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Full text of "La Vierge de Miséricorde; étude d'un thème iconographique"

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in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


littp://www.archive.org/details/laviergedemisrOOperd 


BIBLIOTHEQUE   DES  ECOLES  FRANÇAISES  D'ATHÈNES  ET  DE  RO^JE 

rl'BLlÉE 

SOUS  LES  AUSPICES  DU   MINISTÈRE  DE   L'INSTRUCTION   PUBLIQUE 


FASCICULE    CENT  UNIÈME 


LA 


VIERGE  DE  MISÉRICORDE 


ÉTUDE    D'UN    THEME    ICONOGRAPHIQUE 


PAR 


Paul    PERDRIZET 

ANCIEN    MEMBRE    DE    l"ÉCOLE    d'aTHÈNES 

DOCTEUR    ES    LETTRES 

MAITRE    DE    CONFÉRENCES    À    l'uNIVERSITÉ    DE    NANCY 


^^t»wu52i*2!î'** 


OUVRAGE  CONTENANT  QUATRE  ILLUSTRATIONS  DANS  LE  TEXTE 
ET  TRENTE  ET  UNE  PLANCHES  HORS  TEXTE 


V^rfO^ 


PARIS 

ANCIENNE    LIBRAIRIE    THORIN    ET    FILS 

ALBERT    FONTEMOING,     ÉDITEUR 

Libraire  des  Écoles  françaises  d'Athènes  et  de  Rome, 

de   rinstitut  français  dArchéologie   orientale   du   Caire, 

du  Collèjj'e  de  France  et  de  lÉcole  Normale  Supérieure. 

4,    RUE    LE    GOFF,    4 


1908 


VOLUME  D  INTRODUCTION  :  Mémoire  s.r  vss  Missiox  .v  Mo>t  Athos     Suivi  dun 
niemoiie  sur  unambon  conservé  àSaloniquc,  la  représentation  c]os,\\^^'„^X  ■     " 
et     en    Occitlent     durant     les     premiers    siècles      na\Tnn=.^    ^^^^ 
de  rinstitut.  directeur  de  lEcole  LSede  Rome  ef  M  ciT^ir^Ll^''''"^^' 
de_s_Ee.,es  françaisesdAthénes  et  de  Rome.  direSèu^de  renfc^/nen  ^^rsi^^^^^^^^^ 

FASCICULE    I.    I.    ETiMESL-n  le   L.ber    Po.nt.ficalis.    par  MonseiKneur  ■dVchLe" 

M     f"  Nr'rri    f'"     '"'     ^'■^^•'^^^'^«'7^    ARCHÉOLOGIQt-ES^,E     Jacques     Gr.m.lo"     par 

NL  h.  Ml. NT/.  3.  Ltlde  slk  le  .mystère  i.e  sai.nte  Ag>Ès.  parM.  CLÉr.AT  i"o T 

II     hss.U  SIR    LES    MOMME^TS    GRECS  ET     ROMA..NS     REL..T,FS     Af     MYTHE  DE  PsVcHÉ      Par 

M.   Ma.xime    Collig.nos ••  ini^  "c  r-sicHE,    par 

III.  Catalogies  des  vases  p^>^ i^ ^vséE  i^Ë i^' SociéTé '^ncHénJ;^,n\:^ ^^ a ^Î:^ 


^.   .  »u..,.. .    ,  un  fgdiemcni  ci-(lessus  fascicule  IV  ou  1-  partie  d<^  cet  ouvraëp 
i.  Recherches  poir  servir  a  lhistoirf    f.p  i  a  i.xr,^...-„  ouvrage.) 

iVII.    IVILDE  SI  R  PreNESTE.   VILLE  Df    I    VTll«       .^a..  \T  '  b ,' ^' '^   "•    ^^ 

..ulc  carte  et  trois  planches  en  h^C'a^ulî::. ''•  E'"'"-^"^'  Ferm.ik.  avec  une 


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^ÎKL.noR;:r  ""  '"  """■"'■^"^ '^^' ■•"'•-■ -■Gri-.vi;MËLEBR.n:ox;paVlI.--Franç.îïs 

tÎ^  't  .^^  rR;:-^:^::^:;,^!:^^"'  -  -  Hi..,oT„È.iy  •v•.T;cA^v.  x^inr 

n  AL.ENNE.  par  M.   Antoine  T.,'km\s  ^'^■^''^'''    chanson    i.e    geste    krakco- 

xxvîi'Trfs;:'^:?:^''''"'''''^'-  p^''-'^i-'J"ies'MAUTHA;;;;:;:: 5  î;:- 

^ar   NI '- AlU^ri^^nT,"^"!"""  "  ^«-™-"-'^  -  R^VENNE.  Et.de  ETCOLLABœ^ATIcîÏ: 

XXVIII.  Premii-re  section.  Les  Àuts".v"i  Vr.'i',  «   .■.■■ '^  f'"- 

i>a.-  M.  Eugène  ^I.^T..'^n,i  i^^^:  KN.  'i^.^•^'^;^l':!:^''^^  -  -•  -  -  -" 


SIECLE,  par  .M.  Euu'ène  MrvT/    m  ..„i         i     li        •      ■  ■^' •■■=  i-t.-inA.Nr  le  xv«  et  le   .\vi« 

seciion^vecdeur,:Li^h::^-^î:;i:!t:è  ïvenv"'-  '"""'^"  "^"^"^-  p'-*^™^^- 
^iSi:Z';::;;^,Z^^\r^::::j''^'^^^^^^  et  u  dissomtion 

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2  XXII.  Les  Archives  de  la  i?ini  lOTiii'nn"  V-J  '.'„''r"   • '.A ^  f'"-    ^^ 

JKH.SAi.nM  A  Malte,  par  M.  nKLvv.ur'LrRoiI"''*''"  '*^  >•  Ordre  de  Saint-Jean   dk 

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BIBLIOTHÈQUE 

DES 

ÉCOLES  FRANÇAISES  D'ATHÈNES  ET  DE  ROME 


FASCICULE   CENT   UNIÈME 

LA  VIERGE    DE    MISÉRICORDE 

ÉTUDE    D'UN    THÈME    ICONOGRAPHIQUE 

Par  p.  PERDRIZET 


MAÇON,    PROTAT    FRERES,    IMPRIMEI'RS 


LA   VIERGE   DE  MISERICORDE 

ÉTUDE    D'UN    THÈME    ICONOGRAPHIQUE 


OUVRAGES  DU  MEME   AUTEUR 


Les  Fouilles  de  Delphes,   tome  V  (bronzes,  vases,  terres  cuites,  anticiui- 
lés  diverses  .  Paris,  Fontemoing,  1906-1908. 

La  peinture  religieuse  en  Italie  jusqu'à  la  fin   du  XIV*^  siècle.  Nancy, 
Irn|)rini('rie  de  l'Est,  190'J. 

La  Galerie    Campana  et  les  musées  français   (en   collal)oration  avec 
M.  René  Jean".  Bordeaux,  Feret,  19()7, 

L'art  symbolique  du  moyen  âge,  à  propos  des  verrières  de  léglise 
Saint-Étienne  à  Mulhouse.  Leipzig,  Cari  Beck,  1908. 

Spéculum  humanae  salvationis  (en  collaboration  avec  M.  Jules  Lutz), 
2  vol.  f",  en  cours  à  Mulhouse  chez  Meininger  depuis  1907. 

Étude  sur  le  Spéculum  humanae  salvationis.  Paris,  Champion,  1908. 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


Cliché  de  Vauleur 


Notre-Dame  de  Bunsecolus  a  Nancy 
(Slaliie  de  Miitisiiy  Gauvain) 


LA 

VIERGE  DE  MISÉRICORDE 

ÉTUDE    d'un   thème    ICONOGRAPHIQUE 


PAK 

Paul    PERDRIZET 

A.XCIE.X    MEMBHIC    DE    l'ÉCOLE    d' ATHENES 

DOCTEUR    ES    LETTRES 

MAITRE    DE    COXFÉRENCES    À    l'uMVERSITÉ    DE    NANCY 


OUVRAGE    CONTENANT    QUATRE    ILLUSTRATIONS    DANS    LE    TEXTE 
ET    TRENTE    ET    UNE    PLANCHES    HORS    TEXTE 


PARIS 

anch:nne  librauue  thorln  et  fils 

ALBERT    FONTEMOING,     ÉDITEUR 

Libraire  des  Ecoles  françaises  d'Athènes  et  de  Rome, 

de   rinstitut  français   d'Archéologie   orientale   du    Caire, 

du  Collège  de  France  et  de  l'École  Normale  Supérieure. 

4',    RUE    LE    GOFF,    4 
190  8 


x> 


4 161 


AVERTISSEMENT 


Sainte-Beuve  parle  quelque  part  de  ces  historiens  «  qui 
tombent  dans  le  dossier  ».  V archéologue .  quand  il  entre- 
prend un  travail  d' iconographie^  doit  se  résigner  d'avance  à  ce 
reproche  :  l'iconographie  ne  consiste-t-elle  pas  d' abord,  et  sur- 
tout, à  rassembler  les  monuments,  à  les  répartir  par  séries^ 
donc  à  classer  des  dossiers? 

Pourtant,  on  peut  souhaiter  que,  même  dans  des  monogra- 
phies du  genre  de  celle-ci,  le  document  non  seulement  n  em- 
pêche pas  la  synthèse,  mais  qu'il  ne  la  masque  pas  trop.  J'ai 
tâché  de  distinguer,  même  à  l'œil,  mes  dossiers  de  înes  démon- 
strations. 

Un  livre  c/ui  renferme  une  documentation  assez  fualaisée 
à  réunir  a  toujours  un  grand  nombre  d'auteurs.  J'ai 
mentionné,  chacun  en  son  lieu,  fous  mes  collaborateurs  béné- 
voles. Je  tiens  à  remercier  ici,  d'une  façon  particulière,  ceux 
auxquels  Je  dois  le  plus  :  MM.  Jéon  Germain  de  Maidy, 
Emile  Bertaux,  Gaston  May,  René  Jean,  Albert  Grenier, 
René  Harmand  et  Adrien  Moureau.  Je  remercie  aussi  M.  Hol- 
leaux,  qui  n'a  pjas  hésité  à  offrir  à  cette  étude  l'hospitalité  de 
la  Bibliothèque  des  Ecoles,  et   mes  imprimeurs  MM.  Protat. 

F.  P. 


INTRODUCTION 


G'esl  une  vieille  statue  lorraine  qui  a  élé  la  cause  occa- 
sionnelle de  celle  étude. 

La  Vierge  de  Mansuj  Gauvain  (pi.  I),  dans  l'église  de 
N.-D.  de  Bon-Secours  à  Nancy,  intéresse  à  la  fois  l'archéo- 
logue et  riiistorien  :  cet  ex-voto,  commémoratif  de  la  vic- 
toire de  René  II  sur  Charles  le  Téméraire,  est  l'une  des 
rares  sculptures  lorraines  qui  aient  échappé  aux  ravages  de 
la  iTuerre  de  Trente  Ans  et  de  la  Révolution  ;  c'est,  d'autre 
part,  l'une  des  répliques  les  plus  connues  d'un  type  ico- 
nographique vraiment  étrange,  et  aujourd'hui  tout  à  fait 
suranné.  J'ai  été  curieux  de  connaître  l'origine  et  l'his- 
loire  de  ce  lype  singulier.  Les  livres  qui  en  parlaient  ne 
m'ayant  pas  satisfait,  j'ai  cru  qu'il  pourrait  être  utile  de 
]uil)lier  les  résultats  des  recherches  dont  la  statue  de 
Gauvain  a  été  pour  moi  le  point  de  départ  :  ils  ne  seront 
peut-être  pas  complètement  inditl'érents  à  l'étude  de 
l'iconographie,  ni  même  à  l'histoire  critique  du  catholi- 
cisme. 


A  quelle  date  le  type  de  la  Vierge  au  manteau  — 
Madonna  ciel  manto^  SchutzmantelbUd  —  a-t-il  apparu? 
Dans  quel  milieu  religieux?  Et  quelles  croyances  expri- 
maient les  images  de  la  Vierge  de  Miséricorde,  de 
Secours,  de  Bon-Secours,  de  Grcàce,  de  Consolation  — 
Madonna  délia  Misericordia,  del  Soccorso.  ou  simple- 
ment Misericordia  ^  ^  Misericordiabild  —  ?  Pourquoi   le 

1.  A  Lucca  (lipinse  una  miserlcordla,  diLTAnonyme  florentin  du  Codex 
Mcigliahechianus  (éd.  Frey,  p.  107).  Il  s'agit  de   Fra    Bartolommeo  et  de 
Pi-miHizi:T.  —  La  Vlerçfe  de  Miséricorde.  1 


INTRODUCTION 


manteau  a-t-il  été  choisi  comme  symbole  de  protection? 
Comment  ce  type  s'est-il  propagé?  Dans  quelles  con- 
trées, à  quelles  époques,  par  quelles  personnes  ou  par 
quelles  collectivités  a-t-il  été  spécialement  affectionné? 
Dans  quelles  circonstances  la  dévotion  y  avait-elle 
recours?  Quand  est-il  tombé  en  désuétude,  et  pour 
quelles  raisons?  Enfin,  ce  type  présente  sans  doute  des 
variantes  selon  les  temps  et  les  lieux.  Et  il  ne  doit  pas 
être  séparé  de  types  dérivés,  créés  sur  le  modèle  de  la 
Vierge  de  Miséricorde,  les  types  des  saints  et  saintes 
abritant  des  priants  sous  leur  manteau. 

On  voit  combien  nombreuses  sont  les  questions  qui 
forment  notre  sujet.  Il  est  assurément  complexe,  car  il 
touche  à  plusieurs  points  importants  de  l'histoire  du 
moyen  âge,  le  développement  du  culte  mariai,  les  rivali- 
tés entre  les  grands  Ordres  religieux,  la  littérature  mys- 
tique et  monacale,  Forigine  et  la  vogue  de  certaines  pra- 
tiques pieuses  comme  la  flagellation  et  le  rosaire,  la  nais- 
sance et  le  rôle  des  Confréries  de  pénitence  et  de  charité, 
les  conséquences  religieuses  des  grandes  épidémies.  Mais 
c'est  la  complexité  même  de  cette  étude  qui  en  a  fait 
pour  moi  le  profit  et  l'attrait. 

Un  aperçu  des  opinions  émises  sur  Forigine  du  type 
de  la  Vierge  au  manteau  justifiera  la  présente  élude. 

Un  auteur  du  xvii^  siècle,  le  P.  Julet,  provincial  des 
Minimes  en  Lorraine,  dans  son  livre  des  Miracles  et 
grâces  de  N.-D.-de-Bon-Secours-lez-Nancy^,  a  consa- 
cré \\\\  long  chapitre  à  la  statue  de   Mansuy  Gauvain  et, 

son  tableau  de  Lucfjues.  I/expression  dont  se  sert  M.  Pératé  [Ilisl .  de 
l'art  publiée  sous  la  direclion  d'A.  Micliel,  t.  II,  2,  p.  844j,  «  Vierge  de 
Merci  »,  ne  saurait  désigner  (jue  la  Vierge  des  Mei'cédaires.  M.  S.  Rei- 
naeh  a  inventé,  sans  nécessité,  la  dénoininalion  de  «  Vierge  tutélaire  » 
(liéj)ertoirr  (li's  peintures,  l.  I,  p.  4!M  ;  t.  II,  p.     liSa). 

\.  Imprimés  du  cotnmandemenl  de  Monseigneur  rillustrissinir  Cardinal 
de  Lorraine,  à  Nancy,  par  S.  Philippe,  imprimeur  de  Son  Altesse,  1630. 
Réimprimés  en  style  rajeuni  à  Nancy  en  1734.  Cf.  Jérôme,  Uéçjlise  N.-D. 
de  lion-Secours  à  Nancy  (Nancy,  Vagner,  1898),  p.  37. 


INTRODUCTION  ,j 

accessoiremeiil,  au  type  qui  nous  occupe;  il  s'évertue 
à  en  expliquer  le  symbolisme,  mais  les  textes  qu'il  cite 
ne  sont  pas  peiiinenls,  les  légendes  qu'il  raconte  n'ont 
rien  à  voir  avec  la  question  :  il  allègue  saint  Martin  et 
son  manteau,  ou  encore  l'histoire  d'  «  un  grand  seigneur 
et  grand  homme  d'eslat  huguenot  '  à  qui  bien  prit,  le 
jour  de  la  Saint-Barthélémy,  de  trouver  à  sa  dévotion  le 
pan  de  la  robe  de  la  Reine  Mère  pour  lui  servir  de  bou- 
clier^ »  ;  puis,  comme  s'il  comprenait  lui-même  que  tout 
ce  bavardage  n'explique  rien,  il  se  réfugie  dans  l'histoire 
naturelle,  entendue  comme  l'entendaient,  au  moyen  âge, 
les  auteurs  de  Bestiaires  ^  :  «  Entre  plusieurs  choses 
dignes  de  considération  que  l'on  dit  de  la  Baleine,  celle- 
cy  me  semble  mémorable,  c'esl  que,  si  quelque  danger 
survient,  elle  cache  ses  petits  dans  sa  bouche...  Quand 
la  Lamprove  craint  que  quelque  mal  n'arrive  à  ses  petits, 
elle  fait  de  mesme  que  la  Baleine...  La  Canicle  marine 
fait  davantage,  recevant  les  siens  non  en  sa  bouche,  mais 
en  son  ventre...  '*   » 

Pas  plus  que  le  P.  Julet,  la  plupart  des  archéologues 
modernes  n'ont  su  découvrir  l'origine  de  la  Aierge  au 
manteau. 

M.  Schreiber^,  qui  a  souvent  rencontré  ce  type  icono- 
graphique dans  les  gravures  incunables  et  qui  a  dû  y 
revenir  à  propos  des  images  relatives  à  la  peste,  le  date 

1.  Je  ne  sais  de  quel  seig-neur  huguenot  Julet  a  voulu  parler. 

2.  Julet,  p.  467. 

3.  Sur  ce  symbolisme,  cf.  Màle,L'a/"<  rel.du  XIII'"  s.,2''  éd.,  p.  43-64. 

4.  P.  471-473. 

5.  Manuel  de  la  gravure  au  XV^  siècle,  t.  I,  p.  295  (cf.  t.  III,  p.  114)  : 
«  Au  xv"  siècle,  les  troubles  des  Hussites  ainsi  que  le  concile  de  Cons- 
tance portèrent  le  culte  de  Marie  à  son  apogée  ;  presque  toute  la  chré- 
tienté la  prenait  pour  intercesseur,  et  dès  lors  on  voit  apparaître  dans 
lart  la  Vierge  de  Miséricorde  ou  Madonna  del  Popolo.  »  M.  Schreiber  se 
trompe  :  jamais  les  Italiens  n'ont  appelé  la  Vierge  de  Miséricorde 
Madonna  del  Popolo  ;  l'article  de  Middleton  auquel  il  renvoie  (Maria 
del  Popolo,  dans  \e  Portfolio  de  juin  188a)  est  consacré  à  la  célèbre 
église  romaine  de  ce  nom. 


4  INTKODUCTION 

du  xv^  siècle.  Bouchot*  ne  le  faisait  pas  remonter  plus 
haut  que  la  Vierge  de  Miséricorde  du  musée  du  Puy 
(pi.  XXI,  1)  qui  semble  de  1420  environ.  D'après 
M.Thode-,  le  type  serait  d'origine  italienne  et  plus  pré- 
cisément franciscaine;  les  plus  anciens  exemples  en 
seraient  un  tableau  de  Lippo  Memmi,  à  la  cathédrale 
d'Orviéto,  et  le  retable  de  Spinello,  à  Sainte-Marie-des- 
Gràces  d'Arezzo  ^  D'après  M.  Moritz-Eichborn  ^,  Fri- 
bourg-en-Brisgau  posséderait  les  plus  anciennes  images 
sculptées  de  la  Vierge  au  manteau  (pi.  XXVI,  1  et  3)  : 
elles  remonteraient  au  début  du  xiv^  siècle.  M.  Leh- 
mann  ^  croit  aussi  que  les  plus  anciennes  représenta- 
tions de  la  Vierge  de  Miséricorde  sont  allemandes  :  il 
cite  la  statue  de  la  cathédrale  de  Fribourg,  qu'il  date 
de  la  fni  du  xiii*'  siècle,  et  une  fresque  de  Tan  1334,  dans 
la  cliapelle  de  Marienbourg,  en  Prusse,  la  célèbre  forte- 
resse des  Teutoniques.  Feu  Ilelbig'',  en  1885,  ne  connais- 
sait pas  de  Schui zmanlelbild  aussi  ancien  qu'une  pein- 
ture de  la  fin  du  xni^  siècle,  qui  représente  sainte  Odile, 
l'une  des  compagnes  de  sainte  Ursule,  abritant  sous  son 
manteau  ses  jeunes  sœurs,  Ima  et  Ida  :  en  sorte  que, 
pour  qui  se  rappelle  tant  d'images  archaïques  de  sainte 
Ursule  avec  les  onze  mille  Vierges  sous  son  manteau,  la 
question  se  pose  de  savoir  si  le  manteau  de  protection 
n'a  pas  appartenu  d'abord  à  la  patronne  de  Cologne. 
C'est  donc  fort  à  propos  que  M.  Brockhaus  "a  signalé  un 

1.  La.  peinlure  en  France  xous  les  F.j/ojs,  notice  de  la  pi.  XXII  cf.  les 
additions)  ;  du  même,  Les  primitifs  français,  p.  263. 

2.  Franz  von  Assisi,  2«éd.  (Berlin,  1904J,  p.  olO. 

.3.  «  Auf  dem  Hauptaltar  von  S.  Maria  délia  Misericordia  »,  dit 
M.  Thode.  Il  n"y  a  pas  d'église  de  ce  nom  à  Arezzo.  La  Misericordia 
d'Arezzo  est  l'ancien  local  dune  Confrérie  charitable. 

4.  Der  Skulplurencyklus  in  der  Vorhalle  des  Freihurrjer  Miinslers 
(Strasbourg-,  1899),  p.  412. 

;j.  Das  Bikinis  hci  den  alldeutschen  Mcislern  bis  uiif  Diirer  (Leipzig, 
1900j,  p.  210. 

fi.  Revue  de  Vart  chrétien,  1883,  p.  277. 

7.   Fnrsriiiini/i'n  lihcr  /lorenlincr  Ktinslircrhe     Leipzig,  1902),  p.  108. 


INTRODUCTION  0 

texte  qui  fait  remonter  jusqu'au  milieu  du  xiii^  siècle  le 
type  de  la  Vierge  au  manteau;  mais  il  a  été  moins  heu- 
reux quand  il  en  a  expliqué  la  diffusion  uniquement  par 
le  développement  des  Confréries.  M,  Supino  '  voit  dans 
la  Vierge  au  manteau  la  traduction  figurée  des  vers  du 
Dante  : 

Orrihil  fiiron  li  peccati  miéi, 

Ma  la  Bontà  infinita  ha  si  gran  hraccia^ 
Che  prende  ciô  che  si.  rivolve  a  lei  ''. 

Mais  la  «  Divine  Bonté  »  dont  il  s'agit  dans  ces  vers 
est  la  bonté  de  Dieu,  non  la  bonté  de  Marie.  Kraus  ^ 
voyait  dans  le  type  de  la  Vierge  de  Miséricorde  la  tra- 
duction figurée  de  l'antienne  du  xi*^  siècle,  Salve  Regina 
misericordiae,  ou  d'une  prière  encore  plus  ancienne, 
Siih  tiiuni  praesidium  confugimiis,  d'où  le  nom  de  Suh 
tu  II  m  dont  on  a  quelquefois  désigné  les  Vierges  au  man- 
teau '.  Plus  que  tout  autre,  Barbier  de  Montault  ''  s'est 
approché  de  la  vérité,  en  rappelant  la  vision  de  saint 
Dominique  dont  nous  parlerons  plus  loin,  et  même  la 
vision  rapportée  par  Gésaire,  laquelle  est  en  fin  de 
compte  l'origine  du  type  en  question  ;  mais  Barbier  n'a 
pas  su  tirer  parti  de  ces  indications  :  c'était  un  collec- 
tionneur de  menus  faits,  aussi  incapable  de  synthèse  que 
de  critique. 

La  plupart  des  opinions  que  nous  venons  de  rapporter 
contiennent,  quant  à  l'histoire  du  thème,  une  part  de 
vérité,  que  nous  aurons  à  dégager.  Mais  pour  ce  qui  est 
de  l'origine  du  thème,  les  érudits  n'auraient  pas  proposé 

1.  Les  deux  Lippi  (Florence,  1904),  p.  87. 

2.  Purgat.,  III,  121-123. 

3.  Geschichleder  christlichen  Kunst  (Frihourg,  1897),  t.  II,  p.  433. 

4.  Par  exemple    Drexler,    Tafelbilder  aus  dem    Muséum    des    Sfiftes 
Klosterneuhurçj  (Vienne,  Schenk,   1906),  p.  2. 

;j.    Traité  d'iconographie  chrétienne,   nouvelle  édition    (Paris,   1898), 
l.  11,  p.  239;  Revue  de  l'art  chrétien,  1889,  p.  24. 


6  INTRODUCTION 

des  solutions  si  diverses  et  contradictoires,  s'ils  avaient 
connu  l'introduction  critique  qu'un  Bollandiste  du 
xviii^  siècle,  Guillaume  Cuper,  écrivit  pour  la  Vie  de 
saint  Dominique,  dans  les  Acta  Sanctorum  ^  Nous 
avons,  en  1905,  M.  Krebs  ~  et  moi  ^,  indépendamment 
lun  de  l'autre,  signalé  et  exploité  cette  précieuse  mine 
de  renseignements.  Sous  l'influence  des  documents  domi- 
nicains réunis  par  Cuper,  et  de  ceux  qu'il  avait  lui-même 
mis  au  jour  dans  ses  recherches  sur  le  couvent  domini- 
cain d'Adelhausen  ^,  M.  Krebs  s'est  arrêté  à  l'opinion 
que  la  difî'usion  du  thème  de  la  Vierge  au  manteau  serait 
due  à  l'Ordre  des  Prêcheurs.  On  verra  que  les  meilleurs 
arauments  à  faire  valoir  en  faveur  de  cette  théorie  ont 
échappé  à  M.  Krebs,  et  que,  même  fortifiée  de  ces  argu- 
ments nouveaux,  elle  n'en  reste  pas  moins  très  exagérée 
et  inexacte  :  les  Cisterciens,  les  Franciscains,  les  Con- 
fréries ont  autant  contribué  que  les  Dominicains  à 
répandre  le  thème  en  question^. 

1.  De  S.  Dominico  conimentarius  praevius  [Acta  SS,  août  I,  p.  358- 
545).  Ce  volume  des  Acta  est  datéde  1733. 

2.  Maria  iiiit  rlem  Schutzmantel  ani  Freihurger  Munster  [Freiburger 
Munslerhlatter,  Ileft  1,  1905,  p.  -27-35). 

3.  Lorraine  Artiste,  t.  XXIII  (1905),  fascicules  de  mars  et  de  juin, 
p.  62-71,109-117  ;  Congrès  archéologique  de  France,  LXXI^  session  tenue 
au  Puij  en  1 90i  (imprimé  en  1905  ,  p.  570-584. 

4.  Die  Mystili  in  Adelhausen,  dans  la  Festgabe  offerte  à  11.  Fincke,  et 
à  part  (Munster,  1894). 

5.  Mon  travail  était  depuis  longtemps  commencé  et  j'en  avais  déjà 
publié  les  conclusions  principales,  quand  il  a  paru  dans  la  Gazette  des 
Beaux-Arts,  n"  de  novembre  1905,  sous  la  signature  de  M.  Léon  Silvy, 
un  court  article  sur  VOrigine  de  la  Vierge  de  Miséricorde,  dont  le  point 
de  départ  est  le  frontispice  des  Collecta  de  Jean  de  Cirey.  Je  ne  dois 
rien  à  cet  article.  Les  documents  dont  s'est  servi  l'auteur  niétarenl  tous 
connus;  le  frontispice  des  Collecta  m'avait  été  indiqué  par  mon  regretté 
compatriote,  feu  Henri  Bouchot. 


CHAPITRE  P"^ 
LA  CROYANCE  A  LA  MISÉRICORDE  DE  MARIE 


Cette  croyance  n'est  pas  très  ancienne  en  Occident.  —  Le  texte  dlré- 
née  sur  Maria  advocala  ;  la  fresque  du  cimetière  Ostrien.  —  Le  récit 
des  noces  de  Cana  fondement  scripturaire  de  la  croyance  à  la  miséri- 
corde de  Marie.  —  Origine  orientale  du  Siih  tuuin  praesidium.  — 
Saint  Anselme.  —  Le  Salve  Reçjina  inisericordiae.  —  Les  sermons  de 
saint  Bernard  pour  l'octave  de  l'Assomption.  —  Les  Cisterciens  et  la 
mariolâtrie. 


«Les  privilèges  de  la  sainte  Vierge,  écrit  un  théologien  con- 
temporain, vécurent  plus  ou  moins  longtemps  d'une  vie 
latente  '.«Cette  formule  savoureuse  revient  à  dire  que  la  mario- 
logie  et  la  mariolâtrie  se  réduisaient  à  fort  peu  de  chose  pour 
les  chrétiens  des  premiers  siècles. 

Le  même  théologien  écrit  encore  :  «  L'idée  que  le  sentiment 
chrétien  se  faisait  de  Marie  s'est  d'abord  heurté  à  certains 
textes  qui  étaient  plutôt  de  nature  à  l'obscurcir,  et  qui,  de 
fait,  ont  égaré  certains  Pères  -.  »  Autrement  dit,  il  a  fallu, 
pour  que  la  mariolâtrie  pût  se  développer,  que  la  tradition  fût 
parvenue  à  se  débarrasser,  par  une  interprétation  habile,  des 
textes  scripturaires  qui  auraient  gêné  ce  développement,  celui 
de  Luc  "^,  sur  la  purification  de  Marie,  celui  de  Matthieu^,  sur 
les  rapjDorts  de  Joseph  et  de  Marie  après  la  naissance  de  Jésus, 
ou  encore  les  nombreux  passages  concernant  les  frères  de 
Jésus.  Ces  textes  sont  en  effet  fort  gênants  pour  la  croyance  à 
la  virginité  de  Marie.  Or  la  question  touchant  Marie,  qui  a  le 
plus  préoccupé  les  premiers  siècles  du  christianisme,  était  celle 
de  sa  virginité,  avant,  pendant  et  après  l'Incarnation. 


1.  Turmel,  Histoire  de  la  théologiepositire  depuis  l'oriyine  jusqu'au  Concile 
de  Trente  (Paris,  1904),  p.  286. 

2.  Ibid.,  p.  72. 

3.  II,  22-23. 

4.  1,  25  :  non  cognoscehat  eam  donec pcperit  filium  suum  primogenilum. 


8  CHAPITRE    1 

Ainsi,  la  mariologie  de  la  première  époque  chrétienne  a  con- 
sisté surtout  à  conformer  le  sens  des  Évangiles  à  la  croyance 
en  la  virg-initéde  la  Mère  de  Dieu.  On  n'avait  pas  encore  l'idée, 
en  Occident  du  moins,  de  faire  jouer  à  l'humble  iille  de  Joa- 
chim  im  rôle  capital  dans  le  drame  de  la  rédemption. 

A  en  croire  les  érudits  catholiques,  larchéologie  prouverait 
le  contraire.  La  Mère  de  Miséricorde  aurait  été  représentée 
déjà  au  iv^  siècle,  dans  une  fresque  du  cimetière  Ostrien  i,  qui 
nous  montre  une  femme  dans  l'attitude  de  Forante,  avec  un 
enfant  assis  sur  seso^enoux,  et  avec  le  monog-ramme  du  Christ, 
à  droite  et  à  gauche,  sur  le  fond.  Cette  fresque  serait  l'illus- 
tration d  un  mot  d'Irénée,  1  irgo  Maria  advocata  :  ainsi  la 
croA'ance  à  la  miséricordieuse  intercession  de  la  Vierge  serait 
attestée  par  \m  texte  du  ii*^  siècle  et  par  un  monument  figuré 
du  iV^. 

En  réalité,  si  l'on  se  reporte  au  passage  du  Contra  haere- 
ses  d'où  sont  extraits  ces  trois  mots  Vir<fo  Maria  advocata,  on 
constate  quirénée  ne  parle  point  de  la  Mère  de  Miséricorde, 
avocate  du  genre  humain,  advocata  nostra,  comme  l'appellent 
le  Salve  Regina  et  les  mystiques  du  moyen  âge.  La  Vierge  Marie, 
dit  saint  Irénée,  a  racheté,  par  son  obéissance  '  à  faire  la  volonté 
de  Dieu,  la  désobéissance  de  la  vierge  Eve  :  lancienne  Eve 
avait  perdu  le  monde,  la  nouvelle  l'a  sauvé  en  donnant  le  jour 
à  Jésus,  et  elle  est,  dans  le  ciel,  l'avocate  de  l'ancienne  Eve  •', 
de  même  c|ue  les  saints  sont,  devant  le  tribunal  de  Dieu,  les 
avocats  des  âmes  chrétiennes  qui  se  recommandent  à  eux  : 
ciiiquc,  dit  une  inscription  du  cimetière  de  Cyriaque,  cuique 
vitae  suae  testimonio  sancti  marfi/rcs  apiid  Deuin  et  Christum 


1.  Wilpert.  Pillure  délie  Catacoinhe  Boniane.  p.  103.  pi.  16.3.  207,  208  ; 
Marucclii.  Eléments  d'archéol.  chrétienne,  t.  I,  p.  319.  C'est,  je  suppose.  an\ 
peintures  des  catacombes  que  sonjreait  M.  labbé  Broussolle,  quand  il  a  risqué 
cette  assertion  déconcertante  :  u  Liconosrrapliie  de  N'.-D.  de  Bon-Secours  est 
des  plus  riches.  On  trouve  déjà  cette  Madone  dans  les  plus  vieilles  peintures 
de  l'État  romain  »    La  jeunesse  du  Pérugin,  p.  175  . 

2.  Luc.  I,  3S  :  Ecce  ancilla  Domini.  fiât  mihi  secundum  verhuni  tuum. 

3.  Irénée,  Co/i<ra /laereses.  V,  19  Migne.  F'.  G..  W\.  117,')  :  Ea  inohedie- 
lat  Deo.  h:iec  siiasa  est  obedire  Deo,  uli  iiryinis  Evae  rirgo  Maria  fierel 
advocata.  El  quemadmodum  adslriclum  est  morli  (/enus  humanum  per  vircfi- 
nem.  salvtilur  per  rirr/ineni.  Cf.  Bossuet,  -'/'  sermon  pour  IWnnonciation.  l" 
point  (Hùiires  oratoires,  éd.  Lcbarcq.t.  III.  p.  3  :  •«  Eve  croit  au  serpent  et 
Marie  à  l'anjre.  Eve,  séduite  j)ar  le  démon,  est  contrainte  de  fuir  devant  la  face 
de  Dieu,  et  Marie,  instruite  jiar  Tanfre  Gabriel,  est  rendue  dijrne  de  porter 
Dieu.  alîn.  dit  saint  Irénée.  (pie  la  Vierjre  Marie  fût  l'avocate  de  la  Vieru'c 
Eve   ... 


LA    CROYA.Nf;!-:    A    LA    MISERICORDE    DE    MARIE  \) 

erunt  advocatiK  Une  fresque  du  cimetière  de  Saint-Hermès  ^ 
représente  un  trihiinal  où  siège  un  ju<^e  qui  est  le  Christ  ;  au 
pied  du  tribunal,  deux  avocats,  sans  doute  les  martyrs  enter- 
rés dans  cette  catacombe,  saint  Prote  et  saint  Hyacinthe, 
défendent  lame  d'un  fidèle,  qui  sest  recommandé  à  eux  ;  cette 
âme  fait  les  gestes  de  l'orante  ;  les  deux  saints  font  des  gestes 
d'orateur,  qui  conviennent  à  leur  rôle  d'avocat.  Donc  la  Vierge 
du  cimetière  Ostrien  nest  pas  représentée  comme  advocata, 
puisqu'elle  fait  les  gestes  de  l'orante.  Et  il  est  aussi  abusif  de 
l'interpréter  comme  une  représentation  de  la  Vierge  de  Misé- 
ricorde, que  de  prétendre  démontrer,  par  une  citation  tron- 
quée de  saint  Irénée,  la  très  haute  antiquité  de  la  croyance  à 
l'intercession  miséricordieuse  de  Marie  '^.  Dans  les  premiers 
siècles  du  christianisme,  l'idée  de  miséricorde  est  exprimée  par 
le  type  iconographique  du  Bon  Pasteur,  et  l'idée  d'interces- 
sion donne  naissance  au  culte  des  saints.  11  semble  que  les  chré- 
tiens d'Occident,  pendant  le  premier  millénaire,  aient  surtout 
compté,  pour  être  sauvés,  sur  la  protection  des  saints  dont  ils 
possédaient  des  reliques  :  c'est  ce  qui  ressort,  pour  la  période 
mérovingienne,  du  De  gloria  martyrum  de  Grégoire  de  Tours 
et  des  ouvrages  spéciaux  deMarignan  ^  et  de  Bernoulli  '.  Plus 
tard,  les  saints  tendent  à  se  confiner  chacun  dans  un  rôle  spé- 
cial, l'un  guérissant  telle  maladie,  l'autre  protégeant  telle  cor- 
poration, faisant  réussir  telle  sorte  d'affaires  :  mais  pour  l'af- 
faire principale,  pour  le  salut,  c'est  à  la  Vierge,  désormais,  que 
l'on  s'adresse  d'abord. 


Bossuet,  dans  sa  Lettre  au  pape  Innocent  XI  sur  l'instruction 
du  Daup/iin,  écrit  tranquillement  ceci  :  «  La  lecture  de  l'Evan- 
gile nous  servoit  aussi  à   lui  (au  Dauphin)  inspirer  une  dévo- 


1.  Marucchi    op.  cit.,  t.  I,  p.  185. 

2.  Marucchi,  op.  cit..  t.  I,  p.  307. 

3.  Sans  autre  preuve  que  ces  trois  mots  de  saint  Irénce,  un  théologien  con- 
temporain écrit  :  «  Le  rôle  d'Avocate  par  excellence  est  attribué  par  les  Pères 
à  Marie  dès  le  second  siècle  »  Terrien,  La  .Mère  de  Dieu  et  la  .Mère  des 
hommes,  '2"  éd.,  t.  IV,  p.  41i). 

i.  Eludes  sur  la  civilisation  française,  t.  II  le  culte  des  saints  sous  les 
Mérovingiens  ,  Paris,  ISO'.i. 

5.  Die  Heiligen  der  Merowinger,  Fribourg-,  1900.  Cf.  encore  Bayet,  dans 
rilisl.  de  France  de  Lavisse.  II,  1.  p.  2io. 


10  CHAPITRE    1 

tion  particulière  pour  la  sainte  Vierge,  qu'il  voyoit  s'intéresser 
pour  les  hommes,  les  recommander  à  son  fils  comme  leur 
avocate,  et  leur  montrer  en  même  temps  que  ce  n'est  qu'en 
obéissant  à  J.-C.  qu'on  en  peut  obtenir  des  grâces.  »  Ces 
assertions  étonnent  :  on  se  demande  en  quel  endroit  des  Ecri- 
tures Bossuet  a  trouvé  tout  cela.  Un  théologien  catholique 
répondra  sans  hésiter  que  Bossuet  avait  en  vue  les  premiers 
A'ersets  du  chapitre  ii  de  l'Evangile  de  Jean  : 

\.  Et  die  tertia  nupliae  facfae  siint  in  Cana  Galilaeae ;  et 
erat  mater  Jesu  ihi. 

2.  Vocatus  est  autcm  et  Jésus,  et  discipuli  ejiis  ad  nuptias. 

3.  Et  déficiente  vino,  dicit  mater  Jesu  ad  eum  :  Vinum  non 
habent. 

4.  Et  dicit  ei  Jésus:  Quid  milii  et  tihi  est,  mulier?  Nondum 
venit  hora   mea. 

o.  Dicit  mater  ejus  ministris  :  Quodcumque  dixerit  vohis, 
facite . 

Ce  texte  est  la  base  scripturaire  de  la  croyance  à  la  miséri- 
corde de  Marie.  Il  suffît  d'y  appliquer  la  méthode  scolas- 
tique. 

La  méthode  de  la  théologie  scolastique  repose  sur  ce  prin- 
cipe implicite  que  tout  ce  qui  est  rapporté  dans  l'Ecriture  doit 
avoir  un  sens  profond,  par  cela  même  que  l'Ecriture  le  rapporte; 
particulièrement,  des  paroles  du  Christ  et  de  la  Vierge  ne  sau- 
raient être  trop  scrutées,  méditées  ;  outre  le  sens  littéral,  histo- 
rique, elles  ont  un  sens  mysti({ue,  allégorique.  Le  vin  que  la 
Vierge  demanda  pour  les  gens  de  la  noce  signifie  la  grâce  dont 
manquent  les  hommes  :  en  demandant  ce  vin  à  son  Fils,  la 
Vierge  a  manifesté  sa  miséricorde  envers  nous  :  elle  a,  pour 
emprunter  la  métaphore  des  anciens  docteurs,  plaidé  notre 
cause,  elle  s'est  faite  notre  avocate. 

Les  mystiques  d'aujourd'hui,  si  l'on  en  juge  par  l'ouvrage 
du  Père  Terrien,  ne  disent  plus,  pour  exprimer  la  miséricor- 
dieuse médiation  de  Marie,  que  la  Vierge  s'est  faite  notre  avo- 
cate auprès  du  Juge.  Cette  vieille  expression,  qui  fait  songer 
au  préteur  romain  jugeant  dans  sa  basilique,  leur  semble 
sans  doute  une  métaphore  trop  naïve.  Le  moyen  âge,  et  Bos- 
suet encore,  comme  on  vient  de  le  voir,  la  trouvaient  excel- 
lente. L  auteur  inconnu  du  Salve  Regina  s'écriait  :  Eia  ergo, 


LA    CROYANCE    A    LA    MISÉRICORDE    DE    MARIE  11 

advocata  nostra,  illos  tuos  miséricordes  ociilos  ad  nos  cou- 
verte !  Cette  comparaison  de  la  Viei'g^e  avec  un  avocat,  n"a 
rien  inspiré  de  pkis  curieux  qu'un  poème  du  xiv*'  siècle, 
VAdvocacie  Notre-Dame,  qui  montre  la  Vierge  plaidant  contre 
le  Diable,  au  tribunal  de  Jésus-Christ,  ^  la  cause  du  genre 
humain  :  nous  reviendrons  plus  loin  sur  cette  singulière  pro- 
duction. 

Les  textes  qui  parlent  de  la  Vierge  comme  avocate,  sont 
réunis  dans  le  recueil  de  Salzer  '.  Si  Ton  prend  la  peine  de  les 
parcourir,  on  verra  que  les  plus  anciens,  ceux  qui  sont  anté- 
rieurs au  xi*"  siècle,  sont  tirés  presque  tous  des  auteurs  orientaux, 
des  Pères  Grecs,  de  la  liturgie  orthodoxe  et  de  saint  Ephrem, 
le  poète  de   l'Eglise   syrienne. 

La  mariolàtrie,  en  effet,  s'est  développée  beaucoup  plus 
vite  en  Orient  qu'en  Occident.  Les  Orientaux  ont  cru,  bien 
avant  les  Occidentaux,  que  les  pécheurs  seraient  sauvés  par  la 
toute-puissante  miséricorde  de  la  Vierge.  La  célèbre  prière 
Suh  tuum  praesidium  confugimus,  dont  certains  archéologues 
ont  vu  lillustration  dans  les  représentations  de  la  Vierge  au 
manteau  protecteur,  est  d'origine  orientale  :  elle  aurait  été  tra- 
duite du  grec  en  latin  sur  le  désir  de  Charlemagne  '.  On  notera 
que  le  texte  grec  invoquait  la  compassion  (£j!7-ÀaY-/vLz)  de  la 
Vierge,  et  que  les  traductions  latines  ^  font  appel  à  sa  pro- 
tection (praesidium)  :  la  Vierge,  pour  les  rudes  chrétiens 
d'Occident,  à  l'époque  où  se  constitue  la  féodalité,  est  une 
puissante  Dame  dont    on  veut  devenir  le  vassal. 

«  Le  xiii*^  siècle,  a-t-on  dit,  est  par  excellence  le  siècle  de 
la  Vierge.  Les  cloches  de  la  chrétienté  sonnent  l' Angélus. 
Saint  Dominique  répand  le  rosaire  en  l'honneur  de  Marie. 
Il  faut  lire  le  De  laudihus  beatae  Mariae  du  dominicain  Albert 
le  Grand  et  le  Spéculum  heatae  Mariae  du  franciscain  Bona- 


1.  Die  Sinnhilder  und  Beiicorte  Mariens,  dans  les  Programmes  de  l'Ober- 
gymnasium  des  Bénédictins  de  Seitenstetten  (Linz,  1886-1894),  p.  394-596  du 
tirage  à  part.  Cf.  Mone,  Lateinische  Hymnen    Fribourg,  1854  ,  t.  II,  p.   174. 

2.  Paléographie  musicale  de  Solesmes,  fascicule  V,  1896,  p.  13-15.  Voici  le 
texte  grec  :'Ynô  tt;v  a7;v  c'ja-Xayyvîav  xa-aosûyoïAîv,  0cOTO/.E,xà;  f,;jLà)y  [y.riQ'.ai  {atj 
— apîôr];  v/  TUSpiaTotas'.,  àXÀ'  I7.  zivojvcov  À-Jtotoaa'.  fjU.à;,  (xovr)  iyvf,,  [xÔ^^Ti  suXoyTjasvT] 
—  et  le  texte  latin,  tel  qu'on  le  récite  aujourd'hui  :  Suh  tuum  praesidium  con- 
fugimus, sancta  Dei  genitrix.  nostrns  deprecaliones  ne  despicias  in  necessita- 
tibus,  sed  a  periculis  cunctis  libéra  nos,  semper  virgo,   gloriosa  et  benedicta. 

3.  Sauf  dans  lantiphonaireambrosien  (ms.  duxii»  s.,  au  Musée  britannique), 
qui  traduit   :  Suh  luam  misericordiam. 


12 


CHAPITRE   I 


venture  pour  se  faire  une  juste  idée  des  sentiments  que 
le  XIII''  siècle  professait  pour  la  Merge.  »  Personne  ne  con- 
testera l'importance  du  culte  mariai  au  xiii^  siècle  ;  mais  peut- 
être  doit-on  faire  remarquer  que  lAngelus  ne  date  que  du 
xiv^  siècle  '  et  le  rosaire  que  du  xv*^-  ;  que  le  De  laudihus 
heatae  Mariae  n'est  pas  d'Albert  le  Grand^,  ni  le  Spéculum 
beatae  Mariae  de  saint  Bonaventure^ 

Ensuite,  devons-nous  appeler  le  xii^'  siècle  le  siècle  de 
la  Vierge,  de  préférence  au  xii^  et  même  au  xi«?  Je  ne  le 
pense  pas.  Le  xi«  siècle  qui  a  produit  saint  Anselme, 
et  qui  a  vu  se  vouer  au  service  de  Marie  les  Gamaldules,  les 
Chartreux  et  les  Cisterciens  ;  le  xii%  qui  a  donné  saint  Bernard 
et  saint  Norbert,  qui  a  élevé  la  cathédrale  de  Notre-Dame  de 
Chartres  et  populariser  Ave  Maria^  ont  sans  doute  autant 
fait  que  le  xiii«  pour  le  développement  du  culte  mariai. 
L'étude  complète  de  la  mariologie  aux  xi^  et  xii«  siècles 
dépasserait  le  cadre  de  ce  travail.  Le  développement  de  la 
croyance  à  la  miséricordieuse  intervention  de  ^L'lrie  est  la 
seule  question  qui  doive  nous  occuper.  Encore  nous  suffira- 
t-il  de  quelques  indications. 

Au  xi"^  siècle,  le  plus  éloquent  interprète  de  la  crovance  à 
la  miséricorde  de  Marie  est  assurément  saint  Anselme  : 
«  Parmi  les  terreurs  qui  me  poursuivent,  s'écrie-t-iic,  dans  la 
crainte  qui  me  glace,  ô  Souveraine  très  clémente,  quelle 
médiatrice  invoquerai-je  avec  plus  de  ferveur  que  celle  dont 
les   entrailles  ont  porté  la  Réconciliation  du  Monde  ?  Quelle 

1.  Vacant  et  Manf-cnol.  Dicl.  de  théol.  aitholique,  s.  v.  Amielus 

2.  Cf.    infra,  ch.   v.  •  j  ■ 

,.^-  ^^^/t  l-nulibus  a  été  imprimé  dans  le  tome  XX  des  Œuvres  d'Albert  le 
Grand,  ed.t.ondeLyon,  léditeur  Jammy  ^de  l'Ordre  des  Préeheurs  avant  jugé 
bon  de  1  attribuer  au  j^rand  docteur  Dominicain.  Mais  cette  attribution  n'a  été 
admise  par  aucun  de  ceux  qui  se  sont  occupes  de  la  question  :  môme  les  Domi- 
mcains  y  ont  renonce  (Quétif  et  Echard.  Script.  0.  P.,  t.  I,  p.  I"!  L'ouvia-e 
est  précède  d  un  prolof^ue  qui  en  fait  connaître  l'inspiration  cistercienne  •  A'< 
qmarogHtnssum  ah, -nu, ci,  meis  (am  monachis  quarn  monialihusde  ordiheCis- 
lerciensium,  ,,u,  spcciali  affectu  famulari  soient  V,n,ini  gloriosae.  non  prout 
dehm   sed  proutpolui.pmsecntus  sum  laudes  ejus.  L'auteur  parait  avoir  vécu 

séc"ulie,.    îr'T'"T  T"ï  ''"  T'  ''''^*'  '  ""  '■""'■'•'"^  Kénéralement  à  un  prêtre 
sccul.e.    H.chard  de   Saint-Laurent,   chanoine,    archidiacre  et  pénitencier  de 
Rouen  Daunon.  dans  r//,.s/.  Ult.  de  la  France,  t.  XIX.  p.  23-27      c'était  lattri' 
hution  reçue   avant  l'édition  de  Jammy  (Hrunet,  Manuel,  t.  IV   col   I''88 
t.  On  I  attribue  à  Conrad  de- Sa.\e 

6     p'?"^CLVnfT'"  ^""'  '''  ""'''■  '■''"'■'  '■  '  ■  -^"^'^'■'I"'^  ^salutations 


LA    CROYANCE    A    LA    MISÉRICORDE    DE    MARIE  13 

intercession  obtiendra  plus  facilement  la  grâce  d'un  criminel 
comme  moi,  que  la  prière  de  celle  qui  a  nourri  de  son  lait 
l'universel  vengeur  des  crimes  et  le  miséricordieux  auteur  du 
pardon  ?  » 

Je  me  contenterai  de  cette  citation  de  s^int  Anselme.  J'ai 
hâte  d'arriver  aux  textes  qui  ont  le  mieux  exprimé  pour  le 
moven  ào:e,  lacrovance  en  la  miséricordieuse  intervention  de 
Marie,  et  qui  ont  le  plus  contribué  à  la  rendre  populaire,  les 
sermons  de  saint  Bernard  et  le  Salve  Regina. 

La  date  et  l'auteur  du  Salve  Regina  sont  inconnus.  Cette 
antienne  a  été  attribuée  tantôt  à  Adhémar,  évêque  du  Puy 
(•J-  1080)  —  d'oi^i  le  nom  d'antiplionia  de  Podio  —  tantôt  à 
Pierre  de  Compostelle,  et,  avec  plus  de  vraisemblance,  à 
Hermannus  Contractus  ^  Le  succès  en  a  été  vraiment  extraor- 
dinaire :  les  paraphrases,  les  traductions  en  sont  innom- 
brables '-.  On  notera  que,  dans  le  texte  ancien  du  Salve 
Regina  •',  le  mot  /na/er  luanque  entre  regina  et  niiserieordiae  ; 
il  n'v  a  été  intercalé  que  plus  tard  :  pour  la  mystique  du 
xii*^  siècle,  la  Vierge  était,  non  pas  Mère  de  miséricorde,  mais 
bien  Reine  de  miséricorde,  Regina  niiserieordiae.  par  oppo- 
sition au  Christ,  au  Juge  du  monde,  qui  est  le  Roi  de  jus- 
tice,   Rex  jiistitiae  ^. 


1.  Cf.  Daniel,  Thesaurum  liymnologicatn,  t.  II,  p.  331  ;  llohauU  de  FIciiry, 
La  sainte   Vierge,  t.  I,  p.  392  ;  Ulysse  Chevalier.  Heperlorium  hymnologicum 

t.  II,  p.  319  :  Brambach,  Die  verlorene  geglHuhle  Historia  de  S''  AlVa  mar- 
tyre iind  (las  Sal\e  Rejiiiia  des  Hermannus  Contracliis,  Karlsruhe,  1892.  Sur 
la  tradition  de  l'éfflise  de  Spire,  concernant  les  prétendues  additions  faites 
par  saint  Bernard  au  Salve  Regina,  cf.  Vacandard.  Vie  de  saint  Bernard,  '2' 
éd.,  t.  II,  p.  83. 

2.  Cf.  dans  7\  L.,  CLXXXIV.  107S,  la  3/ei//7a/iom  Salve  Résina,  qui  n'est 
pas  de  saint  Bernard.  Les  Gloires  de  Marie  de  saint  Alphonse  de  Lifjuori 
sont  une  paraphrase  du  Salve  Regina.  Mone  ' Lateinisclie  Hi/mnen.  Fribourg, 
1S54,  t.  II.  p.  201;  dit  qu'au  moyen  âge,  en  Allemagne,  des  fondations  furent 
instituées  pour  faire  chanter  le  Salve  Regina  :  il  en  publie  p.  203-216  des  para- 
phrases en  latin,  en  allemand,  en  italien  et  en  français.  Cf.  Suchier,  Marien- 
gebete  Halle,  1877  ,  p.  1  i,  et  la  traduction  versifiée  dans  VAdvocacie  Notre- 
Dame  p.  57,  Cliassant  .  La  plus  curieuse  des  paraphrases  se  trouve  dans  les 
apocryphes  de  saint  Bonaventure  [Opéra,  éd.  de  Lyon,  t.  VI,  p.  166). 

3.  Voici  le  te.Kte  ancien  :  Salve,  Regina  niiserieordiae,  vita.  diilcedo  et  spes 
noslra,  salve  !  Ad  te  clamamus,  exules  filii  Evae,  ad  le  suspiramus  gementes 
et  fientes  in  hac  valle  lacrymarutn.  Kia  ergo,  advocata  7iostra.  illos  lues  misé- 
ricordes oculos  ad  nos  converte,  et  Jesum  henedictnm  friictnni  venlris  tui 
nohis  posl  hoc  exsiliumoslende,  o  démens,  o  pia,  o  dulcis  Maria  1 

4.  Saint  Thomas,  préface  des  Épitres  canoniques,  cité  par  saint  Alphonse 
de  Liguori,  Les  Gloires  de  Marie,  ch.  i.  Le  commentaire  des  Épitres  cano- 
niques, attribué    communément  à  saint  Thomas  et  public  souvent  dans    ses 


14  C.nAPITRE    I 

Il  y  a  clans  les  œuvres  de  saint  Bernard  une  série  de  ser- 
mons sur  le  Salve  Regina  '.  C'est  au  premier  de  ces  sermons 
que  M.  Mâle  emprunte  le  texte  par  lequel  il  établit  le  rôle  de 
Marie  comme  avocate  dps  pécheurs  '-.  En  réalité,  les  sermons 
sur  le  Salve  Regina  sont  apocryphes.  Mais  il  nest  pas  surpre- 
nant cpi  ils  aient  été  mis  au  compte  de  saint  Bernard.  Celui 
qu'on  a  surnommé  le  dernier  Père  de  l'Eglise,  la  grande 
merveille  du  xii''  siècle,  le  chevalier  de  Marie,  il  siio  feclele 
Bernardo  '^,  son  dévot  chapelain,  son  cithariste,  a  contribué 
plus  que  nul  autre  théologien  à  fonder  la  doctrine  catholique 
relative  à  Marie  ^  et  plus  spécialement,  la  doctrine  relative  à 
la  médiation   de  Marie  et  à  sa   miséricorde. 

Dante  a  condensé  en  quelques  vers  inoubliables  la  doc- 
trine de  saint  Bernard  sur  la  miséricorde  de  Marie  : 

Donna,  .se'  tanlo  grande,  e  lanto  vali. 

Che  quai  vuol  grazia,  ed  a  le  non  ricorre. 
Sua  disianza  vuol  volar  senz'  ali .  .  . 

In  le  misericordia  '',... 

Cette  doctrine  est  exposée  surtout  dans  les  quatre  sermons 
de  saint  Bernard  pour  l'octave  de  1  Assomption,  qui  consti- 
tuent vraiment  l'un  des  documents  capitaux  de  la  pensée 
religieuse  du  moyen  âge.  Tous  les  mystiques  les  ont  médités  : 
c  est  de  là  que  proviennent  ces  citations  de  saint  Bernard, 
qu'on  retrouve  dans  tous  les  ouvrages  qui  exposent  la  misé- 
ricorde de  Marie: 

Sileat  misericordiain  tiiam,  Virgo  J)ea(a,  si  qiiis  est,  qui 
invocatani  te  in  necessitatibus  suis  sihi  meminerit  defuisse. 
Nos  (juidem  servuli  fui  caeteris  in  virfuiibus  congaudemus 
tibi,  sed  in  hac  potius  nobis  ipsis  :  laudamus  virginitatem, 
hurnilitaleni  mirainur,  sed  misericordia  miseris  sapit  dulcius, 


reuvres  complètes  par  ex.  dans  l'cd.  d'Anvers  ou  Cologne,  5612,  t.  18),  paraît 
être  en  réalité  de  Nicolas  de  Gorraii  :  cf.  Quétif  et  Ecliard,  Script.  0.  P., 
t.  I,   p.  .'5  «3  et    1  il . 

1.  P.L.,  CLXXXIV.  1059-1077. 

2.  Uart  reU(fieiix  du  XIII'  siècle,  2"  édition,  p.  29(i. 
.3.  Dante.  Par<if/(,so.  XX\'l.  102. 

4.  \'acandai-{l,  \'ie  de  sainl  Bernard,  2°  éd.,  t.  II.  p.  80-lt8  :  du  même.  Saint 
Bernard  nraleiir,p.  281-.'{21. 

5.  Parad.,  XX.XIII,  12-19 


LA    CROYANCE    A    LA    MISÉRICORDE    IJE    MARIE  lo 

misericoi'diam   amplectimur  cai'ius,  recoi'damur  saepius,   cre- 
hrius  invocamus* . 

Omnibus  miserico/rliae  siniim  aperit,  ut  de plenitudine  ejus 
accipiant  universi,  captivus  redemplionem^  aeger  curationem, 
tristis consolafionem,  peccatorveniam,  Justwsgratiani^  angélus 
laetitiarn,  denique  tota  Trinitas  gloriam  ~. 

Pour  sédilîer  à  cet  éj^^ard,  qu  on  se  reporte,  dans  les  éditions 
lyonnaises  du  xvii^  siècle,  auDe  laudihus  beatae  Mariae  ou  au 
Spéculum  heatae  Mariae  Virginis  :  il  suffît  de  parcourir  les 
références  indiquées  en  nianchettes  pour  s  assurer  que  les  ser- 
mons de  saint  Bernard  ont  fourni  la  majeure  partie  des  textes 
qui  composent  ces  vastes  mosaïques.  On  en  peut  dire  autant 
des  Meditationes  citae  Christi,  qu'une  tradition  erronée-^  attri- 
bue, comme  le  Spéculum  heatae  Mariae  Virginis,  à  saint  Bona- 
venture,  et  qui,  si  on  les  débarrasse  des  interpolations  du 
début,  paraissent  sinon  d'origine,  au  moins  d  inspiration  cister- 
cienne ^. 


1.  In  Assump.  sermo  IV"\  §  8  P.  L.,  CLXXXIII,  42S;.  Celte  citalion  se 
retrouve  par  exemple  dans  \e  Spéculum  h.  Mariae  Virriinis    S.  Bonaventurae 

Opéra,  éd.  de  Lyon,  1668,  t.  VI,  p.  413),  et  dans  le  De  laudibiis   h.    Mariae,  1. 
IV,  ch.  xxii    Alberli  Magni   opéra,  éd.   de    Lyon,   1651,    t.   XX,  p.    138-139). 

2.  Sei-monpoiir  le  dimanche  après  l'Assomption,  §  2  (P.  L.,  CLXXXIII,  130  . 
Cette  citation  se  retrouve  deux  fois  dans  le  Spéculum  h.  Mariae  Virginis, 
p.  436  et  441. 

3.  Je  dois  dire  qu'elle  a  encore  des  défenseurs  :  «  On  a  voulu,  mais  sans 
grand  succès,  enlever  les  Méditations  à  saint  Bonaventure  »  {Gazette  des  Beaux- 
Arts,  I'"'fév.  1904,  p.  97  .  Mais  cette  attribution  n'est  plus  admise  par  les 
spécialistes  ;  le  P.  E^berl  Smeets.  président  du  Collège  Saint-Boiiaventure,  à 
Quaracchi,  n'en  a  même  point  parlé  dans  son  article  sur  saint  Bonaventure 
{Dict.  de  théologie,  publié  sous  la  direction  de  ^'acant  et  Manj^cnot  ,  et  les 
Méditations  ne  figurent  point  dans  l'édition  des  Opéra  S.  Bonaventurae 
publiées  à  Quaracchi.  Elles  sont  attribuées  par  Barthélémy  de  Pise,  l'auteur 
du  fameux  livre  des  Conformations,  à  un  certain  Fr.  Joannes  de  Caulibus 
(cf.  S.  Bonav.  opéra,  éd.  de  Quaracchi.  t.  X,  p.  25i.  Il  en  subsiste  plusieurs 
manuscrits,  qui,  d'après  les  renseignements  que  me  fournit  le  P.  Smeets, 
contiennent  de  nombreuses  interpolations,  si  bien  qu'il  parait  très  difficile 
de  retrouver  le  texte  original.  Sur  les  apocryphes  attribués  à  saint  Bona- 
venture, cf.  J.  V.  Leclerc,  dans  VHist.  litt.  de  la  France,  t.  XX,  p.  73  :  «  Les 
Franciscains,  pour  égaler  le  nombre  des  73  opuscules  imprimés  par  les  Domini- 
cains sous  le  nom  de  saint  Thomas,  en  cherchèrent  partout  qu'ils  pussent 
donner  à  saint  Bonaventure  ». 

4.  Cf.  le  prologue  des  Meditationes  dans  les  Upera  S.  Bonaventurae.  éd.  de 
Lyon  1668  ,  t.  VI.  p.  33  4  :  sanclorum  Patrumauctorilatihus  conspersuni  est, 
praesertim  S.  Bernai-di,  cujus  rei  rationem  c.  S6  reddit  Auctor  lus  verbis  : 
«  Ideo  Ubenter  Bernardi  verba  in  hoc  opusculo  intersero  et  adduco,  quia  non 
solum  spiritualia  sunl,  et  cor  penetrantia.  sed  et  décore  plena,  et  ad  Dei  ser- 
vitium  excitanfia.  Cf.  ch.  n,  p.  335:  inter   eas  {misericordiam  et  pacem.,  veri- 


10  CHAPITRE   1 

Lune  des  meilleures  preuves  de  linfluence  immense  de  saint 
Bernard,  c'est  le  nombre  d'ouvrages  apocryphes  qui  lui  ont 
été  attribués,  traités  et  sermons,  prose  et  poésie  '.  Beaucoup 
dont  les  auteurs  avaient  tu  leurs  noms  par  humilité,  ont  été  mis 
au  compte  de  saint  Bernard,  moins  encore  par  fraude  pieuse  que 
par  conjecture  sincère.  Tels  sont  par  exemple  les  Sermons  et 
la  Méditation  sur  le  Salve  Rcfjina  ~  où  l'on  retrouve,  exprimée 
dans  le  style  même  de  saint  Bernard,  la  doctrine,  bernardine 
par  excellence,  de  la  miséricorde  de  Marie. 

Saint  Bernard  était  à  ce  point,  pour  le  moyen  âge,  le  théo- 
logien de  la  miséricorde  de  Marie,  que  des  ouvrages  où  cette 
théologie  était  exposée  ont  fini  par  être  enlevés  à  leur  véri- 
table auteur,  dont  le  nom  était  pourtant  connu,  et  ont  été  mis 
au  compte  de  l'abljé  de  Clairvaux  :  ainsi  le /)e  laudihus  heatae 
Mariae  d'un  contemporain  et  d'un  admirateur  de  saint  Ber- 
nard, Arnaud  de  Chartres,  abbé  bénédictin  de  Bonne  val. 

Ce  n'est  pas  seulement  saint  Bernard,  c'est  l'Ordre  de 
Cîteaux  tout  entier  qui  fait  accomplir,  au  \iV  siècle,  un  pro- 
grès merveilleux  à  la  mariolàtrie.  Dès  leur  fondation,  les  Cis- 
terciens placent  leurs  églises  sous  l'invocation  de  Notre-Dame; 
ils  empruntent  aux  Chartreux  la  pieuse  habitude  de  réciter 
avant  l'office  canonique  le  Petit  Office  de  la  Vierge:  ils  ter- 
minent la  journée  par  le  chant  solennel  du  Salve  Be'jina  mise- 
ricordiae  -K  Cisterciens  et  Cisterciennes  se  considèrent  comme 
les  familiers  de  Marie  :  speciali  affectufamulari  soient  Virgini 
r/loriosae,  écrit  au  milieu  du  xiii*"  siècle,  l'auteur  du  De  laudihus 
heatae  Mariae  '*.  «  L'Ordre  de  Cîteaux,  dit  Jean  de  Cirey  dans 
la  conclusion  de  ses  Collecta,  est  sur  terre  la  famille  particulière 
de  la  Mère  de  Dieu.  Car,  outre  qu'elle  lui  prodigue  les  révé- 
lations spirituelles  et  les  consolations  intimes,  souvent  elle 
est  venue  en  personne,  accompagnée  d'une  suite  brillante  de 
saintes  et  d'anges,  le  consoler,  l'instruire,  l'aider,  le  diriger. 
Aussi  Fappelle-t-on  la  patronne  et  la  dame  de  cet  Ordre,  sa 

latem  et  jiislilinm)  magna  controversin  fada  eut.  proul  narrai  h.  Bernardus 
piilchroel  longo stylo,  sed  ego  succincle.  iil potero.  referam  xumniam . Frequen- 
ler  enim  ipsiiis  dicta  melliflua  inlendo  addurere. 

1.  Pour  les  apocryphes  attribués  à  saint  Hcrnaril.  cf.  Ilisl.  lit  t.  de  la  Fr.. 
XIII,  211  :  Pellecliet,  Cal.  général  des  incunables,  l-  I,  |).  J08  ;  llauréau.  Des 
poèmes  lalins  atlrihiiés  à  saint  Bernard  (Paris,  1890.  sm. 

2.  I'.  L..  CLXXXIV,  1059-1079. 

3.  Vacandard,  Vie  de  saint  Bernard,  t.  II,  p.  97. 

i.  .\lherti  Magni   opéra,  cd.  de  Lyon,  (1651),  t.  X.\.  p.  2. 


LA    CROYANCE    A    LA    MISÉIUCUUUE    DE    MARIE  17 

protectrice  et  son  avocate  :  car  il  est  le  premier  de  tous  ceux 
qui  sont  dédiés  à  Marie.  Si.  par  impossible,  le  Diable  et  Judas 
lui-même  se  mettaient  à  suivre  la  règle  de  Giteaux,  humble- 
ment et  entièrement,  il  ne  faudrait  pas  désespérer  de  leur 
salut  final  :  la  Vierge,  par  sa  miséricorde,  saurait  bien  les 
sauver  '  ».  Cette  énerg-ique  hyperbole  fait  sentir,  mieux  que  tout 
autre  texte,  avec  quelle  force  l'Ordre  cistercien  sest  attaché  à 
la  doctrine  bernardine  de  la  miséricorde  de  Marie. 

Ces  éclaircissements  sur  le  rôle  de  saint  Bernard  et  des 
Cisterciens  dans  le  développement  de  la  mariolàtrie  en  géné- 
ral et  particulièrement  de  la  dévotion  à  la  Mère  de  ^liséri- 
corde  étaient  nécessaires  pour  expliquer  que  le  type  iconogra- 
phique de  la  ^^ierg;e  au  manteau  protecteur,  imag-iné  par  le 
moyen  -Âge  occidental  comme  symbole  de  la  miséricorde  infinie 
de  Marie,  soit  né,  comme  on  va  le  voir,  dans  un  couvent  de 
Citeaux, 


].  Peculiaris  in  terris  fninilia  cjloriosissimne  matris  Domini...  Xnm  ultra 
spiritiiales  revelaliones  inliinas([ue  consohitiones  saepiiis  fuhfidissimo  caeli 
civium  stipata  comitaln  ens  visilahat.  etiarn  visihiliter  consolahat,  edocehat, 
adjiivabat.  dirigebat.  ()b  hoc  et  ipsa  sacri  hujus  Ordinis  palrona,  domina, 
prolectrix  et  advocata  noininatiir,  sicul  Ordo  primus  est  omnium  Ordinum  in 
ejiis  honoreni  dedicatus...  Si per  possihile  Daemon  aut  etiam  Judas  humiliter 
et  inte(fraliter  sacri  Ordinis  observantias  custodirent,  de  eorum  sainte  finali 
neqiiaqiiam  desperandum  videretiir.  Sur  les  Collecta  de  Jean  de  Cirey,  voir 
infra,  p.  29.  Ce  texte  est  cité  par  Tissier.  en  tète  de  sa  Bibliotheca  Palriini 
Cislerciensium  Bonnefonlainc,  J660j.  dans  la  dédicace,  qui  est  adressée  à  la 
Vierg:e  Marie,  speciali  Cisterciensis  Ordinis  patronae.  Après  cette  citation, 
Tissier  poursuit  ainsi  :  dileclionem  liiam  in  omnes  ejiisdem  Ordinis  personas 
ea  praecipue  visione  demonstrasli.  c[ua  eas  siib  chlamide  tua  te  f'overe  et  pro- 
tegere,  quasi  gallina  pullos,  ostendisti  :  cl  il  raconte  la  vision  rapportée  par 
Césaire,  dont  nous  allons  parler.  Voir  encore,  dans  le  même  ouvrajje,  t.  VII, 
p.  211,  un  sermon  d'Hélinand  de  Froidmont,  avec  les  remarques  de  Lecoy  de 
la  Marche.  La  chaire  française  au  moyen  âge,  2"  éd.,  p.  374. 


Pehurizet.  —  La  Vierge  de  Miséricorde. 


CHAPITRE  II 

LE  THÈME  DE  LA  VIERGE  AU   MANTEAU  PROTECTEUR 
EST  D'ORIGINE  CISTERCIENNE 


Ce  thème  est  inconnu  à  l'art  d'Orient  et,  avant  le  xiii*  siècle,  à  l'art 
d'Occident.  —  lia  sa  source  dans  une  légende  Cistercienne,  rappor- 
tée par  Césaire  d'Heisterhach.  —  Le  symbolisme  du  manteau.  — 
Succès  du  thème  parmi  les  Cisterciens. 


Le  type  de  la  Merg-e  au  manteau  est  inconnu  de  Fart  chré- 
tien d'Orient  :  la  Vierge  de  Miséricorde  dans  l'art  byzantin 
(y;  'EKtoj7x)  ne  diffère  en  rien  des  Panaghias  ordinaires  '.  Dans 
l'art  d'(3ccident,  on  ne  le  trouve  qu'à  une  époque  assez  avan- 
cée déjà  du  moyen  âge.  Rohault  de  Fleury,  qui  a  réuni  avec 
tant  de  soin  les  représentations  de  la  Vierge  antérieures  au 
XIII''  siècle-,  n'a  pas  rencontré  celle-là.  Il  y  a  dans  l'église 
Saint-Marc  de  Florence  une  mosaïque  romaine  du  viii'' siècle  3, 
qui  représenterait,  d'après  l'inscription  placée  au-dessus,  la 
Mater  misericordiae  :  la  Vierge  est  représentée  dansle  costume 
d'impératrice  byzantine  et  dans  l'attitude  de  Forante  ;  l'ins- 
cription d'ailleurs  est  assez  récente.  Je  suppose  que  si  l'on  a 
fait  de  cette  Vierge  orante  une  Mère  de  Miséricorde,  c'est  à 
cause  du  geste  des  bras,  mal  compris  :  on  aura  vu  dans  les 
bras  écartés  de  Forante  le  geste  habituel  des  Vierges  de  Misé- 
ricorde, qui  pour  étendre  leur  manteau  sur  les  pécheurs  écartent 
les  bras. 

1.  Pour  les  types  de  la  Vierge  dans  l'art  byzantin,  cf.  Brockhaus,  Die  Kunst 
in  den Alhus  Kloslern  Leipzi},',  IS91  ,  p.  105  sq;  KondakolT,  Les  monuments 
de  l'arl  chrétien  au  monl  Alhos  en  ruf^i^c),  Pctersbourjr.  1002  :  Perdrizet,  La 
Vierge  qui  baise  la  main  de  l'enfant,  clans  Revue  de  l'art  chrétien,  1907. 

2.  La  Sainte  Vierge,  éludes  archéologiques  d'iconographie,  Paris,  1878- 
1879.2  vol.f".  Le  déparlement  des  mss.  de  la  liibliothèque  Nationale  vient 
d'hériter  des  documents  léunis  par  les  Rohault  père  et  fds  :  je  nie  suis  assuré 
qu'ils  ne  renferment  rien  concernant  mon  sujet. 

3.  Alinari,  phot.  1571,  reproduite  dans \'enturi,  La  Madonedans  Vart  italien, 
j).  4,  cl  dans  VaSloria  deliarte  itaiiana,  du  même,  t.  II,  lig.  188,  p.  276.  Elle  se 
trouvait  à  Home  dans  l'oratoire  de  la  Porta  Santa  (chapelle  de  Jean  VII, 
pape  de  705  à  708)  et  fut  transportée  à  Florence  en  1609. 


LA    VIERGE    AU    MANTEAU    PROTECl'EUR    ET    LES    CISTERCIENS      19 

Au  porche  de  la  cathédrale  d'Autun  où  est  fig-uré  le  Juge- 
ment dernier  ',  on  voit  de  petites  âmes  qui. pour  échapperaux 
griffes  des  diables,  se  cachent  sous  la  robe  de  l'archange.  Mais 
la  ressemblance  avec  le  type  qui  nous  occupe  est  superficielle. 
L'auteur  du  Jugement  dernier  d'Autun  était  un  artiste  d'ima- 
gination féconde  ;  ce  détail  des  âmes  qui  se  réfugient  sous  la 
robe  de  l'archange  est  ime  invention  qui  semble  lui  être 
propre  ;  autant  que  je  sache,  elle  n'a'  été  copiée  nulle 
part  et  ne  repose  sur  aucun  texte  ;  tandis  que  les  Vierges 
abritant  les  pécheurs  sous  le  manteau  de  protection  forment 
une  série  immense  qui  a  certainement  son  origine,  non  dans 
la  fantaisie  d'un  artiste,  mais  dans  quelque  texte  sacré,  à 
tout  le  moins  dans  quelque  légende  pieuse. 

Est-ce  dans  un  passage  de  l'Ecriture?  Une  métaphore 
biblique  aura-t-elle  donné  naissance  à  ce  type  étrange,  comme 
on  voit,  par  exemple,  qu'une  métaphore  de  l'Évangile'  a 
donné  naissance  dans  l'art  d'Orient  et  dans  l'art  d'Occident, 
aux  représentations  d'Abraham  tenant  dans  un  pan  de  son 
manteau  de  petites  figures  nues  qui  sont  les  âmes  des  justes  '*? 
Le  livre  de  Ruth,  voulant  signifier  la  protection  dont  l'Eter- 
nel couvre  ceux  qu'il  aime,  parle  des  ailes  de  Jahvé  '  : 
Jalivé  est  comparé  à  une  oiselle  couvrant  ses  poussins  de 
ses  ailes.  Cette  métaphore  revient  souvent  dans  les  Psaumes  : 
«  Aie  pitié  de  moi,  ô  mon  Dieu,  dit  le  Psalmiste,  protège- 
moi  à  l'ombre  de  tes  ailes  contre  les  méchants  qui  me  persé- 
cutent'... C  est  l'Eternel  qui  m'a  délivré  du  filet  de  l'oise- 
leur ;  il  te  couvrira  de  ses  ailes,  et  tu  trouveras  1  espoir  sous 
ses  plumes.  »  Ces  textes,  où  survit  quelque  chose  de  l'antique 

1.  Vers  1150.  Reproductions  clans  Dehio,  Kungstgeschichte  in  Bildern 
(Leipzig,  1902',  t.  II,  pi.  38  :  mieux  dans  Marcou,  Album  du  musée  de  sculp- 
ture comparée.  1. 1,  pi.  41,  et  dans  \'itry  et  Brièrc,  Documents  de  sculpt.  (r. 
du  moyen  ùge.  pi.  XI.  «  De  petites  âmes  s'accrochent  à  la  robe  de  l'ange  », 
écrit  M.  Mâle  dans  le  Musée  d'art,  p. 73  i^cf.  L'art  religieux  du  XIII'  s.,  2"  éd., 
p.   420,  n.  J). 

2.  Lhc,  XVI,  22-23. 

3.  Le  sein  d'Abraham  est  le  lieu  de  reposdes  justes,  jusqu'au  Jugement  der- 
nier qui  les  fera  entrer  dans  le  paradis  :  «  Dans  certaines  représentations 
byzantines  du  Jugement  dernier,  on  voit,  au  milieu  du  paradis,  Abraham 
tenant  lésâmes  vertueuses  dans  son  giron...  Le  peintre  du  couvent  de  la  Pha- 
néromcni.  à  Salamine,  plus  rigoureu.x  et  plus  savant,  n'a  mis  dans  le  para- 
dis, avant  l'arrêt  du  Jugement  dernier,  ni  ces  âmes,  ni  ce  patriarche  »  Didron, 
Manuel  d'iconographie  chrétienne,  p.  272). 

4.  II,  12  :    plenam  mercedem  recipias  a  Domino  suh  cujus  confugisti  alas. 

5.  Ps.  LVI,  2. 


20  CHAPITRE    U 

conception  de  Jahvé-chéroub ',  sont  la  source  où  la  mystique 
a  pris  la  comparaison  de  la  Vierge  protectrice  avec  une 
oiselle  "'.  Mais  jamais  la  protection  divine  n'est  comparée  dans 
la  Bible  à  un  manteau. 

Cette  comparaison  se  trouve-t-elle  dans  les  Pères  ou  dans 
la  Liturgie  ?  Salzer,  qui  a  recherché  avec  une  patience  admi- 
rable les  épithètes  et  les  métaphores  de  la  Vierge  dans  la 
patristique  grecque  et  latine,  dans  la  liturgie,  les  hymnes  et 
les  écrits  mvstiques,  cite  des  centaines  de  textes  sur  la  Mère 
de  Miséricorde  :  les  métaphores  sont  vas,  fons,  latex,  flumen, 
sinus  misericordiae'^ ;  saint  Bernard,  par  exemple,  dans  un 
passage  célèbre  (jue  nous  avons  déjà  eu  occasion  de  citer, 
compare  la  Vierge  de  Miséricorde  à  une  mère  qui  ouvre  ses 
bras  à  ses  enfants  :  omnibus  niisericordiae  sinum  aperii,  ut 
de  plenitudine  ejus  accipiant  universi.  Mais  dans  aucun  des 
textes  collectionnés  par  Salzer,  la  miséricorde  de  Marie  n'est 
comparée  à  un  manteau. 

Le  type  iconographique  de  la  Vierge  au  manteau,  comme 
celui  de  la  Vierge  Immaculée,    ou    ^'ierge  de  Lourdes,  a    sa 


1.  Ps.  XG.  3  :  Ipse  liberavit  nie  de  laqiieo  venanliiini...  Scapulis  suis  obum- 
brabit  tibi.  et  snh  permis  ejus  sperabis.CL  XVI.  8  -.sub  umbra  alai-umluarnm 
protège  me;XXW,  S:  filii  hominurn  in  legmine  alaruin  liiarum  sperabunl; 
LXIl,  8  :  in  velamento  alariim  tnaruni  exuUabo. 

2.  In  Salve  reçfina.  II  (sermon  attribué  à  tort  à  saint  Bernard,  dans  Migne, 
CLXXXn'^,  742)  :  le  sermonnaire  adresse  à  la  \'ierg:e  la  prière  du  Psalmiste 
sub  timbra  alaruni  iuarum  nos  protège  Ps.,  XVI,  8).  Cf.  P.  L..  CLIX,  314. 
Saint  Ephrem.  De  laud.  Mariae,  t.  III,  p.  57(5  de  l'éd.  de  Rome,  1732,  cité  par 
Salzer,  op.  cit..  p.  373:  sub  alis  pietatis  atque  niisericordiae  protège  nos.  Le 
prieur  Reitter  dans  une  ode  de  son  Mortilogus  Augsbourg,  1508),  sur  laquelle 
nous  reviendrons  plus  loin^  a  cette  strophe  : 

Pande  maternuni  greminm  reliclis.' 
Sub  tuis  tuti  latitenius  alis, 
Dira  ne  nabis  noceanl  venena 
Pestis  acerbae  ! 


(I  1.,'àme  de  saint  Hugues  de  Cluny  se  réfugia  près  de  la  Vierge  coinme  sous 
l'aile  dune  mère  »  (Sausseret, -lp/)a7'/7('oHs  et  révélations  de  la  T.  S.  Vierge, 
t.  I,  p.  171).  Les  Franciscains  ont  hardiment  transféré  cette  métaphore  de  la 
\'ierge  à  leur  fondateur  :  «  Une  femme  singulière,  sainte  Douceline.  agitait  le 
midi  de  la  France.  Elle  appartenait  au  Tiers-ordre  de  saint  François.  On 
recueillait  ses  paroles  comme  une  révélation  divine.  A  la  question  inquiète 
dune  sœur,  elle  répondit  :  «  Oui  vraiment. sous  Icsailesde  saint  François, vous 
serez  toutes  sauvées  »  Gebhardt,  L'Italie  mystique,  p.  209,  d'après  la  Vie  de 
sainte  Douceline,  texte  provençal,  publié   par  Albanès,   Marseille,  1879). 

3.  Salzer,  op.  cit.,  ]).  553-556. 


LA    VIERGE    AU    MANTEAU     PROTECTEUR    ET    LES     CISTERCIENS     21 

source   dans   une     histoire    d'apparition,    dans    un    récit    de 
vision. 

La  vision  dont  il  s'ag^it  est  racontée  par  Césaire  d'Heister- 
bach  •,  Cistercien  du  diocèse  de  Cologne,  dans  son  Dialogus 
miraciiloriim,  qui  fut  écrit  entre  1220  et  1230,  au  dernier 
chapitre  du  livre  VI,  lequel  est  consacré  en  entier  aux  appa- 
ritions de  Marie.  Entre  tant  de  recueils  consacrés  aux  appa- 
ritions de  la  sainte  Vierg-e,  celui  de  Césaire  est,  je  crois,  le 
plus  ancien.  Les  recueils  ultérieurs-  lui  ont  tous  emprunté, 
directement  ou  non,  le  récit  en  question  : 

Du  moine  qui  vil  dans  le  royaume  des  eieux 

V Ordre  de  Cîleaux  sous  le  manteau  de  Marie. 

«  Un  moine  de  notre  Ordre,  qui  avait  une  dévotion  parti- 
culière pour  Notre-Dame,  fut,  il  y  a  quelques  années,  ravi  en 
esprit,  et  admis  à  contempler  le  ciel  de  gloire.  Ayant  vu  les 
divers  Ordres  de  l'Eglise  triomphante,  les  Anges,  les 
Patriarches,  les  Prophètes,  les  Apôtres,  les  Martyrs,  les  Con- 
fesseurs, et,  répartis  selon  leurs  insignes,  les  Chanoines 
réguliers,  les  Prémontrés,  les  Clunisiens,  il  s'inquiéta  de  son 
Ordre  à  lui.  Et  il  regardait  de  tous  côtés,  et  ne  découvrait 
aucun  des  siens  dans  le  royaume  de  gloire.  Alors  se  tournant 
vers  la  bienheureuse  Mère  de  Dieu,  il  gémit  et  lui  dit  : 
«  Pourquoi  donc,  Dame  très  sainte,  ne  vois-je  ici  personne 
de  Cîteaux  ?  Pourquoi  les  plus  dévoués  de  vos  serviteurs  sont- 
ils  exclus  de  ces  béatitudes  ?  »  Et  la  reine  du  ciel  lui  répon- 
dit :  ((  Ceux  de  Cîteaux  me  sont  au  contraire  si  chers  et  si 
familiers  que  je  les  réchautïe  sous  mes  bras.  »  Et  ouvrant  le 
manteau  qui  la  couvrait  et  qui  était  d'une  largeur  merveilleuse, 


1.  Sur  Césaire,  voir  Daunou clans  l'/fts/otre  littéraire  de  la  France,  t.  XVIII, 
p.  194;  Kaufniann,  Caesariiis  von  Heisterhach,  Cologne,  1850:  du  même.  ^Uiz/i- 
derbare  Geschichten  ans  den  Werken  des  C.  ans  II.  {Annalen  desllisl.  Vereins 
fur  denMederrhein,Uefl  Al  et  58,  Cologne  1888  et  1891);  Potthast,  Bihl. 
Med.  Aevi,  t.  II,  p,  ISO  ;  Wattenbach,  Deutschlands  Geschichlsquellen,  II", 
p.  -i85.  Pour  les  éditions,  cf.  Bihliotheca  hagiographica  latina  Bruxelles, 
1898),    t.  I,   p.  XIX  et    Analecta  Bollandiana,  t.  XXI  (1902),  p.  45. 

2.  Gonon,  Chronicon  S.Deiparae  (Lyon,  163"), p.  137;  Bridoul,  Le  triomphe 
annnel  de  la  Sainte  U/crfye  (Lille,  1640),  t.  IL  p.  "43  ;  Sausseret.  Apparitions  et 
révélations  de  la  T.  S.  Vierge  depuis  l'origine  du  christianisme  jusqu'à  nos 
jours  (Paris,  185  5),  t.  I,  p.  197,  d'après  Chrysostomus  llcnviquez,  Fascicu  lu  s 
sanctorum  Ordinis  Cisterciensis,  vie  de  S.  Albin.  Le  texte  de  Césaire  est 
cité  d'après  Sausseret  par    Rohault  de  Fleury,  La  Sainte  Vierge,  l.  I,  p.  319. 


22  CHAPITRE    II 

elle  lui  montra  une  multitude  innombrable  de  moines,  de 
frères  convers  et  de  nonnes.  Lui,  plein  d'une  grande  joie, 
rendit  grâces,  et  son  esprit  ayant  réintégré  son  corps,  il 
raconta  à  son  abbé  ce  quil  avait  a'u  et  entendu.  Et  labbé, 
ayant  rapporté  la  chose  aux  abbés  de  l'Ordre  assemblés  en 
chapitre,  les  remplit  de  joie  et  d'une  ardeur  plus  grande  à 
aimer  la  sainte  Mère  de   Dieu  '  ». 

Pourquoi  le  moine  par  qui  cette  vision  fut  imaginée  eut-il 
l'idée  de  faire  du  manteau  de  Marie  le  symbole  de  la  pro- 
tection dont  elle  couvre  l'Ordre  de  Citeaux?Nous  avons  vu 
que  ni  dans  la  Bible  ni  dans  la  Liturgie,  ni  dans  les  Pères  ni 
même  dans  saint  Bernard,  la  protection  divine  n'est  com- 
parée à  un  manteau.  On  dira  que  cette  comparaison  est 
tellement  naturelle,  que  le  moine  Cistercien  peut  bien  l'avoir 
inventée.  Mais  justement  parce  qu'elle  est  si  naturelle,  un 
folk-loriste  ne  se  résignera  pas  aisément  à  croire  qu'elle  ne 
remonte  pas  plus  haut.  D'ailleurs,  est-elle  vraiment  si 
simple  à  trouver  ?  Il  est  permis  d'en  douter.  Qu'on  n'objecte 
pas  qu'elle  a  été  réinventée  par  tel  écrivain  contemporain  '-; 
car  l'écrivain   dont  il    s'agit  était  nourri  de  lectures  pieuses, 

1.  Caesarii  Heisterhachensis  monachi  Ordinis  Cisterciensis  dialogus  mira- 
culornm.Yll,  59.  éd.  Strange  Cologne,  ISôI"!.  t.  II,  p.  79. 

De  monacho  qui  Ordinein  Cisterciensem  suh  Mariae  pallio  vidit  in  regno 
caelorum. 

Monachas  quidam  Ordinis  nostri  Dominam  nostram  plurimum  diligens 
antepancos  annosmenle  excedens,ad  contemplationeni  (jloriae  caelestisdeduc- 
tus  est.  L'bi  duni  diverses  Ecclesiae  triumphanlis  Ordines  videret,  Ancjelorum 
videlicet.  Pafriarcharuni.  Prophelarum,  Apostolorum.  Martyrum.  Confesso- 
runi.  et  eosdeni  certis  characteribus  distinclos,  item  Canonicos  fiegulares, 
Praemonstratenses.  sive  Cluniacenses,  de  suo  Ordine  sollicitus.  cum  staret  et 
circamspiceret.  nec  aliquam  de  illo  personam  in  illa  gloria  reperiret.  ad  hea- 
tam  Dei Genitricem  cum  gemitu  respiciens,  ail:  Quid  est,  sanclissima  Domina, 
quod  de  Ordine  Cisterciensi  neminem  hic  video?  Quare  famuli  tui.  tihi  tam 
dévote  servientes.  a  consortio  tantae  beatitudinis  excluduntur  ?  Videns  eum 
turbatum  Regina  caeli,  respondit:  lia  mibi  dilectiac  familiares  sunt  hi  qui  de 
Ordine  Cisterciensi  sunt.  ut  eos  eliam  sub  ulnis  meis  f'oveam.  Aperiensque 
pallium  suum  quo  amicla  videhatur,  quod  mirae  erat  latitudinis.innumerabi- 
lemmultitudinem  mnnachorum,  conversorum.et  sanctimonialium  illi  jstendit. 
Qui  nimis  exultans  et  gratias  referens,  ad  corpus  rediit,  et  quid  viderit 
quidve  audierit  Abbati  suo  narravit .  Ille  vero  insequenti  Capitulo  haec  refe- 
rens Abbatibus.omnes  laetificavit,  ad  ampliorem  sanctae  Dei  Genilricis  amo- 
rem  illos  accendens. 

2.  Huysmans,  En  route,  p.  20  (description  d'une  messe  d'enterrement)  : 
"  Le  prêtre  fait  à  grands  pas  le  tour  du  catafalque,  le  brode  de  perles  d'eau 
bénite,  abrite  la  pauvre  âme  qui  pleure,  la  console,  la  couvre  en  quelque  sorte 
de  sa  cho|)e.  >' 


LA    VIERGE    AU    MANTEAU    PROTECTEUR    ET    LES    CISTERCIENS     23 

imbu  de  mysticité  catholique,  très  instruit  d'art  religieux,  et 
la  phrase  qu'on  cite  de  lui  peut  bien  être  une  réminiscence. 

Si  le  moine  Cistercien  a  eu  l'idée  de  faire  du  manteau  de 
Marie  un  symbole  de  la  protection  dont  elle  couvre  l'Ordre 
de  Citeaux,  c'est,  je  crois,  que  le  manteau  était  vin  symbole 
de  protection  dans  certains  rites  juridiques  et  religieux  dont 
ce  moine  avait  connaissance. 

Jacob  Grimm  assure  que  pour  les  anciens  Allemands,  le 
manteau  des  rois  et  des  reines,  des  seigneurs  et  des  dames 
était  un  signe  de  protection  :  c'est  à  quoi  feraient  allusion  les 
mots  qui  se  trouvent  dans  mainte  vieille  ballade  :  unter  des 
M  an  tels    Ort  K 

Les  rites  du  mariage  offrent  quelque  chose  d'analogue. 
Dans  certaines  parties  de  l'Allemagne,  le  marié,  lors  de  la 
cérémonie  nuptiale,  enveloppait  sa  femme  dans  son  man- 
teau 2.  Même  usage  en  Russie  ^  chez  les  Juifs.  La  mariée  juive, 
dit  Reuss  *,  est  couverte  d'un  manteau,  qui  symbolise  l'au- 
torité protectrice  du  mari.  «  Veuille  étendre  le  pan  de  ton 
manteau  sur  ta  servante  ■-  »  ,  dit  Ruth  à  Booz,  quand  elle 
invoque  leur  parenté  pour  qu'il  l'épouse. 

Le  rôle  du  manteau  dans  les  rites  matrimoniaux  explique 
peut-être  le  rôle  du  manteau  dans  les  rites  d'adoption  et  de 
légitimation.  Au  moyen  âge,  chez  les  peuples  du  Nord  (x\lle- 
magne,  France,  Angleterre),  celui  qui  adoptait  ou  légitimait 
un  enfant  le  couvrait  solennellement  de  son  manteau '\  Lorsque 
le  fils  de  Bernardone  eut  dépouillé  ses  vêtements  devant  son 
père  et  devant  l'évêque  d'Assise  pour  montrer  qu'il  renonçait 
aux  biens  de  ce  monde,  «  l'évêque  en  fut  réduit,  disent  les  his- 
toriens, à  prendre  sous  son  manteau  le  pauvre  François  trem- 


1.  Grimm,  Deutsche  Rechstallerthûmer^,  p.  160.  Cf.  Ghassan,  Essai  surla 
symbolique  du  droit  (Paris,  1847),  p.  155  et  221. 

2.  Grimni,  Poésie  im  Redit,  g  6  (Kleinere  Schriften,  t.  VI,  p.  164). 

3.  Hulchinson,  Marriac/e  custorns,  ch.  xiv  (Russia),  p.  199  :  «  another  cus- 
tom,  now  chani^red,  liad  the  like  sigTiificaace:  after  the  marriage  cei'emony,  the 
bride  used  to  knock  lier  head  on  her  husbands  shoe  in  token  of  obédience, 
and  lie  castthe  lap  of  his  gown  over  her  in  token  of  liis  duty  to  protect  and 
cherish  her.  » 

4.  Traduction  de  Ruth,  p.  10. 

5.  Ruth,  III,  19.  Le  même  rite  explique  Ezéchiel,  XVI,  8  :  «  Ainsi  parle 
l'Éternel  à  Jérusalem  :  «  Tu  étais  nue:  je  passai  près  de  toi,  je  te  regardai,  et 
voici,  ton  temps  était  là,  le  temps  de  la  puberté  :  j'étendis  sur  toi  le  pan  de 
ma  robe,  je  couvris  ta  nudité,  je  te  jurai  fidélité  et  tu  fus  à  moi.  » 

6.  Du  Gange,  Gloss.  med.  et  inf.  lat.,  s.  v.  Pallia  cooperire. 


24 


CHAPITRE    n 


blant  déniotion  et  de  froid  '  »  :  ce  g-este  de  révéque.  que 
l'art  a  popularisé  ',  était  peut-être,  au  vrai,  un  rite  d'adoption. 
Le  même  rite  existait  chez  les  Juifs,  comme  le  montre  le  pas- 
sage de  la  Bible  qui  raconte  comment  Élie  s'adjoignit  Elisée  : 
Clinique  venisset  Elias  ad  eiim,  misit  pallium  super  illum^. 

Peut-être  aussi  le  moine  qui  a  imaginé  la  vision  rapportée 
par  Césaire,  a-t-il  transféré  à  la  Vierge  un  miracle  que  les 
peuples  du  Nord  racontaient  d'un  de  leurs  saints,  et  plus 
anciennement,  dun  de  leurs  héros  ou  dun  de  leurs  dieux.  On 
lit  dans  la  vie  de  saint  Columba,  qu'en  635,  pendant  la  nuit 
qui  précéda  la  bataille  où  il  devait  battre  les  Bretons,  Oswald 
le  Saxon  eut  ce  rêve  :  saint  Columba,  le  grand  abbé  d'iona, 
mort  depuis  trente-six  ans,  se  trouvait  devant  lui  ;  la  taille 
du  saint  était  si  grande  qu'il  touchait  le  ciel  de  la  tête;  il  était 
vêtu  dun  manteau  resplendissant,  dont  il  étendait  les  pans, 
en  sorte  qu'ils  couvraient  tout  le  camp  des  Saxons.  Et  il  dit  à 
Oswald  ce  que  le  Seigneur  avait  dit  à  Josué  :  ((  Aie  bon  cou- 
rage, car  voici,  je  serai  avec  toi  !  ^  » 

Ainsi,  le  thème  du  manteau  protecteur  paraît  être  d'origine 
septentrionale  —  celte,  ou  germanique, 

Césaire  ne  dit  pas  d'où  était  le  moine  qui  vit  la  Vierge 
abritant  les  Cisterciens  sous  son  manteau.  Il  n'en  savait  rien, 
probablement.  Ne  nous  hâtons  pas  de  conclure  de  la  natio- 
nalité de  Césaire,  que  le  moine  qui  fut  favorisé  de  cette  vision 
était  un  moine  allemand.  C'est  plutôt  la  conclusion  contraire 
cpii  d'abord  semblerait  juste  :  si  le  monachus  quidam  avait 
été  Allemand,  Césaire  aurait  aisément  pu  savoir  son  nom  et 
le  nom  de  son  couvent. 

Mais  on  peut  dire,  d'autre  part,  que  si  le  type  de  sainte 
l  rsule  abritant  ses  compagnes  sous  son  manteau  a  été  créé, 
comme  il  est  permis  de  le  croire,  à  Cologne,  au  xin*"  siècle,  à 
l'iiiiitation  du  type  de  la  Vierge  de  Miséricorde,  c'est  que  le 
thème  du  manteau  protecteur  était  familier  à  la  mystique  alle- 
mande'. 

J.  Sabaticr,   Vie  de  saint  François  d'Assise,  p.  70. 

2.  Fresque  de  GiotLo  à  S.  Francesco  d'Assise  ;\Vôrmann.  Kun.<it(feschichte, 
l.  II,  p.  367)  :  tableau  flamand  des  environs  de  1500.  dans  Friedliinder.  Meis- 
tericerke  derniederl.  Mulerei.  pi.  60;  etc. 

3.  III  Rois,  xix,  19. 

5.  Acla  .S\S,  juin  II.  p.  199  :  The  life  of  St  Cohimha.  fonnder  of  IIii.  ivrilten 
ht/  Adanuuin,  éd.  W.  Reeses  (Dublin,  1857  .  p.  1  i.  Cf.  MonlalonibcVl.  Moines 
dOrcidenl.  2-=  éd.  (Paris  18S8),  t.  IV,  p.  11. 

5.  Cf.  inj'ra,  eh.   xiii. 


LA    VIERGE    AU    .MANTEAU    PROTECTEIR    ET    LES    CISTERCIENS     2o 

La  fragilité  de  ces  inductions  contradictoires  est  évidente. 
Nous  nous  sentons  incapable  de  nous  décider  dans  un  sens  ou 
dans  l'autre. 

Il  est  croyable  que  Césaire  connaissait  cette  vision  par  tra- 
dition, de  son  abbé,  qui  lui-même  lavait  entendu  raconter 
par  un  autre  abbé  Cistercien,  dans  un  chapitre  général  de 
l'Ordre.  Elle  aurait  eu  lieu  anfe  paucos  aniios^  aux  environs  de 
l'an  1200. 

Césaire  la  raconte  tout  à  la  lin  de  son  livre  sur  les  appari- 
tions de  ]SIarie  :  il  Ta  gardée,  si  j'ose  dire,  pour  la  bonne 
bouche.  Evidemment,  c'est  qu'il  la  considérait  comme  la  plus 
belle  de  toutes.  Il  en  jugeait  en  Cistercien.  Et  l'Ordre  de 
Cîteaux  a  jugé  comme  Césaire  :  il  n'a  jamais  oublié  les  paroles 
de  prédilection  dont  la  Vierge  consola  1  humble  moine.  La 
Vierge  au  manteau  protecteur  sert  de  type,  dès  le  xiv*'  siècle, 
aux  sceaux  des  défîniteurs  de  l'Ordre  et  à  ceux  de  plusieurs 
abbayes  Cisterciennes  (pi.  II).  Elle  formerait,  depuis  une 
date  que  je  ne  saurais  préciser,  le  cimier  des  armoiries  de 
l'Ordre  '.  Sur  un  tableau  italien  du  xiv*"  siècle,  qui  représente 
les  funérailles  de  saint  Bernard,  un  moine  porte  une  bannière 
où  est  peinte  la  Vierge  au  manteau  (pi.  III,  1).  Un  tableau 
allemand  du  xv*"  siècle,  dans  l'église  du  couvent  Cistercien 
d'IIeilsbronn  en  Franconie,  montre  agenouillés  sous  le  man- 
teau de  la  ^  ierge  treize  moines  Cisterciens  avec  leur  abbé. 
L'Ordre  militaire  de  Alontesa,  de  filiation  Cistercienne  ',  s'est 
fait  représenter  sous  le  manteau  de  Marie.  Les  Trappistes, 
qui.  eux  aussi,  descendent  de  Cîteaux-^,  auraient  été  repré- 
sentés sous  le  manteau  de  la  Mère  de  Miséricorde  ^.  Le 
frontispice  des  Collecta  quorumdam  privilegiorum  OrcUnis 
Cisterciensis  de  Jean  de  Cirey,  abbé  de  Cîteaux,  ouvrage  paru 
à  Dijon  en  1491,   représente  la  Vierge  nimbée,   sans  la   cou- 


1.  J'emprunte,  sous  réserves,  ce  rcnseij^nement  à  Barbier  de  Montault. 
Il  a  jjarlé  plusieurs  fois  des  armoiries  de  Cilcaiw  [Annuaire  du  conseil  héral- 
dique de  France.  1890,  p.  135  ;  Œuvres,  t.  II,  p.  248  ;  IV,  p.  172  ;  Revue  de 
l'arl  chrétien,  1889,  p.  24  ,  mais  sans  jamais  dire  à  quelle  époque  elles 
remontent.  Le  seul  exemple  qu'il  cite  fresque  dans  la  sacristie  de  Sainte-Croix 
de  Jérusalem  à  Rome   doit  être  moderne. 

2.  Janauscliek,  Orifjinum  Cisierciensiuin.  t.  I,  p.  v.  Cet  Ordre  fut  fondé  en 
1317  par  Jacques  II  d'Arag;on  :  il  remplaça  en  Espajiiie  celui  du  Temple,  dont 
il  recueillit  les  biens  ;  il  a  été  rattaché  depuis  à   l'Ordre  de  Calatrava. 

3.  Hélyot,  Ilist.  des  Ordi-es  relief ieux,l.  V,p.  362! 

4.  Au  dire  de  Barbier  de  Montault.  OEuvres,  l.  V,  p.   ir)2. 


26  CHAPITRE    II 

ronne  et  sans  lenfant,  étendant  son  manteau  sur  l'Ordre  de 
Cîteaux  ;  à  droite  sont  les  moines,  Tabbé  en  tête,  à  g-auche 
les  moniales.  Au-dessus  de  la  Vierge,  cette  épio^ramme   : 

Quam  lihi  Cisterci  placeat  sanclissimu.s  Ordo^ 
Haec  nohis  primiim  ostensio  fada,  prohal  : 

Ergo  tuo  maneat  semper  suh  niimine  tutus, 
Dediius  ante  alios,  Virc/o  heata,  tihi ! 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


PL  II 


Sceaux  cisteuciens  et  autres 

(filichés  de  l'auteur) 


CATALOGUE 


1.  —  Sceau  desdéfinileurs  de  l'Ordre  de  Cîteaux.xiv^  siècle.  La  Vierge, 
debout,  de  face,  couronnée,  sans  l'Enfant,  abrite  sous  son  manteau  huit 
abbés  Cisterciens,  agenouillés,  ^{igilluin)  DIP'FINITORV(m)  CAP[i7u)LI 
GENERALI(s)  ClST^erciensis)  ORDI(n«)S.  Un  dessin  de  ce  sceau  dans  le 
Recueil  des  travaux  de  la  Société  de  sphragistique  de  Paris,  I  (1852), 
p.  26;  reproduit  dans  Cahier,  Caractéristiques,  I,  p.  298.  La  matrice  a  été 
exposée  par  Hoffmann  en  1889  {Exposition  rétrospective  de  Vart  français 
au  Trocadéro,  p.  36,  no  29);  elle  se  trouve  maintenant  au  Musée  de  la 
Côte-d'Or  [Catalogue,  Dijon,  190i,  n"  1803),  où  je  l'ai  fait  mouler.  Je 
n'oserais  en  garantir  l'authenticité.  Mauvaise  reproduction  dans  la 
Gaz.  des  B.-A.,  1905,  II,  p.  404.  —  PL  II,  1. 

2.  —  Douët  d'Arcq,  Collection  de  sceaux,  II,  p.  10,  n°  8195  :  «  Frag- 
ment de  sceau  rond,  d'environ  55  mm.  Abbaye  de  Cîteaux.  Un  person- 
nage debout,  vu  de  face,  et  abritant  sous  les  pans  de  son  manteau  deux 
groupes  d'abliés  agenouillés  et  portant  des  crosses.  Légende  détruite. 
Appendu  à  un  acte  du  dernier  avril  1505.  Dafum  in  Diffinitorio  nostro 
Cisterciensi,  sub  sigillo  Diffinitorii  ».  Reproduction  dans  la  Gaz.  des 
B.-A.,  1905.  t.  II,  p.  404.  —  Pi.  11,  4. 

3.  —  Sceau  de  l'abbaye  de  Beaupré,  monastère  de  femmes  qui  suivaient 
la  règle  de  Cîteaux.  Daté  de  1335.  La  Vierge,  debout, avec  l'Enfant  sur  les 
bras,  et  des  nonnes  sous  le  manteau.  Au  pourtour  :  ^  S.  COVETVS. 
BELLI  PRATI.  Cf.  Guignies,  L'ahbaije  de  Beaupré  à  Grimmingen,  dans 
les  Annales  du  cercle  archéologique  d'Enghien,  t.  IV  (1895),  p.  429. 

4.  —  Sceau  de  N.-D.  de  Cercamp-lès-Frévent  ('canton  de  Frévent, 
arr.  de  Saint-Pol,  Pas-de-Calais),  abbaye  Cistercienne,  fondée  en  1137 
(Janauschek,  Originuni  Cisterciensiuni,  t.  1,  p.  66).  Apposé  à  un  acte  de 
1332.  La  Vierge,  debout,  couronnée,  l'Enfant  dans  les  bras,  huit  Cister- 
ciens sous  le  manteau.  SIGILLVM  COXVENTVS  ABBADIE  CARl- 
CAMPI.  Moulage  au  Musée  du  Trocadéro,  n°  1729.  Reproduction  dans 
Demay,  Sceaux  de  l'Artois,  n°  2601,  et  dans  la  Gaz.  des  B.-A.,  1905, 
t.  II,  p.  405.  Cf.  Douët d'Arcq,  t.  I,  p.  lxxiii;  t.  III,  n»  8174.  —PL  11,2. 

5. — Ga/jrf.  Sceau  de  Sainte-Marie  de  la  Byloke  :  sur  ce  couvent  de 
nonnes  Cisterciennes  et  sur  son  hôpital,  cf.  A.  \ an  Lakeven,  Historique  de 
Vhôpital  de   la  Biloke  et  de  l'abbaye  de  la  Vierge  Marie  (Gand,  1840); 


28  CATALOGUE 

Verhaegen,  L'hôpital  de  la  Byloke  (Gand,  1889,  f°).  La  Vierge  debout, 
rEiifant  dans  les  bras;  sous  son  manteau  plusieurs  rangées  de  nonnes 
agenouillées.  Acte  daté  de  1444,  aux  Archives  du  dép.  du  Nord,  décrit 
dans  Demay,  Sceaux  de  la  Flandre,  t.  II,  p.  230,  n"  6824  (j'en  dois  la 
photographie  à  M.  Jouguet)  ;  acte  daté  de  1436,  au  bureau  centi'al  des 
hospices  de  Gand.  —  PI  II.  3. 

6.- — J  ai  vu,  au  couvent  de  la  Byloke,  une  gravure  sans  signature,  ni 
lieu,  ni  date,  qui  m'a  paru  du  milieu  du  xix«  siècle,  et  qui  représentait  la 
Vierge  abritant  l'Ordre  cistercien  sous  son  manteau;  au-dessous  était 
reproduit  le  texte  de  Césaire  d'IIoisterbach  relatif  à  cette  vision. 

7.  —  Gand.  L'aiibaye  des  religieuses  Cisterciennes  du  Nouveau-Bois  (en 
flamand  Xieuiven-Bosche  ou  Nieul-Benbosse)  a  pour  armoiries  la  Vierge 
debout,  couronnée,  tenant  l'Enfant,  et  abritant  sous  son  manteau  des 
nonnes  vêtues  de  blanc  et  coiffées  de  noir.  Cf.  aux  Archives  de  la  ville 
de  Gand,  l'ouvrage  manuscrit  de  P.  J.  Maes,  Wappenschilden  der  Kloos- 
ters  in  Gent  (Culte,  n»  36),  f  165. 

8- — «Nous  possédons  l'empreinted'un  sceau  ovulaire  dontla  légende 
paraît  être  »î<  SIG.  MONA.  MONIA.  S.  MARIAE  ||  DE  MIS.  PADOL.  S. 
BEN.  DE  OB.  Il  offre  l'image  de  la  Vierge  abritant  sous  son  manteau 
deux  petites  religieuses  agenouillées,  les  mains  jointes  »  (Germain, 
Bévue  de  l'art  chrétien,  1885,  p.  137|.  Le  commencement  de  cette  légende 
se  transcrit  sans  peine  :  Sigillum  inonasterii  rnonialium  Sancfae  Mariae 
de  Misericordia.  PADOL  fait  songer  à  la  grande  abbaye  Cistercienne  de 
Padnlo  en  Sardaigne  (Janauschek,  t.  I,  p.  211);  mais  c'était  une  abbaye 
d'hommes.  Le  deuxième  volume  de  Janauschek,  qui  contiendra  la  liste 
des  abbayes  Cisterciennes  de  femmes,  n"a  pas  encore  paru, 

9.  —  Musée  chrétien  du  Vatican,  8''  armoire,  n°  4,  tableau  italien  du 
XIV''  siècle,  représentant  les  funérailles  de  saint  Bernard.  Un  frère 
porte  une  bannière  blanche,  où  est  peinte  la  Vierge  debout,  sans  la 
couronne  et  sans  l'Enfant,  abritant  sous  son  manteau  les  religieux  de 
l'Ordre  cistercien.  Cette  peinture  avait  été  signalée  plusieurs  fois  par 
Barbier  de  Montault  (/?//)//o//iè(/j;e  Vaficane,  p.  150;  cf.  OEuvres  complètes, 
t.  II,  p.  248,  et  Bévue  de  l'art  chrétien,  1889,  p.  24).  La  lenace  diploma- 
tie de  mon  élève  et  ami  Albert  Grenier,  membre  de  l'École  de  Rome,  a 
obtenu  l'autorisation  de  m'en  faire  exécuter  la  photographie. —  PI.  III,  1. 

10.  —  Heihbronn,  entre  Nuremberg  et  Anspach,  bourg  connu  par  son 
abbaye  Cistercienne,  marjnificum  et  opulentum  inonasterium  (Janauschek, 
t.  I,  p.  28).  Panneau  peint,  dans  le  troisième  quart  du  xv*  siècle,  par  Pfen- 
ning,  de  Nuremberg.  Sous  le  manteau  de  la  Vierge,  une  multitude  de 
moines  cisterciens;  au  premier  rang,  à  droite,  est  l'abbé,  La  Vierge  porte 
l'Enfant  sur  le  bras  gauche;  de  la  main  droite,  elle  tient  le  sceptre. 
Deux  anges  la  couronnent.  L'Enfant  s'amuse  avec  un  oiseau  attaché  par 
un  (il.  Cf.  Thode,  Die  ^fal  rschule  von  Niirnhevçj  (Frankfurt-a-M.,  1891), 
pi.  XIII,  p.  67  ;  Lehmann,  op.  cit.,  p.  155  et  211.  Les  Cisterciens  du 
tableau  de  Pfenningsont  noir-vêtus.  Il  est  vrai  que  l'Ordre  de  Citeaux, 
en  l'honneur  de  la  Vierge  est  voué  au  blanc,  couleur  virginale;  mais  il  v 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


PI.  III 


T.       ■=, 

■T.  ^ 


CATALOGUE  29 

a  eu   des    exceptions,  pour    lesquelles    nous  renvoyons  à  VHisfoire  des 
Ordres  monastiques  de  Hélyot,  t.  V,  p.  307,  pi.  08  à  6t. 

11.  —  Gravure  sur  bois  au  recto  du  l^"^  feuillet  des  Collecta  de  Jean  de 
Cirey,  imprimés  à  Dijon  en  1491  par  Pierre  Meitlinger,  le  plus  ancien  livre 
sorti  des  presses  dijonnaises;  cf.  Brunet,  Manuel  du  libraire,  s.  v. 
Johannes  Cisterciensis.  La  Bibliothèque  Nationale  en  possède  plusieurs 
exemplaires;  le  frontispice  de  celui  que  j"ai  pu  étudier  (Rés.  Il,  1053) 
porte  les  noms  de  deux  possesseurs  successifs  ;  l'écriture  étant  de  la  fin 
du  xv'=  siècle,  ce  sont  probablement  les  deux  premiers  possesseurs  :  Ad 
usum  f[rat)ris  Pétri  Janiaille  Cisterciensis  —  cujus  dono  me  h  abet)  f{ra- 
te)r  Nicolaus  ahbas  Septemfontium  (Septfontaines  dans  rAllier;  cf. 
Janauschek,  t.  I,  p.  25;.  Le  frontispice  de  l'exemplaire  de  la  Bibl.  de 
Grenoble  a  été  reproduit  dans  la  Gaz.  des  B.-A.,  1903,  t.  II,  p.  403. 

12.  —  Peinture  sur  bois, de  la  Gnduxv^  siècle,  très  repeinte,  jadis  au 
château  de  Montesa,  puis  à  Valence,  dans  Téglise  du  Temple,  qui  appar- 
tenait à  l'Ordre  de  Sainte-Marie  de  Montesa,  maintenant  à  Madrid,  à  la 
Secrétairerie  des  Ordres  de  chevalerie.  La  Vierge,  sans  l'Enfant,  abrite 
sous  son  manteau  les  membres  de  l'Ordre.  Pour  donner  une  description 
plus  détaillée,  il  faudrait  être  fixé  sur  l'importance  des  repeints;  je  ne 
connais  ce  tableau  que  par  la  chromolithographie  publiée  par  Don 
Valentin  Carderera  y  Solanodans  son  Iconografia  espaùola  (Madrid,  1835), 
t.  I,  pi.  XVI,  d'après  laquelle  a  été  exécuté  le  dessin  publié  dans  la  Vie 
militaire  et  religieuse  au  moyen  âge  et  à  la  Renaissance  (Paris,  1876) 
de  P.  Lacroix,  p.  204. 


CHAPITRE  III 

LES  AUTRES  ORDRES  EMPRUNTENT  AUX  CISTERCIENS 
LE  THÈME  DU  MANTEAU  PROTECTEUR. 


Pauvreté  d'invention  de  l'imagination  populaire.  —  Pauvreté  de  la 
légende  de  saint  Dominique.  —  La  vision  de  la  Vierge  au  manteau  pro- 
tecteur dérobée  aux  Cisterciens  par  les  Dominicains  dès  la  pre- 
mière moitié  du  xin'"  siècle:  vision  de  la  recluse,  vision  de  saint  Domi- 
nique. —  La  vision  de  la  Vierge  au  manteau  protecteur  et  limagina- 
tion  monastique.  —  Les  autres  Ordres,  à  l'exemple  des  Dominicains, 
se  réfugient  sous  le  manteau  de  Marie.  —  La  dévolion  du  «  Manteau 
de  Notre-Dame  ». 


L'imag-ination  populaire  est  dune  surprenante  pauvreté 
d'invention  '.  Qu'il  s'agisse  de  contes  de  fées  ou  de  contes  à 
rire,  de  haeotiana  ou  de  vies  de  saints,  le  nombre  des  thèmes, 
si  l'on  en  fait  un  classement  systématique,  apparaît  finalement 
comme  des  plus  restreints. 

En  étudiant  ailleurs  '  le  miracle  de  la  coupe  cassée,  depuis 
Asclépios,  qui  l'a  opéré  à  Epidaure  quatre  cents  ans  avant 
notre  ère,  jusqu'à  saint  Antoine  de  Padoue,  j'ai  montré  par  un 
curieux  exemple,  comment  un  thème  de  miracle  se  répète  à 
travers  les  siècles,  comment  il  passe  d'une  religion  à  une 
autre,  comment  les  biographes  d'un  saint  rempruntent  à  la 
vie  d'un  saint  antérieur.  Alfred  Maury  dans  des  pages  excel- 
lentes^,  et  après  lui,  le  Bollandiste  Delehaye  ont  indiqué,  d'après 

1.  Cf.  Delehaye.  Les  làyendes  hagiographiques,  2°  éd.  (Bruxelles,  1006),  p.  29. 

2.  Archiv  fiir  Religionwissenschaft.  1905,  p.  303-309.  Aux  textes  rassem- 
blés dans  cet  article,  ajouter  P.  L..  CLXXII,  835,  où  Honorius  d'Aulun 
attribue  le  miracle  à  saint  Jean  rÉvan^'éliste.  Pour  le  miracle  du  verre  dans 
la  légende  et  l"ic(ino{iraphie  de  saint  .\ntoine  de  Padoue,  cf.  G.  de  Mandach, 
Saint  Antoine  de  Padoue  dans  l'art  italien,  p.  297. 

3.  Croyances  et  légendes  du  moyen  âge,  p.  9i  sq.  Maury  s'est  surtout  atta- 
ché à  monlrei-  comment  les  léfjendes  des  saints  répètent  celles  que  la  Bible 
raconte  des  propliètes,  des  patriarches,  mais  surtout  du  Christ.  Comme 
Jésus,  les  saints  multiplient  les  pains,  marchent  sur  les  eaux,  guérissent 
les  possédés,  ressuscitent   Us    morts  ;   l'exemple    le   plus  typique  de  l'imita- 


LA    VIERGE    AU    MANTEAU    ET     LES    ORDRES    RELIGIEUX  31 

la  littérature  hagiographicp^ie,  beaucoup  d'exemples  analogues  ; 
on  en  trouverait  une  foule  d'autres  en  parcourant  les  Caracté- 
ristiques des  Saints  du  P.  Cahier.  Saint  Denis  n'est  pas  le  seul 
martyr  qui,  après  avoir  été  «  décollé  »,  se  relève,  prend  sa 
tête  et  la  porte  à  l'église  prochaine  :  saint  Mitre',  à  x\ix,  en 
fît  autant,  et  beaucoup  d'autres  dont  Cahier  donne  la  liste  ■^. 
Giotto,  qui  a  peint  le  pape  Honorius  voyant  en  songe  saint 
François  soutenir  l'église  ébranlée  du  Latran  ^,  avait  été 
devancé  par  fra  Gugliemo  qui,  sur  ÏArca  de  Bologne'*,  avait 
raconté  la  même  vision  au  profit  de  saint  Dominique,  con- 
formément à  la  tradition  Dominicaine'.  Dès  le  xiii''  siècle,  un 
autre  miracle  de  saint  François,  l'ordalie  des  livres  jetés  au  feu, 
est  attribué  à  saint  Dominique:  il  sert  de  type  dès  1273  au 
sceau  du  prieur  Dominicain  de  Douai''.  Sur  le  plus  grand  des 
miracles  dont  ait  été  favorisé  le  poverello,  le  miracle  des  stig- 
mates, Dominicains  et  surtout  Dominicaines  s'acharnent  pour 
le  reproduire.  «  Depuis  que  les  compagnons  de  saint  François 
avaient  cru  devoir  relever  la  sainteté  de  leur  maître  par  cette 
similitude  étrange  avec  le  Christ,  les  stigmates  passaient  pour 
unirait  de  la  plus  haute  sainteté  '  ».  C'est  par  les  stigmates 
de  sainte  Catherine  de  Sienne  que  l'Ordre  de  saint  Dominique 


tion  de  J.-C.  par  les  saints  est  la  légende  de  saint  François,  telle  que  l'a 
racontée  Barthélémy  de  Pise  dans  son  fameux  ouvrage,  Conformitates  vitae 
s.  Frnncisci  ad  vitam  J.  C.  Comme  Élie,  saint  François  est  enlevé  au  ciel  sur 
un  char  de  feu;  comme  Élie,  saint  ^'it,  saint  Modeste,  saint  Crescent  sont 
nourris  au  désert  par  les  oiseaux  du  ciel  ;  comme  Elisée,  saint  Leufroi  fait 
remonter  sur  l'eau  un  fer  de  hache  qui  était  tombé  dans  un  llcuvc.  La 
légende  de  la  conversion  de  Clovis  à  Tolbiac,  celle  de  l'apparition  de  saint 
Bernard  à  Aniaury,  roi  de  Jérusalem,  sont  copiées  sur  l'apparition  du  laba- 
rum  à  Constantin. 

1.  Son  martyre  est  représenté  sur  im  tableau  de  la  cathédrale  d'Aix  ;Bou- 
chot,  La  peinture  en  France  sons  les  Valois,  pi.  LIV). 

2.  Caractéristiques,   t.  II,  p.  761. 

3.  Fresque  d'Assise,  Alinari  3256  ;  panneau  giottesque  provenant  de  S' 
Croce,  au  musée  de  l'Académie  de  Florence,  Alinari  I4S1  :  prédelle  du  Giotto 
du  Louvre  (n°  1.312). 

4.  Alinari  10527  ;  cf.  Reymond,  Aa  scn/phzre /7orefi///ie,  t.  I,  p.  85.  Prédelle 
de   r.\ngelico   au  Louvre    n'  1290  . 

5.  Constantin  d'Orviéto,  Vila  S.  Doininici  éci-ite  entre  1242  et  1247  ;  Ber- 
nard Gui,  Libellusde  mac/istris  ord.  Praed.  (dans  Martène  et  Durand,  Vet.scr. 
et  mon.  anipliss.  collectio):  J.  Nys,  O.  P.,  Vita  et  miracula  S.  P.  Doininic. 
(Anvers,   1611). 

6.  Demay,  Sceaux  de  la  Flandre,  n"  7463.  Cf.  Nys,  n°  12;  Balme  et  Lelai- 
dier.  Carlulaire  de  saint  Dominif[ne.  t.  I.  p.  119. 

7.  Renan,  Christine  de  Stoinmeln.  dans  VHisl.  litt.  delà  France, i.  XXVIII, 
p.  2  (réimprimé   dans  les  Xoavelles  études  d'histoire  religieuse]. 


32  CHAPITRE   111 

prit  définitiA'ement  sa  revanche  des  stigmates  de  saint  Fran- 
çois. Encore  ceux-là  n'ont-ils  pas  suffi  :  ce  nest  pas  seulement 
sainte  Catherine,  écrit  un  biographe  de  l'Ordre,  c'est  huit  ou 
neuf  autres  saintes  Dominicaines  qui  furent  décorées  des  stig- 
mates du  Christ  '. 

Les  fds  de  saint  Dominique  ont  donc  beaucoup  emprunté 
à  la  merveilleuse  légende  franciscaine  pour  orner  la  légende 
plus  pauvre-,  la  figure  moins  séduisante  de  leur  fondateur. 
L'Ordre  dominicain,  au  xiu''  siècle,  dans  son  étonnante 
expansion,  a  exercé  une  telle  influence,  a  joui  d'une  telle 
réputation  de  piété,  qu  il  a  pu  s'attribuer  presque  de  bonne  foi 
et  sans  susciter  de  trop  fortes  réclamations,  des  honneurs  qui 
étaient  à  d'autres. 

Les  Franciscains  ne  sont  pas  les  seuls  qui  auraient  à  se 
plaindre  de  cette  sorte  d  accaparement.  Dès  le  milieu  du  xiu® 
siècle,  les  Dominicains  se  glissent,  si  l'on  peiit  ainsi  dire, 
sous  le  manteau  de  la  Vierge,  ils  y  prennent  la  place  des  fils 
de  Cîteaux. 

La  vision  de  la  Vierge  au  manteau  est  racontée  de  deux 
façons  par  les  anciens  auteurs  Dominicains  :  c  est  tantôt  saint 
Dominique,  tantôt  une  simple  recluse  qui  voit  la  famille 
Dominicaine  sous  le  manteau  de  Marie.  Sous  l'une  et  l'autre 
forme,  cette  vision  est  inconnue  du  premier  biographe  de 
saint  Dominique,  Jourdain  de  Saxe  (y  1237  i. 

Des  deux  visions,  c'est  celle  de  la  recluse  qui  est  connue 
par  le  texte  le  plus  ancien. 

On  appelait  reclus-''  ou  j'ecluses  des  personnes  dévotes  et 
pénitentes  qui  pour  s'absorber  dans  la  prière,  la  méditation 
et  les  macérations,  se  retranchaient  du  siècle.  Dès  l'époque 
mérovingienne  ^,  la  France  avait  eu  de  ces  solitaires  qui,  dans 
les  cités,  vivaient  comme  avaient  vécu  au  désert  les  ermites 
de   la   Thébaïde\   Leur    recluserie    consistait  d'ordinaire    en 

1.  Xys,  op.  cit.,  introduction.  Cf.  Maury,  La  Magie  et  l'astrologie  dans 
l'antiquité  et  au  moyen  âge^  3=  éd.  (Paris,  1S64  ,  p.  363  ;  du  même,  Croyances 
et  légendes  du  moyen  âge.,  p.  382. 

2.  Le  P.  Beurier  {Sommaire  des  vies  des  fondateurs  et  réformateurs  des 
Ordres  religieu.T,  Paris,  1635  a  dit  très  justement  :  »  le  plusgrand  des  miracles 
de  saint  Dominique  est  linstilution  et  la  propagation  de  son  Ordre.  » 

3.  Pour  les  textes,  cf.  Du  Gange,  s.  v.  inclusi. 

4.  Bayet.  dans  Vllist.  de  France  de  Lavisse,  I,  1,  p.  228;  Marignan,  Études 
sur  la  civilisation  française,  t.  II,  p.  43. 

5.  Cf.  la  note  de  Gussanvillaeus  sur  la  lettre  de  Grégoire  le  Grand  au 
reclus  Secundinus    Episl.,  IX,  52:  Migne,  P.  L.,  LXXVII,  98 T. 


