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Full text of "La vérité sur Jeanne d'Arc : réfutation des théories d'Anatole France, Thalamas, H. Bérenger, etc. : réhabilitation de la pucelle d'Orléans"

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.L.    FORM    NO.    609:  3:tS,28:    300M. 


CAUTION 

Do  not  Write  in  this  book  or  mark  it  with 
pen  or  pencil.  Penalties  are  imposed  by  the 
Revised  Laws  of  the  Commonwealth  of  Mas- 
sachusetts, Chapter  208,  Section  83. 


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LÉON     DENIS 


LA  VÉRITÉ 

SUR 

JEANNE  D'ARC 


Réfutation  des  théories  d'Anatole  France, 

Thalamas,  H.  Bérenger,  etc. 

Réhabilitation  de  la  pucelle  d'Orléans. 


PARIS 
LIBRAIRIE    PAUL    LEYMARIE    *?  4  ^  5 

42,    RUE    SAINT-JACQUES,    4?- 


1910 


LA  VÉRITÉ  SLR  JEANNE  D'ARC 


DU     MÊME    AUTEUR 

(Même  librairie) 


Après  la  Mort  :  Exposé  de  la  doctrine  des  Esprits. 
Solution  rationnelle  et  scientifique  des  problèmes 
de  la  vie  et  de  la  mort.  Un  vol.  in- 12,  de  436  pages 
(2.5^  mille) 2  5o 

Alexandre  Hepp,  le  distingué  chroniqueur  parisien, 
écrivait  dans  le  Journal  du  26  janvier  1899  : 

«  Il  est  un  homme  gui  a  écrit  le  plus  beau,  le  plus 
noble,  le  plus  précieux  livre  que  faie  lu  Jamais.  Il  a  nom 
Léon  Denis  et  son  livre  :  «  Après  la  Mort  ».  Lisez-le  y 
et  une  grande  pitié,  mais  libératrice  et  féconde,  vous  vien- 
dra brusquement  de  nos  manifestations  de  regrets,  de 
notre  peur  de  la  mort  et  de  notre  grand  deuil  de  ceux 
que  nous  croyons  perdus.  » 

Christianisme  et  Spiritisme.  Les  vicissitudes  de  l'É- 
vangile ;  la  doctrine  secrète  du  Christianisme  ;  re- 
lations avec  les  esprits  des  morts  ;  la  nouvelle 
révélation.  Un  vol.  in-12  {7*  nâille)    ...       2  5o 

Dans  rinvisible,  Spiritisme  et  Médiumnité.  Traité 
de  spiritualisme  expérimental  ;  les  faits  et  les  lois. 
Un  vol.  in-12  (6^  mille) 2  5o 

Le  Problème  de  l'Être  et  de  la  Destinée.  Études  expé- 
rimentales sur  les  aspects  ignorés  de  l'être  humain. 
Les  doubles  personnalités  ;  la  conscience  profonde; 
rénovation  de  la  mémoire  des  vies  antérieures. 
Un  vol.  in-12  (6®  mille) 2  5o 

Pourquoi  la  Vie  ?  Ce  que  nous  sommes  ;  d'où  nous 
venons  ;  où  nous  allons.  Brochure  de  propagande, 
in-18,  de  4B  pages  (95*  mille) o  10 


LÉON     DENIS 


LA  VÉRITÉ 


SUR 


JEANNE  D'ARC 


Réfutation  des  théories  d'Anatole  France, 

Thalamas,  H.  Bérenger,  etc. 

Réhabilitation  de  la  pucelle  d'Orléans. 


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PARIS 
LIBRAIRIE    PAUL    LEYMARIE 

42,    RUE    SAINT-.IAGOUES,-  \9. 


lUlO 


INTRODUCTION 


Jamais  la  mémoire  de  Jeanne  d'Arc  na  été 
r objet  de  controverses  aussi  ardentes^  aussi  pas- 
sionnées que  celles  qui  s  élèvent  depuis  plusieurs 
années  autour  de  cette  grande  figure  du  passé. 
Tandis  que  d'une  part,  tout  en  l'exaltant,  on 
cherche  à  V accaparer  et  à  renfermer  sa  per- 
sonnalité dans  le  paradis  catholique,  d'un 
autre  côté,  par  une  tactique  tantôt  brutale  avec 
MM.  Thalamus  et  Henri  Bérenger,  tantôt  habile 
et  savante^  et  servie  par  un  talent  hors  de  pair 
avec  M.  Anatole  France,  on  s'efforce  d^ amoin- 
drir son  prestige  et  de  réduire  sa  mission  aux 
proportions  d'un  simple  fait  épisodique. 

Où  trouverons-nous  la  vérité  sur  le  rôle  de 
Jeanne  dans  l'histoire?  A  notre  avis,  elle  n'est 
pas  plus  dans  les  rêveries  mgstiques  des  hommes 
de  foi  que  dans  les  arguments  terre  à  terre  des 


2  INTRODUCTION 

critiques  positivistes.  Ni  les  uns  ni  les  autres  ne 
semblent  posséder  le  fil  conducteur,  qui  permettra 
de  s'orienter,  au  milieu  des  faits  qui  composent 
la  trame  de  cette  existence  extraordinaire.  Pour 
pénétrer  le  mystère  de  Jeanne  d'Arc,  il  nous 
parait  nécessaire  d'étudier,  de  pratiquer  longue- 
ment les  sciences  psychiques  ;  il  faut  avoir  sondé 
les  profondeurs  de  ce  monde  invisible,  de  cet 
océan  de  vie  qui  nous  enveloppe,  dont  nous  sor- 
tons tous  à  la  naissance  et  où  nous  replongeons 
à  la  mort. 

Comment  pourraient-ils  comprendre  Jeanne, 
ces  écrivains  dont  la  pensée  ne  s'est  jamais  éle- 
vée au-dessus  du  cercle  des  contingences  ter^ 
restres,  de  l'horizon  étroit  d'un  monde  inférieur 
et  matériel,  qui  n'ont  jamais  abordé  les  perspec- 
tives de  l'Au-delà? 

Depuis  cinquante  années,  tout  un  ensemble 
de  faits,  de  manifestations,  de  découvertes, 
apportent  un  jour  nouveau  sur  ces  vastes  aspects 
de  la  vie,  pressentis  de  tout  temps,  mais  sur  les- 
quels nous  n'avions  jusqu'ici  que  des  données 
vagues  et  incertaines.  Grâce  à  une  observation 
attentive,  à  une  expérimentation  méthodique  des 
phénomènes  psychiques,  une  science  large  et 
puissante  se  constitue  peu  à  peu. 

L'univers  nous  apparaît  comme  un  réservoir 
de  forces  inconnues,    d'énergies  incalculables. 


INTRODUCTION 


Un  infini  vertigineux  s'ouvre  à  la  pensée^  infini 
de  réalités^  de  formes^  de  puissances  vitales  qui 
échappaient  à  nos  sens^  et  dont  certaines  mani- 
festations ont  pu  être  mesurées  avec  une  grande 
précision,  à  l'aide  d'appareils  enregistreurs  {]), 

La  notion  du  surnaturel  s'écroule^  mais  l'im- 
mense nature  voit  reculer  sans  cesse  les  bornes 
de  son  domaine,  et  la  possibilité  d'une  vie  orga- 
nique invisible,  plus  riche,  plus  intense  que  celle 
des  humains,  se  révèle^  régie  par  des  lois  impo- 
santes. Cette  vie,  dans  bien  des  cas,  se  mêle  à  la 
nôtre  et  l'influence  en  bien  ou  en  mal. 

La  plupart  des  phénomènes  du  passé,  affirmés 
au  nom  de  la  foi,  niés  au  nom  de  la  raison, 
peuvent  désormais  recevoir  une  explication  lo- 
gique, scientifique.  Les  faits  extraordinaires  qui 
parsèment  Vexislence  de  la  Vierge  cVOrléans, 
sont  de  cet  ordre.  Leur  étude,  rendue  plus  facile 
par  la  connaissance  de  phénomènes  identiques, 
observés,  classés,  enregistrés  de  nos  jours,  peut 
seule  nous  expliquer  la  nature  et  l'intervention 
des  forces  qui  agissaient  en  elle,  autour  d'elle^ 
et  orientèrent  sa  vie  vers  un  noble  but. 


(1)  V.  Annales  des  Sciences  psychiques,  août,  septembre  et 
novembre  1907  ;  février  1909. 


INTRODUCTION 


Les  historiens  du  dix-neuvième  siècle  :  Miche- 
lei,  Wallon^  Quicherat,  Henri  Martin,  Siméon 
Luce,  Joseph  Fabre,  Vallet  de  Viriville,  La- 
néry  d'Arc,  ont  été  d'accord  pour  exalter  Jeanne, 
pour  voir  en  elle  une  héroïne  de  génie,  une  sorte 
de  messie  national. 

C'est  seulement  au  vingtième  siècle  que  la  note 
critique  se  fait  entendre.  Elle  est  parfois  vio- 
lente. M.  Thalamus,  professeur  agrégé  de  V Uni- 
versité,  est- il  allé  jusqu'à  traiter  cette  héroïne 
de  Ci  ribaude  »,  comme  l'en  accusent  certaines 
feuilles  catholiques  ?  Lui-même  s  en  défend. 
Dans  son  ouvrage  :  Jeanne  d'Arc  ;  l'histoire  et 
la  légende  {Paclot  et  O^,  éditeurs),  il  ne  sort  pas 
des  limites  d'une  critique  honnête  et  courtoise. 
Son  point  de  vue  est  celui  des  matérialistes  : 
((  Ce  n  est  pas  à  nous,  dit-il  {p.  M),  qui  consi- 
dérons le  génie  comme  une  névrose,  de  reprocher 
à  Jeanne  d'avoir  objectivé  en  des  saints  lés  voix 
de  sa  propre  conscience.  » 

Toutefois,  dans  ses  conférences  à  travers  la 
France,  il  fut  généralement  plus  tranchant, 
A  Tours,  te  29  avril  i90b,  parlant  sous  les  auS' 
pices  de  la  Ligue  de  r Enseignement,  il  nous 
rappelait  l'opinion  du  professeur  Robin,  de  Cem- 


INTRODUCTION  5 

puis,  un  de  ses  maîtres,  sur  Jeanne  d'Arc.  Elle 
n\ivait  jamais  existé,  croyait-il,  et  son  Iiistoire 
n  était  qu'un  mythe.  M.  Thalamas,  un  peu  con- 
traint peut-être,  reconnaît  bien  la  réalité  de  sa 
vie,  mais  il  s'attaque  aux  sources  où  ses  pané- 
gyristes ont  puisé.  Il  s  ingénie  à  rapetisser  son 
rôle,  sans  s'abaisser  à  l'injurier.  Elle  n'aurait 
rien  fait  par  elle-même  ou  bien  peu  de  chose.  Par 
exemple,  ce  sont  les  Orléanais  qui  ont  eu  le  mé- 
rite de  leur  délivrance. 

Henri  Bérenger  et  d'autres  écrivains  ont 
abondé  dans  le  même  sens,  et  renseignement 
officiel  lui-même  a  semblé  s'imprégner  de  leurs 
vues,  en  une  certaine  mesure.  Dans  les  manuels 
des  écoles  primaires,  on  a  éliminé  de  Vhistoire 
de  Jeanne  tout  ce  qui  avait  une  couleur  spiri- 
tualiste .  Il  ny  est  plus  question  de  ses  voix  ; 
c'est  toujours  «  la  voix  de  sa  conscience  »  qui  la 
guide.  La  différence  est  sensible. 

Anatole  France,  dans  ses  deux  volumes, 
œuvre  d'art  et  d'intelligence,  ne  va  pas  aussi 
loin.  Il  ne  peut  s' empêcher  de  reconnaître  la  réa- 
lité de  ses  visions  et  de  ses  voix.  Élève  de 
l'Ecole  des  Chartes,  il  est  trop  documenté  pour 
oser  nier  Vévidence.  Son  ouvrage  est  une  re- 
constitution fidèle  de  l'époque.  La  physionomie 
des  villes,  des  paysages  et  des  hommes  du  temps 
y  est  peinte  de  main  de  maître,  avec  une  habileté. 


INTRODUCTION 


une  finesse  de  touche  qui  rappellent  Renan.  Pour- 
tant cette  lecture  nous  laisse  froids  et  déçus.  Ses 
jugements  sont  parfois  faussés  par  l'esprit  de 
parti,  et,  chose  plus  grave,  on  sent  percer  à  tra- 
vers ses  pages  une  ironie  subtile  et  pénétrante, 
qui  n  est  plus  de  l'histoire. 

En  réalité,  le  juge  impartial  doit  constater 
que  Jeanne j  exaltée  par  les  catholiques,  est  ra- 
baissée par  les  libres  penseurs  bien  moins  par 
haine,  que  par  esprit  de  contradiction  et  d^oppo- 
sition  envers  les  premiers.  U héroïne,  tiraillée 
dans  les  deux  sens,  devient  ainsi  une  sorte  de 
jouet  entre  les  mains  des  partis.  Il  y  a  excès 
dans  les  appréciations  des  uns  et  des  autres,  et 
la  vérité,  comme  presque  toujours,  est  entre  les 
deux  extrêmes. 

Le  point  capital  de  la  question,  cest  r exis- 
tence de  forces  occultes  que  les  matérialistes 
ignorent,  de  puissances  invisibles,  non  pas  sur- 
naturelles et  miraculeuses,  comme  ils  le  pré- 
tendent, mais  appartenant  à  des  domaines  de  la 
nature  quils  n'ont  pas  encore  explorés.  De  là, 
leur  impuissance  à  comprendre  l'œuvre  de  Jeanne, 
et  les  moyens  à  l'aide  desquels  il  lui  fut  possible 
de  la  réaliser. 

Ils  n'ont  pas  su  mesurer  Vimmensité  des  obs- 
tacles qui  se  dressaient  devant  Vhéroïne.  Pauvre 
enfant  de  dix-huit  ans,  fdle  d'humbles  paysans, 


INTRODUCTION 


sans  instriiciion,  ne  sachant  ni  A  ni  B,  dit  ta 
Chronique,  elle  a  contre  elle  sa  propre  famille, 
l'opinion  publique,  tout  le  monde  ! 

Oueut-elle  fait  sans  cette  inspiration,  sans 
cette  vision  de  F  Au-delà  qui  la  soutenaient  ? 

Représentez-vous  celle  fdle  des  champs  en  pré- 
sence des  grands  seigneurs,  des  grandes  dames 
et  des  prélats. 

A  la  cour,  dans  les  camps,  partout,  simple 
roturière,  venue  du  fond  des  campagnes,  igno- 
rante des  choses  de  la  guerre,  avec  son  accent 
défectueux,  elle  doit  affronter  les  préjugés  de 
rang  et  de  naissance,  Vorgueil  de  caste,  puis, 
plus  tard,  les  railleries,  les  brutalités  des 
hommes  de  guerre,  habitués  à  mépriser  la  femme 
et  ne  pouvant  admettre  quune  femme  les  com- 
mande et  les  dirige.  Ajoutez  à  cela  la  méfiance 
des  hommes  d'église,  qui,  à  cette  époque,  voient 
dans  tout  ce  qui  est  anormal  f  intervention  du 
démon  ;  ils  ne  lui  pardonneront  pas  d'agir  en 
dehors  d'eux,  de  leur  autorité,  et  ce  sera  là  sur- 
tout la  cause  de  sa  perte. 

Imaginez  la  curiosité  malsaine  de  tous,  et  par- 
ticulièrement des  soudards,  au  milieu  desquels, 
vierge  sans  tache,  il  lui  faut  vivre  constamment, 
endurer  les  fatigues,  les  pénibles  chevauchées, 
le  poids  écrasant  d'une  armure  de  fer,  coucher 
sur  la  dure  y  sous  la  tente,  les  longues  nuits  du 


o  INTRODUCTION 

camp,  avec  les  soucis,  les  préoccupations  acca- 
blantes  de  sa  tâche  ardue. 

Pendant  sa  courte  carrière,  elle  surmontera 
tous  ces  obstacles,  et,  d'un  peuple  divisé,  déchiré 
par  mille  factions,  démoralisé,  exténué  par  la 
famine,  la  peste  et  toutes  les  misères  d'une  guerre 
qui  dure  depuis  près  de  cent  ans,  elle  fera  une 
nation  victorieuse. 

Voilà  ce  que  des  écrivains  de  talent,  mais 
aveugles,  affligés  d'une  cécité  psychique  et  morale 
qui  est  la  pire  des  infirmités  intellectuelles,  ont 
cherché  à  expliquer  par  des  moyens  purement 
matériels  et  terrestres.  Pauvres  explications, 
pauvres  arguties  boiteuses  qui  ne  résistent  pas  à 
l'examen  des  faits  !  Pauvres  âmes  myopes,  âmes 
de  nuit  que  les  lumières  de  F  Au-delà  éblouissent 
et  troublent!  C'est  à  elles  que  s'applique  la  pa- 
role d'un  penseur  :  Ce  qu'elles  savent  n  est  qu'un 
néant,  et,  avec  ce  qu  elles  ignorent,  on  créerait 
r univers  ! 

Il  est  une  chose  déplorable  :  certains  critiques 
de  notre  temps  éprouvent  le  besoin  de  rabaisser, 
d'amoindrir,  d'éteindre  avec  frénésie  tout  ce  qui 
est  grand,  tout  ce  qui  s'élève  au-dessus  de  leur 
incapacité  morale.  Partout  où  un  foyer  brille, 
où  une  flamme  s'allume,  vous  les  voyez  accourir 
et  verser  un  déluge  d'eau  glacée  sur  ce  rayon, 
sur  ce  flambeau. 


INTRODUCTION 


Ah  !  comme  Jeanne,  dans  son  ignorance  des 
choses  humaines,  mais  dans  sa  profonde  vision 
psychique,  leur  donne  une  magnifique  leçon  par 
ces  paroles,  quelle  adressait  aux  examinateurs 
de  Poitiers,  et  qui  s'appliquent  si  bien  aux  scep- 
tiques modernes,  aux  petits  beaux  esprits  de 
notre  temps  : 

a  Je  lis  dans  un  livre  où  il  y  a  plus  de  choses 
que  dans  les  vôtres  !  » 

Apprenez  à  y  lire  aussi.  Messieurs  les  contra- 
dicteurs, et  à  connaître  ces  problèmes  ;  ensuite, 
vous  pourrez  parler  avec  un  peu  plus  d'autorité 
de  Jeanne  et  de  son  œuvre. 

A  travers  les  grandes  scènes  de  l'histoire,  il 
faut  voir  passer  les  âmes  des  nations,  des  héros. 

Si  vous  savez  les  aimer,  elles  viendront  à  vous, 
ces  âmes,  et  elles  vous  inspireront.  C'est  le  secret 
du  génie  de  F  histoire.  C^est  ce  qui  a  fait  les 
écrivains  puissants,  comme  Michelet,  Henri  Mar- 
tin et  d'autres.  Ils  ont  compris  le  génie  des  races 
et  des  temps,  et  le  souffle  de  V Au-delà  court  dans 
leurs  pages.  Les  autres,  Anatole  France,  La- 
visse  et  ses  collaborateurs,  restent  secs  et  froids, 
malgré  leur  talent,  parce  quils  ne  savent  ni  ne 
comprennent  la  communion  éternelle,  qui  féconde 
rame  par  rame.  Cette  communion  reste  le  secret 
des  grands  artistes,  des  penseurs  et  des  poètes.  En 
dehors  d'elle,  il  n^est  pas  d'œuvre  impérissable. 

1. 


10  INTRODUCTION 


Une  source  abondante  d'inspiration  découle 
du  monde  invisible  sur  Vhumanité.  Des  liens 
étroits  subsistent  entre  les  hommes  et  les  dispa- 
rus. Toutes  les  âmes  sont  unies  par  des  fils  mys- 
térieux, et,  dès  ici-bas,  les  plus  sensibles  vibrent 
sous  le  rythme  de  la  vie  universelle.  Tel  fut  le 
cas  de  notre  héroïne. 

La  critique  peut  s'attaquer  à  sa  mémoire  :  ses 
efforts  seront  vains.  L'existence  de  la  Vierge  lor^ 
raine,  comme  celles  de  tous  les  grands  prédesti- 
nés, est  burinée  sur  le  granit  éternel  de  l'his- 
toire ;  rien  nen  saurait  affaiblir  les  traits.  Elle 
est  de  celles  qui  montrent  avec  le  plus  d'évi- 
dence, à  travers  le  flot  tumultueux  des  événe^ 
ments,  la  main  souveraine  qui  mène  le  monde. 

Pour  saisir  le  sens  de  cette  vie,  pour  com- 
prendre la  puissance  qui  la  dirige,  il  faut  s'éle- 
ver jusqu'à  la  loi  supérieure,  immanente,  qui 
préside  à  la  destinée  des  nations.  Plus  haut  que 
les  contingences  terrestres,  au-dessus  de  la  con- 
fusion des  faits  produits  par  la  liberté  humaine, 
il  faut  voir  l'action  d'une  volonté  infaillible  qui 
surmonte  la  résistance  des  volontés  particulières, 
des  actes  individuels,  et  sait  faire  aboutir  l'œuvre 
quelle  poursuit.  Au  lieu  de  se  perdre   dans   le 


^  INTRODUCTION  11 

chaos  des  faits,  il  faut  en  embrasser  Vensemble^ 
en  saisir  le  lien  caché.  Alors  apparaît  la  trame, 
r enchaînement  qui  les  unit  ;  leur  harmonie  se 
révèle,  tandis  que  leurs  contradictions  s'effacent 
et  se  fondent  en  un  vaste  plan.  L'on  comprend 
qu'il  existe  une  énergie  latente,  invisible,  qui 
rayonne  sur  les  êtres  et,  tout  en  laissant  à  cha- 
cun une  certaine  somme  d'initiative,  les  enve^ 
loppe  et  les  entraîne  tous  vers  un  même  but. 

C'est  (ians  le  juste  équilibre  de  la  liberté  indi- 
viduelle et  de  l'autorité  de  la  loi  suprême,  que 
s'expliquent  et  se  concilient  les  incohérences 
apparentes  de  la  vie  et  de  l'histoire,  tandis  que 
leur  sens  profond  et  leur  finalité  se  révèlent  à 
celui  qui  sait  pénétrer  la  nature  intime  des 
choses.  En  dehors  de  cette  action  souveraine,  il 
n'y  aurait  que  désordre  et  chaos  dans  la  variété 
infinie  des  efforts,  des  élans  individuels,  en  un 
mot  dans  toute  l'œuvre  humaine. 

De  Domremy  à  Reims,  cette  action  est  évidente 
dans  l'épopée  de  la  Pucelle.  Cesl  qu'alors  la 
volonté  des  hommes  s'associe  dans  une  large 
mesure  aux  fins  poursuivies  d'en  haut.  A  partir 
du  sacre,  l'ingratitude,  la  méchanceté,  les  intri- 
gues des  courtisans  et  des  clercs,  le  mauvais  vou- 
loir du  roi  reprennent  le  dessus.  Suivant  l'expres- 
sion de  Jeanne,  «  les  hommes  se  refusent  à  Dieu  », 
Uégoïsme,   le  dérèglement,    la   rapacité  feront 


12  INTRODUCTION 

obstacle  à  Vaclion  divine^  servie  par  Jeanne  et 
ses  invisibles  soutiens.  L'œuvre  de  délivrance 
deviendra  plus  incertaine,  parsemée  de  vicissi- 
tudes^  de  reculs  et  de  revers.  Elle  ne  s'en  pour- 
suivra pas  moins,  mais  il  faudra, pour  son  accom- 
plissement, un  plus  grand  nombre  d'années  et  de 
plus  pénibles  labeurs. 


C'est,  nous  l'avons  dit,  uniquement  au  point 
de  vue  d'une  science  nouvelle  que  nous  entrepre- 
nons ce  travail.  Nous  tenons  à  le  répéter,  afin 
qu'ion  ne  se  méprenne  pas  sur  nos  intentions.  En 
cherchant  à  faire  un  peu  de  lumière  sur  la  vie 
de  Jeanne  d'Arc,  nous  n^obéissons  à  aucun  mo- 
bile intéressé,  à  aucun  préjugé  politique  ou  reli- 
gieux ;  nous  nous  plaçons  aussi  loin  des  anar- 
chistes que  des  réactionnaires,  à  égale  distance 
des  fanatiques  aveugles  et  des  incroyants. 

