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Full text of "La vie arabe et la société musulmane"

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K/:^ 


P      BIBLIOTHEQUE 
Ed.  bonnet,  q.  m.  p. 


JÙT 


LA   VIE    ARABE 


ET  LA 


^  .    ^ 


SOCIETE   MUSULMANE 


MICHEL    LÉVT    JRËRES,    ÉDITEUltS 


OUYI^AGES 


bv 


GÉNÉRAL    E.    DAUMAS 

Format  in-8*. 

Les    Chevaux     do     Sahara     et     les    Moeurs    du 

Désert 1  vol. 

Format  grand  ln-18. 

Les  Chevaux  du  Sahara  et  les  Moeurs  du  Dé- 
sert, 4«  édition,  revne  el  augmentée,  avec  des  commen- 
taires, par  Yémir  Abd-el-Kader 1  vol. 

Le    Grand    Désert,  en  collaboration  ayoc  M.  Ansone  do 

Chance!,  6«  édition 1  — 


CWthj.  —  Imp.  M.  LoirsHOif,  P.  IKpdm  et  C>e,  ran  du  Rac-d'Aïuièret,  là. 


LA 


VIE  ARABE 


ET    LA 


r  r 


SOCIETE    MUSULMANE 


pAn 


t         f 


LE    GENERAL    E.     DAUMAS 


ANCIEN      DIRECTEUR      DES      AFFAIRES      ARABES      E?f     ALGitRIE 
AlfClEN     DIRECTEUR      DES     AFFAIRES     DE      L'ALGÉRIE 
AU     MINISTÈRE     DE     LA     GUERRE 


PARIS 

MICHEL  LÉVY  FRÈRES,  ÉDITEURS 

SUE  TIVIENNE,    2  BIS,  ET  BOULEVARD  DES  ITALIENS,  1.% 
A  LA  LIBKAIIUB  NOUVELLE 


1869 
Droits  de  reproduction  et  do  traduction  réservée 


AVANT-PROPOS 


Après  avoir  publié  plusieurs  ouvrages  sur 
l'Algérie,  ouvrages  dans  lesquels  je  m'étais  pro- 
posé de  faire  connaître  un  peuple  si  différent  du 
portrait  que  l'opinion  s'en  était  formée,  je  vou- 
drais encore  faire  un  livre  qui  réunit  les  trois 
conditions  suivantes  : 

1"*  D'arriver  à  ce  résultat,  qu'en  apprenant 
l'arabe,  on  apprenne,  en  même  temps,  pour  ne 
pas  les  froisser  sans  nécessité,  la  religion,  les 
mœurs,  les  coutumes  et  même  les  préjugés  du 
peuple  vaincu. 

Montesquieu  a  dit  [Esprit  des  lois,  livre  X, 
chapitre  xi)  : 

«  Dans  les  conquêtes,  il  ne  suffit  pas  de  lais- 
ser à  la  nation  vaincue  ses  lois  :  il  est  peut- 
être  plus  nécessaire  de   lui  laisser  ses  mœurs. 


Il  AVANT-PROPOS 

parce  qu'un  peuple  connaît,    aime  et    défend 
toujours  plus  ses  mœurs  que  ses  lois.   » 

2o  De  contribuer,  ne  fût  ce  que  pour  une  faible 
part,  à  vulgariser,  je  ne  dis  pas  l'arabe  écrit, 
mais  Tarabe  parlé  suivant  le  génie  spécial  de  la 
langue,  c'est-à-dire  avec  des  idées  arabes  et  non 
avec  des  idées  françaises  exprimées  par  des 
mots  arabes. 

8®  Et  enfin  d'être  ainsi  utile  à  notre  armée, 
aux  magistrats,  aux  administrateurs,  aux  colons, 
aux  commerçants,  aux  voyageurs,  aux  explora- 
teurs, à  tous  ceux  qui.  Français  ou  non,  peuvent 
se  trouver  en  rapport  avec  la  société  musulmane. 

La  langue  arabe  est  composée  de  phrases  toutes 
faites,  de  formules  consacrées,  de  proverbes  et 
de  sentences  dans  lesquels  le  nom  de  Dieu  joue 
toujours  un  très-grand  rôle  et  qui  ne  sont,  en 
définitive,  que  l'habillement  des  mœurs  natio- 
nales. Ces  formules,  je  vais  essayer  de  les  faire 
connaître.  Tout  le  monde  les  sait  ;  il  nous  faut 
donc  les  savoir  pour  en  tirer  parti  dans  l'intérêt 
même  de  notre  domination,  ou  vivre  à  jamais 
avec  les  Arabes,  côte  à  côte,  ennemis,  étrangers, 
inconnus. 

Sans  la  connaissance  complète  du  peuple  qu'on 
a  la  prétention  non-seulement   de   gouverner, 


AVANT-PROPOS  m 

mais  encore  d'administrer,  on  n'arrivera  que 
très-difficilement,  suivant  moi,  à  un  système 
qui  permette  de  résoudre  cette  redoutable  ques- 
tion de  l'Algérie. 

Pourquoi?  parce  que,  sans  le  vouloir,  et 
même  avec  les  meilleures  intentions  du  monde, 
on  est  alors  fatalement  conduit  à  commettre 
de  ces  fautes  contre  la  religion  et  contre  les 
mœurs  que  les  vaincus  ne  pardonnent  jamais. 

Le  livre  que  j'annonce,  je  ne  l'ai  pas  trouvé 
dans  d'autres  livres,  mais  je  l'ai  rencontré  sous 
les  pas  de  mon  cheval,  pendant  mon  long 
séjour  en  Afrique,  fragment  par  fragment,  tan- 
tôt sous  la  tente,  tantôt  sous  le  gourbi  ;  un  jour 
assis  sur  la  natte  du  pauvre,  un  autre  sur  les 
tapis  du  riche.  Je  pourrais  presque  dire  qu'il  a 
été  fait  en  collaboration  avec  le  peuple  arabe 
tout  entier. 


Je  l'offre  à  l'armée. 


Qaï  E.  Daumas. 


PRONONCIATION   APPROXIMATIVE 


EN     FRANÇAIS 


DES   LETTRES    ET   DES    MOTS   ARABES 


L'alphabet  arabe  se  compose  de  vingt-huit  lettres: 
voici  : 


les 


Alif. 

Ba. 

Ta. 

Tsa. 

Djim. 

Hha. 

Kha. 

Dal. 

Dzal. 

Ra. 

Zine. 

Sine. 

Chine. 

Sad. 


I 


z 
z 


Dad. 

(> 

Tha. 

\0 

Dha. 

là 

Aalne. 

t 

Chine. 

^0 

m 

t 

Fa. 

• 

Kaf. 

• 

(3 

Kaf. 

d 

Lam. 

J 

Mime. 

r 

Noun. 

1 

Ha. 

^ 

Ouaou. 

^ 

Ya. 

^ 

VI  LA    VIE    ARABE 

Sur  ces  vingt-huit  lettres,  cinq  seulement  représentent 
des  sons  que  nous  ne  pouvons  obtenir  avec  les  lettres  de 
Talphabet  français. 

Le      9»  hha. 
Le      ^  kha. 
Le      ^  aaïne. 
Le      ^  ghine. 
Et  le  (3  kaf. 

Bien  qu'aucun  système  de  transcription  ne  puisse  être 
rigoureusement  exact,  les  signes  de  convention  suivants 
feront  reconnattre  ces  cinq  lettres  et  indiqueront,  si  Ton 
observe  exactement  mes  prescriptions,  comment  il  faut  faire 
pour  arriver  à  les  prononcer  de  manière  à  être  compris  fies 
Arabes. 

LE  ^   HHA 

Toutes  les  fois  que,  dans  un  mot  arabe,  au  commencement, 
au  milieu  ou  à  la  un,  on  trouvera  pour  signe  de  convention 
deux  hh,  il  faut  les  faire  sortir  du  fond  du  gosier  par  une 
expiration  prolongée  et  en  ouvrant  la  bouche,  comme  si,  en 
français,  il  y  avait  deux  Aft  dans  le  mot  hommage. 

Exemples  : 

Commencement  4u  mot.  hhadid^  fer. 

Milieu  du  mot nehheb^  j'aime. 

Fin  du  mot sebahh^  matin. 

Maintenant,  n'allez  pas  confondre  le  hha  ^^  deux  hh, 
avec  le  /la  ^ ,  une  seule  h.  Cette  dernière  lettre,  il  faut  la 
prononcer  tout  simplement  comme  notre  h  aspirée  :  héros, 
haine. 


PRONONCIATION    APPROXIMATIVE  m 

Exemples  : 

Commencement  du  mot.  hiya^  elle. 

Milieu  du  mot kakoua^  café. 

Fin  du  mot Allah^  Dieu. 

On  a,  je  le  sais,  montré  souvent  de  la  répugnance  pour  les 
lettres  redoublées.  Je  me  permets  de  ne  pas  être  de  cet  avis. 
Suivant  moi,  leur  secours  est  indispensable  dans  l'arabe 
parlé,  notamment  pour  reproduire  en  français  le  ^ ,  kha^ 
et  le  ^ ,  aaïne. 

Exemples  : 

Ihheb  ouldou,  ^yec  deux  AA,  cela  veut  dire  :  il  aime  son 
enfant. 

Iheb  ouldoUy  avec  une  seule  A,  cela  voudrait  dire:  il 
souffle  son  enfant. 

El  aamer,  avec  deux  aa^  cela  veut  dire  :  la  vie. 

£1  amery  avec  un  seul  a,  cela  veut  dire  :  Tordre. 

En  voilà  assez  sur  ce  sujet  inépuisable. 

LE  ^   KHA 

Toutes  les  fois  que  dans  un  mot,  au  commencement,  au 
milieu  ou  à  la  fin,  vous  trouverez  le  signe  de  convention  kh^ 
pour  arriver  à  prononcer  cette  lettre,  faites  une  expiration 
accentuée,  brève,  accompagnée  d'un  raclement  de  gosier, 
comme  si  vous  vouliez  cracher  pour  en  expulser  un  corps 
étranger;  vous  obtiendrez  alors  le  kh,  qui  n*est  au  surplus 
que  le  ch  des  Allemands  et  le  ;  des  Espagnols. 

Exemples  : 

Commencement  du  mot.  khéima,  tente. 

Milieu  du  mot nekhallif  je  laisse. 

Fin  du  mot tobbakh^  cuisinier. 


VIII  LA    VIE    ARABE 

Pour  le  ^  kha,  qui  est  peut-être  la  lettre  la  plus  diffi- 
cile à  prononcer  de  lalphabet  arabe ,  j'ai  d*abord  voulu 
adopter  un  autre  signe  conventionnel  que  le  kh,  mais  j'y  ai 
renoncé.  Pourquoi  ?  parce  que  tous  ceux  que  Ton  peut  indi- 
quer ont  le  ^M'ave  inconvénient  de  provoquer  des  méprises 
regrettables,  que  le  kh  adopté  par  de  savants  orientalistes 
est  connu  depuis  longtemps,  et  qu'après  tout  on  ne  peut 
détruire  leur  ouvrage  qu*à  la  condition  de  faire  mieux. 

LE    t   AAÏNE 

Toutes  les  fois  que,  dans  un  mot,  au  commencement,  au 
milieu  ou  à  la  fin,  vous  trouverez  pour  signe  de  convention 
deux  fl,  à  la  suite  l'un  de  l'autre,  faites-les  sentir  en  les 
prononçant,  non  du  bout  des  dents,  mais  comme  s'ils  ve- 
naient du  fond  du  gosier.  Vous  obtiendrez  ainsi  le  aaine^  et 
on  ne  pourra  plus  le  confondre  avec  Yalif^  que  je  représen- 
terai par  un  seul  a.  Cette  dernière  lettre  peut,  sans  incon- 
vénient aucun,  être  prononcée  comme  la  lettre  a  de  notre 
alphabet. 

Exemples  : 

Commencement  du  mot.  aaïne,  œil. 

Au  milieu  du  mot chaaraj  cheveu. 

Fin  du  mot cliemaa,  cire. 

LE  ^  GUINË 

Toutes  les  fois  que,  dans  un  mot,  au  commencement,  au 
milieu  ou  à  la  fin,  vous  trouverez  le  signe  de  convention  gh^ 
prononcez-le  comme  la  lettre  r  de  notre  alphabet,  mais  for- 
tement grasseyée  comme  on  le  fait  à  Paris  et  à  Marseille. 


PRONONCIATION    APPROXIMATIVE  ix 

Exemples  * 

Commencement  du  mot.  ghira^  jalousie. 

Milieu  du  mot agha,  aga. 

Fin  du  mot seboghy  il  a  teint. 

L'observation  que  j*ai  faite  à  propos  du  ^  kha^  est  appli- 
cable en  tous  points  au  i  ghine,  que  nous  continuerons  à 
représenter  par  un  gh. 


Toutes  les  fois  que,  dans  un  mot,  au  commencement,  au 
milieu  ou  à  la  fin,  vous  trouverez  le  signe  conventionnel  k 
barré  en  dessous,  faites  partir  cette  lettre  du  fond  du  gosier 
et  vous  obtiendrez  le  son  arabe  kaf,  dont  le  mot  coq  peut,  à 
la  rigueur,  donner  une  idée. 

Exemples  : 

Commencement  du  mot .  kadi^  juge. 

Au  milieu  du  mot nekra^  je  lis. 

À  la  fin  du  mot menntok^  prononciation. 

N*allez  pas  confondre  le  signe  conventionnel  k  barré  en 
dessous  avec  le  k  non  barré  en  dessous,  qui,  au  lieu  de  se 
prononcer  comme  coq  ,  ûçix  tout  simplement  se  prononcer 
comme  la  lettre  k  de  notre  alphabet  :  kilogramme,  kiosque, 
kilomètre. 

Exemples  : 

Kafer,  infidèle. 

Netkellem,  je  parle. 

Allah  issellmeky  que  Dieu  te  sauve. 


LA    VIE    ARABE 


Dans  certaines  contrées,  on  remplace  le  k  barré  en  des- 
sous par  un  g  dur. 
Exemples  : 

Kalliy  il  m'a  dit,  se  prononce  alors  galli. 


AUTRES    DIFFICULTÉS 

Dans  la  reproduction  en  français  des  sons  représentés  par 
les  lettres  de  Talphabet  arabe,  il  y  a  encore  d'autres  difficul- 
tés; mais,  comme,  à  tout  prendre,  on  approche  beaucoup  de 
la  véiîté  avec  les  lettres  de  notre  alphabet,  ne  pouvant  faire 
mieux,  conservons-les.  Avec  de  la  bonne  volonté,  on  nous 
comprendra  encore. 

Ainsi  pour  le  c:>  ta  y  \e  \ù>  tsa,  qui  n*est  autre  que  le  th 
doux  anglais»  et  le  b  tha  y  servons-nous  de  notre  t  ;  il  suffira 
pour  les  commençants. 

Pour  le  ^  dalj  le  3  dzal,  le  jo  dad  et  le  da  lô,  em- 
ployons tout  simplement  notre  d. 

Pour  le  jM  dite  et  le  ^  sad,  gardons  notre  8  ou  notre  c, 
en  attendant  que  la  pratique  nous  apprenne  que  le  cine 
doit  être  prononcé  comme  dans  maçon  et  le  sad  avec  un 
peu  plus  d'emphase  que  dans  sentment. 

Et  enfin,  je  représenterai  le  chine  par  cA,  qu'il  faut 
prononcer  comme  dans  les  mots  :  cheval^  chameau. 

Quand  on  apprendra  Tarabe,  et  si  Ton  veut  un  jour  le  bien 
parler,  il  faudra  donc  se  former,  le  plus  tôt  possible,  To- 
reille  et  le  gosier  à  reproduire  des  sous  justes  :  tronqués  ou 
émis  mal  à  propos,  ils  pourraieat  changer  totalement  le  sens 


PRONONCIATION    APP;iOXlMATIVE  \i 

du  mot  que  Ton  veut  indiquer.  Entre  un  nombre  considé- 
rable d'exemples  que  je  pourrais  citer  à  l'appui  de  cette  re- 
commandation, je  vais  seulement  en  donner  un, mais  des' 
plus  saillants  : 

Lion  se  dit  ax>m  cebaa. 
Matin  ^Lo  sebdhh. 

Chapelet     ^^s^  cebhha. 
Sept  Hxj^jkié  cebaaa 

Doigt         ^jua  sebaa. 

Dans  ces  mots,  les  nuances,  au  premier  abord,  paraissent 
iùsignifiantes,  quand  elles  ont,  au  contraire,  une  grande  im- 
portance. En  effet,  si  vous  ne  les  prononciez  pas  suivant 
l'orthographe  qui  leur  est  propre,  ou  si,  par  défaut  d'atten- 
tion, vous  y  glissiez  une  lettre  à  la  place  d'une  autre,  il  pour- 
rait parfaitement  arriver  que  l'on  comprit  tout  autre  chose 
que  ce  que  vous  auriez  voulu  exprimer. 


RÈGLES     ADOPTÉES 

Maintenant,  je  crois  devoir  prévenir  que,  dans  le  courant 
de  cet  ouvrage^  j'essayerai  toujours  de  représenter,  en 
français,  l'arabe,  non  comme  on  l'écrit,  mais  comme  on  le 
parle. 

Partant  de  là,  le  mot  temps^  qui  s'écrit  zeman  eu  arabe, 
doit  se  prononcer  zemane  : 

Religion  s'écrit  lUUy  et  doit  se  prononcer  dine. 

Croire  s'écrit  amen,  et  doit  se  prononcer  amenn. 

Il  est  mort  s'écrit  matj  et  doit  se  prononcer  mate^  etc. ,  etc. 


XII  LA    VIE    ARABE 

C*est  même  pour  n'avoir  pas  connu  ou  suivi  cette  règle 
qu'il  nous  est  arrivé  d'estropier  la  plupart  des  noms  arabes. 
Tout  le  monde  sait  aujourd'hui  que  : 

De  amir  el  moumenine^  le  commandeur  des  croyants,  nous 
avons  fait  le  miramoUn. 

Et  de  salahh  ed-dine,  le  protecteur  de  la  religion,  le  sul- 
tan Saladin^  etc.,  etc. 

Pour  atteindre  la  plus  grande  exactitude  possible  dans  la 
prononciation,  il  m'arrivera  aussi,  très-souvent,  de  réunir 
plusieurs  mots  au  lieu  de  les  séparer.  Ainsi  : 

Au  nom  de  Dieu^  s'écrit  en  trois  mots  :  bi  essem  Allah  ; 
je  n'en  ferai  qu'un  seul  :  bessemellah. 

S'il  platt  à  Dieu,  s'écrit  en  trois  mots  :  an  cha  Allah  ;  je 
n'en  ferai  également  qu'un  seul,  ennchaallah^  et  ainsi  de 
suite,  toutes  les  fois  que  cela  sera  nécessaire. 


OBSERVATION     CAPITALE 

Après  tout  ce  que  je  viens  de  dire  sur  la  manière  de  pro- 
noncer l'arabe  parlé,  il  me  reste  encore  une  observation  ca- 
pitale à  faire:  c'est  qu'outre  les  mots,  il  y  a  les  gestes,  et  que 
ceux-ci  modifient,  augmentent,  diminuent,  remplacent  même 
complètement  la  parole.  Ainsi,  sans  parler,  on  dit  :  «  Oui,  non, 
bon,  mauvais,  viens,  pars;  »  on  exprime  la  confiance  en  Dieu, 
l'admiration,  le  dédain,  le  doute,  et,  par  un  reniflement 
très-prononcé,  le  mépris,  la  bravade  et  le  défi. 

Ces  gestes,  je  ne  puis  les  représenter  ici  ;  mais  qu'on  ob- 
serve, et  la  pratique  les  apprendra.  En  attendant,  tenez  pour 


PRONONCIATION    APPROXIMATIVE  iiii 

certain  que  la  langue  arabe  comporte  une  mimique  trës-dé- 
veloppée. 


ARABE     LITTRIiAL,     ARABE    VULGAIRE 

Maintenant,  dans  la  langue  parlée,  y  a-t-il  un  arabe  sa- 
vant et  un  arabe  vulgaire?  Non. 

De  même  qu'il  y  a  en  France  un  français  que  Ton  parle 
mieux  dans  certaines  provinces  que  dans  d'autres,  il  y  a  un 
arabe  que  Ton  prononce  et  que  Ton  parle  mieux  dans  cer- 
taines contrées  que  dans  d'autres. 

Il  n'existe  donc  qu'une  seule  langue  arabe,  avec  une  pro- 
nonciation parfois  différente  et  avec  une  tendance  indiscu- 
table à  faire  souvent  plus  de  fautes,  contre  les  règles,  ici 
qu'ailleurs.  N'en  est-il  pas  de  mémo  partout? 

Cette  opinion  que,  dans  Tarabe  parlé,  il  n'y  a  pas  de  dis- 
tinction à  faire  entre  l'arabe  littéral  et  Tarabe  vulgaire,  est 
aussi  celle  de  M.  Bresnier,  professeur  d'arabe  h  la  chaire 
publique  et  à  l'Ecole  normale  d'Alger'. 

Dans  son  excellent  ouvrage  :  Principes  élémentaires  delà 
langue  arabe^  1867,  il  a  dit  avec  un  grand  sens,  suivant 
moi: 

«  Une  différence  très-explicable  d'expressions  et  de  pro- 
nonciation chez  les  Arabes,  a  fdit  croire  à  des  personnes 
peu  habituées  à  la  pratique  qu'il  existait  plusieurs  langues 
arabes.  Sans  réfléchir  que  des  incorrections  tolérées  ou  arbi- 
traires, dans  le  langage  comme  dans  l'orthographe,  ne  con- 
stituent jitmais  que  des  altérations  de  principes,  et  non  un 


xiT  LA    VIE    ARABE 

idiome,  on  a,  en  Europe,  par  défaut  d'expérience,  consacré 
sérieusement  la  distinction  étrange  (Varabe  littéral  et  d'a- 
rabe vulgaire.  Que  dirions-nous  d'étrangers  qui  diviseraient 
ainsi  notre  langue,  parce  que,  dans  Tusage  populaire,  ils 
observent  des  altérations  qu'ils  ne  comprennent  pas.  ^ 

C*est  encore  l'avis  du  savant  orientaliste,  M.  le  baron  de 
Slane,  membre  de  l'Institut,  professeur  d'arabe  à  TÉcole  des 
langues  orientales.  Voici  comment  il  s'exprime  : 

«  La  distinction  qu'on  a  voulu  faire  en  Europe  entre  l'a- 
rabe littéraire  et  l'arabe  vulgaire  est  tout  à  fait  imaginaire. 
Il  n'existe  pas  d'arabe  vulgaire  ;  dans  tous  les  pays  musul- 
mans, la  langue  arabe  est  une  et  la  même.  Elle  ne  diffère, 
de  pays  en  pays,  que  par  certaines  locutions,  certains  tours 
usités  dans  la  vie  ordinaire,  et  certaines  nuances  de  pranon- 
ciation  ;  mais,  au  fond>  tous  les  Arabes,  tant  de  TOrient  que 
de  l'Occident,  parlent  la  même  langue,  celle  qui  se  parlait 
du  temps  des  anciens  kalifes,  et  ils  s'entendent  très-bien 
entre  eux.  » 

Mais,  quand  on  ne  se  fait  pas  comprendre,  il  est  si  com- 
mode de  dire  :  «  Il  n'y  a  là  rien  d'étonnant  !  ces  gens-là  ne 
savent  pas  l'arabe  savant,  l'arabe  littéral,  d 

Quand,  en  1838,  j'étais  capitaine  au  !2«  chasseurs  d'A- 
frique et  consul  de  France  à  Mascara»  un  personnage,  qui  se 
croyait  très-fort  en  arabe,  vint  m'y  demander  l'hospitalité. 
Admis  quelques  jours  après  en  présence  d'Aabd-el-Kader, 
de  qui  il  avait  sollicité  une  audience,  et  introduit  dans  la 
salle  du  commandement  où  l'attendait  l'émir,  entouré  d'une 
douzaine  de  chefs  à  barbe  blanche,  d'un  aspect  vraiment 
imposant ,  il  lui  débita  un  discours  qu'il  avait  préparé  avec 
soin,  étudié,  appris  par  cœur,  et  même  écrit'  pour  en  être 
plus  sûr.  L'émir  l'écouta  patiemment;  puis,  se  tournant 
vers  moi.  Il  m'adressa  ces  paroles  : 


PRONONCIATION    APPROXIMATIVE  xt 

—  Daumas,  qu'est-ce  qu'a  dit  le  chrétien?  {Ya  Doumass, 
ach  gai  erroumi  ?) 

Mon  hôle  parut  alors  vivement  contrarié,  et,  lorsqu'il  se 
retira,  on  Tentendit  plusieurs  fois  répétor  avec  animation: 

—  Mais,  si  Aabd-el-Kader  ne  m'a  pas  compris,  c'est  qu'il 
ne  sait  pas  l'arabe  savant  ! 


LA    VIE    ARABE 


CHAPITRE    PREMIEU 


LES     ANCIENS      ARABES 

Religions  diverses.  —  Les  idoles.  —  La  Kaaba  et  la  pierre 
noire.— Le  pèlerinage.  —  La  Mecque.  —  L'àme  après  la  mort. 

—  Le  prix  du  sang.  —  Diya.  -—  Les  ogres  et  les  démons.  — 
Los  devins,  les  sorciers.  —  Ia  science  des  races.  —  La 
science  des  traces.  —  Le  Fal.  —  Le  corbeau  de  la  séparation. 

—  La  seconde  vue.  —  Préjugés  divers.  —  Anathèmes.  — 
Immolation  dos  filles.  —  Défenses  formelles  du  prophète. 

—  Les  dix  usages  conservés  par  Mahomet.  — Usages  disparus. 

Dans  ce  livre,  je  veux  essayer  de  faire  connaître  les  Arabes 
de  l'Algérie,  je  désire  révéler  les  traits  distinctifs  de  leur 
caractère;  mais,  avant  d*appeler  Tattention  sur  ce  qu'il  peut 
avoir  d'exlraordinaire,  d'original  ou  même  de  poétique  pour 
nous  autres  Européens,  il  me  paraît  indispensable  de  dire 
quel  était  Tétat  social  des  enfants  d'Ismaël  avant  l'apparition 
de  leur  prophète  Mohhammed,  de  celui  qu'ils  appellent  l'en- 
voyé de  Uieu.  Rassoul  Allah» 

1 


2  LA     VIE    AILVBE 

En  comparant  ce  qu'ils  sont  aujourd'hui  avec  ce  qu'ils 
étaient  autrefois,  on  pourra,  je  crois,  mieux  se  rendre  compte 
d'une  foule  de  pratiques,  d'usages  plus  ou  moins  bizarres 
conservés  ou  tombés  en  désuétude,  on  pourra  mieux  com- 
prendre enfin  ce  peuple  aussi  étrange  que  peu  connu. 

Tout  le  monde  s'accorde  à  reconnaître  que  la  loi  imposée 
par  Mohhammed  aux  Arabes,  ou  plutôt  qu'il  sut  leur  faire 
accepter,  est  un  progrès  sur  l'état  religieux,  moral  et  social 
qui  existait  avant  sa  venue. 

Au  polythéisme,  au  fétichisme,  à  l'idolâtrie,  il  substitua 
le  culte  d'un  seul  Dieu.  Il  restreignit  la  polygamie,  adoucit 
l'esclavage,  améliora  la  condition  des  personnes. 

A  ce  pêle-mêle  de  tribus  aussi  différentes  que  nombreuses, 
dont  les  esprits  étaient  mobiles  et  les  habitudes  nomades,  et 
(jui  ne  reconnaissaient  d'autre  gouvernement  que  celui  de 
leurs  chefs,  d'autres  lois  que  celles  de  la  force,  il  donna  la 
communauté  des  croyances,  la  conformité  des  lois  civiles  et 
politiques,  en  les  rattachant  toutes  par  le  lien  commun  d'une 
même  tradition. 

S'il  ne  réussit  que  pour  un  temps  à  faire  une  nation  de 
ces  peuplades,  nation  qui  fut  un  moment,  et  fort  peu  d'an- 
nées après  lui,  la  plus  puissante  et  la  plus  éclairée  et  qui  a 
laissé  des  empires  redoutables  pendant  longtemps,  impo- 
sants encore,  il  parvint  cependant  à  faire  des  Arabes,  en 
quelque  lieu  qu'ils  vivent,  un  peuple  dont  la  vitalité  dis- 
tincte et  caractéristique  ne  semble  pas  près  de  disparaître. 

Aussi  les  indifférents,  les  ennemis  mêmes,  comme  les 
amis,  concèdent-ils  tous  au  prophète  arabe  le  titre  de  civili- 
sateur 

Quel  était  le  degré  de  la  sauvagerie  que  Mohliamined  a 
remplacée  pur  risla!nisme  ?  on  le  saura  par  tout  ce  que  les 
croyances  p  «pulaires,  les  chroniques  et  les  réviis  légendaires 


LES    ANCIENS    ARABES  ;; 

vfHil  nous  apprendre  do  T Arabie  antique;  et,  si  je  n'ai  pas  la 
prétention  de  faire  ici  une  œuvre  d*érudit  et  de  critique, 
j'ai  du  moins  celle  de  rester  un  narrateur  curieux  et  aussi 
fidèle  que  possible  de  l'inconnu. 

J'entre  en  matière. 

Du  tqmps  de  leurs  aïeux,  les  Arabes  allaient  taire  leui*s 
dévotions  dans  un  temple  situé  à  la  Mecque.  11  avait  été 
construit  par  notre  seigneur  Abraham,  qui  lui  avait  donné  le 
nom  de  Kaaba^  et  il  renfermait  la  fameuse  pierre  noire  que 
range  Gabriel  était  censé  lui  avoir  apportée  du  ciel  pour  isanc- 
lifier  la  maison  de  Dieu.  Dite  Allah.  On  voyait  dans  ce  présent 
la  preuve  que  la  race  arabe  était  privilégiée  entre  toutes. 

On  aimait  à  la  trouver  aussi  dans  cette  source  miraculeuse 
que  Dieu  fil  jaillir  sous  les  pieds.  d'Ismaël  pour  apaiser  sa 
soif  quand,  par  suite  de  la  jalousie  tyrannique  de  Sarab, 
femme  légitime  de  son  père  Abraham,  il  fut  chassé  et  aban- 
donné avec  sa  mère  Agar,  Hadje%\  dans  les  environs  de  la 
Mecque,  qui  était  alors  un  lieu  complètement  désert.  Cette 
source,  contenue  et  aménagée,  prit  plus  tard  {e  nom  de  fij/r 
Zem-Zem^  le  puils  de  Zem-Zem^  et,  aujourd'hui,  nul  ne  re** 
vient  encore  du  pèlerinage  saps  rapporter  dans  sa  famille  au 
inoins  un  flacon,  Zem-Zemiyay  de  cette  eau  sacrée.  On  rem- 
ploiera à  puiifier  le  linceul  des  morts. 

La  pierre  noire,  dans  le  principe,  ét^it  un  rubis,  y^- 
koute^  mais  les  péchés  des  hommes  l'ont  noircie.  Elle  a  tes 
yeux  et  une  langue,  elle  voit,  elle  entend,  et,  au  jour  du  ju- 
gement dernier,  elle  coudra  témoignage  pour  ceux  qui  Tair- 
ront  baisée,  contre  ceux  qui  l'auront  dédaignée. 

Il  est  curieux  de  considérer  que  la  représentatioi)  de  la  Di- 
vinité par  une  pierre  noire  a  été  de  tout  teuips,  en  Asie  Mi- 
neure, admise  et  reconnue.  Elle  arriva  en  Grèce  sous  le  nom 
de  Cybèle  ;  h  Rome,  sons  celui  de  la  Qr^pde  Déesse,  an^^pée 


4  LA    VIE    ARABE 

eu  procession  par  Héliogabalc,  empereur  et  prêtre  de  ce 
culte.  On  l'avait  connue  dans  Tancienne  Lydie,  elle  avait  pé- 
nétré en  Asie,  en  Phénicie  :  Hérodote  en  parle,  et  aussi  tout 
rOrient  grec  l'adorait.  Qui  peut  savoir  pourquoi  des  peuples 
de  races  différentes  et,  à  certains  égards,  de  même  civilisa- 
tion, représentaient,  sous  celte  forme  primitive  et  presque 
sacrée,  la  Divinité  î  Pour  moi,  qui  n'ai  point  à  entrer  dans 
le  fond  d'une  question  de  ce  genre,  je  serais  tenté  de  donner 
pour  origine  à  ce  Culte  quelque  pierre  d'aérolithe  devenue 
bientôt,  comme  les  boucliôi's  de  Numa,des  emblèmes  mêmes 
de  la  Divinité. 

Suivant  certaines  traditions,  la  Kaaba  existait  mille  ans 
avant  le  premier  homme  ;  les  anges  et  les  démons  y  allaient 
en  pèlerinage,  et,  quand  Adam  fut  chassé  du  paradis,  c'est 
devant  la  Kaaba  qu'il  s'arrêta. 

Pendant  longtemps,  on  y  adora  le  vrai  Dieu,  le  Dieu 
unique,  proclamé  par  Abraham  ;  plus  tard,  ce  culte  pur  fut 
remplacé  par  une  idolâtrie  confuse,  et  une  grande  diversité 
de  religions  et  de  superstitions  régnait  dans  les  familles, 
dans  les  tribus  qui  constituaient  le  peuple  arabe  et  en 
faisaient  une  espèce  de  république  composée  de  fiefs  héré- 
ditaires. 

Un  certain  nombre  d'entre  elles,  nous  citerons  les  llahéaa^ 
les  Gliossane  et  les  Koddaa,  professaient  la  religion  chré- 
tienne. 

La  religion  juive  était  suivie  à  Houmayr  par  les  Béni" 
Kenanate,  les  Beni-Haredy  les  Beni-Kaah  et  Koudate. 

Les  Tamime  pratiquaient  la  religiou  dite  Madjouciya.  Ils 
se  prosternaient  devant  les  arbres  et  le  feu. 

C'est  chez  eux  que  vivait  Alaay,  fils  de  Zérara-ben- 

doKSSy  qui  épousa  sa  propre  fille. 

Une  sorte  de  polythéisme,  connu  sous  le  nom  de  Zetidaka^ 


LES    ANCIENS    ARABES  5 

avait  fait  invasion  chez  les  Koraiche.  Cette  Unbu,  à  la- 
quelle appartient  Mohhammed,  était,  par  son  habitation  sur 
le  territoire  de  la  Mecque,  par  la  possession  de  la  Kaaha  et 
par  les  fonctions  sacrées  qui  lui  étaient  dévolues,  désignée 
aux  respects  et  aussi  aux  jalousies  des  autres  tribus. 

La  religion  la  plus  répandue  sous  diverses  formes  était 
ridolâtrie.  On  adorait  des  plantes,  des  animaux,  le  cheval,  le 
chameau,  le  palmier,  etc.,  etc. 

Au  nombre  des  tribus  idolâtres,  se  trouvaient  les  Béni- 
KhelifUj  qui  avaient  pris  ce  cuite  des  Aamelek.  Un  nommé 
Ben-Yahya  la  Jeur  avait  apportée  de  Syrie,  où  iJs  voya- 
geaient. Ils  pensaient  que  les  idoles  pouvaient  leur  donner 
de  l'eau,  quand  ils  en  avaient  besoin;  et  c'est  à  elles  qu'ils 
s'adressaient  dans  toutes  les  circonstances  de  la  vie. 

Les  premiers  adorateurs  des  pierres  furent  les  Béni- 
Smaïl —  Ismaël.  Voici  comment: 

Forcés  de  quitter  les  environs  de  la  Mecque,  il  se  disper- 
sèrent en  emportant  chacun  une  pierre  du  Hharam.  Dans  le 
principe,  leur  inlenlion  ne  fut  que  de  continuer  un  honneur 
traditionnel  rendu  à  ce  temple,  rappelé  par  les  pierres 
qu'ils  déposaient  là  où  ils  s'établissaient  et  autour  des- 
quelles ils  pratiquaient  des  cérémonies  religieuses.  Ces  cé- 
rémonies se  transformèrent  plus  tard  en  une  adoration  vé- 
ritable, de  sorte  qu'après  plusieurs  générations,  les  ensei- 
gnements des  ancêtres  furent  complètement  oubliés  et  que 
les  Beni-Smaïl  n'eurent  plus  pour  toute  Divinité  que  des 
statues. 

Les  Koraïche  se  donnèrent  aussi  une  idole  et  l'érigèrent 
auprès  d'un  puits,  au  centre  iln  la  Raaba.  Elle  se  nommait 
Babel.  Puis  deux  autres,  Assaf  et  ^aila  lui  furent  al- 
joinles  et  placées  auprès  du  Hyr  Zem-Zem. 

Assaf  était   un  homme,  et  Nada  une  femme  ;  ils  avaient 


0  LA    VIE    ARABE 

souillé  Ja  Kaaba  du  spectacle  de  leul*s  amours  impurs  et 
avaient  été  Changés  en  pierre. 

Les  Beni-Kenanate  possédaient  égaieincnt  une  idole,  El 
Aaz%a,  que  conservaient  les  Beni-^Chibane. 

Les  Toukûis  habitaient  ElTaye:  ils  adoraient  £i  La/a, 
qlii  était  placé  chez  les  Beni-Mouguite.  —  A  côté  d'eux , 
d'autres  tribus  vénéraient  la  lune  et  les  étoiles. 

Manate  était  le  nom  de  Tidolc  honorée  par  les  Aouss  et  les 
Khe%rodj. 

On  le  voit,  Tidolâtrie  était  partout  chez  les  Arabes  ;  leur 
superstition  était  telle,  quMls  n'entreprenaient  jamais  un 
voyage  sans  consulter  leur  idole  et  qu'au  retour»  avant  de 
revoir  leur  famille,  ils  s'empressaient  encore  à  lui  rendre 
hommage. 

l'ai  dit  l'origine  qu'on  assigne  aux  idoles  des  Beni-Smail 
et  des  Koraïche  ;  les  traditions  variaient  pour  les  autres. 

Voici  les  légendes  les  plus  répandues  :  on  prétend  que  les 
enfants  d'Adam  se  nommaient  Yakoute,  Ydouk  et  Nesrane  ; 
ils  étaient  religieux,  adoraient  le  vrai  Dieu,  Dieu  l'unique. 
Un  des  trois  frères  mourut,  les  deux  autres  portèrent  son 
deuil.  IjC  démon,  voyant  leur  douleur,  vint  les  trouver  et 
leur  persuada  de  mettre  dans  le  temple  l'effigie  de  celui 
qu'ils  pleuraient.  Ils  suivirent  son  conseil. 

Un  second  frèi'e  étant  venu  à  mourir,  son  effigie,  exécutée 
en  cuivre  et  en  plomb,  fut  également  placée  dans  le  temple, 
ainsi  que  celle  du  troisième  frère  lorsqu'il  trépassa.  L'exemple 
fut  imité.  C'est  ainsi  que,  le  démon  ayant  détourné  l'esprit 
des  hommes  du  culte  de  Dieu,  ils  perdirent  peu  à  peu  les 
traces  de  la  vraie  religion. 

Les  hommes  adorèrent  donc  les  représentations  de  leurs 
aïeux  jusqu'à  Sid-na  Nohheu,  notre  seigneur  Noé,  qui  s'ef- 
força vainement  de  les  faire  renoncer  à  celte  coutume.  F^e 


LES    ANCIENS    ARABES  7 

déluge  vint  ;  il  détruisit  les  idolâtres  et  enfouit  les  idoles 
sous  la  terre  ;  mais  le  démon  les  déterra  et  les  fit  encore 
accepter  par  les  peuples  nouveaux. 

Une  autre  version  assigne  pour  origine  à  l'idolâtrie  Ta- 
inour  des  populations  pour  Yakoute^  Yaotik^  Nesrane,  Oud- 
demi  et  Souaane,  gens  de  bien  qui  ont  vécu  dans  la  période 
comprise  entre  Adam  etNoé. 

Conseillées  par  le  démon  et  mues  par  le  désir  de  conser- 
ver l'image  de  ces  hommes  afin  de  mieux  rappeler  leurs 
préceptes,  elles  en  auraient  d*abord  drossé  Teffigie;  puis  se- 
rait venue  une  génération  ignorante  qui,  tout  en  maintenant 
des  noms  vénérés,  aurait  fait  des  dieux  de  ces  vains  simu- 
lacres. 

Yakoute  était  représenté  sous  la  forme  d'un  lion;  Yaouk, 
sous  celle  d'une  jument  ;  Nesrane,  sous  la  forme  d'un  aigle; 
Ouddenn,  sous  celle  d'un  homme,  et  Souaane,  sous  celle 
d'une  femme.  Le  culte  des  idoles  serait  donc  né  du  regret  des 
vivants  pour  les  morts. 

Il  faut  qu'il  y  ait  du  vrai  dans  cette  assertion.  Salomon  a 
dit  dans  le  livre  de  la  Sagesse  : 

«  Un  père  affligé  de  la  mort  prématurée  de  son  fils,  fit 
faire  l'image  de  celui  qui  lui  avait  été  ravi  sitôt,  et  il  com- 
mença à  adorer,  comme  son  dieu,  celui  qui,  comme  homme, 
venait  de  mourir;  il  lui  établit,  parmi  ses  serviteurs,  un 
culte  et  des  sacrifices. 

j>  Avec  le  temps  et  l'habitude,  cette  erreur  se  changea  en 
loi,  et  Tordre  des  princes  fit  adorer  des  morceaux  de  bois 
sculptés. 

»  Et  pour  ceux  qui  étaient  bien  loin  et  absents,  et  qui 
manquaient  à  l'affection  des  proches,  on  en  fit  des  por- 
traits qu'on  honora  comme  la  personne  même. 


8  LA    VIE    ARABE 

»  Et  le  peuple  ignorant,  séduit  par  la  beauté  des  sculp- 
tures, fit  vite  un  dieu  du  portrait  d'un  homme  honoré.  » 

Maintenant,  Salomon  a-t-il  emprunté  cette  idée  aux  Arabes, 
les  Arabes  Tont-ils  prise  de  lui,  ou  bien  encore  est-elle  com- 
mune à  tous  les  peuples  de  ce  temps-là  ?  C'est  là  une  ques- 
tion imporlanle  que  je  me  déclare  hors  d'état  de  résoudre. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  Kaaba,  cet  oratoire  d'Abraham  et 
d'Ismaël,  en  était  venue  à  recevoir  dans  son  sein  trois  cent 
soixante  idoles  dont  les  traditions  étaient  chères  à  tous  les 
Arabes.  Ils  en  avaient  fait  un  lieu  de  pèlerinage  remarquable 
par  son  luxe,  par  ses  richesses,  et  tous  professaient  un  pro- 
fond respect  pour  ce  lieu  sacré. 

Mohhammed  conserva  ce  pèlennage  et  ce  fut  un  coup  de 
génie.  Créateur  d'une  religion  nouvelle,  il  se  donnait  ainsi 
l'avantage  de  la  tradition,  l'autorité  du  passé,  et  le  concours 
des  populations  elles-mêmes ,  dont  il  paraissait  maintenu* 
les  usages.  Mais  il  changea  tout  et  agrandit  tout.  La  Mecque, 
avant  lui,  réunissait  les  seules  tribus  de  la  péninsule  ara- 
bique :  elles  y  venaient  plus  pour  le  commerce  que  pour  la 
religion,  et  plus  pour  la  religion  que  pour  la  politique;  une 
sorte  de  fôte  fédérale  en  l'honneur  des  dieux  locaux  de 
chaque  peuplade,  quatre  mois  de  trêve  aux  guerres  civiles 
pour  laisser  à  la  foire  commune  le  temps  et  le  moyen  de  se 
tenir  ;  puis  chacun  s'en  allait,  et  rien  de  général  ne  sortait 
de  cette  assemblée  qui,  composée  de  tribus  trop  éloignées 
les  unes  des  autres,  bien  qu'avec  le  même  genre  de  vie,  ne 
donnait  pas  le  résultat  politique  atteint  ailleurs  par  des 
fêtes  pareilles  chez  les  Latins  et  chez  les  Grecs.  L'idée  com- 
mune et  l'intérêt  commun  manquaient  à  la  fois  aux  xVraiies. 
Dans  le  grossier  panthéon  des  idoles  rassemblées  à  la  Kaaba, 
aucuni»  divinité  ne  dominait  les  autres  ;  ainsi  la  force  reii- 


LES    ANCIENS    ARABES  9 

gieusc  était  perdue,  détruite  par  des  denii-forces  égales.  Les 
dieux  particulière  de  chaque  fraction  de  territoire  avec  ceux 
des  étrangers  voisins  étaient  confondus  dans  ce  temple: 
pierre  noire,  divinités  phéniciennes  et  chauanéennes,  impor- 
tation du  commerce  étranger  arrivé  de  Sidon  par  les  Amalé- 
cites,  —  Hobal,  Late,  etc.,  etc.,  —  probablement  aussi  quel- 
ques idoles  égypli(innes  ou  nubiennes  qu'amenaient  la 
proximité  d'Adulis  et  d'Axoum,  de  l'autre  côté  de  la  mer 
Rouge,  et  enfm,  formant  la  part  de  Télément  véritablement 
sémitique,  le  Dieu  d* Abraham  unique  et  jaloux.  De  ce  poly- 
théisme de  la  Kaaba,  Mohhammed  lit  i*unité  de  la  foi  musul- 
mane ;  d*une  réunion  de  quelques  tribus  exclusivement 
arabes,  le  point  central  et  permanent  des  idées,  des  lois  et 
des  croyances  d*une  foule  de  nations  différentes  de  langues 
et  de  races  ;  d*une  habitude  des  populations,  le  fondement 
de  sa  religion  même,  et,  si  je  puis  parler  ainsi,  Tappareil 
vital  du  mahométisme.  —  On  n'a  peut-être  pas  assez,  en 
Europe,  remarqué  conmienl  vit  et  respire  le  monde  de 
Fislam.  Pendant  que  nos  l'itats  occidentaux,  chacun  avec  sa 
capitale,  ses  coutumes,  ses  codes,  sa  constitution  sociale, 
s'administrent  eux-mêmes  et  que  le  jeu  des  institutions  se 
développe  en  dedans  des  frontières,  ayant  chacun  pour 
centre  sa  capitale,  tous  les  Ëtats  musulmans  n'ont  ensemble 
qu'une  capitale  d'où  tout  part  et  où  tout  revient,  et  elle 
est  placée  de  telle  sorte,  qu'elle  paraît,  étant  commune  à 
tous,  n'appartenir  exclusivement  à  personne.  A  travers  les 
hordes  de  Turkomans,  les  déserts  des  Touaregs,  les  mœurs 
et  les  coutumes  de  la  Perse,  peuple  de  race  indo-euro- 
péenne, l'empire  des  Turcs,  peuplederace  mongole  et  tartare, 
les  Berbères,  les  Nègres,  les  Chinois  et  les  Arabes  de  Tunis, 
de  Tripoli,  d'Algérie  et  du  Maroc,  à  travers  des  nations  de  cli- 
mats, langues,  caractères  et  degrés  de  civilisation  inégaux,  la 


10  LA    VIE    ARABE 

circulation  de  Tidéc  musulmane  s'accomplit  à  la  fois  pour  tous 
comme  le  sang  parti  du  cœur  y  revient  pour  s'en  éloigner 
encore.  La  Mecque  est  donc  le  cœur  do  rislamisiue,  et  le 
pèlerinage  h  la  Mecque,  eKécnté  chaque  année  par  des  mil- 
liers de  fidèles  venus  des  quatre  coins  da  monde  mahomé- 
tan,  est  le  mouvement  artériel  qui  le  fait  vivre.  C'est  pour- 
quoi, en  le  conservant  et  en  rétendant,  le  Prophète  créa 
vraiment  son  empire.  Tout  croyant,  pour  être  sauvé,  doit 
venir  à  la  Kaaba  au  moins  une  fois  en  sa  vie  ;  c'est  son  pre- 
mier devoir  après  celui  de  la  guerre  sainte.  Les  femmes, 
auxquelles  la  loi  défend  pourtant  les  voyages,  doivent  se 
i*endre  aussi  à  la  Mecque  si  elles  le  peuvent.  Les  mosquées 
dans  les  villes,  les  zaouyas  dans  les  tribus,  chacune  déposi- 
sitaire  dune  copie  du  Koran,  de  ce  livre  d'où  proviennent  la 
loi  et  la  constitution  politique,  fournissent  en  grand  nombre 
(les  aaoulamas,  des  tolbas  et  des  cheikh  qui  vont  entendre  la 
lecture  du  texte  original,  que  la  Kaaba  doit  posséder  jusqu'à 
la  fin  des  siècles.  On  sait  que  c'est  un  point  capital  dans  la 
religion  de  ne  traduire  le  Korau  dans  aucune  langue  :  ainsi, 
Turcs,  Persans,  Indiens-mahométans,  Kabyles,  royaumes 
Nègres,  qui  ont  chacun  leur  idiome  et  leur  littérature  na- 
tionale, ne  peuvent  avoir  qu'en  arabe  le  texte  primilif  de 
leurs  lois  civiles  et  administratives,  ainsi  que  les  formules  de 
leurs  prières.  Dieu  —  Allah  —  est  Arabe,  et  tout  musulman 
doit  d'abord  Têtre  avant  toute  nationalité.  La  nécessité  de  ne 
pas  traduire,  de  n'allérer  en  rien  le  texte  écrit  dans  une 
langue,  d'ailleui's  tres-difilcile,  fait  de  la  Mecque  un  concile 
permanent  de  fidèles,  une  académie  de  législation,  de  litté- 
rature et  de  théologie,  et,  par  une  suite  naturelle  d'idées, 
une  assemblée  toujours  ouverte  aux  questions  de  politique  et 
de  guerre  contre  les  chrétiens.  C'est  dans  ces  assises  de  la 
foi  musulmane  que  le  fanatisme  se  consulte,  se  juge,  se 


LES    ANCIENS    ARABES  11 

compte,  s'examine  et  s'interprète  lui-mëmé  chaque  nnnëe. 
Ainsi,  pour  le  fidèle  en  particulier,  le  voyage  de  la  Mecquo 
est  une  condition  de  salut  éternel  ;  t>our  le  marabout,  une 
affirmation  de  son  origine  religieuse  ;  pour  le  guerrier  chef  de 
tribu,  la  consécration  morale  de  sa  noblesse  et  de  son  pouvoir. 
Voilà  le  point  vers  lequel  se  tournent  tous  les  regards,  d*où 
partent  tous  les  mots  d'ordre,  d*où  s'élance  pour  aller  par- 
tout Tidéc  musulmane,  politique,  religieuse,  httéraire  et  ci- 
vile :  c'est  le  cœur  et  le  cerveau  de  Tislamisme. 

Maintenant,  je  vais  reproduire  les  diverses  croyances  des 
Arabes  sur  Tâmé  et  ses  destinées  après  la  mort.  ^ 

Quand  un  Arabe  perdait  la  vie,  on  plaçait  sa  chamelle 
préférée  à  côté  de  lui  :  elle  devait  y  mourir  de  faim  et  lui 
servir  de  monture  dans  Tautre  monde. 

Suivant  les  uns,  Tâme  résidait  dans  le  sang  ;  suivant  les 
autres,  dans  la  respiration  de  l'homme  ;  les  premiers  trou- 
\  aient  la  preuve  de  leur  opinion  dans  ce  fait  que  le  cadavre 
ne  contient  pas  de  sang,  tandis  qu'il  y  en  a  dans  l'honimc 
vivant,  et  que  la  chaleur  et  la  moiteur  disparaissent  du  corps 
de  l'homme  mort,  qui  devient  alors  sec  et  froid. 

Les  seconds  assuraient  que  l'âme  était  un  oiseau  qui  aban-* 
donnait  le  corps  de  rhomme  au  moment  où  il  expire . 

Ces  opinions,  entre  lesquels  a  flotté  l'antiquité  entière, 
ont  laissé  des  traces  partout.  Dans* les  langues  sémitiques, 
Pâme  et  le  sang  veulent  dire  Tâme  et  le  souffle  :  il  en  est 
ainsi  en  hébreu.  Dans  les  langues  indo-européennes ,  les 
mêmes  mots  expriment  la  même  idée.  Je  rappellerai  sur 
cette  question  le  onzième  chant  de  VOdyssée  montrant 
Ulysse  descendu  chez  les  Ombres,  dont  aucune  ne  peut  le 
voir  ni  lui  parler  avant  d'avoir  bu  le  sang  des  victimes. 
Dans  l'incantation,  il  voit  sa  vieille  mère,  lui  parle,  l'ap* 
pelle  ;  elle  no  le  reconnaît  ni  ne  l'entend  qu'après  qu'elle  a  bu. 


12  LA    VIE    ARABE 

»  Elle  est  assise  muelte  près  du  san^'  et  de  son  lils  ;  , 

»  Elle  ne  le  voit  ni  ne  lui  parle, 

»  —  Dis-moi,  ô  roi,  connncnt  je  pourrais  faire  pour 
»  qu'elle  me  reconnût. 

»  —  Celui  des  morts  que  lu  laisseras  approcher  du  sang 
et  y  boire , 

»  Il  le  verra  et  te  parlera. 

)>  Je  demeurai  et  j'attendis,  et  ma  mère  revint  et  but  dans 
le  sang  noir. 

»  Aussitôt  elle  me  reconnût.  » 

*  (HoxÈRF,  Odyssée^  liv.  XI.) 

• 

Dans  cet  ordre  d'idées  rentrent  les  croyances  de  ceux  qui 
prétendaient  que  du  crâne  do  rhomnie  assassiné,  sans  ven- 
geance, sortait  un  hibou  qui  s'en  allail  criant  au-dessus  do  la 
tombe  du  défunt  :  «  Di^saltérez-moi,  désaltérez-moi,  «jus- 
qu'à ce  qu'on  eût  puni  le  meurtrier. 

Ce  hibou  était  d'abord  petit,  puis  il  grandissait,  imprimait 
partout  la  tristesse  ;  il  se  logeait  de  préférence  dans  les  mai- 
sons inhabitées,  sous  les  voûtes  sépulcrales,  et  enfin  dans 
les  lieux  oii  étaient  inhumées  les  personnes  mortes  île  mort 
violente.  Toujours  il  appelait,  annonçait  ou  révélait  le  mal- 
heur. N'est-il  pas  curieux  de  voir  que,  de  l'Arabie  î\  l'Eu- 
rope entière,  la  supei*stition  humaine  se  soit  donné  la  main 
pour  investir  le  hibou  d'un  sacerdoce  de  terreur?  La  croyance 
est  générale  et  Ton  ne  sait  vraiment  comment  expliquer 
celle  conformilé  de  préjugés  entre  des  races  si  différentes. 

La  guerre  et  la  violence  étaient  pour  ainsi  dire  l'état  per- 
nianent  des  Arabes.  Ils  considéraient  la  vengeance  comme 
un  devoir  sacré,  et,  dans  leurs  idées,  le  sang  voulait  dn  sang. 
Le  meurtre  ne  pouvait  i?tre  satisfait  que  par  un  antre  meur- 
tre, ou  par  une  compensation  en  léles  de  chameaux  de  na- 


LES    ANCIENS    ARABES  13 

lure  à  désinlcresscr  la  famille  de  la  victime.  Se  soustraire  à 
colle  obligation,  c^était  vouloir,  de  tribu  à  tribu,  se  jeter  dans 
des  guerres  aussi  longues  que  terribles.  On  appelait  cette 
coutume  la  (Hya  ou  prix  du  sang.  Celui  qui,  le  premier,  ré- 
glementa la  diya  fut  Aubd-el-Mettaleb^  Taïeul  du  prophète  ; 
voici  dans  quelles  circonstances  : 

c  Seigneur,  avait-il  dit,  si  vous  me  donnez  dix  enfants,  je 
vous  jure  de  vous  en  immoler  un  en  actions  de  grâces.  » 

Dieu  l'entendit  et  le  fit  père  neuf  fois  encore.  Aabd-el- 
Mettaleb,  fidèle  a  sa  promesse,  remit  au  sortàdécider  quelle 
serait  la  victime,  et  le  sort  désigna  Aùbd-Allah,  jeune  homme 
âgé  de  vingt-qualre  ans  ;  mais,  la  tribu  s'éleyaut  contre  ce 
sacrifice,  il  fut  arrêté,  sur  l'avis  d'une  devineresse,  Aarrafa^ 
qu'Âabd-Allah  serait  mis  d'un  côté  et  dix  chameaux  de 
l'autre;  ((ue  le  sort  s(;j*ait  de  nouveau  consulté  jusqu'à  ce 
qu'il  se  prononçât  pour  l'enfant,  et  qu'autant  de  fois  qu'il  se 
prononcerait  contre  lui,  dix  chameaux  seraient  ajoutés  aux 
première. 

Aabd-Allab  ne  fut  racheté  qu'à  la  onzième  épreuve,  et 
cent  chameaux  furent  immolés  à  sa  place. 

Quelque  temps  après.  Dieu  manifesta  qu'il  avait  accueilli 
favorablement  cet  échange,  car  il  fit  natlrc  d'Aabd-Allah 
notre  seigneur  Mohhainmed,  et,  depuis,  le  prix  du  sang  — 
diya  —  fut  fixé  légalement  à  cent  chameaux. 

Mille  superstitions  terribles  et  sinistres  troublaient  l'ima* 
gination  des  Arabes. 

Ils  avaient  de  longs  récits  sur  les  ogres  qu'ils  désignaient 
sous  le  nom  de  El  GhUane  et  Tnghoul.  Les  ogres  hantaient 
les  solitudes,  prenaient  toute  sorte  de  formes  et  entraient 
en  communication  avec  l'homme. 

Pour  d'aucuns,  l'ogre  était  une  espèce  d'animal  hideux, 
tenant  de  l'homme  et  de  la  bête,  habitant  loin  de  tout  être 


14  LA    VIE    AUAHI': 

vivant,  et  que  rien  ne  pouvait  apprivoiser.  Quelques  voya- 
geurs on  ont  fait  la  rencontre  dans  les  pays  sauvages.  El 
Khottab  prétend  en  avoir  vu  un  en  Syrie  et  lui  avoir  donné 
un  coup  do  sabre. 

Il  y  a  des  ogres  mâles  et  femelles  ;  en  générai,  Togre  est 
femelle.  PourtiUit,  d'après  Khottab,  Togre  est  un  démon 
qu'on  trouve  du  côté  de  l'Yémen  et  dans  les  parties  reculées 
du  Saaïd,  en  Egypte.  Lorsqu'il  voit  Thomme,  il  le  poursuit, 
l'atteint  et  satisfait  sur  lui  ses  immondes  désii*s  ;  la  victime 
ne  tarde  pas  à  mourir  rongée  par  les  vers. 

La  première  question  qu*on  adressait  à  un  homme  qui 
avait  vu  un  ogre  était  celle-ci:  «  L*ogre  t'a-t-il  vaincu  ou  bien 
en  as-tu  été  quitte  pour  la  peur  ?  »  Suivant  la  réponse,  on  le 
considérait  comme  un  homme  mort  ou  sauvé.  En  général,  la 
vue  d'un  ogre  suffit  à  faire  tomber  eiksyncope,  les  hommes 
très-courageux  seuls  peuvent  résister. 

Une  fois  dans  ce  monde  fantastique  des  Arabes  Djahiliyas 
—  païens,  —  on  se  heurte  à  chaque  pas  contre  l'impossible; 
c'est  le  pays  des  hallucinations,  des  vertiges,  des  illusions 
les  plus  étranges. 

Ils  croyaient  aux  djenoufie  (singulier,  djenn  djine), 
aux  aafrite^  ainsi  qu'à  un  grand  nombre  d'autres  dé- 
mons. Suivant  eux,  il  y  en  avait  des  deux  sexes,  et  ils  pour- 
suivaient les  hommes  et  les  femmes  de  leurs  infâmes  et  ter- 
ribles  amours,  qui  finissaient  toujours  par  amener  la  mort 
des  victimes  de  leur  lubricité. 

Ils  prétendaient  aussi  entendre  des  voix  venant  d'êtres 
invisibles.  Abou-Aornar  fait  à  ce  sujet  des  récits  merveil- 
leux : 

«  Nous  marchions,  dit-il,  en  compagnie  de  plusieurs  pè-> 
Icrins,  quand  un  étranger  nous  rejoignit.  De  t^rnps  en 
temps,  il  poussait  une  exclamation  :  a  Pense-t-elle  à  moi? 


LES    ANCIENS    \RABES  V6 

»  — Oui,  répondit  une  voix  qui  semblait  venir  de  loin,  et  le 
9  nomme  Hedjeiia  t'a  déshonoré.  C'est  un  homme  roux, 
)»  court  de  tailie  et  qui  est  bossu.  »  Notre  compagnon  se  tut. 

)»  Nous  arrivâmes  enfm  à  Bassora,  terme  de  notre  voyage. 
Un  soir,  je  rencontrai  mon  inconnu,  et,  à  mon  grand  étou- 
nement,  il  me  fit  la  confidence  suivante  :  «  Croyez-vous  quii 
i>  peine  rentré  dans  ma  maison,  mes  voisins  sont  venus  pour 
»  me  saluer,  et  que,  parmi  eux,  j*ai  trouvé  un  homme  por- 
»  tant  le  signalement  exact  qui  m'avait  été  donné  dans  notre 
9  voyage  par  la  voix  inconnue  ?  Alors,  je  priai  ma  femme  de 
»  me  dire  le  nom  de  cet  étranger.  —  C'est,  me  répondit- 
»  elle,  le  plus  agréable  de  nos  voisins,  que  Dieu  le  conserve! 
»  Il  se  nomme  Hedjena.  —  Bien,  répondis-jc,  allez  trouver 
»  vos  parents.  »  Et  je  divorçai. 

Nous  n*en  avons  pas  fini  avec  le  merveilleux,  et  de  même 
que  par  des  communications  mystérieuses  ils  avaient  affaire 
aux  êtres  surnaturels,  de  même,  avant  l'islamisme,  les  Arabes 
avaient  la  prétention  de  connaître  l'avenir  avec  certitude, 
bien  différents  de  leurs  descendants,  qui  se  font  un  scrupule 
lie  prédire  du  jour  au  lendemain  un  changement  atmosphé- 
rique et  n'oseraient  dire:  «  11  fera  tel  jour  froid  ou  chaud, 
beau  ou  mauvais  temps,  »  sans  ajouter  :  c  S'il  plaît  à  Dieu.  j> 
Enmliaallah, 

Les  défenses  formelles  du  Prophète  ont  détruit  cette  pré- 
tention en  môme  temps  qu'elles  ont  fait  cesser  certaines  for- 
mules augurales  tolérées,  au  moyen  desquelles  ils  consul- 
taient le  sort  et  l'avenir.  Je  parlerai  plus  loin  de  ces  usages  ; 
au  reste,  beaucoup  d'anecdoles  circulaient  à  ce  sujet,  el< 
semblaient  venir  à  leur  appui, 

Rabéaa  benn-Nasser-el'Lekhmy  eut  un  songe  (lui  le  trou- 
bla fort;  il  voulut  absolument  en  avoir  rexpiicaliun  ;  ses 
courtisans  lui  per^uadèrenl  que  deux  ho  innos,  Chak  et  Sa- 


16  LA    VIE    AUAIM: 

tihheu,  étaient  seuls  capables  de  lui  donner  satisfaclion.  Il 
les  fit  mander  et  dit  à  Satihheu  : 

—  J*ai  fait  un  rêve  qui  lulnquiètc  viverneni;  si  vous 
pouvez,  ainsi  qu'on  le  prétend,  le  connaître  sans  que  je  l.? 
raconte,  faites-moi  le  plaisir  de  me  Texpliquer. 

—  Vous  avez  vu,  répondit  Satihheu  sans  hésiter, une  léte 
lumineuse  se  détacher  dans  les  ténèbres  les  plus  noires,  puis 
rouler  sur  une  terre  féconde,  et  toutes  le3  créatures  por- 
tant crâne  s'empresser  d'en  manger. 

—  Vous  avez  parfaitement  deviné,  reprit  le  prince  ;  mais, 
à  présent,  donnez-moi  l'explication  de  ce  songe. 

—  Eh  bien,  ajouta  Satihheu,  les  Hliabacli  feront  invasion 
dans  vos  terres  et  s'empareront  de  tous  les  pajs  compris 
entre  Abiienn  et  Hhadjer. 

—  La  nouvelle  est  alarmante!  Ces  événements  auront-ils 
lieu  sous  mon  règne  ou  après  ma  mort? 

—  Longtemps  après  votre  mort,  dans  soixante  ou  soixante 
et  dix  ans.  Plus  tard,  on  fera  un  grand  massacre  des  Hhabach, 
le  peu  qui  en  survivra  n'aura  échappé  à  la  mort  ({ue  par  la 
fuite. 

—  Après  moi,  quel  prince  gouvernera? 

—  Aiynadi  Yensser,  et  c'est  lui  qui,  marchant  à  la  tétc  de 
Adeur  sur  les  ennemis,  les  chassera  tous  de  l'Yémen. 

—  Cet  état  de  troubles  durera-t-il  longtemps  ? 

—  Non. 

—  Qui  le  terminera? 

—  Un  prophète,  le  meilleur  des  prophètes  envoyés  par 
Dieu. 

—  De  quelle  origine  sera  ce  prophète  ? 

—  De  race  arabe,  de  la  souche  des  Oulad-Adnane,  Denn- 
Tahar^  Befin-el-Malek^  Benn-eUNader^  et  ses  descendants 
commanderont  jusqu'à  la  fin  des  siècles. 


LES    ANCIENS    ARABES  17 

• 

—  Est-ce  que  les  siècles  auront  une  fin? 

—  Certainement,  il  arrivera  un  jour  où  seront  réunis  les 
premiers  et  les  derniers,  où  ceux  qui  auront  fait  le  bien  rece- 
vront récompense,  et  où  les  méchants  seront  punis. 

—  Ce  que  tu  dis  là  est-il  vrai? 

—  Je  le  jure  par  Chafaki  et  El  Hhamary. 

Le  prince  étonné  fit  ensuite  appeler  Chak,  et  sa  stupéfac- 
tion redoubla  quand  ce  dernier,  qui  n'avait  point  entendu 
parler  Satihheu,  lui  fit  absolument  la  même  réponse. 

On  raconte  encore  que  Oumiga'benn'Aabd'echam^  vou- 
lant savoir  qui  était  de  plus  noble  origine,  de  lui  ou  de  Hha- 
chem'benri'Aabd,  Mounafek  prit  pour  arbilre  El  Khouzai-el- 
Hhachetn,  qui  passait  pour  être  très-versé  dans  la  science 
des  races.  Le  vaincu  devait  immoler  dans  la  Mecque  cin- 
quante chamelles  noires. 

Avant  de  se  soumettre  au  jugement,  les  deux  rivaux  vou- 
lant éprouver  les  connaissances  de  Khouzaï,  cachèrent  un 
objet,  puis  lui  dirent  : 

—  Si  vous  devinez  ce  que  nous  avons  caché,  vous  serez 
notre  arbitre;  si  vous  ne  devinez  pas,  nous  nous  adresserons 
à  un  autre. 

—  Vous  avez  caché  telle  chose,  répondit  immédiatement 
Khouzaï. 

—  C'est  vrai  ;  prononcez  maintenant  entre  nous. 

—  Eh  bien,  puisque  vous  le  voulez,  reprit  Khouzaï, 
voici  la  vérité  : 

<c  Je  jure  par  la  lune  brillante,  par  Tétoile  étincelante,  par 
le  nuage  orageux,  par  tout  ce  qui  nage  dans  la  mer,  par  tout 
ce  qui  vole  dans  Tair,  et  par  Texpérience  que  le  voyageur 
doit  acquérir,  que  Hhachem  remporte  en  noblesse  sur  Ou- 
miya;  il  est  noble  dès  le  commencement  et  sera  noble 
jusqu'à  la  fm  :  le  Prophète  est  sorti  plus  tard  de  sa  lignée.  » 


18  LA    VIE    AliAbK 

Ce  jugement  prouoncé,  Ouiniya,  coiitormément  aux  tenues 
do  la  gageure,  immola  les  cinquante  chamelles  noires  et 
donna  un  grand  festin  aux  assistants.  Puis  il  partit  sur-le- 
champ  pour  la  Syriet  où  il  resta  dix  ans  sans  reparaître;  on 
assure  même  que  c*est  de  cette  contestation  que  naquit  fini- 
mitié  qui  divise  encore  les  Hhachem  et  les  Oumiya. 

Hinnd'bennt'Aatiya-bennt'Rebéaa  était  la  femme  de  El- 
Fouak-benn-Meguira  des  Koraîche;  voici  l'aventure  qui 
lui  arriva.  Son  mari  eut  un  jour  la  pensée  d'aller  coucher 
dans  une  petite  chambre  d'ordinaire  réservée  h  ses  hôtes  ; 
vers  le  matin,  il  se  leva,  s'absenta  pendant  un  instant,  et  vit 
en  rentrant  un  homme  qui  en  sortait.  C'était  un  étranger 
qui,  après  avoir  fait  quelques  pas  dans  cette  pièce,  avait  vu 
Hindd  endormie  et  s'était  discrètement  retiré.     ' 

Benn-Meguira,  furieux,  s'avance  dans  la  chambre,  frappe 
sa  femme  du  pied  et  lui  demande  brutalement  : 

—  Quel  est  l'homme  qui  hort  d'ici? 

—  Je  n'ai  vu  personne,  répond-elle,  et  je  ne  me  suis  ré- 
veillée que  parce  que  vous  m'avez  frappée. 

—  Allez  chez  votre  père;  c'est  indigne  l  reprend  Benn- 
Meguira  sans  vouloir  rien  entendre. 

Tout  le  monde  se  mit  à  parler  de  cet  événement. 
Quelques  jours  après,  le  père  de  Hinnd,  désolé,  dit  à  sa  fille  : 

—  Le  monde  jase  sur  ton  compte, il  faut  en  finir.  De  deux 
choses  Tune,  ou  tu  es  coupable,  ou  tu  es  innocente.  Dis-moi 
la  vérité  :  si  tu  es  coupable,  je  ferai  tuer  l'auteur  de  tous  ces 
bruits;  mais,  si  tu  es  innocente,  si  ton  mari  est  un  calomnia- 
teur, je  le  ferai  confondre  par  un  devin. 

—  Je  vous  assure,  répondit  Hinnd,  qu'on  n'a  pas  raconté 
la  vérité  sur  mon  compte. 

Uussuré,  le  père  de  Hinnd  s'en  alla  trouver  Benn-Meguira 
et  lui  dit  : 


LES    ANCIENS    ARABES  19 

—  Vous  avez  mis  ma  illle  dans  une  triste  position,  je  vous 
cite  devant  un  sorcier  de  rYénien. 

lis  se  mirent  en  route,  accompagnés  de  quelques  témoins 
dés  Bôfii'Mahzoun,  des  Deni-Mennf  et  do  Hinnd,  suivie  de 
plusieurs  pei*sonnes  de  sa  compagnie. 

Arrivés  dans  i*Yémen,  le  père  de  Hinnd  crut  remarquer 
une  altération  dans  les  traits  de  sa  iillc  : 

—  Je  vois  que  ta  ûgure  est  changée,  lui  dit-il  ;  faut-il  en 
augurer  quelque  chose  de  mal? 

—  Non,  mon  père,  ne  concevez  aucune  mauvaise  opinion 
sur  mon  compte  ;  je  suis  tout  simplement  chagrine  de  voir 
que  je  vais  être  jugée  par  une  simple  créature  de  Dieu  dont 
je  ne  connaîtrai  les  talents  qu*après  les  avoir  éprouvés. 

—  Ne  crains  rien,  nous  allons  en  avoir  le  cœur  net  :  je 
vais  sonder  ton  juge,  nous  saurons  bientôt  à  quoi  nous  en 
tenir  à  cet  égai*d. 

Il  siffle  alors  s(m  cheval  qui  s*cm presse  d*accourir,  et  il 
cache  un  grain  de  blé  dans  l'endroit  le  plus  secret  de  ranimai. 

Le  lendemain,  ils  abordent  le  sorcier  qui  les  reçoit  conve- 
nablement. Après  le  repas,  le  père  de  Hinnd  lui  fit  la  com- 
munication suivante  : 

—  Nous  sommes  venus  vous  voir  pour  une  affaire  très- 
importante;  mais,  avant  de  vous  Texposer,  nous  voulons 
savoir  si  vous  êtes  capable  de  la  décider.  Puisque  vous  savez 
tout,  qu'avons-nous  caché  hier? 

—  Vous  avez  caché,  répondit  sans  hésiter  le  sorcier,  un 
grain  de  blé  dans  telle  partie  du  corps  de  votre  cheval. 

—  C'est  vrai;  voyez  ce  que  veulent  ces  femmes. 

Le  sorcier  se  dirige  alors  vers  les  le  nmcs  venues  avec 
Hinnd,  se  rend  de  l'une  àTautreet  leur  fVdppe  sur  l'épanle. 
Arrivé  près  de  Hinnd  : 
-—  Levez-vous  sans  crainte,  lui  dit-il,  vous  êles  lavéi»  île 


20  LA    VIE    ARABE 

tout  soupçon  d'inconduite,  et  vous  mettrez  un  jour  au  monde 
un  prince  nommé  Maouya, 

Le  mari  de  Hinnd  voulut  alors  la  prendre  par  la  main, 
mais  elle  la  retira  vivement  et  lui  cria  : 

—  Eloignez- VOUS,  vous  avez  voulu  me  flétrir  ;  je  jure  par 
Dieu  le  maître  4u  monde  que  le  prince  dont  on  m'annonce 
la  naissance  ne  vous  aura  pas  pour  père. 

Ils  divorcèrent.  Abou-Sefiyane  épousa  plus  tard  Hinnd  et 
elle  mit  au  monde  Ternir  des  croyants  Maouya. 

La  polygamie  était  permise  chez  les  anciens  Arabes,  mais 
aucune  borne  ne  lui  était  imposée,  c'était  un  désordre  dont 
on  ne  peut  se  faire  une  idée.  Mohhammed  y  mit  fin  en  ré- 
duisant à  quatre  le  nombre  de  femmes  légitimes,  et  ce  qui 
nous  paraît  encore  monstrueux  fut  cependant  une  améliora- 
tion morale  considérable.  Dans  ce  temps-là,  pour  punir 
l'adultère,  on  élevait  un  mur  autour  des  coupables,  et  on  les 
laissait  mourir  de  faim.  Le  Prophète  remplaça  cet  horrible 
supplice  par  celui  de  la  lapidation,  qui  lui  parut  moins  cruel. 
Il  ordonna,  en  outre,  qu'aucune  condamnation  ne  pourrait 
avoir  lieu  si  le  crime  n'était  prouvé  par  quatre  témoins, 
sains  de  corps  et  d'esprit  et  de  mœurs  irréprochables. 

On  lit  dans  le  Koran  chapitre  xxiv,  versets  6,  7,  8  et  9. 

«  Ceux  qui  accuseront  leurs  femmes  et  qui  n'auront  d'au- 
tres témoins  à  produire  qu'eux-mêmes,  jureront  quatre  fois 
devant  Dieu  qu'ils  disent  la  vérité. 

»  Et  une  cinquième  fois  pour  invoquer  la  malédiction  de 
Dieu  sur  eux,  s'ils  ont  menti. 

»  On  n'infligera  aucune  peine  à  la  femme  si  elle  jure 
quatre  fois  devant  Dieu  que  son  mari  a  menti. 

»  Et  une  cinquième  fois,  en  invoquant  la  colère  de  Dieu  sur 
elle,  si  ce  que  le  mari  a  avancé  est  vrai.  » 

Les  Arabes  de  ce  temps  prétendaient  encore  posséder  les 


LES    ANCIENS    ARABES  21 

sciences  qu'on  appelait  kiyafate-el'bacher^  la  science  des 
races,  et  kiyafate-el-aaktery  la  science  des  traces. 

Ils  entendaient  par  kiyafate-el-bacher  le  résumé  des  indi- 
cations que  peuvent-  fournir  les  os  et  la  construction  de 
l'homme.  Les  Beni-Madledj  s'en  occupaient  particulière- 
ment. On  faisait  comparaître  un  individu  devant  eux,  et,  fût- 
il  au  milieu  de  vingt  autres  d'origine  différente,  ils  se  fai- 
saient fort  de  désigner  ses  ancêtres. 

On  raconte  que  le  fils  d'un  négociant,  voyageant  à  cheval, 
précédé  d'un  serviteur-  et  passant  auprès  de  la  tribu  citée, 
entendit  dire  tout  haut  :  «  Mais  c'est  frappant,  regardez 
donc  comme  ce  cavalier  ressemble  à  l'homme  qui  marche 
devant  lui  I  »  Il  fut  si  courroucé  de  ce  propos,  que,  de  retour 
dans  ses  foyers,  il  ne  put  s*empècher  de  le  raconter  à  sa 
mère.  Elle  lui  répondit  :  «  Votre  père  était  vieux,  et,  craignant 
que  sa  fortune  ne  m'échappât,  car  nous  n'avions  pas  d*enfants, 
je  me  suis,  en  effet,  donnée  à  l'homme  qui  conduisait  votre 
cheval,  et  je  vous  ai  mis  au  jour.  Je  ne  puis  vous  le  cacher, 
car,  si  je  ne  vous  divulguais  pas  ce  secret  aujourd'hui,  vous 
le  sauriez  dans  l'autre  monde.  » 

Quant  au  kiyafate-el-aaler,  c'est  l'étude  des  traces  que 
laissent  les  pieds  des  hommes  ou  des  animaux.  Les  Arabes, 
habitants  des  pays  sablonneux  y  ont  excellé  et  y  excellent 
encore,  dit-on. 

Aucun  voleur  ne  pouvait  leur  échapper,  et  ils  en  étaient  • 
venus  au  point  de  pouvoir  dire,  à  l'inspection  de  l'empreinte 
des  pieds  sur  le  sol,  si  les  traces  appartenaient  à  un  homme 
jeune  ou  vieux,  à  un  homme  ou  à  une  femme,  à  une  vierge  ou 
à  une  femme  mariée,  à  un  étranger  ou  à  un  homme  du  pays. 

On  comprend  que  cette  science  ne  constituant  pas  un  em- 
piétement sur  les  droits  de  Dieu,  qui,  seul^  devance  et 
embrasse  l'avenir,  et  n'étant  qu'une  certaine  habileté  à  tirer 


\ 


22  LA    VIE    ARABE 

des  inductions  de  signes  existants  et  visibles  à  tous,  n'a  pas 
été  prohibée  par  le  réCormateur  des  Arabes.  Aussi  kKafiya, 
à  Teguer  et  dans  beaucoup  d'autres  contrées,  on  trouve 
encore  des  habitants  du  désert  très-savants  dans  le  kiyafate- 
el-aater.  On  en  cite  même  dans  noire  Sahara  algérien,  où 
il  n'est  pas  rare  de  rencontrer  des  Artibes  doués  d'une 
finesse  de  sens  prodigieuse.  Nous  admettons  facilement 
en  principe  que  Thabitude  d'une  vie  errante  dans  des  plaines 
monotones  où  rien  ne  rappelle,  au  retour,  la  route  que  Ton 
a  suivie,  que  la  nécessité  de  veiller  des  oreilles  et  des  yeux, 
d'étudier  à  la  fois  sans  cesse,  et  l'horizon  où  l'ennemi  vous 
attend  peut-être,  et  les  plis  du  terrain  qui  peuvent  le  cacher; 
nous  admettons  que  «ette  lutte  incessante  développe  d'une 
manière  extraordinaire,  chez  un  individu,  les  facultés  de 
l'ouïe,  de  l'odorat  et  de  la  vue  :  tous  les  voyageurs  l'ont 
constaté;  mais,  nous  l'avouons,  nous  n'avons  jamais  accueilli 
sans  défiance  les  merveilleux  exemples  qui  nous  ont  été 
cités  mille  fois,  et  nous  ne  les  donnerons  qu'en  faisant  nos 
réserves. 

Un  habitant  de  l'Ouad-souff,  district  situé  dans  le  désert  h 
l'extrémité  orientale  de  nos  possessions  d'Afrique,  me  disait 
un  jour:  «  Nous  sommes  les  marcheurs  les  plus  intrépides 
du  Sahara  et  nous  faisons  facilement  trente  lieues  par  jour  ; 
moi,  je  passe  pour  n'avoir  pas  une  très-bonne  vue  et  cepen- 
dant je  distingue  parfaitement  un  chameau  d'un  cheval  à  un 
jour  de  marche.  J'ai  des  amis,  ajoutait-il,  qui,  à  vingt-cinq 
lieues  dans  le  désert,  éventent  la  fumée  du  tabac  ou  de  la 
viande  grillée.  Nous  nous  reconnaissons  tous  à  la  trace  de 
nos  pieds  sur  le  sable,  et,  quand  un  étranger  traverse  notre 
territoire,  nous  le  suivons  à  la  piste,  car  pas  une  tribu  ne 
marche  comme  une  autre;  une  femme  ne  laisse  pas  la 
môme  empreinte  qu'une  jeune  fille.  Quand  un  lièvre  nous 


LES    ANCIENS    ARABES  23 

part,  nous  savons  à  son  pas  si  c'est  un  mftlc  ou  une  femelle, 
et,  dans  ce  dernier  cas,  si  elle  est  pleine  ou  non.  En  voyant 
un  noyau  de  datte,  nous  reconnaissons  le  dattier  qui  Ta 
produit.  » 

Et,  comme  nous  ne  semblions  pas  ajouter  une  foi  naïve  h 
ce  qu'il  nous  racontait,  il  se  retira  mécontent  en  s'écriant: 
tf  Pourquoi  donc  cette  incrédulité  ?  Vos  médecins  ne  pré- 
tendent-ils pas  reconnaître  la  maladie  d*un  homme,  rien 
qu'à  le  voir  et  h  le  toucher  î  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  kiyafate-el-aatcr  faillit  ^tre  funeste  à 
Mohhammed  lui-même.  Les  Koraïche,  en  effet,  le  possédaient 
à  un  très-haut  degré,  puisqu'ils  arrivèrent  jusqu'à  l'entrée  de 
la  caverne  où  s'étaient  réfugiés  Abou  Boker  et  le  Prophète, 
dont  ils  avaient  pu  suivre  les  traces,  lors  de  leur  fuite  de  la 
Mecque,  quoique  ceux-ci  n'eussent  cessé  de  marcher  sur 
des  pierres  dures  et  des  rochers  polis. 

Heureusement,  une  araignée,  en  faisant  sa  toile  sur  l'ou- 
verture de  la  caverne  où  les  fugitifs  s'étaient  retirés,  leur 
rendit  le  double  service  de  les  cacher  à  leurs  ennemis,  cl  de 
persuader  que  personne  n'était  entré  dans  la  grotte  depuis 
un  certain  temps. 

Un  jour,  entre  la  Mecque  et  le  désert,  deux  Arabes  étaient 
d'avis  différent  sur  les  traces  d'un  quadrupède.  «  C'est  un 
chameau,  disait  fun.  —  Non,  c'est  une  chamelle,  »  disait 
ràutre.  Ils  convinrent  de  suivre  l'animal  jusqu'à  ce  qu'ils 
l'eussent  trouvé.  Arrivés  à  Chaabet- béni- Amer:  «  Enfin  le 
voilà  !  s'écrient-ils  ;  examinons.  »  Le  chameau  était  herma- 
phrodite. Ceci  rentre  évidemment  dans  le  cadre  des  exagé- 
rations arabes. 

A  la  science  des  races  et  des  traces,  les  Arabes  joignaient 
encore  celle  des  généalogies  :  les  femmes  la  possédaient 
comme  les  hommes.  On  racontait  d'une  manière  certaine 


24  LA    VIE    ARABE 

l'origine  des  tinbus,  des  fractions  de  tribu,  et  même  celle 
des  familles  illustres. 

On  parlait  aussi  de  gens  qui  précisaient  les  événements 
nu  moyen  de  figures  tracées  sur  le  sable.  Ceux-là  trouvaient 
des  incrédules  et  des  railleurs  ;  cependant,  ils  disaient  vrai 
très-souvent. 

Aomar  benn-Aabd-Allahy  partant  un  jour  avec  Malek- 
ould-harrach-el-Khouzaï  pour  aller  tenter  une  razzia,  vit 
une  femme  qui  traçait  des  figures  sur  le  sable.  Malek  se  mit 
à  rire  et  la  tourna  en  ridicule.  «  Vous  avez  tort,  lui  dit-elle  ; 
je  vous  jure  que  je  sais  ce  qui  doit  vous  arriver  :  vous  ne 
reverrez  plus  votre  tente,  et  Aomar,  qui  est  avec  vous, 
épousera  votre  femme.  »  En  effet,  Malek  fut  tué,  et  le  reste 
de  la  prédiction  s'accomplit. 

Les  Arabes  accordaient  encore  à  quelques  individus  la 
puissance  de  pronostiquer,  d'après  des  faits  qui  se  pas- 
saient sous  leurs  yeux,  certains  événements  éloignés. 

Ainsi  Ton  citait  sur  la  route  de  Bagdad  un  aarraf,  devin, 
qui  disait  la  bonne  aventure  aux  passants  et  qui  avait  la 
réputation  de  ne  jamais  se  tromper. 

Un  jour,  un  homme  lui  demanda  si  son  ami  qui  était  pri- 
sonnier serait  mis  en  liberté  : 

—  Oui,  répondit  Taarraf,  sans  hésiter,  et  même  on  lui 
fera  des  présents. 

—  Comment  pouvez-vous  le  savoir  ? 

—  Lorsque  vous  m'avez  interrogé,  j'ai  tourné  la  tête  li 
droite  et  à  gauche,  et  j'ai  vu  un  homme  qui  portait  une  outre 
pleine  d'eau,  la  vider,  puis  la  recharger  sur  ses  épaules.  J*ai 
comparé  Teau  au  prisonnier,  son  versement  à  la  mise  en 
liberté,  et  le  replacement  de  Toutre  sur  ses  épaules  aux 
honneui's  réservés  à  votre  ami. 

La  chose  se  passa  comme  Taarraf  l'avait  annoncé. 


LES    ANCIENS    ARABES  S5 

.  Ils  avaient  encore  confiance  au  fal.  Ils  entendaient^  ils 
entendent  encore  aujourd'hui  par  ce  mot,  l'augure  que  l'on 
peut  tirer  de  certaines  paroles  prononcées  inopinément. 

Ainsi,  un  malade  entendait-il  appeler  un  domestique: 
Ya  salem,  Ya  mebrouk,  c'était  un  fut  heureux  :  salem  veut 
dire  le  sauvé,  mebvouk,  l'heureux. 

Entendait-il  au  contraire  une  parole  désagréable,  malhon- 
nête, injurieuse,  comme  Allah  inaalek!  Que  Dieu  te  mau- 
disse !  c'était  un  fal  malheureux. 

Le  Prophète  aimait  le  fal  et  le  conserva.  Un  jour,  se  ren- 
dant à  Médine,  il  descendit  chez  Emkeltoum  :  à  peine  entré 
dans  la  maison,  il  entendit  cet  homme  appeler  deux  de  ses 
serviteurs  en  criant  :  «  Ya  fatahh,  Ya  merzoug  !  Mais  venez 
donc.  •  Le  Prophète,  joyeux  de  ce  fal,  se  tourna  vers  Abou- 
Boker  et  lui  dit  :  «  Sans  nul  doute,  cette  maison  nous  sera 
un  refuge  assuré.  »  Fatahh  et  Merzoug  signifient:  le  premier 
Fouvreur  de  la  porte  du  bien,  et  le  second  l'enrichissant. 

Lorsqu'on  entend  un  pauvre  crier  :  Ya  rebbi^  Ya  louadjeby 
en  demandant  l'aumône,  c'est  un  fal  heureux;  il  invoque  le 
nom  de  Dieu. 

On  parlait  beaucoup  du  corbeau  et  on  l'appelait  hatem  ; 
sa  vue,  suivant  les  Arabes,  annonçait  inévitablement  la  sé- 
paration. Ils  le  nommaient  aussi  el  aaouer^le  borgne,  parce 
que,  prétendaient-ils,  il  ne  prend  pas  son  essor  comme  les 
autres  oiseaux,  et  qu'il  n'ouvre  bien  les  yeux  que  lorsqu'il 
est  en  train  de  voler.  Un  de  leurs  poètes  a  dit  : 

«  Si  le  corbeau  de  la  séparation  allait  se  faire  entendre, 
criez-lui  : 

«  Que  Dieu  vous  éloigne  de  nous  ! 

>»  Vous  êtes  pour  les  amoureux  plus  hideux  que  la  tombe  : 

))  Par  votre  marche  chancelante, 

»  Ainsi  que  par  votre  noir  vêtement  de  deuil, 


26  LA    VIE    ARABE 

»  Vous  annoncez  toujours  la  misère  et  le  chagrin  ; 

»  Quand  on  vous  voit,  il  n'est  plus  d'espoir  : 

»  Vous  êtes  le  précurseur  des  larmes  et  des  regrets.  » 

Il  était  admis  que  celui  qui  tirait  un  pronostic  quelconque 
d'une  chose  obtenait  les  résultats  qu'il  avait  prédits. 

Abou-el'Chemmakh  SQ  mit  en  route  avec  Khaled-benn- 
Yazidf  qui  venait  d'être  nommé  gouverneur  de  Moussoul.  En 
entrant  dans  la  ville,  la  hampe  du  drapeau,  emblème  du 
pouvoir,  se  brisa.  Khaled  en  conçut  un  mauvais  présage, 
mais  Abou-el-Chemmakh  improvisa  sur-le-champ  ces  vers  : 

«  Le  drapeau  ne  s*est  pas  brisé  dans  une  affaire  malheu- 
reuse, 

»  Le  b&ton  avait  perdu  sa  force, 

»  Il  s'est  brisé  parce  qu'il  se  sentait  indigne  du  vaillant 
gouverneur  de  Moussoul.  » 

Khaled,  complètement  rassuré,  combla  son  ami  de  bienfaits. 

Ce  trait  de  présence  d'esprit  ne  rappelle-il  pas  :  «  Afrique, 
je  te  tiens!  »  de  César  tombant  sur  le  rivage  au  moment  de 
son  débarquement  ? 

On  croyait  alors  que  certains  individus  avaient  le  don 
de  voir  avec  la  lumière  de  Dieu,  el  ferara^  seconde  vue.  La 
ferara  fut  conservée  par  le  Prophète,  car  Aliya  dit  : 

«  Personne  ne  peut  rien  cacher,  tout  se  décèle  à  certains 
individus,  soit  par  une  parole  indiscrète,  soit  par  le  jeu  des 
traits  du  visage.  » 

Apparemment,  le  Prophète  n'a  pas  non  plus  prohibé  el 
aatifate,  c*est-à-dire  la  pensée  qu'en  se  mettant  en  route, 
on  ne  devait  se  retourner  pour  aucun  motif,  sous  peine  de 
malheur.  Dans  ce  cas,  ne  pas  renoncer  au  voyage,  c'était 
s'exposer  à  un  grave  accident.  En  effet,  maintenant  encore, 
et  je  Tai  dit  ailleurs,  on  évite  do  rappeler  un  homme  qui 
s'est  mis  en  chemin. 


LES    ANCIENS    ARABES  27 

Plusieurs  autres  croyances  ont  également  semblé  înoffen- 
sivcs  au  Prophète;  elles  étaient  fortement  enracinées  chez 
les  Arabes,  H  ne  les  a  ni  sanctionnées  ni  défendues. 

Ainsi,  lorsqu'ils  voulaient  entreprendre  un  voyage,  ils 
soi*taient  pendant  la  nuit,  tâchaient  de  découvrir  des  oiseaux 
endormis  sur  les  arbres  et  les  effrayaient  pour  qu'ils  s'en- 
volassent. Si  les  oiseaux  prenaient  à  droite,  le  lendemain  le 
voyageur  se  dirigeait  vers  la  droite,  et  vers  la  gauche,  au 
contraire,  si  les  oiseaux  avaient  pris  à  gauche. 

En  route,  venait-on  à  s'égarer,  pour  retrouver  son  chemin 
il  sufûsait  de  retourner  ses  habits. 

En  Vendée  et  dans  plusieurs  autres  provinces  de  la 
France,  le  paysan  croit  encore  qu'en  retournant  ses  habits  a 
une  croisée  de  chemin,  il  voit  infailliblement  apparaître  le 
diable  qui  le  remet  dans  la  route  quand  il  est  égaré.  Ceci  me 
rappelle  que,  chez  les  Romains,  on  croyait  se  i^endre  invisible 
en  employant  le  même  procédé,  (yoïv  V Ane d*or  d'Apulée,) 

Pour  éviter  les  maladies  qui  pouvaient  rég^ner  dans  un 
village,  on  commandait  de  s'arrêter  avant  d'y  entrer,  et  do 
braire  comme  les  ânes. 

Pour  se  préserver  du  mauvais  œil,  aàin,  et  des  sortilèges, 
on  avait  soin  de  porter  sur  soi  l'osselet  de  la  femelle  du  lièvre. 
Le  démon  fuit  la  femelle  de  cet  animal,  parce  que,  d'après 
une  croyance  très-ancienne,  elle  aurait  ses  menstrues  comme 
la  femme. 

Lorsqu'un  Arabe  voulait  s'absenter,  il  nouait  la  branche 
d'un  arbre  appelé  retem — genêt.  A  son  retour,  trouvait-il 
intact  le  nœud  qu'il  avait  fait,  sa  femme  lui  était  restée  fidèle; 
la  branche  était-elle  dénouée,  elle  l'avait  trompé. 

Mais  ce  qui  a  subsisté  malgré  les  défenses  formelles  de 
Mohhammed,  c'est  la  magie  et  la  sorcellerie.  Sorciers,  magi- 
ciens et  imposteurs  de  toute  espèce  sont  encore  nombreux. 


28  LA    VIE    ARABE 

quoique  maudits  par  les  Arabes.  Maintenant,  il  y  en  a  encore 
qui  se  chargent  de  faire  passer  un  homme  de  Tamour  le  plus 
violent  à  Tindifférence  la  plus  complète,  eu  lui  faisant  avaler 
le  jus  d'une  herbe  appelée  selouane. 

Jadis  ils  étaient  aussi  persuadés  que,  pour  avoir  de  bonnes 
dents,  il  suffisait  de  jeter  au  soleil  celles  qui  tombaient^  en 
disant  :  «  Donnez-m'en  de  plus  belles.  » 

D*autres  pratiques  n'étaient  pas  moins  superstitieuses  ni 
plus  motivées.  Ainsi  les  chameaux  sont  souvent  la  proie 
d'une  maladie  qu'on  nomme  el  enmer;  elle  ressemble  à  la 
gale.  Les  Arabes  enduisaient  de  goudron  un  chameau  sain, 
prétendant  ainsi  guérir  le  chameau  galeux. 

Lorsqu'un  Arabe  possédait  mille  chameaux,  il  s'emparait 
du  plus  vieux  et  lui  crevait  un  œil.  Si  le  troupeau  s'augmen- 
tait, il  lui  crevait  l'autre.  Celte  opération,  nommée  taamiya, 
devait  porter  bonheur,  c'était  un  sûr  préservatif  contre  le 
mauvais  œil. 

On  disait  que,  pour  faire  taire  une  chamelle  qui  fatiguait 
par  ses  beuglements,  il  n'y  avait  qu'à  nommer  sa  mère. 

Un  troupeau  se  refusait-il  à  boire,  les  Arabes  frappaient 
les  taureaux,  et  les  vaches  obéissaient. 

Toutes  ces  superstitions  populaires  n'avaient  pas  de  bien 
graves  conséquences  :  aussi  le  Prophète  ne  s'y  arréta-l-il 
pas.  Mais  il  se  garda  bien  de  donner  la  sanction  de  son  auto- 
rité à  tous  les  désordres  de  l'imagination,  tels  que  l'ivr.  sse, 
les  jeux  du  hasard,  l'adoration  des  objets  inanimés  et  l'inter- 
rogation du  sort  avec  des  formules  religieuses.  Ils  ne  pou- 
vaient avoir  été  engendrés  que  par  le  démon  :  Mohhammed 
mit  un  soin  d'autant  plus  grand  à  interdire  ces  sacrilèges 
aux  Arabes  de  son  temps,  qu'ils  y  étaient  plus  attachés. 

Les  anathèmes  les  plus  formels  ont  donc  été  prononcés 
par  renvoyé  de  Dieu  contre  : 


LES    ANCIENS    ARABES  29 

El  khamer^ 

Elmissery 

El  annsab, 

Et  enfin  elazlam. 

El  Ijhamer,  c'est  toute  liqueur  fermentée  qui  peut  trou- 
bler la  raison  et  rendre  l'homme  semblable  à  la  béte. 

Je  demandais  un  jour  à  un  Arabe  pourquoi  il  ne  buvait 
pas  de  vin  ? 

—  ïu  vas  le  savoir,  me  répondit-il. 

Et  il  me  raconta  Fhistoire  suivante  : 

Le  Chytane  —  le  démon  —  se  présenta  un  jour  à  un 
homme  sous  la  forme  la  plus  effrayante,  et  lui  dit  : 

»  —  Tu  vas  mourir  ;  cependant,  je  puis  te  faire  grâce  à 
Tune  des  irois  conditions  suivantes  :  Tue  ton  père,  couche 
avec  ta  sœur,  ou  bois  du  vin. 

«  —  Que  faire?  pensa  cet  homme.  Donner  la  mort  à  qui 
m'a  donné  le  jour,  c'est  impossible.  Violer  ma  sœur,  c'est 
monstrueux.  Je  boirai  du  vin. 

»  Il  but  du  vin  ;  mais,  s'étant  enivré,  il  tua  son  père  et 
outragea  sa  sœur.  » 

El  missei\  ce  sont  les  jeux  de  hasard  qui  peuvent  désho- 
norer les  familles  ou  les  réduire  à  la  misère. 

El  anmab,  on  appelait  ainsi  les  pierres  ou  les  statues 
qu'on  adorait  alors. 

El  azlam^  c'était  une  espèce  de  sabre  sur  la  lame  duquel 
étaient  écrits  ces  mots,  d'un  côté  :  «  Dieu  l'a  ordonné  ;  »  et 
de  l'autre  :  «  Dieu  l'a  défendu.  » 

Lorsqu'un  Arabe  avait  un  projet  en  tête,  ou  méditait  un 
voyage,  avaut  de  prendre  une  décision,  il  consultait  le  sort  au 
moyen  de  ce  sabre.  Il  le  jetait  en  Tair,  et,  si  la  lame  laissait 
lire  en  tombant  à  terre  :  «  Dieu  l'a  ordonné,  »  il  l'entreprenait 
plein  de  confiance  ;  mais  si,  au  contraire,  elle  laissait  appa- 


30  LA    VIE    ARABE 

raîlre:  «  Dieu  l*a  défendu^»  il  s*abstciiait  jusqu'à  nouvel  ordre. 

Les  Arabes  idolâtres  interrogeaient  encore  Tavenif  au 
moyen  de  flèches  qui  étaient  conservées  avec  soin  dans  le 
temple  de  la  Kaaba. 

Ce  n*est  pas  tout. 

Il  était  des  coutumes  impures,  tolérées,  autorisées  même 
par  la  religion. 

On  cite  Thistoire  d'Alaaï^  fils  de  Zerara-ben-Aadoms^ 
qui  épousa  sa  propre  fdle.  Ce  ne  fut  1^  qu'une  exception, 
j*y  consens  ;  mais  que  dire  de  l'usage  Fiiivant,  consacré  par 
une  pratique  universelle  ?  Quand  un  homme  mourait,  3on 
fils  atné  jetait  un  vêtement  sur  la  femme  du  défunt^  et  il 
pouvait  alors  succéder  à  son  père  pour  les  droits  conjugaux. 
Ne  se  souciait-il  pas  de  cette  union  :  moyennant  une  nou- 
velle dot,  il  cédait  son  privilège  à  l'un  de  ses  frères. 

Annonçait-on  à  un  Arabe  la  naissance  d'une  fille,  sa  fi- 
gure se  contractait  de  dépit  et  se  rembrunissait  comme  un 
nuage  orageux.  Il  n'était  pas  rare  alors  de  voir  des  pères 
tuer  leurs  filles  avec  la  pensée  de  leur  épargner  la  honte,  la 
misère  ou  les  malheurs  attachés  à  leur  sexe. 

On  montre  encore,  près  de  la  Mecque,  une  montagne  que 
Ion  nomme  Bon-Dalamate^  ïq  Père -des -Injustices,  où  les 
Koraïche  conduisaient  leurs  filles'pour  les  enterrer  vivantes  ; 
on  ne  pouvait  les  racheter  de  la  mort  qu'en  sacrifiant  à  leur 
place  deux  chamelles  pleines  et  un  chameau.  Mohhammcd 
condamna  et  fit  supprimer  cette  horrible  coutume. 

Un  Arabe  des  Beni-Oumiya  prétendait  que  son  père  avait 
eu  le  pouvoir  de  rappeler  les  morts  à  la  vie  ;  on  contesta  le 
fait,  mais  il  répliqua  :  «  Dieu  a  dit  que  celui  qui  sauvait  une 
personne  de  la  mort  en  la  rachetant ,  était  censé  Tavoir 
ressuscitéc,etinoi)  père  a  sauvé  ainsi  les  filles  de  Mouddate, 
—  En  ce  cas,  lui  répondit-on,  votre  prétention  est  juste.  » 


LES    ANCIENS    ARABES  31 

Quoi  qu'il  en  soit,  suivant  les  Arabes,  c'est  notre  seigneur 
Abraham,  le  chéri  de  Dieu,  —Sid'naBrahimKhalil'Allah, 
qui,  le  premier,  a  mis  en  pratique  les  dix  usages  suivants  ; 
le  Prophète  n*aurait  fait  que  les  conserver  : 

1°  La  circoncision,  tahara  ; 

i"*  Les  ablutions,  el  oudou  ; 

3®  Se  couper  les  ongles  ; 

4®  Couper  ses  moustaches  à  hauteur  delà  lèvre  supérieure, 
ne  laissant  s'allonger  que  les  coins  ; 

5®  Epiler  les  aisselles  ; 

6**  Épiler  les  autres  parties  du  corps  ; 

7^  Le  hhenna  ; 

»"  Le  kohhel  ; 

9**  Le  souak  ; 

10**  Le  tlbe,  etc»,  —  les  parfums. 

On  cherche  à  le  prouver  en  établissant  que  Sarah  et 
Agar  —  femmes  d*Abraham  —  se  teignaient  les  mains  avec 
du  hhenîia  bien  longtemps  avant  Tislamisme. 

De  tout  temps,  le  kohhel  a  été  employé  soit  comme  re- 
mède, soit  comme  ornement;  suivant  AbourBoker-es^Sadik^ 
la  première  femme  qui  en  fit  usage»  fut  une  femme  de 
rYémen,  nommée  Sedjalia,  Elle  en  acquit  une  vue  si  forte, 
qu  à  la  distance  d'un  jour  de  marche,  elle  pouvait  distinguer 
un  homme  d'une  femme. 

On  faisait  le  souak  avec  la  branche  d'uu  arbuste  très-com- 
mun  dans  le  Yrak,  Cet  arbuste  venant  à  manquer,  on  Ta 
remplacé  par  de  Técorce  de  noyer  ou  de  noix.  Cette  écorce 
donne  aux  lèvres  une  couleur  brune  qu'on  regarde  comme 
une  beauté.  On  prétend  aussi  qu'elle  conserve  les  dents. 

Il  me  parait  encore  juste  d'attribuer  aux  anciens  Arabes 
le  goût  très-prononcé  d'une  poésie  qui  savait  s'habiller  des 
couleurs  les  plus  vives,  et  au  sommet  do  laquelle  oA  était 


32  LA    VIE    ARABE 

toujours  certain  de  retrouver  la  femme  et  les  combats.  En 
effet,  ils  aimaient  à  peindre  par  la  parole  tout  ce  qui  frappait 
les  regards,  tout  ce  qui  pouvait  inspirer  le  goût  des  belles 
actions.  Ne  sachant,  pour  la  plupart,  ni  lire  ni  écrire,  ils 
chantaient  d'inspiration,  l'amour,  Thospitalité,  la  guerre,  les 
hautis  faits,  la  gloire  de  la  tribu.  A  certaines  époques,  les 
improvisateurs  se  réunissaient  devant  une  assemblée  nom- 
breuse, composée  de  gens  distingués  de  tous  les  pays,  et  y 
luttaient  d'enthousiasme  et  de  talents.  Celui  qui  avait  rem- 
porté le  prix  était  comblé  d'honneurs,  et  son  poëme,  repro- 
duit en  lettres  d*or,  était  suspendu  à  la  Mecque,  dans  la 
Kaaba,  où  les  voyageurs  et  les  pèlerins  venaient  l'étudier, 
l'admirer,  et  souvent  l'apprendre  par  cœur  avec  l'intention 
de  le  propager  plus  lard  sous  leurs  tentes.  On  voit,  par  ce 
qui  précède,  que,  si  Ton  peut  reprocher  à  TArabie  païenne 
une  foule  de  coutumes  barbares  et  de  superstitions  ridicules, 
on  doit  cependant  lui  concéder  des  mœurs  très-chevale- 
resques qui,  sans  disparaître  entièrement,  ont,  en  général, 
depuis  Tislamisme,  cédé  la  place  au  fanatisme  religieux. 

Maintenant,  j'aurai  esquissé  le  tableau  des  mœurs  et  des 
coutumes  ai'abes  avant  Mohhammed,  quand  j'aurai  rappelé 
un  usage  général  qu'on  nommait  oufada,  et  signalé  encore 
quelques  pratiques  bizarres  dont  les  unes  ont  été  supprimées 
dans  le  nouvel  ordre  légal,  et  dont  les  autres,  qui  n'étaient 
que  singulières,  sont  simplement  tombées  en  désuétude. 

On  entendait  par  oufada  un  tribut  payé  par  les  Koraïche 
à  chaque  fête  du  pèlerinage.  Ce  tribut  consistait  en  provi- 
sions destinées  aux  pèlerins  qui  étaient  trop  pauvres  pour 
pouvoir  se  nourrir.  Kossaï  avait  dit  aux  .Koraïche  :  «  Pour 
être  les  voisins  de  l'habitation  de  Dieu,  vous  êtes  fixés  dans 
le  Hharam,  les  pèlerins  sont  les  hôtes  de  Dieu  ;  ils  viennent 
le  visiter  ;  à  ce  titre,  ils  sont  plus  dignes  d'une  bonne 


LES    ANCIENS    ARABES  33 

rocepliou  que  les  hôtes  ordinaires  ;  pourvoyez  doue  à  leurs 
besoins  jusqu'à  ce  qu'ils  quittent  notre  pays.  » 

Le  premier  qui  se  soumit  à  ce  tribut  fut  le  fameux  Aabd- 
d'}îettaleb^  qui  creusa  Byr  Zeni-Zem,  le  puits  de  Zein-Zem. 
11  y  trouva  deux  gazelles  en  or,  ornées  de  pierres  fines  et 
précieuses;  plus,  cinq  sabres  et  cinq  cuirasses  complètes. 
Les  sabres  et  les  cuirasses  servirent  à  confectionner  les  fer- 
rures de  la  maison  de  Dieu  ;  les  gazelles  furent  fondues  :  on 
en  fit  des  ornements  pour  la  Kaaba. 

C^est  probablement  de  TOufada  que  sont  sorties,  pour 
tous,  les  traditions  de  cette  touchante  hospitalité  —  difa  — 
que  Ton  admire  encore  aujourd'hui  chez  les  Arabes.  Dans 
ces  temps  reculés,  on  ne  devait  déjà  plus  rien  craindre 
quand  on  avait  eu  le  bonheur,  soit  d'arriver  à  la  tente  de 
son  plus  cruel  ennemi,  soit  de  toucher  le  manteau,  aabaya^ 
de  Tune  de  ses  femmes.  Il  vous  devait  asile  et  protection. 
Le  Prophète,  au  lieu  d^abolir  ces  coutumes  généreuses,  leur 
donna  au  contraire  la  plus  éclatante  des  consécrations  en  les 
faisant  entrer  dans  le  dogme.  , 

La  saaiba,  c'était  l'action  par  laquelle  un  maître  affran- 
chissait son  esclave  en  lui  disant  :  «  Va-t'en,  tu  es  libre.  »  11 
n'y  avait  point  alors  d'autre  formule  d'affranchissement,  et, 
cependant,  si  l'esclave  ainsi  libéré  Tenait  à  mourir,  son  an*  ' 
cien  maître,  dans  aucun  cas,  ne  pouvait  en  hériter. 

On  appelait  ouassila  la  réglementation  de  la  brebis  ;  si  elle 
mettait  bas  une  femelle,  celle-ci  appartenait  au  maître  du 
troupeau,  tandis  que,  si  elle  produisait  un  agneau,  il  était 
consacré  aux  dieux  ;  si  elle  donnait  jour  à  deux  jumeaux, 
un  mâle  et  une  femelle,  on  disait  de  cette  dernière  :  «  Elle  a 
racheté  son  frère  ;  »  celui-ci  n'était  pas  sacrifié. 

Bahira  était  la  chamelle  qui,  ayant  mis  bas  cinq  fois,  avait 
fini  par  produire  un  mâle.  En  commémoration  de  ce  fait 

3 


31  LA    VIB    ARABE 

heureux»  on  fendait  Toreilie  à  cette  chamelle»  qui  ne  pou* 
vait  plus  être  immolée  ;  on  ne  la  tondait  plus,  elle  restait 
libre  de  pi*endre  sa  nourriture  partout  où  cela  lui  plaisait»  on 
en  avait  lé  plus  grand  sohi. 

Quant  au  Aftom»  c'était  le  chameau  qui  avait  servi  dix 
années  de  suite  à  la  reproduction.  On  disait  de  lui  :  Hhami 
dahan^f  son  dos  est  protégé.  Il  était  dispensé  de  porter  les 
fardeaux  et  on  le  laissait  pattre  à  sa  convenance* 

Dans  certains  cas,  on  concédait  aussi  des  immunités  aux 
brebis  quand»  par  leur  fécondité»  elles  avaient  augmenté  la 
fortuné  et  lé  bien-être  de  leurs  maîtres^ 

Par  tous  ces  soins  et  tous  ces  privilèges  accordés  au  cha- 
méHU  et  à  la  éhàbiellé»  on  peut  juger  maintenant  de  Tamour 
des  Arabéë  pour  un  animal  qulj  vivant  ou  ibori,  leur  rend 
leA  plus  grands  services  ^  quils  appellent  leé  vaisseaux  •«» 
gmân^  t  hén  -^  de  la  terré  et  qui,  disent*-ilS|  les  portent» 
eu3t>  leurs  familles  et  leurs  biisns-,  du  pays  de  Toppression 
dans  celui  de  lu  liberté. 

Retenir  mot  que  nous  avons  déjà  vu  dans  une  autre  appli* 
cÂtion^  émit  lé  nom  donné  à  la  chamelle  que  Ton  conduisait 
sur  le  k>mbeau  dé  son  mattre,  éà,  les  yeux  bandés,  elle  était 
condamnée  k  mourir  de  fkim^  et  devait  servir  de  monture 
au  décédé. 

Toutes  lés  coutumes  qui  précèdent  provenant  de  Tigno- 
rancé  et  du  paganisme,  (Meu»  dans  le  Koran,  les  a  désap- 
prouvées. Elles  constituaient  des  œuvres  d*idolùlres  et 
pinvaient  les  croyants  des  avantages  que  les  animaux  peuvent 
procurer. 

Pour  en  finir  avec  les  usages  disparus,  il  ne  me  reste  plus 
qu'à  dire  ce  qu'on  entendait  par  le  kheddab  en-nhhar  ;  le 
n^ssib'€i'-ra^a  et  le  djaz  ti  HaHmsay, 

Le  kheihlnb-^en^nhhnr  était  raclioii  d'oiii'lr  •  de  sang  le 


LES    ANCIENS    ARABES  35 

l>ol(rail  du  cberai  qui  mirchait  en  tête  dos  cavalière  partant 
pour  la  chasse  ou  pour  la  guerre»  Ce  signe  indiquait  l^exer* 
cice  auquel  on  youlait  ne  livrer^  il  portait  bonheur. 

Les  ohefa  arabes  plantaient  toujours  un  étendard  devant 
leurs  tentes;  cet  usage  avait  pour  but  de  les  fkire  reconnaître 
de  loin.  On  le  nommait  nassib-er-raya. 

Ils  n'accordaient  jamais  la  liberté  à  un  prisonnier  sans  lui 
couper  la  mèche  de  cheveux  qui  se  trouve  au-dessus  du 
front  dans  la  partie  de  la  tête  con*espondantc  à  Tintervalle 
des  sourcils.  Ce  traitement  était  la  preuve  d'une  défaite 
et  constituait  une  humlHation;  on  l'appelait  le  djaz  el 
nouassy. 

On  a  maintenant  une  idée  des  difficultés  que  Mohhammed 
rencontra  pour  construire  son  édifice,  et,  sans  vouloir  entrer 
dans  des  considérations  plus  longues,  je  ferai  seulement  re- 
marquer avec  quelle  habileté  il  marcha  vers  le  but  qu'il 
voulait  atteindre,  et  de  combien  de  ménagements  pour  la 
tradition  il  entoura  sa  tendance  opiniâtre  vers  une  réforme 
radicale. 

N'est-ce  pas  le  cas  de  citer  le  proverbe  attaché  à  son 
nom  :  «  La  montagne  ne  veut  pas  venir  à  moi,  j*irai  vers  la 
montagne.  » 

Ainsi,  tout  ce  qu'il  voulait  obtenir,  il  lobtinl,  parce  qu'il 
sut  se  faire  un  moyen  de  tout  ce  qui  lui  semblait  être  un 
obstacle.  On  continue  d'aller  en  pèlerinage  à  la  Mecque  ; 
mais  ce  n'est  plus  le  temple  des  idoles,  c'est,  d'après  les 
Arabes,  le  temple  du  vrai  Dieu,  du  Dieu  unique.  Des  pierres 
qui  étaient  adorées  comme  des  fétiches  subsistent  encore, 
mais  elles  ne  sont  plus  visitées  que  comme  des  monuments 
commémoratifs,  et  les  superstitions  grossières,  les  coutumes 
barbares  ont  disparu.  Au  point  de  vue  purement  religieux, 
l'islamisme  a  donc  sa  grandeur  que  nul  ne  peut  mécon- 


36  LA    VIE    AKABE 

naître  ;  après  treize  siècles,  pas  un  de  ses  sectateurs  n'est 
différent.  C'est  même  là  ce  qui  fait  que  nous  avons  à  con- 
tenir en  Algérie  une  population  toujours  hostile  et  sur  la- 
({uelle,  malheureusement,  nous  n'exercerons,  pendant  long- 
temps encore,  d'autre  prestige  que  celui  de  la  force. 


CHAPITRE    DEUXIÈME 


LES    ARABES    DE    ï/iSLAMISME 


Religion;  le  bouillon  du  ctirélicn  et  le  bouillon  du  musulman; 
•la  queue  du  lévrier.  —  Écriture  arabe.  —  Correspondance. 

—  Visites.  —  Salutations.  —  Le  tilre  de  monseigneur,   sidi. 

—  Salamalec.  —  Adieux. 


I 


RELIGION. 


Les  Arabes  qui  occupent  l'Algérie  sont  les  descendants  de 
ceux  qui  l'ont  conquise  vers  le  viii*  siècle,  et  qui  ve- 
naient de  rOrient.  Ils  font  remonter  leur  origine  jusqu'à  Is- 
macl,  fils  d'Abraham  et  d*Agar,  sont  aujourd'hui  musul- 
mans, se  montrent  très-tiers  de  ce  que  Mohhammed  — 
Mahomet  —  le  chef  de  leur  doctrine,  est  sorti  de  leur  sein, 
et  ils  rappellent  l'envoyé  de  Dieu,  Rassoul- Allah,  La  reli- 
gion qui  leur  a  été  imposée  par  ce  Prophète  au  nom  de 
rÉtre  suprême  est  renfermée  toute  entière  dans  le  Koran, 
livre  écrit  en  arabe,  descendu  du  ciel,  suivant  eux,  et  que, 
pour  cette  raison,  personne  ne  peut  se  permettre  de  blâmer, 
de  modifier,  ni  même  do  discutor.  Le  Koran  règle  cependant 


3S  J  A    VIE    ARABE 

jusqu'aux  moindres  d(HaiIs  de  la  vie  civile^  politique  et  reli- 
gieuse. 

Le  Roran,  que  Ton  prononce  en  arabe  el  Korane^  veut 
dire  la  lecture  ;  on  rappelle  aussi  le  livre  de  Dieu,  Ketab- 
Allah,  ou  le  livre  chéri,  Ketab  el  Aaziz^  et,  pour  qu'on  ne 
puisse  en  altérer  le  texte,  il  est  partout  surveillé  avec  le  plus 
grand  soin. 

On  professe  un  tel  respect  pour  le  Koran,  que  personne 
n'oserait  le  toueher  avant  de  s'être  purifié  par  une  ablu- 
tion. 

La  religion  musulmane  se  divise  en  quatre  sectes  ortho- 
doxes dont  ]qs  différences  ne  consistent  que  dans  le  rite.  Les 
voici  :  La  secte  Malehi,  la  secte  Hhannafi,  la  secte  Hann- 
beliy  et  la  secte  Chafaaï.  Les  Arabes  suivent  le  rite  Maleki. 
Ces  quatre  sectes  sont  soumises  au  dogme  résumé  dans  le 
verset  suivant  du  Koran  (Hâ*  chapitre)  : 

«  Dieu  est  un. 

9  C'est  le  Dieu  à  qui  tous  les  êtres  s'adressent  dans  leurs 
besoins. 

9  II  n'a  point  enfanté,  et  n'a  point  été  enfanté. 

»  11  n'a  pas  d'égal  eu  qui  que  ce  soit.  »  ' 

Leur  profession  de  foi  est  aussi  la  même  : 

f  |1  n'y  9  point  d'autre  Dieu  que  Dieu,  et  Bfohhammed  est 
l'envpyé  de  DieUt  >  la  Udh  ha  il  AUah,  ou  Mohhammed 
RassQul  Allah, 

Mûhhamme^  veut  dire:  le  glorifié,  le  trës-'loué. 

Et  toutes  elles  reconnaissent  les  cinq  prescriptions  sui- 
vantes comme  obligatoires  : 

La  profession  de  foi  —  chahmta. 
La  prière  —  eg-mlate. 


RELIGION  39 

L  an  mono  —  e^'^nakate. 
Le  jeûne  —  es-siyam, 
La  pèlerinage  —  el-^hhedj. 

Pour  que  la  prière  soit  agrëat)]e  à  Dieu,  le  musuiu^an  doit 
préserver  de  toute  souillure  les  oreilles/ les  yeux,  la  langue^ 
les  mains,  les  pi^ds,  le  ventre  et  les  parties  sexi^elles.  Il  y 
parvient  par  l'ablution,  le  lavage  et  la  lotion  —  el  oudim.  r- 
Les  cas  d'impureté  so|it  prévtis  et  minutieusement  réglés. 
Le  Prophète  a  dit: 

«  Quand  vous  priez,  tpurnez  votre  visage  vers  le  temple 
de  la  Mecque.  > 

Le  Koran  autorise  Tesclavage  et  la  polyg^piie.  Cloaque 
musulman  peut  épouser  quatre  femmes légitirpe<)  et  posséder 
autant  d'esclaves  —  djariyate  —  que  sa  fortune  lui  permet 
d'en  nourrir.  La  répudiation  et  Je  divorce  lui  sont  permis, 
tout  en  étant  assujettis  à  des  formalités  que  Ton  croit  ca- 
pables d'en  corriger  l'abus,  mais  qui,  iinalheureusement,  ne 
l'empêchent  pas. 

La  loi  permet  d  épouser  une  juive  ou  une  chréfieiine, 
mais  elle  s'oppose  absolument  à  l'union  d'un  infidèle  avec 
une  musulmane.  La  rajson  de  ces  prescriptions  est  facile  à 
comprendre  :  les  enfants  du  musulman  seront  musulmans, 
ceux  de  Tinfidèle  seropt  infidèles  comme  lui. 

Au  point  de  vue  religieux,  l^s  Arabes  ne  tiennent  aucun 
compte  de  nos  divisions  géographiques  ;  à  leurs  yeux,  la 
terre,  à  quelque  race  qu*e1Ie  appartienne,  ne  doit  se  partagor 
qu'en  deux  parties  : 

1®  Dar  el  islayn:  le  pays,  litléralement,  la  maison  de  l'is- 
lamisme. C'est  celui  qui  est  soumis  aux  princes  musulmaiif> 
et  aux  lois  du  Koran  ; 

^i'  Dar  el  hharb  :  le  pays,  littéralement,  la  maison  de  la 


< 


40  l\    VIE    ARABE 

guerre.  C'est  celui  qui  csl  soumis  aux  princes  et  aux  lois  des 
infidèles  et  des  idolâtres; 

3**  Et  enfin  les  savants,  chez  les  Arabes,  appellent  Beir 
el  aadjem  tous  les  pays,  quels  qu'ils  soient,  où  Ton  ne  parle 
pas  arabe.  La  croyance  qu'ils  sont  supérieurs  à  tous  les 
autres  hommes  est  tellement  enracinée  dans  leurs  cœurs, 
que  le  mot  aadjemi  —  étranger  —  ne  peut  être  à  leurs  yeux 
qu'un  terme  de  dédain  ou  de  mépris. 

Tout  homme  qui  nie  rexistence  de  Dieu,  qui  lui  donne  des 
associés  et  qui  rend  un  culte  à  des  statues  ou  à  des  images, 
est  un  infidèle  ou  un  idolâtre  {kafer^  djahelj  7nadjouss, 
zenndek),  et  la  guerre  contre  les  infidèles,  djahad^  est  or- 
donnée par  Dieu  lui-môme.  Il  la  faut  permanente,  impla- 
cable ;  elle  doit  durer  jusqu'à  ce  qu'il  n'y  ait  plus  dans  le 
monde  d'autre  religion  que  celle  du  vrai  Dieu.  Tant  que  ce 
but  n*aura  pas  élé  atteint,  toute  paix  avec  les  impies  est  sé- 
vèrement défendue.  La  loi  tolère  tout  au  plus  que  Ton  fasse 
avec  eux  des  trêves,  des  traités  à  durée  limitée,  et  encore, 
cela  ne  doit-il  avoir  lieu  que  lorsque  la  communauté  des 
croyants  peut  en  retirer  de  grands  avantages,  soit  pour  ré- 
parer ses  pertes,  soit  pour  réunir  ses  ressources,  se  mieux 
préparer  enfin  à  mener  plus  fructueusement  la  guerre 
sainte. 

Dieu  annonce  aux  croyants  qu'elle  finira  par  l'anéantisse- 
ment des  impics.  Tout  musulman,  sans  exception,  est  as- 
treint à  la  faire,  à  moins  d'impossibilités  morales  ou  phy- 
siques, et  la  mort  dans  le  djahad  est  encore  plus  agréable  à 
Dieu  que  le  pèlerinage  à  la  Mecque  et  la  visite  au  tombeau 
du  Prophète. 

Le  Koran  met  donc  hors  la  loi  tous  les  infidèles  :  on  y  lit, 
chapitre  ii,  verset  189  : 

«  Combattez  les  infidèles  jusqu'à  ce  que  la  vraie  reli- 


RELIGION  41 

j^'ioii  resle  à  Dieu    seul,   sans  que    Satan    y  ait  aucune 
part.  » 

On  y  lit  encore,  chapitre  ix,  verset  184  : 

c  Croyants,  combattez  ceux  des  infidèles  qui  sont  vos  plus 
proches  voisins,  qu'ils  trouvent  en  vous  dureté  et  persé- 
vérance h  les  attaquer.  » 

Et  enfin,  on  y  trouve,  chapitre  XLVir,  verset  i  : 

«  Lorsque  vous  rencontrerez  les  infidèles,  tuez-les  jusqu'à 
ce  que  vous  en  ayez  fait  un  grand  carnage^  et  serrez  fort 
les  entraves  des  captifs  * .  » 

Dans  le  pays  de  Tislamisme,  Dar  el  ùlam,  on  peut  cepen- 
dant tolérer  des  non  musulmans  habitant  avec  les  musul- 
mans, conservant  leur  religion,  et  protégés  dans  leurs  mœurs, 
dans  leurs  biens  et  dans  leurs  vies,  mais  à  la  condition  ex- 
presse et  comme  constatation  de  leur  infériorité,  de  payer 
un  tribut  spécial  que  Ton  nomme  djeziya  —  capitation.  — 
Ils  sont  alors  considérés  comme  des  sujets  raayaSy  d'où 
nous  avons  fait  le  mot  français  raja. 

Cette  protection  s'accorde  surtout  aux  gens  des  livres 
hhal  el  kUabCy  c  est-à-dirc  appartenant  à  une  religion  ré- 
vélée dont  ils  aui'aient  à  la  longue  changé  ou  altéré  les 
textes,  comme  les  chrétiens  et  les  juifs  qui  ont  reçu  TÉvan- 
gile  —  Enndjilj  le  Pentateuque ,  le  Tourate  et  le  Z«- 
bour  —  psaumes  de  David.  Tout  le  monde  sait  que,  dans 
la  religion  musulmane,  on  considère  comme  de  grands  pro- 

t  Bien  qu'il  soit  question  des  infidèles  contemporains  de  Mahome!, 
et  en  partie  des  Mecquois,  ce  passage  est  appliqué,  depuis  Mahomet,  à 
tous  les  infidèles  et  fait  partie  du  droit  d«  guerre  musulman  (voir  la 
savante  traduction  du  Koran,  par  M.  Kasimirski). 

Voir  encore,  pour  plus  amples  détails  au  sujet  de  la  guerre  sainle, 
l'excellent  oqvrage  sur  la  législation  musulmane,  par  M.  du  Gaurroy, 
secrétaire  interprète  au  niinistère  des  relations  extérieures. 


4t  LA    VIE    ARABE 

phèteft  Motsft —  Sid^a-Moussa  -♦  et  Noire-Seigneur  Jésus- 
Christ  —  Sid-na-Aaïssa. 

Il  me  serait  facile  Ae  poniser  plus  loin  ce^  citations,  ruais 
eij  voilà  assez  pour  nou»  éclairer  largement  sur  les  senti- 
ments qui  doivent  animer  les  Arab^  h  regard  des  chrétiens; 
leurs  devoirs  sont,  pensent-ils,  très-nettement  et  très-ri- 
goureusement (racés  ;  ils  np  peuvent  s*eu  écarter  que  sous 
peine  d'encourir  la  damnation  éternelle.  Payant  de  là,  il  n'est 
pas  un  seul  d'entre  eux  qui  ne  croie  faire  une  action  méri- 
toire en  tuant  un  infidèle,  comme  en  s'appropriant  sa  per- 
sonne et  ses  biens.  C'est  à  nous  de  nous  tenir  pour  bien 
avertis.  Vainqueurs,  on  les  trouverait  impitoyables;  vaincus, 
ils  sauront  dissimuler  jusqu'au  moment  où  ils  se  croiront  en 
état  de  secouer  un  Joug  que  la  religion  leur  rend  intolérable. 
Voilà  la  véiité.  Les  uns,  avec  des  arguments  plus  ou  moins 
spécieux,  la  nieront  au  nom  du  progrès  et  de  la  civilisation, 
et  le»  autres  me  blâmeront  peut-être  de  l'avoir  dite.  Pour- 
quoi ,  cependant?  Au  lieu  de  frapper  dans  le  vide  et 
d'errer  à  Taventure,  ne  vaut-il  pas  cent  fois  mieux  savoir 
à  quoi  s'en  tenir,  ne  fût-ce  que  pour  proportionner  nos 
moyens  aux  difficultés  que  nous  rencontrons  en  Algérie  ? 
Elles  sont  grandes ,  mais  je  ne  les  crois  pas  insurmon- 
tables. 

On  a,  je  le  sais,  prétendu  que  les  idées  musulmanes,  soit 
par  le  contact  ayec  les  chrétiens,  soit  par  une  connaissance 
plus  complète  des  bienfaits  de  notre  civilisation,  étaient  déjà 
fortement  entamées  sur  certains  points,  à  Alger,  à  Tunis,  à 
Tripoli,  à  Alexandrie,  à  Smyrne,  à  Constantinople,  etc.,  etc. 
Examinons  donc  ce  qu'il  peut  y  avoir  de  vrai  dans  cette  as- 
sertion et  ne  l'acceptons  que  sous  bénéfice  d'inventair.\  Tout 
ce  qui  concerne  les  sectateurs  de  Haliomet  doit  être  vu  de 
rès-près. 


RELIGION  AU 

Dans  les  gi'andes  villes  ofi  le  dérèglement  des  mœurs  ne 
peut  être  que  difficilement  empêché,  o&des  populations  nom- 
i)i*euscs  sont  ibrcément  mélangées  et  composées  d^aventuriers 
de  ^putes  les  nations,  il  n'est  pas  rare  de  voir,  dii-ou,  dm  gens 
(jui  boivent  du  vin,  des  liqueurs  fortes  et  s'enivrent,  qui  fré* 
quentcnt  des  lieux  de  débauche,  les  maisons  de  jeu,  et  se 
livrent  h  tous  les  excès  imaginables,  foulant  aux  pieds  les  pré- 
ceptes de  leur  religion.  Cela  peut  ètra  vi*ai,  mais  pénétrer 
dans  rintérieur  du  pays  que  vous  voulez  juger  et  vous  serex 
^'randement  étonné  d'apprendre  qu'on  y  méprise  souveraine- 
ment ceux  qui  donnent  aux  fidèles  des  exemples  aussi  déplo- 
rables. Vous  les  trouverez  tous  flétris  par  Popinion  publique. 
Et  puis  qu'arrive-t-il  en  dernière  analyse? 

Je  vais  vous  le  dire. 

Un  jour,  cet  homme  qui  vous  a  paru  plus  éclairé  que 
ses  coreligionnaires  parce  qu'il  a  pris  tous  nos  vices,  qui  est 
devenu  tolérant  en  apparence  parce  qu'il  ne  va  plus  à  la  mos-^ 
quée,  qui  a  véeu  sans  répugnance  avec  des  chrétiens  que  le 
Koran  lui  ordonne  de  haïr,  qui  les  a  même  aidés  à  asservir 
ses  frères,  cet  homme,  dis-je,  vieillit,  sa  santé  décline,  il  s'a- 
perçoit que  sa  barbe  grisonne.  Oh  !  alors,  les  enseignements 
de  sa  jeunesî^e  l|ii  reviennent  à  l'esprit,  la  peur  de  l'enfer 
s'en  empare,  il  déplore  son  passé,  va  trouver  le  représentant 
de  sa  foi  et  lui  dit  avec  humilité  : 

—  0  monseigneur,  je  me  repens,  je  vienji  faire  roasouniisp 
sion  à  Dieu  !  Ya  sidi  enndemt  ou  tebt  lellahh. 

Faut-il  repousser  le  pécheur  qui  se  convertit  î  Non. 
On  lui  accordera  son  pardon,  et,  redevenu  blanc  comme 
neige,  il  se  montrera  dans  l'avenir  d'autant  plus  passionné, 
d'autant  plus  fanatique ,  que  son  contact  avec  les  infi- 
dèles Taura  davantage  compromis  et  signalé  au  mépris  de 


44  LA    VIE    ARABE 

ses  coreligionnaires.  Pour  plus  de  sécurité  encore,  et  si  sa 
fortune  le  lui  permet,  il  fera  le  pèlerinage  de  la  Mecque,  car 
il  n*a  point  oublié  ces  paroles  du  Prophète  : 

«  Celui  qui  entrera  dans  la  Mecque  en  sortira  pur  comme 
Tenfant  qui  \ient  de  naître.  » 

Maintenant,  si  Ton  a  voulu  parler  des  progrès  compatibles 
avec  l'esprit  et  les  exigences  de  la  religion  musulmane,  je 
crois  aussi  qu'il  y  en  a  beaucoup  de  possibles. 

Ainsi,  les  musulmans,  bien  que  leur  orgueil  souffre  tou- 
jours de  se  traîner  à  la  remorque  des  chrétiens,  vous  em- 
prunteront au  besoin  tout  ce  qui  pourra  être  utile  k  la  com- 
munauté des  croyants,  votre  organisation  militaire,  votre' 
tactique,  votre  armement,  votre  discipline  ;  ils  s'efforcemnt 
de  mettre  de  Tordre  dans  leurs  finances  ;  plus  que  par  le 
passé,  ils  s'occuperont  d'améliorer  le  sort  des  masses,  ils 
vous  feront  quelques  concessions  insignifiantes  dans  les 
tonnes  diplomatiques,  peut-être  même  dans  les  règles  habi- 
tuelles de  leur  société,  mais  tout  cela  dans  quel  but  ?  Dans 
un  but  parfaitement  déterminé.  Le  voici,  exprimé  d'une  façon 
aussi  nette  que  concise  : 

En  vue  de  la  guerre  sainte.  De  niyete  el  djahad. 

C'est-à-dire  avec  la  pensée,  non  de  vous  plaire  en  quoi 
que  ce  soit;  au  contraire,  de  se  mettre  en  état  de  lutter  nIc- 
torieusement  contre  les  chrétiens,  qu'ils  craignent  et  (ju'ils 
détestent. 

A  l'appui  de  cette  opinion,  je  citerai  les  passages  suivants 

d'un  livre  curieux  qui  vient  d'être  publié  par  un  musulman 

très-capable,   très-intelligent ,   qui  a  longtemps  habité  la 

France  et  que  j'ai  beaucoup  connu.  Voici  comment  il  s'ox- 

►  prime  : 


UELiGIOxN  i:i 

Page  8.  —  €  Eu  second  lieu,  j*ai  écrit  mou  ouvrage  pour 
détromper  certains  nmsulmans  fourvoyés  qui,  fermant  les 
\cux  sur  tout  ce  qu'il  y  a  de  louable  et  de  conforme  aux  eu- 
seiijuements  de  notre  propre  loi  théocratique  chez  les  peuples 
d'une  religion  différente  de  la  nôtre,  se  croient,  par  suite 
d'un  funeste  préjugé,  dans  l'obligation  de  le  dédaigner  et  de 
ne  pas  même  en  parler,  considérant  comme  suspects  ceux 
qui  approu\L'nt  ce  qu'il  y  a  de  bon-comme  système  ou  coinme 
institution  chez  les  non  musuhnans.  Cela  pris  dans  un  sens 
absolu  est  la  phis  grande  des  erreurs  ;  car,  si  ce  qui  vient 
du  dehors  est  bon  en  soi  et  conforme  à  la  raison,  particu- 
lièrement s'il  s'agit  de  ce  qui  a  déjà  existé  chez  nous  et  nous 
a  été  emprunté,  non-seulement  il  n'y  a  pas  de  raison  pour 
le  repousser  et  le  négliger,  mais,  au  contraire,  il  y  a  obliga- 
tion de  le  recouvrer  et  d'en  profiter.  » 

Page  H.  —  «  Ce  ([ui  doit  rendre  plus  précieux  pour  nous 
l'enseignement  de  nos  écrivains  militaires,  c'est  qu'il  est  con- 
forme aux  instructions  données  par  le  kalife  Abou-Boker  h 
son  général  Khaled  benn-Oulid^  chargé  du  commandement 
d'une  armée. 

»  —  Je  vous  reconunande,  lui  dit-il,  la  crainte  de  Dieu, 
le  soin  de  vos  subordonnés  et  les  plus  grandes  précautions 
loi'sque  vous  serez  sur  les*  terres  de  l'ennemi.  Si  vous  ren- 
contrez son  armée,  combattez-la  avec  les  mêmes  armes  dont 
elle  se  servira;  opposez  l'arc  à  l'arc,  la  lance  à  la  lance,  le 
sabre  au  sabre. 

>  Et  si  c'était  aujourd'hui,  il  aurait  mentionné  sans  aucun 
doute  les  canons  rayés,  les  fusils  à  aiguille,  et,  au  besoin, 
les  navires  cuirassés,  car,  'i)armi  les  devoirs  qu'impose  la  dé- 
fense nationale  ordonnée  par  la  loi,  se  trouve  celui  de  con- 
naître la  position,  la  force,  les  moyens  de  l'ennemi,  pour 
pouvoir  égaliser  les  chances  et  le  combattre  avec  sticcès.  Or, 


46  L\    VIK    AHABD 

|)ouiTdit-oii|  do  nos  jours,  exécuter  toul  cela  sans  être  à  la 
hauteur  du  progrès  actuel  ^  ?  » 

Quoi  qa*il  éh  isott,  dans  le  ôoUrs  dé  cet  ouvrage,  par  leur 
religion,  par  l^.urs  mœurs  et  leurs  usages,  par  leurs  sen- 
tences, leurs  proverbes  et  leurs  dictons,  les  Arabes  se  peîn- 
drôiit  cuH-mèmeîî  ;  tls  nous  (éclaireront  largement  sur  toul  ce 
qui  les  si^pare  de  nous,  et  chacun  pourra  ensuite,  en  pleine 
connaissance  de  cause,  aborder  et  résoudre  à  son  gré,  cette 
fameuse  question,  posée  depuis  si  longtemps,  et  depuis  si 
longtemps  controversée  :  La  fusion  avec  cp  peuple  est-elle 
possible,  oui  ou  non?  Quant  à  moi,  sans  chercher  à  influen- 
cer personne,  je  tiens  pour  exaôte  et  pour  sincère  la  réponse 
faite  à  rillusti*e  maréchal  duc  d'Isîy  par  le  vieux  Moustapha- 
bcn-Ismaël,  cet  agha  si  célèbre  qui,  rallié  l'un  des  pi*emiers 
à  notre  cause,  en  haine  d*Abd-el-Kader,  a  été  nommé  géné- 
ral, commandeur  de  la  Légion  d'honneur,  et  s*est  fait  tuer  à 
notre  service,  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans*,  par  ces  incorri- 
gibles Flittas  que  l'on  est  certain  de  trouver  dans  toutes  les 
révoltes. 

—  Tu  me  demandes,  disait  le  vieil  agha  au  duc  dlsly,*  si, 
au  lieu  de  nous  entre-détrutre  éternellement,  vous  ne  pourriez 
pas,  au  moyen  de  concessions  mutuelles  et  en  développant 
un  grand  blen-ètre  parmi  les  masses,  parvenir,  un  peu  plus 
tôt,  un  peu  plus  tard,  à  vivre  en  bonne  intelligence,  côte  h 
côte  et  sur  le  même  sol,  avec  les  Arabes,  (jui  entreraîenl 
ainsi  dans  la  voie  du  progrès.  Veux-tu  que  je  te  dise,  à  cel 
égard,  toute  la  vérité?  Kt,  si  je  le  la  dis,  ne  m'eti  voudras-tu 
pas? 

^Réformes  néeeêsains  aux  tlnls ttinsulmans,  ^bt  le  général  Kliéix- 
Jine  (Khw-ed-Dine),  anci««i  miuisir*  île  tu  marine,  à  Tunis,  et  anclrtn 
membre  lid  Rrand  coDieii  tunisien.  —  l**ris,  1868. 


RELIGION  «T 

—  Non,  je  le  le  jura  ;  tu  me  rendras^  au  contraire»  un 
grand  service. 

—  Eh  bien,  éc(îute-moi  aveo  attenUoni  je  vais  te  pariei* 
aussi  sincèrement  que  si  j'étais  au  jour  du  jugement  dernier, 
quand  nous  aurons  Dieu  pour  kadi  ci  les  anges  pour  le- 
moins. 

—  Parle. 

-^  Les  Ai*abes  ont  en  horraur  toutes  les  innoYatious  du 
quelque  part  qu'elles  viennent,  et  rester  exactement  dans  les 
mœursv  dans  les  coutumes,  dans  la  religion  de  leurs  pères 
leur  parait  le  suprême  bonheur.  Quand  on  leui^  vante  ces 
progi*ès  qui  vous  séduisent  tant^  ils  répondent  invariable- 
ment: 

9  —  Ahtiû  tahaàinêy  ou  maùhi  badaàinê.  Nous  sommes 
Jes  gens  qui  suivent  et  non  des  gens  qui  Inventent. 

»  Et  ils  ajoutent  : 

M  '^  Nos  aïeux  seuls  ont  eu  celte  mission  ;  ils  étaient  plus 
près  de  la  création  que  nous,  nous  ne  saurions  donc  rien  Oadre 
de  mieux  que  ce  qu'ils  ont  fkit.  Vous  vivez  comme  si  voua  ne 
deviez  jamais  mourir,  et  nous  vivons,  nous,  comme  des  gens 
qui  savent  qu'il  faut  mourir  un  jour.  Faites-donc  de  celle 
terra  votre  paradis  ;  le  nôtre  est  dans  l'autre  monde. 

»  Partant  de  là,  continua  Moustapha-ben-*Ismaêl,  prends 
un  Français  et  un  Arabe,  mels*les  dans  une  marmite  et  fais^^les 
bouillir  eiiseuible  à  gros  bouillon ,  pendant  vingl-qttalinô 
lieures.  Au  bout  des  vingt-quatre  heures,  tu  reconnalU^as 
encore  le  bouillon  du  chrétien  et  le  bouillon  du  musulman. 
Ils  ne  se  seront  pas  plus  mêlés  que  leurs  idées  ne  peuvent  se 
confondre. 

—  Quel  parti  piendre  alors  ? 

—  Ah  î  tu  es  sultan,  et  tu  en  sai^  phis  q?ie  uiui  ;  se  ikv.nont, 


48  LA    VII::    AKAHb: 

rappelle-toi  que,  si,  un  seul  jour,  on  le  trouve  faible,  tu  es 
perdu.  Pour  des  étrangers  tels  que  vous,  l'Arabe  est  couinie 
raniaiiile:  quand  on  veut  en  man^'er  le  friiit,  il  faut  en  briser 
récorce.  » 

Je  puis  donner  ce  qui  précède  comme  certain,  en  ma  qua- 
lité de  directeur  des  affaires  arabes  de  TAlgéne,  j'étais  pré- 
sent à  l'entretien. 

Cette  opinion  était,  du  reste,  tellement  enracinée  dans  l'es- 
prit du  général  Moustapha-ben-Ismaël,  que,  dans  une  autre 
occasion  et  à  propos  du  même  sujet,  il  a  dit  encore  ce  qui 
suit  à  un  ofiicier  général  qui  a  servi  pendant  longtemps  en 
Afrique,  qui  parle  très-bien  l'arabe  et  qui  mérite  la. plus  en- 
tière confiance  : 

—  Tu  n'ignores  pas  que  le  lévrier  {selougui)  porte  la 
queue  en  trompette  ? 

—  Non. 

— •  Eh  bien,  celle  queue,  pour  la  redresser,  enferme-la 
dans  un  fourre'au  solide,  laisse-l'y  pendant  un  an  si  tu  veux, 
puis  sors-la  de  son  étui,  et  tu  seras  tout  étonné  de  la  voir  re- 
prendre sa  forme  première.  L'Arabe,  c'est  la  queue  du  lé- 
vrier. Jam.ais  tu  ne  pourras  rendre  droit  ce  que  la  nature  a 
fait  tortu. 

Voilà  l'avis  du  vieux  Moustapha-ben-Ismaël  ;  ses  paroles 
sont  aussi  vraies  aujourd'hui  qu'il  y  a  trente  ans  ;  ne  méri- 
tent-elles pas  d'être  méditées  par  les  théoriciens  de  la  civi- 
lisation des  Arabes  ? 

Mais,  me  dira-t-on,  vous  nous  donnez  là  l'opinion  d'un 
chef  arabe  très-expérimenté,  sans  doute,  mais  qui,  à  cause 
de  son  âge  avancé,  de  son  éducation  première,  du  milieu 
dans  lequel  il  a  vécu  et  dcîs  préjugés  de  sa  race  auxquels  il 
obéit  sans  s'en  douter,  n'est  \  entablement  pas  en  état  de  dé- 
cider la  (luestion.  Que  sait-il  dis  prodiges  opérés  par  notre 


RELIGION  49 

civilisation?  C'est  bien,  je  comprends  :  la  jeune  branche  se 
redresse  sans  grand  travail ,  tandis  ([ue  le  gros  bois  ne  se  re- 
dresse jamais. 

Vous  voulez  im  autre  exemple,  (jue  penserez-vous  de  ce- 
lui-ci : 

En  1836,  les  officiers  du  2«  chasseurs  d'Afrique,  auquel 
j'avais  l'honneur  d'appartenir,  se  lièrent  avec  un  jeune  Arabe 
d'une  grande  naissance  :  trouvé  spirituel,  brave  et  beau,  on 
voulut  essayer  de  le  gagner  à  notre  cause.  Sous  notre  patro- 
nage, il  pénétra  dans  les  salons  de  nos  généraux,  dans  nos 
réunions,  dans  la  société  française.  On  le  conduisit  partout, 
partout  il  se  montra  trïs-intelligent  et  fit,  sans  répugnance, 
ce  qu'on  voulut.  Il  apprit  même  le  français,  nos  usages,  et 
on  le  croyait  parfaitement  acquis  à  notre  civilisation,  quand, 
le  rencontrant,  dix  ans  après,  dans  les  rues  d'Alger,  et 
désirant  juger  par  moi-même  des  résultats  obtenus,  je  lui 
offris  ma  maison,  ma  table,  mes  chevaux,  l'hospitalité  la 
plus  complète  ,  enfin.  Sa  réponse  détruisit  toutes  mes  illu- 
sions. 

—  Je  te  remercie,  me  dit-il  avec  politesse  :  tout  cela  me 
faisait  plaisir  quand  j'étais  jeune  et  inexpérimenté;  mais  le 
Tout-Puissant  vient  de  m'envoyer  un  avertissement  (il  me 
montrait  en  même  temps  sa  barbe  déjà  parsemée  de  quelques 
poils  blancs),  et,  plein  de  confusion  et  de  repentir,  je  rentre 
dans  le  chemin  de  ma  sainte  religion  pour  n'en  plus  sortir, 
s'il  plaît  à  Dieu. 

On  le  sait  maintenant,  vieux  ou  jeunes,  barbes  blanches, 
barbes  poivre-et-sel  et  barbes  noires,  tout  le  monde  chez  les 
Arabes  est  îîu  même  avis  sur  la  question  qui  nous  occupe. 
Après  cela,  devra-t-on  dire  pendant  longtemps  encore  :  Au- 
res  hahent  et  non  audient,  oculoa  habent  et  non  videbimt? 
et  que  faudrait-il  de  plus  pour  prouver  jusqu'à  l'évidence 

4 


50  LA    VIE    AHABE 


ai 


que  c'est  errer  coiupltHcmeat  que  de  compter  sur  des  pro- 
grès sérieux,  avec  des  populations  qui,  nous  regardant 
comme  des  étrangers  et  des  oppresseurs,  nous  sont  de  plus 
en  plus  antipathiques  par  les  mœurs,  ainsi  que  forcément 
hostiles  par  la  religion  ? 

Cependant,  on  aurait  tort  de  trop  en  vouloir  à  ceux  qui,  ne 
partageant  pas  les  idées  que  je  viens  d*émettre,  se  font  des 
illusions  sur  ce  que  nous  pouvons  attendre  des  Arabes.  Je 
les  crois  de  bonne  foi  ;  mais,  n'ayant  eu,  la  plupart  du  temps, 
affaire  à  eux  que  dans  ces  moments  de  transition  où  ce 
peuple,  passé  mattre  dans  l'art  de  dissimuler,  jugeait  utile  à 
ses  intérêts  de  ne  pas  nous  contrarier,  de  nous  plaire,  au 
contraire,  par  ses  prévenances  et  sa  facihté,  tout  en  nous 
séduisant  par  une  apparente  bonhomie,  ils  en  ont  été  cruelle- 
ment trompés. 

En  pouvait-il  être  autrement?  Vous  allez  en  juger. 

Nos  voyageurs,  en  pays  arabe,  soit  avec  une  mission,  soit 
pour  leur  plaisir,  cliaudoment  reconunandés  par  l'autorité 
militaire,  ont  été  l'objet  des  plus  délicates  attentions.  On 
leur  a  fourni  des  chevaux,  des  mulets  pour  porter  leurs  ba- 
gages, on  leur  a  donné  des  guides,  une  escorte,  on  leur  a 
tenu  compagnie,  on  a  répondu  à  toutes  leurs  questions.  Pour 
les  distraire  et  tout  en  cheminant ,  on  leur  a  fait  tuer  un 
lièvre,  une  outarde  et  quelques  perdreaux  qui,  le  soir,  pour- 
ront encore  améliorer  leur  souper.  Arrivés  au  gîte,  ils  ont 
été  installés  dans  une  bonne  tente  de  campagne  —  guitoun 
—  bien  orientée,  dressée  sur  un  terrain  sec,  à  l'abri  du 
vent  et  pourvue  de  ces  chauds  et  épais  tapis  que  l'on  nomme 
ferach  ;  puis,  le  moment  venu,  on  leur  a  servi  un  excellent 
kesskessou ,  une  fricassée  de  poulet  très-appétissante  — 
mekhetei\,  —  un  agneau  rôti  —  kheioul\  —  accompagné  de 
regag  ou  de  messemmemiy  pâtes  feuilletées  délicieuses,  le 


RELIGION  51 

(oui  .irrosé  par  un  lait  aussi  frais  qu^aboiuitiiil,  ((uaiid  un 
pauvre  officier  des  bureaux  arabes  placif  sur  la  lisière  du  dé- 
sert, entre  le  ciel  et  le  sable,  bien  loin  de  sa  famille,  bien 
loin  de  ses  amis,  ne  leur  aura  pas,  ce  qui  arrive  souvent,  of- 
fert la  dernière  bouteille  de  Bordeaux  ou  de  Cliampagne  qu'il 
conservait  précieusement  pour  fêter ,  au  besoin ,  l'arrivée 
d'un  compatriote.  Et  enfin,  à  la  tombée  de  la  nuit,  on  aura 
poussé  Tattention  jusqu'à  établir  autour  d'eux  une  garde  de 
dix  ou  douze  hommes  que  personne  ne  rétribuera,  mais  cpii 
auront  la  mission  de  les  protéger  contre  les  entreprises  pos- 
sibles des  fanatiques,  des  voleurs  ou  môme  des  ennemis  de 
la  tribu  (ces  derniers  seraient  bien  heureux  s'ils  pouvaient 
la  compromettre).  On  ne  saurait  être  plus  aimable,  vous  en 
conviendrez. 

Pendant  ce  temps,  la  conversation  a  été  mise  sur  toute 
sorte  de  sujets,  sur  les  récoltes,  sur  les  chevaux,  sur  le 
commerce,  sur  la  chasse,  et  l'on  a  cru  devoir  terminer  en 
parlant  aussi  de  la  paix  et  de  la  guerres  du  civil  et  du  mili- 
taire. Alors,  les  Arabes,  profitant  avec  habileté  de  l'occasion 
et  sachant  que  cela  irait  haut  et  loin,  auront  chaleureuse- 
ment protesté  de  leur  dévouement  à  la  France,  ils  se  seront 
félicités  du  bonheur  que  nous  leur  apportiom,  et,  le  lende- 
main, nos  touristes  auront  continué  leur  route  i^arfaitement 
convaincus  que  ces  gens-là  nous  adorent,  que  leurs  cœurs 
s'ouvrent  au  progrès,  qu'ils  sont  mûrs  pour  la  civilisation,  et 
que  le  seul  obstacle  à  une  colonisation  puissante  et  sérions  >, 
c'est  l'insatiable  ambition  de  l'année.  «  Diminuez  l'armée  !  » 
publieront-ils  en  rentrant  en  France,  jette  arnu^e  dont  la  pro- 
tection et  le  prestige  leur  a  permis  d'arriver  sans  accident 
jusqu'au  désert,  et  la  question  sera  résolue. 

Voilà  pourtant  comme  on  écrit  l'histoil'c. 

Non,  l'obstacle  à  l'installation,  sur  le  sol,  d'une  nombreuse 


52  LxV    VIE    ARABE 

population  européenne  ne  vient  pas,  comme  on  se  plaît  à  le 
répéter,  de  l'insatiable  ambition  de  l'armée  ;  il  vient  du  cli- 
mat, des  mœurs,  du  pays,  et  surtout  d*un  sultan  très-puissant 
à  qui  tous  les  Arabes  obéissent  les  yeux  fermés,  et  qui, 
vous  l'avez  vu  plus  haut,  leur  ordonne  de  faire  aux  chré- 
tiens une  guerre  permanente  et  implacable.  Ce  sultan, 
vous  le  connaissez  tous,  il  se  nomme  «  le  Koran  »  ,  et, 
d'après  eux,  le  Koran  est  la  parole  même  de  Dieu.  ^ 

Sans  doute,  quelques-uns  prétendront  que  nous  sommes 
le  peuple  dominateur,  et  que  c'est  au  peuple  vaincu  à  ap- 
prendre notre  langue,  à  adopter  notre  religion,  à  se  plier  à 
nos  mœurs,  à  nos  idées,  à  nos  usages.  Montesquieu  se  char- 
gera encore  de  leur  répondre,  et  voici  sa  réponse  : 

c  C'est  la  folie  de  tous  les  conquérants  de  vouloir  donner 
à  tous  les  peuples  leurs  lois  et  leurs  coutumes,  et  cela  ne 
sert  à  rien,  car  dans  tous  les  gouvernements  on  est  capable 
d'obéir.  » 

Suivant  Montesquieu,  il  ne  s'agit  donc  que  de  savoir  bien 
commander. 

Maintenant,  je  fais  mes  réserves  :  si,  après  avoir  lu  ce  qui 
précède,  on  en  inférait  qu'eu  égard  à  la  religion  dans 
laquelle  a  été  trempé  le  caractère  des  Arabes,  je  regarde  la 
question  de  l'Algérie  comme  insoluble ,  on  serait  dans  une 
erreur  complète.  Je  pense  toutefois  que  l'une  des  premières 
conditions  pour  la  résoudre  sera,  sans  aucun  doute,  de  ne 
nous  bercer  d'aucune  illusion,  de  connaître  à  fond  les  diffi- 
cultés qu'elle  nous  oppose. 

Partant  de  là,  puisque  ce  peuple  immobile  ne  croit  qu'à  la 
orce,  renonçons  à  faire  les  Arabes  à  notre  image  ;  laissons- 
les  à  leur  religion,  à  leurs  mœurs,  à  leurs  coutumes;  mais 
soyons  toujoui*s  grandement  en  mesure  de  réprimer  le 
moindre  de  leurs  écarts,  et  sachons  en  tout  temps  nous  faire 


RELIGION  r»3 

craindre  et  respecter  par  une  fermette  inc^branlable.  Cette 
fermeté,  je  la  veux,  bien  entendu,  fondée  sur  la  justice,  la 
bienveillance  et  rhumanité. 

