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.L. FORM NO. 609: 3:tS,28: 300M.
CAUTION
Do not Write in this book or mark it with
pen or pencil. Penalties are imposed by the
Revised Laws of the Commonwealth of Mas-
sachusetts, Chapter 208, Section 83.
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LÉON DENIS
LA VÉRITÉ
SUR
JEANNE D'ARC
Réfutation des théories d'Anatole France,
Thalamas, H. Bérenger, etc.
Réhabilitation de la pucelle d'Orléans.
PARIS
LIBRAIRIE PAUL LEYMARIE *? 4 ^ 5
42, RUE SAINT-JACQUES, 4?-
1910
LA VÉRITÉ SLR JEANNE D'ARC
DU MÊME AUTEUR
(Même librairie)
Après la Mort : Exposé de la doctrine des Esprits.
Solution rationnelle et scientifique des problèmes
de la vie et de la mort. Un vol. in- 12, de 436 pages
(2.5^ mille) 2 5o
Alexandre Hepp, le distingué chroniqueur parisien,
écrivait dans le Journal du 26 janvier 1899 :
« Il est un homme gui a écrit le plus beau, le plus
noble, le plus précieux livre que faie lu Jamais. Il a nom
Léon Denis et son livre : « Après la Mort ». Lisez-le y
et une grande pitié, mais libératrice et féconde, vous vien-
dra brusquement de nos manifestations de regrets, de
notre peur de la mort et de notre grand deuil de ceux
que nous croyons perdus. »
Christianisme et Spiritisme. Les vicissitudes de l'É-
vangile ; la doctrine secrète du Christianisme ; re-
lations avec les esprits des morts ; la nouvelle
révélation. Un vol. in-12 {7* nâille) ... 2 5o
Dans rinvisible, Spiritisme et Médiumnité. Traité
de spiritualisme expérimental ; les faits et les lois.
Un vol. in-12 (6^ mille) 2 5o
Le Problème de l'Être et de la Destinée. Études expé-
rimentales sur les aspects ignorés de l'être humain.
Les doubles personnalités ; la conscience profonde;
rénovation de la mémoire des vies antérieures.
Un vol. in-12 (6® mille) 2 5o
Pourquoi la Vie ? Ce que nous sommes ; d'où nous
venons ; où nous allons. Brochure de propagande,
in-18, de 4B pages (95* mille) o 10
LÉON DENIS
LA VÉRITÉ
SUR
JEANNE D'ARC
Réfutation des théories d'Anatole France,
Thalamas, H. Bérenger, etc.
Réhabilitation de la pucelle d'Orléans.
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PARIS
LIBRAIRIE PAUL LEYMARIE
42, RUE SAINT-.IAGOUES,- \9.
lUlO
INTRODUCTION
Jamais la mémoire de Jeanne d'Arc na été
r objet de controverses aussi ardentes^ aussi pas-
sionnées que celles qui s élèvent depuis plusieurs
années autour de cette grande figure du passé.
Tandis que d'une part, tout en l'exaltant, on
cherche à V accaparer et à renfermer sa per-
sonnalité dans le paradis catholique, d'un
autre côté, par une tactique tantôt brutale avec
MM. Thalamus et Henri Bérenger, tantôt habile
et savante^ et servie par un talent hors de pair
avec M. Anatole France, on s'efforce d^ amoin-
drir son prestige et de réduire sa mission aux
proportions d'un simple fait épisodique.
Où trouverons-nous la vérité sur le rôle de
Jeanne dans l'histoire? A notre avis, elle n'est
pas plus dans les rêveries mgstiques des hommes
de foi que dans les arguments terre à terre des
2 INTRODUCTION
critiques positivistes. Ni les uns ni les autres ne
semblent posséder le fil conducteur, qui permettra
de s'orienter, au milieu des faits qui composent
la trame de cette existence extraordinaire. Pour
pénétrer le mystère de Jeanne d'Arc, il nous
parait nécessaire d'étudier, de pratiquer longue-
ment les sciences psychiques ; il faut avoir sondé
les profondeurs de ce monde invisible, de cet
océan de vie qui nous enveloppe, dont nous sor-
tons tous à la naissance et où nous replongeons
à la mort.
Comment pourraient-ils comprendre Jeanne,
ces écrivains dont la pensée ne s'est jamais éle-
vée au-dessus du cercle des contingences ter^
restres, de l'horizon étroit d'un monde inférieur
et matériel, qui n'ont jamais abordé les perspec-
tives de l'Au-delà?
Depuis cinquante années, tout un ensemble
de faits, de manifestations, de découvertes,
apportent un jour nouveau sur ces vastes aspects
de la vie, pressentis de tout temps, mais sur les-
quels nous n'avions jusqu'ici que des données
vagues et incertaines. Grâce à une observation
attentive, à une expérimentation méthodique des
phénomènes psychiques, une science large et
puissante se constitue peu à peu.
L'univers nous apparaît comme un réservoir
de forces inconnues, d'énergies incalculables.
INTRODUCTION
Un infini vertigineux s'ouvre à la pensée^ infini
de réalités^ de formes^ de puissances vitales qui
échappaient à nos sens^ et dont certaines mani-
festations ont pu être mesurées avec une grande
précision, à l'aide d'appareils enregistreurs {]),
La notion du surnaturel s'écroule^ mais l'im-
mense nature voit reculer sans cesse les bornes
de son domaine, et la possibilité d'une vie orga-
nique invisible, plus riche, plus intense que celle
des humains, se révèle^ régie par des lois impo-
santes. Cette vie, dans bien des cas, se mêle à la
nôtre et l'influence en bien ou en mal.
La plupart des phénomènes du passé, affirmés
au nom de la foi, niés au nom de la raison,
peuvent désormais recevoir une explication lo-
gique, scientifique. Les faits extraordinaires qui
parsèment Vexislence de la Vierge cVOrléans,
sont de cet ordre. Leur étude, rendue plus facile
par la connaissance de phénomènes identiques,
observés, classés, enregistrés de nos jours, peut
seule nous expliquer la nature et l'intervention
des forces qui agissaient en elle, autour d'elle^
et orientèrent sa vie vers un noble but.
(1) V. Annales des Sciences psychiques, août, septembre et
novembre 1907 ; février 1909.
INTRODUCTION
Les historiens du dix-neuvième siècle : Miche-
lei, Wallon^ Quicherat, Henri Martin, Siméon
Luce, Joseph Fabre, Vallet de Viriville, La-
néry d'Arc, ont été d'accord pour exalter Jeanne,
pour voir en elle une héroïne de génie, une sorte
de messie national.
C'est seulement au vingtième siècle que la note
critique se fait entendre. Elle est parfois vio-
lente. M. Thalamus, professeur agrégé de V Uni-
versité, est- il allé jusqu'à traiter cette héroïne
de Ci ribaude », comme l'en accusent certaines
feuilles catholiques ? Lui-même s en défend.
Dans son ouvrage : Jeanne d'Arc ; l'histoire et
la légende {Paclot et O^, éditeurs), il ne sort pas
des limites d'une critique honnête et courtoise.
Son point de vue est celui des matérialistes :
(( Ce n est pas à nous, dit-il {p. M), qui consi-
dérons le génie comme une névrose, de reprocher
à Jeanne d'avoir objectivé en des saints lés voix
de sa propre conscience. »
Toutefois, dans ses conférences à travers la
France, il fut généralement plus tranchant,
A Tours, te 29 avril i90b, parlant sous les auS'
pices de la Ligue de r Enseignement, il nous
rappelait l'opinion du professeur Robin, de Cem-
INTRODUCTION 5
puis, un de ses maîtres, sur Jeanne d'Arc. Elle
n\ivait jamais existé, croyait-il, et son Iiistoire
n était qu'un mythe. M. Thalamas, un peu con-
traint peut-être, reconnaît bien la réalité de sa
vie, mais il s'attaque aux sources où ses pané-
gyristes ont puisé. Il s ingénie à rapetisser son
rôle, sans s'abaisser à l'injurier. Elle n'aurait
rien fait par elle-même ou bien peu de chose. Par
exemple, ce sont les Orléanais qui ont eu le mé-
rite de leur délivrance.
Henri Bérenger et d'autres écrivains ont
abondé dans le même sens, et renseignement
officiel lui-même a semblé s'imprégner de leurs
vues, en une certaine mesure. Dans les manuels
des écoles primaires, on a éliminé de Vhistoire
de Jeanne tout ce qui avait une couleur spiri-
tualiste . Il ny est plus question de ses voix ;
c'est toujours « la voix de sa conscience » qui la
guide. La différence est sensible.
Anatole France, dans ses deux volumes,
œuvre d'art et d'intelligence, ne va pas aussi
loin. Il ne peut s' empêcher de reconnaître la réa-
lité de ses visions et de ses voix. Élève de
l'Ecole des Chartes, il est trop documenté pour
oser nier Vévidence. Son ouvrage est une re-
constitution fidèle de l'époque. La physionomie
des villes, des paysages et des hommes du temps
y est peinte de main de maître, avec une habileté.
INTRODUCTION
une finesse de touche qui rappellent Renan. Pour-
tant cette lecture nous laisse froids et déçus. Ses
jugements sont parfois faussés par l'esprit de
parti, et, chose plus grave, on sent percer à tra-
vers ses pages une ironie subtile et pénétrante,
qui n est plus de l'histoire.
En réalité, le juge impartial doit constater
que Jeanne j exaltée par les catholiques, est ra-
baissée par les libres penseurs bien moins par
haine, que par esprit de contradiction et d^oppo-
sition envers les premiers. U héroïne, tiraillée
dans les deux sens, devient ainsi une sorte de
jouet entre les mains des partis. Il y a excès
dans les appréciations des uns et des autres, et
la vérité, comme presque toujours, est entre les
deux extrêmes.
Le point capital de la question, cest r exis-
tence de forces occultes que les matérialistes
ignorent, de puissances invisibles, non pas sur-
naturelles et miraculeuses, comme ils le pré-
tendent, mais appartenant à des domaines de la
nature quils n'ont pas encore explorés. De là,
leur impuissance à comprendre l'œuvre de Jeanne,
et les moyens à l'aide desquels il lui fut possible
de la réaliser.
Ils n'ont pas su mesurer Vimmensité des obs-
tacles qui se dressaient devant Vhéroïne. Pauvre
enfant de dix-huit ans, fdle d'humbles paysans,
INTRODUCTION
sans instriiciion, ne sachant ni A ni B, dit ta
Chronique, elle a contre elle sa propre famille,
l'opinion publique, tout le monde !
Oueut-elle fait sans cette inspiration, sans
cette vision de F Au-delà qui la soutenaient ?
Représentez-vous celle fdle des champs en pré-
sence des grands seigneurs, des grandes dames
et des prélats.
A la cour, dans les camps, partout, simple
roturière, venue du fond des campagnes, igno-
rante des choses de la guerre, avec son accent
défectueux, elle doit affronter les préjugés de
rang et de naissance, Vorgueil de caste, puis,
plus tard, les railleries, les brutalités des
hommes de guerre, habitués à mépriser la femme
et ne pouvant admettre quune femme les com-
mande et les dirige. Ajoutez à cela la méfiance
des hommes d'église, qui, à cette époque, voient
dans tout ce qui est anormal f intervention du
démon ; ils ne lui pardonneront pas d'agir en
dehors d'eux, de leur autorité, et ce sera là sur-
tout la cause de sa perte.
Imaginez la curiosité malsaine de tous, et par-
ticulièrement des soudards, au milieu desquels,
vierge sans tache, il lui faut vivre constamment,
endurer les fatigues, les pénibles chevauchées,
le poids écrasant d'une armure de fer, coucher
sur la dure y sous la tente, les longues nuits du
o INTRODUCTION
camp, avec les soucis, les préoccupations acca-
blantes de sa tâche ardue.
Pendant sa courte carrière, elle surmontera
tous ces obstacles, et, d'un peuple divisé, déchiré
par mille factions, démoralisé, exténué par la
famine, la peste et toutes les misères d'une guerre
qui dure depuis près de cent ans, elle fera une
nation victorieuse.
Voilà ce que des écrivains de talent, mais
aveugles, affligés d'une cécité psychique et morale
qui est la pire des infirmités intellectuelles, ont
cherché à expliquer par des moyens purement
matériels et terrestres. Pauvres explications,
pauvres arguties boiteuses qui ne résistent pas à
l'examen des faits ! Pauvres âmes myopes, âmes
de nuit que les lumières de F Au-delà éblouissent
et troublent! C'est à elles que s'applique la pa-
role d'un penseur : Ce qu'elles savent n est qu'un
néant, et, avec ce qu elles ignorent, on créerait
r univers !
Il est une chose déplorable : certains critiques
de notre temps éprouvent le besoin de rabaisser,
d'amoindrir, d'éteindre avec frénésie tout ce qui
est grand, tout ce qui s'élève au-dessus de leur
incapacité morale. Partout où un foyer brille,
où une flamme s'allume, vous les voyez accourir
et verser un déluge d'eau glacée sur ce rayon,
sur ce flambeau.
INTRODUCTION
Ah ! comme Jeanne, dans son ignorance des
choses humaines, mais dans sa profonde vision
psychique, leur donne une magnifique leçon par
ces paroles, quelle adressait aux examinateurs
de Poitiers, et qui s'appliquent si bien aux scep-
tiques modernes, aux petits beaux esprits de
notre temps :
a Je lis dans un livre où il y a plus de choses
que dans les vôtres ! »
Apprenez à y lire aussi. Messieurs les contra-
dicteurs, et à connaître ces problèmes ; ensuite,
vous pourrez parler avec un peu plus d'autorité
de Jeanne et de son œuvre.
A travers les grandes scènes de l'histoire, il
faut voir passer les âmes des nations, des héros.
Si vous savez les aimer, elles viendront à vous,
ces âmes, et elles vous inspireront. C'est le secret
du génie de F histoire. C^est ce qui a fait les
écrivains puissants, comme Michelet, Henri Mar-
tin et d'autres. Ils ont compris le génie des races
et des temps, et le souffle de V Au-delà court dans
leurs pages. Les autres, Anatole France, La-
visse et ses collaborateurs, restent secs et froids,
malgré leur talent, parce quils ne savent ni ne
comprennent la communion éternelle, qui féconde
rame par rame. Cette communion reste le secret
des grands artistes, des penseurs et des poètes. En
dehors d'elle, il n^est pas d'œuvre impérissable.
1.
10 INTRODUCTION
Une source abondante d'inspiration découle
du monde invisible sur Vhumanité. Des liens
étroits subsistent entre les hommes et les dispa-
rus. Toutes les âmes sont unies par des fils mys-
térieux, et, dès ici-bas, les plus sensibles vibrent
sous le rythme de la vie universelle. Tel fut le
cas de notre héroïne.
La critique peut s'attaquer à sa mémoire : ses
efforts seront vains. L'existence de la Vierge lor^
raine, comme celles de tous les grands prédesti-
nés, est burinée sur le granit éternel de l'his-
toire ; rien nen saurait affaiblir les traits. Elle
est de celles qui montrent avec le plus d'évi-
dence, à travers le flot tumultueux des événe^
ments, la main souveraine qui mène le monde.
Pour saisir le sens de cette vie, pour com-
prendre la puissance qui la dirige, il faut s'éle-
ver jusqu'à la loi supérieure, immanente, qui
préside à la destinée des nations. Plus haut que
les contingences terrestres, au-dessus de la con-
fusion des faits produits par la liberté humaine,
il faut voir l'action d'une volonté infaillible qui
surmonte la résistance des volontés particulières,
des actes individuels, et sait faire aboutir l'œuvre
quelle poursuit. Au lieu de se perdre dans le
^ INTRODUCTION 11
chaos des faits, il faut en embrasser Vensemble^
en saisir le lien caché. Alors apparaît la trame,
r enchaînement qui les unit ; leur harmonie se
révèle, tandis que leurs contradictions s'effacent
et se fondent en un vaste plan. L'on comprend
qu'il existe une énergie latente, invisible, qui
rayonne sur les êtres et, tout en laissant à cha-
cun une certaine somme d'initiative, les enve^
loppe et les entraîne tous vers un même but.
C'est (ians le juste équilibre de la liberté indi-
viduelle et de l'autorité de la loi suprême, que
s'expliquent et se concilient les incohérences
apparentes de la vie et de l'histoire, tandis que
leur sens profond et leur finalité se révèlent à
celui qui sait pénétrer la nature intime des
choses. En dehors de cette action souveraine, il
n'y aurait que désordre et chaos dans la variété
infinie des efforts, des élans individuels, en un
mot dans toute l'œuvre humaine.
De Domremy à Reims, cette action est évidente
dans l'épopée de la Pucelle. Cesl qu'alors la
volonté des hommes s'associe dans une large
mesure aux fins poursuivies d'en haut. A partir
du sacre, l'ingratitude, la méchanceté, les intri-
gues des courtisans et des clercs, le mauvais vou-
loir du roi reprennent le dessus. Suivant l'expres-
sion de Jeanne, « les hommes se refusent à Dieu »,
Uégoïsme, le dérèglement, la rapacité feront
12 INTRODUCTION
obstacle à Vaclion divine^ servie par Jeanne et
ses invisibles soutiens. L'œuvre de délivrance
deviendra plus incertaine, parsemée de vicissi-
tudes^ de reculs et de revers. Elle ne s'en pour-
suivra pas moins, mais il faudra, pour son accom-
plissement, un plus grand nombre d'années et de
plus pénibles labeurs.
C'est, nous l'avons dit, uniquement au point
de vue d'une science nouvelle que nous entrepre-
nons ce travail. Nous tenons à le répéter, afin
qu'ion ne se méprenne pas sur nos intentions. En
cherchant à faire un peu de lumière sur la vie
de Jeanne d'Arc, nous n^obéissons à aucun mo-
bile intéressé, à aucun préjugé politique ou reli-
gieux ; nous nous plaçons aussi loin des anar-
chistes que des réactionnaires, à égale distance
des fanatiques aveugles et des incroyants.
C'est au nom de la vérité, de la beauté mo-
rale, c'est aussi par amour pour la patrie fran-
çaise^ que nous chercherons à dégager la noble
figure de la vierge inspirée, des ombres qu'on
s'efforce d^accumuler autour d'elle.
Sous prétexte d'analyse et de libre critique, il
y a, disions-nous, à notre époque, une tendance
profondément regrettable à dénigrer tout ce qui
INTRODUCTION 13
a fait l'admiration des siècles^ à altérer , à ter-
nir tout ce qui est exempt de tares et de souil-
lures.
Nous considérons comme un devoir^ celui qui
incombe à tout homme capable, par la plume ou
la parole^ d'exercer quelque influence autour de
lui^ de maintenir, de défendre, de rehausser
ce qui fait la grandeur de notre pays, tous les
nobles exemples qu^il a donnés au monde, toutes
les scènes de beauté qui enrichissent son passé
et rayonnent sur son histoire.
C'est une mauvaise action, presque un crime,
que de chercher à affaiblir le patrimoine moral,
la tradition historique d'un peuple. En effet,
n'est-ce pas là ce qui fait sa force aux heures
difficiles ? n est-ce pas là quil puise ses senti-
ments les plus virils au moment du danger? La
tradition d'un peuple, son histoire, cest la poé-
sie de sa vie, sa consolation dans l'épreuve, son
espérance dans Vavenir, Cest par les liens
quelle crée entre tous, que nous nous sentons
vraiment les enfants d^une même mère, les mem-
bres d'une patrie commune.
Aussi, faut-il rappeler souvent les grandes
soènes de notre histoire nationale et les mettre
en relief. Elle est pleine de leçons éclatantes,
riche d'enseignements puissants, et, en cela,peut-
êlre est-elle supérieure à celle des autres na-
14 INTRODUCTION
iions. Dès que nous explorons le passé de noire
race, partout^ dans tous les temps, nous voyons
se dresser de grandes ombres, et ces ombres
nous parlent, nous exhortent. Du fond des siècles,
des voix s^élèvent qui nous rappellent de grands
souvenirs, des souvenirs tels, que, s'ils étaient
toujours présents à notre esprit, ils suffiraient à
inspirer, à éclairer notre vie. Mais le vent du
scepticisme passe, l oubli, l indifférence se font ;
les préoccupations de la vie matérielle nous
absorbent^ et nous finissons par perdre de vue ce
qu'il y a de plus grande de plus éloquent dans
les témoignages du passé.
Parmi ces souvenirs^ il nen est pas de plus
louchant, de plus glorieux, que celui de cette
jeune fille extraordinaire, qui a illuminé la nuit
du moyen âge de son apparition radieuse, et
dont Henri Martin a pu dire : « Bien de pareil
ne s'est produit dans l'histoire du monde. »
Au nom du passé comme de l'avenir de notre
race, au nom de iœiivre qui lui reste à accom-
plir, efforçons-nous donc de conserver dans son
intégralité tout son héritage moral, et n'hésitons
pas à rectifier les faux jugements que certains
écrivains ont formulés, en des publications ré-
centes. Travaillons à rejeter de lame du peuple
le poison intellectuel qu'on chej^che à y répandre,
afin de garder à la France celte beauté et cette
INTRODUCTION
force qui la feront grande encore aux heures
de péril, afin de rendre au génie national tout
son prestige et son éclat^ affaiblis par tant de
théories malfaisantes et de sophismes.
Il faut reconnaître que dans le monde catho-
lique^ mieux que partout ailleurs, on a su rendre
à Jeanne de solennels hommages. Bans les mi-
lieux croyants, on la loue, on la glorifie, on lui
élève des statues, des basiliques. De leur côté,
les républicains libres penseurs songeaient na-
guère à fonder en son honneur une fête annuelle,
une fête nationale, qui eût été en même temps
celle du patriotisme. Mais, dans un camp comme
dans l'autre, on na guère réussi à comprendre
le véritable caractère de l'héroïne, à saisir le
sens de sa vie. Peu d'hommes ont su analyser
cette grande figure qui se dresse au-dessus des
temps, et surpasse les plus hautes conceptions
de Vépopée, cette figure qui nous parait plus
imposante, à mesure que nous nous éloignons
d'elle.
L^histoire de Jeanne est comme une mine iné-
puisable d'enseignements, dont on na pas me-
suré toute l'étendue, dont on n'a pas tiré tout le
parti désirable pour l'élévation des intelligences,
16 INTRODUCTION
pour la pénétration des lois supérieures de l'âme
et de F univers.
Il est^ dans cette vie, des profondeurs qui
peuvent donner le vertige aux esprits mal pré-
parés ; on y rencontre des faits susceptibles de
jeter F incertitude, la confusion, dans la pensée
de ceux qui n'ont pas les données nécessaires
pour résoudre ce problème grandiose. De là,
tant de discussions stériles^ tant de polémiques
vaines. Mais, pour celui qui a soulevé le voile du
monde invisible, la vie de Jeanne s'éclaire, s'illu-
mine. Tout en elle s'explique, se comprend.
Je parle de discussions. Voyez, en effet, parmi
ceux qui louent l héroïne, combien de points de
vue divers, combien d' appréciations contradic-
toires / Les uns cherchent, avant tout, dans sa mé-
moire une illustration pour leur parti ; d'autres,
par une glorification tardive, songent à dégager
certaine institution séculaire des responsabilités
qui ont pesé sur elle.
Il en est qui ne veulent voir dans les succès
de Jeanne que l'exaltation du sentiment popu-
laire et patriotique.
On peut se demander si, à ces éloges qui mon-
tent de tous les points de la France vers la
grande inspirée, il ne se mêle pas bien des inten-
tions égoïstes, bien des vues intéressées. On
pense à Jeanne, sans doute, on aime Jeanne,
INTRODUCTION 17
mais, en même temps, ne pense-t-on pas trop à
soi-même ou à son parti ? Ne cherche-t-on pas,
dans celte vie auguste, ce qui peut flatter nos
sentiments personnels, nos opinions politiques,
nos ambitions inavouées ? Bien peu d'hommes,
je le crains, savent se liausser au-dessus du
parti pris, au-dessus des intérêts de caste ou de
classe. Bien peu cherchent à pénétrer le secret
de cette existence, et parmi ceux qui Vont péné-
tré, aucun, jusqu'' ici, sauf en des cas restreints,
n'a osé élever la voix et dire ce qu^il savait, ce
qu'il voyait et comprenait.
Quant à moi, si mes titres sont modestes pour
parler de Jeanne d Arc, du moins il en est un
que je revendique hautement. C'est d'être affran-
chi de toute préoccupation de parti, de tout souci
de plaire ou de déplaire. C'est dans toute la
liberté de ma pensée, dans l indépendance de ma
conscience, libre de toute attache, ne cherchant,
ne voulant en tout que la vérité, cest dans cet
état d'esprit que j'aborde ce grand sujet, et vais
rechercher le mot du mystère qui plane sur cette
destinée incomparable.
JEANNE D'ARC MÉDIUM
PREMIERE PARTIE
VIE ET MEDIUMNITE DE JEANNE D'ARC
I. — DOMREMY.
La vallée est charmante ; un flot éblouissant
S'y joue aux feux du jour : c'est la Meuse.
Saint-Yves d'Alveydre.
Fils de la Lorraine, né comme Jeanne dans
la vallée de la Meuse, mon enfance a été ber-
cée par les souvenirs qu'elle a laissés dans le
pays.
Pendant ma jeunesse, j'ai visité souvent les
lieux où elle a vécu. J'aimais à errer sous les
grandes voûtes de nos forêts lorraines, qui sont
autant de débris de l'antique foret des Gaules.
20 JEANNE d'arc MEDIUM
Gomme elle, j'ai bien des fois prêté l'oreille
aux harmonies des champs et des bois. Et je
puis dire que je connais aussi les voix mysté-
rieuses de l'espace, les voix qui, dans la soli-
tude, inspirent le penseur et lui révèlent les
vérités éternelles.
Devenu homme, j'ai voulu suivre, à travers la
France, la trace de ses pas. J'ai refait, presque
étape par étape, ce douloureux voyage. J'ai vu
ce château de Chinon, où elle fut reçue par
Charles VII et qui n'est plus qu'une ruine. J'ai
vu, au fond de la Touraine, la petite église de
Fierbois, d'où elle fit retirer l'épée de Charles
Martel, et les grottes de Courtineau où elle se
réfugia pendant l'orage ; puis, Orléans et Reims,
Compiègne où elle fut prise. Pas un lieu où
elle ait passé où je ne sois allé méditer, prier,
pleurer en silence.
Plus tard, c'est dans cette cité de Rouen, au-
dessus de laquelle plane sa grande ombre, que
j'ai terminé ce pèlerinage. Comme les chrétiens
qui parcourent pas à pas le chemin qui mène
au Calvaire, j'ai suivi la voie douloureuse qui
conduisait la grande martyre au supplice.
Plus récemment, je suis retourné à Domre-
my. J'ai revu Thumble maisonnette où elle a
reçu le jour; la chambre à l'étroit soupirail
dont son corps virginal, promis au bûcher, a
DOMBEMY 21
frôlé les murs, Tarmoire rustique où elle dé-
posait ses hardes, et la place où, ravie en ex-
tase, elle écoutait ses voix ; puis l'église où, si
souvent, elle a prié.
De là, par le chemin qui gravit la colline,
j'ai gagné le lieu sacré où elle aimait à rêver;
j'ai revu la vigne qui fut à son père, l'arbre des
fées et la fontaine au doux murmure. Le cou-
cou chantait dans le bois chenu; des senteurs
d'aubépine flottaient dans l'air ; la brise agitait
le feuillage et éveillait comme une plainte au
fond du hallier. A mes pieds se déployaient les
prairies riantes, émaillées de fleurs, qu'arro-
sent les méandres de la Meuse.
En face, la côte de Julien se dresse abrupte,
souvenir de l'époque romaine et du César
apostat. Au loin, des coteaux boisés, des ravins
profonds se succèdent jusqu'à l'horizon fuyant;
une douceur pénétrante, une paix sereine pla-
nent sur tout le pays. C'est bien là le lieu béni,
propice aux méditations ; le lieu où les vagues
harmonies du ciel se mêlent aux murmures
lointains et apaisés de la terre. O âme rêveuse
de Jeanne ! je cherche ici les impressions qui
t'enveloppaient, et je les retrouve saisissantes,
profondes. Elles étreignent mon esprit; elles
l'emplissent d'une ivresse poignante. Et ta vie
entière, épopée éblouissante, se déroule de-
22 JEANNE d'arc MÉDIUM
vant ma pensée comme un panorama grandiose,
couronné par une apothéose de flammes. Un
instant j'ai vécu de cette vie, et ce que mon
cœur a ressenti, aucune plume humaine ne
saurait le décrire !...
Derrière moi, comme un monument étran-
ger, note discordante dans cette symphonie des
impressions et des souvenirs, se dressent la
basilique et le monument théâtral où l'on voit
Jeanne à genoux, aux pieds d'un saint Michel
et de deux images de saintes éclatants de do-
rures. La statue de Jeanne, seule, riche d'ex-
pression, touche, intéresse, retient le regard.
Un nom est gravé sur le socle, celui d'Allar.
Cette œuvre est celle d'un spirite.
A quelque distance de Domremy, sur un
raide coteau, au milieu des bois, se cache la
modeste chapelle de Bermont. Jeanne y venait
chaque semaine ; elle suivait le sentier qui, de
Greux, se déroule sur le plateau, fuit sous les
ombrages et passe près de la fontaine de Saint-
Thiébault. Elle gravissait la colline pour s'age-
nouiller devant l'antique madone, dont la sta-
tue, du huitième siècle, y est encore véné-
rée de nos jours. J'ai suivi, pensif, recueilli, ce
sentier pittoresque ; j'ai parcouru ces bois touf-
fus où chantent les oiseaux. Tout le pays est
plein de souvenirs celtiques ; nos pères avaient
DOMfŒMV 23
dressé là un autel de pierre. Ces fontaines sa-
crées, ces ombrages austères furent témoins
des cérémonies du culte druidique. L'âme de
la Gaule vit et palpite en ces lieux. Sans doute
elle parlait au cœur de Jeanne, comme elle
parle encore aujourd'hui au cœur des patriotes
et des croyants éclairés.
J'ai porté mes pas plus loin; j'ai voulu voir
dans les environs tout ce qui a participé à la
vie de Jeanne, tout ce qui rappelle sa mémoire:
Vouthon, où naquit sa mère, et le petit village
de Burey-la-Gôte, qui possède toujours la de-
meure de son oncle Durand Laxart, celui qui
facilita l'accomplissement de sa mission en la
conduisant à Vaucouleurs, près du sire de Bau-
dricourt. L'humble maison est encore debout,
avec les écussons aux fleurs de lis qui en dé-
corent le seuil, mais elle est changée en étable.
Une simple chaînette en fixe la porte ; je la dé-
tache et, à ma vue, un chevreau, blotti dans
l'ombre, fait entendre sa voix grêle et plain-
tive.
J'ai erré en tous sens dans ce pays, m'eni-
vrant à la vue des sites qui servirent de cadre
à l'enfance de Jeanne. J'ai parcouru les vallées
étroites, latérales à celle de la Meuse, qui se
creusent entre les bois sombres. J'ai médité
dans la solitude, le soir, à l'heure où chante le
24 JEANNE d'arc MÉDIUM
rossignol, quand les étoiles s'allument au fond
des cieux. J'y prêtais l'oreille à tous les bruits,
à toutes les voix mystérieuses de la nature.
Je me sentais, en ces lieux, loin de l'homme ;
un monde invisible planait autour de moi.
Alors la prière jaillit des profondeurs de
mon être ; puis j'évoquai l'esprit de Jeanne, et
aussitôt je sentis le soutien et la douceur de sa
présence. L'air frémissait ; tout semblait s'éclai-
rer autour de moi ; des ailes invisibles bat-
taient dans la nuit; une mélodie inconnue des-
cendait des espaces, berçait mes sens, faisait
couler mes pleurs.
Et l'ange de la France m'a dicté des paroles
que, suivant son ordre, je retrace ici pieuse-
ment :
Message de Jeanne.
« Ton âme s'élève et sent en ce moment la
protection que Dieu jette sur toi.
« Avec moi, que ton courage augmente et,
patriote sincère, aime et désire être utile à
cette France si chère, que, d'en haut, en Pro-
tectrice, en Mère, je considère toujours avec
bonheur.
« Ne sens-tu pas, en toi, naître des pensées
de douce indulgence ? Près de Dieu, j'ai appris
DOMREMY 25
à pardonner, mais ces pensées, toutefois, ne
doivent point en moi faire naître la faiblesse,
et, don divin, je trouve en mon cœur assez de
force, pour chercher à éclairer parfois ceux
qui, par orgueil, veulent accaparer mon sou-
venir.
« Et quand, par indulgence, j'appelle sur
eux les lumières du Créateur, du Père, je sens
que Dieu me dit: « Protège, inspire, mais ne
« fusionnejamaisavectesbourreaux. Les prêtres,
<( en rappelant ton dévouement à la patrie, ne
« doivent demander que le pardon pour ceux
« dont ils ont pris la succession. »
« Chrétienne pieuse et sincère sur la terre,
je sens dans l'espace les mêmes élans, le même
désir de prière, mais je veux que mon souve-
nir soit libre et détaché de tout calcul ; je ne
donne mon cœur, en souvenir, qu'à ceux qui
ne voient en moi que l'humble et pieuse fille
de Dieu, aimant tous ceux qui vivent sur cette
terre de France, auxquels je cherche à inspirer
des sentiments d'amour, de droiture et d'éner-
gie. »
II. — La situation en lli29
Or, la France gisait au tombeau! De sa gloire,
Que restait-il? A l'Ouest, une urne en pleurs : la Loire
Une ombre, à l'Est : le Dauphiné.
Saint- Yves d'Alveydre.
Quelle était la situation de la France au
quinzième siècle, au moment où Jeanne d'Arc
va paraître sur la grande scène de l'histoire ?
La guerre contre l'Angleterre dure depuis
près de cent ans. Dans quatre défaites succes-
sives, la noblesse française a été écrasée,
presque anéantie. De Crécy à Poitiers, et des
champs d'Azincourt à ceux de Verneuil, notre
chevalerie a jonché le sol de ses morts. Ce
qu'il en reste est divisé en partis rivaux, dont
les querelles intestines affaiblissent et désolent
la France. Le duc d'Orléans est assassiné par
les estafiers du duc de Bourgogne, et celui-ci,
un peu plus tard, est mis à mort par les Arma-
gnacs. Tout cela s'accomplit sous l'œil de l'en-
nemi, qui s'avance pas à pas et envahit les pro-
LA SITUATION EN 1429 27
viuces du Nord, alors que, depuis longtemps
déjà, il occupe la Guyenne.
Après une résistance acharnée, au cours
d'un siège qui surpasse en horreur tout ce que
l'imagination peut enfanter de lugubre, Rouen
a dû se rendre. Paris, dont la population est
décimée par les maladies et la famine, est aux
mains de l'Anglais. La Loire le voit sur ses
rives. Orléans, dont l'occupation livrerait à
l'étranger le cœur de la France, résiste encore,
mais pour combien de temps ?
De vastes étendues de notre pays sont chan-
gées en désert. Plus de cultures ; les villages
sont abandonnés. On ne voit que ronces et
chardons poussant à l'envi, des ruines noircies
par l'incendie ; partout, les traces des ravages
de la guerre, la désolation et la mort. Les ha-
bitants des campagnes, désespérés, se cachent
dans des souterrains ; d'autres se réfugient dans
les îles de la Loire ou cherchent un abri dans
les villes, où ils meurent de faim. Souvent,
pour échapper à la soldatesque, ces malheu-
reux se sauvent dans les bois, s'organisent en
bandes, et deviennent bientôt aussi cruels que
les routiers devant lesquels ils ont fui. Des
loups rôdent aux abords des villes, y pénètrent
la nuit et dévorent les cadavres laissés sans
sépulture. Telle est « la grande pitié qui est au
28 JEANNE d'arc MÉUIUM
royaume de France », comme ses voix le disent
à Jeanne.
Le pauvre Charles VI, dans sa démence, a
signé le traité de Troyes^ qui déshérite son fils
et constitue Henri d'Angleterre héritier de sa
couronne. Et lorsque, dans la basilique de
Saint-Denis, sur le cercueil du roi fou, un
héraut d'armes proclama Henri de Lancastre
roi de France et d'Angleterre, les restes de nos
rois, couchés sous les lourdes dalles de leurs
tombes, durent tressaillir de honte et de dou-
leur. Le dauphin Charles, dépossédé et appelé
par dérision « roi de Bourges », se laisse aller
au découragement, à l'inertie; il manque de
ressources et de vaillance; ses conseillers pac-
tisent en secret avec l'ennemi. Lui-même songe
à gagner l'Ecosse ou la Castille, en renonçant
au trône, auquel, pense-t-il, il n'a peut-être pas
droit, car des doutes l'assiègent sur la légiti-
mité de sa naissance. Et l'on n'entend plus que
la plainte lamentable, le cri d'agonie d'un
peuple que ses vainqueurs s'apprêtent à cou-
cher dans le sépulcre. La France se sent per-
due, elle est frappée au cœur. Encore quelques
revers, et elle descendra dans le grand silence
de la mort. Quel secours pourrait-on attendre
en effet ? Nulle puissance terrestre n'est ca-
pable d'accomplir ce prodige: la résurrection
LA SITUATION EN 1429 29
d'un peuple qui s'abandonne. Mais il est une
autre puissance, invisible, qui veille aux desti-
nées des nations. Au moment où tout semble
s'effondrer, elle fera surgir du sein des foules
l'aide rédemptrice. Certains présages semblent
en annoncer la venue.
Déjà, parmi tant d'autres signes, une vision-
naire, Marie d'Avignon, s'était rendue près du
roi ; elle avait vu dans ses extases, disait-elle,
une armure que le ciel réservait à une jeune
fille, destinée à sauver le royaume (1). De toutes
parts, on s'entretenait de l'antique prophétie
de Merlin, annonçant une vierge libératrice qui
sortirait du Bois Chesnu (2). Et, comme un
rayon d'en haut, au milieu de cette nuit de
désolation et de misère, Jeanne parut.
Ecoutez, écoutez ! Du fond des campagnes
et des forêts de la Lorraine, le galop de son
cheval a retenti ; elle accourt ; elle va ranimer
ce peuple désespéré, relever les courages abat-
tus, diriger la résistance, sauver la France de
la mort!...
(1) J. Fabre, Déposition de Jean Barbin, avocat du roi, dans
le Procès de réhabilitation de Jeanne d\Arc , t. I, pp. 157-158.
(2) J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I, pp. 123, 162, 202,
366.
2.
III. — Enfance de Jeanne d'Arc.
Au bruit de l'Angelus qui sonne,
Sa mémoire céleste est vibrante et revit.
Saint-Yves d'Alveydre.
Au pied des coteaux qui bordent la Meuse,
quelques chaumières se groupent autour d'une
modeste église ; en aval, en amont, s'étendent
de vertes prairies qu'arrose la petite rivière
aux eaux limpides. Sur les pentes se succèdent
des cultures et des vignes jusqu'à la forêt pro-
fonde, qui se dresse comme une muraille au
front des collines, forêt pleine de murmures
mystérieux et de chants d'oiseaux, d'où surgis-
sentparfois, à rimproviste,les loups, terreur des
troupeaux, ou les hommes de guerre, pillards
et dévastateurs, plus dangereux que des fauves.
C'est Domremy, village jusqu'alors ignoré,
mais qui, par l'enfant dont il vit la naissance
en J/il2, va devenir célèbre dans le monde en-
tier.
Rappeler l'histoire de cette enfant, de cette
jeune fille, est encore le meilleur moyen de
ENFANCE DE JEANNE d'aRC 31
réfuter les arguments de ses contempteurs.
C'est ce que nous ferons tout d'abord, en nous
attachant de préférence aux côtés, aux faits
restés dans l'ombre, et dont quelques-uns nous
ont été révélés par voie médianimique.
De nombreux ouvrages, chefs-d'œuvre de
science et d'érudition, ont été écrits sur la
vierge lorraine. Loin de moi la prétention de
les égaler. Ce livre s'en distingue cependant
par un trait caractéristique. 11 est illuminé çà
et là par la pensée de l'héroïne. Grâce aux
messages obtenus d'elle, en des conditions sa-
tisfaisantes d'authenticité, messages qu'on trou-
vera surtout dans la deuxième partie de ce
volume, celui-ci devient comme un écho de sa
propre voix et des voix de l'espace. C'est à ce
titre qu'il se recommande à l'attention du lec-
teur.
Jeanne n'était pas de haute naissance; fille
de pauvres laboureurs, elle filait la laine aux
côtés de sa mère ou gardait son troupeau dans
les prairies de la Meuse, lorsqu'elle n'accompa-
gnait pas son père à la charrue (1).
(1) J. Fabre, Procès de réhabilîtalion, t. I, pp. 80, 106, etc.
32 JEANNE d'arc MÉDIUM
Elle ne savait ni lire ni écrire (1) ; elle igno-
rait tout des choses de la guerre. C'était une
douce et bonne enfant, aimée de tous, surtout
des pauvres, des malheureux, qu'elle ne man-
quait jamais de secourir, de consoler. On ra-
conte, à ce sujet, des anecdotes touchantes.
Elle cédait volontiers sa couchette à quelque
pèlerin fatigué, et passait la nuit sur une botte
de paille, pour procurer le repos à des vieillards
épuisés par une longue route. Elle soignait les
malades, comme ce petit Simon Musnier, son
voisin, qui grelottait la fièvre ; s'installant à son
chevet, elle le veillait pendant la nuit.
Rêveuse, elle aimait, le soir, à contempler
le ciel plein d'étoiles ou bien à suivre, le jour,
les gradations de la lumière et des ombres. Le
bruit du vent dans les branches ou les roseaux,
le murmure des sources, toutes les harmonies
de la nature l'enchantaient. Mais, à tout cela,
elle préférait encore le son des cloches. C'était,
pour elle, comme un salut du ciel à la terre. Et
lorsque, dans la paix du soir, loin du village,
dans quelque repli de terrain où s'abritait son
troupeau, elle percevait leurs notes argentines,
leurs vibrations calmes et lentes, annonçant
le moment du retour, elle s'abîmait dans une
(1) Voir, par exemple, J. Fabre, Procès de réhabililalion,
t. II, p. 145.
ENFANCE DE JEANNE DARG 33
sorte d'extase, dans une longue prière où elle
mettait toute son âme, avide des choses divines.
Malgré sa pauvreté, elle trouvait moyen de
donner au sonneur du village quelque gratifi-
cation, pour qu'il prolongeât la chanson de ses
cloches au delà des limites habituelles (1).
Pénétrée de Tintuition que sa venue sur la
terre avait un but élevé, elle plongeait par la
pensée dans les profondeurs de l'invisible, pour
discerner la voie où elle devrait s'engager.
« Elle se cherchait elle-même », nous dit Henri
Martin (2).
Tandis que, parmi ses compagnons d'exis-
tence, tant d'âmes restent enfermées et comme
éteintes en leur prison charnelle, tout son être
s'ouvre aux hautes influences. Dans le som-
meil, son esprit, dégagé des liens matériels,
plane dans l'espace éthéré; il en perçoit les
clartés intenses, il se retrempe dans les cou-
rants puissants de vie et d'amour qui y régnent,
et, au réveil, il conserve l'intuition des choses
entrevues. Ainsi, peu à peu, par ces exercices,
ses facultés psychiques s'éveillent et grandis-
sent. Bientôt, elles vont entrer en action.
Cependant, ces impressions, ces rêveries
(1) Voir J. Fabre, Procès de réhabililalion, t. I, p. 106.
(2) Histoire de France, t. VI, p. 140.
34 JEANNE d'arc MÉDIUM
n'altéraient pas son amour du travail. Assidue
à sa tâche, elle ne négligeait rien pour satis-
faire ses parents et tous ceux avec qui elle
avait affaire. « Vive labeur! » dira-t-elle plus
tard, affirmant ainsi que le travail est le meil-
leur ami de l'homme, son soutien, son conseil-
ler dans la vie, son consolateur dans l'épreuve,
et qu'il n'est pas de vrai bonheur sans lui.
(( Vive labeur ! » c'est la devise que sa famille
adoptera et fera inscrire sur son blason, lors-
que le roi l'aura anoblie.
Jusque dans les humbles détails de l'existence
de Jeanne se manifestent un sentiment très vif
du devoir, un jugement sûr, une claire vision
des choses qui la rendent supérieure à tous ceux
qui l'entourent. On reconnaît déjà là une âme
extraordinaire, une de ces âmes passionnées
et profondes, qui descendent sur la terre pour
accomplir une grande mission. Une influence
mystérieuse l'enveloppe. Des voix parlent à ses
oreilles et à son cœur; des êtres invisibles l'ins-
pirent, dirigent tous ses actes, tous ses pas.
Et voilà que ces voix commandent. Des ordres
impérieux se font entendre. 11 faut renoncer à
la vie paisible. Pauvre enfant de dix-sept ans,
elle devra affronter le tumulte des camps ! Et
à quelle époque ? A cette époque farouche où,
trop souvent, les soldats sont des bandits. Elle
ENFANCE DE JEANNE d'aRC 35
quittera tout : son village, son père et sa mère,
son troupeau, tout ce qu'elle a aimé, pour cou-
rir au secours de la France qui agonise. Aux
bonnes gens de Vaucouleurs qui s'apitoient sur
son sort, que répondra-t-elle? « C'est pour cela
que je suis née! »
La première vision se produisit un jour d'été,
à l'heure de midi. Le ciel était sans nuages, et
le soleil versait sur la terre assoupie tous les
enchantements de sa lumière. Jeanne priait
dans le jardin attenant à la maison de son père,
près de l'église. Elle entendit une voix qui lui
disait : « Jehanne, fille de Dieu, sois bonne et
sage, fréquente l'église (1), mets ta confiance
au Seigneur (2). » Elle fut saisie; mais, élevant
son regard, dans une clarté éblouissante elle
vit une figure angélique, qui exprimait à la
fois la force et la douceur, et qu'entouraient
des formes radieuses.
(1) A cette époque, la religion catholique était la forme
religieuse la plus répandue et presque la seule qui pût unir
les âmes à Dieu. C'est pourquoi, VEsprit qui s'annonçait
sous le nom de saint Michel, entrant dans les vues du
siècle pour mieux atteindre son but, .ne pouvait tenir un
autre langage. Voir plus loin : la Médiumnilé et Vidée de reli-
gion chez Jeanne d'Arc.
(2) Henri Martin, Histoire de France^ t. ^'I, p. 142.
36 JEANNE d'arc MÉDIUM
Un autre jour, l'Esprit, l'archange saint Mi-
chel et les saintes qui l'accompagnaient, l'en-
tretiennent de la situation du pays et lui révè-
lent sa mission. « Il faut que tu ailles au se-
cours du dauphin, afin que par toi il recouvre
son royaume (1). » Et Jeanne, tout d'abord,
se défend : « Je suis une pauvre fille, ne sa-
chant ni chevaucher ni guerroyer ! » « Fille de
Dieu, va, je serai ton secours », lui répond la
voix.
Peu à peu ses entretiens avec les Esprits
devenaient plus fréquents ; ils n'étaient pas de
longue durée. Les conseils d'en haut sont tou-
jours brefs, concis, lumineux. C'est ce qui ré-
sulte de ses réponses aux interrogatoires de
Rouen. « Quelle doctrine vous montra saint
Michel ? » lui demande-t-on. « Sur toutes cho-
ses, il me disait : Sois bonne enfant et Dieu t'ai-
dera (2)... » Cela est simple et sublime à la
fois, et résume toute la loi de la vie. Les Es-
prits élevés ne se répandent pas en longs dis-
cours. Aujourd'hui encore, ceux qui peuvent
communiquer avec les plans supérieurs de TAu-
delà, n'en reçoivent guère que des instructions
courtes, profondes et marquées au coin d'une
(1; Henri Martin, Histoire de France, l. VI, p. 142.
(2) J. Fabre, Procès de condamnation, 7' interrogatoire
gecret, p. 174,
ENFANCE DE JEANNE d'aRC 37
haute sagesse. Et Jeanne ajoute : « Saint Mi-
chel m'a appris à me bien conduire et à fré-
quenter l'église. » En effet, pour toute âme qui
aspire au bien, la rectitude des actes, le re-
cueillement et la prière sont les premières con-
ditions d'une existence droite et pure.
Un jour, saint Michel lui dit : « Fille de Dieu,
tu conduiras le dauphin à Reims, afin qu'il y
reçoive son digne sacre (1). » Sainte Catherine
et sainte Marguerite lui répétaient sans cesse :
« Va, va, nous t'aiderons! » Alors s'établissent
entre Jeanne et ses guides des rapports étroits.
Chez ses « frères de paradis », elle va puiser
la résolution nécessaire pour accomplir son
œuvre : elle en est toute pénétrée. La France
l'attend, il faut partir !
Aux premières lueurs d'un jour d'hiver,
Jeanne s'est levée; elle a préparé son léger
bagage, un petit paquet, son bâton de voyage;
puis, elle va s'agenouiller au pied du lit où re-
posent encore son père et sa mère, et, silen-
cieuse, elle murmure un adieu en pleurant.
Elle se rappelle, à cette heure dpuloureuse, les
(1) Procès, t. I, p. 130.
38 JEANNE d'arc MÉDIUM
inquiétudes, les caresses, les soins de sa mère,
les soucis de son père, dont l'âge courbe déjà
le front. Elle pense au vide que va causer son
départ, au chagrin de tous ceux dont elle par-
tagea jusqu'ici la vie, les joies, les douleurs.
Mais le devoir commande ; elle ne faillira pas
à sa tâche. Adieu, pauvres parents ! adieu,
toi qui as conçu tant d'inquiétudes au sujet de
ta fille, vue, en rêve, en compagnie de gens
d'armes (1) ! Elle ne se conduira pas comme
tu en avais l'appréhension, car elle est pure,
pure comme le lis sans tache; son cœur ne con-
naît qu'un amour : celui de son pays.
« Adieu, je vais à Vaucouleurs », dit-elle en
passant devant la maison du laboureur Gérard,
dont la famille était liée à la sienne. « Adieu,
Mengette », fit-elle à sa compagne. « Adieu,
vous tous, avec qui j'ai vécu heureuse jus-
qu'ici ! »
Il fut pourtant une amie dont elle évita de
prendre congé : sa chère Hauviette. Les adieux
eussent été trop émouvants, Jeanne s'en serait
peut-être sentie ébranlée, et elle avait besoin
de tout son courage (2).
(1) J. Fabre, Procès de condamnalion, 3* interrogatoire se-
cret, pp. U2-14 3.
(2) Id., Procès de réhabilitalion, t. I. Dépositions de trois
amies de Jeanne. Dépositions de six laboureurs.
ENFANCE DE JEANNE D*ARC 39
Elle partit pour Burey où habitait un de ses
oncles, pour, de là, gagner Vaucouleurs et la
France. A dix-sept ans, elle partit seule, sous
le ciel immense, sur une route semée de dan-
gers. Et Doniremy ne la revit jamais.
IV. — La médiumnité de Jeanne d'Arc ; ce
qu'étaient ses voix ; phénomènes analogues,
anciens et récents.
Debout, les yeux en pleurs, elle prête l'oreille
A quelque messager des cieux I
Paul Allard.
Les phénomènes de vision, d'audition, de
prémonition, qui parsèment la vie de Jeanne
d'Arc, ont donné lieu aux interprétations les plus
diverses. Parmi les historiens, les uns n'ont vu
là que des cas d'hallucination ; certains sont
allés jusqu'à parler d'hystérie ou de névrose.
D'autres ont attribué à ces faits un caractère
surnaturel et miraculeux.
Le but essentiel de cet ouvrage est d'analy-
ser ces phénomènes, de démontrer qu'ils sont
réels et se rattachent à des lois longtemps
ignorées, mais dont l'existence se révèle de
jour en jour, d'une manière plus imposante et
plus précise.
A mesure que s'accroît la connaissance de
l'univers et de l'être, la notion du surnaturel
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRC 41
recule, s'évanouit. On le comprend désormais :
la nature est une; mais, dans son immensité,
elle recèle des domaines, des formes de vie
qui ont longtemps échappé à nos sens. Ceux-ci
sont des plus bornés. Ils ne nous laissent per-
cevoir que les aspects les plus grossiers, les
plus élémentaires de l'univers et de la vie. Leur
pauvreté, leur insuffisance s'est révélée surtout
au moment de l'invention des puissants instru-
ments d'optique, le télescope et le microscope,
qui ont élargi dans tous les sens le champ de
nos perceptions visuelles. Que savions-nous
des infiniment petits avant la construction des
appareils grossissants ? que savions-nous de
ces innombrables existences, qui pullulent et
s'agitent autour de nous et même en nous?
Ce ne sont là pourtant que les bas-fonds de la
nature et, pour ainsi dire, le substratum de la
vie. Mais, au-dessus, des plans se succèdent et
s'étagent, sur lesquels se graduent des formes
d'existences de plus en plus subtiles, éthérées,
intelligentes, d'un caractère encore humain,
puis angélique à certaines hauteurs, apparte-
nant toujours, par leurs formes, sinon par leur
essence, à ces états impondérables de la ma-
tière que la science constate aujourd'hui sous
plusieurs de leurs aspects, par exemple dans
la radio-activité des corps, les rayons Rœntgen,
4*2 JEANNE d'arc médium
dans tout Fensemble des expériences faites sur
la matière radiante.
x\u delà des formes visibles et tangibles qui
nous sont familières, nous savons maintenant
que la matière se retrouve encore sous des
états nombreux et variés, invisibles et impon-
dérables, que peu à peu elle s'affine, se trans-
forme en force et en lumière, pour devenir
Téther cosmique des physiciens. Dans tous ces
états, sous tous ces aspects, elle est encore la
substance dans laquelle se tissent d'innombra-
bles organismes, des formes de vie d'une té-
nuité inimaginable. Dans cet océan de matière
subtile, une vie intense s'agite au-dessus et au-
tour de nous. Par delà le cercle étroit de nos
s-ensations, des abîmes se creusent, un vaste
monde inconnu se déroule, peuplé de forces et
d'êtres que nous ne percevons pas, mais qui
cependant participent à notre existence, à nos
joies, à nos souffrances et, dans une certaine
mesure, peuvent nous influencer, nous secou-
rir. C'est dans ce monde incommensurable
qu'une science nouvelle s'efforce de pénétrer.
Dans une conférence faite à l'Institut général
psychologique, il y a quelques années, le doc-
teur Duclaux, directeur de l'Institut Pasteur,
s'exprimait en ces termes : « Ce monde peuplé
d'influences que nous subissons sans les con-
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRC 43
naître, pénétré de ce qaid divinum que nous
devinons sans en avoir le détail, est plus inté-
ressant que celui dans lequel s'est jusqu'ici
confinée notre pensée. Tâchons de l'ouvrir à
nos recherches : il y a là d'immenses découvertes
à faire, dont profitera l'humanité. »
Chose merveilleuse ! nous appartenons nous-
mêmes, pour une partie de notre être, la plus
importante, à ce monde invisible qui se révèle
chaque jour aux observateurs attentifs. 11 est,
en chaque être humain, une forme fluidique,
un corps subtil, indestructible, image fidèle du
corps physique et dont celui-ci n'est que le
revêtement passager, la gaine grossière. Cette
forme a ses sens propres, plus puissants que
ceux du corps physique ; ceux-ci n'en sont que
le prolongement affaibli (1).
(1) L'existence de ce double ou fantôme des vivants est
établie par d'innombrables faits et témoignages. Il peut se
dégager de son enveloppe charnelle pendant le sommeil,
soit naturel, soit provoqué, et se manifester à distance. Les
cas télépathiques, les phénomènes de dédoublement, d'ex-
tériorisation, d'apparitions de vivants sur des points éloi-
gnés du lieu où ils reposent, relatés tant de fois par
F'<= Myers, C. Flammarion, le professeur Ch. Richet, les
docteurs Dariex et Maxwell, etc., en sont la démonstration
expérimentale la plus évidente. Les procès-verbaux de la
Société des Recherches psychiques de Londres, composée
des plus éminents savants de l'Angleterre, sont riches en
faits de ce genre. Voir, pour plus de détails : Léon Denis,
Après la Mort (édition de 1909 : Le Périsprit ou corps flui-
44 JEANNE d'arc MÉDIUM
Le corps fluidique est le véritable siège de
nos facultés, de notre conscience, de ce que
les croyants de tous les âges ont appelé l'âme.
Celle-ci n'est pas une vague entité métaphy-
sique, mais plutôt un centre impérissable de
force et de vie, inséparable de sa forme subtile.
Elle préexistait à notre naissance, et la mort n'a
pas d'action sur elle. Elle se retrouve au delà
de la tombe dans la plénitude de ses acquisi-
tions intellectuelles et morales. Sa destinée est
de poursuivre, à travers le temps et l'espace,
son évolution vers des états toujours meilleurs,
toujours plus éclairés des rayons de la justice,
de la vérité, de l'éternelle beauté. L'être, per-
fectible à jamais, recueille dans son état psy-
chique, agrandi, le fruit des travaux, des sa-
crifices et des épreuves de toutes ses exis-
tences.
Ceux qui ont vécu parmi nous et poursuivent
leur évolution dans l'espace, ne se désintéres-
sent pas de nos souffrances et de nos larmes.
Des plans supérieurs de la vie universelle dé-
coulent sans cesse sur la terre des courants de
force et d'inspiration. De là viennent les illu-
dique, chap. XXI, pp. 226 et suiv.) ; Dans l'Invisible (L'Esprit
et sa forme, chap. III, pp. 31 et suiv. — Extériorisation de
l'être humain. Les fantômes des vivants, chap. XII, pp. 140 et
suiv.). — G. Delanne, Les Fantômes des vivants.
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRC 45
minations soudaines du génie, les souffles puis-
sants qui passent sur les foules aux heures dé-
cisives ; de là, le soutien et le réconfort pour
ceux qui ploient sous le fardeau de l'existence.
Un lien mystérieux relie le visible et l'invi-
sible. Des rapports peuvent s'établir avec l'Au-
delà, à l'aide de certaines personnes spéciale-
ment douées, chez qui les sens cachés de
l'âme, les sens psychiques, ces sens profonds
qui dorment chez tout être humain, peuvent
s'éveiller et entrer en action dès cette vie. Ce
sont ces aides que nous nommons des mé-
diums (1).
Au temps de Jeanne d'Arc, on ne pouvait
comprendre ces choses. On ne possédait sur
l'univers et sur la véritable nature de l'être,
que des notions confuses, et, sur bien des
points, incomplètes ou erronées. Cependant,
depuis des siècles, l'esprit humain, malgré ses
hésitations, ses incertitudes, a marché de con-
quêtes en conquêtes. Aujourd'hui, il commence
à prendre son essor. La pensée humaine s'élève,
(1) Voir: Léon Denis, Après la Mort, édition de 1909,
«hap. XXII, et Dans VInvisible, chap. IV et V.
3.
46 JEANNE d'arc MÉDIUM
nous venons de le voir, au-dessus du monde
physique et plonge dans les vastes régions du
monde psychique, où l'on comnlence à entrevoir
le secret des causes, la clé de tous les mystères,
la solution des grands problèmes de la vie, de
la mort et de la destinée.
Nous n'oublions pas les railleries dont ces
études ont été Tobjet au début, ni combien de
critiques accablent encore ceux qui, courageu-
sement, persévèrent dans ces recherches, dans
ces relations avec l'invisible. Mais n'a-t-on pas
raillé, même au sein des sociétés savantes, bien
des découvertes qui, plus tard, se sont révélées
comme autant de vérités éclatantes ! Il en sera
de même de l'existence des Esprits. L'un après
l'autre, les hommes de science sont obligés de
l'admettre, et souvent à la suite d'expériences
destinées à en démontrer le peu de fondement.
Sir W. Crookes, le célèbre chimiste anglais,
dont ses compatriotes font Tégal de Newton,
est de ceux-là. Citons aussi Russell Wallace,
0. Lodge ; Lombroso, en Italie ; les docteurs
Paul Gibier et Dariex, en France ; en Russie,
le conseiller d'État Aksakof ; en Allemagne, le
baron du Prel et l'astronome Zôllner (1).
(1) On connaît les expériences de l'illustre physicien sir
W. Crookes, qui, pendant trois ans, obtint chez lui des ma-
térialisations de l'Esprit Katie King dans des conditions de
L\ MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRG 47
L'homme sérieux qui se tient à distance égaie
d'une crédulité aveugle et d'une non moins
aveugle incrédulité, est obligé de reconnaître
contrôle rigoureux. Crookes, parlant de ces manifestations,
affirmait : « Je ne dis pas que cela est possible; je dis : cela
est. »
On a prétendu que W. Crookes s'était rétracté. Or,
W. Stead écrivait au New York American : « Londres, 7 fé-
vrier 1909. J'ai vu sir Ch. W. Crookes au Ghost Club
(Cercle des Fantômes), où il était venu dîner, et il m'auto-
rise à dire ceci : « Depuis mes expériences en matière de
«spiritualisme que j'ai commencées il y a trente ans, je ne
« vois aucune raison pour modifier mon opinion d'autrefois. >>
Oliver Lodge, recteur de l'Université de Birmingham,
membre de l'Académie royale, écrivait: « J'ai été amené
personnellement à la certitude de l'existence future, par des
preuves reposant sur une base purement scientifique. »
Frédéric Myers, le professeur de Cambridge, que le Con-
grès officiel international de psychologie de Paris, en 1900,
avait élu président d'honneur, dans son beau livre la Per-
sonnalité humaine en arrive à cette conclusion, que des
voix et des messages nous reviennent d'au delà de la tombe.
Parlant du médium Mrs. Thompson, il écrit : « Je crois que
la plupart de ces messages viennent d'Esprits qui se ser-
vent temporairement de l'organisme des médiums pour
nous les donner. ->
Le célèbre professeur Lombroso, de Turin, déclarait dans
la Letlura : « Les cas de maisons hantées, dans lesquelles,
pendant des années, se reproduisent des apparitions ou
des bruits concordant avec le récit de morts tragiques, et
observées en dehors de la présence de médiums, plaident en
faveur de Vaclion des trépassés. » — « Il s'agit souvent de mai-
sons inhabitées, où ces phénomènes se produisent parfois
pendant plusieurs générations et même pendant des siè-
cles. » (Voir Annales des Sciences psychiques, février 1908.)
On comprend l'importance de tels témoignages, que nous
pourrions multiplier, si le cadre de cet ouvrage nous le per-
mettait.
JEANNE DARC MEDIUM
que ces manifestations ont eu lieu dans tous
les temps. Vous les trouverez à toutes les pages
de l'histoire, dans les livres sacrés de tous les
peuples, aussi bien chez les voyants de l'Inde,
de rÉgypte, de la Grèce et de Rome, que chez
les médiums de nos jours. Les prophètes de
Judée, les apôtres chrétiens, les druidesses delà
Gaule, les inspirés des Cévennes à l'époque de
la guerre des Camisards, tirent leurs révélations
de la même source que notre bonne Lorraine.
La médiumnité a toujours existé, car l'homme
a toujours été esprit, et cet esprit s'est ouvert,
à toutes les époques, une trouée sur le monde
inabordable à nos sens ordinaires.
Constantes, permanentes, ces manifestations
se produisent dans tous les milieux et sous
toutes les formes, depuis les plus communes,
les plus grossières, comme les tables tour-
nantes, les transports d'objets sans contact, les
maisons hantées, jusqu'aux plus délicates et
aux plus sublimes, telles que l'extase ou les
hautes inspirations, et cela, suivant l'élévation
des Intelligences qui interviennent.
Abordons maintenant l'étude des phénomènes
qu'on rencontre en grand nombre dans la vie
LA MÉDIL'MNITÉ DE JEANNE d'aRC 49
de Jeanne d'Arc. Il convient tout d'abord de le
remarquer : c'est grâce à ses facultés psychi-
ques extraordinaires, qu'elle put acquérir un
ascendant rapide sur Tarmée et le peuple. On
la considérait comme un être doué de pouvoirs
surnaturels. Cette armée n'était qu'un ramassis
de soldats d'aventure, de routiers mus par
l'amour du pillage. Tous les vices régnaient
sur ces troupes sans discipline et toujours
prêtes à se débander. C'est au milieu de ces
soudards sans retenue, sans vergogne, que
devait vivre une jeune fille de dix-huit ans. De
tels rustres, qui ne respectaient pas même le
nom de Dieu (1), il lui fallait faire des croyants,
des hommes disposés à tout sacrifier pour une
noble et sainte cause.
Elle sut accomplir ce miracle. On l'accueillit
d'abord comme une intrigante, comme une de
ces femmes que les armées traînent à leur
suite. Mais son langage inspiré, ses mœurs aus-
tères, sa sobriété et les prodiges qui s'accom-
plirent bientôt autour d'elle, en imposèrent vite
à ces imaginations frustes. L'armée et le peuple
étaient tentés aussi de la regarder comme une
sorte de fée, de sorcière. On lui donnait les
(1) Si Dieu était homme d'armes, disait La Hire, il se
ferait pillard.
50 JEANNE d'arc MÉDIUM
noms de ces formes fantastiques qui hantent les
sources et les bois.
Sa tâche n'en devenait que plus difficile à
remplir. Il lui fallait se faire à la fois respecter
et aimer comme un chef ; il lui fallait obliger,
par son ascendant, ces soudards mercenaires à
voir en elle une image de cette France, de cette
patrie qu'elle voulait constituer.
Par ses prédictions réalisées, par les événe-
ments accomplis, elle leur inspira une confiance
absolue. Ils en arrivèrent presque à la divini-
ser ; sa présence était pour eux une garantie du
succès, un symbole de l'intervention céleste.
L'admirant, s'attachant à elle, ils lui devinrent
plus fidèles que le roi et les grands. A sa vue,
toutes les pensées, tous les sentiments malveil-
lants se taisaient pour faire place à la vénéra-
tion. Tous la considéraient comme un être sur-
humain, suivant le témoignage de son intendant,
Jean d'Aulon, au procès (1). Le comte Guy de
Laval, après l'avoir vue à Selles-sur-Cher, en
compagnie du roi, écrivait à sa mère, le 8 juin
l/i29 : « C'est chose toute divine de la voir et
de l'ouïr (2). »
i^l) J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I. Déposition de
rintendant de Jeanne, p. 248. — V. aussi : Déposition de
l'avocat Barbin, t. I, p. 158.
(2) E. Lavisse, Histoire de France, t. IV, p. 55.
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRG 51
Sans une assistance occulte, comment une
simple fille des champs aurait-elle pu acquérir
un tel prestige, remporter de tels succès ? Ce
qu'elle avait appris de la guerre pendant sa jeu-
nesse, les alarmes perpétuelles des paysans, les
villages détruits, les plaintes des blessés et des
mourants, le rougeoiement des incendies, tout
cela était plutôt fait pour l'éloigner du métier
des armes. Mais elle était l'élue d'en haut, pour
relever la France de sa chute et inculquer la
notion de patrie à toutes les âmes, et, pour cela,
des facultés merveilleuses et de puissants se-
cours lui furent donnés.
Examinons de plus près la nature et la portée
des facultés médianimiques de Jeanne.
Il y a d'abord ces voix mystérieuses qu'elle
entendait dans le silence des bois comme dans
le tumulte des combats, au fond de son ca«
chot et jusque devant ses juges, ces voix qui
étaient souvent accompagnées d'apparitions,,
comme elle le dit elle-même, au cours du pro-
cès, à douze interrogatoires différents. Puis, il
y a les cas nombreux de prémonition, c'est-
à-dire les prophéties réalisées, l'annonce des
événements à venir.
52 JEANNE d'arc MEDIUM
D'abord, ces faits sont-ils authentiques ? Sur
ce point aucun doute n'est possible. Les textes,
les témoignages sont là, nombreux; les lettres,
les chroniques abondent (1).
Il y a surtout le procès de Rouen, dont les
pièces, rédigées par les ennemis de Taccusée,
témoignent encore plus fortement en sa faveur
que celles du procès de réhabilitation. Dans ce
dernier, les mêmes faits sont attestés sous le sceau
du serment par les témoins de sa vie, déposant
devant les enquêteurs ou devant le tribunal (2).
Au-dessus de tous ces témoignages, nous
placerons l'opinion d'un homme, d'un contem-
porain, qui les résume tous, et dont l'autorité
est grande. Je veux parler de Quicherat, direc-
teur de l'Ecole des Chartes. Ce n'était pas un
mystique, un illuminé ; c'était un homme grave
et froid, un éminent critique d'histoire. Il s'est
livré à une recherche approfondie, toute d'éru-
dition, à un examen scrupuleux de la vie de
Jeanne d'Arc. Et voici son appréciation (3) :
(1) Perceval de Cagny, Chroniques, publiées par H. Mo-
ranvillé, Paris, 1902. — Jean Chartier, Chronique de Char-
les VIIj roi de France. — Journal du siège d'Orléans (1428-
1429), publié par P. Charpentier et C. Guissart. — Chronique
de la Pucelle. — Mystère du siège d'Orléans, etc.
(2) Ce procès de réhabilitation comprend, d'après A. France,
140 témoignages, fournis par 123 témoins.
(3) J. Quicherat, Aperçus nouveaux sur le Procès de Jeanne
dArc, pp. 60-61.
LA ISIÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRC 53
« Que la science y trouve ou non son compte,
il n'en faudra pas moins admettre ses visions. »
J'ajouterai : la science nouvelle y trouvera son
compte. Car tous ces phénomènes, que Ton con-
sidérait autrefois comme miraculeux, s'expli-
quent aujourd'hui par les lois de la médium-
nité.
Jeanne était ignorante : elle avait eu pour seuls
livres, la nature et le firmament étoile.
A Pierre de Versailles qui l'interroge à Poi-
tiers sur son degré d'instruction, elle répond :
<( Je ne sais ni A ni B. » Plusieurs l'affirment
au procès de réhabilitation (1). Cependant, elle
a entrepris l'œuvre la plus merveilleuse que
femme ait jamais accomplie. Pour la mener à
bien, elle déploiera des aptitudes et des qualités
rares. Illettrée, elle confondra et convaincra les
docteurs de Poitiers. Par son génie militaire et
l'habileté de ses plans, elle acquerra une prompte
influence sur les chefs de guerre et les soldats.
A Rouen, elle tiendra tête à soixante érudits,
casuistes habiles en subtilités juridiques et théo-
logiques ; elle déjouera leurs pièges, répondra à
toutes leurs objections. Plus d'une fois elle les
embarrassera parla puissance de ses répliques,
(1) J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I, Déposition de
l'écuyer Gobert Thibault, p. 161 ; — t. II. Déposition du
chevalier Aimond de Macy, p. 145.
04 JEANNE DARC MEDIUM
rapides comme des éclairs, pénétrantes comme
des pointes d'épée.
Gomment concilier une supériorité aussi
écrasante avec son défaut d'instruction ? Ah !
c'est qu'il est une autre source d'enseignement
que la science de l'école ! c'est par la commu-
nion constante avec le monde invisible, depuis
l'âge de treize ans, où eut lieu sa première vision,
que Jeanne acquit les lumières indispensables
à l'accomplissement de sa tâche ardue. Les le-
çons de nos guides de l'espace sont plus effi-
caces que celles d'un professeur, plus abon-
dantes surtout en révélations morales. Ces
voies de la connaissance, les Universités et les
^]glises ne les pratiquent guère ; leurs repré-
mtants lisent peu dans ce « livre de Dieu »
it parle Jeanne, dans ce grand livre de l'uni-
vers invisible, où elle avait puisé sagesse et
lumière : « Il y a es livres de Notre-Seigneur
plus que es vôtres. — Messire a un livre où nul
clerc n'a jamais lu, si parfait soit-il en clérica-
ture ! » affirme-t-elle à Poitiers (1).
Par là, elle rappelle que les mondes occulte
et divin possèdent des sources de vérité autre-
ment riches et profondes, que celles où puisent
(1) J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I. Déposition de
Jean Pasquerel, p. 228. — Dépos. de Marg. la Touroulde,
p. 292.
LA MEDIUMNITE DE JEANNE D ARC 55
les humains. Et ces sources s'ouvrent parfois
aux simples, aux humbles, aux ignorants, à ceux
que Dieu a marqués de son sceau ; ils y trouvent
des éléments de connaissance, qui surpassent
tout ce que l'étude peut nous procurer.
La science humaine ne va pas sans quelque
orgueil. Ses enseignements sentent presque
toujours la convention, Tapprêt, le pédantisme.
Ils manquent souvent de clarté, de simplicité.
Certains ouvrages de psychologie, par exemple,
sont tellement obscurs, complexes, hérissés
d'expressions baroques, qu'ils en frisent le ridi-
cule. 11 est plaisant de voir à quels efforts d'ima-
gination, à quelle gymnastique intellectuelle,
des hommes comme le professeur Th. Flournoy
et le docteur Grasset se livrent, pour édifier des
théories aussi burlesques que savantes. Les
vérités provenant des hautes révélations apj)a-
raissent, au contraire, en traits de lumière et,
en quelques mots, par la bouche des simples,
tranchent les problèmes les plus ardus.
« Je te bénis, ô mon Père, dit le Christ, de
ce que tu as révélé aux petits ce que tu as
caché aux sages (1). »
Bernardin de Saint-Pierre exprime la même
pensée : « Pour trouver la vérité, il faut la
chercher d'un cœur simple. »
(liLuc, X, 21.
56 JEANiXE d'arc médium
C'était d'un cœur simple que Jeanne écoutait
ses voix, qu'elle les interrogeait dans les cas
importants, et, toujours confiante en leur sage
direction, elle devient, sous l'impulsion des
puissances supérieures, un instrument admi-
rable, doué de précieuses facultés psychiques.
Non seulement elle voit et entend merveil-
leusement, mais son toucher, son odorat sont
affectés par les apparitions qui se présentent :
« J'ai touché à sainte Catherine m'apparaissant
visiblement, dit-elle. — Avez-vous baisé ou
accolé sainte Catherine ou sainte Marguerite ?
lui demande-t-on. — Je les ai accolées toutes
deux. — Fleuraient-elles bon ? — 11 est bon à
savoir qu'elles fleuraient bon (1) ! »
Dans un autre interrogatoire, elle s'exprime
ainsi : « Je vis saint Michel et les anges des
yeux de mon corps aussi bien que je vous vois.
Et quand ils s'éloignaient de moi, je pleurais
et j'aurais bien voulu qu'ils m'eussent emportée
avec eux (2). »
C'est là l'impression ressentie par tous les
médiums qui entrevoient les splendeurs de
l'espace, et les êtres radieux qui y vivent. Ils
éprouvent un ravissement qui leur rend plus
(1) J. Fabre, Procès de condamnai ion, 9' interrogatoire
secret, p. 187.
(2) Id., Ihid., i" interrogatoire public, p. 81.
LA MÉDIUMMTÉ DE JEANNE D ARC 57
tristes et plus pesantes les réalités d'ici-bas.
Avoir participé un instant à la vie céleste et re-
tomber lourdement au milieu des ténèbres de
notre monde : quel contraste poignant ! Il Tétait
plus encore pour Jeanne, dont Pâme exquise,
après s'être retrouvée pendant un moment dans
le milieu qui lui était familier, d'où elle était
venue, et en avoir reçu « grand réconfort », se
voyait de nouveau en face des rudes et pénibles
devoirs qui lui incombaient.
Peu d'hommes comprennent ces choses. Les
vulgarités de la terre leur cachent les beautés
de ce monde invisible qui les entoure, dans le-
quel ils baignent comme des aveugles dans la
lumière. Mais il est des âmes délicates, des
êtres doués de sens subtils, pour qui ce voile
épais des choses matérielles se déchire par ins-
tants ; à travers ces ouvertures, ils perçoivent
un coin de ce monde divin, celui des vraies
joies, des félicités véritables, où nous nous re-
trouverons tous à la mort, d'autant plus libres
et plus heureux que nous aurons mieux vécu
parla pensée et par le cœur, mieux aimé et plus
souffert.
Ce n'était pas seulement sur ces faits extraor-
dinaires, ces visions et ces voix, que se basait
la confiance da Jeanne en ses amis de l'espace.
La raison lui démontrait aussi combien la source
58 JEANNE d'arc MÉDIUM
de ses inspirations était pure et élevée, car ses
voix la guidaient toujours vers l'action utile,
dans le sens du dévouement et du sacrifice.
