occasion de montrer aux Arabes le plus
profond respect pour les anciens usages.
Le 18 août, se trouvant au Caire» il présida à la fêle annuelle da
Nil, l'une des plus grandes fêtes nationales de l'Egypte, et il en aug-
menta la pompe par la participation de l'armée.
Deu\ jours après, le 20 août, on célébra la fête de la naissance de
Mahomet avec plus do pompe encore que la fête du Nil. Les maisons
des principaux français furent illuminées comme celles des musulmans.
Bonaparte et son cortège allèrent présenter leurs félicitations au chikii
el Bekri, chef de la famille reconnue la première parmi les desceii-
danls du Prophète, et qui avait été, le matin, élu nakib el acheraf,
ou chef des chikh du Caire.
Bonaparte pour lui donner, en quelque sorte, l'investiture de celte
haute dignité, voulut de ses propres mains le revêtir d'une pelisse
d'honneur, et non-seulement il accepta, avec tous les officiers qui l'ac-
LE SAVOin-VlVRR * 507
En 184S, le maréchal duc d'isly, gouverneur général de
TAIgérie, se rendant à Mousta fa-Pacha, suivi d'un nom-
breux élal-major, aperçut en avant de lui, dans la rue Bab-
azoun, un zouave qui frappait violemment un Arabe. On le lui
amena. « Pourquoi, lui dit-il, battez-vous cet homme? Que
vous a-t-ilfait? — Eh ! uion maréchal, lui répondit le zouave
qui, suivant l'expression militaire,se trouvait un peu dans les
vignes du Seigneur, voilà une demi-heure que je lui parle,
et cet animal-là fait semblant de ne pas me comprendre.
— Apprenez Tarabe, il vous comprendra. — Ah ! pardon, mon
maréchal, c'est à lui d'apprendre le français ; je suis le peuple
vainqueur, moi ! »
Le peuple vainqueur fut mis en prison pour quinze jours,
et, le lendemain, il parut un ordre très-sévèi^e dans lequel le
maréchal, faisant comprendre à tous l'injustice et les dangers
de pareils excès, prescrivait une surveillance incessante pour
qu'ils ne se renouvelassent plus.
Ces préliminaires posés, j'entre en matière :
Aux yeux des Arabes, le savoir-vivre est chose agréable
à Dieu autant qu'aux hommes ; leur Prophète a dit :
« Ce qui constitue la foi, c'est de donner à manger, de
parler toujours avec bonté et de rendre strictement le
salut à quiconque vous l'a adressé. »
Les règles de la politesse et de l'étiquette font donc partie
de la religion. Elles sont invariablemenî fixées. Le code des
coropagDaient, un magniQque repas à l'orienlale que ce personnage lui
offrit, mais encore il poussa» pour sa part, la condescendance aux
mœurs locales jusqu'à manger avec ses doiijls.
Toutes ces concessions aux idées religieuses et aux coutumes du
peuple vaincu, Bonaparte les faisait pour gagner sa contiance et son
affection, etc , etc.
Les Français en Egypte. — Souvenirs de M. le colonel Chalbrand.
— 1865.
508 LA VIE ARABE
relations sociales est connu de tous, du dernier paysan
comme du plus illustre parmi les nobles — djouad ; — il
en résulte un niveau général d'urbanité que personne ne
dépasse guère, mais au-dessous duquel il est peu de gens
qui se tiennent. Tandis que, chez nous, il y a des gens
bien et mal élevés, des hommes de bon et de mauvais ton ,
les Arabes, sous ce rapport, se ressemblent à peu près tous ;
chacun d*eux tient son rang ; chacun conserve ce respect
de soi-même qui est recommandé par le proverbe suivant :
Ne jouez pas avec les chiens, ils deviendraient vos cous-
sins.
Ma telaabouch maa le ielaby issirou benain aam ioum.
Cette dignité de manières n*est pas seulement extérieure ;
elle provient d'une autre source encore que des préceptes
dont ils sont imbus.
Quand vous voyez un Arabe de la [Aus basse classe, de
la position la plus infime, se présenter avec assurance la tête
haute et le regard fixé dans les yeux de celui qu'il aborde, fût-
il sultan, pacha, kalifa, soyez convaincu qu'il n'y a pas là seu-
lement de la vanité personnelle; il y a surtout cette fierté
légitime de l'homme qui croit en Dieu et qui le sait au-
dessus de nous, à égale disUmce du puissant et du faible, '
regardant du même œil le cèdre et l'hysope.
Cette pensée n'est-elle pas corroborée par le dicton sui-
vant que vous trouvez à chaque instant dans la bouche des
Arabes ?
0 mon esclave, pourquoi crains-tu mon esclave ?
Sa vie et la tienne ne sont-elles pas dans ma main ?
Ya aabdi aalach tekhaf menn aabdi ?
Aamrek ou aamrou fi iddi ?
LE SAVOIR-VIVRE 509
Dans nos ri^unions les plus nombreuses, un Arabe isolé
n*est jamais intimidé, jamais Tembarrasne lui fait commettre
une gaucherie, jamais sa position de vaincu, de dépendant,
ne le trouble ou ne Thumilie. Soumis et suppliant même,
s*il le faut, un dédain dissimulé le vengera, et il se croira tou-
jours supérieur à vous de toute la distance qui sépare le sec-
tateur du Prophète de ce qu*il appelle Tadorateur du mor-
ceau de bois.
En dehors de cet orgueil du croyant, un autre sentiment
éminemment philosophique et religieux l'anime encore.
Certes, TArabe ne méconnaît ni la splendeur de la ri-
chesse, ni la grandeur de la puissance, ni les agréments du
luxe et du faste ; mais, en entrant dans nos palais, en con-
templant les merveilles étalées à ses yeux, en paraissant de-
vant ces hommes qu'entourent tous les prestiges, il
se dit avec fierté : « Dieu, qui dispose de tout sur la terre,
aussi bien que dans le ciel, pouvait me combler, moi, de
toutes ces faveurs. J'aurais loué Dieu ; je dois le louer en-
core, car ma part est la meilleure. Ils ont leur paradis sur
cette terre, qui est une auberge où Thomme entre et d'où
l'homme disparaît en quelques heures; moi, le paradis
m'attend après ma mort, et le paradis, c'est l'éternité. »
Malheureusement pour les Arabes, à cette croyance ferme,
inébranlable, toujours présente à leur esprit, ne se joint pas
une pensée de solidarité. Ils ont la foi, mais ils n'ont ni la
charité, ni l'oubli des injures.
Ils sont partout, en haut comme en bas, profondément
égoïstes, et cela, malgré leur souverain respect, leur vénéra-
tion, j'ose le dire, pour la vieillesse et pour la famille ; car
on sait que le fils ne doit ni s'asseoir, ni fumer, ni prendre la
parole devant son père, pas plus que le frère cadet devant
son frère atné.
510 LA VIE ARABE
Deux causes ont produit cet égoisme si fatal aux mosui-
nians. La première est la conviction qu'être malheureux sur
la terre, c'est être déshérité de Dieu ; c'est sinon avoir mé-
rité son infortune, au moins être hors d'état d'en sortir par
soi-même ou par ses semblables. Tous les efforts pour em-
pêcher le bras do malheur de s'appesantir sur quelqu'un
sont de vaines tentatives, et une commisération trop vive
ne peut être qu'une récrimination ridicule contre la volonté
de Dieu.
J*ai connu un chef arabe qui regardait comme un présage
de grand malheur la rencontre avec un estropié de naissance.
« Si Dieu l'avait aimé, disait-il, cela ne lui serait point arri-
vé ; j) et il rentrait chez lui pour n'en plus sortir de la journée.
Ne te fais pas l'anû d'un borgne et ne mange jamais de ses
provisions.
S'il y avait du bien en lui, Dieu ne lui aurait pas fait sauter
l'œil.
La tesshhab el àaouer, ou la takoul menn aapuinou.
Loukan fih khér, ma-tayner-lou Bebbi aainou.
Voici encore un fait dont je puis garantir la vérité :
Un agha, faisant sa visite obligée aubcy de sa province, n'ap-
prit sa destitution qu'en rencontrant son successeuridont l'es-
corte, fort modestô et composée uniquement de ses serviteurs,
se grossit immédiatement de tous les agents civils et militaires
qui s'étaient mis en route avec le haut fonctionnaire en
disgrâce. Celui-ci, sur le point de rester seul, ne put s'em-
pêcher de leur reprocher ce mantiuc de courtoisie, a Que
veux-tu, lui dirent-ils, c'est Dieu qui a prononcé : lu as
fini ton temps. Le chien va toujours \ï où il est sûr de trou-
ver son pain. »
LE SAYOIR-VIVRE 511
La fréquentation des gens heureux porte bonheur.
Khellate el mesaaoudine tessaud.
L'anarchie est venue en aide à ce fatalisme; chacun était
en danger, chacun dut songer à soi.
Cet état moral peut se représenter par un dicton très-
répandu dans toutes les contrées où nous dominons ; ce n'est
certes pas moi qui l'ai inventé.
La peste est arrivée dans le pays :
0 mon Dieu, éloigne-la de ma tribu I
El hhahouha iljat fel belad :
Ya Rebbi^ baad-lia menn aarcld !
La peste est arrivée dans la tribu :
0 mon Dieu, éloigne-la de mon ôfouar !
El hhabouba djat fi aarchek:
Ya Rebbi, baad-ha menn douari !
La peste est arrivée dans ton douar :
0 mon Dieu, éloigne-la de ma tente !
El hhabouba djat fi douar ek :
Ya Rebbi, baad-ha menn khé'imti !
La peste est arrivée dans ta tente :
0 mon Dieu, éloigne-la de ma tête !
El hhabouba djat fi kheïmtek :
Ya Rebbi baad-ha menn Rassi !
Voilà une confession naïve qui, s'il en était besoin, serait
parfaitement complétée par les maximes suivantes :
0 toi qui t'occupes des misères des autres,
Et la misère, que lui feras tu?
Ya lahi be hhemm ennass,
Ou hhemmek, ki taamel lou ?
51S LA VIE ARABE
f Celui qui ne peut être utile, éloigne-le :
' Dans ce monde il ne sert à rien,
Et dans Tautre il ne sauve pas.
, Li ma-infaa^ édifie faq ;
I Fi hadi ma-infaa,
\ Ou fi lakhra ma khefaa.
! On a demandé : « Sais-tu quand finira le monde ? »
On a répondu: « Oui, le jour où je mourrai. »
Galou : ouaktach toufa ed-denya ?
i Djaoubou : nliar li inemoute ana.
Quant à Toubli des injures, les sentences suivantes qtos
diront aussi ce qu*il faut en penser.
Mon bien pour ton bien :
Celui qui commence est le plus généreux.
Mon mal pour ton mal :
Celui qui commence est le plus injuste.
Kliéri be khérek :
El badi akrem,
Chorri be chorrek :
El badi adlem.
Celui qui oublie le bien et le mal
N'est pas un homme de race.
Li yennssa el khér ou echorr,
Machi hhorr.
Ce qui précède peut être nié, ou tout au moins discuté au
nomde la religion musulmane ; mais, les mœui*s et les pré-
jugés étant plus forts que les lois, c'est ainsi que cela se
passe dans la pratique.
Voyons maintenant quels sont les usages auxquels il faut
LE SAVOIR-VIVRE 513
se conformer chez les Arabes sous peine de passer pour un
homme mal élevé.
Un homme qui a ce que nous appelons de la tenue, qui est
soigné dans sa mise, qui tient à se conformer aux préceptes
de la bonne compagnie, et, chez les Arabes, la bonne com-
pagnie est celle qui s'honore d'être pieuse jusque dans les
plus petits détails, coupe ses moustaches à la hauteur de la
lèvre supérieure, et ne laisse (jue les coins dans toute leur
longueur ; il évite ainsi de salir ses vêtements en mangeant;
il fait raser ses cheveux une fois par semaine, pratique soi-
gneusement les ablutions voulues par la loi, fait souvent ra-
fratchir sa barbe, qui est taillée en pointe, et ne néglige
jamais de se nettoyer les ongles. Les ronger avec les dents
serait du plus mauvais ton. D'après les préjugés arabes, les
ongles sont des démons: quand on les coupe, il ne faut pas
les jeter à terre, il faut les jeter au feu ou les enterrer.
En présence de vieillards ou de supérieurs, de son père, de
ses oncles ou de son frère aîné, il faut se garder, sous peine
de déconsidération, non-seulement de prononcer des mots
licencieux, de se livrer à des allusions grivoises, mais encore
de mettre la conversation sur les femmes ; il est même inter-
dit d'en prononcer le nom.
Si, cependant, on est forcé de se servir d'une phrase mal
sonnante pour des oreilles arabes, on peut se la faire par-
donner par la formule ordinaire de hhachak, qui corres-
pond assez bien avec celle de sauf votre respect de nos
paysans. Exemple :
Hier, je suis allé à Alger, et, sur ma route, sauf votre res-
pect, j'ai rencontré un troupeau de cochons.
El baraihh rohheut lel Djezair ou hhachaky fe trék (la-
guite maa doulet el hhalalef.
33
51i LA VIE ARABE
Lorsqu'on parle d'un malheur possible, quelque éloigné
qu'il soit, il est du plus mauvais goût de mettre son interlo-
cuteur en jeu. On ne peut pas dire, par exemple :
Par Dieu, c'est un bon tireur; comme d'ici- à la porte, il
te jetterait par terre avec une balle.
Ouallah radjel derrab : ki menna lel-bab iléyyhhak be
ressass.
Il faut dire :
Il tuerait son ennemi.
Itéyyahh aadouh.
Si vous vantez quelqu'un devant un ami ou même on
étranger, il est de bon goût de leur donner les qualités de
l'absent. Exemple :
Un tel est un bouime sage et courageux comme toi ou
comme celui qui nrécoute.
Felane radjel aakel ou rakba kifek ou kif el messennote.
Principe absolu : Il faut faire intervenir le nom de Dieu
toutes les fois que vous parlez de l'avenir. Ainsi, ne dites
jamais devant les Arabes : c Demain, il fera beau temps;
demain, je ferai ceci ou cela, » sans ajouter :
S'il plattà Dieu. | Ennchaallah.
Cette omission suffirait à vous déconsidérer, car personne
ne peut connaître l'avenir, qui est tout entier dans les mains
de Dieu. A l'appui de leurs idées sur ce sujet, les Arabes ra-
content la légende suivante :
En éuumérant ce que ses forces lui permettaient de faire,
le lion dit un jour:
LE SAVOIR-VIVRE 515
Ennchaallah — s'il piatt à Dieu, — j'enlèverai, sans me
gêner, le cheval.