Déjà,  je  ne  crains  pas  de  le  dire,  nous  nous  sommes  mon- 
trés, pour  le  peuple  vaincu,  plus  grands,  plus  généreux  que 
tous  les  gouvernements  musulmans  qui  iu)us  ont  précédés. 
Vous  allez  en  juger. 

Nous  avons  respecté  ses  croyances  ;  il  peut  suivre  sa  re- 
ligion en  toute  sécurité.  On  a  réparé  ses  mosquées,  ses 
zaouyas,  ses  chapelles  —  goubba  ;  —  on  a  encouragé,  sou- 
tenu ses  écoles  ;  on  a  même  facilité  ses  voyages  à  la  Mecque, 
d'où,  malheureusement,  il  revient  plus  fanatique  et  plus  in- 
tolérant que  jamais. 

Voilà  pour  la  religion  ;  qu'avons-nous  fait  pour  la  justice  ? 
Eh  bien,  la  loi  musulmane  régit  encore  aujourd'hui  toutes 
les  conventions  et  toutes  les  contestations  civiles  et  commer- 
ciales entre  indigènes,  et,  quand  il  s'agit  d'un  crime  du  d'un 
délit  intéressant  la  société  française,  et,  pour  ce  motif,  déféré 
aux  tribunaux  français,  le  tribunal  appelé  à  prononcer  s'ad- 
joint deux  assesseurs  musulmans  choisis  parmi  les  plus 
instruits  (t  les  plus  recommandables.  Ces  assesseurs  ont 
voix  délibérative  sur  les  questions  de  culpabilité.  (Décret  du 
3i  décembre  18S9.) 

Passons  à  l'instruction  publique. 

On  a  créé  des  collèges  arabes  impériaux  à  Alger,  à  Oran 
et  à  Constantine. 

On  a  ouvert,  pour  les  enfants  arabes  des  deux  sexes,  des 
écoles  primaires  gratuites  et  des  écoles  d'adultes.  On  en 
compte  maintenant  plus  de  deux  cent  cinquante  en  Algérie, 
abstraction  faite  des  écoles  libres,  des  salles  d'asile  et  des 
ouvroirs  d'apprentissage,  oii  l'on  enseigne  aux  jeunes  filles 
pauvres  les  travaux  à  l'aiguille.  —  Conmic  complément  de 


r.4  LA    VIE    ABARE 

cel  ensemble  de  dispositions  libérales,  le  !•'  octobre  1863, 
on  a  fondé  une  inspection  des  établissements  d'instruction 
publique  ouverts  aux  indigènes,  et,  le  4  mars  1865,  l'œuvre 
a  été  couronnée  par  l'organisation  d'une  école  normale  d'in- 
stituteurs. 

On  a  été  plus  loin  :  pour  faire  connaître  aux  indigènes  les 
actes  du  gouvernement  qui  les  intéressent,  ainsi  que  pour 
éveiller  chez  eux  le  goiit  de  Tinstruction,  on  a  créé  un  jour- 
nal officiel  arabe-français  :  il  porte  le  titre  de  Mobacher  —  le 
Nouvelliste^  —  et  il  est  envoyé  à  tous  les  kadis  et  à  tous  les 
chefs  de  tribus.  N'est-ce  point  encore  là  une  preuve  de  notre 
sollicitude  pour  les  Arabes  et  des  tentatives  que  nous  avons 
faites  pour  les  jeter  dans  la  voie  du  progrès. 

Ce  n'est  pas  tout  :  à  la  date  du  26  mai  186S,  on  a  institué 
dans  la  province  d'Alger  une  ferme-école  arabe-française, 
dans  laquelle  on  reçoit  et  les  enfants  envoyés  volontairement 
par  leurs  familles,  et  les  orphelins  indigènes.  Ces  enfants 
doivent  avoir  dix  ans  au  moins  et  quinze  ans  au  plus. 

Qui  ne  trouvera  dans  cette  mesure  un  moyen  puissant  de 
civilisation  ? 

Ce  n'est  pas  tout  encore  :  en  1855,  pour  donner  du  pain 
et  un  état  à  une  foule  d'enfants  délaissés  dans  les  villes  du 
littoral,  lesquels  devenaient,  pour  la  plupart,  de  fort  mau- 
vais sujets,  on  a  fondé  à  Alger  une  école  de  mousses  —  à 
bord  de  l Allier , —  et  cette  institution  a  déjà  formé  un  grand 
nombre  de  mousses  et  de  novices  qui  servent  à  bord  des 
bâtiments  de  l'État  ou  du  commerce. 

Examinons  maintenant  ce  qui  a  élé  fait  pour  la  pro- 
priété. 

Par  un  sénatus-consulte,  en  date  du  22  avril  1863,  inspiré, 
nous  aimons  à  le  croire,  par  une  grande  pensée  de  justice  et 
d'utilité,  on  a  transformé  les  simplt»s  droits  de  jouissance  des 


RELIGION  5 


oo 


tribus  on  titres  incommutables  de  propriété  en  se  donnant  la 
lourde  tâche  : 

i**  De  procéder  sans  retard  à  la  délimitation  territoriale 
de  huit  à  neuf  cents  tribus  (sans  compter  la  Kabylie),  qui 
ont  été  reconnues  ainsi  propriétaires  des  terres  dont  elles 
n'avaient  qu'une  jouissance  traditionnelle  ; 

2®  De  délimiter  encore  et  de  répartir  d'une  manière  col- 
lective ces  mêmes  territoires  de  tribus  entre  toutes  les  frac- 
tions de  tribus/  et  Dieu  sait  si  elles  sont  nombreuses  ; 

3"  De  constituer  la  propriété  individuelle  dans  chaque 
douar  de  toute  tribu,  c'est-à-dire  en  mettant  la  Kabylie  en 
dehors,  —  chez  trois  cent  mille  familles  h  peu  près,  —  soit 
sur  la  demande  des  indigènes,  soit  à  la  volonté  du  gouver- 
nement quand  il  le  jugera  convenable; 

4®  Enfin  d'^issurer  immédiatement  la  liberté  complète  des 
transactions  entre  Européens  et  indigènes,  pour  les  pro- 
priétés, aussi  bien  en  territoire  militaire  qu'en  territoire 
civil.  En  vue  de  favoriser  cet  état  de  choses,  les  terres  dis- 
tribuées aux  Arabes  ont  été  déclarées  insaisissables  pour 
dettes.  (13  décembre  1866.) 

Nous  avons  ainsi  donné  en  toute  propriété  12  millions 
d'hectares  à  1 ,800,000  Arabes  qui,  jusqu'ici,  n'avaient  ja- 
mais pu  en  cultiver  plus  de  2  millions  au  maximum. 

Pouvait-on  se  montrer  plus  généreux,  je  le  demande? 

J'arrive  à  l'état  des  personnes. 

Aux  termes  d'un  sénatus-consulte  en  date  du  14  juillet 
1865,  sur  l'état  des  personnes  et  la  naturalisation  en  Algérie, 
l'indigène  musulman  est  Français  et  il  peut  être  admis  à 
servir  dans  les  armées  de  terre  et  de  mer  :  dans  ce  cas,  il 
est  régi  par  les  lois  civiles  et  politiques  de  la  France. 

Les  troupes  indigènes,  tant  dans  Tarmée  de  terre  que  dans 
Farmée  de  mer,  font  partie  de  l'armée  française  ;  TArabe 


S6  LA    VIE    ARABE 

reconnu  apte  à  entrer  à  l'École  militaire  de  Saint-Cyr  y  est 
admis,  et  en  soit  officier  au  même  litre  que  tout  Français. 

Quant  aux  indigènes  qui  ne  veulent  pas  servir  dans  lar- 
mée,  ils  peuvent  être  revêtus  de  fonctions  et  d'emplois  ci- 
vils qui  leur  donnent  droit  à  une  pension  de  retraite,  confor- 
mément à  la  loi  qui  régit  la  matière. 

Je  ne  terminerai  pas  cette  longue  énumération  de  mesures 
toutes  empreintes  d'une  rare  bienveillance,  sans  faire  remar- 
quer aussi  que  le  commerce  des  Arabes  a  reçu  une  large 
extension  de  la  sécurité  et  des  facilités  créées  par  nos  routes, 
nos  lignes  de  fer,  les  ponts  et  les  ports  que  nous  avons  con- 
struits ou  améliorés,  ainsi  que  par  les  autres  travaux  publics 
dont  nous  avons  doté  le  pays.  La  valeur  de  leurs  produits 
en  a  certainement  décuplé  ;  et  si,  malgré  nos  efforts,  ils  se 
sont  trouvés  dernièrement  en  proie  à  la  plus  affreuse  misère, 
c'est  que  Dieu  leur  a  envoyé  des  fléaux  que  personne  ne 
pouvait  conjurer  :  tremblements  de  terre,  sauterelles,  sé- 
cheresse prolongée,  disette,  choléra,  typhus^  etc.,  etc. 

En  résumé,  nous  n'avons  rien  négligé  pour  améliorer 
la  condition  des  Arabes.  Nul  ne  peut  le  contester.  S'en 
montreront-ils  reconnaissants?  Peu  importe;  cette  con- 
duite nous  honore  aux  yeux  du  monde  entier.  Persévérons 
donc;  mais  en  même  temps,  organisons,  avant  tout,  un  bon 
et  solide  gouvernement  des  indigènes  qui  paralyse  leur 
mauvaise  volonté  à  notre  égard  et  les  réduise  à  Timpuissance. 

Réprimons  sévèrement  toutes  les  tentatives  de  révolte. 

Et,  quand,  dans  l'intérêt  de  la  France,  nous  aurons  quel- 
que  chose  de  raisonnable  à  exiger  du  peuple  vaincu  ; 

Quand,  enfin,  le  moment  sera  venu  de  placer  à  côté  de  lui 
une  nombreuse  population  européenne  dans  de  bonnes  con- 
ditions de  succès  et  de  complète  sécurité,  seul  moyen  de 
dinnimcr  un  jour  notre  année  et  nos  dépenses  ; 


RELIGION  57 

Parlons  haut  et  ferme,  agissons,  s'il  le  faut,  avec  énergie, 
et  il  se  résignera  parfaitement,  en  se  consolant  par  cette 
maxime  favorite  de  ses  pères  :  « 

C'était  écrit  chez  Dieu!  Mektoub  rebbi  ! 

Un  dernier  mot. 

Je  ne  quitterai  pas  un  sujet  aussi  controversé,  je  ne 
crains  pas  de  Tavouer,  par  des  esprits  trës-éminents,  sans 
ajouter  que  si,  malgré  une  assez  longue  expérience,  je 
me  suis  trompé  dans  les  appréciations  qui  précèdent,  je 
me  suis  certainement  trompé  de  bonne  foi,  sans  aucune 
pensée  de  dénigrement  et  mû  par  le  patriotique  désir  do 
dire  à  mon  pays  ce  que  je  crois  être  d'utiles  vérités.  Pour- 
quoi ne  me  servirais-je  pas  du  mot  vérités  quand,  j'en  ai 
des  preuves  matérielles  entre  les  mains,  ma  manière  de 
voir,  à  cet  égard,  est  partagée  par  les  hommes  les  plus  pra- 
tiques et  les  plus  éclairés?  Je  pourrais,  au  besoin,  citer 
des  noms  très-autorisés. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'étude  qu'on  va  lire  est  le  résumé  de 
longues  observations,  de  travaux  consciencieux,  dont  je  dé- 
sirerais faire  profiter  tous  ceux  qui,  après  moi,  voudront 
aborder  d'une  manière  utile  la  question  si  importante  pour 
notre  pays  de  la  société  arabe. 

Le  peuple  arabe  a  pour  traits  distinctifs  dans  son  caractère 
une  susceptibilité  ombrageuse  et  fanatique,  une  dignité  exa- 
gérée peut-être,  parfois  même  un  peu  farouche,  mais  qui 
certainement  n'est  pas  sans  grandeur.  Il  serait  aussi  in- 
juste de  la  méconnaître  que  de  la  froisser  sans  nécessité. 

Il  existe  pour  cette  nation  tout  entière  des  règles  de  con- 
duite parfaitement  tracées,  nettement  définies,  elles  reposent 
sur  des  principes  acceptés  par  tous  :  personne  ne  les  discute, 
les  chefs  de  famille  et  les  vieillards  se  plaisent  à  les  ensiM- 


58  LA    VIE    ARABE 

gner,  et  elle»  ont  certainement  leur  origine  dans  des  motifs 
qu*une  philosophie  sérieuse  doit  étudier. 

Ce  sont  ces  règles,  indispensables  pour  qui  veut  pénétrer 
dans  le  labyrinthe  des  mœurs  arabes,  que  nous  voulons 
faire  connaître  aujourd'hui.  Il  en  est  de  ce  nouveau  travail 
comme  de  tous  ceux  qui  l'ont  précédé.  Il  ne  s'agît  pour 
nous  d'engager  aucune  controverse,  d'établir  aucune  compa- 
raison, d'amener  le  triomphe  d'aucun  système,  mais  tout 
simplement  d'appeler  l'attention  des  hommes  pratiques  sur 
une  question  où  se  confondent  un  intérêt  philosophique  et 
un  intérêt  national. 


II 


ECRITURE   ARABE 

Les  savants,  chez  les  Arabe?,  assurent  que  l'écriture,  el 
khott,  fut  inventée  par  Adam,  qui,  après  avoir  déterminé  les 
caractères,  les  (raça  sur  de  Tarp^ile  très-épaisse,  durcie  par 
le  feu,  ce  qui,  d'après  eux  enrore,  explique  comment  ils  ont 
pu  être  retrouvés  après  le  déluge»  Cela  ne  supporte  pas  la 
discussion.  Certains  auteurs  accordent  à  l'écriture  une  ori- 
gine moins  ancienne  et  en  font  honneur  à  Idriss. 

Ils  en  comptent  douze  principales  : 


1°  Lakhem'iariti, 

2**  Uarabe  proprement  dite 

3®  La  persane^ 

A"  Végyptienney 

5"  Véthiop'xenney 

G°  La  syriaque. 


T*  Uhébraique, 

8**  La  grecque, 

O*»  La  latine, 

10''  L* indienne, 

11**  La  tartare, 

lia"*  La  chinoise. 


ÉCBITURE    ARABR  59 

.  La  première  des  écritures  connues  est,  disent-ils,  la  khe- 
mlariti.  L'arabe  n'y  fut  substitué  que  longtemps  après,  et  ils 
en  font  remonter  Torigineà  trois  frères  de  la  tribu  de  Thaï, 
Le  premier,  nommé  Morar,  imagina  les  lettres  ;  le  second, 
nommé  Aselam,  leur  assigna  des  figures  différentes  suivant 
qu'elles  sont  liées  ou  isolées,  et  enfin  le  troisième,  Aamer, 
y  joignit  les  points  diacritiques. 

La  plus  ancienne  écriture  arabe  est  celle  de  la  Mecque; 
vient  ensuite  celle  de  Médine,  puis  celle  de  Bassora,  puis 
celle  de  Koufa  et,  en  dernier  lieu,  celle  qui  est  aujourd'hui 
généralement  usitée  en  Orient.  Elle  est  due  à  Benn-Mokla  ; 
on  l'appelle  el  tiesskhi. 

De  cette  dernière,  que  se  sont  appropriés  les  Turcs  et  les 
Persans,  dérivent  plusieurs  autres  qui  prennent  les  noms 
de  taalik,  rihhani,  tulth,  roka,  diouani  et  chikti,  suivant 
qu  elles  diffèrent  entre  elles  par  la  forme  plus  ou  moins  ar- 
rondie, plus  ou  moins  effilée  des  lettres,  comme  aussi  par 
leur  enjambement  ou  leur  entrelacement. 

La  moghrebi  est  celle  qui  est  usitée  dans  toute  l'Afrique. 
Les  princes  et  les  musulmans  lettrés  font  un  très-grand  cas 
d'une  belle  écriture;  ce  talent  est  indispensable  à  quiconque 
aspire  à  de  hautes  fonctions;  aussi  nomme-t-on  chez  les 
Arabes  la  profession  d'écrivain  une  profession  d'or. 

Benn-Kheldoun  a  dit  : 

«  L'écriture  peint  la  parole  aux  yeux  comme  la  pensée 
peint  la  parole  à  l'ouïe.  » 

On  trouve  des  calligraphes  d*une  habileté  incroyable.  Dans 
leurs  écritures  illustrées,  les  Arabes  varient  à  l'infini  et  les 
dessins  et  les  dorures. 

Ces  écritures  illustrées  portent  le  nom  de  taadime  el 
khott.  On  les  emploie  ordinairement  en  tête  des  manuscrits 
de  luxe  ou  pour  mieux  faire  ressortir  aux  yeux  des  lecteurs 


60  LA    VIE    ARABE 

les  divers  chapitres  du  livre  saint  que  les  fidèles  tiennent 
en  grande  vénération.  Il  n'est  pas  rare  en  pays  arabe  devoir 
des  Korans  qui ,  par  le  grand  soin  mis  à  récriture,  ainsi 
que  par  la  richesse  des  dorures,  arrivent  au  prix  de  cinq  à 
six  mille  francs. 

Le  taadime  el  khott  est  aussi  en  usage  pour  reproduire 
des  sentences  ou  maximes  élevées  dont  lésa  aoulamas  et  les 
tolbas  —  lettrés  —  ornent  les  mosquées,  les  écoles  ou  les 
prétoires  des  kadis.  Nous  avons  plus  d'une  fois  admiré,  dans 
les  établissements  religieux  ou  dans  les  anciens  palais  des 
souverains,  l'élégance  et  le  goût  apportés  soit  en  sculpture, 
soit  en  écriture,  aux  pensées  et  aux  versets  du  Koran  qu'on 
avait,  à  dessein,  mis  en  évidence. 

Les  Arabes ,  à  l'opposé  de  nous,  écrivent  de  droite  à 
gauche  et  lisent  forcément  de  droite  à  gauche.  Chez  eux,  la 
première  page  d'un  manuscrit  ou  d'un  livre  est  toujours  la 
dernière  d'un  livre  français.  J'ajouterai  qu'ils  ne  peuvent 
écrire  ni  avec  des  plumes  d'oie  ni  avec  des  plumes  de  inétal. 
Il  écrivent  avec  des  plumes  taillées  daiis  de  petits  roseaux 
bien  secs,  —  kelem^  kelouma. 


III 


CORRESrOXDAXCR 

Toutes  les  lettres  écrites  en  arabe  commencent  par  la 
formule  sacramentelle  : 

c  Louanges  à  Dieu  Tunique  !  » 
El  hhamedou  lellah  ouahhédaou! 


CORRESPONDANCE  61 

buivic  (l*im  complément  qui  peut  varier ,  mais  dout  les  plus 
usités  sont  les  suivants  : 

«  Que  Dieu  soit  propioe  à  notre  seigneur  Mohhanuned  ! 

«  Il  n'y  a  d'éternel  que  Tempire  de  Dieu, 

«  Et  il  n*a  pas  d'associé.  » 

Salin  allah  aala  sid-na  Mohhammed. 

Oua  la  idoum  il  a  melkou. 

Oua  la  charik  la-hou. 

Ces  formules,  on  le  voit,  sont  par  elles-mêmes  une  pro- 
fession de  foi  musulmane,  profession  de  foi  dans  laquelle  se 
trouvent  mêlés  et  le  nom  de  Dieu  et  le  nom  du  Prophète. 
Ne  point  tenir  en  grand  honneur  ces  noms  respectés,  c'est  in- 
sulter à  la  religion.  Partant  de  là,  quand  il  ne  doit  pas  con- 
server les  lettres  qu'il  a  reçues,  l'Arabe  les  déchire  en  petits 
morceaux,  les  cache  dans  un  endroit  où  ils  n'ont  à  craindre 
aucune  impureté,  ou  bien  les  enfouit  dans  la  terre.  L'une  des 
plus  grandes  énormités  aux  yeux  d'un  musulman,  c'est  d'af- 
fecter une  lettre  à  un  usage  quelconque.  La  salir  par  une 
souillure  devient  une  véritable  profanation. 

Le  cachet  —  tabaa,  —  pour  les  Arabes,  remplace  la  signa- 
ture. Ce  peuple  en  est  encore  au  temps  où  nos  ancêtres 
déclaraient  ne  pas  savoir  signer  eu  leur  qualité  de  gentils- 
hommes. Le  gentilhomme  arabe,  même  lettré,  est  toujours 
accompagné  d'un  secrétaire  —  khadja,  —  chargé  de  sa  cor- 
respondance; quant  à  lui,  son  rôle  se  borne  à  apposer  son 
cachet  sur  la  lettre  quand  elle  est  écrite. 

Le  cachet  ne  peut  être  employé  que  par  les  personnes  qui 
sont  au  pouvoir.  Il  contient  en  général  la  désignation  de 
l'emploi  du  fonctionnaire  avec  une  phrase  religieuse  qui 
rime  avec  son  nom.  Voici  celui  que  les  lettrés  m'avaient  fait 
(|uand,  directeur  des  affaires  de  l'Algérie,  j'étais  obligé  de 


G2  LA    VIK    AKABK 

correspondre  chaque  jour  avec  les  indigènes,  au  nom  du 
ouverneur  général,  M.  le  maréchal  duc  d'Isly  : 


II 


«  Celui  qui  s'appuie  sur  le  Dieu  de  tout  le  monde, 

»  Monsieur  le  colonel  Daunias, 

»  Chargé  de  toutes  les  affaires  arabes,  —  1841.  » 

El  ouatek  bi  rebb  en  nass^ 

Sid  el  kourounil  DoumasSy 

Metoulli  bi  kafet  aamour  el  aareb, 

J*ai  eu  un  moment  entre  les  mains  le  fameux  cachet  de 
l'émir  Aabd^l-Kc^der  :  les  inscriptions  s'y  trouvaient  dispo- 
sées autour  des  angles  d*un  hëxagoxe,  ligure  que  Ton  ren- 
contre souvent  sur  les  monuments  arabes.  On  y  lisait  au 
milieu  : 

Aabd-el'Kader,  fils  de  Mahlii-ed-Dine,  —  1248. 

Dans  les  triangles  aigus  formés  par  l'hexagone,  en  com- 
mençant par  le  haut  et  en  marchant  de  droite  à  gauche,  on 
trouvait  : 

Allah,  Mohhammed,  Abou-Boker,  AomaVy  Aathman  et  Aaly. 

Ces  six  noms,  dont  les  quatre  derniers  désignent  les  quatre 
premiers  kalifes,  sont  les  plus  vénérés  des  diverses  sectes 
musulmanes. 

Les  six  angles  obtus  renfermaient  ces  mots  : 

*i  Notre  maître,  le  prince  des  croyants,  qui  a  reçu  la  vic- 
toire (lu  Dieu  vivani  et  tout-puissant.  » 

Et  enfin  la  légende  consistait  dans  ces  vers  du  poëine  inii- 
lulé  le  ïlorda  : 

a  Celui  qui  met  son  appui  dans  l'envoyé  de  Dieu,  s'il  esl 
surpri:>  par  les  lions,  ccuv-i'i  reslcnt  stupéfaits.  » 

LVniirXribd-el-hiuler  nt*  sl*  servait  de  son  grand  eacliei 


VISITES  63 

que  pour  les  affaires  gouvemerueutales.  Il  avait  un  cachet 
plus  petit  pour  les  affaires  confidentielles.  Quand  il  écrivall 
à  sa  famille,  à  ses  parents,  à  ses  amis,  il  le  faisait  sans  ca- 
chet, son  écriture  leur  étant  connue. 

De  supérieur  à  inférieur,  le  cachet  se  place  en  tète  de  lu 
lettre,  après  la  formule  qui  la  commence. 

D*inférieur  à  supérieur,  le  tabaa  doit,  au  contraire,  être 
apposé  immédiatement  après  le  dernier  mot.  Agir  autrement 
serait  plus  qu'une  impolitesse,  ce  serait  une  insolence. 


IV 


VISITES 


Nous  dirons  bientôt  ce  qu'il  convient  de  faire  et  ce  qu'il 
convient  d'éviter  ([uand  on  se  trouve  en  rapport  avec  les 
Arabes  ;  mais,  auparavant,  une  première  question  est  à  ré- 
soudre.   -^ 

A  qui  et  par  qui  les  visites  sont-elles  dues  dans  la  société 
musulmane  ? 

La  principale  règle  à  laquelle  les  Arabes  ne  manquent  ja- 
mais de  se  conformer  est  commune  à  tous  les  peuples.  L'in- 
férieur doit  le  premier  rendre  visite  à  son  supérieur.  Celte 
obligation  ne  soulève  aucune  difficulté  lorsqu'elle  s'applique 
à  des  fonctions  dont  les  titulaires  sont  subordonnés  les  uns 
;iu\  autres  ;  il  n'en  est  pas  de  même  quand  il  s'agit  de  hiérar- 
chies différentes,  ou  de  celle  noblesse  religieuse  que  nous 
avons  comprise  sous  le  nom  de  cliérifs  et  de  marabouts. 

En  principe,  le  marabout  ne  doit  de  visite  ni  au  chef  de  la 
tribu,  ni  à  aucun  des  dépositaires  du  pouvoir.   Hotui  mes- 


64  LA    VIE    ARABE 

senahh  —  il  est  libre.  C'est,  au  conlrairo,  à  rautorité,  aux 
hommes  du  niakhzen  —  du  gouvernement  —  à  aller  le  visi- 
ter, ne  serait-ce  que  par  politique,  et  pour  prouver  à  leurs 
administrés  combien  ils  honorent  le  caractèi*e  de .  sainteté 
dont  il  est  revêtu.  En  agissant  autrement,  on  s'expose  aux 
(;ritiques  de  tous. 

Une  considération  analogue,  cependant  déjà  moins  grande, 
s'attache  aux  personnages  qui  appartiennent  au  culte,  à  la 
justice  ou  à  la  science.  Ce  n'est  plus  à  eux  à  attendre  la  vi- 
site des  chefs  de  la  tribu  ou  de  la  ville,  c'est  à  eux  à  la  leur 
faire  les  premiers  ;  mais  cette  visite  doit  leur  être  prompte- 
ment  rendue ,  car  tout  représentant  de  l'autorité  doit  un 
hommage  à  la  religion,  à  la  justice  et  à  la  science,  trois 
choses  qui  se  touchent  de  bien  près  chez  les  Arabes. 

A  côté  de  cet  ordre  de  préséance,  il  est  des  règles  acces- 
soires qui  sont  également  observées.  Par  exemple,  lorsqu'une 
personne  reçoit  la  visite  d'une  autre  personne  moins  élevée 
en  dignité,  mais  qu'elle  veut  cependant  honorer  d'une  ma- 
nière particulière,  il  convient  qu'elle  quitte  sa  place  pour  la 
céder  au  visiteur,  auprès  duquel  elle  ira  s'asseoir  dans  une 
position  inférieure. 

Dans  le  cas  où  le  supérieur  juge  convenable  d'accorder  un 
honneur  moins  significatif,  il  se  borne  à  faire  placer  son 
hôte  à  côté  de  lui. 

Enfin,  s'il  s'agit  d'un  visiteur  auquel  il  est  dû  une  certaine 
considération,  sans  qu'il  soit  nécessaire  de  lui  montrer  une 
déférence  aussi  grande  que  dans  les  deux  premiers  cas,  le 
visité  se  bornera  à  se  lever  pour  le  recevoir  et,  après  les 
compliments  d'usage,  lui  fera  signe  de  s'asseoir  à  l'une  des 
places  disponibles. 

Le  marabout  seul  n'est  tenu  à  se  lever  devant  qui  que  ce 
soit  ;  mais  le  marabout  est  homme,  et  il  sait  toujours,  et 


VISITES  65 

surtout  quand  son  intérêt  le  lui  commande,  allier  le  respect 
de  sa  dignité  avec  celui  qu'il  doit  aux  puissants  de  la 
terre. 

On  voit  donc  que  chez  les  Arabes,  comme  chez  nous,  la 
question  des  devoirs  du  visité  et  du  visiteur  est  une  question 
de  tact  et  d*appréciation  des  positions  respectives.  Mainte- 
nant, quelles  sont  les  formules  de  politesse  employées  dans 
les  visites,  les  voici  : 


Sois  le  bienvenu. 

Tu  nous  as  honoré. 

Tu  as  honoré  notre  place. 


Marhhaba  bik. 

Chereft-na. 

Chère ft  medrob-na. 


Une  bénédiction  est  venue  nous  visiter. 
Zaret-na  el  baraka. 

En  fait  de  visite,  cependant,  il  est  toujours  convenable 
de  se  conformer  aux  préceptes  contenus  dans  le  dicton  sui- 
vant: 

Que  Dieu  accorde  sa  bénédiction  à  celui  qui  a  fait  visite  et 
n*a  pas  été  long. 
Allah  irhham  menn  zar  ou  khoff. 

Quand  un  Arabe  entre  dans  un  appartement  ou  dans  une 
tente,  il  ne  manque  jamais  d'ôter  ses  souliers  —  sebbate  — 
ou  ses  pantoufles  —  belgha.  —  Cet  usage  lui  est  commandé 
par  la  propreté  et  par  la  religion. 

Par  la  propreté,  parce  qu'il  n'y  a  pas  une  maison,  une 
tente,  où  Ton  ne  trouve  un  tapis  ou  une  natte. 

Par  la  religion,  parce  qu'il  est  toujours  ainsi  prêt  à  faire, 
sans  gêne  aucune,  les  ablutions  qui  doivent  précéder  les 
prières  ordonnées  par  la  loi. 

S*il  descend  de  cheval,  l'Arabe  ôte  ses  bottes  en  maroquin 

5 


66  LA    VIE    ARABE 

—  temague,  —  et  chausse  tout  de  suite  lessebbate  ou  belgha 
qu'il  a  placés  dans  sa  djehivay  espèce  de  sabretache  très- 
commode,  plus  ou  moins  ricbe,  plus  ou  moins  ornée,  sui- 
vant sa  fortune,  et  qui  raccompagne  dans  tous  ses  voyages. 


SALUTATIONS 

Il  est  inutile  de  déduire  ici  tout  au  long  le  prologue  du  code 
de  la  politesse,  ces  litanies  interminables  de  formules  tou- 
jours les  m^^mes  que  les  Arabes  se  renvoient  mutuellement 
et  imperturbablement  lorsquMls  se  rencontrent.  Cependant, 
comme  Tétiquette  officielle  est  rigoureuse  et  que  chaque 
signe  en  est  noté  scrupuleusement,  j'en  parlerai  avec  quel- 
ques détails. 

L*inférieur  salue  son  supérieur  en  lui  baisant  la  main, 
s'il  le  rencontre  à  pied,  le  genou  s'il  le  trouve  à  cheval. 

Les  marabouts  et  les  tolbas,  les  hommes  de  la  religion, 
à  quelque  titre  qu'ils  lui  appartiennent,  savent  concilier  ia 
fierté  qu'au  fond  du  cœur  ils  ont  pour  la  sainteté  de  leur 
caractère,  l'orgueil  de  leur  caste,  avec  leur  pieuse  humilité. 

Us  retirent  vivement  la  main,  mais  ne  la  dérobent  au 
baiser  qu'après  que  le  simple  fidèle  s'est  mis  en  posture  de 
le  donner. 

Ils  se  prêtent  à  une  respectueuse  accolade,  ou  se  laissent 
seulement  effleurer  soit  la  tête,  soit  l'épaule.  Cette  déférence 
n'a  plus  rien  de  commun  avec  forgueil  des  salutations  exi- 
gées par  les  puissants  de  ce  monde. 

Quand  un  inférieur  à  cheval  aperçoit  sur  sa  route  un 


SALUTATIONS  «7 

bomme  tout  à  fait  considérable,  il  met  pied  à  terre  de  loin 
pour  lui  embrasser  le  genou. 

Deux  égaux  s'embrassent  sur  la  figure,  ou,  s'ils  ne  sont 
pas  liés  par  l'amitié,  se  touebent  légèrement  la  main  droite, 
et  chacun  se  baise  ensuite  Tindex» 

Un  Arabe  ne  se  découvre  jamais  la  tête  pour  saluer.  Les 
musulmans  n'y  sont  point  tenus,  même  devant  les  sultans^et 
ils  ne  l'exigent  pas  des  étrangers.  Le  cbapeau  de  paille  —  me- 
doll  —  fait  cependant  exception,  on  ne  le  garde  pas  en  par- 
lant à  un  supérieur  ;  mais  remarquez  que,  quand  on  Ta  ôté,  la 
tète  reste  encore  couverte  par  la  chachiya ,  le  hhàik  et  la 
corde  de  chameau.  Le  medoll  ne  se  porte  que  pendant  les 
grandes  chaleurs  de  l'été  ;  il  est  très-haut,  ses  bords  sont 
très-largiBS  ;  il  préserve  admirablement  du  soleil.  On  en 
voit,  dans  le  désert  principalement ,  qui  sont  entièrement 
couverts  de  plumes  d'autruche  ;  à  cheval,  c'est  joli,  malheu- 
reusement c'est  fort  lourd.  De  loin,  vous  jureriez  un  énorme 
bonnet  à  poil  de  sapeur  auquel  on  aurait  ajouté  des  bords 
démesurés. 

Dans  les  grandes  occasions,  pour  saluer  une  entrée  triom- 
phale, le  retour  d'une  heureuse  et  longue  expédition,  ce  que 
nous  appellerions  enfin  une  cérémonie  publique,  les  femmes 
et  les  jeunes  filles  poussent  avec  ensemble  des  cris  de  joie 
sur  un  ton  aigu  qui  ne  manque  pas  d'un  certain  charme  : 
Tezegherite. 

Le  mot  salamaleCy  que  nous  avons  pris  aux  Arabes  et  qui 
vient  sans  aucun  doulc  de  la  formule  salam-aalik,  que  le 
salut  soit  sur  toi,  suffit  à  montrer  combien  Jes  musulmans 
tiennent  aux  formules  d'urbanité,  de  quel  prix  ils  estiment 
cette  monnaie  courante  de  la  politesse,  qui,  suivant  le  mot 
d'un  gentilhomme  français,  est  celle  qui  coûte  le  moins  et 
qui  rapporte  le  plus. 


68  LA    VIE    ARABE 

Personne,  en  effet,  mieux  qu'un  Arabe,  ne  sait  entourer 
son  abord  de  ces  caresses  de  langage  qui  facilitent  l'accès  et 
préparent  un  accueil  favorable  ;  personne  ne  sait  mieux  en- 
core se  conformer  aux  exigences  respectueuses  des  positions 
sociales,  en  traitant  chacun  suivant  son  rang. 

On  vous  donne  ce  qu'on  vous  doit,  rien  de  plus,  mais 
rien  de  moins. 

Tout  est  gradué,  tout  aussi  est,  en  quelque  sorte,  régle- 
menté et  fait  l'objet  d'une  théorie  traditionnelle  dont  les 
préceptes  sont  répétés  avec  soin  par  les  pères  et  pratiqués 
par  les  enfants  avec  l'attention  qu'ils  accordent  respectueu- 
sement à  toutes  les  leçons  de  la  sagesse  des  ancêtres. 

L'ignorance  dans  laquelle  on  se  trouve  généralement, 
même  en  Afrique,  des  principes  de  civilité  admis  par  la  so- 
ciété musulmane,  expose  trop  souvent  les  Européens  à  man- 
quer aux  règles  tracées  par  l'usage,  ou  à  se  placer,  vis-à-vis 
des  indigènes,  dans  un  état  d'infériorité  dont  ceux-ci  ne 
manquent  pas  de  se  prévaloir. 

C'est  ainsi  que  nous  avons  entendu  maintes  fois  prodiguer 
par  des  Français  revêtus  du  pouvoir  les  qualifications  de  sidi 
—  monseigneur  —  au  moindre  Aaïd,  nous  dirons  plus,  à  de 
simples  mekhaznis  —  cavaliers. 

Sans  doute  nous  devons  aux  Arabes  l'exemple  de  Turba- 
nité;  nous  le  devons,  et  comme  peuple  dont  la  civilisation 
est  plus  parfaite  et  comme  peuple  dominateur  ;  cependant, 
ne  leur  accordons  que  ce  qu'il  est  convenable  de  leur  ac- 
corder. 

Pour  nous  guider  en  cette  matière  difficile,  voyons  à  qui 
l'Arabe  donne  la  qualité  de  sidi  : 

Il  la  donne  : 

1®  Aux  fonctionnaires  du  gouvernement  :  kalifas^  aghas, 
kaids. 


SALUTATlOiNS  69 

2®  Aux  chefs  de  la  justice  et  du  culte  :  muphtis^  kadiSy 
imam,  aadel. 

3®  A  la  noblesse  religieuse  :  marabouts^  cherfaa. 

i^  Aux  personnages  considérables  ,  soit  à  raison  de  leur 
fortune,  soit  à  raison  de  leur  origine.  Djouad  —  noblesse 
d'épée. 

Ils  donnent  seulement  le  titre  de  si  —  monsieur,  —  con- 
traction de  sidi^  aux  individus  lettrés  —  tolbOs^  —  ainsi 
qu'à  tout  musulman  qui  a  fait  le  voyage  de  la  Mecque.  Dans 
ce  cas,  si  c'est  un  homme,  on  fait  précéder  son  nom  de  la 
qualification  de  sid-el-hkadj^  monsieur  le  pèlerin,  et,  si  c'est 
une  femme,  de  lalla  khadja^  madame  la  pèlerine.  C'est  là 
encore  une  preuve  de  la  considération  qui  s*attache  à  tout  ce 
qui  touche  à  la  religion. 

Quant  à  ceux  qui  ne  sont  ni  nobles,  ni  fonctionnaires,  ni 
lettrés,  on  les  appelle  simplement  par  leur  nom,  Aabd'Al- 
lah,  Mohhammedj  Bachir^  etc. 

Un  jour,  j'offris  un  cigare  à  un  chef  arabe  et  je  lui  dis  : 
€  Veux-tu  fumer,  prends  ce  cigaro  (c'est  le  nom  estropié 
qu'ils  donnent  au  cigare).  »  Il  me  répondit  :  t  J'accepte  ton 
garo,  mais  je  ne  vois  pas  pourquoi  tu  lui  appliques  le  titre 
de  si  — de  monsieur;  —  $faro  tout  court^  c'est  bien  assez 
pour  lui. 

Ces  renseignements  préliminaires  donnés,  j'arrive  aux  sa- 
lutations proprement  dites  : 

jusqu'à  hcdi  : 


Que  ton  jour  soit  heureux  I 
Que  ton  jour  soit  béni  ! 

Que  ta  matinée  soit  avec  le  bien  ! 
Sebahh  le  khér  ! 


Youmek  saàid  ! 
Nharek  mebrouk  ! 


70 


LA    VIE    ARABE 


Que  Dieu  rende  heureux  ton  matin  ! 
Allah  issaad  sebahhak  ! 

Que  ton  jour  soit  pur  comme  le  laitl 
Nharek  ki  Ihhalib  ! 

APRÈS  MIDI  : 

Que  ta  soirée  soit  avec  le  bien  ! 
Messa  le  khér  ! 

Que  Dieu  vous  fasse  passer  la  soirée  avec  le  bien  ! 
Allah  mmessi'koum  bel  khér! 

Que  Dieu  rende  fortunée  ta  soirée! 
Allah  issaad  messak  ! 

A  TOUTE  HEURE  : 


Sois  le  bienvenu. 
Sois  avec  ta  santé. 
Sois  avec  la  paix. 
Comment  toi? 
Gomment  ton  temps? 
Comment  es-tu  fait? 
Comment  es-tu? 
Comment  vas-tu? 
Les  enfants  vont-ils  bien  ? 


Marhhaba  bik, 
Aala  selamtek. 
Aal  selama. 
Ouach  ennta? 
Ouach  hhalek  ? 
Ki  rak  dair? 
Kirak? 
Kifennek  ? 
Li  chachera  be  khér. 


Tu  trouveras  ici  la  famille  et  du  large. 
Halenn  ou  sahalenn. 

Chez  les  Arabes,  le  mot  temps  revient  à  chaque  instant  dans 
la  conversation.  Au  lieu  de  dire  :  «  Comment  te  portes-tu?» 
on  dit  :  «  Comment  va  ton  temps?  »  c'est-à-dire  :  c  Comment 


SALUTATIONS  71 

te  trouves-tu  pendant  le  temps  que  Dieu  t'a  donné  à  passer 
sur  cette  terre.  » 

Il  est  une  nuance  moins  marquée,  moins  connue,  qu'on  ne 
saisit  pas  tout  d'abord  quand  on  n'a  pas  une  grande  habi- 
tude des  usages  arabes.  Je  veux  parler  du  détour  au  moyen 
duquel  ils  s'informent  de  l'état  de  la  femme  de  leur  interlo- 
cuteur. 

La  nommer,  fût-elle  à  la  mort,  serait  une  haute  inconve- 
nance ;  aussi  l'intérêt  qu'on  veut  lui  témoigner  se  mani- 
feste-t-il  par  des  désignations  indirectes,  par  des  allusions. 


Comment  va  ta  tente? 
Comment  vont  les  gens? 
Comment  va  la  famille? 
Comment  vont  tous  les  tiens? 


Ki  rahi  khéimtek  ? 
Ki  rahoum  nassek  ? 
Kirahi  aayalek? 
Ki  rahi  djemaatek  ? 


Comment  vont  les  enfants  d'Adam? 
Ki  rahoum  banou  Adem  ? 

Comment  vont  ceux  qui  t'aident? 
Ki  rahoum  el  aaouana  f 

Toute  désignalion  trop  claire  éveillerait  la  jalousie  :  Il  a 
donc  vu  ma  femme,  il  la  connaît  donc,  qu'il  s'inquiète 
d'elle? 

A  moins  d'une  très-proche  parenté,  il  est  défendu  aux 
femmes  de  se  montrer  aux  hommes  et  aux  hommes  de  re- 
garder les  femmes.  Ceci  explique  pourquoi  les  hommes  seuls 
peuvent  aller  au  marché  quand  il  s'agit  de  pourvoir  aux  be- 
soins de  la  famille.  Dans  riiUimité,  on  ne  peut  voir  que  ses 
sœurs,  ses  belles-sœurs,  ses  tantes,  et  encore,  pour  cela, 
faut-il  montrer  une  grande  discrétion.  Que  voulez-vous  I  la 
jalousie  est  dans  le  sang  du  peuple  arabe.  Un  poète  a  dit  : 

«  Je  t'aime  tant,  6  Safiya  —  la  pure  —  que  je  suis  jaloux 


78 


LA    VIE    ARABE 


de  ffloi-mémey  de  Taffection  que  je  te  porte,  de  ta  grâce,  de 
ta  beauté,  du  milieu  dans  lequel  tu  vis,  de  l*air  que  tu  res- 
pires. Si,  pour  être  sûr  de  te  posséder  seul,  je  pouvais  te 
placer  dans  la  prunelle  de  mes  yeux,  cela  ne  m*empécherait 
pas  d'être  encore  jaloux  de  toi  jusqu'au  jour  du  jugement 
dernier.  » 

Le  tutoiement,  qui  est  pour  ainsi  dire  exclusivement  em- 
ployé par  les  Arabes,  cesse  souvent  dans  les  conversations 
de  mari  à  femme.  Un  bomme  bien  élevé  ne  parle  d'habitude 
à  la  mère  de  ses  enfants  qu'à  la  deuxième  personne  du  plu- 
riel. Il  y  a  dans  ce  fait  une  certaine  déférence. 


RÉPONSES     AUX     SALUTAT10?rS 


Je  vais  bien,  très-bien. 

Bien,  je  suis  reposé. 

Je  ne  fais  que  gazouiller. 

Je  ne  fais  que  dire. 

Il  ne  me  manque  que  ta  société 

Bien,  j'ai  pris  respiration. 


Rani  be  khér^  be  khér  nezha. 

Be  khér  y  rani  metardhh. 

La  nedenndenn. 

La  negouL 

Ma  khoss-ni  ghér  djemaatek, 

Be  khér,  rani  meriahh. 


Je  vais  bien  et  je  remercie  Dieu. 
Rani  be  khér  y  nhhamed  Rebbi. 

Je  vais  bien  avec  la  tranquillité. 
Rani  be  khér,  ou  aafya. 

Quand  tu  es  bien,  je  suis  bien, 
Menine  ennta  be  khér,  ana  be  khér. 

Bien,  je  suis  sur  mon  contentement. 
Be  kliéry  rani  aala  kifi. 


SALUTATIONS  73 

Nous  ne  faisons  que  louer  Dieu. 
Ghér  nechekkerou  Allah. 

Je  vais  bien,  nous  sommes  dans  l'abondance. 
Be  khér,  rana  kafiine. 

Bien,  il  ne  nous  manque  rien. 
Be  khér,  ma  khossna  chaain. 

Je  vais  bien,  il  ne  me  manque  que  ta  figure  el  le  prolon- 
gement de  ton  existence. 
Rani  be  khér  y  ma  khoss-ni  ghér  oudjhek  ou  toulane  aamrek. 

Je  loue  Dieu  et  je  déchire  la  créature. 
Nhhamed  Rebbi  ou  necherreg  el  aabd. 

Je  suis  réglé  comme  une  horloge. 
Rani  aala  hhassab  el  magana. 

Nous  ne  demandons  que  de  vos  nouvelles. 
Ghér  nessalou  aali-koum. 

Nous  allons  tous  bien,  jusqu'aux  chiens  de  la  tente. 
Rana  be  khér,  hhatta  be  kelab  el  khéima. 

Je  vais  bien,  que  Dieu  te  bénisse. 
Rani  be  khér,  Allah  ibarck  fik. 

Je  vais  bien,  que  Dieu  te  sauve. 
Rani  be  khér,  Allah  issellmek. 

Je  vais  bien,  louanges  à  Dieu. 
Rani  be  khér,  Ihhamedou  lellah. 

Nous  ne  demandons  à  Dieu  que  sa  protection  et  le  pro-^ 
longement  de  la  vie. 
Ghér  netlobou  Rebbi  fi  ceterr  ou  toulane  el  aamer. 


74  LA    VIE    ARABE 

Tout  le  bien  est  étendu  (autour  de  nous). 
Koull  khér  bassott. 

Dans  la  conversatfon,  les  formules  pieuses,  le  nom  du 
Prophète  surtout,  interviennent  fréquemment;  mais  il  peut 
se  trouver,  parmi  ceux  que  Ton  salue,  des  gens  d'une  reli- 
gion étrangère,  et  par  conséquent  ennemie  ;  pour  ne  pas 
blesser  ces  personnes,  qu'après  tout  il  faut  ménager,  par  des 
souhaits  auxquels  elles  n*accoi*deraient  aucune  valeur  ;  pour 
ne  pas,  d'un  autre  c6té,  compromettre  des  mots  sacrés  en 
compagnie  d'infidèles,  la  formule  est  plus  vague,  plus  gé- 
nérale. 

On  dit^  par  exemple  : 

Salut  à  mes  gens.  |  Salam  aala  kali. 

Vous  trouverez  même  de  nombreux  fanatiques  dont  la  con- 
science farouche  et  timorée  ne  s'accommode  pas  d'un  pai*e'il 
compromis,  et  qui  se  croiraient  damnés  s'ils  n'établissaient 
pas  une  séparation  bien  marquée  entre  eux  mêmes  et  des 
mécréants. 

Ceux-là,  quand  ils  entrent  dans  une  réunion  où  se  trou- 
vent des  chrétiens  ou  des  juifs,  ne  manquent  jamais  de 
dire  : 

Salut  aux  gens  du  salut!  |  Salam  aala  hal  es-salum. 

Salut  à  ceux  qui  suivent  la  bonne  direction. 
Saalam  aala  menu  tabaa  Ihotula, 

On  comprend  néanmoins  que,  dans  les  pays  soumis  à  notre 
domination,  la  prudence  fait  taire  le  fanatisme,  et  qu*on  ne 
se  hasarde  pas  à  froisser  des  gens  qui,  parlant  arabe,  sau- 
raient ce  qu'on  veut  dire,  et  pourraient  faire  payer  assez 
cher  une  impolitesse. 


SALUTATIONS  75 

Dans  tous  les  cas,  la  conduite  la  plus  simple  à  tenir  avec 
ces  grossiers  personnages,  c'est  de  ne  paraître  s'apercevoir 
de  rien,  ou  de  leur  répondre  très-froidement  : 

Sur  toi,  comme  tu  as  dit.       |  Aalika  ma  goult. 

Quand  un  Arabe  aborde  un  Israélite,  un  membre  de  cette 
population  si  longtemps  et  si  rudement  asservie  par  les 
sectateurs  de  l'islam,  s'il  consent  à  lui  adresser  la  parole  le 
premier,  s'il  croit  devoir  être  gracieux  avec  lui,  il  lui  dit: 


Que  Dieu  te  fasse  vivre  I 
Que  Dieu  te  soit  en  aide  ! 


Allah  ïaaichek! 
Allah  taaounek! 


Et  ce  simple  mot  de  politesse  exceptionnelle  accordée  à 
an  juif,  serait,  dans  le  cas  spécial,  une  insulte  pour  un  mu- 
sulman. 

Un  Arabe  ne  passera  jamais  devant  une  réunion  de  ses 
égaux  ou  de  ses  supérieurs,  sans  dire,  en  mettant  la  main 
droite  sur  son  cœur  : 

Que  le  salut  soit  sur  vous  !      |  Salam  ou  aalikoum  ! 

Que  le  salut  soit  sur  vous  avec  la  miséricorde  de  Dieu  I 
Salam  ou  aalikoum  ou  rahhmet  Allah  ! 

On  lui  répond  toujours  : 
Sur  vous  soit  le  salut  !  |  Aalikoum  es-salam  ! 

Même  en  parlant  à  un  ami  que  Ton  rencontre  seul,  on  dira 
toujours  :  €  Que  le  salut  soit  sur  vous  !  »  au  pluriel. 

Pourquoi  ?  Parce  que  cet  bomme  que  vous  voye».  seul  est 
accompagné  de  son  ange  gardien  que  vous  ne  voyez  pas,  et 
qu'il  faut  les  saluer  tous  les  deux. 


76  LA    VIE    ARABE 

Au  surplus,  pour  les  salutations  en  plein  air,  voici  les 
principes  invariables  : 

Quelle  que  soit  sa  naissance,  son  état  ou  la  dignité  dont  il 
est  investi,  celui  qui  est  à  cheval  doit,  le  premier,  envoyer 
le  salut  à  l'homme  qu'il  rencontre  marchant  à  pied  ou 
arrêté. 

Celui  qui  marche  à  pied  doit  en  faire  autant  pour  Thomme 
assis  près  duquel  il  vient  à  passer. 

Celui  qui  est  monté  sur  un  cheval,  doit  aussi  saluer  le 
premier  tout  individu  qui  n*a  pour  monture  qu'un  mulet. 

Il  en  est  de  même  pour  Thomme  monté  sur  un  mulet, 
quand  il  trouve  sur  sa  route  un  pauvre  voyageur  cheminant 
sur  un  fine. 

Il  ressort  de  ces  règles  minutieusement  posées  et  scrupu- 
leusement observées,  que,  par  esprit  d'humilité,  le  salut 
doit  toujours  partir  d'en  haut  pour  aller  en  bas,  et  non  d'en 
bas  pour  aller  en  haut. 

Cependant,  si  deux  hommes  d'une  condition  égale,  vien- 
nent à  se  croiser  soit  à  pied,  soit  à  cheval,  c'est  le  plus 
jeune  qui,  le  premier,  doit  saluer  le  plus  âgé.  Cette  excep- 
tion a  pour  but  de  consacrer  le  respect  pour  la  vieillesse. 

Les  saints  sont  prononcés  d'une  voix  grave  et  solennelle, 
qui  fait  contraste  avec  notre  habitude  de  nous  aborder  en 
riant. 

Demander  à  quelqu'un  de  ses  nouvelles  d'un  ton  léger, 
presque  narquois,  le  saluer  à  l'étourdie,  prendre  une  atti- 
tude qui  ne  soit  pas  en  harmonie  avec  cette  sérieuse  parole: 
c  Que  le  salut  de  Dieu  soit  sur  vous  !  »  paraît  aux  Arabes  la 
chose  la  plus  choquante  du  monde  ;  ils  ne  tarissent  pas  en 
reproches  sur  cette  façon  d'agir.  «  C'est  donc  bien  risible, 
disent-ils,  que  de  demander  à  son  parent  ou  à  son  ami  : 
«  Comment  vous  portez-vous  ?  » 


SALUTATIONS  Tl 

On  ne  peut  se  faire  une  idée  des  plaisanteries  qu'inspire 
aux  Arabes  notre  manière  de  saluer.  lis  disent  que  nous 
portons  une  espèce  de  vase  de  nuit  sur  la  tète,  et  que,  quand 
on  se  rencontre,  on  se  l'offre  le  plus  gracieusement  possible, 
en  se  demandant  réciproquement  si  Ton  n'a  pas  quelque  be- 
soin pressant  à  satisfaire. 

Les  salutations,  cbez  les  Arabes,  sont  interminables.  Tou- 
jours une  conversation  sur  la  paix,  le  commerce,  la  guerre 
ou  la  chasse,  etc.,  etc.,  est  interrompue  par  un  retour  subit 
aux  formules  avec  lesquelles  on  s'aborde  :  «  Comment  es-tu  ? 
—  Bien.  —  Comment  va  ton  temps?  —  Très-bien.  —  Com- 
ment va  ta  tente  ?  —  Tout  le  monde  va  bien.  »  Et,  après  avoir 
épuisé  ce  vocabulaire,  on  reprend  la  conversation  au  point, 
à  peu  près,  où  elle  était  restée. 

Ces  alternatives  de  causeries,  avec  intermède  de  politesses, 
se  renouvellent  à  diverses  reprises  ou  se  multiplient  en  rai- 
son de  l'amitié  qu'on  porte  à  l'interlocuteur,  ou  du  temps 
qu'a  duré  l'absence.  J'en  ai  été  souvent  témoin,  et  je  ne  suis 
pas  étonné  que  des  Français  leur  aient  donné  le  nom  de  sa- 
latnalec. 

En  résumé,  jamais  des  salutations 'ou  des  compliments  ne 
doivent  rester  sans  réponse,  et,  si  l'on  vous  en  apporte  de  la 
part  d'un  ami  ou  d'un  étranger,  ayez  soin  de  dire  au  messa- 
ger: 

Qu'il  y  en  ait  encore  davantage  pour  toi  ! 
Ketir  lek  ! 


Ou  bien  : 

Bienvenus  tes  compliments. 
Salue-le  sur  ma  langue. 
Salue-le  de  ma  part. 


Marhhaba  be  selamek, 
Sellem  aalih  aala  lessani, 
Sellem  aalih  menn  aandi. 


78  LA    VIE    ARABE 


VI 


ADIEUX 

Après  les  salutations  viennent  tout  naturellement  les 
adieux  que  Ton  adresse,  soit  pour  quitter  une  tente  où  l'on  a 
été  reçu,  soit  pour  se  séparer  de  ses  amis,  ou  bien  encore 
lorsqu'on  veut  entreprendre  un  voyage. 

Un  Arabe  entre  dans  une  compagnie,  salue,  parle  à  son 
tour  et  s*en  va  sans  rien  dire  ;  mais,  s'il  est  de  bon  ton  de  ne 
pas  attirer  Tatlention  de  son  hôte  lorsqu'il  a  plusieurs  per- 
sonnes chez  lui,  ce  serait  une  grande  impolitesse  que  de  ne 
pas  lui  faire  ses  adieux  lorsqu'il  est  seul,  ou  quand  il  est 
impossible  qu'il  ne  s'aperçoive  pas  de  votre  départ. 

Les  formules  usitées  en  pareil  cas  sont  celles-ci  : 

Je  pars,  restez  avec  le  bien. 
Rani  machi^  bkaou  aala  khér. 

Je  vous  laisse  avec  le  bien. 
Khallite-koum  aala  khér. 

Je  vous  laisse  dans  la  main  de  Dieu. 
Khallite-koum  fi  idd  J^ebbi. 

S'il  platt  à  Dieu,  nous  entendrons  toujours  dire  que  vous 
êtes  bien. 
Ennchaallah^  daim  nessmaaou  aalikoum  el  khér, 

m 

Que  votre  soirée  soit  avec  le  bien  ! 
Messa  le  khér  aalikoum  ! 

Que  ta  soirée  soit  avec  le  bien  !  Dors  avec  la  paix. 
Temessa  aala  khér  !  Ergoud  be  selama. 


ADIEUX  79 


Prends  soia  de  la  famille. 
Tehalla  fel  khéima. 

Je  pars,  et  je  vous  laisse  mon  cœur. 
Mechite  au  galbi  khallite. 


RÉPONSES     AUX     ADIEUX 


Que  ton  voyage  soit  heureux, 
Avec  la  protection  de  Dieu  ! 
Que  Dieu  soit  avec  toi  ! 

Va,  avec  la  paix. 
Rohheu  be  selama. 


Sofra  mebrouka^ 
Fy  amane  Allah  ! 
Allah  ikoun  maak! 


Que  Dieu  te  fasse  rencontrer  le  bien  ! 
Allah  idjaalek  telka  el  khér! 

Tu  pars  et  tu  emportes  mon  cœur. 
Mechite  ou  galbi  editt. 

Rencontre  le  bien  et  la  tranquillité. 
Maared  khér  ou  aafya, 

Nous  ne  sommes  pas  rassasiés  de  ta  société. 
Maranach  chebaanine  nienn  djemaatek. 

Que  Dieu  n'allonge  pas  ton  absence  I 
Allah  la  itououell  aatik,  el  ghaiba  ! 

Que  demain  ta  matinée  soit  avec  le  bien  et  la  tranquil- 
lité ! 
Tessebahh  be  khér  ou  aafya  ! 


80  LA    VIE    ARABE 

Que  Dieu  te  fasse  arriver  avec  le  bien  et  te  ramène  avec 
le  bien  ! 
Allah  yousselek  aala  khér  ou  idjibek  aala  khér  ! 

Que  Dieu  nous  réunisse  dans  une  heure  fortunée  ! 
Allah  idjemaarna  /î  saa  mebroiika  ! 

S*il  platt  à  Dieu  nous  nous  rencontrerons  dans  une  belle 
heure. 
Ennchaallah  netlnkaou  fi  saa  zina. 

Quand  un  Arabe  se  met  en  voyage,  eût-il  omis  des  choses 
importantes,  ne  le  rappelez  jamais.  Ce  serait  d'après  ses 
idées,  lui  porter  malheur.  Cependant,  si  vous  le  faites,  au 
moment  où  il  se  retournera,  dites-lui  : 

Que  ton  chemin  soit  avec  le  salut  ! 
Trék  selama  ! 

et  tout  danger  sera  conjuré. 

Lorsqu'un  enfant  quitte  sa  famille,  dans  la  pensée  que 
cela  lui  portera  bonheur  et  le  ramènera  au  pays,  avant  son 
départ,  on  lui  fait  boire  de  Teau  puisée  à  la  source  la  plus 
voisine.  Cet  usage  n'est-il  pas  touchant? 

Heureux  celui  qui  prend  la  route  un  samedi.  Pourquoi  ? 
Parce  que  le  Prophète  préférait  ce  jour  à  tous  les  autres. 

Les  Arabes  croient  encore  au  fal,  c*est-à-dire  à  Taugure 
que  Ton  peut  tirer  de  certains  faits  qui  se  produisent  inopi- 
nément. 

Ainsi,  voir  un  chacal  en  se  levant,  présage  heureux.  Mais 
voir  un  corbeau  voler  seul  et  comme  égaré  dans  le  ciel,  pré* 
sage  malheureux.  Si,  au  contraire,  deux  corbeaux,  Theu- 
reux  et  Theureuse,  messaaoud  et  messaaoudaj  paraissent  jouer 


ADIEUX  81 

ensemble  dans  les  airs  et  te  faire  compagniey  pars  avec  con- 
fiance. 

En  un  mot,  chez  les  Arabes,  tout  ce  qui  est  beau,  jeune, 
éclatant  et  riche  porte  bonheur,  tandis  que  tout  ce  qui  est 
vieux,  infirme,  pauvre  et  déguenillé  porte  malheur.  Ceci 
admis,  si,  en  sortant  de  chez  toi,  tu  rencontres  une  femme 
laide  ou  vieille,  une  jument  décharnée,  mal  équipée,  une 
esclave,  un  homme  estropié,  garde-toi  bien  de  quitter  ta 
tente  ou  ta  tribu. 

Mais  ce  qui  peut  arriver  de  plus  heureux  à  un  voyageur, 
ainsi  qu*à  un  parti  de  cavalerie  sur  le  point  d*entrer  en  cam- 
pagne, c'est  de  trouver,  au  départ,  une  jeune  et  jolie  femme, 
resplendissante  de  santé  et  richement  vêtue,  qui,  dénouant 
sa  ceinture,  vous  regarde  et  en  agite  les  deux  extrémités  en 
^  vous  souriant  avec  grâce  et  bienveillance.  Elle  appelle  sur 
vous  la  bénédiction  de  Dieu. 

A  propos  de  voyage,  je  dirai  que  l'émir  Aabd-el-Kader  ne 
contrevenait  jamais  à  Tusage  universel,  qui  veut  que,  lors- 
qu'on va  monter  à  cheval  pour  une  longue  excursion,  la 
femme,  une  négresse  ou  bien  encore  un  serviteur,  jette  un 
peu  d*eau  sur  la  croupe  ou  sur  les  jambes  de  la  monture. 
C'est  un  souhait  et  à  la  fois  un  heureux  présage.  Souvent 
c'est  le  cafetier  qui  répand  du  café  sur  les  pieds  des  chevaux. 

A  ce  même  ordre  d'idées  appartient  la  superstition  qui 
fait  considérer  une  averse  au  départ  comme  de  bon  augure. 
L'eau  est  toujours  la  bienvenue  dans  un  pays  où  souvent 
elle  manque.  De  là  aussi  ce  compliment  fréquent  que  l'on 
adresse  aux  hommes  du  pouvoir,  lorsqu'il  leur  arrive  de  se 
mettre  en  route  par  une  pluie  battante  : 

0  monseigneur,  ton  éperon  est  vert  ! 
Ya  sidij  chabirek  kheder  ! 


82  LA    VIE    ARABE 

C'est-à-dire  :  Tu  nous  portes  bonheur,  car  tu  nous  amènes 
Teau  qui  produit  la  verdure,  l'eau  qui  est  toujours  si  propice 
à  la  moisson  et  à  nos  troupeaux. 

Telles  sont,  dans  leur  ens^auble,  les  rès^les  de  la  polites&e 
ordonnée  par  Dieu  lui-même.  Ou  trouve  dans  le  Koran,  cha- 
pitre XXIV,  verset  61  : 

c  Quand  vous  entrez  dans  une  maison,  saluez-vous  réei* 
proquement  (celui  qui  entre  et  celui  qui  reçoit),  en  vous 
souhaitant  de  par  Dieu  une  bonne  et  heureuse  santé.  C'est 
ainsi  que  Dieu  vous  explique  ses  signes  afin  que  vous  les 
compreniez.  » 

Maintenant,  pour  entrer,  pour  sortir,  pour  interroger  ou 
pour  répondre,  on  n'a  plus  qu*à  choisir,  parmi  celles  que  j*ai 
données,  les  formules  qui  conviendront  à  Tesprit  ou  au  rang 
de  l'interlocuteur.  Dans  la  plupart  des  cas,  on  fera  bien  de  les 
mettre  au  pluriel. 


CHAPITRE    III 


Remerciments  et  souhaits.  —  Supplications.  —  Serments. 
Injures.  —  Imprécations.  —  Consolations.  —  Félicitations. 


lEMERCIMENTS     ET    SOUHAITS. 


Je  crois  avoir  déjà  soulevé  un  coin  du  voile  qui,  avant 
la  conquête  de  TAlgériey  se  plaçait  entre  les  Européens 
et  les  Arabes  pour  nous  cacher  leurs  mœurs,  leur  ca- 
ractère et  leurs  pensées  intimes;  mais  ce  que,  sous  peine 
de  lasser  la  patience  la  plus  robuste,  il  serait  très-diffi- 
cile de  dérouler  tout  au  long,  c*est  la  kyrielle  des  remep- 
ciments ,  des  souhaits ,  des  prières  et  des  instances  que 
prodigue  ce  peuple  souple,  liant,  abondant  en  amabilités  Ver- 
beuses, lorsqu'il  veut  en  venir  à  ses  fins,  demander  un 
service,  implorer  une  grâce,  solliciter  une  faveur.  Je  vais 
cependant  essayer  de  le  faire. 

Quand  un  Arabe  est  en  présence  d'un  sultan,  d*un  che 
ou  d'un  protecteur  quelconque  qu*il  a  besoin  de  ménager,  il 
saura  toujours,  si  Ton  veut  tolérer  l'expression,  amadouer 


84 


LA    VIE    ARABE 


son  homme,  ainsi  que  le  lui  commande  du  reste  le  proverbe 
suivant  : 

A  celui  que  tu  vois  monté  sur  un  âne,  dis  : 
c  0  monseigneur,  que  ton  cheval  soit  heureux  I  » 
Le  tessibou  rakeb  aala  hhemar^  goullou: 
Ya  sidiy  mebrouk  el  aaoud  ! 

Et  puis  ne  faut-il  pas  encore  se  conformer  à  ce  sage 
principe  des  aïeux  : 

Baise  le  chien  sur  la  bouche. 

Jusqu'à  ce  que  tu  en  aies  obtenu  ce  que  tu  veux. 

Boms  el  kelb  menn  foum-hou, 

Hhatta  tekdi  messaltek  menn-hou. 

Pour  comprendre  l'énergie  de  ce  dicton,  il  faut  savoir  que, 
le  chien  étant  un  animal  impur  aux  yeux  des  musulmans, 
ils  méprisent  souverainement  ceux  qui  passent  leur  vie  à  le 
caresser  et  à  Tembrasser. 

Quand  un  Arabe  a  touché  un  chien,  il  ne  peut  plus  prier 
sans  s'être  purifié  par  une  ablution. 

Ils  sont  nombreux,  les  baisers  à  donner  au  chien,  les  com- 
pliments à  faire  au  corbeau  qui  tient  un  fromage,  et  je  sais 
plus  de  cent  phrases  différentes,  concernant  ce  sujet,  de- 
puis : 

Que  Dieu  augmente  Ion  bien  ! 

Jusqu'à  : 

Que  ton  ventre  n'ait  jamais  faim  ! 
A  mettre  en  regard  de  notre  éternel  :  a  Dieu  vous  assiste  ! 
Dieu  vous  le  rende  I  » 

En  voici  quelques-unes  : 


REMERGIMENTS    ET    SOUHAITS  85 


Que  Dieu  te  sauve  I 
Que  Dieu  te  le  remplace  ! 
Que  Dieu  prolonge  ta  vie  ! 
Que  Dieu  te  bénisse  I 
Que  Dieu  te  couvre  ! 
Que  Dieu  te  chérisse  ! 
Que  Dieu  te  favorise  ! 


Allah  issellmek  ! 
Rebbi  ikhelef  aalik  ! 
Allah  itotiel  aamrek  ! 
Allah  ibarekfik! 
Allah  istor  aalih  ! 
Allah  yàazek  ! 
Allah  ihhafedek! 


Que  Dieu  augmente  ton  bien  ! 
Allah  iketter  khirek  ! 

Que  Dieu  ajoute  à  ton  bien  ! 
Allah  izid  fi  rezkek! 

Que  Dieu  te  fasse  gagner  ! 
Allah  idjaalek  terbahh  ! 

Que  Dieu  accomplisse  ton  désir  ! 
Allah  ikemmel  moradek  ! 

Que  Dieu  te  donne  tout  ce  que  lu  désires  ! 
A  llah  taatik  koull  ma  tetemenna  ! 

Que  Dieu  se  rappelle  tes  parents  ! 
Allah  irhham  onaldik  ! 

Que  Dieu  te  rougisse  la  figure  ! 
Allah  ihhammer  lek  oudjhék  ! 

Que  Dieu  ajoute  à  ta  considération  ! 
Allah  izid  fi  hhermetek  ! 

Que  Dieu  te  conserve  ta  place  ! 
Allah  laiguelaalék  medrobek! 

Que  Dieu  te  pardonne  tes  péchés  ! 
Allah  ighefor  denoubek! 


86  LA    VIE    ARABE 

Qae  Dieu  te  fasse  mourir  couverl  ^ 
Allah  imiitek  mestour  ! 

Que  Dieu  te  récompense  avec  le  bien  ^ 
Allah  ikafik  bel  khér! 

Que  Dieu  te  conserve  la  santé  ! 
Allah  icheddUk  fi  sahhatek  ! 

S'il  platt  à  Dien,  tu  prospéreras  ! 
Ennchaallah  terbahh  ! 

Que  Dieu  te  rende  heureux  ! 
Allah  issaadek! 

Que  Dieu  te  donne  toute  espèce  de  bien  ! 
Allah  taatik  koull  khér! 

Que  Dieu  ne  te  fasse  voir  aucun  mal  ! 
Allah  la  iourrilek  bass! 

Que  Dieu  te  préserve  de  Tenfer  et  des  enfants  du  péché  ! 
Allah  isellkek  menn  en-nar  ou  nienn  oulad  Ihharame  ! 

Que  Dieu  embellisse  ton  temps  ! 
Allah  iziyenn  hhalek! 

Que  Dieu  accorde  sa  miséricorde  aux  auteurs  de  tes  jours! 
Alluh  irhham  oualdlk! 

Que  Dieu  fasse  durer  ton  heure  ! 
Allah  idomn  saatek  ! 

Que  Dieu  fasse  réussir  tes  enfants  ! 
Allah  issedji  ouladek! 

Que  Dieu  soit  miséricordieux  pour  le  ventre  où  tu  as  bouilli! 
Aliah  irhham  el  kerch  faine  ghellite  ! 


REMëRGIMëNTS    et    souhaits  87 

Sur  toi  la  protection  de  Dieu  ! 
Aalik  amane  Allah  ! 

Que  Dieu  te  donne  cent  et  une  chamelles  ! 
Allah  ïaatik  myate  naga  ou  naga  ! 

Que  Dieu  soit  miséricordieux  pour  le  ventre  dans  lequel 
tu  t'es  remué  ! 
Allah  irhham  el  bethonn  li  etkhebott  (ih  ! 

Que  Dieu  te  place  dans  le  paradis  après  ta  mort  ! 
Allah  imiitek,  fel  djenna! 

Que  Dieu  fasse  réussir  tout  ce  qui  t'appartient  ! 
Allah  issedji  ma  aandek  ! 

Que  Dieu  te  compte  au  nombre  des  amis  du  Prophète  ! 
Allah  idjaalek  menn  sahhab  en-nebi! 

Que  Dieu  te  rende  tout  facile  I 
Allah  issahel  aalik  koull-chi! 

Que  Dieu  te  compte  au  nombre  des  amis  de  la  Mecque  et 
de  Médine  ! 
Allah  idjaakk  menn  sahhab  Mekka  ou  el  Madina! 

Que  Dieu  te  contente  avec  le  bien  ! 
Allah  idjazik  bel  khér  ! 

Que  Dieu  t'accorde  la  tranquillité  ! 
Allah  thennlk! 

Que  le  mal  soit  loin  de  toi  ! 
Baaid  el  bêla  aalik! 

Que  Dieu  remplisse  ta  tente  ! 
Allah  ïaammer-lek  el  khéima! 


88  LA    VIE    ARABE 

Que  Dieu  éloigne  de  toi  les  dettes  et  les  malédictions  des 
auteurs  de  tes  jours  ! 
Allah  ibaad  aalik  ed-dine  ou  daa  el  ouoldine  ! 

Que  Dieu  vous  préserve  de  tout  malheur  pendant  la  durée 
de  votre  vie  ! 

Allah  yaafi-koum  menn  koull  moussiba  be  toul  hhayate- 
koum! 

Que  Dieu  te  fasse  mourir  sur  un  lit  de  soumission  ! 
Allah  immiitek  aala  ferach  taa! 

Que  Dieu  rende  notre  fin  meilleure  que  notre  commence- 
ment ! 
Allah  idjaale  akher-na  khér  menn  oueul-na! 

*  ■ 

Que  Dieu  te  rende  comme  un  poisson  savonné:  on  le 

touche  sans  pouvoir  le  prendre  ! 

Allah  idjaalek  ki  Ihhouta  metliya  be  sabaune:  tenmess 

ou  ma  tenhhakemch! 

Que  Dieu  aplanisse  tout  derrière  et  devant  toi  I 
Allah  ïouttihalek  men  ourak  ou  kouddamek! 

Que  Dieu  ne  laisse  jamais  ton  ventre  avec  la  faim, 
Et  ton  corps  dans  la  nudité  ! 
Allah  la  idjouaalek  bethenn, 
Ou  la  iaarikk  bedenn  ! 

Que  Dieu  te  rende  facile  toute  affaire  difficile  ! 
Allah  issahel  aalik  koul  amer  saaib  ! 

Que  Dieu  te  rende  comme  Teau:  on  la  prend,  mais  elle 
s'échappe  ! 
Allah  idjaalek  ki  le  ma:  tenhhakemou  teflet! 


REMERCIMENTS    ET    SOUHAITS  89 

S*il  plattà  Dieu,  tu  réussiras  et  tu  gagneras  ! 
Ennchaallah  tendjahh  ou  terbahh! 

Que  Dieu  te  fasse  mourir  dans  la  guerre  sainte  ! 
Allah  imiitek  fel  djahad  ! 

Que  Dieu  te  fasse  mourir  avec  le  témoignage,  sur  un  bou 
cheval  et  kaîd  de  ta  tribu  I 

Allah  immiitek  aal  chahada,  ou  rekoub  el  khér,  ou  le 
kiyada! 

Que  celle  qui  t'a  fait,  en  fasse  encore  cent  comme  toi  ! 
Li  ouldatek,  tezide  mennek  mya! 

Dieu  te  récompensera  dans  ce  monde  et  dans  Tautre  ! 
Allah  ikafik  fi  hadi  ou  fi  lakhéra  ! 

On  pousse  la  politesse  plus  loin  encore  :  on  ne  s*en  tient 
pas  aux  paroles,  et  l'on  sait  flatter  par  des  actes. 

Dans  une  course  de  chevaux,  un  kaïd  et  un  puissant  agha 
se  trouvaient  en  présence  ;  le  kaïd  fit  tous  ses  efforts  pour 
se  laisser  battre,  il  y  réussit.  Quiconque  connaît  Tamour- 
propre  d'un  Arabe  pour  la  réputation  de  son  cheval  appré- 
ciera la  grandeur  du  sacrifice. 

La  course  finie,  Tagha  dit  au  kaïd  :  «  Ton  cheval  est  excel- 
lent ;  tu  Tas  retenu,  il  n'est  pas  possible  qu'il  en  soit  autre- 
ment. —  Ah  !  monseigneur,  répondit  le  kaïd  d'un  air  de 
bonhomie,  jamais,  dans  mon  pays,  le  cheval  d'un  kaïd  n'a 
battu  celui  d'un  agha.  » 

Entre  Arabes,  ces  gracieusetés  se  payent  de  la  même  mon- 
naie, c'est-à-dire  avec  des  paroles  ;  mais,  quand  elles  nous 
sont  adressées,  à  nous  autres  chrétiens,  nous  ne  nous  y  at- 
tendons guère  et  nous  pouvons  nous  y  laisser  prendre,  tandis 
que,  loin  de  faire  quelque  fond  sur  ces  compliments,  nous 


90  L\    VIE    ARABE 

devrions  peut-être  les  regarder  comme. un  avertissement  et 
nous  tenir  en  méfiance. 

Nous  n*avons  besoin  pour  cela  que  de  nous  rappeler  Tin* 
tolérance  ombrageuse  de  ce  peuple,  qui,  après  nous  avoir 
combattu  vainement  par  les  armes,  a  recours  à  la  parole. 
Lutter  contre  un  cbrétien  avec  toutes  les  ressources  que  Dieu 
fournit  doit  être  agréable  à  TÉtre  suprême.  Que  sera-ce  donc 
si  rintérét  s*en  mêle  et  vient  à  l'appui  de  la  piété. 

Il  existe  quelques  exceptions,  mais  elles  sont  rares,  et 
le  mieux,  en  définitive,  est  de  rester  toujours  sur  ses 
gardes. 

Il  faut  même  se  prémunir  contre  ces  allusions  que  se  per- 
mettent vos  compagnons  habituels,  ceux  que  vous  croyez 
vos  meilleurs  amis  :  profitant  de  votre  inexpérience,  ils  ne 
laissent  écbapper  aucune  occasion  de  faire  rire  S  vos  dépens, 
par  quelque  mot  à  double  entente  compris  seulement  de 
ceux  qui  vous  entourent.  La  langue  arabe  en  est  très-riche  ; 
il  pourrait  vous  arriver  de  prendre  une  assez  grossière 
injure  pour  une  gracieuseté. 


II 


SUPPLICATIONS 


Pour  Tamour  de  Dieu. 
Tu  es  notre  père. 


Fi  sabillah, 
Hnnta  baba-na. 


Je  suis  entré  chez  toi  par  Dieu. 
Daklwlt  mltk  bellah. 


SUPPLICATIONS  91 

Je  n'ai  que  toi  et  Dieu. 
Maandi  ghér  ennta  ou  Rebbi. 

Monseigneur,  je  suis  ton  chien. 
Ya  sidij  ana  kelbek. 

Monseigneur,  je  suis  ton  serviteur. 
Ya  sidiy  ana  khedimek. 

Je  suis  une  plume  de  tes  ailes. 
Ana  richa  menn  djenahhak. 

Ne  me  jaunis  pas  la  figure. 
Ma  tasseferliche  oudjhi.     . 

Donne-moi  un  peu  de  ce  que  Dieu  t'a  donné. 
Aaténi  menn  H  aatak  Rebbi. 

Je  suis  compté  sur  Dieu  et  sur  toi. 
Rami  mahhassoub  aala  Rebbi  ou  aalik. 

Monseigneur,  ne  réjouis  pas  mes  ennemis. 
Ya  sidiy  matechef^che  fiya  el  aada. 

Donne-moi  la  considération  devant  ma  famille. 
Aaténi  Ihheima  kebal  laamoumiya. 

Monseigneur,  fais-moi  cette  grâce,  et  cette  grâce  restera 
dans  ma  tête. 
Ya  sidiy  djemmel  aaliya  ou  djemilek  fi  rassi. 

Au  nom  de  ton  amour-propre ,  et  Tamour-propre  vaut 
cent. 
Dekhil  aala  aardck  ou  laard  issona  mya. 

Pense  à  moi,  je  suis  nommé  chez  toi  et  chez  Dieu. 
Kheinmem  fiya  :  rani  messemmi  aala  Rebbi  ou  aalik. 


93  LA    VIE    ARABE 

J'ai  patienté,  mais  le  sabre  est  arrivé  jusqu  à  l'os. 
SeberH,  ou  sekkine  otissel  el  aadom. 

Tu  es  le  couteau  et  moi  la  chair»  tranche  comme  tu  vou- 
dras. 

Ennta  le  khodmij  ou  ana  el  Ikham,  guetaa  ki  ma 
bghite. 

Je  suis  un  enfant  de  grande  tente,  seulement  le  temps  m'a 
trahi. 
Ana  ould  khéima  kebira^  ghér  tahh  biya  Ihhal. 

Je  suis  un  mattrc  du  bras,  et,  au  jour  de  la  poudre,  mes 
amis,  mes  enfants  et  moi,  tous  nous  mourrons  devant  ton 
cheval. 

Ana  moula  deroa^  ou  nhar  le  baroud^  be  oulidati  ou  sah- 
habU  gaa  nemoutou  gouddam  aaoudek. 

0  monseigneur  !  il  y  a  longtemps  que  je  suis  entré  sous 
les  ailes  de  ton  bernouss. 

Ya  sidi  !  menn  zemane  dekholt  thhatt  djenahh  bernous" 
sek, 

0  monseigneur!  je  suis  sous  ton  ombre. 
Ya  sidi  !  rani  thatt  dollek. 

Si  tu  ne  me  rends  pas  justice^  je  me  plaindrai  de  toi  à 
Dieu. 
lia  mataaténich  cheraa  nechteki  bik  aand  rebbi. 

Je  suis  entre  tes  mains. 
Rani  bine  iddik. 

On  le  voit,  l'Arabe  est  prodigue  de  paroles  touchantes 
quand  il  veut  demander  et  obtenir  quelque  faveur  ;  mais,  si 
les  positions  respectives  du  protecteur  et  de  l'obligé  sont 


SERMENTS  93 

changées,  s'il  n*a  plus  besoin  de  vous,  si  les  rôles  sont  iu- 
tervertis,  l'homme  naguère  humblement  pressant,  pourrait 
bien  vous  dire  un  jour  avec  insolence  : 

Mon  cheval  te  connaît;  quant  à  moi,  je  ne  te  connais  plus. 
Aaoudi  yaarfek  ;  ou  ana  manaarfek-chi. 

Cela  s*est  vu,  bien  que,  pour  rendre  hommagq  à  la  vé- 
rité, cela  ne  soit  pas  général.  Partout  il  y  a  de  nobles  carac- 
tères ;  néanmoins,  de  chrétien  à  musulman,  si  vous  ne  vou- 
lez éprouver  de  cruelles  déceptions ,  sachez  toujours  à  qui 
vous  avez  affaire.  N'oubliez  pas  que  vous  traitez  avec  un 
peuple  qui  n*a  jamais  manqué  de  paroles  mielleuses  pour  en 
venir  à  ses  fins,  mais  qui  est  condamné  fatalement  à  la 
haine,  par  sa  religion,  à  Tégoïsme,  par  le  genre  de  vie  qu'il 
mène. 


III 


SERMENTS 


Je  n*ai  parlé  jusqu'à  présent  que  des  remerctments,  des 
souhaits  et  des  supplications  :  chez  un  peuple  qui  n*en  est 
point  avare,  ce  sont  peut-être  là  des  paroles  de  peu  de  va- 
leur. En  est-il  de  même  des  serments  ?  Jusqu'à  quel  point 
engagent-ils  celui  qui  les  prononce  ?  Nous  le  dirons  pi  us  tard. 


I 


Par  Dieu  !  Bellah  !  Ouallah  ! 

Par  la  ligure  de  Dieu  I  Aala  oudjh  Allah  ! 

^  {     Be  amane  Allah  ! 

Par  la  croyance  de  Dieu  !  )       .         *     au  ut 

^  {     Amanate  Allah! 


94  LA    VIE    ARABE 


Par  ma  tête  et  par  mes  yeux! 
Par  la  bénédiction  du  pain  I 
Par  la  tôle  de  ton  père  I 
Par  ma  tête  et  par  la  tienne  ! 
Que  Dieu  vide  ma  selle  ! 


Aala  ras9%  ou  aaini  ! 
Berkete  en-naama  ! 
Aah  rassbabak! 
Ou  rassi  ou  rassek  ! 
Allah  ikhelli  serdji  ! 


Par  la  tête  du  Prophète  de  Dieu  ! 
Be  ras  rassoullah  ! 

Par  la  bénédiction  de  Dieu  ! 
Berkete  Rebbi! 

Par  la  vérité  du  Dieu  très-haut  ! 
Ou  hhak  Allah  taaln  ! 

Par  la  bénédiction  du  Prophète  ! 
Bei'kete  en-nebi  ! 

Par  mon  cou  et  par  ton  cou  ! 
Aala  rokebti,  ou  aala  rokebtek  ! 

Que  je  ne  sois  pas  un  musulman  ! 
Hani  manichi  messlem  ! 

Que  je  sois  un  enfant  du  péché  ! 
Rani  tnenn  oulad  el  hharam  I 

Par  la  vérité  des  cieux  créés  par  Dieu  ! 
Ou  hhak  samaauate  Allah  ! 

Que  ma  religion  soit  un  péché  pour  moi  ! 
Hharame  dini  / 

Que  j'accepte  la  religion  des  juifs  ! 
Rani  aala  dine  el  thoude  ! 

Par  Dieu  qui  ne  dort  et  qui  ne  rêve  ! 

Ou  hhak  Allah  H  ma-irgoud  ou  la  inoum  ! 


SERMENTS  95 

Que  Dieu  me  maadisse  comme  un  juif  ! 
Allah  inaalni  ki  lihoudi  ! 

Par  la  vérité,  demain  jour  où  l*on  payera  les  dettes  du 
jugement  dernier  ! 
Bel  hhak,  ghedoua  yaum  eddine! 

Si  je  f  ai  Inenti,  que  Dieu  me  coupe  la  langue  ! 
Ida  kedebt  aalik  Allah  iktaorli  lessani  ! 

Que  mes  femmes  soient  un  péché  pour  moi  ! 
Hharam  nesmya  ! 

Par  la  vérité  de  Dieu,  le  maître  du  monde,  et  du  Proph&te, 
le  généreux  ! 
Ou  khak  rebb  el  aalaminey  ou  ennabi  el  karim  I 

Que  mes  femmes  soient  séparées  de  mon  cou  ! 
Rahoum  nessaya  maazouline  menn  oangui  ! 

Que  ma  femme  soit  un  péché  pour  moi  au  troisième  di- 
vorce ! 
Hharam  marti  fi  talak  talate  ! 

Que  Dieu  rende  ma  religion  comme  la  tienne  ! 
Allah  idjaal  dini  aala  dinek! 

Le  divorce  est  permis  chez  les  musulmans.  Ils  en  usent  et 
ils  en  abusent. 

On  sait  déjà  qu'ils  peuvent  épouser  quatre  femmes  légi- 
times et  posséder  autant  d'esclaves  qu'ils  en  peuvent  nour- 
rir. 

Quand  la  femme  esclave  devient  enceinte  du  fait  de  son 
maître,  elle  ne  peut  plus  être  vendue  et  elle  prend  le  titre 
de  oum  el  oulid  —  la  mère  de  Tenfant.  —  Cet  enfant  a  le 
droit  d'hériter  de  son  père. 

Cependant,  une  esclave  qui  ne  serait  pas  enceinte  d'au 
moins  six  mois  pourrait  encore  être  vendue. 


91  LA    VIE    ARABE 

Dans  tous  les  cas,  la  loi  défend  le  mariage  entre  le  pro- 
priétaire et  Tesclave. 

Par  ma  tête,  le  jour  du  jugement  dernier,  quand  Dieu 
sera  kadi  et  les  anges  témoins  ! 

Be  rassi,  ghedoua  youm  el  kiyama  menine  ikoun  rebbi 
kadi  ou  le  melaika  chehoude  !  * 

Que  Dieu  me  fasse  perdre  le  témoignage  au  moment  de 
ma  mort  ! 
Allah  itellef  aaliya  echahada  oiiakt  el  ma  mate  ! 

Tout  musulman,  en  danger  de  mort,  est  tenu  de  prononcer 
la  Chahada.  S*il  a  perdu  la  parole^  il  doit  lever  un  doigt 
vers  le  ciel,  en  témoignage  de  Tunité  de  Dieu  ;  s'il  ne  lui 
reste  pas  assez  de  force  pour  faire  de  lui-même  ce  signe 
symbolique  de  la  croyance  dans  laquelle  il  a  vécu  et  dans 
laquelle  il  meurt,  un  des  assistants  lui  prend  la  main 
droite,  en  soulève  l'index  et  l'aide  ainsi  à  accomplir  ce  der- 
nier devoir. 

Que  Dieu  me  fasse  témoigner  avec  le  pied  ! 
Allah  idjaalni  nechahad  be  keraaiya  ! 

Que  Dieu  envoie  un  accident  sur  ma  tête  ! 
Allah  ibaatli  moussiba  aala  rassi! 

Par  la  bénédiction  de  Dieu  qui  m'a  fait  et  qui  t'a  fait  ! 
Berkete  Rebbi  li  khellok-ni  ou  kholkek  ! 

Par  la  grille  du  Prophète  I 
Be  chebbak  en-nebi! 

Le  tombeau  du  Prophète  est  à  Médine  ;  il  est  entouré 
d'une  grille.  Quand  deux  Arabes  veulent  faire  un  serment 
d'une  grande  importance,  ils  entrelacent  leurs  doigts  de  la 


SERMRNTS  97 

main  droite  en  disant:  «  Je  le  jure,  par  la  grille  du  Pro- 
phète. >  Dans  leur  pensée,  il  arriverait  malheur  à  celui  qui 
manquerait  k  sa  parole. 

Que  je  devienne  amoureux  de  ma  sœur,  sur  la  noble 
Kaaba! 
Rani  nezeni  Kheti  fel  Kaaba  chéri  fa! 

La  Kaaba  est  un  édifice  carré  de  trente  à  trente-cinq  pieds 
de  long  sur  trente  ou  trente-cinq  pieds  de  large,  situé  à  la 
Mecque,  au  centre  d'une  grande  place  également  carrée, 
dont  les  quatre  murailles  supportent  des  minarets  du  haut 
desquels  les  moudden  —  crieurs  des  mosquées  —  appellent 
les  fidèles  à  la  prière. 

Le  mot  kaaba  signifie  :  cheville  du  pied. 
Que  Dieu  m'enterre  debout  comme  un  juif  ! 
Allah  idfen-'ni  be  loukaf  ki  lihoudi! 

C'est  une  calomnie,  on  n'enterre  pas  les  juifs  debout; 
mais  c'est  encore  une  preuve  de  l'aversion  que  les  musul- 
mans ont  pour  les  Israélites.  Les  juifs  honorent  les  morts, 
les  lavent,  prient  sur  eux,  et,  comme  les  autres  peuples,  ne 
les  enterrent  qu'étendus  dans  leur  tombeau,  où  ils  doivent 
être  revêtus  d'un  habillement  blanc  complètement  neuf,  ou 
qui,  du  moins,  n'ait  jamais  servi.  Pour  les  pauvres  comme 
pour  les  riches,  ce  vêtement  funèbre  se  compose  d'un  pan- 
talon très-long  qui  recouvre  les  pieds,  d'une  chemise  et 
d'une  pièce  de  cotonnade  roulée  autour  de  la  tête.  Le  croi- 
rait-on ?  les  Israélites  qui  sont  établis  dans  les  villes  que 
nous  occupons  en  Algérie,  ont  trouvé  très-commode  de 
remplacer  cette  espèce  de  turban  par  notre  populaire  bonnet 
de  ce  ton. 


98  LA    VIE    ARABE 

Par  ma  lôtc  cl  par  la  tienne,  et  raa  tête  sauvant  la  tienne  ! 
Ou  rassi  ou  rasseky  ou  rassi  feda  rassek  ! 

Par  ta  vie  et  par  celle  de  tes  enfants! 
Be  lihayatek,  ou  be  hhayate  ouladek  ! 

Par  le  serment  de  Dieu  et  par  le  serment  de  notre  seigneur 
Brabim,  le  chéri  de  Dieu! 
Aahad  Allah  ou  aahad  sid-na  Brahim,  khalil  Allah! 

Par  la  bénédiction  de  sidi  Hamed  ben  Youssef,  le  mattre 
de  Milianah,  qui  a  pris  un  lion  pour  cheval  et  un  serpent 
pour  bride  ! 

Berkete  sidi  Hhamed  benn  Youssef,  moula  Meliana,  li 
dar  laaoud  sebaa  ou  Ihhanech  el  djam! 

Sidi  Hamed  ben  Youssef  est  un  marabout  célèbre  en  Algé- 
rie :  il  a  beaucoup  voyagé  et  laissé  des  dictons  sur  tous  les 
pays  qu'il  a  parcourus.  On  lui  concède  un  grand  talent  d'ob- 
servation ;  ses  appréciations,  nous  les  rencontrerons  plus 
tard.  Son  tombeau  est  à  Milianah. 

Que  Dieu  me  rende  semblable  à  la  selle  d'un  cavalier  : 
siège  pendant  le  jour  et  coussin  pendant  la  nuit  ! 

Allah  idjaal-ni  ki  serdj  le  jnekhazeni  :  fennar  megaada^ 
ou  fel  lille  ousada. 

Que  demain  Dieu  ne  me  fasse  pas  voir  le  matin  ! 
A  llah  la  issebbahh-ni  ! 

Si  je  t*ai  menti,  que  Dieu  me  donne  pour  père  celui  qui  a 
bâti  Paris. 
lia  kedebt  aalik,  Allah  idjaal  bouya  H  bena  Barize. 

Ce  serment  singulier  prouve  que,  si,  depuis  notre  occupa- 


SERMENTS  99 

lion  de  l'Algérie,  tous  les  Arabes  a*ont  point  encore  vu  Pa- 
ris, ils  en  ont  du  moins  beaucoup  entendu  parler,  et  surtout 
qu  ils  le  détestent  instinctivement,  comme  citant  la  léte  d'une 
nation  ennemie. 

Que  Dieu  me  condamne  à  frapper  la  danse  (à  me  prome- 
ner sans  motif),  comme  un  chrétien  I 
Allah  idjaalni  nedrob  eddansa  kif  er-roumi! 

0  monseigneur  !  si  j'ai  volé,  que  Dieu  me  fasse  répandre 
de  l'eau  debout  comme  les  infidèles  ! 

Ya  sidi!  ida  khouent  Allah  ivjaalni  nezerreg  ki  le 
kafara  ! 

Les  Arabes  portent  la  plus  grande  attention  à  ce  que  la 
moindre  goutte  d'urine  ne  vienne  à  toucher  leurs  vêtements. 
Elle  suffirait  à  les  rendre  impurs  pour  la  prière.  Afm  d^éviter 
cette  souillure,  ils  s'accroupissent  en  étendant  avec  soin  leur 
bernouss  autour  d'eux. 

Par  celui  qui  est  le  Dieu  unique,  le  demandeur  et  le  vain- 
queur, je  te  tuerai  comme  un  chien  ! 

Fa  belladi  la  ilaha  ella  houa^  et-taleby  el  ghaleb,  îiektelefç 
kilekelb! 

Que  Dieu  ne  me  donne  pas  ce  que  je  désire. 
Et  ne  me  fasse  pas  entrer  au  paradis! 

Allah  la  ïaaténi  ma-netemennay 
Ou  la  iddekholni  lel  djenna  ! 

Par  Dieu  qui  a  créé  la  terre,  les  sept  cieux,  le  trône,  le 
paradis  et  l'enfer  ! 

Bellah  H  khelok  el  arde,  ou  sebaa  semaoualey  ou  le 
ioursiy  ou  le  djeuna^ou  en-nar! 


100  LA    VIE    ARABE 

Si  je  t'ai  menti,  que  Dieu  me  fasse  porter  uq  chapeau 
comme  les  chrétiens  ! 

lia  kedebt  aalik  Allah  idjaaUni  nelbess  el  barreta  kif 
en-nessara  ! 

Je  le  répète,  les  Arabes  ont  pour  notre  chapeau,  baretta^ 
une  aversion  incroyable.  Il  aiment  bien  l'argent,  et  cepen- 
dant on  ne  pourrait  décider,  n'importe  pour  quel  prix,  même 
un  homme  de  la  plus  basse  extraction,  à  paraître  dans  un 
lieu  public,  avec  notre  coiffure.  Il  craindrait  de  passer  pour 
un  renégat,  et  son  témoignage  ne  serait  plus  reçu  en  justice. 

Voilà  les  serments  les  plus  usités,  non  pas  dans  les  villes, 
mais  dans  les  tribus  :  un  Arabe  prudent  et  qui  garde  une 
arrière-pensée,  évitera  de  prononcer  certaines  de  ces  pa- 
roles sacramentelles  devant  témoins.  Appelé  devant  la  jus- 
tice, où  les  caractères  civils  et  religieux  sont  confondus,  il 
serait  peut-être  forcé  de  s'exécuter,  s'il  n'avait  la  ressource 
de  se  faire  relever  de  son  langage  aventureux  par  un  taleb 
complaisant.  Il  est  facile  d'en  trouver  qui  ne  sont  pas  très- 
scrupuleux,  mais  il  en  coûte  toujours  quelque  présent. 

Quant  aux  femmes,  on  n'est  pas  non  plus  très-sévère  à 
leur  égard,  s'il  faut  en  croire  les  vers  suivants  : 

c  Si  elles  jurent  qu'elles  vous  aiment  et  que  jamais  elles 
ne  vous  trahiront,  ^ 

»  Rappelez-vous  que  celles  qui  mettent  du  kohhel  à  leurs 
paupières, 

»  Et  qui  se  teignent  les  doigts  avec  du  henna, 

>  Ne  se  croient  pas  obligées  de  garder  leurs  serments.  » 

Les  Arabes,  surtout  les  gens  de  guerre,  se  font  quelque- 
fois sur  l'avant-bras  des  brûlures  très-visibles  avec  le  four- 
neau d'une  pipe  allumée.  J*en  ai  demandé  la  raison,  on  m'a 


liNJURES 


101 


répondu  qae,  le  plus  souvent,  c'était  pour  ne  pas  perdre  le 
souvenir  d*on  serment  d'amour  ou  de  haine.  La  cicatrice 
devait  le  leur  rappeler  incessamment. 


IV 


l.'VJURES 


Chien,  fils  de  chien. 
Infidèle,  fils  d'infidèle. 
Impie,  fils  d'impie. 
Maudit,  fils  de  maudit. 
Voleur,  fils  de  voleur. 
Juif,  fils  de  juif. 
Nazaréen,  fils  de  nazaréen. 
Fils  de  la  prostituée. 
Enfant  du  péché. 
Enfant  de  la  rue. 
Charogne,  fils  de  charogne. 
Traître,  fils  de  traître. 
Démon,  fils  de  démon. 
Intrigant,  fils  d'intrigant. 
Mendiant ,  fils  de  mendiant. 
Fils  de  l'extraordinaire. 
Dégoûtant,  fils  de  dégoûtant. 
Enfant  de  l'injustice. 
FUS  de  l'adultère. 
Bâtard,  fils  de  bâtard. 
Enfant  de  la  débauchée. 
Religion  de  rat. 


Kelb  benn  el  kelb. 
Kafer  benn  el  kafer, 
Khardji  benn  khardjL 
Meskhoute  benn  meskhoute. 
Khaïne  benn  khaïne. 
Ih(mdi  benn  ïhoudi. 
Nessrani  benn  nessrani. 
Ould  el  kahhba. 
Ould  el  hharam. 
Ould  zennka. 
Djifa  benn  djifa. 
Gheddar  benn  gheddar. 
Chytane  benn  chytane. 
Khellate  benn  khellate. 
Sassi  benn  sassù 
Ould  el  aadjeb. 
Aàifa  benn  adifa, 
Benn  delam. 
Ould  zena, 

Hharami  benn  hharamL 
Ould  charmouia. 
Dine  el  far. 


102 


LA    VIE    ARABE 


Religion  de  bois. 
Religion  de  moineau. 
Menteur,  iils  de  menteur. 
L&che,  fils  de  lâche. 
Avare,  fils  d'avare. 
Injuste,  fils  d^injuste. 
Enfant  de  la  chienne. 
Gâté,  fils  de  gâté. 
Druse,  fils  de  Druse. 
Cochon,  fils  de  cochon. 
Baladin,  fils  de  baladin. 
Révolté,  fils  de  révolté. 
Coupeur  de  route. 
Ennuyeux,  fils  d'ennuyeux. 
Grossier,  fils  de  grossier. 
Animal,  fils  d'animal. 
Poltron,  fils  de  poltron. 
Fils  de  charogue. 
Puant,  fils  de  puant. 


Difie  el  hhatoby 
Dine  ezaouche. 
Keddab  benn  keddab. 
Djayahh  benn  djayahh. 
Bekhil  benn  bekhiL 
Dalem  benn  dalem. 
Ould  el  kelba. 
Fassed  benn  fassed, 
Derzi  benn  derzi. 
Hhallouf  benn  hhaïlouf. 
Zeffane  benn  %effane, 
Derkaoui  benn  derkaoui. 
Kttaa  ettrék. 
Samott  benn  samott. 
Kliechitie  benn  khechine. 
Behim  benn  behim. 
Khouaf  benn  khouaf, 
Ould  djifa. 
Fayahh  benn  fayahh. 


Va-nu-pieds,  fils  de  va-nu-pieds, 
Zoukti  benn  zoukti. 

Enfant  de  celle  qui  n'a  jamais  dit  non. 
Ould  li  aamer-ha  ma  galet:  la-la. 

Banqueroutier,  fils  de  banqueroutier. 
Falfss  benn  faless. 

Mangeur  de  cochon  et  buveur  de  vin. 
Oukal  el  hhallouf  ou  chareb  echerab. 

Désireux  de  barbe,  puant  de  la  bouche,  figure  de  vieille 
femme. 
Mechetak  el  lahhya,  khanez  el  foum^  oudjh  el  aadjouM. 


INJURES  1C3 

Il  existe  encore  d'autres  injures,  mais  la  pudeur  et  les 
convenances  me  défendent  de  les  reproduire. 

Imbécile,  fils  d'imbécile. 
Boudjadi  benn  boudjadi. 

Porteur  de  triques,  fils  de  porteur  de  triques. 
Haraoudji  benn  haraoudji. 

Fumeur  de  hhachich,  fils  de  fumeur  de  hhachich. 
Hhachàichi  benn  hhachàichi. 

On  entend  par  hhachich,  et  quelquefois  par  tekrouri^  les 
feuilles,  les  fleurs  et  les  graines  d'une  espèce  de  chanvre 
que  l'on  fait  sécher  et  que  Ton  fume  ensuite  dans  des  pipes 
très-petiies.  Cette  substance  a  le  pouvoir  de  causer  une 
ivresse  assez  forte  et  d'amener  une  gaieté  factice  extraor- 
dinaire. On  prétend  même  qu'elle  procure  des  songes  déli- 
cieux et  un  état  d'extise  plein  de  charme  ;  cependant,  tout 
le  monde  s'accorde  à  dire  que  l'usage  n'en  est  pas  très- 
dangereux.  Ceux  qui  ont  l'habitude  de  fumer  cette  graine 
peuvent  tomber  dans  le  délire,  compromettre  gravement  leur 
santé,  et,  à  la  longue,  perdre  la  raison. 

U  y  va  une  infinité  de  manières  d'employer  le  hhachich  :  on 
le  fume  souvent  mélangé  avec  du  tabac  fort,  on  le  prend  en 
boisson  ou  on  le  mange.  Dans  certaines  villes  de  l'Algérie, 
on  prépare,  avec  les  différentes  parties  de  celte  plante,  des 
confitures  qu'on  appelle  mcadjoun.  Les  femmes  en  font 
usage  quand  elles  veulent  se  mettre  en  gaieté. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  hhachich  est  presque  un  poison,  qui 
use,  en  peu  de  temps,  le  corps  et  l'intelligence  :  on  méprise 
généralement  ceux  qui  s'en  servent.  Dans  tout  l'Orient,  il  est 
connu  ;  les  souverains  musulmans  l'ont  défendu. 

En  Egypte,  l'émir  Cliikh  Khouni,  vers  l'an  700  de  l'hé- 


104  LA    VIË    ARABE 

gire,  fît  arracher  les  dents  à  ceux  qoi  furent  convaincus 
d'en  avoir  usé,  et  le  général  Bonaparte,  à  son  arrivée  dans 
le  même  pays,  sur  les  conseils  des  médecins  et  des  savants 
tels  que  Berthollet,  Desgenettes  et  Larrey,  le  prohiba  sévè- 
rement. 11  fit  fermer  les  cafés,  ainsi  que  les  établissements 
dans  lesquels  on  permettait  de  remployer  (1) . 

En  arabe ,  le  mot  hhachich  signifie  herbe  :  c'est  sans 
doute  par  extension  que  le  chanvre  a  été  ainsi  désigné. 

Quand  on  veut  fumer  le  hhachich,  on  dit  :  €  Allons  faire 
notre  kif;  »  c*est-à-dire  :  c  Allons  nous  hvrer  au  plaisir  d'une 
douce  ivresse.  • 


IHPRÉCATIOXS 

Après  les  injures,  il  me  semble  utile  de  faire  connaître 
aussi  les  imprécations  les  plus  usitées.  Elles  nous  feront  voir 
à  leur  tour  ce  que  la  haine  peut  inspirer  ^i  un  peuple  qui,  bien 
que  religieux,  passe,  avec  raison,  pour  très-rancunier. 

Que  Dieu  maudisse  ton  père,  le  chien  ! 
Allah  inaal  babak  el  Mb! 

Que  Dieu  te  maudisse  autant  de  fois  que  tu  as  de  cheveux 
sur  la  tête  ! 
Allah  inaakk  kodma  menu  chaara  fi  rassek  ! 

(1)  Voir,  pour  plus  amples  renseignemonls  sur  le  hhachich  et  le  kif, 
le  vocabulaire  d'histoire  naturelle  par  le  savant  docteur  Lagger.  On  le 
trouvera  dans  le  Grand  Désert t  du  général  Daumas  ,  et  Ausbne  de 
Chancel. 


IMPRÉCATIONS  105 

Que  la  malédiction  de  Dieu  soit  sur  toi! 
Naalale  Allah  aalik  ! 

Que  Dieu  maudisse  les  auteurs  de  tes  jours! 
Allah  inaal  oualdik  ! 

Que  Dieu  disperse  ta  famille  ! 
Allah  ichettet  chemelekJ 

Que  Dieu  maudisse  le  portier  qui  t'a  fait  entrer  ! 
Naalate  Allah  aal  bouab  li  dekholek  I 

Que  Dieu  maudisse  ta  religion  de  bois  ! 
Allah  inaal  dinek,  dine  el  hhatob  ! 

(Ceci  se  rapporte  à  la  croix  des  chrétiens.) 

Que  Dieu  maudisse  ta  mère  qui  n*a  jamais  dit  non  ! 
Allah  inaal  immak  li  aamer-ha  ma  galet  :  hy  la  ! 

Que  Dieu  maudisse  la  femme  qui  t*a  mis  au  monde! 
Allah  inaal  el  mra  li  ouldatek! 

Que  Dieu  fasse  que  tu  te  couches  pour  ne  plus  të  re- 
lever! 
Allah  idjaalek  tergoad  ou  ma  tenaude! 

Que  Tenfer  soit  pour  toi! 
Djaliennem  aalik  ! 

Que  Dieu  efface  ta  trace  de  ce  monde  et  qu'il  détruise  ta 
tente! 
Allah  immedi  djerrtek,  ou  iterek  khéimtek. 

Que  Dieu  diminue  ta  respiration! 
AUah  ikollel  nefssekl 


108  LA    VIE    ARABF: 

gure  découverte.  Pourquoi?  Ce  n'était  pas  un  homme,  c'était 
un  juif  ;  il  partageait  ce  privilège  avec  les  esclaves. 

Sans  entrer  dans  de  plus  grands  détails,  telle  était  à  peu 
près  la  situation  détestable  des  Israélites  au  moment  de  la 
conquête.  La  France  ne  pouvait  la  tolérer  ;  aussi,  malgré  les 
difficultés  politiques  que  cela  devait  nous  susciter,  a-t-elle, 
dès  le  principe,  montré  par  ses  actes  combien  les  préjugés 
invétérés  des  Arabes  lui  paraissaient  injustes  et  barbares. 

On  a  connu  des  chefs  arabes  fanatiques  qui  ne  venaient 
plus  dans  nos  villes  qu'avec  une  extri^me  répugnance,  pour 
ne  pas  être  exposés,  disaient-ils,  à  y  être  traités  par  les  juifs 
sur  le  pied  de  Tégalité.  C'était  quelquefois  embarrassant , 
mais  nous  nous  devions  à  nous-mêmes  de  faire  taire  toutes 
ces  considérations  devant  un  grand  acte  de  justice  et  de  ci- 
vilisation. 

Les  juifs,  aujourd'hui,  sont  citoyens  français  en  Algérie 
comme  en  France;  toujours  haïs  des  Arabes,  c*est  vrai, 
mais  hors  de  leur  domination. 

Que  Dieu  brûle  ton  père  ! 
Allah  ihharek  babak! 

0 

Que  Dieu  noircisse  ton  bonheur  ! 
Allah  issoued  saadek! 

Que  Dieu  te  rende  semblable  au  coq  :  il  s'en  va  content  et 
revient  le  cou  coupé  ! 

Allah  idjaalek  kif  ed-dik  :  yemchi  mecheivhheu  ou  ioulli 
medebohheu  ! 

Que  Dieu  te  punisse  parla  maladie,  par  la  pauvreté  et  par 
l'absence  de  ceux  que  tu  aimes! 
Allah  ibellik  bel  mordy  ou  le  fekeir^  ou  le  gherba  ! 


IMPRÉCATIONS  109 

Que  Dieu  te  condamne  au  chagrin,  à  la  tristesse^  au  mé- 
pris et  au  peu  en  tout  ! 

Allah  issellot  aalik  el  hhem,  ou  le  ghebiruiy  ou  le  dell^  ou 
le  koll  fi  koul'Chi! 

» 

Que  Dieu  te  place  dans  le  paradis  d'Abrouk!— des  juifs» — 
Tu  auras  le  feu  par-dessous  et  le  bois  par-dessu3. 
Allah  idjaalek  menn  djennet  aabrouk; 
Nar  nenn  ikhaie^  ou  Ihhatob  menn  fouk. 

Que  Dieu  te  rende  comme  un  bœuf  de  boucherie  ! 
Tu  entreras  sur  quatre  et  tu  sortiras  sur  sept. 
Allah  idjaalek  ki  ferd  el  djezzarine. 
Tedkhol  aala  arbaa  ou  tekhrodj  aala  sebaa. 

Que  Dieu  te  rende  comme  le  tambour  d'un  jour  de  fête  ! 
Tu  auras  la  voix  haute  et  le  ventre  creux. 
Allah  idjaalek  ki  lebel  nhar  el  adid  ! 
Hhessek  aali,  ou  kerchek  khali. 

Que  Dieu  ne  fasse  rien  sortir  de  toi  ni  de  ta  postérité. 
Allah  la  idjaal  mennek  ou  la  menn  derrltek  ! 

Que  Dieu  te  laisse  étendu  entre  deux  partis  de  cavalerie  ! 
Allah  ibekkik  memdoud  bine  el  goumm  ou  le  goumm  l 

Que  Dieu  te  rende  comme  la  poignée  de  la  porte  :  tu  cou- 
cheras toujours  dehors  ! 
Allah  idjaalek  ki  khctrset  el  bab:  daim  tebate  barra  ! 

Que  Dieu  ne  me  montre  ta  figure,  figure  de  chien,  ni  dans 
cette  maison  ni  dans  Tautre  ! 

Allah  la  iouri-ni  oudjhek,  oudjh  el  kelb,  la  fi  had  ed-dar 
ou  la  fi  dik  ! 


110  LA    VIE    ARABE 

Dieu  fasse  qu'au  jour  du  gain  tu  sois  toujours  absent  ! 
Allah  idjaalek  youm  rebahhy  tekoun  dma  ghdib! 

Que  Dieu  te  rende  comme  la  terre  d*une  montagne;  elle 
peut  descendre,  mais  elle  ne  remonte  jamais  ! 
Allah  idjaalek  ki  trabe  el  djebel:  thabot  ou  ma  tetlaa  ! 

La  mer  et  un  sac  pour  toi 
El  bhhar  ou  chekara  aaliâl 

Que  Dieu  égare  ton  tombeau  au  moment  de  ta  mort  ! 
A  llah  nielle f  keberek  ouakt  el  moût  ! 

Que  Dieu  ne  fasse  sortir  de  toi  ni  grains  ni  semences  ! 
Allah  la  idjaal  mennek  la  zeraa  oula  zeréaa  ! 

Que  Dieu  noircisse  ton  cœur  ! 
Alhh  ikahhal  galbek  f 

Que  Dieu  ne  fasse  pas  paraître  ton  fusil  au-dessus  des 
autres  fusils  ! 
Allah  la  ibiyenn  mouqhhaltek  bifie  el  meqhhal  ! 

Que  Dieu  fasse  que  tes  yeux  ne  jouent  plus  jamais  dans 
ta  tête  ! 
Allah  idjaal  aalnik  aamer-houm  ma  ilaabouchefi  rasaek! 

Que  Dieu  maudisse  le  conducteur  qui  t*a  amené  ! 
Allah  inaal  el  hhammar  H  djabek  ! 


CONSOLATIONS  111 


VI 


CONSOLATIONS 


Les  renseignements  que  nous  venons  de  donner  peuvent 
servir  à  guider  l'Européen  dans  ses  rapports  avec  les  Arabes, 
mais  ils  ne  suffisent  pas  à  ceux  qui,  habitant  le  pays  et  mê- 
lés à  Tadministralion  ou  aux  affaires,  sont  appelés  par  cela 
même  à  s'inilier  davantage  à  la  vie  des  indigènes.  Sous 
peine  d'être  souvent  embarrassé  dans  la  pratique,  il  faut 
encore  savoir  comment  on  console  et  comment  on  félicite. 
'  Lorsqu'on  aborde  une  personne  dont  le  deuil  tout  récent  a 
été  causé  par  la  mort  d'un  parent,  ou  d'un  ami,  les  conso- 
lations les  plus  usuelles  sont  celles-ci  : 

Mort  d*uii  homme. 

Que  Dieu  fasse  descendre  sa  bénédiction  sur  ta  tête  ! 
Allah  idjaal  el  baraka  fi  rassek  ! 

9 

Elargis  ton  intérieur,  nous  devons  tous   mourir;   Dieu 
seul  reste. 
Oussaa  khatrek  :  gaa  nemoutou,  ma  ibka  ghér  Rebbi! 

La  mort  est  une  contribution  frappée  sur  nos  cous  ;  nous 
devons  tous  la  payer  ! 
El  monte  ferd  aala  rekab-na  :  labed  nekhallessou-ha! 

Vois  :  notre  seigneur  Noé  a  vécu  quinze  cents  ans,  et  il  a 
fini  par  mourir  I 

Chouf:  sid-na  Nohheu  aach  khamssetach  mtate  sena^ou 
nhar  el  tali  mate  ! 


ii2  LA    Vie    ARABE 

Vois  encore  un  tel  ou  un  loi,  qui  dif5aient  et  qui  disaient, 
et  cependant,  au  dernier  jour,  rien  n'a  pu  les  sauver,  ni  le 
pouvoir,  ni  les  nehesses  ! 

Chouf  tani  felane  ou  felane  li  kane  igoul  ou  igoul^  ou  el 
hhassouly  ma  enfau-houmch  la  mal  oula  liherma. 

La  terre  est  comme  un  pont  :  on  y  entre  par  urn  côté  et  on 
en  sort  par  l'autre. 

Eddenya  mettel  el  kanntera  :  tedkhol  menn  djiha  ou  te- 
khrodj  men  djiha  lokhra. 

Si  Dieu  n'avait  pas  inventé  la  mort,  nous*  nous  mangerions 
les  uns  les  autres. 

Loukane  Rebbi  ma-dairchi  le  moutej  loukané  nakoulou 
baad-na  baad. 

Nous  avons  été  faits  avec  de  la  terre  et  nous  retournerons 
à  la  terre. 
Ahhna  mekheloukine  menn  et-lrab  ou  nerdjaaou  le  irab. 

Dès  le  jour  où  il  était  dans  le  ventre  de  sa  mère. 
Sa  mort  était  écrite  sur  son  front. 
Menn  nhar  li  kane  fi  ketch  oummou, 
Elmoute  mektouba  fi  djebinou. 

La  mort,  c'est  le  chemin  de  tout  le  monde. 
El  moule,  Irék  ennass  el  koull. 

Il  avait  fini  son  temps.  Il  est  mort  en  son  temps. 
Oufaa  adjelou.  Mate  fi  ouaktou. 

Il  faut  que  chacun  goûte  à  la  mort. 
Koull  nefss  labed  idouk  el  moute. 

Les  pleurs,  les  lamentations  sont  sévèrement  défendus 


CONSOLATIONS  113 

par  la  religion  musulmane.  Le  Prophète  a  dit  :  a  Ne  suivez 
les  morts  ni  avec  des  pleurs  ni  avec  du  feu.  » 

Dieu  a  promis  d'immenses  récompenses  à  ceux  qui  seront 
résignés. 

Cependant,  il  n*a  jamais  pu  anéantir  complètement  les 
signes  extérieurs  de  la  douleur,  soit  à  cause  de  leur  anti- 
quité, soit  parce  qu'ils  ont  leur  source  dans  les  faiblesses  du 
cœur  humain.  Lui-même,  lorsque  son  fils  Ibrahim  mourut, 
n'eut  pas  la  force  de  retenir  ses  larmes  en  présence  de  ses 
disciples.  Ils  lui  dirent:  «  0  prophète  de  Dieu  I  ne  nous  as-tu 
pas  défendu  de  pleurer?— C'est  vrai,  leur  répondit-il;  mais, 
si  mon  œil  pleure,  mon  cœur  est  profondément  soumis/ et  je 
ne  me  révolte  pas  contre  Tordre  de  Dieu.  » 

Mort  d*uDG  femme. 

Les  compliments  de  condoléance  pour  la  mort  d'une 
femme  sont  les  suivants  : 

Tiens  ton  âme  :  la  vie  est  dans  la  main  de  Dieu. 
Chedd  rohhak  :  el  aamer  fi  idd  Rebbi. 

C'était  sa  limite  :  Dieu  Ta  apportée,  Dieu  l'a  enlevée. 
Hadak  hhad-ha  :  Rebbi  djab-ha,  Rebbi  dda-ha. 

C'est  l'ordre  de  Dieu  :  c'était  tout  ce  qu'elle  avait  à  vivre. 
Hhakoum  Rebbi  :  hadak  ma  djabet  fi  aamer-ha. 

Tu  n'a  pas  de  mal  :  la  femme  se  remplace. 
La  bass  aalik:  el  mra  mekheloufa. 

Nous  ne  sommes  que  de  la  poterie,  et  le  potier  la  façonne 
comme  il  lui  plaît. 

Ahhna  ghér  fekhar,  ou  moul  fekliar  issenaa  kl  ma 
bgha. 

8 


iU  LA    VIE    ARABE 

Remercie  Dieu,  elle  t*a  laissé  tes  enfants  déjà  grands. 
Hhained  Rebbi,  khellate  ouladek  kebar. 

Que  Uieu  accorde  sa  bénédiction  à  les  enfants. 
Alluh  idjaal  el  baraka  fi  ouladek. 

S'il  platt  à  Dieu,  tu  la  trouveras  devant  loi,  dans  le  pa- 
radis. 
Ennchaallah  tedjeber-ha  kouddamek  fel  djenna. 

Ta  tête  est  sauve,  dis  :  je  remercie  Dieu. 
Selamt  rassek^  goiill:  Ihhamedou  lellah. 

Quand  il  le  peut,  un  Arabe  ne  manque  jamais  d'assister 
aux  funérailles  de  ses  parents,  de  ses  amis.  Le  Propbète  a 
dit: 

«  Conduire  un  mort  à  sa  dernière  demeure,  c'est  une  ac- 
tion méritoire  qui  compte  pour  une  bonne  action  dans  l'autre 
monde  :  en  le  portant,  ou  en  aidant  à  le  porter,  pendant 
l'espace  de  quarante  pas,  on  peut  obtenir  la  rémission  d'un 
grand  péché.  » 

Cependant,  on  empêche  les  femmes  d'assister  aux  enterre- 
menls.  Leur  présence,  disent  les  Arabes,  y  est  au  moins 
inutile  :  d'abord,  par  leurs  gémissements,  elles  empêchent 
de  suivre  et  d'entendre  la  prière  des  funérailles :—  Sa/af^  el 
djenaza  ;  —  puis  la  vue  de  leurs  charmes  peut  jeter  l'in- 
quiétude et  le  lroul)le  dans  le  cœur  des  fidèles.  Le  cimetière 
est  un  lieu  de  réflexions  sérieuses,  où  rien  ne  doit  détourner 
l'homme  de  cette  pensée  que,  venu  de  la  poussière,  il  doit 
retourner  à  la  poussière. 


CONSOLATIONS  115 


Pour  un  ble<9>'. 

Personne  n'est  aussi  heureux  que  toi  :  bieu  t'a  accordé 
une  blessure  dans  la  guerre  sainte. 

Makane  hhad  kifek:  endjerahht  fel  djahad  be  amer 
rebbl. 

Dieu  Ta  marqué  pour  ne  pas  t'oublier. 
Bebbi  recheinek  bacli  ma  ïnssakche. 

Dans  ce  inonde,  tu  seras  heureux  ;  dans  l'autre,  tu  seras 
compté  pour  un  martyr. 
Fi  hadi  saaïdy  ou  fel  akhra  chihid. 

Seulement,  ne  laisse  pas  entrer  tes  femmes,  et  supporte 
la  sonde  avec  patience. 
Ghér,  balék  idkolou  en-nessa^  ou  sebeir  ed-delile» 

Ne  ménage  pas  le  beurre  rance,  prends  garde  à  l'air, 
couvre-toi  selon  le  temps,  et  permets  au  médecin  de  faire 
ce  qu'il  voudra. 

Keterr  dehane,  ou  balék  erréhh  ;  balék  el  ma,  ou  berber 
aal  zemane,  ou  khalH  sanaa  issenaa  kl  ma  bgha. 

Dans  leurs  traitements  pour  les  plaies  d'armes  à  feu,  les 
Arabes  versent  du  beurre  rance  dans  les  blessures,  et  re- 
commandent par-dessus  tout  d'éviter  Tair  et  l'eau.  Ils  pré- 
tendent se  trouver  très-bien  de  ce  régime. 

S'il  plaît  à  Dieu,  tu  guériras,  et  tu  remonteras  h  cheval 
pour  combattre  les  infidèles. 

Ennchaallah ,  tebra  ou  terkeb  tant,  ou  toulli  teddague  el 
kafara. 


416  LA    VIE    ARABE 


Pour  nn  iniilade. 

Ne  te  chagrine  pas,  les  joui*s  de  la  maladie  sont  comptés    * 
chez  Dieu. 
Ma  telghobenn-chi  :  yame  cl  mord  maadoud  aand  Allah. 

La  maladie  allège  les  péchés. 

El  mord  tekhefif  menn  el  denmb. 

Comment  vas-tu  ?  La  maladie,  c'est  de  l'or  ;  ce  ne  sera 
rien,  s*il  plaît  à  Dieu. 
Kif  rak  ?  Eclwrr  deheby  maandek  bass^  ennchaallah. 

Que  Dieu  place  ta  maladie  en  augmentation  dans  la  ba- 
lance de  tes  bonnes  actions  I 
Allah  idjaal  mordek  ziyada  fi  mizane  hhassanatek. 

Ta  couleur  est  bonne,  bientôt  tu  seras  debout. 
Lounek  meléhh,  delouakt  tenaude. 

Ce  ne  sera  rien,  Dieu  te  guéiira. 
La  bass  aalik:  Allah  ichefik. 

Aie  confiance  dans  le  médecin  :  Dieu  guérit  par  Tinter- 
médiaire  de  la  créature. 
Admenn  fe  tebib  :  Rebbi  idaoui  ou  laabd  sebbab. 

Pour  la  baiitonnadc. 

La  compassion  que  Ton  témoigne  à  un  camarade  qui  a 
reçu  la  bastonnade  ne  va  pas  sans  un  peu  de  raillerie,  et 
Ton  glisse  toujours  quelques  gaillardises  dans  les  paroles 
qu*on  lui  adresse.  Ainsi,  on  lui  dit  : 


CONSOLATIONS  117 

Élargis  ton  intérieur  :  la  trique  est  faite  pour  les  hommes 
et  non  pour  les  femmes. 
Oussaa  khatrek  :  el  aàssa  mtaa  redjal^  machi  mtaa  nessa. 

Les  hommes  sont  faits  pour  la  trique,  pour  Tamour,  pour 

la  misère  comme  pour  toute  espèce  d'accidents. 

Redjal  enndaroti  aala  khater  laassa,  ou  lamchk^  ou  temer- 
mid,  ou  aala  khater  koul  moussiba. 

Qu'importe  !  dans  les  nuits  du  vingt-quatrième  du  mois, 
quand  règne  l'obscurité  et  que  les  chiens  sont  endormis,  les 
jeunes  gens  ne  font  que  dire  et  dire,  et  ils  entrent  chez 
leurs  maîtresses,  Teau  vînt-elle  à  tomber  du  ciel  comme 
une  corde. 

La  bass!  fel  liyali  mtaa  arbaa  ou  aacherine^  ouakt 
delame  ou  le  kelab  raguedine^  el  chachera  ghér  issououlou 
ou  igoulou^  ou  idokhelou  aala  khov/itet-houm,  ou  ennau 
khêite  menn  sema. 

L* Arabe  ne  se  croit  pas  déshonoré  pour  avoir  reçu  la  bas- 
tonnade :  offrez-lui  le  choix,  il  la  préférera  à  la  prison.  En 
me  privant  de  ma  liberté,  dit-il,  vous  m'empêchez  de  pour- 
voir aux  besoins  de  ma  famille  ;  tandis  qu'en  me  gratifiant 
de  quelques  coups  de  bâton  ,  vous  m'occasionnez  seule- 
ment une  douleur  passagère  qui  ne  m*empêchera  nullement 
de  travailler  pour  nourrir  mes  femmes  et  mes  enfants. 

Les  Arabes  ne  donnent  pas  la  bastonnade  comme  les 
Turcs,  sur  la  plante  des  pieds,  ce  qui  peut  estropier.  Us 
l'appliquent  tout  simplement  sur  les  parties  les  plus  char- 
nues du  corps,  recouvertes  d'ordinaire  par  un  épais  bcrnouss 
qui  amortit  les  coups.  Après  une  centaine  de  coups  de  bâ- 
ton, j'ai  vu  des  Arabes  se  relever  et  courir  comme  des  san- 
gliers dans  la  forêt. 


1!8  LA    VIE    AUABE 

La  bastonnade  est  le  plus  souvent  administrée  par  un 
chaouchy  espèce  d'agent  de  police,  muni  à  cet  effet  d'une 
l)aguette  d'olivier  sauvage,  et  c'est  probablement  la  manière 
dont  il  s*acquitte  de  ses  fonctions  qui  a  fait  dire  en  pays 
arabe  : 

Le  père  de  l'olivier  guérit  même  les  estropiés. 
Bon  zeboudja  iberri  zhhaf. 


Perte  dVrgent  ou  d'esclar^. 

Enfin,  quand  un  homme  a  fait  une  perte  d'argent  ou 
qu'un  esclave  lui  a  été  enlevé^  la  politesse  commande  de  lui 
dire  : 

.  Dieu  t'en  apportera  un  autre  qui  te  sera  plus  heureux. 
Idjiblek  rebdi  maberek  mennoti. 

Dieu  te  couvrira  de  tes  pertes. 

El  khessara  inekheloufa  menn  aand  Rebbi. 

Si  Dieu  allonge  ton  existence,  tes  richesses  s^augmente- 
ront. 
lia  Rebbi  itouel  el  aamev,  tedir  keier  menn  had-chi. 

Quand  la  tête  est  sauve,  ne  t'inquiète  pas  de  la  chachiyu- 
fessy. 
lia  aach  errass  matekheminem  fe  chachiya. 


FÉLICITATIONS  U9. 


VI 


FÉLICITATIONS 


Pour  un  succès  de  guerre, 

Louanges  à  Dieu  pour  la  victoire  ! 
El  hhamedou  lellah  aalel  nesser  ! 

Que  Dieu  fasse  triompher  notre  seigneur  et  mailre  ! 
Allah  innsorr  sid-na  ou  moula-na! 

Que  Dieu  fasse  que  tu  sois  une  épine  dans  Toeil  de  ton 
ennemi  ! 
Allah  idjaalek  chouka  fi  aain  aadouk  ! 

Que  Dieu  fasse  triompher  notre  seigneur  et  le  rende  tou- 
jours victorieux  ! 
Allah  innsorr  sid-na,  ou  daim  ikoun  ghaleb  ! 

Que  Dieu  fasse  triompher  les  soldats  de  Mohhammed  ! 
Allah  innsorr  laasker  el  Mohhammadi  ! 

Nous  remercions  Dieu  qui  ne  nous  a  appws  que  du  bien 
sur  le  compte  de  notre  seigneur  et  maître. 

El  hhamedou  lellah  H  smau-na  aala  sidtia  ou  moula-na 
ghér  le  khér. 

Pour  un  mariage. 

Dis-moi:  as-tu  été  un  homme  ? 
Khobarek  :  kount  radjel  ^ 


lîO  LA    VIE    ARABE 

Qu'elle  entre  chez  toi  avec  la  protection  de  Dieu  ! 
Tedkhol  aalik  be  ceteurr  Allah  ! 

Que  Dieu  vous  accorde  un  temps  heureux,  et  qu'il  pro- 
longe votre  existence  ! 
Allah  yaatikoum  zeinane  meléhh  ou  itououel  aamerkoum  I 

Que  Dieu  fasse  durer  votre  joie  ! 
Allah  idoum  ferahhkoum  ! 

Dieu  fasse  qu'elle  remplisse  ta  tente  ! 
Allah  idjaal'ha  taamer-lek  el  khéima  ! 

Que  Dieu  t'accorde  une  postérité  vertueuse  ! 
Allah  taatik  derriya  salahh  ! 

Que  Dieu  vous  fasse  vivre  en  bonne  intelligence  ! 
Allah  um/fek  bine-koum! 

Dieu  fasse  qu'elle  te  donne  cinq  garçons  ! 
Allah  idjaal-ha  touled  khamsa  dekoura! 

Maintenant,  pourquoi  ce  nombre  de  cinq  plutôt  qu'un 
autre  ?  Parce  que,  d'après  les  idées  arabes,  c*est  un  nombre 
qui  porte  bonheur,  qui  rappelle  les  cinq  doigts  de  la  main 
droite,  et  qui  a  le  pouvoir  de  rendre  nuls  tous  les  dangers 
du  mauvais  œil  —  aain.  — Voilà  les  raisons  pour  lesquelles, 
dans  les  villes,  on  voit  souvent  imprimées  sur  les  portes  des 
mains  à  doigts  ouverts,  peints  en  rouge  ou  en  vert,  et  que, 
partout,  chez  les  citadins  comme  chez  les  campagnards,-  les 
riches  se  plaisent  à  attacher  sur  la  calotte  qui  couvre  la  tête 
de  leurs  enfants  —  chachiya  —  une  main  en  or  ou  en  ar- 
gent. Les  pauvres  y  placent  seulement  à  côté  l'une  de  l'autre, 
et  sur  le  même  rang,  cinq  pièces  de  monnaie. 


FÉLICITATIONS  121 


Pour  la  naissance  d'an  garçon. 

Que  le  nouveau-né  soit  heureux,  et  que  Dieu  allonge  son 
existence  ! 
Mebrouk  el  mouloudy  Rebbi  itououel  aamrou  ! 

Que  Dieu  le  fasse  réussir  ! 
Allah  issedjih! 

Il  vous  est  né  un  garçon  :  que  Dieu  vous  accorde  sa  béné- 
diction ! 
Zadkoum  ichir  :  Allah  idjaal  fikoum  el  baraka  ! 

S'il  plaît  à  Dieu,  il  portera  un  jour  un  fusil,  il  montera  à 
cheval  et  il  frappera  la  poudre  avec  toi. 

Ennchaallah  iifed-lekel  mouqhhala^  irkeb-lek  el  aaoud^ 
ou  idrob  maak  el  baroud. 

Les  Arabes  procèdent  d'une  manière  toute  différente  de 
celle  des  peuples  chrétiens  dans  Tappellalion  de  leurs  en- 
fants. Chez  nous,  le  nom  que  le  père  a  reçu  de  ses  aïeux,  il 
le  transmet  à  ses  descendants,  qui  se  distinguent  à  leur  tour 
par  un  nom  spécial  et  variable,  celui  de  leur  baptême. 

Chez  les  musulmans,  au  contraire,  le  nom  de  famille 
n  existe  pas,  excepté  dans  quelques  familles  très-illustres;  il 
est  remplacé  par  un  nom  de  désignation,  et  notre  prénom 
devient  chez  eux  un  surnom  —  agnomen. 

Un  enfant  vient  de  nattre  :  sept  ou  huit  jours  après,  le 
père,  ainsi  que  je  Tai  dit  plus  haut,  réunit  dans  une  fête  ses 
parents  et  ses  amis,  prend  le  nouveau-né,  convoque  ou  fait 
convoquer  à  la  prière  —  izzane^  —  el  l'appelle  ensuite  tout 
haut  par  le  nom  qu'il  veut  lui  donner  —  nomen. 


1»  LA    VIE    ARABE 

S'il  s'agit  (l'un  garçon,  ce  nom  —  aalam^  mot  qui  signifie 
désignation —  sera  tantôt  celui  du  Prophète  ou  de  Tun  des 
compagnons  du  Prophète,  tantôt  il  consistera  dans  le  mot 
Adbd  —  serviteur  —  suivi  de  Tune  des  épithëtes  données  à 
Dieu. 

Aabd-el'Kader^  serviteur  du  puissant. 
Aabd'er-Rahhmane,  serviteur  du  miséricordieux. 
Aubd-el-Kerirriy  serviteur  du  généreux. 

S'il  s'agit  d'une  fille,  l'aalam  qui  lui  sera  donné  sera  de 
préférence  emprunté  à  l'une  des  femmes  de  Mohhammed  : 
Khedidja,  Zohra^  Aaicha,  à  sa  fille  Fatma,  ou  à  Tune  des 
jqualités  de  la  femme,  comme  Aaziza  —  chérie  —  Saaida  — 
heureuse  —  Loulou  —  perle. 

Mais,  comme  il  est  facile  de  le  concevoir,  le  nom  des 
aalam  est  excessivement  restreint. 

Une  immense  quantité  d'individus  porteront  donc  le  même 
nom,  celui  de  Mohhammed  par  exemple;. dès  lors,  comment 
distinguer  le  Mohhammed  qui  appartient  à  telle  famille  du 
Mohhammed  qui  appartient  à  telle  autre  ? 

Les  musulmans  arrivent  à  établir  cette  distinction  en 
ajoutant  à  l'aalam  donné  à  l'enfant  le  mot  benn^  fils,  ou 
bennt^  fille,  suivi  du  nom  du  père. 

C'est  ainsi  que  l'on  dit  : 

Aali  benn  Mohhammed.  —  Aali,  fils  de  Mohhammed. 
Aali  benn  Moustafa.  —  Aali,  fils  deMoustapha. 
Aali  benn  Hhamed.  —  Aali,  fils  de  Hhamed. 
Aaicha  bennt  Hhassane.  —  Aaïcha,  fille  de  Hhassane. 
Falma  bennt  Smail.  —  Fatma,  fille  d'Ismaïl. 
Kliéra  bennt  Kaddour.  —  Khéfa,  fille  de  Kaddour. 
On  ne  pourra  donc  plus  confondre  les  individus  portant 
le  même  aalam. 


FÉLICITATIONS  123 

Remarquons  en  passant  que  la  femme  mariée  ne  perd 
pas  laalam  qu'elle  portait  étant  jeune  fille.  Avant  comme 
apr^s  le  mariage,  elle  continuera  à  s'appeler  du  nom  qu'elle 
a  reçu  de  son  père,  elle  sera  toujours  Aaïcha,  fille  de  Hha»- 
sane. 

Nous  ne  parlerons  ici  des  surnoms  kounya  —  que  pour 
faire  remarquer  quMls  varient  à  Tinfini.  Ils  se  rapportent  à 
une  qualité,  à  un  défaut,  à  un  fait  particulier,  ou  bien  encore 
à  l'origine.  En  voici  quelques  exemples  : 

Moustafa  hou  tnezrag.  —  Moustapha,  le  père  de  la  lance. 

Mohhammed  bon  maza.  —  Mohhammed,  le  père  de  la 
chèvre. 

Aabd-el'Kader^  bou  cAe/a^Aam.— Aabd-el-Kader,  le  père 
aux  moustaches. 

Zina  el  messerara,  —  Zina  la  gracieuse. 

Sept  jours  après  la  naissance  d*un  garçon,  il  est  d'usage 
de  donner  une  grande  fête  —  oulima  ;  —  les  gens  pieux,  au 
lieu  de  régaler  leurs  amis,  font  manger  les  pauvres. 


Pour  la  naùsance  d'une  Lile. 

Que  le  tout  soit  béni,  s'il  platt  à  Dieu  ! 
Koul'Chi  mebrouky  ennchaallah  ! 

Ce  qu'a  donné  le  bon  Dieu  est  bon  ! 
Li  aata  el  melehhy  mellehh  ! 

La  sécheresse  de  ce  compliment  fait  comprendre  que  l'on 
s'adresse  à  un  père  qui  vient  d'éprouver  un  mécompte. 


124  LA    VIE    ARABE 

Paratt-il  chagrin  d*avoir  une  fille  au  lieu  d'un  garçon,  on 
essaye  de  le  consoler  ainsi  : 

c  Ne  te  tourmente  pas,  Dieu  la  préservera  des  tentations  du 
diable.  Elle  donnera  le  jour  à  des  musulmans,  et  ses  enfants 
seront  des  saints  ou  des  guerriers  de  la  foi — Moudjahadine.  ^^ 

Un  chef  arabe  de  haute  naissance,  nommé  Djilaliy  ayant 
un  jour  à  ses  côtés  deux  de  ses  petits-fils,  l'un  issu  de  son 
fils  et  l'autre  de  sa  fille,  demanda  comment  ils  se  nom- 
maient. Le  premier  répondit  :  «  Je  me  nomme  Aabd-el-Kadery 
fils  de  Mohbammed ,  petit-tils  de  Djilali  ;  »  mais  le  second 
ayant  indiqué,  comme  cela  devait  être,  d'autres  noms,  le 
grand-père  s'écria  avec  émotion  :  «  Décidément,  les  enfants 
de  nos  fils  sont  nos  véritables  enfants,  ceux  de  nos  filles 
ne  sont  que  des  étrangers.  » 

Si  les  Arabes  désirent  avoir  des  enfants  mâles,  c'est,  di- 
sent-ils, à  cause  de  futilité  qu'ils  peuvent  en  retirer.  Il  est 
fort  rare  que  ce  peuple  soit  complètement  soumis  à  l'autorité 
d'un  souverain,  et  placé,  par  conséquent,  dans  la  situation 
qui  met  sur  le  même  niveau  l'homme  qui  a  une  famille 
nombreuse  et  l'homme  qui  n'en  a  pas.  Dans  cet  état  d'indé- 
pendance où  le  plus  courageux  et  le  plus  fort  impose  presque 
toujours  sa  volonté,  celui  qui  a  des  oncles,  des  frères,  des 
fils  et  des  cousins  pour  l'entourer,  le  soutenir  et  le  défendre, 
est  à  l'abri  de  la  tyrannie  et  de  l'oppression,  tandis  que  celui 
qui  vit  pour  ainsi  dire  isolé,  se  voit  chaque  jour  en  butte  à 
l'insulte  et  au  mépris.  Eh  bien,  les  hommes  sont  aptes  à  se 
servir  des  armes  aussi  bien  pour  secourir  leurs  parents  et 
leurs  alliés  que  pour  conserver  leur  liberté;  mais  les  femmes 
ne  peuvent  ni  l'un  ni  l'autre:  joignez  à  cela  que  le  fils  hérite 
ordinairement  du  rang  de  son  père,  que  le  père  ait  été  sul- 
tan, vizir,  guerrier,  savant,  agriculteur,  commerçant  ou 
pasteur,  et  terminez  en  pensant  que  l'homme  qui,  à  sa  mort, 


FÉLICITATIONS  125 

est  remplacé  par  un  enfant  mâle  s'en  va,  dans  l'autre  monde, 
avec  la  satisfaction  de  voir  son  nom  vivre  encore  parmi  les 
hommes.  Les  Arabes  disent  : 

Celui  qui  ne  laisse  pas  d'enfant  mâle 
Ne  laisse  pas  de  souvenir. 
Li  ma  ikhalliche  dekn 
Ma  ikhalliche  deker. 

(L*éniir  Aabd-f-I.-Kadkr.) 

Pour  une  circnocision. 

Que  la  circoncision  de  ton  enfant  soit  bénie  ! 
Mebrouk  ettafiara! 

Tu  lui  as  donné  aujourd'hui  le  signe  de  Tislamismel 
Elyoum  aatitou  nalamet  el  isslam  ! 

Que  Dieu  te  fasse  mourir  dans  le  paradis! 
Allah  imiitek  fel  Djenna! 

La  circoncision  est  de  pratique  senna,  c'est-à-dire  obliga- 
toire. Au  lieu  d'y  procéder  comme  les  juifs,  dans  les  pre- 
miei*s  jours  qui  suivent  la  naissance,  les  musulmans  ne 
Topèrent  que  lorsque  Tenfant  a  déjà  accompli  sa  septième 
année.  Dans  certains  cas  et  pour  certains  motifs,  on  peut 
attendre  jusqu*à  la  dixième  année  ;  mais  on  ne  peut  jamais 
la  dépasser. 

Les  opinions  sont  partagées  au  sujet  71e  Tinfidèle  qui  a 
embrassé  Tislamisme  et  qui  craint  de  se  faire  circoncire.  Les 
uns  veulent  qu'il  le  soit,  les  autres  qu'on  l'en  dispense. 
Cela  peut  dépendre,  disent  les  savants,  de  l'âge,  de  la  santé, 
du  rang  ou  des  services  que  le  nouveau  converti  peut  rendre 
à  la  cause  de  Dieu. 

La  circoncision,  c'est  le  baptême  des  musulmans. 


1S6  LA    VI£    ABABE 


Pour  la  naissance  d'un  poulain  de  race. 

Dieu  a  augmenté  vos  richesses. 
Allah  ketter  khér-koum. 

Répondez,  à  votre  choix  : 

Avec  toi  la  vérité,  c'est  un  enfant  qui  vient  de  vous 
nattre. 
El  hhak  maak:  zad-na  ould. 

Que  Dieu  le  protège  et  vous  fasse  gagner  avec  hii. 
Allah  idjaalou  be  ceterr  ou  rebahh. 

Pour  un  habit  neuf. 

Quand  un  ami  revêt  un  habit  neuf»  complimentez-le  de  la 
manière  suivante  : 

Avec  la  santé,  rhabillenient. 
Be  sahhatek  el  kessoua. 

S*il  platt  à  Dieu,  il  te  sera  comme  une  robe  du  paradis. 
Ennchaallah  tekoun  aalik  kif  toub  el  djemia. 

S'il  plait  à  Dieu,  tu  le  porteras  et  tu  le  renouvelleras. 
Ennchaallahy  telbess  ou  tedjedded. 

Il  répondra  : 

Que  Dieu  te  récompense  avec  du  bien  ! 
Allah  ikafik  bel  khér! 

L'Arabe,  quand  il  le  peut,  est  toujours  propre  et  conve- 
nablement v^tu,  dût-il  pour  cela  s'imposer  des  privations. 
En  voulez-vous  la  preuve?  lisez  le  proverbe  suivant: 


FÉLICITATIONS  i«7 

Mange  à  ta  fantaisie,  mais  habille-toi  au  goût  du  monde. 
Kotil  be  ghardeky  ou  lebess  be  ghard  etuiass. 

Et  le  goût  de  son  monde,  en  pareille  occurrence,  n*est  pas 
d*inventer  des  modes  nouvelles  dont  il  a  horreur,  tant  il 
veut  rester,  par  conviction,  slationnaire  et  immobile,  mais 
tout  simplement  de  suivre  les  errements  de  ses  pères  qui  lui 
ont  donné  un  costume  élégant,  commode  et  parfaitement 
approprié  au  climat  qu'il  habite.  Il  ne  le  changerait  certes 
pas  pour  le  nôtre,  qui  excite  son  hilarité. 

Maintenant,  en  disant  que  TArabe,  dès  que  sa  fortune  le 
lui  permet,  tient  à  être  propre  et  convenablement  vôtu, 
je  me  suis  exposé,  je  le  sais,  à  recevoir  de  nombreux  dé- 
mentis. Ils  n'auront  aucune  valeur  à  mes  yeux.  En  effet, 
chez  les  musulmans,  les  habits  peuvent  être  sales,  mais  le 
corps  est,  d'ordinaire,  irréprochable. 

N'oublions  pas  que  les  ablutions  prescrites  par  le  Koran 
avant  chaque  prière,  et  dans  d'autres  cas,  prévus  par  la  loi, 
veulent  qu'il  en  soit  ainsi.  Les  Arabes  ont,  du  reste,  un  dic- 
ton qui  prouve  la  vérité  de  mes  assertions.  Le  voici  : 

0  le  bien  peint  à  Textérieur  !   comment  es-tu  fait  à  l'in- 
térieur ? 
Ya  mezonok  menn  barra!  ouach  hhaîek  menn  dakhoL 


Pour  le  retour  d'un  pèlerin. 


Quand  un  Arabe  de  quelque  importance  revient  de  la 
Mecque,  c'est  l'occasion  d'une  grande  réjouissance  dans  la 
famille,  dans  son  douar,  quelquefois  dans  sa  tribu.  On  se 
porte  à  sa  rencontre ,  on  brûle  de  la  poudre  en  son  hon- 
neur—  fantazia; —  les  femmes  mêmes  l'accueillent  avec 


126  LA    VIE    ARABE 

leurs  cris  de  joie  des  grands  jours  —  You  !  you  !  —  Dès 
qu'il  paratt,  de  toutes  parts  on  lui  crie  : 

0  monsieur  le  pèlerin,  que  ton  pèlerinage  soit  béni  ! 
Ya  sid  el  hhadj,  mebrouk  el  hhadja! 

S'il  plaît  à  Dieu,  ce  sera  notre  tour. 
Ennchaallah  noubet-na. 

Que  ton  pèlerinage  soit  accepté. 
Et  tes  péchés  pardonnes  I 
El  hhadj  messeroury 
Ou  Ihharam  meghefour! 

On  répond  : 

Que  Dieu  vous  compte  un  jour  parmi  les  amis  de  la 
Mecque  ! 
Allah  idjaal'koum  tnenn  sahhab  mekka! 

Que  Dieu  ne  vous  empêche  pas  d'aller  le  visiter  ! 
Allah  la  ihharem-koum  men  ziyartou! 

Ou  bien  : 

Je  demande  à  Dieu  et  au  Prophète  que  vous  fassiez  partie 
du  premier  pèlerinage. 

Netlob  Rebbi  ou  en-nebi  idjaal-koum  menn  Ihhadja 
lououla. 

Ces  compliments  terminés,  le  pèlerin  tire  ou  fait  tirer  d'un 
sac  de  voyage  quelques  kilogrammes  de  terre  qu'il  a  pieuse- 
ment rapportée  de  la  Mecque,  puis  il  en  fait  la  distribution  à 
ses  parents,  à  ses  amis,  à  ses  voisins.  C'est  alors  une  joie 
dont  on  n'a  pas  d'idée.  Cette  terre  sanctifiée,  c'est  le  bon- 
heur, on  l'enferme  dans  de  petits  sachets  brodas  en  or  ou 
en  argent^  et  on  la  porte  sur  soi  comme  un  précieux  talisman. 

Le  pèlerinage  de  la  Mecque  est  au  nombre  des  pratiques 


FÉLICITATIONS  129 

d'institution  divine  —  ferd  ;  —  il  est  obligatoire  au  moins 
une  fois  dans  la  vie.  Nul  croyant,  homme  ou  femme,  ne 
peut  s'en  dispenser  :  homme,  à  moins  qu*il  ne  soit  pauvre, 
fou,  esclave,  mineur  ou  maladif,  encore  un  mineur  doit-il 
l'accomplir  s'il  peut  trouver  un  guide;  femme,  à  moins 
qu'une  sainte  famille  ou  qu'un  homme  craignant  Dieu  ne 
se  trouve  point  pour  lui  donner  protection  dans  le  voyage. 
Terminons  les  félicilations  par  la  bechara.  La  bechara 
c'est  le  prix  de  la  bonne  nouvelle  ;  on  vous  la  demandera 
pour  tout  ce  qui  peut  être  un  sujet  de  joie,  pour  la  naissance 
d'un  garçon,  pour  celle  d'une  pouliche,  pour  un  succès,  pour 
un  avènement  au  pouvoir.  Donnez-la  sans  vous  faire  tirer 
l'oreille,  mais  n'acceptez  la  nouvelle  que  sous  bénéfice  d'in- 
ventaire. Il  faut  être  généreux  tout  en  se  gardant  d'être  dupe. 

—  Donne-moi  la  bechara,  dit  un  jour  un  Arabe  à  son  chef. 

—  Pourquoi  ? 

—  Eh  !  tout  simplement  parce  que,  cette  nuit,  dans  un 
songe,  tu  m'es  apparu,  placé  sur  le  sommet  d'un  palmier 
tellement  haut,  que,  de  là,  tu  dominais  le  pays  tout  entier. 
Gela  veut  dire  évidemment  que  tu  vas  arrivera  la  richesse, 
aux  honneurs,  au  pouvoir,  et  que  tes  vœux  les  plus  'hors 
ne  tarderont  pas  à  être  exaucés. 

—  Au  pied  du  palmier,  y  avait-il  beaucoup  de  monde? 

—  Certainement,  la  foule  était  grande,  et  déjà  plusieurs 
individus,  après  avoir  fait  de  grands  efforts,  étaient  sur 
le  point  de  te  rejoindre. 

—  Puisqu'il  en  est  ainsi,  s'écria  le  grand  seigneur  arabe, 
ami,  cours  demander  la  bechara  à  ces  gens-là  :  ils  doivent 
arriver  ;  quant  à  moi,  tu  m'as  vu  dans  une  position  si  élevée, 
que,  ne  pouvant  plus  monter,  je  dois  fatalement  descendre. 


9 


CHAPITKE     QUATRIÈME 


MOUT       DE      LA       V  K  M  M  K      A  R  A  B  E 

Soins  pendant  la  maladie.  —  Provisions  pour  la  dernière 
heure.  —  Recommandations  de  la  mère.  —  Demande  de 
pardon.  —  Profession  de  foi.  —  La  mort.  —  Ablutions.  — 
Les  linceuls.  —  La  réponse  à  Pange  interrogateur.  —  Chant 
des  pleureuses.  —  Prières  des  tolbas.  —  Chant  de  la  gouala. 

—  La  prière  des  funérailles.  —  Inhumation.  —  Le  fadaoua. 

—  Le  deuil.  —  Note  de  l'émir  Aabd-el-Kader  ! 


Peut-être  un  jour  dirai-je  la  naissance  de  la  femme  arabe, 
Paccucil  qui  lui  est  fait  à  son  entrée  dans  la  vie^  les  jeux 
de  son  enfance,  les  enseignements  de  sa  jeunesse,  les  de- 
voirs qui  lui  sont  imposés,  Ja  place  qu'on  lui  accorde  dans 
le  monde,  ainsi  que  ses  occupations  d'épouse  et  de  mère. 
Mais,  aujourd'hui,  presse  par  le  temps,  et  pour  compléter 
les  études  qui  précèdent,  je  me  bornerai  à  raconter  ses 
derniers  moments,  à  décrire  sa  mort. 


132  LA    VIE    ARABE 

Quand  une  fenime  est  atteinte  d*une  maladie  grave,  son 
mari  ne  néglige  rien  pour  éloigner  le  danger,  pour  l.i  sau- 
ver. 

Il  appelle  d*abord  le  médecin  —  teblb^  —  qui,  le  plus  sou- 
vent, n'est  qu'un  vulgaire  empirique. 

Il  passe  ensuite  aux  recettes  surnaturelles,  dont  les  vieilles 

■ 

femmes  —  adjaize  —  ont  seules  le  secret. 

Puis  il  a  recours  aux  savants  —  tolhas,  — à  ceux  qui,  sûr 
cette  terre,  passent  pour  être  les  privilégiés  de  Dieu  ;  si  la 
mort  n'est  pas  décrétée,  ils  obtiendront  pcut-ôtrc  la  guérison 
au  moyen  de  formules  religieuses  —  khotty  —  talismans 
qu'ils  feront  porter  sur  différentes  parties  du  corps,  ou  brû- 
ler, pour  qu'on  puisse  en  absorber  la  cendre  délayée  dans 
certaines  boissons. 

Et  enfin,  en  désespoir  de  cause,  il  fait  aux  pauvres  d'a- 
bondantes aumônes. 

«  L'aumône,  a  dit  le  Prophète,  peut,  parfois,  prolon- 
ger une  existence.  » 

Mais  la  malade  ne  se  rétablit  pas;  loin  de  là,  son  état 
s'aggrave  ;  la  famille  a  perdu  tout  espoir;  l'époux  fait  alors 
venir  son  plus  proche  parent  ou  son  meilleur  ami,  et  il  lui 
dit: 

—  Ce  qui  est  écrit  sur  le  front,  la  main  de  l'homme  ne 
saurait  l'effacer;  j'ai  usé  de  tous  les  moyens,  aucun  ne 
m'a  réussi: 

»  Ni  les  fumigations  de  ï'acheb  (1), 

»  Ni  les  décoctions  du  farouni^ 

t  Ni  les  applications  du  bou  nafaay 

»  Pas  même  le  feu  —  el  kii. 


(1)  Kl  àcheby  el  farouui  cl  bou  vafaa,  plantes  connues  pour  leurs 
propriétés  médicinales. 


MORT  DE  LA  FEMME  ARABE        133 

»  Pas  même  les  talismans  de  nos  marabouts  les  plus  vé- 
nérés I 

»  Rien,  je  le  répète,  n'a  pu  chasser  le  froid  qui  la  tue. 

»  Le  Seigneur  m'est  témoin  que,  pour  nos  zaoïiyas  et  les 
pauvres  de  Dieu,  je  n'ai  ménagé  ni  mes  agneaux,  ni  mon 
blé  ; 

»  J'ai  sacrifié  des  poules  noires,  des  poules  roujîes  et  des 
poules  blanches  ; 

»  J'ai  même  immolé  des  chameltesi; 

»  Tout  a  été  inutile  : 

»  Sa  couleur  n  est  pas  bonne,  et  je  vois  bien  que  le  mo- 
ment fatal  approche 

»  Rendez-moi  le  service  ie  convoquer  nos  parents,  nos 
alliés,  nos  amis. 

»  Au  reste,  je  suis  prêt  pour  ce  cruel  événement  : 

»  J'ai  rapporté  de  la  ville  des  linceuls  ; 

V  J'ai  du  musc,  du  camphre,  de  Tencens,  de  Taloës,  du 
bois  de  sandal,  du  benjoin  et  même  de  Teau  du  byv  Zem-Zem 
dont  mon  oncle  m'a  fait  présent  à  son  retour  du  saint  pèle- 
rinage. 

»  Mes  provisions  sont  abondantes  : 

»  J'ai  des  moutons,  du  beurre  et  du  keskessou — kouskous- 
sou;  —  le  lait  ne  me  manque  pas  ;  j'ai  des  figues,  des  raisins 
secs,  des  dattes  et,  Dieu  merci,  beaucoup  de  sel  et  beaucou 
de  poivre  (i). 