C'est  au  nom  de  la  vérité,  de  la  beauté  mo- 
rale, c'est  aussi  par  amour  pour  la  patrie  fran- 
çaise^ que  nous  chercherons  à  dégager  la  noble 
figure  de  la  vierge  inspirée,  des  ombres  qu'on 
s'efforce  d^accumuler  autour  d'elle. 

Sous  prétexte  d'analyse  et  de  libre  critique,  il 
y  a,  disions-nous,  à  notre  époque,  une  tendance 
profondément  regrettable  à  dénigrer  tout  ce  qui 


INTRODUCTION  13 

a  fait  l'admiration  des  siècles^  à  altérer ,  à  ter- 
nir  tout  ce  qui  est  exempt  de  tares  et  de  souil- 
lures. 

Nous  considérons  comme  un  devoir^  celui  qui 
incombe  à  tout  homme  capable,  par  la  plume  ou 
la  parole^  d'exercer  quelque  influence  autour  de 
lui^  de  maintenir,  de  défendre,  de  rehausser 
ce  qui  fait  la  grandeur  de  notre  pays,  tous  les 
nobles  exemples  qu^il  a  donnés  au  monde,  toutes 
les  scènes  de  beauté  qui  enrichissent  son  passé 
et  rayonnent  sur  son  histoire. 

C'est  une  mauvaise  action,  presque  un  crime, 
que  de  chercher  à  affaiblir  le  patrimoine  moral, 
la  tradition  historique  d'un  peuple.  En  effet, 
n'est-ce  pas  là  ce  qui  fait  sa  force  aux  heures 
difficiles  ?  n  est-ce  pas  là  quil  puise  ses  senti- 
ments les  plus  virils  au  moment  du  danger?  La 
tradition  d'un  peuple,  son  histoire,  cest  la  poé- 
sie de  sa  vie,  sa  consolation  dans  l'épreuve,  son 
espérance  dans  Vavenir,  Cest  par  les  liens 
quelle  crée  entre  tous,  que  nous  nous  sentons 
vraiment  les  enfants  d^une  même  mère,  les  mem- 
bres d'une  patrie  commune. 

Aussi,  faut-il  rappeler  souvent  les  grandes 
soènes  de  notre  histoire  nationale  et  les  mettre 
en  relief.  Elle  est  pleine  de  leçons  éclatantes, 
riche  d'enseignements  puissants,  et,  en  cela,peut- 
êlre  est-elle  supérieure    à  celle  des  autres  na- 


14  INTRODUCTION 

iions.  Dès  que  nous  explorons  le  passé  de  noire 
race,  partout^  dans  tous  les  temps,  nous  voyons 
se  dresser  de  grandes  ombres,  et  ces  ombres 
nous  parlent,  nous  exhortent.  Du  fond  des  siècles, 
des  voix  s^élèvent  qui  nous  rappellent  de  grands 
souvenirs,  des  souvenirs  tels,  que,  s'ils  étaient 
toujours  présents  à  notre  esprit,  ils  suffiraient  à 
inspirer,  à  éclairer  notre  vie.  Mais  le  vent  du 
scepticisme  passe,  l oubli,  l indifférence  se  font  ; 
les  préoccupations  de  la  vie  matérielle  nous 
absorbent^  et  nous  finissons  par  perdre  de  vue  ce 
qu'il  y  a  de  plus  grande  de  plus  éloquent  dans 
les  témoignages  du  passé. 

Parmi  ces  souvenirs^  il  nen  est  pas  de  plus 
louchant,  de  plus  glorieux,  que  celui  de  cette 
jeune  fille  extraordinaire,  qui  a  illuminé  la  nuit 
du  moyen  âge  de  son  apparition  radieuse,  et 
dont  Henri  Martin  a  pu  dire  :  «  Bien  de  pareil 
ne  s'est  produit  dans  l'histoire  du  monde.  » 

Au  nom  du  passé  comme  de  l'avenir  de  notre 
race,  au  nom  de  iœiivre  qui  lui  reste  à  accom- 
plir, efforçons-nous  donc  de  conserver  dans  son 
intégralité  tout  son  héritage  moral,  et  n'hésitons 
pas  à  rectifier  les  faux  jugements  que  certains 
écrivains  ont  formulés,  en  des  publications  ré- 
centes. Travaillons  à  rejeter  de  lame  du  peuple 
le  poison  intellectuel  qu'on  chej^che  à  y  répandre, 
afin  de  garder  à  la  France  celte  beauté  et  cette 


INTRODUCTION 


force  qui  la  feront  grande  encore  aux  heures 
de  péril,  afin  de  rendre  au  génie  national  tout 
son  prestige  et  son  éclat^  affaiblis  par  tant  de 
théories  malfaisantes  et  de  sophismes. 


Il  faut  reconnaître  que  dans  le  monde  catho- 
lique^ mieux  que  partout  ailleurs,  on  a  su  rendre 
à  Jeanne  de  solennels  hommages.  Bans  les  mi- 
lieux croyants,  on  la  loue,  on  la  glorifie,  on  lui 
élève  des  statues,  des  basiliques.  De  leur  côté, 
les  républicains  libres  penseurs  songeaient  na- 
guère à  fonder  en  son  honneur  une  fête  annuelle, 
une  fête  nationale,  qui  eût  été  en  même  temps 
celle  du  patriotisme.  Mais,  dans  un  camp  comme 
dans  l'autre,  on  na  guère  réussi  à  comprendre 
le  véritable  caractère  de  l'héroïne,  à  saisir  le 
sens  de  sa  vie.  Peu  d'hommes  ont  su  analyser 
cette  grande  figure  qui  se  dresse  au-dessus  des 
temps,  et  surpasse  les  plus  hautes  conceptions 
de  Vépopée,  cette  figure  qui  nous  parait  plus 
imposante,  à  mesure  que  nous  nous  éloignons 
d'elle. 

L^histoire  de  Jeanne  est  comme  une  mine  iné- 
puisable d'enseignements,  dont  on  na  pas  me- 
suré toute  l'étendue,  dont  on  n'a  pas  tiré  tout  le 
parti  désirable  pour  l'élévation  des  intelligences, 


16  INTRODUCTION 

pour  la  pénétration  des  lois  supérieures  de  l'âme 
et  de  F  univers. 

Il  est^  dans  cette  vie,  des  profondeurs  qui 
peuvent  donner  le  vertige  aux  esprits  mal  pré- 
parés ;  on  y  rencontre  des  faits  susceptibles  de 
jeter  F  incertitude,  la  confusion,  dans  la  pensée 
de  ceux  qui  n'ont  pas  les  données  nécessaires 
pour  résoudre  ce  problème  grandiose.  De  là, 
tant  de  discussions  stériles^  tant  de  polémiques 
vaines.  Mais,  pour  celui  qui  a  soulevé  le  voile  du 
monde  invisible,  la  vie  de  Jeanne  s'éclaire,  s'illu- 
mine. Tout  en  elle  s'explique,  se  comprend. 

Je  parle  de  discussions.  Voyez,  en  effet,  parmi 
ceux  qui  louent  l héroïne,  combien  de  points  de 
vue  divers,  combien  d' appréciations  contradic- 
toires /  Les  uns  cherchent,  avant  tout,  dans  sa  mé- 
moire une  illustration  pour  leur  parti  ;  d'autres, 
par  une  glorification  tardive,  songent  à  dégager 
certaine  institution  séculaire  des  responsabilités 
qui  ont  pesé  sur  elle. 

Il  en  est  qui  ne  veulent  voir  dans  les  succès 
de  Jeanne  que  l'exaltation  du  sentiment  popu- 
laire et  patriotique. 

On  peut  se  demander  si,  à  ces  éloges  qui  mon- 
tent de  tous  les  points  de  la  France  vers  la 
grande  inspirée,  il  ne  se  mêle  pas  bien  des  inten- 
tions égoïstes,  bien  des  vues  intéressées.  On 
pense  à    Jeanne,  sans   doute,   on  aime   Jeanne, 


INTRODUCTION  17 

mais,  en  même  temps,  ne  pense-t-on  pas  trop  à 
soi-même  ou  à  son  parti  ?  Ne  cherche-t-on  pas, 
dans  celte  vie  auguste,  ce  qui  peut  flatter  nos 
sentiments  personnels,  nos  opinions  politiques, 
nos  ambitions  inavouées  ?  Bien  peu  d'hommes, 
je  le  crains,  savent  se  liausser  au-dessus  du 
parti  pris,  au-dessus  des  intérêts  de  caste  ou  de 
classe.  Bien  peu  cherchent  à  pénétrer  le  secret 
de  cette  existence,  et  parmi  ceux  qui  Vont  péné- 
tré, aucun,  jusqu'' ici,  sauf  en  des  cas  restreints, 
n'a  osé  élever  la  voix  et  dire  ce  qu^il  savait,  ce 
qu'il  voyait  et  comprenait. 

Quant  à  moi,  si  mes  titres  sont  modestes  pour 
parler  de  Jeanne  d Arc,  du  moins  il  en  est  un 
que  je  revendique  hautement.  C'est  d'être  affran- 
chi de  toute  préoccupation  de  parti,  de  tout  souci 
de  plaire  ou  de  déplaire.  C'est  dans  toute  la 
liberté  de  ma  pensée,  dans  l indépendance  de  ma 
conscience,  libre  de  toute  attache,  ne  cherchant, 
ne  voulant  en  tout  que  la  vérité,  cest  dans  cet 
état  d'esprit  que  j'aborde  ce  grand  sujet,  et  vais 
rechercher  le  mot  du  mystère  qui  plane  sur  cette 
destinée  incomparable. 


JEANNE  D'ARC  MÉDIUM 


PREMIERE  PARTIE 


VIE  ET  MEDIUMNITE  DE  JEANNE  D'ARC 


I.    —    DOMREMY. 

La  vallée  est  charmante  ;  un  flot  éblouissant 
S'y  joue  aux  feux  du  jour  :  c'est  la  Meuse. 

Saint-Yves  d'Alveydre. 

Fils  de  la  Lorraine,  né  comme  Jeanne  dans 
la  vallée  de  la  Meuse,  mon  enfance  a  été  ber- 
cée par  les  souvenirs  qu'elle  a  laissés  dans  le 
pays. 

Pendant  ma  jeunesse,  j'ai  visité  souvent  les 
lieux  où  elle  a  vécu.  J'aimais  à  errer  sous  les 
grandes  voûtes  de  nos  forêts  lorraines,  qui  sont 
autant  de  débris  de  l'antique  foret  des  Gaules. 


20  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

Gomme  elle,  j'ai  bien  des  fois  prêté  l'oreille 
aux  harmonies  des  champs  et  des  bois.  Et  je 
puis  dire  que  je  connais  aussi  les  voix  mysté- 
rieuses de  l'espace,  les  voix  qui,  dans  la  soli- 
tude, inspirent  le  penseur  et  lui  révèlent  les 
vérités  éternelles. 

Devenu  homme,  j'ai  voulu  suivre,  à  travers  la 
France,  la  trace  de  ses  pas.  J'ai  refait,  presque 
étape  par  étape,  ce  douloureux  voyage.  J'ai  vu 
ce  château  de  Chinon,  où  elle  fut  reçue  par 
Charles  VII  et  qui  n'est  plus  qu'une  ruine.  J'ai 
vu,  au  fond  de  la  Touraine,  la  petite  église  de 
Fierbois,  d'où  elle  fit  retirer  l'épée  de  Charles 
Martel,  et  les  grottes  de  Courtineau  où  elle  se 
réfugia  pendant  l'orage  ;  puis,  Orléans  et  Reims, 
Compiègne  où  elle  fut  prise.  Pas  un  lieu  où 
elle  ait  passé  où  je  ne  sois  allé  méditer,  prier, 
pleurer  en  silence. 

Plus  tard,  c'est  dans  cette  cité  de  Rouen,  au- 
dessus  de  laquelle  plane  sa  grande  ombre,  que 
j'ai  terminé  ce  pèlerinage.  Comme  les  chrétiens 
qui  parcourent  pas  à  pas  le  chemin  qui  mène 
au  Calvaire,  j'ai  suivi  la  voie  douloureuse  qui 
conduisait  la  grande  martyre  au  supplice. 

Plus  récemment,  je  suis  retourné  à  Domre- 
my.  J'ai  revu  Thumble  maisonnette  où  elle  a 
reçu  le  jour;  la  chambre  à  l'étroit  soupirail 
dont  son  corps  virginal,   promis  au  bûcher,  a 


DOMBEMY  21 

frôlé  les  murs,  Tarmoire  rustique  où  elle  dé- 
posait ses  hardes,  et  la  place  où,  ravie  en  ex- 
tase, elle  écoutait  ses  voix  ;  puis  l'église  où,  si 
souvent,  elle  a  prié. 

De  là,  par  le  chemin  qui  gravit  la  colline, 
j'ai  gagné  le  lieu  sacré  où  elle  aimait  à  rêver; 
j'ai  revu  la  vigne  qui  fut  à  son  père,  l'arbre  des 
fées  et  la  fontaine  au  doux  murmure.  Le  cou- 
cou chantait  dans  le  bois  chenu;  des  senteurs 
d'aubépine  flottaient  dans  l'air  ;  la  brise  agitait 
le  feuillage  et  éveillait  comme  une  plainte  au 
fond  du  hallier.  A  mes  pieds  se  déployaient  les 
prairies  riantes,  émaillées  de  fleurs,  qu'arro- 
sent les  méandres  de  la  Meuse. 

En  face,  la  côte  de  Julien  se  dresse  abrupte, 
souvenir  de  l'époque  romaine  et  du  César 
apostat.  Au  loin,  des  coteaux  boisés,  des  ravins 
profonds  se  succèdent  jusqu'à  l'horizon  fuyant; 
une  douceur  pénétrante,  une  paix  sereine  pla- 
nent sur  tout  le  pays.  C'est  bien  là  le  lieu  béni, 
propice  aux  méditations  ;  le  lieu  où  les  vagues 
harmonies  du  ciel  se  mêlent  aux  murmures 
lointains  et  apaisés  de  la  terre.  O  âme  rêveuse 
de  Jeanne  !  je  cherche  ici  les  impressions  qui 
t'enveloppaient,  et  je  les  retrouve  saisissantes, 
profondes.  Elles  étreignent  mon  esprit;  elles 
l'emplissent  d'une  ivresse  poignante.  Et  ta  vie 
entière,  épopée  éblouissante,  se   déroule    de- 


22  JEANNE   d'arc    MÉDIUM 

vant  ma  pensée  comme  un  panorama  grandiose, 
couronné  par  une  apothéose  de  flammes.  Un 
instant  j'ai  vécu  de  cette  vie,  et  ce  que  mon 
cœur  a  ressenti,  aucune  plume  humaine  ne 
saurait  le  décrire  !... 

Derrière  moi,  comme  un  monument  étran- 
ger, note  discordante  dans  cette  symphonie  des 
impressions  et  des  souvenirs,  se  dressent  la 
basilique  et  le  monument  théâtral  où  l'on  voit 
Jeanne  à  genoux,  aux  pieds  d'un  saint  Michel 
et  de  deux  images  de  saintes  éclatants  de  do- 
rures. La  statue  de  Jeanne,  seule,  riche  d'ex- 
pression, touche,  intéresse,  retient  le  regard. 
Un  nom  est  gravé  sur  le  socle,  celui  d'Allar. 
Cette  œuvre  est  celle  d'un  spirite. 

A  quelque  distance  de  Domremy,  sur  un 
raide  coteau,  au  milieu  des  bois,  se  cache  la 
modeste  chapelle  de  Bermont.  Jeanne  y  venait 
chaque  semaine  ;  elle  suivait  le  sentier  qui,  de 
Greux,  se  déroule  sur  le  plateau,  fuit  sous  les 
ombrages  et  passe  près  de  la  fontaine  de  Saint- 
Thiébault.  Elle  gravissait  la  colline  pour  s'age- 
nouiller devant  l'antique  madone,  dont  la  sta- 
tue, du  huitième  siècle,  y  est  encore  véné- 
rée de  nos  jours.  J'ai  suivi,  pensif,  recueilli,  ce 
sentier  pittoresque  ;  j'ai  parcouru  ces  bois  touf- 
fus où  chantent  les  oiseaux.  Tout  le  pays  est 
plein  de  souvenirs  celtiques  ;  nos  pères  avaient 


DOMfŒMV  23 

dressé  là  un  autel  de  pierre.  Ces  fontaines  sa- 
crées, ces  ombrages  austères  furent  témoins 
des  cérémonies  du  culte  druidique.  L'âme  de 
la  Gaule  vit  et  palpite  en  ces  lieux.  Sans  doute 
elle  parlait  au  cœur  de  Jeanne,  comme  elle 
parle  encore  aujourd'hui  au  cœur  des  patriotes 
et  des  croyants  éclairés. 

J'ai  porté  mes  pas  plus  loin;  j'ai  voulu  voir 
dans  les  environs  tout  ce  qui  a  participé  à  la 
vie  de  Jeanne,  tout  ce  qui  rappelle  sa  mémoire: 
Vouthon,  où  naquit  sa  mère,  et  le  petit  village 
de  Burey-la-Gôte,  qui  possède  toujours  la  de- 
meure de  son  oncle  Durand  Laxart,  celui  qui 
facilita  l'accomplissement  de  sa  mission  en  la 
conduisant  à  Vaucouleurs,  près  du  sire  de  Bau- 
dricourt.  L'humble  maison  est  encore  debout, 
avec  les  écussons  aux  fleurs  de  lis  qui  en  dé- 
corent le  seuil,  mais  elle  est  changée  en  étable. 
Une  simple  chaînette  en  fixe  la  porte  ;  je  la  dé- 
tache et,  à  ma  vue,  un  chevreau,  blotti  dans 
l'ombre,  fait  entendre  sa  voix  grêle  et  plain- 
tive. 

J'ai  erré  en  tous  sens  dans  ce  pays,  m'eni- 
vrant  à  la  vue  des  sites  qui  servirent  de  cadre 
à  l'enfance  de  Jeanne.  J'ai  parcouru  les  vallées 
étroites,  latérales  à  celle  de  la  Meuse,  qui  se 
creusent  entre  les  bois  sombres.  J'ai  médité 
dans  la  solitude,  le  soir,  à  l'heure  où  chante  le 


24  JEANNE   d'arc  MÉDIUM 

rossignol,  quand  les  étoiles  s'allument  au  fond 
des  cieux.  J'y  prêtais  l'oreille  à  tous  les  bruits, 
à  toutes  les  voix  mystérieuses  de  la  nature. 
Je  me  sentais,  en  ces  lieux,  loin  de  l'homme  ; 
un  monde  invisible  planait  autour  de  moi. 

Alors  la  prière  jaillit  des  profondeurs  de 
mon  être  ;  puis  j'évoquai  l'esprit  de  Jeanne,  et 
aussitôt  je  sentis  le  soutien  et  la  douceur  de  sa 
présence.  L'air  frémissait  ;  tout  semblait  s'éclai- 
rer autour  de  moi  ;  des  ailes  invisibles  bat- 
taient dans  la  nuit;  une  mélodie  inconnue  des- 
cendait des  espaces,  berçait  mes  sens,  faisait 
couler  mes  pleurs. 

Et  l'ange  de  la  France  m'a  dicté  des  paroles 
que,  suivant  son  ordre,  je  retrace  ici  pieuse- 
ment : 

Message  de  Jeanne. 

«  Ton  âme  s'élève  et  sent  en  ce  moment  la 
protection  que  Dieu  jette  sur  toi. 

«  Avec  moi,  que  ton  courage  augmente  et, 
patriote  sincère,  aime  et  désire  être  utile  à 
cette  France  si  chère,  que,  d'en  haut,  en  Pro- 
tectrice, en  Mère,  je  considère  toujours  avec 
bonheur. 

«  Ne  sens-tu  pas,  en  toi,  naître  des  pensées 
de  douce  indulgence  ?  Près  de  Dieu,  j'ai  appris 


DOMREMY  25 

à  pardonner,  mais  ces  pensées,  toutefois,  ne 
doivent  point  en  moi  faire  naître  la  faiblesse, 
et,  don  divin,  je  trouve  en  mon  cœur  assez  de 
force,  pour  chercher  à  éclairer  parfois  ceux 
qui,  par  orgueil,  veulent  accaparer  mon  sou- 
venir. 

«  Et  quand,  par  indulgence,  j'appelle  sur 
eux  les  lumières  du  Créateur,  du  Père,  je  sens 
que  Dieu  me  dit:  «  Protège,  inspire,  mais  ne 
«  fusionnejamaisavectesbourreaux.  Les  prêtres, 
<(  en  rappelant  ton  dévouement  à  la  patrie,  ne 
«  doivent  demander  que  le  pardon  pour  ceux 
«  dont  ils  ont  pris  la  succession.  » 

«  Chrétienne  pieuse  et  sincère  sur  la  terre, 
je  sens  dans  l'espace  les  mêmes  élans,  le  même 
désir  de  prière,  mais  je  veux  que  mon  souve- 
nir soit  libre  et  détaché  de  tout  calcul  ;  je  ne 
donne  mon  cœur,  en  souvenir,  qu'à  ceux  qui 
ne  voient  en  moi  que  l'humble  et  pieuse  fille 
de  Dieu,  aimant  tous  ceux  qui  vivent  sur  cette 
terre  de  France,  auxquels  je  cherche  à  inspirer 
des  sentiments  d'amour,  de  droiture  et  d'éner- 
gie. » 


II.  —  La  situation  en  lli29 


Or,  la  France  gisait  au  tombeau!  De  sa  gloire, 
Que  restait-il?  A  l'Ouest,  une  urne  en  pleurs  :  la  Loire 
Une  ombre,  à  l'Est  :  le  Dauphiné. 

Saint- Yves  d'Alveydre. 


Quelle  était  la  situation  de  la  France  au 
quinzième  siècle,  au  moment  où  Jeanne  d'Arc 
va  paraître  sur  la    grande  scène  de  l'histoire  ? 

La  guerre  contre  l'Angleterre  dure  depuis 
près  de  cent  ans.  Dans  quatre  défaites  succes- 
sives, la  noblesse  française  a  été  écrasée, 
presque  anéantie.  De  Crécy  à  Poitiers,  et  des 
champs  d'Azincourt  à  ceux  de  Verneuil,  notre 
chevalerie  a  jonché  le  sol  de  ses  morts.  Ce 
qu'il  en  reste  est  divisé  en  partis  rivaux,  dont 
les  querelles  intestines  affaiblissent  et  désolent 
la  France.  Le  duc  d'Orléans  est  assassiné  par 
les  estafiers  du  duc  de  Bourgogne,  et  celui-ci, 
un  peu  plus  tard,  est  mis  à  mort  par  les  Arma- 
gnacs. Tout  cela  s'accomplit  sous  l'œil  de  l'en- 
nemi, qui  s'avance  pas  à  pas  et  envahit  les  pro- 


LA   SITUATION    EN    1429  27 

viuces  du  Nord,  alors  que,  depuis  longtemps 
déjà,  il  occupe  la  Guyenne. 

Après  une  résistance  acharnée,  au  cours 
d'un  siège  qui  surpasse  en  horreur  tout  ce  que 
l'imagination  peut  enfanter  de  lugubre,  Rouen 
a  dû  se  rendre.  Paris,  dont  la  population  est 
décimée  par  les  maladies  et  la  famine,  est  aux 
mains  de  l'Anglais.  La  Loire  le  voit  sur  ses 
rives.  Orléans,  dont  l'occupation  livrerait  à 
l'étranger  le  cœur  de  la  France,  résiste  encore, 
mais  pour  combien  de  temps  ? 