LA   VIEKGE    AU    MAMEAU    ET    LES    OUDIîES    UELIGIELX  33 

une  logette  dont  la  porte  était  murée  ou  scellée  ;  une  baie  de 
dimensions  exig-uës,  à  hauteur  d'appui,  permettait  de  faire 
parvenir  aux  reclus  la  nourriture  corporelle  et  la  nourriture 
spirituelle  ^  :  telles  sont  les  logettes  figurées  dans  les  Thé- 
haïdes  des  vieux  peintres  siennois-  :  un  moine  assis  à  l'exté- 
rieur, près  de  la  fenêtre,  fait  au  reclus  une  lecture  pieuse,  une 
exhortation.  Les  reclus  choisissaient  pour  y  bâtir  leurs  logettes 
les  lieux  les  plus  tristes  des  villes,  les  édifices  en  ruines.  La 
recluse  rongée  des  vers  cpii  aurait  été  pour  saint  Dominique 
l'occasion  d'un  miracle  dont  nous  avons  peine  à  supporter  le 
récit •^,  habitait  une  ruine  de  Rome  ;  à  la  même  époque,  il  y 
avait  à  Lyon,  dans  les  ruines  de  l'amphithéâtre,  jusqu'à  onze 
recluseries  ^.  A  Paris,  au  milieu  du  xv''  siècle,  une  recluse 
vivait,  si  c'est  cela  vivre,  dans  une  logette  du  charnier  des 
Innocents  '. 

Ces  fakirs  d  Occident  avaient  une  idée  très  étroite  de  la 
perfection  chrétienne.  Etant  morts  au  siècle,  ils  détestaient 
comme  un  grand  péché  tout  contact  avec  lui.  Aussi  ne  durent- 
ils  d'abord  rien  comprendre  à  l'institution  Dominicaine.  Le 
Frère  Prêcheur  n'avait  pas  pour  but  la  vie  contemplative,  mais 
l'action.  11  allait  au  siècle,  bravement,  comme  avaient  fait  les 
apôtres.  G  est  la  soif  de  l'apostolat  qui  explique  que  bien 
des  moines  du  xiii"  siècle  aient  dépouillé  le  froc  noir  de  saint 
Benoît"  pour  revêtir  la  robe  blanche  de  saint  Dominique.  Les 

1.  Dans  \eSpeciilum  humanue  salvalionis.  la  première  miniature  du  ch. 
xi.in  représente  un  reclus  clans  sa  loj;ette  :  Quidam  hoino  Deo  devotiis  in  cel- 
la  residehat .  Sur  les  reclus  et  recluses  en  Allemagne,  cf.  Basedo■s^',  Die 
Incliisen  in  Deiitschland  Heidelberg',  Hrirning',  1893  ,  dont  la  source  principale 
est  Césaire  d'Heisterbach. 

2.  Fresque  du  Campe  Santo  de  Pise,  attribuée  à  Pietro  Lorenzetti  Alinari, 
8819)  :  panneau  du  musée  des  Offices,  attribué  au  même  maître  (Alinari,  787). 

3.  Thierry  d'Apolda,  dans  Acta  SS..  août,  I,  p.  584. 

4.  Balme  et  Lelaidier,  Cartnlaire  de  saint  Dominique,  II,  223. 

5.  Hélyot,  Histoire  des  Ordres  monastiques,  II,  p.  294.  La  logette  des  Inno- 
cents nétait  d'ailleurs  pas  la  seule  de  Paris  :  cf.  Dulaure.  Hisl.  de  Paris,  éd. 
de  1821,  t.  II,  p.  2i,  et  Victor  Ilug-o,  Notre-Dame  de  Paris,  1.  VI,  ch.  2. 
D'autres  recluses  vivaient  dans  des  ermitages  (inclusoria)  épars  dans  les 
campagnes  :  ces  «  cluses  »  se  fondirent,  au.x  xiir  et  xiv  s.,  dans  les  Ordres 
mendiants  (Ch.  Schmidt,  Précis  de  l'histoire  de  l'Église  d'Occident  au  moyen 
âge,  p.   149). 

6.  L'un  des  fondateurs  du  couvent  Dominicain  de  Cologne,  le  F.  Chrétien, 
était  un  Cistercien  :  saint  Dominique  considérant  le  vif  désir  qu'avait  ce  reli- 
gieux de  se  vouer  à  l'apostolat,  obtint  pour  lui  du  pape  l'autorisation  de  revê- 
tir l'habit  des  Prêcheurs  {Analecta  0.  P.,  t.  I.  p.  370  ;  Balme  et  CoUomb.  Car- 
tulaiie  de  saint  Dominique,  t.  III,  p.  173  .  Un  autre  exemple  dans  Géraud  de 
Frachet,  I,  1,  3   éd.  Reichert,  p.  8  . 

Pkudiuzet.  —  La  \'ierge  de  Miséricorde.  3 


34  CHAPITRE    111 

Frères  Prêcheurs  laissaient  les  fils  deCîteaux  poursuivre  leur 
rêve  mvstique  dans  les  monastères  des  vaux  solitaires,  dans 
ces  paisibles  et  poétiques  oasis,  où  n'arrivaient  pas  les  bruits 
du  monde  ;  leur  vocation  les  appelait  dans  les  villes  popu- 
leuses, où  rhérésie  cathare  cheminait  souterrainement,  dans 
les  Universités  où  disputaient  les  docteurs,  où  se  produi- 
saient les  opinions  téméraires,  où  se  glissait  comme  un  ser- 
pent la  doctrine  athée  d'Averroès,  à  Paris,  à  Montpellier,  à 
Bolou^ne,  à  Florence,  à  Rome,  partout  où  il  y  avait  des 
mécréants  à  confondre,  des  âmes  chrétiennes  à  défendre.  Les 
Frères  Prêcheurs,  aux  débuts  delOrdre,  étaient  pour  la  plupart 
des  jeunes  g'ens  qui  gardaient  sous  le  froc  les  qualités  char- 
mantes de  leur  âge,  l'entrain,  la  gaîté,  l'allure  aisée  et  élé- 
gante. Vidimus  maxiîiie  in  inifioOrdinis  Praedicatoruni,  écrit 
vers  12601e  Dominicain  Thomas  de  Chantimpré  *,  vidimus  et 
niinc  juvenes  inexpertos.  delicaios,  récentes  a  saeculo  venientes, 
circuire  terras  sociahiliter  conihinafos.  inter  perversos  non 
evei'sos,  inter  nocentes  innocentes,  si/nplices  sicut  columhas, 
prudenter  tamen  sicut  serpentes,  in  sui  cusfodiani  ambu- 
lantes :  quis  non  miretur,  ut  olim,  et  magis  nunc.  istos pue- 
ras in  medio  fornacis  aestuanfis  non  e.ruri  ?  Les  reclus, 
dans  l'intransigeance  de  leur  piété  farouche,  s'élevèrent 
contre  1  Ordre  nouveau  :  le  récit  qu  on  va  lire  a  été  inspiré  par 
le  désir  de  leur  fermer  la  bouche. 

«  Il  y  avait  en  Lombardie,  raconte  Géraud  de  Frachet,  une 
recluse  dont  la  dévotion  pour  Notre-Dame  était  fervente. 
Ayant  appris  qu'un  Ordre  nouveau  s'était  fondé,  elle  désira 
en  connaître  des  membres.  Justement  Frère  Paul  et  un  autre 
Frère,  dans  une  tournée  de  prédication,  vinrent  à  passer  par 
là.  Ils  allèrent  voir  la  recluse  et  l'entretinrent,  comme  font 
nos  Frères,  des  choses  de  Dieu.  Elle  leur  demanda  de  quel 
Ordre  ils  étaient.  Ils  répondirent  qu'ils  étaient  de  l'Ordre  des 
Prêcheurs.  Et  elle,  voyant  qu'ils  étaient  jeunes  et  beaux  et 
proprement  vêtus,  conçut  deux  du  mépris,  pensant  qu'ils  ne 
pourraient  pas,  encourant  le  monde,  garder  longtemps  la  con- 
tinence.Mais  la  nuit  d'après,  elle  eut  une  vision  :  la  Vierge  était 
devant  elle,  qui  lui  disait  d'une  voix  courroucée  :  ((Ahl  comme 
tu  mas  olfensée,  hier!  Crois-tu  donc  que  je  ne  puisse  protéger 


1.  Bonttm  universelle  de    proprielnlihus  apiiim.   seii    miraculn  et  eiempla. 
meninrnhili.i  sui   temporis.  II,  x.  p.  170  de  l'cd.  do  Douai.   1603. 


LA    VIERGE    AU  MANTEAU    ET    LES    ORDRES    RELIGIEUX  3.^5 

mes  jeunes  serviteurs  qui  parcourent  le  monde  pour  le  salut 
des  âmes?  Afin  que  tu  saches  que  je  les  protèg-etout  spéciale- 
ment, vois,  jeté  les  montre,  ceux  que,  hier,  tu  as  méprisés.  » 
Et,  levant  son  manteau,  elle  lui  montra  une  multitude  de  Frères 
et  dans  le  nombre  ceux  dont  la  recluse  avait  mal  pensé  la 
veille.  La  recluse,  édifiée  à  cette  vue,  aima  de  ce  jour  les 
Frères  de  tout  son  cœur,  et  c'est  d'elle-même  que  l'Ordre  tient 
ce  récit.  » 

Les  Vitae  Fratruin  de  Géraud  de  Frachet  furent  termi- 
nées en  12G01.  De  la  même  époque  date  le  naïf  recueil  des 
Abeilles,  de  Thomas  de  Chantimpré"^,  et  la  Vie  de  saint  Domi- 
nique, par  Barthélémy  de  Trente.  La  \ie  de  saint  Dominique, 
par  Thierry  d'Apolda^,  est  un  peu  moins  ancienne.  Après 
Jourdain  de  Saxe,  ces  quatre  écrivains  sont  les  plus  anciens 
biographes  de  l'Ordre  des  Prêcheurs  :  tous  quatre  racontent  la 
vision  de  la  recluse.  Barthélémy  est  le  seul  qui  ne  sache  pas 
d'oi^i  était  cette  recluse.  Thomas,  qui  était  de  la  France  du 
Nord,  en  fait  une  Saxonne.  Thierry,  qui  était  Saxon,  et  Géraud, 
que  Thierry  a  copié  presque  mot  à  mot,  en  font  une  Lombarde  : 
c  longinquo  major  reverentia.  Les  indications  de  lieu,  dans  les 
récits  lég-endaires,  n'ont  en  g-énéral  aucune  valeur.  Le  rééit  de 
Thomas  est  le  même,  en  plus  bref,  que  celui  de  Géraud.  Dans 
celui  de  Barthélémy,  qui  raconte  la  vision  comme  une  preuve 
de  l'efficacité  des  prières  de  saint  Dominique,  le  parti  pris  de 
la  recluse  contre  les  Prêcheurs  est  passé  sous  silence,  et  il 
ne  reste  plus  qu'une  histoire  assez  plate  d'apparition . 

Gérard  us  de  Fracheto,  Fj7ae/"ra-  Theodoricus    de    Apolda,     Acla 

Irnrn  0.  P.,    1.   I,   c.  6,  §  4  [Monu-  ainpliorn  S.  Dominici,  XXIII  \Acla 

menlaO.P.  historica,éd.  Reichert,  SS.,  août,  I,  p.  607). 

I,p.  40).  Feminafjuaedam  devotain  Loin- 

FuU  in  Loinhardia  feinina  quae-  hardia  solifariaryi  arjens  vitani,    au- 


\.  Hist.  litt.  de  lu  France,  t.  XXXII,  p.  "jôO.  Géraud  était  Limousin:  il  entra 
dans  10.  P.  en  1225. 

2.  «  Géraud  de  Frachet  et  Thomas  de  Cliantimpré  sont  des  compihiteurs 
d'une  excessive  crédulité,  très  enclins  à  mettre  leurs  idées,  leurs  apprécia- 
tions, leurs  sympathies  et  leurs  ressentiments  sous  le  couvert  de  prédictions 
et  d'interventions  merveilleuses  d'un  caractère  puéril  »  François  Van  Ortroy, 
boll.,  dans  Analerla   BoUandiana,  1905,  p.   115), 

3.  Dietrich  von  Apolda  (Saxe-^^'eimar),  né  en  1228.  Il  écrivitla  Vie  de  saint 
Dominique  en  1292.  Sur  la  foi  que  mérite  cet  hagio{?raphe,  cf.  ActaSS.,  août, 
I,  p.  .'}"2  :  «;i^er  ipsos  Praedicalnrea  disceptatar.  iilrum  prudenler  credi possinl 
oninia  illa,  qnae  Theodoricus  ex  leslimoaio  sororis  Caeciliae  narrai. 


36 


CHAPITRE    III 


dam,solitariani  vilam  gerens,  adino- 
dutn  Dominae  nostrae  devola,  qiiae 
audiens  novuin  Ordinem  Praedica- 
tornm  surrexisse,  toto  a/feclu  desi- 
derahat  ahquos  de  illi^  videre.  Cou- 
tigit  aulein  Fratreni  Paulum  cum 
socio  suo  per  partes  illas  praedican- 
do  Iransire.Cumque  diverlissent  ad 
illam  et  more  Fratruin  rerbis  divi- 
nis  allofjuerentur  eam,  quaesivit  il- 
la,  qui  vel  eu  jus  Ordinis  essent.  Et 
cum  dicerent  se  deOrdine  Praedica- 
torum  esse,  considerans  eos  juve- 
nes  et  pulchros  et  in  honesto  habi- 
tu,  despexit  eos,  aestimans,  quod 
taies  per  mundumdiscurrentes,  non 
passent  diu  vivere  continenter.  Se- 
quenti  igitur  nocte  visa  est  sihiads- 
tare  Beata  Virgo,  turhata  facie,  di- 
cens  :  «  Ah  heri  me  graviter  offen- 
disli  !  An  non  putes,  credis,  quod 
erqo  servos  meos  valeam  custodire 
juvenes  et  per  mundum  pro  salute 
animarum  currentes  ?  Ut  autem 
scias  me  ipsos  in  specialem  susce- 
pisse  tutelam,  ecce  osfendo,  quos 
heri  contempsisti.  »  Et  elevans  pal- 
lium,  ostendit  ei  muUitudinemFra- 
trum  magnam,  et  inter  eos  illos, 
quos  despexeral  ante.  Unde  dicta 
reclnsacompuncla,  extunc  Fratres 
dilexit  ex  corde,  et  hoc  per  Ordinem 
enarravit. 


diens  novum  Praedicatorum  Ordi- 
nem surrexisse,  videre  ex  eis  aliquos 
concupivit.  Contigit  autem,  duos 
Fratres  partes  illas  praedicando 
transire  ;  qui  divertentes  ad  eam,  ip- 
sam  more  Fratrum  verhis  sacrisal- 
locutisunt.Quaecumquaesisset,qui 
et  de  quo  forent  Ordine,  responde- 
runt,  se  de  Praedicatorum  Ordine 
novoesse.  Quae  considerans  eos  pul- 
chros et  in  habitu  decenti  juvenes 
despexit,  existimans  quod  sic  non 
passent  in  hoc  nequam  saeculo  sub- 
sistere  illihali.  Qui  nocte  sequenti 
Beata  Dei  Virgo  Mater  turhata  facie 
adstans,  dixit  :  «  Ah  heri  me  gra- 
viter offendisti  !  Xon  credis,  quod 
valeam  servos  meos  juvenes  custo- 
dire illaesos,  pro  salute  animarum 
per  mundum  discurrentes  ?  Ut  au- 
tem noveris,  me  in  specialem  eos 
cusfodiam  suscepisse,  ecce  oslendo 
tihi,  quos  heri  despicere  praesump- 
sisti.  »  Et  elevans  palliuni,  ostendit 
ei  multitudinem  Fratrum  magnam, 
et  eos,  quos  despexerat,  inter  illos. 


Thomas  Cautimpretanus,  Bonum 
universale  de proprietatibus  apium, 
seu  miracula  et  exempta  memorabi- 
//a,  1.  U.c.  10,  §  17  éd.  de  Douai, 
1603,  p.  170;  Acta  SS.,  août,  I, 
p.    468). 

Cum  quaedam  in  Saxonia  ut  no- 
bis  F.  Walterus  de  Treviri  O.  P. 
retulit)  sanclissimae  opinionis  re- 
clusa,  Praedicatorum  nomine  exci- 
tata,  videre  Fratres  in  principio  Or- 
dinis vehementius  affectasset,et  tan- 
dem duos  juvenes  Fratres,  data 
occasione,  vidisset,  attonita  mentis 
acie  dixit  ad Dominum  :  ><  Quid  est, 
Domine,  quod  praedicalio  verbi  lui 


Barlholomaeus  Tridentinus,  Vi- 
ta  S.  Dominici  [Acta  SS.,  août,  I, 
I,  p.   561j. 

li  pro  Deo  incarceratam  visitave- 
rant,  quorum  juvenilem  elegan- 
tiam  intuens,  haesitare  coepit,  vix 
talcs,  aut  horumsimiles,  immacula- 
tos  ab  hoc  saeculo  posse  cusfodiri. 
Anxiatae  pro  talibus  et  dévote 
oranti  adstitit  Regina,  moerentium 
consolatrix,  proiectrix  suorum, 
Virgo  Maria,  et  inenarrahile  pal- 
lium,  quo  eitunc  amicta  videhaiur, 
coram  anxia  expandens,  pro  qui- 
bus  erat  sollicita,  juxta  se  adstantes 
ostendit,  dicens  :  «  -Ve  sis  pro  his 


LA    VIERGE    AU    MANTEAU    ET    LES    ORDRES    RELIGIEIX  37 

per  tam  infantiles  et  imperitos  ho-  anxia  aut  horiim  similiJjus,  qui 
mines  usurpatur  ?  »  Cui  mox  ad  niei  siint,  et  jnihi  eos  servaho,  » 
verba  Christi  Mater  apparens,  re- 
levato  pallio,  ei  Fratres  Oi'dinis  os- 
tendit,  dicens  :  «  Xedesjjicias  quos- 
cumque  taies  ;  ego  suin,  quae  rerjo 
eos  et  protego,et  eorum  pedesdiri- 
go  in   viatn  pietatis.  » 

La  vision  de  la  recluse  avait  été  imaginée  jDour  glorifier 
l'Ordre  des  Prêcheurs  et  plus  encore  pour  le  défendre  contre 
certaines  attaques.  Mais  comme  les  Dominicains  devinrent  très 
vite  tout-puissants,  ils  n'eurent  bientôt  plus  besoin  de  réciter 
cette  apologie.  Elle  paraît  vers  le  milieu  du  xiii''  siècle,  puis 
tombe  en  oublia  Elle  marque  la  première  tentative  de  l'Ordre 
dominicain  pour  mettre  la  main  sur  la  légende  cistercienne  de 
la  Vierge  au  manteau.  Que  les  deux  Ordres  se  soient  en  effet 
disputé  cette  légende  c'est  ce  qui  résulte,  je  crois,  de  l'his- 
toire suivante,  que  raconte  Thomas  de  Chantimpré. 

«Un  moine  Cistercien,  d'une  si  grande  sainteté  que  ce  serait 
une  honte  et  une  impiété  de  ne  pas  croire  ce  qu'il  a  raconté, 
eut  une  vision  étonnante  :  ravi  en  esprit,  il  vit  la  patronne  de 
son  Ordre,  la  très  douce  mère  de  Jésus,  et  elle  lui  dit:  «  Aime 
mes  frères  et  mes  fils  sincèrement,  prie  pour  eux  de  toutes  tes 
forces,  je  les  recommande  à  ton  amour.  »  Et  lui  de  répondre 
joyeusement  oui,  croyant  qu'il  s'agissait  des  Frères  de  son 
Ordre.  «  C'est  que  j'ai,  reprit  la  Vierge,  d'autres  Frères  que  je 
favorise  de  mon  patronage  et  que  j'enveloppe  de  ma  protec- 
tion. »  Et  disant  ces  mots,  elle  ouvre  son  manteau  et  montre 
au  Cistercien  les  Frères  Prêcheurs  blottis  dessous  :  «  Voici, 
lui  dit-elle,  ceux  qui  tâchent  tout  spécialement  que  le  sang  de 
mon  Fils  chéri  n'ait  pas  été  versé  en  vain-'.   » 

1.  On  en  peut  trouver  un  vagrue  souvenir  dans  cette  vision  d'PJlsbeth  de 
Falkenstein,  nonne  du  couvent  d'Adelhausen  à  Fribourg-en-Brisgau  :  «  Deux 
Vierges  lui  apparurent  un  cierge  à  la  main  ;  derrière  elles  venait  N.-D. 
qui  avait  sous  son  manteau  un  novice  de  l'Ordre  des  Prêcheurs  ;  puis  venaient 
sainte  Catherine  et  sainte  Madeleine:  «Vois,  dit  la  Vierge,  ce  novice  est  mort, 
je  le  conduis  devant  la  face  de  mon  Fils  :  toi  qui  vois  cela,  tu  en  porteras 
témoignage!  »  Et  la  vision  prit  fin  »  Die  Chronik  der  Anna  von  Munzinçfen, 
entre  J310et  1320,  publiée  par  J.  Kônig,  Fre/yj»7Y/e''7)/Vi=es;i)icirc/iâie,  XIII,  1880, 
p.  156.  Citée  par  Kvehs.  Maria  mit  dem  Scluilzniantel,  p.  33  ;  cf.  du  même, 
Die  Myslik  in  Adelhaiisen,  p.  bS). 

2.  Quidam  Cisterciensis  Ordinin  monachus  vitae  tam  sanctae.  ut  ei  non  cre- 
dere  flagitiosissimitm  et  impium  putaretur,  viaionem  mirahilem  vidit.  Raptus 
enim  in  xpiritu  patronam  ipsius  Cisterciensis  Ordinis  vidit  Christi  Jesu    heni- 


38  ciiapiïrf:  m 

Ce  texte,  diin  quart  de  siècle  postérieur  à  celui  de  Césaire 
et  qui  le  contredit  si  audacieusement,  ne  s'explique  que  par 
lui.  Les  Cisterciens  n'y  sont  pas  seulement  dépouillés  de  leur 
plus  belle  légende  :  c'est  Tun  d'eux  qui  confesse  et  révèle  le 
triomphe  de  l'Ordre  nouveau.  On  saisit  à  merveille,  dans  ce 
texte  de  Thomas,  la  façon  dont  les  Dominicains  s'y  prenaient 
pour  supplanter  les  Cisterciens.  Ils  ne  s'y  sont  pas  pris  autre- 
ment pour  éclipser  les  autres  Ordres  :  témoin  ce  récit  de 
Géraud  de  Frachet,  qui  n'a  pas  dû  faire  plaisir  aux  Chartreux  : 
;•  Une  fois  que  les  Frères  Prêcheurs  de  Paris  étaient  assem- 
blés en  chapitre,  le  sous-prieur,  pour  les  exhorter  à  dire  dévo- 
tement l'office  de  la  sainte  Vierge,  leur  raconta  le  fait  .sui- 
vant. Un  Chartreux,  âgé,  lettré,  et  dévot  à  la  Vierge,  lui 
demanda  de  lui  révéler  ce  qu'il  devait  faire  pour  lui  être 
agréable.  F]llelui  commanda  de  la  louer,  de  l'aimer  et  de  Iho- 
norer.  «  Apprenez-moi  donc,  dit-il,  à  vous  louer,  à  vous 
aimer  et  à  vous  honorer.  »  —  «  Va  vers  les  Frères,  répondit- 
elle  ;  ils  te  l'apprendront.  »  —  ((  Mais,  ]SIadame  la  Vierge, 
répondit  le  Chartreux,  il  y  a  des  Frères  de  bien  des  Ordres  : 
auxquels  m'envoyez-vous?  »  —  «  Va  chez  les  Frères  Prê- 
cheurs, lui  répondit  la  Vierge:  ceux-là  sont  mes  frères  ;  ils 
t  instruiront.  Vade  ad  Fratres  Pracdicatores,  quia  ipsi  siint 
fratres  mei,  et  ipsi  te  docehuntK  » 

La  vision  de  la  recluse  fut  la  première  tentative  de  l'Ordre 
des  Prêcheurs  pour  s'approprier  la  lég-ende  cistercienne  de  la 
Vierge  au  manteau.  A  la  fin  duKiu*^  siècle,  nous  voyons  les  fils 
de  saint  Dominique  l'attribuer  tranquillement,  malgré  Césaire 
et  la  tradition  cistercienne,  à  leur  père  spirituel. 

C'était,  en  1218,  pendant  le  concile  duLatran.  Saint  Domi- 
nique se  trouvait    à   Rome,    au  couvent  de  Saint-Sixte.  Une 

finissimam  (fenitricem.  Cui  heala  Vircfo."  Ut  sincère,  inciuit.  cliUifas  eos  et 
pro  eis  intentiiis  ores,  tuae  caritali  meos  fratres  et  (îlios  recommendo.  » 
Cnmque  ille  laetus  annueret,  fratres  Ordinis  siii  hos  confidens.  heata  Virgo  : 
«  Ilabeo,  inquit,  et  alios  fratres,  quos  meo  patrocinio  fovendoset  custodiendos 
ampleclor.  »  Et  haec  dicens,  relerato  pallio,  Fratres  O.  P.  sub  eo  coiilutatos 
ostendit  et  adjecit  :  »  Hi  sunt,  iiiqiiit.  qui  specialiter  inslituunt  neifotio,  ne 
dilecti  Fiiii  mei  sanffttis  inulititer  sil  effiisns  Thomas  de  (21iiintimi)ié,  De  Api- 
bus.  II,  10,  g  16,  éd.  de  Douai,  lOOô,  p.  16!t\  Il  est  curieux  de  voir  l'usasse  que 
fait  de  ce  texte  un  Dominicain  du  xvii'  siècle,  le  P.  Hyacinthe  Chouquet 
Mariae  Deiparae  in  Ordineni  Praedicatoruni  riscera  materna,  Anvers,  1634, 
p.  11-1.'))  :  on  croirait,  à  lire  le  P.  Chouquet,  que  c'est  rhaî4:iof;Taphe  des  Cis- 
terciens, t:ésaiie  d  lleisterbach,  qui  raconte,  à  la  plus  j,'rande  jjloire  des  Do- 
niicains,  la  \ision  ci-dessus. 

1.  Géraud  de  Frachet.  1,6,  S  5  (éd.   lleichcrt,  p.    12  . 


LA    YIERGi:    AL     iJANTEAU    ET    LES    ORDRES    RELIGIEUX  39 

nuit  qu'il  était  en  prière,  o  il  fut  ravi  en  esprit,  et  vit  le  Sei- 
gneur assis  sur  son  trône,  et  la  mère  de  Dieu  assise  à  sa 
droite,  vêtue  d'un  manteau  bleu  comme  le  saphir.  Devant  le 
Très-Haut,  dans  la  lumière  de  gloire,  se  ^Ji'essaient  les  Pères 
spirituels,  les  fondateurs  d'Ordres,  qui  ont  enfanté  au  Christ 
des  fils  et  des  lîlles  selon  1  esprit.  Dominique,  ne  voyant 
nulle  part  ses  fils  à  lui.  fut  saisi  d'une  grande  douleur  et  se 
mit  à  pleurer.  Elfrayé  par  l'éclat  de  la  majesté  divine,  il 
n'osait  approcher  du  Dieu  de  gloire  et  de  la  Vierge.  Celle-ci 
lui  fait  de  la  main  signe  de  venir  à  elle.  Dominique  était  si 
tremblant  qu'il  n'osa  s'approcher  que  lorsque  le  Dieu  de 
majesté  lui  eut  de  même  fait  signe  de  venir.  Il  s'approche 
donc,  tout  craintif,  et  pleurant  amèrement  ;  il  se  prosterne 
aux  pieds  du  Fils  et  de  Marie.  Et  le  Consolateur  des  affligés, 
le  Dieu  de  gloire  lui  dit  :  «  Lève-toi  1  Pourquoi  pleures-tu  si 
amèrement  ?  «  —  «  Parce  que,  Seigneur,  je  vois  devant  votre 
face  des  religieux  de  tous  les  Ordres,  sauf  du  mien.  »  Le  Sei- 
gneur lui  dit  :  ((  Tu  veux  voir  ton  Ordre  ?  »  Alors  touchant  de 
la  main  le  manteau  de  la  Vierge  :  ((  J'ai  confié  ton  Ordre  à 
ma  mère  »,  déclara  le  Seigneur.  Et  comme  Dominique  persis- 
tait dans  son  pieux  désir  et  qu'il  souhaitait  voir  où  étaient 
ceux  de  son  Ordre,  le  Seigneur  lui  demanda  de  nouveau  : 
«  Veux-tu  vraiment  voir  ton  Ordre?  »  —  «  Je  le  désire  de 
toutes  les  forces  de  mon  âme,  Seigneur.  »  Et  voici,  la  Vierge 
Mère,  parce  que  cela  plaisait  à  son  Fils,  ouvrit  largement  le 
manteau  dont  elle  était  parée  ;  et  ce  manteau  était  si  ample, 
si  vaste  qu'il  renfermait  aisément  toute  la  patrie  céleste. 
Sous  ce  siir  abri,  au  giron  de  la  piété,  Dominique,  contem- 
plateur des  secrets  sublimes,  voyant  des  choses  de  Dieu, 
découvrit  la  foule  innombrable  des  Frères  de  son  Ordre  ^  .  » 


1.  Rapliis  est  in  spiritu  aille  Deiim,  et  vidil  Dominum  sedenlem,  el  Matrem 
ipsiiis,  qiiae  sedebat  ad  dextram  ejiis,  Virginein  (jloriosain,  amiclavicappa 
coloris  sapphirini.  Aspiciens  aalein  in  circuitu,  vidit  ex  omni  natione  spiritua- 
lium  patî-uin,  qui  ex  sacris  Belicjionibiis  Christo  filios  et  filias  spirilaales 
genuerunt.  multitudmes  innnnierasin  conapeclu  AUissinii  gloriantes ;  et  cnm 
nullum  illic  suorum  conspicerel  filiornni,  eriihescens  et  contpunctiis  ex  inli- 
niis.  amarissinie  flere  cœpil.  Eiterritus  ergo  a  gloria  majestatis  Doniini,  stetil 
a  longe,  nec  audebat  vultui  gloriae  et  Virginis  excellentiae  prnpinqiiare.  In- 
nuit  aiilein  ei  manu  Domina,  ut  ad  se  veniret.  Al  ille  Iremens  ac  pavens  non 
praesumpsil  accedere,  quousque  euni  siniililer  vocavit  Dominus  majestalis. 
Accessit  itaciue  homo  compunctus  el  tinmili  spiritu  et  conlrilo  corde,  amaris- 
simis  tolus  perfusus  lacrimis,  Filii  et  Matris  propitiis  pedihus  devolissime  et 
humillime  se  prostravit  :  ac   consolator  flebilium,  Dominus  gloriae  dixil  ei  : 


iO  f:iIA PITRE    III 

Dans  cette  narration  traînante  do  Thierry,  dans  les  répéti- 
tions de  ce  dialogue  entre  le  Christ  et  Dominique,  on  sent  les 
redites  de  la  parole  orale:  certainement,  la  vision  de  saint 
Dominique  avait  été  plus  dune  fois  racontée  en  chaire  par  les 
Prècheiu's,  avant  d'être  écrite,  vers  la  lin  du  xni''  siècle,  par 
Thierry  dApolda.  C'est  à  Thierry  cjue  les  hagiographes  ulté- 
rieurs ont  emprunté  ce  récit,  Galuagni  de  la  Flamma  au 
xiv''  siècle',  saint  Antonin  de  Florence-,  Joannes  Garzo  de 
Bologne 3  au  xv*".  pour  ne  citer  que  les  plus  importants  et  les 
plus  anciens. 

Les  Cisterciens  ne  durent  pas  se  laisser  dépouiller  sans 
protestation.  Ils  objectaient  aux  Dominicains  qu'en  1218, 
année  où  Dominique  aurait  eu  sa  vision,  1  Ordre  des  Prê- 
cheurs n  était  fondé  cjue  depuis  peu,  qu  il  ne  comptait  encore 
que  deux  Frères  décédés,  et  qu'à  cette  date,  par  con.séc|uent, 
la  Vierge  ne  pouvait  pas  encore  abriter  sous  son  manteau  les 
âmes  d  une  multitude  de  Dominicains.  A  quoi  les  Domini- 
cains'* répondaient  que  la  vision  de  leur  fondateur  avait  été 
une    vision    prophéticjue.     Le    Bollandiste    Cuper,     dans  ses 

Surçfe.  Qui  cum  slaret  coram  Domino,  interrogavit  eum  dicens  :  Ciir  sic  ama- 
rissime  ploras  ?  Qui  ail  :  Quia  in  conspeclu  (/loriae  oninis  lieliiiionis  honiines 
inlueor  :  de  mei  vero  Ordinis  filiis  hic,  proh  dolor,  nullnin  conspicio.  Gui 
Doininiis  :  Vis  videre  Ordinem  luum  ?  Al  ille  :  Hoc  desidero.  Domine  Deus. 
TuncFilius  Dei  manum  suani  supra  scapulam  Virginis ponens.  dixil  adillum: 
Ordinem  luum  Malri  meae  commisi.  El  cum  adhuc  pio  adhaererel  aff'eclu, 
Ordinem  suum  videre  desiderans.  Doniinus  ilerum  di.rit  ei  :  Omnino  vis  eum 
videre  '.'  Respondit  :  IIoc  affeclo.  mi  Domine.  El  ecce  Maler  Virgo.  dum  placuit 
Filio.  cappam.  gua  decorala  cernebalur.  evidenter  palefaciens  aperuil,  expan- 
dens  coram  Incrimoso  Dominico  servo  suo  :  eralque  hoc  tanlae  cai)acilalis  el 
immensitatis  veslimentum.  quod  lolam  caeleslem  palriam  amplerando  dulci- 
ler  conlinebat.  Su!)  hoc  securitalis  legumento.  in  hoc  pietatis  gremio  vidit  ille 
conlemplator  suhlimium  et  ])rospeclor  secrelorum  Dei  Dominicus  Fratrum 
sui  Ordinis  innumeram  mulliludinem  singularis  proleclionis  custodia  el  hra- 
chiis  amoris  pecularis  complexam.  Thierry  d'Apolda.  dans  ActaSS..  août,  I, 
p.  583.  Cf.  Galuajrni  de  la  Flamma,  Chron.  0.  P..  p.  16  Reichert.  Pour  les 
ha^iogrraphes  plus  récents,  qui  ont  reproduit  le  récit  de  Thierry,  cf.  Acla  SS., 
août,  I,  p.  467  :  Marrachi,  Annales  0.  P.,  t.  I,  p.  256;  Balmc  et  Collomb.  Car- 
tulaire  de  saint  Dominique.  III.  p.  42.  Les  ouvrajres  de  piété  ont  souvent 
raconté  cette  vision  :  cf.  le  P.  Bridoul.  Le  triomphe  annuel  de  A'.-D.  (Lille, 
1640),  t.  II.  p.  110:  Lacordaire.  Vie  de  saint  Doni/'n/V/iie.  ch.  12:  Maynard, 
La  sainte  Vierge  (Paris,  187'),  p.  402  :  le  P.  Terrien.  S.  .1..  La  Mère  de  Dieu 
et  la  Mère  des  hommes,  t.  IV,  p.  118;  etc. 

1.  Chronica    O.  P..  p.  16  Reichert. 

2.  Chronic,  pars  III,  tit.  23.  cap.  23. 

3.  Acla  SS..  août  I.  p.  466-467. 

1.  Malvenda,  .Annal.  O.  P..  ad  ann.  r2ls,  cap.  31.  cilé  dans  les  Acla  SS., 
août  I,  p.  li)7. 


r.A    VIERGE    AL"    MANTEAU    ET    LES    ORDRES    RELIGIEUX  41 

recherches  sur  la  vie  de  saint  Dominique,  expose  le  débat 
avec  une  parfaite  franchise  et  ne  cache  pas  la  force  que 
donne  a  la  revendication  des  Cisterciens  l'antériorité  de 
Césaire  sur  Thierrv  d'Apolda'.  11  n'en  conclut  pas  moins 
qu'on  peut  tenir  les  deux  visions  pour  également  authen- 
tiques. Pourquoi,  finalement,  cette  défaillance  du  sens  critique 
chez  Ihonnète  Bollandiste  ?  C'est  que  le  P.  Cuper  était  Jésuite 
et  qu'au  xvi®  siècle,  un  Père  Jésuite  fut  censé  avoir  été  favo- 
risé de  la  même  vision.  Si  un  Jésuite  a  reçu  de  la  Viero-e  cette 
faveur  insigne  —  et  le  P.  Cuper,  Jésuite,  ne  peut  songer  à  en 
douter  —  c'est  que  la  Vierge  ne  l'a  pas  réservée  aux  seuls 
Cisterciens,  saint    Dominique    a  bien  pu  la  recevoir   aussi. 

C'est  ainsi  qu'au  xin''  siècle,  Cisterciens  et  Dominicains  se 
disputaient  les  faveurs  de  Marie.  La  victoire  devait  rester  aux 
nouveaux  venus,  plus  entreprenants,  plus  audacieux,  plus 
habiles  dans  la  discussion  scolastique  et  dans  la  prédication 
populaire.  Dès  le  xiv'"  siècle,  la  légende  racontée  par  Thierry 
dApolda  se  répand  partout. 

Aucun  hagioo^raphe  de  l'Ordre  des  Prêcheurs  n'a  eu  autant 
de  succès  que  Thierry.  La  Vie  de  saint  Dominique  oii  le  moine 
de  Thuringe  a  raconté  les  merveilleuses  histoires  qu'il  tenait 
de  la  nonne  Cécile,  éclipsa  très  vite  les  récits  beaucoup  plus 
véridiques  de  Jourdain,  de  Barthélémy  et  de  Géraud.  Les 
mystiques  de  l'Ordre  dominicain,  qui  en  a  tant  produit,  se  sont 
nourris  de  ces  pieuses  histoires.  Dès  le  xiv*"  siècle,  les  repré- 
sentations figurées  aidant,  il  n'est  pas  de  fils  ou  de  iille  de 
saint  Dominique  qui  ne  rêve  du  manteau  de  la  Vierge-.  Dans 
les  couvents  de  nonnes  Dominicaines  de  l'Allemagne  du  Sud, 
ces  rêves  sont  notés  et  collectionnés  avec  une  minutie  toute 
germanique. 

Le  cloître  où  elles  vivaient  était  pour  les  nonnes  un  monde 


1.  Si  quis  ex  siniililiidine  utriiisque  hislorine  inferret,  scriptores  Domini- 
canos  hanc  ecstasim  ex  Caesario  accepisse.  ac  sanclo  siio  fundalori  aplasse, 
eadem  siispicio  in  Cislercienses  caderel.  inquit  Joannes  [Jean  de  Sainte- 
Marie,  Acta  S.  Dominici,  III,  cli.  33],  et  hoc  idem  arqiimentum  m  ipsos  relor- 
qiieri  posset.  At  Cistercienses  in  eo  casii  respundej-ent.  Caesarinni  siium  Heis- 
terhachenaem  antiquiorem  esse  Theodorico  de  Appoldia.  qui  inler  hiogra- 
pbos  primas  hanc  S.  Dominici  visionem  litteris  mandavit  Acta  SS..  août,  I. 
p.  568). 

2.  Une  gravure  de  Th.  Galle  (Bihl.  NaU,  Est..  OEiivre  des  Galle,  t.  V,  î"  S) 
représente,  je  ne  sais  d'après  quel  texte,  le  fameux  n>ystique  Dominicain 
Henri  Suso    '^1295-1365'  sub  Deiparae  palla  a  parvnlo  Jesn  Jtenedicfns. 


42  CHAPITRE    III 

merveilleux.  Les  choses  réelles  n'existaient  à  ^eurs  yeux  que 
comme  symboles  des  choses  invisibles.  Leur  foi  était  récom- 
pensée par  des  miracles  et  surtout  par  des  apparitions.  Elles 
voyaient  familièremeut  Jésus,  la  ^  ieri^e  et  tous  les  Saints  et 
Saintes  du  Paradis.  Les  récits  de  visions  abondent  dans  les 
livres  qu'elles  ont  laissés.  Ouvrons,  par  exemple,  les  Vies  des 
premières  religieuses  d'Unterlinden,  à  Golmar,  par  Catherine 
de  Guebwiller  '.  Maru^uerite  de  Brisach  et  Benoîte  de  Bogen- 
heim,  raconte  leur  bioo;raphe,  furent  admises  à  voir  la  Trinité; 
Mechthilde  de  Wintzenheim.  qui  eut  la  même  vision,  en  fut 
transfigurée,  et  son  corps  flotta  dans  l'air  comme  celui  d'un 
ange.  Une  sœur  vit  Jésus  célélirer  la  messe.  D  autres  lui  furent 
liancées.  Agnès  de  Blozenheim  assista  à  la  Passion  ;  elle  vit 
couler  le  sang  divin:  elle  entendit  distinctement  le  bruit  des 
coups  de  marteau  qui  clouaient  le  Christ  sur  la  croix,  et  devant 
tant  de  souffrance,  elle  fut  saisie  d'une  telle  douleur  quelle 
trépassa.  Toutes  n'avaient  pas  des  visions  aussi  tragiques. 
Aux  nonnes  dont  l'imagination  était  puérile,  le  Seigneur  appa- 
raissait sous  la  forme  d  un  petit  enfant,  Jesulus  :  «  J'étais 
grand  et  tout -puissant,  leur  disait-il;  mais  je  me  suis  fait  petit 
pour  être  aimé  de  toi.  >< 

On  peut  imaginer  comme  la  vision  de  la  Vierge  au  manteau 
protecteur  dut  émerveiller  ces  pieuses  filles  quand  elle  leur 
fut  contée  par  leurs  directeurs  Dominicains.  Plusieurs  des 
visions  dont  elles  furent  depuis  favorisées  ne  s'expliquent  que 
parcelle-là. 

Sœur  Elsbet  Ortlieb,  du  couvent  du  Val-des- Anges,  avait 
un  culte  spécial  pour  la  sainte  Vierge  :  un  jour,  à  l'octave  de 
l'Assomption,  au  moment  où  les  nonnes  entonnaient  l'antienne 
Salve,  mater  Salvatoris,  Elsbet  vit  la  Vierge  planer  au-dessus 
d'elles  et  les  envelopper  toutes  de  son  manteau-. 

Lue  nonne  du  ^  al-Sainte-Catherine  travaillait  dans  lou- 
vroir.  Elle  avait  le  cœur  triste.  Mais  voici,  la  Vierge  lui  appa- 


1.  Pez,  Bihliotheca  ascetica.  t.  ^'I1I.  Cf.  Barlliodi,  Ciiriosilés  d'Alsace  Col- 
mar,  1864  .  t.  I,  p.  107  et  Ingold,  .\olice  sur  Vécjlise  et  le  couvent  des  Domini- 
cains de  Colniar,  p.  11.  Le  ms.  fies  Vies  est  à  la  bibliothècjue  de  Colniar.  Le 
couvent  dl'nterlinden  fut  fondé  en  12.32;  Catherine  y  eulra  en  1260,  huit  ans 
après  que  les  Subtiliennes  eurent  passé  de  la  rè}::lc  de  saint  Aujjustin  sous 
celle  de  saint  Dominique. 

2.  Der  .\onne  von  Engelthal  liûchlein  von  der  Gnaden  i'eberlasl  [Le  livret 
du  fardeau  de  la  {fràcej,  éd.  Schroder,  dans  la  liihliothek  des  liter.  Vereins, 
Stuttfrart.  t.  C\'in.p.  25.  Cet  ouvrage  est  antérieur  à  1355. 


LA    VIERGE    AU    MAMEAU    Kl     LES    ORDRES    RELIGIEUX  43 

rut  ;  elle  portait  un  beau  manteau  sur  lequel  était  écrit  Ave, 
3faria,  en  lettres  d'or.  Elle  prit  la  nonne  sous  sou  manteau, 
la  conforta  et  lui  promit  la  vie  éternelle  '. 

Elsbet  Bachlin  était  une  nonne  de  Thiiss-,  qui  avait  huit 
ans  à  peine.  Il  lui  sembla  dans  son  sommeil  que  la  Vierge 
était  devant  elle  ;  et  elle  se  jetait  dans  les  bras  de  la  Vierg^e  ;  et 
celle-ci  la  prenait  dans  son  manteau  et  lui  disait  :  «  Tu  vois,  je 
ne  te  laisserai  jamais  sortir  de  ce  manteau.  »  Le  cœur  d'en- 
fant de  la  petite  Elsbet  fut  alors  tellement  fortifié  par  la  grâce 
que  depuis,  chaque  fois  qu'au  couvent  il  lui  arrivait  quelque 
chose  de  désagréable  et  qu'elle  en  ressentait  de  l'impatience, 
elle  pensait  aussitôt  :  «Las!  Elsbet,  veux-tu  donc  t'éloigner 
du  manteau  de  la  Vierge?-^  » 

J'emprunte  ces  trois  histoires  à  M.  Krebs,  qui  connaît  si 
bien  la  littérature  pieuse  de  l'Allemagne  au  xiv''  siècle.  Elles 
ne  contiennent  d'ailleurs  rien  qui  soit  spécialement  allemand. 
On  en  trouverait  d'autres  toutes  pareilles,  à  la  même  époque, 
dans  la  littérature  pieuse  des  autres  jaays.  Une  des  com- 
pagnes de  sainte  Claire  de  Montefalco'',  ravie  en  esprit  après 
la  mort  de  sainte  Claire,  vit  la  Vierge  qui  abritait  la  sainte 
sous  son  manteau  ;  et  la  Vierge  disait  :  «  Voici  Claire,  elle  est 
ma  iîlle^  » 

Sainte  Gertrude  d'Allemagne  (-|- 1290)  voit  la  Vierge  revê- 
tue d'un  manteau  immense,  qui  recouvrait  des  lions,  des 
tigres,  toutes  sortes  d'animaux  féroces  et  immondes  ;  Gertrude 
comprend  que  ces  animaux  sont  les  pécheurs,  et  qu'il  n'est 
pas  d'âme  si  gâtée  par  le  péché  sur  laquelle  la  Vierge  ne 
puisse  étendre  la  protection  de  son  iniinie  miséricorde*^.  Le 
manteau  de  la  Vierge  est  donc  le  symbole  de  sa  miséricorde. 
C'est  ce  que  dit  sainte  Brigitte  dans  un  passage  souvent  cité 
au    moyen  âge   de  son   fameux  livre  des   Révélations" .   Elle 


1.  Leben  heiliçjer  Alemannischer  Fraiien  iin  Miltelalter.  5.  Die  J\onnenvon 
SI  Kalharinenthiil  hei  Dieszenhofen,  éd.  Birlinger  {Alemannia,  XV,  1887), 
p.  181. 

2.  Couvent  de  nonnes  près  Winterthur.  Cf.  Schiller,  Das  mystiche  Leben 
der  Onlensschti^estern  zii  Thôss  (lierner  philol.  Diss.,  1903). 

3.  Greith,  Die  Mystik  ini  Predicjerorden  (Fribourj;-en-Brisgau,  1861),  p.  369. 
■l.  Augustine,  f  1308.  Cf.  Potthast,  B.  M.  .is.,  II,  p.   1245. 

3.  Faloci,  Vita  di  S.  Cliiara  di  Montefalco,  p.  134.  Cité  par  Barljier  de 
Montault,    Revue  de  l'art  chrétien,  1889,  p.  25. 

6.  Sausseret,  .4/i/jci/-t7tofis  et  i-évélations  de  la  T.  S.  Vierge,  t.  II,   p.  16. 

7.  L.  III,  cap.  17.  Les  Révélations  de  sainte  Brigitte  parlent  encore  du 
manteau  symbolique  de  la  Vierge,  mais  d'une  façon  diflércnte  :  Eyo  vocor  ab 


44 


CHAPITRE    HT 


raconte  un  entretien  mystique  que  saint  Dominique  aurait  eu 
avec  la  Vierge,  où  il  lui  aurait  demandé  de  protéger  les  Frères 
de  rOrdre  qu  il  avait  fondé  :  Suftcipo  Fratrcs  mcos,  qiios  edu- 
cavi  et  fovi  sub  stricto  sci}])iilnri  inco,  et  défende  eos  siib  lato 
mantello  tuo.  Rege  eos,  et  refore,  ne  hostis  antiquus  preevaleat 
eis  et  ne  dissipet  vineam  novellam  qiiam  planfavit  dextera  Filii 
tiii  1  A  quoi  la  Merge  aurait  répondu  :  0  Dominice  amice 
dilecte,  quia  dilexisti  me  plus  quam  te  !  Ego  sublato  mantello 
meo  défendant  et  regam  fdios  tuos.  necnon  et  omnes  qui  in 
régula  tua  persévérant,  salrabuntur.  Mantellus  vcro  jneus 
lafus  misericordia  mea  est,  quam  nulli  féliciter petenti  denego. 
Toutes  les  âmes  pieuses  n'étaient  pas  capables  de  conce- 
voir, avec  sainte  Hrigitte,  le  manteau  protecteur  de  Marie 
comme  un  syml:)ole,  une  allégorie,  ou  pour  emplover  le  terme 
théologique,  comme  une  «  ligure  »  de  la  miséricorde  infinie 
de  Marie.  Beaucoup  devaient  se  l'imaginer  d'une  façon  tout  k 
fait  matérielle.  11  y  avait  dans  le  Béguinage  de  Bruxelles,  à 
l'inlirmerie,  une  Béguine  malade  dhydrojiisie.  Sa  fin  sem- 
blant innninente,  on  appela  le  curé  ;  quand  il  arriva,  la 
Béguine  était  guérie.  Elle  lui  raconta  qu  une  femme  d'aspect 
imposant,  et  merveilleusement  belle,  était  entrée  dans  l'inlir- 
merie et  avait  étendu  son  ni;inteau  sur  elle,  et  que  ce  geste 
lavait  guérie  sur-le-chanqi '.  Sophie  de  Xeitstein,  du  cou- 
vent du  \'al-des-Anges.  étant  morte,  revint  dire  aux  sœurs 
que  quand  elle  s'était  mise  à  chanter  sur  son  lit  de  mort  le 
Salue  Regina.  la  Reine  de  Miséricorde  était  arrivée,  vêtue 
d'un  manteau  violet,  accompagnée  de  sainte  Agnès  et  d'autres 
vierges  saintes  ;  et  Marie  tourna  son  manteau  contre  les 
ennemis —  contre  les  diables,  qui  attendaient  autour  du  lit  de 
la  moribonde  le  moment  de  s'emparer  de  son  âme-  —  et  ils 


omnibus  Mater  mixericordiae.  tuisej'icoi-dia  l'ilii   luei  fecit  me  luisericorflem.. 
Krgo  tu.  filia  mea.  veni  el  absconde  te  sub  mantello  tneo.  hic  est  e.rterius  con- 
templibilis,  inlus   re/o  ulilis  propter  tria  :  primo  obumbrat  ab  aère  tempes- 
tuoso.  secundo  munit  a  friffore  urente,  tertio  défendit  contra  nubium  imbrem- 
llic  mantellus  humilitas  mea  est. 

1.  Vitn  S.  lietfçiae  viduae...  nuctore  ,1.  (i.  a  lîvckol  ah  Ooibcck  (Loiivain, 
UkU.  p.  l.iS  :  Fuit  lieyçiina  in  liefiginario  liru.rellensi  quae  in  Valetudinario 
laborabat  hi/dropisi...  durio.  sollicitus  pro  ejus  morbo  et  morte  imminente, 
primo  crepusculo  ingressus  ad  eam.  reperit  eam  in  solidutn  curatam  :  soltici- 
tusque  tam  repentinae  salutis  ori(finem  et  cau.'iam.  audirit  ingressam  miri 
decoris  augusiissimam  mulierem.  ({uae  suum  super  infîrutam  erlendissel  ami- 
culum.  atifue  ila  in  momento  sanassel. 

2.  Se  ra|>polor  les  trrnviiivp  du  De  arte  moriendi. 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


PI.  IV 


Stnsitms    airnyicur  tûtus,  irmwumi  ynnrat  : 

As[  mm    nullum  glanait  adcsfe  fuim  . 
Sifce ,  mauit  Cnrtjtus,  Lu-hrymas,  et  Mornr  mi. 

fn  Marin  crmis  qiws  latitare  tat^a  . 
^  17\ 


ORDO  BtATIi^lM.-F.  \  1RGINI5   MAKI.+: 
DE.   MOTv.'l"h:    CARMUJ.O. 


3  4 

La  Vierge  de  MisÉnicoi\DE  et  les  Ordres  religieux 

(Clichés  de  l'aulcup; 


LA    VIKRGE    AU    MANTEAU    ET    LES    ORDRES    RELIGIEUX  io 

s'enfuirent  tous  :  da  icet  miser  frau  den  mantel  gen  den  vin- 
den,  da  fîuhen  sic  aile  hinwe/x  '. 

Sainte  Brigitte,  sainte  Gertrude,  sainte  Claire  de  Montefalco, 
ne  sont,  non  plus  que  la  Bég-uine  de  Bruxelles,  ni  des  Cister- 
ciennes ni  des  Dominicaines.  Ainsi,  peu  à  peu,  dès  le 
xiv"  siècle,  la  vision  de  la  Vierge  au  manteau  cesse  d'être  la 
propriété  exclusive  des  deux  grands  Ordres  qui  se  l'étaient 
disputée  au  xui*^.  Elle  devient  un  thème  courant  de  la  mystique 
monastique  -.  La  vision  reste  la  même  ;  il  n'y  a  de  changé  que 
les  noms,  celui  de  la  personne  qui  aurait  été  gratifiée  de  cette 
vision,  et  celui  de  l'Ordre  à  la  gloire  duquel  la  vision  est  racon- 
tée. Quelques  exemples  suffiront. 

Au  commencement  du  xvi''  siècle,  une  abbesse  de  Calabre 
voit  la  Vierge  abritant  sous  son  manteau  un  ordre  qui  allait 
naître,  celui  des  Capucins  '.  En  1563,  comme  sainte  Thérèse 
était  avec  ses  compagnes  en  oraison  dans  le  chœur  après 
compiles,  la  \ierge  lui  apparut  :  elle  était  vêtue  d'un  man- 
teau blanc  dont  elle  couvrait  toutes  les  religieuses  du  Car- 
mel^.  Dans  la  suite,  plus  dune  fille  de  sainte  Thérèse,  la 
bienheureuse  Marie  de  l'Incarnation,  et  en  1623,  Catherine 
de  Jésus  eurent  la  même  vision  que  leur  fondatrices  Bien 
avant,  du  reste,  que  sainte  Thérèse  eût  réformé  le  Carmel, 
cet  Ordre  disputait  aux  Cisterciens  et  aux  Dominicains  la 
vision  de  la  ^  ierge  au  manteau.  Le  Carmel  est  l'un  des  Ordres 
qui  se  sont  voués  spécialement  au  culte  de  Marie  ;  il  s  appelle, 
par  privilège  reçu  d  Honorius  111  (1216-1217),  l'Ordre  de  la 
divine  Vierge  Marie,  Ordo  heatisslmae  \  .  M.  de  Monte  Car- 
melo,  Divae  Mariae  Carmeli  societas.  Un  tableau  de  Porde- 
none  représente  la  Merge  abritant  sous  son  manteau  les  deux 
saints  du  Carmel,  saint  Ange  martyr  et  saint  Simon  Stock, 
avec  la  famille  des  Ottoboni.  LTne  gravure  de  Pierre  de  Jode 
représente  la  ^  ierge,  en  costume  de  Carmélite,  abritant  sous  son 
manteau   tout  le  Carmel,  k  droite  les  hommes,  à  gauche  les 


1.  Der  Xonve  von  Engeltal  Bûchlein,  p.    38. 

2.  Cf.  par  ex.  la  prière  de  saint  Thomas  de  "S'illeneuve  (1 18S-1555,  augrustin, 
archevêque  de  Valence  :  «  Ainsi,  ô  Marie,  nous  nous  réfujjrions  sous  \otre  man- 
teau... »  Jai  trouvé  cette  prière  dans  L'enfanl  de  Marie  à  la  campaçfne,  par  le 
P.   Letierce,  S.  J.,  t.  II,  p.  76. 

3.  Le  P.  Bridoul,  Le  triomphe  annuel  de  X.-D.  (Lille,  16i0i,  t.  II,  p.  9, 
d'après  le  t.  I  des  Annales  Capuc.  de  Zach.  Boverius. 

4.  Vie  de  sainte   Thérèse,  ch.  37. 

5.  Sausseret.  t.  Il,  p.  279. 


46  CHAPITRE    m 

femmes.  Une  gravure  de  C.  Galle  représente  la  Vierge  abri- 
tant sous  son  manteau  des  gens  de  diverses  conditions,  dont 
un  Carme  et  une  Carmélite  et  leur  distribuant  des  scapulaires  • 
on  sait  que  le  port  du  scapulaire  est  une  dévotion  propre  au 
Carmel  ;  elle  aurait  été  enseignée  par  la  \  ierge  à  saint  Simon 
Stock.  Mercédaires,  Servites,  Prémontrés,  Chartreux  se  sont 
fait  représenter,  eux  aussi,  agenouillés  sous  le  manteau  de 
Marie.  Il  n'est  pas  jusqu'aux  Jésuites,  ces  tard-venus  du 
monde  monastique,  qui  n'aient  tâché  de  s'approprier  la  vieille 
légende  cistercienne.  Un  de  leurs  plus  récents  auteurs', 
après  avoir  raconté  sans  chronologie  ni  critique  et  d  après 
des  ouvrages  de  deuxième  ou  troisième  main,  quelques-unes 
des  apparitions"^  dans  lesquelles  la  Vierge  s'est  montrée  abri- 
tant un  Ordre  religieux  sous  les  plis  de  son  manteau,  continue 
ainsi  :  «  La  Mère  de  Dieu  daigna  faire  à  plusieurs  reprises  une 
grâce  semblable  aux  religieux  de  la  Compagnie  de  Jésus... 
Parmi  les  enfants  de  saint  Ignace,  un  des  plus  célèbres  par 
son  amour  envers  la  très  sainte  Vierge  et  par  les  faveurs  qu'il 
en  reçut,  est  sans  contredit  le  P.  Martin  Gutierez...  Marie  se 
fit  voir  à  lui,  racontent  les  Tableaux  des  personnages  signalés 
de  la  Compagnie  de  Jésus^\  •'  comme  une  Royne  très  riche- 
('  ment  esquipée,  toute  parsemée  de  pierres  et  debrillans  plus 
«  brillans  que  le  soleil  ;  et  sous  sa  robe  royale,  laquelle  esten- 
((  doit  bien  au  large,  elleembrassoit  tousles  enfansde  laCom- 
«  pagnie.  pour  leur  donner  à  entendre  qu'elle  estoit  leur  mère 
«  et  qu'elle  les  couvoit  tous  dessous  les  esles  de  sa  protection, 
<(   comme  la  poule  fait  ses  poussins  ''»  . 

A  la  fin   du  xvi*"  siècle,  le  thème  de  la  A  ierge  au  manteau 
donne  naissance  en  Allemagne  à  une  dévotion  extravagante. 


1.  Le  1'.  Tcifien.  La  Mère  de  Dieu  cl  la  Mère  des  hommes  Paris.  l'jOo  . 
2-  partie,  t.  II,  p.  119. 

2.  "  Rien,  ce  semble,  n'autorise  à  en  mettre  en  doute  rauthenticité  »  :  cette 
appréciation  du  P.  Terrien  [Op.  cit.,  p.  116)  donne  la  mesure  de  sa  critique. 
Il  comrhence  par  laconter  d'après Lacordaire  la  vision  de  saint  Dominique,  puis 
il  passe  à  la  visif>n  rapportée  par  Thomas  de  Chantimpré,  qu'il  cite  d'après 
un  ouvra},'e  de  dévotion  dominicain  fies  Lezioni  morale  sopra  Gionk  du  P. 
Pacinclielli  O.  P.;  et  qu'il  apprécie  ainsi  :  <>  Cette  vision  rej,'arde  l'Ordre  de 
saint  Dominique  plus  encore  cpie  Citeaux.  quoiqu'elle  soit  très  apte  à  mon- 
trer la  fraternelle  alliance  des  dilTércnts  Ordres  sur  le  sein  de  leur  com- 
mune mère.  •> 

.i.  Attribué  f,'énéralement,  mais  à  tort,  au  P.  Pierre  d'Outreman  :  cf.  Som- 
mcrvogel,  Bihl.  de  la  C"  de  Jésus.  VI,  37. 

1.  Cf.  Acla  .S.S.,  août.  I,  j).  168,  d'après  les  Opuscul.  spirit.  de  Lancinius.  1.  II, 
ch.   2.  n°  n8:  Bridoul.  t.   I.  p.  1  17  :  Saussercl,  t.  II,   p.  1 14,  etc. 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


PI.  V 


LA    VIERGE    AU    MAMEAl     ET    LES    ORDRES    RELIGIEIX  47 

Le  P.  Bridoul,  Jésuite,  raconte  qu'Eléonore  d'Autriche,  qui  fut 
duchesse  de  Mantoue,  «  avoit  pris  «^oust  en  Allemagne  à  une 
certaine  dévotion  qu'on  nomme  le  Manteau  de  Notre-Dame^ 
qui  consiste  à  réciter  ou  à  faire  réciter  32.000  Ave  Maria  en 
l'honneur  de  la  A'ierge  Marie  ;  mais  parce  que  la  qualité  de 
son  état  lui  dérobait  les  meilleures  heures  du  jour,  elle  fut 
contrainte  de  s'en  décharger  sur  ceux  de  sa  cour  et  sur  plu- 
sieurs monastères,  partageant  entre  eux  le  nombre  des  Ave 
Maria  que  nous  avons  dit^  ».  Expliquons,  en  passant,  ce 
chilfre  de  trente-deux  mille  :  32  et  33  sont  des  nombres  aux- 
quels la  mystique  chrétienne  a  prêté  une  vertu  singulière, 
parce  que  Jésus  a  été  crucifié  dans  sa  trente-troisième  année, 
après  avoir  passé  trente-deux  ans  sur  la  terre.  Les  flagellants 
du  XIV''  siècle  quittaient  leur  maison  pour  une  période  de 
32  jours  et  demi-^.  Les  prophètes,  à  la  clôture  du  chœur 
de  la  cathédrale  d'Albi-^  sont  au  nombre  de  33.  La  Divine 
Comédie  se  compose  de  trois  poèmes  de  33  chants  chacun 
(plus  un  prologue).  LTn  roi  de  Danemark,  étant  venu  à 
Cologne  pour  apporter  de  riches  offrandes  au  tombeau  des  rois 
Mages,  les  vit  en  songe  ;  ils  le  remercièrent  et  lui  prédirent 
qu  au  bout  de  33  ans,  il  mourrait  et  serait  sauvé '.  En  1389, 
Urbain  ^'I  statua  que  le  jidîilé  aurait  lieu  tous  les  33  ans,  en 
souvenir  de  la  vie  terrestre  de  Jésus-Christ.  Le  «  chapelet  de 
X.-S.  )i,  institué  vers  loi 6  par  le  Camaldule  Michel  de  Flo- 
rence, a  33  grains  (30  petits  et  3  gros)  en  mémoire  des  33  ans 
que    Jésus-Christ    a  passés    sur   la  terre.    Cette    mystérieuse 

1.  Le  P.  Bridoul.  Le  Triomphe  annuel  de  Marie    Lille.  16  10  .  l.  H.  p.    163. 

2.  Ou  de  33  jours  et  demi  :  les  ténîoig;nag:es  varient.  Les  lla^ellants 
«  disoient  qu'ilzles  convenoit  ainsy  aler  par  lespace  de  XXXII  jours  et  demy 
et  qu'il  le  sçavoient  ainsy  par  la  demonstrance  divine  a  la  remembrance  de 
N.  S.  qui  ala  par  terre  près  de  XXXII  ans  et  demy  »  {Clxroni<[ue  de  Jean  Le 
BeL  écl.Viard  et  Déprez,  t.  I,  p.  224}.  Froissart,  la  recfula  flarfellatorum  (Ker- 
vyn  de  Lettenhove.  éd.  de  Froissart,  t.  XVIIL  p.  308  ;  ditrahit  /'raternitas 
XXXIII  diehiis    ciini  diniidio  .  la  Chronique   publiée  par  Le  Houx  de  Lincy 

Recueil  de  chants  historiques  français,  t-  L  p.  235  et  Kcrvyn  (Op.  ci7.,p.  30ô) 
parlent  de  33  jours  et  demi  :  «  XXXIII  ans  et  demi  ala  Dieus  .T.-C.  par  terre, 
cnsi  que  les  saintes  Escriptures  tesmoni;nent  :  et  il  alerent  casc[une  compa- 
frnie  .VXXIII  jours  et  demi  »  Froissart,  éd.  I.  p.  330  .  Cf.  encore  Gui^uc,  éd.  du 
Poème  sur  la  qrande  peste,  par  Olivier  de  la  Haye  (Lyon,  1888).  p.  xi. 

3.  Didron.  Manuel  d'iconorfraphie   chrétienne,    p.  117. 

1.  Gesia  Romanoram,  chap.  xlvh.  Il  est  vrai  quOesterley  imprime  exple- 
tis  XXIIl  annis  ju([iler  in  caelestihus  nohisciim  reipiahis  ;  mais  XXIII  est 
soit  une  faute  d'impression,  soit  une  mauvaise  leçon  ;  car  la  \ersion  fran- 
çaise des  Gesla  Le  violier  des  hislnires  romaines,  éd.  Brunet,  p.  110  traduit 
ainsi  :  "  Le  terme  descript  accomplis  de  33  ans,  il  mourut  et  fut  sauvé.  » 


48  CIIAPITHE    III 

«  Compagnie  du  Saint-Sacrement  »  dont  nous  commençons  à 
entrevoir  laction  occulte,  entretenait  au  milieu  du  xvii'-  siècle 
un  séminaire  dit  «  des  Trente-Trois  »,  parce  qu'il  contenait 
trente-trois  écoliers,  «  en  mémoire  d'autant  d'années  que  Ton 
croit  que  X.-S.  a  passées  sur  la  terre  '  ».  Au  xviii''  siècle  se 
fondent  des  «  Associations  à  l'honneur  des  sacrés  cœurs  de 
Jésus  et  de  Marie-  »,  composées  de  33  personnes  en  mémoire 
des  «  33  années  de  la  vie  divinement  humaine  de  notre  ado- 
rable Sauveur  ».  Une  idée  mystique  toute  pareille  explique  le 
«  chapelet  de  sainte  Brigitte  »,  qui  se  compose  de  63  dizaines 
à  Ave,  en  souvenir  des  années  que  la  sainte  ^  ierge  a  vécues 
en  ce  monde  •^. 

Ainsi,  par  une  suite  de  pieux  larcins,  la  ^'ierge  au  manteau 
protecteur  a  passé  des  Cisterciens  aux  Dominicains,  puis  aux 
autres  Ordres,  et  finalement  aux  Pères  Jésuites. 

On  sera  surpris,  peut-être,  de  n'avoir  pas  vu  paraître  les 
Franciscains  dans  cette  longue  histoire.  Il  ne  faudrait  pour- 
tant pas  croire  qu  ils  n  aient  pas  cherché,  eux  aussi,  à  se  blot- 
tir sous  le  manteau  de  Marie. 

Il  existe  au  musée  de  l'Académie,  à  Sienne, un  petit  tableau 
que  les  critiques  s'accordent  à  attribuer  au  grand  maître  sien- 
nois,  Duccio  di  Buoninsegna  :  ce  tableautin  serait  donc  de  la 
fin  du  xiii'^  siècle.  Il  représente  la  Vierge  assise,  tenant 
1  Enfant  sur  son  genou;  aux  pieds  de  la  Vierge,  beaucoup 
plus  petits  qu'elle,  sont  agenouillés  trois  fratelli;  le  pre- 
mier baise  le  pied  de  la  Vierge,  les  deux  autres  l'implorent 
les  mains  jointes  :  et  la  Vierge  miséricordieuse  ramène  sur  eux 
le  pan  de  son  manteau.  Cette  représentation,  unique  à  ma  con- 
naissance, montre  qu  à  l'époque  même  où  les  Dominicains 
s'appropriaient  la  vision  cistercienne,  le  symbole  du  manteau 
protecteur  de  Marie  n'était  pas  inconnu  des  Franciscains. 

L'auteur  du  Guide  de  l'art  chrétien,  Grimoûard  de  Saint- 
Laurent,   possédait    une    miniature    provenant    d'un    graduel 


1.  R.  Allier.  Le  testament  de  M.  Le  Gaufj'rc.  dans  la  Revue  de  Paris  du 
1"  sept.  1906.  p.  177. 

2.  Voir  la  plaquette  ]nibliéc  sous  ce  litre  en  17k|  à  Nancy,  chez  Pierre 
lîarhier. 

:i.  Rouyer,  dans  la  Revue  helcje  de  numisma(i(iue,  1897,  p.  207.  Cf.  R.  de 
Maulde.  Jeanne  de  France,  p.  i65  :  «  Un  bref  de  Léon  X  porta  à  70.000  jours 
l'iiidnlj^cncc  de  ceux  qui  ont  reçu  les  72  insijrnes  eu  Ihonneur  des  72  ans  de 
la  vie  de  la  sainte  Vierge.  »  La  tradition  n'est  pas  unanime  sur  le  nombre  des 
années  que  la  Vierge  a  passées  en  ce  monde. 


LA    VIERGE    AU  MAMEAU    ET    LES    ORDRES    RELIGIEUX  49 

franciscain,  qui  représentait  la  Vierg-e  abritant  sous  les  plis 
de  son  manteau  des  Franciscains  agenouillés.  Cette  fois, 
c'est  bien  le  type  ordinaire  de  la  Vierge  de  Miséricorde  :  elle 
est  debout,  les  priants  sont  répartis  en  deux  groupes  symé- 
triques, à  droite  et  à  gauche.  Cette  miniature,  qu'on  ne  connaît 
que  par  le  calque  publié  par  Grinioùard  et  que  j'ai  vainement 
tâché  de  retrouver,  est  le  seul  exemple  qui  me  soit  connu 
d'une  Vierge  abritant  sous  son  manteau  la  famille  séraphique. 
Un  fait  isolé  ne  prouve  rien.  On  a  démesurément  grossi  l'im- 
portance de  la  miniature  de  Gi'imoûard  :  reproduite  par  Bar- 
bier de  Montault,  comme  exemple  du  type  iconographique  de 
la  Vierge  au  manteau  —  c'était  vraiment  faire  trop  d'honneur 
à  une  représentation  médiocre  et  dont  on  ignore  la  date^ 
et  la  provenance  —  elle  a  été  alléguée  par  Kraus  d'après  Bar- 
bier comme  preuve  de  l'origine  franciscaine  du  thème  en 
question.  En  réalité,  pour  montrer  que  ce  thème  n'est  pas 
resté  indifférent  à  la  mystique  franciscaine,  il  y  a  de  meil- 
leures preuves  que  cette  miniature.  Dès  le  milieu  du 
xiii*^  siècle,  les  confréries  de  pénitence  et  de  charité  cherchent 
un  refuge  sous  le  manteau  de  la  Vierge  :  or,  ces  confréries 
sont  presque  toutes,  plus  ou  moins  directement,  d'origine 
franciscaine,  et  la  première  qui  se  soit  fait  représenter  sous  le 
manteau  de  Marie  tenait  sa  règle  de  saint  Bonaventure,  un 
Franciscain.  Plus  tard,  au  xv*^  siècle,  ce  sont  les  prédications 
d  un  autre  Franciscain,  saint  Bernardin  de  Sienne,  qui 
poussent  les  foules  italiennes,  aifolées  par  la  peur  des  pestes 
et  de  l'Antéchrist,  à  se  réfugier  sous  le  manteau  de  Marie, 
pour  y  chercher  un  aljri  contre  les  flèches  de  la  colère 
divine. 


1.  Grimoïiai'cl  et   Barbier  dataient    cette  miniature   du  xiii'^  siècle  ;  elle  ne 
paraît  pas  antérieure   au  xiv. 


Fi;nuHi/.iiT.  —  Lit  Vienje  de  Miséricorde. 


CATALOGUE 


DOMINICAINS 

1.  Florence.  Bih]\olhè([uc  de  S.Marco.  Miniature  d'un  graduel  domini- 
cain, portant  au  fol.  llia  la  signature  de  fra  Benedetto  del  Migello  (1.389- 
1448.)  La  Vierge  abritant  les  Dominicains  sous  son  manteau.  Signalée 
par  Kreijs,  Maria  mit  dem  Schutzmantel,  p.  35. 

2.  Coblence,  Musée  municipal  de  peinture  [Catalogue,  1874,  n°  61). 
Tableau  à  fond  d'or;  xv^  s.  La  Vierge  tient  l'enfant  :  sous  son  manteau, 
deux  Dominicains,  tout  petits,  agenouillés.  A  dr.  et  à  g.  de  ce  groupe 
central,  saint  Dominique  et  saint  Thomas  d'Aquin,  agenouillés  ; 
derrière  eux,  debout,  sainte  Catherine  de  Sienne  et  saint  Pierre 
martyr. 

3.  Gravure  de  Théodore  Galle  (Nys,  f°  17).  En  bas,  sur  la  terre,  saint 
Dominique  en  extase,  agenouillé,  les  yeux  fixés  au  ciel.  Dans  le  ciel,  au 
milieu  de  nuages,  apparaît  la  Vierge  ;  son  manteau,  soutenu  par  des 
anges,  abrite  à  dr.  les  Dominicains,  à  g.  les  Dominicaines.  Le  titre  de 
la  gravure  est  :  Rorjinn  caeli  multitudineni  Fratrum  et  Sororum  sub 
pallio  latitantes  illi  ostendit  ;  le  quatrain  explicatif,  dû  à  J.  Nys,  O.  P., 
est  : 

Sensibuit  abripitur  tolui^,  caelumque  pererrat  : 
ast  inibi  nullum  plangit  adesse  suuni. 

Siste,  inquil  Christus,  lacrymas,  et  quaerere  noli  : 
en  Mariae  cernis  rjuos  latitare  tog;>. 


PI.  IV,  1. 


FRANCISCAINS 


1.  Sienne.  Académie,  n"  20.  Petit  panneau  archaïque.  «  11  est  permis 
d'attribuer  à  Duccio  la  jolie  petite  Madone,  si  grandement  conçue,  avec 
trois  Franciscains  à  ses  pieds  »  Burckhardt,  Le  Cicérone,  t.  II,  p.  ;J07 
de  la  traduction  .  La  Vierge  est  assise  sur  un  trône,  les  pieds  sur  un 
tabouret.  Derrière  elle,  quatre  anges  à  mi-corps.  De  la  main  g,,  elle 
lient  l'Enfant,  de  la  dr.,  elle  ramène  le  pan  de  son  manteau  sur  trois 
fratelli  agenouillés;  le  premier  lui  baise  le  pied,  les  deux  autres  Tim- 
plorcnt  les  mains  jointes.  Lombardi,  2436  ;  phototypie  dans  Cavalca- 
selle  et  Crowe,  A  hiatorij  of  painting  in  Ilahj,  éd.  Douglas  'Londres, 
1903),  t.  1,  pi.  à  la  p.   101). 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


PI.  VI 


Cliché  de  railleur 


Les    PRÉMOXTRÉS    sous    la    protection    de    la    ^'lERGE 

(Gravure  d'E.  Jloreau) 


CATALOGLl::  51 

2.  Miniature  détachée  dim  ujraduel  franciscain  du  xiv^  siècle.  Cf.  Gri- 
moiiard  de  Saint-Laurent,  Guide  de  l'art  chrétien,  t.  III,  p.  107,  pi.  X. 
D'après  le  calque  publié  par  Grimoïiard  ont  été  exécutées  les  repro- 
ductions encore  plus  médiocres  de  Barbier  de  Montault,  Traité  d'ico- 
nographie, t.  II,  pi.  .33,  n"  343  et  du  Saint  François  d'Assise  publié  par 
les  PP.  Franciscains    Paris,  Pion  ,  p.  38. 

3.  Milan,  Brera.  Peinture  de  Francesco  Verla  (1490-lo20  .  La  Vierge 
protège  sous  son  manteau,  que  des  anges  tiennent  soulevé,  deux  saints 
Franciscains,  dont  saint  François.  Signalée  par  Krebs,  Maria  mit  deni 
Schu(zmantel,p,  35. 


PRÉMONTRES 

1.  Panneau  du  musée  de  Budapest  (G.  de  Terey,  Catalogue,  1906,  p.  170, 
u°  685)  attribué  au  «  Maître  de  la  Vie  de  la  sainte  Vierge  ».  Dans  un 
édifice  voûté,  devant  une  de  ces  tentures  qui  caractérisent  les  tableaux 
colonais,  la  Vierge  debout,  couronnée,  tenant  lEnfant  ;  sous  son  man- 
teau, six  religieux  agenouillés,  en  manteau  blanc  et  tunique  sombre, 
sans  scapulaire,  probablement  des  Prémontrés;  l'abbé,  coiffé  d'une 
calotte,  est  à  la  droite  de  la  Vierge. 

PI.  V,  2. 

12.  Gravure  d'Edme  Moreau  (de  Reims;  vivait  sous  Louis  XIII),  qui 
sert  de  frontispice  aux  deux  volumes  du  catéchisme  des  Prémontrés  de 
Pont-à-Mousson,  publié  en  1G23  par  le  réformateur  de  l'Ordre,  Servais 
de  Lairuels,  abl)é  de  Sainte-Marie-Majeure  (sur  ce  personnage,  cf. 
Eug.  Martin,  Servais  de  Lairuels  et  la  réforme  des  Prémonfrés  en  Lorraine 
et  en  France  au  AT//«  siècle,  Nancy,    1893). 

Ca/ec/i«.snit  I  novitiorum  et  eorundeni  \  magistri,  \  omnibus  quorum- 
cumqueOrdinum  \  religiosis  utilissimi  \  tomus  I  {II),  |  autliore  Reverendo 
D[omino)  Servatio  de  Lairuelz,doct.  theologo,S.  Mariae  |  Majoris  Mussi- 
pontanae  olini  ad  Nemus  abbate  et  R[everendissi)mi  D^omini]  Pétri  j  Gos- 
setii  ord  inis)  Praenionstraten[sis) generalis  incommunitate  \  anfiqui rigo- 
ris  necnon  per  Germaniam,  Boemiam  et  \  Poloniam  vicario  generali.  \ 
Mussiponti,  apud  Sanctam  Mariam  Majorem  |  ,  per  Franciscum  du 
Bois  serenissimi  ducis  Lotharingiae  typographum  \  ,  anno  Domini 
MDCXXIII.  I  E.  Moreau  fec. 

Ce  beau  frontispice  représente  la  Vierge  de  Miséricorde  protégeant 
les  Prémontrés  ;  l'abbé  des  Prémontrés  occupe  la  première  place,  à  la 
droite  de  la  Vierge;  la  première  place  à  gauche  est  occupée  par  le  prieur 
de  Pont-à-Mousson.  Deux  saints  soutiennent  le  manteau,  à  droite 
samt  Augustin,  créateur  légendaire  de  l'Ordre  des  Chanoines  auquel 
appartient  Prémontré,  à  gauche  saint  Norbert,  fondateur  de  Prémontré, 
reconnaissable  à  l'ostensoir  qu'il  tient  à  la  main.  Saint  Augustin 
dit  :  ecce  filii  nostri  sicut  novellae  oliiarum  in  circuitu  (ce  texte,  pris  au 
Psaume  CXXVII,  3,  a  été  souvent  appliqué  à  tel  ou  tel  Oi'dre  monas- 
tique :  cf.  Lecoy  de  la  Marche,  La  chaire  franc,  au  m.  A.,  2"  éd.,  p.  87). 
Saint  Norbert  dit  :  monstra  te  esse  niatrem  (c'est  un  vers  de  VAve  maris 


52  CATALOGLE 

Stella).  De  la  bouche  de  Fabbé  monte  vers  la  Vierge  cette  prière 
inemor  esto  congregalionls  tuae  ;  le  sous-prieur  prononce  ces  mots 
empruntés  au  Psaume  LXXXVI,  7  (avec  l'addition  du  mot  nostrum]  ; 
sicut  laetantium  omnium  nostrum  hahitatio  est  in  te,  texte  qui  s'ap- 
plique à  la  protection  maternelle  de  la  Vierge  (cf.  Bréviaire  t^omain, 
office  de  la  sainte  Vierge.  2''  nocturne, antienne  du  3«  Psaume).  — PI.  VI, 


CARMES 

1.  Tableau  d'un  peintre  viennois  anonyme,  du  début  du  xvi*^  siècle, 
peint  pour  les  Carmes  de  Vienne,  aujourd'hui  au  musée  du  couvent 
bénédictin  de  Klosterneubourg.  Ce  tableau  singulier  sera  étudié  plus 
loin,  ch.  XI.  — Pl.XXVlIl,  1. 

2.  Venise,  Musée  de  l'Académie,  n°  321.  Anderson,  n°  12903.  Tableau 
du  Pordenone,  peint  en  1.j2o,  jadis  dans  l'église  de  Pescincanna.  La 
Vierge,  sans  la  couronne  et  sans  l'Enfant,  apparaît  sur  des  nuages,  les 
bras  ouverts  d'un  large  et  beau  geste.  Sous  son  manteau,  ({ue  sou- 
tiennent de  petits  anges,  les  deux  saints  du  Carmel  :  à  dr.  le  martyr  de 
l'Ordre,  saint  Ange,  qui,  comme  saint  Pierre  de  Vérone,  porte  un  glaive 
fiché  dans  son  crâne;  à  g.,  saint  Simon  Stock,  Anglais,  troisième  géné- 
ral de  l'Ordre  ;  il  porte  un  Ij-s,  symbole  de  virginité.  Les  deux  saints 
montrent  à  la  Vierge  la  famille  Ottoboni  agenouillée,  à  dr.  les  hommes, 
à  g.  les  femmes  (dont  deux  Carmélites).  Au  bas  du  tableau,  cette  ins- 
cription :  Dive  Marie  Carmeli  societas.  Crowe  et  Cavalcaselle  [Histonj 
of  paintinçj  in  north  Italia,  II,  p.  26o)  et  les  récents  éditeurs  du  Cicérone 
(p.  882  de  la  8^  éd.  ail.)  admirent  beaucoup  ce  tableau  ;  k  dipinto  molto 
sciupato  dai  lavacri  )>  (Paoletti,  ^'a/a/or/o,  p.  102).  Cf.  encore  Jameson, 
Legends  ofthe  Madonna,  2''-  éd.,  p.  93. 

3.  Statue  plus  grande  que  nature,  en  bois,  par  Gregor  Erhart  {f  1540), 
jadis   dans   un    couvent  du    Carmel    près    Augsbourg,    aujourd'hui    au 

•  musée  de  Berlin.  Cf.  le  Catalogue  de  Bode-Tschudi,  n*"  357  ;  repro- 
duction dans  la  Kunstchronik,  XXII  (1887),  col.  423.  La  tête  de  la 
Vierge  offi-e  une  grande  analogie  avec  la  tête  du  relief  d'Olmutz  (cf. 
infra,  ch.  x).  La  tète  est  refaite.  Six  personnes  sous  le  manteau,  trois 
moines  à  dr.,  ti'ois  nonnes  à  g.  L^  Vierge  porto  l'Enfant.  A  ses  pieds, 
le  croissant  de  la  lune  à  tête  féminine. 

4.  Gravure  éditée  à  Anvers  par  Pierre  de  Jode.  La  ^'ierge,  couronnée, 
en  costume  de  Carmélite,  portant  sur  le  scapulaire  les  armoiries  de 
l'Ordre  (sur  ces  armoiries,  cf.  Cahier,  Caractéristiques,  t.  I,  p.  83), 
abrite  sous  son  manteau  à  dr.  les  Carmes,  à  g.  les  Carmélites.  Deux 
anges,  dans  les  airs,  tiennent  au-dessus  de  sa  tête  une  couronne  de 
fleurs.  Au-dessous,  cette  légende  :  Ordo  Beatissimae  Virginis Mariae  de 
monte  Carmelo . 

PI.  IV,  3. 

5.  Gravure  de  C.  Galle.  La  Vierge,  couronnée,  tenant  l'Enfant,  distribue 
des  scapulaires  à  des  priants  agenouillés  sous  son   manteau.  A  dr.  les 


CATALOGUE  S3 

hommes;  au  premier  rang  un  Carme,  puis  un  seigneur.  A  g.  les  femmes; 
au  premier  rang,  une  Carmélite.  Le  manteau  de  la  Vierge  est  soutenu 
par  deux  petits  anges.  Les  scapulaires  portent  le  chifTre  de  la  Vierge 
^RA  surmonté  d'une  couronne.  En  haut,  dans  lechamp  :  DECOR  CAR- 
MELl.  Sous  la  gravure,  recipife  hoc  SANCTVM  SCAPVLARE  in  quo 
qiiis  moriens  aeternum  non  patietur  incendium. 

6.  Anvei^s.  Musée  Plantin,  salle  II,  n°  69.  Dix-huit  dessins  par  Corn.  Jos. 
d'Heur  (1707-1762)  pour  un  bi'éviairein-1 6, Z^reri'ar/unj //-a /rw»i  fi.  T'..Var/ae 
de  Monte  Carmeli.  Le  frontispice  représente  une  vigne  florissante,  sym- 
bole de  l'Ordre  du  Carmel,  au  pied  de  laquelle  sont  deux  Carmes  (sansie 
scapulaire,  on  verra  plus  loin  pourquoi).  Celui  de  droite  sappuie  d'une 
main  sur  la  bêche  avec  laquelle  il  vient  de  travailler  la  terre  au  pied  de 
cette  vigne;  dans  l'autre  main,  il  tient  une  épée  llamboyante  :  cet  attri- 
but le  fait  x'econnaitre  pour  le  prophète  Elie,  que  les  Carmes  assuraient 
avoir  été  le  fondateur  de  leur  Ordre  (Cahier,  Caractéristiques,  t.  I, 
p.  111  et  363)  :  l'épée  flamboyante  rappelait  que  «la  parole  d'Élie  brûlait 
comme  la  flamme  »  [Ecclésiastique,  xi.vjii,l)  et  qu'il  «  était  enflammé  de 
zèle  pour  le  Dieu  des  armées  »  (III  Rois,  xix,  10,  14i.  Le  Carme  qui 
arrose  la  vigne  est  le  disciple  d'Elie,  Elisée,  reconnaissableà  sa  cruche 
(Cahier,  t.  I,  p.  301).  L'Ordre  des  Carmes,  qui  fut  fondé  vers  1156  par 
un  croisé  calabrais  sur  le  mont  Carmel  en  Palestine,  a  toujours  gardé  de 
son  origine  orientale  un  faible  très  prononcé  pour  le  merveilleux.  «  Les 
Carmes  semblent  représenter  assez  bien  ce  qu'on  pourrait  appeler  la 
mythologie  de  l'histoire  monastique  :  leur  prétendue  descendance  des 
anciens  solitaires  qui,  dès  les  premiers  âges  du  monde,  peuplaient,  dit-on, 
le  mont  Carmel  ;  les  noms  de  quelques-uns  de  leurs  chefs,  parmi  les- 
quels ils  se  plaisent  à  compter  le  philosophe  Pythagore,  et  dont  ils 
auraient  persisté  à  donner  une  liste  antérieure  au  déluge,  si  l'on  ne  leur 
avait  objecté  que  l'Écriture  ne  dit  point  qu'il  y  eût  des  Carmes  dans 
l'arche  de  Noé  ;  leurs  nombreux  et  inconcevables  ouvrages  pour  soute- 
nir toutes  ces  fables,  défendues  le  plus  souvent  par  des  injures  gros- 
sières ou  par  des  menaces  non  moins  ridicules  que  les  injures;  tout 
cela  n'a  servi  qu'à  les  faire  descendre  fort  au-dessous  de  la  puissante 
congrégation  de  saint  Dominique,  ou  des  illustres  disciples  de  saint 
Benoit^.  »  On  sait  à  quelle  polémique  donnèrent  lieu,  à  la  fin  du 
XVII*'  siècle,  entre  le  Bollandiste  Papebroch  et  les  Carmes,  les  traditions 
de  ceux-ci  touchant  l'antiquité  fabuleuse  de  leur  Ordi'e  -.  Le  dessin  du 
musée  Plantin  montre  que  les  Carmes,  au  xvin^  siècle,  n'avaient  rien 
ral)altu  de  leurs  prétentions.  Aujourd'hui,  les  Carmes  d'esprit  avancé 
pensent  que  le  prophète  Elie  doit  être  considéré  comme  le  père  de  leur 
Ordre,  parce  qu'il  aurait  apparu  à  saint  Berthold,  leur  premier  général, 


1.  J.  V.  Le  Clerc,  dans l'F/s/.  litt.  de  la  Fr..  t.  XX.  p.  511.  Cf.  Rev.  des  Biblio- 
thèques, 1905.  p.  322. 

2.  Ces  traditions  expliquent  la  curiosité  iconographique  relcAee  par  Sauvai 
(Hist.  et  recherches  des  antiquités  de  Paris,  appendice  du  t.  III,  p.  35)  :  "  depuis 
peu,  aux  Billettes,  dans  la  chapelle  de  la  A^ierge.  le  P.  Mathias  de  Saint-Jean, 
provincial  des  Carmes  Mitigés,  a  fait  représenter  Agabus,  lun  des  préten- 
dants de  la  A'ierge,  rompant  sa  baguette  et  prenant  l'habit  du  Carme  [c- 
à-d.  du  Carmel],  de  dépit  de  voir  la  Vierge  mariée  à  Joseph.  ■> 


54  CATALOGUE 

et  lui  aurait  commandé  de  réunir  sur  le  mont  Carmel  les  religieux  qui 
devaient  former  le  noyau  de  l'Ordre  nouveau  (Anal.  BolL,  1906,  p.  195). 

Au  pied  de  la  vigne  resplendit  dans  une  gloire  le  chiffre  de  Marie  sur- 
monté de  la  couronne  i-oyale,  ce  qui  signifie  que  le  Carmel  est  consacré 
uniquement  à  la  dévotion  de  la  Reine  du  ciel  —  tandis  que  l'apparition 
qu'on  voit  au-dessus  de  la  vigne  prouve  que  la  dévotion  du  Carmel  pour 
Marie  trouve  au  ciel  sa  récompense  :  Marie  apparaît,  portant  l'Enfant 
Jésus,  et  abritant  sous  son  vaste  manteau  soutenu  par  des  anges,  à  droite 
les  Carmes,  à  gauche  les  Carmélites  ;  au  premier  rang,  à  gauche,  sainte 
Thérèse  tenant  un  crucifix,  à  droite  saint  Simon  Stock,  auxquels  Marie 
remet  le  scapulaire  des  religieux  sur  l'apparition  delà  Vierge  à  saint 
Simon  Stock,  voir  la  fameuse  dissertalion  de  Jean  de  Launoy).  Pour  les 
deux  sortes  de  scapulaires,  celui  des  religieux  et  celui  des  laïques,  cf. 
Cahier,  Caractéristiques,  s.  v.  scapulaire;  celui  des  religieux  Carmes 
ou  Dominicains  est  une  longue  bande  d'étoffe,  qui  tombe  jusqu'aux 
pieds  et  qui  est  de  la  même  couleur  que  la  tunique,  blanche  pour  les 
Dominicains,  brune  pour  les  Carmes.  Si  Élie  et  Elisée  n'ont  pas  le  sca- 
pulaire, c'est  que,  quand  ils  furent  sur  la  terre,  la  Vierge  ne  l'avait 
pas  encore  octroyé  aux  Carmes. 

PI.  IV,  4. 

7.  Avila,  dans  la  sacristie  de  l'église  des  capucins  (cette  église  est 
bâtie  sur  l'emplacement  de  la  maison  natale  de  sainte  Thérèse).  Enorme 
tableau  peuplé  de  centaines  de  personnages,  qui  représente  les  gloires 
du  Carmel.  Toile  en  largeur.  Vers  1600  'renseignements  communiqués 
par  M.  Bertauxj. 

CHARTREUX 

1.  Sceau  du  xiv»  siècle,  provenant  de  la  Chartreuse  du  Val-Profond 
(archidiocèse  de  Sens).  Dans  une  arche  gothique,  la  Vierge  nimbée, 
debout,  de  face,  abritant  sous  son  manteau  deux  Chartreux  agenouillés, 
qui  tiennent  un  phylactère  sur  lequel  on  lit  cette  phrase  de  VAve  maris 
Stella  :  MONSTRA  {te)  ESSE  MA  /rem).  Le  manteau  de  la  Vierge  est 
tenu  par  deux  saints  qui  seraient  saint  Christophe  portant  l'Enfant 
Jésus  sur  les  épaules,  et  saint  Jacques  de  Compostelle.  Cf.  Vallier  : 
Sigillographie  de  l'Ordre  des  Chartreux  et  numismatique  de  saint 
Bruno    (Montreuil-sur-Mer,  1891,  8°  ,  pi.  XIV,  n»  4. 

2.  Le  plus  intéressant  des  monuments  (jui  représentent  la  Vierge  de 
Miséricorde  abritant  les  Chartreux  sous  son  manteau,  est  une  fresque 
de  la  deuxième  moitié  du  x\^  siècle,  qui  se  trouve  à  l'ancienne  Char- 
treuse du  Pesio,  dans  l'Apennin  ligure,  non  loin  du  col  de  Tende.  Elle 
a  été  publiée  par  M.  de  Laigue  dans  le  Bulletin  archéologique  du  Comité 
(1905,  p.  166-167,  pi.  XIII).  J'ai  montré  ailleurs  {Bull,  des  antiquaires 
de  France,  1906,  p.  136-139;  que  M.  de  Laigue  s'est  étrangement  mépris 
en  voyant  dans  cette  fresque  l'œuvre  d'un  primitif  français,  dont  il  a  cru 
pouvoir  dire  le  nom,  et  montrer  le  portrait  parmi  les  moines  agenouillés 
sous  le  manteau  de  la  Vierge.  Cette  fresque  n'est  pas  un  travail  soigné  ; 
c'est  un  barbouillage   fait    à  la  diable,  dans  une  niche    en  plein  vent,  à 


CATALOGUE  55 

l'entrée  d'un  pont  par  où  l'on  accède  au  couvent.  La  Vierge  est  debout 
sur  un  piédestal,  où,  probablement,  avait  été  peinte  une  brève  prière, 
effacée  aujourd'hui.  Derrière  la  Vierge,  une  tenture  en  hauteur  forme  un 
fond  soml)i-e;  cette  tenture  se  relrouve  derrière  beaucoup  de  Vierges  ita- 
liennes de  la  fin  du  w"  siècle,  surtout  dans  la  peinture  ombrienne  et  véni- 
tienne. La  Vierge  est  coiffée  d'un  bonnet  cylindrique,  un  peu  évasé  du 
liaut,  analogue  à  celui  de  la  Vierge  de  Miséricorde  peinte  en  1445  par 
Piero  délia  Francesca  pour  Ihùpital  de  Borgo  San  Sepolcro  ;  ce  bonnet 
est  entouré,  en  bas,  d'une  couronne  où  les  perles  alternent  avec  les  fleu- 
rions :  tel  celui  qu'on  voit  au  duc  Federigo  d'Urbin,  sur  le  portrait 
du  musée  des  Offices  peint  par  le  même  Piero  délia  Francesca  en  1469. 
Le  manteau  de  la  Vierge  est  soutenu  à  gauche  par  saint  Bruno,  à 
droite  par  saint  Jean-Baptiste,  reconnaissable  à  l'Agneau  mystique 
qu'il  tient  sur  la  main  gauche.  Pourquoi  saint  Jean-Baptiste  ?  Parce  que 
les  fils  de  saint  Bruno  l'honorent  d'un  culte  particulier,  comme  en 
témoigne  la  formule  de  leurs  vœux  :  «  Moi,  N.,  promets  stabilité, 
ol)éissance  et  conversion  de  mes  mœurs,  devant  Dieu  et  ses  saints  et 
les  reliques  de  cet  ermitage,  qui  est  bâti  en  l'honneur  de  Dieu,  de  la 
bienheureuse  Vierge  Marie  et  de  saint  Jean-Baptiste.  »  Hélyot  (édition 
Migne,  Dict.  des  Ordres  religieux,  t.  I,  col.  868),  à  qui  j'emprunte  cette 
formule,  ne  dit  pas  pourquoi  les  Chartreux  honorent  spécialement  le 
Précurseur,  mais  la  raison  s'en  voit  assez  :  il  est  leur  modèle,  parce 
qu'il  a  vécu  par  avance  de  leur  vie  ascétique  et  solitaire  :  »  En  ce 
temps-là  parut  Jean-Baptiste  dans  le  désert  de  Judée...  11  se  nourris- 
sait de  sauterelles  et  de  miel  sauvage  ;  il  avait  un  cilice  de  poil  de 
chameau,  une  ceinture  de  cuir  autour  des  reins  »  (Matth.,  m,  1-4).  De 
là  le  luinhar,  cette  ceinture  de  corde  que  les  Chartreux  portent  conti- 
nuellement sur  la  peau  nue.  De  là  vient  encore  que  les  Chartreuses 
sont  fréquemment  placées  sous  l'invocation  de  saint  Jean-Baptiste  et 
que  l'image  du  Précurseur  figure  souvent  sur  les  sceaux  des  Chartreux  : 
cf.  Vallier,  Sigillographie  de  VOrdre  des  Chartreux,  passim. 

3.  Cologne.  Wallraf-Bichartz  Muséum  n"  1.57  [Verzeichnis,  p.  131  ; 
Aldenhoven,  Geschichte  der  Kôlner  Malerschule,  p.  263).  Tableau  de 
la  fin  du  xve  siècle,  provenant  delà  Chartreuse  de  Cologne.  La  Vierge, 
avec  l'Enfant  sur  le  bras,  est  debout  sous  un  baldaquin  gothique.  Sous 
son  manteau  sont  agenouillés  dix  Chartreux.  11  est  tenu  levé  par  saint 
Hugues,  évêque  de  Lincoln  [f  1200)  et  par  saint  Hugues,  évêque  de 
Grenoble,  fondateur  présumé  de  la  Grande-Chartreuse  ("l-  1132;  cf. 
Cahier,  Caractéristiques,  t.  I,  p.  37  et  249). 

4.  Au  musée  de  rhospice  de  Villeneuve-lès- Avignon,  dans  l'escalier, 
mauvaise  peinture  du  xvi«  siècle  :  la  Vierge  abritant  les  Chartreux  sous 
son  manteau.  Ce  tableau  provient,  je  suppose,  de  la  Chartreuse  du  Val- 
de-bénédiction,  fondée  en  1356  par  Innocent  VI. 

5.  Tableau  de  Zurbaran,au  musée  provincial  de  Séville,  provenant  delà 
Chartreuse  de  las  Cuevas.  Sous  le  manteau  que  soutiennent  deux  ange- 
lots, sont  agenouillés  des  Chartreux.  La  Vierge  pose  les  mains  sur  la 
tête  des  deux  premiei's.  Au-dessus  d'elle,    l'Esprit  Saint,  sous  la  forme 


o6  CATALOGUE 

cFuno  colombe,  entouré  de  chéiubins.  Photographie  Laurent-Lacoste, 
n°  1088.  Reproduction  dans  V.  Mavnard,  La  Sainte  TiVr^re  (Paris,  1894), 
p.  493, 

SERVITES 

1.  Sienne,  dans  le  chœur  de  Sainte-Marie  des  Servites.  Tableau  à  fond 
dor,  daté  et  signé  dun  peintre  siennois  qui  n'est  j)as  autrement 
connu  :  Opus  Johannis  d\e\  Pétri  S[enens;si  MCCCCXXXVI.  Lombardi, 
401.  «  Probabihnente  dev'essere  stata  rifalla  saU'anHea.  La  tempera  è 
scarsa  e  grigia  ;  la  tavola  ha  sofjferto  per  i^estauro  »  (Cavalcaselle  et 
Crowe,  t.  [X,  p.  43  .  La  Vierge  abrite  sous  son  manteau  les  membres 
de  l'Ordre  des  Servites.  «  L'on  prétend,  dit  Hélyot  (t.  III,  p.  301),  que 
la  Vierge  s'apparut  aux  fondateurs  de  cet  Ordre,  en  leur  montrant  un 
habit  noir  qu'elle  leur  commanda  de  porter  en  mémoire  de  la  passion 
de  son  Fils.  C'est  en  mémoire  de  cette  apparition,  qui,  selon  le 
P.  Archange  Giani  [Annales  Ord.  Serr.  B.  V.  M.),  arriva  le  vendredi 
saint  de  l'an  1239,  que  les  religieux  Servites  ont  coutume  de  faire  ce 
jour-là  une  cérémonie  qu'ils  appellent  les  Funérailles  de  J.-C.  »  Gio- 
vanni di  Pietro  a  donné  à  la  Vierge  la  robe  noire  des  Servites  (cf.  Hélyot, 
t.  III,  pi.  81-84,,  mais  en  l'ornant,  sur  les  manches,  de  grandes  brode- 
ries qui  représentent  des  prophètes  ;  le  scapulaire  que  porte  la  Vierge 
est  couvert  de  broderies  analogues  :  en  haut,  sur  la  poitrine,  la  Sainte 
Face;  au-dessous,  trois  prophètes  tenant  des  banderoles  où  sont  figurés 
des  caractères  dénués  de  sens.  Derrière  le  manteau  de  la  Vierge,  quatre 
anges  vus  à  mi-corps. 

PI.  V,  3. 

2Relief  de  grandes  dimensions, jadis  au-dossusdela  porte  latérale  de 
l'église  des  Servites,  à  Venise,  placé  depuis  1900  au-dessus  de  la  porte 
d'entrée  du  Musée  de  peinture  (anciennement  Scuola  délia  Carità)  ;  don 
Guggenheim  (Diego  Sant'Ambrogio,  La  colonno  votiva  di  Cantù,p.  12). 

3.  Gravure  romaine  du  xviii'"  siècle,  par  N.  Bangiorgi.  La  Vierge  de 
Sept  Douleurs  —  l'Addolorata  —  avec  les  sept  glaives  plantés  dans  le 
cœur,  abrite  sous  son  manteau  les  Servites  agenouillés,  à  droite  les 
hommes,  à  gauche  les  femmes.  Au-dessous,  cette  inscription  :  Regina 
servorum  tuorinn,  ora  pro  nohis.  3e  ne  connais  cette  gravure  que  par 
une  reproduction  imprimée  à  Rome,  le  21  juin  1894,  au  couvent  des 
Servites  (S'-Marcel  du  Corso,  cédé  aux  Servites  par  Grégoire  XI  en 
1370i,  et  qui  était  en  1905  affichée  à  un  pilier  du  chœur  de  Saint-Sau- 
veur de  Bruges.  Une  image  analogue  se  trouve,  parait-il,  en  tète  des 
bréviaires  des  Servites;  ce  serait  en  quelque  sorte  le  slenima  de  l'ordre. 

MERCËDAIRES 

1.  Gravure  éditée  par  Pierre  de  Jode  a\ec  celle  lég;on(\e  :  Ordinis  beat ae 
Mariae  Virginin  de  mercede  redeniplionis  captivoruni  (la  planche  usée 
de  cette  f^ravure  a  été  réemployée  par  P.  Mariette  le  fils).  La  Vierge, 
couronnée  et  nimbée,  est  vêtue  de  l'habit  des  Mercédaires  :  manteau, 
robe,  et  large  scapulaire  sur  lecjuel  sont  brodées  les  armes  de  l'Ordre; 


CATALOGUE  57 

pour  ces  armoii'ies,  cf.  Barbier  de  Montault,  Traité  d'iconogr.,  t.  IV, 
pi.  XVII,  n°  189  Œuvres,  t.  IV,  p.  173.  i  Deux  anges  soutiennent  son 
manteau,  sous  lequel  sont  agenouillés  les  Mercédaires  avec  d'autres 
personnes  (à  dr.  le  pape  et  des  évèques  ;  à  g,  l'empereur  et  le  roi).  A 
terre,  devant  la  Vierge,  des  fers  de  captifs.  Dans  le  ciel  apparaît  Dieu 
le  Père,  qui  fait  le  geste  de  la  bénédiction. 
PI.  IV,  2. 

2.  Gravure  in- 12,  non  signée,  du  milieu  du  xvii<^  siècle,  au  Cabinet  des 
Estampes  !Fig.  myst.  de  la  Vierge,  t.  I).  La  légende  est  française  : 
«  La  très  sainte  Vierge,  l'an  1218,  le  i'"'"  jour  d'aoust,  apparut  avec  grand 
esclat  et  déclara  que  son  Fils  vouloit  que  l'on  instituât  sous  son  nom 
l'Ordre  des  Religieux  de  la  Mercy  pour  le  rachapt  des  Chrétiens 
esclaves  :  ceux  qui  portent  le  scapulaire  de  leur  confrérie  ou  qui  font 
l'aumosne  pour  les  esclaves  gaignent  de  grandes  indulgences  qu'ils 
peuvent  appliquer  aux  defuncts.  »  Dans  un  cadre  ovale,  où  sont  accro- 
chés des  fers  et  des  chaînes,  apparaît  la  Vierge  dans  le  costume  des 
Mercédaires  ;  sous  son  manteau,  que  soutiennent  les  anges,  sont  age- 
nouillés, à  droite  le  Pape,  un  saint  en  costume  de  mercédaire  (sans 
doute  le  fondateur  de  l'ordre,  saint  Pierre  Nolasque,  y  13  juin  12^8  et  une 
sainte;  à  gauche  un  jeune  roi  et  sa  jeune  femme  d'artiste  a  dû  penser  à 
Louis  XIV  et  à  Marie-Thérèse).  Au-dessus  de  la  Vierge,  une  banderole 
qui  porte  ces  mots  :  Maior  horum  est  charitas  (I  Cor.  xiii,  13^.  A  terre, 
devant  la  Vierge,  une  paire  de  «  doubles  boucles  ».  Au  bas  du  cadre  les 
armoiries  de  l'ordre,  et  deux  captifs  agenouillés  :  ils  viennent  d'être 
rachetés  et  ils  offrent  leurs  fers  en  ex-voto  à  la  Vierge. 

3.  Musée  de  Valence,  n°  49.  Grande  toile  en  longueur,  par  Antonio 
Vergara  (début  du  xvii'^  s.  .  Xuesfra  S*  de  la  Merced.  La  Vierge  porte  le 
blanc  costume  des  Mercédaires,  manteau,  robe  et  scapulaire,  celui-ci 
marqué  des  armoiries  de  l'Ordre.  Au  premier  rang  des  priants  qui 
sont  agenouillés  sous  le  manteau  protecteur,  un  Mercédaire  tenant  la 
bannière  de  l'Ordre  :  c'est  le  donateur,  d'ailleurs  inconnu.  A  côté  de 
lui,  une  femme  présente  son  enfant  à  la  Vierge,  et  un  captif  racheté  lui 
offre  ses  chaînes.  Je  dois  cette  description   à  M.  Bertaux. 

4.  Musée  de  Valence,  n°  .^4.  Toile  en  hauteur,  par  VicenteLopez  il772- 
1850!.  La  Vierge  de  la  Merci,  en  blanc.  Les  captifs,  la  femme  et  les 
deux  enfants  agenouillés  sous  le  manteau  sont  des  portraits  du  peintre, 
de  sa  femme  et  de  ses  fils  Luis  et  Bernardo.  Le  manteau  est  soutenu 
par  des  angelots.  Tableau  d'un  joli  ton  clair;  influence  manifeste  de 
Tiepolo   renseignements  communiqués  par  M.  Bertaux  .  —  PI.  XXX,  2. 

AUGUSTINES 

1.  Au  musée  de  Pérouse,n°  336.  tableau  du  xvi'^  s.,  provenant  du  cou- 
vent des  nonnes  Augustiniennes  de  sancta  Lucia  in  porta  Sanl'Angelo. 
La  Vierge,  sans  l'Enfant  et  sans  la  couronne,  abrite  sous  son  manteau 
deux  groupes  de  jeunes  filles,  vêtues  de  l'obes  de  toutes  couleurs,  mais 
portant  chacune  un  voile  blanc  sur  la  tête. 


58  CATALOGUE 


BÉNÉDICTINS 

1.  Suhiaco.  Fresque  du  monastère  du  Sacro  Speco,  dans  la  crypte, 
chapelle  de  la  Dormition  de  la  Vierge,  peinte  à  la  fin  du  xiv^  s.  «  Marie 
étend  son  large  manteau  pour  abriter  pape,  évêques,  cardinaux,  reli- 
gieux »  Barbier  de  Montaull,  dans  Annales  archéologiques ^  t.  XIX, 
p.  238).  Je  n'ai  pas  pu  me  renseigner  sur  cette  fresque.  Il  est  croyable 
qu'elle  représente  la  Vierge  abritant  la  grande    famille  bénédictine. 

JÉSUITES 

1.  On  signale,  chez  un  brocanteur  de  Lyon,  un  petit  tableau  repré- 
sentant la  Vierge  Marie  abritant  les  Jésuites  sous  son  manteau  :  cf.  Réu- 
nion des  sociétés  des  Beaux-Arts,  1907,  p.  4G4. 

ORDRES    INDÉTERMINÉS 

1.  Petit  tableau  à  fond  d'or,  giottesque  ou  siennois,  de  la  fin  du 
xir*"  ou  du  début  du  xv  siècle,  au  musée  de  l'Académie,  à  Florence 
(n°  272).  La  provenance  exacte  n'est  pas  connue.  Comme  la  plupart  des 
tableaux  de  l'Académie,  il  doit  avoir  appartenu  à  un  couvent.  Sur  la 
bordure  inférieure  est  peinte  cette  inscription,  qui  se  rapporte  à  la 
Vierge  :  Advocata  Universitatis,  .<  Universitas  •>  signifiant  ici,  non  pas 
l'universalité  des  humains  ou  des  chrétiens,  encore  moins  une  Univer- 
sité, mais  seulement  l'Ordre  auquel  appartenaient  les  nonnes,  qui  sont 
représentées  à  genoux  sous  le  manteau  protecteur.  En  haut,  dans  le 
ciel,  paraît  le  Christ,  (jui,  à  la  prière  de  la  Vierge,  bénit  les  nonnes.  En 
face  du  Christ,  trois  anges  inclinés  dans  une  attitude  d'adoration.  Notons 
à  titre  de  curiosité,  que  le  Guida  délia  r.  galeria  antica  e  inoderna  (par 
Pieraccini,  5*  éd.,  p.  Hoj,  croit  que  ce  tableau  représente,  non  pas  la 
Vierge  de  Miséricorde,  mais  sainte  Elisabeth  de  Hongrie. 

PL  V,  1 . 

2.  Marseille,  musée  Borély. 

Broderie  de  provenance  inconnue  ;  xvi«  siècle.  La  Vierge,  sans  la 
couronne  et  sans  l'Enfant,  couvre  de  son  manteau,  dont  elle  lient  les 
pans  à  poignée,  six  religieuses  agenouillées  sur  un  dallage  formé 
de  plaques  carrées.  Devant  la  Vierge  est  posé  un  coq. 

PL  VI  1,1. 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


PI.  VU 


CHAPITRE  IV 
LA  VIERGE  AU  MANTEAU  ET  LES  CONFRÉRIES 


Fondation  des  Confréries,  au  xiii^  s.,  sous  l'influence  des  Ordres  men- 
diants ;  le  Tiers-ordre  franciscain.  —  Flagellants  et  Pénitents. 
—  Saint  Bonaventure  et  la  Confrérie  romaine  des  Recoininandati  Vir- 
gini.  —  Dévotion  des  Confréries  pour  la  Mère  de  Miséricorde.  —  La 
Vierge  au  manteau  protecteur  figurée  sur  les  retables,  les  bannièi"es  et 
les  enseignes  de  Confréries.  —  Les  Misericorilie  d'Italie,  les  Scuole 
de  Venise,  les  Pénitents  de  Provence,  les  Charités  de  Normandie. 
— La  Confrérie  de  Saint-Nicolas-des-Clercs  à  Toul. 


Gomment,  de  monastique  que  le  thème  de  la  Vierge  au 
manteau  était  à  l'origine,  est-il  devenu,  au  sens  étymolo- 
gique du  mot,  «  catholique  »,  cest-à-dire  universel"?  Com- 
ment la  Chrétienté  tout  entière  a-t-elle  réussi  à  s'agenouiller 
sous  le  manteau  protecteur,  qui  n'abritait  au  xii''  siècle  qu'un 
Ordre  religieux?  Comment  s  est  opéré  le  passage  d'une  con- 
ception à  l'autre,  sous  quelles  intluences,  par  quels  intermé- 
diaires et  à  quelle  époque  '? 

Je  crois  que  cette  évolution  s'est  accomplie,  du  milieu  du 
xui*^  siècle  au  milieu  du  xiv*^,  sous  l'influence  des  Francis- 
cains et  des  Dominicains,  par  l'intermédiaire  des  Con- 
fréries. 


Les  Confréries,  associations  de  laïques  fondées  pour  pra- 
tiquer certains  exercices  de  dévotion,  certaines  œuvres  de  cha- 
rité, pour  honorer  particulièrement  un  mystère  ou  un  saint, 
semblent  avoir  commencé  à  se  développer  au  xiii^  siècle.  Les 
mêmes    causes    qui     expliquent    l'institution    du     Tiers-ordre 


60  chapitrf:  IV 

franciscain  et  du  Tiers-ordre  dominicain  expliquent  la  nais- 
sance el  la  vogue  rapide  des  Confréries  K 

L'Ordre  franciscain,  à  son  début,  était  animé  d'un  esprit  si 
différent  de  l'égoïsme,  de  la  cujoidité  et  de  l'ambition  qui  ins- 
piraient les  autres  familles  relig-ieuses,  la  vie  et  la  prédication 
des  premiers  frères  Mineurs  étaient  si  conformes  à  la  pure 
doctrine  évangélique,  les  nouveaux  prédicateurs  étaient  si 
enthousiastes,  ils  savaient  si  bien  le  secret  de  toucher  l'àme 
populaire,  que  les  foules  chrétiennes  furent  saisies  d'un 
immense  désir  de  devenir  franciscaines.  Tel  était  l'empresse- 
ment à  entrer  dans  l'Ordre  nouveau  que  le  fondateur  craignit, 
dit-on,  de  vider  le  monde  et  d'attirer  la  chrétienté  entière  dans 
les  cloîtres.  Il  eut  l'idée  de  créer,  au  proiit  des  postulants  et 
postulantes  qu'il  ne  pouvait  admettre,  une  affiliation  de  gens 
vivant  pieusement  dans  le  siècle  "-.  Cette  ramification  de  l'Ordre 
franciscain  parmi  les  séculiers  s'est  appelée  depuis  le  Tiers- 
ordre '^  les  plus  anciens  documents  l'appellent  la  Confrérie 
de  la  Pénitence,  Ordo  poenitentiiun,  Fratres  de  poenitentia. 
Elle  naquit  spontanément  de  l'enthousiasme  qu'excitèrent  les 
prédicateurs  de  François,  dès  1210.  après  son  retour  de 
Rome  ^. 

Le  Tiers-ordre  franciscain,  et  d'une  façon  générale  les  Con- 
fréries de  pénitence,  sont  parmi  les  manifestations  les  plus 
caractéristiques  de  ce  «  pieux  laïcisme  »  '  dont  les  masses  chré- 
tiennes ont  été  agitées  au  xiii*'  siècle.  Elles  tâchent  de  faire 
elles-mêmes  leur  salut,  elles   ne  l'attendent  plus  uniquement 

1.  On  a  écrit  que  <i  les  Confréries  s'étaient  extrêmement  multipliées  dès  la  fin 
du  xn"  siècle  »  et  cité,  à  l'appui  de  celte  asserliou,  une  décision  d'un  concile 
qui  avait  été  tenu  à  Rouen  en  1189  et  dont  les  actes  seraient  jiubliés  au  t.  II 
du  recueil  de  Labbe,  p.  585  ;  en  réalité,  le  t.  II  de  Labbe  est  consacré  aux 
conciles  du  i\°  siècle,  il  n'y  a  pas  eu  de  concile  en  1189,  ni  à  Rouen 
ni  ailleurs,  et  la  décision  citée,  qui  concerne  les  abus  des  Charités  nor- 
mandes, est  empruntée  aux  actes  d'un  concile  tenu  à  Rouen  en  lôsl  [Concilia 
lîolomagensis  jjrovincia,  éd.  dom  Dessin,  Rouen,  171",  p.  223  ;  Labbe,  Con- 
cilia, t.  XV,  p.  S51).  Cf.  dans  la  Bihl  de  l'École  des  Charles,  1881,  p.  5,  la 
charte  d'érection  d'une  confrérie  de  saint  Martin,  dans  le  monastère  de  Cani- 
pou,au  diocèse  d'Elne,  datée  du  2  avril  1295.  — Sur  les  Confréries  en  général, 
voir  les  auteurs  cités  par  A.  Mat  ter.  dans  la  Reçue  de  Paris,  1906,  11,  p.  I8.'5. 

2.  Karl  Mi'dler,  iJ/'e  .In/Vi/ij/e  des  Minorilensordens  und  der  Ihissbruder- 
schaften  (P'ribourg-,  1885),  p.  117,  13  4. 

3.  L'appellation  /'/•<'i<re.s  terlii  ordinis  S.  F ra ncisc i  piwnil  jjour  la  première 
fois  en  1231  (Mi'dler,  op.  cit.,  p.  135). 

4.  Prcmièi'e  vie  de  saint  François  par  Thomas  de  Celano,  dans  Acta  SS., 
cet.  II,  p.  t)9S  lî  et  la  note  m  ;  cf.  dans  le  même  tome  des.4c/,i,  la  p.  593  et 
Sabatiei-,  Vie  de  sainl  François  dWssise,  p.  305. 

5.  Kraus,  Ilisi .  de   rEf/lise,  Irad.  fr.  (Paris,  1898).  t.    II.    p.  3i8. 


LA    VIERGE    AU    MANTEAU    ET    LES    CONFRÉRIES  61 

du  prêtre.  Les  foules,  à  cette  époque,  ont  une  extraordinaire 
faculté  d'émotion  ;  des  enthousiasmes  délirants  s'emparent 
d'elles  et  leur  inspirent  toutes  les  saintes  folies  de  la  croix. 
L'Eglise  assiste  à  peu  près  impuissante  à  ces  mouvements 
désordonnés,  qu'elle  n'a  pas  créés  :  Croisades  des  enfants, 
en  1212  et  en  1237  i;  Croisade  des  pastoureaux,  en  1251  ~. 
Ce  sont  des  pays  entiers  qui  se  lèvent  et  se  rassemblent 
autour  des  prédicateurs  populaires  :  Berthold  de  Ratisbonne 
parlait  à  des  foules  de  60.000  personnes  ;  fra  Giovanni 
Schio  de  Vicence  pacifia  un  instant,  en  1238,  tout  le  nord 
de  l'Italie  et  jeta  Guelfes  et  Gibelins  dans  les  bras  les  uns  des 
autres-^. 

Saint  François  n'avait  pas  donné  de  règle  aux  Tertiaires ^. 
Dans  sa  pensée,  leur  règle  devait  être  l'Evangile;  et  leur  but, 
la  paix  et  la  concorde  entre  tous  les  hommes.  Mais  les 
Frères  et  les  Sœurs  de  la  Pénitence  dévièrent  vite  du  che- 
min que  le  fondateur  leur  avait  tracé.  Les  Confréries  de 
pénitence  tombèrent  bientôt  dans  les  pratiques  extérieures  et 
la  dévotion  mécanique.  Elles  imitèrent  les  dehors  et  les  façons 
des  Ordres.  A  partir  de  1260,  elles  prennent  modèle  sur  les 
flagellants.  Dans  toutes  les  associations  de  pénitents,  la  disci- 
pline prise  en  commun  était  de  règle''.  En  Italie,  les  membres 
de  ces  Confréries  s'appelaient  indifféremment  Poenifentes  ou 
Disciplinati. 

1.  Hecker.  Die  ffrossen  Volkskrankheilen  des  Mittelallers,  réédition  de 
Ilirsch  (Berlin,    1865),  p.  124-142. 

2.  Élie  Berger,  Histoire  de  Blanche  de  Castille,  p.   303. 

3.  Sabatier,  o/).  Liud.,  p.  132.  Le  résultat  le  plus  important  des  prédications 
populaires  dans  l'Italie  du  xiv"  et  du  xv'  siècle  aurait  été.  d'après  Jacob  Bur- 
ckhardt,  d'amener  des  réconciliations  entre  des  ennemis  déclarés  :  "  il  ne 
s'obtenait  qu'à  la  fin  d'une  série  de  sermons,  quand  l'esprit  de  pénitence  avait 
gajrné  à  peu  près  toute  la  ville,  quand  l'air  retentissait  du  cri  de  tout  le  peuple  : 
Misericordia  .'  «  Pareva  che  l'aria  si  fendesse,  »  dit  un  chroniqueur.  On  voyait 
alors  des  familles  se  réconcilier  et  s'embrasser  solennellement,  même  s'il  y 
avait  eu  du  sang  versé.  On  permettait  aux  bannis  de  rentrer  dans  la  ville  »  (La 
civilisalion  en  Italie  au  temps  de  la  Renaissance,  Paris,  1S85,  t.  II,  p.  240.. 
Les  deux  mouvements  flagellants,  de  1260  et  de  1350,  produisirent  des  effets 
analogues. 

4.  La  règle  des  Tertiaires,  que  la  tradition  attribue  à  saint  François,  dérive, 
comme  la  montré  MûUer  (op.  cit.,  p.  117-129),  de  la  bulle  de  Nicolas  IV, 
Supra  montent  (17  août  1289). 

5.  «  Il  y  aurait  un  grand  profit  à  établir  en  l'iionneur  de  la  Mère  de  Dieu  la 
congrégation  secrète  des  confrères  les  plus  fervents.  Voici  en  abrégé  les  ser- 
vices qui  s'y  pratiquent  :  la  discipline  se  prend  l'espace  d'un  Miserere  et  d'un 
Salve  etc.  »  (Alphonse  de  Liguori,  Les  gloires  de  Marie,  II,  iv,  §  VII  :  Des 
Confréries  de  la  sainte  Vierge). 


62  CHAPITRE    IV 

La  névrose  de  la  flagellation  paraît  avoir  pris  naissance  dans 
lltalie  centrale.  Un  témoignage  vraisemblable  lafait  commen- 
cer à  Pérouse  ' ,  dans  des  populations  imbues  d'idées  francis- 
caines. L'épidémie  se  déclara  en  1239- 1260-,  on  ne  sait  à 
quelle  instigation  :  il  est  croyable  qu'il  n'y  eut  pas  d'insti- 
gateur, et  que  Jacques  de  Varazze  a  raison  de  dire  que  le 
mouvement  commença  a  pauperihus  et  simplicihus.  Il  devint 
irrésistible  très  vite  .'  sacrilegus  hahehatur  qui  id  non  ageret-^. 
Gomme  par  enchantement,  aux  cris  de  :  Par,  pax .'  que  pous- 
saient les  flagellants,  les  discordes  publiques  et  privées  s'apai- 
saient, les  exilés  étaient  rappelés  dans  les  villes.  Puis,  non 
moins  vite,  le  mouvement  tomba.  L'ondulation  de  cet  extraor- 


1.  Cf.  Annales  S.  Juslinne  Piiluvinne  dans  Muratori,  Reriim  ila.1.  script.. 
t.  VIII,  col.  "12  (sur  ces  Annales,  cf.  Potthasl,  Bihl.  M.  .£.,  t.  I, 
p.  72)  : 

[Anno  MCCLIX  ,  cum  Iota  Italia  miillis  essel  flagitiis  et  sceterihus  inqui- 
nata,  quaedam  suhilanea  compunclio  et  inaudita,  invasil  priniitus  Perusi- 
nos,  liomanos  posimndum.  deinde  fere  Italiae  popvlns  iiniversos.  In  tantum 
ilacfue  limor  Domini  irriiit  super  eos,  quod  nobiles  pariler,  et  iynobiles.  senes 
et  juvenes.  infantes  etiam  quinque  annoriim,  midi  per  plaleas  civitatum, 
opertis  lanlumdeni  piidendis,  hini  et  hini  processionaliter  incedehant:singuli 
flaqellnni  in  manibus  de  cnrriqiis  continentes,  et  cuni  (jemitu  et  ploratu  se 
acriter  super  scapulis  usque  ad  effusioneni  sançfiiinis  verberantes  :  et  eff'usis 
fonlibas  lacryninruni.ac  sicorporalibus  oculis  ipsani  Salvatoris  cernèrent  pas- 

sionem,  misericordiani  Dei  et  Genetricis  ejns  auxiliuni  iniplorabant non 

solum  in  die.  verum  etiam  in  nocte  cum  cereis  accensis.  in  hi/eme  asperrima, 
centeni.  milleni.  decem  millia  quoque  per  civilates  ecclesias  circuibant.  et 
se  ante  altaria  humililer  prosternebant.  praecedenlibns  eos  sacerdolihus  cum 
crucibus  et  vexillis.  Super  ista  vero  poenilentia  repentina,  quae  ultra 
etiam  fines  llaliae  per  diversas provincias  est  diffusa,  non  solnm  viri  médio- 
cres, sed  et  sapientes  non  irrationahiliter  mirahantur  :  cogitantes,  unde 
tantum  fervoris  impetus  proveniret  :  maxime  cum  iste  modus  poenitenliae 
inauditus  non  fuisset  a  summn  pontifice  institutus,  qui  tune  Anagniae  resi- 
debat  :  nec  ab  alicujus  praedicatoris,  tel  auctorahitis  pcrsonae  industria  vel 
facundia  persuasus,  sed  a  simplicibus  sumsit  initium.  quorum  vestigia  docti 
pari  ter  et  indocti  subito  sunt  secuti. 

'1.  En  1261.  dit  .Jacques  de  A'arazze.  Cette  date  peut  être  exacte  de  Gènes, 
dont  .Jacques  était  évêque.  Elle  est  fausse  pour  le  reste  de  lltalie. 

3.  Ricobaldi  Ferrariensis  historia  imperatorum  dans  Muratori,  Fer.  ital. 
script.,  t.  IX,  col.  1.31  Ricobaldi  écrivait  au  début  du  xw"  siècle:  cf.  Polthast, 
t.   II,    p.  9-2)  : 

{Anno  M(^CLX)  inaudita  novilas  fuit  per  omnes  Italiae  partes.  Xam  omnes 
prima  hyeme  nudi  longn  agmine  bini  euntes  lecto  corpnre  infra  umbilicum 
per  urbes.  vicos  et  villas  rilUcolae  incedebant.  se  (lagellis  et  Inris  caedenles 
et  psallentes  Dei  laudes  et  lieatae  Mariae.  clamitantes  :  Fax  pax  1  Eo  in/initae 
discordiae  et  hostililatespacatae  sunt.  .\Iulieres  in  lurmishac  noclibusfaciebant; 
sacrilegus  liahebatur  quicunuiue  id  non  agerel.  sed  post  Januarium  paulatim 
defecit  ea  nocilas.  ([naeappcllata  crat  Verberamenium. —  Le  mot  verberamen- 
tuni  rappelle  le  mot  consolamentum,  qui  désignait  liniliation  complète  à 
ralbigéisinc. 