Tandis que certains visionnaires se perdent en
des rêveries stériles, chez Jeanne les phéno-
mènes psychiques concourent tous à la réalisa-
tion d'une grande œuvre. De là, sa foi inébran-
lable : « Je crois aussi fermement, répond-elle
à ses juges, les dits et les faits de saint Michel
qui m'est apparu, comme je crois que Notre-
Seigneur Jésus-Christ a souffert mort et pas-
sion pour nous. Et ce qui me meut à le croire,
c'est le bon conseil, le confort et les enseigne-
ments qu'il m'a donnés (1). »
Dans son jugement si sûr, c'est avant tout le
côté moral de ces manifestations qui constitue
à ses yeux une garantie, une preuve de leur
authenticité. A leurs avis efficaces, à leur sou-
tien constant, aux saines instructions qu'ils lui
donnent, elle reconnaît en ses guides des
envoyés d'en haut !
Au cours du procès comme dans son action
militaire, ses voix la conseillent sur ce qu'elle
doit dire et faire. Elle a recours à elles dans
tous les cas difficiles : « Je demandai conseil à
(1) J. Fabre, Procès de condamnation, 8^ interiogaloire
secret, p. 176.
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRC 59
la voix sur ce que je devais répondre, lui disant
de demander là-dessus conseil à Notre-Sei-
gneur. Et la voix me dit : Réponds hardiment.
Dieu t'aidera (1). »
Ses juges l'interrogent à ce sujet: «Gomment
vous expliquez-vous que vos saintes vous répon-
dent ? — Quand je fais requête à sainte Cathe-
rine, leur dit Jeanne, alors elle et sainte Margue-
rite font requête à Dieu, et puis, du commande-
ment de Dieu, elles me donnent réponse (2). »
Ainsi, pour tous ceux qui savent interroger
l'invisible dans le recueillement et la prière, la
pensée divine descend^ de degré en degré,
depuis les hauteurs de l'espace jusqu'aux pro-
fondeurs de l'humanité. Mais tous ne la dis-
cernent pas comme Jeanne.
Quand ses voix se taisent, elle refuse de ré-
pondre sur toute question importante : « Vous
n'aurez pas encore cela de moi ; je n'ai pas le
congé de Dieu. »
(( Je crois que je ne vous dis pas à plein ce
que je sais. Mais j'ai plus grande crainte défail-
lir en disant quelque chose qui déplaise à mes
voix, que je n'en ai de vous répondre à vous (3). »
(1) J. Fabre, Procès de condamnai ion, 3= inte-rrogatoire pu-
blic, p. 68.
(2) /6/d., 5' interrogatoire secret, p. 157.
(3) Ibid., ^^ interrogatoire public, p. 69.
60 JEANNE d'arc médium
Discrétion admirable et que tant d'hommes
feraient bien d'imiter, quand les voix de la sa-
gesse et de la conscience n'ordonnent pas de
parler.
Jusqu'à la fin de sa vie tragique, Jeanne mon-
trera un grand amour pour ses guides invisibles,
une entière confiance en leur protection. Même
quand ils semblèrent l'abandonner, après lui
avoir promis le salut, elle ne proféra aucune
plainte, aucun blasphème. De son aveu cepen-
dant, ils lui avaient dit, dans sa prison : « Tu
seras délivrée par grande victoire (1) », et au
lieu de la délivrance, c'était la mort qui venait.
Ses interrogateurs, qui ne négligeaient aucun
moyen de la désespérer, insistaient sur cet
abandon apparent, et Jeanne répondait sans se
troubler : « Oncques ne maugréai ni saint ni
sainte. »
L'histoire de la bonne Lorraine présentait des
cas de clairvoyance, de prémonition en assez
grand nombre pour lui avoir prêté, aux yeux de
tous, un pouvoir mystérieux de divination. Par-
fois, elle semble lire dans l'avenir, par exemple
lorsqu'elle dit au soldat de Chinon qui l'avait
injuriée, au moment de son entrée au château :
(( Ah ! tu renies Dieu, et pourtant tu es si près
(1) J. Fabre, Procès de condamnation, 5" interrogatoire se-
cret, p. 159.
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRG 61
de ta mort ! » Le soir même, en effet, ce soldat
se noie par accident (1). Il en est ainsi pour
l'Anglais Glasdale, à l'attaque de la bastille du
Pont, devant Orléans. Elle le somme de se
rendre au roi des cieux, ajoutant : « J'ai grande
pitié de ton âme ! » Au même instant, Glasdale
tombe, tout armé, dans la Loire, où il se noie (2).
Plus lard, à Jargeau, elle prévoit le danger qui
menace le duc d'Alençon, à la vie duquel elle a
promis de veiller : « Gentil duc, s'écrie-t-elle,
retirez-vous d'où vous êtes, sinon cette bouche
à feu, qui est là-bas, va vous envoyer à la mort. >»
La prévision était juste, car le seigneur du Lude,
ayant pris la place abandonnée, y fut tué peu
après (3).
D'autres fois, et le plus souvent, Jeanne l'at-
teste elle-même, elle est prévenue par ses voix.
A Yaucouleurs, sans Tavoir jamais vu, elle va
droit au sire de Baudricourt : « Je le reconnus,
explique-t-elle, grâce à ma voix. C'est elle qui
me dit : Le voilà [li) ! » D'après ses révélations,
Jeanne lui prédit la délivrance d'Orléans, le
sacre du roi à Reims, et lui annonce la défaite
(1) J. Fabre, Procès de réhabilitation. Déposition de Jean
Pasquerel, t. I, p. 218.
<2) Ibid., p. 227.
(3) Ibid., p. 179.
(4) J. Fabre, Procès de condamnation, 2= interrogatoire pu-
blic, p. 58.
4
62 JEANNE d'arc MÉDIUM
des Français à la journée des Harengs, au mo-
ment où elle vient d'avoir lieu (1).
A Ghinon, introduite auprès du roi, Jeanne
n'hésita pas à le trouver parmi les trois cents
courtisans au milieu desquels il s'était dissi-
mulé : « Quand j'entrai dans la chambre du roi,
dit-elle, je le reconnus entre les autres par le
conseil de ma voix qui me le révéla (2). » Dans
un entretien intime, elle lui rappelle les termea
de la prière muette qu'il avait adressée à Dieu,
seul dans son oratoire.
Ses voix lui apprennent que Fépée de Charles
Martel est enfouie dans l'église de Sainte-Ga-
therine-de-Fierbois, et la lui font voir (3).
G'est encore la voix qui la réveille à Orléans,
lorsque, épuisée de fatigue, elle s'est jetée sur
un lit et ignore l'attaque de la bastille de Saint-
Loup : « Mon conseil m'a dit que j'aille contre-
les Anglais, s'écrie-t-elle soudain. Vous ne
me disiez pas que le sang de France fût ré-
pandu (/i) ! »
Jeanne sait, pour en avoir été prévenue par
ses guides, qu'elle sera blessée d'un trait à l'at-
(1) Journal du siège, p. 48. — Chronique de la Pucelle, p. 275.
(2) J. Fabre, Procès de condaninalion, 2» interjogaioire pu-
blic, pp. 61-62.
(3) Ibid., 4« interrogatoire public, pp. 85-86.
(4) J. Fabïîe, Procès de réhabililalion, t. I. Déposition du
page de Jeanne, p. 210.
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'arG 63
taqiie des Tourelles, le 7 mai lZi29. Une lettre
du chargé d'affaires du Brabant, conservée aux
archives de Bruxelles, et datée du 22 avril de la
même année, écrite, par conséquent, quinze
jours avant Tévénement, relate cette prédiction
et la manière dont elle devait s'accomplir. La
veille du combat, Jeanne dit encore : « Il sor-
tira demain du sang de mon corps (1). »
Dans cette même journée, elle prédit, contre
toute vraisemblance, que l'armée triomphante
rentrerait dans Orléans par le pont, cependant
rompu. C'est ce qui eut lieu.
La ville délivrée, Jeanne insiste près du roi,
afin qu'on ne diffère pas le départ pour Reims,
répétant : « Je ne durerai guère qu'un an, Sire,
il faut donc me bien employer (2) ! » Quelle
prescience de sa si courte carrière !
Elle fut aussi avertie par ses voix de la reddi-
tion de Troyes à bref délai ; puis, plus tard, de
sa captivité prochaine : « En la semaine de
Pâques, comme j'étais sur le fossé de Melun,
il me fut dit par mes voix que je serai prise
avant la Saint-Jean, — dit l'accusée à ses juges
de Rouen, — et je leur faisais requête que,
quand je serai prise, je mourusse aussitôt sans
(1) J, Fabre, Procès de réhabilitation. Déposition de Jean
Pasquerel, p. 226.
(2) Ibid., t. I. Déposition du duc d'Alençon, p. 182.
64 JEANNE d'arc MEDIUM
long tourment de prison. Et elles me dirent :
« Prends tout en gré. 11 faut qu'il en soit ainsi
«fait.» Mais elles ne me dirent point l'heure (1).»
A ce propos, citons, en passant, cette belle ré-
ponse à ses interrogateurs : « Si j'eusse su
l'heure, je n'y fusse point allée volontiers.
Pourtant, j'aurais fait selon le commandement
de mes voix, quoi qu'il eût dû m'en advenir (2). »
On raconte aussi une scène touchante dans
l'église de Compiègne ; elle dit, en pleurant, à
ceux qui l'entouraient : « Bons amis et chers
enfants, sachez qu'on m'a vendue et trahie.
Bientôt je serai livrée à la mort. Priez pour
moi (3) ! »
En prison, ses guides lui prédisent, à sa
grande joie, la délivrance de Compiègne (/j).
Elle a aussi la révélation de sa fin tragique sous
une forme qu'elle ne comprend pas, mais dont
ses juges, eux, saisissent le sens : « Ce que
mes voix me disent le plus, c'est que je serai
délivrée... Elles ajoutent : Prends tout en gré,
ne te chaille (soucie) de ton martyre. Tu en
(1) J. Fabre, Procès de condamnation, l" interrogatoire
secret, p. 129.
(2) Ibid., p. 130.
(3) Voir Henri Martin, Hisloire de France, t. VI, p. 228 et
note 2.
(4) J. Fabre, Procès de condamnation, 5« interrogatoire
secret, p. 156.
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRC 65
viendras enfin au royaume du paradis (1). »
Souvent ses voix l'avertissent des conseils
secrets que tiennent les capitaines, jaloux de sa
gloire, et qui se cachent d'elle pour délibérer
des faits de guerre. Mais tout à coup, Jeanne
paraît, elle connaît à l'avance leurs résolutions
et les déjoue : « Vous avez été à votre conseil,
et j'ai été au mien, leur dit-elle. Le conseil de
Dieu s'accomplira, le vôtre périra (2). )>
N'est-ce pas aussi aux inspirations de ses
guides que Jeanne doit ces qualités éminentes
qui font le grand général, cette connaissance de
la stratégie, de la balistique, cette habileté à
employer l'artillerie, chose toute nouvelle à
cette époque ? D'où aurait-elle pu savoir que les
Français aiment mieux se porter en avant que
de combattre derrière des remparts? Et comr-
ment expliquer d'autre façon qu'une simple
bergère soH devenue du jour au lendemain, et
à dix-huit ans, un chef d'armée incomparable,
un tacticien consommé ?
On le voit, sa médiumnité revêtait des formes
variées. Ces facultés, disséminées, fragmentées
chez la plupart des sujets de nos jours, se trou-
(1) J. Fabre, Procès de condamnation, 5« interrogatoire
secret, p. 159.
(2) Id., Procès de réhabilitation, t. I. Déposition de Jean
Pasquerel, p. 226.
4.
66 JEANNE d'arc MEDIUM
vaient réunies chez elle, groupées dans une
unité puissante. En outre, elles étaient accrues
par sa grande valeur morale. L'héroïne était
l'interprète, l'agent de ce monde invisible, sub-
til, éthéré, qui s'étend au delà du nôtre et dont
certains êtres humains, spécialement doués,
perçoivent les vibrations, les harmonies, les
voix.
Les phénomènes qui remplissent la vie de
Jeanne s'enchaînent et concourent à un même
but. La mission imposée par les hautes Entités
dont nous chercherons plus loin à déterminer
la nature et le caractère, cette mission est nette
et précise. Elle est annoncée à l'avance et s'ac-
complit dans ses grandes lignes. Toute son his-
toire en porte témoignage. A ses juges de Rouen,
elle disait : « Je suis venue de la part de Dieu.
Je n'ai rien à faire ici. Renvoyez-moi à Dieu, de
qui je suis venue (1). »
Et lorsque, sur le bûcher, les flammes l'en-
tourent et mordent sa chair, elle s'écrie encore :
« Oui, mes voix étaient de Dieu ! Mes voix ne
m'ont pas trompée (2) ! »
Jeanne pouvait-elle mentir? Sa sincérité, sa
droiture, qui se manifestent en toutes circon-
(1) J. Fabre, Procès de condamnation^ 3« interrogatoire pu-
blic, p. ^^.
(*••) Id., Procès de réhabilitation, t. II, p. 91.
LA MÉDIUAINITÉ DE JEANNE d'aRC 67
Stances, répondent pour elle. Une âme si loyale,
qui a accepté tous les sacrifices plutôt que de
renier la France et son roi, une telle âme ne
pouvait s'abaisser jusqu'au mensonge. Il y a un
tel accent de vérité, de conviction dans ses pa-
roles, que nul, même parmi ses détracteurs les
plus ardents, n'a osé l'accuser d'imposture.
Anatole France, qui, certes, ne la ménage point,
écrit : « Ce qui ressort surtout des textes, c'est
qu'elle fut une sainte. Elle fut une sainte avec
tous les attributs de la sainteté au quinzième
siècle. Elle eut des visions, et ces visions ne
furent ni feintes ni contrefaites. » Et plus
loin : « On ne peut la soupçonner de men-
songe (1). »
Sa loyauté était absolue ; pour appuyer ses
dires, elle ne se servait pas, comme tant de
personnes, de termes excessifs, d'expressions
démesurées. « Elle ne jurait jamais, dit un
témoin du procès de réhabilitation, et, pour
affirmer^ elle se contentait d'ajouter : (( Sans
manque (2). » Ces paroles se retrouvent aussi
dans les interrogatoires du procès de Rouen.
Elles revêtaient une signification particulière
'1) Anatole France, Vie de Jeanne d'Arc, t. I, pp. xxxii»
XXXIX.
(2) J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I. Déposition de
trois marraines de Jeanne, p. 78.
68 JEANNE d'arc MÉDIUM
dans sa bouche, prononcées sur ce ton de fran-
chise, avec cette physionomie ouverte qui lui
étaient propres.
Autre point de vue : s'est-elle trompée ? Son
bon sens, sa lucidité d'esprit, son jugement si
sûr, les éclairs de génie qui, ça et là, illuminent
sa vie, ne permettent pas de le croire. Jeanne
n'était pas une hallucinée !
Certains critiques Font cru cependant. La
plupart des physiologistes, par exemple Pierre
Janet, Th. Ribot, le docteur Grasset, auxquels il
convient d'ajouter des aliénistes comme les doc-
teurs Lélut, Galmeil, etc., ne voient dans la
médiumnité qu'une des formes de l'hystérie ou
de la névrose. Pour eux, les voyants sont des
malades^ et Jeanne d'Arc, elle-même, n'échappe
pas à leurs jugements. Tout récemment, le pro-
fesseur Morselli, dans son étude : Psychologie
et Spiritisme^ ne considère-t-il pas les médiums
comme des esprits faibles ou déséquilibrés ?
Il est toujours facile de qualifier de chimères,
d'hallucinations ou de folie, les faits qui nous
déplaisent ou qu'on ne peut expliquer. En cela,
bien des sceptiques se prennent pour des gens
très avisés, alors qu'ils sont tout simplement
dupes de leur parti pris.
Jeanne n'était ni hystérique, ni névrosée. Elle
était forte et jouissait d'une santé parfaite. Ses
LA MÉDIUiMNITÉ DE JEANNE d'aRC 69
mœurs étaient chastes, et quoique d'une beauté
pleine d'attraits, sa vue imposait le respect, la
vénération, même aux soudards qui partageaient
sa vie (1). Trois fois : à Chinon, au début de sa car-
rière, à Poitiers et à Rouen, elle subit l'examen
de matrones, qui attestèrent son état de virginité.
Elle supportait sans faiblir les plus grandes
fatigues. « Il lui arrive de passer jusqu'à six
journées sous les armes », écrit, le 21 juin l/i29,
Perceval de Boulainvilliers, conseiller-cham-
bellan de Charles VII. Et lorsqu'elle était à
cheval, elle excitait l'admiration de ses compa-
gnons d'armes, par le temps qu'elle y pouvait
rester sans éprouver le besoin de descendre de
sa monture (2). Son endurance est attestée dans
maintes dépositions. « Elle se comportait de telle
sorte, dit le chevalier Thibault d'Armagnac,
qu'il ne serait pas possible à homme quelconque
d'avoir meilleure attitude dans le fait de guerre.
Tous les capitaines s'émerveillaient des peines
et labeurs qu'elle supportait (3). »
(1)J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I. Déposition de
Jean de Metz, p. 128. — Dépos. de Bertrand de Poulengy,
p. 133. — Dépos. de l'écuyer Gobert Thibault, p. 164. —
Dépos. du duc d'Alençon, p. 183. — Dépos. de l'intendant
de Jeanne, pp. 249-250. — Dépos. deDunois, p. 201, etc.
(2) Id., Ibid., t. I. Déposition du président Simon Charles,
p. 149.
(3) Id., Ibid., t. I. Déposition du chevalier Thibault d'Ar-
magnac, p. 282.
70 JEANNE d'arc MÉDIUM
Il en est de même pour sa sobriété : on a,
sur ce point, de nombreux témoignages, depuis
celui de personnes qui la virent peu de temps,
comme dame Colette, jusqu'à ceux des hommes
de son entourage habituel. Citons les paroles
de son page, Louis de Contes : « Jeanne était
très sobre. Bien des fois, en toute une journée,
elle n'a mangé qu'un morceau de pain. J'admi-
rais qu'elle mangeât si peu. Lorsqu'elle restait
chez elle, elle mangeait seulement deux fois par
jour (1). »
La rapidité merveilleuse avec laquelle notre
héroïne guérissait de ses blessures, montre chez
elle une puissante vitalité : quelques instants,
quelques jours lui suffisent, et elle retourne sur
le champ de bataille. Après avoir sauté de la
tour de Beaurevoir et s'être gravement blessée,
elle revient à la santé sitôt qu'elle peut absor-
ber quelque nourriture.
Tous ces faits dénotent-ils une nature faible
ou névrosée ?
Et si, des qualités physiques, nous passons à
celles de l'esprit, la même constatation s'im-
pose. Les nombreux phénomènes dont Jeanne
{l) J. F ABRE, Procès de réhabililalion, t. I. Déposition de
Louis de Contes, page de Jeanne, p. 211. -- Dépos. de
Dunois, p. 201. — Dépos. des époux Millet, p. 273. — Dé-
pos. du panetier Richarville, p. 279, etc.
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE dVrG 71
a été Fagent, loin de troubler sa raison, comme
c'est le cas pour les hystériques, semblent, au
contraire, l'avoir fortifiée, à en juger par les
réponses lucides, nettes, décisives, inattendues
qu'elle fait à ses interrogateurs de Rouen. Sa
mémoire est restée sûre, son jugement sain ;
elle a conservé la plénitude de ses facultés
intellectuelles, la maîtrise de soi.
Le docteur G. Dumas, professeur à la Sor-
bonne, dans une notice publiée par Anatole
France, à la fin de son deuxième volume, dé-
clare n'avoir pas réussi, d'après les témoi-
gnages, à trouver chez Jeanne aucun des stig-
mates classiques de l'hystérie. Il insiste lon-
guement sur l'extériorité des phénomènes, sur
leur netteté objective, sur V « indépendance et
l'autorité relatives » de l'inspirée vis-à-vis des
« saintes ». 11 ne lui semble pas que ses visions
puissent être ramenées à aucun type patholo-
gique constaté expérimentalement.
« Nul indice, dit de son côté Andrew Lang (1),
ne permet de penser que Jeanne, pendant qu'elle
était en communion avec ses saints, se soit trou-
vée « dissociée », ni inconsciente de ce qui
l'entourait. Au contraire, nous voyons que^
(1) Andrew Lang, la Jeanne d'Arc de M. Anatole France,
pp. 12a-127.
72 JEANNE D ARC MEDIUM
dans la terrible scène de son abjuration, elle
entend à la fois, avec une netteté égale, les voix
de ses saints et ce sermon de son prédicateur
dont elle ne se fait pas faute de critiquer les
erreurs. »
Ajoutons que jamais elle n'a été obsédée,
puisque ses Esprits ne viennent qu'à certains
moments, et surtout quand elle les appelle,
alors que l'obsession est caractérisée par la pré-
sence constante, inévitable, d'êtres invisibles.
Les voix de Jeanne ont toutes trait à sa gran-
de mission ; jamais leurs propos ne sont puérils ;
elles ont toujours leur raison d'être, elles ne se
contredisent pas, et ne sont pas entachées des
croyances erronées du temps, ce qui aurait lieu
si Jeanne eût été prédisposée à subir des hallu-
cinations. Loin d'ajouter foi aux fées, aux ver-
tus de la mandragore et à cent autres idées
fausses de l'époque, elle manifeste, dans ses
interrogatoires, son ignorance à leur égard, ou
montre le mépris dans lequel elle les tient (1).
Chez Jeanne, pas de sentiment égoïste, aucun
orgueil, comme chez les hallucinés qui, attri-
buant une grande importance à leur petite per-
sonne, ne voient autour d'eux qu'ennemis et
(1) J. Fabre, Procès de condamnation, 3c et 5« interroga-
toires publics ; 9« interrogatoire secret ; acte d'accusation.
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRC 73
persécuteurs. C'est à la France, à son roi que
vont toutes ses pensées sous l'inspiration di-
vine.
Le grand aliéniste Brierre de Boismont, qui
s'est livré à une étude attentive de la ques-
tion (1), reconnaît en Jeanne une intelligence
supérieure. Cependant il qualifie d'hallucina-
tions les phénomènes dont elle est l'objet, mais
en leur prêtant un caractère physiologique et
non pathologique. 11 entend dire par là, que ces
hallucinations ne l'ont pas empêchée de con-
server l'intégrité de sa raison ; elles seraient le
fruit d'une exaltation mentale, qui n'a toutefois
rien de morbide. Pour lui, la conception del'idée
directrice, « stimulant puissant », s'est faite
image dans le cerveau de Jeanne, en qui il
admire une âme d'élite, un de ces « messagers
envoyés du fond du mystérieux infini vers nous».
Sans être du même avis que le célèbre prati-
cien de la Salpétrière, quant aux causes déter-
minantes des phénomènes, le docteur Dupouy,
qui attribue ces derniers à l'influence d'Entités
célestes, conclut dans le même sens. Seulement,
pour lui, les hallucinations de Jeanne auraient eu
le don d'objectiver les pei*sonnalités angéliques
(1) Brierre de Boismont, Des Hallucinalions. De Vhallucina-
lion historique.
5
74 JEANNE d'arc MEDIUM
qui lui servaient de guides. Nous pourrions
adopter cette manière de voir, puisque nous
savons qu'elle considérait ses saintes, comme
étant celles dont les images décoraient l'église
de Domremy.
Mais, dirons-nous encore : peut-on attribuer
un caractère hallucinatoire à des voix qui vous
réveillent en plein sommeil, pour vous avertir
d'événements présents ou à venir, comme ce
fut le cas à Orléans et pendant le procès de
Jeanne, à Rouen ? à des voix qui vous conseillent
d'agir autrement que vous le voudriez ? Lors
de sa captivité dans la tour de Beaurevoir, la
prisonnière reçut bien des recommandations de
ses guides, désireux de lui éviter une erreur,
cependant ils ne purent l'empêcher de sauter
du haut de la tour, et Jeanne eut à s'en repentir.
Dire avec Lavisse, A. France et d'autres, que
la voix entendue par Jeanne était celle de sa
conscience, nous paraît également en contra-
diction avec les faits. Tout prouve que ces voix
étaient extérieures. Le phénomène n'est pas
subjectif, puisqu'elle est réveillée, nous l'avons
vu, aux appels de ses guides, et ne saisit par-
fois que la fin de leurs discours (1).
(1)J. Fabre, Procè."? de condamnation, 3* interrogatoire pu-
blic, p. 68.
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRC 75
Elle ne les entend bien qu'aux heures de
silence, ainsi que le constate A. France lui-
même (1). « Le trouble des prisons et les noises
de ses gardes (2) » Tempêchent de comprendre
leurs paroles. Il est donc de toute évidence que
celles-ci viennent du dehors ; le bruit ne gêne
guère la voix intérieure qui se perçoit dans le
secret de l'âme, même aux moments de tumulte.
Concluons donc, à notre tour, en reconnais-
sant en Jeanne, une fois de plus, un grand mé-
dium.
N'en déplaise au docteur Morselli (3) et à
tant d'autres, la médiumnité ne se manifeste
pas seulement chez les esprits faibles ou les
âmes portées à la folie. 11 y a des talents de
grandes envergures, tels que Pétrarque, Pascal,
La Fontaine, Gœthe, Sardou, Flammarion et
combien d'autres, des penseurs profonds comme
Socrate, des hommes pénétrés de l'esprit divin,
saints ou prophètes, qui ont eu leurs heures
de médiumnité, en qui s'est révélée, parfois à
maintes reprises, cette faculté, latente chez
eux.
Ni la hauteur de Fintelligence, ni l'élévation
(1) A. France, Vie de Jeanne (FArc, t. I,-p.359,
(2) J. Fabre, Procès de condamnalion, 5" interrogatoire
secret, p. 157.
(3) Psychologie el Spirilisme, par II. Morselli.
76 JEANNE DARC MEDIUM
de l'àme ne sont des empêchements à ces sortes
de manifestations. S'il y a tant de productions
médianimiques dont la forme ou le fond laissent
à désirer, c'est que les hautes intelligences et les
grands caractères sont rares. Ces qualités se
trouvaient réunies en Jeanne d'Arc, et c'est
pourquoi ses facultés psychiques avaient atteint
un tel degré de puissance. On peut dire de la
vierge d'Orléans qu'elle réalisait l'idéal de la
médiumnité.
Maintenant, une question se pose, question
de la plus haute importance : Quelles étaient
les personnalités invisibles qui inspiraient
Jeanne et la dirigeaient ? Pourquoi des saints,
des anges, des archanges ? Que devons-nous
penser de cette intervention constante de saint
Michel, sainte Catherine, sainte Marguerite ?
Pour résoudre ce problème, il faudrait ana-
lyser tout d'abord la psychologie des voyants et
des sensitifs, et comprendre la nécessité où ils
se trouvent, de prêter aux manifestations de
l'Au-delà les formes, les noms, les apparences
que l'éducation reçue, les influences subies,
les croyances du milieu et de l'époque où ils
vivent, leur ont suggérés. Jeanne d'Arc n'échap-
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'arC 77
pait pas à cette loi. Elle se servait, pour tra-
duire ses perceptions psychiques, des termes,
des expressions, des images qui lui étaient
familiers. C'est ce qu'ont fait les médiums de
tous les temps. Suivant les milieux, on donnera
aux habitants du monde occulte les noms de
dieux, de génies, d'anges ou daïmons, d'es-
prits, etc.
Les Intelligences invisibles qui interviennent
ostensiblement dans l'œuvre humaine, se trou-
vent elles-mêmes dans l'obligation d'entrer
dans la mentalité des sujets auxquels elles se
manifestent, d'emprunter les formes et les noms
d'êtres illustres connus de ceux-ci, afin de les
impressionner, de leur inspirer confiance, de
les mieux préparer au rôle qui leur est dévolu.
En général, on n'attache pas dans l'iVu-delà
autant d'importance que nous aux noms et aux
personnalités. On y poursuit des œuvres gran-
dioses et, pour les réaliser, on utilise les moyens
que nécessite l'état d'esprit, on pourrait dire
l'état d'infériorité et d'ignorance, des milieux et
des temps où ces Puissances veulent intervenir.
On m'objectera peut-être, que ces Puissances
surhumaines auraient pu révéler à la vierge de
Domremy leur véritable nature^ en l'initiant à
une connaissance plus haute, plus large du
monde invisible et de ses lois. Mais, outre qu'il
78 JEANNE d'arc MÉDIUM
est très long et très difficile d'initier un être
humain, même le mieux doué, aux lois de la
vie supérieure et infinie, que nul n'embrasse
encore dans leur ensemble, c'eût été aller à
rencontre du but assigné; c'eût été rendre
irréalisable l'œuvre conçue, œuvre toute d'ac-
tion, en créant, chez l'héroïne, un état d'esprit
et des divergences de vues, qui l'eussent mise
en opposition avec l'ordre social et religieux,
sous lequel elle était appelée à agir.
Si on examine avec attention les dires de Jeanne
sur ses voix, on est frappé par un fait signifi-
catif : c'est que l'Esprit auquel on attribue le
nom de saint Michel, ne s'est jamais nommé (1).
Les deux autres Entités auraient été désignées
par saint Michel lui-même, sous les noms de
sainte Catherine et de sainte Marguerite (2).
Rappelons que les statues de ces saintes ornaient
Téglise de Domremy, où Jeanne allait prier
journellement ; dans ses longues méditations et
ses extases, elle avait souvent devant les yeux
les images de pierre de ces vierges martyres.
(1) Henri Martin dit le contraire (Histoire de France, t. VI,
p. 142); mais aux sources qu'il indique, Procès de condam-
nation, 2e interrogatoire public, saint Michel n'est pas nom-
mé. Jeanne s'exprime ainsi : « la voix d'un ange » (Voir
aussi 7" interrogatoire secret).
(2) J. Fabre, Procès de condamnation, 7^ interrogatoire se-
cret, pp. 173-174.
LA MÉDIUMNITÉ DE JFANNE DARG 79
Or Texistence de ces deux personnages est
plus que douteuse. Ce que nous savons d'eux
consiste en légendes très contestées. Vers Tan
1600, un censeur de PUniversité, Edmond Ri-
cher, qui croyait aux anges, mais non à sainte
Catherine ni à sainte Marguerite, émet Tidée
que les apparitions perçues par la jeune fille,
s'étaient données à elle pour les saintes qu'elle
vénérait depuis son enfance. « L'Esprit de Dieu
qui gouverne l'Église, s'accommode à notre
infirmité », disait-il (1).
Plus tard, un autre docteur en Sorbonne,
Jean de Launoy, écrivait : « La vie de sainte
Catherine, vierge et martyre, est toute fabu-
leuse, depuis le commencement jusqu'à la fin.
Il ne faut y ajouter aucune foi (2). » Bossuet,
dans son Histoire de France pour l'instruction
du Dauphin^ ne mentionne pas les deux saintes.
De nos jours, M. Marins Sepet, élève de
rÉcole des Chartes et membre de l'Institut^
dans sa préface de la Vie de sainte Catherine^
par Jean Miélot (3), fait d'expresses réserves au
sujet des documents qui ont servi à établir cet
(1) Edmond Richer, Histoire de la Pucelle d'Orléans, manu-
scrit Bibl. nat.
(2) Voir : A. France, Vie de Jeanne d'Arc, t. I, p. lix.
(3) Édition Hurtel, 1881, p. 35. Voir aussi F. X. Feller :
Dictionnaire historique.
80 JEANNE d'arc MÉDIUM
ouvrage : « La vie de Madame sainte Catherine,
dit-il, sous la forme qu'elle a prise dans le ma-
nuscrit 6/i/i9 du fonds français à la Bibliothèque
nationale, ne saurait aucunement prétendre à
une valeur canonique (1). »
Remarquons encore que le cas plus récent
du curé d'Ars, présente beaucoup d'analogie
avec celui de Jeanne d'Arc. Gomme elle, le
célèbre thaumaturge était vo3^ant et s'entrete-
nait avec des Esprits, surtout avec sainte Phi-
lomène, sa protectrice habituelle. Il subissait
aussi les tracasseries d'un Esprit inférieur nom-
mé Grappin. Or, de même que Catherine et Mar-
(1) Des critiques éminents, dont plusieurs sont des ca-
tholiques et même des prélats, ont établi, en des travaux
récents, que les hagiographes ont commis de nombreuses
erreurs. Mgr Duchesne, directeur de l'École française de
Rome, qui jouit d'une grande autorité dans le monde reli-
gieux, a prouvé que plusieurs saints et saintes, parmi les-
quels saint Maurice, de la légion thébaine, patron de la
cathédrale d'Angers, n'ont jamais existé. Il a démontré que
les Saintes-Mariés ne sont jamais venues en France, et que
les légendes dont elles sont l'objet en Provence, sont pu-
rement œuvre d'imagination. Fait plus grave : huit noms de
papes ont été effacés, comme inexacts. Sur un ordre venu
de Rome, la liste a été remaniée ; Pie X n'est plus que le
256*, au lieu du 264«. Par exemple, saint Clet et saint Anaclet
ne font qu'un. Et si l'on a pu se tromper à ce point au su-
jet de personnages ayant occupé le trône pontifical, com-
ment être certain de l'existence de personnalités plus hypo-
thétiques encore? Voir les ouvrages de Mgr Duchesne in-
titulés: Catalogues épiscopaiix des diocèses ; Origines chré-
tiennes (leçons faites à la Sorbonne).
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRC 81
guérite, Philomène n'est qu'un nom symbo
lique ; il signifie « qui aime Thumanité » (1).
Si les noms attribués aux Puissances invi-
sibles qui influencèrent la vie de Jeanne d'Arc,
n'ont qu'une importance relative et sont, en eux-
mêmes, très contestables, il en est tout autre-
ment, nous l'avons vu, de la réalité objective
de ces Puissances, et de l'action constante
qu'elles ont exercée sur l'héroïne.
L'explication catholique nous paraissant insuf-
fisante, nous sommes porté à voir en elles des
Entités supérieures^ qui résument, concentrent,
mettent en action les forces divines, aux heures
où le mal s'étend sur la terre, lorsque les
hommes, par leurs agissements, entravent ou
menacent le développement du plan éternel.
(1) Voir P. Saintyves : les Saints, successeurs des dieux,
pp. 109 à 112, résumé de la question de sainte Philomène
d'après Marucchi et les Analecla Bollandiana.
Consulter également, pour sainte Marguerite: P. Saint-
YTES, lei Saints, successeurs des dieux, pp. 365 à 370.
Pour sainte Catherine d'Alexandrie : voir Hermann Knust,
Geschichte der Legenden der H. Katarina von Alexandrien nnd
der H. Maria ^gypiiaca. Halle, 1890, in-8. On y trouve
toutes les références antérieures. D'après certains érudits,
Catherine d'Alexandrie ne serait autre que la belle et sa-
vante Hypathie.
5.
82 JEANNE d'arc MÉDIUM
Ces Puissances, on les retrouve, sous les clé-
nominations les plus diverses, à des époques
bien différentes. Mais, quel que soit le nom
qu'on leur donne, leur intervention dans This-
toire n'est pas douteuse. Au quinzième siècle,
nous verrons en elles les génies protecteurs de
la France, les grandes âmes qui veillent plus
particulièrement sur notre nation.
On dira peut-être : c'est là du surnaturel. Non 1
ce que Ton désigne par ce mot, ce sont les
régions élevées, les hauteurs sublimes et, pour
ainsi dire, le couronnement de la nature. Or,
par l'inspiration des voyants et des prophètes,
par les Puissances médiatrices, par les Esprits
messagers, l'humanité a toujours été en rap-
port avec les plans supérieurs de l'univers.
Les études expérimentales, poursuivies de-
puis un demi-siècle (1), ont jeté une certaine
lueur sur la vie de l'Au-delà. Nous savons que
le monde des Esprits est peuplé d'êtres innom-
brables, occupant tous les degrés de l'échelle
d'évolution. La mort ne nous change pas, au
point de vue moral. Nous nous retrouvons dans
l'espace avec toutes les qualités acquises, mais
aussi avec nos erreurs et nos défauts. Il en
résulte que l'atmosphère terrestre fourmille
(1) Voir Après la Morl et Dans rinvisible, passim.
LA MÉDIUMMTÉ DE JEANxNE d'aRG 83
d'âmes inférieures, avides de se manifester aux
humains, ce qui rend parfois les communica-
tions dangereuses et exige, de la part des expé-
rimentateurs, une préparation laborieuse et
beaucoup de discernement.
Ces études démontrent aussi qu'il y a, au-
dessus de nous, des légions d'âmes bienfai-
santes et protectrices, les âmes des hommes qui
ont souffert pour le bien, pour la vérité et la
justice. Elles planent au-dessus de la pauvre
humanité, pour la guider dans les voies de sa
destinée. Plus haut que les horizons étroits de
la terre, toute une hiérarchie d'êtres invisibles
s'étage dans la lumière. C'est l'échelle de Jacob
de la légende, l'échelle des Intelligences et des
Consciences supérieures qui se gradue et s'élève
jusqu'aux Esprits radieux, jusqu'aux puissantes
Entités, dépositaires des forces divines.
Ces Entités invisibles, nous l'avons dit, inter-
viennent quelquefois dans la vie des peuples,
mais elles ne le font pas toujours d'une manière
aussi éclatante qu'aux temps de Jeanne d'Arc.
Le plus souvent, leur action reste obscure,
effacée, d'abord pour sauvegarder la liberté
humaine, et, surtout, parce que, si ces Puis-
sances veulent être connues, elle^ veulent aussi
que l'homme fasse effort et se rende apte à les
connaître.
84 JEANNE d'arc MEDIUM
Ces grands faits de l'histoire sont comparables
aux éclaircies qui se produisent tout à coup
entre les nuées, lorsque le temps est couvert,
pour nous montrer le ciel profond, lumineux,
infini. Puis, ces trouées se referment aussitôt,
parce que l'homme n'est pas encore mûr, pour
saisir et comprendre les mystères de* la vie su-
périeure.
Quant au choix des formes et des moyens que
ces grands Êtres emploient pour intervenir
dans le champ terrestre, il faut reconnaître que
notre savoir est bien faible pour les apprécier
et les juger. Nos facultés sont impuissantes à
mesurer les vastes plans de l'invisible. Mais
nous savons que les faits sont là, incontestables,
indéniables. De loin en loin, à travers l'obscu-
rité qui nous enveloppe, au milieu du flux et du
reflux des événements, aux heures décisives,
lorsqu'une nation est en péril, quand l'humanité
est sortie de sa voie, alors une émanation, une
personnification de la Puissance suprême des-
cend parmi nous, pour rappeler aux hommes
qu'il existe au-dessus d'eux des ressources
infinies, qu'ils peuvent attirer par leurs pensées,
par leurs appels, des sociétés d'âmes qu'ils
atteindront un jour, par leurs mérites et leurs
efforts.
L'intervention dans l'œuvre humaine de ces
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRC 85
hautes Entités, que nous nommerons les ano-
nymes de l'espace, constitue une loi profonde
sur laquelle nous croyons devoir insister encore,
en nous efforçant de la rendre plus compréhen-
sible.
En général, avons-nous dit, les Esprits supé-
rieurs qui se manifestent aux hommes ne se
nomment pas, ou bien, s'ils se nomment, ils
empruntent des noms symboliques, qui caracté-
risent leur nature ou le genre d^ mission qui
leur est assigné.
Pourquoi donc, alors qu'ici-bas Thomme se
montre si jaloux de ses moindres mérites, si
empressé à attacher son nom aux œuvres les
plus éphémères, pourquoi les grands mission-
naires de l'Au-delà, les glorieux messagers de
l'invisible, s'obstinent-ils à garder Panonymat
ou à prendre des noms allégoriques ? C'est que,
bien différentes sont les règles du monde ter-
restre et celles des mondes supérieurs, où se
meuvent les Esprits de rédemption.
Ici-bas, la personnalité prime et absorbe tout.
Le moi tyrannique s'impose : c'est le signe de
notre infériorité, la formule inconsciente de
notre égoïsme. Notre condition présente étant
imparfaite et provisoire, il est logique que tous
nos actes gravitent autour de notre personna-
lité, c'est-à-dire de ce moi qui maintient et
86 JEANNE d'arc MÉDIUM
assure Fidentité de l'être dans son stade infé-
rieur d'évolution, à travers les fluctuations de
l'espace et les vicissitudes du temps.
Dans les hautes sphères spirituelles, il en est
tout autrement. L'évolution se poursuit sous
des formes plus éthérées, formes qui, à une
certaine hauteur, se combinent, s'associent et
réalisent ce qu^on pourrait appeler la compéné-
tration des êtres.
Plus l'Esprit monte et progresse dans la hié-
rarchie infinie, plus les angles de sa personna-
lité s'effacent, plus son moi se dilate et s'épa-
nouit dans la vie universelle, sous la loi d'har-
monie et d'amour. Sans doute l'identité de l'être
demeure, mais son action se confond de plus
en plus avec l'activité générale, c'est-à-dire avec
Dieu, qui, en réalité, est Yacte pur.
C'est en cela que consistent le progrès infini
et la vie éternelle : se rapprocher sans cesse
de rÉtre absolu sans l'atteindre jamais, et con-
fondre toujours plus pleinement notre œuvre
propre avec l'œuvre éternelle.
Parvenu à ces sommets, l'Esprit ne se nomme
plus de tel ou tel nom ; ce n'est plus un indi-
vidu, une personnalité, mais bien une des formes
de l'activité infinie. 11 s'appelle : Légion. 11
appartient à une hiérarchie de forces et de lu-
mières, telle une parcelle de flamme appartient
LX MÉDIUMMTÉ DE JEANNE D ARC bT
à l'activité du foyer qui l'engendre et la nourrit.
C'est une immense association d'Esprits har-
monisés entre eux par des lois d'affinité lumi-
neuse, de symphonie intellectuelle et morale,
par l'amour qui les identifie. Fraternité su-
blime, dont celle de la terre n'est qu'un pâle et
fugitif reflet !
Parfois, de ces groupes harmonieux, de ces
pléiades éblouissantes, un rayon vivant se dé-
tache, une forme radieuse se sépare et vient,
telle une projection de lumière céleste, explo-
rer, illuminer les recoins de notre monde
obscur. Aider à l'ascension des âmes, fortifier
une créature à l'heure d'un grand sacrifice, sou-
tenir la tête d'un Christ à l'agonie, sauver un
peuple, racheter une nation qui va périr : telles
sont les missions sublimes que ces messagers
de l'Au-delà viennent remplir.
La loi de solidarité exige que les êtres supé-
rieurs attirent à eux les esprits jeunes ou attar-
dés. Ainsi, une immense chaîne magnétique se
déroule à travers l'incommensurable univers, et.
relie les âmes et les mondes.
Et comme le sublime de la grandeur morale
consiste à faire le bien pour le bien même,
sans retour égoïste sur soi, les Esprits bienfai-
teurs agissent sous le double voile du silence
et de l'anonymat, afin que la gloire et le mérite^
«O JEANNE D ARC MEDIUM
de leurs actes en reviennent à Dieu seul et
retournent à lui.
Ainsi s'expliquent les visions de Jeanne, ses
voix, les apparitions de l'archange et des saintes,
qui n'ont jamais existé comme personnalités
individuelles, baptisées de ce nom, mais qui
sont cependant des réalités vivantes, des êtres
lumineux, détachés des foyers divins et qui ont
fait de Jeanne la libératrice de son pays.
Michel, Micaël, la force de Dieu ; Margue-
rite, Margarita, la perle précieuse ; Catherine,
Katarina, la vierge pure : tous noms symbo-
liques qui caractérisent une beauté morale, une
force supérieure et reflètent un rayon de Dieu.
Jeanne d'Arc était donc un intermédiaire
entre deux mondes, un médium puissant. Pour
cela, elle fut martyrisée, brûlée. Tel est, en
général, le sort des envoyés d'en haut : ils sont
en butte aux persécutions des hommes ; ceux-ci
ne veulent ou ne peuvent pas les comprendre.
Les exemples qu'ils donnent, les vérités qu'ils
répandent, sont une gêne pour les intérêts ter-
restres, une condamnation pour les passions ou
les erreurs humaines.
Il en est de même de nos jours. Quoique
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRC 89
moins barbare que le moyen âge, qui les envoyait
en masse au bûcher, notre époque persécute
encore les agents de l'Au-delà. Ils sont souvent
méconnus, dédaignés, bafoués. Je parle des
médiums sincères et non des simulateurs, qui
sont nombreux et se glissent partout. Ces der-
niers prostituent une des choses les plus res-
pectables qui soit en ce monde, et, par cela
même^ ils assument de lourdes responsabilités
dans l'avenir. Car tout se paie, tôt ou tard ; tous
nos actes, bons ou mauvais, retombent sur nous,
avec leurs conséquences. C'est la loi de la des-
tinée (1) !
Les manifestations du monde invisible sont
constantes, disions-nous ; elles ne sont pas
égales. La supercherie, le charlatanisme se
mêlent parfois à l'inspiration sacrée : à côté
de Jeanne d'Arc, vous trouverez Catherine
de La Rochelle et Guillaume le berger, qui
étaient des imposteurs. Il y a aussi de réels
médiums qui s'abusent eux-mêmes et agissent,
à certaines heures, sous l'empire de l'auto-sug-
gestion. La source n'est pas toujours très pure ;
la vision est quelquefois confuse, mais il y a
des phénomènes si éclatants que, devant eux.
(1) Voir : Le Problème de VÊlre eî de la Deslinée, chap.
XVIII et XIX.
90 JEANNE d'arc MEDIUM
le doute ne peut subsister. Tels furent les faits
médianimiques qui illustrent la vie de Jeanne
d'Arc.
11 y a dans la médiumnité, comme en toutes
choses, une diversité infinie, une gradation,
une sorte de hiérarchie. Presque tous les grands
prédestinés, les prophètes, les fondateurs de
religion, les messagers de vérité, tous ceux qui
ont proclamé les principes supérieurs dont la
pensée humaine s'est nourrie, ont été des mé-
>^iums, puisque leur vie a été en relations cons-
tantes avec les hautes sphères spirituelles.
J'ai démontré ailleurs (1), en m'appuyant sur
des témoignages nombreux et précis, que le
génie, à divers points de vue et dans bien des
cas, peut être considéré comme un des aspects
de la médiumnité. Les hommes de génie, pour
la plupart, sont des inspirés dans la plus haute
acception de ce mot. Leurs œuvres sont comme
des foyers que Dieu allume dans la nuit des
siècles, pour éclairer la marche de l'humanité.
Depuis la publication de mon livre, j'ai recueilli
de nouveaux documents à l'appui de cette thèse.
Plus loin, j'en citerai quelques-uns.
Toute la philosophie de rhi3toire se résume
(1) Voir : Dans VInvisible, chap. XXVI, La Médiumnité glo-
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRG 91
en deux mots : la communion du visible et de
l'invisible. Elle s'exprime par la haute inspira-
tion : les hommes de génie, les grands poètes,
les savants, les artistes, les inventeurs célèbres,
tous sont des exécuteurs du plan divin dans le
monde, de ce plan majestueux d'évolution qui
entraîne Famé vers les sommets.
Tantôt les nobles Intelligences qui président
à cette évolution, s'incarnent elles-mêmes, pour
rendre leur action plus efficace et plus directe.
Alors, vous avez Zoroastre, Bouddha, et, au-
dessus de tous, le Christ. Tantôt, elles inspirent
et soutiennent les missionnaires chargés de
donner une impulsion plus vive aux essors de
la pensée : Moïse, saint Paul, Mahomet, Luther
furent de ceux-ci. Mais, dans tous les cas, la
liberté humaine est respectée. De là, les entraves
de toutes sortes que ces grands Esprits ren-
contrent sur leur chemin.
Le fait le plus saillant parmi les événements
qui signalent la venue de ces messagers d'en
haut, c'est l'idée religieuse sur laquelle ils
s'appuient.
Cette idée suffit à exalter leur courage et à
rassembler autour d'eux, humbles presque tous
et ne disposant d'aucune force matérielle, des
foules innombrables, prêtes à répandre l'ensei-
gnement dont elles ont senti la grandeur.
92 JEANNE d'arc MÉDIUM
Tous ont parlé de leurs communications avec
l'invisible ; tous ont eu des visions, entendu des
voix, et se sont reconnus simples instruments
de la Providence pour l'accomplissement d'une
mission. Seuls, livrés à eux-mêmes, ils n'au-
raient pas réussi ; l'influence d'en haut était
nécessaire, indispensable au triomphe de leur
idée, contre laquelle s'acharnaient tant d'enne-
mis.
La philosophie, elle aussi, a eu ses glorieux
inspirés :
Socrate, comme Jeanne d'Arc, percevait des
voix, ou plutôt une voix, celle d'un Esprit fami-
lier qu'il appelait son démon (1). Elle se faisait
entendre en toute circonstance.
On peut lire dans le Théagès de Platon com-
ment Timarque aurait évité la mort, s'il avait
écouté la voix de cet Esprit : « Ne t'en va pas,
— lui conseille Socrate, lorsqu'il se lève du
banquet avec Philémon, son complice et le seul
qui eût connaissance de ses intentions, pour
aller tuer Nicias, — ne t'en va pas ; la voix
me dit de te retenir. » Bien qu'averti à deux
reprises encore, Timarque partit, mais il échoua
dans son entreprise et fut condamné à mort. A
l'heure du supplice, il reconnut trop tard qu'il
(1) En grec daïnion signifie génie familier, esprit.
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRG 93
aurait du obéir à la voix : « 0 Clitomaque ! dit-il
à son frère, je vais mourir pour ne pas avoir
voulu m'en tenir à ce que me conseillait Socrate.»
Un jour, la voix avertit le sage de ne pas aller
plus loin sur une route qu'il parcourait avec ses
amis. Ceux-ci se refusent à l'écouter; ils conti-
nuent leur marche et rencontrent un troupeau
qui les renverse et les piétine.
Après avoir reconnu bien souvent la justesse
des conseils qui lui étaient dictés par cette
voix, Socrate avait toute raison de croire en elle ;
il rappelait à ses amis que, « leur ayant commu-
niqué les prédictions qu'il en recevait, on n'avait
jamais constaté qu'il y en eût d'inexactes ».
Rappelons encore la déclaration solennelle
de ce philosophe devant le tribunal des Ephètes,
lorsque s'agite pour lui la question de vie ou
de mort :
« Cette voix prophétique du démon^ qui n'a jamais
cessé de se faire entendre pendant tout le cours de
mon existence, qui n'a jamais cessé, même dans les
circonstances les plus banales, de me détourner de
tout ce qui aurait pu me causer du mal, voilà que ce
dieu se tait, maintenant qu'il m'arrive des choses qui
pourraient être regardées comme le pire des maux.
Pourquoi cela? C'est que, vraisemblablement, ce qui
se passe est un bien pour moi. Nous nous trompons
sans doute, en supposant que la mort est un malheur /»
94 JEANNE d'arc médium
En France aussi, nos philosophes ont été vi-
sités par l'Esprit: Pascal avait des heures d'ex-
tase; la Recherche de la Vérité^ deMalebranche,
fut écrite en pleine obscurité ; et Descartes nous
raconte comment une intuition soudaine, ra-
pide comme l'éclair, lui inspira l'idée de son
Doule méthodique^ système philosophique au-
quel nous devons l'affranchissement de la pen-
sée moderne. Dans ses Annales médico-psy-
chologiques (1), Brierre de Boismont nous dit :
« Descartes, après une longue retraite, fut
suivi par une personne invisible qui l'engageait
à poursuivre les recherches de la vérité. »
Schopenhauer, en Allemagne, reconnaît éga-
lement avoir subi l'influence de l'Au-delà :
« Mes postulats philosophiques, dit-il, se sont
produits chez moi sans mon intervention, dans
les moments où ma volonté était comme en-
dormie... Aussi ma personne était comme étran-
gère à l'œuvre. »
Presque tous les poètes de renom ont joui d'une
assistance invisible. Dans le nombre, citons
seulement (2) : le Dante et le Tasse, Schiller et
Goethe, Pope (3), Shakespeare, Shelley, le Ca-
(1) 1851, p. 543.
(2) V. LÉON Denis, Dans rinuisible,ch!xp. XXVI, La Médium-
nité glorieuse.
(3) Pope écrivait, dit-il lui-même, sous l'inspiration des
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRC 95
moëns, Victor Hugo, Lamartine, Alfred de Mus-
set (1), etc.
Parmi les peintres et les musiciens, Raphaël,
Mozart, Beethoven et d'autres trouveraient ici
leur place, car, sans cesse, l'inspiration se dé-
verse en flots puissants sur l'humanité.
On dit souvent : « Ces idées sont dans Pair. »
Elles y sont, en efFet, parce que les âmes de
l'espace les suggèrent aux hommes. C'est là
qu'il faut chercher la source des grands mou-
vements d'opinion dans tous les domaines. Là
aussi est la cause des révolutions qui boulever-
sent un pays pour le régénérer.
Il faut donc le reconnaître : le phénomène de
la médiumnité remplit les âges. Toute l'his-
toire s'éclaire de sa lumière. Tantôt, il se con-
centre sur une personnalité éminente et brille
d'un vif éclat, c'est le cas de Jeanne d'Arc. Tan-
tôt, il est disséminé, réparti sur un grand
nombre d'interprètes, comme à notre époque.
La médiumnité a été souvent l'inspiratrice
du génie, l'éducatrice de l'humanité, le moyen
que Dieu emploie pour élever et transformer
Esprits. Ses œuvres renferment des prédictions, concernant
l'avenir de l'Angleterre, qui se sont déjà réalisées, et d'au-
tres qui attendent leur réalisation.
(1) Parlant de sa façon d'écrire, Musset disait :
« On ne travaille pas, on écoute, on attend.
C'est comme un inconnu qui vous pfnie à l'oreille. »
96 JEANNE d'arc MEDIUM
les sociétés. Au quinzième siècle, elle a servi à
tirer la France de l'abîme de maux où elle était
plongée.
Aujourd'hui, c'est comme un souffle nouveau
qui passe sur le monde, et vient rendre la vie
à tant d'âmes endormies dans la matière, à
tant de vérités qui gisent dans Tombre et dans
l'oubli !
Les phénomènes de vision, d'audition, les
apparitions de défunts, les manifestations des
invisibles par l'incorporation, l'écriture, la typ-
tologie, etc., se font innombrables; ils se mul-
tiplient chaque jour autour de nous.
Les enquêtes de plusieurs sociétés d'études,
les expériences et les témoignages de savants
éminents et de publicistes de premier ordre,
dont nous avons cité les noms, ne laissent au-
cun doute sur la réalité de ces faits. Ils ont été
observés dans des conditions qui défient toute
supercherie. Nous en citerons seulement quel-
ques-uns des plus récents, parmi ceux qui pré-
sentent des analogies avec les faits empruntés
à la vie de Jeanne d'Arc.
Il y a d'abord les voix :
Dans Hiiman Personality, F. Myers nous entretient
de celle entendue par Lady Caidly, dans une circon-
stance où sa vie était en danger.
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRG 97
François Coppée parle également d'une voix mys-
térieuse qui l'appelait par son nom à certains mo-
ments assez graves de sa vie, lorsque, une fois cou-
ché, il était tenu éveillé par ses préoccupations:
« Assurément je ne dors pas dans ce moment-là,
affirme-t-il ; et la preuve, c'est que, malgré la grosse
émotion et le battement de cœur que j'éprouve alors,
j'ai toujours immédiatement répondu : « Qui est là?
« Qui me parle ? » Mais jamais la voix n a rien ajouté
à son simple appel (i). »
Au mois de mai 1897, M. Wiltshire fut réveillé de
très grand matin par l'appel de son nom, prononcé
par une personne invisible. La voix insistant, lui
donna l'impression d'un danger immédiat aux envi-
rons. Il finit par se lever et sortir ; il arriva juste à
temps pour sauver la vie d'une jeune fille, qui avait
tenté de se noyer (2).
Dans la Revue scientifique et morate du Spiri-
tisme (S), le docteur Breton, médecin de la marine et
président de la Société des Études psychiques de
Nice, rapporte le fait suivant :
« Mlle Lolla, jeune fille russe, étant dans une ha-
bitation de campagne de sa famille en Russie, rêve
qu'elle voit entrer dans sa chambre sa mère, qui lui
crie: « Lolla, n'aie pas peur, le feu esta la grange I »
La nuit suivante, Mlle Lolla est brusquement ré-
(1) Voir Dans VInvisible, pp. 185-186, et le |ournal le Matin
7 octobre 1901.
(2) Revue scientifique el morale du Spiritisme, juin 1908.
(3) Juillet 1909.
98 JEANNE d'arc MEDIUM
veillée par sa mère, qui, pénétrant dans sa chambre,
lui crie: « LoUa, n'aie pas peur, le feu est à la
« grange ! » exactement les mêmes paroles entendues
en rêve. Mlle Lolla se marie, elle épouse M. de R.,
officier russe. Son beau-père meurt. Quelque temps
après, la jeune Mme de R. accompagne sa belle-
mère pour aller au cimetière, dans une chapelle de
famille, prier sur la tombe du défunt. Agenouillée
et priant, elle entend distinctement une voix qui lui
dit : « Toi aussi, tu seras veuve, mais lu n'auras pas
« la consolation de venir prier sur la tombe de mon
« fils. » La jeune femme, en entendant cette voix,
s'évanouit ; sa belle-mère vient à son secours, et
bientôt, revenant à elle, elle raconte la cause de son
émotion. »
La guerre russo-japonaise éclate. Le colonel de
R. reçoit l'ordre de partir. Il succombe en Mand-
chourie. Son corps, mis en bière, est transporté,
avec d'autres, à Moukden, afin d'être expédié en
Russie. « Mais le détachement qui les transportait
dut les abandonner pendant la retraite générale de
l'armée russe. Malgré de nombreuses recherches, on
ne put jamais savoir ce que ces corps étaient deve-
nus.
« La prophétie de l'Esprit, père du colonel de R.,
s'était accomplie : la jeune veuve ne pourra jamais
prier sur la tombe de son mari. »
Parlons maintenant des apparitions. Les exem-
ples n'en sont pas rares de nos jours et, dans
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRG 99
certains cas, on a pu en établir Tauthenticité au
moyen de la photographie.
La Revue du i5 janvier 1909 contient un récit de
M. W. Stead relatif à un fait de ce genre. Le grand
publiciste anglais est connu autant par sa loyauté
que par son courage et son désintéressement. A l'oc-
casion, si la vérité l'exige, il sait tenir tête à toute
l'Angleterre. On sait comment, au mépris de ses
intérêts personnels, oubliant les nombreux milHons
dont il devait hériter de Gecil Rhodes, il osa citer
publiquement ce dernier comme un des artisans
responsables de la guerre sud-africaine. Il alla jus-
qu'à demander qu'on lui appliquât la peine des tra-
vaux forcés (hard labour).
Au cours de cette même guerre, W. Stead se ren-
dit chez un photographe fort ignorant, mais doué de
la seconde vue, pour voir ce qu'il en obtiendrait,
car l'étude du monde occulte a pour lui beaucoup
d'attraits. Avec Stead, le photographe vit entrer
une apparition qui s'était déjà présentée, quelques
jours auparavant, dans son atelier. Il fut convenu
qu'on essayerait de la photographier en même temps
que l'écrivain. Pendant l'opération, à une question
qui lui fut posée, le personnage, invisible aux yeux
humains, dit s'appeler Piet Botha. Parmi tous les
Botha connus de W. Stead, il n'y en avait aucun
portant ce prénom. Sur la photographie se dressait
en efTet, à ses côtés, la figure très nette, tout à fait
caractéristique, d'un Boer.
100 JEANNE d'arc MÉDIUM
Lorsque, la paix conclue, le général Botha vint à
Londres, W. Stead lui envoya l'image obtenue. Dès
le lendemain, il vit arriver chez lui un des délégués
du Sud-Africain, M. Wessels. Celui-ci, fort intrigué,
lui dit : « Cet homme-là ne vous a jamais connu I II
n'a jamais mis le pied en Angleterre! C'est un de
mes parents, j*ai son portrait chez moi. » — « Est-il
mort? » demanda Stead. — « Il fut le premier com-
mandant boer tué au siège de Kimberley, lui répon-
dit son interlocuteur, Petrus Botha, mais nous l'ap-
pelions Piet pour abréger. »
A la vue de la photographie, les autres délé-
gués des États libres reconnurent aussi le guerrier
boer.
Parfois, et c'est une des plus fortes raisons
qui militent en faveur de leur authenticité,
les apparitions se montrent à de tout jeunes
enfants, incapables d'aucun calcul, d'aucune
fraude.
Les Annales des Sciences psychiques du i^^'-iô fé-
vrier 1909 citent plusieurs faits analogues. Dans
l'un, c'est une fillette de deux ans et demi qui
revoit, à diverses reprises et en différents endroits,
sa petite sœur, morte quelque temps auparavant, et
lui tend la main. Dans l'autre cas, une enfant de
trois ans aperçoit, au moment du décès de son petit
frère, une de ses tantes défuntes et court vers elle, la
suivant dans ses déplacements.
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRG 101
On lit encore dans Brierre de Boismont {Annales
médico-psychologiques, i85i) (i) :
« Un jeune homme de dix-huit ans, n'ayant au-
cune tendance enthousiaste, romanesque et supers-
titieuse, habitait Ramsgate pour sa santé. Dans une
promenade à l'un des villages voisins, il entra dans
une église, à la chute du jour, et fut frappé de ter-
reur en apercevant le spectre de sa mère, morte
quelques mois auparavant d'une maladie de lan-
gueur fort douloureuse, qui avait excité la compas-
sion des assistants. La figure se tenait entre lui et la
muraille, et elle resta, pendant un temps considé-
rable, immobile. Il regagna son logis à demi éva-
noui; la même apparition ayant eu lieu dans sa
chambre plusieurs soirées consécutives, il se sentit
malade et se hâta de se rendre à Paris, où son père
demeurait. En même temps il prit la résolution de
ne pas lui parler de la vision, de peur d'ajouter à la
douleur dont l'avait accablé la perte d'une femme
adorée.
« Obligé de coucher dans la chambre de son père,
il fut surpris d'y trouver une lumière qui brûlait
toute la nuit, ce qui était opposé à leurs habitudes
et tout à fait antipathique à leurs goûts. Après plu-
sieurs heures d'insomnie causée par l'éclat de la lu-
mière, le fils sortit de son lit pour l'éteindre. Le
père s'éveilla aussitôt dans une grande agitation et
lui ordonna de la rallumer, ce qu'il fil, très étonné
(1) Des Hallucinations compatibles avec la raison, pp. 215-
246.
6.
102 JEANNE d'arc MÉDIUM
de la colère de son père et des signes de terreur em-
preinte sur ses traits. Lui ayant demandé le motif
de son effroi, il n'en reçut qu'une réponse vague et
la promesse qu'il lui en ferait connaître la cause.
« Une semaine au plus s'était écoulée depuis cet
événement, lorsque le jeune homme, ne pouvant
dormir par le malaise que lui occasionnait la lu-
mière, se hasarda une seconde fois à l'éteindre ;
mais le père s'élança presque aussitôt de son lit,
agité d'un grahd tremblement, le gronda de sa dé-
sobéissance, et ralluma la lampe. Il lui avoua alors
que, toutes les fois qu'il était dans l'obscurité, le
fantôme de sa femme lui apparaissait, restait immo-
bile et ne s'évanouissait que lorsque la lumière avait
été de nouveau allumée.
« Ce récit fit une forte impression sur l'esprit du
jeune homme et, craignant d'augmenter le chagrin
de son père en lui racontant l'aventure de Rams-
gate, il quitta peu de temps après Paris et se rendit
dans une ville de l'intérieur, à soixante milles de
distance, pour voir son frère qui y était en pension,
et auquel il n'avait pas fait part de ce qui lui était
arrivé à lui-même, dans la crainte du ridicule.
(( Il était à peine entré dans la maison et avait
échangé les politesses d'usage, lorsque le fils du
maître de pension lui dit : « Votre frère a-t-il jamais
« donné des preuves de folie? Il est descendu la nuit
« dernière en chemise, hors de lui, déclarant qu'il
« avait vu l'esprit de sa mère, qu'il n'osait plus retour-
« ner dans sa chambre, et il s'est évanoui de frayeur. »
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRC 103
Nous pourrions ajouter beaucoup de faits du
même ordre. Les habitants de l'espace ne né-
gligent aucun moyen de se manifester et de nous
démontrer les réalités de la survivance. Les
grands Esprits ont une prédilection marquée
pour le phénomène de l'incorporation, car il
leur permet de se révéler avec une conscience
plus entière et des ressources intellectuelles
plus étendues. Le médium, plongé dans le
sommeil par une action magnétique invisible^
abandonne pour quelques instants son orga-
nisme à des Entités qui s'en emparent, et entrent
en rapport avec nous par la voix, le geste, l'at-
titude. Leur langage est parfois si suggestif,
si imposant, qu'on ne saurait garder aucun doute
sur leur caractère, leur nature, leur identité.
S'il est facile d'imiter les phénomènes physi-
ques, tels que les tables parlantes, l'écriture au-
tomatique, les apparitions de fantômes, il n'en
est pas de même des faits d'ordre intellectuel
élevé. On n'imite pas le talent, encore moins le
génie. Nous avons été souvent témoin de scènes
de ce genre, et elles ont laissé en nous, chaque
fois, une impression profonde. Vivre, ne fût-ce
qu'un moment, dans l'intimité des grands
Etres, est une des rares félicités dont on puisse
jouir sur la terre. C'est par cette médiumnité
de l'incorporation que nous avons pu communi-
104 JEANNE d'arc MEDIUM
quer avec les Esprits-guides, avec Jeanne elle-
même, et recevoir d'eux les enseignements, les
révélations que nous avons consignés en nos
ouvrages.
Toutefois, si cette faculté est une source de
jouissances pour les expérimentateurs, elle
offre peu de satisfaction au médium lui-même,
car il ne conserve, au réveil, aucun souvenir de
ce qui s'est passé durant son absence du corps.
La médiumnité existe à Fétat latent chez une
foule de personnes. Partout, autour de nous,
parmi les jeunes filles, les jeunes femmes, les
jeunes hommes, germent des facultés subtiles,
s'élaborent des fluides puissants, qui peuvent
servir de liens entre le cerveau humain et les
intelligences de l'espace. Ce qui nous manque
encore, ce sont les écoles et les méthodes né-
cessaires pour développer ces éléments avec
science et persévérance, et les mettre en valeur.
L'absence de préparation méthodique et d'étude
patiente, ne permet pas de tirer de ces germes
tous les fruits de vérité et de sagesse qu'ils
pourraient donner. Trop souvent, faute de sa-
voir et de travail régulier, ils se dessèchent ou
ne donnent que des fleurs empoisonnées.
Mais, peu à peu, voici qu'une science et une
croyance nouvelles naissent et se propagent,
apportant à tous la connaissance des lois qui
LA MÉDIUMNITÉ DE JEANNE d'aRC 105
régissent l'univers invisible. On apprendra bien-
tôt à cultiver ces facultés précieuses, à faire
d'elles les instruments des grandes Ames, dé-
positaires des secrets de l'Au-delà. Les expé-
rimentateurs renonceront aux vues étroites,
aux procédés routiniers d'une science vieillie ;
ils s'attacheront à mettre en œuvre les pouvoirs
de l'esprit par la pensée élevée, moteur su-
prême, trait d'union qui relie les mondes di-
vins aux sphères inférieures, et un rayon d'en
haut viendra féconder leurs recherches. Ils
sauront que l'étude des grands problèmes phi-
losophiques, la pratique du devoir, la dignité
et la droiture de la vie sont les conditions es-
sentielles du succès. Si la science et la méthode
sont indispensables en matière d'expérimenta-
tion psychique, les élans généreux de l'âme par
la prière n'ont pas moins d'importance, car ils
constituent l'aimant, le courant fluidique qui
attire les puissances bienfaisantes et éloigne
les influences funestes. Toute la vie de Jeanne
le démontre surabondamment.
Le jour où toutes ces conditions seront réu-
nies, le nouveau spiritualisme entrera pleine-
ment dans la voie de ses destinées. A l'heure
où tant de croyances vacillent sans le souffle
des passions, et où l'âme humaine s'enlise dans
la matière, au milieu de l'afTaissement général
106 JEANNE D ARC MÉDIUM
des caractères et des consciences, il deviendra
un moyen de salut, une force, une foi vivante et
agissante, qui reliera le ciel à la terre, et em-
brassera lésâmes et les mondes dans une com-
munion éternelle et infinie.
V. — Vaucouleurs.
Je pars. Adieu, vous que j'aimais!
P. ÂLLARD.
Reprenons le cours de l'histoire de Jeanne.
Nous l'avons vue quitter Domremy. Dès ce jour,
l'épreuve va surgir sous chacun de ses pas. Et
cette épreuve sera d'autant plus cruelle qu'elle
lui viendra de ceux dont elle doit attendre
sympathie, affection, secours. On peut lui appli-
quer ces paroles : « Elle est venue parmi les
siens, et les siens ne la connurent pas (1). »
Les alternatives pénibles qui l'assiégeront
fréquemment par la suite, Jeanne les connut
dès le début de sa mission. Elle, si soumise à
l'autorité de ses parents, si attachée à ses de-
voirs, malç^ré l'amour qu'elle porte à son ipère,
à sa mère, elle doit enfreindre leurs ordres et,
clandestinement, s'échapper de la demeure qui
l'a vue naître.
Son père avait eu en songe une révélation de
(1) Év. selon saint Jean, I, 11
108 JEANNE d'arc MEDIUM
ses desseins. Une nuit, il rêva que sa fille quit-
tait son pays, sa famille, et partait avec des
hommes d'armes. Il en fut vivement préoccupé
et en parla à ses fils, leur ordonnant, plutôt
que de la laisser s'en aller ainsi, « de la noyer
dans la Meuse. Et si vous ne le faites vous-
mêmes, ajoutait-il, moi, je le ferai ! »
Jeanne avait dû dissimuler, résolue qu'elle
était « d'obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes ».
A Rouen, ses juges lui en feront un grief :
(( Groyiez-vous bien faire, lui demandèrent-ils,
en partant sans le congé de votre père et de
votre mère ? — J'ai bien obéi à mon père et à
ma mère pour toutes autres choses, hors pour
ce départ. Mais depuis, je leur en ai écrit, et
ils m'ont pardonné. »
Elle montre par là sa déférence et sa soumis-
sion envers ceux qui l'ont élevée. Pourtant les
juges insistent : « Quand vous avez quitté votre
père et votre mère, ne croyiez-vous point pé-
cher ? » Jeanne exprime alors toute sa pensée
dans cette belle réponse : « Puisque Dieu le
commandait, il fallait le faire. Même si j'eusse
eu cent pères et cent mères et que j'eusse été
fille de roi, encore serais-je partie (1) ! »
(1) J. Favre, Procès de condamnation^ 2^ interrogatoire se-
cret, p. 1H9.
VAUCOULEURS 109
Accompagnée d'un de ses oncles, qu'elle a
pris en passant à Burey, Durand Laxart, le seul
membre de sa famille qui ait cru à sa vocation,
le seul qui l'ait encouragée dans ses projets,
elle se présente à Robert de Baudricourt, com-
mandant de Yaucouleurs pour le dauphin. Le
premier accueil est brutal. Jeanne ne se décou-
rage pas. Elle a été prévenue par ses voix. Sa
résolution est inébranlable ; rien ne peut la dé-
tourner de son but. Elle l'affirme en termes
énergiques aux bonnes gens de Yaucouleurs:
« Avant la mi-carême, il faut que je sois devers
le roi, dussé-je user mes jambes jusqu'aux ge-
noux ! » Et peu à peu, à force d'insistances, le
rude capitaine prête plus d'attention à ses propos.
Comme tous ceux qui l'approchent, Roberi
de Baudricourt a subi l'ascendant de cette jeune
fille. Après l'avoir fait exorciser par Jean Tour-
nier, curé de Yaucouleurs, et s'être convaincu
qu'il n'y a rien de mauvais en elle, il n'ose plus
nier sa mission, ni accumuler les obstacles sur
sa route. 11 lui fait donner un cheval, une es-
corte. Déjà le chevalier Jean de Metz, subjugué
par l'ardente conviction de Jeanne, lui avait
promis de la mener au roi. « Mais quand ? »
lui avait-il demandé. Yivement, elle répondit :
« Plutôt maintenant que demain, plutôt demain
que plus tard ! »
7
110 JEANNE d'arc MÉDIUM
Elle part enfin, et la dernière parole du
capitaine de Vaucouleurs est celle-ci : « Va,
et advienne que pourra ! » Parole tiède et
peu encourageante. Qu'importe à Jeanne ! Ce
n'est pas aux voix de la terre qu'elle prête
l'oreille, c'est à celles d'en haut, et ces voix la
stimulent et la soutiennent. Dans son âme, la
force et la confiance grandissent avec les in-
certitudes et les périls du lendemain. Aussi
répétera-t-elle souvent ce dicton de son pays:
c( Aide-toi, Dieu t'aidera ! » L'avenir est mena-
çant. Tout, autour d'elle, est cause d'effroi. Mais
elle possède les forces divines !
C'est là un exemple qu'elle donne à tous les
pèlerins de la vie. La route de l'homme est
semée d'embûches : partout des ornières, des
pierres aiguës, des ronces, des épines. Pour
les franchir, Dieu a mis en nous les ressources
d'une énergie cachée que nous pouvons mettre
en valeur, en attirant des puissances invi-
sibles, ces mystérieux secours d'en haut, qui
centuplent nos forces personnelles et assurent
le succès dans la lutte. Aide-toi et Dieu t'ai-
dera!
Elle part, accompagnée seulement de quel-
ques hommes de cœur. Elle voyage jour et
nuit. Il faut franchir cent cinquante lieues à
travers des provinces ennemies, pour atteindre
VAUCOULEURS 111
Ghinon, où réside le dauphin Charles, qu'on
nomme par dérision le roi de Bourges, puisqu'il
ne règne plus que sur un lambeau de royaume ,^
Charles qui oublie sa mauvaise fortune dans
les plaisirs, au milieu des courtisans qui le tra-
hissent et pactisent en secret avec l'ennemi.
Elle doit traverser le pays bourguignon ,^
allié de l'Angleterre, cheminer sous la pluie
par les sentiers détournés, passer à gué des ri-
vières débordées, coucher sur le sol détrempé.
Jeanne n'hésite jamais. Ses voix lui disent sans-
cesse : « Ya, fille de Dieu, va, nous viendrons à
ton aide ! » Et elle va, elle va, en dépit des obsta-
cles, au milieu des dangers. Elle vole au secours^^
d'un prince sans espérance et sans courage.
Et voyez quel mystère admirable ! C'est une
enfant qui vient tirer la France de l'abîme^
Qu'apporte-t-elle donc avec elle ? Est-ce un se-
cours militaire ? une armée ? Non, rien de tout
cela. Ce qu'elle apporte, c'est la foi en soi-
même, la foi en l'avenir de la France, cette
foi qui exalte les âmes et soulève les mon-
tagnes. Que dit Jeanne à tous ceux qui se pres-
sent sur son passage ? « Je viens de la part du
Roi du ciel, et je vous apporte le secours du
ciel! »
YI. — Ghinon, Poitiers, Tours.
Chemine hardiment, la victoire suivra.
Paul Allard.
La plupart des auteurs pensent que Jeanne
est entrée en Touraine par Amboise, en suivant
la voie romaine qui longe la rive gauche de la
Loire. Elle serait venue d'abord de Gien à
Blois, par la Sologne. Repartie d'Amboise, elle
aurait franchi le Cher à Saint-Martin-le-Beau,
PIndre à Cormery, puis aurait fait halte à
Sainte-Gatherine-de-Fierbois, où se trouvait un
sanctuaire consacré à Tune de ses saintes.
D'après une vieille tradition, Gharles Martel,
ayant vaincu les Sarrasins, qu'il extermina dans
les bois sauvages au milieu desquels s'élevait
cette chapelle (feras boscus^ Fierbois), déposa
son épée dans cet oratoire. Reconstruit en 1375,
il était fréquenté par les chevaliers et hommes
d'armes, qui, pour obtenir la guérison de leurs
blessures, formaient le vœu de s'y rendre en
pèlerinage et d'y déposer leur épée.
' CHINON, POITIERS, TOURS 113
Sur la route, on avait embusqué une troupe
soudoyée probablement par le perfide La Tré-
moille et chargée d'enlever Jeanne ; mais, à la
vue de l'envoyée, ces bandits restèrent comme
cloués au sol (1).
D'après les dépositions identiques de Pou-
lengy et de Novelonpont, le voyage de Vaucou-
leurs à Ghinon s'effectua en onze jours ; il s'en-
suit, dit l'abbé Bossebœuf, qu'elle y arriva le
mercredi 23 février (2). Wallon, Quicherat et
d'autres disent le 6 mars.
Voici la ville et ses trois châteaux, qui se con-
fondent dans une longue masse grise de murs
crénelés, de tours et de donjons.