Ennchaallah — s'il plaît à Dieu, j'emporterai lagénisse,
et son poids ne m'empêchera pas de courir.
Lorsqu'il en vint à la brebis, il la crut tellement au-dessous
de lui, qu'il négligea cette religieuse formule : « S'il plaît à
Dieu, » et Dieu le condamna, pour le punir, à ne pouvoir ja-
mais que la traîner. Si le fait est vrai, il est probable que le
lion, dégoûté par l'odeur désagréable du suint, n'implante
qu'avec répugnance ses dents dans la laine de cet animal.
Dans toute exclamation arrachée à la surprise doit se
trouver le nom de Dieu, ce nom qui conjure le mal.
Gloire à Dieu ! | Sebahane Allah !
Il n'y a de force que par Dieu.
La koua illa bellah.
Jamais un Arabe n'entreprend une course, une chasse, ne
procède à un acte quelconque, le plus ordinaire même, sans
prononcer d'abord ces mots :
Au nom de Dieu ! | Bessemellah !
Quand vous parlez d'une personne honorable décédée
depuis plus ou moins de temps, ce serait une grande impoli-
tesse que de citer son nom sans le faire suivre immédiate-
ment de ces mots r
Que Dieu lui accorde sa miséricorde 1
Allah iihhamou.
516 LA VIE ARABE
De même que, si Ton vous demande des nouvelles d*uae
personne décédëe depuis quelque temps déjà sans qu'on Tait
su, ne répondez pas :
Un tel est mort. | Felane mate.
Mais dites seulement :
Que Dieu lui soit miséricordieux!
Allah irrhhamou!
On vous comprendra, el vous n'aurez pas prononcé le nom
de la mort, qui est toujours une chose désagréable, à moins
qu'on ne parle de la mort reçue dans la guerre sainte.
Ce perpétuel retour vei*s Dieu donne, si je ne me trompe,
aux phrases les plus banales du dialogue arabe un ton tou-
chant, un accent pénétré qui prouve jusqu'à l'évidence com-
bien les mulsumans tiennent à leur religion. Peuvent-ils
l'oublier quand on la leur rappelle ainsi à chaque acte de la
vie, à cha([ue instant du jour ?
Malgré la propension des Arabes à faire des compliments,
des flatteries de tout genre et en toute occasion, il serait
maladroit, en entrant dans une tente, de vanter un cavalier,
un enfant, un cheval, en disant seulement : « Quel beau
cheval, quel bel enfant, quel admirable cavalier! > sans
ajouter aussitôt :
Que la bénédiction de Dieu soit sur eux I
Fi'houm el baraka !
Ou bien :
Que le cheval — ou l'enfant — soit béni, avec l'allonge-
ment de ta vie et la protection de Dieu!
Mebrouk el aaoud — el ichir — be toulane aamrek ou
se terr Allah.
LE SAVOIR-VIVRE 517
En agissant autrement, on se ferait considérer comme un
méchant ou un envieux qui cherche à porter la perturbation
et le malheur dans la famille, à jeter un sort, aàin.
Vaàin, qui veut dire le mauvais œil, est un acte d'envie
secrète et invincible; il peut venir d'un ami tout comme
d*un ennemi, m(me d'un indifférent.
Qaand on se doute que le mauvais œil s'est abattu sur un
homme, sur un animal ou sur un objet quelconque, on va
trouver des tolbas ou des femmes qui passent pour savoir en
débarrasser, au moyen de certaines pratiques, ou bien encore
à Taide de quelques paroles sacramentelles que Ton enferme
dans un petit sachet en fîlali et que Ton porte en guise de
talisman — hherz, — On croit encore détourner sa funeste
influence en s'écriant vivement :
Mes cinq doigts dans ton œil !
Khamsa fi aavnek !
Au même ordre d'idées appartient l'impolitesse que Ton
pourrait commettre en désignant quelqu'un avec le doigt.
Dans les villes, pour se préserver de l'aaln, on suspend un
vieux fer à cheval dans la maison. Celai qui vous aura envié,
jalousé, doit recevoir un coup de pied de cheval dans l'œil
et en mourir.
Quand, pour donner de la force à son affirmation, un
ami va jusqu'à se désirer du mal, il faut se hâter de détourner
l'effet de cette sorte d'imprécation prononcée contre soi-
même. A ces paroles :
Si je t'ai menti, que Dieu vide ma selle !
Ida guedebt aalik, Allah ikheli serdji !
518 LA VIE ARABR
Répondez sur-le-champ :
Que le mal soit iDin de toi !
Baaïd el bêla aalik !
En société, à peine ces mots prononcés :
J'ai vu en songe, | Cheft fel menam^
Tout le monde s'écrie :
Le bien, s'il platt à Dieu. | El khér ennchaaUah.
S'il arrive une contrariété, un accident à un ami qui est
sur le point de se mettre en route, d'accomplir un acte quel-
conque de la vie, dites-lui :
S'il plait à Dieu, tu n'auras pas de mal ! Tu viens de payer,
de désintéresser le malheur.
EnnchaaUah^ la bass aalik ! Defaat el bêla.
Les Arabes, attribuant aux couleurs éclatantes, au rouge
principalement, des idées de joie et de bonheur, quand on
veut souhaiter du bien à quelqu'un d'une manière générale,
on lui dit :
Que Dieu te rougisse la figure !
Allah ihhammer-lek oudjhek !
Les couleurs sombres, le jaune principalement, éveillant,
au contraire, des idées de misère et de chagrin, si l'on veut
souhaiter du mal, on s'écrie :
Que Dieu te jaunisse la figure !
A llah isseffer lek oudjhek
LE SAVOia-VlVRE Md
Quand on rencontre un ami qui sort du bain, on lui dit:
Qu*il te soit comme un bain pris avec Teau de Zemzem !
Hhammam Zem*%em !
H vous répondra :
S11 platt à Dieu, tu prospéreras.
Ennchaallah terbahh! ^
Byr Zemzem est la source que Dieu fit jaillir dans le dé-
sert pour apaiser la soif dlsmaël, qui, sur les instances de
Sara, venait d*être cbassé, avec sa mère, par Abraham. Les
mulsulmans la tiennent en grande vénération ; quand ils se
rendent à la Mecque, ils ne manquent jamais de rapporter à
leurs parents et à leurs amis un peu de cette eau miraculeuse
dont ils se servent pour arroser les linceuls de ceux que Dieu
appelle à lui. On renferme dans des vases solides, à goulot
étroit, et que l'on nomme zemzemiyate.
Chez le barbier, dès qu*un homme vient de se faire raser
la tête, les assistants le complimentent ainsi :
Avec la santé, le rasement.
Sahha et-thhaffif.
11 doit répondre :
Que Dieu vous bénisse !
Allah ibarekfikoum!
Si, sur votre chemin, vous voyez quelqu'un qui travaille,
n'oubliez pas de lui dire :
520 LA VIE ARABE
Que Dieu te vienne en aide I
Allah ïaaounek!
Un ouvrier vous a-t-il présenté nn produit de son travail,
en le lui rendant, prononcez ces paroles :
Que Dieu te donne la force I
Allah ïaatik sahha !
Dans les deux cas, on vous répondra :
Que Dieu soit miséricordieux pour les auteurs de tes
jours !
Allûh irhham oualdik !
Passez-vous devant des gens qui sont à table, saluez-les
ainsi :
/
Que Dieu vous rassasie I | Allah ikennaa-koum !
Quand un éternumeut se produit devant vous, hâtez-
vous de dire :
Que Dieu te préserve 1 | Allah inedjik !
Âpres un gros soupir, faites cette exclamation :
Que Dieu me pardonne tout ce que j*ai fait !
Staghfir Allah bi ma kana!
A Toffre d'une pipe de tabac ou d'une tasse de café, etc.,
répondez :
Qu'elle soit la bienvenue ! | Marhhaba !
LE SAVOIR-VIVRE 52!
— Vous apporle-l-on des primeurs, raisins, figues, melons,
pastèques, etc., etc., remerciez en disant:
Qu'ils soient les bienvenus! la figure du Prophète est venue
nous visiter.
Marhhaba ! Zar-na oudjh en-nehi.
Quand le moment arrive de dormir pour un hôte que vous
avez reçu sous votre tente, en le quittant, dites-lui :
Dors et que tes rêves soient agréables I
Ergoud, ou tummeh hhalou !
A un homme entrant dans un appartement sans en fermer
la porte, ne criez pas brutalement: « Ferme ta porte; > faites-
lui tout simplement cette allusion :
Que Dieu se rappelle le menuisier !
Allah irhham en-nedjar !
11 comprendra et s*exécutera de bonne grâce.
D'après les mœurs arabes, on ne peut pas satisfaire, en
restant debout, à ce besoin naturel que notre tolérance euro-
péenne nous permet d'accomplir dans cette position. Si, de-
vant eux, nous violons ce principe, et cela nous arrive sou-
vent, on ne nous le pardonne pas.
L'éructation n'est pas une grossièreté. Quand donc arrive
ce qui, chez nous, serait un grave accident, ce qui, chez eux,
n'est qu'un indice de prospérité, de large satisfaction d'appé-
tit, l'auteur de cette incongruité dit avec le plus grand sang-
froid :
Je remercie Dieu. | Lhhamedou tellah!
522 LA VIE AUABK
Sous entendu : « Qui m*a donné assez de bien pour rem-
plir mon ventre. »
Il est du plus mauvais ton de siffler. Les hommes du
peuple eux-mêmes ne sifflent que pour réunir les chiens. On
a eu le talent de leur faire croire qu'en sifflant on appelle
inévitablement le malheur sur sa tète. Ici, du moins, le pré-
jugé n'a été imposé que pour un motif raisonnable.
Chez les Arabes, on applaudit, comme chez nous, en se
frappant les mains l'une contre l'autre — tessefik. Keff. —
Seulement, au lieu de crier « Bravo ! bravo ! > on crie :
Sahha ! sahha ! — que Dieu te donne la force !
Quant aux applaudissements des femmes, ce sont les cris
de joie: you! you! dont j*ai déjà parlé. On les nomme
tezeg hérite.
Dans les tribus, si un homme chantait auprès des tentes,
non pas devant, mais seulement à proximité des femmes,
il risquerait fort d^attraper un coup de fusil.
C'est un péché que de manger dans la rue. On peut ainsi
exciter la convoitise de plus pauvre que soi ; dehors, dans
la campagne, on se cache comme on peut, et, si quelqu'un
vient à passer, il faut l'inviter à partager le repas, quelle
qu'en soit la frugalité.
On ne doit jamais éteindre un flambeau avec son souffle,
mais avec le vent produit par le passage rapide de la main.
Pourquoi? Parce que, la lumière étant regardée comme un
des signes visibles de la Divinité, ce serait l'outrager que de
la mettre en contact avec un air vicié et corrompu.
Voulez-vous du feu pour allumer votre pipe, ne dites
pas:
LE SAVOIR-VIVRE 553
Apportez -moi du feu ! | Djib-li en-nar !
Vous prêteriez le flanc à ua jeu de mots tout entier à
votre désavantage, le mot nar s'appliquant surtout au feu
de l'enfer; mais dites:
Âpportc-moi la paix, la tranquillité !
Djib'li el aafia !
Veut-on se débarrasser, avec politesse, d'nn demandeur
fatigant et sans qu*il puisse répliquer un seul mot, on
récoute avec attention, puis on lui répond, en mettant eu
avant le nom de Dieu:
Vas-t'en, il n'y aura que du bien, Dieu te l'apportera.
Rohheu, ma-katie la le khér, idjiblek Rebbi,
Ou bien :
Dieu l'ouvrira, celte porte, et pour nous et pour vous.
Iftahh Allahf aalina ou aatikoum.
Dieu verra cela! | Iferredj Allah !
On n'insistera pas; un bon musulman ne peut douter de
la munificence de Dieu.
Voulez-vous couper court à des questions ennuyeuses ou
n'y pas répondre, le moyen est simple ; on dit:
Cela est loin de moi ; la nouvelle en est chez Dieu.
Je n'ai point à me mêler des affaires de Dieu.
Il n'y a que Dieu qui sache les choses lointaines.
Baaïd aaliya; khobaraand Rebbi.
Maandi medkhoulfi œulm Allah.
Ma yaalem bel Ghiyouby ghér Rebbi.
5S4 LA VIB ARABE
Tenez-vous absolument à ne pas vous expliquer, faites
cette simple exclamation :
Dieu! I Rebbi!
S*agit-ii de mettre fin aux reproches que peuvent se
permettre des amis indiscrets, vous avez une recette toute
préparée ; répondez aux leçons qu'on vous fail après coupy
pour une maladresse ou pour une faute commise :
C'était l'ordre de Dieu I
C'était écrit chez Dieu !
Dieu l'a voulu I
Dieu m'a trouvé !
Hhakoum Allah !
Mektoub Rebbi !
Rebbi bgha!
Rebbi sab-ni !
Tout le monde se taira, et c'est là le plus grand point : être
impénétrable, ne se laisser entamer par aucune importunité.
Quand on ne veut pas répondre à des questions posées
par un supérieur, on le lui fait comprendre en disant :
Tu es sultan, et tu en sais plus que moi.
Enntasoultmie^ou ennia taarf.
L'entretien s'arrête. Du reste, ce titre de sultan, tout infé-
rieur le donne pour ainsi dire à son supérieur, ou même à
son égal, quand il a besoin de lui.
Voulez-vous faire continuer un récit intéressant à quel-
qu'un qui s'arrête pour reprendre respiration, lïchez-lui ces
mots :
Et alors? | Diksaaî
LE SAVOIR-VIVRE 525
Il poursuivra d'ordinaire ; mais, si cela ne lui convient plus,
il se hâtera de répondre :
Et alors, il est tombé dans un puits, et nous Ten avons
tiré.
Dik saa tahh fel bir ou djebednah.
Cela équivaut à dire: « Je ne parlerai plus. >
Quand un Arabe veut arrêter son interlocuteur trop
pressé de lui couper la parole, il n'a qu'à employer la for-
mule religieuse suivante :
Prie sur le Prophète. | Salli aal nehi.
On prendra patience ; on le laissera achever.
En temps de trouble, quelqu'un vient-il d'un air mys-
térieux et pour vous sonder dans un intérêt quelconque, vous
demander :
Qu'y a-t-il ? ou que n'y a-t-il pas ?
Ach kane î ou ach ma kane !
Si vous ne voulez pas le renseigner, répondez-lui :
Il y a du bien, et il n'y a pas de mal.
Khér kane ou chorr ma kane.