LA    VIERGE    AU    MANTEAU    ET    LES    CONFRÉRIES  63 

dinaire  ébranlement  s'était  pi'opagée  jusqu'en  Allemagne  '  et 
en  Pologne  -. 

La  première  épidémie  des  flagellants  semble  avoir  laissé  des 
traces  profondes  en  Italie.  Les  pénitents  italiens  conservèrent 
les  pratiques  ascétiques  des  flagellants,  la  discipline  reçue  en 
commun,  les  supplications  processionnelles  au  Christ  et  à  la 
Vierge,  la  méditation  fréquente  et  intense  de  la  Passion  ;  ils 
conservèrent  aussi  leur  costume,  le  capuce  qu'on  rabattait  sur 
le  visage,  et  leurs  insignes,  ces  bannières,  ces  grandes  croix 
qu'on  portait  en  tète  des  processions. 

La  plupart  des  Confréries  qui  se  fondent  au  xiii^  siècle  se 
placent,  à  l'instar  des  Ordres  religieux,  sous  l'invocation  de  la 
Vierge  3,  et  s'efforcent  d'obtenir  contre  la  malice  du  Diable  et 
la  colère  de  Dieu  la  protection  de  Marie  ^.  Se  blottir  sous  le 
manteau  de  Marie,  ce  rêve  des  Ordres  religieux  devait  deve- 
nir   celui  des  Confréries.    Dès    le    milieu    du  xiii^  siècle,   le 

L  Henricus  Slero.  cité  clans  Raynaldus,  Annales  eccles..  t.  III,  p.  56  :  Erat 
modusipsius  poenilentiae ad pntienduni  duras,  hnrribiliset  mirnhitisad  viden- 
dum  :  nam  al)  umbilico  siirsiini  corpora  dénudantes,  quadam  veste  partent 
corporis  inferiorem  usque  ad  tains  tegentem  hahehanl.  et  ne  quis  eoriim 
acjnosceretur,  cooperto  capite  et  facie  incedehant.  Procedehant  etiani  bini, 
terni,  tanquani  clerici.  vexillo  praevio  tel  cruce,  llagellis  semeptisos  bis  in  die 
per  triçfinta  ires  dies.  et  deinde  in  nienioriam  leniporis  hunianitatis  Domini 
nostri  Jesii  Christi  super  terrani  apparenlis  lanidiu  cruciantes,  quousque  ad 
(juasdani  canlilenas.  quas  de  passione  ac  morte  Domini  dictaverant.  duobus 
vel  tribus  praecinentibus  circa  ecclesiam  vel  in  ecclesia  complevernnt,  nunc 
in  terram  corruentes,  nunc  ad  caelum  nuda  bracliia  erigenles,  non  ohstante 
luto  vel  nive.  frigore  vel  calore.  Miserabiles  itaque  gestus  ipsorum  et  dira, 
verbera  multos  ad  lacrymas  et  ad  suscipiendani  eamdeni  poenitentiam  provo- 
cabant.  Sed  quia  nrigo  eiusdem  poenilentiae  nec  a  sede Romana.  nec  ab  aliqua 
persona  auctoral)ili  fnlciebatur.  a  quibusdam  episcopis  et  domino  Henrico 
duce  Bavariae  coepit  haberi  contemptui.  unde  tepescere  in  brevi  coepit  sicut 
res  immoderate  concepta. 

2.  Joannes  Longinus,  Hisf.  Pol..  lili.  7,  cité  dans  Raynaldus,  Ann.  Eccles., 
t.  III.  p.  57. 

3.  Voir  les  Annales  0.  Praed..  t.  I.  app.,  p.  165-183  1255-1288\  pour  les 
Congregationes  B.  Mariae  Virginis.  Cf.  Bullarium  0.  Praed.,  I  (éd.  Ripolli), 
p.  266.  370,  392  (1258-59  .  Humbert  de  Romans,  général  de  TOrdre  Domini- 
cain de  1263  à  1273.  aurait  écrit  ceci  :  In  aliquibus  nationibus  et  maxime 
in  Italia  fiant  interdum  congregationes,  seu  confrariae.  in  honorent  B.  Vir- 
ginis. vel  alicujas  Sancti.  ex  quibus  sequitur  mulius  fructus.  Ce  texte  est 
cité  par  Choquet.  Mariae  Deiparae  in  Ordinem  Praedicatorum  viscera 
materna  Anvers,  1634;,  p.  466.  Je  crains  quil  ne  soit  empruntée  à  un  pseudé- 
pij;raphc  du  xv«  siècle,  le  Liber  sermonum  de  fraternitate  Bosarii  b.  Vir- 
ginis îcf.  Hist.  litt.  delaFr.,  XIX.  346). 

4.  La  plupart  des  confréries  de  pénitence  qui  se  fondent  après  le  xiii"  siècle 
sont  pareillement  |)lacées  sous  Tinvocation  de  la  A'ier^e  :  ainsi,  la  fameuse 
confrérie  des  Pénitents  établie  en  1583,  par  Henri  III,  à  léjrlise  des  Grands- 
Auyustins  de  Paris  avait  pourtitre  «  Association  Notre-Dame.  » 


64  CHAPITRE    IV 

thème  de  la  Vierg-e  au  manteau  protecteur  est  emprunté  aux 
Ordres  religieux  par  une  confrérie  de  Rome,  la  plus  célèbre 
détentes  les  associations  de  pénitents  placées  sous  l'invocation 
de  Marie,  la  Confrérie  des  «  Recommandés  à  la  Vierge  », 
Recommandât i  Virgini  :  elle  fait  peindre  sur  sa  bannière  la 
Vierge  abritant  les  confrères  sous  son  manteau  ;  et  cette 
bannière  parait  si  bien  imaginée  que  les  FrateUi  recommandati 
en  reçoivent  le  surnom  populaire  de  Società  del  (jonfalonc. 
M.  Brockhaus',  qui  a  cité  le  passage  des  Annales  de  Raynal- 
dus"~  où  ces  faits  sont  rapportés,  n"a  pas  connu  une  circons- 
tance essentielle,  qui  leur  donne  leur  vrai  caractère  :  cette 
Confrérie  romaine  des  Recommandati  avait  reçu  sa  règle  de 
saint  Bonaventure.  qui  exerçait  alors  la  charge  d'inquisiteur 
g'énéral  du  Saint-Office  -^  ;  la  Confrérie  dont  il  s'agit  est  donc 
d'origine  et  d'inspiration  franciscaines  ;  comme  elle  paraît 
avoir  servi  de  modèle  à  nombre  d'associations  similaires, 
voilà  donc  bien  les  Confréries  rattachées  au  Francisca- 
nisme. 

Je  ne  pense  pas  que  1  antique  gonfalon  des  Recommandati 
subsiste  encore.  En  revanche,  il  nous  reste  beaucoup  de  pein- 
tures votives  provenant  de  Confréries  instituées  sur  le  modèle 
de  celle  de  Rome.  Or,  le  type  choisi  pour  ces  ex-voto  est  le 
même  que  celui  qui  avait  été  fîg-uré  sur  la  bannière  romaine  : 
ainsi,  le  tableau  peint  vers  1350,  par  Lippo  Memmi  pour  les 
Recommandati  d  Orviéto.  La  Toscane  et  la  Vénétie  possèdent 


1.  Forschungen  ûher  florentiner  Kunsluerke.  p.  8j-89. 

2.  T.  III,  p.  232:  (licebalar  confralernilus  commendntontm  Vir<finl.  in  ciijus 
coUegii insifjnihus  Deiparae  pallia  siw  sodales  teijenlis  effigies  expressa  erat^ 
ac  societas  Gonfalonis  nuncupala  oh  vexillum  hujusmodi  imagineinsigniluin. 
quod  religioso  agmine  solemni pompa  incedenti  praeferre  soleret  :atque  liujus 
exeinplo  condila  alla  pia  sodalitia. 

3.  Hélyot.  Hixloire  des  Ordres  monasliques.  t.  VIII.  p.  260-264.  Cf.,  dans  le 
Dict.  de  théologie  catholique  deVacanl  et  Mangenot.  p.965,  la  notice  sur  Bona- 
venture, par  le  P.  Snieels,  et  S.  Bonaventurae  opéra,  éd.  de  Quaracchi,  t.  X, 
p.  36.  La  biographie  de  saint  Bonaventure,  de  1264  à  126f>,est  mal  connue,  faute 
de  documents  certains.  La  tradition  qui  rapiJorte  à  Tannée  J264  la  règle 
donnée  à  V Arciconfralernità  del  Gonfalone  a  pour  unique  garant  une  consti- 
tution de  Grégoire  XIII,  du  12  octobre  1576  ;  cum  itaqiie,  siciit  accepimus, 
snperiorihiis  temporibits.  videlicel  de  anno  lêô-'i  in  aima  Urbennstra  admodum 
insignis  sorielas  regiilae  Recommendaloriim  ejusdem  bealae  Mariae  Virginis. 
primo   et  deinde    Gonfalonis    nunciipata . . .     ranonicc    inslitiita. . . .  el  inler 

cetera  pro  illiiis  felici  directione. .  . .  per  S.  Bonaventuram pie  staliila  el 

ordinata.  Plusieurs  érudits,  notamment  Raynaldus.  datent  de  1267  l'érection 
de  cette  Confrérie  ;  les  Bollandistcs  {.\cta  SS.,  14  juillet,  Vita  S.  Bonav.,^  i. 
n.  37  ,  de  1270. 


LA    VIERGE    AU    MANTEAU    ET    LES    CONFRÉRIES  63 

plusieurs  peintures  analogues,  datant  du  trecento,  qui  repré- 
sentent des  Confréries  de  pénitents  ag^enouillés  sous  le 
manteau  de  Marie.  Sur  le  retable  de  Simone  da  Gusighe,  qui 
date  de  139i,  on  voit  la  Vierge  de  Miséricorde  abritant  sous 
son  manteau  une  Confrérie  de  discipUnali  ;  Tun  d'eux  porte 
leur  (jonfalone  :  l'image  de  la  Vierge  au  manteau  protecteur 
y  était  peinte,  comme  sur  la  bannière  des  Recommandati 
romains    (pi.  X,   1). 

La  plus  curieuse  de  ces  vieilles  peintures  est  un  tableau 
siennois,  jadis  dans  la  collection  Campana,  aujourd'hui  au 
musée  de  Cherljourg  (pi.  III,  2).  On  y  voit  la  Vierge  de  Miséri- 
corde abritant  sous  son  manteau  de  reine  des  gens  de  tout  état. 
Au  premier  plan  sont  agenouillés  les  membres  d  une  Confrérie 
de  pénitents  ;  ils  se  frappent  à  grands  coups  de  discipline  ;  leur 
robe  a  clans  le  dos  une  large  ouverture  circulaire,  pour  que  le 
fouet  puisse  mordre  la  peau  nue^  Ce  tableau  paraît  dater  de 
la  tin  du  xiv*^  siècle  :  il  semble  à  peu  près  du  temps  qui  vit  la 
deuxième  épidémie  des  flagellants.  En  tout  cas,  les  Discipli- 
nati  qu'on  y  voit  représentés  sont  bien  du  pays  où  les  flagel- 
lants parurent  pour  la  première  fois. 

On  trouvera,  à  la  fin  de  ce  chapitre,  le  catalogue  descriptif 
des  Vierges  de  Miséricorde,  sculptées  ou  peintes,  qui  pro- 
viennent de  Confréries.  Il  est  riche  surtout  en  monuments 
italiens,  parce  que  nulle  part  les  Confréries  n'ont  autant  pul- 
lulé qu'en  Italie-  :  «  c'est,  dit  Hélyot'^,  le  pays  du  monde 
où  il  y  en  a  le  plus  grand  nombre  ;  il  faudrait  un  volume 
entier  pour  parler  de  toutes,  puisque  dans  la  seule  ville 
de  Rome  où  elles  ont  pris  naissance,  il  y  en  a  plus  de 
cent.  »  A  l'instar  des  Recommandati  de  Rome,  les  Confréries 
italiennes  s'étaient  placées  sous  la  protection  spéciale  de  la 
Vierge  miséricordieuse.  Les  monuments  qui  les  montrent 
agenouillés  sous  le  manteau  protecteur  peuvent  être  classés 
suivant    trois   ou  quatre  types  principaux. 


1.  Même  ouvertuiv,  dans  la  robe  des  pénitents  de  Simone  da  Cusi^he. 

2.  Sur  les  Confréries  de  Tltalie  actuelle,  on  trouvera  de  curieux  renseigne- 
menls  dans  la  Stalislica  délie  conf'raternile  puliliée  par  la  Direction  générale 
de  la  statistique  italienne  (1'="  vol. ^  Rome,  1S92).  Elle  en  compte  13,216.  Les 
noms  sont:  confratria.  fraleria,  collecta,  consnrlium,  sodalitiiiin,  compaçfnia, 
congreffhe  ;  à  Venise,  en  Lombardie  scuole  ;  dans  l'ancien  royaume  de 
Naples,  eslaurile,  staurile.  Quand  d'une  confraiernità  en  dépendent  d'autres 
elle  prend  le  nom  (.Varciconfî'aternilà. 

3.  Op.  cit.,  t.  VIII,  p.  260. 

Peuuri/.ijt.  —  La  Vierfje  de  Miséricorde.  5 


66  ciiAPiTRr:  iv 

Une  Confrérie  était,  avant  tout,  une  association  pieuse  qui 
se  réunissait  pour  pratiquer  certains  exercices  de  dévotion. 
Le  premier  et  le  plus  important,  celui  qui  donnait  la  force  de 
se  plier  aux  autres,  celui  aussi  qui  permettait  à  la  Confrérie 
de  déployer  quelque  pompe,  c'était  la  participation  au  Saint 
Sacrement  de  l'autel.  Chaque  Confrérie  avait,  pour  y  faire 
dire  la  messe,  son  autel  dans  une  chapelle  d'église,  parfois 
dans  un  oratoire  indépendant.  L'autel  des  Confréries  vouées 
à  la  Vierge  était  orné  d'un  retable  représentant  d'ordinaire 
la  Mère  de  Miséricorde,  avec  les  confrères  à  genoux  sous 
son   'manteau. 

De  bonne  heure',  nombre  de  Confréries  avaient  pris  à 
tâche  l'accomplissement  des  œuvres  de  miséricorde.  Les 
Miséricordes  comme  on  les  appelait  en  Toscane  -,  les  Sciiole 
comme  les  désignait  le  dialecte  vénitien  ■^,  les  Charités  comme 
on  disait  en  Normandie,  cumulaient  les  rôles  que  jouent 
aujourd  hui  l'assistance  publique,  l'administration  des  hos- 
pices, le  service  des  pompes  funèbres.  Cela  exigeait  des 
locaux  considérables.  Les  Scuole  de  Venise,  les  Miséricordes 
de  Toscane  possédèrent,  dès  le  xiV^  siècle,  de  véritables 
palais.  A  Florence,  le  Biffallo,  ce  bijou  d'architecture,  et  le 
délicieux  palais  de  justice  d'Arezzo  sont  d'anciens  hôtels  de 
Confréries   charitables  4. 

Suivant  1  usage   du  moyen  âge,  les  locaux   des    Confréries 

1.  M"""  Jameson  sest  étrangement  trompée  en  attribuant  à  saint  Jean  de 
Dieu  (1498-1550)  la  fondation  des  institutions  de  charité  Legends  of  the 
monaslic  Orders,\>.  3il). 

2.  Cf.  Passerini,  Storia  degli  stahilimenti  di  heneficenza  délia  cilla  di 
Firenze.  Florence,  Lemonnicr,  1853.  «  La  Toscane,  dit  la  Stati.tlique  citée 
plus  haut,  est  caractérisée  par  ses  Confréries  de  la  Miséricorde,  qui  ont  pour 
but  de  secourir  les  infirmes,  les  pauvres,  les  malades,  les  j?cns  frappés  sur  la 
voie  pulilique  de  mort  subite  ou  violente,  de  doter  les  jeunes  filles  pauvres  et 
d'accompagner  les  corps  au  lieu  de  leur  sépulture  »  (p.  xii). 

3.  Sur  les  associations  charitables  à  A'enisc,  cf.  Sansovino,  Venezia  descril- 
ta,  p.  281. 

4.  «  Une  Confrérie  cliaritable  de  Florence  se  plut  à  orner  sa  maison,  de  ses 
deniers,  le  mieux  possible,  suivant  la  bonne  coutume  italienne,  dans  un  temps 
où  il  n'y  avait  endroit  sacré  ni  public  ([ui  ne  fut  relevé  par  l'éclat  de  l'art. 
Ce  ne  fut  pas  une  façade  de  palais,  comme  dans  plusieurs  Scuole  de  ^'enise, 
mais  seulement  une  petite  maison  ornementée,  dont  le  charme  est  uniquement 
dans  l'exécution  raffinée  de  formes  très  simples.  Lauteur  inconnu  du  Bigallo 
pourrait  bien  être  un  successeur  d'Orcagna.  Plus  sévère  et  plus  riche  est  la 
façade  de  la  Misericordia  d'Arez/o  :  c  est  un  véritable  monument  de  transition 
ravissant  en  son  genre,  qui  commence  dans  le  style  gothique  et  s'achève  û 
l'étage  supérieur  dans  le  style  Renaissance  »  (lîurckhardt.  Le  Cicérone,  t.  II, 
p.  60  de  la  traduction). 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


PI.  VIII 


LA    VTERGE    AU    MANTEAU    F:T    LES    CONFRÉRIES  G7 

avaient,  comme  toutes  les  maisons  d'alors,  leur  enseigne  sculp- 
tée, placée  au-dessus  de  la  porte.  Cette  enseigne  représentait 
généralement  la  Mère  de  Miséricorde  :  la  plupart  des  reliefs 
vénitiens  qui  figurent  la  Vierge  au  manteau  sont  des  enseignes 
de  sciiole  ;  des  reliefs  analogues  existent  encore  en  place  sur 
la  porte  de  l'église  de  la  Miséricorde,  à  Ancône,  et  sur  la  porte 
de  laMiséricorde  (aujourd'hui  palais  de  justice)  d'Arezzo(pl.IX). 
Une  fresque  de  ce  type  avait  été  peinte,  à  Arezzo  encore, 
sur  la  façade  de  l'église  Saint-Laurentin  et  Saint- Pergentin, 
qui  servait  d'oratoire  aux  confrères  de  la  Miséricorde  :  «  De 
bons  et  honorables  bourgeois  d' Arezzo,  écrit  ^'asari',  qui 
s'étaient  réunis  pour  rassembler  des  aumônes  au  profit  des 
pauvres  honteux,  acquirent  un  tel  crédit,  pendant  la  grande 
peste  de  1348,  en  secourant  les  malades  et  les  pauvres,  en 
ensevelissant  les  morts  et  en  faisant  d'autres  œuvres  de  cha- 
rité, que  leur  Confrérie  se  trouva  posséder  par  donations  et 
testaments  le  tiers  de  la  fortune  d'Arezzo.  Même  chose  advint 
pendant  la  peste  de  1383.  Spinello,  qui  faisait  partie  delà 
Confrérie,  risqua  sa  vie  à  visiter  les  pestiférés,  à  enterrer  les 
morts  et  à  rendre  d'autres  pieux  services  habituels  aux 
membres  de  telles  Confréries  ;  jîuis,  pour  conserver  le  souve- 
nir des  événements  de  1383,  il  représenta,  sur  la  façade  de 
l'église  Saint-Laurentin  et  Saint-Pergentin,  la  Vierge  abritant 
sous  son  manteau  le  peuple  d'Arezzo.  On  y  voit,  parmi  les 
Arétins,  beaucoup  de  membres  de  la  Confrérie,  munis  du 
maillet  de  bois  avec  lequel  ils  allaient  frapper  aux  portes,  et  de 
la  besace  dans  laquelle  ils  recueillaient  les  aumônes.  » 

La  fonction  la  plus  fréquemment  assumée  par  les  Confré- 
ries, aussi  bien  de  ce  côté  des  monts  qu'en  Italie,  était 
l'ensevelissement  des  morts.  Elles  enterraient  les  pauvres 
gratuitement  ;  pour  les  riches,  elles  percevaient  une  taxe, 
proportionnée,  par  exemple,  au  nombre  des  cierges  réclamés 
pour  honorer  le  convoi  "-.  Ainsi,   grâce  aux  Confréries,  l'Italie 

\.  Ed.  Milanesi,  t.  I,  p.  682  ,Vie  de  Spinellu).  La  fresque  dont  il  s"af;it  fut 
détruite  au  xviii"  siècle.  La  création  de  la  Confrérie  arétine  de  la  Miséricorde 
remonterait,   d  après   Milanesi,  à  12f!.3. 

2.  Cf.  L.  Rostan.  Un  élahli.isement  du  moyen  l'ige  à  Saini-Mariinin  :  con- 
frérie de  X.'D.  d'Espérance  et  de  Miséricorde,  dite  X.-D.  des  (irands  Cierges 
(Draguignan,  1869,  extrait  du  Bull,  de  la  soc.  d'études  scient,  de  Draguignan). 
Cette  Confrérie,  qui  datait  du  \iu'  s.,  a  duré  jusqu'à  la  Révolution  ;  au  milieu 
du  XIX'-  s.  encore,  on  désignait  à  Draguignan  le  bureau  de  bienfaisance  sous  le 
nom  de  Miséricorde .    La  Confrérie  ensevelissait  les  morts  :  gratuitement,  les 


V 
68  CHAPITRE    IV 

et  plusieurs  régions  de  la  France  ont  ignoré,  au  moyen  âge  et 
même  depuis,  la  répugnante  profession  de  croque-mort.  A 
tour  de  rôle,  les  confrères,  anonymes  sous  le  capuce  baissé, 
accomplissaient  leur  funèbre  tâche  :  une  forte  solidarité 
chrétienne  rapprochait,  devant  la  mort,  les  gens  d'une  même 
ville,  sans  distinction  de  rang  ni  de  fortune.  D'autre  part,  le 
spectacle  des  funérailles,  dans  le  pays  où  elles  étaient  confiées 
aux  Confréries,  était  impressionnant,  et  bien  fait  pour  inspi- 
rer des  pensées  salutaires.  Elles  avaient  lieu  généralement  la 
nuit  ;  le  costume  des  pénitents,  cette  grande  robe  ^  ce 
capuce  percé  de  trous  où  brillaient  les  yeux,  les  cierges  et  les 
torches  qui  éclairaient  la  scène,  tout  était  calculé  pour  émou- 
voir les  assistants  :  ceux  qui  ont  vu,  à  la  nuit  tombée,  sur  la 
place  déserte  du  dôme  de  Pise,  les  confrères  de  la  Miséricorde 
porter  un  mort  au  Campa  Santo,  en  gardent  un  souvenir 
qu'ils  n'oublieront  point. 

Pour  remplir  leur  pieuse  besogne  de  nécrophores,  les  con- 
frères avaient  besoin  d'un  matériel.  Certaines  Confréries  de 
Sienne  possèdent  encore  le  leur,  tel  qu'il  existait  au  xv®  siècle  : 
la  pièce  essentielle  en  est  un  cercueil  de  bois,  celui  dans 
lequel  on  portait  les  morts  au  cimetière.  L'art,  spéciale- 
ment la  peinture,  à  Sienne,  au  quallrocento,  marquait  tout 
de  son  sceau  :  une  foule  d'humljles  choses,  que  nous  trouvons 
naturel  de  condamner  à  la  banalité  et  à  la  laideur,  resplen- 
dissaient alors  d'un  rayon  de  beauté  ;  les  registres  des 
finances,  qu'on  relierait  aujourd'hui  en  noire  basane,  étaient, 

pauvres  ;  pour  les  riches,  elle  percevait  une  rétribution  proportionnée  au 
nombre  des  ciergres  qui  figuraient  au  convoi.  Elle  secourait  les  pauvres,  les 
malades,  les  visitait,  leur  donnait  des  vêtements,  de  la  viande,  du  pain.  A'ers 
16S0,  elle  halîillait  de  50  à  60  pauvres  par  an  ;  la  distribution  des  vêtements 
avait  lieu  le  dimanche  avant  la  Noël.  La  Confrérie  faisait  elle-même,  dans 
sa  maison,  le  pain  des  pauvres.  Elle  dotait  les  iilles  pauvres.  Elle  s'alimentait 
par  des  quêtes,  faites  principalement  à  l'époque  du  battage  du  blé  sur  les  aires. 
Elle  avait  été  trouvée  si  édifiante,  que  les  archevêques  d'.\ix  l'honoraient 
d'une  approbation  particulière.  Les  marguilliers  de  cette  Confrérie  ne  furent 
jamais  que  des  artisans,  des  cultivateurs  aisés:  les  bourgeois,  les  notables  de 
la  ville  ne  purent  jamais  parvenir  à  mettre  la  main  sur  cette  association  toute 
plébéienne. 

1.  Ellcportait  le  nom  biblique  de  sac,  d'oi'i  le  nom  d'e/i.scic/ies  qu'on  donnaiten 
certains  endroits  au.v  membres  des  Confréries.  «  L'habillement  des  Pénitents 
consiste  en  une  robe  de  toile  ou  de  serge  qu'ils  appellent  sac,  serrée  d'une 
ceinture,  avec  un  capuce  pointu  qui  leur  couvre  tout  le  visage,  n'y  ayant  que 
deux  petits  trous  à  l'endroit  des  yeux,  afin  qu'ils  puissent  voir  et  n'être  point 
vus»  Ilélyot,  op.  cil.,  t.  VIII,  p.  260!.  Pour  les  ensachés  de  Nice,  cf.  Moris, 
Au  P'iys  bien   Paris,  1900),  p.  47  et  additions. 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


PI.  IX 


LA    VIERGE    AU    MANTEAU    ET    LES    COM-RÉRIKS  09 

à  Sienne,  reliés  dans  des  ais    de    bois,  dont    les  plats  étaient 
décorés  de  peintures.    De    même,    les    Confréries    siennoises 
avaient  fait  historier  de  peintures  le  cercueil  commun  où  elles 
portaient    les    morts.     Quelle    représentation  choisirent-elles 
pour  ces  teste  di  barra?  La  même  que  l'on  voyait    au  retable 
de  l'autel  de  la  Confrérie  et  surTenseigne  de  son  local,  l'imao-e 
de  la  Mère   de    Miséricorde,  abritant    la   Confrérie    sous   son 
manteau.  Et  cette  image  était  singidièrement  touchante,  peinte 
au  bout  du  cercueil  commun,  où  tous  les  confrères,  l'un  après 
l'autre,  chacun  à  son  heure,  devait  être  couché  (pi.  VIII,  1). 
Mais  c'est  surtout  pour   leurs   bannières   que  les  Confréries 
de  pénitence    et    de    Miséricorde    ont  affectionné   le    type  de 
la     Vierge    au     manteau   protecteur.  La    bannière    des    Con- 
fréries était  à    la  fois  un  emblème  et  un   phylactère  :  la  croix 
qui  la  surmontait,  la  Vierge   qui  y  était  peinte,  mettaient    en 
fuite   les    démons,   écartaient    des    confrères   les    fléaux,    les 
péchés,    les    maladies    et   la    mort  '.  Bouchot  croyait  que  la 
Vierge  de  Miséricorde  du  musée  du  Puy  avait  été  d'abord  une 
bannière  :  vu    la   forme     de    cette    toile,  l'hypothèse    paraît 
peu  vraisemblable.  Mais  les  documents  d'archives  ont  prouvé 
qu'au  xv''  siècle,  dans  le  Midi  de  la  France,   furent  peintes  des 
bannières  de  Confréries  au  type  de  la  Vierge  de  Miséricorde. 
Il  est  croyable    qu'il    faille  voir  là   un  phénomène  d'influence 
italienne,    explicable    par  la  proximité  géographique,   par  les 
relations  commerciales,    surtout    par  les  rapports  entre  Avi- 
gnon et  Rome.  La  plupart,  en  etTet.  des  bannières  de  Confré- 
ries au  type  de  la  ^'ierge    de  Miséricorde   qui  sont  parvenues 
jusqu'à  nous  se  trouvent  en  Italie.  On  a  vu  plus  haut  que  dès 
1264    les    Recommandati  de    Rome    avaient  fait    peindre    la 
Vierge  au  manteau  sur  leur  fameux  gonfalone.  Le    retable   de 
Simone  da  Cusighe  prouve  qu'au  xiv'^  siècle  les  confréries    de 
la  Vénétie  avaient  suivi  l'exemple  de  l'Archiconfrérie  romaine. 

I.^  Ces  croyances  superstitieuses  sont  naïvement  formulées  dans  \a Légende 
dorée,  ch.  lxx  De  letania  niajori  et  minori  :  criicem  deferimus  et  campanas 
pulsamus,  ut  daemones  territi  fugiant .  ..Tempore  tempestatis  crux  de  ecclesia 
extrahitur.    ut  scilicet    daemones    vexillum    Summi  Régis  videant   et  territi 

fugiant Criix  in  processione  defertur  ut  daemones  in  ipso  aëre  exislentes 

territi  fugiant  et  a  nostra  infestatione  désistant.  Cf.  saint  .\lplionse  de  Liguori, 
Les  gloires  de  Marie,  II,  s-  3:  «  Le  nom  de  Marie  est  la  terreur  des  esprits 
infernaux.  A  ce  nom,  dit  le  bienheureux  Alain  i  .\lain  de  la  Roche,  linven- 
teur  du  Rosaire  ,  Satan  fuit  et  l'enfer  tremble.  Selon  Richard  de  Saint-Lau- 
rent, ce  nom  est  comme  une  tour  très  forte,  qui  garantit  les  justes  des  assauts 
de  lenfer.  » 


70  CHAPITRE    IV 

Les  bannières  italiennes  de  ce  type  qui  nous  sont  parve- 
nues ont  presque  toutes  été  peintes  au  xV  siècle  pour  des 
Confréries  ombriennes  (pi.  XVII). 

«  La  bannière,  a  dit  Rio',  est  un  produit  spécial  de  l'art 
ombrien.  »  Cette  assertion  est  fort  exagérée.  Les  Confréries, 
dès  leur  apparition,  durent  avoir  chacune  leur  bannière.  En 
1260,  quand  les  flagellants  arrivèrent  de  Modène  à  Reg-gio, 
les  Confréries  qui  s'étaient  jointes  à  eux  avaient  chacune  leur 
gonfanon-.  En  I3i9  et  sans  doute  déjà  en  1260,  les  flagellants, 
comme  les  Confréries,  portaient  «  gonfanons  et  grandes  ban- 
nières de  cendal-^  »  de  taifetas).  Les  commandes  de  bannières 
abondent  dans  les  recueils  documentaires  publiés  par  Mila- 
nesi  pour  Sienne,  par  Blancard  pour  Marseille,  par  Requin 
pour  Avignon''.  Mais,  si  l'on  en  réduit  l'exagération,  la 
remarque  de  Rio  devient  juste  :  en  aucun  pays,  les  bannières 
n'ont  abondé  comme  en  Ombrie.  C'est  sans  doute  qu'en 
aucun  pays  il  n'y  a  eu  autant  de  Confréries.  Et  si  les  Confré- 
ries ont  été  si  nombreuses  en  Ombrie,  c'est  que  nul  pays  n'a 
été  aussi    profondément    imprégné  d'influences  franciscaines. 

La  Provence,  le  Comtat,  le  Niçois  sont  particulièrement 
riches  en  représentations  de  la  Vierge  au  manteau  protecteur. 
Le  fait  s'explique  par  le  grand  nombre  de  Confréries  de  péni- 
tence qui,  de  très  bonne  heure,  ont  fleuri    dans  le  Midi\   La 

1.  De  l'art  chrétien,  t.  II.  p.  211. 

2.  Memoricile  Potestatum  Regiensium,  dans  Muratori,  Berum  italic.  script., 
t.  VIII.  col.  1122  :  fanno  MCCLX]  veneriint  verheralores per  universum  orbem. 
El  die  Lunae  in  festo  omnium  Sanctonim  omnes  illi  de  Mutina  venerunt 
Regium  lam  parvi  quam  niagni :  et  omnes  de  Comitata,  et  Poteslas,  et  Episco- 
pus  cum  Confalonihus  omnium  Socielalum,  et  verheraverunt  se  per  civitateni 
et  iverunt  Parmam  pro  majori  parle.  Cf.  Mansi  dans  les  Annales  de  Raynal- 
dus,  t.  III,  p.    56. 

3.  Cf.  Fr.  Closener,  Strasshurger  Chroniken,  éd.  Hegel  (Leipzig,  18"70), 
l.  I,  p.  105  :  Hahebant  vexilla  de  serico  et  purpura  depicla.  cum  quibus  pro- 
cessionibus   Iransibanl. 

4.  Le  S  juin  145",  Enguerrand  Charonton  promet  aux  prieurs  de  la  Confrérie 
de  N.-D.  des  Anges  d'Aix  de  leur  peindre  une  bannière  de  taffetas  de  9  palmes 
et  demie  de  haut  sur  8  de  large,  vexillum  sire  banderiam  de  panne  fino  in  et 
super  panno  de  laff'elano.  Il  doit  représenter  d'un  côté  la  Vierge  entourée 
d'Anges,  tenant  lEnfant  et  adoré  par  les  Mages  :  de  l'autre,  saint  François, 
saint  Louis  de  Marseille  et  saint  Bernardin  (Requin,  Documents  inédits, 
dans  la  Hhinion  des  sociétés  des  beaux-arts,  1889,  p.  134  et  180).  — 
Le  4  juillet  14so,  le  trésorier  de  l'Ordre  de  Saint-.Iean-de-Jérusalem  com- 
mande à  Martin  Pacaud,  peintre  d'Avignon,  huit  bannières.  Sur  les  deux 
premières,  l'artiste  devait  peindre  la  sainte  Vierge  ;  sur  les  deux  sui- 
vantes, saint  .Jean-Haptiste  ;  sur  deux  autres,  les  armes  du  Pape  ;  sur  les  deux 
dernières,  les  armes  de  France  (Requin,  op.  laud..  p.   109). 

5.  Ilélyot,  op.  cit.,  p.    259.  d'après  Molinier,   Institutions  et    exercices  des 


LA    VIERGE    AU    MANTEAU    ET    LES    CONFRÉRIES  71 

plus  ancienne  serait  celle  des  Pénitents  gris  d'Avignon.  Elles 
y  subsistent  encore  :  l'un  des  deux  témoins  qui  signèrent 
l'acte  de  vente  du  moulin  de  Pampérigouste  s'appelait  a  Loui- 
set.  dit  le  Quique,  porte-croix  des  Pénitents  blancs  *  ».  A 
Nice  existe  toujours  la  Confrérie  des  Pénitents  noirs,  qui  fit 
peindre  à  la  fin  du  xv*^  siècle  deux  grands  retables  où  la  Mère 
de  Miséricorde  occupe  la  place  d'honneur;  cette  Confrérie 
recrutait  ses  membres  dans  l'aristocratie;  elle  possédait,  entre 
autres  privilèges,  celui  de  gracier  chaque  année,  le  jour  de  la 
décollation  de  saint  Jean-Baptiste,  un  condamné  à  mort"-. 

Ce  ne  sont  pas  seulement  les  Confréries  de  pénitence,  ce 
sont  encore  les  Confréries  charitables  qui,  dans  le  Midi  de  la 
France  comme  en  Italie,  cherchèrent  un  refuge  sous  le  manteau 
de  la  Vierge.  En  voici  deux  preuves,  l'une  pour  l'Italie,  l'autre 
pour  la  Provence. 

Le  musée  de  Parme  s'est  enrichi  naguère  d'une  fresque  de 
Pier  Antonio  Barnabei  (1567-1630),  précédemment  au-dessus 
de  la  porte  extérieure  de  VOrfanotrofio  femminile  de  Parme  ; 
cette  fresque  représente  la  Vierge  abritant  sous  son  manteau, 
avec  les  orphelines,  les  recteurs  et  rectrices  de  l'orphelinat  ; 
la  Vierge  fait  de  la  main  droite  un  geste  d'accueil,  et  dans  la 
main  gauche,  elle  tient  un  pain^. 

Un  tableau  de  Granet  (1775-1819),  au  musée  d'Aix,  repré- 
sente l'intérieur  d'un  orphelinat  provençal.  Au  mur  de  la  salle 
est  suspendu  un  grand  tableau  où  l'on  voit  la  Vierge  de  Misé- 
ricorde, abritant  sous  son  vaste  manteau  les  quatre  régentes 
de  l'institution  :  elles  portent  la  fraise,  le  tableau  reproduit  par 
Granet  devait  dater  de  la  fin  du  xvi''  ou  du  début  du 
xvii^  siècle. 

Confrairies  de  Pénitens,  t.  I,  ch.  23.  Les  Pénitents  gris  d'Avignon  dateraient 
de  J268.  "  Au  rapport  de  Molinier,  il  yen  eut  de  blancs  à  Avignon  en  1527, 
de  blancs,  de  bleus  et  de  noirs  à  Toulouse  en  1571  et  1577,  de  blancs  à  Lyon 
en  1577.  Ils  se  multiplièrent  fort  dans  la  suite,  principalement  dans  le  Lan- 
guedoc, la  Provence  et  le  Lyonnais.  » 

1.  Alphonse  Daudet,  Lettres  de  mon  moulin,  avant-propos. 

2.  H.  Moris,  Au  pays  bleu  (Paris,  1900),  p.  47  et  additions.  Hélyot  {op.  cit., 
p.  263-265)  rapporte  qu'à  Rome  quelques  confréries  de  Pénitents  Noirs  avaient 
le  même  privilège  ;  il  leur  fut  ôté  par  Innocent  X.  qui  ne  le  laissa  qu'à  la  plus 
considérable,  l'Archiconfrérie  de  la  Miséricorde  ou  de  Saint-Jean-Décollé, 
instituée  en  148s  par  des  Florentins  demeurant  à  Rome,  pour  assister  les  sup- 
pliciés et  les  aidera  faire  une  bonne  mort.  Hélyot  donne  une  gravure  repré- 
sentant un  Pénilent  Noir  de  Rome. 

3.  Bolletino  d'arte  del  Ministeriodella  pubhl.  islruzione,  1907,  fasc.  4,  p.  19, 
avec  gravure. 


IJ,  CHAPITRE    IV 

Dans  la  France  du  Nord,  les  Confréries  de  pénitence  ne 
semblent  jias  avoir  eu  o^rand  succès  :  sans  doute,  le  bon  sens 
national  ne  goûtait  pas  beaucoup  les  manifestations  auxquelles 
se  livraient  les  pénitents  de  Provence  et  d'Italie.  Henri  III, 
fils  d'une  Italienne,  lui-même  plus  italien  que  français,  tâche 
vainement  d'enrôler  la  Cour  et  Paris  dans  une  Confrérie  de 
Disciplinati.  Les  pénitents  eurent  une  vog-ue  plus  durable 
dans  le  pays  des  Guise  :  Hélyot  remarque  au  début  du 
xviii''  siècle,  qu'il  y  en  avait  en  Lorraine  '.  Mais,  ni  à  Paris 
ni  en  Lorraine,  les  pénitents  ne  semblent  avoir  pris  pour 
patronne,  à  l'instar  de  leurs  confrères  provençaux  ou  italiens, 
la  Vierge  au  manteau  protecteur. 

Les  Confréries  de  charité  ont  eu  plus  de  succès  dans  la 
France  du  Nord  que  les  Confréries  de  pénitence.  C'est  en 
Normandie  surtout  qu'elles  ont  fleuri'-.  Plusieurs  de  ces 
((  Charités  »  normandes  subsistent  encore.  Les  plus  anciennes 
datent  du  xiv®  siècle.  Celle  de  Saint-Côme,  Saint-Damien 
et  Saint-Lambert,  en  l'és-lise  Saint-Denis  de  Rouen,  est  de 
I3o8-^.  La  plupart  ont  été  fondées  au  xv*^  siècle.  Au  xvi'\  elles 
donnèrent  lieu  à  des  abus  criants,  que  les  évêques  de  la  contre- 
réformation  s'efforcèrent  de  supprimer  :  earum  tanien  aholi- 
tionem  non  judicamus  expedire,  déclare  le  Concile  tenu  à 
Rouen  en  1381 '*,  propier  earum  necessitatem  in  peste  et 
puhlica  calamitate.  Or  les  «  Charités  »  normandes,  comme 
les  autres  Confréries,  aimaient  à  se  placer  sous  la  protection 
de  la  Vierge  :  celle  de  l'Hôtel-Dieu  de  Bernay,  lune  des 
quatre  «  Charités  »  qui  existaient  dans  cette  ville  avant  la 
Révolution,  avait  pour  armoiries  :  d'azur  à  une  Notre-Dame 
ayant  plusieurs  personnes  à  genoux  sous  le  manteau,  le  tout 
d'or'.  Une  fresque  du  troisième  quart  du  xiv'' siècle '',  dans   le 


1.  Op.  cit..  t.  VIII,  p.  260.  Sur  les  pénitents  à  Nancy,  cf.  Pfisler,  Histoire 
de  .\nncii.  1. 1,  p.  263  ;  III.  p.  342.  420. 

2.  Cf.  R.  Bordeaux.  Des  confréries  de  charité  dans  Miscellanées  d'urchéo- 
loçfie  normande  relatives  au  dép.  de  l'Eure  (Paris,  I88O1.  p.  165  et  suivantes, 
et  Langrlois.  dans  la  Revue  critique  de  1889,  n°  14. 

3  Statuts  de  la  confrérie  de  Saint-Côme.  publiés  par  Ch.  do  Beaurejjaire, 
Rouen,  18,s8. 

4.  Concilia  Rotomagensis  provinciae.  éd.  Doni  Bcssin  Rouen.  17171,  ]>.  223 
=  Labbe,  Concilia,  t.  XV,  p.  851. 

3.  R.  Bordeaux,  op.  cit.,  p.  162  ;  Forée,  Le  registre  de  la  Charité  des  Cor- 
deliers  de  Bernay  (Rouen,  1887),  p.  3. 

6.  La  Normandie  monumentale  et  pittoresque,  Orne  Le  Havre,  1S96,  f  j, 
p.  72  (notice  de  M.  Ch.  de  Beauropairc  . 


LA    VIERGE    AU    MANTEAU    ET    LES    CONFRÉRIES  73 

chœur  de  l'église  paroissiale  de  Saint-Céneri-le-Gerei,  arron- 
dissement et  canton  d'Alençon,  représente  la  Vierge  abritant 
sous  son  manteau  un  grand  nombre  de  laïques  agenouillés  sur 
quatre  rangs  de  profondeur  :  chose  curieuse,  ils  sont  appa- 
riés par  couples.  Je  crois  que  cette  fresque  archaïque,  dont 
il  ne  paraît  pas  qu  on  ait  donné  l'explication,  représente  une 
de  ces  innombrables  «  Charités  »  normandes,  celle  qui  s'était 
fondée  au  village  de  Saint-Géneri  ;  les  femmes  y  figurent  k 
côté  de  leurs  maris  :  nous  savons  en  effet  par  les  statuts  de 
la  Confrérie  rouennaise  de  Saint-Côme,  d'une  vingtaine 
d'années  antérieurs  à  la  fresque  de  Saint-Céneri,  que  les 
femmes  mariées  pouvaient  faire  partie  des  ((  Charités  »,  à 
condition  d'avoir  l'agrément  de  leur  époux.  Notons,  k  propos 
de  la  Vierge  protectrice  de  Saint-Céneri,  qu'k  côté  du  groupe 
qu'on  vient  de  décrire,  hors  du  manteau  protecteur,  le  peintre 
a  représenté  «  un  homme  qui,  malgré  les  elforts  visibles  qu'il 
fait  pour  se  retenir,  parait  glisser  sur  une  pente  rapide  au  bas 
de  laquelle  l'attendent  deux  bêtes  immondes  prêtes  k  le  dévo- 
rer »,  — deux  diables  (pi.  XI,  1). 

Plus  ancienne  encore  que  la  fresque  de  Saint-Céneri  est  une 
miniature  touloise  qui  date  de  1356,  presque  immédiatement 
après  la  «  Grande  peste  »  (pi.  XII). 

La  Confrérie  dite  de  «  Saint-Nicolas-des-Clercs  »  fut  tout 
d'abord  établie  dans  l'église  paroissiale  de  Saint-Jean-Baptiste, 
située  dans  le  cloitre  de  la  cathédrale,  dont  elle  était  lancien 
baptistère.  C'était  la  première  et  la  plus  ancienne  paroisse  de 
la  ville  •.  L'acte  d'érection  de  la  Confrérie  est  daté  du  29  janvier 
1356. 11  porte  le  nomdes  fondateurs,  Jean  de  Lunéville.  officiai 
de  l'évêché  de  Toul,  Otto,  curé  de  l'église  Saint-Jean,  et  de 
64- autres  personnages  qui  furent  les  premiers  confrères.  La 
Confrérie  était  probablement  d'origine,  tout  au  moins  d'inspi- 
ration dominicaine,  car  le  couvent  des  Frères  Prêcheurs,  bâti 
vers  1240,  se  trouvait  sur  la  paroisse  Saint-Jean.  La  Confrérie, 
placée  sous  le  patronage  de  saint  Nicolas,  était  réservée  aux 
ecclésiastiques,  avocats,  procureurs,  notaires,  tabellions, 
clercs,  tant  de  la  ville  de  Toul  que  d  ailleurs.  De  là  lui 
vient   son   nom    de  Confrérie  de  Saint-Nicolas-des-CIercs. 

Trois  ans  après  la  fondation,  il  fut  permis  aux  confrères  de 
recevoir  des  bourgeois  de  la  ville,  et  l'entrée  de    la  Confrérie 

1.  Bonnît  Picart.  Hist .  eccl.  rie  Tnul  (Tm\\.  1707).  p.  20. 


/4  CHAPITRE    IV 

fut  également  accordée  aux  femmes'.  Chaque  confrère  acquit- 
tait en  entrant  un  droit  fixe  [2  francs  en  1687],  et  était  tenu 
de  seng-ager,  par  serment,  à  garder  et  observer  les  règlements 
insérés  dans  l'acte  de  fondation.  Un  procès-verbal  du  serment 
est  conservé  dans  les  registres  de  la  confrérie. 

En  1378,  le  curé  de  l'église  paroissiale  Saint- Vast,  Jean- 
Etienne,  contraint,  faute  de  paroissiens,  d'accepter  la  cure  de 
Lave,  fît  abandon  de  son  ésrlise  aux  confrères  de  Saint-Xico- 
las,  pour  y  célébrer  le  service  de  leur  Confrérie.  Cette  transmis- 
sion est  faite  moyennant  une  somme  de  quinquc  solidos  par- 
vos  Turonenses,  que  les  confrères  devaient  payer  annuelle- 
ment au  curé  de  Laye  et  à  ses  successeurs. 

Le  chapitre  de  la  cathédrale  donna  son  agrément  tout  en  se 
réservant  le  droit  de  se  rendre  en  procession,  plusieurs  fois 
l'an,  selon  son  ancien  usage,  dans  l'église  Saint- Vast.  Il  fit  en 
outre  ajouter  aux  clauses  portées  à  la  charge  des  confrères, 
que  ceux-ci  devraient  abandonner  l'église  au  cas  où  il  sur- 
A'iendrait  un  nombre  de  paroissiens  suffisant  pour  la  rétablir. 
Ils  devaient  également,  et  sur  leur  oifre,  rebâtir  l'église  ou 
tout  au  moins  y  faire  exécuter  des  changements  et  des  répa- 
rations équivalant  presque  à  une  reconstruction,  y  élever  un 
nouvel  autel,  un  clocher  qui  devait  être  garni  de  cloches,  etc. 
Tous  ces  travaux  devaient,  en  cas  de  reprise,  faire  retour  aux 
nouveavix  paroissiens,  sans  aucune  indemnité  de  leur  part,  et 
les  confrères  ne  pourraient  enlever  que  les  livres,  ornements  et 
<(  tout  ce  qui  se  peut  porter  ». 

Dans  le  courant  de  la  même  année  1378.  Guilbertus,  car- 
dinal a  latere  du  royaume  de  Bohème,  en  résidence  à  Trêves, 
confirmait  la  cession  faite  par  le  curé  de  Lave,  avec  le  con- 
sentement de  Messieurs  du  Chapitre  de  la  cathédrale  de  Toul. 
Un  peu  plus  tard,  par  lettres  datées  de  Metz,  il  accordait  éga- 
lement des  indulgences  aux  confrères. 

En  1400,  un  testament  daté  du  li  septembre,  Regnault 
Lampouel,  confrère,  laissait  des  biens  à  la  Confrérie,  pour  per- 
mettre la  fondation  d'une  chapelle  qui  devait  être  placée  sous 
l'invocation  de  saint  Nicolas  et  sainte  Catherine. 

Les  Archives  de  Meurthe-et-Moselle,  possèdent  l'acte 
d'érection   de  cette   Confrérie-.  C'est  une    charte  en    parche- 

1.  Ces  détails,  et  ceux  qui  suivent,  sont  empruntés  aux  archives  de  la  Con- 
frérie (Archives  de  Meurthe-et-Moselle,  G,  1201).  Cf.  E.  Martin,  Ilisl.  des 
diocèses  de  Toul,  de  Aanci/  et  de  Saint-Dié  (Nancy,  1900),  t.  I,  p.  308. 

2.  G,   1201    (réserve). 


LA    VIERGE    AL"    MANTEAU    ET    LES    CONFRÉRIES  75 

min,  mesurant  Om.  61  de  haut  sur  0  m.  .06  de  large.  En  tête, 
la  lettre  G,  initiale  du  mot  Gloriosus,  se  détache  en  pourpre 
sur  fond  bleu  encadré  de  baguettes  d'or  formant  un  carré,  des 
ang^les  et  du  milieu  duquel  se  détachent  des  rinceaux  de  feuil- 
lage. Une  guivre  ailée  vient  mordre  l'angle  inférieur  gauche. 
L'intérieur  de  la  lettre  est  à  fond  d'or.  Sur  le  parvis  de  la 
cour  céleste,  représenté  par  un  carrelage  rouge  à  dessins 
blancs,  la  Mère  de  Miséricorde,  de  face,  très  hanchée,  portant 
les  insignes  des  reines  (couronne  d'or  à  fleurons,  manteau  de 
pourpre  doublé  d'hermine)  tient  l'Enfant  Jésus  sur  le  bras 
gauche,  et  dans  la  main  droite  un  rameau  rouge.  Le  manteau 
de  protection,  largement  étendu,  est  tenu,  à  droite,  par  saint 
Nicolas,  patron  de  la  Lorraine,  à  gauche  par  sainte  Catherine, 
patronne  des  clercs.  Les  deux  saints  protecteurs  sont  debout. 
Saint  Nicolas  porte  la  mitre,  la  chasuble  et  la  crosse  :  la  main 
droite  est  levée,  bénissant.  La  sainte  a  la  main  gauche  appuyée 
sur  l'épée,  et,  dans  l'autre,  elle  tient  une  petite  roue  (les 
bourreaux  tentèrent  de  rouer  sainte  Catherine,  et  n'ayant  pu 
y  parvenir,  ils  la  décapitèrent). 

Sous  le  manteau  de  la  Reine  des  Cieux,  des  hommes  age- 
nouillés, les  mains  jointes,  les  uns  barbus,  les  autres  imberbes; 
tous  semblent  tonsurés  et  portent  le  manteau  à  capuchon  des 
clercs  et  des  moines.  Manteaux  et  capuchons  sont  de  couleurs 
de  fantaisie  :  rouge,  bleu,  vert,  pourpre. 

L'Enfant  Jésus  porte  une  robe  Aerte  rayée  de  blanc,  avec 
semis  de  fleurs  rouges.  La  tête,  selon  l'usage,  est  nimbée  du 
nimbe  crucifère,  et  dans  chaque  canton  supérieur  du  nimbe 
figure  un  petit  o  :  ce  détail  a  son  origine  dans  l'iconographie 
grecque*,  où  le  nimbe  crucifère  des  personnes  de  la  Trinité 
porte  toujours  dans  les  cantons  supérieurs  0  QN  c  Je  suis 
celui  qui  suis  »  [Exode,  m,   14). 

Dessin  très  fin,  dont  quelques  couleurs  sont  légèrement 
passées,  mais  dont  quelques-unes,  principalement  les  ors, 
ont  gardé  une  merveilleuse  fraîcheur.  Dimensions  de  la  lettre  : 
100X1 16  mm. 

1.  Le  Guide  de  la  peinture  (Didron,  Manuel  d'iconographie,  p. 457)  s'exprime 
ainsi  :  «  Dans  la  croix  marquée  sur  le  nimbe  des  trois  personnes  de  la  Trinité, 
écrivez  ces  lettres  O  CON,  car  c'est  ainsi  que  Dieu  a  parlé  à  Moïse  lorsqu'il 
lui  est  apparu  dans  le  buisson  ardent  :  ivw  du.:  0  (ôv.  Disposez  ainsi  ces  lettres  : 
que  Yomicron  soit  sur  la  partie  droite  du  nimbe,  Yôméga  sur  la  partie  supé 
rieure.  le  ni/  sur  la  partie  ^--auche.  » 


CATALOGUE 


O.MBlilE 

1.  Triptyque  autrefois  dans  la  collection  Campana,  aujourd'hui  au 
musée  de  Perpignan  (Perdrizet-René  Jean,  La  galerie  Campana  et  les 
musées  fra>içais,  p.  33  .  Le  Cat.  des  tableaux  du  musée  Napoléon  III,  p.  88, 
n"  324,  le  décrit  ainsi  :  «  Au  milieu,  Jésus  sur  la  croix  avec  la  Made- 
leine à  ses  pieds  ;  d'un  côté  des  soldats,  do  l'autre  la  Vierge  évanouie 
dans  les  bras  de  Marie  et  de  saint  Jean.  Au-dessus  de  la  Crucifixion, 
le  Couronnement  de  la  Vierge.  Les  volets  représentent  X.-D.  de  Misé- 
ricorde, la  Crèche,  l'Annonciation,  et  dans  le  bas,  six  figures  de  saints. 
A  l'extérieur,  les  volets  portent  une  inscription  à  demi  efTacée  et  dont 
on  ne  peut  lire  distinctement  que  la  date  1333.  Style  de  Giotto,  école 
ombrienne.  »  M.  Crouchandeau  {Catalogue  du  musée  de  Perpignan, 
1884,  p.  107),  transcrit  ainsi  cette  inscription  :  «  MCCCXXII  hoc  opus... 
factum  per  societatem  devotam  beatae  Miariae)  Virginis  gloriosae... 
sanctum  Vitalem  ex  impensis  societatis  prediclae...  Dei  semper  sit  filio 
sua  in  adjutorium...  auxilium  ad  dictam  tahulam.  Requiescant  in  pace. 
Amen  ».  — Il  ne  m'a  pas  été  possible  de  trouver  à  Perpignan  un  photo- 
graphe capable  de  faire  la  reproduction  de  ce  tableau. 

2.  Pérouse.  —  Frescjue  dans  l'église  de  la  Commanderie  de  Sainte- 
Ci'oix,  par  Bonfigli,  datée  de  1478.  Cf.  Cavalcaselle  et  Crowe,  t.  IX, 
p.  136  et  139  :  <(  copia  di  una  composizione  troppo  conosciuta  e  comune. 
Le  figure  che  stanno  inginocchiate,  ai  lati  délia  pittura,  solto  al  manto 
délia  Vergine,  porlano  il  nome  d'una  Confraternità.  L'Eterno  scaglia 
dardi  dalV  alto.  La  pittura  ha  niollo  sofferlo.  >• 

3.  Bastia  (près  Assise).  —  Tableau  peint  par  Bornardino  di  Mariotto 
pour  la  confrérie  de  saint  Antoine  abbé  et  de  saint  Antoine  de  Padoue 

(de  Mandach,  Saint  Antoine  de  Padoue  et  l'art  italien,  p.  149).  La  Vierge 
apparaît  sur  une  nue.  Son  manteau  est  soutenu  par  des  anges.  Elle 
descend  vers  la  terre,  pour  protéger  la  Confrérie  agenouillée,  qui  lui 
est  recommandée  par  les  deux  Antoine.  Bernardino  di  Mariotto,  qui  pei- 
gnait vers  1320,  est  un  archaïque  attardé. 

Banmkres  de  confréries  ombriennes 

4.  pérouse.  —  Bannière  peinte  (par  Bonfigli  ?),  aujourd'hui  à  S.  Fran- 
resro  al  Prafn.  Mentionnée  par  Thode,  Franz    von  Assisi.  2''  éd..  p.  ''117. 


CATALOGUE  77 

Photog:raplnée  par  Alinari.  Publiée  dans  Les  Arts,  n"clenov.  1907,  p,  10. 
Pour  la  description,  voir  infra,  p.  114.  Dans  le  bas  de  la  bannière,  est 
représentée  Pérouse  ;  on  distingue,  dans  une  rue,  une  procession  de 
pénitents  blancs  qui  se  dirige  vers  une  église  :  ce  détail  donne  à 
croire  que  la  bannière  avait  été  commandée  par  une  Confrérie  —  PL  XVII. 

5.  Bannière  peinte  en  1472  (par  Bonfigli?)  pour  les  Fratelli  délia  con- 
fraternità  di  S.  Benedetto,  à  l'église  S*  Maria  Xuova  de  Pérouse; 
Anderson,  n°  15663;  médiocres  reproductions  dans  les  médiocres  livres 
de  l'abbé  Broussolle,  Pèlerinacjes  ombriens,  fig.  4,  et  La  Jeunesse  du 
Pérugin  et  les  origines  de  Vécole  ombrienne,  fig.  301.  Pour  la  description, 
voir  infra,  p.  114. 

6.  Assise.  —  Bannière  ruinée,  autrefois  à  l'église  Saint-Crépin.  La 
description  de  Cibo,  p.  116,  est  visiblement  inexacte  ;  je  suis  celle  de 
Milanesi  (Vasari,  111,  p.  510).  Cette  bannière,  qui  appartenait  à  une 
Confrérie  de  Saint-Biaise,  représente  d'un  côté  la  Madone,  qui,  à  la 
prière  de  saint  François  et  de  sainte  Claire,  accueille  sous  son  manteau 
la  foule  des  confrères  de  saint  Biaise,  vêtus  de  blanc  ;  de  l'autre  côté, 
saint  Biaise  évêque,  assis  entre  saint  Rufin  et  saint  Victorin,  et  au-des- 
sous, deux  épisodes  de  la  légende  de  saint  Biaise.  Rumohr  (II,  p.  116) 
suggère  que  c'est  peut-être  la  bannière  dont  parle  Vasari  dans  la  vie  du 
Pinturricchio  (111,  p.  509)  :  «  in  Ascesi  fece  [rAlunno]  un  gonfalone  che 
si  porta  a  processione.   » 

7.  Bannière,  autrefois  dans  la  collection  Campana  {Cat.  des  tableaux  ^f^ 
musée  Napoléon  III,  n"  372),  depuis  1876  au  musée  d'Angoulême  (Per- 
drizet-René  Jean,  La  galerie  Campana  et  les  musées  français,  p.  33). 
Reiset  la  décrit  ainsi  [Notice  des  tableaux  du  musée  Napoléon  III  dans 
les  salles  de  la  colonnade  du  Louvre,  p.  48,  n°  111  :  «  Niccolô  Alunno. 
Toile.  H.  2,  52.  L.  1,  28.  Grande  bannière  peinte  des  deux  côtés.  Au 
recto.  Vierge  de  Miséricorde  couronnée  par  des  anges  et  entourée  de 
chérubins.  Elle  couvre  de  son  manteau  saint  François  d'Assise  et  sainte 
Catherine  de  Sienne,  qui  lui  présentent  des  pénitents  agenouillés. 
Dans  le  haut,  le  Christ  en  croix  entre  la  Vierge  et  saint  Jean.  Au  verso, 
divisé  en  trois  compartiments,  se  voient,  en  haut,  l'Annonciation  ;  au 
milieu,  un  évècjue  assis  entre  deux  évèques  debout  ;  dans  le  bas,  le 
martyre  de  saint  Biaise.  Nous  supposons  que  cette  bannière  est  celle 
dont  a  parlé  Vasari  et  qui  avait  été  peinte  à  Assise.  »  Cf.  Frenfanelli 
Cibo,  Niccolo  Alunno  e  la  scuola  Umhra  (Rome,  1872),  p.  163.  Le  Cata- 
logue du  musée  d'Angoulême  dit  qu'en  1876  la  bannière  était  en  mauvais 
état,  et  (ju'elle  a  été  restaurée.  Cavalcaselle  et  Crowe,  qui  l'avaient  vue 
quand  elle  était  encore  à  Rome,  chez  Campana,  ont  noté  que  la  figure 
du  Christ  était  mollo  danneggiata  e  rifalta,  ainsi  que  plusieurs  autres 
personnages.  —  Il  ne  m'a  pas  été  possible  de  trouver  à  Angoulême  un 
photographe  capable  de  photographier  cette  bannièi'e. 

BOKGO  S.   Sepolcro. 

8.  Retable  de  Piero  délia  Francesca,  conservé  aujourd'hui  au  munl- 
cipio  de  Borgo  San  Sepolcro.  L'une  des  plus  anciennes  œuvres  du 
maître:  elle  lui  fut  commandée  le  11  juin  1445,  moyennant  150  florins 


78  CATALOGUE 

d'or,  pai"  la  Compafjnia  délia  Misericordia  pour  sa  chapelle  de  Thôpital 
(Milanesi  dans  Vasari,  11,  p.  494).  Alinaii,  10o()4-S  ;  Rosini,  III,  p.  37, 
pi.  3S  ;  Jameson,  Madonna,  p.  33  (fig.)  ;  Cavalcaselle-Cro\ve,  VIII, 
p.  193-199;  Burckhardt  ■',  p.  677  ;  Witting,  Ptero  dei  Franceschi,  p.  7,  pi.  2. 
Sur  les  volets,  entre  autres  saints,  saint  Sébastien.  La  Vierge  porte 
un  bonnet  dont  le  bas  est  ceint  d'une  couronne,  où  les  perles  alternent 
avec  les  fleurons;  la  forme  du  bonnet  rappelle  celui  que  porte  le  duc 
Federigo  d'Urbin  sur  le  fameux  portrait  des  OlTices,  peint  par  Piero 
en  1469.  Huit  laïques,  de  condition  moyenne,  quatre  hommes  et  quatre 
femmes,  sont  agenouillés  sous  le  manteau  ;  un  des  hommes  porte  le 
costume  noir  de  la  Confrérie.  Aux  bouts  de  la  prédelle,  sur  laquelle  sont 
peintes  des   scènes   de  la    Passion,   le   monogramme   de   la   Confrérie 

çpj^  =  M{sericord)ia. 

'9.  Il  ne  faudrait  pas  identifier  ce  tableau  avec  la  fresque  dont  parle 
Vasari  :  «  Al  Borgo...  in  fresco  lavorô  [il  Piero]  una  Nostra  Donna 
délia  Misericordia  in  una  Compagnia  ovvero,  come  essi  dicono,  Confra- 
ternità  ».  Cette  fresque  n'existe  plus.  Elle  se  trouvait  dans  les  locaux 
que  la  Confrérie  occupait  à  l'hôpital.  Elle  fut  peinte  en  1478,  et  paj'ée 
87  écus  (Milanesi  dans  Vasari,  II,  p.  494). 

VlTERBE. 

10.  Via  del  orologio  vecchio,  n°H,  au-dessus  de  la  ported'une  maison 
du  moyen  âge,  médaillon  haut  d'environ  un  demi-mètre,  i-eprésentant 
la  Vierge  de  Miséricorde,  sans  la  couronne  ni  l'Enfant,  abritant  sous  le 
manteau  de  protection  deux  membres  d'une  Confrérie  revêtus  de  la 
catroule. 


11.  G.  Angelmi  Rota,  Spoleto  e  dintorni  (Spolète,  1905),  p.  6  :  «  Nella 

via  Cecili   è  la  chiesa  délia  Misericordia,  sulla  quale  poggia  la  maeslosa 

abside  dell'  ex-chiesa  des'li  Aaostiniani,   S.   Nicolô.  La   chiesa  inferiore 

.... 
trae  il  suo  nome  da   uno  di  quei  communissimi  dipinti,  rappreseritanti 

la  Virgineche   accoglie    sotto  il   manto  i   fratelli    di   una  Compania  di 

disciplina,  tavola  che  si  vedeva  nella  chiesa  superiore.  » 

Orvikto. 

12.  Anderson,  Io:)41.  A  la  cathédrale,  maintenant  dans  la  chapelle  du 
sanlissinio  Corporale.  Tableau  représentant  la  Vierge  (pii  prie  pour  un 
grand  nombre  de  gens  agenouillés  sous  son  manteau,  les  hommes  à  dr., 
les  femmes  à  g.  Derrière  la  Vierge  se  pressent  les  Anges;  deux  d'entre 
eux  tiennent  les  pans  du  manteau.  Comme  aucun  des  priants  ne  porte 
de  cagoule  ni  de  bannière,  on  est  tenté  de  croire  qu'ils  représentent 
les  habitants  d'Orviélo  ;  le  priant  plus  grand  (|ue  les  autres,  à  dr.,  (pii 
porte   le   costume    ecclésiasticjue,    serait    le    donateur.     Mais    d'après 


CATALOGUE  79 

M.  Fuuii,  les  priants  représenteraient  la  Confrérie  des  Fratelli  reconi- 
inandati,  et  l'ecclésiastique  serait  leur  cappellano.  Parmi  les  femmes, 
deux,  jeunes  et  belles,  portent  des  couronnes  à  fleurons.  La  Vierge  est 
debout  sur  un  degré  où  est  inscrit  cet  hexamètre  : 


LIPVS    DE    SEXA    NATus    NOS    PIXXtV    AMENA 

non  se  rapportant  aux  priants.  Cavalcaselle  et  Crowe  (III,  p.  127), 
Fumi  {Il  duomo  di  Orvielo  e  i  suoi  restauri,  Rome,  1891,  p.  361), 
Ileywood  et  Olcott  {Guide  to  Siena,  p.  183)  admettent  que  cette  ins- 
cription mérite  créance.  Ce  tableau  d'Orviéto  présente  en  effet  de 
grandes  analogies  avec  la  Maestà  peinte  par  Lippo  Memmi  à  San 
Gimignano.  S'il  est  de  Lippo,  il  est  antérieur  à  1336,  date  de  la  mort 
du  peintre.  Personne  ne  nie  du  i-este.  que  le  tableau  d'Orviéto  n'ait 
subi  dimportantes  retouches  :  quelques-unes,  par  exemple  celle  de  la 
doublure  du  manteau,  sont  visibles  même  sur  la  photographie.  Je  ne 
sais  sur  quoi  se  fonde  M.  Thode  [Franz  von  Assisi-,  p.  ol6|  pour  attri- 
buer ce  panneau  à  un  élève  de  Lippo.  Reproduction  excellente  dans 
l'Histoire  de  iarl  publiée  par  la  librairie  Colin,  t.  Il,  2,  fig.  o20  :  l'auteur 
du  texte  explicatif  (p.  844)  estime  cette  peinture  «  Tune  des  plus 
suaves  de  Lippo  ».  Autre  reproduction,  pénible  à  voir,  dans  Reinach, 
Répertoire  de  peintures,  II,  536. 

SlEXNE. 

13.  Tableau  de  la  collection  Campana  [Catalogue  des  tableaux  du 
musée  Napoléon  III,  n"  144),  depuis  1876  au  musée  de  Cherbourg 
[Rev.  archéol..  190o,  I,  p.  427  ;  Perdrizet-René  Jean,  La  galerie  Campana 
et  les  musées  français,  p.  22).  Reisel  le  décrit  ainsi  (Xotice  des  tableaux 
du  musée  Xapoléon  III  exposés  dans  les  salles  de  la  colonnade  du  Louvre, 
Paris,  1863,  p.  34.  n"  82)  :  «  Ecole  de  Sienne,  commencement  du  xv«  siècle. 
Bois.  La  Vierge  de  Miséricorde  tenant  l'Enfant  Jésus.  Sous  son  man- 
teau se  réfugient  un  grand  nombre  de  personnes  de  toutes  conditions. 
Au  pi'emier  plan,  plusieurs  pénitents  se  frappent  avec  leurs  disciplines. 
Leur  vêtement  est  fendu  de  façon  à  laisser  voir  leur  dos  nu  »,  ou  plu- 
tôt de  façon  à  permettre  à  la  discipline  de  frapper  directement  la  peau. 
Même  ouverture  au  dos  de  la  robe  des  Disciplinati  délia  confraternité, 
di  S.  Domenico,  sur  un  tableau  de  Boccati  da  Camerino,  au  musée 
de  Pérouse  (Alinari,  o614;  Broussolle.  Jeunesse  du  Pérugin,  fig.  31  ;  Rei- 
nach, Répertoire,  t.  I,  p.  272)  et  des  pénitents  du  retable  de  Simone  de 
Cusighe     infra,  p.    8o).  — PI.  III,  2. 

14.  Sous  l'hôpital  de  Sienne  sont  des  chapelles  de  Confréries.  La  plus 
importante  de  ces  Confréries,  la  Confraternità  délia  Madonna,  possède 
une  petite  collection  de  peintures,  dont  les  plus  curieuses  ornaient 
lextrémité  des  bières  dont  se  servaient  les  confrères  pour  transporter 
les  morts.  L'une  de  ces  teste  di  barra  (Lombard!,  2401)  représente  la 
Vierge  de  Miséricorde,  trônant,  avec  l'Enfant  qui  bénit  et  la  couronne  ; 
deux  anges  soutiennent  le  manteau  sous   lequel    sont  agenouillés  les 


80  CATALOGUE 

confrères,  nu-lète.  A  droite,  saint  Bernardin  ;  le  pénitent  qui  est  der- 
rière lui,  et  les  deux  premiers  à  ffauciie  sont  couronnés  de  rayons  :  ce 
sont,  je  pense,  deux  des  douze  compagnons  de  saint  Bernardin,  qui  se 
dévouèrent  avec  lui,  pendant  la  peste  de  1400,  à  Ihopital  de  S.  Maria 
délia  Scala.  Bernardin  avait  alors  vingt  ans;  deux  ans  après,  il  entra 
dans  rOrdre  F'ranciscain  {cî.  Acla  Sanctorum,  mai  IV,  p.  726-727; 
Heywood  and  Olcolt,  Guide  io  Siena,  p.  97,  2fib,  260  ;  Analecta  Bollan- 
diana,  XXI,  j).  68;  XXV,  p.  307).  La  (esta  di  barra  photographiée  par 
M.  Lombardi  est  d'un  archaïque  attardé,  Guidoccio  Cozzarelli  ;  la  date, 
MCCCCLXXXXlIll,  est  inscrite  sous  la  Vierge.  D'autres  teste  di  barra, 
du  même  Cozzarelli,  se  trouvent  à  l'église  de  la  Miséricorde,  près 
S.  Martino  ;  mais  elles  ne  sont  pas  en  aussi  bon  état  que  celles  de  la 
Confraternltk  délia  Madonna  (Ileywood-Olcott,  p.  280).   —  PI.   VIII,  1. 

15.  «  En  1444,  Domenico  di  Bartolo  peignit  pour  la  chapelle  de 
l'hospice  (/eZ/a  Scala  une  fresque  qui  est  connue  sous  le  nom  de  Madonna 
del  Manto,  parce  qu'on  y  voit  la  Vierge  étendant  son  manteau,  pour 
pi'endre  le  peuple  siennois  sous  sa  protection...  Cette  image,  même 
dans  l'état  de  ruine  où  elle  est  aujourd'hui,  nous  apparaît  encore  suave 
et  grandiose;  elle  suffirait  à  elle  seule  pour  assigner  à  son  auteur  une 
des  premières  places  parmi  les  artistes  siennois  du  xv«  siècle.  C'est  le 
seul  tableau  de  dévotion  qui  reste  de  Domenico  à  Sienne  »  (Rio,  De  l'art 
chrétien,  I,  p.  82;  cf.    Heywood   and  Olcott,  Guide  to  Siena,  p.  267*. 

*  16.  Milanesi  \Documenti  per  la  storia  dell'arte  Senese,  t.  III,  p.  80)  a 
j)ublié  un  document  concernant  une  I)annière  peinte  pour  la  Confrérie 
de  la  Trinité  par  Benvenuto  di  Giovanni  di  Meo  del  Guasta  :  Memnria 
chôme  a  di  XVIII  di  Magio  anno  1 49i  fu  jinito  il  chonfalone  che  s'è  fatto 
nnovo  délia  Comparjnia  délia  sanla  Efernilà  e  da  una  allro  lato  la  ç/rolioxa 
Xostra  Madré  senipre  cergine  Maria,  la  quale  tiene  sotto  el  suo  santis- 
sinio  manto  tutti  e  frateglie  sorele  di  noslra  Compagnia. 

Ahezzo. 

*  17.  Spinello  d'Arezzo  (y  1410)  avaitpeint  pendant  la  peste  de  1383,  sur 
la  façade  de  l'église  des  saints  martyrs  arétins,  Laurentin  et  Pergen- 
lin,  la  Vierge  de  Miséricorde  abritant  sous  son  manteau  la  population 
d'Arezzo  (Vasari,  t.  I,  p.  682).  La  petite  église  Saint-Laurentin  et 
Saint-Pergentin  servait  d'oratoire  à  la  Confrérie  de  la  Miséricorde 
(Vasari,  t.  II,  p.  283  ;  Spinello  faisait  partie  de  cette  puissante  Con- 
frérie ;  c'est  pour  elle  qu'il  peignit  la  fresque  en  cpiestion.  L'œuvre  a  été 
détruite  au  xv!!!*"  siècle,  lors  de  la  réfection  de  l'église.  On  n'en  sait  rien 
de  plus  que  ce  qu'en  dit  Vasari.  Des  peintures,  œuvres  de  Parri  (1387- 
14;i2),  le  fils  de  Spinello,  peuvent  donner  idée  de  la  fresque  perdue. 
Parri,  qu'on  a  souvent  confondu  avec  son  père,  fut  de  ces  peintres  attar- 
dés qui,  jusqu'au  milieu  du  xV^  siècle,  restèrent  fidèles  aux  traditions 
du  xiv'=.  Ses  œuvres  sont  caractérisées  par  la  longueur  démesurée  des 
personnages.  Vasari,  Arétin  comme  Parri,  fait  de  lui,  par  esprit  de  clo- 
cher, un  éloge  excessif 'co/ort  benissimo  a  tempera  ed  in  fresco  perfella- 
nvnli'.  I.  II.  II.  276). 


CATALOGUE  81 

18.  Grand  tableau  d'autel,  parParri  Spinello,  décrit  par  Vasari  ,'t.  II, 
p.  283),  aujourd'hui  à  la  Pinacothèque  d'Arezzo  ( Alinari,  OOTa'i.  II  fut 
voué,  dit  Vasari,  par  la  Confrérie  de  la  Miséricorde,  dont  Parri  était 
membre  ;  en  effet,  le  monogramme  de  la  Miséricorde  est  figuré  deux 
fois,  dans  le  champ.  La  Vierge,  de  taille  gigantesque,  vêtue  d'une 
somptueuse  étoffe  à  ramages,  porte  l'Enfant  :  celui-ci,  dans  la  main 
droite,  tient  un  petit  oiseau.  Deux  anges  volent  autour  de  la  Vierge, 
avec  des  encensoirs  :  deux  autres  anges  tiennent  d'une  main  son  manteau 
soulevé;  dans  l'autre  main,  ils  ont  des  tiges  fleuries  de  lis  et  de  rosier. 
Le  sol,  aux  pieds  de  la  Vierge,  est  jonché  de  fleurs.  Sous  le  manteau 
sont  agenouillés  les  gens  d'Arezzo,  à  droite  les  hommes,  à  gauche  les 
femmes.  Parmi  les  hommes,  des  bourgeois  coiffés  du  chaperon,  des 
moines,  et  un  roi,  couronne  en  tète.  A  droite  et  à  gauche,  agenouillés, 
intercédant  autour  de  la  Vierge,  saint  Laurentin  et  saint  Pergenlin. 
Le  martyre  de  ces  saints  est  représenté  sur  la  prédelle,  en  quati'e  com- 
positions qui  sont  comme  de  grandes  miniatures  :  i<  La  predella  con- 
tiene  di  figure  piccole  il  mnrlirio  di  que  due  Sand,  tanlo  ben  fatlo,  che 
è  cerfo,  per  cosa  piccola,  una  inaraviglia  »  (Vasari).  Cf.  Cavalcaselle- 
Crowe,  éd.  Douglas,  t.  II,  p.  27.3).  Vasari  donne  des  détails  sur  la  fête 
que  la  Confrérie  de  la  Miséricorde  célébrait  le  2  juin,  natale  des 
saints  Laurentin  et  Pergentin  (Acta  SS.,  juin  I,  p.  i.o9  a).  L'église  des 
deux  martyrs,  qui  était  l'oratoire  de  la  confrérie,  eût  été  trop  petite 
pour  contenir  la  foule  :  sur  la  piazza  alla  croce,  où  se  trouvait  l'église, 
on  dressait  ime  tente  sous  laquelle  on  élevait  un  autel  ;  sur  cet  autel, 
on  exposait  à  la  vénération  des  fidèles  la  chasse  de  Forzore,  dont  nous 
allons  parler  (n"  20  ,  et  le  tableau  de  Parri. 

19.  Fresque  de  Parri  Spinello,  dans  la  grande  salle  de  l'ancienne  mai- 
son des  Confrères  de  la  Miséricorde,  maintenant  salle  du  trii)unal  civil. 
Cf.  Cavalcaselleet  Cro%ve,  Storia,  t.  II,  p.  467.  Douglas,  dans  son  édition 
del'ouvragede  Cavalcaselleet  Crowe  (t.  II,  p.  272),  confond  cette  frest[ue 
avec  celle  de  S.  Maria  délie  Grazie  [infra,  ch.  x,  cat.  n"  12).  Elle 
représente  la  Vierge  abritant  sous  son  manteau  les  gens  d'Arezzo  pour 
lesquels  intercèdent  saint  Grégoire  et  saint  Donat  debout  ;  derrière  la 
Vierge,  deux  anges  qui  volent.  Vasari  (t.  II,  p.  283)  dit  que  beaucoupdes 
priants  représentaient  des  personnages  connus  d'Arezzo,  notamment  un 
certain  Braccio,  qu'on  appelait  <■  le  Riche  »  et  qui  mourut  en   1425. 

20.  Reliquaire  en  bronze,  très  médiocre  travail  toscan  de  la  première 
moitié  du  xv^  siècle,  au  musée  d'Arezzo  (Alinari,  9749  .  Sur  les  côtés, 
des  scènes  de  la  vie  des  saints  Laurentin  et  Pergentin.  Au  sommet  du 
couvercle,  une  statuette  de  bronze,  qui  repi'ésente  la  Vierge  de  Miséri- 
corde, abritant  sous  son  manteau,  à  droite  les  hommes,  à  gauche  les 
femmes.  Ce  serait  l'œuvre  de  Forzore  di  Niccolô  Spinello,  cousin  de 
Parri  Spinello.  Vasari  éd.  Milanesi,  t.  II,  p.  2831  parle  d'un  reliquaire 
de  Forzore,  en  argent,  qui  contenait  les  corps  des  saints  Laurentin  et 
Pergentin,  et  qui  appartenait  à  la  Confrérie  de  la  Miséricorde  ;  or  le 
reliquaire  du  musée  d'Arezzo  serait  en  bronze.  Mais  Vasari,  qui  s'est 
trompé  sur  le  degré  de  parenté  entre  Forzone  et  Parri,   a  l)ien  pu  se 

romper  aussi  sur  la  matière  du  reliquaire.  —  PL  VII,  2. 

Pr.nnm/.iiT.  —  La  Merye  de  Miséricorde.  6 


82  CATALOGLR 

21.  Lunette  à  arc  mixtilig-ne  (cf.  Reyniond,  L'arc  mirtlligne  florentin, 
dans  Riviata  d'arte,  II,  n"  12i,  en  marbre  blanc,  sur  la  porte  de  Tan- 
cicnne  maison  des  confrères  de  la  Miséricorde.  Perkins,  Sculpteurs 
il.iliens  (Paris,  1870).  t.  I,  p.  lofi,  dit  à  tort  que  ce  relief  orne  le  por- 
tail de  S.  Maria  délia  Pieve.  Reproductions  dans  Cicognara,  Storia 
(lella  scultura,  pi.  XVIII,  et  dans  Bode,  Denknviler  der  Renaissance- 
Srulplur  Toscanas,  pi.  313  ;  cf.  Alinari,  9739.  Venturi  Archivio  slorico 
dcliarte,  1889,  p.  233  ;  cf.  Burckhardt,  9,  p.  449)  a  démontré  que  ce 
relief,  altril)ué  jusqualors,  d'après  Vasari,  à  Niccolô  di  Piero  di 
Liimberli,  Arétin,  qui  commença  en  1383  la  construction  de  la  Misé- 
ricorde d'Arezzo,  était  de  Bernardo  di  Mattco  da  Settignano,  autre- 
ment appelé  Rossellino.  La  maquette,  assez  difTérente  dans  les  détails, 
est  au  musée  d'Arezzo  (Alinari,  9743  ;  Bode,  pi.  31G|.  Les  proportions 
très  élancées  de  la  Vierge  rappellent  Spinello,  avec  l'exagération  en 
moins.  La  Vierge  a  l'Enfant  sur  les  bras,  dans  une  belle  attitude  mater- 
nelle; elle  regarde  en  haut,  vers  Dieu  ;  le  visage,  le  regard  expriment 
la  pitié,  la  tendresse  miséricordieuse.  Deux  angelots  écartent  les  pans  du 
manteau,  sous  lequel  sont  agenouillés  des  gens  de  toutes  conditions  ;  à 
droite,  en  haut,  le  pape  ;  derrière  lui,  sur  la  maquette,  un  moine  enca- 
puchonné ;  derrière  le  moine,  un  soldat  casqué  ;  devant  le  soldai,  sur 
la  maquette,  une  femme.  Bernardo  a  rompu  avec  la  tradition,  qui  ne 
manquait  pas  de  mettre  à  la  droite  delà  Vierge  les  clercs  ou  les  hommes, 
à  la  gauche  les  laïcjues  ou  les  femmes.  Aux  extrémités  du  tympan,  age- 
nouillés, les  doux  martyrs  locaux,  Laurentin  et  Pergentin,  une  main  sur 
la  poitrine,  dans  un  geste  d'adoration  ;  l'autre  main,  qui  tient  la  palme 
du  martyre,  s'appuie  sur  une  targe  qui  porte  Le  monogramme  crucifère 
de  la  (Confrérie,  Miisericordi)A,  le  même  que  sur  le  tableau  de  Parri  à 
la  Pinacothèque  d'Arezzo.  —  PI.   IX,  1. 

Flohence. 

'  22.  Retable  et  sceau  de  la  Compac/nia  di  S.  Maria  délia  Pielà  o  delta 
Miscricordia.  Cette  Confrérie,  ordinairement  appelée  bucca  di  S.  Giro- 
lamo  d'après  l'endroit  où  elle  fut  fondée  (la  grotte  de  saint  Jérôme  à 
P'iesole),  se  réunissait  dans  le  sous-sol  de  l'hôpital  S.  Mattco.  Ses 
statuts,  de  1410,  révisés  en  1414,  sont  conservés  dans  les  archives  de  la 
confrérie,  piazza  S.  .Innu/jcia^a,  et  contiennent  cette  mention  :  «  Una 
tavola  di  Noslra  Donna  délia  Pietà  overo  Misoricordia,  sotto  il  cui  amanto 
si  goda  la  brigata  degli  eletti...  Ancora  uno  suggello  colla  figura  di 
S.  Maria  della  Pietà  collo  amanto  steso  al  modo  detto.  »  Ces  deux  monu- 
ments sont  aujourd'hui  perdus.  Cf.  Brockhaus,  ForKchunfjen,  p.  111. 

22  bia.  Le  manuscrit  (pii  renferme  ces  statuts  est  orné  de  deux  petites 
miniatures  (lettres  ornées  ?)  qui  représentent  la  Vierge  abritant  sous  son 
manteau  des  priants  agenouillés.  Cf.  Brockhaus,  op.  laud.,  p.  114. 
D'après  M.  Grenier,  qui  a  bien  voulu  les  examiner  à  mon  intention,  ces 
mmiatures  ne  présentent  pas  de  particularités  notables. 

23.  La  maison  des  Enfants  trouvés  (Spcdale  degli  innocenti)  possède 
dans  s-i  petite  galerie  de  peinture  une  toile  de  Pontormo  (1494-1  !)')7)  qui 


CATALOGUE  iSo 

représente  la  Vierge  couvrant  de  son  manteau  les  enfants  trouvés.  Cet 
institut  de  bienfaisance  est  placé  sous  l'invocation  de  la  Vierge  (Brock- 
haus,  oy).  latid.,  p.   115). 

24.  Prédelle  de  Ridolfo  Ghirlandajo,  au  Bigallo.  Alinari,  17095  ; 
Poggi-Sui)ino-Ricci,  Il  Bir/allo  (Florence,  190^>,  p.  29).  Cette  prédelleorne 
le  retable  de  marbre  blanc,  exécuté  au  commencement  du  xvi''  siècle 
pour  loger  les  trois  statues  d'Alberto  Arnoldi,  qui  sont  du  xiV  siècle. 
.<  Dipinse  anco  Ridolfo  nella  chiesina  délia  Misericordia  in  sulla  piazza  di 
S.  Giovanni,  in  una  predella,  tre  bellissime  storie  délia  Nostra  Donna, 
che  paiono  miniate  »  ^Vasari,  VI,  p.  o38).  La  Vierge  de  Miséricorde 
occupe  le  milieu  de  la  prédelle,  entre  deux  petits  panneaux  qui  forment 
comme  les  volets  d'un  triptyque  et  qui  représentent  la  Nativité  et  la 
Fuite  en  Egypte.  Les  pans  du  manteau  sont  soutenus  par  des  anges. 
Sous  le  manteau,  à  droite,  le  pape,  l'évèque,  le  moine  et  des  laïques  ;  à 
gauche,  les  femmes,  religieuses  et  séculières.  Du  groupe  formé  par  la 
Vierge  et  par  ceux  qui  l'implorent  s'approche  le  Christ  ;  de  la  main 
droite,  il  fait  le  geste  de  la  bénédiction,  les  deux  premiers  doigts  levés; 
de  la  main  gauche,  il  montre  sur  sa  poitrine  le  lis  de  Florence.  A  l'une 
des  extrémités  delà  prédelle,  saint  Pierre  de  Vérone,  massacré  par  les 
hérétiques.  A  l'autre  extrémité,  Tobie  et  son  père  portent  un  mort; 
dans  le  fond,  un  cortège  de  pénitents  noirs  ;  la  scène  se  passe  devant 
S.  Giovanni,  c'est-à-dire  devant  le  Bigallo  môme.  Ces  deux  composi- 
tions rappellent  la  double  origine  de  la  Confrérie  du  Bigallo.  En  1244, 
saint  Pierre  de  Vérone  fonde  l'ancienne  Confrérie  du  Bigallo  »  ad  onore 
e  reverentia  délia  nostra  gloriosa  madré  V^ergine  Maria  »  i  texte  cité  par 
Alinari,  Eglises  et  couvents  de  Florence,  p.  85),  pour  combattre  l'albi- 
géisme.  En  1425,  cette  Confrérie  se  fond  avec  celle  de  S.  Maria  délia 
Misericordia,  qui  datait  de  1292  (Brockhaus,  Forschungen,  p.  108i,  et  qui 
avait  Tobie  pour  patron  :  c'est  pourquoi  dans  l'une  des  chambres  du 
Bigallo  est  peinte  à  fresque,  en  douze  tableaux,  toute  l'histoire   de  Tobie 

Urbin    (environs  d'). 

25.  Giovanni  Santi  vers  1483)  reçut  la  commande  d'une  Madonna  délia 
Misericordia  pour  l'oratoire  de  l'hôpital  de  Montefiore,  à  quelques  milles 
d'Urbin.  a  La  Vierge,  debout  dans  une  niche,  présente  l'Enfant,  qui  bénit 
d'une  main,  et  de  l'autre  tient  le  globe.  Deux  anges  soulèvent  les  pans 
du  manteau.  Au-dessous  du  groupe  divin  sont  agenouillés  à  droite 
quatre  confrères  de  la  Miséricorde  ;  à  gauche,  trois  connorelle,  devant 
lesquelles  en  est  une  quatrième,  jeune  et  belle,  qui  encourage  à  l'adora- 
tion son  petit  enfant.  Ces  figures,  qui  sont  des  portraits,  ont  beaucoup 
d'animation  et  expriment  avec  une  rare  justesse  une  foi  naïve  et  un  peu 
bornée.  Saint  Paul,  saint  Jean  l'Evangéliste,  saint  François  et  saint 
Sébastien  sont  groupés  à  l'entour.  Dans  le  haut,  deux  petits  anges  age- 
nouillés sur  des  nuages  »  (Cavalcaselle  et  Crowe,  Vlll,  p.  406).  La 
description  de  Passavant  (Raphaël  d'Urbin  et  son  père  Giovanni  Santi 
Paris,  1860,  t.  1,  p.  24;  cf.  t.  II,  p.  607)  est  très  inexacte. 

Ancône. 

26.  Tym[)an  cinti'é,sur  la  porte  de  l'église  de  Santa  Maria  delta  Mise- 
ricordia. La   Vierge,  sans  la  couronne  et  sans   l'Enfant,  couvre  de  son 


8 1  CATALOGUE 

manteau  la  foule  des  confrères  de  la  Miséricorde  'Alinari,  17666'.  Cette 
porte  est  une  œuvi-e  élégante  de  la  première  Renaissance  (Biirckhardt, 
Le  (Acerone,  t.  Il,  p.  63  de  la  traduction);  le  relief,  qui  est  de  la  même 
époque,  g'arde  une  forte  saveur  archaïque.    —  PI.  IX,  2. 


Bologne. 

*27.  Retable  aujourd'hui  perdu  Milanesi,  Vasari,  II,  p.  140),  jadis 
sur  le  maître-autel  de  l'église  de  Mezzaratta,  près  Bologne.  Cf.  d'Agin- 
court,  t.  III,  p.  151,  pi.  160,  d'après  un  ouvrage  anonyme  que  je  n'ai 
pu  voir,  Pitture,  scolture  ed  architetlure  délie  chiese  di  Bologna,  1782, 
p,  362.  La  Vierge  est  encore  de  type  roman  ou  byzantin  ;  des  deux  mains, 
elle  tient  devant  elle  l'Enfant  qui  bénit.  Les  priants  sont  échelonnés 
les  uns  au-dessus  des  autres,  à  droite  des  femmes,  à  gauche  des 
hommes.  Ce  sei'aient,  d'après  d'Agincourt,  les  membres  de  la  Confrérie 
qui  fit  faire  cet  ex-voto.  Au  revers  du  tableau  était  cette  inscrip- 
tion :"XPOFORUS    [Christo foras)    PINXIT.    1380. 


Parmk. 

28.  Fresque  de  la  fin  du  irecenlo.  dans  une  chapelle  du  Baptistère.  Au- 
dessous  d'une  Crucifixion,  la  Vierge  de  Miséricorde  entre  deux  saints, 
Zenexius  ^S.  ZE.NEXIVS;  qui  joue  du  violon,  et  Zenon.  La  Vierge  étend 
son  manteau  sur  une  dizaine  de  personnes  agenouillées,  de  tout  âge  et 
condition,  à  droite  les  hommes,  à  gauche  les  femmes.  Dans  le  champ, 
une  inscription  ruinée  :  CSORTIVM  VIVORVM  et  MORTVORVM 
MCCCLXXXXVIII...  La  Vierge  de  Miséricorde  était  la  patronne  du 
Consorzio  dei  Vivi  e  dei  Morti  auquel  appartenait  la  chapelle,  et  qui 
avait  été  fondé  le  25  février  130*  Allodi,  Série  cronologica  dei  vescovi 
di  Parma,  I,  p.  576).  Je  dois  la  photographie  de  cette  fresque  à  l'obli- 
geance de  M.  L.  Testi,  directeur  de  la  Galerie  de  Parme.  —  PI.  VIII,  2. 

29.  Madonna  délia  Misericordia,  fresque  de  Pier  Antonio  Barnabe! 
(1567-1630  ,  naguère  au-dessus  de  la  porte  extérieure  de  YOrfanotrofio 
femminile  de  Parme,  récemment  entrée  au  musée  de  Parme.  II.  2,14  ;  larg. 
4,60.  La  Vierge  abrite  sous  son  manteau  les  orphelins  et  les  recteurs 
et  rectrices  de  l'établissement;  elle  fait  de  la  main  droite  un  geste 
d'accueil  et  dans  la  main  gauche  tient  un  pain.  Cf.  Bnlletlino  d'arte  dei 
Minislerio  délia  Puh.  Isfruzione,  1907,  fasc.  IV,  p.  19,  avec  gravure. 


Vkrone. 

30.  L'église  Sainte-Marie  de  la  Miséricorde,  plus  tard  église  Saint-Eloi, 
était  celle  de  la  Corporation  (Università  des  orfèvres.  La  Vierge  y  était 
représentée  abritant  six  membres  de  la  Corporation  sous  son  manteau 
dont  deux  anges  tenaient  les  pans  Biadego,  L'arte  dcgli  ure/ici  in 
Verona,  Vérone,  Francliini,  1890,  p.  29-30). 


Perdrizet,  Lii   Vierge  de  Miséricoi-de 


PI.  X 


;j 


CATALOGUE  »0 

Venise. 
Miniatures  et  peintures . 

31.  Musée  Correr,  salle  XIV,  n°  106.  Mariegola  (Mariae  régula).  Manu- 
scrit de  la  règle  de  la  Confraternité  de  saint  Martin,  dans  l'église  du 
même  nom.  Date  :  133)).  Sur  l'une  des  pages  du  frontispice,  la  Crucifixion  ; 
sur  l'autre,  la  Vierge  abritant  sous  son  manteau  une  foule  de  bourgeois. 

32.  Musée  Correr,  salle  XIV,  n"  92.  Miniature  qui  a  dû  servir  de  fron- 
tispice à  une  Mariegola.  Sous  le  manteau  de  la  Vierge  sont  agenouillés 
des  confrères  en  cagoule,  ayant  sur  le  cœur  un  médaillon  avec  les  lettres 
SMV  [Societas  Mariae  Virginis)  entrecroisées. 

33.  Académie,  n"  18.  Retable  de  Simone  daCusighe,  peintre  vénitien 
de  la  seconde  moitié  du  xiv''  siècle;  jadis  dans  l'église  Saint-Barthélémy, 
à  Salce  (Salce  et  Cusighe  sont  deux  villages  près  de  Bellune).  Braun, 
20798;  Anderson,  13280.  Cf.  Cavalcasalle  et  Crowe,  IV,  p.  254;  Lafe- 
nestre  et  Richtenberger,  Venise,  p.  81;  Paoletti,  Cat.  délie  R.gallerie 
di  Venezia,  p.  12.  Sur  le  cadre  on  lit  :  M  CCCL  XXXXIIIl  INDIC(<to/ie) 
II  DIE  XX  AVGVSTIFACTVMFVITlïioclOlpfisjOXESTO  VIROD(ommo) 
X(/-/sfo)FORO  CAPELL(a/i)0  ^{ancti)  BA(r;TII(o/o/»ae)  ISIMOX  FECIT. 
Sur  les  panneaux  latéraux,  la  vie  de  saint  Barthélémy  :  on  le  voit 

h  droite  :  prêchant,  exorcisant         à  gauche  :  devant  le  roi  Astragès, 
la  fille  du   roi  Polé-  baptisant       Astragès, 

mios,  jugé  par  Polé-  écorché    vif,  décapité, 

mios,  battu  de  verges. 
La  Vierge,  couronnée,  ayant  devant  la  poitrine  l'Enfant  dans  une 
mandorla,  soulève  d'un  geste  mièvre  les  plis  de  son  manteau  sous  lequel 
sont  agenouillés  les  membres  d'une  Confrérie;  tous  ceux  dont  on  voit 
la  figure  sont  barbus;  tous  ont  le  chapelet  à  la  main;  deux  tiennent  de 
grands  cierges  allumés,  à  grande  bobèche;  un  autre,  la  bannière  de  la 
Confrérie  :  ce  gonfalone  devait  être  surmonté  tfune  grande  croix  d'or- 
fèvrerie, et  sur  l'étoffe  de  couleur  rouge  était  peinte  la  Vierge  de  Miséri- 
corde :  la  bannière  a  été  représentée  flottant  au  vent,  maison  y  distingue 
très  bien  la  partie  supérieure  d'une  Vierge  au  manteau.  —  PI.  X,  1. 

34.  Académie,  n"  270  (Phot.  Salviati,  760).  Tableau  du  Tintoret.  La 
Vierge,  sans  la  couronne  et  sans  l'Enfant,  est  debout  sur  un  piédestal, 
autour  duquel  sont  agenouillés,  tête  nue,  les  membres  d'une  Scuola. 
Les  premiers  mots  de  la  prière  qu'ils  récitent  sont  inscrits  sur  le  pié- 
destal :  SVB  TVVM  PRAESIDIVM  CONFVGIMVS. 

Reliefs. 

35.  Sur  la  porte  delV  aniico  alhergo  de'  Confratelli  délia  Misericordia. 
xiv**  siècle.  Tympan  en  arcade,  divisé  en  trois   compartiments  par  deux 


86 


CATALOGUE 


colonneltes.  Dans  les  compartiments  latéraux,  debout,  saint  Jean-Bap- 
tiste et  un  apôtre.  Dans  celui  du  milieu,  la  Vierge  debout,  couronnée, 
nimbée;  devant  elle,  dans  la  inandorla,  l'Enfant  levant  les  deux  mains 
pour  bénir.  La  Vierge  étend  son  manteau  sur  dix  confrères  agenouillés. 
L'arcade  trilobée  au-dessus  de  la  Vierge  est  ornée  de  fleurons  d'où 
sortent  trois  bustes  :  en  haut,  Dieu  bénissant,  avec  le  globe  du  monde  ; 
à  droite  et  à  gauche,  saint  Pierre  et  saint  Paul. 

36.  Relief  du  xiv«  siècle,  à  Santa  Maria  dell"  Orto.  Cf.  Zanotto,  Guida  di 
Venezia,  p.  321;  Pe^'kins,  Sculpleurs  italiens  (Paris,  1870),  II,  p.  193; 
Hans  von  der  Gabelentz,  Mittelalterliche  Plastik  in  Venedig  (Leipzig, 
1903),  p.  229. 

37.  A  S.  Stefano.  Mentionné  par  Gabelentz,  p.  229. 

38.  Relief  de  forme  ogivale  attribué  à  l'atelier  de  Bartolomeo  Buon 
(commencement  du  xv*  siècle),  autrefois  sur  la  porte  délia  scuola  délia 
Misericordia,  aujourd'hui  au  musée  de  South  Kensington.  Cicognara, 
pi.  39,  t.  II,  p.  171;  Jameson,  Madonna,  p.  30;  Saint  François  d'Assise 
(Paris,  Pion),  p.  48;  Kraus,  Geschichle  der  chrisll.  Knnst,  II,  fig.  268; 
Gabelentz,  p.  229.  Derrière  la  Vierge,  un  figuier  —  l'aibre  de  Jessé  — 
dans  les  branches  duquel  apparaissent  à  mi-corps  des  personnages 
barbus,  tenant  des  banderoles  :  ce  sont  les  ancêtres  et  les  prophètes 
du  Christ  :  en  haut,  reconnaissables  à  leur  couronne,  David  (barbu)  et 
Salomon  (imberbe);  les  autres  portent  le  bonnet  phi'ygien,  caractéris- 
tique des  Orientaux  l'art  chrétien  archaïque  en  coifl'ait  les  rois  Mages). 
Deux  anges  aident  la  Vierge  à  soutenir  les  plis  du  manteau.  Le  premier 
priant  à  gauche  semble  relever  son  capuce  pour  mieux  voir  la  Vierge. 
Etant  donné  la  provenance  du  i-elief,  il  est  surprenant  que  les  auteurs 
du  Saint  François  d'Assise  aient  voulu  reconnaître  «  la  famille  francis- 
caine »  dans  cette  confrérie.  —  PI.  X,  2. 

39.  La  grande  salle  de  la  Scuola  grande  de  Santa  Maria  délia  Carità, 
aujourd'hui  la  salle  I  de  l'Académie,  est  ornée  d'un  plafond  en  bois,  de 
style  <<  gothique  »,  exécuté  de  1461  à  1484,  par  Marco  Cozzi  di  Giampe- 
Iro,  de  Vicence.  «  Nel  tondo  di  mezzo,  che  in  origine  avea  intagliata  la 
Madona  accogliente  sotto  il  nianto  dei  confratelli,  fu  per  ultimo  collocata 
una  tavola  di  Alvise  Vivarino  représentante  il  Padre  Eterno  circondato 
da  cherubini  »    Paoletti,  Catalogo,  p.  2). 

40.  Musée  Correr,  n°  16.  Relief  de  VMi  ;  «  era  sopra  la  porta  délia 
Scuola  dei  Varotari  a  S*  Margherita  ».  Mentionné  par  Gabelentz,  p.  229. 


Niçois  et  Provence. 

41.  Marseille. —  Bannière  commandée  en  L'ilS  à  Antoine  Ronzen, 
peintre  d'Aix-en-Provence,  par  la  Confrérie  du  Rosaire,  pour  l'église 
des  Dominicains  de  Marseille.  Voir  ])\us  loin.  ]>.  loi. 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


PI.  XI 


i:AlALU(il  K  87 

42.  Nice.  —  Dans  la  sacristie  de  la  cliapolle  de  la  Miséricorde,  autre- 
ment dite  des  Pénitents  Noirs.  Grand  retaille  à  onze  compartiments, 
signé  :  hoc  pinxit  Johannes  Mirniheti  (vers  1475-1480).  Dans  le  compar- 
timent du  milieu,  la  Mater  omnium,  sans  l'Enfant;  dans  les  autres,  des 
Saints,  dont  trois  antipesteux,  Hoch,  Côme  et  Damien.  Sur  la  prédelle, 
des  scènes  de  la  Passion  :  Noli  me  tangere;  la  Déposition  au  tombeau; 
les  Saintes  femmes  au  tombeau.  (]r.  Brun,  Jean  Miraiheli  et  les  trois 
Bréa,  étude  sur  la  peinture  niçoise  de  la  Renaissance  [Annales  de  la 
Société  des  lettres,  sciences  et  arts  des  Alpes-Maritimes,  t.  XII,  p.  9  du 
tirage  à  part)  ;  H.  Moris,  Au  pays  bleu  (Paris,  lUOO),  p.  48  avec  planche  ; 
Palustre,  De  Paris  à  Sybaris,  p.  77. 

43.  Nice.  —  Au  même  endroit  que  le  précédent.  Retable  de  Jean 
Miraiheti  ou  de  son  élève  Louis  Bréa,  peint  vers  1480,  représentant  la 
Mater  omnium  avec  TEnfant  sur  le  bras  gauche.  Dans  le  fond  une  vue 
de  Nice  (château,  pont  Saint-Antoinel.  Cf.  Brun,  op.  cit.,  p.  20  ;  Moris, 
op.  cit.,  p  .  47. 

44.  Aix.  —  Tableau  de  Granet  (né  à  Aix  en  1773,  -j-  1849)  au  musée 
d'Aix,  repi'ésentant  l'intérieur  d'une  salle  d'asile.  Au  mur  de  la  salle  est 
suspendu  un  grand  tableau  représentant  la  Vierge  de  Miséricorde  ;  en 
haut,  dans  chaque  coin,  un  ange  ;  sous  le  manteau  de  la  Vierge  quatre 
femmes  à  mi-corps,  la  fraise  au  cou,  prol)ablement  les  régentes  d'une 
institution  charitable. 

France  du  nord. 

45.  Fresque  dans  le  chœur  de  l'église  paroissiale,  à  Saint-Céneri-le- 
Gérei  (arr.  et  canton  d'Alençon).  La  Vierge,  couronnée,  abrite  sous  son 
manteau  un  grand  nombre  de  laïques  agenouillés,  placés  sur  quatre  rangs, 
appariés  par  couples,  le  maria  côté  de  sa  femme;  ni  vieillards,  ni 
enfants;  tous  sont  nu-tête,  sans  attributs  caractéristiques.  Au-dessus  de 
la  Vierge,  deux  anges  font  flotter  une  banderole  qui  portait  une  inscrip- 
tion aujourd'hui  illisible.  Hors  du  manteau  protecteur  «  un  homme, 
malgré  tous  les  efforts  qu'il  fait  pour  se  retenir,  paraît  glisser  sur  une 
pente  rapide  au  bas  de  laquelle  l'attendent  deux  bètes  immondes,  prêtes 
aie  dévorer.  »  Les  fresques  de  cette  église  auraient  été  exécutées  entre 
1362  et  1370.  Cf.  La  Normandie  monumentale  et  pittoresque,  Orne  (Le 
Havre,  1896,  f),  p.  72  (notice  de  M.  de  Beaurepaire).  —  PI.  XI,  1. 

46.  La  Confrérie  de  l'IIôtel-Dieu,  l'une  des  ([uatre  Confréries  de  cha- 
rité qui  existaient  à  Bernay,  avant  la  Révolution,  avait  pour  armoiries  : 
d'azur  à  une  N.-D.  ayant  plusieurs  personnes  à  genoux  sous  son  man- 
teau, le  tout  d'or  (R.  Bordeaux,  Miscellanées  d'archéologie  normande 
relatives  au  dép.  de  l'Eure,  Paris,  18S0,  p.  162  ;  Porée,  Le  registre  de  la 
Chxrité  des  Cordeliers  de  Bernag,  Rouen,  1887,  p.  3). 

47.  Méreau  de  plomb  trouvé  dans  la  Seine,  à  Paris,  sous  le  pont 
Notre-Dame,  en  1858.  Dun  côté,  la  Vierge  tenant  l'Enfant  et  couvrant 
de  son  manteau  des  priants  agenouillés.  De  l'autre  côté,  saint  André. 


88  CATALOGUE 

Ce  méreau  provient  probablement  d'une  Confrérie  de  saint  André  qui 
existait  au  x\"^  siècle,  dans  la  paroisse  Saint-Eustache.  Cf.  Forg-eais, 
Plombs  historiés  trouvés  cluns  la  Seine  Paris,  186a  ,  t.  III,  p.  128;  l'objet 
est  conservé  au  musée  de  Clunv. 


Lorraine. 

48.  Lettre  initiale  de  la  charte  d'érection  de  la  Confrérie  de  Sainl- 
Nicolas-des-Clercs,  à  Toul.  Voir  supra,  p.    73.  —  PL  XII. 

Alsace. 

49.  Fresque  du  début  du  xvr'  siècle,  dans  l'église  de  Vieux-Thann,  au- 
dessus  de  l'autel  des  Pfei/jfer  :  les  musiciens  ambulants  de  la  Haute- 
Alsace  formaient  une  Confrérie  qui,  annuellement,  le  jour  de  leur  fête 
[Pfeiffertay  ,  se  réunissait  dans  l'église  de  Vieux-Thann.  La  Vierge  cou- 
ronnée tient  l'Enfant  sur  le  bras  gauche  et,  dans  la  main  droite,  une 
fleur.  Deux  anges  soulèvent  le  manteau  sous  lequel  les  Pfeiffer  sont 
agenouillés,  chacun  avec  son  instrument  :  guitare,  violon,  tambour.  A 
gauche,  au  premier  rang,  sont  agenouillés  trois  personnages  vêtus  de 
blanc,  les  dignitaires  de  la  Confréi'ie  (?).  Cf.  Straub,  L'église  de  Vieux- 
Thann  (Strasbourg,  Schultz,  1873;,  brochure  in-8,  avec  une  planche  en 
couleur,  et  deux  lettres  d'indulgence  de  4399,  relatives  à  Fautel  des 
Pfeiffer.  La  planche  publiée  par  Straub,  d'après  laquelle  nous  avons 
dû  faire  exécuter  notre  reproduction,  ne  saurait  passer  pour  un  modèle 
d'exactitude,  pas  plus  que  la  copie  récente,  sur  toile,  en  grandeur  d'ori- 
ginal, qui  est  exposée  dans  l'église  de  Vieux-Thann.  —  PL  XI,  2. 

Bavikke. 

50.  A  la  cathédrale,  dans  la  chapelle  de  la  Mère  de  Miséricorde,  «  vom 
Grabmal  der  "Priesterlu'uderschaft  »,  plaque  de  marbre  rouge,  datée  de 
1620.  Marie,  debout,  couronnée,  les  mains  jointes,  le  regard  fixé  avec 
compassion  sur  les  personnages  agenouiUés  à  ses  pieds  ;  sous  son  man- 
teau, que  soutiennent  deux  anges,  deux  prêtres  sont  à  genoux,  en  cos- 
tume d'officiant  ;  l'un  tient  un  calice  sur  lequel  est  l'hostie.  Cf.  Die 
Kunsldenkmiiler  (les  Konirjreichs  Bayern,  t.  I,  p.  989,  pi.  149. 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


PI.  XII 


\i     -)  '       U-  i ,v—  ,  -    ^— i^ — . — j 


Charte  de  la  Confrérie  de  Saint-Xicolas-des-Clercs,  a  ïûul 


CHAPITRE  V 

LA  VIERGE  DE  MISÉRICORDE  ET  LES  CONFRÉRIES 
DU  ROSAIRE 


La  dévotion  du  Rosaire  inventée  vers  1470  par  le  Dominicain  breton  Alain 
de  la  Roche,  et  lancée  à  la  fin  du  \\^  siècle  par  l'Ordre  des  Prêcheurs. 
—  La  Confrérie  de  Cologne,  la  première  en  date  des  Confréries  du 
Rosaire.  —  Le  retable  de  cette  Confrérie.  —  Pourquoi  la  Vierge  au 
Rosaire  a-t-elle  été  figurée  d'ordinaire,  jusqu'à  la  fin  du  xvi"  siècle,  en 
Mater  omnium  ?  —    Description    d'une    curieuse    gravure    incunable. 


Nous  n'avons  parlé  jusqu'ici  que  des  Confréries  de  péni- 
tence et  de  charité.  A  côté  de  celles-là,  il  en  est  d'autres  qui 
ont  pour  objet  la  méditation  de  certains  mystères.  Les  plus 
importantes  de  ces  Confréries  mystiques  sont  les  Confréries 
du  Rosaire. 

La  dévotion  du  Rosaire  a  pour  but  d'honorer  la  sainte  Vierge 
et  de  méditer  les  principaux  mystères  de  la  vie  de  Jésus-Christ 
et  de  Marie,  auxiliaire  de  Jésus-Christ  dans  l'œuvre  de  la 
rédemption.  11  va  deux  sortes  de  rosaire,  le  grand  et  le  petit, 
celui-ci  désigné  communément  aujourd'hui  sous  le  nom  de 
chapelet.  Le  grand  rosaire  se  compose  de  ioO  Ave  Maria,  divi- 
sés en  lo  dizaines  dont  chacune  commence  par  le  Pater  et  se 
termine  par  le  Gloria  Pa/r;  ;  le  petit  rosaire  est  le  tiers  du 
grand.  Pour  dire  ces  kyrielles  de  prières,  le  fidèle  s'aide  d'un 
chapelet  composé  de  boules  de  deux  sortes,  plus  petites  pour 
les  .Ire,  plus  grosses  pour  les  Pater  ;  il  n'y  a  pas  de  boules 
pour  les  Gloria  PatriK  On  ne  sait  pas  exactement  pourquoi  ce 

J.  Sur  le  Rosaire  et  les  indulfi,ences  qui  y  sont  attachées,  cf.  S' Alphonse  de 
Li^uori,  Gloires  de  Marie.  II*  partie,  ch.  iv.  §  3  :  «  Quiconque  récite  le  tiers 
du  rosaire  gagne  l'indulgence  de  70.000  ans  :  quiconque  le  récite  en  entier, 
celle  de  90.000,  et  davantage  s'il  le  récite  dans  la  chapelle  du  Rosaire.  De  plus, 
quiconque  dit  le  rosaire  gagne  lindulgence  plénière  à  toutes  les  fêtes  princi- 
pales de  Marie,  de  l'Eglise  et  de  saint  Dominique,  en  visitant  les  églises  après 
s'être  confessé  et  avoir  comniimié  :  mais  ce  qui  précède  ne  doit  s'entendre 
que  des  personnes  inscrites  au  livre  du  Rosaire:  à   celles-là.  le  jour  où  elles 


90 


CHAPITRE    V 


chapelet  a  été  appelé  «  couronne  de  roses  »,  rosarium.  Hosen- 
kranz.  Il  y  a  doO  Ave  dans  le  grand  Rosaire  pour  rappeler  les 
loO  Psaumes  :  aussi  le  rosaire  était-il  appelé  Psalteiium  hea- 
tae  Mariae,  «  Psautier  de  la  Vierg-e  Marie  ». 

Si  l'on  étudie  le  catholicisme  à  cette  période  morbide  qui 
précède  la  Réformation,  un  des  phénomènes  dont  on  est  le 
plus  vite  frappé  est  le  prodigieux  développement  des  Confré- 
ries du  Rosaire.  Si,  poussant  plus  avant,  1  on  étudie  liconogra- 
phie  de  cette  dévotion,  on  constate  qu'elle  est  en  connexion 
étroite  avec  le  thème  de  la  Vierge  au  manteau  protecteur  : 
sur  mainte  gravure,  sur  maint  retable  de  la  fin  du  xv", 
du  xvi*^  et  du  commencement  du  xvii"  siècle,  la  Vierge  au 
manteau  protecteur  est  ligurée  abritant  les  Confrères  du 
Rosaire,  ou  distribuant  le  rosaire,  ou  dans  un  encadrement 
formé  par  le  rosaire.  Pour  expliquer  cette  affinité  et  pour 
rendre  raison  des  particularités  cpie  présentent  les  images  en 
question,  il  faut  rappeler  d'abord  à  quelle  époque  apparaît  la 
dévotion  du  Rosaire  et  dans  quel  milieu  religieux. 

A  en  croire  les  Dominicains  et  la  tradition  catholique,  le 
Rosaire,  dont  l'invention  remonterait  jusqu'à  la  sainte  Vierge  ^ , 
aurait  été  propagé  par  saint  Dominique  à  la  suite  d'une  appa- 
rition de  la  Merge  dont  il  aurait  été  favorisé  en  1208  ou  en 
1211,  près  de  Toulouse,  pendant  la  croisade  des  x\lbigeois. 
Cette  thèse  a  été  naguère  encore  soutenue  au  «  Congrès  scien- 
tifique des  catholiques  »  tenu  à  Fribourg  en  1898  "'.  Il  est 
remarquable  et  significatif  qu'une  erreur  aussi  certaine  ait  pu 
se  produire  dans  une  réunion  «  scientifique  »  sans  être  sur-le- 
champ  réfutée  ni  même  contredite. 

Le  rosaire  a  été  inventé  à  une  date  et  par  un  personnage  qui 
sont  parfaitement  connus.  Henri  Estienne,  dans  son  Apologie 
pour    Hérodote,  a  dit    là-dessus  l'essentiel.  Il  n'est  pas  mau- 

s'inscrivent,  confessées  et  comniuniées.  est  accordée  rindiiljrence  plénière, 
cent  années,  si  elles  portent  le  rosaire  :  et  à  celles  qui  font  loiaison  mentale 
une  demi-heure  par  jour,  sept  années  pour  chaque  fois,  et  l'indulgence  plé- 
nière à  la  fin  du  mois.  •• 

1.  «  Le  chapelet  remonte  à  la  A'ierjre.  Il  est  probable,  dit  lîenoît  Xl\\  quelle 
s'en  servit  pour  réciter  des  versets  de  psaumes,  et  après  1". Annonciation  pour 
répéter  les  paroles  de  lange  »  (Barbier  de  Montault,  Manuel  il'ironogr..  t.  II, 
p.  242).  Cette  citation  caractérise  l'esprit  dont  l'œuvre  de  liarbicr  est  inspirée. 

2.  Une  hypothèse  sur  la  date  et  le  lieu  de  iinslilulion  du  Itosaire,  par  l'abbé 
Dullaut  ((Compte  rendu  du  IV'  congrès  scientifique  international  des  catho- 
liques. Fribourg,  1898,  1. 1.  p,  42-64  .  Voir  la  critique  qu'en  ont  faite  les  Ana- 
lecta  Bollandiana.  Is99,  p.  290. 


LA   vip:rge  et  les  confréries  de  rosaire  91 

vais,  si  ron  veut  connaître  et  ajiprécier  les  choses  religieuses 
du  xv*"  siècle,  de  se  renseigner  auprès  des  libres  esprits  du 
siècle  suivant. 

«  Environ  lan  1470,  sous  le  pape  Sixte  IV,  un  nommé  Alain 
de  la  Roche,  Jacopin,  forgea  un  psautier  de  la  Vierge  Marie, 
ce  qui  a  été  nommé  Bosariiim,  et  le  prescha  au  lieu  de  lEsvan- 
gile,  et  finalement  en  institua  une  Confrairie.  Laquelle  fut 
approuvée  par  les  bulles  du  dict  pape,  usant  de  grandes  lar- 
gesses d'indulgences.  Et  outre  ce,  Jaques  Sprenger,  provincial 
d'Alemaigne,  forgea  plusieurs  miracles  pour  l'autoriser.  Et  qui 
est  bien  d'avantage,  on  n'eut  point  honte  de  publier  un  livre 
traitant  de  ceste  Confrairie,  au  commencement  duquel  il  estoit 
récité  qu'un  jour  la  Vierge  Marie  estoit  entrée  en  la  chambrette 
dudict  Alain,  etluy  avoit  faict  un  anneau  de  ses  cheveux,  avec 
lequel  ellel'avoit  épousé.  Item  qu'elle  Tavoit  baisé,  et  luy  avoit 
présenté  ses  tetins  pour  les  manier  et  les  tetter.  En  somme, 
qu'elle  estoit  aussi  familière  avec  luy  qu'une  femme  ha  cous- 
tume  d'estre  avec  son  mari  ' .  » 

Il  n'y  a  rien,  dans  cette  page  terrible,  qui  ne  soit  vrai.  A  la 
fin  du  xvii*^  siècle,  les  recherches  de  (^uétif  et  d'Echard- —  qui 
pourtant  étaient  des  Dominicains  —  confirmées  au  xviii",  par 
celles  du  Bollandiste  Cuper  -^  et,  de  notre  temps,  par  les  tra- 
vaux du  Jésuite  Thurston  ''  et  du  Franciscain  Holzapfel  ',  ont 
confirmé  le  réquisitoire  d'Estienne.  Le  lecteur  qui  souhaite- 
rait d'être  complètement  édifié  sur  Alain  de  la  Roche  et  sur  la 
façon  dont  il  a  lancé  la  dévotion  du  Rosaire  se  reportera  aux 
textes  cités  par  ces  savants  ou,  k  tout  le  moins,  aux  comptes 
rendus  critiques  des  Analecta  Bollandiana  qui  ont  clos  le 
débat'' . 


1.  Apoloffie  pour  Hérodote,  ch.  xx.w,  éd.  Ristelhuber,  t.  II,  p.  239. 

2.  Scriptores  Ordinis  Praedicatorum.  t.  I,  p.  851.  Quoi  qu'en  dise  M.  Jules 
Guiraud  {Saint  Dominique,  dans  la  collection  Les  Saints,  p.  12  et  210),  on 
n'avait  pas  attendu  les  Bollandistes  pour  émettre  des  doutes  «  assez  graves  » 
sur  la  légende  relative  à  l'origine  du  Rosaire. 

3.  Acta  SS.,  août,  I  (Anvers,  1733),  p.  427.  Paquot,  dans  son  édition  de  IHis- 
ioria  SS.  imaginum  de  Molanus  (Louvain,  1771),  p.  72,  déclare,  en  s'autorisant 
de  Quétif  et  d'Echard,  ainsi  que  des  Bollandistes,  que  les  écrits  d'Alain  de  la 
Roche  ne  méritent  aucun  crédit.  Cf.  encore  VHist.  litt.  delà  Fr.,  XIX,  346. 

4.  TheMonth,  d  octobre  1900  à  avril  1901  ;  cf.  la  Revue  du  clergé  français, 
décembre  J901,  et  VOherrheinisclies  l'asloralhlatt,  1901,  n»»  6  et  20. 

5.  St  Dominikus  und  der  Rosenkranz,  Munich,  1903  (fasc.  13  des  publica- 
tions du  Kunstliistorische  Seniinar  de  l'Université  de  Munich). 

6.  Anal,  holl.,  1899,  p.  290,  compte  rendu  du  travail  de  DulTaut  ;  1902,  p.  219 
compte  rendu  des  articles   de  Thurston    :    "   Th.  a  démontré   qir.\lain  fut  un 


92  CHAPITRE    V 

Rien  ne  naît  de  rien.  Il  est  certain  que  la  dévotion  inventée 
par  Alain  se  rattache  à  des  pratiques  antérieures.  Il  y  a  ((  une 
préhistoire  du  Rosaire'  >k  Comme  tant  d'autres  inventeurs, 
Alain  a  eu  des  devanciers,  dont  il  a  systématisé  et  développé 
les  idées.  Le  rosaire  est  une  sorte  de  chapelet  :  or  les  chré- 
tiens avaient  pu  voir  le  chapelet  en  Orient  et  en  Espag-ne,  aux 
mains  des  Musulmans  et  des  Juifs,  et  ils  s'en  sont  servi  avant 
la  fin  du  xv*  siècle  :  l'enfant  Jésus  de  la  fameuse  «  Madone 
aux  fleurs  de  pois  »,  par  un  élève  de  Wilhelm  (vers  1370),  tient 
un  chapelet '^.  Le  rosaire  consiste  dans  la  récitation  d'un  cer- 
tain nombre  d'Ave  Maria  :  or  la  dévotion  de  VAve  Maria 
remonte  au  xii^  siècle.  Plus  précisément,  il  consiste  dans  la 
récitation  de  130  ou  de  oO  Ave  Maria:  or,  dès  le  xu*  siècle,  il 
est  question  de  relig-ieux  et  de  reliffieuses  qui  avaient  imaginé 
de  réciter  de  suite  loO  Ave  Maria,  150  à  cause  des  130 
psaumes,  30  en  considération  de  chacune  des  trois  personnes 
de  la  Trinité,  30  étant  le  tiers  de  130  •'^.  Mais  le  Rosaire,  tel 
qu'il  apparaît  dans  le  dernier  quart  du  xv*^  siècle,  avec  ses 
décades  d'.lt'^',  avec  le  Pater  qui  forme  l'incipit  et  le  Gloria 
Patri  qui  forme  la  clausule  de  chaque  décade,  avec  la  médi- 
tation de  certains  mystères  de  la  Vie  du  Christ  et  de  la  Vie 
de  Marie,  avec  les  Confréries  instituées  pour  le  réciter,  avec 
l'influence  qu  en  devait  tirer  l'Ordre  qui  le  répandit  et  qui 
organisa  les  nouvelles  Confréries  —  le  rosaire  est  bien  l'in- 
vention du  moine  breton  Alain. 

Quoiqu'il  convienne,  en  général,  de  se  défier  de  l'argument 

esprit  morbide,  inconscient;  ses  discours  et  ses  écrits  renferment  mainte  page 
scandaleuse,  qu'on  a  eu  tort  de  préserver  de  l'oubli  »  :  1903,  p.  30â,  compte 
rendu  de  Holzapfel  :  »  Alain  est  l'ardent  et  peu  scrupuleux  créateur  de  la 
légende.  Il  s'est  évertué  par  les  moyens  les  plus  e\ti'a\agants  à  lui  donner  le 
poids  d'une  tradition  reculée.  Le  P.  Holzaplel.  pour  porter  le  dernier  coup  à 
ce  rêveur  déséquilibré,  n'a  pas  hésité  à  insérer,  au  cours  de  sa  dissertation, 
des  citations  textuelles  intraduisibles  dans  nos  langues  vivantes.  » 

1.  L'expression  est  du  Boilandiste  Poncelet    4/iti/.  BolL,  1902,  p.  45). 

2.  Au  musée  de  Cologne.  Cf.  Aldenhoven.  Geschirhle  der  KnlnischenMalerei. 
p.  "1  et  339.pl.  17:  W(')rmann.  Ge.sc/i(c/i<e  rfer  A'Hns<.  t.  H.  p.  323.  Sur  le 
retable  de  Simone  de  Cusighe  [supra,  p.  s.)  et  pi.  X.  I),  qui  date  de  1494,  les 
Disciplinati  égrènent  le  chapelet. 

3.  Cf.  Césaire  d'Hcistcrbach,  Lihri  VJII  mirarnlnrum.  éd.  .\loys  Mcister 
(Rom.  Qiiartalschrif'l,  XÏV  Sup])lcmentband  ,  1.  111,  ch.  24  :  Qiiidatu  inonachiis 
Cisierciensis  ordinis  lanlnni  venera})aliir  H.  \'ir(finem  iil  sinrfiilisdiehus  quiii- 
qnafjinta  Ave  diceret.  —  Id.,  ch.  37  :  Qiiaedam  sancliinonialis  cnnxnela  fuit 
H.  Mariae  in  omni  die  cenliim  quinqiia(fenla  Ave  Maria  dicere.  — Thomas  de 
Cantimpré  :  Bonum  imiversale  de  apibus.  ch.  xxix,  S  6  et  8.  —  Dauties 
textes  dans  Anal.  BolL.  1902,  p.  45,  et  dans  Holzapfel,  op.  laud.,  ch.  v. 


LA    VILRGE    ET    LES    CONFRÉRIES    DC    ROSAIRE  93 

e  silentio,  il  se  présente  dans  la  question  des  origines  du 
Rosaire  avec  une  force  irrésistible.  Même  les  Dominicains 
d'aujourd'hui  sont  obligés  de  confesser  leur  surprise  i  de  ne 
pas  trouver  la  mention  de  cette  dévotion  dans  les  anciennes 
Vies  du  saint  qui  en  aurait  été  le  fondateur  :  pourtant  il  n'y  a 
pas  moins  de  dix  Vies  de  saint  Dominique  datant  du  xiii° 
siècle,  et  elles  sont  remplies  du  détail  complaisamment  énu- 
méré  des  dévotions  multiples  de  l'Ordre  envers  la  Vierge.  De 
même,  on  chercherait  en  vain  une  allusion  au  rosaire,  si  loin- 
taine et  discrète  fût-elle,  soit  dans  les  ^icta-  des  chapitres  de 
rOrdre  tenus  au  xui^  siècle,  soit  dans  les  dépositions  des  trois 
cents  témoins  du  Toulousain  qui  furent  entendus  en  1232  au 
procès  de  canonisation  de  saint  Dominique.  Dans  les  deux 
premiers  tiers  du  xv*"  siècle,  les  Dominicains  qui  écrivent  la 
vie  de  saint  Dominique,  Thomas -Antoine  de  Sienne  (7  vers 
1430),  saint  Antoine  de  Florence  (7  1  io9),  Jean  Lopez  [j  vers 
1470),    ne  disent  encore    rien  du  Rosaire. 