»  Dites  à  tous  que  je  ne  veux  rien  épargner;  car,  si  le  To^ 
Pirissant  m'a  largement  pourvu  des  ordures  de  ce  monde  — 
zoubiyet  ed'denya—àc  richesses,— j'entends  en  user  pour  le 
plus  grand  honneur  de  la  famille. 


(l)  L«  poivre  —  felfel^  —  c'est  le  vin  des  Arabes;  il  joue  un  grand 
rôle  daus  leur  cuisifie  et  dans  leur  liy^iène. 


134  LA    VIE    ARABE 

•  Vous  m'aimez,  je  le  sais,  d*une  sincère  affection  ;  veuillez 
m'en  donner  une  nouvelle  preuve  en  vous  chargeant  aujour- 
d'hui de  tous  ces  pénibles  détails,.. 

La  famille  entière  ne  tarde  pas  à  se  réunir  autour  du  Ht  ^ 
de  douleur.  Quand  la  malade  se  voit  ainsi  entourée  de  tous 
les  siens,  elle  comprend  que  sa  dernière  heure  est  arrivée. 
Sans  plainte,  sans  murmure,  elle  se  résigne  courageuse- 
ment. 

On  lui  amène  ses  enfarits  les  uns  après  les  autres;  les  plus 
grands  lui  demandent  sa  bénédiction,  elle  donne  aux  plus 
jeunes  le  dernier  baiser  maternel. 

Si  elle  ne  les  reconnaît  pas,  on  les  lui  nomme. 

Elle  les  recommande  à  ses  proches,  aux  personnes  les 
plus  considérées  : 

—  Veillez  sur  eux,  ce  sont  des  orphelins  ;  je  les  laisse 
devant  votre  figure,  souvenez-vous  que  le  bien  fait  dans  ce 
monde  nous  est  toujours  rendu  dans  l'autre.  — •  Et  vous, 
mes  chers  enfants,  adieu,  restez  sur  le  bien  —  ebakou 
aala  khér;  — je  vais  quitter  cette  maison  —  la  demeure 
terrestre  ;  —  ne  soyez  pas  affligés  :  votre  père  ou,  à  son 
défaut,  un  tel  veillera  sur  vous. 

'  Si  l'accord  n'a  pas  toujours  régné  entre  la  femme  et  le 
mari,  ce  dernier,  d'ordinaire,  au  moment  suprême,  vient  lui 
dire: 

—  Au  nom  de  Dieu,  devant  qui  vous  allez  paraître,  par- 
donnez-moi le  passé. 

L'.4rabe  qui  se  refuserait  à  cette  démarche  encourrait  la 
réprobation  générale,  on  s'écrierait  : 

—  Il  a  vu  sa  femme  mourir  et  ne  lui  a  pas  même  demandé 
pardon. 

La  mchiraute,  elle,  ne  demande  pardon  à  pei*sonne,  elle 
n'a  de  grâce  à  implorer  que  de  Dieu,  aussi  bien  pour  elle 


MORT  DE  LA  FEMME  ARABE        135 

que  pour  ceux  qu'elle  va  laisser  dans  celle  vallée  de  mi- 
sères. 

Les  derniers  moments  approchent  :  c'est  Tinslant  de 
confesser  la  foi,  de  rendre  le  témoignage  à  Dieu  —  cfta- 
hada. 

Un  des  assistants  prononce  plusieurs  fois  de  suite  et  sans 
paraître  y  mettre  d'intention  : 

«  Il  n'y  a  de  Dieu  que  Dieu,  et  notre  seigneur  Mohham- 
med  est  l'envoyé  de  Dieu.  » 

D'autres  pereonnes  répèlent  ensuite  ces  paroles  jusqu'à  ce 
que  la  malade  dise  à  son  tour,  et  sans  y  avoir  été  invitée,  la 
phrase  sacramentelle,  ou,  si  elle  ne  peut  plus  parler,  place 
devant  sa  bouche  l'index  de  la  main  droite ,  levé  vers  le 
ciel^  ce  qui  suffit  pour  indiquer  qu'elle  reconnaît  et  proclame 
l'unité  du  vrai  Dieu. 

On  ne  doit  pas  brusquer  ni  forcer  la  récitation  du  témoi- 
gnage. 11  n'y  a  que  les  gens  mal  élevés  et  grossiers  qui  le 
fassent.  Si  la  mort  vient  sans  que  la  profession  de.  foi  mu- 
sulmane ait  été  prononcée,  les  hommes  croient  que  la  mal- 
heureuse a  quitté  celle  terre  sans  être  en  état  de  grâce  y 
inais  Dieu  est  le  plus  savant. 

La  femme  rend  enfin  le  dernier  soupir;  aussitôt  un  vieil- 
lard ou  une  parente  s'empresse  dé  lui  fermer  les  yeux  et  la 
bouche  ;  (es  amis  essayent  de  consoler  ainsi  le  mari  con- 
sterné : 

€  Dieu  vous  l'avait  donnée,  Dieu  l'a  reprise.  » 

«  Nul  ne  peut  avancer  ni  retarder  le  terme  de  la  vie.  » 

On  éloigne  tout  le  monde  de  la  chambre  mortuaire;  on 
emmène  les  enfants  ;  les  proches  sortent  en  gémissant. 

A  peine  sont-ils  partis,  que  deux  femmes  âgées,  connues 
pour  leur  piété  et  leur  dextérité  à  accomplir  les  ablutions 
suivant  le  rite,  arrivent  en  toute  hâte, 


136  LA    VIE    ARABE 

Elles  prennent  du  savon,  de  Teau  chaude,  des  lanières  de 
laine,  ou  simplement  un  morceau  d'étoffe  de  coton,  cl  pro- 
xèdent  au  lavage  de  toutes  les  parties  du  corps,  qu'elles 
essuient  d'abord  et  habillent  ensuite  avec  un  soin  reli- 
gieux. 

Dans  cette  toilette  funéraire,  le  camphre  n'est  point  ou- 
blié. On  met  à  la  défunte  une  chemise  de  coton  très-longue, 
elle  couvre  la  poitrine,  les  bras  et  les  genoux  ;  puis  un  pan- 
talon qui  descend  jus(iu'à  la  cheville.  Par-.lessns  la  che- 
mise, on  place  une  large  gandouray  espèce  de  robe  flot- 
tante. 

La  figure  est  cachée  par  un  voile  léger  —  fc/i^mar,  —  et  la 
partie  supérieure  de  la  tête  disparaît  sous  un  énorme  bonnet 
nommé  koufiya. 

On  termine  ces  détails  en  enveloppant  le  tout  d'un  grand 
drap  —  kecher, —  et  oa  le  lie  au-dessus  de  la  tête,  à  hauteur 
du  cou,  de  la  poitrine,  des  hanches  et  au-dessous  des  pieds, 
à  cinq  reprises  différentes  enfin,  parce  que  Dieu,  étant  unique, 
aime  l'unité  et  l'imparité. 

Pendant  toutes  ces  opérations,  on  asperge  le  linceul  avec 
des  eaux  de  senteur  et  de  Teau  du  puits  Zem-Zem. 

Les  gens  riches  couvrent  le  cadavre  de  quatre  chemises, 
quatre  gandouras  et  quatre  kechers. 

Pour  exprimer  qu'une  femme  appartenait  à  une  grande 
famille,  on  dit  : 

«  Elle  a  été  ensevelie  dans  quatre  linceuls!  » 

Quelquefois,  ces  objets  sont  en  soie  ou  en  étoffes  pré- 
cieuses ;  mais  alors  ils  doivent  être  de  couleur  verte. 

L'or  et  les  pierreries  sont  interdits  à  la  femme  dans  la 
tombe.  Les  boucles  d'oreilles,  les  colliers  lui  sont  enlevés, 
on  peut  lui  laisser  les  anneaux  qu'elle  portait  î\  sa  dernière 
heure. 


MORT  DE  LA  FEMME  ARABE        137 

Le  mari  qui  vient  de  perdre  une  épouse  bien-aimée,  ne 
néglige  jamais  de  lui  faire  placer  sur  la  tôle  un  écrit  qu'il 
s'est  fait  délivrer  par  un  marabout  réputé  pour  sa  sainteté. 
Cet  écrit  porte  le  nom  de  berale  el  soual,  la  réponse  à  Tin- 
terrogation  ;  il  est  destiné  à  Fange  qui  doit  régler  le  compte 
de  la  vie  passée,  il  a  pour  but  de  conquérir  sa  bienveil- 
lance. 

Voici  ce  que  demande  invariablement  l'ange  du  dernier 
jour: 

«  0  toi^  qui  fus  si  présomptueuse  pendant  ta  vie  ! 

Quel  est  ton  Dieu? 

Quelle  est  ta  religion  ? 

Quelle  est  ta  kebla  ? 

Quel  est  ton  guide  ? 

En  qui  as-tu  placé  ton  espoir  ?  » 

Et  la  défunte  doit  répoudre  : 

«  Mon  Dieu  est  le  Dieu  unique, 
La  religion  musulmane  est  la  mienne, 
La  Mecque  est  ma  kebla, 
Le  Koran  est  mon  guide, 
Et  j'ai  mis  mon  seul  espoir  dans  la  miséricorde  de  Dieu.» 

< 

Pendant  qu'on  s'occupe  de  laver  le  corps,  on  entend  les 
plaintes  des  parentes  et  amies  de  la  famille  qui  expriment 
leur  douleur  en  jetant  des  cris  et  en  se  déchirant  la  figure 
avec  leurs  ongles.  Suivant  le  temps  et  la  saison,  elles  sont 
placées  en  plein  air  ou  dans  une  tente  voisine. 

Ces  lamentations  sont  dominées  par  les  chants  funèbres 
des  pleureuses  —  neddabate  —  qui,  s'accompagnant  du 
toubila  —  tambourin,  — vantent  les  qualités  et  les  vertus  de 
celle  qui  vient  de  mourir. 


138  LA    VIE    ARABE 

c  ûu*est  devenu  l'appui  de  notre  tente  ? 
Qu'est  devenu  l'orgueil*  de  nos  enfants  ? 

)»  C'était  une  terre  féconde^ 

C'était  la  providence  du  voyageur. 

C'était  la  mère  du  pauvre, 

C'était  l'anneau  d'une  chaîne  d'or. 

Elle  savait  enflammer  les  guerriers, 

Et  faire  briller,  par  ses  chants,  la  gloire  de  la  tribu. 

»  Et  maintenant,  qui  soignera  les  invités  de  Dieu  —  hôtes, 

Qui  tissera  nos  beaux  bernousa, 

Qui  s'occupera  de  nos  chamelles, 

Qui  nourrira  nos  juments  nobles? 

Le  tison  ardent  peut  briller  comme  le  rubis, 

Mais  le  tison  s'éteint,  et  le  rubis  reste  toujours  rubis. 

»  Qu'est  devenu  l'appui  de  notre  tente? 
Qu'est  devenu  l'orgueil  de  nos  enfants  ?  /> 

Le  corps  une  fois  purifié,  on  allume  des  cierges  et  l'on 
fait  entrer  dans  la  chambre  mortuaire  les  tolbas  qui  ont  été 
convoqués  pour  y  réciter  des  invocations  et  pour  y  débiter 
de  mémoire  des  fragments  du  Koran,  quelquefois  le  Koran 
tout  entier.  Ce  devoir  accompli,  ils  prononcent  le  fatahli,  le 
tekbir  et  enfin  le  daa  —  les  vœux;  —  car  sidi  Khelil  a  dit 
que  la  prière  ne  peut  profiter  aux  morts,  qu'elle  est  utile 
seulement  h  ceux  qui  la  font,  et  que  la  véritable  prière  pour 
les  trépassés  ne  doit  consister  qu'eu  vœux  adressés  en  leur 
faveur  à  Celui  qui  ne  meurt  pas. 

Les  tolbas  sortent  après  avoir  terminé  leur  mission  ;  ils 
sont  remplacés  par  une  gouala —  improvisatrice  —mandée, 
quelquefois  de  très-loin,  par  la  famille.  Seule  elle  est  étran- 


MORT    DE    LA    FEMME    ARABE  laO 

gère,  les  femmes  qui  Teutourent  sont  des  parentes  ou  des 
amies.  Chacune  s'applique  à  retracer  à  son  esprit  ou  des 
cliai^rins  antérieurs,  ou  la  perte  récente  qu'elle  déplore,  et 
bientôt  on  n'entend  plus  qu'un  concert  de  plaintes  et  de  gé- 
missements, entrecoupé  par  les  stances  de  la  gouala.  Celle- 
ci  marque  une  mesure  régulière  sur  son  tambourin  et  donne 
cours  à  des  paroles  qu'elle  prononce  avec  exaltation^  d'un 
air  inspiré  et  qui  rappelle  les  anciennes  pythonisses. 

F^a  gouala  est  toujours  une  femme  renommée  pour  son 
talent  ;  elle  improvise  une  série  de  louanges  en  Thonneur 
de  la  morte.  Ces  sortes  d'hymnes  se  psalmodient  à  peu  près 
comme  nos  litanies  ;  en  voici  un  spécimen  : 

ce  Crie,  ô  fils  de  la  gazelle, 

Le  maître  de  l'heure  est  arrivé  —  moul  sda, 

Cric  du  Iiaut  de  ces  montagnes, 

Notre  colombe  s'est  envolée. 

»  Elle  était  belle,  elle  était  bonne, 
Jamais  sa  main  n'était  fermée; 
Los  malheureux  priaient  pour  elle, 
Et  cependant  elle  a  dû  nous  quitter. 

»  C'est  qu'il  n'y  a  dans  ce  monde 
D'éternel  que  le  vrai  Dieu; 
C'est  que  les  richesses  de  la  terre 
Ne  valent  pas  l'aile  d'un  moucheron. 

»  Voyez  cette  femme  d'ori^^ine; 
On  la  pleure  dans  nos  tribus  ; 
Si  notre  amour  pouvait  la  racheter, 
Elle  ne  serait  point  dans  cç  linceul. 


140  LA    VIE    ARADE 

»  Allons,  architectes  du  mensonge,  . 
Agitez-vous,  bAtissez  des  palais  ; 
Môlcz'-y  Tor  au  marbre  et  au  porphyre  ; 
Vous  partirez  et  vous  les  laisserez. 

»  Pour  moi,  je  ne  désire  que  la  voûte  des  cieux, 
Nos  troupeaux,  nos  pays  sauvages. 
Quand  j'ai  soif,  je  bols,  du  lait. 
Gela  suffit  à  ceux  qui  savent. 

»  Il  n'y  a  pas  d'autre  Dieu  que  Dieu, 
Et  Hohharamed,  prophète  de  Dieu  ; 
Il  n*y  a  qu'un  seul  Dieu, 
Et  Mohhammed  le  généreux.  » 

La  gouala,  secondée  par  les  assistants,  continue  ainsi  pen- 
dant une  heure  ou  deux,  jusqu'au  moment  des  funérailles 
qui  ne  tarde  pas  h  arriver,  parce  que,  chez  les  Arabes, 
l'enterrement  se  fait  d'ordinaire  le  jour  même  du  décès,  cm 
le  lendemain  matin,  de  très-bonne  heure,  si  le  décès  a  eu 
lieu  au  commencement  de  la  nuit. 

Dieu  a  dit  : 

c  Hâtez-vous  d'inhumer  vos  morts,  afm  qu'ils  jouissent 
promptement  de  la  félicité  éternelle  s'ils  sont  morts  ver- 
tueux, et  afm  d'éloigner  de  vous  des  créatures  condamnées 
au  feu  si  leur  vie  a  fini  dans  le  mal  et  dans  le  péché.  » 

En  conformité  de  ce  précepte  religieux,  tous  les  parents, 
amis  et  voisins  ont  été  prévenus  à  temps. 

On  s'est  dit,  dans  les  environs,  à  dix  lieues  à  la  ronde  :  «  Un 
tel  ensevelit  sa  femme,  aujourd'hui  à  telle  heure  ;  »  hommes, 
femmes  et  enfants,  riches  ou  pauvres,  arrivent  de  tous  les 
côtés  à  pied,  à  cheval,  sur  des  mul«$  ou  des  chameaux.  L'as- 


MORT  DE  LA  FEMME  ARABE        141 

sistance  est  toujours  nombreuse,  car  conduire  un  mort  à 
sa  dernière  demeure,  est  une  action  méritoire  qui  compte 
pour  une  bonne  œuvre  dans  l'autre  monde. 

La  loi  de  fendant  la  prière  funèbre  dans  les  mosquées,  on 
conduit  les  raorls  directement,  de  la  maison  ou  de  la  tente, 
dans  les  cimetières  publics. 

Une  litière  —  naache  —  reçoit  le  corps  ;  elle  est  portée 
par  quatre  hommes  de  bonne  volonté  qui  sont  remplacés, 
de  distance  en  distance,  quand  ils  sont  fatigués.  Si  l'on  n*a 
pas  de  litière  sous  la  main,  ce  qui  est  fréquent  dans  les  tri- . 
bus,  on  place  tout  simplement  la  défunte  sur  un  brancard 
improvisé  avec  les  montants  d'une  tente. 

Le  Prophète  a  dit  : 

«Il  est  méritoire  de  porter  un  mort  ;  celui  ([ui  le  porte  l'es- 
pace de  quarante  pas  se  procure  l'expiation  d*un  grand 
péché.  » 

Les  pleureuses  suivent  en  silence,  elles  ne  doivent  com- 
mencer leurs  gémissements  que  hors  du  douar  et  cesser  un 
peu  avant  d'arriver  au  cimetière. 

Lorsque  le  convoi  est  parvenu  à  la  hauteur  de  la  fosse  qui 
a  été  préparée  à  l'avance,  il  s'arrête  ;  toute  l'assistance  se 
range  en  cercle  dans  le  plus  profond  recueillement,  et  alors 
le  plus  savant  et  le  plus  respecté  des  toîbas  prononce  à  haute 
voix  la  prière  des  funérailles.  C'est  ordinairement  un  beau 
vieillard  dont  la  barbe  blanche  commande  à  tous  la  confiance 
et  le  respect. 

Élevant  les  mains  vers  le  ciel,  les  abaissant  alternative- 
ment, il  s'exprime  ainsi  : 

«  0  mon  Dieu  !  elle  était  votre  esclave,  fille  de  l'une  de 
vos  esclaves  et  membre  de  votre  peuple. 

))  Elle  avait  pour  profession  de  foi  :  «Il  n'y  a  de  Dieu  que 


149  LA    VIE    ARABE 

1  Dieu,  et  notre  seigneur  Mohhamined  est  l'envoyé  de  Dieu.  » 
1 0  mon  Diea  I  si  elle  a  fait  de  bonnes  œuvres,  doublez-en 
le  nombre,  et,  si  elle  a  failli,  pardonnez-lui  :  vous  êtes  misé- 
ricordieux. 
»  G*est  vous  qui  Tavez  créée  ; 
»  C*est  vous  qui  lui  avez  donné  ce  qu'elle  a  possédé  ; 

>  C'est  vous  qui  Tavez  fait  mourir  ; 

>  C'est  vous  qui  devez  la  ressusciter  ; 

>  Qu'elle  soit  auprès  de  vous  un  heureux  intercesseur 
pour  sa  famille  et  les  auteurs  de  ses  jours. 

»  0  mon  Dieu  I  en  pesant  un  jour  leurs  œuvres,  faites  en- 
trer dans  la  balance  les  bonnes  œuvres  de  leur  fille  ;  faites 
qu'elle  soit  une  des  causes  du  mérite  qu'ils  acquerront  à  vos 
yeux. 

»  Nous  vous  le  demandons  par  notre  seigneur  et  maître 
Mohhammed  votre  envoyé  ;  que  la  prière  et  le  salut  soient 
sur  lui!  Aminé  —  ainsi  soit-il. 

>  —  Amine^  >  répètent  à  la  fois  tous  les  assistants. 

La  prière  est  terminée;  on  approche  le  cadavrode  la  fosse^ 
on  le  descend  avec  précaution  et  on  l'y  place  la  tète  tournée 
vers  l'Orient,  en  prononçant  ces  paroles  : 

c  Au  nom  de  Dieu  et  au  nom  du  peuple  soumis  au  Prophète 
de  Dieu  !  » 

On  le  couvre  ensuite  de  pierres  juxtaposées,  puis  Ti- 
man  donne,  ainsi,  le  signal  de  combler  la  fosse.  Trois  fois  de 
suite,  il  remplit  ses  mains  de  ^terre,  et  trois  fois  de  suite  il 
les  vide  sur  la  tombe. 

A  la  première,  il  dit  : 

c  Vous  en  avez  été  créée  ;  > 

A  la  seconde  : 

<  Nous  vous  y  faisons  retourner  ;  9 


MORT    de:    la    femme    arabe  143 

A  la  troisième  : 

«  Nous  vous  en  ferons  sortir.  » 

Chacun  imite  son  exemple;  on  place  à  la  tête  et  aux 
pieds  du  tombeau  deux  pierres  plates  assez  hautes  pour  do- 
miner le  sol,  ce  sont  les  chouahed  —  témoins,  —  puis  on 
reprend,  dans  le  recueillement,  le  chemin  de  la  tribu.  Celui 
qui  a  conduit  le  convoi  se  met  en  évidence^  et  tous  ceux  qui 
ont  suivi  les  funérailles  passent  devant  lui  en  disant  : 

«  Dieu  est  tout  puissant,  qu'il  t'enrichisse  de  sa  résignation  I  » 

D'une  voix  mélancolique,  il  leur  répond  : 

c  Que  Dieu  vous  maintienne  en  santé  et  vous  comble  de 
ses  grftces  !  > 

On  arrive  à  la  tribu  :  là,  on  trouve  préparée  par  les  soins 
de  la  famille,  ou  des  voisins,  une  large  hospitalité  pour  tout 
le  monde,  mais  principalement  pour  les  pauvres  et  les  or- 
phelins de  la  contrée.  Pendant  trois  jours  consécutifs,  d'a- 
bondantes provisions  sont  offertes  à  qui  veut  s'arrêter  et 
manger. 

Cette  hospitalité  est  distincte  de  celle  nommée  difa:  sui- 
vant les  localités,  elle  prend  tantôt  le  nom  de  mdaka  -*  au- 
mône, —  tantôt  celui  de  fadaoua  —  rachat,  —  toujours 
dans  la  pensée  que,  par  cette  bonne  œuvre,  on  peut  racheter 
des  peines  de  l'autre  vie  la  personne  qu'on  a  perdue. 

Les  pleureuses  doivent  aller  se  lamenter  au  cimetière  le 
lendemain,  le  quinzième  et  le  quarantième  jour  après  le 
décès. 

A  chaque  fois,  on  rassasie  encore  les  malheureux* 

La  dernière  visite  au  cimetière  se  nomme  ferak  et  keber 
•^  la  séparation  de  la  tombe* 

Le  deuil,  chez  les  hommes,  consiste  à  ne  pas  se  Mre  raser 
la  tête  pendant  quarante  jours,  comme  à  ne  pas  changer  de 
Vêtements  pendant  le  même  laps  de  temps.  On  s*interdit  lés 


Hi  LA    VIK    ARABE 

habillements  neufs  et  les  couleurs  éclatantes  durant  trois  ou 
six  mois,  suivant  le  terme  que,  dans  sa  douleur,  on  s*est  fixé. 

Les  six  premiers  mois,  les  femmes  ne  sMiabiilent  que  de 
noir,  en  affectant,  dans  leur  toilette,  la  plus  complète  né- 
gligence. C'est  dire  qu'elles  renoncent  absolument  au  A/i^nna, 
au  souak^  au  kohitel,  aux  parfums  et  aux  bijoux.  Les  six 
mois  suivants,  elles  portent  un  deuil  moins  sévère. 

Voilà  comment  se  passent,  à  peu  près,  dans  leur  en- 
semble et  dans  Tusagc,  toutes  les  cérémonies  des  funérailles. 
Je  dis  dans  Tusage,  parce  que  les  pleurs,  les  lamentations 
et  tout  signe  extérieur  de  douleur,  sont,  je  Tai  déjà  fait  [Re- 
marquer plus  haut,  sévèrement  défendus  par  la  religion. 


NOTE 

Voulant  nf  éclairer  d'une  manière  complète  sur  Texactitude 
du  tableau  que  je  viens  de  présenter,  et  dont  j'avais  entendu, 
parfois,  contester  la  véracité,  j'ai  posé  la  question  suivante 
à  rémir  Aabd-el-Kader,  si  profondément  versé  dans  tout  ce 

s 

qui  concerne  la  religion  et  la  vie  musulmanes  : 

c  On  assure  que,  chez  les  musulmans,  quand  une  femme 
vient  à  mourir,  on  ne  lui  rend  pas  les  mêmes  honneurs  fu- 
nèbres qu'à  l'honnne.  Pourquoi?  » 
Voici  sa  réponse  : 

n  Le  fait  n'est  pas  exact  :  .c'est  le  contraire  qui  est  vrai  ; 
chez  nous,  on  n'établit  aucune  différence  dans  les  honneurs 
funèbres  rendus  aux  deux  sexes.  Dieu  a  placé  la  véritable 
égalité  dans  la  morl. 


MORT  DE  LA  FEMME  ARABE        145 

Il  est  du  devoir  des  survivants  de  laver  les  corps  de  ceux 
qui  ont  perdu  la  vie,  de  les  entourer  de  linceuls,  de  pro- 
noncer sur  eux  les  prières  usitées,  et  de  les  inhumer  ensuite. 
Voilà  une  obligation  à  laquelle  nul  ne  peut  se  soustraire, 
soit  qu'il  s'agisse  d'un  homme,  soit  qu'il  s'agisse  d'une 
femme.  Il  est  même  permis  d'ensevelir  les  femmes  dans  des 
vêtements  de  soie,  tandis  que  cela  est  interdit  pour  les 
hommes.  Les  riches  peuvent,  s'ils  le  veulent  encore,  parer 
les  femmes  des  étoffes  les  plus  somptueusement  brodées.  On 
leur  permet,  en  outre,  de  les  placer  dans  des  cercueils,  tan- 
dis que  le  corps  de  l'homme  sera  tout  simplement  mis  en 
contact  avec  la  terre  d'où  il  est  venu.  Il  en  résulte  que  les 
frais  de  sépulture  sont,  en  général,  plus  élevés  pour  la 
femme  que  pour  l'homme. 

Quant  aux  cérémonies  religieuses,  aux  prières  et  aux  aa- 
mAnes,  je  le  répète,  dans  les  villes  comme  dans  les  tribus, 
elles  sont  absolument  identiques. 

On  raconte  qu'un  Arabe  issu  d'une  famille  très-riche,  se 
voyant,  par  suite  de  malheurs  immérités,  réduit  à  une  pro- 
fonde misère,  se  décida  à  faire  ouvrir  les  tombeaux  de  ses 
ancêtres.  Arrivé  à  ceux  des  femmes,  ses  parentes,  il  en  re- 
tira une  telle  quantité  d'étoffes  précieuses,  qu'en  les  faisant 
brûler,  il  obtint  assez  d'or  et  d'argent  pour  passer  le  reste 
de  sa  vie  dans  une  grande  aisance. 

Un  tel  fait  suffit  à  prouver  la  vérité  de  mes  assertions. 

A  la  mort  de  son  mari,  l'excès  de  la  douleur  chez  la 
femme,  la  porte  à  se  déchirer  la  figure  avec  les  ongles,  bien 
que  la  loi  religieuse  lui  défende  expressément  de  se  livrer  à 
de  semblables  démonstrations.  Pour  prouver  qu'après  la 
perte  de  son  époux,  elle  ne  vent  plus  avoir  aucun  souci  de 
sa  beauté,  elle  revêt  des  vêtements  grossiers,  d'une  couleur 
sombre,  et,  pour  que  le  deuil  matériel  de  sa  maison  lui  rap- 

10 


146  LA    VIE    ARABE 

pelle,  saus  cessa,  sa  douleur,  elle  dépouille  son  intérieur 
de  tous  led  meubles  et  objets  de  luxe  qui  peuvent  s*y  trou* 
xer  ;  se  condamnant  ainsi,  quand  elle  a  du  cœur,  de  la  sen- 
sibilité et  de  raffection,  à  vivre  dans  la  tristesse  et  dans 
risolemeut* 

Chea  Thomme,  qui  esl  doué  d'une  plus  grande  force  de 
caractère,  et  qui  possède  à  un  degré  supérieur  le  sentiment 
du  caloie  et  de  la  patience,  le  chagrin,  à  la  mort  de  la 
femme,  se  traduit  d'une  manière  moins  ostensible.  Il  ne  se 
déchire  ni  ne  se  frappe  le  visage,  il  ne  prive  pas  sa  demeure 
des  embellissements  qui  peuvent  s  y  trouver  réunis,  il  se 
soumeli  enfin,  avec  plus  de .  résignation  aux  décrets  de  la 
Providence^  tout  en  pleurant,  sans  se  cacher,  d*abondantes 
larmes,  et  en  conservant  profondément  gravé  dans  son  sou^ 
venir  le  deuil  de  sa  compagne.  Il  va  visiter  pieusement  sa 
tombe,  fait  dire  et  dit  lui-même  de  nombreuses  prières  à  son 
intention,  et  distribue  de  nombreuses  aumônes  propitia* 
totres* 

Il  ne  faudrait  pas  conclure  de  cette  différence  dans  Tex- 
pression  apparente  de  la  douleur,  que  Thomme  ne  ressent 
pas  aussi  vivement  la  perte  de  sa  femme,  que  la  femme, 
h  perte  de  son  mari.  On  serait  dans  une  erreur  d*au« 
tmi  plus  profonde  qu*on  a  vu  beaucoup  d*Arabes  ne  pas 
vouloir  se  remarier  après  la  mort  de  l'épouse  qu'ils  aimaient 
et, .  eeia^  en  témoignage  du  souvenir  affectueux  qu'ils  lui 
conservaient^  aussi  bien  que  par  attachement  pour  les  en- 
fuUs  qu'ils  en  avaient  eus. 

J'ajouterai  que  les  mérites  spirituels  que  l'on  recueille  eu 
suivant  le  convoi  d'une  femme,  sont  aussi  grands  que  ceux 
que  l'on  obtient  en  accompagnant  le  convoi  d*un  homme. 

Louange  à  Dieu  qui  fait  mourir  et  qui  fait  vivre  ;  c*est  à 
lui  seul  qu'appartiennent  la  puissance  et  le  commandement. 


MORT  DE  LA  FEMME  ARABE        U7 

Qu*il  soit  donc  exalté.  Celui  qui  a  placé  l'égalité  dans  la 
mort  de  ses  créatures  ! 

Que  la  prière  soit  aussi  sur  notre  seigneur  Mohhammedy 
renvoyé  de  Dieu,  sur  ses  parents  et  sur  ses  amis! 

L'émir  Aabd-el-Kader. 


CHAPITRE    CINQUIÈME 


Phrases  applicables  aux  hommes.  —  Phrases  applicables  aux 
femmes.  —  Phrases  applicables  aux  chevaux.  —  Phrases 
applicables  aux  armes. 


La  guerre,  les  femmes,  la  chasse,  les  armes  et  les  cher 
vaux,  ont  de  tout  temps  joué  un  grand  rôle  dans  la  vie  dés 
Arabes.  Partant  de  là,  à  force  d'en  parler  sous  la  tente,  en 
campagne,  dans  les  réunions  intimes  où,  sans  y  penser,  on 
contracte  une  grande  habitude  de  la  parole,  il  s*est,  à  la 
longue  établi  une  foule  de  phrases  plus  ou  moins  pratiquas, 
plus  ou  moins  pittoresques,  toutes  empruntées  à  la  nature  ; 
mais  qui  ont  Tavantage  de  résumer  TopinioÀ  générale  sur 
ces  sujets  intéressants.  Elles  sont  à  peu  près  les  mêmes  par- 
tout, et  il  ne  peut  y  avoir  que  profit  à  les  connaître  pour  s'en 
servir  au  besoin,  ne  fût-ce  que  ppur  bien  comprendre  par  la 
forme  qu'il  donne  à  ses  idées,  et  Fesprit  et  les  mœurs  du 
peuple  que  nous  voulonsi  dominer.  Elles  nous  apprendront  en 
outre  que,  la  mythologie  dont  nous  avons  fait  souvent  abus 
lui  étant  tout  à  fait  étrangère,  c'est  dans  les  objets  qui  l'en- 
vironnent qu'il  va  chercher  ses  comparaisons.  A' ce  point  de 
vue,  ce  sera  encore  du  nouveau. 


150  LA    VIE    ARABE 

Chacun  en  prendra  suivant  ses  besoins  ou  suivant  son 
goût. 


I 

PHBASES     APPLICABLES     AUX     HOMMES 

En  Men. 

G*est  un  noble  parmi  les  nobles. 
Djiyed  bine  le  djouad. 

Djiyed,  pluriel  djouad,  membre  de  la  noblesse  d*épée.  Les 
djouad  constituent  la  noblesse  militaire  en  Algérie  ;  ce  sont 
eux  qui  mènent  les  Arabes  fiu  cpmbat.  Plus  ils  sont  braves, 
généreux,  hospitaliers,  plus  le  nombre  de  leurs  clients 
augmente. 

• 

C'est  un  homme  g/&néreax,  sa  tente  est  celle  du  pauvre. 
Badjel  kerith^  khéimtou  khéimi  el  gueUil. 

C*est  un  homme  pauvre,  mais  son  cœur  est  riche. 
Radjel  fakir ^  ou  galhou  ghani. 

C'est  un  homme  génèrent  :  il  nourrit  celui  qui  a  faim. 
Et  il  habiSle  celui  qui  est  nu. 
Kerim  :  Uaam  el  aaryane. 
Ou  iksti  el  uryaane. 

Il  sait  ce  qu'a  dit  Dieu,  et  le  Prophète. 
laarf  ach  gai  Allah  ou  errassouL 

Jamais  il  n*a  questionné  Tétranger. 
Àamrou  ma  souel  el  berrani. 


PHRASES    SUR    LES    HOMMES  151 

Sa  tente  est  la  tente  de  la  sûreté. 
Khéimtou  khéimt  el  amane. 

Jamais  il  n'a  mangé  seul. 
Aamrou  ma  kela  ouahhédou. 

S'il  ne  mange  pas,  il  fait  manger. 
Ann  lemm  yaakoul,  youkkel. 

Dans  sa  tenté,  on  appelle  le  pauvre  :  un  invité  de  bieu. 
Fi  kliéimtou,  el  guelHl  itssemma  :  dif  Rebbi. 

Il  nourrit  de  ses  troupeaux  et  protège  de  ses  armes. 
Youkkel  be  malou,  ou  ihharem  be  selahhou. 

Le  malheureux,  chez  lui,  peut  rassasier  son  venti*e. 
£1  gtiellïl  fi  khéimtou,  ma  kane  la  ichèbaa  kerchou. 

Au  jour  du  malheur,  il  dissipe  les  chagrins. . 
Nhar  eddiyek,  iguelaa  le  ghehaine. 

Il  est  comme  la  pluie;  il  convient  k  tout  le  monde. 
Ki  cheta  :  Innfaa  gaa  lel  nass. 

C'est  un  homme  adroit. 
IMjel  chuter. 

•Cest  un  démon,  fils  de  démon,  pour  les  chevatix. 
Djenn  benn  el  djenn  fel  khéiL 

C'est  un  berger  de  chevaux,  —  excellent  cavalieri 
Raax  le  khéil. 

Ces  éloges  me  fournissent  Toccasion  de  dire  que,  si  vous 
voyez  sur  les  jambes  nues  d'un  Arabe,  un  peu  au-deàsus  du 
cou-de-pied,  des  exostoses  avec  épaississement  de  ia  peau, 
vous  pouvez  être  certain  que  vous  avez  affaire  à  un  cavalier 


152  LA    VIE    ARABE 

de  naissance.  Ces  grosseurs  se  nomment  maaziyate  ;  elles 
proviennent  du  contact  permanent  de  l'œil  de  l'étrier  avec 
la  partie  inférieure  du  tibia,  et  on  en  souffre  jusqu'à  ce  que, 
par  une  longue  habitude,  la  partie  du  corps  que  je  viens 
d'indiquer,  soit  devenue  tout  à  fait  insensible.  Ceux  qui  ne 
sont  pas  porteurs  de  cet  indice,  dont  on  tire  généralement 
vanité,  regardez-les  comme  des  gens  de  religion,  ou  des 
gens  pauvres  qui  n*ont  pas  pratiqué  le  cheval. 

Après  une  insurrection,  un  bey  de  la  province  d*Oran  fit 
mettre  à  mort  tous  tes  révoltés  qui  lui  tombèrent  entre  les 
mains,  chez  qui  Ton  reconnut  les  maaziyates  dont  je  viens 
de  parler. 

Les  regardant  comme  des  ennemis  peu  dangereux,  il  fit 
mettre  en  liberté  ceux  qui  en  étaient  dépourvus.  C'étaient 
des  fantassins. 

Quand  il  galope  ventre  à  terre,  on  dit  : 

c  II  est  cloué  sur  la  selle.  > 

Menine  ïedji  talok^  tegoul  :  ra  messemmer. 

Il  pense  à  son  cheval  avant  de  penser  à  lui. 
Ikhemmem  fi  aadou  kebel  ma  ikhemmem  fi  nefssou. 

S'il  te  dit:  «  Va-t'en,  »  tu  peux  être  tranquille,  pars 
sans  crainte. 
Menine  igoullek:  rohheu^  rak  mahnni^  ghér  rohheu. 

Il  raye  son  cheval  depuis  le  nombril  jusqu'à  la  colonne 
vertébrale. 
Idjebed  el  aaoud  menu  serra  hhatta  el  sennssouL 

Les  éperons  arabes  ne  comportent  qu'une  seule  et  longue 
tige  pointue,  sans  molettes.  Il  est  très-difficile  de  s'en  servir  : 
un  maladroit  peut  piquer  son  cheval  à  la  rotule  et  l'estro- 


PHRASES   SUR    LES    HOMMES  153 

pier.  SuiTant  les  Arabes,  les  éperons,  qaand  oh  sait  les  em- 
ployer avec  talent,  ajoutent  un  quart  à  Téquitation  du.  ca- 
valier et  un  tiers  aux  moyens  du  cheval. 

Dès  son  enfance,  il  a  chassé  avec  son  père. 
Menn  seghorouj  làne  isstad  maa  babah. 

Quand  il  tue  un  sanglier,  il  est  heureux. 
Menine  iktel  el  hhallouf,  ifrahh. 

Un  grand  plaisir  des  chefs  arabes,  c*est  de  se  réunir  le 
vendredi  —  nhar  el  djemmaa — qui  est  le  dimanche  des  mu- 
sulmans,  et  d*ailer  chasser  le  sanglier  avec  une  douzaine 
de  beaux  lévriers  dressés  à  cet  effet.  Us  en  font  des  héca- 
tombes et  les  donnent  à  leurs  chiens.  La  chair  du  cochon 
étant  défendue  par  la  religion,  ils  se  garderaient  ))ien  d*y 
toucher.  Depuis  quelque  temps,  cependant,  les  pauvres 
quand  ils  ont  tué  un  sanglier,  viennent  le  vendre  aux  chré- 
tiens dans  les  villes;  mais  ce  commerce  est  tenu  pour  mépri- 
sable. 

Il  est  toujours  prêt  à  mourir  pour  celles  qui  se  teignent 
les  doigts  avec  du  henna,  et  mettent  du  noir  à  leurs  pau- 
pières. 

Li  isseboghou  seboai-houm;  ou  ikahhalou  aaini^houm 
ma  kane  la  imoute  aaH-houm. 

C'est  un  fils  de  grande  tente. 
Ould  khéima  kebira. 

Cest  un  enfant  de  bonne  famille. 
Benn  ennass. 

C'est  un  maitre  de  la  respiration. 
Moula  nefss. 


154  LA    VIE    ARABE 

Poor  là  matiresso  des  bagaes,  il  sacrifierait  to  vie. 
Aala  motdate  él  khouatcmy  mebbel  aamrou. 

Les  Arabes  disent: 

Toujours  la  colombe  a  fait  soupirer  la  colombe. 

Et  de  tout  temps  la  lionne  a  fait  rugir  le  lion. 

Quand  les  jeunes  filles  poussent  leurs  cris  de  joie,  il  ne 
sait  plus  où  est  son  ftme. 
Menine  elichirate  izeghrtou^  itellefrohhou. 

On  appelle  te%egherite  les  cris  de  joie  :  You  !  you  !  pous- 
sés sur  un  ton  très-aigu  et  très-élevé  par  les  femmes  et  les 
îeunes  filles  dans  les  réjouissances  publiques  ou  privées. 
Lorsqu'ils  les  entendent,  les  cavaliers  s'animent,  les  chevaux 
dansent  ;  on  serait  tenté  de  croire  que  c'est  là  pour  eux  une 
musique  sans  pareille. 

Cest  un  homme  sage  et  courageux. 
Radjel  aakel  au  rakelw. 

C'est  un  mattre  du  fusil,  un  mattre  de  la  poudre. 
Moula  tnouqhhala,  moula  baroud. 

Il  vit  de  son  fusil. 
lamch  aala  mouqhhaltou. 

C'est  un  mattre  du  bras  ;  un  fils  de  son  bras. 
Moula  deraa  ;  benn  deraaou. 

« 

C'est  un  maître  du  nez. 
Radjel  moula  nif. 

Ici,  le  nez  représente  l'amour-proprc. 

C'est  un  homme  malin. 
Radjel  khéilL 


PHRASES    SUR    LES    HOMMES  ]2»( 

C'est  un  bon  tireur,  il  ne  quitte  jamais  la  mouche. 
Radjel  derrab,  ma  iferokchi  nichane  ed^deb^M. 

D  ne  lâche  que  celui  qui  a  la  vie  longue* . 

Ma  itlog  ghér  li  aamrou  touil,  .  . 

•  •  ■      • 

Ne  s*aiTëte  devant  lui  que  celui  dont  Dieu  a  raccourci  la 
vie.     . 
Ma  iaugueff  kouballou  ghér  li  Rebbi  guesser  aamrou. 

Il  ne  frappe  que  dans  l'œil,  sa  balle  ne  tombe  jamais  à 
terre.  • 

idrob  ghér  fel  aaln ,  ressasstau  aamer-ha  ma  tetékh 
fi  larde.    • 

Quand  la  poudre  tousse,  il  conserve  toujours  soo  sing- 
froid. 
Menine  el  baroùd  ikahheuy  ma  ikhhrodj  menn  aakelou. 

G*est  lui  qui  porte  le  drapeau  dans  les  jours  de  danger« 
Irfed  etterada,  nhar  el  kàina.        .  .^ 

Il  ne  tire  jamais  de  loin,  sa  batterie  ne  s*allume  que  lors- 
qu*il  chatouille  les  capuchons  avec  le  canon  de  son  fusil. 

Ma  idrob  menn  el  baad^  ghér  iïa  doghdogh  bine  el  guela- 
mine,  ou  zenad  ichaal. 

Quand  il  vise  un  homme,  et  que  le'  chien  de  son  fusil 
aboie,  il  le  jette  à  terre  comme  s'il  était  mort  depuis  Tannée 
dernière. 

Menine  iched  fi  benn  adem^  ou  le  kelb  innbahh,  idjiboufi 
larde  miyete  menn  aam  hmel. 

Tu  ne  t'en  tireras  avec  lui  que  si  la  batterie  de  son  fusil 
te  fait  grâce. 
Ma  tesselek  mennou,  ghér  ila  djemmel  aalik  zenad. 


156  LA    VIE    ARABE 

C'est  un  philosophe. 
Radjel  felafm. 

C'est  un  brave  :  dans  les  jours  néfastes,  il  ne  frappe  qu'a- 
vec le  sabre. 
Rakeba  :  nhar  echoum  ma  idrob  ghér  be  sekkine.    . 

On  le  voit  toujours  soutenant  la  retraite  du  goum  :  il  al- 
longe les  rênes,  tire  par^dessus  la  croupe  de  son  cheval,  et, 
quand  son  fusil  vient  à  mentir  —  rater,  —  il  met  le  pistolet 
à  la  main. 

Ichedd  aala  aagab  el  goum  ;  rdkhef  serauy  idrob  aalel 
kefel^  ou  ida  ledebete  mouqhhaltou  idjebed  redif. 

Quand  il  entre  en  campagne,  les  vautours  le  suivent  tout 
joyeux. 
Kif  i%emmeU  ennessoura  itebaaou  fih  bel  ferahh. 

C*est  un  homme  de  bonne  compagnie. 
Badjel  motUa  miyaad. 

C'est  un  homme  expérimenté. 
Badjel  khebir  bel  oomour. 

C'est  un  homme  de  bonne  foi. 
Radjel  moula  niya. 

C'est  un  homme  de  bon  conseil. 
Radjel  moula  mechououra. 

Jamais  il  ne  déchire  sa  bouche  -^  il  ne  médit  pas. 
Ma  icherreg-chi  foummou. 

n  a  la  langue  douce. 
Lessatwu  hhalou. 


PHRASES    SUR    LES    HOMMES  157 

C'est  un  homme  de  bonne  réputatiop. 
Radjel  moula  chlaa. 

Il  dit  du  bien  ou  se  tait. 
Itekellem  bel  khér  oulla  iskout. 

C'est  un  homn^e  de  tète.  —  Il  est  sûr  comme  un  compas. 
Radjel  koumbass. 

G* est  un  homme  intelligent. 
Radjel  kenabsi-fahim. 

Il  fait  manger  le  kouskoussou. 
Oukal  taatn. 

C'est  un  homme  d*action* 
Radjel  khessal. 

Il  possède  la  patience  de  notre  seigneur  Job. 
Saber  ki  sid-na  toubb. 

Sa  parole,  c'est  la  tête  de  son  bien. 
KelemtoUf  rass  malou. 

Sa  parole  passe  —  a  du  poids. 
Kelemtou  djatza. 

Quand  sa  parole  est  partie,  elle  ne  reyient  plus. 
lia  enntok  kelemtou^  matoullich. 

Il  déteste  le  mensonge  à  Tégal  de  la  peste. 
Ikerah  le  kedeb  ki  Ihhabouba. 

Sa  culotte  est  propre  :  il  suit  le  chemin  de  Dieu. 
SerouaUm  neki:  itebaa  trék  Rebbi. 


158  LA    VIE    ARABE 

Il  jeûne,  il  prie,  il  fait  ses  ablutions,  il  pratique  TaninAne 
et  ne  pense  qu'à  faire  le  pèlerinage.    . 

Isoum^  isalli^  itowudaa,  iseddok  le  guellaline,  ou  mora-- 
dou  Ihhedj. 

Jeûner,  prier,  faire  ses  ablutions,  donner  aux  pauvres  et 
'Visiter  la  maison  de  Dieu,  voilà,  en  effet,  avec  la  profession  de 
foi  —  chahada^  —  les  bases  fondamentales  de  Tisiamisme  ; 
celui  qui,  cbez  les  Arabes,  s'appuie  rigoureusement  sur  elles, 
est  certain  d'obtenir  la  considéralion  générale  et  de  passer 
pour  un  vrai  croyant. 

Le  jeune  —  siyam  —  consiste  à  ne  rien  manger  ni  boire, 
comme  à  ne  fumer  ni  priser  pendant  toute  la  durée  d'un 
mois  lunaire,  qu'on  appelle  ramadane,  depuis  le  moment  où 
l'on  peut  distinguer  un  fil  noir  d'un  fil  blanc,  jusqu'au  cou- 
cher du  soleil.  C*est  là  un  jeûne  très-sévère  et  surtout  très- 
fatiguant  quand  on  doit  s'y  soumettre  pendant  les  grandes  cha- 
leurs de  l'été.  On  le  rompt  néanmoins  rarement,  et,  quand 
on  le  rompt,  pour  cause  de  maladie  par  exemple,  on  doit, 
plus  tard,  remplacer  par  autant  de  jours  de  jeûne  ceux  où  il 
a  été  suspendu.  Après  le  coucher  du  soleil  et  la  nuit  arrivée, 
on  recouvre  la  liberté  de  manger  et  de  boire,  de  fumer  et  de 
priser  tant  qu'on  le  veut,  mais  à  la  conditiou  de  reprendre 
l'abstinence  au  point  du  jour. 

Les  pkiéres. —  Elles  sont  au  nombre  de  cinq  : 

Prière  du  point  du  jour.—  Salate  el  fedjer. — Elle  oblige, 
on  le  voit,  le  musulman  à  se  lever  de  très-bonne  heure,  été 
comme  hiver. 

Prière  de  midi.  —  Salate  el  aalam  —  eddohor. 

Prière  de  trois  heures.  —  Salate  el  aasser. 

Prière  qui  précède  le  coucher  du  soleil.  —  Salate  el 
moghreb. 


PHRASRS    SUR    LES    HOMMES  12S9 

Prière  qui  prjécède  le  souper,  ènriron  huil  heores  eu 
soir.  —  Sainte  el  aacha. 

Ces  prières^  bien  entendu,  sont  un  peu  avaneées  ou  retar- 
dées,  suivant  la  saison. 

On  invite  les  fidèles  à  la  prière  au  son  de  la  voix  humaine, 
et  non  au  son  des  cloches,  que  les  musulmans  ont  en  horreur, 
probablement  parce  que  les  chrétiens  s'en  servent.  Voici  la 
formule  invariablement  employée  par  les  mouddenn^  ou 
gens  chargés  de  cette  convocation. 

Dieu  est  le  plus  grand. 
Allahou  àkber. 

Préparez- vous  à  la  prière. 
Hheyya  aal  scdate. 

Préparez-vous  au  bonheur. 
Hheyya  aaleî  falahh. 

Ils  doivent  la  répéter  deux  fois,  en  la  faisant  précéder^ 
comme  en  la  faisant  suivre,  de  la  profession  de  foi  —  eha^ 
hada-^^  que  j'ai  déjà  citée» 

Ablutions.  —  El  audou  :  elles  se  divisent  en  grandes  et 
petites.  La  petite  ablution  doit  précéder  chacune  des  cinq 
prières  que  je  viens  de  signaler.  On  Tappelie  :  <mdou  es 
seghir^  et  la  grande,  oudou  el  kebir,  n*est  pratiquée  qu'après 
des  cas  exceptionnels,  prévus  par  la  loi,  et  dont  il  est  au 
moins  inutile  de  parler  ici.  L'ablution  qui  se  fait  au  point  du 
j.our  n'aurait,  je  crois,  rien  de  bien  attrayant  pour  des  Elu- 
ropéens. 

L'AUMONE.  —  Sadaka  :  elle  est  aussi  très-recommandée 
par  la  religion  musulmane.  L'aumône  faite  en  secret  et  sans 
ostentation  apaise  la  colère  de  Dieu  et  préserve  des  morts^ 


160  LA    VIE    ARABE 

violentes.  Diea  n'accordera  sa  miséricorde  qu'aux  miséricor- 
dieux. 

Le  pèlerinage  —  el  hhedj  :  j'en  ai  déjà  parlé.  C'est  là, 
je  ne  dirai  pas  Tunique,  mais  le  plus  important  voyage  des 
musulmans,  à  qui  il  est  formellement  interdit  de  parcourir 
le  pays  des  infidèles,  surtout  avec  leurs  femmes.  Il  est  très- 
dangereux,  très-fatigant,  et,  pour  nos  Arabes,  quand  il  s'ac- 
complit par  terre,  ne  dure  pas  moins  d'un  an. 

C'est  un  savant  ;  il  lit  le  Koran  sans  s'asseoir. 
Radjel  aalem  :  ikra  le  Korane  be  louakfiya. 

On  passe  pour  un  homme  savant,  et  même  très-savant 
chez  les  musulmans,  quand  on  sait  : 

i®  Lire  couramment,  ce  qui  est  déjà  si  difficile  que  l'on 
voit  rarement  un  taleb  déchiffrer  du  premier  coup  une 
lettre  ou  un  manuscrit  rédigé  en  arabe  élevé. 

Écrire,  ce  qui  demande  aussi  beaucoup  de  temps,  non 
pour  la  calligraphie,  qui,  d'ordinaire,  laisse  peu  à  désirer; 
mais  pour  arriver  à  un  style  correct,  ainsi  qu'à  un  bon 
choix  d'expressions.  L'Arabe  est  un  puits  sans  fond:  byr 
bêla  kaa. 

2^  Le  texte  du  Koran,  jusqu'à  le  réciter  intégralement 
sans  une  faute,  et  avec  la  psalmodie  et  l'intonation  conve- 
nables qui  servent  à  maintenir  la  pureté  du  langage. 

3*  La  grammaire  arabe  »  djaraumiya. 

4^  Les  diverses  branches  de  la  théologie  —  touhhid  el 
tassouef. 

5*  Le  droit ,  c'est-à-dire  le  commentaire  du  Koran  au 
point  de  vue  légal,  par  sidi  Khelil,  qui  fait  foi  dans  tout  le 
rite  malekiy  par  conséquent  chez  les  Arabes. 

6^  Les  conversations  du  Prophète  :  —  Hhadite  sid-fia 
Mohhammed. 


PHRASES    SUR    LES    HOMMES  161 

• 

'  7°  Les  commentaires  sur  le  Koran,  tefessir  el  Korane^ 
c'est-à-dire  Tinterprétatiou  du  livre  saint  :  on  compte  sept  à 
huit  commentaires  faisant  autorité;  celui  de  El  Khazine  est 
le  plus  estimé. 

8®  L'arithmétique  —  hhassab  el  ghobari  ;  la  géométrie  — 
hhassab  el  mennberr,  et  Tastronomie  —  œulm  el  faleh. 

9*  La  versification —  (etUm  elaaraud; — presque  tous  les 
tolba$  se  croient  poêles. 

10»  Et  enfin  l'histoire,  non-seulement  de  son  pays,  mais 
de  sa  nation. 

Voilà,  à  peu  près,  toute  la  science  chez  les  Arabes,  ce 
bagage  peut  nous  paraître  léger  ;  il  n'en  est  pas  de  même  à 
leurs  yeux.  Ils  prétendent  qu'il  faut  toute  la  vie  d'un  homme 
pour  l'acquérir,  et  Ton  a  vu  chez  eux  des  princes  faire  grâce 
de  la  vie  à  de  grands  criminels  par  cette  seule  raison  qu'ils 
les  regardaient  comme  des  flambeaux  théologiques  tellement 
rares  qu'on  ne  pouvait  les  remplacer.  Si  j'ai  bonne  mémoire, 
cela  est  arrivé  à  l'émir  Aabd-el-Kader. 

Il  a  toujours  la  main  allongée, 

Le  sabre  tiré, 

Et  une  parole  qu'on  ne  renvoie  pas. 

Iddou  memdoudj 

Sifou  medjeboud, 

Ou  kelemtou  bêla  meredotul. 

Son  plus  grand  désir  est  de  mourir  dans  la  guerre  sainte. 
Moradou  imoute  fel  djahad. 

Il  a  toujours  le  chapelet  à  la  main. 
Tes'ibéhh  dxma  fi  iddou. 

Le  chapelet  ai'abe  compte  quatre-vingt-dix-neuf  grains, 

11 


162  LA    VIE    ARABE 

sans  doute  pour  rappeler  constamment  au  fidèle  les  quatre- 
vingt-dix-neuf  noms  qu'on  a  donnés  à  Dieu. 

Par  ma  tête,  c'est  un  cbérif,  on  doit  le  compter  au  nombre 
des  amis  du  Prophète. 
De  rassi,  houa  cherif,  menn  sahhab  rassouJ  Allah. 

Clierif  —  pluriel,  cherfa  —  noble. d'origine.  Ce  titre 
ne  peut  ôtre  donné  qu'aux  descendants  du  Prophète  par  sa 
fille  Fatma.  Le  peuple  professe  un  grand  respect  pour  h  s 
chërfa,  qui,  seuls,  ont  le  droit  de  porter  la  couleur  verte 
dans  leurs  vêtements. 

Dans  les  jours  noirs,  le  cbérif  se  découvre  la  tôtc  et  crie 
à  son  monde: 

A  la  nage  —  au  galop,  ~  les  jeunes  gens,  à  la  nage  î 

Les  balles  ne  tuent  pas  ; 

Il  n'y  a  que  la  destinée  qui  tue. 

Fi  nharate  el  kohhel,  xanri  rassou  ou  izgui  lel  jiassou  : 

Aaouam  ya  le  chachera,  aaouam! 

Ed'doun  ma  iktelche  ; 

Ma  iktel  ghér  ladjel. 

Les  Arabes  ont  toujours  un  triple  besoin  de  gloire,  de  ven- 
geance et  de  butin.  Pour  le  satisfaire,  ils  ont  trouvé  un  pro- 
cédé très-expéditif  et  très-efficace;  c'est  la  razia,  envahisse- 
ment par  la  force  ou  la  ruse  du  lieu  occupé  par  rennemi,  ou 
du  dépôt  de  tout  ce  qui  lui  est  cher,  famille  et  fortune.  Chez 
eux,  la  gloire  n'est  pas  de  la  fumée. 

Quand  tous  les  renseignements  sont  recueillis  et  qu'on  est 
tout  près  de  la  tribu  à  envahir,  il  faut  tomber  sur  elle  dès  la 
pointe  du  jour,  à  l'heure  où  Ton  trouve  : 


La  femme  sans  ceinture 
Et  la  jument  sans  bride. 


El  mra  bêla  hhazam 
Ou  laaouda  bêla  ledjam. 


PHRASES    SUR    LES    HOMMES  163 

Un  de  leurs  iK)ëtes  a  dit  : 

A  h  pointe  du  jour,  les  combats  ; 

A  la  tombée  de  la  nuit,  les  festins; 

Le  matin,  Tennemi; 

Le  soir,  les  hôtes,  les  pauvres  et  les  amis. 

C'est  un  maître  dans  l'art  de  la  blaga. 
Radjel  maallem  fel  blaga. 

Chez  les  Arabes,  la  blaga  est  l'art  de  se  servir  hëbileuieiit 
de  mots  qui,  non  compris  par  ceux  qui  ont  peu  d'intelli'* 
gence,  comportent  un  autre  sens  pour  ceux  qui  sont  doués 
d'une  viye  compréhension.  Il  en  existe  de  nombreux  traités. 

Il  me  paraît  certain  que  notre  expression  blague  vient  du 
mot  arabe  blaga.  Comment?  Est-ce  par  l'Espagne,  l'Algé^ 
rie,  ou  est-ce  encore  un  souvenir  des  croisades?  Je  laisse 
aux  savants  le  soin  de  décider  la  question.  Le  mot  blague 
est  généralement  pris  en  mauvaise  part  ;  c'est  le  contraire 
chez  les  Arabes.  Si  j'ai  écrit  blaga  avec  un  gaf^  c'est  que 
c'esl  bien  là  le  son  reproduit  à  mon  oreille.  On  devrait 
peut-être  l'écrire  avec  un  ghme^  parce  que,  dans  le  désert 
et  dans  le  Maroc,  de  tous  les  ghine  on  fait  des  gaf. 

Il  n'a  pas  son  pareil  dans  le  siècle. 
Ma  kane^hi  metelou  fel  korn. 


En  mal. 


C'est  un  homme  difficile. 
C'est  un  homme  grossier. 
C'est  un  gourmand. 
C'est  un  père  du  ventre. 
C'est  un  coureur  de  femiuv's. 


Radjel  ouaar, 
Radjel  khechine, 
Radjel  melhovf. 
Dou  kerch. 
Radjel  meiiaulé 


1<>4  LA    VIE    ARABE 

Les  Arabes  font  très-peu  de  cas  de  Thomme  qui  boît  et 
mange  beaucoup.  S*il  devient  obèse,  ils  le  considèrent  comme 
hors  d*état  de  faire  la  guerre^  et  ils  disent  de  lui  : 

«  Voilà  un  malheureux  qui  porte  un  vêtement  tissu  par 
ses  dents.  )i 

Suivant  l'émir  Aabd-el-Kader,  l'homme  a  été  fait  avec  de 
la  soie  et  du  fer.  S'il  s'habitue  au  luxe,  à  la  mollesse,  à 
la  bonne  nourriture,  la  soie  domine,  et  bientôt  il  n'est  plus 
bon  à  rien;  si,  au  contraire,  il  tient  son  âme  en  bride,  et  s'il 
repousse  impitoyablement  toutes  les  jouissances  de  la  vie,  le 
fer  l'emporte,  et  il  restei  apte  à  supporter  les  plus  grandes 
fatigues,  à  exécuter  les  plus  grands  travaux. 

Personne  ne  pouvait  tenir  ce  langage  avec  plus  d'autorité 
que  ce  chef  illustre  des  Arabes.  En  effet,  pendant  la  guerre 
de  la  conquête,  et  dans  un  pays  dénué  de  ressources,  il  lui 
est  souvent  arrivé  d'accomplir  à  cheval  des  courses  fabu- 
leuses, sans  manger  autre  chose,  dans  le  cours  d'une  jour- 
née, que  deux  ou  trois  poignées  de  blé  bouilli  dans  de  l'eau 
salée  —  cherche7n.  —  Cette  incroyable  sobriété,  partagée 
du  reste  par  beaucoup  d'autres  Arabes,  lui  avait  permis 
d'arriver  à  une  mobilité  telle,  qu'il  paraissait  quelquefois 
dans  une  province,  quand,  peu  de  temps  auparavant,  on  l'a- 
vait vu  dans  une  autre. 


C'est  un  ignorant. 
Ce  n'est  qu'un  moineau. 
Il  procure  sa  femme. 
C'est  un  fou. 
C'est  un  avare. 
C'est  un  peureux. 


Radfel  djahel. 

La  zaouch. 

Ichekemm  martou. 

Radjel  mahbouL  Mesegooeu. 

Badjel  bekhil.  Yabess. 

Radjel  khouaf. 


C'est  un  homme  possédé  du  démon. 
Radjel  inedjennoun. 


PHRASES    SUR    LES    HOMMES  165 

Il  ne  vaut  rien,  il  n*est  bon  à  rien. 
Ma  issoua,  ma  isselahh. 

Toute  la  journée,  il  joue  aux  cartes. 
Nhar  kamel  ilaab  el  Karta. 

Sa  tente  est  la  tente  du  mensonge. 
Khéimtou^  khétmty  le  kedeb. 

C'est  un  homme  haineux  ;  le  poison  lui  coule  par  le  nez. 
Radjel  mebghotid;  essemm  issil  men  nifou. 

Sa  tente  est  ia  tente  de  la  viande  salée. 
KhéimtoUy  khéimt  le  kheléaa. 

Ceci  veut  dire  que  les  hôtes  de  cet  homme  ne  mandent 
jamais  de  viande  fraîche.  Le  khéliua^  nous  l'avons  déjà  dit, 
est  une  viande  cuite  dans  l'huile,  salée  et  séchée  au  soleil. 
On  ne  s'en  sert  pas  ordinairement  pour  donner  Thospitalité, 
mais  seulement  comme  ressource  dans  un  cas  pressé  ou 
quand  on  est  en  expédition. 

Il  passe  sa  vie  à  dire  du  mal  des  femmes. 
Dam  idjedeb  fe  nessa. 


C'est  un  carotticr. 

C*est  un  homme  sauvage. 


Radjel  temmaa. 
Radjel  khelaoui. 


C'est  comme  un  chien  :  il  n'a  ni  parole  ni  considération. 
Ki  le  kelb  :  la  kelma^  la  hherma. 

Ce  n'est  qu'un  marchand  de  sucre  —  épicier. 
La  sekakri. 

Il  n'a  pas  d'autre  métier  que  celui  de  se  chauffer  au  soleil. 
La  semmache. 


166  LA    VIE    ARABE 


C'est  un  gros  serpent. 
G*est  un  gros  ogre. 
C*est  un  grand  diable. 


Taabane  kebir. 
Ghoul  kebir. 
Aafrite  kebir. 


Il  est  courageux  comme  sa  femme. 
Rakéba  ki  martou. 

Pour  la  poudre,  sa  femme  vaut  mieux  que  lui. 
Martou  fehbaroud  khér  mennou. 

Le  jour  du  combat,  il  reste  sur  les  mamelons. 
Nhar  el  baroud  ioogouf  fe  Ihhamamir. 

C'est  comme  une  femuie,     . 

Il  passe  sa  vie  à  se  regarder  dans  un  miroir. 

Kifou  kif  le  mra. 

Dam  ichouf  oudjhou  fel  meraya: 

Jamais  l'Arabe  ne  se  regarde  dans  un  miroir;  d'après  lui, 
c'est  mie  faiblesse  indigne  de  l'homme,  il  le  laisse  aux 
femmes  avec  l'usage  des  parfums. 

Mais,  s'il  ne  s'en  sert  pas,  en  revanche  il  emploie  souvent 
le  peigne  pour  soigner  sa  barbe  à  laquelle  il  tient  beaucoup 
et  qu'il  doit  porter  jusqu'à  sa  mort  sans  qu'elle  ait  éié  rasée 
une  seule  fois. 

11  rend  son  fusil  chargé  cl  armé. 

Imedd  mouqhhaltou  maamera  ou  metallaa. 

Aux  jours  de  la  poudre,  son  cheval  est  toujours  boiteux. 
Fi  nharate  el  baroud,  daaïm  aaoudou  dalaa. 

C*est  comme  une  jeune  fille,  il  n'est  bon  h  rien  pour  la 
poudre. 
Kifou  ki  Uchira,  ma  isselahhch  fel  baroud. 


PHRASES    SUR    LES    HOMMES  167 

Quand  an  homme  tourne  le  dos,  il  commence  à  en  dire  du 
mal. 
Menine  radjel  iderreg  aalih^  ibda  idjebed  fih. 

Dans  les  réunions,  il  déchire  sa  bouche  et  pour  l'action  ce 
n'est  plus  qu'un  juif. 

Fel  djemaa  icherreg  fouminoUy  ou  fel  khessela  la  ki  li- 
houdi. 

Il  n'a  jamais  ramené  un  cheval  de  prise. 
Aamrou  madjab  gueléaa: 

Il  ne  suit  pas  sa  religion,  il  boit  des  liqueurs  fermentées. 
Ma  itehbaach  dinotiy  ichroh  el  khemer. 

Toute  liqueur  fermenlée  pouvant  troubler  la  raison  el 
rendre  Thomme  semblable  à  la  bêle,  esl  sévèrement  prohibée 
liar  la  religion  musulmane.  Mainlcnant,  sur  le  littoral  el  dans 
les  villes  que  nous  occupons  en  Algérie,  il  y  a  beaucoup 
d'Arabes  qui  boivent  du  vin,  de  la  bière,  des  liqueurs,  etc.; 
nous  les  regardons  comme  étant  en  progrès,  mais,  pour  ce 
fait,  ils  sont  souverainement  méprisés  par  leurs  coreligion- 
naires. 

C'est  un  grand  voleur  :  attache  le  cheval  avec  dix  en- 
traves en  fer  et  il  l'^-nlèvera  tout  de  même. 

Khàine  kebir  :  ou  loukane  el  aaoud  be  aachera  hhadaid, 
makane  la  ivfedou. 

L'adresse  des  voleurs  de  chevaux  est  telle,  que  très-sou- 
vent, malgré  nos  grand'gardes,  nos  petits  postes  et  nos  sen- 
tinelles avancées,  on  est  venu  nous  en  enlever  au  milieu  de 
nos  camps.  Ils  profitaient  des  nuits  sans  lune  et  sans  étoiles, 
et  ceux  que  nous  avons  tués,  nous  les  avons  toujours  trouvés 
tout  nus,  munis  seulement  d'une  ceinture  de  course  à  la- 


168  LA    VIE    ARABE 

quelle  étaient  suspendus  un  pistolet  et  un  petit  couteiau  — 
mouss. 

Ce  n'est  qu'un  criard  et  un  bavard. 
La  zeggaye  ou  fedoulu 

Les  Arabes  ont  les  bavards  en  horreur. 
Ils  disent  : 

Tout  bavard  est  ennuyeux  ; 

Il  appelle  le  mal  sur  sa  tête, 

Et  il  mérite  un  coup  de  rasoir 

Qui  lui  mette  les  molaires  à  découvert. 

Koul  douaye  messousSj 

Idjib  el  helika  fi  rassou  ; 

Ou  istahel  derba  be  mousSj 

Hhatta  ibanou  derassou. 

Ce  n'est  qu'un  buveur  de  tabac  —  fumeur. 
La  chareb  edokhane. 

N'allez  pas  croire  que  tous  les  Arabes  fument.  La  pipe 
fait  partie  du  bagage  des  gens  de  guerre  ;  mais  les 
hommes  de  science  et  de  religion,  c'est-à-dire  les  tolbas 
et  les  marabouts  ne  fument  pas.  Le  pauvre  aussi  ne  fait 
point  usage  du  tabac,  il  est  trop  cher  pour  sa  bourse. 

Les  chefs  et  les  riches  qui  fument  ont  un  esclave  préposé 
aux  soins  que  réclame  cette  habitude  ;  c'est  lui  qui  est 
chargé  de  nettoyer  la  pipe,  de  la  bourrer,  de. la  présenter  el 
de  l'allumer  avec  un  charbon  ardent,  ce  qui,  d'après  les 
raffinés,  est  la  meilleure  manière  de  le  faire.  En  campagne, 
on  garde  le  culot  de  la  pipe  qui  tinit,  pour  le  placer  sur  la 
surface  de  la  pipe  qui  va  commencer.  Il  faut  que  celle  ma- 


PHRASES    SUR    LES    HOMMES  1G9 

nif^re  de  faire  ait  de  grands  avantages,  puisqu'elle  a  donné 
naissance  au  proverbe  suivant  : 

Le  culot  d*une  pipe  sur  une  pipe 
Vaut  une  jeune  fille  dans  un  fauteuil. 
Tofia  foug  sebsi, 
Ou  iofla  foug  kersi. 

• 

Dans  ce  dicton,  les  Arabes  ont  fait  un  accroc  h  la  raison 
en  faveur  de  la  rime. 

J'ai  rencontré  des  Arabes  qui  chiquaient,  quoi  ?  le  croi- 
rait-on, du  tabac  à  priser. 

Le  tabac  n'était  pas  connu  du  temps  du  Prophète,  il  n'a 
donc  pu  le  prohiber.  Partant  de  là,  les  savants  disent  qu'il 
est  seulement. haïssable  —  mekrohheu.  —  Si  l'on  s'en 
abstient,  cela  vaut  mieux,  parce  que  toute  privation  d*uno 
chose  agréable  acceptée  en  vue  de  Dieu,  ne  peut  qu'être 
utile  au  salut. 

Ce  n'est  qu'une  peau  de  lion  sur  le  dos  d'une  vache. 
La  djeld  sebaa  aala  dahar  el  begra. 

On  a  cru  pendant  longtemps  qu'une  haute  stature  et  la 
force  corporelle  produisaient  une  vive  impression  sur  les 
peuples  orientaux.  C'est  une  erreur  ;  ce  qu'ils  estiment,  c'est 
l'adresse,  Tagilitéet  le  courage;  peu  leur  importe  qu'on  soit 
grand  ou  petit,  et  souvent  même  on  eiHend  les  Arabes  dire  en 
regardant  quelqu'un  que  l'on  vante  devant  eux:  «  Que  nous 
fait  la  taille  et  que  nous  fait  la  force  !  voyons  le  cœur.  Ce 
n'est  peut'-étre  là  qu'une  peau  de  lion  sur  le  dos  d'une 
vache.  » 


170  LA    VIE    ARABE 


II 


PHRASES     APPLICABLES     AUX     FEMIIE8 

En  hicc, 

Patnia  —  nom  d'une  fille  du  Prophète  —  est  une  fille  de 
grande  tente.  Ses  cheveux  sont  noirs  comnie  les  plumes  de 
Tautruche  mâle. 

Fatma  bennt  hhéima  kebira  :  chaar-ha  kohhel  kif  rich 
ed'delim. 

Ses  sourcils  sont  des  arcs  venus  du  pays  des  nègres,  et 
ses  yeux,  vous  diriez  deux  pistolets  armt^s,  prêts  à  faire  feu 
cl  chargés  avec  de  la  poudre  chaude. 

Hhaouadjeb-ha  kouass  eswudatie,  ou  aaini-ha  tegoul 
zouidja  konabess  metallaàine  kl  hhatta,  moudjoudine  ou 
rafedine  le  baroud  el  hhami. 

Sa  bouche,  dis  :  c'est  un  rubis  monté  sur  une  bague. 
Foum-ha^  goul  :  yakout  mebeni  aala  khalem. 

Ses  dents  sont  blanches  comme  le  lait  de  la  chamelle. 
Senane-ha  kif  hhalib  entiaga. 

Son  cou,  c'est  comme  le  cristal. 
Kokcbt'ha  kif  el  bellar. 

Ses  bras  ressemblent  à  deux  sabres  montés  en  argent. 
Deraài'haki  siyouf  imuimevine  bel  fodda. 

Sa  poitrine,  c'est  comme  la  neige  de  nos  montagnes. 
Zouazi'ha  ki  teldj  djebol-na. 


\ 


PHRASES    S4JR    LES    FEMMES  171 

Et  sa  taille  élancée  rappelle  le  palmier  du  désert. 
Ou  touUha  ki  nekhol  es-'Sahhara. 

Son  souvenir  me  vient  toujours  quand  je  vais  m'endorrair. 
Menine  nergoud  daim  nekhemmem  fi- ha. 

Louanges  à  Dieu  qui  Ta  créée  ! 
Sebahhane  àllah  H  kheM-ha! 

Chez  les  Arabes,  les  femmes  ne  procurent  pas  la  noblesse 
aux  hommes.  Ceux-ci  ne  la  tiennent  que  d*eux  seuls.  Un 
homme  de  grande  origine  pent  donc,  si  cela  lui  platt,  acheter 
une  esclave,  Tépouser  après  l'avoir  affranchie  et  en  avoir 
des  enfants,  sans  que  pour  cela,  aux  yeux  du  monde,  sa 
lignée  soit  entachée.  Dans  le  mariage  musulman,  Tégalité  du 
sang  n*est  une  obligation  que  pour  la  femme  ;  si  elle  appar- 
tient à  une  classe  élevée,  elle  ne  peut  se  mésallier. 
L'homme,  au  contraire,  sans  déshonneur  pour  son  nom,  est 
libre  de  s'unir  à  qui  bon  lui  semble. 

Djamila  —  la  Parfaite  —  est  belle  de  loin,  gracieuse  de 
près  ;  sa  vue  guérirait  un  malade.  Elle  aime  le  kohhely  les 
parfums  et  les  bijoux. 

Djamila  chabba  menn  el  baad^  ou  messerara  menu  le 
(jorb  :  Il  merid  ou  ichouf-ha  ma  kane  la  ibra.  Tehheb  el 
kohhely  tehheb  el  bekhour  ou  tehheb  es-siagha. 

On  fait  le  kohhei  avec  du  sulfure  d'antimoine,  dô  l'alun  — 
toutiya, —  du  musc  quand  on  peut  s'en  procurer,  et  un  peu 
de  noir  de  fumée.  Il  donne  aux  yeux  plus  d'éclat  et  passe 
pour  préserver  des  ophtalmies,  arrêter  l'écoulement  des 
larmes  et  fortifier  la  vue  en  la  préservant  des  rayons  trop 
éclatants  du  soleil.  Tous  les  peuples  musulmans  en  font 
usage;  en  serait-il  ainsi  s'il  n'avait  aucune  propriété  bienfai- 
sante? Évidemment  non. 


172  LA    VIE    ARABE 

En  outre  du  kohhel  qu'elles  emploient,  ainsi  que  beau- 
coup d*hommcSy  du  reste,  on  peut  le  dire,  avec  amour,  les 
femmes  arabes  se  teignent  encore  les  doigts  avec  du  bhenna, 
et  les  lèvres  avec  du  souak,  qui  n'est  autre  chose  que  Técorce 
du  noyer. 

Le  hhenna  produit  la  couleur  rouge-orange,  et  le  souak 
amène  une  couleur  d'un  rouge  beaucoup  plus  foncé.  Ce  dernier 
contribue,  dit-on,  à  faire  ressortir  la  blancheur  des  dents. 

Quant  aux  parfums,  ils  sont  aussi  très-recherchés.  Ceux 
qu'on  emploie  de  préférence  sont  : 

L'essence  de  rose  —  aater  el  ouarde. 

L'essence  de  jasmin  —  aater  el  iassmine. 

L'essence  d'acacia  à  fleurs  jaunes  —  aater  el  lebane. 

L'essence  de  sandal  —  aater  essarmdel. 

L'essence  de  géranium  —  aater  echahh. 

L'eau  de  fleur  d'oranger  —  ma  zahar. 

Une  essence  composée  avec  du  sandal,  du  kaskari,  de 
l'ambre  gris  —  aannbery  —  du  musc  —  messk  —  et  de  la 
liqueur  tirée  de  la  civette;  on  l'appelle  el  mekhannbel. 

On  fait  encore  des  chapelets  très-estimés  avec  du  musc  et 
de  l'ambre  gris  —  tessbéhh. 

Les  femmes  du  peuple  aiment  beaucoup  l'odeur  des  clous 
de  girofle  —  kronnfel. 

Les  bijoux  sont  aussi  en  grand  honneur  chez  les  femmes 
arabes  ;  celles  qui  sont  riches  s'en  surchargent.  Elles  por- 
tent des  boucles  d'oreilles  en  haut  et  en  bas,  au  nombre  de 
quatre,  quelquefois  de  six  —  khoss  —  menaguech  —  mek" 
foui.  —  On  emploie  à  ces  joyaux,  depuis  le  diamant  jus- 
qu'aux pierres  les  plus  communes,  depuis  l'or  jusqu'au 
cuivre  le  plus  vulgaire.  Ils  sont  d'ordinaire  très-lourds,  et, 
pour  que  l'oreille  n'en  soit  pas  déchirée,  on  les  maintient  par 
uno  petite  chiitne  qui  vient  s'accrocher  sur  le  front  en  for- 


PHRASES    SUR    LES    FEMMES  173 

mant  une  espèce  de  diadème  —  el  aassaba,  —  On  donne  au 
goût  de  la  femme  arabe  pour  les  boucles  d'oreilles,  une  ori- 
gine curieuse  et  peu  connue  ;  la  voici  : 

Sara,  femme  de  notre  seigneur  Brahim  —  Abraham,  — 
étant  devenue  très-jalouse  de  Hadjer  —  Âgar,  —  servante  de 
son  mari,  lui  fit,  dans  un  moment  de  colère  et  autant  pours*en 
venger  que  pour  l'humilier,  percer  cruellement  les  oreilles  ; 
mais  Hadjer  passa  des  anneaux  d*or  dans  ses  blessures  et 
son  affront  fut  effacé.  Toutes  les  autres  femmes  trouvant  cet 
ornement  de  leur  goût,  s*empressèrent  d*imiter  son  exemple. 

Les  colliers  sont  de  toutes  les  formes,  de  tous  les  prix  el 
de  toutes  les  dimensions  —  cberka  —  kelada. — Les  femmis 
riches  en  font  avec  des  pierres  précieuses,  des  perles,  des 
pièces  d*or,  du  borail,  de  Tambre,  et  pour  les  jours  de  fête, 
en  fleure  d'oranger,  ce  qui  est  très-gracieux  —  aaked  mtaa 
ezahar;  les  femmes  pauvres  en  font  avec  des  pièces  de  mon- 
naie, des  boutons  de  nos  soldats,  des  coquillages,  ou  bien 
encore  de  très-volumineux  en  clous  de  girofle  -—  mekhanga. 
— Joignez  à  cela  des  bracelets  de  mains  de  tous  les  métaux  - 
messaiss  —  et  des  bracelets  de  pied  —  kholkhal  —  façonnés 
comme  un  fer  à  cheval.  Ils  ont  plutôt  Tair  d'un  signe  d*es- 
clavage  que  d'un  ornement. 

Enfin  ce  sont  des  quantités  de  bagues  en  or,  en  argent  ou 
en  cuivre  —  khatem  —  berim. 

Âaïcha  —  la  Vie  —  est  une  femme  de  religion  ;  elle  s'ef- 
fraye même  de  son  ombre. 
Aaicha  mra  diina  ;  tekhafmenn  kh'iaUha. 

Nedjema  —  l'Étoile  —  a  des  yeux  déchirés  jusqu'à  l'o- 
reille, elle  dit  à  la  lune  :  «  Brille  ou  je  vais  briller.  > 

Aaini'ha  mecherreguine  hhatta  kl  oudenn;  tegoul  el 
guemera  :  Giiedi  oula  neguedi. 


174  LA    VIE    ARABE 

Les  Arabes,  quand  ils  veulent  pariée  d'une  jolie  femme, 
ne  manquent  jamais- de  la  comparer  à  la  lune.  La  lune, 
disent-ils,  éclaire  d'une  clarté  plus  douce  que  celle  du 
soleil  ;,  elle  amène  le  calme,  la  fratcheur  et  dispose  aux 
rêveries  amoureuses. 

Djoliar  —  la  Perle  —  est  une  femme  noble  :  elle  rougit 
rien  qu'en  voyant  un  coq.  Que  Dieu  me  fasse  la  grâce  d'en 
être  aimé. 

Mra  hhorra  :  tesstahhi  tnemi  serdouk.  Allah  idjaal'ha 
tebghini, 

Safya  —  la  Pure  —  marcbe  comme  un  bey  ;  il  ne  lui 
manque  que  le  commandement  et  des  tambours. 

Tetemecha  H  el  baye:  ikhoss-ha  ghéfy  Ihlmkoum  ou 
teboul. 

Yamina  —  la  Prospère  —  n'a  qu'une  seule  parole  ;  quand 
elle  dit  à  son  frère  :  «  Attends-moi  là^  dans  un  instant  je  vais 
venir,  »  elle  vient,  quand  bien  même  on  devrait  lui  couper  la 
tête. 

Aand'ha  kelma  bon  fa  :  il  a  galett  khou-ha  :  ogood  temm, 
delouakt  nedji,  ma  kane  lu  tedji,  oua  loukane  inkeiaa 
rass-ha. 

Soultana  —  la  Sultane,  —  c'est  une  maltresse  de  la  fan- 
tazia  ;  elle  marche  en  se  balançant  comme  le  pigeon  sauvage. 

Moulate  el  fantaziya  :  tederrodj  ki  Ihhamamé 

N'épousez  jamais  une  femme  pour  son  argent^  les  ri^ 
cbesses  peuvent  la  rendre  insolente;  nt  pour  sa  beauté,  sa 
beauté  peut  la  perdre  ;  épousez-la  pour  sa  piété< 


PHRASES  SUR  LES  FEMMES         175 

0  Rahhma  —  la  Miséricorde  !  —  contentc-nioi  ou  dc- 
testc-inoi,  ou  dis-moi  :  «  Dieu  l'en  apportera  d'un  autre  côlé.» 

Ya  Rahhma!  fen'ahhini ou kerahhini,  ou goul4i  :  idjiblek 
Rebbi  menn  djiha  okhra 

Aafya  —  la  Paix  —  ne  ferait  pas  une  chose  honteuse  : 
c'est  une  fille  de  bonne  famille  et  d'une  grande  tente  ;  si  ses 
parents  en  entendaient  parler,  ils  la  couperaient  en  mor- 
ceaux et  la  jetteraient  aux  chiens. 

Aafya  ma  taamelch  el  aaib  :  bennt  ennass  oti  bennt  khéima 
kebira;  oualdi-ha  loukane  issmaaou  bi-ha^  iktaaou^ha  traf 
ou  yaatoU'ha  lel  kelab. 

Hhâlitna  —  la  Douce  —  sourit  avec  délicatesse,  et  c'est 
par  onces  qu'elle  lâche  les  gracieusetés. 
Tetbessem  be  drafa^  ou  tetlok  es-serr  bel  oukiya. 

Zhora  — la  Fleur —  aime  la  guitare,  les  fleurs  et  la  poudre 
dans  les  fêtes.  C'est  une  femme  qui  porte  bonheur. 

Tehheb  el  kouitra,  ou  ennouar,  ou  le  baroud  fel  ouadaa. 
mra  mebrouka. 

Chez  un  peuple  qui  proclame  sans  cesse  que  tout  vient  de 
Dieu,  le  bien  comme  le  mal,  il  existe  une  foule  de  supersti- 
tions et  de  préjugés  qui  peuvent  être  funestes  même  à  la 
femme  la  plus  vertueuse.  Il  est  donc  indispensable  qu'à 
toutes  les  autres  qualités,  elle  joigne  le  bonheur.  Est-elle 
pour  son  mari  une  cause  vraie  ou  supposée  de  fortune,  on 
l'appelle  la  bénie,  l'heureuse  et  on  la  comble  d'honneurs  et 
de  bons  procédés.  Hais,  si  au  contraire,  dès  les  premiers  jours 
de  son  union,  un  Arabe  n'a  jamais  vu  qu'une  diminution 
dans  ses  biens  ou  dans  sa  position  sociale,  s'il  a  été  con- 
trarié dans  toutes  ses  entreprises,  il  ne  peut  s'empêcher  de 
croire  que  sa  femme  lui  porte  malheur  ;  il  en  est  troublé,  et 


17G  LA    VIE    AUABE 

quelquefois  il  la  rend  à  ses  parents.  Ou  donne  le  nom  de 
hhercha  à  la  femme  qui  passe  pour  porter  malheur. 

Les  Arabes  croient  reconnaître  la  femme  qui  porte 
malheur  à  ce  signe  que  le  tendon  de  sa  jambe,  en  arrière  de 
la  cheville  du  pied,  est  toujours  sec,  tranchant  et  bien  dé- 
taché. Ils  disent  : 

Celle  qui,  avec  son  tendon,  peut  couper  le  cou  à  un  oiseau, 
Fuis-la  ;  elle  ne  renferme  aucun  Lien. 
Li  be  aargoub-ha  tedebahh  et-tair^ 
Ilorob  menn-ha  ;  mafi-ha  khér. 

J'ai  parlé  à  l'émir  Aabd-cl-Kadcr  de  ce  sot  préjugé;  voici 
ce  qu'il  m'a  répondu  : 

«C'est  là  une  superstition  qui  existait  du  temps  de  ridolâ- 
trie  ;  la  loi  musulmane  en  a  fait  juî^tioe.  Les  Arabes  croyaient 
autrefois  que  le  profit  et  la  perte  étaient  attachés  h  la  che- 
velure des  femmes,  à  celle  dos  enfants  ou  à  la  crinière  des 
chevaux;  aujourd'hui,  nous  repoussons  ces  influences  oc- 
cultes et  nous  disons  tout  simplement  : 

>  La  femme  malheureuse  est  celle  qui  est  stérile  ou  affligée 
d'un  mauvais  caractère. 

>  Le  cheval  malheureux  est  celui  qui  est  lent  à  la  course  ou 
dont  on  ne  se  sert  que  pour  entreprendre  des  expéditions 
injustes  et  déloyales. 

»  On  trouve  bien  encore  chez  quelques  Arabes  grossiers  et 
ignorants  I  cette  croyance  profane  que  la  femme,  suivant 
qu'elle  est  née  heureuse  ou  malheureuse,  apporte  en  dot  à 
son  mari  le  bonheur  ou  le  malheur;  mais  les  hommes 
sages  et  qui  connaissent  bien  leur  religion  la  repoussent  avec 
dédain  et  pensent  que  Dieu  seul  fait  ce  qu'il  veut  de  ses 
créatures.  C'est  lui  qui  est  le  souverain  appréciateur  et 
maître  :  il  leur  envoie  la  prospérité  ou  l'adversité,  comme 


PHRASES  SUR  LES  FEMMES         ITT 

bon  lui  semble,  et  il  ne  dépend  ni  de  la  femme,  ni  de  l'en-^ 
fant,  ni  du  cheval  pas  plus  que  d^aucune  autre  chose  créée, 
d'empiéter  sur  les  attributions  du  Créateur.  Celui,  donc,  qui 
possède  une  croyance  sincère  jointe  à  une  foi  profonde  ne 
peut,  je  le  répète,  attacher  aucune  importance  à  des  su- 
perstitions aussi  vulgaires  que  ridicules.  » 

Khéra  —  le  bien  —   est  belle:  son  visage  resplendit 
comme  la  pleine  lune. 
Khéra  chabba  :  oudjh-ha  iguedi  ki  le  bederr. 

Aarbiya  —  TArabe  —  vous  ensorcelle  par  sa  beauté  et 
par  sa  parole. 
Aarbiya  tesshherr  be  djonal-ha^  ou  lessann-ha. 

Djenna  —  le  paradis  —  a  fait  le  pèlerinage  de  la  Mecque  : 
elle  ne  sort  que  voilée,  ne  s'occupe  que  des  pauvres  de  Dieu, 
et  ne  pense  qu'à  Tautre  monde. 

Hhedjete  :  tekhroddj  ghér  mennkeba,  teched  aalel  guella- 
Une  ou  tekhemmem  fel  akhéra. 

Les  femmes  arabes  ne  peuvent  aller  au  marché,  tenir  bou- 
tique, vendre  ou  acheter  dans  les  rues  ;  les  hommes  seuls 
sont  chargés  de  ces  soins.  Lorsqu'elles  sortent  pour  visiter 
des  parentes,  des  amies,  des  lieux  sanctifiés,  pour  assister 
aux  fêtes  des  marabous  vénérés,  —  el  otuuiaa,  —  pour  se 
rendre  au  bain,  eUes  se  revêtent  d'un  hhaîk  dont  la  finesse 
est  en  rapport  avec  leur  fortune,  ou  tout  simplement  d'une 
pièce  de  calicot  —  melhhafa  —  dont  elles  s'enveloppent 
tout  entières,  à  Texception  d'un  œil  indispensable  pour  se 
conduire,  ce  qui  leur  donne  un  aspect  si  mystérieux.  C*est 
là  une  des  prescriptions  de  la  pudeur,  recommandée  à  la 
femme  arabe  par  la  religion  et  consacrée  par  la  pratique. 

En  résumé,  la  Jemme  ne  doit  pas  regarder  Thomme,  ni 

12 


178  LA    VIE    ARABE 

être  vue  de  lui,  de  manière  à  exposer  son  cœur  aux  dangers 
de  la  tentation.  Les  regards  énervent  l'âme  et  affaiblissent 
les  facultés.  Cependant,  dans  les  tribus,  les  femmes  de  noble 
origine  font  seules,  à  la  jalousie  des  hommes,  ces  rigoureux 
sacrifices  ;  les  femmes  du  peuple,  obligées  de  vaquer  aux 
mille  travaux  de  lat  tente,  sortent  d'habitude  le  visage  dé- 
couvert. 

La  loi  islamique  n'empêche  pas  la  femme  d'aller  prier 
dans  les  mosquées  ;  toutefois,  les  jurisconsultes  et  les  doc- 
teurs sont  d'avis  qu*il  est  plus  convenable  qu'elle  reste  dans 
son  intérieur  pour  y  accomplir  ses  devoii'S  religieux.  Il  faut, 
disent-ils,  qu'elle  aime  et  respecte  son  mari,  qu'elle  s'efforce 
de  lui  être  agréable  et  qu'elle  ne  le  trahisse  jamais  ni  dans 
ses  biens  ni  dans  son  honneur.  Si,  en  outre,  elle  ne  sort  ja- 
mais de  chez  elle  qu'avec  son  consentement  et  le  visage  voilé 
afin  de  dérober  ses  traits  aux  regards  étrangers  ;  si,  dans  la 
rue  ou  dans  tout  autre  lieu  public,  elle  évite  la  foule  et  se 
tient  rigoureusement  àTécart  ;  si,  au  dehors,  elle  ne  Ht  point 
aux  éclats  et  ne  fait  jamais  entendre  le  son  de  sa  voix,  de 
misinière  à  être  remarquée  ;  si  elle  apporte  tous  ses  soins  au 
bien-être  de  son  ménage,  et  place  toujours  l'intéi^êt  de  son 
époux  avant  le  sien  ;  si  elle  s'attache  à  être  très-propre  sur 
son  corps  et  sur  ses  vêlements  ;  et  si,  enfin,  elle  chérit, 
soigne  et  élève  bien  ses  enfants,  il  importe  fort  peu  qu'elle 
fasse  ses  dévotions  à  la  mosquée  ou  dans  sa  maison,  pourvu 
qu'elle  les  fasse  régulièrement. 

L'émir  Aabd-el-Rader. 

Saadiya  —  l'heureuse.  —  Elle  remplit  d'enfants  mâles  la 
tente  de  son  mari.  Que  Dieu  lui  accorde  sa  bénédiction  I 
Taamer  el  khéima  be  dekoura.  Allah  ibarek  fi- ha  ! 

Auprès  de  DieU;  le  maître  du  monde,  une  fille  vaut  un 


PHRASES    SUR    LES    FEMMES  179 

garçon.  Ainsi  s'exprime,  dans  un  proverbe,  la  sagesse  mu- 
sulmane; mais,  comme  il  arrive  d'ordinaire,  ici-bas,  la  théo- 
rie et  la  pratique  sont  loin  de  s*accorder  en  cette  matière. 
Les  hommes,  en  pays  arabe,  se  chargent  de  faire  la  diffé- 
rence que,  suivant  eux.  Dieu  ne  fait  pas.  Tandis  que  le  gar- 
çon reste  avec  sa  famille,  ajoutant  à  la  force  de  la  tribu, 
dont  11  soutient  la  fortune  et  Thonneur,  la  jeune  fille,  aussitôt 
qu'elle  est  parvenue  à  Tâge  nubile,  suit  la  destinée  d'un 
mari,  elle  quitte  ses  parents  et  va  devenir  quelquefois,  sous 
une  tente  lointaine,  une  femme  étrangère  à  sa  tribu. 

Zina  —  la  jolie.  —  N'a  pas  de  sœurs  dans  les  quatre  coins 
du  monde  :  elle  chante  les  malheurs  ou  la  gloire  de  sa  tribu. 
Que  Dieu  la  préserve  du  mauvais  oeil  I 

Maand'ha  khouatate  fed~denya  :  fel  khêr  ou  fe  chorr 
teghenni  aala  aarch-ha.  Allah  ihhadjeb-ha  menn  el 
aam! 

Ce  sont  les  femmes  qui,  dans  les  tribus  et  concurremment 
avec  les  trouvères,  augmentent  la  popularité  des  chants  qui 
sont  faits  par  les  iolbas  —  lettrés  —  pour  perpétuer  sous  la 
tente  le  souvenir  des  combats  glorieux  ou  des  revers  affli- 
geants. Nous  autres,  chrétiens,  nous  y  sommes  la  plupart  du 
temps  très-maltraités  ;  cela  entretient  la  haine  qu'on  nous 
porte. 

De  nos  jours,  on  voit  encore  des  femmes  arabes,  montées 
sur  des  chamelles  ou  sur  des  mules  richement  caparaçon- 
nées, assister  aux  combats  livrés  par  les  tribus.  Leur  pré- 
sence relève  le  courage  des  faibles  et  surexcite  l'énergie  des 
forts.  Si  un  homme  vient  à  fuir,  elles  l'accablent  d'injures, 
et,  quand  elles  le  peuvent,  dans  le  but  de  le  signaler  à  tous 
comme  un  lâche,  elles  répandent  du  hhenna  liquide  sur  ses 
habits. 


leo  LA    VIE    ARABE 

Meryem  —  Marie.  —  Dès  qu'elle  a  pu  porter  une  cruche 
à  sa  bouche. 
Elle  a  porté  ce  qu*a  porté  sa  mère. 
Menine  refedett  el  hhalab  el  foum-ha^ 
Rtfedett  ma  refedett  imma-ha. 

Cette  assertion  ne  paraîtra  pas  trop  empreinte  d*exagéra- 
tîon  quand  on  saura  qu'il  n'est  pas  rare  de  voir,  en  Afrique, 
une  jeune  fîtle  arriver  à  la  nubilité  vers  Tàge  de  dix  ans. 

J'ai  entendu  citer  Texemple  d*une  mère  qui  avait  onze  ans 
à  peine  de  plus  que  sa  fille.  Elle  était  grand*mère  à  vingt- 
deux  ans. 

Chez  les  Arabes,  on  ne  veut  pas  qu'une  jeune  et  jolie  fille 
soit  soustraite  longtemps  aux  liens  conjugaux.  Tandis  que  sa 
beauté  s'accroît,  on  craint  que  sa  réputation  ne  diminue. 

0  Richa!  —  la  Plume,  —  par  ta  douce  beauté,  donne-moi 
seulement  un  coup  d'œil,  cela  rafraîchira  mon  cœur. 

Ya  Richa  !  be  zinek  el  hhalou,  chouf  fiya  ghér  clwufane; 
iberred  galbu 

* 
Prends  une  femme  de  noble  origine, 
Et  dors  sur  une  natte. 
Khodel  mra  el  assila^ 
Ou  naam  aalel  hhassira. 

Quel  dommage  que   les  chrétiennes  ne  connaissent  pas 
Dieu  ! 
Khessara  er-roumiyat  maiaarfouch  Rebbi  ! 

Leurs  yeux  sont  les  yeux  de  la  gazelle. 
Aaini'houm  ki  aatnine  le  ghezal. 


PHRASES  SUR  LES  FEMMES         181 

Et  leurs  flancs  sont  serrés  comme  ceux  des  chevaux  du 
Sahara. 
Ou  djenab'houm  ki  khéil  es^Sahhara. 

Celui  qui  aime  la  beauté,  qu*il  prenne  une  géorgienne; 

Celui  qui  aime  la  ruse,  qu*il  prenne  une  juive; 

Celui  qui  aime  la  tranquillité^  qu*il  prenne  une  chré- 
tienne ; 

Celui  qui  aime  Torgueil,  et  la  fantaziya^  qu*il  prenne  une 
turque  ; 

Et  celui  qui  aime  la  noblesse  et  la  générosité,  qu*il  prenne 
une  femme  arabe. 

Li  sahhab  ez-zinCy  ïakhod  gourdjiya  ; 

Li  sahhab  el  hhéila^  ïakhob  ihoudiya  ; 

Li  sahhab  el  aafya,  takhod  roumiya; 

Li  sahhab  en-ne fkha  ou  le  fantaziya  iakhod  terkiya  ; 

Ou  li  ihlieb  el  djoud  au  el  kerem,  takhod  mra  aarbiya. 

La  femme,  pour  être  belle  aux  yeux  des  Arabes,  doit 
avoir  quatre  parties  de  son  corps  noires,  quatre  blanches, 
quatre  rouges,  quatre  larges  et  quatre  petites. 

Les  noires  sont  les  cheveux,  les  sourcils,  les  paupières  et 
la  pupille  des  yeux. 

Les  blanches  sont  le  teint,  les  dents,  les  ongles  et  la  cor- 
née opaque  de  l'œil. 

Les  rouges  sont  les  joues,  les  lèvres,  la  langue  et  les  gen- 
cives. 

Les  larges  sont  le  front,  les  yeux,  la  poitrine  et  les  han- 
ches. 

Les  quatre  petites  sont  les  oreilles,  la  bouche,  les  mains 
et  les  pieds. 


182  LA    VIE    AUABE 


En  mal. 

Felima  —  la  petite  Fatma  —  est  une  femme  laide. 
Fetimaj  mra  china. 

Ce  n*est  plus  qu'une  rose  flétrie. 
Là  ouarda  medebala. 

Liltty  —  la  Nuit,  —  le  premier  venu  est  son  maître. 
Liltty  menn  ouala-ha^  matUa-ha. 

Quand  bien  môme  ma  chair  se  rencontrerait  avec  sa  ctiair, 
dans  un  chaudron,  je  me  sauverais  encore  d'elle. 

Baadema  Ihhammi  itlagaa  maa  Ihhamm-ha  fel  guedra^ 
ma  kane  la  nherob  menn-ha. 

Rien  qu'en  la  voyant,  mon  feu  s'éteint. 
Ghér  nechouf  fi  ha  ou  tetefaa  nari. 

Aa%i%a  —  la  Chérie  —  est  une  femme  stérile.  Quel  dom- 
mage ! 
Mra  aaguer.  Khegsara  ! 

Les  Arabes  ne  pardonnent  pas  la  stérilité  aux  femmes. 
Chez  eux,  c'est  presque  toujours  un  sujet  de  répudiation. 

Elle  dit  :  «  Mon  enfant  est  endormi  dans  mon  sein.  » 
Hiya  tegoul:  Ouldi  ragued  fi  kerchi. 

En  pays  arabe,  il  existe  une  opinion  très-extraordinaire  : 
on  y  croit  qu'un  enfant  peut  être  endormi  pendant  plusieurs 
années  dans  le  sein  de  sa  mère,  avant  de  voir  le  jour.  Ce 
préjugé  peut  sauver  l'honneur  des  familles,  empêcher  les 
répudiations,   ou  raviver  la  tendresse  d'un  mari  pour  sa 


PHRASES    SUR    LES    FEMMES  183 

femme.  C'est  probablement  dans  ce  but  qu*ï\  a  été  inventé 
et  propagé. 

Une  telle  sent  mauvais. 
Felana  fi^ha  réhha  china. 

Elle  exhale  une  odeur  fétide. 
Mekhenana. 

C'est  une  femme  malpropre. 
Mramoussekha. 

C'est  une  femme  vieille. 
Mra  charefa.  —  Aadjouza. 

C'est  une  femme  débauchée  :  elle  danse  devant  le  monde. 
Mra  fasseda  :  tergouss  gcmddam  en-nass. 

Les  danseuses  publiques  font  un  métier  peu  estimé.  Leur 
danse  est,  en  général,  dépourvue  de  toute  pudeur  :  elle  con- 
siste à  remuer,  avec  mollesse  d'abord,  puis  ave&  plus  de  vi- 
vacité, les  reins  et  les  hanches,  sans  que  les  pieds  et  les 
jambes  prennent  pour  ainsi  dire  part  au  mouvement.  C'est 
une  succession  de  scènes  lascives  qui,  si  elles  ne  portaient 
plutdt  au  dégoût,  pourraient,  à  la  longue,  agir  sur  l'imagi- 
nation. 

Une  telle  est  une  servante  du  démon. 
Felana,  khedimett  echitane. 

Kheroufa  —  Petit-Agneau.  —  Le  jour  où  son  mari  Ta  bat^ 
tue,  est  celui  qu'elle  choisit  pour  rencontrer  son  frère  — * 
amant,  —  et  cela  en  plein  soleil. 

Nhar  li  souett-ha  radjel-ha,  dak  elyoum  telka  khou-ha^ 
ou  el  gdila  hhamya. 


184 


LA    VIE    ARABE 


Le  savant  Benn  Tonmy  a  dit  : 

Dans  la  ruse  des  femmes,  il  y  a  toujours  deux  ruses, 

Aussi  de  leurs  malices  me  suis-je  toujours  éloigné  ; 

Elles  se  ceinturent  avec  des  vipères, 

Et  elles  s'ëpinglent  avec  des  scorpions. 

Kid  en  nessa  fi  kidine, 

Ou  mena  kid-houm  djit  hareb, 

Ithhazeniou  be  lefaa, 

Ou  ithhallelou  be  laagareb. 

La  soumission  aux  femmes  fait  entrer  dans  Tenfer. 
Taat  en-nessa  iddekhol  tel  nar. 


m 


PHRASES     APPLICABLES     AUX     CHEVAUX 


En  bien. 


G*est  un  bon  cheval. 

Aaoud  merkoub. 

C*est  un  joli  cheval. 

Aaoud  %ine. 

C'est  un  fort  cheval. 

Aaoud  metine. 

C'est  un  cheval  ramassé. 

Aaoud  koummiii. 

C'est  un  bon  marcheur. 

Aaoud  ciyar. 

C'est  un  cheval  obéissant. 

Aaoud  meddoub. 

C'est  un  caracoleur. 

Aaoud  hhammach. 

C*est  un  coureur. 

Aaoud  djerraye. 

C'est  un  cheval  en  bon  état. 

Aaoud  makharouz. 

C'est  un  trotteur. 

Aaoud  khozaz. 

C  est  un  cheval  très-doux. 

Aaoud  guelliU 

PHRASES  SUR  LES  CHEVAUX 


18S 


H  tire  la  larme  de  Toeil. 
C'est  un  cheval  sage  et  adroit. 
C'est  la  tête  des  chevaux. 
C*est  un  cheval  de  race. 
C'est  un  cheval  près  de  terre. 
Il  a  le  tambourin  dans  la  tète . 
Il  atteint  la  gazelle. 
Il  est  pur  comme  l'or. 
Il  devance  l'amorce. 
Il  devance  le  vent. 
Il  danse  sur  sa  queue. 
C'est  un  cheval  rapide. 
C'est  un  cheval  complet. 
Il  porte  bonheur  à  son  matlre. 
C'est  un  cheval  sur  la  parole. 


Ittayer  demaa  menn  el  aain. 
Aaoud  aakel  ou  ehaterr. 
Aaoud  ras8  el  khéiL 
Aaoud  hhorr. 
Aaoud  mekouer. 
El  guellal  fi  rasaou. 
llhhag  el  ghezal, 
Safi  ki  deheb. 
Issebok  telhhaxk. 
Issebok  erréhh, 
Ichetahh  aalà  kaaltou* 
Aaoud  sabok. 
Aaoud  kameL 
hsaad  mouUih. 
Aaoud  aalel  kelma. 


C'est  un  cheval  qui  se  nourrit  bien. 
Aaoud  aallaf. 

Personne  n'a  possédé  son  pareil. 
Ma  kessbou  hhad. 


Il  saute  le  saut  d'une  gazelle. 
Ineguezz  tennguizzete  el  ghezal. 

Pour  lui,  le  loin  est  toujoui:s  près. 
El  baaxd  aandou  guerib. 

■ 

Il  est  plus  vite  que  le  coup  d'œil. 
Ikhetof  el  (Burmach. 

Aucun  l^ridé  ne  peut  courir  avec  lui. 
ttatta  meldjoum  ma  idjeri  maah. 


la^  LA    VIE    ARABB 

G*est  ua  cheval  sans  défout. 
Aaaud  khakss  menn  haull  aq'ib. 

Il  a  l'épi  dn  snltan. 

Aandou  nekhelete  es-Bottltane. 

Aucun  prince  n'a  possédé  son  pareil. 
Ma  kessbou  malik. 

Je  compte  sur  lui  comme  sur  mon  cœur. 
Nedonn  aalih  ki  galbi. 

Découvre  son  dos  et  rassasie  ton  œil. 
Aari  daharo^  ou  chebaa  aaînek. 

Ne  dis  pas  que  c'est  mon  cheval,  tlis  que  c*est  mon  fils. 
Uategaidch  aaoudi^  goul  ghér  ouldù 

Il  a  la  vue  si  bonne,  qu'il  voit  un  cheveu  pendant  la  nuit. 
Aàinih  melahh,  ichouf  chaara  fel  lill. 

Au  jour  de  la  poudre,  il  se  réjouit  du  chant  des  balles. 
Nhar  el  baroudf  iferahh  menn  tezegherite  er-rcssas. 

Il  dit  à  Taigle  :  «  Descends,  ou  je  monte  vers  toi.  » 
Igoul  el  aagab  :  Hhabote  oula  netlaalek. 

Il  est  amoureux  comme  son  maître. 
Mer  y  oui  ki  moulah. 

Quand  il  entend  les  cris  de  joie  des  jeunes  filles,  il  se  met 
à  hennir  de  plaisir. 
Menine  issmaa  tezegherite  el  ichirate  inahhnahh. 

C'est  un  cheval  des  jours  noirs,  quand  la  fumée  de  la 
poudre  obscurcit  la  lumière  du  soleil. 

Aaoud  mtaa  nharate  el  kohhel,  menine  toulll  eehemsse 
makannch,  ou  ghér  dokhatie  el  baroud. 


PHRASES  SUR  LES  CHEVAUX        187 

Il  écoute  ses  flancs  et  observe  toujours  tes  talons  de  ^n 
cavalier. 

Isentwte  djenabou^  ou  acumu  aalel  guedam. 

Quand  il  entend  le  bruit  des  éperons,  il  tremble  comme  la 
feuille  sur  Tarbre. 
Menine  issmaa  chabir^  issteffog  ki  louarka  fi  sedjera. 

Et,  en  effet,  il  y  a  de  quoi  trembler,  car  les  éperonà 
arabes  sont  très-longs,  pointus  et  dépourvus  de  molettes. 
Avec  eux  on  ne  pique  pas,  mais  on  fait  sur  le  ventre  et  sur 
les  flancs  ducbeval  des  raies  sanglantes  qui  lui  impriment 
la  terreur  et  le  forcent  toujours  à  obéir.  Us  ne  sont  împi|is- 
sants,  dit-on,  que  devant  la  mort.  •     j 

*  • 

Si  je  lui  place  les  talons,  je  suis  arrivé  ôhez  eux,  et  n'ai 
plus  quà  dire  :  «  Que  le  salut  soit  sur  vous  !  » 

Ha  nehhot-lou  le  guedem,  toussel^ni  aand-houm  ou  ne- 
goul  :  Saktm  ou  aalikoum  ! 

Lorsqu'il  est  lancé  à  fond  de  train,  aussitôt  le  coup  de 
fusil  parti,  de  lui-même,  il  fait  demi-tour. 

Kif  idjeri  aala  chedd  le  mêla,  la  tedrob  tarakay  \/edji 
melefett. 

On  donne  cette  éducation  au  cheval,  non-seulement  pour 
s* en  servir  dans  la  fantaziya  qui  est  un  jeu  brillant  des  cava^ 
tiers,  mais  encore  à  cause  de  Tutiliié  qu'elle  peut  avoir  à  la 
chasse  ou  h  la  guerre.  Avec  un  cheval  ainsi  dressé,  l'Arabe  se 
précipite  en  temps  opportun  sur  son  ennemi,  le  tue  à  bout 
portant  d'un  coup  de  fusil  ;  puis,  sans  changer  d*allure,  fait 
un  demi-tour  à  gauche,  el  rejoint.les  siens,  le  plus  souvent 
sans  accident. 


188  LA    VIE    ARABE 

Il  comprend  aussi  bien  qu*an  fils  d'Adam,  il  ne  lui  manque 
que  la  parole. 
If  hem  ki  benn  Adem^  ma  khossou  ghér  le  kelam. 

Il  a  été  élevé  dans  ma  tente  comme  un  de  mes  enfants. 
Merebbi  fi  khéimtiJci  ouahhéd  menn  ouladû 

Quand  la  poudre  tousse  ^  il  dresse  alternativement  une 
oreille  et  baisse  l'autre,  il  bennit  et  creuse  la  terre  avec  son 
pied. 

Menine  el  baroud  ikohheu;  oudenih,  irfed  ouahéda  ou 
ihhott  ouahéda,  inahhnahh,  ou  ihhafer  el  arde. 

Il  a  le  pas  si  doux,  que,  sur  lui,  tu  porterais  une  tasse  de 
café  sans  la  verser. 

Aaoud  ciyarry  teched  fendjal  kahoua  fi  iddek  ou  ma  id- 
defeg-chi. 

Les  Arabes  détestent  le  cbeval  qui  trottine  sans  cesse.  Us 
ne  vont  d'ordinaire  quau  pas  et  au  galop,  et  ils  appellent  le 
pas  :  le  galop  de  toujours. 

Une  musette  le  rassasie,  un  sac  le  couvre  —  rein  court. 
El  aamara  taachihy  ou  el  gherara  teghetih. 

Il  est  si  léger,  qu'il  danserait  sur  le  sein  de  ta  maîtresse 
sans  l'abîmer. 

Khefif:  ichetahh  bine  bezazil  khetek  ou  ma  i fesse- 
dhaumch. 

Il  lève  les  pieds  de  devant  et  il  déménage  avec  les  pieds 
de  derrière. 
Irfed  louline  ou  irhhal  be  iouala. 

C'est  un  marabout  ;  les  femmes  viennent  le  visiter. 
Houa  mei^abete  ;  en-nessa  izourouh. 


PHRASES    SUR    LES    CHEVAUX 


189 


11  peut  sapporter  toute  espèce  de  fatigues  et  de  misères. 
Inedjemm  koul  temermid. 

Il  n'a  pas  de  frère  dans  ce  monde,  c'est  une  hirondelle. 
Maandou  khou  fed  denya;  ki  le  khetaïfa. 

m 

En  mal. 


Il  mouille  la  musette. 

Il  ne  voit  pas  clair  la  nuit. 

Il  est  panard. 

Il  est  cagneux. 

C*est  une  rosse. 

Il  est  boiteux. 

Il  a  les  épaules  chevillées. 

Il  est  aveugle. 

Il  est  borgne. 

Il  a  un  cor. 

II  a  le  lampas. 

Il  refuse  les  éperons. 

Il  est  ombrageux. 

Il  se  nourrit  mal. 

L'eau  Ta  frappé  —  fourbu. 

Il  mord  comme  un  chien. 

Il  a  le  farcin. 

Il  est  châtré. 

Il  est  bistourné. 

C'est  un  cheval  ensellé. 

Il  a  la  morve. 

Il  jette  sa  gourme. 

Il  a  la  bouche  dure. 

Il  a  la  gale. 


Ichemekh  el  aamara. 
Mebouher. 
Fetchaa  le  dakhol. 
Fetchaa  le  barra. 
Kidar. 
Aaoud  dalaa. 
El  ketafiate  bih, 
Aaoud  aama. 
Aaoud  aaouer. 
Aandou  se  fa. 
Aandou  Ihéi. 
Innkorr  chabir^ 
Ikhayel. 
Machi  aallaf. 
Drobou  el  ma. 
Faad  ki  le  kelb. 
Aandou  le  djedri. 
Aaoud  mekhssi. 
Aaoud  mebroum. 
Aaoud  maaôudj. 
Aaoud  mechekher. 
Aaoud  mekhanguL 
Foummon  iassahh. 
Aaoud  medjeraù. 


190 


LA    VIK    ARABE 


Il  a  une  taie  sur  Toeil. 

Il  n*a  pas  de  croupe. 

Il  emmagasine  Torge. 

Il  a  une  rétention  d'urine. 

C'est  un  cheval  rétif. 

Il  se  cabre.  Il  rue. 

11  donne  des  coups  de  pied. 

Il  mange  l'entrave. 

Il  butte  et  il  s'abat. 

Il  trottine  toujours. 

Il  se  coupe. 

C'est  un  ambleur. 

Il  a  des  vessigons. 

Il  a  des  bleimes. 

Il  a  des  suros. 

Il  fait  tête  à  queue. 

Il  ne  prend  pas  le  mors. 

Il  a  le  feu. 

Il  est  blessé  sur  le  dos. 

Il  a  des  molettes. 

Il  a  une  seime. 

Il  fouette  avec  sa  queue. 

Il  n'a  pas  de  garot. 


El  biyad  aala  aaïnou. 

FA  kefel  makannch. 

Ikhezenn  zet^aa. 

Ma  ifougch. 

Aaoud  hharrane. 

IbenL  haaret. 

Issonk. 

Yakoul  retaa.  Lhhadjala. 

laaten  ou  ibrek, 

fhandez. 

Izened. 

Aaoud  haraoul'ii 

Aandouel  hêidate. 

Aaoud  merhhouss. 

Il  aadam  fih, 

Ichetemel, 

Innkoir  el  lazma. 

Aaoud  mekouL 

Meddebour  fi  daharo, 

Aandou  menafess. 

El  hhafer  mechekouL 

Jchahate  be  kaaltou, 

El  ghareb  makannch. 


Il  a  le  redressemeut  de  la  gazelle  —  bouleté. 
Terkib  el  ghezal. 

C'est  un  cheval  piqué  à  la  rotule. 
Aaoud  metfouH. 

Il  tient  à  la  tente,  aux  entraves. 

Maissaud  cki  menn  el  khétma,  menn  retaa. 

Il  tient  aux  autres  chevaux. 
Ma  issaudchi  aalel  khéil. 


PHRASES  SUR  LES  CHEVAUX        101 

Il  a  une  maladie  de  poitrine. 
Aaoud  meriohheu. 

Il  a  été  frappé  par  le  vent. 
Medroub  be  rehh. 

Il  a  des  amandes  —  formes  —  sur  la  place  des  bracelets 
de  pieds  —  paturons. 
Ellouz  fel  khelakheL 

C'est  un  cheval  jaune  du  juif  —  Isabelle^  queue  et  erins 
blancs. 
Aaoud  se f er  ellhouéU. 

Il  a  un  épi  sur  la  place  de  la  djebira  —  Indice  malheureux. 
Aandou  nekhela  fi  rahhbete  el  guerab. 

Au  premier  jour  de  poudre,  son  mattresera  tué. 
tfhar  el  baroudy  fissaa  tnoulah  imoute. 

Il  se  refuse  au  jeu  de  la  fantaEiya  —  signe  de  malheur. 
Innkorr  el  laab. 

Il  a  répi  de  la  croupière. 
Nekhelat  tefer  fih. 

C*est  un  cheval  diflicile  :  le  tombeau  de  son  cavalier  est 
toujours  ouvert. 
Aaoud  ouaar  :  keber  moulah  daïm  mhhallouL 

De  tout  temps,  les  Arabes  ont  beaucoup  aimé  les  chevMtfx^ 
et  la  religion  musulmane  n*a  fait  qu'augmenter  Taffection 
qu'ils  avaient  pour  eux. 

La  loi  défend  de  les  maltraiter,  comme  de  les  vendre  aix 
ennemis  de  Tislamisme. 


192  LA    VIR    ARABE 

Le  Prophète  a  dit  : 

c  Les  biens  de  ce  monde  jusqu'au  jour  du  jugement  dernier, 
un  riche  butin  et  les  récompenses  éternelles  sont  attachés 
aux  crins  qui  flottent  entre  les  yeux  de  vos  chevaux  — 
toupets.  » 

Not  chf  raux. 

Quand  nos  chevaux  se  précipitent  en  avant,  ils  res- 
semblent aux  étoiles  filantes  lancées  par  les  anges  contre  les 
démons. 

Ce  sont  des  aigles  montés  par  des  lions  féroces  ;  Téclair 
lui-même  se  fatiguerait  sans  pouvoir  les  atteindre.  Tous  ils 
captivent  les  regards  et  font  Tadmiration  des  hommes  de 
guerre. 

Les  uns  ont  la  couleur  de  minuit,  quand,  au  firmament, 
il  n'y  a  ni  lune  ni  étoiles  —  noirs,  —  La  blancheur  de  leurs 
fronts  suffit  pour  éclairer  la  terre. 

Les  autres  brillent  d'un  éclat  doré  —  alezans  ;  —  ils  res- 
semblent à  la  cornaline,  rouge  comme  le  sang  qui  sort  d'une 
blessure. 

Ceux-ci  sont  des  tisons  en  feu  —  bais  bruns  ^  —  ils  sèment 
Tair  de  leurs  étincelles.  Leur  démarche  est  fière  :  ils  ont  des 
oncles  paternels  et  maternels  qu'on  cite  dans  nos  tribus. 

Ceux-là,  vous  les  prendriez  pour  des  gazelles  —  isabelles 
à  queue  et  à  crins  noirs.  —  Par  la  longueur  de  leurs  cri- 
nières, ils  rappellent  aux  amoureux,  blessés  par  la  séparation, 
la  longueur  de  la  nuit. 

Et  nos  chevaux  blancs?  c*est  la  monture  des  princes: 
quand  Taurore  se  montre,  ils  font  pâlir  la  lune. 

Combien  de  fois  Tennemi  n'a-t-il  pas  fui  devant  nos  bu- 
veurs d'air? 


PHRASES  sua  LES  ARMES         193 

L*ardeur  du  soleil  ne  fait  qu^animer  leur  course.  Ils  font 
voler  la  poussière,  et  cette  poussière  forme  un  nuage  qui 
amène  Tobscurité  en  plein  jour. 

Mais  nos  lances  sont  longues,  droites,  étincelantes,  et  leur 
fer  jette  une  lumière  assez  vive  pour  nous  faire  découvrir 
la  victime  qui  veut  se  dérober  à  nos  coups. 

L'émir  Aabd-el-Kader. 


IV 


PHRASES       APPLICABLES      AtX      ARMES 
Fatil.  —  Mouqkhala  (réminio). 

Mon  fusil  porte  jusqu'au  rassasiement  de  Toeil. 
Mouqhhalli  toussel  aala  rouaaite  el  aatn. 

C*est  un  fusil  d*Alp^er,  il  est  couvert  de  corail  et  monté  en 
argent. 

Mouqhhala  dziri^  meghetiya  bel  mordjane,  ou  bel  aamara 
béda. 

Son  canon  est  damasquiné,  et  sa  batterie  est  albanaise. 
Djaba  djouhardar^  on  zenad  ghamaoute. 

Sa  batterie  est  niellée:  un  grain  de  poudre,  et  il  part. 
Zenad  meniyel  :  aala  hhaba  temude. 

Avec  la  pierre  à  feu  de  mon  fusil,  je  puis  saigner  un 
coq. 
Be  che frète  mouqhhalli  nedebahh  ed^dik, 

13 


194  LA    VIK    ARABE 

Son  canon  est  catalan,  charge-le  avec  sept  balles,  lâclie  la 
détente,  et  il  ne  te  dira  jamais  non. 

Djaba  katalane  :  aamer-ha  be  sabaa  ressdiSy  kross  ou  ma-- 
tegoulche  la  la. 

Avec  lui,  je  perce  de  part  en  part  un  soc  de  charrue. 
Tekhereg  sekka. 

Le  kadi  peut  mentir,  mais  mon  fusil  ne  ment  jamais  —  ne 
rate  pas. 
El  kadi  ikedeb,  ou  hiya  matekedeb-chi. 

Les  Arabes  ont  des  fusils  de  tous  les  calibres,  de  tous  les 
pays,  de  toutes  les  dimensions.  On  voit  chez  eux  des  fusils 
courts,  des  fusils  longs,  des  carabines  et  d'horribles  tremblons. 
Ils  leur  viennent  d'Alger,  de  la  Kabylie,  de  Tunis,  du 
Maroc,  de  la  France,  de  l'Angleterre,  etc.,  etc.  Les  pèlerins 
qui  rentrent  de  la  Mecque,  en  rapportent  aussi  beaucoup  ; 
ce  sont,  eu  général,  de  mauvaises  armes,  des  armes  de 
pacotille,  grossièrement  ornées,  avec  lesquelles  il  arrive 
d*autant  plus  souvent  de  s'estropier  qu'on  ne  sait  même  pas 
par  qui  faire  faire  les  répai»ations  dont  elles  peuvent  avoir 
besoin.  Il  y  a  bien  quelques  ouvriers  dans  les  villes  ;  mais, 
dans  les  tribus,  ce  sont  des  maréchaux  ferrants  qui  en  sont 
chargés.  Aussi,  combien  ne  rencontre-t-on  pas  de  canons 
sérieusement  compromis,  de  batteries  hors  de  service,  et  de 
bois  raccommodés  avec  des  ficelles.  N'importe,  c'est  avec  de 
pareils  instruments  de  guerre  que  les  Arabes  viendront 
lutter  contre  nos  armes  meurtrières  et  perfectionnées.  Tout 
n'est-il  pas  écrit  chez  Dieu  !  le  croirait-on  ?  Ils  préfèrent 
encore  le  fusil  à  pierre  au  fusil  à  percussion,  d'abord  à 
cause  de  la  longue  habitude  qu*ils  en  ont,  puis  à  cause  des  , 
difficultés  qu'ils  éprouvent  à  se  procurer  des  capsules.  Le 


PHRASES    SUR    LES    ARMES  195 

fait  saivant  prouvera,  et  leur  prudente  métiance  à  cet  égard, 
et  le  peu  de  confiance  qu*ont  ceux-là  mêmes  qui  nous  ser- 
vent, dans  la  durée  de  notre  domination. 

Un  de  nos  généraux  de  brigade,  commandant  une  sub- 
division en  Algérie,  était  depuis  longtemps  vivement  solli- 
cité par  un  chef  arabe  qui  avait,  il  faut  le  dire,  rendu  plus 
d'une  fois  des  services  réels  à  notre  cause,  notamment  pen- 
dant les  insurrections.  Il  résolut  d'appeler  sur  cet  homme  la 
bienveillance  de  M.  le  gouverneur  général,  et,  lors  des  coui*ses 
qui  ont  lieu  chaque  année  à  Alger,  il  lui  fit  donner  un  très- 
beau  fusil  à  deux  coups  et  à  percussion,  par  l'illustre  maré- 
chal duc  de  Malakoff. 

—  Eh  bien,  tu  dois  être  content  aujourd'hui,  lui  dit  alors 
le  général,  voilà  tous  tes  vœux  exaucés. 

—  Je  te  remercie,  lui  répondit  TArabe  ;  cependant,  si 
tu  veux  que  je  te  parle  avec  franchise,  j'aurais  préféré  un 
fusil  à  pierre  ;  car,  quand  vous  aurez  quitté  notre  pays,  je 
me  demande  où  je  pourrai  trouver  des  capsules. 

Les  Arabes  ne  mettent  pas  comme  nous  le  fùsii  à  la  gre- 
nadière,  c'est-à-dire  le  canon  en  l'air,  la  crosse  en  bas,  et  la 
bretelle  engagée  dans  une  seule  épaule,  non  :  ils  le  passent 
par-dessus  la  tête,  la  bretelle  appuyée  dans  toute  sa  longueur 
sur  la  poitrine,  et  le  canon  également  à  plat  derrière  le  dos. 
Les  bernouss  épais  dont  ils  sont  couverts  empêchent  qu  ils 
n'en  soient  blessés.  Les  cavaliers  veulent- ils  se  reposer,  ils 
placent  le  fusil  en  travers  sur  la  selle,  en  arrière  du  pom- 
meau — kerbouss^ — et  l'y  maintiennent,  pendant  la  marche, 
avec  la  main  droite.  On  comprend  que  ces  deux  manières 
de  porter  le  fusil  ne  peuvent  convenir  qu'à  des  gens  qui 
combattent  toujours  en  tirailleurs* 

Quant  à  la  poudre,  on  en  fait  beaucoup  dans  la  Kabylie, 
ainsi  que  chez  certaines  tribus  arabes.  Loin  de  nous,  elle  se 


19G  LA    VI£    ARABE 

vend  en  plein  marché.  Elle  n'est  ni  lisse  ni  égale,  elle  est 
moins  forte  que  la  ndtre»  souvent  elle  tache  la  main;  malgré 
cela,  en  augmentant  la  dose,  ils  en  tirent  encore  un  assez 
bon  parti. 

Dans  le  langage  familier,  les  Arabes  appellent  le  fusil 
tmma  Adicha^  ma  mère  Aaïcha.  En  arabe,  fusil  est  du  genre 
féminin. 

Pistolet.  —  Kabonts.  —  Redif. 

Je  compte  sur  mon  pistolet  comme  sur  mon  père. 
Endonn  aalih  ki  bouya. 

Je  le  mets  dans  Teau,  je  lâche  la  détente,  et  jamais  il  ne 
dit  :  «  J*ai  mal  à  la  tête.  » 

Nedirou  fel  ma  ou  nekross^  ou  ma  igoulche  abadane  : 
Rassi  ïoudjaa-ni. 

C'est  une  arme  des  nuits  sombres,  quand  tu  lèves  un  doigt 
en  Tair  et  que  tu  ne  peux  même  l'apercevoir. 

Mtaa  liyali  el  kohhely  menine  tououkkef  sebaak  ou  maie- 
choufouch. 

Celui  qui  se  met  entre  mon  pistolet  et  ma  sœur  ~  ma 
maîtresse  —  est  sûr  d'attirer  un  malheur  sur  sa  tête. 

Li  iedji  binon  ou  bine  kheti^  ma  kane  la  idjib  moussiba 
aala  rassou. 

Les  Arabes  n'ont,  d'ordinaire,  qu'un  seul  pistolet,  ils  le 
portent  sur  la  poitrine,  du  côté  gauche,  dans  un  porte-pisto- 
let nommé  kebouratCf  et  maintenu  par  une  lanière  ou  par 
un  cordonnet  en  soie  qui,  après  avoir  fait  le  tour  du  cou, 
vient  se  fixer  à  la  poignée  de  Tarme.  On  trouve  à  cet  arran- 
gement les  deux  avantages  suivants  : 


PHRASES    SUR    LES    ARMES  197 

1®  De  ne  pouvoir  perdre  son  pistolet  après  s'en  être 
servi. 

â®  Si  le  cheval  vient  à  être  taé,  d*avoir  encore  une  arme 
sur  soi  pour  se  défendre. 

Seuls,  les  chefs  très-haut  placés,  ont  des  fontes  à  leurs 
selles.  A  leurs  yeux  mêmes,  c*est  plutôt  une  distinction 
qu'une  utilité. 

Dans  les  camps»  on  donne  au  pistolet  le  nom  de  kara 
Mohhammed. 

Sabre.  -  Sekkinf.  —  Sif. 

Devant  mon  sabre,  la  tête  d'un  homme  n*a  pas  la  valeur 
d'une  citrouille. 
Gouddam  sifiy  rass  benn  adem  kabouya  khér  menn-ha. 

Sa  poignée  est  en  corne  de  rhinocéros,  et  sa  lame  vient  du 
Khorassane.  Il  coupe  même  le  fer. 
Kebda  kerkedane^  ou  chefra  Khorassane  :  iktaa  Ihhadid. 

Mon  sabre  coupe  comme  un  rasoir. 
Sekkini  gaiaa  kifel  mouss. 

Mon  sabre  peut  porter  des  coups  et  servir  au  besoin  d'as- 
sommoir. 
Sifi  iktaa  ou  issraa. 

Sans  comparaison,  mon  sabre  est  comme  le  sabre  de  notre 
seigneur  Aali. 
La  youmettely  sifi  ki  sif  sid-^na  Aali. 

On  appelait  le  sabre  de  Aali  Dou  el  Fikar.  Les  Arabes 
croient  qu'avec  cette  arme  ce  cousin  et  compagnon  du  Pro- 
phète pouvait  tuer  80,000  hommes  d*un  seul  cou[^ 


198  LA    VIE    ARABE 

Le  sabre  est  romement  du  guerrier^  et  il  embellit  une 
assemblée. 
Sekkine  mymn  el  moudjahad,  ou  iziyenn  d  djemaû. 

Il  n'y  a  pas  d'ami  à  lui  comparer,  quand  le  cœur  est  aussi 
fort  que  le  bras. 

Ma  kane  Khabib  metloUy  menine  el  galb  aala  kodd  ed- 
deraa. 

Cependant,  les  Arabes  de  rAigérie  n  aiment  pas  le  sabre, 
peut-être  parce  qu'ils  ne  savent  pas  s'en  servir  et  qu'il  est 
gênant  sous  leurs  vêtements.  Ceux  qui  en  ont,  et  ils  sont 
clair-semés,  au  lieu  de  l'attacher  comme  nous  autour  du 
corps,  le  placent  tout  simplement,  dénué  de  ceinturon,  sous 
le  quartier  gauche  de  la  selle,  où  il  est  maintenu  par  la 
sangle,  la  poignée  en  avant. 

Les  cavaliers  ordinaires  emploient  le  sabre  de  fass-fez, 
dont  la  lame  est  large,  presque  droite,  lourde  et  mal  trem- 
pée. Son  fourreau  est  en  cuir,  sa  poignée  n'a  qu'une  seule 
branche.  Il  leur  vient  du  Maroc. 

Les  grands  seigneurs  portent  quelquefois,  par-dessus  leur 
bernouss  et  à  la  manière  des  Turcs,  des  sabres  orientaux 
d'un  grand  prix.  Ils  sont  montés  en  or  ou  en  argent,  la  lanio 
en  est  précieuse  ;  rien  ne  résiste  à  son  tranchant.  Ces 
armes  sont  des  armes  de  famille,  reçues  en  cadeau  par  leurs 
ancêtres  ;  elles  ont  été  tirées  de  Constantinople,  de  Damas 
ou  du  Kborassane.  On  les  a  conservées  pour  les  jours  de 
grande  représentation. 

En  résumé,  quand,  à  la  guerre,  un  Arabe  a  tiré  son  coup 
de  fusil,  s*il  n'a  pas  le  temps  de  le  recharger,  il  trouve  plus 
sûr  et  plus  prompt,  quel  que  soit  son  rang,  de  se  servir  du 
pistolet  collé  sur  sa  poitrine  ;  il  met  donc  rarement  le  sabre 
h  la  main. 


PHRASRS    SCR    LES    ARMES  199 

Les  gens  do  makhxenn  ^  da  gouvernement  —  appellent 
le  sabre  «  mon  ami  Joseph  »  —  sahhabi  Yotmef.  - 


Lcince.  —  Mrzrag, 

La  lance  est  le  frère  du  cavalier.  (Lance  est  masculin.) 
El  mezrag  khou  le  faress. 

Ma  lance  est  aussi  aiguë  qu'une  aiguille  :  avec  elle,  on  peut 
ramasser  un  grain  de  blé  par  terre. 

Mezragui  mechouek  ki  libra  :  ilegott  el  hhàbba  menu  el 
arde. 

Son  fer  brille  tellement,  que,  même  pendant  la  nuit,  celui 
qui  a  fui,  je  le  vois  et  je  l'atteins. 

Hhadldou  ibrek,  ou  baadma  fel  lilly  H  hareb,  nechoufou 
ou  Jielhhagou. 

Autrefois,  les  Arabes  tenaient  la  lance  en  grande  estime  ; 
ils  l'appelaient  le  frère  du  cavalier;  mais,  aujouinl'hui,  pres- 
que partout,  elle  a  été  remplacée  par  le  fusil.  On  ne  cite  plus 
guère  comme  employant  la  lance  que  les  tribus  du  désert 
fort  éloignées  du  littoral,  et  qui,  comme  les  Touareg,  par 
exemple,  ne  peuvent  se  procurer  des  armes  à  feu  qu'avec  les 
plus  grandes  difficultés,  et  à  des  prix  très-élcvés. 

Trique.  —  Metrek.  —  ttaraona,  —  Kalhouta. 

Mon  metrek  est  fait  avec  un  bois  dur  comme  le  fer. 
Metreki  yabess  kif  el  hhadid. 

Sa  léte  est  parsemée  de  clous. 
Rassou  messemmer  bel  messamir. 


900  LA    VIE    ARABE 

Avec  ma  trique,  d'un  seul  coup,  j*amëne  mon  homme  en- 
dormi sur  la  terre. 

Be  haraouti  ghér  be  derba  ouahhéda,  nedjib  sahhabi  ra- 
gued  fi  larde. 

Le  métrek,  c'esl  la  balle  froidef. 
El  metreky  resass  el  bared. 

Avec  ma  trique,  je  ferai  tomber  de  quoi  remplir  un  cime- 
tière. 
Be  haraouti  netayhahh  djebbana. 

Le  metrek,  c*est  le  compagnon  du  pauvre, 

Quand  il  esl  courageux, 

Et  qu'il  marche  pendant  la  nuit,  escorté  par  la  faim. 

El  metrek  sahhab  el  guellily 

lia  ikoum  redjil, 

Ou  itemcha  djiyaane  (el  lilL 

La  trique  est  Tarme  des  voleurs,  et  les  voleurs,  en  pays 
arabe,  ne  se  mettent  jamais  en  campagne  quand  la  lune  est 
dans  son  plein.  On  a  remarqué  que  c'était  à  la  fin  des  mois 
lunaires  qu'il  y  avait  le  plus  de  vols  et  d'assassinats. 

Canon.  —  Medfaa. 

L'émir  Aabd-el-Kader,  pendant  la  longue  lutte  qu*il  a  sou- 
tenue contre  nous,  a  possédé  un  certain  nombre  de  canons. 
Us  étaient  en  général  servis  par  des  kouroughlis^  fils  de 
Turcs  et  de  femmes  arabes,  qui,  sous  la  domination  de  leurs 
pures,  en  avaient  déjà  contracté  une  certaine  habitude.  Ces 
canons  lui  venaient  du  Maroc,  du  gouvernement  turc,  et 
d'une  fabrique  qu*il  avait  établie  à  Tiemcen.  Elle  était  diri- 
gée par  un  déserteur  espagnol.  Convaincu  que  nous  nous  en 


PHRASES  SUR  LES  ARMES         201 

emparerions,  il  s'en  est  très-rarement  servi  dans  des  combats 
conlre  les  Français;  mais  ils  lui  étaient  très-utiles  pour  frap- 
per Timagination  des  Arabes,  et  les  maintenir  dans  Tobéis- 
sance,  en  leur  donnant  une  haute  idée  de  sa  puissance.  Les 
kalifas  les  employaient  surtout  quand  ils  allaient  faire  ren- 
trer des  impôts  en  retard.  Nous  les  avons  tous  pris. 

Depuis  la  chute  d'Aabd-el-Kader,  les  Arabes  n'ont  donc 
plus  de  canons,  mais  ils  connaissent  par  expérience  ceux  des 
Français,  et  en  supportent,  quand  il  le  faut,  les  coups  très- 
courageusement. 

De  ce  côté,  nos  troupes  indigènes  ont  aussi  fait  leurs 
preuves,  taiTt  on  Grimée  qu'en  Italie,  où  elles  ont  combattu 
dans  nos  rangs. 

Lorsqu'ils  veulent  plaisanter ,  les  Arabes  appellent  le 
canon  :  c  mon  père  Merzoug,  bouya  merzoug.  Aux  yeux 
des  Arabes, 

Le  cavalier  sans  armes 
Est  comme  un  oiseau  sans  ailes. 
El  faress  bêla  selahh,    » 
Ktf  et-tair  bêla  djeenahh , 


CHAPITRE    SIXIÈME 


LE   CHEVAL   ARABE   PUR   SANG 

Lettre  de  Fémir  Aabd-et-Kader  au  général  Daumas.  —  Origine 
des  chevaux  arabes.  —  Chevaux  de  race  pure.  —  Chevaux 
dégénérés.  —  Le  climat.  —  La  nourriture.  —  La  boisson.— 
Le  travail.  —  Croisement  de  l'étalon  anglais  avec  la  jument 
arabe.  —  Prix  qu'on  attache  à  la  pureté  du  sang.  —  On  le 
trouve  dans  le  vrai  désert.— Course  fabuleuse.  —  Réflexions 
de  Fauteur. 


L*accueil  fait  aux  études  que  j'ai  publiées  sur  les  che- 
vaux du  Sahara  m*a  engagé  à  poursuivre  le  même  sujet  et 
il  rechercher,  pour  le  faire  connaître  en  France,  comment 
les  Arabes  conçoivent  et  jugent  encore  certaines  questions. 
Je  n*ai  pas  cru  pouvoir  mieux  faire  que  de  m'adresser  de 
nouveau  à  Témir  Aabd-el-Kader.  Tout  le  monde  sait  quelle 
autorité  ses  jugements  obtiennent  au  pays  musulman. 
N*était-il  pas  utile  de  soumettre  ensuite  les  appréciations 
de  cet  homme  éminent  au  contrôle  des  idées  européennes  ? 
La  lettre  qui  suit  ma  donc  paru  de  nature  à  intéresser 
tous  ceux  qui,  à  divers  titres,  s'occupent  de  science  hip- 
pique :  voilà  pourquoi  je  la  livre  à  la  publicité. 


3(U  LA    VIE    ARABE 


ORIGINE     DES     CHEVAUX     ARABES 

Louange  à  Diea  l'unique. 
Son  règne  seul  est  éternel. 

A  notre  ami  M.  le  général  Daumas^  que  Dieu  le  couvre  de 
sa  protection.  Ainsi  soit-il  (aminé). 

Ensuite,  voici  ma  réponse  aux  questions  que  vous  m* avez 
encore  posées  au  sujet  des  chevaux  arabes.  Suivant  moi, 
elle  est  l'expression  de  l'exacte  vérité. 

Sachez  donc  que  Dieu  a  créé  les  premiers  chevaux  dans 
le  pays  des  Arabes,  compris  entre  la  Méditerranée,  la  mer 
d'Aden,  la  mer  Persique,  la  mer  Rouge  et  TEuphrate.  C'est 
pourquoi  ces  animaux  s'appellent  irab^  pur  sang.  Ils  étaient 
alors  sauvages  et  inabordables,  tous  ils  fuyaient  l'homme  ; 
mais  Ismaël,  fils  d'Abraham  —  Brahim  —  fut  le  premier  qui, 
environ  deux  mille  ans  après  Adam,  eut  le  courage  de  les 
monter  et  le  talent  de  les  dompter.  Il  ressort  de  ce  qui 
précède,  que  tous  les  chevaux  qui  sont  en  ce  moment  ré- 
pandus sur  la  terre  entière  tirent  leur  origine  de  l'Arabie. 

Les  chevaux  arabes  sont,  de  tous  les  animaux,  ceux  dont 
le  tempérament  est  le  meilleur,  et  dont  le  caractère  et  les 
belles  qualités  se  rapprochent  le  plus  de  la  nature  de 
l'homme.  Gomme  ce  dernier,  ils  connaissent  l'honneur  et  la 
fierté.  Un  cheval  de  race  pure  — hhorr  —  ne  mangera  pas 
les  pestes  d'un  autre  cheval. 

Les  chevaux  connus  chez  nous  sous  le  nom  de  beradine, 
animaux  au  corps  lourd  et  aux  allures  lentes^  et  de  ked- 


LE    CHEVAL    ARABE    PUR    SANG  205 

chaney  bètcs  de  somme  ou  de  trait,  n'existaient  pas  autre- 
fois. Ils  ont  été  produits  par  des  combinaisons  artificielles 
inventées  par  les  hommes.  C'est  à  la  négligence  et  aux  mau- 
vais procédés  d'élevage  d'un  roi  persan  que  Ton  doit  la  pre- 
mière dégénération  de  la  race  pure.  Elle  amena  des  beradine 
et  des  hadjinCy  espèces  caractérisées  par  une  vilaine  tête, 
des  extrémités  communes  et  empâtées,  ainsi  que  par  des 
formes  peu  gracieuses  dans  leur  ensemble.  La  postérité  de 
ces  premiers  abâtardis  produisit  les  kedchane,  qui  ont  les 
naseaux  étroits,  les  reins  longs  et  les  crins  grossiers.  On  ne 
doit  pas  s'en  étonner  ;  l'or,  pour  rester  or  pur,  repousse 
tout  alliage. 

Alexandre  le  Grand  fut  le  premier  qui  accoupla  des  ânes 
et  des  juments.  Il  en  naquit  des  mulets.  Plus  tard,  du  croi- 
sement des  chevaux  avec  des  ânesses,  il  obtint  un  mulet 
d'une  espèce  plus  petite,  au  nez  aplati,  à  la  tête  courte.  Et 
cela  se  comprend,  l'ânesse  ayant  le  ventre  et  le  bassin  plus 
étroits  que  la  jument. 

Si  certains  chevaux,  quoique  descendant  de  race  pure,  ont 
cependant  dégénéré  comme  qualité  et  comme  physionomie, 
il  faut  l'attribuer  à  des  causes  ou  à  des  accidents  fortuits, 
remontant  à  la  souche  paternelle  ou  maternelle.  Puis,  ces 
mêmes  influences  venant  à  se  reproduire,  la  constitution 
des  animaux  s'en  est  ressentie,  et,  avec  les  siècles,  d'autres 
espèces  plus  ou  moins  avilies  se  sont  constituées. 

Ne  voyons-nous  pas  les  mêmes  effets  chez  les  hommes  ? 
Un  habitant  des  climats  tempérés,  aux  mœurs  douces  et  ci- 
vilisées, au  corps  sain,  au  teint  blanc,  se  rend  dans  le  Sou- 
dan et  s'y  marie  avec  une  négresse.  De  génération  en  gé- 
nération, les  descendants  se  transforment;  ils  perdent 
progressivement  type,  couleur,  en  un  mot  toutes  les  qualités 
physiques  et  morales  de  leur  premier  père.  La  peau  sera 


206  LA    VIE    ARABE 

noire,  les  cheveux  crépus;  ils  auront  le  caractère  fougueux 
et  sauvage  ;  leur  intelligence  sera  étroite,  leurs  mœurs  lé- 
gères ;  et  enfin,  comme  les  nègres,  ils  ne  tarderont  pas  à  se 
distinguer  par  une  dissipation  extrême,  et  par  un  amour 
excessif  de  la  danse. 

Il  existe  donc,  on  le  voit  clairement,  deux  catégories  de 
chevaux  bien  distinctes  : 

i"*  Une  catégorie  de  chevaux  arabes  pur  sang,  qui  ont 
conservé  intacte  toute  leur  valeur,  parce  que  la  nature  n'a 
été  modifiée  en  eux  par  aucune  cause  nuisible  ; 

2°  Une  catégorie  quiVest  plus  de  race  pure,  pour  avoir 
subi  des  altérations  profondes  au  moral  comme  au  phy- 
sique. 

Si,  pour  mieux  se  faire  comprendre,  on  voulait  recourir  à 
une  comparaison,  on  pourrait  dire  que  les  chevaux  de  race 
entièrement  noble  sont  aux  beradine  et  aux  kedchane  ce  que 
la  gazelle  est  à  la  chèvre.  Les  muscles  et  les  os  des  beradine 
et  des  kedchane  sont  en  apparence  plus  gros  que  ceux  des 
irab  pur  sang;  mais,  en  réalité,  ils  sont  moins  pesants,  moins 
forts,  et  surtout  beaucoup  moins  résistants.  Il  est  admis  chez 
nous  que  le  cheval  noble  surpasse  tous  les  animaux,  même 
ceux  qui  servent  de  bêtes  de  somme,  en  patience  et  en  vi- 
gueur. Il  est  à  la  fois  le  plus  souple,  le  plus  léger  et  le  plus 
fort  de  la  création.  On  peut  le  considérer,  en  outre,  comme 
le  plus  facile  à  nourrir  et  à  désaltérer  aux  joui*s  de  poudre 
ou  pendant  ces  courses  de  longue  haleine  que  nous  faisons 
dans  le  désert. 

Les  principales  causes  qui  amènent  des  altérations  dans 
les  races  sont  les  quatre  suivantes  :  le  climat,  la  nourriture, 
la  boisson,  le  travail.  Nous  allons  en  parler. 


LE    CHEVAL    AUABE    PUU    SANG  îiU7 


II 


LE     CLIVAT 


Daus  les  pays  excessivement  chauds,  comme  la  Nigritie  et 
les  contrées  environnantes,  les  chevaux  sont  de  faible  con- 
stitution ;  leurs  membres  ne  sont  pas  proportionnés,  et  Ton 
dirait  que  leur  poil  a  été  brûlé  par  le  feu.  Ils  manquent 
d'intelligence  et  ont  Thumeur  rétive. 

Dans  les  contrées  froides  ou  très-humides,  les  chevaux 
sont  en  général  de  haute  taille,  lourds  et  apathiques  ;  leurs 
proportions  sonl  loin  d'être  agréables  et  régulières  ;  ils  ont, 
en  général,  les  formes  massives,  le  poil  long  et  les  os  gros, 
sans  résistance  ;  tandis  que  les  chevaux  des  pays  tempérés 
sont  de  taille  moyenne,  ni  trop  grands,  ni  trop  petits,  d*un 
caractère  également  équilibré,  d'un  bel  extérieur,  très- 
agiles,  avec  le  poil  luisant  et  court. 

L'influence  du  climat,  qui  pourrait  donc  la  nier  ?  Elle  va 
jusqu'à  se  faire  sentir  sur  les  chevaux  d'un  même  pays,  sui- 
vant les  différentes  régions.  Ainsi,  pour  ne  parler  que  de  la 
péninsule  arabique,  les  chevaux  du  Hedjaz  —  Arabie  Pétrée 
—  ont  de  beaux  yeux  noirs,  des  oreilles  longues,  la  poitrine 
profonde,  la  bouche  et  les  lèvres  minces,  les  chevilles  fines 
et  les  sabots  durs. 

Ceux  du  Nedjed  —  plateau  de  l'Arabie  —  ont  l'encolure 
plus  longue  qu'aucun  autre  cheval  arabe  ;  chez  eux,  la  tète 
est  courte,  dépourvue  de  chair  aux  joues,  la  croupe  large>  le 
ventre  vaste,  les  jambes  sèches,  les  articulations  bien  sou* 
dées  et  les  cuisses  fortes* 

Les  chevaux  de  l'Yémen  ont  le  corps  arrondi,  la  peau 


208  LA    VIE    ARABE 

dure,  la  croupe  un  pou  étroite,  les  cuisses  cependant  four- 
nies de  muscles;  les  tendons  bien  séparés,  bien  détachés  des 
os,  et  Tencolure  courte  comparativement  aux  autres  clie- 
vaux  arabes,  mais  longue  encore,  si  Ton  regarde  ceux  des 
autres  pays. 

Les  chevaux  syriens  sont  tous  beaux  de  couleur;  ils  ont 
les  yeux  grands,  les  coins  de  la  bouche  très-ouverts,  le  poil 
fin,  le  crâne  chauve.  Leur  corps  plaît  à  Tœil  ;  mais  ils  n*ont 
pas  le  fond  et  la  résignation  des  chevaux  de  TArabie  pro- 
prement dite.  Leurs  sabots  sont  tendres. 

Ce  qui  donnera  toujours  une  grande  supériorité  aux  che- 
vaux de  ces  pays-là,  c'est  l'air,  la  lumière  et  le  soleil,  ces 
grands  vivificateurs.  On  ne  les  élève  certes  pas  dans  des 
écuries. 


III 


LA      .NOURRITURE 


Nos  ancêtres  ont  remarqué  que,  dans  les  pays  arides  où 
la  paille,  l'herbe  et  les  grains  sont  rares,  le  cheval  est  bien 
supérieur  à  celui  qui  vit  dans  les  pays  bien  cultivés,  où  Ton 
trouve  à  satiété  des  fourrages.  Le  premier  est  mieux  con- 
formé ;  il  a  les  membres  plus  secs,  les  tissus  plus  fermes,  la 
peau  plus  fine,  la  couleur  plus  vive,  le  poil  plus  soyeux  et 
la  santé  meilleure,  avec  un  fonds  inépuisable.  Pourquoi  ? 
Parce  qu'une  nourriture  trop  abondante,  engendrant  tou- 
jours dans  le  cheval  des  humeurs  nuisibles  et  développant 
certaines  parties  du  corps  seulement,  au  détriment  de  toutes 
les  autres,  fait  naître  ces  disproportions  dans  l'ensemble  et 


LE  CHEVAL  ARABE  PUR  SANG       t09 

ce  teint  terne  qui  rend  l'extérieur  de  ranimai  si  laid.  Elle 
produit,  en  outre,  la  graisse,  la  pesanteur,  la  déformation, 
et  surtout  ces  vices  de  respiration  qui  sont  les  signes  certains 
de  la  non-aplitude  au  travail  et  à  la  fatigue. 

Les  chevaux  arabes  du  Sahara  me  fournissent  encore  la 
preuve  de  ce  que  je  viens  d*avancer.  Ils  sont  plus  intelli- 
gents, plus  légers,  plus  accessibles  à  Téducation,  et  ils  sup- 
portent les  fatigues,  les  misères,  les  longues  courses,  la 
faim  et  la  soif  beaucoup  mieux  que  leurs  frères  également 
arabes,  mais  qui  ont  été  élevés  moins  sobrement  ailleurs. 
Pour  maintenir  leur  supériorité,  il  leur  suffit  de  boire,  quand 
on  peut  leur  en  donner,  du  lait  de  chamelle,  de  dépouiller 
quelques  arbustes  parfumés,  incapables  de  corrompre  le 
sang,  ou  de  brouter  quelques  végétaux  qui  contiennent,  il 
est  vrai,  des  principes  toniques  et  très-nutritifs,  mais  sous 
un  petit  volume.  Les  grains  leur  sont  à  peu  près  inconnus, 
bien  qu'ils  soient  soumis  à  un  entraînement  perpétuel. 

Au  surplus,  le  cheval  du  désert  ne  forme  pas  une  excep- 
tion à  la  règle  générale.  Voyez  la  gazelle,  le  bœuf  et  le  mou- 
ton sauvages,  la  girafe,  Tonagre,  etc.,  etc.  Us  vivent  sur  des 
pays  secs  et  stériles,  et  cependant,  ils  sont  très-supérieurs  à 
leurs  congénères  domestiques,  nourris  copieusement  sur  des 
terres  fertiles. . 

L*honmie  ignorant  croit  que  Tespèce  modifiée  est  d'une 
autre  famille  que  celle  qui  a  conservé  sa  nature  primitive. 
C'est  une  erreur,  la  chèvre  est  sœur  de  la  gazelle,  le  bœuf 
et  le  mouton  sauvages  sont  frères  du  bœuf  et  du  mouton 
domestiques,  le  chameau  est  frère  de  la  girafe^  et  Tonagre 
est  aussi  frère  de  Tâne  que  nous  connaissons.  Seulement,  les 
uns  sont  restés  conformes  au  type  primordial,  tandis  que  les 
autres  ont  changé  de  physionomie,  soit  par  défaut  d'exer- 
cice, soit,  ce  qui  est  encore  plus  certain,  par  suite  d'intem- 

ii 


M  LA    Vtfi    AKAyfe 

péraiice  dans  le  boire  et  le  tilAtigei*.  Us  Be  soiU  ë(>AiS5ifti 
oui  contracté  des  humeurs  viciées-,  le  certes  ;*esl  htibiuté 
à  des  sécrétions  maisaines)  et  ces  conséquences  de  là 
servitude  ont  à  la  longue  réagi  sur  le  physique  et  M 
moral. 

Manger  peu ,  de  manière  à  h^èire  jamais  complètement 
rassasié,  et  toujours  consommer  des  aliments  qui  tàe  soinitt 
pas  de  nature  à  altérer  le  sang,  telles  ^ont  les  conditions  q«i 
ont  une  si  heureuse  influence  sur  les  chevaux  du  désett.  Ili 
leur  doivent  la  pureté,  la  foi*ce,  la  vitesse,  la  beauté  et  teiir 
admirable  caractère. 

81  le  chevél  fait  un  abus  constant  de  nourriture^  la  motHMrtt 
privation  lui  pèse,  il  dé|.)érit  rapidement.  Gela  se  conçoit^  M 
a  élargi  outre  mesure  ses  intestins  ;  la^  diminution  des  aif« 
ments  amène  leur  rétrécissement  ;  l'humidité  leur  manque; 
ils  se  dessèchent,  l'infiammation  arrive,  et  Tànimal  eal 
perdu. 

Le  contraire  se  produit  chez  les  chevaux  qui,  poar  apaiser 
leur  faim^  se  contentent  des  arbrisseaux  dont  j*ai  déjà  parié) 
du  ketoff  {atriplex  halmus)^  de  ces  graminées  que  aooi 
appelons  el  alfa  (lygeum  spartium)^  du  disSi.  {arut^û  (eêîw^ 
coides  de  Desfonlaines),  du  doumniy  palmier  nain;  en  «a 
mot,  de  tout  ce  qui  leur  tombe  sous  la  dent»  Geux-là  nt 
mangent  jamais  avec  excès,  conservent  Testoipac  libre  tX  les 
intestins  dans  un  état  normaL  Ces  oi^anes  déiîci^  lie  s'é'- 
largissent  pas>  a'accoènmodent  de  tout  aliment  natuicâ  et  ne 
sont  pas  sujets  à  s'altérer,  non  plus  qu  a  se  dessécàtr  eu  4 
s'enflammer. 