De  vastes  étendues  de  notre  pays  sont  chan- 
gées en  désert.  Plus  de  cultures  ;  les  villages 
sont  abandonnés.  On  ne  voit  que  ronces  et 
chardons  poussant  à  l'envi,  des  ruines  noircies 
par  l'incendie  ;  partout,  les  traces  des  ravages 
de  la  guerre,  la  désolation  et  la  mort.  Les  ha- 
bitants des  campagnes,  désespérés,  se  cachent 
dans  des  souterrains  ;  d'autres  se  réfugient  dans 
les  îles  de  la  Loire  ou  cherchent  un  abri  dans 
les  villes,  où  ils  meurent  de  faim.  Souvent, 
pour  échapper  à  la  soldatesque,  ces  malheu- 
reux se  sauvent  dans  les  bois,  s'organisent  en 
bandes,  et  deviennent  bientôt  aussi  cruels  que 
les  routiers  devant  lesquels  ils  ont  fui.  Des 
loups  rôdent  aux  abords  des  villes,  y  pénètrent 
la  nuit  et  dévorent  les  cadavres  laissés  sans 
sépulture.  Telle  est  «  la  grande  pitié  qui  est  au 


28  JEANNE   d'arc   MÉUIUM 

royaume  de  France  »,  comme  ses  voix  le  disent 
à  Jeanne. 

Le  pauvre  Charles  VI,  dans  sa  démence,  a 
signé  le  traité  de  Troyes^  qui  déshérite  son  fils 
et  constitue  Henri  d'Angleterre  héritier  de  sa 
couronne.  Et  lorsque,  dans  la  basilique  de 
Saint-Denis,  sur  le  cercueil  du  roi  fou,  un 
héraut  d'armes  proclama  Henri  de  Lancastre 
roi  de  France  et  d'Angleterre,  les  restes  de  nos 
rois,  couchés  sous  les  lourdes  dalles  de  leurs 
tombes,  durent  tressaillir  de  honte  et  de  dou- 
leur. Le  dauphin  Charles,  dépossédé  et  appelé 
par  dérision  «  roi  de  Bourges  »,  se  laisse  aller 
au  découragement,  à  l'inertie;  il  manque  de 
ressources  et  de  vaillance;  ses  conseillers  pac- 
tisent en  secret  avec  l'ennemi.  Lui-même  songe 
à  gagner  l'Ecosse  ou  la  Castille,  en  renonçant 
au  trône,  auquel,  pense-t-il,  il  n'a  peut-être  pas 
droit,  car  des  doutes  l'assiègent  sur  la  légiti- 
mité de  sa  naissance.  Et  l'on  n'entend  plus  que 
la  plainte  lamentable,  le  cri  d'agonie  d'un 
peuple  que  ses  vainqueurs  s'apprêtent  à  cou- 
cher dans  le  sépulcre.  La  France  se  sent  per- 
due, elle  est  frappée  au  cœur.  Encore  quelques 
revers,  et  elle  descendra  dans  le  grand  silence 
de  la  mort.  Quel  secours  pourrait-on  attendre 
en  effet  ?  Nulle  puissance  terrestre  n'est  ca- 
pable  d'accomplir  ce  prodige:  la  résurrection 


LA   SITUATION    EN    1429  29 

d'un  peuple  qui  s'abandonne.  Mais  il  est  une 
autre  puissance,  invisible,  qui  veille  aux  desti- 
nées des  nations.  Au  moment  où  tout  semble 
s'effondrer,  elle  fera  surgir  du  sein  des  foules 
l'aide  rédemptrice.  Certains  présages  semblent 
en  annoncer  la  venue. 

Déjà,  parmi  tant  d'autres  signes,  une  vision- 
naire, Marie  d'Avignon,  s'était  rendue  près  du 
roi  ;  elle  avait  vu  dans  ses  extases,  disait-elle, 
une  armure  que  le  ciel  réservait  à  une  jeune 
fille,  destinée  à  sauver  le  royaume  (1).  De  toutes 
parts,  on  s'entretenait  de  l'antique  prophétie 
de  Merlin,  annonçant  une  vierge  libératrice  qui 
sortirait  du  Bois  Chesnu  (2).  Et,  comme  un 
rayon  d'en  haut,  au  milieu  de  cette  nuit  de 
désolation  et  de  misère,  Jeanne  parut. 

Ecoutez,  écoutez  !  Du  fond  des  campagnes 
et  des  forêts  de  la  Lorraine,  le  galop  de  son 
cheval  a  retenti  ;  elle  accourt  ;  elle  va  ranimer 
ce  peuple  désespéré,  relever  les  courages  abat- 
tus, diriger  la  résistance,  sauver  la  France  de 
la  mort!... 


(1)  J.  Fabre,  Déposition  de  Jean  Barbin,  avocat  du  roi,  dans 
le  Procès  de  réhabilitation  de  Jeanne  d\Arc  ,  t.  I,  pp.  157-158. 

(2)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I,  pp.  123,  162,  202, 
366. 


2. 


III.  —  Enfance  de  Jeanne  d'Arc. 


Au  bruit  de  l'Angelus  qui  sonne, 
Sa  mémoire  céleste  est  vibrante  et  revit. 

Saint-Yves  d'Alveydre. 


Au  pied  des  coteaux  qui  bordent  la  Meuse, 
quelques  chaumières  se  groupent  autour  d'une 
modeste  église  ;  en  aval,  en  amont,  s'étendent 
de  vertes  prairies  qu'arrose  la  petite  rivière 
aux  eaux  limpides.  Sur  les  pentes  se  succèdent 
des  cultures  et  des  vignes  jusqu'à  la  forêt  pro- 
fonde, qui  se  dresse  comme  une  muraille  au 
front  des  collines,  forêt  pleine  de  murmures 
mystérieux  et  de  chants  d'oiseaux,  d'où  surgis- 
sentparfois,  à  rimproviste,les  loups,  terreur  des 
troupeaux,  ou  les  hommes  de  guerre,  pillards 
et  dévastateurs,  plus  dangereux  que  des  fauves. 

C'est  Domremy,  village  jusqu'alors  ignoré, 
mais  qui,  par  l'enfant  dont  il  vit  la  naissance 
en  J/il2,  va  devenir  célèbre  dans  le  monde  en- 
tier. 

Rappeler  l'histoire  de  cette  enfant,  de  cette 
jeune  fille,  est   encore   le  meilleur  moyen  de 


ENFANCE    DE   JEANNE    d'aRC  31 

réfuter  les  arguments  de  ses  contempteurs. 
C'est  ce  que  nous  ferons  tout  d'abord,  en  nous 
attachant  de  préférence  aux  côtés,  aux  faits 
restés  dans  l'ombre,  et  dont  quelques-uns  nous 
ont  été  révélés  par  voie  médianimique. 

De  nombreux  ouvrages,  chefs-d'œuvre  de 
science  et  d'érudition,  ont  été  écrits  sur  la 
vierge  lorraine.  Loin  de  moi  la  prétention  de 
les  égaler.  Ce  livre  s'en  distingue  cependant 
par  un  trait  caractéristique.  11  est  illuminé  çà 
et  là  par  la  pensée  de  l'héroïne.  Grâce  aux 
messages  obtenus  d'elle,  en  des  conditions  sa- 
tisfaisantes d'authenticité,  messages  qu'on  trou- 
vera surtout  dans  la  deuxième  partie  de  ce 
volume,  celui-ci  devient  comme  un  écho  de  sa 
propre  voix  et  des  voix  de  l'espace.  C'est  à  ce 
titre  qu'il  se  recommande  à  l'attention  du  lec- 
teur. 


Jeanne  n'était  pas  de  haute  naissance;  fille 
de  pauvres  laboureurs,  elle  filait  la  laine  aux 
côtés  de  sa  mère  ou  gardait  son  troupeau  dans 
les  prairies  de  la  Meuse,  lorsqu'elle  n'accompa- 
gnait  pas  son  père  à  la  charrue  (1). 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilîtalion,  t.  I,  pp.  80,  106,  etc. 


32  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

Elle  ne  savait  ni  lire  ni  écrire  (1)  ;  elle  igno- 
rait tout  des  choses  de  la  guerre.  C'était  une 
douce  et  bonne  enfant,  aimée  de  tous,  surtout 
des  pauvres,  des  malheureux,  qu'elle  ne  man- 
quait jamais  de  secourir,  de  consoler.  On  ra- 
conte, à  ce  sujet,  des  anecdotes  touchantes. 
Elle  cédait  volontiers  sa  couchette  à  quelque 
pèlerin  fatigué,  et  passait  la  nuit  sur  une  botte 
de  paille,  pour  procurer  le  repos  à  des  vieillards 
épuisés  par  une  longue  route.  Elle  soignait  les 
malades,  comme  ce  petit  Simon  Musnier,  son 
voisin,  qui  grelottait  la  fièvre  ;  s'installant  à  son 
chevet,  elle  le  veillait  pendant  la  nuit. 

Rêveuse,  elle  aimait,  le  soir,  à  contempler 
le  ciel  plein  d'étoiles  ou  bien  à  suivre,  le  jour, 
les  gradations  de  la  lumière  et  des  ombres.  Le 
bruit  du  vent  dans  les  branches  ou  les  roseaux, 
le  murmure  des  sources,  toutes  les  harmonies 
de  la  nature  l'enchantaient.  Mais,  à  tout  cela, 
elle  préférait  encore  le  son  des  cloches.  C'était, 
pour  elle,  comme  un  salut  du  ciel  à  la  terre.  Et 
lorsque,  dans  la  paix  du  soir,  loin  du  village, 
dans  quelque  repli  de  terrain  où  s'abritait  son 
troupeau,  elle  percevait  leurs  notes  argentines, 
leurs  vibrations  calmes  et  lentes,  annonçant 
le  moment  du  retour,  elle  s'abîmait  dans  une 


(1)  Voir,  par   exemple,  J.  Fabre,  Procès  de   réhabililalion, 
t.  II,  p.  145. 


ENFANCE    DE   JEANNE    DARG  33 

sorte  d'extase,  dans  une  longue  prière  où  elle 
mettait  toute  son  âme,  avide  des  choses  divines. 
Malgré  sa  pauvreté,  elle  trouvait  moyen  de 
donner  au  sonneur  du  village  quelque  gratifi- 
cation, pour  qu'il  prolongeât  la  chanson  de  ses 
cloches  au  delà  des  limites  habituelles  (1). 

Pénétrée  de  Tintuition  que  sa  venue  sur  la 
terre  avait  un  but  élevé,  elle  plongeait  par  la 
pensée  dans  les  profondeurs  de  l'invisible,  pour 
discerner  la  voie  où  elle  devrait  s'engager. 
«  Elle  se  cherchait  elle-même  »,  nous  dit  Henri 
Martin  (2). 

Tandis  que,  parmi  ses  compagnons  d'exis- 
tence, tant  d'âmes  restent  enfermées  et  comme 
éteintes  en  leur  prison  charnelle,  tout  son  être 
s'ouvre  aux  hautes  influences.  Dans  le  som- 
meil, son  esprit,  dégagé  des  liens  matériels, 
plane  dans  l'espace  éthéré;  il  en  perçoit  les 
clartés  intenses,  il  se  retrempe  dans  les  cou- 
rants puissants  de  vie  et  d'amour  qui  y  régnent, 
et,  au  réveil,  il  conserve  l'intuition  des  choses 
entrevues.  Ainsi,  peu  à  peu,  par  ces  exercices, 
ses  facultés  psychiques  s'éveillent  et  grandis- 
sent. Bientôt,  elles  vont  entrer  en  action. 

Cependant,    ces    impressions,    ces    rêveries 


(1)  Voir  J.  Fabre,  Procès  de  réhabililalion,  t.  I,  p.  106. 

(2)  Histoire  de  France,  t.  VI,  p.  140. 


34  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

n'altéraient  pas  son  amour  du  travail.  Assidue 
à  sa  tâche,  elle  ne  négligeait  rien  pour  satis- 
faire ses  parents  et  tous  ceux  avec  qui  elle 
avait  affaire.  «  Vive  labeur!  »  dira-t-elle  plus 
tard,  affirmant  ainsi  que  le  travail  est  le  meil- 
leur ami  de  l'homme,  son  soutien,  son  conseil- 
ler dans  la  vie,  son  consolateur  dans  l'épreuve, 
et  qu'il  n'est  pas  de  vrai  bonheur  sans  lui. 
((  Vive  labeur  !  »  c'est  la  devise  que  sa  famille 
adoptera  et  fera  inscrire  sur  son  blason,  lors- 
que le  roi  l'aura  anoblie. 

Jusque  dans  les  humbles  détails  de  l'existence 
de  Jeanne  se  manifestent  un  sentiment  très  vif 
du  devoir,  un  jugement  sûr,  une  claire  vision 
des  choses  qui  la  rendent  supérieure  à  tous  ceux 
qui  l'entourent.  On  reconnaît  déjà  là  une  âme 
extraordinaire,  une  de  ces  âmes  passionnées 
et  profondes,  qui  descendent  sur  la  terre  pour 
accomplir  une  grande  mission.  Une  influence 
mystérieuse  l'enveloppe.  Des  voix  parlent  à  ses 
oreilles  et  à  son  cœur;  des  êtres  invisibles  l'ins- 
pirent, dirigent  tous  ses  actes,  tous  ses  pas. 
Et  voilà  que  ces  voix  commandent.  Des  ordres 
impérieux  se  font  entendre.  11  faut  renoncer  à 
la  vie  paisible.  Pauvre  enfant  de  dix-sept  ans, 
elle  devra  affronter  le  tumulte  des  camps  !  Et 
à  quelle  époque  ?  A  cette  époque  farouche  où, 
trop  souvent,  les  soldats  sont  des  bandits.  Elle 


ENFANCE  DE  JEANNE  d'aRC  35 

quittera  tout  :  son  village,  son  père  et  sa  mère, 
son  troupeau,  tout  ce  qu'elle  a  aimé,  pour  cou- 
rir au  secours  de  la  France  qui  agonise.  Aux 
bonnes  gens  de  Vaucouleurs  qui  s'apitoient  sur 
son  sort,  que  répondra-t-elle?  «  C'est  pour  cela 
que  je  suis  née!  » 


La  première  vision  se  produisit  un  jour  d'été, 
à  l'heure  de  midi.  Le  ciel  était  sans  nuages,  et 
le  soleil  versait  sur  la  terre  assoupie  tous  les 
enchantements  de  sa  lumière.  Jeanne  priait 
dans  le  jardin  attenant  à  la  maison  de  son  père, 
près  de  l'église.  Elle  entendit  une  voix  qui  lui 
disait  :  «  Jehanne,  fille  de  Dieu,  sois  bonne  et 
sage,  fréquente  l'église  (1),  mets  ta  confiance 
au  Seigneur  (2).  »  Elle  fut  saisie;  mais,  élevant 
son  regard,  dans  une  clarté  éblouissante  elle 
vit  une  figure  angélique,  qui  exprimait  à  la 
fois  la  force  et  la  douceur,  et  qu'entouraient 
des  formes  radieuses. 

(1)  A  cette  époque,  la  religion  catholique  était  la  forme 
religieuse  la  plus  répandue  et  presque  la  seule  qui  pût  unir 
les  âmes  à  Dieu.  C'est  pourquoi,  VEsprit  qui  s'annonçait 
sous  le  nom  de  saint  Michel,  entrant  dans  les  vues  du 
siècle  pour  mieux  atteindre  son  but,  .ne  pouvait  tenir  un 
autre  langage.  Voir  plus  loin  :  la  Médiumnilé  et  Vidée  de  reli- 
gion chez  Jeanne  d'Arc. 

(2)  Henri  Martin,  Histoire  de  France^  t.  ^'I,  p.  142. 


36  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

Un  autre  jour,  l'Esprit,  l'archange  saint  Mi- 
chel et  les  saintes  qui  l'accompagnaient,  l'en- 
tretiennent de  la  situation  du  pays  et  lui  révè- 
lent sa  mission.  «  Il  faut  que  tu  ailles  au  se- 
cours du  dauphin,  afin  que  par  toi  il  recouvre 
son  royaume  (1).  »  Et  Jeanne,  tout  d'abord, 
se  défend  :  «  Je  suis  une  pauvre  fille,  ne  sa- 
chant ni  chevaucher  ni  guerroyer  !  »  «  Fille  de 
Dieu,  va,  je  serai  ton  secours  »,  lui  répond  la 
voix. 

Peu  à  peu  ses  entretiens  avec  les  Esprits 
devenaient  plus  fréquents  ;  ils  n'étaient  pas  de 
longue  durée.  Les  conseils  d'en  haut  sont  tou- 
jours brefs,  concis,  lumineux.  C'est  ce  qui  ré- 
sulte de  ses  réponses  aux  interrogatoires  de 
Rouen.  «  Quelle  doctrine  vous  montra  saint 
Michel  ?  »  lui  demande-t-on.  «  Sur  toutes  cho- 
ses, il  me  disait  :  Sois  bonne  enfant  et  Dieu  t'ai- 
dera (2)...  »  Cela  est  simple  et  sublime  à  la 
fois,  et  résume  toute  la  loi  de  la  vie.  Les  Es- 
prits élevés  ne  se  répandent  pas  en  longs  dis- 
cours. Aujourd'hui  encore,  ceux  qui  peuvent 
communiquer  avec  les  plans  supérieurs  de  TAu- 
delà,  n'en  reçoivent  guère  que  des  instructions 
courtes,  profondes  et  marquées  au  coin  d'une 

(1;  Henri  Martin,  Histoire  de  France,  l.  VI,  p.  142. 
(2)  J.   Fabre,  Procès  de  condamnation,   7'   interrogatoire 
gecret,  p.  174, 


ENFANCE    DE   JEANNE    d'aRC  37 

haute  sagesse.  Et  Jeanne  ajoute  :  «  Saint  Mi- 
chel m'a  appris  à  me  bien  conduire  et  à  fré- 
quenter l'église.  »  En  effet,  pour  toute  âme  qui 
aspire  au  bien,  la  rectitude  des  actes,  le  re- 
cueillement et  la  prière  sont  les  premières  con- 
ditions d'une  existence  droite  et  pure. 

Un  jour,  saint  Michel  lui  dit  :  «  Fille  de  Dieu, 
tu  conduiras  le  dauphin  à  Reims,  afin  qu'il  y 
reçoive  son  digne  sacre  (1).  »  Sainte  Catherine 
et  sainte  Marguerite  lui  répétaient  sans  cesse  : 
«  Va,  va,  nous  t'aiderons!  »  Alors  s'établissent 
entre  Jeanne  et  ses  guides  des  rapports  étroits. 
Chez  ses  «  frères  de  paradis  »,  elle  va  puiser 
la  résolution  nécessaire  pour  accomplir  son 
œuvre  :  elle  en  est  toute  pénétrée.  La  France 
l'attend,  il  faut  partir  ! 


Aux  premières  lueurs  d'un  jour  d'hiver, 
Jeanne  s'est  levée;  elle  a  préparé  son  léger 
bagage,  un  petit  paquet,  son  bâton  de  voyage; 
puis,  elle  va  s'agenouiller  au  pied  du  lit  où  re- 
posent encore  son  père  et  sa  mère,  et,  silen- 
cieuse, elle  murmure  un  adieu  en  pleurant. 
Elle  se  rappelle,  à  cette  heure  dpuloureuse,  les 

(1)  Procès,  t.  I,  p.  130. 


38  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

inquiétudes,  les  caresses,  les  soins  de  sa  mère, 
les  soucis  de  son  père,  dont  l'âge  courbe  déjà 
le  front.  Elle  pense  au  vide  que  va  causer  son 
départ,  au  chagrin  de  tous  ceux  dont  elle  par- 
tagea jusqu'ici  la  vie,  les  joies,  les  douleurs. 
Mais  le  devoir  commande  ;  elle  ne  faillira  pas 
à  sa  tâche.  Adieu,  pauvres  parents  !  adieu, 
toi  qui  as  conçu  tant  d'inquiétudes  au  sujet  de 
ta  fille,  vue,  en  rêve,  en  compagnie  de  gens 
d'armes  (1)  !  Elle  ne  se  conduira  pas  comme 
tu  en  avais  l'appréhension,  car  elle  est  pure, 
pure  comme  le  lis  sans  tache;  son  cœur  ne  con- 
naît qu'un  amour  :  celui  de  son  pays. 

«  Adieu,  je  vais  à  Vaucouleurs  »,  dit-elle  en 
passant  devant  la  maison  du  laboureur  Gérard, 
dont  la  famille  était  liée  à  la  sienne.  «  Adieu, 
Mengette  »,  fit-elle  à  sa  compagne.  «  Adieu, 
vous  tous,  avec  qui  j'ai  vécu  heureuse  jus- 
qu'ici !  » 

Il  fut  pourtant  une  amie  dont  elle  évita  de 
prendre  congé  :  sa  chère  Hauviette.  Les  adieux 
eussent  été  trop  émouvants,  Jeanne  s'en  serait 
peut-être  sentie  ébranlée,  et  elle  avait  besoin 
de  tout  son  courage  (2). 


(1)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnalion,  3*  interrogatoire  se- 
cret, pp.  U2-14  3. 

(2)  Id.,  Procès  de  réhabilitalion,  t.  I.  Dépositions   de  trois 
amies  de  Jeanne.  Dépositions  de  six  laboureurs. 


ENFANCE  DE  JEANNE  D*ARC  39 

Elle  partit  pour  Burey  où  habitait  un  de  ses 
oncles,  pour,  de  là,  gagner  Vaucouleurs  et  la 
France.  A  dix-sept  ans,  elle  partit  seule,  sous 
le  ciel  immense,  sur  une  route  semée  de  dan- 
gers. Et  Doniremy  ne  la  revit  jamais. 


IV.  —  La  médiumnité  de  Jeanne  d'Arc  ;  ce 
qu'étaient  ses  voix  ;  phénomènes  analogues, 
anciens  et  récents. 


Debout,  les  yeux  en  pleurs,  elle  prête  l'oreille 
A  quelque  messager  des  cieux  I 

Paul  Allard. 

Les  phénomènes  de  vision,  d'audition,  de 
prémonition,  qui  parsèment  la  vie  de  Jeanne 
d'Arc,  ont  donné  lieu  aux  interprétations  les  plus 
diverses.  Parmi  les  historiens,  les  uns  n'ont  vu 
là  que  des  cas  d'hallucination  ;  certains  sont 
allés  jusqu'à  parler  d'hystérie  ou  de  névrose. 
D'autres  ont  attribué  à  ces  faits  un  caractère 
surnaturel  et  miraculeux. 

Le  but  essentiel  de  cet  ouvrage  est  d'analy- 
ser ces  phénomènes,  de  démontrer  qu'ils  sont 
réels  et  se  rattachent  à  des  lois  longtemps 
ignorées,  mais  dont  l'existence  se  révèle  de 
jour  en  jour,  d'une  manière  plus  imposante  et 
plus  précise. 

A  mesure  que  s'accroît  la  connaissance  de 
l'univers  et  de  l'être,  la  notion  du  surnaturel 


LA   MÉDIUMNITÉ    DE  JEANNE   d'aRC  41 

recule,  s'évanouit.  On  le  comprend  désormais  : 
la  nature  est  une;  mais,  dans  son  immensité, 
elle  recèle  des  domaines,  des  formes  de  vie 
qui  ont  longtemps  échappé  à  nos  sens.  Ceux-ci 
sont  des  plus  bornés.  Ils  ne  nous  laissent  per- 
cevoir que  les  aspects  les  plus  grossiers,  les 
plus  élémentaires  de  l'univers  et  de  la  vie.  Leur 
pauvreté,  leur  insuffisance  s'est  révélée  surtout 
au  moment  de  l'invention  des  puissants  instru- 
ments d'optique,  le  télescope  et  le  microscope, 
qui  ont  élargi  dans  tous  les  sens  le  champ  de 
nos  perceptions  visuelles.  Que  savions-nous 
des  infiniment  petits  avant  la  construction  des 
appareils  grossissants  ?  que  savions-nous  de 
ces  innombrables  existences,  qui  pullulent  et 
s'agitent  autour  de  nous  et  même  en  nous? 