A son entrée dans Ghinon, la petite caravane
avait défilé par les rues escarpées, entre les
maisons gothiques aux façades plaquées d'ar-
doises, décorées, à leurs angles, de statuettes
de bois. Et, aussitôt, sur le seuil des portes, ou
le soir, à la veillée, devant l'âtre qui flamboie,
les récits merveilleux circulent de bouche en
bouche sur la jeune fille qui arrive des marches
de Lorraine, pour accomplir les prophéties et
mettre un terme à l'insolente fortune des An-
glais.
(1) J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I, pp. 150-151. Dé-
position du frère Seguin.
(2) Bulletin de la Société archéologique de Touraine, t. XII.
114 JEANNE d'arc MÉDIUM
Jeanne et son escorte prirent gîte « chez une
bonne femme, près du château » (1), sans doute
dans la maison du gentilhomme Reignier de la
Barre, dont la veuve ou la fille reçut la Pu-
celle avec joie (2). Elle y demeura deux jours
sans obtenir d'audience (3). Plus tard, elle logea
au château même, dans la tour du Coudray.
Cette audience tant désirée lui fut accordée.
C'était le soir. L'éclat des torches, le bruit des
fanfares, l'appareil de la réception, tout cela ne
va-t-il pas l'éblouir, l'intimider ? Non, elle vient
d'un monde plus brillant que le nôtre. Depuis
longtemps, elle a connu des magnificences au-
près desquelles toute cette mise en scène est
bien pâle. Plus loin que Domremy, plus loin que
la terre, en des temps qui ont précédé sa nais-
sance, elle a fréquenté des demeures plus glo-
rieuses que la cour de Finance, et elle en a con-
servé l'intuition.
Plus vibrante que le cliquetis des armes et
les sonneries des trompettes, elle entend une
voix qui parle en elle et répète : Va, fille de
Dieu, je suis avec toi !
Parmi mes lecteurs, certains trouveront ces
(1) J. Fabre, Procès de condamnation, p. 150.
(2) M. DE CouGNY, Chinon et ses monuments, m-8, 1898,
pp. 35-36.
(3) Procès. Déposition de Dunois.
CHINON, POITIERS, TOURS 115
propos étranges. C'est ici l'occasion de dire,
de rappeler que Tesprit existe avant le corps,
qu'il a parcouru, avant la dernière naissance
terrestre, de vastes périodes de temps, habité
bien des milieux, et qu'il redescend en ce
monde, à chaque incarnation nouvelle, avec
tout un bagage de qualités, de facultés, d'apti-
tudes, qui proviennent de ce passé obscur, par
lui traversé.
Il existe en chacun de nous, dans les profon-
deurs de notre conscience, une accumulation
d'impressions et de souvenirs, résultant de nos
vies antérieures, soit sur la terre, soit dansTes-
pace. Ces souvenirs dorment en nous : le lourd
manteau de chair les étouffe et les éteint; mais
parfois, sous l'impulsion de quelque agent
extérieur, ils se réveillent soudain, les intui-
tions jaillissent, des facultés ignorées reparais-
sent, et nous ledevenons, pour un instant, un
être différent de celui qu'on voyait en nous (1).
Vous avez remarqué, sans doute, ces plantes
qui flottent à la surface de l'eau dormante des
étangs. C'est là une image de l'âme humaine.
Elle flotte sur les profondeurs sombres de son
passé ; ses racines plongent en des régions in-
(1) Voir : Léon Denis, Problème de VÊlre et de la Destinée,
pp. 240 et suiv.
113 JEANNE d'arc MÉDIUM
connues et lointaines, d'où elle tire ces sucs
vivifiants, cette fleur brillante qui va éclore,
se développer, s'épanouir dans le champ de la
vie terrestre.
Dans l'immense salle du château où Jeanne
fut introduite, trois cents seigneurs, chevaliers
et nobles dames, en brillants costumes, étaient
assemblés. Quelle impression cette vue ne dut-
elle pas produire sur l'humble bergerette !
quel courage ne lui fallut-il pas pour aff*ronter
tous ces regards licencieux ou inquisiteurs,
cette foule de courtisans qu'elle sentait hostile !
Il y avait là Regnault de Chartres, chance-
lier de France, archevêque de Reims, prêtre à
l'âme desséchée, perfide et envieux ; la Tré-
moille, le grand chambellan, homme jaloux,
ombrageux, qui dominait le roi et intriguait en
secret avec les Anglais; le dur et orgueilleux
Raoul de Gaucourt, grand-maître de l'hôtel du
roi ; le maréchal Gilles de Retz, l'infâme magi-
cien plus connu sous le surnom de Barbe-Bleue ;
puis, des courtisanes titrées, des prêtres astu-
cieux, avides. Jeanne sentait planer autour
d'elle une atmosphère d'incrédulité et de mal-
veillance. Tel était le milieu où vivait Char-
les VII, amolli par Pabus des plaisirs, loin de la
guerre, parmi ses favoris et ses maîtresses.
Soupçonneux et défiant, le roi, pour éprou-
CHINON, POITIERS, TOURS il7
ver Jeanne, avait fait occuper son trône par un
courtisan et s'était dissimulé dans la foule. Mais
elle va droit à lui, s'agenouille, lui parle lon-
guement à voix basse ; elle lui révèle ses pen-
sées secrètes, ses doutes sur sa propre nais-
sance, ses hésitations cachées, et le visage de
ce triste monarque, dit la Chronique, s'illu-
mine d'un rayon de confiance et de foi (1). Les
assistants, étonnés, comprirent qu'un phéno-
(1) J. Fabre, Procès de réhabililalion. Témoignage du cham-
bellan Guillaume Gouffier, t. II, p. 286. Pierre Sala, auteur
des Hardiesses des grands rois et empereurs, ouvrage publié
en 1516, tenait du chambellan Guillaume Gouffier, seigneur
de Boisy, « le secret qui avait été entre le roi et la Pucelle.
Étant très aimé de ce roi, — dit Pierre Sala, — il en avait
reçu les confidences. Le roi se trouvait si bas qu'il ne
savait plus que faire et ne faisait que penser au remède de
sa vie, étant, de ses ennemis, enclos de tous côtés. Il
entra un matin en son oratoire, tout seul ; et là, il fit une
humble requête et prière à Notre-Seigneur dedans son
cœur, sans prononciation de paroles, où il requérait dévote-
ment que, s'il était vrai héritier du royaume de France, il lui
plût de le lui garder ou, au pis, de lui faire la grâce d'échap-
per et de se sauver en Espagne ou en Ecosse. »
La Pucelle, ajoute en substance P. Sala, ayant eu révéla-
tion de ces choses aux champs, les répéta au roi dès qu'elle
lui fut présentée, le réconfortant et lui affirmant de la part
de Dieu qu'il était vrai fils du roi et héritier de la cou-
ronne de France.
Voir manuscrit de la Bibliothèque nationale ; suppléments
français, n° 191. M. J. Quicherat cite, avec Sala, dépositaire
des confidences du sire de Boisy, deux autres versions
tout à fait concordantes ; ap. Procès, t. IV, pp. 257, 272,279.
Voir aussi la très importante lettre d'Alain Chartier, ap.
Procès, t. V, p. 133.
7.
418 JEANNE d'arc MEDIUM
mène extraordinaire venait de se produire.
Et cependant, « nul ne se rencontra qui pût
croire que le sort du plus fier royaume de la
chrétienté était remis à de telles mains, ni que
le faible bras d'une pauvre fille de village fût
réservé pour accomplir une tâche où avaient
échoué les conseils des plus sages et le courage
des plus forts » (1). Il fallut encore endurer bien
des humiliations, subir Pexamen de matrones
attestant sa pureté. Envoyée à Poitiers, Jeanne
y paraîtra devant une commission d'enquête,
composée d'une vingtaine de théologiens dont
deux évéques, ceux de Poitiers et de Mague-
lonne.
« C'était un beau spectacle, dit Alain Ghar-
tier, qui écrivait sous l'impression même de la
scène, que de la voir disputer, femme contre
les hommes, ignorante contre les docteurs,
seule contre tant d'adversaires. »
Toutes ses réparties dénotent une grande
vivacité d'esprit et un à propos surprenant.
Elle éclatait, à tout moment, en saillies impré-
vues et originales, qui réduisaient à néant les
pitoyables objections de ses examinateurs. Le
procès-verbal des interrogatoires de Poitiers
a été détruit. Certains historiens en font peser
(1) DuPANLOUP, Panégyrique de Jeanne d'Arc, 1855.
CHINON, POITIERS, TOURS 119
la responsabilité sur les agents de la couronne
de France, qui montrèrent tant d'ingratitude et
d'indifférence coupable envers la Pucelle, pen-
dant sa longue captivité. Il ne nous reste qu'un
résumé des conclusions auxquelles aboutirent
les docteurs appelés à donner leur opinion sur
Jeanne (1). « En elle, disent-ils, on ne trouve
point de mal, fors que bien, humilité, virginité,
dévotion, honnêteté, simplesse (2). »
Nous possédons en outre les témoignages
du procès de réhabilitation. Le P. Seguin, de
Tordre des Frères prêcheurs, s'exprimait ainsi,
avec simplicité et bonhomie : « Moi qui parle,
je demandai à Jeanne quel idiome parlait sa
voix. — « Un meilleur que le vôtre », me répon-
dit-elle. Et, en effet, je parle limousin. L'inter-
rogeant derechef, je lui dis : « Croyez-vous en
Dieu ?» — « Oui, mieux que vous », me répon-
dit-elle (3). »
Un autre de ses juges de Poitiers, Guillaume
Aimery, lui objectait : « Vous dites que Dieu
vous a promis la victoire et vous demandez des
soldats. A quoi bon des soldats, si la victoire est
assurée ? — En nom Dieu, répliqua Jeanne,
(1) Manuscrit 7301 de la Bibliothèque na'rionale.
(2) J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I, p. 170.
(3) Id., Ibid., t. I. Déposition du frère Seguin.
120 JEANNE d'arc MEDIUM
les soldats batailleront, et Dieu donnera la vic-
toire (1). »
Et quand on lui demande des signes, c'est-
à-dire des miracles : « Je ne suis pas venue à
Poitiers pour y donner des signes. Mais menez-
moi à Orléans et je vous montrerai les signes
pour quoi je suis envoyée (2). »
De nouveau, on lui fait subir l'examen d'un
conseil de matrones, présidé par la reine de
Sicile, pour constater sa virginité.
Sortie triomphante de toutes ces épreuves,
il lui fallut attendre plus d'un mois encore pour
marcher aux Anglais. C'est seulement à l'heure
où la situation d'Orléans devient désespérée,
que Dunois obtient qu'on l'envoie, comme der-
nière ressource, à la tête d'un convoi de vivres.
Jeanne vint d'abord à Tours pour y faire pré-
parer son armure et son étendard. La ville était
en proie à une vive agitation. Les habitants s'y
employaient activement à des travaux de dé-
fense. Dès le l/i octobre lZi28, le maréchal de
Gaucourt, bailli d'Orléans et grand-maître de
(1) J. Fabre, Procès de réhabililation, t. I, p. 152.
(2) Ibid., p. 153.
CHINON, POITIERS, TOURS 121
rhôtel du roi, les informait que les Anglais
avaient mis le siège devant Orléans et qu'ils se
proposaient ensuite de marcher sur Tours (1).
La cité se mettait en mesure de résister. De
toutes parts, dit le texte, « maczons, bessons,
hommes de bras », déployaient une activité fé-
brile. On travaillait avec ardeur à redresser les
boulevards, on creusait et élargissait les fos-
sés, on réparait et appareillait les ponts. Sur les
tours et les remparts, on établissait des gué-
rites en bois pour les veilleurs. On pratiquait
des « canonnières » dans les murs d'enceinte.
Bombardes et couleuvrines, boulets de pierre,
poudre à canon, tout ce qui constituait l'artil-
lerie de l'époque, était emmagasiné dans la ville.
L'ennemi pouvait venir : on saurait lui ré-
pondre.
L'antique cité des Turones avait alors une
grande importance. On l'appelait la seconde
Rome, à cause de ses nombreuses églises, de
ses monastères et surtout du pèlerinage de
Saint-Martin, où l'on venait de tous les points
de la chrétienté. Pour nous rendre compte de
sa situation à l'époque de Jeanne d'Arc, mon-
tons, par la pensée, sur une des tours de la
(1) Voir Registres des Comptes de la ville de Tours, t. XXIV,
ei Bulletins de la Société archéologique de Touraine, t. XII.
122 JEANNE d'arc MÉDIUM
collégiale de Saint-Martin, sur la tour Charle-
magne, par exemple, conservée jusqu'à nos
jours, et qui renferme le tombeau de Luitgarde,
femme de Gharlemagne, d'où elle tire son
nom.
L'aspect de la ville, à vol d'oiseau, sera, à peu
de chose près, celui que nous offriraient toutes
les grandes cités françaises du moyen âge, c'est
pourquoi il convient de s'y arrêter quelques
instants.
L'enceinte formait quatre lignes continues de
murailles et de tours. A l'intérieur des murs,
c'était tout un labyrinthe de rues étroites et de
places étranglées, bordées de longues files de
maisons aux pignons en ogive et aux toits den-
telés, avec des étages surplombant les uns sur
les autres, des statuettes accolées aux portes,
des solives sculptées, de hautes lucarnes et des
vitres de couleur. Pour compléter cet ensemble
si pittoresque, de grandes enseignes en fer,
découpées en formes bizarres, remplacent les
numéros des maisons et se balancent au vent.
Les unes ont un sens historique ou héraldique,
les autres emblématique, commémoratif ou re-
ligieux. Voici, par exemple, dans la Grand'Rue,
les enseignes: « à la Licorne », « à la Pie »,
« aux Patenôtres d'or », « à l'Ane qui veille » ;
place Saint-Martin: « au Singe qui prêche»,
CHINOxX, POITIERS, TOURS 123
«au Ghat-Huant »; rue de la Rôtisserie : « aux
Trois Tortues », etc. (1).
Du point élevé où nous sommes, considérez
cette forêt de pignons aigus, de clochers, de
murailles d'où émergent les trois masses de la
cathédrale, dont le vaisseau principal seul est à
peu près achevé, mais dont les tours ne s'élèvent
encore qu'à dix ou vingt mètres au-dessus du
sol, l'abbaye de Saint-Julien et la masse bien
plus imposante de la collégiale de Saint-Mar-
tin, dont il ne reste aujourd'hui que deux tours.
A nos pieds, la ville entière, avec ses cin-
quante églises ou chapelles, ses huit grands
cloîtres enclos de murs, ses nombreuses hôtel-
leries et hôtels nobles ; toute une foret de flè-
ches, d'aiguilles, de clochetons, de tourelles en
fuseaux, de hautes cheminées gothiques. Puis,
le dédale des rues qui se croisent et s'entre-
croisent, et les carrefours étroits, encombrés
de peuple et de chevaux. Prêtez l'oreille aux
bruissements, à la rumeur de la cité qui mon-
tent jusqu'à vous. Écoutez le tintement des
heures qui sonnent à tous les clochers.
Faites luire sur cet ensemble un clair rayon
de soleil ; contemplez le fleuve aux reflets
changeants ; au loin, les coteaux^ couverts de
(1) Docteur Giraudet, Histoire de la ville de Tours.
124 JEANNE d'arc MEDIUM
vignes et les grandes forêts qui couvrent les
deux plateaux, surtout au sud, et dont les
masses profondes forment un cadre de verdure
à la cité qui s'étale au fond de la vallée. Consi-
dérez tout cela, et vous vous ferez une idée de
ce qu'était la ville de Tours, le jour où Jeanne
d'Arc y fit son entrée, suivie de sa maison mi-
litaire (1).
D'après la déposition de son page, Louis de
Contes, au procès, elle y prit gîte chez une
dame nommée Lapau (2). Suivant le témoignage
de son aumônier, Jean Pasquerel, ce fut chez
le bourgeois Jean Dupuy (3). Ces contradictions
ne sont qu'apparentes. En effet, le seigneur
tourangeau Jehan du Puy avait pour femme
Éléonore de Paul, et le peuple, ami de ces alté-
rations, déforma ce nom. Yolande, reine d'Ara-
gon et de Sicile, avait donné Éléonore pour
dame d'honneur à sa fille, Marie d'Anjou, reine
de France. « Elle était angevine, dit M. de
Beaucourt dans son Histoire de Charles F// (4),
et avait peut-être été élevée avec la jeune
(1) Celle-ci était composée de Jean d'Aulon, son écuyer,
des deux chevaliers qui l'avaient accompagnée depuis Vau-
couleurs, de deux pages et de ses deux frères, Jean et
Pierre d'Arc, qui étaient venus la rejoindre.
(2)J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I, p. 208.
(3) Ibid., p. 217.
(4) T. II, p. 183.
CHINON, POITIERS, TOURS 125
princesse. » Priés par la reine Yolande d'hé-
berger l'étrangère, qu'elle prenait sous sa pro-
tection, Jean du Puy, qui était conseiller du roi
et échevin, et son épouse la reçurent dans leur
hôtel, situé près de l'église de Saint-Pierre-le-
Puellier, et que beaucoup d'archéologues croient
reconnaître dans la maison dite de Tristan (1).
C'est à Tours que le frère Pasquerel, alors
lecteur au couvent des Augustins de la ville,
fut attaché au service de Jeanne en qualité d'au-
mônier (2). Il la suivra fidèlement jusqu'à sa
capture à Compiègne, un an plus tard.
Ce fut aussi à Tours que la vaillante enfant
reçut son équipement militaire, son épée et sa
bannière. Sur ses indications, un armurier de
la ville alla chercher l'épée déposée par Charles
Martel à Sainte-Catherine-de-Fierbois. Elle
était enterrée derrière l'autel, et personne au
monde ne connaissait sa présence en ce lieu.
(1) D'autres archéologues sont d'avis que la maison ac-
tuelle, rue Briçonnet, date seulement du règne de Char-
les VIII et a été bâtie sur l'emplacement de celle habitée
par la Pucelle.
(2) Au mois d'octobre 1905, après des remaniements im-
portants faits dans la disposition intérieure de l'immeuble
situé 47, rue des Halles, on put se convaincre de l'existence,
en cet endroit, de la chapelle de Jeanne d'Arc qui faisait
partie du couvent des religieux Augustins, et où elle
aimait à se rendre pour prier.
Louis DE Saint-Gildas.
{Touraine Républicaine, 20 oct. 1905.)
126 JEANNE D ARC MÉDIUM
Mais, pour l'héroïne, cette épée sortira de la
poussière des siècles, et, de nouveau, chassera
l'étranger.
Un autre armurier de Tours fabriqua pour
Jeanne une armure étincelante de blancheur (1).
Suivant les instructions de ses voix, Jeanne
se fît faire, par un artiste tourangeau, une ban-
nière blanche qui devait servir d'étendard et de
signe de ralliement. Elle était bordée de franges
de soie et portait, avec Pimage de Dieu bénissant
les fleurs de lis, la devise « Jhésus Maria » (2).
L'héroïne ne séparait jamais la cause de la
France de celle, plus haute, de l'inspiration
divine, d'où découlait sa mission.
Jeanne partit de Tours vers le 25 avril l/i29,
pour se rendre à Blois, où l'attendaient les
chefs de guerre et le gros de l'armée. Douze
jours après, date d'impérissable mémoire, elle
gagnait la bataille des Tourelles et faisait lever
le siège d'Orléans.
(1) D'après les comptes de M« Hémon Régnier, trésorier
des guerres, publiés par Quicherat {Procès de Jeanne
d'Arc, t. V, p. 158), il fut payé « au maistre armurier, pour
ung harnois complet pour la dite Pucelle, cent livres tour-
nois ». (Environ 600 francs de notre monnaie.)
(2) Dans les mêmes registres du trésorier des guerres se
lit la mention suivante : « Payé à Hannes Poulvoir, paintre
demeurant à Tours, pour avoir paint et baillé estoffes pour
ung grand estendard et ung petit 4)our la Pucelle, 25 livres
tournois. »
CHINON, POITIERS, TOLliS 127
Lorsqu'elle quitta Tours, toute la population
était massée dans les rues, sur les places, pour
la voir et l'acclamer. Elle caracolait gentiment
sur son beau cheval de guerre, dans sa blanche
armure, étincelante aux feux du matin. Sa ban-
nière à la main, Tépée de Fierbois au côté, elle
était toute rayonnante d'espoir et de foi ; on eût
cru voir l'ange des combats, comme un mes-
sager céleste !
VII. — Orléans.
Entrant dans Orléans, qu'elle était grande et belle !
Les soldats frémissants se pressaient autour d'elle.
Les mères lui tendaient leurs enfants à bénir,
Et tous se prosternaient en la voyant venir.
Paul Allard.
Le voyage de Tours à Orléans fut une longue
ovation. Partout, Jeanne sème l'allégresse sur
son passage. Si les courtisans la suspectent, la
dédaignent, le peuple du moins croit en elle,
en sa mission libératrice. Les Anglais eux-mêmes
sont frappés de stupeur. Ils restent immobiles
dans leurs retranchements, lorsque la Pucelle
passe à la tête de l'armée de secours. Les habi-
tants d'Orléans, ivres d'enthousiasme, oublient
le péril, sortent des murs, se portent en foule à
sa rencontre. D'après un témoin oculaire, « ils
se sentoyent jà tous reconfortez et comme
desasiégez, par la vertu divine qu'on leur avoit
dit estre en ceste simple pucelle, qu'ilz regar-
doyent moût affectueusement, tant hommes,
femmes que petis enfans (1). »
(1) E. Lavisse, Histoire de France, t. IV, p. 53.
ORLÉANS 129
Les campagnes de Jeanne sur la Loire nous
offrent un spectacle unique dans l'histoire : les
capitaines de Charles VII, les Dunois, les La
Hire, les Gaucourt, les Xaintrailles marchent à
l'ennemi sous les ordres d'une jeune fille de
dix-huit ans !
Des difficultés sans nombre se dressent. Un
cercle de bastilles formidables est établi par
les Anglais autour d'Orléans. A bref délai, c'est
la disette, c'est la reddition d'une des plus
grandes et des plus fortes places du royaume.
On a devant soi les meilleurs soldats de l'An-
gleterre, et ils sont commandés par leurs plus
habiles généraux, ceux-là mêmes qui viennent
de remporter sur les Français une longue série
de victoires. Voilà l'immense obstacle contre
lequel va combattre cette jeune fille. Elle a bien
avec elle des braves, mais ils sont démoralisés
par tant de défaites successives, et trop mal
organisés pour éviter de nouveaux désastres.
Une première attaque, tentée en l'absence de
Jeanne sur la bastille Saint-Loup, est repous-
sée. Avertie, l'héroïne s'élance à cheval et fait
flotter sa bannière ; elle électrise les soldats,
et, d'un élan puissant, les entraîne à l'assaut.
« C'était la première fois, — dit Anatole
France, dans un des rares passages de son
oeuvre où il sait lui rendre justice, — c'était la
130 JEANNE d'arc MEDIUM
première fois que Jeanne voyait des gens com-
battre et, sitôt entrée dans la bataille, elle en
devint le chef, parce qu'elle était la meilleure.
Elle fit mieux que les autres, non qu'elle en sût
davantage ; elle en savait moins. Mais elle avait
plus grand cœur. Quand chacun songeait à soi,
seule, elle songeait à tous ; quand chacun se
gardait, elle ne se gardait de rien, s'étant offerte
tout entière par avance. Et cette enfant, qui,
comme toute créature humaine, craignait la
souffrance et la mort, à qui ses voix, ses pres-
sentiments avaient annoncé qu'elle serait bles-
sée, alla droit en avant et demeura, sous les
traits d'arbalètes et les plombées de couleu-
vrines, debout au bord du fossé, son étendard
à la main, pour rallier les combattants (1). »
Par cette attaque vigoureuse, elle a rompu les
lignes anglaises. Une à une, les bastilles sont
emportées. En trois jours, Orléans est délivré.
Puis les combats se succèdent, comme une série
d'éclairs dans un ciel en feu. Chaque attaque
est une victoire. C'est Jargeau, c'est Meung,
c'est Beaugency ! Enfin à Patay, les Anglais
sont battus en rase campagne, et Talbot, leur
général, est fait prisonnier. Puis, la marche sur
Pieims, et Charles VII sacré roi de France.
(1) A. France, Vie de Jeanne d'Arc, t. I, pp. 335-336.
ORLÉANS 131
En deux mois, Jeanne avait réparé tous les
désastres : reconstitué, moralisé, discipliné,
transfiguré l'armée ; elle avait relevé tous les
courages. « iVvant elle, disait Dunois, deux
cents Anglais mettaient en fuite mille Fran-
çais ; avec elle, quelques centaines de Français
font reculer une armée entière (1). » Dans le
Mystère du siège ^ drame populaire, représenté
pour la première fois, en l/i56, à Orléans, un
des acteurs s'écrie :
« Ung de nous en vaut mieux que cent.
Soubz Festendart de la Pucelle (2). »
Certains auteurs, tel M. Thalamas (3), ont
cru pouvoir dire que la situation d'Orléans en
l/i29 n'était pas aussi grave qu'on l'assure géné-
ralement. Les Anglais étaient peu nombreux.
Les Bourguignons s'étaient retirés. La ville,
bien approvisionnée, pouvait résister long-
temps, et les Orléanais étaient capables de se
délivrer par leurs propres efforts.
Non seulement tous les historiens, Michelet,
Henri Martin, Wallon, Lavisse, etc., sont una-
nimes à attester la situation précaire des assié-
gés, mais voici l'opinion d'un autre écrivain,
(1) J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I. Déposition de
Dunois.
(2) Mystère du siège d'Orléans, v. 12, 232-233.
(3) Conférence faite à Tours, le 30 avril 1905.
132 JEANNE d'arc MÉDIUM
peu suspect de partialité envers Jeanne. Ana-
tole France écrit : « Agités de doutes et de
craintes, brûlés d'inquiétude, sans sommeil,
sans repos, et n'avançant en rien, les Orléanais
commençaient à désespérer (i). »
De leur côté, les Anglais attendaient de nou-
veaux renforts, promis parle Régent. Cinq mille
combattants se réunissaient à Paris, sous les
ordres de sir John Falstolf, avec force vivres,
pour marcher au secours des assiégeants (2).
Rappelons en outre la déposition du duc
d'Alençon au procès de réhabilitation. Il parle
des bastilles formidables élevées par les Anglais.
« Si j'eusse été, dit-il, dans l'une ou dans l'autre
avec un petit nombre d'hommes d'armes, j'au-
rais bien osé défier la puissance d'une armée ;
et il semble bien que les agresseurs n'auraient
pu s'en rendre maîtres. Au reste, ajoute-t-il, les
capitaines qui avaient pris part aux opérations
m'ont déclaré que ce qui s'était fait à Orléans
tenait du miracle (3). »
A ces témoignages, il convient d'ajouter l'affir-
mation d'un des assiégés, Jean Luillier, notable
commerçant de la cité. Il s'exprimait ainsi :
(1) A. France, Vie de Jeanne d'Arc, t. I, p. 164.
(2) Ibid., p. 430. (Ils n'arrivèrent que pour la bataille de
Patay.)
(3) J. Fabre, Procès de réhabilitation, 1. 1, p. 176.
ORLÉANS 133
« Tous mes concitoyens et moi, nous croyons
que si la Pucelle ne fut venue à notre aide,
nous aurions été bientôt au pouvoir des assié-
geants. Il était impossible que les Orléanais
pussent longtemps tenir contre les forces d'ad-
versaires qui avaient si grande supériorité (1). »
L'enthousiasme des habitants donne la me-
sure des dangers qu'ils avaient courus : après
la délivrance de leur ville, les Orléanais « s'of-
fraient à Jeanne, pour qu'elle fît d'eux et de
leurs biens à sa volonté, » nous dit le Journal
du Siège (2).
Non moins probant est le témoignage que
déposa, sur une feuille de registre, un modeste
tabellion de la ville, Guillaume Girault. Au mi-
lieu des acclamations de la France entière, il
écrivait que cette délivrance était le « miracle
le plus évident qui adce a été apparu, puis (de-
puis) la Passion » (3).
Cette partie de la vie de Jeanne est riche en
phénomènes de prémonitions, qu'il faut ajouter
à ceux déjà signalés.
Ses voix lui avaient dit qu'à son entrée dans
(1) J. Fabre, Procès de réhahilitalion, t. I, pp. 260-261. Dépo-
sition du bourgeois Jean Luiliier.
(2) Pp. 91-92.
(3) J. DoiNEL, Mémoires de la Société historique et archéo-
logique de l'Orléanais, 1892, t. XXIV, pp. 392-393.
134 JEANNE d'arc MEDIUM
Orléans, les Anglais ne bougeraient point. Et le
fait se confirma.
Les chalands qui devaient traverser le fleLve
pour embarquer les vivres, ne pouvaient le faire,
le vent n'étant pas favorable. Jeanne dit :
« Attendez un peu. Tout entrera dans la ville. »
En effet, le vent tourna et gonfla les voiles (1).
Elle n'éprouva aucune inquiétude au sujet du
maréchal de Boussac, parti au-devant du second
convoi de vivres, disant : « Je sais bien qu'il
ne lui arrivera aucun mal. » Le fait se réalisa
exactement.
Peu à peu, l'allégresse des Orléanais gagne
toute la France. A mesure que les victoires de
Jeanne se succèdent, le roi les annonce à ses
bonnes villes, invitant la population à louer
Dieu et à honorer la Pucelle, qui « avait toujours
été en personne à l'exécution de toutes ces
choses » (2).
Partout ces nouvelles sont reçues et enregis-
trées avec une joie délirante, et le peuple voue
à l'héroïne un culte qui va grandissant.
(1) Procès. Déposition de Dunois. — Journal du Siège,
pp. 74-75. — Chronique de la Pucelle, p. 284.
(2) Lettre de Charles VII aux habitants de Narbonne,
Procès, t. V, pp. 101, 104. — Arcère, Histoire de La Rochelle.
— MoYNÈs, Inventaire des Archives de l'Aude, annexes»
p. 390, etc. (d'après A. France).
ORLÉANS 13^
Depuis 480 ans, Orléans fête l'anniversaire de
ces événements.
Sur l'invitation gracieuse du maire, il m'a été
donné d'assister à plusieurs de ces solenni-
t3S (1). Voici les notes que j'écrivais alors, sous
l'impression du moment ;
Le beffroi, vieux témoin du siège, le même
qui signalait les mouvements des Anglais, tinte
de quart d'heure en quart d'heure. Ses vibra-
tions sonores s'étendent sur la cité ; elles glis-
sent dans les rues étroites et tortueuses du vieil
Orléans, pénètrent au fond des demeures, ré-
veillent dans tous les cœurs le souvenir de la
délivrance. Bientôt, à son appel, toutes les
cloches des paroisses s'ébranlent. Leurs voix
de bronze montent dans l'espace ; elles forment
un 'puissant concert, que dominent les notes
graves du beffroi et qui impressionne l'âme
rêveuse.
Toute la ville est décorée, pavoisée. Des ban-
nières flottent sur les édifices ; à chaque balcon,
(1) Notamment de 1893 à 1905. Le programme de ces fêtes
ne varie pas d'une année à l'autre. Seulement, depuis la
séparation, les grands corps de l'État n'assistent plus, offi-
ciellement, à la cérémonie religieuse.
136 fEANNE d'arc MÉDIUM
à chaque fenêtre, les drapeaux nationaux se
mêlent aux couleurs et aux armes de la Pucelle.
La foule encombre les places et les rues.
Beaucoup de gens des environs ; mais d'autres
sont venus de points éloignés de la France et
même de l'étranger. Détail significatif : des
Anglais, tous les ans, viennent en nombre
participer aux fêtes de la vierge lorraine. On y
vit le cardinal Vaughan, archevêque de West-
minster, figurer au milieu des prélats français.
Un peuple qui agit ainsi n'est pas un peuple
sans grandeur.
Nulle part, le souvenir de Jeanne n'est resté
aussi vivant. A Orléans, tout parle d'elle.
Chaque coin de rue, chaque monument rap-
pelle un détail du siège. Pendant quatre siècles,
la France a méconnu Jeanne. Le silence et
l'ombre ont enveloppé sa mémoire ; Orléans,
seul, n'a pas oublié.
Dès l/i30, un an après la levée du siège, la
cérémonie et la procession commémoratives
furent instituées et, chaque fois, la municipalité
et le clergé, dans une noble émulation, recher-
chent les moyens de donner à la fête un nouvel
attrait. Spectacle rare et touchant, tous les
pouvoirs s'unissent pour rendre cette manifes-
tation plus éclatante. Le souvenir de Jeanne,
seul aujourd'hui, peut refaire l'union dans les
ORLÉANS 137
pensées et dans les cœurs, comme elle refit
l'unité de la France, à l'heure des suprêmes
désastres et de l'écroulement.
Le soir du 7 mai, à 8 heures, Jeanne, victo-
rieuse aux Tourelles, rentrait dans la ville assié-
gée. Une cérémonie émouvante, inoubliable,
consacre tous les ans ce souvenir. Le maire,
précédé de la bannière de l'héroïne, blanche
aux fleurs de lis d'or, et suivi des conseillers
municipaux, sort de l'Hôtel de Ville et vient,
au parvis de la cathédrale, remettre l'étendard
sacré aux mains de l'évêque, entouré de son
clergé et des prélats étrangers.
Sous un ciel noir chargé de pluie, la basi-
lique de Sainte-Croix dresse ses tours massives.
Les troupes forment le carré ; le canon gronde ;
le beffroi, le bourdon de la cathédrale, les
cloches des églises sonnent à toute volée. Les
portes du vaste édifice s'ouvrent ; le cortège
des évêques et des prêtres, à pas lents, franchit
le seuil et se range sous les porches béants.
Devant eux, les bannières de saint Aignan,
saint Euverte, patrons de la ville, sont dé-
ployées. Les mitres et les crosses brillent à
la lueur des torches portées par des cavaliers.
Des feux, subitement allumés à l'intérieur des
tours, les éclairent de couleurs fantastiques. Une
lumière de pourpre se répand sur les rosaces,
8.
138 JEANNE d'arc MEDIUM
les ogives, sur toute la dentelle de pierre de la
façade, sur les bannières flottantes, les étoles et
les surplis.
Cinq cents voix entonnent VHymne à Véien^
dard :
Étendard de la délivrance,
A la victoire tu menas nos aïeux.
Fils de ces preux, disons comme eux :
Vive Jeanne I Vive la France !
Un frémissement, un souffle puissant passe
sur la foule attentive, recueillie. Les fronts
s'inclinent devant la blanche bannière fleurde-
lisée, qui monte lentement les degrés et dispa-
raît sous les voûtes, semblable au fantôme de
la vierge lorraine revenant dans la nuit de son
anniversaire.
Les grilles se referment ; les feux s'éteignent;
les harmonies se taisent ; la foule s'écoule, et
la basilique demeure sombre et silencieuse
dans la nuit.
8 mai, 10 heures. Sous les rayons du soleil,
la cathédrale déploie sa parure d'oriflammes et
de drapeaux. La décoration intérieure est sobre
ORLÉANS 139
et d'un grand effet. De hautes bannières rouge
et or, les couleurs d'Orléans, ornent le chœur.
Aux piliers des nefs sont suspendus les blasons
du Bâtard et des autres compagnons de la Pu-
celle. A la hauteur des orgues, dominant le
tout, les armes de Jeanne (1), dans un cadre
virginal de blanches étoffes. Pas une place ne
reste libre dans la vaste nef. Toute la France :
armée, magistrature, clergé, pouvoirs munici-
paux, bourgeois, artisans, est représentée dans
cette foule. Les gracieuses toilettes et les cha-
peaux fleuris des jeunes femmes se mêlent aux
uniformes galonnés, aux robes rouges des juges
et aux habits noirs des fonctionnaires.
L'office commence par la Messe à la mémoire
de Jeanne d'Arc^ de Gounod. Les fanfares
guerrières s'unissent à l'harmonie des orgues,
puis, un chœur de jeunes filles chante les Voix
de Jeanne, du même auteur. Leurs voix pures
descendent de la haute tribune, semblables à
des accents célestes. On dirait un écho des
sphères angéliques, comme une évocation de
la vierge martyre qu'on sent planer, esprit ra-
dieux, sous ces voûtes. Un instant, on oublie
la terre, ses tristesses, ses douleurs. L'impres-
(1) Ces armes sont: d'azur à l'épée d'argent, à la garde
d'or, en pal, la couronne royale d'or à la pointe ; au flanc,
les lis.
140 JEANNE d'arc MÉDIUM
sion est grandiose et profonde ; bien des yeux
se mouillent de larmes.
J'élève vers Jeanne ma pensée, ma prière,
et un rayon de soleil, qui filtre à travers le vi-
trail armorié, m'enveloppe de sa lumière, tandis
que, autour de moi, l'ombre couvre la foule
pressée des auditeurs.
Puis vient le panégyrique, prononcé par
Tévêque d'Orléans. Celui-ci nous ramène sur
la terre. Sa parole est chaleureuse. Il expose la
situation de la cité au cours du siège :
« Certes, dit-il, elle se défend bien, la noble ville !
Paris est ang-lais, soit : Orléans demeurera français.
Paris n'est que la tête du pays : Orléans en est le
cœur. Tant que le cœur bat, il reste de l'espoir.
Échevins, peuple, bourgeois, clergé, hommes d'armes
décident de mourir plutôt que de se rendre. On brû-
lera les faubourgs ; on démantèlera les égHses ; on fera
le guet de jour, de nuit ; les marchands se battront
comme si c'était leur habituel métier ; on donnera au
roi le temps d'envoyer des renforts ; et, vive Dieu !
on verra bien à qui la fortune des batailles sourira I
« Hélas ! le roi n'envoyait ni argent ni soldats ;
l'assiégeant resserrait ses lignes ; les bastilles s'éle-
vaient de semaine en semaine , les vivres s'épui-
saient ; la faim, l'horrible faim, sévissait (i). Encore
(1) Voir, dans le Journal du Siège, la joie avec laquelle est
noté le moindre arrivage de vivres.
ORLÉANS 141
quelque demi-mois, Orléans succombera ; et le petit
roi de Bourges cessera d'être même le petit roi de
Bourges ; et la France descendra à ce tombeau où
se couchent les nations mortes... »
Un peu après, il dépeint l'ivresse des habi-
tants après les victoires de Jeanne :
« Ah I les huit jours qui suivirent Patay, comme
il dut être bon de les vivre ! Comme le renouveau
dut paraître doux et la nappe de notre Loire lumi-
neuse, et notre Val d'or embaumé ! Vous représentez-
vous ces visites d'action de grâces à toutes vos
églises ; ces chants qui ne cessaient plus ; ces enthou-
siasmes autour des héros de la merveilleuse épopée ;
ce peuple respirant pour la première fois après les
oppressions de la guerre de Cent ans ; cette ville, en
un mot, qui s'acclamait elle-même dans le triomphe
de la Pucelle et la résurrection de la Patrie ? »
L'orateur descend de la chaire. La foule se
précipite sur le parvis, se mêle à l'armée,
parmi les évoques, les bannières et les reliques,
et la procession traditionnelle se déroule, longue
de deux kilomètres, sous le ciel sans nuages, à
travers les rues pavoisées. Elle va parcourir les
stations de victoire que Jeanne fit dans Orléans
assiégé.
Sur l'emplacement du fort des Tourelles, une
modeste croix rappelle la mémoire de celle
142 JEANNE d'arc MEDIUM
qui, dit l'inscription, « par sa valeur, sauva la
ville, la France et son roi ». Là, dernier arrêt,
pendant lequel le canon retentit de nouveau et
les musiques militaires saluent l'étendard. Le
cortège revient à son point de départ, puis se
disperse. La foule joyeuse se livrera à ses
plaisirs, pendant que les véritables amis de
Jeanne iront prier et méditer à l'écart.
VIII. — Reims.
« Je viens rendre au dauphin le
royaume de France. »
Saint- Yves d'Alveydre.
La prophétie de Jeanne touchant Orléans
était accomplie. Restait le second point : la
marche sur Reims et le sacre de Charles VII.
Sans perdre un instant, la Pucelle s'employa à
les réaliser. Elle quitta l'Orléanais et s'en fut.
relancer le dauphin jusqu'au fond de la Tou-
raine. Elle le rejoignit d'abord à Tours, puis le
suivit à Loches, le pressant sans cesse de tout
mettre en œuvre pour le succès de cette entre-
prise hardie. Mais ce prince indolent, faible de
volonté, hésitait entre les sollicitations de l'hé-
roïne et les observations de ses conseillers, qui
considéraient comme téméraire de risquer un
voyage de soixante lieues, à travers un pays
hérissé de forteresses et de places occupées par
l'ennemi. A leurs objections, Jeanne répondait
invariablement : « Je le sais bien.; et de tout
cela, je ne tiens compte. Nous réussirons ! »
144 JEANNE d'arc iMÉDIUM
L'enthousiasme du peuple et de l'armée ga-
gnait de proche en proche. On s'écriait qu'il
fallait mettre à profit l'affolement des Anglais,
qui avaient évacué la Loire et s'étaient repliés
sur Paris, abandonnant bagages et artillerie.
Jamais ils n'avaient reçu un coup si rude. Frap-
pés de terreur, ils croyaient voir dans les airs
des armées de fantômes s'avancer contre eux.
Le bruit de ces événements retentissait dans
toute la France. Avec l'espoir, l'énergie se ré-
veillait. Le courant d'opinion devint tel, que
Charles Vil ne put persister dans son indiffé-
rence. 11 combla d'honneurs la libératrice et sa
famille, mais il restait sans élan, sans courage.
11 n'alla pas même voir les Orléanais. Ses con-
seillers influents : la Trémoille et Regnault de
Chartres, étaient inquiets, sourdement irrités
des succès de Jeanne, qui les reléguaient dans
l'ombre, jaloux d'un prestige qui tournait vers
elle l'attention et les espérances de tous. Ils se
demandaient si leur crédit, leur fortune n'al-
laient pas sombrer dans ce grand et irrésistible
courant populaire, qui avait fait reculer Pinva-
sion anglaise.
Enfin le cri public se changea en clameur et
il fallut céder. Une armée de 12.000 combattants
fut réunie à Gien. Les gentilshommes accou-
raient de toutes parts, et ceux qui étaient trop
REIMS 145
pauvres pour s'équiper, demandaient à servir
comme hommes de pied. On partit le 29 juin,
avec peu d'argent, peu de vivres et une artille-
rie insuffisante.
Le 5 juillet, on arriva devant Troyes. Laville_,
très forte^ bien pourvue et défendue par une
garnison anglo-bourguignonne, refusa d'ouvrir
ses portes. L'armée française, privée de res-
sources, ne pouvait entreprendre un long siège.
Au bout de quelques jours, les soldats étaient
déjà réduits à se nourrir des fèves et du blé en
épis qu'ils trouvaient dans les champs.
Le roi assembla un conseil pour délibérer
sur les résolutions à prendre. La Pucelle n'y
fut même pas convoquée. Le chancelier fit un
exposé de la triste situation où l'on se trouvait,
et posa la question : L'armée doit-elle revenir
en arrière, ou continuer sa marche sur Reims ?
Chacun des assistants devait répondre à son
tour. Robert le Masson, seigneur de Trèves-
sur-Loire, fit observer que le roi n'ayant entre-
pris cette expédition, ni parce qu'elle semblait
facile, ni parce qu'il avait une armée puissante
et Targent nécessaire pour la payer, mais bien
parce que Jeanne affirmait que c'était la volonté
de Dieu et qu'on ne trouverait aucune résis-
tance, il convenait avant tout de consulter Thé-
roïne. Cette proposition fut acceptée. Au même
146 JEANNE d'arc MEDIUM
moment, celle-ci, déjà prévenue par ses voix,
frappait rudement à la porte. Elle entra et,
s'adressant au roi, lui dit : « Gentil roi de
France, si vous voulez rester seulement deux
jours devant votre ville de Troyes, elle sera en
votre obéissance, par force ou par amour, n'en
faites aucun doute ! » Le chancelier répliqua :
« Si l'on était sûr dans six jours, on attendrait
bien !» — « N'en doutez pas ! » dit encore
Jeanne.
Aussitôt, elle se mit à parcourir les campe-
ments pour organiser l'attaque, communiquant
à tous l'ardeur dont elle était animée. La nuit
se passa en préparatifs. Du haut des murailles
et des tours, les assiégés voyaient le camp fran-
çais en proie à une activité fébrile. A la lueur
des torches, chevaliers, écuyers, soldats, s'em-
pressaient à l'envi à combler les fossés, à pré-
parer les fascines et les échelles, à construire
des abris pour l'artillerie. Le spectacle était fan-
tastique et impressionnant.
Quand l'aube blanchit l'horizon, les habitants
de Troyes virent avec terreur que tout était dis-
posé pour un assaut furieux : les colonnes d'at-
taque, rangées sur les points les plus favorables
avec leurs réserves ; les quelques pièces d'ar-
tillerie, bien abritées, prêtes à ouvrir le feu ;
les archers et arbalétriers, à leurs postes de
REIMS 147
combat. Toute l'armée, rangée en silence, atten-
dait le signal. Debout au bord du fossé, son
étendard à la main, la Pucelle allait faire avan-
cer les trompettes pour sonner Tassant. Les
assiégés, saisis d'épouvante, demandèrent à
capituler.
On s'entendit facilement sur les conditions.
Le roi avait tout intérêt à ménager les villes
qui voulaient se rendre. Le lendemain, 10 juil-
let, la garnison anglaise sortit de la ville, emme-
nant quelques prisonniers de guerre français,
dont on avait oublié de régler le sort. Ces mal-
heureux, apercevant Jeanne, se jetèrent à ses
pieds, en implorant son intervention. Celle-ci
s'opposa énergiquement à leur départ, et le roi
dut payer leur rançon.
A l'exemple de Troyes, Châlons et Reims
ouvrirent leurs portes à Charles VII.
A Châlons, Jeanne eut la joie de rencontrer
plusieurs habitants de Domremy, qui étaient
venus à sa rencontre, et, parmi eux, Gérardin,
un laboureur, dont le fils, Nicolas, était son fil-
leul. Elle leur ouvrit sa pensée et son cœur,
leur exposant ses espérances et ses craintes,
leur racontant ses luttes, ses victoires, la splen-
deur du sacre prochain et le relèvement de la
France, abaissée et meurtrie. Près de ceshommes
frustes mais bons, qui lui apportaient un souve-
148 JEANNE d'arc MÉDIUM
nir si vif de son enfance, elle se sentait à l'aise
^t s'épanchait tout entière. Elle leur disait com-
bien ces gloires la laissaient insensible, et quel
plaisir elle aurait à retourner au village, re-
prendre sa vie paisible et ses occupations cham-
pêtres, au milieu de sa famille. Mais sa mission
la retenait près du roi, et il fallait se soumettre
aux volontés d'en haut. La lutte contre les An-
glais l'inquiétait moins que les intrigues de
cour et la perfidie des grands : « Je ne crains
que la trahison, » leur disait-elle (l).Et,en effet,
c'est par trahison qu'elle devait périr. Pour tout
grand missionnaire, il y a toujours un traître
tapi dans Tombre, qui trame sa perte.
Sur l'azur profond du ciel, se découpent les
hautes tours de la cathédrale de Reims, déjà
vieille de plusieurs siècles à l'époque de Jeanne
d'Arc. Les trois portails béants laissent entre-
voir les vastes nefs resplendissantes de la lu-
mière de milliers de cierges, où se presse une
foule bigarrée de prêtres, de seigneurs, d'hom-
mes d'armes et de bourgeois en habits de fête.
(1) J. Fabre, Procès de réhahililalion, t. I. Déposition de
Gérardin.
REIMS 149
Les vibrations des chants sacrés emplissent les
voûtes et, par instants, des fanfares guerrières
éclatent en notes stridentes.
Les confréries, les corporations, leurs em-
blèmes en tète, tout ce qui n'a pu trouver place
dans la basilique, s'accumule sur le parvis. Une
cohue de gens du peuple, citadins et villageois
des environs, assiège les abords de l'édifice,
retenue à grand'peine par des cavaliers bardés
de fer, et par des archers portant costumes aux
armes de France. Des pages, des écuyers tien-
nent par la bride les magnifiques montures du
roi, des pairs et des chefs de guerre. On se
montre le cheval noir de la Pucelle, que retient
un soldat de sa suite.
Pénétrons sous la haute nef gothique et avan-
çons jusqu'au chœur. Le roi, entouré des douze
pairs du royaume, laïques et ecclésiastiques, ou
de leurs suppléants, et du connétable, Charles
d'Albret, tenant Tépée de France, le roi vient
d'être armé chevalier. Près de lui, debout,
adossée au pilier de droite, à une place que l'on
montre encore, se tient Jeanne, armée en guerre,
son blanc étendard à la main, cet étendard qui,
« après avoir été à la peine, devait être à l'hon-
neur » (1).
(!) J. Fabre, Procès de condamnailon, p. 189.
150 JEANNE d'arc MÉDIUM
Le roi reçut Fonction des mains de l'arche-
vêque de Reims, Regnault de Chartres. Celui-
ci prit sur l'autel la couronne, que soutinrent
les douze pairs, les mains étendues au-dessus
de la tète du monarque. Après avoir ceint la
couronne, Charles de Valois revêtit le manteau
royal, bleu, parsemé de lis d'or. C'est à ce mo-
ment que la Pucelle, dans un élan ému, se jetant
à ses pieds, embrassa ses genoux et lui dit :
« Gentil sire, ainsi est fait le plaisir de Dieu,
dont la volonté fut que je levasse le siège d'Or-
léans et vous amenasse en cette cité de Reims,
pour y recevoir votre digne sacre, afin de prou-
ver que vous êtes véritable roi et héritier de la
couronne de France. »
Les trompettes retentirent de nouveau et le
cortège se forma. Et quand, dans l'ouverture
du grand portail, le roi apparut, une poussée
immense se fit dans la foule, et les Noëls ! écla-
tèrent.
Les fanfares font vibrer les hautes voûtes.
Les chants, les cris joyeux montent dans l'es-
pace. Et, à leurs appels, répondent des milliers
de voix invisibles. Ils sont là, tous les grands
Esprits de la Gaule, pour fêter le réveil du pays
natal. Ils sont là, tous ceux qui ont aimé et servi
jusqu'à la mort le noble pays de France. Us
planent au-dessus de la foule en délire. Voici
REIMS 151
Vercingétorix, suivi des héros de Gergovie et
d'Alésia ! Voici Glovis et ses Francs ! Puis Char-
les Martel et ses compagnons ! Et Charlemagne,
le grand empereur à la barbe fleurie ; de son
épée, Joyeuse, il salue Jeanne et le roi Charles.
Puis Pioland et les preux ! Et la foule innom-
brable des chevaliers, des prêtres, des moines,
des hommes du peuple, dont les corps reposent
sous les lourdes pierres tombales ou dans la
poudre des siècles, tous ceux qui ont donné
leur vie pour la France. Ils sont là et crient
aussi : Noël ! pour fêter la résurrection de la
patrie, le réveil de la Gaule !...
Le cortège se déroule à travers les rues
étroites et les places étranglées. A côté du roi,
chevauche Jeanne, tenant sa bannière; puis
viennent les princes, les maréchaux et les ca-
pitaines, tous richement vêtus, montés sur de
magnifiques coursiers. Pennons, fanions, ban-
deroles flottent au vent. Mais, parmi les sei-
gneurs aux somptueux costumes et les guer-
riers aux armures étincelantes, tous les regards
se portent avec avidité sur la jeune fille qui les
a tous conduits dans la cité du sacre, comme
elle l'avait prédit elle-même dans son village,
alors qu'elle n'était encore qu'une simple pay-
sanne, une petite bergère inconnue.
Toute la ville était en liesse. On était venu de
152 JEANNE d'arc MEDIUM
fort loin au couronnement. Jacques d'Arc, père
de Jeanne, était arrivé depuis deux jours de
Domremy avec Durand Laxart. Ils logeaient à
l'auberge de l'Ane rayé, rue du Parvis. Ce fut
une scène émouvante, lorsque l'héroïne, accom-
pagnée de son frère Pierre, revit son vieux
père. Elle se jeta à ses genoux, et lui demanda
pardon de l'avoir quitté sans son assenti-
ment, ajoutant que c'était la volonté de Dieu.
Sur les instances de la Pucelle, le roi les
reçut et accorda aux habitants des villages de
Greux et Domremy, exemption de toutes tailles
et impôts. Les dépenses de Jacques d'Arc furent
payées par les deniers publics, et un cheval lui
fut donné aux frais de la ville, pour retourner
chez lui.
Jeanne se montra par les rues, accueillant
avec modestie et bonté les humbles, les sup-
pliants. Le peuple se pressait autour d'elle ;
tous voulaient toucher ses mains et son anneau.
Pas un qui ne fût convaincu qu'elle était venue
de par Dieu, pour faire cesser les calamités du
royaume. Ceci se passait le dimanche 17 juillet
1429, et cette date marque le point culminant
de l'épopée de Jeanne d'Arc.
Toutefois, Michelet s'est trompé en disant
que sa mission devait prendre fin à Reims, et
qu'elle désobéit à ses voix en continuant la lutte.
REIMS 153
Cette assertion est démentie par les propres
paroles de Thérome, par ses déclarations aux
examinateurs de Poitiers et aux juges de Rouen.
Elle l'affirme surtout dans sa lettre de somma-
tion aux capitaines anglais devant Orléans,
datée du 22 mars :
« En quelque lieu que j'atteindrai vos gens en
France, je les en ferai aller, veuillent ou non veuil-
lent... Je suis venue de par Dieu pour vous bouter
hors de toute France (i). »
Le doute n'est donc pas possible. La version
que le rôle de Jeanne s'arrêtait à Reims, n'a été
mise en avant qu'au moment du procès de réha-
bilitation, afin de cacher à la postérité la dé-
loyauté, on pourrait dire le crime, de Char-
les Yll et de ses conseillers, afin de détourner
les lourdes responsabilités qui pèsent sur eux.
C'est dans ce but que l'histoire a été, par leurs
soins, falsifiée, mutilée, les témoignages alté-
rés, le registre des interrogatoires de Poitiers
détruit, et que s'est accompli un acte odieux,
une œuvre de mensonge et d'iniquité (2) !
(1) J. Fabre , Procès de condamnation, p. 97.
(2) Jean Chartier, secrétaire des archives royales, nous
dit naïvement, dans son histoire de Charles VII, que « des
chroniques nous font connaître les faits choisis par le roi
pour être confiés à l'histoire, dans le sens et le jour sous
9.
154 JEANNE d'arc MÉDIUM
Ce n'était pourtant pas sans appréhension,
sans regrets, nous l'avons vu, que Jeanne pour-
suivit sa route ardue. Quelques jours après,
chevauchant entre Dunois et le chancelier Re-
gnault de Chartres, elle disait : « Que je vou-
drais qu'il plût à Dieu que je m'en retournasse
maintenant, quittant les armes, et que je revinsse
servir mon père et ma mère, et garder leurs
troupeaux avec ma sœur et mes frères, qui se-
raient bien aises de me revoir (1). »
Ces paroles le démontrent : l'éclat de son
triomphe et les splendeurs de la cour ne l'avaient
point éblouie. Elle était parvenue au faîte de sa
gloire. Toutes les adorations d'un peuple mon-
taient vers elle. En réalité, elle était alors la
première dans le royaume, et son prestige éclip-
sait celui de Charles YII. Cependant, elle
n'aspirait qu'à la paix des champs et aux dou-
ceurs du foyer paternel. Ni ses victoires, ni la
puissance acquise ne l'avaient changée. Elle
était restée simple et modeste au milieu des
grandeurs. Quelle leçon pour ceux que le
moindre succès enivre, enfle d'orgueil, à qui
les faveurs de la fortune donnent le vertige !
lequel il entendait qu'ils fussent appréciés ». Ce fut le roi
qui fit dire par ses scribes que la mission de Jeanne s'ar-
rêtait à Reims.
(1) Procès de réhabUilaîion. Déposition de Dunois.
IX. — COMPIÈGNE.
Je ne crains que la trahison.
Jehanne.
A Paris ! criait la Piicelle au lendemain du
sacre. A Paris ! répétait toute l'armée (1). Si
l'on eût marché droit sur la capitale, comme le
voulait Jeanne, on avait toutes chances d'y pé-
nétrer à la faveur du désarroi qui régnait parmi
les Anglais. Mais Charles Vil perdit un temps
précieux, que le duc de Bedford mit à profit pour
renforcer Paris : il appela d'Angleterre une
armée de secours, levée par le cardinal de Win-
chester, oncle du roi Henri, et destinée tout
d'abord à combattre les Hussites.
Ici, l'étoile de Jeanne commence à pâlir. Après
les triomphes, les victoires éclatantes, vont ve-
nir les heures sombres, les heures d'épreuve,
en attendant la prison et le supplice. A mesure
que le renom de l'héroïne s'étend, que sa gloire
surpasse toutes les gloires, la haine grandit
(1) Hemu Martin, lUsl. de France, t. VI, p. 200.
156 JEANNE d'arc MEDIUM
autour d'elle ; des intrigues se nouent parmi ces
grands seigneurs, dont elle vient déjouer les
plans, les machinations ténébreuses. Tous ces
courtisans perfides qu'elle éclipse, ces hommes
d'Eglise à Tesprit plein de fiel, qui ne lui par-
donnent pas de se dire, par-dessus leur autorité,
envoyée du ciel, et de préférer à leurs conseils
les inspirations de ses voix ; plusieurs même
de ces chefs de guerre, vaincus en cent combats
et qui se voient surpassés en science militaire
par une fdle des champs, tous ces hommes,
froissés dans leur orgueil, ont juré sa perte. Ils
attendent l'heure propice ; et cette heure est
proche.
LesAnglais, eux, sont atterrés par leurs revers.
Leur principale armée est détruite ; leurs meil-
leurs capitaines sont morts ou prisonniers;
leurs soldats désertent par effroi de la Pucelle.
Ceux-là ne doutent guère de la puissance sur-
humaine de celle qu'ils appellent « la sorcière
de France ». Et si Charles VII, aussitôt après
son sacre, se fut porté sur Paris, la grande ville
se livrait sans combat.
On perd six semaines en hésitations, puis,
quand on arrive devant la capitale, aucune pré-
caution n'est prise ; les ordres de Jeanne ne sont
pas exécutés ; les fossés ne sont pas comblés ; 1
l'attaque n'est pas soutenue. On lui a donné
COMPIÈGNE 157
pour aides les deux chefs de guerre qui lui sont
le plus hostiles, « les hommes les plus féroces
qui aient jamais existé », dit Michelet : Raoul
de Gaucourt et le maréchal de Retz_, l'odieux
magicien qui, plus tard, montera sur Téchafaud
pour crime de sorcellerie (1). Le roi refusa de
se montrer. En vain lui envoyait-on message
sur message. 11 ne venait pas. Le duc d'Alençon
courut le chercher à Senlis ; il promit de venir
et manqua de parole.
A Fattaque de la porte Saint-Honoré, Jeanne,
comme toujours, se montra héroïque. Durant
tout le jour, elle se tint debout sur le bord du
fossé, sous une pluie de projectiles, excitant
les soldats à l'assaut. Vers le soleil couchant,
elle fut atteinte profondément d'un trait d'arba-
lète à la cuisse, et dut s'étendre sur le talus. Elle
ne cessait d'exhorter les Français, s'écriant par-
fois : « Le roi ! le roi ! que le roi se montre ! »
Mais le roi ne vint pas. Vers 11 heures du soir,
plusieurs chefs vinrent la prendre et l'emme-
nèrent contre sa volonté.
On se replia sur Saint-Denis, où le roi était
arrivé et prenait ses mesures pour regagner les
châteaux de la Loire. Jeanne ne pouvait se dé-
(1) On trouva dans les oubliettes de seê châteaux de la
Suze, TifTauges, etc., les ossements de plusieurs centaines
d'enfants, dont le sang avait servi à ses conjurations.
158 JEANNE D*ARC MEDIUM
cider à perdre de vue les clochers de Paris :
« elle était comme enchaînée devant la grande
cité par une force surhumaine » (1). Dès le len-
demain, elle voulut recommencer l'attaque.
Mais qu'arriva-t-il ? On ne pouvait plus passer.
Par ordre du roi, les ponts avaient été coupés
et la retraite imposée.
C'est ainsi que s'accomplit une des plus
grandes infamies de l'histoire. Ceux-là mêmes
vers qui Dieu avait envoyé un messie sauveur,
se liguèrent contre lui. Ils réussirent à entraver
la mission de Jeanne d'Arc et, selon la forte
expression d'Henri Martin, « à faire mentir
Dieu ». Leur égoïsme, leur aveuglement furent
tels, que l'action providentielle fut suspendue
par leur propre indignité.
Après l'échec sous Paris, se déroule pour
Jeanne une longue période d'incertitudes, de
troubles, de déchirements intérieurs. Pendant
huit mois, elle connaîtra l'alternative des suc-
cès et des revers : succès à Saint-Pierre-le-
Moutier, revers à la Charité. Elle sent que la
fortune l'abandonne. Sur les fossés de Melun^
ses voix lui diront : « Jeanne, tu seras prise
avant la Saint-Jean ! » Ce retour de fortune, il
faut l'attribuer uniquement au mauvais vouloir
{1) H. Martin, Hisf. de France, t. VI, p. 209.
COMPIÈGNE 159*
des hommes, à l'ingratitude du roi et de ses>
conseillers, qui lui suscitèrent mille obstacles^
et firent échouer ses entreprises.
En fut-elle amoindrie ? En aucune façon-
C'est à partir de ce moment qu'elle devint vrai-
ment grande, plus grande que ne l'avaient faite
ses victoires. Ses épreuves, sa captivité, son.
martyre, si noblement supportés, vont l'élever
au-dessus des conquérants les plus illustres, et
la rendre sublime aux yeux de la postérité. Au
fond des prisons, devant le tribunal de Rouen,,
du haut de son bûcher, elle nous paraîtra-
plus imposante que dans le fracas des batailles
ou l'ivresse du triomphe. Son attitude, ses souf-
frances, ses paroles inspirées, ses larmes, son
agonie douloureuse, en feront une des plus
pures gloires de la France, un sujet d'admira-
tion pour les siècles, un objet d'envie pour tous.
les peuples !
L'adversité ornera son front d'une auréole-
sacrée. Par son acceptation héroïque de la dou-
leur, par sa grandeur d'âme dans les revers et
devant la mort, elle deviendra une juste cause
d'orgueil pour les femmes de France, un objet
de vénération pour tous ceux en qui vibrent et
palpitent le sentiment de la beauté morale et
l'amour de leur pays.
La gloire des armes est belle : mais, seuls, le
160 JEANNE d'arc MEDIUM
génie, la sainteté, la souffrance, ont droit aux
apothéoses de l'histoire !
Le siège de la Charité ayant échoué, on rap-
pelle Jeanne à la cour ; mais bientôt l'inaction
lui pèse et, de nouveau, son ardeur l'emporte.
Elle abandonne le roi à ses plaisirs, à ses fêtes ;
à la tête d'une troupe dévouée, elle va se jeter
dans Gompiègne assiégée. Et c'est là que, pen-
dant une sortie, le gouverneur de la ville,
Guillaume de Flavy, ayant fait baisser la herse,
elle ne put rentrer dans la place et fut prise
par le comte de Luxembourg, du parti de Bour-
gogne.
Quelle fut la part de responsabilité du sire de
Flavy dans cet événement ? Les uns ont vu là
une trahison préméditée. Le chancelier, Re-
gnault de Ghartres, était passé depuis peu à
Gompiègne et avait eu des entrevues avec le
duc de Bourgogne. Pourtant, la plupart des his-
toriens : H. Martin, Quicherat, Wallon, Ana-
tole France, croient à la loyauté de ce capi-
taine (1). Malgré leurs assertions, son rôle,
(1) Voir H. Martin, Hisl. de France, t. VI, p. 231. - Wal-
lon, Jeanne dArc, p. 211. — Ou[CHERAT, Aperçus nouveaux,
pp. 77-85. Ni Lavisse ni Michelet ne se prononcent (voir
Lavisse, t. IV, p. 61).
COMPIÈGNE 161
lors de la capture de Jeanne, est resté équivoque
et mal défini. Il est vrai que le récent historio-
graphe de G. de Flavy, M. Pierre Champion,
n'a pu tirer de l'examen des textes aucune con-
clusion formelle, et, de son côté, il n'a décou-
vert aucun document probant (1). D'après des
indications reçues de l'Au-delà, nous sommes
porté à croire qu'il n'y eut pas préméditation,
mais qu'on sut profiter de l'occasion qui s'of-
frait, de se débarrasser d'une personnalité deve-
nue gênante pour certaines ambitions.
Si aucun complot ne fut ourdi, au préalable,
contre Jeanne, il n'y eut pas moins trahison, en
ce sens que G. de Flavy ne tenta rien pour la
dégager. Acculée par les Bourguignons dans
l'angle de la chaussée de Margny et du boule-
vard qui défendait la tête de pont, à quelques
mètres de Tentrée, elle pouvait être facilement
secourue. En cet instant critique, le capitaine
de Compiègne occupait le boulevard avec plu-
sieurs centaines d'hommes. 11 observait tout ce
qui se passait, ne tenta aucun effort et aban-
donna Jeanne à sa destinée. C'est en cela que
la trahison paraît flagrante.
Jeanne fut d'abord enfermée au château de
(1) Voir Guillaume de Flavy, par Pierre Champion, 1 vol.
1906.
162 JEANNE d'arc MEDIUM
Beaulieu, à quelque distance de Compiègne,
puis transférée au donjon de Beaurevoir, appar-
tenant au comte de Luxembourg. Promenée
pendant six mois, de prison en prison, à Arras,
à Drugy, au Grotoy, ce ne fut que le 21 novem-
bre, à la suite des sommations pressantes et
comminatoires de l'Université de Paris, qu'elle
fut vendue aux Anglais, ses cruels ennemis, pour
dix mille livres tournois, plus une rente faite
au soldai, auteur de sa capture.
Jean de Luxembourg était de haute lignée,
mais de cœur étroit et de maigre fortune. Il
avait inscrit sur son blason une devise décou-
ragée : « A l'impossible, nul n'est tenu. » Com-
bien plus vibrant le cri de son contemporain,
Jacques Cœur : « A cœur vaillant, rien d'impos-
sible ! )) Très endetté, presque ruiné, Luxem-
bourg ne voulut pas se résigner à vivre pauvre,
ni, par conséquent, refuser les dix mille livres
d'or qu'offrait le roi d'Angleterre. A ce prix, il
vendit Jeanne et la livra.
Dix mille livres en or ! C'était une somme
énorme pour l'époque. Les Anglais étaient pour-
tant à bout de ressources et ne pouvaient plus
payer leurs fonctionnaires. Faute d'argent, le
cours de la justice fut suspendu à Paris pendant
plusieurs semaines. Le greffier qui rédigeait
les actes du parlement dut interrompre son tra-
COMPIÈGNE 163^
vail, faute de parchemin (1). Mais, du moment
qu'il s'agissait d'acheter Jeanne, les Anglais
surent bien trouver cette grosse somme. Que
firent-ils pour cela ? Une chose qui leur était
familière : ils levèrent un lourd impôt sur toute^
la Normandie. Et c'est là un fait à signaler : c'est
avec de l'argent français que le sang de Jeanne^
d'Arc a été payé !
Au fond de ses prisons, le plus grand souct
de Jeanne n'est pas celui de son propre sort,,
mais plutôt cette pensée tristement exprimée ::
« Je ne pourrai plus servir le noble pays de
France! » A la nouvelle que les bonnes gens de-
Gompiègne sont menacés, si la ville est prise,,
d'être passés au fil de l'épée, elle se jette dit
haut de la tour de Beaurevoir pour les re-
joindre : (( J'avais ouï dire, expliquera-t-elle à
ses juges, que ceux de Gompiègne, tous jusqu'à
l'âge de sept ans, devaient être mis à feu et à
sang ; et moi^ j'aimais mieux risquer la mort
que de vivre après une telle destruction de^
bonnes gens (2). »
(1) Registres du Parlement, t. XV, février 1431, d'après-
H. Martin, t. VI, p. 245.
(2) J. Fadre, Procès de condamnation, 5« interrogatoire secret..
164 JEANNE d'arc MÉDIUM
D'étape en étape, de donjon en donjon, la
voici parvenue au Grotoy, aux confins du pays
normand occupé par les Anglais. On l'enferme
dans une tour de défense qui garde Fembou-
chure de la Somme. Delà fenêtre garnie de bar-
reaux, sa vue s'étend sur un panorama de grèves,
puis, au delà, sur Pimmensité de la mer. C'est
la première fois qu'elle contemple la grande
nappe liquide, et ce spectacle l'impressionne
profondément.
La mer ! avec ses vagues écumantes, ses hori-
zons sans bornes et ses reflets changeants !
Elle, si sensible aux harmonies du ciel et de
la terre, aux jours ensoleillés et aux nuits étoi-
lées, elle s'abîme dans la contemplation de la
vaste étendue, tantôt d'un gris d'argent, tantôt
d'un bleu intense, piquée, le soir, de scintille-
ments d'astres ; elle prête une oreille étonnée
aux bruissements mystérieux du vent et des
flots. Lorsque, à l'heure de la haute mer, la
plainte des vagues, le sanglot de l'Océan monte
jusqu'à elle, un immense sentiment de tristesse
l'envahit. Les Anglais vont venir, les Anglais
qui l'ont achetée chèrement ! Depuis Gom-
piègne, elle a été captive des Bourguignons, ses
adversaires, sans doute, mais hommes de même
langue et de même race, qui ont usé de ména-
gement envers elle. Désormais que peut-elle
COMPIÈGNE 165
attendre de ces étrangers farouches, qu'elle a
vaincus tant de fois et qui, lui ayant voué une
haine féroce, n'ont jamais manqué une occasion
de l'injurier. Une affreuse angoisse déchire son
âme, et elle prie. Mais la voix dit et répète :
Prends tout en gré !
Elle dut attendre ainsi, au Grotoy, pendant
trois semaines. Un jour, les dames d*Abbeville
vinrent la visiter, la consoler, et leurs larmes,
un instant, se mêlèrent à ses larmes (1).
(1) Wallon, Jeanne d'Arc, p. 222.
X. — Rouen ; la prison.
Celui que Dieu choisit pour une tâche sainte,
Soldat libérateur, prêtre, apôtre ou martyr,
Doit affermir son cœur, étouffer toute plainte ;
Il est beau de combattre ; il est grand de souffrir,
Paul Allard.
Jeanne est aux mains des Anglais. Ils Font
33âillonnée, afin qu'elle ne puisse communiquer
avec les populations, et la conduisent, sous bonne
escorte, au château de Rouen. Là, elle est jetée
clans un cachot, enfermée dans une cage de fer :
« On avait fait forger pour moi, nous dit-elle,
une sorte de cage, dans laquelle on me mit. J'y
étais étroitement resserrée ; j'avais une grosse
<îhaîne au cou, une à la taille, d'autres aux pieds
et aux mains. J'eusse succombé à cette affreuse
détresse, si Dieu et mes Esprits ne m'eussent
ménagé des consolations. Rien ne peut peindre
leur touchante sollicitude et les ineffables con-
solations qu'ils me donnèrent. Mourante de
faim, à demi vêtue, entourée d'immondices et
ROUEN ; LA PRISON 167
meurtrie par mes fers, je puisai dans ma foi le
courage de pardonner à mes bourreaux. »
Traitement atroce ! Jeanne est prisonnière
de guerre ; c'est une femme, et on l'enferme
comme une bête fauve dans une cage de fer !
Un peu plus tard, il est vrai, les Anglais se
contentèrent de l'attacher, deux chaînes aux
pieds, à une grosse poutre.
Ainsi commence une passion de six mois,
passion sans exemple dans l'histoire, passion
plus douloureuse même que celle du Christ.
Car le Christ était homme, et ici, il s'agit d'une
jeune fille de dix-neuf ans qui est à la merci de
soudards brutaux, stupides et lubriques. Cinq
soldats, des houspilleurs, la lie de l'armée
anglaise, disent tous les historiens, veillent
jour et nuit dans son cachot.
Songez à ce qu'une jeune femme enchaînée
peut attendre d'hommes vils et grossiers, ivres
de fureur envers celle qu'ils considèrent comme
la cause de tous leurs revers. Ces misérables
l'accablaient de mauvais traitements. Plusieurs
fois, ils cherchèrent à lui faire violence, et comme
ils ne pouvaient y parvenir, ils la frappaient
brutalement. Elle s'en plaignait à ses juges, au
cours du procès, et maintes fois, lorsque ceux-ci
pénètrent dans sa prison pour l'interroger, ils
la trouvent tout en larmes, le visage gonflé et
168 JEANNE d'arc médium
meurtri par les coups qu'elle a reçus (1).
Songez aux horreurs d'une telle situation, à
ces pensées de la femme, à ces craintes de la
vierge, exposée à toutes les surprises, à tous
les outrages, à cette privation continuelle de
repos, de sommeil, qui brisait son corps, anéan-
tissait ses forces, au milieu de ces anxiétés, de
ces angoisses incessantes. Seule parmi ces
infâmes, elle ne voulait pas quitter ses habits
d'homme, et on lui reprochait cet acte de pudeur
comme un crime !
Les visiteurs n'étaient pas moins abominables
que les gardiens. Le comte de Luxembourg,
qui l'avait vendue, vint un jour la railler dans
son cachot. Il était accompagné des comtes de
Warwick, de Stafîord et de l'évéque de Thé-
rouanne, chancelier du roi d'Angleterre : « Je
suis venu ici pour vous racheter, — lui dit-il, — à
condition toutefois que vous voudrez promettre
de ne plus jamais vous armer contre nous. » —
a Vous VOUS raillez de moi, — s'écria-t-elle. —
Je sais bien que vous n'en avez ni le vouloir ni
le pouvoir. » Et comme il insistait, elle ajouta :
a Je sais bien que ces Anglais me feront mou-
rir, croyant après ma mort gagner le royaume
de France. Mais quand ils seraient cent mille
(1) H. Martin, hisf. de France, t. VI, pp. 258, 290.
ROUEN; LA PRISON 169
de plus qu'à présent, ils n'auront pas le
royaume. » Ces paroles les rendirent furieux.
Le comte de Stafford tira sa dague pour frapper
Jeanne. Warwick l'en empêcha (1).
Puis, ce sont ses juges qui confient à un prêtre
indigne, traître et espion, Loyseleur, la mission
de se glisser dans la prison, en habit laïque. Se
faisant passer pour lorrain et captif des Anglais,
il obtint la confiance de Jeanne et la décida à se
confesser à lui. Pendant leurs entretiens, des
notaires, apostés en secret, écoutaient par une
ouverture pratiquée à dessein, et inscrivaient
toutes les confidences de l'héroïne.
Les Anglais croyaient qu'un « charme » était
attaché à sa virginité et que, si elle la perdait,
ils n'auraient plus rien à redouter d'elle. Un
examen de la duchesse de Bedford, assistée de
lady Anna Bavon et de plusieurs matrones, avait
démontré que cette virginité de Jeanne était
bien réelle. Détail qui révèle la bassesse de son
caractère : le duc de Bedford, régent d'Angle-
terre, assistait, caché, à cet examen.
Ce fut peu après que le lord connétable, comte
de Stafford, poussé par la superstition autant
•que par une passion hideuse, se fit ouvrir le
(1) J. Fabre, Procès de réhabilitation. Déposition du che-
valier Aimond de Macy, qui assistait à la scène, t. II, pp. 143-
U4.
10
170 JEANNE d'arc MÉDIUM
cachot de Jeanne et tenta de lui faire vio-
lence (1).
Qui pourrait dire ce qu'elle a souffert dans
les ténèbres de son donjon ! Abandonnée de
tous, trahie et vendue au poids de For, elle a
ressenti toutes les affres de la douleur. Elle les
connut ces heures d'angoisse, de torture morale
où tout s'assombrit autour de nous, où les voix
du ciel semblent se taire (2), où l'invisible reste
muet, au moment où toutes les fureurs, toutes
les haines terrestres se déchaînent et se ruent
sur nous. Tous les missionnaires les ont subies,
ces heures douloureuses, et elle les a subies
plus que tous, pauvre enfant, exposée sans
défense aux plus vils outrages. Pourquoi Dieu
permet-il ces choses ? C'est pour sonder l'âme
et le cœur de ses fidèles, pour éprouver leur
foi en lui ; c'est afin que leurs mérites s'accrois-
sent encore, et que la couronne qu'il leur réserve
gagne en éclat et en beauté.