Tous  les  grains  ne  so&t  pas  salutaires  aux  cIteviMixf  l'oi^ 
seule  exerce  sur  leur  hygiène  une  action  salataircv  £âle  a 
surtout  une  propriété  spéeialei  celle  de  nourrir  ranimai  sans 
réchauffer,  fisi-il  bien  conformé  »  il  en  tire  une  vitesse 


LE  CHEVAL  ARABE  PUR  SANG       Sli 

extrême.  Dans  le  pays  arabe,  l'orge  est  donc  un  excellent 
aliment. 

Donner  aux  chevaux  des  fèves,  comme  on  le  fait  en  Egypte 
et  ailleurs,  cela  ne  vaut  absolument  rien.  En  agissant  ainsi^ 
on  les  gâte  entièrement. 

On  nourrit  les  chevaux  du  Hedjaz  avec  de  l'orge,  du  mil 

—  derra^  —  des  dattes  et  des  noyaux  de  dattes.  Le  lait  est 
leur  boisson  habituelle. 

Dans  le  Nedjed,  il  n'est  pas  rare  de  voir  donner  aux  che- 
vaux de  la  viande  salée  et  séchée  au  soleil  —  kadid  (1) 

—  et,  à  l'occasion,  des  sauterelles  cuites  à  Tétuvée  (2). 
On  les  abreuve  aussi  avec  du  lait,  on  leur  fait  brouter  les 
feuilles  de  certains  arbustes,  entre  autres  celles  du  tamarin, 
du  chihhé  {artentisia  judaica)^  du  gandoul  (spartium  spU 
nosum)^  et  ils  paissent  le  mouron  et  le  drine,  dont  les  grai- 
nes, nommées  el  laule^  sont  très-nourrissantes  (sHpa  barinUa 
de  Desfontaines). 

Pour  en  finir  avec  la  nourriture,  je  dirai  encore  que,  pai*- 


(1)  Chiidi  Athmane,  chef  itifluent  de  la  tribu  des  Touareg,  ces  pi- 
raies  du  graod  désert,  atsure  que  les  eh€vaa\  aont  très-friands  de  la 
viande  de  ofaameau.  Voient-ils  découper  et  préparer  devant  eux  la  chair 
de  cet  animal,  ils  hennissent  de  joie  et  grattent  la  terre  du  pied  avec 
force,  témoignaât  ainsi  de  leur  impatiente  avec  la  même  énergie  que 
le  cheval  de  nos  coalrées,  quand  il  entend  mesurer  ov  vanner  aoe  orge 
bien  gagnée  et  attendue  depuis  longtemps. 

(S)  Quand  il  y  a  une  invasion  de  sauterelles  dans  le  Nedjed,  ce  qui 
arrive  tous  les  sept  à  huit  ans,  les  Arabes  font  la  classe  k  ces  petits 
animaux  dévastateurs,  se  bâtent  d'en  remplir  dos  f  acs  et  les  conservent 
comme  provisions  alimentaires.  Ils  les  font  cuire  dans  des  trous 
pratiqués  en  terre,  et,  quand  la  cuisson  en  est  complète,  ils  les  laissent 
refroidir  et  les  donnent  ensuite  à  leurs  chevaux,  qui  s'en  montrent 
très-friands.  Dans  le  pays,  on  prétend  même,  «t  des  gens  dignes  de  foi 
me  l'ont  assuré,  qu'il  n'est  pas  d'état  de  maigreur  qui  puisse  résister  à 
une  pareille  nourriture  administrée  pendant  quinze  jours.  {Voyage  dans 
la  hùnle  Asie,  par  M.  Vétiniand,  inspecteur  général  des  haras.) 


212  LA    VIE    ARABE 

tout  chez  les  Arabes,  lorsqu^on  veut  exiger  ou  lorsqu'on  a 
exigé  des  efforts  considérables  d*uii  cheval,  on  ne  le  fait  ja- 
mais manger  immédiatement  avant  le  départ,  ni  aussitôt 
après  le  retour.  Des  accidents  sérieux  pourraient  être  la 
conséquence  de  la  non-observation  de  ce  principe. 


IV 


LA     BOISSON 

La  boisson  exerce  également  une  notable  influence  sur  la 
nature  du  cheval  :  si  Ton  n'y  porte  une  grande  attention,  elle 
peut  déterminer  des  accidents  fâcheux  qui,  à  la  longue,  de- 
viendraient chroniques  et  pourraient  transformer  sa  consti* 
tution. 

Les  chevaux  du  Sahara  ne  boivent  qu'une  fois  par  jour 
quand  ils  trouvent  de  Teau  ;  autrement,  ils  se  passent  facile- 
ment de  boire  deux  jours  et  môme  trois.  Le  meilleur  mo- 
ment pour  les  abreuver  est  le  milieu  de  la  journée. 

Dans  les  tribus  qui  possèdent  beaucoup  de  brebis  et  de 
chameaux,  on  donne  de  préférence  du  lait  aux  chevaux. 
C'est  la  boisson  la  plus  réconfortante  et  la  plus  saine.  Là  où 
il  n'y  a  que  des  brebis,  on  a  soin  de  leur  donner  du  lait  au 
moins  au  printemps.  Dans  tous  les  cas,  on  ne  sèvre  les  pou- 
lains qu'au  moment  où  on  peut  remplacer  le  lait  de  la  mère 
par  celui  des  chamelles  et  des  brebis. 

Le  lait  a  la  propriété  de  fortifier  les  muscles  en  les  dé- 
pouillant d*une  graisse  inutile,  de  faciliter  la  respiration  et 
de  rendre  ainsi  le  cheval  infatigable.  Celui  de  la  chamelle 


LE  CHEVAL  ARABE  PUR  SANG       «213 

possède  surtout  l'avantage  d'affermir  la  moelle  et  d'entrete- 
nir la  santé,  ce  qu'on  reconnaît  toujours  à  la  gaieté,  ^u  bril- 
lant du  poil  et  à  la  souplesse  des  crins. 

Le  cheval  arabe  n'aime  à  boire  que  de  Teau  trouble.  Est- 
elle claire  et  crue,  il  la  trouble  lui-môme  avec  ses  pieds.  Ne 
peut-il  le  faire,  il  boit  avec  une  visible  appréhension. 

Les  habitants  des  villes  et  des  pays  fertiles  ont  grandeinenl 
tort  de  faire  boire  leurs  chevaux  jusqu'à  trois  fois  par  jour. 
L'absorption  d'une  trop  grande  quantité  de  liquide  donne  de 
la  mollesse  aux  muscles,  grossit  le  corps  et  gonfle  les  chairs. 
Elle  détermine  souvent  des  tremblements,  et  rend  le  cheval . 
impropre  à  la  course.  On  abîme  encore  sa  constitution  en  le 
faisant  boire  immédiatement  ou  peu  de  temps  après  qu'il  a 
marché. 

L'eau  venant  de  loin  et  qui  a  parcouru  des  tuyaux  de 
plomb  ou  des  conduits  de  plâtre  est  également  très-nuisible. 
L'expérience  l'a  démontré.  On  prétend  qu'à  la  longue  elle 
est  capable  d'altérer  la  constitution  primitive  au  point  d'é- 
tioler la  descendance. 

Dans  certaines  tribus,  quand  un  cheval  a  été  fatigué  par 
de  longues  journées  de  chasse  ou  de  courses,  on  lut  fait 
boire  du  bouillon  de  mouton  étendu  d'eau  fraîche.  Ce  ré- 
gime le  remet  promptement. 

Plus  un  cheval  a  travaillé,  plus  on  doit  lui  distribuer 
l'eau  avec  précaution  ;  c'est  le  moyen  d'éviter  les  refroidis- 
sements du  corps  et  les  arrêts  de  transpiration.  Souvent, 
le  jour  d'une  course  excessive,  on  ne  le  fait  pas  boire  du 
tout. 

En  résumé,  les  Arabes  empêchent  leurs  chevaux  de  boire 
beaucoup.  Ils  disent  que  l'excès  de  la  boisson  pousse  au 
ventre,  ramollit  les  tissus  et  diminue  l'ardeur  au  travail. 


214  Là    VIR    ARABR 


V 


LE     TRAVAIL 


Le  cheval  étant,  par  sa  nature  et  par  son  tempérament, 
plus  impressionable  et  plus  sujet  à  se  modifier  que  tout 
autre  animal,  il  est  hors  de  doute  que  le  travail  exerce  aussi 
une  grande  influence  sur  sa  constitution.  Si  on  raccoutnme, 
par  exemple,  à  porter  de  lourds  fardeaux  comme  le  chameau, 
Il  deviendra  infailliblement  une  bête  de  somme.  Si  Pon  s'en 
sert  pour  traîner  la  charrue,  pour  dépiquer  les  grains,  Il 
deviendra  semblable  au  bœuf  et  au  mulot.  Dieu  a  créé  lo 
bœuf  pour  cultiver  la  terre,  le  chameau  pour  enlever  les 
fardeaux,  et  le  cheval  pour  les  courses  rapides  ;  par  consé- 
quent, remployer  à  un  travail  pour  lequel  il  n*esi  pas  né, 
c'est  vouloir  rhumillér,  détruire  ses  qualités  et  le  :90umettre 
i\  une  contrainte  peu  compatible  avec  sa  nature.  Toute  vio- 
lence ftite  aux  lois  posées  par  Dieu  lui-m^me  devient  in- 
digne de  ceux  qui  la  pratiquent,  en  môme  temps  que  funeste 
h  ceux  qui  la  subissent.  Regardez  la  gazelle,  la  vache  des 
pays  déserts,  rhéniione,  que  deviennent-ils  quand  ils  se 
soumettent  à  la  dictature  de  l'homnic  et  quMIs  abdiquent 
entre  ses  mains  la  puissance  de  leur  état  sauvage  ?  Ils  perdent 
leur  force,  leur  énergie,  leurs  allures,  ainsi  que  leur  noble 
et  belle  apparence. 

Les  chevaux  des  pays  déserts  du  Sahara  sont  les  plus 
beaux  et  les  meilleurs  chevaux  du  monde.  A  quoi  doivent- 
ils  leurs  brillantes  qualités?  A  une  cause  très-simple,  la 
voici  :  on  ne  s'en  sert  que  pour  les  monter,  pour  accomplir 
des  courses  longues  et  rapides  ;  puis,  sans  leur  imposer  au- 


LE    CHEVAL    ARABE    PUR    SANG  iit5 

eun  autre  travail,  on  les  rend  à  leurs  habitudes  naturelles, 
en  les  laissant  paître  h  leur  guise  et  en  liberté,  de  telle  sorte 
que,  tout  en  étant  apprivoisés,  ils  conservent  cependant  les 
avantages  de  l'état  sauvage. 

Il  y  aura  donc  toujours  une  grande  difrérence  entre  les 
chevaux  des  pays  riches,  où  il  mangent  beaucoup  et  sont 
astreints  à  des  travaux  avilissants,  et  ceux  de^  pays  dése{ts, 
ou  ils  sont  d'une  extrême  sobriété,  et  ne  font  pas  autre 
chose,  dès  leur  plus  jeune  ige,  que  de  chasser,  que  d'atta- 
quer, de  poursuivre  ou  de  fuir  Tennemi.  La  même  chose 
n*a-t-elle  pas  lieu  pour  les  hommes  ?  Prenez  des  Arabes, 
des  Bédoliins  moitié  sauvages,  habitant  des  pays  arides  ;  ils 
sont  braves,  forts,  insensibles  à  la  misère,  à  la  soif  et  à  la 
faim,  rompus  à  toutes  les  fatigues  ;  transplantez-les  dans  les 
coptrées  fertiles,  eondamnez-les  au  repos  et  h  une  nourri- 
ture abondante,  leurs  forces  diminueront,  leur  courage  ç'ftfr 
faiblira,  leur  résignation  ne  sera  plus  la  même,  bientôt  yo^s 
ne  les  reconnaîtrez  plus. 

Je  conclus:  le  ebeval  n'est  pas  dans  Tinaction  et  la 
graisse;  mais  il  est  tout  entier  dans  le  travail  et  la  teinpé- 
rance. 

Eit,  quand  vous  exigerez  de  lui  un  travail  excesi«if,  augrpçf)- 
tez  un  peu  sa  nourriture  habituelle,  vous  en  obtiendrez  alors 
des  efforts  inouïs.  Quel  serait,  nu  contraire,  Tayant^ge  de 
celte  augmentation,  avec  un  cheval  habitué  de  tout  temps 
k  une  ^bondauc^  exagérée  ?  Il  serait  nul  ;  on  n*y  trouverait 
que  le  danger  de  le  tuer,  et,  si  son  estomac  y  résistait,  la 
preuve  qu'ayant  toujours  eu  de  trop,  c'est  pour  cette  raison 
qti'il  pe  peq^  riep  ^Q^ncr  de  plus  en  f^it  de  vitesse  et  de  ré- 
sistance. 

Mais  en  voilà  assez  sur  ce  sujet  ;  passons  aux  accouple- 
ments sur  Icf^qpe]^  yQ^^^  désirez  aussi  mon  avis. 


216  LA    VIE    ARABE 

Les  Arabes  ont  en  horreur  les  accouplements  inces- 
tueux (1),  ils  ne  feraient  jamais  saillir  la  fille  par  le  père,  la 
mère  par  le  fils,  la  sœur  par  le  frère.  Il  est,  du  reste,  avéré 
que,  dans  ces  cas-là,  un  étalon  arabe  pur  sang  n'éprouve 
pas  le  moindre  désir.  Des  gens  du  Hedjaz  m'ont  raconté  der- 
nièrement qu'un  étalon  de  leur  pays,  fils  d'une  jument  ale- 
zape,  n'avait  jamais  voulu  saillir  des  juments  de  cette  cou- 
leur. Quand  ils  les  voyait,  soit  qu'elles  lui  rappelassent  sa 
mère,  soit  pour  tout  autre  motif,  il  s'en  éloignait  sans  mani- 
fester aucune  envie. 

Au  surplus,  en  accouplant  le  père  avec  la  fille,  la  uièrc 
avec  le  fils  et  la  sœur  avec  le  frère,  on  risquerait  de  n'avoir, 
avec  une  descendance  ainsi  continuée,  que  des  rejetons 
faibles,  dégénérés,  incapables  de  rendre  des  services. 

Il  est  avantageux,  au  contraire,  suivant  les  Arabes  expé- 
rimentés, d'accoupler  des  sujets  de  la  même  famille,  quand 
ils  sont  parents  à  tout  autre  degré,  et  que,  surtout,  la  con- 
stitution qu'ils  doivent  à  des  père  et  mère  irréprochables  n'a 
été  modifiée  ni  altérée  par  des  causes  extérieures,  étran- 
gères à  l'origine.  Ils  assurent  qu'en  transmettant  toujours 
ainsi  les  qualités  et  non  les  défauts,  on  arrive  bien  plus  sû- 
rement à  conserver  une  noble  race  pure  de  tout  mélange  (!â). 

Vous  m'avez  dit  que  certaines  personnes,  en  France,  dont 
les  jugements  sur  la  question  chevaline  ont  de  la  valeur, 
croyaient  que,  le  pur  sang  arabe  ayant  dégénéré,  il  serait 
possible  de  le  faire  remonter  à  sa  pureté  primitive  par  des 


(1)  Les  anteors  anciens  ont  aussi  prétendu  que  les  chevaux  avaient 
horreur  de  l'incesto;  c'est  Topinion  de  Varron,  de  Virgile,  etc.,  etc. 
(Court  de  teience  hippique  professé  à  l'École  des  Haras,  par  M.  Ephrem 
Houel.) 

(2)  C'est  également  l'avis  du  fameux  duc  de  Newcastle,  qui,  l'un  des 
premiers,  s'est  occupé  du  pur  san^r  et  des  croisements. 


LE  CHEVAL  ARABE  PUR  SANG       217 

croisements  bien  entendus  avec  ces  étalons  anglais  dont  la 
réputation  s'étend  dans  le  monde  entier.  Suivant  moi,  c'est 
là  une  grave  erreur,  parce  que  les  chevaux  européens,  quels 
qu'ils  soient,  comme,  du  reste,  tous  ceux  qui  vivent  dans 
les  pays  fertiles,  où  ils  subissent  déjà  une  dégénérescence 
par  un  excès  de  nourriture,  et  je  comprends  avec  eux  les 
chevaux  de  la  Syrie,  de  l'Egypte,  de  l'Irak  et  du  Maghreb 
(ouest),  ont,  en  outre,  des  taches  originelles,  soit  du  côté 
paternel,  soit  du  côté  maternel,  souvent  des  deux  côtés  à  la 
fois,  ce  qui  ne  permet  plus  de  les  considérer  comme  des 
animaux  dotés  d*un  sang  entièrement  pur.  Partant  de  là, 
pour  rien  au  monde,  un  Arabe,  possesseur  d'une  jument 
vraiment  noble,  ne  consentirait  à  l'accoupler  avec  le  plus 
bel  étalon  auglais.  Ce  serait  à  ses  yeux  une  complète  mésal- 
liance. Ceci  peut  vous  expliquer  les  paroles  d'un  poète  cé- 
lèbre de  l'Arabie.  Il  a  dit  : 


Les  ignorants  croient  qu'il  y  a  beaucoup  de  chevaux  purs; 
Mais  ils  sont  encore  plus  rares  que  les  vrais  amis. 


Vous  m'apprenez  que  le  gouverneur  de  l'Egypte  a  fait 
saillir  des  juments  arabes  pur  sang  par  des  étalons  anglais. 
Si  le  fait  est  exact,  j'en  suis  fâché  pour  lui,  car  il  n'y  a 
qu'un  défaut  de  connaissances,  en  fait  de  science  hippique, 
qui  puisse  lui  servir  d'excuse.  Je  sais,  moi,  que,  si  l'on  accou- 
plait  des  juments  arabes  d*une  pureté  bien  constatée  avec 
des  étalons  anglais,  on  ne  pourrait  en  obtenir  que  l'espèce 
de  chevaux  que  nous  appelons  moukeref,  c'est-à-dire  nés 
d'une  jument  entièrement  noble  et  d'un  père  dont  l'origine 
est  entachée.  Ils  sont  encore  plus  mauvais  sous  tous  les  rap- 
ports que  le  produit  d'un  père  au  sang  pur  et  d'une  mère  au 
sang  mêlé — hadjine. — Leur  postérité  ne  pourra  que  s'avilir 


918  LA    VIE    AHA9E 

,&  la  longue  ;  car,  quand  bien  niérae  les  descendi^ots  de  ces 
accouplements  irrationnels  se  distingueraient  en  apparence 
par  un  bel  extérieur,  ils  ne  vaudraient  jamais,  pour  le  fondis 
et  pour  les  qualités,  ceux  qui  vieuneqt  d*un  P^r^  noblfi  ;  ^ 
plim  forte  r^Uon,  de^  béritiers  d*une  race  pppflripép  4f!s 
4011$  côtés,  et  par  le  sang  et  par  l'antiqqité. 

Je  me  résume  ^i  je  dis  : 

Lq  hhor  noble,  ou,  ce  qui  fi^t  la  inèirpe  chose,  le  ai^tilç,  qui 
«igpifie  excellent  au  plus  baut  degré,  mi^rche  chez  UQUS  le 
Ifemier  d^ns  Téobelle  des  races. 

Après  lui  vient  le  bftdjine,  Tineomplet,  1m  dérepi^^Hx, 
dmt  le  père  est  pur  et  la  mère  d'origine  inférieure. 

Perrière  le  hadjine  so  présente  la  moukeref;  sa  mèw  es* 
Qoble,  son  père  dé  basse  ei^tr^Ption. 

En  effet,  du  moukpref,  nou^  arrivons  au  berdoun<^  (§ingw- 
lier  de  beradine)  ;  on  n*en  fait  aucun  e^S  s  son  père  et  ^a 
mère  sont  roturiers. 

Vous  le  vQye^ç,  et  je  prpjs  voqs  r^vojr  d^Jà  4!l|  le  prix  du 
cheval  est  dans  sa  race. 

Et  enfîn,  le  poulain  ressemble  d'ordinaire  à  son  père  par 
les  organes  principaux  :  la  tête,  la  cervelle,  les  ppumqns,  le 
Pfippr,  le  fqie,  {es  ps,  les  nerfs  et  les  tendons.  11  tien|  le  reste 
dp  sa  mère.  On  a  constaté  encore  que  l'étalon  transmet  à  ses 
produits  la  plupart  de  sps  défauts  pbysiqi^es  pu  ipprai^x. 
Aussi  se  g^rc-tron  ^vec  |e  plus  grand  ^oin  dps  maladies  qqi, 
t^h^z  un  étalon,  sont  inhérentes  aux  ps,  aux  vefqps,  apx  (^p- 
4qn^,  et  repqusse-t-pn  ppur  la  monte  les  m^uy^is  c^r^ctèrçs 

ptla  r^tiyité; 

jfe  ne  cpunais  pas  beaucoup  les  ehayaux  anglais,  et  ce- 
pepdi^nt,  p^r  tout  pe  que  jV  yu,  lu  ou  entendu  dire,  je  suis 
certain  qu'ils  sont  l^içn  loin  de  y^loir  les  pbpvaq^  ftr^bas.  Si 
lea  cheviiux  anglais  devancent  les  cheyau^  arabes  ^(  fpur- 


LE  CHEVAL  ARABE  PUR  SANG       119 

nissent  une  course  brillante  sur  un  hippodrome  pendant 
quelques  minutes,  pendant  une  heure  môme,  j*y  consens,  il 
ne  faut  Tatlribuer  qu'à  leur  haute  taille,  à  leur  croupe  éle- 
vée, à  leurs  longues  jambes  ainsi  qu'à  Tentpaînement  qu'on 
leur  fait  subir;  mais,  s'ils  devaient,  comme  les  nôtres,  courir 
pendant  sept  à  huit  heures  sans  s'arrêter,  ils  ne  soutien- 
draient pas  leur  réputation.  Plus  la  distance  sera  grande 
et  le  terrain  accidenté ,  plus  vite  apparaîtra  rinfériorité. 
Leur  organisation,  quoi  qu'on  en  dise,  ne  leur  permet  pas 
de  supporter  longtemps,  et  sans  souffrir,  la  colonne  d'air 
que  déplace  toujours  une  course  rapide  (1). 

Le  cheval  arabe,  grâce  à  sa  poitrine  profonde,  à  sa  puis- 
sante respiration,  à  ses  laides  fosses  nasales,  à  l'ampleur  de 
ses  flancs  et  de  son  rein,  à  ses  membiuîs  de  fer  et  à  sa  s4«- 


(1)  ToDtes  les  fois  que  les  ehevaux  de  eoorse  anglais,  les  raêi-hûriêê 
oi\{  loué  de  vitesse  contre  les  cl^^vaux  j^fâb^s,  \\^  l'ont  tqpjoiffit  eB|- 
porlé,  dans  les  conditions  ordinaires,  c'est-à-dire  dans  une  arène  je 
deux  ou  trois  milles  ;  mais  reculez  les  limites  du  terrain,  el  il  en  sera 
tout  putrrment.  11  y  a  quelques  années,  des  Anglais  ayant  amené  avec 
eux  des  chevapi  pur  sang  se  trouvaient  dans  la  prqvinpe  de  fil§4ji  MA^ 
contrée  de  l'Arabie  centrale;  l'idée  leur  vint  de  proposer  un  défi  t^^\ 
RéJouins,  dont  les  chevaux  maigres  et  osseux  ne  leur  inspiraient  point 
d'al.ord  une  grapde  eUin^e.  Le^s  Bédouins  acceptèrent  et  dtraandèreiit 
cunibien  dff  jovr^  dqrera|t  la  cpMrsc;  les  Af)^iais,  qo  1^  peo«e  l^jfD,  i^ 
rrrrii^rent.  il  fut  enfin  convenu  qu'on  réduirait  l'épreuve  à  trois  heures; 
ce  fut  eiicore  beaucoup  trop  pour  les  chevaux  anglais,  qui,  après  avoir 
pris  la  lôte  au  départ,  se  trouvèrent  bientôt  e.<8oufflés,  épuisés,  moo- 
rants,  tandis  que  le^  chevauii.  arabest  arfiyèrcq^  sains  pi  sapfs  ^p  1)9|. 
Je  ne  veux  point  faire  ici  de  comparaison  injurieuse,  mais  tous  les 
sportgmen  conviennent  qu'il  existe  plus  d'un  rapport  entre  le  pedettrian 
et  la  raee-horu.  Il  résulterait  donc  des  faits  connus  que  la  civilisation 
accroît  chez  l'homme  et  chez  les  animaux  la  forpe  4'ifppMlsiQD9  m^s 
qu'elle  affaiblit  chez  eux  la  force  de  résistance  à  la  fatigue,  ce  que  les 
Anglais  appellent  emiurnnee. 

(Revue  <|<?<  Deux  Mondes,  m  mai  4 SAS,  Rsqairof.> 


iHO  LA    VIE    ARABE 

vèrc  éducation,  aussi  bien  sous  le  rapport  de  la  sobriété  que 
sous  celui  des  fatigues  et  des  intempéries,  le  cheval  arabe, 
dis-je,  peut  courir  sans  entraînement  réglementé  (car  il  est 
toujours  entraîné),  sur  tous  les  terrains  et  par  tous  les 
temps,  une  demi-journée  et  plus  sans  reprendre  haleine. 

Chez  nous,  on  nomme  modjelli  le  cheval  qui  arrive  le  pre- 
mier aux  courses  et  qui  gagne  le  prix  ;  niosally,  celui  qui 
vient  après  lui,  et  sokit  (le  silencieux),  ranimai  qui  touche 
au  but  le  dernier.  On  lit  le  trouble  dans  ses  yeux  et  Thumi- 
liation  sur  sa  face. 

Toutes  les  fois  qu'on  verra  dans  le  monde  un  cheval  se 
distinguer  par  la  fierté,  la  souplesse,  l'élégance  et  des  qua- 
lités extraordinaires,  on  peut  être  sûr  qu'il  a  du  sang  arabe 
dans  les  veines.  D*où  lui  vient-il  ?  De  son  père,  de  sa  mère 
ou  de  ses  ancêtres. 

Chez  les  Arabes,  on  attache  tant  de  prix  à  la  pureté  du 
sang  qu'aujourd'hui  encore  les  habitants  du  Nedjed  et  du 
Hedjaz  ne  voudraient  pas,  pour  leurs  juments,  d'un  étalon 
du  plus  bel  extérieur,  fût-il  renommé  pour  la  course,  si  sa 
généalogie  leur  était  inconnue.  Ils  lui  préféreront  toujours 
an  étalon  dont  les  formes  seront  moins  agréables,  mais 
d'une  origine  incontestée,  quand  bien  même  il  paraîtrait  va- 
loir dix  fois  moins.  La  raison  en  est  que,  d'après  eux,  si  le 
poulain  ressemble  quelquefois  à  son  père  et  à  sa  mère,  il  tire 
aussi  souvent  ses  qualités  de  son  grand-père,  de  son  aïeul 
ou  de  son  bisaïeul,  etc.,  etc.  Ainsi,  bien  loin  d'attacher,  en 
fait  de  reproduction,  une  si  grande  importance  à  ce  qui, 
dans  un  étalon,  peut  séduire  les  yeux,  il  faut,  avant  tout,  sa- 
voir exactement  à  quoi  s'en  tenir  sur  la  pureté  de  son  ori- 
gine et  de  sa  race. 

Après  cela,  j'avoue  qu'il  est  bien  rare  et  bien  difficile,  à 
présent,  de  trouver  des  chevaux  arabes  primitifs,  c'est-îi-dire 


LE    CHEVAL    ARABE    PUR    SANG  2il 

tout  à  fait  pur  sang,  et  dont  la  nature  n*ait  été  modifiée  soas 
aucun  rapport,  ni  par  le  travail,  ni  par  la  nourriture,  ni  par 
des  alliances  malheureuses  avec  des  étrangers.  On  ne  doit 
pas  donner  ce  nom  a  ceux  qui,  trop  nourris  d'habitude, 
portent  des  fardeaux,  labourent  la  teri*e,  dépiquent  les  grains 
et  qui,  de  bonne  heure,  n'ont  point  été  exercés  aux  longues 
courses,  aux  fatigues,  aux  intempéries,  ainsi  qu*à  supporter 
avec  résignation  la  soif  et  la  faim. 

Le  seul  pays  où  l'on  peut  rencontrer  le  pur  sang  dont  j'ai 
parié,  c'est  dans  le  vrai  désert,  chez  les  Arabes  errants,  no- 
tamment chez  les  grandes  tribus  des  Zenata  et  des  Senhadja* 
Là,  de  temps  immémorial,  la  race  n'a  été  altérée  par  aucun 
mélange  nuisible,  et  chacun  y  connatt  la  parenté  de  ses  che- 
vaux, père,  mère,  sœurs,  oncles  et  tantes  paternels  et  ma- 
ternels, grand-père,  grand'mère,  aïeul,  etc.,  etc. 

Autrefois,  les  Arabes  avaient  très-peu  de  rapports  avec 
les  étrangers,  et  alors  il  leur  était  facile  de  conserver  leurs 
races.  Mais,  depuis  qu'ils  se  sont  laissé  entamer  par  des  voi- 
sins persans,  égyptiens,  turcs,  etc.,  etc.,  elles  ont  subi  de 
profondes  modifications.  Maintenant,  est-ce  à  dire  qu'avec 
nos  chevaux  tels  qu'ils  sont  aujourd'hui,  on  ne  puisse  entre- 
prendre de  belles  actions  ;  je  crois  le  contraire,  et  j'y  suis 
amené  par  tout  ce  qui  s'est  passé  sous  mes  yeux  pendant  ma 
longue  carrière  de  guerre.  J'ai  vu  alors  bien  souvent,  non  un 
seul  cheval,  cela  ne  prouverait  rien,  mais  des  réunions  de 
mille  à  deux  mille  chevaux  de  nos  pays,  ft*anchir  sous  leurs 
cavaliers  des  distances  énormes  dans  les  circonstances  les 
plus  déplorables. 

En  ^845,  du  Maroc  où  j'étais  établi  avec  ma  déira,  non 
loin  de  rembouchurcdclaMoulouya,  je  me  suis  mis  en  cam- 
pagne avec  une  nombreuse  cavalerie  pour  faire  une  razia 
dans  le  Djebel-Âainour,  dont  les  tribus  m'avaient  trahi  et 


tSt  LA    ViË    ARABE 

donné  de  gitinds  sujets  de  mécontentement.  Le  succès  cou- 
ronna mon  entreprise,  et,  marchant  le  jour,  marchant  la  nuit, 
né  prenant  de  loin  en  loin  qu'un  peu  de  repos,  nous  rentrâmes 
ches  nous  chargés  de  butin,  après  avoir  ainsi  parcouru 
860  kilomètres,  tant  pour  aller  que  pour  revenir. 

En  arrivant  dans  notre  camp,  nous  pûmes  encore,  pour  la 
plupart,  foire  la  fantazi^-a  devant  nos  femmes  et  nos  enfants, 
qui  poussaient  des  cris  de  joie  pour  saluer  notre  heureux 
retour. 

Pendant  ce  long  trajet,  nous  n'avions  donné  que  huit  re*- 
pas  d'orge  à  nos  chevaux;  ils  n'ont  bu  d*ordinaire  que  tous 
les  deux  jours,  et  cependant^  il  n*en  est  resté  que  quelt|ues-* 
uns  en  arrière^  Gomment  s'étaient-ils  donc  soutenus  ?  Tout 
simplement  avec  les  plantes  et  les  arbustes  du  Miséricor- 
dieux dont  le  Sahara  est  parsemé.  Voilà  ce  qui  prouve  que, 
si  chez  nous  le  sang  a  subi  des  altérations,  il  en  l'esté  encore 
assez  pour  accomplir  des  choses  étonnantes. 

En  eflfet,  s*il  est  impossible  de  faire  d'une  race  oh  le  sang 
est  mêlé  une  race  pure,  il  est,  au  contraire,  reconnu  que  l'on 
peut,  au  moyen  d'alliances  bien  comprises,  faire  remonter  à 
la  noblesse  primitive  celle  qui  n  a  été  appauvrie  que  par  des 
privations  excessives,  un  manque  de  soins  ou  par  des  tra- 
vaux abusifs. 

Voilà  surtout  ce  qui  devrait  engager  les  Arabes  à  ne  con* 
sentir  à  aucune  mésalliance,  comme  à  maintenir  dans  toute 
leur  intégrité  Jes  saines  méthodes  d'élevage  qui  nous  ont  été 
transmises  par  nos  aïeux.  Le  cheval  lui-même  dit: 

Éléve-moi  comme  si  j'étais  ton  frère, 

Et  monte-moi  comme  si  j'étdis  ton  ennemi. 

Kebbi'Hi  ki  khouk, 

Ou  rekkeh-ni  ki  aadonk. 


LE    GUEYAL    AUAbiS    l»Ull    iïANG  ^m 

Qtt6  It^  Baliil  soil  sur  roil«>  à  U  fia  commis  AU  eomikite^ili^» 
ment  de  eette  lettre. 

Écrit  par  le  pauvre  en  Dieu,  Sid-£L-Uadj  ^Vabd-£L-Kadbr 

BEX-!tfAHHI-ED-DlNE. 

Oamûê)  îe  10  mat  1866. 


Telle  est  la  réponse  de  rëmir  Aabb-el-Kader  aux  questions 
que  je  lui  avais  posées.  Je  crois  qu*au  point  de  vue  exclusif  du 
clieval  de  selle,  il  a  raison.  En  effet,  les  chevaux  arabes,  ainsi 
que  les  chevaux  barbes,  et  j*ai  eu  bien  des  fois  les  moyens  de 
nVen  assurer  quand  j'étais  en  Algérie,  sont  condamnés  dès 
leur  naissance  à  vivre  en  plein  air,  à  supporter  Thumidité  des 
nuits  et  la  chaleur  brûlante  du  jour.  Ils  sont  encore  accoutu- 
més de  très-bonne  heure  à  la  fréquentation  de  Thomme,  à  la 
vue  des  objets  extérieurs,  à  Taudition  des  bruits  les  plus 
étranges,  tels  que  cris  de  joie  {you  you)  poussés  par  les 
femmes  et  les  jeunes  filles  dans  toutes  les  circonstance»  heu- 
reuses, à  la  détonation  si  fréquente  des  armes  à  feu  (baroud)^ 
aux  rugissements  effrayants  du  lion  qui  vient  rôder  autour  des 
tentes,  aux  hurlements  féroces  et  saccadés  de  Thyëne,  aux 
glapissements  sans  fin  du  chacal,  aux  beuglements  assourdis- 
sants du  chameau  qui  couche  dans  le  douar,  aux  aboiements 
précipités  du  chien  <le  garde,  aux  mugissements  du  tambourin 
iguellalé)  et  du  lambourde  basque  {benndàir),  dont  on  se  sert 
pour  égayer  les  jours  de  fête.  On  les  voit  presque  toujours 
sellés  et  bridés,  et,  lorsqu'ils  marchent,  soit  pour  des  actions 
de  guerre,  soit  pour  trouver  leur  nourriture,  ils  franchissent 
habituellement  de  grandes  distances  par  des  chemins  difficiles^ 
raboteux,  accidentés,  dans  des  contrées  parsemées  de  pal- 
miers nains,  de  lentisques  et  de  buissons  épineux.  C*est  là  une 
vie  qui  fortifie  les  organes  de  la  respiration,  qui  donne  de  la 


tu  LA    VIE    ARABE 

force  aux  articulations,  et  qui  rend  les  reins,  les  muscles  et 
les  membres  robustes;  aussi  les  chevaux  arabes  peuvent-ils 
supporter,  sans  que  leur  santé  s'en  ressente,  des  courses  et 
des  privations  auxquelles  ne  pourraient  résister  des  chevaux 
de  moins  de  sang  et  autrement  élevés.  Pour  moi,  c*est  une 
conviction.  Sur  quoi  s'appuie-t-elle  ?  sur  ce  fait,  que  je  puis 
dire  avec  vérité  : 

L'oreille  a  eoleodo,  et  Tooil  a  vu. 


CHAPITRE    SEPTIÈME 


Dictons  sur  les  villes  et  sur  les  tribus.  —  Division  du  temps. 
—  Distance.  —  Quel  âge  as- tu?  —  Mets  chez  les  Arabes. 


I 


DICTONS     son     LES     VILLES     ET     SUR     LES     TRIBUS 

J'ai  recueilli  sur  les  villes  et  sur  les  tribus  de  l'Algérie,  un 
certain  nombre  de  dictons  qui  ont  cours  chez  les  Arabes.  Ils 
sont  dus  en  général  à  des  marabouts  célèbres  qui  ont  parcouru 
le  pays  et  nous  ont  laissé  leurs  impressions.  Il  y  a  peut-être 
un  certain  intérêt  à  les  reproduire  ici. 

Tlemeea.  —  En  arabe,  TlemtQM  (!}. 

Tlemcen, 

Embellissement  des  cavaliers. 

Son  eau,  son  air  et  le  voilement  de  ses  femmes, 

(1)  Consalter  au  besoin,  pour  les  locaUtès  désignées,  le  remarquable 
ouvrage  de  M.  0.  Mac  Carlby,  membre  de  la  société  historique  d'Al- 
ger, de  la  société  archéologique  de  Constantine,  etc.,  etc.,  il  a  pour 
litre  :  Géographie  phyiique^  économique  et  poliiique  de  V Algérie, 

15 


ne  LA    VIE    ARABE 

Ne  se  trouvent  dans  aucun  pays. 

Tlemsafiej 

Meziinete  el  fersane, 

Ma-ha  ou  haoua-ha  ou  telbaif  nessa-ha. 

Ma  kane  fel  beldane, 

Tlemcen,  ville  importante,  située  à  l'ouest  et  à  130  kilo- 
mètres d'Oran.  C'était  autrefois  la  capitale  d'un  royaume 
ai'abe  assez  considérable. 

On  rencontre,  presque  sous  les  murs  de  Tlemcen,  dans  la 
plaine  de  la  Safsaf,  la  plus  belle  forêt  d*oliviers  qu'il  y  ait  en 
Algérie. 

Aux  portes,  pour  ainsi  dire,  de  cette  ville,  on  voit  encore 
les  tombeaux  de  deux  marabouts  célèbres,  sidi  Bou-Medine 
et  sidi  Senoussi.  D'après  les  Arabes,  le  fait  suivant  aurait 
définitivement  consacré  leur  réputation  de  sainteté. 

Sidi  Senoussi,  se  promenant  un  jour  dans  les  rues  de 
Tlemcen,  eut  une  altercation  avec  le  kadi  de  cette  ville,  qui 
lui  donna  un  violent  soufflet.  Il  se  tint  coi,  puis  rentra  paisi- 
blement chez  lui  ;  mais  sa  famille  indignée  ne  cessait  de  lui 
dire  :  «  Comment  un  homme  comme  vous  peut-il  supporter 
une  pareille  injure?  vous  n'avez  donc  aucune  puissance?  — 
Vous  allez  le  voir,  puisque  vous  y  tenez  absolument,  répondit 
à  la  fm  sidi  Senoussi  ;  mais,  tout  marabout  que  je  suis,  j'ai 
des  chefs  qui,  eux  aussi,  ont  des  supérieurs,  —  leçon  pour 
consacrer  la  hiérarchie  —  et  je  vais  m'adresser  à  sidi  Bou- 
Medine.  Il  jugera  lui-même  s'il  doit  transmettre  ma  plainte 
à  Dieu.  » 

Le  saint  outragé  se  mit  alors  en  oraison,  priant  sidi  Bou* 
Uedine  de  lui  faire  rendre  justice;  à  peine  avait-il  prononcé 
quelques  mots,  qu'on  vint  lui  dire  :  c  Vos  désirs  sont  exaucés.» 
La  maison  du  kadi  coupable  s'était  soudainement  écroulée, 
écrasant  ce  magistrat  et  toute  sa  famille. 


DICTONS    SUR    LES    VILLES    ET    TRIBUS         iS7 

La  légende  concède  à  sidi  Senoussi  le  pouvoir  d'accorder 
des  garçons  aux  pères  qui  regrettent  de  n'avoir  que  des 
filles. 

Cran.  —  En  arabe,  Oukêrêne. 

Oran,  la  prostituée, 

Nous  t'avons  vendue  aux  infîdèles, 

Jusqu'au  jour  du  jugement  dernier! 

Ouharane  el  fassedn, 

Baana  —  koum  el  kdfara, 

Hhatta  youm  el  kiyama  ! 

On  attribue  cette  malédiction  à  un  marabout  vénéré,  sid  ei 
Haouari,  dont  le  tombeau  et  la  goubba  sont  à  Oran.  Yoîci 
dans  quelles  circonstances  elle  se  serait  produite  : 

Les  fils  du  bey  de  cette  époque  étaient  jeunes,  violents  et 
orgueilleux  ;  se  trouvant  un  jour  en  cbasse,  et  sur  un  pré- 
texte des  plus  futiles,  lis  firent  impitoyablement  manger  par 
leurs  chiens  un  pauvre  enfant  de  quatre  à  cinq  ans  qui  ap- 
partenait à  sid  el  Haouari.  La  consternation,  comme  on  doit 
le  penser,  fut  grande  dans  la  famille  ;  mais,  siir  le  moment, 
le  marabout  contint  sa  douleur  et  n'exhala  aucune  plainte. 
Quelques  jours  après,  dans  sa  maison  et  en  sa  présence,  une 
poule  couveuse  se  précipita  avec  fureur  sur  un  chat  qui  rôdait 
autour  de  ses  petits  poussins  pour  les  mangei*.  <  Vois,  fui  dit 
sa  femme,  ce  qui  se  passe  sous  tes  yeux  :  une  simple  poule 
protège  vaillamment  sa  progéniture,  et  toi,  tu  n*as  su  ûî  dé- 
fendre ni  venger  la  tienne,  c'est  une  honte  !  —  Silence,  s'é- 
cria alors  sid  el  Haouari,  Dieu  s'en  chargera  ;  *  etit  proféra 
alors  la  malédiction  que  j'ai  citée  plus  haut.  Telle  esï,  d'a- 
près les  Arabes,  la  cause  de  la  longue  occupatidù  d*0^àn  par 
les  chrétiens. 


S28  LA    VIE    ARABE 

Oraii,  pour  la  vente  et  pour  Tachât, 
Aucune  ville  ne  peut  lui  être  comparée. 
Celui  qui  y  pénètre  pauvre, 
Kst  sûr  de  devenir  riche. 
Ouharane  fel  béaa  ou  chera, 
La  tekisS'ha  belad. 
Menn  dekhoirha  fekir 
Aad  ghani. 

Oran  est  le  chef-lieu  de  la  province:  elle  est  située  sur  le 
bord  de  la  mer,  au  pied  d'une  haute  montagne,  et  elle  est 
partagée  en  deux  parties  par  un  ravin  très-profond.  C'est 
une  ville  de  commerce;  son  port  principal  est  à  Mers-el- 
Kebir.  Les  Espagnols  ont  habité  cette  ville  pendant  plu- 
sieurs siècles. 

Mascara.  —  En  arabe,  Moatkerr. 

Voici  les  paroles  qu'on  attribue  à  sidi  Hhamed  bon  a 
Youssef  : 

Les  gens  de  Mascara  vous  aiment  le  matin 

Et  vous  baissent  le  soir. 

Ils  vous  aiment  sans  cœur  .    - 

Et  vous  détestent  sans  motif. 

Ils  médisent  môme  du  pain 

Et  se  réjouissent  toujours  du  mal. 

Maaskriya,  issahhabouk  sebahh, 

(hd  iboghedotik  el  odchiya. 

Ihhebouk  bêla  galb. 

Ou  ikerohhouk  bêla  siya^ 

Hassadine  el  naama 

Ou  farahhine  lel  nokema. 


DICTONS    SUR    LES    VILLES    ET    TRIBUS        229 

De  l'est  à  Touesl,  j*ai  rassemblé  tous  les  enfants  du  péché  : 
je  les  ai  conduits  auprès  de  sidi  Mohammed  Bou-Djellal.  Là, 
ils  m*ont  échappé  :  une  partie  est  entrée  dans  Mascara,  et 
l'autre  partie  est  descendue  dans  la  plaine  de  Gheriss. 

Menn  eo^herg  lel  gharby  lemmite  oulad  el  hharame  djebt- 
houm  hatta  ndi  Mohhammed  Bou  Djellal,  harebou  li  tem^ 
matik;  chi  dekhol  lel  Maaskerr^  chi  habott  lel  Gheriss. 

Maasker  est  l'abrégé  de  Oum  el  aasker^  qui  veut  dire  la 
mère  des  soldats.  C'est  une  ville  de  la  province  d'Oran, 
située  à  70  on  75  kilomètres  du  littoral.  Son  marché  est 
très-fréquenté  par  les  Arabes.  On  y  vend  des  laines,  des 
huiles,  des  farines,  des  chevaux,  et  aujourd'hui  on  y  fa- 
brique des  vins,  pour  les  chrétiens,  bien  entendu.  C'est  là 
qu'on  fait  ces  beaux  bernouss  noirs  —  zoughdani  —  que  les 
cavaliers  portent  dans  l'Ouest. 

Mascara  était  autrefois  la  capitale  de  l'émir  Aabd-el- 
Kader. 

Les  Hhûehem. 

Laboureurs,  ils  achètent  le  blé, 
Tisserands,  ils  vont  tous  nus. 
El  hhachemy  hhafratiney  kiyaline, 
Nessadjine,  aaryanine. 

Un  taleb  de  la  plaine  de  Gheriss 
Ne  vaut  pas  un  centime  en  cuivre. 
Derhemm  nahhissU 
Khér  mena  thaleb  gherissi. 

^a  tribu  des  Hhachem  habite  la  belle  et  vaste  plaine 
de  Gheriss,  qui  s'étend  aux  pieds  de  Mascara.  L'émir  Aabd- 
el-Kader  est  né  dans  son  sein.  Autrefois,  elle  pouvait  mettre 
sur  pied  un  grand  nombre  de  cavaliers. 


230  LA    VIE    ARABE 


Beui  Aamer. 


Beui  Aaiiler,  je  vdtis  tiens  poiii*  des  juifs  : 
Vous  êtes  toujours  jlrêts  à  dônnel'  Totre  argent  —  àii  raih- 
queùt*. 
Béni  aamer  dairt-koufn  thoud  : 
Ou  drahatn-koum  dimà  moudjoud. 

Grande  tribu  dont  le  terriloire  est  pour  aliisi  dire  cooitiHs 
entre  Mascara  et  Tlemcen  :  était  ti'fes-pbpuleuse,  irès-richè  { 
mais  a  beaucouji  soUffeft  pendant  la  guerre  de  là  cdnituèlb'.* 

Oulad  Yaagoub,  -~  Les  Bôfanti  de  Jacob. 

Plutôt  un  furoncle  à  mon  jarret, 
Que  de  fréquenter  un  yaagoubi. 

Nefta  H  aargoubiy 
Oula  khelate  yaagoubi. 

Habra.  —  RiTière. 

En  été,  elle  n*a  pas  étanché  ma  soif  ; 
En  hiver,  je  n'y  ai  pas  trouvé  assez  d'eau  poiir  faire  mes 
ablutions. 
Djit-ha  feS'Sify  ma  rouate-ni. 
Ou  fel  mecheta  ma  ouddate^ni. 

Moslagonem.  —  En  arabe,  Mestrghùuim. 

Les  gens  de  Mostaganem  chaussent  les  quartiers  de  leurs 
pantoufles, 
Rieii  qu*au  bruit  des  mftchoires. 
Mestegha,  irnetallaàine  el  belgha^ 
Aala  hhess  el  medegha. 


DICTONS    SUR    LES    VILLES    ET    TRIBUS        «31 

Les  Arabes  portent  habituellement  pour  chaussures  des 
savates  jaunes,  —  helgha,;  —  eUes  sont  en  cuir  de  Maroc, 
—  filali,  —  Le  plus  souvent,  ils  ne  les  chaussent  pas,  parce 
que  c'est  plus  commode  pour  eux,  soit  pour  entrer  dans  les 
mosquées,  soit  pour  faire  leurs  ablutions. 

Suivant  ce  dicton,  il  paraîtrait  que  les  habitants  de  Mos- 
tagânera  sont  très-gourmands,  car  ils  reîëveraient  les  quar- 

* ,  * 

tiers  de  leurs  pantoufles  pour  mieux  marcher  ou  pour  mieux 
courir,  quand  il  s'agit  d'aller  prendre,  au  loin,  leur  part  d*un 
festin  quelconque. 

Mostaganem, 

C'est  le  musc  du  butin  maritime. 
Celui  qui  y  pénètre  est  sauvé. 

Et  celui  qui  lui  fait  des  injustibes  ne  meurt  pasi  comme  il 
veut. 
Mesteghanim, 
Messk  el  ghenaim, 
Li  dakhol'ha  chahul 
Ou  dalem-ha  ma  imoute  kif  irid, 

Mostaganem,  ville  de  la  province  d'Oran,  située  sur  le 
bord  de  la  mer.  Elle  es(  divisée  en  deux  parties  par  le  ravin 
de  Aàiri'Sefra;  les  environs  sont  cités  pour  la  beauté  et  la 
fécondité  de  leurs  Jardins. 

Mazoana. 

Le  Mazouni  vend  son  bernouss 

Pour  acheter  un  pistolet, 

Et  il  sort  de  sa  maison 

Pour  le  décharger  sur  son  voisin. 

El  Mazouni  ibeaa  le  bernouss, 


tat  LA    VIE    ARABE 

Ou  ieheri  le  kabouss, 
Ou  ikhrodj  menn  ed-dar 
Ou  ikob  fél  djar. 

Mazouna  est  une  petite  ville  arabe  du  Dahara,  remarquable 
par  l'abondance  de  ses  eaux,  qui  vont  se  jeter  dans  le  Ghélif. 
On  y  trouve  un  petit  fortin  en  ruine  et  une  source  magni- 
fique nommée  Tamda. 

Tenèf.  —  Ed  arabe,  Tfueu. 

Tenès 

Est  bâtie  sur  du  cuivre; 
Son  eau  est  du  sang; 
Son  air  est  du  poison, 

Et  sidi  Hhammed  Benn  Youssef  a  juré  qu*il  n'y  passerait 
pas  la  nuit. 
Disparais,  6  le  chat  ! 
Tenesê 

Mebeniya  aala  deness  ; 
M  a- ha  demm 
Ou  haoua-ha  semm 

Hhalef  sidi  Hhamed  Benn  Youssef^  la  ibaat  temm. 
Sodd  y  a  le  gott  ! 

Les  habitants  de  Tenès  avaient  offert  au  marabout,  pour 
difa,  un  chat  au  lieu  d*un  lièvre.  Comprenant  qu'on  se  mo- 
quait de  lui,  il  punit  les  mauvais  plaisants  en  les  tournant 
en  ridicule  et  en  ordonnant  au  chat  rôti  de  ressusciter,  ce 
qui  eut  lieu. 

Tenès  est  une  ville  de  la  province  d* Alger  bâtie  sur  le  lit- 
toral :  en  face  de  la  ville  arabe,  s*élève  une  ville  française 
qui  prend  de  l'importance.  On  y  fait  un  grand  commerce  de 
grains. 


DICTONS    SUR    LES    VILLES    ET    TRIBUS         233 

Cherchèl.  —  En  arabe,  Cherckali. 

Cherchêl,  c'est  une  ruine, 

On  y  trouve  l'avarice  et  la  lâcheté  ; 

Sois-y  marin  ou  forgeron, 

Ou  bien  sors  de  cette  ville. 

Cherchall^  cherchalla, 

El  bekhol  ou  reddala. 

Bahhari  oulla  hhadad, 

Oulla  khrodj  menn  el  belad. 

Cherchèl  est  une  ville  située  sur  le  littoral,  à  90  kilomètres 
d'Alger,  c'est  l'ancienne  Julia  Ccesarea.  Elle  fait  un  assez 
grand  commerce  de  cabotage;  son  port  est  petit,  mais  sûr 
pour  les  navires  d'un  faible  tonnage. 

Médéab.  —  En  arabe,  M ediy tt. 

Celui  que  tu  vois  vêtu  d*un  petit  haïk, 

Tenant  à  la  main  un  petit  bâton, 

Placé  sur  un  petit  mamelon 

Et  disant  fièrement  à  la  dispute  : 

«  Viens  me  trouver  1  » 

Keconnais-le  pour  un  enfant  de  Médéah. 

Li  labess  kessiya^ 

Ou  fi  iddou  aassiya, 

Ouaguef  aala  koudiya 

Ou  igoul  lel  bêla  : 

Adji  liya! 

Aarfou  menn  oulad  Mediya. 

Médéah,  c'est  un  cadeau  de  la  Providence. 
La  faim  y  entre  le  matin 


2S4  LA    VIE    ARABE 

Et  elle  en  sort  le  soir. 
Si  c'était  une  fertime 
Je  n*épouserais  jamais  qu'elle. 
Mediya  mhadiya 
IdkhoUha  chorr  sebbahh 
Ou  ikhrodj'ha  laachiya. 
Loukanete  hiya  mra 
Matiakhod  la  hiya. 

Hédéah  est  une  ville  bâtie  dans  le  Tëll,  h  88  Rilotnëtrcs 
d*Alger.  Elle  est  placée  sur  un  màtnelofi,  ft  940  thètfeà  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer,  ce  qui  fait  que  son  climat  res- 
semble  beaucoup  à  celui  de  la  France.  La  vigne  y  réussit 
admirablement  :  on  y  fait  un  grand  commerce  de  grains,  de 
laine  et  de  bestiaux. 

Aain-Mhadi. 

Aaïn-Mhadi,  sa  figure  est  la  figure  de  la  brebis, 
Et  sa  morsure  est  îa  morsure  du  cbacal. 
Aain  Mhadi^  oudjh,  oùdjiî  en-nàdja. 
Ou  aadd'ha  aaddett  ed-dib. 

Aaïn-Mhadi,  petite  ville  située  dans  le  désert,  à  640  kilo- 
mètres sud-ouest  d'Alget*.  Son  chef  Ould  TedjinU  marabout 
très-inflnent,  a  soutenu,  en  1838,  un  siège  meurtrier  contre 
l'émir  Aabd-el-Kader,  qui,  ne  pouvant  venir  à  botit  de  ses 
desseins,  lui  offrit  i^ne  capitulation  honorable. 

Cirate. 

Si  le  paradis  est  au  ciel,  regar4e  Cirate,  —  tu  en  auras 
une  idée. 
Et,  s'il  est  sur  la  terre,  Cirate,  c'est  lui. 


DICTONS    SUH    LES    VILLES    ET    TRIBUS        23S 

Ida  kanete  Idjenna  fe  sernUy  regueb  aala  Cirate; 
Ou  ida  hiya  fi  larde ^  hiya  Cirate. 

Cirate  est  une  plaine  de  la  prôvirtce  d'Orilrti  fedéiJHse 
entre  Mostaganem  et  Mascara. 

MiUanah.  —  En  arabe;  Mel§Mêh, 

Si  tu  trouves  le  Miliani  vendant, 

N*achète  rien  de  lui  ; 

Et,  si  tu  le  trouves  achetant, 

Ne  manque  pas  d*acheter  avec  lui. 

Ida  sobt  le  Melyani  ibéaa^ 

La  techeri  mennou; 

Ou  ida  sobt  le  Melyani  icheri 

Chéri  maaou. 

A  Milianah,  les  femmes  sont  des  vizirs, 
Et  les  hommes  sont  des  esclaves. 
Fi  Melyanahy  en  nessa^  ouzera^ 
Ou  Er-reddjal  youssera. 

Celui  que  tu  vois  petit  et  barbu, 

Dis  :  c  C'est  un  enfant  de  Milianah.  » 


Li  techoufou  kessir  ou  lahhyanl, 
Goul  :  Melyani. 

Milianah,  ville  de  la  province  d'Alger,  bâtie  sur  un  plateau 
au  sud  du  Zakkar.  Les  eaux  y  Isoiit  très-âboiidantes  et 
donnent  une  grande  valeur  aux  beaux  jardins  ((lii  desci^rident 
vers  la  plaine  du  Chélif.  On  y  trouve  le  tombeau  de  sldi 
Hhamed  benn  YousseJ^,  ce  marabout  célèbre  par  ses  dictons 
sur  TAlgérie. 


236  LA    VIE    ARABE 


Les  Thamiff. 


Les  Thamiss  ont  toujours  !&  poitrine  pleine  de  chagrins, 

Et  les  ongles  couverts  de  sang  : 

Quand  ils  poursuivent,  ils  tuent, 

Et,  quand  ils  sont  poursuivis,  ils  tuent  encore. 

Hhamiss^  cedirate  el  hemm 

Ou  defirate  ed  demm  ; 

Nadirine  iktelou^ 

Ou  menououdine  iktelou. 

Blidah. 

Le  monde  t*a  nommée  petite  ville, 
Et  moi,  je  t'appelle  petite  rose. 
EnnasSj  semmaouk  Blidah^ 
Ou  ana  semmitek  ourida. 

Celui  que  tu  vois  avec  un  pain  et  un  morceau  de  viande  à 
la  main,  * 

Reronnais-ie  pour  un  enfant  de  Blidah. 
Li  fi  iddou  khobza  ou  kedida 
Aarfouh  merm  oulad  el  Blidah. 

Blidah  est  située  à  48  kilomètres  d'Alger.  Elle  est  entourée 
de  nombreux  jardins  et  d'orangeries  magnifiques,  parfaite- 
ment entretenus  par  des  eaux  abondantes.  Malheureusement, 
les  tremblements  de  terre  y  sont  fréquents. 

La  Mitidja.  —  En  arabe  Metidja. 

Les  gens  de  la  Mitidja  sont  noyés  pendant  l'hiver. 
Et,  pendant  l'été,  ils  sont  grillés. 


DICTONS    SUR    LES    VILLES    ET    TRIBUS        137 

El  Metatidj^  fe  cheta  meghroukine^ 
Ou  feS'Sif  mhJuiroukine. 

La  Hitidja  est  une  plaine  située  pour  ainsi  dire  aux  portes 
d'Alger  et  qui  s*étend  sur  un  arc  de  cercle  de  trente  lieues, 
de  la  rivière  du  Corso,  à  Test,  jusqu'à  la  montagne  du  Che- 
noua,  à  l'ouest.  Elle  sépare  le  Sahel  de  l'Atlas  ;  sa  fertilité 
est  proverbiale;  les  Arabes  l'ont  appelée  :  la  Mère  du 
pauvre. 

Alger.  —  En  arabe  Diatr  ou  DjtJUir, 

Grand  et  fainéant, 

Reconnais-le  pour  un  enfant  d'Alger. 

Touil  ou  hlialr, 

Aarfou  menn  oulad  Eddzir. 

Partout  le  bien  n'est  ((u*un  prêté  : 
Chez  l'Algérien,  il  est  perdu. 
Koul  khér  messlouf: 
Ghér  fel  Dziri  metlouf. 

11  existe  dans  la  banlieue  d'Alger,  une  koubba  —  chapelle 
—  très-honorée,  à  laquelle  on  attribue  des  vertus  merveil- 
leuses, et  que  les  fidèles  viennent  visiter  de  fort  loin.  C'est 
celle  de  sidi  Mohhammed  benn  Aabd-er-rhhaman  ^  bou 
Keberine,  le  Père  aux  deux  tombeaux.  Ce  surnom  est  fondé 
sur  une  légende  étrange  quoique  assez  récente.  Sidi  Mohham- 
med venait  de  mourir  el  de  recevoir  la  sépulture  dans  le 
Djerdjeray  —  grande  Kabylie,  —  lorsque  des  habitants 
d'Alger,  où  Ton  appréciait  aussi  beaucoup  sa  sainteté,  allè- 
rent prier  sur  sa  tombe.  On  négligea  de  les  surveiller,  et 
ceux-ci,  par  une  fraude  pieuse,  s'approprièrent  le  corps  du 
marabout,  qu'ils  vinrent  déposer  près  de  la  route  du  Hham- 


t38  LA    VIE    ARABE 

ma,  un  peu  avant  d*arrivcr  au  café  des  Platanes,  au  lieu  où 
Ton  trouve  aujourd'hui  le  tombeau  de  ce  saint  musulman. 
Mais  bientôt  la  rumeur  publique  apprit  cet  événement  aux 
Kabyles;  ils  en  conçurent  une  violente  indignation,  et  de 
longues  vengeances  se  seraient  sans  doute  exercées,  quand, 
tout  en  niant  le  fait,  on  leur  sui?géra  la  pensée  d*ouvrir  la 
tomb^  qu'ils  possédaient  chez  eux.  I)s  le  firent,  et,  chose  mi- 
raculeuse,  les  restes  de  sidi  Mohhammed  s'y  trouvèrent  en- 
core. De  là  redoublement  de  respect  et  de  confiance  des  deux 
côtés. 

Alger  est  bâtie  eu  amphithéâtre  sur  un  contre-fort  qui 
domine  la  mer.  Elle  se  divise  en  ville  haute  et  en  ville 
basse.  La  ville  haute  est  encore  arabe,  la  ville  basse  est  eu- 
ropéenne. Son  port  est  d'une  étendue  de  90  à  100  hectares. 

Bou-Saada,  —  lo  Père  du  bonheur. 

Leui*s  chefs  savent  donner  des  conseils, 
Et  leurs  jeunes  gens  savent  garder  le  secret. 
Kebar-houm  idebberou 
Ou  seghar-houm  ma-ikkebberou. 

Bou-Saa4a  :  ville  arabe  de  la  province  de  Constantiue, 
remarquable  par  ses  jardins  de  palmiers,  par  ses  eaux,  par 
ses  mosquées  et  par  un  commerce  important  avec  les  gens  du 
désert.  Pour  maintenir  les  pays  environnants,  les  Français  y 
ont  bâti  un  fort. 

Le  Kabyle. 

Le  Kabyle,  dans  la  montagne,  c'est  un  lion  ; 
Mais,  dans  la  plaine,  ce  n'est  qu*unc  vache« 
&  l^ebaili  fèl  djebel  sebaa^ 
Ou  fel  outa^  begra. 


DICTONS    SLR    LES    VILLES    ET    TRIBUS         839 

Et^  eu  effet,  les  Kabyles,  qui  défeudeut  leur  pays  avuc  une 
grande  énergie,  ne  valent  pas  grand*chose  quand  ils  en  sor- 
tent. Ils  ont,  surtout,  une  frayeur  horrible  de  la  cavalerie. 
L'Arabe  est  né  cavalier  :  il  n'aime  pas  la  montagne.  Le  Ka- 
byle est  né  fantassin,  il  se  déûe  de  la  plaine. 

Les  Kabyles  appartiennent  à  la  race  berbère.  Us  dérivent 
d'un  seul  et  même  peuple,  autrefois  compacte,  do]g})f|2f).cyi*  du 
pays  entier,  mais,  plus  tard,  refoulé  dans  les  moitfagnc3  ^ ar 
des  conquérants  qui  s'approprièrent  les  plaines.  C'çst  ainsi 
qu'il  a  été  morcelé  en  grandes  fractions  (Revenues  à  ](i  Ionique 
presque  étrangères  les  unes  aux  autres. 

Leur  langue  s'appelle,  suivant  les  contréç^s,  el  berbriya  ou 
el  kebailiya.  Elle  adonné  naissance  aux  dialectes  suivants  : 

Le  targuiya; 
Le  zenatiya  ; 
Le  chellahhiya; 
Le  chaouya; 
Le  zouaouya. 

L'alpbabet  berbère  est  perdu  (i).  Dans  tout  le  pays  kabyle, 
il  n* existe  pas  aujourd'hui  un  seul  livre  écrit  en  beii)ère. 
Aussi,  de  nos  jours,  le  berbère  ne  s'écrit  plus  qu'avec  des 
caractères  arabes. 

Un  Arabe  n'apprend  point  Tidiome  berbère  ;  il  en  retient 
quelques  mots  pour  son  usage,  s  il  a  des  relations  fréquentes 
avec  les  Kabyles. 

Tout  Kabyle,  au  contraire,  s'initie  plus  ou  moins  à  Tarabe, 
ne  fût-ce  que  pour  suivre  sa  religion,  qui  est  la  religion  mu- 

(1)  Dans  ces  derniers  temp^,  le  savant  colonel  du  génie  Hanoleau, 
commandant  du  fort  Napoléon,  est  parvenu  à  reconstruire  la  grammaire 
berbère.  C'est  là  un  travail  de  patience  et  d'intelligence  qui  sufGt  i 
illustrer  la  carrière  d'un  homme. 


S40  LA    VIE    ARABE 

sulmane.  Celui  qui  commerce  ou  voyage  éprouve,  en  outre, 
la  nécessité  de  savoir  Tarabe;  bientôt  il  Tentend  et  le 
pai*Ie  avec  facilité.  Aucun  chef  important  ne  l'ignore. 


Constantine.  —  En  arabe,  Ketsemtina. 

Constantine  invente, 
Alger  améliore 
Et  Oran  gâte. 
Kessemtina  têbdouy 
Dzair  tessenaaa, 
Ouharane  tefessed. 

Ce  dicton  a  principalement  cours  pour  la  poésie  et  pour  la 
manière  de  s'habiller. 

Constantine,  Tancienne  Cirta  des  Numides,  est  une  ville 
bfltie  sur  un  rocher  très-élevé,  d'où  s'élancent  des  cascades 
magnifiques^  et  au  pied  de  laquelle  coule,  avec  fracas,  le 
Roummcl,  rivière  torrentueuse.  Avant  Tinvention  de  la  poudre 
elle  devait  être  une  place  très-difficile  à  prendre,  bien  que 
dominée  par  plusieurs  plateaux  qu'on  nomme  Sidi-Hessid, 
et  Mansoura. 

A  dix  kilomètres  environ,  à  Touest  de  Constantine,  on 
trouve  le  tombeau  de  sidi  Zouaoui.  Il  est  situé  sur  la  mon- 
tagne qui  porte  son  nom.  Au  nombre  des  miracles  accompli» 
par  ce  marabout,  tenu  en  très-grande  estime  par  les  Arabes 
et  par  les  habitants  de  la  ville,  on  cite  le  suivant,  qui  aurait 
eu  lieu  en  1779,  au  moment  de  l'expédition  espagnole  contre 
Alger  : 

Sidi  Zouaoui  possédait  une  jument  de  race  nommée  Rekta; 
elle  disparut  un  soir  de  sou  écurie.  Les  serviteurs,  au  déses- 
poir, coururent  toute  la  nuit  pour  découvrir  ses  traces  et  ils 


DICTONS  SUR  LES  VILLES  ET  TRIBUS   «41 

rentraient  le  lendemain  honteux  de  rinsuccès  de  leurs  re- 
cherches, quand,  en  regagnant  l'habitation  de  leur  mattre, 
ils  retrouvèrent  à  sa  place  la  noble  Rekta,  qu*ils  croyaient 
perdue.  Seulement,  elle  était  restée  sellée ,  ruisselante  de 
sueur,  et  ses  flancs  ensanglantés  étaient  labourés  de  coups 
d*éperon.  A  ce  moment,  le  chikh  sidî  Zouaoni^    entouré 
comme  à  l'ordinaire  et  suivi  de  ses  nombreux  disciples,  s'ap- 
procha de  la  jument,  qui,  en  le  voyant,  se  mit  à  hennir  de 
joie,  puis  à  uriner  d'une*  façon  extraordinaire.  Tous  les  arri- 
vants s'écartèrent  alors  pour  ne  pas  être  salis  ;  mais  le  saint 
homme  leur  dit  :  c  Ne  craignez  rien,  restez.  Par  Dieu,  et  par 
son  prophète,  je  vous  jure  que  vous  ne  serez  pas  souillés 
par  cette  urine,  car  Rekta  s'est  rendue  digne  de  votre  respect 
et  de  votre  amour.  Je  l'ai  montée  cette  nuit  pour  me  rendre 
à  Alger,  auprès  des  troupes  victorieuses  de  Salahh  Baye,  et 
j'y  ai  assisté  à  la  destraetion  de  l'armée  espagnole  sur  les 
bords  de  l'Hharach.  »  Ces  paroles  furent  immédiatement  rap- 
portées aux  populations,  très-impatientes,  alors,  de  connaître 
le  sort  de  leurs  frères  qui  étaient  allés  combattre  les  infi- 
dèles, mais  on  doutait  encore  de  cette  yictoire  quand,  peu 
de  jours  après,  la  nouvelle  de  la  défaite  des  chrétiens  parvint 
officiellement  à  Constantinei  Les  contingents  de  la  province 
qui  avaient  pris  part  à  la  lutte  affirmèrent,  à  leur  retour, 
qu'ils  avaient  tous  vu  sidi  Zouaoui,  monté  sur  Rékta^  com- 
battre à  leurs  côtés  pendant  la  nuit  du.  désastre  des  Espagnols, 
et  qu'ils  l'avaient  même  entendu  pousser  des  cris  pour 
exciter  le  courage  des  guerriers  musulmans. 

Je  vous  laisse  à  penser  combien  cette  preuve  de  la  béné 
diction  divine  sur  la  tête  du  marabout  augmenta  sa  réputation 
de  sainteté  dans  le  pays.  Depuis  cette  époque,  ce  fut  &  qoi 
se  déclarerait  son  serviteur  et  lui  demanderait  son  deke?« 
La  légende  ajoute.en^n  :  A  la  mort  de  Rekta^  sidi  Zouaoui 

16 


942  LÀ    VIE    ARABE 

pleura  snr  elle,  et,  ce  qui  est  plus  extraordinaire,  il  l'ense* 
velit  lui-même  dans  ua  linceul. 


II 


PITISIOM  DU  TEMPS 

En  pays  arabe,  si  vous  demandez  :  c  Quelle  heure  est-U?» 
^^Keddadi  Saaî  — on  tous  comprendra  d'autant  moins  que^ 
en  dehors  des  chefs  haut  placés,  des  satants  —  aaoukmas^ 
4^lbas  et  marodotite,  des  gens  qui  servent  dans  les  troupes 
indigènes^  on  des  commerçants  qai  nous  ont  fréquentés,  on 
n*]r  sait  pas  même  ce  que  c'est  qu'une  montre,  à  plus  forte 
irâon  une  pendule  et  une  horloge.  Comment  ftdt-oa  alors 
pour  s'en  tirer  dans  Ui  pratique  de  la  vie? 

Les  Arabes  divisent  le  temps  à  leur  manière,  et  cette  divi- 
sion, toute  incomplète  qu'elle  esty  leur  permet  eepenèimt 
é^atteindre,  lorsque  le  besoin  s'en  fait  sentir,  une  exactitaâe 
rétive.  Us  ont  :  > 

Le  point  du  jour,  -r-t  El  fedjer. 

Cest  le  moment  d^tlhe  prière  que  l'on  appelle  : 

Salate  el  fedjer  ou  Mlate  es^sebahh. 

La  prière  de  l'aurore  ou  la  prière  du  matin. 

Les  Arabes  reconnaissent  deux  aurores  :  l'aurore  du 
mensonge  —  el  fedjer  el  kad^j  —  et  l'aurore  vraie  —  el 
fedjer  ei-sadok, 

La  première  se  manifeste,  du  côté  de  l'oriem,  par  une 


DIVISION    DU    TEMPS  243 

clarté  étroHe  et  allongée,  affectant  la  forme  d*une  qnette  de 
loup,  laquelle  ne  tarde  pas  à  disparaître  dans  les  rayons 
dorés  de  la  lumière  qui  va  bientôt  envahir  le  ciel« 

Quand  tu  peux  distinguer  le  chien  du  chacal. 
Kod-ma  teferrez  el  kelb  menn  ed-dib. 

C'est  l'instant  qui  suit  immédiatement  le  point  du  Jonr. 

-,         ,       ,  .,      (  telooeu  echemss. 
Le  lever  du  soleil . . .  {    .  ,     , 

[  chourouk  echemss. 

Quand  le  soleil  arrive  à  la  longueur  d*une  lance. 
Menine  toulli  echemss  aala  taul  el  mezrag. 

Moment  de  la  matinée  où,  après  le  lever  du  -soteit,  la 
clarté  est  complète  partout. 

ùuakt  ed-4hha. 

Il  est  à  peu  près  huit  heures  du  matià. 

C'est  l'instant  que  l'on  choisit  pour  faire  sortir  les  moulons 
du  douar  et  les  envoyer  au  pâturage*  La  rosée  n'aura  j^lus 
pour  eux  aucun  inconvénient. 

Dix  heures  ou  dix  heures  et  demie  du  matin. 

Ed^hha  el  aali. 

La  lumière  est  transparente,  la  chaleur  est  déjà  grande,  le 
soleil  monte  à  l'horizon,  on  se  rapproche  du  milieu  du 
jour. 

La  moitié  du  jour.  Le  drapeau. 

Nouss  en-nhar.  El  aalam. 

Il  est  midi  :  à  cette  heure,  on  hisse  un  drapeau  sûf  les 
minarets  pour  que  chacun  soit  averti  et  puisse  se  préparer  à 
la  prière. 

Les  Arabes  assurent  qu'ils  sont  arrivés  à  la  moitié  du  jouir 


Î44  LÀ    VIE    ARABE 

lorsqu'un  homme  debout  et  à  pied  ne  produit  autour  de  lai 
aucune  parcelle  d'ombre. 

Une  heure  après  midi. 

Ed-dohor. 

G*est  le  moment  d'une  prière  qu'on  appelle  :  SakUe  ed- 
dohor. 

L'ombre  de  l'homme  parait  en  entier,  mais  elle  n'a  alors 
qu'une  longueur  de  six  semelles. 

Setta  guedame, 

A  peu  près  trois  heures  du  soir. 

Elaasser. 

C'est  le  moment  d'une  prière  qui  prend  le  nom  de  :  Salate 
el  aasser. 

Quelle  que  soit  la  saison,  el  aasser  doit  partager  exacte- 
ment le  temps  qui  s'écoule  de  midi  au  coucher  du  soleil. 
L'ombre  de  l'homme  mesure  neuf  semelles. 

A  peu  près  quatre  heures  du  soir. 
El  aasser  diyek.  Laasser  étroit. 

Celui  qui  n'a  pu  prier  à  Vaasser  peut  accomplir  ce  devoir 
à  Vaasser  diyek^  c'est-à-dire  un  peu  plus  tard. 

La  danse  du  soleil. 
Terguiss  echemsse. 

Les  Arabes  ont  remarqué  que  le  soleil,  ayant  de  se  cou- 
cher, oscille  un  instant  sur  l'horizon. 

Le  coucher  du  soleil. 

Ghauroub  echemsse.  Temessate  echemsse. 

Cinq  minutes  après  le  coucher  du  soleil. 
El  moghreb. 

On  reconnaît  que  le  moghreb  est  arrivé  quand,  après  le 
coucher  du  soleil,  on  voit  encore,  du  côté  de  l'Orient,  quel- 


DIYISlOiN    DU    TEMPS  245 

ques  petits  nuages  affectant  la  couleur  et  la  forme  d*an  cou 
de  pigeon  sauvage. 

La  nuit.  —  El  lill. 

Elle  est  plus  ou  moins  avancée  ou  retardée,  ainsi  que  tout 
ce  qui  précède,  suivant  la  saison  dans  laquelle  t)u  se  trouve. 

Huit  heures  du  soir  environ. 
El  aacha.  El  aaicha^  El  aatma. 
C'est  le  moment  de  la  dernière  prière  :  Salate  el  aacha. 
Elle  précèdç  un  peu  le  souper. 

Dix  heures  du  soir. 

Le  premier  plongeon  dans  le  sommeil.  —  El  ghotsM 
loucula. 

La  première  garde.  —  El  aassa  lowmla. 

Cet  instant  serait  indiqué,  d'une  manière  certaine,  par  le 
chant  du  coq. 

Minuit.  —  Houss  el  lill. 
La  seconde  garde.  —  El  aassa  eManiya. 
On  sait  qu'on  est  arrivé  à  la  moitié  de  la  nuit  quand  le 
coq  fait  entendre  son  second  chant.  —  Toudina  eUtaniya. 

Deux  heures  du  matin. 

Troisième  chant  du  coq.  —  Toudiiia  et-taleta. 
Il  est  deux  heures  du  matin  quand  parait  une  étoile 
nommée  el  Koddar. 
A  cette  heure,  on  place  la  troisième  garde. 
ElaassaeMaleta. 

Quatre  heures  du  matin. 
La  quatrième  garde.  —  El  aassa  er-rabaa. 
Quatrième  chant  du  coq.  —  Toudina  er-rabaa. 
On  aperçoit,  à  quatre  heures  du  matin,  une  étoile  que  les 
Arahes  nomment  :  el  Gherar. 


U6  LA    VIE    ARABE 

£t  enfin  l'étoile  do  point  du  jour. 

Nedjemete  el  fedjer. 

On  la  verrait  un  instant  avant  l'aurore. 

Le  crôirait-on?  ceux  qui,  en  pays  arabe,  ont  le  mieux 
conservé,  en  astronomie,  les  notions  de  leurs  pères,  ce  sont 
les  simples  cavaliers  porteurs  de  messages  et  les  voleurs  de 
nuit.  Pourquoi?  Parce  qu'ils  ne  peuvent  exercer  leur  très- 
dangereux  métier  qu'en  se  râlant  sur  des  étoiles  dont  la 
narche  leur  est  parfaitement  connue. 

Maintenant,  veut-on  donner  an  rendez-vous  on  préciser 
l'heure  d'une  réunion  quelconque,  on  se  sert  de  l'une  des 
divisions  du  temps  indiquées  ci-deseus,  en  l'avançant  on  la 
dépassant  par  ces  mots  kebel  —  avant,  ou  bâad  —  ^très. 
Cela  m*a  toujours  réiuei,  qoand,  en  ma  qualité  de  direclenr 
■den  afTitires  arabes,  j'ai  dû,  par  les  ordres  du  marAefaal  duc 
d'Islf ,  opérer  des  concentrations  de  cavaliers  arabes  sor  on 
point  ou  sur  un  autre. 

Dans  les  villes,  pour  savoir  l'heure  et  appeler  les  fidèles 
.h  la  prière,  oa  se  sert  d'un  sablier  —  remeliya.  —  li  est 
inconnu  dansl  es  tribus. 


Si  l'Arabe  ne  connaît  ni  les  montres,  ni  les  pendules, 
ni  la  division  du  temps  par  l'heure,  il  connaît  encore 
moins  les  lienes,  les  milles  et  les  kilomètres.  Ne  lui  de- 
mandez donc  jamais  combien  il  y  a  de  lieues,  de  milles  ou 


DISTANCES  217 

de  kilomètres  d*ufi  point  à  un  autre  ;  mais  employezi  seule- 
ment avec  lui  des  termes  de  comparaison  s'exerçant  sur  des 
contrées  qui  vous  sont  mutuellement  connues,  et  alors,  mal- 
gré la  difficulté,  avec  de  l'intelligence,  et  surtout  beaucoup 
de  patience,  tous  approcherez^  peut-être,  de  la  vérité.  Ainsi, 
le  cas  échéant,  dites-lui  par  exemple  :  c  Y  a-t-il  aussi  loin  de 
tel  endroit  à  tel  endroit,  que  de  tel  pointa  tel  autre  point?  > 
Il  fermera  alors  les  yeux  pour  mieux  voir,  prétendra-t-il  ;  il 
se  recueillera  pendant  quelques  instants  ;  puis  il  vous  ap- 
prendra que  c*est  exactement  la  même  chose,  ou  bien  que 
c*est  un  peu  plus  près  ou  un  peu  plus  loin.  Inutile  d'ajouter 
que,  suivant  l'importance  du  renseignement  à  obtenir,  quel- 
ques douros  et  la  crainte  du  châtiment  stimuleront  sa  bonne 
volonté,  ou,  pour  être  plus  exact,  paralyseront  son  mauvais 
vouloir. 

Je  ne  terminerai  pas  cette  affaire  des  distances  sans  con- 
seiller, en  outre,  de  se  méfier  beaucoup,  quand  on  est  en 
voyage  ou  en  expédition,  des  indications  qui  peuvent  être 
données  par  des  Arabes  inconnus.  Suivant  eux,  vous  touchez 
toujours  au  but. 

C'est  tout  près.  |  La  guerib. 

Dépasse  ce  mamelon,  et  tu  es  arrivé. 
Foute  el  kauuliya  ou  toussel. 

Ce  n'est  pas  plus  loin  que  du  nez  à  Toreille. 
Ki  menn  nif  lel  oudenn. 

Vous  avez  compté  sur  leur  bonne  foi,  et  vous  êtes  ensuite 
tout  étonné  de  la  longueur  du  chemin  que  vous  avez  encore 
à  parcourir.  Ceci  n'arrive  pas  seulement  entre  musulmans 
et  chrétiens,  —  on  conçoit  le  plaisir  qu'un  Arabe  éprouve  à 


S48  LA    VIE    ARABE 

tromper  un  roumi, — mais  encore  entre  gens  de  la  mâme  re 
ligion.  En  vontez-vous  )a  preuve,  lisez  le  proverbe  suivant 

Quand  un  Arabe  te  montre  avec  sou  bec,  —  c'est-k-dir 
en  levant  le  nez  — 
Dis  :  ■  J'en  ai  encore  pour  un  jour  de  marche.  > 
Menine  cl  AarH  toutik  bel  kamkoum, 
Goul  meciiret  youm. 

Maintenant,  si  je  me  suis  autant  étendu  sur  les  distancer 
sur  ce  sujet  si  sérieux,  bien  qu'en  apparence  insignifiant 
c'est  que. je  sais,  pour  l'avoir  souvent  éprouvé,  combiea 
peut  Être  utile  d'apprendre  À  se  tirer  d'embarras  dans  u 
pays  d'une  topographie  difficile,  sans  routes  dès  que  vov 
quittez  les  routes  stratégiques,  sans  cartes  qui  puissent  von 
guider  dans  l'intérieui',  et  où,  soit  une  méprise,  soit  un  fan 
calcul,  peut  avoir,  en  temps  de  guerrç,  les  conséquences  l( 
plus  graves. 


Si  vous  demandez  ii  un  Arabe  : 

Combien  y  a-t-il  d'années  dans  ta  vie? — Quel  Ageas-ti 
Keddach  menti  sena  (i  aamrek. 

Il  vous  répondra  invariablement  : 

Dieu  le  sait,  quanta  moi,  je  ne  le  sais  pati. 
Idri  Allah,  ou  ana  manaarfchi. 


QUEL    AGE    AS-TU?  S48 

Et  souvent  il  ajoutera  d'un  ton  dédaigneux  : 

Mais  pourquoi  toujours  cette  question  ? 

Nous  vivons  jusqu*à  notre  mort. 

Naàichou  hatta  nemoutou. 

Sans  nous  inquiéter  des  affaires  qui  ne  peuvent  être  que 
dans  la  main  de  Dieu  —  fiidd  Rebbi.  —  Et,  en  vous  tenant 
ce  langage,  il  ne  vous  aura  pas  trompé  ;  car,  dans  les  tribus, 
il  n*y  a  pas  de  registres  de  l'état  civil  ;  à  peine  y  trouvé- 
t-on  quelques  familles  d'élite  qui,  sur  un  Koran,  ou  sur  ttii 
autre  livre  religieux,  conservent  la  date  précise  de  la  nais- 
sance de  leurs  enfants. 

Tenez-vous,  cependant,  à  obtenir  un  renseignement  ap- 
proximatif, vous  pouvez,  en  vous  ingéniant  beaucoup,  savoir 
qu'un  tel  est  né  dans  un  moment  qui  a  été  éignalé  à  Tat- 
tention  publique  par  un  événement  remarquable,  comme 
par  exemple  : 


L'année  de  la  peste. 
L'année  de  la  révolte. 
Du  temps  des  Espagnols. 
L'année  des  sauterelles. 
L'année  de  la  prise  d'Alger. 


Aam  el  hhabouba. 
Aam  derkaoua. 
Zemane  Essbagnoul. 
Aam  el  djerad. 
Menine  tekhodet  ed-Dxàir. 


L'année  de  la  faim  —  disette. 
Aam  el  djooeu. 

L'année  du  bon  marché  —  l'abondance. 
Aam  rekha. 

L'année  du  tremblement  de  terre. 
Aam  zennzela. 

L'année  du  bey,  qui  a  été  écorché  tout  vif. 
Aam  el  baye  le  messeUmkh. 


M  LA    VIE    ARABE     - 

Si  VOUS  confiaiM»  l'histoire  du  pays^  T<Hpt  feres  vmre  4^1- 
cal  en  conséquence^  et  vous  approcherez  de  la  vérité. 

Je  le  répète,  cette  demande  :  c  Quel  (ge  as-tu  ?  »  est  telle- 
ment désagréable  aux  musulmans,  que  souveot  ils  se  mon- 
trent très-ironiques  à  l'égard  de  ceux  qui  la  leur  posent. 
.En  1836,  j'ai  entendu  un  Arabe,  traduit  devant  un  conseil 
de  guerre,  sous  la  prévention  d'avoir  assassiné  un  soldat 
ïrançaiç,  faire  au  président  qui  lui  demandait  son  âge,  la 
réponse  suivante  :  c  Je  n'en  sais  vraiment  rien  ;  cependant, 
comme  on  assure  que  vous  autres  chrétiens  vous  connaissez 
rage  à  la  seule  inspection  des  dents,  examinez,  si  vous  le 
VQulez,  ma  mâchoire.  »  Et  en  même  temps,  il  ouvrait  la 
J)ôache  comme  un  homme  décidé  à  se  soumettre  à  une  pareille 
ÎQvestigation.  Le  gaillard  faisait  ainsi  une  allusion  moqueuse 
|i  la  conduite  de  nos  officiers  de  remonte  qui  n'achetaient 
jamais  un  cheval  sans  lui  ouvrir  la  bouche  pour  s'assurer  de 
son  ftge. 

—  Et  puis,  disent  encore  les  Arabes,  qui  ne  comprennent 
pas  les  besoins  de  notre  civilisation,  à  quoi  cela  peut-il  vou| 
être[utile  de  connattre  exactement  votre  âge  !  Tant  que  vous 
êtes  jeunes,  nous  concevons,  à  la  rigueur,  que  cela  puisse  vous 
faire  un  certain  plaisir;  mais^  lorsque  vous  devenez  vieux, 
que  trouvez-vous  donc  de  si  agréable  à  vous  en  donner 
chaque  jour  la  confirmation?  Quant  à  nous,  nous  aimons 
mieux  n*y  pas  penser  et  nous  nous  endormons  tranquille- 
ment sur  ce  dicton  de  nos  pères  : 

Celui  que  Dieu  a  inscrit  pour  soixante  ans, 

Ne  meurt  pas  à  quarante  ans. 

Li  ketelhloUy  Rebbi,  cettinCy 
Maimoutchi  fi  arbaain. 


METS    CHEZ    LES    ARABES  SSI 


»  ■  ■      . 

METS     CHEZ     LES     AlABES 


Les  Arabes  ignoraient  autrefois  la  diversité  des  inets.  IJ|s 
faisaient  tout  bonnement  bouillir  ou  rdtir  la  viande  en  Tas- 
saisonnant  d*un  peu  de  çel  ;  ils  sont  plus  raffinés  aujour- 
d'hui. 

Voici  les  mets  dont  ils  peuvent  faire  usage  eu  égard  à  Ja 
contrée  qu'ils  habitent  : 

Eil  kebch  VMehouU -^  MonXon  f6ti. 

Les  Arabes  sont  les  premiers  rAtissenr»  du  nopidé. 

El  kebab..)  ^     ^         .     .     ,    ,         .       ^  * 
171     /.  i.  j  [  Brochettes  de  viande  de  mouton  roti. 
Elsefafed,) 

Terbiya.  —  Ragoût  de  mouton  aux  œtfs.et  aun  tooMtes. 

El  hhamiss,  —  Ragoût  de  mouton  aux  tomates  et  bxljl  lé- 
gumes. 

El  m^i/i^tl^r.— Fricassée  de  potlet  avec  des  pois  ohicbes. 

Dolma.  —  Viande  farcie  avec  toute  sorte  de  légQmes; 
très-relçvée  avec  du  poivre  rouge. 

El  beraniya.  —  Poitrine  de  mouton  coupée  en  morceain(, 
accommodée  avec  du  beurre«  des  œufs,  des  aitichauts  sau- 
vages, du  fromage  pilé  et  beaucoup  d*épices.  On  fait  cuire 
avec  du  feu  dessus  et  dessous;  c'est  très-bon. 

El  kabama.  —  Ragoût  de  mouton  cuit  tout  simplement 
avec  du  beurre,  de  Teau,  du  poivre  et  du  sel.  Avant  de  le 
servir,  on  le  couvre  avec  du  persil  ei  des  oignons  chis  oou- 
pés  en  petits  morceaux. 

.    Zellif.  —  Tête  de  mouton  bouillie  et  ass^sannée  avec  du' 
vinaigre,  du  sel  et  de  l'ail.  On  la  désosse  et  on  en  sert  la  ebair 


LA    VIE    ARABE 

avec  du  pain  grillé,  recouvert  par  deux  ou  trois  jaunes 
d*œurs. 

£1  aassebane.  — Intestins  coupés  en  petits  morceaux,  mê- 
lés avec  de  la  viande  et  accommodés  avec  du  riz,  du  poivre, 
du  sel  et  beaucoup  d'épices. 

El  klieléaa.  —  Viande  de  mouton  préparée  pour  les  expé- 
ditions; on  la  coupe  par  morceaux,  on  la  lave,  on  la  sale, 
on  la  fait  tremper  dans  Thuile,  puis  on  Texpose  aux  ardeurs 
du  soleil  qui  la  durcit  comme  du  bois.  Elle  devient  alors 
très-portative,  et  se  conserve  longtemps.  Ramollie  par  Tac- 
tton  du  feu,  et  mêlée  à  d'autres  aliments,  tels  que  le  t^st- 
kessou  et  le  riz,  elle  n'est  nullement  désagréable  à  manger. 

Merka.  Chorba.  ^  Bouillon  de  mouton  ou  de  poule.  On 
n'en  boit  qu'en  cas  de  maladie. 

El  mejçetefa. 

n    . .         '  }  Espèces  de  vermicelle. 

Tareeheta.  . 
Bissar.  —  Fèves  cuites  avec  du  beurre  et  du  lait. 
.    El  bride.  —  Soupe  à  la  semoule. 

El  boufetata.  —  Soupe  à  la  mie  de  pain. 
El  mahhmessa.  —  Soupe  avec  des  boulettes  de  pâle  au 
citron. 

El  blaou.  —  Riz  accommodé  avec  du  kheléaa.  Pilau. 

El  berghouL  —  Blé  écrasé,  préparé  avec  du  beurre  et  du 
kheléaa. 

Khob%  el  koucha.  —  Pain  cuit  au  four. 

El  mebessess,  —  Pain  cuit  au  beurre. 

Refiss ,  mebefsess  coupés  en  petits  morceaux ,  baignant 
dans  le  beurre  avec  des  dattes  pilées  ;  le  tout  mélangé  avec 
du  sucre. 


METS    CHEZ    LES    ARABES  i!» 


,.'.  *  '  {  Pain  f&it  dans  un  plat. 


Elmetloeu, 

Khobz  tadjine, 

Regag.  Bride,  —  Feuilles  légères  de  pftie  au  beurre. 

El  meehaliad.  —  Pâte  feuilletée,  nageant  dans  le  beurre. 

El  messemmenn.  —  Pâte  feuilletée  qui  se  mange  ordinai--. 
rement  avec  du  miel.  Régal  des  jours  de  fête.  Quand  on  roua 
a  donné  des  messemmenn^  vous  avez  été  bien  traité* 

El  mekroude.  —  Gâteaux  de  semoule  où  le  miel  et  la  caa* 
nelle  doibinent. 

El  gheribiya.  —  Gâteaux  de  semoule  au  sucre,  au  bewre 
et  au  citron. 

Baklaoua. — Gâteaux  faits  avec  de  la  semoule,  des  aman- 
des, du  beurre  et  du  miel. 

Zelabiya.  —  Pâtisserie  légère  cuite  dans  Fhuile  et  étouf- 
fée dans  le  miel. 

Tomina.  —  Semoule  grossière,  grillée  dans  une  casse- 
role en  terre  et  plongée  dans  du  beurre  et  du  miel  bouil- 
lants. 

£1  kaak.  —  Gâteaux  eu  forme  d*anneau,  renfermant  soit 
des  dattes,  soit  de  la  viande  hachée. 

Et,  enfin,  sebaa  el  aaroussa  —  le  doigt  de  la  fiancée.  — ' 
Sucrerie,  friandise  pour  laquelle  Bagdad  est  citée.  Elle  a  un 
renom  populaire  fort  ancien  ;  mais  elle  est  presque  incomiue 
en  Algérie. 

Sebaa  el  aaramsa  représente  les  doigts  effilés  d*nne  jeaAe 
fille  ;  aussi,  dit^on  qu'il  n'y  a  pas  au  monde  de  main  ptes 
séduisante  et  plus  belle  que  celle  dont  les  doigts  ressemblenit 
aux  sebaa  el  aaroussa. 

Parmi  les  mets  que  je  viens  de  citer,  beaucoup  viensent 
de  la  domination  turque  ;  ils  sont  totalement  étrangers  aux 
pauvres. 

Mais  la  nourriture  chérie  des  Arabes,  celte  dont  je  n'ai 


tt*  LA    VfE    ARABE 

point  encore  parlé ,  c'est  le  kesskessout  que  Von  appelle 
aussi,  suivant  les  contrées,  laam  et  messâfùuf.  On  le  fait 
avec  .de  la  fsriiie  da  blé  passée  âu  tamis,  reniée  sous 
las  «doigts,  cuite  à  la  vapeur,  arrosée  ensuite,  soit  avec  du 
MmUion, «oit  avec  du  lait;  la  classe  aisée  y  joint  de  la  viande 
de  mouton^  du  poulet^  des  œutê  durs,  des  fèves,  des  arti- 
chauts sauvages,  du  sucre,  des  raisins  secs  et  même,  depuis 
^nelqiie  temps,  mais  seulement  près  du  littoral,  des  pom- 
mes de  terre  qu'on  achète  aux  chrétiens.  La  farine  de  blé 
s^ahÉidnA  au  moyen  de  petits  moulins  à  bras,  manoeuvres  par 
les  femmes. 

'Le  ke$8kes$ou  est  la  base  de  la  cuisine  arabe.  Il  est  par- 
faitement approprié  au  climat,  et  il  peut  recevoir,  selon  les 
circonstances,  les  modifications  ou  les  additions  dont  nous 
avons  parlé.  Pauvres  et  riches,  personne  ne  s'en  lasse,  de- 
puis le  commencement  jusqu'à  la  fin  de  Tannée.  Il  s'ap- 
pMte  lestement,  rassasie  promptement,  et  doit  être  très- 
commode  pour  des  gens  qui,  passant  leur  vie  en  campagne, 
KUaiiquent  souvetit  de  pain.  C'est  le  mets  national. 

Cependant^  quand  il  n'est  point  assez  cuit  —  kheder,  —  il 
est  d'une  digestion  pénible  et  difficile.  On  ne  le  mange  ja* 
mais  froid. 

La  nourriture  des  indigents  consiste  la  plupart  du  temps 
dHis  la  ilcftîekéi,  blé  griHé,  simplement  écrasé  que  Ton  fait 
liMillir  avec  un  peu  de  beurre,  et  dans  la  rotrina,  orge  gri^ 
;lAs  aassi,  bien  moulue,  que  l^on  ne  prend  pas  la  peine  de 
faire  cuire,  et  que,  se  trouve-t-on  pressé,  on  se  contente  de 
délayer  avec  un  peu  d'eati,  quelquefois  k  défaut  de  récipient 
4ans  un  coin  de  son  bemouss.  La  rùiânû  est  une  détestable 
nourriture  ;  cependant,  c'est  avec  elle  que  les  gens  du  peuple 
^anlrepreanenft  leurs  voryages  et  leurs  expéditions. 


METS    CHEZ    LES    ARABES 

Ils  atteigne»!  le  même  bat,  tfoènd  Us  peavenl  se  prècmtr 
des  fèves  que  Fon  convertit  en  farine. 

ir  est  encore  an  mets  ^tié  les  Araèes  aiment  keftueoîip, 
c'est  le  merinex.  Qiojkû.  Y  orge  est  près  d'arriver  à  ri&  nitil- 
rité,  mais  avant  qu'elle  y  soit  arrivée^  on  en  coupe  les  é^ 
on  les  égrène,  après  les  avoir  fait  légèrement  gnBer,  puis 
on  les  moud  avec  le  petit  moulin  à  bras  —  rahha  r^  de  ma^ 
mère  &  en  obtenir  une  farine  grossière.  Cette  farine,  an  l%p- 
prête  av0c  de  l'eau  ou  du  lait,  un  peu  de  viande  salée  et  eu 
beurre,  et  Ton  es  faraie  ainsi  une  bouillie  fort  agréaUe  à 
manger.  Les  ebefs  s'en  régalent  :  dans  certaines  famillea,0|i 
prépare  le  fMrme%  à  la  vapeur,  comme  le  keskknsou* 

A<ncha,  Tune  des  femmes  de  Mobbammed,  disait  aoavenll: 

«  Par  le  nom  de  Dieu,  je  jure  que,  jusqu'à  la  mort  da  Pro* 
phète,  nous  n'avons  jamais  eu  de  farine  de  blé  tamisée,  tt 
que  bien  rarement  nous  avons  mangé  du  pain.  —  Et  pem^ 
quoi  vous  étiez-vous  condamnés  à  ne  manger  que  de  l'orge  ? 
—  Pourquoi  ?  Mais  pour  obtenir  la  rémission  de  nos  pécbés.  » 

En  fait  de  sobriété,  les  Arabes  vont  plus  loin  encore. 
Quand  on  doit  oj^rer  dans  un  pays  dénué  de  toutes  res- 
sources, ce  qui  n'est,  eertes,  pas  rare  en  Afrique,  on  fait 
bouillir  du  blé  dans  de  l'eau  salée,  et  avee  cet  allaient  on 
peut  se  passer  facilement,  dit-on,  et  pendant  ptaMieurs  joatl, 
de  toute  autre  nourriture.  Le  blé,  ainsi  préparé,  prend  le 
nom  éeeherehem. 

Tai  vu  encore  de^  Arabes  se  délecter  en  mangeant  ow 
poignée  de  blé  gâté  par  Thiimidité  dans  un  aitos*  ïù^Yw^ 
pellent  hhamoumy  et,  cbose  étonnante,  Ma  en  fént  gmnd 
eas.  Une  tasse  de  petit-lait  par*dessus  les  combla  de  joie. 

Les  Arabes  connaissent,  en  outre,  une  foule  de  planles  et 
déracines  contenant  des  principes très-natritifa<^j'andoiiÉe 
aH^leurs  la  nomenclature^^et  avec  lesquelles  an  liarania  |mit 


s»  LA    VIE    ARABE 

marelier  longtemps  ^ans  s'épuiser  et  sans  maarir  ni  de  fUm 
ni  de  soif. 

La  elasse  aisée  mange  de  très-beau  pain  fait  avec  de  la 
ûffîne  de  blé  dur  ;  le  peuple,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  mange  des 
g$ifiite&  cuites  à  la  hftte  dans  des  plats  de  terre. 

Le  pain  fait  avec  de  l'orge  nouvelle  est  un  régal  pour  tout 
Ifr  monde. 

Le  poivre  noir  et  le  poivre  rouge  jouent  un  réle  dans  la 
cÉisine. arabe.  La  quantité  qu'on  en  mange  est  effrayante; 
€dmme  tonique^,  je  conçois  &>rt  bien  qu'ils  puissent  rem* 
placer  le  vin  et  les  liqueurs  fortes,,  dont  on  ne  fUt  jamais 
usage.  Pour  les  pauvres,  c'est  une  joie  et  un  luxe  tels,  que, 
lorsqu'un  homme  du  peuple  quitte  sa  tente  pour  se  rendre  à 
«n  marché  quelconque,  sa  femme,  après  lui  avoir  fait  toutes 
ses  recommandations,  ne  manque  jamais  de  terminer  en  di- 
sant^ 

Et  surtout,  n*oublie  pas  le  poivre  ! 
Ou  ma  tennssach  el  feifel. 

On  croit,  cependant,  que  le  poivre  noir,  pour  ne  pas  être 
malfaisant,  doit  être  cuit  avec  les  aliments. 

Le  beurre  frais  n'existe  pas  en  quelque  sorte.  Il  se  bat 
dans  des  peaux  de  bouc,  il  est  salé  et  d'une  désagréable  sa,- 
f  eur.  Si  l'on  ne  connaissait  pas  le  .goât  des  indigènes  pour  le 
beurre  rance  —  dehane^  —  on  serait  tenté  de  croire  que, 
pour  s'en  servir,  il  faut  de  la  résignation.  Us  lui  attribuent 
dm  vertus  médicinales  très-gi*andes.. 

Les  Arabes  ont  une  grande  passion  pour  le  laitage  ;  ils 
sont  fous  du  lait  caillé  —  ruib  —  ainsi  que  du  petit-lait  mé- 
langé d'eau  —  lébenn.  Chenine.  —  lis  prétendent  que  cette 
dernière  boisson  peut  griser.  Le  fait  est,  qu'au  printemps, 
mopnent  où  l'on  peut  se  la  procurer  en  abondance,  les  ^pe- 


METS    CHEZ    LES    ARABES  t57 

relies  entre  particuliers  et  entre  tribus  deviennent  plus  firé-> 
quentes.  Quant  au  lait  pur  de  vache  —  hhalib  el  begra^  — 
j'ai  cru  remarquer  qu'on  en  buvait  rarement.  Daùs  certaines 
familles,  on  va  jusqu'à  lui  prêter  des  propriétés  malfai- 
santes, notamment  celle  de  donner  des  maladies  de  foie.  Il 
n'en  est  pas  de  même  du  lait  de  chamelle —  hhalib  en-naga^ 

—  il  est  fort  estimé,  dans  le  désert  surtout,  où  Ton  prétend 
qu'il  augmente  la  vigueur  des  hommes  et  des  chevaux.  Pour 
ces  derniers,  il  remplacerait  Forge  d'uâe  manière  très-avan- 
tageuse. Quant  au  lait  de  brebis  —  hhaUb  en-nadja^  —  et 
au  lait  de  chèvre  —  hhalib  el  maza^  —  on  en  tire  aussi  dif- 
férents partis  très-utiles. 

La  principale  fortune  des  Arabes  consiste  en  troupeaux,  et 
cependant,  à  Texception  des  familles  riches  et  puissantes, 
ils  ne  mangent  guère  de  viande  que  les  jours  de  fête,  ou 
lorsqu'ils  sont  forcés  de  donner  Thospitaiité.  On  conserve 
les  taureaux  pour  la  reproduction,  les  vaches  pour  avoir  du 
lait,  du  beurre  et  du  fromage,  et  les  moutons  pour  s'abriter 
et  se  vêtir  avec  leurs  dépouilles.  La  vente  de  ces  animaux 
n'a  lieu  que  dans  les  grandes  occasions,  lorsqu'il  s'agit,  par 
exemple,  de  marier  une  fille,  d'acheter  un  bon  cheval,  de 
belles  armes  ou  de  faire  des  frais  pour  arriver  aux  honneurs 
et  au  pouvoir.  Les  Arabes  ont  donc  raison  quand  ils  disent  : 
c  Nos  troupeaux  sont  la  tête  de  notre  bien  —  rass  mal-^na^ 

—  notre  capital.  » 

On  mange  aussi  avec  plaisir  la  viande  du  chameau.  Dans 
le  Tell,  on  ne  le  fait  qu'exceptionnellement  ;  dans  le  Sahara, 
c'est  plus  fréquent.  La  bosse  de  cet  animal  passe  pour  être 
un  mets  délicat. 

Quant  au  sanglier  et  au  cochon  —  hhallouf,  —  les  Arabes 
n*çn  mangent  pas  ;  sa  chair  est  prohibée  par  la  loi.  Solvant 
le  peuple,  il  n'y  a  cependant  dans  ces  animaux  qu'une  seule 

17 


S88  LA    VIE    ÂKABE 

pMie  du  corps  réputée  «impure  ;  mats,  <eami»e,  ssitis  doute, 
on  ne  kl  connait  pas,  on  s'abslieirt. 

En  cas  d*impérieuse  nécessité,  pour  sauver  sa  vie,  on  peut 
«lûiger  de  tout,  mèntie  du  cheval  ;  cependant,  si  o^  a  te 
choix  entre  un  cochon  et  le  cadavre  d'un  animal  mort  sttfift 
avoir  été  égorgé,  selon  la  formule,  il  faut  commencer  par  t;e 
dernier. 

Tout  rOrient  repousse  le  porc  de  sa  nonrriture,  c^est  Ife 
damné  de  la  création.' 

c  Les  Libyens  nomades,  dit  Hérodote  (MelpoUnène,  ch.l86), 
depuis  l'Egypte  jusque  bien  loin  &  roccîdent  de  Tunis,  ne 
mangent  pas  plus  de  porc  que  les  Égyptiens.  ^ 

Chez  les  musulmans^  il  est  tellement  déconsidéré,  i^ue  les 
docteurs  de  la  loi  recommandent,  le  oroiraît-<m,  au^Wdètes 
de  voler  plutAt  que  de  nangér  du  porc,  se  4rouvât-^on  éwb 
k  nécessité  la. plus  pressante.  Encore  aujourd'hui,  i'uA  déa 
pins  grands  plaisirs  des  Arabes  est  de  chasser  le  sanglier  le 
vendredi,  ifai  est  leur  dimahche,  et  «de  le  donner  eii  pfttut^ 
à  'leurs  lévriers  —  selougui. 

L'Indoustan  :  on  se  rappelle  qn^^une  des  causes  de  la  der- 
nière révolte  dé  rinde  anglaise  fut  rusage  des  Cai^oachés 
enduites  de  saindoux  données  aux  ciptfyes. 

Les  juifs:  on  sait  ce  qu41s  en  penserft.  Toute  l'antiquité 
romaine  connaissait  l'horreur  qu'ils  éprouvaient  ffour  ce 
malheureux  animal  ;  aussi,  après  la  dernière  révolte  de  Je- 
ruBalera,  Adrien,  pour  anéantir  le  nom  hébreu,  ne  trouva 
rien  de  mieux  que  de  foire  sculpter  sur  les  portes  de  la 
ville,  eomme  me  défense  éternelle  d'y  renflrer,  l'image  d'nn 
porc. 

Sera-t-il  ailleurs  l-ôh^  de  la  même  répulsion T  Non.  On 
le  mangera,  mais  il  ne  fera  qœ  ehanger  de  misère.  Voici 
IHSiirope  couverte  de  forêts  de  chênes,  de  l^ral  à  l'Atlan- 


METS    CHEZ    LES    ARABES  S89 

tique.  La  première  fois  que  la  poésie  le  nomme  chez  nous, 
elle  le  fait  rôtir  en  Thonneur  d*Ulysse,  au  fond  d'une  clai- 
rière, au  milieu  de  la  nuit.  Au  commencement  de  Thistoire 
de  Rome,  les  premiers  chants  des  paysans  le  livrent  en  sa- 
crifice à  Mars.  C*est  toujours  lui  qui,  à  l'occasion  des  fôt^s 
populaires,  est  la  victime  immolée  à  Tautel  des  dieux  rus- 
tiques et  qui  meurt  partout  sans  prestige,  tout  en  protestant 
avec  énergie.  D'où  vient  donc  cette  persévérance  de  malheur 
dans  deux  mondes  si  différents  7  C*est  une  histoire  de  cli- 
mat. Dans  l'un,  la  chair  du  porc  donne  la  lèpre,  peut-étoe 
la  trichine  ;  dans  Tautre,  elle  est  une  question  d'alimeoUi- 
tion  pour  les  peuples,  sans  présenter  les  mêmes  dangers. 

Il  est  permis  de  manger  tous  les  animaux  sauvages  doat 
Ut  chair  n'e^t  pas  défendue  par  les  livres  sainte. 

Quand  on  veut  tuer  les  animaux  dont  on  peut  manger  la 
chair,  il  faut  leur  tourner  la  tête  du  côté  de  l'Orient,  et  leur 
couper  la  gorge  en  s'écriant  : 

Au  nom  de  Dieu  !  Dieu  e3t  le  plus  grand  I 
Bessemellah  !  AUahau  akeber  ! 

Le  sang  rend  la  chair  impure  :  on  crdU  la  purifier  .en  le 
répandant.  Pour  rien  au  monde  vous  ne  feriez  fqaoger  à  {^ 
Avabe  la  chair  d'un  animal  mort  de  maladie  ou  tué  autre- 
ment que  je  viens  de  le  dire.  S'il  n'a  pas  été  saigné  confor- 
mément A  la  loi  religieuse,  à  ses  yeux,  ce  n'est  plus  qu'4ine 
charogne  —  djifa.  —  Cette  règle  s'applique  même  ai^gilûer. 
On  ne  toucherait  point  à  un  animal  quelconque  rentrant 
dans  cette  catégorie  si,  avant  de  mourir,  il  n'avait  ^té  saigné 
au  nom  de  Dieu,  ou  si,  avant  de  I0  tuer,  soit  avec  un  hftton, 
soit  avec  un  fusil,  on  n'avait  pas,  en  l'ajustant,  .prononcé  l^s 
.  paroles  sacramentelles  que  je  viens  de  citer. 


teo  LA    VIE    ARABB 

Les  doctrines,  suivant  les  rites,  varient  à  l'égard  du 
poisson. 

Les  unes  permettent  de  manger  tout  animai  vivant  dans 
Teau,  tandis  que  les  autres  ordonnent  des  exceptions.  La 
grenouille,  surtout,  a  été  l'objet  de  nombreuses  discussions. 

La  cbair  des  sauterelles  est  permise,  pourvu  que  ces  in- 
sectes aient  été  pris  vivants  et  tués  par  des  musulmans. 
Dans  le  désert,  on  leur  enlève  les  ailes,  les  pattes,  la  tête,  et 
on  les  mange  grillés  ou  bouillis  avec  du  kesskessou.  C'est, 
dit-on,  une  bonne  nourriture,  aussi  saine  pour  les  hommes 
que  pour  les  chevaux,  qui  en  sont  très-friands. 

Les  femmes  du  Prophète,  quand  on  leur  envoyait  des  sau- 
terelles en  présent,  les  considéraient  comme  un^mets  déli- 
cieux dont  elles  ne  manquaient  jamais  de  faire  bénéficier 
leurs  amies.  C'est  la  crevette  du  désert. 

Le  kalife  Aomar^  un  jour  qu*on  lui  demandait  si  Tusage 
des  sauterelles  était  permis,  répondit  :  «  Je  voudrais  en  avoir 
un  plein  panier  pour  les  croquer.  » 

De  tous  ces  témoignages,  il  résulte,  à  n'en  pas  douter,  que 
suivant  les  musulmans,  les  sauterelles  ont  été  données  à 
Thomme  pour  qu'il  en  fît  au  besoin  sa  nourriture. 

On  ne  manque  pas  ^e  poules  dans  les  tribus  du  Tell,  il  s*y 
mange  pourtant  très-peu  d'œufs  ;  on  préfère  les  vendre  dans 
les  villes.  En  tout  cas,  on  ne  sait  que  les  faire  durcir.  Dans 
le  Sahara,  il  n'y  a  pas  de  poules,  non  qu'on  ne  puisse  les  y 
élever,  mais  parce  qu'elles  gênent  dans  les  déménage- 
ments. 

Les  Arabes  aiment  beaucoup  les  melons,  les  concombres, 
les  pastèques,  les  figues  et  les  raisins  frais  ou  secs,  les 
oranges,  les  citrons,  les  grenades,  les  pommes,  les  poires,  les 
noix,  les  cerises,  les  pêches,  les  abricots,  les  dattes,  etc.,  etc. 
On  trouve  tous  ces  firuits  dans  les  villes,   dans  les  vil- 


METS    CHEZ    LES    ARABES  261 

lages,  autour  des  zaouyas,  dans  les  oasis  du  désert  ;  mais  ils 
ne  valent  pas  les  nôtres.  On  ne  leur  donne  pas,  du  reste,  le 
temps  de  mûrir,  tant  on  redoute  de  les  voir  passer  aux  mains 
des  voleurs. 

Le  firuit  qui  est  le  plus  en  honneur,  c'est  le  raisin.  Dieu 
aurait  dit  : 

Si  je  mangeais,  je  mangerais  du  raisin  avec  du  pain. 
Loukane  nakoul^  nakoul  el  aaneb  maa  el  kessera. 

Ceci  nous  donne  la  mesure  de  bonheur  qu'on  doit  éprou- 
ver sous  un  ciel  en  feu,  à  boire,  pour  ainsi  dire,  un  pareil 
Aruit. 

Quant  aux  dattes,  il  faut,  autant  que  possible,  les  numger 
avec  du  kesskessou^  de  la  viande  ou  du  lait,  autrement  elles 
peuvent  faire  mal. 

Les  dattes  avec  du  lait, 
N'en  mange  que  l'ami. 
Temerr  ou  Ihhalib. 
Ma  lakoul'houm  ghér  Ihhabib. 

Ce  luxe  est  interdit  aux  pauvres. 

Le  peuple  Arabe  possède,  on  le  sait,  de  nombreux  trou- 
peaux, le  lait  ne  lui  manque  donc  pas;  cependant,  il  ne  con« 
natt  qu'une  espèce  de  fromage.  Pour  le  faire,  on  caille  le 
lait  avec  de  la  fleur  d'artichaut  sauvage  ou  avec  de  l'herbe 
non  digérée  que  l'on  rencontre  dans  l'estomac  des  moutons 
qu'on  a  égorgés.  II  en  sort  un  fromage  blanc ,  compacte, 
mais  qui  ne  se  conserve  pas,  parce  qu'en  général,  il  n'est 
pas  salé. 

Les  riches  seuls  prennent  du  café,  sa  réputation  est  méri- 
tée, bien  qu*on  le  serve  avec  le  marc,  ce  que  les  Fluropéens 
n'aiment  pas.  Son  goût  est  agréable  :  on  y  ajoute  un  peu  de 


Î6t  LA    VIE    AUABE 

fleur  d'oranger  ;.  il  est  léger  et  ne  trouble  pas  le  somaieil 
coaiiiié  le  nôtre. 

Depuis  qu'on  peul  se  le  procurer  à  des  prix  modérés,  ce 
qui  n'existait  pas  pendant  la  guerre,  on  rencontre,  parlMs,  à 
proximité  de  certaines  tribus^  des  tentes  ou  des  gourbis  — 
cabanes  —  décorées  du  nom  de  café.  Ces  établissements  no- 
mades sont  tenus  avec  la  permission  des  cbefs.  On  n'y  voit 
pas  d'autre  ameublement  que  des  nattes  pour  s'asseoir.  Les 
cartes  y  sont  probibées,  le  tabac  y  est  toléré,  le  jeu  de  dames 
y  eBt  eh  honneur.  C'est  là  que  les  simples  cavaliers,  les  roya- 
gettrS'et  les  commerçants  vont,  après  une  journée  de  far* 
tigues  se  délasser  et  écouter,  dans  le  plus  gi*and  recueilleK 
nmaXi  ees  conteurs  intarissables  qui  cbarment  leurs  loîstfs. 
Vous  pourriez,  si  vous  étiez  musulmans,  y  enleiidre  quel- 
ques cbants  populaires  ou  le  récit  d'un  événement  impor- 
tant qui  vit  toujours  dans  la  mémoire  des  populations. 

Depuis  que  nous  sommes  en  Algérie,  pas  une  ville  n*a  été 
prise,  pas  un  combat  sérieux  n'a  été  livré,  quin*aîtété  chanté 
par  quelque  poète  arabe. 

Le  peuple  dont  nous  nous  occupons  ne  vit  que  de  traditions; 
l'histoire  est  presque  tout  entière  pour  lui  dans  les  récits  et 
dans  tes  chants  populaires,  où  son  esprit  enthousiaste  a  con- 
signé, pour  l'éducation  virile  de  ses  enfants,  les  faits  dans 
lesquels  il  a  cru  voir  le  doigt  de  Dieu.  L'érudition  et  la  poli- 
tique y  découvriraient  une  mine  inépuisable  d*études  et  de 
renseignements  qu'on  a  malheureusement  trop  négligés. 
C'est,  en  un  mot,  la  littérature  nationale,  et  c'est  là  qu*on 
peut  véritablement  trouver  l'empreinte  du  caractère  d'une 
nation  qui  nous  ferme  son  intérieur,  et  dont  les  habitudes, 
antipathiques  aux  nôtres,  empêchent  de  bien  apprécier  les 
actes. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  conteur  arabe  porte  le  nom  de  kher^ 


METS    GH«Z    LBS    ARABES  i63 

rfl/  OU  de  fedaoui.  11  joue  ùu  grand  râle  dans  \»&  caHé  et 
dans  les  tribus.  Pénétré  de  son  importance,  il  affecte  lés  al- 
lures aristoeratiques.,  et  le  bemoHss  dans  lequel  il  se  drape 
ms^estueusemont,  comme  s*il  était  Fégal  des  plus  saTanIs 
toUw-^  est,  sinon  pluJs  fin,  du  moins  plus  propre  que  celui 
du  oommuii  des  oMHPtels.  11  salue  les  habitués,  qui  Vattendenl 
impatiemment,  d'un  air  de  proteclion,  et  s'assied  gravemeni 
à  la  place  (\}à  Vui  est  réservée.  Quand  il  a  commencé  son 
histoire,  gardiez-veus  bien  de  laisser  poindre  le  moindre 
signe  de  distraction,  il  s'arrêterait  tout  court  el  ne  continue*' 
rait  que  si  vous  lui  prouviez  que  vous  n*avez  pas  perdu  un 
seul  mot  de  ce  qu-il  a  dit.  Il  s'arrêterait  encore  si,  après 
chaque  pause,  vous  ne  l'encouragiez  pas  par  ces  paroles  :  £1- 
itaam  ya^  sidi!  C'est  bien  cela,  monseigneur!  Souvent  le 
kherraf  est  très-intéressant  à  entendre  :  on  est  étonné  de 
voir  un  homme  qui,  d'ordinaire,  ne  sait  ni  lire  ni  écrire, 
parler  avec  une  facilité  admirable  et  parler  des  heures  en- 
tières sans  se  reprendre  une  seule  fois.  Grâce  à  sa  féconde 
imagination,  il  mesurera  son  conte  ou  son  histoire  au  temps 
que  vous  pouvez  lui  accorder  ;  il  vous  racontera  au  besoin 
plusieurs  fois  la  même  chose  sans  devenir  monotone,  parce 
qu  il  saura  improviser  de  nouvelles  situations  et  inventer 
d'autres  détails. 

Le  kherraf  y  soit  pour  varier  les  plaisirs  de  ses  auditeurs, 
soit  pour  se  reposer,  alterne  toujours  avec  le  trouvère  — 
meddahhj  —  ce  commis  voyageur  de  la  guerre  sainte,  qui, 
depuis  notre  arrivée  en  Algérie,  ne  fait  qu'exciter  les  masses 
contre  nous,  en  apprenant  et  en  reportant  aux  populations 
des  chants  de  haine  qui  provoquent  toujours  de  frénétiques 
approbations. 

Celui  que  je  vais  donqer  ^  éi^  fait,  par  les  Arabes»  en  i848. 
A  cette  époque,  leur  SQi^^iii^an  4amit  déjè  4ci  ^W^  a99  ;  ils 


964  LA    VIE    ARABE 

ayaient  tant  bien  qncf  mai  répare  leurs  pertes,  et  le  moment 
leur  paraissait  venu  de  tenter  de  nouveau  le  sort  des  armes* 
Ils  supplient  donc  Fémir  Àabd-el-Kader  qui,  après  la  prise 
de  la  Zemala,  avait  été  rejeté  dans  le  Maroc,  de  reve- 
nir se  mettre  à  leur  tête  pour  en  finir  avec  les  chrétiens. 
Ce  chant  a  été  la  Marseillaise  de  la  grande  insurrection  de 

De  qui  le  tiens-je  ?  d*un  officier  de  la  cavalerie  rouge  de 
l'émir  :  mourant  de  faim,  sa  fortune  détruite,  ses  femmes  dis- 
persées, il  était  venu  demander  à  servir  dans  nos  spahis,  non 
par  amitié  pour  nous,  mais  pour  y  trouver  du  pain.  Je  dois  à 
la  vérité  d*ajouter  qu'il  se  conduisit  vaillamment  en  toute 
circonstance. 


CHANT     DES     ARABES 

lis  tupplioit  l'émir  Atbd-el-Kad«r  do  venir  let  délivrer  du  chrétien 

Héros  renommé,  terreur  des  infidèles, 

Toi  qui  as  soumis  à  tes  lois, 

Les  plaines  et  les  montagnes. 

Les  Arabes  et  les  Kabyles  ; 

Toi  qui  détestes  ceux  qui  mangeut  du  cochon. 

Et  qui  boivent  du  vin  dans  des  verres. 

Réveille-toi  de  ton  sommeil. 

Les  vrais  croyants  sont  dans  la  peine  : 

Reviens,  pour  bénir  nos  linceuls. 

Ou  prends  les  armes  pour  nous  venger. 

Ils  sont  chez  nous  les  impurs  qui  triplent  la  Divinité 
Et  se  prosternent  devant  un  morceau  de  bois  ; 
Le  corbeau  du  malheur  les  avait  annoncés: 


METS    CHEZ    LES    ARABES  ttô 

La  terre  en  est  couverte  comme  d'un  habillement  lugubre, 

Leur  horrible  tambour  hurle  dans  nos  campagnes. 

Et  Foiseau  des  ténèbres  lui  répond  en  gémissant. 

Allez,  mes  larmes,  coulez  ;  nagez  sur  ma  figure, 

Notre  pays  n*est  plus  qu'un  cimetière  ; 

Quand  viendra  donc  pour  lui  le  jour  de  la  résurrection  ? 

Les  temps  sont  bouleversés  : 

Plus  de  modestie,  plus  de  politesse. 

Beaucoup  de  médisance  et  de  vanité  ; 

On  est  noyé  dans  le  péché. 

Le  sage  est  devenu  menteur, 

L'argent  est  devenu  cuivre, 

Le  léger  nous  paraît  lourd. 

Ces  calamités,  l'impie  les  appointa  ! 

Les  enfants  mêmes  en  ont  blanchi  ; 

De  chagrin,  leur  corps  s'est  courbé  comme  un  arc. 

0  mon  Dieu  !  maudis-le  dans  ce  monde  et  dans  Tautre. 

C'est  le  peuple  de  la  démolition  : 
On  trahit,  ou  inquiète  les  vivants , 
On  plante  la  croix  dans  nos  mosquées  ; 
Les  morts  tressaillent  dans  leur  tombeaux. 
On  disperse  les  hommes  de  Tobéissance, 
On  humilie  les  musulmans^ 
Les  juifs  seuls  sont  glorifiés. 
Qui  Taurait  jamais  cru  ? 
On  les  entend  aujourd'hui  murmurer  contre  nous  des  paroles; 
Seraient-ils,  par  hasard,  devenus  des  Turcs? 

Les  réprouvés  ont  des  flèches  au  bout  de  leurs  fusils  — 

baïonnettes  ; 
De  loin,  elles  brillent  avec  éclat  : 


Wi  LA    VIE    ARABE 

ClMCWi  4*eiix  perle  une  boateiUe,  -^  gvarcb 
Un  verre  aussi»  pour  que  te  «echoApaisse  bMre  ; 
Us  sont  ferrés  comme  des.  cheyaax. 
Ils  sont  biKe  coiaiBe  des  baudela;  —  ie  sae. 
Et,  quand  ils  sont  ivres,  ils  chargent,  saoft  asu^ 

Dans  leur  fureur,  ils  ont  dit  : 

c  Nous  abaisserons  les  Arabes  ; 

Us  nous  payeront  des  coutributioos  ; 

Nous  en  prélèverons  sur  les  troupeaui^«  sur  l<)a  v4c<4tes» 

Sur  les  hert)ages,  même  sur  les  poules  ; 

Us  nous  appelleront  monseigiMUir  -^  iidi. 

Et  ils  viendront  nous  baiser  la  maiu<  * 

Avons-nous  assez  bu  dans  la  CQupe  wn^re  4tt  44sbMU^«r  • 

Qui  nous  délivrera  de  nos  suffocations  ? 

0  geps  de  Dieu,  venez  à  notre  secours  ! 

Chaque  Jour,  on  voit  des  musulmans 

Choisir  Tenfèr  au  lieu  du  paradis  : 

Les  infâmes  se  font  les  gendarmes  des  chrétiens  ; 

Us  les  aident  à  piller  leurs  frères  ; 

Nos  misères  et  nos  pleurs  les  réjouissent  ; 

Le  monde  entier  connaît  leurs  turpitudes  ; 

Le  monde  entier  verra  leur,  peu  de  jugement. 

Les  gendarmes  des  chrétiens  :  quand  les  tribus  commen- 
cèrent à  se  soumettre,  et  que  les  Arabes  consentirent  à  marcher 
dans  nos  rangs,  la  consternation  fut  grande  chez  ceux  qui  se 
disaient  les  purs,  surtout  chez  les  grands  chefs  nommés  par 
l'émir  Aabd-el-Kader.  Ces  derniers  firent  tous  leurs  efforts 
pour  arrêter  tes  défections  ;  voici  un  spécimen  de  leurs  pré- 
dications fanatiques  : 

c  U  n*y  a  pas  d'action  plus  blâmable  sur  la  terre  que  celle 


METS    CHEZ    LES    ARABES  267 

de  servir  les  infidèles,  comme  U  n*y  a  |^as  de  plus  maovaiie 
excuse  aux  yeux  de  Dieu  411a  ecUe  de  la  peur.  Dans  Les  cir- 
constances ou  voift  voua  trouves,  elle  eat  tout  à  bit  ioM- 
missible,  parce  que  c'est  la  fuite  qui  voua  eat  preserîtoA  et 
que  le  pays  de3i  iQUSulmaas  est  assex  vaste  pou;r  vous,  rece- 
voir. Rappelez-vous  (^e  le  oionde>  e'ost  la  priafoa  du  cro^yai^t 
et  le  paradis  de  Timpiâ  ;  n*eii  demaudea  donc  que  gq  qiui 
convient  au  passage  d'un  skaple  voyageur,  et  n'allés.  §1^9 
chaque  jour,  avilir  votre  religion  en  secouant  le  joug  c|^ 
lois  divines  et  en  vous  rangeant  sous  le  drapeau  des  chré- 
tiens, etc.,  etc.  »  (1). 

Oui,  pervertis  que  vous  êtea> 

Les  moines  vous  ont  trompés  : 

Vous  avez  vendu  vos  imes  ; 

Mais  Iteure  de  l'infidèle  passera, 

Et  les  décrets  s'accomplironL 

Vos  demeures  seront  habitées  par  les  chiens. 

Vos  femmes  et  vos  ènfauls  iront  pieds  nus„ 

On  vous  saluera  comme  on  salue  des  ânes  ; 

Vous  compterez  au  nombre  des  maudits. 

Quel  bonheur  peut-on  trouver  avec  les  roumis  ? 

Toujours  en  prison  dans  les  villes, 

L'air  qu  ils  respirent  est  impur  ; 

Us  n*ont  ni  chasses,  ni  parties  de  plaisir. 

Et  sur  chaque  dizaine  d'hommes^ 

Il  y  a  un  homme  pour  les  garder. 

Ah  !  traîtres,  vous  avez  changé  votre  repos  en  deuil  ; 

Que  direz- vous  au  jour  du  jugement? 


(1)  Circulaire  du  kalifa  si  Hhanied  Beti  Salem  aux  tribas  de  son 
goaTcrnemeot  —  1844. 


i68  LA    VIR    ARABE 

Si  TOUS  quittez  les  gens  du  crime. 

Vos  péchés  vous  seront  pardonnes  ; 

Et  nous  redeviendrons  frères  comme  par  le  passé  ; 

Si  vous  restez  dans  votre  idolâtrie. 

Le  sorcier  y  lui-même,  ne  pourra  vous  sauver. 

Avec  des  balles  chaudes,  nous  vous  rassasierons, 

Votre  sang  coulera  comme  des  fleuves  ; 

Vous  aurez  beau  vous  déchirer  les  joues. 

Nous  vous  ferons  manger  par  les  corbeaux. 

Mais  c'est  assez  supporter  la  honte, 

Les  tribulations,  la  défaite  et  le  mépris. 

Achetons  une  mort  honorable^ 

En  vendant  nos  vies  au  Tout-Puissant. 

Où  sont  les  médecins  qui  guérissent  les  f\ractures  ? 

Où  sont  les  maîtres  de  l'heure  qui  disposent  d'une  époque? 

Où  sont  les  braves  qui  veulent  une  revanche  ? 

Où  sont  les  ogres  de  la  foi  ? 

Qu'ils  viennent  des  quatre  coins  du  monde  ; 

Il  faut  régler  nos  comptes,  il  faut  exterminer  les  loups! 

0  notre  sultan,  ô  notre  maître  ! 
0  notre  seigneur  Aabd-el-Kader  ! 
Accours  avec  tes  cavaliers  rouges. 
Et  donne  aux  croyants  un  rendez-vous. 
De  Tlemcen  à  Gonstantine, 
De  la  mer  jusqu'au  Sahara, 
Petits  et  grands,  nous  te  suivrons. 
Le  pays  est  comme  un  tapis  d'amadou, 
Tu  seras  rétincelle  qui  le  mettra  en  feu. 

Hàte-toi,  nous  t'attendons  : 
Nos  feux  pétilleront. 


METS    CHEZ    LES    ARABES  fi09 

Tous  ensemble  nous  nous  élancerons, 

Les  adorateurs  des  idoles,  nous  les  chargerons, . 

Et,  s'il  platt  à  Dieu,  nous  les  chasserons. 

Ils  iront  habiter  leurs  bateaux  ; 

Nos  contrées  respireront. 

A  répoque  où  ce  chant  a  paru,  les  hommes  politiques  et 
les  hommes  de  religion  faisaient  croire  au  peuple  arabe  que, 
n'ayant  point  de  terres  cultivables  dans  notre  pays,  nous  ha- 
bitions des  bateaux  sur  les  mers  et  sur  les  fleuves.  De  là  la 
pensée  que,  si  nous  avions  tenté  la  conquête  de  TÀlgérie, 
c'était  pour  apaiser  une  faim  qui  nous  poursuivait  sans 
lâche. 

Oui,  que  le  sabre  et  le  couteau. 

Coupent  en  morceaux  les  ennemis  de  notre  foi  : 

Leurs  cadavres  pourriront  sans  sépulture. 

Ce  sera  la  difa  des  aigles  et  des  vautours  ; 

Avec  leurs  têtes  de  chiens  nous  ferons  des  fêtes  ; 

Nos  enfants  s'en  amuseront. 

Le  temps  presse,  brûlons  le  père  et  le  fils. 

Et  que  la  mère,  ses  sœurs  et  ses  filles, 

Soient  aussi  brûlées  dans  l'enfer  ! 

0  mon  Dieu  !  vous  dont  la  gloire  est  sans  égale  ; 
0  mon  Dieu  !  vous,  le  seul  digne  d'être  loué  ; 
Multipliez  les  malédictions, 
Brisez  la  fortune  des  infidèles  ; 
Semez  la  crainte  dans  leurs  cœurs  ; 
Et  faites-nous  mourir  bons  musulmans. 
0  notre  seigneur  Mohhammed  I 
Vous  qui  savez  faire  réussir  les  vœux  ; 
Intercédez  pour  nous,  préservez-nous  de  l'erreur, 


-tro  LA    VIE    ARABE 

Et  délivrez-nous  de  4a  ttpre  do  olïTëtieii. 
Faites-Jui  boire  le  fiel  dans  une  coq pe  épîneiiBe. 
Nous  vous  en  prrions  par  Aali,  par  Atlnnami, 
Par  Abou-Boker,  par  Aoinar, 
Par  tous  vos  vaillants  compagnons  ; 
N'ont-ils  pas  autrefois  subjugué  le  monde  ? 

Quand  on  aura  lu  ce  cbantétrange*  où  respire  le  fanatisme 
le  plus  ardent,  et  qui  a  été  conrposé,  du  reste,  au  plus  fort 
de  la  guerre,  on  saura,  à  peu  près,  tout  ce  que  les  Arabes 
dSftetit  de  nous  dans  ^urs  poésies  populaires.  J'en  possède  ttn 
'glMsû  nombre  :  on  y  trouve  la  mévSt  fiaine,  les  mêmes  aspi- 
rations, les  mêmes  reproches  formulés  d'une  manière  presque 
identique.  Si  j'en  ai  le  temps,  je  les  publierai  un  jour. 

Je  reviens  à  mon  sujet. 


Le  peuple  mange  avec  les  doigts  :  chez  les  gens  aisés,  on 
se  sert  de  cuillers  en  bois  ;  nulle  part  on  ne  trouve  de  chai- 
ses, de  nappes,  d'assiettes,  de  fourchettes^  de  bouteilles  et 
de  verres.  Que  ferait-on  sous  la  tente  de  tout  ce  mobilier 
fragile  et  compliqué  ?  Que  devien4rait-il,  surtout,  pendant 
les  changements  de  résidence,  ies  déménagements  qui  ont 
toijgours  lieu  à  dos  de  mulet,  d'ftne  ou  de  chameao,  et  com- 
ment les  remplacerait-un  ?  On  wrt  le  keeskessoii  dans  un 
grand  plat  en  bois  nommé  '§ue9taa  ;  les  autres  mets  dans  de 
la  poterie  aussi  grossière  que  solide  ;  et  tout  le  monde  boit  à 
la  ronde  dans  une  écuelle  en  terre  ou  dans  un  vase  en 
cuivre.  Quand  les  Arabes  assistent  à  nos  repas,  étonnés  par 
le  bruit  de  nos  ustensiles  de  table  pour  ne*  voir,  en  définitive, 


METS    CHEZ    LES    ARABES  iTt 

purattre  que  (las  nets  peu  sobstantiels  en  «omparaisoii  des 
leurs,  ils  ne  manquent  fsmais  de  dire  en  i^emraat  clies  eox  : 

Chez  les  chrétiens,  il  y  a  beaucoup  de  cliquetis  ; 
Mais  peu  de  chose  à  picoter  —  manger. 
Aand  en^nessara  tekerkib^ 
Ou  kollei  enrnékib. 

Les  Arabes  nomades  ne  se  servent  pas  de  tables  —  mida. 
—  Quand  ils  veulent  manger,  ils  étendent  tout  sia^plement, 
dans  le  milieu  de  la  tente,  un  tapis  souple  en  peau  tannée. 
Ce  tapis  ae  doit  être  employé  à  aucun  autre  usage  ;  il  est 
plié  soigneusement  et  enfermé  dans  un  lieu  où  il  ne  MtàX 
exposé  à  aucun  contact  impur.  Il  a  porté  la  nourriture  que 
Dieu  envoie»  il  a  réuni  autour  de  lui,  dans  une  commuoioa 
fraternelle,  plusieurs  fidèles  que  les  hasards  de  la  vie  no- 
made vont  disperser  demain  peut-être  aux  quatre  coins  4e 
l'horizon  ;  le  même  plat  a  servi  à  tous,  que  le  tapis  soit  donc 
sacré  comme  le  pain,  père  de  la  vie. 

Le  pain  ne  doit  jamais  tomber  à  terre.  Quand  un  Arabe 
en  trouve  un  morceau  perdu,  il  le  jramasse  religieusement, 
le  baise,  le  mange  ou  le  fait  manger.  Les  restes  de  la  table 
doivent  être  distribué»aux  pauvres,  et  les  miettes  recueillies 
avec  soin.  Il  vaut  mieux  les  donner  aux  animaux  que  de  les 
laisser  4ratner  à  teire.  On  jure  par  le  pain  : 

Par  la  bénédiction  du  pain.  ^^ 

Berkete  m-naama. 

Ce  respect  du  pain  s'étend  jusqu'à  ne  jamais  se  servir  d^ 
couteau  pour  le  toucher»,  ce  serait  lui  faire  violenee.  La 
noarrilore  donnée  par  Dieu  et  bénie  en  son  nom  «avant  le 


STi  LA    VIE    ARABE 

rejMis,  ne  doit  pas  être  souillée  par  le  voisinage  même  d'un 
instrument  pareil.  La  table  est  vénérable  et  sacrée  ;  rien  de 
profane  n*y  peut  être  admis.  Cest  à  ce  point  que,  si  l'on  voit 
quelques  grains  de  blé  par  terre,  on  doit  ôter  sa  chaussure 
pour  aller  les  ramasser. 

Les  Arabes  du  peuple  ne  font  usage  ni  de  vin,  ni  de  bois- 
sons fermentées,  et,  quant  aux  cbefs,  aux  tolbas,  aux  cava- 
liers du  Makhzenn,  qu'on  aurait  pu  voir  buvant  des  liqueurs 
fortes,  ils  sont,  je  Tai  déjà  dit  et  je  le  répète,  complètement 
déconsidérés  aux  yeux  des  populations. 

Si  les  Arabes  ne  boivent  pas  de  vin,  bien  qu'avant  la  ve- 
nue dti  Prophète,  leurs  ateux  l'aient  glorifié  dans  toutes 
leurs  poésies,  ils  sont,  en  échange,  très-difficiles  sur  le  choix 
de  Teau  qui,  avec  Te  laitage,  doit  être  leur  unique  boisson. 
Telle  source  dont  ils  auront  éprouvé  la  saveur  particulière 
et  les  propriétés  salubres  sera  leur  chàteau-margaux,  telle 
autre  leur  clos-vougeot,  etc.,  etc.  Ils  ne  négligeront  rien 
pour  s'en  procurer.  En  un  mot,  ils  savent  déguster  Teau 
avec  une  délicatesse  de  goût  comparable  à  celle  qu'emploient 
ponr  les  vins  les  courtiers  les  plus  renommés  de  nos  pays 
vignobles.  Et  non-seulement,  quand  ils  peuvent  la  trouver, 
ils  veulent  Teau  bonne  et  saine  pour  eux  et  leur  famille, 
mais  ils  la  recherchent  encore  pour  leurs  animaux. 

Dans  nos  expéditions,  j'ai  vu  souvent,  après  de  longues 
journées  de  marche,  par  des  chaleurs  intolérables,  par  un 
vent  du  sud  qui  nous  soufflait  le  sable  et  la  poussière  au  vi- 
^kge,  quand,  cavaliers  et  fantassins,  tous  haletants,  inertes, 
épuisés,  nous  nous  laissions  aller,  affaissés,  à  un  repos  fati- 
gant encore  et  parfois  troublé  par  des  alertes  que  nous  cau- 
sait l'ennemi  rMant  et  tournoyant  aux  environs,  j'ai  vu,  dis- 
je,  des  Arabes  qui  marchaient  avec  nous,  se  rendre  à  une 
Ueue  du  bivac  pour  faire  boire  leurs  chevaux  à  une  source 


METS    CHEZ    LES    ARABES  273 

pure  qui  leur  était  connue.  Us  aimaient  mieux  risquer  ainsi 
leur  vie  que  d'avoir  la  douleur  d'abreuver  leurs  chevaux 
dans  les  ruisseaux  peu  abondants  du  camp,  ruisseaux  dont 
le  piétinement  des  hommes  et  des  bétes  de  somme  avait 
souvent  fait  autant  d'infects  cloaques. 
Les  ArsCbes  du  désert  disent  : 

La  meilleure  nourriture  est  Torge  ; 

La  meilleure  chair,  celle  du  chameau, 

Et  la  meilleure  eau,  l'eau  du  ciel  —  des  mares. 

Khiar  el  makela^  chaaïr; 

Khiar  el  Ikhamm^  Ihhamm  el  baatr, 

Ou  khiar  el  ma,  le  ghedir. 

Peu  de  personnes,  je  crois,  seront  de  leur  avis. 

On  trouve  aussi  dans  les  conversations  du  Prophète  : 
Il  y  a  trois  choses  dans  le  monde  qui  font  le  bonheur  des 
croyants  : 

La  beauté,  la  verdure, 
Et  le  bien  qui  court  —  l'eau. 
Zine  ou  le  khadouri, 
Ou  le  mal  djari. 

C'est-à-dire  les  rivièi*es,  les  sources  et  les  ruisseaux; 
Teau  enfin,  si  précieuse  dans  les  pays  arides,  parce  qu'elle  y 
assure  et  conserve  la  vie. 

L'eau  répandue  sur  la  table,  par  hasard,  est  un  bon  pré- 
sage. Ainsi  du  café,  du  lait  et  de  l'huile  ;  ce  sont  les  biens   ';>* 
de  Dieu,  il  nous  les  a  donnés;  qu'ils  se  répandent,  il  les 
remplacera. 

L'eau  sort  du  paradis  :  elle  est  la  source  et  le  symbole  du 
bonheur. 

Ce  serait  le  plus  énorme  de  tous  les  péchés  que  de  cra- 

18 


r?4  LA    VIE    ARABE 

cher  dcftguH,  oomroo,  du  reste,  sur  tout  ce  qui  vient  de  Dieu, 
fVLv  riionime,  sur  les  fleurs,  aur  le  feu,  cnèine  sur  les  ani- 
maux. 

Tels  sont  donc  aujourd'hui  le  respect  et  la  prédilection 
que  les  Arabes  ont  pour  Teau,  quand  cependant,  s'il  faut  en 
croire  ces  vers  charmants  d'un  poëte  do  leur  nation  ,  ils  ont 
autrefois  beaucoup  aimé  le  vin  : 

Chez  nous,  on  aime  à  boire,  au  milieu  des  roses, 

La  liqueur  couleur  de  rose  ; 

Et  nos  vins,  que  Ton  peut  comparer  k  des  perles  enchâs- 
sées dans  de  lor. 

Auront  toujours  la  vertu  de  rapprocher  les  rangs  les  plus 
éloignés, 

Et  de  faire  épanouir  les  visages  les  plus  sombres. 

Je  ne  quitterai  pas  l'eau  sans  dire  que  les   Arabes  en 
voyage  ne  boivent  jamais  d'eau  que'  la  marche  a  battue  et 
.  que  le  soleil  a  chauffée  dans  les  outres,  avant  de  lui  avoir 
ait  prendre  l'air  un  instant.  Il  disent  : 

Bois  à  la  bouche  de  la  vipère  ; 

Mais  ne  bois  ja  nais  k  la  bouche  de  la  peau  de  bouc. 

Echrob  menn  fotitn  lefaa; 

Ou  la  techrob  memx.foum  el  guerba. 

Pour  mettre  l'eau  en  contact  avec  l'air,  on  boit  à  la  réga- 
lade. 
F.es  Arabes  estiment  très-peu  ceux  qui  mangent  d'une  ma- 
.'   nièrf  déréglée  ;  quand,  par  sa  faute,  un  homme  est  affligé  d'un 
excès  d^embonpoint,  ils  ajoutent  d'ordinaire  h  son  nom  le 
sobriquet  ironique  de  : 

Bou  kerch  —  le  père  du  ventre. 

Du  temps  des  Turcs,  on  fit  un  jour  cadeau,  dans  la  pro-* 


METS    CHEZ    LES    ARABES  S75 

viuce  d'Onn,  k  un  hey  qui  était  obèse,  d'une  selle  splcndide 
dont  les  étriers  étaient  en  or  massif  et  dont  tous  les  acces- 
soires étaient  délicieusement  brodés.  Il  voulut  l'essayer  sur- 
le-champ  ;  il  fil  seller  un  cbevnl,  Tenfourcba;  mais  il  mit 
aussitôt  pied  à  terre,  en  faisant  connaître  d'un  ton  dédai- 
gneux qu'il  la  trouvait  trop  étroite.  Les  chefs  arabes  qui  la 
lui  avaient  apportée,  profondément  blessés  de  ce  manque  de 
savoir-vivre,  lui  dirent  alors  sèchement  :  «  Ce  n'est  pas  U 
selle  qui  est  trop  étroite,  c'est  ton  ventre  qui  est  trop  gros.  > 
Puis  ils  se  rjtirèrent  iiumédiatement  dans  leurs  tribus. 
Le  gouvernement  eut  toutes  les  peines  du  monde  à  calmer 
leur  irritation  qui  se  traduisit  par  des  mouvements  insurrec- 
tionnels. 

Aaïcha  prétend  que  le  Prophète  voulant  acheter  un  esclave 
lui  lit  offrir  des  dattes.  Le  pauvre  diable  en  mangea  tant  et 
avec  une  avidité  telle,  que  lenvoyé  de  Dieu,  grand  partisan, 
comme  on  le  sait,  de  la  sobriété,  le  renvoya  en  s'écriant  : 

-  Trop  manger  nuit. 

La  modération  dans  le  boir^  et  le  manger  est  donc  en 
grand  honneur  parmi  les  Arabes;  on  trouve  cependant  chez 
eux  des  individus  qui  se  font  une  réputation  de  gros  man- 
geurs. Leur  souvenir  est  devenu  légendaire  ;  mais  les  gens 
expérimentés  ne  les  citent  que  pour  inspirer  le  dégoût  de 
l'intempérance  qui,  diaprés  eux,  diminue  toujours  la  vigueur 
et  les  qualités  d'un  guerrier. 

Il  ne  manque  pas,  je  le  sais,  de  gens  qui  prétendent  qu'au- 
tant les  Arabes  paraissent  sobres  et  modérés,  dans  la  pra- 
tique habituelle  de  la  vie,  autant  ils  se  montrent  voraces 
quand  ils  trouvent  occasion  de  satisfaire  leur  appétit  sans 
qu'illeur  en  coûte  rien.  Il  y  a  du  vrai  dans  cett3  assertion. 
N'allez  pas  cependant  en  conclure  que,  s'ils  le  pouvaient, 
chaque  jour,  ils  commettraient  des  excès  de  nourriture,  vous 


rie  LA    VIE    ARABK 

seriez  dans  l'erreur.  Au  bout  de  peu  de  temps,  ils  retour- 
neraient avee  un  grand  plaisir  à  leur  modeste  kesskessou. 
Voulant  en  avoir  le  cœur  net,  j'ai,  moi-même,  fait  plusieurs 
fois  cette  expérience,  et  toujours  j'ai  obtenu  la  preuve  de  ce 
que  j'avance.  La  plus  décisive  dont  j*aie  souvenance  est 
celle-ci  : 

En  1838,  pendant  que  j'étais  consul  de  France  à  Mascara, 
on  amena  un  jour  chez  moi  un  Arabe  de  la  tribu  des  ff/m- 
chem  qui,  à  la  chasse,  avait  eu  la  main  gauche  presque  em- 
portée par  son  fusil  dont  le  canon  venait  d'éclater.  Il  était 
de  noble  origine,  on  le  disait  môme  parent  de  l'émir  Aabd-el- 
Kader.  Nous  lui  donnâmes  tous  les  soins  imaginables  ;  mais 
la  blessure  était  tellement  grave,  que  M.  le  docteur  War- 
nier,  médecin  militaire  distingué,  alors  attaché  au  consulat, 
fut  obligé,  pour  le  sauver,  de  lui  séparer  la  main  en  deux 
parties  par  l'amputation  complète  de  l'annulaire  et  du  petit 
doigt.  Avec  la  résignation  qui  caractérise  sa  race,  le  Hha- 
cheini  supporta  sans  sourciller  cette  douloureuse  opération 
qui,  du  reste,  réussit  admirablement  Nous  le  gardâmes  chez 
nous,  c'était  le  moyen  de  lui  épargner  des  allées  et  des  venues 
pour  les  pansements  ultérieurs.  Les  voitures  étant  complè- 
tement inconnues  dans  sou  pays,  il  aurait  été  obligé  d'entre- 
prendre ces  déplacements  à  cheval  ou  a  dos  de  mulet,  ce  qui 
l'aurait  fait  horriblement  souffrir. 

Nous  lui  offrîmes  notre  table  ;  il  accepta.  Ce  que  cet 
homme  mangea,  pendant  les  premiers  jours,  est  incroyable; 
tout  ce  qu'on  nous  servait  disparaissait  avec  une  célérité  qui 
nous  donnait  à  réfléchir  fortement,  je  l'avoue,  sur  celte  so- 
briété si  vantée  des  Arabes,  et  nous  commencions  à  en  dou- 
ter beaucoup,  quand,  un  malin,  se  trouvant  en  pleine  con- 
valescence, nous  le  vîmes  entrer  dans  notre  appartement,  où 
il  nous  tint  ce  langage  :  * 


METS    CHEZ    LES    ARABES  277 

—  Mes  frères  ne  nrauraient  pas  soigné  mieux  que  vous  ; 
j'étais  dans  l'étroit  —  dans  rembarras,  —  et,  avec  l'aide  de 
Dieu,  vous  m'en  avez  tiré.  Depuis  que  je  suis  votre  hôte,  j'ai 
mangé  de  votre  bien  et  vous  ne  me  Tavcz  certes  pas  ménagé. 
Que  Dieu  vous  le  remplace  et  vous  couvre  de  sa  protection  ! 
Aujourd'hui,  je  sens  qu'il  m'est  impossible  de  continuer  nne 
pareille  existence;  la  vie,  pour  nous,  doit  être  rude;  je 
crains  de  m'habituer  au  bien-être  et  à  la  mollesse  ;  ne  m'en 
veuillez  pas,  permettez-moi  de  rentrar  dans  ma  tribu  et  re- 
cevez mes  adieux. 

Notre  Arabe  était  en  bonne  voie  de  guérison  ;  le  docteur 
lui  donna  son  exéat.  Nous  le  revîmes  de  loin  en  loin;  ja- 
mais il  n'accepta  plus  notre  dîner,  qui,  modçste  en  réalité, 
lui  avait  toujours  paru  un  repas  somptueux. 

Mais  il  est  temps  de  terminer  :  je  le  ferai  en  citant  encore 
quelques  préférences  et  quelques  préjugés  arabes  au  sujet 
de  la  nourriture.  Chacun  en  croira  ce  qu'il  voudra. 

Le  Prophète  préférait  la  viande  à  toute  chose;  suivant  lui, 
elle  augmente  la  finesse  de  l'ouïe.  Toutefois,  il  recomman- 
dait souvent  d'honoi*er  le  pain,  et  il  disait  qu'on  l'honorait 
en  le  mangeant  tout  sec. 

Mobhammed  aimait  aussi  la  courge  qui  a  la  vertu  de 
rendre  la  force  à  une  ftme  attristée,  tout  en  donnant  de  la 
consistance  au  foie,  en  même  temps  qu'elle  raffermit  le  cer- 
veau. Il  ne  détestait  pas  non  plus  les  lentilles,  parce  que,  di- 
sait-il, elles  ont  le  pouvoir  de  disposer  le  cœur  à  l'attendris- 
sement et  les  yeux  aux  larmes. 

Benn  Sahel  prétendait  que  le  riz  prolongeait  les  jours  des 
hommes.  Il  est  certain  que  les  Indiens  qui  ne  mangent  que 
du  riz  ont  toujours  des  rôvcs  agréables,  et  qu'ils  vivent  assez 
longtemps. 

Benn  Mannssour  a  dit  :  «  Celui  qui  s'abstient  de  manger 


%n  LA    VIE    ARABE 

de  la  viande  pendant  quarante  jours,  dépéiit.  (  Les  musul- 
mans font-ils  ainsi  allusion  à  notre  carême  ?  )  Et  celui  qui, 
pendant  quarante  jours,  ne  mange  que  de  la  viande,  devient 
inévitablement  cruel.  » 

Si  Tabar  s*élant  pi'i^senté  cbez  Tëmir  Dolla,  le  trouva  a^sis 
devant  une  corbeille  remplie  de  bananes;  mais  le  prince 
ne  l'invita  pas  à  en  manger.   Il  lui  en  demanda  la  raison. 

—  Faites-moi  Téloge  de  ces  fruits,  lui  dit  l'émir,  et  vous 
attres  acquis  le  droit  d*y  toucber. 

—  La  banane,  s'écria  alors  si  Tahar,  est  un  lingot  d'or 
farci.de  beurre  frais  ;  elle  est  plus  douce  que  le  miel  et  plus 
fondante  que  la  moelle  ;  on  peut  facilement  la  peler,  la  cou- 
per, et  elle  glisse  sans  effoH  dans  le  gosier  qu'elle  imprègne 
de  douceur. 

Et  enfin,  Bou  Harirate  avait  coutume  de  dire  : 

«  Les  dattes  préservent  des  rbumatismes  ; 

»  Le  miel,  pris  à  jeun,  garantit  des  convulsions  ; 

y>  Les  grenades  assainissent  le  foie  ; 

»  Les  raisins  secs  conviennent  k  une  santé  altérée  ; 

»  Le  céleri  rétablit  Testomac  et  donne  à  l'iialeine  une 
bonne  odeur; 

»  Et  celui  qui  mange  beaucoup  de  coings  est  sûr  d^avoir 
beaucoup  d'enfants.  » 

Les  Arabes  sont  aussi  convaincus  que  le  caractère  de 
l'bomme  subit  malgré  lui  Tinfluence  des  aliments  dont  il  se 
sert.  Ils  ont  même  un  dicton  a  et  égard.  Je  le  tiens  de  Te- 
rnir Aabd-el-Kader. 

Cinq  mangent  cinq. 
Khainssa  ijakoulou  khamssa. 

Voici  connnent  ils  expliquent  c^s  i):iroles  : 

Sur  la  terre,  il  y  a  cinq  peapb's  qui  ont  du  goût  |)Our 


METS    CHEZ    LES    ARABES  ti79 

v'nu\  animaux  différents ,  dont  ils  contractent  les  habi- 
tudes. 

Les  Chrétiens  mangent  le  porc  :  ils  ignorent  le  sentiment 
de  la  jalousie,  et  sont  en  général  gourmands  et  cupides. 

Les  Turcs  mangent  le  cheval  :  leur  cœur  est  endurci  ;  ils 
manquent  totalement  de  miséricorde. 

Les  Egyptiens  mangent  les  rats  :  comme  eux,  ils  sont 
portés  au  larcin. 

Les  Nègres  mangent  les  singes  :  ils  sont  passionnés  pour 
la  danse. 

Les  Arabes  mangent  le  chameau  :  comme  lui,  ils  sont 
très-disposés  à  la  rancune. 


CHAPITRE    HUITIÈME 


HOSPITALITE 

Mahomet  cq  fait  un  dogme—  Hospitalité  publique,  religieuse 
et  privée.  —  Lu  Senndouk,  babut  des  Arabes.  —  Les  Arabes 
sont  des  conteurs  charmants.  —  La  Ghomza,  clignement 
imperceptible  de  l'œil.  —  Cassez  la  glace,  vous  trouverez 
rhypocrisie.  —  La  tente  de  campagne.  —  Guitoune.  —  Un 
invité  de  Dieu.  —  Les  pantalons  et  les  sous-pieds.  —  Si 
vous  ne  voyez  pas  la  femme,  elle  vous  verra.  —  Défauts 
qu'il  faut  éviter  îi  table.  —  Principes  pour  les  invitations. 