Ou, si vous l'aimez mieux :
Dieu est partout.
Kane Rebbi fi koul mekane.
On peut encore s'en tirer en lui disant :
Il y a beaucoup à dire, mais le kadi est occupé.
El kelame bezzafou le kadi ra mecheghoul.
526 LA VIK \RABh:
Vous avez mis eu avaut le uon de Dieu, il cessera de vous
importuner
Maintenant, vient-on vous annoncer un événement, une
nouvelle qui vous est connue depuis longtemps, et pour la-
quelle, en France, vous ne manqueriez pas de dire: t Ah!
oui! M. de la Palisse est mort; » prononcez simplement
ces paroles :
Viens, ô ma mère ! je te montrerai la maison de mon
père.
Adji ya imma I nourrik dar baba.
Veut-on prouver à quelqu'un que sa présence ou ses ser-
vices ne sont plus agréables, on ne le blessera par aucune
parole insultante, on ne lui dira jamais brutalement : « Va-
t'en I > on se contentera, s'il vous adresse la parole, de lui
répondre froidement en fixant les yeux à terre. Il compren-
dra sur-le-champ qu'il est en disgrâce et cessera de vous
importuner. Cela s'appelle hhott el aàin — le détournement
des yeux — hhott aaïnih fih, « Il a ôlé ses yeux de lui »
veut donc dire: « Il lui a retiré ses faveurs, son amitié. >
C'est presque une injure que de demander à un chef
arabe s'il veut vendre son cheval, autant lui dire qu'on le
croit dans la misère et trahi par la fortune: quand il juge à
propos de s'en défaire, il l'envoie sur un marché lointain, ou
il fait connaître son intention dans la contrée. Cette faute-là^
nous la commettons souvent.
De môme, il est peu délicat de vanter ou de paraître admi-
rer le cheval, les armes ou n'importe quoi appartenant à un
homme de naissance. Il se regarderait comme contraint mo-
LE SAVOIR-VIVRE 527
ralement à vous l'offrir. On prétend cependant que ces
exemples de générosité se voyaient autrefois plus souvent
qu*aujourd*hui.
Les Arabes nous blftmént de notre excès de curiosité;
s'arrêter dans la rue, y écouter ce que disent les passants
ou se retourner pour admirer quelqu'un ou quelque chose,
leur parait une grave atteinte à la dignité, même entre co-
religionnaires, à plus forte raison quand il s'agit des chré-
tiens.
Dans les réunions et dans les fêtes, gardez-vous bien
d'engager un Arabe, pour peu qu'il soit considéré, à chanter,
à danser ou à jouer d'un instrument quelconque. Il ne pour-
rait se rendre à vos désirs ; s'il le faisait, il porterait atteinte
à sa dignité et à sa considération ; les siens le placeraient
aussitôt dans la catégorie des bouffons et des baladins —
zeffane.
A côté de cela, les gens bien élevés peuvent, sans se dé-
considérer, aller passer la journée dans la boutique d'un
tailleur, d'un sellier ou même d*un menuisier. Pourquoi?
Parce que ces états sont propres et n'amènent, en général ,
de relations qu'avec des personnes riches ou bien élevées.
Chez les barbiers et dans les cafés ne s'arrêtent d'ordi-
naire que les étrangers ou les gens du peuple.
Si vous voyez un Arabe vous offrir, lors d'une rencontre,
la main gauche, ne l'acceptez pas, c'est un signe de mépris.
Chez les musulmans, la main gauche ne peut servir que pour
les ablutions secrètes.
Dans vos relations avec les Arabes haut placés, n'ayez
528 LA VIE ARABE
jamais la peasée de les engager à faire avec vous des prome-
nades à pied. Ils accepteraient peut-être par politesse; dans
le fond, ils n*en seraient nullement charmés. Les Arabes ne
marchent que pour leurs affaires; ils n'en éprouvent le besoin
ni pour faire la digestion, ni pour éviter Tobésité, etc., etc.,
car leur sobriété et le genre de vie qu'ils mènent les met à
l'abri de tous les dangers que Tintempérauce ou l'oisiveté
font courir à la santé. Aussi, quand ils voient des chrétiens
se promener à grands pas sur une place publique, ils les
tournent en ridicule et ne manquent jamais de dire :
Regarde, regarde, voilà les chrétiens qui frappent la danse;
— ils sont fous.
DenneÇj denneg^ en-nessara rahoum idrobou ed-dama^ —
mahbel.
Il en est de môme pour Texercice du cheval. Les Arabes
ne s'en servent que pour faire la guerre, surveiller leur for-
tune, paraître dans les fêtes publiques et dans les réunions
religieuses, — ouaada; — alors, ils en usent et en abusent.
Hors de là, ils vont presque toujours au pas, ne comprenant
nullement que Ton puisse monter à cheval pour le seul plai-
sir de courir sur une grande route. En voyant un officier ga-
loper dans les rues, souvent je les ai entendus dire avec
malice : « Mais où va donc un tel à une pareille allure? Il
faut qu*il soit bien pressé. Il est sans doute chargé par son
général de porter une dépêche très-importante. >
Il est aussi du plus mauvais ton de proposer des paris. La
gageure est une espèce de jeu, et les jeux de hasard sont sé-
vèrement prohibés par la loi musulmane.
On lit dans le Koran, chapitre 5, verset 93 :
LE SAVOIR-VIVRE 529
« 0 croyants ! le vin, les jeux de hasard, les statues et le
sort des flèches sont une abomination inventée par Satan.
Absienez-vous-on, et vous serez heureux. »
Quand un chef, quel que soit son rang, paraît devant ses
inférieurs, s'il marche, il ne marche qu'avec dignité, ni trop
vite, ni trop lentement, et, s'il parle, il ne le fait qu'à voix
basse, avec une grande sobriété de gestes. Cette conduite lui
est au surplus recommandée par Dieu lui-même. On trouve
dans le Koran, chapitre 31, verset 18 :
« Cherche à modérer ton pas et à baisser la voix, car la
plus désagréable des voix est bien la voix de Tàne. »
Si vous ne voulez vous déconsidérer complètement aux
yeux d*un Arabe, ne lui posez jamais Tune des cinq questions
suivantes :
1® Quel temps fera-t-il demain?
2® Cette femme qui est enceinte donnera-t-elle le jour à
une tille ou à un garçon?
3® La journée sera-t-elle heureuse ou malheureuse?
4* Quand un tel doit-il mourir?
5® Quand aura lieu la fin du monde?
Vous passeriez pour un impie ou pour un ignorant qui ne
sait même pas que Dieu seul peut décider de semblables
choses.
N'offrez jamais de vin ni de liqueurs à un Arabe devant
ses coreligionnaires, ce serait le mettre dans une position
très-délicate. En effet, il acceptera ou il refusera. S'il refuse,
il vous aura peut-être contrarié; et, s'il accepte, il se sera dé-
considéré. Le Prophète a dit : « Le vin est le père de toutes
les abominations. »
34
530 LA VIE ARABE
Voulez-vous avoir le portrait d'un Arabe, prenez-vous-y
avec beaucoup d'adresse et de ménagements; autrement, la
représentation des figures étant formellement interdite par
Dieu lui-même, vous pourriez fort bien éprouver un refus.
Toutefois, je ne me suis jamais aperçu que Tobéissance à ce
précepte allât, chez les musulmans, jusqu'à leur faire refuser
les monnaies étrangères sur lesquelles sont gravés les por-
traits de nos souverains. Il est vrai que, depuis quelque
temps, certains savants affirment que la prohibition n'atteint
pas la peinture, mais seulement la sculpture, c'est-à-dire les
statues, qui, pouvant devenir des idoles, sont un empiétement
sur les attributions de Dieu, car lui seul peut donner la
vie.
Les gens de gi^ande tente laissent le tatouage au peuple,
qui en use et en abuse; les femmes le regardent comme un
ornement, bien qu'il soit défendu par la religion ; on l'ap-
pelle :
L*écriture du démon. | Ketibte chytane.
Après la mort, l'ange Azraïl doit couper lui-même la chair
envahie par le tatouage.
Dans vos relations avec les Arabes, soyez ferme, sévère,
si vous le voulez ; ils ne s'en plaindront pas, si en même
temps vous vous montrez juste, poli, prudent dans vos ac-
tions, circonspect dans vos paroles. Rappelez-vous constam-
ment que vous avez affaire au peuple le plus rancunier et le
plus orgueilleux de la terre. Rarement il pardonne une of-
fense. Laissez-le parler, il va vous dévoiler son carac-
tère.
LE SAVOIR-VIVRE 53!
Toute blessure peut se guérir et s'oublier,
Excepté la blessure faite par la langue, qui ne se guérit ni
ne s'oublie.
Koul djerhh ibra ou itenassa;
Gliér djerhh lessane^ la ibra ou la itenassa.
La ville où l'on s'est moqué de toi,
Quitte-la, quand bien même elle serait bâtie avec des
rubis.
El belad ouine temeskherou aalik.
KhaUi'ha oua loukane mebeniya bel yakoute.
En me parlant, dis : « 0 monseigneur ! » et dépouille-mol
si tu veux ;
Mais ne dis jamais : « 0 mon chien ! > quand bien même
tu devrais m'enrichir.
Goulli : ya sidi! ou aari-ni;
Ou la tegoulli : ya kelbi baadema teghenni-ni.
Puisque nous parlons de l'orgueil des musulmans, disons
encore qu'un Arabe, lorsqu'il rencontrera un chrétien sur sa
route, ne manquera jamais de s'ingénier pour ne pas lui per-
mettre de passer à sa droite, ce qui, d'après ses idées, le
placerait dans un état d'infériorité. L'axiome suivant peint
toute sa pensée à cet égard.
Quiconque n'est pas musulman, place-le toujours à ta
gauche.
Li machi messlem^ chemelou.
N'entamez jamais de discussions religieuses avec un Arabe;
c'est tout à fait inutile.
532 LA VIE ARABE
Ou VOUS aurez atTaire à un homme prudent et bieu élevé,
et alors il vous laissera parler, vous répondra avec politesse,
évitera même de vous blesser^ et la plupart du temps se con-
tentera de sourire en essayant de changer la conversation.
Ou vous aurez affaire à un fanatique, et aloi's, comme d*un
côté il ne peut, le Koran à la main, vous faire aucune espèce
de concession, et que d'un autre il n*ose pas vous dire ce
qu'il pense parce que vous êtes le vainqueur, au lieu de
s*évertuer k combattre vos arguments, il se bornera à tour-
ner et retourner devant vous les grains de son chapelet, en
priant mentalement Dieu de débarrasser son pays de la pré-
sence des impies et des infidèles.
La conversion de ces gens-là étant donc démontrée impos-
sible, ce qu*il y a de mieux à faire avec eux, c'est de ne pas
nous occuper de leur religion : agir autrement serait nous
attirer de leur part un redoublement de haine sans résultat
aucun.
Je reviens au savoir-vivre.
Il y a, comme on a pu le voir, dans l'ensemble des règles
qui le constituent en pays arabe une grande ressemblance
entre nos pratiques et les leurs; mais il y a des différences
aussi. Chez nous, éviter les défauts que je viens de signaler
est le fait d'un homme à qui son éducation, son habitude de
voir le monde a donné du tact et de la tenue ; c'est le privi-
lège de certaines classes. Chez les Arabes, pas un, quelles
que soient sa naissance et sa position sociale, qui puisse mé-
connaître les minutieuses obli;,'ations qu'impose la fréquen-
tation du monde ; on peut être ignorant, on n'est pas mal
élevé.
Une autre différence est celle-ci ; nous n'avons pas, nous,
de règles invariables. C'est en général de Tusage, de la con-
LE SAVOIK-VIVRE 533
vention. Autant il est dangereux de s'affranchir de ces bien-
séances, autant il serait ridicule d^en proclamer sans cesse la
nécessité. Les Arabes, au contraire, dogmatisent sur ces
minuties avec autant de solennité que sur des points de con-
troverse religieuse. Je me trompe ; il n*y a point là de con-
troverse, ce sont des vérités fondamentales. Elles sont ac-
ceptées par tous, les yeux fermés, parce que c'est encore et
surtout de la religion.
CHAPITRE QUINZIÈME
PENSEES ET MAXIMES
Pensées religieuses ou mondaines, philosophiques ou poétiques.
— Elles soulèvent un coin du voile qui nous sépare de la
vie arahe. — L'Orient est resté immobile. — 11 ne vit que de
légendes et de traditions. — Dieu, la femme, la religion et
la guerre. — Il n'y a rien apri*s. — .Nous marchons, les
Arabes n'avancent ni ne reculent. — Se raeltront-ils e:i
chemin?
Ces pensées, que nous donnons avec intention dans le
désordre pittoresque où elles se sont produites, ont été re-
cueillies, pour la plupart, dans les fréquents entretiens qrne
j'eus avec Aab-el-Kader, à l'époque de son séjour forcé en
France. Je passai alors près de lui quatre mois consécutifs,
au fort Lamalgue, où il avait été d'abord interné, puis au
château de Pau, où, le général L'heureux et moi, nous eûmes
mission de le conduire en 1848 par ordre du gouvernement
On comprend ([ue, parlant moi-même arabe, je dus profiter
avec empressement de ces relations journalières avec l'illustre
captif, pour rassembler des renseignements précieux sur
cette civilisation arabe qui nous est encore si peu connue,
vérittible forteresse dont il est difficile de forcer l'entrée.
536 LA YIK ARABE
L'origine d'une grande partie de ce recueil explique naturel-
lement les allusions fréquentes qu\on y trouvera à la mau-
vaise fortune de l'émir, et leur donne, à ce titre, si je ne me
trompe, un attrait historique particulier.
Os pensées, alternativement religieuses ou mondaines*
philosophiques ou poétiques, jettent quelques rayons de lu-
mière sur un sujet presque ignoré encore, et que nous avons
tout intérêt à connaître. En nous initiant, dans une certaine
mesure, aux idées dominantes, à la littérature de ce peuple
si différent de nous, elles soulèvent, pour ainsi dire, un coin
de ce voile mystérieux qui, malgré la conquête et une domi-
nation déjà longue, nous sépare encore de la société arabe.
I
La fortune.
La fortune n'a qu'un œil placé sur le sommet de la téta.
Tant qu'elle ne vous a pas vu, elle vous prodigue les noms
les plus tendres, elle vous appelle son cher enfant et vous
comble de faveurs ; mais, un beau jour, elle vous prend dans
ses bras, vous élève jusqu'à elle, vous examine avec atten-
tion, et puis vous repousse avec horreur, en s'écriant :
« Va-t'en, va-t'en, je me suis trompée, non, tu n'es pas
mon fils. »
(L'émir Aabd-el-Kader, captif au fort Lamalgue \
Les différents âges de la vie.