Mais, dira-t-on, comment Jeanne, épuisée,
chargée de fers, a-t-elle pu échapper aux ten-
tatives infâmes de ses visiteurs et de ses gar-
(1) J. Fabre, Procès de réhabiliîaîion. Dépositions de Maiy
lin Ladvenu et Isambard de la Pierre, t. II, pp. 88, 99.
(2) Les Esprits ne l'assistaient pas toujours. Ses voix ne
la préviennent pas des pièges et artifices de Loyseleur; elles
n'interviennent pas au cours des nombreuses visites qu'il
fait à la captive.
ROUEN; LA PRISON 171
diens ? Gomment a-t-elle pu conserver cette fleur
de pureté qui était sa sauvegarde, suivant l'opi-
nion, accréditée à cette époque, qu'une vierge
ne pouvait être convaincue de sorcellerie ?
Eh bien, voici ! A ces heures terribles, plus
redoutées d'elle que la mort même, l'invisible
intervient. Dans la prison froide et sombre, une
légion radieuse se glisse. Des êtres que, seule,
elle voit et qu'elle appelle « ses frères de para-
dis », viennent l'assister, la soutenir, lui don-
ner les forces nécessaires pour échapper à ce
qui eût été un sacrilège abominable.
Ces Esprits la réconfortent et lui disent ;
« Souff'rir, c'est grandir, c'est s'élever ! » Au
milieu de l'ombre qui l'enveloppe, une clarté
se fait ; des chants suaves arrivent jusqu'à elle,
comme un écho des harmonies de l'espace.
Ses voix la consolent et lui répètent : « Prends
courage ! tu seras délivrée par grande victoire ! »
Dans sa foi naïve, elle croit que cette délivrance,
c'est la liberté. Hélas ! comme l'enseignaient
nos ancêtres, les druides, c'était « la délivrance
de la mort », la mort par le martyre. Il le fallait
pour donner à cette sainte figure tout son
rayonnement sublime.
N'est-ce pas le privilège des âmes supérieures
que d'être destinées à souffrir pour une noble
cause ? Ne faut-il pas qu'elles passent par le
172 JEANNE d'arc MÉDIUM
creuset de l'épreuve pour montrer toutes les
vertus, tous les trésors, toutes les splendeurs
qui sont en elles ? Une grande mort est le cou-
ronnement nécessaire d'une grande vie, d'une
vie de dévouement, de sacrifice. C'est l'initia-
tion à une existence plus haute. Mais, à ces
heures douloureuses, dans cette purification
suprême, ces âmes sont soutenues par une
force surhumaine, une force qui leur permet
de tout affronter, de tout vaincre !
XI. — Rouen ; le procès.
Mais j'entre en frémissant dans cette obscurité !
Que soit faite, ô mon Dieu, ta sainte volonté!
P. Allard.
Nous arrivons maintenant au procès.
En effet, en même temps que cette captivité
si dure, si horrible, Jeanne avait à subir les
phases longues et tortueuses d'un procès tel
qu'il n'a jamais eu son pareil dans le monde.
D'un côté, tout ce que Pesprit du mal peut
distiller de noirceur hypocrite, d'astuce, de
perfidie, d'ambition servile. Soixante et onze
clercs, prêtres et docteurs, pharisiens au cœur
sec, tous hommes d'église, mais pour qui la
religion n'est qu'un masque dissimulant d'ar-
dentes passions : la cupidité, l'esprit d'intrigue,
le fanatisme étroit.
De l'autre côté, seule, sans appui, sans con-
seiller, sans défenseur, une enfant de dix-neuf
ans, l'innocence et la pureté incarnées, une âme
héroïque dans un corps de vierge, un cœur
sublime et tendre, prêt à tous les sacrifices pour
10.
174 JEANNE d'arc MÉDIUM
sauver son pays, pour remplir sa mission avec
fidélité, et donner l'exemple de la vertu dans
le devoir.
Jamais on n'a vu la nature humaine s'élever
si haut d'une part, et, de l'autre, tomber si bas.
L'histoire a établi les responsabilités. Je ne
veux rien dire qui puisse surexciter les haines
politiques ou religieuses. Le nom de Jeanne
d'Arc n'est-il pas, entre tous les noms glo-
rieux, celui qui doit rallier tous les sentiments
d'admiration, quel que soit le parti d'où ils
viennent ?
L'Église a voulu se disculper de l'accusation
qui pesait sur elle depuis des siècles. Pour cela,
elle s'est appliquée à rejeter tout l'odieux de la
condamnation de Jeanne sur Pierre Gauchon,
évéque de Beauvais. Elle Pa renié, chargé de
ses malédictions. Mais P. Gauchon est-il le seul
grand coupable ?
Rappelons-nous une chose. Dès le 26 mai 1430,
trois jours après la capture de Jeanne devant
Gompiègne, le vicaire général du grand inqui-
siteur de France, siégeant à Parfs, écrivait au
duc de Bourgogne, pour le supplier et lui « en-
joindre, sur les peines de droit, de lui envoyer
prisonnière certaine femme nommée Jehanne
la Pucelle, véhémentement soupçonnée de
crimes sentant l'hérésie, pour comparaître de-
ROUEN; LE PROCÈS 175
vant le promoteur de la sainte Inquisition (1). »
Ainsi ce redoutable tribunal du Saint-Office,
qui n'était plus qu'un fantôme à cette époque,
reparaissait, sortait de l'ombre, pour réclamer
la plus grande victime qui ait jamais comparu
devant lui. Et l'Université de Paris, le principal
corps ecclésiastique de France, appuyait ses
revendications. Anatole France, qui est bien
renseigné sur ce point, nous dit (2) :
«c Dans Taffaire de la Pucelle, ce n'était pas seule-
ment un évèque qui mettait la très sainte Inquisition
en mouvement, c'était la fille des rois, la mère des
études, le beau clair soleil de France et de la chré-
tienté, l'Université de Paris. Elle s'attribuait le pri-
vilège de connaître dans les causes relatives aux hé-
résieSjCt ses avis, de toutes parts demandés, faisaient
autorité sur toute la face du monde où la croix est
plantée. »
Depuis un an, elle demandait la remise de la
Pucelle à l'inquisiteur, comme étant suspecte
de sorcellerie.
Le même auteur nous dit encore (3) :
« Après s'être concerté avec les docteurs et maî-
tres de l'Université de Paris, févêque de Beau-
(1) Procès, t. I, pp. 8 et suiv.
(2) A. France, Vie de Jeanne d'Arc, t. II, p. 179.
(3) ID., Ibid., t. II, p. 195.
176 JEANNE d'arc MÉDIUM
vais se présenta, le i\ juillet, au camp deCompiègne
et réclama la Pucelle comme appartenant à sa jus-
tice. Il présentait à l'appui de sa demande les lettres
adressées par Valma Mater au duc de Bourgogne et
au seigneur de Luxembourg. »
C'était la deuxième fois que FUniversité ré-
clamait Jeanne au duc; elle craignait que d'au-
tres la délivrent « par voies obliques » et
qu'elle ne fût mise hors de son pouvoir. En
même temps, l'envoyé était chargé d'offres d'ar-
gent.
Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, qui
avait été chassé de son siège par le peuple pour
s'être rallié aux Anglais, Cauchon a bien ins-
truit lui-même et dirigé le procès. Il y a joué le
rôle le plus important, cela est incontestable,
maisle vice-inquisiteur, JeanLemaître, approuva
tous ses choix en ce qui concerne la composi-
tion du tribunal, où il siégea plusieurs fois à
ses côtés. Et lorsque Févêque de Beauvais
était empêché, Jean Lemaître présidait seul les
séances. Cela est établi par tous les docu-
ments (1).
Le vice-inquisiteur a signé et certifié au-
thentiques les procès-verbaux des audiences.
(i) J. Fabre, Procès de condamnation, 4® interrogatoire
secret. Déclaration de P. Cauchon à Jeanne.
ROUEN ; LE PROCES 1//
Ceux-ci ont été rédigés en triple expédition par
les greffiers du tribunal. Il en existe un exem-
plaire à la bibliothèque de la Chambre des
Députés, et il est revêtu du sceau de l'Inquisi-
tion.
Dans les procès d'hérésie, il était de droit que
toutes les décisions, tous les jugements fus-
sent pris par les deux juges : Févêque et l'in-
quisiteur. C'est ce qui eut lieu à Rouen, comme
partout ailleurs. Il est donc impossible de ne
pas reconnaître que Cauchon était couvert par
la jurisprudence inquisitoriale.
Mais ce n'est pas tout. Les évêques de Cou-
tances et de Lisieux furent consultés au cours
du procès, et ils approuvèrent l'accusation. Il y
a même ceci de particulier à relever : l'évéque
de Lisieux, Zanon de Castiglione, se décida
pour la condamnation, par ce motif que Jeanne
était de trop basse condition pour être inspi-
rée de Dieu. En vérité, on peut se demander
ce que les apôtres du Christ, ces humbles arti-
sans et bateliers de Galilée, ce que le Christ
lui-même, le fils du charpentier, eussent pensé
de cette réponse.
Les évêques de Thérouanne, de Noyon, de
Norwich figurent aussi au procès : tous les
trois ont pris part aux admonitions de la Pu-
celle.
178 JEANNE d'arc MÉDIUM
Cauchon s'entoura de personnages considé-
rables et de théologiens de renom. Il fit siéger
au tribunal des hommes tels que Thomas de
Gourcelles, qu'on appela plus tard « la lumière
du concile de Bâle et le second Gerson », Pierre
Maurice et Jean Beaupère, qui, tous deux,
avaient été recteurs de l'Université de Paris,
des docteurs et maîtres en théologie, tels que
Guillaume Érard, Nicole Midi, Jacques de Tou-
raine, et nombre d'abbés crosses et mitres des
grandes abbayes delà Normandie.
Or, de tous ces clercs éminents, aucun ne
se montra impartial. Tous étaient partisans des
Anglais et ennemis de Jeanne. Le promoteur,
Jean d'Estivet, âme damnée de Cauchon,
homme sans foi ni scrupules, se fit particulière-
ment remarquer pour sa haine et ses violences
envers l'accusée. On ne fit aucun droit à la lé-
gitime demande de celle-ci, d'introduire dans
le tribunal un nombre équitable de clercs du
parti français. Elle en appela aussi au pape et
au concile ; ce fut en vain.
Tous les juges, assesseurs, chanoines, doc-
teurs en théologie, recevaient des Anglais, par
séance, une indemnité qui équivalait à 40 francs
de notre monnaie actuelle. Les quittances sont
jointes au procès. Il y eut près de cent asses-
seurs, mais ils ne siégeaient pas tous ensemble.
ROUEN ; LE PROCÈS 179
Les plus hostiles à Jeanne reçurent aussi des
présents.
Le roi d'Angleterre donna aux membres du
tribunal des lettres de garantie, pour le cas
« où ceux qui avaient eu les erreurs de Jeanne
pour agréables, essayeraient de les traîner en
cause devant le pape, le concile ou autre
part » (1).
Il y eut plusieurs consultations de la Sor-
bonne, entre autres celle du 19 avril, confir-
mée par les quatre Facultés le l/j mai : toutes
conclurent contre la Pucelle.
11 faut ajouter que l'inquisiteur général, Jean
Graverend, prêcha un sermon dans ï'église
Saint-Martin-des-Ghamps, à Paris, après le sup-
plice de Jeanne, dans lequel il répétait tous les
termes de l'accusation et approuvait la sen-
tence. Peu après, le pape nommait Pierre Gau-
chon titulaire du siège épiscopal de Lisieux.
Si, plus tard, il fut frappé d'excommunication,
ce ne fut pas en punition de son forfait, mais
simplement pour avoir refusé d'acquitter un
droit réclamé par le Vatican. G'est pour une
question d'argent, que ce prélat fut menacé des
foudres pontificales, à l'abri desquelles il était
i^esté, aussi longtemps qu'il avait été unique-
(1) J« Fabre, Procès de condamnation, p. 422.
180 JEANNE d'arc MÉDIUM
ment coupable de la condamnation de la libé-
ratrice de son pays (1).
En réalité, pas une voix ne s'éleva dans la
chrétienté pour protester contre le jugement
inique dont Jeanne fut victime, pas plus du
côté du clergé resté français, que du côté du
clergé passé aux Anglais. Au contraire, une cir-
culaire de Regnault de Chartres, archevêque
de Reims, à ses diocésains, nous révèle le hon-
teux état d'esprit de Charles VII et de ses con-
seillers. On a retrouvé, dans une relation écrite
d'après les chartes de l'hôtel de ville et éche-
vinage de Reims, l'analyse d'une dépêche du
chancelier aux habitants de sa ville archiépis-
copale, conçue dans les termes qui vont suivre.
Il donne avis de la prise de Jeanne devant
Gompiègne, et « comme elle ne vouloit croire
conseil; ains (mais) faisoit tout à son plaisir..»
Dieu avoit souffert prendre Jehanne la Pucelle
pour ce qu'elle s'étoit constituée en orgueil, et
pour les riches habits qu'elle avoit pris, et
qu'elle n'avoit fait ce que Dieu lui avoit com-
mandé, ains avoit fait sa volonté » (2).
Cependant, Charles Vil, si mal conseillé qu'il
fut, avait été aussi l'objet de hautes et près-
(1) J. Fadre, Procès de. réhabililalion, t. II, pp. 222-223.
(2) H. Martin, Ilisloire de France, t. VI, p. 234.
ROUEN; LE PROCÈS 181
santés sollicitations en faveur de l'héroïne.
Jacques Gélu, seigneur archevêque d'Em-
brun, son ancien précepteur, écrivit à son
royal élève, après la capture de Jeanne, afin de
lui rappeler ce que la Pucelle avait fait pour la
couronne de France. Il le priait de bien exami-
ner sa conscience, et de s'assurer si ce n'étaient
« pas ses offenses envers Dieu qui avaient ame-
né ce malheur ». «. Je vous recommande,
ajoute-t-il, que, pour le recouvrement de cette
fille et pour le rachat de sa vie, vous n'épar-
gniez ni moyens ni argent, ni quel prix que ce
soit, si vous n'êtes prêt d'encourir le blâme
indélébile d'une très reprochable ingratitude. »
Il lui conseille de faire ordonner partout des
prières pour la délivrance de Jeanne, afin d'ob-
tenir le pardon de quelque manquement pos-
sible.
« Ainsi parla ce vieil évéque, à qui il souve-
nait d'avoir été conseiller delphinal dans des
temps mauvais, et qui aimait chèrement le roi
et le royaume (1). »
On aurait pu racheter Jeanne au comte de
Luxembourg. On n'en fit rien. On pouvait l'en-
lever par un coup de force : les Français occu-
paient Louviers, à peu de distance de Rouen.
(1) V. A. Fran'ce, Vie de Jeanne d'Arc, t. II, pp. 185-186.
11
182 JEANNE d'arc MÉDIUM
Ils restèrent immobiles. Ceux qui, avant le
voyage de Reims, parlaient d'attaquer la Nor-
mandie, se taisaient maintenant.
Du moins, pouvait-on agir par la procédure,
entraver la sentence du tribunal par les mêmes
formes dont ses juges semblaient respectueux.
L'évêque de Beauvais, meneur du procès, était
le sufFragant de l'archevêque de Reims. Celui-
ci pouvait exiger qu'il lui donnât au moins con-
naissance des débats. 11 s'abstint de toute in-
tervention.
On aurait pu recourir aux protestations de
la famille de Jeanne, réclamer l'appel au pape
ou au concile, menacer les Anglais de repré-
sailles sur Talbot et les autres prisonniers de
guerre, pour sauver la vie de la Pucelle. Rien
ne fut tenté !
« C'est de propos délibéré, dit Wallon (1),
que Jeanne fut abandonnée à son sort ; sa mort
même entrait dans les calculs de ces politiques dé-
testables... Regnault de Chartres, La Trémoille
et tous ces tristes personnages, pour garder leur
ascendant dans les conseils du roi, ont sacrifié,
avec Jeanne, le prince, la patrie et Dieu même. »
Tout bien pesé, la responsabilité du supplice
et de la mort de Jeanne nous paraît retomber,
(1) Wallon, Jeanne d'Arc, p. 358.
ROUEN; LE PROCÈS 183
à un égal degré, sur TÉglise et sur les deux
couronnes d'Angleterre et de France.
Toutefois, en ce qui concerne TÉglise, il faut
se rappeler une chose. C'est que, si tant de
prêtres et de prélats, si l'Inquisition elle-même,
ont trempé dans le procès de condamnation de
Jeanne d'Arc, c'est aussi sous la direction du
grand inquisiteur, Jean Bréhal, que le procès
de réhabilitation s'est déroulé. S'il s'est trouvé
des prêtres pour condamner la Pucelle, il s'en
est trouvé aussi, et non des moindres, pour la
glorifier, entre autres le grand Gerson et l'ar-
chevêque d'Embrun.
Certes, Jeanne ayant été brûlée comme sor-
cière, la couronne de France ne voulait pas, ne
pouvait pas rester sous le coup de l'accusation
d'avoir pactisé avec l'enfer. Mais, pour amener
ce procès de revision qui devait la dégager, il
fallut négocier pendant trois années avec la
.cour de Rome ; il fallut toute l'influence du roi
et de ses conseillers, influence que pourtant le
pontife romain avait un grand intérêt à ména-
ger à cette époque de schisme, alors que trois
papes venaient de se disputer l'autorité sur le
monde chrétien. Il fallut une pression puissante
pour amener cette revision, et sans cette pres-
sion, sans cette insistance, il est probable que
la réparation n'aurait pas eu lieu.
184 JEANNE d'arc MÉDIUM
« Le tribunal de réhabilitation, dit Joseph
Fabre, qui se fit attendre vingt-cinq ans, sanc-
tionna l'impunité des bourreaux, en même temps
qu'il proclama l'innocence de la suppliciée. De
plus, s'il déclara Jeanne exempte du crime d'hé-
résie, il admit qu'hérétique elle aurait mérité
le feu, et consacra ainsi, à l'exemple des pre-
miers juges, ce néfaste principe de l'intolérance
dont elle fut la victime (1). »
Quoique tardive et insuffisante, acceptons
cette réparation telle qu'elle s'est produite.
Rappelons que des processions expiatoires eu-
rent lieu dans les principales villes de France,
et que le clergé y prit une large part. Rappe-
lons aussi qu'à une époque plus récente, les
Anglais eux-mêmes ont glorifié la mémoire de
Jeanne : un de leurs poètes, Southey, l'a procla-
mée la plus grande héroïne du genre humain.
Des voix nombreuses se sont élevées en Angle-
terre, pour demander qu'amende honorable soit
faite sur les places publiques de Rouen, par
des représentants de la couronne et du Parle-
ment.
Rappelons tout cela et disons que, devant
la grande figure de Jeanne, tout ressentiment
doit disparaître, toute haine doit tomber. Ce
(1) J. Fabre, Procè& de réhabililalîon, t. II, p. 223.
ROUEN ; LE PROCÈS 185
n'est pas sur ce nom auguste qu'une lutte de
partis ou de nations doit se produire. Car, si ce
nom est entre tous un symbole de patriotisme,
c'est aussi, c'est surtout un symbole de paix et
de conciliation.
Jeanne appartient à tous, certes, et par-
dessus tout à la France. Et cependant, si une
exception devait être faite au sein de la nation,
en faveur de quelque groupement ou collecti-
vité, si Jeanne pouvait appartenir aux uns plu-
tôt qu'aux autres, la logique inflexible voudrait
que ce fut à ceux qui ont su comprendre sa vie,
en pénétrer le mystère, à ceux qui recherchent,
aujourd'hui encore, dans l'étude du monde in-
visible, ces forces, ces soutiens, ces secours qui
ont assuré son triomphe, et qu'ils veulent faire
servir au bien moral et au salut de leur pays.
Revenons aux juges de Rouen. Quand on
étudie les phases du procès, il devient évident
que dans l'esprit de ces sophistes au cœur
glacé, dans la pensée de ces prêtres vendus
aux Anglais, Jeanne était condamnée d'avance.
N'avaient-ils pas tous vu avec dépit, avec rage,
une femme relever au nom de Dieu^ dont ils se
disaient les représentants, la cause qu'ils avaient
trahie, la croyant perdue, la cause de la France ?
Tous ces hommes n'avaient plus qu'un but, un
désir : c'était de venger sur cette femme leur
186 JEANNE d'arc MÉDIUM
autorité menacée, leur situation compromise.
Pour eux comme pour les Anglais, Jeanne était
destinée à la mort, mais cette mort ne suffisait
ni à leur politique, ni à leur haine ; il fallait
qu'elle mourût déshonorée, en reniant elle-
même sa mission, et que son déshonneur rejail-
lît sur le roi et sur toute la France !
Pour cela, il n'y avait qu^me ressource : ob-
tenir d'elle une rétractation, un désaveu de sa
propre mission. Il fallait qu'elle s'avouât inspi-
rée par l'enfer; un procès de sorcellerie saurait
l'y amener. Pour arriver au but, on ne devait
reculer devant aucun moyen : la ruse, l'espion-
nage, les mauvais traitements, toutes les souf-
frances, toutes les horreurs d'une prison hi-
deuse, où la chasteté de Jeanne était exposée
aux derniers outrages. Les menaces, la torture
même, tout leur était bon. Mais Jeanne résista
à tout.
Voyez, par la pensée, cette salle voûtée, où
filtre, par des ouvertures étroites, un jour
sombre. On dirait une crypte funéraire. Le tri-
bunal est assemblé. Une soixantaine de juges
siègent sous la présidence de l'évêque de Beau-
vais, à qui les Anglais ont promis l'archevêché
de Rouen, s'il sait servir leurs intérêts. Au-des-
sus d'eux, poignante ironie, l'image du Christ
supplicié s'étend sur la muraille. Puis, au fond
ROUEN; LE PROCÈS 187
de la salle, à toutes les issues, on voit briller
les armes des soldats anglais, aux visages hai-
neux, féroces.
Pourquoi ce déploiement de forces ? Pour
juger une enfant de dix-neuf ans ! Jeanne est
là, pâle, chancelante, chargée de chaînes ; elle
est affaiblie par les souffrances d'une longue
captivité. Elle est là, seule au milieu de ses
ennemis qui ont juré sa perte.
Seule? oh non ! car si les hommes l'abandon-
nent, si son roi l'oublie, si les nobles de France
ne font rien pour l'arracher aux Anglais, soit
par la force, soit par rançon, du moins il est
des êtres invisibles qui veillent sur elle, la sou-
tiennent et lui inspirent des réponses telles que,
parfois, elles épouvantent ses juges.
Et quel bruit ! quel tumulte ! Dans leur fureur,
dans leur rage, parfois ces juges en arrivent
à s'interpeller , à se quereller entre eux. Les ques-
tions se pressent. On s'ingénie àenlacer l'accusée
dans des ruses hypocrites, on la harcelle par
des interrogatoires si subtils, si difficiles, que,
suivant l'expression d'un des assesseurs, Isam-
bard de la Pierre, « les plus grands clercs
de l'assistance n'y eussent pu répondre qu'à
grand'peine » (1).
(1) J. Fabre, Procès de réhabililalion, t. I, pp. 93-94.
188 JEANNE d'arc MEDIUM
Et pourtant elle y répondait, tantôt avec une
finesse admirable, tantôt avec un sens si pro-
fond et des paroles tellement sublimes, que
personne ne doutait plus qu'elle ne fût inspi-
rée par des Esprits. Une impression de crainte
s'emparait de l'assistance, lorsqu'elle disait en
parlant d'eux : « Ils sont là, sans qu'on les
voie ! » Mais tous ces hommes étaient trop en-
foncés dans leur crime pour reculer.
Ainsi, on cherchait à accabler Jeanne physi-
quement et moralement. On lui faisait subir
interrogatoire sur interrogatoire, jusqu'à deux
par jour, d'une durée de trois heures chacun.
Et, pendant tout ce temps, on l'obligeait à res-
ter debout, chargée de chaînes pesantes.
Jeanne ne se laisse pas intimider. Ce lieu
sinistre est pour elle comme un nouveau champ
de bataille. Là se montre sa grande âme, son
mâle courage. La Puissance invisible qui Fins-
pire éclate en paroles véhémentes, qui terrifient
ses accusateurs.
Elle s'adresse à Tévêque de Beauvais : « Vous
dites que vous êtes mon juge. Je ne sais si
vous l'êtes. Mais avisez-vous bien de ne pas
mal juger ; car vous vous mettriez en grand
danger. Je vous en avertis, afin que si Notre-
Seigneur vous châtie, j'aie fait mon devoir de
vous le dire. » — « Je suis venue de la part de
ROUEN; LE PROCÈS 189
Dieu. Je n'ai rien à faire ici. Laissez-moi au
jugement de Dieu, de qui je suis venue (1). »
On lui pose cette question perfide : « Croyez-
vous être en la grâce de Dieu? — Si je n'y suis,
Dieu m'y mette; et si j'y suis, qu'il m'y con-
serve (2). » — « Vous croyez donc inutile de
vous confesser, quoique en état de péché mor-
tel ? — Je n'ai jamais commis de péché mortel.
— Qu'en savez-vous? — Mes voix me l'auraient
reproché; mes Esprits m'auraient délaissée ! —
Que disent vos voix ? — Elles me disent :
(( N'aie crainte ; réponds hardiment ; Dieu t'ai-
« dera (3) ! »
On cherche à la convaincre de magie, de sor-
tilège, en prétendant qu'elle s'est servie d'ob-
jets possédant des pouvoirs mystérieux :
« Aidiez-vous plus à votre étendard, ou l'éten-
dard à vous ? » Elle répond : « De la victoire
de l'étendard ou de Jeanne, c'était tout à
Dieu. — Mais l'espérance d'avoir victoire
était-elle fondée en votre étendard ou en
vous ? — En Dieu et non ailleurs {l\). »
Combien d'autres, à sa place, n'auraient pu
ou su résister à la tentation de s'attribuer le
(1) J. Fabre, Procès de condamnation^ pp. 6G^ 158.
(2) Ibid., p. 71.
(3) Procès, passim.
(4) J. Fabre, Procès de condamnation, p. 184.
11.
190 JEANNE d'arc MEDIUM
mérite de ses victoires ! L'orgueil se glisse jus-
qu'au fond des âmes les plus nobles et les plus
pures. Nous sommes presque tous enclins à
faire valoir nos actes, à en exagérer la portée,
à nous glorifier sans raison. Et, pourtant, tout
nous vient de Dieu. Sans lui, nous ne serions
rien, nous ne pourrions rien. Jeanne le sait et,
dans Tatmosphère de gloire qui l'entoure, elle
se fait humble, petite, reportant à Dieu seul
le mérite de l'œuvre accomplie. Loin de tirer
vanité de sa mission, elle la réduit à sa juste
mesure. Elle n'a été qu'un instrument au ser-
vice de la Puissance suprême :
« Il a plu à Dieu d'agir ainsi par le fait d'une
simple vierge pour repousser les adversaires
du roi (1). »
Mais quel instrument admirable de sagesse,
d'intelligence et de vertu ! Quelle profonde
soumission aux volontés d'en haut ! « Tous mes
faits et paroles sont entre les mains de Dieu et
je m'en attends à lui. »
Un jour, l'évêque de Beauvais pénètre dans
le cachot. Il est revêtu de ses ornements sacer-
(1) J.Fabre, Procès de condamnation, p. 152.
ROUEN; LE PROCÈS 191
dotaux ; sept prêtres l'accompagnent. Jeanne
est prévenue par ses voix, elle sait que cet in-
terrogatoire est décisif. Ses voix lui ont dit de
résister vaillamment, de défendre la vérité, de
défier la mort. Aussi, à la vue des prêtres, son
corps épuisé se redresse, ses traits s'illumi-
nent, son regard brille d'un éclat profond.
« Jeanne, dit Tévêque, voulez-vous vous sou-
mettre à l'Église? » Question terrible au moyen
âge et d'où dépend le sort de l'héroïne !
« Je m'en 'réfère à Dieu pour toutes choses,
répond-elle, à Dieu qui m'a toujours inspirée.
— Voilà une parole bien grave. Entre vous et
Dieu, il y a l'Eglise. Voulez-vous, oui ou non,
vous soumettre à l'Église ? — Je suis venue
vers le roi pour le salut de la France, de par
Dieu et ses saints Esprits. A cette Église-là,
celle de là-haut^ je me soumets en tout ce que
j'ai fait et dit ! — Ainsi, vous refusez de vous
soumettre à l'Église ; vous refusez de renier vos
visions diaboliques? — Je m'en rapporte à Dieu
seul. Pour ce qui est de mes visions, je n'ac-
cepte le jugement d'aucun homme ! »
Voilà le point capital du procès. 11 s'agissait
de savoir par-dessus tout, si Jeanne subordon-
nerait aux volontés de l'Église l'autorité de ses
révélations. Lors du procès de réhabilitation,
les juges et les témoins n'ont eu qu'une préoc-
192 JEANNE d'arc MÉDIUM
cupation, c'était de démontrer que Jeanne avait
hésité, puis accepté l'autorité du pape et de
l'Eglise. Encore aujourd'hui, c'est l'argumen-
tation de ceux qui introduisent l'héroïne dans
le paradis catholique.
Lors du procès de condamnation, au contraire,
Jeanne, dans toutes ses réponses, paraît réso-
lue ; sa pensée est claire, sa parole assurée.
Elle a le sentiment profond de la cause qu'elle
défend. En réalité, ce débat solennel se pour-
suit entre deux principes inflexibles. D'une
part, c'est la règle, l'autorité des traditions ;
c'est l'infaillibilité supposée d'un pouvoir immo-
bilisé depuis des siècles. D'autre part, c'est
l'inspiration, ce sont les droits sacrés de la
conscience individuelle. Et l'inspiration se ma-
nifeste là sous une des formes les plus sugges-
tives, les plus touchantes que l'on ait vues à
travers les siècles.
Il faut donc le reconnaître : beaucoup mieux
que les témoignages du procès de réhabilita-
tion, les interrogatoires de Rouen nous mon-
trent Jeanne dans toute sa grandeur, dans tout
l'éclat de ses réponses passionnées, réponses
où sa parole vibre, où son regard, dit un té-
moin, «jette des éclairs». Elle fascinait jus-
qu'à ses juges. Nulle part, dans aucun milieu,
elle ne s'est montrée plus belle, plus imposante.
ROUEN; LE PROCÈS 193
« Je m'en rapporte à Dieu seul ! » avait-elle
dit. Et alors, devant cette résolution, devant
cette volonté que rien ne peut faire plier, on
n'hésite plus.
Le 9 mai, Jeanne est amenée dans la chambre
des tortures. Les tortureurs sont là avec tout
le sinistre appareil. Les instruments sont pré-
parés; on les fait rougir au feu. Jeanne per-
siste. Elle défend la France et le roi ingrat
qui Ta délaissée : « Si vous me deviez faire arra-
cher les membres, dit-elle, et faire partir l'âme
hors du corps, encore ne vous dirais-je autre
chose (1) ! »
Elle ne fut pas livrée à la torture, non par
un sentiment de pitié, de ménagement, de
compassion, mais parce que, dans son état de
faiblesse physique, il était évident qu'elle expi-
rerait au milieu des tourments. Et on voulait
une mort publique, un cérémonial éclatant, afin
de frapper l'imagination de la foule.
Ses juges ne négligeaient rien pour la faire
souffrir. Par un raffinement de cruauté, ils se
complaisaient à lui décrire les horreurs du sup-
plice du feu. Or, ce supplice, elle le redoutait
particulièrement : « J'aimerais mieux être dé-
capitée, disait-elle, que d'être ainsi brûlée. »
(1) J. Fabre, Procès de condamnation,]). 324.
194 JEANNE d'arc MEDIUM
Loin d'être touchés de sa plainte, ils insistaient
de plus belle. Accablée par le poids de ses
chaînes, gardée étroitement par des ennemis
brutaux, au fond de cet abîme de misère où
pas un rayon de pitié, pas une parole secourable
ne descendait, parfois un cri de révolte montait
à ses lèvres et elle en appelait à Dieu, « le grand
juge », des torts qu'on lui causait. Et elle ajou-
tait : « Ceux qui voudront m'ôter de ce monde
pourront bien s'en aller avant moi. » Un autre
jour, elle disait encore à son interrogateur :
« Vous ne ferez ce que vous dites contre moi
qu'il ne vous en prenne mal au corps et à
l'âme (1) ! >)
En effet, plusieurs de ses juges eurent une
fin misérable. Tous eurent à subir le mépris
public et les reproches de leur conscience. Gau-
chon mourut accablé de remords. Le peuple
déterra son cadavre pour le jeter à la voirie. Le
promoteur, Jean d'Estivet, périt dans un égout.
Quelques autres parurent au procès de réhabi-
litation, vingt-cinq ans après, bien plus en
accusés qu'en témoins. Leur attitude fut piteuse,
leur langage révélait le trouble de leur âme et
le sentiment de leur indignité.
On ne respectait pas toujours la vérité dans
(1) J. Fabre, Procès de condamnalion, p. 321.
ROUEN; LE PROCÈS 195
la transcription des paroles de Taccusée. Un
jour, qu'étant interrogée sur ses visions, on lui
lisait une de ses réponses antérieures, Jean
Lefèvre y reconnut une erreur de rédaction et
la fit remarquer à Jeanne, qui pria le greffier
Manchon de relire. Il relut, et Jeanne déclara
qu'elle avait dit tout le contraire (1). »
Une autre fois, elle leur dit d'un ton de re-
proche : « Vous inscrivez ce qui est contre moi
et non ce qui est pour moi ! »
Malgré tout, l'énergie surhumaine de Jeanne,
son langage inspiré, sa grandeur dans la souf-
france, avaient fini par impressionner ses juges.
Cauchon sentait bien qu'il y avait là un être
exceptionnel, un être que le Ciel soutenait. Et
les conséquences hideuses de son crime lui
apparaissaient maintenant ; elles se dressaient
déjà devant lui. A certains moments, la voix de
la conscience grondait, menaçait. L'épouvante
envahissait le prélat. Mais comment reculer ?
Les Anglais étaient là ; ils suivaient avec une
attention fiévreuse la marche du procès, ils
attendaient avec une sombre fureur l'heure
d'immoler Jeanne, après l'avoir torturée et
déshonorée. L'évêque de Beauvais ne vit qu'un
(1) H. Wallon, Jeanne d'Arc, p. 230. — J. Fabre, Procès
de réhabilitation, t. I, p. 358. Déposition de l'évêque Jean
Lefèvre.
196 JEANNE d'arc MÉDIUM
moyea. C'était de faire disparaître la victime
par un assassinat; c'était d'éviter un crime pu-
blic par un crime secret. Il songea à Tempoi-
sonner et lui fit envoyer un poisson dont elle
mangea. Aussitôt, elle est prise de vomisse-
ments et tombe malade. Son abattement est ex-
trême. On craint pour sa vie ; on l'entoure de
soins perfides, car il ne faut pas qu'elle meure
ainsi obscurément. Les Anglais l'ont payée
cher et ils l'ont destinée au bûcher. Mais sa
constitution robuste triomphe. Et aussitôt les
souffrances morales recommencent. On profite
de son état de faiblesse. On redouble d'insis-
tance. On exige d'elle une abjuration. Rien
n'avait été épargné pour en arriver à ce but :
espionnage, mensonges, tentative de viol et
jusqu'au poison. La vierge que tout un peuple
admirait, avait été abreuvée d'ignominie par ses
juges, par ses gardiens.
Une scène — on pourrait dire une comédie
— est préparée dans le cimetière de Saint-
Ouen. Là, à la vue du peuple et des Anglais,
devant ses juges rassemblés, à la tête desquels
se placent un cardinal et quatre évoques,
Jeanne est requise de déclarer qu'elle se sou-
met à rÉglise. On la presse, on la sollicite de
s'épargner elle-même, de ne pas se condamner
au supplice du feu. Le bourreau est là, en effet.
ROUEN; LE PROCÈS 197
dans sa sinistre charrette, au pied même de
l'estrade sur laquelle on l'a fait monter, le
bourreau, qui va la conduire, si elle refuse, au
Vieux-Marché, où le bûcher l'attend !
Et alors, sous ce jour sombre qui tombe du
ciel comme à regret, sous l'impression de tris-
tesse qui se dégage de ces tombes, de ces sé-
pultures qui l'entourent, elle se sent prise d'un
immense abattement.
Sa pensée se détache de ce champ des morts;
elle revoit sa vieille terre de Lorraine, ses bois
touffus où chantent les oiseaux, ces lieux ai-
més de sa jeunesse. Elle croit entendre ces
chansons des fîleuses et des pâtres, ces accents
doux et plaintifs apportés par l'aile du vent.
Jylle revoit sa chaumière, sa mère et son vieux
père en cheveux blancs qu'elle a revu à Reims,
et qui auront tant de peine en apprenant sa
mort ! En elle s'éveille le regret de la vie.
Mourir à vingt ans, n'est-ce pas bien cruel!
Et, pour la première fois, l'ange faiblit. Le
Christ, lui aussi, a eu son heure de faiblesse.
Au mont des Oliviers n'a-t-il pas voulu écarter
la coupe -de fiel ? n'a-t-il pas dit : « Que ce ca-
lice s'éloigne de moi ! »
Jeanne, à bout de forces, signe la cédule qu'on
lui présente. Souvenez-vous qu'elle ne sait ni
lire ni écrire. Et, d'ailleurs, la cédule qu'on lui
198 JEANNE d'arc MÉDIUM
fait signer n'est pas celle qu'on enregistrera.
Une substitution infâme a eu lieu. On n'a pas
même reculé devant cet acte odieux. Aujour-
d'hui la preuve est faite que la formule d'abju-
ration qui figure au procès, signée d'une croix,
est un faux. Cette formule n'est, ni comme con-
tenu, ni comme étendue, celle que Jeanne a
signée. Pas un des témoins du procès de revi-
sion n'a attesté l'identité de cette pièce : cinq
l'ont niée. La pièce que nous possédons est
extrêmement longue. Trois témoins : Dela-
chambre, Taquel, ^lonnet, ont dit: « Nous
étions tout près, nous avons vu la cédule, elle
ne contenait que six ou sept lignes (1). » « Sa
lecture dura autant qu'un Paler », a ajouté !Mi-
giet (2). Un autre témoin a déclaré : « Je sais
positivement que la cédule que j'ai lue à
Jeanne et qu'elle a signée, n'était pas celle dont
il est fait mention au procès (3). » Or, ce té-
moin n'est autre que le greffier Massieu, qui a
lui-même fait prononcer par Jeanne la formule
d'abjuration.
Jeanne, troublée, n'entendit ni ne comprit
cette formule. Elle signa sans prononcer de
(1) J. Fabre, Procès de réhabililalion, t. II, pp. 19, 63, 134.
(2) Ibid., t. I, p. 365.
(3) Ibid., t. II, p. 76. Déposition de l'huissier Jean Mas-
sieu.
ai
ROUEN; LE PROCÈS 199
serment, sans avoir la pleine conscience de son
acte. Elle Fa affirmé elle-même à ses juges,
quelques jours après, disant: « Ce qui était
en la cédule de l'abjuration, je ne l'entendais
point. Je n'ai entendu rien révoquer qu'autant
que ce serait le plaisir de Dieu (1). »
Ainsi, ce que les menaces, les violences et
tout l'appareil des tortures n'avaient pu obtenir
d'elle, on l'obtint par des prières, par des sol-
licitations hypocrites. Cette âme si tendre se
laissa prendre aux faux semblants de sympa-
thie, aux faux témoignages de bienveillance.
Mais, la nuit même, les voix se firent entendre,
impérieuses, dans la prison. Et le 28 mai,
Jeanne le déclare à ses juges : « La voix m'a dit
que c'était trahison que d'abjurer. La vérité est
que Dieu m'a envoyée. Ce que j'ai fait est bien
fait. » Et elle reprit l'habit d'homme qu'on lui
avait fait quitter.
Que s'était-il passé après l'abjuration,
lorsque, au mépris des promesses de la mettre
en « prison d'Église » et de la faire garder par
une femme, on l'avait ramenée dans son ca-
chot abject? Les témoignages suivants nous
l'apprendront:
(1) J. Fabre, Procès de condamnation, p. 367.
200 JEANNE d'arc MEDIUM
« Jeanne me révéla qu'après son abjuration, on
l'avait tourmentée violemment en la prison et mo-
lestée et battue, et qu'un milord anglais avait tenté
de la forcer. Elle disait publiquement et elle me dit
à moi que c'était là la cause pour laquelle elle avait
repris l'habit d'homme (i). »
« En ma présence, on demanda à Jeanne pour-
quoi elle avait repris l'habit d'homme; elle répondit
qu'elle l'avait fait pour défendre sa pudeur, parce
qu'elle n'était pas en sûreté, sous l'habit de femme,
avec ses gardiens qui avaient voulu attenter à son
honneur (2). »
« Plusieurs autres et moi nous fûmes présents au
moment où elle s'excusait d'avoir revêtu cet habit,
disant et affirmant publiquement que les Anglais lui
avaient fait en la prison beaucoup de tort et de vio-
lence, quand elle portait des habillements de femme.
De fait, je la vis éplorée, le visage plein de larmes
et défiguré et outragé de telle sorte que j'en eus
pitié et compassion (3). »
Dans cette prison des Anglais, Jeanne a bu le
calice d'amertume jusqu'à la dernière goutte ;
elle est descendue jusqu'au fond du gouffre des
misères humaines. Toutes ses souffrances se
(1) J. Fabre, Procès de réhabililalion, t. II, pp. 88-89. Dé-
position du frère Martin Ladvenu.
(2) Id., Ibid., t. II, p. 41. Déposition du greffier Manchon.
(3) Id., Ibid., t. II, p. 98. Déposition du frère Isambard de
la Pierre.
ROUEN; LE PROCÈS 201
résument en ces paroles à ses juges : « J'aime
mieux mourir qu'endurer plus longuement
peine en chartre (1) ! »
Et, à ces heures affreuses, là-bas, dans les
châteaux de la Loire, Charles Vil, au son alan-
gui des violes et des rebecs, Charles se livre
aux plaisirs de la danse, à toutes les joies de la
volupté. Au sein des fêtes, il oublie celle qui
lui a donné sa couronne !
En présence de tels faits, la pensée s'attriste
et les cœurs se troublent. On se prend à douter
de l'éternelle justice. Comme le cri d'angoisse
de Jeanne, notre plainte douloureuse s'élève
dans les cieux immenses : seul, un morne si-
lence répond à notre appel. Pourtant, des-
cendons en nous-mêmes et sondons le grand
mystère de la douleur. N'est-elle pas nécessaire
à la beauté des âmes et à l'harmonie de l'uni-
vers ? Que serait le bien sans le mal, qui lui
sert de contraste et en fait ressortir tout l'éclat?
Apprécierait-on les bienfaits de la lumière, si
on n'avait souffert de la nuit ? Oui, la terre
estle calvaire des justes, mais c'est aussi l'école
de l'héroïsme, de la vertu et du génie ; c'est le
vestibule des mondes heureux où toute peine
endurée, tout sacrifice accompli nous prépare
(1) J.Fabre, Procès de condamnai ion, p. 366.
202 JEANNE d'arc MÉDIUM
des joies compensatrices. Les âmes s'épurent
ets'embellissentparla souffrance. Toute félicité
se conquiert par la douleur. Ceux qu'on im-
mole ont la plus belle part. Tous les cœurs
purs souftVent sur la terre : l'amour ne va pas
sans larmes. Il n'y a que vide et amertume au
fond des satiétés humaines, et des spectres se
glissent jusque dans nos plus beaux rêves.
Mais tout est passager en ce monde. Le mal
n'a qu'un temps, et, plus haut, dans les sphères
supérieures, le règne de la justice s'épanouit
dans l'éternelle durée. Non, la confiance des
croyants, le dévouement des héros, les espé-
rances des martyrs ne sont pas de vaines chi-
mères ! La terre est un marchepied pour mon-
ter au ciel.
Que ces âmes sublimes nous servent d'exem-
ples, et que leur foi rayonne sur nous à travers
les siècles ! Chassons de nos cœurs les tris-
tesses et les vains découragements. Sachons
tirer de nos épreuves et de nos maux, tout le
fruit qu'ils nous offrent pour notre élévation.
Sachons nous rendre dignes de renaître en des
mondes plus beaux, là où il n'y a plus ni haine,
ni injustice, ni sécheresse de cœur, et où
les existences se déroulent dans une harmonie
toujours plus pénétrante et une lumière tou-
jours plus vive.
ROUEN; LE PROCÈS 203
Après sa rétractation, Jeanne fut déclarée
relapse, hérétique, schismatique et condamnée
sans retour. Elle n'avait plus qu'à mourir, mou-
rir par le feu ! Telle fut la sentence de ses
juges !
Ces juges, ces croyants du quinzième siècle,
n'ont pas voulu reconnaître la mission de
Jeanne d'Arc. Ils veulent bien croire à ces ma-
nifestations lointaines dont parlent les Bibles ;
ils aiment à reporter leur pensée vers ces épo-
ques où les missionnaires, où les envoyés d'en
haut descendent sur la terre et se mêlent aux
hommes. Ils veulent bien croire à un Dieu
qu'ils immobilisent dans les profondeurs du
ciel, et à qui ils envoient tous les jours des
louanges stériles.
Mais pour le Dieu qui vit, agit et se mani-
feste dans le monde, dans toute la spontanéité,
la jeunesse et la fraîcheur de la vie, pour les
grands Esprits qui sont là, devant eux, répan-
dant sur leurs missionnaires le souffle d'une
inspiration puissante, ils n'ont que la haine,
l'insulte et la flétrissure !
Les juges de Rouen et les docteurs de l'Uni-
versité de Paris ont déclaré Jeanne inspirée
204 JEANNE d'arc MÉDIUM
par Fenfer. Et pourquoi? Parce que les défen-
seurs, les représentants de la lettre, de la for-
mule, de la routine, n'ont qu'un savoir de sur-
face, un savoir qui dessèche le cœur, prive la
pensée de nourriture et, dans certains cas, peut
conduire jusqu'à l'injustice, jusqu'au crime.
C'est ainsi qu'à toutes les époques, les hom-
mes de la lettre ont été, à leur insu, les bour-
reaux de l'idéal et du divin. C'est ainsi que,
sous la roue de fer du despotisme, on a broyé
ce qu'il y a de plus beau, de plus grand, de
plus généreux en ce monde. Les résultats ne
se sont pas fait attendre. Ils ont été terribles
pour l'Église. C'est ce que nous dit Henri Mar-
tin (1) :
« En condamnant Jeanne, la doctrine du moyen
âge, la doctrine d'Innocent III et de l'Inquisition a
prononcé sa propre condamnation. Elle avait d'abord
brûlé des sectaires, puis des dissidents qui ensei-
gnaient une pure morale chrétienne; maintenant
elle vient de brûler un prophète, un messie! L'Es-
prit s'est retiré d'elle. C'est désormais en dehors
d'elle et contre elle que s'opéreront les progrès de
l'humanité et les manifestations du gouvernement
delà Providence sur la terre. »
(1) H. Martin, Histoire de France, t. VI, p. 302.
I
ROUEN; LE PROCÈS 2U5
Oui, l'humanité a marché ; le progrès s'est
réalisé dans le monde. On ne peut plus faire
mourir les envoyés de Dieu sur la croix ou sur
le bûcher. Les cachots, les salles de torture
ont été fermés, les gibets ont disparu. Pour-
tant d'autres armes se dressent encore contre
les novateurs, contre les porte-paroles de l'idée
nouvelle. C'est la raillerie, le sarcasme, la ca-
lomnie ; c'est la lutte sourde et continue.
Mais, si les institutions redoutables du moyen
âge, si tout Tappareil des supplices, si les écha-
fauds et les bûchers n'ont pu arrêter la marche
de la vérité, comment pourrait-on l'entraver
aujourd'hui ? L'heure est venue où l'homme
ne veut plus, dans le domaine de la pensée,
d'autre autorité que sa conscience et sa raison.
C'est pour cela que nous devons rester fidèles
à notre droit éternel de juger et de com-
prendre.
L'heure s'approche, l'heure est venue où
toutes les erreurs du passé vont comparaître
au grand jour, devant le tribunal de l'histoire.
Déjà les paroles et les actions des grands mis-
sionnaires, des martyrs et des prophètes sont
reprises et expliquées. Elles brillent aux yeux
de tous d'un éclat nouveau. Bientôt, il en sera
de même des sociétés, des institutions d'au-
trefois. Elles seront jugées à leur tour et elles
12
206 JEANNE d'arc MÉDIUM
ne conserveront leur puissance morale, leur
autorité, que si elles savent donner à l'homme
plus de moyens et de ressources pour penser,
plus de liberté pour aimer, pour s'élever et
progresser.
XII. — Rouen; le supplice.
Du Christ, avec ardeur, Jeanne
baisait l'image.
Casimir Delavigne.
Nous sommes au 30 mai IZi31. Le drame
touche à son dénouement. Il est huit heures du
matin. Toutes les cloches de la grande cité
normande tintent lugubrement. C'est le glas
funèbre, le glas des morts. On annonce à Jeanne
que sa dernière heure est venue. « Hélas !
s'écrie-t-elle en pleurant, me traite-t-on ainsi
horriblement et cruellement qu'il faille que
mon corps net et entier, qui ne fut jamais cor-
rompu, soit aujourd'hui consumé et réduit en
cendres ! Ah î j'aimerais mieux être décapitée
sept fois que d'être ainsi brûlée... Oh! j'en
appelle à Dieu des grands torts et injustices
qu'on me fait (1) ! »
Cette pensée du supplice par le feu l'impres-
(1) J. Fabre, Procès de réhabiliîalion, t. II, p. 104. Déposi-
tion du frère Jean Toutmouillé.
208 JEANNE d'arc MÉDIUM
sionne douloureusement. Elle songe à l'avance
à ces flammes qui montent, à cette mort qui
s'approche lentement, à cette agonie prolongée
d'un être vivant, ressentant les morsures ar-
dentes qui dévorent sa chair. Cette mort était
celle des pires criminels, et Jeanne, la vierge
innocente, Jeanne la libératrice d'un peuple, va
la subir !
Ici se montre toute la bassesse de ses enne-
mis, de ceux qu'elle avait tant de fois vaincus.
Au lieu de rendre à son courage, à son génie,
les hommages que des soldats civilisés accor-
dent à ceux de leurs adversaires, que la mau-
vaise fortune fait tomber entre leurs mains, les
Anglais réservent à Jeanne, après les plus mau-
vais traitements, une fin ignominieuse. Son
corps sera consumé, sa cendre jetée à la Seine.
Elle n'aura pas de tombe où ceux qui l'ont
aimée pourront venir pleurer, déposer des
fleurs, pratiquer le culte touchant du sou-
venir.
Elle monte sur la sinistre charrette et l'on
s'achemine vers le lieu du supplice. Huit cents
soldats anglais l'escortent. Une foule conster-
née se presse sur son passage. Le cortège dé-
bouche par la rue Écuyère sur la place du Vieux-
Marché. Là, trois échafauds se dressent. Les
prélats et les officiers ont pris place sur deux
ROUEN; LE SUPPLICE 209
estrades. Voici, sur son trône, le cardinal de
Winchester, revêtu de la pourpre romaine,
puis les évêques de Beauvais et de Boulogne,
tous les juges et les capitaines anglais. Entre
les estrades, le bûcher s'élève ; il est effrayant
de hauteur. C'est un amoncellement de bois qui
domine toute la place. On veut que le supplice
soit long et que la vierge, vaincue par la dou-
leur, implore, crie grâce, renie sa mission et
ses voix.
On lit l'acte d'accusation, cet acte en 70 articles,
dans lequel on a entassé tout ce que la haine
la plus venimeuse a pu imaginer pour dénaturer
les faits, pour tromper l'opinion et faire de la
victime un objet d'horreur. Jeanne s'agenouille.
Dans ce moment solennel, devant la mort qui
s'apprête, son âme se dégage des ombres ter-
restres ; elle entrevoit les splendeurs éternelles.
Elle prie à haute voix. Sa prière est longue et
fervente. Elle pardonne à tous, à ses ennemis, à
ses bourreaux. Dans l'élan sublime de sa pensée
et de son cœur, elle réunit deux peuples, elle
embrasse deux royaumes. A ses accents, l'émo-
tion gagne la foule ; dix mille personnes sont
là qui éclatent en sanglots. Les jugeseux-mêmes,
ces tigres à face humaine, Cauchon, Winches-
ter, tous pleurent. Mais leur émotion dure peu.
Le cardinal fait un signe. Jeanne est attachée
12.
210 JEANNE d'arc MEDIUM
au poteau fatal par des liens de fer ; à son cou
est passé un lourd carcan.
A ce moment, elle s'adresse à Isambard de la
Pierre et lui dit : « Je vous en prie, allez me
chercher la croix de l'église voisine, pour la
tenir élevée tout droit devant mes yeux, jusques
au pas de la mort (1). » Et quand on lui apporte
la croix, elle la couvre de baisers en pleu-
rant; à l'instant où elle va mourir d'une
mort horrible, abandonnée de tous, elle veut
avoir présente devant elle Timage de cet autre
supplicié qui, là-bas, sur un âpre sommet
d'Orient, a donné sa vie comme sanction à la
vérité.
A cette heure solennelle, elle revoit de nouveau
sa vie, courte mais éblouissante. Elle évoque
le souvenir de tous ceux qu'elle a aimés, les
jours paisibles de son enfance à Domremy, le
doux profil de sa mère, la physionomie grave
de son vieux père et les compagnes de sa prime
jeunesse : Hauviette et Mengette, son oncle
Durand Laxart qui l'accompagna à Vaucou-
leurs ; puis, les hommes dévoués qui lui firent
cortège jusqu'à Ghinon. Dansune vision rapide,
les campagnes de la Loire se déroulent, les glo-
(1) J. Fabre, Procès de véhahililalion^ t. II, p. 100. Déposi-
tion du frère Isambard de la Pierre.
ROUEN; LE SUPPLICE 211
rieux combats d'Orléans, de Jargeau, de Patay,
les fanfares guerrières et les cris joyeux de la
foule en délire.
Elle revit, entendit tout cela à l'heure der-
nière. Gomme dans un embrassement suprême,
elle voulut dire un dernier adieu à toutes ces
choses, à tous ces êtres aimés. N'ayant rien
d'eux sous ses regards, c'est dans l'image du
Christ mourant qu'elle résuma tous ses souve-
nirs, toutes ses tendresses ; c'est à lui qu'elle
adressa son adieu à la vie, dans les derniers
élans de son cœur brisé.
Les bourreaux mettent le feu au bûcher et des
tourbillons de fumée montent dans l'air. La
flamme s'élève, court, serpente à travers les
piles de bois. L'évêque de Beauvais s'approche
et, du pied du bûcher, lui crie : « Abjure ! »
Mais Jeanne, déjà enveloppée par un cercle de
feu, répond : « Evêque, je meurs par vous, j'en
appelle de votre jugement devant Dieu ! »
La flamme, rouge, ardente, monte, monte
encore et lèche son corps virginal ; ses vête-
ments fument. Elle se tord dans ses liens de
fer ; puis, sa voix stridente jette à la foule silen-
cieuse, terrifiée, ces paroles éclatantes : « Oui,
mes voix venaient d'en haut. Mes voix ne m'ont
pas trompée ! Mes révélations étaient de Dieu.
Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait par l'ordre de
212 JEANNE d'arc MEDIUM
Dieu (1)! » Et sa robe prend feu, devient une
des étincelles de cette fournaise. Un cri hale-
tant s'élève, suprême appel de la martyre de
Rouen au supplicié du Golgotha : « Jésus ! »
Et l'on n'entendit plus rien que le bruit de la
flamme qui crépitait...
Jeanne a-t-elle beaucoup souffert ? Elle-même
assure que non. « Des fluides puissants, nous
dit-elle, pleuvaient sur moi. Et, d'autre part, ma
volonté était si forte qu'elle commandait à la
douleur. »
Jeanne est morte ! L'espace tout entier s'illu-
mine. Au-dessus de la terre elle s'élève, elle
plane, laissant derrière elle une traînée bril-
lante. Ce n'est plus un être matériel, mais un
pur esprit, un être idéal de pureté et de lu-
mière. Pour elle, les cieux se sont ouverts
jusque dans leurs profondeurs infinies. Des
légions d'Esprits radieux s'avancent à sa ren-
contre ou lui font cortège. Et l'hymne de
triomphe, le chœur de la bienvenue céleste re-
tentit : « Salut ! salut à celle que le martyre a
couronnée ! Salut à toi qui, par le sacrifice, as
conquis une gloire éternelle ! »
(1) J. Fabre, Procès de réhabililalion, t. II, p. 91. Déposition
du frère Martin Ladvenu.
ROUEN; LE SUPPLICE 213
Jeanne est entrée dans le sein de Dieu, dans
ce foyer inextinguible d'énergie, d'intelligence
et d'amour qui anime l'univers entier de ses
vibrations. Longtemps, elle y resta plongée.
Puis, un jour, elle en sortit plus rayonnante et
plus belle, préparée à des missions d'un autre
ordre, dont nous parlerons plus loin.
Et Dieu, en récompense, lui a donné autorité
sur ses sœurs du ciel.
Recueillons-nous ; saluons cette noble figure
de vierge, cette fille au cœur immense qui, après
avoir sauvé la France, est morte pour elle avant
d'avoir vingt ans.
Sa vie resplendit comme un rayon céleste
dans la nuit affreuse du moyen âge.
Elle est venue apporter aux hommes, avec sa
foi puissante et sa confiance en Dieu, le courage,
l'énergie nécessaires pour surmonter mille
obstacles ; elle est venue apporter à la France
trahie, agonisante, le salut et le relèvement.
Pour prix de son abnégation héroïque, elle n'a,
hélas ! recueilli qu'amertume, humiliation, per-
fidie, et, pour couronnement de sa courte mais
merveilleuse carrière, une passion et une mort
si douloureuses, qu'elles n'ont d'égales que
celles du Christ.
Le père de Jeanne, frappé au cœur par la
214 JEANxNE d'arc MEDIUM
nouvelle du martyre de sa fille, mourut subite-
ment ; il fut suivi de près dans la tombe par
l'aîné de ses fils. La mère n'eut plus qu'un but
en ce monde : poursuivre avec persistance la
revision du procès. Elle fit démarches sur dé-
marches ; elle adressa requêtes sur requêtes au
roi et au pape : longtemps en vain.
En l/i/i9, lorsque Charles VII fit son entrée
à Rouen, elle eut quelque espoir, mais le pape
Nicolas V lui opposa des réponses évasives, et
le roi resta figé dans son ingratitude. En l/i55,
avec Calixte III, elle eut plus de succès, car
tout le peuple de France appuyait ses réclama-
tions. La cour fut contrainte d'écouter la voix
publique. Onavaitfait comprendre au roi, que son
honneur était entaché de l'hérésie qui avait servi
de prétexte à la mort de Théroïne. La réhabili-
tation se fit dans l'intérêt de la couronne de
France, bien plus que par respect pour la mé-
moire de Jeanne. Aujourd'hui, l'Église s'apprête
à exploiter son ancienne victime.
Dans tous les temps, Jeanne a été sacrifiée
aux intérêts de caste et de parti. Mais il est des
milliers d'âmes obscures et modestes qui savent
Taimer pour elle-même, avec désintéressement.
Leurs pensées d'amour montent vers elle à
travers l'espace. Elle y est beaucoup plus sen-
sible qu^aux manifestations pompeuses organi-
ROUEN; LE SUPPLICE 2lo
sées en son honneur. Elles sont sa joie véri-
table et sa plus douce récompense, ainsi qu'elle
Ta affirmé plus d'une fois, dans l'intimité de nos
réunions d'études.
Longtemps, Jeanne a été méconnue, incom-
prise. Elle l'est encore de nos jours par beau-
coup de ceux qui l'admirent. Mais il faut bien
reconnaître que l'erreur était possible. En effet,
ceux qui l'ont sacrifiée — et parmi eux il y avait
un roi — ceux-là, pour cacher leur crime aux
yeux de la postérité, se sont ingéniés à dénatu-
rer son rôle, à amoindrir sa mission, à étendre
un voile sur sa mémoire. C'est dans ce but
qu'ils ont détruit le registre des procès-ver-
baux de Poitiers, que certains documents du
procès de Rouen, d'après Quicherat, ont été
falsifiés, que les témoignages du procès de
réhabilitation ont été rendus, avec la constante
préoccupation de ménager de hautes suscepti-
bilités.
Il est dit, dans les procès-verbaux de Rouen,
que, le matin même du supplice, au dernier
interrogatoire, subi dans sa prison, sans no-
taires, sans greffiers, et annoté par Gauchon
seulement quelques jours après, Jeanne a renié
216 JEANNE d'arc MEDIUM
ses voix. Gela est faux. Elle n'a jamais renié
ses voix. Un instant, à bout de forces, elle s'est
soumise à l'Église : en cela seul consiste l'ab-
juration de Saint-Ouen.
C'est par suite de ces perfidies que l'ombre a
enveloppé si longtemps la mémoire de Jeanne.
Au commencement du dix-neuvième siècle, il
ne nous restait d'elle qu'une image affaiblie,
une légende incomplète, infidèle. Mais la jus-
tice immanente de l'histoire a voulu que la vé-
rité se fît jour. Des rangs du peuple, il s'est
élevé des travailleurs persévérants : Michelet,
Henri Martin, le sénateur Fabre, Quicherat sur-
tout, le directeur de l'École des Chartes, des
prêtres aussi. Tous ces travailleurs conscien-
cieux ont scruté les parchemins jaunis, fouillé
les bibliothèques poudreuses. Beaucoup de ma-
nuscrits ignorés ont été découverts. On a re-
trouvé dans les Ordonnances royales du temps,
dans les Chroniques de Saint-Denis, dans une
foule d'archives déposées à la bibliothèque des
Chartes, dans les Comptes de dépenses des
« bonnes villes », la révélation de faits qui
rehaussent encore l'héroïne. La justice a été
tardive pour elle, mais elle est éclatante, abso-
lue, universelle.
Et c'est pourquoi la France moderne a un
grand devoir, le devoir de réparer, au moins
ROUEN; LE SUPPLICE 217
moralement, les fautes de la France ancienne.
Aussi le regard de tous doit-il se porter vers
cette noble et pure image, vers cette figure ra-
dieuse qui est celle de Fange de la patrie. Il
faut que tous les enfants de la France gravent,
dans leur pensée et dans leur cœur, le souvenir
de celle que le Ciel nous envoya, à l'heure des
désastres et des écroulements. Il faut qu'à tra-
vers les temps, un éternel hommage monte vers
cet esprit vaillant qui a aimé la France jusqu'à
en mourir, jusqu'à pardonner sur le bûcher
tous les abandons, toutes les perfidies, vers
celle qui s'est offerte en holocauste pour le salut
d'un peuple.
Le sacrifice de Jeanne d'Arc a eu une portée
immense. En politique — comme nous l'éta-
blirons dans la deuxième partie de cet ouvrage
— il a fait l'unité de la France. Avant elle, il
n'y avait chez nous qu'un pays disloqué, dé-
chiré par les factions. Après elle, il y eut une
France. Jeanne est entrée résolument dans la
fournaise et, avec son âme expirante, Punité
nationale en sortit.
Toute œuvre de salut s'accomplit par le sacri-
fice. Plus celui-ci est grand, plus l'œuvre est
superbe, imposante. Toute mission rédemp-
trice s'achève et se couronne par^ le martyre.
C'est la grande loi de l'histoire. Aussi en fut-il
13
218 JEANNE d'arc MEDIUM
de Jeanne comme du Christ. C'est par là que
sa vie porte le sceau divin. Dieu, le souverain
artiste, s'y révèle par des traits incontestables
et sublimes.
Le sacrifice de Jeanne a une portée plus
vaste encore : il restera un enseignement et un
exemple pour les générations, pour les siècles
à venir. Dieu a son but en réservant de telles
leçons à l'humanité. C'est vers ces grandes
figures de martyrs que se porteront les pensées
de tous ceux qui souffrent, de tous ceux qui
ploient sous le fardeau des épreuves. Ce sont
autant de foyers d'énergie, de beauté morale, où
viendront se réchauffer les âmes glacées par le
froid de l'adversité. A travers les siècles, elles
projettent une traînée lumineuse, comme un
sillage qui nous attire, nous entraîne vers les
régions radieuses. Ces âmes sont passées sur
la terre pour nous faire deviner l'autre monde.
Leur mort a enfanté la vie, et leur souvenir a
réconforté des milliers de créatures défaillantes
et attristées.
DEUXIEME PARTIE
LES MISSIONS DE JEANNE D'ARC
XIII. — Jeanne d'Arc et l'idée de Patrie.
Gloire à notre France immorlelle !
Gloire à ceux qui sont morts pour elle,
Aux vaillants, aux martyrs, aux forts 1
Victor Hugo.
Dans la première partie de cet ouvrage, nous
avons rappelé les principaux faits de la vie de
Jeanne d'Arc, et nous avons cherché à les expli-
quer à l'aide des données fournies par les
sciences psychiques. Nous avons dit les triom-
phes, les souffrances de l'héroïne ; nous avons
rappelé son martyre, qui est comme le couron-
nement de cette carrière sublime.
Il nous reste à rechercher et à mettre en lu-
mière les conséquences de la mission de Jeanne
d'Arc au quinzième siècle. A ce point de vue,
220 JEANNE d'arc MÉDIUM
nous poserons d'abord la question suivante :
Qu'est-ce que la France doit à Jeanne ?
Avant tout, nous le savons, elle lui doit
l'existence ; elle lui doit d'être une nation, une
patrie. Jusque-là l'idée de patrie est une chose
vague, confuse, presque inconnue. On se ja-
louse de ville à ville; on se bat de province à
province. Aucune union, aucun sentiment de
solidarité ne relie les différentes parties du
pays. Les grands fiefs se partagent la France,
et chaque haut seigneur cherche à s'affranchir
de toute autorité. Quand Jeanne paraît, les
États de Bourgogne, la Picardie, la Flandre
sont alliés aux Anglais ; la Bretagne, la Savoie
restent neutres ; la Guyenne est aux mains de
l'ennemi. C'est Jeanne, la première, qui évoque
dans les âmes la sainte image de la patrie com-
mune, de la patrie déchirée, mutilée, mou-
rante.
On nous objectera que le mot de patrie était
peu usité alors. Mais, à défaut du mot, Jeanne
nous a donné la chose (1). Et c'est là ce qu'il
(1) Il résulte de récentes recherches que Jean Chartier,
le premier, s'est servi du mot pairie, dans le passage suivant
de son Histoire de Charles VII, p. 147 : « Suivant le proverbe
qui porte qu'il est licite à un chacun et louable de com-
battre pour sa patrie. »
Maître Jean Chartier, — qui n'était pas, comme on l'a cru,
le frère du poète Alain Chartier qu'a rendu célèbre un pré-
JEANNE d'arc ET l'iDÉE DE PATRIE 221
faut retenir. La notion de patrie est née du
cœur d'une femme, de son amour, de son sacri-
fice.
Au milieu de la tempête qui fondait sur elle,
à travers le sombre nuage de deuil et de misère
tendu baiser de la dauphine Marguerite d'Ecosse, et qu'im-
mortalise une admirable page en l'honneur de Jeanne
d'Arc, — maître Jean Chartier occupait, en 1449, l'emploi
de « chroniqueur de France »». Autrement dit, c'était l'histo-
riographe officiel de la cour. Il écrivait sous l'inspiration
directe du souverain, et s'acquitta de ses fonctions litté-
raires d'une manière si agréable au roi, que celui-ci lui
ordonna de le suivre dans les guerres contre les Anglais.
M. Michaud, de l'Académie française, et MM. Poujoulat,
Bazin, Champollion-Figeac, etc., ont donné, dans leur Nou-
velle Colleclion des Mémoires relatifs à Vhistoire de France,
quelques extraits de Jean Chartier, notamment ceci, qui est
très significatif :
« Audit an mil quatre cent vingt-neuf, au commencement
du mois de juin, le roi dressa une grande armée par la
persuasion de la Pucelle, laquelle disait que c'était volonté
de Dieu que le roi allât à Reims pour là être sacré et cou-
ronné; et quelques difficultés et doutes qu'en fît le roi et
son conseil, il fut conclu, par l'induction d'icelle Jeanne,
que le roi manderait ce qu'il pourrait ramasser de gens
pour entreprendre le voyage de son couronnement à
Reims. »
La Chronique de Charles F//, roi de France, rédigée d'abord
en latin et traduite en français par Jean Chartier, a été pu-
bliée en trois volumes, dans la « Bibliothèque elzévirienne »
de MM. Pion, Nourrit et C'% par M. Vallet de Viriville, le
savant professeur de l'École des Chartes, à qui l'on doit, en
outre, une édition du Procès de condamnation de Jeanne
dArc, dite la Pucelle d'Orléans, traduit du latin et publié in-
tégralement pour la première fois en français, chez Firmin-
Didot et C'% imprimeurs-libraires de l'Institut.
222 JEANNE d'arc MEDIUM
qui l'enveloppait, la France a vu passer cette
figure radieuse, et elle en est restée comme
éblouie. Elle n'a même pas compris, pas senti
toute l'étendue du secours que le Ciel lui en-
voyait. Et cependant, malgré tout, le sacrifice
de Jeanne a communiqué à la France des puis-
sances jusque-là inconnues. La première, dans
le monde, la France est devenue une nation.
Et son unité, scellée par le sang de l'héroïne,
rien depuis, ni les vicissitudes, ni les orages
sociaux, ni des désastres sans exemple, rien
n'a pu la défaire, l'anéantir!
Nous n'ignorons pas qu'à notre époque, Tidée
de patrie subit une sorte d'éclipsé ou de déca-
dence. Depuis quelques années, elle est vio-
lemment critiquée et même combattue dans
notre pays. Toute une catégorie d'écrivains, de
penseurs s'est appliquée à en faire ressortir les
abus, les excès, à en ruiner le principe et le
culte dans les âmes.
Avant tout, dans le débat engagé, il convien-
drait de bien définir et de préciser l'idée de
patrie. Elle se présente à la pensée sous deux
aspects. Tantôt abstraite chez certains esprits,
elle constitue alors une personne morale et re-
JEANNE D ARC ET LlDÉE DE PATRIE 223
présente l'acquisition des siècles, le génie d'un
peuple sous toutes ses faces et dans toutes ses
manifestations : littérature, art, traditions^ la
somme de ses efforts dans le temps et dans
l'espace, ses gloires, ses revers, ses grands
souvenirs. En un mot, ce sera toute l'œuvre de
patience, de souffrance et de beauté dont nous
héritons en naissant, œuvre en laquelle vibre
et palpite encore l'âme des générations dis-
parues.
Pour d'autres, la patrie sera une chose con-
crète. Ce sera l'expression géographique, le
territoire, avec ses frontières déterminées.
Pour être vraiment belle et complète, l'idée
de patrie devra embrasser ces deux formes et
les unir dans une synthèse supérieure. Consi-
dérée sous un seul de ces aspects, elle ne se-
rait qu'un geste de parade ou bien une abstrac-
tion idéale, vague, imprécise.
Ici encore, Tidée apparaît sous ses deux for-
mes : l'esprit et la lettre. Suivant le point de
vue adopté, les uns rechercheront la grandeur
morale et intellectuelle de leur patrie ; les au-
tres viseront surtout sa puissance matérielle, et
le drapeau sera pour eux le symbole de cette
puissance. Dans tous les cas, il faut bien le recon-
naître, pour se survivre et faire rayonner à tra-
vers le monde l'éclat grandissant de son génie,
224 JEANNE D ARC MEDIUM
une patrie doit sauvegarder son indépendance,
sa liberté.
Dans Tœuvre immense de développement et
d'évolution des races humaines, chaque nation
fournit sa note au concert général; chaque
peuple représente une des faces du génie uni-
versel. Ce génie, il est destiné à le manifester,
à Fembellir par son labeur à travers les âges.
Toutes les formes de l'œuvre humaine, tous les
éléments d'action sont nécessaires à l'évolution
de la planète. L'idée de patrie, en les incarnant,
en les concrétant, éveille entre ces éléments
un principe d'émulation et de concurrence, qui
les stimule, les féconde, les élève à leur su-
prême puissance. Le groupement de tous ces
modes d'activité créera, dans l'avenir, la syn-
thèse idéale qui constituera le génie planétaire,
l'apogée évolutif des grandes races de la terre.
Mais, à l'heure actuelle, dans la phase d'évo-
lution humaine que nous parcourons, les com-
pétitions, les luttes que l'idée de patrie pro-
voque entre les hommes ont encore leur raison
d'être. Sans elles, le génie propre à chaque
race tendrait à s'affadir, à s'amoindrir dans
la libre possession et le bien-être d'une vie
exempte de heurts et de dangers. A l'époque
de Jeanne d'Arc, cette nécessité était plus im-
périeuse encore. Aujourd'hui, l'esprit humain,
JEANNE d'arc et l'idÉE DE PATRIE 225
plus évolué, doit s'attacher à revêtir ces luttes,
ces compétitions, de formes toujours plus belles
et plus pures, à leur enlever tout caractère de
sauvagerie, à en retirer tous les avantages
qui contribueront à accroître l'héritage com-
mun de riiumanité. Elles prendront l'aspect de
tâches de plus en plus nobles et fécondes, par
lesquelles s'édifiera l'avenir ; la pensée et la
forme y trouveront leur expression toujours
plus magnifique et plus sublime.
Ainsi se dégagera un jour, après une lente,
confuse et douloureuse incubation, l'âme des
grandes patries. De leur réunion naîtra une
civilisation, dont celle des temps présents n'est
que Fébauche grossière.
Aux luttes sanglantes du passé, auront suc-
cédé alors les luttes plus hautes de l'intelli-
gence, dans son application à la conquête des
forces et à la réalisation du beau idéal dans
l'art et la pensée, à la production d'œuvres où
la splendeur de l'expression s'alliera à la pro-
fondeur de ridée. Et cela rendra plus intenses
la culture des âmes, l'éveil du sentiment, plus
rapide Tacheminement de tous vers les som-
mets où règne la Beauté éternelle et parfaite.
Alors la terre vibrera d'une même pensée
et vivra d'une même vie. Déjà Thumanité se
cherche elle-même, confusément. La pensée
13.
226 JEANNE d'arc MÉDIUM
cherche la pensée dans la nuit, et par-dessus les
voies de fer et les grandes nappes liquides, les
peuples s'appellent et se tendent les bras.
L'étreinte est proche : par les efforts réunis,
commencera l'œuvre géante qui aménagera la
demeure humaine pour une vie plus ample,
plus belle, plus heureuse !
Le nouveau spiritualisme contribuera effica-
cement au rapprochement des esprits, en met-
tant fin à l'antagonisme des religions, et en
donnant pour base à la croyance, non plus l'en-
seignement et la révélation dogmatiques, mais
bien la science expérimentale et la communion
avec les disparus. Dès à présent, ses foyers
s'allument sur tous les points du globe ; leur
rayonnement s'étendra de proche en proche,
jusqu'à ce que les hommes de toutes les races
soient unis dans une même conception de leur
destinée sur la terre et dans FAu-delà.
Revenons à Jeanne d'Arc. Certains écrivains
estiment que son intervention dans l'histoire
a été plutôt fâcheuse pour la France (1), et que
la réunion des deux pays sous la couronne
(1) Voir le Mercure de France. « La malencontreuse Jeanne
d'Arc », 1907.
JEANNE d'arc ET l'idÉE DE PATRIE 227
d'Angleterre eut constitué une nation puis-
sante, prépondérante en Europe, appelée aux
plus grandes destinées (1).
Parler ainsi, c'est méconnaître le caractère
et les aptitudes des deux peuples, absolument
dissemblables et qu'aucun événement, aucune
conquête n'aurait réussi à fusionner entière-
ment à cette époque. Le caractère anglais pré-
sente des qualités éminentes que nous nous
sommes plu à reconnaître (2), mais il est em-
preint d'un égoïsme qui est allé parfois jusqu'à
la férocité. L'Angleterre n'a reculé devant au-
cun moyen dans la réalisation de ses vues. Le
Français, au contraire, à ses nombreux défauts,
mêle un sentiment de générosité presque che-
valeresque. Les aptitudes n'offrent pas moins
de diversité. Le génie de l'Angleterre est es-
sentiellement maritime, commercial, colonisa-
teur. Celui de la France est plutôt orienté vers
les vastes domaines de la pensée. Les destinées
des deux nations sont différentes, et leur rôle,
distinct dans l'harmonie de l'ensemble. Pour
(1) La terrible guerre civile des Deux-Roses, York et Lan-
castre, qui éclata peu après la guerre de Cent ans, et faillit
conduire l'Angleterre à sa perte, montre qu'en ce pays même
l'unité n'était pas faite. Comment aurait-elle pu s'établir avec
des éléments aussi disparates que ceux ajoutés par la con-
quête de la France ?