Telle  est,  depuis  ijlchard,  l'argumentation  des  critiques.  Au 
temps  d'Echard,  l'historien  n'employait  d'autres  matériaux 
que  des  textes.  On  doit  aujourd'hui,  à  l'argument  négatif  fourni 
par  les  textes,  ajouter  l'argument  négatif  fourni  par  l'icono- 
graphie. Le  rosaire  ne  se  trouve  sur  aucun  monument  figuré 
antérieur  au  dernier  quart  du  xv*"  siècle.  Cette  constatation  ne 
saurait  être  indill'érente  k  l'archéologie,  puisqu  elle  lui  pro- 
cure un  terminus  post  quem  pour  dater  les  représentations  où 
parait  le  rosaire.  Il  est  certain,  par  exemple,  que  le  retable  du 
Carmel  de  Pérouse,  qui  représentait  la  Mater  omnium  cou- 
vrant de  son  manteau  toutes  sortes  de  gens  occupés  à  dire  le 
rosaire,  datait  au  plus  tôt  de  la  fin  du  xv"*  siècle  et  que  la  date 
1119,  qui  y  était  inscrite,  témoignait  que  les  Carmes  avaient 
tenté  de  s'approprier  l'invention  de  la  nouvelle  dévotion  3. 

Alain  de  la  Roche  paraît  avoir  commencé  à  prêcher  le 
Rosaire  à  partir  de  1463,  dans  la  Flandre  et  la  Frise,  puis 
dans  le  Nord  de  l'Allemagne  ^  En  1473,  Jacques  Sprenger, 
prieur  des  Dominicains  de  Cologne  —  le  sinistre    auteur   du 


1.  Cf.  Mortier.  O.P..  Histoire  des  mailres  généraux  de  l'Ordre  des  Frères 
Prêcheurs  (Paris,  Picard,  1903  ,  t.  I,  p.  15,  et  le  compte  rendu  de  cet  ouvrage 
par  le  P.  Van  Ortroy,  dans  les  Anal.  BolL,  XXIII  ^1904),  p.  116. 

2.  Publiés  par  Douais  (Toulouse,  1895). 

3.  Mariotti,  Leltere  pitloricfhe  perugine  (Pérouse,  1788),  p.  1  i. 

4.  Echard,  op.  laud..  t.    I,   p.  850. 


94 


CHAPITRE    V 


Maliens  maleficaruin  —  institue  dans  cette  ville  la  première 
Confrérie  du  Rosaire.  Charles  le  Téméraire  était  venu  mettre 
le  siège  devant  Neuss  :  les  Colonais  redoutaient  qu'après  la 
prise  de  Neuss,  il  ne  les  attaquât  k  leur  tour:  dans  ces  con- 
jonctures. Spren<j;'er  n'eut  pas  de  peine  à  leur  persuader  de 
recourir  k  la  dévotion  nouvelle  :  il  les  enrôla  tous  dans  une 
Confrérie,  qui  fut  inaugurée  par  une  procession  solennelle,  k 
la  fête  de  la  Nativité  de  la  Vierge,  le  jour  même  où,  par  une 
coïncidence  dont  la  crédulité  fît  un  «  signe  »,  mourait  k 
Rostock  le  soi-disant."  rénovateur  »  du  Rosaire,  Alain  de  la 
Roche.  Sur  ces  entrefaites,  la  paix  est  conclue  entre  le  duc 
de  Bourgogne  et  l'Empereur  :  on  y  voit  l'elfet  des  prières  de 
la  Confrérie  nouvelle,  la  dévotion  du  Rosaire  est  désormais 
consacrée'.  Aussitôt  le  légat  de  Sixte  IV  confirme  la  Confrérie 
et  la  dote  d'indulgences^.  Deux  ans  plus  tard,  le  30  mai  1478, 
elle  est  approuvée  et  enrichie  de  nouveaux  privilèges  par 
bulle  pontificale '^  Dès  lors,  le  Rosaire  se  répand  partout  ; 
dans  tous  les  pays  se  fondent  des  Confréries  sur  le  modèle  de 
celle  de  Cologne. 

L'église  Saint-André  à  Cologne  possède  un  grand  triptyque 
attribué  au  maître  de  Saint-Sé vérin  fpl.  XIII,  1),  qui  com- 
mémore la  fondation  de  la  Confrérie  colonaise  et  la  protec- 
tion dont  la  Mère  de  Miséricorde,  touchée  par  les  prières  de 
cette  pieuse  société,  couvrit  alors  Cologne.  Au  milieu,  une 
Vierge  gigantesque,  debout,  portant  l'Enfant  qui  égrène  le 
rosaire  ;  deux  anges  volant,  tiennent  au-dessus  de  la  Vierge 
trois  couronnes  de  roses  blanches  et  rouges.  Sous  le  manteau 
doublé  d'hermine  sont  agenouillés,  les  mains  jointes,  k  droite 
les  clercs,  k  gauche  les    laïques,  la  plupart  tenant  le  rosaire. 

La  dévotion  du  Rosaire,  inventée  par  un  Dominicain  breton, 
lancée  par  les  Dominicains  allemands,  est  essentiellement 
dominicaine.  Les  monuments  iconographiques  ne  manquent 
pas  de  rappeler  cette  origine.    Sur  le  tableau  de  Cologne,  du 


1.  Kcliard.  op.  laiid..  t.  I,  p.  Ssl. 

2.  Celte  Cfjnfirniation  est  datée  du  10  mars  1176.  Cf.  Maniachi.  .4Hna/e.s  0.  P.. 
t.  I  (Kome.   17.^6),  appendice,  p.  207. 

.3.  liiiUariiim  Ovd.  Pr.ied..  III,  576.  Il  n'est  pas  question.  dan.s  cette  bulle,  de 
saint  Dominique.  Plus  tard.  Pie  V  f-f  1572  et  Hencjit  XIII  (j  1730),  tous  dcu.\ 
de  l'Ordre  des  Prêcheurs,  ont  enrichi  de  nouvelles  indulgences  la  dévotion 
Dominicaine  :  mais,  quoique  hls  de  saint  Dominique,  ils  n'attribuaient  le 
Rosaire  à  leur  père  spirituel  que  sous  réserve,  ut  pie  creditur,  ut  menwriae 
proditum   est. 


PEnDHizET,  La   Viergr  dr  Misérlcordr 


PI.  XIII 


O 


u 


LA    VIERCE    ET    LES    CONFRÉRIES    DU    ROSAIRE  95 

côté  des  clercs,  Prêcheurs  et  Prêcheresses  sont  en  majorité  ; 
le  g'ros  abbé  agenouillé  en  belle  place,  bien  en  vue,  derrière 
le  pape,  est  un  prieur  Dominicain,  sans  doute  Jacques  Spren- 
ger  :  la  figure,  très  individuelle,  paraît  bien  un  portrait. 
Et  si  le  spectateur  ne  faisait  pas  attention  à  tous  ces  Domi- 
nicains et  Dominicaines  agenouillés  parmi  les  priants, 
il  ne  pourrait  pas  ne  point  remarcp.ier  que  les  deux  interces- 
seurs qui  soutiennent  le  manteau  de  la  Vierge  sont  des  saints 
Dominicains.  Celui  qui  a  la  place  d'honneur,  k  la  droite  de 
Marie,  est  le  fondateur  de  l'Ordre,  reconnaissable  à  l'étoile  de 
son  front  ;  il  tient  dans  sa  main  gauche  une  grande  croix 
processionnelle.  Près  de  lui,  dans  le  champ,  sont  écrits  ces 
mots,  qui  visent  Ihommage  rendu  à  Marie  par  la  récitation 
du  rosaire  :  diligite^  salutate  M[ariam)  '.  A  gauche,  saint 
Pierre  Martyr,  près  duquel  sont  écrits  ces  mots  inspirés  de  la 
première  Epître  aux  Corinthiens  (xiii,  13)  :  charitas  nianet 
in  aeferniini  :  la  «  charité  »  dont  il  s'agit  ici,  est  l'amour  des 
fidèles  pour  Dieu  et  pour  Marie.  —  De  même,  sur  la 
bannière  qui  fut  peinte  en  loi")  pour  la  Confrérie  du  Rosaire 
établie  par  les  Dominicains  de  Marseille,  la  Vierge  au  man- 
teau protecteur  avait  à  sa  droite  saint  Dominique,  à  sa  gauche 
saint  Thomas  d  Aquin. 

En  général,  la  Mère  de  Miséricorde,  quand  elle  est  représen- 
tée comme  Vierge  du  Rosaire,  abrite  sous  son  manteau,  non  pas 
les  membres  d'une  Confrérie,  mais  la  Chrétienté  tout  entière  : 
autrement  dit,  la  Vierge  au  rosaire  est  généralement  figu- 
rée comme  Mater  omnium.  Pour  s'expliquer  cette  anomalie, 
il  faut  bien  comprendre  ce  que  la  dévotion  du  Rosaire,  dans  sa 
nouveauté,  fut  pour  l'Ordre  ambitieux  qui  l'avait  lancée.  Elle 
offrait  aux  fidèles,  k  si  bon  marché,  de  si  grandes  indulgences, 
elle  avait  une  telle  vogue,  que  les  Dominicains  purent  espé- 
rer que  toute  la  Chrétienté  finirait  par  être  inscrite  k  leurs  Con- 
fréries :  Confraternitas  Rosarii  Ecclesiam  fe.re  implevit  univer- 
sam  ■-.  La  Confrérie  du  Rosaire  fondée  en  liSi  par  les  Domini- 
cains de  Colmar,  s'étendait  sur  toute  l'Alsace,  et  hors  d'Alsace, 
jusqu'k  Berne,  Fribourg-en-Brisgau  et  Wiesbaden.  Au  début 
du  xv!*"  siècle,   k    la  veille    de  la  Réformation,   la  liste    de   la 

i.  Je  suis  les  leclui-es  dAldenhoven,  Geschichte  der  Kolner  Malerschule, 
p.  296.  Sur  l'original  j'ai  lu:  i)(7t(/t7e,  saliitate  sans  Mariam  et  .charitas  inaneat. 
Le  retable  a  été  fortement  repeint. 

2.  Quétif  et  Echard,  Script.  0.  P.,  L  I,  p.  88 1. 


9()  CIIAI'ITRE   V 

Confrérie  colniariemie    comprenait  3000   noms,    dont  GOO   de 
Colmar '. 

De  même  que  les  ouvrag'es  composés  par  les  Dominicains 
du  xv*"  siècle  pour  défendre  la  virginité  de  Marie-,  la  dévo- 
tion du  Rosaire  témoigne  des  efforts  de  T Ordre  des  Prêcheurs 
poui"  rendre  à  Marie  les  honneurs  qu'ils  paraissaient  lui  dénier 
par  leur  attitude  obstinée  dans  la  controverse  de  l'immaculée 
conception.  Le  succès  des  Confréries  du  Rosaire  dut  compen- 
ser, et  au  delà,  pour  les  Dominicains,  la  défaveur  qu'ils  s'at- 
tiraient d'autre  part  à  soutenir,  contrairement  aux  Francis- 
cains et  à  la  foi  populaire,  la  théorie  «  maculiste  »  de  saint 
Thomas  d'Aquin.  Ces  confréries,  d'ailleurs,  étaient  une 
invention  admirable  pour  faire  marcher  en  bon  ordre  le  trou- 
peau des  ouailles  sous  la  surveillance  des  n  chiens  du  Sei- 
gneur )),  Domiiii  canes.  C'est  pour  ces  deux  raisons  que  sur 
les  monuments  figurés  de  la  fin  du  xV"  et  du  début  du  xvi*' 
siècle,  la  Vierge  au  Rosaire  abrite  sous  son  manteau,  non  pas 
les  seuls  membres  de  ses  Confréries,  mais  l'universalité  des 
chrétiens. 


Parmi  les  plus  anciennes  représentations  de  la  Vierge  au 
Rosaire,  il  en  est  une  qui  montre,  sous  le  manteau  de  Marie, 
non  pas  l'universalité  des  chrétiens,  ni  les  membres  d'une 
Confrérie  du  Rosaire,  mais  1  Ordre  de  saint  Dominique.  Je  ne 
connais  aucun  document  iconographique  qui  atteste  aussi 
clairement  le  caractère  Dominicain  de  la  dévotion  du  Rosaire. 

C'est  une  gravure  enluminée,  de  la  Bibliothèque  de  Bam- 
berg  (pi.  XIV,  2).  M.  Schreiber,  quil'a  décrite  à  deux  reprises, 
dit  que  sous  le  manteau  de  la  Vierge  sont  agenouillés  des  ecclé- 
siastiques. Il  est  A-rai  qu'un  porte  la  tiare,  un  autre  la  mitre; 
mais,  comme  tous  ont  l'habit  Dominicain  —  manteau  noir, 
robe  et  scapulaire  blancs  — ,  le  doute  n'est  pas  possible  :  la 
gravure  de  Bamberg  représente  bien  l'Ordre  des  Prêcheurs 
sous  le  manteau  protecteur  de  la  Vierge.  Si  le  graveur  a  mis 


1.  Ingold,  Xolice  sur  Végliseetle  couvent  des  Dominicains  de  Colmar,  p.  66. 

2.  J.  von  Schlosser,  dans  le  Jahrb.  der  kunsthisl.  Samml..  Vienne,  1902, 
p.  29j. 


LA    VIERGE    ET    LES    COM-RÉRIES    DU    ROSAIRE  97 

dans  la  foule  des  moines  un  pape  et  un  évèque,  c'est  que 
l'orgueil  Dominicain  tenait  à  rappeler  que  l'Ordre  avait  fourni 
à  l'Église  une  infinité   de  prélats',  et  plus  d'un  pape"-^. 

La  Mère  de  Miséricorde,  couronnée  par  la  Trinité,  est 
debout  dans  un  rosaire  dont  les  50  petits  grains  sont  rem- 
placés par  autant  de  roses  jaunes,  et  dont  les  cinq  gros  grains 
sont  remplacés  par  autant  de  cercles  portant  chacun  limage 
d'une  des  cinq  plaies -^  Devant  la  Vierge,  à  sa  droite,  est  age- 
nouillé saint  Dominique  ;  près  de  lui,  un  chien  tenant  dans  la 
o:ueule  une  torche  allumée  (allusion  à  une  vision  dont  fut 
favorisée  la  mère  du  saint).  Aux  quatre  coins  de  la  gravure, 
les  quatre  personnages  qui  sont,  après  le  fondateur,  les  prin- 
cipales illustrations  de  l'Ordre  Dominicain.  M.  Schreiber  les 
a  dénommés  tout  de  travers.  En  haut,  à  gauche,  saint  Pierre 
Martyr,  reconnaissable  à  la  blessure  du  crâne,  et  au  grand 
coutelas  :  M.  Schreiber  croit  qu'il  s'agit  de  sainte  Catherine 
d'Alexandrie.  A  droite,  saint  Thomas  d'Aquin,  portant 
l'Eglise  sur  la  main  droite,  un  livre  dans  la  main  gauche  : 
M.  Schreiber  croit  qu'il  s'agit  de  sainte  Barbe.  En  bas,  à 
gauche,  saint  ^'incent  Ferrier,  un  livre  dans  une  main,  dans 
l'autre  une  image  du  Juge  du  Monde  :  M.  Schreiber  croit 
qu'il  s'agit  de  saint  Hyacinthe.  A  droite,  sainte  Catherine  de 
Sienne,  couronnée  d'épines,  et  portant  un  cœur  d  où  sort  un 
crucifix  :  M.  Schreiber  croit  qu'il  s  agit  de   sainte  Brigitte. 

Cette  curieuse  gravure,  qui  sort  évidemment  de  la  même 
officine  qu'une  gravure  non  moins  intéressante  dont  nous  par- 
lerons plus  loin^,  est  accompagnée  dune  longue  légende  alle- 
mande, dont  voici  la  traduction  : 

«  Apprenez  comment  le  fondateur  de  lOrdre  des  Prêcheurs, 
le  saint  Père  Dominique  a  recommandé  son  Ordre  et  tous 
ses  frères  à  ^larie,  la  reine  du  ciel,  la  mère  de  Dieu  ;  et 
J.-C.    la  ravi  en  esprit  et  lui  a  demandé  s'il  voulait  voir  son 

1.  En  25  ans.  de  1227  à  1232.  il  sortit  des  rangs  des  Prêcheurs  7"  évoques,  y 
compris  un  cardinal,  un  patriarche  et  9  archevêques  (Mortier,  Hist.  des 
maîtres  généraux  de  VOrdre  des  F.  P.,  Paris.  Picard,  1903,  t.  I.  p.  390). 

2.  Pierre  de  Tareutaise,  intronisé  en  1276.  sous  le  nom  dinnocent  V  :  saint 
Benoit  XI,  intronisé  en  1303  ;  etc. 

3.  La  Saliitalion  angéliqne  de  Veit  Stoss.  à  l'éijlisc  Saint-Laurent  de  Nurem- 
berg, est  entourée  d'un  Rosenkranz  de  50  petites  roses:  les  cinq  gros  grains 
sont  remplacés  par  des  reliefs  circulaires  qui  représentent  cinq  des  sept  joies 
de  la  Vierge;  les  deux  autres  joies  sont  placées  symétriquement  sur  le  haut  de 
la  couronne,  à  lextérieur. 

4.  Ch.  vni. 

Perdrizet.  —  La  \'ierye  de  Miséricorde.  7 


98  CHAPITRE   V 

Ordre  et  ses  frères  ;  ce  qu'il  désira  du  fond  du  cœur  et  avec 
des  larmes  ;  —  comment  il  dit  à  tous  les  frères  de  son  Ordre 
que  le  Seig-neur  Jésus  avait  ouvert  le  manteau  merveilleuse- 
ment brodé  de  Marie,  lequel  était  si  vaste  et  si  grand  qu'il 
abritait  toute  la  milice  céleste  ;  et  Jésus  lui  dit  :  «  Voici  ton 
Ordre  et  tes  frères  que  j'ai  recommandés  à  ma  très  chère 
mère,  qui  doit  être  votre  mère  et  votre  protectrice.  »  Mais 
quand  le  saint  père  Dominique  dut  recevoir  de  Dieu  sa 
récompense,  à  son  dernier  jour  (d'après  ce  que  Marie  elle- 
même  a  révélé  à  sainte  Brigitte,  comme  nous  lisons  au  IIP 
livre  [des  Révélations]^  chapitre  17i,il  dit  à  ^larie,  la  Mère  de 
Miséricorde  :  <(  0  Marie,  je  vous  recommande  mes  membres, 
c'est-à-dire  mes  frères.  Instruisez-les  comme  vos  fils,  et  pro- 
tège-les comme  leur  mère.  <(  Alors  Alarie  répondit  :  «  0  Domi- 
nique, mon  bien-aimé,  parce  que  tu  m'as  aimé  plus  que  moi- 
même,  je  veux  sous  mon  large  manteau  défendre  et  gouverner 
tes  fils,  et  tous  ceux  qui  restent  placés  sous  ta  règle  seront  sau- 
vés. Mon  large  manteau  est  ma  miséricorde,  que  je  ne  veux 
refuser  à  aucun  homme  qui  la  désire  ardemment  :  tous  ceux 
qui  cherchent  protection  sous  les  pans  de  ma  miséricorde  en 
recevront  protection.  »  C'est  pourquoi  nous  devons  tous,  d'un 
cœur  recueilli  et  dans  une  attitude  humble,  crier  vers  elle  et 
dire  :  «  Sous  votre  protection,  nous  nous  réfugions,  sainte  mère 
de  Dieu;  ne  repoussez  pas  nos  prières  dans  l'affliction,  mais 
délivrez-nous  de  tout   danger,  sainte  'Vierge  bénie  !  » 

J'ai  cru  devoir  traduire  cette  longue  légende,  parce  qu'elle 
donne  une  idée  des  sermons  par  lesquels  les  Frères  Prêcheurs 
répandirent  la  dévotion  du  Rosaire,  à  la  fin  du  xv"^  et  au 
début  du  xvi*^  siècle,  dans  les  masses  populaires. 


Ainsi  les  Dominicains,  pour  représenter  leur  Vierge  au 
Rosaire,  adoptèrent  le  type  de  la  Vierge  au  manteau.  C'est  un 
fait  dont  je  m'étonne  que  M.  Krebs,  qui  attribue  la  diffusion 
de  ce  tj'pe  à  l'Ordre  Dominicain,  n'ait  pas  tiré  argument. 


CATALOGUE 


1 .  Tableau  votif  de  la  Confrérie  colonaise  du  Rosaire,  dans  l'église 
Saint-André  de  Cologne,  publié  par  Schnûtgen  {Zeitschriftfïir  christlichen 
Kunst,  1890,  col.  18,  p.  ii).  Voir  supra,  p.  «  Die  Vorderseite  ist  stark 
ïibermalt,  sodass  man  ûber  den  Stil  kein  sicheres  Urtheil  fàllen  kann  » 
(Aldenhoven,  Geschichte  der  Kôlner  Malerschule,  p.  296),  ce  qui  n'em- 
pêche pas  les  érudits  colonais  d'adjuger  cette  peinture  au  Maître  de 
Saint-Séverin.  Je  ne  puis  comprendre  par  quel  raisonnement  Aldenho- 
ven, qui  croit,  comme  Schniitgen,  que  l'Empereur  figuré  sous  le  manteau 
delà  Vierge  est  Frédéric  III  i-J-l493),  peut  conclure  que  le  tableau  date 
d'après  1511  :  «  Unter  den  Dominikanern  soll  ganz  vorne  Jacob  Spren- 
ger  abgebildet  sein  ;  er  lebte  noch  in  den  neunziger  Jahren  des  xv. 
Jahrhunderts.  Dagegen  spricht  die  idéale  Auffassung  des  Kaisers  fiir 
spatere  Zeit  :  wenn  der  Maler  sich  nach  der  Darstellung  des  Weissku- 
nigs  gerichtet  hat,  so  wûrde  das  Bild  nach  loll  entstanden  sein.  »  — 
PI.  Xlll,  1. 

2.  Gravure  enluminée,  des  environs  de  l'an  1300,  à  la  Bibliothèque  de 
Bamberg,  décrite  dans  Schreiber,  Manuel  de  l'amateur  de  la  gravure  sur 
bois  au  A'T'e  siècle  (Berlin,  Cohn,  1893),  t.  I,p.  296,  n"  1012  et  reproduite  • 
dans  Pesthlàtler  des  XV.  Jahrhunderts,  herausg.  von  P.  Heitz  mit  einlei- 
tendem  Text  von  W.L.  Schreiber  (Strasbourg,  Heitz,  1901',  pi.  VII.  Cf. 
supra,  p.  96.  Sous  la  gravure  est  cette  légende  :  Es  ist  zu  merckenn  so  styf- 
fter,  und  anheber  prediger  ordens  der  heylige  vater  SantDominicus  sei- 
nen  ordeii  und  aile  seine  brudere  marie  der  hymel  kôngyn,  der  mutler 
gottes  hevolhen  und  Christus  Jhesus  in  ëntzuckt  ini  geyst  fraget  ob  er, 
seineni  orden  und  brudern  sehen  woldet  des  er  aus  grunlh  seijnes  herzen 
und  weinlich  begerth  So  er  aus  allen  ane  seineni  orden  brudere  sage  das 
der  herre  Jhesus  den  mantel  marie  seiner  allerliebsten  jnutter  erôffnet 
wunderliche  gezijret  und  also  weyt  und  gross  das  er  auch  das  ganze 
hymelysche  hère  umbfinge  und  sprach  zu  ym  sich  deinen  orden  und  bru- 
dere welche  ich  ineyner  allerliebsten  niutter  bevolhen  habe  die  ewer  aller 
beschutzerin  und  mutter  sali  seyn  do  aher  der  heylige  vatter  Dominicus 
von  got  belonunge  soit  entphangen  an  seinem  lelzte  ende  wie  dan 
maria  selbersf  ei  kundet  hat  die  heylige  brigittam  als  wir  dan  im  drillen 
buch  ani  sibenzeenden  capitell  yrer  offenbarungen  lesen.  Sagte  er  zu  maria 
der  mutler  aller  barmherzigkeyt  :  0  maria  ich  bevelhe  dir  meine  glyth- 
massen  meyne  brudere  unther  weysse  sy'als  dey  ne  sône  und  beschuze  s  y  al 
ire  mutter.  Do  autworth  maria  :  0  dominice  mein  gelibter  dorumb  das  du 
mich  hocher  gelibet  hast  wan  dich  selberst  So  will  ich  unther  meinen 
breyten  mantell  vurfechten  und  regiren  deine  sône  und  aile  dy    unther 


100  CATALOGUE 

cleiner  rerjell  hestemlich  hlei/hen  werclen  xeylich.  Mein  breyfter  manlel 
ist  mein  barmherzichketjt  die  ich  keyiiem  menschen  der  sy  eyliglich 
begert  wil  vorsar/en.  Sonder  aile  dy  do  suchen  hiilffe  unter  der  sc/iosse 
ineiner  banirherzichkeyt  dy  werden  von  niir  barniherzirjlich  beschûl- 
zet.  Derhalben  sollen  wir  aile  mit  andechtirjen  herlzen  und  demutigen 
gebcrlhe  zu  yr  schreyhen  and  sprechen  :  «  Unther  deine  beschuzunge 
flyhen  ivir  0  heylige  gotles  gebereryn  unnser  bytten  in  nôtenn  nicht 
vorschmehe  sonder  von  allen  ferligkeyten  erlôse  uns  aile  zeyl  o  gebened- 
cyte  Junckfrawe  !  »  —  PI.  XIV,  2. 

3.  Schreiber,  Manuel,  n"  1012  a  ;  Peslblâlter,  pi.  5.  Gravure  enluminée, 
de  la  collection  Schreiber;  loOO  environ.  Elle  a  la  forme  d'un  fonrfo,  qui 
pour  cadre  aurait  un  rosaire  fait,  non  de  grains,  mais  de  roses,  des  roses 
blanches  pour  les  Are,  des  roses  rouges  pour  les  Pater.  La  Mater 
07?inium,  couronnée,  prie  les  mains  jointes  pour  les  chrétiens  agenouil- 
lés sous  son  manteau  :  à  droite  de  la  Vierge,  les  laïques,  Empereur,  Roi. 
Reine,  etc.,  parmi  lesquels  une  distraction  du  graveur  a  introduit  un  car- 
dinal ;à  gauche  les  clercs.  Pape,  Cardinal,  Evèque,  Abbé,  etune  moniale. 
Deux  anges  soutiennent  le  manteau  de  Marie.  Dieu  apparaît  à  mi-corps 
dans  les  nuées  ;  il  brandit  les  trois  traits,  un  dans  la  main  droite,  deux 
dans  la  main  gauche.  Dans  le  fond,  entre  des  montagnes  que  des  châ- 
teaux couronnent,  un  grand  fleuve  portant  bateaux.  Le  paysage  rappelle 
les  bords  du  Rhin  entre  Bingen  et  Cologne.  M.  Schreiber  dit  cette  gra- 
vure alsacienne,  sans  expliquer  pourquoi.  Je  suppose  que  c'est  parce 
que  sur  le  frontispice  du  î ractatulus  de  fraternitate  Rosarii,  imprimé 
à  Strasbourg  en  1500  (à  la  suite  du  De  Sancta  Anna  et  de  universa  ej'us 
progenie),  la  Vierge  est  représentée  dans  un  rosaire  fait  de  fleurs  de  roses 
pareil  à  celui  de  la  gravure  en  question. 

4.  Schreiber,  Manuel,  n°  1012  c  ;  Pestblâtler,  pi.  8.  Nuremberg,  musée 
Germanique.  Médiocre  gravure  sur  bois,  non  enluminée,  rectangulaire, 
découpée  dans  un  livret  incunable  qu'il  s'agirait  de  déterminer,  encadrée 
(sauf  en  bas-  d'un  chapelet,  et  divisée  en  deux  registres. 

En  haut,  la  Mater  omnium  protégeant  contre  la  colère  de  Dieu  les 
chrétiens  agenouillés  sous  son  manteau.  Dieu  apparaît  à  mi-corps  dans 
les  nuées  ;  il  tient  les  trois  traits,  deux  dans  la  main  droite,  un  dans  la 
main  gauche.  A  droite  de  la  Vierge,  le  Pape,rÉvèque  et  deux  autres  per- 
sonnages; à  gauche,  l'empereur  et  deux  autres  personnages.  Le  Pape  et 
l'Empereur  ont  en  main  le  rosaire. 

En  bas,  sainte  Anne,  assise,  tenant  sur  le  genou  droit  l'Enfant  Jésus, 
nu,  sur  l'autre  genou  la  petite  Vierge  Marie  en  adoration  devant  l'En- 
fant. Devant  le  groupe  se  tiennent  debout  les  douze  Apôtres  :  au  pre- 
mier rang,  saint  Pierre  avec  la  clef,  saint  Simon  avec  la  scie,  saint  Tho- 
mas avec  la  lance. 

Sur  la  dévotion  à  sainte  Anne  en  Allemagne,  à  la  fin  du  xv  siècle,  cf. 
le  petit  traité  de  Trithemius,  De  laudihus  sanclissimae  matris  Annae 
(Mayence,  1494),  ([ui  préconise  l'institution  de  Confréries  du  Rosaire  de 
sainte  Anne,  à  l'instar  des  Confréries  du  Rosaire  de  Marie,  et  qui  contient 
un  Itosaire  de  Sainte  Anne  calqué  sur  le  Rosaire  de  .Marie.  Entre  autres 
vertus,  sainte  Anne  aurait  celle  de  préserver  ses  dévots  delà  peste  (Thri- 


Perdrizi  T,  Lu   Vierge  de  Miséricorde 


PI.  XIV 


CATALOGUE  .  101 

themius,  ch.  14).  Schreiber  (II,  p.  7)  assure  qu'en  Allemagne  sainte  Anne 
aurait  été  souvent  invoquée  contre  la  peste  à  partir  de  1494.  — 
PI.  XVI,  1. 

5.  Ueherlingen.  Retable  sculpté,  dans  l'église  Saint-Nicolas.  Il  fut 
exécuté  en  suite  d'un  vœu  formé  en  1632,  à  l'approche  des  Suédois, 
par  la  veuve  du  bourgmestre  Jean  de  Schultheiss,  et  terminé  en  1640  ; 
l'évèque  de  Constance  en  fit  la  dédicace  le  .30  avril  ;  il  avait  coûté  1500 
florins.  La  Vierge  est  au  centre  d'un  grand  rosaire.  «  Die  Madonna 
hatte  friiher  einen  Kopf,  der  durch  eine  Mechanik  nickte  »  [Die  Kunst- 
denkmiiler  desGrossht'rzoçjihums  Badens.   I.  Konstanz,  p.   604). 

6.  Marseille^.  Commande  d'une  grande  bannière  du  Rosaire,  pour 
l'église  des  Dominicains  de  Marseille  (28  janvier  151a),  faite  à  Antoine 
Ronzen  d'Aix,  dit  le  Vénitien,  par  la  Confrérie  du  Chapelet.  Le  texte  est 
en  latin,  mais  la  bannière  est  décrite  in  vulgari  de  voluntate  partiuni  ipsa- 
runi  ambaruin  (cette  langue  vulgaire  est  un  provençal  mêlé  de  français)  : 
Vymaçie  de  Nostre  Dame  au  niiech  de  la  handicra,  regardant  tout  drech... 
tendent  son  mantelestendut  amhesus  dos  nianstantde  una  part  que  d'autre  ; 
et  ung  chappellet  en  cade  man,  pendant  ;  sota  lodict  mantel,  sa  es  ^ 
a  banda  drecha^,  l'estat  de  la  gleyxa'*,  como  es  le  pape,  l'emperador, 
patriarche,  cardinal,  arclievesque,  evesque  et  autres  prelatz  et  senhors 
de  gleyse,  en  nombre  que  porra  estar  en  la  dicta  part  drecha  ;  estans 
agenolhas,  ben  proportionas  ;  la  cappe  del  pape  et  imperador,  d'or  ou  de 
brocat;  las  mitres,  aussi  d'or  ;  et  los  autres  personages,  de  riches  et  con- 
venables collors^  a  gens  de  gleyse;  cascun  personages  tenant  ung  chap- 
pellet en  sas  nians  joynches,  les  sinquante  Ave  Marias  d'or,  et  los  sinq 
Patenostres  a  manière  de  roses  rouges...  A  la  banda  senestre  sera  restât 
temporal, so  es  la  rey,  la  reyna,  i-estis  d'or  fin  et  en  habit  real,  les  cou- 
rones,  d'or,  bien  proportionadas  ;  et  après  ellns,chivaliers  et  autres  sen- 
hors, et  gens  temporals,  vestis  de  bones  ,  sufficientes  et  convenables  col- 
lors,  et  riches;  estans  agenolhas,  et  cascun  tenent  son  chappellet. . .  Item, 
sera  tengut  de  faire  lodict  mestre  Anthony  al  bout  del  mantel  Nostre 
Dame,  après  totes  altres  gens,  d'una  part,  sanct  Domenge  :  et  d'autre  cos- 
tal, sanct  Thomas,  de  l'ordre  des  Predicadors,  estans  drechs,  tenens  la 
crucifix  en  las  mans.  Albanès,  qui  a  publié  ce  document  dans  le  Bull, 
archéol.  du  Comité,  1884,  p.  287,  croyait  à  tort  que  le  peintre  Ronzen 
avait  inventé  le  plan  de  cette  composition  :  u  Ronzen,  écrit  Albanès, 
donna  lui-même  le  plan  de  celte  bannière,  qui  est  curieux  et  gran- 
diose. »  D'autre  part,  l'éditeur  a  omis  d'expliquer  la  particularité  la 
plus  intéressante  de  cette  minutieuse  description  :  l'empereur  y  figure 
à  droite,  non  à  gauche  de  la  Vierge,  parmi  les  clercs,  non  parmi  les 
laïques. 

7.  Retable  du  Carmel,  à  Pérouse.  Cf.  plus  haut,  p.  93. 

1.  Sur  le  culte  de  la  Vierji,e  de  Miséricorde  à  Marseille,  cf.  VExplicalion  des 
usages  et  coutumes  des  Marseillais,  par  François  Marchetti  (Marseille,  J»is3), 
1. 1.  p.  175.  2.   so  es  :  c'est-à-dire.  3.  a  ])anda  drecha  :  du  coté 

droit.  1.    l'eslat  de  la  gleysa  :  le  monde  ecclésiastique.  5.  col- 

Inrs  :  couleurs. 


102  CATALOGUE 

8.  Relief  de  terre  cuite, à  Genga  (provinced'Ancône).  Jeledécrisd'après 
une  photographie  non  signée,  conservée  à  la  Bibliothèque  de  l'Union  cen- 
trale des  arts  décoratifs.  La  Vierge,  debout,  tenant  l'Enfant  sur  le  bras 
gauche,  distribue  des  rosaires  aux  priants  agenouillés  sous  son  manteau  ; 
à  sa  droite,  les  hommes  et  les  garçons,  à  sa  gauche,  les  femmes  et  les 
fdles.  Les  costumes  des  priants  indiquent  le  milieu  du  xvi«  siècle.  Le 
manteau  de  la  Vierge  est  soutenu  par  quatre  saints,  qui  sont  :  à  la  droite 
de  la  Vierge,  c'est-à-dire  à  la  place  d'honneur,  saint  Dominique  avec 
le  lis  et  saint  Pierre  Martyr  avec  la  palme  ;  à  gauche,  un  saint  pape  et 
un  saint  évèque,  ceux-ci  sans  caractéristiques.  Ce  relief,  de  forme 
cintrée,  est  encadré  dans  un  rosaire  dont  les  quinze  gros  grains  sont 
remplacés  par  autant  de  grandes  roses  contenant  chacune  la  repré- 
sentation dun  des  quinze  mystères   douloureux.  —  PI.  XllI,  2. 

9.  Milan.  Une  peinture  sur  toile,  de  la  fin  du  xvi^  siècle,  servant  de 
retable  dans  la  chapelle  du  Rosaire,  à  S*  Maria  délie  Grazie,  repré- 
sente la  Vierge  de  Miséricorde  abritant  sous  son  manteau  le  comte 
Vimercati,  sa  femme  et  sa  famille.  Cf.  Diego  Sant'Ambrogio,  dans  la 
Lega  Lombarda,  de  Milan,  n°*  du  16  et  21  octobre  1898. 

10.  Gravureintitulée  Imago  mirac.  B.  V.  Rosarii  Mediol.^  vulgo  Gratia- 
/■um,  représentant  la  Vierge  couronnée,  debout,  au  milieu  du  rosaire; 
sous  son  manteau,  que  soulèvent  deux  petits  anges,  sont  agenouillés, 
à  droite  trois  dames,  à  gauche,  trois  seigneurs.  Au-dessous,  cette 
légende  :  Anno  1 630,exeunte  Julio  ad  médium  usque  Augusti,  canipanae 
Ord.Praed.Mediol.  noctu  et  interdiu  sua  sponte  sonuerunt  ;  algue  extunc 
plurimi  peste  quae  tune  ibi  saeviebat,  oleo  lampadis  B.  V.  nullo  alio 
medicamento  usi,  curati  sunt  :  quod  cerlatim  hodieque  Italia  pêne  tola 
expetitur. 

11.  Frontispice  d'un  livre  sans  date  imprimé  à  Milan,  intitulé  : 
Délia  virtù  e  del  preggio  délia  divozione  del  ss'^"  Rosario  (Guéné- 
bault,  1,  vol.  736).  La  Vierge,  debout,  distribue  des  deux  mains  des 
rosaires  aux  personnes  agenouillées  sous  son  manteau;  le  sujet  est 
entouré  de  roses  qui  sortent  d'une  tige.  Titre  :  La  glor'^  V^  del  S™° 
Bosario  délie  Grazie,  Milano. 


CHAPITRE  VI 

LE  SPECULUM  IIUMAXAE  SALVATIONIS 


Vogue  immense  de  ce  livre  à  images,  du  xiv*  siècle  au  xvi'^.  —  Son 
influence  iconographique.  —  Son  origine  Dominicaine.  —  La  Vierge 
au  manteau  protecteur  lune  des  illusti-ations  traditionnelles  du  S.  //.  S, 
—  Le  S,  H.   S.  a  dû  contribuer  à  la  diffusion  de  ce  thème  figuré. 


M.  Krebs  a  eu  raison  de  croire  que  les  Dominicains  ont 
beaucoup  fait  pour  répandre  le  thème  de  la  Vierge  au  man- 
teau protecteur.  Mais  on  peut  reprocher  aux  raisonnements  du 
savant  fribourgeois  de  reposer  sur  une  documentation  trop 
restreinte,  et  pas  toujours  probante.  Pour  établir  1  importance 
de  ce  thème  dans  la  mystique  Dominicaine,  il  y  avait  à  allé- 
guer plus  et  mieux  que  des  visions  de  nonnes  et  que  les 
Mater  omnium  de  la  cathédrale  de  Fribourg  :  car  pour  les 
visions  rapportées  par  M.  Krebs,  elles  n'ont  certainement  pas 
été  connues  hors  de  l'Alémannie,  et  quant  aux  Mater  omnium 
de  Fribourg-,  leurs  relations  avec  la  mystique  Dominicaine  est 
possible,  mais  M.  Krebs  n'en  n'a  donné  aucune  preuve. 

Pour  montrer  combien  le  thème  qui  nous  occupe  a  été  cher 
à  la  mystique  Dominicaine  et  pour  en  expliquer  la  diffusion,  il 
est  nécessaire  que  nous  résumions  ici  ce  que  nous  avons  dit 
ailleurs  d'un  ouvrage  Dominicain  dont  la  vogue,  depuis  la 
première  moitié  du  xiv"  siècle  jusqu'au  milieu  du  xvi*",  a  été 
immense,  le  Spéculum  humanae  salvationis. 

Cet  ouvrage  expose,  selon  la  méthode  figurative  ou  typolo- 
gique, l'histoire  de  la  chute  et  de  la  rédemption.  L'histoire  uni- 
verselle, jusqu'à  la  mort  du  Sauveur,  n'aurait  été  qu'une  pré- 
figuration de  la  vie  de  Celui  qui  devait  racheter  le  monde,  et 
aussi  de  celle  de  la  Vierge  Marie,  son  auxiliaire  dans  l'œuvre 
rédemptrice.  Il  se  compose  de  4o  chapitres,  comprenant 
100  vers,  ou  plutôt  100  lignes,  car  il  est  écrit,  comme  le 
Spéculum   ecclesiae  d'Honorius   d'Autun    et   comme   nombre 


lOi 


CHAPITRE    VI 


de  sermons  du  xii''  et  du  xiii'' siècle,  en  prose  divisée  en  lig-nes 
de  longueur  variable,  mais  rimées  par  rimes  plates  —  par 
«  doublettes  ».  comme  on  disait  au  moyen  âge.  Chaque 
chapitre  est  divisé  en  quatre  parties,  la  première  consacrée  à 
l'un  des  principaux  faits  de  l'histoire  de  la  rédemption,  les 
trois  autres  à  trois  c  types  »  ou  préfigures  de  ce  fait.  Dans 
les  exemplaires  enluminés,  un  chapitre  occupe  deux  pages,  à 
raison  de  deux  colonnes  de  2o  lignes  par  page,  chaque 
colonne  étant  surmontée  d'une  miniature.  Les  chapitres  com- 
mencent au  verso  des  feuillets  et  finissent  au  recto  suivant. 
Le  livre  ouvert  montre  donc  toujours  un  chapitre  complet  : 
il  offre  aux  yeux,  d'un  coup,  un  des  faits  de  1  histoire  de  la 
rédemption,  suivi  du  cortège  de  ses  préfigures,  il  met  en 
regard  trois  «  types  ->  de  même  sens,  a^ec  1'  «  antitype  »  cor- 
respondant. 

Le  Spéculum  humanae  salvationis  est  un  résumé  de  la 
doctrine  catholique  touchant  la  question  de  la  rédemption. 
C'est  dire  que  la  Vierge  Marie  n'y  tient  pas  beaucoup  moins 
de  place  que  le  Rédempteur  même.  Particulièrement  impor- 
tants sont  à  cet  égard  les  chapitres  xxxvii-xxxix,  qui  exposent 
le  rôle  de  médiatrice,  de  protectrice  et  d'  «  avocate  »  que 
joue  la  'Vierge  dans  l'afTaire  de  notre  salut .  Je  ne  parlerai  pour 
l'instant  que  du  xxxviii''  :  nous  aurons  plus  loin  à  revenir  sur 
les  deux  autres. 

Le  chapitre  xxxviii  montre  comment  Marie  nous  protège 
contre  la  vengeance  de  J.-C,  contre  les  attaques  du  Diable, 
contre  les  pièges  du  monde  : 

Défendit  nos  a  Dei  vindicla    el  ejiis  indiqnalione, 
A  diaholi  mfestafione,  et  a   njundi  tenlafione. 

A  chacvm  de  ces  trois  aspects  sous  lesquels  peut  être  con- 
sidérée la  miséricordieuse  protection  de  Marie  correspond  une 
préfigure:  Tarbis,  princesse  d'rLthiopie.  qui  sauva  la  ville  de 
Saba  assiégée  par  Moïse,  aurait  préfiguré  la  Vierge  en  tant 
qu'elle  devait  nous  protéger  contre  la  vengeance  de  J.-C.  ;  la 
femme  de  Thèbes,  qui  cassa  la  tête  d'Abimélech,  aurait  préfi- 
guré la  Vierge  en  tant  qu'elle  devait  nous  protéger  contre  les 
attaques  du  Diable  ;  Michol,  femme  de  David,  qui  fit  échapper 
David  aux  gens  venus  pour  le  prendre,  aurait  préfiguré  la 
Vierge  en  tant  (ju'elle  devait  nous  protéger  contre  les  pièges 
du    monde. 


LE    SPECULUM    HUMANAE    SAI.VATIONTS  lOo 

Le  Spéculum  n'est  pas  seulement  un  livre  de  piété,  c'est 
aussi  un  livre  à  images.  Son  texte  édifiait  les  gens  capables 
de  le  lire,  son  illustration  instruisait  les  illettrés  :  picturae 
quasi  librilaicorum.  Chaque  chapitre  est]orné  de  quatre  images  : 
la  première  représente  le  fait  de  l'histoire  de  la  rédemption 
auquel  le  chapitre  est  consacré,  les  trois  autres  représentent 
les  trois  préfigures  de  ce  fait. 

Or  la  première  image  du  ch.  xxxviii,  pour  figurer  la 
protection  dont  Marie  couvre  les  pêcheurs,  représente  presque 
toujours  '  la  Mère  de  Miséricorde  abritant  l'humanité  sous 
son  manteau. 

On  doit  tenir  compte  de  cela  pour  expliquer  la  diffu- 
sion du  thème  qui  nous  occupe.  Le  Spéculum  humanae 
salvationis  a  eu  dans  les  pays  du  Nord,  en  France,  aux  Pays- 
Bas,  en  Allemagne  un  succès  prodigieux  :  il  subsiste  du 
texte  latin  plus  de  220  manuscrits,  auxquels  il  faut  ajouter 
les  manuscrits  des  traductions  en  langue  allemande,  française, 
hollandaise,  anglaise,  tchèque,  et  les  éditions  incunables  — 
une  trentaine  environ  —  du  texte  latin  ou  des  traductions. 
Cette  vogue  est  attestée  encore  par  le  nombre  des  œuvres 
d'art  inspirées  par  l'illustration  traditionnelle  du  Spéculum-: 
dès  le  milieu  du  xi\^  siècle,  les  vitraux  de  l'église  Saint- 
Etienne  à  Mulhouse  sont  copiés  jusque  dans  le  plus  menu 
détail  sur  les  miniatures  de  ce  répertoire  de  l'art  symbolique  ; 
un  demi-siècle  plus  tard,  à  Brixen  en  Tyrol,  le  cloître  de  la 
cathédrale  est  décoré  de  fresques  qui  reproduisent  l'illustration 
du  Spéculum,  et  le  texte  du  livre  est  peint  à  côté  sur  le  mur. 

Le  Spéculum  fut  écrit  pendant  la  captivité  de  Babylone 
(1309-1377),  et  plus  précisément,  s'il  faut  en  croire  deux 
manuscrits  de  Paris,  en  1324.  On  admettra  facilement  qu'un 
ouvrage  qui,  pendant  deux  siècles,  a  été  aussi  répandu,  dont 
l'illustration  a  exercé  une  aussi  grande  influence  sur  l'icono- 
graphie, et  dont  l'une  des  images  traditionnelles  représentait 
le  type  de  la  Vierge  au  manteau,  a  bien  pu  contribuera  la 
diffusion  de  ce  type . 


1 .  Les  exceptions  sont  très  rares.  La  traduction  de  Miclot,  à  la  Bibliothèque 
Nationale,  en  oITre  un  exemple. 

2.  Cf.  Mâle,  dans  la  Revue  de  l'arl  ancien  et  moderne,  sept.  1905  ;  Per- 
drizet,  L'art  symbolique  du  moyen  ùçfe,  ;i  propos  des  rerrières  de  l'église  Saint- 
Etienne  à  Mulhouse,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  industrielle  de  Mulhouse, 
mai  1007  et  à  part  (Leipzig-,  Ch.  Beck  . 


106  CHAPITRE    VI 

Ce  qui  rend  1  hypothèse  encore  plus  vraisemblable,  si  l'on 
se  rappelle  combien  les  Dominicains  ont  affectionné  le  thème 
de  la  Vierg^e  au  manteau  protecteur,  c'est  que  le  Spéculum, 
dont  Fauteur,  par  humilité.  n*a  pas  voulu  se  faire  connaître  — 
nomen  auctoris  humilifafe  silefur —  a  été  écrit  par  un  Domini- 
cain. Pour  la  démonstration  de  ce  dernier  point,  je  renvoie 
au  deuxième  chapitre  de  mon  Etude  sur  le  Spéculum  humanae 
salvationis.  Je  me  contente  de  reproduire  ci-contre  quelques 
Vierg-es  de  miséricorde  empruntées  à  des  exemplaires  du  Spé- 
culum. Lune  (pi.  XV,  1)  se  trouve  dans  le  manuscrit  de  Munich 
(clm  23i33j,  auquel  devait  certainement  [beaucoup  ressemljler 
le  manuscrit  dont  les  miniatures  ont  servi  de  modèle  pour 
les  verrières  de  Mulhouse.  Une  autre  (pi.  X^',  3)  est  extraite 
d'un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  Nationale  de  Paris  '  :  elle 
représente  la  Vierg-e  abritant  sous  son  manteau  une  famille 
monastique.  Une  troisième  (pi.  XV,  i)  est  extraite  d'un  incu- 
nable, le  Miroir  de  la  rédemption,  publié  à  Lyon  à  plusieurs 
reprises,  et  dont  les  bois  sont  ceux  de  l'édition  antérieure- 
ment publiée  à  Bàle.  en  147.  A  titre  de  comparaison,  j'ai  rap- 
proché de  ces  reproductions  celle  de  la  ^'ie^ge  de  Miséricorde, 
telle  quelle  a  été  figurée,  d'après  une  miniature  du  manuscrit 
de  Munich  dont  je  parlais  tantôt,  sur  l'une  des  verrières  de 
Mulhouse  (pi.  XV,  2).  On  verra  plus  loin  fpl.  XIX,  1)  la 
reproduction  d'une  Vierg^e  de  Miséricorde  contenue  dans  un 
Spiegel  der  menschlichen  Behaltniss  qui  paraît  avoir  été  copié 
vers  1400,  par  un  Dominicain  du  couvent  de  Saint-Biaise, 
à  Ratisbonne.  D  autres  Vierges  de  Miséricorde  empruntées  à 
divers  manuscrits  du  Spéculum,  ont  été  publiées  dans  notre 
édition  de  cet  ouvrage  mystique-,  dans  un  catalog-ue  de  vente  ^ 
et  dans  la  Béunion  des  Sociétés  des  beaux-arts,  1907^. 

1.  Ms.  fr.    lt!0,  f»  149. 

2.  Lulz-Perdrizel.  Spéculum  humanae   .s.i ira /t'onts  (Mulhouse.  1907),  pi.   75. 

3.  Catalogue  J.  Rosenthal.  XXXVI.  n»  529. 

4.  PI.  80,  d'après  le  ms.  du  musée  Condé,  à  Chantilly,  (jui  contient  la  tra- 
duction de  Miélot  (n°  1363.  f°  38  v  .  L'auteur  de  l'article  paru  dans  la  Réunion 
des  sociétés  des  heaux-arts.  n'ayant  pas  vu  le  manuscrit  de  Chantillj-,  croit  que 
c'est  un  exemplaire  du  texte  latin. 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


Pi.  XV 


^)arw  flV  nû»  KtîiiratTix  't  .^rrcH-n- 


,_,t..j.  f-^._'».,'.>^.  r^,^ 


Munich,  clin  23  433  (xiv^  siècle) 


Vitrail  de  Mulhouse  (xiv''  siècle) 


fisamssssMà 


itrsrs'srj^jsrjf 


mm 


iiuMeCftiiK 

|irii?iiu'v/7»i/(f  nAarMSeic 
ff^'nf:  «It  iv/ii  ^m  Houi^^-ft-c 


f*mt kflviiitiu  •  pfiufit,ik<:ii<ii 

ftUt'tIl''^fll.l  illlld4l  .111411  ir/llld 

Wotioif  k'i<f.T>iiun  f^iihiiiroii 

iioic<>i>iiii»iiiv°  ni<>i'ik(^  fî'V-Dlir 
■au  fi«tt ,-ÏVfOiin- f uiiifi-  SvcitW 
ai*,  fa  <)iidîô  cfvf;  fii'i"  'W  '»*<'^ 
^(>6  fi  ivitiiii  iiKXVini/iliir.iiMi)!' 


[  Toîncnt  mopTcS  a  (a  bataillec 
contre  iacitcfcc  faba. 


CVirte  c/e  Viiuteiir 


CUchi  de  Vnuteur 


Bibl.  nat.,  ms.  fr.  46o  (xv'^  siècle) 


Miroir  de  la  /■édrinptio/i,  Lyon,  1^78 


La  Vierge  de  Miséricorde  et  le  Spéculum  hu/nanœ  saluationis 


CHAPITRE   VII 
LES   FLÈCHES    DE   LA    COLÈRE    DIVINE 

La  peste,  pour  le  folklore,  est  produite  par  des  flèches  invisibles  : 
traces  de  cette  croyance  chez  les  Grecs  anciens,  les  Musulmans,  les 
Germains,  dans  la  Rome  chrétienne  du  vi*"  siècle,  dans  la  dévotion  de 
saint  Sébastien.  —  Les  flèches  de  la  peste  arrêtées  par  le  manteau 
protecteur  de  saint  Sébastien  (fresque  de  S.  Gimignano)  ou  de 
Marie  (bannières  ombriennes,  peintures  italiennes  et  allemandes).  — 
Ce  thème  date  du  w'^  siècle  et  semble  se  rattacher  à  la  prédication 
de  saint  Bernardin  de  Sienne.  —  II  a  été  abandonné  au  xvi*',  comme 
entaché  de  superstition. 


On  se  rappelle  le  début  de  Y  Iliade  :  pour  se  venger  des 
Grecs,  Apollon,  le  dieu  ambigu  qui  peut,  à  son  choix,  déchaî- 
ner la  peste  sur  les  hommes  ou  les  en  guérir  ',  descend  de 
rOhmpe,  «  semblable  à  la  nuit  »  — -  sans  bruit,  car  la  nuit 
vient  sans  qu'on  l'entende  ;  pendant  neuf  jours,  il  tire  sur  le 
camp  des  Grecs  ;  et  tous  ceux  que  touchent  ses  flèches  invi- 
sibles, meurent  de  la  peste. 

Le  mythe  racontait  qu'Apollon  avait  tué  à  coups  de  flèches 
le  serpent  Python,  le  géant  Tityos,  la  progéniture  de  Niobé. 
Mais  ce  serait  être  la  dupe  de  la  mythologie  que  d'expliquer 
par  les  mythes  de  Python,  de  Tityos  et  des  Niobides  le  surnom 
à'ky^rfiokzz  dont  l'épopée  saluait  Apollon,  ou  l'arc  et  les  flèches 
cpii,  dans  l'imagerie,  étaient  les  caractéristiques  de  ce  Dieu. 
Les  vieux  sculpteurs  Tektœos  et  Angelion  -'  l'avaient  repré- 
senté à  Délos  portant  les  Grâces  sur  une  main  et  dans  l'autre 
l'arc  et  les  flèches,  —  les  Grâces,  dit  Macrobe  •^,  parce  que, 
parfois,  il  fait  grâce  aux  hommes,  leur  épargne  les  épidémies, 
—  l'arc  et  les  flèches,  parce  que,  d'autres  fois,  il  les  tue  des 
flèches  invisibles  de  la  pestilence  ^. 

1.  Sur  ce  caractère  ambigu  d'Apollon,  cf.  Macrobe,  Saturnales,  I,  17;  sur 
Apollon  comme  dieu  des  épidémies,  cf.  Roscher,  Apollo  und  Mars,  p.  6i. 

2.  Overbeck,  Schriftquellen,  n°'  334-337;  CoUignon,  Hist.  de  la  sculpture 
gr.,  I,  p.   224. 

3.  Sat.,  I,  17;  quia  perpeluam  praestat  saluhritatem  et  pestilens  ab  ipso 
casus  rarior  est,  ideo  Apollinis  simulacra  manu  dextra  gratias  geslant, 
arcum  cum  sagitlis  sinistra,  quod  ad  noxam  sit  pigrior,  et  salutem  manus 
promptior  largiatur. 

4.  Lycophron,  1203,  Xoiiity.à  ToÇîj[iaTa. 


108  r.iiAPiTRi:  VII 

Une  maladie  est  lente  ou  rapide.  Les  unes  consument  le 
malade  peu  à  peu,  le  fondent  pour  ainsi  dire  :  c'est  ce  que  les 
Grecs  exprimaient  par  le  verbe  TÉxeiv.  Les  autres  le  terrassent 
brusquement,  ou.  comme  nous  disons  encore,  le  «  frappent  »  ; 
le  g^rec  avait  une  expression  analogue  :  Hippocrate  '  emploie 
le  mot  ^\r,-oi  pour  désig-ner  les  g'ens  frappés  dune  maladie 
aiguë.  Dans  ces  expressions  qui  d'abord  semblent  décolorées, 
la  sémantique  retrouve  les  traces  de  la  vieille  croyance  qui 
attribuait  à  des  coups  portés  par  un  Invisible,  à  des  flèches 
mystérieuses  lancées  par  un  dieu  méchant,  les  atteintes  du  «  mal 
qui  répand  la  terreur  ».  les  ravages  effrayants  des  épidémies. 

L  idée  d'expliquer  les  épidémies,  leurs  coups  soudains, 
multipliés,  implacables,  par  la  colère  d'une  divinité  qui,  pour 
faire  périr  les  vivants,  les  perce  de  flèches  qu'on  ne  voit  pas, 
est  une  très  vieille  croyance,  dont  il  serait  possible,  probable- 
ment, de  retrouver  la  trace  dans  les  folk-lores  les  plus  divers. 
«  LesMahométans.  dit  Herbelot-,  croient  qu'il  y  a  des  esprits  ou 
des  lutins  armés  de  flèches,  que  Dieu  envoie  pour  punir  les 
hommes  quand  il  lui  plaît,  et  que  les  blessures  que  font  ces 
spectres  sont  mortelles  lorscpi'ils  paraissent  noirs  ;  mais 
qu'elles  ne  le  sont  pas  lorsque  les  flèches  sont  décochées  par 
des  spectres  qui  paraissent  blancs.  C'est  ainsi  que  les  Maho- 
métans  raisonnent  sur  la  peste,  et  c'est  sur  ce  fondement 
qu  ils  ne  prennent  aucune  précaution  pour  s'en  garantir.  » 
D'après  Grimm  3.  les  anciens  Germains  attribuaient  aux 
flèches  des  elfes,  des  sorcières  ou  des  dieux,  certaines  mala- 
dies subites,  ylfa  gescot,  liugtessen  (/escot,  êsa  gescot.  Hono- 
rius  d'Autun  '  et  Jacques  de  ^'arazze  "■  rapportent  que  lors  de 

1.  De  victu  in  inorhis  acutis.  II.  p.  34  Kiilin. 

2.  Bibliothèque  or(e;i<aZe  Macslricht.  1776,  f °  .  t.  T.  p.  596.  Cité  par  Lie- 
brecht,dans  son  édition  des  Olia  imperialia  de  Gervais  de  Tilljury  (Hanovre, 
1856),  p.  42. 

3.  Deulsche  Mylholoyie,  p.  1192:  cf.  Simrock,  Ilandhuvh  der  deutschen 
Mythologie,  4' éd.,  p.   335. 

4.  nie  dies  qui  Major  Letania  dicituv  ea  de  causa  inslitutus  legitur  :  Tybe- 
ris  plus  solito  inundavit,  Romam  ingrediens  ...  multa  aedificia  cum  populo 
suhvertit.  per  cujus  alieum  ingens  draco  cum  magna  multitudine  serpenlium 
mare  ingreditur,  cum  quihus  omnibus  ibidem  suff'ocatur.  Qui  in  litus  pro- 
jecti  aerem  sua putredine  corruperunt  et  gravem  mortalilateni  humanageneri 
inluleruni.  Sagillae  namque  caelilus  venire  conspiciebanlur.  de  quibus 
inguina  hominum  tacla  sine  mora  moriebantur:  primitus  papa  l'elagius 
morilur.  deinde  populus  Romanus  pêne  tolus  subila  morte  consumilur.  Gre- 
gorius  itaque  eijisciipus  levatur  qui  populum,  jejunare.  cruces  porlare  et 
orare  horlatur.  Quod  cum  dévoie  peragunt.plaga  cessât  {Spéculum  Ecclesiae, 
sermo  in  Hofralionibus,  P.  L..  CLXXI,   951). 

5.  Légende  dorée,  ch.  xi.vi    de  S.  Greçorio),  p.  190. 


LES    FLÈCHES    DE    LA    CÛLÈUL    DIVINE  lUU 

la  peste  de  Rome,  en  590,  qui  donna  lieu  k  l'institution  de  la 
grande  Litanie,  on  vit  pleuvoir  des  flèches,  qui  touchaient  les 
gens  à  l'aine  et  les  faisaient  mourir  sur-le-champ. 

L'église  Saint-Pierre-aux-Liens,  à  Rome,  expose  à  la  véné- 
ration des  fidèles,  presque  en  face  du  Moïse  de  Michel-Ange, 
une  vieille  mosaïque  de  style  byzantin  ' ,  qui  représente  saint 
Sébastien.  Une  inscription  commémorative  assure  que  cette 
mosaïque  aurait  été  dédiée  en  680,  lors  d'une  peste  qui  rava- 
geait Rome  :  ce  serait  le  plus  ancien  témoignage  du  culte 
rendu  k  saint  Sébastien  comme  protecteur  contre  les  épidé- 
mies. En  réalité,  comme  l'a  démontré  J.-B.  de  Rossi,  cette 
inscription,  qui  est  du  xv''  siècle,  de  huit  siècles  environ  moins 
ancienne  que  la  mosaïque,  a  été  fabriquée  au  moyen  d'un  pas- 
sage de  Y  Histoire  des  Lombards  -,  dans  lequel  il  ne  s'agit 
point  de  Rome,  mais  de  Pavie  :  en  680,  une  peste  ravageant 
Pavie,  quelqu'un,  on  ne  sait  qui,  apprit  par  révélation  que 
cette  peste  ne  prendrait  fin  que  lorsqu'on  aurait  élevé  k  saint 
Sébastien  un  autel  dans  la  basilique  de  Saint-Pierre-aux- 
liens  de  Pavie  :  comme,  pour  vouer  un  autel  k  un  saint,  il 
fallait  pouvoir  y  enfermer  une  relique  de  ce  saint  '^  les  gens 
de  Pavie  allèrent  quérir  à  Rome,  où  il  avait  été  martyrisé  en 
288,  des  reliques  de  saint  Sébastien. 

Pourquoi,  pendant  la  peste  de  680,  les  gens  de  Pavie 
eurent-ils  l'idée  d'invoquer  saint  Sébastien?  Pourquoi,  d'une 
façon  générale,  la  foi  chrétienne,  en  cas  de  peste,  a-t-elle  eu 
recours  k  cet  intercesseur  ?  Rien,  dans  la  mosaïque  de  Rome,  ne 
nous  met  sur  la  voie  de  l'explication  :  le  saint  y  est  représenté 
debout,  nu-tête,  vêtu  de  l'uniforme  des  officiers  byzantins. 
Pour  trouver  le  mot  de  l'énigme,  il  faut  se  reporter  k  la 
légende  de  ce  brave  soldat.  Saint  Sébastien  moment  sous  les 
verges,  par  ordre  de  Dioclétien.  Mais  ce  qui,  dans  la  légende 
du  martyr,  a  frappé  l'imagination  populaire,  ce  n'est  pas  sa 
mort  même  :  «  quantité  de  proses  très  répandues    au   moyen 


1.  Alinari,  7252;  De  Rossi,  Musaici  crixtiani  nnteriori  al  sec.  AT,  pL  XX,  2. 

2.  Par  Paul  le  Diacre  :  cf.  l.  VI,  p.  166  des  Monumenla  Germaniae 
ctUdam  per  revelationem  dicliun  est,  quod  peslis  ipsa  prias  non  quiescerel 
quant  in  basilica  heati Pelri  quae  ad  Vincula  dicit.iir  sancti  Sebastiani  marly- 
ris  allarium  ponerelur.  Factiini([ue  est,  et  delalis  ah  iirhe  Roma  beali  Sebas- 
tiani marlyris  reliquiis,  pestis  ipsa  quievit.  Cf.  encore  Léqende  dorée, 
ch.  XXIII  (de  S.  Sebastiano),  sub  fine. 

3.  Marignan,  Le  culte  des  saints  sous  les  Mérovingiens,  p.  226. 


110  CHAPITRE    Yll 

àg-e  ne  font  aucune  mention  de  son  supplice'.  »  Quelque 
temps  avant  d  être  mis  à  mort,  Sébastien  avait  été  lié  à  un 
arbre  et  criblé  de  flèches  par  les  archers  de  Dioclétien  :  il  en 
reçut  tant,  dit  la  Légende  dorée,  qu'il  ressemblait  à  un  héris- 
son, ita  euni  sagittis  implevcrunt  ut  quasi  hnricius  videretur ; 
mais,  par  la  grâce  de  Dieu,  il  avait  réchappé  de  ses  multiples 
blessures.  Voilà  le  fait  dont  s'est  emparée  l'imagination  popu- 
laire. La  vieille  croyance  folk-lorique  qui  expliquait  la  peste 
par  les  coups  de  flèches  invisibles,  subsistait,  tenace,  dans 
l'esprit  incroyablement  superstitieux  des  gens  de  ce  temps- 
là  "-.  On  imagina  que  le  saint  qui  avait  réchappé  de  tant  de 
blessures  produites  par  des  flèches,  pouvait  sauver  ses  dévots 
des  flèches  de  la  peste.  Simil'ia  similihus  curantur  :  c'est  le 
principe  de  la  magie.  Transposé  en  langage  mystique,  il 
revient  à  dire  que  les  saints  compatissent  de  préférence  aux 
souffrances  qu'ils  ont  eux-mêmes  ressenties  :  censentur  didi- 
cisse  ex  lis,  quae  passi  sunt,  compassionem  -^ 

Ainsi  s'explique  —  même  les  érudits  catholiques  en  con- 
viennent^ —  la  façon  dont  lart  du  moyen  âge  et  la  Renais- 
sance a  représenté  saint  Sébastien  ■''  ;  ainsi  s'explique  aussi  la 
multiplicité  vraiment  prodigieuse  de  ses  images  :    la   plupart 


1.  Caliier,  Caractéristiques,  l.  I,  p.  414. 

2.  Pour  juger  de  la  superstition  dans  laquelle  l'esprit  humain  était  alors 
tombé,  il  faut  lire  les  Dialogues  de  saint  Gréf^oire  le  Grand. 

.3.  Raynaud,  S.  J.,  dans  ses  Opéra  omnia  (Lyon,  1665).  t.  VIII,  p.  511. 

4.  «  Ceux  qui  tiennent  beaucoup  à  chercher  des  relations  plus  ou  moins 
étroites  entre  la  mythologie  et  les  dévotions  populaires  du  christianisme, 
peuvent  se  donner  carrière  pour  assimiler  les  flèches  d'Apollon  aux  traits  qui 
percèrent  saint  Sébastien,  dans  son  premier  supplice.  Le  P.  Théophile  Ray- 
naud (Ha(/iologium  Luffdunense.  dans  ses  Opéra,  t.  ^'III,  p.  514)  ne  s'y  oppose 
pas  très  fort,  lui  qui  ne  capitule  point  volontiers  devant  les  adversaires  de 
l'Eglise.  11  se  i)ourrait  bien  en  e/Tet  que  cette  invocation  ait  eu  son  origine  à 
Rome  par  opposition  à  quelque  vestige  du  paganisme  qu'on  voulait  faire  dis- 
paraîti'e  en  le  détournant  vers  un  but  louable.  L'Eglise  a  suivi  cette  marche 
mainte  fois  en  divers  temps  et  lieux  »  (Cahier.  Caractéristiques,  t.  II, 
p.  661).  Ce  n'est  pas  Raynaud  qui  a  eu  l'idée  de  comparer  aux  flèches  dont  fut 
percé  saint  Sébastien,  celles  dont  Apollon  accabla  les  Grecs  :  d'après  Raynaud 
lui-même,  ce  rapprochement  avait  déjà  été  fait  par  .loanncs  Pictus  t.  42  Ilie- 
roçfli.  c.  17,  et  jiar  Philibcrtus  Maichinus  in  opère  de  l)elln  divino  prohl.  S. 

5.  Molanus.  De  hisloria  sacraruni  imaginuin,  1.  III,  c.  6  ;  Rio,  De  l'art  chré- 
tien, t.  II,  ji.  18S;  Jameson,  Sacred  and  legendarg  art.  j).  245;  Detzel,  Chrisl- 
liche  Ikonographie.  t.  II,  p.  6.'ii;  Cahier,  Caractéristiques,  t.  I.  p.  414;  For- 
geais, |P/om/)S  historiés,  t.  IV,  p.  166;  Reinach,  Répertoire.  I.  583-590;  II, 
648-655;  etc.  Des  flèches  dont  avait  été  percé  saint  Sébastien  étaient  con- 
servées dans  l'église  des  .\ugustins  de  Poitiers,  à  Lambesc  en  Provence,  et 
ailleurs  (Estienne,    Apologie  pour    Hérodote,  ch.  x.vxvm). 


LES    FLÈCHES    DE    LA    COLÈRE    DIVINE  111 

des  monuments  '  qui  montrent  le  bel  éphèbe  percé  de  flèches 
ont  été  voués  dans  la  crainte  de  la  peste,  beaucoup  en  temps 
de  peste.  Assurément  saint  Sébastien  n'a  pas  été  le  seul  saint 
«  antipesteux  »  du  moyen  âge  :  on  en  vénérait  beaucoup 
d'autres,  selon  les  pays  '  :  en  Flandre,  saint  Macaire  de  Gand, 
saint  Adrien,  martyr^  ;  en  Italie,  à  partir  delà  fin  du  xvi''  siècle, 
saint  Charles  Borromée  ;  en  France,  saint  Christophe,  saint 
Nicaise  '*  et  même  saint  Louis  ",  quoiqu'il  fût  mort  de  la  peste, 
ou  plutôt  parce  qu'il  en  était  mort,  comme  s'il  avait  dû  être 
pour  la  terrible  maladie  une  victime  suffisante.  Plus  impor- 
tant fut,  à  cet  égard,  le  culte  d'un  laïque,  saint  Roch  de  Mont- 
pellier, né  à  la  fin  du  xiu*^  siècle,  et  qui,  dès  la  fin  du  xiv**,  a 
été  regardé  dans  toute  la  chrétienté  comme  un  puissant  pro- 
tecteur contre  les  contagions.  Mais,  quoiqu'on  en  ait  dit^, 
l'antique  réputation  de  saint  Sébastien  n'a  jamais  pâli  devant 
celle  de  saint  Roch  :  les  églises,  autels,  ex-votos  qui,  du 
XV"'  siècle  au  xvii°,  ont  été  placés  sous  l'invocation  de  saint 
Sébastien  sont  légion  ;  tous  les  livres  d'heures  du  xv''  et  du 
xvi"  siècles  contiennent  une  prière  à  saint  Sébastien,  une 
antienne  sur  ce  saint,  une  miniature  qui  le  représente  ^.  Ce 
qui  est  vrai,  c'est  qu'à  partir  du  xv^  siècle,  dans  les  ex-votos 
et  les  gravures  de  dévotion,  saint  Sébastien  et  saint  Roch 
sont  fréquemment  associés  ;  parfois,  on  leur  joint  saint 
Antoine,  qu'on  invoquait  contre  le  mal  des  ardents. 

Toute  personne  divine  est,  pour  les  primitifs,  une  force 
ambiguë,  susceptible  défaire,  selon  les  cas,  le  bien  ou  le  mal. 
Apollon,  qui  préservait  de  la  peste,  pouvait  aussi  la  déchaî- 

1.  La  plupart,  non  pas  tous  :  car  un  certain  nombre  de  représentations  de 
saint  Sébastien  proviennent  de  Confréries  d'archers  et  d'arbalétriers  ;  il  était 
le  patron  des  archers  et  arbalétriers,  à  cause  des  flèches  dont  il  fut  percé. 

2.  Cahier,  Caract.,  t.  11,  p.  661,  s.  v.  Peste  et  contagions. 

3.  Cf.  le  Mistere  de  St  Adrien,  éd.  Picot  (dans  la  collection  du  Roxburghe 
Club),  p.  VI. 

4.  Guigne,  Olivier  de  la  Marche,  p.  xvii. 

5.  Durand,  Monographie  de  la  cathédrale  d'Amiens,  p.  419. 

6.  Par  exemple  Cahier,  Caractéristiques,  t.  I,  pp.  217  et  414. 

7.  ^lartin.  Les  miniaturistes  français,  p.  153.  Je  citerai  quelques 
exemples  :  Bibl.  Sainte-Geneviève,  ms.  68i  (Heures  en  latin,  xv"  s.),  prière  à 
saint  Sébastien:  —  .\rscnal,  ms.  63 «  (Heures  en  latin  et  en  français,  xvr- s.), 
f"  87,  prière  à  saint  Sébastien  avec  miniature:  —  Arsenal,  ms.  635  (Heures  en 
latin  et  en  français,  xv^s.),  f"  152,  prière  à  saint  Sébastien;  —  Arsenal,  ms.  649 

Heures  en  latin  et  en  français,  à  l'usage  d'Orléans,  xvs.jjf"  120,  antienne 
latine  sur  saint  Sébastien,  la  même  que  Forgeais  (Plombs  historiés,  t.  IV, 
p.  166;  a  reproduite  d'après  un  Office  de  saint  Sébastien  imprimé  à  Falaise  en 
1822. 


112  cnAimui:;  vu 

ner.  Le  moyen  âge  concevait  de  même  le  pouvoir  des  saints 
antipesteux  :  je  ne  parle  pas,  bien  entendu,  des  théologiens,  mais 
de  la  crédulité  populaire,  telle  quelle  s'étalait  quand  se  leva 
le  o^rand  souffle  purifiant  de  la  Renaissance  et  de  la  Réforme  : 
«  Cependant,  Grandgousier  interrogeoit  les  pèlerins...  Nous 
venons  de  S'  Sébastian  près  de  Nantes,  et  nous  en  retour- 
nons par  noz  petites  journées.  —  Voyre,  mais  (dist  Grand- 
gousier), qu'alliez  vous  faire  a  S^  Sébastian?  — Nous  allions 
(dist  Lasdaller I  luy  otTrir  nos  votes  contre  la  peste.  —  0  (dist 
Grandgousier),  povres  gens,  estimez  vous  que  la  peste  vienne 
de  S'  Sébastian?  —  Ouy  vraiment  (respondit  Lasdaller),  nos 
prescheurs  nous  l'afferment.  —  Ouy  (dist  Grandgousier),  les 
faulx  prophètes  vous  annoncent  ils  telz  abuz?  Blasphèment 
ilz  en  ceste  façon  les  justes  et  sainctz  de  Dieu,  quilz  les  font 
semblables  aux  diables  qui  ne  font  que  mal  entre  les  humains, 
comme  Homère  escript  que  la  peste  fut  mise  en  l'oust  des 
Gregoys  par  Apollo  et  comme  les  Poètes  faignent  un  grand  tas 
de  Veioves  et  dieux  malfaisants.  Ainsi  preschoit  a  Sinaj's  un 
caphart,  c{ue  S'  Antoine  metoit  le  feu  es  jambes.  S'  Eutrope 
faisoit  les  hydropiques,  S'  Gildes  les  folz.  S'  Genne  les 
gouttes ',..».  «  Chacun  de  ces  saincts,  dit  Henry  Estienne 
dans  VApolof/ie  pour  Hérodote  (  ch.  38  ).  peut  envoyer  la  mesme 
maladie  de  laquelle  il  peut  guarir.  Et  qu'ainsi  soit,  quand  on 
dit  le  mal  S'  Main,  le  mal  S'  Jan,  c'est  aussi  bien  a  dire  le 
mal  qu'ils  envoyent  que  le  mal  duquel  ils  guarissent.  » 

Un  mystique  du  xv*'  siècle,  Jean  Raulin,  approuvé  au 
xvr  par  Molanus  -  et  au  xix''  par  Grimoùard  de  Saint-Laurent, 
expliquait  que  les  images  qui  représentent  saint  Sébastien 
percé  de  traits  signifient  qu'il  intercède  pour  nous  auprès  de 
Dieu,  en  lui  montrant,  pour  le  fléchir  en  notre  faveur,  les  bles- 
sures dont  il  fut  couvert .  Cette  explication ,  certainement  inspirée 
par  un  thème  mystique,  sur  lequel  nous  reviendrons  —  celui 
de  Jésus  montrant  ses    blessures   au  Père  pour  apaiser    son 


1.  Hfibclais,  Gar(fantua.  1.  I.  ch.  15.  Voir  les  noies  des  éditions  Burgaud 
des  Marcls-Rathery  et  Marty-Lavcaux.  Sur  le  calembour  comme  explication 
du  rôle  de  patrona^'e  attribué  à  beaucoup  de  saints,  cf.  H.  Estienne.  Apolorfie 
pour  Hérodote,  ch.  xx.wiii,  t.  II.  p.  312  de  l'éd.  Ristelhuber  :  Raynaud,  Opéra, 
t.  VIII,  p.  515  (quibusdam  Caelitibus  specialis  cultus  defertur  injecta  exo- 
randi  spe  ex  nominis  cortice);  Cahier,  Carac<eri.s<tV/ue.s,  t.  II.  p.  605  ;  Gaidoz 
dans  Mélnsinc,  t.  IV.  p.  505  sq.  ;  t.  V,  p.  152;  Delehayc,  Légendes  hnyiogra,- 
])hiqiies,  2"  éd.,  p.  51. 

2.  De  hist.  SS.  imaginiim.  III,  6. 


pERDRizET,  La  Vifi'ge  de  Miséricorde 


PI.  XVI 


/■«.,/.  r;,„l.,„,U 


SAINT    SKBASTIEN    l'ROTEGE    LES   GENS    DE    SAN-(iE.MINIA\0 

(Fresque  tle  B.  (iozzoli) 


LES    FLÈCHES    DE    LA    COLÈRE    DIVINE  113 

courroux  contre  les  hommes  —  implique,  ce  me  semble,  la 
croyance  aux  'flèches  de  la  colère  divine  :  lorsque  Dieu  va 
les  lancer  sur  les  hommes,  saint  Sébastien  paraît  devant  lui, 
tout  sanglant,  et  lui  dit  :  «  Ne  sufïit-il  pas  des  flèches  qui 
m'ont  percé?  Epargnez  aux  hommes,  par  égard  pour  mes  souf- 
frances, le  supplice  que  j'ai  enduré.  » 

Ainsi,  par  l'intercession  de  saint  Sébastien,  se  détournaient 
de  ceux  qui  s'adressaient  à  lui  les  flèches  invisibles  de  la 
contagion.  Cette  idée,  où  la  crédulité  catholique  se  mêle  à  la 
superstition  antique,  n'a  nulle  part  été  mieux  exprimée  que 
par  Benozzo  Gozzoli,  dans  la  fresque  de  l'église  Saint -Augus- 
tin, à  S.  Gimignano  (pi.  XVI) '.  Elle  fut  peinte  en  1464,  pen- 
dant une  peste  tellement  violente  que  les  conseils  de  la  ville 
cessèrent  de  se  réunir  et  que  toutes  les  fonctions  publiques 
lurent  suspendues.  Du  haut  du  ciel,  Dieu  le  Père  et  les  anges 
lancent  des  javelots  sur  les  gens  de  San  Gimignano  ;  mais  ceux- 
ci  échapperont  à  la  colère  divine,  car  ils  se  sont  réfugiés  sous 
le  manteau  de  saint  Sébastien;  ils  supplient  le  saint  d'intercé- 
der pour  eux  :  Sancle  Schastiane,  intercède  pro  devoto  populo 
tuo,  dit  l'oraison  inscrite  sur  le  socle  où  se  dresse  l'image  du 
saint  :  et,  en  etfet,  le  saint,  les  mains  jointes,  prie  pour  ses 
dévots.  Cependant,  au  ciel,  se  passe  un  drame  émouvant  : 
agenouillés  devant  le  Père,  le  Christ  et  la  Vierge  lui  font  par- 
venir les  supplications  de  Sébastien,  en  y  joignant  les  leurs  : 
le  Christ  montre  la  plaie  de  son  flanc,  la  Vierge  ses  seins,  qui 
ont  nourri  IHomme-Dieu  :  nous  reviendrons  plus  loin  sur 
cet  étonnant  dialogue.  Par  la  vertu  de  toutes  ces  prières,  les 
javelots  de  la  colère  divine  sont  arrêtés  par  le  manteau  et  s'y 
brisent. 


La  fresque  de  S.  Gimignano  est  une  variante  extrêmement 
curieuse  d'un  thème  que  la  peinture  religieuse  italienne  du 
XV*'  siècle  a  souvent  traité  :  la  Vierge  de  Miséricorde  proté- 
geant sous  les  plis   de    son  manteau,  contre    les  coups  de  la 

1.  Phot.  Lombardi,  2076.  Cl'.  Cavalcaselle-Crowe,  Sloria,  t.  L\,  p.  32; 
Gazette  des  Beaut-Arls,  août  1870,  p.  163  (Gruyer),  où  Ton  trouvera  sur  les 
pestes  qui  ravajjèrent  S.  Gimignano  aux  xiv»  et  w"  siècles  des  détails 
empruntés  à  Pecori,  Storia  delta  terra  di  S.  Giinifjnano  (Florence,  1S53)  ; 
Lorraine-Artiste,  1905,  p.  68  (avec  reproduction). 

Peiiuuizkt.  —  La  \  ienje  de  Miséricorde.  8 


114  CHAPITRE    VU 

colère  divine,  lliumanité  pécheresse.  Examinons  les  exemples 
les  plus  caractéristiques  de  ce  thème  ^. 

Ils  abondent  dans  la  peinture  ombrienne  de  la  deuxième 
moitié  du  quattrocento.  Le  plus  remarquable  est  assurément 
la  bannière  datée  de  1482,  peinte  sans  doute  par  Bonfig-li  et  qui 
sert  aujourd'hui  de  retable  dans  Téglise  de  Montone.  En  bas, 
la  petite  ville  de  Montone,  ceinte  d'un  rempart  à  tours,  avec 
son  église  paroissiale,  ses  maisons  et  son  château.  Au-des- 
sus, dans  le  ciel,  les  gens  de  Montone.  hommes,  femmes, 
enfants  —  agenouillés.  Des  saints,  Sébastien,  François  d'As- 
sise, Jean- Baptiste,  Antoine  l'ermite.  Bernardin  de  Sienne, 
Antoine  de  Padoue,  Nicolas  de  Myre,  Grégoire  pape,  inter- 
cèdent pour  eux  auprès  de  la  Vierge  qui  les  couvre  de  son 
manteau.  Et  cette  Vierge,  de  brocart  d'or  vêtue,  est  immense; 
sa  couronne  touche  au  ciel,  sa  robe  à  la  terre.  Dans  le  ciel,  au- 
dessus  de  la  Vierjj^e,  le  Fils,  la  poitrine  demi-nue  laissant 
voir  la  plaie  du  flanc  gauche  ;  de  chaque  main,  il  lance  des 
javelots  sur  Montone  ;  mais  ils  sont  arrêtés  par  le  manteau 
de  Marie  ;  ils  éclatent  en  morceaux,  aucun  n'arrive  au  but. 
Tout  en  bas,  à  droite,  la  Mort  qui  s'approchait  sournoisement 
de  ^lontone,  sa  grande  faux  à  la  main,  est  obligée  de  s'en- 
fuir. 

On  rapprochera  de  cette  peinture,  pour  le  thème  de  Jésus 
lançant  les  javelots  et  pour  le  thème  de  la  Mort,  une  autre 
bannière  de  Bonligli,  à  .S'^  Maria  \uova  de  Pérouse,  peinte 
en  1472  pour  les  fratclli  délia  confraternità  di  S.  Bene- 
detto.  En  haut,  entre  le  soleil  et  la  lune,  Jésus  demi-nu.  lais- 
sant voii  la  plaie  de  son  liane,  lance  les  javelots  de  la  colère  : 
il  en  brandit  un  dans  la  main  droite,  et  en  tient  trois  dans 
l'autre  main.  Derrière  lui,  des  anges  portent  les  instruments 
de  la  Passion.  A  ses  pieds,  la  Vierge  et  saint  Paulin  (sanctvs 
PAVi.iMS,  lit-on  dans  le  nimbe).  Au-dessous,  saint  Benoît 
et  sa  sœur,  sainte  Scolastique,  intercèdent  auprès  de  la 
Vierge  pour  les  Pérugins  agenouillés  en  bas  du  tableau.  La 
Mort,  armée  d'une  faux,  passe  au  milieu  d'eux.  Derrière 
elle,  un  ange  brandit  une  lance,  je  ne  sais  si  c'est  pour 
chasser    la  Mort,  parer    les    coups  de  la  faux,  ou  pour  l'aider 

1.  A  la  représentation  de  Dieu  lançant  les  flèches  se  rattache  celle  de 
Jupiter,  dans  le  jeu  de  cartes  vénitien  (fin  du  xv  s."  au  Cabinet  des  estampes 
de  la  Hibliotlièque  impériale  de  Vienne  (reproduction  dans  les  Millh.  des  k.  k. 
Centrnlcommission,  V.  1860,  p.  99^. 


LES    FLÈCHES    DE    LA    COLÈRE    DIVINE  Ho 

dans  son  œuvre  de  destruction,  de  même  que,  pendant 
la  peste  de  680,  le  bon  ange  coopéra  avec  le  mauvais  K  A  l'ar- 
rière-plan,  assise  sur  ses  collines,  Pérouse  telle  qu'elle  était 
au  XV®  siècle,  avec  ses  tours  innombrables,  Perugia  turrita. 

L'ég-lise  de  Corciano,  villati^e  des  environs  de  Pérouse,  pos- 
sède une  bannière  analogue.  A  la  requête  de  saint  Sébastien 
et  de  saint  Nicolas,  la  Vierge  implore  Dieu  pour  ceux  de 
Corciano.  Saint  Nicolas  s'adresse  à  la  Vierge  en  ces  termes  : 
Sancta  Maria,  succiirre  misei'is,  juva  pusillanimes,  refove 
flehiles,  ora  pro  populo.  Saint  Sébastien  prononce  cette 
strophe  -  : 

0  Maria,  flos  virginum 
Veliil  rosa  vel  lilium, 
Funde  preces  ad  Filiiim 
Pro  sa  lu  te  fideUum. 

Au-dessus  de  la  Vierge,  Dieu  lance  ses  javelots  sur  Cor- 
ciano ;  mais  ils  se  brisent  contre  le  manteau  protecteur.  Dans 
le  bas,  sur  sa  montagne,  la  petite  ville  avec  sa  double  enceinte, 
le  campanile  de  son  église  paroissiale  et  la  haute  tour  de  son 
municipio. 

Une  quatrième  bannière  du  même  type,  de  Bonfigli  encore,  se 
trouve  à  Pérouse,  dans  l'église  N.  Francesco  al  Prato  (pi.  XVII). 
En  haut,  dans  le  ciel,  le  Christ  lance  les  javelots.  A  ses 
côtés  volent  deux  anges,  ou  plutôt  deux  personnages  allégo- 
riques, nimbés  et  armés  de  glaives  :  leurs  noms  sont  dans 
leurs  nimbes  :  à  droite  du  Juge  est  la  Justice,  elle  lève  son 
glaive  pour  frapper  les  hommes  ;  l'autre  est  la  Miséricorde, 
elle  remet  son  glaive  au  fourreau.  Ces  deux  figures  symbo- 
lisent les  deux  sentiments  qui  se  combattent  dans  l'âme  du 
Juge  :  on  sait  1  importance  de  cette  psychomachie,  et  comme, 
après  avoir  été  inventée  par  saint  Bernard-^,  elle  a  été  popu- 

1.  Tune  visibilité?'  niiiltis  apparuit,  quia  bonus  et  malus  anc/elus  noctu  per 
civitalem  perafferent,  et  ex  jussn  boni  angeli  malus  angélus,  qui  videhatur 
venahuluni  manu  ferre,  quoliens  de  venabulo  oslium  cujuscumque  domus 
percussisset.  toi  de  eadem  domo  die  sequenti  humines  interirent  (Paul  Diacre, 
Hist.  Lanqoh..  1.  VI,  p.  166  des  Monum.  Germaniae  ;  cf.  Légende  dorée,  ch.  xxiii, 
de  S.  Sebastiano.  sub  fine  . 

2.  Elle  se  retrouve  sur  la  bordure  du  manteau  de  la  Vierg:e,  dans  un  tableau 
flamand  du  xvi"  siècle,  qui  fait  partie  de  la  collection  Masure-Six  et  qui  a 
figuré  sous  le  n»  35  à  l'Exi^osition  de  la  Toison  d'Or  (Bruges,  1907).  Cf.  Pératé 
dans  Les  Arts,  n°  de  nov.  1907,  p.  11. 

3.  Sermo primus  in  annunt.  B.  Mariae  (P.  L.,    GLXXXIII,    388). 


H6  CHAPITHE    VII 

larisée  par  les  mystiques  et  les  prédicateurs  du  xiii^  et  du 
xiv*^  siècle,  notamment  par  l'auteur  anonyme  des  Meditationes 
vitae  Christi  '  et  par  la  Vita  Christi  de  Ludolphe  "',  au  point 
d'inspirer,  au  xv"  siècle,  l'art  théâtral  -^  et  les  arts  fig-urés  ^. 
Mais  revenons  à  la  bannière  de  Pérouse.  Au  milieu  est  la 
Vierge  ;  sous  son  manteau,  contre  lequel  les  traits  lancés  par 
le  Christ  viennent  se  briser,  elle  protège  les  Pérugins  age- 
nouillés, qui  lui  sont  recommandés  par  huit  saints  :  à  droite, 
Bernardin,  François,  Herculan  (évèque  de  Pérouse)  et  Lau- 
rent ;  à  gauche,  Sébastien,  Pierre  martyr,  et  deux  saints 
évêques  —  S^  Nicolas,  je  suppose,  et  S'  Louis  de  Toulouse. 
En  bas,  Pérouse,  avec  ses  murailles,  ses  clochers,  et  les 
tours  de  ses  palazzi.  Dans  la  ville  on  aperçoit  une  confré- 
rie de  pénitents  blancs,  qui  se  dirigent  en  procession  vers  une 
église.  Cependant,  hors  des  murs  se  passe  un  drame  terrible  : 
des  gens  suivaient  tranquillement  le  chemin  qui  monte  à 
Pérouse,  quand  la  Mort,  brusquement  survenue,  en  a  tué 
plusieurs  à  coups  de  javelot;  mais  un  archange,  lance  à  la 
main,  fonce  sur  la  Mort  —  sans  doute  à  la  requête  de  Marie 
—  et  l'empêche  de  poursuivre  sa  funèbre  besogne.  Il  est 
croyable  que  cet  épisode  a  rapport  à  une  peste  :  les  gens 
dont  le  peintre  a  représenté  la  mort  subite  durent  être  soudaine- 
ment terrassés  parla  contagion,  comme  le  sont, par  exemple, 
quelques-uns  des  personnages  de  la  grande  Litanie,  dans 
lune  des  plus  étonnantes  peintures  des  Très  riches  Heures  ■\ 
Le  thème  dont  ces  quatre  bannières  sont  des  variantes  devait 
être  populaire  dans  1  Ombrie,  dans  la  deuxième  moitié  du 
quattrocento.     Mariotti*^*     décrit     une     fresque      aujourd'hui 

1.  Gh.  II.  Les  Medilidiones  sont  attribuées  communément  à  saint  Bonaven- 
ture.  Sur  cette  attribution,  voir  plus  haut,  p.  15. 

2.  Pars  I,  cap.  u  (éd.  de  Lyon,  1644,  p.  10). 

3.  Un  mystère  en  vers,  imprimé  vers  la  fin  du  xv  siècle  (Brunet,  La  France 
littéraire  au  XV'  s.,  p.  167),  a  pour  titre  :  Le  procès  que  a  faicl  Miséricorde 
contre  Justice  pour  la  rédemption  humaine. 

i.   Mâle,  dans  la  Gazelle  des  Beau.r-.\rts,  1"  février  1904,  p.  98. 

5.  Durrieu,  Les  très  riches  Heures  du  duc  de  Berri/.  pi.  XLIII  :  dans  sa 
notice  sur  cette  planche,  Durrieu  énumère  d'autres  miniatures  i-eprésentant  le 
même  sujet,  et  il  ajoute  :  «  La  présence  d'une  représentation  de  la  prrande 
Litaine  dans  un  livre  d'Heures  est  un  fait  très  rare.  C^e  sujet  semble  avoir  été 
l'objet  d'une  prédilection  particulière  de  la  part  de  l'atelier  dont  Pol  de  Lim- 
bourjr  était  le  chef.  »  Cette  «  prédilection  >>  s'explique  peut-être  par  la  peste 
dont  la  France  fut  ravagée  au  début  du  \v"  siècle,  de  1399  à  1402  i^sur  cette 
peste,  cf.  Delisle,  Étude  sur  la  condition  de  la  classe  aijricole  en  Sormandie, 
p.  642,  où  l'on  trouvera  l'indication  des  témoignages  contemporains). 

G.  Letlere.  p.  5s.  lîroussolle   {La  jeunesse  du  Férurfin,  pp.  9S  et  32S)  repro- 


Perdrizet,  L(i  Vifj'ffi'  dr  Miséricorde 


PI.  XVII 


Bannièue  de  San-Francesco,  a  Pérouse 


LES    FLÈCHES    DE    LA    COLÈRE    D1VLNE  117 

détruite,  qui  se  trouvait  dans  une  église  de  Pérouse,  S'''  Croce 
in  borffo  S.  Sepolcro,  et  qui  représentait  la  Madone  protégeant 
sous  son  manteau  le  peuple  de  Pérouse  agenouillé.  A  droite 
de  la  Vierge,  saint  Sébastien  qui  l'implorait.  A  gauche,  un 
archange,  qui  remettait  son  épée  au  fourreau.  Au-dessus  de 
la  Vierge  apparaissait  Dieu  che  vibra  fulniini.  Sur  la  robe  de 
Marie  étaient  peints  ces  vers  : 

Con  iimele  chore  et  ardente  fervore, 
Regina  celi,  dei  pechatore  sainte, 
Noi  pregiani   te  che  prege  che  ci  aiute 
El  tuo  figlinlo  e  levace  elfurore. 

Avec  un  cœur  humble  et  une  ardente  ferveur, 
Reine  du  ciel,  salut  des  pécheurs, 
Nous  te  prions  que  tu  pries  de  nous  être  en  aide 
Ton  Fils,  pour  que  sa  fureur  prenne  fin. 

Saint  Sébastien  disait  ceux-ci  : 

Per  queste  piaghe  che  er  ci  rade  al  quanto, 
Per  lo  tuo  amore  e  per  lo  figliolo  tuo. 
Te  priego,  Madré,  che  lo  priege  tanto 
Che  esshaudischa  questi  popul  suo. 

Par  ces  blessures  qui  me  furent  assez  cruelles. 
Par  ton  amour  et  par  ton  Enfant, 
Je  te  prie.  Mère,  de  le  prier  tant 
Qu'il  exauce  ce  peuple  qui  est  sien. 

La   réponse  de    la  Vierge    était  écrite    sur  une    banderole 
entre  la  Vierge  et  l'archange  : 

Martir  heato  con  humilie  chore, 
Se  essaudito,  e  pero,  agnolo  cruo, 
Remette  l'arme  e  la  crua  spada. 

Martyr  bienheureux,  humble  cœur. 

Sois  exaucé  !  Aussi,  ange  cruel. 

Remets  (au  fourreau)  ton  arme,  ta  cruelle  épée. 

L'archange  obéissait  :   il  rengainait  son   glaive  sur  lequel 
était  écrit  le  mot  fiat,   «  que  ta  volonté  soit  faite  !   »   C'est  le 

duit  la  description  de  Mariotti  sans  l'expliquer  et  sans  traduire  les  inscrip- 
tions. 


118  CHAPITRE    VII 

geste  de  la  Miséricorde,  sur  la  bannière  S.  Franccscoal  Prato  '. 

Une  autre  bannière  ombrienne  doit  être,  pour  létude  du 
thème  des  javelots,  rapprochée  des  précédentes  :  elle  a  appar- 
tenu jadis  à  la  ])asilique  Saint-François,  à  Assise  -,  les  gens 
d'Assise  l'appelaient  «  la  bannière  de  la  peste  »,  ce  qui  signifie 
qu'elle  a  dû  être  vouée  en  temps  d'épidémie  et  qu'on  la  pro- 
menait en  processsion  chaque  fois  que  la  peste  revenait.  En 
bas,  Assise,  vue  de  la  Portiuncule,  avec  les  énormes  soubas- 
sements de  San  Francesco  et  la  Rocca  di  Papa  ;  au-dessus  de 
la  ville,  dans  le  ciel,  les  Saints  qui  intercèdent  pour  elle, 
François,  Glaire,  Sébastien,  Roch  et  deux  évêques  ;  au-dessus 
du  groupe  des  intercesseurs,  la  Vierge  qui  fait  parvenir 
leurs  prières  au  Christ,  en  y  joignant  les  siennes  ;  tout  en 
haut  de  la  bannière,  le  Christ,  juge  du  monde,  dans  une 
mandorla  de  chérubins;  des  anges  l'accompagnent,  dont  cha- 
cun porte  trois  javelots,  instruments  delà  colère  divine;  mais 
ces  anges,  au  lieu  de  tendre  les  javelots  au  Juge,  joignent  leurs 
prières  à  celles  de  la  Vierge  et  des  saints  ;  si  bien  que  le  Juge, 
au  lieu  de  punir,  lève  la  main  sur  Assise  et  la  bénit. 

Un  tableau  de  Domenico  Pecori  (début  du  xvi*^  siècle),  à  la 
Pinacothèque  d'Arezzo,  montre  Dieu  le  Père  tenant  à  poignées 
les  traits  de  la  colère  pour  en  accabler  les  gens  d'Arezzo.  Les 
Arétins  sont  agenouillés  sur  la  terre,  les  hommes  d'un  côté, 
les  femmes  de  l'autre  et  invoquent  la  Vierge.  Deux  interces- 
seurs, saint  Donat  et  saint  Marc,  se  sont  joints  à  eux.  Tou- 
chée par  leurs  prières,  la  Vierge  de  Miséricorde  descend  du 
ciel,  portée  par  les  anges,  et  sur  le  peuple  arétin  étend  son 
manteau. 

Le  thème  qui  nous  occupe  se  rencontre  aussi  dans  l'Italie 
méridionale. 


1.  Je  retrouve  cet  archange  dans  la  fresque  de  Pietro  Negri,  Venise  délivrée 
de  la  peste  en  I6S0  par  la  Vierge  Marie  sur  l'intercession  de  saint  Sébastien, 
saint  Roch  et  saint  Marc,  peinte  à  ^'enise  en  1673  pour  la  confrérie  de  Saint- 
Roch  (Lafenestre-Richtenberger,  Venise,  p.  199:  «  Au  ciel,  l'ange  de  la  Mort 
remet  le  glaive  au  fourreau  »)  et  dansun  tableau  de  Simon^'ouet,  au  musée  de 
Bruxelles,  n"  508,  Saint  Charles  Borromée  priant  le  Christ  et  la  Vierge  pour 
les  pestiférés  de  Milan:  dans  le  fond,  un  archange  remet  lépée  au  fourreau. 

2.  Cf.  (^avalcaselle  et  Crowe,  Sloria.  t.  IX.  p.  111;  Cibo,  S'iccolo  Alunno  e  la, 
scuola  umhra.  p.  llo.  Cette  peinture,  qui  se  trouvait  autrefois  à  Cologne  dans 
la  collection  Ramboux,  u"  202,  est  conservée  maintenant  dans  le  réfectoire  du 
Prieslerhaus,  à  Kevelaer  pèlerinage  célèbre,  entre  Clèves  et  Crefcld),où  je  l'ai 
fait  photographier.  C'est  un  faible  travail  dans  la  manière  de  l'Alunno.  H,  l,so, 
larg.  1,30. 


y:  t 


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LES    FLÈCHES    DE    LA    COLÈRE    DIVINE  H  9 

Une  fresque  qui  paraît  être  de  la  première  moitié  du 
XV''  siècle,  et  qui  se  trouve  dans  l'église  d  Atella,  en  Basilicate, 
représente  en  haut,  dans  le  ciel.  Dieu  à  mi-corps,  au  milieu 
des  nuées  ;  il  lance  les  javelots  à  poignées  ;  deux  anges  lui  en 


Fresque  d'Atella. 


apportent  d'autres,  par  faisceaux  :  ils  renouvellent  ses  muni- 
tions, si  j'ose  dire.  Les  gens  d'Atella  se  sont  réfugiés  sous  la 
protection  delà  Vierge,  mais  trop  tard,  semble-t-il,  car  beau- 
coup de  traits  ont  touché  le  but.  La  A'ierge  étend  son  manteau 
pour  sauver  les  Atellans  qui  survivent. 

Plus  curieux  encore  est  un  panneau  qui  se  trouve  dans  la 
cathédrale  d'Aversa  en  Campanie  ;  c'est  l'œuvre  d'un  Napoli- 
tain, Angelillo  Arcuccio,   qui  peignait  vers   1470,  sous  l'in- 


i20  CHAPITRE    VII 

fluencG  des  Flamands  (pi.  XVIII).  Le  haut  et  le  bas  de  ce  pan- 
neau ont,  je  suppose,  disparu;  la  partie  subsistante  montre  la 
Vierge  de  Miséricorde  assise  sur  un  trône;  son  manteau,  ouvert, 
est  soutenu  par  des  angles  ;  du  ciel  pleut  vers  ce  manteau  une 
grêle  de  flèches  :  mais  aucune  ne  parvient  même  à  le  toucher  : 
toutes  se  recourbent  ou  se  brisent  ;  elles  sont  renvoyées  par 
vme  force  invisible  et  reviennent  vers  la  main  qui  les  a  lan- 
cées, comme  sur  certaines  représentations  on  voit  les  flèches 
se  retourner  contre  les  bourreaux  des  saints  Anargyres  '  ou  de 
saint  Christophe  -,  ou  comme  il  est  dit  dans  la  légende  de 
saint  Philémon  "^  ou  dans  celle  de  l'apparition  de  saint  Michel 
sur  le  mont  Garg^anus  ',  Toute  différence  "ardée.  cette  façon 
naïve,  mais  saisissante,  d'exprimer  la  force  invisible  qui  réside 
dans  le  manteau  de  Marie  rappelle  l'inspiration  sublime  de 
Michel-Ange,  tant  admirée  de  J.  Burckhardt.  dans  la  Créa- 
tion de  l'homme  à  la  chapelle  Sixtine  :  «  Le  Tout-Puissant,  de 
son  index,  communique  l'étincelle  de  vie  au  doigt  du  premier 


1.  Alinari,  15i5.  Une  g^ravure  de  Callot  {Les  images  de  tous  les  saints  et 
saintes  de  l'année.  27  septembre  i-eprésente  les  Anaiyyres  tenant  dans  une 
main  l'urinoir,  dans  lautre  la  flèche  :  cette  flèche  ne  fait  pas  allusion  à  la 
mort  des  deux  frères,  puisqu'ils  eurent  la  tète  tranchée,  mais  à  un  épisode  de 
leur  martyre  :  quand  le  proconsul,  raconte  la  /.étende  dorée  (ch.  i:-\i,iii.  De 
SS.  Cosma  et  Damiano,  p.  63S  Griisse'.  ordonna  de  les  tuer  à  coups  de  flèches, 
les  traits  se  retournèrent  contre  les  archers  :  Jussit  (Josmam  et  Damianum  a 
quatuor  militihus  sagittari.sagittae  vero  conversae  plurimos  vulnerahant.sed 
sanctos  marti/ros  non  laedebant.  I^es  archers  qui  tirèrent  sur  les  Anargyres 
étaient  au  nombre  de  quatre  :  pour  tirer  sur  saint  Christophe,  il  n'y  en  eut 
pas  moins  de  quatre  cents  :  Bex  jussit  Chrislophorum  ad  slipilein  ligari  et  a 
CCCC  militihus  sagittari.  Sagitlae  autem  omnes  in  aëre  suspendebanlur  nec 
ipsiimaliqua  contingere  potuit.  Rex  autem  pulans  ipsum  a  militihus  sagitta- 
tum  cum  eidem  insultaret,  suhito  una  de  sagittis  ah  aëre  veniens  et  rétro  se 
verlens  regem  in  oculo  percussit  Légende  dorée,  ch.  c.  de  S.  Chrislophoro, 
p.  434  Grasse).  La  taille  gigantesque  de  Christophe  explique  ce  chiffre  déme- 
suré :  mais  le  tiième  des  flèches  cjui  se  retournent  vers  le  peloton  d'exécution 
ayant  été  emprunte  par  la  légende  de  saint  Christophe  à  celle  des  Anargyres, 
il  a  du  s'amplifier  par  l'effet  de  celte  surenclière  dont  les  légendes  hagiogra- 
phiques présentent  de  nombreux  exemples. 

2.  Cahier.  Caract..  I.  p.  415.  qui  cite  une  châsse  de  Dalmatie  publiée  dans  le 
Jahrbuch  der  K.  K.  Central-Commission  de  Vienne,  V  (1861),  p.  150. 

3.  Cahier.  Id..  II.  p.  369. 

1.  0  Matière  de  bréviaire  »,  dirait  Rabelais  :  cette  légende,  en  elTet,  se 
trouve  dans  le  Bréviaire  romain,  à  la  date  du  s  mai.  Elle  est  aussi  dans  la 
Légendedorée.  ch.cxi.v  (de  S.  .Michaelcarchangelo).  p.  013.  Grasse,  où  il  semble 
c|u'on  aurait  pu  la  laisser.  Cf.  encore  Petrus  de  Xatalibus,  Catal.,  I.  IV, 
ch.  CXI.,  et  Palustre,  De  Paris  à  Sgbaris.  pp.  293-296.  L'apparition  de  saint 
Michel  sur  le  mont  Garganus  aurait  eu  lieu  en  493.  Le  sanctuaire  du  Garganus 
fut  au  moyen  âge  en  Occident  «  la  métropole  du  culte  des  anges  »  (Grcgoro- 
vius,  Geschichte  der  Stadl  Rom.  III,  434). 


LES    FLÈCHES    DE    LA    COLÈRE    DIVINE  121 

homme  :  il  n'y  a  pas,  dans  toute  l'histoire  de  l'art,  un  second 
exemple  de  cette  traduction  de  l'invisible.  » 

La  plupart  des  représentations  qui  montrent  la  Mère  de 
Miséricorde  protégeant  les  pécheurs  contre  les  flèches  de  la 
colère  divine  proviennent  de  l'Italie  centrale,' plus  précisé- 
ment encore  de  l'Ombrie,  c'est-à-dire  du  pays  qui  a  été  le 
plus  pénétré  de  l'influence  franciscaine  '.  Sur  les  bannières 
omljriennes  dont  on  vient  de  lire  la  description,  au  premier  rang 
des  saints  qui  intercèdent  auprès  de  la  Vierge,  qui  lui  trans- 
mettent les  prières  des  hommes,  sont  les  Saints  franciscains  : 
sur  la  bannière  de  Montone,  les  trois  premières  places,  après 
saint  Sébastien,  qui  a  le  pas  sur  tous  les  autres  saints  comme 
protecteur  contre  la  peste,  sont  dévolues  à  trois  Franciscains, 
François  d  Assise,  Antoine  de  Padoue,  Bernardin  de  Sienne; 
sur  la  bannière  de  S.  Francesco,  les  deux  premières  places 
sont  occupées  par  saint  Bernardin  et  par  saint  François. 

On  remarquera  que,  sur  ces  deux  bannières,  saint  Bernar- 
din est  avant  saint  François,  et  fait  pendant  à  saint  Sébas- 
tien. Sur  la  bannière  de  Corciano,  le  premier  personnage  age- 
nouillé à  la  droite  de  la  ^  ierge  est  un  prédicateur  franciscain, 
sans  dovite  celui  qui  décida  les  gens  de  Corciano  à  vouer  cette 
bannière  ;  sur  sa  poitrine  resplendit  le  trigranmie  sacré 
inventé  par  saint  Bernardin  ". 

1.  Le  retable  de  Gottingue.  que  nous  décrivons  plus  loin  p.  127  ,  pi'c)vient 
d'une  église  de  Franciscains. 

2.  Pour  la  dévotion  du  trigranime  et  pour  son  iconographie,  cf.  Acta  SS., 
mai  IV.  t.  723;  Molanus,  De  Hist.  SS.  imaginum.  IIL  1  et  18:  Cahier,  Carac- 
téristiques, t.  I,  p.  96:  Delaborde.  La  gravure,  pp.  4i  et  4S  :  Siniéon  Luce, 
Jeanne  d'Arc  à  Domrémy.  p.  ccxxxix  :  Rouver,  Le  nom  de  Jésus  employé 
comme  type  sur  les  monuments  numismatiques  du  XV'  siècle,  dans  la  Revu^ 
belge  de  numismatique,  ^^96  et  1897;  Thureau-Dangin,  Sain<  Bernardin  de 
Sienne.  Paris,  l.s96  ;  Reinach,  Répertoire,  t.  I,  p.  541-b42,  552.  et  larticle 
sur  Bernardin  de  Sienne  dans  le  Dicl.  de  théol.  catholique  de  Vacant  et  Man- 
genot.  Le  texte  capital  sur  le  fétiche  inventé  par  Bernardin  est  aujourd'hui 
celui  de  la  Vie  anonyme  l'écemnient  éditée  par  le  Bullandiste  Van  Ortroy 
{Anal.  BolL.  1906,  p.  317)  :  cernens  gloriosum  nomen  quod  est  super  omne 
nomen  Pliilipp.  II,  9)  e  mentibus  hominum  fere  oblitteratum.  studuit  habere 
parvulam  telam.  in  qua  depictum  seu  descriptum  litteris  aureis  nomen  illud 
haherelur  :  quam  populis  cunctis  ad  ejus  sernionem  singulis  diebus  ostende- 
hat  venientihus.  Quihus  clara  voce  dicehat  :  «  Haec  sunt  insiynia  veslra  et  arma 
populi  Dei.  Hoc  est  nomen.  et  non  est  aliud  in  quo  vos  fieri  salvos  oporteal. 
Hoc  nometi  salutiferum  est  et  suave,  quod  et  in  cordihus  vestris  indelehiliter 
depictum  portare  vos  convenil  et  ibidem  quotidie  meditari  et  in  plateis  et 
saper  liminaribus  doinorum  vestrarum  palam  ac  dignissime  depictum  singuli 
veslrum  debetis  et  in  omnibus  eliam  prosperis  proponere  et  in  adversis  invo- 
care  debetis.  »    Et  coeperunt  omnes  hoc  nnmen  sanclum  et  gloriosum  magna 


122  CHAPITRE   vil 

Il  n  est  pas  surprenant  que  saint  Bernardin  tienne  une  telle 
place  sur  ces  bannières.  Le  peuple  italien  n'avait  pas  oublié 
le  dévouement  de  Bernardin  pendant  la  peste  de  1400;  c'était 
la  peste  de  1400  qui  avait  déterminé  Bernardin  à  prendre 
l'habit  de  saint  François  '.  Et  l'on  sait  de  reste  que  le  prédi- 
cateur à  la  parole  brûlante,  le  fondateur  des  Mineurs  de 
l'extrême  Observance,  a  insufflé  au  franciscanisme,  pendant  la 
première  moitié  du  xv*^  siècle,  une  nouvelle  vie. 

Je  croirais  même  volontiers,  avec  M.Thode',  que  le  thème 
de  Marie  s'interposant  entre  Dieu  et  les  hommes,  arrêtant  avec 
son  manteau  les  flèches  de  la  colère,  a  son  origine  dans  les 
prédications  de  saint  Bernardin.  La  messe  -^  composée  par 
Clément  W,  pendant  la  g^rande  peste  de  1348,  ne  parle  ni  des 
flèches  de  la  colère,  ni  des  traits  de  la  peste  :  iraciindiae 
tiiHc  flagella  amoveas,  dit-elle  simplement  ;  la  Merge  n'y  appa- 
raît que  comme  intercesseur  ;  c'est  a  Dieu  seul,  non  à  la 
Yierg-e,  que  s'adresse  l'oraison  prononcée  après  la  commu- 
nion :  cxaucli  nos,  Deus  salutaris  nohis,  et  intercedente  beata 
Dei  génitrice  semperque  virgine  Maria  '*,  populum  tuum  ah 
iraciindiae  tuae  terrorihus  libéra  et  misericordiae  tiiae  fac  lar- 
(jitate  securum.  Le  thème  des  flèches  de  la  colère  arrêtées 
par  le  manteau  protecteur  apparaît  dans  l'art  italien  à  l'époque 
où  l'Italie  centrale  résonne  encore  des  prédications  de  saint 
Bernardin.  Somme  toute,  ce  thème  inspirait  des  idées  rassu- 
rantes, il  exprimait  cette  croyance  qu'il  y  a  un  recours  contre 
la  colère  du  Juge  :  or,  la  prédication  de  saint  Bernardin  et  la 
dévotion  du  trigramme  qu'il  imagina  avaient  précisément 
pour  but  de  rassurer  l'Italie,  que  les  sermons  terribles  des 
Frères  Prêcheurs  avaient  atfolée  :  «  Comme  Vincent  Ferrer 
avait  dit  que  l'Antéchrist  était  né  en  1  403.  les  années  qui  se 
succédaient  ne  faisaient  qu'accroître  la  terreur  des  popula- 
tions. Cette  terreur  était  arrivée  à  son  comble  en  1423,  prin- 
cipalement dans  l'Italie  septentrionale,  qui  avait  retenti  des 
prédications    sinistres  de    Mainfroi  de   Verceil.    Ce    fut   alors 


ciim  devotione  et   reverentia    nominare  et  pinc/ere,  et  pictiim,  siciil  vir  Dei 
docuerat  eos,  publiée  déferre. 

1.  Cf.  supra,  p.  80. 

2.  Franz  von  Assisi,  2"  éd.,  p.  516-517. 

3.  liibl.  de  V École  des  Chartes,  1900.  p.  336. 

4.  L'appel  à  linterccssion  de  la  \'ierge,  impriniô  ici  en   caractères  romains, 
est  supprimé  dans  le  texte  actuel,  tel  que  le  donnent  les  missels  modernes. 


LES    FLÈCHES    DE    LA    COLÈRE    DIVINE  123 

qu'un  Franciscain  de  l'Observance,  Bernardin  de  Sienne,  eut 
l'idée  de  recommander  aux  fidèles  un  procédé  facile  et  en 
quelque  sorte  matériel  dd  dévotion  propre  à  calmer  leur  épou- 
vante. Ce  procédé  consistait  à  rendre  un  culte  extérieur  au 
nom  de  Jésus,  à  tous  les  sig-nes  visibles,  à  toutes  les  représen- 
tations matérielles  de  ce  nom.  Bernardin  portait  partout  avec 
lui  une  imag-e  où  le  nom  de  Jésus  (IHS)  se  détachait  en  lettres 
d'or  au  milieu  d'une  «gloire  ;  et  quand  il  avait  fini  de  prêcher, 
il  présentait  cette  image  aux  fidèles  en  les  invitant  à  se  mettre 
à  genoux  et  à  l'adorer.  Quiconque  avait  soin  de  se  munir 
d'une  image  de  ce  genre  et  d  en  orner  sa  demeure,  pouvait 
défier  toutes  les  puissances  du  mal  '.  » 

«  L'école  ombrienne,  a  dit  Rio  "^  porte  une  empreinte  ascé- 
tique qui  la  distingue  des  autres  écoles  italiennes.  »  Ascétique 
est  impropre  :  Rio  n'a  pas  ])ien  exprimé  tme  impression  juste. 
La  peinture  ombrienne  du  xv^  siècle  est,  plus  encore  même 
que  la  peinture  siennoise.unart  toutpopulaire,  travaillant  pour 
le  peuple,  sous  l'inspiration  de  celui  des  Ordres  religieux  quia 
toujours  eu  le  plus  de  contact  avec  le  peuple.  Or  la  foi  populaire 
ne  connaît  pas  la  mesure,  la  prudence,  le  juste  milieu.  La 
piété  franciscaine  s'est  toujours  portée  aux  extrêmes,  sans  se 
soucier  des  difficultés  qu'elle  créait  aux  théologiens  :  elle 
s'est  complu  à  détailler  les  conformités  de  saint  François  avec 
le  Christ  ;  elle  a  affirmé,  la  première,  l'immaculée  conception 
de  la  Vierge.  Le  thème  de  la  Vierge  arrêtant  les  flèches  de  la 
colère  divine  me  semble  franciscain  d'origine,  à  cause  de  sa 
hardiesse  même.  Sans  doute,  les  docteurs  enseignaient  que  la 
Grâce  est  plus  forte  que  la  Loi,  la  Miséricorde  plus  forte  que 
la  Justice,  et  que  Jésus  avait  fait  sa  mère  Reine  de  Miséri- 
corde : 

Regnam  suiim  iu  duas  parles  divisif  ; 
Unam  partem  sihi  retinuit,  alleram  Marûv commisit  ; 
Duae  parles  regni  siii sunt  jusfitia  et  mi'sericordia. 
Per  jiistitiam  minahatur  nohis  Deus.per  misericordiam 

[siiccurrit  nobis  Maria  ^. 

Telle  est    la  doctrine    de    saint   Thomas  ^.    Mais   le    Domi- 

1.  Siméon  Luce,  loc.  laud. 

2.  De  l'art  chrétien,  t.  II,  p.  211.  Cf.  Burckhardt.  Le  Cicérone,  t.    II,  p.  570. 
de  la  traduction. 

3.  Spec.  hum.  .•ialvat..  ch.  xxxix.  1.  95-9S,  éd.   Lutz-Perdrizet.  p.  XI. 

4.  Cf.  supra,  p.  13. 


\2'i  CHAPITRE    VII 

nicain  anonyme  auquel  nous  empruntons  ce  texte,  continue 
ainsi  : 

0  hone  Jesii,  exaudi  siipplicanfem  pro  nohis  fvam  Mairem  ! 

Autrement  dit,  la  miséricorde  de  Marie  peut  faire  fléchir  la 
justice  de  Dieu,  mais  encore  faut -il  que  la  Vierg^e  implore.  Sur 
les  représentations  qui  la  montrent  arrêtant  les  flèches  de  la 
colère,  elle  n'implore  pas  toujours  '.  Les  saints  intercèdent 
auprès  d'elle,  et  elle,  brusquement,  s  interpose  entre  Dieu  et 
les  hommes.  Elle  étend  son  manteau,  et  les  flèches  divines  se 
brisent,  ou  même  retournent  Acrs  Celui  qui  les  a  lancées.  La 
Yierg-e  apparait  gigantesque,  entre  le  ciel  et  la  terre,  pendant 
que  Dieu,  à  demi  caché  dans  les  nuées,  semble  tout  petit  -. 
On  ne  saurait  donner  à  entendre  dune  façon  plus  sig^nitîcative 
quela^ie^ge,  par  sa  miséricorde  infinie,  contrarie  et  annihile 
les  desseins  de  Dieu.  Mais,  parce  quelle  était  outrancière, 
cette  représentation  devait  inquiéter  la  prudence  des  théolo- 
giens. Aussi  ne  sest-elle  pas  répandue  en  dehors  des  milieux 
franciscains.  Aussi  n  a-t-elle  pas,  que  je  sache,  été  adoptée  en 
France,  où  le  catholicisme  a  toujours  été  plus  pondéré  qu'en 
Italie  et  en  Allemagne.  Et  elle  a  disparu  dès  le  xvi'^  siècle, 
en  même  temps  que  le  trigramme  de  saint  Bernardin  :  les 
flèches  de  la  colère  ou  de  la  pestilence,  le  fétiche  du  Nom 
sacré  ^  durent  paraître  à  l'orthodoxie  catholique,  quand  elle 
tâcha  de  faire  face  aux  attaques  de  la  Réformation,  des  sym- 
boles compromettants,  trop  souvent  entachés  de  supersti- 
tion populaire  pour  qu'on  les  pût  garder. 

1.  Sur  la  bannière  de  Corciano  elle  est  fig-urée  priant,  les  mains  jointes  : 
mais  sur  les  bannières  de  Montone  et  de  S.  Francesco.  sur  les  fresques  d'Atella 
et  dAversa  ou  sur  le  tableau  de  Pecori,  rien  n'indique  quelle  prie. 

2.  Même  disproportion  dans  le  tableau  de  la  collection  Butler,  qui  repré- 
sente le  pape  Léon  IX  guéri  dun  mal  à  la  main  par  lintercession  de  la  Viergre 

Reinach.  Bépertoire,  t.  I.  p.  492  . 

3.  Il  se  trouve  aujourd'hui  sur  une  foule  d'ornements  d'église  et  de  vêtements 
sacerdotaux  :  on  l'explique  comme  étant  l'abréviation  de  l'invocation  J  esus) 
hiominumi  sialvaton  :  au  xv  siècle,  le  trigramme  ne  signifiait  pas  autre  chose 
que  le  Nom  de  Jésus.  Ihesu  s.  IHS  oj;j. 


CATALOGUE 


Italie. 


1.  Montone.  Dans  Téglise  Saint-François.  Bannière  datée  de  1482, 
transformée  depuis  en  retable.  Pour  la  description,  voir  supra,  p.  114. 
OEuvre  de  Bonfigli,  selon  toute  vraisemblance  ;  l'attribution  à  Sini- 
baldo  Ibi,  de  Pérouse,  dont  il  y  a,  au  dôme  de  Gubbio,  un  tableau 
daté  de  1307,  et  qui  procède  du  Pérugin  et  de  Raphaël,  est  inaccep- 
table. Alinari,  3187  et  3786.  Cf.  Revue  de  l'art  chrétien,  1900,  p.  206  ; 
Broussolle,  La  Jeunesse  du  Pérugin  et  les  origines  de  lart  Ombrien, 
fig.  123;  de  Mandach,  Saint  Antoine  de  Padoue,  p.  91;  La  Lorraine 
artiste,  1903,  p.  63;  Gaz.  des  Beaux-Arts,  1903,  II,  p.  407;  Les  Arts,  n" 
de  nov.  1907,  p.  9. 

2.  Pacciano  (village  à  13  km.  de  Città  délia  Pieve^.  Bannière  de 
Bonfigli.  Au  centre,  la  Vierge  couvrant  de  son  manteau  les  fidèles  age- 
nouillés pour  lesquels  intercèdent  saint  Sébastien  et  saint  Nicolas. 
Dans  le  haut,  le  Christ  irrité,  avec  saint  Raphaël  et  saint  Gabriel.  Au 
bas,  une  vue  du  pays  de  Pacciano.  Cf.  Broussolle,  Pèlerinages,  p.  36; 
Origines,  p.  177. 

*3.  Pérouse.  Fresque  aujourd'hui  détruite  à  S'^  Croce  in  borgo  S. 
Sepolcro.  Cf.  supra,  p.  117. 

4.  Bannière  de  S^  ^Jaria  Nuova,  à  Pérouse.  Cf.  p.  141. 

5.  Bannière  de  S.  Francescô  al  Prato,i\  Pérouse.  Cf.  p.  113. 

6.  Corciano,  à  trois  lieues  de  Pérouse.  Bannière  (de  Bonfigli  ?). 
Date  :  1472.  Andersen,  13840;  description  insuffisante  dans  Broussolle, 
Pèlerinages,  p.  36,'et  Origines,  p.  177;  mieux  dansCavalcaselle  et  Crowe, 
t.  IX,  p.  137.  Cf.  supra,  p.  113.  u  Peinture  médiocre,  qui  a  pei'du  son 
caractère  original  par  suite  de  repeints  ».  (Cavalcaselle-Crowe  . 

7.  Fresque  dans  Féglise  de  la  Commanderie  de  Sainte-Croix,  à 
Pérouse.  Cf.  supra,  p.  76. 

8.  Arezzo.  Grand  tableau  d"autel,  à  la  Pinacothèque,  par  Domcnico 
Pecori,  d' Arezzo,  peinti'e  médiocre  du  commencement  du  xvi'"  siècle. 
Alinari,  ,9970.  Pour  la  description  voir  supra,  p.  118.  Cf.  Cavalcaselle 
et  Crowe,  t.  VIII,  p.  332,  et  Lorraine  artiste,  1903,  p.  06.  Vasari,  dont 
l'information,  pour  ce  qui  concerne  Arezzo,  est  particulièrement  pré- 
cise, dit  que  Pecori,  dans  l'exécution  de  ce  retable,  fut  aidé  par  un 
Espagnol   léd.  Milanesi,  t.  V,  p.  31). 


126  CATALOGUE 

9.  Fresque  de  142o  environ,  dans  l'abside  d'une  église,  à  Alella  (Basi- 
licatei.  Pour  la  description,  voir  supra,  p. 119.  L'église  dont  cette  fresque 
(!  écorait  l'abside  ayant  été  ruinée  en  1694,  l'abside  fut  murée  et  la 
fresque  oubliée.  Le  terrible  tremblement  de  terre  de  1831  jeta  à  terre 
le  mur  qui  fermait  l'abside,  et  limage  de  cette  Vierge  de  Miséricorde 
réapparut.  C'était  à  la  Vierge  de  Miséricorde  que  les  habitants  de 
la  Basilicate,  en  cas  de  tremblement  de  terre,  adi'essaient  leurs 
prières.  La  réapparition  de  l'ancienne  image  sembla  un  miracle.  Le  roi 
de  Naples,  Ferdinand  II,  dans  le  voyage  qu'il  entreprit  à  travers  la 
Basilicate  ruinée,  vint  prier  devant  la  Madonna  riparatrice  d'Atella  et 
fit  dessiner  la  fresque  par  Giuseppe  Abbate  ;  la  reine  Marie-Thérèse 
accepta  l'hommage  d'une  dissertation  de  Stanislas  d'AIoe  (La  Madonna 
dWtella  nello  scisnia  d'Italia,  Naples,  18o3,  4°),  où  l'auteur  tâchait  de 
prouver  que  la  fresque  d'Atella  était  la  représentation  allégorique  de  la 
Madonna  délie  divine  grazie  à  laquelle  Urbain  VI,  au  moment  le  plus 
ardent  du  grand  schisme,  s'était  adressé  et  en  l'honneur  de  laquelle  il 
avait  fondé  la  fête  delà  Visitation.  M.  Bertaux  I  monuinenfi  niedievali 
nella  ret/ione  del  Vulture,  dans  la  revue  Xapoli  nohilissiina,  1897,  p.xvii- 
xvni,  Cg.  29',  a  montré  que  cette  peinture  ne  pouvait  être  antérieure  à 
1420.  Cf.  la  Lorraine  artiste,  1903,  p.  66.   — -  Fig.   1. 

10.  Panneau  dAversa,  Cf.  supra,  p.  119.  —  PI.  XVllI. 

11.  Vincenzo  Pinturicchio,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  son  illustre 
homonyme,  Bernardo  Pinturicchio,  l'auteur  des  fresques  de  la  Lihreria 
de  Sienne  et  des  appartements  Borgia,  a  peint  en  1318  une  bannièi-e 
conservée  aujourd'hui  dans  Féglise  de  Sainte-Marie-Majeure,  à  Bet- 
toua,  en  Ombrie.  Au  centre,  la  Madone  assise  dans  une  ?nandorla,  avec 
l'Enfant  sur  ses  genoux.  Au-dessus  d'elle,  sainte  Anne  étend  un  man- 
teau contre  lequel  viennent  se  briser  les  flèches  que  Dieu  lance  sur 
Bettona.  Dans  le  bas,  à  l'arrière-plan,  la  ville  de  Bettona  ;  au  premier 
plan,  agenouillés,  saint  Christophe  et  saint  Antoine  de  Padoue.  Cf. 
G.  Bianconi, /n/or/jo  ar/  un  dipinlo  esistenie  in  S.  Maria  Maggiore  di  Bet- 
tona attribuifo  allô  Spagna  i  Pérouse,  Santucci,  1869  :  de  Mandach,  Saint 
Antoine  de  Padoue  et   Vart  italien,  p.  148. 