—  Règles  à  observer  avec  les  invités.  —  Départ  de  l'hôte. 

—  Grâces  accordées  par  Dieu  à  celui  qui  est  bospilalier.  — 
La  légende  des  sept  cœurs.  —  Hospitalité  de  la  mer. 


L*hospitalité  est  Vnw  des  caractères  dominants  des  races 
sémitiques.  Quelque  loin  qu'on  remonte  dans  l'histoire  de 
rOrient,  on  retrouve  partout  cette  vertu  en  honneur.  Si  nous 
ouvrons  le  plus  ancien  des  livres,  la  Genèse,  nous  voyons 
Lotb  s'agenouiller  devant  les  anges  qui  ont  revêtu  la  forme 
humaine,  et  les  supplier  de  s'arrêter  chez  lui  afin  qu'il  puisse 
leur  laver  les  pieds  et  leur  offrir  la  nourriture  dont  ils 
paraissaient  avoir  besoin  ;  nous  voyons  Sarah  préparer  de 


SSa  LA    VIE    AHAUli 

ses  iiiitiHs  I)'.  rii|jiis  des  liotes  irAbralmiii,  el  Kébccea  courir 
à  la  S(]uri«!  voisine  |)(ku'  eu  rappoi'ler  l'eau  iit-cessaire  aux 
invités  de  Dicir,  aux  hftlcs. 

Lorsqu'au  roueontre  aiiitti  les  itiâiiies  mœurs  n'iinudues 
depuis  les  preitiiejs  âges  du  monde  sur  une  luiniensc  élen- 
due  du  pays,  un  serait  saisi  d'un  profond  élonncnietit,  e( 
tout  u  il  lu  l'eu  ornent  porté  'a  se  demander  comment  elles  ont 
pu  se  perpétuer  jusqu'il  nos  jours  à  travers  les  ^'énératious, 
si  l'on  n'ariivait  bientôt  à  conipreudre  que  l'Iiospilalité  est 
pour  les  Oricutaux  )a  condition  essentielle  de  leur  exislence. 
El)  effet,  au  milieu  de  leur  vie  nomade,  de  ce  va-et-vient 
perpétuel  de  (,'ens  vivant  sous  lu  tente,  loin  des  villes  et  de 
leurs  ressources,  pour  arriver  à  établir  des  relalioiis  poli- 
tiques ou  commerciales,  pour  enlrelunii-  des  nipports  utile» 
soit  avec  la  famille,  soit  avec  la  Iribu  ,  il  fallait  évidCLiniient 
inventer  un  lien  qui,  sur  des. espaces  immenses,  rendit  pos- 
-  sibles  les  voyages  et  les  déplacc;ucnls.  De  là,  ce  terrain 
iieulre  uceep'é  pur  lous,  que  l'on  appelle  l'hospitalité  et  sur 
lequel  l'homme  isolé  peut  trouver,  momentanément  du 
moins,  prolectijn,  sécurité  et  iniîn-ètrc,  ii  la  coiidiliou  dt 
rendre  le  Icudeinaùi  le  sertii'c  i|u'l1  aura  reçu  la  veille.  Il  y 
a  donc,  nu  fond  de  ce  qui  excite  nos  synipatliics  et  notre  ad- 
miration, un  calcul  intelligent,  un  sentiment  ti-ès-prononcé 
d'intérêt  personnel  que  sut  développer  encore,  avec  une 
extrême  Iiabilctc,  l'Iiouime  étonnant  qui  devait  porter  si  haut 
et  si  loin  la  renommée  du  nom  arabe.  Hohhammed  avait 
beaucoup  voyagé,  il  avait  connu  la  séparation,  l'exil,  les 
difficultés  de  la  vie  nomade  ;  mieux  que  tout  auii'c,  il  devait 
dnnc  comprcndi'C  l'ulililé  <lc  créer,  entre  les  peuples  qui 
comriiejiçaicut  à  se  ranger  sous  sa  loi,  une  sorte  de  garantie 
personnelle;  aussi  s'empressa-t-il  de  donner  une  conséei-a- 
lion  divine  à  des  principes  suivis  avant  lui,  mais  variables, 


HOSPITALITÉ  »3 

et  qu'il  fixa.  Le  Proplièlc  musulman,  dans  celte  circon- 
stance comme  dans  beaucoup  d'autres,  ne  fut  point  un  no- 
vateur, ce  fut  un  réformateur  de  génie  :  au  lieu  de  heurter 
les  idi^es  re(*ues,  il  s'appuya  au  contraire  sur  elles,  pour  les 
modifier  dans  un  sens  meilleur.  D'une  qualité ,  il  fit'  un 
dogme  ;  l'hospilalité  devint,  entre  ses  mains,  une  condition 
essentielle  de  salut  dans  ce  monde  et  dans  l'autre.  Il  alla 
plus  loin,  et,  si  le  Koran,  qui  est,  d'après  les  Arabes,  la  pa- 
role même  de  Dieu,  impose  d'une  manière  formelle  ce  de- 
voir sacré  connue  preuve  d'union  et  de  fraternité,  comme 
moyen  de  rapprochement  entre  étrangers,  souvent  même 
entre  ennemis,  les  conversations  de  Mohhammed  —  Hadite" 
Sid-na  Mohhammed  —  recueillies  avec  soin,  contiennent  en 
outre  de  fréquentes  leçons  sur  la  manière  de  l'accomplir 
avec  dignité,  avec  sympathie,  sur  les  traitements  affectueux 
que  se  doivent  réciproquement  les  hôtes.  A  ce  point  de  vue, 
l'envoyé  de  Dieu,  —  rassoul  Allah,  —  déjà  législateur  civil, 
politique  et  religieux,  déjà  promoteur  de  l'unité  nationale, 
serait  encore  l'anleur  du  droit  des  gens  chez  les  musulmans, 
le  codiflcateur  des  relations  individuelles,  le  père  de  l'éli- 
quetle  arabe,  et  de  ce  que  j'appellerais  l'urbanité,  si  l'étymo- 
logie  de  ce  mot  permettait  de  l'appliquer  à  un  peuple  vivant 
sous  la  tente,  et  dont  les  grands  seigneurs,  les  meilleurs  gen- 
tilshommes dédaignent  volontiers  les  habitants  des  villes. 
Ce  qu'on  sait  d'ailleurs  des  cours  brillantes  de  Damas,  de 
Bagdad,  de  Tlemcen,  du  Maroc,  de  Cordoue  et  de  Gre- 
nade, prouve  que  les  kalifes  ont  été  les  dignes  successeurs 
de  Mohhammed,  comme  le  peu  de  temps  écoulé  entre  l'ap- 
parition de  celui-ci  et  Tépoque  où  ces  cours  eurent  le  plus 
d'éclat,  démontre  aussi  que  c'est  au  Prophète  seul  qu'appar- 
tient l'honneur  d'avoir  posé  les  règles  de  rhos;)italité  arabe, 
telle  qu'elle  est  pratiquée  maintenant,  et,  c'est  là  le  point 


884  LA    VIE    ARABE 

capital,  de  l'avoir  tcHeiiiciU  liée  ù  la  religion,  qu*elle  ne 
8*en  distingue  plus  en  aucune  manière. 

Les  considérations  qui  précèdent  n*étaient  pas^  je  crois, 
inutiles  pour  expliquer  comment  je  vais  ôtre  amené  à  ne  pas 
séparer  des  choses  qui,  s*il  s*agissait  d'un  autre  peuple, 
sembleraient  tout  à  fait  sans  rapport  ;  c'est-à-dire  l'hospita- 
lité, devoir  de  religion,  la  bienfaisance,  devoir  aussi  d'ordre 
religieux,  mais  dont  Taccomplissement  se  manifeste  par  des 
institutions  politiques  et  administratives,  et  enfin  l'étiquette 
générale  et  la  politesse  privée. 

Si  donc,  dans  cette  étude,  je  mets  souvent  en  scène  et 
quelquefois  ensemble  les  sultans,  les  grands  seigneurs,  les 
saints  et  les  hommes  du  peuple  ;  si  je  passe  brusquement  du 
palais  ou  de  la  mosquée  aux  simples  détails  d*un  repas,  si 
je  tente  de  montrer  la  relation  qui  peut  exister  entre  un 
mets  de  table  et  un  verset  du  Koran,  qu  0:1  ne  me  blâme 
pas,  j'y  suis  entraîué  par  la  force  des  choses.  Au  contraire 
de  nous  autres  chrétiens,  les  Arabes  disent  :  Bessemellah, 
au  nom  de  Dieu,  avec  autant  de  solennité  quand  ils  (égorgent 
un  mouton  pour  le  manger,  que  lorsqu'ils  tirent  le  sabre  pour 
défendre  leur  pays  et  leur  religion.  A  Tacte  le  plus  insigni- 
fiant en  apparence  préside  toujours  la  préoccupation  du  sa- 
lut éternel,  au  moins  tel  qu'ils  l'entendent.  Que  voulez- 
vous  !  ce  qui  serait  pour  nous  une  banale  formule,  est  pour 
eux  un  article  de  foi.  Le  Prophète  a  dit  : 

€  Ce  qui  constitue  la  foi,  c'est  Texercice  constant  de  l'hos- 
pitalité, et  la  sn*icte  observation  de  rendre  le  salut  à  celui 
qui  vous  l'a  adressé.  » 

Et  il  a  ajouté  : 

«  Le  meilleur  pèlerinage,  celui  dont  on  peut  espérer  le 
plus  de  fruit,  consiste  à  donner  à  manger,  ainsi  qu'à  par- 


HOSPITALITÉ  185 

1er  toujours  avec  bonté.  Les  anges  ne  hantent  pas  la  de- 
meure (le  ceux  qui  n*adineltent  pas  les  hôtes.  » 

Ceci  posé,  je  vais  pénétrer  plus  avant  que  par  le  passé 
dans  l'examen  de  Tune  des  qualités  éminemment  saillantes 
du  peuple  arabe  et  réunir  en  un  corps  de  doctrine  des  no- 
tions jusqu'ici  éparses,  multiples,  incomplètes.  Le  lecteur 
prononcera  cette  fois  et  dira  si  je  suis  parvenu  à  répandre 
de  la  clarté  sur  un  sujet  déjà, proverbial,  j*en  conviens,  ce- 
pendant dépourvu  de  cette  union,  de  cette  harmonie  qui 
peuvent  en  faciliter  Tintelligence.  Dans  tous  les  cas,  qu'on 
se  rassure,  je  me  garderai  d'entreprendre  un  traité  de  théo- 
logie musulmane.  Le  peuple  dont  je  vais  m*occuper  a  ce 
bonheur  d*étre  pour  nous  assez  nouveau,  et  Ton  peut,  en 
parlant  de  lui,  devenir  peut-être  intéressant,  tout  en  res- 
tant sérieux»  romanesque  même,  sans  cesser  d*ôtre  vrai. 

Les  Arabes  reconnaissent  trois  espèces  d'hospitalité  : 

1®  L'hospitalité  publique  :  Elle  est  donnée  par  le  gouver- 
nement. C'est  lui  qui  reçoit  les  hôtes  et  cela  se  passe  à  peu 
près  comme  partout.  On  les  loge,  on  les  nourrit,  on  les  dé- 
fraye, on  pourvoit  entin  à  tous  les  besoins,  avec  plus  ou 
moins  de  générosité,  avec  plus  ou  moins  de  luxe  et  d'éclat, 
suivant  le  caractère  du  souverain,  l'importance  des  visiteurs, 
la  richesse  de  la  nation. 

3^  L'hospitalité  religieuse:  Si  le  voyageur  en  danger, 
riiomme  qui  a  perdu  sa  route,  le  pauvre  qui  a  faim,  n'ont 
rien  à  attendre  des  agents  du  pouvoir,  ils  sont  encore  secou- 
rus d'une  manière  efficace  au  nom  de  Dieu.  Alors,  ce  sont 
les  zaouyas  qui  se  chargent  de  ce  soin.  Voyons  donc  ce  que 
c'est  que  la  zaouya.  C'est  à  la  fois  une  mosquée,  un  tom- 
beau, un  séminaire,  une  école  primaire  et  secondaire,  une 
école  supérieure  et  une  hôtellerie  gratuite. 

3**  Et  enfin  l'hospitalité  privée  :  Nous  no  .s  étendrons  da- 


SS6  LA    VIE    ARABE 

vantage  sur  c.clle-oi,  qui,  eu  définitive,  est  la  base  des  deux 
autres. 

Le  principe  de  l'hospitalité,  ainsi  que  nous  Tavons  déjà 
montré,  préside  aux  circonstances  les  plus  ordinaires  de  la 
viç  arabe;  en  station,  en  marche,  à  la  guerre,  à  la  chasse, 
dans  les  fêtes,  partout,  la  noblesse  religieuse  et  la  noblesse 
d'épée,  le  marabout  et  le  djiyed,  le  riche  et  le  pauvre,  le 
pasteur  comme  l'agriculteur,  tout  le  monde  s'efforce  de  le 
ipettre  en  pratique.  Il  règne  dans  le  Tell  et  dans  le  Sahara, 
c'est  un  des  pivots  de  la  société  arabe. 

Cela  est  vrai  ;  mais  ce  principe  absolu  est-il  sans  incon- 
vénient?  Il  en  existe,  sans  doute,  qu'on  peut  signaler  tout  en 
reconnaissant  la  grandeur  et  la  beauté  de  l'hospitalité  arabe. 

M  Adrien  Berbrugger,  le  savant  conservateur  de  la 
Bibliothèque  d'Alger,  qui  connaît  si  bien  la  langue  et  les 
mœurs  arabes,  dans  un  article  très-bien  pensé,  lui  trouve 
le  tort  d*entretenir  une  masse  de  mendiants  et  de  vagabonds. 
|e  suis  dû  son  avis.  Voici,  du  i^este,  comment  il  s'exprime  : 

«  Les  gens  qui  n*aimeiit  pas  le  travail,  et  ils  sont  nom- 
breux en  pays  arabe,  peuvent  se  livrer  tout  à  leur  aise  au 
culte  de  la  paresse,  moyennant  ^e  système  d'hospitalité  exa- 
géré qui  règne  parmi  les  indigcQçs.  Depuis  l'océan  Atlan^ 
tique  jusqu*en  Syrie,  et  même  au  delà,  un  fainéant  est  ^ûr 
de  rencontrer  partout  sur  sa  route,  et  chaque  jour,  Tabri  et 
\f^  nourriture  gratuitement.  Comment  résist  r  à  une  pareille 
séduction  quand  ou  appartient  à  une  race  dont  les  besoins 
sont  si  peu  nombreux  1 

»  Les  indigènes  i\  qui  nous  avons  parlé  des  dangereux 

abus  de  l'hospitalité  arabe,  en  convenaient  eux-mêmes;  mais 

Us  objectaient  que,  leurs  pères  Tayaut   ainsi  exercée  de 

temps  immémorial,  ils  no  pouvaient  faire  autrement  qu'eux.  » 

.  Vous  le  voyez,  toujours  Timmobilité. 


HOSPITALITÉ  ^7 

Bien  que  dans  certaines  villes  cl  même  en  pays  sauvage  — 
belad  el  khela  —  on  rencontre  des  caravansérails  —fennd^kj 
—  où  les  voyageurs,  moyennant  une  légère  rétribution, 
peuvent  trouver  un  abri  pour  eux,  leurs  montures  et  leurs 
bêtes  de  soiiime,  l'hospitalité  publique  n*a  pas  encore  tué 
rhospitalité  privée.  Cependant,  dans  les  villes,  les  relations 
quotidiennes  n*entratncnt  pas  l'admission  dans  la  maison.  On 
'  se  voit  dans  un  café,  dans  une  boutique,  et,  si  Ton  veut  re- 
cevoir, c'est  dans  une  chambre  préparée  à  cet  effet,  loin 
des  femmes  et  des  enfants.  Les  fonctionnaires,  les  hommes 
d'affaires  sortent  le  matin  de  chez  eux  et  n'y  rentrent  que  le 
soir. 

Dans  les  tribus  où,  en  dehors  de  la  politique,  la  noblesse 
n*a  pas  d*autro  occupation  que  celle  de  surveiller  sa  fortune, 
protéger  ses  clients,  chasser,  prier  Dieu,  et  traiter  ses  ami3 
proches  ou  éloignés,  les  chefs  font  toujours  drci^ser  pour  ce 
dernier  objet  une  tente  de  campagne  ■—  bile  ed-diyaf —  la 
chambre  des  hôtes,  —  à  quelques  pas  en  dehors  de  leur  douar. 
Les  étrangers  ne  pourront  ainsi  se  mêler  à  leurs  familles,  ni 
voir  le  visage  de  la  maîtresse  de  la  tente,  ce  qui  les  contrii^ 
rierait  au  suprême  degré  ;  mais,  soyez  tranquilles,  s*i|s  ne 
voient  pas,  ils  seront  vus. 

Il  y  a  bien  loin  d'ici  à  Abraham,  mais  cette  race  arabe  a  tout 
conservé:  idées ,  sentiments,  habitudes,  tour  de  Tesprit, 
prescriptions  légales;  même  le  costumo,  même  la  foraie  des 
instruments  de  culture;  même,  ce  qui  est  plus  étonnant 
pour  des  Européens,  ce  que  j'appellerai  la  mode  pour  les  pa- 
rures et  les  bijoux  des  feM)mes.  Quand  arrivent  des  étrangers, 
pela  se  passe  aussi  de  la  même  manière  que  du  temps  de  ce 
patriarche. 

%  Comme  il  levait  les  yeux,  il  vit  trois  hommes,  il  courut 
h  eux  se  prosternant,  et  leur  dit:  «  Seigneurs,   si  tous 


288  LA    VIE    ARABE 

m'en  trouvez  digne,  ne  passez  pas  sans  vous  arrêter.  Je 
vous  apporterai  de  Peau,  je  vous  laverai  les  pieds,  et  vous 
vous  reposerez  sous  cet  arbre  pendant  que  je  vous  donne- 
rai à  manger.  » 

>  Puis  rentrant  dans  la  tente,  il  dit  à  Sarah  :  c  Préparez 

>  des  pains  cuits  sous  la  cendre,  et  je  vais  tuer  un  chevreau 

>  de  notre  troupeau.  > 

»  Et,  pendant  qu'ils  mangeaient,  il  les  servait  et  se  tenait 
debout  devant  eux.  > 

«  Où  est  Sarah,  demandent-ils?  —  Seigneurs,  elle  est  là- 
»  bas,  dans  ma  tente.  »  Mais  Sarah  les  voyait  et  les  enten- 
dait. » 

Ce  n*est  donc  pas  chez  lui,  dans  son  intérieur,  qu*il  est 
possible  d'étudier  les  mœurs  intimes  de  TArabe.  Si  long- 
temps que  vous  soyez  son  hôte,  vous  ne  le  connaîtrez  pas, 
grâce  à  l'étiquette  d'une  hospitalité  dont  toutes  les  condi- 
tions sont  arrêtées,  prévues,  immobilisées  dans  des  règles 
religieuses,  et  qui  sait  concilier  la  réserve  avec  la  cordialité; 
grâce  surtout  à  la  disposition  intelligente  de  son  habitation. 
Sa  lente  —  khéltna  —  est  vaste,  formée  d'un  tissu  de  pal- 
mier nain,  de  laine,  de  poil  de  chèvre  et  souvent  de  cha- 
meau ;  elle  est  impénétrable  au  soleil  et  à  la  pluie.  Vous  ne 
pourriez  y  entrer  qu'en  rampant,  tant  elle  est  bas  tendue^  et 
puis  qu'y  verriez  vous?  Rien.  L'intérieur  est  partagé  par  un 
rideau,  en  deux  parties:  l'une  dans  le  fond  pour  les  femmes, 
l'autre  sur  le  devant  pour  les  hommes,  qui  doivent  être  tou- 
jours prêts  à  défendre  leurs  biens  et  leur  honneur  parce 
qu'ils  sont  toujoui*s  en  danger.  Les  vêtements,  sacs,  provi- 
sions, occupent  le  milieu,  les  harnachements  reposent  dan 
un  coin  ;  les  armes  sont  attachées  aux  supports  de  cette 
maison  singulière.  C'est  la  tente,  c'est  la  maison  de  poil  — 
bite  echaar.  —  Des  lits?  à  quoi  serviraient-ils  ?  il  n'y  a  que 


HOSPITALITÉ  S89 

des  nattes  chez  les  pauvres,  et,  chez  les  riches,  des  tapis 
plus  ou  moius  moelleux.  Quant  au  mobilier,  pas  Tombre. 
Déménager,  chez  nous,  avec  tant  de  moyens  de  transport,  et 
la  passion  que  nous  portons  à  nos  meubles,  équivaut  presque 
à  un  incendie.  C*est  Franklin  qui  Ta  dit,  et  nos  ménagères 
le  savent.  Chez  les  Arabes,  toujours  en  alerte,  toujours  prêts 
à  lever  le  camp ,  quel  genre  de  meubles,  je  le  demande, 
pourraient  résister  à  la  vie  nomade  ? 

Le  seul  meuble  qu'il  y  ait  dans  chaque  tente,  c*est  un 
senndouk^  grand  coffre  solide,  plus  ou  moins  incrusté  de 
cuivre^  qui,  chez  les  riches,  sert  à  enfermer  les  étoffes  pré- 
cieuses, les  titres,  les  papiers  importants  ou  les  bijoux  que 
les  femmes  ne  peuvent  emporter  sur  elles.  Ce  coffre,  arche 
de  famille,  est  fait  de  manière  à  pouvoir  être  jeté  rapidement 
sur  les  bêtes  de  somme  en  cas  de  départ  précipité.  Voilà  dés 
mœurs  bien  étranges.  Il  n*y  a  pas  si  longtemps  qu'en  France 
le  paysan  n'avait  guère  d'autre  meuble  à  lui.  Le  colon,  le 
fermier,  non  possesseur  de  terre,  quoique  attaché  au 
sol  par  contrat,  n'avait  pas  d'autre  fortune  que  son  arche 
ou  bahut,  grand  coffre — et  souvent  peu  rempli — qui  conte- 
nait tout  son  avoir.  Les  manuscrits  de  quelques  coutumes 
du  quinzième  siècle  présentent  une  série  de  miniatures  qui 
accompagnent  les  différents  textes  de  la  loi  :  toutes  les  fois 
qu'à  l'occasion  de  bail,  de  colonage,  de  cheptel,  de  saisie, 
de  saisie  surtout,  il  y  a  des  paysans  à  représenter,  le  peintre 
a  mis  à  côté  d'eux  le  coffre  rustique  ;  c'est  le  seul  meuble 
l^al  du  vilain.  Entrez  encore  aujourd'hui  chez  certains 
métayei*s,  en  Vendée  et  en  Bretagne  ;  au  pied  du  lit  drapé 
de  serge  verle,  entre  le  foyer  où  pend  un  fusil  et  le  po- 
teau où  le  berceau  s'appuie,  vous  verrez  l'arche,  c'est  le 
mot  consacré  ;  il  sert  de  marchepied  au  lit  ;  le  maître  seul 
s'assied  dessus  ;  il  se  transmet  par  héritage. 

19 


2K)  LA    VJë    arabe 

Est-ce  abuser  des  ressemblances?  Ce  meuble  unique  chez 
TArabe,  jamais  fixé  au  sol,  ce  meuble  unique  chez  Tanclea 
'colon,  pas  encore  propriétaire,  m'a  paru  bon  à  considérer.  U 
est,  chez  nous,  le  commencement  de  la  prise  de  possession 
du  soi,  il  est  chez  eux,  peuples  nomades,  réternelle  expres- 
sion de  la  vie  errante* 

11  n'y  a  donc  pas,  dans  ce  qu'on  voit  sous  la  tente,  ma- 
tière à  grande  observation  :  heureusement  pour  les  curieux, 
la  honte  s'attache  aux  habitudes  casanières.  Quand  le  temps 
le  permet,  un  Arabe  ne  passe  jamais  la  journée  chez  lui,  il 
serait  montré  au  doigt.  Après  avoir  accompli  les  devoirs  qui 
leur  sont  imposés  par  la  religion,  par  l'état  du  pays,  ou  par 
la  surveillance  de  leurs  terres  ou  de  leurs  troupeaux,  les 
hommes  se  réunissent  loin  des  femmes,  en  dehors  du  douar, 
et,  là,  assis  à  la  manière  orientale,  protégés  contre  l'humi- 
dité par  leurs  épais  bernouss,  ils  s'égarent  à  plaisir  dans  de 
longues  causeries.  La  parole  est  au  plus  âgé,  au  plus  brave^ 
au  plus  expérimenté  :  les  jeunes  gens  savent  écouter,  ils 
parieront  plus  tard,  leur  barbe  ne  prendra  que  trop  vite  la 
couleur  poivre  et  sel  —grise. — Les  sujets  sont  variés  parce 
qu'ils  sont  féconds.  On  passe  en  revue  la  religion,  la  guerre, 
le  roumi  —  chrétien,  —  l'amour,  les  chevaux,  les  armes  et 
la  chasse^  matières  toujours  commentées,  toujours  inépui- 
sables. Ainsi  se  propagent  les  traditions  des  aïeux,  ainsi  se 
préparent  les  thèmes  tout  faits,  les  réponses  aux  questions  de 
tout  genre,  les  solutions  pratiques  pour  les  cas  de  la  vie 
ordinaire,  et  la  vie  ordinaire  est  hérissée  de  difficultés  telles, 
que  l'expérience  de  chacun  n'y  saurait  suffire  si  elle  ne  s'é- 
tayait  de  l'expérience  de  ceux  qui  ont  précédé.  U  faut  qu'ils 
tirent  tout  d'eux-mêmes,  leur  défense  et  leur  sécurité.  C'est 
aussi  par  cette  méthode  et  cette  discipline  de  rintelligence 
quMls  s'assouplissent,  s'instruisent,  et  finissent  par  acquérir 


HOSPITALITÉ  291 

une  grande  habitude  de  là  parole.  Ne  vous  laissez  pas 
cependant  séduire  par  leur  façon  de  parler;  pleine  de 
souplesse  et  de  grâce,  elle  manque,  le  plus  souvent,  de  sincé- 
rité. Forcés,  dès  leur  plus  jeune  âge,  de  lutter  avec  des  pé- 
rils toujours  renaissants,  de  débattre  eux-mêmes  leurs  inté- 
rêts, de  s'ingénier  enfin,  rien  que  pour  vivre,  ils  ont  tous, 
depuis  le  chef  le  plus  élevé,  jusqu'au  dernier  berger,  une 
finesse  et  une  habitude  de  s'exprimer  telles,  qu'eux-mêmes 
ont  dû  le  constater.  Ils  disent  : 

L'Arabe,  tue-le  avant  qu'il  ait  parlé. 
El  Aarbi  ketelou  kebel  ma  itkellem. 

•Parce  que,  si  tu  le  laisses  parler,  quel  que  soit  son  crime, 
il  parlera  si  bien,  que  tu  ne  pourras  plus  le  punir. 

Conteurs  charmants  comme  des  poètes,  conteurs  discrets 
comme  des  diplomates,  les  Arabes,  en  général,  ne  savent  ni 
lire  ni  écrire,  et  pourtant  vous  les  trouverez  parfaitement  au 
courant  des  affaires  de  leur  pays.  Leur  maintien  sera  toujours 
grave  :  ils  comprennent  que  la  prudence  leur  est  commandée 
par  leur  état  politique,  par  les  dangers  qu'ils  courent  réelle- 
ment, par  ceux  auxquels  leur  rancune  ne  les  dispose  que 
trop  à  croire.  Us  sentent,  dans  un  pays  livré  à  l'arbitraire  ou 
soumis  à  la  domination  étrangère,  la  nécessité  de  ne  rien 
donner  au  hasard.  Entre  eux,  devant  un  chrétien  surtout,  ils 
se  comprennent  sans  parler  :  chrétien  ou  musulman,  son 
ennemi,  c'est  son  maître  ;  mais,  quand  rien  ne  gène  l'expan- 
sion, entre  compagnons  de  plaisirs  ou  de  méfaits,  on  se  dé- 
dommage de  la  contrainte,  on  est  d'une  gaieté  bruyante.  Elle 
doit  durer  si  peu  !  On  ment,  on  médit,  on  se  moque.  Le  Ko- 
ran  a  permis,  assure-t-on,  de  mentir  pour  sauver  sa  tète  ; 
seulement,  on  use  de  la  permission  comme  si  l'on  était  tou- 


292  LA    VIE    ARABE 

jours  en  danger  de  mort.  Aussi,  quand  un  Arabe  traitant  avec 
un  chrétien,  lui  dit  d'un  air  de  bonhomie  : 

0  monseigneur  !  tu  peux  avoir  confiance  en  moi,  le  men- 
songe est  un  péché  dans  ma  religion. 
Ya  sidi  !  amenn  fiya,  el  kedeb  hharam  fi  dini. 

J'engage  le  chrétien  à  redoubler  d^attention,  s'il  ne  veut 
pas  être  trompé. 

Il  est  juste  de  se  défier  encore,  en  affaires,  de  ce  dicton 
très-répandu  : 

Un  seul  Dieu,  une  seule  parole. 
Rebbi  ouahhédy  kelma  oimhhéda. 

On  vous  le  glissera  à  chaque  instant  dans  la  conversation  ; 
n'en  prenez  pas  moins  vos  précautions. 

Médisant  :  il  faut  bien  reprendre  un  peu  de  ce  qu'on  a 
donné  en  compliments,  en  protestations  d'amitié  et  de  dé- 
vouement. 

Gela  rafraîchit  le  cœur. 
Iberred  el  gaïb. 

Moqueur  :  craignez  les  mots  à  double  sens.  La  langue 
arabe  en  est  très-riche,  et,  si  vous  n'en  comprenez  pas  la  ma- 
lice, on  vous  les  prodiguera  avec  tant  de  finesse  et  d'esprit, 
qu'on  vous  couvrira  de  ridicule  aux  yeux  des  assistants, 
parce  qu'il  vous  arrivera  souvent  de  prendre  une  raillerie 
pour  une  louange,  une  injure  même  pour  une  gracieuseté. 

De  même,  soyez  très-méfiant,  lorsque  vous  verrez  votre 
interlocuteur  relever  son  hhàiky  et  s'en  couvrir  entièrement 
la  bouche,  quelquefois  le  nez.  Les  Arabes  croient,  en  agis- 
sant ainsi,  se  rendre  complètement  impénétrables.  L'expres- 
sion involontaire  de  la  bouche  passe  chez  eux  pour  trahir 


HOSPITALITÉ  293 

mieux  que  les  yeux,  cependant  appelés  chez  nous  le  miroir 
de  rame,  les  impressions  les  plus  profondes.  La  parole 
peut  s*animer,  la  physionomie  doit  toujours  rester  muette. 

Tenez-vous  également  sur  vos  gardes  si,  causant  avec  un 
marabout,  un  taleb,  un  Arabe  quelconque,  vous  l'apercevez, 
pendant  que  vous  lui  parlez^  tournant  et  retournant  entre 
ses  doigts  les  grains  de  son  chapelet  :  c*est  un  fanatique.  Le 
brave  homme  ne  répète  pas  des  prières  en  retard,  non  ;  il 
prie  tout  simplement  Dieu  de  lui  pardonner  le  péché  qu'il 
commet  en  s*entretenant  avec  un  chrétien,  et  d'éloigner  de 
lui  les  démons  qu'il  sait,  de  source  certaine,  accompagner 
toujours  un  infidèle.  Tirez-en  le  meilleur  parti  possible  en 
fermant  les  yeux  sur  ses  grimaces. 

Que  voulez-vous  !  jusqu'à  la  fin  des  siècles,  le  musulman 
dira  toujours,  en  parlant  du  chrétien  : 

C'est  mon  frère  par  la  terre, 
Et  mou  ennemi  par  la  religion. 
Khouya  menn  et-tine, 
Ou  aadouya  menn  ed-dine. 

Si  l'Arabe,  de  nation  à  nation,  ne  peut  avoir  d'amitié  pour 
nous,  il  est  pourtant  juste  de  dire  que,  d'Arabe  à  Français, 
les  guerres  d'Afrique  ont  suscité  des  actes  mutuels  de  dé- 
vouement et  d'attachement  dont  je  donne  avec  plaisir  ici  un 
exemple  qui  m'est  personnel. 

En  revenant  de  Taguedempl,  en  1841,  et  après  avoir  dé- 
passé Mascara,  l'armée  devait  camper  à  El  Bordj .  En  ma 
qualité  de  directeur  des  affaires  arabes,  j'étais  tout  naturel- 
lement en  avant  du  corps  expéditionnaire,  chargé  de  recon- 
naître où  l'on  pourrait  trouver  pour  la  nuitée  du  bois,  de  la 
paille  et  de  Teau.  Mes  renseignements  pris,  suivi  d*un 
seul  Arabe  que  j'avais  choisi  pour  m'accompagner,  je  me  dé- 


294  LA    ME    AKABi: 

cidai  à  aller  faire  boire  moa  cheval,  qui  en  avait  grand  be- 
soin, à  une  source  d*eau  très-pure  placée  à  une  demi-lieuc 
environ  du  bivac  où  nous  devions  passer  la  nuit. 

La  source  était  au  fond  d'un  ravin  couronné  par  des  mu- 
railles escarpées,  un  sentier  de  chèvres  montant  et  descen- 
dant y  conduisait.  Des  broussailles  suspendues  aux  parois 
de  la  montagne  et  dégringolant  entre  les  roches  croissaient 
et  reluisaient  au  soleil.  C'était  un  paysage  fort  curieux;  mais 
je  n'étais  pas  venu  pour  cela.  Je  débride  mon  cheval  et  le 
vois  plonger  avec  délices  ses  naseaux  dans  cette  eau  transpa- 
rente, quand  tout  à  coup,  une  balle  arrive,  puis  une  autre, 
puis  une  troisième  qui  fait  jaillir  Teau  autour  de  moi  ;  enfin 
elles  se  mettent  à  pleuvoir,  en  même  temps  qu'un  ouragan  de 
cris  et  d'injures,  à  l'adresse  du  chrétien,  part  d'en  haut,  d'un 
groupe  d'éclaireurs  ennemis  dont  j'aperçois  seulement  alors 
les  tètes,  au-dessus  du  versant  opposé.  S*en  aller,  et  vive- 
ment, il  n'y  avait  que  ce  parti  à  prendre  ;  mais  c'était  là  le  dif- 
ficile. J'essaye  de  brider  mon  cheval,  j'ai  toutes  les  peines 
du  monde  à  lui  placer  le  mors  dans  la  bouche,  et,  comme  tou- 
jours, pour  vouloir  aller  trop  vite,  je  vais  trop  lentement  ;  la 
position  devenait  critique.  Mon  Arabe,  alors,  avec  la  mer- 
veilleuse aptitude  qu'ils  ont  tous  pour  faire  obéir  les  ani- 
maux, passe  la  bride,  me  tient  l'étrier,  et  tous  d'eux,  d'un 
temps  de  galop,  nous  nous  mettons  hors  de  la  portée  de  l'en- 
nemi qui  commençait  à  descendre.  Une  fois  en  sûreté,  il 
s'arrête  et  me  regarde  en  riant  :  c  Me  reconnais-tu?  —  Non, 
lui  dis-je.  —  Eh  bien,  je  suis  le  frère  de  cet  homme  que  tu  as 
sauvéàOran,  il  y  a  deux  ans,  et  qui  allait  être  passé  par  les 
armes.  Nous  sommes  quittes,  adieu,  commanndar  —  com- 
mandant 1  »  Et  il  s'éloigna  pour  rejoindre  les  siens.  Je  me 
rappelai  alors  cette  histoire.  Elle  était  très-simple.  Mou 
Arabe  appartenait  à  la  tribu  des  Douérs,  dont  une  partie  était 


HOSPITALITÉ  i95 

encore  dans  les  rangs  ennemis,  et  son  frère,  qui  venait  le 
voir,  arrêté  un  jour  comme  espion,  allait  être  fusillé,  quand 
j'eus  la  bonne  fortune  de  le  sauver  en  prouvant  son  inno- 
cence. 

Surveillez  surtout  la  ghomza.  La  ghomza  est  un  cligne- 
ment presque  imperceptible  de  la  paupière  inférieure,  au 
moyen  duquel  deux  individus  peuvent  s'entendre  pour  rail- 
ler, tromper  ou  trahir.  En  pays  arabe,  plus  d'une  vie  a 
été  tranchée  sur  un  arrêt  de  la  ghomza.  On  dit  à  ce  sujet: 

L'intelligent  comprend  au  coup  d'œil, 

Et  l'ignorant  ne  comprend  qu'au  coup  de  poing. 

El  fahim  bel  ghomza^ 

Ou  le  djahel  be  debeza. 

Quand  vous  traitez  avec  un  A.rabe,  ne  vous  montrez  jamais 
trop  pressé  d'en  finir.  Parlez  peu,  et,  si  vous  le  pouvez,  res- 
tez impénétrable.  C'est  le  moyen  de  réussir.  Autrement,  il 
vous  tiendrait  en  suspicion,  serait  heureux  de  vous  avoir  de- 
viné, mettrait  vos  impatiences  sur  le  compte  de  votre  igno- 
rance des  choses  de  Dieu,  n'en  irait  que  plus  lentement,  ne 
fût-ce  que  pour  vous  contrarier,  et,  le  dogme  de  la  fatalité 
aidant,  vous  risqueriez  fort  d'en  être  pour  vos  frais  d'élo- 
quence. Écoutcz-le,  il  va  se  peindre  lui-même  : 

Je  marche,  je  marche  encore. 

Et,  quand  je  suis  fatigué,  je  me  repose; 

L'écrit  de  Dieu  m'arrivera, 

Quand  bien  même  je  le  fuirais  avec  des  ailes.  . 

Neteincha,  netemcha, 

Ou  ila  aait  nesterahh, 

El  mektoub  aaliya^ 

Otia  loukane  netair  bel  djennahh. 


S96  LA    VIE    ARABE 

Le  mieax  est  donc,  si  vous  voulez  atteindre  le  but  que 
vous  vous  proposez,  de  prouver  doucement  et  habilement  à 
votre  homme  que  votre  intérêt  est  tout  à  fait  d'accord  avec 
le  sien. 

Devant  les  Arabes,  ayez  toujours  de  la  tenue,  ils  vous  ob- 
servent. Ne  criez  pas,  ne  jurez  pas,  ne  mettez  pas  la  conver- 
sation sur  les  femmes,  ni  sur  un  sujet  licencieux,  et,  par- 
dessus tout,  ne  dites  ni  ne  faites  rien  contre  les  lois  les  plus 
strictes  de  la  pudeur  et  de  la  bienséance.  En  vous  conduisant 
autrement,  vous  leur  prêteriez  le  flanc;  car,  ainsi  que  je  l'ai 
,  dit  plus  haut,  trouvant  naturellement  parfaites  les  règles  de 
la  société  musulmane,  ils  ne  sont  que  trop  disposés  à  se 
montrer  impitoyables  envers  tous  ceux  qui  n'en  connaissent 
pas  ou  qui  n'en  suivent  pas  les  usages.  Dans  la  pratique,  au 
fond,  ils  ne  valent  certes  pas  mieux  que  les  autres  peuples  ; 
cependant,  on  ne  peut  leur  refuser  de  posséder,  à  un  très- 
haut  degré,  le  respect  de  la  forme  extérieure,  quelque  gê- 
nante qu'elle  puisse  être.  Ce  sont  les  pharisiens  de  Tisla- 
misme.  On  les  entend  souvent  dire  : 

—  L'écriture,  la  parole  et  le  discours  doivent  toujours 
être  habillés  avec  décence. 

L'axiome  est  beau,  mais,  pour  mon  compte,  je  leur  en 
sais  d'autant  moins  gré  que  leur  morale  s'arrête  généra- 
lement à  la  superficie  ;  leur  conduite  ne  répond  pas  toujours 
à  leur  langage.  Les  proverbes  sont  la  sagesse  des  nations  et 
l'indice  de  leur  caractère.  Les  Arabes  se  connaissent  bien,  si 
j'en  juge  par  celui-ci  : 

Pèche  dix  fois  devant  Dieu, 

Plutôt  qu'une  seule  fois  devant  l'esclave. 

Aachera  thhate  rebbi, 

Ou  la  ouahhéda  thhate  el  aabd. 


«c 


HOSPITALITÉ  »7 

Somme  toute,  l'Arabe  est  très-fier  de  ses  mœurs  et  de  ses 
usages  ;  il  lui  arrive,  au  surplus,  de  ce  côté,  ce  qui  arrive  à 
beaucoup  d'autres  peuples  ;  ne  le  froissez  donc  pas  sans  né- 
cessité. Il  croit  que  ce  qu*il  a  vaut  mieux  que  ce  que  les 
autres  ont,  et  que  ce  qu'il  fait  vaut  mieux  que  ce  que  les 
autres  font.  Il  exprime  même  ingénument  sa  pensée  dans 
le  dicton  suivant  : 

La  cuisine  des  juifs, 

Le  lit  des  chrétiens. 

Et  la  société  des  musulmans. 

Mdkelei  el  ïhyoude^ 

Ferache  en-nessara^ 

Ou  djemaat  el  messelmine. 

Puisque  les  Arabes  citent  avec  tant  d'éloges  la  cuisine  des 
juifs,  c'est  peut-être  ici  le  lieu  d'en  dire  un  mot.  Eh  bien; 
elle  est  vraiment  propre,  appétissante  et  très-recherchée  par 
les  musulmans,  qui,  trouvant,  à  peu  de  chose  près,  chez  ces 
gens-là,  les  mêmes  mets  que  chez  eux,  et  surtout  la  même 
manière  de  tuer  les  animaux  destinés  à  la  consommation, 
n'éprouvent  aucune  répugnance  à  s'en  nourrir.  Tout  le 
monde  sait  que  les  Israélites  attachent  à  la  qualité  de  la 
viande  une  importance  telle,  qu'ils  donnent  à  un  rabbin  la 
mission  d*en  constater  la  salubrité.  Ce  rabbin,  partant  du 
principe  que  l'écoulement  du  sang  purifie  la  victime,  re- 
pousse impitoyablement  tous  les  animaux  morts  de  maladie, 
suffoqués  ou  assommés,  et  il  égorge  lui-même  ceux  qui 
réunissent  les  conditions  voulues  par  la  loi,  en  leur  cou- 
pant la  trachée  artère  avec  un  couteau  dont  la  lame,  pro- 
bablement dans  une  pensée  d'humanité,  doit  être  aussi  unie 
qu'un  cheveu,  aussi  tranchante  qu'un  rasoir. 

Maintenant,  si  nous  goûtons  volontiers  à  la  cuisine  des 


298  LA    YIK    AKABF. 

jaifSy  nous  payent-ils  de  réciprocité  ?  Non.  Pour  rien  au 
monde,  ceux  qui  suivent  fidèlement  leur  religion,  et  ils  sont 
nombreux  en  Orient,  ne  voudraient  toucher  aux  aliments 
préparés  par  un  Arabe  ou  par  un  chrétien.  Employer  les  us- 
tensiles dont  nous  nous  sommes  servis  suffit  déjà,  le  croi- 
rait-on, pour  constituer  à  leurs  yeux  un  énorme  péché.  Cela 
vient  peut-être  de  ce  qu'il  leur  est  formellement  interdit 
d'assaisonner  aucune  espèce  de  viande,  soit  avec  de  la  graisse 
de  porC;  soit  même  avec  du  beurre,  et  que  nos  récipients  ont 
pu  en  conserver  Todeur.  Est-ce  là  une  prescription  hygié- 
nique dont  la  sagesse  leur  a  été  démontrée  depuis  les  temps 
les  plus  anciens?  Je  l'ignore,  mais  ce  qu'il  y  a  de  certain, 
c'est  que  les  Israélites  considèrent  le  beurre  et  la  viande 
comme  tellement  antipathiques  l'un  àTautre,  que,  chez  eux, 
personne  n'oserait  jamais  manger  du  beurre  que  six  heures 
au  moins  après  avoir  mangé  de  la  viande. 

Le  peuple  juif  a,  contre  la  table  des  chrétiens,  bien  d'au- 
tres préventions  encore  ;  ainsi,  il  ne  veut  pas  boire  de  leur 
vin,  parce  que,  dit-il,  Jésus-Christ  a  prêché  que  c'était  son 
sang;  il  repousse  leur  fromage  comme  pouvant  avoir  été 
préparé  dans  des  vases  imprégnés  de  graisse  de  porc,  et  leur 
eau-de-vie  lui  est  également  odieuse,  parce  que,  le  plus  sou- 
vent, elle  est  faite  avec  du  vin.  Il  prépare  la  sienne  — 
mhhaya  —  avec  des  figues,  des  raisins  secs  ou  des  dattes,  et 
il  l'aime  beaucoup,  car  il  en  boit  même  en  mangeant. 

Mais  la  règle  la  plus  sévère  et  la  plus  gênante,  suivant 
moi,  que  Moïse  ait  imposée  aux  Israélites,  c*est  la  suivante  : 
depuis  le  vendredi  soir,  après  le  coucher  du  soleil,  jusqu'au 
lendemain,  quand  l'obscurité  ne  permet  plus  de  reconnaître 
les  figures,  la  loi  leur  défend  d'allumer  du  feu,  fût-ce  même 
pour  faire  cuire  leurs  aliments.  Pourquoi?  Sans  doute,  parce 
que,  le  samedi  — se6^  —  étant  le  septième  jour  de  la  semaine 


HOSPITALITÉ  r}9 

consacré  par  Dieu  au  repos,  on  ne  doit,  ce  jour-ià,  ni  vendre 
ni  acheter,  ni  parler  d'affaires  commerciales,  ni  se  livrer 
enfin  à  aucune  espèce  de  travail  manuel.  Aller  de  la  maison 
à  la  synagogue  et  de  la  synagogue  à  la  maison  :  voilà  tout  ce 
qui  leur  est  permis.  Comment  font-ils  donc  alors  pour  man- 
ger le  vendredi  soir  et  le  samedi?  Voici:  La  veille  du  sa- 
medi, chaque  famille,  dès  trois  heures  de  Taprès-midi,  place 
sur  des  réchauds  artistement  préparés  les  aliments  dont  elle 
veut  se  servir,  et,  par  des  procédés  trop  longs  à  énumérer 
ici,  ils  y  cuisent  lentement  et  s*y  maintiennent  chauds  sans 
qu'on  soit  obligé  de  jamais  toucher  au  feu.  S'il  s'éteignait, 
on  ne  pourrait  le  rallumer. 

Ce  qui  précède  explique  nécessairement  aussi  la  défense 
de  fumer. 

Mais  revenons  aux  chrétiens.  Ils  n'ont  de  bon  que  le  lit  ; 
quand  sur  la  terre  entière  rien  ne  peut  se  comparer  pour  la 
délicatesse,  la  dignité  et  les  bonnes  manières  à  la  société 
des  musulmans  ;  n'est-ce  pas  le  cas  de  dire  avec  eux  : 

Chaque  tortue,  aux  yeux  de  sa  mère,  passe  pour  une  ga- 
zelle. 
Koul  fekroun  aand  oummou,fihezaL 

En  pays  arabe,  on  se  lève  au  point  du  jour.  La  prière  du 
Fedjer  et  les  ablutions  qui  en  sont  les  préliminaires,  l'exigent 
impérieusement.  On  ne  peut  pas,  comme  chez  nous,  s'y  dor- 
loter dans  son  lit,  ou  plutôt  sur  ses  nattes  ou  tapis;  ce  serait 
vouloir  se  faire  montrer  au  doigt.  Et  puis  on  prétend  que 
c'est  à  cette  heure  de  la  journée  que  l'air  est  le  plus  favo- 
rable à  la  santé. 

C*est  donc  le  matin  que  le  chef  de  la  tribu  recommence 
tous  les  jours  l'apprentissage  des  vertus  de  politesse,  de  gé- 


300  LA    VIE    ARABE 

nérosité  et  de  patience  surtout,  dont  il  aura  à  se  servir  le 
soir  à  la  table  des  hôtes.  Le  soleil  est  à  peine  levé  ;  un  brouil- 
lard léger  court  sur  le  sable,  les  dernières  étoiles  disparais- 
sent, les  douars  se  réveillent,  tout  crie  à  la  fois.  Les  chiens 
de  garde,  las  d'avoir  aboyé  à  la  lune,  rôdent  autour  des  ha- 
bitations ;  les  chevaux,  au  piquet,  tendent  la  tête  vers  les 
femmes  et  les  enfants  qui  vont  les  caresser  ;  les  troupeaux 
se  préparent  à  aller  aux  pâturages,  et  les  chameaux  lancent 
consciencieusement  leurs  sonores  et  plaintifs  beuglements 
dans  le  concert.  Un  œil  pour  voir  s'il  n'a  pas  été  volé  pen- 
dant la  nuit,  un  œil  levé  pour  la  prière,  TArabe  sort  de  chez 
lui  :  il  va  saluer  celui  qu'il  appelle  son  seigneur  et  mattre  — 
Sidr^a  ou  Moula-na.  —  Gravement  assis,  avec  cette  dignité 
d'attitude  qui  est  le  secret  des  Onentaux,  celui-ci  accueille 
tour  à  tour  tout  le  monde.  Riche,  pauvre,  faible,  puissant, 
chacun  est  reçu,  explique  son  affaire,  attaque,  se  défend,  se 
justifie,  et,  quand  c'est  fini,  recommence.  Il  pleut  des  ser- 
ments. Calme  au  milieu  de  ce  lit  de  justice,  le  chef,  assisté 
du  kadiy  concilie  ou  juge. 

«  0  monseigneur,  la  part  de  Dieu  !  vient  quelquefois  dire 
une  jeune  femme,  que  son  mari  a  trop  négligée.  —  Oui,  ma 
fille  :  la  religion  des  femmes,  c'est  l'amour.  Nous  donnerons 
un  délai  à  ton  mari,  et,  s'il  ne  se  conduit  pas  mieux  à  l'avenir, 
la  loi  t'accordera  le  divorce.  » 

c  0  monseigneur  I  un  tel,  fils  d'un  tel,  refuse  de  me  rendre 
des  grains  que  je  lui  ai  avancés  pour  ses  semailles.  »  Ou  bien: 
•  Il  ne  veut  pas  me  remplacer  le  cheval  que  je  lui  ai  prêté 
et  qui  est  mort,  par  sa  faute,  dans  une  course  lointaine,  etc. 
—  Et  vous  qu'il  accuse,  qu'avez-vous  à  répondre  ?»  La 
perspicacité,  l'habileté  à  trancher  d'un  mot  des  contestations 
inextricables  ,  la  gravité  pour  tout  écouter,  tout  entendre , 
telles  sont  les  qualités  les  plus  ordinaires  que  la  tribu  exige 


HOSPITALITÉ  301 

de  son  chef,  lequel  doit  avoir  toujours  présente  à  l'esprit 
cette  maxime  de  ses  pères  : 

La  patience  est  la  clef  de  la  réussite. 
ES'Seberr  meftahh  le  feredj. 

Qu'y  a-t-il  d'étonnant  à  cela,  quand  on  voit  dans  le  poëme 
le  plus  arabe  que  nous  connaissions  —  le  Livre  de  Job  —  les 
enfants  de  Dieu  venant  saluer  leur  père  dans  le  ciel,  Satan 
se  présenter  au  milieu  d'eux,  et,  bien  reçu,  parler  et  ré- 
pondre. U  s'est  fait  hôte,  il  sera  bien  accueilli.  Nous  donne- 
rons, à  la  fin  de  ce  chapitre,  une  autre  légende  qui  montrera 
au  même  point  de  vue  quelle  est  la  bienveillance  du  Tout- 
Puissant  pour  ceux  qui  se  font  les  esclaves  de  l'hospi- 
talité. 

Voici  bien  des  détails  de  mœurs  :  sont-ils  étrangers  à  mon 
sujet?  Je  ne  le  crois  pas.  Pourra-t-on  en  contester  l'exacti- 
tude ?  Cela  me  semble  difficile.  Ils  s'appuient,  en  général, 
sur  des  dictons  populaires  qui  certes  n'ont  point  été  inventés 
pour  les  besoins  de  la  cause. 

Je  reviens  à  Thospitalité  privée:  voici  son  invariable 
théorie. 

Dans  le  Tell  comme  dans  le  Sahara,  toutes  les  familles 
riches,  je  le  répète,  ont  soin  de  faire  installer  une  tente  de 
campagne  —  guitoun  —  en  dehors  du  centre  commun.  C'est 
là  qu'on  recevra  les  étrangers  et  qu'on  les  défrayera,  eux, 
leurs  montures  et  leurs  gens.  Des  serviteurs  actifs  et  intelli- 
gents désignés  à  cet  effet  pourvoiront  à  tous  leurs  besoins. 
On  évitera,  de  cette  manière,  l'ennui  toujours  si  grand  de 
laisser  pénétrer  des  inconnus  dans  son  intérieur. 

Le  voyageur  se  dirige  vers  la  première  habitation  qui  s'offre 
à  sa  vue,  s'arrête  à  une  trentaine  de  pas  avant  d'y  arriver,  et 
crie  de  manière  à  se  faire  entendre  : 


302  LA    VIE    ARABR 

0  le  mattre  de  la  tente  I 
Un  invité  de  Dieu. 
Ya  moul  el  khéïma! 
Dif  Rebbi. 

Cela  suffit,  on  le  salue  par  ces  mots  : 

Sois  le  bienvenu  I 
Tout  te  sera  facile. 
Marhhaba  bik! 
Koul  chi  sahel  aalik. 

Puis  on  le  conduit  vers  la  tente  dont  j*ai  parlé,  on  lui  tient 
rétrier  pour  descendre  de  cheval,  et  on  lui  dit  : 

Monseigneur,  entre  dans  ta  maison. 
Ya  stdi  edkhol  fi  darek. 

Quand  on  s'annonce,  ainsi  que  je  viens  de  le  dire,  il  faut 
toujours  être  assez  délicat  pour  donner  à  son  hôte  le  temps 
de  faire  retirer  ses  femmes.  Cette  pensée  est  exprimée  dans 
les  vers  suivants  : 

0  toi  !  qui  appelles  devant  la  porte, 
Appelle,  mais  sois  prudent  : 
Souviens-toi  que  rien  ne  brouille  les  amis 
Comme  les  femmes  ou  l'argent. 
Ya  !  H  taayety  gouddam  el  bab^ 
Aayet  ou  kaun  fahem  : 
Ma  ifessed  bine  Ihhabab, 
Ghér  en-nessa  ou  drahem. 

Quand  l'étranger  a  pénétré  dans  la  tente  qui  lui  est  desti- 
née, on  donne  Tordre  de  lui  offrir  sur-le-champ  une  colla- 


HOSPITALITÉ  303 

tion  préalable,  du  pain,  du  lait,  des  figues,  des  raisins  secs, 
des  dattes,  du  café,  tout  ce  qui  est  prêt  immédiatement.  Ce 
repas  est  destiné  à  faire  prendre  patience  jusqu'à  ce  que  le 
dîner  puisse  être  servi. 

Là  où  n^exislent  pas  ces  tentes  uniquement  consacrées  à 
Thospitalité,  ou  bien,  lorsqu'au  lieu  de  voyageurs  isolés,  il 
s'agit  d'un  groupe  de  cavaliers  —  goumm  —  se  rendant  en 
guerre  ou  en  chasse,  la  troupe,  aprèjs  avoir  pris  les  précau- 
tions que  je  viens  d'indiquer,  pénètre  jusqu'au  centre  du 
douar  —  merahh.  —  On  se  hâte  alors  de  faire  cacher  les 
femmes,  on  sépare  les  tentes  en  deux  parties  au  moyen  d'un 
rideau —  hayale;  —  puis,  avec  les  mêmes  formules,  chacun 
se  dispute  les  hôtes.  Le  voyageur  ne  doit  plus  se  préoccuper 
de  son  cheval  ;  il  ne  sera  point  cependant  entravé  ailleurs 
que  devant  sa  tente.  Ce  serait  manquer  à  Thospitalilé  que  de 
priver  un  Ai*abe  de  la  société  de  son  plus  cher  et  plus  fidèle 
ami,  dont  la  vue  lui  réjouit  l'esprit  et  le  cœur.  Plus  tard,  en 
temps  opportun,  on  fera  boire  le  noble  animal,  on  lui  appor- 
tera la  paille  et  l'orge,  une  bonne  couverture  pour  le  pré- 
server du  froid  de  la  nuit  ;  on  le  comblera,  en  un  mot,  des 
soins  qu'il  mérite  en  toute  circonstance,  mais  qui  seront 
d'autant  plus  empressés  qu'il  s'agit  du  cheval  d*un  hôte. 

Le  souper  arrive  enfin  ;  le  mattre  de  la  tente,  qui,  jusque-là, 
a  pourvu  à  tout  sans  se  rendre  ennuyeux  ou  indiscret,  prend 
alors  le  premier  plat  qu'on  apporte  et  le  pose  lui-même  sur 
la  table,  en  face  de  son  hôte  principal,  en  lui  disant  gra- 
cieusement, quand  il  veut  Thonorer  d'une  manière  toute 
particulière  :  c  Mange,  mange,  ô  mon  ami  !  ce  repas  a  été 
préparé  par  les  mains  mêmes  de  la  mattresse  de  la  maison.  » 

Il  est  bon  de  dire  en  passant  qu'aujourd'hui  Ton  apporte 
les  plats  les  uns  après  les  autres  ;  mais  on  regrette  l'an- 
cienne méthode  qui  consistait  à  placer  sur  la  table  tous  les 


304  LA    VIE    ARABE 

plats  à  la  fois,  afin  que  chacun  des  convives  pût  voir  du  pre- 
mier coup  d*œil  ceux  qu'il  préférait. 

Quand  on  reçoit  des  hôtes,  la  femme  ou  les  femmes  ne 
paraissent  jamais.  C'est  de  règle  religieuse.  On  trouve  dans  le 
Koran,  chapitre  de  la  lumière  et  des  femmes  : 

c  Dis,  ô  Prophète!  aux  femmes  croyantes  que  les  hommes 
leur  sont  supérieurs,  parce  que  Dieu  Ta  ordonné;  qu'elles 
doivent  obéir  à  leurs  volontés,  garder  leur  secret,  et  qu*un 
mari  peut  les  frapper  si  elles  désobéissent.  Dis  leur  encore 
qu'elles  doivent  contenir  leur  vue,  ne  pien  montrer  de 
leur  beauté  que  ce  qui  doit  paraître,  couvrir  leur  sein,  se 
voiler  le  visage,  et  vivre  chastement.  » 

Mais,  si  les  femmes  arabes  se  dérobent  à  la  vue  du  public, 
suivant  le  rang  ou  la  fortune  de  leurs  maris,  elles  préparent 
ou  font  préparer  sous  leurs  yeux  les  aliments,  qu'apporteront 
sur  la  table  des  esclaves  ou  des  serviteurs.  Tout  au  plus 
leur  permet- on,  pour  satisfaire  celte  curiosité  inhérente  à 
leur  sexe,  de  jeter  un  coup  d'œil  furtif  à  travers  le  rideau 
qui  sépare  toujours  la  chambre  de  Thomme  de  celle  des 
femmes.  —  Je  laisse  deviner  l'étonnement  de  ces  pauvres 
créatures  quand  elles  ont  affaire  à  des  chrétiens  dont  le 
costume,  le  langage  et  les  habitudes  diffèrent  si  fort  de  ce 
qu'elles  ont  vu  et  entendu  depuis  leur  enfance.  On  prétend 
qu'elles  s'égayent  beaucoup  k  nos  dépens  ;  la  difficulté  que 
nous  éprouvons  à  nous  asseoir  les  jambes  croisées  à  la  mar- 
nière  orientale,  avec  nos  pantalons,  nos  chaussures  et  nos 
sous-pieds, les  amuse  particulièrement.  Il  est  de  fait  que  nous 
devons  leur  paraître  bien  roides  et  bien  gênés. 

Pour  mon  compte,  j'avoue  qu'invité  à  dtner  en  1837  par  un 
marabout  puissant  de  la  plaine  des  Gheriss —  sidi  Mokham- 
med  benn  Haoua^  —  je  me  trouvai  chez  lui  fort  embarrassé 
de  toutes  manières.  Au  moment  de  nous  mettre  à  table,  je 


HOSPITALITÉ  305 

n*aperças  ni  sièges,  ni  boateilles»  ni  verres,  ni  assiettes,  ni 
couteaux,  ni  cuillers,  ni  fourcbettes,  ni  rien,  et  je  me  deman- 
dais déjà  comment  j'allais  me  tirer  de  ce  guet-apens,  quand 
la  pensée  me  vint  de  ne  pas  me  presser,  d'observer  et  de  me 
régler  en  tout  sur  mes  voisins,  vieillards  à  barbe  blanche, 
d'aspect  assez  imposant,  et  qui,  malgré  leur  longue  habitude 
de  dissimulation,  ne  pouvaient  s'empêcher  de  laisser  de 
temps  en  temps  échapper  un  léger  sourire  ironique.  Ce  sou- 
rire me  semblait  vouloir  dire:  «  Comment  le  chrétien  va-t-il 
s'en  tirer?  » 

Tout  le  monde  était  assis,  les  jambes  croisées  comme 
les  tailleurs  de  nos  pays,  au  milieu  de  la  tente  et  autour 
d'un  tapis  en  peau  tannée  —  sefra  —  qui  tenait  lieu  de 
table,  c'était  primitif;  à  cause  de  mon  pantalon  collant 
et  de  mes  sous-pieds,  j'eus  bien  de  la  peine  à  imiter  leur 
exemple. 

On  servit  alors  le  kesskessou  dans  un  énorme  plat  de  bois 
qu'on  appelle  guessaa  :  chacun  y  plongea  l'index  et  le  pouce 
de  la  main  droite,  forma  une  espèce  de  boulette  et  se  l'en- 
voya dans  la  bouche,  absolument  comme  nos  enfants  lancent 
les  billes  avec  lesquelles  ils  jouent.  J'en  fis  autant.  Un  instant 
après,  je  mangeai  aussi,  avec  mes  doigts,  le  mouton  rôti  — 
kebch  méchoui^  —  mets  délicieusement  préparé,  sans  lequel, 
chez  les  Arabes,  aucune  réception  n'est  complète. 

Le  festin  terminé,  nous  bûmes  tous  à  la  ronde,  les  uns  du 
lait  aigre  —  cheniney  —  les  autres  tout  simplement  de  l'eau 
dans  des  écuelles  en  bois  —  guedahh  —  ou  dans  des  vases 
de  terre  —  maaoune;  —  puis  on  nous  présenta  unç  espèce 
d'aiguière  pour  nous  laver  les  mains  avec  un  peu  de  savon 
noir,  et  la  séance  fut  levée. 

Selon  l'étiquette  arabe,  il  ne  faut  boire  qu'une  fois  et  à  la 
fin  du  repas,  la  boisson  n'étant  pas  faite  pour  augmenter, 

ÎO 


306  LA    VIF.    ARABR 

éntretnnir  oa  faire  revenir  l'appétit.  Dès  qu'on  a  soif,  c'est 
preuve  qu'on  est  rassasié;  on  boit,  le  repas  est  fini. 
A  celui  qui  a  bu,  il  faut  dire  : 

Que  Dieu  te  donne  la  santé  (force). 
Sahha. 

Ou  bien  : 

Dieu  a  apaisé  la  soif. 
Rouak  Allah! 

Et  il  doit  vous  répondre  : 

■.-..,  (  Nedjak  Allah. 

Que  Dieu  te  sauve  :},„,.     „     .  , 

(  Allah  issellmek! 

Que  Dieu  se  rappelle  les  auteurs  de  tes  jours. 
Allah  irhham  oualdik. 

La  formule  d'invocation  avant  de  manger  est,  à  peu  près, 
partout  celle-ci  : 

Au  nom  de  Dieu  I 

0  mou  Dieu,  bénissez  ce  que  vous  nous  donnez  à  manger. 
Et,  quand  ce  sera  consommé,  rep)*oduisez-]e. 

Servez-vous  de  la  main  droite  pour  boire  et  pour  manger  : 
le  démon  boit  et  mange  de  la  main  gaucbe. 

Mangez  avec  une  grande  propreté,  ne  soufQez  ni  sur  la 
nourriture,  ni  sur  la  boisson,  et  ne  vous  servez  pas  d'un  cou-, 
teau.  Le  Prophète  a  cependant  recommandé  de  ne  pas  man- 
ger trop  chaud. 

En  sortant  de  table,  on  remercie  le  Tout^Puissant  par  ces 
autres  paroles  : 

Je  Fuis  rassasié,  louange  à  Dieu! 
Bani  chebaane,  elhhamedoulellah! 


HOSPITALITE  307 

Celui  qui  reçoit  un  personnage  considérable,  ne  doit  pas 
manger  avec  lui.  Son  devoir  est  de  se  tenir  debout  pendant 
le  repas,  de  veiller  à  ce  que  l'hôte  ne  manque  de  rien.  S*agit- 
il  d*un  voyageur  de  moindre  importance,  le  maître  de  la 
tente  se  fera  son  convive,  et,  pour  rengager  à  manger,  il  so 
gardera  bien,  lui,  de  dire  que  sa  faim  est  apnisée.  Le  prin- 
cipe est  celui-ci  : 

Si  tu  ne  manges  pas,  fais  manger. 
Enn  lem  takoul,  oukkel. 

J'appris  plus  tard  que,  pour  mes  d<^butscbez  sidi  Mohham- 
med  benn  Haoua,  l'on  ne  m'avait  pas  trouvé  trop  maladroit. 
Cela  me  fit  plaisir,  parce  qu'alors,  capitaine  au  2*  chasseui*s 
d'Afrique,  j'arrivais  à  Mascara,  en  qualité  de  consul  de 
France,  auprès  de  l'émir  Aabd-el-Kader,  que  tous  les  yeux 
me  fusillaient,  et  que  les  Arabes  pas  plus  que  les  Français  ne 
pardonnent  le  ridicule. 

Depuis,  j'ai  mangé  bien  souvent  sous  la  tente.  J'avais 
acquis  de  l'expérience,  et  ce  qui  m'avait  autrefois  paru  d'une 
difQculté  inouïe  m'a  semblé  plus  facile,  à  la  condition  toute- 
fois de  ne  pas  porter  de  pantalons  collants,  et  de  mettre 
toujours  mes  sous-pieds  dans  ma  poche  avant  de  ra'asseoîr 
sur  un  tapis.  Il  est  vrai  d'ajouter  que,  plus  tard,  j'ai  trouvé 
à  peu  près  partout  des  cuillers,  non  en  argent,  ce  luxe  est 
défendu  par  le  Prophète,  mais  tou^  simplement  en  bois*  Cet 
instrument  de  table  est  donc  connu  chez  les  Arabes,  bimi 
qu'en  campagne,  hors  du  logis,  dans  les  expéditions  rapides, 
on  ne  s'en  serve  pas  toujours.  Quant  aux  fourchettes,  je  n'en 
ai  jamais  vu,  excepté  chez  quelques  chefs  haut  placés  qui 
s*en  étaient  pourvus  pour  nous  faire  plaisir. 

La  femme  est  chez  nous  la  maison  vivante,  elle  préside  à 
la  table  de  famille,  elle  y  accueille  l'invité,  et  sa  seule  pré- 


308  LA    VIE    ARABE 

sence  donne  à  l'hospitalité  un  caractère  de  dignité  et  de 
grâce  qui  double  le  prix  de  Tinvitation.  C'est  la  maison  tout 
entière  qui  fête  l'étranger;  les  enfants  viennent  vers  lui,  sans 
crainte,  les  serviteurs  s*enipressent  sans  bruit,  l'âme  du 
foyeralairde  vous  reconnaître;  entrez,  hôte,  vous  êtes 
chez  vous. 

Dans  la  vie  arabe,  nous  l'avons  déjà  fait  comprendre,  la 
femme  est  exclue  de  la  table  où  l'étranger  s'assied.  C'est  la 
religion  qui  la  remplace,  Dieu  y  est  l'invité  permanent.  Tous 
les  actes  du  repas  sont  déterminés  comme  un  sacrifice  par 
des  règles  ;  je  dirai  presque  par  un  rite  immuable.  Lé  pain, 
les  mets,  le  tapis  qui  les  porte,  sont  sacrés.  On  mange  sans 
parler  comme  si  l'on  faisait  une  prière  mentale.  Une  ombre 
glissant  de  l'autre  côté  du  rideau  qui  ferme  la  chambre  des 
hôtes;  un  regard  furtif  qu'il  semble  avoir  senti  passer  dans 
l'air,  quelquefois  un  murmure  gracieux  et  railleur  qui  s'é- 
toufTe  derrière  la  draperie;  c'est  tout  ce  qu'on  voit  et  entend 
de  la  femme.  On  reprend  la  cérémonie  du  repas  avec  la 
même  gravité  religieuse.  Pour  un  Européen,  habitué  à  d'autres 
mœurs,  il  ne  peut  lui  rester  de  tout  cela  que  l'impression 
fugitive  d'un  rayon  de  soleil  qui  a  traversé  la  tente  où  il  a 
été  reçu. 

D'où  vient  cette  différence  du  rôle  de  la  femme  dans  les 
deux  civilisations? 

Il  Y  aurait  là-dessus  bien  à  dire,  et  peut-être  un  jour  je 
traiterai  cette  question.  Je  montrerai  la  femme  arabe,  sans 
influence  apparente  au  dehors  de  la  tente,  sultane  dans  son 
intérieur;  conseillant,  gouvernant,  en  somme,  toutes  les 
actions  de  son  seigneur,  et,  comme  Eve  dans  le  paradis  ter- 
restre, sachant  quelle  est  faite  pour  obéir,  mais  commen- 
çant sa  vie  par  commander. 

Ainsi,  le  pouvoir  de  la  femme,  ne  s'exerçant  que  dans  la 


HOSPITALITÉ  309 

« 

tente,  ne  crée  pas,  comme  chez  nous,  la  société,  la  cité,  la 
civilisation;  et  cette  incarnation  souriante  de  nos  foyers  que 
le  pauvre  en  frappant  à  la  porte,  que  Tétranger  présenté,  que 
l'ami  revenant  de  voyage,  trouvent  d'abord  au  seuil  de  la 
famille,  manquera  éternellement  chez  eux. 

L'invité  introduit  dans  la  tente  est  donc  bien  certain  qu'il 
ne  verra  pas  le  visage  de  la  maîtresse  de  la  maison,  il  sait 
qu*il  sera  vu,  car  la  curiosité  fait  des  miracles;  il  devine,  à 
l'ordre  du  repas,  aux  soins  dont  il  est  l'objet,  à  la  prompti- 
tude du  service,  qu'elle  est  tout  près  et  dirige  les  gens. 
Quant  au  reste,  la  bienveillance  de  l'accueil  qui  fait  trouver 
le  pain  meilleur,  la  politesse  et  la  dignité,  la  mesure  dans  la 
familiarité,  la  grâce  dans  les  dons,  et  la  réserve  dans  les 
paroles,  il  est  sûr  de  les  rencontrer  réunies  chez  celui  qui  le 
reçoit  :  tous  les  Arabes  sont  nés  grands  seigneurs. 

Le  moment  me  paratt  venu  de  réunir  en  un  corps  de  doc- 
trine les  devoirs  des  invités. 

La  délicatesse  des  usages  admis  entre  Arabes  fait  une 
véritable  obligation  à  celui  qui  a  reçu  une  invitation  de  se 
déranger  pour  s'y  rendre.  L'éloignement,  la  pauvreté,  le  rang 
inférieur,  le  peu  d'influence  de  l'homme  qui  vous  a  prié  à 
dîner,  ne  sauraient  excuser  un  refus.  Le  Prophète  a  dit  : 

c  Faites  un  mille  pour  visiter  un  malade,  deux  pour  assis- 
ter à  un  enterrement,  trois  pour  vous  réunir  à  votre  frère 
en  Dieu,  et  quatre  pour  répondre  à  une  invitation.  » 

Quand  vous  êtes  assis  à  une  table  hospitalière,  conservez 
une  tenue  correcte.  Ne  regardez  pas  vers  l'appartement  des 
femmes.  Laissez  d'abord  placer  les  chefs  et  les  vieillards. 
Trouvez  tout  bon,  touchez  à  tout  ce  qui  paraît  sur  la  table. 

Etes-vous  triste?  ne  le  montrez  pas.  Eles-vous  préoccupé  ? 
cachez  vos  pensées,  c'est  le  devoir  commun  de  l'invité  et  de 
l'hôte  de  ne  rien  faire  voir  qui  assombrisse  le  repas. 


810  LA    VIE    ARABli: 

A  l'appui  de  cette  règle,  je  crois  devoir  donner  un  exempio 
récent  et  personnel. 

Chargé  dernièrement  de  l'inspection  générale  de  la  cavale- 
rie d'Afrique,  je  me  trouvais  à  Constantine  dans  le  mms 
d*octobre  1867,  et  j*y  fus  invité,  en  ma  qualité  de  vieil 
arabisant,  à  manger  un  kesskessou  et  un  mouton  rôli  qui 
m'étaient  offerts  chez  le  brave  général  Dargent,  comman- 
dant la  subdivision,  par  le  kalifa  Benn  ba  Hhamed  quj 
j*avais  beaucoup  connu  et  autrefois  obligé  quand  je  dirigeais 
les  affaires  arabes  de  l'Algérie.  Le  jour  fixé  arrive  :  les  invi- 
tés sont  réunis,  la  conversation  s'engage,  le  repas  suit  son 
cours  habituel,  prolongé  par  ces  pâtisseries  de  toute  forme 
et  de  toute  figure  qui  entretiennent  la  fin  d'un  dincr 
arabe.  Calme,  digne,  tranquille  et  vraiment  à  son  aise,  le 
kalifa  prend  part  à  tout;  son  hospitalité  est  complète.  A  dix 
heures,  nous  en  étions  au  café,  quelqu'un  entre  et  manifeste 
son  étonnement  de  voir  Benn  ba  Hhamed  près  de  nous.  Ou 
l'interroge;  il  nous  apprend  que,  le  matin  même,  ce  chef  a 
perdu  sa  fille  par  le  choléra,  jeune  fille  de  dix-huit  ans,  citée 
dans  la  ville  parmi  les  plus  belles. 

A  nos  exclamations,  qu'on  peut  deviner,  et  aux  reproches 
que  nous  lui  faisons,  car  cette  extrême  délicatesse  nous 
devient  alors  blessante,  le  kalifa  se  coutente  de  répondre 
avec  une  résignation  virile  : 

«  L'affaire  qui  vient  de  Dieu,  il  faut  l'accepter  les  yeux 
fermés  ; 

>  Quant  à  celle  qui  vient  des  hommes,  on  peut  essayer  de 
lutter.  » 

Hhadjet  Hebbi^  bessif  nekobelou-ha; 
Ou  hhadjet  el  aabd  imkenn  nedfaaou-ha. 


HOSPITALITÉ  311 

Si  ce  livre  tombe  entre  les  mains  du  général  Dargent,  je 
suis  certain  qu'il  se  rappellera  celte  scène  touchante. 

Iilprouvez-Tous  de  Tennui,  de  la  répugnance  à  vous  ren^ 
contrer  à  table  avec  un  homme  envieux,  méchant,  de  mau- 
vaise compagnie,  qui  vous  déteste  et  que  vous  n'aimez  pas, 
vous  pouvez  vous  en  débarrasser  en  mettant  adroitement  en 
pratique  cette  maxime  arabe  : 

Ton  ami,  faîs-luî  face, 

Et  ton  ennemi,  place-le  à  ton  côté. 

Snhhabek  gabelou. 

Ou  andouk  djanebou. 

Pourquoi? 

Parce  que,  quand  Tœil  ne  voit  pas. 
Le  cœur  ne  souffre  pas. 
Aala  khater  aain  la  taraa, 
Galb  la  youdjaa. 

Partant  de  là,  on  doit  s'étudier  à  ne  jamais  convier  à  sa 
table  des  personnes  qui  sont  notoirement  antipathiques  l'une 
à  l'autre.  La  réunion  ne  pourrait  qu'en  être  assombrie.  • 

Soyez  digne  : 

Acceptez  tout  d'un  riche  appauvri  ; 

Rien,  d'un  pauvre  devenu  riche. 

Khoud'ha  menn  idd  chebaane  iladjaa; 

Ou  la  takhod-hache  menn  idd  djyaane  ila  chebaa. 

Soyez  discret  : 

Sage,  celui  qui  étend  son  bernouss  •<—  devant  vous  —  en 
guise  de  tapis  ; 
Fou,  celui  qui  s*assied  dessus. 
Kiyess,  menn  ferrech  kesaatou; 
Mahboul^  U  gaad  aali-ha. 


A 


312  LA    VIE    ARABE 

N'allez  pas  contrarier  votre  hôte  en  lui  laissant  soupçonner 
que  sa  réception  laisse  à  désirer  ou  que  l'on  n'a  pas  trouvé 
ses  mets  bons. 

Soyez  poli  : 

Ne  vous  occupez  ni  de  votre  cheval,  ni  de  vos  domesti- 
ques; c'est  le  devoir,  c'est  l'affaire  du  maître  du  logis.  Évitez 
de  donner  des  ordres  à  ses  serviteurs;  c'est  à  lui  seul  à 
veiller  sur  vous.  Ne  crachez  pas  dans  les  lieux  destinés  à 
l'habitation. 

Sortir,  rentrer,  chercher,  appeler  les  amis  de  la  maison, 
s'attrister  de  leur  absence,  parler  à  haute  voix,  s'immiscer  en 
un  mot  dans  les  détails  de  la  famille,  tout  cela  est  du  plus 
mauvais  ton. 

Se  plaindre  de  la  dureté  des  temps,  du  caractère  de  sa 
femme,  de  son  orgueil,  de  sa  vanité,  ou  raconter  ses  cha- 
grins au  public,  c'est  vouloir  se  déconsidérer.  Vous  pourriez 
encore,  en  agissant  ainsi ,  provoquer  la  jalousie  de  la 
maîtresse  de  la  tente,  qui  n'est  pas  là,  mais  qui  n'est  pas  loin, 
qui  vous  écoute  quoique  vous  ne  la  voyiez  point.  Le  récit  de 
vos  prodigalités  domestiques  ne  ramènerait-elle  pas  à  de^ 
comparaisons  fâcheuses  qui  pourraient  provoquer  un  divorce  T 

Dispensez-vous  de  faire  des  observations  déplacées  et  ne 
donnez  à  votre  hôte  aucun  conseil,  aucun  avis^  ni  sur  sou 
intérieur,  ni  sur  son  ameublement,  ni  sur  sa  manière  de 
faire  présenter  les  plats,  les  fruits,  etc.,  etc. 

N'allez  pas  médire  de  ceux  qui  vous  admettent  à  leur  table 
hospitalière  ;  les  tourner  en  ridicule,  ou  même,  mù  par  un  sen- 
timent odieux  d'envie,  de  jalousie,  leur  désirer  des  malheurs. 

Le  sac  (de  blé)  d'où  tu  tires  ta  nourriture 
Ne  souhaite  pas  qu'il  se  vide. 
Ec'Chakara  li  takoul  menn-ha 
Ma-tedaailhache  bel  khela 


HOSPITALITÉ  313 

Soyez  modéré  : 

SI  une  parole  vous  a  échappé,  dites  :  t  J'ai  entendu;  > 
Et  si  un  plat  vous  a  dépassé,  dites  :  «  Je  suis  rassasié.  » 
Ida  fatet  el  kelma,  goul  :  Smaat  ; 
Ou  ida  fatet  el  makeUij  goul  :  Chebaat. 

A  la  fin  du  repas»  n'allez  point  bourrer  vos  poches  de 
sucreries  et  surtout  ne  vous  permettez  pas  d'amener  avec 
vous  des  enfants  à  qui,  d'avance,  on  ait  fait  cette  leçon: 
c  Vous  pleurerez  quand  on  en  sera  aux  gourmandises  et  alors 
on  vous  laissera  plus  longtemps  à  table.  »  (La  défense  me 
paraît  démontrer  que  le  fait  doit  se  présenter.) 

Si  vous  êtes  reçu  par  un  homme  âgé  et  que  dans  la  con- 
versation il  vienne  à  se  plaindre  de  ses  infirmités,  écoutez-le 
avec  patience,  et.  surtout  ne  lui  répondez  .pas,  ainsi  que  le 
font  souvent  des  gens  mal  élevés  :  «  Quant  à  moi,  chaque 
année  qui  s'écoule  augmente  mes  forces^  et,  de  jour  en  jour, 
je  me  trouve  plus  alerte  et  plus  vigoureui.  » 

Entendez-vous  demander  l'aumAne  pendant  un  repas 
auquel  vous  êtes  convié?  rappelez-vous  qu'il  faut  attendre 
la  permission  du  mattre  de  la  tente  pour  disposer  de  ce  qui 
lui  appartient. 

Assistez-vous  à  l'une  de  ces  fêles  publiques  —  (madaa  — 
où  l'usage  permet  aux  femmes  de  paraître  quoique  voilées, 
soit  pour  accomplir  un  devoir  de  religion,  soit  pour  encou- 
rager les  cavaliers  par  leur  présence,  prenez  garde  de  vous 
extasier  dans  la  contemplation  de  leurs  vêtements,  de  vous 
délecter  aux  parfums  qui  s*en  exhalent,  de  remuer  la  tête 
en  mesure  au  son  des  instruments,  de  vous  lever  et  vous 
asseoir  à  chaque  instant,  comme  pour  montrer  les  avantages 
de  votre  taille,  ou  les  grâces  de  votre  tournure.  Vous  passe- 


314  LA    VIE    AUABE 

riez  pour  un  fat  qui  pense  avoir  séduit  tout  le  inonde  et  qui 
s'attend  à  recevoir  des  messages  d'amour. 

Celui  à  qui  Ton  donne  rhospitalité  ne  doit  demander  que 
deuK  choses:  La  KeblAy  où  est  TOrient,  pour  savoir  de  quel 
côté  il  devra  se  tourner  quand  il  fera  ses  prières,  et  certains 
détails  dont  la  connaissance  lui  est  indispensable  pour  que, 
le  cas  advenant,  il  ne  soit  pas  incommodé. 

On  se  lave  les  mains  avant  de  manger,  on  se  les  lave 
encore  après  le  repas;  puis,  sous  peine  de  passer  pour  un 
liomme  sans  éducation,  il  faut  se  rincer  la  bouche  avec  soin. 

Quand  on  dine  chez  les  autres,  grands  ou  petits,  voici  les 
défauts  qu*il  faut  éviter  : 

On  ne  doit  pas  être  metcharef^  c'est-à-dire  insatiable, 
s'inquiéter,  tourner  la  tète  pour  voir  si  l'on  apporte  d'autres 
plats. 

Addadj  c'est  le  convive  qui  compte  sur  ses  doigts  le 
nombre  des  mets  et  qui  les  montre  de  la  main  ; 

KerrafesX  celui  qui  essuie  le  plat  avec  le.  pain  qu'il  a 
porté  à  sa  bouche  ; 

Rechaf  se  dit  de  l'homme  qui  mâche  et  avale  avec  force 
et  avec  bruit,  de  manière  à  être  entendu  des  voisins  ; 

Kessam  est  le  convive  qui  prend  un  morceau,  le  coupe 
avec  ses  dents  et  en  remet  la  moitié  dans  le  plat; 

Le  nekate  prend  un  morceau,  le  porte  à  sa  bouche  et 
secoue  ensuite  ses  doigts  dans  le  plal  ; 

Le  behhate,  Tceil  sur  ses  voisins,  les  prévient,  va  prendre 
le  morceau  qu'ils  avaient  choisi  et  qu'eux-mêmes  allaient 
prendi*e  ; 

Le  aaouam  envoie  sa  main  à  droite  et  à  gauche  pour 
ramasser  la  sauce  ; 

Le  mekhallel  se  cure  les  dents  avec  les  doigts; 

Le  mezid  emporte  la  nourriture  chez  lui  ; 


HOSPITALITÉ  315 

Le  merihk  trempa  son  pain  dans  le  plal  pour  ea  puiser  la 
sauce  ; 

Le  tnoacheb  déchire  les  poulets  rôtis  avec  une  impatience 
qui  trahit  sou  avidité  ; 

Le  mefatteeh  fouille  dans  le  plat  et  y  cherclie,  d'une 
manière  peu  propre,  la  viande  avec  ses  doigts  ; 

Le  menachef  suce  ses  doigts  imprégnés  de  graisse  ; 

Le  melaab  s'amuse  à  faire  des  boulettes  de  pain  pour  les 
tremper  dans  le  p]at  et  les  manger  ensuite; 

Le  sebbaaye  tourne  et  retourne  dans  la  sauce  les  morceaux 
qu'il  prend  ; 

Le  bekkar  souffle  sur  les  mets; 

Le  mehhami  prend  la  viande  dans  ses  mains,  la  tripote  et 
Taccapare  pour  que  ses  voisins  ne  puissent  pas  y  toucher; 

Le  djennab  est  le  fâcheux  qui»  pour  manger  à  son  aise, 
se  fait  une  plus  large  place  en  jouant  des  coudes  ; 

Le  satrandji  prend  un  morceau,  le  remets  en  prend  ou 
autre,  revient  au  premier,  touche  au  troisième,  comme  un 
jour  d'échecs  irrésolu; 

Le  mehindess  usurpe,  pour  avoir  devant  lui  les  meilleurs 
morceaux,  les  fonctions  de  maître  de  la  maison.  Il  dit  aux 
serviteurs  :  <  Mettez  ce  plat  ii^i,  cet  autre  là  ;  » 

Le  djoufaniy  c*est  le-  glouton  envieux  et  maussade  qui 
voudrait  ôtre  seul  à  table  pour  tout  dévorer  ; 

L2  fedouli  est  la  mouche  du  coche,  un  brouillon  toujours 
préoccupé  de  ce  qui  ne  le  regarde  pas.  Il  dispose  des  reliers 
du  festin,  en  disant  à  son  hAte  à  la  fin  du  repas  :  «  Faites- 
en  ceci,  failes-en  cela.  » 

C^est  après  le  souper  seulement  que  l'on  posera  des  ques- 
tions aux  voyageurs  :  on  le  fera  toujours  avec  douceur  et 
ménagement  plutôt  pour  les  distraire  par  quelques  paroles 
dignes  et  affectueuses,  que  par  une  importune  curiosité: 


316  LA    VIE    ARABE 

c  Qui  étes-YOus?  De  quel  pays  venez- vous?  Où  allez-vous  ?  » 
S  cela  leur  platt,  ils  répondent  ;  s'ils  veulent  se  taire,  on  n'in- 
siste pas;  on  engage  alors  la  conversation  sur  d'autres  sujets. 
La  plus  stricte  décence  est  gardée,  on  évite  toute  allusion 
licencieuse;  on  tourne  les  mots  scabreux;  une  jeune  fille 
pourrait,  sans  rougir,  entendre  un  tel  dialogue. 

L'usage  invariable  est  de  ne  jamais  appeler  ni  nommer  les 
absents;  il  ne  faut  pas  avoir  l'air  de  s'en  occuper.  Cette  con- 
vention tacite  est  dictée  par  la  politesse  et  surtout  par  la 
prudence.  Celui  dont  vous  allez  remarquer  l'éloignement,  où 
est-il  ?  que  fait-il?  Vous  n'en  savez  rien.  Taisez-vous  donc; 
peut-être,  sans  vous  en  douter,  vous  feriez  naître  des  soup- 
çons qui  allumeraient  des  querelles  interminables  et  des 
vengeances  sans  merci.  La  femme  est  encore  là  ;  quoique 
absente,  elle  est  au  fond  de  toutes  les  pensées.  Cette  réserve 
se  concilie  avec  le  discernement  que  les  principes  religieux, 
aussi  bien  que  les  dictons  populaires,  assez  narquois  quel- 
quefois, recommandent  à  l'attention  publique  cbez  les  Arabes. 
Toute  maxime  a  son  corollaire  pratique. 

c  Si  vous  pouviez  voir,  disent  les  sages,  le  registre  où  sont 
écrites  vos  bonnes  et  vos  mauvaises  actions,  vous  déchireriez 
votre  langue.  » 

On  demandait  à  l'un  d'eux  combien  il  comptait  de  vices 
dans  un  fils  d'Adam. 

c  Us  sont  si  nombreux,  répondit-il,  qu'on  ne  saurait  en 
faire  le  calcul  ;  mais  j'ai  remarqué  qu'une  seule  vertu  pou- 
vait les  racheter  tous.  —  Et  quelle  est  cette  vertu  ?  —  La 
retenue  et  la  convenance  dans  les  discours.  » 

Évitez  donc  les  personnes  mal  famées,  et  n'admettez  à 
votre  table,  si  faire  se  peut,  que  des  gens  craignant  Dieu. 
C'est  le  moyen  de  consolider  votre  foi. 


HOSPITALITÉ  317 

Recherchez  le  pauvre:  il  doit  élre  préféré  au  riche.  Voilà 
des  préceptes  dévots  :  on  est  forcé  de  leur  reconnaître  une 
certaine  dignité  austère. 

Il  faut  inviter  tout  le  monde,  excepté  un  ennemi,  parce 
que  vous  ne  pouvez  pas  faire  du  mal  à  celui  qui  s* est  assis 
à  votre  tahle.  Le  Prophète  défend  de  saisir  une  pareille 
occasion  pour  se  venger. 

Il  eu  est  de  même  lorsqu'un  ennemi,  trahi  par  la  fortune, 
est  cependant  parvenu,  sans  accident,  jusqu*à  votre  tente. 
Tant  qu*il  est  chez  vous,  sa  personne  doit  vous  être  sacrée; 
une  fois  parti,  il  rentre  dans  la  loi  commune. 

N'engagez  pas  non  plus  les  personnes  que  vous  prévoyez 
devoir  refuser;  un  acte  de  ce  genre  serait  du  plus  mauvais 
goût. 

Écoutons,  maintenant,  la  goguenardise  des  proverbes 
familiers  : 

A  l'Arabe  et  au  rat, 

N'ouvre  jamais  la  porte  de  ta  maison; 

Ils  auraient  toujours  une  main  dans  le  plat. 

Et  Tœil  sur  ta  femme. 

El  Aarbi  ou  le  far 

Ma  tehhel^hi  bab  ed-dar  ; 

Iddou  fel  metred, 

Ou  aainou  fi  moulate  ed-dar. 

Ge  dicton  prouve  que,  si  l'Arabe  exerce  largement  Thospi- 
talité,  il  n'en  apporte  pas  moins  une  extrême  circonspection 
dans  les  habitudes  de  sa  vie  privée.  Avant  de  se  lier  avec 
quelqu'un,  il  veut  savoir*à  qui  il  a  affaire.  On  dit  encore  : 


918  LA    VIE    ARABE 

L'Arabe,  quand  il  s'installe, 
Est  comme  un  clou  qu'on  a  rivé. 
El  Aarbi  menine  idjeless, 
Kifel  messemar  menine  itfelless. 

Les  Arabes,  on  le  voit,  se  jugent  eux-mêmes  assez  impar- 
tialement. En  effet,  que  Tun  d*eux  soit  assis  commodément 
dans  une  bonne  tente,  à  l'abri  des  intempéries  et  buvant  un 
café  qui  ne  lui  coûte  rien,  où  voulez-vous  qu*il  aille  pour 
t^trc  mieux  ?  Vous  avez  beau  lui  faire  entendre  que  vous  avez 
des  affaires:  il  allongera  la  convers<ition  à  [ilaisir,  il  en  va- 
riera les  sujets,  il  feindra  de  ne  pas  vous  comprendre;  il  se 
trouve  bien  où  il  est,  le  temps  n'est  rien  pour  lui,  il  y  res- 
tera sans  paraître  même  s'apercevoir  de  vos  impatiences  si 
vous  en  avez. 

Il  est  tout  à  fait  contraire  à  la  bienséance,  et  Denn-Abbas 
lui-même  affirme  que  le  Propbète  Ta  défendu,  de  s'observer 
entre  convives.  On  serait  accusé  de  vouloir  contrôler  l'appé- 
tit de  ses  invités*. 

Aali  dit  à  un  Arabe  qui  prenait  son  repas  avec  lui  : 
t  Vas-y  plus  doucement.  —  Et  toi,  reprit  son  convive,  ap- 
prends à  dompter  tes  regards.  » 

«  Ote  ce  cbeveu  du  morceau  que  tu  tiens,  dit  un  Arabe  à 
son  convive.  —  Puisque  tu  m'observes,  répliqua  l'enfant  du 
désert,  au  point  d'apercevoir  un  cbeveu  sur  mon  plat,  je  te 
jure,  par  la  tète  du  Propbète,  que  de  ma  vie  je  ne  mangerai 
cbez  toi.  * 

Le  peuple  arabe  vit  de  légendes  ;  on  juge  bien  qu'il  n'a  pas 

manqué  de  s'en  créer  sur  un  siyet  aussi  fécond  que  celui  de 

a  table.  Son  imagination  comprend  tout,  comme  nous  Tavons 

montré.  La  beauté,  hi  puissance,  l'invisibilité,  le  bonbeur  et 

parfois  la  sagesse,  sous  forme  d'histoires  plus  ou  moins 


HOSPITALITK  31» 

neuves,  plus  ou  moins  intéressantes.  Combien  n*en  ai-je  pas 
entendu  dans  ma  vie  d'Afrique!  Marabouts,  trouvères,. 
cavaliers,  bergers,  tolbas,  gens  du  Tell  et  gens  du  Sahara, 
pèlerins  revenus  de  la  Mecque  ou  commerçants  qui  fréquen- 
taient nos  marchés,  quand  je  les  interrogeais  sur  i*hospi- 
talilé,  ils  étaient  inépuisables,  et  la  frugalité  qui  leur  est  na- 
turelle donnait  une  couleur  curieuse  à  quelques-uns  de  leurs 
contes. 

Un  homme  fut  reçu  par  un  derviche  qui  lui  offrit  d*abord 
deux  pains  et  se  rendit  à  la  cuisine  préparer  un  plat  de  len- 
tilles. Il  apporte  le  plat,  plus  de  pains  :  il  le  pose  sur  la  table 
et  va  en  chercher  d'autres.  Il  revient,  les  lentilles  ont  dis- 
paru. «  Marche,  bon  derviche,  tu  n'as  pas  fini.  Tiens,  mon 
ami,  voici  encore  des  lentilles.  —  Mais  je  nai  plus  de  pain, 
ô  mon  hôte  î  —  C'est  bien,  je  vais  t'en  donner.  » 

Dix  fois  de  suite  le  derviche  recommença,  l'invité  aussi  : 
les  pains  et  les  lentilles  ne  purent  jamais  se  rencontrer, 

«  Où  vas-tu  en  sortant  d'ici: — A  Irdane. —  Et  qu'y  faire? 
—  Il  existe,  m'a-t-on  dit,  dans  cette  ville,  un  très-grand 
médecin;  je  suis  malade.  Je  vais  le  consulter  sur  mon  man- 
que d'appétit.  —  S'il  en  est  ainsi  et  qu'il  te  guérisse,  je  t'en 
conjure,  par  la  tête  du  Prophète,  ne  passe  pas  chez  moi  à  ton 
retour.  » 

C'est  ici  le  cas  de  répéter  cette  maxime  populaire  des 
Arabes  : 

A  l'hôte  d'une  nuit  nous  pétrirons  des  gâteaux, 
Mais  à  l'hôte  de  toujours  que  lui  donnerons-nous? 
ûifel  lila  nerfessot^lou. 
Ou  difed'dimay  ki  nedirou-lou? 

Elle  me  semble  dire  très-clairement  :  «  Recevez  F  hospita- 
lité, mais  n'en  abusez  pas.  » 


390  LA    VIE    ARABE 

Suivant  le  savant  El-Madani^  notre  seigneur  Brahim 
—  Abraham  —  est  le  premier  qui  ait  organisé  les  grands 
festins  publics,  comme  Aabd- Allah  benn  Abassa  a  été  aussi 
le  premier  qui  ait  traité  chez  lui  les  musulmans.  Il  avait 
l'habitude  de  faire  installer  sa  table  sur  la  grand'  route. 
Dieu  a  dit  : 

c  0  vous  qui  avez  la  foi  en  partage,  mangez  les  mets 
choisis  que  j'ai  mis  à  votre  disposition  et  remerciez-moi  si 
vous  m'adorez.  Usez  de  ce  que  je  vous  ai  créé  de  bon,  ainsi 
que  des  produits  de  la  chasse,  pour  laquelle  vous  trouverez 
des  oiseaux  et  des  chiens  exercés.  Mes  dons  doivent  pro- 
fiter aux  créatures.  » 

Celui  qui  reçoit  l'hospitalité  doit  se  montrer  empressé,  de 
bonne  composition  et  docile  à  toutes  les  offres  de  son  hdte, 
sans  les  provoquer  par  aucune  espèce  d'importunité.  Il  doit 
surtout  la  rendre  de  bonne  grâce. 

Pour  cela,  il  faut  qu'il  ait  toigours  présents  à  Tesprit  ces 
antiques  dictons  : 

La  barbe  de  l'invité  est  dans  les  mains  du  matfre  de  la 
tente. 
Lahhyte  ed-diffi  idd  moul  el  khéima. 

Celui  qui  mange  les  poules  des  autres 
Doit  engraisser  les  siennes  de  bonne  heure. 
Li  yakaul  djadj  en-nassy 
Issemmenn  djadjou  assert. 

Un  homme  arriva  un  jour  chez  un  Arabe  qui  le  fit  asseoir 
et  lui  offnt  la  difa,  €  Je  n'ai  pas  faim,  dit  l'étranger,  je  n'ai 
besoin  que  d'une  place  pour  me  reposer  cette  nuit.  —  Va 
donc  chez  un  autre,  lui  répondit  TArabe  ;  je  ne  veux  pas 


HOSPITALITÉ  321 

qu'un  jour  lu  puisses  dire  :  «  J'ai  couché  chez  un  lel.  »  Je 
veux  que  tu  dises  :  «  J'y  ai  rassasié  mon  ventre.  » 

On  demandait  à  un  homme  généreux  comment  il  avait  pu 
acquérir  tant  de  savoir-vivre.  «  C'est,  répondit-il,  en  don- 
nant souvent  l'hospitalité.  J'observais  mes  hôtes;  je  tâchais 
d'éviter  leurs  défauts,  d'acquérir  leurs  qualités.  » 

Nous  avons  dit  comment  on  arrive;  faisons  connaître 
maintenant  comment  on  se  quitte.  C'est  très-simple;  si  vous 
ne  pouvez  pas  demeurer  plus  longtemps  dans  une  tente  qui 
vous  a  reçu,  vous  annoncez  votre  intention,  on  prépare  vos 
bétes  de  somme,  on  vous  amène  votre  cheval,  on  vous  ak^com- 
pagne  jusqu'à  une  certaine  distance.  Vous  remerciez  en  di- 
sant : 

Que  Dieu  augmente  ton  bien  ! 
Allah  iieter  khérek  ! 

Ou  bien  : 

Dieu  te  le  remplacera  (sous-entendu  :  les  dépenses  que  tu 
as  faites  pour  nous). 
Hebbi  ikhelef  aalik. 

On  vous  répond  : 

Pars  avec  les  compliments. 
Rohheu  be  selama. 

Demande  ton  bonheur. 
Tlob  saadek. 

Rencontre  le  bien. 
Telka  el  khér. 

Et  tout  est  fini.  Cette  phrase  :  «  Demande  ton  bonheur,  9 
signifie  :  «  Tant  que  tu  as  été  mon  hôte,  ami  ou  ennemi,  j'ai 
répondu  de  ta  sécurité.  Nous  nous  séparons.  Fais  appel  à  ta 

31 


3^  LA    VIE    ARABE 

cliauce.  Quoi  iju  il  arrive,  je  m'en  lave  les  mains.  »  Il  n'est  pas 
sans  exemple,  dit-on,  que  le  même  Arabe  qui  vous  a  accueilli 
et  qui  vous  aurait  di^fendu  au  péril  de  sa  vie  pendant  que 
vous  étiez  son  hule,  soit  allé  vous  attendre  loin  de  sa  Iribft, 
pour  vous  piller  ou  pour  vous  faire  un  plus  mauvais  parti 
encore.  Toutefois,  ces  exemples  sont  rares. 
-  Si  vous  avez  été  recommandé,  on  vous  fournira  des 
guides,  des  vivres  pour  pouvoir  continuer  votre  route  ;  on 
vous  donnera  même  des  lettres  pour  les  voisins.  Ces  der- 
niers vous  feront  alors  un  accueil  des  plus  empressés. 

Quand  on  est  moralement  forcé  d'offrir  riiospilalité  à  des 
chrétiens,  les  formes  sont  à  peu  près  les  mêmes  q'ie  celles 
que  j'ai  décrites.  Seulement,  en  pays  tout  à  fait  arabe,  c'est- 
à-dire  encore  très-fanatique,  on  ne  croit  pas  y  manquer  en 
leur  jouant  une  foule  de  mauvais  tours.  On  les  emburrassora 
comme  je  fus  moi-même  embarrassé  cliez  sidi  Mohhammed 
benn  Haoua  ;  on  préparera  leurs  alimenls  avec  du  beurre 
mncc  —  dehane^  —  ou  bien  on  dressera  leurs  tentes  sur 
remplacement  d'un  marcbé,  sur  un  ancien  cami>cment  aban- 
donné, à  côté  d'un  délicieux  cours  d'eau,  c'est  possible, 
mais  où  ils  seront  cependant  martyrisés  par  les  puces  et  les 
moustiques.  Pour  varier  les  plaisirs  et  quand  il  s'agira  surtout 
d'un  individu  venu  dans  le  pays  pour  en  étudier  la  topogra- 
phie ou  pour  en  répartir  les  impôts,  on  établira  quelquefois 
dans  son  voisinage  soit  un  jeune  cbameau  récemment  sevré, 
qui  emploiera  son  temps  à  réclamer  bruyamment  sa  mi>re  ; 
soit  un  coq  dont  le  cri  strident  réveillerait  un  mort,  soit  un 
âne  amoureux  qui,  s'il  y  a  clair  de  lune,  ne  cessera  de  braire 
pendant  toute  la  nuit.  N'y  a-t-il  pas  là  de  quoi  vous  donner 
des  altaques  de  nerfs?  J'ai  plus  d'une  fois  éprouvé  ce  sup- 
plice et  je  me  promettais  bien  d'en  tirer  vengeance,  quani, 
le  lendemain,  je  me  trouvais  désarmé  par  mon  hôte  qui, 


HOSPITALITÉ  323 

avec  un  air  de  candeur  et  de  bonhomie  incroyable,  venait 
de  bon  malin,  avec  force  salamalec^  me  demander  comment 
j'avais  doriui.  «  Très-bien,  »  lui  répondais-je. 

Que  Dieu  accorde  sa  miséricorde  aux  auleurs  de  tes  jours  ! 
Allah  irhham  onaldik  ! 

J*avais  compris  que  h  mcillear  i)arti  à  prdodre  était  do 
me  résigner  pour  ne  pas  lui  donner  le  plaisir  de  lire  sur 
mon  visage  la  moindre  contrariété.  II  en  aurait  été  si  heu- 
i*eu\  I  Que  voulez-vous  !  quand  on  ne  peut  faire  la  guerre 
sainte  à  coups  de  fusil  —  djahad^  —  c'est  encore  une  ma- 
nière très-agréable  à  Dieu  que  do  la  faire  à  coups  dl(é- 
pingle. 

En  résumé,  pour  tout  le  monde,  chez  les  Arabes,  voici  les 
principes  de  Thospitalité.  Ils  seraient  admirables  si,  chez 
eux  comme  ailleurs,  il  n'était  pas  avec  le  ciel  des  accommo- 
dements. 

Dépense  ton  bien,  plutôt  que  de  changer  tes  amis  en 
ennemis. 
Khesart  el  mal  ou  la  aadout  sahhab. 

Un  maître  du  kcsskessou  vaut  un  maître  de  la  poudre. 
Moulu  taam  Ici  moula  barond. 

Malheur  à  riiomme  dont  la  main  est  toujours  fermée  et 
qui,  au  lieu  de  s'occuper  d'un  hôte,  laisse  les  chiens  aboyer 
après  lui,  les  évite  et  se  cache.  Les  imprécations  vont  l'ac- 
cablor ; 

«  Que  la  malédiction  de  Dieu  soit  sur  toi,  autant  do  fois 
que  tu  as  de  poils  dans  la  barbe!  0  le  vilain  !  ô  le  juif!  Non, 
tu  n'es  pas  de  notre  goum  !  » 

L'avare  est  méprisé,  déconsidéré,  jusqu'à  ne  plus  pouvoii* 
se  présenter  ni  parler  en  sociétî^*  Souvent  même  il  arrive 


324  LA    VIE    AKABi: 

que  la  tribu  lui  impose,  au  profit  des  é( rangers,  une  amen  le 
(le  liesskessou,  de  beurre  et  de  moulons,  tout  en  accompa- 
gnant celle  punition  de  sévères  réprimandes. 

«  Si  tu  nous  jaunis  encore  la  figure,  si  tu  fuis  les  bittes, 
nous  te  prendrons  celte  fois  un  chameau,  des  moutons,  peiit- 
i^trc  ton  cheval,  et  nous  te  mettrons  h  pied  comme  un  vil 
fantassin.  Comment  !  tu  es  un  maître  des  moutons,  des  cha- 
meaux, des  chevaux  ;  tu  es  riche  et  tu  fuis  les  invités  de 
Dieu  !  C'est  une  honte  pour  nous  tous  !  > 

Soyez  donc  généreux  envers  votre  hôte  :  en  entrant,  il 
apporte  une  bénédiction  ;  en  sortant,  il  emporte  vos  péchés. 

On  demandait  à  notre  seigneur  Abraham  —  sid-tia  Brahim 
Khalil  Allah  —  pourquoi  Dieu  l'avait  choisi  pour  ami  ;  il  ré- 
pondit : 

«  Parce  que,  en  présence  de  deux  choses,  j*ai  toujours 
préféré  celle  qui  pouvait  lui  être  agréable,  que  je  ne  me  suis 
jamais  mis  en  peine  des  affaires  dont  lui  seul  a  le  soin  ,  et 
qu'enfin  je  n'ai  jamais  pris  de  repas  sans  le  faire  partager  à 
des  hôtes.  » 

A  celui  'qui  sera  hospitalier.  Dieu  accordera  les  grâces 
suivantes  : 

Il  mettra  sa  confiance  dans  Celui  qui  ne  meurt  pas  ; 

A  ses  yeux,  les  biens  de  ce  monde  ne  vaudront  pas  l'aile 
d*un  moucheron  ; 

Il  donnera  sans  ostentation  et  fera  toujours  Taumône  en 
cachette  ; 

Il  accueillera  le  pauvre  aussi  bien  que  le  riche  ; 

Son  cheval  n'aura  pas  de  fiere  dans  ce  inonde  ;  il  arra- 
chera la  larme  de  Tœil  ; 

11  sera  préservé  du  mauvais  œil  ^  uain; 


HOSPITALITÉ  325 

Sa  famille  suivra  le  chemin  de  Dieu  f  sa  femme  rougira 
rien  qu'en  voyant  un  coq  ; 

Uieu  remplira  sa  tente  d*enfants  mâles  ; 

Il  possédera  la  résignation  de  notre  seigneur  Job  ; 

Il  sera  simple,  modeste,  et  ne  se  vêtira  que  de  lain  î  ; 

Son  bonheur  sera  l'espoir  d'une  autre  vie  ; 

Il  visitera  la  chambre  de  Dieu  —  bite  Allah!  —  la 
Mecque  ;  , 

Dieu  allégera  le  poids  de  ses  péchés  ; 

Il  sera  considéré,  fùt-il  de  mince  origine  ; 

On  le  comptera  au  n*bmbre  des  amis  du  Prophète  ; 

Et  enfin,  s'il  plaît  à  Dieu  —  ennchaallah,  —  jamais  ok 
ne  l'entendra  dire  à  un  chrétien  : 

Que  le  salut  soit  sur  vous!  —  Salam  ou  aalikoum! 

Cette  dernière  faveur  accordée  à  Thomme  hospitalier  no 
peut  avoir  été  inventée  que  par  un  fanatique  ignorant  commc^ 
du  reste,  on  en  rencontre  beaucoup.  En  effet,  il  est,  au  con- 
traire, dit  dans  le  Koran  : 

Dieu  ne  vous  défend  pas  d'établir  des  relations  avec  ceux 
qui  ne  vous  combattent  pas  pour  cause  de  religion  et  qui 
ne  vous  chassent  pas  de  vos  foyers. 

Faites-leur  des  politesses  et  soyez  équitables  à  leur  égard, 
car  Dieu  aime  les  homm  *s  équitables. 

La  ïennha-koum  mouUahou  aani  elladina  lem  toiika' 
tilou-koum  fed-cline  ,  oua  lem  ïonkhridjou-koum  menu 
dïari-koum, 

Enn  teberrou-houm  oua  toukcitou  ilihem,  enn  allaha 
ïouhhebou  le  moksstine. 

Si  vous  devez  vivre  avec  des  musul.nans,  apprenez  celte 


326  LA    VIE    ARABE 

phrase  par  cœur.  Appliqut^e  à  propos,  elle  ne  manquera  ja- 
mais de  remettre  dans  le  droit  chemiti  ceux  qui  seraient 
tentés  de  s'en  écarter.  De  méprisé,  vous  deviendrez  consi- 
déré. 

Telles  sont  dans  leur  ensemble  les  principales  règles  ob- 
servées en  pays  arabe  ;  les  Européens  ne  les  désavoueraient 
pas  :  ce  sont,  à  peu  de  chose  près,  les  nôtres.  D'où  vient 
cette  ressemblance?  I^s  avons-nous  rapportées  d'Orient? 
Les  Arabes  nous  les  ont-ils  empruntées  ?  Ou  bien  la  politesse 
se  forme-t-elle  de  la  même  manière  partout  ?  C'est  ce  que  je 
ne  saurais  dire. 

Terminons  par  une  légende  :  elle  ^^a  résumer,  sous  une 
forme  invraisemblable  pour  nous,  mais  acceptée  les  yeux 
fermés  par  les  musulmans,  tout  l'intérêt  qui  s'attache  aux 
devoirs  sacrés  de  l'hospitalité.  Je  l'ai  écrite  sous  la  dictée 
d'un  Arabe,  je  ne  changerai  rien  à  son  récit. 

Il  y  avait  deux  frères  :  l'un,  depuis  quarante  ans,  s'était 
retiré  sur  une  montagne  pour  adorer  Dieu,  dans  la  solitude; 
l'autre  était  devenu  voleur  de  grand  chemin.  Il  avait  tué 
quatre-vingt-dix  hommes  dans  sa  vie. 

Un  jour,  un  voyageur  se  présente  chez  le  derviche  et  lui 
demande  l'hospitalité, 

—  Va-t'en  ailleurs,  répondit  l'homme  en  prières,  je  suis 
seul  ici  et  je  n'ai  rien  à  t'offrir. 

—  Laisse-moi  au  moins  coucher  chez  loi;  tu  ne  me  don- 
neras  ni  à  boire  ni  à  manger  ! 

—  Eh  bien,  soit.  Couche  chez  moi. 

Or,  ce  voyageur  était  l'ange  Gabriel,  envoyé  par  Dieu 
vers  celui  qui  s'était  voué  aux  exercices  de  piété. 

Le  lendemain,  le  maître  de  la  cabane  cherche  son  hôte  : 
il  avait  disparu. 

Il  était  allé  demander  Thospitalité  au  brigand. 


HOSPITALITi;:  3i7 

—  Un  iuvilé  de  Dieu  !  eria-t-il  à  la  porle  de  lu  icnle, 
dont  le  niattre  était  absent. 

La  femme  sort,  raccueille.  Soyez  le  bienvenu,  entrez.  Le 
voyageur  n'accepte  pas,  malgré  toutes  les  instances.  A  trois 
lieures  de  l'après-midi,  arrive  le  bandit.  Il  apprend  que  l'hôte 
n'a  pas  voulu  pénétrer  cbez  lui  ;  il  fait  une  scène  à  sa  femme, 
enlève  sa  tente,  la  porte  vers  le  voyageur,  la  dresse  sur  sa 
télo  et  lui  dit  : 

—  Tiens,  puisque  tu  n  as  pas  voulu  te  reposer  (Je  bon 
gré  dans  mon  habitation,  t'y  voilà  Vnaintenant  par  force. 

On  apporte  à  souper,  le  voyageur  refuse  tout  ce  qu'on  lui 
offre,  et  déclare  qu'ayant  fait  un  vœu,  il  ne  peut  accepter 
qu'un  plat  composé  de  sept  cœurs. 

Le  brigand  n'avait  que  cinq  chèvres  pour  toute  fortune, 
il  les  tue,  lui  voilà  cinq  cœurs.  Comment  se  procurer  les 
deux  autres?  Il  cherche,  il  fouille  partout.  Ses  regards  tom- 
bent sur  ses  deux  petits  enfants  qui  se  roulent  à  terre  en 
riant  comme  on  rit  à  leur  âge.  Lui,  il  ne  pense  qu'à  l'hos- 
pitalité et  à  la  demande  de  l'invité  de  Dieu. 

Le  malheureux  tue  ses  enfants,  leur  enlève  le  cœur,  les 
fait  cuire  avec  les  autres,   et  les  sert  en  disant  : 

—  Monseigneur,  voici  les  sept  cœurs  que  vous  avez 
demandés. 

Alors,  l'hôte  lui  répond: 

—  As-tu  des  enfants? 

—  J'en  ai  deux. 

—  Eh  bien,  je  ne  mangerai  pas  avant  qu'ils  soient  ici. 

—  Cela  ne  se  peut  pas,  monseigneur,  ils  sont  très-jeunes 
et  mal  habillés. 

—  Comment  se  nomment-ils  ? 

—  Ils  se  nomment  Aali  et  Aabd-ol-Kader. 
Puis  il  s'enfuit  pour  raehci'  ses  larmes. 


3Î8  LA    VIE    ARABE 

L'ange  Gabriel  appela  trois  fois  par  leur  nom  les  petits 
enfants  morts.  Dieu  leur  rendit  la  vie.  Quand  le  père  rentra 
un  instant  après  dans  la  tente,  il  les  vit  éveillés  et  joyeux 
autour  de  la  table.  Mais  le  voyageur  avait  disparu.  Où  était* 
il  allé  ? 

Il  était  allé  trouver  Dieu  pour  lui  raconter  Thistoire  des 
deux  frères,  dont  Tun,  Tadorant  depuis  quarante  ans,  lui 
avait  brutalement  refusé  Thospilalité,  et  l'autre,  quoique 
brigand,  avait  tué  ses  enfants  pour  nourrir  un  bdte. 

Dieu  lui  dit  : 

—  Retourne  auprès  de  celui  qui  m'adore  depuis  qua- 
rante ans,  et  qui  t'a  refusé  Thospitatité,  et  fais-lui  savoir 
que,  m*adoràt-iI  encore  pendant  cent  autres  années,  cela 
ne  lui  servirait  de  rien  dans  ce  monde  ni  dans  Tautre.  Puis 
va  trouver  le  brigand  qui  s'est  si  bien  conduit  h  ton  égard, 
dis-lui  que  je  pardonne  tous  ses  crimes,  qu'il  entrera  dans 
mon  paradis  et  que  je  le  tiens  pour  un  saint  de  septième 
classe.  L'invité  de  Dieu,  c'est  Dieu. 

Me  voici  arrivé  à  la  fin  de  cette  étude  ;  j'ai  considéré  l'hos- 
pitalité arabe  sous  les  diverses  formes,  publique,  privée,  ci- 
vile et  religieuse,  acceptée,  proposée  ou  reçue,  et,  comme, 
pour  justifier  la  théorie  par  des  exemples,  mes  lecteui*s  et 
moi,  nous  avons  pénétré  en  voyageurs  dans  tous  les  détails 
de  la  vie  arabe,  même  dans  ceux  qui  paraissaient  d'abord  ne 
pas  se  rapporter  à  notre  sujet.  Pourquoi  donc  cette  nécessité 
de  parler  de  tout  h  propos.de  l'hospitalité?  Cette  nécessité 
vient  de  la  constitution  môme  du  peuple  arabe,  de  son  cli- 
mat, de  la  nature  de  son  pays.  Elle  vient  encore  de  la  loi 
musulmane  d'où  dérivent  un  grand  nombre  d'obligations  en 
tète  desquelles  on  doit  compter  la  fraternité  entre  coreli- 
gionnaires, l'aumône,  sans  compassion,  je  le  veux  bien,  mais 


HOSPITALITÉ  3i9 

enfin  le  soulagement  dos  misères»  le  respect  des  conventions 
de  musulman  k  musulman,  Tapaisement  des  querelles,  et, 
par-dessus  tout ,  la  convenance  dans  les  rapports  indivi- 
duels. 

Aujourd'hui,  la  sécurité  des  chemins,  la  facilité  des 
voyages  et  des  approvisionnements,  en  un  mot  toute  notre 
civilisation  rend,  chez  nous,  Thospitalité  sans  objet:  elle 
n*est  plus  qu*un  plaisir  privé,  elle  a  cessé  d*être  un  devoir 
public.  Il  existe  cependant  un  lieu  oh,  déterminée  par  des 
règlements  aussi  minutieux  que  chez  les  Arabes,  Thospitalité 
chrétienne  est  encore  aujourd'hui,  comme  au  désert,  la  sau- 
vegarde et  l'assurance  mutuelles  des  gens  toujours  en 
marche  et  toujours  en  péril. 

Ce  lieu,  c'est  la  mer.  Le  code  maritime  de  toutes  les  na- 
tions impose  aux  navires  l'observation  la  plus  large  de  l'hos- 
pitalité et  du  secours  mutuel.  C'est  que  rien  ne  ressemble 
plus  au  désert  que  l'Océan  ;  môme  genre  de  dangers,  même 
façon  de  les  surmonter.  Dans  les  deux,  l'homme  n'est  fort 
que  de  l'assistance  qu'il  tire  du  voisin,  et  il  est  toujours  au 
moment  de  la  prêter  ou  de  la  demander  à  son  tour.  Cette 
solidarité  nécessaire,  s'exerçant  dans  des  circonstances  pa- 
reilles, crée  des  habitudes  identiques. 

Vn  navire,  même  ennemi,  fait  un  signe  de  détresse  ;  11 
brûle,  on  court  à  lui,  on  le  sauve.  Un  autre,  ù  moitié  enfoncé 
dans  les  flots,  traîne,  hors  de  la  route  loin  de  laquelle  les 
vents  l'ont  poussé,  un  équipage  exténué;  c'est  la  faim  qui 
tient  le  gouvernail.  Vu  vaisseau  passe  ;  de  quelque  nation 
qu*il  soit,  il  doit  remettre  ces  malheureux  dans  leur  route  et 
partager  ses  ressources  avec  eux. 

Une  koubba,  chapelle  perdue  dans  le  désert,  reçoit  en 
dépôt  des  provisions  ù  l'usage  du  voyageur  égaré  qui  la 


330  LA    VIR    AUAHE 

rencoiUrora  afTnihli  par  la  fatigue  et  les  privations.  Dans  \vs 
déserts  glaei^s  des  inei's  polaires,  des  cairncs  —  espèces  de 
silos  —  surmontés  de  poteaux  pour  signes  indicateui*s, 
cachent  sous  la  gla/îe  ou  la  neige  les  vivres  déposés  par  les 
équipages  à  l'usage  des  naufragés  à  venir.  Les  mêmes  causes 
ont  conduit,  par  force,  aux  mêmes  usages. 

Je  ne  saurais  mieux  terminer  tout  ce  qui  concerne  l'hos- 
pitalité chez  les  Arahas  qu'en  offrant  encore  aux  lecteurs  ce 
beau  et  puissant  précepte  qui  me  paraît  résumer  toute  leur 
pensée  à  cet  égai'd  : 

Si  tu  as  beaucoup,  donne  de  ton  bien  ; 
Si  tu  as  peu,  donne  de  ton  cœur. 
lia  aandek  keiU\  aati  menn  malrk; 
lia  aandek  klil,  aali  menn  galbek. 


CHAPITRE    NEUVIÈME 


PHRASKS     UTILES     ET     USUELLES, 

Apprenez  cinq  mois  par  jour.  —  Adverbe?.  —  Le  mot  temps. 
—  Le  mot  tuer,  —  Le  mot  âme.  —  Le  mot  respiration.  — 
Le  mot  boire.  —  Le  mot  frapper.  —  Le  mot  nez.  —  U 
mange  de  ma  ceinture.  —  Les  Arabes  du  milieu.  —  Il  a  le 
sang  jaune.  —  Rafraîchir  la  salive.  —  La  langue  arabe  est 
un  puits  sans  fond.  —  Ilcproclies  adressés  aux  chrétiensr-^ 
Les  ordures  de  ce  monde.  —  Le  moul  saa.  —  La  révolte,  -^ 
Ils  payeront  Tancien  et  le  nouveau.  —  Le  café  consolide  les 
os  et  court  dans  les  membres.  —  La  tôle  de  la  boutique.  — 
La  guerre.  —  Aujourd'hui,  c'est  le  jour  de  la  mort.  —  Les 
impies  couvrent  Tœil  du  soleil.  —  La  poudre  a  mangé  tous 
nos  hompaes,  —  Le  troupeau  sans  berger.  —  Quel  dommage 
que  les  Français  ne  se  fassent  pas  musulmans!  —  0  mon 
Dieu,  c'est  toi  qui  nous  as  amené  l'infidèle, c'est  toi  qui  dois 
nous  l'enlever. 


Comment  appelle-t-on  cela? 
Kifach  essmou  liada  ? 

Pour  apprendre  l'arabe  parlé,  voilà  la  première  phrase 
qu'il  faut  savoir.  En  effet,  quand  vous  aurez  posé  la  ques- 
tion :  «  Comment  appelle-t-on  cela  ?  »  écrivez  la  réponse  sur 
votre   calepin,  en  vous  ingéniant  pour  bien  reproduire  la 


S3â 


LA    VIE    ARABE 


prononciation,  d'api  t^^s  les  règles  que  j  ai  tracées  au  commen- 
cement de  ce  livre,  retenez  ainsi  cinq  mots  par  jour,  cela 
vous  fera  cent  cinquante  mots  par  mois  et  dix-huit  cents  à 
la  fin  de  Tannée.  Joignez  à  ce  bagage  les  verbes  usuels;  des 
adverbes,  des  prépositions,  des  conjonctions,  etc.,  etc.,  et 
bientôt  on  vous  comprendra  et  vous  volerez  de  vos  propres 
ailes. 

Des  savants  assurent  que,  lorsqu^on  connaît  et  que  Ton 
sait  prononcer  h'uit  cents  mots  d*une  langue  étrangère,  on 
doit  la  parler  de  manière  h  pouvoir  satisfaire  à  toutes  les 
exigences  de  sa  position. 


Moi.  Toi.  Lui. 

Nous.  Vous.  Eux. 

Oui. 

Non. 

Aujourd'hui. 

Demain. 

Après-demain. 

L'autre  après-demain. 

Hier.  • 

Avant-hier. 

Avant-hier. 

L'autre  avant-hier. 

L'autre  avant-hier. 

A  l'avenir. 

Quand? 

Toujours. 

Jamais.  De  ma  vie. 

Rien. 

Bien. 

Peu 


Ana.  Ennta.  Houa. 
Ahhna.  Enntouma.  Houma. 
Ih.  Oua.  Noam.  Eioua. 
La.  La-la.  Rahha. 
Elyoum. 

Ghedoua.  Gheda. 
Baadgheda.  Mennghodd. 
Li  cheggou. 
El  baraihh.  Amess. 
Loul  menu  amess. 
Loid  el  baraihh. 
Loul  el  barraihhine. 
Loul  menn  amessine, 
Menna  legouddam. 
Oiïimta  ?  Ouaktach  ? 
Dima.  Daim.  Lebda. 
Abadenn.  Aamri. 
Oualou.  Chaîne. 
Meléhh.  Tayeb.  De  iebaa. 
Chouiya.  Kelil. 


PHRASES  UTILES  ET  USUELLES 


3?3 


Beaucoup. 

Mauvais. 

Enfin. 

Assez. 

A  la  longue. 

Pas  du  tout. 

Pourquoi  ? 

Parce  que. 

Combien? 

AllcrnativemenL  • 

De  temps  en  temps. 

Exprès. 

Bientôt. 

Tout  de  suite. 

Volontiers. 

A  i'improvistc. 

C'est  égal. 

En  cachette. 

Eu  secret. 

Doucemeut. 

Partout. 

En  vérité. 

Cependant. 

Avec  tout  cela. 

Il  le  faut. 

C'est  possible. 

C'est  impossible. 

A  peu  près. 

Autrefois. 

A  la  fin. 

C'est  la  même  cUose. 


Dezzaf.  Ktir.  Yasser. 

MamennoNch.  Douni. 

El  hhassouL 

Barka.  Ikfi. 

Del  metoul.  Bel  toul. 

Del  koull. 

Aalach?  LiyahJ 

Aala  khater.  Aala  sebetl. 

Kedilach.  DechhaL  Kern. 

Detinouba, 

Saa  aala  saa. 

Delaani.  Delkessod. 

Aan  keiib.  Kerib. 

Fi  saa.  Fel  hhine. 

Tayeb.  Maalih.  Del  ghard. 

Aala  ghefla. 

Denniya.  Siérsa. 

Bel  khefiya.  De  serka. 

Desser. 
\  Choulya-Chomya. 
I  Ouahhda-Ouahhda, 

Fi  koiill  Medrob.  Modaa. 

Dessahh.  Del  hhak. 

Oua  lakenn. 

Dini  ou  bini. 

Lazem.  Labed.  Bessif. 

Imkenn. 

Ma-imkennche,  MohhaL 

Zaid  nakoss. 

Fi  sabok.  Zemane. 

Fe  laagab.  Fel  akher. 

Kif-kif.  Soua-soua. 


334 


LA    YIG    ARABE 


Quand  bien  m6mc. 

C*esl-à-dii*e. 

En  deçà. 

Au  delà. 

Tout. 

Qu'est-ce  (lue  cela  ? 

Viens. 

Beau. 

Lequel  vaut  le  mieux. 

C'est  ainsi. 

Par  exemple. 

Tout  au  plus. 

Sans  aucun  doute. 

C'est  évident. 

Tout  autour. 

Probablement. 

Au  lieu  de. 

Il  n'y  a  pas  de  mal. 

Mieux. 

Tout  droit. 

Par  force. 

Sauf  votre  respect. 

Entre  les  deux. 

C'est  connu. 

Gratis. 

C'est  permis. 

C*est  défendu. 

Écoute. 

Allons,  courage. 

\  a-t-il  ? 

Il  n*y  en  a  pas. 

Hûte-toi. 


Baadema. 

Yaani,  Zama. 

Donne, 

Cheg. 

El  konIL 

Ouacheta  hada. 

Adji. 

Zine  chebab, 

Ama  khér. 

Hakda.     • 

Bel -me  tel.  Meteknn. 

Bel  hhara. 

Delà  chek. 

Maaloim.  Be  daliar, 

Dair-saïr. 

Ouakila. 

Aaouad. 

La  bass.  Ma-idorche. 

Khér.  Hhassenn. 

Koubala^  koubala. 

Dessif.  De-zzour.  Be  deraa, 

Hhachak» 

Dine  el  Mnine, 

Maarouf.  Maaloum. 

DatoU 

WialaL 

Hharam. 

Esmaa.  Semwlt, 

Yallah,  redjoulhja. 

Kane^chi  ? 

Ma-kannche. 

Aamel  kkefif. 


PHRASES  UTILES  ET  USUELLES 


3S5 


Sans  plaisanterie. 

Cela  n'est  pas  supposable. 

Ainsi  soil-il. 

Va-ren. 

Encore. 

Qu'est-ce  que  lu  as? 

Présentement. 

Brièvement. 

Auparavant. 

Inutilement. 

Injustement. 

Surabondamment. 

Indubitablement. 

Sincèrement. 

Séparément.  . 

Proprement. 

Désagréablement . 

Visiblement. 

Vigoureusement. 

Tristement. 

Insolemment. 

Vite. 

Orgueilleusement. 

Finalement. 

Fidèlement. 

Entièrement. 

Joyeusement. 

Délicatement. 

Courageusement. 

Amicalement. 

Maladroitement. 

Malicieusement. 


Delà  temesskhir. 

La  houa,  la  guemma. 

Aminé, 

EmchL  Rohheu. 

Zid.  MazaL 

Achbik?  Maalek? 

Deloiiakt,  Tououa. 

BeUekssir. 

Kbel 

Fel  batoL 

Beddolm. 

De  ziyada. 

Bettlihakilj. 

Bessedok. 

Koulouahhéd  ouahhédon. 

Be  nekaoïia, 

Bla  kif. 

Beddahar. 

Bel  koua. 

Bel  hhezenn. 

Bel  kebahha. 

Bel  kheffa.  Bih  fih. 

Bennefkhn.  Be  keber. 

Fi  lakher. 

Bessedok 

Bel  kouHitia. 

Bel  ferhha. 

Beddrafa, 

Bel  galb.  Be  chedjaa* 

Bel  mahhabba. 

Be  kolt  el  maarifa. 

Bel  hhéila. 


33t5 


LA    VIE    ARABE 


Bêtement. 

Sans  raison. 

Il  n*est  ni  grand  ni  petit. 

J*ai  oublié  son  nom. 

Littéralement. 

Patiemment. 

Violemment, 

Volontairement. 

Souvent. 

Dépêche-toi. 

Sagement. 

Follement. 

A  contre-cœur. 

Voilà  tout. 

Tiens  ta  langue. 

Qui  est-ce  ? 

Je  ne  me  rappelle  pas. 

La  vérité  est  avec  toi. 

Entre  toi  et  Dieu. 

Qu'en  penses- tu? 

Consulte  ta  tête. 

Combien  y  a-t-il  de  temps? 

Cela  est  loin  de  moi. 

Il  n'est  venu  personne. 

J'ai  beaucoup  d'affaires. 

Je  m*ennuie. 

Quelle  heure  est-il? 

Apporte  le  café. 

Donne-moi  une  pipe. 

Je  compte  sur  toi. 

Nous  mangeons  du  pain  noir. 


Bel  khechana. 

Menn  koU  el  oakeL 

La  kebir  ou  la  seghir, 

Nessil  essmou. 

Kelma  bel  kelma. 

Bessebetr, 

Dezzour. 

Del  ghard. 

Aala  koull  saa. 
\  Khof.  Ghaouel. 
\  Zerem.  Aazein. 

Bel  aakel. 

Bel  hebaL 

Bla  galb. 

Hada  ma  kane. 

Chedd  lessanek. 

Ahh  koun  ? 

Manichi  tabett. 

FA  hhak  maak. 

Binek  ou  bine  IlebbL 

Ouachta  daharlek? 

Chaour  rassek, 

Elyoum  keddach  ? 

Hada  baatd  aaliya. 

Ma-djach  hhatta  ouahhéd. 

Ana  moula  kelfa. 

Idik  khatri.  Rani  mediyd\ 

Keddach  saa.  Saa  kem  î 

Djib  el  kahoua. 

Aaténi  sebsL 

Rani  netkel  aaliL 

Nakoulou  khobz  gourchala. 


PHRASES    UTILES    ET    USUELLES 


337 


Je  n*ai  pas  de  bonheur. 
Je  n*ai  pas  d*argent. 
Il  connaît  ses  affaires. 
Ce  n'est  pas  une  faveur. 
Que  le  rnal  soit  loin  de  lui  ! 
Qu'est-ce  que  cela  rae  fait? 
Élargis  Ion  intérieur  (cœur). 
Le  passé  est  mort. 
Âmène-moi  un  conducteur. 
Ne  comble  pas  la  source. 
Ils  sont  embusqués. 
Ce  sont  des  traînards. 
Ce  sont  des  pillards. 
Un  homme  poignardé. 
Ma  mère  a  eu  des  envies. 
J'ai  compris  le  contraire. 
Allons,  tenons  conseil. 
C'est  une  méprise. 
Il  vend  en  détail. 
Décris-moi  le  pays. 
Us  se  ressemblent  tous. 
Il  y  a  quelques  jours. 
Cela  ne  se  dit  pas. 
Donne-moi  mon  argent. 
La  mer  s'est  calmée. 
J'ai  consenti. 
Pourquoi  me  boudes-tu  ? 
Il  n'a  pas  d'épaules. 
Je  me  vengerai  de  lui. 
Bôlises  sur  bêlises. 
Il  a  le  cœur  dur. 
h  fais  la  sieste. 


Maandi  saad. 
Maandi  felouss. 
laarf  soualahhou. 
Machi  bel  meziya. 
Baàid  el  bêla  aalih  ! 
Ach  aandi  fih? 
Oussaa  khatrek, 
Li  fate,  mate. 
Djib'li  gououad. 
Materdemche  laain. 
Bahoum  mekmine. 
Hadouk  mostakherine. 
Nas8  kliettafine. 
Radjel  medegoug. 
Imma  touhhamete. 
Fehemt  el  mekloub. 
Ayya^  netrayaou. 
Hadi  khatalla.  Gholta. 
Ibéaa  be  tekchir. 
Oussef-ni  el  belad. 
Gaa  ouahhéd  frid. 
Elyoum  chi  yamate. 
Had'Chi  ma  Uougalch. 
Lahhag  ni  —  drahamu 
El  bahhar  ennfech. 
Kobelt,  Reddite, 
Aalach  teghdob  aaliya  ? 
Maandouch  le  ketaf, 
Nekhelef  hhasaifa  mennou. 
Tiriri  fi  tiriri. 
Galbou  kassahh. 
Rani  me(/uiyel. 


338 


LA    VIE    ARABE 


Je  tourne  suivant  ma  tête. 

Je  tourne  et  je  tournaillei 

De  quel  pays  es-tu? 

0  esclave  de  Dieu! 

Quelles  nouvelles  y  a-t-il? 

Il  n*y  a  que  du  bien» 

Ne  me  jaunis  pas  la  figure. 

Je  te  couperai  la  têle. 

Cela  me  rafrakhira  le  cœur. 

Rends-moi  la  réponse. 

Un  tel  est  vivant. 

Tu  n'auras  pas  de  mal. 

Cela  ne  me  convient  pas. 

Le  temps  est  beau. 
Le  temps  est  mauvais. 
Quel  temps  fait-il  ? 
Le  temps  tourne» 
Comment  ton  temps  ? 
Le  temps  est  nuageux 4 
Il  n*a  rien  dans  sou  temps. 
Le  temps  a  tourné  sur  moi; 
Je  trouve  le  temps  long. 
Le  temps  vole  —  fuit. 
Il  ne  reste  plus  de  temps. 
Embellis-lui  le  temps. 
Dore-lui  la  pilule. 
Va  à  ton  temps. 
A  tes  affaires. 
U  est  temps  encore. 
Le  temps  est  parti. 
Il  est  de  bonne  beure. 


Ntdour  aala  ra^si. 

Nedour  ou  nedouder, 

Enntamenine? 

Ya  aabd  rebbi  ! 

Ach  lekhobar? 

Khobar  el  khér. 

Matesseferlich  oudjhi. 

Nektaa  rassek. 

Ibeired  galbi. 

Rodd'li  lotidjab.  Le  djouab, 

Felane  ra  hhai, 

La  ba$s  aalik, 

Hada  ma  ilikchi  biya, 

Lhhal  meléhh. 
Lhhal  mamemwiich. 
Kifach  lhhal  ? 
Lhhal  idour. 
Ouach  hhalekf 
Lhhal  messahhab. 
Ma  fi  hhalouch. 
Dar  aaliya  IhhaL 
Tal  aalya  lhhal. 
Lhhal  itair, 
Ma-bka  hhaL 


Ziyenn-lou  lhhal. 

Rohheu  fi  hhalek, 

Mazal  lhhal, 
Mecha  lhhal, 
Lhhal  hekrL 


PHRASES    UTILES    ET    USUELLES 


339 


C'est  près. 
C*est  loin. 
Il  fait  frais. 

Le  temps  est  lon^. 
En  tout  temps. 
Depuis  longtemps. 
Au  temps  de  la  guerre. 
Chaque  temps  a  son  temps. 
Le  temps  est  venu. 
Le  temps  est  parti. 
Depuis  les  temps  anciens. 
  tout  moment. 
Dans  quel  moment. 
Dans  ce  moment-là. 
En  ce  moment. 
Dans  son  moment. 
Dans  un  moment  connu. 
Le  moment  de  donner  Tor^'e. 
Avant  le  moment. 
Le  moment  est  arrivé. 
Le  moment  est  passé. 
Le  moment  des  semailles. 
Le  moment  du  labourage. 
Le  moment  de  la  moisson. 
Le  moment  du  dépiquage. 
Le  moment  de  l'abreuvoir. 
Moment  inopportun. 
Le  moment  de  la  mort. 
Le  moment  où  il  est  venu. 
Indique  le  moment. 
Choisis  le  moment. 


Guerib  Ihhal. 
Baaid  Ihhal. 
Berd  Ihhal. 

Zemane  touil. 
Fi  koull  zemane. 
Menu  zemane. 
Fi  zemane  el  aadaoua. 
Koul  zemane  on  zemanou. 
Dja  zemane  ou  mecha  ze- 
mane. 
Menn  kedim  zemane. 
Fi  koull  oîiakt. 
Faï  oudkt. 
Fi  dak  el  ouakt. 
Delouakt. 
Fi  ouaktoii. 
Fi  ouakt  el  maaloum. 
Ouakt  el  aalf. 
Kebel  el  ouakt. 
Oussel  el  ouakt. 
Fate  el  ouakt. 
Ouakt  ezzeréaa, 
Ouakt  el  hhartt. 
Ouakt  el  hhassad. 
Ouakt  edderras. 
Ouakt  el  mirade. 
Fi  ghér  ouakt* 
Ouakte  el  monte. 
Ouakt  H  dja. 
Aaiyenn  el  ouakt. 
Khetar  el  ouakt. 


340 


LA    VIE    AHARK 


Maintenant,  en  quoi  consiste  la  diiTërcncc  entre  les  mots 
hhaly  zemane  et  ouakt^  qui,  à  la  rigueur,  peuvent  tous  dési- 
gner le  temps. 

Elle  me  paraît  résider  dans  une  succession  d*instantsplus 
ou  moins  étendus  ou  plus  ou  moins  limités. 

Quoi  qu'il  en  soit,  comme  hhal,  zemane  et  ouait  donnent 
naissance  à  une  foule  de  phrases  très-usitées  et  fort  utiles 
dans  la  conversation,  j*ai  cru  devoir  appeler  sur  eux  l'atten- 
tion. 


Toi  et  ton  caprice. 
Toi  et  ton  intérieur. 
Toi  et  ta  volonté. 
Toi  et  ton  désir. 
Toi  et  ton  bonheur. 
Toi  et  ton  conseil. 
Toi  et  ton  cœur. 

J'ai  faim. 

J'ai  soif. 

Je  suis  rassasié. 

Je  suis  en  transpiration. 

J'ai  froid. 

Je  suis  tout  nu. 

Je  marche  pieds  nus. 

Je  suis  en  colère. 

Chacun  son  pays. 
Chacun  sa  langue. 
Chacun  son  plaisir. 
Chacun  son  tour. 
Chacun  sa  religion. 

Tue  ton  ennemi. 


Ennta  ou  kifek, 
Ennta  ou  khatrek. 
Ennta  ou  ghardek. 
Ennta  ou  moradek. 
Ennta  ou  saadek. 
Ennta  ou  rayek. 
Ennta  ou  galbek. 

Rani  djiyaane. 
Rani  aatchane. 
Rani  chebaane. 
Rani  aargane. 
Rani  berdane. 
Rani  amryane. 
Rani  hhafyane, 
Rani  zaafane. 

Koull  ouahhéd  ou  beladou. 
Koull  ouahhéd  ou  lessanou. 
Koull  ouahhéd  ou  kifou. 
Koull  ouahhéd  ou  iwubtou, 
Koull  ouahhéd  ou  dinou. 

Ktel  aadouk. 


PHRASl!:S    l'TiLl!:S    £T    USUELLES 


341 


I  s'est  tué. 
Tue  le  vin. 
Mets-y  de  l'eau. 
Tue  Ion  cœur. 
Eii(lurcis-le. 
Tue  ton  conseil. 
Décide-toi. 
Tue  la  terre. 
Va-t'en  à  la  découverle. 
Affaires  de  délicatesse. 
Affair  s  d  î  vanité. 
Affaires  de  princes. 
Affaires  de  femmes. 
Affaires  du  démon. 
Affaires  du  domaine. 
Affaires  du  gouvernenient. 
Affaires  de  la  reli{5'ion. 
Affaires  d'orgueil. 

0  mon  âme  ! 
Commande  à  ton  àuie. 
J'ai  égaré  mon  âme. 
J'ai  retrouvé  mon  âme. 
Il  n'aime  que  son  ftme. 
Tiens  ton  âme. 
Unissons  nos  âmes. 
Reste  chez  ton  âme. 
Tiens-loi  tranquille. 

Grand  par  la  taille. 
Grand  par  les  honneurs. 
Grand  par  l'âge. 
Grand  homme. 


I  Ktel  nefssou, 
?  Ktel  cherab. 

.  Ktel  galbek. 
Ktel  rayek. 

Ktel  el  arde. 

Cheghoul  eddrafa. 
Cheghoul  ezzyakha. 
Cheghoul  el  moulouk. 
Cheghoul  ennesi^a. 
Cheghoul  echitane. 
Cheghoul  el  bàilik. 
Cheghoul  el  makhzenn, 
Cheghoul  edditte. 
Cheghoul  emiefkha. 

Ya  rohhi  ! 

Hhakem  fi  rohhak, 

Telleft  rohhi, 

Sebt  rohhi. 

Ihheb  gher  rohhou. 

Chedd  rohhak, 

Evbolt  rohhak  maa  rohhi. 

Ogoud  aantl  rohhak. 

Touil. 

Kebir  fe  trék, 
Kebir  fe  senn. 
Hadjel  aadim. 


( 
\ 


342 


LA    VIE    ARABE 


Il  frappe  la  poudre. 

Il  frappe  les  éperons. 

Il  frappe  monnaie. 

Je  Tai  frappé  injuslemeiil. 

Il  frappe  le  tambour. 

Ils  ont  frappé  le  divan. 

Ils  ont  tenu  conseil. 

Je  Tai  frappé  avec  le  soupçon. 

La  poudre  parle. 
La  poudre  tousse. 
Maître  de  la  poudre. 
La  poudre  est  dangereuse. 
Gare. 

Prends  garde. 
Préte-moi  attention. 
Cela  ne  se  dessine  pas  dans 
mon  intérieur. 

Je  suis  souffrant. 
Montre-moijle  chemin. 
Combien  te  dois-je? 
J'ai  mal  aux  dents. 
Je  n*ai  besoin  de  rien. 
Il  nfa  tourné  le  dos. 
Il  m*ont  bien  accueilli. 
Tu  ne  me  reconnais  pas. 
Donne-moi  un  délai. 
Je  suis  mal  à  mon  aise. 
Je  payerai  comptant. 
Je  suis  venu  à  pied. 
Donne-moi  à  crédit. 
Bois  du  blanc  —  du  lait. 


Idrob  el  baroud. 
Idrod  chabiv. 
Idrob  sekka. 
Drobtou  bêla  hhak. 
Idrob  ettebel, 

Drobou  eddiouane, 

Drobtou  be  donn, 

El  baroud  itkellem. 
El  baroud  ikohiieu. 
Moula  baroud. 
El  baroud  ouaur, 
Balék. 
Rodd  balék. 
Aaténi  balék. 

I  Hada  ma,  issouer  fi  bali. 

Rani  mederour, 
Ourini  eirék. 
Keddach  tessalni  ? 
Senani  ïoudjaaouni. 
Manichi  mahhiadj. 
Aata7ii  bel  kcfa. 
Keberou  biya. 
TeUeftni. 

Aaténi  tidjal.  Midjal. 
Rani  matemmach. 
Nekhalless  bel  hhadei'. 
Djite  aala  ridjeli  —  terrass. 
Aaténi  bettèlouk. 
Cherob  el  byad. 


PHRASES    UTILES    ET    USUELLES 


3i3 


La  société  fait  man^^er. 
C'est  la  tête  de  mon  bien. 
Ma  tente  est  détruite. 
C'est  un  joueur  de  religions. 
Ne  lui  fais  pas  l'œil. 
C'est  un  homme  mort. 
Il  a  mangé  la  bastonnade. 
Tu  fais  blanchir  ma  barbe. 
C'est  ma  soeur  du  démon. 
Ils  t*ont  menti. 
Tu  fais  des  bêtises. 
Découvre  ta  tête  et  jure. 
Apporte-moi  la  mosquée. 
Il  peut  sa  tête  —  habile. 
Je  lui  tirerai  la  langue. 
De  quelle  origine  es-tu  ? 
Rince-toi  la  bouche. 
C'est  la  coutume. 
Le  voyageur  est  pardoiuié. 
Tu  es  fou. 

Je  n'ai  pas  de  monnaie. 
Mes  cheveux  «ont  longs. 
J*ai  sacrifié  ma  vie. 
Je  suis  blessé  au  cœur. 
Dieu  est  entre  nous. 
0  mon  pain  !  frappe -moi. 
C'est  un  homme  de  TOuesl. 
J  aime  le  lait. 
Comme  si  tu  le  vovais. 
Le  feu  fait  des  cendres. 
Apporte-moi  de  Teau. 
Va-fen  à  tes  affaires. 


Errefaga  tououkkel, 

Hadarass  malL 

Khela  khéimti. 

Laab  be  le  diyane. 

Ma  leghmezlouch. 

Radjel  miyete,  ' 

Kela  laassa.  Lharaoua, 

Rak  techiyeb-ni. 

Kheti  menn  echytarie: 

Guedehou  aalik. 

Rak  tekher. 

Aari  rassek  ou  hhalef. 

Djibli  el  djamaa. 

Inedjemm  rassou, 

Nedjebedloiir  lessanou, 

Ennta  fel  assel  menhie. 

Mossmoss  foumek. 

Hadi  laada, 

El  moussafer,  meglwfer. 

Rak  messgooeu.  Maliboitl. 

Esserf  maandiche. 

Rani  meghofeL  Meghouef, 

Sebbelt  aamri. 

Rani  metaaoun. 

BéinaUna  rebbi. 

Edrod-ni  ya  khobzi  ! 

Radjel  megharbi. 

Nehheb  el  hhalib. 

Ki  H  rak  techouf  be  aainek. 

Ennar  tekiielef  erremad. 

Djlb'H  el  ma.  Moiiya. 

Rohheu  le  soualahhk. 


344 


LA    Vl£    ARABE 


Le  tambourin  meplatt. 

Il  fait  revivre  un  mort. 

Est-il  noble  ou  roturier? 

Ont-ils  apporté  du  butin  ? 

Il  a  des  yeux  à  la  nuque. 

Quel  monde  1 

Quelle  organisation  I 

Tu  m'as  trahi. 

Ne  fais  pas  de  bruit. 

Donne-moi  la  peau  de  bouc. 

Allons  consoler  un  tel. 

Allons  complimenter  un  tel. 

Ce  qui  est  répété  est  fade. 

J*ai  été  effrayé. 

Je  suis  stupéfait. 

Je  jeûne. 

Les  Arabes  nomades. 

Les  Arabes  du  milieu. 


laadjeb'îH  el  guellal. 

Ihha'i  el  miyete. 

Djiyed  oula  tei^bi  f 

DjaboU'Chi  kech  el  yhazia  If 

Aaïnine  fel  aanguera, 

Ach  menn  denya! 

Achmenn  taouill 

Ghedderit-ni, 

Ma  tekiterchi  el  hhess. 

Aaténi  guerba. 

Ayya  naaziou  felane. 

Ayya  jiebourekou  felaiie. 

El  maaoud  messous. 

Ennkhelaat, 

Rani  dhhachane. 

Rani  sàim, 

Aareb  rahhala, 

Aareb  el  ouasta. 


On  entend  par  Arabes  du  milieu,  tous  ceux  qui  sont  com- 
pris entre  l'Egypte  et  le  Maroc. 


Qu'est-ce  que  tu  dis  ? 

Je  n*ai  rien  à  dire. 

Il  ne  nous  manque  rien. 

J'aime  le  tabac  fort. 

Je  n'ai  pas  compris. 

Raconte-moi  cette  histoire. 

Il  a  la  langue  longue. 

Tu  n'as  pas  de  mai. 

Il  voit  Tavenir. 

Je  suis  sorti  de  ma  raison. 

Ne  montre  pas  mes  défauts. 


Ouacheta  rak  tegoul  ? 
Maandi  ma  negoul, 
Ma-khessna  chaain. 
Nehheb  cddokham  gataa, 
Ma-fehemtche. 
Hhakili  dik  ed-daoua, 
Lessanou  touiL 
Maandek  saii.  Bass, 
Ichouf  el  baud. 
Khordjt  menu  aakeli. 
Matekeche  (niche. 


PHRASES    UTILES    ET    USUELLES 


34 


Y  a-t-il  de  loi  aujourd'hui? 
Tu  t'es  beaucoup  arabisé. 
Parle  francheinenl. 
Il  ifa  pas  de  provisions. 
Je  n*avalc  pas  la  fumée. 
Un  lel  est  revenu  bredouille. 
As-lu  des  épiées? 
Prends  à  droite. 
Prends  à  gauche. 
C'est  mon  devoir. 

Allons,  prends  respiration, 
Ayya  elnefess. 


Kannche  mennek,  elyoum  î 

Taarbite  bezzaf. 

Etkellem  koubahiy  koubala. 

Ma-aandouch  el  aaouine. 

Manekemmich  dokhane. 

Felane  oulla  yammahh. 

Aandekclii  elaatriyaf 

Tïyamenn. 

Tiyasser. 

Ouadjeb  aaiiya. 


DitïicuUé  de  respiration.    |     Dikete  ennefss. 

C'est  un  maîlre  de  la  rospiralion.  —  Coura^'eux. 
Moula  nefss. 

J'ni  la  respiration  maigre.  —  Je  ne  suis  plus  un  homme. 
Nefssi  daaifa. 

Il  est  venu  avec  sa  respiration.  —  Lui-même. 
Dja  houa  be  nefssou. 

Il  n'a  pas  de  respiration.  —  Peu  vaillant. 
Nefss  makanncUe. 

Tu  m'as  coupé  la  respiration. 
Ketaat'li  ennefss. 

Il  ne  pense  qu'à  sa  respiration  —  à  soi. 
Ikhememm  ghér  fi  nefsou. 

Il  boit  la  feuille  de  ce  chanvre  qui  prod.iit  l'ivresse  el 
l'extase  (hhachich). 
.  Ichrob  el  kif. 


346  LA    VIE    ARABIî: 

Il  boit  des  liqueurs  ferraentccs. 
Ichrob  el  khemer. 

Il  boit  le  tabac  —  fume. 
Ichrob  dokhane. 

C'est  un  buveur  d'air. 
Chareb  erréhh. 

C'est  un  maître  du  nez  —  de  Tamour-propre. 
Moula  nif. 

Je  suis  frappé  dans  mon  nez. 
Rani  medroub  fi  nifi. 

Pourquoi  fais-tu  ton  nez  ?  —    Pourquoi  fais-tu  tes  eni 
barras  ? 
Aalach  ieiniyefi 

Il  n'a  pas  de  nez. 
Nif  maandouch. 

Nous  avons  marché  toute  la  nuit. 
Bettna  càirine. 

Cela  ne  me  fait  pas  de  peine. 
Ma-ighidniche. 

Tu  es  un  habitant  de  la  ville. 
Ennta  medini. 

Une  parole  comme  une  balance.  —  Juste. 
Hadi  kelma  mizane. 

Je  suis  ton  écolier. 

Ana  (janndouzek.  —  Telmidek, 


PHRASES     UTILES    ET    USUELLES  347 

In  gitiihl  cri.  Le  bien  de  Dieu.  Il  y  alongteraps. 
AuUa,  khér  Allah,  zemmie. 

Le  temps  de  faire  cuire  uupain.  —  Promplemenl. 
Marna  thiyab  el  khobza. 

Et  CiTlera,  et  cœtera. 

lia  akhéri.  Ou  menn  ghëv  ilaliL 

Une  seule  fois. 

Marra  frida.  Khratra  ouahhéda. 

j   Menn  hena  le  fouk. 
\   Menn  hena  le  goiuldam. 

Je  suis  occupé  sur  ma  tête. 
llani  mecheghouL 
Hani  Iha'i  aala  rassi. 

Réveille  ton  cheval  avec  le  bruit  des  étriers. 
Kerbaa  aaoudek. 

Donne-moi  un  morceau  de  nouvelles. 
Aaténi  guerdaa  khobar. 

Ils  se  servent  encore  de  la  fronde. 
Mazal  idrobou  bel  mouglaa. 

Comme  ci,  comme  ça  —  une  grande   tente,  une  petite 
tente. 
Khéima  ou  khouima. 

Bois  cela  sur  la  salive  —  à  jeun. 
Chrob  hada  aal  rig. 

La  tente  de  mon  père  est  détruite. 
Khela  khéimt  bouya. 


348  LA    YIË    AHABE: 

J'ai  eiiteudu  les  ëelaireurs  de  nuit. 
Smaat  el  keroualhie. 

Les  chevaux  fo^t  voler  la  poussière. 
El  kliéil  ghér  teghebbor, 

La  Icrre  dompte  le  cieL  —  Le  beau  tiujps  est  veuu 
FA  arde  tegheleb  sema. 

Je  demande  mon  bonheur.  —  Je  cours  ma  chance. 
Netlob  saadL 

Laisse-moi  tranquille,  ô  homme! 
Kil-ni  ya  radjel  ! 

Comment  Dieu  t*a-t-il  nommé? 
Kisemmak  allah? 

A  portée  de  fusil.  —  A  la  jeti»e  de  la  balle. 
Aala  remait  eressas. 

C'est  un  menton  sans  barbe. 
Dekenn  bêla  lahhya. 

C'est  un  grand  fauteuil.  —  Troue. 
Kersi  kebir. 

Tu  ne  trouveras  pas  son  pareil. 
Matessibch  metlou. 

Allons,  poursuivons  reuuenii. 
Ayya,  mrdefou  laadoiu 

A  boire,  pour  l'amour  de  Uieu. 
Houini  fi  sabillah. 

Sa  physiouomie  ne  me  plaît  pas 
Sifton  mataadjebnich. 


PHRASES    UTILES    ET    USUELLES  349 

Je  passe  li  soirée  chez  un  tel. 
Neguesser  aani  felane. 