(2) Voir le Problème de l'Être, chap. sur la Volonté.
228 JEANNE d'arc MEDIUM
parcourir ses voies naturelles et garder la plé-
nitude de son génie propre, chacune d'elles de-
vait, avant tout, conserver sa liberté d'action,
sauvegarder son indépendance. Réunis sous
une domination commune, ces deux aspects du
génie humain se seraient contrariés, entravés
dans leur essor respectif. C'est pour cela, qu'au
quinzième siècle, le génie de la France étant
menacé, Jeanne d'Arc est devenue, sur l'échi-
quier de l'histoire, le champion de Dieu contre
TAngleterre.
Jeanne d'Arc a joué un grand rôle militaire ;
or, de nos jours, le militarisme tombe en
discrédit. Sous le nom de pacifisme, des pen-
seurs, animés pour la plupart des intentions les
plus louables, mènent, dans notre pays, une
vigoureuse campagne contre tout ce qui rap-
pelle l'esprit belliqueux du passé et. les luttes
entre nations.
Certes, l'idée de patrie a produit d'incontes-
tables abus. C'est la condition de toutes les
choses humaines. Ce n'est pas moins un droit
et un devoir pour tous les peuples, de se rap-
peler leurs gloires et de s'enorgueillir de leurs
héros.
JEANNE d'arc ET l'iDÉE DE PATRIE 229
Le militarisme est un mal, nous en conve-
nons. Mais n'est-il pas un mal nécessaire ? La
paix universelle est un beau rêve, et la solution
par l'arbitrage de tous les différends interna-
tionaux, une chose éminemment désirable. Reste
à savoir si la paix assurée, prolongée, n'amène
pas des maux d'un autre ordre.
« Rien qu'au dix-neuvième siècle, dit M. Gh.
Richet, il est mort, de par la guerre, quinze
millions de braves gens (1). Tout le passé n'est
qu'une stérile boucherie. On rougirait de vou-
loir perpétuer cette infamie. » Et l'auteur con-
vie l'humanité à des œuvres de vie plutôt qu'à
une lugubre besogne de mort.
Ces sentiments font honneur à M. Ch. Ri-
chet. Cependant, pour voir clair en cette ques-
tion, il faudrait s'élever un peu au-dessus des
horizons de la vie présente, et embrasser la vaste
perspective des temps assignés à l'évolution
des âmes humaines. La vie actuelle, on le sait,
n'est qu'un point dans l'immensité de nos desti-
nées; tout ce qui s'y rapporte ne saurait donc
être compris ni jugé, si on fait abstraction de
ce qui la précède et de ce qui la suit. Or, c'est
précisément le cas de M. Richet, qui est scep-
(1) Ch. Richet, le Passé de la guerre et VAucnir de la paix.
Paris, Ollendorf, 1907.
230 JEANNE d'arc MEDIUM
tique de sa nature, peu renseigné sur l'Au-delà
et même, suivant sa propre expression, qui « n'a
pas besoin de FAu-delà ».
Quant à la mort par la guerre, écoutons ce
que disent à ce sujet la sagesse antique et la
sagesse moderne.
A son disciple Ardjuna, qui hésite à livrer
combat aux puissances du mal et à sacrifier des
vies humaines, Krishna, le fondateur du brah-
manisme, dit ceci :
« Les sages ne se lamentent ni sur les tristesses
de la vie, ni sur la mort qui les termine. Tu oublies
que moi, toi et tous ces chefs d'armée, nous avons
toujours existé et que nous ne cesserons jamais d'être,
alors qu'à la place de nos corps usés, nous en seront
donnés d'autres, animés d'une nouvelle vie? Envisage
donc avec le calme d'une âme impassible les joies et
les douleurs de la vie. La vie de toute créature défie
toute destruction, car l'âme incarnée est éternelle.
N'étant pas née, elle ne saurait mourir. Ne t'inquié-
tant ni de la naissance ni de la mort, regarde en
face le devoir qui t'incombe; or, ton devoir en ce
jour est de Kvrerune juste et légitime bataille. Toute
abstention de ta part serait une lâcheté qui te désho-
norerait à tout jamais. Tué, tu gagneras le ciel ;
vainqueur, tu posséderas la terre. Lève-toi donc, fils
des héros et combats avec la ferme résolution de
vaincre (i). »
(1) Bhcujavad Gila.
JEANNE d'arc ET l'iDÉE DE PATRIE 231
Écoutons maintenant la parole d'un des
plus grands psychologues de notre époque :
William James, recteur de l'Université Har-
vard (1):
« Un instinct profond et indéracinable est celui
qui nous empêche de considérer la vie comme une
simple farce ou une élégante comédie. Non, la vie
est une âpre tragédie, et ce qui en elle a le plus de
saveur, c'est ce qui est le plus amer. Sur la scène du
monde, c'est l'héroïsme seul qui tient les grands
rôles. C'est dans l'héroïsme, nous le sentons bien,
que se trouve caché le mystère de la vie. Un homme
ne compte pas, quand il est incapable de faire aucun
sacrifice. »
Quelles fins réelles poursuivons-nous dans
nos vies multiples, à travers la succession de
nos existences sur la terre et les autres mon-
des ? Le but de Uâme dans sa course, nous
Tavons démontré (2), c'est la conquête de l'ave-
nir, l'édification de sa destinée par l'effort per-
sistant. Or, la paix indéfinie, sur des mondes
inférieurs et au sein des sociétés encore peu
évoluées comme les nôtres, favorise le déve-
loppement de la mollesse et de la sensualité,
qui sont les poisons de l'âme. La recherche
(1) William James, VExpèrience religieuse, p. 312,
(2) Voir L. Denis, le Problème de la Deslinée, passini.
232 JEANNE d'arc MEDIUM
exclusive du bien-être, la soif de richesse, de
confort, qui caractérisent notre époque, sont des
causes d'affaiblissement de la volonté et de la
conscience. Elles détruisent en nous toute viri-
lité et nous font perdre tout ressort, toute force
de résistance aux heures adverses.
Au contraire, la lutte fait naître en nous des
trésors d'énergie, qui s'accumulent dans les pro-
fondeurs de l'âme et finissent par faire corps
avec la conscience. Après avoir été longtemps
orientées vers le mal, dans nos stades évolu-
tifs inférieurs, par suite de l'ascension et du
progrès de l'être ces forces se transforment
peu à peu en énergies pour le bien. Car c'est
le propre de l'évolution de transmuter les puis-
sances mauvaises de Pâme en forces bienfai-
santes. C'est là la divine et suprême alchimie.
La guerre apprend à l'homme à mépriser la
douleur, à affronter les privations et la mort.
Les énergies intérieures, ainsi acquises, au lieu
de continuer à se répandre au dehors, se tour-
nent plus tard, avec le progrès de l'âme, contre
ses propres passions et lui assurent le triomphe
dans la lutte contre le sensualisme déprimant,
contre le mal et la souffrance.
La menace des guerres étrangères peut être
aussi salutaire pour les peuples en voie d'évo-
lution, que pour les individus. Elle fait l'union
JE-VNNE d'arc et l'idÉE DE PATRIE 233
au dedans. La paix assurée et prolongée favo-
rise les divisions intestines; elle fomente la
guerre civile, comme nous le voyons en ce mo-
ment par les grèves qui se multiplient autour
de nous. Dans les luttes engagées, les revers
eux-mêmes sont plus utiles que les triomphes;
le malheur rapproche les âmes et prépare leur
fusionnement. Les revers sont des coups frap-
pés sur une nation ; mais, comme le marteau du
sculpteur, ces coups la rendent plus belle, car
chacun d'eux a une répercussion au fond des
cœurs, y éveille des émotions et en fait surgir
des vertus cachées. C'est aussi dans la résis-
tance à la fortune adverse que se trempent et
grandissent les caractères.
Dans l'évolution grandiose de l'être, la qua-
lité la plus essentielle, c'est le courage. Sans
elle, comment pourrait-il surmonter les obs-
tacles innombrables qui s'accumulent sur sa
route ? C'est pourquoi, dans les mondes infé-
rieurs, demeures et écoles des âmes nouvelles,
la lutte est la loi générale de la nature et des
sociétés; car, dans la lutte, l'être acquiert les
énergies premières, indispensables pour dé-
crire plus tard son immense trajectoire à tra-
vers le temps et l'espace.
Ne le voyons-nous pas dès cette vie ? Celui
qui, dans l'enfance, a reçu une éducation forte,
234 JEANNE d'arc MEDIUM
qui a été trempé par de grands exemples ou
par le malheur, qui, jeune encore, a appris l'aus-
térité et le sacrifice, n'est-il pas mieux préparé
à un rôle important, à une action profonde ?
Tandis que chez l'enfant trop choyé, habitué à
l'abondance, à la satisfaction de ses fantaisies et
de ses caprices, les qualités viriles s'éteignent
et les ressorts de Tâme se détendent. Trop de
bien-être amollit. Pour ne pas s'attarder dans
la voie, il faut les nécessités qui aiguillonnent,
les dangers qui suscitent Teffort.
Quant aux sociétés terrestres, leur état mo-
ral présente plus d'une analogie avec les lois
de l'atmosphère. Lorsque celle-ci, après une
longue période de calme, au cours de l'été,
s'altère et se sature d'émanations malsaines, un
orage violent vient presque toujours purifier
l'air et rétablir l'équilibre rompu. Ainsi,
lorsque, à la faveur d'une longue paix, les pas-
sions, les convoitises, les égoïsmes sont arrivés
à leur paroxysme, lorsque la corruption monte,
monte et s'étend, alors, tôt ou tard, des événe-
ments imprévus, de brusques secousses, de
rudes épreuves, viennent rappeler les hommes
au sentiment des graves réalités de l'existence,
La guerre est souvent la forme que revêtent
ces événements. Elle relève les esprits en
meurtrissant les corps. C'est une purgation vio-
JEANNE d'arc ET l'iDÉE DE PATRIE 235
lente pour les sociétés. Elle est plus profitable
aux vaincus qu'aux vainqueurs, car elle les
éclaire sur leurs faiblesses et leur apporte les
dures leçons de l'expérience.
Aussi, quoi qu'on fasse, on ne parviendra
à assurer complètement la paix et l'harmonie
parmi les hommes, que par un relèvement des
caractères et des consciences. Notre bonheur,
notre sécurité parfaite, ne l'oublions pas, sont
en rapport direct avec notre capacité pour le
bien. Nous ne pouvons être heureux que dans
la mesure de nos mérites. Le fléau de la
guerre, comme tous ceux qui frappent l'huma-
nité, ne disparaîtra qu'avec la cause de nos
erreurs et de nos vices.
XIV. — Jeanne d'Arc et l'idée d'humanité
Je n'ai jamais tué personne.
Jehanne.
Nous ne prétendrons pas que Jeanne d'Arc
nous ait apporté, la première, la notion d'hu-
manité. Bien avant elle, et dans tous les temps,
la plainte de ceux qui souffrent a éveillé dans
les âmes sensibles un sentiment de pitié, de
compassion, de solidarité. Mais, au cours de la
guerre de Cent ans, ces qualités étaient deve-
nues bien rares, particulièrement dans l'entou-
rage de Jeanne, parmi ces soudards brutaux,
qui avaient fait de la guerre une œuvre de ra-
pine et de brigandage. Au milieu de cette
époque de fer et de sang, la vierge lorraine
nous fait entendre le langage de la pitié, de la
bonté.
Sans doute, elle s'est armée pour le salut de
la France ; mais, lorsque l'heure de la lutte est
passée, elle redevient la femme au cœur tendre,
l'ange de douceur et de charité. Partout, elle
s'oppose aux massacres, elle offre toujours la
JEANNE D ARC ET l'iDÉE d'iILMANITÉ 237
paix avant d'attaquer (1). Trois fois devant Or-
léans, elle réitère ses offres en ce sens. Elle
secourt les blessés et même les blessés an-
glais (2). Elle soulage les malheureux ; elle
souffre de toutes les souffrances humaines.
Dans cette sombre nuit féodale, le quinzième
siècle se montre plus sombre, plus sinistre en-
core que les autres siècles. C'est celui où l'on
vit un roi d'Aragon tuer son fils, et un comte
de Gueldre, son père. Un duc de Bretagne fait
assassiner son frère, et une comtesse de Foix,
sa sœur. A travers la nuée sanglante qui s'élève,
Jeanne nous apparaît comme une vision d'en
haut; sa vue repose et console du spectacle des
égorgements. N'a-t-elle pas prononcé ces dou-
ces paroles : « Jamais je n'ai vu sang de Fran-
çais que les cheveux ne me levassent (3) ! »
A la cour de Charles Yll, il ne se commet-
tait pas seulement des rapines et des brigan-
dages de toute sorte, les meurtres aussi y
(1) Voir sa lettre aux Anglais : Procès de condamnation.
5* interrogatoire public.
(2) Voirie témoignage de Louis de Contes : « Jeanne, dit-il,
qui était très compatissante, eut pitié d'une telle boucherie.
Elle vit un Français, qui conduisait des prisonniers, frapper
l'un d'eux à la tète si rudement, que l'homme tomba comme
mort. Elle descendit de cheval et fit confesser l'Anglais. Elle
lui soutenait la tète et le consolait selon son pouvoir. »
J. Fabre, Procès de réhabililalion, t. I, p. 213."
(3) Déposition de son intendant Jean d'Aulon.
238 JEANNE d'arc MEDIUM
étaient fréquents. Le premier chambellan, de-
venu plus tard le favori du roi, le sire de Giac,
avait assassiné sa femme, Jeanne de Naillac,
afin d'épouser la riche comtesse de Tonnerre,
Catherine de l'Isle-Bouchard. Lui-même est
noyé sur les instigations du connétable de Ri-
chemont, dont il gêne la politique, et de La
Trémoille qui convoite sa femme, après avoir
si fort maltraité la sienne qu'elle en était
morte. Un autre favori de Charles VII, Le Ca-
mus de Beaulieu, est assassiné sous les yeux
de ce prince. Le comte d'Armagnac arrache un
testament en sa faveur au maréchal de Séverac,
qu'il a séquestré, et le fait tuer ensuite (1).
C'est dans ce milieu monstrueux que la
bonne Lorraine est appelée à intervenir. Sa
tâche en sera d'autant plus pénible, et sa sensi-
bilité multipliera pour elle les causes de souf-
france. Certains écrivains ont voulu voir en
Jeanne d'Arc une sorte de virago, de vierge
guerrière exaltée par Tamour des combats.
Rien n'est plus faux ; cette opinion est démen-
tie par les paroles et les actes de Fhéroïne.
Certes, elle sait braver le péril et s'exposer
aux coups de l'ennemi. Mais, même au milieu
des camps ou dans le choc des batailles, elle ne
(1) D'après Lavisse, Histoire de France, t. IV, pp. 24, 27.
JEANNE d'arc ET l'idÉE d'iIUMANITÉ 239
s'est jamais départie de la douceur et de la mo-
destie inhérentes à la femme. Elle était bonne et
pacifique par nature. Jamais elle ne livre un com-
bat aux Anglais, sans les inviter préalablement
à s'éloigner. Quand ils se retirent sans lutte,
comme le 8 mai, devant Orléans, ou bien quand ils
cèdent sous l'efFort des Français, elle commande
de les épargner : « Laissez-les s'en aller, disait-
elle, ne les tuez pas. Leur retraite me suffit. »
Au cours des interrogatoires de Rouen, on
lui demande : « Qu'aimiez-vous mieux, de votre
étendard ou de votre épée ? » Elle répond :
« J'aimais beaucoup plus, voire quarante fois
plus mon étendard que mon épée. Je n'ai ja-
mais tué personne (1) ! »
Pour se garder des entraînements de la lutte,
elle tenait toujours sa bannière à la main, parce
que, disait-elle encore : « Je ne veux pas me
servir de mon épée. » Parfois, elle se jetait au
plus fort des mêlées, au risque d'être tuée ou
prise. A ces moments, disent ses compagnons
d'armes, elle n'était plus elle-même. Aussitôt
le péril passé, sa douceur, sa simplicité repre-
naient le dessus (2). Même dans l'action, sa
(1) Quatrième interrogatoire public.
(2) Procès de réhabilitation. Témoigndiges de Dunois, du duc
d'Alençon, de Thibauld d'Armagnac, du président Simon
Charles.
240 JEANNE d'arc MÉDIUM
sensibilité se réveille, la femme reparaît : «Quand
elle se sentit blessée, dit le texte, elle eut peur
et pleura, puis, après quelque temps, elle dit :
Je suis consolée. » Ses craintes, ses larmes la
rendent encore plus touchante à nos yeux. Elles
prêtent à son caractère ce charme, cette force
mystérieuse qui sont un des plus puissants
attraits de son sexe.
Jeanne, disions-nous, avait le cœur sensible.
Les injures de ses ennemis l'atteignaient pro-
fondément : « Quand les Anglais l'appelaient
ribaude, dit un témoin, elle fondait en larmes. »
Puis, dans la prière qu'elle adressait à Dieu,
elle purifiait son âme de tout ressentiment, et
elle pardonnait.
Au siège d'Orléans, un des principaux chefs
anglais, Glasdale, l'accablait d'invectives dès
qu'il l'apercevait. Il se trouvait au fort des Tou-
relles le jour de Tattaque, et se mit à vociférer
contre elle du haut du boulevard. Peu après,
lorsque la bastille fut emportée d'assaut, ce
capitaine tomba tout armé dans la Loire et fut
noyé : « Jeanne, — ajoute le même témoin, —
émue de pitié, se prit à pleurer fortement pour
Pâme de Glasdale et des autres, noyés là en
grand nombre (1). »
(1) J. Fadre, Procès de réhabililation. Déposition de Jean
Pasquerel, t. I, p. 227.
JEANNE d'arc ET l'idÉE d'hUMAMTÉ 241
Jeanne d'Arc n'est donc pas seulement la
vierge des combats. Dès que la lutte a cessé,
l'ange de miséricorde reparaît en elle. Enfant,
nous Pavions vue secourir les pauvres et soi-
gner les malades. Devenue chef d'armée, elle
saura enflammer les courages à l'heure du dan-
ger ; mais, aussitôt que la bataille prend fin,
elle s'attendrit sur l'infortune des vaincus et
s'efForce d'adoucir pour eux les maux de la
guerre. A l'encontre des mœurs du temps, dans
la mesure où l'intérêt supérieur de la France
le permet, et au risque de sa propre vie, elle
défendra les prisonniers et les blessés qu'on
veut égorger. Aux mourants même, elle s'ef-
forcera de rendre la mort moins cruelle.
Au moyen âge, la coutume était de faire
« main basse sur les vaincus. Gens de petit et
moyen état, dit le colonel Biottot(l), étaient
massacrés et, quelquefois, les grands eux-
mêmes. Mais Jeanne s'interpose ; état n'est pas
crime, ni pour les petits ni pour les grands ;
elle les veut tous saufs, s'ils ont posé les armes.
A Jargeau, c'est à grand'peine qu'elle arrache
à la mort le comte de SufFolk, qui commandait
(1) Colonel BiOTTOT, les Grands Inspirés devant la Science^
p. 183.
14
242 JEANxNE D ARC MÉDIUM
la forteresse, après avoir commandé le siège
d'Orléans. »
Les Anglais, lorsqu'ils la tenaient en leur
pouvoir et faisaient instruire son procès, au-
raient dû faire entrer en ligne de compte ces
actes généreux de la Pucelle ; cependant, pas
une voix ne s'éleva devant ses juges de Rouen
pour les rappeler. Ses ennemis ne songeaient
qu'à assouvir leur basse rancune.
Pourtant, il faut le reconnaître, bien avant
même que le mot ait été prononcé, Jeanne a
appliqué le droit des gens. Elle devançait ainsi
les novateurs, qui convieront le monde à la pra-
tique de l'égalité et de la fraternité entre les
individus et les nations, qui évoqueront, dans
les temps futurs, les principes d'ordre, d'équité,
d'harmonie sociale, appelés à régir une huma-
nité vraiment civilisée. A ce point de vue en-
core, la bonne Lorraine prépare les bases d'un
meilleur avenir et d'un monde nouveau.
On le voit, Jeanne sut établir une juste me-
sure en toutes choses. Dans cette âme si bien
équilibrée, l'amour du pays passe avant tous
les autres, mais ce sentiment n'est pas exclusif,
et sa pitié, sa commisération s'éveillent au
spectacle de toute douleur humaine.
On a beaucoup abusé du mot humanité à notre
époque, et, par une vaine et puérile sensiblerie,
JEANNE d'arc ET l'iDÉE d'hUMANITÉ 243
nous avons vu plus d'une fois des penseurs, des
écrivains, faire table rase des intérêts et des
droits de la France, au profit de vagues person-
nalités ou de groupements hypothétiques. On
ne nous fera jamais entendre que l'on puisse
aimer des nègres, des jaunes ou des rouges,
que l'on n'a jamais vus, plus que ses proches,
plus que sa famille, plus que sa mère ou ses
frères. Et la France est aussi notre mère. Oui,
il faut être bon et humain envers tous. Dans
bien des cas cependant, il n'y a là qu'un sophisme
dont on abuse. Si nous allions au fond des
choses, nous nous apercevrions tout simple-
ment que certains de ces grands humanitaires,
en se forgeant par leurs théories des devoirs
fictifs, qu'ils savent bien n'avoir jamais à rem-
plir, cherchent à en éluder d'autres, impérieux
et immédiats, envers ceux qui les entourent,
envers la France, leur pays.
Beaucoup, par un excès contraire, détestent
tout ce qui leur est étranger : ils nourrissent
une rancune aveugle pour les peuples qui se
sont tournés contre nous. Que nos revers ne
nous rendent pas injustes, et ne nous empêchent
pas de reconnaître les qualités et la bravoure
des nations qui nous ont vaincus ! A la ques-
tion : (.(. Dieu hait-il les Anglais ? » Jeanne ré-
pond : « De la haine de Dieu pour les Anglais,
JEANNE D ARC MEDIUM
je ne sais rien, mais il veut qu'ils quittent la
France et retournent chez eux (1). »
Gomme Jeanne, soyons équitables et ne haïs-
sons pas nos ennemis. Sachons honorer le mé-
rite, même chez un adversaire. Défendons nos
droits, notre patrimoine quand il le faut, mais
ne provoquons personne.
A ce point de vue, la vierge lorraine nous
donne plus qu'une leçon de patriotisme, elle
nous donne une leçon vivante d'humanité.
Quand elle s'arme, c'est bien moins au nom de
la loi de lutte qu'au nom de la loi d'amour, bien
moins pour attaquer que pour défendre et sau-
ver. Même sous l'armure, les plus belles qua-
lités de la femme se révèlent en elle : l'esprit
de renoncement, le don spontané, absolu de
soi, la compassion profonde pour tout ce qui
soufFre, l'attachement poussé jusqu'au sacrifice
pour l'être aimé : époux, enfant, famille, patrie,
l'ingéniosité de son sens pratique et de ses in-
tuitions pour la défense de leurs intérêts, en
un mot son dévouement jusqu'à la mort pour
tout ce qui lui est cher. C'est en ce sens que
Jeanne d'Arc synthétise et personnifie ce qu'il
y a de plus noble, de plus délicat et de plus
beau dans Pâme des femmes de France.
(1) Huitième interrogatoire secret.
XV. — Jeanne d'Arc et l'idée de religion.
J'aime Dieu de tout mon cœur.
Jehanne.
Jeanne a les croyances de son époque : « Je
suis bonne chrétienne et je mourrai bonne chré-
tienne (1), » répondait-elle à ses juges et exa-
minateurs, aussi souvent que ceux-ci l'interro-
geaient sur sa foi. Il ne pouvait en être autre-
ment. C'est dans les convictions et les espé-
rances des hommes de son temps, qu'elle devait
puiser les ressources, les élaii« nécessaires au
salut de la France. Le monde invisible l'assis-
tait ; il se révélait à elle sous les formes et les
apparences familières à la religion du moyen
âge. D'ailleurs, qu'importent les formes ! Elles
sont variables et changeantes suivant les siècles ;
quant au fond même de l'idée religieuse, il est
éternel, parce qu'il touche aux sources divines.
L'idée religieuse, sous ses aspects divers,
pénètre profondément toute l'histoire, toute la
(1) J. Fabre, Procès de condamnai ion, pp. 166, 256, 302, etc.
14.
246 JEANNE d'arc MEDIUM
vie intellectuelle et morale de l'humanité. Elle
s'égare, elle se trompe souvent. Ses enseigne-
ments, ses manifestations sont contestables ;
mais elle s'appuie sur des réalités invisibles
d'ordre permanent, immuable. L'homme ne les
entrevoit que par degrés successifs, au cours
de sa lente et pénible évolution.
Les sociétés humaines ne peuvent se passer
d'idéal religieux. Dès qu'elles cherchent à le
refouler, à le détruire, aussitôt le désordre
moral augmente et l'anarchie dresse sa tête
menaçante. Ne le voit-on pas à notre époque ?
Nos lois terrestres sont impuissantes à réfréner
le mal. Pour comprimer les passions, il faut la
force intérieure et le sentiment des responsabi-
lités que procure la notion de l'Au-delà.
L'idée religieuse ne peut périr. Elle ne se
voile un instant que pour reparaître sous d'autres
formes, mieux appropriées aux besoins des
temps et des milieux.
Jeanne, avons-nous dit, est animée des senti-
ments religieux les plus élevés. Sa foi en Dieu
qui l'a envoyée est absolue ; sa confiance en
ses guides invisibles est sans bornes; elle
observe fidèlement les rites et les pratiques
religieuses de son temps ; mais, quand elle con-
fesse sa foi, elle s'élève au-dessus de toutes les
autorités établies en ce monde.
JEANNE d'arc ET l'iDÉE DE RELIGION 247
L'ardente croyance de l'héroïne s'inspire
directement des choses d'en haut ; elle ne relève
que de sa conscience. En effet, à qui obéit-elle
par-dessus tout ? Ce n'est pas à PÉglise ; c'est
aux voix qu'elle entend. Il n'y a pas d'intermé-
diaire entre elle et le Ciel. Un souffle est passé
sur son front, qui lui apporte l'inspiration puis-
sante, et cette inspiration domine toute sa vie^
règle tous ses actes.
Rappelons-nous la scène de Rouen, lorsque
l'évêque de Beauvais, suivi de sept prêtres,
pénètre dans son cachot pour l'interroger :
« Jeanne, dit l'évêque, voulez-vous vous sou-
mettre à l'Église ? »
Elle répond : « Je m'en réfère à Dieu pour
toutes choses, à Dieu qui m'a toujours inspi-
rée ! »
D. « Voilà une parole bien grave. Entre vous
et Dieu, il y a l'Église. Voulez-vous, oui ou non,
vous soumettre à l'Église ? »
R. (( Je suis venue vers le roi, pour le salut
de la France, de par Dieu et ses saints esprits.
A cette Église-là, celle de là-haut, je me sou-
mets en tout ce que j'ai fait et dit ! »
D. « Ainsi vous refusez de vous soumettre à
TÉglise ; vous refusez de renier vos visions
diaboliques ? »
R. « Je m'en rapporte à Dieu seul. Pour ce
248 JEANNE d'arc MEDIUM
qui est de mes visions, je n'accepte le jugement
d'aucun homme ! »
Dans la droiture de sa raison, Jeanne com-
prend bien que cette Église n'est pas celle de
Dieu. La puissance éternelle n'a aucune part
dans les iniquités humaines. Cela, elle ne peut
le démontrer à l'aide d'arguments subtils et
savants ; elle l'exprime par des paroles brèves,
nettes, brillantes comme l'éclair qui jaillit d'une
lame d'acier. Elle obéira à l'Eglise, mais à la
condition que ses exigences soient conformes
aux volontés d'en haut : « Dieu le premier
servi ! »
Ce qui prime tout dans les vues religieuses
de Jeanne d'Arc, c'est la communion par la
pensée et les actes avec le monde invisible, le
monde divin. C'est par elle que se réalisent les
grandes choses, c'est d'elle que viennent les
profondes intuitions. Cette communion n'est
possible que dans certaines conditions d'éléva-
tion morale, et ces conditions, Jeanne les réu-
nissait au plus haut degré. Pour les obtenir chez
ceux qui l'entouraient, elle faisait appel à leurs
sentiments religieux, les obligeant à se con-
fesser et à communier ; elle chassait du camp
les filles de joie ; elle ne marchait à l'ennemi
qu'au bruit des prières et au chant des can-
tiques. Tout cela peut surprendre à notre
JEANNE d'arc ET LTDÉE DE RELIGION 219
époque sceptique ; en réalité, c'étaient les
seuls moyens par lesquels elle pouvait provo-
quer, dans ces temps de foi aveugle et chez
ces hommes grossiers, l'exaltation nécessaire.
Dès que cet entraînement moral cesse, que les
intrigues des courtisans et des jaloux ont fait
leur œuvre, dès que les habitudes vicieuses et
les mauvais sentiments reprennent le dessus,
on voit revenir Theure des échecs et des
revers.
Peu importent aux puissances supérieures
les formes du culte et l'appareil religieux ; ce
qu'on demande aux hommes, c'est l'élévation
du cœur et la pureté des sentiments. Gela, on
peut l'obtenir dans toutes les religions, et même
en dehors et au-dessus des religions. Nous
le sentons bien, nous, spirites, qui, au milieu
des railleries et des difficultés sans nombre,
allons de par le monde, proclamant la vérité,
sans autre appui que ce soutien des Entités
invisibles qui ne nous a jamais fait défaut.
Par-dessus tout, ce qui caractérise Jeanne,
c'est sa confiance, confiance au succès, con-
fiance en ses voix, confiance en Dieu. Dans la
lutte ardente, aux heures indécises du combat,
elle fait partager ce sentiment à tous ceux qui
l'entourent et combattent près d^elle. Sa foi
dans la victoire est si grande, qu'elle devient un
250 JEANNE d'arc MÉDIUM
des éléments essentiels du triomphe définitif.
Et cette confiance, toute sa vie en est impré-
gnée. Dans les fers, devant ses juges, elle croit
encore à la délivrance finale ; elle l'affirme sans
cesse avec fermeté. Ses voix lui ont dit qu'elle
serait délivrée « par grande victoire ». Mais
ce n'était là qu'une figure ; en réalité, il s'agis-
sait du martyre. Elle ne l'entendit pas tout
d'abord dans ce sens. Elle compta longtemps
sur le secours des hommes. Remarquons que
cette erreur était nécessaire. La promesse de
ses voix fut sa ressource suprême aux jours
douloureux du procès. Elle puisait en elle sa
ferme assurance devant le tribunal. Et même à
l'heure du sacrifice, elle marchera à la mort avec
confiance. Son dernier cri, s'élevant du scindes
flammes qui la dévorent, sera encore une affir-
mation de sa croyance : « Non, mes voix ne
m'ont pas trompée ! »
A peine quelques doutes effleureront-ils sa
pensée à Melun, à Beaurevoir, à Saint-Ouen de
Rouen. Pauvre jeune fille ! qui oserait lui en
faire un reproche, à son âge et dans sa situation
difficile ? Le dénouement lui resta caché jus-
qu'au bout. Comment aurait-elle pu avancer
dans Savoie ardue, si elle avait su d'avance tout
ce qui l'attendait ! C'est un bienfait d'en haut
qu'un voile nous cache l'heure d'angoisse, la
JEANNE d'arc ET l'idÉE DE RELIGION 251
douloureuse épreuve qui couronnera la vie. Ne
vaut-il pas mieux que nos illusions s'effeuillent
lentement, et que l'espérance persiste au fond
de nos cœurs ? Le déchirement en sera moins
grand .
A mesure cependant que Jeanne se rapproche
du terme de sa carrière, la terrible vérité se
dessine plus nettement : « J'ai demandé à mes
voix si je serais brûlée. Elles m'ont répondu :
Attends-toi à Notre-Seigneur et il t'aidera. —
Prends tout en gré ; ne te chaille (soucie) de
ton martyre. Tu viendras enfin en Paradis (1). >>
Aux heures sinistres, quand toute espérance
s'écroule, l'idée de Dieu est le suprême refuge.
Il est vrai qu'elle n'a jamais été absente de la
pensée de Jeanne. Au contraire, elle a dominé
toute son existence. Mais, aux heures d'agonie,
elle la pénétrera d'une intensité plus vive, elle
la préservera des faiblesses du désespoir. Des
profondeurs infinies descendra le rayon conso-
lateur, qui illuminera le sombre cachot où elle
endure mille maux, mille injures depuis près
de six mois, et un coin du ciel s'ouvrira à son
clair regard de voyante. Les choses de la terre
se voilent de tristesse. L'espoir delà délivrance
s'affaiblit dans son cœur. L'ingratitude, la noire
(1) J. Fabre, Procès de condamnation^ pp. 325, 159.
252 JEANNE d'arc MEDIUM
perfidie des hommes, la méchanceté féroce de ses
juges se montrent à elle dans toute leur laide
nudité. La réalité poignante apparaît. Mais les
splendeurs d'un monde plus beau filtrent à tra-
vers les barreaux de sa prison. Par delà le
gouffre effrayant qu'il faudra franchir, plus
loin que le supplice, plus loin que la mort,
elle entrevoit l'aube des choses éternelles.
La souffrance est, nous le savons, le couron-
nement d'une vie bien remplie. Rien de com-
plet, rien de grand sans elle. C'est l'affinage des
âmes, l'auréole qui nimbe le front des saints
et des purs. 11 n'est pas d'autre issue vers les
mondes supérieurs. Et c'est là ce qu'il faut
entendre par le mot « paradis », le seul capable
d'exprimer aux hommes de ce siècle, l'idée de
cette vie spirituelle que baignent des rayons et
des harmonies qui ne s'éteignent jamais.
Jeanne n'a personne sur la terre à qui confier
sa peine. Mais Dieu n'abandonne pas ses mis-
sionnaires. Invisible et présent, il estFami tou-
jours fidèle, le soutien puissant, le père tendre
qui veille sur ses enfants malheureux. C'est
pour l'avoir méconnu, c'est pour avoir dédai-
gné les forces, les secours d'en haut, que
l'homme actuel ne trouve plus de soutien dan&
ses épreuves, de consolation dans sa douleur.
Si la société contemporaine s'agite fiévreuse et
JEANNE d'arc ET l'iDÉE DE RELIGION 253
roule dans rincohérence des idées et des sys-
tèmes, si le mal grandit en elle, si nulle part elle
ne trouve la stabilité et le contentement inté-
rieur, c'est qu'elle s'est attachée aux choses
apparentes et de surface et veut ignorer les
vraies joies, les ressources profondes du monde
invisible. Elle a cru trouver le bonheur dans le
développement de ses richesses matérielles, et
n'a fait qu'augmenter le vide et l'amertume
des âmes. De toutes parts s'élèvent les cris de
fureur, les âpres revendications. La notion du
devoir s'afFaiblit et les bases de l'ordre social
sont ébranlées. L'homme ne sait plus aimer,
parce qu'il ne sait plus croire. Il se tourne vers
la science. Mais la science actuelle, comme
écrasée sous le poids de ses découvertes, reste
impuissante à lui procurer la confiance en l'ave-
nir et la paix intérieure.
Le matin même du supplice, Jeanne dit à
maître Pierre Morice : « Par la grâce de Dieu,
ce soir, je serai en paradis (1). »
Elle s'est résignée au martyre , et l'affron-
tera le cœur haut, avec une âme digne. La mort,
même la plus cruelle, n'est-elle pas préférable
à ce qu'elle endure depuis six longs mois ? La
(11 J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. II, p. 126. Déposi-
ion du curé Riquier.
15
254 JEANNE d'arc MEDIUM
pensée de la mort éveille dans tout être jeune
une affreuse angoisse. Cette angoisse, Jeanne
la subit depuis le jour où elle est entrée dans
la cage de fer de Rouen. Ce qu'elle y a souf-
fert n'est-il pas pire que la mort ? Les espé-
rances, les rêves de gloire, les grands desseins,
tout s'est évanoui comme une fumée. Qui pourra
dire tout ce qui s'est passé en cette âme angé-
lique, dans les longues veillées du cachot, à
mesure que s'approchait l'heure fatale.
« Je serai en paradis ! » disait-elle. Il faut
expliquer de même façon ces autres paroles qui
reflètent la croyance du temps : « Je n'ai de-
mandé à mes voix pour récompense finale que
le salut démon âme (1). » Sauver son âme, c'est
l'axiome des convictions catholiques, le but
ultime assigné par les idées religieuses du
moyen âge. Cette idée trop étroite renferme
pourtant un fond de vérité. En réalité, rien
n'est sauvé, rien n'est perdu, et la justice divine
réserve des modes de réparation pour toutes
les fautes, de relèvement pour toutes les chutes.
Ce précepte devrait être modifié en ce sens :
L'âme doit sortir de la vie meilleure et plus
grande qu'elle n'y est entrée. Bien des moyens
sont bons pour cela : le travail, l'étude, l'épreuve,
(1) Deuxième interrogatoire public.
JEANNE D ARC ET l'idÉE DE RELIGION 255
la souffrance. C'est là l'objectif que nous devons
avoir sans cesse devant nos yeux. Pour Jeanne,
ces paroles ont un sens plus particulier encore.
Son souci constant est d'accomplir dignement
la mission qui lui fut confiée, et d'obtenir, pour
tous ses actes et tous ses dires, la sanction de
Celui qui ne se trompe jamais.
Chez Jeanne, le sentiment religieux ne dégé-
nère pas en bigoterie ni en préjugés puérils^
Elle n'importune pas Dieu par de vaines et
interminables sollicitations. C'est ce qui res-
sort de ses paroles : « Je ne requiers point
Notre-Seigneur sans nécessité (1). » Elle n'hé-
sitera pas à combattre sous Paris le jour de la
Nativité, malgré les reproches que certains lui
firent à ce sujet.
Elle aime à prier à l'église, surtout aux
heures où celle-ci est silencieuse et solitaire, et
que, dans le recueillement et le calme de la
pensée, Famé s'élance plus sûrement vers Dieu.
Mais, en réalité, quoi qu'en dise Anatole France,
les prêtres eurent peu d'influence sur sa jeu-
(l) J. Fabre, Procès de condamnation, p. 255.
256 JEANNE d'arc MÉDIUM
nesse. Gomme elle l'affirme au cours des inter-
rogatoires de Rouen, ce fut sa mère qui l'ins-
truisit des choses de la religion : « Je n'ai appris
ma créance d'autre que de ma mère (1). »
Elle ne dit rien de ses voix et de ses visions
au curé de son village, et ne prit conseil que
d'elle-même pour tout ce qui avait rapport à
ses Esprits protecteurs : a De croire à mes ré-
vélations, disait-elle à Rouen, je n'en demande
pas conseil à évêque, curé ou autre (2). »
Jeanne a en Dieu une foi profonde ; cette foi
est le mobile de tous ses actes et lui permet d'af-
fronter les plus dures épreuves. « J'ai bon
maître, dit-elle, savoir Notre-Seigneur, à qui je
m'attends de tout et non à un autre (3). »
Qu'importent les vicissitudes de ce monde,
si notre pensée ne fait qu'un avec Dieu, c'est-à-
dire avec la loi éternelle et divine ? Toutefois,
Dieu n'est pas seulement un maître. C'est un
père que nous devons aimer comme les enfants
aiment celui qui leur a donné la vie. Trop
peu d'hommes le sentent ou le comprennent ;
c'est pourquoi ils renient Dieu dans l'adver-
sité. Mais Jeanne l'affirme en ces termes tou-
chants : « De tout, je m'attends à Dieu, mon
(1) J. Fabre, Procès de condamnation, p. 49.
(2) Id., Ibid., p. 242.
[f (3) Id., /6/V/. Admonition publique, p. 311.
JEANNE d'arc ET l'iDÉE DE RELIGION 257
Créateur. Je l'aime de tout mon cœur (1). »
En vain, les inquisiteurs, qui ne négligent
aucun moyen de la tourmenter, cherchent à
l'atteindre dans ses croyances et à la pousser au
désespoir. Ils lui démontrent avec une perfide
insistance l'abandon apparent où elle se trouve,
ses espoirs déçus, les promesses du ciel irréa-
lisées. Elle répond invariablement : « Que Dieu
m'ait failli, je le nie ! » Quel exemple pour tous
ceux que l'épreuve accable, qui accusent Dieu
de leurs maux et souvent le blasphèment !
Pour elle, Dieu est aussi un juge : « Je m'at-
tends à mon juge. C'est le Roi du ciel et de la
terre (2). » Expression naïve pour désigner la
puissance qui plane au-dessus de toutes les
puissances de ce monde. Pendant toute sa vie,
Jeanne a été victime de l'injustice des hommes.
Elle a souftert de la jalousie des courtisans et
des chefs de guerre, de la haine des seigneurs
et des prêtres. Les juges de Rouen s'inspirèrent
non de l'équité, mais de leurs préjugés et de
leurs passions, pour la condamner. Aussi, elle
se tourne vers le ciel et en appelle au Juge sou-
verain, qui pèse dans sa balance éternelle les
actions des hommes. « Je m'en attends à mon
(1) J. Fabre, Procès de condamnation, p. 30?.
(2) Id., Ibid., p. 307.
258 JEANNE d'arc MEDIUM
juge ! » C'est le refuge des spoliés, des déshé-
rités, de tous ceux que la partialité a blessés au
cœur. Et nul ne l'invoque en vain !
Rien n'est plus touchant que sa réponse à
cette question : « Savez-vous être en la grâce de
Dieu ? — Si je n'y suis, Dieu m'y mette ; si j'y
suis. Dieu m'y garde. Je serais la plus dolente
du monde, si je savais ne pas être en la grâce
de Dieu (1) ! »
La candeur de cette âme angélique a su déjouer
la ruse de ses bourreaux. Leur question insi-
dieuse pouvait la perdre. En répondant affirma-
tivement, elle faisait preuve de présomption ;
négativement, elle s'avouait coupable et justi-
fiait toutes les suspicions. Mais son innocence
déjoue leurs ruses astucieuses. Elle s'en remet
au suprême Juge, qui, seul, sonde les cœurs et
les consciences. Faut-il voir dans ces paroles la
manifestation d'un sentiment de foi exquise, ou
bien une de ces inspirations soudaines dont elle
était gratifiée ? Quoi qu'il en soit, c'est là un des
propos les plus admirables que nous devions à
cette enfant de dix-neuf ans.
En toutes circonstances, Jeanne se considère
(!) J. Fabre, Procès de condamnai ion, p. 71.
JEANNE d'arc ET l'iDÉE DE RELIGION 259
comme un instrument de la volonté divine, et ne
fait rien sans consulter les puissances invisibles.
Elle n'agit que sur Pordre d'en haut : « C'est
l'heure quand il plaît à Dieu. 11 faut besogner
quand Dieu veut. Travaillez, Dieu travail-
lera (1). »
On le voit : d'après elle, l'intervention divine
ne se manifeste pas seulement dans sa propre
vie, mais dans toute vie. Tous nos actes doivent
concorder avec le plan divin. Avant d'agir, cha-
cun de nous doit interroger sa conscience pro-
fonde, qui est la voix divine en nous. Elle nous
dira dans quel sens nous devons diriger nos
efforts. Dieu n'agit en nous et avec nous que
par notre libre concours. Quand notre volonté
et nos actes coïncident avec sa loi, notre œuvre
devient féconde pour le bien, et les effets en
rejaillissent sur toute notre destinée.
Mais peu d'hommes écoutent la voix qui s'élève
en eux aux heures solennelles. Emportés par
leurs passions, leurs désirs, leurs espérances
et leurs craintes, ils se jettent dans le tourbillon
de la vie, pour conquérir ce qui leur est le plus
préjudiciable ; ils s'étourdissent et s'enivrent de
la possession des choses contraires à leurs vrai»
(1) J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I, p.i78. Déposition
du duc d'Alençon.
260 JEANNE d'arc MÉOIUM
intérêts, et c'est seulement sur le tard de la
vie que leurs illusions tombent, que leurs
erreurs se dissipent, que le mirage des biens
matériels s'évanouit. Alors apparaît le cortège
des mornes déceptions ; nous constatons que
notre agitation a été vaine, pour n'avoir pas su
étudier et saisir les vues de Dieu sur nous et
sur le monde. Heureux alors ceux à qui la pers-
pective des existences à venir offre la possibilité
de reprendre la tâche manquée, et de mieux
employer les heures !
Celui qui n'a pas su voir la grande harmonie
qui règne sur toutes choses, et le rayonnement
de la pensée divine sur la nature et dans la cons-
cience, celui-là est inhabile à mettre ses actes
en concordance avec les lois supérieures. A son
retour dans l'espace, lorsque le voile tombe, il
aura l'amertume de constater que tout est à re-
commencer, avec un esprit nouveau et une con-
ception plus juste, plus élevée, du devoir et de
la destinée.
Pourtant, objectera-t-on, il n'est pas toujours
facile de connaître l'heure de Dieu ; ses volon-
tés sont obscures, parfois impénétrables. Oui,
sans doute, Dieu se dérobe à nos regards et ses
voies sont souvent incertaines pour nous. Mais
Dieu ne se dissimule ainsi que par nécessité, et
pour nous laisser une liberté plus entière. S'il
JEANNE d'arc et l'idÉE DE RELIGION 261
était visible à tous les yeux, si ses volontés s'af-
firmaient avec puissance, il n'y aurait plus d'hé-
sitation possible et, partant, plus de mérite.
L'Intelligence qui dirige Tunivers physique et
moral se dérobe à nos regards. Les choses sont
disposées de telle façon que nul ne soit obligé de
croire en elle. Si l'ordre et l'harmonie du Cos-
mos ne suffisent pas à convaincre l'homme, il
est libre. Rien ne contraint le sceptique d'aller
à Dieu. Dieu se cache pour nous obliger
à le rechercher, et parce que cette recherche
est le plus noble exercice de nos facultés, le
principe de leur plus haut développement.
Mais, vienne une heure grave et décisive, si
nous voulons bien y prendre garde, il y a tou-
jours autour de nous ou en nous-mêmes un
avertissement, un signe qui nous dicte le de-
voir. C'est notre inattention, notre indifférence
aux choses d'en haut, à leur manifestation dans
notre vie, qui cause notre irrésolution, notre
incertitude. Pour l'âme avertie qui les appelle,
les sollicite, les attend, elles ne restent pas
muettes : par mille voix, elles parlent clairement
à^notre esprit, à notre cœur. Des faits se pro-
duiront, des incidents surgiront d'eux-mêmes,
qui nous indiqueront les résolutions à prendre.
C'est dans la trame même des événements que
Dieu se révèle et nous instruit. A nous de sa-
is.
262 JEANNE d'arc MEDIUM
voir saisir et comprendre, au moment opportun,
l'avis mystérieux et à demi voilé qu'il nous
donne, mais n'impose pas.
Jeanne, dans son bon sens, à la fois candide
et profond, sait bien définir cette action provi-
dentielle dans notre vie. Les juges de Rouen
lui demandent : « Présentement, partiriez- vous
si vous voyiez un point de sortie ? — Si je voyais
la porte ouverte, je m'en irais, dit-elle, et ce me
serait le congé de mon Seigneur (1). »
En tout temps, la volonté d'en haut a été la
sienne. « 11 faut que j'aille, dit-elle à Jean de
Metz qui l'interroge à Vaucouleurs, il faut que
j'aille et que je le fasse, parce que mon Seigneur
le veut. — Et quel est votre Seigneur ? — C'est
Dieu! )) répond-elle simplement (2). Ni périls
ni dangers ne la retiendront. Commentez aussi
ces paroles par lesquelles elle s'élève bien au-
dessus du miroitement des gloires ou des tris-
tesses humaines, jusqu'aux régions de la calme
et pure sérénité : « Qu'importe, pourvu que
Dieu soit content ! »
Et ceci encore qui touche au sublime. Prise
à Compiègne et traînée de prison en prison
jusqu'au cachot, jusqu'au bûcher de Rouen,
(1) J. Fabre, Procès de condamnation, p. 168.
(2) Id., Procès de réhabilitation, t. I, p. 126. Déposition de
Jean de Metz.
JEANNE d'arc ET L'iDÉE DE RELIGION 263
elle bénit la main qui la frappe. A ses juges qui
cherchent à exploiter sa douleur et à ébranler
sa foi en la mission reçue du ciel, elle répond :
« Du moment que cela a plu à Dieu, je crois
que c'est pour le mieux que j'aie été prise (1). »
Ceci est plus grand et plus beau que tous ses
succès et toutes ses victoires.
En résumé, c'est en vain qu'on chercherait à
torturer les textes et les faits pour démontrer
que Jeanne d'Arc fut, en tous points, d'une ortho-
doxie parfaite. Son indépendance religieuse
éclate à chaque instant dans ses paroles : « Je
m'en rapporte à Dieu seul. »
Le langage de Jeanne, son intrépidité au mi-
lieu des souffrances et devant la mort ne rappel-
lent-ils pas nos ancêtres gaulois ? Devant ce
tribunal de Rouen, la vierge lorraine nous appa-
raît comme le génie de la Gaule, se redressant,
superbe^ devant le génie de Rome pour reven-
diquer les droits sacrés de la conscience. Elle
n'admet pas d'arbitre entre elle et le ciel.
Toute la dialectique qu'on lui oppose, toutes
les. subtilités de l'argumentation et les forces
(1) J. F ABï{E, Procès de condamnation, p. 137.
264 JEANNE d'arc MEDIUM
de l'éloquence, tout vient se briser contre cette
volonté ferme, cette calme assurance, contre
cette confiance inébranlable en Dieu et ses
messagers. La parole de Jeanne a raison de
tous les sophismes : à ses accents, ils s'effon-
drent en poussière. C'est une aurore qui luit
sur ces ténèbres du moyen âge, les illuminant
d'une douce clarté.
Remarquez que nous sommes au moment où
vient de paraître Y Imitation de Jésus-Christ
(l/i2Zi), œuvre attribuée à Gerson, mais dont le
véritable auteur est resté inconnu. C'est un des
premiers cris d'affranchissement de l'âme chré-
tienne, qui se libère du dogme et communie
directement avec son Dieu, sans nul intermé-
diaire.
Toutefois, Jeanne ignore ce qui est du domaine
des lettres. Point n'est besoin pour elle d'études
préalables: elle a l'intuition de la vérité. Sa
force est dans sa foi, dans sa piété profonde^
piété indépendante, avons-nous dit, se dressant
au-dessus des conceptions étroites, mesquines,
de son époque et montant droit vers le ciel :
tel fut son crime et la raison de son martyre.
iVussi n'est-ce pas un des spectacles les moins
étranges de nos temps troublés, que de voir
rÉglise romaine sanctifier celle qu'autrefois
elle considérait comme hérétique. La mémoire
JEANNE d'arc ET L'idÉE DE RELIGION 265
de Jeanne a toujours été funeste à l'Église. Déjà
au quinzième siècle, le procès de réhabilitation
lui avait porté un coup violent. 11 entraîna la
chute de l'inquisition en France, et ce fut là
encore un des bienfaits de rhéroïne.Ce sinistre
tribunal fut achevé par un procès contre les
Vaudois, en IZ16I.
A cette heure, ce n'est point par PefFet d'un
simple hasard, si tous les regards se portent de
nouveau vers cette idéale figure. Il y a là un
pressentiment presque unanime, une aspiration
inconsciente de l'humanité civilisée, et comme
un signe de l'avenir. L'Église romaine, en met-
tant Jeanne d'Arc sur ses autels, fait un geste
gros de conséquences ; elle signe spontané-
ment sa propre condamnation.
Cette jeune femme du quinzième siècle, qui
a conversé directement avec ses voix et lu si
clairement dans le monde invisible, estTimage
de l'humanité prochaine, qui conversera, elle
aussi, directement avec le monde des Esprits,
sans l'intermédiaire des sacerdoces officiels,
sans le secours des rites, dont l'Église a perdu
le sens et laissé s'oblitérer la vertu. L'heure
est venue où, de nouveau, la grande âme de
Jeanne plane sur le monde en communion avec
l'invisible, et inaugure le règne des adorations
en esprit et en vérité.
266 JEANNE d'arc MEDIUM
Et comme c'est la loi, que toutes les grandes
et saintes choses doivent germer dans la souf-
france et être sacrées par la douleur, il est juste
que les temps nouveaux et l'ère de l'Esprit pur,
s'inaugurent sous le patronage de celle qui fut
la victime de la théologie et la martyre de la
médiumnité.
Chaque religion est un reflet de la pensée
éternelle mêlé aux ombres et aux imperfections
de la pensée humaine. Il est parfois difficile de
dégager les vérités qu'elle contient, des erreurs
accumulées par l'œuvre des siècles. Cependant,
ce qu'il y a de divin en elle projette une lumière
qui éclaire toute âme sincère. Les religions
sont plus ou moins vraies ; elles sont surtout
les stations que l'esprit humain parcourt, pour
s'élever vers des conceptions toujours plus
larges, de l'avenir de l'être et de la nature de
Dieu. Les formes, les manifestations religieuses
sont discutables ; elles sont passagères et chan-
geantes ; le sentiment profond qui les inspire,
leur raison d'être ne l'est pas.
L'humanité, dans sa marche vers ses desti-
nées, est appelée à se faire une religion tou-
jours plus pure, dégagée des formes matérielles
JEANNE d'arc ET l'iDÉE DE RELIGION 267
et des dogmes, sous lesquels la pensée divine
est trop souvent ensevelie. C'est une idée fausse
et dangereuse que de vouloir détruire les con-
ceptions religieuses du passé, comme certains
songent à le faire. La sagesse consiste à prendre
en elles les éléments de vie qu'elles contien-
nent, pour construire Tédifice de la pensée fu-
ture, dont le couronnement s'élèvera toujours
plus haut vers le ciel.
Chaque religion apportera à la foi de l'avenir
un rayon de la vérité : le druidisme, le boud-
dhisme lui donneront leur notion des vies suc-
cessives ; la religion grecque, la divine pensée
enfermée dans la nature ; le christianisme, la
révélation plus haute de l'amour, l'exemple de
Jésus vidant la coupe des douleurs et se sacri-
fiant pour le bien des hommes. Si les formes
du catholicisme sont usées, la pensée du Christ
est toujours vivante. Son enseignement, sa mo-
rale, son amour, sont encore la consolation des
cœurs meurtris par les âpres luttes d'ici-bas.
Sa parole peut être renouvelée ; les côtés voilés
de sa doctrine, remis en lumière, réservent des
trésors de beauté aux âmes avides de vie spiri-
tuelle.
Notre temps marquera une étape décisive de
l'idée religieuse. Les religions, vieillies, afFais-
sées sous le poids des siècles, ont besoin de
h
268 JEANNE d'arc MÉDIUM
s'infuser d'autres principes régénérateurs,
d'élargir leurs conceptions du but de l'existence
et des lois de la destinée.
L'humanité cherche sa voie vers de nouveaux
foyers. Parfois, un cri d'angoisse, une plainte
douloureuse, monte des profondeurs de l'âme
vers le ciel. C'est un appel à plus de lumière.
La pensée s'agite fiévreusement au milieu des
incertitudes, des contradictions et des menaces
de notre temps. Elle cherche un point d'appui,
pour prendre son essor vers des régions plus
belles et plus riches, que toutes celles qu'elle
a parcourues jusqu'ici. Une sorte d'intuition
sourde la pousse en avant. Il y a au fond de l'être
un besoin impérieux de savoir, de connaître, de
pénétrer le mystère auguste de l'univers et le
secret de son propre avenir.
Et voilà que, peu à peu, la route s'éclaire.
La grande loi se révèle, grâce aux enseigne-
ments de l'Au-delà. Par des moyens variés :
typtologie, messages écrits, discours pronon-
cés dans la trance, les Esprits-guides et inspi-
rateurs nous fournissent, depuis un demi-siècle,
les éléments d'une nouvelle synthèse reli-
gieuse. Du sein des espaces, un courant puis-
sant de force morale et d'inspiration découle
sur la terre.
Nous avons exposé ailleurs les principes
JEANNE d'arc ET l'idÉE DE RELIGION 269
essentiels de cet enseignement (1). Dans notre
livre : Christianisme et Spiritisme, nous avons
traité plus particulièrement de la question reli-
gieuse. Sur ce problème vital, qui soulève tant
de contradictions passionnées, ce qu'il importe
surtout de faire connaître au lecteur, c'est la
pensée directe de nos guides invisibles, les
vues des grands Esprits de l'espace, des Entités
tutélaires qui planent au-dessus de nous, loin
des compétitions humaines et qui, jugeant de
plus haut, jugent mieux.
C'est pourquoi nous reproduisons ci-après
quelques-uns des messages récents, obtenus par
voie médianimique, parmi ceux ayant trait à
la fois au problème religieux, pris dans son
ensemble, et à la canonisation de Jeanne d'Arc.
MESSAGES
Juin 1909. Improvisation dans l'état de trance :
« L'Église s'en va. Elle a une énergie, une orien-
tation factices. Cette énergie lui vient de la désor-
ganisation des partis qui lui sont opposés. Elle est
9-
(1) Voir Après la Mort et le Problème de l'Être et de la Desti-
née. En ce qui concerne les procédés de communication avec
le monde invisible : écriture médianimique, incorporations et
discours dans la trnuce ou sommeil magnétique, voir Dans
rinvisihle : Spiritisme et Médiamnité, chap. XVIII et XIX.
270 JEANNE d'arc MEDIUM
seule debout en face des écoles matérialistes. Elle
seule représente Tâme en face du matérialisme et de
la science. De l'heure où la science consacrera l'âme,
l'Église s'écroulera. L'Église est un mieux relatif.
Tous ceux qui sont épris de la vie de l'âme, se réfu-
gient dans rÉglise, parce qu'ils n'ont rien d'autre.
Bien des âmes ne peuvent se faire une foi person-
nelle ; elles demandent à d'autres leur croyance et
trouvent plus commode de s'adresser à l'Église.
Mieux vaut croire au catholicisme que de ne croire
à rien. Mais du jour où se constituera une philoso-
phie scientifique, artistique et littéraire qui synthé-
tisera l'idéal, l'Église actuelle disparaîtra. L'Église
n'a reçu dans son sein que les arts et les lettres,
mais non la science. Elle rejette une partie de la
connaissance; aussi devra-t-elle céder le pas à une
philosophie qui embrassera tout le savoir humain.
Nous disons : philosophie et non religion, parce que
ce dernier mot a aujourd'hui le sens de secte. »
(( La Réforme a séduit certaines âmes, parce
qu'elle permettait d'unir la morale à la religion.
Tout était permis alors par l'Église, pourvu que Ton
sût se faire pardonner par de l'argent. La vente des
indulgences était publique. Tout le monde voyait
d'un côté la morale, de l'autre la religion. La ques-
tion morale a ébranlé l'Église ; aujourd'hui, ce sera
la science qui l'achèvera; K l'heure où les hommes
sauront, l'Église s'écroulera. »
« Nous ne pleurons pas sur sa disparition. L'Église
n'est, dans l'histoire, qu'une des formes de l'idée
JEANNE d'arc ET l'iDÉE DE RELIGION 271
religieuse en marche. L'Église a fait du bien, et nous
aimons mieux voir ce bien que le mal qu'elle a causé ;
par-dessus tout, nous aimons à voir en elle la grande
figure du Christ qui Ta fondée. Nous verrons tou-
jours l'évangile dans la messe ; c'en est le véritable
point central et non pas l'élévation, comme beau-
coup le croient. Nous aimons cet évangile ; c'est lui
qui nous attire encore aujourd'hui dans certaines
cathédrales. Nous aimons l'Église, nous la vénérons
comme tout ce qui a apporté quelque chose de grand
à l'humanité. «
« Plus tard, nous vénérerons encore davantage celui
qui apportera une nouvelle parole de vie, cet Esprit
de Vérité, annoncé depuis longtemps. Ce sera un
homme de science, un savant, un philosophe et,
surtout, un homme d'une sensibilité exquise. Les
Mahométans l'attendent aussi. Toutes les religions
l'ont promis. 11 faut que toutes les âmes se sentent
désorientées, que toutes sentent la nécessité de sa
venue. La dissolution est plus profonde qu'à l'époque
où le Christ est apparu, le désir de savoir aussi.
Tous les peuples sont pressurés par les gouverne-
ments. L'heure vient. »
« Il ne faut pas s'élever contre ceux qui s'en vont,
contre l'Église. Le Christ n'a pas crié contre la reli-
gion. Rappelez-vous qu'il a dit cette parole trop
oubliée : « Aux Juifs d'abord ! » Nous aussi, nous
disons : « A l'Église d'abord ! » car c'est elle qui
renferme le plus de spiritualistes ; c'est elle qui en
a le plus besoin. C'est sur les bases du christianisme
272 JEANNE d'arc MEDIUM
que s'élèvera la religion nouvelle, comme le chris-
tianisme s'est élevé sur le judaïsme. L'ancienne
Église, comme la loi de Moïse, sera rénovée, amé-
liorée. »
Jérôme de Prague.
Juillet 1909; par rincorporation :
« Que sont ces dogmes et ces mystères? Cherchons
le sens des religions I »
« La religion s'entoure d'un appareil sombre et
redoutable. Tout, croit-elle, est su, connu, décou-
vert. Erreur profonde ! »
« La vérité ne peut pas être séparée de Dieu. Elle
ne peut pas être un symbole. C'est un rayon échappé
de son front divin. Nous avons Dieu en nous, mais
non pas par son corps de chair (l'hostie). »
« C'est par ses messagers que s'accomplit le sacri-
fice divin. Dieu est en nous par les radiations de sa
vérité. Mais celle-ci n'est pas connue; elle est espé-
rée. Il faut savoir l'aimer pour qu'elle descende jus-
qu'à nous. »
« L'homme est perfectible à l'infini. C'est une
faute grave de briser devant lui les perspectives de
l'avenir. La miséricorde divine lui donne, avec l'es-
poir, la réparation toujours possible de ses fautes. »
« L'Église dit à l'homme : Laisse-nous te diriger.
Elle oublie qu'elle devient ainsi responsable de la
conduite des âmes devant Dieu. Et si l'Église est
Dieu, Dieu serait responsable de la conduite des
JEANNE d'arc ET l'iDÉE DE RELIGION 273
âmes ; c'est faux ! L'homme pourrait s'endormir
ainsi dans la confiance qu'il est assez dirigé. »
« L'Église a souvent été une marâtre pour ceux
qui vivaient dans son sein. Elle a brisé toutes les
intelligences qui dépassaient un certain niveau. Ce
qui l'a perdue, c'est l'amour de la matière, la puis-
sance temporelle, le désir de la domination. L'eni-
vrement du pouvoir l'a envahie. Elle a bu à la coupe
de l'orgueil. Ce sera la cause de sa décadence, car la
matière ne peut donner la vie. »
« La puissance temporelle s'est écroulée ; les
autres suivront. Respectons l'Église comme on res-
pecte les personnes âgées, qui ont fait de grandes
choses dans leur jeunesse. Mais, aujourd'hui, les
foules s'éloignent. Les nefs restent solitaires en
dehors des gi'andes cérémonies. »
« L'Église n'aime plus assez ; c'est pour cela
qu'elle meurt. Aimer davantage : c'est toute la pen-
sée du Christ. Il a aimé les hommes plus que lui-
même, comme Jeanne a aimé la France. C'est ce que
l'Église ne sait plus faire. Il fallait gouverner les
âmes par l'amour et non par la crainte. Jean a dit :
<( Aimez-vous, c'est toute la religion ! »
« Le Christ a aimé Thomas, qui doutait, jusqu'à
se matérialiser et lui faire toucher ses plaies. Mais
l'Église n'aime pas ceux qui doutent ; elle les re-
pousse. Pour qu'une foi soit réelle, il faut l'amour
qui la rend féconde. L'amour est le levier de l'huma-
nité. C'est ce que l'Église a oublié, et c'est pourquoi
elle est destinée à s'affaiblir de plus en plus. »
274 JEANNE d'arc MEDIUM
« Il faut la saluer, parce qu'elle a reçu autrefois
la pensée du Christ. Maintenant, elle a donné tout
ce qu'elle pouvait donner ; elle a fait son temps. Elle
n'a pas compris ce siècle. Elle croit que tout dort
dans le passé. Mais au lieu de remuer la cendre des
vieux souvenirs, il faut songer aux devoirs envers les
hommes du présent et préparer les temps futurs. »
« Pas de haine ! Il faut la plaindre et la laisser
s'éteindre doucement. On ne crie pas contre ceux
qui vont mourir. Que la paix soit sur elle I Que Ton
prie pour elle ! »
« Quant à son attitude envers Jeanne, elle s'ex-
plique ainsi : Elle a voulu se faire une sainte popu-
laire et, parla, ressaisir un peu de l'influence perdue.
Et comme le patriotisme s'affaiblit, elle cherche à
reprendre cette idée à son profit. Elle ramasse Tépée
de Jeanne et s'en fait une arme pour combattre ses
ennemis. Mais ce ne sont pas ses anciennes vic-
times qui peuvent ou veulent la défendre à cette
heure. »
« Manifestation plus matérielle que spirituelle !
Il fallait agir autrement et instruire un nouveau
procès pour établir les responsabilités, accabler Cau-
chon et dégager Rome. Le procès de réhabilitation
a été fait sur les textes. On n'a pas incriminé les
juges ; on a reconnu, maintenu leur validité. Il ne
suffit pas de tonner contre eux du haut de la chaire ;
il fallait un acte plus solennel. L'Église n'a pas eu
le courage de ses actes et de sa politique. »
Jérôme de Prague.
JEANNE d'aHC ET l'iDEE DE RELIGION 275
Juillet 1909 ; par Fécriture médianimique :
« L'Église est souvent en contradiction avec ses
enseignements. Elle demande à l'âme de se purifier,
de s'améliorer, d'abandonner ses erreurs ; mais elle
se déclare seule omnisciente et omnipotente. Elle
n'admet pas que sa connaissance d'autrefois ne
puisse plus suffire aujourd'hui ; elle croit que le
monde s'est arrêté sous la nef des cathédrales go-
thiques. En réalité, on ne demande pas à l'homme
instruit et sceptique de votre siècle ce qu'on pou-
vait exiger de ceux qu'épouvantaient les châtiments
éternels. Les temps ont accompli leur œuvre ; ils
ont amoncelé les ruines. Les âmes se sont renouve-
lées et, seule, l'Église s'est acharnée à étayer son
ancien édifice, à reconstruire continuellement la
redoutable forteresse. Elle s'est ainsi peu à peu sépa-
rée du monde ; elle s'est complue dans la satisfaction
de la puissance et de l'orgueil ; mais elle a oublié
l'histoire des civilisations. »
« Les exigences de l'évolution que subissent les
âmes sont si puissantes qu'elles rénovent la foi et
la science. Les anciennes croyances s'oublient pour
d'autres, et l'Église, à son tour, devrait monter vers
la lumière. Elle devrait être la voie naturelle des
âmes allant vers Dieu, et leur offrir toutes les res-
sources réclamées par des intelligences éprises de
beauté, de grandeur, de vérité plus parfaite. »
« L'Église donne à l'homme adulte les mômes
devoirs qu'à l'enfant. Ses explications, ses comman-
dements sont les mêmes pour tous. Elle porte par-
276 JEANNE d'arc MEDIUM
tout le désir d'unité et la volonté de fixer les âmes
dans la contemplation de ses dogmes. »
« Le souci continuel de sa vie et de son existence
devrait faire comprendre à l'Église qu'il serait habile
et fort d'abandonner, à l'heure voulue, les procédés
qui avaient suffi à gouverner le monde autrefois. On
n'attire pas l'homme par les mêmes paroles que l'en-
fant, et ce qui réussissait pour les peuples des siècles
passés est insuffisant aujourd'hui. Des esprits habiles
l'ont senti ; ils ont essayé de donner un sens mystique
et spirituel à ses dogmes, de les montrer comme les
symboles de quelque grande pensée. Mais l'Église,
comme institution, n'est pas accessible à la sublime
réflexion. Les médiocrités se sont emparées du pou-
voir et l'on a vu ces essais inutiles rudement répri-
més, car si cette réforme avait été accomplie pour la
foi, elle aurait dû l'être aussi pour la conduite à tenir.
Il fallait avoir le courage de tout symboliser, de mon-
trer que l'Église avait conduit les peuples et les rois
parce qu'ils n'étaient encore qu'en enfance ; il fallait
réprouver les erreurs, châtier le passé et hautement
renier tout ce qui n'était pas d'accord avec ces nou-
velles vues. On eût été politique. L'Église, en effet,
aujourd'hui n'est plus une religion au sens propre
du mot : elle ne cherche pas à unir les âmes, mais à
gouverner les corps par tous les moyens. Pour gou-
verner les corps, il faut se rendre maître des âmes,
et il eût été adroit de les attirer par quelques gestes
habiles, par la glorification de quelques âmes hono-
rées de tous. »
JEANNE d'arc ET l'iDÉE DE RELIGION 277
« En ces temps troublés, où l'Église semble sou-
tenir le suprême combat, elle se veut donner un puis-
sant auxiliaire dans la personne de Jeanne. Il fallait
nettement accuser d'imposture les juges, et montrer
en eux les agents d'une autorité non reconnue.
L'Église a si maladroitement rejeté de son sein tant
de grands hommes, qu'elle aurait pu facilement faire
quelques victimes de plus, et elle avait ainsi l'occa-
sion tout indiquée de placer parmi ses saints quel-
ques-unes de ses autres victimes, sur lesquelles
s'étend la pitié des âmes croyantes elles-mêmes.
Comme institution, elle pouvait le faire. Elle a long-
temps défendu les juges de Jeanne, et maintenant
elle cherche à justifier l'ancienne hérétique, mais
bien des croyants se demandent où est le coupable
dans cette triste tragédie de Rouen. »
« Aujourd'hui, sachant parfaitement qu'elle est
une sainte, le peuple a placé Jeanne parmi les pro-
tectrices de la patrie, mais l'Église a voulu se glisser
derrière son piédestal, se substituer à elle en la pla-
çant parmi ses élues. Personne ne peut le nier :
Jeanne est plus aimée que l'Église, et celle qui la
condamna ne réussira pas à la défigurer. Mais nous
ne pouvons pas accepter cette béatification, qui est
une manœuvre de l'Église, car c'est encore une fois
un de ces actes par lesquels l'Église s'est rendue
justement célèbre : une demi-lâcheté, causée par un
calcul où le désir de vérité est masqué par l'inté-
rêt. »
Jérôme de Prague.
16
278 JEANNE d'arc MÉDIUM
Juillet 1909 ; par l'incorporation :
« Aimez Dieu par-dessus tout. Là est la
force qui vous libérera de ce monde matériel
et vous fera supporter les flammes de la dou-
leur. »
« Cet amour m'a donné toute énergie, toute
puissance. »
« Je suis dolente de voir que les Français se
disputent mon âme. »
« Je pardonne tout à l'Eglise, excepté son
enseignement. Je ne lui pardonne pas de ré-
pandre des erreurs et l'épouvante dans les
âmes. »
« L'Église s'éteint. Bénissons-la pour le bien
qu'elle a fait. Plaignons-la du mal qu'elle a
accompli. »
« Je suis son guide et non son défenseur. »
« Que la France redevienne consciente de
son rôle, qui est de répandre dans le monde
des clartés toujours plus vives. »
« Les temps sont venus. L'Esprit de Vérité,
annoncé par le Christ, est proche. Il naîtra
parmi vous. Le christianisme n'a pas été com-
pris. Il était venu pour tirer Pâme de la souf-
france et de l'inconscience. Maintenant, d'autres
vérités supérieures vont luire. »
Jehanne.
XVI. — Jeanne d'Arc et l'idéal celtique.
O terre de granit, recouverte de chênes !
Brizeux.
Un soir, l'Esprit de J. Michelet, précédant et
annonçant celui de Jeanne d'Arc, nous tenait ce
langage, au cours d'une de nos séances d'étu-
des : (( Jeanne acquit dans ses existences anté-
rieures le sentiment des grands devoirs qu'elle
aurait à remplir. Nous nous sommes rencontrés
plusieurs fois dans ces temps lointains. Ce lien,
établi entre elle et nous, l'attire. De même
qu'elle m'a inspiré, elle vous inspirera. Mon
livre n'a été qu'un écho de sa passion pour la
France et pour la vérité. Maintenant, elle va
descendre vers vous, pour vous apporter une
parcelle de la vérité divine. »
Nombreuses ont été les existences de Jeanne
sur la terre, comme celles de toutes les âmes
qui parcourent avec nous le cycle immense des
évolutions. 11 y en eut de brillantes, vécues
sur les marches d'un trône ; il y en eut d'obs-
cures, mais toutes ont été bienfaisantes pour
280 JEANNE d'arc MEDIUM
autrui, fécondes pour son propre avancement.
Ses premières vies terrestres se succédèrent
à l'époque celtique, au pays d'Armor. C'est là
que sa personnalité s'imprégna de ce génie
particulier, fait d'idéal, d'intrépidité et de poé-
sie rêveuse, que l'on retrouve en elle au quin-
zième siècle.
Dès son enfance à Domremy, elle aimait à
fréquenter les lieux où s'accomplirent les rites
druidiques : les bosquets de chênes, témoins
des anciens appels aux âmes, les fontaines
sacrées, les monuments de pierre brute que l'on
rencontrait çà et là aux environs de son village.
Elle aimait à s'enfoncer dans la forêt profonde,
à en écouter les harmonies, lorsqu'elle frémit
et vibre comme une harpe gigantesque sous les
souffles du vent. De son regard de voyante,
elle distinguait sous ses voûtes les ombres mys-
térieuses de ceux qui présidaient aux évocations
et aux sacrifices. Parmi ses guides invisibles, on
pouvait rencontrer les Esprits protecteurs des
Gaules, ceux-là mêmes qui, dans tous les siè-
cles, assistent les fils d'Arthur et de Merlin, et
donnent à ceux qui luttent pour une noble cause,
la volonté et l'amour qui mènent à la victoire.
En vain le gui est mort sur les branches, en
vain la flamme sacrée s'est éteinte dans les
foyers, la foi aux vies immortelles et aux
JEANNE d'arc ET l'iDÉAL CELTIQUE 281
mondes supérieurs vivra toujours dans le cœur
de Jeanne. Tous les historiens qui ont su analy-
ser et comprendre son caractère, ont reconnu en
elle ce double courant celtique et chrétien, dont
tout à l'heure elle nous indiquera elle-même
l'origine. Henri Martin, notamment, l'avait cons-
taté dans les pages de son Histoire. Il rappelle
d'abord en ces termes les souvenirs celtiques,
encore vivants au temps de l'héroïne :
« Près de la maison de Jeanne d'Arc, un sentier
montait, à travers des touffes de groseilliers, vers le
sommet du coteau ; la crête boisée se nommait le
Bois Chesnu. A mi-côte, jaillissait, sous un grand
hêtre isolé, une fontaine, objet d'un culte tradition-
nel. Les malades tourmentés de la fièvre venaient,
de temps immémorial, chercher leur guérison dans
ces eaux pures... Des êtres mystérieux, antérieurs
chez nous au christianisme, et que nos paysans n'ont
jamais consenti à confondre avec les esprits infer-
naux de la légende chrétienne, les génies des eaux,
des pierres et des bois, les dames faées hantaient le
hêtre séculaire et la claire fontaine. Le hêtre s'ap-
pelait le Beau Mai. Au retour du printemps, sous
l'arbre de mai, « beau comme les lis », les jeunes
filles venaient danser et suspendre aux rameaux, en
l'honneur des fées, des guirlandes qui disparais-
saient, disait-on, pendant la nuit (i). »
(1) H. Martin, Histoire de France, t. VI, pp. 138, 139.
16.
JEANNE D ARC MEDIUM
Henri Martin décrit ensuite les impressions
de la vierefe lorraine :
t)
« Les deux grands courants du sentiment celtique
et du sentiment chrétien, qui s'étaient unis pour
enfanter la poésie chevaleresque, se mêlent de nou-
veau pour former cette âme prédestinée. La jeune
pastoure tantôt rêve au pied de « l'arbre de mai »
ou sous les chênes... tantôt s'oubhe au fond de la
petite église, en extase devant les saintes images
qui resplendissent sur les vitraux... Quant aux fées,
elle ne les a jamais vues mener au clair de lune les
cercles de leur danse autour du beau mai ; mais sa
marraine les a rencontrées jadis, et Jeanne croit
apercevoir parfois des formes incertaines dans les
vapeurs du crépuscule : des voix gémissent le soir
entre les rameaux des chênes ; les fées ne dansent
plus ; elles pleurent ; c'est la plainte de la vieille
Gaule qui expire (i)! »
Enfin, parlant du procès de Rouen, le même
auteur dit encore (2) :
« Jeanne sut opposer le libre génie gaulois à ce
clergé romain qui veut prononcer en dernier ressort
sur l'existence de la France. Par elle, le génie mys-
tique revendique les droits de la personne humaine
avec la même force que le génie philosophique ; la
(1) H. Martin, Histoire de France, t. VI, p. HO.