Allemagne. 

12.  Dans  la  chapelle  du  chàteau'de  Bruck,  non  loin  de  Lienz,  a  l'en- 
trée du  Pustertal  en  Tyrol,  sont  des  peintures  murales  du  début  du 
xvi""  siècle,  dont  l'une  est  un  Pesthild.  CL  Borvmann,  Aufnahmen  mittel. 
Wand-und  Deckeninalereien  in  Deutschland,  pi.  II  et  IV;  meilleure 
reproduction  dans  Semper,  Beisestudien  iiber  einige  M'erke  tirolischer 
Malerei  ini  Pustertal  und  Karnten  Jalirbuch  der  K.  K.  Centralcom- 
niissinn,  Vienne,  1904,  ûg.  21  et  22).  En  haut,  apparaissant  à  mi-corps 
dans  les  nuages.  Dieu  le  Père,  armé  de  l'arc  et  lançant  les  flèches  une 
par  une  contre  le  monde.  Autour  de  Dieu  Hotte  une  banderole  avec  ces 
mots  :  Congregabo  super  eos  mala  et  sagittas  nieas  coniplebo  in  eis 
(Deulér.  xxit,  23).  Deux  Prophètes,  dont   le    roi  David,  sont  auprès  de 


CATALOr.EE  127 

Dieu.  Sur  la  terre,  à  la  droite  du  Père,  le  Clirist  nu,  agenouillé,  montrant 
la  plaie  de  son  flanc;  près  de  lui  flotte  une  banderole  avec  ces  mots  : 
ecce  latus  ineuni  apertuin  propter  peccatores.  A  gauche,  la  Vierge,  Mater 
omnium,  beaucoup  plus  grande  que  le  Christ  :  sous  son  manteau,  que 
soutiennent  quatre  anges,  sont  agenouillés  les  hommes,  à  droite  les  clercs, 
à  gauche  les  laïques.  De  la  main  droite,  la  Vierge  montre  à  Dieu  sa  poi- 
trine, qui  est,  ici,  soigneusement  couverte.  Les  flèches,  en  arrivant  près 
du  manteau,  se  brisent  à  angles  droits  en  plusieurs  morceaux  :  Semper 
les  a  prises  à  tort  pour  des  éclairs  [gezackte  Blitze,  col.  121). 

13.  Une  fresque  analogue,  qui  semble  de  la  même  main  que  la  précé- 
dente et  qui  est  datée  de  1488,  se  trouve  dans  la  même  partie  du  Tyrol, 
à  Obermauern. 

14.  Tableau  du  musée  de  Buda-Pesth,  attribué  à  L.  Cranach  le 
Vieux  ou  à  Griinewald.  Braun,  22.j80.  Pour  la  description,  voir  p.  128.  — 
PI.  XIX,  2. 

15.  Fresque  dans  la  chapelle  du  cimetière  de  Mundelsheim,  arron- 
dissement de  Marbach,  Wurtemberg,  datée  de  14oo  ;  description  dans 
Lehmann,  Das  Bildnis,p.  211  :  c  Marie  est  debout  devant  son  fils, et  lui 
montre  le  sein  qui  l'a  nourri,  pendant  (]ue  sous  le  manteau,  qu'étendent 
les  anges,  se  réfugient  des  hommes  et  des  femmes  de  tout  âge  et  de 
toute  condition.  » 

16.  11  faut  rapprocher  des  peintures  précédentes  la  miniature  d'un 
des  manuscrit  munichois  du  Spéculum  humanae  salvationis  (clm  23433), 
où  l'on  voit  un  javelot  venant  du  ciel  contre  les  pécheurs  réfugiés  sous 
le  manteau  de  Marie.  —  PI.  XV,  1. 

17.  11  en  faut  rapprocher  encore  le  tableau  suivant,  (jui  témoigne 
d'idées  analogues. 

Retable  daté  de  1424,  jadis  dans  l'église  des  Franciscains  à  Gôt- 
tingue,  aujourd'hui  au  Welfen-Museum,  à  Hanovre  (Zeitschrift  fiir 
christliche  Kunst,  1889,  col.  213).  Il  représente  en  haut  le  Christ  comme 
juge  du  monde,  assis  sur  l'arc-en-ciel  ;  du  ciel  tombe  une  pluie  de 
flèches.  En  bas,  à  droite,  est  agenouillée  Marie  qui,  dans  son  manteau 
qu'elle  tient  levé  à  deux  mains,  reçoit  nombre  de  ces  flèches.  Derrière 
elle,  deux  saintes  sont  agenouillées.  Devant  elle,  agenouillés,  en  pleurs, 
saint  François  et  sainte  Claire  ;  près  de  ceux-ci  est  cette  légende  :  Salve 
illos,  Chrisfe,  pro  quitus  Virgo  Mater  te  oral.  Entre  Marie  et  François 
gisent  seize  personnes,  les  unes  vêtues,  d'autres  nues  ou  enveloppées 
du  linceul,  toutes  percées  par  les  flèches  de  la  colère;  les  unes  sont 
déjà  mortes,  les  autres  lèvent  des  mains  suppliantes.  —  PI.  XXX,  1. 


CHAPITRE  VIII 

LE  THÈME  DES  TROIS  FLÈCHES 


Los  liois  llèclies  du  Dieu  de  vengeance  représenleul  les  trois  lléaux, 
la  guerre,  la  famine  et  la  peste,  dont  Dieu  punit  les  trois  concupis- 
cences, avarice,  orgueil  et  luxure.  —  Origine  scripturaire  et  domi- 
nicaine de  ce  liième  ;  vision  de  saint  Dominique,  ex[)lication  d'un 
Pesthlaft  dominicain. 


Parfois  dans  l'art  allemand,  le  Dieu  de  vengeance,  au  lieu 
de  lancer  des  javelots,  se  sert  de  l'arc  —  comme  il  est  dit 
dans  les  Psaumes^  —  et  décoche  des  flèches,  soit  une  à  une, 
soit  trois  à  chaque  coup.  Dans  un  manuscrit,  copié  vers  liOO, 
d'une  traduction  allemande  du  Spéculum  humanae  salva- 
tionis-,  on  voit  au-dessus  de  la  Mater  omnium,  Dieu  irrité, 
apparu  à  mi-corps  dans  les  nuées,  bandant  l'arc  contre  les 
pécheurs  (pi.  XIX,  1).  Sur  cette  miniature  l'arc  n'est  armé 
que  d'une  flèche  ;  dans  le  tableau  attribué  à  Cranach  le  Vieux, 
au  musée  de  Buda-Pesth  (pi.  XIX,  2),  dans  un  tableau  du 
musée  de  Nuremberg,  qui,  comme  celui  de  Buda-Pesth,  doit 
dater  des  environs  de  ITiSO,  Dieu  le  Père  décoche  trois  flèches 
d'un  coup-^. 

Un  retable  du  peintre  Valençais,  Jean  Reixats,  représen- 
tait, d'après  les  termes  du  contrat  de  commande,  Jésus-Christ 
armé  de  trois  lances  dont  il  veut  détruire  le  monde,  et,  au- 
dessous,   la  Vierge    de  Miséricorde  abritant  l'humanité   sous 

1.  Ps.  VIL  13  :  ai-ciim  suum  lelendil  et  paravil  illum  ;  XVII,  15  :  misit 
siKjillas  suas  et  dissipavit  eos.  Cf.  II  Rois,  xxii,  15  :  misit  sagiltas  ;  Josèphe, 
Anl.  Jud.,  I.  n,  i  (il  s'agit  de  la  destruction  de  Sodonie)  :  -/.a\  ô  0êô; 
lys/.r'-.xs'.  [jiÀo:  il:  Tr,v  7:oÀsv.  Une  Bible  eu  images,  du  xui"  siècle,  contient 
une  miniature  qui  représente  Dieu  tirant  des  flèches  —  une  par  coup  —  sur  les 
pécheurs  fBibl.  Xat.  IV.  0561:  photogr.  au  Cabinet  des  Estampes,  dans  Ad. 
l'i.J   c,  t.  I  . 

2.  L.  Rosenthal,  Iiuunahtila  xi/loffraphica  et  typographica  (cat.  90),  Munich 
1.S!)2,  II"  1  :  Cal.  IV  100,  p.  291-295.  Cf.  Bouciiot,  Les  200  incunables  xylogra- 
phiqiies  du  département  des  Estampes,  p.  2". 

3.  Pour  le  tableau  de  Xuremberp-.  voir  IWppcndice. 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


PI.  XIX 


c; 


LE    THÈME    DES    TROIS    FLÈCHES  129 

son  manteau,  et  montrant  à  Jésus  pour  le  fléchir,  saint  Domi- 
nique et  saint  François,  agenouillés  derrière  elle.  C'est  bien 
toujours  le  même  thème,  mais  avec  des  modifications  impor- 
tantes :  le  Dieu  de  vengeance  n'est  plus  armé  de  javelots  ou 
de  flèches,  il  est  armé  de  lances  ;  d  autre  part  la  Vierge,  pour 
le  fléchir,  fait  intervenir  les  fondateurs  des  deux  Ordres  men- 
diants. Le  retable  de  Reixats  n'est  pas  le  seul  exemple  de 
cette  variante.  La  première  miniature  du  xxxvii^"  chapitre  du 
Spéculum  humanae  salvationis  la  représente  à  peu  près  de  la 
même  façon  —  avec  cette  dilférence  que  dans  le  Spéculum, 
la  Merge  de  Miséricorde  n'est  pas  figurée  abritant  les  hommes 
sous  son  manteau.  On  dirait  que  Reixats  a  fondu  en  un  seul 
deux  thèmes  pris  au  Spéculum  .'la  Mater  omnium  du  chapitre 
xxviii  et  la  première  miniature  du  chapitre  xxxvii.  Le  tableau 
de  Cranach  le  Vieux,  au  musée  de  Buda-Pesth,  les  fresques  de 
Bruck  et  d'Obermauern  sont  des  amalgames  analogues.  On  y 
voit,  au  ciel,  Dieu  le  Père,  bandant  l'arc  contre  les  hommes  ; 
sur  la  terre,  à  la  droite  du  Père,  le  Christ  lui  montrant,  pour 
le  fléchir,  les  blessures  de  la  Passion  —  c'est  le  sujet  de  l'une 
des  miniatures  du  chapitre  xxxix  du  Spéculum  —  ;  k  gauche,  la 
Vierge  de  Miséricorde,  abritant  sous  son  manteau,  toute 
1  humanité —  c'est  la  première  miniature  du  chapitre  xxxviii. 
Le  chapitre  xxxvii  du  Spéculum  débute  par  le  récit  d'une 
vision  dont  aurait  été  favorisé  le  fondateur  de  l'Ordre  des 
Prêcheurs  '  : 

Quod plaçât  iram  Chrisli  merlialrix  noslra   Virgo  Maria, 
hliid  patet  in  quadain  visione  cl  soinno  authentico, 
Quod  diviniius  oslensiis  est  sanctissimo  palri  Dominico 

C'était  en  1216,  pendant  le  concile  de  Latran.  Saint 
Dominique  et  saint  François  se  trouvaient  l'un  et  l'autre 
à  Rome,  mais  ils  ne  se  connaissaient  pas  encore.  Une  nuit, 
Dominique  eut  une  vision  :  je  la  laisse  raconter  à  l'auteur 
anonyme  d'un  recueil  manuscrit  de  Miracles  de  la  Vierge, 
qui  est  du  début  du  xvi^  siècle  -  : 

Des   trois  lances 
desquelles  N.  S.  vouloil  occirre  le  monde. 


1.  Lutz  et  Perdrizet,  Spéculum  humanae  salvationis.  t.  I,  p.  76. 

2.  Bibl.  nat.  ms.  fr.  ls81,  papier;  iT.    181-182. 

PEKDRiziiT.  —  La  Vierge  de  Miséricorde. 


J30  CHAPITRE     VIII 

«  Saint  Dominique  vist  en  esprit  que  N.  S.  tenoit  trois 
lances  desquelles  il  vouloit  occirre  le  monde  ;  et  N.  D. 
ynellement  *  y  ala  et  lui  demanda  qu'il  vouloit  faire  de  ces 
trois  lances  ;  et  lui  respondit  que  il  vouloit  occirre  le  monde 
qui  estoit  plain  de  trois  grans  vices,  c'est  d'orgueil,  de  luxure 
et  d'avarice  ;  et  N.  D.  se  laissa  cheoir  a  ses  piez  et  lui  pria 
moult  doulcement  :  Mon  cher  fîlz,  ayez  pitié  du  monde  et  par 
ta  sainte  miséricorde  attremj)e  -  ta  justice.  Et  il  lui  dist  :  Ma 
chère  mère,  vous  veez  coment  le  monde  s'efforce  encontre 
ma  defîence  et  comandement  de  persévérer  en  pechie  et 
especialement  es  trois  pechies  dessus  nommez.  Et  elle  li 
dist  :  Mon  doulz  fîlz,  j'ay  un  serf  etchapellain  bon  et  deligent 
qui,  avec  ses  disciples,  yra  par  le  monde  et  le  fera  obéissant 
a  toy  et  a  tes  comandemens  ;  et  li  baillera}^  un  compaignon 
qui  fera  le  monde  obéissant  a  toy  comme  lui.  Et  Jhesu  Crist 
li  respondit  :  Par  amour  de  vous,  douce  mère,  je  esparneray 
le  monde  et  retrairay  ma  justice  et  ma  sentence  que  je  voulois 
fere  contre  lui  ;  mais  je  veuil  veoir  les  deux  bons  sers  par 
lesquels  le  monde  a  moy  se  convertira  et  sera  obéissant.  Et 
elle  li  présenta  saint  Dominique  et  saint  Francoys,  lesquels 
N.  S.  moult  loua  et  dist  que  bien  feroient  avec  les  disciples 
loftice,  et  par  ainsi  N.  S.  fut  repaisiez  envers  le  monde  par 
le  mérite  et  aide  de  sa  benoite  mère  la  glorieuse  Vierge  Marie, 
A  ce  propos,  bien  hat  l'auttorite  saint  Barnart  qui  dist  :  Le 
fîlz  de  Dieu  monstre  a  Dieu  le  père  son  coste  percie,  ses  piez, 
ses  mains  perciez  en  la  crois,  et  la  mère  monstre  a  son  fîlz 
ses  mamelles  '■''  :  dont  nul  reproche  ne  reffuz  ne  sera  fect  ou  il 
a  tant  de  signes  et  de  réfrigères  de  charité.  Et  c'est  veoir 
entendu  de  ceulx  qui  aront  contricion,  et  de  bon  cuer  devost 
retourneront  et  recognoistront  et  Jhesu  Crist  et  sa  douce 
mere.^  » 


1.    Rapidement.  Cf.  Godefruv,  .s.  r.  isnelemcnt. 
'2.  Tempère. 

3.  Ce  texte  n'est  pas  de  saint  Bernard,  comme  nous  létablirons  plus  loin 
eu  étudiant  le  douille  thème  iconograpliit(ue  aufiucl  il  a  donné  naissance  (voir 
l'Appendice). 

4.  Frater  quidiim  ininnr.  relifposus  et  fide  (l'KjniiH.qni  socins  h.  Francisci 
inulto  lempore  fuil.nnrrnvil  l'rulrihus(iitihiis(htm.  quorum  unus  hoc  rniiqislro 
Ordinis  !icrii)sil.quod,  cuin  esset  Rome  h.  Dominicns  etpro  Ordtnis  con/irma- 
tione  ajmd  Deum  et  .npud  dominum  pap.im  instarel,  quadam  nocte  orans, 
more  solitn.  vidit  in  visione,  ul  sibi  videhalur.  dominum  Jesum  Christum 
slanlem  in  aëre  et  très  lanceascontra  mundum  libranlem.  Cui  ad  genua  pro- 
cidens  Virqo  mater  roqabat,  ut  misericors  his  quos  redemerat,  fieret  et  jus- 


LE    THÈME    DES    TROIS    FLÈCHES  loi 

Cette  légende  est  d'origine  Dominicaine  :  cela  explique 
qu'elle  fasse  le  sujet  d'un  chapitre  du  Spéculum.  On  remar- 
quera que  dans  le  Spéculum  comme  dans  le  texte  fran- 
çais que  nous  avons  cité,  la  vision  est  attribuée  à  saint 
Dominique.  Dans  les  plus  anciens  auteurs  dominicains, 
Géraud  de  Frachet,  qui  l'a  racontée  le  premier,  et  Thierry 
d'Apolda,  elle  est  attribuée  à  un  Franciscain  :  le  fameux 
prédicateur  Dominicain,  Vincent  Ferrier,  l'attribuait  même 
à  saint  François.  Les  Dominicains,  pour  la  plus  grande 
gloire     de     leur    Ordre,    attribuaient    à    leurs    rivaux  '     une 

tiliam  misericordia  temperaref.  Ad  qiiamFilius  aiehaf  :  <<  Nonne  vides  quantae 
injuriae  mihi  fiant  '.'  Justifia  niea  non  patitiir  mala  tanta  impunita.  »  Tune  dixit 
mater :'i  Sicultu  sois, qui  oninia  nosti,haecest  eia  perquameos  ad  te  reduces. 
Habe  ounum  servum  fidelem  quem  milles  in  mundum.ulverha  tuaannunliet, 
ef  convertentur.et  tequaerent  omnium  salvalorem.Alium  eliam  servum  ei  dabo 
in  adjulorem,  qui  similiter  operelur.»  Tune  Filius  inquit  malri  :  »  Ecce  placa- 
tus  suscepi  faciem  tuam:  verumtamen  ostende  mihi.  quos  vis  ad  tanlum  offi- 
cium  destinure.  »  Tune  domina  mater  b.  Dominicum  offerebat  domino  jesu 
Christo.Cui  dnminus:  «  Beneet  studiose  fariet  quae  dixisti.  »  Obtulit  ef  beatam, 
Franciscum.  et  hune  simiiiter  salvator  commendavit.  Beatus  iqitur  Dominicus 
in  visione  iLla  socium  diligenler  considerans.  quem  antea  non  noverat.  in  cras- 
linum.  cum  eum  in  ecclesia  reperisset,  ex  iis  quae  nocte  viderat  j-ecognovit, 
et  in  oscula  sancta  ruens  et  sinceros  amplexus  dixit  :  «  Tu  es  socius  meus  ». 
Et  ex  tune  facti  suntcor  unumel  anima  una  in  Deo.  Géraud  de  Frachet,  Vies 
des  Frères  de  l'Ordre  des  Prêcheurs  icommeiicées  en  1256  ,  I,  J .  1,  éd.  Reichert, 
p.  9  ^  Acta  SS,  août  I.  p.  442.  C'est  à  Géraud  de  Frachet  que  l'ont  emprunté 
les  narrateurs  ultérieurs,  par  ex.  Galua^iii  de  la  Flamnia  \Chron.  0.  P.,  p.  5, 
éd.  Reichert  ,  Thierry  d'Apolda  (Acta  SS,  août  I.  p.  576),  et  Jacques  deA'arazze 
[Légende  dorée,  p.  470  Griissej.  Cf.  encore  Rarthélemy  de  Pise,  Opus  con- 
formitatum  vitae  b.  Francisci  ad  vitam  Domini  nostriJ.  C.  Milan,  1513),  1.  I, 
II,  f"  16  v">  ;  Gonon,  Chronicon  SS.  Deiparae,  p.  209  :  Bridoul.  Le  triomphe 
annuelde  .V.-D.  (Lille.  1640).  II.  p.  107  ;  Martène  et  L>urand,  Amplissima  col- 
lectio,  t.  VI.  p.  68  :  Quétif  d'Echard,  Script  0.  P.,  1. 1,  p.  37  ;  Sausseret, 
Apparitions  et  récélatinns  delà  T.  S.  Vierge  (Paris,  1252),  t.  I.  p.  279;  J.  Gui- 
raud.  Saint  Dominique,  p.  78  ;  Lea,  Hist.  de  l'inquisition,  t.  I,  p.  845  de  la 
traduction,  etc.  Schreiber  Manuel  de  la  gravure  au  XV'  s.,  t.  I,  p.  213) 
attribue  par  erreur  à  saint  Bernard  la  vision  des  trois  flèches.  On  trouvera 
dans  Lacordaire  {Vie  de  saint  Dominique,  ch.  vu)  et  dans  le  Saint  François 
d'Assise  des  PP.  Franciscains  (Paris,  Ploni.  p.  106.  de  curieux  détails  sur  les 
cérémonies  auxquelles  a  donné  lieu  la  légende  de  la  rencontre.  Pour  l'icono- 
graphie de  la  scène  de  la  rencontre,  cf.  le  relief  d'A.  délia  Robbia,  à  la  log:gia 
di  S.  Paolo  de  Florence,  reproduit  dans  Saint  François  d'Assise,  j).  106,  la 
prédelle  botticellesque  du  Louvre  (Perdrizet  et  R.  Jean.  Galerie  Campana. 
pi.  ir,  la  prédelle  de  Cortone  ^Supino.  Beato  Angelico,  éd.  fr.,  p.  34). 
Pour  l'iconographie  de  la  vision  des  trois  flèches,  cf.  Nys,  Vita  et  miracula  S- 
Dominici.  n°  13. 

1.  Sur  la  rivalité  entre  Dominicains  et  Franciscains,  voir  entre  autres 
Daunou.  dans  VHist.  litt.de  la  France,  t.  XVIII,  p.  481  :  Lea.  Hist.de  l'Inqui- 
sition,i.\,  p.  343,  t.  II,  p.  88  delà  traduction.  Le  boUandiste  Van  Ortroy, 
dans  les  Analecta  hollandiana,  1904,  p.  115,  proteste  énergiquement  contre 
les  apologistes  qui  réduisent  les  querelles  entre  les  Prêcheurs  et  les 
Mineurs  «  à  de  simples  disputes  de  frères  jumeaux  ».  Elles  éclatèrent  dès    le 


132  CHAPITRE    VIII 

vision    où    saint    Dominique    avait    le    pas     sur   saint    Fran- 


çois 


Ce  récit  de  vision,  inventé  par  l'orgueil  Dominicain,  a  été 
représenté  d'une  façon  bien  curieuse  dans  un  tableau  de 
Paris  Bordone,  aujourd  hui  au  musée  de  Brera  '.  En  bas, 
sur  la  terre,  saint  Dominique  agenouillé,  et  la  Vierge  qui  le 
présente  à  Jésus-Christ  ;  le  Christ  apparaît  dans  les  nuées, 
assis,  tenant  trois  lances,  deux  dans  la  main  gauche,  une 
dans  la  main  droite  ;  il  tient  celle-ci  la  pointe  en  1  air  :  entendez 
qu'à  la  prière  de  la  Vierge,  il  vient  de  relever  son  arme.  Du 
fond  du  ciel  arrivent  vers  Jésus  les  milices  célestes,  armées 
de  lances  :  le  peintre  a  voulu  signitier  que  Dieu  a  toujours  à 
ses  ordres  des  légions  d'anges  exterminateurs.  On  notera 
l'absence  de  saint  François.  Ce  tableau  a  dû  être  commandé 
par  un  Dominicain  fanatique  de  la  gloire  de  son  Ordre.  Saint 
François,  même  à  la  seconde  place,  derrière  saint  Dominique, 
eût  paru  de  trop  au  donateur.  Le  sentiment  inverse  explique 
que  dans  le  tableau  commandé  k  Rubens  par  les  Récollets  de 
Gand  et  qui  représente  le  Christ  Ajoutant  foudroyer  le  monde, 
saint  François  figure  seul,  sans  saint  Dominique  ^. 

xiii'  siècle.  En  1266.  la  mésintellij^ence  entre  les  Dominicains  de  Marseille  et 
rinquisitcur  franciscain  de  cette  ville  est  lorij^ine  d'une  guerre  entre  les  deux 
Ordres,  qui  agrite  la  Provence  et  le  Languedoc  :  Dominicains  et  Franciscains 
prêchent  les  uns  contre  les  autres  et  se  prodiguent  les  pires  injures:  Clé- 
ment IV  est  obligé  d'intervenir  :  il  décrète  notamment  qu'il  %  aura  toujours 
un  intervalle  d'au  moins  3.000  pieds  entre  deux  couvents  aiipartenant  aux 
deux  Ordres  rivaux.  La  (juerelle  de  l'Immaculée  conception  fut  pendant  le 
xiv  et  le  xv«  s.  la  cause  de  disputes  scandaleuses  entre  les  deux  Ordi'cs  ,  Lea, 
op.  cit.,  t.  III,  p.  7J7  sq)  ;  la  question  du  Saint  Sang  donna  naissance,  pendant 
la  même  période,  à  des  luttes  non  moins  âpres  J.ea.  op.  cit..  t.  II,  p.  203  .  Les 
Dominicains  n'acceptèrent  que  contraints  le  miracle  des  stigmates  de  saint 
François  Lea,  t.  II,  p.  260;,  puis  tâchèrent  d'en  faire  honneur  à  des  personnes 
de  leur  ordre  :  inversement,  les  Franciscains  protestèrent  avec  violence  quand 
les  Dominicains  revendiquèrent  le  même  miracle  pour  sainte  Catherine  de 
Sienne. 

1.  Le  plus  grand  artiste  de  l'Ordre  Dominicain,  Beato  Angelico,  l'a  repré- 
sentée dans  un  tableau  aujourd'hui  à  Berlin  reproduit  dans  le  Saint  Frnnçois 
d'Assise,  puljlié  par  les  PP.  Franciscains,  p.  100  . 

2.  Phot.  Brogi,  n"  2699. 

3.  La  vision,  rapportée  par  Cahier  (Caractéristiques,  t.  II,  p.  500),  de  la 
bienheureuse  Marguerite  de  Savoie,  Prêcheresse  (  -{-  27  nov.  1467),  est  une 
bonne  preuve  de  l'importance  que  le  thème  des  trois  lances  a  eue  dans  la  mys- 
tique Dominicaine.  Un  jour.  X.-S.  lui  apparut  portant  trois  lances  ;  sur  lune 
était  écrit  calomnie,  sur  l'autre  maladie,  sur  la  troisième  persécution.  <<  Choi- 
sis, lui  dit-il,  et  tu  seras  inscrite  au  livre  de  vie.  »  La  sainte  prit  les  trois 
lancés,  et  il  ne  lui  manqua  aucune  de  ces  tribulations.  Sur  un  tableau  du  cou- 
vent des  Dominicains  de  Poissy,  elle  était  représentée,  dit  Cahier,  serrant  les 
trois  lances  contre  son  cœur. 


LE    THÈME    DES    TROIS    FLÈCHES  133 

Pourquoi  le  Dieu  de  vengeance  arme-t-il  son  bras  de  trois 
lances  ou  de  /ro/s  javelots,  pourquoi  décoche-t-il  trois  flèches 
sur  le  monde  ?  Le  Spéculum  répond  très  précisément  à  cette 
question  : 

Ubiqiie  jam  cari  tas  et  veritas  periclitantur  ; 

Superhia,  ararifia  et  liixiiria  dominanliir... 

Quolidie  irritatur Doininiis  contra  mundurn par  fiaec  tria*. 

Chaque  jour.  Dieu  est  irrité  contre  le  monde,  k  cause  de 
ces  trois  péchés  principaux,  Orgueil,  Avarice  et  Luxure,  les 
trois  £7:iGuij.(a'.  de  l'épître  de  Jean  -,  les  trois  concupiscences 
de  la  théologie  ^  :  Stahaf,  dit  Thierry  d'Apolda,  Christus  in 
aethere  aspectu  terribilis,  et  contra  mundum  in  maligno  posi- 
tuni  lanceas  très  vihrahat  :  unani,  qua  superhorum  cervices 
erectas  transfiffcret  ;  alteram^  qua  cupidorumviscera  effunde- 
ret  '  tertiani,  c/ua  concupiscentiis  carnis  deditos perforaret'^. 

L'esprit  subtil  des  théologiens  du  moyen  âge  a  eu  la  pas- 
sion de  la  symétrie  et  de  l'antithèse.  Puisque  l'homme  irritait 
Dieu  par  trois  concupiscences,  trois  fléaux  devaient  les  lui  faire 
expier.  Ces  trois  fléaux,  que  symbolisaient  les  trois  lances, 
les  trois  javelots,  les  trois  flèches,  en  quoi  consistaient-ils  au 
juste  ?  Quels  en  étaient  les  noms  ?  La  réponse  nous  est  donnée 
par  une  gravure  incunable  (pi.  XIV,  1),  faite  en  Allemagne 
pour  les  Dominicains 5.  C'est  une  pauvre  image  de  piété, 
violemment  coloriée,  comme  on  en  vendait  vers  1300  dans 
les  foires,  et  comme  les  petites  gens  en  clouaient  au  mur  de 
leur  chambre,  au  chevet  de  leur  lit.  Elle  mérite  qu'on  s'y 
arrête,  parce  que  c'est  un  document  caractéristique  des 
croyances  populaires,  et  aussi  parce  que  le  commentaire 
qu'en  a  donné  M.  Schreiber  n'est  pas  sans  reproche. 

1.  Ch.  xx.wii,  1.  7,  33.  Une  g^ravure  de  piété,  signée  d'Andréa  Vaccario  et 
datée  de  Rome,  1604,  représente  la  vision  rapportée  par  Géraud  de  Frachet  et 
Thierry  d'Apolda  :  dans  le  fond,  sur  la  terre,  saint  Dominique  et  saint  Fran- 
çois s'en  allant  de  compag:nie:  dans  le  ciel,  le  Christ  armé  des  trois  lances,  et 
la  Vierg-e  qui  l'implore  à  genoux  en  lui  montrant  ses  deux  serviteurs  :  oh  tria 
inundi  scelera,  dit  la  légende,  minans  Christus  tribus  lanceis  voluit  populum 
punir  e. 

2.  I  Joan.  II,  16. 

3.  Aug.,  Con/'ess.,  X,  35  (P.L.,  XXXII,  802);  Thom.,  Si/m.  I"  11"%  q.  77,  §  5. 

4.  ilc<a  SS,  août  I,  p.  576. 

5.  Schreiber,  Manuel  de  la  gravure  au  XV"  siècle,  t.  I,  p.  297,  n"  2012  b  ; 
reproduite  dans  Pestbliitter,  pi.  VI.  Possesseur  actuel:  M.  Paul  Heitz,  à 
Strasboure;. 


134 


CHAPITRE    VIII 


Au  milieu  d'un  rosaire  dont  les  cinq  gros  grains  sont  rem- 
placés par  des  écussons  portant  la  représentation  des  cinq 
plaies,  la  Vierge  implore  le  Juge  du  monde  pour  l'humanité 
agenouillée  devant  elle,  et  représentée  par  le  pape,  l'empereur, 
le  roi  (dont  on  ne  voit  que  la  couronne)  et  par  un  quatrième 
personnage.  Le  nom  de  la  A'ierge  est  écrit  dans  le  nimbe  : 
Sancta  Virr/o  Mater  Dei.  M.  Schreiber  lit:  Sancfa  Virgo  Aja- 
zia,  ce  qui  lui  permet  de  doter  l'Italie  d'une  ville  d'Ajazia, 
qui  n'a  jamais  existé,  et  de  faire  de  cette  gravure  la  copie 
d'un  modèle  italien.  Et  cette  appréciation  imprévue  m'inspire, 
je  l'avoue,  quelque  défiance  quant  au  jugement  artistique  de 
M.  Schreiber  :  car  s'il  y  a  une  gravure  incunable  indubitable- 
ment germanique,  c'est  bien  cette  pitoyable   estampe. 

La  Vierge  montre  au  Juge  saint  Dominique  et  saint  François 
agenouillés  derrière  elle  ;  les  deux  saints  sont  en  prière,  le 
rosaire  en  main,  comme  le  pape.  Aux  quatre  coins  de  la  gravure, 
quatre  saints  à  mi-corps  dans  les  nuages,  chacun  tenant  le 
rosaire.  Leur  nom  est  dans  le  limbe.  A  gauche,  en  haut,  saint 
Vincent Ferrier(6'.  Vincenfius),  avec  une  branche  de  lis,  sym= 
bole  de  chasteté  virginale.  A  droite,  en  haut,  sainte  Catherine 
('S''^  Katherina  de  Senis),  avec  un  cœur  d'où  jaillit  un  crucifix. 
Entre  sainte  Catherine  et  saint  Vincent,  dans  une  gloire  en 
forme  d'amande,  le  Christ,  les  bras  levés,  comme  il  apparaî- 
tra au  monde,  au  jour  du  Jugement  '.  Saint  Vincent  Ferrier, 
l'un  des  plus  fameux  prédicateurs  de  l'Ordre  dominicain, 
maxinius  posf  apostolos  Divini  Verbi  praeco,  avait  pour  sujet 
ordinaire  de  ses  prédications  le  Jugement  dernier  :  c'est  pour- 
quoi la  gravure  dont  nous  parlons  le  représente  montrant  du 
doigt  le  Juge  du  monde  qui  ajDparait  dans  la  gloire.  En  bas, 
à  gauche,  saint  Pierre  martyr  (S,  Peter  von  Mei/lant),  recon- 
naissable  à  l'entaille  dans  sa  tonsure,  et  au  coutelas  qu'il 
tient  à  la  main.  En  bas,  à  droite,  saint  Thomas  d'Aquin, 
recoiinaissable  à  la  colombe,  image  du  Saint-Esprit,  qui  lui 
parle  à  l'oreille.  Entre  saint  Pierre  et  saint  Thomas,  la  sainte 
Face. 

Ce  qui  fait  le  principal  intérêt  de  cette  image  populaire, 
c'est  qu'elle  nous  donne  la  signification  des  trois  flèches  de  la 
colère  divine.  Le  Juge  apparait  dans  les  nuées,  tirant  trois 
flèches  d'un    coup  :  à  côté  de  chacune   est  inscrit  son  nom  :  la 

1  .   Cf.  Mille,  L'arl  religieux  du  XIII'  s..  2'  éd..  p.  41  î. 


Li:  TiiÈMi:  jji;s   rnuis  Fi.ik;iii:s  135 

première  s'appelle  Pestilenz,  la  seconde  Teiirunff,  la  troi- 
sième Kryeg,  c'est-à-dire  la  Peste,  la  Guerre  et  la  Cherté, 
autrement  dit  la  Famine, 

Pourquoi  ces  trois  fléaux  et  non  d'autres  ? 

Entre  autres  supplications,  la  Grande  Litanie,  que  rEg;lise 
récite  depuis  la  peste  de  390,  contient  celle-ci  :  a  peste,  famé 
et  hello  libéra  nos.  Domine.  Ce  texte  liturgique  a  une  origine 
scripturaire.  Quand  David  eut  fait  le  dénombrement  d'Israël 
et  de  Juda,  Jahvé,  dieu  jaloux,  en  fut  courroucé  ;  il  résolut  de 
châtier  David  et  les  Juifs  ;  il  envoya  Gad  le  prophète  vers 
David  pour  lui  offrir  le  choix  entre  trois  fléaux  :  Ilaec  dicit 
Dominus  :  elige  qiiod  volueris  :  aiit  tribus  annis  famem;  aut 
tribus  mensibus  te  fugere  fiostes  tuos,  et  gladium  eorum  non 
posse  evadere ;  aut  tribus  diehus  gladium  Domini  et  pestilen- 
tiam  versari  in  terra,  et  angelum  Domini  interficere  Israël^. 

Ce  texte  biblicpie  explique  que  dans  les  livres  d'Heures,  en 
tête  des  psaumes  pénitentiaux,  soit  figuré  David  à  genoux,  et 
au-dessus  de  lui,  dans  le  ciel,  l'ange  de  Dieu  tenant  ou  lançant 
les  trois  flèches  -.  Il  explique  d'autre  part  les  trois  flèches  de 
la  vision  de  saint  Dominique.  11  explique,  enfin,  que  dans  les 
monuments  qui  représentent  Dieu  brandissant  ou  lançant  les 
traits  de  la  colère,  ces  traits  soient  généralement  au  nombre 
de  trois,  ou  répartis  par  groupes  de  trois.  Dans  le  tableau  de 
L.  Cranachle  VieuxàBuda-Pesth  (pi.  XIX,  2)  et  dans  le  tableau 
analogue  du  musée  de  Nuremberg,  Dieu  tire  des  flèches  trois 
par  trois,  comme  sur  la  gravure  que  nous  venons  de  décrire. 
Sur  deux  Pestbllitter  allemands-^  et  sur  la  bannière  de  Bonfigli 
à  S.  Francesco  de  Pérouse  (pi.  XVII),  le  Christ  brandit  trois 
javelots,  un  dans  une  main,  deux  dans  l'autre.  Sur  le  panneau 
de  Teruel  (pi.  XXVII,  2),  et  dans  la  bannière  de  Bonfigli,  à 
S*  Maria  Nuova  de  Pérouse  ^,  le  Christ  tient  trois  javelots 
dans  la  main  gauche.  Sur  la  bannière  ombrienne  conservée 
à  Kevelaer,  les  deux  anges  qui  sont  à  côté  du  Christ  tiennent 
chacun  trois  javelots  ■'. 

1.  I  Paralip . ,  \yi,  12;  cf.  II  Rois,  xxiv,  13. 

2.  Henry  Martin,  Les  miniaturistes  français,  p.  152.  Cf.  les  Heures  d'Anne 
de  Bretagne,  pi.  XXIX  de  l'édition  Berthaud. 

3.  Schreiber-Heitz,  Pestblàtter,  pi.   V  et  VIII. 
1.  Anderson,  156(53. 

5.  A  Gand,  dans  une  des  chapelles  du  chœur  de  l'éj^lise  Saint-Michel,  un 
tableau  de  K.  Van  Mander  représente  saint  Charles  Burromée  suppliant  le 
Christ  de  faire  cesser  la  peste  de  Milan  :  à  côté  de  saint  Charles,  un   archange 


13G  CHAPITRE    VIII 

Le  frontispice  de  la  version  manuscrite  duSpeculum  humanae 
salvationis,  par  Jean  Miélot,  à  la  Bibliothèque  nationale,  est, 
pour  le  thème  des  trois  flèches,  particulièrement  intéressant. 
C'est  une  «  histoire  pleine  » ,  comme  on  disait  au  xv®  siècle,  c'est- 
à-dire  une  miniature  occupant  la  page  entière,  où  l'on  voit,  à 
g-auche,  l'auteur  présumé  du  Spéculum,  frère  Vincent  de  Beau- 
vais,  le  grand  savant  Dominicain,  assis  dans  son  cabinet,  occupé 
à  écrire  son  livre  ;  sur  la  table  sont  ses  lunettes  et  des  livres  ; 
le  bon  moine  compile  en  paix.  Cependant,  hors  de  ce  calme 
asile,  se  passe  quelque  chose  de  terrible,  un  dialogue  formi- 
dable, digne  de  VApocah/jise  :  dans  le  ciel  apparaît  l'Ancien 
des  jours,  couronné  du  triregno  ;  sur  la  terre  est  debout  la 
Mort,  sous  la  forme  d'une  larve  nue,  aux  chairs  pourries. 
Dieu  lui  tend  d'une  main  trois  javelots,  delautre,  un  parche- 
min scellé  d'vm  triple  sceau.  Ce  parchemin  contient  l'acte  en 
bonne  et  due  forme  par  lequel  Dieu  donne  permission  à  la 
Mort  de  détruire  les  hommes  au  moyen  des  trois  flèches  ou 
des  trois  fléaux  '  :  il  y  a  un  paragraphe  et  un  sceau  par  flèche, 
un  notaire  n'y  trouverait  rien  à  redire. 

tient  trois  flèches  dans  la  main  fiauche  :  clans  le  ciel,  le  Christ  tient  aussi  trois 
flèches,  ou  ])lutùt  un  foudre  à  triple  carreau.  Le  Christ  de  Rubens,  dans  les 
tableaux  de  Bruxelles  et  de  Gand  (cf.  infra,  appendice;  brandit  de  même  le 
foudre  à  triple  carreau. 

1.  La  Mort,  dans  les  représentations  macabres  du  xv"  et  du  xvi^  siècle,  est 
plus  souvent  armée  d'un  javelot  que  d'une  faux.  La  faux  de  la  Mort  est. 
Je  crois,  d'orijrine  humaniste  et  italienne.  La  Mort  en  est  armée  dans  les  ban- 
nières de  Bonfîg:li.  .\u  contraire,  dans  l'art  français  et  dans  l'art  flamand, 
elle  est  armée  dun  jrrand  javelot  :  cf.  par  exemple  la  Danse  macabre  histo- 
riée, 1192  Claudin,  Hist.  de  l'imprimerie  en  France,  t.  II,  p.  17";,  la  j^ravure 
qui  termine  le  Compost  et  calendrier  des  hergères.  Paris.  1499  (Claudin.  t.  I, 
j).  .392^,  le  frontispice  du  Triomplie  et  exaltation  des  Dames.  Paris,  dernières 
années  du  xv'  s.  Claudin.  t.  II.  p.  91  .  et  les  bordures  des  Heures  de  Simon 
Vostre  reproduites  dans  Montai};lon.  L'alphabet  de  la  Mort  de  H.  Holbein, 
Paris.  1S56).  La  fresque  de  la  chapelle  d'Orléans,  dans  l'église  des  Célestins  à 
Paris,  représentait,  d'après  ime  vision  de  Louis  d'Orléans  (  y  1407).  la  Mort 
brandissant  un  javelot  iLenoir,  Statistique  moninnentale  de  Paris.,  t.  11,  pi.  15, 
j).  iS6:  Le  Clerc  et  Renan.  Hist.  litt.  de  la  Fr.  au  XIV^  s.,  t.  II.  p.  2.iO'.  Pour 
l'art  fiamand.  cf.  le  bréviaire  Grimani.  Une  jjeinture  siennoise  de  1  i26  donne 
jjour  armes  à  la  Mort  l'arc  et  les  flèches  ; Lisini,  Tavolelte  dipinte  di  bicchierna, 
pi.  X.'^CIX. 


CHAPITRE  IX 
LA  VIERGE    DE   MISÉRICORDE    ET  LES   PESTES 


Les  pestes  du  moyen  âge.  —  Leurs  conséquences  morales  et  religieuses. 
—  Le  pathétique  et  le  macabre  à  partir  du  milieu  du  xiv"  siècle.  —  De 
la  Vierge  de  Miséricorde  comme  recours  contre  la  peste.  —  De 
quelques-unes  de  ses  images    ([ui   furent  vouées  en  temps  de   peste. 


Trois  c/rans  danc/iers  especiaulx 
Ont  miz  a  mort  avant  droit  aage 
Cent  mitions  dnmain  liç/nage  : 
Le  premier  mal  est pestillence 
Dair  corrompu  par  influence  ^  ; 
Le  second  est,  en  vérité, 
Grand  default  et  stérilité 
Des  fruiz  et  des  biens  de  la  terre, 
Et  le  tiers  est  criiele  guerre. 

Ainsi  s'exprime  Fauteur  dvin  Poème  sur  la  peste  noire '-.  II 
aurait  pu  ajouter  que,  de  ces  trois  fléaux  qui,  g-énéralement, 
s'abattaient  ensemble  sur  le  pauvre  monde,  le  plus  terrible  et 
le  plus  redouté  était  la  peste  :  «  rien  n'épouvante  plus  les 
hommes  que  les  grandes  épidémies  •^.   » 

Les  témoignages  populaires  sont  suspects  d'exagération, 
quand  il  s'agit  de  calamités  publiques.  Mais  pour  la  peste 
noire  '*,  qui  ravagea  l'Europe  de  1317  à  1350,  il  ne  semble  pas 

1.  Par  rinfluence  dune  comète  qui  parut  alors,  ou  par  la  conjonction  de 
Jupiter  et  de  Saturne  dans  le  A'erseau.  Tous  les  textes  contemporains  relatifs 
à  la  peste  noire,  mentionnent  ces  explications  astrologiques. 

2.  Olivier  de  la  Haye,  Poème  sur  la.  grande  peste  de  IS-iS,  éd.  Guisjue 
(Lyon,  1888),  p.  10. 

3.  Littré,  Des  (fraudes  épidémies,  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes,  lôjanv. 
1836,  p.  221  (réimprimé  dans  Médecine  et  Médecins  . 

i.  Sur  la  peste  noire,  cf.  J.  Fr.  G.  Hecker,  Der  schwarze  Tod  in  XIV. 
Jahrliunderl  (Berlin,  1832),  d'après  lequel  Littré  a  écrit  son  bel  article 
Des  grandes  épidémies,  et  auquel  la  brochure  médiocre  de  Philippe,  His- 
toire de    la  peste    noire    (Paris,  1853^,   doit    tout  ce    qu'elle   contient    dinté- 


138  CHAI'ITRi:    IX 

que  les  témoins  aient  exag'éré.  Le  fléau  s'attaqua  d'abord  à 
ritalie.  Elle  était  à  cette  époque  riche  et  peuplée,  ^'enise  (y 
compris  la  terre- fer  me)  perdit,  assure-t-on,  100.000  âmes; 
Florence,  60.000,  et  90.000  en  comptant  son  territoire  ; 
Sienne,  70.000;  Gènes,  iO.OOO  '.  En  1348.  la  peste  gagne 
d'un  côté  la  France,  de  l'autre  le  sud  de  l'Autriche  et  de  la 
Bavière.  En  13o0,  elle  atteint  le  nord  de  l'Allemaorne.  Elle 
fut  particulièrement  terrible  en  France '.  Plus  de  100.000  per- 
sonnes seraient  mortes  à  Rouen  ■'■.  A  Paris,  où  la  maladie  fit 
rage  un  an  et  demi,  les  victimes  furent  quelquefois  presque  800 
par  jour»  ;  le  nombre  des  Filles-Dieu  tombe  dans  l'été  1349, 
de  Pâques  à  la  Saint-Rémy,  de  102  à  40  ;  le  cimetière  des 
Innocents  regorge  de  cadavres  :  on  doit  le  fermer  et  ouvrir 
hors  des  murs  une  autre  nécropole,  l'ne  foule  de  villes  fran- 
çaises sont  obligées  de  demander  au  roi  l'autorisation  d'agran- 
dir leurs  cimetières  ou  d'en  ouvrir  de  nouveaux,  les  anciens 
ne  pouvant  plus  suffire  ■'. 

En  l'an  mil  trois  cent  quarante  neuf. 
De  cent  ne  clemeuroient  que  neuf 


ressant.  Je  cite  le  travail  de  Hecker  d'après  la  réimpression  de  Hirsch 
{Die  grossen  Voltiskranfitieiten  des  Mitlelallers,  historiacti-pathologisctie 
Untersucliiingen  von  J.  f"r.  C.  Hecker.  heraus^cf^eben  von  A.  Hirsch.  Berlin, 
1865).  Cf.  encore  Littré.  Opuscule  relatif  h  la  peste  de  l.'i-iS  poème  de  Simon 
de  Co\  ino^dans  Bihl.  de  l'Ecole  des  Chartes,  H.  p.  201;  Michon,  Documents 
inédits  sur  la  grande  peste  de  IS4S  (Paris,  1860  :  Dechambre.  Dut.  encyclo- 
pédique des  sciences  médicales,  s.  v.  peste  ;  Haescr,  Lelirhacfi  der  Gescfiicfite 
der  Medizin,  3"  éd..  t.  HI,  p.  175:  Rebouis,  Etude  tiistorique  et  critique  sur  la 
peste  Paris,  1888  ;  Gasquet,  The  greal  pestilence  (Londres,  1893  ;  Guigne, 
préface  de  son  édition  du  Poème  sur  la  grande  peste  par  Olivier  de  la  Haye  ; 
Viard,  dans  Bihl.  de  VEcole  de  Chartes,  t.  LXI,  p.  334-338  messe  contre  la 
peste,  rédigée  par  ordre  de  Clément  VI)  :  Denifle,  La  désolation  des  églises, 
monastèreset  hôpitaux  en  France  pendant  la  guerre  de  Cent  Ans  (Paris,  ISQ"?- 
1S99),  l.  II,  p.  57  :  Pestblatter  des  XV.  Jahrhunderts.  hciausgegeben  von 
P.  Heitz  mit  einlcitendem  Tcxt  von  W.  L.  Schreiber  Strasbourg.  1901,  f"). 
Sur  la  peste  en  Languedoc,  cf.  une  note  à  dom  Vaissete.  Hist.  du  Langue- 
doc, éd.  Privât,  t.  IX,  p.  609;  —  en  Auvergne,  Boudet  et  Grand,  Documents 
inédits  sur  les  grandes  épidémies  extrait  de  la  Revue  de  la  Haute-Auvergne, 
1902  ;  — en  Normandie,  L.  Delisle,  Etudes  sur  la  condition  de  la  classe  agri- 
cole en  Normandie  au  mogen  âge.  p.  650. 

j.  Pour  les  chifTi'cs.  cf.  Ilccker-Hirsch,  p.  46. 

2.  Froissart,  Chroniques,  éd.  Luce,  t.  IV.  p.  330  ;  .lean    Le  Bel,  Chronique, 
éd.  Viard  et  Déprez,  t.  I,  p.  222. 

3.  Delisle.  op.  cit..  p.  640. 

4.  Les  grandes  chroniques  de  France,  éd.  Paulin  Paris,  t.  V,  p.  485. 

5.  Viard  dans  Bibl.  de  l'Ecole  des  Chartes,  t.  LXI    1900),  p.  335.    Cf.  Delisle. 
op.  cit.,  p.   640. 


LA    VIERGE    DE    MISÉRICORDE    ET    LES    PESTES  139 

disait-on  plus  tard  en  Bourgogne.  Le  Languedoc,  l'Auvergne, 
la  Provence  ne  furent  pas  moins  maltraités.  A  Die,  le  clergé 
de  la  cathédrale  perdit  7i  de  ses  membres.  A  Marseille,  les 
Frères  Prêcheurs  et  Mineurs  moururent  tous.  Tous  les  Frères 
Mineurs  de  Carcassonne  moururent.  L'Ordre  Franciscain 
comptait  que  dans  les  quatre  années  1347-1350,  il  avait  perdu 
124.430  frères  (y  compris,  je  suppose,  les  membres  du  Tiers- 
ordre).  La  peste  noire  aurait  causé  en  Europe,  à  l'estimation 
deHecker  ',  2a  millions  de  décès.  «  Bien  la  tierce  part  du 
monde  mourut  »,  dit  Froissart  '-.  MorUia  est  ultra  quam  tertia 
pars  hominum,  dit  la  Chronique  de  Mayence.  Une  note 
manuscrite,  relevée  par  J.  V.  Le  Clerc  ^,  k  la  fin  d'un  codex  de 
Richard  de  Saint- Victor,  est  terrible  :  «  Es  villes  ou  la  mor- 
talité entroit,  mouroit  plus  des  deux  pars  des  gens,  et  disoit 
on  que  le  monde  fenissoit.  » 

Après  la  grande  épidémie  de  1348,  la  peste  ne  disparaît  pas 
de  la  chrétienté  :  pendant  trois  siècles,  elle  revient  presque  tous 
les  dix  ans,  avec  une  régularité  désespérante,  faucher  les  vies. 
Voici,  pour  l'Allemagne,  jusqu'à  la  fin  du  xv*"  siècle,  les  dates 
de  ces  funèbres  apparitions  :  1358,  1365,  1379,  1387,  1406, 
1420,  1427,  1437,  1451,  1462,  1473,  1483,  1494.  Le  nombre 
des  morts  prématurées  causées  par  le  fléau  est  incalcu- 
lable. On  ne  sait  pas  grand'chose  de  précis  sur  les  i^avages 
que  la  peste  lit  dans  les  bourgs  et  villages  ;  mais  dans  les 
villes,  pour  lesquelles  on  a  des  renseignements  certains, 
on  voit  la  population  diminuer  graduellement  :  Nuremberg, 
qui  avait  environ  30.000  habitants  en  1350,  tombe  à  8.000 
en  1450.  A  Strasbourg,  en  1457,  le  glas  des  morts  retentit  si 
souvent  que  la  grosse  cloche  de  la  cathédrale  fut  fendue. 

Il  n'y  a  pas  moyen  de  mesurer  le  contre-coup  que  devaient 
avoir  sur  la  sensibilité  populaire  ces  calamités  répétées.  On 
peut  croire  que,  depuis  la  grande  peste  de  1348,  le  moyen  âge  a 
vécu  dans  une  terreur  perpétuelle,  dans  un  continuel  ébran- 
lement nerveux.  La  crainte  de  la  mort  dont  il  a  toujours  été 
hanté  devient,  depuis  que  la  peste  s'est  mise  à  ravager  pério- 
diquement l'Europe,  une  angoisse  de  tous  les  instants.  Peu 
de  gens  avaient  la  tète  aussi  ferme  que  Boccace,  qui  a  donné 

1.  Hecker-Hirsch,  p.  55. 

2.  Éd.  Luce,  t.  I,  p.  100. 

.3.  Hist.  litt.  de  ta    France  au  XIV"  s.,  t.  I,  p.  519,  d'après  BibL   Nat.,  anc. 
fond  latin,  n"  2588. 


140  CHAPITRE    IX 

le  récit  de  la  contagion  de  1348  comme  préface  à  des  contes 
d'amour.  Chez  le  plus  grand  nombre,  l'obsession  de  la  peste 
devait  produire  im  effet  de  détraquement.  Les  historiens  ne 
tiennent  peut-être  pas  assez  compte  de  cela  '.  Ils  mentionnent 
la  grande  épidémie  de  1348  et  en  signalent  les  conséquences 
immédiates,  procession  de  flagellants,  massacres  des  juifs  et 
des  <(  semeurs  de  peste  »,  puis  ils  passent.  Mais  l'ébranlement 
nerveux  causé  par  la  peste  noire  et  par  les  épidémies  qui 
suivirent  a  produit  bien  autre  chose  que  ces  réactions  passa- 
gères :  elle  a  eu  des  effets  profonds  et  prolongés,  que  les  chro- 
niqueurs n'ont  pas  dits,  que  les  contemporains  ne  pouvaient 
guère  apercevoir,  qui  échappent,  par  conséquent,  si  l'on  s'en 
tient  aux  textes  sur  lesquels  travaille  ordinairement  l'hi-sto- 
rien,  mais  qui  apparaissent,  si  l'on  opère  sur  des  documents 
d'un  autre  ordre.  Je  crois  en  effet  que  l'obsession  de  la  peste 
explique  beaucoup  de  nouveautés  qui  surgissent,  à  partir  du 
milieu  du  xiv'"  siècle,  dans  la  dévotion  et  dans  l'iconographie. 

L  art  du  siècle  pi^écédent  avait  été  serein,  doux,  souriant. 
A  la  lin  du  xiv°  siècle,  la  douleur  et  la  mort  sont  devenues 
les  inspiratrices  de  la  piété  et  de  1  art.  Je  crois  que  si  le  moyen 
âge  .sur  son  déclin  s'est  complu  dans  un  pathétique  morbide, 
que  le  xin''  siècle,  pas  plus  que  l'antiquité  classique,  n'avait 
connu,  la  cause  en  est,  pour  une  part  %  dans  les  idées  funèbres 
où,  dans  le  milieu  du  xiv''  siècle,  la  peste  le  plongea  et  le 
maintint. 

Je  voudrais  donner  quelques  preuves  de  cette  assertion. 

D'où  provient,  à  quelle  époque  apparait  la  dévotion  horrible 
des  Cinq  plaies  de  Jésus  '■''  —  aujouid  hui  oubliée  et  rempla- 
cée par  la  dévotion  non  moins  répugnante  du  Sacré  Cœur'l 
Elle  date  du  milieu  du  xiv''  siècle,  du  temps  même  de  la  grande 
peste  :  la  Chanson    des  flagellants  contient  '*  ces  vers  : 

Jhesus,  par  les  cinq  rouges  playes. 
De  morl  soudaine  nous  delai/es  ! 

1.  Cf.  par  exemple  Coville  dans  V Histoire  de  France  publiée  sous  la  direc- 
tion de  Lavisse,  t.  IV,   1,  p.  87. 

2  M.  Maie,  dans  son  admirable  article  sur  l  Apparition  du  pathétique  (dans 
l'art  français  de  la  fin  du  moyen  âge)  indique  une  autre  cause,  qui  n'est  pas 
exclusive  de  celle  que  je  signale  :  «  Je  crois,  écrit-il,  que  si  Ion  veut  remon- 
ter à  la  source  d'où  tant  de  pitié  a  coulé  sur  le  monde,  il  faut  aller  tout  droit 
à  Assise...  Il  y  a  quelque  chose  de  saint  François  chez  tous  les  mystiques  du 
xiv  et  du  XV"  siècle  »    Revue  des  Deux  Mondes.  1"'  oct.  1905.  p.  6JS  . 

.3.  Sur  cette  dévotion,  cf.  Molanus,  Dehist.  SS.imaffinuin.  II.. il  .et  supra, p. 99. 

i.   Le  texte  français  publié  par  Le  Roua  de  Lincy,  Recueil   de   chants    his- 


LA    VIERGE    DE    MISÉRICORDE    ET    LES    PESTES  141 

Ces  vers  de  la  Chanson  des  flagellants  sont  curieux  double- 
ment, pour  l'histoire  de  la  dévotion  aux  cinq  plaies,  et  par 
l'effroi  très  particulier  qui  s'y  exprime.  De  quoi  avaient  peur 
les  pauvres  gens  qui  criaient  vers  le  ciel  cette  supplication? 
De  mourir  de  la  peste  ?  Non  pas  tout  à  fait,  mais  bien  d'en 
mourir  soudainement.  Le  moyen  Âge  n'a  pas  tant  craint  la 
mort  que  la  maie  inorf,  celle  qui  vient  si  vite  qu'on  n'a  pas  le 
temps  de  s'y  préparer,  c'est-à-dire  de  se  confesser.  Un  saint 
avait  pour  spécialité  dejJrotég^er  les  chrétiens  de  la  maie  mort: 
c'était  saint  Christophe  '.  Celui  qui  avait  \u  le  matin  une 
image  de  saint  Christophe  était  sûr,  ce  jour-là,  de  ne  pas 
mourir  sans  confession  ;  d'oîi  l'usage  de  mettre  à  la  façade 
des  églises  ou  contre  l'un  des  premiers  piliers  de  la  nef  une 
gigantesque  image  du  bon  saint  :  il  suffisait,  en  passant  le 
matin  près  du  moùtier,  d'y  entrer,  ne  fût-ce  qu'une  minute  : 
on  avait  vu  le  saint,  on  était  tranquille  ce  jour-là.  Les  Bâlois 
avaient  fait  mieux  encore  :  ils  avaient  mis  saint  Christophe 
sur  une  des  tours  de  leur  Aille  :  nul  qui  ne  le  vît  dans  sa 
journée.  M.  Mâle  a  parlé  de  la  dévotion  à  saint  Christophe 
dans  son  beau  livre  sur    ÏArt  religieux  au  XIII^  siècle  ~,  à 

toriques  français  {Pavï^i,  l,s42  ,  t.  I,  p.  2:37,  puis  par  Kervyu  de  LeLtcnliovc, 
éd.  de  Froissart.  t.  XVIII.  p.  310.  Jésus,  dnr  dîne  n^nden  rod,  Be  hod  uns  vor 
deni  gehen  dod.  dit  le  texte  allemand  (Hecker-Hirsch,  p.  94).  L'épidémie 
des  flagellants  à  laquelle  la  grande  peste  donna  naissance,  alTccta  la 
même  forme,  produisit  les  mêmes  conséquences  que  l'épidémie  de  12()0.  Les 
flagellants,  dit  un  contemporain  cité  pai"  Ivervyn  dans  son  édition  de  Froissart 
(t.  X^'III.  p.  305),  «  portoient  crucefis  et  confanons  et  grandes  banières  de 
ccndal  par  manières  de  processions,  et  aloient  par  les  rues  II  et  II  chan- 
tant haultement  chanchons  de  Dieu  et  de  N.  D.  et  puis  aloient  en  une  place 
et  se  desvestoient  jusques  au  petis  draps  [c'est-à-dire  jusqu'au  perizonium 
e.\clusivement  :  il  ne  faut  pas  croire,  avec  M.  Coville  Hisl.  de  France  de 
Lavisse,  t.  IV,  l,p.  87)  que  les  flagellants  se  missent  tout  nus]  deux  fois  chas- 
cun  jour  et  se  bastoient  quanques  ilz  pouvoient  d'escorgies  et  d'aguilles  ens 
fichées,  si  que  le  sanc  de  leurs  espaules  couroit  aval  de  tous  costes,  et  ton- 
dis chantant  leur  chanchons,  et  puis  se  jettoient  trois  fois  en  terre  par  dévo- 
tion ».  'c  Ils  se  batoient  d'escourgees  de  trois  lasnieres  en  chacune,  esquelles 
lasnieres  avoit  ung  neu,  ouquel  neu  avoit  IlII  pointes  ainsi  comme  d'aguilles, 
lesquelles  pointes  estoient  croisées  par  dedens  ledit  neu  et  pairoient  dehors 
en  quatre  costes  dudit  neu,  et  se  faisoient  seignier  en  eulx  bâtant...  »  Jean  le 
Bel,  éd.  Viard  et  Déprez,  t.  I.  p.  221).  «  ¥A  furent  faites  par  ces  penitances, 
dit  Froissart  (éd.  Luce,  t.  I,  p.  100),  plusieurs  belles  paix  de  morts  d'hommes, 
où  en  devant  on  ne  pooit  estre  venu  par  moyens  ne  aultrement.  » 

1.  Cf.  Molanus,  De  hist.  SS.  imaginum,  III,  27  Christophori piclura  mulli' 
pliciler  discutitur\  Les  femmes  enceintes  invoquaient  saint  Christ()plie,  par 
peur  de  mort  subite  Maury,  Croyances  et  légendes  du  M.  A.,  Paris,  1896, 
p.  147). 

2.  L'art  religieux  du  XIII^  s..  2«  éd.,  p.  310.  M.  Màlc  remarque   lui-mcmc 


1  Ï2  CHAPITRE    IX 

tort,  sil  est  vrai,  comme  le  montreraient,  je  crois,  les  monu- 
ments figurés,  qu'elle  ne  s'est  développée  qu'à  partir  du  milieu 
du  XI v""  siècle,  sous  l'influence  de  la  peste.  Cette  hypothèse 
me  semble  confirmée  notamment  par  les  tableaux  archaïques 
où  la  Yieri^e  est  figurée  entre  saint  Christophe  et  saint  Sébas- 
tien '. 


Ce  n'est  pas  Dieu  le  Père,  c'est  Jésus-Christ  qui  présidera 
au  Jug-ement  Dernier.  11  vengera,  au  jour  de  la  colère,  les 
offenses  que  lui  font  les  hommes.  On  se  le  rappelle,  tel  que 
l'a  peint  Michel-Ange  à  la  Sixtine,  ou  tel  que  l'ont  représenté 
nos  grands  sculpteurs  du  xm''  siècle  :  «  Au  milieu  de  la  nuit, 
à  l'instant  même  où  le  Christ  ressuscita,  le  Juge  apparaîtra 
dans  les  nuées...  D'un  geste  admirable,  aux  tympans  du 
Jugement  Dernier,  il  lève  ses  deux  mains  pour  faire  voir  ses 
blessures,  et  sa  tunique  écartée  sur  sa  poitrine  laisse  paraître 
la  cicatrice  de  son  flanc  :  on  sent  qu'il  n'a  pas  encore  ouvert 
la  bouche  pour  parler  au  monde,  et  ce  silence  est  terrible  ~.  » 
—  Mais  avant  le  jour  du  Jugement,  l'humanité  aura  déjà 
souvent  ressenti  l'effet  de  la  colère  divine.  Le  Christ  se  venge 
continuellement  des  offenses  des  hommes  en  leur  envoyant, 
outre  des  malheurs  particuliers,  les  calamités  publiques,  qui 
frappent  de  grands  coups  sur  l'humanité,  les  guerres,  les 
famines,  les  tremblements  de  terre,  les  incendies,  les  inon- 
dations, les  épidémies,  les  pestes,  surtout  les  pestes,  fléau  et 
terreur  du  moyen  âge.  Quand  le  chrétien  sentait  la  colère  de 
Dieu  déchaînée,  quand  pleuvaient  autour  de  lui  les  flèches 
de  la  vengeance  divine,  il  cherchait  un  refuge  :  il  se  tournait 
vers  les  saints,  mais  surtout  vers  Marie,  vers  la  Mère 
de  Miséricorde.  Beaucoup  de  représentations  de  la  Mater 
omnium  .sont  des  ex-voto  dédiés  en  temps  de  peste.  Encore 
en    1832,   quand   Lyon,   pour  échapper  au  choléra,  se  voua  k 

(p.  320)  que  "  les  images  de  saint  Cliristophe  se  mulliplicnt    à  la  fin  du  moyen 
âge   ... 

1.  Citlà  di  Castello,  peinture  du  style  de  Signorelli  :  Alinari.  5351  ; 
Reinach.  Répertoire,  t.  I.  p.  332.  Tableau  attribué  à  Fioi>enzo  di  Lorenzo, 
musée  de  Francfort  :  Reinach.  id..  p.  290. 

2.  Mâle,  I^iirt  religieux  du  XIH'  s.  en  France.  2"  éd.,  p.  il  1. 


LA    VIERGE    DE    MISÉRICORUH    ET    LES    PESTES  143 

Notre-Dame  de  Fourvières,  le  tableau  votif  exécuté  par  Orsel 
représenta  la  Vierge  couvrant  de  son  manteau  la  ville  de 
Lyon,  personnifiée  par  une  femme  agenouillée. 

Il  est  aisé  d'en  faire  la  preuve  pour  les  bannières  oml^riennes 
au  type  de  la  Vierge  de  Miséricorde  :  la  plupart  auraient  pu 
s'appeler,  comme  celle  d'Assise  que  nous  avons  décrite  plus 
haut  ',  des  «  bannières  de  la  peste  ».  «  Dans  les  grandes 
calamités  publiques,  dit  Rio  -,  l'art  ombrien  fait  briller, 
comme  un  phare  dans  la  tempête,  l'image  consolatrice  sur 
laquelle  doivent  se  fixer  les  yeux  de  ceux  qui  souffrent 
et  qui  espèrent  :  alors  paraît  la  bannière  qui  est  dans  le 
domaine  de  l'art  ce  que  l'hymne  est  dans  le  domaine  de 
la  poésie,  et  qu'on  élevait  entre  le  ciel  et  la  terre  comme  pour 
porter  vers  Dieu  le  magnifique  témoignage  du  repentir 
populaire.  Car  il  ne  s'agit  pas  ici  de  bannières  triomphantes, 
à  la  suite  desquelles  on  entonne  des  hymnes  de  victoire, 
mais  de  bannières  suppliantes  qu'une  foule  pénitente  sui- 
vait en  se  frappant  la  poitrine  et  en  criant  :  Miséricorde  !  A 
chaque  nouvelle  invasion  de  la  peste,  on  élève  ce  signal  de 
détresse,  que  chaque  génération  d'artistes  est  obligée  de 
renouveler,  depuis  Nelli  jusqu'à  Raphaël  ■^.  » 

Toutes  les  peintures  qui  montrent  la  Vierge  protégeant  les 
hommes  contre  les  traits  de  la  colère  divine,  doivent  être  con- 
sidérées comme  des  ex-voto  destinés  à  écarter  la  peste.  De 
même  les  peintures  oîi  saint  Sébastien  figure  parmi  les  inter- 
cesseurs à  la  prière  desquels  la  Vierge  a  étendu  le  manteau 
protecteur  sur  l'humanité  pécheresse  :  tels  sont  le  retable  de 
Gottardo  Scotti,  au  musée  Poldi-Pezzoli(pl.  XXII,  2),  le  poly- 
ptyque de  Pierro  délia  Francesca  peint  pour  la  confrérie  de  la 
Miséricorde  de  Borgo  San  Sepolcro,  les  bannières  de  Montone, 
de  Gorciano,  et  celle  de  S.  Francesco  à  Pérouse  (pi.  XVII). 
Au  musée  de  l'Académie  à  Venise,  un  triptyque    d'André  de 


1.  P.  US!. 

2.  De  lart  chrétien.  2-  éd.,  Paris,  1861,  t.  II,   p.  211. 

3.  Ottaviano  Xelli.  de  Gubbio  ("h  1444  .  Je  ne  connais  pas  de  bannière  de 
Nelli.  Quant  à  Rr.phaël,  la  seule  bannière  qu'on  ait  de  lui  est  celle  quil  pei- 
jrnit,  très  jeune,  vers  1300,  pour  Ic^ilise  S.  Trinità.  à  Città  di  Castello  :  d'un 
côté,  saint  Sébastien  et  saint  Roch  intercédant  auprès  de  la  Trinité  :  de  l'autre 
la  création  d'Eve  (Passavant,  7îao/i<ié(.  t.  II,  p.  7;  Burckhardt.  Le  Cicérone, 
t.  II,  p.  66Sde  la  traduction).  Rumohr  {Forschunffen,  t.  II,  p.  316J  a  soutenu 
que  la  Madone  de  Saint-Sixte  était  une  ancienne  bannière  :  mais  cette  hypo- 
thèse est  repoussée  par  Passavant  (t.  II.  p.   279). 


144  CHAPITRE    IX 

Murano  représente  la  Vierge  au  manteau  auprès  de  laquelle 
sont  quatre  intercesseurs,  deux  saints  Dominicains,  saint 
^  incent  Ferrier  et  saint  Pierre  martyr,  et  deux  saints  «  anti- 
pesteux  »,  saint  Sébastien  et  saint  Roch  :  certainement,  ce 
triptyque,  qui  provient  d'une  ég-lise  Dominicaine,  dut  être 
voué  en  temps  de   peste. 

M.  Schreiber,  aidé  d'un  collectionneur  alsacien,  M.  Paul 
Heitz,  a  publié  naguère,  sous  le  titre  de  Pesfhlàtter,  une 
curieuse  série  d'estampes  populaires  du  xv*^  siècle  et  du 
début  du  XVI'',  qui  ont  servi  en  leur  temps  de  phylactères 
contre  les  épidémies  :  elles  représentent  saint  Antoine,  avec 
sa  clochette  et  son  bâton  terminé  en  forme  de  tau,  saint 
Sébastien,  percé  de  flèches,  saint  Roch  avec  son  chien,  et, 
plus  souvent  encore,  la  Vierge  au  manteau,  protégeant  les 
humains  contre  les  flèches  de  la  colère  divine.  On  pourrait 
composer  un  recueil  analogue  de  Pesttafcl  et  de  Pcsthilder 
avec  les  images  peintes  et  sculptées  de  la  Vierge  miséri- 
cordieuse, qui  furent  vouées  en  temps  de  peste  ou  en  crainte 
de  la  peste. 

Si  les  circonstances  dans  lesquelles  ont  été  vouées  les  effigies 
de  la  Vierge  au  manteau,  étaient  chaque  fois  mieux  connues, 
on  constaterait  probablement  que  le  plus  grand  nombre  de 
ces  représentations  pourraient  être  classées  selon  l'ordre 
chronologique  des  épidémies  qui, Mu  milieu  du  xiv"  siècle 
jusqu'au  milieu  du  xvn'',  dévastèrent  la  chrétienté.  La  docu- 
mentation que  j  ai  réunie  n'est  pas  assez  complète,  tant  s'en 
faut,  pour  me  permettre  de  tenter  une  classification  de  ce 
genre.  Je  me  contenterai  de  vérifier  l'exactitude  de  mon  asser- 
tion par  quelques  exemples  qui  m  ont  paru  particulièrement 
probants. 

Nous  avons  vu,  dans  un  précédent  chapitre,  que  la  fresque 
dont  Spinello  décora,  lors  de  la  peste  de  1383,  l'oratoire  des 
confrères  de  la  Miséricorde  d'Arezzo,  représentait  la  Madone 
abritant  les  Chrétiens  sous  son  manteau. 

On  a  retrouvé  en  1894  au  Castello  Sforzesco  de  Milan,  sous 
la  grande  arcade  qui  donne  accès  de  la  place  d'armes  dans  la 
cour   ducale,    une   grande  fresque  •   qui   avait   dû   être   badi- 


1.  Repvoduilc  dans  II  castello  di  Milano  e  i  suoi  musei  d'arte  Milan,  Mon- 
taboiie,  1902.  1  vol.  4°),  pi.  62;  cf.  BeRvami.  Il  castello  di  Milano  durante  il 
dominio  dei  Visvonti  edeyli  Sforzi   Milan,  INOl).  p.  703. 


LA    VIERGE    DE    MISÉRICORDE    ET    LES    PESTES  145 

geonnée  dès  1480,  sous  la  rég-ence  de  Bone  de  Savoie  i.  Cette 
fresque  représente  la  Vierge  couronnée  et  nimbée  abritant 
sous  son  manteau,  que  soutiennent  deux  ang-es,  une  foule  de 
^ensag:enouillés,  vêtus  de  cottes  mi-parties,  la  tête  nue,  rasée  : 
ce  ne  sont,  semble-t-il,  ni  des  seigneurs  ni  des  soldats 2  :  ils 
ont  l'air  humble  et  le  costume  modeste  des  artisans.  Or  on 
sait  qu'en  1451,  pendant  la  construction  du  Castello,  la  peste 
décima  les  ouvriers  qui  v  travaillaient  3.  Il  est  croyable  que 
la  fresque  retrouvée  en  189i  avait  été  peinte  en  1451  pour 
détourner  le  fléau  des  g-ens  employés  à  la  construction  et  à 
la  garde  du  château. 

Une  autre  fresque  du  quaftrocento,  récemment  débarrassée 
de  son  linceul  de  plâtre,  la  fresque  de  Ghirlandajo  dans  la 
chapelle  des  Vespucci,  à  Ognissanti  de  Florence,  qui  repré- 
sente la  Vierge  de  Miséricorde  abritant  la  famille  Vespucci 
sous  son  ample  manteau,  fut  probablement  peinte  en  1480, 
pendant  une  peste  :  la  contagion  emporta  le  donateur,  Bar- 
tolomeo  di  Ser  Vespucci. 

Deux  vitraux  d'une  église  près  de  Cortone,  attribués  au 
verrier  français  Guillaume  de  Marcillat,  représentent  l'un 
saint  Sébastien,  l'autre  la  Mater  omnium  :  il  est  croyable  que 
ces  deux  verrières  ont  été  vouées  en  temps  de  23este. 

La  célèbre  Vierge  de  la  Miséricorde  par  fra  Bartolommeo, 
aujourd'hui  à  la  Pinacothèque  de  Lucques,  a  été  mise  en 
rapport  non  sans  vraisemblance  avec  la  peste  de  1512. 

A  Waltlingen,  près  de  Stammheim  (Suisse)  est  une  chapelle 
rurale  du  xv''  siècle,  qui  a  conservé  presque  entièrement  ses 
fresques  anciennes.  La  chapelle  est  consacrée  à  saint  Antoine 
abbé.  On  venait  y  demander  d'être  préservé  du  mal  des  ardents 
et  en  général  de  toutes  les  contagions.  Les  fresques  repré- 
sentent la  légende  de  saint  Antoine  et  saint  Antoine  guéris- 
sant les  ardents  ;  saint  Sébastien  criblé  de  flèches  et  sa  décol- 
lation ;  enfin,  la  Vierge  de  Miséricorde,  abritant  sous  son 
manteau  doublé  d'hermine  les  gens  de  l'endroit,  les  hommes 
à  droite,  les  femmes  à  gauche. 


1.  Peltrami,  op.  laiid.,   p.    115. 

2  Diego  Sant'Ambroyio,  La  colonna  volita  di  Cnnllt  extrait  de  la  revue 
milanaise  /«  Polttecnico,  1906),  p.  7,  reconnaît  le  xhune  délia  corle  sforzesca  in 
ricchiahbujhamenti  da  un  lato  di  Maria  e  i  rispettivi  cavalieri  dairallro  con 
quel  hizarro  costume  dei  dignatari  ducali. 

■i.  Beltrami,  op.  cit.,  p.  "8-82.  97. 


Perdrizeï.  —  La  Vierge  de  Miséricorde. 


10 


146  CHAPITRE    IX 

Un  tableau  du  Musée  lorrain  pi.  XX  jreprésente  François 
II  de  Lorraine  et  sa  famille  sous  la  protection  de  N.-D.  de 
Bonsecours.  Je  crois  qu'il  fut  peint  comme  ex-voto  pendant  la 
peste  qui,  en  1630  et  1631,  décima  Nancy  et  la  Lorraine.  La 
contagion  éclata  à  Nancy  dans  la  Ville-vieille  dès  le  mois  de 
mars  1630  :  elle  disparut  à  la  fin  de  novembre,  pour  reparaître, 
beaucoup  plus  violente,  vers  le  mois  de  mars  1631  ;  la  morta- 
lité fut  très  crrande  ;  la  paroisse  Saint-Sébastien,  qui  compre- 
nait la  Ville-neuve  entière  et  n'avait  eu    que    317  morts    en 

1630,  en   compta  703  l'an    d'après  K    C'est   alors,  le  la  juin 

1631,  au  moment  où  la  peste  faisait  le  plus  de  victimes,  que 
la  ville  de  Nancy,  se  rappelant  l'humble  chapelle  et  la  Vierge 
de  René  II,  se  met  par  un  vœu  solennel  sous  la  protection  de 
N.-D.  de  Bon-Secours"'.  Ce  vœu  fut  gravé  sur  une  table  de 
marbre,  autour  de  laquelle  furent  placées  les  statues  des  trois 
saints'^  :  saint  Sébastien,  saint  Roch,  saint  Charles  Borromée 
(lo38-lo8i-;  canonisé  en  1610);  je  ne  sais  si  l'on  a  expliqué 
pourquoi  ceux-là  et  non  d'autres  :  c'est  que  tous  trois  avaient 
pour  spécialité  de  préserver  de  la  peste*. 

En  1631,  Nancy  eut  quelque  temps  pour  gouverneur  le  duc 
François  II,  en  l'absence  du  duc  régnant.  Charles  IV,  fds  du 
précédente  François  devait  du  reste  mourir  l'an  d'après.  La 
tradition,  recueillie  par  feu  M.  Boulanger  et  par  M.  Wiener, 
qui  attribue  à  François  II  la  commande  du  tableau  votif  du 
Musée  lorrain,  n'a  donc  en  soi  rien  d'inadmissible,  et  elle  ne 
me  paraît  contredite  ni  par  les  figures,  ni  par  les  costumes 
du  tableau.  François  aura  fait  comme  Nancy  :  pour  échapper 
à  l'épidémie,  il  se  sera  placé,  avec  les  siens,  sous  le  manteau 
de  N.-D.  de  Bon-Secours.  La  tradition  reconnaît  à  la  droite  de 

1.  DigoV,  Hisf.de  Lorr:iine.  t.  V,  p.  172-179  :  Lepage,  De  Za  Jepopu/afio»  de 
la  Lorraine  au  XVII'  s/èc/e,  clans  \  Annuaire  de  la  Meurthe,  1850;  Beaupré, 
Recherchea  sur  l'imprimerie  en  Lorraine,  t.  I,  p.  398ct  416. 

2.  Plisler.  Histoire  de  .V.inc.y,  t.  I,  p.  577.  Ces  statues,  œuvres  du  sculpteur 
Siméon  Drouin,  ne  furent  exécutées  quen  1615. 

3.  On  pourrait  aisément  énumérernombre  de  »  vœux»  analogues.  En  1720. 
pendant  la  peste  de  Marseille,  le  village  de  Fourrières  en  Provence  se  met  par 
un  vœu  sous  la  protection  de  la  Vierge  André.  Notre-Dame  de  Miséricorde, 
notice  sur  la  statue  vénérée  sous  ce  titre  dans  la  paroissede  Fourrières  et  sur 
la  dévotion  qui  s'y  rattache,  Marseille.  1S57  .  Nous  avons  rappelé  plus  haut  le 
vœu  de  Lyon  à  N.-D.  de  Fourvières  lors  du  choléra  de  1831.  Cf.  infra.  p.  148, 
pour  le  vœu  delîloisà  N.-D.  -des  Aides  pendant  la  peste  de   1631. 

4.  Poiu-  saint  Charles  Borromée  comme  intercesseur  en  cas  de  peste,  cf. 
Cahier,  Caractéristiques,  t.  II,  p.  537  . 

5.  Digot.  op.  cit.,  t.  \'.  p.  177. 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


PI.  XX 


NOTRE-DA.ME    DE    BONSECOURS    PKOTEGEANT    LA    MAISON    DE    LORRAINE 

(Tableau  du  Musée  historique  lorrain) 


LA    VIERGE    DE    MISÉHICOUDE    ET    LES    PESTES  147 

la  Vierg-e  le  duc  François,  puis  ses  fils,  au  premier  plan 
Charles  IV,  au  second  Nicolas-François  ;  à  la  gauche,  deux 
dames  en  robe  de  cour  et  deux  religieuses  :  la  femme  du  duc 
François,  Christine  de  Salm  n  étant  plus  en  vie  à  cette  date, 
les  deux  dames  seraient  les  deux  fdles  de  François  II.  Hen- 
riette, femme  de  Lorraine,  prince  de  Phalsbourg-,  et  Marguerite, 
qui,  le  3  janvier  1632',  devait  épouser  Gaston  d'Orléans; 
l'une  des  religieuses  doit  être  l'abbesse  de  Remiremont, 
Catherine,  la  sœur  de  François  II  ;  l'autre  est,  je  crois,  la 
veuve  du  duc  Henri  II,  Marguerite  de  Gonzague,  qui  mourut 
le  7  février  1632,  et  qui,  le  29  juin  1629,  avait  pris  l'habit  du 
Tiers-ordre  de  saint  Dominique '. 

On  objectera  peut-être  que  François  II  avait  59  ans  en 
1631,  et  que,  sur  le  tableau  du  Musée  lorrain,  le  premier  per- 
sonnage à  la  droite  delà  Vierge  n"a  pas  l'air  d'avoir  cet  àge- 
là  ;  il  semble  le  frère,  non  le  père,  des  deux  autres.  Il  est  vrai  ; 
et  même,  on  doit  dire  plus  :  les  trois  princes  ont  non  seule- 
ment le  même  costume,  mais  exactement  la  même  figure  ;  de 
même  les  deux  princesses  ;  d'où  il  suit  que  l'artiste  n'a  point 
peint  ses  personnages  d'après  nature  ;  il  ne  faut  pas  demander 
à  ce  morceau  de  peinture  officielle  l'exactitude  documentaire 
de  la  peinture  de  portraits.  Celui-ci  se  ressent  fortement  des 
conventions  que  1  influence  de  Van  Dyck  impose  à  cette 
époque  aux  portraitistes  de  l'aristocratie. 

Une  grande  partie  de  l'Europe  fut  éprouvée  par  la  «  grande 
peste  »  de  l62o-163o,  la  plus  meurtrière,  dit-on,  de  toutes  les 
épidémies  qui  ont  ravagé  l'Europe  depuis  celle  de  1348  3. 
Venue,  dit-on,  de  Hongrie,  elle  se  répandit  dans  l'Allemagne 
et  l'Italie  à  la  faveur  des  guerres.  Nancy  ne  dut  pas  être  la 
seule  ville  de  la  Chrétienté  à  se  tourner,  pour  échapper  au 
fléau,  vers  la  Mère  de  Miséricorde.  Une  gravure  d'un  des 
Galle,  qui  représente  la  Vierge  des  Grâces  de  Milan  (le  type 
est  celui  de  nos  Vierges  au  manteau)  rappelle  les  guérisons 
miraculeuses  opérées  par  Marie,  à  Milan,  pendant  la  peste  de 
1630.  La  grande  et  belle  église  de   Santa  Maria  délia  Salute, 


1.  Digot.  op.  cj7.,t.  V.  p.  189. 

2.  Digot.  op.  cit..  t.   V,  p.  201. 

3.  Sur  la  peste  de  1625-1635,  cf.  R.  Reuss.  L'Alsace  au  XVII"  siècle,  t.  II 
p.  121  ;  André,  La  pesle  de  16:29  dans  le  Vivarais  {Bull.  hist.  et  philol.  du 
Comité,  1897)  ;  comte  de  Marsy.  La  peste  à  Coiupièç/ne  (La  P/cardj'e.  juillet  et 
août  1884). 


148  CHAPITRE    IX 

à  Venise,  fut  commencée  en  1631,  comme  ex-voto  de  déli- 
vrance, après  la  grande  peste  de  16301.  Une  délibération  des 
échevins  de  Blois.  en  date  du  6  septembre  1631,  décide  que 
((  chacun  an,  jusques  à  trente  ans,  sera  dite  et  célébrée  une 
grand'messe  en  Tég-lise  de  X.-D.  des  Aydes  et  sera  fait 
prière  à  Dieu  que  par  l'intercession  de  la  bienheureuse  Vierge 
Marie,  luy  plaise  d'apaiser  son  yre  et  faire  cesser  les  maladies 
contagieuses  dont  cette  ville  et  le  pays  sont  affligés  »  -. 


Entre  tant  d'images  de  la  Vierge  miséricordieuse  qui  ont 
rapport  aux  épidémies,  la  plus  curieuse  est  assurément 
celle-ci  ^. 

Le  Mortilogus,  on  n  Discours  sur  la  mort  »,  de  Conrad 
Reitter,  plaquette  imprimée  àAugsbourg  en  lo08,  se  compose 
de  34  feuillets  ornés  de  10  gravures  sur  bois  ^  Le  texte  est 
une  suite  de  poésies  latines  •'  dont  la  plupart  ont  pour  sujet  la 
vieillesse,  les  maladies  et  la  mort  ;  elles  montrent  que  l'auteur 
unissait  à  une  foi  sincère  les  talents  aimables  de  l'humaniste. 
Celle  qiiinous  intéresse  est  une  ode  saphique,  carmen  dicolon 
tetrastrophon  ex  sapphico  endecasyllabo  et  adonio  dimetro, 
adressée  à  Notre-Dame  ut  nos  a  gallico  morho  intactos  prae- 
servet  incolumes.  L'auteur  était  prieur  du  couvent  Cistercien 
de  Kaisersheim.  Cette  ode  du  prieur  Reitter  est  caractéri-stique 
de  l'état  du  clergé  —  en  Allemagne  et  ailleurs  —  à  la  vedle 
de  la  Réformation. 

1.  Deux  tableaux  à  la  Confrérie  de  Saiul-Roch  de  Venise,  l'un  par  Zanchi. 
l'autre  par  Ncfrri,  représentent  les  souffrances  de  Venise  pendant  cette  peste, 
et  sa  délivrance  reproduits  dans  Molmcnti.  La  petnlure  vénitienne,  p.  122  ; 
cf.  Lafenestre-Richtenberfrer,  Venise,  p.  100  . 

2.  R.  Porcher.  Bibliothèque  mariale  blésoise  (Blois,  1004),  p.  51. 

3.  Cf.  Perdrizet.  dans  la  Chronique  médicnle  duD'^  Cabanes,  1906,  p.  49.  Ln 
exemplaire   du  Morlilogus   se  trouve  à  la   Hibliotlièquc  Nationale    Réserve, 

mYc,  281  . 

4.  Ces  \vlof,M-aphies  ne  sont  pas  dénuées  dintérét  pour  1  histoire  de  la  gra- 
vure allemande  :  c'est  à  ce  titre  que  celle  dont  nous  parlons  a  été  reproduite, 
sans  explications  d'ailleurs,  par  Muther,  Die  deutschc  Bûcherdlustndion  der 
Gnthik  und  Friihrenaissance,  pi.  204,  p.  166. 

0.   Le  Bulletin  du  Bibliophile,  1861,  p.  401,  en  a  nonne  1  analyse. 


LA    VIERGE    DE    MISÉRICORDE    ET    LES    PESTES 


1  t9 


Au-dessus  du  titre  de  Tode  est  une  gravure  (fîg.  2)  qui  repré- 
sente la  Mère  de  Miséricorde  abritant  sous  son  manteau,  pour 


Caimen  Dicolon  Tctraftrophon  ex  fapphico  endcca  fillaba 

««doniodimctro  F  Conradi  R  C  ad  clcmcnhirimâ  domina 

nortratn  Mariana  ut  nos  a  galUco  morbo  intactes  prefcïucc 

incolumes 

Aima  fuprcoii  genitrû  tocaotis 


Fk 


les  préserver  delà  contagion,  à  droite  le  Pape  et  le  Cardinal, 
à  gauche  l'Empereur  et  le  Roi  :  à  eux  quatre,  ces  grands  per- 
sonnages représentent  toute  la  chrétienté. 


CHAPITRE  X 
LA   MATER  OMNIUM 


Le  type  de  la  Mater  omn/um  conséquence  de  la  Grande  Peste.  —  Dans 
les  exemples  les  plus  anciens,  les  hommes  sont  à  droite  delà  Vierge, 
les  femmes  à  gauche  ;  au  xv^  s.,  les  clercs  sont  à  droite,  les  laïques  à 
gauche.  —  Les  deux  mondes,  ecclésiastique  et  laïque,  représentés  tou- 
jours par  des  personnages  conventionnels.  —  La  Mater  omnium  du 
musée  du  Puv.  —  La  Vierge  de  Miséricorde  sur  les  monuments  des 
familles. 


Nous  avons  vu  dans  les  chapitres  précédents  qu'au  xif  siècle, 
il  n'y  avait  encore  que  des  moines  et  des  nonnes  sous  le  man- 
teau de  la  Vierge  ;  et  qu'à  partir  du  milieu  du  xiii''  siècle,  on 
y  trouve  des  Confréries  de  pénitence.  A  quelle  époque  le 
thème  s'est-il  élargi  au  point  d'admettre,  sous  le  manteau  delà 
Vierge,  la  chrétienté  entière  ?  A  quelle  date  apparaît  le  type 
iconographique  de  la  Mater  omnium  •  ? 

D'après  ce  que  nous  avons  dit  des  conséquences  religieuses 
de  la  Grande  Peste,  ce  serait  dans  la  deuxième  moitié  du 
xvi"  siècle  que  la  chrétienté  tout  entière  aurait  cherché  un 
refuge  sous  le  manteau  protecteur.  Cette  hypothèse  est  confir- 
mée par  l'étude  chronologique  des  représentations  de  la  Mater 
omnium. 

Le  type  en  question  ne  devait  pas  être  encore  inventé 
quand  fut  peinte  la  fresque  du  Bigallo  où  l'on  a  voulu  voir 
une  image  de  la  Madonna  délia  Misericordia  -,  et  qui  porte  la 
date  mensongère  de  1342.  Le  Bigallo  date  de  1352  3  ;  \^ 
fresque  doit  être  de  la  même  année  ;  il  faut  donc  la  mettre  en 

1.  L'expression  Mater  omnium  a  été  empruntée  par  l'archéologie  aux  mys- 
tiquesdu  moyen  âge  :  Albert  le  Grand  dans  ses  Quaesliones  super  missus. 
§  145,  se  demande  s'il  convient  d'appeler  la  Merge  Mater  omnium. 

2.  Alinari,  n"  4776.  Elle  se  trouve  dans  l'ancienne  salle  du  Commissaire 
de  la  Confrérie  du  Bigallo.  Cf.  Poggi-Supino-Ricci.  //  Bigallo  iFlorence 
1903^,  p.  21. 

3.  Il  Bigallo.  p.  S  :  cf.  Alinari.  Eglises  et  couvents  de  Florence,  p.  87. 


LA    MATKR    O.V.V/r.V  151 

rapport  avec  la  Grande  Peste  qui  venait  de  ravager  terrible- 
ment Florence.  La  figure  principale  est  coiffée  d'une  tiare  papale 
k  diadème  unique  ',  l'art  est  celui  des  Giottesques  du  milieu 
du  freccnto^  Giottino,  Orcagna. 

Que  représente  cette  fresque,  au  juste?  On  a  voulu  y  voir 
une  image  de  la  Vierge  de  Miséricorde  :  à  lort,  car  l'artiste  a 
écrit  le  nom  même  de  la  figure  principale  sur  le  diadème  dont 
il  l'a  coiffée  :  Misericordia  Doniini;  et  il  lui  a  mis  sur  la  poi- 
trine cette  inscription  qui  explique  l'autre  :  Misericordiae  Dei 
plena  est  ferra  (Ps.  XXXII,  o).  Les  Florentins  qui  avaient 
survécu  à  l'épidémie,  remerciaient  la  Miséricorde  divine  qui 
les  avait  épargnés.  Pour  traduire  aux  yeux  la  métaphore 
biblique,  le  peintre  a  imaginé  de  représenter,  au-dessus  de  la 
civitas  Florentiae  -,  une  femme  immense,  dont  la  robe,  éva- 
sée en  cloche,  couvre  la  ville  ;  à  ses  pieds,  hors  des  remparts, 
sont  agenouillés,  à    droite  les  hommes,  à  gauche  les  femmes. 

G'est  déjà  la  même  idée  que  celle  qui  inspirera  les  ban- 
nières de  Bonfigli,  les  tableaux  de  Mariotto  et  de  Pecori,  et  en 
France  le  Couronnement  d'Enguerrand  Gharton  ^  :  la  Vierge 
gigantesque,  sa  tête  touchant  au  ciel,  sa  robe  descendant  jus- 
qu'à la  terre,  abrite  toute  une  cité  sous  son  vaste  manteau. 
C'est  la  même  idée,  avec  cette  différence  que  la  fresque  de 
Bigallo  ne  représente  pas  la  Vierge  de  Miséricorde,  mais  une 
abstraction,  la  Miséricorde  de  Dieu.  Autrement  dit,  je  crois 
que  lorsque  cette  fresque  fut  peinte,  le  type  de  la  Mater 
omnium  n'était  pas  encore  inventé,  ou  du  moins  qu  il  n'était 
pas  encore  répandu. 

Le  plus  ancien  exemple  de  Mater  omnium  qui  me  soit 
connu  est  un  retable  ruiné,  du  peintre  siennois  Bartolo  di 
Fredi  (1330-1410),  conservé  à  Pienza,  en  Toscane.  Dans  ce 
tableau,  le  manteau  de  la  Vierge  est  soutenu,  comme  dans  le 
tableau  du  Puy  dont  nous  parlerons  tantôt,  par  deux  grandes 
Saintes  ;  à  droite  sont  agenouillés  les  hommes,  à  gauche  les 
femmes;  parmi  les  femmes,  plusieurs  religieuses  ;  au  premier 
rang  des    hommes,  le  Pape  et  le  Gardinal  ;  derrière    ceux-ci, 


1.  Sur  les  variations  de  la  tiare  pontificale,  voir  le  travail  de  Miintz,  dans  les 
Mém.  de  lAcad.  des  inscr.,   t.  XXX\'I,  1,  p.  278. 

2.  La  partie  inférieure  de  la  fresque,  où  se  trouve  la  vue  de  Florence,  a  été 
reproduite  dans  un  article  de  Raymond  sur  le  dôme  de  Florence  (.4 rie,  1905, 
p.  177j. 

3.  Bouchot,  La  peintureen  France  sous  les  Valois,  pi.  91. 


io2  CHAPITRE    X 

le  Roi  etrÉvêque.  Ce  tableau  semble  plutôt  du  milieu  que  de 
la  Un  du  xiv''  siècle,  car  le  Pape  y  porte  encore  la  tiare  à  lan- 
tique,  telle  qu  elle  est  fig-urée  par  Giotto  et  par  Orcag"na  :  c'est 
une  haute  mitre  conique,  avant  à  la  base  un  diadème  à 
pointes. 


On  remarquera  que  sur  le  retable  de  Pienza,  les  priants 
sont  répartis  d'après  le  sexe  :  k  la  droite  de  la  Vierge  sont 
ag-enouillés  les  hommes,  clercs  ou  laïques  ;  à  la  gauche,  les 
femmes,  séculières  ou  nonnains.  La  répartition  des  priants 
est  encore  la  même  que  dans  les  représentations  plus  anciennes, 
qui  montrent  sous  le  manteau  protecteur  un  Ordre  religieux 
ou  une  Confrérie.  Le  type  de  la  Mater  omnium,  tel  que  l'ont 
connu  le  xv*"  et  le  xvi**  siècles,  n'est  pas  encore  tout  à  fait 
constitué.  La  répartition  des  priants  suivant  le  sexe  caracté- 
rise les  images  anciennes  ou  archaïsantes  de  la  Mater  omnium; 
par  exemple  les  statues  de  Fribourg-en-Brisgau  '  pi.  XXVI), 
le  tableau  siennois  de  Cherbourg  pi.  III,  2),  le  retable  de 
Parri  Spinello  dans  l'église  Sainte-Marie-des-Grâces,  le 
retable  de  Neri  di  Bicci,  à  Arezzo    pi.   XXII,  1). 

La  répartition  des  priants  en  deux  groupes  représentant, 
l'un  le  monde  ecclésiastique,  l'autre  le  monde  laïque,  n'ap- 
paraît qu'au  xv*^  siècle.  Le  plus  ancien  exemple  que  j  en  con- 
naisse est  une  peinture  française,  de  1420  environ,  au  musée 
duPuy  (pi.  XXI,  1). 

Dans  les  représentations  de  la  Mater  omnium  où  les  clercs 
et  les  laïques  forment  deux  groupes  distincts,  les  clercs  ont, 
naturellement,  le  pas  sur  les  laïques.  Cependant,  l'ordre 
inverse  se  rencontre  quelquefois.  Dans  les  gravures,  par 
exemple  dans  la  xylographie  des  éditions  incunables  du  Spé- 
culum humanae  salvationis  parues  à  Bàle,  chez  Richel,  et  à 
Lyon  chez  Mathias  Huss  (pi.  XV,  4)',  il  s'explique  par 
l'inadvertance  de  l'artiste,  qui  aura  gravé  dans  le  bois  ou  le 
cuivre  l'image  de  la  Mater  omnium  sans  prendre  garde  qu'au 
tirage  la  position   des  deux    groupes  serait  inversée.   Sur  un 

1.  Un  autre  exemple  est  la  gravure  milanaise  de  1G30,  qui  reproduit  limaire 
niii'aculeusc  de  N.D.  des  Grâces. 


LA    MATER    OMXIUM  153 

tableau  du  début  du  xvi^  siècle,  aujourd'hui  à  Klosterneu- 
bourg-  (pi.  XXVIIl,  2),  les  ecclésiastiques  sont  à  gauche, 
les  laïques  à  droite  :  anomalie  à  première  vue  d'autant  plus 
surprenante  que  ce  tableau  fut  peint  pour  des  religieux 
Carmes  :  on  les  y  voit,  reconnaissables  à  leurs  vêtements 
blancs,  sous  le  manteau  de  la  Vierge,  derrière  le  Pape,  le 
Cardinal  et  l'Evêque.  Faut-il  croire  que  les  Carmes,  par 
modestie,  ont  voulu  être  représentés  au  dernier  rang  des 
protégés  de  Marie?  Ce  serait  bien  invraisemblable  de  la  part 
d'un  Ordre  qui  est  voué  au  culte  de  la  Vierge  et  qui  s'inti- 
tule Orclo  beatissimae  Virginis  Alariae,  Ordo  fratrum  heatae 
Mariae  semper  Virginis,  Divae  Mariae  sociefas.  L'anomalie 
s'explique  très  simplement,  par  une  raison  technique.  La 
Vierge  est  entourée  des  anges  gardiens,  qui  l'implorent  en 
faveur  des  hommes.  La  prière  des  anges,  la  réponse  de  la 
Vierge  sont  écrites  chacune  sur  une  grande  banderole.  Ces 
deux  banderoles  se  déroulent  dans  le  champ,  l'une  à  droite, 
l'autre  à  gauche.  Nécessairement,  la  demande  des  anges  devait 
être  écrite  sur  la  banderole  de  gauche,  la  réponse  de  la  Vierge 
sur  la  banderole  de  droite  ;  et  la  Vierge  devait  tourner  la  tête 
vers  la  banderole  qui  porte  les  paroles  qu'elle  est  censée  pro- 
noncer :  elle  tourne  donc  la  tête  vers  la  droite  des  spectateurs, 
c'est-à-dire  vers  les  priants  agenouillés  à  sa  propre  gauche  :  ce 
sont  ceux-là  qui  semblent  l'intéresser  le  plus  :  voilà  pourquoi, 
par  exception,  le  Pape,  le  Cardinal,  l'Evêque  et  les  Carmes  ont 
passé  à  gauche  ;  sur  le  tableau  dont  il  s'agit  comme  sur  les 
représentations  de  la  Mater  omnium  où  les  ecclésiastiques 
sont  à  la  droite  de  la  Vierge,  c'est  toujours  vers  les  clercs  que 
regarde  la  Vierge,  c'est  à  l'Eglise  qu'elle  s'intéresse  d'abord. 

Dans  les  monuments  qui  montrent,  agenouillés  sous  le 
manteau  protecteur,  d'un  côté  le  monde  ecclésiastique,  de 
l'autre  le  monde  laïque,  le  nombre  des  priants  qui  représente 
chacun  de  ces  deux  mondes  est  pareil  de  part  et  d'autre.  Sur 
certaines  peintures,  la  Mater  omnium  abrite  une  véritable  foule  ; 
sur  la  gravure  du  Mortilogus,  elle  n'a  sous  son  manteau  que 
quatre  personnages. 

Quel  que  soit  le  nombre  des  priants,  chacun  des  deux 
mondes  est  représenté  par  ses  personnages  caractéristiques. 
En  tète,  de  part  et  d'autre. 

Ces  deux  moitiés  de  Dieu,  le  Pape  et  l'Empereur. 


loi 


CHAPITRE   X 


Derrière  le  Pape,  le  Cardinal,  l'Evêque,  les  moines  et  les 
moniales.  Derrière  l'Empereur,  le  Roi,  la  Reine,  les  seig-neurs 
et  les  dames,  les  hommes  du  commun  et  leurs  femmes.  La 
gravure  du  Mortilogus  montre  à  droite  de  la  Vierg-e  le  Pape 
et  le  Cardinal,  à  gauche  l'Empereur  et  le  Roi. 

On  s'est  parfois  trompé  sur  la  signification  des  Mater 
omnium  qui  n'abritent  sous  leur  manteau  que  quelques  per- 
sonnages caractéristiques.  A  propos  de  la  Vierge  d'Acey, 
qui  abrite  à  droite  le  Pape  et  le  Cardinal,  l'Evêque  et  l'Abbé, 
à  gauche  l'Empereur  et  le  Roi,  le  Seigneur  et  le  Juge,  feu 
Gauthier,  archiviste  du  Doubs,  écrivait  naguère  que  'c'était 
l'image  ((  si  populaire  au  mo\'en  âge,  de  la  Vierge  protégeant 
les  hautes  classes  de  la  société  »  '.  Cette  explication  me 
paraît  bien  curieuse.  La  religion  catholique  s'est,  depuis  la 
Révolution,  tellement  solidarisée  avec  les  ((  hautes  classes  », 
qu'un  érudit  a  pu  s'imaginer  qu'il  en  allait  de  même  au 
moyen  âge.  Mais  vraiment,  c'est  faire  tort  à  la  religion  du 
moyen  âge  que  de  la  confondre  avec  le  catholicisme  contem- 
porain. 


Quels  sont  les  personnages  agenouillés  sous  le  manteau  de 
la  Vierge?  Est-ce  tel  pape,  tel  roi,  tel  empereur?  Les  artistes, 
qui  ont  peint  ou  sculptédes  Mater  omnium,  ont-ils  eu  l'intention 
de  faire  des  portraits  ?  On  s'est  souvent  mépris  sur  leurs  inten- 
tions. Bouchot  a  écrit,  à  propos  de  la.  Mater  omnium,  du  Puy  : 
«  L'empereur  paraît  être  Charles  IV,  le  roi  est  probablement 
Charles  VI,  la  reine,  Isabeau  de  Bavière  2.  »  D'après  Mantz, 
le  roi  figuré  sur  le  tableau  du  Puy  serait  Charles  VIII,  à  en 
juger  <(  par  le  costume  et  la  physionomie  •'  ».  D'après  M.  Rei- 
nach,  on  verrait  sur  la  peinture  du  Puj'  «  l'Empereur,  le  roi  de 
France,  le  duc  de  Berry,  le  duc  d'Anjou  et  le  duc  d'Orléans  ^  ». 
Dans  le  pape  de  la  Mater  omnium  d'Atella,  on  a  voulu  recon- 
naître Urbain  VI  '^,  et  sous  le  manteau  de  la  Vierge  du 
Rosaire,    à   Saint- André   de    Cologne,  on    a    prétendu  voir   à 

1.  Mémoires  de  l'Académie  de  /Jes.inçon,  1S93,  i).2Sl. 

2.  Ciilalojjue  de  l'exposition  des  Primilifs  fraisais,  n"  12. 

3.  Le  Temps,  n°  du  l"'  février  18X5. 
'i.  Rép.  de  peintures,  II,  p.  535. 

5.  Stanislas  d'Aloe,  La  Madona   d'Atella  nello  scisma  d'Italia,  Naples,  1853. 
Voir  la  réfutation  de  M.  Bertaux  dans  Napoli  nohilissima,  189",  p.  IS. 


LA     VATRR    OMXIUM  155 

droite.  Sixte  IV,  le  cardinal-léo^at  Alexandre,  et  le  prince- 
archevêque  de  Colog-ne  ;  à  gauche,  l'empereur  Frédéric  III  de 
Habsbouro^,  sa  femme  Kléonore,  son  fils  Maximilien  ' .  Ces  inter- 
prétations malheureuses  procèdent  dune  faute  de  méthode,  à 
laquelle  s'applique  l'aphorisme  émis  par  Gerhard,  à  propos  des 
vases  grecs  à  peintures  :  monumentorum artis  qui  uniiin  vidit, 
nulliim  vidit  ;  qui  milia  vidit^  ununi  vidif  -.  Si  l'on  a  voulu 
trouver  des  portraits  dans  les  priants  mitres  et  couronnés 
de  telle  ou  telle  Mater  omnium,  c'est  parce  qu'on  ne  connais- 
sait pas  suffisamment  les  autres  monuments  de  la  série. 
Il  serait  heureux,  sans  doute,  que  ces  priants  fussent  des 
portraits  :  car,  étant  donné  le  nombre  des  Mater  omnium, 
elles  fourniraient  des  documents  abondants  à  l'iconographie 
médiévale,  qui,  comme  on  sait,  n'est  pas  bien  riche.  En  réa- 
lité, le  pape  et  l'empereur,  le  roi  et  la  reine,  le  cardinal  et 
l'évéque  des  Mater  omnium  sont  des  figures  stéréotypées, 
imagines  necessariœ  et  dehitœ  '^  comme  le  pape  et  l'empereur, 
le  roi  et  la  reine  et  les  autres  personnages  de  la  Danse 
macabre.  L'empereur,  par  exemple,  avec  sa  grande  barbe 
«  florie  »  qu'il  doit  aux  chansons  de  geste  et  qu  il  a  encore 
dans  les  Mater  omnium  du  xvn*"  siècle,  n'est  pas  plus  un  por- 
trait que  le  Charlemagne  du  retable  du  Palais  de  justice  ^. 
Une  erreur  analogue  à  celle  qu'on  a  souvent  faite  au  sujet 
des  priants  de  la  Mater  omnium  consiste  à  regarder  comme 
des  portraits  de  personnages  historiques  le  pape  et  le  cardinal, 
l'empereur  et  le  roi,  qui,  dans  la  fresque  dite  de  l'église  mili- 
tante, à  la  Chapelle  des  Espagnols,  trônent  le  long  d'une 
cathédrale  qui  symbolise  1  Eglise  catholique  ^', 


Il  subsiste  beaucoup  d'effigies   de  la  Mater  omnium  :  elles 
diffèrent  les  unes  des  autres,  quant  au  nombre   des  priants; 

1.  Zeitschrift  fur  chrislUche  Kiinst,  III  1S90',  p.  18:  Aldenhoven,  Ges- 
chichte  der  Kôlner  Malerei,  p.  296. 

2.  Rapporta  Volcente.  dans  les  Annali  deU'Institulo.  1831.  p.   111. 

3.  Commande  dune  Mater  omnium  à  Pierre  de  la  Barre,  peintre  avignon- 
nais,  datée  de  11  il  :  i/mago  \.-D.  de  Consolacionis  cum  suis  parvis  fic/uris  et 
ymaginihus  necessariis  et   dehitis. 

4.  Bouchot.  La  peinture  en  France  sous  les  Valois,  pi.  58. 

3.  Perdrizet.  La  peinture  reliffieuseen  Italie  jusqu'à  la  fin  du  XIV' s.  Nancy, 
1905),  p.  51. 


io6 


CHAPITRE   X 


mais  ces  différences  n'ont  aucun  intérêt.  Au  contraire,  il 
existe  une  Mater  omnium  qui,  par  la  façon  dont  sont  rangés 
les  représentants  du  monde  ecclésiastique,  mérite  une  atten- 
tion particulière  :  c'est  la  peinture  française  archaïque  du 
musée  du  Pur.  On  nous  permettra  de  nous  arrêter  un 
instant  devant  cette  composition    singulière. 

Les  chefs  de  l'Eglise,  le  pape,  le  cardinal,  l'évêque,  y 
occupent,  selon  l'usage,  les  premières  places  à  la  droite  de  la 
Vierge.  Derrière  eux  sont  les  Ordres  monastiques,  repré- 
sentés chacun  par  un  délégué.  A  Florence,  dans  la  salle  capi- 
tulaire  des  Dominicains,  la  fresque  dite  de  l'Eglise  Militante 
montre  une  assemblée  analogue  ;  mais  il  s'en  faut  qu'elle  soit 
ordonnée  avec  la  même  rigueur  que  celle  du  Puy,  où  les 
représentants  des  familles  monastiques  sont  placés  stricte- 
ment suivant  la  hiérarchie  et  la  chronologie. 

Que  fait  au  premier  rang  ce  religieux  qu'à  sa  robe  brune,  à 
sa  longue  barbe,  à  sa  chevelure  hirsute  on  reconnaît  pour  un 
ermite?  Et  derrière  lui  ce  chanoine,  coiffé  d'une  aumusse  si 
haute  ^,  qu'on  la  peut  soupçonner  du  péché  d'orgueil  ?  Ils 
représentent  les  deux  Ordres  rivaux  '",  fils  de  saint  Augustin, 

1.  M.  l'abbé  Mercier,  du  Puy,  ma  fait  savoir  qu'on  retrouve  cette  grande 
aumusse  dans  un  autre  monument  conservé  au  Puy  et  dontil  a  bien  voulu  me 
faire  tenir  la  photographie,  le  tombeau  d'un  chanoine  anonyme,  sous  le  clocher 
de  la  cathédrale.  Ce  tombeau  paraît  du  .\iv«  siècle.  Une  tradition  erronée  en 
fait  le  tombeau  d'une  duchesse  de  (niise.  Le  chanoine  est  figuré  deux  fois, 
gisant  sur  le  couvercle,  et,  sur  la  face  verticale,  agenouillé  devant  la  \'ierge. 
Dans  l'une  et  l'autre  repi-ésentation,  il  est  coillé  d'une  très  grande  aumusse. 
Vital  Bernard,  qui  fut  chanoine  de  la  cathédrale  du  Puy,  parle  à  plusieurs 
reprises  dans  son  livre  Le  c/ia;iome,  ou  traité  du  nom,  dignité,  office...  d'un 
chanoine  {}.e  Puy.  1617;  Bibl.Nat.  K  i373),  des  grandes  aumusses  dontlcscha- 
noines  du  Puy  avaient  le  privilège  (p.  80.  631,  636,  680).  Cf.  laumusse  du  cha- 
noine napolitain  (■fl36S)  dont  la  pierre  tombale  est  figurée  dans  Bonnard, 
Costume.i,  I,  ])1.  83.  Ces  grandes  aumusses  expli(jucnt  l'étymologie  fantaisiste 
rapportée  par  Ilélyol  {Hist.  des  Ordres  monastiques.  Paris,  1714,  t.  II,  p.  23)  : 
aumusse  =  hautement  mise. 

2.  «  Il  y  a  ti'op  long  lems  que  le  différent  des  Chanoines  réguliers  et  des 
Ermites  de  Saint-Aiigustin  touchant  le  droit  d'aînesse  dure,  pour  estre  si  tost 
terminé.  .lean  XXII,  pour  les  mettre  d'accord,  leur  donna  en  commun  l'Eglise 
de  Saint-Pierre-au-Ciel-d'Or  de  Pavie,  où  repose  le  corps  de  leur  Père,  et  on 
leur  assigna  à  chacun  un  costé  pour  en  estre  le  maistre.  Mais  au  lieu  que  cela 
auroit  deu  conserver  l'union  et  la  charité  entr'eux,  cela  ne  servit  au  contraire 
qu'à  augmenter  leurs  divisions  par  rapport  aux  offrandes  et  aux  donations  des 
Fidelles,  de  sorte  que  l'on  fut  contraint  depuis  ce  tems  là  de  leui-  donner  à 
desservir  ceste  église  à  l'alternative  pendant  un  mois,  ce  (jui  a  esté  observé 
pendant  un  long  tems  sans  que  les  divisions  aient  cessé»  (Hélyot,  I,  p.  xviii). 
Les  Chanoines  réguliers  prétendaient  avoir  été  fondés  par  les  apôtres  (/d., 
t.  II,  p.  11).  On  trouvera  de  curieuses  indications  sur  ces  polémiques  dans  ime 
note  de  Paquot  sur  Molanus,  De  Ifist.  SS.  imayinum,  p.  3  53. 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


PL  XXI 


D'aprèa  Buurhot 


2.  Retable  de  la  famille  Cadard,  musée  Condé 


JXaprés  Bouvhot 


1.   Tableau  du  musée  du  Puy 


LA    MATER    OMMCM  157 

l'Ordre  des  Ermites  et  l'Ordre  des  Chanoines  rég^uliers  ;  ils 
sont  placés  les  premiers,  parce  que  la  règle  de  l'évèque 
d'Hippone  '  est  la  plus  ancienne   des  règ-les  monastiques. 

La  seconde,  par  ordre  chronolog-ique,  est  celle  de  saint 
Benoît,  au  vu''  siècle  ;  c'est  pourquoi,  sur  le  tableau  du  Puy, 
derrière  le  Chanoine,  est  un  moine  noir-vêtu,  a  hlakfriar^  un 
Bénédictin. 

Le  XI''  siècle  vit  se  produire  dans  le  monde  monastique 
trois  g-randes  réformes:  celle  de  saint  Romuald,  qui,  en  1012, 
fonda  les  Camaldules,  celle  de  saint  Bruno,  qui,  en  1086, 
fonda  les  Chartreux,  celle  de  saint  Robert,  qui,  en  1098,  fonda 
les  Cisterciens.  Les  trois  Ordres  sont  vêtus  de  blanc,  couleur 
virginale,  chère  à  Marie.  Notre  peintre,  derrière  le  Bénédictin, 
a  donc  placé  trois  moines  blancs,  un  Camaldule,  un  Chartreux, 
un  Cistercien.  Devant  eux,  au  premier  plan,  un  moine  en 
robe  noire  et  manteau  blanc,  représente  Prémontré,  fondé  en 
1119  par  saint  Norbert. 

Plus  tardifs  sont  les  deux  ordres  institués  par  saint  Fran- 
çois et  saint  Dominique.  Ils  figurent  à  leur  place  chronolo- 
gique, le  frère  Mineur  dans  sa  robe  de  bure,  le  frère  Prêcheur 
dans  son  manteau  noir. 

Ils  ne  sont  pas  tout  à  fait  les  derniers.  Une  moniale,  hum- 
blement, est  agenouillée  à  la  dernière  place.  A  elle  seule,  elle 
représente  tous  les  Ordres  de  femmes.  L'Eglise  catholique  n"a 
jamais  donné  dans  le  féminisme.  De  même,  dans  la  chapelle 
des  Espagnols,  les  dernières  places,  à  l'extrême  gauche,  ont 
été  dévolues  aux  religieuses,  qui  ne  sont  que  quatre,  tandis 
que  les  religieux  sont  très  nombi'eux. 

Quant  au  personnage  coilTé  de  blanc  et  encapuchonné  d'écar- 
late,  au-dessus  du  Franciscain,  c'est,  je  crois,  un  prêtre  sécu- 
lier, docteur  ou  maître  es  arts.  Je  le  retrouve  dans  la 
fresque  de  l'Eglise  militante  à  la  chapelle  des  Espagnols,  où 
il  tient  un  gros  livre  (rangée  supérieure,  dernière  ligure,  à 
gauche).  Dans  une  miniature  ^,  un  docteur  qui  dispute  avec 
sainte  Catherine  porte  le  même  costume. 

On  trouvera  peut-être  cette  composition  naïve,    mais,  dans 

1.  Sur  la  règle  attribuée  à  saint  Augustin,  cf.  en  dernier  lieu  mon  commen- 
taire d'un  tableau  italien  du  xiv"  siècle,  au  musée  de  Besançon,  qui  représente 
le  Triomphede  sainl  Aiiguxtin  (Perdrizel  et  René  Jean,  Lu  Galerie  Campana 
el  les  musées  français,  p.  58-60  . 

2.  Bibl.  nat.,  fr.  6*49,  f°  48. 


lo8  CHAPITRE    X 

sa  naïveté  elle  est  claire,  instructive;  elle  répond  bien  au  but 
de  l'art  religieux  du  moyen  âge.  qui  est  l'enseig-nement,  la  caté- 
chèse. Elle  nous  présente,  dans  un  raccourci  énergique,  douze 
siècles  de  christianisme.  Ce  ((  miroir  »  de  l'Eglise  nest  pas 
sans  grandeur.  En  tout  cas,  cette  composition  est  unique,  je 
veux  dire  qu'elle  ne  se  retrouve  dans  aucune  des  autres  repré- 
sentations delà  Mater  omnium  '. 


A  partir  de  la  deuxième  moitié  du  xv*^  siècle,  la  Mère  de 
Miséricorde  est  souvent  représentée  abritant  sous  son  manteau 
les  membres  dune  famille.  Ce  n  est  i)lus  la  Mater  ojyinium, 
c'est  la    protectrice  de  quelques  privilégiés. 

En  France,  au  milieu  du  xv*"  siècle,  cette  variante  semble 
encore  inconnue.  Jean  Cadard  et  sa  femme  sont  fig-urés 
par  Enguerrand  Cbarton  en  adoration  devant  la  Mater 
omnium  :  ils  n'accaparent  point  le  manteau  protecteur,  ils  se 
contentent  de  vénérer  de  loin,  humblement,  la  consolante 
image  (pi,  XXI.  2).  De  même  Guillaume  Le  Boulanger  et  sa 
femme,  sur  le  relief  du  cimetière  de  Saint-Innocent  (pi.  XXIII, 
2).  En  Allemagne,  YEpitaphhild  de  la  famille  PegersdorfFer 
à  Nuremberg,  celui  de  la  famille  Locherer  à  Fribourg,  repré- 
sentent la  Mater  omnium  ;  les  familles  qui  ont  offert  à  la 
Vierge  ces  magnifiques  ex-voto,  n'y  sont  représentées  que  par 
leurs  armoiries.  Dans  les  pays  du  Nord,  la  première  famille 
qui  se  soit  fait  peindre  sous  le  manteau  de  la  Vierge  est  la 
famille  Meyer,  de  Bàle,  peinte  par  Holbein  en  lo2o  ;  à  en 
croire  les  historiens  dHolbein,  le  bourgmestre  Meyer  aurait 
voulu  témoigner  ainsi,  par  opposition  à  la  Réforme  naissante, 
de  sa  vénération  pour  la  Vierge  Marie. 

1.  J"ai  proposé  cette  explication  du  tableau  du  Puy  dans  le  Compte  rendu 
du  LXXr  Congrès  archéologique  de  France  lenu  au  Puy  en  190-i,  et  je  ne  vois 
pas  quelle  ait  été  contestée.  Il  est  M-ai  que  dans  le  deuxième  tome  de  son 
Répertoire  de  peintures  p.  535),  qui  vient  de  paraître,  M.  Reinach  adopte  une 
autre  description  que  la  mienne  :  dans  le  groupe  des  clercs,  il  reconnaît  «  le 
Pape,  des  patriarches,  des  moines  et  un  président  au  Parlement  ».  Je  sup- 
pose que  les  "  patriarches  »  sont  l'ermite  et  le  chanoine  de  Saint-Augustin  : 
la  barbe  de  l'un,  laumusse  de  l'autre  auront  fait  songer  M.  Heinach  au 
clerus  intonsus  de  l'Orient  et  aux  /.aÀ'.u.aj/.!5c.  .l'avais  envoyé  ma  notice  à 
M.  Reinach,  et  il  veut  bien  en  citer  le  titre  dans  la  bibliographie  qu'il  donne 
du  tableau  du  Puy.  S'il   l'a  lue,  je  suis  afflige  qu'elle  ne  lait  pas  convaincu. 


LA    MATER    OM.Xir.V  lo9 

Les  familles  patriciennes  d'Italie  se  sont  fait  représenter 
sous  le  manteau  de  la  Vierg-e  un  peu  plus  tôt.  Par  exemple, 
dès  1480,  les  Vespucci  à  Florence  ;  dès  1473,  une  famille 
vénitienne  dont  je  n'ai  pu  retrouver  le  nom,  à  Santa  Maria 
Formosa.  En  1496,  pour  remercier  la  Madone  d'une  victoire 
qu'il  n'avait  d'ailleurs  pas  ^ag-née,  François  de  Gonzague  se 
fait  représenter  seul  sous  le  manteau  protecteur.  Dès  la  fin  du 
XIV®  siècle,  un  noble  vénitien  avait  eu  la  même  idée.  Me 
trompé-je  en  expliquant  ces  représentations  par  les  sentiments 
d'org-ueil  et  d'individualisme  qui,  comme  l'a  si  bien  montré 
Burckhardt,  sont  l'un  des  caractères  les  plus  accusés  de  la 
Renaissance  italienne  ? 

Pour  ne  pas  multiplier  k  l'excès  les  divisions  de  notre  cata- 
logue, nous  n'avons  consacré  qu'une  rubrique  aux  Mater 
omnium  et  aux  représentations  de  la  Vierge  abritant  sous 
son  manteau  soit  la  population  d'une  ville,  soit  les  membres 
d'une  famille. 


GATA  LOGUE 


Toscane 


1.  Florence.  —  Fresque  clans  le  couvent  des  Bénédictins,  à  S.Martino 
a  Majano,  près  Fiesole.  Baroni  {La  parrocchia  tli  S.  Martino  a  Majano, 
1873,  p.  2o)  en  a  publié  un  dessin  des  plus  médiocres,  dont  M.  Grenier 
m'a  fourni  le  calque.  La  Vierg^e,  sans  la  couronne,  vêtue  en  bénédictine. 
Deux  anges  soulèvent  le  manteau.  A  dr.,  les  hommes;  d'abord  les  clercs, 
le  pape,  les  évêques,  les  moines,  puis  les  laïques.  A  g.,  les  femmes: 
d'abord  des  nonnes,  puis  des  bourgeoises  et  femmes  du  peuple.  Baroni 
rapporte  une  tradition  qui  attribuerait  cette  fresque  à  Spinello  d'Arezzo  : 
entendez  Parri  di  Spinello.  Le  pape  portant,  ce  semble,  la  tiaie  à  cou- 
ronne unique,  je  crois  devoir  dater  cette  fresque  de  la  deuxième  moitié  du 
xiv^  siècle. 

2.  Tableau  de  Fra  Filippo  Lippi,  passé  en  1821  de  la  collection  Solly 
au  musée  de  Berlin  :  c'est  tout  ce  qu'on  sait  de  son  histoire.  Braun, 
19537  ;  Hanfstangl,  ."iOS.  Cf.  Cavalcaselle  et  Crowe,  éd.  Le  Monnier,  V, 
p.  23o  ;  Jameson,  Lecjends  of  the  Madonna,  p.  30  ;  Supino,  Les  deux 
Lippi,  p.  87  de  la  traduction.  La  Vierge,  debout,  sans  la  couronne  et  sans 
l'Enfant,  prie,  les  mains  jointes.  Le  manteau,  extrêmement  large,  est 
tenu  levé  par  deux  anges.  Il  abrite  une  foule  de  gens  à  genoux,  religieux 
de  divers  Ordres,  hommes  et  femmes  du  commun. 

3.  Fresque  deDomenico  del  Ghirlandajo  (1449-1494)  dans  la  chapelle 
Vespucci  à  Oguissanti.  Cette  église,  d'abord  aux  HumiliaU,  passa  en 
lo61  aux  Franciscains.  La  fresque  fut  cachée  sous  un  badigeon  de  plâtre 
en  1016,  quand  la  cha|)elle  des  Vespucci  fut  cédée  aux  Baldovinetti. 
Elle  fut  retrouvée  en  1898.  Pour  les  reproductions,  cf.  l'Illustration, 
n°  du  19  février  1898;  VArte,  1898,  p.  54;  Gaz.  des  Beaux-Arts,  1898, 
I,  p.  197  ;  Rei\  de  l'arl  chrétien,  1898,  p.  312  ;  Knackfuss-Zimmermann, 
Kunstr/eschichte,  II,  fig.  281;  et  surtout  Brockhaus, /'^or-sc/iu/j'/en  ûher 
florentiner  Kunstwerke,  p.  8.")  et  suivantes,  où  elle  a  été  admirable- 
ment publiée;  cf.  encore  Alinari,  4116  a-f  ;  Brogi,  11481-11407.  On 
s'étonne  qu'une  œuvre  si  souvent  publiée  ait  fait  l'objet  d'une  planche 
dans  le  dernier  volume  de  la  Réunion  des  sociétés  des  beaux-arts  des 
départements,  1907,  p.  476.  Vasari  la  mentionne  comme  l'une  des  pre- 
mières œuvres  du  maître  :  «  furono  le  sue  prime  pitture  in  Ognissanti, 
la  caj)pella  de'  Vespucci,  dov'è  un  Cristo  morto  ed  alcuni  Santi,  e  sopra 
un  arco  la  Misericordia  ->  (III,  p.  255).  Cependant  M.  Brockhaus  n'hésite 


CATALOr.LE  101 

pas  à  la  dater  de  1480  :  il  la  met  en  relation  avec  la  peste  qui  désolait  alors 
Florence.  En  bas,  à  droite  et  à  gauche,  le  peintre  avait  représenté  deux 
grandes  figures  debout,  dans  des  niches  ;  celle  de  droite  est  délimite  ; 
celle  de  gauche  parait  avoir  été  un  ange,  sans  doute  l'ange  delà  Justice 
divine  ;  il  devait,  je  suppose,  tenir  lépée  dans  la  main  droite.  Si  cette 
supposition  est  juste,  la  figure  symétrique  aurait  représenté  l'ange  de  la 
Miséricorde  cf.  p.  113,  bannière  de  Bonfigli,  à  S.  Francesco  de  Pérouse). 
Bartoloraeo  di  ser  Vespucci.  le  donateur  de  la  fresque,  mourut  en  1480,  de 
la  peste.  C'était  l'un  des  principaux  personnages  de  la  confrérie  des  Dis- 
ciplinali  délia  Misericordia  del  Sulvadore,  fondée  en  1.334,  dont  le  siège 
était  chez  les  Dominicains,  à  S'  Maria  Novella.  Il  est  probable  que  la 
fresque  d'Ognissanti,  dont  la  partie  inférieure  représente  le  Sauveur 
descendu  de  la  croix,  et  la  partie  supérieure  la  Vierge  de  Miséricorde, 
s'explique  par  cette  dévotion  particulière.  On  notera  que  la  Vierge  de 
Miséricorde  remplace  en  ([uelque  sorte  le  sommet  du  gibet  d'où  l'on 
vient  de  descendre  le  Christ  ;  et  ([ue  le  geste  de  ses  bras  étendus  rem- 
place le  geste  des  I^ras  étendus  du  Ciirist  en  croix:  dans  l'arrangement 
de  cette  double  composition,   il   y   a,  je  crois,  une   intention  mystique. 