Ce  sont  des  ramasseurs  de  poussière.  —  Gpiis  de  rien. 
Leggatine  el  aadjadj. 

Que  Dieu  noircisse  vos  cœurs! 
Allah  iqhhal  gueloiib-koum  ! 

Je  Tai  sur  le  bout  de  la  langue. 
Ra  aala  terf  lessani. 

Nous  n'avons  pas  de  relations. 
Maandena  kholta. 

Il  mange  de  ma  ceinture.  —  Il  vit  à  mes  dépens. 
Yàkoul  mena  hhazami. 

C'est  le  chef  du  troupeau.  —  Nation. 
Houa  kebir  eddoula. 

Ma  barbe  est  dans  ta  main.  —  Je  suis  tout  à  toi. 
Lhhaïti  fi  iddek. 

Montre-moi  la  date.  —  Précise  l'époque. 
Ourrini  eîtarikh. 

Suis  mes  avis  ;  sois  d'accord  avec  moi. 
Saaf-niy  ouafek-ni. 

Il  a  le  sang  jaune.  —  Lâche. 
Demmou  sefer. 

Celui  qui  ni*aime,  je  Taime. 
Menn  ihhebni  nhhebou. 

Le  cœur  est  bâti  sur  le  cœur. 
El  galb  mebeni  aalel  galb. 


350  LA    VIE    ABABR 

Tu  veux  remplir  le  vide.  —  Tu  lentes  l'impossible. 
Bghite  taammer  el  farghov. 

Donne-moi  une  bouchée  de  paiu. 
Aaténi  foum  el  kessera. 

Ils  ne  font  que  se  chauffer  au  soleil. 
Ghér  issemmechou. 

Je  te  couperai  ta  tête  de  mouton. 
Nektaalek  bou  zellouf. 

Il  fait  le  samedi  comme  un  juif. 
Issebett  ki  Hhoudi, 

Tu  as  retroussé  tes  vêtements. 
Rak  ineyuelfete. 

Pourquoi  me  suis-tu^  pas  à  pas? 
Aalach  toagueb-nif 

Assez  de  paroles  malhonnêtes. 
Barka  menn  kelam  el  aar. 

Le  soleil  envoie  sss  lances.  —  Il  fait  tr^s-chaud. 
Echemss  tebaat  mezrag-ha. 

As-tu  des  enfants  de  poule,  — œufs? 
Aandekchi  oulad  el  djadj  f 

Où  passes-tu  Tété,  cette  année? 
Ouine  tessiyef  esseria  ? 

L'arc  du  Prophète,  —  arc-en-ciel. 
Kouss  ennebi. 

Tu  le  vaincras  par  la  honte. 
Teghelbou  bel  lihaya. 


PHRASES    UTILES    ET    USUELLES  351 

Les  chameaux  sont  les  vaisseaux  de  la  terre  et  les  mou- 
tons sont  des  silos  ambulants. 

El  djemal  gouareb  el  berr^  ou  el  ghelem  metamir  ra- 
lihala. 

0  les  croyants!  donnez-moi  de  ce  que  Dieu  vous  a  donné. 
Ya  le  moumenine  menn  H  aatà-koum  Rebbi. 

Je  t'ai  montré  le  bien,  je  t'ai  montré  le  mal  ;  choisis. 
Ouritlek  el  khér,  ouritlek  echorr  :  khiyer.  Khetar. 

Si  tu  buttes,  ne  me  fais  aucun  reproche. 
lia  taaterr,  ma-teloumniche. 

Il  faut  que  nous  mangions  le  sel  ensemble. 
Labed  netmalahhou. 

Donne-moi  du  pain  avec  quelque  chose  pour  le   faire 
passer. 
Aaténi  khobz  bel  djouaz. 

Nous  avons  bu,  nous  avons  mangé,  et  nous  remercions 
Dieu. 
Kelina,  cherobna,  ou  ihhamedou  lellah. 

0  le  chrétien!  donne-moi  quelque  chose  pour  que  nous 
devenions  amis.  —  Quelle  amitié! 
Ya  le  Roumt!  aatênl  chi  hhadja  bach  nessthhabou. 

Ne  fais  pas  tomber  mon  honneur. 
Mateiaiyahhlich  hhermeti, 

Qu'est^e  qui  connaît  mon  fil  dans  le  bât?  —  Je  «tuis  sans 
influence. 
Menn  ïaarf  khéiti  fd  berdaa. 


352  LA    VIE    ARABE 

C'est  la  sœur  :  par  ton  père  ou  par  le  diable  ? 
Khetek  :  menn  babak  oulla  menn  echitane?  * 

Ne  sont  honteux  de  la  pauvreté  que  les  enfants  du  pécht5. 
Moristahhou  bezoll  ghér  oulad  Ihharam, 

La  vie  vaut  mieux  que  tout. 
El  aamer  khér  menn  koul-chi. 

Pourquoi  te  révoltes-tu  contre  ton  Créateur? 
Aalach  taassi  aala  khalkek  ? 

Il  n'y  avait  qu'un  tel  et  un  tel  ;  des  épis  arrosés.  —   Des 
gens  de  marque. 
Ghér  felane  ou  felatie^  seboulete  el  messeref. 

Il  y  a  aujourd'hui  trois  jours  qu*il  n*est  pas  tombé  dans 
mon  ventre  la  moindre  mouture  de  moulin.  —  Que  je  n'ai 
rien  mangé. 

Eliioum  telt  yam  ma  tahhch  fi  kerchi  metehhounete  er- 
rahha. 

Celui  qui  affranchit  un  esclave  devient  chéri  de  Dieu. 
Li  ifedi  el  aabd,  ivddjaa  aaziz  aala  Rebbi. 

Celui  qui  nous  aime,  que  Dieu  lui  place  un  clou  de  girofle 
sur  la  tête, 

Et  celui  qui  ne  nous  aime  pas,  que  Dieu  lui  place  du  poi- 
vre dans  la  bouche. 

Li  ïhheb-na,  Allah  idjaal  el  honnfela  aala  rassou, 
Ou  li  ma  Ikheb-na,  Allah  idjaal  el  felfela  fi  foummou. 

Ce  que  Dieu  t'a  écrit  dans  le  ciel,  tu  le  mangeras  sur  la 
terre.  (On  dit  cela  à  ceux  qui  reçoivent  la  bastonnade.) 
Li  kteb-lek  Bebbi  fi  sema,  takoulou  fi  larde. 


PHRASES    UTILES    ET    USUELLES  353 

Si  tu  n  as  pas  de  pain,  maniée  du  biscuit. 
lia  maandek'Chi  khobz^  koul  el  bechemate. 

N*ouvre  pas  l*œil  du  Bédouin,  tu  n'auras  pas  à  te  fatiguer 
ensuite  pour  le  fermer. 
La  tehhel  aaïn  le  Redoui;  la  tehhir  /î  seddane-ha. 

Avec  douceur  et  intelligence. 
DesFiiyassa  ou  riyassa. 

Va  le  remercier. 

Emchi  steketer  menn  khérou. 

Les  Arabes  boivent  le  café  avec  le  marc. 
El  Aareb  ichrobou  el  kahoua  be  teloua. 

Les  Arabes  mangent  les  sauteœlles. 
El  Aareb  iakoulou  le  djerad. 

Ils  disent  que  cet  animal  a  la  tête  du  cheval,  les3  yeux  de 
réiéphant,  le  cou  du  taureau,  les  cornes  de  Tantilope,  la 
poitrine  du  lion,  les  ailes  de  l'aigle,  les  cuisses  du  chameau, 
les  p*attes  de  Tautrucbe.  le  vcniro  du  scorpion  et  le  corps  du 
serpent. 

Tu  dépenses  ton  argent  rien  que  dans  le  péché  (sans  au- 
cun profit). 
Tekhesser  drahamek,  (jhér  fel  hharam.  Fel  batol. 

Donne-moi  pour  me  rafraîchir  la  salive  (à  boire). 
Aaténi  bach  neberred  errig. 

Entre  loi  et  moi,  il  y  a  le  serment  de  Dieu. 
Bini  ou  binek  ahad  Allah, 

J'ai  été  malade  ;  je  suis  arrivé  jusqu'à  l'œil  de  la  mort. 
Kounnt  merUle,  ousselt  fi  aain  el  moule, 

23 


35i  LA    VIE    ARABE 

Sa  taille  est  longue  et  son  esprit  petit. 
Kametou  touila  ou  aakdou  kessir. 

Il  n'est  pas  jusqu'à  l'enfant  qui  tette  qui  ne  connaisse  ses 
affaires.  , 

Hhatta  lichir  H  irdaa  iaarf  sonlahhou. 

On  n*a  pas  bâti  Alger  dans  un  jour. 
Ma  bennaouch  Dzair  fi  nhar  ouahhéd. 

Le  sultan  des  deux  terres  et  des  deux  mers. 
Soultane  berrine  ou  le  bahharine, 

La  loi  l'a  condamné  à  mort. 
Cheraa  hhakem  aalih  imoute. 

Je  compte  sur  Dieu  et  je  pars. 
Netekel  aala  Rebbi  ou  nerobheu, 

La  charrae  déchire  encore  la  terre. 
El  medemod  ma%al  icherreg. 

Il  n'y  a  que  le  démon  qui  désespère. 
Màiguetaa  lyass  ghér  echitane. 

Il  est  encore  un  peu  chagriné  dans  son  gosier.  (On  dit  cela 
des  gens  qui,  apprenant  l'arabe,  le  prononcent  encore  maL) 
Mazal  meghboun  fi  guersih. 

II  frappe  (parle)  l'arabe  avec  une  hache. 
hlrob  laarbiya  be  chakour. 

■  ( 

I 

Il  a  des  petits  chiens  dans  le  gosier. 
El  djeraou  fi  guersih. 

Il  parle  l'arabe  des  porteurs  de  iriqiio. 
Itkellem  laarbiya  mtaa  Iharaoudjiya, 


PHRASES    UTILES    ET    USUELLES  355 

La  prononciation  est  loin  de  lui. 
El  menntok  baaid  aalih. 

Sais-tu  lire  et  écrire? 
Tekra  on  tekteb  1 

Chaque  oiseau  parle  sa  langue. 
KouU  tair  iigha  bel  ghah, 

L*arabe  est  un  puits  sans  fond. 
El  aarbii/a  bir  bêla  kaa, 

La  connaissance  d'une  langue  complète  Thoinme. 
El  lessane  ziyada  fel  eussane. 

Pardieu  !  je  suis  ensorcelé. 
Ouallah!  ranl  messehhour. 

Personne  ne  sort  savant  du  ventre  de  sa  mère. 
Makane  menn  ikhrodj  maallem  menn  kerch  oummou. 

Ils  ne  parlent  qu'en  criant. 
Itkellemou  ghér  be  zegga. 

Les  chrétiens  portent  des  t^tements  étroits;  ils  n'ont  pas 
de  pudeur. 

En-nessara  labessine  diyek  :  ma-isstahhouth. 

Les  chrétiens  répandent  de  l'eau  debout  :  c'est  un  grttnd 
défaut. 
En-nessara  izerregou  :  aaib  kebii\ 

Les  chrétiens  dansent  avec  les  femmes  :  ils  n'ont  pas  de 
nez  (amour^propre). 
En-nessara  iclietahhau  maa  nessa  :  moHiandhoum  nif. 


^  LA    VIE    AHABE 

Les  chrétiens  frappent  la  danse  (se  promènent  ii  pied):  ils 
sont  fous. 
En-nessara  idrobou  ed-dansa  :  mahbel. 

Ijes  chrétiens  jouent  aux  cartes  :  c'est  un  péché  dans  noire 
religion. 
En-nessaru  ilaabou  el  karta  :  hharam  fi  dine-na. 

Nous  sommes  frères;  mais  Dieu  a  fait  et  il  a  séparé. 
Ahhna  khoutt,  oua  lakenn  Rebbi  khelok  ou  ferek. 

Le  chien  ne  se  sauve  pas  du  pain. 
El  kelb  maAherob  menti  el  kessera. 

Il  t*a  donné  la  vie,  celui  qui  t*a  instruit. 
Hhayatek^  elladi  aallemek. 

Écoute,  écoute  et  prie  sur  le  Proplièle. 
SefmoH,  sennott^  ou  salli  aal  nebi. 

Dieu  seul  peut  apprendre  ce  qui  est  dans  les  cœurs. 
Ma-îaallem  bel  glouby  ghér  llebbi. 

Il  commande  d*après  la  loi. 
Ihhakem  aala  hhassab  echeraa. 

Le  maître  de  la  ruse  ne  pmspère  pas. 
Moul  el  hhéila  ma-irbahhch. 

L'absent  est  toujours  injusticié, 
El  ghaïb  dima  medloum. 

Ne  me  donne  pas  de  la  monnaie  des  infidèles. 
Malaaténich  ferk  el  kafara. 

Nous  méprisons  les  oinlurcs  de  ce  monde  (les  richesses). 
Ma-aandna  hhadja  /!  zoubiyet  eddenya. 


fe 


PHRASES    UTILES    ET    USUELLES  357 

Entrave  les  chameaux.  Entrave  les  chevaux. 
Aagol  el  djemal,  Anltoll  el  khéiL 

lis  ne  connaissent  pas  le  prix  d'un  homme. 
Ma-marfouch  kimt  radjel, 

Pei*sonne  ne  connaît  ma  douleur  que  Dieu. 
Makane  hliad  xaarf  dorri  ghér  Rebbi. 

Le  jour  de  ton  tombeau,  tu  ne  coucheras  pas  dehors. 
Nhar  keberek  matebatchi  barra. 

Dans  le  pays  de  la  sûreté»  n*aie  pas  encore  confiance. 
Fi  belad  el  amane,  matamennch. 

Si  Dieu  ne  pardonnait  pas, 
Son  paradis  resterai l  vide. 
Ida  Rebbi  mù-ismahhj 
Djennetou  nia-tebka  ghér  khaUija, 

C'est  un  homme  noble,  j*en  réponds. 
Radjel  djiyedf  rani  damenn  flh. 

Les  Français  n'acceptent  pas  le  baisem  ^nt  de  la  main. 
El  Franssess  ma  ïkobelouch  hhebbett  el  idd. 

Il  est  venu,  et  je  lui  ai  étendu  des  tapis  (pour  s  asseoir). 
DJa,  ou  ferrechtlou. 

Les  escargots  blancs  (cavalerie  de  TËst,  vêtue  de  bcr- 
nouss  blancs]. 
El  bebouch  le  biyod. 

La  cavalerie  noire  (cavalerie  de  l'Ouest,  vêtue  de  bornoiiss 
noirs). 
El  goumm  souda. 


358  LA    VIE    ARA  m: 

L*infaiiterie  inusulinaue. 

El  aasaker  el  mohhammadiya, 

La  nudité  vient  de  Dieu,  mais  la  malpropreté  vient  du 
démon. 
El  aura  inenn  Allah,  ou  loussekh  menn  ecliUane. 

Mariez-vous  pauvres;  Wea  vous  enrichira. 
Tezoïioudjou  Fokara;  iglienni-koum  Allah. 

Celui  qui  a  laissé  un  successeur  (un  lieutenant)  n^est  pas 
mort. 
Li  khellef  el  khelifa,  nia-matche. 

Il  va  à  la  chasse  du  vent  avec  un  filet  (il  perd  son  lemps). 
Isstad  erréhh  be  chebka. 

Quelle  vie  êtes-vous  en  train  de  vivre? 
Ach  menn  aàicha  rakoum  aaichine, 

(i*est  un  avare  :  sa  main  gauche,  il  ne  la  donnerait  pas  à 
sa  main  droite. 

Radjel  bekhil:  hhatla  iddou  Hssar  ma-matihach  idduu 
limine. 

Le  houcher  soupe  avec  des  navets. 
El  djezzar  itaacha  bel  left. 

Je  ferai  cela,  à  moins  que  la  mort  ne  vienne  à  me  vaincre. 
Nedir  hada,  ghir  ila  ghelebet-ni  el  monte. 

11  faut  que  tu  payes  le  prix  du  sang. 
Lazem  tekhalless  hhak  eddem. 

Il  faut  ({ue  tu  donnes  le  pri\  de  la  mort. 
Labed  taati  eddiya. 


PHRASES    UTILES     ET    USUELLES  Xy'3 

Trahis  ton  voisin  et  ne  consulte  pas. 
Khedaa  djarek  ou  ma-techaourch. 

Le  maître  de  Theure  est  arrivé. 
Moul  saa  dja. 

La  terre  s'est  levée. 
Eddenya  rahi  kaïma. 

Elle  était  comme  un  fenouil  allumé  par  devant  et  par  der- 
rière. 

Kunet  kl  kelhha  mechaaottla  mena  gouddam  on  menu 
loura,  Oura, 

La  terre  va  de  travers. 
Eddenya  rahi  maaoudja. 

Les  tribus  se  sont  révoltées;  elles  déménagent. 
El  aarrache  aassaou;  rahoum  rahhline. 

Les  tribus  s'enfuient. 
Ennedjooeu  rahoum  djafeline, 

y  a-t-il  un  bon  conseil,  ou  n'y  en  a-l-il  |  as? 
Kannche  raye,  oulla  makannche? 

La  terre  est  sur  son  bras. 
Eddenya  aala  deraat-ha. 

Les  femmes  se  lamentent. 
Ennesm  rahoum  inndebou. 

Les  Arabes  ne  marchent  que  par  la  force,  le  pillage  des 
silos  et  le  coupcment  des  têtes.  (Ce  sont  eux  (jui  le  disent.) 

El  Aareh  ma-itemchou  ghér  bezzoWy  bel  hhaoms  ou  be 
(juiiaa  errass. 


360  LA    VIE    AUABE 

Ils  payeront  Tancien  et  le  nouveau. 
Ikhallessou  el  kedim  ou  le  djedicL 

Leurs  biens  ne  surfirent  pas  poiir  niclivjlor  tcurs  tètes. 
Mal'houm  ma  idzi  aala  rouss-houm. 

Nous  ne  nous  soumettrons  pas  :  les  moutons  de  là  tribu 
verte  mangeront  jusqu'aux  pierres. 

Manemrouch  :  el  ghelem  mtaa  nedjaa  le  kheder  j/akoutou 
Ihhadjer. 

La  Icrre  s'est  refroidie. 
Eddenya  benedett. 

Le  pays  est  pacifie. 
Eddenyt  aaouafi. 

Nos  krmes  nageaient  sur  la  ligure. 
Ed-demoœu  kanou  taaouinou  fel  oudjh. 

Que  Dieu  nous  enrichisse  de  la  tranquillité. 
Allah  irezekna  bel  aafya. 

Je  vais  donner  ce  qui  revient  à  Dieu  —  prier. 
Rani  machi  jiaaH  hhak  RebbL 

Il  coupe  la  justice  avec  sa  main. 
Iktaa  cheraa  be  iddou. 

Honore-moi  et  mange  mon  dîner. 
Keber  Mya  ou  koul  aachaya. 

Ou  r,aigui|le  a  passé,  le  til  passera. 
Ouiiie  fatet  el  ibra^  ifoute  el  khéite. 

Je  le  connais  depuis  le  déluge. 
Naarfou  menn  ettoufane. 


PHRASI-S    UTILES    ET    USUELLES  361 

]^a  beauté  ne  voyage  pas  par  capavanes  —  rare. 
Ezzlne  ma  sifertlnu  kefnuL 

Embellis  ta  bonne  foi. 
Ziyenn  niitek. 

Les  Arabes  se  réunissent  souvent. 
El  Aareb  imiyaadou  bezzaf. 

Quand  le  cœur  est  chagrin,  la  nouvelle  en  est  sur  la 
figure. 
Menine  el  galb  meghiyery  el  khobar  fel  oudjh. 

Deux  capilaincs  à  bjril  d'un  vaisseau  le  font  toujoui's  noyer. 
—  Sombrer. 
Hahsine  [i  sfiiia  makane  la  tennylierok. 

Le  café  fortifie  les  os  et  court  dans  les  membres. 

El  kahoua  tcchedd  el  audame  ou  tedjevi  fel  gouayetn. 

Entre  moi  et  toi,  il  n*y  a  ni  demandeur  ni  demandé.  (Nous 
sommes  quittes.) 
Ma  bini  ou  binek  la  taleb  ou  la  metloub. 

Les  Arabes  connaissent  le  jeu  de  la  lutte. 
El  Aareb  iaarfou  itgairchou. 

La  lutte  arabe  que  Ton  nomme  :  gucrach,  koia,  ou  aafar, 
a  beaucoup  d*ana1ogic  avec  la  lutte  française  ;  seulement,  le 
croc-(în-jarnbe  —  tchànngal  —  y  est  permis,  tandis  que, 
chez  nous,  il  est  défendu. 

Indique-moi  un  proverbe  qui  soit  rimé. 
Ourini  metel  bel  kafiya. 

Il  a  demandé  grâce. 
Tlob  el  aafou. 


362  LA    VIK    AUABE 

Je  le  connais  dopais  la  tête  jusqu'au  talon. 
Naarfou  menn  ev-rass  h  Imita  le  guedem. 

Grise-le  el  interroge. 
Essekih  ou  saisi  h. 

Il  maudit  le  sultan  quand  il  est  loin. 
hmal  essoultane  fi  ghihtou. 

Il  ne  pense  qu'à  terblanter  sa  personne.  —  A  se  bichon- 
ner. 
G  lier  Ikozder  rohhou. 

Rassasie-loi  avec  peu,  et  Dieu  le  donnera  beaucoup. 
Stekennaa  bel  klil,  iaatik  Allah  el  ketir. 

Apporte-moi  la  tôle  de  la  boutique  —  épices. 
Djib-li  rass  el  hhanoute. 

Ne  me  loue  pas  avant  d'en  avoir  éprouvé  un  autre. 
Ma-ttihamed-ni  hhatia  tedjerreb  ghéri 

Le  pauvre  est  un  étranger  dans  son  pays. 
El  guellil  bcrrani  fi  beladou. 

L'affaire  d'argent  donne-la  à  un  juif,  il  t'en  tirera. 
Hhadja  bedrahàm  aali-ha  ïïhoudi,  ikediha-lek. 

La  meilleure  ruse  consiste  à  ne  pas  user  de  ruses. 
El  hhélla  fi  terk  el  hheyal. 

Le  lion  a  dit  :   «  Personne  ne  fera  n»on  affaire  mieux  que 
moi.  »  • 

Essebaa  gai:  hhad  ma-ikedl  lihadjcli  metli. 


PHRASES    UTILES    ET    USUELLES  363 

Un  lel  t*sl  un  maître  dans  le  jeu  de  la  poudre. 
Felane  maailem  fi  laabel  baroud. 

Le  jeu  de  la  poudre,  c'est  celui  auquel  nous  avons  donné 
le  nqni  de  fantaziyUy  à  cause  de  Taniinaliou  extraordinaire 
qu'il  amène  Voici  en  quoi  il  consiste  : 

Un  parti  de  cavaliers,  d'ordinaire  bien  montés  et  bien 
habillés,  veut  rendre  des  honneurs  à  un  chef  quelconque, 
qui,  pour  le  cas  spécial,  se  place  en  face  de  lui,  à  une  dis- 
lance assez  grande. 

Par  deux,  par  quatre  ou  sur  un  plus  grand  front,  bien 
unis,  bien  alignés,  ces  cavaliers  arrivent  ventre  à  terre  jusr 
qu'auprès  du  héros  de  la  félc  et  lui  lâchent  leur  coup  de 
fusil  presque  dans  la  ligure.  La  détonation  entendue,  ils 
font  derni-tour  à  gauche  sans  changer  d'allure,  et  ils  vont 
prendre  du  champ  en  arrière  pour  recommencer,  s'il  y  a  lieu. 
Ce  jeu  si  cher  aux  Arabes  n'est  pas  sans  danger  :  un3  balle 
oubliée  dans  une  cartouche,  une  baguette  laissée  dans  un 
fusil,  peuvent  amener  mort  d'homme.  Cela  n'arrive  que  trop 
souvent. 

J'ai  vu  faire  ce  jeu  avec  les  fusils  chargés  à  balles.  On  tire 
alors  en  Tair,  mais  une  maladresse  ou  un  cheval  qui  s'abat 
font  courir  de  grands  périls. 

On  diminue  beaucoup  les  accidents  en  se  mettant,  non  en 
face,  mais  sur  le  flanc  des  coureurs. 

Un  tel  est  un  ami  des  infidèles  :  il  a  encore  de  la  viande 
de  cochon  entre  les  dents. 

Felane  hhabib  el  kafara  :  mazal  Ihham  el  hhallouf  bine 
senanou. 

Les  croyants  sont  doux  et  chéris  de  Dieu. 

El  mouinenine  hhalouine  ou  aazaz  (uila  ttebbi. 


S6l  L.V    VIE    ARAHE 

Celui  (lui  a  le  saiij^  jaune  —  le  lâclie,  —  ne  le  lucz  pas. 
Sefer  eddeni  ma  tektehuch. 

Je  neveux  tiue  dos  douros,  pères  du  eanon.  —  On  prend 
pour  des  canons,  les  colonnes  qui  sont  sur  les  pièces  de  mon- 
naie espagnoles. 

Ma-nehheb  ghér  douro  bou  inedfaa. 

Le  mensonge  ne  paye  pas  les  deltes. 
El  keddeb  ma  ikhalless  eddine. 

Le  vent  qui  vient,  Temniène.  —  Pas  de  volonté. 
Erréhh  li  dja,  iddih. 

Les  homiiies  font  vaincu  sur  le  marché  et  il  a  appoi  lé  la 
dispute  dans  sa  maison. 
Ghekbouh  enedjal  ft'ssouk  ou  djah  el  khassema  feddar. 

Il  entend  la  rosée  tomber  sur  les  teUillcs  du  roseau.  — 
L*ouïe  très-fine. 
Isinaa  enneda  aala  ourei  el  kessba. 

Dans  le  Sud,  les  chameaux  portent  des  sonnettes, 
Vel  guebla  el  djemal  irfedou  ennakouss. 

Pour  toi,  j'ai  été  Timplorer. 

Aala  khatrek,  mechit-lou  fel  djaha. 

Celui  qui  a  du  blé,  trouve  à  emprunter  de  la  farine. 
Li  aandou  el  guemhhy  issellef  eddeguig. 

Celui  qui  m  mie  le  miel,  ne  peut  moins  faire  que  de  se 
lécher  les  doigts. 
Li  ikhelloH  el  aassel,  labed  ilhhess  souabaaou. 


PHUASES    UTILES    ET    USUELLES  365 

Le  luonde  connaît  le  monde,  et  les  chevaux  connaîssent 
leurs  cavaliers. 

Ennass  taarf  ennasSy  ou  le  khéil  tarf  rekkab-ha. 

■• 

S'il  platt  à  Dieu,  je  ferai  une  petite  bagne  pour  ton  doigt. 
-—  Tu  me  fatigues  de  tes' exigences. 
Ennchaallah,  tiaamel  khouHma  aala  kodd  sebaak. 

De  quoi  est-il  mort?  de  la  mort  de  Dieu. 
Bach  mate  ?  monte  Allah, 

Le  niattre  do  Tor,  on  Taime  quand  bien  même  il  est  chien 
fils  de  chien. 
Moul  eddeheb  inhheb  oua  loukane  ikoun  kelb  benn  el  kelb. 

Le  chameau  est  pai*ti  :  il  n*a  laissé  que  ses  croltes.  —  En- 
fants  dégénérés. 
Mecha  el  djemely  ou  khalla  baarou. 

Un  tel  est  brûlant  au  coiumencement,  mais  à  la  fin  il  n*v 
a  plus  que  de  la  cendre. 
Felaney  chaou  Ihhal  iguediy  ou  felaagab  ghér  remad. 

Ils  ont  été  frappés  d'une  amende  de  cent  douros. 
Ethhettaou  be  mya  douros. 

La  fourmi  peut  conduire  un  chameau.  —  Animal  très- 
doux. 
Ennemla  tegoued  el  djemel. 

L'homme  qui  est  gras,  nous  ne  Taimons  pas. 
Erradjel  smine,  manehhebouch. 

Aujourd*bui,  ils  disent  d*uae  manière,  et,  demain^  ils 
disent  d*une  autre. 
Elifoum  igoulou  tebaa^  ou  ghedtu  igoulou  tebaa  akkor. 


306  LA    VIE    ARABR 

Pliilôl  sentit*  brAlcr  mon  ventro 
Que  (le  sortir  de  mon  pays, 
Hharig  bedani 
Ou  la  kheroudj  menu  oiitani. 

Les  Turcs  jetaient  les  femmes  à  la  mer. 
Etterk  kanou  ibahharou  evnessa. 

Le  point  du  jour,  ne  le  surveille  pas^  et  les  nouvelles, 
n'en  demande  pas. 
El  feàjer,  ma  tetolch  aalih. 
Ou  le  kheber^  ma  tessalch  aalih. 

Celui  qui  vole  une  aiguille, 
Peut  voler  une  vache. 
Li  isserrek  ibra 
Isserrek  begra. 

Je  n'ai  pas  de  croist^e  par  où  me  sauver. 
Ma  aandi  taga  bach  neselek. 

Les  juifs,  quand  ils  font  lire  leui*s  enfants,  ne  leur  appren- 
nent que  les  négations,  —  Craignent  toujours  de  se  com- 
promettre, ne  disent  jamais  oui. 

El  ihoude,  ikerrou  oulad^fioum  ghér  bel  mime. 

Nous  sentons  le  vent  de  la  guerre. 
Rana  nechemmou  réhhet  el  aadaoua. 

J'ai  monté  à  cheval^  j'ai  tuô  la  terre,  j'ai  M  à  la  décou- 
verte  —  et  j'ai  envoyé  des  éclaireurs. 
Erkebt,  ktelt  el  arde,  ou  zifett  echouafine. 

Nous  avons  vieilli  uu  j>e^  sur  le  mamelon,  —  nous  nous 
sommés  arrêtés  —  et  nous  avons  vu  les  cbréticns. 
Che)'ef-na  choinya  fel  koudga,  ou  chef-na  en^nêssara. 


PHRASES    UTJLES    ET    USUELLES  367 

L'infidèle  est  sorti  avec  une  armée  très-forte. 
El  kafev  khrodj  be  mehhala  kouya. 

S'il  plaît  à  Dieu,  nous  le  casserons.  —  Nous  le  vaincrons. 
Enchaallah  vekesserouh. 

Aujourd'hui,  c'est  le  jour  des  chevaux. 
.     Elyoum  nhav  el  khéil. 

Aujourd'hui,  c'est  le  jour  de  la  mort. 
Elyoum  nhar  el  inouïe, 

Les  impies  couvrent  l'œil  du  soleil,  c'est  comme  les  saute- 
relles. 
El  khouaredj  ighelou  aain  echemsse;  kl  le  djerad. 

Dieu  seul  en  sait  le  nombre. 
Maiaarf  aadad'ha  gher  llebhL 

Us  marchent  ferrés  comme  den  chevaux.  —  Jamais  les 
Arabes  ne  mettent  de  clous  à  leurs  souliers. 
Itemchou  ki  le  khéily  messemmerine  bel  lihadid. 

Celui-ci  derrière  celui-là,  comme  les  mulets  d'une  cara- 
vane. 
Hada  menn  oura  hada,  ki  %ouàil  el  Içafla. 

Ils  portent  le  bât  comme  des  «Anes.  —  Le  sac. 
hfedou  el  berdaa  ki  Ihhamir. 

Ils  ont  des  lances  au  bout  de  leurs  fusils.  —  Baïonnettes. 
Bel  mezarUf  fi  rass  meqhhaUhoum,  - 

Ils  ont  des  moustaches  qui  ressemblent  à  des  balais  de 
palmier  nain. 
Dàirine  chelaqham  ki  mesalahh  mtaa  eddoum. 


368  LA    VIE    ARABE 

Leur  tambour  mugit  comme  la  vague. 
Teboul'houm  terghi  ki  le  moudjaa. 

Ils  supportent  la  blessure  comme  le  sanglier. 
Irfedou  el  makena  ki  Ihhallouf, 

Ils  obéissent  à  Tordre  et  à  la  parole. 
Itemchou  aal  amer  ou  ennha. 

Leur  chef  marche  comme  un  vieux  sanglier  à  la  tête  de 
son  troupeau. 
Kehk^hovm  ki  chiti  fi  rags  eddôula. 

Nous  sommes  des  croyants:  nous  combattrons  et  nous 
mourrons  pour  notre  religion. 

Ahhna  moumenine  :  netaredou  ou  nemoutou  aala  khater 
eddine. 

Le  jour  où  les  bouches  des  fusils  se  feront  face»  la  salive 
se  séchera  dans  la  bouche. 
Nhar  li  Hgabelou  fouam  le  djaabj  inncheferrig. 

Un  jour  comme  aujourd'hui  ne  se  retrouvera  plus. 
Nhar  elyoum  ma-inmabch. 

Les  montagnes  vanteront  la  poudre  —  échos. 
El  djebal  ichekerou  le  baroud. 

Le  sang  coulera  comme  une  rivière. 
Ed'demm  issil  kif  el  ouad. 

Dieu  a  permis  de  les  tuer. 
Heblri  hhallel  fi-houm  el  keteL 

Les  hoims  pousseront  des  cHs  de  joie  dans  le  ciel. 
El  hlumuri^  %%egha'tùu  fe  sema. 

* 

Les  houris:  jewnesftlles  d'une  beauté  inexprimable,  d*une 


PHRASES    UTILES    ET    USUELLES  909 

virginité  toujours  renaissante,  qui  ne  peuvent  vieillir  et  qui 
sont  réservées  pour  compagnes,  dans  le  Paradis,  aux  martyrs 
de  la  guerre  sainte,  ainsi  qu'aux  fidèles  observateurs  de  la  loi 
de  Dieu  et  de  son  envoyé. 

Le  boulet  tournoie. 
El  kora  telouez. 

m 

La  poudre  pétille  comme  une  poignée  de  sel  qu'on  jette 
dans  le  feu. 
El  baroud  ki  le  gliya. 

Allons  !  placez  Dieu  dans  vos  cœurs,  fermez  les  yeux  et 
marchez  sur  le  canon. 

Yallah!  dirou  Rebbi  fi  gueloub-koum,  ghemedou  aaîni'' 
koum^  ou  guedemou  Ici  medfaa. 

Les  Arabes  !  personne  ne  peut  les  vaincre. 
El  Aareb!  ma  igheleb-houm  hhad. 

Mais,  quand  la  poudre  tousse,  elle  prend  son  dtner. 
Oua  lakenn  menine  el  baroud  ikohheu,  iddi  aachah. 

Elle  a  mangé  tous  nos  hommes. 
Kela  gaa  redjal-na. 

Le  guerrier  de  la  foi  !  il  faut  qu'il  sache  tuer  son  cœur.  — 
Qu'il  soit  insensible. 
El  moudjahad  !  labed  iktel  galbou. 

Notre  chef  est  mort  :  il  nous  a  laissés  comme  un  troupeau 
sans  berger. 
Chikh-^ia  mate  :  khalla-na  ki  eddoula  bêla  raài. 

u 


870  LA    VIE    ARABE 

Les  chrétiens  Tont  tué  avec  des  balles  :  son  corps  est  percé 
comme  un  crible. 
Etmessara  ktelouh  be  ressas  :  oulla  ki  le  boussiyar. 

Nos  silos  sont  pillés,  nos  familles  sont  tourmentées,  nos 
chevaux  sont  fatigués. 

Metamir-na  mahoussine^  khiam-7ia  mahouliney  ou  khéil-na 
aayanine. 

m 

Les  Français  frappent  la  poudre  sur  la  main  de  la  justice, 
très-bien  ;  —  quel  dommage  qu'ils  ne  se  fassent  pas  musul- 
mans! 

El  Franssess  idrobou  le  baroud  aala  idd  echeraa,  khessara 
ma-ichahadoiich  ! 

Il  faut  nous  rendre  :  nous  donnerons  les  chevaux  de  sou- 
mission, nous  donnerons  des  otages. 

Bessif  nessirou  :  naatou  le  gadate^  ou  naatou  le  mer- 
haine. 

D'après  les  mœurs  et  les  coutumes  arabes,  toutes  les  fois 
que  des  tribus,  après  s'être  révoltées,  se  voient  forcées  d'im- 
plorer leur  pardon,  Tusagc  veut  que,  comme  preuve  de  sou- 
mission complète,  elles  fassent  présent  au  vainqueur  d*UQ 
certain  nombre  de  chevaux  d'élite  qui,  dans  cette  circonstance, 
prennent  le  nom  de  gada-gadate.  —  Il  va  sans  dire  que,  si 
l'on  peut  faire  accepter  des  rosses  au  chrétien,  on  n'y  man- 
que jamais. 

Lors  de  favénement  au  pouvoir  d'un  chef  de  marque,  on 
en  fait  autant.  Cela  veut  exprimer  qu'on  est  sincèrement  dis- 
posé à  obéir. 

Le  prix  de  ces  chevaux  de  gada  est  toujours  réparti  entre 
les  populations,  et  devient,  en  général,  Toccasion  de  grandes 
exactions  de  la  part  de  leurs  administrateurs,  qui,  demandant 


PHRASES    UTILES    ET    USUELLES  371 

toujours  plus  qu'il  ne  faut,  mettent  Texcédant  dans  leur 
poche. 

0  mon  Dieu  !  nous  sommes  tes  esclaves. 
Ya  Rebbi  !  ahhna  aabidek. 

Cest  toi  qui  nous  as  amené  l'infidèle,  c*est  toi  qui  dois  nous 
l'enlever. 
Emita  djebtlena  le  kafer,  ennta  teddih. 

Quand  on  aura  lu  ce  qui  précède,  on  saura,  à  peu  près, 
tout  ce  que  les  Arabes  disent  sur  nous  à  propos  de  la  guerre. 


CHAPITRE    DIXIÈME 


VIGUEUR      ET      SOBRIETE 

L'émir  Aabd-el-Kader  dans  la  grande  Kabylie.  —  Les  joueurs 
de  flûte.  —  Un  rekass  ou  messager  arabe.  —  Son  portrait.— 
Trente  heures  de'marche;  quatre  biscuits  de  soldat.  — 
Dieu  s'est  chargé  du  reste.  —Le  trot  du  chien.  —  Rencontre 
d'un  lion.  —  Plantes  et  racines  avec  lesquelles  un  homme 
peut  vivre  dans  les  pays  sauvages.  —  Exploits  de  Saaldane, 
coureur  arabe.  —  Le  cheval  de  son  àme.  —  Énergie  des. 
chasseurs  du  désert.  —  L'àme  domine  le  ventre.  —  Provi- 
sions des  Touareg  en  expédition.  —  Manière  de  boire  le 
sang.  —  Comparaison  entre  un  estomac  sauvage  et  un 
estomac  civilisé. 


I 


En  février  1846,  lors  de  cette  insurrection  formidable  qui 
commença,  dans  la  province  d'Oran,  par  la  destruction  de  la 
garnison  de  Djemâa-Ghazouate  (Nemours),  je  faisais  partie 
d'une  colonne  expéditionnaire  commandée  par  l'illustre  ma- 
réchal duc  dlsly  en  personne.  Elle  opérait  dans  la  grande 
Kabylie.  L'émir  Aabd-el-Kader,  après  plusieurs  échecs  suc- 
cessifs, s'était  retiré  dans  ce  massif  de  montagnes,  où  l'appe- 
lait sid  Hhamed  ben-Salem,  l'un  de  ses  plus  fidèles  kalifas; 


374  LA    VIE    ARABE 

il  comptait  y  trouver,  pour  continuer  la  guerre,  des  res- 
sources en  hommes  et  en  argent  que  les  Arabes  commen- 
çaient à  lui  refuser.  Il  s'agissait  de  le  forcer  à  quitter  cet 
asile  trop  voisin  d* Alger,  et  d'où  il  avait  naguère  sérieuse- 
ment menacé  la  plaine  de  la  Mitidja.  II  avait  fallu  un  coup 
de  main  aussi  hardi  qu'heureux,  tenté  pendant  la  nuit  sur  le 
camp  de  l'émir,  à  Cherrak-Teboul  (le  déchirement  des  tam- 
bours), pour  réprimer  l'audace  de  cet  infatigable  ennemi. 

Nous  étions  campés  sur  l'ouad  Telata,  non  loin  de  Bordj 
el-Boghni.  Nous  avions,  à  notre  gauche,  la  grande  tribu  des 
Plissas  ;  à  notre  droite,  les  sauvages  Guechetoulas,  dont  les 
villages  s'étendent  jusque  sur  les  pentes  abruptes  du  Djur- 
djura  ;  devant  nous,  les  Hâatekas,  et,  derrière  nous,  les  Ne- 
zelyouas.  Toutes  ces  populations,  grossies  par  les  contin- 
gents des  Zouaouas,  des  Beni-Raten,  etc.,  et  surexcitées  par 
les  prédications  de  l'émir,  étaient  en  armes  autour  de  nous; 
les  montagnes  s*illuminaient  chaque  nuit  de  feux  provoca- 
teurs, derrière  lesquels  on  voyait  circuler  des  hommes  à 
peine  vêtus,  qui,  pour  mieux  nous  braver  encore,  exécu- 
taient, en  poussant  de  grands  cris,  leurs  danses  barbares  au 
son  de  la  flûte  primitive  (djotuik)  et  d'une  espèce  de  tam- 
bourin {guellale). 

Cependant,  les  plus  vaillants  et  les  plus  fanatiques  d'entre 
les  Kabyles  descendaient  en  plaine;  ils  s'approchaient  de  nos 
sentinelles  en  rampant  à  plat  ventre,  et  faisaient  sur  elles  un 
vrai  feu  roulant,  mais  dont  le  résultat  était  pour  ainsi  dire 
nul,  grftce  an  judicieux  système  d'avant-postes  récemment 
introduit  dans  l'armée  d'Afrique  par  le  gouverneur  géné- 
ral (1). 

(1)  Consulter,  pour  cette  expédition  dans  la  hante  Kaby lie,  Tourrage 
de  M.  Bellemare:  ayant  pour  titre:  Aabd^el-^ader;  sa  vie  politique  et 
militaire. 


I 


VIGUEUR    ET    SOBRIÉTÉ  375 

Nous  attendions  avec  irnpalience  l'ordre  de  marcher  en 
avant,  quand,  un  matin,  de  très-bonne  heure,  nous  vtmes  un 
caporal  de  zouaves,  accompagné  de  deux  soldats,  conduire 
à  rétat-major  général  un  jeune  Arabe  qui  s'était  présenté 
devant  notre  camp;  tantôt  en  agitant  les  pans  de  son  ber* 
nouss,  tantôt  en  élevant  ses  mains  désarmées,  cet  indigène 
avait  fait  comprendre  qu'il  n'avait  aucune  intention  hostile  et 
qu'il  demandait  à  être  reçu  chez  nous. 

C'était  un  homme  de  vingt-quatre  à  vingt-cinq  ans,  forte- 
ment constitué,  bruni  par  le  soleil  et  présentant  l'un  des  plus 
beaux  types  de  sa  race.  Il  avait  le  visage  ovale,  le  front  dé- 
couvert, les  yeux  noirs  et  décidés,  les  dents  d'une  blancheur 
éclatante,  la  barbe  rare,  la  poitrine  haute,  la  taille  élancée, 
les  muscles  saillants,  le  cou-de-pied  élevé  et  les  attaches  des 
extrémités  de  la  plus  haute  distinction.  Une  simple  chachya 
ifessy)  couvrait  sa  tête,  une  longue  chemise  de  coton,  fermée 
par  devant,  couvrait  son  corps  (kemidja)^  et  des  espadrilles, 
attachées  par  de  mauvaises  ficelles,  protégeaient  ses  pieds. 
La  chachya  était  maintenue  par  un  mouchoir  d*indienne  roulé 
en  forme  de  turban,  et  la  chemise  par  une  ceinture  de  course 
en  filuly  (cuir  de  Maroc),  à  Uquelle  était  suspendu,  suivant 
Tusage,  l'un  de  ces  petits  couteaux  (mottss)  enfermés  dans 
une  gatne,  dont  les  Arabes  se  servent,  avec  une  adresse  mer- 
veilleuse, aussi  bien  pour  se  raser  que  pour  décapiter  un 
ennemi.  Ses  jambes  étaient  ntfes  :  les  ronces  et  les  épines  ne 
les  avaient  pas  épargnées;  mais,  sur  cette  chair  marmo- 
réenne, elles  avaient  à  peine  tracé  quelques  sillons  blanchâ- 
tres, là  où  répiderme  d*un  Européen  aurait  été  cruellement 
déchiré.  A  son  côté  pendaient  les  talismans  qui  devaient  lui 
porter  bonheur  ;  enfin,  il  se  drapait  dans  un  bernouss  marron, 
dont  la  couleur  fanée  et  les  nombreuses  déchirures  attes- 
taient les  longs  services.  Pour  arme,  il  ne  portait  que  le  bâton 


376  LA    VIE    ARABE 

court  et  noueux,  à  tête  énorme,  garnie  de  clous  grossiei*s  et 
que  les  indigènes  appellent  kezoula. 

Interrogé,  à  diverses  reprises,  sur  les  motifs  qui  [^avaient 
amené  dans  notre  camp,  le  jeune  Arabe  répondit  invaria- 
blement qu*il  ne  pouvait  les  faire  connaître  qu'au  chef  de 
Tarmée. 

—  D*oii  viens-tu  ?  lui  demanda  le  maréchal. 

—  Monseigneur  (sidi)^  je  viens  de  Mesila. 
-*-  Combien  de  jours  de  marche? 

—  Trois  jours,  ou  plutôt  trois  nuits  ;  car,  voyageant  à  tra- 
vers le  pays  du  fusil  {belad  el  mouqhhala),  je  n*ai  pu  marcher 
pendant  le  jour. 

—  Que  me  veux-tu? 

—  Vous  remettre,  monseigneur,  une  lettre  du  comman- 
dant de  la  colonne  qui  opère  dans  nos  contrées. 

En  même  temps,  il  présenta  au  maréchal  un  chiffon  de 
papier  qu*ii  exhuma  de  l'un  des  coins  de  son  bernouss,  où  il 
était  soigneusement  cousu. 

—  C'est  bien  ;  mais  comment  as-tu  fait  pour  vivre  au  mi- 
lieu d'un  pays  en  pleine  insurrection  ? 

—  Rien  de  plus  simple,  monseigneur  :  au  moment  de  mon 
départ,  le  chef  de  Tarmée  (kebir-eUmehalla)  a  fait  placer 
dans  mon  capuchon  {gtielmouna)  quatre  biscuits  de  soldat,  et 
Dieu  s*est  chargé  du  reste. 

—  Cet  homme  a  risqué  sa  vie  pour  nous,  dit  en  s*éloignant 
le  maréchal  ;  qu'on  le  paye  généreusement  et  qu*on  ait  soia 
de  lui.  Le  pauvre  diable  doit  avoir  faim. 

On  le  conduisit  dans  ma  tente  ;  j'étais  alors  colonel  et  di- 
recteur des  affaires  arabes  de  l'Algérie.  Je  lui  fis  donner  du 
pain  et  du  fromage  de  Gruyères.  Il  commença  par  le  refuser, 
parce  qu'on  lui  avait  fait  croire  que  ce  fromage  était  fait  avec 
du  lait  de  truie;  mais  il  le  mangea  ensuite  avec  grand  plaisir. 


VIGUEUR    ET    SOBRIÉTÉ  377 

sur  ma  pai*ole  que  ce  n'était  là  qu'un  conte  ridicule.  D  arrosa 
le  tout  avec  une  bonne  tasse  d'eau  fraîche,  et  bientAt,  fati- 
gué, brisé  par  les  péripéties  d'une  marche  aussi  longue  que 
dangereuse»  il  s'endormit  d'un  profond  sommeil  sur  une 
natte  de  palmier  nain,  l'un  des  luxes  de  mon  habitation  de 
guerre.  A  son  réveil,  il  fit  ses  ablutions,  se  tourna  vers 
l'orient  et  se  mit  à  prier  avec  toute  la  ferveur  d'une  con- 
science tranquille.  Dès  qu'il  eut  accompli  ce  devoir  religieux, 
on  lui  présenta  du  café.  N'en  ayant  jamais  bu  de  sa  vie,  il  le 
prit  pour  du  vin  (cherab)  et  le  repoussa  avec  dégoût  ;  mais  il 
le  reprit  bien  vite  et  le  savoura  avec  délices,  quand  je  lui  eus 
fait  comprendre  que  nous  n'avions  aucun  intérêt  à  le  trom- 
per ni  à  lui  faire  violer  les  préceptes  de  sa  religion.  Je  fais 
observer  en  passant  qu'on  a  tort  de  nous  représenter  tou- 
jours les  Arabes  avec  une  longue  pipe  et  une  tasse  de  café  à 
la  main.  Cela  n'est  vrai  que  des  chefs  ou  des  riches;  les  ma- 
rabouts et  les  tolbas  ne  fument  ni  ne  prisent,  et  j'ai  connu 
bon  nombre  d'hommes  du  peuple  qui  n'avaient  jamais  bu  de 
café.  Ils  ne  pouvaient  d'ailleurs  en  recevoir,  pendant  la 
guerre,  que  de  Tunis  ou  du  Maroc,  ce  qui  en  avait  fait  con- 
sidérablement hausser  le  prix. 

J'étais  impatient  de  faire  causer  cet  homme,  et  surtout  de 
me  faire  expliquer  la  réponse  qu'il  avait  faite  au  maréchal  à 
propos  de  la  manière  dont  il  avait  vécu  pendant  sa  pénible 
excursion.  Voici  ce  qu'il  me  raconta  : 

Le  commandant  supérieur  de  la  subdivision  de  Sétif  s'était 
porté  dans  l'ouest  de  la  province  de  Constantine,  pour  la 
préserver  des  tendances  insurrectionnelles  que  réveillait  par- 
tout l'apparition  de  l'émir.  De  Mesila,  ou  il  se  trouvait,  il 
avait  écrit  au  gouverneur  général  et  lui  rendait  compte  des 
mesures  qu'il  avait  prises.  Le  kalifa  sidi  El-Mokrany,  chargé 
de  trouver  un  homme  capable  de  braver  tous,  les  dangers  en 


378  LA    VIE    ARABE 

allant  porter  aa  maréchal  une  lettre  aussi  importante,  Tavait 
désigné,  et  il  avait  accepté.  Laissant  de  côté  Dréat  et  évitant 
rOunougha,  où  tout  frémissait  encore  du  passage  récent  de 
rémir,  il  avait  traversé  le  djebel  Mezita,  puis  la  grande  tribu 
des  Beni-Abbas,  où  il  n*avait  échappé  qu*avec  peine  aux  ca- 
valiers du  kalifa  de  l'émir  si  Mohammed  ben-Abd-es-Selam 
et-Tobbal  (le  boiteux),  qui  était  alors  de  sa  personne  à  Kalfta; 
il  avait  atteint  la  vallée  de  Touad  Sahel.  De  là,  choisissant 
toujours  les  parages  les  plus  accidentés,  il  avait  gagné  les 
environs  de  Bordj  el-Bouira,  contourné  le  pays  des  Neze- 
lyouas,  était  entré  dans  la  Rabylie  par  le  pays  des  Benî- 
Khelfoune,  d*où  il  avait  pu  se  glisser  enfin  dans  le  camp  du 
maréchal,  après  avoir  ainsi  parcouru  deux  cent  cinquante  ou 
deux  cent  soixante  kilomètres,  tant  il  avait  dû  faire  de  dé- 
tours pour  échapper  aux  révoltés  ou  détourner  les  soupçons. 
Il  avait  mis  trente  heures  à  franchir  cette  distance,  demeu- 
rant caché  et  immobile  pendant  le  jour,  ne  marchant  que  la 
nuit,  évitant  avec  soin  les  lieux  habités  (belad  el  aâfnara)^  et 
prenant  d'ordinaire  une  espèce  de  pas  gymnastique  qu'il  ap* 
pelait  le  trot  du  chien  {khozet  el  kelb).  En  sortant  d'un  bois, 
il  avait  aperçu  dans  le  lointain  un  parti  de  rôdeurs  ennemis. 
Certain  d'avoir  été  vu  lui-même,  il  sentit  tout  de  suite  qu'il 
se  perdrait  en  essayant  de  fuir,  il  marcha  bravement  à  la 
rencontre  de  l'ennemi,  et  soudain  commença  à  contrefaire 
l'idiot  ou  le  fou,  avec  force  gesticulations  et  gambades.  Aussi 
fut-il  bientôt  débarrassé  de  cette  rencontre  incommode,  et 
d'autant  plus  facilement  que  rien  sur  lui  ne  pouvait  tenter  la 
eupidité.  Ces  honnêtes  partisans,  le  prenant  sans  doute  pour 
un  derviche  qui  allait  demander  l'aumône  dans  quelque 
saouya  (1),  lui  avaient  même  offert  une  pièce  d'argent  el  quel- 

(1)  Établissement  religieux  où  l*on  dispense  rinstrnclion  supérieure, 
•t  oà  l'on  donne  l'hospitalité  à  tovi  venant. 


VIGUEUR    ET    SOBRIÉTÉ  379 

qaes  figaes  sèches,  qu'il  avait  dédaigneusement  refusées.  Par 
cette  ruse  habilement  calculée,  il  avait  dissipé  tous  les  doutes. 

Plusieurs  fois  aussi,  dans  le  pays  sauvage  (behd  el-Khela)^ 
il  avait  rencontré  le  lion,  qui  Tavait  suivi  pendant  des  heures 
entières,  cherchant,  suivant  son  habitude,  à  effrayer  son 
homme  (sahhabou).  Le  monstre  grognait,  cassait  des  bran- 
ches avec  sa  queue,  se  roulait  à  terre,  bavait  en  exhalant 
une  odeur  fétide.  Quelquefois,  jouant  cruellement  avec  notre 
voyageur  comme  le  chat  avec  la  souris,  il  le  poussait  avec 
son  épaule  pour  le  faire  sortir  du  sentier  tracé,  ou  bien  il 
disparaissait  pour  aller  lui  couper  le  chemin  un  peu  plus 
loin  ;  mais  TArabe,  messager  de  la  France,  avait  bien  tenu 
son  âme  et  s'était  toujours  débarrassé  de  ce  compagnon  plus 
qu'incommode,  tantôt  en  Tinjuriant  d'une  voix  haute  et 
ferme,  tantôt  en  le  menaçant  hardiment  avec  son  bâton,  qui 
reluisait  sous  les  étoiles  comme  une  lame  de  sabre.  ,11  s'était 
cependant  bien  gardé  de  le  frapper,  ce  qui  aurait  inévita- 
blement  amené  une  catastrophe. 

—  Tout  cela  n'a  rien  qui  doive  vous  étonner  si  fort, 
ajoutait-il  ;  il  est  prouvé  chez  nous,  de  père  en  fils,  que  le 
lion  ne  mange  que  les  lâches. 

Ces  détails  trouveront  sans  doute  plus  d'un  incrédule. 
Tout  ce  que  je  puis  dire,  c'est  que  ce  conte,  si  conte  il  y  a, 
est  répandu  dans  toute  l'Algérie.  J'ai  moi-même  interrogé 
plus  de  cent  Arabes  de  contrées  différentes,  qui  ne  se  con- 
naissaient pas,  qui  par  conséquent  ne  pouvaient  s'entendre 
pour  me  tromper,  et  tous  m'ont  invariablement  dit  la  même 
chose  à  propos  du  Fion. 

Quoi  qu'il  en  soit,  pendant  cette  longue  route,  notre 
homme  n'avait  vécu  que  de  ses  quatre  biscuits,  auxquels  il 
avait  ajouté  des  fruits,  des  racines  ou  des  plantes  sauvages, 
qu'il  me  désignait  d'une  manière  générique  sous  le  nom  de 


380  LA    VIE    ARABE 

khir  Rebbi,  le  bien  de  Dieu.  Il  s'était  désaltéré  avec  Teau  des 
sources  ou  des  mares  qu*il  avait  Tencontrées. 

Je  trouvai  ce  récit  tellement  extraordinaire,  que  j'engageai 
cet  Arabe  à  me  donner  les  noms  de  ces  plantes,  ou  racines, 
avec  lesquelles  un  homme  peut  marcher  aussi  longtemps 
sans  s'épuiser  et  sans  mourir  de  faim.  Il  y  consentit,  et, 
séance  tenante,  mon  secrétaire  arabe  (khoudja)  les  écrivit 
sous  sa  dictée.  Je  les  donne  ici,  en  lettres  arabes,  puis  en 
lettres  françaises,  et  enfin  j'indique  les  noms  de  celles  dont 
j'ai  pu  découvrir  la  dénomination  latine,  m'en  remettant  en 
toute  confiance  aux  savants  orientalistes  que  la  France  pos- 
sède, pour  compléter  cette  partie  de  mon  travail.  Si  ces 
détails  leur  paraissaient  dignes  d'une  sérieuse  attention,  il 
serait  facile  de  faire  venir  de  l'Algérie  les  spécimens  de 
toutes  les  plantes  que  je  vais  énumérer. 

t^^^Ai^Ol  —  el  teblioua. 
'^S^kÀ!^  —  e]  begougâa,  espèce  d'arum. 
j]^  —  el.  djemar  (m^u{/a  pa{m(s). 
ikfiAÀààù\  —  el  senaïria,  espèce  de  carotte. 
i^sSU  —  talghouda. 
^^LJl  —  el  selk. 

a£  ^^  —  fond  lekem,  utilité  du  gosier. 
^HIL^^^I  —  el  kuemina,  petit  chardon. 
^^^1  —  oliva. 

"j^^]^  —  el  hhamaida,  oseille  sauvage  {oxalis  herba). 
if>j^yù\  —  el  kouirsa  (id.) . 
^^1  jUJ  —  lessane  el  ferd,  la  langue  du  bœuf. 
^Cî^  —  rotlaï. 
jèi^l  —  el  djerniz. 
(jf^^l  —  el  khorchef,  artichaut  sauvage. 


VIGUEUR    ET    SOBRIÉTÉ  381 

ja]ÈJ  —  terfaSy  et  ^yi\iJÙ^  —  el  feriass,  truffes  blanches 
[tubei*  niverum). 
^i\  —  addad  {chamelcùu  albusf. 
j^  —  moudjir  {malva). 
^^fiMi31  —  el  sekoum  {^cm  sycomorm). 
gUpl  —  el  begâa  [tubera  terrestris  species). 
^i^aSJÛl    \^  —  oudenn  el  naadja,  Toreille  de  la  brebis. 

g^aiU  —  el  goudjeguidj  (spams  pinifer). 

aI^jH^  —  biberass. 
vl^l^l  —  el  doumerane  {absintha). 
JWJLl  --  el  halhal. 

a^Vûl  —  el  nabta. 

^  —  fliya. 

j^:S31  w^  —  dersctt  el  aadjouz,  la  dent  de  la  vieille 
femme. 

^y^Jkm^\  —  el  besbass  {myristica  moschala). 

^n>>,ftu<,01  —  el  besibessa  (diminutif  id.). 

aà*]x31  —  el  tafegba,  espèce  de  chardon. 

c^l  —  el  toute  {morum  sylvestre). 

jyjU<31  —  e\  sskss  {arbor  in  cujus  radicibus  est  amaritudo) . 
\^i^\  —  el  chelmoune. 

j^|p31  —  el  demedi. 

Jxjûl  —  el  nebek  {fructus  loti) . 
j\iù\  —  el  ghazc. 

^k^l  —  el  guedayme  (planta  amara). 
j^-?pi  —  el  zeberbour. 

^^\  —  el  bcloute  (quercus  ballotta). 

jlÂûl  ,^^9t^^  "~  kermouss  en  nessara,  la  figue  de  Bar- 
barie, que  les  Arabes  appellent  la  ûgue  des  chrétiens. 


382  LA    VIE    ARABE 

j^l  vJ  —  kem  el  djedi,  la  corne  du  chevreau. 
^1:1  —  talma,  salsifis  sauvage, 
v^l^  —  danoune  (philiposa  lutea  et  niolana). 
Ji^l  —  el  guize,  genre  chicoracée. 
^y^^ —  el  hharmel. 
jyil  —  el  loule,  graine  du  derine. 
^j^  —  derine  {stippa  barbara)  (1). 
vCM]^^  —  el  goulguelane  {doUchos  cuneifolius). 

Pour  rendre  cette  nomenclature  aussi  complète  que  pos- 
sible,  j*y  joins  les  noms  de  quelques  autres  plantes  qui  m'ont 
été  indiquées  ultérieurement  et  auxquelles  les  coureurs»  et 
généralement  tous  les  Arabes^  ont  également  recours  quand 
les  vivres  viennent  à  leur  manquer  dans  leurs  longues  et  pé- 
nibles excursions  à  travers  la  «  mer  de  sable  ». 

El  kredda,  ^tatice  bouduellL 
Bezoulet  en  nadja,  tétine  de  la  brebis. 
Talma^  espèce  de  scorsonère. 
Rebiâa,  danthonia  foskali. 
Âssida,  sanchus  chendriloides. 

(1)  M.  le  général  Margneritte  vient  de  publier  un  ouvrage  du  plus 
haut  intérêt,  qui  a  pour  titre:  Chasses  de  V Algérie, 

A  propos  du  derine,  on  y  trouve  une  note  très-curieuse.  La  voici  : 

c  Le  derine  produit  un  petit  grain  comme  du  millet  très-menu  et 
très-allongé. 

a  Dans  le  pays  des  Touareg,  des  familles  de  fourmis  récoltent  ce  grain 
et  eu  font  des  réserves  considérables.  Les  gens  pauvres  vont  à  sa  re- 
cherche et  en  font  une  sorte  de  farine  avec  laquelle  ils  confectionnent 
des  galettes  et  du  kooskous.  Ceux  qui  vont  ainsi  s'approprier  la  sub- 
sistance ramassée  à  grand'peine  par  la  besogneuse  fourmi,  ont  soin  de 
laisser  quelques  poignées  de  grain  dans  la  fourmilière,  aGn  que  cet 
insecte  puisse  subsister  pendant  quelques  jours  et  recommencer  de 
nouveaux  approvisonnements.  Nous  agissons  de  même,  vis-à-yis  des 
abeilles,  quand  nous  recueillons  les  rayons  de  miel.  » 


VIGUEUR    ET    SOBRIÉTÉ  38^ 

Daghmous,  apteranthes  jussomania. 

El  tifaf,  espèce  de  laiteron. 

Nebegue  es-sedra^  jujubes  sauvages. 

Aneb  el-betboum,  grappes  de  pistachier  sauvage. 

Chikh-Aatmiinn,  chef  des  Touareg,  a  fait  connaître  en 
outre  au  colorïel  Margueritte  les  noms  suivants  : 
El  yàtil,  arbre  qui  produit  des  grappes  jaunes. 
El  tolhheu,  arbre  qui  produit  la  gomme. 
El  harra,  moutarde  sauvage. 
El  djerdjir. 
El  dhorrane. 

El  nrefel,  espèce  de  trèfle. 
Zaouite,  el  îhafchif,  graminées. 


II 


L'exemple  de  vigueur  et  de  sobriété  que  je  viens  de  citer, 
a  été  donné  par  un  Arabe  du  Tell.  On  va  voir  maintenant  ce 
que  peuvent  faire  les  coureurs  du  désert.  Les  détails  qu*on 
va  lire  m*ont  été  communiqués  récemment  par  M.  Mar- 
gueritte (1),  lieutenant-colonel  au  12*  régiment  de  chasseurs 
À  cheval.  Cet  officier  supérieur,  dont  le  témoignage  mérite 
toute  conGance,  a  été  longtemps  chef  de  bureau  arabe,  puis 
commandant  supérieur  du  cercle  de  Leghouate.  Il  parle 
admirablement  l'arabe,  et  nul  n*était  plus  à  portée  que  lui 
d*étre  exactement  renseigné  sur  tout  ce  qui  concerne  les 
indigènes.  Précisément  à  cette  époque,  il  possédait  dans  son 
commandement  un  individu  qui  passait  pour  le  type  le  plus 

(1)  Le  colonel  MargneriUe,  aujonrdlmi  général  de  brigade,  comman- 
dant la  subdivision  d'Alger. 


38i  LA    VIE    ARABE 

accompli  di^  coureur  arabe.  Je  vais  rapporter,  d'après  le 
colonel  Margueritte,  quelques  traits  de  Todyssée,  non  moins 
aventureuse  qu'authentique,  de  son  héros. 

Beu'-âaaïdane  (c*est  ainsi  qu*il  se  nomme)  est  un  Arabe 
des  Oulad-saad-ben-Salem,  fraction  de  la  grande  tribu  des 
Oulad-Naïl.  En  1858,  il  avait  ou  semblait  avoir  trente-cinq 
ou  trente-six  ans  ;  sa  taille  était  élevée,  sa  constitution  sèche 
et  robuste,  ses  bras  et  ses  jambes  admirables  de  vigueur  et 
d'élégance.  Pour  tout  vêtement,  il  n^avait  qu'une  chemise  de 
coton,  recouverte  d'un  bernouss  très-léger.  Il  portait  aussi 
une  ceinture  en  cuir  du  Maroc,  dans  laquelle  étaient  passés 
quelques  bouts  de  roseaux  qui  lui  servaient  à  mettre  ses 
provisions  de  bouche.  Ses  pieds  étaient  garantis  par  des 
brodequins  qu'il  fabriquait  lui-même  avec  du  cuir  de  cha- 
meau et  de  la  peau  de  chèvre,  et  il  ne  marchait  qu'avec  son 
petit  couteau  à  gatne  et  son  fidèle  bâton  {kezoula).  Les  Arabes 
prétendent  que  Ben-Saaïdane  a  été  doué  par  Dieu  du  don  de 
la  marche,  de  la  faculté  de  ne  jamais  s'égarer,  même  dans 
4es  contrées  les  plus  sauvages,  les  plus  inconnues,  et  surtout 
de  pouvoir  vivre  avec  très-peu  de  nourriture.  Voici  dans 
quelles  circonstances  ces  facultés  merveilleuses  auraient  été 
conférées  ou  confirmées,  suivant  eux,  à  Ben-Saaîdane  par 
le  commandeur  des  croyants. 

En  1845,  l'émir  Aabd-el-Kader,  comprenant  qu'il  lui 
serait  avantageux  de  s'appuyer  sur  les  Oulad-Naaïl  pour  con- 
tinuer sa  lutte  avec  la  France,  entretenait,  par  Tintermédiaire 
de  si  cherif  bel-Lahreche,  des  relations  très-suivies  avec  les 
principaux  personnages  des  Oulad-si-Hhamed  et  des  Oulad- 
saad-ben-Salem.  Bou-Haly,  chef  de  cette  dernière  fraction, 
voulant  faire  parvenir  à  l'émir  un  avis  très-important,  choisit 
pour  messager  Ben-Saaïdane,  qui  était  déjà  en  grande  répu- 
tation comme  marcheur.  Aabd-el-Kader  se  trouvait  alors 


VIGUEUR    ET    SOBRIÉTÉ  3S5 

dans  les  environs  de  Tyaret.  Ben-Saaïdane  ne  connaissait 
nullement  les  pays  de  TOaest:  il  voulut  d*abord  décliner 
cette  mission;  mais,  Bou-Haly  et  les  gens  de  sa  tribu  ayant 
fait  appel  à  son  amour-propre  ainsi  qu*à  ses  sentiments  reli- 
gieux, Ben-Saaïdane  se  fit  renseigner  du  mieux  possible  sur 
la  direction  à  suivre,  et  partit,  plein  de  confiance  dans  ses 
forces  et  dans  son  courage,  n'emportant  pour  toutes  provi- 
sions que  neuf  à  dix  onces  de  farine  de  blé  grillé  {rouina)^ 
enfermées  dans  les  roseaux  de  sa  ceinture,  et  une  petite 
peau  de  bouc  {chiboutà)  qui  pouvait  contenir  environ  deux 
litres  d'eau.  La  tribu  de  Ben-Saaïdane  campait  en  ce  moment 
dans  un  endroit  nommé  El-Hhad,  à  six  lieues  sud-ouest  de 
Djelfa  :  il  la  quitta  de  grand  matin,  c  dès  qu'il  put  distinguer 
un  fil  blanc  d*ttn  fil  noir,  i  et  prit  la  direction  du  nord-ouest. 
Vers  les  trois  heures  de  Taprès  midi,  au  moment  de  la  prière 
(el  âasseur)y  il  arriva  à  Mekrouba,  non  loin  de  Sidi-bou-Zid.  Là, 
il  s'arrêta  pendant  quelques  instants,  mangea  trois  ou  quatre 
onces  de  rouina,  et  se  remit  en  chemin.  La  nuit  le  surprit 
sur  les  hauts  plateaux;  mais,  réglant  sa  marche  sur  les 
étoiles,  il  continua  hardiment  sa  route,  au  risque  d'être  ren- 
contré par  les  éclaireurs  des  goums  ennemis,  ou  par  ceux 
des  colonnes  françaises.  Le  lendemain,  vers  huit  heures  du 
matin,  il  arrivait  à  Taguedemt,  ou  se  trouvait  Âabd-el-Kader. 

Il  avait  parcouru,  pour  ainsi  dire,  sans  prendre  de  repos 
et  sans  autre  nourriture  que  huit  à  dix  onces  de  farine  de 
blé,  216  kilomètres  en  vingt-six  heures. 

L'émir  et  tous  les  chefs  qui  l'entouraient  refusaient  d'ajou- 
ter foi  au  récit  de  Ben-Saaïdane  ;  ils  durent  cependant  se 
rendre  à  l'évidence  quand  ils  eurent  entre  les  mains  la  lettre 
de  Bou-Haly.  Cette  lettre  était  datée,  et  donnait  des  rensei- 
gnements précis  sur  des  faits  très-récents  et  d'une  grande 
importance  pour  la  conduite  de  la  guerre.  Alors,  Aabd-el- 

Î5 


386  LA    VIE    ARABE 

Kader  voulut  récompenser  dignement  le  reggab  (coureur) 
des  Oulad-Naaïi,  et  lui  dit  : 

—  Demande-moi  ce  que  tu  voudras  ;  si  la  chose  est  en 
mon  pouvoir,  je  te  raccorderai. 

—  0  prince  des  croyants,  lui  répondit  Ben-Saaidane,  je 
ne  le  demanderai  rien,  ni  honneurs  ni  argent;  tu  combats 
pour  le  triomphe  de  notre  sainte  religion,  nous  sommes  trop 
heureux  quand  nous  pouvons  t'aider  à  vaincre  les  peuples  à 
chapeau  (bou^barreta);  donne-moi  seulement  ta  bénédiction 
et  invoque  Dieu  pour  ton  serviteur,  je  me  tiendrai  pour  lar- 
gement récompensé. 

L'émir  le  fit  alors  approcher,  et,  lui  imposant  les  mains, 
il  prononça  ces  paroles: 

—  Que  Dieu  place  sa  bénédiction  sur  tes  jambes,  et,  par 
son  pouvoir,  tu  seras  toujours  le  cheval  de  ton  àme,  ton 
propre  cheval  à  toi-même. 

Puis  il  le  congédia  en  lui  donnant  une  réponse  pour  los 
Oulad-Naïl.  Ben-Saaïdane  ne  mit  guère  plus  de  temps  au 
retour  qu*il  n*en  avait  mis  pour  se  rendre  à  Taguedemt. 

—  La  bénédiction  du  saint  émir,  du  moudjahad,  c'est-à- 
dire  du  soldat  de  la  guerre  sainte,  avait  produit  son  effet, 
racontait-il  ensuite;  car  je  ne  me  sentais  vraiment  pas 
marcher. 

Depuis  ce  moment,  on  ne  le  connaît  plus,  dans  les  tribus 
du  Sahara,  que  sous  le  nom  ô.^Aaoud'Rohhou^  le  cheval  de 
son  âme,  son  cheval  par  lui-même. 

En  18  i9,  Ben-Saa!dane  et  plusieurs  autres  Arabes  de  sa 
tribu  se  réunirent  pour  aller  en  caravane  acheter  des  dattes 
à  Tougoui't.  A  peine  arrivé  dans  cette  ville,  Ben-Djellab,  qui 
en  était  le  chef,  leur  apprit  que  les  goums  de  TEst,  les  Bou- 
Azid,  les  Selmiya  et  les  Fedoul,  s'étaient  dirigés  sur  les 
Oulad-Naaïl,  qui  campaient  alors  entre  Messad  et  le  djebel 


VIGUEUR    ET    SOBRIÉTÉ  387 

Bou-Kahhi1,avec  Tintention  de  les  surprendre  et  de  les  piller. 
Ben-Saaïdane  s'offrit  immédiatement  pour  aller  donner  l'é- 
veil à  sa  tribu^  et  il  quitta  Tougourt  sans  y  avoir  pris  le 
moindre  repos,  n'emportant  avec  lui  que  deux  galettes  de 
pain  arabe,  avec  sa  chibouta  pleine  d'eau.  Il  marcha  jour  et 
nuit  pendant  quarante-huit  heures,  ne  fit  que  quatre  haltes 
d'environ  une  heure  chacune,  et  il  arriva  assez  à  temps  pour 
prévenir  les  siens,  qu'il  trouva  dans  une  sécurité  complète. 
Ils  se  replièrent  aussitôt  dans  la  montagne  de  Bou-Kahhil, 
se  dérobant  ainsi  à  la  formidable  cazzia  dont  ils  étaient  me- 
nacés. Après  quelques  heures  de  sommeil,  Ben-Saaidane  se 
remit  en  marche  pour  Tougourt,  et  il  rentra  dans  cette  ville 
cent  deux  heures  après  son  départ,  ayant  parcouru  dans  ce 
laps  de  temps  560  kilomètres.  Il  trouva  ses  compagnons  sur 
le  point  de  partir,  et  il  put  s'en  retourner  avec  eux. 

Depuis  1852^  les  Français  emploient  Ben-Saaïdane  comme 
coureur.  Il  a  rendu  d'excellents  services  à  tous  nos  chefs  de 
colonne  par  la  rapidité  de  ses  courses  et  par  sa  connaissance 
parfaite  du  pays.  Nos  généraux  l'ont  toujours  généreusement 
récompensé;  il  est  aujourd'hui  à  son  aise;  mais  il  n*en 
continue  pas  moins  son  métier,  d'abord  par  un  besoin  impé- 
rieux de  locomotion,  et  ensuite  pour  ne  pas  laisser  s'amoin- 
drir dans  le  désert  sa  réputation  de  marcheur  infatigable,  à 
laquelle  il  tient  beaucoup.  Dans  le  seul  but^  comme  il  le  dit 
lui-même,  de  s'entretenir  les  jambes,  il  se  rend  souvent  de 
Djelfa  à  Leghouate  en  quatorze  heures,  franchissant  ainsi 
d'une  seule  traite  115  kilomètres. 

Ben-Saaïdane  accompagnait  toujours  le  colonel  Margueritte 
qifand  il  faisait  des  courses  dans  le  désert  ;  il  tenait  à  hon- 
neur de  marcher  constamment  à  la  tète  des  goums  (cavalerie 
arabe),  et  d'indiquer  la  direction  à  suivre  parmi  ces  vagues 
de  sable  où  il  n'y  a  pas  de  routes  tracées.  Il  devenait  furieux 


388  LA    VIE    ARABE 

quand  les  cayaliers  ou  les  fantassins  ne  se  conformaient  pas 
à  ses  indications,  et  souffrait  même  difficilement  qu'on  osftl 
émettre  sur  ritinéraire  un  avis  différent  du  sien.  Souvent,  en 
chassant  la  gazelle  ou  Tautruche,  nos  cavaliers  laissaient  Ben- 
Saaïdane  à  trois  ou  quatre  lieues  en  arrière  ;  mais  ils  étaient 
bien  sûrs  de  le  voir  lestement  arriver.  Alors,  il  ne  manquait 
jamais,  en  reprenant  la  tête  du  goum,  d'arborer  son  mouchoir 
au  bout  de  son  bâton,  en  guise  de  drapeau,  et  de  Tagiter  en 
cabriolant  devant  eux  pour  narguer  nos  chevaux. 

Au  mois  de  juillet  iS57,  dans  une  grande  chasse  à  Tau* 
truche,  les  mekhalif  s'amusèrent  à  taquiner  Ben-Saaîdane;  ils 
lui  dirent  : 

—  Puisque  tu  te  nommes  Aaoud-Rohhou  (le  cheval  de 
ton  ftme),  pourquoi  ne  prends-tu  pas  comme  nous  des  au- 
truches à  la  course? 

Ben-Saaîdane  leur  répondit  : 

—  Vos  chevaux  ne  sont  que  des  ânes  du  Tell,  et  je  les 
ferai  tous  crever  dans  une  course  de  fond.  Cela  est  connu 
des  gens  du  Sahhara,  vous-mêmes  ne  Tignorez  pas  ;  mais, 
puisque  vous  me  mettez  au  défi,  demain  je  vous  jaunirai,  à 
tous,  la  figure  ;  oui,  demain,  je  me  trouverai  en  même  temps 
que  vous  au  lancer  des  autruches,  et,  après  avoir  rejoint  la 
première  qui  sera  forcée,  je  veux  être  de  retour  au  bivac 
avant  vous. 

La  provocation  fut  acceptée.  Le  jour  suivant,  Ben-Saaîdane 
suivit  les  chasseurs  au  gaâd  (lieu  où  sont  réunies  les  autru- 
ches que  l'on  a  reconnues)  ;  dès  qu'elles  se  montrèrent,  on  se 
mit  à  leur  poursuite  de  toute  la  vitesse  des  chevaux.  Le  colo- 
nel Margueritte  força  la  sienne  dans  trente-trois  minutes, 
après  avoir  parcouru  seulement  quinze  ou  seize  kilomètres  ; 
et,  comme  il  achevait  de  la  dépouiller,  opération  qui  avait 
encore  demandé  de  trente  à  trente-cinq  minutes,  il  fut  effee- 


VIGUEUR    ET    SOBUIETË  38SI 

tivement  rallié  par  Ben-Saaïdane,  qui  lui  cria  du  plus  loin 
qu'il  put  l'apercevoir  : 

—  Tu  es  témoin  que  j'ai  tenu  parole  ;  maintenant,  ta 
pourras  dire  partout  que  ces  chiens  de  mekhalif  ne  courent 
pas  plus  vite  que  leurs  femmes,  et  qu'ils  ont  mauvaise  grâce 
à  vouloir  lutter  avec  ton  fils  Ben-Saaïdane.  Je  vais  à  pré- 
sent regagner  notre  point  de  départ  ;  j*y  renverserai  leurs 
marmites,  et,  avant  qu'ils  arrivent,  j'aurai  pu  dormir  un 
instant  avec  la  même  tranquillité  qu*un  paresseux  habitant 
des  kcsours  (villages  du  Sahhara). 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait.  Plus  de  deux  heures  après,  quand 
le  colonel  Margucritte  rentra  au  camp,  il  y  trouva  Ben- 
Saaîdane  installé  depuis  longtemps  et  avant  tout  le  monde. 
Il  se  prélassait  dans  la  tente  du  kaïd  des  Mekhalif,  qui,  pour 
lui  faire  fêle  et  se  réconcilier  avec  lui,  lui  prodiguait  son  eau 
la  plus  fraîche  et  le  régalait  des  meilleurs  morceaux  de 
hammoum,  viande  choisie  de  l'autruche,  cuite  dans  la 
graisse  de  cet  animal. 

Cet  intrépide  coureur  fut  mis  au  nombre  des  cavaliers, 
mekhazeniyas,  du  bureau  arabe  de  Djelfa.  Lorsqu'on  voulut 
l'inscrire  en  cette  qualité,  on  lui  dit  : 

—  Achète  un  bon  cheval,  tu  sais  qu'un  mekhazeni  doit 
être  bien  monté. 

En  entendant  cette  proposition,  Ben-Saaïdane,  malgré 
son  respect  et  sa  bonne  tenue  habituelle  devant  ses  supé- 
rieurs, se  mit  a  rire  de  la  façon  la  plus  bruyante,  la  plus 
comique;  puis,  quand  il  put  parler,  il  dit  au  commandant 
du  poste  : 

—  Ce  n'est  pas  bien  d'humilier  ainsi  ton  serviteur  en  lui 
proposant  de  se  servir  d*un  cheval,  qui  consomme  ce  qui 
suffirait  à  nourrir  une  famille  entière;  qui  hennit  et  laisse 
des  traces  que  l'on  ne  peut  toujours  dérober  à  Tennemi,  des 


390  LA    VIE    ARABE 

traces  qui,  le  plus  souvent,  dénoncent  nos  entreprises.  Tu 
veux  donc  que  l'on  se  moque  de  moi?  Ben-Saaïdane  acheter 
un  cheval!  Pourquoi  faire,  grand  Dieu?  N*est-ii  pas  plus 
avantageux  d*avoir  tout  simplement  à  ton  service  un  homme 
capable  de  faire  ce  que  vos  meilleurs  chevaux  ne  pourront 
jamais  faire,  et  qui  n*aura  à  te  demander  ni  paille,  ni  orge, 
ni  frais  de  ferrage,  ni  indemnité  pour  perte  de  sa  monture? 

Il  n'y  avait  rien  à  répliquer,  et  le  coureur  Ben-Saaïdane 
fut,  selon  son  désir,  inscrit  cavalier  de  FÉtat  {khiyal)^  à  la 
condition  qu'il  ferait  à  pied  le  même  service  que  ses  cama- 
rades avec  leurs  chevaux.  Depuis,  il  n'a  jamais  donné  lieu  à 
aucun  reproche,  et  la  comparaison  faite  entre  lui  et  les 
khiyalas  a  toujours  tourné  à  son  avantage,  surtout  pour  les 
courses  lointaines  (1). 

Ben-Saaïdane  était  très-original.  Il  parlait  peu  ;  mais,  en 
marchant,  il  murmurait  toujours  quelques  sentences  arabes. 
Voici  celle  qu'il  semblait  affectionner  : 

«  Tuer  ou  être  tu«S  voilà  notre  lot;  celui  de  la  femme, 
c'est  de  traîner  à  terre  les  longs  plis  de  ses  vêtements.  » 

Au  reste,  les  grands  marcheurs  ne  sont  pas  rares  dans  le 
désert,  et  leurs  hauts  faits  y  sont  connus  de  tout  le  monde. 
En  1846,  un  Arabe,  nommé  El-Thouamy,  originaire  de 
Leghouate,  uù  il  vit  encore,  fut  envoyé  par  le  kalifa  sid 

(1)  Dans  le  iVaceri,  ce  remarquable  ouvrage  dû  à  la  plume  du  savant 
docteur  Perron,  on  trouve,  à  propos  des  coureurs  arabes,  la  note  sui- 
vante : 

«  Ces  lions  du  désert  que  les  chevaux  ne  pouvaient  atteindre  à  la 
course,  étaient  la  terreur  des  tribus,  l'effroi  des  caravanes,  l'épou- 
vante des  voyageurs,  le  désespoir  des  cavaliers.  Véritables  coursiers, 
aux.  muscles  durs  et  bosselant  la  peau,  ces  terribles  délrousseuri 
étaient  toujours  entraînés,  toujours  maigres,  toujours  prêts,  toujours 
en  incursions,  toujours  l'œil  fixe  et  plongeant  dans  les  profondeurs 
du  désert,  la  narine  béante,  flairant  de  partout  le  brigandage  et  le 
meurtre.  » 


VIGUEUR    ET    SOBRIÉTÉ  391 

Hhamed  ben-Salem  à  Berrivane,  ville  située  dans  le  district 
des  Beni-Mezab.  Parti  à  cinq  heures  du  matin  de  Kesar-el- 
Héirane,  il  arriva  au  terme  de  son  voyage  à  sept  heures  du 
soir.  Il  avait,  en  quatorze  heures,  franchi  128  kilomètres,  et 
fait,  par  conséquent,  plus  de  kilomètres  à  l'heure.  Dans 
la  même  année,  ce  même  Thouamy  se  rendit,  en  vingt  et 
une  heures,  de  Negoussaà  Berriyane;  distance:  180  kilo- 
mètres. Pendant  ces  deux  courses,  il  n'avait  mangé  que 
quelques  dattes  et  bu  que  la  valeur  de  deux  ou  trois  litres 
d*eau. 

En  1848,  Mâarouf  ben-Selymane,  de  la  tribu  des  Larbâa^ 
parcourut  en  vingt-neuf  heures,  et  d'une  seule  traite,  la  dis- 
tance qui  sépare  Guerrara  de  Kesar  et  Héirane,  soit  18i  kilo- 
mètres. Dans  une  seule  journée,  de  Guerrara,  il  atteignit 
Ouargla  (1).  En  1850,  El-Ghiry  Bel-Oussif,  de  la  tribu  des 
Mekhalif,  chassait  l'autruche.  S'étant  acharné  à  la  poursuite 
d'un  delim  (autruche  mâle],  il  se  trouva  complètement  sé- 
paré de  ses  compagnons.  Son  cheval  était  tombé  mort  de 
fatigue,  sa  provision  d'eau  épuisée.  Pendant  trois  fois  vingt- 
quatre  heures,  il  erra  sur  les  hauts  plateaux  sans  boire  ni 
manger;  le  jour,  il  dormait  sous  un  betoum  (térébinthe 
sauvage)  t  et  il  se  remettait  en  marche  la  nuit.  Sa  famille  le 
croyait  perdu,  et  on  eut  de  la  peine  à  le  reconnaître  à  son 
retour,  tant  il  était  épuisé,  maigri  et  noirci  par  le  soleil.  Il 
raconta  ensuite  qu'il  croyait  devoir  la  vie  à  des  rêves  dans 
lesquels  il  voyait  sa  mère  le  soigner  et  lui  donner  à  boire  à 
discrétion.  Ces  rêves,  disait-il,  l'avaient  soulagé  et  soutenu 
dans  sa  détresse. 

Mahhammed-ben-Mohhammed,  des  Harez-Allah,  fraction 
de  la  grande  tribu  des  Larbàa,  étant  en  razzia  du  cdté  du  Zab, 

(1)  Voir,  |)oar  les  localilés  et  pour  les  dislances,  la  carte  de  TAb 
gérie. 


d9S  LA    VIE    ARABE 

perdit  son  cheval  par  un  accident.  Obligé  de  revenir  à  pied 
chez  lui,  il  marcha  pendant  quatre  jours  et  quatre  nuits  sans 
boire  et  sans  prendre  d'autre  nourriture  que  celle  qu'il 
trouva  dans  les  racines  et  dans  les  plantes  du  bon  Dieu. 
C'était,  il  est  vrai,  en  hiver  et  la  température  était  froide. 

Dridy,  de  la  tribn  des  Mekhalif,  était  autrefois  un  intrépide 
chasseur;  tombant  un  soir  sur  un  troupeau  de  sept  mouflons 
à  manchettes,  il  les  poursuivit  de  montagne  en  montagne,  et 
en  tua  cinq,  après  avoir  parcouru  en  six  heures  une  cinquan- 
taine de  kilomètres  dans  un  pays  accidenté.  Une  autre  fois,  il 
suivit  pendant  quatre  jours  les  traces  d'un  troupeau  d'autru- 
ches; mais,  ayant  totalement  épuisé  son  eau  et  ses  vivres^  il 
se  vit  contraint  de  rentrer  chez  lui,  ne  mangeant,  pendant 
quatre  autres  jours,  que  des  plantes  de  khedda  {statke  bou- 
duelli).  Souvent  il  est  arrivé  à  Dridy  de  passer  huit  ou  dix 
jours  à  la  chasse,  ne  vivant,  pendant  la  moitié  de  ce 
temps,  que  de  racines  et  de  plantes  dont  il  connaissait  la 
valeur  nutritive.  Dridy  existe  encore;  il  habite  le  village 
d'El-Haouyta. 

LesMekhalif-el-Djereb  racontent  que  Messaoud-ben-Aaïssa 
de  leur  tribu,  mort  il  y  a  seulement  une  dizaine  d'années, 
forçait  à  pied  des  autruches  dans  le  temps  des  plus  grandes 
chaleurs.  Les  exemples  de  longues  marches  accomplies  rapi- 
dement, ainsi  que  ceux  de  sobriété  exceptionnelle,  sont 
très-nombreux  dans  le  Sahhara.  «  Plus  on  avance  dans  le 
Sud,  disent  les  Arabes,  moins  le  ventre  peut  dominer 
l'âme.  » 

Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que,  par  la  vie  rude  et  pleine 
de  périls  qu'ils  sont  forcés  de  mener,  les  gens  du  désert  sont 
mieux  préparés  à  la  marche,  aux  fatigues  et  aux  privations 
qu'aucun  autre  peuple  de  la  terre.  C'est  une  honte  chez 
eux  que  de  s'exposer,  par  la  paresse  ou  par  l'intempérance. 


VIGUEUR    ET    SOBRIÉTÉ  393 

à  être  appelé  bou-kerch  (le  père  du  ventre).  Je  pourrais  citer 
encore  ici  bien  des  traits  incroyables  de  patience,  de  sobriété 
et  de  vigueur.  Je  me  borne  à  transcrire  Tun  des  plus  authen- 
tiques, raconté  au  colonel  Margueritte  par  celui-là  même  qui 
en  a  été  le  héros.  C'est  un  chef  des  plus  influents  parmi  les 
Touareg,  nommé  Chikh-Aatmann  ;  il  est  Tami  des  Français, 
et  sa  véracité,  souvent  mise  par  eux  à  répreuve,  ne  s*est 
jamais  trouvée  en  défaut. 

Donc,  l'année  1236  de  l'hégire,  et  en  plem  été,  Chikh- 
Àatmann,  à  la  tête  d'un  parti  de  soixante-dix  guerriers  mon- 
tés sur  des  mahra  (pluriel  de  maArt),  tenta  une  razzia  sur  les 
Ghambas  d'Ouargla.  Ils  avaient  épuisé  l'eau  de  leurs  outres, 
et  passé  déjà  cinquante-deux  heures  sans  boire,  quand,  par 
suite  du  succès  inespéré  de  leur  coup  de  main,  ils  se  trouvè- 
rent possesseurs  de  2,200  chameaux.  Ils  saignèrent  immédia- 
tement 60  chamelles,  burent  leur  sang,  l'eau  qu'elles  avaient 
dansTestomac,  et  furent  sauvés.  C'est  là,  en  effet,  la  ressource 
suprême  des  Touareg  en  cas  de  disette  d'eau;  mais  il  faut, 
dit  Âatmann,  prendre  toujours  la  précaution  de  recueillir  le 
sang  dans  un  vase,  et  d'attendre  qu'il  y  soit  coagulé.  Alors, 
on  jette  le  caillot  qui  s'est  formé,  et  on  ne  boit  que  la  partie 
liquide  et  séreuse  qui  reste.  Si  l'on  n'a  pas  la  patience  d'agir 
ainsi,  le  sang  que  l'on  boit  tout  chaud  se  fige  sur  l'estomac 
ou  brûle  les  entrailles;  il  augmenle  alors  le  terrible  supplice 
de  la  soif.  Pendant  six  jours  et  demi,  c'est-à-dire  pendant 
c»nt  cinquante-six  heures  avant  la  razzia,  Chikh-Aatmann  et 
les  siens  n'avaient  vécu  qu'avec  la  valeur  approximative  de 
six  cent  cinquante  grammes  de  viande  de  chameau. 

II  est  également  admis  en  principe,  chez  les  Touareg, 
que  des  guerriers  en  campagne  peuvent,  quand  l'eau  et  les 
vivres  viennent  à  manquer,  prolonger  leur  expédition  en 
tuant  deux  mahras  sur  trois,  mais  jamais  plus,  sous  peine 


394  LA    VIE    ARABE 

de  perdre  la  vie,  surtout  quand  oq  opère  dans  des  régions 
trës-éloignées  du  point  de  départ.  Un  mahri,  disentriis,  peat 
ramener  et  sauver  trois  hommes;  deux  se  placent  sur  son 
dos,  et  le  troisième  s*aide  dans  sa  marche  en  tenant  l'animal 
par  la  queue;  mais  il  succomberait  infailliblement  si  Ton 
exigeait  de  lui  davantage. 

Le  chef  des  Touareg  D*azeguer,  Chikh-Ikhenoukhene, 
étant  en  razzia  contre  les  Saaïd,  avec  quarante  des  siens,  est 
resté  neuf  jours  et  neuf  nuits  sans  eau.  Ses  hommes  s*en 
sont  tirés  en  buvant,  tontes  les  quarante-huit  heures,  un  peu 
de  sang  qu*ils  se  procuraient  en  tuant  leurs  mahras.  Lorsque 
le  chiffre  de  ces  derniers  fut  réduit  à  quinze,  ils  retournèrent 
dans  leiir  pays. 

Suivant  Chikh-Âatmann,  les  Oulad-Moulate  emploient  un 
moyen  singulier  et  cruel  pour  s*assurer,  dans  leurs  excur- 
sions lointaines,  des  provisions  d*eau  et  de  viande.  Us  pren- 
nent de  vieilles  chamelles,  les  privent  d'eau  pendant  long- 
temps, et  puis,  au  moment  de  partir  en  razzia,  ils  les  font 
boire  à  satiété,  leur  coupent  la  langue  et  les  emmènent. 
Quand  les  vivres  viennent  à  manquer,  ils  tuent  successive- 
ment les  chamelles  et  retrouvent  toute  Teau  qu'elles  ont 
absorbée  avant  le  dépai*t,  parce  que,  faute  de  langue,  pré- 
tendent-ils, elles  n*ont  pu  en  ramener  la  moindre  goutte 
dans  leur  gosier.  Inutile  d'ajouter  que,  dans  ce  cas,  les 
Oulad-Houlate  mangent  aussi,  avec  un  grand  plaisir,  la  chair 
des  animaux  qui,  suivant  leur  pittoresque  expression,  leur 
ont  servi  de  réservoirs  ambulants.  Chikh-Âatmann  assure 
que  les  chevaux  se  montrent  également  très-avides  de  cette 
nourriture.  Quand  ils  voient  préparer  et  découper  devant 
eux  la  chair  du  chameau,  ils  hennissent  et  grattent  la  terre 
du  pied  avec  une  joyeuse  impatience.  Ces  Oulad-Moulate 
campent  sur  les  conûns  du  pays  des  Touareg  ;  ils  n'ont  pas 


VIGUEUR    ET    SOBRIÉTÉ  395 

d*aulre  métier  que  d*attaquer  et  de  piller  les  caravanes  qui 
se  rendent  à  Timbektou.  Ces  Arabes  ont  au  plus  haut  degré 
la  passion  de  rindépendance  et  des  aventures  ;  ce  sont  eux 
qui  disent  :  c  Les  habitants  des  maisons  sont,  partout,  forcés 
de  reconnaître  un  maître  (sultan)  ;  mais  nous,  toujours  prêts 
au  combat  comme  à  la  fuite,  nous  ne  reconnaissons  d'autre 
maître  que  Dieu.  > 

On  retrouve,  dit-on,  chez  ces  enfants  du  désert,  les 
mœurs  chevaleresques  des  tribus  primitives  de  la  grande 
Arabie,  mœurs  si  bien  décrites  dans  le  beau  récit  de  Fatalla 
Sayegbir,  que  nous  a  fait  connaître  M.  de  Lamartine.  Dans 
le  Sahhara,  comme  dans  THedjaz,  partout  où  la  distance  et  la 
difficulté  des  lieux  ont  préservé  les  fils  d'Ismaël  de  la  domi- 
nation des  Turcs,  la  femme  a  conservé  tout  son  prestige, 
toute  son  influence:  elle  n'est  pas  une  vile  esclave,  mais  la 
compagne,  Tâme  du  guerrier,  Tobjet  de  son  admiration  pas- 
sionnée, la  palme  de  ses  exploits.  Au  fond  des  solitudes 
africaines^  comme  au  berceau  de  sa  race,  TArabe  est  encore 
tel  que  l'ont  dépeint  les  prophètes  :  Thomme  libre  et  sau- 
vage, levant  la  main  contre  tous,  léguant  à  ses  enfants 
pour  patrimoine  le  désert,  et  pour  moisson  les  caravanes. 
Voici  quelques  échantillons  de  la  poésie  des  Uulad-Moulate, 
qui  semblent  des  fragments  inédits  de  Tépopée  d'Antar. 

Laissez-moi,  je  veux  aller  où  me  portent  mes  désirs; 
Je  veux  quitter  les  miens  pour  les  fuir  à  jamais. 
Les  maîtres  des  sabres  ont  eu  peur; 
Et,  si  je  pars,  c'est  sur  Tordre  de  Dieu. 
Riche  dans  ma  tribu,  tout  le  monde  m'aurait  fêté; 
Pauvre,  dans  mon  pays,  je  ne  suis  qu'un  étranger; 
Je  vais  dépenser  ma  vie  à  parcourir  la  terre, 
*  J*y  trouverai  peut-être  un  ami  qui  plaindra  mes  malheurs. 


396  LA    YlË    ARABE 

Arrête,  chamelier,  ne  presse  pas  notre  marche, 

Tes  chameaux  sont  jeunes,  ménage-les  ; 

Avant  de  me  lancer  dans  la  mer  des  souvenirs. 

Laisse-moi  lui  voler  encore  quelques  coups  d^œli. 

Frère,  ne  t* étonne  pas  des  caprices  de  Tamant. 

Déjà  le  chagrin  tourne  autour  de  mon  cou  ; 

Il  va  ronger  ma  chair  avec  mes  os, 

El  mon  malheur  fait  rire  mes  ennemis. 

Ils  sont  réclair,  et  moi  le  nuage  sombre  : 

0  mon  œil,  pleure  du  sang,  si  tu  n*as  plus  de  larmes! 

On  se  demandera  sans  doute  quelle  est  la  pensée  qui  m'a 
suggéré  ces  recherches  sur  les  coureurs  du  désert,  et  plus 
généralement  sur  les  tours  de  force  qu*accomplissent  ses 
habitants  en  fait  de  sobriété,  sur  leurs  luttes  quotidiennes,  et 
presque  toujours  heureuses,  contre  la  faim  et  la  soif,  ces 
deux  ennemies  redoutables,  sans  cesse  aux  aguets  sous  le  ciel 
africain.  Assurément,  je  n'ai  pas  supposé  que  des  Européens 
pussent  s'habituer  à  une  nourriture  aussi  primitive;  mais 
n'est-il  pas  des  circonstances  où  les  voyageurs,  les  marins, 
les  soldats,  peuvent  se  trouver  fort  embarrassés  pour  se 
nourrir  :  les  premiers,  au  fort  des  solitudes  dont  ils  vont 
interroger  les  périlleux  mystères  ;  les  seconds,  sur  les  plages 
inconnues  et  stériles  où  peut  les  jeter  la  tempête;  les  der- 
niers enfin,  dans  ces  expéditions  que  la  sécurité  de  notre 
colonie  algérienne  rendra  encore  longtemps  nécessaires,  et 
qui  les  entraînent  fréquemment  loin  de  nos  établissements 
et  des  tribus  soumises?  Dans  de  telles  circonstances,  il  peut 
être  intéressant  de  connaître  les  propriétés  alimentaires  de 
ces  plantes,  de  ces  racines  qu'on  dédaigne  ou  dont  on  se 
méfie.  Ces  notions  pourront  être  utiles  surtout  à  ceux  qui 
voudront  tenter  la  traversée  du  grand  désert,  soit  pour  son* 


VIGUEUR    ET    SOBBIÉTÉ  397 

dcr  les  profondeurs  du  Soudan,  soit  pour  se  rendre  à  Tim- 
bektou  (Tombouctou),  soit  enfin  pour  se  livrer  à  la  recon- 
naissance si  difficile  d'une  communication  entre  l'Algérie  et 
le  Sénégal.  Aujourd'hui,  un  Européen,  séparé  de  sa  caravane 
dans  le  Sahhara,  est  un  homme  à  peu  près  perdu.  Tout 
récemment  encore,  Tun  des  plus  intrépides  explorateurs  de 
l'Afrique,  le  docteur  Barth,  égaré  ainsi  pendant  vingt-quatre 
heures,  n*échappait  que  par  miracle  à  une  mort  affreuse. 
Pour  moi,  je  m'estimerais  très-heureux  si  mes  indications 
pouvaient  sauver  la  vie  rien  qu'à  un  seul  de  ces  touristes 
qu'anime  le  feu  sacré  des  aventures. 

Les  détails  que  j*ai  pu  recueillir  sur  les  coureurs  arabes 
pourraient  peut-être  aussi  donner  lieu  à  de  curieux  rappro- 
chements historiques  avec  ceux  qui  ont  exercé  la  même 
profession  chez  divers  peuples  de  Tanliquité,  comme  chez 
les  Perses,  où  l'on  faisait  d'eux  grand  usage,  au  rapport 
d'Hérodote  et  de  Xénophon,  et  chez  les  Grecs,  où  ils  étaient 
connus  sous  le  nom  A'hémérodromes.  L'histoire  a  conservé 
le  souvenir  de  quelques-uns  de  ces  messagers  infatigables, 
notamment  du  coureur  Phidippidc,  et  de  ce  Lacédémonien 
qui  fit  en  un  jour  60  lieues.  De  la  Grèce,  l'usage  des  coureurs 
avait  passé  en  Italie,  et  d'Italie  en  France,  où  il  s'était  main- 
tenu chez  quelques  nobles  jusqu*à  la  révolution  française. 
Peut-être  est-il  permis  de  regretter  que  ces  exemples  de 
vigueur  musculaire,  développée  par  une  éducation  profes- 
sionnelle, disparaissent  totalement  de  la  vieille  Europe,  et 
que  les  hommes  appartenant  aux  races  civilisées  se  trouvent 
presque  toujours,  sous  ce  rapport,  en  état  d'infériorité 
flagrante  vis-à-vis  des  peuples  plus  voisins  de  l'état  de 
nature.  On  sait  quel  prestige  exercent  sur  ces  peuples  les 
qualités  physiques,  comme  la  force  et  l'agilité,  et  souvent  11 
serait  à  désirer,  dans  l'intérêt  même  de  la  civilisation,  qu'ils 


398  LA    VIE    ARABE 

eussent  ce  motif  de  plus  pour  nous  estimer  et  nous  craindre. 
Enfin,  la  science  physiologique  pourrait,  ce  me  semble, 
trouver  quelque  chose  à  glaner  dans  tout  cela.  Ces  détails  de 
mœurs,  ces  exemples  de  sobriété  ne  sont-ils  pas  susceptibles 
de  lui  fournir  de  précieux  enseignements,  de  curieuses  com- 
paraisons entre  les  besoins  réels  et  les  besoins  factices,  entre 
les  nécessités  d*un  estomac  sauvage  et  celles  d*un  estomac 
civilisé? 


CHAPITRE     ONZIÈME. 


Hiérarchie  arabe.  —  Formules  religieuses.  —  Fêtes  pria- 
cipales.  —  La  confiance  eu  Dieu.  — -  Maladies.  —  Animaux. 
—  Noms  des  jours  et  des  mois.  —  Points  cardinaux.  — 
Degrés  de  parenté.  —  Numération.  —  Appellation  des  diffé- 
rentes langues. 


HIERARCHIE     ARABE 

Soultane.  —  Sultan,  chef  d'empire. 

Amir.  —  Émir,  prince  musulman. 

Amir  el  moumenine.  —  Le  commandeur  des  croyants. 
Nous  en  avons  fait  le  «  miramoliu.  » 

Ouziry  pluriel  ouzera.  —  Vizir,  ministre. 

MersouL  —  Ambassadeur,  consul,  envoyé. 

Khelifa.  —  Kalifa,  calife,  lieutenant  du  sultan. 
Sous  rémir  Aabd-el-Kader,  les  kalifas  étaient  gouverneurs 
d'une  province. 


400  LA    VIE    ARABE 

Tout  principal  fonctionnaire  indigène  a,  pour  i*aider,  un 
kheltfay  lieutenant. 

Bach  agha.  —  Ce  mot  est  turc  ;  il  veut  dire  chef  des 
agas. 

Dans  Tordre  hiérarchique,  le  bach  agha  vient  après  le 
kalifa;  il  est  d'ordinaire  le  chef  d'une  circonscription  de  pays 
très-étendue. 

Agha.  —  Aga,  chef  qui  est  placé  sous  les  ordres  du  bach 
agha. 

Du  temps  de  l'émir  Aabd-el-Kader,  il  répondait  d'un  grand 
nombre  de  tribus. 

Kdid  el  kiyad,  —  Le  kaïd  des  kaïds.  Il  commande  à  plu- 
sieurs tribus  el  relève  directement  de  l'agha. 

Katd.  —  C'est  le  chef  d'une  tribu  plus  ou  moins  grande. 
Selon  son  importance,  la  tribu  se  divise  en  un  certain  nom- 
bre de  fractions,  —  ferka. 

La  fraction,  à  son  tour,  se  divise  en  douars,  ronds  de 
tentes  qui  forment  des  villages  arabes  dont  les  maisons,  au 
lieu  d'être  en  pierres,  sont  faites  avec  une  étoffe  composée 
de  laine  et  de  poils  de  chameau.  Cette  maison,  on  l'appelle 
kheima, —  tente,  —  ou  bien  encore  bite  echaar, —  la  maison 
de  poils. 

Kaid  el  aachour.  —  Est  une  fonction  qui  n'est  ni  reli- 
giense  ni  politique.  Elle  a  pour  but  de  veiller  à  la  perception 
des  impôts  et  de  s'opposer  au  gaspillage. 

Chikh.  —  Cheik.  Chef  d'une  fraction  de  tribu,  —  ferka. 
Ce  mot  s'applique  aussi  aux  hommes  âgés  et  considérés. 
Dans  ce  cas,  il  est  synonyme  de  vénérable. 


HIÉRARCHIE    ARABE  401 

La  réunion  des  che.iks  (i*une  tribu  forme  la  djernaa^  ou 
conseil  municipal. 

Kebir  ed-douar.  —  Chef  de  douar,  espèce  de  village 
arabe  d^nt  j'ai  parlé  plus  haut. 

Hhakem.  —  Chef  d'une  ville  ou  d'un  village  arabe.  Il  rem- 
plit, à  l'égard  de  cette  ville  ou  de  ce  village,  les  mêmes  fonc- 
tions que  le  kaîd  à  Tégard  de  sa  tribu. 

Aminé.  —  C'est  le  nom  donné  au  chef  d'une  tribu  ka- 
byle. 

Dans  les  villes,  on  donne  encore  le  nom  d'aminé  aux  chefs 
des  corporations  musulmanes.  Dans  ce  cas,  il  est  synonyme 
de  syndic. 

Aminé  el  oumena.  —  L'aminé  des  aminés,  c'est-à-dire  le 
chef  des  aminés. 
Cette  fonction  est  tout  à  fait  spéciale  à  la'Rabylie. 

Khoudja,  Kateb.  —  Secrétaire.  Les  chefs  arabes,  ne  sa- 
chant pour  la  plupart  ni  lire  ni  écrire,  se  font  toujours  ac- 
compagner d'un  khoudja  qui  prépare  la  correspondance  sur 
laquelle  ils  apposent  eux-mêmes  leur  cache.t.  On  en  trouve 
de  très-habiles  et  de  très-intelligents. 

«  A  déclaré  ne  pas  savoir  signer,  attendu  qu'il  était  cheva- 
lier. » 

Kateb  es^serr.  —  L'écrivain  du  secret,  —  de  confiance. 
Seuls,  les  grands  chefs  possèdent  des  secrétaires  de  cette 
espèce. 

Khaznadar.  —  Trésorier. 

Oukil.  —  Chargé  d'affaires,  intendant,  administrateur. 

Kebir  el  mehhalla*  —  Le  chef  de  l'armée. 

26 


40S  LA    VIR    ARABE 

Bach'tobdji.  —  Le  chef  de  l'artillerie. 

Kaid  el  mouna.  Et  aaoutne.  —  Le  chef  des  vivres. 

Aghete  el  aasker,  —  L'agha  de  rinfanterie. 

Aghete  el  khiyalas.  —  L'agha  de  la  cavalerie. 

Bach'hhammar.  —  Chef  du  convoi. 

Bach-feirag,  —  Chef  du  campement. 

Siyaf.  —  Officier. 

Kebir  le  kheba.  —  Sous-officier,  chef  de  tente. 

Chaouch^  au  pluriel  chouach,  —  Ses  fonctions  varient  sui- 
vant Tautorité  auprès  de  laquelle  il  est  placé.  En  réalité, 
exécuteur  des  décisions  de  celte  autorité. 

Hharssi.  —  Agent  de  police. 

Makhzenn.  —  On  appelle  ainsi  Tensemble  des  cavaliers  de 
certaines  tribus  qui  sont  liées  au  service  et  qui  jouissent  à  ce 
titre  de  privilèges  particuliers.  Uu  cavalier  du  makhxenn 
s'appelle  mekhazini. 

Goumm,  —  Réunion  des  cavaliers  d'une  ou  de  plusieurs 
Iribus,  cavalerie  irrégulière. 

Khiyalas,  —  Cavalerie  régulière.  Chez  l'émir  Âabd-el- 
Kader,  elle  était  vêtue  de  rouge. 

Aaoulama.  —  Pluriel  du  mot  aalem^  savant.  On  se  sert 
de  ce  mot  pour  désigner  les  docteurs  de  la  loi. 

Cherify  pluriel  cherfa.  —  Descendant  du  Prophète.  Per- 
sonnification de  la  noblesse  religieuse.  Seul,  le  chérif  a  le 
droit  de  porter  la  couleur  verte  dans  ses  vêtements. 


^ 


HIÉRARCHIE    ARABE  403 

Merabete,  pluriel  merabeïine,  —  Marabout  ;  membre  de 
la  noblesse  religieuse.  Elle  est  héréditaire.  L'influence  des 
marabouts  est  immense. 

Djiyed,  pluriel  djouad.  —  Descendant  des  premiers  con- 
quérants arabes;  noblesse  d*épée. 

Mufti,  —  Jurisconsulte  et  chef  de  la  religion  dans  une 
certaine  circonscription. 

Imam.  —  C'est  celui  qui  dans  les  mosquées  exécute  les 
prostrations  voulues  par  la  loi  et  lit  le  KoraA  aux  fidèles. 

Kadi,  —  Juge  qui,  d'après  la  loi  musulmane,  a  le  droit  de 
prononcer  sur  les  litiges  civils  ainsi  que  sur  les  crimes  et 
délits. 

Aadelj  pluriel  aadoul,  —  Assesseur  du  kadi.  Pour  qu'an 
jugement  soit  valable,  il  doit  avoir  été  prononcé  devant  deux 
aadoul. 

Taleby  pluriel  tolbas.  —  Lettré,  plus  ou  moins  savant.  U 
y  a  de  bons  et  de  mauvais  tolbas.  Ils  sont  en  général  très- 
fanatiques. 

Chikh,  --  Instituteur  primaire.  Il  apprend  aux  enfants  de 
la  tribu  à  lire,  à  écrire,  à  prier;  il  leur  enseigne,  en  outre, 
un  certain  nombre  de  versets  du  Koran.  Son  école  s'appelle 
messid. 

Mederress.  -^  Est  un  lettré  qui  enseigne  la  langue  et  la 
loi.  Son  école  prend  le  nom  de  mederssa. 

Motidderm.  —  Crieur  des  mosquées.  Du  haut  du  minaret, 
il  convoque  les  fidèles  à  la  prière  au  son  de  la  voix.  Pour  ces 
fonctions,  on  choisit  toujours  un  homme  doué  d'un  organe 
sonore. 


404 


LA    VIE    ABABE 


> 


El  Monakkett.  —  L'homme  de  Tinstant.  Dans  les  mos- 
quées, il  est  chargé  de  faire  annoncer  les  prières  à  rhcore 
exacte.  On  le  veut  instruit  et  trës-honorable.  On  désire,  en 
outre,  qu*il  ait  quelques  notions  d'astronomie. 

El  hhadj.  —  Le  pèlerin.  C'est-à-dire  celui  qui  a  fait  le 
pèlerinage  de  la  Mecque. 


II 


FORMULES     RELIGIEUSES 


S'U  platt  à  Dieu. 

Au  nom  de  Dieu. 

Pour  l'amour  de  Dieu. 

Si  Dieu  le  veut. 

Dieu  nous  l'apprendra. 

Dieu  le  sait. 

Ce  sont  les  paroles  de  Dieu. 

Dieu  verra. 

Dieu  te  l'apportera. 

Dieu  est  généreux. 

Il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu. 

Dieu  est  miséricordieux. 

Dieu  ouvrira  —  cette  porte. 

Que  Dieu  maudisse  le  démon! 

Gloire  à  Dieu! 

A  la  grâce  de  Dieu. 

Dieu  garde. 

Dieu  te  soit  favorable  ! 


Ennchaallah . 

Bessemellah. 

Fi  sabillah. 

Ha  rad  Allah. 

laalem  Allah. 

Idri  Allah. 

Kelam  Allah. 

Iferredj  Allah. 

Idjiblek  Rebbi. 

Allah  kerim. 

Ouahhéd  Allah. 

Allah  ghafour^  Rahhim. 

Ifiahh  Allah. 

A  llah  inaal  chitane  ! 

Sebahhane  Allah  ! 

Aala  bab  Allah. 

Ya  lathif. 

Naam  Allah  bik! 


FORMULES    RELIGIEUSES  405 


Il  n*y  a  de  force  qu'en  Dieu. 
G*est  l'ordre  de  Dieu. 
Avec  la  permission  de  Dieu. 
C'est  écrit  chez  Dieu. 


La  kotUL  Ua  bellah. 
Hhakoum  Allah. 
Bi  adenn  Allah. 
Mektoub  Bebbi.  Allah, 


C'est  là  une  recette  admirable  dont  on  se  sert  dans  toutes 
les  circonstances  de  la  vie.  Le  difficile  est  d'y  croire. 

Un  Arabe  perd  sa  femme,  ses  enfants,  sa  fortune  ;  il  lui 
arrive  un  malheur,  un  accident,  etc.;  il  se  résigne  en  disant  : 
<  C'était  l'écrit  de  Dieu  !  >  Je  ne  crois  pas  cependant  que  ce 
fatalisme  aveugle  soit  dans  les  vrais  principes  de  la  loi  isla- 
mique. 

Je  racontais,  un  jour,  à  un  savant  arabe  qu'un  de  ses  co- 
religionnaires, conduit  au  supplice  pour  avoir  commis  un 
meurtre,  s'écriait  en  y  marchant  courageusement  :  <  C'était 
écrit  chez  Dieu  !  »  Mon  taleb  fit  éclater  son  indignation  : 
c  L'ignorant,  le  misérable  !  non,  ce  n'était  pas  écrit  chez  Dieu, 
puisque  Dieu  nous  défend  formellement  de  tuer.  Notre  reli- 
gion nous  a  tracé  des  règles  de  conduite  ;  c'est  à  nous  de  les 
suivre.  » 

Tout  est  dans  la  main  de  Dieu. 
Koul  chi  fi  idd  Rebbi. 

Ce  sont  les  commandements  de  Dieu. 
Oussayate  Allah. 

Sur  vous  la  confiance  de  Dieu. 
Aalikoum  amane  Allah, 

Dieu,  c'est  lui  qui  est  le  plus  grand. 
Allahou^  akber. 


406  LA    VIE    ARABE 

Louange  à  Dieu  qui  est  seul  ! 
Il  n'y  a  de  maître  que  lui  ; 
On  ne  doit  pas  en  adorer  d'autre. 
Lhhamedou  lellah  auahhidaou  ! 
Oua  la  rebb  ghérou  ; 
Oua  la  maaboud  siouah. 

Il  n*y  a  pas  d'autre  Dieu  que  Dieu  et  Mohhammed  est  Venr 
Yoyé  de  Dieu.  Puisse  Dieu  le  bénir  et  le  saluer! 

La  ilah  ha  il  Allah,  ou  Mohhammed  rassoul  Allah.  Salla 
A  llahou  aalihi  oua  sellera  ! 

C'est  la  profession  de  foi  des  musulmans. 

Louange  à  Dieu  qui  est  seul  I  il  n*a  pas  d'associé  dans  son 
empire. 
Lhhamedou  lellah  ouahhédaou!  la  charik  la-houfel  melk. 

Au  nom  de  Dieu  le  clément,  le  miséricordieux  ! 
Bessemellah  errhhamaniy  errhhaimi  ! 
Formule  religieuse  qui  est  en  tête  de  tous  les  chapitres  du 
Koran. 

Louange  à  Dieu  l'unique  !  son  règne  seul  est  éternel  I 
Lhhamedou  lellah  ouahhédaou!  oua  la  idoum  ila  melkou! 

Louange  à  Dieu  qui  est  seul  !  c'est  de  lui  que  vient  tout 
secours  ! 
Lhhamedou  lellah  ouahhédaou  !  ou  bihi  nestaaîne! 

Louange  à  Dieu  !  tout  commandement  lui  appartient  ! 
Lhhamedou  lellah! ou  lamer  koullou  lellah! 

Louange  à  Dieu  qui  a  établi  la  religion  de  la  résignation, 
— -  l'islamisme,  —  et  Ta  exaltée  ! 

Lhammedou  lellah  illadi  chedd  dine  el  isslam^  au  re^ 
faaou! 


% 


FORMULES    RELIGIEUSES  401 

Notre  seigneur  Brahim  —  Abraham  —  est  le  chéri  de 
Dieu; 
Notre  seigneur  Moïse,  à  qui  Dieu  a  parlé; 
Notre  seigneur  Jésus-Christ,  venu  de  l'esprit  de  Dieu  ; 
Et  notre  seigneur  Hohhamraed  est  Tenvoyé  de  Dieu  I 

Sid-na  Brahim  khalil  Allah; 
Sid-na  Moussa  hilim  Allah  ; 
Sid-na  Aayssa  menn  rohheu  Allah  ; 
Sid-na  Mohhammed  rassoul  A  llah  ! 

Louange  à  Dieu  Tunique,  qui  en  tout  temps  renouvelle  le 
triomphe  ! 

Lhhamedou  lellah  elladi  fi  koull  aasser  idjedded  en- 
nesser! 

Que  Dieu  fasse  triompher  les  guerriers  de  la  foi  ! 
Allah  innssor  el  moudjahadine  ! 

0  mon  Dieul  envoie-nous  le  maître  de  Theure. 
Ya  Rebbi  !  baatlena  motU  saa. 

En  pays  arabe,  on  croit  à  Tarrivée  prochaine  du  Moul  saa, 
du  maître  de  l'heure.  C'est  lui  qui,  envoyé  par  Dieu  lui- 
même,  punira  les  chrétiens  et  vengera  les  musulmans.  Cha- 
que année,  il  paraît  un  fanatique  qui  prend  le  titre  de  maître 
de  l'heure;  il  est  d'ordinaire  suivi  des  populations,  livre  un 
combat,  fait  tuer  un  assez  grand  nombre  de  ses  partisans,  se 
fait  tuer  lui-même  ou  disparaît.  C'est  égal,  on  nous  aime 
tant  qu'on  attend  toujours  le  maître  de  l'heure  ;  de  l'heure, 
bien  entendu,  qui  doit  nous  être  fatale. 

Que  Dieu  nous  pardonne  tout  ce  qui  est  arrivé  ! 
Staghfir  Allah  bi  ma  kana! 


408  LA    VIE    ARABE 

Louange  à  Dieu  Tunique  !  que  la  prière  et  le  salut  soient 
sur  renvoyé  de  Dieu! 

Lhhamedou  lellah  oiuihhidaou!  ou  es-salate  ou  es-salam 
aala  rassoul  Allah  ! 

Gloire  à  Dieu  Tunique!  La  prière,  le  salut  sur  celui  qui  a 
établi  la  loi  de  la  guerre  sainte  ! 

Lhhamedou  lellah  ouahhédaou!  Es-salate  ou  es-^salam 
aala  menn  senn  sennete  el  djahad  ! 

Que  Dieu  soit  propice  à  notre  seigneur  Mohhammed  et  le 
conserve  ! 
Salla  Allah  aala  sid-fia  Mohhammed  oua  sellama. 

Un  seul  Dieu,  une  seule  parole  ! 
Rebbi  ouahhéd^  ou  kelma  ouahhéda  ! 

Dieu  accorde  sa  miséricorde  aux  miséricordieux  ! 
Er-rhhuiminey  irhhemhoum  Allah! 

Sur  vous  la  miséricorde  et  la  bénédiction  de  Dieu  I 
Aalikoum  rahhmet  Allah  ou  barakatouhou! 

Si  Dieu  vous  aide,  personne  ne  pourra  vous  vaincre. 
Enn  innssorkoum  moullahouy  fa  la  ghaliba  la-koum* 

Avec  Taide  de  Dieu  tout  peut  se  faire. 
Be  maaounete  Allah  issir  koul-chi, 

La  religion  de  Tislamisme  est  la  religion  de  Dieu. 
Dine  el  isslam,  dine  Allah. 

Prie  sur  notre  seigneur  Tenvoyé  de  Dieu. 
Salli  aala  sid-na  rassoullah. 

Il  y  a  cent  et  cent  clefs  chez  Dieu. 
Miya  ou  miyate  meftahh  aand  Allah. 


FÊTES    PRINCIPALES  409 


III 


FÉTKS     PRINCIPALES 


Ross  el  aam: —  La  tète  de  l'année. 

C'est  le  premier  jour  de  l'année  musulmane.  Il  tombe 
le  1*'  du  mois  de  mohharem.  On  jeûne,  on  prie,  on  s'em- 
brasse et  Ton  se  dit  mutuellement  :  Mebrauk  el  aam  !  —  Que 
l'année  soit  heureuse! 

El  aachoura. 

Celte  fêle  consacre  l'anniversaire  de  la  mort  de  sid  el  Hhas- 
senn  et  de  sid  el  Hhaoussine,  fils  du  kalifa  sidi  Aali  bou  Ta- 
leb,  gendre  du  Prophète.  Elle  a  lieu  le  10  du  mois  de  moh- 
harem. 

On  assure  aussi  que,  ce  jour-là,  on  a  sauvé  du  naufrage 
dix  compagnons  —  sohhab  —  de  l'envoyé  de  Dieu. 

El  mouloud. 

Jour  de  la  naissance  de  Mohhammed.  Cette  fête  se  célèbre 
le  douzième  jour  de  rabiaa  louel.  Elle  dure  sept  jours. 

On  prie,  on  allume  des  cierges  dans  toutes  les  écoles  pu- 
bliques, dans  sa  maison  ;  on  ne  travaille  pas,  on  s'habille  de 
son  mieux,  et  Ton  se  réjouit  avec  des  refiss^  pfttes  légères 
faites  avec  du  miel  et  du  beurre,  coupées  en  petits  mor- 
ceaux. 


4t0  LA    VIE    ARABE 

Aàid  eS'Seghky 
Aàid  el  fêter. 

Cette  fête  porte  indifféremment  ces  deux  noms  :  la  petite 
fête,  la  fête  du  déjeuper.  Elle  tombe  le  1'*'  du  mois  de  choual. 
Sa  durée  est  de  trois  jours. 

On  la  célèbre  en  réjouissance  de  la  rupture  du  jeûne  très- 
dur  imposé  par  la  loi  pendant  le  mois  de  ramadan  —  rame- 
dane. 

On  fait  une  prière  supplémentaire  le  matin.  Elle  s'appelle 
Salate  el  aatd. 

On  s*embrasse,  on  se  visite,  on  s*offre  des  friandises,  hha^ 
laouate  el  aàid, 

Aaîd  el  kebir^  chez  les  kvabes.-- Korbane  ou  Batramf  chez 

les  Turcs. 

La  grande  fête.  Elle  tombe  le  10  du  mois  dou  el  hhadja; 
elle  dure  sept  jours  et  elle  a  lieu  en  commémoration  du  sa- 
crifice d*  Abraham. 

On  l'appelle  encore  Youm  el  oukouf,  —  le  jour  de  la  pré- 
sence, —  parce  que  ce  jour-là  est  celui  où  les  pèlerins  qui 
vont  visiter  la  chambre  de  Dieu,  —  bite  Allahy  —  sont  admis 
à  entrer  dans  le  temple  de  la  Mecque. 

Pour  la  grande  fête,  dans  chaque  famille,  tout  individu 
petit  ou  grand,  à  moins  d'impossibilité  absolue,  doit  sacrifier 
un  mouton.  L'excédant  de  ces  provisions  de  bouche  doit  être 
immédiatement  distribué  aux  pauvres. 

On  recherche  les  moutons  qui  ont  de  belles  cornes,  parce 
que  la  croyance  populaire  veut  que  ces  animaux  sacrifiés 
dans  les  voies  de  Dieu  soient  admis,  après  la  mort  du  croyant, 
à  lui  faire  franchir  le  terrible  Cirate,  ce  pont  qui  relie  l'enfer 


> 


LA    CONFIANCE    EN    DIEU  411 

au  Paradis.  Monté  sur  Tun  des  moutons  offerts  en  holocauste 
et  se  tenant  vigoureusement  à  ses  cornes,  le  fidèle  qui  aura 
été  généreux  pour  les  déshérités  de  la  fortune  ne  tombera 
pas  dans  l'abtme. 


IV 


LA     CONFIAXCE     EX     DIEU 

On  assure  que  du  temps  de  Moulay-Selymane,  empereur 
du  Maroc,  une  affreuse  disette  étant  venue  désoler  le  pays, 
le  sultan  ordonna  que  Ton  fit  briser  les  instruments  de  mu- 
sique, et  que  l'on  eût  à  pleurer  et  à  prier.  Quelques  jours 
après  ce  décret,  on  lui  amena  un  esclave  qui  avait  été  sur- 
pris, dans  les  rues,  dansant  et  chantant,  en  s'accompagnant 
avec  des  battements  de  mains.  «  Pourquoi,  lui  dit  le  com- 
mandeur des  croyants,  te  livres-tu  à  de  pareilles  démonstra- 
tions de  joie  quand  tout  le  monde  est  dans  l'afQiction  7  — 
Mon  mattre ,  répondit  Tesclave,  a  des  magasins  qui  sont 
remplis  de  grains  ;  je  n'ai  donc  point  à  m'inquiéter,  je  place 
ma  confiance  en  lui,  il  me  nourrira,  et  c'est  là  ce  qui  cause 
ma  gaieté.  —  Si  celte  créature,  reprit  le  sultan,  a  pu  mettre 
sa  confiance  dans  une  autre  créature,  que  mon  peuple  place 
sa  confiance  en  Dieu.  » 

Et  il  leva  toutes  les  interdictions. 

Cette  légende  où  respire  tout  le  fanatisme  de  la  confiance 
en  Dieu,  m'a  été  contée  par  un  Arabe  qui  se  trouvait  ces 
jours  derniers  à  Bordeaux.  Il  est  de  Fez  —  Fass^  —  et  il  se 
nomme  Aali  benn  Hhamed.  Atteint  d'une  de  ces  maladies 
d'yeux  assez  communes  en  Afrique,  il  s'était  déterminé,  sur 


41S  LA    VIE    ARABE 

les  instances  de  ses  coreligionnaires  habitant  Paris,  à  venir 
secrètement  se  faire  traiter  en  France. 

Gomment  avait-il  pu  se  résoudre  à  un  parti  aussi  externe  T 
Car,  si  l'on  voit,  de  temps  'en  temps,  en  Europe,  des  ban- 
des passagères  d'Arabes  —  hayadas^  —  montreurs  de  tours 
de  force,  —  qui  parcourent  les  capitales,  Vienne,  Berlin, 
Madrid,  Saint-Pétersbourg,  Constantinople,  comme  on  en  a 
applaudi  dernièrement  une  troupe  à  Paris,  rien  n'est  plus  rare 
que  de  voir  un  Arabe  isolé  entreprendre  le  même  voyage, 
surtout  pour  demander  à  la  civilisation  européenne  la  guéri- 
son  des  maladies  contre  lesquelles  l'art  musulman  s'est  dé- 
claré impuissant. 

Devenir  aveugle,  s'il  demeure  ;  recevoir  cinq  cents  coups 
de  bâton  de  la  part  de  ses  chefs  s'il  se  laisse  prendre  en 
partant  ;  partir  et  affronter  tous  les  dangers  que  la  politique 
des  marabouts  présente  à  l'imagination  des  fidèles  pour  les 
détourner  de  voyager  en  pays  chrétien  :  le  cas  était  grave.  U 
avait  consulté  un  parent,  homme  de  religion,  et  après  bien 
des  discours,  une  chapelle  —  koubba,  —  cachée  dans  un  pli 
de  montagne,  avait  reçu,  par  une  nuit  obscure,  chacun  trem- 
blant d'être  découvert,  le  serment  réciproque  du  voyageur 
et  de  l'ami,  l'un  jurant  de  ne  pas  trahir,  et  l'autre  de  ne 
manquer,  pendant  le  voyage,  à  aucun  précepte  de  la  loi. 

Par  le  serment  de  Dieu  ! 

Et  par  le  serment  du  Prophète  de  Dieu  ! 

Celui  qui  trahira,  Dieu  le  trahira. 

Be  ahad  Allah  ! 

Ou  be  ahad  rassoul  Allah  ! 

Li  igheder,  ighederou  Allah. 

Cette  formule  se  prononce  les  mains  droites  jointes  et  le- 


LA    CONFIANCE    EN    DIEU  413 

vées  en  Tair,  les  doigts  entrelacés;  c'est  le  serment  par 
excellence. 

Quittant  son  pays  comme  nn  voleur,  sans  rien  dire  à  ses 
femmes  et  à  ses  enfants,  sans  un  denier,  un  peu  de  rouinay 
farine  d'orge  enfermée  dans  des  roseaux,  cartouches  d'un 
nouveau  genre,  contenant  la  vie  d'un  jour;  couchant  la  nuit 
dans  les  buissons,  marchant  le  jour  par  les  sentiers  détour- 
nés, épouvanté  de  son  ombre,  Aali  arrive  à  Tanger,  se  cache 
dans  la  foule  des  marchands  de  Figuig,  Taza,  Merakech, 
Oudjeda,  Mekeness,  qui  apportent  là  le  blé,  l'orge,  la  laine, 
les  peaux  de  Maroc  —  filaly,  —  la  gomme,  le  kermess,  les 
plumes  d'autruche,  trouve  le  port,  tombe  au  hasard  dans 
une  barque  de  ces  maraîchers  qui  vont  approvisionner  tous 
les  matins  Gibraltar,  se  tapit  sous  une  cargaison  de  légumes, 
et  le  voici  en  Europe,  échappé  à  la  vengeance  des  siens. 

Des  canons,  des  casemates,  des  soldats  rouges,  il  vit  cela 
dans  un  clin  d'œil,  et  en  même  temps  la  maison  du  chargé 
il'affaires  marocain  ;  encore  le  bâton  en  perspective,  ce  qui 
précipita  son  départ.  De  barque  en  barque,  il  gagne  Barce- 
lone :  c'était  le  plus  long  ;  mais  le  seul  chemin  qu'il  pût 
prendre  dans  l'état  de  ses  finances,  et,  d'ailleurs,  le  temps 
n'est  rien  pour  un  Arabe. 

—  Que  d'eau  !  disait-il  en  se  couvrant  la  tête. 

Une  troupe  de  hayadaSy  dont  le  chef  Hadj-Aali-benn- 
Mohhammed,  Marocain  comme  lui,  l'accueille.  11  reste  cinq 
jours  parmi  eux,  en  reçoit  des  secours,  se  renseigne,  prend 
des  forces,  se  confirme  dans  son  projet,  va  devant  lui  à  la 
grâce  de  Dieu,  et,  un  beau  matin,  vo^ez-le  entrer  à  Madrid  : 
ecce  homo!  Un  juif  renégat  passe,  lui  adresse  la  parole, 
voilà  son  affaire  ;  il  est  sauvé. 

On  le  met  par  charité  dans  le  chemin  de  fer  de'Bayonne 
—  trék-en-nar  —  le  chemin  de  feu.  —  Quelle  surprise  pour 


AU  LA    VIE    ARABE 

un  Arabe  I  Le  bruit,  la  fumée,  les  tunnels,  le  sifflement  de 
la  locomotive,  la  nuée  qui  accompagne  le  monstre,  cet  atte- 
lage invisible  qui  vole  comme  la  pensée,  triomphent  un  mo- 
ment de  son  impassibilité  musulmane.  A  genoux  dans  le 
wagon  et  se  croyant  en  danger  de  mort,  il  dit  sept  fois  la 
profession  de  l'islam  :  —  «  Il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu,  et  Moh- 
hammed  est  l'envoyé  de  Dieu  ;  »  —  puis  se  relève.  Plus  d'un 
paysan  français  a  peut-être  fait,  de  même,  le  signe  de  la 
croix,  la  première  fois  qu'il  s'est  vu  emporté  dans  un  train 
de  chemin  de  fer. 

Enfin,  il  est  à  Bordeaux  :  il  avait  mis  onze  jours  à  venir  à 
pied  de  Bayonne.  Sans  bas,  sans  culottes,  bernouss  troué, 
rapiécé,  une  besace  vide,  sa  casserole  pendue  au  cou  (il 
l'avait  achetée  à  Barcelone  pour  faire  cuire  ses  aliments)^ 
son  haïk  couvert  de  la  boue  de  tous  les  fossés;  ses  cartouches 
de  rouina  vides  et  rendant  le  bruit  aigre  d'un  vol  de  saute- 
relles ;  comme  il  pleuvait,  les  souliers  sous  le  bras  par  éco- 
nomie, et  majestueusement^  lentement,  p^ravcment,  [hâve, 
malade,  mais  fier  et  plein  de  confiance,  il  fait  son  entrée 
dans  la  ville.  Sur  sa  mine,  la  police  l'arrête  ;  on  le  fait  cou- 
cher à  la  Permanence  : 

—  Singulière  hospitalité  !  pense-t-il. 

Voilà  ses  craintes  qui  lui  reviennent. 

Un  Israélite  d'Oran,  domicilié  à  Bordeaux^  qu*on  était  allé 
avertir,  répond  de  lui  le  lendemain,  et  l'emmène  à  l'Alcazar, 
où  le  fils  d'Abraham  était  employé.  Là,  habillé  par  les  soins 
du  maître  de  rétablissement  dont  la  générosité  est  prover- 
biale, puis  nourri,  couché  dans  un  bon  lit  d'hôtel,  promené 
en  carrosse,  conduit  au  port,  à  la  cathédrale,  au  théâtre, 
il  se  laisse  faire,  accepte  tout,  en  grand  seigneur,  et  observe 
tout  avec  intelligence.  Je  me  le  fais  amener,  je  l'interroge,  et 
voici  ce  qu'il  me  dit  : 


LA    CONFIANCE    EN    DIKU  415 

—  Je  vois  aujourd'hui  que,  chez  nous,  on  s*ingénie  à  faire 
courir  bien  des  calomnies  sur  votre  compte  ;  moi-même,  en 
rentrant  chez  moi,  si  je  les  démentais,  je  serais  assommé  de 
coups.  Je  viens  de  parcourir  une  grande  étendue  de  pays 
chrétiens  ;  partout  j*ai  été  bien  traité  et  personne  ne  m'a 
ôté  un  cheveu  de  la  tète.  Les  marabouts  et  les  tolbas  (let- 
trés) disent  cependant  que  vous  vivez  dans  des  îles  sau- 
vages, sans  ressources,  habitant  des  bateaux,  mourant  de 
faim,  ne  pensant  qu*à  faire  le  mal.  C*est  la  misère  qui  vous 
aurait  poussés  eu  Algérie. 

»  Suivant  eux,  vous  exhalez  Todeur  du  bouc,  vous  vivez 
dans  une  promiscuité  complète  ;  une  femme  vous  lasse,  vous 
la  quittez  sans  divorce,  parce  que  le  mariage  légal  vous  est 
inconnu.  Vous  avez  chez  vous  des  gens  qui,  pour  une  con- 
trariété, se  tuent  eux-mêmes,  voleurs  de  leur  propre  exis- 
tence. Vous  jurez  et  sacrez  en  toute  occasion,  mangez  dans 
la  rue,  et,  ce  qui  est  une  indignité,  vous  y  accomplissez  debout 
ce  besoin  quela  pudeur  m'empêche  de  nommer.  Dans  notre 
religion,  pour  ce  fait,  un  homme  ne  serait  plus  admis  à 
témoigner  en  justice. 

»  Et  ils  ajoutent  que  vous  forcez  l'étranger 

»  A  pattre  les  cochons  —  tesserrahh  el  hhdlouf 

»  Et  à  ne  vivre  que  d'escargots   -  ou  takoul  el  bebouch. 

»  Ce  n*est  pas  tout  :  on  affirme  encore  que,  si  quelque 
musulman  a  le  malheur  de  se  rendre  chez  les  chrétiens, 
vous  le  pendez  par  les  pieds,  la  tète  en  bas  ;  que,  dans  cette 
position,  vous  lui  placez  au  bout  du  nez  un  serpent  qui  le 
mord  et  le  suce  jusqu'à  ce  qu'il  en  sorte  du  poison,  et  que 
c'est  avec  ce  poison,  recueilli  avec  soin,  que  vous  faites 
mourir  ceux  d'CRtre  nous  qui  vont  vous  demander  Thospi- 
Ulilé. 


416  LA    VIE    ARABE 

»  Je  sais  maintenant  que  ce  sont  des  mensonges,  car,  au 
lieu  de  cela,  j*ai  trouvé  tout  à  souhait.  A  Barcelone,  on  m'a 
nourri  ;  à  Madrid,  les  gens  m*appelaient  dans  les  rues  en  me 
disant  :  Moro  ,  Moro  !  mandiyar  ?  (Maure,  maure  I  veux-tu 
manger  ?  (Ici,  on  pourvoit  à  tous  mes  besoins,  on  me  donne 
des  bottes,  des  chemises,  des  bas,  une  culotte,  un  turban  ; 
on  me  promène  en  voiture,  on  me  fait  boire  du  thé,  du  café, 
partout  on  m'a  laissé  tranquille  sur  ma  religion.  Certaine- 
ment, je  n'ai  jamais  été  mieux  dans  ma  tribu,  au  milieu  de 
mes  frères. 

»  Tu  me  demandes  ce  que  j'ai  éprouvé  en  me  trouvant  si 
loin  de  chez  moi,  dans  une  grande  ville  des  chrétiens  ?  Rien, 
que  de  la  reconnaissance  envers  Dieu.  N'est-il  pas  le  mattre? 
Les  Arabes  disent  : 

»  Engraisse  ton  chien  ;  il  te  mordra, 
»  Laisse-le  avec  la  faim,  il  te  suivra. 
(Semmenn  kelbeky  yakoulek  ; 
Khallih  bel  djooeUy  itebbaak.) 

»  Mais  vous  ne  faites  pas  comme  eux  ;  vous  êtes  généreux 
pour  les  pauvres,  pour  les  affligés,  pour  ceux  qui  vous  ser- 
vent, et  c'est  par  la  bonté  que  vous  prenez  les  cœurs  ;  j'ai 
vu  bien  des  choses  ici. 

>  Ce  qui  est  beau,  c'est  votre  port,  où  viennent  aborder 
tant  de  navires.  Quelle  rivière  !  Que  de  commerce  ! 

»  Ce  qui  est  étrange,  c'est  votre  marché  et  la  quantité  de 
fruits  qu'on  y  trouve  ;  on  m'a  assuré  que  chaque  jour  il  en  est 
ainsi.  Gloire  à  Dieu  !  Sebahane  Allah! 

»  C'est  aussi  la  quantité  d'or  et  d'argent  que  j'ai  vu  donner 
plusieurs  soirs  de  suite,  sans  tumulte  ni  pillage,  à  la  porte 
de  vos  théâtres.  Il  faut  que  vous  soyez  bien  riches  ! 

»  Ce  qui  m'a  paru  inexplicable,  c'est  le  peu  de  respect  que 


LA    CONFIANCE    EN    DIEU  417 

VOUS  portez  à  la  maison  de  Dieu.  En  entrant  dans  votre  grande 
mosquée,  j'ai  voulu,  comme  cela  est  d'usage  chez  nous,  Ater 
mes  chaussures  ;  on  m'en  a  empêché.  Voilà  qui  est  curieux. 

»  Ce  que  j'ai  trouvé  extraordinaire,  c'est  que  tous  vos  sol- 
dats se  ressemblent.  On  les  dirait  frères.  Les  fantassins  sont 
vifs;  sur  le  moindre  signe,  ils  s'alignent  comme  les  grains 
d'un  chapelet  ;  seulement,  pourquoi  sont-ils  ferrés  comme 
des  chevaux  ?  ça  doit  être  bien  gênant.  Quant  aux  cavaliers, 
on  les  prendrait  pour  des  capitaines  —  kobtaiie.  » 

Les  lanciers  l'avaient  frappé,  bien  qu'il  les  trouvât  trop 
serrés  dans  leurs  vêtements. 

Un  nègre  conduisant  l'orchestre  au  théâtre  de  l'Alcazar, 
l'avait  indigné.  Un  nègre  conduire  des  blancs  ?  On  lui  fit 
comprendre  que  ce  n'était  point  un  esclave,  mais  simple- 
ment un  bon  musicien  ;  cependant,  il  ne  se  rendit  pas.  Les 
décors,  les  changements  à  vue  l'étonnaient,  il  les  prenait 
pour  de  la  sorcellerie.  Cheghoul  ed^djenoun. 

Pressé  de  s'expliquer  sur  les  femmes  qu'il  voyait,  contrai- 
rement à  la  religion  musulmane,  se  promener  le  soir,  sur  la 
place  publique,  en  grande  toilette,  le  visage  découvert,  et 
donnant  le  bras  à  des  hommes,  il  se  tint  sur  la  plus  grande 
réserve  et  n'en  voulut  dire  que  ceci  : 

—  Partout  elles  sont  les  mêmes. 

»  Leur  bonheur  est  de  traîner  à  terre  les  longs  plis  de 
leurs  vêtements  ; 

»  Mais,  si  elles  vous  aiment,  que  de  portes  elles  vous  ou- 
vriront ; 

»  Et,  si  elles  vous  détestent,  que  de  dangers  elles  vous 
feront  courir  I 

»  Prenez  garde  !  avec  un  simple  fil  d'araignée, 

»  Elles  bâtiront  devant  vous  un  mur  de  fer.  » 

Puis  il  termina  en  citant  ces  vers  d'un  poëte  de  sa  nation  : 

Î7 


4t8  LA    VIE    ARABE 

»  Tout  le  inonde  m*obéit, 

»  Comment  se  fait-il  donc  que  j'obéisse  aux  femmes, 

»  Même  à  celles  qui  résistent  à  mes  volontés  ? 

»  En  face  de  Tennemi,  nous  sommes  des  hommes  de 
noble  race  ; 

»  En  leur  présence,  nous  ne  sommes  plus  que  des  es- 
claves. » 

La  veille,  assistant  à  un  ballet  et  trompé  par  la  l^èreté 
du  costume  de  nos  danseuses,  Aali,  s'étant  figuré  qn*eUe8 
étaient  toutes  nues,  se  cachait  la  figure  et  les  yeux  avec  les 
mains.  On  eut  toutes  les  peines  du  monde  à  le  faire  revenir 
de  son  erreur. 

Le  musée,  le  port,  les  quinconces,  le  mouvement  cora- 
niercial,  Tair  affairé  des  habitants,  les  types  différents  qa*il 
rencontrait,  la  vivacité  des  allures,  tout  se  réunissait  pour  le 
surprendre,  et  presque  rien  n'y  réussit.  Une  chose  pourtant 
parut  rétonner.  ^  Que  font  donc  tous  ces  individus  attablés 
dans  la  rue  à  la  porte  des  cafés?  —  Ils  boivent.  —  Quoil 
sans  soif,  pendant  toute  la  journée?  Cest  impossible.  Dans 
mon  pays,  jamais  on  ne  voudra  le  croire.  » 

€  Et  ces  beaux  carrosses  —  fiacres  —  que  je  vois  là  tout 
attelés?  est-ce  que  votre  sultan  est  arrivé?  —  Non.  Ils  sont  à 
la  disposition  de  celui  qui  veut  s'en  servir  et  les  payer. —  Si 
c'est  vrai,  c'est  bien  commode.  Il  n'y  a  de  force  que  par 
Dieu  !  La  kotui  ikt  bellah.  » 

*  c  Mais  je  n'ai  vu  personne  prier?  —  Chez  nous,  on  prie 
d'habitude  dans  sa  maison  ou  dans  l'église.  —  C'est  drôle  ! 
Y  a-t-il  au  monde  une  plus  belle  mosquée  que  la  voûte  des 
cieux?  AlU  surplus.  Dieu  a  créé  et  séparé.  Rebbi  khelok  au 
ferrek.  » 

Sur  le  musée,  Aali  émit  l'opinion  que  les  peintres,  ayant 
fait  des  figures  humaines  sans  pouvoir  leur  donner  des  ftmes. 


LA    CONFIANCE    EN    DIEU  419 

se  trouveront  comptables  envers  Dieu  au  jugement  dernier. 
On  sait  qu*en  Orient  peindre  un  homme  est  un  sacrilège. 

SurTactivité  des  passants:  «  Où  va  tout  ce  monde  en  cou- 
rant? Est-ce  contre  les  heures  que  vous  vous  battez?  Pour- 
quoi, cependant?  Si  cette  terre  valait  seulement  Taile  d'un 
moucheron,  nos  ancêtres  ne  nous  auraient  pas  laissé  ce  pré- 
cepte si  connu  : 

«  Marche,  marche,  suivant  le  temps  ; 

»  Et,  quand  tu  es  fatigué,  repose-toi  ; 

»  L'écrit  de  Dieu  t'arrivera, 

»  Quand  bien  même  tu  le  fuirais  avec  des  ailes.  » 

Le  son  des  cloches  Tavait  tracassé  :  c  Chez  nous,  répétait 
il,  c*est  avec  la  voix  de  la  créature  qu'on  appelle  à  l'adoration 
du  créateur.   » 

Aali  ne  pouvait»  en  outre,  s'habituer  à  notre  excès  de  cu- 
riosité. Faire  cercle  dans  la  rue  pour  une  bagatelle,  s'y  arrê- 
ter pour  écouter  ce  que  disent  les  passants,  ou  se  retourner 
pour  admirer  quelqu'un  ou  quelque  chose,  lui  paraissait 
contraire  à  la  dignité  de  l'homme. 

La  sûreté,  l'abondance,  la  continuité  des  approvisionne- 
ments de  toute  sorte  l'avaient  cependant  surpris,  c  Ta  en 
verras  bien  d'autres  à  Paris,  lui  disait  le  juif  que  j'avais  at- 
taché à  sa  personne,  et  que,  dans  son  orgueil,  il  regardait 
comme  son  domestique.  Mais  les  poulets  qu'on  vend  n'ont 
pas  le  cou  coupé  I  »  Celte  remarque  est  à  la  fois  juive  et 
arabe.  Les  deux  lois  sont  d'accord,  en  effet,  pour  proscrire 
l'usage  des  victimes  dont  tout  le  sang  n'est  pas  sorti. 

Ce  brave  Aali,  mort  de  fatigue  en  arrivant  à  Bordeaux, 
avait  refusé  de  toucher  à  la  viande  qu'on  lui  présentait,  dans 
la  crainte  que  les  animaux  n'eussent  pas  été  saignés  selon 
sa  loi:  on  avait  dA  le  mener  à  l'abattoir  où  le  rabbin  fait 


4t0  LA    VIE    ARABE 

tuer  selon  la  formule.  En  s*y  rendant,  noayelle  histoire  ;  il 
était  tombé  dans  un  troupeau  de  cochons  :  eoioaré,  bous- 
culé, plein  d*borreur,  il  ne  Tavait  traversé  qu'en  se  sauvant 
le  nez  dans  la  main,  et  en  s'écriant  :  Ya  laihif!  ya  kUhif! 
(Dieu  préserve!  Dieu  préserve  I)  Rassuré  un  instant  après 
sur  Forthodoxie  de  la  table,  il  s'abandonnait  sans  réserve, 
quoique  pourtant  avec  dignité,  à  l'hospitalité  étrangère,  le  via 
nécessairement  excepté,  car  toute  liqueur  fermentée  et  pou- 
vant produire  Tivresse  est  impitoyablement  prohibée  par  le 
Koran. 

—  Tu  vas  à  Paris,  lui  dis-je  enfin  ;  où  logeras-tu  ?  Qui  te 
nourrira?  Tu  es  appelé  par  des  frères;  mais  tu  ne  sais  pas 
même  où  ils  demeurent.  Comment  vas-tu  t'en  tirer? 

Aali  se  prit  alors  à  rire  d'une  façon  silencieuse,  mais  iro- 
nique et  presque  empreinte  de  mépris. 

—  Comment  !  je  pars  de  Fez  sans  un  denier,  j'échappe  à  la 
bastonnade,'  à  la  faim,  à  la  maladie,  aux  coupeurs  de  route, 
aux  bêtes  féroces,  au  naufrage.  Je  craignais  tout  des  chré- 
tiens dont  je  ne  connaissais  ni  les  mœurs  ni  la  langue,  et  je 
n'en  reçois  que  du  bien.  Sois  tranquille.  Celui  qui  m'a 
amené  jusqu'ici  saura  bien,  s'il  le  veut,  me  rendre  le  reste 
facile. 

»  Au  surplus  : 

»  Ce  qui  est  écrit  sur  le  front, 

9  La  main  de  Thomme  ne  saurait  l'effacer.  » 

(Li  fi  djebine^ 

Ma  immahhi  houa  iddine,) 

Tel  est  l'Arabe  vu  chez  nous  ;  en  voir  un,  c'est  voir  tous 
les  autres. 

Pour  achever  Thistoire,  quatre  mois  après,  je  reçus,  par  la 
voie  d'Oran,  une  lettre  de  Fez  :  elle  était  de  notre  Arabe.  Il 


LA    CONFIANCE    EN    DIEU  421 

avait  complètement  réussi  dans  son  voyage  et  retrouvé  ses 
frères  (coreligionnaires)  à  Paris ,  par  l'intermédiaire  d'un 
vieux  zouave  qui  savait  quelques  mots  de  sa  langue.  On  ne 
Tavait  laissé  manquer  de  rien  ;  son  mal  d'yeux  était  guéri  ;  il 
était  de  retour  chez  lui,  et,  ce  qui  m'étonna  le  plus,  il  me 
remerciait. 

Âali  terminait  en  proposant  de  revenir  en  France  avec  un 
taleb  (lettré)  renommé  de  la  province  de  Souss,  qui  tenait 
de  Dieu  le  pouvoir  de  guérir,  avec  des  talismans  sans  doute, 
la  maladie  des  démons,  c'est-à-dire  l'épilepsie,  morde  ^/ 
djenoun.  Avait-il  pris  goût  à  notre  pays,  ou  voulait-il,  en 
amenant  un  médecin  de  sa  religion,  payer  avec  usure,  dans 
sa  pensée,  la  dette  contractée  envers  la  médecine  chré- 
tienne? C'est  ce  que  je  ne  puis  décider. 

Quoi  qu'il  en  soit,  c'était  un  homme  vraiment  extraordi- 
naire que  celui  dont  je  viens  de  raconter  le  passage  à  Bor- 
deaux. Récits,  légendes,  chants  d'amour,  de  guerre  et  de 
religion,  histoire  de  son  pays,  détails  intimes  de  mœurs,  il 
savait  tout,  et  pourtant  il  ne  savait  ni  lire  ni  écrire.  Je  pré- 
sume qu'il  appartenait  à  la  catégorie  de  ces  trouvères  doués 
d'une  mémoire  prodigieuse  —  goiml,  —  ou  de  ces  improvi- 
sateurs déguenillés  —  meddahh^  —  si  communs  encore  en 
pays  arabe,  et  qui,  ceitains  d'être  bien  accueillis,  se  donnent 
la  mission  d'assister  à  toutes  les  fêtes,  à  toutes  les  réunions, 
soit  pour  y  célébrer  la  gloire  ou  les  malheurs  de  la  tribu, 
soit  pour  y  réveiller  le  fanatisme  des  populations.  On  les 
écoute  toujours  avec  attention,  surtout  lorsqu'ils  mettent  les 
chrétiens  en  scène,  ce  qui  n'arrive  que  trop  souvent  depuis 
que  nous  occupons  l'Algérie. 

Pour  caresser  Torgueil  national,  la  plupart  du  temps  nous 
avons  été  vaincus  et  humiliés  ;  la  joie  se  manifeste  alors  par 
de  bruyantes  acclamations  ;  mais,  quand,  avec  la  meilleure 


42S  LA    VIE    ARABE 

volonté  du  monde,  on  ne  peat  dissimuler  des  revers  telle- 
ment cruels  qu'ils  sont  connus  de  tons,  les  figures  se  rem- 
brunissent et  reflètent  des  pensées  sinistres  de  haine  et  de 
vengeance. 

Souvent  aussi  ce  sont  des  chants  religieux  qui  captivent 
rârae  des  assistants. 

En  voici  un  que  j*ai  écrit  sous  la  dictée  d'Aali;  je  le  donne 
comme  un  spécimen  du  genre  : 

Ne  nous  révoltons  pas  contre  l'ordre  de  Dieu  ! 
Durerons-nous  un  jour,  une  nuit? 
Le  bien,  le  mal,  la  vie,  la  mort. 
Tout  est  dans  la  main  de  celui  qui,  seul,  connaît  les  mys- 
tères  de  Tinconnu. 

Je  n'ai  jamais  possédé  qu'une  chèvre. 
Personne  cependant  n'a  connu  ma  misère  : 
Si  le  pigeonneau  ne  piaillait  pas  dans  son  nid. 
Le  serpent  n'irait  pas  Ty  dévorer. 
Quand  je  cours,  je  cours  suivant  mes  forces  ; 
Quand  je  pleure,  je  pleure  avec  bonheur. 
Et  la  fatigue  vient-elle  à  m'indiquer  que  les  jours  sont  las 
de  moi. 
Je  me  résigne  sans  dire  un  mot. 

0  mon  frère  !  sers  Dieu  :  plus  tard,  tu  le  trouveras  ; 

Sa  miséricorde  est  plus  vaste  que  la  terre  et  le  ciel 
réunis. 

Qu'emporteras-lu  d'ici-bas  ?  Rien. 

Vois  :  le  monde  n'a  gardé  aucune  trace  de  ceux  qui  Tont 
dominé  ;  où  sont-ils  ? 

Où  sont  Adam  et  Noé,  qui  l'ont  habité  si  longtemps  ? 

Où  est  Nemrod  ?  où  est  Cheddad-benn-Mouad? 

C'est  comme  s'il  n'y  étaient  pas  demeurés  une  heure. 


LA    CONFIANCE    EN    DIEU  4Î3 

Après  eux,  sont  venus  des  rois  et  des  princes  très-puis- 
sants; 
Ils  ont  éprouvé  le  même  sort. 

Plus  tard,  la  terre  a  pris  une  autre  figure  et  s'est  montrée 
à  renvoyé  de  Dieu  (à  Mohhammed). 