On demandait à une femme arabe :
— Que pensez-vous d'un jeune homme de vingt ans ?
— C'est, dit-elle, un bouquet de jasmin.
PLNSÉKS ET MAXIMES 537
Et d'un homme de trente ans ?
Celui-là est un fruit uiùret savoureux.
Et d'un homme de quaraute ans ?
C'est un père de fils et de allés.
Et d'un homme de cinquante ans?
Il peut passer dans la catégorie des prédicateurs.
Et d'un homme de soixante ans ?
II n'est plus bon qu'à tousser et à gémir.
Le sultao-
Le sultan est un palais dont le visir est la porte. Si tu veux
passer par la croisée, tu risques fort de te rompre le cou.
L'antilope effrayée.
Ses yeux sont les yeux d'une antilope effrayée:
Elle respire Tair pur du désert ;
Elle ne vit que de laitage et de gibier,
Et son teint est bruni par le soleil.
Quand je mourrai, je veux qu'on lave mon corps avec ses
pleurs,
Et qu'on m'ensevelisse dans ses cheveux.
La victoire.
Allons, guerriers^ prenez la charge !
Vous avez le nez trop fier pour reculer :
Le fer ne se coupe qu'avec le fer,
Et si la parure des femmes, c'est la hhenna,
La parure des hommes, cVst le sang de l'oppresseur.
538 LA VIE ARABE
Aujourd'hui s'appellera le jour de la vengeance !
La victoire appartient à ceux qui savent mépriser la mort.
Les chagrins de m» monde.
Trois choses dans ce monde mettent à Tépreuve la patience
la plus rare, et font perdre la raison au plus sage :
L'obligation de quitter les lieux où Ton est né ;
La perte de ses amis ;
La séparation de celle qu*on aiuic.
(L'èmir Aabd-el-Kader, captif an fort Lamalgue.)
La langue.
La langue interroge Thomme, matin et soir.
Le malin : « Coium^nt vas-tu ? lui dit-elle.
— Bien, si lu ne me compromets pas. »
Et le soir: « Comment as-tu passé la journée? lui de-
mande-t-elle encore.
— Bien, si tu ne m'as pas compromis. »
Les yeux bit us.
Je t'aime, femme aux yeux bleus, parce que tes yeux sont
ceux de tous les oiseaux de race (des faucons).
Nos guerriors".
Les uns sont des lions qui défendent leurs petits,
Les autres sont des aigles qu'anime la vue du sang ;
Ceux-ci sont froids comme la neige qui lue,
Ceux-là sont vifs comme la poudre qui brûle.
PENSÉES ET MAXIMES * 539
Leurs chevaux mangent une orge pure,
On les abreuve du lait de nos chamelles,
Pour eux, le loin est toujours près ;
Sans nul doute, ils vaincront tous les peuples à chapeau
(les chrétiens),
La dernière heure.
11 est bien à plaindre, celui qui n*a ni mère, ni femme, ni
fille, pour l'assister à sa dernière heure.
Courage, d mon eœnr I
0 mon cœur, tu es saisi d'effroi;
Courage, ne redoute pas les coups des hardis combattants!
Jette-toi dans la mêlée, coupe le fer avec le fer.
Et sauve l'honneur des musulmans.
Celui qui cherche à ne jamais mourir.
Verra toujours ses vœux trompés.
(L'émir Aabd-cl-Kader, captif au fort Lamalgue.}
La gazelle.
Avant de l'avoir vue, je n'aurais jamais cru qu'il fût pos-
sible à la gazelle de prendre la forme d'une femme. Aujour-
d'hui, j'en suis certain.
L'amour.
L'amour commence par un regard, de même qu'un incen-
die commence par une étincelle.
Un sage, voyant un chasseur qui s'était arrêté pour causer
540 LA VIE ARABE
avec une jolie femme, lui cria : o 0 toi qui poursuis et lues
les animaux sauvages, prends garJe que cette femme ne te
prenne dans ses filets 1 »
Les griffes du lion.
Si le sultan vous attire à lui,
N'en montrez aucun orgueil ;
Et, s'il s'éloigne de vous,
N'en concevez aucun chagrin.
Rappelez-vous que les princes ont les caprices des enfants
et les griffes du lion.
La iiu du monde.
On demandait à un Arabe : « Crois-tu à la fin du monde ?
— Oui, répondit-il, depuis que j'ai perdu ma femme, la
moitié du monde a déjà disparu pour moi : et, quand je
mourrai à mon tour, l'autre moitié s'en ira. »
Le tomoK-il de l'amant.
Elle m'a fait dire : « Tu dors, et nous sommes séparés î »
J'ai répondu : « Oui, mais c'est pour reposer mes yeux des
pleurs qu'ils ont versés. »
Les honneurs et les richesses.
Celui qui recherche avec avidité les honneurs et les ri-
chesses, je le compare à un homme altéré qui veut étancher
sa soif avec de l'eau de la mer. Plus il boit, plus il veut
boire, et il boit ainsi jusqu'à ce qu'il finisse par en mourir.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif aa fort Lamalgne.)
PRNSI^IES KT MAXIMES r,41
»
(^ honbeur en oiAriage.
Les plus grandes présomptions de bonheur dans une
union sont les qualités suivantes : la beauté, la fécondité,
le bon caractère, l'origine, Tintelligence, la pureté et la
piété.
La beauté. — La femme qui est belleenchaîne les regards
de son mari, et les détourne des autres femmes. Elle Tem-
pèche de tomber dans le crime abominable de Tadullère.
La fécondité. — La femme féconde remplit l'un des
grands buts du mariBge.
Le bon caractère. — La femme d'un bon caractère est
pour son époux une couronne d*or; elle bannit de la maison
les tracas et les soucis.
Uorigine. — La femme de noble origine soutient son
mari dans les épreuves de la vie, l'encourage et donne à ses
enfants des sentiments généreux.
L'intelligence. — La femme intelligente aide son mari,
surveille sa fortune, et lui laisse tout son temps pour les
grandes affaires.
La pureté. — La femme pure obtient l'amour de son
mari et gagne son intimité. La nature nous porte à préférer
la personne que le premier nous avons aimée.
La piété. — Enfln, la femme pieuse coriserve la chasteté,
et donne à sa famille un parfum de sagesse et de religion.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif au fort Lamalgae.)
Tne ODce d'honneur.
Souviens-toi qu'une once d'honneur
Vaut mieux qu'un quintal d'or.
54â LA VIE ARABE
Le» conseLU.
Ne méprisez jamais les conseils, de quelque part qu'ils
viennent. Rappelez-vous que la perle est très-recherchée
malgré sa grossière enveloppe.
Le collier.
Au jour de son départ, nous nous volions des coups d'oeil ;
Une luèclie de ses cheveux flottait sur ma corde de cha-
meau ;
Puis mes pleurs ont coulé comme des perles liquides ;
Si j'avais pu les réunir, j*en aurais fait un collier pour son
cou.
Allons, mon cœur, sachez supporter la séparation :
Nul ne peut s'opposer à la volonté de Dieu ;
Et vous, mes yeux, quand je veux consoler mon cœur.
Ne venez plus me trahir par vos larmes !
Lo *'itir.
Le vizir peut être comparé à un homme qui serait monté
sur un lion : les passants tremblent en le voyant, et lui,
plus qu'eux encore, redoute sa monture.
Nos femmei.
Nos femmes, fraîches comme le coquelicot,
Ne sont-elles pas portées sur des chameaux.
PENSÉES ET MAXIMES 543
Ces vaisseaux de la terre,
Qui marchent du pas noble de Tautruche?
Ne sont-elles pas couvertes de voiles,
Qui, traînant loin derrière elles,
Désespèrent môme nos marabouts?
Ne sont-elles pas parées de corail,
De bijoux enrichis d'ornements.
Et le tatouage bleu de leur corps
Ne fait-il pas plaisir h voir ?
Tout en elles ravit Tesprit de ceux qui croient en Dieu ;
Vous diriez les fleurs des fèves- que TÉternel a créées.
L'ambition.
Quand Dieu veut perdre la fourmi, il lui donne des ailes ;
pleine de joie et d'orgueil, elle s'envole ; un petit oiseau
passe, la voit et la croque.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif an fort Lamalgue.)
Lo kadi.
Un kadiy voulant marier sa fille, s'adressa à son voisin
pour lui demander conseil. « Comment se fait-il, lui dit ce
dernier, que vous veniez me consulter, vous que l'on consulte
ordinairement ? — N'importe, reprit le kadi, j'attends de vous
un service, rendez-le-moi. — Eh bien, voici ce que j'ai à vous
dire :
« Le roi des Perses ne voulait pour sa fille que des hommes
riches ;
» Le roi des Roums — des chrétiens — préférait la beauté ;
» Le roi des Arabes recherchait l'origine ;
» Et notre prophète Mohhammed n'aimait que la piété.
» Voyez maintenant ce que vous voulez faire. »
!ii^ LA VIE ARABE
Le CAptif.
L'hoinnie ne peut avoir du large dans le cœur
Qu'autant qu*il en voit dans le ciel.
^L'émir Aabd-el-Kader, captif aa furt Lamalgue.)
Le« tourments de rn'nour.
Ah ! si les princes connaissaient les tourniçnts de Taniour,
S'ils savaient que c'est nn feu qui brûle dans la poitrine.
Ils ne puniraient que par la séparation,
Et ne récompenseraient que par la réunion.
La barbo blanche.
Quand la barbe commence à blanchir, prenez garde à vous :
L'heure du départ approche; mais pourquoi s*en attrister ?
Ce monde est faux et mensonger ;
Pendant quelques instants, on en savoure les biens ;
Puis il faut en reconnaître l'inanité.
Voyez : la mort a détruit toutes les générations;
Pauvre ou riche, il faut rentrer dans la poussière,
Et ni sultan ni vizir n'ont pu revenir à la vie.
Les palais eux-mêmes deviennent les tombeaux de leurs
maîtres.
(L'émir Anbd-el-Kader, captif au fort Lamalgue.)
L«> rheral que je veux.
Moi, je veux un cheval docile, qui aime à mâcher son mors,
Qui sache supporter la soif, qui sache supporter la faim.
Et qui fasse dans un jour la marche de cinq jours.
PENSÉES. ET MAXIMES 545
Il me portera dans la lente de Meryem — Marie,
Cette femme plus puissante que le bey de Mascara,
Lorsqu'il sort avec ses cavaliers rouges,
Au bruit des canons et des tambours.
L'une.
Celui qui n*a jamais chassé, ni aimé, ni tressailli au son
de la musique, ni recherché le parfum des ileui^s, né dites
pas que c'est un homme ; dites que c*est un âne.
La meiUeure des femmes.
La meilleure des femmes est celle qui porte un fils dans
son sein,
Qui en conduit un par la main,
Et dont un autre suit les pas.
«
Le choix.
Si tu veux te marier, informe-toi de la branche à laquelle
tu t'allies, sur quel arbre elle a poussé et quelle terre Ta
nourrie.
N'oublie pas que, si la racine communique au tronc ce
qu'elle a de bon, elle lui communique aussi ce qu'elle a de
mauvais.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif an fort Lamalgue.)
Les fleurs sans parfum.
Préférez la bonté à la beauté.
Il est dans le cœur humain d'aimer tout ce qui est beau ;
35
546 L\ VIE AUAnE
mais dans ce inonde combien ne trouve-t-on pas de fleurs
éclatantes qui brillent, plaisent à nos yeux, et pourtant sont
totalement dépourvues d'un doux et suave parfum.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif au fort Lamalgne.)
l-fl veuvo.
Par Dieu, je n'épouserais pas une veuve, ses yeux fussent-
ils les yeux de la gazelle :
Elle s*cntretient avec son mari, et pense à celui qui est
mort.
CoDsoils à suirre.
Ne vous attachez pas à un homme inhumain : tôt ou tard
vous le trouverez impitoyable pour vous comme pour les
autres.
Ne- parlez pas d'une chose que vous ne voudriez pas avoir
dite le lendemain.
Ne restez jamais seul avec une jolie femme, ne dussiez-
vous employer votre temps qu'à lire le Korau.
Le trésor.
Les richesses peuvent se perdre.
Les honneurs sont un nuage qui se dissipe ;
Mais les vrais amis sont un trésor qui reste.
(L'émir Aabd-el-Kadec, captif au fort Lamalgae.)
Ceux qu*il ne faut pa» coniolter.
Ne consultez jamais, ni l'ignorant, ni rennemi, ni l'en-
PENSÉES ET MAXIMES 547
vieux, ni rhoninie indécis, ni Thomme à deux visages, ni le
lâche, ni l'avare, ni l'amoureux :
L'ignorant induit en erreur;
L'ennemi veut votre perte ;
L'envieux ne désire jamais le bonheur d'autrui ;
L*homme indécis ne dit ni oui ni non ;
L'homme à deux visages veut contenter tout le monde ;
Le lâche a toujours la vue troublée ;
L'avare ne pense qu'à son trésor ;
Et l'amoureux est un esclave qui ne peut briser ses liens
pour dégager sa raison.
L'amant vaincu.
Je suis vaincu par Tamour ; mais elle est si belle, que je
ne suis point humilié par ma défaite.
Le mariage.
Lorsqu'un jeune homme se marie, le démon pousse un cri
affreux : les siiMis l'entourent aussitôt et lui demandent le
sujet de sa douleur.
— Un fils d'Adam, répond-il, vient encore de m' échapper.
L'œil et roreiUe. •
On demandait à un poète arabe comment il pouvait aimer
une femme qu'il ne connaissait même pas.
— Je l'aime, répondit-il, parce que, si Toeil n'a pas vu,
l'oreille a entendu, et que l'oreille a le pouvoir, aussi bien
que l'œil, de porter jusqu'au cœur les émotions passionnées
de rame.
548 LÀ VIE ARABE
a
Le cheval marabout.
Mon cheval vaut mieux que tout,
Mieux que mon père, mieux que mes oncles,
Mieux que les biens de cette terre ;
Aucun sultan n'a monté son pareil.
C'est un marabout, les femmes viennent le visiter.
L'homme.
Il y a trois sortes d'hommes : l'homme homme, l'homme
demi-homme, et Thomme qui n'est pas un homme.
Le premier est celui qui, ayant une grande expérience
des affaires, ne dédaigne pas de consulter.
Le second est celui qui, ne pouvant se fier à la solidité de
son jugement) a le bon sens de consulter.