Ce  ne  sont  là  pourtant  que  les  bas-fonds  de  la 
nature  et,  pour  ainsi  dire,  le  substratum  de  la 
vie.  Mais,  au-dessus,  des  plans  se  succèdent  et 
s'étagent,  sur  lesquels  se  graduent  des  formes 
d'existences  de  plus  en  plus  subtiles,  éthérées, 
intelligentes,  d'un  caractère  encore  humain, 
puis  angélique  à  certaines  hauteurs,  apparte- 
nant toujours,  par  leurs  formes,  sinon  par  leur 
essence,  à  ces  états  impondérables  de  la  ma- 
tière que  la  science  constate  aujourd'hui  sous 
plusieurs  de  leurs  aspects,  par  exemple  dans 
la  radio-activité  des  corps,  les  rayons  Rœntgen, 


4*2  JEANNE    d'arc    médium 

dans  tout  Fensemble  des  expériences  faites  sur 
la  matière  radiante. 

x\u  delà  des  formes  visibles  et  tangibles  qui 
nous  sont  familières,  nous  savons  maintenant 
que  la  matière  se  retrouve  encore  sous  des 
états  nombreux  et  variés,  invisibles  et  impon- 
dérables, que  peu  à  peu  elle  s'affine,  se  trans- 
forme en  force  et  en  lumière,  pour  devenir 
Téther  cosmique  des  physiciens.  Dans  tous  ces 
états,  sous  tous  ces  aspects,  elle  est  encore  la 
substance  dans  laquelle  se  tissent  d'innombra- 
bles organismes,  des  formes  de  vie  d'une  té- 
nuité inimaginable.  Dans  cet  océan  de  matière 
subtile,  une  vie  intense  s'agite  au-dessus  et  au- 
tour de  nous.  Par  delà  le  cercle  étroit  de  nos 
s-ensations,  des  abîmes  se  creusent,  un  vaste 
monde  inconnu  se  déroule,  peuplé  de  forces  et 
d'êtres  que  nous  ne  percevons  pas,  mais  qui 
cependant  participent  à  notre  existence,  à  nos 
joies,  à  nos  souffrances  et,  dans  une  certaine 
mesure,  peuvent  nous  influencer,  nous  secou- 
rir. C'est  dans  ce  monde  incommensurable 
qu'une  science  nouvelle  s'efforce  de  pénétrer. 

Dans  une  conférence  faite  à  l'Institut  général 
psychologique,  il  y  a  quelques  années,  le  doc- 
teur Duclaux,  directeur  de  l'Institut  Pasteur, 
s'exprimait  en  ces  termes  :  «  Ce  monde  peuplé 
d'influences  que  nous  subissons  sans  les  con- 


LA    MÉDIUMNITÉ    DE    JEANNE    d'aRC  43 

naître,  pénétré  de  ce  qaid  divinum  que  nous 
devinons  sans  en  avoir  le  détail,  est  plus  inté- 
ressant que  celui  dans  lequel  s'est  jusqu'ici 
confinée  notre  pensée.  Tâchons  de  l'ouvrir  à 
nos  recherches  :  il  y  a  là  d'immenses  découvertes 
à  faire,  dont  profitera  l'humanité.  » 

Chose  merveilleuse  !  nous  appartenons  nous- 
mêmes,  pour  une  partie  de  notre  être,  la  plus 
importante,  à  ce  monde  invisible  qui  se  révèle 
chaque  jour  aux  observateurs  attentifs.  11  est, 
en  chaque  être  humain,  une  forme  fluidique, 
un  corps  subtil,  indestructible,  image  fidèle  du 
corps  physique  et  dont  celui-ci  n'est  que  le 
revêtement  passager,  la  gaine  grossière.  Cette 
forme  a  ses  sens  propres,  plus  puissants  que 
ceux  du  corps  physique  ;  ceux-ci  n'en  sont  que 
le  prolongement  affaibli  (1). 


(1)  L'existence  de  ce  double  ou  fantôme  des  vivants  est 
établie  par  d'innombrables  faits  et  témoignages.  Il  peut  se 
dégager  de  son  enveloppe  charnelle  pendant  le  sommeil, 
soit  naturel,  soit  provoqué,  et  se  manifester  à  distance.  Les 
cas  télépathiques,  les  phénomènes  de  dédoublement,  d'ex- 
tériorisation, d'apparitions  de  vivants  sur  des  points  éloi- 
gnés du  lieu  où  ils  reposent,  relatés  tant  de  fois  par 
F'<=  Myers,  C.  Flammarion,  le  professeur  Ch.  Richet,  les 
docteurs  Dariex  et  Maxwell,  etc.,  en  sont  la  démonstration 
expérimentale  la  plus  évidente.  Les  procès-verbaux  de  la 
Société  des  Recherches  psychiques  de  Londres,  composée 
des  plus  éminents  savants  de  l'Angleterre,  sont  riches  en 
faits  de  ce  genre.  Voir,  pour  plus  de  détails  :  Léon  Denis, 
Après  la  Mort  (édition   de  1909  :  Le  Périsprit  ou  corps  flui- 


44  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

Le  corps  fluidique  est  le  véritable  siège  de 
nos  facultés,  de  notre  conscience,  de  ce  que 
les  croyants  de  tous  les  âges  ont  appelé  l'âme. 
Celle-ci  n'est  pas  une  vague  entité  métaphy- 
sique, mais  plutôt  un  centre  impérissable  de 
force  et  de  vie,  inséparable  de  sa  forme  subtile. 
Elle  préexistait  à  notre  naissance,  et  la  mort  n'a 
pas  d'action  sur  elle.  Elle  se  retrouve  au  delà 
de  la  tombe  dans  la  plénitude  de  ses  acquisi- 
tions intellectuelles  et  morales.  Sa  destinée  est 
de  poursuivre,  à  travers  le  temps  et  l'espace, 
son  évolution  vers  des  états  toujours  meilleurs, 
toujours  plus  éclairés  des  rayons  de  la  justice, 
de  la  vérité,  de  l'éternelle  beauté.  L'être,  per- 
fectible à  jamais,  recueille  dans  son  état  psy- 
chique, agrandi,  le  fruit  des  travaux,  des  sa- 
crifices et  des  épreuves  de  toutes  ses  exis- 
tences. 

Ceux  qui  ont  vécu  parmi  nous  et  poursuivent 
leur  évolution  dans  l'espace,  ne  se  désintéres- 
sent pas  de  nos  souffrances  et  de  nos  larmes. 
Des  plans  supérieurs  de  la  vie  universelle  dé- 
coulent sans  cesse  sur  la  terre  des  courants  de 
force  et  d'inspiration.    De   là  viennent  les  illu- 


dique, chap.  XXI,  pp.  226  et  suiv.)  ;  Dans  l'Invisible  (L'Esprit 
et  sa  forme,  chap.  III,  pp.  31  et  suiv.  —  Extériorisation  de 
l'être  humain.  Les  fantômes  des  vivants,  chap.  XII,  pp.  140  et 
suiv.).  —  G.  Delanne,  Les  Fantômes  des  vivants. 


LA    MÉDIUMNITÉ    DE   JEANNE    d'aRC  45 

minations  soudaines  du  génie,  les  souffles  puis- 
sants qui  passent  sur  les  foules  aux  heures  dé- 
cisives ;  de  là,  le  soutien  et  le  réconfort  pour 
ceux  qui  ploient  sous  le  fardeau  de  l'existence. 
Un  lien  mystérieux  relie  le  visible  et  l'invi- 
sible. Des  rapports  peuvent  s'établir  avec  l'Au- 
delà,  à  l'aide  de  certaines  personnes  spéciale- 
ment douées,  chez  qui  les  sens  cachés  de 
l'âme,  les  sens  psychiques,  ces  sens  profonds 
qui  dorment  chez  tout  être  humain,  peuvent 
s'éveiller  et  entrer  en  action  dès  cette  vie.  Ce 
sont  ces  aides  que  nous  nommons  des  mé- 
diums (1). 


Au  temps  de  Jeanne  d'Arc,  on  ne  pouvait 
comprendre  ces  choses.  On  ne  possédait  sur 
l'univers  et  sur  la  véritable  nature  de  l'être, 
que  des  notions  confuses,  et,  sur  bien  des 
points,  incomplètes  ou  erronées.  Cependant, 
depuis  des  siècles,  l'esprit  humain,  malgré  ses 
hésitations,  ses  incertitudes,  a  marché  de  con- 
quêtes en  conquêtes.  Aujourd'hui,  il  commence 
à  prendre  son  essor.  La  pensée  humaine  s'élève, 

(1)  Voir:    Léon  Denis,    Après    la  Mort,   édition  de    1909, 
«hap.  XXII,  et  Dans  VInvisible,  chap.  IV  et  V. 

3. 


46  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

nous  venons  de  le  voir,  au-dessus  du  monde 
physique  et  plonge  dans  les  vastes  régions  du 
monde  psychique,  où  l'on  comnlence  à  entrevoir 
le  secret  des  causes,  la  clé  de  tous  les  mystères, 
la  solution  des  grands  problèmes  de  la  vie,  de 
la  mort  et  de  la  destinée. 

Nous  n'oublions  pas  les  railleries  dont  ces 
études  ont  été  Tobjet  au  début,  ni  combien  de 
critiques  accablent  encore  ceux  qui,  courageu- 
sement, persévèrent  dans  ces  recherches,  dans 
ces  relations  avec  l'invisible.  Mais  n'a-t-on  pas 
raillé,  même  au  sein  des  sociétés  savantes,  bien 
des  découvertes  qui,  plus  tard,  se  sont  révélées 
comme  autant  de  vérités  éclatantes  !  Il  en  sera 
de  même  de  l'existence  des  Esprits.  L'un  après 
l'autre,  les  hommes  de  science  sont  obligés  de 
l'admettre,  et  souvent  à  la  suite  d'expériences 
destinées  à  en  démontrer  le  peu  de  fondement. 
Sir  W.  Crookes,  le  célèbre  chimiste  anglais, 
dont  ses  compatriotes  font  Tégal  de  Newton, 
est  de  ceux-là.  Citons  aussi  Russell  Wallace, 
0.  Lodge  ;  Lombroso,  en  Italie  ;  les  docteurs 
Paul  Gibier  et  Dariex,  en  France  ;  en  Russie, 
le  conseiller  d'État  Aksakof  ;  en  Allemagne,  le 
baron  du  Prel  et  l'astronome  Zôllner  (1). 

(1)  On  connaît  les  expériences  de  l'illustre  physicien  sir 
W.  Crookes,  qui,  pendant  trois  ans,  obtint  chez  lui  des  ma- 
térialisations de  l'Esprit  Katie  King  dans  des  conditions  de 


L\    MÉDIUMNITÉ    DE    JEANNE    d'aRG  47 

L'homme  sérieux  qui  se  tient  à  distance  égaie 
d'une  crédulité  aveugle  et  d'une  non  moins 
aveugle  incrédulité,  est  obligé  de  reconnaître 

contrôle  rigoureux.  Crookes,  parlant  de  ces  manifestations, 
affirmait  :  «  Je  ne  dis  pas  que  cela  est  possible;  je  dis  :  cela 
est.  » 

On  a  prétendu  que  W.  Crookes  s'était  rétracté.  Or, 
W.  Stead  écrivait  au  New  York  American  :  «  Londres,  7  fé- 
vrier 1909.  J'ai  vu  sir  Ch.  W.  Crookes  au  Ghost  Club 
(Cercle  des  Fantômes),  où  il  était  venu  dîner,  et  il  m'auto- 
rise à  dire  ceci  :  «  Depuis  mes  expériences  en  matière  de 
«spiritualisme  que  j'ai  commencées  il  y  a  trente  ans,  je  ne 
«  vois  aucune  raison  pour  modifier  mon  opinion  d'autrefois.  >> 

Oliver  Lodge,  recteur  de  l'Université  de  Birmingham, 
membre  de  l'Académie  royale,  écrivait:  «  J'ai  été  amené 
personnellement  à  la  certitude  de  l'existence  future,  par  des 
preuves  reposant  sur  une  base  purement  scientifique.  » 

Frédéric  Myers,  le  professeur  de  Cambridge,  que  le  Con- 
grès officiel  international  de  psychologie  de  Paris,  en  1900, 
avait  élu  président  d'honneur,  dans  son  beau  livre  la  Per- 
sonnalité humaine  en  arrive  à  cette  conclusion,  que  des 
voix  et  des  messages  nous  reviennent  d'au  delà  de  la  tombe. 
Parlant  du  médium  Mrs.  Thompson,  il  écrit  :  «  Je  crois  que 
la  plupart  de  ces  messages  viennent  d'Esprits  qui  se  ser- 
vent temporairement  de  l'organisme  des  médiums  pour 
nous  les  donner.  -> 

Le  célèbre  professeur  Lombroso,  de  Turin,  déclarait  dans 
la  Letlura  :  «  Les  cas  de  maisons  hantées,  dans  lesquelles, 
pendant  des  années,  se  reproduisent  des  apparitions  ou 
des  bruits  concordant  avec  le  récit  de  morts  tragiques,  et 
observées  en  dehors  de  la  présence  de  médiums,  plaident  en 
faveur  de  Vaclion  des  trépassés.  »  —  «  Il  s'agit  souvent  de  mai- 
sons inhabitées,  où  ces  phénomènes  se  produisent  parfois 
pendant  plusieurs  générations  et  même  pendant  des  siè- 
cles. »  (Voir  Annales  des  Sciences  psychiques,  février  1908.) 

On  comprend  l'importance  de  tels  témoignages,  que  nous 
pourrions  multiplier,  si  le  cadre  de  cet  ouvrage  nous  le  per- 
mettait. 


JEANNE    DARC   MEDIUM 


que  ces  manifestations  ont  eu  lieu  dans  tous 
les  temps.  Vous  les  trouverez  à  toutes  les  pages 
de  l'histoire,  dans  les  livres  sacrés  de  tous  les 
peuples,  aussi  bien  chez  les  voyants  de  l'Inde, 
de  rÉgypte,  de  la  Grèce  et  de  Rome,  que  chez 
les  médiums  de  nos  jours.  Les  prophètes  de 
Judée, les  apôtres  chrétiens,  les  druidesses  delà 
Gaule,  les  inspirés  des  Cévennes  à  l'époque  de 
la  guerre  des  Camisards,  tirent  leurs  révélations 
de  la  même  source  que  notre  bonne  Lorraine. 

La  médiumnité  a  toujours  existé,  car  l'homme 
a  toujours  été  esprit,  et  cet  esprit  s'est  ouvert, 
à  toutes  les  époques,  une  trouée  sur  le  monde 
inabordable  à  nos  sens  ordinaires. 

Constantes,  permanentes,  ces  manifestations 
se  produisent  dans  tous  les  milieux  et  sous 
toutes  les  formes,  depuis  les  plus  communes, 
les  plus  grossières,  comme  les  tables  tour- 
nantes, les  transports  d'objets  sans  contact,  les 
maisons  hantées,  jusqu'aux  plus  délicates  et 
aux  plus  sublimes,  telles  que  l'extase  ou  les 
hautes  inspirations,  et  cela,  suivant  l'élévation 
des  Intelligences  qui  interviennent. 


Abordons  maintenant  l'étude  des  phénomènes 
qu'on  rencontre  en    grand  nombre  dans  la  vie 


LA    MÉDIL'MNITÉ    DE   JEANNE    d'aRC  49 

de  Jeanne  d'Arc.  Il  convient  tout  d'abord  de  le 
remarquer  :  c'est  grâce  à  ses  facultés  psychi- 
ques extraordinaires,  qu'elle  put  acquérir  un 
ascendant  rapide  sur  Tarmée  et  le  peuple.  On 
la  considérait  comme  un  être  doué  de  pouvoirs 
surnaturels.  Cette  armée  n'était  qu'un  ramassis 
de  soldats  d'aventure,  de  routiers  mus  par 
l'amour  du  pillage.  Tous  les  vices  régnaient 
sur  ces  troupes  sans  discipline  et  toujours 
prêtes  à  se  débander.  C'est  au  milieu  de  ces 
soudards  sans  retenue,  sans  vergogne,  que 
devait  vivre  une  jeune  fille  de  dix-huit  ans.  De 
tels  rustres,  qui  ne  respectaient  pas  même  le 
nom  de  Dieu  (1),  il  lui  fallait  faire  des  croyants, 
des  hommes  disposés  à  tout  sacrifier  pour  une 
noble  et  sainte  cause. 

Elle  sut  accomplir  ce  miracle.  On  l'accueillit 
d'abord  comme  une  intrigante,  comme  une  de 
ces  femmes  que  les  armées  traînent  à  leur 
suite.  Mais  son  langage  inspiré,  ses  mœurs  aus- 
tères, sa  sobriété  et  les  prodiges  qui  s'accom- 
plirent bientôt  autour  d'elle,  en  imposèrent  vite 
à  ces  imaginations  frustes.  L'armée  et  le  peuple 
étaient  tentés  aussi  de  la  regarder  comme  une 
sorte  de  fée,  de  sorcière.   On  lui  donnait   les 


(1)  Si  Dieu  était  homme  d'armes,    disait  La  Hire,    il   se 
ferait  pillard. 


50  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

noms  de  ces  formes  fantastiques  qui  hantent  les 
sources  et  les  bois. 

Sa  tâche  n'en  devenait  que  plus  difficile  à 
remplir.  Il  lui  fallait  se  faire  à  la  fois  respecter 
et  aimer  comme  un  chef  ;  il  lui  fallait  obliger, 
par  son  ascendant,  ces  soudards  mercenaires  à 
voir  en  elle  une  image  de  cette  France,  de  cette 
patrie  qu'elle  voulait  constituer. 

Par  ses  prédictions  réalisées,  par  les  événe- 
ments accomplis,  elle  leur  inspira  une  confiance 
absolue.  Ils  en  arrivèrent  presque  à  la  divini- 
ser ;  sa  présence  était  pour  eux  une  garantie  du 
succès,  un  symbole  de  l'intervention  céleste. 
L'admirant,  s'attachant  à  elle,  ils  lui  devinrent 
plus  fidèles  que  le  roi  et  les  grands.  A  sa  vue, 
toutes  les  pensées,  tous  les  sentiments  malveil- 
lants se  taisaient  pour  faire  place  à  la  vénéra- 
tion. Tous  la  considéraient  comme  un  être  sur- 
humain, suivant  le  témoignage  de  son  intendant, 
Jean  d'Aulon,  au  procès  (1).  Le  comte  Guy  de 
Laval,  après  l'avoir  vue  à  Selles-sur-Cher,  en 
compagnie  du  roi,  écrivait  à  sa  mère,  le  8  juin 
l/i29  :  «  C'est  chose  toute  divine  de  la  voir  et 
de  l'ouïr  (2).  » 


i^l)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I.  Déposition  de 
rintendant  de  Jeanne,  p.  248.  —  V.  aussi  :  Déposition  de 
l'avocat  Barbin,  t.  I,  p.  158. 

(2)  E.  Lavisse,  Histoire  de  France,  t.  IV,  p.  55. 


LA    MÉDIUMNITÉ    DE   JEANNE    d'aRG  51 

Sans  une  assistance  occulte,  comment  une 
simple  fille  des  champs  aurait-elle  pu  acquérir 
un  tel  prestige,  remporter  de  tels  succès  ?  Ce 
qu'elle  avait  appris  de  la  guerre  pendant  sa  jeu- 
nesse, les  alarmes  perpétuelles  des  paysans,  les 
villages  détruits,  les  plaintes  des  blessés  et  des 
mourants,  le  rougeoiement  des  incendies,  tout 
cela  était  plutôt  fait  pour  l'éloigner  du  métier 
des  armes.  Mais  elle  était  l'élue  d'en  haut,  pour 
relever  la  France  de  sa  chute  et  inculquer  la 
notion  de  patrie  à  toutes  les  âmes,  et,  pour  cela, 
des  facultés  merveilleuses  et  de  puissants  se- 
cours lui  furent  donnés. 


Examinons  de  plus  près  la  nature  et  la  portée 
des  facultés  médianimiques  de  Jeanne. 

Il  y  a  d'abord  ces  voix  mystérieuses  qu'elle 
entendait  dans  le  silence  des  bois  comme  dans 
le  tumulte  des  combats,  au  fond  de  son  ca« 
chot  et  jusque  devant  ses  juges,  ces  voix  qui 
étaient  souvent  accompagnées  d'apparitions,, 
comme  elle  le  dit  elle-même,  au  cours  du  pro- 
cès, à  douze  interrogatoires  différents.  Puis,  il 
y  a  les  cas  nombreux  de  prémonition,  c'est- 
à-dire  les  prophéties  réalisées,  l'annonce  des 
événements  à  venir. 


52  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

D'abord,  ces  faits  sont-ils  authentiques  ?  Sur 
ce  point  aucun  doute  n'est  possible.  Les  textes, 
les  témoignages  sont  là,  nombreux;  les  lettres, 
les  chroniques  abondent  (1). 

Il  y  a  surtout  le  procès  de  Rouen,  dont  les 
pièces,  rédigées  par  les  ennemis  de  Taccusée, 
témoignent  encore  plus  fortement  en  sa  faveur 
que  celles  du  procès  de  réhabilitation.  Dans  ce 
dernier,  les  mêmes  faits  sont  attestés  sous  le  sceau 
du  serment  par  les  témoins  de  sa  vie,  déposant 
devant  les  enquêteurs  ou  devant  le  tribunal  (2). 

Au-dessus  de  tous  ces  témoignages,  nous 
placerons  l'opinion  d'un  homme,  d'un  contem- 
porain, qui  les  résume  tous,  et  dont  l'autorité 
est  grande.  Je  veux  parler  de  Quicherat,  direc- 
teur de  l'Ecole  des  Chartes.  Ce  n'était  pas  un 
mystique,  un  illuminé  ;  c'était  un  homme  grave 
et  froid,  un  éminent  critique  d'histoire.  Il  s'est 
livré  à  une  recherche  approfondie,  toute  d'éru- 
dition, à  un  examen  scrupuleux  de  la  vie  de 
Jeanne  d'Arc.  Et  voici  son  appréciation  (3)  : 

(1)  Perceval  de  Cagny,  Chroniques,  publiées  par  H.  Mo- 
ranvillé,  Paris,  1902.  —  Jean  Chartier,  Chronique  de  Char- 
les VIIj  roi  de  France.  —  Journal  du  siège  d'Orléans  (1428- 
1429),  publié  par  P.  Charpentier  et  C.  Guissart.  —  Chronique 
de  la  Pucelle.  —  Mystère  du  siège  d'Orléans,  etc. 

(2)  Ce  procès  de  réhabilitation  comprend,  d'après  A.  France, 
140  témoignages,  fournis  par  123  témoins. 

(3)  J.  Quicherat,  Aperçus  nouveaux  sur  le  Procès  de  Jeanne 
dArc,  pp.  60-61. 


LA   ISIÉDIUMNITÉ    DE    JEANNE    d'aRC  53 

«  Que  la  science  y  trouve  ou  non  son  compte, 
il  n'en  faudra  pas  moins  admettre  ses  visions.  » 

J'ajouterai  :  la  science  nouvelle  y  trouvera  son 
compte.  Car  tous  ces  phénomènes,  que  Ton  con- 
sidérait autrefois  comme  miraculeux,  s'expli- 
quent aujourd'hui  par  les  lois  de  la  médium- 
nité. 

Jeanne  était  ignorante  :  elle  avait  eu  pour  seuls 
livres,  la  nature  et  le  firmament  étoile. 

A  Pierre  de  Versailles  qui  l'interroge  à  Poi- 
tiers sur  son  degré  d'instruction,  elle  répond  : 
<(  Je  ne  sais  ni  A  ni  B.  »  Plusieurs  l'affirment 
au  procès  de  réhabilitation  (1).  Cependant,  elle 
a  entrepris  l'œuvre  la  plus  merveilleuse  que 
femme  ait  jamais  accomplie.  Pour  la  mener  à 
bien,  elle  déploiera  des  aptitudes  et  des  qualités 
rares.  Illettrée,  elle  confondra  et  convaincra  les 
docteurs  de  Poitiers.  Par  son  génie  militaire  et 
l'habileté  de  ses  plans,  elle  acquerra  une  prompte 
influence  sur  les  chefs  de  guerre  et  les  soldats. 
A  Rouen,  elle  tiendra  tête  à  soixante  érudits, 
casuistes  habiles  en  subtilités  juridiques  et  théo- 
logiques ;  elle  déjouera  leurs  pièges,  répondra  à 
toutes  leurs  objections.  Plus  d'une  fois  elle  les 
embarrassera  parla  puissance  de  ses  répliques, 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I,  Déposition  de 
l'écuyer  Gobert  Thibault,  p.  161  ;  —  t.  II.  Déposition  du 
chevalier  Aimond  de  Macy,  p.  145. 