Elle  lui  a  dit:  c  Regarde  moi.  » 

Mohhammed  a  répondu  :  <  Va-t'en,  éloigne  ton  ombre 
de  ces  lieux; 

»  Le  démon  est  ton  ami^  tu  ne  peux  être  le  mien. 

))  Jusqu'à  la  fin  des  siècles,  tu  ne  seras,  aux  yeux  des 
adorateurs  de  Dieu  l'unique, 

»  Qu'un  cadavre  impur,  corps  sans  ftme, 

»  Vil  festin  des  chacals  et  des  chiens  errants.  » 

0  mon  frère  î  ne  t'inquiète  pas  des  dettes  de  ce  monde  ; 

Pense  aux  dettes  du  jugement  dernier. 

L'ange  interrogateur  t'attend  sur  le  seuil  de  la  tombe  ; 

Il  écoutera  ce  que  tu  pourras  dire  avec  ta  langue  déliée  ; 

Tes  bonnes  actions  seront  inscrites  à  droite, 

Tes  mauvaises  actions  seront  inscrites  à  gauche  ; 

Puis  l'ordre  de  Dieu  s'accomplira. 

L'enfer  crie  trois  fois  : 

«  0  toi,  qui  m'attises  pour  raviver  mes  flammes  t 
»  Livre-moi  celui  qui  n'a  fait  que  le  mal  ; 
»  Je  le  brûlerai  sans  pitié.  > 
Le  paradis  crie  trois  fois  : 

c  0  toi,  qui  m'as  embelli  par  tes  eaux,  par  tes  fleurs  et 
par  tes  fruits  ! 

9    Accorde-moi  celui  qui  a  toujours  suivi  tes  lois, 
y  Je  lui  donnerai  pour  épouse  une  de  mes  houris.  » 

Mattre  des  créatures  !  n'abandonne  pas  ton  esclave  : 


AU 


LA    VIE    ARABB 


Si  j'avais  consenti  à  glorifier  ce  monde. 
Les  dos  se  courberaient  devant  moi  ; 
J*aarais  sur  mon  corps  des  vêtements  riches, 
Devant  ma  tente,  des  chevaux  nobles,  d*un  grand  prix. 
Et  bien  d*autres  choses  encore. 

Mais  ce  ne  sont  point  de  telles  récompenses  que  j'ambi- 
tionne. 
Je  veux  la  vie  éternelle  que  toi  seul  peux  donner  ; 
Qui  contracte  amitié,  doit  rechercher  le  plus  puissant; 
Un  jour,  il  pourra  dire  avec  orgueil  : 
c  Mon  ami^vous  ne  le  connaissez  pas?  c'est  Dieu,  n 


MALADIES 


Fièvre. 

Jaunisse. 

Teigne. 

Lèpre. 

Mal  d'yeux. 

Mai  de  gorge. 

Maladie  vénérienne. 

Chancre. 

Gale. 

Hémorroïdes. 

Constipation. 

Mal  de  tète. 


Hhemma. 
BoU'Seffir. 
Ferisa. 

Djedaui.  Bross. 
Mord  el  aainine. 
Mord  el  guerzi. 
Morde  el  kebir. 
Hharara. 
Djereb, 
Bouasser. 
Hhasserane. 
Oudjaa  er-rass. 


MALADIES 


4Î5 


Toux. 

Le  bouton  de  la  sueur. 

Inflammation. 

Suppuration. 

Rhumatisme. 

Fracture. 

Blessure. 

Mal  de  cœur. 

Rage. 

Molaire  gâtée. 

Ophthalmie. 

Urélrite. 

Bubon. 

Écrouelles. 

Petite  vérole. 

Rougeole. 

Scrofule. 

Brûlure. 

Dartres. 

Rhume  de  cerveau. 

Maladie  de  poitrine. 

Point  de  côté. 

Furoncle. 

Taie  sur  Toeil. 

Paralysie  du  nerf  optique. 

Bourdonnement  d*orcilles. 

La  peste. 

Phthisie. 

Hernie. 

Rétention  d'urine. 

Mal  d*estomac. 

Âbcës. 


Saala. 

Hhabb  el  aareg. 

Nefkh. 

Ouaai.  El  gtiéhh. 

El  berd.  Errehh, 

Eeress.  Gordd,  Tekssir. 

Djerhheu. 

Oudjaa  le  galb. 

El  kleb. 

Dersa  messouovssa. 

Morde  el  adinine. 

Tessfiya. 

Oulsiss. 

Khenazei\ 

Djedri. 

Bou  hhameroun. 

El  bared: 

Hherka. 

Hhazaz, 

Tezenndikh.  Nezla., 

El  ghomma. 

Bou  djennb. 

Demmala. 

Byada.  El  byad. 

El  aama  el  kohhali, 

Zeff. 

Hhabouba, 

Sell. 

El  baadj,  Fetek. 

Hhasserane  el  boul. 

El  gueroukha. 

Demmala. 


426 


LA    VIE    ARABE 


Exostoses. 

Maladie  de  foie. 

Maladie  de  la  rate. 

Mal  de  ventre.  —  Colique. 

Saignée. 

Le  vent  jaune.  —  Choléra. 

Un  bouton. 

Entorse. 

Inflammation  des  bourses. 

Avortement. 

Accouchement. 

Éiépbantiasis. 

Un  coup  de  soleil. 

Un  coup  de  lune. 


Kheroudj  d  aadam. 
El  ghardouf. 
Téhhane. 
Oudjaa  el  betonn. 
Fessada. 
Réhh  lessefer. 
Hhabba. 
Teflloalss. 
Nefkh  el  hhadjate. 
Sekite.  Terahh. 
Oulada.  Nefass. 
Koum  el  yazid. 
Boklete  echemss. 
Boklete  el  kemer. 


Si  le  ciel  est  clair,  disent  les  Arabes,  tournez  le  dos  à  la 
pleine  lune  en  vous  couchant  et  couvrez-vous  bien  la  figure 
et  les  yeux  ;  autrement,  vous  attraperiez  un  coup  de  lune  qui 
vous  occasionnerait  des  rhumes  et  de  grands  maux  de  tête. 

Diarrhée.  —  La  peste  du  ventre.  —  La  course  des  intestins. 
—  La  douleur. 
Hhaboubet  el  kerch.  —  Ujeri  messarine.  —  El  hhelak. 

Coup  d'air  (la  maladie  des  imbéciles). 
Dorb  er-rehh  (mord  echemaxt). 

La  bouche  du  chameau.  —  Bec  de  lièvre. 
Foum  el  djemel. 

Épilepsie  (maladie  des  démons). 
Morde  el  djenoune. 

Les  Arabes  n*ont  pas  de  médecins  —  tebib  —  qui  sachent 
guérir  toutes  les  maladies  :  ils  n*ont  que  des  spécialistes,  et 


MALADIES  4t7 

Diea  sait  quels  spécialistes!  On  trouve  cependant  encore 
dans  les  tribus  des  femmes  âgées  —  adjai%  —  qui,  connais- 
sant par  la  tradition  et  par  Texpérience  la  vertu  de  quelques 
plantes  ou  racines,  en  tirent  souvent  bon  parti,  dans  certains 
cas  qu'il  serait  trop  long  d*énumérer  ici. 

Mais  les  remèdes  souverains  aux  yeux  des  indigènes,  ce 
sont  les  amulettes  et  les  talismans  —  hharouz  —  que  les 
marabouts  et  les  tolbas,  ces  grands  charlatans,  leur  fabri- 
quent à  prix  d'argent.  On  les  enferme  dans  de  petits  sachets 
en  cuir  de  Maroc  —  filali  —  plus  ou  moins  ornés  suivant  la 
fortune  du  croyant,  et  on  les  porte  au  cou,  sur  la  tète,  ou 
sur  les  bras.  Que  renferment-ils?  des  mots  et  des  versets  du 
Koran  auxquels  la  crédulité  publique  prête  des  propriétés 
merveilleuses. 

Ce  qui  précède  veut  dire  que  les  Arabes,  s*imaginant  que 
la  plupart  de  leurs  maladies  ne  reconnaissent  pas  d'autres 
causes  que  des  influences  surnaturelles,  telles  que  les 
charmes,  les  sorts  —  aaln  —  ou  Taction  des  démons,  — 
djenoun,  —  comptent  sur  la  «Divinité  elle-même  pour  s'en 
préserver  ou  s'en  guérir. 


VI 

ANIMAUX 


Lion. 
Lionne. 


Sebaa,  Assed. 
Labotuiy  Lebiya. 

Tout  combat  contre  le  lion  peut  avoir  pour  devise  :  «  Meurs 
ou  tue  I  »  Aussi,  chez  les  Arabes,  donne-t-on  à  un  homme  qui 


428  LA    VIE    ARABE 

a  tué  an  lion  ce  laconique  et  viril  éloge  :   c  Gelai-là,  c'est 
lai.  >  Hadak  houa. 


Sanglier,  cochon  de  la  forêt. 
Cochon,  truie. 
Panthère. 


Hhalloufelghaba. 
Hhallouf^  halloufa, 
Nemerr. 


La  panthère  se  trouve  sur  toute  la  surface  de  TAlgérie. 
Elle  n*hahite  que  les  pays  couverts,  boisés,  accidentés  et 
difflciles. 

Partout  et  toujours  le  lion  est  un  dangereux  ennemi  dont 
la  rencontre  est  terrible.  La  panthère  n'est  redoutable  qu'a- 
près une  agression.  Elle  ne  se  résigne  à  la  latte  que  lors- 
qu'elle ne  trouve  aucun  moyen  de  retraite. 

Hyène.  |  Debaa. 

L*hyène  est  un  animal  dont  les  mâchoires  sont  fortes  et 
dangereuses,  mais  timide  et  fayant  le  grand  jour  :  sa  lâcheté 
est  proverbiale. 

Elle  habite  ordinairement  des  excavations  que  l'on  trouve 
dans  les  ravins  ou  dans  les  rochers. 

Elle  ne  marche  habituellement  que  la  nuit,  recherche  les 
charognes,  les  cadavres,  et  commet  de  tels  dégâts  dans  les 
cimetières,  que  les  Arabes,  pour  s'en  préserver,  ont  soin 
d'enterrer  profondément  leurs  morts.  Ils  ne  veulent  pas  cou- 
cher sur  la  peau  d'un  animal  aussi  méprisable. 


Chacal. 

Renard. 

Singe. 

Éléphant. 

Girafe. 

Cheval. 

Jument. 


Dib. 

Taaleb. 

Chadi.  Kerd. 

Fil 

Zerafa, 

Aaoud.  Hhossane. 

Aaouda,  Feress. 


Chevaux. 

Chameau,  chamelle. 
Chameau  coureur. 


ANIMAUX  429 

Khéil. 

Djemely  naga. 

Mahari^àn  pluriel  mahara. 


Le  mahariy  ou  chameau  coureur,  est  au  chameau  ordinaire 
—  djemel  —  ce  qu'un  cheval  de  course  est  au  cheval  de  trait  ; 
et,  suivant  les  Arabes,  ce  que  le  noble  djiyed  est  au  serviteur 
kheddim.  Son  allure  habituelle  est  le  trot;  il  peut  le  tenir 
un  jour  entier.  Ce  trot  est  comme  le  grand  trot  d'un  bon 
cheval. 


Mulet,  mule. 
Âne,  ânesse. 
Chien,  chienne. 
Chien  lévrier,  levrette. 


Begholy  baghla. 
Hhemar^  hhemara. 
Kelbj  kelba, 
Selouguiy  selouguiya. 


Autant  le  chien  de  garde,  ce  qui  n'est  pas  juste,  est  mé- 
prisé par  son  maitre,  autant  le  selougui  jouit  de  sa  tendresse 
et  de  sa  considération.  C'est  que  le  riche,  ainsi  que  le  pauvre, 
le  regardent  comme  un  compagnon  de  leurs  plaisirs;  pour  le 
dernier,  c'est  en  outre  le  pourvoyeur  qui  fait  vivre  la  famille. 
On  en  surveille  le  croisement  avec  les  mêmes  précautions  que 
celui  des  chevaux. 

Le  lévrier  peut  coucher  dans  la  tente,  le  chien  de  garde 
jamais.  En  hiver,  on  le  garantit  du  froid  au  moyen  d'excel- 
lentes couvertures  —  djellal. 


Mouflon. 
Gazelle. 


Lerouy. 
Ghezal. 


La  beauté  proverbiale  des  yeux  de  cet  animal  et  la  blan- 
cheur de  ses  dents  ont  donné  lieu  à  des  pratiques  assez  sin- 
gulières. Les  femmes  enceintes  font  venir  une  gazelle  devant 
elles,  lui  lèchent  les  yeux,  et  sont  convaincues  que  les  yeux 


430 


LA    VIE    ARABE 


de  leur  enfant  en  auront  plus  tard  le  mélancoliqae  éclat. 
Avec  les  doigls,  elles  lui  touchent  aussi  les  dents  et  se  les 
passent  ensuite  dans  la  bouche,  croyant  ainsi  assurer  à  leur 
progéniture  une  belle  dentition. 


Zèbre  (âne  du  pays  sauvage). 

Lièvre,  lapin. 

Chat,  chatte. 

Chat  sauvage. 

Gerboise. 

Tortue. 

Rat,  souris. 

Mouton,  brebis. 

Agneau. 

Bouc,  chèvre. 

Chevreau. 

Taureau. 

Vache,  veau. 

Bœuf,  bœufs. 

Bœuf  sauvage. 

Autruche. 


Hhemar  el  ouhhach. 

Emeb,  gounina. 

Gott,  gotta. 

Gott  el  khela, 

Djerboaa. 

Fekroun. 

Tobay  far. 

Kebchy  naadja. 

Kherouf. 

AatrousSy  maaza. 

Djedi. 

Tour.  Aadjemi. 

Begra^  oukrif, 

Ferd,  ferad, 

Beguer  el  ouhhach. 

Naama. 


Les  jeunes  autruches  s*apprivoisent  aisément;  elles  jouent 
avec  les  enfants  et  dorment  sous  la  tente  ;  dans  les  déména- 
gements, elles  suivent  la  tribu.  11  est,  dit-on,  sans  exemple 
qu*unc  d'elles,  ainsi  élevée,  ait  pris  la  fuite:  elles  sont  fort 
gaies,  elles  folâtrent  avec  les  cavaliers,  les  chiens^  etc. 


Outarde. 

Paon. 

Aigle,  vautour. 

Vanneau. 

Perroquet. 


Ilhabara. 
Taouss. 
Aagaby  nesser. 
Bibite. 
Baba  ghayou. 


ANIMAUX 


4SI 


Cigogne. 

Héron. 

Flamant. 

Corbeau. 

Poule  d*eau. 

Coq. 

Poule,  poulet. 

Dindon. 

Dinde. 

Chapon. 

Canard,  oie. 

Faucon  (foiseau  de  race). 


Bellaredj. 
Battel. 
Nihhaf. 
Gherab, 
Djadj  el  ma. 
Dik.  Serdouk. 
Djadjdy  fellouss. 
Serdouk  el  heinnd, 
Djadjete  el  heinnd. 
Meguemi. 
Beraky  ouzza. 
Thair  el  hhorr. 


Pour  un  faucon  bien  dressé,  il  n*est  pas  rare  en  pays  arabe 
de  voir  donner  un  chameau,  quelquefois  même  un  cheval. 

Le  faucon  fait  partie  de  la  famille  ;  il  vit  dans  la  tente,  où 
il  est  l'objet  des  soins  les  plus  attentifs. 

Il  est  des  chefs  qui  ne  se  séparent  jamais  de  leur  faucon; 
ils  le  portent  partout  avec  eux. 

C'est  une  marque  de  distinction,  de  gentilhommerie,  que 
d*avoir  sur  son  bernouss  les  traces  des  excréments  du  faucon. 

Les  Arabes  l'appellent  oiseau  de  race,  parce  que,  pré- 
tendent-ils, il  ne  mangerait  jamais  de  la  chair  gâtée. 


Hibou  (la  mère  de  la  nuit). 

Perdrix,  perdreau. 

Pigeon,  colombe. 

Pigeon  sauvage. 

Tourterelle. 

Caille. 

Bécasse. 


Oumm  ellil. 

Hhadjela,  ferkouss. 

Ehamathy  zaataute, 

Hhamam  el  khelaouù 

Imama, 

Semana. 

Hhemar  el  hhadjel. 


432 


LA    VIE    ARABE 


Bécassine. 

Poule  de  Carthage. 

Alouette,  étouraeau. 

Hirondelle,  moineau. 

Oiseau. 

Nahlier. 

Pie,  geai. 

Chardonneret. 

Serpent,  vipère. 

Caméléon,  sept  couleurs 

Scorpion. 

Sauterelle,  cigale. 

Mouche,  moucheron. 

Puce,  punaise 

Pou,  les  poux. 

Poisson. 

Écrevisse. 

Homard,  le  père  du  côté. 

Grenouille. 

Ver. 

Araignée. 

Lézard. 

€ousin,  abeille,  frelon. 

Coléoptëre. 

Fourmi. 


Bon  mekhiyett, 

Sefsafa,  Raad. 

Koubaa,  zerzour, 

Hhetaïfa,  zaouch. 

Aassfour,  tair. 

Yamoum. 

Kaakaa,  bon  zernik. 

Meknine, 

nhanech,  lefaa. 

Tata,  sebaa-louane. 

Aakreb. 

Djerada^  abziz. 

DebbanUj  namoussa. 

Berghoufa^  bokka, 

Kemlay  kernel. 

Hhouta, 

Kemeroune. 

Bon  djennb. 

Djerana. 

Douda. 

Rettila. 

Ouzgha. 

BrirghUiy  nhhala,  arrzi. 

Khann  faussa, 

Nemla. 


Rossignol  (mère  de  la  douceur). 
Belbel.  Oum  el  hhassenn. 

Cerf -volant  (père  des  ciseaux). 
Bon  mkoss. 


Puisque  nous  venons  de  parler  des  animaux,  disons  rapi- 


JOURS    ET    MOIS 


433 


dément  un  mot  de  la  chasse.  Eh  bien,  les  Arabes  Taiment 
beaucoup,  mais  les  chefs  ne  chassent  qu*à  cheval  et  à  balles. 
Les  hommes  du  peuple,  depuis  Tarrivée  des  chrétiens  dans 
leur  pays,  et  instruits  par  leur  exemple,  commencent  à  em- 
ployer le  petit  plomb.  Depuis  longtemps,  ils  connaissent  la 
manière  de  prendre  les  oiseaux  au  filet.  Ils  font  aussi  des 
battues  dans  lesquelles,  par  les  grandes  chaleurs  et  avec  de 
simples  bâtons,  ils  tuent  beaucoup  de  lièvres  et  de  perdrix. 
Un  de  leurs  poètes  a  dit  : 

<r  La  poursuite  des  bêles  sauvages  enseigne  la  poursuite 
des  hommes. 

ff  Les  jours  de  chasse  ne  comptent  point  parmi  les  jours 
de  la  vie  (1).  » 


VII 


JOURS     DE     LA     SEMAINE 


Dimanche. 

El  hhad. 

Le  premier. 

Lundi. 

Le  tenine. 

Le  deuxième. 

Mardi. 

El  tlata. 

Le  troisième. 

Mercredi. 

El  arbaa. 

Le  quatrième. 

Jeudi. 

El  khemiss. 

Le  cinquième. 

Vendredi. 

El  djemaa. 

La  réunion. 

C'est  le  dimanche  des  musulmans. 


(1)  Si  Ton  vent  des  détails  très-complets  snr  la  chasse  en  pays  arabe, 
voir  les  Chevaux  du  Sahara^  par  le  général  Daumas. 

28 


434 


LA    VIE    ARABE 


Samedi. 


I  ES'Sebt. 


I  Le  septième. 


G*est  le  dimanche  des  Israélites. 

On  peut,  si  l'on  veut,  faire  précéder  ces  chiffres  du  mot 
jour  —  youm  ou  du  mot  nhar  qui  a  la  même  signification. 
Exemples  : 


Jour  le  premier. 
Jour  le  second. 


Youm  el  bhad. 
Nhar  le  tenine. 


Mais  cela  n'est  pas  indispensable. 


VIII 


MOIS      DE 

l'année 

Premier. 

Mohharem. 

Janvier. 

Djennaïr.Yennaxr 

Deuxième. 

Safer, 

Février. 

Fourar. 

Troisième. 

Rabiaa  louel. 

Mars. 

Merss.  Moghress. 

Quatrième. 

Rabiaa  et-tani. 

Avril. 

Ibrir. 

Cinquième 

Djoumad  louel. 

Mai. 

May  ou. 

Sixième. 

Djoumad  et-tani. 

Juin. 

Younyou. 

Septième. 

Redjeb. 

Juillet. 

Youlliyou. 

Huitième. 

Chaabane. 

Août. 

Ghroucht. 

Neuvième. 

Ramedane. 

Septembre 

Chetounnber . 

Dixième. 

Choual. 

Octobre. 

Ktouber. 

Onzième. 

Dhou  le  Kada. 

Novembre. 

Nouanmber. 

Douzième. 

Dhou  et  hhadja: 

Décembre. 

Doudjamber. 

POINTS    CARDINAUX  -  DEGRÉS    DE    PARENTÉ  435 


IX 


POINTS      CARDIIVAUX 


Nord. 

Sud. 

Est. 


Djouf.  SemaouL  Bhhari. 

Kebla. 

Cherk  ou  cherg. 


Se  dit  de  tous  les  pays  situés  à  Test  de  celui  que  Ton  ha- 
bite ;  mais  il  s'emploie  surtout  pour  désigner  la  Syrie. 


Ouest. 


I  Gharb. 


Se  dit  plus  particulièrement,  en  Algérie,  du  Maroc;  mais 
il  se  dit  également  de  tous  les  pays  situés  à  l'occident  du  lieu 
où  Ton  se  trouve. 


DEGRÉS     DE     PARENTÉ 


Aïeul,  aïeux. 
Grand-père,  grand'mêre. 
Mon  père,  ma  mère. 
Époux,  épouse. 
Mon  fils,  ma  fille. 
Jeune  garçon. 
Jeune  fille. 


Djedd^  djedoud. 
Djedd,  djedda. 
Bouyay  imma. 
Radjel,  zoudja. 
Ouldiy  bennti. 
Tfol^  ichir. 
Tofla^  ichira. 


436 


LA    VIE    ARABE 


Mon  frère,  ma  sœur. 

Mon  frère  de  père  et  de  mère. 

Mon  frère  de  mère  seulement. 

Mon  frère  de  père  seulement. 

Mon  frère  aîné. 

Ma  sœur  atnée. 

Mon  frère  cadet. 

Ma  sœur  cadette. 

Mon  frère  de  la  mamelle. 

Mon  frère  de  lait. 

Mon  beau-fils,  ma  belle-fille. 

Mon  gendre,  ma  bru. 

Mon  oncle  paternel. 

Mon  oncle  maternel. 

Ma  tante  paternelle. 

Ma  tante  maternelle. 

Mon  cousin  paternel. 

Mon  cousin  maternel. 

Ma  cousine  paternelle. 

Ma  cousine  maternelle. 

Neyeu,  fils  de  mon  frère. 

Nièce,  fille  de  mon  frère. 

Neveu,  fils  de  ma  sœur. 

Nièce,  fille  de  ma  sœur. 

Jumeaux,  jumelles. 

Veuf,  veuve. 

Orphelin,  orpheline. 

Vierge. 

Parents  (auteurs  de  ses  jours) . 

Famille. 

Postérité. 

Origine.  ■! 


Khouya^  kheti. 

Khouya  chekik. 

Khouya  menn  imma. 

Khouya  menn  baba, 

Khouya  le  kebir. 

Kheti  le  kebir  a. 

Khouya  es-seghir. 

Kheti  eS'Seghira. 

Khouya  menn  le  bezoula. 

Khouya  menn  el  hhalib. 

Rebib,  rebibti. 

Nesibiy  mart  ouldi. 

Aammi. 

Khali. 

Aammti. 

Khaltl 

Benn  aammi. 

Benn  khali. 

Bennt  aammi. 

Bennt  khalti. 

Ould  khouya^  hhafidi. 

Bennt  khouya,  hhafidti. 

Ould  kheti. 

Bennt  kheti. 

Toimmy  touamate. 

Hadjal,  hadjala. 

Itime,  itima. 

Sbiya.  Bekra.  Aatok. 

Oualdine. 

Aayal. 

Derriya. 

Assel, 


DEGRÉS    DE    PARENTÉ  437 

Premier-né,  première-née.     |  El  béker^  el  bokra. 

Femme.  —  Mon  beau-père,  ma  belle-mère. 
Nesibiy  nesibtù 

Mari.  —  Mon  beau-père,  ma  belle-mère. 
Hhamouyay  hhamati. 

Mon  beau-frère,  ma  belle-sœur. 
Nesibi^  nesibti. 

Seconde  femme,  autres  femmes. 
Dorra,  deràir. 

Bâtard,  enfant  du  péché. 
Ould  Ihharam^  ould  zena. 

Les  parents  (alliés  par  le  sang  du  père). 
Nessbane  el  aamoum 

Chez  les  Arabes,  plus  une  famille  est  nombreuse,  plus 
elle  est  puissante  ;  mais,  malgré  cet  avantage  incontestable, 
il  n'est  pas  rare  de  voir  des  frères,  des  cousins,  des  parents 
enfin,  se  jouer  tous  les  mauvais  tours  imaginables  et  se  dé- 
tester cordialement.  C'est  à  qui  arrivera  aux  honneurs,  aux 
richesses  et  au  pouvoir  ;  cette  rivalité  n'empêche  pas  cepen- 
dant de  marcher  tous  ensemble,  quand  il  le  faut,  contre  l'en- 
nemi commun. 

Lorsqu'on  dit  à  un  Arabe  que  quelqu'un  le  déteste,  tient 
des  propos  sur  son  compte  et  veut  lui  faire  du  mal,  il  réflé- 
chit comme  s'il  cherchait  dans  sa  tête  les  causes  de  cette 
haine,  puis  il  répond  s*il  y  a  lieu  : 

Ce  n'est  pas  possible. 

Il  n'est  ni  mon  voisin  ni  le  fils  de  mon  oncle. 

Menn  el  mohhalj 

La  djari  ou  la  benn  aammi. 


i38 


LÀ    VIE    ARABE 


XI 


NUMÉRATION 


Un. 
Deux. 


Ouahhéd. 
Zoudj.  Tenine. 


Zoudj  s'emploie  toutes  les  fois  que  le  chiffre  deux  n*est 
pas  joint  à  des  dizaines  ou  à  des  centaines. 
Dans  les  autres  cas,  on  se  sert  de  tenine. 


Trois. 

Quatre. 

Cinq. 

Six. 

Sept. 

Huit. 

Neuf. 

Dix. 


Tlata. 

Arbaa. 

Khamssa. 

Sella. 

Sebaa. 

Tmanya. 

Tessaa. 

Aachera. 


Depuis  deux  jusqu'à  dix,  on  met  au  pluriel  le  nom  de  la 
chose  que  Ton  compte  ;  mais,  au-dessus  de  dix,  on  le  remet 
au  singulier.  Exemple  : 


Un  chacal. 
Dix  chacals. 
Onze  chacals. 


Ouahhed  ed-dib. 
Aachorr  diyab. 
Ahhdach  enn-dib. 


Dans  ce  dernier  cas,  l'usage  veut  que  le  chiffre  onze  soit 
joint  au  substantif  chacal  par  la  conjonction  enn  ;  il  doit  en 
être  de  même  jusqu'à  dix-neuf. 


NUMÉRATION 


439 


Pourquoi?  Je  n*ensais  rien.  Probablement  parce  que  cette 
conjonction  sert  à  lier  et  à  adoucir  le  nom  du  chiffre  et  du 
substantif. 

Continuons  : 


Douze  chacals. 
Treize  chacals. 
Quatorze  chacals. 
Quinze  chacals. 
Seize  chacals. 
Dix-sept  chacals. 
Dix-huit  chacals. 
Dix-neuf  chacals. 
Vingt  chacals. 
Trente  chacals. 
Quarante  chacals. 
Cinquante  chacals. 
Soixante  chacals. 
Soixante-dix  chacals. 
Quatre-vingts  chacals. 
Quatre-vingt-dix  chacals. 
Cent  chacals. 


Etnach  enn-dib. 
Tlaiach  enn-dib. 
Aarbaatach  enn-dib. 
Khamssetach  enn-dib. 
Settach  enn-dib. 
Sebaatadi  enn-dib. 
Temenntach  enn-dib. 
Tessaaiach  efin-dib, 
Aacherine  dib. 
Tlatine  dib. 
Arbaaïne  dib. 
Khamssine  dib. 
Settine  dib. 
Sebaaïne  dib. 
Temanine  dib. 
Tessaaine  dib. 
Myatt  dib. 


Jusqu'à  cent,  quand  on  veut  joindre  des  unités  aux  di- 
zaines, Tunité,  au  contraire  de  ce  qui  se  passe  chez  nous, 
doit  être  exprimée  avant  la  dizaine.  Exemple  : 


Un  et  vingt. 

Oudhhéd  ou  aachriney 

Six  et  trente. 

Setta  ou  telatine. 

Huit  et  quatre-vingts. 

Tmanya  ou  temanine. 

Deux  cents. 

Mitine. 

Trois  cents. 

Telt  mya . 

440 

Quatre  cents. 
Cinq  cents. 
Six  cents. 
Sept  cents. 
Huit  cents. 
Neuf  cents. 
Mille. 


LA    VIE    ARABE 


Arbaa  mya, 
Khamse  mya, 
Sett  mya. 
Sebaa  mya. 
Temenn  mya. 
Tessaa  mya. 
Alef. 


Dans  un  nombre  composé  de  centaines,  de  dizaines  et 
d^unités,  on  prononcera  d*abord  les  centaines,  ensuite  les 
unités,  puis  les  dizaines.  Exemples  : 

Cent  trente-six  hommes  se  prononcent  :  Cent  et  six  et 
trente  Iwmme. 

Cent  trente-six  hommes. 

Mya  ou  setta  ou  telatine  radjel. 


Deux  mille. 
Trois  mille. 
Dix  mille. 


Elfine. 
Telia  laf. 
Aachera  laf. 


Maintenant^  au-dessus  de  dix  mille,  le  nombre  mille  re- 
tourne au  singulier,  conformément  aux  principes  émis  plus 
haut. 


Vingt  mille. 
Trente  mille. 
Quarante  mille. 
Cinquante  mille. 
Soixante  mille. 
Soixante-dix  mille. 
Quatre -vingt  mille. 
Quatre-vingt-dix  mille. 
Cent  mille. 


Aacherine  alef. 
Telatine  alef. 
Arbaaine  alef. 
Khamssine  alef. 
Settine  alef. 
Sebaaine  alef. 
Temanine  alef, 
Tessaaine  alef. 
Myaii  alef. 


\ 


NUMÉRATION 


411 


Quand  à  des  mille  viennent  s'ajouter  des  centaines,  des 
dizaines  et  des  unités,  il  faut  énoncer  d'abord  les  mille, 
ensuite  les  centaines,  puis  les  unités  et  enfin  les  dizaines. 

Exemple  : 

Deux  mille  trois  cent  cinquante-quatre  chevaux  s'énon- 
cent :  Deux  mille  et  trois  cent  et  quatre  et  cinquante  cheval. 

Deux  mille  trois  cent  cinquante-quatre  chevaux. 
Elfine  ou  telt  mya  arbaa  ou  khamssine  aaoud. 

Je  ne  m'étendrai  pas  davantage  sur  ce  sujet.  En  voilà 
assez  pour  qu'on  puisse  se  tirer  d'embarras,  et  surtout  com- 
prendre et  apprendre  tout  seul,  par  la  pratique,  les  quel- 
ques autres  difficultés  qui  peuvent  se  présenter. 


FRACTIONS 


Un  quart. 
Un  tiers. 
Une  demie. 
Un  cinquième. 
Un  sixième. 
Un  septième. 
Un  huitième. 
Un  neuvième. 
Un  dixième. 


Reboeu. 

Telt.  Toult. 

Nams.  Nouss.  Noussf. 

Khomess.  Khoumouss. 

Sedess.  Soudonss. 

Seboeu, 

Temenn.  Temoun. 

Tessoeu. 

Aachor. 


En  dehors  des  chefs,  des  lettrés  et  des  commerçants,  les 
Arabes  du  peuple  ne  savent  guère  compter  que  jusqu'à  cent. 
Pour  arriver  à  ce  chiffre ,  ils  emploient  avec  une  grande 
prestesse  les  phalanges  intérieures  des  doigts  de  la  m am,  ou, 
quand  ils  en  ont,  les  grains  de  leur  chapelet. 


442 


LA    VIE    ARABB 


APPELLATION     DES     DIFFERENTES     LANGUES 


L'arabe. 

Le  turc. 

Le  persan. 

L'hébreu. 

Le  kabyle. 

Langue  des  Beni-Mezab. 

Le  nègre. 

Le  français. 

L'anglais. 

Le  russe. 

L'espagnol. 

L'allemand. 

L'italien. 

Le  suédois. 

Le  grec. 


El  aarbiya.  —  El  aarabi. 

Terkiya, 

El  aadjami.  —  El  farssiya. 

El  aabraniya. 

ElKebàiliya. — El  Berbriya. 

El  mezabiya. 

El  guenaovya. 

El  frannssaouya. 

Vinnglèziya. 

RotLssiya.  —  El  mouskou. 

ES'SbagnovJ^ 

En-namssaouya. 

Talyane. 

Es'Souid, 

El  gréguiya. 


Nos  Arabes  ne  connaissent  pas  les  Grecs,  mais  ils  les  dé- 
testent instinctivement.  Ds  disent  que  celui  qui  apprend  seu- 
lement sept  mots  de  grec  est  sûr  d'aller  en  enfer.  Cette  haine 
date  probablement  de  la  prise  de  Constantinople,  et  elle 
s'est  transmise  par  tradition. 

Quant  aux  autres  nations  dont  je  n'ai  pas  cité  les  noms, 
elles  peuvent  être  connues  de  quelques  savants  arabes,  mais 
elles  sont  totalement  ignorées  du  peuple. 


CHAPITRE    DOUZIÈME 


La  Zyara.  —  L  Ouaada.  —  La  Maaouna,  chant  de  triomphe  el 
chant  de  détresse.  —  Le  Deker.  —  L*Amane.  —  Les  Khouane. 
—  Les  Moul-Saa.  —  Les  Derkaoua. 


LA     ZT AR A 


La  zyara  est  la  visite  que  les  Arabes  des  tribus  rendent 
au  tombeau  du  saint  qu'elles  vénèrent,  qui  possède  leur 
confiance,  et  dont  ils  se  sont  déclarés  les  serviteurs  —  khed' 
dam,  —  Us  tiennent  à  honneur  de  faire  des  .  cadeaux  à  la 
zaouya  où  il  est  enterré.  Us  lui  apportent,  ou  les  frères  des 
congrégations  religieuses  —  khouane  —  vont  chercher  chez 
eux,  de  Thuile,  de  la  cire,  du  beurre,  du  miel,  de  Torge,  des 
raisins  secs,  des  pains  de  figues,  des  poules,  des  œufs,  des 
moutons,  des  chèvres  et  quelquefois  de  Targent.  Ces  provi- 
sions, sans  cesse  renouvelées,  servent  à  défrayer,  à  nourrir 
et  à  soulager  tous  les  étrangers  qui  viennent  y  demander 
rhospitalité.  Dieu  sait  s'ils  sont  nombreux  ! 


441  LA    VIE    ARABE 

La  zyara  a,  d'ordinaire,  lieu  une  fois  par  an  :  à  Tépoque 
déterminée,  les  visiteurs  puissants  ou  faibles,  riches  ou  pau- 
yres,  malades  ou  bien  portants  qui  veulent  raccomplir,  sont 
accompagnés  de  toute  leur  famille,  hommes,  femmes,  en- 
fants, esclaves,  etc.,  etc. 

La  marche  est  ouverte  par  les  bannières  de  la  zaouya  au 
milieu  desquelles  est  porté  l'étendard  vert  du  Prophète  :  la 
hampe  en  est  très-haute,  dominée  par  trois  grosses  boules 
en  argent  et  terminée  par  un  large  croissant,  signe  de  la  lu- 
mière de  l'islamisme. 

Puis  viennent  les  drapeaux  aux  couleurs  de  la  tribu.  Der- 
rière eux  se  trouve  d'ordinaire  une  musique  composée  de 
tambourins  et  de  hautbois  -—  teboul-ghaita^  —  quelquefois 
de  cymbales  retentissantes.  Dans  ce  cas,  le  cymbalier  est 
toujours  un  jeune  nègre,  le  plus  beau  et  le  plus  luisant  qu'on 
a  pu  trouver  ;  il  est  splendidement  habillé  et  placé  sur  un 
magnifique  cheval  blanc,  conduit  au  moyen  de  deux  longues 
rênes  tenues,  à  droite  et  à  gauche,  par'  deux  autres  vigou- 
reux cavaliers,  montés  sur  des  chevaux  entièrement 
noirs. 

Enfin,  paraissent  les  guerriers  et  les  chefs  de  la  tribu  ;  ils 
sont  suivis  par  la  caravane  en  habits  de  fête.  Les  chevaux 
sont  richement  harnachés  ;  les  palanquins  des  femmes  ont 
revêtu  leurs  étoffes  les  plus  voyantes,  les  plus  somptueuses  ; 
les  bêtes  de  somme  elles-mêmes,  notamment  les  chamelles, 
sont  parées  avec  soin.  Le  cortège  entonne  de  temps  en  temps 
des  chants  religieux  ou  guerriers,  et,  sur  tout  son  parcours, 
il  ne  manque  jamais  dMndiquer  aux  populations  voisines, 
par  des  coups  de  fusil  étourdissants,  que  le  moment  de  se 
joindre  à  lui  est  venu.  De  cette  manière  on  augmente  consi- 
dérablement le  nombre  des  pèlerins  qui  vont  se  trouver 
réunis  à  la  zaouya.  Ce  spectacle  ne  manque  ni  de  grandeur 


LA    ZYARA  445 

ni  d'originalité;  la  preuve,  c'est  que,  quand  on  Ta  vu  une 
fois,  on  l'oublie  difficilement. 

Dès  leur  arrivée,  les  familles  s'installent  dans  le  cimetière 
qui  entoure  le  marabout  en  réputation.  Elles  s'isolent  les 
unes  des  autres  au  moyen  de  cotonnades  apportées  à  cet  ef- 
fet, tendues  avec  intelligence  ;  les  chevaux,  les  mulets,  les 
ânes  et  les  chameaux  sont  entravés  à  la  corde  sur  les  espaces 
restés  vides  entre  les  tombeaux. 

Pendant  que  les  serviteurs  préparent  le  campement  et  les 
aliments,  les  pèlerins  vont  faire  leurs  ablutions  à  la  fontaine 
voisine  et  se  rendent  ensuite,  nu-pieds,  dans  la  chapelle  du 
saint  qu'ils  sont  venus  visiter  ;  il  y  allument  une  foule  de 
cierges  de  toutes  les  dimensions,  de  toutes  les  couleurs,  et  y 
font  brûler  les  paifums  en  usage  dans  l'Orient  :  l'encens,  le 
benjoin,  le  bois  de  sandal,  etc.,  etc.  —  Bekhour.  —  Cette 
cérémonie  pieuse  est  complétée  par  la  récitation  à  haute 
voix  de  versets  du  Koran  ou  de  prières  appropriées  à  la  cir- 
constance. 

Le  lendemain,  après  un  nouveau  pèlerinage,  on  fait,  en 
l'honneur  du  marabout,  une  fantazia  effrénée,  que  savent 
encore  animer  ou  encourager  par  leurs  cris  de  joie  habituels 
—  you  !  you  !  —  les  femmes  et  les  enfants  sous  les  yeux 
desquels  elle  se  passe  ;  puis,  le  troisième  jour,  chacun  rentre 
dans  sa  tribu,  après  avoir  fait  à  la  zaouya  de  nombreuses 
offrandes  tant  en  nature  qu'en  numéraire. 


446  LA    VIE    ARABE 


II 


l'ouaada 


Vouaada  est  une  fête  patronale,  son  origine  se  perd  dans 
la  nuit  des  temps,  et  il  nous  serait  bien  difficile  d'expliquer 
la  cause  réelle  de  cette  institution. 

Le  mot  ouaada  veut  dire  paix  ou  rendez-vous  auprès  d*un 
lieu  saint.  Paix,  veut  dire  chez  les  Arabes,  comme  chez  tous 
ceux  qui  sont  habituellement  en  guerre,  repos,  fêtes  et 
plaisirs. 

On  entend  encore  par  ouaada^  Thospitalité  donnée  aux 
pauvres  de  la  contrée  pour  se  libérer  d'un  vœu  formé  dans 
des  circonstances  difficiles  et  qui  a  été  exaucé. 

Au  jour  convenu,  on  voit  accourir  autour  de  la  koubba  — 
chapelle  —  désignée  comme  lieu  de  rendez-vous,  non-seu- 
lement de  la  tribu,  mais  encore  de  dix  à  quinze  lieues  à  la 
ronde,  tous  les  parents,  les  amis,  les  alliés,  en  un  mot  tonte 
la  clientèle  du  marabout,  et  nous  entendons  par  ce  mot 
clientèle,  les  individus  qui  sont  plus  particulièrement  placés 
sous  son  patronage  et  qui  se  sont  déclarés  ses  serviteurs  — 
kheddam.  —  Les  uns  arrivent  caracolant  sur  leurs  plus 
beaux  chevaux,  vêtus  de  leurs  habits  les  plus  riches,  les 
autres  à  dos  de  mulet  ou  de  chameau  ;  l'âne  est  la  monture 
des  moins  aisés  ;  quant  au  pauvre,  il  arrive  à  pied.  Il  mar- 
chera, il  est  vrai,  pendant  toute  la  durée  d*un  soleil  ;  mais  ne 
sait-il  pas  que  comme  dédommagement  il  prendra  part  à  un 
immense  festin  I 

Les  femmes,  toujours  friandes  de  fêtes  et  de  fantaziyas,  ne 
manquent  jamais  ces  ouadaas;  elles  s*y  rendent  sur  des  mules 
ou  des  chameaux,  assises  dans  leurs  palanquins  aux  rideaux 


L'OUAADA  447 

de  soie  —  aatatiche^  —  parées  de  leurs  oraements  les  plus 
somptueux,  couvertes  de  leurs  plus  beaux  bijoux.  Puis  cha- 
cun dresse  ses  tentes  autour  de  la  zaouya,  qui  devieut  ainsi 
le  centre  d'un  vaste  douar  —  tentes  placées  en  cercle. 

La  fête  commence  par  l'invocation  du  fatahh^  suivie  de  la 
récitation  de  certaines  prières,  spécialement  consacrées  à  la 
circonstance.  Ce  sont,  le  plus  souvent,  les  louanges  du  Pro- 
phète, celles  d'un  marabout  vénéré,  le  récit  de  sa  vie,  l'exal- 
tation de  ses  vertus. 

Les  prières  terminées,  vient  le  tour  des  plaisirs  et  de  la 
joie.  Or,  pour  l'Arabe,  leur  expression  la  plus  forte,  c'est  la 
fantaziya,  qu'il  y  prenne  part  comme  acteur  ou  qu'il  se 
borne  à  regarder. 

Nous  avons  déjà  fait  connaître  le  bonheur  qu'éprouve  le 
cavalier  à  briller  au  milieu  de  cette  image  de  la  guerre  et  des 
combats,  à  faire  parler  la  poudre,  à  appeler  sur  lui  l'atten- 
tion et  les  applaudissements  des  femmes,  lesquelles,  du  haut 
de  leurs  montures,  assistent,  bien  que  voilées,  à  ce  drame 
émouvant,  voilées,  oui,  mais  reconnaissables  cependant  aux 
yeux  de  l'amant.  Qui  a  jamais  pu  empêcher  cela  7  Tout  le 
monde  sait,  du  reste,  comment  cela  se  passe  :  averti  que  sa 
maîtresse  sera  à  l'assemblée,  l'amant  la  devine  à  ses  vête- 
ments, au  chameau,  au  mulet  qu'elle  monte  :  c  C'est  la  fille 
du  chikh  un  tel.  »  —  Il  y  a  peut-être  encore  de  meilleurs 
signes  de  reconnaissance. 

Hais  le  spectacle  auquel  nous  voudrions  faire  assister  le 
lecteur,  c'est  celui  de  cette  difa  qui  termine  la  journée,  et 
qui  me  ramène  à  mon  sujet.  On  donne  un  grand  éclat  à  cette 
réjouissance  qui  sera,  pendant  une  année  entière,  le  récit  de 
la  tente.  Que  de  moutons,  de  chevreaux  égorgés  I  Quelle  hé- 
catombe de  poulets  !  Quelle  mer  de  kessl^essou  offerte  à  tout 
venant,    où  nage  une  générosité  sans  limites!   Bruit  des 


448  LA    VIE    ARABE 

dents,  bruit  des  mâchoires,  musique  chère  à  tout  ventre 
araoe  quand  s'en  présente  l'occasion.  Aussi,  les  malheureux 
ne  manquent-ils  jamais  d'en  profiter. 

Il  y  en  a  qui  font  métier  d'assister  à  toutes  les  (maadûs 
dont  la  renommée  aux  ailes  rapides  leur  apporte  la  noavelle. 
Ce  pèlerinage  de  pique-assiettes  est  bien  caractérisé  par  ce 
dicton  populaire  : 

Ils  relèvent  les  quartiers  de  leurs  pantoufles, 
Dès  qu'ils  entendent  le  bruit  des  mâchoires. 
Metallaaine  el  belgha^ 
Aala  hhess  el  medegha. 

Pour  en  comprendre  la  raillerie,  il  faut  savoir  que  les 
Arabes  portent  d'ordinaire  leurs  chaussures  sans  relever  les 
quartiers  des  talons,  à  moins  qu'ils  ne  veuillent  courir. 

Dans  VotAoaday  et  pour  capitaliser  à  son  profit  des  actes 
de  bienfaisance,  on  donne  à  manger  à  tout  venant ,  pa- 
rents, amis,  voisins,  voyageurs,  orphelins,  aveugles,  estro- 
piés, pauvres  et  serviteurs  quels  qu'ils  soient.  Ce  sont  des 
repas  homériques.  Le  maître  de  la  tente  qui  reçoit  les  invités 
de  Dieu,  veille  à  tout.  Chacun  mange  selon  sa  qualité,  d'a- 
bord les  gens  de  condition,  puis  ceux  d'un  rang  moins  élevé, 
et  enfin  la  multitude.  Il  se  déroule  alors  le  tableau  le  plus 
pittoresque  et  le  plus  bruyant,  tout  cela  grouille,  se  coudoie, 
se  bouscule,  c'est  à  qui  arrivera  le  premier,  c'est  à  qui  ras- 
sasiera mieux  son  ventre,  fût-ce  même  aux  dépens  du  voi- 
sin. Je  présume  qu'il  devait  déjà  en  être  ainsi  au  temps  des 
anciens  patriarches. 

Ce  qui  distingue  la  zyara  de  Vouaada,  c'est  que,  dans 
Vouaada  on  se  défraye  soi-même,  en  faisant,  en  outre,  man- 
ger tous  les  malheureux,  tandis  que,  dans  la^t/ara,  on  re- 
çoit, au  contraire,  l'hospitalité  la  plus  complète. 


LA    MAAOUNA  449 


III 


LA     MAAOUNA 

Un  homme  ne  peut  enrichir  une  assemblée, 

Hais  une  assemblée  peut  toujours  enrichir  un  homme. 

Ouahhéd  ma  iyheni  djemaa. 

Ou  djemaa  tegheni  ouahhéd. 

Chez  les  Arabes,  les  possesseurs  de  chameaux,  de  mou- 
tons et  de  chevaux,  les  maîtres  de  la  fortune  enfin,  ne  man- 
quent jamais  d'aider  un  homme  dont  le  cœur  est  aussi  noble 
que  le  bras  est  fort.  S'il  est  dans  la  gène,  ils  lui  font  des 
avances,  se  gardent  bien  de  le  négliger,  le  soutiennent  en 
tout  temps,  se  réjouissent  et  se  glorifient  de  lui.  Ils  se  co- 
tisent d'ordinaire  pour  le  tirer  d'embarras.  Malheur  à  nous, 
disent-ils,  si  nous  laissons  un  tel  dans  la  misère  ;  c'est  le 
seigneur  des  hommes  braves  et  courageux,  et  il  ne  pourrait 
même  nourrir  sa  famille  et  son  cheval,  ce  cheval  qui  a  con- 
tribué à  la  fortune  et  à  la  gloire  de  la  tribu.  C'est  impossible, 
il  faut  les  secourir  tous  les  deux  ;  car  ils  augmenteront,  à  an 
jour  donné,  nos  richesses  et  notre  réputation. 

C'est,  sans  aucun  doute,  cette  preuve  de  solidarité  qui  est 
devenue,  dans  certaines  contrées,  l'origine  de  ces  fêtes  de 
nuit  —  lillt  el  maaouna  —  la  nuit  du  secours,  —  d'un  ca- 
ractère tellement  original,  qu'on  pourrait  les  appeler  fêtes  à 
bénéfice,  puisque  celui  qui  reçoit,  au  lieu  de  se  ruiner  en 
dépenses,  en  tire  au  contraire  un  grand  profit. 

Toutes  les  fois  qu'un  fils  de  son  bras  —  benn  deraaou  — 
se  trouve  dans  le  besoin,  soit  parce  que  des  récoltes  ont  été 

29 


i50  LA    VIE    ARABE 

ravagées  par  quelque  fléau,  qu'une  épizootie  a  décimé  ses 
troupeaux  ou  qu'il  a  perdu  son  chevaK  soit  enfin  parce  qa*il 
a  été  frappé  par  un  malheur  quelconque,  cet  homme  est  cer- 
tain d'être  soutenu  par  ses  frères.  Il  est  même  rare  qu'on  ne 
réussisse  pas  à  le  tirer  de  la  .misère  dans  laquelle  il  est 
tomhé  d'une  manière  imméritée. 

Voici  comment  les  choses  se  passent  habituellement. 

Le  déshérité  de  la  fortune,  profitant  d'un  jour  de  marché 
ou  d'une  réunion  considérable  de  la  tribu,  va  trouver  son 
kàid,  lui  expose  sa  situation.  Séance  tenante,  le  chef  ras- 
semble autour  de  lui  les  chikh^  les  gens  influents  de  la  con- 
trée, le  peuple  même,  puis  il  fait  connattre  à  tous  le  dénû- 
ment  de  celui  qui  fait  appel  à  leur  générosité.  Ses  paroles 
bienveillantes  sont  toujoui*s  entendues.  Il  n'a  plus  alors  qu'à 
indiquer  aux  assistants  le  moment  où  ils  devront  se  rendre 
chez  celui  qui  a  besoin  de  leur  aide,  et,  afin  que  personne 
n'en  ignore,  il  va  jusqu'à  faire  annoncer  par  seschaouchs  ou 
par  ses  crieurs  publics  que  tel  jour,  à  telle  heure,  il  y  aura 
une  maaouna  chez  un  tel,  fils  d'un  tel. 

Le  jour  de  la  fête  est  venu  :  avant  le  coucher  du  soleil  — 
inoghreb^  —  de  tous  les  points  de  l'honzon,  on  voit  accourir 
le  chef,  sa  suite  ordinaire,  les  amis  du  héros  de  la  journée,  et 
surtout  ceux  chez  qui  ce  dernier  s'est  rendu  autrefois  en  pa- 
reille circonstance,  et  pour  lesquels  c'est  un  devoir  sacré  de 
venir,  à  leur  tour,  aider  un  frère  dans  l'infortune.  Ces  der- 
niers, afin  que  leur  présence  soit  bien  constatée,  ne  man- 
quent jamais  d'aller  saluer  et  les  notables  et  l'ëmphitryon. 

Tout  le  monde  est  réuni,  le  mattre  de  la  fête  fait,  sans  re- 
tard, servir  le  dîner  aux  divers  groupes  qui  se  sont  formés 
autour  de  sa  demeure.  Ce  repas  est  très-simple  ;  il  est  offert 
de  bon  cœur  par  une  main  hospitalière^  mais,  si  pauvre  qu'il 
soit,  on  a  le  bon  goût  de  s'en  contenter. 


LA    MAAOUNA  451 

Le  repas  est  terminé  :  les  diverlissements  commencent* 
On  voit  alors  des  musiciens  venus  quelquefois  de  très-loin, 
des  chanteurs  et  des  conteurs  résidant  dans  la  tribu  ou  de 
passage,  des  danseurs  raêiue  —  zeffane  —  faire  de  la  mu- 
sique, chanter,  raconter  ou  danser  avec  un  yatagan  dans 
chaque  main,  en  passant  successivement  devant  les  invités. 
Ce  spectacle,  plein  de  verve  et  d*enti*ain,  est  vraiment  très- 
curieux.  Pendant  que  la  soirée  s* écoule  ainsi,  Thôte  va  de 
Tun  à  Tautre,  s'ingéniant  à  trouver  un  mot  gracieux  pour 
chacun,  veillant  à  ce  que  personne  ne  manque  de  rien. 

Minuit  —  nouss  el  lill  —  arrive  :  c'est  à  cette  heure  qtf  a 
lieu  la  partie  la  plus  sérieuse  de  la  fête.  Un  homme  (il  y  en 
a  qui  font  ce  métier)  doué  d*une  voix  retentissante,  d'une 
parole  agréable,  vient  se  placer  devant  le  groupe  des  per- 
sonnes les  plus  considérables,  et,  là,  sur  un  tapis  qu'on  étend 
à  ses  pieds,  les  invités  vont  tour  à  tour  déposer  leur  of- 
frande. Elle  est  d'ordinaire  proportionnée  à  la  fortime  qu'on 
possède,  à  Timportance  du  malheur  à  réparer,  au  plus  ou 
moins  de  sympathie  qu'on  éprouve  pour  l'homme  qui  est 
dans  la  peine,  comme  aussi  à  la  valeur  du  cadeau  que  ce 
dernier,  dans  des  circonstances  identiques,  a  peut-être  fait 
lui-même  autrefois  à  celui  qui  vient  aujourd'hui  le  secourir. 
On  en  a  d'autant  mieux  gardé  le  souvenir,  que  l'usage  force 
à  donner  au  moins  autant  qu'on  a  pu  recevoir  ;  le  contraire 
serait  sévèrement  blâmé  par  tout  le  monde.  Pour  opérer 
cette  restitution  moralement  obligatoire,  il  n'est  pas  rare  de 
voir  contracter  des  emprunts. 

Le  crieur  public  —  berrahh^  —  à  chaque  présent,  riche 
ou  chétif,  qu'on  lui  remet,  proclame  de  toute  la  force  de  ses 
poumons  et  de  manière  à  être  également  entendu  par  les 
femmes  reléguées  dans  un  lieu  réservé,  qu'un  tel,  fils  d'un 
tel,  a  donné  tant  de  boudjous  ou  tant  de  douros  (pièces  de 


/ 


i5ft  LA    VIE    ARABE 

Je  n'abandonnerai  pas  la  maaowia,  sans  ajouter  que  c*est 
aussi  pendant  cette  fête,  au  milieu  des  plaisirs  et  de  Tani- 
mation  dont  j*ai  parlé  plus  haut,  que  les  goual  —  diseurs  — 
et  les  meddahh  —  trouvères,  —  ces  représentants  des  pas- 
sions populaires,  quelquefois  ces  improvisateurs,  font  en- 
tendre soit  des  chants  religieux,  soit  des  chants  de  guerre 
ou  d'amour,  dans  lesquels,  sur  une  cadence  progressivement 
entraînante,  ils  exaltent  Dieu,  les  femmes,  la  gloire  ou  les 
mfdheurs  des  tribus.  On  les  trouve  partout,  ils  ont  le  privi- 
lège d*étre  servis  les  premiers,  afin  que,  leurs  besoins  satis- 
faits, ils  puissent  encore  charmer  le  repas  des  hôtes* 

Quand  le  ventre  est  rassasié. 
Il  dit  à  la  tête  :  <  Chante.  » 
Menine  el  kerch  techebaa, 
Igoul  er-rass:  ghenni. 

Voici  Tun  de  leurs  chants  ;  il  a  fait  fureur  dans  la  province 
d'Alger.  Je  le  reproduis  parce  qu'il  donne  une  idée  vraie,  de 
Torgueil  et  du  fanatisme  qui  animaient  les  Arabes  dans  les 
premiers  temps  de  la  conquête.  Alors,  ils  ne  parlaient  de 
rien  moins  que  de  prendre  un  jour  Paris.  C'est  à  ne  pas  y 
croire. 

chant  des  Hadjoutcs. 

Un  dit  que  les  Français  sont  puissants, 
Qu'en  guerre  leurs  soldats  sont  courageux. 
Qu'au  moment  du  combat  leurs  rangs  frémissent, 
Qu'au  bout  de  leurs  fusils  ils  portent  des  lances, 
Que  leurs  canons  font  voler  la  poussière, 
El  qu'ils  chargent  avec  franchise  et  vigueur. 


LA    Al  A  AOL  N  A  455 

0  VOUS,  qui  parlez  ainsi,  vous  avez  donc  oublié 

La  puissance  de  Dieu  l'unique  ! 

C*est  lui  qui  gouverne  et  meut  le  firmament. 

Nul  ne  peut  lui  être  comparé  ; 

Il  confond  ses  ennemis,  punit  les  orgueilleux, 

Et  protège  celui  qui  combat  les  impies. 

0  TOUS,  qui  dites  cela,  vous  ne  connaissez  donc  pas 
Ces  Hadjoutcs  qu'on  cite  dans  les  livres, 
Ces  Arabes  qui  suivent  les  lois  du  Prophète, 
Et  ne  pensent  qu'à  mourir  dans  la  guerre  sainte? 
Ils  obéissent  au  sultan  que  Dieu  leur  a  donné. 
Au  chérifdes  cbérifs,  à  Témir  Aabd-el-Kader  ; 
Cavaliers  de  naissance  et  rôdeurs  de  nuit. 
Il  faut  les  voir  quand  ils  courent  à  la  poudre  : 
Par  la  tète  du  Prophète,  vous  diriez  des  faucons 
Qui,  du  haut  des  airs,  s'abattent  sur  leur  proie. 
Dans  les  combats,  voici  leur  chant  de  guerre  : 

«  Nous  sommes  Hadjoutes,  nous  sommes  des  gens  de  cœur, 

Nous  avons  vendu  nos  âmes  à  Dieu, 

Et  nous  méprisons  la  vie. 

Chez  nous,  le  feu  de  Thôte  ne  s'éteint  jamais  ; 

Nous  protégeons  les  faibles,  nous  dispersons  les  forts; 

Nos  chevaux  sont  des  aigles  qui  ploient  les  dislances  ; 

Dans  la  mêlée,  nous  faisons  voir  nos  lames, 

Nos  longs  fusils  sont  montés  eu  corail, 

Nos  balles  font  craquer  les  os, 

Et  c'est  par  la  poudre  que  nous  répondons  aux  questions. 

»  C'est  nous  qui  rendons  la  Mitidja  déserte. 
Et  qui  bloquons  les  infidèles  dans  Alger  ; 
C'est  nous  qui  ravageons  Bouffarik  et  Blidali, 


456  LA    VIE    ARABE 

Les  Béni  Moussa,  le  Sahel  et  la  Maison  Carrée  ; 

Aucun  chrétien  ne  peut  s*y  installer. 

Nous  combattons  de  jour,  nous  combattons  de  nuit. 

Et  nous  faisons  avaler  le  fiel 

Aux  Français,  aux  renégats,  ainsi  qu'à  tous  leurs  géné- 
raux ! 

Si  vous  saviez  par  combien  de  poursuites  nous  les  avons 
essoufflés  ! 

»  C'est  nous  qui  soutenons  le  fils  de  Mahhi-ed-Diiie — 
Aabd-el-Kader, 
Ce  sultan  qui  rend  fou  les  roumis. 
Que  de  fois  ne  leur  a-t-il  pas  fait  verser  des  pleurs  de  rage  I 
Que  de  fois  ne  leur  a-t-il  pas  fait  grincer  les  dents  ! 
H  leur  a  bien  souvent  brûlé  le  foie  ! 
Son  nom,  jamais  les  Français  ne  pourront  Toublier  : 
Il  est  écrit  dans  tous  leurs  désastres  ; 
Ils  le  retrouvent  chez  leur  papass  égaré  —  évéqae. 
Quand  ils  débattent  leurs  intérêts, 
Lorsque  les  veuves  se  remarient, 
Quand  les  orphelins  partagent  les  successions, 
Partout  enfin,  les  chefs  même  rapprennent  à  leurs  enfants. 

»  Toute  chose  vient  en  son  temps  ! 

S'il  plail  à  Dieu,  avec  le  sultan,  ses  kalifas  et  ses  troupes, 

Suivis  par  d'innombrables  guerriers. 

Bientôt  nous  chasserons  les  Français  d'Alger. 

Oui,  nous  passerons  les  mers  sur  des  barques. 

Nous  descendrons  chez  eux,  nous  nous  vengerons  ; 

Chaque  jour  sera  pour  nous  un  spectacle  nouveau  ; 

Nous  prendrons  Paris,  nous  nous  y  réunirons, 

Puis  nous  nous  emparerons  des  autres  Ëtats, 

Et  nous  leur  apprendrons  Tunité  du  vrai  Dieu. 


LA    MAAOUNÀ  457 

»  N*allez  pas  dire  :  €  Cela  n'est  pas  possible  !  » 

Rien  ne  prévaut  contre  la  volonté  de  Dieu  ! 

11  aplanira  les  diffienltés, 

Il  nous  fortifiera  de  tout. 

Il  animera  nos  années 

Et  confondra  les  adorateurs  des  morceaux  de  bois. 

Les  chrétiens  comptent  sur  leurs  soldats. 

Sur  leurs  vaisseaux,  sur  leurs  richesses, 

Us  ignorent  ceei,  les  malheureux  : 

Nul  ne  peut  éviter  ce  que  l'Éternel  a  décrété  !  » 

0  mon  Dieu,  la  chose  est  dans  ta  main  : 

Ordonne  que  les  musulmans  triomphent, 

Et  que  les  Français  leur  soient  soumis  ; 

Aucun  secret  ne  t*est  caché, 

Tu  n'as  qu'à  dire  :  «  Sois!  »  et  ce  que  tu  veux  arrive. 


NOTE. 


Pendant  la  guerre  de  la  conquête,  la  tribu  des  Hadjoutes 
campait  à  Touest  de  la  Mitidja,  de  Taatre  côté  de  la  Chiffa, 
et  renforcée  par  les  aventuriers  et  les  fanatiques  du  pays 
arabe,  elle  jouait  alors  un  râle  très-important. 

Ses  cavaliers  étaient  nombreux ,  hardis  et  entreprenants  ; 
ils  battaient  la  campagne  de  jour  et  de  nuit  ;  sans  cesse  en 
mouvement,  ils  tenaient  en  haleine  les  postes  que  nous  oc- 
cupions, attaquaient  les  convois,  enlevaient  les  traînards,  les 
hommes  isolés,  les  colons  imprudents,  les  femmes,  les  en- 


458  LA    VIE    ARABE 

fants,  et  semaient  ainsi  la  terreur  dans  nos  centres  de  popu- 
lation. 

L*émir  Aabd*el-Kader  et  ses  kalifas  accordaient  de  grands 
privilèges  aux  Hadjoules.  On  les  exemptait  d'impôts,  de  cor- 
vées, on  leur  remplaçait  les  chevaux  tués  par  Tennemi»  et 
le  béylik  leur  fournissait  les  munitious  de  guerre  dont  ils  se 
servaient  si  bien  pour  nous  tracasser. 

Depuis  la  pacification,  ces  intrépides  partisans  ont  été  en- 
globés dans  la  population  européenne.  Les  étrangers  qa*a- 
menaient  dans  leur  pays  le  fanatisme  et  Tamour  du  pillage 
sont  rentrés  chacun  chez  soi  ;  tous  ont  déposé  les  armes,  et, 
sans  nous  aimer  davantage,  il  se  livrent  aujourd'hui  paisi^ 
blement  au  commerce  et  à  l'agriculture  en  attendant,  comme 
ils  le  disent,  des  jours  meilleurs. 

« 

Le  chant  des  Hadjoutes  qu'on  vient  de  lire  a  été  composé 
dans  un  moment  d'exaltation,  d'orgueil  et  d'espoir  ;  voyons 
maintenant  quelles  inspirations  les  Arabes  out  trouvées 
lorsque,  plus  tard,  ils  ont  été  forcés  de  reconnaître  notre  su- 
périorité et  de  se  soumettre  à  nos  lois. 

Le  chant  qui  va  suivre  est  adressé  W  l'émir  Aabd-el- 
Kader;  lorsqu'il  parut,  il  retraçait  exactement  la  situation 
des  Arabes. 

Il  est  curieux  de  voir  de  quelle  manière  les  musulmans 
considèrent  leurs  défaites,  comment  il  les  expliquent  et 
comment  ils  exposent  leur  détresse,  tout  en  gardant  quelques 
vagues  espérances.  La  vérité  perce  à  travers  les  illusions  de 
la  foi  religieuse.  On  comprend  aussi  rexcellence  du  système 
de  guerre  suivi  par  M.  le  maréchal  duc  d'Isly,  et  l'on  voit 
que  la  terreur  imprimée  aux  populations  arabes  par  la  guerre 
infatigable  que  nous  leur  avons  faite,  était  le  seul  moyen  de 


LA    MAAOUNA  459 

les  amener  à  composition  et  de  leur  faire  accepter,  comme 
elles  le  disent,  les  décrets  du  Miséricordieax. 


SOUHISSIO?r     DES     TRIBUS. 
Chant  de'délMMe. 

Nal  ne  peut  s*opposer  à  la  volonté  de  Diea  ! 

Il  a  créé  le  ciel  et  la  terré", 

Les  étoiles  et  la  lune  qu'on  admire. 

Le  soleil  et  le  dernier  jour. 

Le  sabre  nous  sépare  du  chrétien, 
C*est  l'ennemi  de  notre  foi  ; 
Mais  ceux  qui  croient  et  se  soumettent 
Auront  certes  le  paradis  pour  séjour. 

Les  infidèles  se  sont  emparés  d* Alger, 
Les  Turcs,  ils  les  ont  dispersés  ; 
Puis  ils  se  sont  rués  sur  nos  campagnes. 
Sauterelles  venues  en  leur  temps. 

Alors,  un  sultan  fut  élu  ; 

Il  se  nomme  Âabd-el-Kader,  fils  de  Mahhi-ed-Dine, 

Par  son  courage  et  par  sa  science. 

Il  mérite  la  suprématie. 

Les  habitants  des  plaines  et  des  montagnes, 
Même  ceux  des  pays  saunages. 
Tous  sont  accourus  à  sa  voix 
Pour  marcher  contre  les  impies. 

Ce  prince  est  né  pour  la  gloire  des  musulmans  ! 
De  l'est  à  l'ouest,  du  nord  au  sud. 


460  LA    VIE    AHABE 

.  Partout  nous  avons  suivi  ses  drapeau. 
Partout  nous  avons  frappé  la  poudre  avec  lui. 

LMntidèle  sortait  par  masses  ; 

Nous  le  défaisions^  nous  le  brisions» 

Nous  le  ramenions  jusqu'à  la  mer  ; 

Ses  prisonniers,  nous  les  parquions  dans  l'intérieur. 

Dieu  avait  embelli  notre  temps  : 
Prêts  à  combattre,  prêts  à  mourir, 
Prêts  à  faire  de  belles  actions, 
La  victoire  nous  consolait  de  tout. 

Mais  le  traître  prit  un  jour  de  meilleures  dispositions: 

Il  diri(,'ea  contre  nous  des  attaques  incessantes, 

Il  brûla  nos  moissons,  il  pilla  nos  silos. 

Et  nous  réduisit  par  la  misère  et  par  la  maladie. 

Il  s'empara  de  nos  femmes,  de  nos  enfants. 

De  nos  troupeaux,  de  nos  bêtes  de  somme  ; 

L*incendie  gagnait  en  avant. 

Et  nous,  toujours  lialelants,  nous  fuyions  devant  lui  ; 

Fuyant  le  jour,  fuyant  la  nuit, 
En  été,  dans  la  saison  pluvieuse, 
Sans  cesse  assiégés  par  la  peur. 
Toujours  affaiblis  par  la  faim. 

Le  chef  des  infidèles  (I),  vous  le  savez  tous, 

  le  cœur  plein  de  fiel  ; 

Il  a  dit  aux  siens  :  «  Courage  ! 

Je  vous  réponds  de  soumettre  les  Arabes.  » 

(1)  Le  maréchal  Bugeaiid. 


LA    MAAOUNA  461 

Il  rangeait  ses  troupes  en  lignes  redoutables. 
Il  se  retirait,  puis  revenait 
Avec  des  soldats  plus  nombreux. 
Attaquant  chaque  lieu  séparément. 

Il  se  mettait  en  marche  avec  yingt  corps  d*armée, 
Ety  quand  un  point  était  ravagé, 
En  connaissait-il  un  autre, 
Il  y  courait  avec  célérité. 

Nous  le  recevions  en  combattant  ; 
Nous  le  harcelions  comme  une  bête  fauve, 
Mais  il  ne  comptait  pas  ses  morts, 
Et  ne  pensait  qu*à  marcher  en  avanl. 

Il  a  de  la  tactique,  le  maudit  I 
On  le  compte  au  nombre  des  grandes  nations, 
Quand  il  nous  cerne  de  toutes  parts. 
Personne  ne  peut  nous  délivrer. 

Ses  soldats  portent  tout  avec  eux  : 

Ils  s'alignent  comme  les  grains  d*ao  eollier  ; 

Un  mot  suffit  pour  les  diviser  en  fractions  ; 

On  dirait  des  remparts  précédés  d*un  nuage  tonnant. 

Avec  des  cavaliers  et  des  canons. 
L'infidèle  nous  charge  et  nous  disperse. 
Tandis  que  ses  fantassins  le  suivent 
Comme  des  torrents  qui  débordent. 

Oui,  quand  le  roumi  se  précipite  sur  nous, 
C*est  comme  une  nuée  grosse  d'un  déluge  de  balles  ; 
Nous  n*avons  pas  trouvé  de  pouvoir  sur  lui, 
Ses  feux  sont  meurtriers. 


4tô  LA    VIE    ARABE 

Plaines  faciles,  ravins  escarpés. 
Déserts,  montagnes,  il  les  a  parcourus  ; 
Chaque  jour,  il  change  sa  maison  —  hivac  ; 
Il  marche  et  se  repose  en  masse. 

Les  Français  voient  leurs  rangs  s*accrottre 
D'un  grand  nombre  d*Arabes  renégats, 
Leurs  armées  se  fortifient,  les  nôtres  diminuent. 
Nous  ne  pouvons  plus  continuer  la  lutte. 

D'heure  en  heure,  ils  gagnent  du  terrain  : 
Le  Dieu  de  forts  leur  donne  la  victoire  ; 
Nous  en  avons  perdu  le  sens  et  le  conseil, 
Sultan,  laisse-nous  libres  de  faire  ce  qui  convient. 

Ils  nous  mangent  si  nous  allons  à  toi. 
Tu  nous  manges  si  nous  allons  à  eux. 
Nous  ne  savons  plus  où  sont  nos  âmes  ; 
Est-il  une  plus  horrible  maladie? 

Il  ne  nous  appartient  pas  de  te  faire  des  reproches  : 
Ce  qui  est  écrit  est  écrit  ; 

Mais,  au  nom  de  Dieu,  sultan,  prends  pitié  de  nos  misères. 
Et  ne  va  pas  détruire  ta  réputation. 

Vois  l'état  des  musulmans  : 
Leurs  familles  sont  décimées. 
Leurs  chevaux  sont  épuisés. 
Et  le  riche  est  aujourd'hui  sans  pain. 

La  poudre  a  mangé  tous  nos  braves  : 

Ils  sont  au  paradis,  c*est  vrai  ; 

Mais  que  veux-tu,  sultan  ! 

Pei*sonne  ne  peut  braver  la  volonté  divine. 


LA    MAAOUNA  463 

Quelle  chose  possible  avons-nous  négligé  de  faire? 

Quel  jour  ayons*nous  refusé  le  combat  ? 

Nous  t'avons  soutenu  de  notre  sang, 

Nous  t*avons  donné  nos  enfants  sans  jamais  murmurer. 

Ils  ne  te  font  donc  pas  pitié. 

Ces  vieillards,  ces  femmes  et  ces  enfants, 

Et  toutes  ces  créatures  souffrantes 

Qui  n*ont  trouvé  nul  chemin  pour  se  sauver  ? 

Nous  sommes  pris  entre  la  pierre  et  la  batterie  : 
Toutes  nos  richesses  se  sont  évanouies, 
Nous  n'avons  plus  rien  à  te  sacrifier  ; 
II  faut  nous  résigner. 

Le  sabre  est  arrivé  jusqu'à  Tos  : 

Nous  avons  subi  toutes  les  iniquités  du  monde. 

Heureux  ceux  qui  reposent  sous  la  terre, 

lis  ne  voient  plus  les  rouinis  aux  jambes  rouges  ! 

0  notre  seigneur,  6  notre  ami  ! 

Compatis  à  notre  sort. 

Éloigne -toi,  ne  t'occupe  plus  de  nous. 

Ou  nous  compterons  ensemble  au  dernier  jour. 

Nous  ne  te  haïssons  pas,  sultan  ! 
Nous  prions  Dieu  qu'il  te  conserve; 
Toute  chose  de  travers  se  redressera. 
Et  Tancien  temps  reviendra. 

Ne  dis  pas  :  ^  Ils  deviendront  infidèles  ;  » 
Nous  ne  ferons  que  respecter  un  voisin. 
L'heure  du  chrétien  est  arrivée  ; 
Elle  passera,  et  nous  t'obéirons  comme  autrefois. 


464  LA    TIE    ARABE 

La  fortune  trompeuse  a  pour  coutume 
De  faire  luire  des  jours  tantdt  heureux  ettantdt  malbemren. 
Aujourd'hui  Ton  pleure  une  défaite,  et  demain  on  chante 
une  victoire, 
Cest  ainsi  que  le  Créateur  Ta  voulu. 

0  mon  Dieu,  par  le  Koran, 

Par  les  anges,  par  les  savants. 
Et  par  les  habitants  du  paradis, 
Rendez  la  victoire  aux  musulmans  ! 

Brisez  la  fortune  des  infidèles  ; 
Qu'ils  soient  chassés,  qu*ils  partent 
Avilis  par  les  coups  des  guerriers  de  la  foi. 
Nos  contrées  se  repeupleront  et  les  créatures  vous  béni- 
ront. 

Mille  saints  aux  Arabes  qui  patientent, 

A  ceux  qui  sont  morts  pour  la  religion, 

A  ceux  qui  veulent  une  revanche, 

Et  qui  continueront  un  jour  la  gloire  de  leurs  ancfitres. 

Mille  prières  sur  le  Prophète, 

Sur  ses  compagnons,  sur  ses  amis, 

Et  sur  les  chefs  de  la  loi, 

Autant  de  fois  salut  que  la  poudre  a  tonné. 

Certes,  comme  il  arrive  presque  toujours  en  pareille  occa- 
rence,  les  critiques  les  plus  amères  n'ont  pas  manqué  au 
système  de  guerre  inauguré,  en  1841 ,  par  le  maréchal,  duc 
d-lsly  ;  mais  les  Arabes,  ainsi  qu*on  Ta  vu  plus  haut,  en  ont 
immédiatement  compris  la  portée,  et  les 'vaincus  ont  pris 
soin  de  ri^diger  eux-mêmes,  le  bulletin  de  nos  succès.  Ce 


LE    DEKER  465 

témoignage,  émané  d*an  ennemi  aux  abois,  me  parait  pré- 
cieux. 

En  effet,  quel  brillant  éloge  on  y  trouve  de  cette  armée 
d'Afrique,  où,  malgré  les  énormes  difficultés  des  distances 
et  du  terrain,  malgré  Téparpillement  d*un  ennemi  brave, 
fanatique  et  subtil,  tout  avait  été  combiné  pour  jouer  an  r6le 
utile,  ne  laisser  aucun  repos,  aucun  espoir  à  nos  insaisis- 
sables adversaires  et  leur  prouver  que  nulle  part  ils  n'é- 
taient à  Tabri  de  nos  coups  ! 

Voyez-vous  ces  colonnes  expéditionnaires  opérant  dans  un 
pays  absolument  dénué  de  ressources  ;  obligées  de  porter 
avec  elles  de  quoi  satisfaire  à  tous  leurs  besoins,  de  quoi 
pourvoir  à  toutes  les  nécessités  causées  par  les  combats, 
les  fatigues  et  les  maladies,  par  le  respect  de  la  vie  des 
hommes  enfin,  et  contraignant  cependant  le  peuple  arabe  à 
supplier  son  chef  bien-aimé  de  se  retirer  en  abandonnant 
une  lutte  qu'il  déclare  désormais  impossible.  On  ne  parle 
plus  d*aller  prendre  Paris  pour  y  enseigner  aux  infidèles 
l'unité  du  vrai  Dieu  ;  le  désespoir  a  succédé  à  l'enthousiasme. 
N*est-ce  pas  là  une  page  saisissante  de  notre  histoire  de 
r  Algéne  ! 


IV 


Ll     OIKIR 


J'ai  parlé  des  serviteurs  volontaires  —  kheddam  —  qui  se 
donnent  par  masses  à  un  tombeau  de  marabout,  dans  une 
zaouya.  Voici  ce  que  c*est  :  Les  gens  d'une  tribu  ont  éprou- 

30 


466  LA    VIE    ARABE 

vé  quelque  mésaventure,  on  leur  a  volé  leurs  troupetox, 
Teau  manque  à  la  récolte,  il  y  a  une  épidémie,  ou  bien  c'est 
pour  acquitter  un  vœu,  ils  vont  trouver  celui  en  qui  ils  ont 
placé  toute  leur  confiance.  La  cérémonie  est  simple  : 

«  0  monseigneur,  disent-ils,  nous  sommes  des  gens  de 
telle  tribu,  nous  avons  entendu  parler  de  ta  puissance  et 
de  tes  miracles  ;  nous  venons  à  toi  pour  que  tu  nous  fasses 
obtenir  par  tes  mérites  la  protection  divine.  Ton  deker  est 
court,  il  est  bien  meilleur  que  celui  des  autres  ;  donne-le- 
nous  ;  il  nous  portera  bonheur,  et  nous  serons  tes  servi- 
teurs à  jamais.  » 

Le  deker  est  une  prière  de  quelques  mots  seulement  im- 
posée par  un  saint  homme,  avec  Tobligation  de  la  dire  plu- 
sieurs centaines  de  fois  par  jour,  le  matin  et  le  soir,  en 
comptant  sur  son  chapelet. 

Quand  un  pareil  lien  s'est  établi  entre  un  marabout  et  une 
tribu,  celle-ci  ne  tirera  plus  un  seul  coup  de  fusil  en  guerre, 
ne  prendra  pas  une  seule  décision  importante,  alliance,  dé- 
placement, expédition,  sans  avoir  consulté  le  chef  spirituel 
qu'elle  s'est  donné.  En  échange  de  sa  protection  et  de  ses 
vœux,  tous,  au  besoin,  se  feraient  tuer  pour  lui. 

Il  ressort  de  ce  qui  précède  que  la  puissance  des  mara- 
bouts a  pour  principe  la  reconnaissance  et  le  respect  des 
croyances  religieuses  dont  cette  aristocratie  théocratique  est 
la  représentation  visible.  S*élonnera-t-on  après  cela  qu'à  sa 
voix,  les  tribus  ennemies  éteignent  leur  colère  ?  S'étonnera- 
t-on  encore  qu'elle  puisse  soulever  le  peuple  contre  une  in- 
vasion étrangère  dont  le  succès  serait  la  perte  de  leur 
influence.  Dans  la  pensée  des  masses,  le  sultan  même  passe 
après  le  marabout,  car,  disent-elles ,  si  le  sultan  peut  nous 
faire  du  mal.  Dieu  peut  nous  en  faire  bien  davantage.  Il  suffit 
donc  au  marabout  d'une  menace  :  «  Que  Dieu  vous  maudisse  ! 


LE    OEKER  467 

qu'il  rende  vos  femmes,   vos  palmiers  et  vos  chamelles 
stériles  I  »  pour  que  tous  vienûcnt  lui  baiser  les  pieds. 

—  Au  surplus,  nihil  novi  sub  sole.  Dans  les  monastères 
du  Thibet  et  de  la  Cbine,  en  même  temps  séminaires  et 
hospices  comme  les  zaouyas ,  on  retrouve  absolument  le 
]nême  deher^  la  même  inféodation  à  des  saints  comme  chez 
les  Arabes. 

On  va  même  plus  loin  qu'eux  :  Quand  le  chapelet,  aussi 
d*origine  asiatique,  ne  peut  plus  fonctionner  entre  les  mains 
du  fidèle  qui  travaille,  dort,  boit  ou  mange,  on  croit  encore 
continuer  ses  prières  par  l'intermédiaire  de  petits  moulins 
en  matière  légère  exposés  au  vent,  au-dessus  du  toit  de  la 
maison.  Comme  il  faut  être  sans  cesse  en  communication  avec 
la  Divinité,  on  leur  a  fait  mentalement  une  délégation  fictive 
et  religieuse,  et  on  les  appelle  moulins  à  prières.  Le  voyageur 
en  voit  de  toutes  les  couleurs,  de  toutes  les  dimensions  ; 
cela  tourne  incessamment  avec  un  empressement  joyeux  ; 
ainsi  l'imagination,  toujours  habile  à  se  tromper,  emploie 
différents  procédés  suivant  les  lieux  et  les  circonstances.  En 
Europe,  on  a  vu  des  femmes,  pour  doubler  leur  créance 
dans  le  ciel,  faire  jeûner  leurs  domestiques.  En  Asie,  ce 
sont  des  moulins  qui  aident  à  terminer  les  prières  impo- 
sées —  deker,  —  Combien  d'héritiers  ne  chargent-ils  pas 
aussi  des  saules  à  branches  souples  et  pendantes  de  prier 
seuls  sur  les  tombes  de  leurs  ancêtres  ?  Il  y  a  là  une  raison 
profonde  :  L'âme  en  présence  de  l'infini  sent  son  néant  et  se 
cherche  des  auxiliaires.  —  Le  deker  «  Dieu  est  grand,  le 
plus  grand!  »  que  cet  Arabe  accroupi  broie  entre  ses 
dents,  est  de  la  même  famille  que  les  superstitions  dont  je 
viens  de  parler.  Les  lèvres  remuent,  l'esprit  est  ailleurs  ; 
mais  ou  a  donné  extérieurement  satisfaction  à  la  loi  ou  à  la 
coutume  religieuse,  et  c'est  l'essentiel. 


468  LA    VIE    ARABE 

Je  ne  quitterai  pas  le  deker  sans  dire  encore  que,  si  le  ser- 
viteur d'un  marabout  en  réputation  se  marie,  Tusage  veut, 
dans  certaines  contrées^  qu'il  lui  conduise  son  premier-né 
soixante  jours  après  sa  naissance.  Le  saint  rasera  de  ses 
propres  mains  la  tête  de  l'enfant,  en  lui  laissant  sur  le  som- 
met une  touffe  de  cheveux  qui  prend  le  nom  de  guetaya. 
Cette  touffe  de  cheveux,  il  devra  la  conserver  jusqu'au  mo- 
ment où,après  s'être  marié  lui-même,  il  lui  nattra  un  fils  qui, 
à  son  tour,  subira  la  même  opération.  Ce  jour-là,  mais  ce 
jour-là  seulement,  le  père  pourra  faire  couper  sa  guetaya^ 
car  il  aura  transmis  religieusement  à  sa  descendance  la 
bénédiction  dont  il  aura  été  l'objet. 

Le  mot  marabout,  que  les  Arabes  prononcent  merabet  au 
singulier,  et  merabetine  au  pluriel,  veut  dire  lié.  Il  a  la 
même  signification  que  le  mot  «  rehgieux,  »  qui  vient  de  ligare. 
Le  marabout  est  la  personnification  de  la  noblesse  reli- 
gieuse. 

Les  Français  ont  donné,  par  extension,  le  nom  de  mara- 
bouts aux  petits  monuments  qui  renferment  des  tombeaux  de 
marabouts,  et  qui  s'appellent  en  réalité — koubba  —  ddmes. 

Voici  le  portrait  du  marabout  fait  par  les  Arabes  : 

La  culotte  toujours  fermée  ; 

Le  coffre  toujours  ouvert  au  nom  de  Dieu  ; 

Ils  ne  marchent  qu'entourés  des  gens  de  race. 

Serotml  el  mekfoul^ 

Sendouk  el  mahhaloul  —  lellahh. 

Itemchou  ghér  be  oulad  el  aassoul. 


LES    KUOUAI^E  MQ 


l'AM  A!f  B 


L'amane  est  tantôt  un  sauf-conduit  et  tantôt  une  amnistie. 
Dans  les  deux  cas,  et  cela  se  conçoit,  il  ne  peat  être  donné 
qu'à  des  envoyés,  à  des  coupables  ou  à  des  vaincus.  C'est  ik 
sa  grande  différence  avec  l'anaya  kabyle,  dont  j'ai  parlé 
longuement  ailleurs.  Ce  dernier  n*est  qu'un  passe-port  que 
tous  et  chacun  peuvent  donner,  si  cela  leur  plait,  à  un 
étranger. 

Pour  un  motif  ou  pour  un  autre,  un  Arabe  a  encouru  la  co- 
lère de  son  chef,  il  a  quitté  sa  tribu,  il  n'y  retournera  que 
s'il  a  obtenu  par  écrit  Tamane.  Voilà  le  sauf-conduit  qui 
protège  désormais  sa  vie. 

Maintenant,  une  tribu  ou  une  fraction  de  tribu  s'est  ré- 
voltée ;  elle  a  comujis  des  méfaits,  et,  pour  se  soustraire 
à  une  répression  sévère,  elle  a  abandonné  son  pays.  Au  bout 
d'un  certain  temps,  lasse  de  sa  fuite,  elle  veut  revenir;  d'un 
autre  côté,  pour  des  raisons  politiques,  on  est  disposé  au 
pardon.  Comment  va-t-on  faire  pour  s'entendre  ?  La  tribu 
demande  l'amane,  s'engage  à  une  soumission  complète  :  on 
le  lui  envoie,  et  le  passé  est  oublié.  Voilà  l'amnistie. 

Il  est  extrêmement  rare  que  le  pouvoir  trahisse  l'amane 
accordé  :  le  faire,  c'est  renoncer  pour  toujours  à  toute  in- 
fluence, à  tout  crédit. 

Le  mot  aniane  est  le  substantif  du  verbe  amenny  croire, 
se  fier,  avoir  confiance. 


470  LA  VIE  ARABE 


VI 


LES  KHOUANE,  LES  FRÈRES  —  LES  MOUL-SAA  — 

LES  DERKAOUA  ' 

Par  la  longue  nomenclature  des  phrases  et  forodules  con- 
tonues  dans  ce  livre,  j*ai  déjà  assez  indiqué  la  force  du  sen- 
timent religieux  qui  porte  les  Arabes  à  fonder  partout  sur  le 
Koran  leur  organisation  civile,  politique  et  administrative.  La 
terre,,  je  le  répète,  est  divisée  pour  eux  en  deux  parts  :  les 
musulmans  et  l'ennemi. 

C'est  aussi  la  formule  romaine  :  adversus  hostem  ottema 
auctoritas  esto.  Tout  ce  que  les  Romains  purent  prendre  sur 
eux  de  faire  dans  les  commencements  de  leur  puisance  à 
l'égard  de  ce  qui  n'était  pas  eux,  fut  de  le  considérer  comme 
un  ennemi  cessant  momentanément  de  l'être  :  hostis^  hospeSy 
hôte. 

Une  personnalité  aussi  vivace  qui  a  résisté  aux  guerres  in- 
testines, aux  mélanges  des  populations,  aux  différences  de 
climat,  maintient  réunis  sous  une  idée  commune  tous  les 
membres  épars  de  cette  grande  famille  de  l'islam.  Un  musul- 
man, quel  qu'il  soit.  Turc,  Arabe,  Persan,  Indien,  Tartare, 
etc.,  etc.,  est  toujours  le  même  partout.  L'obligation  absolue 
du  pèlerinage  de  la  Mecque  est  la  chatne  qui  relie  tout  ce 
monde-là.  Je  Tai  montré  au  commencement  de  cet  ouvrage. 

Mais,  en  dehors  de  Torganisation  puissante  dont  je  viens 
de  parier,  il  existe  en  outre  dans  l'Algérie  des  associations 
particulières  qu'il  est  utile  de  bien  connaître  et  surtout  de 
bien  surveiller.  Ce  sont  les  klumane,  les  frères  ;  ces  volon- 
taires de  la  foi,  qui  constituent  des  ordres  religieux  indé- 


LES    KHOUANE  471 

pendants  les  uns  des  autres.  Chacune  de  ces  congrégations  a 
ses  statuts  et  ses  prières  propres,  qui  consistent  soit  dans  une 
formule  —  deker  —  dictée  par  le  chef  auquel  elles  se  sont 
données,  soit  dans  une  manière  spéciale  de  réciter  le  chapelet. 
Entrer  dans  Tune  ou  dans  Tautre  s'appelle  prendre  la  rose  de 
tel  ou  tel  saint,  faire  partie  de  la  confrérie  de  tel  rosaire. 

Voici  les  principales,  désignées  par  le  nom  de  leurs  fonda- 
teurs : 

Sidi  Aabd-el^Kader  el  Djilaliy  dont  le  tombeau  est  à 
Bagdad. 

Sidi  Aupd-er-Rlihamane  bou  Keberiney  le  père  des  deux 
tombeaux.  L'un  se  trouve  dans  le  Djerdjera,  et  l'autre  aux 
environs  d'Alger. 

Sidi  Hamed-el'Tedjini^  mort  dans  le  Maroc  ;  ses  descen- 
dants habitent  encore  Aàin-Mahdi. 

Sidi  Moulay  Thayeb,  chérif^  descendant  du  Prophète,  dont 
l'ordre  jouit  d'une  très-grande  influence^  principalement  dans 
le  Maroc. 

Sidi  Mohhamed  ben  Adissa^  père  de  la  secte  des  adissaoua^ 
qui  joignent  à  l'exaltation  religieuse  commune  aux  autres  con- 
fréries la  spécialité  de  faiseurs  de  tours  et  de  charmeurs  de 
serpents,  moyens  de  persuasion  infaillibles  sur  les  popula- 
tions arabes.  Des  différents  ordres  de  khouane^  c'est  peut- 
être  le  plus  dangereux,  parce  qu'il  échappe  généralement  à 
la  défiance,  voyage  partout  avec  un  bon  prétexte,  toujours 
bien  accueilli.  On  se  rappelle  involontairement,  en  les 
voyant,  ces  psylles,  qui  de  Numidie,  venaient  amuser  Romç 
de  leurs  jongleries  célèbres. 

On  doit  bien  s'attendre  à  ce  que  la  haine  du  chrétien,  de 
l'étranger,  possesseur  du  pays,  soit  une  des  plus  étroites 
obligations  des  khouane.  C'est  en  effet  de  chez  eux  que  sont 
lancés  contre  notre  domination  ces  moul  saa,  ces  mattres  de 


472  LA    TIE    ARABE 

rheure  et  ces  cherfa,  chérifs  vrais  ou  faux»  en  qui  les  tribus 
frémissantes  sont  toujours  prêtes  à  saluer  le  libérateur.  Aussi, 
sans  cesse  en  marche  pour  parcourir  le  pays,  souffler  la 
guerre,  diminuer  les  défaites  par  des  prophéties  après  coup, 
et  ramasser  pour  l'instant  favorable  toutes  les  forces  musal- 
manes  contre  l'infidèle,  tel  est  le  rôle  de  ces  ordres  redou- 
tables et  insaisissables  à  la  fois,  qui  étendent  du  Maroc  à  la 
Mecque  leur  action  persévérante  et  cachée. 

Je  n'ai  qu'un  mot  à  dire  d'une  autre  secte,  les  derkaouaj 
qui  est  véritablement  une  société  secrète,  politique  et  reli- 
gieuse tout  à  la  fois.  Leur  nom  signifie  c  les  ragiécés  n,  à 
cause  de  leurs  vêtements  qu'ils  affectent  de  porter  en  loques, 
et  c  les  cachés  »,  à  cause  du  mystère  dont  ils  enveloppent  leurs 
statuts.  Également  ennemis  des  Turcs,  d*Âab-el-Kader  et  des 
Français,  ils  ne  connaissent  que  leurs  chefs;  aussi  la  qualifi- 
cation de  révoltés  s'attache-t-elle  en  outre  à  leur  ordre  dans 
toute  l'Afrique.  La  guerre  contre  tout  pouvoir  établi,  le  re- 
tour à  la  pureté  primitive  de  Ja  religion,  qu'ils  prétendent 
altérée,  voilà  leur  objet  et  leur  but  (1). 

(1)  Consulter,  pour  les  ordres  religieux  de  l'Algérie,  le  très-Dtiie  oa- 
Trago  de  M.  le  capitaine  d'état-major  de  Neveu,  aujourd'hui  général  do 
brigade.  Il  a  pour  titre  :  les  Khouan. 


CHAPITRE    TREIZIÈME 


PROVERBES      ET      SENTENCES 


Les  proverbes  sont  nombreux  sous  la  tente.  —  Le  hbenna, 
c'est  la  terre  du  paradis.  —  La  femme  est  reine  dans  sa 
maison.  —  Où  est  passé  votre  argent,  ô  les  chrétiens?  -7-  La 
terre  musulmane  verse  des  pleurs  de  désespoir.  —  Le  monde 
est  avec  celui  qui  est  debout.  —  C'est  celui  qui  a  mal  aux 
dents  qui  doit  courir  après  le  dentiste.  —  L'aigle  lui-même 
ne  peut  pas  voler  sans  plumes.  —  Le  taureau  ne  se  fatigue 
pas  de  porter  ses  cornes.  —  Quand  le  cri  de  l'oiseau  de  race 
(faucon)  se  fait  entendre,  tous  les  coqs  se  taisent. 


Au  point  où  nous  en  sommes,  il  est,  je  crois,  temps  de 
dire  un  mot  sur  les  sentences  et  proverbes  principaux  qui 
ont  cours  eu  Algérie.  Celui  qui  saura  les  appliquer  à  propos 
dans  la  conversation  passera  aux  yeux  des  indigènes,  non- 
seulement  pour  un  homme  de  savoir-vivre,  mais,  ce  qui  lui 
sera  plus  utile  encore,  pour  un  hornme  habitué  aux  usages  et 
à  la  langue  du  pays.  Il  obtiendra,  par  ce  moyen,  une  facilité 
de  relations  et  une  considération  plus  grande. 

Les  proverbes  sont  nombreux  sous  la  tente.  Là,  comme 
chez  nous,  ils  sont  la  sagesse  des  nations.  Je  vais  en  citer 


474  LA    VIE    ARABE 

quelques-uns  ;  en  même  temps  qu'ils  seront  un  exeinpic,  ils 
serviront  peut-être  mieux  que  toutes  les  descriptions  à  mon- 
trer le  caractère  du  peuple  arabe.  Je  les  ai  recueillis  moi- 
même  dans  les  tribus  : 

L'oiseau  de  la  nuit  (la  cbauve-souris)  dit  aux  rats  :  t  Je 
suis  votre  frère.  » 
Il  dit  aux  oiseaux  :  <  Je  suis  des  vôtres.  » 
Viennent  les  rats,  il  leur  montre  ses  dents  ; 
Viennent  les  oiseaux,  il  leur  montre  ses  ailes. 
Tair  ellill  igoul  el  firane  :  ana  khou-koum. 
Ou  igoul  le  tïaur  :  ana  men  koum, 
Idjiou  le  firane,  touri-houm  sennine. 
Idjiou  el-ttaur^  wuri'houmdjennhhaine, 

La  guerre  avec  les  infidèles, 
Quand  bien  même  avec  des  pertes. 
El  djahad  fel  kafara, 
Otia  loukane  bel  khessara. 

Ce  proverbe,  très-répandu,  et  malheureusement  trop 
suivi,  nous  donne  encore  la  mesure  de  Tamitié  que  nous 
portent  les  Arabes. 

Une  pierre  de  la  main  d'un  ami,  c'est  une  orange. 
Hhadjera  menu  idd  Ihhabib  tchina. 

Le  chameau  ne  voit  pas  sa  bosse, 
Mais  il  voit  très-bien  celle  de  son  frère. 
El  djemel  ma  ichouf  hhedebtou, 
Ou  ichouf  lihedebete  khouh. 


PROVERBES  ET  SENTENCES         475 

Celui  qui  met  la  iéte  dans  le  son 
Sera  picoté  pai*  les  poules. 
Li  idir  rassou  fel  nekliala^ 
Iberbechouh  le  djadje. 

Ceci  s'applique  aux  gens  qui,  ne  tenant  pas  leur  rang  et 
fréquentant  des  gens  mal  élevés,  s'étonnent  ensuite  de  leur 
grossière  familiarité. 

Vante  le  brave  quand  bien  même  il  est  ton  ennemi. 
Cheker  el  aarrouMy  otia  loukane  ikouîi  aadouk. 

La  forêt  n'est  jamais  br&lée  que  par  son  propre  bois. 
El  ghaba  ma  hhareg-ha  ;  ghér  ooud  menn-ha. 

L'oiseau  de  race  vante  toujours  son  gtte. 
Tair  el  hhorr  icheker  be  mebatou. 

Quand  tu  vols  un  cbacal  suer^  dis  :  «  Le  lévrier  est  à  ses 
trousses.  » 
Kifïaareg,  ed-dib,  goul:  selougi  menn  ourah. 

Celui  qui  compte  sur  son  voisin  se  couche  sans  souper. 
Li  itekel  aala  djarou  ibat  bêla  aacha. 

Celui  qui  a  du  blé  trouve  Remprunter  de  la  farine. 
Li  aandou  elguemhheUy  isselef  ed-deguig . 

Celui  qui  ne  se  rassasie  jamais,  mourra  un  jour  avec  la 
faim. 
Li  ma-icheboachy  makane  la  imoute  djiyaane. 

On  se  sert  de  ce  proverbe  pour  blâmer  l'ambitieux  que 
rien  ne  peut  satisfaire. 


476  LA    VIE    ARABE 

La  beauté  de  Thomme  consiste  dans  son  esprit» 
Et  l'esprit  de  la  femme  consiste  dans  sa  beauté. 
Zine  er-radjel  fi  aaMou^ 
Ou  adkel  lemra  fi  hhessenn-ha. 

Le  hhenna^  c'est  la  terre  du  paradis. 
El  khenna^  trab  el  djenna. 

Le  hhenna-lawsonia  inermis^  disent  les  Arabes,  a  une 
couleur  et  une  odeur  agréables. 

Sept  jours  après  la  naissance  de  ses  petits-fils,  sid  el 
Hbassenn  et  sid  el  Hhaoussine,  le  Prophète  en  a  fait  orner 
leurs  mains.  Depuis,  cet  exemple  est  suivi  pour  tous  les 
enfants  qui  viennent  au  monde. 

Les  jeunes  mariés  se  conforment  aussi  à  cet  usage.  Il  porte 
bonheur. 

Avant  le  mariage,  les  femmes  se  teignent  les  cheveux  en 
rouge  avec  duhhenna,et,  dès  qu'elles  sont  mariées,  en  noir, 
toujours  avec  du  hhenna  mélangé  avec  de  la  noix  de  galle. 

On  teint  également  en  rouge  avec  du  hhenna  la  queue  et  la 
crinière  des  chevaux  d*élite  ;  quelquefois  même,  la  laine  des 
agneaux  que  l'on  garde  dans  les  familles  pour  la  récréation 
des  enfants. 

On  s'en  sert  encore  pour  durcir  la  peau  des  chevaux  qui 
se  blessent  facilement,  et,  dans  le  but  de  guérir  certaines 
maladies,  on  l'administre  à  l'intérieur. 

Et  enfin,  comme  Mahomet  avait  la  barbe  rouge,  souvent, 
dans  leur  désir  de  lui  ressembler  en  tout*  les  fanatiques,  les 
gens  de  religion,  se  teignent  la  barbe  en  rouge  avec  du 
hhenna. 

C'est  une  bonne  action,  lors  des  jours  de  fête,  que  de 
donner  du  hhenna  aux  familles  pauvres  qui  n'ont  pu  s*en 


PROVERBES  ET  SENTENCES         477 

procurer.  On  en  trouve,  du  reste,  aujourd'hui  dans  tous  les 
pays  musulmans. 

Les  Hébreux  le  connaissaient  sous  le  nom  de  hacopherj  et 
les  Grecs  sous  celui  de  cijpros. 

On  croit  que  le  hhenna  contient  beaucoup  de  matière  co- 
lorante, mais  les  Arabes  ne  s*en  servent  pas  pour  teindre 
leurs  étoffes. 


Consulte  toujours  ta  femme, 
Et  fais  ensuite  à  ta  tète. 
Chaour  martek 
Ou  dir  rayek. 

Dans  ce  proverbe,  les  Arabes  se  vantent;  cela  ne  se  passe  pas 
toujours  ainsi  ;  gardons-nous  donc  de  croire  que  Tinfluence  de 
la  femme  est  nulle  dans  la  famille^  quand  son  action  va  jusqu'à 
s*exercer  quelquefois  dans  la  tribu.  Tout  le  monde  sait  au- 
jourd'hui que  l'émir  Aabd-«1-Kader,  pendant  sa  captivité  en 
France,  n'a  cessé  de  témoigner  à  sa  mère,  lalla  Zohra,  des 
égards  tels,  qu'ils  auraient  honoré  même  un  enfant  de  notre 
civilisation.  Il  est  juste  de  dire  quelle  passait  pour  avoir 
grandement  contribué  à  son  élévation,  pour  Tavoir  aidé  dans 
la  prospérité  et  noblement  soutenu  dans  le  malheur,  aussi 
bien  par  son  énergie  que  par  la  sagesse  de  ses  conseils. 

La  femme  arabe  professe  un  grand  respect  pour  son  mari, 
elle  ne  l'appelle  que  sidi^  monseigneur,  c'est  vrai  ;  elle  lui 
baise  la  main  à  l'époque  de  certaines  fêtes  religieuses,  ou 
bien  quand  elle  le  reçoit  après  une  longue  absence,  c'est  en- 
core vrai  ;  mais  lui,  de  son  côté,  ne  prend  pas  une  décision 
importante  sans  son  assentiment.  J*ai  vu  souvent,  en  plein 
marché,  des  Arabes  remettre  à  huit  jours  une  affaire  par  ce 
motif  qu'ils  voulaient,  pour  la  terminer,  avoir  l'approbation 


478  LA    VIE    ARABE 

de  leurs  femmes.  Lie  principe  général  est  celui-ci  :  Poor 
tout  ce  qui  concerne  le  ménage,  les  enfants,  Tintérieurde  Ja 
famille,  la  femme  est  la  maîtresse  absolue  ;  pour  tout  ce  qui 
concerne,  si  j*ose  m'exprimer  ainsi,  les  relations  extérieures, 
politique,  pouvoir,  honneurs,  commerce,  etc.,  etc.,  c'est 
rhomme  qui  décide. 

Le  silence  or,  la  parole  argent. 

Sommt  deheby  ou  el  hadera,  fodda. 

Un  Arabe  a  dit  :  «  Lorsque  j'avance  une  parole,  j*en  de- 
viens Tesclave,  tandis  que,  si  je  la  retiens,  j'en  reste  le 
maître.  » 

Youness  —  Jonas,  —  étant  sorti  du  ventre  de  la  baleine, 
resta  muet  pendant  quelque  temps.  A  ceux  qui  lui  en  de- 
mandèrent la  raison,  il  répondit  :  «  Pourquoi  voulez-vous  que 
Je  recommence  à  parler  à  tort  et  à  travers,  quand  ce  sont 
mes  discours  insensés  qui  m'ont  conduit  à  habiter  le  corps 
d'un  poisson  !  » 

Dans  la  bouche  qui  est  fermée,  la  mouche  ne  peut  entrer. 
El  foum  el  meghlouk  matedekhollou  debbana. 

Celui  que  notre  mère  a  épousé, 
Nous  le  tenons  pour  notre  père. 
Li  khedat  imma-nay 
Itsemma  baba-na. 

Les  Arabes  emploient  assez  souvent  ce  dicton  avec  les 
Français,  surtout  quand  ils  ont  intérêt  à  les  tromper  en  leur 
faisant  croire  qu'ils  se  sont  soumis  à  notre  domination  sans 
aucune  espèce  d'arrière-pensée. 

Celui  qui  augmente  le  nombre  de  ses  amis  reste  sans 
ami. 

Li  kelier  el  hhababy  ibka  bêla  hhabib. 


PROVERBES  ET  SENTENCES         479 

Les  juifs  à  la  broche, 

Et  les  chrétiens  à  Thameçon. 

El  thoud  fi  se/foud^ 

Ou  en-nessara  fi  sennara. 

Ton  ami,  s'il  est  près, 

Vaut  mieux  que  ton  frère,  s'il  est  loin. 

Hhabibekelguerib, 

Khér  menn  khouk  el  baaïd. 

L'absent  n'est  plus  qu'un  «étranger. 
FI  ghaiby  gherib. 

Le  rire  sans  motif 
Provient  du  peu  d'éducation. 
Ed'dhhak  bla  aadjeb^ 
Menn  kolki  el  aadeb. 

C'est  quand  on  est  dans  l'embarras  que  Ton  peut  distin- 
guer l'ennemi  de  l'ami. 
Fed-dik  idhar  el  aadou  menn  es-sedik. 

Sois  bon  pour  ta  femme, 

Tu  prendras  la  femme  de  ton  voisin. 

Hhassenn  be  martek, 

Takhod  mari  djarek. 

La  religion  maintient  l'honime, 
Comme  le  mors  maintient  le  cheval. 
Ed-dine  ichedd  el  ennsann, 
Kifel  lazma  techedd  el  hhossann. 

Celui  qui  prête  à  usure, 
Un  chien  vaut  mieux  que  lui, 
Bel  marda  li  laati  drahamou, 
Kelb  khér  mennou. 


480  LA    VIE    ARABE 

Donne  des  ordres  au  paresseux,  il  te  donnera  des  con- 
seils. 
Keddi  el  aaijezane^  idebber  aalik. 

Celui  qui  épouse  sa  maîtresse, 

Devient  tahhane  dès  la  première  nuit  de  ses  noces. 

Li  izouedj  khelliliou, 

Tahhane  menti  lilltou. 

Le  mulet  seul  renie  son  origine. 
Ma  tnnker  asselou  ghér  le  beghoL 

Les  enfants  des  ânes  se  battent  à  coups  de  pied, 
Mais  les  enfants  des  princes  se  battent  à  coups  de  sabre. 
Oulad  el  hhamyr  be  rekla^ 
Oulad  el  moullouk  be  sekkine. 

Donne  à  celui  qui  est  présent, 

Couvre  celui  qui  dort, 

Et  oublie  celui  qui  est  absent. 

Li  hhader,  aatouhy 

Li  ragued  ghettouh, 

Ou  li  ghdib  ennssouh. 

Comme  en  pays  arabe  on  dort  presque  toujours  sous  la 
tente  ou  en  plein  air,  on  ne  manque  jamais  de  couvrir, 
même  pendant  le  jour,  celui  qui,  peu  vêtu,  a  été  surpris  par 
le  sommeil. 

C'est  là  une  précaution  hygiénique  reconnue  bonne  par 
tout  le  monde.  On  la  prend  pour  autrui,  certain  qu*à  Tocca- 
sion  il  vous  rendra  le  même  service. 

Le  chien  ne  se  souvient  que  du  lieu  où  il  a  été  battu, 
Ou  de  celui  oii  il  a  rassasié  son  ventre. 
El  kelb  ma  itfeker  ghér  faaxne  kela  tréhha, 
Oulla  faaxne  chebaa  kerchou. 


PROVERBES  ET  SENTENCES         481 

Tu  as  la  main  dans  la  peau  de  bouc;  si  tu  n'en  tires  pas  du 
beurre,  tu  en  tireras  toujours  du  lait  caillé.  (On  fait  le  beurre 
dans  des  outres  en  peau  de  bouc.) 

Iddek  fe  chekoua  :  ila  ma-tedjebed  zebda^  tedjebed  raîb. 

Ce  proverbe  peint  bien  la  vie  arabe.  Les  employés  du  gou- 
vernement n'étant  pas  payés,  quand  on  est  au  pouvoir,  on  se 
hâte  d'en  profiter  pour  faire  ou  pour  augmenter  sa  fortune. 
Exactions,  ruses,  tromperies,  concussions,  tous  les  moyens 
sont  bons  pour  en  arriver  là.  Ce  sont  les  administrés  qui 
sont  la  peau  de  bouc  dont  il  est  parlé.  Cependant,  il  est  juste 
d'ajouter  que  les  chefs  donnent  en  général  une  généreuse 
hospitalité  et  qu'ils  sont  astreints  à  une  représentation  qui 
entraîne  des  dépenses  considérables. 

Chaque  pays  se  croit  la  Syrie. 
Koul  berr  aand  halou  Cham. 

La  queue  du  lévrier  ne  se  redressera  pas,  quand  bien 
même  tu  la  mettrais  pendant  vingt  ans  dans  un  étui. 

Dennb  esselougui  ma  ilssegtœynm  oua  loukane  tedirau  fel 
kaleb  aacherine  setia. 

Les  chefs  arabes  m*ont  souvent  répondu  par  ce  dicton 
quand  je  les  engageais  à  jeter  les  leurs  dans  la  voie  de  notre 
civilisation. 

0  le  médecin  !  guéris-toi  toi-même,  avant  de  vouloir  gué- 
rir les  autres. 
Ya  tebib  !  daoui  nefssek  kebel  ma  tedaoui  en-nass. 

La  mort  avec  la  vengeance  vaut  mieux  que  la  vie  avec  le 
déshonneur. 
El  monte  fi  akhod  et-tary  khér  menn  el  aatcha  maa  laar. 

31 


482  LA    VIR    ARABR 

LVimi  sincère  ne  se  connaît  que  dans  le  moment   du 
«lanpfer. 
ES'Sedik  ma-inaaref  la  ônàki  ed-dlk. 

La  terre  est  une  charogne;  ceux  qui  la  reclierclient  sont 
des  chiens. 
Ed'denya  djifa^  ou  tollab-ha,  kelab. 

Un  ennemi  doué  de  raison 
Vaut  mieux  qu*un  ami  ignorant. 
El  aadon  el  aakel^ 
Khér  menn  es-sedik  el  djaheL 

Le  froid  apprend  à  voler  le  charhon. 
El  berd  yaalleni  serkel  el  fahham. 

Où  est  passé  votre  argent,   ô  les  chrétiens? 
Ils  ont  répondu:  «  Dans  Tentetement et  dans  les  pertes 
(dans  les  folles  dépenses).  » 
Ouine  mechaou  drahamAoum  ya  nessara  ? 
Galou:  fel  aanade  ou  le  khessara. 

En  effet,  les  Arabes,  depuis  le  dernier  cavalier  jusqu  au 
chef  le  plus  puissant,  tous,  malheureusement  pour  nous,  ont 
la  conviction  qu'un  peu  plus  tôt  ou  un  peu  plus  tard,  nous 
quitterons  leur  pays.  Notre  présence  chez  eux  est  une  cala- 
mité qui  leur  a  été  infligée  par  Dieu,  en  punition  de  leurs 
péchés.  Le  Tout-Puissant  satisfait,  il  pardonnera,  et  les  chré- 
tiens seront,  à  leur  tour,  vaincus  et  humiliés.  Quand  cela 
arrivera-l-il  ?  ils  l'ignorent.  Comment  cela  se  passera-l-il  ? 
ils  n'en  savent  absolument  rien  ;  mais  les  Français  auront 
un  jour  de  grands  embarras  européens,  ils  ne  pourront  con- 
tinuer ni  leurs  armements,  ni  leurs  dépenses  ;  un  mattre  de 


PROVERBES  ET  SENTENCES         483 

l'heure  viendra  —  moul  saa, —  se  produira,  et  la  délivrance 
aura  lieu  au  moment  où  Ton  y  pensera  le  moins. 

Un  chef  illustre  de  notre  armée  plaçant  un  matin  son 
camp  dans  les  environs  de  Goudiyel  —  province  d'Oran, — 
vit  un  berger  qui,  appuyé  sur  son  bâton,  paraissait  plongé 
dans  une  profonde  méditation^  et  qui,  au  lieu  de  s'éloigner, 
n'avait  pas  même  Tair  de  s'apercevoir  de  tous  les  mouve- 
ments de  troupes  qui  s'opéraient  autour  de  lui.  Étonné  de 
riudifférence  de  cet  homme,  il  s'en  approcha,  a  Que  fais- 
tu  là?  lui  dit-il  —  Ce  que  je  fai?-là,  lu  veux  le  savoir?  — 
Oui. — EU  bien,  je  regarde  la  ferre  musulmane  qui,  envahie 
par  les  chrétiens^  verse  des  larmes  de  désespoir.  »  La  rosée 
avait  été  abondante,  et  notre  fanatique  faisait  ainsi  allusion 
aux  gouttes  d'eau  qui  étaient  suspendues  h  chacun  des  brins 
d'herbe  que  nous  foulions  aux  pieds. 

Celui  qui  a  été  sauvé  par  ses  jambes 

L'est  aussi  bien  que  celui  qui  a  été  sauvé  par  son  bras. 

Li  mennaaou,  keraaoUf 

Ki  li  mennaaou  deraaou. 

Les  Arabes,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  tiennent  en  grande  es- 
time le  courage,  et  cependant,  chose  étonnante,  ils  n'acca- 
blent pas  de  leur  mépris  ceux  qui  en  sont  totalement  dé- 
pourvus. Ce  n*est  pas  leur  faute.  Dieu  l'a  voulu,  il  faut  les 
plaindre  au  lieu  de  les  blâmer.  L'homme  faible  de  cœur  peut 
même  arriver,  chez  eux,  à  une  certaine  influence  s  il  fait  un 
noble  usage  de  sa  fortune,  et  s'il  est  habile  dans  les  conseils. 

Après  Yaasser  (trois  heures  de  l'après-midi),  ne  dépasse  le 
pays  habité 
Que  l'enfant  d'une  ânesse.    . 
Menn  baad  el  aasser,  ma  ifouie  el  aamara. 
Ghér  ould  el  hhamara. 


484  LA    VIE    ARABE 

C'est  là  un  conseil  donné  par  Texpérience,  et  qae  les  Eu- 
ropéens devraient  bien  suivre  plus  souvent.  Il  n'arriverait 
pas  autant  d'accidents  dans  un  pays  si  vaste  et  si  désert,  ou, 
pendant  le  jour  même,  on  a  toutes  les  peines  du  monde  à  les 
éviter.  Quand  la  nuit  paratt,  comment  protéger  les  voyageurs 
contre  les  entreprises  des  bandits  ou  des  fanatiques,  s'ils  ne 
s'arrêtent  pas  à  temps  dans  une  tribu,  dans  un  douar,  à 
proximité  de  l'un  de  ces  nombreux  postes  de  surveillance 
établis  pour  leur  sécurité  ?  C'est  presque  impossible.  Aussi 
qu'arrive-t-il  ?  Des  crimes  et  des  vols  sont  commis ,  et 
l'on  en  rend  responsables  les  Arabes,  tandis  que  ce  sont 
les  entêtés  et  les  imprudents  qu'il  faudrait  punir. 

Ce  qu'ont  fait  nos  ancêtres,  ils  Tonl  fait, 
Et  ce  qu'ont  ajouté  les  poètes,  ils  l'on  ajouté . 
Li  darou  djeâctid-na  darou, 
Ou  li  zadou  le  medahh  zadou. 

Quand  le  coq  a  faim,  il  rv\e  qu*il  se  trouve  sur  le  marché 
aux  grains. 
Mefiine  ed-dik  idjooeuy  inoum  rohlwu  fel  rahhba. 

Ne  jette  pas  Teau  avant  d'avoir  trouvé  de  l'eau. 
Ma  lekiss  ma,  hatta  tessib  ma. 

Celui  qui  va  tout  droit 

Vaut  mieux  que  celui  qui  marche  en  zigzag. 

Li  îemchi  koubala  koukala, 

Khér  menn  li  Iemchi  chaterouane. 

Celui  qui  n'a  pas  de  couteau 

Est  bien  malheureux  au  milieu  des  artichauts  —  sau- 
vages. 
Li  maandou  ukkine, 
Bine  el  kherachef  meskine. 


PHOVËRBl^S    KT    SKMËNCËS  4S5 

Une  pièce  d'argent  dans  la  main 
Vaut  mieux  qu'une  pièce  d'or  perdue. 
Oukiya  fel  ke/f 
Khér  menn  soultani  fet-telf. 

Le  lévrier,  quand  il  va  à  la  chasse,  dit  : 

«  Si  mon  mattre  tue,  je  mangerai; 

Kt,  si  mon  maître  est  tué,  je  mangerai  encore.  » 

Selougui  menine  istad,  igoui  : 

lia  maulaya  ïktel,  nakoul^ 

Ou  ila  moulaya  imoute^  ndkouU 

Ce  proverbe  suffit  à  lui  seul  pour  peindre  le  caractère  des 
Arabes  :  mobile,  pillard,  fataliste  et  égoïste.  Vous  êtes  vain- 
queurs. Dieu  l'a  voulu,  je  suis  à  vous  ;  vous  êtes  vaincus, 
Dieu  vous  a  retiré  sa  protection,  gare  à  vous!  En  voulez-vous 
la  preuve  ?  La  voici  :  A  la  bataille  d*Is1y,  lorsque  le  camp 
du  fils  de  Tcmpereur  du  Maroc  fut  enlevé  par  Tillustre  ma- 
réchal Bugeaud,  tous  nos  officiers  de  cavalerie  ont  vu  de 
très-nombreux  Arabes  qui  marchaient  sous  la  bannière  enne- 
mie profiter  de  la  déroute  générale  qui  fut  la  suite  de  cette 
vigoureuse  action  de  guerre,  mettre  pied  à  terre,  piller  les 
tentes  et  les  bagages  de  leur  mattre,  et  crier  à  nos  spahis, 
qui,  à  trois  cents  pas  d*eux  tout  au  plus,  leur  envoyaient 
encore  quelques  balles  : 

—  0...  nos  frères,  pourquoi  brûler  encore  de  la  poudre? 
Tout  est  fini;  mangez  (pillez)  de  votre  côté  et  laissez  nous 
manger  du  nôtre . 

Et  il  fut  ainsi  fait. 

Si  tu  ne  peux  entrer  par  la  porte  de  Tamour, 
Entre  par  la  porte  de  Tor* 
lia  bah  el  œuchk  ineghlauk. 
Foute  aala  bab  deheb. 


9 


486  LA    VIE    ARADE 

Le  cheval  noble  dit  : 

«  Fais-moi  manger  comme  si  j'étais  ton  frère, 

Et  monte-moi  comme  si  j'étais  ton  ennemi,  ji 

El  aaoud  Ihhorr  igoul  : 

Oukkelni  ki  khouk. 

Ou  rekkebi-ni  ki  aadouk. 

Où  est  passé  votre  argent,  ô  les  juifs  ? 
Ils  ont  répondu  :  «  Dans  les  samedis  et  dans  les  fêtes. 
Ouine  mechaou  draham-koum ,  ya  lihoude^ 
Galou  :  Fi  seboute  ou  laayoïide. 

Et,  en  effet,  les  juifs,  dans  le  courant  de  Tannée,  célèbrent 
un  nombre  incroyable  de  fêles.  Parmi  les  principales,  je  ci- 
terai : 

1"  Le  premier  jour  de  Tan.  Rechana,  en  hébreu;  rass  el 
aam  en  arabe. 

2°  Le  jour  du  pardon.  Keppour^  en  hébreu  ;  nehar  semahh 
en  arabe. 

3®  La  fôte  des  cabanes.  Sekoute^  en  hébreu  ;  aàid  en  nouala 
en  arabe. 

Elle  a  été  instituée  pour  perpétuer  le  souvenir  des  mi- 
sères que  les  Israélites  ont  eu  à  supporter  dans  le  désert 
après  leur  fuite  de  rÊgypte.  Cette  fête  dure  huit  jours. 

4®  La  fête  dos  friandises.  PoMf/m,  en  hébreu  ;  aaïd  el  hlia- 
laouate  en  arabe. 

Elle  a  été  établie  en  Thonneur  d'Esther,  qui,  par  son  dé- 
vouement et  sa  merveilleuse  beauté,  sauva  les  Israélites  des 
fureurs  d'Assuérus,  à  qui  son  premier  ministre,  Amane,  avait 
arraché  un  ordre  général  d'extermination. 

5®  La  fête  des  galettes.  Pissahh,  en  hébreu  ;  aaid  le  fetira 
en  arabe. 


PUOVKUBES    ET    SENTENCES  487 

Elle  rappelle  le  repas  avec  des  galettes  sans  sel  et  sans  le- 
vain que,  par  ordre  de  Moïse,  les  Israélites  durent  faire  avant 
de  se  mettre  en  route  pour  quitter  Tlilgypte.  C*est  la  Pâque, 
elle  dure  huit  jours. 

6**  Et,  enfin,  la  fête  de  Toau  ou  des  semaines.  Chaboti 
oout^  en  hébreu  ;  aaïd  el  ma  en  arabe. 

On  la  célèbre,  suivant  les  Arabes,  en  souvenir  de  Teau 
pure  et  abondante  que  Moïse  fit  jaillir  d*un  rocher  pour 
apaiser  la  soif  ardente  de  son  peuple  ,  exténué  par  une 
marche  longue  et  pénible  dans  le  désert;  et,  suivant  les 
juifs,  à  cause  des  sept  semaines  qui  se  sont  écoulées  depuis 
la  Pâque,  dans  le  but  de  rappeler  fépoque  où  la  loi  fut  don- 
née par  Dieu  à  Moïse  sur  le  mont  Sinaï.  Je  crois  cette  der- 
nière version  la  plus  exacte. 

Maintenant,  si  à  ces  fêtes  et  à  quelques  autres  que  je  n'ai 
pas  citées  on  ajoute  tous  les  samedis  de  l'année  —  diman- 
ches des  juifs,— qui  sont,  je  crois,  au  nombre  de  cinquante- 
deux,  pendant  lesquels  personne,  mais  absolument  personne, 
ne  travaille,  on  verra  que,  chez  les  Israélites,  le  nombre  de 
jours  de  chômage  est  considérable.  Comment  expliquer  alors 
Taisance,  la  richesse,  le  luxe  même  que  ces  gens-là  montrent 
en  tous  lieux,  si  ce  n*est  par  la  conduite,  l'habileté  dans  les 
métiers,  le  besoin  qu'on  a  d'eux  dans  les  contrées  arriérées, 
et,  surtout,  par  une  intelligence  supérieure  du  commerce 
qui  appartient  réellement  à  cette  race  ? 

Quoi  qu'il  en  soit,  pendant  les  jours  de  fête,  on  est  vrai- 
ment étonné  de  la  somptuosité  déployée  dans  les  vêtements 
par  les  Israélites  des  deux  sexes.  Les  hommes  sont  propre- 
ment, convenablement  habillés,  et  les  femmes,  couvertes  de 
bijoux  souvent  d'un  grand  prix,  ne  portent,  en  général,  que 
des  robes  de  soie  —  lebedenn  —  garnies  de  broderies  en 
or  sur  la  poitrine  et  recouvrant  d'habitude  de  riches  vestes  à 


488  LA    VIE    ARABE 

manches,  lesquelles  ne  dépassent  pas  le  coude  —  keftane. 
—  Leur  tète  est  entourée  d'un  sarma^  espèce  de  bonnet  en 
or  ou  en  argent,  rappelant,  par  sa  forme  et  par  son  éléTation, 
celui  de  nos  Cauchoises  ;  leurs  épaules  sont  couTertes  par  nn 
chàle  à  couleurs  éclatantes  —  tekhelila,  —  et  leurs  pieds 
sont  enfermés  dansées  pantoufles  élégantes  —  bechemak,  — 
La  question  des  modes  étant  réservée,  je  serais  porté  à 
croire  que  nulle  population  au  monde  ne  remporte  de  ce 
côté  sur  le  bien-être  général  des  Israélites.  Il  est  vrai  que, 
dans  tout  l'Orient,  ils  le  payent  très-cher,  par  les  vexations 
sans  nombre  que  des  gens  cruels  quelquefois,  fanatiques 
toujours,  leur  font  supporter  ;  mais  ils  s'en  vengent  en  leur 
soutirant  le  plus  d'argent  qu'ils  peuvent. 

Celui  qui  a  trahi  le  premier,  trahira  le  second. 
Il  gheder  louel,  igheder  et-tani. 

L'avare,  vole-le,  et  ne  lui  demande  rien. 
El  bekhil^  khouene-lou  oua  la  tetlob-lou. 

C'est  un  homme  âgé,  il  se  souvient  du  creusement  de  la 
mer. 
Radjel  kebir^  ïaakel  aala  hhafir  el  bahliar. 

Le  maître  de  la  bonne  foi  l'emporte  toujours  sur  le  maître 
de  la  ruse. 
Moul  niya  igheleb  moul  Ihhéila. 

Le  miel,  les  moutons  et  la  poterie. 
N'en  font  commerce  que  les  fous. 
Dak,  sak  ou  le  bak, 
Ma  issebebou  fi-ha  ghér  Ihhomak. 


PROVERBES    ET    SEMENCES  489 

Celui  qui  n'a  pas  d*épaulcs  (de  protecteurs)  est  méprisé. 
Klil  le  ketaf^  inndel. 

Je  comprends  ce  proverbe  chez  les  Arabes.  En  effet,  dans 
un  pays  où,  avant  Tarrivée  des  Français,  la  force  brutale 
dominait  presque  toujours  la  justice  et  la  loi,  où  des  familles 
nombreuses  et  puissantes  étaient,  de  temps  immémorial,  en 
possession  du  pouvoir,  des  hommes  et  des  richesses,  on  con- 
çoit que  celui  qui  n'avait  ni  parents  ni  amis  pour  le  sou- 
tenir ou  le  défendre,  devait  être  bien  exploité  et  bien  mal- 
heureux. Il  ne  pouvait  s*en  tirer  qu'en  devenant  le  client 
d'un  grand  seigneur,  qui,  moyennant  certains  services  et 
certaines  redevances,  lui  accordait  sa  protection.  Du  temps 
de  la  féodalité,  cela  ne  se  passait  pas,  du  reste,  autrement 
chez  nous. 


La  parole  oui,  amène  les  tracas  ; 
La  parole  non,  éloigne  les  ennuis. 
Kelemete  oua^  tedjib  le  gliebina  ; 
Kelemete  la^  inatedjib  bêla. 


La  connaissance  des  hommes  :  trésor. 
La  parole  des  femmes  :  vent. 
Œurf  er-redjal^  kenouz, 
Kelab  en-nessay  réhh. 

Le  plus  noble  des  hommes 

Est  celui  qui  est  utile  à  tout  le  monde. 

AcherefennasSy 

Li  mfaa  gaa  lel  nass.. 


400  LA    vif:    AUARt; 

La  poitrine  des  hoinines  de  race 
Est  le  tombeau  du  secret. 
Sedour  el  hharrar, 
Kebour  le  serar. 


Passe  sur  la  rivière  qui  fait  du  bruit  ; 
Méfie- toi  de  celle  qui  est  silencieuse. 
Djoxa  aala  ouad  el  hharare, 
Ou  la  tedjouz  aala  ouad  sakouti. 

Ne  fait  deux  choses  à  la  fois  que  le  cbicn  : 
Il  aboie  et  il  agite  la  quene. 
Ma-idir  zoudj  messail  ghér  el  kelb  : 
Innbahh  ou  iriyech  be  kaaltou. 

Personne  ne  s*est  encore  <!»chappt5  de  son  lon)bcau. 
Ma-kane  menn  dja  harebane  menn  keberou. 

Travaille  pour  ton  honneur  jusqu'à  ce  qu'il  soit  réputé, 
Et,  quand  il  est  réputé,  dors  et  reste  tranquille. 
Khedem  aala  aardek  hhatta  ichéaa, 
Ou  ila  chaa^  ergoud  ou  khalli. 

0  l'acheteur  î  pense  au  jour  de  la  vente. 
Ya  chari  !  etfeker  ijoum  el  béaa. 

N'engraisse  pas  ton  chien,  il  te  nioi*dra  ; 
I^aissc-le  avec  la  faim,  il  te  suivra. 
Ma-tessemmennchi  kelbek,  yakoulek  ; 
Kliallih  bel  djooeu,  ilebbaak. 


PROVERUES  ET  SENTENCES         491 

Celui  qui  a  fini  son  temps, 
N*a  plus  qu'à  allonger  ses  jambes. 
Li  otifa  adjelou, 
Imedd  ridjelou. 

Celui  qui  est  décidé  à  mourir  ne  supplie  pas. 
Li  imoutey  ma  idemmem. 

Enquiers-toi  de  ton  voisin, 
Avant  de  Cenquérir  de  la  maison  ; 
Et  renseigne-toi  sur  ton  compagnon, 
Avant  de  demander  le  chemin. 
Choiif  le  djaVj 
Kebel  ed-dar  ; 
Ou  chouf,  er-refik 
Kebel  et-trik. 

Le  voisin  n'est  bon  qu'à  augmenter  les  ordures  et  à  faire 
des  cancans. 
El  djar  iketer  ez-zebel  ou  ikherodj  el  khobar. 

Le  renversement  des  selles, 
Le  labourage  des  marais, 
Et  l'amour  des  renégates. 
Gliarfate  esseroudj, 
Hhart  el  merot/dj, 
Ou  sahhabet  el  aaloudj. 

Celui  qui  patiente  vaut  mieux  ((ue  celui  qui  désire, 
Et  celui  qui  désire  vaut  mieux  que  celui  qui  désespère. 
Li  isstenna  kher  mcnn  H  itemenna, 
Ou  li  itemenna  khér  menu  li  gataa  lya$8> 


Oudjed  aaoudek  tel  mechi; 

Ou  menine  techouf  el  hhamora  fes-sebabh^ 

Dekhol  aacudek  lel  merahh. 

La  bonne  nouvelle,  que  Dieu  rapporte. 
Et  la  mauvaise,  que  Dieu  réloigne, 
Li  fiha  khér,  Allah  idjib-ha, 
Ou  li  mafi'ha  khér,  Allah  iboad-ha. 

Il  a  passé  une  nuit  dans  le  marais,  et,  le  lendemain  maiio 
il  était  le  cousin  des  grenouilles. 
Bat  lila  fel  merdjUy  sebahh  benn  aam  el  djerane^ 

La  montée  pour  aller  à  un  ami,  c'est  une  descente. 
El  aagueba  toual  Ihhabib  hhadoura. 

L'ennemi  ne  devient  jamais  ami, 
Et  le  son  ne  devient  jamais  farine. 
El  aadou  ma  irdjaa  sedig. 
Ou  en-nekhala  ma  terdjaa  deguig. 


r  .  t! 


PROVERBES  ET  SENTENCES         493 

Quand  le  chien  a  de  Targent,  on  lai  dit  :  c  Monseigneur  le 
chien  I  » 

El  Mb  menine  ikoun  aandou  drahame ,  igouloulou  : 
sidi  kelboune. 

Celui  qui  dit  :  «  Le  lion  n'est  qu  un  âne  !  » 
Eh  bien,  qu*ii  aille  lui  mettre  un  licou. 
Li  igoul  :  es-sebaa  hhemary 
Irohheu  iressennou. 

Ce  proverbe  est  souvent  appliqué  par  les  Arabes  à  ceux 
d'entre  eux  qui,  par  haine  contre  nous,  se  plaisent  à  nier 
jusqu'à  la  bravoure  de  nos  soldats,  dont,  au  fond,  ils  sont 
par  expérience  très-convaincus. 

Le  maniement  des  chevaux, 

Le  lâchement  des  lévriers. 

Et  le  cliquetis  des  boucles  d'oreilles. 

Vous  dtent  les  vers  d'une  tête  (dissipent  les  chagrins). 

Rekoub  le  feras8, 

Teloug  le  merass^ 

Ou  tékerkib  le  kherasSj 

Iguelaa  edrdoude  menn  er-rass. 

C'est  un  homme  habile  :  il  prend  des  gazelles  monté-sur 
un  àne. 

Radjel  kambass  :  ihhakem  le  ghezal  aala  dahar  el  hhe- 
mar. 

Les  Arabes,  qui  sont  d'une  mobilité  extrême  et  qui  cepen- 
dant ont  été  très-souvent  atteints  dans  leurs  intérêts  maté- 
riels par  nos  lourdes  colonnes  dont  ils  se  moquaient  avec 
bonheur,  emploient  maintenant  ce  dicton  quand  ils  parient 
des  Français  : 


494  LA    VIE    ARABE 

Le  inonde  est  avec  celui  qui  est  debout. 
Ed'denya  maa  lotiakef. 

La  peur  apprend  à  courir  vite. 
El  khoufîaallem  es-sebok. 

Le  raisin  sec  n*est  bon  à  manger  que  lorsqu'il  est  ridé. 
Ez'Zebib  ma  itkel  ghér  mekenimech. 

On  se  sert,  en  général,  de  ce  dicton  pour  excuser  un  ami 
que  Ton  entend  blâmer  d*avoir  épousé  une  femme  belle  en- 
core, mais  déjà  vieille. 

La  femme  fuit  la  barbe  blancbe, 
Comme  la  brebis  fuit  le  chacal. 
El  mra  therob  menn  echib, 
Kif  en-naadja  nienn  ed-dib. 

On  raconte  qu*un  homme  âgé  et  à  barbe  blanche  ren- 
contra, un  jour,  en  voyage,  une  femme  dont  la  tournure  el 
la  démarche,  bien  qu'elle  fAt  entièrement  voilée,  excitèrent 
au  plus  haut  point  son  attention.  «  Qui  que  tu  sois,  lui  dit-il, 
si  tu  n*es  pas  mariée,  je  t'épouse  en  te  donnant  la  dot  que 
tu  voudras,  et,  si  tu  es  mariée,  que  Dieu  bénisse  ta  famille  et 
ton  mari  à  cause  de  toi.  — Je  ne  suis  pas  mariée,  lui  répondit- 
elle,  mais  mes  cheveux  sont  tout  blancs  et  je  pense  que 
cela  ne  vous  conviendra  pas. — Assurément,  répliqua  le  vieil 
Arabe  sans  balancer.  »  Et  il  la  quitta  d'un  pas  pressé.  Quand 
il  fut  un  peu  plus  loin,  la  femme  ainsi  abandonnée  le  rappela 
et  lui  cria  de  toute  la  force  de  ses  poumons:  <  Par  Dieu, 
monseigneur,  je  n'ai  pas  encore  vingt  ans,  et  mes  cheveux 
sont  noirs  comme  l'aile  du  corbeau;  mais  j'ai   voulu  vous 


PROVKRDES    ET    SENTENCES  49r» 

montrer  aussi  que  je  n'aimais  pas  non  plus  ce  que  vous 
n'aimiez  pas  vous-même. 

Dieu  pardonne  à  Tamant  et  à  la  mattresse  : 

Il  ne  pardonne  jamais  à  celui  qui  les  fait  se  rencontrer. 

Rebbi  ighefor  le-zani  ou  ez-zaniya  : 

Ou  ma  igheforch  el  moulakû 

Celui  qui  veut  manger  du  miel  doit  savoir  supporter  la  pi- 
qûre des  abeilles. 
Li  ihheb  el  aassel  issberr  aala  lessaa  en-imhhaL 

Celui  qui  dit  ce  qui  ne  plait  pas, 
S'expose  à  entendre  ce  qu'il  ne  désire  pas. 
Li  igoul  ma  innbaghi, 
Issmaa  li  ma  ichthi, 

m 

Une  tête  sans  finesse, 

Une  citrouille  vaut  mieux  qu'elle. 

Rass  bêla  hhêila^ 

Kabouva  khér  menn-hd. 

—        «. 

Les  chrétiens  sont  les  ennemis  de  Dieu  ; 

On  ne  peut  les  vaincre  qu'en  leur  jurant  par  Dieu. 

En-nessara  aadiyane  Allah, 

Ou  itkhodou  ghér  be  aahad  Allah  ! 

Ainsi,  on  ne  peut  vaincre  les  chrétiens  que  par  des  ser- 
ments faits  au  nom  de  Dieu.  Ce  proverbe,  ce  n'est  pas  moi 
qui  l'ai  inventé,  il  a  cours  dans  tout  le  pays  arabe.  A  bon 
entendeur,  salut. 


490  LA    ViB    ARABE 

Si  tu  yeux  te  venger  d'un  homme ,  envoie-lai  une  jolie 
femme, 

Et,  si  tu  veux  te  venger  d'une  femme,  envoie-lui  un  beau 
jeune  homme. 

Ida  tehheb  tenntkom  menn  radjel,  siyeb  aalih  mra  zina. 

Ida  tehheb  tenntkom  menn  mra,  siyeb  chebab  aali-ha. 

La  nuit  des  accidents,  aucun  chien  de  garde  n'aboie. 
Lillt  le  keda  7na  innbahh  firha  kelb. 

Mets  tes  chagrins  dans  un  filet, 
Il  en  tombera  et  il  en  restera. 
Dir  el  hemm  fe  chebka, 
Chi  itéhh  ou  chi  ibka. 

Couche-toi  avec  du  chagrin  plutôt  qu'avec  du  repentir. 
Bâte  fel  ghid  ou  la  tebate  fe  nedama. 

Je  te  donnerai  le  pouvoir  quand  germera  le  sel, 
Et  fleurira  le  charbon. 
Naatik  el  hherma  menine  innbett  el  melhh, 
Ou  inououer  el  fahham. 

Le  rat  qui  se  presse  fait  le  bonheur  de  la  chatte. 
El  far  mekallok  menn  saad  el  gotta. 

L'année  de  la  glace. 
Laboure  et  laboure  encore. 
Aam  el  djelid, 
Hharett  ou  %id. 

Le  mensonge  n'ajoute  rien  au  courage. 
El  kedeb  ma  kidche  fer^rekoubiya. 


PROVERBES  ET  SENTENCES        497 

Il  n'y  a  que  la  terre  —  tombe  — qui  puisse  raraasier  l'œil 
—  de  Tanibitieux. 
La  ichebbaa  el  aairiy  ghér  et-troh 

Cavalier  celui  qui  monte  aujourd'hui. 
Faress  menn  erkeb  elyoum. 

Le  mort,  que  Dieu  lui  soit  miséricordieux. 
Et  le  vivant,  que  Dieu  le  sauve. 
Li  mate  Allah  irtihamoUy 
Ou  li  aach  Allah  mellemou. 

Fais-moi  vivre  aujourd'hui,  tu  me  tueras  demain. 
Hhayini  elyoum  ou  ktelni  gheda. 

Quand  la  porte  est  ouverte, 
11  peut  entrer  un  lion  ou  un  ogre. 
El  bab  el  mahhaloul. 
Idkhol  sebaa  ou  le  ghoul. 

C'est  celui  qui  a  mal  à  la  dent 

Qui  doit  courir  après  la  tenaille  —  le  dentiste. 

Li  dorrtou  dersstoUj 

Iffetech  aalel  koullab. 

Ne  vante  le  marché 
Que  celui  qui  y  gagne. 
Ma  icheker  es-souk, 
Menn  ghér  li  irbbahh  (ih. 

C'est  la  répoiise  que  font  les  Arabes  à  ceux  de  leurs  core 
ligionnaires qui,  devant  eux,  se  permettent  de  vanler  les 
chrétiens. 

3i 


493  LA    VIE    ARABE 

Que  lui  manquc-t-il  ?  C'est  un  ciseau  de  la  mosquée 
Il  boit  dans  un  bassin  et  il  couche  sur  les  tuiles. 
Oiiatchta  khessou  :  zaoudj  el  djamaa, 
khrob  fel  khassa^  ou  ibal  fel  karmoude. 

Le  lion  brise  et  les  chacals  mangent. 
Es'Sebaa  ïherress  ou  diyab  takouL 

Le  cavalier  qui  n*a  pas  d'armes, 

C'est  comme  un  oiseau  qui  u*a  pas  d'ailes. 

El  faress  bêla  selahh^ 

Kifet'tair  bêla  djenahh. 

Ohl  Timpatient!  pourquoi  te  presscs-lu? 
Rien  ne  se  fait  que  par  Tordre  de  Dieu. 
Ya  le  mekallok  aalach  tetkalloky 
Koul'Chi,  be  amer  Allah. 

Quand  celui  qui  parle  est  insensé,  celui  qui  l'écoute  doit- 
être  sage. 

lia  kane  el  metkellem  mahboul,  ikoun  el  messennoU 
aakel. 

Achète  un  cheval  rapide,  si  tu  poursuis,  tu  atteins. 
Et,  si  tu  es  poursuivi,  tu  te  sauves. 
Echeri  aaoud  sabok,  ila  tetred^  telhhag  ; 
Ou  ila  tekoun  metroud,  temnaa. 

Pour  un  secret,  ne  soyez  que  deux. 

Un  troisième  ne  serait  qu'un  bavard  —  indiscret. 

Es  serr  bine  tenine  ; 

Ou  el-talete  ghér  fedovti. 


PROVERBES  ET  SENTENCES         499 

Dans  ce  monde,  il  y  a  trois  choses  auxquelles  il  ne  faut 
jamais  se  fier  : 

La  fortune,  les  femmes  et  les  chevaux. 
Telt  messail  ma  itoumanouch  fed-denya  : 
Ez-zemaney  en-nessa  ou  le  khéiL 

Maintenant,  me  dira-t-on,  voilà  des  proverbes  et  des  sen- 
tences qui  peuvent,  nous  en  convenons,  donner  une  idée 
des  mœurs  et  de  la  tournure  d'esprit  des  Arabes  ;  mais, 
dans  la  pratique,  comment  les  approprier  aux  besoins  si  va- 
riés des  circonstances  et  de  la  conversation  î  Je  vais  essayer 
de  le  faire  pour  quelques-uns,  ils  serviront  d*exemple  pour 
les  autres. 

Balance-t-on  devant  vous  à  tenter  une  entreprise  juste, 
honnête,  mais  cependant  pleine  de  périls,  dites  : 

Mets  ta  confiance  en  Dieu  et  ne  crains  plus  rien. 
Amenn  be  Rebbi,  ou  la  telhaf. 

Vous  trouvez-vous  en  face  de  gens  faibles,  indécis,  se  dé- 
courageant pour  la  moindre  contrariété,  pour  le  plus  petit 
obstacle,  remontez-leur  le  moral  par  les  maximes  suivantes 
prononcées  d'un  ton  doctoral  : 

La  patience  est  la  clef  de  la  réussite. 

ES'Seber  meftahh  le  feredj. 

Ou  bien  : 

Le  toujours  (la  persévérance)  use  même  le  marbre. 
Ed'douam  ilkob  er-rekham. 

Entendez-vous  un  homme,  trahi  par  la  fortune,  faire  bon 
marché  de  sa  dignité,  gémir,  se  plaindre  ou  se  mettre  en 
fureur  au  lieu  de  se  résigner,  dites-lui  : 


500  LA    VIE    ARABE 

L'oiseau  de  race  (le  faucon),  quand  il  est  pris,  ne  se  débat 
plus,  —  se  soumet  à  son  sort. 
Tair  IMwrr^  ila  hhassely  mailkhebotche. 


Vient-on  à  citer  un  homme  qui  réussit  dans  toutes  ses 
entreprises,  et  qui,  cependant,  ne  parait  mériter  les  faveurs 
de  la  fortune,  ni  par  ses  talents,  ni  par  son  intelligence,  ap- 
pliquez-lui cette  sentence  : 

Une  once  de  bonheur  vaut  souvent  mieux  qu'un  quinlal 
d'intelligence. 
Oukiya  saad  khér  menn  konntar  aatel. 

A  celui  qui  se  vante  d'avoir  fait  de  belles  actions  et  qui 
n*en  attribue  pas  la  moindre  part  à  ses  compagnons,  ré- 
pondez : 

L'aigle  lui-même  ne  peut  pas  voler  sans  plumes. 
El  oogab  ma-ttairchi  bêla  rich. 

Trouvez-vous  sur  votre  route  un  homme  vaniteux,  ridi- 
cule, qni  s'ingénie  pour  faire  croire  à  tous  qu'il  est  d'une 
noble  origine,  bien  que  réellement  il  soit  d'une  basse  extrac- 
tion, donnez-lui  un  salutaire  avertissement  en  glissant  adroi- 
tement ce  qui  suit  dans  la  conversation  : 

On  a  demandé  :  «  Quel  est  ton  père,  ô  monsieur  le  mulet  ?  » 
Il  a  répondu  :  «  Le  cheval  est  mon  oncle,  p 
Galon  :  achekoun  habak  ya  sid  le  beghol? 
Djaoub  :  khali  laaoud. 

Vous  convient-il  de  donner  un  bon  conseil  à  celui  qui. 


PROVEaCES    KT    SEMExNGES  501 

malgré  son  vif  désir,  n'ose  cependant  point  entrer  en  lutte 
avec  un  homme  puissant  et  dangereux,  dites-lui  : 


Serre  les  dents, 

El  tu  feras  desserrer  les  dents  de  ton  ennemi. 

Ziyer  senanek, 

Irtekhefou  senane  sahhabek. 

S*agit-ii  d'un  jeune  homme  arrivé  trop  vite  au  pouvoir, 
qui  s'y  essaye  avec  ardeur,  mais  dont  les  actes  inexpéri- 
mentés sont  un  sujet  continuel  de  plaintes  pour  les  adminis- 
tres, dites  avec  les  Arabes  : 

Les  barbiers  apprennent  à  raser 
Sur  la  tête  des  orphelins. 
Ytaalemou  el  hhaffafa 
Aala  rouss  el  itama. 

Pour  comprendre  la  force  et  la  vérité  de  celte  sentence,  il 
faut  savoir  que,  dans  les  tribus,  les  Arabes  se  font  d'ordinaire 
raser  avec  un  mauvais  petit  couteau,  —  mouss,  —  plus  ou 
moins  tranchant,  plus  ou  moins  bien  repassé,  et  qui,  je  l'ai 
vu  moi-même,  leur  arrache  souvent,  avec  des  grimaces  ner- 
veuses, des  larmes  involontaires.  Le  pauvre  orphelin  n'a 
aucun  purent  qui  puisse  exiger  pour  lui  que  le  couteau  coupe 
mieux. 

Vous  blâme-t-on  de  vous  montrer  trop  sensible  à  quelques 
mauvais  procédés,  à  quelques  propos  méchants  partis  de  bas, 
et  qui  ne  peuvent  par  cela  même  porter  aucune  atteinte  à 
votre  honneur,  ni  à  votre  considération,  d'un  air  impatienté, 
ne  craignez  pas  de  laisser  échapper  la  sentence  suivante  : 


502  LA    VIE    ARABR 

La  vérité  est  avec  toi  :  la  mouche  ne  tue  pas  ; 
Hais  cependant  elle  finit  par  faire  mal  au  cœur. 
El  hhak  maak  ed-debhana  ma  tektelch, 
Otia  lakenn  loudjaa  le  galb. 

Si  quelqu'un  se  plaint  vivement  de  votre  sévérité  à  son 
égard,  ainsi  que  de  la  franchise  avec  laquelle  vous  lui  repro- 
chez ses  torts  ou  ses  défauts,  rainenez-le  à  des  sentiments 
meilleurs  par  cette  maxime  pleine  de  sens  et  de  vérité  : 

Les  paroles  de  Fennemi  font  rire;  les  paroles  de  Tami  font 
pleurer. 
Kelam  el  aadou,  idahhak,  ou  kelam  Ihhabib  ibekki. 

Quand,  à  la  guerre,  malgré  les  bonnes  mesures  que  vous 
avez  prises,  l'un  de  vos  inférieurs  veut  discuter,  et  trouve 
toujours  pleines  de  périls  les  entreprises  dont  vous  le  char- 
gez, persistez  dans  rexé<;ution  de  vos  ordres,  et  terminez 
ainsi  la  conversation  : 

Au  surplus,  la  montée  est  aussi  difficile  pour  le  chacal 
que  pour  le  lévrier. 
Oua  baadoti,  el  aagueba  ed-dib  ou  selougui. 

Fait-on  remarquer  que,  si  vos  armes  sont  bonnes,  on  les 
trouve  cependant  trop  lourdes,  dites  tout  simplement  : 

Le  taureau  ne  se  fatigue  pas  de  porter  ses  cornes. 
El  aadjemi  ma  iaayach  be  guerounou. 

Et  vous  passerez  pour  un  homme  rompu  aux  fatigues  de 
la  guerre. 

Parle-t-on  eu  votre  présence  d'un  homme  qui,  doué  d'une 


PROVERBES  ET  SENTENCES        503 

rare  énergie,  a  su,  dans  un  moment  difficile,  maintenir  une 
foule  en  fureur  et  faire  accepter  sa  supériorité  par  tous,  di- 
tes :  Je  n'en  suis  pas  étonné  : 

Quand  le  cri  de  Toiseau  de  race  (le  faucon)  se  fait  enten- 
dre, tous  les  coqs  se  taisent. 
Ydu  enntok  et-thair  Ihhorr  mabka  dik  uldenn. 


CHAPITKE    QUATORZIEME 


LE      SAVOIR-VIVRE 


Soyons  humains,  polis  et  bienveillanls  pour  les  vaincus.  —  Le 
savoir-vivre  est  agréable  à  Dieu.  —  Ne  jouez  pas  avec  les 
chiens,  ils  se  diraient  vos  cousins.  —  L'Arabe  est  égoïste.— 
Les  gens  heureux  portent  bonheur.  —  N'oubliez  ni  le  bien  ni 
le  mal.  —  L'arabe  de  bonne  compagnie.  —  On  met  le  nom 
de  Dieu  partout.  —  Comment  on  se  gare  du  mauvais  œil.  — 
Le  rouge  et  le  jaune.  —  Usages  délicats.  —  Ne  sifflez  ni  ne 
chantez  auprès  des  tentes.  —  Comment  on  se  débarrasse  des 
importuns,  —  Les  cinq  questions  qu'il  ne  faut  jamais  poser. 
—  L'écriture  du  démon.  —  Orgueil  efl'réné  des  Arabes.  — 
On  peut  être  ignorant,  on  n'est  pas  mal  élevé. 


Dans  les  chapitres  précédents,  j'ai  essayé  de  faire  con- 
naître aux  personnes  qui  étudient  les  mœurs  des  peuples 
dans  un  intérêt  purement  spéculatif  quelles  sont  celles  des 
Arabes. 

J*ai  tenté  principalement  de  donner,  sur  ce  point,  des 
idées  vraies  aux  fonctionnaires  civils  et  militaires,  aux  ma- 
gistrats ,  aux  voyageurs,  aux  commerçants,  aux  colons,  à 
^ous  ceux  enfin  qui  peuvent  se  trouver  en  relation  avec  la 


506  LA    VIE    AHABE 

société  mulsumane  ;  j*ai  désiré  surtout  leur  indiquer  ce  qu'il 
convient  de  faire  et  ce  qu'il  convient  d'éviter  quand  ils  ne 
voudront  pas  froisser  ou  irriter,  sans  aucune  espèce  de  pro- 
fit, une  race  guerrière,  très-orgueilleuse  d'une  religion  oppo- 
sée à  la  notre,  impatiente  du  joug,  et  avec  laquelle  nos  re- 
lations sont  cependant  incessantes,  tant  pour  en  obtenir  une 
complète  soumission  que  pour  en  exiger  des  sacrifices  pé- 
nibles, sans  doute,  mais  indispensables  à  notre  installation 
sur  le  sol. 

Envisagée  à  ce  point  de  vue,  cette  question,  à  laquelle  je 
vais  encore  donner  quelques  développements,  me  parait  avoir 
un  caractère  de  haute  politique.  En  effet,  pourquoi  pousser 
à  Tanimosité,  à  la  rancune,  à  la  révolte  peut-être,  par  de  mi- 
sérables blessures  faites  à  Tamour-propre,  quand,  avec  les 
•vaincus,  nous  avons  déjà  tant  de  sujets  capitaux  sur  lesquels 
nous  sommes  forcément  en  désacord?  Restons  donc  à  leur 
égard  humains,  polis  et  bienveillants  dans  la  vie  habituelle; 
la  force,  quand  il  faudra  en  faire,  n'y  perdra  certes 
rien  (1) 

(1)  Au  milien  des  graves  soucis  qui  le  préoccupaient  alors,  Bona- 
parte ne  négligeait  aucune  occasion  de  montrer  aux  Arabes  le  plus 
profond  respect  pour  les  anciens  usages. 

Le  18  août,  se  trouvant  au  Caire»  il  présida  à  la  fêle  annuelle  da 
Nil,  l'une  des  plus  grandes  fêtes  nationales  de  l'Egypte,  et  il  en  aug- 
menta la  pompe  par  la  participation  de  l'armée. 

Deu\  jours  après,  le  20  août,  on  célébra  la  fête  de  la  naissance  de 
Mahomet  avec  plus  do  pompe  encore  que  la  fête  du  Nil.  Les  maisons 
des  principaux  français  furent  illuminées  comme  celles  des  musulmans. 
Bonaparte  et  son  cortège  allèrent  présenter  leurs  félicitations  au  chikii 
el  Bekri,  chef  de  la  famille  reconnue  la  première  parmi  les  desceii- 
danls  du  Prophète,  et  qui  avait  été,  le  matin,  élu  nakib  el  acheraf, 
ou  chef  des  chikh  du  Caire. 

Bonaparte  pour  lui  donner,  en  quelque  sorte,  l'investiture  de  celte 
haute  dignité,  voulut  de  ses  propres  mains  le  revêtir  d'une  pelisse 
d'honneur,  et  non-seulement  il  accepta,  avec  tous  les  officiers  qui  l'ac- 


LE    SAVOin-VlVRR  *  507 

En  184S,  le  maréchal  duc  d'isly,  gouverneur  général  de 
TAIgérie,  se  rendant  à  Mousta fa-Pacha,  suivi  d'un  nom- 
breux élal-major,  aperçut  en  avant  de  lui,  dans  la  rue  Bab- 
azoun,  un  zouave  qui  frappait  violemment  un  Arabe.  On  le  lui 
amena.  «  Pourquoi,  lui  dit-il,  battez-vous  cet  homme?  Que 
vous  a-t-ilfait?  —  Eh  !  uion  maréchal,  lui  répondit  le  zouave 
qui,  suivant  l'expression  militaire,se  trouvait  un  peu  dans  les 
vignes  du  Seigneur,  voilà  une  demi-heure  que  je  lui  parle, 
et  cet  animal-là  fait  semblant  de  ne  pas  me  comprendre. 
— Apprenez  Tarabe,  il  vous  comprendra. — Ah  !  pardon,  mon 
maréchal,  c'est  à  lui  d'apprendre  le  français  ;  je  suis  le  peuple 
vainqueur,  moi  !  » 

Le  peuple  vainqueur  fut  mis  en  prison  pour  quinze  jours, 
et,  le  lendemain,  il  parut  un  ordre  très-sévèi^e  dans  lequel  le 
maréchal,  faisant  comprendre  à  tous  l'injustice  et  les  dangers 
de  pareils  excès,  prescrivait  une  surveillance  incessante  pour 
qu'ils  ne  se  renouvelassent  plus. 