Et le troisième est celui qui, dépourvu de toute capacité,
ne consulte jamais.
La ville antique.
Il était écrit sur la porte principale d'une ville de l'anti-
quité : « Pour entrer chez un sultan, il faut réunir les trois
conditions suivantes: Sagesse^ richesse et résignation.
Plus bas, on avait mis : « C't st faux ; si un homme possé-
dait seulement Tune de ces trois qualités, jamais il ne fran-
chirait la porte d'un palais. >
L'autre monde.
L'autre monde et celui-ci sont comme Torient et roccî-
PENSÉKS ET MAXIMES 549
dent : on ne peut se rapprocher de l'un sans s'éloigner de
l'autre.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif au fort Lamalgue.)
Le mouchoir de soie.
La tribu que tu vois arrêtée devant ce défilé,
Devant ce défilé couronné de combattants,
0 mon frère ! dis-moi comment elle passera ?
— Mon seul chagrin, c*est un mouchoir de soie,
Roulé autour d'un front orné de noirs cheveux.
Sans Djamila — la parfaite, — je n'ai plus qu'à jeter le
monde sur sa figure.
La grandeur d'iiino.
La meilleure manière de se débarrasser d*un ennemi dont
les sentiments sont élevés, c'est de lui pardonner : on en
fait un esclave.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif au fort Lamalgue.^
La solitude.
Allons, retirez-vous, souvenirs de ce monde !
 mes yeux, vous ne valez pas l'aile d'un moucheron.
Je suis connu par le buveur d'air, la nuit et les combats.
Je suis connu par le sabre, la plume et le papier,
Je suis plus aigu que la lance,
Et je supporte la faim comme le loup.
C'est égal, aujoui'd'hui, je veux la solitude;
La solitude, c'est le bonheur, le temps m'en a instruit ;
Jamais on ne me verra plus rechercher ni le cheval.
Ni les femmes, ni la cour d'un émir.
550 LA VIE ARABE
Le rendei-TOas.
Porte les yeux sur les douars des Angades,
Puis lève-les au ciel, et compte les étoiles.
Pense à nos montagnes, à leurs étroits sentiers ;
Pense à Tennemi où tu n'as pas d*amis ;
Viens seul, ni'a-t-elle dit, et ne compte que sjr ton
cœur.
La Mgesse.
Quand Dieu créa la sagesse, il lui dit: « Va-t'en. »
Quelque temps après, il lui cria : < Reviens. >
l^a trouvant fidèle et obéissante, il décida quMl ne la pla-
cerait que dans râuic de ses plus sincères adorateurs ; et
c'est ainsi qu'elle est devenue pour l'homme de bien ce que
sont les entraves pour le cheval.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif an fort Lamalgne.)
La pucf.
Quelle que soit sa faiblesse^ il ne faut jamais mépriser un
ennemi.
Combien de fois une simple puce n*a-t-elle pas empêché
un éléphant de se reposer, et combien de fois encore n'a-
t-elle pas causé des insomnies à un prince auguste et puis-
sant !
(L'émir Aabd-el-Kader, captif an fort Lamalgoe.)
Job.
Celui qui supporte patiemment les défauts de sa femme
PENSÉKS ET MAXIMES r»51
recevra des mains de Dieu une récompense semblable à celle
qu'il accorda à Job après ses longues souffrances.
La beauté.
Quoi qu'on en puisse dire, la beauté plaide puissamment
sa cause dans nos cœurs et sait toujours obtenir le pardon de
ses cruautés.
Souvent même elle gagne notre faveur, au point de nous
faire oublier ses crimes.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif an fort Lamalgae.)
La tourterelle.
En été, quand le sommeil a donné sa nourriture à mon
corps.
Quand l'œil de la lumière a dissipé les ombres de la nuit,
Et que la cbaleur mord tout jusqu'à la pierre,
Le chant de la tourterelle me remplit de désirs.
Au milieu des rameaux du palmier que le moindre vent
agile,
A côté de la feuille qui se plaint et soupire,
La passion la dévore.
Par ma tête ! elle réveille en moi les ardeurs des temps
passés.
Le kohhal.
Quand une femme s'est orné les yeux de kohhel, paré les
doigts de benna, et qu'elle a mâché le mesteka — résine du
lentisque — qui parfume l'haleine et rend les dents blan*
552 LA VIE ARABE
chesy elle devient plus agréable aux yeux de Dieu ; car elle
est plus aimée de son mari.
Jésui-Chrîtt.
On dit à Jésus-Christ {sid-na-Aïssa) :
— Au lieu de te fatiguer comme tu le fais, achète au
moins un âne pour te soulager dans tes courses.
— Je crois, répondit-il, être trop chéri de Dieu pour qu'il
m'impose Tobligation de le négliger pour un &ne. Celui qui
ne possède rien dans ce monde sera le plus riche dans
l'autre.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif aa fort Lamalgue.)
Mon père.
Hélas ! j'ai perdu mon père,
J*ai perdu la tige dont je suis un rameau.
C'était ma gloire, c'était mon sang ;
Un sort fatal a détruit mon bonheur.
Nos tribus étaient tîères d'un tel chef :
Il avait toutes les beautés de l'âme et du corps ,
Quand il sortait, c'était un lion superbe ;
Quand il rentrait, c'était un loup satisfait.
Sa tente renfermait des chevaux qui hennissaient,
Des chameaux qui portaient.
Et des moutons qui vêtaient ;
On l'appelait latente des invités de Dieu.
Il protégeait contre la colère des hommes ;
Sa main n'était jamais fermée ;
PENSÉES ET MAXIMES 553
Nul ne rentendit jamais questionner l'étranger,
Et ne le vit un seul jour manger seul.
Ah ! s'il était une rançon qui pût satisfaire la mort,
Nous nous réunirions tous pour la payer.
Ah ! si la douleur pouvait rappeler à la vie,
Notre douleur le ranimerait ;
Mais Dieu seul est éternel,
Et nous avons dû le déposer froid et nu dans la tombe.
Que le Tout-Puissant lui soit miséricordieux,
Et qu'il nous enrichisse de sa résignation !
L'insensé.
0 mon cœur ! pourquoi t'obstiner à faire remonter les
eaux vers les montagnes?
Ta es rinsensé qui poursuit le soleil.
Crois-moi, cesse d'aimer une femme qui ne le dira jamais
oui;
Le grain semé dans un sebkha (lac salé) ne produira jamais
d'épis.
La prudence.
Ne te mêle jamais de ce qui ne te i*cgarde pas. Rappelle-
toi que, lorsque les lévriers se disputent avec acharnement
un morceau de viande, s'ils voient passer un chacal , ils
abandonnent leur proie et se réunissent tous pour s'élancer
sur lui.
L'instruction.
Instruire de bonne heure, c'est graver sur le marbre ;
Mais instruire tard, c'est écrire sur le sable.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif au fort Lamalgne.)
554 LA VIE ARABE
Celle que j'aime.
Elle est fière, elle est noble, je Tai vu par écrit ;
Ses longs cheveux tombent avec grâce
Sur ses épaules larges et blanches ;
Ou dirait les plumes noires de l'autruche
Qui vit dans les pays déserts et surveille sa couvée.
Ses sourcils sont des arcs venus du pays des nègres.
Et ses cils, vous jureriez la barbe d'un épi de blé
Mûri par Tœil de la lumière (le soleil) au milieu de l'été.
Ses yeux sont ceux de la gazelle
Quand elle s'inquiète pour ses petits,
Ou bien c'est encore un éclair
Devançant le lonnerre au milieu de la nuit.
Sa bouche est pleine de grAce, sa salive, sucre et miel ;
Et ses dents bien rangés resserublent aux gréions
Que l'hiver en furie sème dans nos contrées.
Son cou, c'est Tétendard que plantent nos guerriers
Pour braver l'ennemi ou rallier les fuyards;
Et son corps sans défaut vient insulter au marbre
Qu'on emploie pour bâtir les colonnes de nos mosquées.
Blanche comme la lune que la nuit vient entourer,
Elle brille à l'égal de l'étoile qu'aucun nuage n'obscurcit ;
Dites-lui qu'elle a blessé son ami de deux coups de poi-
gnard, l'un aux yeux, l'autre au cœur.
L'amour n'est pas un fardeau léger.
Le poète.
Le poète ne se couvre de fleurs et n'est véritablement
PENSÉES ET MAXIMES 355
inspiré' que lorsqu'il est excité par une joie très-vive, ou
lorsqu'il est en proie à un profond chagrin.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif au fort Lamalgue.)
La cbose incompnrHble.
Pour soigner un malade,
Pour pleurer un mort,
Ou pour dissiper les chagrins,
fl n*y a rien de comparable à la femme.
La yie.
La vie est ainsi faite que, pour un jour de joie, on y compte
un mois de chagrin, et que, pour un mois de plaisir, on y
compte une année de douleur. Il n*y a de force qu*en Dieu.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif au fort Lamalgue.)
La cheral amoareux.
Sabok — le rapide, — pourquoi hennir ainsi?
Ton amour ne me laisse aucun repos.
Si tu veux les belles filles de nos chevaux.
Moi, je veux aussi celles qui mettent du noir à leurs pau-
pières.
La rieille femme.
Ne prenez jamais une femme plus vieille que vous.
D'ordinaire, un homme vaut mieux à l'extrémité qu'au
commencement de sa carrière. Pourquoi î Parce qu'alors il
a gagné en savoir, en expérience et en résignation ; son
556 LA VIE ARABE
humeur est plus égale, il est moins sujet à l'emporteiHent, et
sa fortune est assise. Mais en est-il de même pour la femme?
Non. Sa beauté passe, elle devient inféconde, elle devient
chagrine, maussade, et sou caractère va toujours s*ai-
grissant.
Si donc quelqu'un vient vous annoncer qu*il a épousé une
femme sur le retour, soyez certain qu*il a pris les deux tiers
du mal que renferme la vie d*une femme.
La piélé.
N*épousez jamais une femme pour son argent : la richesse
peut la rendre insolente ;
Ni pour sa beauté : sa beauté peut la perdre ;
Ëpousez-la pour sa piété.
(L*éinir Aabd-eUKader, captif aa fort Limalj^ae.)
Les richesses.
Les biens de ce monde portent rarement bonheur, et ils
nous privent presque toujours des avantages de l'autre.
Le repentir.
Le repentir d'un jour, c'est de se mettre en route, sans
savoir où Ton pourra trouver un gîte.
Le repentir d'une année, c'est de ne pas avoir semé ses
terres en temps convenable.
Et le repentir de toute] la vie, c'est d'avoir épousé une
femme sans s'être édifié sur sa famille, sur son caractère et
sur sa beauté.
PRNSÉES ET MAXIMES .VJ
Si nous étions des hommfis.
Si nous étions des hommes, et si vous étiez des femmes,
Jamais nous ne supporterions un pareil outrage ;
Mourir en braves ou faire mourir ses ennemis.
Voilà ce qui convient aux maîtres de Taraour-propre.
Mais, puisque vous êtes insensibles à la honte,
Prenez la parure des fiancées, ornez vos yeux de kohhel,
Teignez vos doigts avec du henna, et ne vous ménagez
pas les parfums.
Par Dieu, le maître du monde !
Vous n'avez été créés que pour porter nos vêtements,
Pour tisser des bernouss et pour soigner des enfants.
Le paradis de la (erre.
Le paradis de la terre se trouve sur le dos des chevaux^
Dans le fouillemcnt des livres,
Ou bien auprès d'une jolie femme.
Le coq.
On disait à un coq : < Tu n'es qu'un ingrat et un mauvais
cœur. On te nourrit bien, on te procure toutes les jouissances
de la vie, on te vante, on t'admire, et cependant, quand nous
voulons te caresser, tu nous fuis avec horreur. Vois l'oiseau
de race (tair el horr — le faucon), il n'a jamais vécu que
que dans les pays sauvages, et, s'il devient captif, il se résigne
immédiatement, s'habitue très-vite à son maître, ne veut
plus le quitter et se montre reconnaissant des bons traite-
ments dont il est l'objet.
558 LA VIE AHABE
— C'est vrai, répondit le coq ; mais, s'il avait vu saigner
el rôtir autant de ses semblables que j*ai vu de mes frères
passer à la broche, il ne tiendrait pas une autre conduite
que la mienne. >
(L*éniir Aabd-cUKader, captif au fort Lamalgue.)
La résignation.
Avec une corde très-solide, on avait attaché un chien au
cou d'un chameau. D'abord, faisant des efforts inouïs, il se
fil traîner et ne voulut pas marcher ; mais le chameau, fort
et vigoureux, Tenlraînait avec lui, sans môme s'apercevoir
de sa résistance. Bicîitôt, contusionné, déchiré, couvert de
sang et presque étranglé, le chien comprit que ce qu'il avait
de mieux à faire, c'était de se résigner.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif au fort Lairalgue.)
Le destin.
Le destin est pourvu d'une main garnie de cinq doigts de
fer. Quand il veut soumettre l'homme à sa volonté, il lui en
met deux sur les yeux, deux dans les oreilles, et, lui plaçant
le cinquième sur la bouche, il lui dit : < Tais*toi I »
^L'émir Aabd-ol-Kader, captif au fort Lamalgue.)
PENSftKS ET MAXIHRS 559
II
Toulon.
Toulon ! lu m'as comblé de faveurs et de bienfaits. Quelle
noblesse est la tienne, relevée connue elle l'est, par tous les
dons de la nature !
Je savais que lu étais une ville estimée par les hommes de
cœur, et je t ai trouvée préoccupée de raccueil honorable
que tu voulais m'accorder.
Les qualités de rhonime généreux se trouvent réunies
dans celui qui a la main libérale et la parole obligeante.
La poussière abattue par une pluie d'orage ne s'inquiète
pas de quelques gouttes de rosée.
Toulon ! couronne la liste de tes nobles qualités, aux-
quelles personne ne peut prétendre, et donne à IMiôte qui
est descendu chez loi, qui a reçu ton hospitalité, donne-lui
la permission de se rendre à la Mecque.
De cette manière, tous les maux qui Taccablent, toutes
les afflictions d'une mauvaise santé seront dissipés.
Alors, je te citerai dans un éloge qui fera mention de tes
hommes et de tes monuments.
Sois prospère, vaillante porte de la France ! toi qui, dans
la générosité, dans la guerre et dans la gloire, as toujours
tenu une place élevée.
Tu fais Tornement de ton pays ; il brille par l'éclat de ton
cortège guerrier, aussi bien que par la cavalcade de ta science.