(2) Id., Ibid., t. VI, p. 302.
JEANNE d'arc ET l'iDÉAL CELTIQUE 283
même âme, la grande âme de la Gaule, éclose dans
le Sanctuaire du Chêne, éclate également dans le
libre arbitre de Lérins et du Paraclet, dans la sou-
veraine indépendance de l'inspiration de Jeanne et
dans le Moi de Descartes. »
Jeanne elle-même, confirmant ces vues, s'ex-
primait ainsi, dans un message dicté à Paris, en
1898 (1) :
« Remontons, pendant un instant, le cours
des âges, afin de vous apprendre quel chemin
j'ai parcouru pour me préparer à cette étape
douloureuse que vous connaissez. »
« Elles ont été multiples, les existences qui
ont contribué à mon avancement spirituel. Elles
se sont écoulées dans la vieille Armorique, sous
le dôme des grands chênes séculaires, couverts
du gui sacré. C'est là que, lentement, je me
suis acheminée vers l'étude des lois de l'esprit
et le culte de la patrie. »
« 0 heures bénies entre toutes, où le barde,
par ses chants d'allégresse, faisait retentir nos
cœurs et ouvrait nos yeux à la lumière, en nous
laissant entrevoir les merveilles de l'infini ! Il
nous enseignait alors que le passage du trépas
(1) Voir Revue scientifique et morale du Spirilisme, jan-
vier 1898.
28i JEANNE D ARC MÉDIUM
à la résurrection glorieuse de l'Esprit dans l'es-
pace, n'était qu'une simple transformation,
sombre ou lumineuse, selon que l'homme sui-
vait la voie de la justice et de l'amour ici-bas,
ou qu'il se laissait dominer par les forces pas-
sionnelles de la matière. Il nous faisait com-
prendre les lois de la solidarité et de l'abné-
gation; il nous enseignait ce qu'était la prière
et nous disait : « Prier, c'est triompher ; la
(( prière, c'est le moteur dont se sert la pensée
« pour stimuler les facultés de l'Esprit, qui sont
« pour lui, dans l'espace, ses outils. La prière
« est l'aimant puissant duquel se dégage le fluide
« magnétique spirituel, qui, non seulement peut
« soulager et guérir, mais qui ouvre à l'esprit
« des horizons sans fin, et lui permet de satisfaire
« ce désir de connaître et de se rapprocher sans
« cesse de cette source divine, d'où toute chose
« découle. La prière est le fil conducteur qui
« m^t la créature en relation avec le Créateur
« et ses missionnaires célestes. »
« Un jour, pénétrée de ces vérités, je m'en-
dormis et j'eus la vision suivante : J'assistai
d'abord à bien des combats, hélas ! qu'il était
impossible d'éviter en raison du libre arbitre
de chacun, mais surtout à cause de l'amour de
l'or et de la domination, ces deux fléaux de
l'humanité. Puis je vis aussi clairement la gran-
JEANNE d'arc ET l'iDÉAL CELTIQUE 285
deur future de la France et son rôle civilisa-
teur dans l'avenir. Je résolus de m'y attacher
tout spécialement. »
« Aussitôt une foule sympathique m'entoure.
La majeure partie pleurait et regrettait ma
perte. Puis, le poison, le gibet, le bûcher, pas-
sent lentement devant moi. Je sentis les flam-
mes consumer ma chair et je m'évanouis!...
mais des voix amies me rappelèrent à la vie et
me dirent : « Espère ! La phalange céleste qui
(( a pour mission de veiller sur ce globe, t'a choi-
« sie pour la seconder dans son œuvre, et pour
(( ton avancement spirituel. Mortifie ta chair,
(( afin que ses lois ne puissent entraver ton es-
« prit. L'épreuve sera courte, mais rude. Prie, et
« la force te sera donnée; tu recueilleras de ta
« mission les bénédictions de tous dans l'avenir.
« Tu assureras le triomphe de la foiraisonnée sur
« Terreur et la superstition. Prépare-toi à faire
« en tout la volonté du Seigneur, afin que, l'heure
« venue, tu aies acquis assez de force morale pour
« résister aux hommes et obéir à Dieu ! En sui-
« vant ces conseils, les messagers célestes vien-
« dront vers toi, tu entendras leurs voix, ils te
« guideront et te conseilleront; tu peux être sans
(( crainte, ils ne t'abandonneront pas! »
« Gomment décrire l'élan suprême qui s'em-
para de moi ! Je sentis l'aiguillon de l'amour
286 JEANNE d'arc MEDIUM
pénétrer tout mon être. Je n'eus plus qu'un
but : travailler à Taffranchissement spirituel de
cette contrée bénie, dans laquelle je venais de
goûter au pain de vie et de boire à la coupe des
forts. Cette vision fut pour mon âme un via-
tique céleste. »
Là-bas, aux confins du continent, comme une
immense citadelle à laquelle la mer et la tem-
pête livrent un éternel assaut, se dresse une
terre étrange, austère, recueillie, propice à
l'étude, aux méditations profondes.
Au centre, en un vaste plateau, s'étendent,
à perte de vue, les landes parsemées de bruyè-
res roses, de genêts d'or, d'ajoncs épineux.
Puis, les champs de blé noir alternent avec les
pommiers rabougris; des bois de chênes, si
épais qu'aucun rayon de lumière ne pénètre
sous leurs ramures, bordent Thorizon.
C'est la Bretagne, le sanctuaire de la Gauk,
le lieu sacré où dort l'âme celtique de son lourd
sommeil de vingt siècles.
Que de fois j'ai parcouru, le bâton à la main,
le sac de voyage au côté, ses halliers, ses ra-
vins sauvages, ses criques découpées par le
flot! que de fois j'ai interrogé l'Océan du haut
JEANNE d'aRG ET l'idÉAL CELTIQUE 287
de ses promontoires de granit ! Je connais les
plis et les replis de ses côtes et de ses vallées.
Je connais les solitudes de ses forets ombreu-
ses et murmurantes : Kénécan, Coatmeur et,
par-dessus tout, Brocélyande, où dort Merlin,
le barde gallois à la harpe d'or, l'enchanteur
enchanté par Viviane, la belle fée, qui symbo-
lise la nature, la matière, la chair. Mais Merlin
se réveillera, car Radiance, son âme inspirée,
son génie immortel, veille et, vienne l'heure,
saura l'arracher, lui et ses fils, aux voiles du
sensualisme, qui paralysent leur action et arrê-
tent l'essor de leur pensée.
La Bretagne ne ressemble à aucun autre
pays. Sous les sombres rameaux de ses chênes,
sur ses landes grises et mornes où bruit la triste
mélopée du vent, sur ses côtes déchiquetées,
où les lames écumantes livrent aux remparts
de rochers un incessant combat, partout on
sent planer une influence mystérieuse ; partout
on sent passer comme le souffle de l'invisible.
La terre, l'espace et les eaux, tout y est plein
de voix, qui murmurent à l'âme du rêveur mille
secrets oubliés. La poésie de la terre bretonne
a quelque chose d'austère qui vous enveloppe
et vous émeut. Elle est virile et pénétrante. Ses
enseignements, lorsqu'ils sont compris et ap-
pliqués, font les grandes âmes, les carac-
288 JEANiNE d'arc MEDIUM
tères héroïques, les fiers et profonds penseurs.
Là subsistent les derniers rejetons de la
race; là aussi se perpétuent les accents de
cette langue sonore^ dont les phrases retentis-
sent comme des cliquetis d'épée et des chocs
de boucliers.
C'est la terre d'Armor ! Ar-mor-ic^ pays de
la mer, où s'est cachée, derrière la triple mu-
raille des forêts, des montagnes et des récifs,
l'âme profonde, le génie mélancolique et rê-
veur de la Gaule. Là seulement, vous retrouve-
rez dans toute sa pureté la race vaillante, te-
nace et forte, qui a rempli le monde du bruit
de ses exploits ; vous la retrouverez sous ses
deux aspects- : celui que César a décrit dans ses
Commentaires, l'aspect gaélique, à l'esprit vif,
léger et changeant, et Taspect kymrique, la
branche la plus moderne de la race celtique,
grave, parfois triste, fidèle à ses attachements,
passionnée pour ce qui est grand, gardant ja-
lousement, dans les replis cachés de son âme,
l'arche sainte des souvenirs.
Cette race, rien n'a pu la lasser; elle a résisté
deux cents ans par les armes, comme l'a dit
Michelet, et mille ans par l'espérance ; vaincue,
elle étonne encore ses vainqueurs. Pourtant
elle a su se donner, et c'est par un mariage
que la France se l'est assimilée.
JEAN.NE D ARC ET L IDEAL CELTIQUE 289
L'âme celtique a son sanctuaire en Bretagne,
mais les vibrations de sa pensée et de sa
vie s'étendent au loin sur toute la région qui
fut la (jaule, de l'Escaut aux Pyrénées, de
l'Océan aux pays des Helvètes, Elle s'est créé
sur tous les points du sol national des retraites
cachées, où vit, latente, la pensée des âges.
C'est le plateau central, l'xVr-vernie, la « haute
demeure », le Morvan, les âpres Cévennes, les
forêts lorraines où Jeanne entendait ses « voix ».
Qu'est-ce donc que l'âme celtique ? C'est la
conscience profonde de la Gaule. Refoulée par
le génie latin, opprimée parla brutalité franque,
méconnue, oubliée par ses propres enfants,
l'âme celtique subsiste à travers les siècles.
C'est elle qui reparaît aux heures solennelles
de l'histoire, aux époques de désastre et d'écrou-
lement, pour sauver la patrie en péril. C'est la
vieille mère qui tressaille chaque fois que le
pied de l'ennemi souille sa couche, et se lève
de son sommeil pour faire appel à ses fils et
chasser l'étranger.
D'elle encore viennent les souffles puissants,
les impulsions irrésistibles, les inspirations
grandioses, qui ont fait de la France le cham-
pion de l'idée et l'inspiratrice de l'humanité.
Aussi la France ne peut-elle périr, malgré
ses fautes, ses faiblesses, ses décadences et ses
17
290 JEANNE d'arc MEDIUM
chutes. Chaque fois que rabîme s'est ouvert
sous ses pas, du sein des espaces une main
s'est tendue vers elle pour la guider. Pendant
la guerre de Cent ans, comme au temps de la
Révolution, Tâme celtique reparaît, pour entraî-
ner, pour enflammer les héros. C'est elle qui
inspire les envoyés providentiels et change la
face des choses.
Parfois elle se recueille. Pâme celtique; elle
sommeille, elle dort. Et alors, quand sa voix se
tait, son peuple s'affaisse; il perd sa virilité^ sa
grandeur ; il se laisse glisser peu à peu sur 1^
pente du doute, du sensualisme, de l'indiffé-
rence ; il ne sait plus rien des vertus, des puis-
sances cachées en lui. Mais les réveils sont
éclatants. Et, tôt ou tard, l'âme celtique repa-
raît, jeune, ardente, impétueuse, pour indiquer
à ses fils le chemin des grandes cimes et la
source des hautes inspirations.
Nous en sommes là à l'heure présente. De-
puis plus d'un siècle, nous traversons une pé-
riode de silence. L'âme celtique se tait ; le gé-
nie national perd de son éclat. La France se
matérialise et dégénère. Elle oublie son but su-
blime, sa tâche sacrée. Mais déjà, dans la lu-
mière naissante des jours qui se lèvent, le pen-
seur voit l'âme de la Gaule se dresser dans ses
longs voiles. Elle reparaît, brillante d'une éter-
JEANNE DARC ET l'iDÉAL CELTIQUE 291
nelle jeunesse, couronnée de verveine ; elle
oublie ses longs deuils, sa mort apparente, ses
épreuves douloureuses. Son doigt, levé vers le
ciel, nous montre l'aube, le renouveau de
l'idée, le triomphe définitif et prochain de la
pensée celtique, dégagée des ombres qu'ont
accumulées sur elle vingt siècles d'oppressions
et d'erreurs étrangères.
Toute une série de manifestations de la pen-
sée celtique se sont produites depuis trente ans.
Lors de l'Exposition de 1900, le contre-amiral
Reveillère écrivait au Conseil municipal de
Paris, pour lui proposer de faire figurer au
Champ de Mars le menhir brisé de Locmaria-
ker, cette pierre de vingt-cinq mètres, qui est
le plus colossal monument élevé par la main des
Celtes, au bord de cette petite mer, Annor
bihan (Morbihan), dont les rives et les îles sont
si riches en grands souvenirs: dolmens gigan-
tesques, cromlechs, tumulus, « pierres de-
bout », à l'ombre desquels chantaient les
bardes.
Il faut, ajoutait M. Reveillère dans l'exposé
de sa proposition, que « le panceltisme rede-
vienne une foi, une religion ». Précisant sa pen-
sée, l'amiral écrivait ailleurs :
« L'œuvre de notre époque est double. C'est d'abor
292 JEANNE d'arc MEDIUM
le renouvellement de la foi chrétienne, entée sur
la doctrine celtique de la transmigration des âmes,
comme la croix s'est entée sur le menhir, doctrine
seule capable de satisfaire Tintelligence, par la
croyance en la perfectibilité indéfinie de l'âme hu-
maine, dans une suite d'existences successives. La
seconde est la restauration de la patrie celtique et la
réunion, en un seul corps, de ses membres aujour-
d'hui séparés. Nous ne sommes pas des Latins, nous
sommes des Celtes ! »
Nous applaudissons à ces paroles, qui protes-
tent contre une erreur historique, grosse de
conséquences funestes pour la France.
Depuis lors, ce mouvement d'idées a pris
une grande extension. Tous les ans, une as-
semblée ou eisieddfod réunit, sur quelque point
de la terre celtique, les représentants les plus
illustres de la race. Chaque région y envoie
ses délégués : Écossais, Irlandais, Gallois, Bre-
tons de France, Cornouaillais, insulaires de
Man, celtisants venus d'Amérique et même
d'Australie, car, « dans n'importe quelle partie
du monde, les Celtes sont frères ». Tous s'as-
semblent, unis dans un même symbole, pour
célébrer les grands ancêtres et se livrer aux
joutes de la pensée.
Bien plus nombreux encore sont ceux qui, à
l'heure présente, poursuivent la lutte en fa-
JEANNE d'arc ET l'idÉAL CELTIQUE 293
veur du Celtisme renaissant sous la forme du
spiritualisme moderne.
Aussi croyons-nous utile de redire ici, en ter-
mes succincts, ce qu'étaient les croyances de
nos pères.
Les travaux d'éminents historiens, de pen-
seurs érudits (1), en dissipant les préjugés se-
més dans nos esprits par les auteurs latins et
les écrivains catholiques, ont jeté une vive lu-
mière sur les institutions et les croyances des
Gaulois.
La philosophie des druides, reconstituée
dans son imposante grandeur, s'est trouvée
conforme aux aspirations des nouvelles écoles
spiritualistes.
Comme nous, les druides affirmaient l'infi-
nité de la vie, les existences progressives de
l'âme, la pluralité des mondes habités.
C'est dans ces doctrines viriles, dans le sen-
timent de l'immortalité qui en découle, que nos
pères puisaient leur esprit de liberté, d'égalité
(1) Voir: Gatien Arnoult, Philosophie gauloise, i. I" ; Henri
Martin, t. I" de VHistoire de France ; Adolphe Pictet, Biblio-
thèque de Genève ; Alfred Dumesnil, Immortalité ; Jean Rey-
NAUD, l'Esprit de la Gaule.
294 JEANNE d'arc MÉDIUM
sociale, leur héroïsme en face de la mort.
Une sorte de vertige s'empare de notre pen-
sée, lorsque, nous reportant à vingt siècles en
arrière, nous considérons que les principes de
la nouvelle philosophie étaient répandus dans
toute la société gauloise, qu'ils en inspiraient
les institutions et en fécondaient le génie.
Cette grande lumière, qui éclaira la terre des
Gaules, s'éteignit tout à coup. La main brutale
de Rome, en chassant les druides, fit place aux
prêtres chrétiens. Puis vinrent les Barbares ;
alors la nuit s'étendit sur la pensée, cette nuit
du moyen âge, longue de dix siècles, si
épaisse que les rayons de la vérité ne sem-
blaient jamais devoir la dissiper.
Enfin, après une gestation lente et doulou-
reuse, la foi de nos ancêtres, rajeunie, com-
plétée par les travaux scientifiques, par les
conquêtes intellectuelles des derniers siècles,
adoucie sous l'influence du christianisme, re-
naît sous une forme nouvelle. Fils des Gaulois,
nous reprenons l'œuvre de nos pères. Armés
de la tradition philosophique qui fit leur gran-
deur, éclairés comme eux sur les mystères de
la vie et de la mort, nous offrons à la société
actuelle, envahie par les instincts matériels,
un enseignement qui lui apporte, avec le relè-
vement moral, les moyens d'assurer ici-bas le
JEANNE d'arc ET l'idÉAL CELTIQUE 295
règne de la justice, de la vraie fraternité. II
importe donc de rappeler ce que fut, au point
de vue des croyances et des aspirations, ce
passé de notre race. II importe de rattacher le
mouvement philosophique moderne à ces con-
ceptions de nos pères, à ces doctrines des
druides, si rationnelles, basées sur Tétude de
la nature et l'observation des forces psychiques,
de montrer dans la rénovation spiritualiste une
véritable résurrection du génie de la Gaule,
une reconstitution des traditions nationales, que
tant de siècles d'oppression et d'erreur ont pu
voiler, mais non détruire.
La base essentielle du druidisme était la
croyance aux vies progressives de l'âme, à son
ascension sur l'échelle des mondes. C'est sur
cette notion fondamentale de la destinée, que
je crois devoir insister ici.
Je voudrais avoir les ressources de l'élo-
quence et la persuasion du génie, pour exposer
cette grande loi des Triades (1) et dire com-
ment, des profondeurs du passé, du sein des
abîmes de vie, sourdent sans cesse, se dérou-
lent et montent les longues théories des âmes.
Le principe spirituel qui nous anime doit des-
(1) Cyfrinach Beirdd Inys Prydain : Mystères des bardes de
l'île de Bretagne, traduction Edward Williams, 1794.
290 JEANNE d'arc MEDIUM
cendre dans la matière pour s'individualiser, et
constituer, puis développer, par son lent tra-
vail séculaire, ses facultés latentes et son moi
conscient. De degré en degré, il se façonne des
formes, des organismes appropriés aux be-
soins de son évolution, formes périssables,
qu'il abandonne à la fin de chaque existence
comme un vêtement usé, pour en rechercher
d'autres plus belles, mieux adaptées aux néces-
sités de ses tâches grandissantes.
Dans toute la durée de son ascension, il reste
solidaire du milieu qu'il occupe, lié à ses sem-
blables par des affinités mystérieuses, concou-
rant à leur progrès, comme eux travaillent au
sien. 11 redescend de vie en vie, dans le creuset
toujours plus vaste, toujours changeant de
l'humanité, pour conquérir des vertus, des
connaissances, des qualités nouvelles. Puis,
quand il a acquis sur un monde tout ce que
celui-ci pouvait lui donner de science et de sa-
gesse, il s'élève vers des sociétés meilleures,
vers des sphères mieux partagées, entraînant
tous ceux qu'il aime avec lui.
Vers quel but monte-t-il ? Quel sera le terme
ultime de ses eflbrts ? Ce but paraît si lointain !
N'est-ce pas folie que de prétendre l'atteindre ?
Le navigateur qui vogue à travers les vastes
solitudes de l'Océan, a choisi comme objectif de
JEANNE d'arc ET l'idÉAL CELTIQUE 297
sa course, l'étoile dont la lumière tremble là-
bas à l'horizon. Gomment pourrait-il y parve-
nir? Des distances infranchissables les sépa-
rent ! Et cependant cette étoile, perdue au fond
des cieux, il pourra la connaître un jour, dans
un autre temps et sous une autre forme. De
même, l'homme terrestre que nous sommes,
connaîtra un jour les mondes de la vie heu-
reuse et parfaite. La perfection dans la pléni-
tude de l'être, voilà le but. Toujours apprendre,
approfondir les divins mystères. L'infini nous
attire. Nous passons l'éternité à parcourir l'im-
mensité, à en goûter les splendeurs, les beau-
tés enivrantes. Devenir toujours meilleure, tou-
jours plus grande par l'intelligence et par le
cœur, s'élever dans une harmonie toujours plus
pénétrante, dans une lumière toujours plus
vive, entraîner avec soi tout ce qui soufTre, tout
ce qui ignore : voilà le but assigné à toute âme
par la loi divine.
N'y a-t-il pas une haute idée de la vie dans
cette conception des Triades! L'homme, arti-
san de ses destinées, par ses actes prépare lui-
même et construit son avenir. Le but réel de
l'existence, c'est l'élévation par l'effort, par
l'accomplissement du devoir, par la souffrance
même. Plus cette vie est semée d'amertume,
plus elle est féconde pour celui qui la sup-
17.
298 JEANNE d'arc MEDIUM
porte avec vaillance. Elle est comme un champ
clos, où le brave montre son courage, conquiert
un grade plus élevé ; c'est un creuset où le
malheur, où les épreuves font pour la vertu
ce que le feu produit sur les métaux qu'il af-
fine et purifie. A travers des vies multiples et
des conditions diverses, l'homme précipite sa
course terrestre, passant de l'une à l'autre,
après un temps de repos et de recueillement
dans l'espace ; sans cesse, il avance sur cette
voie d'ascension qui n'a pas de terme. Doulou-
reuses et pénibles sont presque toutes ces exis-
tences ici-bas, mais fécondes aussi, car c'est
par elles que grandissent nos âmes, que s'ac-
croissent force et sagesse.
Une telle doctrine peut fournir aux sociétés
humaines un incomparable stimulant pour le
bien. Elle ennoblit les sentiments, épure les
mœurs ; elle éloigne également des puérilités
du mysticisme et des sécheresses du positi-
visme.
Cette doctrine est la nôtre. Les croyances de
nos pères reparaissent élargies, appuyées sur
tout un ensemble de faits, de révélations, de
phénomènes constatés par la science moderne.
Elles s'imposent à l'attention de tous les pen-
seurs.
JEANNE d'arc ET l'iDÉAL CELTIQUE 299
Les existences antérieures de Jeanne se sont
effacées de sa mémoire à chaque renaissance.
C'est la loi commune. La chair est un éteignoir
qui étouffe les souvenirs ; le cerveau humain,
sauf des cas d'exception (1), ne peut reproduire
que les sensations enregistrées par lui. Mais
toute notre histoire reste gravée dans notre
conscience profonde. Dès que l'esprit se dé-
tache de sa dépouille mortelle, l'enchaînement
des souvenirs se reconstitue, avec d'autant plus
d'intensité que l'âme est plus évoluée, plus
éclairée, plus parfaite. Malgré l'oubli tempo-
raire, le passé est toujours vivant en nous ; il
se retrouve dans chacune de nos vies terrestres,
sous la forme des aptitudes, des facultés, des
goûts acquis, dans les traits de notre caractère
et de notre mentalité. Il suffirait de nous étu-
dier nous-mêmes avec attention, pour recons-
truire les grandes lignes de notre passé. Il en
était de même pour Jeanne d'Arc, en qui on pou-
vait retrouver les traces de ses vies celtiques
et celles, moins anciennes, de ses existences de
patricienne, de grande dame, éprise de cos-
(1) Voir : le Problème de VÊtre eî de la Destinée, chap. XIV.
Rénovation de la mémoire.
300 JEANNE d'arc MÉDIUM
tûmes éclatants et de belles armures. Ce qui
persiste en elle, surtout, de ses premières vies,
c'est cette forme particulière et bien accusée
du mysticisme des druides et des bardes, c'est-
à-dire l'intuition directe des choses de l'âme
qui réclame une révélation personnelle, et n'ac-
cepte pas la foi imposée. Ce sont ses facultés de
voyante, propres à la race celtique, si répan-
dues aux origines de notre histoire, et que l'on
retrouve encore aujourd'hui dans certains mi-
lieux ethniques, particulièrement en Ecosse^
en Irlande et dans la Bretagne armoricaine.
C'est par l'usage méthodique de ces facultés,
qu'on peut expliquer la connaissance approfon-
die qu'avaient les druides du monde invisible
et de ses lois. La fête du 2 novembre, la com-
mémoration des morts, est de fondation gau-
loise. On pratiquait l'évocation des défunts dans
les enceintes de pierres. Les druidesses et les
bardes rendaient des oracles.
L'histoire en fournit des exemples (1). Elle
rapporte que Vercingétorix s'entretenait, sous
la sombre ramure des bois, avec les âmes des
héros morts pour la patrie. Gomme Jeanne,
cette autre personnification de la Gaule, le
jeune chef entendait des voix mystérieuses.
(1) V. Bosc et BoNNEMÈRE, Hisîoire nationale des Gaulois.
JEANNE d'arc ET l'idÉAL CELTIQUE 301
Un autre épisode de la vie de Vercingétorix
prouve que les Gaulois évoquaient les Esprits
dans les circonstances graves.
A l'extrémité du vieux continent, au point où
finit l'âpre plateau de la Gornouaille bretonne,
de hautes falaises se dressent sous un ciel
chargé de nuées. Les vagues courroucées y
livrent aux rocs gigantesques une bataille éter-
nelle. Rapides, écumantes, semblables à des
murailles liquides, elles accourent du large et
se ruent sur les remparts de granit. Ceux-ci,
rongés par l'action des eaux, sèment la plage
de leurs débris. Au sein des nuits d'hiver, le
roulement des blocs entrechoqués, la clameur
immense de l'Océan se font entendre à plu-
sieurs lieues à l'intérieur des terres. Ils éveillent
dans les cœurs une crainte superstitieuse. A
peu de distance de cette côte sinistre, au mi-
lieu des écueils blancs d'écume, s'étend une
île, jadis parsemée de bosquets de chênes, sous
lesquels s'élevaient des autels de pierre brute.
C'est Sein, antique demeure des druidesses,
Sein, sanctuaire du mystère, que le pied de
l'homme ne souillait jamais. Pourtant, avant de
soulever la Gaule contre César et, dans un su-
prême efîort, tenter de délivrer la patrie du
joug étranger, Vercingétorix s'y rendit, muni
d'un sauf-conduit du chef des druides. Là, au
302 JEANNE d'arc MÉDIUM
milieu des éclats de la foudre, dit la légende,
le génie de la Gaule lui apparut, et lui prédit
sa défaite et son martyre.
Certains faits de la vie du grand chef gaulois ne
s'expliquent que par des inspirations occultes.
Par exemple, sa reddition à César, devant Alé-
sia. Tout autre Celte se serait donné la mort,
plutôt que de se livrer au vainqueur et de ser-
vir de trophée à son triomphe. Vercingétorix
accepte l'humiliation comme une réparation de
fautes graves, commises dans ses vies anté-
rieures et qui lui avaient été révélées.
Tels furent les principes essentiels de la phi-
losophie druidique : en première ligne, Tunité
de Dieu. Le Dieu des Celtes a pour temple l'in-
fini des espaces ou les retraites mystérieuses
des grands bois. Il est, par-dessus tout, force,
vie, amour. Ces espaces sont parsemés de
mondes, étapes des âmes dans leur ascension
vers le bien, à travers des vies toujours renais-
santes, vies de plus en plus belles et heureuses,
suivant les mérites acquis. Une communion
intime relie les vivants de la terre aux défunts,
invisibles mais présents. Cet enseignement dé-
veloppait dans les esprits de hautes notions de
progrès et de liberté. C'est grâce à lui que
le Celte a introduit dans le monde ce goût de
l'idéal, que le Romain, plus attaché aux réalités
JEANNE d'arc ET l'iDÉAL CELTIQUE 30^
positives, ne connut jamais. Le Celte est porté
vers les grandes et généreuses actions. De la
guerre, il aime la gloire et non le profit. Son
âme est magnanime. Il sait pratiquer le renon-
cement, mépriser la peur, défier la mort. De
là, son attitude au sein des combats. « C'est en
costumes étincelants, chevauchant des montures
dignes des dieux, que les chefs de guerre vont
à la mêlée », dit le colonel Biottot (1).
Etudiez bien Jeanne d'Arc et vous retrouverez
en elle tous ces sentiments, tous ces goûts.
Jeanne d'Arc est comme une synthèse de l'âme
celtique et de l'âme française, dans ce qu'elles
ont de plus pur et de plus élevé. C'est pourquoi
son souvenir rayonnera toujours comme une
étoile au firmament assombri de la patrie. A
toutes les heures de détresse nationale, la France
se tournera instinctivement vers elle, comme
vers son palladium vivant et protecteur.
Nouvelle Velléda, dernière fleur éclose parmi
les touffes du gui sacré, Jeanne personnifie le
génie delà Gaule et l'âme de la France.
Toutes les formes, tous les signes caractéris-
tiques des facultés dont les voyants et les drui-
desses étaient doués, se retrouvent en elle ; elle
(1) Colonel Biottot, les Grands Inspirés devant la Science.
Jeanne d'Arc, p. 224.
304 JEANNE d'arc MÉDIUM
est le médium par excellence, et les Esprits
protecteurs de la Gaule, devenue la France, se
sont servis d'elle pour la sauver. Or, pour sau-
ver un peuple^ il faut être du plus pur de sa
substance, se rattacher aux racines vivaces de
ses origines et de toute son histoire. Jeanne
fut cela au degré le plus éminent ; c'est pour-
quoi elle incarne en elle le double génie de la
Gaule celtique et de la France chrétienne.
Une partie de notre race a perdu sa nationa-
lité distincte, pourtant l'âme celtique survit dans
la nation française. Elle en est, disions-nous, la
conscience profonde, et, de même que les puis-
sances accumulées en nous au cours des âges
et endormies sous la chair, ont des réveils écla-
tants, de même l'âme celtique reparaîtra en
une résurrection splendide, pour sauver, non
plus, comme autrefois, la vie matérielle de son
peuple, mais sa vie morale compromise. Elle
viendra réveiller, dans les âmes lassées, l'amour
de la connaissance et la volonté du sacrifice.
Elle nous redira les paroles consacrées, les
appels émouvants, qui faisaient retentir les
grèves sonores et les échos des forêts. Elle
rendra aux esprits hésitants, ballottés sur l'océan
de l'incertitude, la vision des horizons où tout
est calme et splendeur.
Ce qui manquait à la France actuelle, c'était
JEANNE D ARC ET l'idÉAL CELTIQUE 305
la science supérieure des destinées, la divine
espérance, la confiance sereine en l'avenir infini.
Ses éducateurs n'ont pas su lui donner ces
choses essentielles, sans lesquelles il n'est pas
de véritable grandeur, pas de nobles élans de
l'âme. De là vient la stérilité relative de notre
époque, l'absence d'idéal et de génie. Mais voici
le remède.
En même temps que les courants de la démo-
cratie nous ramènent aux traditions politiques
de la Gaule, le spiritualisme expérimental nous
ramène à ses traditions philosophiques. AUan
Kardec, inspiré par les grands Esprits, a res-
tauré sur un plan élargi les croyances de nos
ancêtres. C'est véritablement l'esprit religieux
de la Gaule qui se réveille en ce chef d'école.
Tout en lui, son nom d'emprunt, absolument
celtique, le monument qui, par sa volonté, re-
couvre sa dépouille mortelle, sa vie austère, son
caractère grave, méditatif, son œuvre entière,
rappelle le druide. Allan Kardec, préparé par
ses existences passées à la grande mission qu'il
vient d'accomplir, n'est que la réincarnation
d'un Celte éminent. Lui-même l'affirme par le
message suivant, obtenu en 1909 :
« J'ai été prêtre, directeur des prêtresses de l'île
de Sein, et j'ai vécu sur les bords de la mer furieuse,
306 JEANNE d'arc MÉDIUM
à l'extrême pointe de ce que vous appelez la Bre-
tagne. »
« N'oubliez pas le grand Esprit de vie, celui qui
fait croître le gui sur les chênes, et que consacrent
les antiques pierres de vos aïeux. Je suis heureux de
vous assurer que toujours vos pères ont eu la foi ;
gardez-la comme eux, car Tesprit celtique n'est pas
éteint en France, il a survécu et rendra aux fils la
volonté de croire et de se rapprocher de Dieu. »
« N'oubliez pas vos aimés qui sont autour de vous,
comme les étoiles du ciel que vous ne voyez pas en
plein jour, quoiqu'elles soient toujours là. »
« La puissance divine est infinie ; elle rayonne
jusqu'à vous à travers les brumes de la terre, et vous
en recevez les rayons épandus et affaiblis. »
« Écoutez la voix de votre cœur, quand, devant
l'océan où les vagues furieuses se poursuivent, vous
vous sentez étreintsde frayeur et d'espoir. Elle parle
haut à ceux qui veulent l'entendre. Vous devez la
comprendre, car pour cela vous avez eu tous les
enseignements de la terre réunis. »
« Aimez-nous, nous les anciens hommes de la
terre, nous avons besoin de votre souvenir, mesbien-
aimés. Que vos âmes viennent nous visiter pendant
le sommeil que Dieu vous donne ! »
« Vous voulez savoir qui je suis : je vous dirai
mon nom, mais qu'importent les noms ! Nous avons
laissé sur la terre, avec notre corps, le souvenir des
noms et des choses, pour ne plus nous rappeler que
les volontés de Dieu et les sentiments qui nous
JEANNE d'arc ET l'iDÉAL CELTIQUE 307
portent vers Lui, pour ne plus connaître là-haut que
son amour et sa gloire, car, dans l'infinie lumière,
toute flamme semble s'éteindre : le soleil de Dieu la
rend moins visible et la fond dans un éternel rayon-
nement. »
« La terre n'est qu'un lieu de passage, une forêt
profonde et obscure, où ne résonnent plus qu'assour-
dis les échos de la vie des mondes. »
« Nous serons toujours là, les grands guides qui
conduisent l'humanité soull'rante vers le but inconnu
des hommes, mais que Dieu a fixé ; il brille pour
nous dans la nuit des temps comme une torche lumi-
neuse. »
« Nous attendons le moment où, enfin libérés, vous
pourrez revenir à nous, pour chanter l'hymne éternel
qui glorifie Dieu. »
« Ames de France, vous êtes filles des Gaules. Sou-
venez-vous des croyances de vos ancêtres qui furent
aussi les vôtres. Remontez quelquefois par la pensée
vers les sources salubres de nos origines, vers les
traditions fortes et les hauteurs de notre histoire,
pour y retrouver l'énergie et la foi, pour raviver
votre esprit et réchauffer votre cœur, dans l'air pur
et la beauté des cimes et dans la lumière infinie. »
Allan Kardeg.
XVII. — Jeanne d'Arc et le Spiritualisme
MODERNE. Les Missions de Jeanne.
Quand tout semble obscurci, la foi, les mœurs, les lois,
De Jeanne, à l'horizon, monte la blanche étoile :
Sachons lever vers elle et nos yeux et nos voix.
Paul Allard.
La Gaule ne fut pas le seul théâtre des ma-
nifestations de l'Au-delà. Toute l'antiquité a
connu les phénomènes occultes. Ils formaient
un des principaux éléments des mystères grecs.
Les premiers temps du christianisme sont
remplis de visions, d'apparitions, de voix, de
songes prémonitoires (1). Les initiés et les
croyants puisaient en eux une force morale,
qui communiquait à leur vie une impulsion
incomparable, et leur permettait d'affronter
sans défaillance les épreuves et les supplices.
Depuis les temps les plus reculés, l'humanité
invisible a toujours communiqué avec la nôtre.
Sans cesse un courant de vie spirituelle s'est
(1) Voir: Après la Mort et Chrisîianisme eî Spiritisme, passim.
JEANNE d'arc ET LE SPIRITUALISME 309
répandu sur rhumanité terrestre, par l'inter-
médiaire des prophètes et des médiums. C'est
lui, c'est cet influx vital, venu des sources éter-
nelles, qui a donné naissance aux grandes reli-
gions. Toutes, à leur origine, trempent dans
ces eaux profondes et régénératrices. Aussi
longtemps qu'elles s'y abreuvent, elles gardent
leur jeunesse, leur prestige, leur vitalité. Elles
s'affaiblissent et meurent, dès qu'elles s'en éloi-
gnent et en dédaignent les forces cachées.
C'est ce qui arrive au catholicisme. 11 a mé-
connu, oublié ce grand courant de puissance
spirituelle, qui fécondait l'idée chrétienne à son
berceau. 11 a brûlé par milliers les agents du
monde invisible, rejeté ses enseignements,
étouffé ses voix. Les procès de sorcellerie, les
bûchers de l'Inquisition ont dressé une barrière
entre les deux mondes et suspendu, pendant
des siècles, cette communion spirituelle, qui,
loin d'être un accident, est au contraire une loi
fondamentale de la nature.
Les effets désastreux s'en font sentir autour
de nous. Les religions ne sont plus que des
branches desséchées sur un tronc privé de
sève, parce que ses racines ne plongent plus
aux sources vives. Elles nous parlent encore
de la survivance de l'être et de la vie future,
mais elles sont impuissantes à en fournir la
310 JEANNE d'arc MEDIUM
moindre preuve sensible. Il en est de même
des systèmes philosophiques. Si la foi est
devenue chancelante, si le matérialisme et
l'athéisme ont fait des pas de géant, si le doute,
les passions ardentes, si le suicide exercent
tant de ravages, c'est que les ondes de la vie
supérieure ne rafraîchissent plus la pensée hu-
maine, c'est que l'idée de l'immortalité manque
de démonstration expérimentale. Le dévelop-
pement des études scientifiques et de l'esprit
critique ont rendu l'homme de plus en plus
exigeant. Les affirmations ne lui suffisent plus
aujourd'hui. Ce qu'il réclame, ce sont des
preuves et des faits. ■ ^^^
Considérez de quelle importance serait, à
l'heure présente, une science, une révélation,
basée sur un ensemble de phénomènes et d'ex-
périences, qui nous apporteraient la démons-
tration positive de la survivance et, en même
temps, la preuve que la loi de justice n'est pas
un vain mot, chacun de nous retrouvant dans
l'Au-delà une situation proportionnelle à ses
mérites.
Or, c'est là précisément ce que le spiritua-
lisme moderne vient nous offrir. Il contient les
germes d'une véritable révolution : révolution
dans les idées, les croyances, les opinions et
les mœurs. De là, la nécessité d'étudier ces
JEANNE d'arc ET LE SPIRITUALISME 311
faits, de les classer, de les analyser avec mé-
thode, eux et renseignement qui en découle.
La situation morale des sociétés est devenue
grave et inquiétante. Malgré l'instruction ré-
pandue, la criminalité monte ; vols, meurtres,
suicides se multiplient. Les mœurs se corrom-
pent. La haine, le désenchantement pénètrent
toujours plus avant au cœur de l'homme. L'ho-
rizon est sombre et, dans le lointain, on entend
des grondements sourds qui semblent présager
la tempête sociale. Dans presque toutes les
classes, le sensualisme a envahi les caractères
et les consciences. On a éteint tout idéal dans
l'âme du peuple ; on lui a dit : mange, bois,
enrichis-toi, tout le reste est chimère. 11 n'y a
pas d'autre dieu que l'argent, pas d'autre but
à la vie que les jouissances! — Et les passions,
les appétits, les convoitises se sont déchaînés.
Le flot populaire monte comme une vague im-
mense et menace de tout submerger.
Pourtant, beaucoup de bons esprits réfléchis-
sent et s'attristent. Ils sentent bien que la ma-
tière n'est pas tout. Il y a des heures où l'hu-
manité pleure l'idéal perdu, où elle sentie vide,
l'instabilité des choses terrestres. Elle près-
312 JEANNE d'arc MEDIUM
sent que renseignement donné n'a pas tout dit,
que la vie est plus ample, le monde plus vaste,
l'univers plus merveilleux qu'on ne l'a sup-
posé. L'homme cherche, tâtonne, interroge. 11
cherche non seulement un idéal, mais plutôt
une certitude qui le soutienne, le console au
milieu de ses épreuves, de ses luttes, de ses
souffrances. Il se demande ce qui va succéder
à cette époque de transition qui voit la mort
d'un monde de croyances, de systèmes^ de tra-
ditions, dont la poussière s'éparpille autour de
nous.
Par son obstination à s'enfermer dans le
cercle étroit de ses dogmes, par son refus
d'élargir sa conception de la destinée humaine
et de Tunivers, la religion a éloigné d'elle
l'élite des penseurs et des savants, presque
tous ceux dont l'opinion fait autorité dans le
monde. Et la foule les a suivis. Le regard de
l'humanité s'est tourné vers la science. Depuis
longtemps elle lui demande la solution du pro-
blème de l'existence. Mais la science, celle
d'hier, malgré ses magnifiques conquêtes, était
encore trop imbue des théories positivistes,
pour fournir à l'homme une notion de l'être et
de ses destinées qui exalte ses forces, ré-
chauffe son cœur, lui inspire des chants de foi
et d'amour pour bercer ses petits enfants.
JEANNE d'abc ET LE SPIRITUALISME 313
Or, voici que ce monde invisible, dont Jeanne
fut un des interprètes, ce monde que l'Église
avait combattu, refoulé dans Fombre pendant
des siècles, entre de nouveau en action; il se
manifeste sur tous les points du globe à la fois,
sous des formes sans nombre, et par les
moyens les plus variés (1). Il vient montrer aux
hommes la voie sûre, la voie droite qui doit
les conduire vers les hauts sommets.
En tous milieux, des médiums se révèlent,
des phénomènes troublants se produisent, des
sociétés d'étude et des revues se fondent,
constituant autant de foyers, d'où irradie, de
proche en proche, l'idée nouvelle. Elles sont
déjà assez nombreuses, ces sociétés, pour for-
mer un réseau qui enveloppe toute la planète.
Et par elles, depuis cinquante ans, on a pu
voir germer d'abord, se préparer, s'accentuer,
grandir ensuite, le travail sourd, obscur, de la
floraison du siècle qui va venir. C'est là ce
que nous appelons le nouveau spiritualisme,
le spiritualisme moderne, non pas une reli-
gion dans le sens étroit du mot, mais plutôt
une science, une synthèse, un couronnement
de tous les travaux, de toutes les conquêtes de
la pensée, une révélation qui entraîne Fhuma-
(1) Voir : Dans l'Invisible ; Spiritisme et Médiumnilé.
18
314 JEANNE d'arc MEDIUM
nité hors des sentiers et des voies, qu'elle a
parcourus jusqu'ici, agrandit ses horizons et la
fait participer à la vie des larges espaces, à la
vie universelle, infinie.
Le spiritualisme moderne, c'est l'étude de
l'homme, non pas dans sa forme corporelle et
fugitive, mais dans son esprit, dans sa réalité
impérissable, et son évolution à travers les
âges et les mondes. C'est l'étude des phéno-
mènes de la pensée transcendantale et de la
conscience profonde, la solution des questions
de responsabilité, de liberté, de justice, de de-
voir, de tous les problèmes de la vie et de la
mort, de l'en-deçà et de l'Au-delà. C'est l'appli-
cation de ces problèmes au progrès moral, au
bien de tous, à l'harmonie sociale.
La vie matérielle n'est qu'un passage, notre
existence présente, un instant dans la durée,
notre demeure, un point dans l'immensité.
L'homme est un atome pensant et conscient sur
le globe qui l'emporte, et ce globe n'est lui-
même qu'un atome, roulant dans l'univers sans
bornes. Mais notre avenir est infini comme
l'univers, et les mondes qui brillent la nuit sur
nos .têtes sont notre héritage.
Le spiritualisme moderne nous apprend à
sortir du cercle restreint de nos occupations
quotidiennes, et à embrasser le vaste champ de
JEANxNE d'arc ET LE SPIRITUALISME 315
travail, d'activité, d'élévation qui nous est ou-
vert. La grande énigme se dissipe, le plan di-
vin se révèle. La nature prend un sens ; elle
devient à nos yeux l'échelle grandiose de l'évo-
lution, le théâtre des efforts de l'âme pour se
dégager de la matière, de la vie inférieure, et
monter \ers la lumière.
Une communion d'harmonie relie les êtres à
tous les degrés de l'immense échelle d'ascen-
sion, et sur tous les plans de la vie. L'homme
n'est jamais seul, quand il lutte et souffre pour
le bien et la vérité. Une foule invisible l'assiste
et l'inspire, comme elle assistait Jeanne et les
vaillants qui combattaient sous ses ordres.
Cette solidarité se fait sentir puissamment au
temps présent. Aux heures de crise, quand les
âmes s'abandonnent, quand l'humanité hésite
sur la route ardue, le monde invisible inter-
vient. Les Esprits célestes, les messagers de
l'espace, se mettent à l'œuvre ; ils stimulent la
marche des événements et celle des idées. Pré-
sentement, ils travaillent à rétablir le lien brisé
qui unissait deux humanités. Eux-mêmes nous
le disent en ces termes (1) :
« Écoutez nos voix, vous qui cherchez et pleurez !
(1) Communication obtenue au Mans, en juin 1909. Médium :
Mlle L.
316 JEANNE D ARC MEDIUM
Vous n'êtes pas abandonnés! Nous avons souffert
pour établir une communication entre votre monde
oublieux et notre monde de souvenir. Nous avons
établi un lien d'abord fragile, mais qui deviendra
puissant : la médiumnité. Désormais, elle ne sera
plus méprisée, honnie, persécutée, et les hommes ne
pourront plus la méconnaître. Elle est le seul inter-
médiaire possible entre les vivants et les morts, et
ceux-ci ne laisseront pas refermer l'issue qu'ils
avaient ouverte, afin que l'homme inquiet puisse
apprendre à lutter, à la lueur des célestes clartés. »
Jean, disciple de Paul.
Elle vient à son heure, la nouvelle révéla-
tion, et elle revêt le caractère qu'exige l'esprit
du temps : le caractère scientifique et philoso-
phique. Elle ne vient pas détruire, mais édifier.
L'enseignement du monde invisible va illumi-
ner à la fois les profondeurs du passé et celles
de l'avenir ; il fera surgir de la poussière des
siècles les croyances endormies, il les fera re-
vivre en les complétant, en les fécondant. Aux
sombres paroles de l'Eglise romaine, paroles
de crainte et de condamnation, disant : « Il faut
mourir I » il vient substituer ces paroles de
vie: « Il faut renaître! » Au lieu des terreurs
inspirées par l'idée du néant ou l'épouvante de
l'enfer, il nous donne la joie de l'âme, épa-
nouie dans la vie immense, radieuse, solidaire,
JEANNE d'arc ET LE SPIRITUALISME 317
infinie. A tous les désespérés de la terre, aux
faibles, aux désenchantés, il vient offrir la coupe
des forts, le vin généreux de l'espérance et de
l'immortalité.
Revenons à Jeanne d'Arc. Il semble, à pre-
mière vue^ que les développements auxquels
nous venons de nous livrer, nous aient éloignés
de notre sujet. 11 n'en est rien. Ces considéra-
tions feront mieux comprendre le rôle et les
missions de Jeanne. Nous disons missions, car
son œuvre actuelle, quoique moins apparente,
a autant d^importance que celle du quinzième
siècle. Parlons d'abord de celle-ci :
Qu'était Jeanne, en réalité, lorsqu'elle appa-
rut sur la grande scène de l'histoire? Jeanne
était un messager céleste et, suivant l'expres-
sion d'Henri Martin, un « messie ». Comment
définirons-nous ces termes ? Laissons ce soin
aux Esprits eux-mêmes. Voici ce que nous di-
sait, par l'incorporation, un de nos guides :
« Lorsque les hommes sont oublieux du devoir,
Dieu leur envoie un messager, un aide, pour l'ac-
complissement plus facile, mais aussi plus actif de
leur tâche. Ce sont ceux-là que vous pouvez appeler
les messies. Ils ont, à l'heure grave où les âmes s'ou-
blient dans la lâcheté, montré de leur voix inspirée,
18.
318 JEANNE d'arc MEDIUM
la vérité appelant les hommes. Remarquez, en effet,
qu'ils apparaissent toujours aux heures de crises,
lorsque tout semble s'écrouler sous la lutte ardente
des intérêts et des passions. Ils font un peu comme
le vent du soir, qui vient pacifier les vagues houleuses
et révoltées, pendant la tourmente de la journée.
Paix à vous qui cherchez votre voie, vous qui n'avez
plus assez de force pour aller à votre Seigneur. De-
mandez et il vous sera accordé l'aide divine, ainsi
que notre Maître vous Ta promis. Mais ne repoussez
pas le messager ; sachez le comprendre ; respectez
sa pensée et son âme : il est l'envoyé de Dieu, son
être est revêtu de la lumière de sa vérité, aussi vous
lui devez votre reconnaissance. »
« Les peuples ne savent pas toujours découvrir au
front de ces êtres supérieurs l'éclat surhumain et
charitable, dont rayonne leur âme. Ils se rendent
compte que les messies sont autres que les hommes
de la chair, mais ils ne comprennent pas, et c'est
pourquoi, toujours, vous verrez l'envoyé du Seigneur
clôturer son enseignement suprême, en signant son
œuvre de la suprême douleur. Cherchez et vous ver-
rez que tous ceux que l'humanité a enfin honorés,
sont morts oubliés, ou plutôt trahis et sacrifiés.
C'est que leur enseignement devait montrer aussi la
grandeur de la douleur, et leur dernier mot, que vous
retrouvez sur les lèvres du Maître et de tous les
grands suppliciés, a été : « Pardonnez à ceux qui
«ignorent!» La souffrance est encore un acte
d'amour. »
Jean, disciple de PauL
JEANNE d'arc ET LE SPIRITUALISME 319
Jeanne est un de ces messies, envoyés pour
sauver un peuple qui agonise et que, pour-
tant, de grandes destinées attendent. La France
était appelée à jouer un rôle considérable dans
le monde. Son histoire Ta prouvé. Elle avait
pour cela les qualités nécessaires. Certes, on
peut dire que, parmi les autres nations, il en
est de plus sérieuses, de plus réfléchies, de
plus pratiques, aucune cependant ne possède ces
élans du cœur, cette générosité un peu aventu-
reuse qui a fait de la France l'apôtre, le soldat
de la justice et de la liberté dans le monde.
Toutefois, ce rôle auquel elle était prédestinée,
la France ne pouvait l'accomplir qu'à la condi-
tion de rester libre et, cependant, ses fautes
l'avaient conduite à deux doigts de sa perte. On
croyait, lorsque Jeanne apparut, on disait déjà
dans toute l'Europe, que la mission de la France,
de ce grand peuple qui s'était illustré par tant
de hauts faits, était finie. C'était elle surtout
qui avait enfanté la chevalerie, suscité les croi-
sades, fondé les arts du moyen âge. Elle avait
été l'initiatrice du progrès en Occident. Et
voilà que toutes les ressources humaines étaient
devenues impuissantes à sauver notre pays.
Mais, ce que les hommes ne peuvent plus faire,
un esprit supérieur va l'accomplir, avec le se-
cours du monde invisible.
320 JEANNE d'arc MEDIUM
Ici, une question se pose. Pourquoi Dieu a-
t-il choisi la main d'une femme pour arracher
la France au tombeau? Est-ce, comme l'a pensé
Michelet, parce que la France est femme, femme
par le cœur ? Serait-ce, comme Font dit d'autres
écrivains, parce que la femme est supérieure à
l'homme par les sentiments, la pitié, la ten-
dresse, Penthousiasme ? Oui, sans doute, et
c'est là le secret du dévouement de la femme,
de son esprit de sacrifice.
Au quinzième siècle, dit Henri Martin, toutes
les énergies du sexe fort, du sexe fait pour la
vie extérieure, pour l'action, sont épuisées. La
dernière réserve de la France est dans la
femme, soutenue par la puissance divine. C'est
pourquoi le ciel nous délègue celle que ses voix
nomment « la fille de Dieu ».
Mais, à ce choix, il y a une raison plus haute.
Si Dieu, se jouant par là de la faiblesse des
forts et de la prudence des sages, a voulu sau-
ver la France par la main d'une femme, d'une
jeune fille, presque une enfant, c'est surtout
afin que, comparant la débilité de l'instrument
à la grandeur du résultat, l'homme ne doute
plus ; c'est afin qu'il voie clairement, dans cette
œuvre de salut, l'action d'une volonté supé-
rieure, l'intervention de la puissance éternelle.
On nous demandera sans doute: Si Jeanne
JEANNE d'arc ET LE SPIRITUALISME 321
est une envoyée du ciel, si sa mission est pro-
videntielle, pourquoi tant de vicissitudes, de
difficultés dans l'œuvre de délivrance? Pour-
quoi ces hésitations, ces intrigues sourdes, ces
défaillances, ces trahisons autour d'elle? Quand
le ciel intervient, quand Dieu envoie ses mes-
sies sur la terre, peut-il y avoir des résistances,
des obstacles à leur action ?
Nous touchons ici au grand problème. Avant
tout, il faut se pénétrer d'une chose : c'est que
rhomme est libre, l'humanité est libre et res-
ponsable. Pas de responsabilité sans la liberté.
L'humanité, libre, subit les conséquences de
ses actes à travers les temps. Nous l'avons vu :
ce sont les mêmes êtres qui reviennent de
siècle en siècle, dansThistoire, recueillir, dans
une vie nouvelle, les fruits doux ou amers, fruits
de joie ou de douleur, qu'ils ont semés dans
leurs vies précédentes. L'oubli de leur passé
n'est que temporaire et ne prouve rien contre
la loi. L'humanité est libre, mais la liberté sans
la sagesse, sans la raison, sans la lumière, la
liberté peut la conduire aux abîmes. L'aveugle
est libre, lui aussi, et cependant, sans guide,
à quoi lui sert sa liberté ? C'est pourquoi l'hu-
manité a besoin d'être soutenue, guidée, pro-
tégée, inspirée dans une certaine mesure par
la Providence. Mais il faut que cet appui ne
322 JEANNE D ARC MEDIUM
soit pas trop ostensible, car, si la puissance su-
périeure s'impose ouvertement, elle se change
en contrainte ; elle amoindrit, annihile la li-
berté humaine; l'homme perd le mérite de son
initiative; il ne s'élève plus par ses propres
efforts ; le but divin est manqué, l'œuvre de
progrès est compromise. De là, les difficultés
de l'intervention aux heures troublées. Que
fera donc l'envoyé d'en haut, le ministre des
volontés éternelles? Une s'imposera pas, il s'of-
frira; il ne commandera pas, il inspirera; et l'in-
dividu, la collectivité, l'humanité entière res-
teront libres de leurs déterminations.
Ainsi s'expliquent la mission de Jeanne, ses
triomphes et ses revers, sa gloire et son mar-
tyre. Et de même, s'explique la loi des influen-
ces spirituelles dans l'humanité. La puissance
que Dieu envoie n'agit dans le monde, que dans
la mesure où elle est acceptée par le monde. Si
elle est accueillie, obéie, soutenue, elle devient
active, fécondante, réformatrice. Si elle est re-
poussée, elle reste impuissante. L'envoyé, le
messie, s'éloigne de la terre.
L'humanité est en marche à travers les siè-
cles, pour conquérir elle-même les biens su-
prêmes : la vérité, la justice, l'amour. Ces
biens, elle doit les atteindre par ses libres ef-
forts. C'est la loi de sa destinée, la raison même
JEANNE d'arc ET LE SPIRITUALISME 323
de son existence. Mais, aux heures de trouble,
de péril, de recul, à l'humanité qui s'égare,
s'oublie, se perd, le ciel envoie ses mission-
naires.
Jeanne est de ceux-ci. Gomme presque tous
les messagers divins, elle est descendue parmi
les plus pauvres et les plus obscurs. Son enfance
a cela de commun avec l'enfance du Christ.
C'est une loi de l'histoire et une leçon de Dieu ;
ce qu'il y a de plus grand vient de plus bas. Le
Christ fut l'enfant d'un humble charpentier ;
Jeanne d'Arc une fille des campagnes, issue
du pauvre peuple de France. Ces deux messies
n'ont choisi ici-bas ni la science, ni la richesse.
Qu'en auraient-ils fait? Les fils de la terre ont
besoin de la puissance matérielle ou scientifique,
pour accomplir de grandes choses. Ces messies
n'en avaient que faire. Ils possédaient la force
par excellence. Nés et restés humbles, ils n'en
étaient pas moins supérieurs aux plus nobles,
aux plus savants.
Jeanne avait à remplir une double mission,
qu'elle poursuit encore aujourd'hui sur le plan
spirituel. A la France, elle apportait le salut; à
la terre entière, elle apporte la révélation du
monde invisible et des forces qu'il contient;
elle apporte l'enseignement, les paroles de vie
qui doivent retentir à travers les siècles.
324 JEANNE d'arc MÉDIUM
Cet enseignement, au moyen âge, l'humanité
n'était ni apte à le comprendre, ni capable de
rappliquer. Il a fallu, pour rendre cette révéla-
tion possible et profitable, plus de quatre siè-
cles de travail et de progrès. C'est pourquoi la
Volonté suprême a permis que Tombre envelop-
pât pendant quatre cents ans la mémoire de
Jeanne, et qu'un réveil éclatant se fît. Aujour-
d'hui, cette grande figure se dégage, resplen-
dissante, de l'obscurité des temps. La pensée
humaine va pénétrer ce problème, et plonger
dans ce monde des Esprits, dont la vie et la
mission de Jeanne, dont sa communion constante
avec l'Au-delà sont une des affirmations, un de&
témoignages les plus éloquents de l'histoire.
Jeanne avait ses protecteurs, ses guides in-
visibles; or, il est bon de le faire remarquer :
dans un ordre moins élevé, il en est de
même de chacun de nous. Tout être humain a,
près de lui, un ami invisible qui le soutient, le
conseille, le dirige dans le bon chemin, s'iL
consent à suivre son inspiration. Le plus sou-
vent, ce sont ceux que nous avons aimés sur la
terre : un père, une mère disparus, une épouse,
décédée prématurément. Plusieurs êtres veil-
JEANNE D ARC ET LE SPIRITUALISME 325
lent sur nous et s'efforcent de réagir contre les
instincts, les passions, les influences qui nous
poussent au mal. Et que ce soient là nos gé-
nies familiers, comme les appelaient les Grecs,
ou bien les anges gardiens du catholicisme,
peu importe le nom qu'on leur attribue. En
réalité, tous, nous avons nos guides, nos inspi-
rateurs occultes; tous, nous avons nos voix.
Mais, tandis que, pour Jeanne, ces voix étaient
extérieures, objectives, perçues par les sens,
chez la plupart d'entre nous, elles sont inté-
rieures, intuitives et ne retentissent que dans
le domaine de la conscience.
N'en est-il pas parmi vous, lecteurs, qui les
aient entendues, ces voix ? Elles parlent dans
le silence et le recueillement ; elles disent les
luttes à poursuivre, les efforts à faire pour nous
élever en élevant les autres. Bien certaine-
ment, tous, vous l'avez entendue, la voix qui,
dans le sanctuaire de l'âme, nous exhorte au
devoir et au sacrifice. Et quand vous voudrez
l'entendre de nouveau, recueillez-vous, élevez
vos pensées. Demandez et vous recevrez. Faites
appel aux forces divines. Cherchez, étudiez,
méditez, afin d'être initiés aux grands mystè-
res, et, peu à peu, vous sentirez s'éveiller en
vous des puissances nouvelles ; une lumière
inconnue descendra à flots dans votre être ; en
19
k
32G JEANNE d'arc médium
VOUS s'épanouira la fleur délicieuse de l'espé-
rance, et vous serez pénétrés de cette énergie
que donnent la certitude de l'Au-delà, la con-«
fiance en la justice éternelle. Alors, tout vous
deviendra plus facile. Votre pensée, au lieu de
se traîner péniblement dans le dédale obscur
des doutes et des contradictions terrestres,
prendra son essor; elle sera vivifiée, illuminée
par les inspirations d'en haut.
11 faut se rappeler qu'en chacun de nous dor-
ment inutiles, improductives, des richesses infi-
nies. De là, notre indigence apparente, notre
tristesse et, parfois même, le dégoût de la vie.
Mais, ouvrez votre cœur, laissez-y descendre le
rayon, le souffle régénérateur, et alors une vie
plus intense et plus belle s'éveillera en vous.
Vous prendrez goût à mille choses qui vous
étaient indifl'érentes, et qui feront le charme de
vos jours. Vous vous sentirez grandir ; vous
marcherez dans l'existence d'un pas plus ferme,
plus sûr, et votre âme deviendra comme un
temple rempli de lumière, de splendeur et
d'harmonie.
Jeanne d'Arc, avons-nous dit, était la messa-
gère du monde des Esprits, un des médiums de
JEANNE d'arc ET LE SPIRITUALISME 327
Dieu. Les facultés qu'elle possédait ne se re-
trouvent que de loin en loin, à un degré aussi
éminent, et l'on peut dire qu'elle a réalisé dans
notre histoire l'idéal de la médiumnité. Pour-
tant, ce qu'elle possédait à titre exceptionnel^
peut devenir le partage d'un grand nombre.
Nous avons déjà cité ailleurs ces prophétiques,
paroles : « Quand les temps seront venus, je
répandrai mon esprit sur toute chair : vos
jeunes gens auront des visions et vos vieillards
auront des songes (1). »
Tout semble indiquer que ces temps sont
proches. Cette parole se vérifie peu à peu au-
tour de nous. Ce qui a été, dans le passé, le
privilège de quelques-uns, tend à devenir le
bien de tous. Déjà, partout, au sein du peuple,
il y a des missionnaires ignorés; partout il y a
des signes, des indications qui annoncent des
temps nouveaux. Avant peu, tout ce qui fait la
grandeur et la beauté du génie humain, toutes
les gloires de la civilisation, tout sera renou-
velé, fécondé par cette source immense d'ins-
pirations, qui viendra ouvrir à l'esprit de
l'homme un domaine, un champ sans bornes^ où
s'élèveront des œuvres qui éclipseront toutes
les merveilles du passé. Tous les arts, les phi-
(1) Actes, II, 17.
328 JEANNE d'arc MÉDIUM
losophies, lettres, sciences, niusique, poésie,
tout s'abreuvera à ces sources intarissables,
tout se transformera sous le souffle puissant de
rinfini.
La mission du nouveau spiritualisme, comme
celle de Jeanne, est une mission de lutte, tra-
versée par de dures épreuves. Elle est marquée
par des indices, des présages, et porte Fem-
preinte du sceau divin. Son rôle est de com-
battre, de chasser l'ennemi, et l'ennemi, au-
jourd'hui, c'est le néantisme, le pessimisme,
c'est cette philosophie froide et sombre, qui
ne sait faire que des jouisseurs ou des déses-
pérés.
Tout d'abord, il lui faudra parcourir la voie
douloureuse. C'est le sort réservé à toute idée
nouvelle. En ce moment, l'heure de son pro-
cès a sonné. Gomme Jeanne devant ses exami-
nateurs de Poitiers, la nouvelle révélation se
tient debout devant les croyances et les systèmes
du passé, devant les théologiens, les représen-
tants de la science étroite et de la lettre. En
face d'elle se dressent toutes les autorités, les
mandataires de l'idée vieillie ou incomplète, de
l'idée devenue insuffisante et qui doit céder le
pas au verbe nouveau, réclamant sa place dans
le monde, au grand soleil de la vie.
A l'heure présente, ce procès solennel se
JEANNE d'arc ET LE SPIRITUALISME 329
déroule à la face de l'humanité, spectatrice in-
téressée et dont l'avenir même est en question.
Quel sera le résultat, le jugement ? Aucun
doute n'est possible. Entre l'idée jeune et fé-
conde, pleine de vie, qui monte et s'avance, et
la vieillesse, décrépite, afFaiblie, qui descend
et s'affaisse, comment hésiter ? L'humanité a
besoin de vivre, de prospérer, de grandir, et ce
n'est pas dans les ruines, qu'elle trouvera un
asile pour sa raison et son cœur.
Le nouveau spiritualisme est debout devant
le tribunal de lopinion. Il s'adresse aux Églises
et aux puissances terrestres, et leur dit : « Vous
possédez tous les moyens d'action que pro-
cure une autorité séculaire, et vous ne pou-
vez rien contre le matérialisme et le pessimisme,
contre le crime et l'immoralité, qui s'étendent
comme une plaie immense. Vous êtes impuis-
santes à sauver l'humanité en péril. Ne restez
donc pas insensibles aux appels de l'esprit
nouveau, car il vous apporte, avec la vérité et
la vie, les ressources nécessaires pour relever,
régénérer la société. Faites appel à ce qu'il y a
de grand et de beau dans l'âme de l'homme, et,
avec moi, dites-lui :
« Prends ton essor, élève-toi, âme humaine î
Avance dans le sentiment de la force qui te
soutient ; avance avec confiance vers ton ma-
330 JEANNE d'arc MÉDIUM
gnifîque avenir. Les puissances infinies t'assis-
tent; la nature s'associe à ton œuvre ; les astres,
dans leur course, éclairent ta marche !
« Va, âme humaine, forte du secovirs qui
t'appuie ! Va, comme la Jeanne des batailles, à
travers le monde de la matière et les luttes des
passions ; à ta voix, les sociétés se transfor-
meront, les formes vieillies disparaîtront, pour
faire place à des formes nouvelles, à des orga-
nisations plus jeunes, plus riches de lumière et
de vie. »
Quant à Jeanne, nous l'avons vu, son in-
fluence, son action ont persisté dans le monde
après son départ. C'est par elles, d'abord, que
la France a été délivrée des Anglais, non pas
en une seule campagne, non pas par une pous-
sée semblable à celle des vagues de l'Océan,
balayant le sable des grèves, comme cela au-
rait eu lieu si les hommes avaient eu autant
de confiance et de foi qu'elle-même, mais à tra-
vers des vicissitudes nombreuses, des alterna-
tives de succès et de revers. L'âme de Jeanne,
si pleine d'amour et de volonté pour le bien, de
dévouement pour son pays, une telle âme ne
pouvait s'immobiliser dans la béatitude céleste.
A l'heure présente, elle revient vers nous avec
une autre mission, pour accomplir dans un do-
maine plus vaste, sur le plan spirituel et moral,
JEANNE d'arc et le SPIRITUALISME 331
ce qu'elle a fait pour la France au point de vue
matériel. Elle soutient, elle inspire les servi-
teurs, les porte-paroles de la foi nouvelle, tous
ceux qui ont au cœur une confiance inébran-
lable en l'avenir.
Sachez-le : une révolution plus grande que
toutes celles qui se sont accomplies dans le
monde, est commencée, révolution pacifique et
régénératrice ; elle arrachera les sociétés hu-
maines aux routines et aux ornières, et élèvera
le regard de Fhomme vers les destinées splen-
dides qui l'attendent.
Les grandes âmes qui ont vécu ici-bas repa-
raissent ; leurs voix retentissent ; elles exhor-
tent l'homme à se hâter dans sa marche. Et
Pâme de Jeanne est une des plus puissantes,
dans la foule de celles qui agissent sur le
monde, qui travaillent à préparer une ère nou-
velle pour l'humanité. C'est pour cela que la
vérité s'est faite à cette heure précise, sur le
caractère de Jeanne et sur sa mission. Et par
elle, par son appui, avec l'aide des grands
Esprits qui ont aimé, servi la France et Thuma-
nité, les espérances de ceux qui veulent le
bien et cherchent la justice s'accompliront.
La légion radieuse de ces Esprits, dont les
noms marquent, comme des foyers <ie lumière,
les étapes de l'histoire, les grands initiés du
332 JEANNE d'arc MÉDIUM
passé, les prophètes de tous les peuples, les
messagers de vérité, tous ceux qui ont fait
l'humanité avec des siècles de travail, de médi-
tation, de sacrifice : tous sont à l'œuvre. Et au-
dessus d'eux, Jeanne elle-même, Jeanne nous
conviant au labeur, à l'effort. Tous nous crient :
« Debout ! non plus pour le choc des épées,
mais pour les luttes fécondes de la pensée. De-
bout! pour la lutte contre une invasion plus
redoutable que celle de l'étranger, la lutte
contre le matérialisme, le sensualisme et toutes
leurs conséquences: l'abus des jouissances, la
ruine de tout idéal; contre tout ce qui, lente-
ment, nous déprime, nous énerve, nous affai-
blit, nous prépare à rabaissement, à la chute.
Debout ! travaillez et luttez pour le salut intel-
lectuel et le relèvement de notre race et de
l'humanité ! »
La grande âme, dont ce livre évoque le sou-
venir poignant et glorieux, plane au-dessus de
nous. En bien des circonstances, elle a pu se
faire entendre et dire ce qu'elle pensait du
mouvement d'idées qui se porte vers elle, de
tant d'appréciations diverses et contradictoires
sur son rôle, et sur la nature des forces qui la
JEANNE d'arc ET LE SPIRITUALISME 333
soutenaient. Cédant à notre prière, elle a con-
senti à résumer toute sa pensée dans un mes-
sage, que nous nous faisons un devoir de repro-
duire avec une fidélité scrupuleuse, comme la
plus belle conclusion que nous puissions don-
ner à ce chapitre.
Ce message porte en lui-même toutes les ga-
ranties d'authenticité désirables. L'Esprit qui
Ta dicté, a choisi pour interprète un médium
ayant vécu au quinzième siècle, et conservant,
dans son moi profond, des souvenirs, des rémi-
niscences de cette époque. C'est ce qui lui a
permis de donner à son langage, dans une cer-
taine mesure, les formes du temps (1).
Message de .Jeanne, 15 juillet 1909.
« Doulce m'est la communion avec ceux qui,
comme moi, aiment notre Seigneur et Père —
et point ne m'est dolente la vision du passé,
car elle me rapproche de vous, et la souvenance
de mes communications avec les morts et les
saints, me fait la sœur et l'amie de tous ceux à
qui Dieu dévolut la faveur de connaître le se-
cret de la vie et de la mort. »
(1) On m'objectera peut-être que Jeanne ne savait ni lire
ni écrire. Je répondrai qu'après sa mort tragique, à son
retour dans l'espace, elle a retrouvé toutes ses connais-
sances antérieures.
19.
334 JEANNE d'arc MEDIUM
« Je rendrai grâces à Dieu de me permettre
de vous donner ma créance et ma foi, et de pou-
voir encore dire à ceulx qui savent un peu, que
les vies que le Seigneur nous donne doivent
«tre utilisées saintement, pour être en sa
grâce. Pour nous, toute vie doit être doulce qui
nous permet de faire la tasche assignée par le
tout puissant Juge et Père, et nous devons bé-
nir ce que nous recevons de sa main. »
« Il a choisi toujours les faibles pour réali-
ser ses voies, car il sait donner la force à
l'agneau, ainsi qu'il l'a promis, mais il ne doit
pas aller avec les loups, et l'âme éprise de foi
doit se garer des embûches, et souffrir avec pa-
tience toutes épreuves et châtiments qu'il plaît
^u Seigneur de donner. »
« Il nous apporte sa vérité sous les formes les
plus changeantes, mais tous ne pénètrent point
sa volonté. Soumise à ses lois et cherchant à
les respecter, j'ai cru plus tôt que je n'ai com-
pris. Je savais que de sidoulx conseils ne pou-
vaient être l'œuvre de l'ennemi, et le réconfort
qu'ils m'ont toujours donné, a été pour moi un
soutien et la plus doulce des satisfactions. Ja-
mais ne sus quelle était la volonté lointaine du
Seigneur. Il me cacha par ses envoyés la fin
douloureuse que je fis, ayant pitié de ma fai-
blesse et de ma peur de la souffrance; mais.
JEANNE d'arc ET LE SPIRITUALISME 335
quand l'heure vint, j'eus, par eux, toute force
et tout courage. »
« Il m'est plus doulx et précieux de revenir
aux heures où j'entendis premièrement mes
voix. Je ne peux dire que je craignis. Je fus
grandement étonnée et même un peu surprise,
de me voir l'objet de la myséricorde divine. Je
sentis subitement, sans que les paroles encore
me fussent advenues, qu'ils étaient les servi-
teurs de Dieu, et je sentis grande doulceur en
mon cœur qui s'apaisa enfin, lorsque la voix du
saint résonna à mon oreille. Vous dire ce qui
était alors en moi, point n'est possible, car je
ne saurais vous dire ma joie paisible et si
grande, mais j'éprouvai si grande paix, qu'à leur
départ je me sentis l'orpheline de Dieu et du
ciel. Je comprenais un peu que leur volonté de-
vait être la mienne, mais si je souhaitais grande-
ment leur visite, je m'étonnai de leurs ordres et
craignais un peu de voir leur désir s'accomplir.
Il me semblait une belle œuvre, certes, de de-
venir la sauvegarde de notre France, mais une
fille ne va point parmi les hommes d'armes. En-
fin, dans leur habituelle et doulce compagnie,
je vins à avoir plus de confiance en moi-même,
et l'amour que toujours j'avais porté à Dieu me
dicta ma conduite, car il n'est poiM séant de se
rebeller contre la volonté d'un père. »
336 JEANNE d'arc MEDIUM
« Cela fut pénible et aussi pour moi une joie
d'obéir, et je fis premièrement enfin la volonté
de Dieu. De cette obéissance, je suis heureuse,
et en cela aussi je trouve une raison de faire ce
que Dieu veult, de pardonner à ceux qui furent
l'instrument de ma mort, car je crois qu'ils
n'avaient point de haine pour mon âme en lui
donnant sa liberté, mais surtout pour l'œuvre
que j'accomplis. »
« Cette tasche avait été bénie de Dieu, aussi
étaient-ils grandement coupables; mais, comme
eux, je n'ai nulle haine pour leurs âmes. Je
suis ennemie de tout ce que Dieu réprouve, de
la faute et de la méchanceté. C'est leur œuvre
qui est hors la grâce ; ils y retourneront tou-
jours, mais le souvenir de leur passé, point ne
s'effacera en eux. Je pleure sur la haine qu'ils
ont laissée parmi leurs frères, sur la mauvaise
graine qu'ils ont semée parmi l'Eglise, et qui
apporta, à cette mère que tant j'ai chérie, plus
de recherche de la foi que d'amour du pardon.
Il m'est doulx pourtant de les voir s'amender et
déclarer un peu leur erreur ; mais ce ne fut
nullement comme j'aurais souhaité, et mon af-
fection pour l'Église se détachera de plus en
plus de cette ancienne rectrice des âmes, pour
ne plus se donner qu'à notre doulx et gracieux
Seigneur. » Jehanne.
XVIII. — Portrait et Caractère
DE Jeanne d'Arc.
Vive labeur!
Jehanne.
Il n'est pas de sujet qui ait excité au même
point que la personne de Jeanne, l'émulation de
nos poètes, de nos artistes, de nos orateurs. La
poésie, la musique et l'éloquence rivalisent
d'éclat et s'exaltent en la chantant. La peinture
et la statuaire font appel à l'inspiration et s'ef-
forcent, sans y réussir, de fixer son image. De
toutes parts, le marbre et le bronze cherchent
à reproduire ses traits, et, un jour, sa statue
s'élèvera dans toutes les villes de notre France.
Mais hélas, dans la multitude de ces reproduc-
tions fantaisistes, que d'œuvres médiocres ou
franchement mauvaises !
En réalité, nous ne possédons aucun portrait
authentique de Jeanne. Parmi les œuvres mo-
dernes, la physionomie qui paraît la plus res-
semblante, est celle que lui a prêtée le sculp-
teur Barrias, dans le monument de Bon-Se-
338 JEANNE d'arc MEDIUM m
1
cours, à Rouen. C'est du moins ce qu'affirment
les voyants à qui elle est apparue. Les grands
artistes ont parfois des intuitions sûres ; ils
perçoivent des lueurs de la vérité et, à ce point
de vue, eux aussi sont médiums.