04  JEANNE    DARC   MEDIUM 

rapides  comme  des  éclairs,  pénétrantes  comme 
des  pointes  d'épée. 

Gomment  concilier  une  supériorité  aussi 
écrasante  avec  son  défaut  d'instruction  ?  Ah  ! 
c'est  qu'il  est  une  autre  source  d'enseignement 
que  la  science  de  l'école  !  c'est  par  la  commu- 
nion constante  avec  le  monde  invisible,  depuis 
l'âge  de  treize  ans,  où  eut  lieu  sa  première  vision, 
que  Jeanne  acquit  les  lumières  indispensables 
à  l'accomplissement  de  sa  tâche  ardue.  Les  le- 
çons de  nos  guides  de  l'espace  sont  plus  effi- 
caces que  celles  d'un  professeur,  plus  abon- 
dantes surtout  en  révélations  morales.  Ces 
voies  de  la  connaissance,  les  Universités  et  les 
^]glises  ne  les  pratiquent  guère  ;  leurs  repré- 

mtants  lisent  peu  dans  ce  «  livre  de  Dieu  » 
it  parle  Jeanne,  dans  ce  grand  livre  de  l'uni- 
vers invisible,  où  elle  avait  puisé  sagesse  et 
lumière  :  «  Il  y  a  es  livres  de  Notre-Seigneur 
plus  que  es  vôtres.  —  Messire  a  un  livre  où  nul 
clerc  n'a  jamais  lu,  si  parfait  soit-il  en  clérica- 
ture  !  »  affirme-t-elle  à  Poitiers  (1). 

Par  là,  elle  rappelle  que  les  mondes  occulte 
et  divin  possèdent  des  sources  de  vérité  autre- 
ment riches  et  profondes,  que  celles  où  puisent 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I.  Déposition  de 
Jean  Pasquerel,  p.  228.  —  Dépos.  de  Marg.  la  Touroulde, 
p.  292. 


LA    MEDIUMNITE    DE    JEANNE    D  ARC  55 

les  humains.  Et  ces  sources  s'ouvrent  parfois 
aux  simples,  aux  humbles,  aux  ignorants,  à  ceux 
que  Dieu  a  marqués  de  son  sceau  ;  ils  y  trouvent 
des  éléments  de  connaissance,  qui  surpassent 
tout  ce  que  l'étude  peut  nous  procurer. 

La  science  humaine  ne  va  pas  sans  quelque 
orgueil.  Ses  enseignements  sentent  presque 
toujours  la  convention,  Tapprêt,  le  pédantisme. 
Ils  manquent  souvent  de  clarté,  de  simplicité. 
Certains  ouvrages  de  psychologie,  par  exemple, 
sont  tellement  obscurs,  complexes,  hérissés 
d'expressions  baroques,  qu'ils  en  frisent  le  ridi- 
cule. 11  est  plaisant  de  voir  à  quels  efforts  d'ima- 
gination, à  quelle  gymnastique  intellectuelle, 
des  hommes  comme  le  professeur  Th.  Flournoy 
et  le  docteur  Grasset  se  livrent,  pour  édifier  des 
théories  aussi  burlesques  que  savantes.  Les 
vérités  provenant  des  hautes  révélations  apj)a- 
raissent,  au  contraire,  en  traits  de  lumière  et, 
en  quelques  mots,  par  la  bouche  des  simples, 
tranchent  les  problèmes  les  plus  ardus. 

«  Je  te  bénis,  ô  mon  Père,  dit  le  Christ,  de 
ce  que  tu  as  révélé  aux  petits  ce  que  tu  as 
caché  aux  sages  (1).  » 

Bernardin  de  Saint-Pierre  exprime  la  même 
pensée  :  «  Pour  trouver  la  vérité,    il  faut    la 
chercher  d'un  cœur  simple.   » 
(liLuc,  X,  21. 


56  JEANiXE    d'arc    médium 

C'était  d'un  cœur  simple  que  Jeanne  écoutait 
ses  voix,  qu'elle  les  interrogeait  dans  les  cas 
importants,  et,  toujours  confiante  en  leur  sage 
direction,  elle  devient,  sous  l'impulsion  des 
puissances  supérieures,  un  instrument  admi- 
rable, doué  de  précieuses  facultés  psychiques. 

Non  seulement  elle  voit  et  entend  merveil- 
leusement, mais  son  toucher,  son  odorat  sont 
affectés  par  les  apparitions  qui  se  présentent  : 
«  J'ai  touché  à  sainte  Catherine  m'apparaissant 
visiblement,  dit-elle.  —  Avez-vous  baisé  ou 
accolé  sainte  Catherine  ou  sainte  Marguerite  ? 
lui  demande-t-on.  —  Je  les  ai  accolées  toutes 
deux.  —  Fleuraient-elles  bon  ?  —  11  est  bon  à 
savoir  qu'elles  fleuraient  bon  (1)  !  » 

Dans  un  autre  interrogatoire,  elle  s'exprime 
ainsi  :  «  Je  vis  saint  Michel  et  les  anges  des 
yeux  de  mon  corps  aussi  bien  que  je  vous  vois. 
Et  quand  ils  s'éloignaient  de  moi,  je  pleurais 
et  j'aurais  bien  voulu  qu'ils  m'eussent  emportée 
avec  eux  (2).  » 

C'est  là  l'impression  ressentie  par  tous  les 
médiums  qui  entrevoient  les  splendeurs  de 
l'espace,  et  les  êtres  radieux  qui  y  vivent.  Ils 
éprouvent  un  ravissement   qui  leur  rend  plus 

(1)  J.  Fabre,  Procès    de  condamnai  ion,    9'    interrogatoire 
secret,  p.  187. 

(2)  Id.,  Ihid.,  i"  interrogatoire  public,  p.  81. 


LA    MÉDIUMMTÉ    DE   JEANNE    D  ARC  57 

tristes  et  plus  pesantes  les  réalités  d'ici-bas. 
Avoir  participé  un  instant  à  la  vie  céleste  et  re- 
tomber lourdement  au  milieu  des  ténèbres  de 
notre  monde  :  quel  contraste  poignant  !  Il  Tétait 
plus  encore  pour  Jeanne,  dont  Pâme  exquise, 
après  s'être  retrouvée  pendant  un  moment  dans 
le  milieu  qui  lui  était  familier,  d'où  elle  était 
venue,  et  en  avoir  reçu  «  grand  réconfort  »,  se 
voyait  de  nouveau  en  face  des  rudes  et  pénibles 
devoirs  qui  lui  incombaient. 

Peu  d'hommes  comprennent  ces  choses.  Les 
vulgarités  de  la  terre  leur  cachent  les  beautés 
de  ce  monde  invisible  qui  les  entoure,  dans  le- 
quel ils  baignent  comme  des  aveugles  dans  la 
lumière.  Mais  il  est  des  âmes  délicates,  des 
êtres  doués  de  sens  subtils,  pour  qui  ce  voile 
épais  des  choses  matérielles  se  déchire  par  ins- 
tants ;  à  travers  ces  ouvertures,  ils  perçoivent 
un  coin  de  ce  monde  divin,  celui  des  vraies 
joies,  des  félicités  véritables,  où  nous  nous  re- 
trouverons tous  à  la  mort,  d'autant  plus  libres 
et  plus  heureux  que  nous  aurons  mieux  vécu 
parla  pensée  et  par  le  cœur,  mieux  aimé  et  plus 
souffert. 

Ce  n'était  pas  seulement  sur  ces  faits  extraor- 
dinaires, ces  visions  et  ces  voix,  que  se  basait 
la  confiance  da  Jeanne  en  ses  amis  de  l'espace. 
La  raison  lui  démontrait  aussi  combien  la  source 


58  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

de  ses  inspirations  était  pure  et  élevée,  car  ses 
voix  la  guidaient  toujours  vers  l'action  utile, 
dans  le  sens  du  dévouement  et  du  sacrifice. 
Tandis  que  certains  visionnaires  se  perdent  en 
des  rêveries  stériles,  chez  Jeanne  les  phéno- 
mènes psychiques  concourent  tous  à  la  réalisa- 
tion d'une  grande  œuvre.  De  là,  sa  foi  inébran- 
lable :  «  Je  crois  aussi  fermement,  répond-elle 
à  ses  juges,  les  dits  et  les  faits  de  saint  Michel 
qui  m'est  apparu,  comme  je  crois  que  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  a  souffert  mort  et  pas- 
sion pour  nous.  Et  ce  qui  me  meut  à  le  croire, 
c'est  le  bon  conseil,  le  confort  et  les  enseigne- 
ments qu'il  m'a  donnés  (1).  » 

Dans  son  jugement  si  sûr,  c'est  avant  tout  le 
côté  moral  de  ces  manifestations  qui  constitue 
à  ses  yeux  une  garantie,  une  preuve  de  leur 
authenticité.  A  leurs  avis  efficaces,  à  leur  sou- 
tien constant,  aux  saines  instructions  qu'ils  lui 
donnent,  elle  reconnaît  en  ses  guides  des 
envoyés  d'en  haut  ! 

Au  cours  du  procès  comme  dans  son  action 
militaire,  ses  voix  la  conseillent  sur  ce  qu'elle 
doit  dire  et  faire.  Elle  a  recours  à  elles  dans 
tous  les  cas  difficiles  :  «  Je  demandai  conseil  à 


(1)  J.  Fabre,  Procès   de    condamnation,    8^   interiogaloire 
secret,  p.  176. 


LA  MÉDIUMNITÉ    DE    JEANNE    d'aRC  59 

la  voix  sur  ce  que  je  devais  répondre,  lui  disant 
de  demander  là-dessus  conseil  à  Notre-Sei- 
gneur.  Et  la  voix  me  dit  :  Réponds  hardiment. 
Dieu  t'aidera  (1).  » 

Ses  juges  l'interrogent  à  ce  sujet:  «Gomment 
vous  expliquez-vous  que  vos  saintes  vous  répon- 
dent ?  —  Quand  je  fais  requête  à  sainte  Cathe- 
rine, leur  dit  Jeanne,  alors  elle  et  sainte  Margue- 
rite font  requête  à  Dieu,  et  puis,  du  commande- 
ment de  Dieu,  elles  me  donnent  réponse  (2).  » 

Ainsi,  pour  tous  ceux  qui  savent  interroger 
l'invisible  dans  le  recueillement  et  la  prière,  la 
pensée  divine  descend^  de  degré  en  degré, 
depuis  les  hauteurs  de  l'espace  jusqu'aux  pro- 
fondeurs de  l'humanité.  Mais  tous  ne  la  dis- 
cernent pas  comme  Jeanne. 

Quand  ses  voix  se  taisent,  elle  refuse  de  ré- 
pondre sur  toute  question  importante  :  «  Vous 
n'aurez  pas  encore  cela  de  moi  ;  je  n'ai  pas  le 
congé  de  Dieu.   » 

((  Je  crois  que  je  ne  vous  dis  pas  à  plein  ce 
que  je  sais.  Mais  j'ai  plus  grande  crainte  défail- 
lir en  disant  quelque  chose  qui  déplaise  à  mes 
voix,  que  je  n'en  ai  de  vous  répondre  à  vous  (3).  » 


(1)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnai  ion,  3=  inte-rrogatoire  pu- 
blic, p.  68. 

(2)  /6/d.,  5'  interrogatoire  secret,  p.  157. 

(3)  Ibid.,  ^^  interrogatoire  public,  p.  69. 


60  JEANNE    d'arc   médium 

Discrétion  admirable  et  que  tant  d'hommes 
feraient  bien  d'imiter,  quand  les  voix  de  la  sa- 
gesse et  de  la  conscience  n'ordonnent  pas  de 
parler. 

Jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  tragique,  Jeanne  mon- 
trera un  grand  amour  pour  ses  guides  invisibles, 
une  entière  confiance  en  leur  protection.  Même 
quand  ils  semblèrent  l'abandonner,  après  lui 
avoir  promis  le  salut,  elle  ne  proféra  aucune 
plainte,  aucun  blasphème.  De  son  aveu  cepen- 
dant, ils  lui  avaient  dit,  dans  sa  prison  :  «  Tu 
seras  délivrée  par  grande  victoire  (1)  »,  et  au 
lieu  de  la  délivrance,  c'était  la  mort  qui  venait. 
Ses  interrogateurs,  qui  ne  négligeaient  aucun 
moyen  de  la  désespérer,  insistaient  sur  cet 
abandon  apparent,  et  Jeanne  répondait  sans  se 
troubler  :  «  Oncques  ne  maugréai  ni  saint  ni 
sainte.  » 

L'histoire  de  la  bonne  Lorraine  présentait  des 
cas  de  clairvoyance,  de  prémonition  en  assez 
grand  nombre  pour  lui  avoir  prêté,  aux  yeux  de 
tous,  un  pouvoir  mystérieux  de  divination.  Par- 
fois, elle  semble  lire  dans  l'avenir,  par  exemple 
lorsqu'elle  dit  au  soldat  de  Chinon  qui  l'avait 
injuriée,  au  moment  de  son  entrée  au  château  : 
((  Ah  !  tu  renies  Dieu,  et  pourtant  tu  es  si  près 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnation,  5"  interrogatoire  se- 
cret, p.  159. 


LA   MÉDIUMNITÉ   DE   JEANNE   d'aRG  61 

de  ta  mort  !  »  Le  soir  même,  en  effet,  ce  soldat 
se  noie  par  accident  (1).  Il  en  est  ainsi  pour 
l'Anglais  Glasdale,  à  l'attaque  de  la  bastille  du 
Pont,  devant  Orléans.  Elle  le  somme  de  se 
rendre  au  roi  des  cieux,  ajoutant  :  «  J'ai  grande 
pitié  de  ton  âme  !  »  Au  même  instant,  Glasdale 
tombe,  tout  armé,  dans  la  Loire,  où  il  se  noie  (2). 
Plus  lard,  à  Jargeau,  elle  prévoit  le  danger  qui 
menace  le  duc  d'Alençon,  à  la  vie  duquel  elle  a 
promis  de  veiller  :  «  Gentil  duc,  s'écrie-t-elle, 
retirez-vous  d'où  vous  êtes,  sinon  cette  bouche 
à  feu,  qui  est  là-bas,  va  vous  envoyer  à  la  mort.  >» 
La  prévision  était  juste,  car  le  seigneur  du  Lude, 
ayant  pris  la  place  abandonnée,  y  fut  tué  peu 
après  (3). 

D'autres  fois,  et  le  plus  souvent,  Jeanne  l'at- 
teste elle-même,  elle  est  prévenue  par  ses  voix. 
A  Yaucouleurs,  sans  Tavoir  jamais  vu,  elle  va 
droit  au  sire  de  Baudricourt  :  «  Je  le  reconnus, 
explique-t-elle,  grâce  à  ma  voix.  C'est  elle  qui 
me  dit  :  Le  voilà  [li)  !  »  D'après  ses  révélations, 
Jeanne  lui  prédit  la  délivrance  d'Orléans,  le 
sacre  du  roi  à  Reims,  et  lui  annonce  la  défaite 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation.  Déposition  de  Jean 
Pasquerel,  t.  I,  p.  218. 
<2)  Ibid.,  p.  227. 

(3)  Ibid.,  p.  179. 

(4)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnation,  2=  interrogatoire  pu- 
blic, p.  58. 

4 


62  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

des  Français  à  la  journée  des  Harengs,  au  mo- 
ment où  elle  vient  d'avoir  lieu  (1). 

A  Ghinon,  introduite  auprès  du  roi,  Jeanne 
n'hésita  pas  à  le  trouver  parmi  les  trois  cents 
courtisans  au  milieu  desquels  il  s'était  dissi- 
mulé :  «  Quand  j'entrai  dans  la  chambre  du  roi, 
dit-elle,  je  le  reconnus  entre  les  autres  par  le 
conseil  de  ma  voix  qui  me  le  révéla  (2).  »  Dans 
un  entretien  intime,  elle  lui  rappelle  les  termea 
de  la  prière  muette  qu'il  avait  adressée  à  Dieu, 
seul  dans  son  oratoire. 

Ses  voix  lui  apprennent  que  Fépée  de  Charles 
Martel  est  enfouie  dans  l'église  de  Sainte-Ga- 
therine-de-Fierbois,  et  la  lui  font  voir  (3). 

G'est  encore  la  voix  qui  la  réveille  à  Orléans, 
lorsque,  épuisée  de  fatigue,  elle  s'est  jetée  sur 
un  lit  et  ignore  l'attaque  de  la  bastille  de  Saint- 
Loup  :  «  Mon  conseil  m'a  dit  que  j'aille  contre- 
les  Anglais,  s'écrie-t-elle  soudain.  Vous  ne 
me  disiez  pas  que  le  sang  de  France  fût  ré- 
pandu (/i)  !   » 

Jeanne  sait,  pour  en  avoir  été  prévenue  par 
ses  guides,  qu'elle  sera  blessée  d'un  trait  à  l'at- 

(1)  Journal  du  siège,  p.  48.  —  Chronique  de  la  Pucelle,  p.  275. 

(2)  J.  Fabre,  Procès  de  condaninalion,  2»  interjogaioire  pu- 
blic, pp.  61-62. 

(3)  Ibid.,  4«  interrogatoire  public,  pp.  85-86. 

(4)  J.  Fabïîe,  Procès  de  réhabililalion,  t.  I.  Déposition  du 
page  de  Jeanne,  p.  210. 


LA    MÉDIUMNITÉ    DE   JEANNE    d'arG  63 

taqiie  des  Tourelles,  le  7  mai  lZi29.  Une  lettre 
du  chargé  d'affaires  du  Brabant,  conservée  aux 
archives  de  Bruxelles,  et  datée  du  22  avril  de  la 
même  année,  écrite,  par  conséquent,  quinze 
jours  avant  Tévénement,  relate  cette  prédiction 
et  la  manière  dont  elle  devait  s'accomplir.  La 
veille  du  combat,  Jeanne  dit  encore  :  «  Il  sor- 
tira demain  du  sang  de  mon  corps  (1).  » 

Dans  cette  même  journée,  elle  prédit,  contre 
toute  vraisemblance,  que  l'armée  triomphante 
rentrerait  dans  Orléans  par  le  pont,  cependant 
rompu.  C'est  ce  qui  eut  lieu. 

La  ville  délivrée,  Jeanne  insiste  près  du  roi, 
afin  qu'on  ne  diffère  pas  le  départ  pour  Reims, 
répétant  :  «  Je  ne  durerai  guère  qu'un  an,  Sire, 
il  faut  donc  me  bien  employer  (2)  !  »  Quelle 
prescience  de  sa  si  courte  carrière  ! 

Elle  fut  aussi  avertie  par  ses  voix  de  la  reddi- 
tion de  Troyes  à  bref  délai  ;  puis,  plus  tard,  de 
sa  captivité  prochaine  :  «  En  la  semaine  de 
Pâques,  comme  j'étais  sur  le  fossé  de  Melun, 
il  me  fut  dit  par  mes  voix  que  je  serai  prise 
avant  la  Saint-Jean,  —  dit  l'accusée  à  ses  juges 
de  Rouen,  —  et  je  leur  faisais  requête  que, 
quand  je  serai  prise,  je  mourusse  aussitôt  sans 

(1)  J,  Fabre,  Procès  de  réhabilitation.  Déposition  de  Jean 
Pasquerel,  p.  226. 

(2)  Ibid.,  t.  I.  Déposition  du  duc  d'Alençon,  p.  182. 


64  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

long  tourment  de  prison.  Et  elles  me  dirent  : 
«  Prends  tout  en  gré.  11  faut  qu'il  en  soit  ainsi 
«fait.»  Mais  elles  ne  me  dirent  point  l'heure  (1).» 
A  ce  propos,  citons,  en  passant,  cette  belle  ré- 
ponse à  ses  interrogateurs  :  «  Si  j'eusse  su 
l'heure,  je  n'y  fusse  point  allée  volontiers. 
Pourtant,  j'aurais  fait  selon  le  commandement 
de  mes  voix,  quoi  qu'il  eût  dû  m'en  advenir  (2).  » 

On  raconte  aussi  une  scène  touchante  dans 
l'église  de  Compiègne  ;  elle  dit,  en  pleurant,  à 
ceux  qui  l'entouraient  :  «  Bons  amis  et  chers 
enfants,  sachez  qu'on  m'a  vendue  et  trahie. 
Bientôt  je  serai  livrée  à  la  mort.  Priez  pour 
moi  (3)  !   » 

En  prison,  ses  guides  lui  prédisent,  à  sa 
grande  joie,  la  délivrance  de  Compiègne  (/j). 
Elle  a  aussi  la  révélation  de  sa  fin  tragique  sous 
une  forme  qu'elle  ne  comprend  pas,  mais  dont 
ses  juges,  eux,  saisissent  le  sens  :  «  Ce  que 
mes  voix  me  disent  le  plus,  c'est  que  je  serai 
délivrée...  Elles  ajoutent  :  Prends  tout  en  gré, 
ne  te  chaille  (soucie)  de  ton  martyre.   Tu  en 


(1)  J.  Fabre,    Procès   de  condamnation,    l"  interrogatoire 
secret,  p.  129. 

(2)  Ibid.,  p.  130. 

(3)  Voir  Henri  Martin,  Hisloire  de  France,  t.   VI,  p.  228  et 
note  2. 

(4)  J.   Fabre,   Procès    de    condamnation,   5«   interrogatoire 
secret,  p.  156. 


LA   MÉDIUMNITÉ    DE    JEANNE    d'aRC  65 

viendras  enfin  au  royaume  du  paradis  (1).  » 
Souvent  ses  voix  l'avertissent  des  conseils 
secrets  que  tiennent  les  capitaines,  jaloux  de  sa 
gloire,  et  qui  se  cachent  d'elle  pour  délibérer 
des  faits  de  guerre.  Mais  tout  à  coup,  Jeanne 
paraît,  elle  connaît  à  l'avance  leurs  résolutions 
et  les  déjoue  :  «  Vous  avez  été  à  votre  conseil, 
et  j'ai  été  au  mien,  leur  dit-elle.  Le  conseil  de 
Dieu  s'accomplira,  le  vôtre  périra  (2).  )> 

N'est-ce  pas  aussi  aux  inspirations  de  ses 
guides  que  Jeanne  doit  ces  qualités  éminentes 
qui  font  le  grand  général,  cette  connaissance  de 
la  stratégie,  de  la  balistique,  cette  habileté  à 
employer  l'artillerie,  chose  toute  nouvelle  à 
cette  époque  ?  D'où  aurait-elle  pu  savoir  que  les 
Français  aiment  mieux  se  porter  en  avant  que 
de  combattre  derrière  des  remparts?  Et  comr- 
ment  expliquer  d'autre  façon  qu'une  simple 
bergère  soH  devenue  du  jour  au  lendemain,  et 
à  dix-huit  ans,  un  chef  d'armée  incomparable, 
un  tacticien  consommé  ? 

On  le  voit,  sa  médiumnité  revêtait  des  formes 
variées.  Ces  facultés,  disséminées,  fragmentées 
chez  la  plupart  des  sujets  de  nos  jours,  se  trou- 


(1)  J.   Fabre,   Procès  de    condamnation,  5«  interrogatoire 
secret,  p.  159. 

(2)  Id.,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I.   Déposition   de  Jean 
Pasquerel,  p.  226. 

4. 


66  JEANNE   d'arc    MEDIUM 

vaient  réunies  chez  elle,  groupées  dans  une 
unité  puissante.  En  outre,  elles  étaient  accrues 
par  sa  grande  valeur  morale.  L'héroïne  était 
l'interprète,  l'agent  de  ce  monde  invisible,  sub- 
til, éthéré,  qui  s'étend  au  delà  du  nôtre  et  dont 
certains  êtres  humains,  spécialement  doués, 
perçoivent  les  vibrations,  les  harmonies,  les 
voix. 