Tu Tornes encore par tes vaisseaux, dont les corps sont
5C0 LA VIE ARABE
jeunes, dont l'haleine est du poison, et dont les soupirs sont
un feu qui embrase tout.
Voilà tes châteaux, voilà tes foudres lancées par tes canons !
voilà tes retranchements et ta nombreuse armée I
Quand Tennemi vint tenter chez toi une descente, il y
rencontra les traits enflammés que tu sais diriger dans les
ténèbres, et il dut se retirer avec la honte.
Tes habitants Vont qu'une seule occupation : ils étudient
la manière d*écraser la tête de leui*s jaloux adversaires.
Maintenant, 6 Touloi) ! si tu dis : < Tu m*as bien décrite, »
je répondrai : < Ma plume est impuissante à énumérer
toutes tes qualités. >
Puis je passerai à un autre sujet, et j'ajouterai : c Quelle
réponse feras-tu à celui qui est venu te visiter? • Il est
impossible que tu le laisses partir sans étancher sa soif ;
Car tu surpasses tous les rivaux que le monde peut t'op-
poser; tu sais garder ta parole et remplir tes engagements.
Que Dieu dirige tes lettres vers ceux qui sont tes hôtes !
qu'elles leur apportent des paroles de consolation et d'espé-
rance !
Àfm qu'ils puissent s'éloigner avec confiance, et jouissant
d'un bien-ôtre dont aucun danger ne pourra plus troubler la
sécurité (1).
(L'émir Aabd-el-Kader, captif an fort Lamalgae.)
(1) L'original de ces vers sur Toulon est encore entre mes mains; il
est écrit eu entier de la main d'Aabd-el-Kadcr, traduit et cerlilié par
M. le baron Rousseau, interprète principaTdo l'armée d'Afrique. Il m'a
été remis le 15 février 1848, alors que je me trouvais en mission au
fort Lamalgue. A cette époque, l'i'mir ne connnaissait pas la France,
mais instinctivement il cherchait à intéresser à son malheur tous ceux
qu'il supposait pouvoir lui être utile. J'eus l'honneur de lui présenter
alors une foule de personnes de distinction, et je déclare que pas une
seule ne se retira sans emporter une très-haute idée de Tesprit et du
caractère de Tillnstre captif.
PENSÉES ET MAXIMES 561
Le fat.
Celui qui n'a pas lu, pourquoi écrit-il?
11 perd l'encre de son écritoire.
Et celui qui n'a pas eu de bonnes fortunes, pourquoi
ment-il?
Il flétrit la réputation des mères de nos enfants.
L'absence.
Elle a dit : < 0 mon Dieu! rends-le-moi promptement,
Ne fais pas de peine à ceux qui se sont juré ;
N*as-tu pas fait entrer l'amour dans mon cœur.
De même que tu as donné le mouvement à mes doigts?
Tant qu'il sera loin, mon âme conservera le deuil,
Le henna ne teindra plus mes mains,
Le koheul ne noircira plus mes paupières,
Et personne, dans un sourire, ne verra plus mes dents. •
La science.
La science, c'est la pluie du ciel : quand une goutte d'eau
tombe dans une huître entr' ouverte, elle procj^iitia perle; si
elle tombe dans la bouche de la vipère, elle produit le poison.
(L'émir Aabd*el-Kader, captif au fort Lamalgue.)
La bienfaisance.
Soyez bienveillant pour tout le monde; et, dans la pra-
tique de la vie, donnez à chacun ce qui lui revient, en pro-
portion de son éducation et de son intelligence. Un médecin,
3G
502
LA VIE A^^ABE
quelle que soit sa science, ne peut appliquer le même remède
à tous les maux.
I.fl femme maigre.
Méfiez-vous de la femme qui est Irès-inaigre, qui est tou-
jours malade ou qui feint de Têtre, qui rit sans motif et qui
se plaint sans cesse, qui est jaune de couleur, et qui, après
avoir poussé un soupir vers le ciel, en pousse deux vers la
terre.
l'ne Ame errante.
Quand je ne serai plus et que mon âme errante promènera
son vol dans le désert, je penserai encore aux belles et aux
jeunes femmes que j*ai sauvées, le matin, à Theure des
combats, lorsqu'elles fuyaient éperdues, avec leurs voiles en
désordre
La terre.
Bien fous ceux qui ne veulent pas comprendre Tinanité
des cboses de ce monde ; car, chaque jour, la terre crie dans
les airs : «
« N*ayez aucune confiance on mol, mes paroles font rire
et mes actions font pleurer. »
(L'émir Aabd-el-Kader, captif au fort Lamalgne.)
Portrait d'un guerrier arabe.
Je n'ai jamais vu une peau recouvrant de la chair,
Ni chair recouvrant des tendons,
PENSÉES ET MAXIMES 563
Ni tendons recouvrant des os,
Comme sa peau, sa chair et ses tendons.
Il est impossible aussi de trouver un cœur logé dans une
poitrine d*honime,
Que Ton puisse comparer au sien.
Les Arabes vivent de leur gloire,
Que Dieu bénisse le lait qui les nourrit !
Ln bien-ftim/'C.
J*ai pensé à toi, ma bien-ainiée, lorsque, m'élançant dans
les hasards, j'ai vu les glaives nus étinceler autour de nous.
Lorsque des mains détachées par le sabre, s'envolaient
dans l'espace ;
Lorsque des têtes humaines roulaient, sanglantes, sous les
pieds de nos chevaux,
Oh ! alors le souvenir de ton amour remplissait mon âme,
et je sentais ma poitrine sur le point d'éclater ;
Elle devenait impuissante & comprimer les battements pré-
cipités de mon cœur.
(I/émir Aabd-el-Kader, captif au fort Lamalgue.)
Le chOTal rétif.
Mon cheval devient rétif devant ma tente :
Il a vu la maîtresse des bagues prête à partir ;
C'est aujourd'hui que les jeunes gens
Doivent mourir pour les femmes de la tribu.
Conseils d*iin pdre à son fils.
Aime les chevaux, les armes et lâchasse :
564 LA VIE ARABE
Par les chevaux, tu pourras te procurer les richesses, le
bien-être, et tu t'élèveras en dignité ;
Par les armes, tu écarteras le mal et tu te garantiras de
la méchanceté des hommes ;
Et par la chasse, tu apprendras la guerre, tu fortifieras
ta santé et lu banniras les chagrins.
Pensez h Taatre monde.
Vos enfants sont pour la tombe, vos palais pour la ruine.
Tout ce qui vit doit un jour disparaître.
0 mes amis, ne laissez pas la terre vous tromper et vous
trahir ;
Souvenez-vous que la mort est toujours debout au seuil de
votre porte.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif an fort Lamalgae.)
L'espèce humaine.
Les hommes sont faits^ les uns avec de l'or, les autres
avec de l'argent, et le plus grand nombre avec du cuivre.
N'acceptez chacun que pour sa valeur réelle.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif an fort Lamalgue.)
Dieu.
0 fils d'Adam, reconnais Dieu, et il te préservera;
Adore-le, et tu le trouveras.
Si tu as quelque chose à demander, ne t'adresse pas aux
hommes, demande-le au Tout-Puissant.
Sache que, quand bien même tout un peuple unirait ses
PENSr.ES ET MAXIMES 565
efforts contre toi, il ne pourrait te faire aucun mal si Dieu
daigne te couvrir de sa protection.
(L'émir Âabd-el-Kader, captif aa fort Lamalgue.)
L'amitié.
Je te le jure par Dieu, le maître du monde,
Jamais le soleil ne se lève sans que je pense à toi ;
Et, quand il se couche, ton souvenir est encore dans mon
cœur.
Suis-je avec des amis, je ne prends jamais la parole
Sans que tu sois le sujet de ma conversation ;
Et quand, consumé par une soif brûlante,
Je vais goûter à Teau la plus pure.
Je vois encore ton ombre dans le fond de mon verre.
(Vers adressés au colonel Daumas par l'émir Aabd*el-Kader, captif
au fort Lamalguo.)
La niéliance.
il faut se méfier d'un jeune homme quand on a une jolie
femme,
De sa femme quand on veut garder un secret,
Et d'un gueux quand on a de Targent.
L'Arabe du déscri.
Les habitants des villes sont fatalement contraints de re-
connaître un maître; mais, nous qui vivons sous la tente,
toujours prêts à la fuite comme au combat, nous ne recon-
naissons d*autre maître que Dieu.
S66 LA VIE ARABE
Le ffT.
La chose la plus forte que Dieu ait créée, c'est le fer.
Eh bien, le fer est vaincu par le feu,
Le feu par Teau,
L'eau par les chevaux, qui traversent à la nage les rivières
les plus profondes, et qui courent plus vite que les fleuves
les plus rapides;
Les chevaux par leurs cavaliers,
Les cavaliers par leurs femmes,
Les femmes par leurs enfants.
Les enfants par leurs maîtres,
Les maîtres par le sultan,
Et le sultan par la grande communauté des croyants.
Rien de nouveau.
Un lion vint un jour rôder autour d'une tente, s'empara de
celui qui l'habitait, le déchira et le mangea. La victime avait
poussé de grands cris ; là-dessus, la tribu de sortir et de
s'enquérir de la cause de ce tumulte. « Ce n'est rien, lui
dit-on ; le lion est venu et il a dévoré le maître d*une tente,
voilà tout »
(L'émir Aahd-el-Kader, captif an fortLamalgoe )
L'anuix-bie.
Lorsque les temps sont bouleversés, voici comment il
faut te conduire :
Avec des chanteurs, chante plus haut qu'eux ;
Avec ceux qui crient, crie plus fort qu'eux ;
PKNSÉES KT MAXIMES 567
Avec des gens honnêtes, soit plus honnête qu'eux ;
El avec des coquins, sois coquin plus qu'eux ;
Si lu trouves des chacals mangeant de la charogne, fais-
toi chacal et mange avec eux ; sans cela, ils te mangeront.
En un mot, rugis avec les lions, et, dans l'empire des
singes, cabriole mieux qu'eux (1).
Le mépris de lu mort.
Pourquoi la vie nous est-elle si chère? Parce qu'on a sous
les yeux tout le bien-être qu'on s'est créé ou qiii nous a éié
légué par nos pères; les richesses, les honneurs, la bonne
chère, les belles habitations, les lits moelleux, les jardins,
les eaux, les femmes et les enfants, et (|ue Ton se figure
l'autre monde comme étant totalement dépourvu de tous ces
avantages; mais, si, au contraire, on méprisait ce qui
nous réjouit tant sur cette terre, pour croire solidement que
le ciel nous donnera des jouissances bien supérieures, on ne
craindrait plus la mort.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif au fort Lamalgue.^
L'équitatioD.
Oui, donnez du talon à vos chevaux ;
Apprenez, et apprenez-leur ce qui vous servira ;
Dans ce monde, il faut qu'un jour ou l'autre
L'homme se rencontre avec son demandeur (le demandeur
de sa vie).
(1) Inutile d'ajouter que ces principes, en pays arabe, ne sunl suivis
que par les aveuturiers : malheureusement, ils y sont nombreux.
568 LA VIE ARABE
0 fils d'Adam!
0 fils d*Adam! tant que mon règne durera, ne redoute pas
les sultans, et mon règne ne périra pas.
0 fils d'Adam! ne mets ton espoir qu'en moi. Si tu te con-
fies à d'autres, tout bien t'échappera ; mais, si tu m'invoques,
tu me trouveras.
0 fils d'Adam I je t'ai créé pour m'adorer;
J'ai arrêté quelle serait ta fortune, ne te fatigue donc pas
à l'augmenter.
Ne sois pas cupide et ne t'inquiète de rien; si tu te
montres satisfait de la part que je t'ai faite, tu dormiras tran-
quille et je te chérirai ; si, au contraire, tu n'es pas content
de Ion sort, je susciterai contre toi les exigences de ce monde,
je t'abandonnerai et tu deviendras errant comme les ani-
maux sauvages, sans jamais rien obtenir au delà de ce que
je l'aurai assigné.
J'ai créé les sept deux et les sept terres sans me fatiguer,
pourquoi donc lue faliguerais-je à t' accorder ce qui me coû-
terait évidemment moins à faire?
0 fils d'Adam î je suis ton ami, j'ai le droit d'exiger ton
amour ; ne me demande jamais des choses déraisonnables,
injustes, et demain je ne te demanderai pas de comptes. Si je
ne suis point inflexible envers ceux qni me désobéissent, que
ferai-je donc, moi, le Tout-Puissant, pour ceux qui suivent
mes lois ?
Les hommes de m<i tribu.
Où sont les hommes de ma tribu ? où sont mes frères ?
Où sont ceux qui chantaient pour moi des chants d'amour ?
PENSÉKS ET MAXIMES 569
Où sont les braves qui méprisaient la mort !
Et qui criaient au jour du combat : c Je suis un tel, fils
d'un tel ! »
Enfants des Oulad-Yagoub (enfants de Jacob), me lais-
serez-vous conquérir par ces chiens altérés de sang ?
La jument noble (bhorra).
Ya hhorra ! ô la noble ! ô ma fille ! par votre honneur,
écoutez-moi : Je vous ai élevé de race en race, je vous ai
fait boire, sur In fin des nuits, du lait de chamelle, et ma
mère vous a donné ses soins. Tout le monde a les yeux sur
vous ; montrez à ces enfants du péché ce que vous savez
faire ; sauvez-vous et sauvez votre maître.
Le départ des amis.
Que de fois mon cœur et mes membres n'ont-ils pas été
brisés par le départ des amis 1
C'est quand on se sépare que la fortune semble nous don-
ner un avertissement.
Eloigné de vous, mes chers amis, je vais m'agiter dans
rétourdissemenl : le messager de l'avenir ne m'a-t-il pas
annoncé tous les maux qui m'attendent ?
Amis de cœur, vous, mes seuls amis ! En qui vais-je pla-
cer mes espérances quand vous serez loin de moi ?
Me voici comme Toiseau dont on a coupé les ailes, et qui
reste captif dans le filet des inquiétudes et du malheur.
Amis qui me quittez ! amis que je ne pourrai plus rem-
placer! quand me sera-t-il permis de vous revoir ?
Hélas ! comme votre absence va m'affliger! Où trouver la
570 LA VIE ARABE
consolation ? La résignation elle-même ne saura me la pro-
curer.
Si vous demandez en quel état je me trouve depuis notre
séparation ; par la main droite de Dieu, je ne sais plus où est
mon âme (i).
Salem .
Salem est mort le jour dun grand combat.
Mais il est mort en me sauvant la vie ;
J'en porterai le deuil, c'est un fils que j'ai perdu.
Je vous laisse les cbevaux, 6 pasteurs !