4.  Relief  en  faïence  émaillée,  au  musée  du  Bargello  (n°  35  ,  provenant 
de  S'»  Maria  del  Carminé,  couvent  supprimé  en  1868:  publié  dans  Cava- 
lucci  et  Molinier,  Les  délia  Rohhia,  n°  11,  p.  217;  Alinari,  2738.  Le 
socle  porte  cette  inscription  :  questa  fece  fare  Agniolo  di  Bonaiuto  di 
Xic  coDo  s{er)  agliprimediodel  anima  sua  e delà  sua  c/on/ja  annoMDXXVIII 

pour  l'abréviation  signifiant  ser,  niesser,  cf.  A.  Capelli,  Dizzion.  di 
ahhreviature  latine  ed  ilaliane,  p.  307).  La  Vierge,  couronnée,  couvre  de 
son  manteau  la  famille  d'Agniolo;  au  premier  plan,  le  donateur  et  sa 
femme  ;  au  dernier,  deux  pénitents,  la  tète  voilée  par  le  capuce. 

5.  Musée  des  OlTices.  Dessin  d'Andréa  Boscoli  (1340-1600  .  Muter 
omnium  abritant  sous  son  manteau  des  gens  de  tout  état,  d'un  côté  les 
hommes,  de  l'autre  les  femmes.  Signalé  par  Krebs,  Maria  mit  dem 
Schufzmantel,  p.  33. 

6.  Prato.  —  Musée  communal,  salle  IV,  n"  8.  Tableau  très  médiocre, 
du  xvi'^  siècle,  représentant  la  Vierge  de  Miséricorde  abritant  des 
femmes  sous  son  manteau    communication  de  M.  Grenier). 

7.  Pienza.  —  Retable,  mal  conservé,  de  Bartolo  di  Fredi  (1330- 
1410.  Lombardi,  1447-1449.  Mater  omnium.  Le  manteau  est  soutenu 
par  deux  Saintes,  un  peu  moins  grandes  que  la  Vierge.  A  dr.  les  hommes, 
à  g.  les  femmes.  Parmi  les  hommes,  au  premier  rang,  le  Pape,  le  Roi  ; 
au  deuxième,  le  Cardinal,  l'Evèque.  Le  Pape  porte  encore  la  tiare 
archaïque  :  c'est  un  bonnet  conique,  dont  le  bas  est  garni  dune  couronne 
en  forme  de  cercle  à  pointes.  La  trireçjno  apparaît  sous  le  règne  de 
Benoit  XII  (1334-1342  :  cf.  Mùntz,  La  tiare  pontificale  du  VIII"  auXVl<= 
siècle,  dans  Mémoires  de  l'Acad.  des  Inscr.,  t.  XXXVI,  i,  p.  278.  Le 
bonnet  à  couronne  unique  se  rencontre  dans  le  Jugement  dernier 
d'Orcagna,  à  S*"  Maria  Novella  Alinari,  4049).  Je  n'en  connais  pas 
d'exemple    aussi    tardif    que    celui    du    retable  de    Pienza  :    c'est    une 

Peudrizut.  —  La  Vierr/e  de  Miséricorde.  11 


162  CATALOGUE 

preuve  de  plus  de  l'esprit  conservateur  et   traditionnel    de  la  peinture 
siennoise. 

8-  Sienne.  —  Une  miniature  sur  couverture  de  livre,  datée  de  14o8, 
attribuée  par  Mary  Logan  [Gaz.  des  B.-A.,  1904,  II,  p.  211)  à  Giovanni 
di  Paolo,  représente  '<   la  Madone  couvrant  de  son  manteau  les  fidèles  ». 

9.  En  1400,  la  Si;/noria  de  Sienne  chargea  le  Vecchietta  de  décorer  le 
Palais  public.  De  cette  décoration  subsiste  encore  un  fragment  de 
fresque  dans  la  salle  deW  aiulo  bilanciere,  retrouvé  au  xix^  s.  sous  un 
enduit  de  plâtre.  Dans  un  tym|jan  demi-circulaire,  la  Vierge  de  Miséri- 
corde couronnée  par  deux  anges  ;  d'autres  anges  soutiennent  le  manteau, 
qui  est  immense,  tel  qu'il  fallait  qu'il  fût  pour  couvrir  tout  le  peuple  de 
Sienne  ;  àdr.  les  prêtres,  moines  et  moniales  ;  à  g.,  les  laïques,  hommes, 
femmes  et  enfants.  Derrière  le  manteau  apparaissent  à  mi-corps  quel- 
ques-uns des  Saints  protecteurs  de  Sienne,  à  dr.  saint  Savin,  évêque, 
saint  Jérôme,  saint  Pierre  martj'r,  à  g.,  sainte  Catherine,  saint  Laurent, 
saint  Ansan.  La  tête  et  les  vêtements  de  la  Vierge  sont  retouchés. 
Lombardi,  521-523.  Cf.  Cavalcaselle  et  Crowe,  Sforia,  IX,  p.  19-20; 
Heywood-Olcott,  p.  219. 

10.  Eglise  S.  Martine,  à  Sienne.  A  l'entrée,  à  dr.,  est  une  peinture  de 
Lorenzo  Cini,  vouée  en  commémoration  de  la  victoire  de  Camollia, 
remportée  en  152(i  par  les  Siennois  sur  les  troupes  de  Clément  Vil. 
Sur  le  gradin,  «  Cini  peignit  une  miniature  bien  supérieure  au  tableau, 
sous  l'influence  d'Antoine  Razzi.  Elle  représentait  la  Madone  couvrant 
Sienne  de  son  manteau  ».  Cf.  Rio,  De  l'art  chrétien,  I,  p.  144. 

11.  A?'ezzo.  —  Retable  de  Xeri  di  Bicci  à  la  Pinacothèque  d'Arezzo. 
Alinari,  9969.  M.  Reinach,  qui  en  a  publié  un  croquis  insuffisant,  n'en  a 
pas  donné  l'explication.  Il  y  voitla  représentation  de  la  «  Vierge  tutélaire, 
protégeant  le  peuple  d'Arezzo  »  (Répertoire,  t.  I,  p.  491).  En  réalité, 
ce  tableau  représente  la  Mater  omnium,  priant  les  mains  jointes,  pour 
le  salut  de  la  chrétienté  entière,  abritée  sous  son  manteau;  à  droite, 
les  hommes;  parmi  eux  le  Pape,  l'Empereur,  le  Roi;  à  gauche,  les  femmes. 
Deux  anges  posent  d'une  main  une  couronne  sur  la  tête  de  la  Vierge  et 
de  l'autre  soulèvent  les  plis  du  manteau.  A  droite  età  gauche,  détaille 
presque  égale  à  celle  de  la  Vierge,  saint  Michel  i patron  du  donateur), 
et  saint  Nicolas.  Devant  la  Vierge,  saint  Bernardin  agenouillé  tenant  une 
grande  croix.  Aux  bouts  de  la  prédelle,  d'un  côté  saint  Jean-Baptiste,  de 
l'autre,  saint  Barthélémy.  Le  reste  de  la  prédelle  raconte  en  trois  pan- 
neaux une  histoire  relative  à  saint  Bernardin  de  Sienne  et  à  l'église 
Sainte-Marie-des-Grâces,  près  d'Arezzo.  Cf.  Vasari,  t.  II,  p.  279;  Wad- 
ding.  Annales  Minorum,  XXII,  année  1405,  et  surtout  la  Vie  anonyme 
publiée  pour  la  première  fois  dans  les  Analecta  Bollnndiana,  1906,  pp. 
331-334.  Bernardin  habitait  alors  Arezzo  ;  dans  un  bois  non  loin  de  la 
ville  se  trouvaient  les  ruines  d'un  temple  païen,  que  les  Arétins  conti- 
nuaient d'entourer  d'un  respect  superstitieux.  Bernardin  s'y  rendit  un 
matin,  avec  une  grande  croix  de  bois  qu'il  avait  fait  confectionner  par  les 
frères  conventuels  de  saint  François,  dans  l'église  desquels  il  |)rêchait  ; 


Perdrizet,  La  Vierge  de' Miséricorde 


PI.  XXIl 


o      2 


1     § 


CQ 


CATALOGUE  103 

par  la  vertu  de  la  croix,  il  chassa  les  démons  dont  ces  ruines  étaient  le 
repaire,  et  y  éleva  un  oratoire  de  la  Vierge,  qui  devint  le  but  d'un  pèle- 
rinage. Quelque  temps  après,  on  y  éleva  l'église  de  Sainte-Marie-des- 
Gràces,  qui,  sur  les  instances  de  Bernardin,  fut  enrichie  par  Eugène  IV 
de  nombreuses  indulgences.  Au-dessous  de  la  prédelle,  cette  ins- 
cription :  Hoc  opus  fecit  fieri  Michael  Angélus  Papii  magistri  Fran- 
cisci  de  Aesthereliis  de  Aretio  pro  remedio  anime  sue  et  suorum  anno 
Dominl  MCCCCLVI  die  VIII  mensis  niarlii.  —PI.   XXII,   1. 

12.  Image  miraculeuse  deSainte-Marie-des-Gràces,  peinte  parParrida 
Spinello,  derrière  le  maitre-autel  de  l'église  de  ce  nom  Alinari,  9976  ;Rey- 
mond,  La  sculplure  florentine,  t.  111,  p.  172'.  Cette  image  célèbre,  que 
Vasari  n'a  eu  garde  d'oublier  t.  11,  p.  280),  a  été  altérée  —  surtout  la 
tète  de  la  Vierge  — par  des  restaurations.  La  Mère  de  Miséricorde,  sans 
l'Enfant,  étend  son  manteau  sur  les  Arétins.  La  frescjue  de  Parri  a  été 
entourée  à  la  fin  du  xv^  siècle  d'un  merveilleux  encadrement  en  terre 
cuite  émaillée,  provenant  de   l'atelier    d'Andréa  délia  Robbia. 

13.  Coffret-reliquaire,  par  Maestro  Xicola  di  Giovanni  di  Giuccio, 
dans  la  collection  E.  von  Miller  (Leisching,  Figurale  Holzplastik, 
Vienne,  1908,  f",  pi.  IV).  Le  coffret  est  surmonté  d'une  statuette  de  la 
Vierge  au  manteau  protecteur,  comme  le  coffret  de  Forzore  di  Niccolô 
Spinello    cf.  supra,  p.  81). 

14.  A  S.  Francesco,  dans  la  première  chapelle  à  dr.  de  l'entrée,  fresque 
du  xv<'  s.  dont  il  ne  reste  que  le  haut  :  on  distingue  la  tète  et  le  buste 
dune  Vierge  ;  le  geste  n'est  pas  douteux,  c'était  bien  une  Vierge  au 
manteau  (communication  de  M.  Grenier). 

15.  Grand  retable  en  fa'ience,  par  Andréa  délia  Robbia  1437-1528), 
dans  l'église  S^  Maria  in  Gradi.  Alinari,  9722  ;  Bode,  Denkmaler,  pi.  263  ; 
Reymond,  La  sculpture  florentine,  t.  III,  p.  174.  La  Vierge,  ([ui 
tient  dans  les  bras  l'Enfant  nu,  regarde  avec  une  compassion  douce 
les  priants  agenouillés  autour  d'elle  ;  dans  le  ciel.  Dieu  le  Père  fait  un 
grand  geste  d'accueil  et  de  pardon  ;  et  la  colombe  descend  du  Père 
vers  le  Fils.  Deux  anges,  dune  main,  posent  une  couronne  sur  la  tète 
de  la  Vierge,  de  l'autre  soulèvent  les  plis  du  manteau.  Les  femmes 
sont  à  droite,  les  hommes  à  gauche.  Au  pi'emier  rang  des  hommes, 
reconnaissable  à  ses  gants,  un  évèque  sans  la  mitre.  Priants  et  priantes 
sont  vêtus  de  façon  conventionnelle,  à  l'antique.  A  dr.  et  à  g.  de  la 
Vierge,  saint  Pierre  et  saint  Ililarion.  Sur  la  prédelle.  le  Dieu  de  pitié, 
au  milieu.  A  droite,  la  Vierge  et  saint  Michel  archange  avec  la  balance. 
A  gauche,  saint  Jean  l'Evangéliste  et  un  saint  franciscain,  saint  Ber- 
nardin de  Sienne,  je  crois.  —  PI.  XXIII.  1. 

16.  Cortone.  —  Vitrail  représentant  la  Mater  omnium,  dans  l'église 
S.  Mariadel  Calcinajo  ;  attribué  à  Guillaume  de  Marcillat,  ainsi  que  deux 
autres  vitraux  de  la  même  égiise,  qui  ont  dû  être  voués  en  même 
temps  ;  l'un  d'eux  représente  saint  Sébastien  :  celui-ci,  et  celui  de  la 
Vierge    de   Miséricorde,   ont    sans   doute  été    voués  à  l'occasion   d'une 


164  CATALOGUE 

peste.  Milanesi,  dans  son  édition  de  Vasari,  IV,  p.  427,  mentionne  d'a- 
près Pinucci,  Meniorie  istoriche  délia  chiesa  del  Calcinajo,  p.  140,  ces 
trois  verrières  ;  il  décrit  brièvement  celle  de  la  Vierge  de  Miséricorde, 
et  admet  l'attribution  à  Marcillat  :  on  sait,  eu  effet,  par  Vasari,  que  le 
célèbre  verrier  a  exécuté  divers  travaux  à  Cortone  en  l;il7.  Cf.  encore 
Archivio  siorico  delVarie,  1890,  p.  40.  Barbier  de  Montault  (Revue  de 
l'art  chrétien,  1892,  p.  77  a  émis  l'hypothèse  malheureuse  que  Marcillat, 
pour  son  vitrail  de  Cortone,  s'était  «  évidemment  »  inspiré  de  la  Vierge 
nancéienne  de  Mansuy  Gauvain  :  c'est  que  Barbier  croyait  Marcillat  lor- 
rain, sur  la  foi  d'un  texte  (Gaye,  Carlerjfjioinedito,  II,  p.  449;  cf.  Milanesi, 
éd.  de  Vasari,  IV,  p.  418)  qui  le  qualifie  de  priore  di  S.  Tihaldo,  di  S. 
Michèle,  diocesi  di  Verduno  ;  il  concluait  de  ce  texte  que  Mai'cillat  était 
né  àSaint-Mihiel  :  le  prieuré  de  S.Tibaldo  serait  un  prieuré  toscan  ;  mais 
il  est  prouvé  aujourd'hui  que  Marcillat  était  de  la  Châtre,  et  que  le  seul 
rapport  qu'il  ait  eu  avec  Saint-Mihiel,  c  est  d'y  avoir  été  prieur  réser- 
vataire ou  désignataire  du  modeste  prieuré  de  Saint-Thiébaut,  où  proba- 
blement il  n"a  jamais  résidé  Léon  Germain,  Guillaume  de  Marcillat, 
prieur  de  Saint-Thiéhaut    de  Saint-Mihiel,  Xancy,  1877). 

17.  Lucr/ues.  —  Grand  tableau  d'autel  peint  en  lijlo  par  Fra  Barto- 
lommeo,  jadis  à  S.  Romano,  aujourd'hui  à  la  Pinacothèque.  Alinari,  8449; 
Brogi,  11904.  Cf.  Vasari,  t.  IV,  p.  191  Mdanesi  ;  Rosini,  IV,  p.  243, 
pi.  Lxxviii  ;  Jameson,  Legends  of  the  Madonna,  p.  32  ;  Grimoiiard 
de  Saint-Laurent,  Guide,  III,  p.  107  ;  Gruyer,  Fra  Bartolommeo,  p.  72  ; 
du  même.  Les  Vierges  de  Raphaël  et  V iconographie  de  la  Vierge,  I, 
p.  313  ;  Burckhardt,  Le  Cicérone,  p.  650  de  la  traduction  ;  Bilder- 
schatz,  3a2  ;  Knapp,  Fra  Bartolonimeo  délia  7-*o/'/a  i  Halle,  1903),  p.  119 
et  260  ;  S.  Reinach,  Répertoire,  I,  p.  488.  Il  est  erroné  de  dire,  comme 
le  fait  Gruyer,  que  «  la  Vierge  semble  monter  à  Dieu,  tandis  que  les 
hommes  qui  se  pressent  autour  d'elle  sont  retenus  par  des  liens  matériels 
dont  la  mort  ne  les  a  point  affranchis.  »  La  V'ierge,  debout  sur  un  «  tri- 
bunal »  à  plusieurs  marches,  implore  dans  une  attitude  passionnée  la 
miséricordede  son  Fils  ;  d'une  main  elle  lui  montre  les  hommes  ;  l'autre 
main  fait  un  geste  de  joie,  car  le  Christ  parait  dans  le  ciel,  ouvrant  les 
bras  au  genre  humain  :  devant  lui  vole  un  ange  qui  porte  un  cartouche 
avec  ces  mots:  misereor  super  turbani  (Marc,  viii,  2).  Le  manteau  de  la 
Vierge,  soulevé  par  deux  petits  anges,  ne  couvre  qu'une  partie  des 
priants;  ils  représentent  tous  les  âges  de  la  vie  :  au  premier  plan,  les 
petits  enfants,  avec  les  mères  et  les  grand'mères.  Au  deuxième  plan,  à 
gauche,  le  dos  tourné  au  spectateur,  le  donateur  que  saint  Dominique 
réconforte  en  lui  montrant  la  Vierge.  C'était  un  Dominicain  nommé  Fra 
Sebastiano  Lambardi  de'  Montecatini  :  ce  qui  explique  l'inscription  du 
trône  de  la  Vierge  :  M'\ate)r  pietatis  et  nn{sericordia)e.  F{rater)  S{ebas- 
tianus)  0[rdine)  P(raedicatoruin).  Madame  Jameson  a  mis  celte  peinture 
en  rapport  avec  la  peste  de  1"J12,    non  sans   vraisemblance. 

Ombrie 

18.  Pérouse.  —  Au  musée,  fragment,  en  très  mauvais  état,  d'une 
grande  fres([ue,  par  Fiorenzo  di  Lorenzo  (contemporain  de  Bonûgli;  ses 


CATALOGUE  1 05 

premières  œuvres  sont  de  1472;  f  lo20;.  Cette  fresque  se  trouvait  jadis  à 
riiôpital  S.  Egidio  (via  Longara  ,  fondé  en  1322  par  Jean  XXII  pour 
loger  les  pèlerins.  Il  est  difficile  de  décider  quels  étaient  les  person- 
nages que  la  Vierge  abrite  sous  son  manteau.  Dans  le  ciel  apparaissait 
Dieu  le  Père,  entouré  d'anges;  les  renseignements  qui  m'ontété  donnés 
sur  cette  fresque  ne  me  permettent  pas  daffirmer  que  Dieu  lançait  les 
flèches  de  la  colère. 

*19-  A  Sant'Açjata,  tableau  à  deux  faces,  sur  l'une  desquelles  était 
peinte  la  Vierge  de  Bonsecours  (mentionné  par  Mariotti,  Letlere 
pittoriche  perugine). 

20.  Au  musée,  salle  VI,  petit  tableau  de  provenance  inconnue,  vers 
1500.  Vierge  couronnée,  abintant  sous  son  manteau  à  droite  des  bour- 
geois, à  gauche  leurs  femmes  avec  deux  enfants. 

21.  La  Rocchiciola,  hameau  près  d'Assise.  —  Grande  fresque  sur  le 
mur  de  Fautel  de  la  chapelle  latérale  :  la  Madone  abritant  sous  son 
manteau  des  religieuses  et  des  femmes  agenouillées  avec  cette  inscrip- 
tion :  Queala  opéra  la  fata  fare  le  donii(e)per  loro  (de  votione  e  voio.  Date  : 
17  avril  lo61  (Broussolle,  Origines^  p.  u24). 

22.  Cerqueto,  village  au  sud  de  Pérouse.  —  «  Dans  un  oratoire  hors 
des  murs,  une  grande  Madone  des  Grâces  abritant  des  femmes  et  des 
enfants  sous  les  plis  de  son  manteau.  Je  crois  bien  que  cette  Madone 
a  été  repeinte  au  moins  deux  fois  »  (Broussolle,  Pèlerinages,  p.  259). 

23.  Spello.  —  «  Chiesa  dell"  Ospedale,  in  una  caméra  dell'  economalo. 
lavola  a  tempera  dipinta  da  ambo  i  lati.  Nel  diritto  la  Madonna  délia 
Misericordia  attorniata  da  sei  serafini  e  due  angioli  e  che  ricopre  del 
suo  manto  una  folla  di  devoli.  Xel  rovescio  in  alto  una  croce  entra 
nimbo  sostenuta  da  due  angioli;  nel  centro  inferiore  una  torre  :  in 
basso  due  piccole  figure  che  accennano  al  miracolo  :  a  sinistra  la  Ver- 
gine  seduta  ed  a  destra  Jesù  :  bella  opéra  di  scuola  folignate  del  xv 
secolo,iii  parte  malconcia.  <>  Frenfanelli  Cibo,  A7cco/ô  Alunno  e  la  scuola 
Umhra  i  Rome,  1872),  p.  100. 

24.  Foligno.  —  *(  Affresco  rettangolare  riportata  in  un  incannucciato 
rappresentante  la  Madonna  che  accoglie  sotto  il  suo  manto  varii  angeli 
e  devoti.  Alla  sommità  del  medesimo,  sono  efTigiati  due  angeli  che  sos- 
tengono  un  arazzo.  Opéra  del  sec.  xiv.  Distaccato  nell'  ex  chiesa 
diruta  di  S.  Giovanni  degT  impiccati  in  Foligno  nel  1869.  Misura  2™  40 
X  1  ™  08.  »  [^Catalogn  délie  pit tare  ed  altri  oggetti  d'arfe  esistenti  nella 
Pinacoteca  communale  di  Foligno,  P'oligno,  1893,  n°  8). 

25.  Diruta  (environs  de  Pérouse).  —  Fresque  de  Fiorenzo  di  Lorenzo, 
à  la  voûte  de  la  chapelle  Saint-Antoine,  représentant  la  Vierge  de  la 
Miséricorde,  avec  les  quatre  Evangélistes  (Berenson,  The  Central  italian 
painters  of  the  Renaissance,  p.  1421.  Cavalcaselle  et  Cx'owe  Fattribuaient 


166  CATALOGUE 

à  Bonfigli,  en  remarquant  qu'il  est  difficile  de  se  prononcer  sur  une 
peinture  qui  a  pâti  autant  que  celle-là  du  temps  et  des  hommes  (Sloria, 
t.  IX,  p.   140). 

26.  Beltona.  —  Panneau  peint  à  Thuile  par  le  Pérugin,  en  1512,  et 
conservé  dans  l'église  des  Frères  Mineurs.  La  Vierge  de  Miséricorde, 
assistée  de  saint  Marnés  et  de  saint  Jérôme,  protège  sous  son  manteau 
les  deux  donateurs  agenouillés,  l'homme  et  la  femme  (Cavalcaselle  et 
Crowe,  t.  IX,  p.  261). 

Province  homaine 

*27-  Viterhe.  —  Niccola  délia  Tuccia  dit,  dans  sa  Chronique  de  Viterbe 
(cf.  Potthast,  J5.3/..-E.,  t.  II,  p.  846;  :  Venuto  il  tempo  del  lioS,  io  Xicola 
di  Xicola  délia  Tuccia  scriitore  di  qiiesta,  fui  fatto  de'  priori...  E  accib 
che  quelli  voranno  sapere  la  forma  di  mia  persona,  qui  presso  ne  farb 
menzione.  Nel  detlo  priorato  che  fu  del  mese  di  gennaro  in  fehraro, 
facemmo  fare  una  fir/ura  délia  Nostra  Donna  nelV  altare  délia  cappella 
dei  magnifici  signori  priori,  in  una  lavola,  nella  quale  tutti  ci  fummo 
dipinti  naturale  secundo  c/ieravamo  di  funzione.  Nella  quale  sono,  sotto 
il  mantello  di  quella  benedetta  figura,  sette  persone  per  canto...  Suit 
rénumération  des  priants,  avec  la  description  de  leur  costume.  L'un  des 
priants  si  chiamava  Giovanni  di  Giovanni  di  Picca,  nipote  di  mas- 
tro  Valentino  pittore  di  detta  tavola.  Ce  peintre  n'est  pas  autrement 
connu  ;  et  cette  Vierge  de  Miséricorde  semble  perdue.  Le  texte  de 
Niccola  délia  Tuccia  est  cité  dans  une  étude  de  Corrado  Ricci  sur 
Lorenzo  da  Vitorbo  {Archivio,  1,  188S,  p.  61;;  Barbier  de  Montault,  pour 
avoir  lu  cette  étude  trop  rapidement,  attribue  Revue  de  l'art  chrétien, 
1892,  p.  77)  au  grand  peintre  de  Viterbe  la  peinture  votive  dont  parle 
Niccola. 

28.  Rome.  —  Statuette  en  terre  cuite,  au-dessus  d'un  porche,  près 
.S^'  Maria  Novella.  La  Vierge  abrite  sous  son  manteau  trois  priants.  Une 
épée  est  plantée  dans  son  cœur  :  en  ,mème  temps  que  la  Mère  de 
Miséricorde,  c'est  la  Mère  de  Douleur  ;  aussi  cette  statuette  s'ap- 
pelle :  Immagine  di  Maria  Santissima  Addorolata.  Grimoûard  de  Saint- 
Laurent  (III,  p.  109)  en  parle  en  ces  termes  :  «  œuvre  toute  popu- 
laire, qui,  malgré  l'inlériorité  du  travail,  a  été  jugée  digne  du  mouvement 
miraculeux  en  1790  »  :  à  ce  titre,  elle  est  mentionnée  et  reproduite  dans 
Marchetti,  De  prodigi  avvenuli  in  molti  sagre  immagini,  specialmente  di 
Maria  santissima,  seconda  gli  autentici  processi  compilati  in  Roma 
(Rome,  1797,  8"),  p.  80  (p.  133  de  la  réédition  de  1896;  il  |y  a  aussi  une 
édition  française,  Paris,  1801,  12°). 

29.  Marino.  —  Dans  l'église  S»  Maria  délie  Grazie.  une  peinture 
derrière  l'autel  représente  la  Vierge  au  manteau  :  la  partie  inférieure  est 
cachée  par  le  tabernacle. 

Italie    méiudionale 

30.  \af>les.  —  Église  S.  Pietro  Martiiv,  première  cliapelle  à  droite  de 


CATALOGUE  167 

l'entrée.  Cette  chapelle  était  autrefois  dédiée  à  S.  Maria  del  Soccorso 
(article  de  Cosenza,  dans  la  revue  .Yapo/i  nohilissinia,  août  1000,  p.  120, 
n°  4).  Bas-relief  en  marbre,  du  xir^  siècle,  dans  une  arcade  en  tiers-point. 
La  Vierge  de  Miséricorde  tient  doux  couronnes  suspendues  sur  deux 
groupes  de  priants  réfugiés  sous  son  manteau.  Dans  la  même  chapelle, 
un  tableau  du  début  du  xyi*^  siècle,  très  médiocre,  représente  le  même 
sujet. 

MaUCUES,     RoMAGNE,    EiMILIE. 

31.  Macerala. —  »  La  bella  Madonnadi  Pietro  Alamanni  che  proteg-ge 
col  suo  manto  tutta  una  moUitudine  di  papi,  di  imperatori,  di  gentil- 
donne,  di  cavalieri,  divescovi  e  di  prelati...»  Diego  Augeli,  L'esposizione 
(H  Macerata  :  urte  anfica  e  moderna,  dans  le  Giornale  d'Italia,  23  août 
1905.  Pietro  Alamanni  est  un  peintre  des  Marches,  trop  dédaigné,  disciple 
de  Cnvelli. 

32.  Urhin.  —  Dans  l'église  de  S.  Maria  del  Lomo  (ou  deU'Omo\  fresque 
d'Ottaviano  di  Martino  di  Xello  da  Gubbio,  représentant  la  Madonna 
dpi  Soccorso  qui  abrite  sous  son  manteau  un  gTand  nombre  de  bourgeois 
d'Urbin.  Deux  anges  couronnent  la  Vierge.  Cette  fresque  serait  de  1428. 
Alinari,  17590.  Cf.  Calzini,  Urhino  e  suoi  monuinenli  (Rocca  S.  Cas- 
ciano,  1897),  p.  132. 

33.  Guhbio.  —  On  assure  que  vers  1410,  Ottaviano  Nelli  peignit  à 
Gubbio,  dans  l'église  Saint-Augustin,  une  Madone  del  Soccorso.  La 
peinture  en  question  subsiste  encore,  mais  comme  elle  a  été,  en  1600, 
considérablement  retouchée,  on  n'en  peut  plus  juger  le  caractère 
original  (Cavalcaselle  et  Crowe,  Storia,  t.  IX,  p.  54). 

34.  Iinola.  —  Tableau  de  Francucci  Innocenzo  (Innocenzo  da  Imola, 
■1494-1550,  élève  de  Francis;,  provenant  d'une  église  des  environs  d'Imola, 
aujourd'hui  à  la  Pinacothèque  de  Bologne  Guadagnini,  Cafalogo,  p.  5i-)  : 
«  La  Madonna  cui  due  angeli  tengono  aperto  l'ampio  manto,  sotto  il 
([uale  stanno  genuflessi  molti  fedeli.  In  alto  due  Cherubini  sostengono 
una  corona  sopro  il  di  leicapo.  »  Burckhardt  {Cicérone,  t.  Il,  p.  702  delà 
traduction)  remarque  la  «  naïveté  »  de  ce  tableau. 


Italie  du  Nord 

35.  Parme.  —  Musée,  n°  450.  Ex-voto  d'une  famille  qui  s'était  fait 
représenter  sous  le  manteau  de  la  Vierge  de  Miséricorde.  Écussons  efîacés. 
Le  tableau  se  trouvait  en  1868  chez  les  capucins  de  Parme.  Fin  du 
xv"  siècle  ;  attribué  à  l'école  de  Crémone  par  C.  Ricci,  La  R.  Galleria 
di  Par  ma,  p.  36. 

36.  Plaisance.  — -  «  .Dans  la  cathédrale  de  Plaisance,  peinte  sur  un 
pilier,  une  Madonna  délie  Grazie,  du  type  de  la  Vierge  de  Bonsecours  à 
Nancy  »  (communication  de  M.  l'abbé  Eug.  Martin). 


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CATALOGUE 


31 .  Manlnue. —  La  Vierge  de  la  Victoire,  par  Mantegna  fmusée  du 
Louvre).  Elle  l'ut  placée  à  Mantoue  dans  la  petite  éfj-lise  de  la  Victoire, le 
6  juillet  1490,  anniversaire  de  la  Ijataille  de  Fornoue  ;6  juillet  1495),  que  le 
marquis  François  de  Gonzague  prétendait  avoir  gagnée  sur  Charles  VIIL 
Gonzague  est  seul  sous  le  manteau  protecteur,  à  la  droite  de  la  Vierge.  Le 
manteau  est  soutenu  par  les  saints  Archanges,  Georges  ^avec  sa  lance  bri- 
sée^ et  Michel.  Derrière  la  Vierge  sont  les  saints  protecteurs  de  Man- 
toue, André  et  Longin.  Cf.  Thode,  Mantegna,  fig.  97:  Jameson,  Madonna, 
p.  97;  Lafenestre  et  Richtenberger,  Le  Louvre,  p.  83  ;  et  surtout  Kris- 
teller,  Mantegna,  p.  .323,  où  Ton  trouvera  le  reste  de  la  bibliographie. 

38.  Vérone.  —  A  S»  Anasfasia,  église  des  Dominicains  (cf.  Burckhardt, 
Le  Cicérone  p.  63  de  la  traduction),  chapelle  Cavalli.  Fresque  du  xiv« 
siècle,  représentant  la  Vierge  abritant  sous  son  manteau  la  famille 
Cavalli. 

39.  Vicence.  —  Le  monte  Berico,  au  pied  duquel  et>t  bâti  Vicence, 
porte  une  église  célèbre,  dite  délia  Madonna  del  Monte.  Cette  Madone  est 
une  Vierge  de  Miséricorde.  Dans  VHistoria  délia  iniracolosa  costru- 
zione  del  sacro  tenipio  di  S.  Maria  di  Monte  di  Vicenza  (Vicence,  1576!, 
sur  le  titre  et  à  la  fin  du  volume,  elle  est  représentée  debout,  sur  le 
croissant,  couronnée  par  deux  anges  et  couvrant  de  son  manteau  quatre 
pi'iants.  Dans  YAllas  Marianus  de  Gumppenberg,  II,  69,  sous  le  titre 
imago  B.  V.  miraculosa  in  monte  Berico,  est  i-eprésentée  une  Vierge 
debout,  couvrant  de  son  manteau  deux  priants  agenouillés  (cf.  Guéné- 
bault,  Dict.  iconogr.  des  Saints,  t.  I,  col.  737,  et  Rev.  de  l'art  chr.,  1885, 
p.  137). 

40.  Vi'nise.  —  Académie,  n"  13.  Triptyque  à  fond  d'or.  Entre  les  deux 
saints  Jean,  la  Vierge  de  Miséricorde  ayant  sous  son  manteau  des  gens 
agenouillés,  tout  petits.  Devant  la  poitrine  de  la  Vierge,  dans  la  man- 
dorla,  l'Enfant  tient  le  globe  du  monde.  Dans  le  haut  du  cadre  deux 
médaillons  où  est  peinte  TAnnonciation.  Braun,  26774.  La  signature 
Jacobello  del  Fiore  et  la  date  1436  dont  on  ne  s'est  pas  défié  Lafenestre 
et  Richtenberger,  Venise,  p.  51  ;  Ange  Conti,  Cat.  dex  galeries  roijales 
de  Venise)  sont  fausses  ;  ce  triptyque  est  d'un  Vénitien  anonyme  du 
xiv'"  siècle  (Paoletti,  Cat.  délie  B.  Gallerie  di  \'enezia,  p.   9  . 

41.  Jadis  dans  l'église  Saint-Pierre-Martyr,  à  Murano,  aujourd'hui  à 
Venise,  musée  de  l'Académie,  n°  28.  Ancona  in  tre  scomparti  ed  unn 
lunetta  con  fondi  d'oro.  Xel  mezzo  stanno  S.  Vincenzo  e  S.  Bocco.  Ai 
lati  S.  Sehastiano  e  S.  Pietro  Martire.  Nella  lunetta,  la  Vergine  proiel- 
trice.Nelhasso  del  quadro  centrale  la  firma  opvs  .4AD/?A\f  Db'  MYRAXO 
(Paoletti,  Catalogo,  p.  16).  Derrière  la  Vierge,  deux  anges  tiennent  une 
banderole  où  on  lit  :  mater  guati.i.. 

42.  A  .S"  Maria  Formosa,  tableau  d'autel.  La  Vierge,  sans  l'Enfant, 
abrite  sous  son  manteau  une  famille  patricienne.  Au  premier  rang,  à 
droite,  un  ecclésiastique  portant  une  chape  splendide,  sur  le  dos 
de  laquelle    est    brodée   la    Résurrection.   Les   hommes    sont  à  droite, 


r.ATALOGLi:  169 

les  femmes  à  gauche  ;  derrière  les  femmes,  un  pénitent  ou  une 
pénitente,  le  capuce  relevé.  Dans  le  haut,  quatre  anges  volant,  deux 
qui  prient  et  deux  qui  couronnent  la  Vierge.  Au  bas  du  tableau,  la 
signature  et  la  date  :  bartuolomaevs  vivarinvs  de  mvhano  pinxit 
MccccLxxiii.  Naja,  1907  ;  Alinari,  1()7.j3;  Anderson,  lV002.Cf.  BurckhardI, 
Le  (Cicérone,  p.   tiOT  de  la  traduction. 

43.  Aux  Frari.  Tableau  d'autel.  Deux  anges  couronnent  la  Vierge,  deux 
autres  soutiennent  les  pans  de  son  manteau.  Sur  la  poitrine  de  la 
Vierge,  formant  comme  l'agrafe  de  son  manteau,  la  mandorla  avec 
l'Enfant  bénissant.  Sous  le  manteau,  de  chaque  côté,  quatre  confrères 
en  surplis  blanc  sur  tunique  bleu  clair.  Ils  portent  sur  le  cœur  un  médail- 
lon avec  les  initiales  S.  M.  V.  entrecroisées.  Dans  le  ciel,  derrière  des 
feuillages  et  sur  des  nuages,  des  prophètes  avec  des  phylactères,  dont 
David,  et  Moïse  qui  tient  les  tables  de  la  loi.  Au  bas  une  inscription 
retouchée  et  la  date  mdxxvi  (note  de  M.  Grenier). 

44.  Galerie  Pitli,  n°  484.  Tableau  de  Mai-co  Vecellio,  le  neveu 
du  Titien  (lo4a-1611).  La  Vierge  étend  son  manteau  protecteur  sur  une 
nombreuse  assistance  :  à  dr.,  les  hommes  ;  à  g.,  les  femmes  et  les 
enfants.  i<  Coloris  puissant,  gras  et  clair,  hion  que  d'une  exécution  un 
peu  molle»  (Burckhardt,  p.  Le  Cicérone,  p.  7o.j  de  la  traduction).  Cf. 
Lafenestre  et  Richtenberger,  F/ore/ice,  p.  173. 

45.  Tympan  gothique,  sur  la  porte  du  Ponte  del  Paradiso.  La  Vierge, 
couronnée,  sans  l'Enfant,  abrite  sous  le  manteau  de  protection  un  seul 
priant,  agenouillé  à  sa  droite.  Alinari,  12997  a.  Mentionné  par  Gabe- 
lentz,  p.  229. 

46.  Relief  encasti'é  au-dessus  des  fenêtres  du  premier  étage  d'un  palais 
sur  le  Canal  Grande,  au  débouché  du  Rio  délia  Maddalena.  Vierge 
couronnée,  avec  l'Enfant  dans  la  mandorla.  Quatre  priants  sous  le 
manteau. 

47.  Bellune  —  Relief  u  suUa  fronte  délia  chiesa  dei  Battuti  »  (Diego 
Sant'  Ambrogio,  La  colonna  vptiva  di  Canlà,  p.  12). 

48.  Milan.  —  Musée  du  Castello  Sforzesco,  n"  1115.  Relief  en 
marbre,  du  xv«  siècle,  ayant  servi  d'enseigne  à  la  Fabrique  du  Dôme 
de  Milan.  La  Vierge  protège  sous  son  manteau,  que  deux  anges  tiennent 
relevé,  l'ancienne  église  de  S»  Maria  Maggiore,  que  le  Dôme  actuel  a 
remplacée  et  qui  a  subsisté  jusque  vers  1650.  De  part  et  d'autre  de 
l'église,  saint  Pierre  et  saint  Roch  présentent  à  la  Vierge  deux  dona- 
teurs agenouillés.  C'est,  je  sup[)Ose,  le  relief  qui  a  été  reproduit 
(d'après  vme  vieille  gravure  ?)  sur  le  titre  d'un  ouvrage  paru  récomment 
à  Milan  chez  Hoepli  :  La  scullura  nel  duoniodi  Milano,  illusirafa  a  cura 
dcir  aniniinistrazione  dclla  fahrica.  da  V.  Nebbia. 

49.  A  la  cathédrale,  dans  la  lunette  de  la  porte  de  la  sacristie 
Sud,  relief  de  Hans  von  Fernach,  en  collaboration  avec  Ilans  Brondefer 
et  l'autrichien  Pierre  de  Vienne  M  393).  Alinari.  n»  14198.  Cf.  A.  G.  Meyer, 


170  CATALOGUE 

Oberitalienische  Friihrenaissance  Ban  (en  and  Bildwerke  der  Lomhardei, 
I,  pi.  II  ;  Schubring,  Mailand  und  die  C.ei-tosa  di  Pavia  {Moderner  Cicérone, 
1904),  reproduction  à  la  p.  349  ;  Nebbia,  op.  laud.,  p.  17.  La  lunette 
est  divisée  en  trois  parties  :  en  bas,  la  Mise  au  tombeau  ;  au-dessus,  la 
Madone  avec  l'Enfant,  adorés  par  saint  Jean-Baptiste  et  saint  André  ; 
au-dessus,  la  Vierge  de  Miséricorde,  sans  l'Enfant  ;  des  anges  la  cou- 
ronnent, d'autres  étendent  son  manteau,  sous  lequel  sont  agenouillés 
les  Milanais. 

50.  Musée  du  Castello  Sforzesco,  n°  1494.  Relief  provenant  de  la 
porte  du  château  de  Monza.  La  Vierge  couronnée,  assise,  ayant  l'Enfant 
sur  les  genoux,  abrite  sous  son  manteau,  à  droite  les  hommes,  à  gauche 
les  femmes. 

51.  Colonne  votive  à  Cantù  (entre  Côme  et  Lecco)  du  début  du 
xv<=siècle.  Le  chapiteau  est  orné  d'un  relief  gothique,  que  M.  Diego  Sant' 
Ambrogio  {La  colonna  votiva  di  Cantù,  dans  la  revue  Politecnico,  Milan, 
1906,  p.  4  du  tirage  à  part)  décrit  ainsi  :  «  La  Vierge  de  Miséricorde  étend 
son  manteau  sur  deux  époux  agenouillés,  l'homme  à  sa  droite,  la  femme 
à  sa  gauche  ;  à  leurs  pieds  sont  treize  enfants  au  maillot,  qui  ont  l'air, 
eux  aussi,  d'être  agenouillés.  »  La  photolypie  publiée  par  M.  Sauf  Am- 
brogio est  malheureusement  trop  mauvaise  |jour  permettre  de  vérifier 
cette  description. 

52.  Petit  triptyque  à  fond  d'or,  provenant  de  la  Valteline,  au  musée 
Poldi-Pezzoli,  n"  68o.  En  bas,  la  signature  Gotardus  [de]  Scotis  de 
Mello'pinsil  s>ïc  .  Sur  le  panneau  central,  la  Vierge  (couronnée)  étend  son 
manteau  sur  des  priants  agenouillés,  les  hommes  à  dr.,  au  premier  rang 
le  curé  de  la  paroisse,  les  femmes  à  g.  Les  panneaux  sont  divisés  en 
compartiments  ;  sur  ceux  du  haut,  l'Annonciation  ;  sur  ceux  du  bas,  à 
dr.,  saint  Sébastien  et  saint  Nicolas,  celui-ci  reconnaissable  à  son 
costume  dévèque  et  aux  trois  boules  d'or  dans  la  main  g.  ;  à  g.,  les 
Rois  mages  adorant  l'Enfant.  Cf.  Fr.  Malaguzzi  Valeri,  Pittori  Lomhardi 
del  quattrocento  (Milan,  Cogliati,  1902,  p.  217  .  Gottardo  Scotti,  dont  il 
existe  une  autre  peinture  signée  et  datée  dans  la  chapelle  de  Vigevano 
{Ego  Gotardus  de  Scottis  pictor  suhscripsi,  1472),  n'est  pas  mentionné 
dans  les  documents  milanais  avant  1457  :  aussi  n'oserai-je  pas,  malgré 
la  ressemblance  entre  la  Vierge  du  triptyque  Poldi-Pezzoli  et  la  Vierge 
de  la  fresque  du  Castello  (voir  supra,  p.  144),  lui  attribuer  cette  fresque, 
([ui,  comme  nous  l'avons  vu, doit  dater  de  la  peste  de  14."î1.  —  PI.  XXII,  2. 

53.  Bellaç/io  sur  le  lac  de  Côme).  —  Dans  l'église,  fresque  ancienne, 
représentant  la  Mère  de  Miséricorde,  les  hommes  d'un  côté,  les  femmes 
de  l'autre  (communication   de  M.   Léon    Germain;. 


Espagne 

54.  Gerona  (Catalogne).  —  Musée  archéologique  de  S.  Pedro.  Relief  de 
marbre,  sans  indication  de  provenance.  Dans  un  encadrement  gothique, 
la  Vierge,  couronnée,  sans  l'Enfant,  assise,  étend  son  manteau  sur  quatre 


CATALOGUE  171 

clercs  agenouillés,  qui  lèvent  vers  elle  des  mains  suppliantes.  Derrière  la 
Vierge,  deux  anges  soutiennent  un  pavillon.  Première  moitié  du  xv'=  s. 
Photographie  communiquée  par  M.  Bertaux. 

55.  Biirgos.  —  «  Nous  avons  l'encontré  plusieurs  images  de  la  Vierge 
au  manteau  protecteur  dans  diflërentes  provinces  de  l'Espagne,  notam- 
ment dans  des  bas-reliefs  funéraires  à  Burgos,qui  nous  ont  paru  dater  du 
xv"  siècle  »  (L.  Germain,  dans  Rev.  de  Vart  chrétien,  1883,  p.    137). 

56.  Majorque.  —  Retable  dans  l'église  des  Trinitaires.  Je  ne  connais  ce 
monument  que  par  la  gravure  pul:)liée  dans  les  Acta  Sanctorum,  juin  V, 
p.  638.  Dans  la  partiecentrale,  la  Trinité;  au-dessous  l'Homme  de  dou- 
leurs prie,  entouré  d'anges,  pour  le  salut  des  hommes;  au-dessus,  la 
Vierge  de  Miséricorde,  en  prière  elle  aussi;  sous  son  manteau,  que  sou- 
tiennent des  anges,  est  agenouillée  l'humanité.  Sur  la  partie  droite, 
saint  Antoine,  et  au-dessus,  l'ange  de  l'Annonciation.  Sur  la  partie 
gauche,  Raymond  LuUe,  et  au-dessus,  la  Vierge  Marie  à  son  prie-Dieu. 
La  prédelle  est  à  cinq  compartiments;  dans  celui  du  milieu,  le  Christ 
sortant  du  tombeau  ;  dans  les  quatre  autres,  des  histoires  de  la  vie  de 
Raymond  Lulle. 

57.  Contrat  de  commande  d'un  retable,  passé  entre  dame  Isabelle 
Martorella  et  le  peintre  catalan  Johan  Luys.  Le  milieu  du  retable  devait 
représenter  la  Vierge  de  Miséricorde,  appelée  Vierge  de  Grâce  :  en  la 
principal  tailla  del  mi</  lo  ditmestre  ohrarà  e  pintarà  Ymatiede  la  Verge 
Maria  de  Gracia,  aconipanyada  de  gents,  ah  son  mantell  stès,  axi  com  es 
de  cosiuni  (Sanpere  y  Miqnel,  Loscuairoccntislas  Catalanes,  Barcelone, 
1906,  t.  11,  pp.  Lxix,'  197  et  282). 

58.  Retable  d'art  catalan,  de  la  fin  (Ui  xv"  siècle,  conservé  dans  l'église 
des  Escaldas,  en  Cerdagne  (Les  Escaldas,  hameau  de  la  commune  de  Ville- 
neuve-des-Escaldas,  canton  de  Saillagouse,  arr.  de  Prades,  Pyrénées- 
Orientales  :  sur  cette  localité,  voir  le  N^oiiv.  Dict.  de  géogr.  iiniv.  de 
Vivien  de  Saint-Martin,  s.  v.).  Pour  le  retable  des  Escaldas,  cf.  Bull,  de 
la  Soc.  de  géographie  de  Toulouse,  1882,  p.  422,  et  Perdrizet,  dans  le 
Compte-rendu  du  LXXIII^  Congrès  de  la  Société  française  d'archéologie 
tenu  en  1900,  à  Carcassonne  et  à  Perpignan  (Caen,  Delesques,  1907), 
pp.  552-570.  Pour  l'école  de  peinture  à  laquelle  se  rattache  cet 
ouvrage,  cf.  Sanpere  y  Miquel,  Los  cuatrocentistas  Catalanes  (Barce- 
lone, 1906,  2  vol.  8").  Panneau  de  bois  encadré  de  contreforts  à 
pinacles;  au  sommet  un  arc  en  accolade  orné  de  redents  fleuronnés. 
Sur  le  fond  d'or  sont  imprimés  des  rinceaux  en  relief;  les  nimbes,  les 
broderies  et  les  bijoux  des  personnages  sont  aussi  en  relief  et  dorés. 
Debout,  tête  nue,  nimbée,  vêtue  d'une  robe  de  brocart  et  du  manteau 
royal,  la  Vierge  étend  les  bras  d'un  grand  geste  d'amour,  sur  l'humanité 
agenouillée  à  ses  pieds.  Deux  anges  tiennent  le  manteau.  A  la  droite 
de  la  Vierge  sont  agenouillés  les  ecclésiastiques,  au  premier  rang  le 
Pape,  puis  le  Cardinal  et  l'Évèque,  derrière  eux  les  chanoines  et  les 
moines  ;  à  gauche  sont  les  laïques,  hommes  et  femmes.  D'après  la 
complainte  locale,    Goigs  de  Nostrn    Scngoria  de    Gracia,    que    m'avait 


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CATALOGUE 


communiquée  feu  B.  Palustre,  les  personnages  réfugiés  sous  le  man- 
teau de  la  Vierge,  représenteraient  les  malades  qui  viennent  ou  devraient 
venir  cheiTher  aux  eaux  des  Escaldas,  la  guérison  de  leurs  maux  : 

Ah  vosire  manto  ahrigau 
A  tots  los  (lesamparnts 
Y  ah  rjran  arnor  ahrassau 
Malalto  de  renie >/  privais  ; 
Per  ço  lots  vos  rlonan  gracias 
Oferinl  al  y  un  trésor  : 
Sou  de  gracia  Iota  plena 
Vida  y  llum  del peccador. 

c'est-à-dire  :  «  Sous  votre  manteau,  vous  abritez  —  tous  les  malheureux  ; 
—  vous  embrassez  avec  grand  amour  —  les  malades  incurables  '.  —  Pour 
cela,  tous  vous  rendent  grâces — et  vous  offrent  des  trésors.  —  Vous 
êtes  de  grâce  toute  pleine,  —  vous  êtes  la  lumière  du  pécheur.  )■ 

Une  prédelle  à  triple  arcature  montre,  au  milieu,  le  cadavre  du  Christ 
debout  dans  le  sépulcre  ;  à  droite  du  Christ  ,  saint  Laurent;  à  gauche, 
un  saint  Dominicain  (Thomas  d'Aquin,  probablement  . 

59.  Contrat  en  langue  catalane,  pulilié  parZarcos  del  ^'alle,  dans  Docu- 
mentos  ineditos  jtaru  la  historia  de  Espa/la,  t.  LV,  p.  289-291,  d'après 
un  ms.  rédigé  en  1802  par  le  P.  Agustin  de  Arques  Joves,  maître  et 
plusieurs  fois  définiteur  de  Tordre  de  la  Merci  dans  la  province  de 
Valence  communication  de  M.  Bertaux'i.  C'est  la  commande,  datée  du 
28  mai  1456,  d'un  retable  au  peintre  valençais  Johan  Reixats:  Item  que  la 
dilMeslre  Johaii  Reixals  pinte  a  figure  lo  dit  retavle  delesystories:  primo 
en  la  taula  del  mig  faza  la  figura  è  ymatge  del  glorios  arcangel  Sant 
Miguel  ah  spasa  en  la  ma  è  animes  en  cascuna  pega  una,  è  ange l  g  diable, 
segons  es  acostumats .  E  desus  la  dila  figura  altra  casa  ah  la  gstoria  de  la 
Verge  Maria  de  Misericordia  con  Jehu-Christ  volia  destruhir  le  mon 
figurât  ah  ires  lances,  è  la  Maria  ah  lo  mantell  è  hrazos  stesos  ah  molta 
gent  davall.  è  Sent  Francès  è  San  Domingo  agenollat.  Sur  le  panneau 
central,  saint  Michel  pesant  lésâmes;  au-dessus  de  saint  Michel,  dans  un 
compartiment  à  part,  la  Vierge  de  Miséricorde  protégeant,  à  la  prière  de 
saint  François  et  de  saint  Dominique,  contre  le  Christ  armé  des  trois 
lances,  l'humanité  réfuçfiée  sous  son  manteau. 


FiiANCE  nu  Midi 

60.  Avignon.  —  Contrat  de  commande  d'un  retable,  passé  en  1441 
entre  Jean  de  Quiqueran,  noble  d'Arles,  et  Pierre  delà  Barre,  peintre  avi- 
gnonnais.  Publié  par  Requin,  Documents  inédits  sur  les  peintres,  peintres- 
verriers  et  enlumineurs  h  Avignon  au  XV''  s.,  dans  la  Réunion  desSociétés 
des  Beaux-Arts  des  départements,  iH>i9,  p.    175;    unum    rrtahulum  alias 

1.  D'après  l'article  du  Bull,  de  la  Soc.  Je  géogr.  de  Toulouse,  la  Vierge  des 
Escaldas  serait  appelée  dans  le  pays  «  la  Vierge  des  abandonnés». 


CATALOniK  173 

retaule  longUudinis  iiniuft  canne  et  altifiidinis  sive  latitudinis  sex  palmo- 
rum,  honuni  et  sufficiens,  miinitiini  aura  hatiito  in  suis  ?iecessitatihus,  in 
quo  sont  depicle  yinagines  sequentes  :  videlicel  ymago  Nostre  Domine  de 
Consolacionis  cuni  suis  parvis  fiyuris  et  ymaginibus  necessariis  et  debitis, 
videlicet  in  medio;  et  in  parte  dextra,  ymago  heati  Johannis  Baptiste 
representans  ymaginem  ipsius  domini  Johannis  existentis  in  sua  cota 
armorum,  ut  moris  est;  item  a  parte  sinisti-a,  ymago  heate  Marie  Mag- 
dalene  ymaginem  uxoris  dicti  domini  Johannis  representans  in  forma. 
La  canne,  mesure  de  longueur  usitée  dans  le  Midi,  valait  8  palmes  (Du 
Gange  et  Godefroy,  s.  v.). 

61.  Retable  de  forme  allongée,  au  musée  Condé,  à  Chantilly  (ancien- 
nement dans  la  collection  Reiset).  Braun,  l'iôSS;  Bouchot,  La  peinture 
en  France  sous  les  Valois,  pi.  XLllI;  Reinach,  Rép.  de  peintures,  II, H^i. 
Il  a  passé  longtemps  pour  italien  selon  les  uns,  pour  flamand  selon  les 
autres;  ce  n'est  qu'en  1904  que  M.Camille  Benoit  en  a  deviné  la  prove- 
nance avignonnaise  [Monuments  I*iot,  X,  p.  263  ;  Revue  de  Paris,  1<^'"  mai 
1904,  p.  196),  et  que  les  érudits  ont  reconnu  qu'il  devait  être  identifié 
avec  le  retable  commandé  en  1452  par  Pierre  Cadard,  seigneur  du 
Tlîor,  aux  peintres  avignonnais  Enguerrand  Quarton  (ou  Charton,  Cha- 
ronton),  du  diocèse  de  Laon,  et  Pieri-e  Vihite,  du  diocèse  de  Limoges. 
Cette  identification  est  due  à  feu  Bouchot  (Gaz.  des  Beaux-Arts,  1904, 
I,  p.  441)  et  à  M.  Durrieu  {Gaz.  des  Beaux-Arts,  1904,  II,  p.  5).  Le 
conti-at  a  été  publié  par  M.  Requin,  Documents  inédits,  pp.  132  et 
176  :  in  medio,  ymaginem  gloriose  Virginis  Marie  cum  mantello 
coloris  lazulipuri  de  Acre  sufficientis  et  fidelis,  que  ymago  communiter 
appellatur  Xostra  Domina  de  Misericordia  ;  et  in  latere  dextro  sanctum 
Johannem  Baptistam  tenentem  sive  presentantem  figuram  domini  Johan- 
nis Cadardi,  patris  ipsius  domini  de  Thoro;et  a  latere  sinistro,  sanctum 
Johannem  Evangelistam  presentantem  matrem  ipsius  domini  de  Thoro. 
«  Lazuli  puri  de  Acre  »  :  il  s'agit  de  l'azur  de  saint  Jean  d'Acre,  ou 
bleu  d'outremer,  par  opposition  à  l'ci  azur  d'Alamaigne  »  :  cf.  Requin, 
p.  179.  —  PI.  XXI,  2. 

62.  Marseille.  —  «  Le  2  mai  1516,  Delphine  Daumas,abbesse  du  cou- 
vent de  Saint-Sauveur-de-Marseille,  autorise  la  dame  Rigone,  veuve  de 
Jean  Durand,  corroyeur,  adresser  un  autel  contre  le  pilier  de  l'église  des 
Accoules,  oîi  se  trouvent  l'autel  de  Sainte-Marie-des  Plâtriers  et  le  béni- 
tier de  Saint-Crépin,  avec  obligation  d'y  placer  dans  le  coui-ant  de  l'an- 
née un  retable  dédié  à  N.-D.  de  Consolation.  Douze  jours  après,  Rigone 
Durand  donne  ce  retable  au  prix  fait  de  160  florins  à  Jean  Cordonier,  de 
Troyes,  peintre  d'Aix.  L'acte  qui  le  constate,  écrit  sur  une  feuille 
volante,  donne  comme  il  suit  la  composition  du  tableau,  d'après  des 
indications  qui  durent  èti-e  dictées  au  notaire  par  l'artiste.  »  Nous  repro- 
duisons le  fac-similé  publié  par  M.  Barthélémy  [Documents  inédits  sur 
les  peintres  et  les  peintres-verriers  de  Marseille  de  1 300  à  t ooO,  dans  le 
Bull.  arch.  du  Comité,  1885,  p.  393). 


174 


CATALOGUE 


Quein  genuit 
adoravit 


Lo 
coronameni 
Lo    Irespas 
Camp   d'or 


Lo 
coronament 


Lo  camp   d'or 
La  corona  de  dessus  la  testa 
amhe  dos   angels  de  dessa 
Sanct    Jolian        et  délia.  Nostra  Dama 
Evangelisia      de  (Consolation,  son  mantel 
et  Sancta        d'or,  forât  d'asur,  et  sa  roha 
Barba  de  dessubs  de  hrocat  d'or, 

3/''  Jo.  Durant    et  lo  Papa,Rey,Emperador, 
a  ginous  Reyna,  et  tous  autres 

personnages  al  plus 
richamment  que  si   porra 
faijre  seyon  leur  estât 


Una 

companhia 

d'an  gels 

Sant  Jacques 

S^  Catharina 

D.  Rigona 

a  ginous 


Quant 

Joachim 

fou  refusât 

al  temple 


La  porta 
daurada. 
Quant  Van- 
gel  s'apj)a- 
reguet  a 
Joachim 


La  nafivitat 

Xostra- 

Dama. 

La  porta 

daurada. 


La  présen- 
tation 
Lanativitat 


Camp  d'or 


La 
Xunciada 


La 

nativitat 
N.  Seignor 

La 
Xunciada 


La  j)i'édelle  et  le  fronton  racontaient  la  Vie  de  la  Vierge  et  de  Jésus. 
Il  fallait  les  regarder  en  commentant,  selon  lusage,  par  le  bas  et  par  la 
gauche.  Les  indications,  telles  que  les  a  transcrites  le  notaire,  sont  assez 
confuses.  Pour  retrouver  l'ordre  véritable,  il  faut,  dans  le  troisième 
compartiment  delà  prédelle,  intervertir  les  deux  indications,  mettre  en 
haut  La  porta  daurada,  et  en  bas  La  nativitat  Xostra  Dama.  On  devait 
voir,  sur  la  prédelle  :  1°  l'offrande  de  Joachim  refusée,  2°  l'annon- 
ciation  à  Joachim,  3°  la  rencontre  à  la  Porte  Dorée,  4"  la  naissance 
de  Marie,  o"  la  présentation  de  la  Vierge  au  Temple,  G"  l'annonciation  à 
Marie,  7°  la  naissance  de  J.-C;  —  sur  le  fronton:  1"  l'adoration  de 
l'Enfant  Jésus  par  sa  mère,  2"  la  mort  de  la  Vierge,  3°  le  couronnement 
de  la  Viercre. 


63-  Riof  (village  des  Alpes-Maritimes,  arr.  de  Grasse,  cani. 
d'Anlibes).  —  Dans  l'église,  retable  qui,  d'après  le  procès-vei'bal 
de  la  visite  que  Mgr  de  Bernage  fit  en  1669,  ornait  le  maitre-autel 
et  qui  est  maintenant  relégué  à  g.  de  l'entrée.  Au  milieu,  la  Mater 
om/u'u»i,  dont  deux  anges  soulèvent  le  manteau  ;  elle  tient  l'Enfant  sur 
le  bras  g.;  l'autre  main  tend  le  chapelet  (non  [)as  le  rosaire)  aux  priants 
agenouillés  sous  son  manteau.  Dun  côté,  saint  Jean-Baptiste,  un  saint 
moine  tenant  un  livre  et  une  palme,  saint  Pierre.  De  l'autre  côté,  sainte 


CATALOGUE  \ 75 

Marie-Madeleine  (patronne  de  léglise'encore  en  1638,  mais  non  plus  de 
nos  jours\  saint  Julien  (l'égalise  de  Briot  possède  des  reliques  du  martyr 
de  Brioude),  saint  Paul.  —  J'emprunte  cette  description  à  une  note 
qu'a  bien  voulu  me  fournir  M.  G.  Doublet.  Cf.  Moris,  Au  Pays  Bleu, 
p.    !07.  Ce  retable  a  figuré  à  l'Exposition  universelle  de   Paris  en  1900. 

64.  Saint-Etienne-sur-Tinée  (chef-lieu  de  canton,  arr.  de  Puget-Thé- 
niers,  Alpes-Maritiuiesi.  — Dans  une  chapelle.  Fresque  représentant  la 
Vierge  de  Miséricorde  ^renseignement  communiqué  par  M.  G.  Doublet  i. 

65-  Bpzaudens  (canton  de  Coursegoules,  arrondissement  do  Grasse, 
Alpes-Maritimes).  — Chapelle  de  N.-D.  du  Peuple.  Triptycjue  en  bois, de 
la  fin  du  xv^'  ou  du  début  du  xvi<'  siècle  (renseignement  dû  à  M.  Moris, 
archiviste  des  Alpes-Maritimes  i. 

66.  Draguifjnan. —  Eglise  X.-D.  du  Peuple,  triptyque  en  bois,  des 
environs  de  IbOO  i  renseignement  dû  à  M.  Moris). 


France  du  centre,   Paris,   Cuampagne 

67.  Peintui-e  française  archaïque  au  musée  du  Puy  (Vibert,  Musée  du 
Puy,  catalogue  de  la  section  des  heaux-arts.  n°  13!.  —  PI.  XXI,  2.  Cf.  Per- 
drizet,  La  Mater  omnium  du  musée  du  Puy,  dans  le  Compte  rendu  du  LXXP 
Congrès  archéologique  de  France,  tenu  au  Puy  en  1904,  p.  570-384,  avec 
une  photographie;  autre  reproduction  dans  la  Gaz.  des  Beaux-Arts,  lOOo, 
pi.  Il,  pl.àla  p.  402;  une  meilleure  dans  Bouchot,  Lapeinlure en  France 
sous  les  Valois,  pi.  XXII.  J'ai  déjà  signalé  plus  haut  (p.  158]  la  fâcheuse 
description  de  M.  Reinach  {Bépertoire,  II,  o33j.  C'est  à  cette  pein- 
ture que  pensait  M.  Huysmans  quand  il  écrivait,  dans  Les  Foules  de 
Lourdes,  p.  133  :  «  Le  manteau  de  la  Vierge  couvre  tout,  ainsi  qu'en 
ces  très  vieux  tableaux  de  Madones  protectrices  où  Marie,  très  grande, 
et  debout,  étend  un  large  manteau  d'hermine,  soutenu  par  deux  saintes 
femmes,  au-dessus  de  minuscules  personnages  de  toutes  classes,  de 
tous  pays,  de  tous  rangs,  qui  prient  à  sa  gauche  et  à  sa  di'oite  et  ne 
forment,  en  somme,  qu'un  unique  troupeau,  abrité  sous  une  seule  et 
même  tente.  )> 

De  cette  peinture,  on  ne  sait  ni  l'auteur,  ni  la  date,  ni  oii,  par  qui,  ni 
pourquoi  elle  fut  dédiée.  Elle  a  été  donnée  au  musée  du  Puy  en  1830  par 
le  conseil  de  fabrique  de  l'église  Saint-Pierre-des-Carmes.  Les  Carmes 
l'avaient,  dit-on,  reçue  dans  la  première  moitié  du  xix"  siècle,  d'une 
dame  qui  l'avait  probablement  sauvée  pendant  la  Révolution  (cf.  Ulysse 
Ronchon,  Un  primitif  français  au  musée  du  Puy,  dans  le  journal 
La  Haute-Loire,  29  juillet  1903).  Du  fait  que  le  manteau  de  la  Vierge 
est  soutenu  par  deux  saintes,  en  costume  de  religieuses,  on  est  en  droit 
d'inférer  que  la  peinture  provient  de  la  chapelle  d'un  couvent  de 
femmes.  Bouchot  {op.  ci'/.,  notice  de  la  pi.  XXIII;  a  supposé  qu'elle  a  dû 
d'abord  servir  comme  bannière.  Elle  est  en  effet  peinte  sur  toile;  au 
commencement  du  xv^  siècle,  on  ne  peignait  pas  sur  toile,  mais  sur 
bois  — ou  plus  exactement  sur  bois  recouvert  de  plâtre —  les  tableaux 
d'autel.  D'auti'e    part,    la  Vierge    au    manteau  a  été  l'un  des  types  les 


ITG  CATALUCIUE 

plus  souvent  reproduits  sur  les  bannières.  Remarquons  seulement 
qu'une  bannière  est  beaucoup  plus  haute  que  large,  tandis  que  la 
toile  du  Puy  est  sensiblement  plus  large  que  haute.  Peut-être  était-elle 
fixée  à  une  hampe,  et  formait-elle  drapeau.  On  voit  d'ailleurs  par  des 
miniatures  Bibl.  Nat.,  lat.  8886,  missel  et  pontiflcal  d'Etienne  de  Loy- 
l>eau,  ff.  46  r°,  318  v"  qu'au  commencement  du  xv«  siècle  les  bannières 
étaient  parfois  très  larges. 

Ce  nest  quen  1883  que  la  Mater  omnium  du  musée  du  Puy  a  été 
signalée  à  l'attention,  et  son  origine  française  reconnue.  L'honneur  de 
cette  découverte  appartient  à  Paul  Mantz.  s'il  est  bien,  comme  je  crois, 
lauleur  de  larlicle  anonyme  paru  dans  le  Temps  du  l*^""  février  ls8.3  (à 
propos  du  don  Bancel  au  musée  du  Louvre)  :  «  Nous  connaissons, 
disait  cet  article,  un  tableau  qui  pourrait  fort  bien  être  une  œuvre  de 
Jean  Perréal  et  que  nous  signalons    aux  érudits  qui  se  préoccupent  de 

I  Ecole  française  de  ce  temps.  11  est  au  Puy,  au  musée  archéologique, 
perdu  et  ignoré  dans  un  coin  obscur.  La  composition  représente  la 
Vierge  debout,  tenant  l'enfant  Jésus  dans  ses  bras  et  enveloppant  dans 
son  manteau  d  hermine  l'humanité  représentée  par  plus  de  cent  [sic) 
personnages  de  tous  rangs  et  de  toutes  conditions,  divisés  en  deux 
catégories.  A  droite  sont  les  empereurs,  les  rois,  les  princes,  les 
évèques  et  les  religieux  de  tous  ordres;  à  gauche,  les  seigneurs,  les 
bourgeois  et  les  manants.  Au  premier  rang  figure  un  personnage  que  le 
costume  et  la  physionomie  désignent  comme  pouvant  être  Charles  VIII.  » 

II  n'est  plus  nécessaire  de  montrer  que  le  tableau  du  Puy  ne  peut  être 
de  Jean  Perréal.  Il  lui  est  très  antérieur.  De  combien  de  dizaines 
d'années?  C  est  un  point  sur  lequel  les  critiques  qui  en  ont  parlé,  quand 
il  était  exposé  au  Pavillon  de  Marsan,  ne  sont  pas  tombés  d'accord  : 
'<  Toutes  les  écoles,  écrivait  M.  Lafenestre  (L'exposition  des  Primitifs 
français,  p.  36),  se  mêlent  étrangement  à  partir  du  milieu  dn  xv*  siècle. 
S'il  est  déjà  difficile  dès  lors  de  déterminer  ce  qui  est  bourguignon  et  ce 
qui  ne  lest  point,  il  devient  aussi  fort  ardu  d'assigner  une  origine  aux 
peintures  éparses  dans  les  autres  régions...  Heureusement,  ce  qui  est 
beaucoup  moins  difficile,  c'est  d'y  reconnaître  le  caractère  français. 
Tel  est  le  cas,  par  exemple,  de  cette  belle  Vierge  protectrice,  entourée 
de  clercs  et  de  laïques,  venue  du  couvent  des  Carmes,  au  Puy.  Pauvre 
toile,  bien  usée,  bien  fatiguée,  presque  en  poussière.  Mais  quelle  har- 
monie, sûre  et  délicate,  dans  l'assortiment  des  colorations  légères! 
Quelle  sincérité  touchante,  grave  et  douce,  dans  toutes  les  physionomies 
des  adorants,  hommes  et  femmes,  d'un  dessin  si  juste  et  si  pur  !  Certes, 
l'artiste  qui  a  peint  celte  bannière  ou  tenture,  a  vu  des  miniatures  pari- 
siennes et  des  retables  toscans,  car  on  a  toujours  vu  quelque  chose 
avant  d'être  un  maitre;  mais  avec  quelle  finesse,  à  si  grande  distance 
d'illustres  contemporains  qu'il  ne  connaissait  pas  sans  doute,  Vittore 
Pisano  et  Fra  Angelico,  il  a  modelé  légèrement,  dans  le  mêirue  esprit, 
toutes  ces  têtes  ferventes  et  ty[)iquesl  M.  Bouchot  a  très  justement 
signalé  les  rapports  de  cet  art  avec  l'art  d'Enguerrand  Charonton.  » 
D'un  style  moins  simple,  M.  Gillet  Les  primitifs  français,  dans  les 
Cahiers  de  la  quinzaine,  VI,  7,  p.  41)  répète  les  mêmes  assertions  :  «  La 
bannière  du  Puy  fut  peinte  vraisemblablement  par  quelque  artiste  de 
passage,  peut-être  un  émigrant[?\  Les  figures  sont  vivement  écrites  et 


CATALOGUÉ  l77 

comme  d\in  seul  trait,  d'une  main  expéditive  mais  si  sûre  qu'elle  est 
presque  infaillible  et  dans  l'extrême  hàle,  dit  en  somme  ce  qu'elle 
veut  dire.  Beaucoup  de  ces  têtes  sont  jolies,  faites,  ce  qui  semble 
étrange  dans  ces  conditions,  avec  moins  d'esprit  que  de  sentiment.  Et 
c'est  une  préface  toute  trouvée  et  fort  honorable  au  Couronnement  de 
la  Vierge  d'Enguen-and  Charonton.  »  Mais  avec  Charonton,  nous  sommes 
au  milieu  du  xv<'  siècle,  plutôt  après  14")0  qu'avant  (T'jer^e  des  Cadard, 
1452  ;  Couronnement  de  la  Vierge,  14;j3);  et  le  tableau  du  Puv,  indé- 
pendamment de  toute  considération  esthétique,  présente  des  particula- 
rités de  costume  qui,  à  un  juge  compétent  comme  feu  Bouchot,  parais- 
saient indiquer  les  environs  de  1420  [La  peinture  en  France  sous  les 
Va/ois,  notice  de  la  pi.  XXII;  le  même,  dans  Les  Primitifs  français  au 
palais  du  Louvre,  p.  189  :  «  La  Vierge  du  Puy  serait  de  l'année  1420 
par  certains  détails  très  écrits  »),  voire  même  de  1415  [Les  Primitifs 
français,  p.  12).  Le  chapeau  à  plumes  du  grand  seigneur  placé  derrière  la 
reine  se  retrouve  sur  le  frontispice  des  Très  riches  heures  de  Chantilly. 
Les  miniatures  des  manuscrits  du  duc  de  Berry,  par  exemple  celles  du 
Jioccace  à  la  Bibhothèque  Nationale  (fr.  598  :  pour  le  manteau  du  roi, 
cf.  fî.  XV  v",  XVIII  r»;  pour  la  coiffure  de  la  dame  qui  est  au  bout  de 
la  rangée  supérieure,  cf.  f°  xxiiir"),  prêteraient  à  des  rapprochements 
analogues.  L'énorme  chapeau  fourré,  en  forme  de  tronc  de  cône  évasé, 
garni  sur  le  devant  d'une  médaille  pieuse  cerclée  de  perles,  que  porte  le 
prince  qui  est  au-dessus  de  l'empereur,  est  celui-là  même  qu'on  voit  au 
frère  du  duc  de  Berry,  Philippe  le  Hardi  (Thévet,  Portraits  et  vies  des 
hommes  illustres,  Lyon,  1584,  p.  267).  Au  total,  je  tiens  pour  assuré 
que  la  Vierge  du  Puy  est  antérieure  à  Charonton  d'une  génération. 

Eu  ce  temps-là,  vers  1420,  Le  Puy  jouait  un  rôle  dans  l'histoire  de 
France.  Le  Velay  était  au  roi.  Le  dauphin  Charles  passe  au  Puy  une 
partie  des  années  1420  et  1422  ;  le  21  octobre  1422,  il  y  est  proclamé  roi 
de  France  lOdon  de  Gissey,  Discours  hisforicjues  sur  la  très  ancienne 
dévotion  de  N.-D.  du  Puy,  Lyon,  1620,  p.  549  et  556).  Très  dévot, 
comme  plus  tard  Louis  XI,  à  la  fameuse  Vierge  adorée  au  Puy,  il  n'a 
pas  fait  moins  de  cinq  séjours  dans  la  capitale  de  Velay  (sur  le  séjourdu 
dauphin  Charles  au  Puy  en  1420  et  sur  sa  dévotion  à  N.-D.  du  Puy,  cf. 
Siméon  Luce,  Jeanne  dWrc  à  Domrémy,  p.  ccxcv).  La  tentation  est 
grande  de  mettre  en  rapport  la  peinture  votive  qui  nous  occupe,  d'une 
part  avec  les  séjours  du  dauphin  Charles  au  Puy, —  la  robe  de  la  Vierge 
est  ornée  de  fleurons  qui  ressemblent  bien  à  des  fleurs  de  lis  —  d'autre 
part  avec  la  vogue  de  la  Virgo  Aniciensis  :  sur  la  vogue  de  cette  dévo- 
tion, et  sur  les  jubilés  qu'on  célébrait  au  Puy  quand  le  Vendredi  saint 
tombait  le  25  mars,  anniversaire  de  l'Annonciation,  ce  qui  arriva  en 
1407,  1418,  1429,  cf.  S.  Luce,  op.  cit.,  p.  ccxcii-ccxcvii. 

Derrière  le  manteau  de  la  Vierge  du  Puy,  beaucoup  moins  grand  que 
les  deux  saints  qui  le  tiennent  soulevé,  apparaissent  à  mi-corps  des 
saints  et  une  sainte,  en  tout  six  personnages.  Le  peintre  les  a  groupés 
par  paires,  une  paire  à  la  droite  de  la  Vierge,  deux  paires  de  l'autre 
côté.  Le  premier,  à  gauche,  paraît  être  saint  Pierre.  Le  dernier,  à  droite 
est  certainement  saint  Boch;  à  côté  de  saint  Boch,  un  jeune  saint  qui 
pourrait  bien  être  saint  Sébastien.  De  la  sainte  à  côté  de  saint  Pierre  et 

PEnoRi/iiT.  —  La  Vierge  de  Miséricorde.  12 


178  CATALOGUE 

des  deux  derniers    saints    à    gauclie,    je   ne    saurais  rien   dire,  faute  de 
caractéristiques. 

68-  Paris. —  «Tombeau  de  pierre  sous  les  charniers  de  Saint-Inno- 
cent, à  la  4*  arcade  du  côté  de  la  rue  de  la  Lingerie.  »  Ce  monument,  qui 
n'existe  plus,  est  connu  par  un  dessin  à  la  plume,  en  deux  exemplaires, 
dans  la  collection  Gaignières,  au  (Cabinet  des  Estam|)es  CoZZ.  Gaif/nières, 
Paris,  rglises  diverses,  f"*  40  et  41  ;  cf.  Bouchot,  Inventaire  des  dessins 
exécutés  pour  Roger  de  Gaiijnières,  t.  II,  p.  9.')).  C'était  un  grand  relief 
cintré  qui,  par  sa  forme,  sa  composition,  rappelle  les  grands  reliefs  flo- 
rentins des  délia  Robbia  ;  la  ressemblance,  par  exemple,  avec  le  relief 
de  l'église  S.  Maria  in  Gradi.  d'Arezzo.  est  telle  qu'il  semble  bien  que 
le  relief  des  Innocents  fût  une  œuvre  italienne  ion  sait  (jue  Girolamo, 
l'un  des  fds  d'Andréa  délia  Robbia.  fut  attiré  en  France  par  François  I"""; 
cf.  Molinier  et  Cavallucci,  Les  délia  Robbia)  ;  à  tout  le  moins  était-ce  le 
travail  d'un  italianisant.  En  haut,  l'Ancien  des  jours,  avec  la  tiare  à 
triple  couronne  et  la  boule  du  monde;  il  bénit  ;  deux  anges  l'adorent. 
Au-dessous,  dans  un  fond  semé  de  chérubins,  une  longue  I:)anderole  se 
déroule,  portant  ces  mots  du  Psaume  XXX,  v.  2  :  In  te,  Domine, 
spcravi.  IVon  confundar  in  wternum.  Amen.  Au-dessous,  la  Mater 
omnium,  sans  l'Enfant,  la  tête  auréolée  de  rayons.  Deux  anges  la 
couronnent,  deux  autres  laident  à  soulever  les  plis  de  son  immense 
manteau.  A  droite  sont  agenouillés  les  clercs;  à  gauche  les  laïques.  Ni 
pape,  ni  empereur  :  nous  sommes  en  France.  A  la  tète  des  laïques,  le  Roi  ; 
à  la  tètedes  clercs,  le  Cardinal  :  se  rappeler  que  le  premier  ministre  de 
Louis  XII  fut  un  cardinal,  Georges  d'Amboise  (-{-  1510).  Les  dames 
agenouillées  derrière  le  roi  ont  la  coiffure  et  le  costume  de  Claude  de 
France.  On  peut  croire  que  le  relief  a  été  sculpté  en  1516,  après  le 
plus  récent  décès  mentionné  dans  l'épitaphe.  De  chaque  côté  de  ce 
relief,  deux  reliefs  plus  petits,  eux  aussi  de  style  italien  (arc  en  plein  cintre 
surmonté  d'un  fronton  triangulaire)  :  ils  représentent,  l'un,  Jean  le  Bou- 
langer, l'autre  son  fds  Michel,  adorant  à  genoux  la  Vierge  au  manteau. 
—  PI.  XXIII,  2. 

Voici,  d'après  la  copie  de  Gaignières,  les  épitaphes  de  ce  tombeau  ; 
celle  de  gauche  a  été  conservée  aussi  par  Sauvai, //is/otre  et  recherche 
des  antiquités  de  la  ville  de  Paris,  t.I,  p.  727. 

A  gauche  : 

Cy  dessoubz  yist  noble  homme  et  saige  messire  Jehan  le  Boulenger,  en 
son  vivant  chevalier,  conseiller  du  Roy  nostre  sire, et  premier  président  en 
la  court  de  parlement,  seigneur  de  Jacquille  en  Gastinois,  de  Illes  et  de 
Montigny  en  Brie,  qui  tresj>assa  le  xxi.  Jour  de  febvrier  lan  mil  cccc 
iiii-^-r  et  a  ;  Aussy  gisl  noble  dame  Phelippe  de  Colhereau  en  son  vivant 
femme  dudit  chevalier,  qui  trespassa  le  iii.  iour  de  novembre  lan  mil 
iHJcc  Ixxiii. 

A  droite  : 

Cy  dessoubs  gisent  nobles  personnes  Messire  Michel  le  Boulenger,  en  son 
vivant  conseiller  du  roy  nostre  sire  en  sa  court  de  parlement,  filz  aisné 
dudit  deffunct  président  qui  trespassa  le  iiii^  jour  de  septembre  lan 
mil  vc  et  dix  ;  et  damoiselle  Catherine  Chambellan  sa  première  femme 
qui  trespassa  le  dernierjour  de  juillet  lan  mil  iiii''  iiii-':-''  xiiii,  et  damoiselle 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


PI.  XXIIl 


CQ 


S  'X 


CATALOGUE  179 

Martine  de  Valloiys  sa  ii  /'einnie  qui  aussi  Irespassa  le  viii  Jour  du  mois 
darril  lan  mil  v<^    etxvi  après  pasques. 
Priez  dieu  pour  leurs  a?nes. 

69.  Ervy  (Aubei.  — ■  Rue  du  Guérillon,  dans  le  poteau  d'angled'une  mai- 
son, est  sculptée  une  Vierge  qui  enveloppe  de  son  manteau  toute  une 
famille  suppliante;  cette  famille  est  assistée  de  saint  Claude,  sans  doute 
le  pati'on  de  son  chef;  au  premier  plan  l'enfant  ressuscité,  qui  carac- 
térise le  saint  franc-comtois.  Cf.  Fichot,  Statistique  monumentale  de 
CAube,  II,  p.  81  ;  Morel,  JSiouveau  guide  de  l'étranger  dans  Troyes  et 
dans  l'Aube  (Troyes,  1905),  p.  134. 

70.  Mater  omnium,  statue  en  pierre,  polychrome,  des  envii-onsde  Tan 
1500,  dans  l'église  de  Fontaine-en-Duesmois  |Côte-d"Or,  arr.  de  Chàtil- 
lon,  canton  de  Baigneux).  Une  médiocre  photographie  dans  L'art  sacré 
n°  du  5  oct.  1904,  p.  7. 

71.  M(arsauxV  Les  ornements  religieux  à  l'Exposition  de  Reims,  dans  le 
Bulletin  monumental,  1895,  p.  175  :  u  Statuette  de  la  Vierge,  abritant 
sous  son  manteau  les  divers  membres  de  l'Église,  agenouillés  ;  elle 
rappelle  la  statuette  \sic)  de  N.-D.  de  Bon-Secours  de  Nancy,  xvi'"  siècle. 
Appartient  à  M.  Perseval, de  Reims.  » 

72.  En  1G73  fut  installé  le  nouveau  séminaire  d'Angers,  n  Les  prêtres 
du  séminaire  ayant  eu  de  grandes  affaires  en  différentes  occasions  dont  ils 
ont  toujours  eu  bon  succès  par  la  toute-puissante  protection  de  Marie, 
M.  Maillaid,  leur  supérieur,  fit  placer  une  de  ces  figures  en  relief  sur 
l'autel  de  la  chapelle,  avec  ces  mots  en  lettres  d'or  :  N.-D.  de  la  Vic- 
toire, et  Ri  îa'ive  un  devant  d'autel  où  sont  peints  plusieurs  ecclésias- 
tiques à  genoux  aux  pieds  de  N.-D.  qui  les  couvre  de  son  manteau, 
avec  ces  paroles  autour  :  Nemo  rapiet  eas  de  manu  mea  [Ev.  Joan.,  X,  28]  » 
(Grandet,  N.-D.  Angevine,  p.  435,  cité  par  Barbier  de  Montaull,  Rev.  de 
l'art  chrétien,  1889,  p.  25). 

Bourgogne 

73.  Ancienne  église  de  la  fameuse  abbaye  cistercienne  de  Pontigny 
fYonne,  arr.  d'Auxerre,  canton  de  Ligny-le-Chàtel)  statue  de  pierre; 
début  du  xvi«  siècle.  Marie  debout,  sans  voile,  cheveux  flottants  sur 
les  épaules  et  la  couronne  en  tète  ;  longue  robe  à  petits  plis  serrée  à 
la  taille  par  une  ceinture  agrafée  au  moyen  d'une  boucle  ovale  assez 
forte.  Manteau  de  protection  moins  ample  qu'à  l'ordinaire  et  relevé 
parla  Vierge.  Sur  le  socle,  six  personnages  placés,  non  pas  sous  le  man- 
teau, mais  plutôt  en  avant  de  la  statue  principale,  et  formant  en 
quelque  sorte  le  demi-cercle  autour  d'elle  ;  à  droite:  évècjue,  religieuse, 
franciscain;  à  gauche  :  cistercien,  clerc  et  laïque.  Tous  sont  agenouillés, 
les  mains  jointes,  le  regard  dirigé  vers  Marie.  Sur  la  bordure  du  man- 
teau, ou  lit  l'inscription  suivante,  divisée  en  deux  parties  : 

Mater  consolatur  fili[os) 
Suos  suspirantes  ad  te. 


180  CATALOOLt; 

Sur  le  socle,  les  premiers  vers  de  la  quatrième  strophe  de  V Ave  maris 
Stella  :  Monstra  te  esse  inatrem.  —  Je  dois  cette  description  à  M.  Paul 
Denis. 

74.  Dans  l'église  de  labbaye  cistercienne  d'Acey  (sur  la  rive  g-auche 
de  rOgnon,  dép.  du  Jura),  retable  polychrome,  du  commencement  du 
xvi«  siècle,  voué  par  un  cellerier  de  l'abbaye.  Ce  i-etable,  que  je  crois 
inédit,  m'est  connu  par  la  description  insuffisante  qu'en  a  donné  l'ar- 
chiviste J.  Gauthier  dans  les  Mémoires  de  l'Académie  de  Besançon, 
1895,  p.  281.  Les  pans  du  manteau  sont  tenus  levés  par  saint  Benoît 
et  saint  Bernard,  les  deux  saints  auxquels  était  anciennement  dédiée 
la  chapelle  où  se  trouve  le  retable.  A  droite,  le  pape,  le  cai-dinal, 
l'évêque  et  l'abbé  ;  à  gauche,  l'empereur,  et  trois  autres  personnages 
la'iques. 

75.  La(/nieu  en  .Bugey,  ville  du  dép.  de  l'Ain,  canton  de  Bellay, 
Retable  dans  la  chapelle  du  cimetière  chapelle  Saint-Sébastien,  ou  de 
la  Croix.  Mater  omnium  ;  sous  le  manteau  delà  Vierge,  que  deux  anges 
tiennent  levé,  à  droite  les  clercs  et  le  donateur,  à  gauche  les  laïques  et 
la  femme  du  donateur.  Sur  la  base,  la  dédicace:  hanc  tahulam  fecit 
fieri  Joannes  Favier  de  Laniaco,  ducati  Sahoidiae)  secretarius,  quiobiit 
anno  mille  CCCCLXXI  et  die  XVII  novemb.  Deux  statues  de  Saints,  à 
droite  et  à  gauche  de  ce  groupe  princij)al,  complétaient  le  retable  :  à 
droite,  saint  Maurice,  protecteur  de  la  maison  de  Savoie  ;  à  gauche, 
saint  Bernardin  de  Sienne,  reconnaissable  aux  trois  mitres  épiscopales 
placées  à  terre,  devant  lui;  dans  la  main  gauche,  il  semble  tenir  un 
livre  ouvert  :  en  réalité,  il  tenait  jadis  son  attribut  ordinaire,  le  tableau 
carré  avec  le  trigramme  sacré  :  le  retable  a  été  restauré  et  repeint,  un 
restaurateur  ignorant  a  transformé  le  tableau  en  livre,  et  sur  le  livre  il 
a  peint  ces  mots  :  «  A  la  gloire  de  Dieu  ».  Décrit  dans  la  Réunion  des 
sociétés  des  Beaux-Arts,  1907,  p.  471  ;  décrit  et  reproduit  dans  la  Revue 
de  rilistoire  de  Lyon,  1907,  p.  83.  Les  auteurs  de  ces  descriptions  ne  se 
sont  pas  avisés  que  les  deux  statues,  à  droite  et  à  gauche  du  groupe 
central,  représentaient  des  Saints.  D'après  la  notice  de  la  Réunion  des 
soc.  des  Beaux-Arts,  le  monument  en  question  se  trouverait  «  près  de 
Lagnieu,  dans  la  chapelle  du  cimetière  de  Jujurieux  »  ;  il  aurait  été 
voué  par  Jean  Favier,  <>  qui  vivait  vers  l'an  1482  >>.  Or,  la  chapelle  où  se 
trouve  le  monument  est  bien  celle  du  cimetière  de  Lagnieu  même  ; 
Jujurieux  est  un  village  à  20  kilomètres  au  nord  de  Lagnieu.  Quant  à 
Favier,  la  dédicace  même  du  retable  de  Lagnieu  dit  qu'il  mourut  en 
1471.  —  PI.  XXXI  (cliché  prêté  par  la  Revue  de  l'Histoire  de  Lyon,  avec 
l'autorisation  de  M.  Perroud). 

76-  Jasseron,  villagedel'Ain,  arr.  de  Bourg,  cantonde  Ceyzériat.Dans 
l'église,  bas-relief  de  pierre,  qui  semble  dater  de  la  fln  du  xv»  siècle. 
Mater  omnium,  couronnée,  sans  le  nimbe  et  sans  l'Enfant.  A  droite 
et  à  gauche,  au  dernier  rang  des  priants,  des  jongleurs  i?j  jouent 
de  la  flûte  :  cf.  supra,  p.  88,  le  retable  des  Pfeiffers,  à  Vieux-Thann. 
Exécution  grossière  (Perroud,  dansla /Jcrue  de  l'Histoire  de  Lyon,  1907, 
p.  86). 


CATALOCrE  1  8 1 

77.  Brienne,  villag'e  de  Saone-et-Loiro,  canton  de  Cuisery,  arr.  de 
Louhans.  Dans  l'église,  statue  de  pierre,  de  la  fin  du  xv^  siècle.  La 
Mater  omnium,  couronnée,  écarte  des  deux  mains  son  large  manteau 
sous  lequel  sont  agenouillés  des  g-ens  de  tout  état,  à  droite  les  ecclésias- 
tiques, à  gauche  les  laïques.  Reproduction  dans  la  Réunion  des  sociétés 
des  Beaux-Arts,  1007,  pi.  LXXVII,  p.  40o. 

78.  Statue  jadis  au-dessus  du  grand  autel  de  l'église  des  Minimes  de 
Consolation  (commune  des  Maisonnettes,  canton  de  Pierrefontaine, 
arr.  de  Baume-les-Dames,  Doubs).  Je  ne  la  connais  que  par  une  des- 
cription anonyme,  conservée  à  la  Bibliothèque  Nationale,  ms.  fr.  32547, 
f"  147-152  :  «  On  m'a  demandé  au  mois  de  juin  1728  ce  que  je  pensais 
d'une  statue  de  Notre-Dame  qui  est  au-dessus  du  grand  autel  de 
l'église  des  Minimes  de  Consolation,  sous  le  manteau  de  laquelle  on  voit 
du  costé  droit  vn  pape,  vn  evesque,  vn  cardinal,  vn  jacobin  et  deux 
abbesses,  et  au  costé  gauche  cinq  personnages  habillés  en  comtes  et 
en  chevaliers,  le  tout  sans  datte  ny  inscription.  »  Suit  une  longue  dis- 
sertation historique,  où  l'auteur  s'efTorce  de  prouver  que  les  onze  priants 
représentent  diverses  personnes  de  la  famille  de  la  Palu,  qui  possédait 
au  xv'^  et  au  xvi<^  siècle  la  seigneurie  de  Chàteauneuf-de-Vennes,  sur 
laquelle   s'élevait  la  chapelle  de  Consolation. 

79.  Retable  de  pierre,  dans  l'église  de  Pirej^  village  du  Doubs,  can- 
ton d'Audeux,  arr.  de  Besançon.  La  Mater  omnium,  debout,  couronnée, 
l'Enfant  nu  sur  le  bras  gauche,  le  sceptre  dans  la  dextre.  Le  manteau 
est  tenu  levé  par  deux  anges.  Quatorze  priants  agenouillés,  les  clercs  à 
droite,  les  laïques  à  gauche.  Première  moitié  duxvi*"  siècle.  Reproduc- 
tion dans  la.  Réunion  des  sociétés  des  Beaux-Arts,  1907,  pi.   78. 

80.  Retable  de  pierre,  encastré  dans  une  maison  de  Gy  (Haute-Saône). 
Le  bourg  comtois  de  Gy,  fameux  jadis  par  son  vignoble,  était  la  résidence 
rurale  des  archevêques  de  Besançon;  il  possède  encore  leur  château, 
c'est  un  élégant  édifice  de  la  fin  du  xv^  siècle.  Mais  l'église  du  moyen 
âge  a  été  démolie  au  xviu"  siècle,  et  remplacée  par  une  pompeuse  cons- 
truction, dont  le  plan  serait,  paraît-il,  de  Soufflot.  Le  relief  dont  il  s'agit 
doit  provenir  de  l'église  ancienne.  Il  est  divisé  en  trois  arcades  de 
style  italianisant  (niches  à  coquille,  pilastres,  frise  ornée  de  rinceaux, 
chapiteaux  d'où  sortent  des  putti).  Dans  l'arcade  du  milieu,  qui  est  plus 
haute  que  les  autres,  la  Mater  omnium  couronnée,  les  bras  étendus, 
comme  pour  bénir  les  gens  agenouillés  à  ses  pieds.  A  droite,  l'Annon- 
ciation :  la  Vierge  est  à  son  prie-dieu;  à  terre,  devant  elle,  un  vase 
d'où  sortait  un  grand  lis;  l'ange,  en  costume  de  diacre,  tient  le  bâton 
des  hérauts  ;  une  banderole  s'y  enroule,  sur  laquelle  devaient  être 
peints  les  premiers  mots  de  la  Salutation  angélique.  A  gauche,  la  Visi- 
tation. La  fresque  bavaroise  de  Feldmoching  (f'n/'ra,  p. 192)  devait  l'epré- 
senter  de  même  la  Mater  omnium  entre  l'Annonciation  et  la  Visitation.  Ces 
deux  épisodes  étant  consécutifs  dans  la  légende,  il  est  naturel  que  les 
arts  figurés  les  aient  souvent  rapprochés  :  ainsi,  sur  le  volet  droit  du 
retable  peint  en  1.398  par  Melchior  Brœderlam  (musée  de  Dijon;  cf. 
Wauters,  La    peinture  flamande,    fig.    4  ,    la    Visitation    est    à  côté  de 


182  CATALOGUE 

l'Annonciation.  Si  l'ornementation  du  retable  de  Gy  est  déjà  italienne,  le 
type  des  figures,  la  tête  de  la  Mater  omnium  et  la  tète  de  l'ange,  rajjpellent 
l'art  bourguignon-tlamand  ;  et  le  groupe  de  la  Visitation  est  évidemment 
inspiré  du  groupe  fameux  de  l'église  Saint-Jean  à  Troyes.  Le  groupe  de 
Troyes,  que  l'on  date  de  1;)20  (Koechlin  et  Marquet  de  Vasselot,  La 
sculpture  à  Troyes  et  dans  la  Champagne  méridionale,  p.  140),  paraît 
avoir  été  en  son  temps  très  admiré,  et  a  suscité  diverses  imitations  :  un 
groupe  dans  l'église  de  Virey-sous-Bar,  une  verrière  de  l'église  de 
Saint-Étienne-Nozay  près  d'Arcis-sur-Aube,  un  des  reliefs  du  jubé  de 
Villemaur  (Aulje),  exécuté  en  1321  parles  maitres  huchiers  Tbomas  et 
Jacques  Guyon  (Koechlin  et  Vasselot,  op.  cit.,  p.  142  .  Un  retable  de 
pierre,  dans  l'église  de  Saint-André  près  Troyes  le  travée  du  bas-côté  X.), 
représentant  la  Crucifixion,  rappelle  beaucoup,  par  l'ornementation,  le 
relief  de  Gy.  Celui-ci  doit  être  l'œuvre  d'un  sculpteur  champenois,  tra- 
vaillant vers  1525,  ou  d'un  franc-comtois  ayant  vécu  à  Troyes.  — 
PI.  XXIV,  1. 

81.  Saint-Loup  fJura).  — -  Statuette  en  bois,  d'un  mètre  de  haut.  La 
Vierge  couronnée,  porte  l'Enfant,  couronné  lui  aussi,  et  tenant  une  colombe 
par  les  ailes.  Sons  le  manteau  six  personnages  agenouillés  :  à  droite,  le 
pape,  à  gauche,  le  roi.  Cette  statuette  aurait  été  apportée  d'Autun  après 
la  Révolution.  Je  dois  ces  renseignements  à  M.  Grand,  cui'é  de  Saint- 
Loup. 

82.  Dôle.  —  Au  musée,  petite  Vierge  de  Miséricorde,  médiocre  travail 
du  xvii^  s.  (communication  de  M.  René  Jean). 

Lorraine. 

83.  Statue  de  Mansuy  Gauvain  dans  l'église  de  N.-D.  de  Bonsecours. 
Reproductions  photographiques  dans  Jérôme,  L'église  N.-D.  de  Bon- 
secours  à  Nancy  ;Nancy,  1898  ,  p.  209;  Pfister,  Histoire  de  Nancy,  t.  I, 
p.    570;    Lorraine    artiste,    1905,    p.     113.    —    PI.    I. 

Par  lettres  patentes  du  28  octobre  1484,  René  II,  sept  années 
après  la  bataille  de  Nancy,  accorde  à  frère  Jean  Villey  de  Scesse  la 
permission  d'élever  une  chapelle  sur  la  fosse  où  gisaient  les  corps 
des  4000  Bourguignons  morts  dans  la  journée  du  5  janvier  1477; 
les  lettres  patentes  spécifient  (jue  la  chapelle  sera  dédiée  à  N.-D.  de 
Bonsecours,  «  en  recordation  et  perpétuelle  mémoire  de  la  victoire 
que,  moyennant  la  grâce  de  Dieu  et  laide  et  intercession  de  la  glo- 
rieuse Vierge  Marie  sa  mère,  avons  obtenue  en  cedit  lieu  »  (le  texte 
complet  publié  par  Lepage,  La  chapelle  de  Bonsecours  ou  des  Bour- 
guignons, p.  4  du  tirage  à  part  de  l'Annuaire  de  la  Meurlhe,  1852).  Il 
semble  résulter  d'un  passage  de  la  Nancéide  de  Pierre  de  Blarru  (éd. 
Schiitz,  t.  II,  p.  258)  que  la  première  image  de  la  Vierge,  qui  ait  été  pla- 
cée dans  la  chapelle  du  Bonsecours,  la  représentait  allaitant  l'Enfant 
[struclum  non  grande  sacellum  Virginis,  aima  Deo  çupp  prsebuit  uLera 
nato).  En  1505,  René  II  commande  à  un  artisan  lorrain,  Mansuy  Gau- 
vain. le  futur  auteur  de  la  Porterie  du  palais  ducal,  une  image  de  la 
Mater  omnium,  destinée  à  la  chapelle  des  Bourguignons  :  Payé  à 
Mansuy,  menuisier,  pour  avoir  taillé  ung  yniaige  de  N.-D.  affublée  d'un 
manteau     ouvert     et    laillié    gens     de    tous    estas...   viii    francs    r  gros 


Perdrizet,  La' Vierge  de  Miséricorde 


PI.  XXIV 


1.   Retable  de  Gv 


Cliché  Penotlet 


^.m:^^ 


■ré^tiidr::iii*yimi'^^-j^^^'ii^  :?-f**^.  ■ 


2.   Chasse  d'Albi 


CATALOOIK  183 

(comptes  du  receveur  général  de  Lorraine  pour  IdOo-I.'jOô  :  texte  publié 
pour  la  pi-emière  fois  par  Lepage,  dans  le  Bull,  de  la  soc.  d'archéol. 
lori'.,  18"tl,  p.  33).  La  seconde  femme  de  René,  la  pieuse  Philippe 
de  Gueldres,  qui  était  affiliée  à  l'Ordre  franciscain,  fit  les  frais  de 
lenluniinui'e  :  «  Payé  à  Marlin  Denisel,  chappellain  de  X.-D.  de  Bonse- 
cours,  que  la  Royne  [^Philippe  de  Gueldres  s'intitulait  reine,  à  cause 
des  prétentions  de  son  mari  à  la  couronne  de  Sicile;  lui  a  ordonné  bail- 
ler ceste  fois  pour  faire  paindre  une  y  mage  de  X.-D.  à  plusieurs  per- 
sonnages adjacens  à  icelle...  vi  florins  d'or,  ix  livres  aij  sols  »  (comptes 
du  receveur  général  de  Lorraine  pour  loOo-1506  ;  texte  publié  pour  la 
première  fois  par  Lepage,  op.  laud.,  p.  54).  Dans  la  somme  payée  à 
Deniset,  était  compris,  selon  l'usage,  le  prix  des  fournitui-es;  il  l'em- 
portait sans  doute  de  beaucoup  sur  le  salaii'e  de  l'enlumineur.  La  poly- 
chromie dont  l'œuvi-e  de  Gauvain  avait  été  revêtue  en  loOo  n'existe  plus 
depuis  longtemps  ;  comme  les  autres  sculptures  du  même  temps  que 
possède  encore  la  Lorraine  (tombeau  de  René  II  dans  l'église  des  Cor- 
deliers,  à  Nancy;  tombeau  de  Hugues  des  Hazards,  à  Blénod-lez-Toul), 
la  statue  de  Bonsecours  a  été  cruellement  repeinte  au  xix*^  siècle.  C'est 
une  des  raisons,  je  pense,  d'une  légende  singulière,  qui  m'a  été 
racontée  à  Nancy  par  des  ecclésiastiques  :  la  statue  de  Bonse- 
cours ne  serait  pas  l'œuvre  originale  de  Mansuy  Gauvain,  mais 
une  copie  exécutée  lors  des  travaux  de  restauration  qui  précédèrent 
la  fête  du  couronnement  de  la  Vierge  de  Bonsecours  le  3  septembre 
1865  :  la  copie  aurait  été  frauduleusement  substituée  à  l'original, 
celui-ci  aurait  disparu.  Noël  {Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  de  Lor- 
raine, n°  5,  t.  1,  p.  226  ;  Catalogue  raisonné  de  ses  collections  lorraines, 
t.  II,  p.  ()98,  876  et  1051)  croyait  lui  aussi  que  l'église  de  Bonsecours  n'a 
plus  qu'une  copie  de  la  statue  de  Gauvain  :  il  se  fondait  sur  les  diffé- 
rences qu'il  y  a  enti-e  la  statue  et  les  nombreuses  gravures  de  dévotion 
qui  ont  été  exécutées  d'après  elle  au  xvii^  et  au  xviii''  siècle,  depuis  le 
frontispice  du  livre  de  Nicolas  Julet  par  Callot  (reproduction  dans  Pfis- 
ter,  Histoire  de  Nancy,  t.  I,  p.  575)  jusqu'à  la  grande  image  in-folio 
«  geni'e  Epinal  »,  sortie  vers  1850  des  presses  de  Deckherr,  à  Mont- 
béliard  (un  exemplaire  de  cette  image  dans  la  collection  Wiener,  à 
Nancy).  Mais,  comme  l'a  dit  Rouyer  [Mémoires  de  la  Société  d'arch. 
lorr.,  1886,  p.  393),  «  l'inexactitude,  dans  la  représentation  des  monu- 
ments, aux  siècles  passés,  était  un  défaut  quasi-général  ».  J'ai  pu 
examiner  de  près,  à  l'aide  d  un  échafaudage  dressé  tout  exprès,  la 
statue  de  Bonsecours,  et  je  me  suis  rendu  compte  que  c'est  une  absur- 
dité d'y  voir  une  copie  subrepticement  exécutée  au  milieu  du 
XIX""  siècle.  Des  repeints  épais  empâtent  les  figures  expressives  des 
priants,  alourdissent  et  vulgarisent  l'ensemble;  le  visage  de  la  Vierge 
a  les  fades  couleurs  des  images  pieuses  confectionnées  à  l'ombre  de 
Saint-Sulpice. 

La  statue  est  taillée  dans  un  seul  bloc  de  pierre  de  Sorcy.  Avec  ses 
joues  pleines,  ses  formes  rebondies,  cette  Vierge  est  bien  l'œuvre  d'un 
artiste  habitué  à  travailler  le  bois.  Par  ordre  chronologique,  c'est  la  pre- 
mière œuvre  connue  de  Gauvain  ;  dans  l'un  des  comptes  où  il  en  est 
question,  le  maitre  est  quaHfié  de  «  menuisier».  Notons  encore,  si  l'on 
veut,  la  forte  santé    de    la    Vierge,    cette   vigueur   solide   de  paysanne 


1 8  i  CATALOGUE 

lorraine  :  les  Vierges  de  France  ou  d'Italie  sont  plus  fines,  plus  mys- 
tiques. Et  remarquons  aussi  la  simplicité  de  la  composition  pyrami- 
dale ;  la  statue  a  conservé  quelque  chose  de  la  forme  massive  que 
devait  avoir  le  bloc  d'où  l'artiste  la  tirée. 

Au  surplus,  gardons-nous  de  surfaire  le  mérite  artistique  de  cette  res- 
pectable image,  et  d"y  découvrir,  par  esprit  de  clocher,  par  amour- 
propre  <<  régionaliste  »,  des  significations  qui  n'y  sont  pas  :  «  Cette 
race,  écrit  M.  Barrés  à  propos  des  Lorrains  du  xv''  siècle  {Un  homme 
libre,  coll.  Minerva,  p.  110),  hésitait  à  affirmer  sa  personnalité.  A  son 
réveil,  elle  craint  de  se  confesser;  peu  de  pièces,  à  Nancy,  qui 
puissent  nous  conter  les  origines  de  nos  âmes.  Pourtant  une  Vierge  de 
Mansuy  Gauvain,  dans  l'église  de  Bonsecours,  est  tout  à  fait  significa- 
tive. Voilà  nos  primitifs  !  Nous  nous  agenouillons  devant  une  mère,  et 
sous  son  manteau  ouvert  tout  un  peuple  se  précipite.  Ces  enfants  me 
touchent,  si  intrépides  contre  le  Bourguignon,  et  qui  expriment  leur 
rêve  par  cette  image  sincère  :  je  vois  qu'ils  ont  beaucoup  soutTert.  Ils 
conçoivent  la  divinité  non  sous  la  forme  de  beauté,  mais  dans  l'idée  de 
protection.  »  —  Mais,  si  la  Vierge  de  Gauvain  n'est  qu'un  des  exem- 
plaires, et  non  l'un  des  plus  anciens,  d'une  série  fort  riche,  qu'une 
variante,  et  non  l'une  des  plus  curieuses,  d'un  type  universel  de  l'art 
médiéval,  comment  peut-elle  nous  révéler  F  «  âme  lorraine  »  du  temps 
de  René  II  ? 

84.  La  Vierge  de  Bonsecours-lez-Nancya  suscité  un  certain  nombre  de 
gravures  dont  nous  ne  croyons  pas  devoir  donner  la  liste  (voir  les  col- 
lections du  Musée  historique  lorrain  et  de  la  Bibliothèque  municipale 
de  Nancy  :  Favier,  Bibliographie  du  fonds  lorrain  de  la  Bibl.  deXancy, 
n"  2756),  et  une  quantité  de  statues  et  de  statuettes.  Nous  ne  signale- 
rons que  celles  qui  servent  en  Lorraine  au  culte  public.  Je  n'ai  pas  vu 
la  peinture  qu'Alexandre  Joly  a  signalée  à  Raville,  près  Lunéville 
[Mém.  de  la  Soc.  d'archéol.  lorr.,  1870,  p.  86)  :  «  Raville,  église  du 
XV""  siècle.  Dans  la  chapelle  de  N.-D.  de  Bonne-Nouvelle,  au  retable  de 
l'autel,  tableau  à  l'huile  du  commencement  du  xvii"  siècle  :  N.-D. 
abrite  sous  son  manteau  un  pontife,  un  duc  et  quehjues  princesses.  » 

85.  Les  Minimes,  ou  fils  de  saint  François  de  Paule.  avaient  reçu  du  duc 
Henri  11  de  Lorraine,  par  lettres  patentes  du  18  octobre  1609  Jérôme, 
op.  cit.,  p.  23),  la  concession  de  l'église  N.-D.  de  Bonsecours-lez-Nancy. 
Ainsi  s'explique  qu'ils  aient  répandu  en  Lorraine  le  type  de  la  Vierge 
au  manteau.  Une  réplique  de  la  statue  de  Gauvain,  en  marbre  blanc,  fut 
placée  ])ar  eux  au  xvii*  siècle  dans  l'église  du  prieuré  de  Saint-Thiébaut 
à  Saint-Mihiel,  qui  leur  avait  été  donnée  en  l.o98.  Elle  ornait  une  cha- 
pelle vouée  à  N.-D.  de  Bonsecours,  où  ion  venait  en  pèlerinage  le 
4«  dimanche  après  Pâques.  Une  bulle  papale,  du  17  avril  1728,  avait 
autorisé  l'érection  d'une  confrérie  dans  cette  chapelle.  Après- la  Révo- 
lution, la  statue  fut  transportée  dans  l'église  Saiut-Etienne,  où  elle 
existe  encore,  l'*^  chapelle  à  gauche  en  entrant.  Cf.  Dumout,  Histniro  de 
Saint-Mihiel  (Nancy,  1861),  t.  III,  copié  par  l'abbé  Giliant,  Poiiillé  <lu 
diocèse  de  Verdun    Verdun,   1904  ,  t.  111,  p.  274  et  .'130. 

86.  Ei,'lise  paroissiale  de  Villers-lès-Nancy.  Dans  l'absidiole  du  col- 
latéral, côté  del'épitre,  un  autel  surmonté  d'une  statue  de  la   Vierge  de 


CATALOGUE 


i8S 


Miséricorde  ;  haut.,  0™  86;  bois  doré,  chairs  peintes;  fin  du  xyii*  siècle. 
La  Vierge  est  debout  et  abrite  sous  son  manteau  six  personnages, 
trois  à  droite,  trois  à  gauche.  A  droite  :  le  Pape,  l'Evêque,  un  clerc.  A 
gauche  :  le  Roi,  un  seigneur,  une  dame. 

87.  Tableauvotif  du  duc  FrançoisII,  léguéen  1877  au  musée  historique 
lorrain  par  feuM.  Boulenger,  curédeBonsecours.Cf.  [Wiener],  Catalogue 
(lu  musée  hislorique  lorrain,  p.  102,  n"  34;),  et  Lorraine  artiste,  1905, 
p.  63.  Il  n'en  faut  pas  exagérer  la  valeur  d'art  :  si  la  toile  du  musée 
lorrain  est  digne  d'intérêt,  ce  n'est  point  pour  son  mérite  artistique, 
qui  est  médiocre,  ni  pour  les  portraits  qu'elle  contient,  car  ces  portraits 
sont  des  plus  conventionnels,  c'est  pour  les  motifs  qui  ont  commandé 
cet  ex-voto.  Sur    ces  motifs,  cf.  su]>ra,  p.  146.  —  PI.  XX. 

88.  Rouyer,  Médaille  d'origine  allemande  à  limage  de  N.-D.  de 
Bonsecours,  rappelant  la  prise  de  la  ville  de  Bude,  en  Hongrie,  conquise 
sur  les  Turcs,  le  12  sept.  1686,  par  les  forces  réunies  sous  le  comman- 
dement du  duc  de  Lorraine,  Charles  V,  généralissime  des  armées  impé- 
riales, dans  les  Mémoires  de  la  Soc.    cVarchéol.   lorraine,    1886,   p.  391. 

A  droite,  le  pape  et  Maximilien-Emmanuel,  électeur  de  Bavière  ;  à 
gauche,  l'empereur  et  le  duc  Charles  V  de  Lorraine.  La  Vierge  est 
debout  sur  le  croissant,  comme  dans  le  groupe  de  Grégoire  Erhart 
[supra,  p.  52)  :  cf.  Apocal.  xii,  1  :  mulier  àmictâ  sole,  et  lunà  sub  pedi- 
busejus.  La  légende  auxilium  christianorum  est  empruntée  aux  litanies 
de  la  Vierge,  telles  qu'on  les  répète  depuis  Lépante.  C'est  la  seule 
des  médailles  frappées  à  l'occasion  delà  prise  de  Bude,  qui  soit  au  type 
delà  Vierge  de  Bonsecours,  protectrice  de  la  Lorraine,  et  spécialement 
de  la  famille  ducale  de  Lorraine  :  «  Charles  V,  malgré  son  mérite,  ou  à 
cause  de  son  mérite,  n'était  pas  aimé  à  la  cour  de  Vienne  »  (Rouyer). 

89.  Ainsi,  le  vieux  type  de  la  Vierge  au  manteau  protecteur  est  resté 
populaire  en  Lorraine  aux  xvii"  et  xviii"  siècles.  Cette  popularité  per- 
siste toujours  :  «  Les  bannières,  surtout,  foisonnaient...  Beaucoup 
étaient  célèbres,...  celle  de  N.-D.  de  Fourvières,  aux  armes  de  Lyon, 
celle  de  l'Alsace,  en  velours  noir,  brodé  d'or,  celle  de  la  Lorraine,  où 
Ton  remaiHjuait  une  Vierge  couvrant  deux  enfants  (s/c)de  son  manteau  » 
(Zola,  Lourdes,  p.  426).  Elle  s'explique  par  la  vénération  que  les  Lor- 
rains ont  témoignée  depuis  le  xvi''  siècle  à  l'image  miraculeuse  de 
Bonsecours-lez-Nancy,  et  par  leur  esprit  conservateur  et  obstinément 
catholique. 

90.  Charmante  statue,  en  bois  de  tilleul,  haute  de  1°»  50,  conservée  à 
Mouterhouse  (sur  la  rivière  quae  Mothra  vocatur  :  cf.  Miïndel,  Les 
Vosges,  1904,  p.  207),  près  Bitche,  aux  confins  de  la  Lorraine  et  de 
l'Alsace.  La  coiffure,  la  ceinture,  le  vêtement  de  la  Vierge,  la  composi- 
tion pyramidale  du  groupe  ra[)pellent  la  statue  nancéienne.  Les  Schutz- 
mantelhilder  allemands  n'ont  pas  cette  grâce  simple,  cette  soi)riété.  .le 
ne  crois  pas  me  tromper  en  reconnaissant  dans  ces  qualités  inen  fran- 
çaises une  marque  d'origine.  M.  llausmann  (Monuments  d'art  de  la 
Lorraine,  notice  de  la  pi.  50)  pense  ([ue  les  priants  représentent  les 
divers  états    de  la  société,  noblesse,    clergé,    roture.    Peut-être    i-epré- 


ISG  CATALOGUE 

sentent-ils  une  famille  :  n'ayant  pas  vu  l'original,  je  ne  puis  donner 
d'avis  personnel.  On  ne  sait  rien  de  l'origine  de  cette  jolie  sculpture. 
D'après  feu  Bouchot,  dont  j'avais  pris  l'avis,  les  costumes  paraissent 
indiquer  comme  date  les  environs  de  1670.  Publiée,  d'après  Hausmann, 
dans  la  Lorraine  artiste,  190'i,  p.  116.  Cf.  encore  Bull,  de  la  Soc.  d'ar- 
chéol.  etdliist.  de  la  Moselle,  1860,  p.  1 19;  L'art  sacré,  avril  1905,  p.  8  ; 
L'Austrasie,  t.  I,  p.  247.  —  PI.  XXV. 

Flandres,   Pays-Bas. 

91.  Miniature  du  missel  de  dona  Juana  Enriquez,  seconde  femme  de 
Juan  II  d'Aragon,  et  mère  de  Ferdinand  le  Catholique.  Musée  de  Madrid. 
Phot.  Laurent,  810.  La  Vierge,  debout,  couronnée  et  nimbée,  tient 
l'Enfant  qui  bénit.  Sous  le  manteau,  qui  est  soutenu  par  deux  anges, 
sont  agenouillés,  à  droite  les  clercs,  à  gauche  les  la'iques.  A  droite  de  la 
Vierge,  en  avant  du  groupe  des  clercs,  est  agenouillée  la  reine  Juana, 
son  missel  dans  les  mains.  Devant  lareine,  un  petit  chien.  La  Viei'ge  et 
l'Enfant  sont  tournés  de  trois-quarts  à  droite,  du  côté  des  clercs  et  delà 
reine.  Cette  miniature  occupe  le  verso  d'un  feuillet  ;  sur  le  recto  suivant,  on 
lit  ceci  :  Bonifacius  papa  ortavus  concessif  oninihiis  dicentihus  istani  oratio- 
nem  cotidie,  dévote  confessis  et  contrilis,  genibus  flexis  coram  ymagine 
gloriose  virginis  marie,  indulgentiam  a  pena  et  culpa  de  oinnihiis  pecca- 
tis  suis  :  Oratio.  Stahat  virgo  iuxta  cruceni,  videns  pati  reram  lucem. 
Begis  omnium  vidit  càput  coronalum,  vidit  latus  perforatum,  vidit  mori 
fUium,  vidit  caput  inclinatum,  totum  corpus  cruentatum.  Pastoris  pro 
ovibus  vidit  potum  felle  mijctum.  . .  (Pour  cette  hymne,  cf.  Chevalier, 
Bep.  hym.,  t.  II,  p.  600,  n"  19423'.  D'après  Durrieu,  le  missel  de  la 
reine  Jeanne  aurait  été  enluminé  vers  1480,  par  le  peintre  brugeois 
Guillaume  Vrelant  [Bibl.  de  V Ecole  des  Chartes,  1893,  p.  276). 

92.  Bruxelles.  —  Mater  omnium,  statuette  en  chêne  polychromée,  de 
la  fin  du  xv^  siècle  (jui  a  passé  de  la  collection  Steinmetz  à  Bruges,  dans 
la  collection  Mohl  à  Paris.  Elle  a  figuré  aux  expositions  rétrospectives 
de  Matines,  1864,  et  de  Bruxelles,  1888.  Cf.  W.  H.  James  Weale,  Cat. 
des  objets  d'art  religieux . ..  exposés  à  l'hôlel  de  Liedekerke  à  Malines, 
sept.  486i  ;  N.  H.  J.  Westlake,  A  souvenir  of  Ihe  exhibition  of  Christian 
art  held  at  Mechelin.  avec  croquis;  Instrumenta  ecclesiastica,  choix 
d'objets  religieux  du  M.  A.  et  de  la  Benaissance  exposés  à  Malines 
en  sept.  I86i,  avec  une  planche  ;  Bévue  de  Tari  chrétien,  1885,  p.  277. 
M.  Destrée  a  montré  quelle  était  d'origine  bruxelloise,  car  elle  est  mar- 
quée au  poinçon  de  la  corporation  des  tailleurs  d'images  bruxellois 
[Mém.  de  la  Soc.  des  antiquaires  de  France,  t.  LU,  1891,  p.  61  ;  Étude 
sur  la  sculpture  brabançonne  au  M.  A.,  Bruxelles,  1894,  p.  132,  extrait 
des  Annales  de  la  Soc.  d'archéol.  de  Bruxelles,  t.  IX,  1893,  avec  photo- 
graphie). La  Vierge  a  perdu  sa  couronne.  Sur  la  bordure  du  manteau, 
Gloria  Patri  en  lettres  d'or;  sous  le  manteau,  six  personnes  de  condi- 
tion bourgeoise,  quatre  femmes  et  deux  hommes. 

92  bis.  .^later  omnium,  peViie  statuettede  la  lin  du  xv""  siècle,  en  bois, 
d'assez  belle  facture,  ap[)artenant  à  M.  Stolzenberg,  à  Ruremonde  (IIol- 


Perdrizkt,  Lu   Vierge  de  Miséricorde 


PI.  XXV 


LA    VIEKCK    DK    MdUTERHAUSEN 


CATALOGUE  \ 87 

lande),  marquée  au  poinçon  de  la  corporation  des  tailleurs  d'images  de 
Bruxelles  (Destrée,   Étude  sur  la  ftculpture  hrabançonne,  p.  138). 

93.  Petit  retable  en  cliène  sculpté  et  polychrome.  Les  volets  sont 
peints,  et  représentent  sainte  Barbe  et  sainte  Catherine.  Dans  la  partie 
centrale,  la  Vierge  de  Miséricorde  abritant  sous  son  manteau  à  droite  un 
pape,  un  évèque  et  un  abbé,  à  gauche  trois  femmes  qui  ne  sont  pas  des 
religieuses.  Travail  bruxellois,  de  la  première  moitié  du  xvi*"  siècle, 
appartenant  à  M.  Paul  van  Zuylen,  de  Liège,  et  qui  a  figuré  en  190"),  à 
l'exposition  d'art  ancien  bruxellois  organisée  par  le  Cercle  artistique 
de   Bruxelles  (n°  7  du  Catalogue  imprimé  . 

94.  Broderie  dans  le  trésor  de  la  catédrale  d'Aix-la-Chapelle.  Travail 
hollandais  du  xv*^  siècle.  Cf.  Die  Rheinlande,  Dùsseldorfer  Monatschrift 
fiir  deutsche  Arf  und  Kunsl,  février  1904,  p.  221  et  suivantes;  Beissel, 
Kunstschalze  des  Aachener  Kaiserdomes  (M.  Gladbach,  1904,  pi.  XXXV). 
La  Vierge,  couronnée  et  nimbée,  tient  l'Enfant  sur  le  bras  gauche; 
deux  anges  soutiennent  les  pans  du  manteau.  Les  priants,  hommes  et 
femmes  de  toute  condition,  ont  tous  le  bâton  des  pèlerins.  Au  premier 
rang,  un  seigneur  et  sa  femme  (les  donateurs?  . 

95.  Planche 23 etdernière du  Tfiesaurus precumetexercitafionuin  spiri- 
tualium  in  usum  praesertim  sodalitatis  Partheniae,  auciore  R.  P.  Thoma 
Saillio  S.  J.  presbytero.  Anlverpiae.  Ex  officino  Planliniano  MDCIX. 
Les  cuivres  de  cet  ouvrage  sont  conservés  au  Musée  Plantin,  où  l'on 
peut  en  faii'e  tirer  des  épreuves.  Ils  sont  d'A.  van  Xoort,  le  maître  de 
Rubens.  La  planche  qui  nous  intéresse  représente,  à  l'arrière-plan,  la 
Vierge  debout  sur  un  lapis,  couronnée,  nimbée,  distribuant  des  indul- 
gences à  l'humanité  agenouillée  sous  son  manteau  (à  droite  les  clercs,  à 
gauche  les  laïques).  Le  manteau  est  soutenu  à  droite  par  deux  anges  au- 
dessus  desquels  est  écrit  Virlutum  fortitudo,  à  gauche,  par  deux  anges 
portant  des  lis;  au-dessus  Anrjeloruni purilas  ;  d'autres  lis,  plus  grands, 
sont  derrière  la  Vierge.  Au  premier  plan  d'autres  anges,  assis,  font  de  la 
musique;  au-dessus,  Ançjelorum  laetilia.  Entre  la  Vierge  et  les  anges 
musiciens,  deux  anges,  dont  l'un  porte  un  lis,  et  l'autre  un  parchemin 
scellé  de  trois  sceaux. 

Allemagne. 

96.  Cologne.  — Wallraf-Richartz  Muséum,  n»  117  (Ferceic/injs,  p.  26). 
Triptyque  de  la  fin  du  xv«  siècle  ;  école  de  Cologne.  A  droite,  le  Christ 
avec  Marie-Madeleine;  à  gauche  Marie  Égyptienne  avec  le  donateur 
agenouillé.  Au  milieu,  la  Vierge  tenant  l'Enfant  sur  un  bras,  un  lis 
dans  l'autre  main.  Deux  soutiennent  le  manteau,  sous  lequel  sont 
les  donateurs,   douze  bourgeois  et  bourgeoises. 

97.  Aix-la-Chapelle.  —  Statue  de  bois,  au  musée  Suermondt,  repro- 
duite dans  la  Gaz.  des  Beaux-Arts,  1908,  I,  p.  173.  Fin  du  xv""  siècle. 
Mater  omnium,  avec  l'Enfant.  Les  priants,  très  petits,  sont  échelonnés 
sur  deux  lignes  verticales.  Cette  composition  en  hauteur  est  fréquente 
en  Allemagne  (cf.  n°^  101,  103.  113'.  Elle  convenait  pour  les  statues 
destinées  à  des  niches,  à  des  pinacles. 


1 88  CATALOGIE 

98.  Schreiber,  Manuel,  n»  2514  (gravure  incunable,  au  Cabinet  des 
estampes  de  Berlin).  La  \  lerge  debout,  couronnée,  tenant  TEnfant. 
Deux  anges  soutiennent  le  manteau,  sous  lequel  est  réfugiée  la  chré- 
tienté, d"un  côté  le  pape  avec  le  clergé,  de  Faulre  l'empereur  avec  les 
laïques.  Au-dessous,  on  lit  Sub  tua  protectione  confugimus.  D'après 
Schreiber,  travail   rhénan,  vers   14(30-1475. 

QS  bis.  Schreiber,  n°  1010.  Gravure  incunable,  enluminée,  autrefois 
chez  le  libraii'e  L.  Rosenthal  de  Munich.  La  ,Vierge,  couronnée,  couvre 
de  son  manteau  un  grand  nombre dhommes  à  genoux.  De  chaque  côté 
delà  tète  de  la  Vierge  un  ange  planant.  Médiocre  travail,  attribué  par 
Schreiber  à  un  atelier  de  la  Basse-Allemagne,  vers  1470-1*80. 

98 /cr.  Marhourg.  Vitrail  dans  l'église  Sainte-Elisabeth.  Cf.  Haseloff, 
Die  Glaxgemàlde  (1er  Elisabelhkirche  in  .l/arZ»;/-^  ;  Berlin,  Spielmeyer, 
1907 .  :  je  n'ai  pas  vu  cette  monographie. 

Oberrhein,    Bade,    Suisse. 

99.  Au  château  princier  d'Erbach  (Hesse-Darmstadt).  Relief  en  bois, 
représentant  la  Mater  omnium,  sans  la  couronne  et  [sans  TEnfant.  Hau- 
teur :  i™  86.  Cf.  Kunstdenkmàler  im  Grossherzngthum  Ilessen,  Kreis 
Erbach,  Darmstadt,  1891,  p.  84. 