Les  phénomènes  qui  remplissent  la  vie  de 
Jeanne  s'enchaînent  et  concourent  à  un  même 
but.  La  mission  imposée  par  les  hautes  Entités 
dont  nous  chercherons  plus  loin  à  déterminer 
la  nature  et  le  caractère,  cette  mission  est  nette 
et  précise.  Elle  est  annoncée  à  l'avance  et  s'ac- 
complit dans  ses  grandes  lignes.  Toute  son  his- 
toire en  porte  témoignage.  A  ses  juges  de  Rouen, 
elle  disait  :  «  Je  suis  venue  de  la  part  de  Dieu. 
Je  n'ai  rien  à  faire  ici.  Renvoyez-moi  à  Dieu,  de 
qui  je  suis  venue  (1).  » 

Et  lorsque,  sur  le  bûcher,  les  flammes  l'en- 
tourent et  mordent  sa  chair,  elle  s'écrie  encore  : 
«  Oui,  mes  voix  étaient  de  Dieu  !  Mes  voix  ne 
m'ont  pas  trompée  (2)  !  » 

Jeanne  pouvait-elle  mentir?  Sa  sincérité,  sa 
droiture,  qui  se  manifestent  en  toutes  circon- 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnation^  3«  interrogatoire  pu- 
blic, p.  ^^. 
(*••)  Id.,  Procès  de  réhabilitation,  t.  II,  p.  91. 


LA    MÉDIUAINITÉ   DE   JEANNE    d'aRC  67 

Stances,  répondent  pour  elle.  Une  âme  si  loyale, 
qui  a  accepté  tous  les  sacrifices  plutôt  que  de 
renier  la  France  et  son  roi,  une  telle  âme  ne 
pouvait  s'abaisser  jusqu'au  mensonge.  Il  y  a  un 
tel  accent  de  vérité,  de  conviction  dans  ses  pa- 
roles, que  nul,  même  parmi  ses  détracteurs  les 
plus  ardents,  n'a  osé  l'accuser  d'imposture. 
Anatole  France,  qui,  certes,  ne  la  ménage  point, 
écrit  :  «  Ce  qui  ressort  surtout  des  textes,  c'est 
qu'elle  fut  une  sainte.  Elle  fut  une  sainte  avec 
tous  les  attributs  de  la  sainteté  au  quinzième 
siècle.  Elle  eut  des  visions,  et  ces  visions  ne 
furent  ni  feintes  ni  contrefaites.  »  Et  plus 
loin  :  «  On  ne  peut  la  soupçonner  de  men- 
songe (1).   » 

Sa  loyauté  était  absolue  ;  pour  appuyer  ses 
dires,  elle  ne  se  servait  pas,  comme  tant  de 
personnes,  de  termes  excessifs,  d'expressions 
démesurées.  «  Elle  ne  jurait  jamais,  dit  un 
témoin  du  procès  de  réhabilitation,  et,  pour 
affirmer^  elle  se  contentait  d'ajouter  :  ((  Sans 
manque  (2).  »  Ces  paroles  se  retrouvent  aussi 
dans  les  interrogatoires  du  procès  de  Rouen. 
Elles  revêtaient  une   signification  particulière 

'1)  Anatole  France,   Vie  de  Jeanne  d'Arc,  t.  I,  pp.  xxxii» 

XXXIX. 

(2)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I.  Déposition  de 
trois  marraines  de  Jeanne,  p.  78. 


68  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

dans  sa  bouche,  prononcées  sur  ce  ton  de  fran- 
chise, avec  cette  physionomie  ouverte  qui  lui 
étaient  propres. 

Autre  point  de  vue  :  s'est-elle  trompée  ?  Son 
bon  sens,  sa  lucidité  d'esprit,  son  jugement  si 
sûr,  les  éclairs  de  génie  qui,  ça  et  là,  illuminent 
sa  vie,  ne  permettent  pas  de  le  croire.  Jeanne 
n'était  pas  une  hallucinée  ! 

Certains  critiques  Font  cru  cependant.  La 
plupart  des  physiologistes,  par  exemple  Pierre 
Janet,  Th.  Ribot,  le  docteur  Grasset,  auxquels  il 
convient  d'ajouter  des  aliénistes  comme  les  doc- 
teurs Lélut,  Galmeil,  etc.,  ne  voient  dans  la 
médiumnité  qu'une  des  formes  de  l'hystérie  ou 
de  la  névrose.  Pour  eux,  les  voyants  sont  des 
malades^  et  Jeanne  d'Arc,  elle-même,  n'échappe 
pas  à  leurs  jugements.  Tout  récemment,  le  pro- 
fesseur Morselli,  dans  son  étude  :  Psychologie 
et  Spiritisme^  ne  considère-t-il  pas  les  médiums 
comme  des  esprits  faibles  ou  déséquilibrés  ? 

Il  est  toujours  facile  de  qualifier  de  chimères, 
d'hallucinations  ou  de  folie,  les  faits  qui  nous 
déplaisent  ou  qu'on  ne  peut  expliquer.  En  cela, 
bien  des  sceptiques  se  prennent  pour  des  gens 
très  avisés,  alors  qu'ils  sont  tout  simplement 
dupes  de  leur  parti  pris. 

Jeanne  n'était  ni  hystérique,  ni  névrosée.  Elle 
était  forte  et  jouissait  d'une  santé  parfaite.  Ses 


LA    MÉDIUiMNITÉ    DE    JEANNE    d'aRC  69 

mœurs  étaient  chastes,  et  quoique  d'une  beauté 
pleine  d'attraits,  sa  vue  imposait  le  respect,  la 
vénération,  même  aux  soudards  qui  partageaient 
sa  vie  (1).  Trois  fois  :  à  Chinon,  au  début  de  sa  car- 
rière, à  Poitiers  et  à  Rouen,  elle  subit  l'examen 
de  matrones, qui  attestèrent  son  état  de  virginité. 
Elle  supportait  sans  faiblir  les  plus  grandes 
fatigues.  «  Il  lui  arrive  de  passer  jusqu'à  six 
journées  sous  les  armes  »,  écrit,  le  21  juin  l/i29, 
Perceval  de  Boulainvilliers,  conseiller-cham- 
bellan de  Charles  VII.  Et  lorsqu'elle  était  à 
cheval,  elle  excitait  l'admiration  de  ses  compa- 
gnons d'armes,  par  le  temps  qu'elle  y  pouvait 
rester  sans  éprouver  le  besoin  de  descendre  de 
sa  monture  (2).  Son  endurance  est  attestée  dans 
maintes  dépositions.  «  Elle  se  comportait  de  telle 
sorte,  dit  le  chevalier  Thibault  d'Armagnac, 
qu'il  ne  serait  pas  possible  à  homme  quelconque 
d'avoir  meilleure  attitude  dans  le  fait  de  guerre. 
Tous  les  capitaines  s'émerveillaient  des  peines 
et  labeurs  qu'elle  supportait  (3).   » 

(1)J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I.  Déposition  de 
Jean  de  Metz,  p.  128.  —  Dépos.  de  Bertrand  de  Poulengy, 
p.  133.  —  Dépos.  de  l'écuyer  Gobert  Thibault,  p.  164.  — 
Dépos.  du  duc  d'Alençon,  p.  183.  —  Dépos.  de  l'intendant 
de  Jeanne,  pp.  249-250.  —  Dépos.  deDunois,  p.  201,  etc. 

(2)  Id.,  Ibid.,  t.  I.  Déposition  du  président  Simon  Charles, 
p.  149. 

(3)  Id.,  Ibid.,  t.  I.  Déposition  du  chevalier  Thibault  d'Ar- 
magnac, p.  282. 


70  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

Il  en  est  de  même  pour  sa  sobriété  :  on  a, 
sur  ce  point,  de  nombreux  témoignages,  depuis 
celui  de  personnes  qui  la  virent  peu  de  temps, 
comme  dame  Colette,  jusqu'à  ceux  des  hommes 
de  son  entourage  habituel.  Citons  les  paroles 
de  son  page,  Louis  de  Contes  :  «  Jeanne  était 
très  sobre.  Bien  des  fois,  en  toute  une  journée, 
elle  n'a  mangé  qu'un  morceau  de  pain.  J'admi- 
rais qu'elle  mangeât  si  peu.  Lorsqu'elle  restait 
chez  elle,  elle  mangeait  seulement  deux  fois  par 
jour  (1).  » 

La  rapidité  merveilleuse  avec  laquelle  notre 
héroïne  guérissait  de  ses  blessures,  montre  chez 
elle  une  puissante  vitalité  :  quelques  instants, 
quelques  jours  lui  suffisent,  et  elle  retourne  sur 
le  champ  de  bataille.  Après  avoir  sauté  de  la 
tour  de  Beaurevoir  et  s'être  gravement  blessée, 
elle  revient  à  la  santé  sitôt  qu'elle  peut  absor- 
ber quelque  nourriture. 

Tous  ces  faits  dénotent-ils  une  nature  faible 
ou  névrosée  ? 

Et  si,  des  qualités  physiques,  nous  passons  à 
celles  de  l'esprit,  la  même  constatation  s'im- 
pose. Les  nombreux  phénomènes  dont  Jeanne 


{l)  J.  F ABRE,  Procès  de  réhabililalion,  t.  I.  Déposition  de 
Louis  de  Contes,  page  de  Jeanne,  p.  211.  --  Dépos.  de 
Dunois,  p.  201.  —  Dépos.  des  époux  Millet,  p.  273.  —  Dé- 
pos. du  panetier  Richarville,  p.  279,  etc. 


LA   MÉDIUMNITÉ   DE  JEANNE    dVrG  71 

a  été  Fagent,  loin  de  troubler  sa  raison,  comme 
c'est  le  cas  pour  les  hystériques,  semblent,  au 
contraire,  l'avoir  fortifiée,  à  en  juger  par  les 
réponses  lucides,  nettes,  décisives,  inattendues 
qu'elle  fait  à  ses  interrogateurs  de  Rouen.  Sa 
mémoire  est  restée  sûre,  son  jugement  sain  ; 
elle  a  conservé  la  plénitude  de  ses  facultés 
intellectuelles,  la  maîtrise  de  soi. 

Le  docteur  G.  Dumas,  professeur  à  la  Sor- 
bonne,  dans  une  notice  publiée  par  Anatole 
France,  à  la  fin  de  son  deuxième  volume,  dé- 
clare n'avoir  pas  réussi,  d'après  les  témoi- 
gnages, à  trouver  chez  Jeanne  aucun  des  stig- 
mates classiques  de  l'hystérie.  Il  insiste  lon- 
guement sur  l'extériorité  des  phénomènes,  sur 
leur  netteté  objective,  sur  V  «  indépendance  et 
l'autorité  relatives  »  de  l'inspirée  vis-à-vis  des 
«  saintes  ».  11  ne  lui  semble  pas  que  ses  visions 
puissent  être  ramenées  à  aucun  type  patholo- 
gique constaté  expérimentalement. 

«  Nul  indice,  dit  de  son  côté  Andrew  Lang  (1), 
ne  permet  de  penser  que  Jeanne,  pendant  qu'elle 
était  en  communion  avec  ses  saints,  se  soit  trou- 
vée «  dissociée  »,  ni  inconsciente  de  ce  qui 
l'entourait.    Au    contraire,    nous  voyons    que^ 


(1)  Andrew  Lang,  la  Jeanne  d'Arc  de  M.  Anatole  France, 
pp.  12a-127. 


72  JEANNE  D  ARC   MEDIUM 

dans  la  terrible  scène  de  son  abjuration,  elle 
entend  à  la  fois,  avec  une  netteté  égale,  les  voix 
de  ses  saints  et  ce  sermon  de  son  prédicateur 
dont  elle  ne  se  fait  pas  faute  de  critiquer  les 
erreurs.  » 

Ajoutons  que  jamais  elle  n'a  été  obsédée, 
puisque  ses  Esprits  ne  viennent  qu'à  certains 
moments,  et  surtout  quand  elle  les  appelle, 
alors  que  l'obsession  est  caractérisée  par  la  pré- 
sence constante,  inévitable,  d'êtres  invisibles. 

Les  voix  de  Jeanne  ont  toutes  trait  à  sa  gran- 
de mission  ;  jamais  leurs  propos  ne  sont  puérils  ; 
elles  ont  toujours  leur  raison  d'être,  elles  ne  se 
contredisent  pas,  et  ne  sont  pas  entachées  des 
croyances  erronées  du  temps,  ce  qui  aurait  lieu 
si  Jeanne  eût  été  prédisposée  à  subir  des  hallu- 
cinations. Loin  d'ajouter  foi  aux  fées,  aux  ver- 
tus de  la  mandragore  et  à  cent  autres  idées 
fausses  de  l'époque,  elle  manifeste,  dans  ses 
interrogatoires,  son  ignorance  à  leur  égard,  ou 
montre  le  mépris  dans  lequel  elle  les  tient  (1). 

Chez  Jeanne,  pas  de  sentiment  égoïste,  aucun 
orgueil,  comme  chez  les  hallucinés  qui,  attri- 
buant une  grande  importance  à  leur  petite  per- 
sonne, ne  voient  autour  d'eux   qu'ennemis   et 


(1)  J.    Fabre,   Procès  de  condamnation,  3c  et  5«  interroga- 
toires publics  ;  9«  interrogatoire  secret  ;  acte  d'accusation. 


LA    MÉDIUMNITÉ   DE    JEANNE    d'aRC  73 

persécuteurs.  C'est  à  la  France,  à  son  roi  que 
vont  toutes  ses  pensées  sous  l'inspiration  di- 
vine. 

Le  grand  aliéniste  Brierre  de  Boismont,  qui 
s'est  livré  à  une  étude  attentive  de  la  ques- 
tion (1),  reconnaît  en  Jeanne  une  intelligence 
supérieure.  Cependant  il  qualifie  d'hallucina- 
tions les  phénomènes  dont  elle  est  l'objet,  mais 
en  leur  prêtant  un  caractère  physiologique  et 
non  pathologique.  11  entend  dire  par  là,  que  ces 
hallucinations  ne  l'ont  pas  empêchée  de  con- 
server l'intégrité  de  sa  raison  ;  elles  seraient  le 
fruit  d'une  exaltation  mentale,  qui  n'a  toutefois 
rien  de  morbide.  Pour  lui,  la  conception  del'idée 
directrice,  «  stimulant  puissant  »,  s'est  faite 
image  dans  le  cerveau  de  Jeanne,  en  qui  il 
admire  une  âme  d'élite,  un  de  ces  «  messagers 
envoyés  du  fond  du  mystérieux  infini  vers  nous». 

Sans  être  du  même  avis  que  le  célèbre  prati- 
cien de  la  Salpétrière,  quant  aux  causes  déter- 
minantes des  phénomènes,  le  docteur  Dupouy, 
qui  attribue  ces  derniers  à  l'influence  d'Entités 
célestes,  conclut  dans  le  même  sens.  Seulement, 
pour  lui,  les  hallucinations  de  Jeanne  auraient  eu 
le  don  d'objectiver  les  pei*sonnalités  angéliques 


(1)  Brierre  de  Boismont,  Des  Hallucinalions.  De  Vhallucina- 
lion  historique. 

5 


74  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

qui  lui  servaient  de  guides.  Nous  pourrions 
adopter  cette  manière  de  voir,  puisque  nous 
savons  qu'elle  considérait  ses  saintes,  comme 
étant  celles  dont  les  images  décoraient  l'église 
de  Domremy. 

Mais,  dirons-nous  encore  :  peut-on  attribuer 
un  caractère  hallucinatoire  à  des  voix  qui  vous 
réveillent  en  plein  sommeil,  pour  vous  avertir 
d'événements  présents  ou  à  venir,  comme  ce 
fut  le  cas  à  Orléans  et  pendant  le  procès  de 
Jeanne,  à  Rouen  ?  à  des  voix  qui  vous  conseillent 
d'agir  autrement  que  vous  le  voudriez  ?  Lors 
de  sa  captivité  dans  la  tour  de  Beaurevoir,  la 
prisonnière  reçut  bien  des  recommandations  de 
ses  guides,  désireux  de  lui  éviter  une  erreur, 
cependant  ils  ne  purent  l'empêcher  de  sauter 
du  haut  de  la  tour,  et  Jeanne  eut  à  s'en  repentir. 

Dire  avec  Lavisse,  A.  France  et  d'autres,  que 
la  voix  entendue  par  Jeanne  était  celle  de  sa 
conscience,  nous  paraît  également  en  contra- 
diction avec  les  faits.  Tout  prouve  que  ces  voix 
étaient  extérieures.  Le  phénomène  n'est  pas 
subjectif,  puisqu'elle  est  réveillée,  nous  l'avons 
vu,  aux  appels  de  ses  guides,  et  ne  saisit  par- 
fois que  la  fin  de  leurs  discours  (1). 


(1)J.  Fabre,  Procè."?  de  condamnation,  3*  interrogatoire  pu- 
blic, p.  68. 


LA   MÉDIUMNITÉ    DE    JEANNE   d'aRC  75 

Elle  ne  les  entend  bien  qu'aux  heures  de 
silence,  ainsi  que  le  constate  A.  France  lui- 
même  (1).  «  Le  trouble  des  prisons  et  les  noises 
de  ses  gardes  (2)  »  Tempêchent  de  comprendre 
leurs  paroles.  Il  est  donc  de  toute  évidence  que 
celles-ci  viennent  du  dehors  ;  le  bruit  ne  gêne 
guère  la  voix  intérieure  qui  se  perçoit  dans  le 
secret  de  l'âme,  même  aux  moments  de  tumulte. 

Concluons  donc,  à  notre  tour,  en  reconnais- 
sant en  Jeanne,  une  fois  de  plus,  un  grand  mé- 
dium. 

N'en  déplaise  au  docteur  Morselli  (3)  et  à 
tant  d'autres,  la  médiumnité  ne  se  manifeste 
pas  seulement  chez  les  esprits  faibles  ou  les 
âmes  portées  à  la  folie.  11  y  a  des  talents  de 
grandes  envergures,  tels  que  Pétrarque,  Pascal, 
La  Fontaine,  Gœthe,  Sardou,  Flammarion  et 
combien  d'autres,  des  penseurs  profonds  comme 
Socrate,  des  hommes  pénétrés  de  l'esprit  divin, 
saints  ou  prophètes,  qui  ont  eu  leurs  heures 
de  médiumnité,  en  qui  s'est  révélée,  parfois  à 
maintes  reprises,  cette  faculté,  latente  chez 
eux. 

Ni  la  hauteur  de  Fintelligence,  ni  l'élévation 


(1)  A.  France,  Vie  de  Jeanne  (FArc,  t.  I,-p.359, 

(2)  J.   Fabre,   Procès   de    condamnalion,    5"  interrogatoire 
secret,  p.  157. 

(3)  Psychologie  el  Spirilisme,  par  II.  Morselli. 


76  JEANNE   DARC   MEDIUM 

de  l'àme  ne  sont  des  empêchements  à  ces  sortes 
de  manifestations.  S'il  y  a  tant  de  productions 
médianimiques  dont  la  forme  ou  le  fond  laissent 
à  désirer,  c'est  que  les  hautes  intelligences  et  les 
grands  caractères  sont  rares.  Ces  qualités  se 
trouvaient  réunies  en  Jeanne  d'Arc,  et  c'est 
pourquoi  ses  facultés  psychiques  avaient  atteint 
un  tel  degré  de  puissance.  On  peut  dire  de  la 
vierge  d'Orléans  qu'elle  réalisait  l'idéal  de  la 
médiumnité. 


Maintenant,  une  question  se  pose,  question 
de  la  plus  haute  importance  :  Quelles  étaient 
les  personnalités  invisibles  qui  inspiraient 
Jeanne  et  la  dirigeaient  ?  Pourquoi  des  saints, 
des  anges,  des  archanges  ?  Que  devons-nous 
penser  de  cette  intervention  constante  de  saint 
Michel,    sainte  Catherine,    sainte  Marguerite  ? 

Pour  résoudre  ce  problème,  il  faudrait  ana- 
lyser tout  d'abord  la  psychologie  des  voyants  et 
des  sensitifs,  et  comprendre  la  nécessité  où  ils 
se  trouvent,  de  prêter  aux  manifestations  de 
l'Au-delà  les  formes,  les  noms,  les  apparences 
que  l'éducation  reçue,  les  influences  subies, 
les  croyances  du  milieu  et  de  l'époque  où  ils 
vivent,  leur  ont  suggérés.  Jeanne  d'Arc  n'échap- 


LA   MÉDIUMNITÉ   DE   JEANNE    d'arC  77 

pait  pas  à  cette  loi.  Elle  se  servait,  pour  tra- 
duire ses  perceptions  psychiques,  des  termes, 
des  expressions,  des  images  qui  lui  étaient 
familiers.  C'est  ce  qu'ont  fait  les  médiums  de 
tous  les  temps.  Suivant  les  milieux,  on  donnera 
aux  habitants  du  monde  occulte  les  noms  de 
dieux,  de  génies,  d'anges  ou  daïmons,  d'es- 
prits, etc. 

Les  Intelligences  invisibles  qui  interviennent 
ostensiblement  dans  l'œuvre  humaine,  se  trou- 
vent elles-mêmes  dans  l'obligation  d'entrer 
dans  la  mentalité  des  sujets  auxquels  elles  se 
manifestent,  d'emprunter  les  formes  et  les  noms 
d'êtres  illustres  connus  de  ceux-ci,  afin  de  les 
impressionner,  de  leur  inspirer  confiance,  de 
les  mieux  préparer  au  rôle  qui  leur  est  dévolu. 

En  général,  on  n'attache  pas  dans  l'iVu-delà 
autant  d'importance  que  nous  aux  noms  et  aux 
personnalités.  On  y  poursuit  des  œuvres  gran- 
dioses et,  pour  les  réaliser,  on  utilise  les  moyens 
que  nécessite  l'état  d'esprit,  on  pourrait  dire 
l'état  d'infériorité  et  d'ignorance,  des  milieux  et 
des  temps  où  ces  Puissances  veulent  intervenir. 

On  m'objectera  peut-être,  que  ces  Puissances 
surhumaines  auraient  pu  révéler  à  la  vierge  de 
Domremy  leur  véritable  nature^  en  l'initiant  à 
une  connaissance  plus  haute,  plus  large  du 
monde  invisible  et  de  ses  lois.  Mais,  outre  qu'il 


78  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

est  très  long  et  très  difficile  d'initier  un  être 
humain,  même  le  mieux  doué,  aux  lois  de  la 
vie  supérieure  et  infinie,  que  nul  n'embrasse 
encore  dans  leur  ensemble,  c'eût  été  aller  à 
rencontre  du  but  assigné;  c'eût  été  rendre 
irréalisable  l'œuvre  conçue,  œuvre  toute  d'ac- 
tion, en  créant,  chez  l'héroïne,  un  état  d'esprit 
et  des  divergences  de  vues,  qui  l'eussent  mise 
en  opposition  avec  l'ordre  social  et  religieux, 
sous  lequel  elle  était  appelée  à  agir. 

Si  on  examine  avec  attention  les  dires  de  Jeanne 
sur  ses  voix,  on  est  frappé  par  un  fait  signifi- 
catif :  c'est  que  l'Esprit  auquel  on  attribue  le 
nom  de  saint  Michel,  ne  s'est  jamais  nommé  (1). 

Les  deux  autres  Entités  auraient  été  désignées 
par  saint  Michel  lui-même,  sous  les  noms  de 
sainte  Catherine  et  de  sainte  Marguerite  (2). 
Rappelons  que  les  statues  de  ces  saintes  ornaient 
Téglise  de  Domremy,  où  Jeanne  allait  prier 
journellement  ;  dans  ses  longues  méditations  et 
ses  extases,  elle  avait  souvent  devant  les  yeux 
les  images  de  pierre  de  ces  vierges  martyres. 


(1)  Henri  Martin  dit  le  contraire  (Histoire  de  France,  t.  VI, 
p.  142);  mais  aux  sources  qu'il  indique,  Procès  de  condam- 
nation, 2e  interrogatoire  public,  saint  Michel  n'est  pas  nom- 
mé. Jeanne  s'exprime  ainsi  :  «  la  voix  d'un  ange  »  (Voir 
aussi  7"  interrogatoire  secret). 

(2)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnation,  7^  interrogatoire  se- 
cret, pp.  173-174. 