Jeanne s'est rendue visible à plusieurs repri-
ses, en des circonstances qui ne permettent pas
de douter du phénomène. 11 est vrai que, dans
cet ordre de manifestations, les erreurs et les su-
percheries abondent. On pourrait citer de nom-
breux cas imaginaires ou frauduleux, où on la fait
intervenir indûment. Il n'est pas de personna-
lité psychique dont on ait plus abusé. Dans les
exhibitions de tel simulateur célèbre, il y avait
aussi une Jeanne d'Arc. Elle avait l'accent
anglais, celui de l'opérateur, et se livrait à des
démonstrations excentriques. En réalité, ses
manifestations sont rares. Nous en connaissons
pourtant de bien authentiques. Nous les avons •
signalées. Ajoutons que, dans certains phéno-
mènes d'incorporation, elle se révèle avec une
puissance, une grandeur impressionnantes. Je
la vois encore envahir brusquement le corps de
son médium favori, au milieu d'une discussion
politique, se dresser d'un mouvement plein de
majesté, avec un geste d'autorité et un éclair
dans le regard, pour protester contre les théo-
ries des sans-patrie et des sans-Dieu, Elle n'est
PORTRAIT ET CARACTÈRE DE JEANNE d'aRC 339
pas moins véhémente dans les discussions reli-
gieuses. A certain ecclésiastique, assistant par
exception à nos séances, elle disait : « Ne par-
lez jamais de peines éternelles ! Vous faites de
Dieu un bourreau. Dieu est amour ; il ne peut
infliger des souffrances sans utilité, sans pro-
fit. En parlant ainsi, vous éloignez l'homme de
Dieu ! ))
Quand elle intervient, la voix du médium est
généralement d'une suave douceur ; elle a des
inflexions mélodieuses qui pénètrent, émeuvent
les plus insensibles. La manifestation est si
impressionnante, qu'on éprouve comme un désir
de s'agenouiller. Au moment de paraître dans
les séances, Jeanne est annoncée par une har-
monie qui n'a rien de terrestre, et que, seuls, les
médiums perçoivent. Une grande lumière se
fait et, pour eux, elle devient visible. Il y a, sur
son front et dans ses paroles, comme un reflet
divin, et des battements d'ailes dans l'air qui
l'entoure. Nul ne peut résister à son influence.
C'est bien réellement la « fille de Dieu ». Elle
n'est pas la seule. Il existe bien haut, au-dessus
de nous, une région supérieure et pure, où
s'épanouit toute une création angélique que les
hommes ignorent. De là viennent les messies,
les agents divins à qui incombent les missions
douloureuses. Ils s'incarnent sur les mondes
340 JEANNE d'arc MEDIUM
de la matière et se mêlent souvent à nous, pour
donner aux fils de la terre l'exemple de l'amour
et du sacrifice. On peut les rencontrer dans les
rangs des humbles et des plus obscurs ; mais
ils sont toujours reconnaissables à leurs nobles
sentiments, à leurs hautes vertus.
De Jeanne, avons-nous dit, il ne reste aucune
image contemporaine. On a cependant retrouvé,
dans les fouilles effectuées à Orléans pour le
percement de la rue Jeanne-d'Arc, la statuette
ancienne d'une femme casquée, dont le fin profil
se rapproche sensiblement des traits de la sta-
tue de Barrias (1).
D'autre part, les documents historiques con-
tenant des descriptions de la Pucelle, sont peu
nombreux et peu précis. 11 faut citer tout d'abord
une lettre des comtes Guy et André de Laval à
leur mère, écrite le 8 juin 1429. Ils l'ont vue à
Selles en Berry : « armée tout en blanc, sauf
la tête, une petite hache à la main, sur un grand
coursier noir ». Et, ajoutent-ils avec enthou-
siasme, « ce semble chose toute divine, de son
fait, de la voir et de l'ouïr » (2).
(1) Varl golhique, Dictionnaire encyclopédique : Musée
archéologique d'Orléans, par L. Gonse.
(2) Wallon, Jeanne d'Arc, p. 100.
PORTRAIT ET CARACTÈRE DE JEANNE d'aRC 341
Un chroniqueur, picard d'origine, parle de
Jeanne en ces termes, d'après les témoignages
de plusieurs personnes qui l'avaient vue, che-
minant entre Reims et Boissons (1) :
« Et chevauchait devant le roi, toute armée de
plein harnais, à étendard déployé. Et quand elle était
désarmée, si avait-elle état et habit de chevalier,
souliers lacés hors le pied, pourpoint et chausses
ajustées, et un chaperon sur la tête, et portait très
nobles habits de drap d'or et de soie bien fourrés. »
D'après la déposition du chevalier Jean d'Au-
lon, « elle était belle et bien faite » (2), « ro-
buste et infatigable », selon les dires du prési-
dent Simon Charles (3), « ayant à la fois l'air riant
et l'œil facile aux larmes », d'après la relation du
conseiller-chambellan Perceval de Boulainvil-
1ers (4). « Elle a bonne prestance sous les armes
et la poitrine belle », dit son compagnon le duc
d'iVlençon(5). « Ses sourcils, finement dessinés,
ombrageant de beaux yeux bruns, donnaient
une expression de douceur infinie à son regard
inspiré », ajoute un écrivain de notre temps (6).
(T) Chronique picarde, Bévue hebdomadaire, 17 avril 1909.
(2) J. Fabre, Procès de réhabililalionA. I.
(3) Id., Ibid.,i. I.
(4) Id., Jeanne d'Arc libératrice, p. 263.
(5) Id., Procès de réhabilitation, t. I.
(6) Le Portrait de Jeanne d'Arc par un Essénien du dix-neu-
vième siècle. Chamuel, éditeur.
342 JEANNE d'arc MÉDIUM
Les débats du procès nous apprennent que
ses cheveux, teintés en blond par tant de pein-
tres et déroulés sur ses épaules, « étaient noirs,
taillés courts en écuelle, de façon à former sur
la tête une sorte de calotte, semblable à un tissu
de soie sombre ».
Le colonel Biottot, résumant les relations de
divers chroniqueurs, s'exprime ainsi, au sujet
du costume et du maintien de la Pucelle (1) :
« Le visage de rhéroïne, dans ses traits réguliers,
était empreint de douceur et de modestie. Le corps
se développait en lignes pleines et harmonieuses. Dès
les premiers jours, les gestes aisés de l'enfant, sa
grâce souple en toutes circonstances et particulière-
ment sous le costume de guerre, en selle, la lance ou
la bannière en main, étonnent et charment les yeux.
Enfin, sur l'ensemble, le candide éclat de sa virginité
et la flamme de son inspiration répandaient « une
« vertu secrète qui écartait les désirs charnels »,
commandant aux plus grossiers le respect et les
égards. »
« Elle revêt de brillants atours de guerre. Ses vê-
tements, sa bannière sont de tissus précieux etblancs,
comme il convenait pour rappeler sa chasteté et la
mission angélique qui y était liée. »
(1) Colonel Biottot, les Grands Inspirés devant la Science,
pp. 123, 125.
PORTRAIT ET CARACTÈRE DE JEANNE d'aRC 343
D'après toutes les descriptions, il y avait
comme un suave reflet sur ce visage qu'illumi-
nait une pensée intérieure. L'âme, dans une
certaine mesure, façonne elle-même les traits
de son enveloppe. Par là, nous pouvons nous
faire une idée de la beauté de cet être excep-
tionnel, du foyer caché en lui, foyer qui éclaire
son visage et rayonne sur ses actes.
Il émanait d'elle une sérénité, une radiation
qui s'étendaient sur tous ceux qui l'appro-
chaient, et apaisaient les plus farouches. Dans
le tumulte des batailles et des camps, elle garde
ce calme imposant qui est le privilège des
âmes supérieures. A Gompiègne, au plus fort
du combat, lorsque les Bourguignons lui cou-
pent la retraite, sur le point d'être prise, elle
est plongée comme dans un rêve et dit aux
Français qui l'entourent et s'affolent : a Ne son-
gez qu'à férir ! »
A travers les documents les plus variés,
Jeanne nous apparaît comme une fleur des
campagnes de France, svelte et robuste, fraîche
et parfumée. x4ussi est-ce une chose lamentable,
de voir de quelle façon la plupart de nos pein-
tres et statuaires l'ont affublée, sans nul souci
de la vérité et de l'histoire. Certain critique parle
ainsi, non sans raison, de la statue xle Frémiet,
érigée place des Pyramides, au cœur de Paris :
344 JEANNE d'arc MEDIUM
« Il fil un garçonnet, ennuyé, mécontent, avec de
longs cheveux ainsi qu'une crinière, un bras de bois,
tenant une longue bannière, une couronne en l'air ! »
Quoi d'étonnant ? fait-il remarquer : Frémiet
est un animalier, aussi sa Jeanne est-elle « un
être hybride, de petite taille, sur un cheval
énorme » (1). Cette statue est une parodie, une
honte pour les Français, surtout à l'endroit où
elle se trouve, exposée aux yeux de tous les
étrangers.
Celle de Roulleau, à Chinon, est pire encore,
lourde, massive, aussi matérielle que possible.
D'autres artistes ont mieux réussi, sans mon-
trer plus de scrupules au point de vue du res-
pect de l'histoire. Charpentier nous la repré-
sente en prière. La physionomie est gracieuse
et touchante. Mais pourquoi ce livre tombé à
ses piedSv alors qu'elle ne savait pas lire, et à
une époque où l'imprimerie n'était pas inven-
tée ?
Les peintres ne sont pas plus soucieux de la
vérité historique : M. Jean-Paul Laurens a signé
le triptyque qui orne une des salles du nouvel
hôtel de ville de Tours, et reproduit trois scènes
de la vie de l'héroïne. Le dernier panneau nous
(1) Le Portrait de Jeanne d'Arc par un Essénien du dix-
neuvième siècle.
PORTRAIT ET CARACTÈRE DE JEANNE D ARC 345
montre, sous la nuit, la place où eut lieu le
supplice. Elle est vide maintenant, et, du bû-
cher qui achève de s'éteindre, un peu de fumée
monte vers le ciel. Le dernier des juges se re-
tire. M. J.-P. Laurens n'a pas lu. Il ignore que
les Anglais, aussitôt que Jeanne fut morte,
firent éteindre le feu, de telle façon que son
pauvre corps carbonisé resta exposé, pendant
huit jours, à la vue du peuple, et que tous pu-
rent s'assurer qu'elle n'était plus de ce monde.
Au bout d'une semaine, on ralluma le bûcher
jusqu'à destruction complète, et on fit jeter à la
Seine les cendres de la victime (1).
L'étude des âmes est une des plus belles qui
s'offrent aux recherches du penseur. Celle de
Jeanne d'Arc est captivante entre toutes. Ce qui
surprend le plus en elle, ce n'est pas son œuvre
d'héroïsme, pourtant unique dans l'histoire,
c'est ce caractère admirable, où s'unissent et
se fondent les qualités en apparence les plus
contradictoires : la force et la douceur, l'éner-
gie et la tendresse, la prévoyance, la sagacité,
l'esprit vif, ingénieux, pénétrant, qui sait en
(1) Voir H. Martin, Histoire de France, t. VI, pp. 304, 305.
346 JEANNE d'arc MEDIUM
peu de mots, nets et précis, trancher les ques-
tions les plus difficiles, les situations les plus
ambiguës.
Aussi, sa vie offrira des exemples de toutes
sortes. Patriote et française, en toutes circon-
stances elle nous apprendra le dévouement
poussé jusqu'au sacrifice. Profondément reli-
gieuse, idéaliste et chrétienne, dans un temps
où le christianisme est la seule force morale
d'une société encore barbare, elle montrera les
qualités élevées, les hautes vertus du croyant
exempt de fanatisme et de bigoterie. Dans la
vie intime, familiale, elle se révèle douée des
vertus modestes qui sont la richesse des hum-
bles : l'obéissance, la simplicité, l'amour du
travail. En un mot, toute son existence est un
enseignement pour celui qui sait voir et com-
prendre. Mais ce qui la caractérise par-dessus
tout, c'est la bonté, la bonté sans laquelle il n'est
pas de véritable beauté morale.
Cette alliance harmonieuse, cet équilibre par-
fait de dons qui, de prime abord, semblent de-
voir s'exclure, font de Jeanne d'Arc une énigme
que nous avons pourtant la prétention de ré-
soudre.
C'est un témoignage que lui rendent tous
ceux de ses contemporains qui l'ont approchée :
à une ferme volonté que rien, dans l'action guer-
PORTRAIT ET CARACTERE DE JEANNE d'aRC 347
tière ou au milieu des épreuves, ne fera fléchir,
elle joignait une grande douceur. Les bourgeois
d'Orléans s'accordaient à dire, dans leurs dépo-
sitions : « C'était grande consolation d'avoir
commerce avec elle (1). » Nous retrouvons
encore tous ces traits de caractère chez l'Esprit
qui s'est manifesté plus d'une fois sous son
nom, dans notre cercle d'études. En lui aussi
les vertus, les sentiments les plus variés se
fondent en une parfaite harmonie.
Pour bien juger cette grande figure, il con-
vient de la dégager des querelles de partis, et
de la contempler dans la pure lumière de sa
vie et de ses pensées. Un rayon de l'Au-delà
nimbe son beau front grave. Elle inspire une
émotion mêlée de respect. Malgré le scepti-
cisme de nos temps, on ne peut se défendre
du sentiment qu'il existe, au-dessus des condi-
tions habituelles de la vie humaine, des êtres
de choix, qui sont l'honneur de notre race, et
Téternelle splendeur de l'histoire.
L'existence de la vierge lorraine est compa-
rable à une symphonie, où les voix émouvantes
et tragiques de la terre se mêlent aux appels
mystérieux du monde invisible.
Gomme toutes les grandes âmes, elle croyait
(1) J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I, p. 266.
348 JEANNE d'arc MÉDIUM
en elle-même, à sa haute mission, et elle savait
communiquer sa foi aux autres par toutes les
radiations de son être.
Toujours mesurée et sage, elle sait allier
l'humilité de la fille des champs à la fierté
d'une reine, une pureté absolue à une audace
extrême. Vêtue en homme, elle vit dans les
camps, tel un ange sur qui repose le regard de
Dieu, et nul ne songe à en prendre scandale.
La gloire qui l'environne lui paraît si naturelle
qu'elle ne saurait en tirer vanité. N'est-elle pas
venue pour accomplir de grandes choses, et
l'honneur ne doit-il pas suivre la peine ? De là,
l'aisance dont elle fait preuve au milieu des
seigneurs et des nobles dames. Devant Dieu
seul, elle courbe le front; elle aime à se faire
petite avec les petits qui lui offrent leurs hom-
mages : à l'église, c'est parmi les enfants qu'elle
élève de préférence son âme vers le ciel.
Jeanne n'est pas moins admirable dans ses
propos que dans ses actes. Au milieu des discus-
sions les plus confuses, elle apporte toujours le
mot juste, l'argument précis. Sous une certaine
naïveté gauloise, perce en elle un sens profond
des êtres et des choses, et, aux heures décisives,
elle trouve les accents qui raniment l'ardeur
dans les âmes, les sentiments puissants et géné-
reux dans les cœurs.
PORTRAIT ET CARACTÈRE DE JEANNE d'aRC 349
Gomment croire qu'une enfant de dix-huit ans
ait pu trouver d'elle-même des paroles comme
celles que nous avons citées ? Gomment douter
qu'elle fût inspirée par des génies invisibles,
comme le furent, avant et après elle, tant d'au-
tres agents de l'Au-delà ?
Les paroles sublimes, nous l'avons vu, four-
millent dans cette courte existence, et nous ne
manquerons pas d'en reproduire quelques-unes
encore. Ges lèvres de dix-huit ans ont proféré
des jugements, qui méritent de figurer à côté
des plus beaux préceptes de l'antiquité.
« Elle était moult sage et peu parlant (1), »
disait la Ghronique, mais, quand elle parlait, sa
voix avait des vibrations qui pénétraient au plus
intime de l'auditeur, sensibilisaient en lui des
fib^^es qu'il ne se connaissait pas, et qu'aucune
puissance n'avait pu émouvoir jusque-là. G'était
là le secret de son ascendant sur tant d'âmes
rudes, mais bonnes, au fond.
Et ces paroles ne profitèrent pas seulement
à ceux qui les entendirent. Recueillies par l'his-
toire, elles iront, à travers les siècles, consoler
les âmes et réchauffer les cœurs.
En toutes circonstances, elle a l'expression
qui convient, et les images dont elle se sert
(1) J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I, p. 135, note 1.
20
350 JEANNE d'arc MEDIUM
sont riches de relief et de couleur. 11 en est
de même aujourd'hui, dans les messages qu'elle
dicte à quelques rares médiums, et que nous
avons reproduits en partie. Ce sont là, pour
nous, autant de preuves, autant de révélations
de son identité.
Rappelons quelques-unes de ses paroles, à la
fois ingénues et profondes. On ne saurait trop
les redire, ni trop les proposer comme préceptes
et leçons à tant de gens qui, tout en honorant
Jeanne, s'efforcent peu de lui ressembler sous
le rapport du caractère et des vertus. Nous
avons tous un intérêt personnel à étudier cette
vie, à nous hausser à la hauteur des enseigne-
ments qu'elle contient, par les exemples qu'elle
offre de vie intime et de vie sociale, de beauté
morale et de grandeur dans la simplicité.
« A partir du moment où je sus que je devais
venir en France, je me donnai peu aux jeux et
aux promenades (1). »
L'insouciance et la légèreté sont habituelles
à l'enfance, et elles persistent chez un grand
nombre jusqu'à un âge déjà avancé. Jeanne,
au contraire, a le souci de l'avenir, la préoccu-
pation constante de la grande mission qui lui
incombe, le souci des charges qui vont peser
(1) Troisième interrogatoire public.
PORTRAIT ET CARACTÈRE DE JEANNE d'aRC 351
sur elle. Elle a été touchée par l'aile des créa-
tures angéliqiies, et sa vie a reçu une impulsion
qui ne cessera qu'à la mort. Elle a perçu l'ap-
pel mystérieux d'en haut, et ses entretiens avec
l'invisible ont déjà donné, à son attitude et à
ses pensées, cette gravité qui se mêlera tou-
jours, en sa personne, à la grâce et à la dou-
ceur.
A l'interrogatoire de Poitiers, Guillaume
Aimery lui dit : « Jeanne, vous demandez des
gens d'armes et vous dites que c'est le plaisir
de Dieu que les Anglais s'en aillent. Si cela est,
pas n'est besoin de gens d'armes, car Dieu seul
y suffit. — En nom Dieu ! répond-elle, les gens
d'armes batailleront et Dieu leur donnera la
victoire (1). »
Ces paroles renferment un grand enseigne-
ment. L'homme est libre. La loi suprême exige
qu'il édifie lui-même sa destinée à travers les
temps, au moyen de ses existences innom-
brables. Sans cela, quels seraient ses mérites,
ses titres au bonheur, à la puissance, à la féli-
cité ? Ces avantages, s'il pouvait les acquérir
sans effort, seraient sans prix à ses yeux. Il n'en
comprendrait pas même la valeur. Car Thomme
n'apprécie les choses qu'en raison de la peine
(1) Procès de réhabiliîalion. Déposition du frllre Seguin.
352 JEANNE d'arc MÉDIUM
qu'elles lui ont coûté. Mais lorsque les obstacles
sont insurmontables, et que sa pensée s'unit à
la volonté divine, les forces, les secours d'en
haut descendent vers lui, et il triomphe des plus
grandes difficultés. C'est le principe de l'inter-
vention divine dans l'histoire, que Jeanne affirme
en ces termes. C'est la communion féconde du
ciel et de la terre, qui aplanit nos voies et four-
nit à nos âmes, aux heures désespérées, la pos-
sibilité du salut.
Chose étrange ! l'homme méconnaît et, sou-
vent, dédaigne ce qui lui est le plus nécessaire.
Sans ces secours d'en haut, et en dehors de la
solidarité étroite qui relie la faiblesse humaine
aux puissances du ciel, comment pourrions-
nous poursuivre, par nos propres ressources*,
cette immense ascension qui nous élève du fond
des abîmes de vie jusqu'à Dieu ? La seule pers-
pective de la route immense à parcourir, suffi-
rait à nous décourager, à nous accabler. L'éloi-
gnement du but, la nécessité de l'effort persis-
tant, paralyseraient notre activité. C'est pour-
quoi, sur les premiers degrés de la prodigieuse
échelle, aux premières étapes, le but lointain
nous reste caché, et nos perspectives de vie sont
restreintes. Mais, sur la voie âpre, aux passages
périlleux, des mains invisibles se tendent vers
nous, pour nous soutenir. Nous sommes libres
PORTRAIT ET CARACTÈRE DE JEANNE d'aRG 353
de les repousser. Si, au contraire, nous nous
prêtons à l'aide qui nous est offerte, les entre-
prises les plus ardues peuvent se réaliser.
L'œuvre de beauté et de grandeur qu'élaborent
nos vies, ne saurait s'accomplir sans l'action
combinée de Fhomme et de ses frères invisibles.
C'est ce que Jeanne affirme encore en ces autres
paroles : « Sans la grâce de Dieu, je ne saurais
rien faire. «
Elle accueillait toujours avec bonté les cu-
rieux qui venaient la voir, surtout les femmes.
Elle leur parlait si doucement et si gracieuse-
ment, dit la Chronique, qu'elles les faisait pleu-
rer.
Toutefois, simple et sans prétention, elle eût
préféré éviter les « adorations » de la foule ;
elle en sentait le péril et disait : « En vérité,
je ne saurais me garder dételles choses, si Dieu
ne m'en gardait (1). » « On me baisait les mains
le moins que je pouvais », affirme-t-elle au cours
de son procès (2). Et quand, en la cité de Bourges,
des femmes du peuple lui apportaient de menus
objets pour qu'elle les touchât, Jeanne, en riant,
disait : « Touchez-les vous-mêmes. Ils seront
(1) J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I. Dépositions de
l'avocat Barbiii et de Simon Beaucroix.
(2) Sixième interrogatoire public. Voir aussi ses paroles à
la lecture de Tacte d'accusation.
20.
354 JEANNE d'arc MÉDIUM
tout aussi bons par votre toucher que par le
mien (1). »
A côté de cela, Jeanne possédait un sens esthé-
tique remarquable :
« Elle aimait passionnément les belles armures,
racontent ses historiens, et elle révélait un goût fort
pur et distingué dans les moindres détails de sa per-
sonne et de sa mise. Les courtisans en étaient dans
Tadmiration ; les dames elles-mêmes Teussent volon-
tiers prise pour une des leurs, tant elle avait de grâce
et de distinction.
« Cette vaillante, qui, dans les combats, bravait
gaiement la mort sans jamais la donner, adorable-
ment femme, se montrait contente d'avoir de belles
armes brillantes et de beaux chevaux noirs, surtout
« tels et si malicieux qu'il n'était nul qui osât les
chevaucher (2). »
Ses juges lui firent un crime de son goût
pour les costumes élégants et les chevaux de
race. Mais, comme le dit Henri Martin (3) :
« Son mysticisme élevé, associant le sentiment
du beau à celui du bien, n'avait rien de com-
mun avec cette espèce d'ascétisme qui fait une
(1) J. Fabre, Procès de réhabilita! ion, t. I. Déposition de
Marguerite la Touroulde.
(2) H. BoissoNNOT, Jeanne d'Arc à Tours.
(3) H. Martin Histoire de France, t. VI, p. 234.
PORTRAIT ET CARACTÈRE DE JEANNE d'aRC 355
vertu de la négligence corporelle et de Texte*
rieur sordide, et qui semble poursuivre l'idéal
du laid. »
Fait particulièrement pénible : dans sa courte
carrière politique, ce furent ceux qui lui de-
vaient soutien, reconnaissance, amour, qui la
firent le plus souffrir.
Son caractère n'en fut pas aigri. Elle n'en
concevait aucune humeur. Quand elle avait à
subir quelque amère déception, elle montrait
une constance inébranlable et avait recours
à la prière : « Quand je suis contrariée en
quelque manière, disait-elle, je me retire à
l'écart et je prie Dieu, me plaignant à lui de
ce que ceux à qui je parle ne me croient pas
facilement. Ma prière à Dieu achevée, j'en-
tends une voix qui me dit : Fille Dé (de Dieu),
va, va, je serai ton aide, va (1) î »
On l'accusa d'avoir voulu se suicider, au
château de Beaurevoir. C'était un mensonge.
Il est vrai que, captive de Jean de Luxembourg,
elle tenta de s'évader, estimant que tel est le
droit de tout prisonnier. Bien loin de vouloir
se détruire, comme on essaya de l'insinuer au
procès, elle avait, dit-elle, « l'espérance de
sauver son corps et d'aller secourir tant de
(1) Procès de réhabililalion. Déposition de Diinois.
356 JEANNE d'arc MEDIUM
bonnes gens qui étaient en péril » (1). Il s'agis-
sait des assiégés de Compiègne, dont le sort lui
tenait tant au cœur. Elle réfléchit, mûrit longue-
ment son projet et ne sauta pas follement dans
le vide, ainsi qu'on le croit en général. Un cor-
dage qu'elle assujettit à la fenêtre de son ca-
chot, lui permit de se laisser glisser vers le bas
de la tour ; mais, trop court ou rompu sous
l'effort, il ne put l'empêcher de tomber rude-
ment sur le roc. A demi morte, elle fut relevée
et réintégrée dans sa prison (2).
C'est surtout à Rouen, devant ses juges
fourbes et astucieux, qu'éclatent ses répliques
fines et primesautières, ses ripostes brèves,
incisives, enflammées. Guido Goerres le cons-
tate en des termes qu'il est bon de citer :
« A chaque question, Jeanne avait le plus rude des
combats à soutenir. Toutefois, la simple jeune fille,
qui n'avait appris de ses parents que le Pater, Y Ave
et le Credo, fixait sur ses ennemis un regard ferme
et tranquille ; et plus d'une fois, elle leur fit baisser
les yeux et les remplit de confusion, en déchirant
tout à coup la trame de leur perfidie, et en leur appa-
raissant dans tout l'éclat de son innocence. Si, na-
guère, les plus braves chevaliers avaient admiré son
courage héroïque au milieu des batailles, elle en
(1) Sixième interrogatoire secret.
(2) J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. II, p. 142, note 2.
PORTRAIT ET CARACTÈRE DE JEANNE d'aRG 357
montrait un bien plus grand encore, maintenant que,
chargée de fers et en face d'une mort horrible, elle
attestait à ses ennemis eux-mêmes la vérité de sa
mission divine et prophétisait à ce tribunal, prêt à
la condamner au nom du roi d'Angleterre, la chute
complète de la puissance anglaise en France et le
triomphe de la cause nationale. »
« Savez-vous, lui demande-t-on, si les saintes
Catherine et Marguerite haïssent les Anglais ?
— Elles aiment ce que Dieu aime et haïssent ce
que Dieu hait (1). » Et le juge reste interdit.
Un autre interroge : « Sainte Marguerite parle-
t-elle anglais ? — Gomment parlerait-elle an-
glais, puisqu'elle n'est pas du parti des Anglais !
— Saint Michel était-il nu ? — Pensez-vous
que Dieu n'ait pas de quoi le vêtir ? — Avait-il
des cheveux ? — Pourquoi lui auraient-ils été
coupés (2) ? »
Elle déjoue d'un mot les pièges qu'on lui
tend. On lui demande si elle est en état de
grâce : « Si je n'y suis, Dieu m'y mette ; si j'y
suis, Dieu m'y garde (3). »
Pvappelons encore la digne et fîère réponse
qu'elle fit, quand on lui reprocha d'avoir, au
sacre de Reims, déployé son étendard : « Il
(1) Huitième interrogatoire secret.
(2) Cinquième interrogatoire public.
(3) Troisième interrogatoire public.
358 JEANNE d'arc MEDIUM
avait été à la peine ; c'était bien raison qu'il fut
à rhonneur (1). »
Un des inquisiteurs semble la narguer au su-
jet de sa captivité et du supplice qui l'attend.
Elle lui répond sans hésiter : « Ceux qui vou-
dront m'enlever de ce monde pourront bien
s'en aller avant moi (2). »
L'évêque de Beauvais, inquiet, tourmenté
par sa conscience, lui demande : « Vos voix
vous parlent-elles jamais de vos juges ? — J'ai
souvent, par mes voix, nouvelles de vous, mon-
seigneur de Beauvais. — Que vous disent-elles
de moi ? — Je vous le dirai à vous, à part (3). »
Et, par ces simples mots, voilà un prélat rap-
pelé au sentiment de sa dignité, par celle dont
il a résolu la perte.
Comment expliquerons-nous, chez Jeanne
d'Arc, les contrastes qui prêteut à cette grande
figure un si puissant éclat : la pureté d'une
vierge et l'intrépidité d'un capitaine ; le recueil-
lement du temple et de la prière et le joyeux
entrain des camps ; la simplicité d'une paysanne
(1) Neuvième interrogatoire secret.
(2) Cinquième interrogatoire public.
(3) J. Fabre, Procès de condamnation, p. 244.
PORTRAIT ET CARACTÈRE DE JEANNE D ARC 359
et les goûts délicats d'une grande dame ; la
grâce, la bonté, jointes à l'audace, à la force,
au génie ? Que penser de cette complexité de
traits, qui font de notre héroïne une physio-
nomie sans précédent dans l'histoire ?
Nous l'expliquerons de trois façons : tout
d'abord par sa nature et son origine. Son âme,
nous l'avons dit, venait de haut. Ce qui le dé-
montre, c'est que, dépourvue de toute culture
terrestre, son intelligence s'élevait jusqu'aux
conceptions les plus sublimes. Ensuite, par les
inspirations de ses guides. En troisième lieu,
par les richesses accumulées en elle, au cours
de ses vies antérieures, vies qu'elle-même a
révélées.
Jeanne était une missionnaire, une envoyée,
un médium de Dieu. Et comme chez tous les
envoyés du ciel pour le salut des nations, on
rencontre en elle trois grandes choses : l'inspi-
ration, l'action, enfin la passion, la souffrance
qui est le couronnement, l'apothéose de toute
noble existence.
Domremy, Orléans, Rouen furent les trois
scènes choisies pour l'éclosion, le développe-
ment et la consommation de cette destinée mer-
veilleuse.
Cette vie offre des analogies frappantes avec
celle du Christ. Colnme lui, Jeanne est nce
360 JEANNE d'arc MÉDIUM
parmi les humbles de la terre. L'adolescent de
Nazareth répliquait aux docteurs de la loi dans
le sanhédrin ; de même, elle confondra ceux de
Poitiers en répondant à leurs questions insi-
dieuses. Quand elle chasse les ribaudes du
camp, nous reconnaissons le geste de Jésus
expulsant les marchands du temple. La passion
de Rouen n'est-elle pas le pendant de celle du
Golgotha, et la mort de Jeanne d'Arc ne peut-
elle être comparée à la fin tragique du fils de
Marie ? Gomme lui, elle est reniée et vendue.
Le prix de la victime sonnera dans la main de
Jean de Luxembourg comme dans celle de Ju-
das. A l'exemple de Pierre dans le prétoire, le
roi Charles et ses conseillers détourneront la
tête et ne sembleront plus la connaître, lors-
qu'on leur apprendra que Jeanne est aux mains
des Anglais et menacée d'une mort affreuse. Il
n'est pas jusqu'à la scène de Saint-Ouen, qui ne
présente des analogies avec celle du jardin des
Oliviers.
Nous avons longuement parlé des missions
de Jeanne d'Arc. Qu'on ne se méprenne pas-^
sur le sens de ce mot. Nous croyons opportun
de dire ici, qu'en réalité chaque âme a la
sienne en ce monde. La plupart ont en partage
des missions humbles, obscures, effacées ;'
d'autres ont des tâches plus hautes, appropriées
PORTRAIT ET CARACTÈRE DE JEANNE d'aRC 361
à leurs aptitudes, aux qualités acquises dans
leur évolution à travers les siècles. Aux nobles
âmes seules sont réservées les grandes mis-
sions, couronnées par le martyre.
Chaque existence terrestre, nous le savons,
est la résultante d'un immense passé de travail
et d'épreuves. Cette loi d'ascension à travers le
temps et l'espace, que nous avons déjà expo-
sée (1), Jeanne n'avait nul besoin de la con-
naître au quinzième siècle, pour accomplir son
œuvre ; car elle n'entrait pas dans les vues de
son époque. La conception de la destinée était
fort restreinte ; les vastes perspectives de l'évo-
lution auraient troublé, sans profit, la pensée
d'hommes trop arriérés encore, pour connaître
et comprendre les magnifiques desseins de
Dieu sur eux. Et cependant, en cet esprit supé-
rieur de Jeanne, qui subit comme tous, pen-
dant l'incarnation terrestre, la loi de l'oubli, un
passé grandiose se révèle encore ; vertus, fa-
cultés, intuition : tout démontre que cette âme
a parcouru un vaste cycle, et qu'elle est mûre
pour les missions providentielles. On peut
même, nous l'avons vu, reconnaître plus parti-
culièrement en elle un esprit celtique, tout im-
(1) Voir plus haut chapitre XVI et Problème de VÊlre et de
la Destinée, passim.
21
362 JEANNE d'arc MÉDIUM
prégné des qualités de cette race enthousiaste
et généreuse, passionnée pour la justice, tou-
jours prête à se dévouer pour les nobles causes.
Familiarisée, dès l'aube de l'histoire, avec les
grands problèmes, cette race a toujours possédé
de nombreux médiums. Jeanne nous apparaît,
au milieu du sombre moyen âge, comme une
renaissance de quelque voyante antique, à la
fois guerrière et prophétesse.
Mais ce qui domine en elle, dans tous les
temps et les milieux où elle a vécu^ c'est l'esprit
de sacrifice, c'est la bonté, le pardon, la charité.
Dans toutes les tâches qui lui ont été dévolues,
elle s'est montrée ce qu'Henri Martin a su dé-
finir d'un mot : « la fille au grand cœur ». Ces
tâches n'ont pas pris fin à ses yeux. Elle se con-
sidère toujours comme obligée envers ceux que
Dieu a placés sous sa protection. Son amour
pour la France est aussi ardent aujourd'hui
qu'au quinzième siècle, et ceux qui, à cette épo-
que, étaient l'objet de sa sollicitude, sont encore
ses protégés à l'heure présente. Parmi ceux qui
ont participé à sa vie héroïque, soit en bien,
soit en mal, plusieurs revivent actuellement sur
la terre, en des conditions bien diverses. Char-
les VII, réincarné en un bourgeois obscur
accablé d'infirmités, a reçu souvent la visite de
la « fille de Dieu ». Initié aux doctrines spiri-
PORTRAIT ET CARACTÈRE DE JEANNE D ARC 363
tiialistes, il a pu communiquer avec elle, rece-
voir ses conseils, ses encouragements. Elle ne
lui a jamais fait entendre qu'une parole de re-
proche : « C'est à vous, lui dil-elle un jour,
que j'ai eu le plus de peine à pardonner. » Par
des moyens et à l'aide d'influences qu'il serait
superflu d'indiquer ici, elle avait su rassembler
sur un même point, il y a un certain nombre
d'années, ceux qui furent ses ennemis, voire
ses bourreaux, et, par son ascendant, elle cher-
chait à les entraîner vers la lumière, à en faire
des défenseurs, des propagateurs de la foi nou-
velle. C'était alors un émouvant spectacle pour
celui qui, connaissant ces personnalités d'un
autre âge, pouvait comprendre sa façon sublime
de se venger, en s'efForçant de faire d'elles des
agents de rénovation.
Pourquoi la vérité m'oblige-t-elle à dire que
les résultats furent médiocres ? Tous, sans
doute, l'écoutaient avec une déférence admira-
tive, sentant bien qu'il y avait en elle un esprit
de haute valeur. Mais le poids des soucis mon-
dains, des intérêts égoïstes, des préoccupations
d'amour-propre, retombait aussitôt lourdement
sur ces âmes. Le souffle d'en haut, qui, un ins-
tant, les avait fait tressaillir, s'éteignit. Jeanne
ne se révéla qu'à un petit nombi^. Les autres
ne surent pas la deviner. Bien peu purent la
364 JEANNE d'arc MEDIUM
comprendre. Son langage était trop grand ; les
cimes où elle voulait les attirer, trop hautes.
Ces stigmatisés de l'histoire, qui s'ignorent eux-
mêmes, n'étaient pas mûrs pour un tel rôle. Tou-
tefois, ce qu'elle n'a pas réussi à faire au cours
de cette existence, elle l'obtiendra dans celles à
venir, car rien ne saurait lasser sa patience ni
sa bonté. Et les âmes se retrouvent toujours sur
les chemins de la destinée.
i
XIX. — GÉNIE MILITAIRE DE JeANNE d'ArC.
Le principal mérite de la victoire
revint à la Pucelle.
Colonel E. Collet.
Les contempteurs de Jeanne d'Arc : Ana-
tole France, Thalamas, H. Bérenger, Jules
Soury, etc., s'accordent à nier ses talents mili-
taires. A. France, surtout, ne néglige aucune
occasion de rapetisser son rôle, de restreindre
sa participation à l'œuvre de délivrance. 11 fait
peu de cas des dépositions de ses compagnons
d'armes au procès de réhabilitation, sous pré-
texte qu'ils sont mêlés à ceux d'une « honnête
veuve ». 11 raille les historiens qui ont vu en
elle « la patronne des officiers et des sous-
officiers, le modèle inimitable des élèves de
Saint-Gyr, la garde nationale inspirée, la canon-
nière patriote » (1). Et plus loin, il dit :
« Elle n'avait qu'une tactique, c'était d'empêcher
(1) Anatole France, Vie de Jeanne d'^rc. Préface, p. xxxviii.
366 JEANNE d'arc MEDIUM
les hommes de blasphémer et de mener avec eux des
ribaudes...
« Mener des gens d'armes à confesse, c'était tout
son art militaire (i). »
A notre tour, quel cas devons-nous faire de
ces jugements ? Dans quelle mesure des pro-
fesseurs, des romanciers, des journalistes, qui
n'ont peut-être jamais porté une arme, sont-ils
compétents pour apprécier les opérations mili-
taires de la Pucelle ?
Dans son ouvrage intitulé : Jeanne d^Arc,
r histoire et la légende, M. Thalamas nous con-
seille, avec raison, de nous en tenir aux témoi-
gnages directs et de négliger les autres. Cet
avis nous paraît surtout applicable à la ques-
tion qui nous occupe. Les témoignages concer-
nant les aptitudes militaires de Jeanne sont
formels. Ils émanent de gens qui l'ont vue de
près, ont partagé ses dangers et combattu à ses
côtés. Le duc d'Alençon s'exprime ainsi (2) :
« Dan* le fait de la guerre, elle était fort experte,
tant pour porter la lance que pour réunir une armée
ou ordonner un combat et disposer l'artillerie. Tous
s'émerveillaient de voir que, dans les choses mili-
(1) Anatole France, Vie de Jeanne d'Arc, t. I, p. 309.
(2) J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I.
GÉNIE MILITAIRE DE JEANNE d'aRG 367
taires, elle agit avec autant de sagesse et de pré-
voyance que si elle eût été un capitaine ayant guer-
royé vingt ou trente ans. C'était surtout dans le
maniement de l'artillerie qu'elle s'entendait bien. »
Un autre capitaine, Thibauld d'Armagnac, sire
de Termes, dit de son côté :
« Dans tous ces assauts (au siège d'Orléans), elle
fut si valeureuse et se comporta de telle sorte qu'il
ne serait pas possible à homme quelconque d'avoir
meilleure attitude dans le fait de la guerre. Tous les
capitaines s'émerveillaient de sa vaillance et de son
activité, et des peines et labeurs qu'elle supportait...
Dans le fait de la guerre, pour conduire et disposer
les troupes, pour ordonner la bataille et animer les
soldats, elle se comportait comme si elle eût été le
plus habile capitaine du monde, de tout temps formé
à la guerre (i). »
Parmi les écrivains contemporains qui se
sont occupés de Jeanne d'Arc, les plus aptes à
apprécier son rôle militaire sont évidemment
ceux qui ont exercé la profession des armes,
commandé des troupes, dirigé des opérations
de guerre. Or, tous sont unanimes à reconnaître
les talents de Jeanne dans l'art de combattre,
(1) J. Fabre, Procès de réhabililalion, t. I.
368 JEANNE d'arc MÉDIUM
son goût pour la tactique, son habileté à utiliser
l'artillerie.
La campagne de la Loire reste, pour eux, un
modèle du genre. Le général russe Dragomi-
row la résume ainsi :
« Le 10 juin seulement, on lui permit de marcher
avec l'armée du duc d'Alençon, pour dégager les
points que les Anglais continuaient d'occuper sur la
Loire. Le i4 juin, elle prit d'assaut Jargeau ; le i5,
le pont de Meung ; le 17, elle occupa Beaugency ; le
18, elle défit Talbot et Falsiolf, dans une rencontre
en rase campagne. Résultat pour les cinq jours :
deux assauts et une bataille ; voilà qui n'eût point
déparé la gloire de Napoléon lui-même,çt voilà ce que
Jeanne savait Faire quand on ne l'entravait pas (1) ! »
Ce qu'il faut remarquer dans cette action
foudroyante, c'est l'ardeur mêlée de prudence
qui l'inspire et la dirige. Ces mouvements ra-
pides ont pour but d'atteindre et de frapper
l'ennemi au plus fort de sa puissance, sans lui
laisser le temps de se reconnaître, suivant la
méthode des grands capitaines modernes.
Ce fut encore le sens stratégique de Jeanne,
qui dicta la marche sur Reims et poussa en-
suite le roi sur Paris. La grande ville eût été
prise, sans l'inqualifiable abandon du siège
ordonné par Charles VIL
(1) Dragomirow, Jeanne d'Arc, p. 37.
GÉNIE MILITAIRE DE JEANNE d'aRC 369
Ajoutez son courage héroïque et son con-
stant sacrifice d'elle-même. Elle ne connaissait
ni la peur ni la fatigue, dormant tout armée et
se contentant d'une frugale nourriture. Elle
avait surtout un don merveilleux pour entraîner
les troupes. A Troyes, selon le témoignage de
Dunois, elle déployait plus d'énergie et d'adresse
pour organiser un assaut contre les remparts
de la ville, que n'auraient pu le faire les meil-
leurs chefs d'armée de l'Europe entière. Le
maréchal de Gaucourt, vétéran de la guerre de
Cent ans^ s'accorde avec Dunois sur la conduite
admirable de Jeanne en cette circonstance, où
il se trouvait mêlé en personne.
Le souci de Théroïne pour la discipline était
constant, et sa sollicitude pour le soldat dénote
une connaissance approfondie de la vie mili-
taire. Aux Tourelles, quoique blessée, elle
prescrit que les troupes se restaurent avant de
retourner à l'assaut. A propos de son antipathie
pour les pillards et les ribaudes, de son désir
que les soldats s'abstinssent de débauche, de
sacrilège et de brigandage, il est facile à M. Ana-
tole France de railler sa pruderie de « béguine » ;
avouons pourtant que c'était là le seul moyen
de rétablir l'ordre et la discipline, conditions
essentielles du succès.
« Elle se préoccupait, dit Andrew^ Lang, aussi
21.
370 JEANNE d'arc MÉDIUM
bien des âmes que des corps de ses hommes
ce qui semble aujourd'hui enfantin et absurde
à l'esprit scientifique de l'école de M. France;
mais il faut se rappeler qu'elle était une femme
de son temps et que sa méthode était celle de
Gromwell, celle des plus grands conducteurs
d'hommes de toute l'histoire de jadis. »
Son entente, sa prévoyance, son discernement
des choses de la politique n'étaient pas moins
remarquables. M. A. France semble parfois la
considérer comme une sorte d'idiote. Qu'il
veuille bien se rappeler son accueil au conné-
table de Richemont, maladroitement repoussé
par le roi, et dont les huit cents lances contri-
buèrent largement à la victoire de Patay ; puis,
les stratagèmes qu'elle employait pour tromper
les ennemis au sujet de ses messages, dans les
cas où ceux-ci pouvaient tomber entre leurs
mains. N'oublions pas non plus avec quelle
subtilité elle sut deviner, longtemps avant les
politiciens les plus sagaces, la fausseté des né-
gociations entamées par le duc de Bourgogne,
après le sacre de Charles Vil. Elle disait alors :
« On ne trouvera point de paix des Bourgui-
gnons, si ce n'est par la pointe de la lance (1). »
(1) J. Fabre, Procès de condamnation, 6« interrogatoire
publie.
GÉNIE MILITAIRE DE JEANNE d'arC 371
Joseph Fabre fait ressortir en traits vigoureux
ce don de pénétration qu'elle possédait :
« Forçant le succès à force d'y croire, avec quel
fier instinct elle brise les toiles d'araignée de la
diplomatie pour se jeter dans l'action à outrance !
C'est un oiseau de haut vol qui déconcerte victo-
rieusement les politiques à ras de terre, lâches fau-
teurs de la paix à tout prix (i). »
Consultons maintenant les écrivains militaires
qui nous paraissent avoir étudié, avec le plus de
sagacité et de conscience, le rôle de l'héroïne.
Le général Ganonge s'exprime ainsi (2) :
« Jeanne imprime aux opérations, autour d'Or-
léans, une activité jusqu'alors inconnue et, au bout
de neuf jours, le siège, qui durait depuis six mois, se
terminée notre avantage.
<i Conduite offensivement, la campagne de la Loire
réussit avec une rapidité imprévue ; la journée de
Patay y met fin le 18. Vainement on a essayé de nier
contre toute vérité la part que prit Jeanne à cette
victoire décisive : elle avait fait le nécessaire pour
que le contact des Anglais ne fût pas perdu, elle
annonça la lutte et, tout en donnant la formule de la
poursuite, la victoire.
« A la fin de juin, Jeanne cesse d'être « chef de
(1) J. Fabre, la Fête nationale de Jeanne d'Arc.
(2) Général F. Canonge, Jeanne d'Arc, chef de guerre. Le
Journal 15 avril 1909.
372 JEANNE d'arc MÉDIUM
guerre » et, par suite, distinction importante, n'est
plus responsable.
« Au cours de la chevauchée vers Reims, du
29 juin au 16 juiDet, devant Troyes, la force morale
de Jeapne intervient efficacement au moment même
op l'entourage royal ne songea rien moins qu'à faire
rétrograder l'armée sur la Loiîe. On le sait, laîiborlé
d'action pîlensement accordée à la Puce) Je fut suivie
à bref d'"loi de lu chute de Troyes.
« A partir du sacre, Jeanne est négligée. Il est
ccpendi'ut prouvé qu'elle s'opposa à la marche
ondoyante sur Paris et que, bien inspirée à tous
égards, elle pr^oonisa la marche directe.
« Quant à l'échec devant Pari«, il ne saurait lui
être imputé. Si le faible Charles VIT l'eût écoutée au
lieu de la réduire à l'impuissance, l'insuccès du 8 sep-
tembre aurait éié promptement réparé.
« Sur la haute Loiie, pendant les sièges de Saint-
Pierre-le-Moutier et de la Charité. Jeanne, placée en
sous-ordre, n'agit que par son merveilleux exemple,
comme un capitaine.
« Enfin, dans sa dernière campagne si brutale-
ment terminée, Jeanne joua le rôle d'un chef de par-
tisans.
« Au moment où elle fut faite prisonnière, elle
était à peine âgée de dix-huit ans et cinq mois ; son
rôle militaire n'avait donc duré que treize mois.
« Il était inutile de s'attarder à démontrer que la
libération complète de la France ne coïncidera point
avec la disparition de la Pucelle. Cependant, il est
GÉNIE MILITAIRE DE JEANNE d'aRC 373
indéniable que, grâce à Jeanne, l'indolent monarque
avait recouvré la majeure partie du pays compris
entre Orléans et la Meuse, que la confiance était
revenue, enfin que la libération définitive résulta de
l'élan patriotique prodigieux communiqué par elle.
« Le rôle militaire de Jeanne d'Arc peut être envi-
sagé de deux façons :
« Le « soldat » se distingua par des qualités dont
la réunion est rare.
« Chez tout observateur loyal, non disposé à nier
même l'évidence, le « chef de guerre » provoque un
véritable étonnement.
« C'est ensuite un ensemble de qualités qui se re-
trouvent chez les quelques victorieux dont l'histoire
a enregistré les noms. Chez Jeanne, en effet, la con-
ception et l'exécution marchent de pair. Sa concep-
tion aboutit à une offensive audacieuse, opiniâtre,
de la nature de celle qui, admise depuis Napoléon,
fixe sur place l'ennemi, ne lui laisse pas le temps de
se reconnaître et réussit à le briser matériellement
et moralement.
« L'exécution est fougueuse mais tempérée au
besoin par la prudence.
« 11 suffira d'énumérer les autres qualités qui lui
permirent de violenter la victoire : science du temps,
prévoyance, bon sens peu commun, foi impertur-
bable dans le succès, exemple entraînant, réconfor-
tant, grande puissance de travail, esprit de suite
secondé par une volonté inébranlable, connaissance
du cœur humain, d'où une influence morale que
374 JEANNE d'arc MEDIUM
quelques grands capitaines seuls possédèrent, avec
le temps, au môme degré.
« Le caractère de la guerre au quinzième siècle
ne fournit pas à Jeanne Toccasion de faire œuvre de
stratégiste. Par exemple, il est certain que tous ses
contemporains ont reconnu en elle une tacticienne
remarquable et redoutée.
(( L'origine, l'ignorance et l'inexpérience des choses
de la guerre, le sexe et la jeunesse de Jeanne ont
dérouté bien des esprits.
« S'il ne saurait être question ni de comparer
notre héroïne avec tel ou tel grand capitaine, ni même
de lui assigner un rang dans la glorieuse phalange
des hommes de guerre, il est juste, pour une excel-
lente raison, de l'y placer : les talents qu'elle déploya
sont ceux qui, de tout temps, ont procuré la vic-
toire.
« Abordons maintenant la recherche du pourquoi
de l'initiation subite de Jeanne aux secrets les plus
délicats de l'art de la guerre.
« A vrai dire, cette recherche serait inutile s'il
était vrai, comme on l'a avancé bien légèrement, que
l'art militaire n'existait pas au quinzième siècle^ qu'il
suffisait alors de monter à cheval, enfin que, en ce
qui concerne Jeanne, son art militaire se réduisait à
mener les gens d'armes à confesse. Ici, parlons net.
« La première négation provient, à n'en pas dou-
ter, d'une ignorance complète de la question. La se-
conde est stupéfiante : Dunois et quelques autres
capitaines joignaient, en effet, à l'expérience et au
GÉNIE MILITAIRE DE JEANNE d'aRC 375
savoir une science équestre plus que suffisante pour
vaincre ; or, le succès leur fît défaut jusqu'à l'arrivée
de Jeanne. Quant à la dernière allégation, — d'ail-
leurs en complet désaccord avec les faits, — elle est
tout au moins singulière.
« Arrivons donc aux objections formulées par des
historiens sérieux et dignes de tous égards, parce
qu'ils ont cherché la solution avec une incontes-
table loyauté. Toutefois, cet examen sera rapide.
« Nier l'incompréhensible dans le rôle militaire de
la Pucelle, est faire bon marché des difficultés du
problème.
K Le (c bon sens », cette qualité maîtresse que
l'on a invoquée, était impuissant à donner, du jour
au lendemain, les connaissances techniques néces-
saires pour conduire des opérations.
w La foi ardente qui régnait au quinzième siècle
put-elle fournir à Jeanne un levier suffisant? Le
doute est permis.
« On a aussi invoqué l'obéissance ; or, elle n'est
réellement venue qu'après la délivrance d'Orléans.
(( Dire que Jeanne réalisa l'unité d'action qui, jus-
qu'à elle, manqua, c'est reconnaître un fait; ce n'est
pas le rendre compréhensible.
« Dunois est un témoin avec lequel il fallait comp-
ter. Cependant il se montra bien petit garçon vis-à-
vis de la Pucelle, le 7 mai 1429, lors de l'attaque de
la bastille des Tourelles. On sait avec quelle fougue
elle attaqua. Le procédé fut le même à Jargeau, à
Patay et devant Troyes et Saint-Pierre-le-Moutier.
376 JEANNE d'arc MÉDIUM
u Enfin, on s'est cru en droit d'attribuer « unique-
ment au sentiment de révolte patriotique » les
succès de Jeanne. Certes, le patriotisme peut, soit
collectivement, soit individuellement, enfanter des
miracles : mais il est impuissant à transformer en
chef d'armée, du jour au lendemain, une jeune fille
ignorante et âgée de moins de dix-huit ans. Jeanne
constitue un phénomène véritable, unique dans son
genre ; à ce titre, elle occupe une place exception-
nelle en France et dans l'histoire de tous les peuples.
Le rapprochement suivant est digne de réflexion.
En 1429, le patriotisme, dont Jeanne hâta le déve-
loppement, commençait seulement à naître. Pour-
quoi en 1870-1871, alors qu'il était plus éclairé, plus
ardent et plus répandu, a-t-il été manifestement
impuissant à sauver la France qui se trouvait réduite
aux abois ?
« En somme, il semble qu'aucune des raisons
humaines produites ne fournit la clef de victoires
remportées en employant, consciemment ou non, les
principes appliqués, sur des théâtres d'opérations
plus ou moins vastes, par de grands capitaines.
« Soldat, je me déclare incapable de résoudre,
humainement parlant, le problème militaire de
Jeanne d'Arc. »
Et le général Ganonge adopte, en terminant,
la solution que Jeanne elle-même a fournie, en
signalant comme origine de ses actes princi-
paux (( le secours de Dieu ».
GÉNIE MILITAIRE DE JEANNE d'aRG 377
A ces considérations d'un écrivain dont Fau-
torité en pareilles matières ne saurait être con-
testée, nous joindrons les citations suivantes,
empruntées à un travail inédit et dont la publi-
cation est prochaine (1). Elles sont dues à la
plume de M. le colonel E. Collet, vice-prési-
dent de la Société des Études psychiques de
Nancy, et répondent de point en point aux cri-
tiques de MM. Anatole France et Thalamas sur
la levée du siège d^Orléans, dont il faudrait,
selon eux, attribuer le mérite bien plus aux
assiégés qu'à Jeanne elle-même.
L'auteur énumère les événements du siège,
puis ajoute :
« Il est donc bien établi que la Pucelle, dès le pre-
mier jour, montrait un sens militaire infiniment
supérieur à celui des meilleurs capitaines de Tarmée,
en disciplinant les troupes et en voulant marcher
immédiatement sur le point où les Anglais avaient
leurs principales forces. Les capitaines d'un esprit
élevé ou droit, comme le Bâtard d'Orléans, Florent
d'Illiers, La Hire, etc., et les hommes d'armes qui
n'étaient ni orgueilleux ni jaloux, ne tardèrent pas à
le reconnaître.
« La milice communale la reconnut, sur-le-champ,
pour son véritable chef et fut persuadée qu'elle serait
(1) Colonel E. Collet, Vie militaire de Jeanne dArc. Con-
sidérations sur le siège d'Orléans.
378 JEANNE d'arc MEDIUM
invincible sous ses ordres. — C'est un fait de psy-
chologie militaire qui s'explique facilement dans ce
cas, mais dont la cause est plus mystérieuse dans
beaucoup d'autres cas dont l'histoire fait mention.
Par quel instinct de juste discernement la foule
ignorante des soldats a-t-elle souvent reconnu, sans
aucun signe apparent, celui qui était réellement
capable de la guider et de lui procurer le succès ? —
Elle contribua, en effet, plus que les troupes sol-
dées, à la prise des Tourelles, et montra toute la
valeur et la force dont sont capables ceux qui se
battent pour la défense de leurs foyers et de leur
liberté ; c'est ce qui donna à la Pucelle la première
idée d'une armée nationale permanente, instituée,
plus tard, par le roi Charles VU, devenu plus sage
et plus patriote.
« Nous avons déjà parlé des raisons intuitives qui
la déterminèrent à continuer l'attaque des ouvrages
de la rive gauche, malgré la décision contraire des
capitaines paraissant basée sur la prudence ; l'évé-
nement prouva que ces raisons d'ordre psycholo-
gique étaient bonnes. Lorsque, blessée pendant l'ac-
tion, ellesurmonla sa souffrance, encouragée par ses
voix, et accourut auprès du Bâtard d'Orléans pour
l'empêcher d'ordonner la retraite et pour diriger,
ensuite, elle-même, l'assaut décisif, elle obéit encore
à la même intuition de psychologie militaire et au
principe le plus rationnel d'une bonne offensive de
tactique, celui de la persévérance. On peut, à ce
sujet, faire une observation intéressante. En disant
GÉME MILITAIRE DE JEANNE d'aRG 379
au Bâtard d'Orléans : « Faites reposer nos gens ;
« faites-les boire et manger », ne montrait-elle pas
le sens pratique d'un vieux capitaine, s'occupant des
besoins matériels de ses soldats avant de leur de-
mander un nouvel effort ? Cela fait penser à Bugeaud
et aux praticiens instruits à la vieille école de la
guerre, qui seront toujours nos maîtres dans l'art
difficile de conduire les troupes.
« On peut donc affirmer, avec toute certitude, que
le principal mérite de la victoire revint à la Pucelle^
bien secondée parles vaillants capitaines et hommes
d'armes qui la suivirent sur la rive gauche, et puis-
samment aidée par les Orléanais, agissant avec
autant d'habileté que de vigueur dans l'attaque des
Tourelles par le pont de la Loire : sans elle, Tattaque
n'aurait pas eu lieu ou aurait échoué.
« 11 faut rappeler que, dès le 3 mai, Jeanne avait
annoncé que le siège serait levé dans cinq jours. (Dé-
position de frère Jean Pasquerel et aveu de Jean de
Wavrin du Forestel, chroniqueur du parti anglais.)
« M. Anatole France se méfie du témoignage du
frère Pasquerel, bien qu'il soit corroboré par un autre
témoignage. Les prédictions de la Pucelle lui sem-
blent suspectes et, pour justifier son scepticisme, il
cite celle-ci :
« Avant que le jour de la Saint-Jean-Baptiste
« arrive (an 29), il ne doit pas y avoir un Anglais, si
« fort et si vaillant soit-il, qui se laisse voir par la
« France, soit en campagne, soit en bataille. » Source
citée : Greffier de la Chambre des Comptes de Bra-
380 JEANNE d'arc MEDIUM
bant dans Procès, t. IV, p. 4^6 {Vie de Jeanne d'Arc,
t. I, p. 402).
« Or nous avons cherché cette prétendue prédic-
tion dans Je document cité {Procès, t. IV, p. 426), et
nous ne l'y avons pas trouvée. On y voit, au con-
traire, que la prédiction de Jeanne au sujet de la
délivrance d'Orléans, de sa blessure et du sacre de
Reims s'est parfaitement réalisée. Et les fourberies
de ce genre abondent dans le livre de M. France :
on ne peut pas saboter plus indignement l'his-
toire. »
M. le colonel Collet cite ensuite le document
suivant, qui démontre, une fois de plus, com-
bien les critiques de MM. France et Thalamas
sont peu justifiées :
« Et combien que les capitaines et autres gens
de guerre exécutassent ce qu'elle disoit, la dicte
Jehanne aloit tousjours à l'escarmouche en son har-
nois, combien que ce f ust contre la voulenté et oppi-
nion de la plus part d'yceulx gens de guerre ; et
montoit sur son coursier, armée aussytost que che-
valier qui fust en l'armée ne en la court du roy. De
quoy les gens de guerre estoient courouciez et moult
esbahiz. »
Jean Chartier.
Et M. le colonel Collet conclut en ces termes :
« En résumé, le siège d'Orléans, conduit sans
GÉNIE MILITAIRE DE JEANNE d'aRC 381
habileté et sans vigueur par les Anglais, se serait
néanmoins terminé à une date plus ou moins rappro-
chée, par la capitulation de la ville, dont les res-
sources auraient fini par s'épuiser, malgré le coura-
geux dévouement et la constance de ses habitants,
parce que la place ne recevait plus que des secours
insuffisants et perdait peu à peu ses forces dans des
actions partielles, conduites sans méthode et sans
esprit de suite par des capitaines abusant trop sou-
vent de leur initiative. Mais Tarrivée de la Pucelle
changea la face des choses par l'efTet moral qu'elle
produisit inversement sur les deux armées, et la force
irrésistible qu'elle apporta à la défense. Et cette
force, la jeune guerrière sut admirablement l'utili-
ser. En disciplinant les troupes par le puissant
moyen de la foi religieuse dominant tout à cette
époque, elle en devint le véritable chef et les rendit
capables de l'effort prodigieux que la victoire de-
mandait. Elle leur imposa sa volonté par la parole
et par l'exemple, leur donna l'unité d'action et de
direction qui leur faisait défaut, et leur enseigna
l'offensive hardie, calculée et persévérante qui force
le succès. Enfin, dans toutes les circonstances où
nous l'avons vue, elle agit en chef ayant une con-
naissance parfaite des hommes, l'intuition des prin-
cipes régulateurs essentiels, l'expérience des choses
de la guerre et une bravoure extraordinaire. »
i.
Ajoutons encore le tableau suivant, plein
d'entrain et de couleur, que M. le colonel Col-
382 JEANNE d'arc MÉDIUM
let trace du rôle de la Pucelle au siège de
Troyes (i) :
« La Pucelle, à cheval, un bâton à la main, accou-
rut aussitôt dans les campements pour faire prépa-
rer, en toute hâte, les engins et les matériaux néces-
saires à Tattaque de vive force de la place. Elle eut
bientôt communiqué son ardeur aux troupes, et cha-
cun s'empressa à la besogne qui lui incombait : che-
valiers, écuyers, archers, gens de toutes conditions
mirent une activité prodigieuse à disposer, sur des
points bien choisis, les quelques canons et bom-
bardes que l'armée possédait, à transporter des fas-
cines, madriers, planches, ais déportes, volets, etc.,
et à construire des couverts et des approches, en vue
d'un assaut imminent et terrible (2).
« Jeanne encourageait les travailleurs, stimulait
leur zèle, veillait à tout et faisait, dit Dunois dans sa
déposition, si merveilleuse diligence, que deux ou
trois capitaines consommés n'auraient pu faire da-
vantage.
« Et cela se passait au milieu de la nuit, qui don-
nait un aspect fantastique à ces préparatifs extraor-
dinaires : mouvements d'hommes, de chevaux et de
charrois, à la lueur fumeuse des torches, dans un
vacarme assourdissant de cris, d'appels, de hennis-
sements, de coups de hache et de marteau, de cra-
(1) Voir Bulletin de la Société d'Études psychiques de Nancy,
décembre 1907.
(2) Chronique de la Pucelle.
GÉNIE MILITAIRE DE JEANNE d'aRC 383
quemenls et d'écroulements, de grincements d'es-
sieux, de cahotements, etc.
« Le spectacle n'était point banal, sans doute,
pour les hommes d'armes de la garnison, veillant
derrière les créneaux, et les bourgeois de la ville,
montés au plus haut des maisons et des monuments
publics, et nous pouvons facilement nous imaginer
leur étonnement et leur épouvante. Quel change-
ment s'était donc opéré dans le camp français plutôt
découragé ? Que voulaient dire cette étrange agita-
tion, cet effrayant tumulte ? Mystère diabolique ne
présageant rien de bon : une formidable catastrophe
planait sur la ville, c'était certain !
« Les bruits les plus sinistres circulaient parmi
les gens du peuple terrifiés ; on se pressait dans les
églises ; on se lamentait ; on clamait qu'il fallait se
soumettre au roi et à la Pucelle, ainsi que le con-
seillait frère Richard dans ses prédications (i).
L'évêque et les notables bourgeois étaient dans une
cruelle perplexité : ils s'étaient engagés à résister
jusqu'à la mort ; mais ils commençaient à entrevoir
les avantages de la soumission. Quant aux seigneurs
et aux hommes d'armes de la garnison, ils étaient
peu rassurés sur l'issue de la lutte, si la terrible
Pucelle les assaillait.
« Cependant, l'effroyable tumulte cessa peu à peu
dans le camp français ; les torches s'éteignirent les
(1) Ipsi cives perdiderunt animum nec quœrebant nisi
refugium et fugere ad ecclesias. (Déposition de Dunois.)
384 JEANNE d'arc MEDIUM
unes après les autres, et la nuit sembla plus noire.
Les assiégés angoissés ne voyaient plus que des
masses sombres et confuses, qui semblaient grossir
et se mouvoir sur quelques points rapprochés des
fossés ; ils n'entendaient plus qu'une vague rumeur
de voix étouffées, d'armes entre-choquées, de pas mal
assurés, de branchages froissés, etc., sinistre gron-
dement, précurseur de la tempête.
« Mais à l'aube, tout se dessina plus nettement
aux yeux troublés des Troyens ; le fantastique dis-
parut peu à peu pour faire place à la réalité non
moins menaçante, à savoir : le dispositif complet
d'un assaut qui ne pouvait être que furieux, obstiné,
implacable !
« L'armée française, munie de son matériel d'ap-
proche et d'attaque, était disposée en ordre parfait
sur les points les plus favorables , car la Pucelle,
comme de coutume, avait mis le temps à profit pour
reconnaître la place ; les trois ou quatre pièces d'ar-
tillerie, bien placées et bien abritées, s'apprêtaient
à ouvrir le feu et à suppléer au nombre par la rapi-
dité et la justesse du tir; les groupes de porteurs de
fascines et d'échelles, les archers et arbalétriers,
embusqués derrière les abris, les colonnes d'assaut
et les réserves, silencieuses et recueillies, attendaient
le signal, et la Pucelle, debout au bord du fossé, son
étendard à la main, donnait un coup d'œil satisfait à
cet ensemble imposant, avant de faire avancer les
« trompilles » pour sonner l'attaque : c'était d'un
effet saisissant. »
GÉNIE MILITAIRE DE JEANNE d'aRC 385
Enfin, le colonel Biottot, dans ses Grands
Inspirés devant la Science : Jeanne d^Arc,
s'élève à des vues d'ensemble, que nous croyons
devoir reproduire, en terminant ce chapitre (1) :
« Les inspirations militaires de Jeanne d'Arc, nous
dit un critique éminent, lui furent galamment prê-
tées par les gens de métier, ses compagnons d'ar-
mes.
« Les faits témoigneront à l'encontre de la thèse,
mais dès maintenant nous voyons la raison qui la
fait insoutenable. La guerre est un acte qui, comme
tous les actes, est commandé dans ses formes par
son objet. — Héréditairement, les seigneurs, les
chefs de bandes qui seront les collaborateurs de
Jeanne, ont une conception de l'objet de la guerre
diamétralement opposée à celle qu'énonce et mani-
feste l'héroïne.
« National est pour elle cet objet et elle s'efforce
à créer instruments et procédés adéquats. Elle
s'adresse de préférence, pour constituer ses armées,
à l'élément national, aux bons Français ; ceux-ci,
déjà compréhensifs de la cause, seront compréhen-
sifs des procédés qui y conviennent. Ces procédés
seront d'invention simple et de compréhension
facile. Il s'agit de faire vite et décisivement ; on
frappera avec énergie, ténacité, rapidité et avec
suite, et là où l'ennemi « a sa plus grande puis-
sance ». C'est toute la stratégie et la tactique des
(1) Pp. 150, 155, 158,211, 213.
386 JEANNE d'arc MÉDIUM
guerres de Nation, c'est la stratégie et la tactique
de Napoléon, qui en reçut l'inspiration de la natio-
nalisation des causes et des instruments de la guerre
de son temps.
« Mais ce ne peut être stratégie et tactique des
professionnels du quinzième siècle. Ils se laisseront
entraîner à appliquer cette stratégie et cette tac-
tique ; ils ne peuvent les imaginer, les souffler. Elles
rompent avec leurs traditions, leurs routines ; elles
doivent ruiner leur métier.
« Napoléon, s'il eût eu Frédéric parmi ses lieute-
nants, eût-il pu être suspecté de tenir ses inspirations
de ce génie de la guerre géométrique, à acteurs mer-
cenaires ? Il est moins possible encore que Jeanne
ait été l'inspirée d'un Dunois, d'un La Hire, maîtres
peut-être en la petite escrime de leur siècle, mais
d'autant plus incapables d'une largeur, d'une ingé-
niosité, d'une nouveauté des vues qui pouvaient
seules découler de l'extension, de la diversité, de la
nouveauté de la scène où le nationalisme se déga-
geant enfin portait la guerre
« Son instrument pour guerre nationale Jeanne
doit l'inventer. Il faut à œuvre nationale, artisans
nationaux. Elle réunit l'armée de Gien qui, dans sa
foi patriotique, son ardeur civique, est le prototype
des armées de citoyens. Il n'y a pas là mince mérite,
quoi qu'on soit tenté de croire d'abord.
« Combien ne devait-il pas paraître plus expéditif ,
plus sûr et plus simple de ne faire appel qu'aux
bandes professionnelles, toutes militarisées, ou du
GÉNIE MILITAIRE DE JEANNE d'aRG 387
moins de leur donner dans la composition de Tarmée
toute la place qu'autorisaient leur nombre et les
finances. C'est le contraire que fait Jeanne; elle
exclurait plutôt les bandes.
« Jeanne imagina ou créa donc l'instrument con-
venable à la guerre qu'il lui fallait faire et en cela^
déjà, son génie résolut victorieusement une difficulté
avec laquelle n'eut pas à compter le génie de Napo-
léon. Napoléon, en effet, reçut comme entrée de jeu,
nous l'avons dit, la nationalisation à laquelle la
France avait été conduite, de la guerre et des armées.
Il n'eut pas à montrer d'intérêt national, l'objet qu'il
proposait aux efforts : la défaite de la volonté enne-
mie prétendant attenter à la liberté et à la vie de la
Nation. Gela allait de soi plus clairement que du
temps de Jeanne. 11 ne manqua pas, pourtant, de le
rappeler, de le répéter comme l'héroïne. Il avait com-
pris, il avait pu observer que là était la force morale,
supérieure à la force numérique et mécanique de
l'adversaire. Il avait reconnu la nécessité, pour le
chef de guerre, de faire commune dans sa généra-
lité, vitale dans son intérêt, la cause à débattre.
« Le génie de Jeanne avait conçu cela spontané-
ment, parce qu'il était directement et véritablement
inspiré d'une cause générale
« Si l'on ne juge pas du génie d'après l'importance
des moyens mis en œuvre, si on ne doit le recon-
naître qu'à la nouveauté, l'originalité de ces moyens,
le génie de Jeanne est aussi indéniable que celui de
Napoléon.
388 JEANNE d'arc MEDIUM
« Avons-nous vu, au cours de ces derniers événe-
ments (i), que le génie de la Pucelle ait subi une
éclipse, s'en soit remis aux inspirations de l'entou-
rage? Ce génie nous est apparu, au contraire, plus
trempé que jamais d'énergie et de ténacité, de
volonté, plus que jamais souple, ingénieux, fécond
dans l'adaptation des moyens aux circonstances, plus
que jamais personnel et faisant de soi.
« A Saint-Pierre-le-Moutier, à la Charité, comme
devant la bastille Saint-Loup, il ne faut qu'audace,
domination de la volonté adverse par la manifesta-
tion d'une volonté de puissance et d'essence supé-
rieures. Plus qu'à la bastille Saint-Loup, Jeanne
est audacieuse et de volonté dominatrice.
« Devant Franquet d'Arras, elle inaugure une tac-
tique qui sera celle de Napoléon, le plus souvent, et
lui vaudra ses plus grands succès. Elle immobilise,
elle fixe un ennemi supérieur en nombre jusqu'à ce
qu'elle puisse l'écraser, énervé, décimé, avec le con-
cours de troupes accourues.
« Pour délivrer Choisy, elle imagine, puisqu'elle
ne peut frapper, elle imagine des coups et ma-
nœuvres indirects, ce qui deviendra, deux siècles plus
tard, la guerre d'évolution, la guerre des Turenne,
Montécuculli, Frédéric le Grand
« Au cours des derniers faits d'armes de l'héroïne,
et même à Compiègne, le génie de Jeanne resta égal
à lui-même. Et comment ne l'eût-il pas été, procé-
(1) Il s'agit de la retraite effectuée après lattaque de Paris.
GÉNIE MILITAIRE DE JEANINE d'aRG 389
danl d'une même inspiration, d'une même passion,
plutôt exaspérée qu'affaiblie. »
Notre histoire est riche en grands capitaines :
gentilshommes ou fils du peuple, tous preux à
la vaillante épée. Jeanne d'Arc, on le voit, les
égale et, en certains points, les surpasse. Elle
a toutes leurs qualités militaires, et elle a plus
encore : Thabileté dans la préparation, et l'au-
dace, la fougue irrésistible dans Texécution.
Elle sait d'instinct que le soldat français excelle
dans l'offensive, que la faria est un des privi-
lèges de notre race. Aussi cinq jours lui suffi-
sent pour débloquer Orléans, huit jours pour
dégager la vallée de la Loire, quinze pour con-
quérir la Champagne : en tout, deux mois à peine
pour relever la France abattue. C'est en vain
qu'on chercherait un fait semblable dans l'his-
toire. Les guerriers les plus illustres peuvent
s'incliner devant cette jeune fille de dix-huit ans,
dont le front s'auréole du prestige de telles vic-
toires !
On ne rencontre pas un seul. moment de dé-
faillance physique ou morale dans cette carrière
étonnante, mais partout et toujours l'endu-
rance, l'intrépidité dans le combat, l'insouciance
du danger et de la mort, la grandeur d'âme
dans la souffrance. Sans cesse, l'amour du pays
390 JEANNE d'arc MÉDIUM
vibre et palpite en Jeanne, et aux heures déses-
pérées, il éclate en paroles brèves, enflammées,
qui emportent tout.
Bref, sans l'intervention de causes occultes,
on ne saurait expliquer chez cette enfant la
réunion d'aptitudes guerrières et de connais-
sances techniques, que, seules, peuvent procu-
rer l'expérience et une longue pratique du mé-
tier des armes.
La France a possédé des milliers de vaillants
soldats et d'habiles généraux ; elle n'a eu qu'une
Jeanne d'Arc !
XX. — Jeanne d'Arc au vingtième siècle ;
SES admirateurs: ses contempteurs.
Je suis dolente de voir que les Fran-
çais se disputent mon âme.
Jehanne.
La deuxième moitié du dix-neuvième siècle
et le commencement du vingtième ont vu se
produire, en faveur de la vierge lorraine, un
puissant courant d'opinion, à la fois laïque et
religieux. Les réputations mal assises ne ré-
sistent guère à l'action du temps. La physiono-
mie de rhéroïne, au contraire, grandit avec les
siècles et resplendit d'un plus vif éclat.
Ce courant d^opinion a deux sources. Il a
pris naissance, d'une part, dans les nombreux
ouvrages d'histoire et d'érudition, publiés par
J. Michelet, Quicherat, H. Martin, Wallon, Si-
méon Luce, J. Fabre, etc. Dans cet ordre
d'idées, aucun sujet n'a provoqué un ensemble
de travaux aussi imposant.
Il découle aussi des enquêtes et du procès
dirigés par l'Église catholique, en vue de la ca-
392 JEANNE d'arc MEDIUM
nonisation de Jeanne d'Arc. Des deux côtés, la
mémoire de l'héroïne a trouvé des admirateurs
sincères et des défenseurs généreux. Après
une longue période de silence et d'oubli, c'est
comme un réveil d'enthousiasme. On se croi-
rait au lendemain de la délivrance d'Orléans.
A mesure que les travaux se précisent, la lu-
mière se fait plus complète. Cette grande figure
sort des limites étroites, dans lesquelles le passé
Tavait enfermée. Elle apparaît maintenant dans
toute sa beauté, comme la plus pure incarna-
tion de l'idée de patrie, comme un véritable
messie national. Ce magnifique élan de sym-
pathie, malgré les efforts de certains détracteurs
dont nous parlerons plus loin, n'a cessé de
s'accentuer; aujourd'hui, la Pucelle est sur le
point de devenir la figure historique la plus
populaire de notre pays.
Dès 188/i, le cabinet politique, présidé par
M. Dupuy, prit l'initiative d'une fête nationale
en rhonneur de Jeanne d'Arc. Une première
proposition fut présentée à la Chambre, le
30 juin. Elle portait les signatures de 252 dé-
putés et préludait par un exposé des motifs
ainsi conçu :
« Un grand mouvement d'opinion vient de se pro-
duire en faveur de Tinstitution d'une fête nationale
de Jeanne d'Arc, qui serait la fête du patriotisme.
JEANNE d'arc AU VINGTIÈME SIECLE 393
« La République des États-Unis, outre sa fête de
l'Indépendance, a sa fête de Washington. La Répu-
blique française, outre sa fête de la Liberté, aurait
sa fête de Jeanne d'Arc.
« 11 y aura à opter entre deux dates : le 8 mai, date
glorieuse de la délivrance d'Orléans, et le 3o mai,
jour anniversaire de la mort de Jeanne d'Arc.
« Le 3o mai se trouvant peut-être trop rapproché
du i4 juillet, nous proposerons le 8 mai.