100.  Wimpfen-am-Berg,  dans  l'église  évangélique,  fresque  représen- 
tant le  Jugement  Dernier  {Kunstdenkmàler  im  Grossherzogthum  Ilessen, 
Kreis  W  impfen,  Darmstadt,  1898,  pi.  à  la  p.  36  ;  cf.  la  Zeitschrift  fi'ir 
bildende  Kunsf,  VI  [1871],  p.  272).  En  haut,  dans  le  ciel,  le  Juge  du 
monde,  auprès  duquel  intercèdent  la  Vierge  et  saint  Jean.  En  bas,  la 
terre  d'où  sortent  les  morts  ;  à  gauche,  la  gueule  de  l'Orcus  :  à  [droite, 
la  Vierge  de  Miséricorde,  recevant  les  élus  sous  son  manteau.  Auprès 
d'elle,  saint  Pierre.  Cette  grande  fresque  a  été  cruellement  restaurée 
en  1870  par  un  barbouilleur  patenté,  «  professer  A.  Xoack,  Ilistorien- 
und  Hofmaler  zu  Darmstadt  ».  L'original  devait  dater  du  xvi*"  siècle; 
dans  la  restauration,  le  caractère  général  a  disparu,  et  plus  d'un  détail 
parait  suspect. 

101.  Frihourg.  — Statue  de  pierre,  du  xiv*"  siècle,  dans  le  pinacle 
qui  surmonte  le  contrefort  Nord  de  la  façade  du  clocher  de  la  cathé- 
drale. La  Vierge,  couronnée,  sans  l'Enfant,  abrite  sous  son  manteau 
une  vingtaine  de  priants  debout,  échelonnés  deux  par  deux,  les  hommes 
à  droite,  les  femmes  à  gauche;  pas  de  grands  personnages,  tels  que 
pape,  empereur,  roi,  cardinal  ou  évêque  ;  au  premier  rang  des  hommes 
sont  des  chevaliers  ;  derrière  eux,  des  moines  et  des  gens  du  com- 
mun ;  les  femmes  des  premiers  rangs,  habillées  toutes  de  la  même 
façon,  sont  peut-être  des  moniales;  mais  celles  des  dei'nières  rangées, 
sans  voile  ni  coiffure,  ne  sont  certainement  pas  des  religieuses.  Repro- 
ductions dans  Kempf,  Maria  mil  dem  Schutzmantel  article  publié  par 
la  revue  fribourgeoise  Schau-ins-Land,  t.  XVIII),  p.  2.');  Moritz-Eich- 
born,  Die  Skulpturencgclus  in  der  Vorhalle  des  Freiburger  Mùnaters 
(Strasbourg,  1899;,  p.  412,  pi.  XIX;  Lehmann,  Das  Bildnis  bei  den 
altdeutschen  Meislern  fLeipzig,  1900\  p.  210;    Krebs,  dans  les  Freibur- 


ERDRizET,  La  Vierge  rie  Miséricorde 


PI.  XXVI 


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CAIALOGUE  189 

ger  MunsterbUiller,  Heft  l,  p.  29.  Les  archéologues  allemands  ont 
accoutumé  de  citer  cette  statue  comme  la  plus  ancienne  représentation 
de  la  Vierge  de  Miséricorde  :  cf.  Thode,  Franz  von  Assisi-,  p.  516. 
Je  la  crois  de  la  deuxième  moitié  du  xiv^  siècle,  comme  les  deux  sui- 
vantes. Elle  n"a  peut-être  pas  toujours  été  à  la  place  quelle  occupe 
aujourd'hui,  car  elle  est  sensiblement  plus  petite  que  celles  cjui 
garnissent  les  autres  pinacles  de  la  cathédrale  de  Fribourg.  On  a  rat- 
trapé ce  défaut  de  hauteur  eu  la  plaçant  sur  un  petit  piédestal  dont 
sont  dépourvues  les  statues  de  la  même  série.  —  PI.  XXVI,   i. 

102.  Statue  petite  nature,  analogue  à  la  précédente.  La  Vierge  tient 
TEnfanl  sur  le  bras  gauche,  et  les  priants  qu'elle  abrite  sont  moins  nom- 
breux. Cette  statue,  aujourd'hui  au  musée  archéologique,  provient  de 
l'ancien  hôpital,  et  porte  les  armes  des  Richeim  :  un  Paul  de  Richeim 
fut  administrateur  de  l'hôpital  en  1383.  Reproduction  dans  Kempf, 
p.  27.  —  PI.  XXVI,  3. 

103.  Statue  analogue  aux  précédentes,  dans  le  pinacle  du  deuxième 
contrefort  du  bas-côté  sud  de  la  cathédrale.  La  tète  de  la  Vierge  est 
moderne.  Reproduction  dans  Krebs,  p.  33. 

104.  Sous  le  porche  du  clocher  de  la  cathédrale,  fresque  du 
xV  siècle,  détruite  aujourd'hui.  La  Vierge,  nimbée,  sans  la  couronne, 
soulevait  son  manteau  pour  abriter  à  droite  les  hommes,  à  gauche 
les  femmes.  Le  relevé  qui  fut  pris  de  cette  fresque  avant  sa  destruction, 
est  reproduit  par  Kempf,  p.  28,  et  par  Krebs,  p.  35. 

105.  Vitrail  à  la  fenêtre  du  portail  du  bas-côté  S.  de  la  cathédrale, 
xv"^  s.  La  Vierge,  debout,  couronnée,  sans  l'Enfant,  étend  son  manteau 
sur  les  membres  de  la  famille  Tullenhaupt,  à  dr.  les  hommes,  à  g.  les 
femmes.  Reproduction  dans  Krebs,    p.  34. 

106.  Retable  en  bois,  voué  vers  1520  par  la  famille  Locherer,  dans 
une  chapelle  du  chœur  de  la  cathédrale.  A  droite  de  la  Vierge,  un  saint 
moine,  à  gauche,  saint  Antoine  abbé.  La  Vierge,  sans  la  couronne,  tient 
l'Enfant.  Six  angelots  soulèvent  le  manteau  sous  lequel  est  agenouillée  la 
chrétienté,  à  droite  les  clercs,  à  gauche  les  laïques.  Cf.  Schau-ins-Land, 
XV  (1890),  p.  17  ;  Krebs,  p.  31  ;  Reber  et  Bayersdorfer,  Klass.Skulplur- 
enschalz,  t.  II,  n"   244. 

107.  Kraus  {Geschichle,  II,  p.  433)  mentionne  une  Vierge  au  man- 
teau sculptée  à  Waghausen  (entre  Carlsruhe  et  Mannheim  ;  l'église  est 
un  but  de  pèlerinage). 

108.  Fresque  de  Waltalingen,  près  Zurich,  publiée  par  Robert  Durer 
dunsles  Mil  th.  der  antiquar.  Gesellschafl  in  Zurich,  Bd  XXIV,  Heft  5  (Der 
mitlelall.  Bilderschmuck  der  Kapelle  in  Wallalingen,  pi.  III),  avec  des 
explications  erronées  :  Durer  croit  à  tort  que  le  ><  Schutzmantelbid  » 
(pi.    IIl)  représente  sainte  Catherine  patronne  des  écoliers. 

109.  La  Vierge  de  Miséricorde  abritant  sous  son  manteau  le  bourg- 
mestre bàlois  Jacques  Meyer  et  sa  famille  :  tableau  d'Holbein  le  Jeune, 
peint  en  1325  ou  1526.  L'original  à  Darmstadt.  Le  musée  de  Dresde  en 


190  CAT\LOr,UE 

possède  une  copie  excellente,  due,  croit-on,  à  un  artiste  des  Pays-Bas, 
du  xvii«  siècle,  qui  a  passé  pour  l'ori^nnal  jusqu'à  l'Exposition  de  Dresde, 
en  1871.  Cf.  v.  Liitzow,  Erf/phnisse  der  Dresdener  Holhein-Aiifstellunfj, 
dans  la  Zeitschrifl  fur  bild.  Kunsf,  1871,  p.  349-."io5  ;  Woltmann, 
//.  Holhein  und  seine  Zeit  (Leipzig,  1874),  t.  I,  p.  294-314  ;  Jameson, 
Madonna,  p.  101  ;  Mantz,  Hans  llnlbein,  p.  55  et  192  ;  Knackfuss,  Hol- 
hein der  J (ingère,  p.  85-94  ;  Revue  de  Varl  chrétien,  1892,  p.  26  ; 
Kunfgeschichie    in  Bildern,  t.  IV,  n°  45  ;  etc. 


Souahe 

110.  Schreilîer,  Manuel,  n°  1215.  Gravure  incunable,  enluminée.  La 
Vierge  couronnée,  nimbée,  debout,  tenant  l'Enfant  à  qui  elle  donne 
un  fruit.  Deux  anges  soulèvent  le  manteau,  sous  lequel  sont  agenouil- 
lés huit  priants,  quatre  clercs  et  quatre  laïques  (dont  un  roi).  Grossier 
travail,  attribué  par  Schreiber  à  un  atelier  souabe,  vers  1480. 

111.  Mater  omnium,  à  la  galerie  de  Schleissheim  (Katalog,  1905, 
p.  24,  n°  82)  ;  panneau  du  commencement  du  xvi«  s.,  attribué  soit  à 
l'école  souabe,  soit  à  l'école  de  Nuremberg. 

112.  Gravure  sur  bois  de  V llinerarium  beatae  Mariae  virginis,  édité 
par  Reger  à  Ulm  vers  1490.  Pour  Vltinerariuin,  cf.  le  Supplément  de 
Brunet,  I,  686.  La  Mater  omnium,  abritant  sous  son  manteau  à  dr.  les 
clercs,  à  g.  les  laïques  (noter  derrière  le  roi,  un  chevalier  en  armure), 
regarde  au  ciel  où  le  Juge  du  monde  apparaît  dans  les  nuages  ;  il  bénit 
de  la  dextre,  dans  l'autre  il  tient  le  globe  ;  à  sa  droite.  Moïse,  cornu, 
avec  les  tables  de  la  Loi  ;  à  sa  gauche,  saint  Pierre  avec  le  livre  et  la 
clef;  derrière  eux,  des  anges  et  d'autres  personnes  de  la  cour  céleste. 
Repi'oduction  dans  le  Katalog  der  Bûcher-Sammlung  Franz  Trau 
(Vienne,  Gilhofer  et  Rauschburg-,  1905).  Cette  gravure  me  semble 
identique  au  n^  1008  du  Manuel  de  Schreiber. 

113.  Statue  petite  nature  en  bois  de  tilleul,  repeinte,  provenant  de 
la  Pfarrkirche  de  Ravensbourg.  OEuvre  souabe,  des  environs  de  lan 
1500,  attribuée  par  tjuelques  érudits  à  un  maître  Schramm,  de  Ravens- 
bourg, d'ailleurs  tout  à  fait  inconnu.  Depuis  1850  au  musée  de  Berlin. 
Cf.  Bode-Tschudi,  n°  330,  pi.  XXII  ;  Jan  Veth,  dans  A'uais/  und  Kiinstler, 
11(1904),  p.  352,  avec  gravure.  Dix  priants  échelonnés  sous  le  manteau 
de  la  Vierge,  alternativement  des  hommes  et  des  femmes.  —  PI.  XXVI,  2. 


Franconie. 

114.  Schreiber,  Manuel,  n"  1007.  Gravure  incunaljlc,  enluminée. 
La  Vierge,  couronnée,  debout.  Le  manteau,  qui  est  soutenu  par  deux 
anges,  abrite  des  clercs  et  des  laïques.  D'après  Schreiber,  travail  de  la 
Haute-.\llemagne,  peut-être  de  Nqremberg,  vers  1460. 


CATALOGUK 


191 


115.  Retable  de  la  chapelle  de  l'Ordre  du  Cygne,  dans  Téglise 
Saint-Gom])Oi't,  à  Anspach,  en  Franconie  (peint  par  Wohlgemut  en 
1484).  Cf.  Stillfried-Alcantara,  Altertumer  und  Kimsldenkmale  des 
erlaucJilen  Hanses  Hohenzollern,  tome  I  (Berlin,  1898),  et  Lehmann,o/). 
cit.,  p.  172.  Le  retable  est  surmonté  d'une  statuette  de  saint  Georges,  à 
cheval,  tuant  le  dragon.  Sur  la  face  antérieure,  au  milieu,  la  Vierge 
sur  le  croissant,  sans  le  nimbe,  portant  l'Enfant:  à  droite,  l'Annoncia- 
tion; à  gauche,  l'Adoration  des  Mages;  sur  la  prédelle,  à  droite,  l'élec- 
teur  Albert   III  de  Brandebourg   -[  148G),  à  genoux  devant  saint  Chris- 


FiG.  3. 


tophe  portant  l'Enfant;  à  gauche,  la  deuxième  femme  d'Albert,  Anne, 
duchesse  de  Saxe,  à  genoux  devant  le  Christ  de  pitié.  Sur  la  face  pos- 
térieure, à  droite,  la  Naissance  de  la  Vierge;  à  gauche,  la  mort  de  la 
Vierge;  au  milieu,  la  Mère  de  Miséricorde  sous  le  manteau  de  laquelle 
sont  agenouillés  les  enfants  de  l'électeur  :  d'un  côté,  sa  belle-fille  et 
ses  quatre  filles;  de  l'autre,  son  gendre,  ses  deux  fils  et  deux  pages.  — 
Fiff.    3. 


116.  //e(7si/-o«/),  dans  l'église.  Retable  du  xvi<=  siècle,  où  sont  peintes: 
1"  la  Naissance  de  Marie;  2"  la  Présentation  de  la  Vierge  au  Temple; 
3°  les  Fiançailles  de  la  Vierge  (ces  trois  représentations  inspirées  de  la 
Vie  de  Marte  par  Durer,  qui  date  de  i:\ii)  ;  4°  la  Mère  de  Miséricorde, 
qui  éten<l  son  manteau  sur  l'humanité  représentée  par  les  personnages 
habituels  :  en  haut,  à  gauche.  Dieu  le  Père  l)randit  l'épée  contre  les 
hommes;  le  Christ  retient  le  coup,  en  prenant  l'épée  par  le  bout  ;  sur 
l'épée  est  posée  la  colombe,  qui  représente  la  troisième  personne  de  la 
Trinité.  Cf.  Thode,  Die  Malerschule  von  Nûrabenj,  p.  22.5;  Lehmann, 
op.  cit.,  p.  213. 


192  CATALOOUE 

117.  Xurembei-fj.  —  Très  grand  relief  funéraire,  en  bois,  delà  famille 
Pergenslorfer,  aujourd'hui  dans  l'ég^lise  Notre-Dame;  œuvre  d'Adam 
Kraft  (7  lîiOiV,  des  dernières  années  de  l'artiste  et  des  premières  du 
XVI'"  s.  Dans  un  encadrement  gothique,  la  Vierge,  debout,  tenant  lEn- 
l'anl  :  deux  anges  la  couronnent,  deux  autres  soulèvent  les  plis  du  man- 
teau, sous  lequel  sont  agenouillés,  à  droite,  les  l'eprésentants  de  l'hu- 
manité entière,  pape,  empereur,  roi,  soldat,  bourgeois,  I)ourgeoises,  etc.  ; 
à  gauche,  huit  personnes  de  la  famille  Pergenstorfer.  Cf.  F.  Wanderer, 
Adam  Kraffl  und  neiiie  Schule  (Nuremberg-,  1869;,  pi.  .38;  Bode,  Ges- 
rhir/ifr  (1er  deulschen  Plastik,  p.  1;j6-8  (avec  gravure  ;  Daun,  Adam 
Ki-a/fl  und  die  Kiinsiler  seiner  Zeit    Berlin,  1807),  p.  '.')'.},  pi.  VIII,  1. 


Bavière. 

118.  Feldmochincj,  près  Munich.  —  Dans  l'église,  fresque  de  la  fin  du 
xv"  siècle;  manque  la  partie  gauche,  qui  devait  représenter,  à  en  juger 
par  analogie  avec  le  retable  de  Gy  [supra,  p.  181),  l'Annonciation  à  Marie. 
Au  milieu,  la  Mater  omnium.  A  droite,  la  Visitation.  Cf.  Die  Kunsl- 
denkmale  des  KiJnigreiches  Iiaiern,l.  I,  p.  775,  pi.  112,  et  Hager  dans 
Monatschrift  des  hisf.  Vereins  von  Oherhayern,  t.  III  (1*'94),  p.  ij8.  — 
Le  peintre  de  Feldmoching  a  représenté  sur  le  ventre  de  la  Vierge  le 
petit  Jésus,  et  sur  le  ventre  de  sainte  Elisabeth  le  petit  saint  Jean  ;  les 
deux  petites  figures  sont  nues  et  entourées  d'une  «  gloire  »  amandi- 
forme;  saint  Jean  s'agenouille  devant  Jésus,  ([ui  le  bénit.  Des  représen- 
tations analogues  sont  fréquentes  dans  l'art  français,  flamand,  allemand, 
aux  XV*  et  xvi'^  siècles  :  cf.  par  exem[)le  une  tapisserie  du  musée  de 
Fribourg-en-Brisgau,  un  dessin  de  livre  d'esquisses  publié  par  L.  Rosen- 
thal  [Catalogue  de  livres  rares,  n"  100,  p.  .328),  un  vitrail  de  Jouy,  près 
Reims,  un  tableau  du  musée  de  Lyon  cité  par  Didron  [Manuel  d'iconocjr. 
chrét.,  p.  157),  etc.  «  Dès  qu'Elisabetli,  dit  saint  Luc,  s'entendit  saluer 
par  Marie,  l'enfant  quelle  portail  dans  son  sein  tressaillit,  exullavit  in 
utero  ejus.  »  Les  naïfs  artistes  du  Nord  ont  voulu  montrer  ce  tressaille- 
ment ;  je  ne  crois  pas  que  les  Italiens  l'aient  osé.  A  partir  du  xvi*"  siècle, 
dit  Hager,  on  se  contente  en  Allemagne  de  peindre  sur  le  ventre  d'Elisa- 
beth et  de  Marie,  les  noms  de  Jean  et  de  Jésus  entourés  d'une  gloire  : 
liber  derartiye  Stiche  Klauhers  in  Auçjshoury  macht  sich  noch  der  Ver- 
fasser  der  Reise  durcli  den  bayerischen  Kreis  1784  (s.  103)  lusli;/. 

119.  Sciireiber,  n°  iOli.  Gravure  incunable,  de  la  collection  Schreibcr. 
Marie,  debout,  couionnée  et  nimbée,  couvre  de  son  manteau  onze  petits 
personnages,  cinq  d'un  côté,  six  de  l'autre.  D'après  Schreiber,  cette 
gravure  aurait  été  faite  à  Ulm,  vers  1475. 

120.  Galerie  de  Schleissheim  [Kalaluy,  l'JOo,  p.  42,  n<*  I.'IO  .  Muter 
omnium  ;  panneau.  «  Obei'deutsch  um  1480.  »  Cette  peinture  proviendrait 
tlun  couvent  de  Passau. 

121.  A  la  cathédrale,  dansla  chapelle  Sainte-Apollonie,  grand  tableau, 
('  Ilauptbild  (ier  Mihichener  Scliule  um  l'ilO  ».  Deux  anges  couronnent 


CATALOGLE  193 

la  Vierge;  deux  autres  soutiennent  son  manteau,  sous  lequel  sont  age- 
nouillés à  droite,  les  clercs,  à  gauche,  les  laïques.  Devant  la  Vierge  sont 
agenouillés  à  di'oite,  un  chanoine  (le  donateur),  à  gauche,  la  famille  de 
ce  chanoine.  Au-dessous  ce  distique  : 

Tu  quae  sola  potes  aeteriii  niiniinis  irain 
Fleclere,  virgineo  nos  teye,  Diva,  sinii. 

Cf.  Die  Kunsldenkinale  lies  Kônifjreichs  Bai/ern,  1,  p.  986,  pi.  142. 

122.  Tableau  de  l'école  de  Munich,  sur  bois,  daté  de  1")04,  autrefois 
dans  l'église  des  Franciscains,  aujourd'hui  au  Musée  national  bavarois, 
salle  XVI,  n"  331.'^.  Sous  le  manteau  sont  agenouillés  un  chevalier  en 
armure  et  sa  femme.  Les  armoiries  sont  celles  de  la  famille  bavaroise 
des  Haslang  (renseignements  dus  à  M.  J.  A.  Mayer,  conservateur  du 
Musée  bavarois). 

123.  Burghaufien. — Fresque  dans  la  chapelle  bàlievei's  1480  par  George 
le  Riche,  dans  le  château  de  Burghausen  (dans  la  Haute-Bavière,  sur  la 
rive  gauche  de  la  Salzach).  M.  Lehmann  [op.  cit.,  p.  213),  auquel  j'em- 
prunte cette  indication,  dit  que  la  fresque  a  été  restaurée  et  que  les 
personnages  agenouillés  sous  le  manteau  de  la  Vierge  portent  des  per- 
ruques. 

124.  Ingolstudt .  —  Eglise  Notre-Dame,  peinture-retable  du  grand 
autel,  dédié  en  1572,  œuvre  du  peintre  Hans  Mielich  et  du  menuisier  Hans 
Wiszreiter  (décrit  et  reproduit  dans  Die  Kunstdenkmale  des  Kônigreichs 
Baiern,  I,  p.  30,  pi.  7  .  Dans  le  ciel,  la  Vierge,  qui  est,  comme  on  sait, 
la  patronne  de  la  Bavière,  avec  l'Enfant  ;  le  manteau  de  la  Vierge  s'étend 
sur  ([uatre  saintes  et  sur  la  famille  de  l'électeur  de  Bavière,  Albert. 

125.  Saint- Jodock.  —  Fresque  représentant  la  Vierge  de  Miséricorde, 
signalée  par  Lehmann,  op.  cit.,  p.  "211. 


MOUAVIE 

126.  Olniutz.  —  Relief  en  pierre,  du  commencement  du  xvi'"  siècle.  Il 
se  trouvait  autrefois  (jusqu'en  1802)  sur  la  porte  du  clocher  de  la  Lieb- 
fraukirche,  église  aujourd'hui  détruite.  Dans  le  courant  du  xix"  siècle, 
il  a  été  à  deux  reprises  restauré  et  repeint.  Mater  omnium,  dont  le 
manteau  est  porté  par  deux  anges;  le  pape  et  l'empereur  de  profd,  les 
autres  priants  de  face.  La  Viei'ge  de  grandeur  naturelle.  Cf.  Reber  et 
Bayersdorfer,  Skulplurenschatz,  IV,  n°  486;  mieux  dans  Nowak,  Kirch- 
liche  Kunst-Denkmale  aus  Olmiitz  (Olmutz,  1890),  t.  I,  pi.  IV. 


PiîiiuuiziiT.  —  Lu  Vierge  de  Miséricorde.  13 


CHAPITRE  XI 


REMARQUES  GÉNÉRALES   SUR  LES  REPRÉSENTATIONS 
DE  LA  VIERGE  AU  MANTEAU 


La  Vierge  au  manteau  et  l'Enfant  ;  influence,  à  Venise,  du  type  byzan- 
tin de  la  Platytéra.  —  Les  acolytes  de  la  Vierge  au  manteau  :  Anges 
et  Saints.  —  Les  insignes  royaux  :  la  couronne,  le  manteau  d'hermine, 
le  sceptre.  —  Difl'érence  de  taille  entre  la  V^ierge  et  les  priants.  — 
Raisons  de  l'oubli  où  est  tombé  le  type  de  la  Vierge  au  manteau. 


Nous  avons  classé  les  représentations  de  laVierg-e  de  Misé- 
ricorde d'après  les  diverses  sortes  de  priants  que  nous  avons 
vus  venir  tour  à  tour  s'agenouiller  sous  le  manteau  protec- 
teur. '  Restent  à  étudier  les  nombreuses  variantes  que  ces 
représentations  nous  offrent  à  tous  autres  ég'ards. 

La  plupart  montrent  la  Vierg'e  sans  l'Enfant.  D'une  façon 
générale,  la  Mère  de  Miséricorde  est  représentée  sans  l'En- 
fant quand  elle  prie,  les  mains  jointes,  pour  le  salut  de  ceux 
qu'elle  abrite,  ou  quand  elle  les  protège  contre  les  traits  de 
la  colère  divine.  Dans  le  premier  cas  l'absence  de  l'Enfant  se 
passe  d'explication  ;  elle  s'explique  dans  le  second,  par  une 
raison  logique  :  la  Vierge  ne  peut  avoir  l'Enfant  Jésus  dans 
les  bras  quand  elle  protège  les  pécheurs  contre  les  traits  de 
la  colère  divine,  puisque  c'est  Jésus  qui,  du  haut  du  ciel,  en 
accable  la  terre.  Pourtant,  sur  le  panneau  d'Aversa,  où  l'on 
voit  les  traits  de  la  colère  divine  arrêtés  par  le  manteau  pro- 
tecteur ,  la  Vierge  tient  l'Enfant  sur  les  genoux  :  l'illogisme 
est  manifeste  ;  mais  outre  qu'il  ne  faut  pas  attendre  de  l'art 
italien  l'exactitude  théologique  de  l'art  français,  le  panneau 
d'Aversa  date  du  xV^  siècle,  d'une  époque  où  l'iconographie 
commence  à  se  relâcher  de  son  ancienne  rigueur. 

Ce  sont  surtout  les  images  italiennes  du  quattrocento  qui 
représentent  la  Vierge  au  manteau  priant  debout,  les  mains 
jointes,  pour  le  salut  des  pécheurs.  Telles  sont  la  Vierge  des 
liecommundati,    par  Lippo    Memmi,  à  Orviéto  ;  le  retable  de 


REMARQUES  GÉNÉRALES  193 

Xeri  di  Bicci,  à  Arezzo  (pi.  XXII,  1),  le  tableau  de  Filippo 
Lippi,  à  Berlin.  Benozzo  Gozzoli  a  prêté  le  même  g-este  à  son 
saint  Sébastien,  dans  la  fresque  de  San  Gimignano  (pi.  XVI)  ; 
déjà  au  milieu  du  xiv''  siècle,  la  fig-ure  allégorique  de  la  Misé- 
ricorde, au  Bigallo  de  Florence,  avait  été  représentée  priant, 
les  mains  jointes.  Horsd'Italie,  je  ne  connais,  comme  exemples 
de  Vierges  de  Miséricorde  priant  les  mains  jointes,  qu'un 
Pestblatt  publié  par  Schreiber  et  Heitz,  et  que  le  relief  de  la 
Confrérie  des  prêtres  à  la  cathédrale  de  Munich. 

La  plus  ancienne  représentation  de  la  Mère  de  Miséricorde 
tenant  l'Enfant,  est  le  petitpanneau  de  Duccio  :  l'Enfant  bénit 
les  trois  Franciscains  agenouillés  sous  le  manteau  de  Marie. 
L'Enfant  fait  le  même  geste  de  bénédiction  sur  plusieurs  autres 
images.  Dans  le  tableau  de  la  famille  Meyer,  Holbein  a  donné 
à  1  Enfant  bénissant  une  grâce  compliquée,  à  la  fois  puérile  et 
mélancolique.  Dans  la  fresque  du  Municipio  de  Sienne,  le  Vec- 
chietta  a  fait  exprimer  aux  mains  et  aux  figures  du  Bambino 
et  de  la  Madone  un  dialogue  muet  :  la  Vierge  implore  l'Enfant 
pour  les  Siennois  qu'elle  lui  montre  ;  l'Enfant  les  bénit  et  les 
prend  sous  sa  garde  pour  complaire  à  sa  mère.  En  Italie,  le  geste 
supplée  souvent  à  la  parole:  il  a  une  variété,  une  précision, 
une  clarté  que  nous  ne  connaissons  pas.  C'est  pourquoi  le  geste, 
dans  cette  fresque  du  Vecchietta,  comme  dans  toutes  celles  de 
Giotto  ',  est  si  expressif.  La  plus  grave  des  images  de  la 
^'ie^ge  au  manteau  où  l'on  voit  l'Enfant  bénissant,  est  assu- 
rément (ou  plutôt  était)  le  tableau  de  Cristoforo  de  Bologne  : 
avec  une  solennité  qui  se  ressent  encore  de  l'art  byzantin 
et  de  l'art  roman,  la  Vierge  debout,  sans  nimbe  ni 
couronne,  fait,  si  je  puis  ainsi  dire,  l'ostension  de  l'En- 
fant :  il  est  nimbé,  ses  deux  mains  sont  levées  et  bénissent. 
L'ensemble  de  la  composition  semble  l'illustration  du  verset 
du  Salve  regina  :  «  Et  Jesum,  henedictum  fructum  ventris 
tui,  nobis  post  hoc  exilium  osiende.  »  Au  xv*"  siècle  et  au  xvi®, 
aussi  bien  dans  l'art  allemand  que  dans  l'art  italien,  sous  l'in- 
fluence du  réalisme  qui  commence  au  xiv*"  siècle  et  qu'on  voit 
s'épanouir  aux  deux  siècles  suivants,  l'Enfant  se  désintéresse 
tout  à  fait  des  priants  agenouillés  sous  le  manteau  de  la 
Vierge  ;  il  joue  avec  une  fleur  ou  avec  un  oiseau,  ou  bien 
câline  sa  mère.  Le  retable  de  Saint- André  à   Cologne    lui   fait 

1.  Perdrizet,  La  peinture  relig.  en  Italie  jusqu'à  la  fin  du  XIV'  s.,  p.  43. 


196  CHAPITRE    XI 

niaisement  égrener  le  rosaire  :  il  donne  l'exemple  de  la  dévo- 
tion mécanique. 

On  notera  la  façon  dont  lEnfant  est  représenté  sur  les 
anciennes  images  vénitiennes  de  la  Vierge  au  manteau  (pi.  X). 
Il  est  figuré  comme  sur  le  tableau  de  Cristoforo,  assis  et  les 
mains  levées  pour  bénir,  mais  il  ne  repose  plus  dans  les  bras 
de  sa  mère  ;  il  semble  suspendu  devant  la  poitrine  de  Marie, 
au  milieu  d'une  mandorla.  Cette  représentation  singulière  s'ex- 
plique par  l'iconographie  byzantine.  Dans  les  églises  orthodoxes, 
à  la  voûte  du.  diaconicon,  où  elle  forme  symétrie  avec  le  Christ 
en  gloire  peint  à  la  voûte  de  lAprothésis  ' ,  on  voit  représentée  une 
Vierge  immense,  en  buste,  les  bras  étendus  en  croix  sous  le 
manteau  :  devant  sa  poitrine,  dans  une  gloire,  apparaît  l'En- 
fant. Ce  type,  que  les  Grecs  appellent  la  Panaghia  Platytéra, 
•fj  Mr,--r;p0£OJ  r,  7:Kx-j-épy.  -Cr>  cJpavfTjv,  est  la  traduction  figurée 
de  textes  liturgiques  :  l'hymne  '  K-\  gsI  yy^ipt'.,  qui  se  trouve  déjà 
dans  la  liturgie  de  saint  Basile,  dit  que  Dieu  a  fait  le  sein  de 
la  Vierge  plus  vaste  que  les  cieux,  zXaTJTspav  sjpavwv,  puisqu'il 
l'a  choisi  pour  y  habiter  -  :  <(  Nous,  les  créatures,  t'appelons 
bienheureuse,  puisqu'il  a  plu  au  Christ  notre  Dieu,  qu'aucun 
lieu  ne  saurait  contenir,  d'habiter  en  toi.  »  Le  type  vénitien 
archaïque  de  la  Mère  de  Miséricorde  est  le  résultat  d'un  amal- 
game entre  le  thème  occidental  du  manteau  protecteur  et  le 
thème  oriental  de  la  Platytéra  ;  cet  amalgame  s'explique 
par  les  influences  byzantines  dont  Venise  a  été  pénétrée. 
Lorsque  la  Vierge  de  Miséricorde  joint  les  mains  pour  prier, 
ou  qu'elle  a  l'Enfant  sur  les  bras  et  ne  peut  tenir  elle-même 
son  manteau  soulevé^  elle  est  assistée  soit  par  des  Saints 
ou  des  Saintes,  soit  par  des  Anges.  Les  Anges  l'aident  aussi 
à  tenir  son  manteau  soulevé  quand  il  doit  abriter  une  foule 
de  gens,  comme  c'était  le  cas  sur  le  relief  voué  par  Jean  Le  Bou- 
langer (pi.  XXIII,  2);  un  exemple  encore  plus  typique  est  la 
Vierge  de  Lippi  (p.  160),  dont  le  manteau  est  si  large  qu'il 
fait  songer  aux  ailes  éployées  d'une  immense  chauve-souris. 
Sur  les  images  destinées  aux  Ordres  religieux,  les  pans  du 


1.  Didron,  Manuel  d' iconographie,  p.  428.  Comme  exemples  de  représenta- 
tions de  la  Platytéra,  cf.  Sabatier,  Monnaies  byzantines,  t.  II.  pi.  51  sq 
(.\r  sièclci  :  Bayet,  L'arl  byzantin,  fig.  77  et  84  ;  Brockhaus,  Die  Kunst  in  den 
Athos-Klustern,  p.  109. 

2.  EîpaoXoy.ov  (éd.  de  Venise,  l.S82\  p.  i99  :  Eue hologe,  p.  5S9  ;  Pentécosta- 
rioJi,p.  516.  Cf.  Brockhaus,  op.  cit., p.  109. 


REMARQUES  GÉNÉRALES  197 

manteau  sont  fréquemment  tenus  par  deux  Saints  de  cet 
Ordre  :  le  retable  de  Saint-André  à  Colog-ne  fait  tenir  le  man- 
teau à  saint  Dominique  et  à  saint  Pierre  Martyr  (pi. XIII,  1); 
dans  des  peintures  faites  pour  les  Chartreux,  le  manteau  est 
porté  par  saint  Hugues  de  Lincoln  et  saint  Hugues  de  Grenoble, 
ou  encore  par  saint  Jean-Baptiste  et  par  saint  Bruno.  Sur  le 
frontispice  du  catéchisme  des  Prémontrés  de  Pont-à-Mous- 
son,  le  manteau  est  soutenu  par  saint  Augustin  et  par  saint 
Norbert   (pi.  VI). 

Sur  quelques  tableaux  archaïques,  peints  probablement  pour 
des  couvents  de  femmes,  sur  le  retable  dePienza  et  le  tableau 
du  Puy  (pi.  XXI,  1),  le  manteau  de  la  Vierge  estsoutenu  par 
des  Saintes  dont  aucune  caractéristique  ne  permet  de  dire  le 
nom  :  sans  doute  les  Saintes  qui,  dans  les  visions  des  nonnes, 
accompagnent  la  Vierge,  les  grandes  Saintes  du  moyen  âge, 
Catherine  et  Barbe,  Lucile  et  Marguerite,  Agnès  et  Cécile. 

Dans  nombre  d'images  vouées  par  des  villes  ou  des  familles, 
les  saints  patrons  de  la  ville  ou  de  la  famille  sont  debout,  à 
côté  de  la  Vierge.  Ils  sont  là  comme  intercesseurs,  pour  pré- 
senter et  recommander  à  la  Vierge  les  personnes  auxquelles 
ils  s'intéressent,  pour  faire  parvenir  les  prières  jusqu'à  elle. 
Dans  certaines  représentations,  la  peinture  du  Musée  du  Puy, 
la  fresque  du  Municipio  de  Sienne  (p.  162),  les  Saints  inter- 
cesseurs et  patrons  sont  placés  derrière  le  manteau  de  la 
Vierge  :  ils  forment  la  suite  et  la  cour  de  la  Reine  des  cieux. 

Les  anges  aussi,  dans  les  tableaux  archaïques,  apparaissent 
parfois  très  nombreux,  derrière  le  manteau  de  leur  Reine  :  tels 
on  les  voit,  par  exemple  sur  la  fresque  de  Memmi,    à  Orviéto. 

Au  XVI''  siècle,  les  beaux  anges  du  moyen  âge,  grands  et 
graves,  sont  remplacés  par  des  angelots  qui  ressemblent 
comme  des  frères  &uxpiitti  de  l'art  gréco-romain.  Le  type  de 
l'ange,  du  xiv''  au  xvi"  siècle,  s'est  rapetissé  et  puérilisé,  comme 
avait  fait  du  v^  siècle  à  l'époque  alexandrine,  le  type  de  l'Eros 
antique.  Deux  anges  semblaient  suffisants  aux  artistes  du 
moyen  âge  pour  soutenir  le  manteau  de  Marie.  Au  xvi'^  siècle, 
il  faut  une  demi-douzaine  de  ces  angelots.  Sur  le  relief  de  la 
famille  Locherer,  sur  l'un  des  Pesthlutter  dominicains  (pi. 
XIV,  2),  on  les  voit  voleter  dans  les  plis  du  manteau,  y  faire 
cabrioles  et  culbutes. 

Les  représentations  de  la  Vierge  de  Miséricorde,  qui  la  mon- 
trent couronnée,  ne  sont   pas   les   jdIus    nombreuses,   surtout 


198  CHAPITRE    XI 

si  Ton  fait  attention  que  pour  plus  d'une,  par  exemple  pour 
la  Vierge  de  Genga  (pi.  XIII,  2).  la  couronne  doit  être  une 
addition  postérieure  :  on  sait  que  l'Église  couronne  les  images 
de  la  Vierge  qui  ont  opéré  des  miracles  K  Dans  le  retable 
du  rosaire,  à  Saint-André  de  Cologne  (pi.  XIII,  1),  deux 
anges  tiennent  au-dessus  de  la  Vierge  trois  couronnes  de  roses: 
cette  triple  couronne  rappelle  que  la  Vierge  est  trois  fois  reine, 
reine  du  ciel,  reine  des  anges  et  reine  des  vierges. 

Le  manteau  de  la  Vierge  est,  comme  la  couronne,  un 
emblème  royal.  Il  est  généralement  doublé  d'hermine.  Un 
autre  symbole  de  royauté  est  le  sceptre,  que  la  Vierge  de  Pirey 
(p.  181)  et  celle  de  Heilbronn(p.  28),  tiennent  dans  la  dextre. 

La  Vierge  au  manteau  protecteur  est  d'ordinaire  figurée 
debout.  Les  monuments  qui  la  représentent  assise  sont  peu 
nombreux  :  je  n'en  puis  citer  que  quatre,  qui  sont,  par  ordre 
chronologique,  le  panneau  de  Duccio,  le  relief  de  Gerona,  le 
panneau  d'Aversa  (pi.  XVIIl),  la  bière  peinte  par  Cozarelli 
de  Sienne  (pi.  VIII,  1). 

Elle  est  presque  toujours  figurée  plus  grande  que  les  priants. 
Plus  l'image  est  archaïque  par  la  date  ou  au  moins  par  l'es- 
prit, plus  cette  disproportion  est  sensible.  Gomme  exemple 
particulièrement  frappant,  on  peut  citer  les  peintures  de  Cris- 
toforo  de  Bologne  et  de  Simone  de  Cusighe  (pi.  X,  1). 

On  remarque  la  même  disproportion  dans  les  images  de 
sainte  Ursule  abritant  ses  compagnes  sous  son  mnnteau,  et 
dans  les  représentations  du  Jugement  dernier  :  l'archange 
saint  Michel  est  généralement  bien  plus  grand  que  les  démons 
et  que  les  ressuscites-.  A  la  partie  inférieure  des  tableaux  votifs, 
les  donateurs  sont  souvent  figurés  en  très  petites  dimensions, 
par  modestie.  Par  une  raison  inverse,  les  professeurs  sur  leurs 
pierres  tombales,  sont  figurés  beaucoup  plus  grands  que  leurs 
élèves '^    Mais  dans  les    images    de   la     Vierge   au  manteau, 


1.  Au  xvii"  s.,  le  comle  Alexandre  Sforza  Pallavicini  (-j-  1638)  légua  une 
somme  considérable  au  chapitre  de  Saint-Pierre  de  Rome  pour  qu'il  fût  donné 
chaque  année  une  couronne  dor  à  deux  ou  trois  imagesmiraculeusesdela\'ierge, 
choisies  parmi  les  plus  vénérées,  soit  à  Rome,  soit  ailleurs.  Cette  fondation 
dure  encore.  Le  Pape  bénit  ces  couronnes,  et  la  cour  de  Rome  en  fait  l'envoi. 

2.  Cathédrale  de  Bourges  (Dehio,  Kiinstgeschichle  in  Bildern.  t.  II.pl.  73). 
Retable  de  Lubeck,  par  ,Memling  (Id.,  t.  IV.  pi.  20). 

.$.  Pierre  tombale  du  jurisconsulte  bolonais  Bonincontro  di  Boaterii,  à 
Venise,  église  S.  Giorgio.  Cf.  Perkins,  Les  sculpteurs  ilHliens,  t.  II,  p.  20S  de 
la  traduction. 


REMARQIKS    fiÉNÉRALES  199 

comme  dans  les  représentations  du  Jugement  dernier,  la  Is- 
proportion  s'explique  par  des  survivances  à  la  fois  folkloriques 
et  artistiques.  Déjà  l'art  antique  avait  accoutumé  de  repré- 
senter les  dieux  plus  grands  que  les  mortels.  C'est  la  règle 
constamment  suivie  dans  les  sculptures  attiques  d'un  caractère 
religieux,  comme  les  reliefs  votifs  et  les  reliefs  «  politiques.  » 
Que  l'on  compare  aux  Vierges  abritant  une  confrérie  sous  le 
manteau  protecteur  avec  tel  bas-relief  du  iv'^  siècle,  qui 
représente  un  orgéon  du  Pirée  en  prière  devant  la  déesse 
Bendis  •  :  la  ressemblance  est  frappante  ;  c'est  de  part  et 
d'autre  la  même  façon  naïve  d'exprimer  la  différence  qu'il 
y  a  entre  la  divinité  toute  puissante  et  les  faibles  humains. 
Sur  le  bouclier  d'Achille  était  représenté,  entre  autres  scènes, 
le  siège  d'une  ville  :  parmi  les  combattants  «  on  distinguait 
Ares  et  Pallas,  beaux  et  grands  sous  leurs  armes,  comme  il 
seyait  à  des  dieux;  et  les  gens  autour  deux  étaient  tout 
petits  », 

y.aXd)  V.OC.I  [Xz\'x'k(ii  o-jv  'eùyta^jv^,  waTS  Bsw  T:îp, 

Cette  différence  de  taille  fait  sourire,  quand  on  regarde  les 
images  archaïques  de  la  Vierge  de  Miséricorde.  Mais,  au  xv^ 
siècle,  l'art  Ombrien  en  a  tiré  un  grand  effet.  La  Vierge  de 
Montone  est  immense  :  sa  tète  touche  au  ciel,  sa  robe  à  la 
terre  ;  au-dessous  d  elle,  la  ville  de  Montone  apparaît  toute 
petite.  Le  peintre  a  su  représenter  la  créature  surhumaine,  qui, 
vaste  comme  l'arc-en-ciel,  joint  le  ciel  et  la  terre,  et  par  qui 
les  grâces  divines  descendent  ici-bas. 

Il  est  instructif  de  voir  ce  que  devient,  à  partir  du  xvi^  siècle 
le  vieux  thème  de  la  Vierge  au  manteau.  L'iconographie  chré- 
tienne, on  le  sait,n'a  guère  à  se  louer  de  la  Renaissance  ni  du 
classicisme.  Epris  de  raison  et  de  mesure,  l'art  classique  a 
corrigé,  avec  une  sagesse  désolante,  les  thèmes  archaïques.  11 
ne  s'est  pas  rendu  compte  qu'en  les  rendant  raisonnables,  il 
leur  faisait  perdre  leur  grandeur  et  leur  poésie.  La  naïveté 
des  archaïques  se  moque  de  la  vraisemblance  :  c'est  jus- 
tement pourquoi  elle  est  plus  capable  que  l'art  classique  de 
rendre  les  thèmes  visionnaires,  les  sujets  apocalyptiques. 
Représenter,    comme    l'avait    osé    Bonfigli,    les   gens    d'une 

1.  Hartwig^.  Bendis,  eine  archiiolog.  i'nlersuchunff  {Leipzig,  1^9"),  p'-  H. 

2.  /hade,  XVIII.  517-518. 


200 


CHAPITRE    XI 


Aille  au  milieu  des  airs,  sous  le  manteau  d'une  Vierge  colos- 
sale, a  semblé,  depuis,  une  imagination  absurde  :  l'art  clas- 
sique fait  redescendre  sur  le  sol  les  priants  et  la  Vierge,  et 
il  donne  à  celle-ci  la  même  taille  qu'aux  gens  qui  l'implorent. 
La  vérité  terre-à-terre  est  respectée,  mais  une  vérité  d'un 
ordre  supérieur  a  disparu,  la  A'érité  de  l'apparition  prodigieuse 
dont  Bonfîgli  donnait  l'idée. 

Les  peintres  Ombriens  du  début  du  xvi''  siècle,  Domenico 
Pecori,  Bernardino  di  Mariotto,  archaïques  attardés,  «  étranges 
oiseaux  de  nuit  '  ».  traitent  encore,  à  l'époque  de  Raphaël  et  de 
Léonard,  le  thème  traditionnel  de  la  Vierge  au  manteau.  Mais 
comme  on  ne  saurait  échapper  tout  k  fait  àl'influence  dutempsoù 
1  on  vit.  ils  ont  tout  de  même  un  peu  de  gêne  à  représenter  la 
Vierge  abritant  sous  son  manteau,  comme  une  poule  ses  pous- 
sins, les  membres  d'une  confrérie  ou  la  population  d'une  ville.  Ils 
modifient  le  vieux  thème  :1a  Vierge  descend  du  ciel,  son  vaste 
manteau  flotte  dans  les  airs  ;  le  peintre  nous  laisse  entendre 
que  les  gens  agenouillés  en  bas  du  tableau,  sur  la  terre,  trou- 
A'eront  un  abri  sous  le  manteau  virginal.  C'est  la  solution 
ingénieuse  qu'adoptent  le  Pordenone  pour  sa  Vierge  du  Car- 
mel,  et  l'auteur  anonyme  de  l'ex-voto  de  François  II,  au  Musée 
Lorrain  fpl,  XX). 

Dès  le  milieu  du  trecento.  Lippo  Memmi  avait  imaginé, 
pour  honorer  la  Mère  de  Miséricorde,  de  la  surélever  un  peu, 
de  la  placer  sur  une  sorte  de  marche  ou  de  socle  bas  -.  Au 
milieu  du  xv*"  siècle,  en  Italie,  ce  socle  grandit,  prend  la  forme 
d'un  piédestal  antique  ;  on  y  peint  une  invocation  à  la  Vierge, 
en  caractères  imitant  les  inscriptions  latines  '.  Cette  innova- 
tion italienne,  où  l'on  sent  1  influence  de  l'humanisme,  devait 
plaire  au  goût  classique.  Le  Tintoret  s'en  souvient  pour  son 
tableau  de  Confrérie.  Ce  tableau  du  Tintoret  est  d'ailleurs  l'une 
des  plus  faibles  images  de  la  Mère  de  Miséricorde  :  la  Vierge 
s  incline  avec  grâce,  telle  une  actrice  sous  les  bravos  ;  et, 
comme  le  socle  où  on  l'a  juchée  est  assez  étroit,  elle  prend 
garde  de  ne  pas  tomber. 

Il   était   réservé  k  Fra   Bartolommeo,  l'un  des  peintres  les 

1.  L'expression  estdc  BurckliarcU.  à  propos  de  Bernardino   Le  Cicérone,  trad. 
fr.,  t.    II.  p.  592  . 

2.  Cf.  encorda  Vierjre  de  Bart.  Vivarini.et  celle  de  la  famille  Pergenstorfer. 
.}.   Fresque  du  Pesiof.supra.p.  55  ;  de  la  famille  Vespucci.  Cf.  le  saint  Sébas- 
tien de  Gozzoli.àS.   Gimignano    pi.  XVI  . 


REMARQUES  GÉNÉRALES  201 

plus  académiques  qu'il  y  ait  eu,  de  trouver  pis  encore.  Un 
Dominicain  lui  avant  commandé  une  image  de  la  Mère  de 
Miséricorde,  il  ne  put  esquiver  1  obligation  de  traiter  le 
thème  traditionnel,  auquel  TOrdre  des  Prêcheurs,  dont  lui- 
même  faisait  partie,  était  si  attaché.  Il  imagina  de  placer  la 
Vierg'e  sur  un  trône  à  plusieurs  marches,  au  pied  duquel  il 
disposa  les  priants,  quelques-uns  au  premier  plan,  agenouillés, 
ceux  du  fond,  debout.  La  Vierge,  dressée  dans  un  grand  élan, 
invoque  son  Fils.  Des  angelots  font  flotter  son  manteau,  qui 
semble  une  toile  emportée  par  le  vent  :  il  ne  couvre  plus  les 
priants,  il  n'est  plus  là  que  pour  mémoire.  Cette  composition 
tant  célébrée  jadis  nous  laisse  froids  aujourd'hui,  justement 
parce  qu'on  y  sent  trop  la  recherche  académique.  Combien 
les  images  naïves  des  archaïques  expriment  mieux  que  ce 
«  tableau  vivant  ",  que  cet  arrangement  théâtral,  la  confiance 
des  foules  en  la  pitié  de  Marie  ! 

Ni  Fra  Bartolommeo,  ni  le  Pordenone,niTintoret,  ni  l'auteur 
de  l'ex-voto  de  François  11  n'ont  choisi  de  leur  propre  gré  le 
thème  de  la  Vierge  au  manteau  :  il  leur  fut  imposé,  à  Fra 
Bartolomeo  par  un  Dominicain,  au  Pordenone  parles  Carmes, 
au  Tintoret  par  quelque  Scuola,  au  peintre  de  François  II 
jsar  la  dévotion  des  princes  lorrains  pour  la  Vierge  de  Bon- 
secours-lez-Nancy.  A  partir  du  xvi"^  siècle,  l'art  ne  représente 
plus  la  Vierge  au  manteau  que  d'une  façon  exceptionnelle,  et 
qu'à  contre-cœur.  Le  vieux  thème  était  trop  naïf,  l'art  nouveau 
trop  savant,  trop  dédaigneux  des  images  qui  avaient  ravi  le 
moyen  âge. 

Et  puis,  à  partir  du  xvi*"  siècle,  l'iconographie  catholique  ne 
pouvait  plus  se  permettre  d'être  naïve,  de  faire  sourire.  Pour 
s'expliquer  l'oubli  où  est  tombé  le  vieux  thème  qui  nous  occupe, 
il  faut  tenir  compte  des  scrupules  que  les  attaques  furibondes 
des  Réformés  contre  la  Vierge,  les  Saints,  et  les  images  ont 
inspirés  au  catholicisme.  La  Réforme  a  bafoué  et  brisé  les 
images.  Contre  beaucoup,  elle  avait  beau  jeu.  Vn  des  dessins 
dont  Holbein  a  illustré  V Éloge  de  la  folie  représente  un  paysan 
en  prière  devant  une  grande  image  de  saint  Christophe, 
peinte  à  fresque  confiée  un  mur.  Holbein  intitule  son  dessin 
«  la  folie  de  la  superstition  »  K  Les  chanoines  de  N.-D.  de 
Paris  qui,  au  xydi"^  siècle,  firent  détruire  leur  grande  statue 
de   saint  Christophe,  avaient   sur  les  images  du  géant  chré- 

1.  Mantz, //.TJis  Ilolhein.p.  67. 


202  CHAPITRE    XI 

tien  et  sur  les  superstitions  qui  s'y  rattachaient,  les  mêmes 
idées  qu'Holbein  et  qu'Erasme.  Pour  justifier  leur  acte  de 
vandalisme,  ils  pouvaient  alléguer  un  canon  du  synode  tenu 
à  Cambrai  en  I060,  qui  condamnait  les  superstitions  relatives 
à  saint  Christophe  '.  Ce  canon  du  synode  de  Cambrai  est  une 
bonne  preuve,  entre  tant  d'autres,  que  les  railleries  des  Réfor- 
més ont  fait  honte  au  catholicisme  de  son  ancienne  imagerie. 
Il  n  ose  plus,  par  exemple,  à  partir  du  xvii-'  siècle,  représenter 
la  Vierge  allaitant  son  Fils,  ou  montrant  à  Dieu,  pour  le 
fléchir,  le  sein  qui  a  nourri  l'Homme-Dieu. 

Changement  dans  le  goût  artistique,  crainte  des  sarcasmes 
protestants  expliquent,  en  majeure  partie,  que  le  thème 
«  gothique  »  de  la  Vierge  au  manteau  soit  depuis  le  xvi''  siècle 
tombé  en  désuétude.  Il  y  faut  joindre  peut-être,  tout  au  moins 
pour  la  France,  l'influence  des  idées  jansénistes.  Le  type 
iconographique  de  la  Merge  au  manteau  protecteur  était 
1  expression  figurée  de  la  croyance  en  la  miséricorde  toute- 
puissante  de  Marie.  Or  cette  croyance  est  antipathique  au 
Jansénisme.  De  la  miséricorde  de  Marie,  le  Janséniste  n'attend 
rien  de  plus  que  le  Calviniste  :  ■<  la  prédestination  tue  l'inter- 
cession -.  »  Il  n'est  pas  question  de  la  Vierge  comme  Mère  de 
Miséricorde  dans  les  Pensées  de  Pascal  '■''.  Le  Salve  regina 
niisej'icordiae  «  exaspérait    les  Jansénistes  »  ^. 

1.  Note  de  Paquot  sur  Molanus,  p.  100  de  l'éd.  de  Louvain. 

2.  Sainte-Beuve.  Port-lioyal.  i.  I,  p.   234. 

3.  Il  convient  démettre  le  lecteur  en  garde  contre  une  erreur  soijrneusement 
entretenue  par  les  ultramnnLains.  <<  Port-Royal,  avec  ses  filles  de  saint  Ber- 
nard, n'était  nullement  indévot  à  la  \"ierge.  comme  l'en  accusaient  ses  enne- 
mis »  (Sainte-Beuve,  Fort-Royal.  V.  208  .  Saint-Gyran  avait  écrit  une  Vie 
mystique  de  la  ^'ierfre.  Nul  n'a  parlé  de  Marie  d'une  façon  plus  grandiose  : 
pour  Saint-Cyran.  la  A'ierge  est  "  l'Idée  >>  des  prêtres,  ipsa  sacerdos.  car  eWe  a 
reçu  la  première  le  coips  du  (Ihrist  Sainte-Beuve,  I.  p.  i  iS)  :  <i\'ous  désirez, 
écrit-il  à  la  sœur  Marie-Claire,  que  je  vous  dise  quelque  chose  sur  la  fête  de 
l'Incarnation  :  il  faut  qu'en  ce  jour  et  en  tous  les  autres  que  l'Église  consacre 
à  la  sainte  Vierge,  nous  lui  rendions  ce  que  nous  lui  devons.  Sa  grandeur  est  ter- 
rible. Pour  la  révérer,  il  ne  fautque  savoir  qu'elle  est  le  chef  de  l'Ange  [c'est-à- 
dire  supérieure  aux  Anges,  et  leur  reine,  regina  Angeloruni,  :  en  montant  des 
créatures  à  Dieu,  au-dessus  d'elles  toutes,  vous  trouvez  la  Vierge  ;  et  en  descen- 
dant de  Dieu  aux  créatures,  après  le  Saint-Esprit,  vous  la  rencontrez.  »  Sainte- 
Beuve,  auquel  j'emprunte  cette  citation  Port-Royal,  I,  p.  353),  a  très  bien 
opposé  l'idée  auguste  que  les  Jansénistes  se  faisaient  de  la  Deipara  à  l'idée  que 
le  catholicisme  s'est  formée,  depuis  le  moyen  âge.  de   la  Mater   Miser icor dix. 

4.  Angot  des  Rotours,  Saint  .Alphonse  de  Liguori.  p.  15o.  —  <■  Si  l'on 
veut,  d'un  même  coup  d'cpil  et  en  même  temps  qu'on  embrasse  toute  la 
liauteur  et  l'étendue  de  la  doctrine  de  Pascal,  se  donner  le  spectacle  de 
la  manière  de  voir,  chrétiennement,  la  plus  opposée  à  la  sienne,  on  n'a  qu'à 
lire  la  Préface,  mise  en  télé  des  OE  avres  complètes  du  Bienheureux  Alphonse  de 


REMARQUES  GÉNÉRALES  203 

Aussi,  quand  au  xviii''  siècle,  Alphonse  de  Liguori  entre- 
prend de  restaurer  le  catholicisme  intégral,  c'est  contre 
le  Jansénisme  et  pour  Marie  qu'il  combat  '.  Au  xix*'  siècle, 
chaque  progrès  de  la  mariolâtrie  a  été  regardé  par  les  ultra- 
montains  comme  un  triomphe  sur  le  Jansénisme.  Le  curé 
Sausseret,  qui  publia  en  1 8^2  deux  volumes  sur  les  Apparitions 
et  révélations  de  la  T.  S.  Vierge,  s'exprime  ainsi  dans  sa  pré- 
face :  «  Nous  n'écrivons  point  ces  pages  pour  les  philosophes 
sceptiques,  pour  les  disciples  de  Luther,  de  Calvin,  de  Voltaire 
et  de  Saint  Cyran  ~.  »  Rien  de  plus  instructif  à  cet  égard,  que 
le  chapitre  consacré  au  Jansénisme,  dans  l'ouvrage  du  jésuite 
Terrien  sur  la  Mère  de  Dieu  et  la  Mère  des  hommes. 

A  partir  du  xvii"  siècle,  la  Vierge  au  manteau  protecteur 
n'est  plus  guère  connue  que   dans  les  villes   auxquelles  une 

Liguori,  traduites  et  publiées  par  les  soins  des  modernes  Bénédictins  de  So- 
lesmes  (1834).  L'amollissement,  le  relâchement  de  la  discipline  et  de  la  morale 
chrétienne  selon  saint  Paul  et  saint  Augusliny  est  érigé  en  dogme  :  il  paraît,  à 
entendre  ces  savants  et  nouveaux  interprètes,  que  le  Christ,  à  mesure  que  Ton 
avance  vers  la  fin  des  temps,  confie  à  son  Eglise  des  secrets  tout  nou- 
veaux :  qu'il  se  fait  de  nouvelles  effusions  de  grâce  et  de  tendresse,  qui  per- 
mettent d'adoucir  progressivement  la  sévérité  première  des  préceptes  de 
l'Évangile  et  d'admettre  de  plus  en  plus  Findulgence  dans  la  pénitence.  «  Le 
«  culte  de  l'Épouse,  y  est-il  dit,  est  devenu  plus  tendre  à  mesure  que  de  nou- 
«  velles  amabilités  de  l'Époux  lui  ont  été  révélées.  »  Les  inquiétudes  et  les 
craintes  du  chrétien  ont  beaucoup  moins  de  raison  d'être,  depuis  que  «l'Église 
«  a  reçu  l'ordre  de  mettre  toute  sa  confiance  et  de  jeter  toute  son  inquiétude  dans 
«  le  sein  de  Marie.  »  Loin  et  bien  loin  l'alTreux  Jansénisme  avec  sa  dure  morale 
et  ses  dogmes  repoussants  !  Dieu  a  créé  quelque  chose  de  nouveau  sur  la  terre 
en  nous  révélant  toutes  les  prérogatives,  et  notamment  la  Conception  immacu- 
lée de  cette  incomparable  Vierge  qui  est  désormais  «  la  médiatrice  toute- 
puissante  du  genre  humain.  »  La  morale  facile  des  Jésuites,  dénoncée  par  Pas- 
cal, est  devenue  toute  saine  et  toute  salutaire  ;  elle  est  plus  qu'amnistiée,  elle 
est  préconisée:  le  Bienheureux  Alphonse  de  Liguori,  dans  sa  Théologie 
morale,  n'a  fait  autre  chose  que  la  remettre  en  honneur,  la  replacer  dans  les 
voies  praticables  et  la  faire  circuler  authentiquement  parmi  les  Chrétiens  : 
ça  été  proprement  sa  vocation  ;  lui-même,  pour  un  si  grand  bienfait, 
mérite  d'être  salué  "  un  médiateur  entre  le  ciel  et  la  terre  ».  Toutes  ces 
étrangetés,  ces  conceptions  d'hier  ou  renouvelées  du  moyen  âge,  sont  aujour- 
d'hui comme  acceptées  et  légitimées  parmi  les  Catholiques  romains  (et  notez 
qu'il  n'y  a  plus  en  France,  à  l'heure  qu'il  est,  de  Gallicans).  \'oilà  ce  qui 
triomphe,  ce  que  les  observateurs,  curieux  des  contrastes,  doivent  aller  cher- 
cher et  lire  en  regard  de  Pascal,  en  se  demandant  comment  il  se  peut  faire 
que  le  même  nom  de  Chrétien  s'applique  également  aux  uns  et  aux  autres. 
A  vrai  dire,  il  ne  s'y  applique  point.  Il  n'y  a  pas  d'élasticité  qui  aille  jusque- 
là  »   (Sainte-Beuve,    Port-Royal,  III,  455). 

1.  Angot  des  Botours,  op.  cit.,  p.  v  et  174. 

2.  T.  I,  p.  xxvii.  Cf.  Paquot  ad  Molani  de  hist.  SS.  iniag.,  p.  334  de  l'éd.  de 
Louvain  :  «  Legllimum  Marine  cnltiim  denegariint  Calviniajii.  Lutherani  caete 
rique  exorli  saeculo  XVI"  haeretici.  A/iqua  sui  parte  enmdem  imminuere 
quidam  e  recentiori  Xovatoriim  agmine.  >  Les  iXoratores  du  commentaire  de 
Paquot  sont  les  Jansénistes. 


204 


CHAPITRE    XI 


ima<2^e  miraculeuse  de  ce  tvpe  sert  en  quelque  sorte  de  Palla- 
dion,  la  Madonna  délie  Grazie  k  Milan,  la  Vierge  de  Bon- 
secours  à  Nancy'.  Elle  est  aujourd'hui  tellement  oubliée  que 
l'auteur  du  plus  copieux  traité  paru  de  notre  temps  sur  la 
A  ierg-e  Marie,  avoue  ne  pas  savoir  s'il  existe  des  images  de  la 
Vierg-e  couvrant  de  son  manteau  la  chrétienté  entière,  comme 
il  en  existe,  dit-il,  qui  la  représentent  couvrant  de  son  man- 
teau un  ordre  religieux-. 

Ainsi,  le  catholicisme,  dans  son  évolution,  a  délaissé,  comme 
une  vieillerie,  le  type  si  naïvement  expressif  qu  il  avait  trouvé 
à  l'aube  du  xiii*"  siècle  pour  faire  comprendre  aux  simples  la 
miséricorde  toute-puissante  de  Marie.  S  il  est  vrai  que  le  jour 
est  proche  où  le  magistère  de  l'Église  sera  sollicité  de  définir 
la  croyance  à  la  miséricorde  de  Marie,  si  la  thèse  de  la 
coopération  de  la  Vierge  à  l'œuvre  rédemptrice  et  k  l'effu- 
sion de  toutes  les  grâces  est  vraiment  un  dogme  en  for- 
mation 3^  il  semble  que  lorsque  les  théologiens  se  préoccu- 
peront de  réunir  le  dossier  de  ce  nouveau  dogme,  les  repré- 
sentations de  la  Vierge  au  manteau  protecteur  prendront  pour 
eux  un  intérêt  singulier.  L'histoire  d'une  religion  qui  admet 
le  culte  des  images,  ne  doit  pas  être  faite  uniquement  avec  des 
textes.  Les  images,  destinées  k  instruire  le  peuple  — picturae 
quasi  libri  laicorum  — ,  nous  font,  parfois,  connaître  mieux 
que  les  traités  des  docteurs  et  que  les  textes  de  la  liturgie, 
les  croyances,  les  aspirations  religieuses  des  masses  populaires. 

1.  En  1710,  les  consuls  d'Albi  <■  offrirent  un  manteau  de  moire  dargrent 
rehaussé  de  galons  dor  et  de  rubans  »à  la  statue  de  N.-D.  de  la  Dréche.  en 
faisant  cette  prière  :  "  Par  cette  robe  que  nous  vous  présentons,  nous  vous 
prions  instamment  qu'il  vous  plaise  de  nous  mettre  à  cou\ert  sous  votre  puis- 
sante protection  »  (Texte  cité  sans  référence  par  Barbier  de  Montault.  fievne 
de  l'art  chi'étien,  1S89.  p.  25  . 

2.  <<  Plus  d'une  fois,  les  peintres  ont  représenté  la  Mère  de  Dieu  envelop- 
pant sous  les  plis  de  son  manteau  une  famille  relifrieuse.  Sest-clle  aussi  mon- 
trée étendant  son  vêtement  maternel  sur  le  genre  humain  tout  entier  ?  Je  ne 
saurais  le  dire.  Cequejesais  bien,  c'est  que  les  tableaux  où  elle  serait  ainsi 
dépeinte  exprimeraient  une  vérité  incontestable  »  'Le  P.  Terrien.  S.  J.,  La 
Mère  de  Dieu    et  la  Mère  des  hommes,  t.    III,  p.  552  . 

3.  Angot  des  Rotours,  op.  cit.,  p.  129.  Cf.  ces  lignes  du  P.  Bainvel.  S..!..  Le 
dogme  et  la  pensée  catholique,  paru  dans  Vn  siècle  (Poitiers  et  Paris,  Oudin. 
1900),  p.  815  :  «  Les  théologiens  'catholiques,  depuis  la  définition  solennelle 
de  l'Immaculée  Conception  rêvent,  sous  l'attrait  d'un  amour  qui  ne  dit  jamais 
assez,  aux  moyens  de  mettre  en  relief  et  de  mieux  montrer  au  regard  et  au 
cœur  du  peuple  chrétien  un  privilège  qu'il  reconnaît  et  qu'il  affirme,  mais 
confusément  et  sans  en  avoir  encore  une  pleine  conscience,  celui  de  la  coo- 
pération de  Marie  à  l'œuvre  rédemptrice,  et  de  sa  part  dans  toutes  les  grâces 
qui  nous  viennent  de  Dieu.  ■> 


CHAPITRE  XII 

DE  QUELQUES   REPRÉSENTATIONS  SINGULIÈRES 
DE  LA  VIERGE  DE  MISÉRICORDE 


I.  La  Viei'ge  de  Miséricorde  et  les  Vierges  Saintes.  —  II.  La  Vierge  de 
Miséricorde  et  les  sept  Vertus.  —  III.  La  Vierge  de  Miséricorde  et 
les  sept  Péchés. — -IV.  La  Vierge  de  Miséricorde  et  les  Anges  Gar- 
diens. —  V.  La    Vierge  de  Miséricorde  et  le  Démon. 


Quelques  représentations  de  la  Vierge  au  manteau  sont 
tellement  singulières,  qu'elles  m'ont  paru  devoir  être  groupées 
et  étudiées  à  part. 


I.  —  La  Vierge  de   Miséricorde  et  les  Vierges  Saintes 

La  tribune  des  chantres,  dans    la   chapelle    du  château  des 
Teutoniques,  à  Marienbourg  en  Prusse  ',  est  ornée  de  fresques 


d 


a.  —  Le  Juge  du  monde. 
h.  —  La  Vierge  au  manteau, 
c.  —  S'  Michel  pesant  les  âmes. 
cl.  —  Les  élus, 
e.  —  Les  damnés. 


du  XIV*"  siècle  (de  133i,  d'après  M.  Lehmann  '),  dont  le  schéma 
ci-dessus  explique  la  disposition  ■'^.  Elles  forment,  en  somme, 
une  sorte  de  polyptyque,  consacré  au  Jugement  dernier.  Ce  qui 
en  fait  la  singularité,  c'est  que,  sous  le  manteau  de  la  Vierge 

1 .  Sur  ce  cliàteau  fameux,  cf.  La^•isse,  Eludes  sur  ihisloire  de  Prusse,  p. 
lis. 

2.  Dus  Bikinis  hei  den  alldeulschen  Meislern,  p.  211. 

3.  Sur  ces  fresques,  cf.  Steinbrecht,  Die  miltelallerlirhen  \Vnnd(ieiniilde 
der  Schlosskirche  zu  Marienhurg,  dans  la  Zeitschrifl  fur  christl.  KunsI,  II 
(1889),  p.  5.  Je  dois  à  l'obligeance  de  M.  Steinbrecht  la  photoi^raphie  d'un 
calque  de  la  Vierge  au  manteau:  la  figure  ci-contre  reproduit  cette  photogra- 
phie. 


20G 


CHAPITRE    XII 


miséricordieuse  [iig.  4),  le  peintre  n'a  représente  ni  un  Ordre 
religieux,  ni  les  g-ens  de  Marienbourg-  ou  les  membres  d'une 
famille,  ni  les  divers  membres  de  la  Chrétienté,  mais  huit 
Saintes,  reeonnaissables  pour  telles  à  la  couronne,  et  plus 
précisément  huit  Vie rr/cs  saintes,  puisque  près  d'elles  sont  des 
agneaux  et  des  colombes.  Elles  implorent  leur  reine.  Maria, 
regina  Virginum,  non  pour  elles-mêmes,  puisqu'elles  ont  déjà 
la  couronne    de   vie,    mais   évidemment    pour   le     salut    des 


FiG. 


pécheurs.  Ceux  pour  qui  les  Vierges  saintes  auront  intercédé 
auprès  de  leur  Reine,  et  que  la  Mère  de  Miséricorde  aura  défen- 
dus contre  la  sévérité  du  Juge,  ceux-là  entreront  au  paradis. 

Somme  toute,  cette  représentation  n'est  pas  sans  analogie 
avec  celles  qui  montrent  les  Vierges  saintes,  compagnes  de 
sainte  Ursule,  en  prière  sous  le  manteau  de  leur  reine. 


II.   —  La  Vierge  de  Miséricorde  et  les  sept  Vertus 
Une  miniature  d'un  manuscrit  italien  •  du  xiv"  siècle  montre 

1.  Bibl.    Nal.,  nouv.    ilal     112,  f"  16  v".  Celle  niinialure  a  été  signalée    par 


REPRÉSENTATIONS   SINGULIÈRKS    DE   LA   VIERGE  DE  MISÉRICORDE       207 

une  représentation  que  je  crois  unique  (PI.  XXVII,  1).  Sept 
femmes,  mieux  vaudrait  dire  sept  Idées,  portant  la  cou- 
ronne des  reines,  sont  assises  côte  à  côte,  de  face  ;  sur  elles, 
une  femme  plus  grande,  debout,  couronnée  et  nimbée,  étend 
son  manteau  ;  derrière  le  groupe  sont  dressées  sept  échelles, 
qui  montent  jusqu'à  l'éther  flamboyant,  au  ciel  de  gloire. 
Les  prières  et  les  sermons  contenus  dans  le  manuscrit  ne 
renferment  rien  qui  puisse  servir  à  expliquer  cette  minia- 
ture ;  il  est  vrai  que  le  manuscrit  est  incomplet.  Mais  le 
sens  ne  semble  pas  douteux.  Les  sept  reines  assises  sont 
les  sept  Vertus,  et  la  reine  qui  les  abrite  sous  son  manteau  doit 
être  la  ^'ierg•e. 

L'iconographie  des  Vertus,  on  le  sait,  n'est  pas  la  même 
dans  1  art  italien  et  dans  l'art  français.  Pour  décrire  notre 
miniature,  il  est  nécessaire  de  nous  rappeler  d'autres  représen- 
tations italiennes  des  Vertus,  les  fresques  dont  Giotto  a  décoré 
la  cimaise  del'Arena'.  le  tarot  dit  de  Mantegna -,  et  le  tom- 
beau de  Michel  Colombe,  à  Nantes,  qui  est,  par  l'iconographie, 
une  œuvre  non  pas  française,  mais  italienne  ^. 

Les  Vertus  cardinales  sont  à  la  orauche  de  la  Viersre  ;  les 
Vertus  théologales  à  la  droite. 

Je  commence  la  description  par  la  gauche. 

1"  La  Foi,  tenant  deux  banderoles  restées  blanches,  mais 
qui  ont  dû  être  préparées  pour  recevoir  des  inscriptions  des 
actes  de  foi  :  la  banderole  que  tient  la  Foi  àl'Arena^  porte  ces 
mots  du  Symbole  des  Apôtres  :  Credo  in  Deuni  Patrem 
omnipotenteni,  creatorem  caeli  et  terrae,  et  in  Jesiim  Chris- 
tu/n  filiuni  Dei  unigenitum. 

2"  L'Espérance,  les  mains  jointes,  la  tète  levée  vers  le  ciel, 
qui  est  indiqué  par  le  disque  du  soleil  :  de  même  l'une  des 
cartes  du  tarot  deMantegna\  A  l'Arena,  Sjjes  est  une  jeune 
femme  ailée  qui  prend  son  vol  vers  le  ciel,  d'où  un  ange  lui 
tend  la  couronne  dévie. 

Grinioïiai'd  de  Saint-Laurent,  Guide  de  l'art  chrétien,  t.  III,  p.  129.  Le  nis.  où 
elle  se  trouve  contient,  d'après  l'analyse  de  Mazzatini  {Inventario  dei  mano- 
scritli  délia  hibl.  di  Francia.  Rome.  1886,  t.  I,  n"  1I2\  des  homélies  latines,  la 
passion  selon  saint  Matthieu,  des  prières  en  latin  et  en  italien,  la  vie  de  saint 
Jean-Baptiste. 

1.  Ruskin,  Giotto  and  his  works  in  Padua   Londres,  1900  ,  p.  171  sq. 

2.  Travail  florentin  de  la  fin  du  xv«  siècle.  Cf.  H.  d'Allemagne,  Les  caries  à 
jouer,  t.  I.  p.  174. 

3.  Vitry,  Michel  Colombe,  p.  395  et  sqq. 

4.  Ruskin,  op.  cit.,  p.  179. 

ô.  D'Allemagne,  op.  cit.,l.  I,  p.   172. 


208 


CHAPITRE    XII 


3°  La  Charité  tient  devant  elle,  à  deux  mains,  deux  rameaux 
qui  portent  chacun  six  fruits  verticalement  placés  :  ce  sont, 
je  suppose,  les  doux  fruits  de  la  charité.  A  FArena,  Karitas 
tient  dans  la  main  gauche  une  jatte  pleine  de  fruits.  A  ses 
pieds,  la  Charité  de  notre  miniature  a  une  maison,  sans 
doute  quelque    maison  de    miséricorde,  hôpital  ou  orphelinat. 

4°  La  Tempérance  tient  dans  la  main  droite  une  grande  clef, 
dans  la  main  gauche  une  tour  à  deux  étages. 

^V'  V.Q.  Justice  tientle  glaive  dans  la  main  droite,  la  balance 
dans  la  main  gauche.  De  même  la  Justice  du  tarot  de  Man- 
tegna.  Pour  la  balance,  comparer  la  Justice  de  l'Arena. 

6°  La  Force  tient  deux  colonnes,  symboles  de  solidité  et 
d'équilibre.  D'ordinaire  cette  Vertu  a  pour  attribut  une 
colonne    qui  se    brise,  allusion  à  l'histoire  de  Samson  le  fort. 

7°  La  Prudence,  avec  son  visage  janiforme  et  son  miroir  : 
pour  ces  caractéristiques,  voir  la  Prude ntia  de  l'Arena,  celle 
du    tarot  de  Mantegna  et  celle  du  tombeau  de  Nantes. 

Six  autres  miniatures,  dans  le  même  manuscrit,  repré- 
sentent autant  de  Vertus.  Manque  la  Force  :  la  miniature  qui 
la  représentait  a  disparu  ou  n'a  pas  été  peinte.  Dans  toutes  ces 
miniatures,  les  Vertus  ont  pour  attribut  commun,  de  même 
(|ue  dans  celle  (|ue  nous  publions,  une  grande  échelle.  Ceci 
demande  quelques  explications. 

On  se  rappelle  l'échelle  que  Jacob  vit  en  songe  :  «  elle 
était  appuyée  sur  la  terre,  et  son  sommet  touchait  au  ciel  ; 
les  anges  de  Dieu  montaient  et  descendaient  par  cette  échelle  ; 
et  l'uiternel  se  tenait  au-dessus  d'elle  '.  »  Cette  vision,  sui- 
vant la  théologie  morale,  signifie  qu'il  y  a  un  moyen  de  gagner 
le  ciel  :  ou  plutôt  il  y  en  a  sept,  car  chaque  vertu  est  comme 
une  échelle  qui  permet  d'arriver  à  la  gloire  éternelle. 

Le  Guide  de  la  Peinture  donne  à  Jean  Climaque  une  bande- 
role qui  porte  ce  précepte  :  «  Elevez-vous  graduellement  par  les 
vertus,  en  élevant  votre  âme  par  la  pratique  de  la  contempla- 
tion -.  »  Saint  Jean,  dit  Climaque.  moine  sinaïte  du  vi^  siècle,  est 
ainsi  surnommé  du  nom  d  un  long  traité  ascétique  ',  l'Echelle 

1.  Genè.se,  XXVIII,  12. 

2.  Diciron.  Manuel  d'iconogrnphie.  p.  .'533.  Le  texte  grec  du  Guide  (éd. 
Konstantidinès,  p.  lOS]  dit  :  ta-ç  i^^i-%1;  -poÇarvî  roa-co  jjaO[jLÎa'.,-ûv  vojv  àvj-i^oiv 
-paxT'.zaï;  Os'-opta'.;. 

3.  Publié  dans  la  Palrologie  (jrecque  de  Mifj^ne,  LXXXVIII,  596-1209  ;  cf. 
Kriuiiljacher,  Byz.  Lilt.-,  p.  1 13.  Du  môme  temps  que  le  poème  de  .Tean 
Climacjue  est  une  homélie  étudiée  par  dom   G.  Moiin  {lieiiie    hénèiUcline   de 


REPRÉSENTATIONS   SINGULIÈRES  DE  LA   VIERGE  DE  .^IISÉRICORDE       209 

des  vertus,  qu'il  écrivit  pour  des  moines.  La  représentation 
que  ce  poème  a  inspirée  à  l'art  byzantin,  L'échelle  du  salut  de 
l'âme  et  de  la  route  du  ciel,  est,  pareillement,  destinée  à  l'édifi- 
cation des  moines  :  elle  orne  les  murs  des  couvents,  et  ce  sont 
des  moines  qui  en  sont  les  personnages.  «  Devant  la  porte 
d'un  monastère,  dit  le  Guide  K  une  échelle  qui  monte  jusqu'au 
ciel.  Des  moines  sont  dessus,  en  train  de  monter.  Des  anges 
les  y  aident,  des  diables  les  en  empêchent.  Un  vieux  moine 
parvenu  en  haut  de  l'échelle,  est  reçu  par  le  Seigneur,  qui 
lui  pose  sur  la  tète  la  couronne  de  vie.  L'inscription  explica- 
tive commence  ainsi  :  «  Regardez  l'échelle  appuyée  au  ciel,  et 
réfléchissez  bien  aux  fondements  des  vertus.  »  Le  poème  de 
Jean  Climaque  a  eu  un  succès  immense,  et  la  composition  C[ui 
en  est  inspirée  doit  dater  d'une  époque  ancienne,  puisqu'elle 
figurait  déjà  dans  ÏHortus  deliciarum  (1160).  Sur  l'un  des 
montants  de  l'échelle,  Herrade  avait  mis  cette  légende  : 
Seplem  sunt  scalae  quihus  ascenditur  ad  regnum  caelorum  : 
Castitas,  mundi  Contemptio,  Humilitas,  Obedientia,  Patientia, 
Fides,  Caritas  de  puro  corde  [sic].  Les  trois  grands  saints  béné- 
dictins, Benoit.  Romuald,  Bernard  Tolomei,  auraient  comme 
attribut  une  échelle,  parce  que  saint  Benoît,  dans  sa  règle, 
compare  l'observance  monastique  à  l'échelle  mystérieuse  qui 
unissait  la  terre  au  Ciel  dans  la  vision  de  Jacob.  L'n  tableau 
italien  du  trecento  représente  un  rêve  de  saint  Romuald  -  :  le 
saint  voit  des  moines  montant  au  ciel,  jusqu'à  Dieu,  par  une 
échelle.  Un  tableau  allemand  du  xvi"  siècle  représente  saint 
Dominique  montant  au  ciel  par  une  échelle  dont  Jésus  et  la 
Vierge  tiennent  le  haut  'K  Une  gravure  romaine  '  de  1687 
représente,  d'après  une  tradition  cistercienne,  saint  Bernard 
délivrant  les  âmes  du  purgatoire  par  la  vertu  du  saint  sacri- 
fice :  une  échelle  immense  dont  le  pied  plonge  dans  le 
purgatoire,  permet  aux  âmes  libérées  de  monter  jusqu'au 
paradis. 

Les  textes  et  les  monuments  que  nous  avons  cités  sont  tous 

Maredsous,  sept.  1904  .  où  la  «  Charité  »  est  comparée  à  une  tour  au  sommet 
de  laquelle  on  parvient  à  laide  d'une  échelle  de  vertus  comprenant  huit 
degrés. 

1.  Didron,  p.  405  :  Konstantinidés.  p.  243. 

2.  Reinach,  Répertoire,  t.  I.  p.  582.  Cf.  Cahier,  CaracL,  t.  I,  p.  328. 

3.  Darmstadt,  musée  grand-ducal. 

4.  Bibl.  Xat..  estampes.  R  d.  65.  Barbier  de   Montault    (Traité  d'iconogr-., 
t.  I,  p.  305    met  l'échelle  parmi  les  caracléristiqucs  de  saint  Bernard. 

Perdrizkt.  —  La  Vierge  de  Miséricorde.  14 


210  CHAPITRE    XII 

de  provenance  monastique  '  :  cétait  donc  dans  les  cloîtres, 
depuis  Jean  Climaque  et  saint  Benoît,  un  locus  de  la  prédica- 
tion, que  la  comparaison  des  vertus  avec  réchelle  de  Jacob. 
Le  manuscrit  italien  où  Ton  voit  les  sept  Vertus  assises  sous 
le  manteau  de  protection,  est  donc  probablement  de  prove- 
nance monastique  :  peut-être  doit-on  préciser  davantage,  car, 
parmi  les  opuscules  attribués  au  franciscain  Bonaventure,  il  en 
est  un  qui  traite  De  gradibus  virtutum  —  «  virtutes  et  gradus 
virtutum,  dit  le  prologue,  quae  sunt  certissima  via  ad  regnum 
cœlorum  ». 

Quant  k  la  femme  couronnée  et  nimbée  qui  abrite  les  sept 
Vertus  sous  son  manteau,  elle  représente,  je  crois,  la  Vierge 
Marie.  Grimoûard  de  Saint-Laurent'^  l'interprétait  comme 
l'image  de  la  Sainte  Sagesse,  de  la  divine  Sisia  :  cette  expli- 
cation ne  contredit  pas  la  nôtre,  si  l'on  se  rappelle  que  la 
Vierge  a  été  identifiée,  sinon  par  la  théologie,  au  moins  par 
la  liturgie,  avec  la  Sainte  Sagesse.  Beaia  Virgo  Maria^  vera 
Sophia,  dit  le  Spéculum  humanae  salvafionis  '^.  Un  tableau  du 
début  du  XVI''  siècle  ^  représente  la  Vierge  vénérée  par  les 
Chérubins,  qui  sont  les  anges  de  la  Sagesse  et  de  la  Science  ; 
l'un  d'eux  tient  une  banderole,  ouest  inscrite  cette  invocation  : 
0  Sophia,  sciens  cuncta.  nohis  pia  sis  adjuncta!  «  Vous  êtes, 
dit  à  la  Vierge  un  mystique  contemporain  •',  vous  êtes  la  fille 
de  l'impérissable  Dessein,  la  Sagesse  qui  est  née  avant  tous 
les  siècles.  Vous-même  l'avez  affirmé  dans  l'Epître  de  vos 
messes  '•  :  «  Le  Seigneur  m'a  possédée  au  commencement  de 
«  ses  voies,  avant  qu  il  créât  aucune  chose,  au  début  ;  j'ai  été 
«  établie  dès  l'éternité  et  de  toute  antiquité  ;  les  abîmes 
«  n'étaient  pas  encore,  et  déjàj'étais  conçue.  » 

Pour  les  Grecs,  l'échelle  que  Jacob  vit  en  songe  préfigure 
Marie  :    «    On    représente  Jacob,    dit  le    Guide  '',    avec   une 

1.  Dans  le  Ménoloçfe  Banilien.  éd.  Albani,  t.  II,  p.  3,  une  échelle  est 
debout  près  d'Ananias  qui  va  recevoir  le  martyre,  et  des  anges  annoncent  à 
Ananias  que  son  àme  montera  au  ciel  par  cette   voie. 

2.  Guide  de  l'art  chrétien,  t.  111,  p.  219. 

Z.  Ch.  xx.vvi.   S6  :  éd.  Lutz-Perdrizct.  p.  7:5. 

i.  l'auker,  Der  marianische  Bildercyclus  dex  Stifles  Kloslerneuhurff,  dans 
les  Barichie  und  Mitth.  der  Altertlnnns-Vereines  zur  Wien.  t.  XXXV  1900  , 
p.  6. 

3.  Huysmans.  Les  foules  de  Lourdes,  p.  31.3. 

6.  Messe  de  llmmaculée  Conception,  d'après  les  Proverbes.  VIII,  22-24.  Cf. 
les  messes  du  commun  de  la  Vierfre,  depuis  la  Purification  jusqu'à  l'A  vent, 
d'après  V Ecclésiastique,  ch.  .\xiv.  14. 

7.  Didron,  Manuel,  p.  290. 


Perdrizet,  La  Vierge  de  Miséricorde 


PI.  XXVII 


REPRÉSENTATIONS   SINGULIÈRES    DE   LA    VIERGE  DE  MISÉRICORDE      211 

échelle  et  un  phylactère  où  sont  ces  mots  adressés  à  la  Vierge  : 
Je  vous  ai  vue  en  songe  comme  une  échelle  appuvée  sur  la 
terre  et  allant  jusqu'au  ciel.  »  Les  mystiques  occidentaux  ont 
connu  cette  allégorie.  Elle  forme  le  sujet  dun  des  petits 
poèmes  de  la  Laus  heatao  VirçjinisMariae  dont  les  Franciscains 
ont  grossi  le  recueil  des  Œuvres  de  saint  Bonaventure'. 

La  Vierge,  sur  notre  miniature,  abrite  les  Vertus  sous  son 
manteau  :  cela  signifie  que  la  pratique  des  Vertus  ne  suffit 
pas  pour  mériter  le  Ciel,  il  faut  encore  que  la  Vierge,  dans  sa 
miséricorde,  intercède  en  faveur  des  hommes  ;  un  chrétien  ne 
doit  pas  penser  qu'il  puisse  être  à  lui  seul  l'artisan  de  son 
salut.  Somme  toute,  les  échelles  des  vertus  et  le  manteau  de 
miséricorde  sont  des  symboles  contradictoires  ou,  à  tout  le 
moins,  complémentaires. 

11  se  pourrait  bien  que  cette  miniature  signifiât  encore  autre 
chose  pour  les  mystiques  à  qui  elle  était  destinée.  Dès  saint 
Clément  d'Alexandrie  et  saint  Augustin,  la  Vierge  est  la 
figure  de  lEglise,  Maria  est  Ecclesiae  tijpus  '-.  Autrement  dit, 
notre  miniature  signifierait  que  pour  gagner  le  ciel,  il  ne 
suffit  pas  de  gravir  les  raides  échelons  des  vertus  ;  il  faut 
encore  faire  partie  de  lEglise,  avoir  vécu  à  l'ombre  de  sa 
protection  :  car,  sans  cela,  comment  participerait-on  à  la 
miséricorde  nécessaire  de  la  Mère  de  Dieu  ? 


IIL  —  La  Viercfe  de  Miséricorde  et  les  sept  Péchés. 

A  révêché  de  Teruel  (Aragon),  se  trouve  un  curieux  pan- 
neau a  tempera.,  de  la  deuxième  moitié  du  xv*^  siècle  (PL 
XXVII,  2).  J'en  dois  la  photographie  à  M.  Bertaux.  La  Vierge 
est  couronnée  d'un  diadème  extraordinaire,  fait  de  perles  dis- 
posées en  volutes.  Deux  anges  soutiennent  le  manteau,  sous 
lequel  sont  agenouillés,  à  droite  les  gens  d'église,  à  gauche 
les  laïques.  La  Vierge  lève  d'une  façon  suppliante  la  tête  et 
la  main  droite  vers  le  Christ  qui,  très  loin  de  la  terre,  dans 
les  nuées,  lance  les  traits  de  la  colère  (un  trait  dans  la  main 
droite,  trois   traits  dans    la  main  gauche).    Deux  anges   sont 

1.  Bonaventurae  opéra,  éd.  de  Lyon,  166S,  t.  VI,  p.  469.  Voir  encore,  dans 
le  même  volume,  p.  474,  le  Psalteriiirn  minus  b.  Marisa,  où  la  Vierge  est  invo- 
quée en  ces  termes  :  Are,  scala  caelum  lamfens. 

2.  Cf.  Rohault  de  Flcury,  La  Sainte    Vierge,  t.  I.  p.  299. 


212  CHAPITRE    XII 

ag-enouillés  auprès  du  Christ  :  lun  tient  un  lis.  Les  traits  que 
le  Christ  a  lancés  ont  atteint  de  petits  personnag-es  debout 
dans  les  niches  de  deux  édicules.  k  droite  et  à  gauche  de  la 
Vierge  (ces  édicules  se  rencontrent,  paraît-il,  dans  beaucoup 
de  retables  aragonais  du  xv*"  siècle] .  Des  inscriptions  indiquent 
que  ces  personnages  sont  les  Péchés  : 


Envydia 

Luxuria 

Avaricia 

Gui  a 

Pereza 

Ira 

Les  flèches  atteignent  les  Péchés  à  la  partie  du  corps  où 
chacun  à  son  siège  :  l'Envie  est  touchée  à  l'œil,  la  Gourman- 
dise à  la  panse,  la  Paresse  au  genou,  la  Colère  au  cœur  ;  il 
faudrait  le  latin,  ou  plutôt  le  grec,  pour  dire  où  est  touchée  la 
Luxure.  Sous  les  pieds  de  la  Vierge,  tout  au  bord  du  tableau, 
une  femme  apparaît  à  mi-corps,  la  poitrine  percée  d'une 
flèche,  sans  doute  la  personnification  de  l'Orgueil,  Superhia  ; 
on  a  ainsi  la  série  complète  des  sept  Péchés  capitaux. 


IV.  —  La  Vierge  de   Miséricorde  et  les  Anges  Gardiens 

Il  existe  au  musée  du  couvent  bénédictin  de  Klosterneu- 
bourg  une  série  de  neuf  tableaux  de  la  fin  du  xv*"  siècle, 
jadis  dans  l'église  des  Neuf-Chœurs-des-Anges,  à  Vienne, 
qui  représentent  la  Reine  des  Anges,  vénérée  par  chacun  des 
neuf  chœurs  célestes.  Ces  peintures  ont  été  exécutées  pour  les 
Carmes  *  auxquels  appartenait  jadis  l'église  des  Xeuf-Chœurs- 
des-Anges.  Nous  avons  déjà  vu  que  les  Carmes  tiennent  de 
leur  origine  orientale  des  préoccupations  théologiques  tout  à 
fait  particulières  :  ils  se  sont,  notamment,  beaucoup  appliqués 
à  l'angélogie  ;  nul  Ordre  n'a  autant  médité  que  le  Carmel  le 
fameux  traité  du  Pseudo-Aréopagite,  De  caelesti  hierarchia  ~. 

La  neuvième  de  ces  peintures  '^  représente  la  Vierge  adorée 


1.  Et  non  pour  les  Carmélites,  comme  le  dit  M.  S.  Reinach  'Répertoire,  II, 
p.  538  ,  qui  s'est  trompé  sur  le  sens  du  mot  allemand  Kanneliler. 

2.  Cf.  supra,  p.  53. 

3.  W.  Pauker,  Der  marianische  Bililercyclus  îles  Slifles  Kloslerneuhurg, 
dans  les  Berichte  iind  Mitlh.  des  Alterthums-Vereines  za  Wien,  t.  XXXV 
■1900),  p.  15,  pi.  II:Drexler  et  List.  Tafelhilder  auf  dem  Muséum  des  SU  fies 
Klosterneuburçf.  pi.  IV. 


REPRÉSENTATIONS   SINGULIÈRES   DE   LA  VIERGE   DE  MISÉRICORDE       213 

par  les  anges  proprement  dits,  ceux  du  neuvième  chœur,  qui 
sont  les  anges  gardiens  charg-és  de  veiller  sur  les  hommes 
(PL  XXVIII,  2) .  Sur  ce  tableau,  ils  sont  au  nombre  de  quatre; 
ils  chantent  les  louanges  de  la  Vierge,  en  s'accompagnant 
d'instruments.  L'un  deux  tient  une  banderole  où  sont  écrits 
ces  mots  : 

Curant    hahens  singulorum, 
Sortem  tene  angelorurn 

qui  signifient  cp.ie  les  Anges  demandent  à  la  Vierge  de  les 
assister  dans  leur  tâche,  de  veiller  avec  eux  sur  les  hommes  : 
en  somme,  c'est  l'adjuration  Monstra  te  esse  matrem  de  VAve, 
Maris  Stella,  adressée  à  la  Mère  de  Miséricorde,  non  par  les 
hommes,  mais  par  leurs  ang-es  gardiens.  La  Vierge  tient  une 
banderole  où  sa  réponse  est  écrite  : 

Mater  omnium  bonorum. 
Hic  asisto  (sic)  custos  horum. 

Et  joignant  le  geste  à  la  parole,  elle  écarte  les  plis  de  son 
manteau,  sous  lequel  on  aperçoit,  ag-enouillés  à  la  droite  de 
la  Vierge,  les  laïques,  k  la  gauche,  l'iiglise,  représentée  par 
ses  chefs,  le  Pape,  le  Cardinal,  l'Evèque,  et  par  la  troupe 
blanche  des  Carmes,  fratres  beatae  Mariae  de  Carmelo  . 

Cette  image  de  la  Mater  omnium  est  d'autant  plus 
curieuse  que  la  Vierge  est  figurée  ailée.  Elle  est  ailée  comme 
Reine  des  Anges,  qui  sont  ailés.  Sans  doute  faut-il  aussi  se 
rappeler  le  verset  de  V  Apocalypse  (XII,  14)  :  datae  sunt  mulieri 
alae  duae  aquilae  magnae,  où  les  mystiques  ont  vu  une  allu- 
sion à  l'Assomption  : 

Mulieri  sunt  datae  ad  volandum  duae  alae, 

Pcr  quas  intelligitur  Assumptio  tam  corporisquam  animae  ^. 

Il  est'  peu  probable  que  l'artiste  ait  voulu  signifier  que  la 
protection  dont  la  Vierge  couvre  les  hommes  est  comparable 
aux  ailes  dont  Loiselle  couvre  ses  petits.  Je  ne  connais  pas 
d'autres  représentations  de  la  Vierge  ailée. 

I.  Spec .  hum.  salral..  cli.  xxxvi.  1.  87-8S. 


214  CHAPITRE    XII 


V.  —  La  Vierge  de  Miséricorde  et  le  Démon. 

Il  existe  à  la  pinacoteca  communale  de  Montefalco,  en 
Ombrie,  un  tableau  ^  d'un  peintre  inconnu  de  la  fin  du  quat- 
trocento (Pl.XXVlII,  1),  où  la  Vierg-e  au  manteau  est  représen- 
tée d'une  façon  bizarre.  Sous  le  manteau  de  Marie  est  ag-e- 
nouillée  une  jeune  mère  en  pleurs,  les  cheveux  épars  ;  le  Démon 
tâche  de  lui  prendre  son  enfant;  la  jeune  mère  appelle  la 
Madone  à  l'aide  ;  la  Madone  s'arme  d'une  massue  et  met  en 
fuite  le  Démon.  En  haut  du  tableau,  cette  inscription:  Santa 
Maria  del  Succurso,  ora  pro  nabis.  Derrière  la  Vierge,  à  l'ar- 
rière-plan,  agenouillés,  des  moines  et  des  pénitents  blancs  :  la 
présence  de  ces  pénitents  indique  que  le  tableau  a  été  peint 
pour  une  Confrérie. 

J'ai  indiqué  ailleurs  les  autres  tableaux  qui  représentent  le 
même  sujet-.  Ils  sont  de  la  fin  du  xv*^  siècle  et  du  commen- 
cement du  XVI''  ;  tous  sont  italiens,  presque  tous  ombriens. 
En  appelant  l'attention  des  érudits  sur  ce  thème  singulier, 
je  souhaitais  qu'un  plus  savant  ou  plus  heureux  que  moi 
en  trouvât  l'explication. 

M.  Salomon  Reinach  en  a  aussitôt  proposé  une. 

«  Le  type  de  la  Vergine  del  Soccorso  armée  d'une  massue, 
écrit-il,  n'est  pas  d'origine  populaire,  mais  demi-savante... 
Parmi  les  nombreux  attributs  de  la  Vierge,  dans  la  littérature 
pieuse  et  la  poésie  du  moyen  âge,  figure  la  clef.  Comme  la  Pal- 
las  y.Aî'.scjy;;  dé  Phidias,  la  Vierge  Marie  tient  une  clef  ;  c'est  la 
clef  du  ciel.  Les  textes  ont  été  réunis  par  Salzer.  Déjà  saint 
Ephrem  qualifie  la  Vierge  de  clef  qui  nous  ouvre  le  ciel.  Ainsi 
la  Vierge  Marie  est  porte-clefs,  clavigera,  Si  elle  ne  paraît 
pas  avec  cet  attribut  dans  les  œuvres  d'art,  c'est  que  la  clef 
est  l'attribut  presque  exclusif  de  saint  Pierre.  Mais  claviger, 
épithète  de  Janus  porte-clefs  dans  Ovide,  est  dans  le  même 
poète,  épithète  d'Hercule  porte-massue.  Clavis,  clef,  et  clava, 
massue,  ont  donné  le  même  dérivé  claviger.  Ce  jeu  de  mots, 
qui  devait  se  présenter  aisément  à  l'esprit  d'un  clerc,  explique 

1.  Alinari.  5476:  reproducti(jn  clans  BroiissoUe,    La  jeunesse  du  Pérugin  el 
les  origines  de  iart  ombrien,  p.  475. 

2.  Pei-di-izet-René  Jean,  La  galerie  Campana  et  les  musées  français,  p.  65-67, 
pi.  V.  Cl'.  Tliode.  Franz  vnn    [ssisi.    2"  éd.,  p.  517. 


REPRÉSENTATIONS   SINGULIÈRES   DE   LA  VIERGE  DE  MISÉRICORDE      21 0 

le  type  de  la  Vierg^e  porte-massue.  Quand  il  s'est  agi  de  repré- 
senter la  Vierge  mettant  en  fuite  un  démon  et  qu'il  a  fallu 
pour  cela,  lui  trouver  une  arme,  comme  la  tradition  était 
muette,  on  s'est  inspiré  d'une  des  épithètes  qu'elle  attribuait 
à  la  Vierge  et,  sans  lui  en  substituer  une  autre,  on  s'est  con- 
tenté d'en  modifier  le  sens.  L'innovation  purement  graphique 
des  peintres  ombriens  semblait  justifiée  par  le  langage  des 
litanies  ;  la  Vierge  à  la  massue  était  toujours  la  Virgo  clavi- 
gera.  11  y  a  là,  semble-t-il,  un  exemple  certain  d'un  type 
plastique  né  d'une  confusion  de  langage  '.  » 

L'explication  de  M.  Reinach  me  paraît  inadmissible. 

11  est  inexact,  d'al^ord,  que  ((  le  langage  des  litanies  » 
invoque  la  Vierge  sous  le  nom  de  clavigera.  Cette  invocation 
ne  se  trouve  ni  dans  les  diverses  Litanies  de  la  Vierge  dont 
j'ai  pris  connaissance  '',  ni  dans  l'Office  de  la  Vierge,  ni  dans 
les  Messes  des  Fêtes  de  la  Vierge,  ni  ailleurs,  que  je  sache. 
Avant  M.  Reinach,  personne  n'en  avait  gratifié  Marie, 

M.  Reinach  allègue  des  textes  oîi  la  Vierge  est  appelée 
«  clef  du  ciel,  clef  du  paradis,  clef  de  la  divine  Sagesse  ». 
Mais  de  ce  que  la  Vierge  ait  été  comparée  à  une  clef,  il  ne 
s'ensuit  pas  qu'elle  ait  été  appelée  porte-clefs,  lin  y  a  pas  de 
texte  où  la  Vierge  soit  appelée  clavigera,  pas  plus  qu'il  n'y  a 
de  représentation  où  elle  soit  figurée  portant  les  clefs. 

Les  textes  réunis  par  Salzer  -^  et  allégués  par  M.  Reinach, 
où  la  Vierge  est  appelée  ((  clef  du  ciel,  du  paradis,  de  la 
Sagesse  »,  sont  extraits  de  cantiques,  pour  la  plupart  orien- 
taux (syriens  ou  grecs),  qui  n'ont  pas  eu  d'influence  sur 
l'iconographie.  Les  innombrables  citations  coUigées  par  Salzer 
avec  plus  de  patience  et  de  piété  que  de  sens  critique  et  histo- 
rique demandent,  pour  être  employés  utilement,  une  certaine 
pratique  de  la  littérature  religieuse  du  moyen  âge.  Je  compa- 
rerais volontiers  le  recueil  de  Salzer  à  un  dictionnaire  comme 
celui  de  Courtaud-Diverneresse,  où  sont  mélangés  A'ingt-cinq 
siècles  de  grécité,  depuis  Homère  jusqu'à  Photios.  11  s'agit 
d'expliquer  un  type  iconographique  bien  localisé  et  daté,  un 
thème  qui  est  propre  à   l'Ombrie   de   la    deuxième  moitié  du 


1.  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Inscriptions,  1907,  p.  43-45.  Cf.  Revue 
critique,  190',  I,p.  392  et  Répertoire  de  peintures,  II,  537. 

2.  Litanies  dites  «  tirées  de   l'Écriture  Sainte  «  ;  Litanies  de  Lorette  ;   Lita- 
nies «  péruviennes  »,  à  lusage  de  l'Amérique. 

3.  Sinnbilder,  p.  549. 


21  G  niIAPlTBE    XII 

quattrocento.  Des  textes  traduits  dusj-riaque  de  saint  Ephrem, 
ou  extraits  de  cantiques  latins  récoltés  en  Allemagne,  en 
Bohème  et  en  Suède  ne  semblent  pas  très  pertinents  dans  la 
question. 

«  Le  type  de  la  Vierge  à  la  massue,  écrit  M.  Reinach,  nest  pas 
d'origine  populaire.  »  Je  suis  de  lopinion  exactement  oppo- 
sée. La  peinture  religieuse  des  petites  villes  ombriennes, 
dans  la  deuxième  moitié  du  xv*"  siècle,  a  un  caractère  popu- 
laire bien  accusé,  sur  lequel  nous  avons  déjà  eu  à  insister'  : 
c'est  de  la  peinture  d'ex-voto  pour  confréries,  pour  couvents, 
pour  bonnes  gens  d'une  foi  simple  et  passablement  supersti- 
tieuse —  naïve  ou  niaise,  comme  on  voudra  :  c'est  de  l'ima- 
gerie populaire.  Il  est  invraisemblable  que  la  Vierge  à  la 
massue  doive  s'expliquer  en  fin  de  compte  par  l'erreur 
d'un  clerc  qui  aurait  lu  Ovide,  par  un  calembour  d'humaniste. 
Ce  type  n'a  été  si  répandu  en  Ombrie  que  parce  qu'il  était 
facile  à  comprendre  pour  les  simples,  grâce  à  l'enseignement 
religieux  qu'ils  avaient  reçu,  grâce  aux  textes  sacrés  avec 
lesquels  les  avaient  familiarisés  la  liturgie  et  la  prédication, 
les  arts   figurés  et  les  représentations  dramatiques. 

Reportons-nous  aux  photographies  et  aux  descriptions  des 
tableaux  de  la  série.  Le  tableau  de  Montefalco  et  celui  de 
Palerme  -  mettent  à  lamain  de  la  Vier<?e  une  massue.  Mais 
celui  de  Montpellier  ^  lui  donne  un  bâton  noueux,  et  celui  de 
la  galerie  Colonna  ^  un  bâton  lisse,  ce  qu'au  moyen  âge  on 
appelait  une  verge  (d'où  l'expression  huinsier  à  verge).  Or, 
c'est  en  cpielque  sorte  un  lieu  commun  de  comparer  la  Vierge 
Marie  à  une  virga.  La  plus  fameuse  des  prophéties  de  la  Vierge 
—  egreditur  virga  de racUce  Jesse —  repose  sur  ce  jeu  de  mots 
virga,  Virgo.  Les  mystiques  ne  se  sont  d'ailleurs  pas  contentés 
du  passage  d'Isaïe.  «  Celle  qui  se  promena  sous  des  figures 
dans  l'Ancien  Testament,  la  ^'ie^ge  antérieure  aux  Evangiles  -^  » 
a  été  reconnue,    par  les  auteurs  des  Bibliae    Marianae.  dans 

1.  Cf.  supra,  p.  12.3. 

2.  G.  di  Marzo,  La  pittura  in  Palermo  t\el  rinascimenlo  Palcrmc.  1899, 
p.  145)  :  una  niazza  o  clava. 

3.  Perdrizet-René  Jean,  op.  cit.,  pi.  V. 

4.  Alinari.  7331  :  .\nderson.  703:  Lafenestre-Uichtcnberirer.  lînine.  l.  II. 
pholotypie  à  la  p.  162.  D'après  M.  Reinach,  qui  a  public  un  calque  de  cette 
pliototypie  Répertoire,  II,  .î37  .  la  Vierge  tient  une  massue  :  mais  cette  asser- 
tion, qui  s'explique  par  une  idée  préconçue,  est  contredite  par  le  calque  même. 

j.  Iluysmans.  Les  foules  de  Lourdes,  p.  313. 


REPRÉSENTATIONS  SINGULIÈRES  DE  LA  VIERGE  DE  MISÉRICORDE       217 

tous  les  textes  de  la  Bible  où  il  était  question  devirga,  notam- 
ment dans  deux  textes  des  Psaumes  :  l'un  où  David  remercie 
Dieu  de  lui  avoir  donné  une  virga,  c'est-à-dire  d'avoir  formé 
le  dessein  de  faire  naître  de  lui  la  Vierge  (de  qui  naîtra 
Jésus,  qui  fera  sortir  des  limbes  les  Pères  de  l'ancienne 
alliance,  et  David  lui-même)  ;  l'autre  où  il  est  parlé  d'une 
virga  ferrea,  qui  brisera  les  rois  :  les  mystiques  l'entendent 
delà  Vierge,  qui  abattra  les  démons  par  la  part  qu'elle  prendra 
à  la  passion  de  son  Fils'. 

Pour  montrer  que  la  comparaison  de  la  Vierge  avec  une 
verge  est  bien  un  locus  de  la  mystique,  je  citerai  quelques  textes 
caractéristiques  que  j'ai  notés  en  lisant  les  ouvrages  écrits  aux 
xii^  et  XIII''  siècles  sur  la  Vierge  Marie.  Je  n'emprunte  pas  ces 
textes  à  Salzer;  il  ne  les  donne  pas  ;  il  en  donne  d'autres ', 
moins  typiques  et  pris  dans  des  ouvrages  moins  importants  : 
ceci  dit  pour  montrer  que  le  recueil  de  Salzer,  quel  qu'en  soit 
d'ailleurs  le  mérite,  ne  doit  pas  être  considéré  comme  un  recueil 
complet. 

Le  Psalmiste  avait  dit  :  Reges  eos  in  virga  ferrea,  et  tan- 
quam  vas  figuli  confringes  eos'^.  Il  avait  dit  encore  :  Si  amhii- 
lavero  in  média  umhrae  mortis,  non  timebo  mala,  quoniam 
tu  mecum  es  :  virga  tua,  et  haculus  tuus,  ipsa  me  consolata 
sunt  ^.  Ce  sont  les  mystiques  latins  du  xii*"  et  du  xiii*'  siècle 
qui  ont  eu  l'idée  de  chercher  dans  ces  textes  peu  clairs  une 
allusion  à  Marie. 

Virgo  Maria  est  virga  ferrea  daemonihus,  dit  l'auteur  du 
Spéculum  B.  Mariae  Virginis'"^^  de  hac  virga  non  incongrue 
accipi  potest  illud  Psalmorum  :  reges  eos  in  Virga  ferrea.  0 
Maria  virga  aurea  perfectis,  virga  ferrea  et  dura  daemonihus, 
arceas  daemones  a  nohis  ! 

Maria  Virga  ferrea  malignis  hominibus  et  ipsis  daemoni- 
hus, dit  l'auteur   du   De  laudihus  B.  Mariae^',  quia  per  eam 

1.  Maria  vieil  diaboliim  per  compassionein  :  c'est  ainsi  que  les  mystiques 
conçoivent  la  victoire  de  Marie  sur  le  diable  ;  le  ch.  xxx  du  Spéculum  humanae 
salvationis  (éd.  LuLz-Perdrizet,  p.  62-63)  est  consacré  à  cette  question  ;  et  la 
miniature  du  S. H. S.  qui  représente  la  Vierge  de  la  «  compassion  »,  victorieuse 
du  démon,  la  montre  lui  écrasant  la  tète  avec  le  bois  de  la  croix. 

2.  Op.  cit.,  p.  SOi-JOG. 

3.  Ps.  II,  9.  Cf.  Apocal.,  11,  27  et  XIX,  13. 

5.  Ps.  XXII,  1. 

3.  Bonaventurae  opéra,  éd.  de  Lyon,  1668,  t.  VI,  p.  418, 

6.  L.  XII,   ch.  6,  dans  les  Opéra  Alberli  Magni.  Lyon,  1651.  t.  XX.  p.  437. 


218  CHAPITRE    XII 

infringuntur  capita  iniquorum.  Unde  dicitur  Christo  in 
Psalmis  :  in  virg-a  ferrea  tanquani  vas  fig-uli  confringes  eos. 

Virga  dicitur  Beata  Virgo,  écrit  le  dominicain  Hugues  de 
Saint-Cher  '.  haculus,  crux.  Haec  duo  vere  consolantur  nos 
in  omni  trihuJatione  nostra.  Et  dicitur  B.  Virgo  virga,  quia 
hahet  has  proprietates  virgae  : 

Plana,  plicans.  gracilis,  mensurans,  recta,  rotunda ; 

Percutit,  irritât,  corfice  tecta  canet. 

Haec  est  virga  illa  c/ua  retunduntur  inipetus  adversantium 
daemoniorum,  dit  au  xii''  siècle  un  sermon  Cistercien  fausse- 
ment attribué  à  Pierre  Damien  -:  virga  Aaron,  per  quani  fiunt 
signa  et  niirahilia.  Baculuni  autein  crucis  intellige,  quo  non 
solus  verberatus  est,  sed  et  occisus  ille  insatiabilis  homicida  qui 
mortibus  honiinum  nascitur  et  nutritur.  In  Virgine  virga  et 
haculo  cruce  miserorum  spes  et  consolatio  continétur,  sicut 
subliniis  prophcta  clara  voce  déclarât  :  Virga.  inquif,  tua  et 
baculus  tuus  ipsame  consolata  sunt. 

On  a  toujours  profit,  quand  on  veut  se  renseigner  sur  une 
question  touchant  la  Vierge  Marie,  k  se  reporter  aux  Gloires 
de  Marie,  de  saint  Alphonse  de  Liguori  :  sous  la  forme  d'une 
paraphrase  du  Salve  regina,  les  Gloires  de  Marie  contiennent, 
si  l'on  peut  ainsi  dire,  la  quintessence  de  la  mariologie.  Les 
textes  qu'on  vient  de  lire  y  sont  assez  bien  résumés  dans  ces 
quelques  lignes  :  a  Oh  !  comme  ils  fuient  à  l'aspect  de  notre 
reine,  ces  esprits  rebelles  !  Si  Marie  est  de  notre  côté,  que 
pourront  contre  nous  les  puissances  de  l'Enfer  ?  David,  redou- 
tant sa  dernière  heure,  se  confiait  déjà  en  la  mort  de  son 
Rédempteur  futur  par  l'intercession  de  la  Vierge  mère.  Le  car- 
dinal Hugues  [de  Saint-Cher]  dit  que  par  le  bâton  dont  par- 

1.  Dans  son  commentaire  sur  le  Psautier,  t.  II  de  ses  Opéra,  omnia  in 
universnm  Vêtus  et  .\ovum  Testamentum  (8  vol.  f",  Venise,  Nicolas  Pez- 
zana,  1703  .  Ce  commentaire  des  Psaumes  a  été  attribué  aussi  à  Alexandre 
de  Halès  Hurter.  Xoinenclator  lilterariiis.  t.  IV,  col.  264  sq.  .  Hugues,  natif 
de  Saint-Cher  près  Vienne  en  Dauphiné,  entra  dans  l'Ordre  des  Prêcheurs 
en  1225.  devint  cardinal  du  titre  de  Sainte-Sabine,  il  mourut  en  1263.  Voir  sa 
notice  dans  Quétif  et  Echard. 

2.  11  semble  de  Nicolas,  moine  de  Clairvaux.  secrétaire  de  Saint-Bernard 
(Mij,me,P.  L.,  CLXXXIII,  26  sq.,  et  CXCVI,  1589-I.'>90  .  Pour  lattribution  à 
Pierre  Damien,  voir  l'éd.  des  Œuvres  de  Damien  pardom  Constantin  Caetani, 
2  vol.  f°,  Rome,  1606-1608,  t.  II,  f  110,  et  Migne,  P.  L.,  CXLIV,  721.  Pour  l'allé- 
gorie virga  Virgo,  cf.  encore,  au  xii"  siècle,  le  Mariale  d'Adam,  abbé  fcistercien) 
de  Perseigne  P.L.  CCXI,  699  sqq.  le  sermon  sur  l'Annonciation,  d'Absalon, 
abbé  augustinj  de  Springirsbach  (P. L.,  CCXI,  121  ,  et  les  vers  cités  par  Pitra. 
Spicil.  Sofesm.,II,p.  389. 


'eudrizei',  Ld   Virrgr  rh'  Miséricorde 


PI.  XXVIll 


REPRÉSENTATIONS   SINGULIÈRES   DE   LA   VIERGE   DE  MISÉRICORDE      219 

lait  David,  il  faut  entendre  la  croix,  et  par  la  verge  linterces- 
sion  de  Marie,  qui  est  cette  Vierge  prophétisée  par  Isaïe.  La 
divine  mère,  dit  Pierre  Damien,  est  cette  verge  puissante, 
qui  met  en  fuite  les  esprits  infernaux  '.  » 

On  A'oit  de  quelle  époque  date  la  comparaison  mystique  de 
la  Vierge  avec  une  verge  :  du  xii''  et  du  xiii''  siècle,  du  temps 
où,  sous  lintluence  de  saint  Bernard  et  des  Cisterciens,  s'exalte 
la  croyance  à  la  miséricordieuse  intercession  de  la  Vierge,  où 
le  sentiment  religieux  associe  la  Vierge  à  l'œuvre  de  la  rédemp- 
tion au  point  de  l'y  faire  contribuer  presque  autant  que  le 
Rédempteur. 

Pourquoi,  sur  le  tableau  de  Montefalco  et  sur  celui  de 
Palerme,  la  virga  est-elle  remplacée  par  une  massue?  La 
raison  s'en  devine  aisément,  si  l'on  se  rappelle  l'inspiration 
populaire  de  ces  peintures.  11  ne  suffisait  pas  aux  bonnes  gens 
que  le  Diable  fût  bàtonné  :  il  fallait  qu'il  fût  assommé.  Le 
bâton  a  été  remplacé  par  une  massue,  parce  qu'une  massue 
est,  si  l'on  peut  ainsi  dire,  un  bâton  superlatif.  N'oublions 
pas  qu'il  s'agit  d  expliquer  des  tableaux  italiens,  et  que  le 
peuple  italien,  comme  l'indiquent  les  superlatifs  et  les  diminu- 
tifs de  sa  langue,  a  un  besoin  inné  d'exagération. 

Ainsi,  la  massue  dont  la  Vierge  est  armée  sur  les  tableaux 
de  Montefalco  et  de  Palerme,  le  bâton  dont  elle  est  armée  sur 
ceux  de  la  galerie  Golonna  et  du  musée  de  Montpellier  s'ex- 
pliquent par  une  métaphore  que  nul  catholique  ne  saurait 
ignorer,  Virgo  virc/a.  Mais  ceci  dit,  la  question  que  j'avais 
posée  en  appelant  l'attention  des  érudits  sur  le  type  en  ques- 
tion et  à  laquelle  M.  Reinach  a  pensé  répondre,  reste  entière. 
Je  ne  demandais  pas  pourquoi  la  Vierge  secourable  s'était, 
pour  chasser  le  démon,  armée  d'une  massue,  mais  pourquoi 
on  trouve  en  Ombrie  une  série  de  tableaux  votifs  qui  repré- 
sentent la  Vierge  accourant,  à  la  prière  d'une  mère  éplorée, 
au  secours  d'un  hamhino  que  le  Démon  veut  ravir.  Evidem- 
ment, ces  tableaux  se  rapportent  à  un  miracle  opéré  par  la 
Vierge,  sont  l'illustration  d'un  récit  d'apparition  miraculeuse 
que  la  prédication  ou  le  théâtre  avait  rendu  populaire,  en 
Italie  et  surtout  en  Ombrie,  dans  la  deuxième  moitié  du 
xv^  siècle.  Ce    récit  serait  à  retrouver. 

1.  Gloires  de  Marie,  ch.  ii,  §  3. 


CHAPITRE    XIII 

LES  SAINTS  ET  SAINTES  EMPRUNTENT  A  LA  VIERGE 
LE    MANTEAU    DE    PROTECTION 


Dévotions  d'imitalion.  —  Les  Saints  et  les  Saintes,  à  limitation  de  la 
Vierge,  s'attribuent  le  manteau  protecteur.  —  A  quelle  date  et  dans 
quelle  région  a-l-on  imaginé  d'en  faire  la  caractéristique  de  sainte 
Ursule  ? 


La  dévotion  du  Saint  et  Immaculé  Cœur  de  Marie,  qui 
date  du  xviii*  siècle,  est  une  imitation  de  celle  du  Sacré-Cœur 
de  Jésus,  qui  paraît  à  la  fin  du  xvi'"  ;  elles  ont  donné  naissance 
au  xix**,  à  la  dévotion,  condamnée  par  Rome,  du  Cœur  de 
Joseph.  La  dévotion  des  sept  Allég-resses  de  la  Vierge,  qui 
date  du  xiii''  siècle,  suscite  au  xiv'',  quand  la  piété  catholique 
s'abîme  dans  la  méditation  de  la  Passion,  la  dévotion  des 
sept  Douleurs  de  Marie'.  Le  rosaire,  inventé  vers  1470  en 
l'honneur  de  la  Vierg-e,  donne  naissance,  en  li9i,  au  rosaire 
de  sainte  Anne-,  puis,  au  rosaire  des  Cinq  Plaies'^.  Le 
Salve  regina,  en  l'honneur  de  la  Reine  de  Miséricorde,  donne 
naissance,  au  début  du  xvi'"  siècle,  à  des  gloses  versifiées  en 
l'honneur  de  diverses  saintes,  par  exemple  de  sainte  Agathe  : 

Salve,  sa  ne  ta  Af/atha, 
Virgo  et  martyr  ineli/ta... 
Ad  te   clamamus   in   angustis   eonstituti 
Ad  te  suspiramusf/c.  ''. 

Ainsi,  les  dévotions  sont  soumises  aux  lois   de  l'imitation. 

1.  Anal.  Bolland..  t.  XII.  p.  .3.36. 

2.  Voir  supra,  p.  100. 

3.  In;ieniosam.  piam  el  Alexandro  VII  probalam  coronain  seii  rosarium 
sacratissimorum  J.  C.  vulneriim  eicoijitavil  G.  de  Wael  a  \'ronesleyn.  S.  J. 
("j-  1659  ;  Uhellum  ejus  qiiarlum  edidit  Briixellae  l'r.  Foppens  an.  ll>-'>7 
(Paquot  ad  .Molani  de  hisl.  SS  iniaçjinnm,  p.  93). 

1.  Hortulus  aniniae  i^yon,  15l6j,  p.  133,  dans  Mono,  Laletnische  Hytnnen 
'Friboui-f.'.  ISai  .  t.  II,  p.  210. 


SAINTS  ET    SAINTES  AU    MANTEAU    PROTECTEUR  221 

L'histoire  du  manteau  protecteur  vérifie  cette  remarque  dune 
façon  bien  curieuse.  Les  saints  et  les  saintes  empruntent  à  la 
Vierge  le  manteau  symbolique.  On  trouvera,  à  la  fin  de  ce  cha- 
pitre, le  catalogue  des  personnages  de  la  cour  céleste  qui  sont 
représentés  abritant  sous  les  pans  de  leur  manteau  l'Ordre  ou 
le  couvent  '  qu  ils  ont  fondés,  la  ville  qui  porte  leur  nom  -  ou 
qui  s'est  réfugiée  sous  leur  protection-^;  sainte  Félicité  et  la 
mère  des  saints  Machabées  abritent  sous  leur  manteau  leurs 
sept  enfants;  sainte  Catherine,  à  Sienne,  saint  Simon,  à  Pise, 
témoignent  de  cette  façon  leur  intérêt  aux  confréries  de  misé- 
ricorde ;  sainte  Ursule  abrite  sous  sa  fourrure  d'hermine  les 
onze  mille  ^'ierges. 

Nul  saint  ou  sainte  n'a  été  figuré  revêtu  du  manteau  pro- 
tecteur aussi  souvent  que  la  patronne  de  Cologne  et  de  la 
Sorbonne^.  L'une  des  suaves  peintures  dont  Memling  a  paré 
la  châsse  de  Bruges  a  popularisé  cette  façon  de  représenter 
sainte  Ursule.  Plus  dune  fois  la  piété  des  fidèles  et  même 
la  sagacité  des  archéologues  ont  pris  une  représentation  de 
la  Vierge  au  manteau  pour  une  représentation  de  sainte 
Ursule,  ou  réciproquement  :  ainsi  feu  Helbig  a  cru  que  la  sainte 
Ursule  dite  de  Catherine  Vigri  au  musée  de  Bologne  repré- 
sentait la  Viersre  de  Miséricorde^.  Il  convient  de  s'arrêter  un 
instant  à  ces  représentations  de  sainte  Ursule,  non  pas  tant  à 
cause  de  leur  nombre  que  pour  prévenir  des  confusions  pos- 
sibles, et  aussi  pour  examiner  si  les  plus  anciennes  représen- 
tations de  sainte  Ursule  abritant  les  Vierges  sous  le  manteau 
protecteur  remontent  à  une  date  aussi  haute  que  quelques 
archéologues  l'ont  pensé. 

A  en  croire  M.  Delpy  '',  la  plus  ancienne  représentation  de 
sainte  Ursule  abritant  ses  compagnes  sous  le  manteau  de  pro- 
tection, serait  un  tableau  colonais  du  commencement  du 
xv*"  siècle,  au  musée  de  Nuremberg.  ^L  Delpy  ignorait  que 
sur  une  châsse  peinte  du  xiii*^  siècle,  à  la  cathédrale  d'Albi,  1  on 
voit  sainte  Ursule  abritant  quatre  Vierges  martyres   sous  son 

1.  Sceau  des  Dominicaines  de  Poissy  :  saint  Louis  protège  leur  couvent, 
qu'il  a  fondé  'PI.  II,  5). 

2.  Sceau  de  François  de  Riguet,  grand-prévôt  de  Sainl-Dié. 

3.  Fresque  de  Saint-Sébastien,  par  B.  Gozzoli,  à  S.  Gimignanu    PI.  XVI  . 

4.  Cf.  deLouys,  Sainte  Ursule  triomphante  des  cœurs,  de  l'enfer,  de  l'empire 
et  patronne  du  célèbre  collège  de  Sorbonne,  Paris,  4°. 

5.  Revue  de  l'art  chrétien,  1889,  p.  277. 

6.  Die  Légende  von  der  heiligen  Ursula,  von  E.  Delpy  Cologne,.  1901).  p.  91 


222  CHAPITRE    XITI 

manteau  d'hermine.  Il  ignorait  aussi  la  châsse  du  village 
de  Kerniel,  près  Looz,  au  diocèse  de  Liège,  qui  fut  peinte  à 
Liège  en  1292,  et  où  l'on  voit  sainte  Odile  abritant  sous  son 
manteau  d'hermine  ses  jeunes  sœurs,  Ida  et  Ima  ;  cette  Odile 
légendaire,  dont  la  fierté  de  Kerniel  était  censée  contenir 
quelques  ossements  et  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  la 
célèbre  abbesse  Alsacienne,  aurait  été  «  Tune  des  chefs  de 
cohorte  >•  de  sainte  Ursule.  ^1.  Delpy  n"a  pas  connu  non  plus 
la  fresque  de  Linz  '  où  l'on  voit  sainte  Ursule  abritant  six 
Vierges  sous  son  manteau  et  qui  date  de  la  fin  du  xiir  siècle. 

Sur  le  retable  émaillé  du  Kunstgewerhemuseuin  de 
Cologne  -,  sainte  L  rsule  et  deux  de  ses  compagnes,  sainte 
Pinnosa  et  sainte  Cordula.  n'abritent  personne  sous  leur 
manteau.  Ce  retable  est  de  la  fin  du  xu''  siècle.  C'est  donc 
entre  la  fin  du  xii''  siècle  et  la  fin  du  xiii''  que  l'on  a  imaginé  de 
revêtir  sainte  L'rsule  du  manteau  symbolique  qui  venait 
d'être  inventé  pour  exprimer  la  miséricorde  de  Marie. 

Si  le  type  de  sainte  Ursule  abritant  ses  compagnes  sous 
son  manteau  est,  comme  il  est  permis  de  le  croire,  d'origine 
colonaise,  d'autre  part  il  faut  se  rappeler  que  Césaire  d'Heis- 
terbach,  qui  a  le  premier  parlé  de  la  Vierge  au  manteau,  était 
originaire  lui  aussi,  des  environs  de  Cologne  :  en  somme, 
le  type  de  sainte  Ursule  abritant  ses  compagnes  sous  son 
manteau  est  une  raison  de  croire  que  le  Cistercien  anonyme  qui 
inventa  le  type  de  la  Vierge  au  manteau  protecteur  était  du 
pays  rhénan.  Mais,  comme  on  l'a  dit  plus  haut  ^,  cette  raison 
n'est  nullement  péremptoire. 