Ils me connaissent et je les connais ;
Le Temps (la Fortune) vient de me traliir,
Jamais je ne monterai plus ceux auxquels on met un frein.
Les épreuves.
Il y a dix choses que l'homme doit inévitablement con-
naître pendant sa vie :
Le plaisir et la douleur,
La réunion et la séparation,
L'aisance et la gêne,
La santé et la maladie,
La joie et le chagrin.
(L'émir 'Aabd-eUKador, captif au fort Lamalgae.\
(1) Vers adressés auv généraux L'heureui et Damnas, par Aabd-el-
Kader, quand, au boul d'une mission de quatre mois auprès de Témir,
ils durent s'en séparer après l'avoir conduit au cbàteau de Pau, par
ordre du gouvernement. Ils ont été traduits et certifiés par M. le ba-
ron Rousseau, interprète principal d j l'armée d'Afrique, et c'est là ace
constatation aussi précieuse qu'tionorable des égards que, tout en rem-
plissant nos dovoirs, nous n'avons cessé de témoigner à celui qui avait
si Doblemeroent défendu son pays.
PENSÉKS ET MAXIMES 571
La vertu des guerriers.
J ai dit à mon âme, prête à s*échapper comme une étin-
celle du soleil, pour fuir les hommes courageux qui lui fai-
saient face :
« N\iyez aucune crainte, restez sur la place du combat : la
fermeté est la vertu des guerriers : personne ne peut vivre
un seul jour au delà du terme que Dieu lui a fixé. >»
(L'émir Aabd-el-Kader, captif ao fort Lamalgoe.)
La confiance.
Ne mettez jamais votre confiance ni dans la Fortune, ni
dans les femmes;
Placez-la dans celui qui ne meurt pas (en Dieu).
(L'émir Aabd-el-Kader, captif au fort Lamal^e.)
Le silence.
On se repent rarement de s'être tu ;
On se repent souvent d'avoir trop parlé.
Le guerrier tftihi par la fortune.
J'iii préparé pour les combats un noble coursier aux for-
mes parfaites, qu'aucun autre n'égale en vitesse.
J*ai aussi un sabre étincelant, qui tranche d'un seul coup
le corps de mes ennemis.
Et cependant, la Fortune m'a traité comme si je n'avais ja-
mais goûté le plaisir de monter un buveur d'air ;
572 LA VIE ARABR
Comme si je n'avais jamais ressenti les douleurs de la sé-
paration ;
Comme si je n*avais jamais assisté au spectacle émouvant
de nos chevaux de race surprenant Tennemi à la pointe du
jour ;
Comme si, enfin, après une défaite, je n'avais jamais ra-
mené des fuyards aux combat, en leur criant :
c Fatmas ! filles de Fatmas ! La mort est une contribution
frappée sur nos têtes. Par Dieu, le maître du monde, tournez
l'encolure de vos chevaux et reprenez la charge. »
(L'émir Aabd-el-Kader, captif au fort Lamalgae.)
La femme issue du paradis.
Je voudrais être sa touba (robe) blanche,
Pour la garantir du froid et de la pluie ;
Je voudrais être ses belgha (pantoufles) rouges.
Pour la préserver des ronces et des épines ;
Ou mieux encore, la terre elle-même.
Pour la sentir me marcher sur les joues.
Oui, c'est une femme issue du paradis.
Si tu la vois, tu en deviendras fou ,
Et, si elle te quitte, tu en mourras.
Deux contre un.
On demandait à un chef arabe, renommé pour sa vail-
lance, couiment 11 se faisait que toujours il réussît à tner
ceux(iui avaient Taudace de se mesurer avec lui. t Lorsque
je livre un combat singulier, répondit-il, une voix intérieure
me crie que j'ai le pouvoir de tuer mon adversaire, et, de
I
PENSÉES ET MAXIMES 573
son côté, mon adversaire sent qu*il marche à la mort. Nous
sommes alors deux contre un, voilà tout mon seeret. »
Les sages.
Les sages, chez les Arabes, ont toujours conseillé de vivre
loin des sultans et des cours. Peu de personnes, disent-ils,
réussissent à échapper aux effets du poison, à la haine d'une
femme et à Tamitié d'un prince.
Le nageur (cheval de guerre).
Qu'est' devenu le temps où je montais un nageur
A l'œil noir, aux naseaux larges,
Aux membres secs, au cœur fidèle ?
C'était un épervier de carnage,
Et la vie ne valait plus rien pour moi
Dès que la bride n'était plus dans ma main.
J'étais jeune alors, je cherchais le péril.
Je me riais des corbeaux du malheur;
Le loin me paraissait toujours près,
Et ma tente regorgeait de butin.
Le courage.
Il a trois sortes de courages :
Le premier consiste à se placer au centre de l'armée, à
sortir des rangs, à brandir son sabre et à s'écrier : « Y a-t-il
quelqu'un ici qui ose se mesurer avec iioi? »
Le second consiste à ne jamais s'émouvoir ; à contenir sa
troupe avec fermeté, pour la faire concourir, en temps oppor-
tun, à Faction générale, lorsque la bataille est engagée.
574 LA VIE ARABE
Le troisième consiste à ne jamais désespérer, à réveiller,
par de nobles paroles, l'ardeur des siens, à frapper les
fuyards à la figure pour les ramener au combat, à ne pas
laisser enfin, entre les mains de Tennemi, le brave dont le
cheval a été tué. Ost à ce propos qu'on a dit :
« Le guerrier qui protège courageusement et habilement
une retraite, sera considéré dans Tautre monde à Tégal de
l'homme pieux qui intercède pour ceux qui sortent du droit
chemin. »
X'émir Aabd-el-Kader, captif au fort Lamalgne.)
L(} four à chaux.
•
Mon cœur, je le compare à un four à chaux :
Son feu calcine les pierres à Tintérieur,
Sans que la fumée paraisse à l'extérieur.
Les écueils.
Chaque chose a son écueil :
Quel est recueil de la sagesse ? la colère.
L'écueil de l'esprit? l'orgueil.
L'écueil du savoir? l'oubli.
L'écueil du discours ? le mensonge.
L'écueil de la bienfaisance? la vanité.
L'écueil de la générosité? la fréquentation des avares.
I/écueil de la force ? l'oppression.
L'écueil de la religion ? la négligence des pratiques.
Et recueil d'un noble cœur ? l'altrâit des voies nouvelles.
L'outrage.
Pardonner l'outrage, c'est marcher au mépris.
pensi^:es et maximes 575
Devant l'ennemi.
Devant Tcnnemi, conduis- toi de telle aorte que, si tu es
vaincu, on t'excuse. *
La retenue dans les discours
Si VOUS pouviez voir le registre où sont inscrites vos
bonnes et vos mauvaises actions, vous déchireriez votre
langue.
On demandait à un sage combien il comptait de vices dans
un fils d*Adam. « Ils sont si nombreux, répondit-il, qu'on
ne saurait en faire le calcul ; mais j'ai remarqué qu'une seule
vertu pouvait les racheter tous. — Et quelle est cette
vertu ? — La retenue et la convenance dans les discours. »
L'homme libre.
L'homme libre n'est qu'un esclave, s'il est cupide ;
Et l'esclave devient libre, s*il sait se contenter de peu.
(LV'iiiir Aabd-el-Kader, captif au fort Laroalgoe.)
L'orgueilleux.
Celui qui monte sur le minaret pour appeler les fidèles à
la prière (le mouddenn), en descend ensuite et vient s'age-
nouiller avec nous ; mais toi, parce que la fortune t'a favo-
risé, tu nous accables de tes dédains. Prends gardé, celui qui
ne dort jamais, te doit une punition.
5T6 LA VIE ARABE
Le conseil.
Le conseil est lourd pour celui qui le donne ;
Il est léger pour celui qui le reçoit.
Abraham, le chéri de Diea.
Abrabam, le chéri de Dieu, demanda un jour à Tan de
ses serviteurs comment il vivait.
— Comment je vis? lui répondit celui-ci, je vais vous en
instruire. Si j'ai de quoi manger, je mange ; si je n*ai rien à
manger, je patiente.
— Ce n*est pas assez, reprit notre seigneur Abraham, il
faut faire comme moi. Si j'ai de quoi manger, je mange et je
partage, et, si je n'ai rien à manger, je rends encore grâce
à Dieu.
Nos coursiers.
Nos nobles coursiers passent leur temps à rivaliser de vi-
Les femmes essuient avec leurs voiles la sueur qui ruis-
selle de leurs fronts.
Ils balancent la tête comme s'ils voulaient se débarrasser
des entraves qui les retiennent captifs, et ils sont attentifs
au moindre cri.
Sur leu r dos sont montés des lions féroces.
'L'émir Aabd-cl-Kader, captif au fort Lamalgue.)
PENSÉES ET MAXIMES 577
La fierté.
Il est des espèces de jalousies que Dieu admet, comme il
est des sentiments de fierté qu*ii approuve.
La jalousie que Dieu admet est celle qui nait d'un soupçou
légitime ; et la jalousie quUl réprouve est celle qui n'est ba-
sée sur aucun motif.
La fierté qu*il permet est celle qui anime Thomme dans
les combats ; et la fierté qu'il condamne est celle qui n'est
Tondée que sur une futile vanité.
L'aiguille.
Le sahre peut teindre en rouge sa lame étiucelante,
Et cependant l'aiguille passe là où il ne peut passer.
O qai plait à Dieu.
Uieu n'est plus agréable à Dieu qu*uue goutte de sang ré-
pandu pour sa cause, ou une larme glissant sur la joue, pen-
dant la nuit, par suite de la crainte qu'il inspire.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif ao fort Lamalgue.)
Le célibataire.
En temps de révolution, le célibataire, c'est l'oiseau de
race qui, fier, indépendant, cherche librement sa proie dans
les airs ; et l'homme marié, c'est le faucon captif qui, le ca-
puchon sur les yeux et la chaiue au pied, ne peut que se
conformer à Ih volonté de son maître.
(L'émir Aabd -el-Kader, captif au fort Lamalgue.)
37
578 LA VIE ARxVBE
Le baTeur d'air.
Ses oreilles rivalisent avec celles de la gazelle.
Ses yeux sont les yeux de la femme agaçante,
Son front ressemble à celui du taureau,
Ses narines à la caverne du lion.
Son encolure, ses épaules et sa croupe sont longues ;
II est large du siège, des membres et des flancs ;
Il a la queue de la vipère, les jarrets de l'autrucbe,
Et ses talons vigoureux sont éloignés du sol.
Je compte sur lui comme sur mon cœur ;
Aucun sultan n'a montré son pareil.
Une merreille de la nature.
Un chef arabe dit un jour à son fils :
— Parle peu, tu feras bien.
— Et si, en parlant beaucoup, répondit celui-ci, j'allais
faire mieux encore ?
— Dans ce cas, reprit le père, tu serais une merveille de
la nature.
L'ombre de Dieu sur la terre.
ê
• #
Un Arabe du désert demanda un jour à un sage quel était
cet homme portant le nom de sultan, devant qui tous les
dos se courbaient et toutes les têtes s'abaissaient.
— C'est, lui répondit-Il, roiubi'e de Dieu sur la terre ; on
doit le glorifier : s*il fait le bien, il en obtiendra la récom-
pense ; et, s'il fait le mal, ses sujets n'ont qu'à patienter, il
en sera sévèrement puni. Tout pasteur de peuple qui ne le
PENSÉES Eï MAXIMES 579
dirige pas avec justice et bonté est, tôt ou tard^ privé de la
miséricorde de Dieu.
(L'émir Aabd-el-Kader, caplif aa fort Lamalgoe.)
Lis couleurs.
Le jaune a de l'éclat et de la convenance,
Le rouge est vif et beau,
Le vert est entraînant,
Le noir est triste ;
Le blanc seul a de la grandeur et de la noblesse.
Saure-nous et saure nos chernux.
0 mou Dieu ! sauve-nous et sauve nos chevaux !
Chaque jour, nous couchons dans un pays nouveau ;
Pourvu qu'elle se rappelle nos veillées,
Avec les flûtes et les tambours I
Le guerrier de la TèriU.
Le guerrier de la vérité doit avoir :
Le courage du coq,
Le fouillement de la poule.
Le cœur du lion,
L'élaù du sanglier,
La ruse du renard,
La prudence du porc-épic,
La vélocité du loup,
La résignation du chien,
Et, enfin, la comploxion dunaguir (petit animal du Kho-
5S0 LA VIE AHABE
rassaQy tellement robuste, que sa santé ne peut être altérée
ni par les fatigues, ni par les privations.
L« vieillard.
Vieillard, n*épouse jamais une jeune fille,
Quand ses dents seraient des perles
Et ses joues des bouquets de roses :
Elle te mangerait ton bien et t'ensevelirait dans une natte.
L'Arabe nomade.
Dieu a diversifié les goûts et les caractères afin que, par
ce moyen, les hommes se ujissent d'accord sur^^e qui peut
être avantageux au plus grand nombre. Sans une grande va-
riété dans les aspirations, ils auraient tous voulu le pouvoir,
les honneurs, les richesses, les douceurs de la vie, et cela
n'aurait pu que nuire au bien-être général en détruisant
rharmonie sociale. Remercions le Tout - Puissant d'a-
voir su embellir aux yeux de chacun la position dans la-
quelle il se trouve ; grftce à sa prévoyance, des gens que l'on
serait tenté de plaindre se considèrent comme les plus heu-
reux des hommes. Ne soyons donc pas avides, et nous vi-
vrons en rois, ne dussions-nous avoir en partage que la paix
du cœur.
Voyez l'Arabe nomade : il campe dans une vaste plaine
où il n'entend que le cri du chacal et la voix de l'ange de la
mort.
Son habitation consiste en quelques pièces d'étoffes gros-
sières , tendues , puisque le bois lui manque, avec les os
des animaux qu'il a égorgés pour se nourrir.
Il a (levant sa tente ses cliaiiieaux, son cheval et son chien.
PENSÉES I:T maximes 5HI
et sous cette maison de poil, coin me il l'appelle, — bile -
echaar — ses enfants et ses femmes, dont les plus riches pa-
rures se composent de*pièces d'argent ou de cuivre enfilées
les unes au bout des autres.
Le soleil est le foyer où il se chauffe, la lune est son
flambeau ;
La chair et la laine du mouton suffisent à sa nourriture,
comme à son habillement;
Veut-il se réf;aler, il chasse Tautruche et la gazelle ;
Le lait et Teau du ciel, voilà toute sa boisson.