Ces  préliminaires  posés,  j'entre  en  matière  : 

Aux  yeux  des  Arabes,  le  savoir-vivre  est  chose  agréable 
à  Dieu  autant  qu'aux  hommes  ;  leur  Prophète  a  dit  : 

«  Ce  qui  constitue  la  foi,  c'est  de  donner  à  manger,  de 
parler  toujours  avec  bonté  et  de  rendre  strictement  le 
salut  à  quiconque  vous  l'a  adressé.  » 

Les  règles  de  la  politesse  et  de  l'étiquette  font  donc  partie 
de  la  religion.  Elles  sont  invariablemenî  fixées.  Le  code  des 

coropagDaient,  un  magniQque  repas  à  l'orienlale  que  ce  personnage  lui 
offrit,  mais  encore  il  poussa»  pour  sa  part,  la  condescendance  aux 
mœurs  locales  jusqu'à  manger  avec  ses  doiijls. 

Toutes  ces  concessions  aux  idées  religieuses  et  aux  coutumes  du 
peuple  vaincu,  Bonaparte  les  faisait  pour  gagner  sa  contiance  et  son 
affection,  etc  ,  etc. 

Les  Français  en  Egypte.  —  Souvenirs  de  M.  le  colonel  Chalbrand. 
—  1865. 


508  LA    VIE    ARABE 

relations  sociales  est  connu  de  tous,  du  dernier  paysan 
comme  du  plus  illustre  parmi  les  nobles  —  djouad  ;  —  il 
en  résulte  un  niveau  général  d'urbanité  que  personne  ne 
dépasse  guère,  mais  au-dessous  duquel  il  est  peu  de  gens 
qui  se  tiennent.  Tandis  que,  chez  nous,  il  y  a  des  gens 
bien  et  mal  élevés,  des  hommes  de  bon  et  de  mauvais  ton , 
les  Arabes,  sous  ce  rapport,  se  ressemblent  à  peu  près  tous  ; 
chacun  d*eux  tient  son  rang  ;  chacun  conserve  ce  respect 
de  soi-même  qui  est  recommandé  par  le  proverbe  suivant  : 

Ne  jouez  pas  avec  les  chiens,  ils  deviendraient  vos  cous- 
sins. 
Ma  telaabouch  maa  le  ielaby  issirou  benain  aam  ioum. 

Cette  dignité  de  manières  n*est  pas  seulement  extérieure  ; 
elle  provient  d'une  autre  source  encore  que  des  préceptes 
dont  ils  sont  imbus. 

Quand  vous  voyez  un  Arabe  de  la  [Aus  basse  classe,  de 
la  position  la  plus  infime,  se  présenter  avec  assurance  la  tête 
haute  et  le  regard  fixé  dans  les  yeux  de  celui  qu'il  aborde,  fût- 
il  sultan,  pacha,  kalifa,  soyez  convaincu  qu'il  n'y  a  pas  là  seu- 
lement de  la  vanité  personnelle;  il  y  a  surtout  cette  fierté 
légitime  de  l'homme  qui  croit  en  Dieu  et  qui  le  sait  au- 
dessus  de  nous,  à  égale  disUmce  du  puissant  et  du  faible,  ' 
regardant  du  même  œil  le  cèdre  et  l'hysope. 

Cette  pensée  n'est-elle  pas  corroborée  par  le  dicton  sui- 
vant que  vous  trouvez  à  chaque  instant  dans  la  bouche  des 
Arabes  ? 

0  mon  esclave,  pourquoi  crains-tu  mon  esclave  ? 
Sa  vie  et  la  tienne  ne  sont-elles  pas  dans  ma  main  ? 
Ya  aabdi  aalach  tekhaf  menn  aabdi  ? 
Aamrek  ou  aamrou  fi  iddi  ? 


LE    SAVOIR-VIVRE  509 

Dans  nos  ri^unions  les  plus  nombreuses,  un  Arabe  isolé 
n*est  jamais  intimidé,  jamais  Tembarrasne  lui  fait  commettre 
une  gaucherie,  jamais  sa  position  de  vaincu,  de  dépendant, 
ne  le  trouble  ou  ne  Thumilie.  Soumis  et  suppliant  même, 
s*il  le  faut, un  dédain  dissimulé  le  vengera,  et  il  se  croira  tou- 
jours supérieur  à  vous  de  toute  la  distance  qui  sépare  le  sec- 
tateur du  Prophète  de  ce  qu*il  appelle  Tadorateur  du  mor- 
ceau de  bois. 

En  dehors  de  cet  orgueil  du  croyant,  un  autre  sentiment 
éminemment  philosophique  et  religieux  l'anime  encore. 

Certes,  TArabe  ne  méconnaît  ni  la  splendeur  de  la  ri- 
chesse, ni  la  grandeur  de  la  puissance,  ni  les  agréments  du 
luxe  et  du  faste  ;  mais,  en  entrant  dans  nos  palais,  en  con- 
templant les  merveilles  étalées  à  ses  yeux,  en  paraissant  de- 
vant ces  hommes  qu'entourent  tous  les  prestiges,  il 
se  dit  avec  fierté  :  «  Dieu,  qui  dispose  de  tout  sur  la  terre, 
aussi  bien  que  dans  le  ciel,  pouvait  me  combler,  moi,  de 
toutes  ces  faveurs.  J'aurais  loué  Dieu  ;  je  dois  le  louer  en- 
core, car  ma  part  est  la  meilleure.  Ils  ont  leur  paradis  sur 
cette  terre,  qui  est  une  auberge  où  Thomme  entre  et  d'où 
l'homme  disparaît  en  quelques  heures;  moi,  le  paradis 
m'attend  après  ma  mort,  et  le  paradis,  c'est  l'éternité.  » 

Malheureusement  pour  les  Arabes,  à  cette  croyance  ferme, 
inébranlable,  toujours  présente  à  leur  esprit,  ne  se  joint  pas 
une  pensée  de  solidarité.  Ils  ont  la  foi,  mais  ils  n'ont  ni  la 
charité,  ni  l'oubli  des  injures. 

Ils  sont  partout,  en  haut  comme  en  bas,  profondément 
égoïstes,  et  cela,  malgré  leur  souverain  respect,  leur  vénéra- 
tion, j'ose  le  dire,  pour  la  vieillesse  et  pour  la  famille  ;  car 
on  sait  que  le  fils  ne  doit  ni  s'asseoir,  ni  fumer,  ni  prendre  la 
parole  devant  son  père,  pas  plus  que  le  frère  cadet  devant 
son  frère  atné. 


510  LA    VIE    ARABE 

Deux  causes  ont  produit  cet  égoisme  si  fatal  aux  mosui- 
nians.  La  première  est  la  conviction  qu'être  malheureux  sur 
la  terre,  c'est  être  déshérité  de  Dieu  ;  c'est  sinon  avoir  mé- 
rité son  infortune,  au  moins  être  hors  d'état  d'en  sortir  par 
soi-même  ou  par  ses  semblables.  Tous  les  efforts  pour  em- 
pêcher le  bras  do  malheur  de  s'appesantir  sur  quelqu'un 
sont  de  vaines  tentatives,  et  une  commisération  trop  vive 
ne  peut  être  qu'une  récrimination  ridicule  contre  la  volonté 
de  Dieu. 

J*ai  connu  un  chef  arabe  qui  regardait  comme  un  présage 
de  grand  malheur  la  rencontre  avec  un  estropié  de  naissance. 
«  Si  Dieu  l'avait  aimé,  disait-il,  cela  ne  lui  serait  point  arri- 
vé ;  j)  et  il  rentrait  chez  lui  pour  n'en  plus  sortir  de  la  journée. 

Ne  te  fais  pas  l'anû  d'un  borgne  et  ne  mange  jamais  de  ses 
provisions. 

S'il  y  avait  du  bien  en  lui,  Dieu  ne  lui  aurait  pas  fait  sauter 
l'œil. 

La  tesshhab  el  àaouer,  ou  la  takoul  menn  aapuinou. 

Loukan  fih  khér,  ma-tayner-lou  Bebbi  aainou. 

Voici  encore  un  fait  dont  je  puis  garantir  la  vérité  : 

Un  agha,  faisant  sa  visite  obligée  aubcy  de  sa  province,  n'ap- 
prit sa  destitution  qu'en  rencontrant  son  successeuridont  l'es- 
corte, fort  modestô  et  composée  uniquement  de  ses  serviteurs, 
se  grossit  immédiatement  de  tous  les  agents  civils  et  militaires 
qui  s'étaient  mis  en  route  avec  le  haut  fonctionnaire  en 
disgrâce.  Celui-ci,  sur  le  point  de  rester  seul,  ne  put  s'em- 
pêcher de  leur  reprocher  ce  mantiuc  de  courtoisie,  a  Que 
veux-tu,  lui  dirent-ils,  c'est  Dieu  qui  a  prononcé  :  lu  as 
fini  ton  temps.  Le  chien  va  toujours  \ï  où  il  est  sûr  de  trou- 
ver son  pain.  » 


LE    SAYOIR-VIVRE  511 

La  fréquentation  des  gens  heureux  porte  bonheur. 
Khellate  el  mesaaoudine  tessaud. 

L'anarchie  est  venue  en  aide  à  ce  fatalisme;  chacun  était 
en  danger,  chacun  dut  songer  à  soi. 

Cet  état  moral  peut  se  représenter  par  un  dicton  très- 
répandu  dans  toutes  les  contrées  où  nous  dominons  ;  ce  n'est 
certes  pas  moi  qui  l'ai  inventé. 

La  peste  est  arrivée  dans  le  pays  : 
0  mon  Dieu,  éloigne-la  de  ma  tribu  I 
El  hhahouha  iljat  fel  belad  : 
Ya  Rebbi^  baad-lia  menn  aarcld  ! 

La  peste  est  arrivée  dans  la  tribu  : 
0  mon  Dieu,  éloigne-la  de  mon  ôfouar  ! 
El  hhabouba  djat  fi  aarchek: 
Ya  Rebbi,  baad-ha  menn  douari  ! 

La  peste  est  arrivée  dans  ton  douar  : 
0  mon  Dieu,  éloigne-la  de  ma  tente  ! 
El  hhabouba  djat  fi  douar ek  : 
Ya  Rebbi,  baad-ha  menn  khé'imti  ! 

La  peste  est  arrivée  dans  ta  tente  : 
0  mon  Dieu,  éloigne-la  de  ma  tête  ! 
El  hhabouba  djat  fi  kheïmtek  : 
Ya  Rebbi  baad-ha  menn  Rassi  ! 

Voilà  une  confession  naïve  qui,  s'il  en  était  besoin,  serait 
parfaitement  complétée  par  les  maximes  suivantes  : 

0  toi  qui  t'occupes  des  misères  des  autres, 
Et  la  misère,  que  lui  feras  tu? 
Ya  lahi  be  hhemm  ennass, 
Ou  hhemmek,  ki  taamel  lou  ? 


51S  LA    VIE    ARABE 


f  Celui  qui  ne  peut  être  utile,  éloigne-le  : 

'  Dans  ce  monde  il  ne  sert  à  rien, 

Et  dans  Tautre  il  ne  sauve  pas. 
,  Li  ma-infaa^  édifie faq  ; 

I  Fi  hadi  ma-infaa, 

\  Ou  fi  lakhra  ma  khefaa. 


!  On  a  demandé  :  «  Sais-tu  quand  finira  le  monde  ?  » 

On  a  répondu:  «  Oui,  le  jour  où  je  mourrai.  » 
Galou  :   ouaktach  toufa  ed-denya  ? 

i  Djaoubou  :  nliar  li  inemoute  ana. 


Quant  à  Toubli  des  injures,  les  sentences  suivantes  qtos 
diront  aussi  ce  qu*il  faut  en  penser. 

Mon  bien  pour  ton  bien  : 

Celui  qui  commence  est  le  plus  généreux. 

Mon  mal  pour  ton  mal  : 

Celui  qui  commence  est  le  plus  injuste. 

Kliéri  be  khérek  : 

El  badi  akrem, 

Chorri  be  chorrek  : 

El  badi  adlem. 

Celui  qui  oublie  le  bien  et  le  mal 
N'est  pas  un  homme  de  race. 
Li  yennssa  el  khér  ou  echorr, 
Machi  hhorr. 

Ce  qui  précède  peut  être  nié,  ou  tout  au  moins  discuté  au 
nomde  la  religion  musulmane  ;  mais,  les  mœui*s  et  les  pré- 
jugés étant  plus  forts  que  les  lois,  c'est  ainsi  que  cela  se 
passe  dans  la  pratique. 

Voyons  maintenant  quels  sont  les  usages  auxquels  il  faut 


LE    SAVOIR-VIVRE  513 

se  conformer  chez  les  Arabes  sous  peine  de  passer  pour  un 
homme  mal  élevé. 

Un  homme  qui  a  ce  que  nous  appelons  de  la  tenue,  qui  est 
soigné  dans  sa  mise,  qui  tient  à  se  conformer  aux  préceptes 
de  la  bonne  compagnie,  et,  chez  les  Arabes,  la  bonne  com- 
pagnie est  celle  qui  s'honore  d'être  pieuse  jusque  dans  les 
plus  petits  détails,  coupe  ses  moustaches  à  la  hauteur  de  la 
lèvre  supérieure,  et  ne  laisse  (jue  les  coins  dans  toute  leur 
longueur  ;  il  évite  ainsi  de  salir  ses  vêtements  en  mangeant; 
il  fait  raser  ses  cheveux  une  fois  par  semaine,  pratique  soi- 
gneusement les  ablutions  voulues  par  la  loi,  fait  souvent  ra- 
fratchir  sa  barbe,  qui  est  taillée  en  pointe,  et  ne  néglige 
jamais  de  se  nettoyer  les  ongles.  Les  ronger  avec  les  dents 
serait  du  plus  mauvais  ton.  D'après  les  préjugés  arabes,  les 
ongles  sont  des  démons:  quand  on  les  coupe,  il  ne  faut  pas 
les  jeter  à  terre,  il  faut  les  jeter  au  feu  ou  les  enterrer. 

En  présence  de  vieillards  ou  de  supérieurs,  de  son  père,  de 
ses  oncles  ou  de  son  frère  aîné,  il  faut  se  garder,  sous  peine 
de  déconsidération,  non-seulement  de  prononcer  des  mots 
licencieux,  de  se  livrer  à  des  allusions  grivoises,  mais  encore 
de  mettre  la  conversation  sur  les  femmes  ;  il  est  même  inter- 
dit d'en  prononcer  le  nom. 

Si,  cependant,  on  est  forcé  de  se  servir  d'une  phrase  mal 
sonnante  pour  des  oreilles  arabes,  on  peut  se  la  faire  par- 
donner par  la  formule  ordinaire  de  hhachak,  qui  corres- 
pond assez  bien  avec  celle  de  sauf  votre  respect  de  nos 
paysans.  Exemple  : 

Hier,  je  suis  allé  à  Alger,  et,  sur  ma  route,  sauf  votre  res- 
pect, j'ai  rencontré  un  troupeau  de  cochons. 

El  baraihh  rohheut  lel  Djezair  ou  hhachaky  fe  trék  (la- 
guite  maa  doulet  el  hhalalef. 

33 


51i  LA    VIE    ARABE 

Lorsqu'on  parle  d'un  malheur  possible,  quelque  éloigné 
qu'il  soit,  il  est  du  plus  mauvais  goût  de  mettre  son  interlo- 
cuteur en  jeu.  On  ne  peut  pas  dire,  par  exemple  : 

Par  Dieu,  c'est  un  bon  tireur;  comme  d'ici- à  la  porte,  il 
te  jetterait  par  terre  avec  une  balle. 

Ouallah  radjel  derrab  :  ki  menna  lel-bab  iléyyhhak  be 
ressass. 

Il  faut  dire  : 

Il  tuerait  son  ennemi. 
Itéyyahh  aadouh. 

Si  vous  vantez  quelqu'un  devant  un  ami  ou  même  on 
étranger,  il  est  de  bon  goût  de  leur  donner  les  qualités  de 
l'absent.  Exemple  : 

Un  tel  est  un  bouime  sage  et  courageux  comme  toi  ou 
comme  celui  qui  nrécoute. 
Felane  radjel  aakel  ou  rakba  kifek  ou  kif  el  messennote. 

Principe  absolu  :  Il  faut  faire  intervenir  le  nom  de  Dieu 
toutes  les  fois  que  vous  parlez  de  l'avenir.  Ainsi,  ne  dites 
jamais  devant  les  Arabes  :  c  Demain,  il  fera  beau  temps; 
demain,  je  ferai  ceci  ou  cela,  »  sans  ajouter  : 

S'il  plattà  Dieu.  |     Ennchaallah. 

Cette  omission  suffirait  à  vous  déconsidérer,  car  personne 
ne  peut  connaître  l'avenir,  qui  est  tout  entier  dans  les  mains 
de  Dieu.  A  l'appui  de  leurs  idées  sur  ce  sujet,  les  Arabes  ra- 
content la  légende  suivante  : 

En  éuumérant  ce  que  ses  forces  lui  permettaient  de  faire, 
le  lion  dit  un  jour: 


LE    SAVOIR-VIVRE  515 

Ennchaallah  —  s'il  piatt  à  Dieu, —  j'enlèverai,  sans  me 
gêner,  le  cheval. 

Ennchaallah  —  s'il  plaît  à  Dieu,  j'emporterai  lagénisse, 
et  son  poids  ne  m'empêchera  pas  de  courir. 

Lorsqu'il  en  vint  à  la  brebis,  il  la  crut  tellement  au-dessous 
de  lui,  qu'il  négligea  cette  religieuse  formule  :  «  S'il  plaît  à 
Dieu,  »  et  Dieu  le  condamna,  pour  le  punir,  à  ne  pouvoir  ja- 
mais  que  la  traîner.  Si  le  fait  est  vrai,  il  est  probable  que  le 
lion,  dégoûté  par  l'odeur  désagréable  du  suint,  n'implante 
qu'avec  répugnance  ses  dents  dans  la  laine  de  cet  animal. 

Dans  toute  exclamation  arrachée  à  la  surprise  doit  se 
trouver  le  nom  de  Dieu,  ce  nom  qui  conjure  le  mal. 

Gloire  à  Dieu  !  |     Sebahane  Allah  ! 

Il  n'y  a  de  force  que  par  Dieu. 
La  koua  illa  bellah. 

Jamais  un  Arabe  n'entreprend  une  course,  une  chasse,  ne 
procède  à  un  acte  quelconque,  le  plus  ordinaire  même,  sans 
prononcer  d'abord  ces  mots  : 

Au  nom  de  Dieu  !  |     Bessemellah  ! 

Quand  vous  parlez  d'une  personne  honorable  décédée 
depuis  plus  ou  moins  de  temps,  ce  serait  une  grande  impoli- 
tesse que  de  citer  son  nom  sans  le  faire  suivre  immédiate- 
ment de  ces  mots  r 

Que  Dieu  lui  accorde  sa  miséricorde  1 
Allah  iihhamou. 


516  LA    VIE    ARABE 

De  même  que,  si  Ton  vous  demande  des  nouvelles  d*uae 
personne  décédëe  depuis  quelque  temps  déjà  sans  qu'on  Tait 
su,  ne  répondez  pas  : 

Un  tel  est  mort.  |     Felane  mate. 

Mais  dites  seulement  : 

Que  Dieu  lui  soit  miséricordieux! 
Allah  irrhhamou! 

On  vous  comprendra,  el  vous  n'aurez  pas  prononcé  le  nom 
de  la  mort,  qui  est  toujours  une  chose  désagréable,  à  moins 
qu'on  ne  parle  de  la  mort  reçue  dans  la  guerre  sainte. 

Ce  perpétuel  retour  vei*s  Dieu  donne,  si  je  ne  me  trompe, 
aux  phrases  les  plus  banales  du  dialogue  arabe  un  ton  tou- 
chant, un  accent  pénétré  qui  prouve  jusqu'à  l'évidence  com- 
bien les  mulsumans  tiennent  à  leur  religion.  Peuvent-ils 
l'oublier  quand  on  la  leur  rappelle  ainsi  à  chaque  acte  de  la 
vie,  à  cha([ue  instant  du  jour  ? 

Malgré  la  propension  des  Arabes  à  faire  des  compliments, 
des  flatteries  de  tout  genre  et  en  toute  occasion,  il  serait 
maladroit,  en  entrant  dans  une  tente,  de  vanter  un  cavalier, 
un  enfant,  un  cheval,  en  disant  seulement  :  «  Quel  beau 
cheval,  quel  bel  enfant,  quel  admirable  cavalier!  >  sans 
ajouter  aussitôt  : 

Que  la  bénédiction  de  Dieu  soit  sur  eux  I 
Fi'houm  el  baraka  ! 

Ou  bien  : 

Que  le  cheval  —  ou  l'enfant  —  soit  béni,  avec  l'allonge- 
ment de  ta  vie  et  la  protection  de  Dieu! 

Mebrouk  el  aaoud  —  el  ichir  —  be  toulane  aamrek  ou 
se  terr  Allah. 


LE    SAVOIR-VIVRE  517 

En  agissant  autrement,  on  se  ferait  considérer  comme  un 
méchant  ou  un  envieux  qui  cherche  à  porter  la  perturbation 
et  le  malheur  dans  la  famille,  à  jeter  un  sort,  aàin. 

Vaàin,  qui  veut  dire  le  mauvais  œil,  est  un  acte  d'envie 
secrète  et  invincible;  il  peut  venir  d'un  ami  tout  comme 
d*un  ennemi,  m(me  d'un  indifférent. 

Qaand  on  se  doute  que  le  mauvais  œil  s'est  abattu  sur  un 
homme,  sur  un  animal  ou  sur  un  objet  quelconque,  on  va 
trouver  des  tolbas  ou  des  femmes  qui  passent  pour  savoir  en 
débarrasser,  au  moyen  de  certaines  pratiques,  ou  bien  encore 
à  Taide  de  quelques  paroles  sacramentelles  que  Ton  enferme 
dans  un  petit  sachet  en  fîlali  et  que  Ton  porte  en  guise  de 
talisman  —  hherz,  —  On  croit  encore  détourner  sa  funeste 
influence  en  s'écriant  vivement  : 

Mes  cinq  doigts  dans  ton  œil  ! 
Khamsa  fi  aavnek  ! 

Au  même  ordre  d'idées  appartient  l'impolitesse  que  Ton 
pourrait  commettre  en  désignant  quelqu'un  avec  le  doigt. 

Dans  les  villes,  pour  se  préserver  de  l'aaln,  on  suspend  un 
vieux  fer  à  cheval  dans  la  maison.  Celai  qui  vous  aura  envié, 
jalousé,  doit  recevoir  un  coup  de  pied  de  cheval  dans  l'œil 
et  en  mourir. 

Quand,  pour  donner  de  la  force  à  son  affirmation,  un 
ami  va  jusqu'à  se  désirer  du  mal,  il  faut  se  hâter  de  détourner 
l'effet  de  cette  sorte  d'imprécation  prononcée  contre  soi- 
même.  A  ces  paroles  : 

Si  je  t'ai  menti,  que  Dieu  vide  ma  selle  ! 
Ida  guedebt  aalik,  Allah  ikheli  serdji  ! 


518  LA    VIE    ARABR 

Répondez  sur-le-champ  : 

Que  le  mal  soit  iDin  de  toi  ! 
Baaïd  el  bêla  aalik  ! 

En  société,  à  peine  ces  mots  prononcés  : 

J'ai  vu  en  songe,  |      Cheft  fel  menam^ 

Tout  le  monde  s'écrie  : 

Le  bien,  s'il  platt  à  Dieu.    |     El  khér  ennchaaUah. 

S'il  arrive  une  contrariété,  un  accident  à  un  ami  qui  est 
sur  le  point  de  se  mettre  en  route,  d'accomplir  un  acte  quel- 
conque de  la  vie,  dites-lui  : 

S'il  plait  à  Dieu,  tu  n'auras  pas  de  mal  !  Tu  viens  de  payer, 
de  désintéresser  le  malheur. 
EnnchaaUah^  la  bass  aalik  !  Defaat  el  bêla. 

Les  Arabes,  attribuant  aux  couleurs  éclatantes,  au  rouge 
principalement,  des  idées  de  joie  et  de  bonheur,  quand  on 
veut  souhaiter  du  bien  à  quelqu'un  d'une  manière  générale, 
on  lui  dit  : 

Que  Dieu  te  rougisse  la  figure  ! 
Allah  ihhammer-lek  oudjhek  ! 

Les  couleurs  sombres,  le  jaune  principalement,  éveillant, 
au  contraire,  des  idées  de  misère  et  de  chagrin,  si  l'on  veut 
souhaiter  du  mal,  on  s'écrie  : 

Que  Dieu  te  jaunisse  la  figure  ! 
A  llah  isseffer  lek  oudjhek 


LE    SAVOia-VlVRE  Md 

Quand  on  rencontre  un  ami  qui  sort  du  bain,  on  lui  dit: 

Qu*il  te  soit  comme  un  bain  pris  avec  Teau  de  Zemzem  ! 
Hhammam  Zem*%em  ! 

H  vous  répondra  : 

S11  platt  à  Dieu,  tu  prospéreras. 
Ennchaallah  terbahh!  ^ 

Byr  Zemzem  est  la  source  que  Dieu  fit  jaillir  dans  le  dé- 
sert pour  apaiser  la  soif  dlsmaël,  qui,  sur  les  instances  de 
Sara,  venait  d*être  cbassé,  avec  sa  mère,  par  Abraham.  Les 
mulsulmans  la  tiennent  en  grande  vénération  ;  quand  ils  se 
rendent  à  la  Mecque,  ils  ne  manquent  jamais  de  rapporter  à 
leurs  parents  et  à  leurs  amis  un  peu  de  cette  eau  miraculeuse 
dont  ils  se  servent  pour  arroser  les  linceuls  de  ceux  que  Dieu 
appelle  à  lui.  On  renferme  dans  des  vases  solides,  à  goulot 
étroit,  et  que  l'on  nomme  zemzemiyate. 

Chez  le  barbier,  dès  qu*un  homme  vient  de  se  faire  raser 
la  tête,  les  assistants  le  complimentent  ainsi  : 

Avec  la  santé,  le  rasement. 
Sahha  et-thhaffif. 

11  doit  répondre  : 

Que  Dieu  vous  bénisse  ! 
Allah  ibarekfikoum! 

Si,  sur  votre  chemin,  vous  voyez  quelqu'un  qui  travaille, 
n'oubliez  pas  de  lui  dire  : 


520  LA    VIE    ARABE 

Que  Dieu  te  vienne  en  aide  I 
Allah  ïaaounek! 


Un  ouvrier  vous  a-t-il  présenté  nn  produit  de  son  travail, 
en  le  lui  rendant,  prononcez  ces  paroles  : 

Que  Dieu  te  donne  la  force  I 
Allah  ïaatik  sahha  ! 

Dans  les  deux  cas,  on  vous  répondra  : 

Que  Dieu  soit  miséricordieux  pour  les  auteurs  de  tes 
jours  ! 
Allûh  irhham  oualdik  ! 

Passez-vous  devant  des  gens  qui  sont  à  table,  saluez-les 
ainsi  : 


/ 


Que  Dieu  vous  rassasie  I     |     Allah  ikennaa-koum  ! 


Quand  un  éternumeut  se  produit  devant   vous,  hâtez- 
vous  de  dire  : 

Que  Dieu  te  préserve  1        |     Allah  inedjik  ! 

Âpres  un  gros  soupir,  faites  cette  exclamation  : 

Que  Dieu  me  pardonne  tout  ce  que  j*ai  fait  ! 
Staghfir  Allah  bi  ma  kana! 

A  Toffre  d'une  pipe  de  tabac  ou  d'une  tasse  de  café,  etc., 
répondez  : 

Qu'elle  soit  la  bienvenue  !   |     Marhhaba  ! 


LE    SAVOIR-VIVRE  52! 

—  Vous  apporle-l-on  des  primeurs,  raisins,  figues,  melons, 
pastèques,  etc.,  etc., remerciez  en  disant: 

Qu'ils  soient  les  bienvenus!  la  figure  du  Prophète  est  venue 
nous  visiter. 
Marhhaba  !  Zar-na  oudjh  en-nehi. 

Quand  le  moment  arrive  de  dormir  pour  un  hôte  que  vous 
avez  reçu  sous  votre  tente,  en  le  quittant,  dites-lui  : 

Dors  et  que  tes  rêves  soient  agréables  I 
Ergoud,  ou  tummeh  hhalou  ! 

A  un  homme  entrant  dans  un  appartement  sans  en  fermer 
la  porte,  ne  criez  pas  brutalement:  «  Ferme  ta  porte;  >  faites- 
lui  tout  simplement  cette  allusion  : 

Que  Dieu  se  rappelle  le  menuisier  ! 
Allah  irhham  en-nedjar  ! 

11  comprendra  et  s*exécutera  de  bonne  grâce. 

D'après  les  mœurs  arabes,  on  ne  peut  pas  satisfaire,  en 
restant  debout,  à  ce  besoin  naturel  que  notre  tolérance  euro- 
péenne nous  permet  d'accomplir  dans  cette  position.  Si,  de- 
vant eux,  nous  violons  ce  principe,  et  cela  nous  arrive  sou- 
vent, on  ne  nous  le  pardonne  pas. 

L'éructation  n'est  pas  une  grossièreté.  Quand  donc  arrive 
ce  qui,  chez  nous,  serait  un  grave  accident,  ce  qui,  chez  eux, 
n'est  qu'un  indice  de  prospérité,  de  large  satisfaction  d'appé- 
tit, l'auteur  de  cette  incongruité  dit  avec  le  plus  grand  sang- 
froid  : 

Je  remercie  Dieu.  |      Lhhamedou  tellah! 


522  LA    VIE    AUABK 

Sous  entendu  :  «  Qui  m*a  donné  assez  de  bien  pour  rem- 
plir mon  ventre.  » 

Il  est  du  plus  mauvais  ton  de  siffler.  Les  hommes  du 
peuple  eux-mêmes  ne  sifflent  que  pour  réunir  les  chiens.  On 
a  eu  le  talent  de  leur  faire  croire  qu'en  sifflant  on  appelle 
inévitablement  le  malheur  sur  sa  tète.  Ici,  du  moins,  le  pré- 
jugé n'a  été  imposé  que  pour  un  motif  raisonnable. 

Chez  les  Arabes,  on  applaudit,  comme  chez  nous,  en  se 
frappant  les  mains  l'une  contre  l'autre  —  tessefik.  Keff.  — 
Seulement,  au  lieu  de  crier  «  Bravo  !  bravo  !  >  on  crie  : 
Sahha  !  sahha  !  —  que  Dieu  te  donne  la  force  ! 

Quant  aux  applaudissements  des  femmes,  ce  sont  les  cris 
de  joie:  you!  you!  dont  j*ai  déjà  parlé.  On  les  nomme 
tezeg  hérite. 

Dans  les  tribus,  si  un  homme  chantait  auprès  des  tentes, 
non  pas  devant,  mais  seulement  à  proximité  des  femmes, 
il  risquerait  fort  d^attraper  un  coup  de  fusil. 

C'est  un  péché  que  de  manger  dans  la  rue.  On  peut  ainsi 
exciter  la  convoitise  de  plus  pauvre  que  soi  ;  dehors,  dans 
la  campagne,  on  se  cache  comme  on  peut,  et,  si  quelqu'un 
vient  à  passer,  il  faut  l'inviter  à  partager  le  repas,  quelle 
qu'en  soit  la  frugalité. 

On  ne  doit  jamais  éteindre  un  flambeau  avec  son  souffle, 
mais  avec  le  vent  produit  par  le  passage  rapide  de  la  main. 
Pourquoi?  Parce  que,  la  lumière  étant  regardée  comme  un 
des  signes  visibles  de  la  Divinité,  ce  serait  l'outrager  que  de 
la  mettre  en  contact  avec  un  air  vicié  et  corrompu. 

Voulez-vous  du  feu  pour  allumer  votre  pipe,  ne  dites 
pas: 


LE    SAVOIR-VIVRE  553 

Apportez -moi  du  feu  !         |      Djib-li  en-nar  ! 

Vous  prêteriez  le  flanc  à  ua  jeu  de  mots  tout  entier  à 
votre  désavantage,  le  mot  nar  s'appliquant  surtout  au  feu 
de  l'enfer;  mais  dites: 

Âpportc-moi  la  paix,  la  tranquillité  ! 
Djib'li  el  aafia  ! 

Veut-on  se  débarrasser,  avec  politesse,  d'nn  demandeur 
fatigant  et  sans  qu*il  puisse  répliquer  un  seul  mot,  on 
récoute  avec  attention,  puis  on  lui  répond,  en  mettant  eu 
avant  le  nom  de  Dieu: 

Vas-t'en,  il  n'y  aura  que  du  bien,  Dieu  te  l'apportera. 
Rohheu,  ma-katie  la  le  khér,  idjiblek  Rebbi, 

Ou  bien  : 

Dieu  l'ouvrira,  celte  porte,  et  pour  nous  et  pour  vous. 
Iftahh  Allahf  aalina  ou  aatikoum. 

Dieu  verra  cela!  |     Iferredj  Allah  ! 

On  n'insistera  pas;  un  bon  musulman  ne  peut  douter  de 
la  munificence  de  Dieu. 

Voulez-vous  couper  court  à  des  questions  ennuyeuses  ou 
n'y  pas  répondre,  le  moyen  est  simple  ;  on  dit: 

Cela  est  loin  de  moi  ;  la  nouvelle  en  est  chez  Dieu. 
Je  n'ai  point  à  me  mêler  des  affaires  de  Dieu. 
Il  n'y  a  que  Dieu  qui  sache  les  choses  lointaines. 
Baaïd  aaliya;  khobaraand  Rebbi. 
Maandi  medkhoulfi  œulm  Allah. 
Ma  yaalem  bel  Ghiyouby  ghér  Rebbi. 


5S4  LA    VIB    ARABE 

Tenez-vous  absolument  à  ne  pas  vous  expliquer,  faites 
cette  simple  exclamation  : 

Dieu!  I     Rebbi! 

S*agit-ii  de  mettre  fin  aux  reproches  que  peuvent  se 
permettre  des  amis  indiscrets,  vous  avez  une  recette  toute 
préparée  ;  répondez  aux  leçons  qu'on  vous  fail  après  coupy 
pour  une  maladresse  ou  pour  une  faute  commise  : 


C'était  l'ordre  de  Dieu  I 
C'était  écrit  chez  Dieu  ! 
Dieu  l'a  voulu  I 
Dieu  m'a  trouvé  ! 


Hhakoum  Allah  ! 
Mektoub  Rebbi  ! 
Rebbi  bgha! 
Rebbi  sab-ni  ! 


Tout  le  monde  se  taira,  et  c'est  là  le  plus  grand  point  :  être 
impénétrable,  ne  se  laisser  entamer  par  aucune  importunité. 

Quand  on  ne  veut  pas  répondre  à  des  questions  posées 
par  un  supérieur,  on  le  lui  fait  comprendre  en  disant  : 

Tu  es  sultan,  et  tu  en  sais  plus  que  moi. 
Enntasoultmie^ou  ennia  taarf. 

L'entretien  s'arrête.  Du  reste,  ce  titre  de  sultan,  tout  infé- 
rieur le  donne  pour  ainsi  dire  à  son  supérieur,  ou  même  à 
son  égal,  quand  il  a  besoin  de  lui. 

Voulez-vous  faire  continuer  un  récit  intéressant  à  quel- 
qu'un qui  s'arrête  pour  reprendre  respiration,  lïchez-lui  ces 
mots  : 

Et  alors?  |     Diksaaî 


LE    SAVOIR-VIVRE  525 

Il  poursuivra  d'ordinaire  ;  mais,  si  cela  ne  lui  convient  plus, 
il  se  hâtera  de  répondre  : 

Et  alors,  il  est  tombé  dans  un  puits,  et  nous  Ten  avons 
tiré. 
Dik  saa  tahh  fel  bir  ou  djebednah. 

Cela  équivaut  à  dire:  «  Je  ne  parlerai  plus.  > 

Quand  un  Arabe  veut  arrêter  son  interlocuteur  trop 
pressé  de  lui  couper  la  parole,  il  n'a  qu'à  employer  la  for- 
mule religieuse  suivante  : 

Prie  sur  le  Prophète.  |      Salli  aal  nehi. 

On  prendra  patience  ;  on  le  laissera  achever. 

En  temps  de  trouble,  quelqu'un  vient-il  d'un  air  mys- 
térieux et  pour  vous  sonder  dans  un  intérêt  quelconque,  vous 
demander  : 

Qu'y  a-t-il  ?  ou  que  n'y  a-t-il  pas  ? 
Ach  kane  î  ou  ach  ma  kane  ! 

Si  vous  ne  voulez  pas  le  renseigner,  répondez-lui  : 

Il  y  a  du  bien, et  il  n'y  a  pas  de  mal. 
Khér  kane  ou  chorr  ma  kane. 

Ou,  si  vous  l'aimez  mieux  : 

Dieu  est  partout. 

Kane  Rebbi  fi  koul  mekane. 

On  peut  encore  s'en  tirer  en  lui  disant  : 

Il  y  a  beaucoup  à  dire,  mais  le  kadi  est  occupé. 
El  kelame  bezzafou  le  kadi  ra  mecheghoul. 


526  LA    VIK    \RABh: 

Vous  avez  mis  eu  avaut  le  uon  de  Dieu,  il  cessera  de  vous 
importuner 

Maintenant,  vient-on  vous  annoncer  un  événement,  une 
nouvelle  qui  vous  est  connue  depuis  longtemps,  et  pour  la- 
quelle, en  France,  vous  ne  manqueriez  pas  de  dire:  t  Ah! 
oui!  M.  de  la  Palisse  est  mort;  »  prononcez  simplement 
ces  paroles  : 

Viens,  ô  ma  mère  !  je  te  montrerai  la  maison  de  mon 
père. 
Adji  ya  imma  I  nourrik  dar  baba. 

Veut-on  prouver  à  quelqu'un  que  sa  présence  ou  ses  ser- 
vices ne  sont  plus  agréables,  on  ne  le  blessera  par  aucune 
parole  insultante,  on  ne  lui  dira  jamais  brutalement  :  «  Va- 
t'en  I  >  on  se  contentera,  s'il  vous  adresse  la  parole,  de  lui 
répondre  froidement  en  fixant  les  yeux  à  terre.  Il  compren- 
dra sur-le-champ  qu'il  est  en  disgrâce  et  cessera  de  vous 
importuner.  Cela  s'appelle  hhott  el  aàin  —  le  détournement 
des  yeux  —  hhott  aaïnih  fih,  «  Il  a  ôlé  ses  yeux  de  lui  » 
veut  donc  dire:  «  Il  lui  a  retiré  ses  faveurs,  son  amitié.  > 

C'est  presque  une  injure  que  de  demander  à  un  chef 
arabe  s'il  veut  vendre  son  cheval,  autant  lui  dire  qu'on  le 
croit  dans  la  misère  et  trahi  par  la  fortune:  quand  il  juge  à 
propos  de  s'en  défaire,  il  l'envoie  sur  un  marché  lointain,  ou 
il  fait  connaître  son  intention  dans  la  contrée.  Cette  faute-là^ 
nous  la  commettons  souvent. 

De  môme,  il  est  peu  délicat  de  vanter  ou  de  paraître  admi- 
rer le  cheval,  les  armes  ou  n'importe  quoi  appartenant  à  un 
homme  de  naissance.  Il  se  regarderait  comme  contraint  mo- 


LE    SAVOIR-VIVRE  527 

ralement  à  vous  l'offrir.  On  prétend  cependant  que  ces 
exemples  de  générosité  se  voyaient  autrefois  plus  souvent 
qu*aujourd*hui. 

Les  Arabes  nous  blftmént  de  notre  excès  de  curiosité; 
s'arrêter  dans  la  rue,  y  écouter  ce  que  disent  les  passants 
ou  se  retourner  pour  admirer  quelqu'un  ou  quelque  chose, 
leur  parait  une  grave  atteinte  à  la  dignité,  même  entre  co- 
religionnaires, à  plus  forte  raison  quand  il  s'agit  des  chré- 
tiens. 

Dans  les  réunions  et  dans  les  fêtes,  gardez-vous  bien 
d'engager  un  Arabe,  pour  peu  qu'il  soit  considéré,  à  chanter, 
à  danser  ou  à  jouer  d'un  instrument  quelconque.  Il  ne  pour- 
rait se  rendre  à  vos  désirs  ;  s'il  le  faisait,  il  porterait  atteinte 
à  sa  dignité  et  à  sa  considération  ;  les  siens  le  placeraient 
aussitôt  dans  la  catégorie  des  bouffons  et  des  baladins  — 
zeffane. 

A  côté  de  cela,  les  gens  bien  élevés  peuvent,  sans  se  dé- 
considérer, aller  passer  la  journée  dans  la  boutique  d'un 
tailleur,  d'un  sellier  ou  même  d*un  menuisier.  Pourquoi? 
Parce  que  ces  états  sont  propres  et  n'amènent,  en  général , 
de  relations  qu'avec  des  personnes  riches  ou  bien  élevées. 

Chez  les  barbiers  et  dans  les  cafés  ne  s'arrêtent  d'ordi- 
naire que  les  étrangers  ou  les  gens  du  peuple. 

Si  vous  voyez  un  Arabe  vous  offrir,  lors  d'une  rencontre, 
la  main  gauche,  ne  l'acceptez  pas,  c'est  un  signe  de  mépris. 
Chez  les  musulmans,  la  main  gauche  ne  peut  servir  que  pour 
les  ablutions  secrètes. 

Dans  vos  relations  avec  les  Arabes  haut  placés,  n'ayez 


528  LA    VIE    ARABE 

jamais  la  peasée  de  les  engager  à  faire  avec  vous  des  prome- 
nades à  pied.  Ils  accepteraient  peut-être  par  politesse;  dans 
le  fond,  ils  n*en  seraient  nullement  charmés.  Les  Arabes  ne 
marchent  que  pour  leurs  affaires;  ils  n'en  éprouvent  le  besoin 
ni  pour  faire  la  digestion,  ni  pour  éviter  Tobésité,  etc.,  etc., 
car  leur  sobriété  et  le  genre  de  vie  qu'ils  mènent  les  met  à 
l'abri  de  tous  les  dangers  que  Tintempérauce  ou  l'oisiveté 
font  courir  à  la  santé.  Aussi,  quand  ils  voient  des  chrétiens 
se  promener  à  grands  pas  sur  une  place  publique,  ils  les 
tournent  en  ridicule  et  ne  manquent  jamais  de  dire  : 

Regarde,  regarde,  voilà  les  chrétiens  qui  frappent  la  danse; 
—  ils  sont  fous. 

DenneÇj  denneg^  en-nessara  rahoum  idrobou  ed-dama^  — 
mahbel. 

Il  en  est  de  môme  pour  Texercice  du  cheval.  Les  Arabes 
ne  s'en  servent  que  pour  faire  la  guerre,  surveiller  leur  for- 
tune, paraître  dans  les  fêtes  publiques  et  dans  les  réunions 
religieuses,  —  ouaada;  —  alors,  ils  en  usent  et  en  abusent. 
Hors  de  là,  ils  vont  presque  toujours  au  pas,  ne  comprenant 
nullement  que  Ton  puisse  monter  à  cheval  pour  le  seul  plai- 
sir de  courir  sur  une  grande  route.  En  voyant  un  officier  ga- 
loper dans  les  rues,  souvent  je  les  ai  entendus  dire  avec 
malice  :  «  Mais  où  va  donc  un  tel  à  une  pareille  allure?  Il 
faut  qu*il  soit  bien  pressé.  Il  est  sans  doute  chargé  par  son 
général  de  porter  une  dépêche  très-importante.  > 

Il  est  aussi  du  plus  mauvais  ton  de  proposer  des  paris.  La 
gageure  est  une  espèce  de  jeu,  et  les  jeux  de  hasard  sont  sé- 
vèrement prohibés  par  la  loi  musulmane. 

On  lit  dans  le  Koran,  chapitre  5,  verset  93  : 


LE    SAVOIR-VIVRE  529 

«  0  croyants  !  le  vin,  les  jeux  de  hasard,  les  statues  et  le 
sort  des  flèches  sont  une  abomination  inventée  par  Satan. 
Absienez-vous-on,  et  vous  serez  heureux.  » 

Quand  un  chef,  quel  que  soit  son  rang,  paraît  devant  ses 
inférieurs,  s'il  marche,  il  ne  marche  qu'avec  dignité,  ni  trop 
vite,  ni  trop  lentement,  et,  s'il  parle,  il  ne  le  fait  qu'à  voix 
basse,  avec  une  grande  sobriété  de  gestes.  Cette  conduite  lui 
est  au  surplus  recommandée  par  Dieu  lui-même.  On  trouve 
dans  le  Koran,  chapitre  31,  verset  18  : 

«  Cherche  à  modérer  ton  pas  et  à  baisser  la  voix,  car  la 
plus  désagréable  des  voix  est  bien  la  voix  de  Tàne.  » 

Si  vous  ne  voulez  vous  déconsidérer  complètement  aux 
yeux  d*un  Arabe,  ne  lui  posez  jamais  Tune  des  cinq  questions 
suivantes  : 

1®  Quel  temps  fera-t-il  demain? 

2®  Cette  femme  qui  est  enceinte  donnera-t-elle  le  jour  à 
une  tille  ou  à  un  garçon? 

3®  La  journée  sera-t-elle  heureuse  ou  malheureuse? 

4*  Quand  un  tel  doit-il  mourir? 

5®  Quand  aura  lieu  la  fin  du  monde? 

Vous  passeriez  pour  un  impie  ou  pour  un  ignorant  qui  ne 
sait  même  pas  que  Dieu  seul  peut  décider  de  semblables 
choses. 

N'offrez  jamais  de  vin  ni  de  liqueurs  à  un  Arabe  devant 
ses  coreligionnaires,  ce  serait  le  mettre  dans  une  position 
très-délicate.  En  effet,  il  acceptera  ou  il  refusera.  S'il  refuse, 
il  vous  aura  peut-être  contrarié;  et,  s'il  accepte,  il  se  sera  dé- 
considéré. Le  Prophète  a  dit  :  «  Le  vin  est  le  père  de  toutes 
les  abominations.  » 

34 


530  LA    VIE    ARABE 

Voulez-vous  avoir  le  portrait  d'un  Arabe,  prenez-vous-y 
avec  beaucoup  d'adresse  et  de  ménagements;  autrement,  la 
représentation  des  figures  étant  formellement  interdite  par 
Dieu  lui-même,  vous  pourriez  fort  bien  éprouver  un  refus. 
Toutefois,  je  ne  me  suis  jamais  aperçu  que  Tobéissance  à  ce 
précepte  allât,  chez  les  musulmans,  jusqu'à  leur  faire  refuser 
les  monnaies  étrangères  sur  lesquelles  sont  gravés  les  por- 
traits de  nos  souverains.  Il  est  vrai  que,  depuis  quelque 
temps,  certains  savants  affirment  que  la  prohibition  n'atteint 
pas  la  peinture,  mais  seulement  la  sculpture,  c'est-à-dire  les 
statues,  qui,  pouvant  devenir  des  idoles,  sont  un  empiétement 
sur  les  attributions  de  Dieu,  car  lui  seul  peut  donner  la 
vie. 

Les  gens  de  gi^ande  tente  laissent  le  tatouage  au  peuple, 
qui  en  use  et  en  abuse;  les  femmes  le  regardent  comme  un 
ornement,  bien  qu'il  soit  défendu  par  la  religion  ;  on  l'ap- 
pelle : 

L*écriture  du  démon.  |    Ketibte  chytane. 

Après  la  mort,  l'ange  Azraïl  doit  couper  lui-même  la  chair 
envahie  par  le  tatouage. 

Dans  vos  relations  avec  les  Arabes,  soyez  ferme,  sévère, 
si  vous  le  voulez  ;  ils  ne  s'en  plaindront  pas,  si  en  même 
temps  vous  vous  montrez  juste,  poli,  prudent  dans  vos  ac- 
tions, circonspect  dans  vos  paroles.  Rappelez-vous  constam- 
ment que  vous  avez  affaire  au  peuple  le  plus  rancunier  et  le 
plus  orgueilleux  de  la  terre.  Rarement  il  pardonne  une  of- 
fense. Laissez-le  parler,  il  va  vous  dévoiler  son  carac- 
tère. 


LE    SAVOIR-VIVRE  53! 

Toute  blessure  peut  se  guérir  et  s'oublier, 

Excepté  la  blessure  faite  par  la  langue,  qui  ne  se  guérit  ni 

ne  s'oublie. 
Koul  djerhh  ibra  ou  itenassa; 
Gliér  djerhh  lessane^  la  ibra  ou  la  itenassa. 

La  ville  où  l'on  s'est  moqué  de  toi, 
Quitte-la,  quand  bien  même  elle  serait  bâtie  avec  des 
rubis. 
El  belad  ouine  temeskherou  aalik. 
KhaUi'ha  oua  loukane  mebeniya  bel  yakoute. 

En  me  parlant,  dis  :  «  0  monseigneur  !  »  et  dépouille-mol 
si  tu  veux  ; 

Mais  ne  dis  jamais  :  «  0  mon  chien  !  >  quand  bien  même 
tu  devrais  m'enrichir. 

Goulli  :  ya  sidi!  ou  aari-ni; 

Ou  la  tegoulli  :  ya  kelbi  baadema  teghenni-ni. 

Puisque  nous  parlons  de  l'orgueil  des  musulmans,  disons 
encore  qu'un  Arabe,  lorsqu'il  rencontrera  un  chrétien  sur  sa 
route,  ne  manquera  jamais  de  s'ingénier  pour  ne  pas  lui  per- 
mettre de  passer  à  sa  droite,  ce  qui,  d'après  ses  idées,  le 
placerait  dans  un  état  d'infériorité.  L'axiome  suivant  peint 
toute  sa  pensée  à  cet  égard. 

Quiconque  n'est  pas  musulman,  place-le  toujours  à  ta 
gauche. 
Li  machi  messlem^  chemelou. 

N'entamez  jamais  de  discussions  religieuses  avec  un  Arabe; 
c'est  tout  à  fait  inutile. 


532  LA    VIE    ARABE 

Ou  VOUS  aurez  atTaire  à  un  homme  prudent  et  bieu  élevé, 
et  alors  il  vous  laissera  parler,  vous  répondra  avec  politesse, 
évitera  même  de  vous  blesser^  et  la  plupart  du  temps  se  con- 
tentera de  sourire  en  essayant  de  changer  la  conversation. 

Ou  vous  aurez  affaire  à  un  fanatique,  et  aloi's,  comme  d*un 
côté  il  ne  peut,  le  Koran  à  la  main,  vous  faire  aucune  espèce 
de  concession,  et  que  d'un  autre  il  n*ose  pas  vous  dire  ce 
qu'il  pense  parce  que  vous  êtes  le  vainqueur,  au  lieu  de 
s*évertuer  k  combattre  vos  arguments,  il  se  bornera  à  tour- 
ner et  retourner  devant  vous  les  grains  de  son  chapelet,  en 
priant  mentalement  Dieu  de  débarrasser  son  pays  de  la  pré- 
sence des  impies  et  des  infidèles. 

La  conversion  de  ces  gens-là  étant  donc  démontrée  impos- 
sible, ce  qu*il  y  a  de  mieux  à  faire  avec  eux,  c'est  de  ne  pas 
nous  occuper  de  leur  religion  :  agir  autrement  serait  nous 
attirer  de  leur  part  un  redoublement  de  haine  sans  résultat 
aucun. 

Je  reviens  au  savoir-vivre. 

Il  y  a,  comme  on  a  pu  le  voir,  dans  l'ensemble  des  règles 
qui  le  constituent  en  pays  arabe  une  grande  ressemblance 
entre  nos  pratiques  et  les  leurs;  mais  il  y  a  des  différences 
aussi.  Chez  nous,  éviter  les  défauts  que  je  viens  de  signaler 
est  le  fait  d'un  homme  à  qui  son  éducation,  son  habitude  de 
voir  le  monde  a  donné  du  tact  et  de  la  tenue  ;  c'est  le  privi- 
lège de  certaines  classes.  Chez  les  Arabes,  pas  un,  quelles 
que  soient  sa  naissance  et  sa  position  sociale,  qui  puisse  mé- 
connaître les  minutieuses  obli;,'ations  qu'impose  la  fréquen- 
tation du  monde  ;  on  peut  être  ignorant,  on  n'est  pas  mal 
élevé. 

Une  autre  différence  est  celle-ci  ;  nous  n'avons  pas,  nous, 
de  règles  invariables.  C'est  en  général  de  Tusage,  de  la  con- 


LE    SAVOIK-VIVRE  533 

vention.  Autant  il  est  dangereux  de  s'affranchir  de  ces  bien- 
séances, autant  il  serait  ridicule  d^en  proclamer  sans  cesse  la 
nécessité.  Les  Arabes,  au  contraire,  dogmatisent  sur  ces 
minuties  avec  autant  de  solennité  que  sur  des  points  de  con- 
troverse religieuse.  Je  me  trompe  ;  il  n*y  a  point  là  de  con- 
troverse, ce  sont  des  vérités  fondamentales.  Elles  sont  ac- 
ceptées par  tous,  les  yeux  fermés,  parce  que  c'est  encore  et 
surtout  de  la  religion. 


CHAPITRE    QUINZIÈME 


PENSEES       ET       MAXIMES 

Pensées  religieuses  ou  mondaines,  philosophiques  ou  poétiques. 
—  Elles  soulèvent  un  coin  du  voile  qui  nous  sépare  de  la 
vie  arahe.  —  L'Orient  est  resté  immobile.  —  11  ne  vit  que  de 
légendes  et  de  traditions.  —  Dieu,  la  femme,  la  religion  et 
la  guerre.  —  Il  n'y  a  rien  apri*s.  —  .Nous  marchons,  les 
Arabes  n'avancent  ni  ne  reculent.  —  Se  raeltront-ils  e:i 
chemin? 


Ces  pensées,  que  nous  donnons  avec  intention  dans  le 
désordre  pittoresque  où  elles  se  sont  produites,  ont  été  re- 
cueillies, pour  la  plupart,  dans  les  fréquents  entretiens  qrne 
j'eus  avec  Aab-el-Kader,  à  l'époque  de  son  séjour  forcé  en 
France.  Je  passai  alors  près  de  lui  quatre  mois  consécutifs, 
au  fort  Lamalgue,  où  il  avait  été  d'abord  interné,  puis  au 
château  de  Pau,  où,  le  général  L'heureux  et  moi,  nous  eûmes 
mission  de  le  conduire  en  1848  par  ordre  du  gouvernement 
On  comprend  ([ue,  parlant  moi-même  arabe,  je  dus  profiter 
avec  empressement  de  ces  relations  journalières  avec  l'illustre 
captif,  pour  rassembler  des  renseignements  précieux  sur 
cette  civilisation  arabe  qui  nous  est  encore  si  peu  connue, 
vérittible  forteresse  dont  il  est  difficile  de  forcer  l'entrée. 


536  LA    YIK    ARABE 

L'origine  d'une  grande  partie  de  ce  recueil  explique  naturel- 
lement les  allusions  fréquentes  qu\on  y  trouvera  à  la  mau- 
vaise fortune  de  l'émir,  et  leur  donne,  à  ce  titre,  si  je  ne  me 
trompe,  un  attrait  historique  particulier. 

Os  pensées,  alternativement  religieuses  ou  mondaines* 
philosophiques  ou  poétiques,  jettent  quelques  rayons  de  lu- 
mière sur  un  sujet  presque  ignoré  encore,  et  que  nous  avons 
tout  intérêt  à  connaître.  En  nous  initiant,  dans  une  certaine 
mesure,  aux  idées  dominantes,  à  la  littérature  de  ce  peuple 
si  différent  de  nous,  elles  soulèvent,  pour  ainsi  dire,  un  coin 
de  ce  voile  mystérieux  qui,  malgré  la  conquête  et  une  domi- 
nation déjà  longue,  nous  sépare  encore  de  la  société  arabe. 


I 


La  fortune. 

La  fortune  n'a  qu'un  œil  placé  sur  le  sommet  de  la  téta. 
Tant  qu'elle  ne  vous  a  pas  vu,  elle  vous  prodigue  les  noms 
les  plus  tendres,  elle  vous  appelle  son  cher  enfant  et  vous 
comble  de  faveurs  ;  mais,  un  beau  jour,  elle  vous  prend  dans 
ses  bras,  vous  élève  jusqu'à  elle,  vous  examine  avec  atten- 
tion, et  puis  vous  repousse  avec  horreur,  en  s'écriant  : 
«  Va-t'en,  va-t'en,  je  me  suis  trompée,  non,  tu  n'es  pas 
mon  fils.  » 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgue  \ 

Les  différents  âges  de  la  vie. 

On  demandait  à  une  femme  arabe  : 

—  Que  pensez-vous  d'un  jeune  homme  de  vingt  ans  ? 

—  C'est,  dit-elle,  un  bouquet  de  jasmin. 


PLNSÉKS    ET    MAXIMES  537 

Et  d'un  homme  de  trente  ans  ? 

Celui-là  est  un  fruit  uiùret  savoureux. 

Et  d'un  homme  de  quaraute  ans  ? 

C'est  un  père  de  fils  et  de  allés. 

Et  d'un  homme  de  cinquante  ans? 

Il  peut  passer  dans  la  catégorie  des  prédicateurs. 

Et  d'un  homme  de  soixante  ans  ? 

II  n'est  plus  bon  qu'à  tousser  et  à  gémir. 


Le  sultao- 

Le  sultan  est  un  palais  dont  le  visir  est  la  porte.  Si  tu  veux 
passer  par  la  croisée,  tu  risques  fort  de  te  rompre  le  cou. 

L'antilope  effrayée. 

Ses  yeux  sont  les  yeux  d'une  antilope  effrayée: 
Elle  respire  Tair  pur  du  désert  ; 
Elle  ne  vit  que  de  laitage  et  de  gibier, 
Et  son  teint  est  bruni  par  le  soleil. 
Quand  je  mourrai,  je  veux  qu'on  lave  mon  corps  avec  ses 
pleurs, 
Et  qu'on  m'ensevelisse  dans  ses  cheveux. 

La  victoire. 

Allons,  guerriers^  prenez  la  charge  ! 

Vous  avez  le  nez  trop  fier  pour  reculer  : 

Le  fer  ne  se  coupe  qu'avec  le  fer, 

Et  si  la  parure  des  femmes,  c'est  la  hhenna, 

La  parure  des  hommes,  cVst  le  sang  de  l'oppresseur. 


538  LA    VIE    ARABE 

Aujourd'hui  s'appellera  le  jour  de  la  vengeance  ! 

La  victoire  appartient  à  ceux  qui  savent  mépriser  la  mort. 

Les  chagrins  de  m»  monde. 

Trois  choses  dans  ce  monde  mettent  à  Tépreuve  la  patience 
la  plus  rare,  et  font  perdre  la  raison  au  plus  sage  : 
L'obligation  de  quitter  les  lieux  où  Ton  est  né  ; 
La  perte  de  ses  amis  ; 
La  séparation  de  celle  qu*on  aiuic. 

(L'èmir  Aabd-el-Kader,  captif  an  fort  Lamalgue.) 

La  langue. 

La  langue  interroge  Thomme,  matin  et  soir. 
Le  malin  :  «  Coium^nt  vas-tu  ?  lui  dit-elle. 

—  Bien,  si  lu  ne  me  compromets  pas.  » 

Et  le  soir:  «  Comment  as-tu  passé  la  journée?  lui  de- 
mande-t-elle  encore. 

—  Bien,  si  tu  ne  m'as  pas  compromis.  » 

Les  yeux  bit  us. 

Je  t'aime,  femme  aux  yeux  bleus,  parce  que  tes  yeux  sont 
ceux  de  tous  les  oiseaux  de  race  (des  faucons). 

Nos  guerriors". 

Les  uns  sont  des  lions  qui  défendent  leurs  petits, 
Les  autres  sont  des  aigles  qu'anime  la  vue  du  sang  ; 
Ceux-ci  sont  froids  comme  la  neige  qui  lue, 
Ceux-là  sont  vifs  comme  la  poudre  qui  brûle. 


PENSÉES    ET    MAXIMES  *  539 

Leurs  chevaux  mangent  une  orge  pure, 
On  les  abreuve  du  lait  de  nos  chamelles, 
Pour  eux,  le  loin  est  toujours  près  ; 
Sans  nul  doute,  ils  vaincront  tous  les  peuples  à  chapeau 
(les  chrétiens), 

La  dernière  heure. 

11  est  bien  à  plaindre,  celui  qui  n*a  ni  mère,  ni  femme,  ni 
fille,  pour  l'assister  à  sa  dernière  heure. 


Courage,  d  mon  eœnr  I 

0  mon  cœur,  tu  es  saisi  d'effroi; 

Courage,  ne  redoute  pas  les  coups  des  hardis  combattants! 

Jette-toi  dans  la  mêlée,  coupe  le  fer  avec  le  fer. 

Et  sauve  l'honneur  des  musulmans. 

Celui  qui  cherche  à  ne  jamais  mourir. 

Verra  toujours  ses  vœux  trompés. 

(L'émir  Aabd-cl-Kader,  captif  au  fort  Lamalgue.} 
La  gazelle. 

Avant  de  l'avoir  vue,  je  n'aurais  jamais  cru  qu'il  fût  pos- 
sible à  la  gazelle  de  prendre  la  forme  d'une  femme.  Aujour- 
d'hui, j'en  suis  certain. 

L'amour. 

L'amour  commence  par  un  regard,  de  même  qu'un  incen- 
die commence  par  une  étincelle. 
Un  sage,  voyant  un  chasseur  qui  s'était  arrêté  pour  causer 


540  LA    VIE    ARABE 

avec  une  jolie  femme,  lui  cria  :  o  0  toi  qui  poursuis  et  lues 
les  animaux  sauvages,  prends  garJe  que  cette  femme  ne  te 
prenne  dans  ses  filets  1  » 

Les  griffes  du  lion. 

Si  le  sultan  vous  attire  à  lui, 
N'en  montrez  aucun  orgueil  ; 
Et,  s'il  s'éloigne  de  vous, 
N'en  concevez  aucun  chagrin. 

Rappelez-vous  que  les  princes  ont  les  caprices  des  enfants 
et  les  griffes  du  lion. 

La  iiu  du  monde. 

On  demandait  à  un  Arabe  :  «  Crois-tu  à  la  fin  du  monde  ? 
—  Oui,  répondit-il,  depuis  que  j'ai  perdu  ma  femme,  la 
moitié  du  monde  a  déjà  disparu  pour  moi  :  et,  quand  je 
mourrai  à  mon  tour,  l'autre  moitié  s'en  ira.  » 

Le  tomoK-il  de  l'amant. 

Elle  m'a  fait  dire  :  «  Tu  dors,  et  nous  sommes  séparés  î  » 
J'ai  répondu  :  «  Oui,  mais  c'est  pour  reposer  mes  yeux  des 
pleurs  qu'ils  ont  versés.  » 

Les  honneurs  et  les  richesses. 

Celui  qui  recherche  avec  avidité  les  honneurs  et  les  ri- 
chesses, je  le  compare  à  un  homme  altéré  qui  veut  étancher 
sa  soif  avec  de  l'eau  de  la  mer.  Plus  il  boit,  plus  il  veut 
boire,  et  il  boit  ainsi  jusqu'à  ce  qu'il  finisse  par  en  mourir. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  aa  fort  Lamalgne.) 


PRNSI^IES    KT    MAXIMES  r,41 

» 

(^  honbeur  en  oiAriage. 

Les  plus  grandes  présomptions  de  bonheur  dans  une 
union  sont  les  qualités  suivantes  :  la  beauté,  la  fécondité, 
le  bon  caractère,  l'origine,  Tintelligence,  la  pureté  et  la 
piété. 

La  beauté.  —  La  femme  qui  est  belleenchaîne  les  regards 
de  son  mari,  et  les  détourne  des  autres  femmes.  Elle  Tem- 
pèche  de  tomber  dans  le  crime  abominable  de  Tadullère. 

La  fécondité.  —  La  femme  féconde  remplit  l'un  des 
grands  buts  du  mariBge. 

Le  bon  caractère.  —  La  femme  d'un  bon  caractère  est 
pour  son  époux  une  couronne  d*or;  elle  bannit  de  la  maison 
les  tracas  et  les  soucis. 

Uorigine.  —  La  femme  de  noble  origine  soutient  son 
mari  dans  les  épreuves  de  la  vie,  l'encourage  et  donne  à  ses 
enfants  des  sentiments  généreux. 

L'intelligence.  —  La  femme  intelligente  aide  son  mari, 
surveille  sa  fortune,  et  lui  laisse  tout  son  temps  pour  les 
grandes  affaires. 

La  pureté.  —  La  femme  pure  obtient  l'amour  de  son 
mari  et  gagne  son  intimité.  La  nature  nous  porte  à  préférer 
la  personne  que  le  premier  nous  avons  aimée. 

La  piété.  —  Enfln,  la  femme  pieuse  coriserve  la  chasteté, 
et  donne  à  sa  famille  un  parfum  de  sagesse  et  de  religion. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgae.) 

Tne  ODce  d'honneur. 

Souviens-toi  qu'une  once  d'honneur 
Vaut  mieux  qu'un  quintal  d'or. 


54â  LA    VIE    ARABE 


Le»  conseLU. 


Ne  méprisez  jamais  les  conseils,  de  quelque  part  qu'ils 
viennent.  Rappelez-vous  que  la  perle  est  très-recherchée 
malgré  sa  grossière  enveloppe. 


Le  collier. 

Au  jour  de  son  départ,  nous  nous  volions  des  coups  d'oeil  ; 

Une  luèclie  de  ses  cheveux  flottait  sur  ma  corde  de  cha- 
meau ; 

Puis  mes  pleurs  ont  coulé  comme  des  perles  liquides  ; 

Si  j'avais  pu  les  réunir,  j*en  aurais  fait  un  collier  pour  son 
cou. 

Allons,  mon  cœur,  sachez  supporter  la  séparation  : 

Nul  ne  peut  s'opposer  à  la  volonté  de  Dieu  ; 

Et  vous,  mes  yeux,  quand  je  veux  consoler  mon  cœur. 

Ne  venez  plus  me  trahir  par  vos  larmes  ! 


Lo    *'itir. 


Le  vizir  peut  être  comparé  à  un  homme  qui  serait  monté 
sur  un  lion  :  les  passants  tremblent  en  le  voyant,  et  lui, 
plus  qu'eux  encore,  redoute  sa  monture. 


Nos  femmei. 


Nos  femmes,  fraîches  comme  le  coquelicot, 
Ne  sont-elles  pas  portées  sur  des  chameaux. 


PENSÉES    ET    MAXIMES  543 

Ces  vaisseaux  de  la  terre, 

Qui  marchent  du  pas  noble  de  Tautruche? 

Ne  sont-elles  pas  couvertes  de  voiles, 

Qui,  traînant  loin  derrière  elles, 

Désespèrent  môme  nos  marabouts? 

Ne  sont-elles  pas  parées  de  corail, 

De  bijoux  enrichis  d'ornements. 

Et  le  tatouage  bleu  de  leur  corps 

Ne  fait-il  pas  plaisir  h  voir  ? 

Tout  en  elles  ravit  Tesprit  de  ceux  qui  croient  en  Dieu  ; 

Vous  diriez  les  fleurs  des  fèves- que  TÉternel  a  créées. 

L'ambition. 

Quand  Dieu  veut  perdre  la  fourmi,  il  lui  donne  des  ailes  ; 
pleine  de  joie  et  d'orgueil,  elle  s'envole  ;  un  petit  oiseau 
passe,  la  voit  et  la  croque. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  an  fort  Lamalgue.) 

Lo  kadi. 

Un  kadiy  voulant  marier  sa  fille,  s'adressa  à  son  voisin 
pour  lui  demander  conseil.  «  Comment  se  fait-il,  lui  dit  ce 
dernier,  que  vous  veniez  me  consulter,  vous  que  l'on  consulte 
ordinairement  ? —  N'importe,  reprit  le  kadi,  j'attends  de  vous 
un  service,  rendez-le-moi. —  Eh  bien,  voici  ce  que  j'ai  à  vous 
dire  : 

«  Le  roi  des  Perses  ne  voulait  pour  sa  fille  que  des  hommes 
riches  ; 

»  Le  roi  des  Roums  —  des  chrétiens  —  préférait  la  beauté  ; 

»  Le  roi  des  Arabes  recherchait  l'origine  ; 

»  Et  notre  prophète  Mohhammed  n'aimait  que  la  piété. 

»  Voyez  maintenant  ce  que  vous  voulez  faire.  » 


!ii^  LA    VIE    ARABE 


Le  CAptif. 


L'hoinnie  ne  peut  avoir  du  large  dans  le  cœur 
Qu'autant  qu*il  en  voit  dans  le  ciel. 

^L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  aa  furt  Lamalgue.) 


Le«  tourments  de  rn'nour. 

Ah  !  si  les  princes  connaissaient  les  tourniçnts  de  Taniour, 
S'ils  savaient  que  c'est  nn  feu  qui  brûle  dans  la  poitrine. 
Ils  ne  puniraient  que  par  la  séparation, 
Et  ne  récompenseraient  que  par  la  réunion. 

La  barbo  blanche. 

Quand  la  barbe  commence  à  blanchir,  prenez  garde  à  vous  : 
L'heure  du  départ  approche;  mais  pourquoi  s*en  attrister  ? 
Ce  monde  est  faux  et  mensonger  ; 
Pendant  quelques  instants,  on  en  savoure  les  biens  ; 
Puis  il  faut  en  reconnaître  l'inanité. 
Voyez  :  la  mort  a  détruit  toutes  les  générations; 
Pauvre  ou  riche,  il  faut  rentrer  dans  la  poussière, 
Et  ni  sultan  ni  vizir  n'ont  pu  revenir  à  la  vie. 
Les  palais  eux-mêmes  deviennent  les  tombeaux  de  leurs 
maîtres. 

(L'émir  Anbd-el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgue.) 

L«>  rheral  que  je  veux. 

Moi,  je  veux  un  cheval  docile,  qui  aime  à  mâcher  son  mors, 
Qui  sache  supporter  la  soif,  qui  sache  supporter  la  faim. 
Et  qui  fasse  dans  un  jour  la  marche  de  cinq  jours. 


PENSÉES.  ET    MAXIMES  545 

Il  me  portera  dans  la  lente  de  Meryem  —  Marie, 
Cette  femme  plus  puissante  que  le  bey  de  Mascara, 
Lorsqu'il  sort  avec  ses  cavaliers  rouges, 
Au  bruit  des  canons  et  des  tambours. 


L'une. 


Celui  qui  n*a  jamais  chassé,  ni  aimé,  ni  tressailli  au  son 
de  la  musique,  ni  recherché  le  parfum  des  ileui^s,  né  dites 
pas  que  c'est  un  homme  ;  dites  que  c*est  un  âne. 

La  meiUeure  des  femmes. 

La  meilleure  des  femmes  est  celle  qui  porte  un  fils  dans 
son  sein, 
Qui  en  conduit  un  par  la  main, 
Et  dont  un  autre  suit  les  pas. 

« 

Le  choix. 

Si  tu  veux  te  marier,  informe-toi  de  la  branche  à  laquelle 
tu  t'allies,  sur  quel  arbre  elle  a  poussé  et  quelle  terre  Ta 
nourrie. 

N'oublie  pas  que,  si  la  racine  communique  au  tronc  ce 
qu'elle  a  de  bon,  elle  lui  communique  aussi  ce  qu'elle  a  de 
mauvais. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  an  fort  Lamalgue.) 
Les  fleurs  sans  parfum. 

Préférez  la  bonté  à  la  beauté. 

Il  est  dans  le  cœur  humain  d'aimer  tout  ce  qui  est  beau  ; 

35 


546  L\    VIE    AUAnE 

mais  dans  ce  inonde  combien  ne  trouve-t-on  pas  de  fleurs 
éclatantes  qui  brillent,  plaisent  à  nos  yeux,  et  pourtant  sont 
totalement  dépourvues  d'un  doux  et  suave  parfum. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgne.) 

l-fl  veuvo. 

Par  Dieu,  je  n'épouserais  pas  une  veuve,  ses  yeux  fussent- 
ils  les  yeux  de  la  gazelle  : 

Elle  s*cntretient  avec  son  mari,  et  pense  à  celui  qui  est 
mort. 

CoDsoils  à  suirre. 

Ne  vous  attachez  pas  à  un  homme  inhumain  :  tôt  ou  tard 
vous  le  trouverez  impitoyable  pour  vous  comme  pour  les 
autres. 

Ne- parlez  pas  d'une  chose  que  vous  ne  voudriez  pas  avoir 
dite  le  lendemain. 

Ne  restez  jamais  seul  avec  une  jolie  femme,  ne  dussiez- 
vous  employer  votre  temps  qu'à  lire  le  Korau. 

Le  trésor. 

Les  richesses  peuvent  se  perdre. 

Les  honneurs  sont  un  nuage  qui  se  dissipe  ; 

Mais  les  vrais  amis  sont  un  trésor  qui  reste. 

(L'émir  Aabd-el-Kadec,  captif  au  fort  Lamalgae.) 

Ceux  qu*il  ne  faut  pa»  coniolter. 

Ne  consultez  jamais,  ni  l'ignorant,  ni  rennemi,  ni  l'en- 


PENSÉES    ET    MAXIMES  547 

vieux,  ni  rhoninie  indécis,  ni  Thomme  à  deux  visages,  ni  le 
lâche,  ni  l'avare,  ni  l'amoureux  : 

L'ignorant  induit  en  erreur; 

L'ennemi  veut  votre  perte  ; 

L'envieux  ne  désire  jamais  le  bonheur  d'autrui  ; 

L*homme  indécis  ne  dit  ni  oui  ni  non  ; 

L'homme  à  deux  visages  veut  contenter  tout  le  monde  ; 

Le  lâche  a  toujours  la  vue  troublée  ; 

L'avare  ne  pense  qu'à  son  trésor  ; 

Et  l'amoureux  est  un  esclave  qui  ne  peut  briser  ses  liens 
pour  dégager  sa  raison. 

L'amant  vaincu. 

Je  suis  vaincu  par  Tamour  ;  mais  elle  est  si  belle,  que  je 
ne  suis  point  humilié  par  ma  défaite. 

Le  mariage. 

Lorsqu'un  jeune  homme  se  marie,  le  démon  pousse  un  cri 
affreux  :  les  siiMis  l'entourent  aussitôt  et  lui  demandent  le 
sujet  de  sa  douleur. 

—  Un  fils  d'Adam,  répond-il,  vient  encore  de  m' échapper. 

L'œil  et  roreiUe.  • 

On  demandait  à  un  poète  arabe  comment  il  pouvait  aimer 
une  femme  qu'il  ne  connaissait  même  pas. 

—  Je  l'aime,  répondit-il,  parce  que,  si  Toeil  n'a  pas  vu, 
l'oreille  a  entendu,  et  que  l'oreille  a  le  pouvoir,  aussi  bien 
que  l'œil,  de  porter  jusqu'au  cœur  les  émotions  passionnées 
de  rame. 


548  LÀ    VIE    ARABE 


a 


Le  cheval  marabout. 

Mon  cheval  vaut  mieux  que  tout, 

Mieux  que  mon  père,  mieux  que  mes  oncles, 

Mieux  que  les  biens  de  cette  terre  ; 

Aucun  sultan  n'a  monté  son  pareil. 

C'est  un  marabout,  les  femmes  viennent  le  visiter. 

L'homme. 

Il  y  a  trois  sortes  d'hommes  :  l'homme  homme,  l'homme 
demi-homme,  et  Thomme  qui  n'est  pas  un  homme. 

Le  premier  est  celui  qui,  ayant  une  grande  expérience 
des  affaires,  ne  dédaigne  pas  de  consulter. 

Le  second  est  celui  qui,  ne  pouvant  se  fier  à  la  solidité  de 
son  jugement)  a  le  bon  sens  de  consulter. 

Et  le  troisième  est  celui  qui,  dépourvu  de  toute  capacité, 
ne  consulte  jamais. 

La  ville  antique. 

Il  était  écrit  sur  la  porte  principale  d'une  ville  de  l'anti- 
quité :  «  Pour  entrer  chez  un  sultan,  il  faut  réunir  les  trois 
conditions  suivantes:    Sagesse^  richesse  et  résignation. 

Plus  bas,  on  avait  mis  :  «  C't  st  faux  ;  si  un  homme  possé- 
dait seulement  Tune  de  ces  trois  qualités,  jamais  il  ne  fran- 
chirait la  porte  d'un  palais.  > 

L'autre  monde. 

L'autre  monde  et  celui-ci  sont  comme  Torient  et  roccî- 


PENSÉKS    ET    MAXIMES  549 

dent  :  on  ne  peut  se  rapprocher  de  l'un  sans  s'éloigner  de 

l'autre. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgue.) 

Le  mouchoir  de  soie. 

La  tribu  que  tu  vois  arrêtée  devant  ce  défilé, 
Devant  ce  défilé  couronné  de  combattants, 
0  mon  frère  !  dis-moi  comment  elle  passera  ? 
—  Mon  seul  chagrin,  c*est  un  mouchoir  de  soie, 
Roulé  autour  d'un  front  orné  de  noirs  cheveux. 
Sans  Djamila  —  la  parfaite,  —  je  n'ai  plus  qu'à  jeter  le 
monde  sur  sa  figure. 

La  grandeur  d'iiino. 

La  meilleure  manière  de  se  débarrasser  d*un  ennemi  dont 
les  sentiments  sont  élevés,  c'est  de  lui  pardonner  :  on  en 
fait  un  esclave. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgue.^ 

La  solitude. 

Allons,  retirez-vous,  souvenirs  de  ce  monde  ! 

  mes  yeux,  vous  ne  valez  pas  l'aile  d'un  moucheron. 

Je  suis  connu  par  le  buveur  d'air,  la  nuit  et  les  combats. 

Je  suis  connu  par  le  sabre,  la  plume  et  le  papier, 

Je  suis  plus  aigu  que  la  lance, 

Et  je  supporte  la  faim  comme  le  loup. 

C'est  égal,  aujoui'd'hui,  je  veux  la  solitude; 

La  solitude,  c'est  le  bonheur,  le  temps  m'en  a  instruit  ; 

Jamais  on  ne  me  verra  plus  rechercher  ni  le  cheval. 

Ni  les  femmes,  ni  la  cour  d'un  émir. 


550  LA    VIE    ARABE 


Le  rendei-TOas. 

Porte  les  yeux  sur  les  douars  des  Angades, 
Puis  lève-les  au  ciel,  et  compte  les  étoiles. 
Pense  à  nos  montagnes,  à  leurs  étroits  sentiers  ; 
Pense  à  Tennemi  où  tu  n'as  pas  d*amis  ; 
Viens  seul,  ni'a-t-elle  dit,   et  ne  compte  que  sjr  ton 
cœur. 

La  Mgesse. 

Quand  Dieu  créa  la  sagesse,  il  lui  dit:   «  Va-t'en.  » 
Quelque  temps  après,  il  lui  cria  :  <  Reviens.  > 
l^a  trouvant  fidèle  et  obéissante,  il  décida  quMl  ne  la  pla- 
cerait que  dans  râuic  de  ses  plus  sincères  adorateurs  ;  et 
c'est  ainsi  qu'elle  est  devenue  pour  l'homme  de  bien  ce  que 

sont  les  entraves  pour  le  cheval. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  an  fort  Lamalgne.) 

La  pucf. 

Quelle  que  soit  sa  faiblesse^  il  ne  faut  jamais  mépriser  un 
ennemi. 

Combien  de  fois  une  simple  puce  n*a-t-elle  pas  empêché 
un  éléphant  de  se  reposer,  et  combien  de  fois  encore  n'a- 
t-elle  pas  causé  des  insomnies  à  un  prince  auguste  et  puis- 
sant ! 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  an  fort  Lamalgoe.) 


Job. 


Celui  qui  supporte  patiemment  les  défauts  de  sa  femme 


PENSÉKS    ET    MAXIMES  r»51 

recevra  des  mains  de  Dieu  une  récompense  semblable  à  celle 
qu'il  accorda  à  Job  après  ses  longues  souffrances. 

La  beauté. 

Quoi  qu'on  en  puisse  dire,  la  beauté  plaide  puissamment 
sa  cause  dans  nos  cœurs  et  sait  toujours  obtenir  le  pardon  de 
ses  cruautés. 

Souvent  même  elle  gagne  notre  faveur,  au  point  de  nous 
faire  oublier  ses  crimes. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  an  fort  Lamalgae.) 

La  tourterelle. 

En  été,  quand  le  sommeil  a  donné  sa  nourriture  à  mon 
corps. 

Quand  l'œil  de  la  lumière  a  dissipé  les  ombres  de  la  nuit, 

Et  que  la  cbaleur  mord  tout  jusqu'à  la  pierre, 

Le  chant  de  la  tourterelle  me  remplit  de  désirs. 

Au  milieu  des  rameaux  du  palmier  que  le  moindre  vent 
agile, 

A  côté  de  la  feuille  qui  se  plaint  et  soupire, 

La  passion  la  dévore. 

Par  ma  tête  !  elle  réveille  en  moi  les  ardeurs  des  temps 
passés. 

Le  kohhal. 

Quand  une  femme  s'est  orné  les  yeux  de  kohhel,  paré  les 
doigts  de  benna,  et  qu'elle  a  mâché  le  mesteka  —  résine  du 
lentisque  —  qui  parfume  l'haleine  et  rend  les  dents  blan* 


552  LA    VIE    ARABE 

chesy  elle  devient  plus  agréable  aux  yeux  de  Dieu  ;  car  elle 
est  plus  aimée  de  son  mari. 

Jésui-Chrîtt. 

On  dit  à  Jésus-Christ  {sid-na-Aïssa)  : 

—  Au  lieu  de  te  fatiguer  comme  tu  le  fais,  achète  au 
moins  un  âne  pour  te  soulager  dans  tes  courses. 

—  Je  crois,  répondit-il,  être  trop  chéri  de  Dieu  pour  qu'il 
m'impose  Tobligation  de  le  négliger  pour  un  &ne.  Celui  qui 
ne  possède  rien  dans  ce  monde  sera  le  plus  riche  dans 
l'autre. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  aa  fort  Lamalgue.) 
Mon  père. 

Hélas  !  j'ai  perdu  mon  père, 
J*ai  perdu  la  tige  dont  je  suis  un  rameau. 
C'était  ma  gloire,  c'était  mon  sang  ; 
Un  sort  fatal  a  détruit  mon  bonheur. 

Nos  tribus  étaient  tîères  d'un  tel  chef  : 
Il  avait  toutes  les  beautés  de  l'âme  et  du  corps , 
Quand  il  sortait,  c'était  un  lion  superbe  ; 
Quand  il  rentrait,  c'était  un  loup  satisfait. 

Sa  tente  renfermait  des  chevaux  qui  hennissaient, 

Des  chameaux  qui  portaient. 

Et  des  moutons  qui  vêtaient  ; 

On  l'appelait  latente  des  invités  de  Dieu. 

Il  protégeait  contre  la  colère  des  hommes  ; 
Sa  main  n'était  jamais  fermée  ; 


PENSÉES    ET    MAXIMES  553 

Nul  ne  rentendit  jamais  questionner  l'étranger, 
Et  ne  le  vit  un  seul  jour  manger  seul. 

Ah  !  s'il  était  une  rançon  qui  pût  satisfaire  la  mort, 
Nous  nous  réunirions  tous  pour  la  payer. 
Ah  !  si  la  douleur  pouvait  rappeler  à  la  vie, 
Notre  douleur  le  ranimerait  ; 

Mais  Dieu  seul  est  éternel, 

Et  nous  avons  dû  le  déposer  froid  et  nu  dans  la  tombe. 

Que  le  Tout-Puissant  lui  soit  miséricordieux, 

Et  qu'il  nous  enrichisse  de  sa  résignation  ! 

L'insensé. 

0  mon  cœur  !  pourquoi  t'obstiner  à  faire  remonter  les 
eaux  vers  les  montagnes? 

Ta  es  rinsensé  qui  poursuit  le  soleil. 

Crois-moi,  cesse  d'aimer  une  femme  qui  ne  le  dira  jamais 
oui; 

Le  grain  semé  dans  un  sebkha  (lac  salé)  ne  produira  jamais 
d'épis. 

La  prudence. 

Ne  te  mêle  jamais  de  ce  qui  ne  te  i*cgarde  pas.  Rappelle- 
toi  que,  lorsque  les  lévriers  se  disputent  avec  acharnement 
un  morceau  de  viande,  s'ils  voient  passer  un  chacal ,  ils 
abandonnent  leur  proie  et  se  réunissent  tous  pour  s'élancer 
sur  lui. 

L'instruction. 

Instruire  de  bonne  heure,  c'est  graver  sur  le  marbre  ; 
Mais  instruire  tard,  c'est  écrire  sur  le  sable. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgne.) 


554  LA    VIE    ARABE 


Celle  que  j'aime. 

Elle  est  fière,  elle  est  noble,  je  Tai  vu  par  écrit  ; 
Ses  longs  cheveux  tombent  avec  grâce 
Sur  ses  épaules  larges  et  blanches  ; 
Ou  dirait  les  plumes  noires  de  l'autruche 
Qui  vit  dans  les  pays  déserts  et  surveille  sa  couvée. 
Ses  sourcils  sont  des  arcs  venus  du  pays  des  nègres. 
Et  ses  cils,  vous  jureriez  la  barbe  d'un  épi  de  blé 
Mûri  par  Tœil  de  la  lumière  (le  soleil)  au  milieu  de  l'été. 
Ses  yeux  sont  ceux  de  la  gazelle 
Quand  elle  s'inquiète  pour  ses  petits, 
Ou  bien  c'est  encore  un  éclair 
Devançant  le  lonnerre  au  milieu  de  la  nuit. 
Sa  bouche  est  pleine  de  grAce,  sa  salive,  sucre  et  miel  ; 
Et  ses  dents  bien  rangés  resserublent  aux  gréions 
Que  l'hiver  en  furie  sème  dans  nos  contrées. 
Son  cou,  c'est  Tétendard  que  plantent  nos  guerriers 
Pour  braver  l'ennemi  ou  rallier  les  fuyards; 
Et  son  corps  sans  défaut  vient  insulter  au  marbre 
Qu'on  emploie  pour  bâtir  les  colonnes  de  nos  mosquées. 
Blanche  comme  la  lune  que  la  nuit  vient  entourer, 
Elle  brille  à  l'égal  de  l'étoile  qu'aucun  nuage  n'obscurcit  ; 
Dites-lui  qu'elle  a  blessé  son  ami  de  deux  coups  de  poi- 
gnard, l'un  aux  yeux,  l'autre  au  cœur. 
L'amour  n'est  pas  un  fardeau  léger. 

Le  poète. 

Le  poète  ne  se  couvre  de  fleurs  et  n'est  véritablement 


PENSÉES    ET    MAXIMES  355 

inspiré' que  lorsqu'il  est  excité  par  une  joie  très-vive,  ou 
lorsqu'il  est  en  proie  à  un  profond  chagrin. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgue.) 
La  cbose  incompnrHble. 

Pour  soigner  un  malade, 

Pour  pleurer  un  mort, 

Ou  pour  dissiper  les  chagrins, 

fl  n*y  a  rien  de  comparable  à  la  femme. 


La  yie. 


La  vie  est  ainsi  faite  que,  pour  un  jour  de  joie,  on  y  compte 
un  mois  de  chagrin,  et  que,  pour  un  mois  de  plaisir,  on  y 
compte  une  année  de  douleur.  Il  n*y  a  de  force  qu*en  Dieu. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgue.) 
La  cheral  amoareux. 

Sabok  —  le  rapide,  —  pourquoi  hennir  ainsi? 
Ton  amour  ne  me  laisse  aucun  repos. 
Si  tu  veux  les  belles  filles  de  nos  chevaux. 
Moi,  je  veux  aussi  celles  qui  mettent  du  noir  à  leurs  pau- 
pières. 

La  rieille  femme. 

Ne  prenez  jamais  une  femme  plus  vieille  que  vous. 

D'ordinaire,  un  homme  vaut  mieux  à  l'extrémité  qu'au 
commencement  de  sa  carrière.  Pourquoi  î  Parce  qu'alors  il 
a  gagné  en  savoir,   en   expérience  et  en   résignation  ;  son 


556  LA    VIE    ARABE 

humeur  est  plus  égale,  il  est  moins  sujet  à  l'emporteiHent,  et 
sa  fortune  est  assise.  Mais  en  est-il  de  même  pour  la  femme? 
Non.  Sa  beauté  passe,  elle  devient  inféconde,  elle  devient 
chagrine,  maussade,  et  sou  caractère  va  toujours  s*ai- 
grissant. 

Si  donc  quelqu'un  vient  vous  annoncer  qu*il  a  épousé  une 
femme  sur  le  retour,  soyez  certain  qu*il  a  pris  les  deux  tiers 
du  mal  que  renferme  la  vie  d*une  femme. 

La  piélé. 

N*épousez  jamais  une  femme  pour  son  argent  :  la  richesse 
peut  la  rendre  insolente  ; 
Ni  pour  sa  beauté  :  sa  beauté  peut  la  perdre  ; 
Ëpousez-la  pour  sa  piété. 

(L*éinir  Aabd-eUKader,  captif  aa  fort  Limalj^ae.) 

Les  richesses. 

Les  biens  de  ce  monde  portent  rarement  bonheur,  et  ils 
nous  privent  presque  toujours  des  avantages  de  l'autre. 

Le  repentir. 

Le  repentir  d'un  jour,  c'est  de  se  mettre  en  route,  sans 
savoir  où  Ton  pourra  trouver  un  gîte. 

Le  repentir  d'une  année,  c'est  de  ne  pas  avoir  semé  ses 
terres  en  temps  convenable. 

Et  le  repentir  de  toute]  la  vie,  c'est  d'avoir  épousé  une 
femme  sans  s'être  édifié  sur  sa  famille,  sur  son  caractère  et 
sur  sa  beauté. 


PRNSÉES    ET    MAXIMES  .VJ 


Si  nous  étions  des  hommfis. 

Si  nous  étions  des  hommes,  et  si  vous  étiez  des  femmes, 
Jamais  nous  ne  supporterions  un  pareil  outrage  ; 
Mourir  en  braves  ou  faire  mourir  ses  ennemis. 
Voilà  ce  qui  convient  aux  maîtres  de  Taraour-propre. 
Mais,  puisque  vous  êtes  insensibles  à  la  honte, 
Prenez  la  parure  des  fiancées,  ornez  vos  yeux  de  kohhel, 
Teignez  vos  doigts  avec  du  henna,   et  ne  vous  ménagez 
pas  les  parfums. 
Par  Dieu,  le  maître  du  monde  ! 

Vous  n'avez  été  créés  que  pour  porter  nos  vêtements, 
Pour  tisser  des  bernouss  et  pour  soigner  des  enfants. 

Le  paradis  de  la  (erre. 

Le  paradis  de  la  terre  se  trouve  sur  le  dos  des  chevaux^ 
Dans  le  fouillemcnt  des  livres, 
Ou  bien  auprès  d'une  jolie  femme. 


Le  coq. 


On  disait  à  un  coq  :  <  Tu  n'es  qu'un  ingrat  et  un  mauvais 
cœur.  On  te  nourrit  bien,  on  te  procure  toutes  les  jouissances 
de  la  vie,  on  te  vante,  on  t'admire,  et  cependant,  quand  nous 
voulons  te  caresser,  tu  nous  fuis  avec  horreur.  Vois  l'oiseau 
de  race  (tair  el  horr  —  le  faucon),  il  n'a  jamais  vécu  que 
que  dans  les  pays  sauvages,  et,  s'il  devient  captif,  il  se  résigne 
immédiatement,  s'habitue  très-vite  à  son  maître,  ne  veut 
plus  le  quitter  et  se  montre  reconnaissant  des  bons  traite- 
ments dont  il  est  l'objet. 


558  LA    VIE    AHABE 

—  C'est  vrai,  répondit  le  coq  ;  mais,  s'il  avait  vu  saigner 
el  rôtir  autant  de  ses  semblables  que  j*ai  vu  de  mes  frères 
passer  à  la  broche,  il  ne  tiendrait  pas  une  autre  conduite 
que  la  mienne.  > 

(L*éniir  Aabd-cUKader,  captif  au  fort  Lamalgue.) 
La  résignation. 

Avec  une  corde  très-solide,  on  avait  attaché  un  chien  au 
cou  d'un  chameau.  D'abord,  faisant  des  efforts  inouïs,  il  se 
fil  traîner  et  ne  voulut  pas  marcher  ;  mais  le  chameau,  fort 
et  vigoureux,  Tenlraînait  avec  lui,  sans  môme  s'apercevoir 
de  sa  résistance.  Bicîitôt,  contusionné,  déchiré,  couvert  de 
sang  et  presque  étranglé,  le  chien  comprit  que  ce  qu'il  avait 
de  mieux  à  faire,  c'était  de  se  résigner. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Lairalgue.) 
Le  destin. 

Le  destin  est  pourvu  d'une  main  garnie  de  cinq  doigts  de 
fer.  Quand  il  veut  soumettre  l'homme  à  sa  volonté,  il  lui  en 
met  deux  sur  les  yeux,  deux  dans  les  oreilles,  et,  lui  plaçant 
le  cinquième  sur  la  bouche,  il  lui  dit  :  <  Tais*toi  I  » 

^L'émir  Aabd-ol-Kader,  captif  au  fort  Lamalgue.) 


PENSftKS    ET    MAXIHRS  559 


II 


Toulon. 


Toulon  !  lu  m'as  comblé  de  faveurs  et  de  bienfaits.  Quelle 
noblesse  est  la  tienne,  relevée  connue  elle  l'est,  par  tous  les 
dons  de  la  nature  ! 

Je  savais  que  lu  étais  une  ville  estimée  par  les  hommes  de 
cœur,  et  je  t  ai  trouvée  préoccupée  de  raccueil  honorable 
que  tu  voulais  m'accorder. 

Les  qualités  de  rhonime  généreux  se  trouvent  réunies 
dans  celui  qui  a  la  main  libérale  et  la  parole  obligeante. 

La  poussière  abattue  par  une  pluie  d'orage  ne  s'inquiète 
pas  de  quelques  gouttes  de  rosée. 

Toulon  !  couronne  la  liste  de  tes  nobles  qualités,  aux- 
quelles personne  ne  peut  prétendre,  et  donne  à  IMiôte  qui 
est  descendu  chez  loi,  qui  a  reçu  ton  hospitalité,  donne-lui 
la  permission  de  se  rendre  à  la  Mecque. 

De  cette  manière,  tous  les  maux  qui  Taccablent,  toutes 
les  afflictions  d'une  mauvaise  santé  seront  dissipés. 

Alors,  je  te  citerai  dans  un  éloge  qui  fera  mention  de  tes 
hommes  et  de  tes  monuments. 

Sois  prospère,  vaillante  porte  de  la  France  !  toi  qui,  dans 
la  générosité,  dans  la  guerre  et  dans  la  gloire,  as  toujours 
tenu  une  place  élevée. 

Tu  fais  Tornement  de  ton  pays  ;  il  brille  par  l'éclat  de  ton 
cortège  guerrier,  aussi  bien  que  par  la  cavalcade  de  ta  science. 

Tu  Tornes  encore  par  tes  vaisseaux,  dont  les  corps  sont 


5C0  LA    VIE    ARABE 

jeunes,  dont  l'haleine  est  du  poison,  et  dont  les  soupirs  sont 
un  feu  qui  embrase  tout. 

Voilà  tes  châteaux,  voilà  tes  foudres  lancées  par  tes  canons  ! 
voilà  tes  retranchements  et  ta  nombreuse  armée  I 

Quand  Tennemi  vint  tenter  chez  toi  une  descente,  il  y 
rencontra  les  traits  enflammés  que  tu  sais  diriger  dans  les 
ténèbres,  et  il  dut  se  retirer  avec  la  honte. 

Tes  habitants  Vont  qu'une  seule  occupation  :  ils  étudient 
la  manière  d*écraser  la  tête  de  leui*s  jaloux  adversaires. 

Maintenant,  6  Touloi)  !  si  tu  dis  :  <  Tu  m*as  bien  décrite,  » 
je  répondrai  :  <  Ma  plume  est  impuissante  à  énumérer 
toutes  tes  qualités.  > 

Puis  je  passerai  à  un  autre  sujet,  et  j'ajouterai  :  c  Quelle 
réponse  feras-tu  à  celui  qui  est  venu  te  visiter?  •  Il  est 
impossible  que  tu  le  laisses  partir  sans  étancher  sa  soif  ; 

Car  tu  surpasses  tous  les  rivaux  que  le  monde  peut  t'op- 
poser;  tu  sais  garder  ta  parole  et  remplir  tes  engagements. 

Que  Dieu  dirige  tes  lettres  vers  ceux  qui  sont  tes  hôtes  ! 
qu'elles  leur  apportent  des  paroles  de  consolation  et  d'espé- 
rance ! 

Àfm  qu'ils  puissent  s'éloigner  avec  confiance,  et  jouissant 
d'un  bien-ôtre  dont  aucun  danger  ne  pourra  plus  troubler  la 
sécurité  (1). 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  an  fort  Lamalgae.) 

(1)  L'original  de  ces  vers  sur  Toulon  est  encore  entre  mes  mains;  il 
est  écrit  eu  entier  de  la  main  d'Aabd-el-Kadcr,  traduit  et  cerlilié  par 
M.  le  baron  Rousseau,  interprète  principaTdo  l'armée  d'Afrique.  Il  m'a 
été  remis  le  15  février  1848,  alors  que  je  me  trouvais  en  mission  au 
fort  Lamalgue.  A  cette  époque,  l'i'mir  ne  connnaissait  pas  la  France, 
mais  instinctivement  il  cherchait  à  intéresser  à  son  malheur  tous  ceux 
qu'il  supposait  pouvoir  lui  être  utile.  J'eus  l'honneur  de  lui  présenter 
alors  une  foule  de  personnes  de  distinction,  et  je  déclare  que  pas  une 
seule  ne  se  retira  sans  emporter  une  très-haute  idée  de  Tesprit  et  du 
caractère  de  Tillnstre  captif. 


PENSÉES  ET  MAXIMES  561 


Le  fat. 


Celui  qui  n'a  pas  lu,  pourquoi  écrit-il? 
11  perd  l'encre  de  son  écritoire. 

Et  celui  qui  n'a  pas  eu  de  bonnes  fortunes,  pourquoi 
ment-il? 
Il  flétrit  la  réputation  des  mères  de  nos  enfants. 

L'absence. 

Elle  a  dit  :  <  0  mon  Dieu!  rends-le-moi  promptement, 

Ne  fais  pas  de  peine  à  ceux  qui  se  sont  juré  ; 

N*as-tu  pas  fait  entrer  l'amour  dans  mon  cœur. 

De  même  que  tu  as  donné  le  mouvement  à  mes  doigts? 

Tant  qu'il  sera  loin,  mon  âme  conservera  le  deuil, 

Le  henna  ne  teindra  plus  mes  mains, 

Le  koheul  ne  noircira  plus  mes  paupières, 

Et  personne,  dans  un  sourire,  ne  verra  plus  mes  dents.  • 

La  science. 

La  science,  c'est  la  pluie  du  ciel  :  quand  une  goutte  d'eau 
tombe  dans  une  huître  entr' ouverte,  elle  procj^iitia  perle;  si 
elle  tombe  dans  la  bouche  de  la  vipère,  elle  produit  le  poison. 

(L'émir  Aabd*el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgue.) 

La  bienfaisance. 

Soyez  bienveillant  pour  tout  le  monde;  et,  dans  la  pra- 
tique de  la  vie,  donnez  à  chacun  ce  qui  lui  revient,  en  pro- 
portion de  son  éducation  et  de  son  intelligence.  Un  médecin, 

3G 


502 


LA    VIE    A^^ABE 


quelle  que  soit  sa  science,  ne  peut  appliquer  le  même  remède 
à  tous  les  maux. 

I.fl  femme  maigre. 

Méfiez-vous  de  la  femme  qui  est  Irès-inaigre,  qui  est  tou- 
jours malade  ou  qui  feint  de  Têtre,  qui  rit  sans  motif  et  qui 
se  plaint  sans  cesse,  qui  est  jaune  de  couleur,  et  qui,  après 
avoir  poussé  un  soupir  vers  le  ciel,  en  pousse  deux  vers  la 
terre. 

l'ne  Ame  errante. 

Quand  je  ne  serai  plus  et  que  mon  âme  errante  promènera 
son  vol  dans  le  désert,  je  penserai  encore  aux  belles  et  aux 
jeunes  femmes  que  j*ai  sauvées,  le  matin,  à  Theure  des 
combats,  lorsqu'elles  fuyaient  éperdues,  avec  leurs  voiles  en 
désordre 

La  terre. 

Bien  fous  ceux  qui  ne  veulent  pas  comprendre  Tinanité 
des  cboses  de  ce  monde  ;  car,  chaque  jour,  la  terre  crie  dans 
les  airs  :  « 

«  N*ayez  aucune  confiance  on  mol,  mes  paroles  font  rire 
et  mes  actions  font  pleurer.  » 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgne.) 

Portrait  d'un  guerrier  arabe. 

Je  n'ai  jamais  vu  une  peau  recouvrant  de  la  chair, 
Ni  chair  recouvrant  des  tendons, 


PENSÉES    ET    MAXIMES  563 

Ni  tendons  recouvrant  des  os, 
Comme  sa  peau,  sa  chair  et  ses  tendons. 
Il  est  impossible  aussi  de  trouver  un  cœur  logé  dans  une 
poitrine  d*honime, 

Que  Ton  puisse  comparer  au  sien. 

Les  Arabes  vivent  de  leur  gloire, 

Que  Dieu  bénisse  le  lait  qui  les  nourrit  ! 

Ln  bien-ftim/'C. 

J*ai  pensé  à  toi,  ma  bien-ainiée,  lorsque,  m'élançant  dans 
les  hasards,  j'ai  vu  les  glaives  nus  étinceler  autour  de  nous. 

Lorsque  des  mains  détachées  par  le  sabre,  s'envolaient 
dans  l'espace  ; 

Lorsque  des  têtes  humaines  roulaient,  sanglantes,  sous  les 
pieds  de  nos  chevaux, 

Oh  !  alors  le  souvenir  de  ton  amour  remplissait  mon  âme, 
et  je  sentais  ma  poitrine  sur  le  point  d'éclater  ; 

Elle  devenait  impuissante  &  comprimer  les  battements  pré- 
cipités de  mon  cœur. 

(I/émir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgue.) 

Le  chOTal  rétif. 

Mon  cheval  devient  rétif  devant  ma  tente  : 
Il  a  vu  la  maîtresse  des  bagues  prête  à  partir  ; 
C'est  aujourd'hui  que  les  jeunes  gens 
Doivent  mourir  pour  les  femmes  de  la  tribu. 

Conseils  d*iin  pdre  à  son  fils. 

Aime  les  chevaux,  les  armes  et  lâchasse  : 


564  LA    VIE    ARABE 

Par  les  chevaux,  tu  pourras  te  procurer  les  richesses,  le 
bien-être,  et  tu  t'élèveras  en  dignité  ; 

Par  les  armes,  tu  écarteras  le  mal  et  tu  te  garantiras  de 
la  méchanceté  des  hommes  ; 

Et  par  la  chasse,  tu  apprendras  la  guerre,  tu  fortifieras 
ta  santé  et  lu  banniras  les  chagrins. 

Pensez  h  Taatre  monde. 

Vos  enfants  sont  pour  la  tombe,  vos  palais  pour  la  ruine. 

Tout  ce  qui  vit  doit  un  jour  disparaître. 

0  mes  amis,  ne  laissez  pas  la  terre  vous  tromper  et  vous 
trahir  ; 

Souvenez-vous  que  la  mort  est  toujours  debout  au  seuil  de 
votre  porte. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  an  fort  Lamalgae.) 

L'espèce  humaine. 

Les  hommes  sont  faits^  les  uns  avec  de  l'or,  les  autres 
avec  de  l'argent,  et  le  plus  grand  nombre  avec  du  cuivre. 
N'acceptez  chacun  que  pour  sa  valeur  réelle. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  an  fort  Lamalgue.) 


Dieu. 


0  fils  d'Adam,  reconnais  Dieu,  et  il  te  préservera; 
Adore-le,  et  tu  le  trouveras. 

Si  tu  as  quelque  chose  à  demander,  ne  t'adresse  pas  aux 
hommes,  demande-le  au  Tout-Puissant. 
Sache  que,  quand  bien  même  tout  un  peuple  unirait  ses 


PENSr.ES    ET    MAXIMES  565 

efforts  contre  toi,  il  ne  pourrait  te  faire  aucun  mal  si  Dieu 
daigne  te  couvrir  de  sa  protection. 

(L'émir  Âabd-el-Kader,  captif  aa  fort  Lamalgue.) 

L'amitié. 

Je  te  le  jure  par  Dieu,  le  maître  du  monde, 
Jamais  le  soleil  ne  se  lève  sans  que  je  pense  à  toi  ; 
Et,  quand  il  se  couche,  ton  souvenir  est  encore  dans  mon 
cœur. 
Suis-je  avec  des  amis,  je  ne  prends  jamais  la  parole 
Sans  que  tu  sois  le  sujet  de  ma  conversation  ; 
Et  quand,  consumé  par  une  soif  brûlante, 
Je  vais  goûter  à  Teau  la  plus  pure. 
Je  vois  encore  ton  ombre  dans  le  fond  de  mon  verre. 

(Vers  adressés  au  colonel  Daumas  par  l'émir  Aabd*el-Kader,  captif 
au  fort  Lamalguo.) 

La  niéliance. 

il  faut  se  méfier  d'un  jeune  homme  quand  on  a  une  jolie 
femme, 
De  sa  femme  quand  on  veut  garder  un  secret, 
Et  d'un  gueux  quand  on  a  de  Targent. 

L'Arabe  du  déscri. 

Les  habitants  des  villes  sont  fatalement  contraints  de  re- 
connaître un  maître;  mais,  nous  qui  vivons  sous  la  tente, 
toujours  prêts  à  la  fuite  comme  au  combat,  nous  ne  recon- 
naissons d*autre  maître  que  Dieu. 


S66  LA    VIE    ARABE 


Le  ffT. 

La  chose  la  plus  forte  que  Dieu  ait  créée,  c'est  le  fer. 

Eh  bien,  le  fer  est  vaincu  par  le  feu, 

Le  feu  par  Teau, 

L'eau  par  les  chevaux,  qui  traversent  à  la  nage  les  rivières 
les  plus  profondes,  et  qui  courent  plus  vite  que  les  fleuves 
les  plus  rapides; 

Les  chevaux  par  leurs  cavaliers, 

Les  cavaliers  par  leurs  femmes, 

Les  femmes  par  leurs  enfants. 

Les  enfants  par  leurs  maîtres, 

Les  maîtres  par  le  sultan, 

Et  le  sultan  par  la  grande  communauté  des  croyants. 

Rien  de  nouveau. 

Un  lion  vint  un  jour  rôder  autour  d'une  tente,  s'empara  de 
celui  qui  l'habitait,  le  déchira  et  le  mangea.  La  victime  avait 
poussé  de  grands  cris  ;  là-dessus,  la  tribu  de  sortir  et  de 
s'enquérir  de  la  cause  de  ce  tumulte.  «  Ce  n'est  rien,  lui 
dit-on  ;  le  lion  est  venu  et  il  a  dévoré  le  maître  d*une  tente, 
voilà  tout   » 

(L'émir  Aahd-el-Kader,  captif  an  fortLamalgoe  ) 

L'anuix-bie. 

Lorsque  les  temps  sont  bouleversés,   voici  comment   il 
faut  te  conduire  : 
Avec  des  chanteurs,  chante  plus  haut  qu'eux  ; 
Avec  ceux  qui  crient,  crie  plus  fort  qu'eux  ; 


PKNSÉES    KT    MAXIMES  567 

Avec  des  gens  honnêtes,  soit  plus  honnête  qu'eux  ; 

El  avec  des  coquins,  sois  coquin  plus  qu'eux  ; 

Si  lu  trouves  des  chacals  mangeant  de  la  charogne,  fais- 
toi  chacal  et  mange  avec  eux  ;  sans  cela,  ils  te  mangeront. 

En  un  mot,  rugis  avec  les  lions,  et,  dans  l'empire  des 
singes,  cabriole  mieux  qu'eux  (1). 

Le  mépris  de  lu  mort. 

Pourquoi  la  vie  nous  est-elle  si  chère?  Parce  qu'on  a  sous 
les  yeux  tout  le  bien-être  qu'on  s'est  créé  ou  qiii  nous  a  éié 
légué  par  nos  pères;  les  richesses,  les  honneurs,  la  bonne 
chère,  les  belles  habitations,  les  lits  moelleux,  les  jardins, 
les  eaux,  les  femmes  et  les  enfants,  et  (|ue  Ton  se  figure 
l'autre  monde  comme  étant  totalement  dépourvu  de  tous  ces 
avantages;  mais,  si,  au  contraire,  on  méprisait  ce  qui 
nous  réjouit  tant  sur  cette  terre,  pour  croire  solidement  que 
le  ciel  nous  donnera  des  jouissances  bien  supérieures,  on  ne 
craindrait  plus  la  mort. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgue.^ 

L'équitatioD. 

Oui,  donnez  du  talon  à  vos  chevaux  ; 
Apprenez,  et  apprenez-leur  ce  qui  vous  servira  ; 
Dans  ce  monde,  il  faut  qu'un  jour  ou  l'autre 
L'homme  se  rencontre  avec  son  demandeur  (le  demandeur 
de  sa  vie). 


(1)  Inutile  d'ajouter  que  ces  principes,  en  pays  arabe,  ne  sunl  suivis 
que  par  les  aveuturiers  :  malheureusement,  ils  y  sont  nombreux. 


568  LA    VIE    ARABE 


0  fils  d'Adam! 

0  fils  d*Adam!  tant  que  mon  règne  durera,  ne  redoute  pas 
les  sultans,  et  mon  règne  ne  périra  pas. 

0  fils  d'Adam!  ne  mets  ton  espoir  qu'en  moi.  Si  tu  te  con- 
fies à  d'autres,  tout  bien  t'échappera  ;  mais,  si  tu  m'invoques, 
tu  me  trouveras. 

0  fils  d'Adam  I  je  t'ai  créé  pour  m'adorer; 

J'ai  arrêté  quelle  serait  ta  fortune,  ne  te  fatigue  donc  pas 
à  l'augmenter. 

Ne  sois  pas  cupide  et  ne  t'inquiète  de  rien;  si  tu  te 
montres  satisfait  de  la  part  que  je  t'ai  faite,  tu  dormiras  tran- 
quille et  je  te  chérirai  ;  si,  au  contraire,  tu  n'es  pas  content 
de  Ion  sort,  je  susciterai  contre  toi  les  exigences  de  ce  monde, 
je  t'abandonnerai  et  tu  deviendras  errant  comme  les  ani- 
maux sauvages,  sans  jamais  rien  obtenir  au  delà  de  ce  que 
je  l'aurai  assigné. 

J'ai  créé  les  sept  deux  et  les  sept  terres  sans  me  fatiguer, 
pourquoi  donc  lue  faliguerais-je  à  t' accorder  ce  qui  me  coû- 
terait évidemment  moins  à  faire? 

0  fils  d'Adam  î  je  suis  ton  ami,  j'ai  le  droit  d'exiger  ton 
amour  ;  ne  me  demande  jamais  des  choses  déraisonnables, 
injustes,  et  demain  je  ne  te  demanderai  pas  de  comptes.  Si  je 
ne  suis  point  inflexible  envers  ceux  qni  me  désobéissent,  que 
ferai-je  donc,  moi,  le  Tout-Puissant,  pour  ceux  qui  suivent 
mes  lois  ? 

Les  hommes  de  m<i  tribu. 

Où  sont  les  hommes  de  ma  tribu  ?  où  sont  mes  frères  ? 
Où  sont  ceux  qui  chantaient  pour  moi  des  chants  d'amour  ? 


PENSÉKS    ET    MAXIMES  569 

Où  sont  les  braves  qui  méprisaient  la  mort  ! 

Et  qui  criaient  au  jour  du  combat  :  c  Je  suis  un  tel,  fils 
d'un  tel  !  » 

Enfants  des  Oulad-Yagoub  (enfants  de  Jacob),  me  lais- 
serez-vous  conquérir  par  ces  chiens  altérés  de  sang  ? 

La  jument  noble  (bhorra). 

Ya  hhorra  !  ô  la  noble  !  ô  ma  fille  !  par  votre  honneur, 
écoutez-moi  :  Je  vous  ai  élevé  de  race  en  race,  je  vous  ai 
fait  boire,  sur  In  fin  des  nuits,  du  lait  de  chamelle,  et  ma 
mère  vous  a  donné  ses  soins.  Tout  le  monde  a  les  yeux  sur 
vous  ;  montrez  à  ces  enfants  du  péché  ce  que  vous  savez 
faire  ;  sauvez-vous  et  sauvez  votre  maître. 

Le  départ  des  amis. 

Que  de  fois  mon  cœur  et  mes  membres  n'ont-ils  pas  été 
brisés  par  le  départ  des  amis  1 

C'est  quand  on  se  sépare  que  la  fortune  semble  nous  don- 
ner un  avertissement. 

Eloigné  de  vous,  mes  chers  amis,  je  vais  m'agiter  dans 
rétourdissemenl  :  le  messager  de  l'avenir  ne  m'a-t-il  pas 
annoncé  tous  les  maux  qui  m'attendent  ? 

Amis  de  cœur,  vous,  mes  seuls  amis  !  En  qui  vais-je  pla- 
cer mes  espérances  quand  vous  serez  loin  de  moi  ? 

Me  voici  comme  Toiseau  dont  on  a  coupé  les  ailes,  et  qui 
reste  captif  dans  le  filet  des  inquiétudes  et  du  malheur. 

Amis  qui  me  quittez  !  amis  que  je  ne  pourrai  plus  rem- 
placer! quand  me  sera-t-il  permis  de  vous  revoir  ? 

Hélas  !  comme  votre  absence  va  m'affliger!  Où  trouver  la 


570  LA    VIE    ARABE 

consolation  ?  La  résignation  elle-même  ne  saura  me  la  pro- 
curer. 

Si  vous  demandez  en  quel  état  je  me  trouve  depuis  notre 
séparation  ;  par  la  main  droite  de  Dieu,  je  ne  sais  plus  où  est 

mon  âme  (i). 

Salem . 

Salem  est  mort  le  jour  dun  grand  combat. 

Mais  il  est  mort  en  me  sauvant  la  vie  ; 

J'en  porterai  le  deuil,  c'est  un  fils  que  j'ai  perdu. 

Je  vous  laisse  les  cbevaux,  6  pasteurs  ! 

Ils  me  connaissent  et  je  les  connais  ; 

Le  Temps  (la  Fortune)  vient  de  me  traliir, 

Jamais  je  ne  monterai  plus  ceux  auxquels  on  met  un  frein. 

Les  épreuves. 

Il  y  a  dix  choses  que  l'homme  doit  inévitablement  con- 
naître pendant  sa  vie  : 
Le  plaisir  et  la  douleur, 
La  réunion  et  la  séparation, 
L'aisance  et  la  gêne, 
La  santé  et  la  maladie, 
La  joie  et  le  chagrin. 

(L'émir 'Aabd-eUKador,  captif  au  fort  Lamalgae.\ 

(1)  Vers  adressés  auv  généraux  L'heureui  et  Damnas,  par  Aabd-el- 
Kader,  quand,  au  boul  d'une  mission  de  quatre  mois  auprès  de  Témir, 
ils  durent  s'en  séparer  après  l'avoir  conduit  au  cbàteau  de  Pau,  par 
ordre  du  gouvernement.  Ils  ont  été  traduits  et  certifiés  par  M.  le  ba- 
ron Rousseau,  interprète  principal  d  j  l'armée  d'Afrique,  et  c'est  là  ace 
constatation  aussi  précieuse  qu'tionorable  des  égards  que,  tout  en  rem- 
plissant nos  dovoirs,  nous  n'avons  cessé  de  témoigner  à  celui  qui  avait 
si  Doblemeroent  défendu  son  pays. 


PENSÉKS    ET    MAXIMES  571 


La  vertu  des  guerriers. 

J  ai  dit  à  mon  âme,  prête  à  s*échapper  comme  une  étin- 
celle du  soleil,  pour  fuir  les  hommes  courageux  qui  lui  fai- 
saient face  : 

«  N\iyez  aucune  crainte,  restez  sur  la  place  du  combat  :  la 
fermeté  est  la  vertu  des  guerriers  :  personne  ne  peut  vivre 
un  seul  jour  au  delà  du  terme  que  Dieu  lui  a  fixé.  >» 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  ao  fort  Lamalgoe.) 
La  confiance. 

Ne  mettez  jamais  votre  confiance  ni  dans  la  Fortune,  ni 
dans  les  femmes; 
Placez-la  dans  celui  qui  ne  meurt  pas  (en  Dieu). 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Lamal^e.) 

Le  silence. 

On  se  repent  rarement  de  s'être  tu  ; 
On  se  repent  souvent  d'avoir  trop  parlé. 

Le  guerrier  tftihi  par  la  fortune. 

J'iii  préparé  pour  les  combats  un  noble  coursier  aux  for- 
mes parfaites,  qu'aucun  autre  n'égale  en  vitesse. 

J*ai  aussi  un  sabre  étincelant,  qui  tranche  d'un  seul  coup 
le  corps  de  mes  ennemis. 

Et  cependant,  la  Fortune  m'a  traité  comme  si  je  n'avais  ja- 
mais goûté  le  plaisir  de  monter  un  buveur  d'air  ; 


572  LA    VIE    ARABR 

Comme  si  je  n'avais  jamais  ressenti  les  douleurs  de  la  sé- 
paration ; 

Comme  si  je  n*avais  jamais  assisté  au  spectacle  émouvant 
de  nos  chevaux  de  race  surprenant  Tennemi  à  la  pointe  du 
jour  ; 

Comme  si,  enfin,  après  une  défaite,  je  n'avais  jamais  ra- 
mené des  fuyards  aux  combat,  en  leur  criant  : 

c  Fatmas  !  filles  de  Fatmas  !  La  mort  est  une  contribution 
frappée  sur  nos  têtes.  Par  Dieu,  le  maître  du  monde,  tournez 
l'encolure  de  vos  chevaux  et  reprenez  la  charge.  » 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgae.) 

La  femme  issue  du  paradis. 

Je  voudrais  être  sa  touba  (robe)  blanche, 
Pour  la  garantir  du  froid  et  de  la  pluie  ; 
Je  voudrais  être  ses  belgha  (pantoufles)  rouges. 
Pour  la  préserver  des  ronces  et  des  épines  ; 
Ou  mieux  encore,  la  terre  elle-même. 
Pour  la  sentir  me  marcher  sur  les  joues. 
Oui,  c'est  une  femme  issue  du  paradis. 
Si  tu  la  vois,  tu  en  deviendras  fou , 
Et,  si  elle  te  quitte,  tu  en  mourras. 

Deux  contre  un. 

On  demandait  à  un  chef  arabe,  renommé  pour  sa  vail- 
lance, couiment  11  se  faisait  que  toujours  il  réussît  à  tner 
ceux(iui  avaient  Taudace  de  se  mesurer  avec  lui.  t  Lorsque 
je  livre  un  combat  singulier,  répondit-il,  une  voix  intérieure 
me  crie  que  j'ai  le  pouvoir  de  tuer  mon  adversaire,  et,  de 


I 


PENSÉES    ET    MAXIMES  573 

son  côté,  mon  adversaire  sent  qu*il  marche  à  la  mort.  Nous 
sommes  alors  deux  contre  un,  voilà  tout  mon  seeret.  » 

Les  sages. 

Les  sages,  chez  les  Arabes,  ont  toujours  conseillé  de  vivre 
loin  des  sultans  et  des  cours.  Peu  de  personnes,  disent-ils, 
réussissent  à  échapper  aux  effets  du  poison,  à  la  haine  d'une 
femme  et  à  Tamitié  d'un  prince. 

Le  nageur  (cheval  de  guerre). 

Qu'est' devenu  le  temps  où  je  montais  un  nageur 

A  l'œil  noir,  aux  naseaux  larges, 

Aux  membres  secs,  au  cœur  fidèle  ? 

C'était  un  épervier  de  carnage, 

Et  la  vie  ne  valait  plus  rien  pour  moi 

Dès  que  la  bride  n'était  plus  dans  ma  main. 

J'étais  jeune  alors,  je  cherchais  le  péril. 

Je  me  riais  des  corbeaux  du  malheur; 

Le  loin  me  paraissait  toujours  près, 

Et  ma  tente  regorgeait  de  butin. 

Le  courage. 

Il  a  trois  sortes  de  courages  : 

Le  premier  consiste  à  se  placer  au  centre  de  l'armée,  à 
sortir  des  rangs,  à  brandir  son  sabre  et  à  s'écrier  :  «  Y  a-t-il 
quelqu'un  ici  qui  ose  se  mesurer  avec  iioi?  » 

Le  second  consiste  à  ne  jamais  s'émouvoir  ;  à  contenir  sa 
troupe  avec  fermeté,  pour  la  faire  concourir,  en  temps  oppor- 
tun, à  Faction  générale,  lorsque  la  bataille  est  engagée. 


574  LA    VIE    ARABE 

Le  troisième  consiste  à  ne  jamais  désespérer,  à  réveiller, 
par  de  nobles  paroles,  l'ardeur  des  siens,  à  frapper  les 
fuyards  à  la  figure  pour  les  ramener  au  combat,  à  ne  pas 
laisser  enfin,  entre  les  mains  de  Tennemi,  le  brave  dont  le 
cheval  a  été  tué.  Ost  à  ce  propos  qu'on  a  dit  : 

«  Le  guerrier  qui  protège  courageusement  et  habilement 
une  retraite,  sera  considéré  dans  Tautre  monde  à  Tégal  de 
l'homme  pieux  qui  intercède  pour  ceux  qui  sortent  du  droit 
chemin.  » 

X'émir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgne.) 

L(}  four  à  chaux. 

• 

Mon  cœur,  je  le  compare  à  un  four  à  chaux  : 
Son  feu  calcine  les  pierres  à  Tintérieur, 
Sans  que  la  fumée  paraisse  à  l'extérieur. 

Les  écueils. 

Chaque  chose  a  son  écueil  : 

Quel  est  recueil  de  la  sagesse  ?  la  colère. 

L'écueil  de  l'esprit?  l'orgueil. 

L'écueil  du  savoir?  l'oubli. 

L'écueil  du  discours  ?  le  mensonge. 

L'écueil  de  la  bienfaisance?  la  vanité. 

L'écueil  de  la  générosité?  la  fréquentation  des  avares. 

I/écueil  de  la  force  ?  l'oppression. 

L'écueil  de  la  religion  ?  la  négligence  des  pratiques. 

Et  recueil  d'un  noble  cœur  ?  l'altrâit  des  voies  nouvelles. 

L'outrage. 

Pardonner  l'outrage,  c'est  marcher  au  mépris. 


pensi^:es  et  maximes  575 


Devant  l'ennemi. 

Devant  Tcnnemi,  conduis- toi  de  telle  aorte  que,  si  tu  es 
vaincu,  on  t'excuse.  * 

La  retenue  dans  les  discours 

Si  VOUS  pouviez  voir  le  registre  où  sont  inscrites  vos 
bonnes  et  vos  mauvaises  actions,  vous  déchireriez  votre 
langue. 

On  demandait  à  un  sage  combien  il  comptait  de  vices  dans 
un  fils  d*Adam.  «  Ils  sont  si  nombreux,  répondit-il,  qu'on 
ne  saurait  en  faire  le  calcul  ;  mais  j'ai  remarqué  qu'une  seule 
vertu  pouvait  les  racheter  tous.  —  Et  quelle  est  cette 
vertu  ?  —  La  retenue  et  la  convenance  dans  les  discours.  » 

L'homme  libre. 

L'homme  libre  n'est  qu'un  esclave,  s'il  est  cupide  ; 
Et  l'esclave  devient  libre,  s*il  sait  se  contenter  de  peu. 

(LV'iiiir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Laroalgoe.) 

L'orgueilleux. 

Celui  qui  monte  sur  le  minaret  pour  appeler  les  fidèles  à 
la  prière  (le  mouddenn),  en  descend  ensuite  et  vient  s'age- 
nouiller avec  nous  ;  mais  toi,  parce  que  la  fortune  t'a  favo- 
risé, tu  nous  accables  de  tes  dédains.  Prends  gardé,  celui  qui 
ne  dort  jamais,  te  doit  une  punition. 


5T6  LA    VIE    ARABE 


Le  conseil. 

Le  conseil  est  lourd  pour  celui  qui  le  donne  ; 
Il  est  léger  pour  celui  qui  le  reçoit. 

Abraham,  le  chéri  de  Diea. 

Abrabam,  le  chéri  de  Dieu,  demanda  un  jour  à  Tan  de 
ses  serviteurs  comment  il  vivait. 

—  Comment  je  vis?  lui  répondit  celui-ci,  je  vais  vous  en 
instruire.  Si  j'ai  de  quoi  manger,  je  mange  ;  si  je  n*ai  rien  à 
manger,  je  patiente. 

—  Ce  n*est  pas  assez,  reprit  notre  seigneur  Abraham,  il 
faut  faire  comme  moi.  Si  j'ai  de  quoi  manger,  je  mange  et  je 
partage,  et,  si  je  n'ai  rien  à  manger,  je  rends  encore  grâce 
à  Dieu. 

Nos  coursiers. 

Nos  nobles  coursiers  passent  leur  temps  à  rivaliser  de  vi- 

Les  femmes  essuient  avec  leurs  voiles  la  sueur  qui  ruis- 
selle de  leurs  fronts. 

Ils  balancent  la  tête  comme  s'ils  voulaient  se  débarrasser 
des  entraves  qui  les  retiennent  captifs,  et  ils  sont  attentifs 
au  moindre  cri. 

Sur  leu  r  dos  sont  montés  des  lions  féroces. 

'L'émir  Aabd-cl-Kader,  captif  au  fort  Lamalgue.) 


PENSÉES    ET    MAXIMES  577 


La  fierté. 

Il  est  des  espèces  de  jalousies  que  Dieu  admet,  comme  il 
est  des  sentiments  de  fierté  qu*ii  approuve. 

La  jalousie  que  Dieu  admet  est  celle  qui  nait  d'un  soupçou 
légitime  ;  et  la  jalousie  quUl  réprouve  est  celle  qui  n'est  ba- 
sée sur  aucun  motif. 

La  fierté  qu*il  permet  est  celle  qui  anime  Thomme  dans 
les  combats  ;  et  la  fierté  qu'il  condamne  est  celle  qui  n'est 
Tondée  que  sur  une  futile  vanité. 

L'aiguille. 

Le  sahre  peut  teindre  en  rouge  sa  lame  étiucelante, 
Et  cependant  l'aiguille  passe  là  où  il  ne  peut  passer. 

O  qai  plait  à  Dieu. 

Uieu  n'est  plus  agréable  à  Dieu  qu*uue  goutte  de  sang  ré- 
pandu pour  sa  cause,  ou  une  larme  glissant  sur  la  joue,  pen- 
dant la  nuit,  par  suite  de  la  crainte  qu'il  inspire. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  ao  fort  Lamalgue.) 

Le  célibataire. 

En  temps  de  révolution,  le  célibataire,  c'est  l'oiseau  de 
race  qui,  fier,  indépendant,  cherche  librement  sa  proie  dans 
les  airs  ;  et  l'homme  marié,  c'est  le  faucon  captif  qui,  le  ca- 
puchon sur  les  yeux  et  la  chaiue  au  pied,  ne  peut  que  se 
conformer  à  Ih  volonté  de  son  maître. 

(L'émir  Aabd -el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgue.) 

37 


578  LA    VIE    ARxVBE 


Le  baTeur  d'air. 

Ses  oreilles  rivalisent  avec  celles  de  la  gazelle. 

Ses  yeux  sont  les  yeux  de  la  femme  agaçante, 

Son  front  ressemble  à  celui  du  taureau, 

Ses  narines  à  la  caverne  du  lion. 

Son  encolure,  ses  épaules  et  sa  croupe  sont  longues  ; 

II  est  large  du  siège,  des  membres  et  des  flancs  ; 

Il  a  la  queue  de  la  vipère,  les  jarrets  de  l'autrucbe, 

Et  ses  talons  vigoureux  sont  éloignés  du  sol. 

Je  compte  sur  lui  comme  sur  mon  cœur  ; 

Aucun  sultan  n'a  montré  son  pareil. 

Une  merreille  de  la  nature. 

Un  chef  arabe  dit  un  jour  à  son  fils  : 

—  Parle  peu,  tu  feras  bien. 

—  Et  si,  en  parlant  beaucoup,  répondit  celui-ci,  j'allais 
faire  mieux  encore  ? 

—  Dans  ce  cas,  reprit  le  père,  tu  serais  une  merveille  de 
la  nature. 

L'ombre  de  Dieu  sur  la  terre. 

ê 
•  # 

Un  Arabe  du  désert  demanda  un  jour  à  un  sage  quel  était 
cet  homme  portant  le  nom  de  sultan,  devant  qui  tous  les 
dos  se  courbaient  et  toutes  les  têtes  s'abaissaient. 

—  C'est,  lui  répondit-Il,  roiubi'e  de  Dieu  sur  la  terre  ;  on 
doit  le  glorifier  :  s*il  fait  le  bien,  il  en  obtiendra  la  récom- 
pense ;  et,  s'il  fait  le  mal,  ses  sujets  n'ont  qu'à  patienter,  il 
en  sera  sévèrement  puni.  Tout  pasteur  de  peuple  qui  ne  le 


PENSÉES    Eï    MAXIMES  579 

dirige  pas  avec  justice  et  bonté  est,  tôt  ou  tard^  privé  de  la 
miséricorde  de  Dieu. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  caplif  aa  fort  Lamalgoe.) 

Lis  couleurs. 

Le  jaune  a  de  l'éclat  et  de  la  convenance, 

Le  rouge  est  vif  et  beau, 

Le  vert  est  entraînant, 

Le  noir  est  triste  ; 

Le  blanc  seul  a  de  la  grandeur  et  de  la  noblesse. 

Saure-nous  et  saure  nos  chernux. 

0  mou  Dieu  !  sauve-nous  et  sauve  nos  chevaux  ! 
Chaque  jour,  nous  couchons  dans  un  pays  nouveau  ; 
Pourvu  qu'elle  se  rappelle  nos  veillées, 
Avec  les  flûtes  et  les  tambours  I 

Le  guerrier  de  la  TèriU. 

Le  guerrier  de  la  vérité  doit  avoir  : 

Le  courage  du  coq, 

Le  fouillement  de  la  poule. 

Le  cœur  du  lion, 

L'élaù  du  sanglier, 

La  ruse  du  renard, 

La  prudence  du  porc-épic, 

La  vélocité  du  loup, 

La  résignation  du  chien, 

Et,  enfin,  la  comploxion  dunaguir  (petit  animal  du  Kho- 


5S0  LA    VIE    AHABE 

rassaQy  tellement  robuste,  que  sa  santé  ne  peut  être  altérée 
ni  par  les  fatigues,  ni  par  les  privations. 

L«  vieillard. 

Vieillard,  n*épouse  jamais  une  jeune  fille, 

Quand  ses  dents  seraient  des  perles 

Et  ses  joues  des  bouquets  de  roses  : 

Elle  te  mangerait  ton  bien  et  t'ensevelirait  dans  une  natte. 

L'Arabe  nomade. 

Dieu  a  diversifié  les  goûts  et  les  caractères  afin  que,  par 
ce  moyen,  les  hommes  se  ujissent  d'accord  sur^^e  qui  peut 
être  avantageux  au  plus  grand  nombre.  Sans  une  grande  va- 
riété dans  les  aspirations,  ils  auraient  tous  voulu  le  pouvoir, 
les  honneurs,  les  richesses,  les  douceurs  de  la  vie,  et  cela 
n'aurait  pu  que  nuire  au  bien-être  général  en  détruisant 
rharmonie  sociale.  Remercions  le  Tout  -  Puissant  d'a- 
voir su  embellir  aux  yeux  de  chacun  la  position  dans  la- 
quelle il  se  trouve  ;  grftce  à  sa  prévoyance,  des  gens  que  l'on 
serait  tenté  de  plaindre  se  considèrent  comme  les  plus  heu- 
reux des  hommes.  Ne  soyons  donc  pas  avides,  et  nous  vi- 
vrons en  rois,  ne  dussions-nous  avoir  en  partage  que  la  paix 
du  cœur. 

Voyez  l'Arabe  nomade  :  il  campe  dans  une  vaste  plaine 
où  il  n'entend  que  le  cri  du  chacal  et  la  voix  de  l'ange  de  la 
mort. 

Son  habitation  consiste  en  quelques  pièces  d'étoffes  gros- 
sières ,  tendues ,  puisque  le  bois  lui  manque,  avec  les  os 
des  animaux  qu'il  a  égorgés  pour  se  nourrir. 

Il  a  (levant  sa  tente  ses  cliaiiieaux,  son  cheval  et  son  chien. 


PENSÉES    I:T    maximes  5HI 

et  sous  cette  maison  de  poil,  coin  me  il  l'appelle,  —  bile  - 
echaar  — ses  enfants  et  ses  femmes,  dont  les  plus  riches  pa- 
rures se  composent  de*pièces  d'argent  ou  de  cuivre  enfilées 
les  unes  au  bout  des  autres. 

Le  soleil  est  le  foyer  où  il  se  chauffe,  la  lune  est  son 
flambeau  ; 

La  chair  et  la  laine  du  mouton  suffisent  à  sa  nourriture, 
comme  à  son  habillement; 

Veut-il  se  réf;aler,  il  chasse  Tautruche  et  la  gazelle  ; 

Le  lait  et  Teau  du  ciel,  voilà  toute  sa  boisson. 

Est-il  malade,  les  herbes  du  désert  composent  ses  médi- 
caments; 

Quant  aux  parfums,  il  n*en  connaît  pas  d'autres  que  les 
odeurs  du  goudron,  de  la  gazelle,  et  des  plantes  du  Sahara. 

Il  se  couche  là  où  le  surprend  la  nuit  :  sa  demeure  ne 
peut  crouler,  elle  défie  les  tremblements  de  terre. 

Et  cependant,  cet  homme  est  musulman,  mais  il  a  jeté  le 
monde  sur  sa  figure  ;  il  est  loin  du  caprice  des  sultans,  il  est 
content  de  son  sort,  et,  dans  sa  rude  existence,  il  rend  encore 
grâce  à  Dieu. 

L'expérience. 

La  modestie  dépend  du  savoir-vivre  ; 

Le  bonheur,  de  la  sécurité  : 

La  bonne  société,  de  la  bonne  éducation  ; 

La  sagesse,  de  l'expérience, 

Et  rhomme  expérimenté,  pour  la  protection  ou  pour  le 
salut  d'un  pays,  vaut  souvent  mieux  qu'un  guerrier  re- 
nommé. 


5R2  LA    VIË    ARABE 

La  guerre  sainte  (djahad). 

OÙ  sont  ces  jeunes  gens  montés  sur  des  chevaux  de  race. 

Qui  broient  leur  raors  avec  furie  ? 

Où  sont  ces  bernouss  noirs,  ces  étriers  qui  brillent. 

Et  ces  longs  éperons  qui  font  marcher  les  morts? 

Lorsqu'ils  courent  à  la  poudre, 

Semblables  à  Tépervier,  ils  fondent  sur  le  roumi  —  chré- 
tien; 

Avec  leurs  riches  fusils,  ils  font  craquer  les  os  ; 

C'est  une  pluie  de  sang  qui  tombe  sur  la  contrée. 

Ils  sont  partis  :  quels  admirables  cavaliers  ! 

Notre  émir  marche  à  leur  tête  : 

Vous  diriez  la  lune  suivie  par  les  étoiles  ; 

Jamais  femme  n'enfantera  leurs  pareils. 

0  mon  Dieu  !  vous  à  qui  rien  n*est  impossible. 

Rendez  la  victoire  à  nos  drapeaux  ; 

Faites  triompher  les  hommes  qui  vous  ont  vendu  leurs 
âmes, 

Et  rassasiez  les  vautours  de  la  chair  des  impies. 

La  femme  acariâtre. 

La  femme  acariâtre  est  pour  son  époux  ce  qu*6st  un  lourd 
fardeau  pour  un  vieillard. 

La  femme  douce  et  bonne  est,  au  contraire,  une  couronne 
d'or  pour  son  mari.  Chaque  fois  qu'il  la  regarde,  son  cœur 
et  ses  yeux  se  réjouissent.  .  • 

L'œil  du  prince. 

De  même  que,  par  un  miroir  pur,  net  et  bien  poli,  un 


PENSÉES    ET    MAXIMES  383 

souverain  peut  connattre  sa  laideur  ou  sa  beauté,  de  même 
par  un  ministre  capable,  intègre  et  fidèle,  il  connaîtra  la  va- 
leur de  ses  actes,  les  besoins  de  ses  sujets,  la  situation  de 
son  empire. 

L'œil  du  prince  est  Tornement  d*un  trône,  c'est  un  vizir 
qui  sait  la  vérité  et  ne  craint  pas  de  la  dire. 

(L'émir  Aabd-el-Kader,  captif  au  fort  Lamalgoe.) 
Les  caprices. 

Un  Arabe  dit  à  Tun  de  ses  amis  : 

—  Vous  êtes  jeune,  beau,  riche  et  bien  élevé,  pourquoi  ne 
vous  approchez'vous  pas  du  prince  ? 

—  Parce  que,  lui  répondit-il,  j'ai  lu,  j'ai  entendu  dire 
et  j*ai  vu  que  le  sultan  donnait  quelquefois  vingt  mille  pièces 
d'or  à  un  bomme  par  caprice,  et  qu'il  en  faisait  précipiter 
un  autre  du  haut  des  remparts  sans  motif.  Or,  comment 
puis-je  le  rechercher,  quand  j'ignore  si  j'aurai  le  sort  du 
premier  ou  du  dernier. 

*  Le  langage. 

On  peut  juger  un  homme  par  son  langage,  comme  on 
reconnaît  au  son  qu'il  rend  l'état  d'iin  vase.  Un  sage  a  dit  : 

—  Toutes  les  fois  que  je  suis  en  présence  d'yn  homme,  il 
m'inspire  un  certain  respect,  jusqu'à  ce  qu'il  ait  parlé.  Si  je 
le  trouve  éloquent  et  sage,  ce  respect  ne  fait  que  croître  ; 
mais,  si  je  ne  découvre  chez  lui  ni  esprit,  ni  jugement,  il  perd 
toute  considération  à  mes  yeux. 

O  noir  de  mon  œil! 

0  noir  de  mon  œil  !  ô  printemps  de  mon  cœur! 

Le  destin  nous  a  laissé  la  flèche  perfide  de  la  séparation  ; 


5S4  LA    VIE    ARABE 

Mais,  dès  <|ue  le  vent  qui  vient  de  ta  contrée 

Soulève  les  bords  frémissants  de  ma  tente, 

Je  t'aspire,  je  te  respire. 

Et  j*use  mes  paupières  à  te  pleurer. 

Reviens,  reviens,  je  t'en  conjure. 

Par  Dieu  Tunique,  tu  ressusciteras  un  mort. 

Prière. 

0  mon  Dieu  !  préserve-nous  de  la  misère,  de  la  maladie 
et  de  Tamour. 

4 

Instruc lions  royales. 

Un  sultan  célèbre  avait  préparé  trois  maximes  sur  trois 
papiers  différents,  et  les  avait  remis  à  son  ministre,  en  lui 
disant  :  «  Lorsque  vous  me  verrez  sortir  des  voies  de  la  sa- 
gesse et  de  la  raison,  je  vous  donne  l'ordre  de  me  les  pré- 
senter Tune  après  Tautre. 

Sur  le  premier  était  écrit  : 

«  Vous  n'êtes  pas  un  Dieu,  vous  mourrez,  et  la  terre 
vous  dévorera.  » 

Sur  le  second  : 

«  Ayez  cQAipassion  de  ceux  qui  sont  sur  cette  terre,  pour 
que  celui  ((ui  est  au  ciel  vous  soit  un  jour  miséricordieux,  n 

Sur  le  troisième  : 

«  Ne  disposez  de  vos  sujets  que  suivant  la  sagesse  et  les 
préceptes  de  l'Eternel.  » 

Nous  sommfs  Arabes. 

Nous  sommes  Ai*abes  :  c'est  nous  qui  dédaignons  ce 
monde  ; 


PENSÉES    ET    MAXCMES  58r, 

Le  plus  grand  roi  n'en  a  jamais  einporli'  qu'un  linceul. 

Noire  vertu,  c'est  la  résignation  ; 

Notre  fortune,  le  mépris  des  richesses  ; 

Notre  bonheur,  l'espoir  d'une  autre  vie  ; 

Et,  si  la  misère  vient  à  tourner  autour  de  nous, 

Nous  n'en  glorifions  pas  moins  Dieu. 


Tel  est  l'aperçu  que  je  puis  donner^ aujourd'hui  de  la  litté- 
rature,  de  la  poésie  et  de  la  tournure  d'esprit  dés  Arabes.  On 
y  trouvera,  si  je  ne  me  trompe,  un  mélange  de  naïveté  et  de 
finesse,  de  mélancolie  et  de  passion,  d'originalité  et  d'éclat, 
et  cet  ensemble  de  qualités  opposées  pourra  nous  initier 
véritablement  au  caractère  des  races  sémitiques.  Montesquieu 
a  dit  cependant  :  ' 

«  Les  poètes  et  les  orateurs,  mauvaise  source  d'informa- 
tions pour  rbistoire.  » 

Oui,  chez  les  peuples  latins,  dont  il  a  voulu  parler,  mais 
non  chez  les  Orientaux.  Pourquoi  ?  Parce  que  l'organisation 
sociale  des  Arabes  les  force  d'une  manière  invincible  à  ne 
vivre  que  de  légendes  et  de  traditions.  L'Orient  est  resté 
immobile  ;  tel  il  était,  tel  il  demeure,  et,  si  Abraham  tombait 
aujourd'hui  du  ciel  dans  une  tribu  quelconque,  il  reconnaî- 
trait, toujours  vivantes,  les  mœurs  et  les  idées  de  son  temps. 
C'est  donc  dans  leurs  chants  populaires,  dans  leurs  sen- 
tences et  leurs  dictons,  dans  leurs  poètes  et  leurs  trouvères, 
ces  gardiens  héréditaires  des  pensées  nationales,  qu'il  faut 
encore  aller  chercher  les  meilleurs  renseignements. 

A  présent,  comme  autrefois,  ils  n'ont  que  deux  idées  : 
Dieu  et  la  femme;  deux  passions  :  la  religion  et  la  guerre. 


586  LA    VIE    ARABE 

n  n'y  a  rien  après,  et  c'est  ce  rien  qui  fait  la  sépci ration  per- 
manente entre  eux  et  nous. 

Dans  leur  marche  à  travers  l'humanité,  les  deux  races  eu- 
ropéenne et  sémitique  s'avancent  d*un  pas  inégal.  Nous 
avons  augmenté,  nous  augmentons  chaque  jour  les  connais- 
sances de  nos  ancêtres  ;  les  Arabes,  au  contraire,  prétendent 
qu'ils  n'ont  rien  de  mieux  à  faire  que  de  conserver  les  tradi- 
tions des  aïeux.  Nous  marchons,  ils  n'avancent  ni  ne  re- 
culent. Se  mettront-ils  en  chemin?  j'en  doute. 


FIN 


TABLE 


AvAJfT-PROPOS I 

Prononciation  approximative,  en  français,  des  lettres  et  des  mots 
arabes y 

I.  Les  anciens  Arabes.  —  Religions  diverses.  —  Les  idoles.  — 
La  Kaaba  et  la  pierre  noire.  —  Le  pèlerinage.  —  La  Mecqne. 

—  L'àme  après  la  mort.  —  Le  prix  da  sang.  —  Diya.  —  Les 
ogres  et  les  démons.  —  Les  devins,  les  sorciers.  —  La  science 
des  races.  —  La  science  des  traces.  —  Le  Fal.  —  Le  corbeau 
de  la  séparation.  —  La  seconde  vue.  —  Préjugés  divers.  — 
Anaibèmes.  -^  Immolation  des  filles.  —  Défenses  formelles  du 
Prophète.  —  Les  dix  usages  conservés  par  Mahomet,  —  Usages 
disparus 1 

n.  Les  Arabes  et  l'islamisme.  -^  Religion;  le  bouillon  du  chré- 
tien et  le  bouillon  du  musulman;  la  queue  du  lévrier.  —  Écri- 
ture arabe.  —  Correspondance.  —  Visites.  —  Salutations.  — 
Le  titre  de  monseigneur,  sidi.  —  Salamaleo.  —  Adieux 37 

III.  —  Remerclments  et  souhaits,  —  Supplications.  —  Serments. 

—  Injures.  —  Imprécations.  —  Consolations.  —  Félicitations.     83 


588  LA    VIE    ARABE 

Pag#K 

IV.  Mort  de  la  femme  arabe.  —  Soins  pendant  la  maladie.  — 
Provisions  pour  la  dernière  heure.  —  Recommandations  de  la 
mère.  —  Demande  de  pardon.  —  Profession  de  foi.  —  La  mort. 
—  Ablations.  —  Les  linceals.  —  La  réponse  à  l'ange  interro- 
gateur. —  Chant  des  pleureuses.  —  Prières  des  tolbas.  — 
Chant  de  la  gouala.  —  La  prière  des  funérailles.  —  Inhuma- 
tion. —  Le  fadaoua.  —  Le  deuil.  —  Note  de  l'émir  Aabd-eU 
Kader  ! 131 

.  V.  —  Phrases  applicables  aux  hommes.  -«  Phrases  applicables  aux 
femmes.  —  Phrases  applicables  aux  chevaux.  —  Phrases  ap- 
plicables aux  armes 149 

VI.  Le  cheval  arabe  pur  sang.  —  Lettre  de  Témir  Aabd-el- 
Kador  au  général  Daumas.  —  Origine  des  chevaux  arabes.  — 
Chevaux  de  race  pure.—  Chevaux  dégénérés.  —  Le  climal.  — 
La  nourriture.  —  La  boisson.  —  Le  travail.  —  Croisement  de 
l'étalon  anglais  avec  la  jument  arabe.  —  Prix  qu'un  attache 
à  la  pureté  du  sang.  —  On  la  trouve  dans  le  vrai  désert.  — 
Course  fabuleuse.  —  RéQexions  de  l'auteur ...     !203 

VII.  —  Dictons  sur  les  villes  cl  sur  les  tribus.  —  Division  da 
temps.  —  Distance.  —  Quel  âge  as-tu?  —  Mets  chez  les  Arabes.    125 

VIII.  Hospitalité.  —  Mahomet  en  fait  un  dogme.  —  Hospitalité 
publique,  religieuse  et  privée.  —  Le  Senndouk,  bahut  des 
Arabes.  —  Les  Arabes  sont  des  conteurs  charmants.  —  La 
Ghomza,  clignement  imperceptible  de  l'œil.  —  Cassez  la  glace, 
vous  trouverez  l'hypocrisie.  —  La  tente  de  campagne.  —  Gui- 
toune. —  Un  invité  de  Dieu.  —  Les  pantalons  et  les  sous- 
pieds.  —  Si  vous  no  voyez  pas  la  femme,  elle  vous  verra.  — 
Défauts  qu'il  faut  éviter  à  table.  —  Principes  pour  les  invita- 
tions. —  Règles  à  obseivcr  avec  les  invités.  —  Départ  de 
l'hôto.  —  Grâces  accordées  par  Dieu  à  celui  qui  est  hospitalier. 

—  La  légende  des  sept  cœurs.  —  Hospitalité  de  la  mer !îftO 

IX.  Phrases  utiles  et  lsoelles.  —  Apprenez  cinq  mots  par  jour. 

—  Adverbes.  —  Le  mot  temps.  —  Le  mot  tuer.  —  Le  mol 
âme.  —  Le  mot  respiration.  —  Le  mot  boire.  —  Le  mot  frap- 
per. —  Le  mot  nez.  —  11  mange  de  ma  ceinture.  —  Les  Arabes 
du  milieu.  —  11  a  le  sang  jaune.  —  Rafraîchir  la  salive.—  La 
langue  aral>e  est  un  puits  sans  fond.  —  Reproches  adressés 


TABLE    DES    MATIÈRKS  589 

Pages 
au\  chréliens.  —  Les  ordares  de  ce  monde.  —  Le  moul  saa.  — 
La  révolle.  —  Ils  payeront  l'ancien  et  le  nouveau.  —  Le  café 
consolide  les  os  et  court  dans  les  membres.  —  La  tète  de  la 
boutique.  —  La  guerre.  —  Aujourd'hui,  c'est  le  jour  de  la  mort. 

—  Les  impies  couvrent  l'œil  du  soleil.  —  La  poudre  a  mangé 
tous  nos  hommes.  —  Le  troupeau  sans  berger.  —  Quel  dom- 
mage que  les  Français  ne  se  fassent  pas  musulmans  !  —  0  mon 
Dieuy  c'est  toi  qui  nous  as  amené  l'infidèle,  c'est  toi  qui  dois 
nous  l'enlever 331 

X.  Vigueur  et  sobriété.  —  L'émir  Aahd-el-Kader  dans  la  grande 
Kabylie.  —  Les  joueurs  de  flûte.  —  Un  rekass  ou  messager 
arabe.  —  Son  portrait.  —  Trente  heures  de"  marche;  quatre 
biscuits  de  soldat.  —  Dieu  s'est  chargé  du  reste.  —  Le  trot  du 
chien.  —  Rencontre  d'un  lion.  —  Plantes  et  racines  avec  les- 
quelles un  homme  peut  vivre  dans  les  pays  sauvages.  — 
Exploits  de  Saaïdane,  coureur  arabe.  —  Le  rheval  de  son  ànie. 

—  Énergie  des  chasseurs  du  désert.  —  L'àme  domine  le  ven- 
tre. —  Provisions  des  Touareg  en  expédition.  —  Manière  de 
boire  le  sang.  —  Comparaison  entre  un  estomac  sauvage  et  un 
estomac  civilisé 373 

XI.  —  Hiérarchie  arabe.  —  Formules  religieuses.  —  Fêtes  prin- 
cipales. —  La  confiance  en  Dieu.  —  Maladies.  —  Animaux.  — 
Noins  des  jours  et  d»'S  mois.  —  Points  cardinaux.  —  Degrés  de 
parenté.  —  Numération.  —  Appellation  des  différentes  langues..    399 

XII.  —  La  Zyara.  —  L'Ouaada.  —  La  Maaouna,  chant  de  triom- 
phe et  chant  de  détresse,  —  Le  Deker.  —  L'Amane.  —  Les 
Khouane.  —  Les  Moul-Saa.  —  Les  Derkaoua 443 

XI II.  Proverbes  et  sentences.  —  Les  proverbes  sont  nombreux 
sous  la  tonte.  —  Le  bhenna,  c'est  la  terre  du  paradis.  —  La 
femme  est  reine  dans  sa  maison.  —  Où  est  passé  votre  argent, 
à  les  chréliens?  —  La  terre  musulmane  verse  des  pleurs  de  dé- 
sespoir. —  Le  monde  est  avec  celui  qui  est  debout.  —  C'est 
celui  qui  a  mal  aux  dents  qui  doit  courir  après  le  dentiste.  — 
L'aigle  lui-même  ne  peut  pas  voler  sans  plumes.  —  Le  taureau 
ne  se  fatigue  pas  de  porter  ses  cornes.  —  Quand  le  cri  de  l'oi- 
seau de  race  (faucon)  se  fait  entendre,  tous  les  coqs  se  taisent.    473 

XIV.  Le  savoir-vivre.  —  Soyons  humains,  polis  et  bieuveillanl^ 


im  LA    VIE    ARABE 

pour  les  vaincus.  —  Lo  itavoir-yivre  est  agréable  à  Bien.  —  Ne 
jouez  pas  avec  les  chieos,  ils  so  diraient  vos  cousins.  —  L'Arabe 
est  égoïste.  —  Les  gens  heureux  portent  bonheur.  —  N'oublies 
ni  lo  bien  ni  le  mal.  —  L'Arabe  do  bonne  compagnie.  —  On 
met  le  nom  do  Dieu  partout.  —  Comment  on  se  gare  du  mau- 
vais œil.  —  Lo  rouge  et  le  jaune.  —  Usages  délicats.  —  No 
sifflez  ni  ne  chantez  auprès  des  tentes.  —  Comment  on  se  dé- 
barrasse des  importuns.  —  Les  cinq  questions  qu'il  ne  faut  ja- 
mais poser.  —  L'éi'ritun»  du  dcmon.  —  Orgueil  effréné  des 
Arabes.  —  On  peut  être  ignorant,  on  n'est  pas  mal  élevé 905 

XV.  Penséks  et  maximes.  —  Pensées  religieuses  ou  mondaines, 
philosophiques  ou  poétiques.  —  Elles  soulèvent  un  coin  du 
voile  qui  nous  sépare  de  la  vie  arabe.  —  L'Orient  est  resté  im- 
mobile. •—  U  ne  vit  que  do  légendes  et  de  traditions.  -^  Dieu, 
la  femme,  la  religion  ot  la  guerre.  —  U  n'y  a  rien  après.  — 
Nous  marchons,  les  Arabes  n'avancent  ni  ne  reculent.  —  Se 
mettront-ils  en  chemin ]f 533 


Fl>     nr.     LA      lABLI. 


ClieliT  —  Imi'.  M.  Loigiio.i.  l'aul  Dupont  cl  C»c.  r  le  du  Jîae-U'Asnière»,  li.