LA   MÉDIUMNITÉ   DE    JFANNE  DARG  79 

Or  Texistence  de  ces  deux  personnages  est 
plus  que  douteuse.  Ce  que  nous  savons  d'eux 
consiste  en  légendes  très  contestées.  Vers  Tan 
1600,  un  censeur  de  PUniversité,  Edmond  Ri- 
cher,  qui  croyait  aux  anges,  mais  non  à  sainte 
Catherine  ni  à  sainte  Marguerite,  émet  Tidée 
que  les  apparitions  perçues  par  la  jeune  fille, 
s'étaient  données  à  elle  pour  les  saintes  qu'elle 
vénérait  depuis  son  enfance.  «  L'Esprit  de  Dieu 
qui  gouverne  l'Église,  s'accommode  à  notre 
infirmité  »,  disait-il  (1). 

Plus  tard,  un  autre  docteur  en  Sorbonne, 
Jean  de  Launoy,  écrivait  :  «  La  vie  de  sainte 
Catherine,  vierge  et  martyre,  est  toute  fabu- 
leuse, depuis  le  commencement  jusqu'à  la  fin. 
Il  ne  faut  y  ajouter  aucune  foi  (2).  »  Bossuet, 
dans  son  Histoire  de  France  pour  l'instruction 
du  Dauphin^  ne  mentionne  pas  les  deux  saintes. 

De  nos  jours,  M.  Marins  Sepet,  élève  de 
rÉcole  des  Chartes  et  membre  de  l'Institut^ 
dans  sa  préface  de  la  Vie  de  sainte  Catherine^ 
par  Jean  Miélot  (3),  fait  d'expresses  réserves  au 
sujet  des  documents  qui  ont  servi  à  établir  cet 


(1)  Edmond  Richer,  Histoire  de  la  Pucelle  d'Orléans,  manu- 
scrit Bibl.  nat. 

(2)  Voir  :  A.  France,  Vie  de  Jeanne  d'Arc,  t.  I,  p.  lix. 

(3)  Édition  Hurtel,   1881,  p.   35.  Voir  aussi  F.  X.  Feller  : 

Dictionnaire  historique. 


80  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

ouvrage  :  «  La  vie  de  Madame  sainte  Catherine, 
dit-il,  sous  la  forme  qu'elle  a  prise  dans  le  ma- 
nuscrit 6/i/i9  du  fonds  français  à  la  Bibliothèque 
nationale,  ne  saurait  aucunement  prétendre  à 
une  valeur  canonique  (1).  » 

Remarquons  encore  que  le  cas  plus  récent 
du  curé  d'Ars,  présente  beaucoup  d'analogie 
avec  celui  de  Jeanne  d'Arc.  Gomme  elle,  le 
célèbre  thaumaturge  était  vo3^ant  et  s'entrete- 
nait avec  des  Esprits,  surtout  avec  sainte  Phi- 
lomène,  sa  protectrice  habituelle.  Il  subissait 
aussi  les  tracasseries  d'un  Esprit  inférieur  nom- 
mé Grappin.  Or,  de  même  que  Catherine  et  Mar- 


(1)  Des  critiques  éminents,  dont  plusieurs  sont  des  ca- 
tholiques et  même  des  prélats,  ont  établi,  en  des  travaux 
récents,  que  les  hagiographes  ont  commis  de  nombreuses 
erreurs.  Mgr  Duchesne,  directeur  de  l'École  française  de 
Rome,  qui  jouit  d'une  grande  autorité  dans  le  monde  reli- 
gieux, a  prouvé  que  plusieurs  saints  et  saintes,  parmi  les- 
quels saint  Maurice,  de  la  légion  thébaine,  patron  de  la 
cathédrale  d'Angers,  n'ont  jamais  existé.  Il  a  démontré  que 
les  Saintes-Mariés  ne  sont  jamais  venues  en  France,  et  que 
les  légendes  dont  elles  sont  l'objet  en  Provence,  sont  pu- 
rement œuvre  d'imagination.  Fait  plus  grave  :  huit  noms  de 
papes  ont  été  effacés,  comme  inexacts.  Sur  un  ordre  venu 
de  Rome,  la  liste  a  été  remaniée  ;  Pie  X  n'est  plus  que  le 
256*,  au  lieu  du  264«.  Par  exemple,  saint  Clet  et  saint  Anaclet 
ne  font  qu'un.  Et  si  l'on  a  pu  se  tromper  à  ce  point  au  su- 
jet de  personnages  ayant  occupé  le  trône  pontifical,  com- 
ment être  certain  de  l'existence  de  personnalités  plus  hypo- 
thétiques encore?  Voir  les  ouvrages  de  Mgr  Duchesne  in- 
titulés: Catalogues  épiscopaiix  des  diocèses  ;  Origines  chré- 
tiennes (leçons  faites  à  la  Sorbonne). 


LA   MÉDIUMNITÉ   DE   JEANNE    d'aRC  81 

guérite,   Philomène    n'est   qu'un  nom   symbo 
lique  ;  il  signifie  «  qui  aime  Thumanité  »  (1). 


Si  les  noms  attribués  aux  Puissances  invi- 
sibles qui  influencèrent  la  vie  de  Jeanne  d'Arc, 
n'ont  qu'une  importance  relative  et  sont,  en  eux- 
mêmes,  très  contestables,  il  en  est  tout  autre- 
ment, nous  l'avons  vu,  de  la  réalité  objective 
de  ces  Puissances,  et  de  l'action  constante 
qu'elles  ont  exercée  sur  l'héroïne. 

L'explication  catholique  nous  paraissant  insuf- 
fisante, nous  sommes  porté  à  voir  en  elles  des 
Entités  supérieures^  qui  résument,  concentrent, 
mettent  en  action  les  forces  divines,  aux  heures 
où  le  mal  s'étend  sur  la  terre,  lorsque  les 
hommes,  par  leurs  agissements,  entravent  ou 
menacent  le  développement  du  plan  éternel. 

(1)  Voir  P.  Saintyves  :  les  Saints,  successeurs  des  dieux, 
pp.  109  à  112,  résumé  de  la  question  de  sainte  Philomène 
d'après  Marucchi  et  les  Analecla  Bollandiana. 

Consulter  également,  pour  sainte  Marguerite:  P.  Saint- 
YTES,  lei  Saints,  successeurs  des  dieux,  pp.  365  à  370. 

Pour  sainte  Catherine  d'Alexandrie  :  voir  Hermann  Knust, 
Geschichte  der  Legenden  der  H.  Katarina  von  Alexandrien  nnd 
der  H.  Maria  ^gypiiaca.  Halle,  1890,  in-8.  On  y  trouve 
toutes  les  références  antérieures.  D'après  certains  érudits, 
Catherine  d'Alexandrie  ne  serait  autre  que  la  belle  et  sa- 
vante Hypathie. 

5. 


82  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

Ces  Puissances,  on  les  retrouve,  sous  les  clé- 
nominations  les  plus  diverses,  à  des  époques 
bien  différentes.  Mais,  quel  que  soit  le  nom 
qu'on  leur  donne,  leur  intervention  dans  This- 
toire  n'est  pas  douteuse.  Au  quinzième  siècle, 
nous  verrons  en  elles  les  génies  protecteurs  de 
la  France,  les  grandes  âmes  qui  veillent  plus 
particulièrement  sur  notre  nation. 

On  dira  peut-être  :  c'est  là  du  surnaturel.  Non  1 
ce  que  Ton  désigne  par  ce  mot,  ce  sont  les 
régions  élevées,  les  hauteurs  sublimes  et,  pour 
ainsi  dire,  le  couronnement  de  la  nature.  Or, 
par  l'inspiration  des  voyants  et  des  prophètes, 
par  les  Puissances  médiatrices,  par  les  Esprits 
messagers,  l'humanité  a  toujours  été  en  rap- 
port avec  les  plans  supérieurs  de  l'univers. 

Les  études  expérimentales,  poursuivies  de- 
puis un  demi-siècle  (1),  ont  jeté  une  certaine 
lueur  sur  la  vie  de  l'Au-delà.  Nous  savons  que 
le  monde  des  Esprits  est  peuplé  d'êtres  innom- 
brables, occupant  tous  les  degrés  de  l'échelle 
d'évolution.  La  mort  ne  nous  change  pas,  au 
point  de  vue  moral.  Nous  nous  retrouvons  dans 
l'espace  avec  toutes  les  qualités  acquises,  mais 
aussi  avec  nos  erreurs  et  nos  défauts.  Il  en 
résulte    que   l'atmosphère    terrestre   fourmille 

(1)  Voir  Après  la  Morl  et  Dans  rinvisible,  passim. 


LA    MÉDIUMMTÉ    DE    JEANxNE    d'aRG  83 

d'âmes  inférieures,  avides  de  se  manifester  aux 
humains,  ce  qui  rend  parfois  les  communica- 
tions dangereuses  et  exige,  de  la  part  des  expé- 
rimentateurs, une  préparation  laborieuse  et 
beaucoup  de  discernement. 

Ces  études  démontrent  aussi  qu'il  y  a,  au- 
dessus  de  nous,  des  légions  d'âmes  bienfai- 
santes et  protectrices,  les  âmes  des  hommes  qui 
ont  souffert  pour  le  bien,  pour  la  vérité  et  la 
justice.  Elles  planent  au-dessus  de  la  pauvre 
humanité,  pour  la  guider  dans  les  voies  de  sa 
destinée.  Plus  haut  que  les  horizons  étroits  de 
la  terre,  toute  une  hiérarchie  d'êtres  invisibles 
s'étage  dans  la  lumière.  C'est  l'échelle  de  Jacob 
de  la  légende,  l'échelle  des  Intelligences  et  des 
Consciences  supérieures  qui  se  gradue  et  s'élève 
jusqu'aux  Esprits  radieux,  jusqu'aux  puissantes 
Entités,  dépositaires  des  forces  divines. 

Ces  Entités  invisibles,  nous  l'avons  dit,  inter- 
viennent quelquefois  dans  la  vie  des  peuples, 
mais  elles  ne  le  font  pas  toujours  d'une  manière 
aussi  éclatante  qu'aux  temps  de  Jeanne  d'Arc. 
Le  plus  souvent,  leur  action  reste  obscure, 
effacée,  d'abord  pour  sauvegarder  la  liberté 
humaine,  et,  surtout,  parce  que,  si  ces  Puis- 
sances veulent  être  connues,  elle^  veulent  aussi 
que  l'homme  fasse  effort  et  se  rende  apte  à  les 
connaître. 


84  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

Ces  grands  faits  de  l'histoire  sont  comparables 
aux  éclaircies  qui  se  produisent  tout  à  coup 
entre  les  nuées,  lorsque  le  temps  est  couvert, 
pour  nous  montrer  le  ciel  profond,  lumineux, 
infini.  Puis,  ces  trouées  se  referment  aussitôt, 
parce  que  l'homme  n'est  pas  encore  mûr,  pour 
saisir  et  comprendre  les  mystères  de*  la  vie  su- 
périeure. 

Quant  au  choix  des  formes  et  des  moyens  que 
ces  grands  Êtres  emploient  pour  intervenir 
dans  le  champ  terrestre,  il  faut  reconnaître  que 
notre  savoir  est  bien  faible  pour  les  apprécier 
et  les  juger.  Nos  facultés  sont  impuissantes  à 
mesurer  les  vastes  plans  de  l'invisible.  Mais 
nous  savons  que  les  faits  sont  là,  incontestables, 
indéniables.  De  loin  en  loin,  à  travers  l'obscu- 
rité qui  nous  enveloppe,  au  milieu  du  flux  et  du 
reflux  des  événements,  aux  heures  décisives, 
lorsqu'une  nation  est  en  péril,  quand  l'humanité 
est  sortie  de  sa  voie,  alors  une  émanation,  une 
personnification  de  la  Puissance  suprême  des- 
cend parmi  nous,  pour  rappeler  aux  hommes 
qu'il  existe  au-dessus  d'eux  des  ressources 
infinies,  qu'ils  peuvent  attirer  par  leurs  pensées, 
par  leurs  appels,  des  sociétés  d'âmes  qu'ils 
atteindront  un  jour,  par  leurs  mérites  et  leurs 
efforts. 

L'intervention  dans  l'œuvre  humaine  de  ces 


LA   MÉDIUMNITÉ    DE   JEANNE    d'aRC  85 

hautes  Entités,  que  nous  nommerons  les  ano- 
nymes de  l'espace,  constitue  une  loi  profonde 
sur  laquelle  nous  croyons  devoir  insister  encore, 
en  nous  efforçant  de  la  rendre  plus  compréhen- 
sible. 

En  général,  avons-nous  dit,  les  Esprits  supé- 
rieurs qui  se  manifestent  aux  hommes  ne  se 
nomment  pas,  ou  bien,  s'ils  se  nomment,  ils 
empruntent  des  noms  symboliques,  qui  caracté- 
risent leur  nature  ou  le  genre  d^  mission  qui 
leur  est  assigné. 

Pourquoi  donc,  alors  qu'ici-bas  Thomme  se 
montre  si  jaloux  de  ses  moindres  mérites,  si 
empressé  à  attacher  son  nom  aux  œuvres  les 
plus  éphémères,  pourquoi  les  grands  mission- 
naires de  l'Au-delà,  les  glorieux  messagers  de 
l'invisible,  s'obstinent-ils  à  garder  Panonymat 
ou  à  prendre  des  noms  allégoriques  ?  C'est  que, 
bien  différentes  sont  les  règles  du  monde  ter- 
restre et  celles  des  mondes  supérieurs,  où  se 
meuvent  les  Esprits  de  rédemption. 

Ici-bas,  la  personnalité  prime  et  absorbe  tout. 
Le  moi  tyrannique  s'impose  :  c'est  le  signe  de 
notre  infériorité,  la  formule  inconsciente  de 
notre  égoïsme.  Notre  condition  présente  étant 
imparfaite  et  provisoire,  il  est  logique  que  tous 
nos  actes  gravitent  autour  de  notre  personna- 
lité,   c'est-à-dire   de   ce   moi   qui   maintient  et 


86  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

assure  Fidentité  de  l'être  dans  son  stade  infé- 
rieur d'évolution,  à  travers  les  fluctuations  de 
l'espace  et  les  vicissitudes  du  temps. 

Dans  les  hautes  sphères  spirituelles,  il  en  est 
tout  autrement.  L'évolution  se  poursuit  sous 
des  formes  plus  éthérées,  formes  qui,  à  une 
certaine  hauteur,  se  combinent,  s'associent  et 
réalisent  ce  qu^on  pourrait  appeler  la  compéné- 
tration  des  êtres. 

Plus  l'Esprit  monte  et  progresse  dans  la  hié- 
rarchie infinie,  plus  les  angles  de  sa  personna- 
lité s'effacent,  plus  son  moi  se  dilate  et  s'épa- 
nouit dans  la  vie  universelle,  sous  la  loi  d'har- 
monie et  d'amour.  Sans  doute  l'identité  de  l'être 
demeure,  mais  son  action  se  confond  de  plus 
en  plus  avec  l'activité  générale,  c'est-à-dire  avec 
Dieu,  qui,  en  réalité,  est  Yacte  pur. 

C'est  en  cela  que  consistent  le  progrès  infini 
et  la  vie  éternelle  :  se  rapprocher  sans  cesse 
de  rÉtre  absolu  sans  l'atteindre  jamais,  et  con- 
fondre toujours  plus  pleinement  notre  œuvre 
propre  avec  l'œuvre  éternelle. 

Parvenu  à  ces  sommets,  l'Esprit  ne  se  nomme 
plus  de  tel  ou  tel  nom  ;  ce  n'est  plus  un  indi- 
vidu, une  personnalité,  mais  bien  une  des  formes 
de  l'activité  infinie.  11  s'appelle  :  Légion.  11 
appartient  à  une  hiérarchie  de  forces  et  de  lu- 
mières, telle  une  parcelle  de  flamme  appartient 


LX    MÉDIUMMTÉ    DE    JEANNE    D  ARC  bT 

à  l'activité  du  foyer  qui  l'engendre  et  la  nourrit. 
C'est  une  immense  association  d'Esprits  har- 
monisés entre  eux  par  des  lois  d'affinité  lumi- 
neuse, de  symphonie  intellectuelle  et  morale, 
par  l'amour  qui  les  identifie.  Fraternité  su- 
blime, dont  celle  de  la  terre  n'est  qu'un  pâle  et 
fugitif  reflet  ! 

Parfois,  de  ces  groupes  harmonieux,  de  ces 
pléiades  éblouissantes,  un  rayon  vivant  se  dé- 
tache, une  forme  radieuse  se  sépare  et  vient, 
telle  une  projection  de  lumière  céleste,  explo- 
rer, illuminer  les  recoins  de  notre  monde 
obscur.  Aider  à  l'ascension  des  âmes,  fortifier 
une  créature  à  l'heure  d'un  grand  sacrifice,  sou- 
tenir la  tête  d'un  Christ  à  l'agonie,  sauver  un 
peuple,  racheter  une  nation  qui  va  périr  :  telles 
sont  les  missions  sublimes  que  ces  messagers 
de  l'Au-delà  viennent  remplir. 

La  loi  de  solidarité  exige  que  les  êtres  supé- 
rieurs attirent  à  eux  les  esprits  jeunes  ou  attar- 
dés. Ainsi,  une  immense  chaîne  magnétique  se 
déroule  à  travers  l'incommensurable  univers,  et. 
relie  les  âmes  et  les  mondes. 

Et  comme  le  sublime  de  la  grandeur  morale 
consiste  à  faire  le  bien  pour  le  bien  même, 
sans  retour  égoïste  sur  soi,  les  Esprits  bienfai- 
teurs agissent  sous  le  double  voile  du  silence 
et  de  l'anonymat,  afin  que  la  gloire  et  le  mérite^ 


«O  JEANNE   D  ARC   MEDIUM 

de  leurs  actes  en  reviennent  à  Dieu  seul  et 
retournent  à  lui. 

Ainsi  s'expliquent  les  visions  de  Jeanne,  ses 
voix,  les  apparitions  de  l'archange  et  des  saintes, 
qui  n'ont  jamais  existé  comme  personnalités 
individuelles,  baptisées  de  ce  nom,  mais  qui 
sont  cependant  des  réalités  vivantes,  des  êtres 
lumineux,  détachés  des  foyers  divins  et  qui  ont 
fait  de  Jeanne  la  libératrice  de  son  pays. 

Michel,  Micaël,  la  force  de  Dieu  ;  Margue- 
rite, Margarita,  la  perle  précieuse  ;  Catherine, 
Katarina,  la  vierge  pure  :  tous  noms  symbo- 
liques qui  caractérisent  une  beauté  morale,  une 
force  supérieure  et  reflètent  un  rayon  de  Dieu. 


Jeanne  d'Arc  était  donc  un  intermédiaire 
entre  deux  mondes,  un  médium  puissant.  Pour 
cela,  elle  fut  martyrisée,  brûlée.  Tel  est,  en 
général,  le  sort  des  envoyés  d'en  haut  :  ils  sont 
en  butte  aux  persécutions  des  hommes  ;  ceux-ci 
ne  veulent  ou  ne  peuvent  pas  les  comprendre. 
Les  exemples  qu'ils  donnent,  les  vérités  qu'ils 
répandent,  sont  une  gêne  pour  les  intérêts  ter- 
restres, une  condamnation  pour  les  passions  ou 
les  erreurs  humaines. 

Il  en  est  de  même  de  nos  jours.    Quoique 


LA    MÉDIUMNITÉ    DE   JEANNE    d'aRC  89 

moins  barbare  que  le  moyen  âge,  qui  les  envoyait 
en  masse  au  bûcher,  notre  époque  persécute 
encore  les  agents  de  l'Au-delà.  Ils  sont  souvent 
méconnus,  dédaignés,  bafoués.  Je  parle  des 
médiums  sincères  et  non  des  simulateurs,  qui 
sont  nombreux  et  se  glissent  partout.  Ces  der- 
niers prostituent  une  des  choses  les  plus  res- 
pectables qui  soit  en  ce  monde,  et,  par  cela 
même^  ils  assument  de  lourdes  responsabilités 
dans  l'avenir.  Car  tout  se  paie,  tôt  ou  tard  ;  tous 
nos  actes,  bons  ou  mauvais,  retombent  sur  nous, 
avec  leurs  conséquences.  C'est  la  loi  de  la  des- 
tinée (1)  ! 

Les  manifestations  du  monde  invisible  sont 
constantes,  disions-nous  ;  elles  ne  sont  pas 
égales.  La  supercherie,  le  charlatanisme  se 
mêlent  parfois  à  l'inspiration  sacrée  :  à  côté 
de  Jeanne  d'Arc,  vous  trouverez  Catherine 
de  La  Rochelle  et  Guillaume  le  berger,  qui 
étaient  des  imposteurs.  Il  y  a  aussi  de  réels 
médiums  qui  s'abusent  eux-mêmes  et  agissent, 
à  certaines  heures,  sous  l'empire  de  l'auto-sug- 
gestion.  La  source  n'est  pas  toujours  très  pure  ; 
la  vision  est  quelquefois  confuse,  mais  il  y  a 
des  phénomènes  si  éclatants  que,  devant  eux. 


(1)  Voir  :  Le    Problème  de   VÊlre  eî  de    la  Deslinée,   chap. 
XVIII  et  XIX. 


90  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

le  doute  ne  peut  subsister.  Tels  furent  les  faits 
médianimiques  qui  illustrent  la  vie  de  Jeanne 
d'Arc. 

11  y  a  dans  la  médiumnité,  comme  en  toutes 
choses,  une  diversité  infinie,  une  gradation, 
une  sorte  de  hiérarchie.  Presque  tous  les  grands 
prédestinés,  les  prophètes,  les  fondateurs  de 
religion,  les  messagers  de  vérité,  tous  ceux  qui 
ont  proclamé  les  principes  supérieurs  dont  la 
pensée  humaine  s'est  nourrie,  ont  été  des  mé- 
>^iums,  puisque  leur  vie  a  été  en  relations  cons- 
tantes avec  les  hautes  sphères  spirituelles. 

J'ai  démontré  ailleurs  (1),  en  m'appuyant  sur 
des  témoignages  nombreux  et  précis,  que  le 
génie,  à  divers  points  de  vue  et  dans  bien  des 
cas,  peut  être  considéré  comme  un  des  aspects 
de  la  médiumnité.  Les  hommes  de  génie,  pour 
la  plupart,  sont  des  inspirés  dans  la  plus  haute 
acception  de  ce  mot.  Leurs  œuvres  sont  comme 
des  foyers  que  Dieu  allume  dans  la  nuit  des 
siècles,  pour  éclairer  la  marche  de  l'humanité. 
Depuis  la  publication  de  mon  livre,  j'ai  recueilli 
de  nouveaux  documents  à  l'appui  de  cette  thèse. 
Plus  loin,  j'en  citerai  quelques-uns. 

Toute  la  philosophie  de  rhi3toire  se  résume 

(1)  Voir  :  Dans  VInvisible,  chap.  XXVI,  La  Médiumnité  glo- 


LA    MÉDIUMNITÉ    DE    JEANNE    d'aRG  91 

en  deux  mots  :  la  communion  du  visible  et  de 
l'invisible.  Elle  s'exprime  par  la  haute  inspira- 
tion :  les  hommes  de  génie,  les  grands  poètes, 
les  savants,  les  artistes,  les  inventeurs  célèbres, 
tous  sont  des  exécuteurs  du  plan  divin  dans  le 
monde,  de  ce  plan  majestueux  d'évolution  qui 
entraîne  Famé  vers  les  sommets. 

Tantôt  les  nobles  Intelligences  qui  président 
à  cette  évolution,  s'incarnent  elles-mêmes,  pour 
rendre  leur  action  plus  efficace  et  plus  directe. 
Alors,  vous  avez  Zoroastre,  Bouddha,  et,  au- 
dessus  de  tous,  le  Christ.  Tantôt,  elles  inspirent 
et  soutiennent  les  missionnaires  chargés  de 
donner  une  impulsion  plus  vive  aux  essors  de 
la  pensée  :  Moïse,  saint  Paul,  Mahomet,  Luther 
furent  de  ceux-ci.  Mais,  dans  tous  les  cas,  la 
liberté  humaine  est  respectée.  De  là,  les  entraves 
de  toutes  sortes  que  ces  grands  Esprits  ren- 
contrent sur  leur  chemin. 