« Ce jour-là, tous les Français s'uniraient dans une
bienfaisante communion d'enthousiasme. »
La commission d'initiative conclut à la prise
en considération. Mais la législature ayant pris
fin, la proposition resta en suspens, puis fut
reprise par le Sénat, sur la demande de 120 sé-
nateurs républicains.
Dans son rapport, présenté à la haute assem-
blée, M. Joseph Fabre, sénateur de PAveyron,
s'exprimait ainsi :
« Ni l'Orient avec toutes ses légendes, ni la Grèce
avec tous ses poèmes, n'ont rien conçu de compa-
rable à cette Jeanne d'Arc que l'histoire nous a don-
née. »
Dans sa conclusion, il disait encore:
« Le moment n'est-il pas opportun pour opposer
cette grande mémoire aux déclarations dangereuses
de tous les pontifes du cosmopolitisme, qui vou-
draient nous persuader qu'il ne nous reste pas même
394 JEANNE d'arc MEDIUM
la seule religion qui ne comporte pas d'athées, la
religion de la patrie? »
Le projet de loi fut voté par le Sénat et ren-
voyé à la Chambre.
Le 29 juillet 1890, le Conseil supérieur de
l'Instruction publique, de son côté, adoptait la
proposition suivante :
« Est déclaré jour de fête, pour tous les établisse-
ments d'instruction publique, le 8 mai de chaque an-
née, jour anniversaire de la délivrance d'Orléans. »
Cette décision n'eut aucune suite. Quant au
projet de loi voté par le Sénat, il dort encore
dans les cartons de la Chambre. Ni l'examen
ni la discussion n'en ont été abordés en séance
publique, malgré une énergique pétition des
femmes de France. En cela les députés républi-
cains ont commis une lourde faute. Leur indiffé-
rence, leur mauvais vouloir ont permis aux ca-
tholiques de prjendre les devants, de s'emparer
de cette noble figure de vierge et de la placer
sur leurs autels. Alors qu'elle devrait apparte-
nir à tous les Français, constituer un lien entre
les divers partis, unis pour honorer sa mé-
moire, elle risque de devenir ainsi la prison-
nière d'une religion exclusive.
Quelle considération a retenu nos politiciens
sceptiques de la Chambre ? Probablement les
JEANNE d'arc AU VINGTIÈME SIÈCLE 395
« voix » de Jeanne d'Arc et le caractère spiri-
tualiste de sa mission. Mais ces voix ont existé,
le monde invisible est intervenu. La solidarité
qui relie les êtres vivants s'étend par delà le
monde physique, embrasse deux humanités et
se révèle par des faits. Les Entités de l'espace
ont sauvé la France au quinzième siècle par
l'intermédiaire de l'héroïne. Que cela plaise ou
non, on ne supprime pas l'histoire. La France
et le monde sont entre les mains de Dieu,
même lorsque ce sont les matérialistes et les
athées qui gouvernent. La Révolution elle-même
fut un geste des puissances invisibles ; mais
elle ne fut pas comprise dans l'idée-mère qui
l'inspira.
On peut combattre le cléricalisme et ses
abus ; pour ce qui est de l'idéal spiritualiste et
religieux, on ne le détruira jamais. Il domine
les temps et les empires, se transformant avec
eux pour revêtir un caractère toujours plus large
et plus élevé.
Quant à cette sorte d'accaparement de la mé-
moire de Jeanne par l'Église catholique, ne
l'oublions pas, c'est l'étroitesse d'esprit de cer-
tains républicains qui l'a rendu possible.
Jeanne a autant de titres à l'afFection des dé-
mocrates qu'à celle des cléricaux. En effet, son
œuvre n'est pas seulement une affirmation de
39G JEANNE d'arc MEDIUM
r Au-delà, elle est aussi la glorification du
peuple dont elle est issue, celle de la femme^
celle du droit des nations et surtout Taffirma-
tion de l'inviolabilité des consciences.
Les hommes de 89 et de li8 avaient une tout
autre conception de cette idéale figure que les
républicains de nos jours. Tous s'inclinaient
devant la mémoire de Jeanne, et Barbés écri-
vait « qu'elle aurait un jour sa statue jusque
dans nos plus petits hameaux ».
Du côté catholique, le mouvement d'opinion
en faveur de la Libératrice a suivi une marche
régulière et continue. L'évêque d'Orléans,.
Mgr Dupanloup, conçut, le premier, le projet de
canonisation. Le 8 mai 1869, il adressa au pape
Pie IX une requête signée par de nombreux
évêques, pour obtenir que la « Pucelle, pro-
clamée sainte, pût recevoir dans les temples
les hommages et les prières des fidèles ». Les
événements de 1870, et la chute du pouvoir tem-
porel retardèrent les effets de cette première
instance. Mais, peu après, la question fut re-
prise, et le « procès informatif », ordonné en
187/i, fut terminé en 1876.
Le 11 octobre 1888, trente-deux cardinaux,
archevêques et évêques français, adressaient à
Léon XIIÏ « leurs supplications pour que
Jeanne d'Arc fût bientôt placée sur les autels ».
JEANNE d'arc AU VINGTlÈiME SIÈCLE 397
Le 27 janvier 189/i, la congrégation des Rites
se prononçait à l'unanimité pour l'introduction
de la cause, et Jeanne d'Arc était déclarée
« vénérable ». C'est le premier degré de la
canonisation.
Puis vint la béatification, célébrée en grande
pompe le 24 avril 1909, à Saint-Pierre de Rome,
par Pie X, en présence de 30.000 pèlerins fran-
çais, dont 65 évêques. La foule débordait sur les
parvis et couvrait la place jusqu'à la colonnade
du Bernin.
Pour justifier cette béatification, on a invo-
qué des motifs étonnants, des « guérisons mi-
raculeuses » de cancers et autres maladies,
opérées par Jeanne d'Arc sur des religieuses,
à la prière de celles-ci. Nous savons que ces
guérisons sont une des conditions imposées par
l'Église pour la canonisation ; mais n'aurait-on
pu trouver mieux ?
Nous ne songeons nullement à blâmer les
manifestations solennelles qui ont eu lieu à
Rome et dans la France entière. Tous les Fran-
çais ont le droit d'honorer la Libératrice à leur
guise. Nous regrettons seulement qu'un parti
politique profite presque exclusivement de
cette béatification, par la faute de républicains
matérialistes et mauvais patriotes, qui ont
manqué de sens pratique et de clairvoyance.
23
398 JEANNE d'arc MEDIUM
Nous disons : parti politique. En effet, dans
le mouvement catholique en faveur de Jeanne
d'Arc, l'intérêt de caste paraît évident. On ex-
ploite la mémoire de l'héroïne, et on la déforme
en la sanctifiant ; on cherche à faire d'elle un
trophée, un signe de ralliement pour des luttes
semi-politiques, semi-religieuses. La vierge
lorraine paraît peu sensible à ces hommages.
Aux cérémonies bruyantes, elle préfère l'affec-
tion de tant d'âmes modestes et obscures, qui
savent l'aimer en silence. Leurs pensées mon-
tent vers elle comme le parfum discret des vio-
lettes, dans le calme et le recueillement de la
prière. Et cela la touche plus que l'éclat des
fêtes et le fracas des orgues ou des canons.
Ce courant catholique a provoqué un courant
contraire. C'est seulement depuis peu qu'on
voit, avec un étonnement mêlé de stupeur, se
dessiner contre Jeanne d'Arc une campagne
de dénigrement. Alors que tous les peuples
nous l'envient, que les Allemands la glorifient
par Tœuvre de Schiller, tandis que les Anglais
eux-mêmes l'honorent comme un des plus
beaux exemples offerts à l'humanité, il faut que
ce soit en France que l'on entende critiquer,
JEANNE DARG AU VINGTIÈME SIÈCLE 399
rabaisser une des plus pures gloires de notre
nation.
Toute une catégorie d'écrivains libres pen-
seurs s'est ruée sur le renom de Jeanne. La
franc-maçonnerie elle-même, cette association
puissante qui, pendant des siècles, fut l'asile
de toutes les idées généreuses, le refuge et le
soutien de ceux qui luttaient pour la liberté
contre l'oppression, aveuglée maintenant par
son matérialisme doctrinal, s'est abaissée jus-
qu'à prendre l'initiative d'un mouvement contre
la grande inspirée. L'institution d'une fête de
Jeanne d'Arc fit probablement craindre aux
grands maîtres de la Maçonnerie française, que
la glorification de l'épopée de Jeanne provo-
quât un réveil de l'idéal religieux.
Quel que soit le mobile auquel ils aient obéi,
voici la circulaire que le président de la Loge
« Clémente amitié » adressa aux députés francs-
maçons du Parlement, le jour où la discussion
sur rinstitution de la fête de Jeanne d'Arc
devait venir à la Chambre :
« La Chambre est aujourd'hui saisie d'un rapport
sentimental appuyé sur des pétitions de femmes,
colportées par les curés. Le projet de loi pour une
fête de Jeanne d'Arc porte de nombreuses signatures
de membres du Parlement, aveugles ou complices
de la réaction cléricale. Les aveugles, adressez-vous
400 JEANNE d'arc MEDIUM
à eux, TT.-.CG/.FF.*., et relevez leurs paupières;
les complices, complices du Pape et des Jésuites,
c'est notre affaire; nous les connaîtrons et nous ne
les oublierons pas; mais nous vous supplions,
TT.'.CG.-.FF.'. républicains, sans compromissions
sordides, d'empêcher l'institution de la fête de
Jeanne d'Arc. »
Cette injonction produisit son effet, et la mise
à l'ordre du jour fut définitivement repoussée
en 1898.
Ont-ils obéi au même mot d'ordre, ce direc-
teur d'un journal parisien et ce professeur de
l'Université, qui se sont acquis une notoriété
spéciale en dénaturant l'œuvre de Jeanne ? ou
bien ont-ils simplement cédé à ce besoin mal-
sain d'abaisser toute supériorité, qui est le
propre de certains esprits ? On ne sait ; mais on
ne peut que déplorer l'attitude de ces deux
hommes, que leur culture intellectuelle eût dû
préserver d'une telle déchéance.
Lisons ce qu'écrit M. Bérenger, directeur du
journal r Action, sur la grande âme dont nous
venons d'étudier la vie :
« Maladive, hystérique, ignorante, Jeanne d'Arc,
même brûlée par les prêtres et trahie par son roi, ne
mérite pas nos sympathies. Aucun des idéaux, au-
cun des sentiments qu'inspire l'humanité d'aujour-
d'hui n'a guidé l'hallucinée mystique de Domremy.
JEANNE d'arc AU VINGTIÈME SIÈCLE 401
En soutenant un Valois contre un Plantagenet, que
fit-elle d'héroïque ou même de louable ? Elle contri-
bua, plus que tout autre, à créer, entre la France et
l'Angleterre, le misérable antagonisme dont nous
avons peine à nous libérer six siècles après. Puisque
les calottes prétendent imposer son fétichisme à la
République, nous saurons répondre à cette provo-
cation comme il convient. Cette vierge stérile n'aima
que la religion et l'armée, l'huile sainte et l'arque-
buse. Son bûcher final nous la fait plaindre, non
l'admirer. Donc, à bas, le culte de Jeanne d'Arc ! A
bas, la légende empucelée ! A bas, toute hystérie
contre nature et contre raison, qui paralyse l'huma-
nité au profit d'une dynastie I »
Que dire de cet amas dinsanités, où presque
chaque mot est un outrage, chaque pensée un
défi à riiistoire et au bon sens ?
Et M. Thalamas, ce professeur d'un lycée de
Paris, cherchant, par ses cours à des enfants
de quinze ans, à faire pénétrer dans ces jeunes
cerveaux des doutes sur le véritable caractère
de la Pucelle ! A quelle source a-t-il puisé sa
prétendue érudition ?
Jaurès, le grand orateur socialiste, qui, le
l^*" décembre 1904, prit, à la Chambre des dé-
putés, la défense de ce singulier professeur
d'histoire, fut plus habile. Il sauva son client
des mesures disciplinaires qui auraient été
402 JEANNE d'arc MEDIUM
peut-être édictées contre lui, en puisant dans
ses souvenirs de l'École, les éléments d'une
sorte de panégyrique de la grande calomniée.
Dans son discours, Jeanne n'est plus l'halluci-
née, dépeinte à ses élèves par le professeur du
Lycée Gondorcet ; l'orateur est bien obligé de
lui concéder une « merveilleuse hauteur d'ins-
piration morale » ; puis il atténue cette appré-
ciation, trop spiritualiste sans doute, par une
louange excessive de « sa merveilleuse finesse
et subtilité d'esprit», ce par quoi elle se rat-
tache « au vieux fond gaulois de notre race ».
Dans ses articles de journaux, conférences et
brochure, M. Thalamas semble aussi étranger
au patriotisme et aux nobles sentiments dont
l'histoire de la Pucelle est tissée, qu'aux no-
tions psychiques et aux connaissances militaires
qu'il est nécessaire de posséder, pour la bien
comprendre et surtout pour la décrire. En par-
courant son opuscule : Jeanne d'Arc^ Vhisloire
et la légende^ on est tout d'abord surpris de
voir avec quelle légèreté il fait la leçon à des
historiens tels que Michelet, H. Martin, etc.,
qui ont lu les textes, les ont compris et les ont
interprétés logiquement à leur point de vue psy-
chologique, patriotique et humain, dans un beau
langage. Tout en rendant justice çà et là à la
« splendide conviction » et même à « l'héroïsme »
JEANNE d'arc AU VINGTIÈME SIÈCLE 403
de la Pucelle, sous sa plume, la physionomie
de la Vierge lorraine s'estompe, s'efface ; sa
mémoire pâlit, son rôle se restreint. Elle
devient un personnage de deuxième ou troi-
sième plan.
Parfois, sa tactique consiste à comparer, à
opposer à Jeanne d'Arc d'autres voyantes : Ca-
therine de La Rochelle et Perrinaïc la Bre-
tonne. Or, on chercherait vainement dans l'exis-
tence de ces pauvres femmes un fait, un acte,
une parole comparables à ceux qu'on trouve en
abondance dans la vie de Jeanne. Il y a là un parti
pris évident, un désir d'amoindrir l'héroïne.
Dans ses conférences à travers la France,
M. Thalamas émettait l'opinion que les Orléa-
nais assiégés pouvaient se tirer seuls d'affaire;
dans sa brochure, il est d'un tout autre avis.
La prise d'Orléans, dit-il (p. 3/i), dans un délai
plus ou moins rapproché, malgré la mauvaise
direction du siège, n'en était pas moins fatale.
Les Parisiens, en 1870, pouvaient aussi chas-
ser les Allemands ; ni les hommes, ni l'argent,
ni le courage ne leur manquaient : on l'a bien
vu par la durée de leur résistance ; c'est un
chef possédant la foi communicative et les ta-
lents militaires nécessaires, qui leur a fait dé-
faut. Ce chef-là, Orléans le trouva et, par lui,
fut sauvé !
■404 JEANNE d'arc MEDIUM
Parmi les écrivains contempteurs de Jeanne
d'Arc, M. Anatole France s'est fait une place
considérable par la publication, en 1908, de
deux gros volumes in-8. Mais son œuvre, si
importante en apparence par l'étendue et la
documentation, perd beaucoup de sa valeur
dès qu'on la soumet à une analyse attentive. Ce
qui domine en elle, c'est l'ironie perfide et les
subtiles moqueries. On n'y trouve pas de bru-
talités à la manière des Bérenger et autres cri-
tiques. L'habile académicien procède par voie
d'insinuation. Tout concourt, dans ces pages,
à rapetisser l'héroïne et, souvent, à la rendre
ridicule.
Si, en certains cas, il consent à lui rendre
justice, la plupart du temps, il la ravale au
dernier rang et lui attribue le rôle d'une fille
imbécile. Ainsi, lorsque Loyseleur vient l'entre-
tenir^ nombre de fois, dans sa prison, tantôt
sous le costume d'un cordonnier, tantôt sous
un vêtement ecclésiastique, elle ne s'aperçoit
pas qu'elle a affaire à une seule et même per-
sonne.
Le premier volume de M. France était remar-
q^uable comme style et coordination d'idées. On
y retrouvait le subtil lettré. Le second fut in-
cohérent, d'un style relâché, rempli d'anecdotes
plaisantes ou tragiques, de faits curieux, par-
JEANNE d'arc AU VINGTIEME SIÈCLE 405
fois étrangers au sujet. Ces récits en rendent
cependant la lecture amusante, et en ont assuré
le succès. Mais c'est en vain, que dans toute
l'œuvre on chercherait un sentiment élevé et
quelque grandeur. Ces qualités sont inconnues
à Fauteur. Et que d'erreurs volontaires!
Ces erreurs. M. Achille Luchaire, professeur
à la Sorbonne, Tun des maîtres incontestés des
études sur le moyen âge, a été un des premiers
à les signaler. En voici un exemple. Le cheva-
lier Robert de Baudricourt est, pour M. Ana-
tole France, un homme « simple et jovial ». Et,
à Pappui de cette affirmation, il cite {Procès,
t. III, p. 86) une page où il n'est nullement
question de ce personnage (Luchaire, Grande
Revue, 25 mars 1908, p. 231, note). M. France
prête au même Baudricourt cette opinion « que
Jeanne ferait une belle ribaude, et que ce serait
un friand morceau pour les gens d'armes ».
« Mais le Procès (t. III, p. 85), auquel M. France
se reporte à ce sujet, dit ^î. Luchaire, ne parle
que de l'entrevue de Chinon et du siège d'Or-
léans, et nullement du capitaine de Yaucou-
leurs. » {Grande Revue, 25 mars 1908, p. 230,
note) (1).
M. Luchaire donne d'autres exemples. Des
(1) Voir Revue hebdomadaire, 4 juillet 1908.
23.
406 JEANNE d'arc MEDIUM
constatations identiques sont faites par M. Sa-
lomon Reinacii dans la Revue critique. M. France
ccrit : « Elle entendit la voix qui lui disait :
Le voilà! » En note, renvoi à Procès (t. II,
p. Zi56), où on ne trouve rien de tel [Revue cri^
tique, 19 mars 1908, p. 214). De même M. An-
drew Lang, dans la Fortnightly Review. A pro-
pos de prétendues prophéties que les prêtres
auraient révélées à quelques dévots, et parmi
eux à Jeanne d'Arc, M. Lang fait observer :
« A l'appui de son dire, M. France cite un
passage du procès qui prouve exactement le
contraire de ce qu'il vient d'avancer. » Ailleurs,
il s'agit des voyages que Jeanne aurait faits à
Toul, pour y paraître devant le tribunal de
Pofficial, sous l'inculpation d'avoir rompu une
promesse de mariage, et M. Lang objecte : « A
Fappui de ses dires, M. France cite trois pages
du Procès (t. I et II). L'une des trois (t. II,
p. M6) n'existe pas, les deux autres ne confir-
ment en rien ce qu'il avance, et l'une des pages
suivantes le contredit. »
Dans un article bibliographique publié par
la Revue hebdomadaire (1), M. Funck-Brentano
fait ressortir avec justesse ces graves imper-
fections de l'œuvre de M. France:
(1) Revue hebdomadaire, 4 juillet 1908.
JEANNE d'arc AU VINGTIÈME SIÈCLE 407
« Les inexactitudes y reviennent sans cesse. Elles
surprennent de la part d'un écrivain qui, au cours
de sa préface, se montre si sévère à ses devanciers ;
mais, après tout, il n'y a là que péché véniel, encore
qu'il se répèle souvent. On devient plus perplexe sur
la valeur historique de l'œuvre de France, quand on
trouve aux textes une portée toute différente de
celle qu'il leur attribue. Qu'un historien force sa
pensée dans la direction d'idées préconçues, c'est
regrettable ; mais que dire s'il y incline arbitraire-
ment les documents eux-mêmes ?
« Les différents critiques, qui se sont occupés jus-
qu'à ce jour de l'œuvre retentissante de M. France,
de cette Vie de Jeanne tfAi^c qui fit tant de bruit
avant même que de paraître, ont été surpris de
constater, en maints endroits, à propos des textes
auxquels renvoyait l'auteur comme fondement de
son récit ou de ses opinions, que, non seulement ces
textes étaient reproduits ou commentés inexacte-
ment, mais qu'ils ne contenaient rien qui concernât
de près ni de loin ce que M. France leur faisait
dire.
« Le sens commun, dit M. France, est rarement
le sens du juste et du vrai (t. I, p. 827). Aussi le sens
commun a-t-il été exclus de son livre avec un soin
parfait. En son lieu et place, pour l'agrément du
lecteur, des histoires pittoresques et inattendues,
T. I, p. 532, il s'agit du don, attribué à nos anciens
rois, de guérir les écrouelles. Notre séduisant histo-
rien constate que, dans la vieille France, les vierges
408 JEANNE d'arc INIÉDIUM
avaient le même don, à condition qu'elles fussent
toutes nues et qu'elles invoquassent Apollon. Voilà,
du moins, qui est imprévu! La citation renvoie à
Leber (Des Cérémonies du sacre). M. Salomon Rei-
nach Ta vérifiée : il s'agit d'un emprunt fait par un
clerc à Pline, lequel vivait au premier siècle! »
Au cours du même article, M. Funck-Brentano
cite encore Topinion d'Andrew Lang, auteur
d'un ouvrage estimé sur Jeanne d'Arc, publié
en langue anglaise :
« M. Lang signale l'éternel et déplaisant ricane-
ment dont M. France accable littéralement ses lec-
teurs. Le mot « ricanement » est sans doute un peu
dur. M. France ne ricane pas. C'est le fin sourire
d'un aimable ironiste. Mais l'ironie n'est pas de l'his-
toire. L'ironiste se moque et l'historien doit expli-
quer. Qu'est-ce que l'histoire? L'explication des faits
du passé.
« Mais revenons à M. Lang qui dit : « La première
« qualité du véritable historien, c'est l'imagination
« sympathique qui, seule, permet de comprendre
« l'époque dont il parle, d'en connaître les pensées et
« les sentiments, et de revivre en quelque sorte la vie
« des hommes d'autrefois. M. Anatole France manque
« de ce don essentiel à un degré tout à fait surpre-
(( nant. »
« M. France est un admirable sophiste — à
prendre ce mot dans son vrai sens. »
JEANXE d'arc au VINGTIÈME SIECLE 409
Enfin M. Funck-Brentano commente un arti-
cle du critique allemand, Max Nordau, sur la
Jeanne d'Arc d'A. France. 11 débutait par ces
mots, empruntés à Schiller, à propos de la
Pacelle d'Orléans : « Le monde aime à ternir
ce qui brille, il aime à traîner dans la poussière
ce qui s'est élevé. » La conclusion de l'article
répondait à cette entrée en matière :
« Après le travail d'Anatole France, il nous sera
difficile de passer sans haussement d'épaules devant
la statue équestre de la Pucelle d'Orléans. Sans bru-
talité, avec la main habile, douce et caressante d'une
soubrette, il l'a dépouillée de sa légende, et voici
que, privée de cette riche parure faite de contes et
de traditions, Jeanne d'Arc n'inspire plus que de la
pitié; il ne peut plus être question pour elle d'admi-
ration, ni même de sympathie. »
Ces lignes font ressortir nettement le carac-
tère perfide et malfaisant de l'œuvre d'un écri-
vain soi-disant rationaliste, qui, ne comprenant
rien aux effets, a néanmoins la prétention d'en
indiquer les causes, et ne craint pas de torturer
les textes pour fausser l'opinion.
L'œuvre de M. iVnatole France est, à certains
points de vue, une lourde erreur et une mau-
vaise action. On pourrait lui appliquer le mot
de Mme de Staël, parlant de- la Pacelle de
Voltaire : « C'est un crime de lèse-nation ! »
410 JEANNE d'arc MEDIUM
A ces diatribes, nous allons opposer l'opi-
nion de contemporains illustres, qui ne se
sont pas laissé aveugler par la haine poli-
tique.
Vers la fin du dernier siècle, un journaliste,
Ivan de Wœstyne, ayant eu l'idée de deman-
der aux membres de l'Académie française leur
sentiment sur Jeanne d'Arc, recueillit un en-
semble de témoignages constituant le plus ma-
gnifique éloge de l'inspirée (1). Ces représen-
tants les plus raffinés du talent et de l'esprit en
notre pays, tinrent à honneur de déposer aux
pieds de l'héroïne le tribut de leur admira-
tion et de leur reconnaissance.
Pasteur écrivait :
« La grandeur des actions humaines se mesure à
l'inspiration qui les fait naître ; la vie de Jeanne
d'Arc en est la preuve sublime. »
Gaston Boissier s'écriait à son tour :
« Nous la reconnaissons ; elle est bien de notre
race et de notre sang: Française par les qualités
de son esprit autant que par son amour pour la
France. »
Mézières, un Lorrain, lui consacre les vers
suivants :
(1) Voir le supplément du Figaro du 13 août 1887.
JEANNE d'arc AU VINGTIÈME SIÈCLE 411
« Si tu ressuscitais, ô ma bonne Lorraine,
Tu conduirais au feu par les monts, par la plaine,
Nos jeunes bataillons vengeurs de leurs aînés. »
Léon Say ajoutait :
« Quand la patrie est malheureuse, il reste aux
Français une consolation. Ils se souviennent qu'il
est né une Jeanne d'Arc et que l'histoire se recom-
mence. »
Enfin, Alexandre Dumas fils exprimait dans
une brève formule les sentiments du pays tout
entier :
« Je crois qu'en France tout le monde pense de
Jeanne d'Arc ce que j'en pense moi-même. Je l'ad-
mire, je la regrette et je l'espère I »
Beaucoup d'autres penseurs et hommes poli-
tiques s'associèrent à cette manifestation. Dans
un discours prononcé au Cirque américain,
Gambetta s'écriait (1) :
« Il faut en finir avec les querelles historiques,
On doit passionnément admirer la figure de la Lor-
raine qui apparut au quinzième siècle, pour abaisser
l'étranger et pour nous redonner la patrie. »
De son côté, Jules Favre prononça à Anvers
un panégyrique de Jeanne d'iVrc, qui se termi-
nait ainsi:
(1) Voir J. Fabre, Procès de réhabilitalidn, t. II. La fête na-
tionale de Jeanne d'Arc.
412 JEANNE d'arc MÉDIUM
« Jeanne, Pucelle d'Orléans, c'est la France! la
France bien-aimée, à laquelle on se doit dévouer
d'autant plus qu'elle est malheureuse; c'est plus en-
core, c'est le devoir, c'est le sacrifice, c'est l'hé-
roïsme de la vertu ! Les siècles reconnaissants n'au-
ront jamais assez de bénédictions pour elle. Heureux
si son exemple peut relever les âmes, les passionner
pour le bien et répandre, sur la patrie entière, les
germes féconds des nobles inspirations et des dé-
vouements désintéressés ! »
Avant Jules Favre, Eugène Pelletan avait
admiré dans Jeanne la patronne de la démocra-
tie. II disait aussi (1) :
« O noble fille ! tu devais payer de ton sang la
plus sublime gloire qui ait sacré une tête humaine.
Ton martyre devait diviniser encore plus ta mission.
Tu as été la plus grande femme qui ait marché sur
cette terre des vivants. Tu es maintenant la plus
pure étoile qui brille à l'horizon de l'histoire. »
Francisque Sarcey s'inscrivait sur les listes
de l'évêque de Verdun et déclarait :
« saluer de tout son patriotisme le jour où toutes
les églises du pays s'ouvriront à la fois pour célébrer
les louanges de Jeanne, et lui réserveront une cha-
pelle que les femmes viendront parer de fleurs. »
Cette déclaration nous ramène dans le camp
(1) Voir J. Fabre, Procès de réhabilitation, t. II. La fête
nationale de Jeanne d'Arc.
JEANNE d'arc AU VINGTIÈME SIECLE 413
adverse, le camp de ceux qui pensent avoir
racheté le passé, en érigeant sur leurs autels
la statue de Fhéroïne.
Nous nous sommes suffisamment expliqué à
leur endroit pour n'avoir plus à insister. En ses
messages reproduits plus haut, Jeanne elle-
même s'est prononcée; après sa parole, la nôtre
aurait peu d'autorité.
Rappelons seulement certains propos et dis-
cours, qui jurent singulièrement avec l'affirma-
tion des écrivains et des orateurs de ce parti,
que leur culte pour la « sainte nouvelle » est
un sentiment noble et sans alliage, une des
formes les plus pures de l'amour du pays.
Dans une circonstance solennelle, au milieu
d'une assistance nombreuse où figuraient, au
premier rang, trois grands dignitaires de
l'Eglise, Pévêque de Belley, Mgr Luçon, tenait
le langage qu'on va lire. La scène se passe en
Vendée à l'érection du monument de Catheli-
neau. Après avoir fait du mouvement vendéen
le panégyrique inévitable en pareil lieu, l'ora-
teur termine par cette adjuration : « Plaise à la
divine Providence de consacrer un jour, en la
personne de Gathelineau, comme elle l'a fait
pour la libératrice de la France au quinzième
siècle, un des plus beaux modèles^ de l'héroïsme
se dévouant y^ro aris elfocis. »
414 JEANNE d'arc MÉDIUM
Peut-on vraiment concilier Famour de la patrie,
avec cette glorification enflammée de la guerre
civile en la personne d'un de ses chefs ? Est-ce
du patriotisme, cet aveuglement qui confond en
un même éloge Théroïque paysanne qui, jadis,
chassait l'Anglais de France, et les Vendéens
qui l'y introduisaient ?
Il faut noter aussi que le Monde et VUnivers
attaquèrent vivement l'institution d'une fête de
Jeanne d'Arc par la République, et soutinrent
qu'il appartenait aux seuls catholiques et roya-
listes de célébrer la Pucelle (1).
De nombreuses manifestations politiques se
sont produites sur divers points de la France,
dans lesquelles le nom de Jeanne devient un
trophée, un instrument de combat. Citons un
exemple entre tous :
Le Journal du 5 juillet 1909 publie le fait
suivant :
Lille, 4 juillet. — Cet après-midi, une réunion
royaliste a eu lieu à Lille. Quatre cents personnes y
assistaient. Après un exposé du programme roya-
liste par M. Pierre Lasseyne, professeur révoqué,
M. Maurice Pujo a fait une conférence sur Jeanne
d'Arc. Il a engagé les royalistes à adopter la conduite
(1) Voir Joseph Fabre, Procès de réhabillîalion, t. II. La
fête nationale de Jeanne d'Arc.
JEANNE DARG AU VINGTIEME SIECLE 415
de rhéroïne, c'est-à-dire à employer la méthode
violente pour arriver à leur but.
Certes, il est loisible aux catholiques et aux
royalistes d'honorer à leur manière cette mé-
moire bénie. Mais qu'ils n'oublient pas une
chose : ce serait un acte coupable de mêler le
nom de la grande inspirée à nos luttes, à nos
dissensions et, sous prétexte de lui rendre hom-
mage, de prendre à tâche de diviser les Fran-
çais, en discréditant, par des violences, une
cause que l'on croit servir.
Jeanne a péri victime des passions politiques
et religieuses de son temps. En ce qui la con-
cerne, le présent, on le voit, n'est pas sans
analogie avec le passé. Sa mémoire est ballottée
entre des courants d'opinions diverses. Aban-
donnée par les républicains de la Chambre, qui
ont dédaigné de sanctionner les décisions du
Sénat, elle est accaparée par les royalistes dans
un but trop intéressé. Exaltée par les uns, dé-
nigrée par les autres dans un esprit d'opposition
systématique, son prestige sombrera-t-il dans
cette tourmente d'idées? Non, car la pure et
noble image de la vierge lorraine est gravée
pour toujours dans le cœur du peuple, qui, lui,
saura Taimer pour elle-même, sans arrière-pen-
sée. Rien ne saurait l'en effacer!
416 JEANNE d'arc médium
Au milieu de nos discordes, le nom de Jeanne
d'Arc est encore le seul qui puisse rallier tous
les Français dans le culte de-la patrie. L'amour
de la France s'est affaibli dans le cœur de ses
fils. Des divisions profondes les séparent ; les
partis se font une guerre sans merci. Les reven-
dications violentes des uns, l'égoïsme et le res-
sentiment des autres, tout contribue à déchirer
la famille française. Les grands sentiments se
font rares ; les appétits, les convoitises, les
passions régnent en maîtres. Gomme au temps
de Jeanne, la voix des Esprits s'élève et nous
dit, sinon au point de vue matériel, du moins
au point de vue moral, « la grande pitié qui est
au pays de France ».
Élevons nos âmes au-dessus des misères et
des déchirements de l'heure présente. Appre-
nons, par Pexemple et les paroles de l'héroïne,
à aimer notre patrie comme elle sut l'aimer, à
la servir avec désintéressement et esprit de sa-
crifice. Redisons bien haut que Jeanne n'appar-
tient ni à un parti politique, ni à une Église
quelconque. Jeanne appartient à la France, à
tous les Français!
Aucune critique, aucune controverse ne sau-
rait ternir la chaste auréole qui l'entoure. Grâce
à un mouvement national irrésistible, cette
grande figure montera toujours plus haut dans
JEANNE d'arc AU VINGTIEME SIÈCLE 417
le ciel de la pensée calme, recueillie, libérée
des préoccupations égoïstes. Elle apparaît non
plus comme une personnalité de premier plan,
mais comme l'idéal réalisé de la beauté mo-
rale. L'histoire nous offre de brillantes pléiades
d'êtres de génie, de penseurs et de saints. Elle
ne nomme qu'une Jeanne d'Arc !
Ame toute faite de poésie, de passion patrio-
tique et de foi céleste, elle se détache avec éclat
de l'ensemble des vies humaines les plus belles.
Elle se montre sans voile à notre siècle scep-
tique et désenchanté, comme une pure émana-
tion de ce monde supérieur, source de toute
force, de toute consolation, de toute lumière,
de ce monde que nous avons trop oublié, et vers
lequel doivent maintenant se tourner nos
regards.
Jeanne d'Arc revient parmi nous, non seule-
ment par le souvenir, mais par une réelle pré-
sence et dans une action souveraine. Elle nous
invite à compter sur l'avenir et sur Dieu. Sous
son égide, la communion des deux mondes,
unis dans une même pensée d'amour et de foi,
peut encore se réaliser pour la régénération de
la vie morale expirante, pour le renouvellement
de la pensée et de la conscience de l'humanité!
XXL — Jeanne d'Arc a l'étranger.
Nous pensons en Angleterre
que Jeanne est la plus grande
héroïne qu'ait vue le monde, et
nous regrettons ce qui a été
fait et qui fut mal fait.
Edward Clarke.
La vie et Fœuvre de Jeanne d'Arc ont suscité
l'admiration de tous nos voisins. La vierge lor-
raine, critiquée, dénigrée en France, ne ren-
contre au dehors qu'un respect et une sympa-
thie universels.
Domremy est devenu le but de pèlerinages
internationaux. Le 14 juin 1909, les journaux de
Nancy publiaient la note suivante :
« Trois trains spéciaux ont amené jeudi, à
Domremy, des dames italiennes venant accom-
plir un pieux pèlerinage à la maison natale de
Jeanne d'Arc. »
De leur côté, les Anglais, venus soit en
groupes, soit isolément, y affluent. On y ren-
contre aussi des Américains, des Russes, des
Hollandais, des Belges, des Allemands, etc.
JEANNE d'arc A l'ÉTRANGER 419
L'Angleterre tout entière s*est prise d'en-
thousiasme pour la grande inspirée, et ses fils
ne manquent pas une seule occasion de la glo-
rifier.
Aux fêtes normandes célébrées en mai, à
Rouen, figurent, chaque année, des délégations
anglaises, qui traversent la Manche pour honorer,
avec solennité, la mémoire de la Pucelle. En
190/i, M. Tree, maire d'Hastings, s'y présentait
en grand cérémonial, revêtu de son costume
d'apparat et précédé des deux massiers tradi-
tionnels, pour déposer une branche de lis en
fer forgé, sur la place même où Jeanne fut sup-
pliciée.
Ce beau geste fut répété en 1909. Des An-
glais, en nombreux cortège, vinrent prendre
part aux fêtes de Rouen. M. Edward Glarke^
maire d'Hastings, vice-président de VUnion
Jeanne d'Arc de Bouen, avait pris l'initiative
de cette manifestation. Quelques jours aupara-
vant, il écrivait au maire de la grande cité nor-
mande :
« Il n'y a pas un seul Anglais qui ne soit prêt à
rendre un sincère hommage à Jeanne d'Arc. Nous
pensons, en Angleterre, qu'elle est la plus grande
héroïne qu'ait vue le monde, et nous regrettons ce
qui a été fait et qui fut mal fait (i). »
(1) Voir le Journal, 31 mai 1909.
420 JEANNE D ARC MEDIUM
Le 30 mai 1909, sir Ed. Clarke renouvelait,
au nom de la délégation anglaise qu'il diri-
geait, ces déclarations émouvantes. Elles furent
très applaudies.
En 1885, un Italien, le comte Balsami, ayant
découvert aux archives du Vatican un mémoire
du quinzième siècle sur les « miracles » accom-
plis par Jeanne^ une commission fut constituée
pour dépouiller et vérifier ce document.
Le président désigné fut un cardinal anglais,
l'éminent Howard, d'illustre naissance. Il eut
une noble expression : « Ce n'est pas d'une
main sanglante que je vais tourner les pages
de cette sublime histoire : c'est d'une main re-
pentante. )>
L'Angleterre avait déjà répudié le crime de
Bedford, le jour où la reine Victoria voulut
avoir sous les yeux l'image de notre Jeanne, et
fit peindre son portrait.
Catholique, l'Angleterre n'avait pas cherché
à intimider Rome lors du procès de réhabili-
tation ; devenue protestante, elle aida de son
mieux à la béatification.
Spectacle touchant : le léopard se couche
aux pieds de la vierge de Domremy et implore
son pardon!
N'y a-t-il pas là une leçon pour les Fran-
çais ? une invitation à tresser la plus belle des
JEANNE d'arc A LETRANGER 42J
couronnes à leur héroïne et, comme nos voi-
sins d'outre-Manche, à faire amende honorable
devant celle envers qui tous les partis se ren-
dirent coupables ? Oui certes, coupables ! Ce
furent des catholiques français qui la condam-
nèrent, au moment même où les royalistes
l'abandonnaient à son sort cruel, et les libres
penseurs n'ont guère mieux agi envers elle :
un de leurs maîtres. Voltaire, Fa profanée, et
aujourd'hui encore, c'est parmi eux que se ran-
gent tous ses détracteurs.
Recherchons de quelle façon la mémoire de
Jeanne a conquis peu à peu l'opinion publique
en x\ngleterre et en Allemagne. Dans cet exa-
men, nous nous inspirerons, tout spécialement,
du travail de M. James DdLrmesteter : Nouvelles
Études anglaises^ et de l'intéressante brochure
de M. Georges Goyau : Jeanne d'Arc devant
l'opinion allemande.
Tout d'abord, en ce qui touche l'opinion an-
glaise, citons M. J. Darmesteter :
« La vie de Jeanne d'Arc en Angleterre, depuis sa
mort jusqu'à nos jours, se divise en trois périodes :
sorcière, — héroïne, — sainte ; d'abord deux siècles
d'insulte et de haine, puis un siècle de justice
24
422 JEANNE d'arc MEDIUM
humaine; enfin, en 1798, s'ouvre une ère d'adora-
tion et d'apothéose. »
A la première période se rattachent les chro-
niques de Caxton et Holinshed, et le Henri VI
attribué à Shakespeare. La vague de haine et
de calomnie, soulevée par l'œuvre de Jeanne
d'Arc, s'arrête là. En 1679, le docteur Howell
constate déjà, que « la fameuse bergère Jeanne
de Lorraine a fait de bien grandes choses».
En 17 M, l'historien conservateur William
Guthrie écrit, à propos du jugement de la
Pucelle : « Comme l'or, elle parut plus pure à
chaque épreuve. » Peuaprès, John Wesley, com-
mentant le récit de Guthrie, ajoutera : « Elle
ne méritait certainement pas ce sort, soit qu'elle
fût une enthousiaste convaincue ou une per-
sonne qu'il avait plu à Dieu de susciter pour la
délivrance de son pays. »
En 1 796 apparaît l'œuvre célèbre de Southey :
Joan of Arc, poème épique plein de lacunes et
d'erreurs, mais qu'anime un souffle généreux.
Nous en détacherons quelques passages.
Jeanne, en route pour Chinon, raconte à ses
compagnons de voyage, parmi lesquels l'auteur
range Dunois, les impressions de sa jeunesse, et
comment elle apprit la mission dont elle est
chargée. Elle n'est pas aimée chez elle ; elle
JEANNE d'arc A L ÉTRANGER 4^3
demeure chez son oncle et mène paître le trou-
peau de son père le long de la Meuse. La beauté
du paysage et la solitude des bois agissent peu
à peu sur son âme contemplative ; la mort d'une
amie tourne son cœur vers les soufFrances
humaines ; une conversation enthousiaste la
remue et l'exalte.
« Des pensées guerrières, — dit-elle, — assié-
geaient mon esprit, si bien que je ne m'endormis
qu'à l'aube; mais cela ne calma pas mon esprit
surexcité, car des visions surgirent, envoyées, j'en
suis convaincue, par le Très-Haut ! Je vis une ville
fortifiée de toute part, garnie de hautes tours et
cernée par les ennemis. La Famine y suivait d'un œil
d'envie, près d'un amas de squelettes, le corbeau
repu, qui se nourrit de lambeaux sanglants. Je me
tournai, alors, vers le camp de l'assiégeant, et là il
y avait fête; le rire grossier éclata, très fort, à mes
oreilles, et je contemplai ces chefs qui, même pen-
dant leurs festins, préparaient des plans de mort.
J'en fus écœ.urée jusqu'au fond de l'âme. Puis il me
sembla que d'un nuage, aussi noir que celui qui
engendre la tempête, un bras géant surgit et laissa
tomberune épée qui raya, comme l'éclair, les ténèbres
de la nuit. Une voix se fit entendre à mon oreille,
qui résonnera de nouveau à l'heure de joie terrible,
où l'ennemi affaibli s'évanouira devant ma colère.
Depuis cette nuit-là, je pus sentir .mon âme sou-
cieuse palpitant sous la force divine qui s'épandait
424 JEANNE D ARC MEDIUM
en moi. Je restai songeuse, pensant aux jours à
venir, sans voir ce qui se passait autour de moi et
sans m'en soucier, dans ce demi-sommeil de Tâme
où tous les sens corporels sont comme- endormis et
que, seul, l'esprit veille. J'ai entendu des voix incon-
nues, dans le vent du soir; des formes étrangères,
à demi visibles, remplissaient en foule l'air du cré-
puscule. Ceux qui m'avaient connue autrefois, jeune
fille gaie et insouciante, s'étonnèrent. » (Livre I,
vers 44o et suivants.)
« Oui, capitaine, — dit-elle à Dunois, — le monde
croira bientôt en ma mission, car le Seigneur fera
soulever l'indignation et déversera sa colère sur
ceux qui oppressent, et ils périront. » (Livre I,
les 4 derniers vers.)
L'auteur n'en fait pas une dévote : elle dé-
clare aux théologiens qui l'interrogent que,
maintenant, c'est dans la contemplation de la
nature et non dans les pratiques extérieures
de la piété, qu'elle trouve réconfort et commu-
nion divine. (Livre III, vers hOO et suivants.)
On la tient pour une hérétique, et l'on veut la
soumettre au jugement de Dieu ; mais voici
Jeanne qui s'écrie, en montrant un tombeau
voisin :
« L'épée de Dieu est ici ; la tombe va parler pour le
prouver. Entendez-vous? Là, sont les armes qui jet-
teront la terreur dans l'armée ennemie ; je les revê-
JEANNE d'arc A l'ÉTRANGER 425
tirai en présence de notre roi et du peuple assemblé ;
je les sortirai de ce tombeau où elles sont enfer-
mées depuis longtemps, incorruptibles, cachées, à
moi destinées, l'envoyée du ciel ! »
Ce n'est pas sans difficulté que Jeanne
pourra se mettre en route pour l'armée ; elle a
revêtu l'armure dans le sanctuaire de Sainte -
Catherine; c'est sans crainte qu'elle va partir,
bien qu'elle sache comment elle mourra :
« C'était pendant la dernière nuit que je passai à
Domremy ; j'étais assise près du ruisseau, l'âme dé-
bordante d'esprit divin. Je vis alors une troupe de
bandits entourant un bûcher ; au poteau, une femme
était attachée ; les fers meurtrissaient sa poitrine,
et, autour de ses membres, le feu lançait ses flammes
ardentes. Je vis ses traits et je me reconnus. »
(Livre IV, hgnes 3io et suivantes.)
L'œuvre de Southey accentua le revirement
d'opinion en faveur de Jeanne. Certains cri-
tiques anglais la trouvèrent pourtant insuffi-
sante. Thomas de Quincey, Fun des écrivains
les plus érudits et les plus estimés de ce temps,
reproche au poète d'avoir arrêté la carrière de
l'héroïne au sacre de Reims, et d'avoir esquivé
sa passion. Il dit à ce sujet :
« Tout ce qu'elle avait à faire était accompli ; il
lui restait à souffrir. Jamais, depuis que furent jetés
24.
426 JEANNE d'arc MEDIUM
les fondements de la terre, il n'y eut tel procès que
le sien, si on pouvait le déployer dans toute sa beauté
de défense, dans toute son horreur infernale d'at-
taque. 0 enfant de France, bergère, jeune paysanne
foulée aux pieds de tous ceux qui t'entourent ! »
Depuis un siècle, l'Angleterre ne cesse de
rendre à la mémoire de Jeanne les plus cha-
leureux hommages. Richard Green la considère
comme « la figure de pureté qui se détaclie
du sein de l'avidité, de la luxure, derégoïsme,
de l'incrédulité du temps ». Les biographies
de l'héroïne, les apologies se multiplient. Ci-
tons aussi ces paroles de Carlyle :
« Jeanne d'Arc devait être une créature de rêves
pleins d'ombres et de lumières profondes, de senti-
ments indicibles, de pensées qui erraient à tra-
vers Téternité. Qui peut dire les épreuves et les
triomphes, les splendeurs et les terreurs dont ce
simple esprit était la scène? »
Il y a soixante ans, le jeune pasteur et poète
John Stirling célébrait à son tour notre héroïne
nationale, et voyait en elle « le personnage
peut-être le plus merveilleux, le plus exquis,
le plus complet de toute l'histoire du monde ».
Il ajoute :
« Bien haut parmi les morts qui donnent une vie
meilleure à ceux qui vivent, voyez briller la jeune
JEANNE d'arc A L'ÉTRANGER 427
paysanne dans sa cuirasse sacrée, elle que le Sei-
gneur de la paix et de la guerre envoya, comme un
char de flamme, loin du bercail paternel. »
L'œuvre toute récente de l'écrivain écossais
Andrew Lang, sur Jeanne d'Arc (1), vient com-
pléter cet ensemble de travaux. Elle constitue
un magnifique plaidoyer en faveur de l'héroïne,
que l'auteur défend avec humour et sagacité
contre les attaques sournoises d'Anatole France.
Dès le milieu du dix-huitième siècle, dit-il, lors-
que David Hume, grâce aux chroniqueurs écos-
sais, put acquérir la certitude de l'iniquité de la
condamnation de Jeanne, tout le monde en
Angleterre fut éclairé sur cet événement his-
torique.
Depuis, on y a glorifié la martyre de maintes
façons. Chaque enfant connaît son histoire, his-
toire sans pareille, constate iVndrew Lang.
Quelles que fussent les difficultés présentes,
Jeanne les comprenait à l'instant, résolvait le
problème et, selon les circonstances, agissait
en capitaine, en savant ou en grande dame
(p. 6). Ce qu'il admire surtout en elle, c'est sa
volonté, sa ténacité (p. 193). Rien ne la rebute
pour arriver à ce qu'elle envisage comme étant
(1) Andrew Lang, The Maid of France. Longmans, Green,
and C°, 39, Paternoster Row, London, 1909.
-428 JEANNE d'arc médium
le bien du royaume. A Rouen, elle est sublime
de courage et de résolution, lorsqu'elle refuse
de donner sa parole qu'elle ne s'échappera pas,
préférant ainsi endurer l'odieuse compagnie de
« houspilieurs », que de sacrifier son droit légi-
time ! (P. 252.)
Quant aux forces déployées par l'Angleterre
pour envahir la France, l'auteur affirme, sur la
foi de documents encore inédits, que, pour
jeter la terreur dans les cœurs français les plus
audacieux, l'Angleterre fît des préparatifs con-
sidérables et dépensa sans compter, utilisant
les dernières inventions de l'art militaire
(p. 66). Mais, ajoute-t-il, les Anglais n'étaient
pas en nombre suffisant pour se maintenir dans
leur conquête.
Andrew Lang est bien forcé de l'avouer : la
science ne peut pas tout expliquer dans la vie
de Jeanne d'Arc. Il espère cependant qu'elle le
pourra sans doute un jour (p. 1/i). Son espoir ne
saurait être déçu.
L'Amérique possède aussi une Vie de Jeanne
d'Arc (1) très estimée; elle est due à la plume
de Francis Low^ell.
(1) F. LowELL, Life ofJoan of Arc.
JEANNE d'arc A l'ÉTRANGER 429
En Allemagne, les exploits de Jeanne d'Arc,
nous dit M. Georges Goyau (1), étaient connus
et suivis au jour le jour. Il en subsiste des
preuves écrites, par exemple le Mémorial
d'Eberhard de Windecke, historiographe de
l'empereur Sigismond.
Un siècle plus tard, vers la fin du règne de
François P'", au même moment où Du Maillan,
chroniqueur patenté des Valois, diffamait la Pu-
celle, et où Etienne Pasquier constatait avec dou-
leur le discrédit dans lequel sa mémoire était
tombée dans notre pays, un jeune Prussien,
Eustache de Knobelsdorf, improvisait un éloge
pathétique de la grande inspirée.
En 1800, Schiller, que la Convention avait
honoré du titre de citoyen français, dans un
poème tragique de belle envolée, vengeait
Jeanne d'Arc des insanités de Voltaire.
Ce poème fut mis à la scène et obtint, dans
toute l'Allemagne, un succès extraordinaire.
De 1801 à 1843, la Pucelle d'Orléans n'eut pas
moins de 2/il représentations sur la seule scène
berlinoise; on ne se lassait pas de l'applaudir.
C'est ainsi, nous dit G. Goyau, que, grâce à
(1) G. Goyau, Jeanne d'Arc devant Vopinion allemande.
430 JEANNE d'arc MEDIUM
l'œuvre de Frédéric Schiller, la gloire de Thé-
roïne lorraine se confond avec la gloire litté-
raire de l'Allemagne.
Gœthe écrivait à Schiller (1) : « Votre pièce
est si bonne, si bonne et si belle, que je ne vois
rien à lui comparer. » Cette œuvre est cepen-
dant loin d'être parfaite.
L'auteur a bien vu en Jeanne une âme enflam-
mée de patriotisme, mais, dans son drame (2),
il a complètement défiguré l'histoire.
Le poème contient pourtant des passages qui
méritent d'être signalés. Voici d'abord, comment
l'auteur nous présente l'héroïne :
Un paysan apporte de Vaucouleurs un casque
qu'une bohémienne lui a, pour ainsi dire, imposé. A
cette vue, Jeanne s'approche. Elle voit dans ce casque
un signe du ciel et s'en empare, prêtant avidement
l'oreille aux récits du laboureur, qui vient d'appren-
dre la détresse d'Orléans et la désunion des Fran-
çais. Inspirée, elle prophétise le relèvement de la
patrie par le secours de Dieu. Elle gagne Chinon où,
tout de suite, son succès dans un combat et sa clair-
voyance maintes fois vérifiée, lui obtiennent la faveur
de la cour.
(1) Correspondance entre Gœthe et Schiller^ traduction Saint-
René-Taillandier, t. II, p. 229.
(2) Die Jungfrau von Orléans. Eine romanlische Tragôdie
von Fr. von Schiller.
JEANNE d'arc A l'ÉTRANGER 431
Le drame se transforme ensuite en un pur ro-
man. A la fin, Jeanne, capturée par les Anglais,
leur propose fièrement, au nom de son roi, un
contrat de paix, s'ils consentent à restituer à la
France ce qu'ils lui ont pris, les avertissant que
leurpuissance touche à sa fin. Cependant l'armée
française cherche à délivrer Jeanne, que ses en-
nemis veulent mettre à mort. De la tour où elle
est enchaînée sous la garde d'Isabeau, qui doit
lui donner le coup de grâce si les Anglais ont
le dessous, l'héroïne suit avec émotion les péri-
péties du combat, que leur décrit un soldat placé
à un poste d'observation. Ses prières accompa-
gnent les Français. Mais voilà le roi entouré
d'adversaires ! Une ardente invocation procure à
Jeanne le pouvoir de rompre ses lourdes chaînes;
elle vole au secours des siens. Du haut de la
tour, on la voit dégager son roi et ramener la
victoire du côté des Français. C'est au prix de
sa vie. Elle meurt glorieusement sur le champ
de bataille, dans une dernière vision, où la
Vierge l'accueille avec un sourire. Et, sur un
signe du roi, tous les drapeaux sont doucement
déposés sur son beau corps refroidi.
Certes, nous ne saurions reconnaître notre
Jeanne dans celle du poète allemand. Il en a
pris trop à son aise avec la vérité historique.
Son drame, néanmoins, passera, sans doute, à
43:2 JEANNE d'arc médium
la postérité, car il témoigne du noble idéal de
son auteur en des vers tantôt incisifs, et qui se
Sfravent comme des sentences dans la mémoire,
tantôt si touchants, si vraiment humains, que
Fàme en garde une impression profonde.
Un critique éminent, A.-W. Schlegel, disait en
ces termes son admiration pour le caractère de
Jeanne d'Arc dans l'œuvre de Schiller (1) : « La
haute mission dont elle a la conscience, et qui
imposele respectàtout ce quil'approche, produit
un effet extraordinaire et plein de grandeur. »
Schlegel, l'illustre ami de Mme de Staël, con-
sacra une pièce de vers au supplice de l'hé-
roïne. Dans cette œuvre, il prend violemment
Voltaire à partie et semble même demander
compte au peuple français tout entier, de l'erreur
commise par le philosophe : « Un poète, dit-il,
non ! un insulteur de la pieuse voyante, outrage
la pure créature; la gloire de l'histoire, en un
poème infâme, vous sert de passe-temps répu-
gnant. » Et Schlegel, avec véhémence, traite
les Français de « race sans cœur, étrangère à
la loyauté et au droit, tantôt oppressive et tan-
tôt esclave, jamais douce, jamais libre » (2). De
(1) Cours de lillérature dramatique, t. III, pp. 309-310. Paris
et Genève, Paschoud, 1814.
(2) A.-W. Schlegel, Poetische Werke, t. I, pp. 233-236.
(Heidelberg, Mohr et Zimmer, 1811.)
JEANNE d'arc A l'ÉTRANGER 433
son côté, Mme de Staël écrivait, dans son livre
De V Allemagne : « Les Français seuls ont laissé
déshonorer la mémoire de Jeanne : c'est un
grand tort de notre nation, que de ne pas résis-
ter à la moquerie, quand elle lui est présentée
sous des formes piquantes (1). » Schlegel, dit
G. Goyau (2), traduisait en invectives la sévère
remarque de Mme de Staël; pour réprimer
son torrent d'injures, il eût suffi de lui dire,
d'un mot, que la France de Voltaire n'est pas
toute la France.
L'odyssée littéraire de laPucelle en Allemagne
ne s'arrête pas là.
Au lendemain de 1815, un publiciste bava-
rois, Friedrich Gottlob Wetzel, écrivit une tra-
gédie sur Jeanne d'Arc.
Le baron de la Motte-Fouqué, descendant de
réfugiés protestants, pour célébrer l'héroïne se
fit traducteur. Il adapta au goût allemand V His-
toire de Jeanne d'Arc, de Lebrun desCharmettes.
Mais l'œuvre la plus rigoureusement histori-
que consacrée, au delà du Rhin, au souvenir de
notre Jeanne, est celle de Guido Goerres. Joseph
Goerres et Guido, son fils, écrivirent un livre,
dans lequel « ils prosternaient aux pieds de la
(1) Mme DE Staël, De V Allemagne., édit. Garnier, p. 242.
(2) G. Goyau, Jeanne d'Arc devant Vopinion allemande,
pp. 43-44.
25
434 JEANNE d'arc MÉt)itjM
vierge française les hommages de F Allemagne ».
Jeanne d'Ar? est l'envoyée de Dieu pour le
salut de la France : voilà la thèse que soutient
Joseph Goerres, dans la préface dont il fait
précéder le livre de son fils.
« Déjà dans le lointain — nous explique-t-il —
se préparait la Réforme, et, plus loin encore, la
Révolution; or ni l'une ni l'autre ne devaient
trouver l'Angleterre et la France réunies sous
un même sceptre, parce que, dans l'état de
complet absolutisme qui eût pesé sur le monde
européen, elles eussent été étouffées par la
force purement matérielle, ou bien, s'étendant
victorieusement sur cette partie du monde, elles
auraient produit une anarchie effrénée, et, dans
l'un et Fautre cas, la dissolution de l'ordre so-
cial. C'était en outre la destinée des Français
de devenir, entre les mains de Dieu, dans les
âges suivants, un fouet et un aiguillon pour les
autres peuples, et la France n'eût pu remplir ce
rôle providentiel, si elle n'eût pas été délivrée
de la domination étrangère et n'eût pas conservé
son individualité (1). »
Selon Joseph Goerres, Jeanne appartenait à
deux mondes, celui de la terre et celui du ciel ;
(1) GuiDO Goerres, Jeanne d'Arc, traduction Léon Bore,
pp. XI-XII.
JEANNE d'arc A l'ÉTRANGER 435
elle était appelée à agir dans Pun comme en-
voyée de l'autre; à ce titre, elle appartiendrait
à tous les peuples, au peuple français par le
sang, aux autres par ses nobles actions.
11 s'en fallut de peu que Guido Goerres ne
précédât Quicherat dans ses recherches. Mon-
talembert eut Fintention d'aborder ce grand
sujet, mais le travail de Guido Goerres lui parut
assez important pour l'y faire renoncer, et il
l'écrivit au père de l'auteur. Guido séjourna à
Orléans, vint à Paris, à la Bibliothèque Natio-
nale, et projetait un nouveau livre sur la
Pucelle, plus documenté que le premier, quand
il fut rappelé en Allemagne et détourné par
d'autres travaux.
Depuis cette époque, une pléiade de savants,
d'historiens, d'écrivains de tous rangs se sont
mis, au delà du Rhin, à commenter l'épopée de
la vierge lorraine.
Par la plume des deux Goerres, le catholi-
cisme allemand avait rendu hommage à la Pu-
celle; Charles Hase, en 1850, lui apporta Thom-
mage du protestantisme (1). Hase est aussi un
admirateur passionné de Jeanne d'Arc. Guido
Goerres avait instauré, parmi les catholiques
(1) Heilige and Propheten, Zweiter Teil (3» édition, 1893,
Leipzig, Breitkopf etHaertel).
436 JEANNE d'arc MEDIUM
d'Allemagne, une sorte de culte de Jeanne
d'Arc ; Charles Hase, lui, introduisait chez les
protestants une sorte de religiosité de Jeanne.
L'historien Reinhold Pauli, en 1860, déclarait
que, « pour tous les esprits impartiaux, elle
demeurait une énigme » (i).
Un des biographes allemands de Jeanne (2),
le professeur Hermann Semmig, osait écrire en
1883 : « En France, hors d'Orléans, la Pucelle
n'est pas partout aussi chère au peuple français,
qu'elle l'est au peuple allemand (3). »
« L'Allemagne — ■ écrit encore G . Goyau (4) —
semble affecter une sorte de coquetterie à l'en-
droit de la Pucelle; et cette coquetterie, parfois,
dans l'expression dont elle se pare, devient
presque offensante pour nous. Si la France
pouvait être accusée d'oublier Jeanne, l'Allema-
gne serait là pour la célébrer; si quelque Fran-
çais diffame Jeanne, l'Allemand surgit comme
chevalier. On dirait que l'Allemagne littéraire
et savante, toujours éprise de l'antique Velléda,
porte quelque envie aux Français. »
Cet intérêt passionné pour notre héroïne
(1) Bilder ans AU-England (Gotha, Perthes, 1860).
(2) Semmig, Die Jungfrau von Orléans und ihre Zeitgenossen.
(Leipzig, Unflad, 1885.)
(3) Die Garlenlaube, 1883, n" 18, p. 291.
(4) G. Goyau, Jeanne d'Arc devant l'opinion allemande,
pp. 76-77.
JEANNE d'arc a L'ÉTRANGER 437
démontre à quel point les Allemands ont le
goût de l'idéal. Chez eux, les écrivains de toutes
écoles : rationalistes et spiritualistes, physio-
logistes et mysticfues, ont tourné leurs regards
admirateurs vers cette figure si française, qui
projette, à travers les siècles, un sillage lumi-
neux.
L'Italie nous olfre, sur le même sujet, la
Chronique générale de Venise on Diario^ d'x\nto-
nio Morosini, récemment traduite et publiée (1).
A. Morosini, noble Vénitien et négociant ar-
mateur de réel mérite, a rédigé sous ce titre un
(( journal », tenu sans interruption de \!\^!x à
l/i3/i, que la Revue hebdomadaire commente en
ces termes :
« Observateur prévoyant et avisé, il (Morosini) a
su intercaler le texte de vingt-cinq lettres ou groupes
de lettres relatant au furet à mesure la suite des ac-
tions de la Pucelle. Ainsi se trouve composé, spon-
tanément, le plus sincère des ensembles, la « série »
la plus captivante de notions, d'impressions et de
sensations, rédigées non seulement de semaine à
semaine, mais presque de jour à jour.
(1) Chronique d'ANTONio Morosini. Commentaire et traduc-
tion, Ed. G. L.-P. et Léon Dore/,
438 JEANNE d'arc MEDIUM
« Ces correspondances, pour la plupart, provien-
nent de Bruges, la grande place commerciale de
Flandre, centre de négoce, d'affaires et d'informa-
tions. Elles résument elles-mêmes, quelquefois, des
lettres de multiples origines, de Bourgogne, de Paris,
de Bretagne. D'autres arrivent à Venise, directement
d'Avignon, de Marseille, de Gênes, de Milan, du
Montferrat. Elles ont pour auteur principal le Véni-
tien Pancrazio Giustiniani, résidant à Bruges. A
côté de lui, se décèle Giovanni de Molino, fixé à Avi-
gnon.
« En très peu de jours, dès le lo mai peut-être,
avec une rapidité vraiment surprenante, parvenait
d'Orléans jusqu'en Flandre la nouvelle du combat
des Tourelles, livré le 7, avec la prévision de la rup-
ture immédiate du siège. Par le courrier ordinaire, la
« valise » qui voyage entre Bruges et la cité des
Doges, Pancrazio Giustiniani, presque immédiate-
ment l'expédie à Venise, à son père. Ce jour même,
le 18 juin, Antonio Morosini transcrit la lettre, la
préserve et la sauve.
« Depuis, à intervalles plus ou moins proches, il
enregistre, copie ou résume de continuelles mis-
sives. La retraite des Anglais, Patay, le sacre, la mar-
che sur Paris, sont annoncés, observés, transmis,
avec le reflet de la stupéfaction et de l'enthousiasme
suscités par ces incompréhensibles réalités. Même
après l'affreux retour sur la Loire, après le désastre
de Compiègne, les sympathies continuent. Il court
des bruits d'invasion et de renti'ée en campagne.
JEANNE d'arc A L'ÉTRANGER 439
Jusqu'au deuil de Rouen, le drame est suivi avec une
émotion qui ne se dément pas (i). »
Par cette étude rapide, on peut voir comment
Jeanne, partout glorifiée au dehors, même par
ses ennemis d'antan, n'a rencontré des détrac-
teurs que dans le pays fait, par elle, libre et
victorieux. Le culte dont elle est l'objet à
l'étranger n'est-il pas de nature à frapper ses
contempteurs, eux qui se disent animés de
sentiments internationalistes ? C'est en France
seulement que Jeanne a été dénigrée par des
écrivains de mérite peut-être, mais incapables
de la comprendre, parce qu'en elle l'humain et
le divin se fondent et s'harmonisent en une
idéale figure qui nous surpasse tous.
Sa vie est comme un reflet de celle du Christ.
Comme lui, elle est née parmi les humbles;
comme lui, elle a subi l'injustice et la cruauté
des hommes. Morte jeune, sa courte et doulou-
reuse existence s'illumine, ainsi que la sienne,
des rayons du monde invisible. Il s'y ajoute
même un élément de poésie de plus : c'est qu'elle
était femme et, parmi les femmes, une des plus
(1) G. Lefèvke-Pontalis, Jeanne d'Arc et ses contempo-
rains, Revue hebdomadaire^ 17 avril 1909, p. 313.
440 JEANNE D*ARC MEDIUM
sensibles et des plus tendres. Chose singidière
et touchante, cette guerrière a le don de pacifier
et d'unir. Elle attire tout à elle. Les Anglais,
qui l'immolèrent, sont aujourd'hui ses plus
chauds partisans; en France même, pour tous
ceux dont Pâme n'est pas desséchée par le vent
du scepticisme, les divergences de vue en ce
qui la concerne, s'estompent et s'évanouissent
dans une commune vénération.
Nous parlons des âmes desséchées. Le nombre
en est grand chez nous. Depuis un siècle, le
scepticisme a fait son œuvre. Il tend de plus en
plus à appauvrir les sources de la vie et de la
pensée. Loin d'être une force, une qualité,
c'est plutôt une maladie de l'esprit. Il détruit,
annihile la confiance que nous devons avoir en
nous-mêmes, en nos ressources cachées, la
confiance aux possibilités de nous développer,
de grandir, de nous élever, par un effort continu,
sur les plans magnifiques de l'univers, la con-
fiance en cette loi suprême qui attire l'être du
fond des abîmes de vie, et ouvre à son initia-
tive, à son essor, les perspectives infinies du
temps et le vaste théâtre des mondes.
Le scepticisme détend peu à peu les ressorts
de Tâme, amollit les caractères, éteint l'action
féconde et créatrice. Puissant pour détruire, il
n'a jamais rien enfanté de grand. En s'accrois-
JEANNE d'arc A l'ÉTRANGEH 441
sant, il peut devenir un fléau, une cause de dé-
cadence et de mort pour un peuple.
Le criticisme est un produit de l'esprit scep-
tique de notre temps. Il a accompli un lent tra-
vail de désagrégation; il a réduit en poussière
tout ce qui faisait la force et la grandeur de l'es-
prit humain. La littérature est son principal
moyen d'influence. En ce domaine, Renan a été
un créateur et comme le modèle du genre. Ana-
tole France est actuellement le représentant le
plus illustre de cette école, qui recrute chaque
jour, parmi notre jeunesse, de nombreux parti-
sans. La nouvelle génération se laisse séduire
par la forme élégante du langage et la magie de
l'expression chez ses devanciers, et aussi par
cette considération morbide, qu'il est plus facile
de critiquer, de railler, que d'étudier à fond un
sujet et de conclure logiquement. On renonce
ainsi peu à peu à toute conviction, à toute foi
élevée, pour se complaire en une sorte de dilet-
tantisme vague et stérile. Il est de bon ton de
poser pour des désabusés, de considérer l'effort
comme vain, la vérité comme inaccessible,
d'écarter toute besogne pénible, en se contentant
de comparer les opinions et les idées, pour les
traiter par l'ironie et les tourner en dérision.
La méthode est aussi indigente que funeste,
car elle débilite l'intelligence et le jugement.
442 JEANNE d'arc MEDIUM
Il en résulte, à la longue, un amoindrissement
sensible des qualités viriles de notre race, une
insouciance des grands devoirs de l'existence,
une méconnaissance du but de la vie, qui ga-
gnent de proche en proche, pénètrent jusqu'au
cœur du peuple, et tendent à tarir les sources
de l'énergie nationale.
Les progrès du scepticisme s'expliquent en
ce sens que, chez nous, les formes de la foi ne
répondent plus aux exigences de l'esprit mo-
derne et de la loi d'évolution. La religion est
dépourvue des bases rationnelles sur lesquelles
peut s'édifier une conviction forte. Le spiritua-
lisme expérimental vient combler cette lacune,
et offrir à l'âme contemporaine un terrain d'ob-
servation, un ensemble de preuves et de faits,
qui constitue un ferme appui pour les croyances
de l'avenir.
Gomme aux temps de Jeanne et du Christ, le
souffle de l'invisible passe sur le monde. Il va
ranimer les courages défaillants, réveiller les
âmes qui semblaient mortes. Il ne faut jamais
désespérer de l'avenir de notre race. Le germe
de la résurrection est en nous, dans nos esprits,
dans nos cœurs. La foi éclairée, la confiance et
l'amour sont les leviers de l'âme ; quand ils
l'inspirent, la soutiennent, l'emportent, il n'est
pas de sommet qu'elle ne puisse atteindre !
CONCLUSIONS
De la vie de Jeanne d'Arc, trois grands en-
seignements se dégagent en traits de lumière.
Les voici :
L'humanité, dans ses heures de crise et
d'épreuve, n'est pas abandonnée à elle-même ;
mais, d^en haut, des secours, des forces, des
inspirations viennent la soutenir et la guider
dans sa marche. Quand le mal triomphe, quand
l'adversité s'acharne sur un peuple, Dieu inter-
vient par ses messagers. La vie de Jeanne est
une des manifestations les plus éclatantes de
la Providence dans l'histoire.
Une communion puissante relie tous les
plans de la vie, visibles ou invisibles. Pour
les âmes sensibles et évoluées, chez qui les
sens intérieurs, les facultés psychiques, sont
suffisamment développés, cette communion
s'établit dès ce monde, au sein de la vie ter-
restre. Elle est d'autant plus étroite et féconde
444 JEANNE d'arc MEDIUM
que ces âmes sont plus pures, détachées des
influences inférieures, mieux préparées aux
missions qui leur incombent. Tels sont la plu-
part des médiums. Parmi eux, Jeanne d'Arc fut
un des plus grands.
Cette communion des vivants et des morts,
des habitants de la terre et de ceux de l'espace,
chacun de nous est appelé à y participer dans
l'avenir, par l'évolution psychique et le perfec-
tionnement moral, jusqu'à ce que les deux
humanités, terrestre et céleste, ne forment
plus qu'une seule et immense famille, unie
dans la pensée de Dieu.
Dès maintenant, des liens subsistent entre
les hommes et les disparus. Toutes les âmes
qui se sont rencontrées sur la terre sont reliées
par des fils mystérieux. Le présent est soli-
daire du passé et de Tavenir, et la destinée des
êtres se déroule en spirale ascendante^ depuis
notre humble planète jusqu'aux profondeurs
du ciel étoile.
De là, de ces hauteurs, descendent les mes-
sies, les messagers providentiels. Leur appari-
tion parmi nous constitue toute une révélation.
En les étudiant, en apprenant à les connaître,
nous soulevons un coin du voile qui nous
cache les mondes supérieurs et divins auxquels
ils api)artiennent, mondes que les hommes
CONCLUSIONS 445
Soupçonnent à peine, écrasés qu'ils sont, pour
la plupart, sous la lourde chrysalide matérielle.
Aux grandes dates de l'histoire, Dieu offre de
telles vies en exemples et en leçons à l'huma-
nité. C'est vers ces figures de héros et de mar-
tyrs, que doivent se tourner les regards de ceux
qui doutent, de ceux qui souffrent. Parmi elles,
il n'en est pas de plus suave que celle de
Jeanne d'Arc. Ses actes, ses paroles, sont à
la fois ingénus et sublimes. Cette existence
si courte, mais si merveilleuse, est un des plus
beaux dons que Dieu ait faits à la France, et ce
sera une des gloires du dix-neuvième siècle,
parmi tant d'erreurs et de fautes, que d'avoir
remis en lumière ce noble profil de vierge.
Aucune nation ne possède dans ses annales un
fait comparable à cette vie. Ainsi que l'a écrit
Etienne Pasquier, elle est bien « un vrai pro-
dige de la main de Dieu ».
Son action dans le passé a été le signal d'une
rénovation nationale ; dans le présent, elle
est le signal d'une rénovation religieuse, dif-
férente de celles qui l'ont précédée, mais s'adap-
tant mieux encore aux nécessités de notre
évolution. Quand nous disons religieuse, il
serait plus exact de dire scientifique et philo-
sophique. Toujours est-il que les croyances de
l'humanité vont être renouvelées. Le senti-
446 JEANNE d'arc MEDIUM
ment religieux périra-t-il pour cela? Non, sans
doute ; il se transformera seulement, pour re-
vêtir des aspects nouveaux. La foi ne peut
s'éteindre au cœur de l'homme. Elle ne dis-
paraît un instant que pour faire place à une
foi plus haute. Ne faut-il pas que notre soleil
passe sous l'horizon, pour que les soleils de
la nuit s'allument, et que l'immensité étoilée
se révèle à nos yeux? Quand le jour s'évanouit,
il semble que l'univers se voile et que la vie
va prendre fin. Et cependant, sans l'extinc-
tion de la lumière diurne, pourrions-nous
voir le fourmillement des astres au fond des
cieux ? lien est de même des formes actuelles
de la religion et de la croyance. Elles ne
meurent en apparence que pour renaître
plus amples et plus belles. L'action de Jeanne
et des grandes âmes de l'espace prépare cette
renaissance, à laquelle, de notre côté et sur le
plan terrestre, nous travaillons sans relâche,
depuis longtemps, sous Tégide de la glorieuse
inspirée, dont les conseils et les instructions
ne nous ont pas manqué.
Aussi est-ce avec un sentiment d'ardente
sympathie pour elle, de tendre vénération et
de vive reconnaissance, que j'ai écrit ce livre.
Il a été conçu en des heures de recueillement,
loin des agitations de ce monde. A mesure que
CONCLUSIONS 447
se précipite le cours de ma vie, l'aspect des
choses se fait plus triste et Tombre s'épaissit
autour de moi. Mais un rayon venu d'en haut
illumine tout mon être, et ce rayon émane de
l'esprit de Jeanne. C'est lui qui m'a éclairé,
guidé dans ma tâche.
Depuis un demi-siècle, on a beaucoup écrit,
disserté, discuté au sujet de la Vierge lorraine.
Des polémiques violentes, des manifestations
tapageuses se sont produites en divers sens ;
on a presque livré bataille en son nom. Au mi-
lieu de ces contradictions, de ces luttes, qu'elle
suivait d'un regard attristé, elle a voulu faire
entendre sa voix. Elle a daigné se communi-
quer à nous, comme à un serviteur dévoué de
la cause qu'elle protège aujourd'hui. Ces pages
sont l'expression fidèle de sa pensée, de ses
vues. C'est à ce titre, qu'en toute humilité per-
sonnelle, je les présente à ceux qui, en ce
monde, honorent Jeanne et aiment la France.
FIN
TABLE DES MATIERES
Pages.
Introduction 1
Première partie. — Vie et Médiumnité de Jeanne d'Arc.
I. Domremy 19
II. La situation en 1429 26
III. Enfance de Jeanne d'Arc 30
IV. Médiumnité deJeanne d'Arc. Ce qu'étaient
ses voix. Phénomènes analogues, anciens
et récents 40
V. Vaucouleurs 107
VI. Chinon, Poitiers, Tours 112
VII. Orléans 128
VIII. Reims 143
IX. Compiègne 155
X. Rouen : la prison 166
XI. Rouen : le procès 173
XII. Rouen : le supplice 207
Deuxième partie. — Les Missions de Jeanne d Arc.
XIII. Jeanne d'Arc et l'idée de patrie ... 219
XIV. Jeanne d'Arc et l'idée d'humanité . . . 236
XV. Jeanne d'Arc et l'idée de religion . . . 245
450
TABLE DES MATIERES
XVI. Jeanne d'Arc et l'idéal celtique . . .
XVII. Jeanne d'Arc et le spiritualisme moderne
les missions de Jeanne
XVIII. Portrait et caractère de Jeanne d'Arc.
XIX. Génie militaire de Jeanne d'Arc. . .
XX. Jeanne d'Arc au vingtième siècle ; se
admirateurs; ses contempteurs. . .
XXI. Jeanne d'Arc à l'étranger
Pages.
279
308
337
365
391
418
Conclusions 443
25U1. — TOURS, IMPRIMERIE E. ARRAULT ET C''
y
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Central Library, Copley Square
Division of
Référence and Research Services
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cates the date on or before which this
bock should be returned to the Library.
Please do not remove cards from this
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MAR â t ^928