1.  Sur  le  Rhin,  entre  Bonn  et  Coblence. 

2.  Delpy,  p.  32. 

3.  Supra,  p.  25. 


Pehdrizet,  Ld   Vii-r(ji'  de  Misérirorr/c 


l'I.  XXIX 


■i> ,  •'  i'!-^ 


1.  Sainlc  Hfij'ili 


2.  Sainte  Catherine  de  Sienne 


3.  Sainle   nriiiiltr 


4.  Sainle  Tiiérëse 


Les  saintes  et  le  manteau  protecteur 

(Clicbcs  lie  l'auteur) 


CATALOGUE 


SAINT  AUGUSTIN 

1.  Sceau  d'un  document  lorrain  du  xv^  s.  {Participation  des  bienfaits, 
suffrages  et  oraisons  de  l'Ordre  de  saint  Augustin  pour  Antoine  de 
Lorraine  comte  de  Vaudémont  et  Marie  de  Ilaraucourt  son  épouse,  accor- 
dée par  Julien  de  Salm,  prieur  général  des  Augustins  le  20  mai  I âi7 . 
Bar,  'Chambre  des  Comptes,  n°  84.  Archives  de  Meurthe-et-Moselle, 
B  343).  Saint  Augustin,  en  costume  épiscopal,  debout,  de  face,  nimbé, 
sous  un  dais,  étend  sa  chape  sur  les  ermites  de  son  ordre,  agenouillés 
à  ses  côtés,  deux  par  deux  en  rangs  superposés.  Ce  groupe  est  sur  une 
arcade  à  trois  entre-colonnements  ;  dans  celui  du  milieu,  le  prieur,  à 
genoux.  —  Pi.  11,  6. 

2.  Dipinse  Stefano  (de  Vérone,  quattrocentiste)  esfernamente  sopra  la 
porta  latérale  di  S.  Eufemia  (à  Vérone',  S.  Agostino  con  due  altri  Santi 
Agostiniani  dai  lati,  sotto  al  manto  del  quale  vi  stanno  frati  e  monache 
del  suo  ordino,  e  vi  si  legge  in  carattere  gotico  cordelato  :  Stephanus 
pinxit,  ma  appena  ora  si  conesce  che  rappresentino  (Diego  Zannandreis, 
Le  vite  dei  pittori,  scultori  e  architetti  Veronesi,  pubbl.  da  G.  Biadego, 
Vérone,  1891,  p.  45  ;  cf.  Milanesi,  Vasari,  III,  p.  629). 


SAINTE  BEG6HE 

Sainte  Begga  ou  Beggha  j  il  déc.  698i,  fille  de  Pépin  de  Landen, 
abbesse  dAndenne  en  Braisant,  est  vénérée  en  Belgique  comme  la 
fondatrice  des  Béguines  et  des  Bégai"ds  ;  en  réalité,  les  Béguines 
n'apparaissent  qu'en  1180  et  les  Bégai'ds  qu'en  1220  (  Schmidt,  Précis 
de  Ihist.  de  l'Église,  p.  148).  Elle  est  généralement  représentée  abritant 
sous  son  manteau,  d'un  côté  les  Bégards,  de  l'autre  les  Béguines  :  cf. 
Detzel,  Christliche  Ikonographie  (Fribourg,  1896),  t.  II,  p.  188  ;  et, 
mieux,  le  frontispice  de  la  Vita  S.  Beggae  viduae,  ducissae  Brahantiae, 
Begginarum  et  Beggardorum  fondatricis,  auctore  J.  G.  a  Ryckel  ab 
Oorbeck  Louvain,  1631,  4"),  mentionné  par  Guénébault,  Z)jc/.  d'iconogr. 
col.  877.  A  (Ir.  les  Béguines,  à  g.  les  Bégards  ;  la  Sainte  couronnée  de  la 
couronne  ducale,  tieut  dans  la  main  g.  le  livre  de  sa  règle  ;  elle  l'avait 
empruntée  à  l'abbaye  de  Nivelle,  fondée  par  sa  sœur  sainte  Gertrude  ; 
les  deux  couronnes  ducales,  posées  sur  le  livre  de  sainte  Begghe,  font 
allusion,  je  suppose,  aux  deux  filles  du  duc  Pépin.  Dans  la  main  droite, 


221  CATALOGUE 

la  sainte  tient  les  sept  églises  qu'elle  a  bâties  à  Andenne  :  en  mémoii'e 
de  ces    sept  églises,     sainte  Begghe    a  pour  caractéristique  une  poule 
avec  sept  poussins. 
PI.  XXIX,   1. 

SAINT   BENOIT 

Florence,  Pitti.  Tableau  de  P.  Véronèse.  BrogijU"  ~9;jl.  Saint  Benoît, 
debout,  nu-tête,  regarde  au  ciel,  où  Ion  voit  le  mariage  mystique  de 
sainte  Catherine.  Derrière  saint  Benoît,  ses  premiei's  compagnons, 
Maur  et  Placide.  Saint  Benoit,  la  crosse  abbatiale  dans  la  main  g., 
bénit  de  la  main  dr.  cinq  Bénédictines  agenouillées  à  ses  pieds  sous  sa 
chape.  La  première  est  la  sœur  de  saint  Benoit,  sainte  Scolastique  ; 
près  d'elle,  une  colombe,  symbole  de  l'innocence  virginale.  Sainte 
Scolastique  offre  à  saint  Benoit  une  mitre  abbatiale  brodée  de  perles 
et  de  pierreries  :  ce  qui  signifie  que  saint  Benoit  a  été  abbé  des  nonnes 
comme  des  moines.  Ce  détail,  joint  à  la  vision  céleste  du  mariage  de 
sainte  Catherine,  indique  que  le  tableau  provient  dun  couvent  de 
Bénédictines  :  les  nonnes  sont,  comme  sainte  Catherine,  les  épouses 
mystiques  du    Christ. 


SAINT  BERNARD 

1.  Vita  cl  miracula  D.  Bernardi  Clarevalensis  ahhatis,  opéra  el  indus- 
iria  Congrerjationis  regularis  ohservantiae  ejusdein  Ilispaniarum  ad 
alendam pietatem  universi  ordinis  Cisterciencis  aeneis  forniis  expressa ... 
Rome  1637,  4°  (Bibl.  Nat.,  Est.,  Rd  69).  Ces  planches  ont  été  gra- 
vées par  Antonio  Tempestini.  La  première  représente  saint  Bernard 
abritant  sous  ses  bras  en  croix  à  droite  le  Pape  et  le  Roi,  le  Cardinal 
et  des  abbés  mitres,  à  gauche  les  religieux  Cisterciens.  En  haut, 
cette  citation  d'isa'ie,  amhulabunt  gentes  in  lumine  tuo  et  reges  in 
splendore  orfns  lui.  En  bas,  cette  inscription  :  religio  D.  Bernardi 
numerosa  omnis  generis  multiludine  propagatur,  et  au-dessus  cette 
épigramme  (par  Julius  Roscius  llortinus)  : 

Aspice  quot  caris  gentes  amplectilur   ulnis, 

iVomina  quot  reguin  nomina  quoique  ducuin  ; 

Hic  plures  mitra  insignes  roseoque  galero  ; 
Bexere  et  Pelri  quinque  per  alla  raleni. 

Accédai,  Bernarde,  luis  haec  gloria  faclis, 
Quod  tantas  acies  sub  tua  signa  trahis. 

2.  Sancti  Bernardi  docloris  melliflui  vitae  niedulla,  quinquaginta  tribu.<t 
iconibus  representala,  expensis  abbaliae  B.  Mariae  de  Baudeloo  in  civitate 
Gandariensi  anno  I Gij-i  (Bibl.  Nat.,  Est.,  Rd  68).  Planches  dessinées  par 
Ph.  b'ruyties,  gravées  par  Jac.  Xeeffs.  La  dernière  représente  saint 
Bernard  en  prière,  abritant  sous  ses  bras  en  croix  un  roi,  un  cardinal, 
des  évêques,  des  abbés  et  des  moines.  En  haut,  la  même  citation  d'isa'ie 
que  sur  la  gravure  précédente.  En  bas  :  Bernardus  in  fdiis  suis  hono- 
ratus. 


CATALOGUÉ  22o 


SAINTE  BRIGITTE 

Gravure  de  Jean  Meyssens  (né  à  Bruxelles  en  1612).  Sainte  Bri- 
gitte de  Suède  ff  8  oct.  1344)  implore  la  Vierge  et  la  Trinité  pour  les 
Brigittains  et  Bi-igittaines  agenouillés  sous  son  manteau.  De  sa  bouche 
monte  vers  le  Père  cette  prière  :  Pater  sancle,  serva  eos  in  noniine  tuo 
(juos  dedisti  mihi  (  «  in  nomine  tuo  »,  parce  que  l'Ordre  fondé  par 
sainte  Brigitte  s'appelle  Ordre  du  Saint-Sauveur).  Le  Christ  et  la 
Vierge  joignent  leur  intercession  aux  prières  de  la  Sainte.  A  ses  pieds 
une  couronne  royale  (Brigitte  était  fdle  de  roi  et  renonça  à  son  rang 
pour  devenir  religieuse),  un  livre  (le  livre  des  Révélations),  un  cha- 
peau de  pèlerin  et  un  bourdon  (pour  rappeler  les  pèlerinages  de 
Brigitte  à  Saint-Jacques,  à  Rome,  à  Jérusalem  .  On  remarquera,  sur  le 
voile  quicoifîela  Sainte  et  ses  fdles,  le  curieux  insigne  des  Brigittaiiies: 
c'est,  dit  Hélyot  Hist.  des  Ordres  monastiques,  t.  IV,  p.  31),  «  une  cou- 
ronne de  toile  blanche  sur  laquelle  il  y  a  cinq  petites  pièces  rouges 
comme  autant  de  gouttes  de  sang  >^  (dévotion  des  Cinq    plaies). 

PI.  XXIX,  3. 


SAINTE    CATHERINE    DE  SIENNE 

Sienne,  Santa  Maria  délia  Scala.  Lombardi,  n°  470.  Tableau  de  Sano 
di  Pietro  (1406-1481  ).  Sainte  Catherine  de  Sienne,  nimbée,  dans  une 
main  le  crucifix,  dans  l'autre  le  lis  virginal,  abrite  sous  son  manteau 
quatre  pénitents  blancs  de  la  Conipagnia  di  S*  Caterina  délia  notte, 
l'une  des  confréries  qui  ont  leur  siège  à  l'église  S^  Maria,  sous 
l'hôpital  délia  Scala.  On  montre  encore,  à  côté  de  la  chapelle  de 
cette  confrérie,  la  cellule  où  la  Sainte  se  retirait  pour  prier,  quand  elle 
venait  soigner  les  malades  de  l'hôpital  (Ileywood-Olcott,  A  guide  to 
Siena,  p.  268  . 

PI.  XXIX,  2. 

SAINTE  CLAIRE 

1.  Milan,  Musée  du  Castello,  n"  426  (provient  d'un  couvent  détruit). 
Sainte  Claire  protégeant  sous  son  manteau  les  Clarisses  agenouillées. 
Fresque  du  xv^  siècle,  école  lombarde. 

2.  Sainte  Claire  abritant  les  Clarisses  sous  son  manteau.  Petite 
vignette  dans  le  cadi'e  du  frontispice  des  Icônes  Sanctae  Clarae,  publiées 
à  Anvers  par  Collaert  (xvii'^  s.).  La  Sainte  tient  dans  la  main  droite  la 
monstrance,  qui  est  sa  caractéristique  ordinaire  (Cahier,  II,  p.  o65). 

3.  Une  composition  d'un  artiste  belge  contemporain,  feu  Béthune, 
représente,  je  ne  sais  d'après  quelle  tradition,  sainte  Claire  abritant  sous 

PiîRDRizET.  —  La  Vierge  de  Miséricorde.  Ib 


226  CATALOGUi: 

son  manteau    les  Saintes  franciscaines  (J.  Helbig,    Le    baron    Bêlhune 
fondateur  des  écoles  Saint-Luc,  Bruges,  1906,  pi.  XLV). 


SAINT  DIE 

Bulletin  de  la  Société  philoniathique  de  Saint-Dié,  t.  XIV  (1889),  p. 
133,  pi.  VII,  fig.  19.  Sceau  de  François  de  Riguet,  grand  prévôt  de  Saint- 
Dié  depuis  1659.  Le  saint,  en  costume  épiscopal,  la  tête  auréolée 
de  rayons,  del^out,  de  face,  étend  sa  chape  sur  les  deux  églises  de  sa 
ville,  Saint-Dié  et  Notre-Dame.  Au  pourtour,  cette  légende:  >^  SIGIL- 
LVM.PRAEPOSITI.ECCLESIAE.SANCTI.DEODATI.AD.CAVSAS. 


SAINT   DOMINIQUE 

1.  Pinacothèque  de  Vérone,  n''  384.  Tableau  archaïque,  divisé  en  24 
compartiments,  dans  chacun  desquels  est  figuré  un  saint.  Il  provient 
probablement  dun  couvent  de  Prêcheresses,  car  le  compartiment  ver- 
tical, qui  est  plus  grand  que  les  autres,  est  occupé  par  saint  Domi- 
nique abritant  sous  son  manteau  six  Dominicaines  (De  Mandach,  Saint 
Antoine  de  Padoue,  p.  120j.  Le  Catalogue  du  musée  de  Vérone  dit  à  tort 
qu'il  s'agit  de  saint  Antoine,  «  che  col  manto  copre  sei  suore  di 
carità  ». 

2.  Dans  l'église  des  Dominicaines  de  Vérone,  S'^  Anastasia,  quatre 
fres((ues  de  Paolo  Farinato  (vénitien,  1524-1606;  représentant  saint 
Dominique  abritant  sous  son  manteau  les  Dominicains  (n°  1),  les  Domi- 
nicaines (n°  2;,  les  frères  et  les  sœurs  du  Tiers-ordre  dominicain, 
fralres  et  sorores  de  poenitentia  S.  Doininici  (n"*  3  et  4). 

SAINTE  FÉLICITÉ 

Crosse  de  bois  doré,  du  xv*^  siècle,  à  Téglise  Sainte-Ursule  de 
Cologne.  Sur  une  face,  sainte  Félicité  abritant  ses  sept  fils  sous 
son  manteau.  Félicité  fut  martyrisée  avec  ses  enfants  sous  Marc 
Aurèle,  en  162  (Goyau,  Chronologie,  p.  216).  Ils  s'appelaient  Janvier, 
Félix,  Philippe,  Sylvain,  Alexandre,  Vital  et  Martial.  Le  culte  dont  ils 
ont  été  honorés  au  moyen  âge  est  attesté  par  la  Légende  dorée  (ch.  xci  : 
de  Vil  fratribusqui  fuerunt  filii  beatae  Felicilalis).  —  L'auti'e  face  repré- 
sente sainte  Ursule  abritant  ses  compagnes  sous  son  manteau.  Cf. 
Cahier  et  Martin,  Mélanges  d'archéologie,  t.  IV,  p.  250,  fig.  146  ;  Carac- 
téristiques, t.  II,  p.  472;  Bock,  Trésors  de  Cologne,  pi.  VI,  fig^.  22;  Gri- 
moiiard  de  Saint-Laurent,  Guide  de  l'art  chrétien,  t.  V,  p.  482. 

SAINT  GÉRÉON 

Gravure  incunable,  à  la  Bibl.  Nat.  de  Paris  Bouchot,  Les  200  incu- 
nables   xf/lographiques  du  Cabinet   des  estampes,   pi.  LXXVII,   p.  240). 


CATALOGUE  227 

Sainte  Ursule  abrite  ses  compagnes  sous  le  manteau  protecteur;  à  la 
gauche  de  la  puissante  patronne  de  Cologne,  c'est-à-dire  à  la 
deuxième  place,  saint  Géréon  abritant  le  Pape,  le  Roi  et  une  foule 
d'hommes.  Bouchot  attribue  cette  gravure  à  la  Flandre  française  (vers 
1460),  je  ne  sais  pour  quelle  raison.  La  légende  raconte  que  Géréon 
était  un  officier  chrétien  qui  commandait  un  corps  de  chrétiens 
d'Afrique  ;  il  fut  massacré  à  Cologne  avec  ses  compagnons  d'armes. 
La  splendide  église  qui  lui  est  consacrée  à  Cologne  possède  les  osse- 
ments de  ces  martyrs.  La  légende  de  saint  Géréon  fait  symétrie,  si  Ton 
peut  ainsi  dire,  avec  celle  de  sainte  Ursule  :  c'en  est  le  doublet  au  mas- 
culin ;  comme  celle  de  sainte  Ursule,  elle  doit  s'expliquer  par  la 
découverte,  au  moyen  âge,  d'un  cimetière  datant  des  premiers  siècles 
chrétiens.  La  dévotion  de  saint  Géréon  étant  spéciale  au  pays  du  Rhin, 
et  Bouchot  nayant  point  prouvé  qu'elle  ait  été  répandue  dans  la  Flandre 
française,  je  crois  prudent  de  ne  pas  enlever  à  la  région  rhénane  la  gra- 
vure du  Cabinet  des  estampes. 


JEANNE   DE  FRANCE 

Gravure  in-f",  au  Cabinet  des  estampes  de  la  Bibl.  Xat.de  Paris, 
éditée  en  1619  à  Anvers  par  Michel  Snyders  et  dédiée  à  Albert 
et  à  Isabelle-Claire-Eugénie  d'Autriche,  gouverneurs  des  Pays-Bas, 
par  le  P.  Paludanus,  de  l'Ordre  des  Minimes.  Arbre  généalogique 
des  maisons  de  Valois  et  de  Bourbon,  depuis  saint  Louis.  Au  centre, 
dans  un  médaillon  ovale,  la  bienheui'euse  Jeanne  de  France  (1464- 
1503,  béatifiée  en  174.3),  tenant  dans  la  main  droite  un  crucifix  (cf. 
Cahier,  t.  I,  p.  294),  de  l'autre  une  branche  de  lis.  Elle  porte  le  cos- 
tume de  l'Ordre  des  Annonciades,  dont  elle  est  la  fondatrice,  et  abrite 
sous  son  manteau  dix  religieuses  agenouillées.  On  sait  que  Jeanne  de 
France  était  contrefaite  :  l'artiste  n'a  pas  hésité  à  le  rappeler.  A  droite 
de  la  Bienheureuse,  l'Enfant  Jésus,  un  panier  au  bras  gauche,  et  de  la 
main  droite  tendant  à  Jeanne  une  bague,  celle,  dit  Cahier  (t.  I,  p.  43), 
que  la  Sainte  porta  depuis  le  jour  où  l'Epoux  céleste  eut  remplacé 
pour  elle  le  prince  qui  l'avait  répudiée  (R.  de  Maulde,  Jeanne  de 
France,  ducJiesse  d'Orléans  et  de  Berry,  Paris,  1883,  p.  412,  donne  une 
autre  explication).  Sur  la  robe  de  l'Enfant  sont  représentés  les  instru- 
ments de  la  Passion,  dés,  couronne  d'épines,  tunique,  marteaux, 
deniers  de  Judas.  Dans  le  champ,  deux  petits  médaillons,  contenant 
l'un  l'Annonciation,  l'autre  les  armoiries  de  l'Ordre  de  l'Annonciade. 

SAINTE  JULIENNE 

Triptyque  daté  de  1376,  au  musée  de  Pérouse,  provenant,  comme 
beaucoup  d'autres  tableaux  du  même  musée,  de  Sainte-Julienne,  cou- 
vent de  Cisterciennes,  bâti  aux  portes  de  Pérouse  en  1253  par  le  car- 
dinal Jean  de  Tolède,  Cistercien,  évè(jue  de  Porto;  ce  couvent  sert 
aujourd'hui  d'hôpital  militaire.  Sur  le  volet  de  droite,  saint  Christophe; 
sur  le  volet  de  gauche,  le  cardinal  Jean  de  Tolède;  sur  le  panneau 
central,    sainte    Julienne,    couronnée,  étendant    son  manteau  sur   des 


228  CATALOGUE 

nonnes  Cisterciennes  agenouillées  à  ses  pieds  et  sur  un  Cistercien,  leur 
aumônier.  Au-dessous,  ces  inscriptions  :  1°  Reverendissima  sancla 
Juliana.  2"  Hoc  opus  fecit  fieri  reverenda  mater  Gabriella  ahhalissa 
monasterii  sancte  Jiiliane  de  inense  Augusti,  qiio  mense  recepit  capul 
supra   dicte  Juliane  adventu  fratrum  predicatorum  de  Perusio. 


SAINT  LOUIS 

Sceau  des  Dominicaines  de  Poissy,  appendu  à  un  acte  de  1397.  Douët 
d'Arcq,  t.  III,  no  9454.  Maintes  fois  reproduit  :  Demay,  Le  costume  au 
moyen  âge  d'après  les  sceaux,  p.  449;  Lacroix,  Vie  militaire  au  moyen 
âge  et  à  la  Renaissance,  3**  éd.,  p.  372  ;  Balme  et  Lelaidier,  Carlulaire 
de  saint  Dominique,  t.  II,  p.  61;  Gaz.  des  Beaux-Arts,  1905,  II,  p.  409. 
Saint  Louis,  de  face,  debout,  couronné  et  nimbé,  la  tête  'accostée  des 
lettres  S.  L.  (Sanctus  Ludovicus),  et  abritant  des  pans  de  son  manteau 
deux  groupes  de  Dominicaines  agenouillées.  S.  CONVEXTVS  SOHORV 
SCI  LVDOVICI  DE  PVSSIACO  ORD  PREDICATORVM.  —  PL  II,  5. 


LA   MÈRE    DES   SEPT   SAINTS  MACHABÉES 

Sceau  de  l'église  des  sept  saints  Machabées  à  Lyon,  exposé  par  l'an- 
tiquaire Hoffmann  à  l'Exposition  rétrospective  de  1889;  xiv^  siècle. 
La  mère   des  sept   Machabées  les  abrite  sous  son  manteau. 

La  dévotion  des  sept  Machabées  provient  d'Orient,  où  elle  est  floris- 
sante encore  aujourd'hui  (Didron,  Manuel,  p.  328);  en  Occident,  au 
moyen  âge,  elle  fut  assez  répandue.  Elle  a  son  origine  dans  le  passage 
du  deuxième  livre  des  Machabées  (VII,  1-42),  où  il  est  raconté  comment 
sept  jeunes  Israélites,  n'ayant  pas  voulu  manger  de  viande  de  porc, 
furent  mis  à  mort  par  ordre  d'Antiochus;  leur  nom  n'est  pas  dit  dans 
l'histoire;  mais  la  piété  populaire  n'a  pas  consenti  à  les  laisser  tout  à 
fait  anonymes  :  elle  les  a  appelés  Machabées,  du  nom  du  livre  où  leur 
histoire  est  racontée  (Cahier,  Caractéristiques,  t.  I,  p.  349).  L'Eglise 
latine,  au  rebours  de  l'Eglise  orientale,  a  marqué  beaucoup  de  répu- 
gnance pour  les  saints  de  l'Ancienne  alliance  (Didron,  op.  laud., 
p.  132),  Pierre  Comestor  [Hist.  schoL,  lib.  II  Mach.,  cap.  I,  col.  1322-3 
Migne)  et  Jacques  de  Varazze  [Légende  dorée,  ch.  109)  donnent  les 
raisons  qui  ont  décidé  l'Eglise  latine  à  faire  exception  en  faveur  des 
saints  Machabées.  Au  portail  méridional  de  Chartres,  ils  ornent  une 
voussure,  autour  du  tympan  où  est  figurée  la  lapidation  de  saint 
Etienne  :  les  jeunes  martyrs  de  l'Ancien  Testament  c  servent  de  cadre, 
comme  de  guirlande  »  au  Protomartyr  tie  la  Nouvelle  Alliance. 


SAINT  MAURICE 

Comme  exemple  de  saints  et  saintes  abritant  sous  leur  manteau  des 
personnages  agenouillés,  Cahier  (II,  p.  540j  cite  saint  Maurice  et  sainte 
Ursule.  Je  ne  connais  aucun  document  iconographique  où  saint  Maurice 
soit  gratifié  du  manteau  protecteur. 


pEUDRiZET,  La  Vierge  de  Miséricorde 


PI.  XXX 


CATALOGUE  229 


SAINTE  ODILE 

L'une  dos  peintures  de  la  châsse  de  Kerniel,  près  de  Looz  (Bel- 
gique ,  représente  sainte  Odile,  «  l'une  des  chefs  de  cohorte  »  de 
sainte  Ursule,  abritant  sous  son  manteau  ses  jeunes  sœurs  Ida  et 
Ima  :  dans  la  main  gauche,  Odile  devait  tenir  une  flèche.  La  fierté  de 
sainte  Odile  a  été  peinte  à  Liège  en  1202,  comme  le  constate  un  docu- 
ment qui  y  fut  renfermé,  peu  d'années  après  la  translation  des 
reliques  de  sainte  Odile,  de  Cologne  à  l'église  du  couvent  des  Croisiers  à 
Huy  :  cf.  J.  Helbig,  La  châsse  de  sainte  Odile,  dans  Le  Beffroi,  i.  Il  (1864- 
1865),  p.  31;  du  même,  La  peinture  au  pays  de  Liège  (Liège,  1903), 
pi.  II,  p.  36,  et  L'Art  Mosan  (Bruxelles,  1906),  t.  I,  p.  7.j.  Bouchot,  qui 
a  tenté  d'annexer  à  l'art  français  beaucoup  d'œuvres  de  l'art  des  Pays- 
Bas,  attribuait,  sans  raison,  la  châsse  de  Kerniel  à  un  atelier  parisien, 
ainsi  que  celles  d'Albi  et  de  Noyon  (Les  primitifs  français,  p.  53);  et 
comme  il  travaillait  vite,  il  appelle  «  châsse  de  Iluy  »  la  châsse  de  Ker- 
niel, et  donne  à  M.  James  Weale  l'article  de  feu  Helbig.  La  description 
que  celui-ci  a  faite  de  la  châsse  de  Kerniel  n'est  pas  sans  défaut.  Il 
décrit  ainsi  le  premier  panneau,  qui  se  compose  de  deux  scènes  diffé- 
rentes :  (<  A  gauche,  arrivée  d'Odile  et  de  ses  compagnes  à  Rome;  elles 
y  sont  reçues  par  le  pape  et  deux  évèques.  A  droite,  une  scène  dont 
nous  ne  retrouvons  pas  l'explication  dans  la  légende  des  Onze  mille 
Vierges.  Une  reine  dans  un  bateau,  accompagnée  d'une  troupe  de  jeunes 
filles,  semble  appeler  à  elle  un  autre  groupe  de  femmes  qui  s'avance 
vers  l'embarcation...  »  En  réalité,  la  scène  de  gauche  représente  sainte 
Odile  quittant  Rome  avec  ses  compagnes,  et  recevant  la  bénédiction  du 
pape;  elle  porte  à  la  mainune  croix  à  grande  hampe,  en  signe  de  com- 
mandement, et,  au  front,  la  couronne  de  reine,  parce  qu'elle  est  fille  de 
roi  (comme  Pinnose  et  Ursule;  cf.  infra,  p.  233).  Adroite,  Odile,  recon- 
naissable  à  la  croix  et  à  la  couronne,  préside  à  l'embarquement  de  ses 
compagnes.  Celle  qui  va  monter  la  première  dans  le  bateau  tient  une 
fiole,  peut-être  une  eulogie. 

SAINT  SÉBASTIEN 

Fresque  de  Benozzo  Gozzoli,  dans  l'église  Saint-Augustin,  à  San- 
Gimignano  (1464).  Saint  Sébastien  abrite  sous  son  manteau,  contre 
les  flèches  de  la  peste,  les  gens  de  San-Gimignano.  Voir  plus  haut, 
p.  113.  —  PI.  XVI. 

SAINT  SIMON 

«  Pisa,  Museo  civico.  Cecco  di  Pietro  15.  Jahrhundert.  St.  Simon  mit 
dem  Schutzmantel  ;  darunter  Misericordienl)rûder  ».  Krebs  (Maria  mit 
dem  Schutzmantel,  p.  35),  auquel  j'emprunte  cette  notice,  ne  dit  pas  s'il 
s'agit  d'une  peinture  ou  d'une  sculpture. 


230  CATALOGUE 


SAINTE  THÉRÈSE 

Gravure  de  Jean  Eillart,  n»  19  de  la  Vie  de  sainte  Thérèse  (cette  suite 
n'est  pas  mentionnée  par  Le  Blant  ;  Eillart.  qui  se  (jualifie  de  Frisius, 
vivait  au  milieu  du  xvii"  siècle).  Sainte  Thérèse  abrite  sous  son  man- 
teau, à  droite,  les  Carmélites;  à  gauche,  les  Carmes.  Au-dessous,  cette 
légende  :  De  fructu  maniium  suarum  vineam  feracissimam  planfavit  et 
uti'iusque  sexus  Carmelitarum  faecunda  parens  effecta,  tota,  terrarum 
orbe  magna  gentiuni  devotione  colitur  et  ab  ea.  coepta  reformatio  in 
dies  propagatur.  —  PI.  XXIX,  4. 


SAINTE  URSULE 

Nous  ne  saurions  énumérer  d'une  façon  complète  les  monuments 
qui  représentent  sainte  Ursule  abritant  ses  compagnes  sous  le  manteau 
prolecteur  :  peintures,  sculptures,  gravures,  vitraux,  illustrations 
peintes  ou  gravées  des  livres  d'Heures,  monnaies  et  jetons,  médailles  de 
dévotion,  vêtements  sacerdotaux,  objets  d"orfèvrerie  formeraient  une 
liste  interminable  icf.  Detzel,  Chrisll.  Ikonographie,  t.  11,  p.  662).  Nous 
nous  bornerons  à  signaler  les  monuments  les  plus  importants,  ou  ceux 
qui  nous  ont  paru  offrir  quelque  particularité  intéressante.  Plu- 
sieurs de  ces  représentations  montrent  sous  le  manteau  de  la  Sainte, 
outre  les  Vierges  ses  compagnes,  divers  personnages,  un  pape,  un 
roi,  un  cardinal,  un  archevêque,  un  évêque.  Il  ne  faut  pas  dire,  comme 
on  l'a  fait  [Revue  de  Vart  chrétien,  1885,  p.  130\  que  sainte  Ursule 
abrite  sous  son  manteau  des  c  gens  de  tout  état  »  ;  les  personnages 
en  question  sont  parfaitement  déterminés  par  sa  légende  :  le  pape 
s'appelait  Cyriaque,  il  abdiqua  la  papauté  pour  suivre  Ursule  et  subir 
le  martyre  avec  elle,  à  Cologne;  le  cardinal  et  l'archevêque  s'appe- 
laient Vincent  et  Jacques,  ils  suivirent  le  pape  Cyriaque  ;  l'évêque  est 
Pantulus  de  Bàle;  le  roi  est  Ethelreus,  fiancé  dUrsule,  venu  à  sa  ren- 
contre à  Cologne  et  martyrisé  avec  elle.  Cf.  Legenda  aurea,  CLviir 
{De  undecini  niillibus  Virginuni). 

1.  Fresque  de  la  fin  du  xiii*'  s.,  dans  l'église  catholique  de  Linz-am- 
Rhein  :  sainte  Ursule  abrite  six  Vierges  sous  le  manteau  protecteur. 
Cf.  Paul  Clemen,  Die  roinanischen  'Wandmalereien  der  Bheinlande 
(t.  XXV  des  publications  de  la  Gesellschaft  fiir  rheinische  Geschichts- 
liiinde),    pi.  58. 

2.  Cliâsse  peinte  de  la  fin  du  xni<'  siècle,  à  la  cathédrale  d'.\lbi,  men- 
tionnée dans  le  A'A\Y"=  co/ij/rès  arc/iéo/.  c/e  France,  p.  512,  et  appréciée 
d'une  façon  bien  surprenante  par  P.  Mantz  {La  peinture  française  du 
/A'«  siècle  à  la  fin  du  AT/",  p.  125'»,  qui  y  a  découvert  «  cette  qualité  dont 
Téniers  et  les  modernes  revendiqueraient  volontiers  le  privilège  et  qui 
s'appelle  l'esprit.  »  Elle  a  été  étudiée  par  le  baron  de  Rivières   dans  la 


CATALOGUE  231 

Revue  ai'chéol.  du  Midi,  t.  I  (1866),  n"*  10-11,  et  à  part,  avec  une  chro- 
molithographie tout  à  fait  insuffisante.  Je  dois  la  photographie  du  pan- 
neau de  sainte  Ursule  et  une  description  détaillée  de  l'ensemble,  à 
M.  l'abbé  Jules  Puget,  d'Albi.  Cette  châsse  est  en  bois  de  châtaignier, 
solide  mais  grossière;  la  forme,  très  simple,  l'appelle  celle  des  boites  à 
jouets  qu'on  appelle  «  arches  de  Noé  ».  H.  0  m.  4o,  long.  0  m.  54, 
larg.  0  m.  25.  La  peinture  est  sur  couche  de  plâtre  appliquée  sur  une 
toile  de  lin,  laquelle  a  été  collée  à  forte  colle  sur  le  bois  (pour  cette 
technique,  dont  Vasari  attribue,  à  tort,  l'invention  à  son  compatriote 
Margaritone  d'Arezzo,  cf.  Bouchot,  Les  primitifs  français,  p.  5,  et  Per- 
drizet,  La  peinture  religieuse  en  Italie  jusqu'à  là  fin  du  XIV'^  siècle, 
p.  23).  Le  toit  forme  couvercle,  les  charnières  sont  sur  une  des  longues 
faces,  celle  où  se  trouve  la  représentation  de  sainte  Ursule.  La  Sainte, 
couronnée  et  nimbée,  soulève  de  ses  bras  écartés  son  manteau  de  reine, 
un  manteau  immense,  doublé  d'hermine;  deux  Anges  Taident  à  le  tenir 
ouvert.  Quatre  Vierges,  à  l'ombre  de  ce  manteau,  semblent  marcher 
vers  Ursule;  elles  sont  nimbées  et  portent,  dans  une  main,  un  livre, 
dans  l'autre  main,  la  palme  du  martyre.  Sur  une  bande  au-dessus  des 
cinq  vierges  sont  peints  leurs  noms  ;  les  voici,  en  allant  de  gauche 
à  droite  :  Sa  Florentiana,  S^  Mahilia,  S"-  Ursula,  S*  Ecleta,  Sa  Cris- 
tencia.  Aux  deux  extrémités  de  la  composition,  sous  la  bande  blanche, 
deux  écussons  pareils,  presque  effacés,  portant  d'or,  au  bœuf  passant 
de  gueules,  à  la  bordure  engrèlée  de  même  :  ce  sont  les  armes  du 
donateur,  probablement  des  armes  parlantes.  Un  obituaire  d'Albi 
(Bibl.  d'Albi,  ms.  8,  f"  28:  rapporte  que  le  23  juin  1391  ohiit 
B.  Vaquerius...  rector  Co/onie  Cologne-sur-Gers,  près  Toulouse),  cha- 
noine d'Albi.  Au  xîV  siècle,  un  Pierre  Vacquier  fut  capitoul  de  Tou- 
louse (Bvémond,  Nobiliaire  toulousain,  éd.  de  1863j.  Le  donateur  de  la 
chasse  d'Albi  était  peut-être  un  Vacquier  de  la  fin  du  xiii'^  siècle. 

Sur  le  versant  arrière  du  couvercle,  on  distingue  assez  mal,  au 
milieu,  la  Vierge  Marie,  trônant,  avec  l'Enfant,  entre  saint  André 
(S.Andrieu)  et  une  Sainte  qui  paraît  être  sainte  Cécile  {Cecelia  ?);  à  côté 
de  saint  André,  les  mêmes  armoiries  que  précédemment. 

Les  petits  côtés  portent,  l'un  un  saint  évêque,  l'autre,  semble-t-il, 
saint  Laurent  avec  le  gril.  Sur  la  grande  face  de  devant,  trois  bustes 
sans  inscriptions,  médiocrement  peints  :  je  ne  saurais  dire  s'ils  sont  de 
la  même  date  que  les  autres  peintures  de  la  chasse,  et  s'ils  ne  repré- 
sentent pas  des  bustes- reliquaires.  Aucune  trace  de  peinture  ne  sub- 
siste sur  le  versant  antérieur  du  couvercle. 

Sainte  Ursule  était  particulièrement  en  honneur  dans  le  diocèse 
d'Albi.  Une  chapelle  lui  était  dédiée  dans  la  cathédrale;  plus  tard, 
cette  chapelle  a  porté  le  nom  de  Saint-Barthélémy;  elle  est  aujourd'hui 
consacrée  à  saint  Sébastien.  On  lit  dans  la  Description  naïve  et  sen- 
sible de  la  fameuse  é(jlise  Sainte-Cécile  d'Albi,  publiée  d'après  un  ms. 
inédit,  et  annotée  par  M.  Eugène  d'Auriac  :  «  A  l'opposite  de  saint  Joseph 
et  de  Moïse,  et  du  côté  de  l'épitre,  sont  (peints  le  patriarche  Jacob 
et  le  i^rophète  Jonas...  A  la  pointe  des  arceaux,  du  côté  de  l'épître, 
sont  représentées  sainte  Ursule  et  sainte  Agnès,  et  à  la  face  opposite 
sainte  Barbe  et  sainte  Véronique...  »  Ces  peintures  auraient  été  exécu- 
tées de  1503  à  1515. 


232  CATALOr.UE 

Les  érudits  locaux  qui  se  sont  occupés  du  culte  des  Saints  dans 
TAlbi^eois  ignorent  quelles  sont  les  Saintes  qui,  sur  la  chasse  de  la 
cathédrale,  sont  groupées  sous  le  manteau  de  sainte  Ursule.  L'abbé 
Salabert  (Les  saints  du  diocèse  d'Alhi,  2<'  éd.,  Toulouse,  1892,  2  vol.  8°) 
n'en  dit  pas  un  mot.  On  chercherait  vainement  les  noms  des  trois  der- 
nières dans  les  listes  de  Saints  publiées  par  Mas-Latrie  Trésor  de  chro- 
nologie .,  Giry  [Manuel  de  diplomatique  .,  Cahier  [Caractéristiques  .  Il  est 
vrai  que  la  liste  de  Mas-Latrie  mentionne  dans  le  Midi  un  saint  Mabilis= 
Amabilis,  dont  le  nom  esta  rapprocher  de  notre  S*  Mabilia.  Le  nom 
que  nous  avons  lu  Ecleta  {=  Eclecta)  a  paru  au  baron  de  Rivières  être 
Celeta  (=  Cwlesta'?  .  Quant  à  S-"*  Florentiana,  qu'il  faut  sans  doute  identi- 
fier avec  la  pari-ula  Florenlina,  sœur  cadette  du  fiancé  de  sainte  Ursule 
[Légende  dorée,  ch.  clviii,  p.  704  Grasse),  il  en  est  question  dans  un  pro- 
cès-verbal de  visite,  daté  de  1698-1699,  qui  a  été  publié  par  M.  de 
Rivières  Bull,  monumental,  1873-1875,  p.  32  du  tirage  à  part)  :  «  une 
maschoire  inférieure  où  il  y  a  onze  dents  avec  un  escriteau  par  lequel  il 
paroi t  que  cette  relique  est  de  sainte  Florentiane.  »  Le  procès- verbal  ne 
mentionne  aucune  relique  des  autres  saintes  ;  mais  Ton  sait  que  la 
cathédrale  d'Albi  possédait  quelques  parcelles  du  corps  de  sainte  Ursule: 
la  peinture  même  de  la  châsse  suffirait  à  le  prouver. 

PI.  XXIV,  2. 

4.  Pinacothèque  de  Bologne  (n"  202),  peinture  attribuée  faussement  à 
Caterina  Vigri  et  datée  de  1432.  Sainte  Ursule,  de  taille  gigantesque, 
abrite  sous  son  manteau  ses  compagnes,  qui  sont  coiffées  de  la  couronne 
des  élus;  la  première  de  chaque  côté  tient  une  haute  bannière  aussi 
haute  que  la  Sainte;  ces  bannières  sont  à  croix  rouge  sur  fond  blanc. 
Reproduction  dans  Jameson,  Sacred  and  legendary  art,  t.  II,  p.  ;j02  et 
dans  J.  llelbig,  Le  baron  Béthune,  fondateur  des  écoles  Saint-Luc  Bruges, 
1906),  p.  212;  cf.  Grimoûard  de  Saint-Laurent,  Guide,  t.  V,  p.  ol7.  On  a 
dit,  à  tort,  que  ce  tableau  représentait  la  Vierge  de  Miséricorde  abritant 
deux   confréries  de  Bologne    Revue  de  l'art  chrétien,  188u,  p.  277). 

5.  Nuremberg,  musée  germanique.  Katalog  der  Gemàlde,  éd.  de  1893, 
n°  9  ;  Zeitschrift  fiir  christliche  Kunst,  1895,  p.  315;  Delpy,  p.  71. 
Tableau  colonais,  d'un  élève  ou  imitateur  de  Hermann  Wynrich,  vers 
1430.  Sainte  Ursule  debout,  de  face,  avec  la  couronne,  la  palme  et  la 
flèche,  abritant  quatre  Vierges  sous  son  manteau.  A  sa  droite,  saint  Jean- 
Baptiste.  A  sa  gauche,  une  Sainte  tournée  de  profil,  regardant  sainte 
Ursule;  elle  aussi  a  la  couronne,  la  flèche  et  abrite  des  Vierges  sous 
son  manteau.  D'après  le  Catalogue  de  Nuremberg,  le  peintre  aurait 
figuré  deux  fois  sainte  Ursule.  Cette  explication  est  inacceptable.  Il  est 
vrai  que  les  artistes  du  moyen  âge  représentent  souvent  deux  fois  le 
même  personnage  dans  la  même  composition,  mais  c'est  quand  ils  ont 
à  montrer  deux  événements  successifs  d'une  même  histoire  ;  or,  ici,  il 
n'y  a  pas  d'histoire,  il  ne  se  passe  rien.  M.  Delpy  propose,  avec  toute 
vraisemblance,  de  reconnaître  dans  la  sainte  de  profil  sainte  Pinnosa,ou 
Vinnosa,dont  il  est  (juestion  dans  le  Sermo  in  Xatalihus.  Ce  panégyrique 
qu'on  lisait  le  jour  anniversaire  de  la  «  naissance  »  [natale)  à  la  vie  éter- 
nelle des  Vierges  colonaises,  autrement  dit  le  jour  de  leur  martyre,  fut 


CATALOGUE  233 

écritentre  731  et  834;  il  nous  représente  les  traditionsqui  avaient  cours 
à  Cologne  au  viii*  siècle,  concernant  les  onze  mille  Vierges.  On  y  voit 
qu'à  cette  époque,  la  fille  du  roi  breton  ne  s'appelait  pas  Ursula,  mais 
Pinnosa.  Le  Serino  in  Xatalibus  a  été  publié  dans  les  Acta  SS,  octobre, 
IX,  p.  154-157  et  dans  les  Bonner  Jahrbiicher,  1890,  p.  118-124;  cf. 
Potthast,  Bibl.  nied.  aevi,  l.  II,  p.  1015,  et  Delehaye,  Les  légendes  hagio- 
graphiques, 2^  éd.,  p.  26.  C'est  au  xi*"  siècle  qu'au  nom  de  Pinnosa  se 
substitue  celui  d'Ursula,  et  que  parait  la  légende,  popularisée  depuis 
par  les  peintres  colonais,  par  Memling  et  ("arpaccio  cf.  Ludvig-  et  Mol- 
menti,  Yittore  Carpaccjo, Milan,  1905i.  En  somme,  le  tableau  de  Nurem- 
berg témoigne  de  lincertilude  de  la  tradition  quant  au  nom  de  la  con- 
ductrice des  Onze  mille  Vierges.  La  chasse  de  saint  Odile,  à  Kerniel, 
qui  date  de  la  fin  du  xiii*^  siècle  \\ou'  supra,  p.  229),  montre  qu'au  dio- 
cèse de  Liège  tout  au  moins,  on  croyait  que  les  Onze  mille  Vierges 
avaient  eu  à  leur  tète   non  pas    Ursule,    ou  Pinnose,  mais  Odile. 

6.  Cologne,  Wallraf-Richartz  Muséum,  70  (  Verzeichnis,  éd.  1903,  p.  21)  ; 
Scheibler-Aldenhoven,  Gesc/i«c/i^e  der  Kôlner  Malerschule,  p.  163  et  400. 
Reproduction  dans  Delpy,  p.  76.  Fragment  du  retable  de  l'abbaye  béné- 
dictine d'IIeisterbach.  Le  retable,  dont  les  morceaux  sont  dispersés 
entre  Cologne,  Munich,  Augsbourg  et  Nuremberg,  est  de  l'école  de 
Stephan  Lochner  il'''^  moitié  du  xv^  siècle).  Le  fragment  du  Wallraf- 
Richartz  Muséum,  que  Delpy  (p.  78)  s'est  efi'orcé  d'attribuer  à  Lochner 
lui-même  —  ce  serait  une  œuvre  de  la  jeunesse  du  maître  — ,  repré- 
sente la  Sainte  abritant  sous  son  manteau  quatre  Saintes  plus  petites, 
nimbées,  debout.  Dans  la  main  droite,  Ursule  tient  la  flèche;  dans  la 
gauche,  la  palme. 

7.  Polyptyque  colonais,  du  début  du  xv^  siècle, 'au  musée  grand-ducal 
de  Darmstadt  (n°160).  Au  milieu,  Jésus  en  croix.  A  droite,  entre  autres 
saints  et  saintes,  sainte  Ursule  abritant  cinq  de  ses  compagnes  sous  son 
manteau.  Cf.  Zeitschrift  fur  christl.  Kunst,  1895,  n"  10;  Klassischer  Bil- 
derschatz,  n°  247;  Delpy,  p.  74;  Scheibler-Aldenhoven,  p,  136. 

8-  École  du  Maître  de  la   Vie  de  Marie  (vers  1460-1490)  : 
1»  Galerie  d'Augsbourg  (n"  6).  Cf.  Delpy,  p.  80;  Scheibler-Aldenho- 
ven, p.  230. 

2°  Pinacothèque  de  Munich  (n"  34i.  Cf.  Delpy,  p.  81;  Scheibler- 
Aldenhoven,  p.  221. 

9-10.  Ecole  du  Maître  «  der  heiligen  Sippe  »  (vers  1480-1520)  ; 
1"  Musée  Germanique,  Nuremberg,  n"  33.  Cf.  Delpy,  p.  84;  Scheibler- 
Aldenhoven,  p.  249. 

2°  Cologne,  Wallraf-Richartz  Muséum,  n°  222.  Cf.  Delpy,  p.  85. 

11-13.  Maître  de  Saint-Séverin  (commencement  du  xvi''  siècle)  : 
1"  Cologne,  Wallraf-Richartz  Muséum,  n°  125.  Adoration  des  Mages. 

Cf.    Delpy,   p.  89;  Scheibler-Aldenhoven,    pi.    92,    p.   279;    Wormann, 

Kunstgeschichle,  t.  Il,  p.  493. 

2°  Tableau  de  l'église  Saint-Sévorin  à  Cologne.  Cf.  Delpy,  p.  90. 


234  CATALOGUE 

3"  Petit  tableau  au  Wallraf-Richartz  Muséum.  Cf.  Scheibler-Alden- 
hoven,  p.  280. 

14.  Colog-ne,  presbytère  deTéglise  Sainte-Ursule,  tableau  daté  de  1315, 
attribué  à  un  élève  du  Maître  de  Saint-Séverin  iZeitschrifl  fiir  hildende 
Kunst,  1892,  pi.  X;  Scheibler-Aldenhoven,  pi.  98,  p.  291  ;  Delj)}',  p.  92, 
fig.  à  la  p.  93'.  Sainte  Ursule  présente  à  l'Homme  de  douleurs  le  dona- 
teur ag-enouillé,  un  chanoine  de  Cologne;  aux  pieds  de  la  Sainte  sont 
assises  deux  de  ses  compagnes;  une  troisième,  en  prière  sous  le  man- 
teau protecteur,  intercède  auprès  du  Christ  pour  le  chanoine. 

15.  Cologne,  Wallraf-Richartz  Muséum,  n°  216  [Verzeichnis,  éd. 
1903,  p.  50).  Tableau  colonais,  de  la  première  moitié  du  xvi'^  siècle. 

16.  Gravure  incunable  (allemande"?  de  la  Bibliothèque  Nationale  : 
cf.  >iupra,  p.  227  (saint  Géréon'. 

17.  (Grosse  en  bois  doré,  du  xv""  siècle,  à  Féglise  Sainte-Ursule  de 
Cologne.  Voir  supra,  p.  22(3  (sainte  Félicité). 

18.  Statue  en  pierre  à  Saint-Michel  de  Bordeaux,  jadis  dans  le  clo- 
cher, maintenant  dans  la  chapelle  des  fonts.  Cf.  Marionneau,  Descr.  des 
œuvres  d'art  qui  décorent  les  édifices  publics  de  Bordeaux  (1861),  p.  298  ; 
Corbin,  Saint-Michel  de  Bordeaux,  étude  hist.  et  archéol.  (Bordeaux, 
187"/),  p.  91;  Guide  illustré  dans  Bordeaux  et  ses  environs  (Bordeaux, 
Gounouilhou,  1904,  in-18),  p.  50.  avec  similigravure.  Cette  sculpture  a 
été  restaurée  :  sont  modernes  la  tête  de  sainte  Ursule,  le  livre  recou- 
vert d'un  linge  que  la  Sainte  tient  dans  la  main  droite,  les  tètes  de  plu- 
sieurs petits  personnages.  Sous  le  manteau,  au  premier  rang,  le  pape 
Cyriaque,  le  roi  Ethelreus,  le  cardinal  Vincent,  Jacques,  archevêque 
d'Antioche,  l'évèque  de  Bàle  et  un  sixième  personnage  (laïque)  dont  je 
ne  sais  pas  le  nom;  les  compagnes  de  la  Sainte  sont  étagées  derrière, 
sur  plusieurs  rangs.  Les  costumes  indiquent  le  commencement  du 
xv"  siècle.  Je  dois  la  photographie  de  cette  curieuse  statue  à  l'amitié  de 
M.  Paul  Vitry. 

19.  Statue  en  pierre,  du  xv'^  siècle,  dans  l'église  d'Avioth  (Meuse). 
Cf.  Chaudel,  Ann.  de  l'Institut  archéol.  du  Luxembourg  bel(/e,  Arlon, 
1902-1904. 

20.  Cologne,  Musée  Wallraf-Richartz,  n"  495  (  Verzeichnis,  éd.  de  1903, 
p.  109).  Ancienne  copie  d'après  un  maître  hollandais  du  commencement 
du  xv'=  siècle.  Triptyque  :  au  centre,  la  Nativité;  sur  le  volet  de  droite, 
sainte  Ursule  avec  deux  flèches  dans  la  main,  étendant  son  manteau 
sur  le  pape,  le  cardinal  et  les  vierges. 

21.  Une  miniature,  dans  un  livre  d'Heures  de  la  Bibl.  Nat.  (ms.  lat. 
10945),  représente  sainte  Ursule  abritant  ses  compagnes  sous  son  manteau 
et  tenant  trois  flèches,  au  lieu  d'une  :  même  particularité  dans  une  pein- 
ture murale  du  xv'^  siècle,  à  l'église  Notre-Dame  de  Trêves.  Cette  par- 


CATALOGUE  235 

ticularité  s'explique  probablement  par  riniluence  d'un  thème  iconogra- 
phique dont  nous  avons  parlé  plus  haut    ch.  VIIT. 

22.  Peinture  de  Memling,  sur  l'un  des  petits  côtés  de  la  chasse  de 
sainte  Ursule  (Reinach,  Répertoire,  II,  694,  dit  à  tort  que  cette  peinture 
orne  un  «  grand  médaillon  »  de  la  châsse),  au  musée  de  l'hôpital  Saint- 
Jean  à  Bruges  :  Braun,  n°  2i403  ;  Hanfstangl,  n°  25.  Cf.  Jameson, 
Sacred  and  legendary  art,  fig.  127;  Le  musée  d'art,  l.  I,  p.  113;  Lud- 
wig  et  Molmenti,  Vittore  Carpaccio,  pi.  à  la  p.  106.  Ursule,  tenant  la 
flèche  dans  la  main  droite,  la  tète  ceinte  d'une  légère  couronne  de  perles, 
abrite  sous  son  manteau  dix  de  ses  compagnes. 

*22.  Retable  d'un  peintre  brugeois  anonyme.  Cette  peinture  est  per- 
due. On  la  connaît  par  le  «  Maître  de  la  Légende  de  sainte  Ursule  », 
qui  l'a  représentée  sur  le  panneau  de  la  <<  Vénération  des  reliques  des 
onze  mille  Vierges  »  (Frîedlander,  Meisterwerke  der  niederl.  Malerei, 
pi.  XXXVIII). 

23.  Gravure  incunable  de  la  Bibliothèque  Nationale,  atti'ibuée  par 
Bouchot  Les  200  incunables  xfjloijraphiques  du  Cabinet  des  Estampes, 
pi.  LXXVI,  p.  239i  à  la  Flandre  française,  je  ne  sais  pour  quelle  raison. 

24.  Tableau  flamand  du  commencement  du  xvi^  siècle,  dans  l'église 
d'Hesdigneul-lez-Béthune  (Pas-de-Calais),  provenant  de  l'ancienne 
Chartreuse  du  Val-Saint-Esprit  à  Gosnay,  publié  dans  le  Bull,  archéol . 
du  comité,  1901,  p.  48,  pi.  XIII.  Sainte  Ursule,  tenant  la  flèche,  abrite 
dix  Vierges  sous  les  pans  de  son  manteau. 

25.  Statuette  en  l)ois.  art  flamand,  xv<"  ou  xvi*"  siècle,  appartenant  à 
la  baronne  van  Caloen  de  Gourcy  à  Bruges,  et  qui  figurait,  en  1905,  à 
l'Exposition  d'art  ancien  org;misée  dans  l'hôtel  de  la  Gruuthuuse  à 
Bruges  (n»  122). 

26.  Retable  en  bois  polychrome,  exécuté  à  Bruxelles,  au  commence- 
ment du  xvi'=  siècle,  aujourd  hui  à  Waldstena  Suède''  :  l'un  des  sujets 
représentés  sur  ce  retable  serait  une  sainte  Ursule  abritant  ses  com- 
pagnes sous  son  manteau  (Destrées,  dans  Méni.  de  la  Soc.  des  anti- 
quaires de  France,  t.  LU,  p.  67). 

27.  Statuette  en  bois  du  musée  d'Amsterdam.  Cf.  Catalogue  van  de 
Beeld houwerken  in  het  Xederl.  Muséum,  n"  96  ;  A.  Pit,  La  sculpture 
hollandaise  au  Musée  national  d'Amsterdam  (Amsterdam,  Van  Rijkom, 
s.  d.,  f°),  pi.  XVllI.  Travail  rhénan  du  commencement  du  xvi«  siècle. 
Sainte  Ursule  abrite  de  chaque  côté  une  demi-douzaine  de  Vierges.  Le 
manteau  a  disparu  :  l'espèce  d'écharpe  que  tient  sainte  Ursule  n'est 
autre  chose  qu'une  très  longue  manche  flottante,  comme  on  en  voit 
dans  certains  costumes  de  la  fin  du  xv"^  siècle.  La  raison  de  cette  trans- 
formation du  manteau  doit  être  cherchée  dans  la  passion  des  sculpteurs 
allemands  pour  le  déchiquetage. 

28.  Gravure  d'Israël  Van  Mecheln    Bibl.  Nat.,  Est.,  Œuvre  d'Lv.  M., 


236  CATALOGUE 

t.  II,  f"  192),  Sainte  Ursule,  sous  sou  manteau  que  tiennent  des  anges, 
abrite  quatre  Ursulines,  assises  et  lisant  des  livres  de  dévotion. 

29.  Gravure  sur  bois  servant  de  frontispice  à  VHistoria  de  sancta 
Ursula  iinpressa  Colonie  per  Martinum  de  W^erdena,  dont  jai  vu  un 
exemplaire  au  musée  Amstelkring,  ou  musée  catholique  d'Amster- 
dam, et  qui  est  décrit  dans  le  Caf.  du  duc  de  la  Vallière,  t.  III,  n"  4720. 

30.  Gravuie  de  .1.  Wierx  Alvin,  Caf.  de  l'œuvre  des  frères  Wierx, 
p.  273).  Devant  la  Sainte,  un  livre  sur  lequel  est  posée  une  flèche.  Au- 
dessous,  cette  légende  qui  fait  allusion  à  l'illustre  naissance  de  sainte 
Ursule  :  O  quam  pulchra  est  casta  generatio  cnm  claritate  :  iinmortalis 
est  eniin  memoria  illius  i^Liber  sapientiae,  IV,  1).  Sous  le  manteau, 
outre  les  Vierges,  deux  évèques. 

31.  Gravure  de  Th.  Galle  Bibl.  \at..  Est.,  Œuvres  des  Galle,  t.  V, 
f"il  .  Devant  la  Sainte,  le  livre  avec  la  flèche.  Sous  le  manteau,  outi'e 
les  Vierges,  deux  évèques,  des  moines,  des  gens  de  toute  condition. 

32.  Le  musée  archiépiscopal  d'Utrecht  est  particulièrement  riche  en 
représentations  de  sainte  Ursule  abritant  ses  compagnes  sous  le  man- 
teau protecteur  :  ce  type  y  est  représenté  par  une  statuette  en  bois,  du 
début  du  xvi"^  siècle  sous  le  manteau,  au  premier  rang,  le  pape  et  le  car- 
dinal ;  par  un  fragment  de  vitrail  du  xvii<"  siècle;  par  un  fragment  de  cha- 
suble; par  une  médaille  de  dévotion,  en  argent. 


APPENDICE 

COMMENT  LE  MOYEN  AGE  A  FIGURÉ    L'INTERCESSION  DE 
LA  VIERGE 


Saint  Bernard  et  la  croyance  en  l'intercession  de  Marie.  —  La  Vierge 
d'Intercession,  pour  apitoyer  soit  Dieu  le  Père,  soit  Jésus,  répète  le 
geste  dllécube. —  Histoire  de  ce  geste,  depuis  le  Spéculum  hurnanae 
salvationis  jusqu'à  Riibens.  —  L'origine  du  thème  se  ti-ouve  dans  un 
sermon  d'Arnaud  de  Bonne  val. 


La  doctrine  de  saint  Bernard  sur  l'intercession  ou  média- 
tion de  la  Vierge  est  étroitement  unie  à  sa  doctrine  sur  la 
miséricorde  de  la  Vierge.  Parce  qu'elle  est  miséricordieuse, 
Marie  intercède  entre  l'homme  et  Dieu.  Saint  Bernard  a  fait 
la  théorie  de  cette  intercession  dans  son  fameux  sermon  pour 
la  Nativité  de  Marie,  connu  sous  le  titre  de  De  aqiiaediictiiK 
La  Vierge  est  le  canal  par  lequel  nous  arrivent  les  eaux  de  la 
grâce,  car  Dieu  veut  que  nous  ayons  tout  par  Maiùe:  «  Dieu 
a  fait  de  Marie  ,  dit  saint  Alphonse  de  Liguori-,  la  dis- 
pensatrice de  toutes  ses  grâces  :  telle  était  1  opinion  de  saint 
Bernard,  que  l'on  peut  dire  être  commune  aujourd'hui  à  tous 
les  théologiens.  »  Les  rapports  directs  de  l'homme  et  de  Dieu 
avaient  été  rompus  par  le  péché  d'Eve  et  d'Adam.  Le  Christ 
est  venu  comme  médiateur  entre  Dieu  et  l'homme.  Mais  ce 
médiateur  est  encore  trop  haut,  trop  divin  ;  d'ailleurs,  il  est 
irrité  contre  les  hommes,  à  cause  des  souffrances  que  leurs 
péchés  lui  font  journellement  souffrir.  Entre  le  Christ  média- 
teur et  l'humanité  pécheresse,  il  est  besoin  d'une  médiation 
auxiliaire,  qui  incombe  à  Marie  :  la  Mère  intercède  auprès  du 
Fils,  le  Fils  intercède  auprès  du  Père,  le  Fils  exauce  sa  Mère, 
et  le  Père  exauce  son  Fils. 

Le  type  iconographique  de  la  Vierge  au  manteau  fut  inventé 
pour  exprimer  sous  une    forme    sensible  l'idée   de    la  miséri- 

^  1.  P.  L.,  CLXXXIII.  437-448. 
2.  Gloires  de  Marie,  V.  g  1. 


238  APPENDICE 

corde  de  Marie.  Je  crois  bon,  comme  complément  de  mon 
étude  sur  la  Vierge  au  manteau,  d'étudier  le  type  iconogra- 
phique que  le  moyen  âge  a  imaginé  pour  exprimer  l'idée  de 
l'intercession  de  Marie.  Les  deux  idées  sont  connexes.  L'une 
et  l'autre  semblent  avoir  été  répandues  d'abord  par  les  Cister- 
ciens ;  et  le  type  iconographique  inventé  pour  exprimer  la 
seconde  paraît  bien,  comme  le  type  inventé  pour  exprimer  la 
première,  d'origine  cistercienne. 


Les  représentations  où  l'on  voit  la^'ierge  montrant  ses  seins 
à  Dieu  pour  apaiser  son  courroux  contre  les  hommes  sont  fort 
nombreuses  depuis  le  xv"  siècle  jusqu'aux  débuts  du  xyu"^. 
Elles  se  divisent  en  deux  catégories  :  ou  bien  la  Vierge  et 
Jésus  sont  aux  pieds  du  Père  et  lui  montrent,  celui-ci  la  plaie 
de  son  flanc,  celle-là  son  sein  nu  ;  ou  bien  c'est  le  Christ  qui 
est  irrité  contre  les  hommes  et  veut  les  punir;  la  Vierge  est 
devant  lui  qui  l'implore  en  faisant  le  geste  que  nous   disons. 

Les  derniers  exemples,  à  ma  connaissance,  de  la  ^'ierge  d'in- 
tercession montrant  sa  poitrine  nue  se  rencontrent  dans  l'œuvre 
de  Rubens.  Un  dessin  de  Rubens,  gravé  par  Egbert  Van  Pande- 
rem,  représente  ainsi  l'intercession  de  la  Vierge  :  le  Christ  est 
debout,  tenant  sa  croix  ;  la  Vierge,  devant  lui,  s'incline  dans 
uue  attitude  suppliante,  en  portant  la  main  sur  son  sein  nu  •. 
Plus  connu  est  le  tableau  du  Christ  voulant  foudroyer  le 
monde  (au  musée  de  Bruxelles)  tant  admiré  de  Fromentin  : 
«  La  terre  est  en  proie  aux  vices  et  aux  crimes,  incendies, 
assassinats,  violences  ;  on  a  l'idée  des  perversités  humaines 
par  un  coin  de  paysage  animé,  comme  Rubens  seul  sait  les 
peindre.  Le  Christ  paraît,  armé  de  foudres;  tandis  qu'il  s'ap- 
prête à  punir  ce  monde  abominable,  un  pauvre  moine  "-^  dans  sa 

1.  Rooses,  L'œuvre  de  liubens.  t.  II,  p.  207,  pi.  132. 

2.  Saint  François  :  le  tableau  fut  peint  pour  les  Récollets  de  Gand.  M^'  Janie- 
son  Le(/ends  of  Ihe  Madonna.  p,  27  ,  qui  croyait  qu'il  avait  été  fait  pour  les 
Jésuites  de  Bruxelles,  y  reconnaissait  le  j;enre  de  mauvais  goût  qui  caractérise 
rOrdre  de  Loyola.  Le  tableau  du  musée  de  Lyon  Rooses,  op.  cit..  t.  II,  p.  242), 
e.\écuté  pour  les  Dominicains  d'Anvers,  qui  montre  saint  Dominique  à  côté  de 
saint  François,  se  rattache,  par  des  intermédiaires  qu'il  serait  curieux  de 
connaître,  à  la  miniature  qui  sert  d'  «  antitype  i>  au  chapitre  xxxvii  du 
Speciiliiin   liiinianae  salvalionis. 


LA    VIERGE    OUI    MONTRE    SON     SEIN  239 

robe  de  bure,  demande  g^ràce.  Est-ce  assez  de  la  prière  du 
saint  ?  Non.  Aussi  la  Vierge  se  jette  au-devant  du  Christ  et 
l'arrête.  Elle  n'implore,  ni  ne  prie,  ni  ne  commande  :  elle  est 
devant  son  Dieu,  mais  elle  parle  à  son  Fils.  Elle  écarte  sa  robe 
noire,  découvre  en  plein  sa  large  poitrine  immaculée,  y  met 
la  main  et  la  montre  à  celui  qu'elle  a  nourri.  L'apostrophe  est 
irrésistible.  Ni  au  théâtre,  ni  à  la  tribune  —  et  l'on  se  sou- 
vient de  l'un  et  de  l'autre  devant  ce  tableau  —  ni  dans  la 
peinture,  je  ne  crois  pas  qu'on  ait  trouvé  beaucoup  d'effets 
pathétiques  de  cette  vigueur  et  de  cette  nouveauté'.  » 

Le  geste,  à  coup  sûr,  est  pathétique,  mais  Rubens  ne  l'a  pas 
inventé.  Je  m'étonne  que  Fromentin,  si  lettré,  ne  se  soit  pas 
souvenu  du  passage  de  V Iliade  où  Priam  et  Hécube  supplient 
vainement  Hector  de  ne  pas  se  battre  contre  Achille  :  «  Le 
vieux  Priam  s'arrachait  les  cheveux,  mais  il  ne  put  fléchir 
Hector.  Près  de  lui,  la  mère  gémissait  et  pleurait.  D'une  main 
elle  découvre  sa  poitrine,  de  l'autre  montre  son  sein  et  s'écrie  : 
«  Hector,  mon  enfant  !  prends  pitié  de  moi  !  Si  jadis  je  te  pré- 
«  sentai  ce  sein,  qu  il  t'en  souvienne  aujourd'hui  !...  » 

Ce  n'est  pas  dans  l'/Z/a^/e. assurément, que  Rubens  a  pris  l'idée 
du  geste  pathétique  qu'il  a,  par  deux  fois,  prêté  à  Marie.  11  la 
reçue  de  la  tradition.  Comme  les  graveurs  flamands,  ses 
contemporains,  qui  fournissaient  de  gravures  pieuses  le  monde 
catholique,  Rubens  était  assujetti  aux  thèmes  traditionnels  de 
l'iconographie.  Le  théologien  de  Louvain  qui,  au  milieu  du 
XVI*'  siècle,  défendit  contre  les  critiques  des  Réformés  l'icono- 
graphie catholique,  Molanus,  l'auteur  du  De  historia  sacraruni 
imaginum^^  s'exprime  ainsi  (^livre  11,  chap.    xxxi)   :    Milita  in 

1.  Les  maîtres  d'autrefois,  p.  49  :  «  Peint  par  un  élève;  les  chairs  retouchées 
par  le  maître  »    Rooses.  op.  cit.,  t.  II,  p.  Toi). 

2.  Iliade,  XXII,   79-80. 

3.  Louvain,  1570.  Pour  Mulanus  Jean  ^'ernleuIcn  dit  —  ,  voir  sa  notice 
dans  la  Biographie  \ationale  publiée  par  l'Académie  royale  de  Belg'ique, 
t.  XV,  col.  48.  L"ouvra|;e  de  Molanus  est  une  réponse  à  la  Ruche  '«  De  Byen- 
korf  »  de  Philippe  Marnix  de  Sainte-Aldegondc.  Il  a  été  réédité,  avec  un 
précieux  commentaire  par  Paquot  Louvain,  1771):  le  commentaire  de 
Paquot  est  dirigé  surtout  c(jntre  les  Jansénistes.  L'ouvrage  de  Molanus  a  été 
réimprimé,  avec  les  notes  de  Paquot.  dans  le  t.  XXVII  du  Cursus  Iheolo- 
giae  de  Migne. 


240  APPENDICE 

picturis  et  imaginibus  esse  toleranda,  quae  probabilia  sunt 
apud  doctos  quosdam,  aut  vulf/um.  Et  le  premier  exemple 
qu'il  cite,  c'est  précisément  la  représentation  delà  Vierge  mon- 
trant au  Fils  ses  mamelles,  imago  Deiparae  ostendentis  Filio 
suo  uheraK  S'il  défend  les  images  de  ce  type,  c'est  qu'elles 
devaient  exciter  les  sarcasmes  des  Protestants  —  un  texte  de 
Zwingli  est  formel  à  cet  égard  —  et  s'il  en  parle  d'abord-, 
c'est  qu'elles  devaient  être  nombreuses.  Le  Jugement  der- 
nier, peint  en  lo2o  par  Jan  Provost,  de  Bruges  ^,  en  est  un 
bon  exemple.  Il  nous  fournit  l'anneau  qui  rattache  à  l'icono- 
graphie du  moyen  âge  les  compositions  de  Rubens  dont 
nous  parlions  tantôt,  et  les  compositions  analogues  de  l'art 
flamand  du  temps  de  Rubens  ^  On  conserve  à  l'Académie  de 
Bruges,  à  côté  de  l'original,  une  copie  du  tableau  de  Provost, 
par  J.  Van  den  Coornhuuse,  qui  est  de  la  fin  du  xvi*^  siècle; 
à  cette  époque,  en  pleine  Contre-Réformation,  l'art  est  devenu 
prude  :  Van  den  Coornhuuse  a  voilé  la  poitrine  de  la  Vierge  : 

Par  de  pareils  objets,  les  âmes  sont  blessées  ; 
Et  cela  fait  venir  de  coupables  pensées. 


1.  Au  contraire.  Molanus  condamne  sévèrement  les  représentations  qui 
montrent  Jésus  suppliant  Dieu  le  Père  en  faveur  de  l'humanité  pécheresse  : 
erronea  piciura  est,  et  quidem  nimis  crassa.  quae  exprimit  Salvatorern  coram 
Pâtre  suo  orantem,  genihus  flexis  super  palihulum  crucis     II.  28). 

2.  Zwingli.  éd.  Schuler  et  Schulthes  ^Zurich,  1830),  t.  II,  1,  p.  56  (Antwurt 
an  ^'alentin  Compar,  Von  den  hildnussen)  :  «  Und  wenn  die  gôtzen  g:l.ych 
ghein  gottes  verbot  hatlind,  dennoch  so  habend  sy  so  ein  ungestalten 
miszbruch,  dasz  man  sy  nit  dulden  sollt.  Hie  stat  ein  Magdalena  so  hurisch 
gemalet,  dasz  auch  aile  pfaffen  je  und  je  gesprochen  habend  :  ^^'ie  kônnt  einer 
hie  andiichtig  syn,  niesz  ze  haben  ?  Ja  die  ewig  sein  unverseert  macjd  und 
muter  Jesu  Christi.  die  mûsz  ire  briist  herfiir  zoçjen  haben.  Dort  stat  ein 
Sébastian,  Mauritius  und  der  fromm  Johannes  evangelist,  so  jïinkerisch. 
kriegisch,  kupplig,  dass  die  wyber  davon  habend  ze  bychten  ghebt.  Und  das 
ist  ails  ein  schimpf.  »  Ce  texte  a  été  cité,  mais  sans  la  référence,  par  Bergner, 
Handbuch  der  kirchlichen  Kunstaltertiimer,  1905,  p.  212.  Xe  sachant  pas  le 
flamand,  je  n'ai  pu  rechercher  dans  la  Byenhorf  si  Philippe  Marnix  de  Sainte- 
Aldegonde  avait  censuré  les  images  de  la  Vierge  montrant  son  sein  nu. 

3.  Pour  la  chapelle  des  cchevins  ;  aujourd'hui  au  musée  de  l'Académie  à 
Bruges.  Cf.  le  Catalogue  de  J.  Weale  (1861;,  p.  28  :  Le  Beffroi,  t.  IV;  p.  205; 
Lafeneslre-Richlenberger.  La  Belgique,  p.  332;  Huysmans,  Les  foules  de 
Lourdes,  p.  155.  Reproduction  dans  Friedliuider.  Meislerwerke  der  niederl. 
Malerei,  pl.  57. 

4.  Peinture  de  Grimmer  (1573-1618  ,  au  musée  d'Anvers,  u°  817.  Vue  d'An- 
vers en  1600.  Dans  les  nues,  le  Christ  et  Marie,  entourés  d'anges,  intercèdent 
pour  la  ville  auprès  du  Père  ;  le  Christ  montre  la  plaie  de  son  flanc,  la  Vierge 
montre  son  sein. 


LA    VIERGE    QUI    .MOMKE    SON    SEIN  241 


Je  vais  citer,  en  remontant  de  proche  en  proche  aussi  loin 
qu'il  me  sera  possible,  un  certain  nombre  d 'œuvres  qui  repré- 
sentent la  Vierge  implorant  soit  le  Père,  soit  le  Fils  en  lui 
montrant  son  sein  nu. 

Un  vitrail  voué  en  1590  dans  l'église  cistercienne  de  Wet- 
tingen',  et  qui  est  inspiré  de  VArs  nwriendi,  représente,  dans 
le  bas,  un  mourant  dont  l'âme  est  recueillie  par  un  ange.  Le 
Diable  essaie  en  vain  de  s'en  emparer.  Saint  Jean,  qui  est  pré- 
sent à  la  scène,  explique  pourquoi  :  c'est  qu'au  même 
moment,  dans  le  ciel,  Jésus  et  la  Vierge,  montrant,  1  un  la  bles- 
sure de  son  flanc,  l'autre  les  mamelles  qui  ont  allaité  l'Homme- 
Dieu,  intercèdent  auprès  du  Père  pour  l'àme  du  trépassé  ~. 
Chaque  personnage  de  cette  composition  tient  une  banderole. 
Je  citerai  seulement  les  textes  inscrits  sur  les  banderoles 
du  Christ,  de  Marie  et  du  Père,  pour  l'analogie  qu'ils  pré- 
sentent avec  les  inscriptions  d'un  tableau  dont  nous  parlerons 
bientôt. 

Jésus  :   Vatter^  erhor  miner  mu  (ter  Bitten 

Durch  die  Wunden,  die  ich  hah  erlitten. 
Marie  :  Son^  von  ivegen  der  Briisten  min 

Wellst  diesem  Si'mder  harmherzig  sin. 
Le  Père  :  Sou,  ever  da  hittet  uni  diner  Mutlcr  nameii, 
Den  icill  ich  eiviff  nie  ht  verdammen. 

Un  triptyque  de  l'école  de  Nuremberg-^,  voué  vers  1530 
pendant  une  peste,  représente  une  montagne  plantée  de 
sapins,  sur  laquelle,  au  premier  plan,  sont  agenouillés  les 
gens  d'église  et  les  princes;  à  l'arrière-plan,  debout  ou  à 
genoux,  implorant  la  miséricorde  divine,  les  bourgeois  et  les 
paysans.  Du  haut  du  ciel,  le  Père   lance  sur  les   hommes  les 


1.  Suisse,  canton  d'Argovie. 

2.  Kunstgewerbeblatt,  II  (18S6  ,  p.  110,  123,  1 18  :  Die  Glasgemalde  im  Kreuz- 
gaiig  des  ehemaligen  Kiosters  \^'ettingen. 

3.  Nuremberg,  Musée  germanique,  Katalog  der  Genuilde,  éd.  de  1893. 
n"  23i.  II  est  remarquable  que  la  Vierge  y  soit  à  la  droite  et  le  Christ  à  la 
gauche  du  Père. 

Perdrizkt.  —  La  Vierge  de  Miséricorde.  16 


242 


APPENDICE 


flèches  de  la  colère,  trois  à  cha([ue  coup.  Mais  devant  lui 
s'agenouillent  le  Christ  et  la  Vierge.  La  Vierge  lui  montre  le 
sein  qui  a  nourri  Jésus  ;  Jésus,  couronné  d'épines,  lui  montre 
ses  plaies;  des  anges  lui  ôtent  son  manteau,  et  il  apparaît 
comme  il  fut  sur  la  Croix.  Dans  les  airs,  d'autres  anges 
apportent  les  instruments  de  la  Passion.  Par  la  force  magique 
des  prières  de  la  Mère  et  du  Fils,  les  flèches  dévient  et  se 
brisent. 

Un  tableau  peint,  paraît-il  ',  en  I0O6,  par  Holbein  le  \'ieux,. 
YEpitaphhild  d'Ulrich  Schwarz,  bourgmestre  d'Augsbourg, 
représente  Ihonorable  magistrat  entouré  de  sa  très  nombreuse 
famille-.  Tous  sont  à  genoux.  Dans  le  ciel  apparaît  Dieu  le 
Père,  armé  d'un  glaive  énorme -^  Mais  Jésus  et  la  Vierge 
intercèdent  pour  la  famille  Schwarz  ;  Jésus  montre  la  plaie  de 
son  flanc,  il  y  enfonce  les  doigts  (^comme  fait  Thomas  dans  la 
scène  de  Y  Incrédulité  ou,  selon  l'expression  byzantine,  de 
V Attouchement).  La  Vierge  montre  à  nu  son  sein  droit.  Jésus 
dit  : 


^Vatter.sicli.  an.  niein. 

rrunden.  rot. 
Ililf.    den.    inenschen. 

ans.  aller,  not. 
Dure  II .  meinen .  bittcrn 

tod. 

La  Vierge  dit  : 

Her.    thun.     ein.    dein 

schivert. 
des.  du.  hast,  erzogen. 
Und.  sieh.  an. die.  heist. 
die.  dein.  sun.  hatgeso- 

gen. 


Père,  regarde  mes  bles- 
sures rouges. 

Aide  les  hommes  à  sor- 
tir de  toute  détresse, 

par  ma  mort  amère. 


Seigneur,    rentre     ton 

épée 
que  tu  as  dégainée, 
et  regarde  le  sein 
que  ton  fds  a  sucé. 


1.  Pour  la  date.  cf.  Zaliii  dans  les  Jahrhucher  fur  Kunslicissenxchaft,  IV. 
p.  127. 

2.  Publié  piiur  la  premièi-e  t'ois  dans  la  Zeilschrifl  fur  bild.  Kunst.  XXII 
(1887;,  p.  73.  Cf.  Janitschek,  Ges.  der  deutschen  Malerei,  p.  27:>.  Photôjîi'aphié 
par  Hiinc,  11°  151  du  calalojrue  d'Aujîsbour^.  I.'ori^^inal  à  .Vujjsbourg-,  dans  la 
collection  Fr.  von  Sietten. 

.î.  Poiu"  le  j;laive  de  la  colère  divine,  cf.  Ps.  VII,  12  :  nisi  conversi  fiierilis. 
(fladiuin  suain  vibnihit.  Un  Psautier  à  miniatures,  d'orijiine  talienne.  à  la 
Bibl.  Nal.,  montre  un  Christ  qui  tient  de  la  main  gauche  un  arc  et  des  llèches. 
de  la  main  droite  une  épée  nue  (Didron,  Mnnnel  d'icoiioç/r.  chr.,  p.  111).  Cf. 
encore  le  tableau  de  Ilcilsbronn,  supra,  p.  191. 


LA    VIERGE    HLl    MOMKE    SUN    SEl.N  243 

A  quoi  le  Père  Eternel  répond,  en  rengainant  dun  air 
maussade  le  glaive  de  la  colère  : 

Barmherzigkit.  ivill.   ich.    allen.   den.   erzaigen. 
die.  da.  mit.  icarer.  reu.  von.  hinnen.  schaiden. 

J'userai  de  miséricorde  envers  tous  ceux 
qui  trépasseront  avec  un  vrai  repentir. 

Un  tableau  daté  de  li92,  qu'on  attribue  au  maître  der 
heiligen  Sippe,  représente  le  donateur,  un  moine,  présenté  par 
un  Saint  abbé.  Dans  le  ciel  apparaît  le  céleste  parvis;  Dieu  le 
Père  est  assis  sur  son  trône.  A  ses  côtés  sont  agenouillés  la 
Vierge  et  Jésus;  la  Vierg-e  montre,  fort  pudiquement,  son 
sein  demi-nu  ;  le  Christ  montre  la  plaie  de  son  flanc.  A  terre 
devant  lui,  la  colonne  et  les  verges  de  la  flagellation.  Des  anges 
apportent  les  autres  instruments  de  la  Passion  :  non  moins 
que  les  cinq  plaies,  les  instruments  de  la  Passion  témoignent 
de  ce  que  Jésus  a  souffert  pour  les  hommes  ;  ils  rendent  plus 
pathétique  encore  l'intercession  du  Crucifié.  Dieu  le  Père  par- 
donne et  bénit  ^ 

Une  mauvaise  petite  gravure  incunable,  d'origine  alle- 
mande"^, représente  le  Christ  et  la  Vierge  intercédant  pour  les 
hommes.  Le  Père,  dans  le  ciel,  va  lancer  les  trois  flèches. 
Le  Christ  et  la  Vierge,  à  genoux,  lui  montrent,  l'un  ses  bles- 
sures, l'autre  son  sein  nu.  Derrière  la  Vierge  sont  des  hommes 
agenouillés,  des  clercs,  semble-t-il.  Comme  dans  les  minia- 
tures de  beaucoup  de  manuscrits  du  Spéculum,  le  Christ  est 
à  genoux  sur  la  croix,  et  la  croix  est  couchée  à  terre. 

On  pourrait  citer,  dans  l'art  allemand  des  deux  générations 
immédiatement  antérieures  à  la  Réforme,  beaucoup  d'autres 
exemples  du  sujet  qui  nous  occupe -^  ce  qui  s'explique  sans 


1.  Nuremberg,  Kat.  der  Gemàlde,  n°  30;  Scheibler  et  Aklenhoven,  Ges- 
chichte  der  Kolner  Malerschule,  pi.  72. 

2.  Schreiber,  Manuel,  I,  p.  212,  n-  751  ;  Pestblatter,  pi.  3.  D'après  Schreiber, 
cette  grav'ure  serait  «  oberdeutsch  »  et  daterait  de  1460  à  1470.  En  réalité,  date 
et  provenance  sont  incertaines.  Cf.  encore  Schreiber,  t.  VI,  pi.  6,  n"  2899  : 
«  Jugement  dernier,  g:ravure  enluminée,  vers  1430.  Le  Juge  du  monde,  assis 
sur  larc-en-ciel,  montre  ses  plaies;  la  Vierge,  pour  le  fléchir,  lui  montre  son 
sein  nu.  » 

3.  Cf.  la  gravure  sur  bois  (reproduite  par  J.  Rosenthal.  Cal.  -27.  MSS.  à  minia- 
lures  et  livres  illustrés,  p.  104)  d'une  traduction  allemande  de  Jean  Gerson 
intitulée  Von  den  gnadenreichen  Fiirhil  vor  Gotl  dem  Vater  fiir  die 
armen  Siinder. 


244  APPENDICE 

peine,  si  Ton  se  rappelle  quel  succès  le  Spéculum  eut  en  Alle- 
nia^'ue.  Je  me  bornerai,  pour  en  finir  avec  Fart  allemand, 
à  lui  emprunter  quelques  exemples  encore.  D'abord,  à  la 
galerie  royale  de  Schleissheim,  près  Munich,  un  panneau 
«  oberdeutsch  »,  que  le  Catalogue  ',  avec  une  précision  peut- 
être  excessive,  date  de  1490  environ.  Un  tableau  de  la 
même  galerie,  que  le  Catalogue  attribue  à  l'atelier  de  Martin 
Schafîner,  représente,  en  haut,  dans  le  ciel.  Dieu  et  les 
anges  qui,  à  coups  de  flèches,  détruisent  l'humanité;  en  bas, 
sur  la  terre,  beaucoup  de  gens  sont  déjà  morts;  la  Vierge 
abrite  les  survivants  sous  son  manteau  ;  elle  regarde  le  Père 
d'un  air  suppliant  et  lui  montre  son  sein  nu"-.  T^ne  fresque, 
dans  la  chapelle  de  Mundelsheim,  représente  la  Vierge  de 
Miséricorde  abritant  les  hommes  sous  son  manteau  ;  elle 
est  debout  devant  son  Fils  et  lui  montre  le  sein  qui  l'a 
nourri -^  Dans  les  fresques  de  Bruck  et  d'Obermauern,  où 
la  Vierge  protège  l'humanité  contre  les  flèches  de  la  colère 
céleste,  elle  montre  au  Père  sa  poitrine  qui  est,  cette  fois, 
soiarneusement  couverte  ^. 

Dans  les  Grandes  Heures  d'Antoine  Vérard,  exécutées  sur 
l'ordre  de  Charles  VIII,  au  verso  du  premier  feuillet,  une 
gravure  représente  la  Vierge  et  Jésus  intercédant  auprès  du 
Père.  La  Vierge  montre  ses  mamelles,  le  Christ  la  plaie  de 
son  flanc  ^. 

A  ces  exemples  empruntés  à  l'art  flamand,  allemand,  fran- 
çais, ajoutons-en  un  qui  est  italien,  et  de  date  plus  ancienne. 
C'est  la  fresque  peinte  en  14Gi  par  Benoz/o  Gozzoli,  dans 
l'église  Saint- Augustin  à  San  Gimignano.  après  une  peste  qui 
avait  ravagé  cette  cité*^.  En  haut,  Dieu  le  Père  et  les  anges 
lancent  les  flèches  de  la  colère  sur  les  gens  de  San  Gimignano  ; 
ceux-ci  se   réfugient   sous  le  manteau  de  saint  Sébastien,  le 

1.  Édition  de  1905.  p.  42,  n"  160:  «  Maria  in  der  Mille  stehend.  zeigt  auf 
ihre  mûtlerliche  Brusl,  Chrislus  auf  seine  Wundmale.  Rechts  Golt  Valer  mit 
Krone  und  Sccpler.  » 

2.  M.,  p.  28,  il"  102.  Le  cataloj,'ue  intitule  celle  composition  Votivbild  zur 
Ahirendiiiuf  von  Kriegsç/efahr,  alors  qu'il  s'agit  probablement  dun  ex-voto 
contre  la  peste.  Il  ne  dit  rien  du  j,-estc  de  la  Vierjre.  Et  il  ifïnore  que  M"  Jame- 
son  a  parlé  de  ce  tableau  dans  ses  Leçjenils  of  Ihe  Mndonna,  p.  27. 

3.  Cf.  supru,  p.  127. 

4.  Cf.  supra,  p.  126. 

5.  Reproduction  dans  Claudin,  Les  orùjines  de  l'imprimerie  en  France,  II, 
p.  394. 

6.  Cf.  supra,  p.   ll.i.  pi.  XVI. 


LA    VIERGE    QUI    MONTRE    SON    SEIN  245 

plus  grand  des  saints  antipesteux.  Le  saint,  debout  sur  un 
piédestal,  prie  avec  ferveur  pour  son  peuple.  Mais  si  ses 
prières  sont  efficaces,  si  les  traits  de  la  colère  divine  se  brisent 
sur  le  manteau  protecteur,  c'est  qu'à  l'intercession  de  saint 
Sébastien  se  sont  jointes  celles  de  Jésus  et  de  sa  mère.  A 
genoux  devant  le  Père,  Jésus  montre  la  plaie  de  son  flanc,  la 
Vierge  met  à  nu  les  mamelles  qui  ont  nourri  l'Homme-Dieu. 
La  fresque  de  San  Gimignano  est  dans  l'art  italien  le  seul 
exemple  que  je  connaisse  du  thème  qui  nous  occupe.  Les 
artistes  italiens,  moins  naïfs  que  ceux  du  Nord,  plus  pudi- 
bonds, n'ont  pas  souvent  —  sauf  les  Milanais  ^  —  montré  à 
découvert  le  sein  de  la  Madone.  Une  Vierge  comme  celle  de 
Fouquet,  au  musée  de  Berlin,  aurait  été  un  scandale  en 
Italie.  Au  Campo-Santo  de  Pise,  l'auteur  de  la  fresque  du 
Jugement  dernier  a  représenté  Marie  trônant  à  côté  du  Fils, 
et  le  suppliant  pour  les  hommes  :  joignant  le  geste  à  la 
prière,  elle  montre  de  la  main  sa  poitrine,  mais  elle  n'en- 
trouvre pas  sa  robe,  son  corps  virginal  reste  chastement 
voilé. 

Plus  ancienne  que  la  fresque  de  Gozzoli,  est  une  miniature 
donnée  au  Louvre  par  M.  Maciet,  et  qui  provient  d'un  des 
manuscrits  du  duc  de  Berry,  les  Très  Belles  Heures  dites  de 
Turin-.  Dieu  le  Père  est  assis  sur  son  trône;  devant  lui  sont 
agenouillés,  suppliants,  le  Christ  qui  montre  ses  plaies,  et  la 
Vierge  qui  montre  son  sein  nu . 

Il  est  inutile  d'allonger  cette  liste.  Il  est  temps  de  nous 
demander  pourquoi  les  artistes,  depuis  le  xv®  siècle  jusqu'au 
début  du  xvii*^,  ont  représenté  de  cette  façon  l'intercession  de 
la  Vierge  et  de  de  son  Fils.  De  quels  textes  se  sont-ils  ins- 
pirés ? 


Si  nous  regardons  de  plus  près  la  miniature  des  Heures  de 
Turin,  nous  j  voyons,  au-dessous  du  groupe  que  nous  avons 
décrit,  dans  ane  lettre-ornée,  un  personnage  qui  se  dépouille 
de  ses  vêtements  devant  un  prince;  sa  peau  est  marquée  de 
balafres  rouges.  Ce  serait,  d'après  Curmer,  N.   S.  envoyé  à  la 

1.  S.  Reinach,  Répertoire  de  peintures,  I,  219. 

2.  Durrieu,  Les  Très  belles  Heures  de  Turin,  pi.  XXVIII,  p.  24. 


246  APPENDICE 

flagellation,  ou  encore  Judas  qui  vient  déchirer  ses  vêtements 
devant  le  Prince  des  Prêtres.  Ces  explications  sont  fantai- 
sistes, M.  Durrieu  les  a  sans  doute  jug'ées  telles,  puisqu'il 
n'admet  ni  Tune  ni  l'autre.  Mais  il  n'a  rien  proposé  à  la  place. 
Ce  feuillet  des  Heures  de  Turin  reste,  en  effet,  une  énigme, 
si  l'on  n'en  rapproche  un  chapitre  du  Spéculum  humanae 
salvationis. 

Au  xxxrx'^^  chapitre  du  Spéculum,  nous  apprenons  comment 
le  Christ,  pour  fléchir  le  Père  irrité  contre  les  hommes,  lui 
montre  les  blessures  qu'il  reçut  pour  nous ,  et  comment  cette 
scène  mystique  avait  été  préfigurée  par  l'histoire  d'Antipater, 
qui,  pour  se  disculper  devant  César,  lui  montra  les  blessures 
qu'il  avait  reçues  au  service  de  Rome';  comment  encore, 
Marie,  pour  fléchir  le  Fils  irrité  contre  les  hommes,  lui  montre 
le  sein  dont  il  fut  allaité. 

In  praecedentibus  capitulis  audivimus  quomodo  Maria  est  nostra 

[mediatrix 
Et  quomodo  in  omnibus  anf;ustiis   est  nostra  defensatrix  ; 
Consequenler  andiamus  quomodo  Christus  ostendit  Patri  suo  pro 

[nobis  sua  vulnera, 
Et  Maria  ostendit  Filio  suo  pectus  et  ul)era... 
Quod  Christus  vuhierum  cicatrices  Patri  monstrare  volebat, 
Hoc  etiam  olim  per  quanidam  figuram  ostensum  erat... 
Christus  ostendit  Patri  cicatrices  vulnerum,  quae  toleravit; 
Maria  ostendit  Filio  ubera,  quibus  eum  lactavit; 
Sicut  erg-Q  Christus  convenienter  potest  Antipater  appellari, 
Ita  Maria  competenter  potest  Antifiha  nuncupari. 
O  dulcissime  Antipater  et  o  dulcissima  Antitilia, 
Quam  summe  necessaria  sunt  nobis  miseris  vestra  auxilia  ! 
Quomodo  posset  ibi  esse  aliqua  abnegatio, 
Ubi  tam  dulcissima  est  supplicatio  ? 

Les  miniatures  du  chapitre  xxxix  représentent,  la  troi- 
sième, la  Vierg-e  montrant  son  sein  à  Jésus,  la  seconde, 
Antipater  montrant  ses  plaies  à  César,  la  première  Jésus  et 
la  Vierge     montrant    au    Pèi^e,    l'un    la    plaie  de    son    flanc, 

1.  L'auteur  du  Spéculum  a  emprunté  celte  histoire  à  VHixIoire  scolastiqae 
de  Pierre  le  Man^'eur,  lib.  Machaheorum,  XVI  :  eo  tempore,  Antipatrum 
el  Hircanum  criminahatnr  Antigonus  apnd  Caesarem,  dicens  eorum  consilio 
palretn  anum  et  fratrem  interiisse.  Ad  hoc  Antipater,  vente  projecta,  multila- 
dinem  vulnerum  demonslrans,  verhis  non  opus  esse  dixit,  cum  cicatrices,  se 
tacenle.  clamurent.  ipsum  fuisse  fidelem  liomanorum. 


LA    VIERGE    QUI    MONTRE    SON     SEIN  247 

l'autre  le  sein  que  Jésus  a  sucé.  Nul  doute  que  les  nom- 
breuses représentations  énumérées  tantôt  ne  doivent  se 
rattacher,  plus  ou  moins  directement,  au  texte  et  aux  minia- 
tures du  XXXIX''  chapitre  du  Speciihnn. 

Il  semble  qu'au  xiv*^  et  au  xv*^  siècle,  la  Vierge  montrant 
ses  seins  k  Dieu  fut  un  lociis  de  la  mystique  ^  11  devait 
défrayer  la  prédication.  On  a  vu  plus  haut  que  le  Spéculum 
humanae  salvationis  avait  pour  auteur  un  Dominicain  ;  il  est 
croyable  que  cet  ouvrage  a  souvent  dû  fournir  de  sermons 
les  Frères  Prêcheurs. 

De  la  chaire  chrétienne,  le  thème  qui  nous  occupe  est 
descendu  dans  le  peuple,  a  passé  à  la  peinture  et  peut-être 
jusqu'au  théâtre.  Je  le  retrouve  au  milieu  du  xiv"  siècle, 
dans  YAdvocacie  Nostre  Darne-,  du  chanoine  de  Baveux,  Jean 
de  Justice  (-|-  1333).  Ce  singulier  j^oème,  tout  à  fait  dans 
l'esprit  du  moyen  âge,  raconte  comment  la  Vierge  plaida 
devant  Jésus,  contre  le  Diable,  la  cause  du  genre  humain. 
L'en  pourrait,  dit  le  prologue  3, 

L'en  pourrait  plus  tost  espuissier 
Toute  la  mer,  goûte  aprez  goûte, 
Que  sa  honte  deviser  foute... 

1.  Un  poème  latin  en  l'honneur  de  sainte  Anne,  jjublié  à  Majence  en  1494 
{Rutgeri  canonici  regularis  in  Heyna  Woi-maciensi  diocesi  carmen  elegiacuni 
de  sancla  Anna,  dans  Trithemius,  De  laiidihiis  sanctissimae  matris  Annae 
tvaclatus)  contient  ces  vers  : 

...Faciles  si  non  inflexeril  aures. 
Ad  gnalam  citius.  Anna,  recurre  tiiam. 

Uhera   demonstret   nato    laa  filia  Chrisio... 

Si  miiKiim  fiierit  oralu  diffîcilis  res, 
Cnm  genelrice  sua  filia,  poscat  opem. 

La  gravure  de  Gallot  qui  représente  l'Assomption  (Meaume.  96)  porte  cette 
strophe. 

Perge,    Virgo,  perge.  parens, 
Perge,  Luna  lahe  carens, 
Pete  felix  aethera  ! 

Si  nos  damnet  reos  Xatus, 
Noxa  judex  implacatus, 
Monstra,  Mater,  uhera.' 

2.  Publiée  en  extraits  par  A.  Chassant,  Paris,  1S55.  Cf.  l'introduction  au 
Mislére  du  viel  Testament,  publié  par  .1.  de  Rothschild,  I,  p.  i-x.  Il  en  aurait 
paru  en  1896  une  édition  complète  (Ro'uania,  190",  p.  628);  mais  je  ne  l'ai 
point  vue. 

3.  Chassant,  p.  3. 


248  APPENDICE 

Se  son  filz  se  cource,  elle  accourt 
Et  lui  demoustre  sa  mamele 
Dont  l'aleita  vierge  et  pucele. 

Le  poème  met  cela  pour  ainsi  dire  en  action .  Sentant  que 
le  DialDle  va  gagner  le  procès,  la  Vierge  tâche  d'émouvoir  la 
pitié  du  Juge  : 

Ta  mère  suy,  mère  m' appelés: 
Beau  fils,  regarde  les  mameles 
De  quoi  aleiter  te  souloie  '. 

Le  Diable  proteste  contre  cette  fa^on  de  plaider  : 
Ten  demanf  interloqutoire. 

Mais  c'est  en  vain  qu'il  prouve  que  la  Vierge,  étant  femme, 
ne  peut,  aux  termes  du  Code  Théodosien.  plaider  une  cause 
qui  n'est  pas  la  sienne,  et  devant  un  juge  dont  elle  est  si 
proche  parente  :  toutes  ses  chicanes  de  Basse-Normandie  ne 
l'empêchent  pas  de  perdre  sa  cause.  Et  les  saints  qui  ont 
assisté,  anxieux,  à  ce  grand  débat,  entonnent  en  l'honneur  de 
la  Vierge  le  Salve  Regina. 

h'Advocacie  Xostre  Dame  est  une  composition  livresque, 
que  le  peuple  n'a  pas  connue.  Il  n'en  est  pas  de  même  d'une 
laude  italienne,  où  se  retrouve  le  thème  que  nous  venons  de 
signaler  dans  ÏAdvocacie.  On  sait,  grâce  aux  travaux  de  d'An- 
cona  "~,  ce  qu'étaient  les  laudes  ombriennes  du  xiv''  siècle,  — 
des  chants  religieux  dialogues  qui, à  l'issue  de  la  messe  parois- 
siale, étaient  déclamés,  soit  dans  l'église  même,  soit  dans  la 
chapelle  de  la  confrérie,  par  les  confrères  de  la  Pénitence.  La 
laude  du  dimanche  de  l'Avent  était  consacrée  au  Jugement 
dernier  :  on  entendait  les  damnés  supplier  Marie,  et  Marie 
tenter  en  vain,  au  nom  de  sa  maternité  miraculeuse,  de  fléchir 
le  Juge  :  «  Par  le  lait  dont  je  t'ai  nourri,  écoute-moi  un  peu, 
mon  Fils,  pardonne  à  ceux  pour  qui  je  plaide...  Neuf  mois  je 
t'ai  porté  dans  mon  sein  virginal,  et  tu  as  bu  à  ces  mamelles 
quand  tu  étais  petit  enfant  :  je  t'en  prie,  si  cela  se  peut, efface 
ta  sentence  !  » 

1.  Chassant,  p.  38. 

2.  D'Ancona,  Origini  ciel  teatro  in  Italia,  2"  éd.,  Turin.  1891,  t.  I,  p.  117. 
Cf.  Gaspary,  Storia  délia  letter.  ital.,  I,  p.  136  et  Gebliart,  L'Italie  mystique, 
1).  273. 


LA    VIERGE    OUI    >IONTRE    SON    SEIN  249 


Le  Christ  et  Marie  agenouillés  devant  Dieu  le  Père  et  lui 
montrant  pour  désarmer  sa  justice  et  apitoyer  sa  miséricorde, 
lui  les  blessures  de  la  Passion,  elle  le  sein  virginal  qui  a  nourri 
riiomme-Dieu,  quel  étonnant  dialogue,  et  comme  il  devait 
émouvoir  l'àme  impressionnable  et  pieusement  ingénue  du 
moyen  âge!  Le  geste  d'Hécube  n'est  pas  plus  grandiose  que 
celui  de  Marie.  On  voudrait  savoir  quel  est  l'inventeur  de  ce 
thème  si  pathétique.  A  lire  Guichard,le  seul  érudit  qui  se  soit 
occupé  des  sources  du  Spéculum,  l'auteur  anonyme  de  ce  livre 
mystique  aurait  inventé  les  «  antitypes  ))de  son  chapitre  xxxix. 
Il  n'en  est  rien.  Ni  Guichard,  ni  aucun  des  érudits  qui,  après 
lui,  ont  parlé  du  Spéculum  n'ont  pris  la  peine  d'étudier 
dans  les  manuscrits  les  rubriques  placées  en  havit  ou  en  bas 
des  pages,  qui  donnent  en  abrégé  les  sources  auxquelles  a 
puisé  l'auteur.  Ces  indications  sont  parfois  erronées,  elles  ne 
sont  pas  tout  à  fait  les  mêmes  dans  les  différents  manuscrits, 
mais  pourtant,  elles  ne  doivent  pas  être  négligées. 

D'après  les  rubriques  du  Spéculum,  les  deux  thèmes  de  la 
Vierge  suppliant  Jésus,  et  de  Jésus  et  la  Vierge  suppliant  le 
Père,  seraient  empruntés  à  saint  Bernard.  Je  reproduis  quel- 
ques-unes de  ces  rubriques  : 

I.  Jhesus  Christ  moustre  a  son  père  ses  playes  et  le  prie  pour 
nous,  povres  pécheurs  '. 

Bibl.  Nat.  lat.  9385  :  visio  quaedam  quam  heatus  Bernhar- 
dusponit;  —  9386  :  Bernhardisancti  ;  —  fr.  6273  :  comme  dit 
saint  Bernard;  —  ChaniiWx :  Sanctus  Bernardus. 

II,  La  benoite  Vierge  Marie  moustre  à  son  fds  ses  mamelles 
dont  elle  le  a  allaittie. 

Bibl.  Nat.  lat.  9383  :  Bernardus  super  Cantica  ;  —  9386  : 
Bernard;  — fr.  6273  :  comme  dit  saint  Bernard  ; — Chantilly: 
Sanctus  Bernardus. 

Même  attribution  dans  \e  Spéculum  heatae  Mariae  Virginis, 
qui  est,  comme  on   l'a  vu  plus  haut  -,  une  sorte  de  mosaïque 

1.  Cette  rubrique  française  est  empruntée  au  nis.  fr.  6275  de  la  Bibl.  Natio- 
nale (Le  miroir  deVhumaine  salvation,  version  de  Jean  Miélot). 

2.  Supra,  p.    15. 


2u0  APPENDICE 

composée  avec  des  textes  empruntés  surtout  à  saint  Bernard  : 
Maria  infer  hominem  injiistum  et  Deum  jusfum  est  optima 
mediatrix,  optima  irae  Dei  refrigeratrix.  Testatur  heatus 
Bernardus  dicens  :  «  Securum  jam  habet  homo  accessum  ad 
Deum.  ubi  mediatorem  causae  suae  Filium  habet  ante  Patrem, 
et  ante  FiUum  matrem.  Filius  nudato  corpore  Patri  ostendit 
latus  et  vulnera,  Maria  Filio  pectus  et  ubera.  Non  potest 
ullo  modo  fîeri  repuisa,  ubi  concurrunt  et  pérorant  tanta 
caritatis  insig-nia  >•  '. 

Même  attribution  dans  Molanus  :  Imago  Deiparae  ostenden- 
tis  Filio  siio  iihera  desumpta  est  verbis  S.  Bernardi,  quae  ex 
sermonibus  ejus  fréquenter  citari  solet  :  «  0  homo,  securum 
habes  accessum  ad  Deum,  ubi  Mater  ante  Filium,  Filius  ante 
Patrem.  Mater  ostendit  Filio  pectus  et  ubera,  Filius  ostendit 
Patri  latus  et  vulnera  :  ibi  non  potest  esse  ulla  repuisa,  ubi 
tôt  sunt  caritatis  insignia.  »  Verum,  sicut  Jigurate  intelligo 
verba  Bernardi,  sic  imaginem  ex  eis  verbis  desumptam  intel- 
ligendam  arhitror  '-. 

Molanus  est  un  «  auteur  grave  ».  Je  croyais  trouver  dans 
les  sermons  de  saint  Bernard  cette  citation  en  prose  rimée  que 
Molanus,  le  Spéculum  beatae  Mariae  et  les  rubriques  du 
Spéculum  s'accordent  à  lui  attribuer.  A  priori,  l'attribution 
paraissait  vraisemblable  :  de  tous  les  docteurs  du  moyen  âge, 
celui  qui  a  le  plus  poétiquement  rêvé  de  la  Vierge  et  le  mieux 
parlé  d'elle,  est  notre  Bernard.  Du  reste,  le  seul  érudit  ^  qui 
eût  touché  k  la  question  avait  admis  sans  contestation  l'opi- 
nion traditionnelle,  qui  fait  remonter  à  saint  Bernard  le  thème 
dont  nous  parlons. 

Une  chose  cependant  aurait  dû  me  mettre  en  défiance  : 
c'est  que  le  passage  cité  par  Molanus  sous  le  nom  de  saint 
Bernard  est  en  prose  rimée.  et  que  les  sermons  authentiques 
de  ce  Père  sont  écrits  en  prose  ordinaire. 

1.  S.  Bonaventurœ  opéra,  éd.  de  Lyon,  1668,  t.  VI,  p.  447.  Les  mancheltes 
de  cette  édition  donnent,  avec  une  exactitude  admirable,  les  références  des 
innombrables  citations  qui  composent  le  Spéculum.  Mais,  pour  la  citation  en 
question,  il  n"v  a  pas  de  référence  :  sans  doute  l'éditeur  l'avait  cherchée 
en  vain  dans  saint  Bernard. 

2.  De  hisloria  sacraruni  iinaçfinum,  II,  31 . 

3.  Schreiber,  Manuel  de  laç/ravure  au  XV'  siècle,  t.  I,  p.  168  :  ■■  Sur  maintes 
représentations  du  Juj^ement  Dernier  au  xv  siècle),  la  A'ierg:e  découvre  sa 
poitrine  pour  rappeler  à  son  Fils  que  c'est  un  sein  de  femme  qui  la  nourri  et 
pour  lui  dire  en  quelque  sorte  par  cela  d'être  abondant  en  grâce  'idée  de  saint 
Bernard    », 


LA    VIERGE    QUI    MONTRÉ    SON    SEIN  2o  I 

En  réalité,  Molanus  et  les  rubriques  du  Spéculum 
m'avaient  eng'agé  sur  une  mauvaise  piste.  J'ai  cherché  vai- 
nement le  texte  en  question  dans  les  œuvres  de  saint  Bernard, 
J'ai  parcouru,  sans  plus  de  succès,  la  vaste  collection  d'apo- 
cryphes que  le  moyen  âge  attribuait   au  docteur  «  Melliflu.  » 

J'en  étais  là  de  mes  recherches  quand  la  g-ravure  d'Egbert 
Van  Panderem,  dont  il  a  été  question  plus  haut,  ma  fait  les 
diriger  d'un  autre  coté.  Cette  gravure  porte  la  légende  sui- 
vante :  Mariam  vere  Dei  matrem  agnoscimus  pro  génère 
nostro  praesentissime  intcrcedentem  :  ita  ut  Dominus  noster 
salutem  cHsfjcnsef,  illa  vero  eani  materno  affectu  pro  nohis 
poscaf.  Ostendit  Mater  Filio  pectus  et  ubera  ;  Filius  Patri 
latus  et  vulnera.  Et  quomodo  poterit  ihi  esse  ulla  repuisa, 
ubi  tôt  sunt  caritatis  insignia  ?  [S.  Germanus  episcopus  Cons- 
tantin.). On  reconnaît,  à  la  lin  de  ce  morceau,  le  texte  même 
du  Spéculum  et  de  la  citation  attribuée  par  Molanus  à  saint 
Bernard. 

Le  Père  de  l'Eglise  auquel  l'attribue  la  gravure  de  Van 
Panderem  est  saint  Germanos  I,  patriarche  de  Constantinople, 
mort  en  733,  qui  défendit  contre  les  iconoclastes  le  culte  des 
images,  ce  qui  lui  vaut  d'être  représenté  portant  une  icône  de 
la  Théotocos  '  ;  mais  pas  plus  dans  les  œuvres  de  saint 
Germanos  que  dans  celles  de  saint  Bernard  ne  se  trouve  le 
passage  en  question.  Molanus  n'avait  pas  pris  la  peine  de 
vérifier  l'attribution  traditionnelle,  tant  elle  lui  semblait  hors 
de  contestation  ;  il  est  croyable  que  le  théologien  qui  fit  la 
légende  de  la  gravure  de  Van  Panderem  a  cherché  la  citation 
dans  saint  Bernard  et  que,  ne  l'ayant  pas  trouvée,  il  s'est  tiré 
d'affaire  en  renvoyant  les  curieux  à  un  Père  connu  par  sa 
dévotion  à  la  Vierge,  mais  qu'ils  n'iraient  pas  lire,  puisqu'il 
avait  écrit  en  grec  ;  d'ailleurs,  comme  les  ouvrages  de  Germa- 
nos avaient  été  brûlés  par  ordre  de  Léon  l'iconoclaste  ',  il 
restait  toujours  la  ressource  de  dire  que  le  passage  en  ques- 
tion se  trouvait  dans  un  des  ouvrages  perdus. 

En  réalité,  il  est  pris,  avec  quelques  changements,  du  début 
du  De  laudihus  B.  Mariae  Virginis,  d'Arnaud  (ou  Ernaud)  de 
Chartres'^,    abbé    de    Bonneval    en    1138,    mort    en    1156   : 

1.  Cahier,  II,  p.  484.  Cf.  Acta  SS.,  mai  III,  p.  156.  Ilipp.  Marracci  a  publié 
un  S.  Germani  patriarchae  Constant.  Mariale,  que  je  nai  point  vu.  Les  écrits 
de  Germanos  dans  Migne,  P.  G.,    XCN'III. 

2.  Ki'umbacher,  Gesch.  der  Byz.  LUI.,  2"  éd.,  p.  66. 

3.  Chevalier,  Bio-hihlioçfraphie,  nouvelle  éd.,  II,  p.  310;  P.  t.,  CLXXXIX, 


252 


APPENDICE 


Securum  accessum  jam  hahet  homo  ad  Deum,  iihi  mediato- 
rem  causas  suae  Filium  hahet  anle  Patrern^  et  ante  Filiiim 
matrem.  Christus,  nudato  latere^  Patrl  ostcndit  latus  et 
vulnera,  Maria  Christo  pecius  et  uhera.  Nec  potest  ullo  modo 
esse  repuisa  ubi  concurrunt  et  orant  omni  lingua  disertius 
haec  clementiae  monunienta  et  caritatis  insigniaK 

Je  ne  crois  pas  qu'il  faille  remonter  plus  haut  :  la  prose 
rimée  paraît  bien  indiquer  un  écrivain  du  temps  d'Honorius 
d'Autun  ;  et  le  passage  en  question  est  cité,  sous  le  nom 
d'Arnaud  de  Chartres,  par  saint  Alphonse  de  Lig-uori,  dans 
ses  Gloires  de  Marie,  paraphrase  du  Salve  Regina,  ch.  ix. 
Cette  citation,  d'ailleurs,  paraît  de  celles  que  les  auteurs  de 
livres  édifiants  se  transmettent  les  uns  aux  autres  :  je  la 
retrouve  dans  la  Mère  de  Dieu  et  la  Mère  des  hommes,  du 
P.  Terrien  -. 

J507;  Mabillon  dans  P.  L.,  CLXXXII,  513,  n.  .s2j  et  dans  Annales  Ord. 
S.  Benedicii,  t.  Vl,  p.  351  éd.  de  Lucques,  où  le  savant  bénédictin  fait  cette 
remarque,  qui  n'est  pas  sans  rapport  avec  la  fausse  attriliution  que  nous 
relevons  :  Ernalduni,  qnem  alii  Arnalduni  seii  Arnoldnni,  nonnulli  perperani 
Bernardum  vacant. 

1.  Migne,  P.  L.,  GLXXXIX,  1725. 

2.  T.  III,  p.  422  :  «  Beaucoup  d'auteurs  ont  parlé  de  la  puissance  que  donne 
à  la  prière  de  Marie  le  mérite  de  sa  maternité.  Aucun  peut-être  ne  l'a  fait 
plus  heureusement  qu'Arnaud  de  Bonneval,  dans  ce  te.xte  que  nous  avons 
déjà  rapporté  :  »  Le  Fils  montre  au  Père  son  côté  entr'ouvert  et  ses  blessures, 
la  Mère  présente  au  Fils  les  mamelles  qui  l'ont  nourri,  le  sein  qui  l'a  porté...  » 
Le  sein  qui  l'a  porté  !  Cette  traduction  du  mot  pectus  est  vraiment  libre,  à 
tous  égards. 


GORRIGENDA 


Page  13,  note  1,  ligne  1  :  lire  Thésaurus  hymnoloijiciis  au  lieu  de  Thesau- 
rum  hymnologicuni.  —  P.  47,  n.  2,  1.  11  :  lire  t.  au  lieu  de  éd.  —  P.  51  :  au 
lieu  de  12,  lire  2.  —  P.  52,  n°  1, 1.  4  :  au  lieu  de  ch.  xi,  lire  eh.  xii.  —  P.  65, 
1.  32  :  agenouillées.  —  P.  69,  1.  10  :  devaient  être  couchés.  — P.  74,  1.  33  :  par 
testament.  —  P.  91,  n.  2,  1.  1  :  lire  Jean  au  lieu  de  Jules.  —  P.  92,  n.  2,  1.  3  : 
lire  1394  au  lieu  de  1494.  — P.  99,  n"  1,1.  3  :  lire  p.  94.— Même  page,n''  2,1.22  : 
lire  anticorth.  —  P.  106,  1.  19  :  lire  1 176.  —  P.  130,  n.  4,  1.  3  :  lire  Romae.  — 
P.  131,  n.  1,  1.  23:  lire  Quétif  et  Echard.  — P.  134,  I.  18  :  lire  nimbe.  —  P.  141, 
n.  1, 1.  2  :  lire  wunden.  —  P.  143,  1.  29  :  lire  Piero.  — P.  138,  1.  19:  lire  Pergens- 
torfer.  —  P.  160,  n"  3,  1.  10  :  lire  11481-11487.  —  P.  169,  n"  44,  1.  5,  supprimer 
p.  devant  Cicérone.  —  P.  177,  1.  43  :  lire  grands.  —  P.  180,  n°  74,  1.  4  :  lire 
donnée  ;  n»  76,  1.  3  :  lire  Pfeiffer.  —  P.  1S9,  1.  1  :  lire  Mûnsterbliitter. 


TABLE  DES  MATIERES 


Avertissement vu 

Introduction 1 

CHAPITRE   1" 
LA  CROYANCE  A  LA  MISÉRICORDE  DE  MARIE 

Cette  croyance  n'est  pas  très  ancienne  en  Occident.  —  Le  texte 
d'Irénée  sur  Maria  advocata  ;  la  fresque  du  cimetière  Ostrien.  — 
Le  récit  des  noces  de  Cana,  fondement  scripturaire  de  la 
croyance  à  la  miséricorde  de  Marie.  —  Origine  orientale  du  Suh 
tuum  praesidium.  —  Saint  Anselme.  —  Le  Salve  Regina  niiseri- 
cordiae. —  Les  sermons  de  saint  Bernard  pour  l'octave  de  l'As- 
somption. —  Les  Cistei'ciens  et  la  mariolàtrie. 7 

CHAPITRE  H 

LE  THÈME  DE  LA  VIERGE  AU   MANTEAU  PROTECTEUR 

EST  D'ORIGINE  CISTERCIENNE 

Ce  thème  est  inconnu  à  l'art  d'Orient  et,  avant  le  xiii"  siècle,  à  l'art 
d'Occident. —  Il  a  sa  source  dans  une  légende  Cistercienne,  rap- 
portée par  Césaire  d'Heisterbach.  —  Li;  symbolisme  du  manteau. 
—  Succès  du  thème  parmi  les  Cisterciens 18 


Catalogue 


CHAPITRE  III 

LES  AUTRES  ORDRES  EMPRUNTENT  AUX  CISTERCIENS 
LE  THÈME  DU  MANTEAU  PROTECTEUR. 

Pauvreté  d'invention  de  l'imagination  populaire.  —  Pauvreté  delà 
légende  de  saint  Dominique.  —  La  vision  de  la  Vierge  au  man- 
teau protecteur  dérobée  aux  Cisterciens  par  les  Dominicains  dès 
la  première  moitié  du  xni«  siècle  :  vision  de  la  recluse,  vision  de 
saint  Dominique.  — La  vision  de  la  Vierge  au  manteau  protec- 
teur et  l'imagination  monastique.  —  Les  autres  Ordres,  à 
l'exemple  des  Dominicains,  se  réfugient  sous  le  manteau  de 
Marie.  —  La  dévotion  du  «  Manteau  de  Notre-Dame  » 30 

Catalogue 50 


256  TABLE    DES    .MATIÈIŒS 

CHAPITRE  IV 
LA  VIERGE  AU  MANTEAU  ET  LES  CONFRÉRIES 

Fondation  des  Confréries  au  xiii^  s.,  sous  linfluence  des  Ordres 
mendiants;  le  Tiers-ordi-e  franciscain.  —  Flagellants  et  Péni- 
tents. —  Saint  Bonaventure  et  la  Confrérie  romaine  des  Recom- 
manclnti  Virgini.  —  Dévotion  des  Confréries  pour  la  Mère  de 
Miséricorde.  —  La  Vierge  au  manteau  protecteur  figurée  sur  les 
retables,  les  ijannières  et  les  enseignes  des  Confréries.  —  Les 
Misericordie  d'Italie,  les  Scwo/e  de  Venise,  les  Pénitents  de  Pro- 
vence, les  Charités  de  Normandie.  —  La  Confrérie  de  Saint- 
Nicolas-des-Clercs  à  Toul, 59 


Catalogue . 


CHAPITRE   V 

LA  VIERGE  DE  MISÉRICORDE  ET  LES  CONFRÉRIES 
DU  ROSAIRE 

La  dévotion  du  Rosaii'e  inventée  vers  1470  par  le  Dominicain 
breton  Alain  de  la  Roche,  et  lancée  à  la  fin  du  xv"  siècle  par 
l'Ordre  des  Prêcheurs.  —  La  Confrérie  de  Cologne,  la  première 
en  date  des  Confréries  du  Rosaire.  —  Le  retable  de  cette  Con- 
frérie. —  Pourquoi  la  Vierge  au  Rosaire  a-t-elle  été  figurée  d'oi'- 
dinaire,  jusqu'à  la  fin  du  xv!""  siècle,  en  Mater  omnium  ?  —  Des- 
cri[)tion  d'une  curieuse  gravure  incunable 89 

Catalogue 99 

CHAPITRE  VI 
LE   SPECULUM  HUMAXAE  SALVATIONIS 

Vogue  immense  de  ce  livre  à  images,  du  xiv^  siècle  au  xvi^.  —  Son 
influence  iconographique.  —  Son  origine  Dominicaine.  —  La 
Vierge  au  manteau  protecteur,  Tune  des  illustrations  tradition- 
nelles du  S.H.S.  —  Le  S.H.S.  a  dû  contribuer  à  la  diffusion  de 
ce   thème  figuré 103 

CHAPITRE    VII 
LES   FLÈCHES    DE    LA    COLÈRE    DIVINE 

La  peste,  pour  le  folklore,  est  produite  par  des  flèches  invisibles  : 
traces  de  cette  croyance  chez  les  Grecs  anciens,  les  Musulmans, 
les  Germains,  dans  la  Rome  chrétienne  du  vi''  siècle,  dans  la 
dévotion  de  saint  Sébastien.  —  Les  flèches  de  la  peste  arrêtées 
par   le    manteau     protecteur   de   saint    Sébastien     (fresque    de 


TABLE    DES    MATIÈRES  257 

S.  Gimignano)  ou  de  Marie  (bannières  ombi-iennes,  peintures  ita- 
liennes et  allemandes).  —  Ce  thème  date  du  xv<=  siècle  et  semble 
se  rattacher  à  la  prédication  de  saint  Bernardin  de  Sienne.  —  Il 
a  été  abandonné   au  xvi®,  comme  entaché  de  superstition 107 

Catalogue 123 

CHAPITRE  YIII 

.  .  LE  THÈME  DES   TROIS  FLÈCHES 

Les  trois  flèches  du  Dieu  de  vengeance  représentent  les  trois 
fléaux,  la  guerre,  la  famine  et  la  peste,  dont  Dieu  punit  les  trois 
concupiscences,  avarice,  orgueil  et  luxure.  —  Origine  scripturaire 
et  dominicaine  de  ce  thème:  vision  de  saint  Dominique,  explica- 
tion d'un  Peslhlatl  dominicain 128 

CHAPITRE  IX 
LA  VIERGE    DE   MISÉRICORDE    ET  LES   PESTES 

Les  pestes  du  moyen  âge.  — Leurs  conséquences  morales  et  reli- 
gieuses. —  Le  pathétique  et  le  macabre  à  partir  du  milieu  du 
xiv*^  siècle.  —  De  la  Vierge  de  Miséricorde  comme  recours 
contre  la  peste.  —  De  quelques-unes  de  ses  images  qui  furent 
vouées  en  temps  de  peste 137 

CHAPITRE  X 
LA  MA  TER  OMNIUM 

Le  type  de  la  Mater  omnium  conséquence  de  la  Grande  Peste.  — 
Dans  les  exemples  les  plus  anciens,  les  hommes  sont  à  droite  de 
la  Vierge,  les  femmes  à  gauche  ;  au  xv«  s.,  les  clercs  sont  à  droite, 
les  laïques  à  gauche.  —  Les  deux  mondes,  ecclésiastique  et 
laïque,  représentés  toujours  par  des  personnages  conventionnels. 
—  La  Mater  omnium  du  musée  du  Puy.  —  La  Vierge  de  Misé- 
ricorde sur  les  monuments  des  familles 150 

Catalogue 160 

CHAPITRE  XI 

REMARQUES  GÉNÉRALES  SUR  LES  REPRÉSENTATIONS 
DE  LA  VIERGE  AU  MANTEAU 

La  Vierge  au  manteau  et  lEnfant  ;  influence,  à  Venise,  du  type 
byzantin  de  la  Plati/léra.  —  Les  acolytes  de  la  Vierge  au  man- 
teau :  Anges  et  Saints.  —  Les  insignes  royaux  :  la  couronne,  le 
manteau  d'hermine,  le  sceptre.  —  Différence  de  taille  entre  la 
Vierge  et  les  priants.  —  Raisons  de  l'oubli  oîi  est  tombé  le  type 
de  la  Vierge  au  manteau 194 


238 


TAULE    DES    MATIERES 


CHAPITRE  XII 


DE  QUELQUES   REPRESENTATIONS   SINGULIERES 
DE  LA  VIERGE  DE  MISÉRICORDE 

La  Vierge  de  Miséricorde  et  les  Vierges  Saintes.  —  La  Vierge 
de  Miséricorde  et  les  sept  Vertus.  —  La  Vierge  de  Miséri- 
corde et  les  sept  Péchés.  —  La  Vierge  de  Miséricorde  et  les 
Anges  Gardiens.  —  La  Vierge  de  Miséricorde  et  le  Démon 20b 


CHAPITRE    XIII 

LES  SAINTS  ET  SAINTES  EMPRUNTENT  A  LA  VIERGE 
LE   MANTEAU    DE    PROTECTION 

Dévotions  d'imitation.  —  Les  Saints  et  les  Saintes,  à  l'imitation 
de  la  Vierge,  s'attribuent  le  manteau  protecteur.  —  A  quelle 
date  et  dans  quelle  région  a-t-oii  imaginé  den  faire  la  caracté- 
ristique de  sainte  Ursule  ? 220 

Catalogue 223 


APPENDICE 

COMMENT   LE  MOYEN  AGE  A   FIGURÉ  L'INTERCESSION  DE 
LA  VIERGE 

Saint   Bernard  et    la    croyance  en  l'intercession  de  Marie  —  La 
Vierge    d'Intercession,   pour    apitoyer    soit    Dieu   le  Père,  soit 
Jésus,  répète  le  geste  d'Hécube.  — Histoire  de  ce  geste,  depuis 
le  Spéculum   humanae  sahalionis  jusqu'à  Rubens.  —   L'origine 
du  thème  se  trouve  dans  un  sermon  d'Arnaud  de  Bonneval.  . . .     237 

Corrigenda 2.53 

Table  des  matières 235 

Table  des  planches 2o9 

Figures  dans  le  texte 260 


TABLE    DES    PLANCHES 


Pages 

I.  Vierge  de  Mansuy  Gauvain .      Frontispice 

II.  Sceaux  Cisterciens 27 

III.  Tableau  du  Vatican,  tableau  de  Cherbourg 29 

IV.  La  Vierge    de    Miséricorde  et  les  Ordres  religieux  (gra- 

vures)   45 

V.  Idem   I  tableaux) 47 

VI.   Frontispice  du  catéchisme    des  Prémontrés ;Jl 

VII.   Broderie  de  Marseille,  reliquaire  d'Arezzo ;'>8 

VIII.  Cercueil  siennois,  fresque  de  Pai'me 67 

IX.  Maison  de  la  Miséricorde  d'Arezzo,  chapelle  de  la  Miséri- 
corde d'Ancône 69 

X.   Vierges  de  scuole  vénitiennes 85 

XI.   Fi'esque  de  Saint-Céneri,  fres(|ue  de  Vieux-Thann 87 

XII.  Charte  de  la  confrérie  de Saint-Nicolas-des-Clercs  à  Toul.  89 

XIII.  La  Vierge  de  Miséricorde  et  le  rosaire 95 

XIV.  Peslblatfer Dominicains 101 

XV.  La  Vierge  de  Miséricorde  et  le  Specaluiu  humanae  salva- 

tionis 107 

XVI.  Fresque  de  saint  Sébastien  à  S.  Gemignano 113 

XVII.  Bannière  de  S.  Francesco,  à  Pérouse 117 

XVIII.  Panneau  d'Aversa 119 

XIX.  Tableau  de  Cranach  le  Vieux,  miniature  d'un  Spiegel  der 

menschlichen  Behaltniss 129 

XX.  Tableau  du  Musée  historique  lorrain 147 

XXI.  Tableaux  français  du  musée  du  Puy  et  du  musée  Condé.  157 

XXII.  Retables  d'Arezzo  et  du  musée  Poldi-Pezzoli 163 

XXIII.  Reliefs  d'Arezzo  et  du  cimetière  de  Saint-Innocent 179 

XXIV.  Relief  de  Gy,  châsse  d'Albi. .  .  . , 183 

XXV.  Vierge  de  Mouterhausen 187 

XXVI.  Vierges  allemandes  (statues) 189 

XXVII.  Miniature  italienne,  panneau  de  Teruel 211 

XXVIII.  Tableaux  de  KIosterneuboursr  et  de  Montefalco 219 


260  TAI5LF.    DES    PLANCHES 

Pages 

XXIX.  Saintes  au  manteau  protecteur  fgravures) 223 

XXX.  Tableau  de  Gœttingue,  tableau  de  V.  Lopez 229 

XXXI.  Retable  de  Lagnieu 237 


FIGURES  D.VNS  LE  TEXTE 


1.  Eresque  dAtella 119 

2.  Gravure  du  Mortiloffus 149 

.3.  La  Vierge  d'Anspach 191 

4.  La  Vierge  de  Marienbourg- 206 


M.VIXiN,  fltOTAT    FIU:RBS,  IMPRIMElll!^ 


Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

Éciiéance 


Library 

University  of  Ottawa 

Date  Due 


a29003     00  1^0^^2b 

00601     28-01     -4 


C    E 


D    5    .84    V101     1908 
PERDRI2ET-I    PfiUL    FREDER 
VIERGE    DE    PIISERICORDE. 


/ 


CE  D    C005 
.64  VlCl  19C8 
CCC   FERCRIZET, 
/\CC#  1C53461 


f  VIERGE  CE  M