Est-il malade, les herbes du désert composent ses médi-
caments;
Quant aux parfums, il n*en connaît pas d'autres que les
odeurs du goudron, de la gazelle, et des plantes du Sahara.
Il se couche là où le surprend la nuit : sa demeure ne
peut crouler, elle défie les tremblements de terre.
Et cependant, cet homme est musulman, mais il a jeté le
monde sur sa figure ; il est loin du caprice des sultans, il est
content de son sort, et, dans sa rude existence, il rend encore
grâce à Dieu.
L'expérience.
La modestie dépend du savoir-vivre ;
Le bonheur, de la sécurité :
La bonne société, de la bonne éducation ;
La sagesse, de l'expérience,
Et rhomme expérimenté, pour la protection ou pour le
salut d'un pays, vaut souvent mieux qu'un guerrier re-
nommé.
5R2 LA VIË ARABE
La guerre sainte (djahad).
OÙ sont ces jeunes gens montés sur des chevaux de race.
Qui broient leur raors avec furie ?
Où sont ces bernouss noirs, ces étriers qui brillent.
Et ces longs éperons qui font marcher les morts?
Lorsqu'ils courent à la poudre,
Semblables à Tépervier, ils fondent sur le roumi — chré-
tien;
Avec leurs riches fusils, ils font craquer les os ;
C'est une pluie de sang qui tombe sur la contrée.
Ils sont partis : quels admirables cavaliers !
Notre émir marche à leur tête :
Vous diriez la lune suivie par les étoiles ;
Jamais femme n'enfantera leurs pareils.
0 mon Dieu ! vous à qui rien n*est impossible.
Rendez la victoire à nos drapeaux ;
Faites triompher les hommes qui vous ont vendu leurs
âmes,
Et rassasiez les vautours de la chair des impies.
La femme acariâtre.
La femme acariâtre est pour son époux ce qu*6st un lourd
fardeau pour un vieillard.
La femme douce et bonne est, au contraire, une couronne
d'or pour son mari. Chaque fois qu'il la regarde, son cœur
et ses yeux se réjouissent. . •
L'œil du prince.
De même que, par un miroir pur, net et bien poli, un
PENSÉES ET MAXIMES 383
souverain peut connattre sa laideur ou sa beauté, de même
par un ministre capable, intègre et fidèle, il connaîtra la va-
leur de ses actes, les besoins de ses sujets, la situation de
son empire.
L'œil du prince est Tornement d*un trône, c'est un vizir
qui sait la vérité et ne craint pas de la dire.
(L'émir Aabd-el-Kader, captif au fort Lamalgoe.)
Les caprices.
Un Arabe dit à Tun de ses amis :
— Vous êtes jeune, beau, riche et bien élevé, pourquoi ne
vous approchez'vous pas du prince ?
— Parce que, lui répondit-il, j'ai lu, j'ai entendu dire
et j*ai vu que le sultan donnait quelquefois vingt mille pièces
d'or à un bomme par caprice, et qu'il en faisait précipiter
un autre du haut des remparts sans motif. Or, comment
puis-je le rechercher, quand j'ignore si j'aurai le sort du
premier ou du dernier.
* Le langage.
On peut juger un homme par son langage, comme on
reconnaît au son qu'il rend l'état d'iin vase. Un sage a dit :
— Toutes les fois que je suis en présence d'yn homme, il
m'inspire un certain respect, jusqu'à ce qu'il ait parlé. Si je
le trouve éloquent et sage, ce respect ne fait que croître ;
mais, si je ne découvre chez lui ni esprit, ni jugement, il perd
toute considération à mes yeux.
O noir de mon œil!
0 noir de mon œil ! ô printemps de mon cœur!
Le destin nous a laissé la flèche perfide de la séparation ;
5S4 LA VIE ARABE
Mais, dès <|ue le vent qui vient de ta contrée
Soulève les bords frémissants de ma tente,
Je t'aspire, je te respire.
Et j*use mes paupières à te pleurer.
Reviens, reviens, je t'en conjure.
Par Dieu Tunique, tu ressusciteras un mort.
Prière.
0 mon Dieu ! préserve-nous de la misère, de la maladie
et de Tamour.
4
Instruc lions royales.
Un sultan célèbre avait préparé trois maximes sur trois
papiers différents, et les avait remis à son ministre, en lui
disant : « Lorsque vous me verrez sortir des voies de la sa-
gesse et de la raison, je vous donne l'ordre de me les pré-
senter Tune après Tautre.
Sur le premier était écrit :
« Vous n'êtes pas un Dieu, vous mourrez, et la terre
vous dévorera. »
Sur le second :
« Ayez cQAipassion de ceux qui sont sur cette terre, pour
que celui ((ui est au ciel vous soit un jour miséricordieux, n
Sur le troisième :
« Ne disposez de vos sujets que suivant la sagesse et les
préceptes de l'Eternel. »
Nous sommfs Arabes.
Nous sommes Ai*abes : c'est nous qui dédaignons ce
monde ;
PENSÉES ET MAXCMES 58r,
Le plus grand roi n'en a jamais einporli' qu'un linceul.
Noire vertu, c'est la résignation ;
Notre fortune, le mépris des richesses ;
Notre bonheur, l'espoir d'une autre vie ;
Et, si la misère vient à tourner autour de nous,
Nous n'en glorifions pas moins Dieu.
Tel est l'aperçu que je puis donner^ aujourd'hui de la litté-
rature, de la poésie et de la tournure d'esprit dés Arabes. On
y trouvera, si je ne me trompe, un mélange de naïveté et de
finesse, de mélancolie et de passion, d'originalité et d'éclat,
et cet ensemble de qualités opposées pourra nous initier
véritablement au caractère des races sémitiques. Montesquieu
a dit cependant : '
« Les poètes et les orateurs, mauvaise source d'informa-
tions pour rbistoire. »
Oui, chez les peuples latins, dont il a voulu parler, mais
non chez les Orientaux. Pourquoi ? Parce que l'organisation
sociale des Arabes les force d'une manière invincible à ne
vivre que de légendes et de traditions. L'Orient est resté
immobile ; tel il était, tel il demeure, et, si Abraham tombait
aujourd'hui du ciel dans une tribu quelconque, il reconnaî-
trait, toujours vivantes, les mœurs et les idées de son temps.
C'est donc dans leurs chants populaires, dans leurs sen-
tences et leurs dictons, dans leurs poètes et leurs trouvères,
ces gardiens héréditaires des pensées nationales, qu'il faut
encore aller chercher les meilleurs renseignements.
A présent, comme autrefois, ils n'ont que deux idées :
Dieu et la femme; deux passions : la religion et la guerre.
586 LA VIE ARABE
n n'y a rien après, et c'est ce rien qui fait la sépci ration per-
manente entre eux et nous.
Dans leur marche à travers l'humanité, les deux races eu-
ropéenne et sémitique s'avancent d*un pas inégal. Nous
avons augmenté, nous augmentons chaque jour les connais-
sances de nos ancêtres ; les Arabes, au contraire, prétendent
qu'ils n'ont rien de mieux à faire que de conserver les tradi-
tions des aïeux. Nous marchons, ils n'avancent ni ne re-
culent. Se mettront-ils en chemin? j'en doute.
FIN
TABLE
AvAJfT-PROPOS I
Prononciation approximative, en français, des lettres et des mots
arabes y
I. Les anciens Arabes. — Religions diverses. — Les idoles. —
La Kaaba et la pierre noire. — Le pèlerinage. — La Mecqne.
— L'àme après la mort. — Le prix da sang. — Diya. — Les
ogres et les démons. — Les devins, les sorciers. — La science
des races. — La science des traces. — Le Fal. — Le corbeau
de la séparation. — La seconde vue. — Préjugés divers. —
Anaibèmes. -^ Immolation des filles. — Défenses formelles du
Prophète. — Les dix usages conservés par Mahomet, — Usages
disparus 1
n. Les Arabes et l'islamisme. -^ Religion; le bouillon du chré-
tien et le bouillon du musulman; la queue du lévrier. — Écri-
ture arabe. — Correspondance. — Visites. — Salutations. —
Le titre de monseigneur, sidi. — Salamaleo. — Adieux 37
III. — Remerclments et souhaits, — Supplications. — Serments.
— Injures. — Imprécations. — Consolations. — Félicitations. 83
588 LA VIE ARABE
Pag#K
IV. Mort de la femme arabe. — Soins pendant la maladie. —
Provisions pour la dernière heure. — Recommandations de la
mère. — Demande de pardon. — Profession de foi. — La mort.
— Ablations. — Les linceals. — La réponse à l'ange interro-
gateur. — Chant des pleureuses. — Prières des tolbas. —
Chant de la gouala. — La prière des funérailles. — Inhuma-
tion. — Le fadaoua. — Le deuil. — Note de l'émir Aabd-eU
Kader ! 131
. V. — Phrases applicables aux hommes. -« Phrases applicables aux
femmes. — Phrases applicables aux chevaux. — Phrases ap-
plicables aux armes 149
VI. Le cheval arabe pur sang. — Lettre de Témir Aabd-el-
Kador au général Daumas. — Origine des chevaux arabes. —
Chevaux de race pure.— Chevaux dégénérés. — Le climal. —
La nourriture. — La boisson. — Le travail. — Croisement de
l'étalon anglais avec la jument arabe. — Prix qu'un attache
à la pureté du sang. — On la trouve dans le vrai désert. —
Course fabuleuse. — RéQexions de l'auteur ... !203
VII. — Dictons sur les villes cl sur les tribus. — Division da
temps. — Distance. — Quel âge as-tu? — Mets chez les Arabes. 125
VIII. Hospitalité. — Mahomet en fait un dogme. — Hospitalité
publique, religieuse et privée. — Le Senndouk, bahut des
Arabes. — Les Arabes sont des conteurs charmants. — La
Ghomza, clignement imperceptible de l'œil. — Cassez la glace,
vous trouverez l'hypocrisie. — La tente de campagne. — Gui-
toune. — Un invité de Dieu. — Les pantalons et les sous-
pieds. — Si vous no voyez pas la femme, elle vous verra. —
Défauts qu'il faut éviter à table. — Principes pour les invita-
tions. — Règles à obseivcr avec les invités. — Départ de
l'hôto. — Grâces accordées par Dieu à celui qui est hospitalier.
— La légende des sept cœurs. — Hospitalité de la mer !îftO
IX. Phrases utiles et lsoelles. — Apprenez cinq mots par jour.
— Adverbes. — Le mot temps. — Le mot tuer. — Le mol
âme. — Le mot respiration. — Le mot boire. — Le mot frap-
per. — Le mot nez. — 11 mange de ma ceinture. — Les Arabes
du milieu. — 11 a le sang jaune. — Rafraîchir la salive.— La
langue aral>e est un puits sans fond. — Reproches adressés
TABLE DES MATIÈRKS 589
Pages
au\ chréliens. — Les ordares de ce monde. — Le moul saa. —
La révolle. — Ils payeront l'ancien et le nouveau. — Le café
consolide les os et court dans les membres. — La tète de la
boutique. — La guerre. — Aujourd'hui, c'est le jour de la mort.
— Les impies couvrent l'œil du soleil. — La poudre a mangé
tous nos hommes. — Le troupeau sans berger. — Quel dom-
mage que les Français ne se fassent pas musulmans ! — 0 mon
Dieuy c'est toi qui nous as amené l'infidèle, c'est toi qui dois
nous l'enlever 331
X. Vigueur et sobriété. — L'émir Aahd-el-Kader dans la grande
Kabylie. — Les joueurs de flûte. — Un rekass ou messager
arabe. — Son portrait. — Trente heures de" marche; quatre
biscuits de soldat. — Dieu s'est chargé du reste. — Le trot du
chien. — Rencontre d'un lion. — Plantes et racines avec les-
quelles un homme peut vivre dans les pays sauvages. —
Exploits de Saaïdane, coureur arabe. — Le rheval de son ànie.
— Énergie des chasseurs du désert. — L'àme domine le ven-
tre. — Provisions des Touareg en expédition. — Manière de
boire le sang. — Comparaison entre un estomac sauvage et un
estomac civilisé 373
XI. — Hiérarchie arabe. — Formules religieuses. — Fêtes prin-
cipales. — La confiance en Dieu. — Maladies. — Animaux. —
Noins des jours et d»'S mois. — Points cardinaux. — Degrés de
parenté. — Numération. — Appellation des différentes langues.. 399
XII. — La Zyara. — L'Ouaada. — La Maaouna, chant de triom-
phe et chant de détresse, — Le Deker. — L'Amane. — Les
Khouane. — Les Moul-Saa. — Les Derkaoua 443
XI II. Proverbes et sentences. — Les proverbes sont nombreux
sous la tonte. — Le bhenna, c'est la terre du paradis. — La
femme est reine dans sa maison. — Où est passé votre argent,
à les chréliens? — La terre musulmane verse des pleurs de dé-
sespoir. — Le monde est avec celui qui est debout. — C'est
celui qui a mal aux dents qui doit courir après le dentiste. —
L'aigle lui-même ne peut pas voler sans plumes. — Le taureau
ne se fatigue pas de porter ses cornes. — Quand le cri de l'oi-
seau de race (faucon) se fait entendre, tous les coqs se taisent. 473
XIV. Le savoir-vivre. — Soyons humains, polis et bieuveillanl^
im LA VIE ARABE
pour les vaincus. — Lo itavoir-yivre est agréable à Bien. — Ne
jouez pas avec les chieos, ils so diraient vos cousins. — L'Arabe
est égoïste. — Les gens heureux portent bonheur. — N'oublies
ni lo bien ni le mal. — L'Arabe do bonne compagnie. — On
met le nom do Dieu partout. — Comment on se gare du mau-
vais œil. — Lo rouge et le jaune. — Usages délicats. — No
sifflez ni ne chantez auprès des tentes. — Comment on se dé-
barrasse des importuns. — Les cinq questions qu'il ne faut ja-
mais poser. — L'éi'ritun» du dcmon. — Orgueil effréné des
Arabes. — On peut être ignorant, on n'est pas mal élevé 905
XV. Penséks et maximes. — Pensées religieuses ou mondaines,
philosophiques ou poétiques. — Elles soulèvent un coin du
voile qui nous sépare de la vie arabe. — L'Orient est resté im-
mobile. •— U ne vit que do légendes et de traditions. -^ Dieu,
la femme, la religion ot la guerre. — U n'y a rien après. —
Nous marchons, les Arabes n'avancent ni ne reculent. — Se
mettront-ils en chemin ]f 533
Fl> nr. LA lABLI.
ClieliT — Imi'. M. Loigiio.i. l'aul Dupont cl C»c. r le du Jîae-U'Asnière», li.