Le  fait  le  plus  saillant  parmi  les  événements 
qui  signalent  la  venue  de  ces  messagers  d'en 
haut,  c'est  l'idée  religieuse  sur  laquelle  ils 
s'appuient. 

Cette  idée  suffit  à  exalter  leur  courage  et  à 
rassembler  autour  d'eux,  humbles  presque  tous 
et  ne  disposant  d'aucune  force  matérielle,  des 
foules  innombrables,  prêtes  à  répandre  l'ensei- 
gnement dont  elles  ont  senti  la  grandeur. 


92  JEANNE   d'arc    MÉDIUM 

Tous  ont  parlé  de  leurs  communications  avec 
l'invisible  ;  tous  ont  eu  des  visions,  entendu  des 
voix,  et  se  sont  reconnus  simples  instruments 
de  la  Providence  pour  l'accomplissement  d'une 
mission.  Seuls,  livrés  à  eux-mêmes,  ils  n'au- 
raient pas  réussi  ;  l'influence  d'en  haut  était 
nécessaire,  indispensable  au  triomphe  de  leur 
idée,  contre  laquelle  s'acharnaient  tant  d'enne- 
mis. 

La  philosophie,  elle  aussi,  a  eu  ses  glorieux 
inspirés  : 

Socrate,  comme  Jeanne  d'Arc,  percevait  des 
voix,  ou  plutôt  une  voix,  celle  d'un  Esprit  fami- 
lier qu'il  appelait  son  démon  (1).  Elle  se  faisait 
entendre  en  toute  circonstance. 

On  peut  lire  dans  le  Théagès  de  Platon  com- 
ment Timarque  aurait  évité  la  mort,  s'il  avait 
écouté  la  voix  de  cet  Esprit  :  «  Ne  t'en  va  pas, 
—  lui  conseille  Socrate,  lorsqu'il  se  lève  du 
banquet  avec  Philémon,  son  complice  et  le  seul 
qui  eût  connaissance  de  ses  intentions,  pour 
aller  tuer  Nicias,  —  ne  t'en  va  pas  ;  la  voix 
me  dit  de  te  retenir.  »  Bien  qu'averti  à  deux 
reprises  encore,  Timarque  partit,  mais  il  échoua 
dans  son  entreprise  et  fut  condamné  à  mort.  A 
l'heure  du  supplice,  il  reconnut  trop  tard  qu'il 

(1)  En  grec  daïnion  signifie  génie  familier,  esprit. 


LA   MÉDIUMNITÉ    DE   JEANNE   d'aRG  93 

aurait  du  obéir  à  la  voix  :  «  0  Clitomaque  !  dit-il 
à  son  frère,  je  vais  mourir  pour  ne  pas  avoir 
voulu  m'en  tenir  à  ce  que  me  conseillait  Socrate.» 

Un  jour,  la  voix  avertit  le  sage  de  ne  pas  aller 
plus  loin  sur  une  route  qu'il  parcourait  avec  ses 
amis.  Ceux-ci  se  refusent  à  l'écouter;  ils  conti- 
nuent leur  marche  et  rencontrent  un  troupeau 
qui  les  renverse  et  les  piétine. 

Après  avoir  reconnu  bien  souvent  la  justesse 
des  conseils  qui  lui  étaient  dictés  par  cette 
voix,  Socrate  avait  toute  raison  de  croire  en  elle  ; 
il  rappelait  à  ses  amis  que,  «  leur  ayant  commu- 
niqué les  prédictions  qu'il  en  recevait,  on  n'avait 
jamais  constaté  qu'il  y  en  eût  d'inexactes  ». 

Rappelons  encore  la  déclaration  solennelle 
de  ce  philosophe  devant  le  tribunal  des  Ephètes, 
lorsque  s'agite  pour  lui  la  question  de  vie  ou 
de  mort  : 

«  Cette  voix  prophétique  du  démon^  qui  n'a  jamais 
cessé  de  se  faire  entendre  pendant  tout  le  cours  de 
mon  existence,  qui  n'a  jamais  cessé,  même  dans  les 
circonstances  les  plus  banales,  de  me  détourner  de 
tout  ce  qui  aurait  pu  me  causer  du  mal,  voilà  que  ce 
dieu  se  tait,  maintenant  qu'il  m'arrive  des  choses  qui 
pourraient  être  regardées  comme  le  pire  des  maux. 
Pourquoi  cela?  C'est  que,  vraisemblablement,  ce  qui 
se  passe  est  un  bien  pour  moi.  Nous  nous  trompons 
sans  doute, en  supposant  que  la  mort  est  un  malheur  /» 


94  JEANNE   d'arc   médium 

En  France  aussi,  nos  philosophes  ont  été  vi- 
sités par  l'Esprit:  Pascal  avait  des  heures  d'ex- 
tase; la  Recherche  de  la  Vérité^  deMalebranche, 
fut  écrite  en  pleine  obscurité  ;  et  Descartes  nous 
raconte  comment  une  intuition  soudaine,  ra- 
pide comme  l'éclair,  lui  inspira  l'idée  de  son 
Doule  méthodique^  système  philosophique  au- 
quel nous  devons  l'affranchissement  de  la  pen- 
sée moderne.  Dans  ses  Annales  médico-psy- 
chologiques (1),  Brierre  de  Boismont  nous  dit  : 
«  Descartes,  après  une  longue  retraite,  fut 
suivi  par  une  personne  invisible  qui  l'engageait 
à  poursuivre  les  recherches  de  la  vérité.  » 

Schopenhauer,  en  Allemagne,  reconnaît  éga- 
lement avoir  subi  l'influence  de  l'Au-delà  : 
«  Mes  postulats  philosophiques,  dit-il,  se  sont 
produits  chez  moi  sans  mon  intervention,  dans 
les  moments  où  ma  volonté  était  comme  en- 
dormie... Aussi  ma  personne  était  comme  étran- 
gère à  l'œuvre.  » 

Presque  tous  les  poètes  de  renom  ont  joui  d'une 
assistance  invisible.  Dans  le  nombre,  citons 
seulement  (2)  :  le  Dante  et  le  Tasse,  Schiller  et 
Goethe,  Pope  (3),  Shakespeare,  Shelley,  le  Ca- 


(1)  1851,  p.  543. 

(2)  V.  LÉON  Denis,  Dans  rinuisible,ch!xp.  XXVI,  La  Médium- 
nité  glorieuse. 

(3)  Pope  écrivait,  dit-il  lui-même,  sous  l'inspiration  des 


LA   MÉDIUMNITÉ    DE   JEANNE    d'aRC  95 

moëns,  Victor  Hugo,  Lamartine,  Alfred  de  Mus- 
set (1),  etc. 

Parmi  les  peintres  et  les  musiciens,  Raphaël, 
Mozart,  Beethoven  et  d'autres  trouveraient  ici 
leur  place,  car,  sans  cesse,  l'inspiration  se  dé- 
verse en  flots  puissants  sur  l'humanité. 

On  dit  souvent  :  «  Ces  idées  sont  dans  Pair.  » 
Elles  y  sont,  en  efFet,  parce  que  les  âmes  de 
l'espace  les  suggèrent  aux  hommes.  C'est  là 
qu'il  faut  chercher  la  source  des  grands  mou- 
vements d'opinion  dans  tous  les  domaines.  Là 
aussi  est  la  cause  des  révolutions  qui  boulever- 
sent un  pays  pour  le  régénérer. 

Il  faut  donc  le  reconnaître  :  le  phénomène  de 
la  médiumnité  remplit  les  âges.  Toute  l'his- 
toire s'éclaire  de  sa  lumière.  Tantôt,  il  se  con- 
centre sur  une  personnalité  éminente  et  brille 
d'un  vif  éclat,  c'est  le  cas  de  Jeanne  d'Arc.  Tan- 
tôt, il  est  disséminé,  réparti  sur  un  grand 
nombre  d'interprètes,  comme  à  notre   époque. 

La  médiumnité  a  été  souvent  l'inspiratrice 
du  génie,  l'éducatrice  de  l'humanité,  le  moyen 
que  Dieu  emploie  pour  élever  et  transformer 

Esprits.  Ses  œuvres  renferment  des  prédictions,  concernant 
l'avenir  de  l'Angleterre,  qui  se   sont  déjà  réalisées,  et  d'au- 
tres qui  attendent  leur  réalisation. 
(1)  Parlant  de  sa  façon  d'écrire,  Musset  disait  : 

«  On  ne  travaille  pas,  on  écoute,  on  attend. 

C'est  comme  un  inconnu  qui  vous  pfnie  à  l'oreille.  » 


96  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

les  sociétés.  Au  quinzième  siècle,  elle  a  servi  à 
tirer  la  France  de  l'abîme  de  maux  où  elle  était 
plongée. 

Aujourd'hui,  c'est  comme  un  souffle  nouveau 
qui  passe  sur  le  monde,  et  vient  rendre  la  vie 
à  tant  d'âmes  endormies  dans  la  matière,  à 
tant  de  vérités  qui  gisent  dans  Tombre  et  dans 
l'oubli  ! 

Les  phénomènes  de  vision,  d'audition,  les 
apparitions  de  défunts,  les  manifestations  des 
invisibles  par  l'incorporation,  l'écriture,  la  typ- 
tologie,  etc.,  se  font  innombrables;  ils  se  mul- 
tiplient chaque  jour  autour  de  nous. 

Les  enquêtes  de  plusieurs  sociétés  d'études, 
les  expériences  et  les  témoignages  de  savants 
éminents  et  de  publicistes  de  premier  ordre, 
dont  nous  avons  cité  les  noms,  ne  laissent  au- 
cun doute  sur  la  réalité  de  ces  faits.  Ils  ont  été 
observés  dans  des  conditions  qui  défient  toute 
supercherie.  Nous  en  citerons  seulement  quel- 
ques-uns des  plus  récents,  parmi  ceux  qui  pré- 
sentent des  analogies  avec  les  faits  empruntés 
à  la  vie  de  Jeanne  d'Arc. 

Il  y  a  d'abord  les  voix  : 

Dans  Hiiman  Personality,  F.  Myers  nous  entretient 
de  celle  entendue  par  Lady  Caidly,  dans  une  circon- 
stance où  sa  vie  était  en  danger. 


LA  MÉDIUMNITÉ    DE   JEANNE    d'aRG  97 

François  Coppée  parle  également  d'une  voix  mys- 
térieuse qui  l'appelait  par  son  nom  à  certains  mo- 
ments assez  graves  de  sa  vie,  lorsque,  une  fois  cou- 
ché, il  était  tenu  éveillé  par  ses  préoccupations: 
«  Assurément  je  ne  dors  pas  dans  ce  moment-là, 
affirme-t-il  ;  et  la  preuve,  c'est  que,  malgré  la  grosse 
émotion  et  le  battement  de  cœur  que  j'éprouve  alors, 
j'ai  toujours  immédiatement  répondu  :  «  Qui  est  là? 
«  Qui  me  parle  ?  »  Mais  jamais  la  voix  n  a  rien  ajouté 
à  son  simple  appel  (i).  » 

Au  mois  de  mai  1897,  M.  Wiltshire  fut  réveillé  de 
très  grand  matin  par  l'appel  de  son  nom,  prononcé 
par  une  personne  invisible.  La  voix  insistant,  lui 
donna  l'impression  d'un  danger  immédiat  aux  envi- 
rons. Il  finit  par  se  lever  et  sortir  ;  il  arriva  juste  à 
temps  pour  sauver  la  vie  d'une  jeune  fille,  qui  avait 
tenté  de  se  noyer  (2). 

Dans  la  Revue  scientifique  et  morate  du  Spiri- 
tisme (S),  le  docteur  Breton,  médecin  de  la  marine  et 
président  de  la  Société  des  Études  psychiques  de 
Nice,  rapporte  le  fait  suivant  : 

«  Mlle  Lolla,  jeune  fille  russe,  étant  dans  une  ha- 
bitation de  campagne  de  sa  famille  en  Russie,  rêve 
qu'elle  voit  entrer  dans  sa  chambre  sa  mère,  qui  lui 
crie:  «  Lolla,  n'aie  pas  peur,  le  feu  esta  la  grange I  » 
La   nuit  suivante,  Mlle  Lolla   est  brusquement  ré- 

(1)  Voir  Dans  VInvisible,  pp.  185-186,  et  le  |ournal  le  Matin 
7  octobre  1901. 

(2)  Revue  scientifique  el  morale  du  Spiritisme,  juin  1908. 

(3)  Juillet  1909. 


98  JEANNE   d'arc  MEDIUM 

veillée  par  sa  mère,  qui,  pénétrant  dans  sa  chambre, 
lui  crie:  «  LoUa,  n'aie  pas  peur,  le  feu  est  à  la 
«  grange  !  »  exactement  les  mêmes  paroles  entendues 
en  rêve.  Mlle  Lolla  se  marie,  elle  épouse  M.  de  R., 
officier  russe.  Son  beau-père  meurt.  Quelque  temps 
après,  la  jeune  Mme  de  R.  accompagne  sa  belle- 
mère  pour  aller  au  cimetière,  dans  une  chapelle  de 
famille,  prier  sur  la  tombe  du  défunt.  Agenouillée 
et  priant,  elle  entend  distinctement  une  voix  qui  lui 
dit  :  «  Toi  aussi,  tu  seras  veuve,  mais  lu  n'auras  pas 
«  la  consolation  de  venir  prier  sur  la  tombe  de  mon 
«  fils.  »  La  jeune  femme,  en  entendant  cette  voix, 
s'évanouit  ;  sa  belle-mère  vient  à  son  secours,  et 
bientôt,  revenant  à  elle,  elle  raconte  la  cause  de  son 
émotion.  » 

La  guerre  russo-japonaise  éclate.  Le  colonel  de 
R.  reçoit  l'ordre  de  partir.  Il  succombe  en  Mand- 
chourie.  Son  corps,  mis  en  bière,  est  transporté, 
avec  d'autres,  à  Moukden,  afin  d'être  expédié  en 
Russie.  «  Mais  le  détachement  qui  les  transportait 
dut  les  abandonner  pendant  la  retraite  générale  de 
l'armée  russe.  Malgré  de  nombreuses  recherches,  on 
ne  put  jamais  savoir  ce  que  ces  corps  étaient  deve- 
nus. 

«  La  prophétie  de  l'Esprit,  père  du  colonel  de  R., 
s'était  accomplie  :  la  jeune  veuve  ne  pourra  jamais 
prier  sur  la  tombe  de  son  mari.  » 

Parlons  maintenant  des  apparitions.  Les  exem- 
ples n'en  sont  pas  rares  de  nos  jours   et,  dans 


LA    MÉDIUMNITÉ    DE    JEANNE    d'aRG  99 

certains  cas,  on  a  pu  en  établir  Tauthenticité  au 
moyen  de  la  photographie. 

La  Revue  du  i5  janvier  1909  contient  un  récit  de 
M.  W.  Stead  relatif  à  un  fait  de  ce  genre.  Le  grand 
publiciste  anglais  est  connu  autant  par  sa  loyauté 
que  par  son  courage  et  son  désintéressement.  A  l'oc- 
casion, si  la  vérité  l'exige,  il  sait  tenir  tête  à  toute 
l'Angleterre.  On  sait  comment,  au  mépris  de  ses 
intérêts  personnels,  oubliant  les  nombreux  milHons 
dont  il  devait  hériter  de  Gecil  Rhodes,  il  osa  citer 
publiquement  ce  dernier  comme  un  des  artisans 
responsables  de  la  guerre  sud-africaine.  Il  alla  jus- 
qu'à demander  qu'on  lui  appliquât  la  peine  des  tra- 
vaux forcés  (hard  labour). 

Au  cours  de  cette  même  guerre,  W.  Stead  se  ren- 
dit chez  un  photographe  fort  ignorant,  mais  doué  de 
la  seconde  vue,  pour  voir  ce  qu'il  en  obtiendrait, 
car  l'étude  du  monde  occulte  a  pour  lui  beaucoup 
d'attraits.  Avec  Stead,  le  photographe  vit  entrer 
une  apparition  qui  s'était  déjà  présentée,  quelques 
jours  auparavant,  dans  son  atelier.  Il  fut  convenu 
qu'on  essayerait  de  la  photographier  en  même  temps 
que  l'écrivain.  Pendant  l'opération,  à  une  question 
qui  lui  fut  posée,  le  personnage,  invisible  aux  yeux 
humains,  dit  s'appeler  Piet  Botha.  Parmi  tous  les 
Botha  connus  de  W.  Stead,  il  n'y  en  avait  aucun 
portant  ce  prénom.  Sur  la  photographie  se  dressait 
en  efTet,  à  ses  côtés,  la  figure  très  nette,  tout  à  fait 
caractéristique,  d'un  Boer. 


100  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

Lorsque,  la  paix  conclue,  le  général  Botha  vint  à 
Londres,  W.  Stead  lui  envoya  l'image  obtenue.  Dès 
le  lendemain,  il  vit  arriver  chez  lui  un  des  délégués 
du  Sud-Africain,  M.  Wessels.  Celui-ci,  fort  intrigué, 
lui  dit  :  «  Cet  homme-là  ne  vous  a  jamais  connu  I  II 
n'a  jamais  mis  le  pied  en  Angleterre!  C'est  un  de 
mes  parents,  j*ai  son  portrait  chez  moi.  »  —  «  Est-il 
mort?  »  demanda  Stead.  —  «  Il  fut  le  premier  com- 
mandant boer  tué  au  siège  de  Kimberley,  lui  répon- 
dit son  interlocuteur,  Petrus  Botha,  mais  nous  l'ap- 
pelions Piet  pour  abréger.  » 

A  la  vue  de  la  photographie,  les  autres  délé- 
gués des  États  libres  reconnurent  aussi  le  guerrier 
boer. 

Parfois,  et  c'est  une  des  plus  fortes  raisons 
qui  militent  en  faveur  de  leur  authenticité, 
les  apparitions  se  montrent  à  de  tout  jeunes 
enfants,  incapables  d'aucun  calcul,  d'aucune 
fraude. 

Les  Annales  des  Sciences  psychiques  du  i^^'-iô  fé- 
vrier 1909  citent  plusieurs  faits  analogues.  Dans 
l'un,  c'est  une  fillette  de  deux  ans  et  demi  qui 
revoit,  à  diverses  reprises  et  en  différents  endroits, 
sa  petite  sœur,  morte  quelque  temps  auparavant,  et 
lui  tend  la  main.  Dans  l'autre  cas,  une  enfant  de 
trois  ans  aperçoit,  au  moment  du  décès  de  son  petit 
frère,  une  de  ses  tantes  défuntes  et  court  vers  elle,  la 
suivant  dans  ses  déplacements. 


LA   MÉDIUMNITÉ    DE   JEANNE   d'aRG  101 

On  lit  encore  dans  Brierre  de  Boismont  {Annales 
médico-psychologiques,  i85i)  (i)  : 

«  Un  jeune  homme  de  dix-huit  ans,  n'ayant  au- 
cune tendance  enthousiaste,  romanesque  et  supers- 
titieuse, habitait  Ramsgate  pour  sa  santé.  Dans  une 
promenade  à  l'un  des  villages  voisins,  il  entra  dans 
une  église,  à  la  chute  du  jour,  et  fut  frappé  de  ter- 
reur en  apercevant  le  spectre  de  sa  mère,  morte 
quelques  mois  auparavant  d'une  maladie  de  lan- 
gueur fort  douloureuse,  qui  avait  excité  la  compas- 
sion des  assistants.  La  figure  se  tenait  entre  lui  et  la 
muraille,  et  elle  resta,  pendant  un  temps  considé- 
rable, immobile.  Il  regagna  son  logis  à  demi  éva- 
noui; la  même  apparition  ayant  eu  lieu  dans  sa 
chambre  plusieurs  soirées  consécutives,  il  se  sentit 
malade  et  se  hâta  de  se  rendre  à  Paris,  où  son  père 
demeurait.  En  même  temps  il  prit  la  résolution  de 
ne  pas  lui  parler  de  la  vision,  de  peur  d'ajouter  à  la 
douleur  dont  l'avait  accablé  la  perte  d'une  femme 
adorée. 

«  Obligé  de  coucher  dans  la  chambre  de  son  père, 
il  fut  surpris  d'y  trouver  une  lumière  qui  brûlait 
toute  la  nuit,  ce  qui  était  opposé  à  leurs  habitudes 
et  tout  à  fait  antipathique  à  leurs  goûts.  Après  plu- 
sieurs heures  d'insomnie  causée  par  l'éclat  de  la  lu- 
mière, le  fils  sortit  de  son  lit  pour  l'éteindre.  Le 
père  s'éveilla  aussitôt  dans  une  grande  agitation  et 
lui  ordonna  de  la  rallumer,  ce  qu'il  fil,  très  étonné 

(1)  Des  Hallucinations  compatibles  avec  la  raison,  pp.  215- 
246. 

6. 


102  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

de  la  colère  de  son  père  et  des  signes  de  terreur  em- 
preinte sur  ses  traits.  Lui  ayant  demandé  le  motif 
de  son  effroi,  il  n'en  reçut  qu'une  réponse  vague  et 
la  promesse  qu'il  lui  en  ferait  connaître  la  cause. 

«  Une  semaine  au  plus  s'était  écoulée  depuis  cet 
événement,  lorsque  le  jeune  homme,  ne  pouvant 
dormir  par  le  malaise  que  lui  occasionnait  la  lu- 
mière, se  hasarda  une  seconde  fois  à  l'éteindre  ; 
mais  le  père  s'élança  presque  aussitôt  de  son  lit, 
agité  d'un  grahd  tremblement,  le  gronda  de  sa  dé- 
sobéissance, et  ralluma  la  lampe.  Il  lui  avoua  alors 
que,  toutes  les  fois  qu'il  était  dans  l'obscurité,  le 
fantôme  de  sa  femme  lui  apparaissait,  restait  immo- 
bile et  ne  s'évanouissait  que  lorsque  la  lumière  avait 
été  de  nouveau  allumée. 

«  Ce  récit  fit  une  forte  impression  sur  l'esprit  du 
jeune  homme  et,  craignant  d'augmenter  le  chagrin 
de  son  père  en  lui  racontant  l'aventure  de  Rams- 
gate,  il  quitta  peu  de  temps  après  Paris  et  se  rendit 
dans  une  ville  de  l'intérieur,  à  soixante  milles  de 
distance,  pour  voir  son  frère  qui  y  était  en  pension, 
et  auquel  il  n'avait  pas  fait  part  de  ce  qui  lui  était 
arrivé  à  lui-même,  dans  la  crainte  du  ridicule. 

((  Il  était  à  peine  entré  dans  la  maison  et  avait 
échangé  les  politesses  d'usage,  lorsque  le  fils  du 
maître  de  pension  lui  dit  :  «  Votre  frère  a-t-il  jamais 
«  donné  des  preuves  de  folie?  Il  est  descendu  la  nuit 
«  dernière  en  chemise,  hors  de  lui,  déclarant  qu'il 
«  avait  vu  l'esprit  de  sa  mère,  qu'il  n'osait  plus  retour- 
«  ner  dans  sa  chambre,  et  il  s'est  évanoui  de  frayeur.  » 


LA    MÉDIUMNITÉ    DE   JEANNE    d'aRC  103 

Nous  pourrions  ajouter  beaucoup  de  faits  du 
même  ordre.  Les  habitants  de  l'espace  ne  né- 
gligent aucun  moyen  de  se  manifester  et  de  nous 
démontrer  les  réalités  de  la  survivance.  Les 
grands  Esprits  ont  une  prédilection  marquée 
pour  le  phénomène  de  l'incorporation,  car  il 
leur  permet  de  se  révéler  avec  une  conscience 
plus  entière  et  des  ressources  intellectuelles 
plus  étendues.  Le  médium,  plongé  dans  le 
sommeil  par  une  action  magnétique  invisible^ 
abandonne  pour  quelques  instants  son  orga- 
nisme à  des  Entités  qui  s'en  emparent,  et  entrent 
en  rapport  avec  nous  par  la  voix,  le  geste,  l'at- 
titude. Leur  langage  est  parfois  si  suggestif, 
si  imposant,  qu'on  ne  saurait  garder  aucun  doute 
sur  leur  caractère,  leur  nature,  leur  identité. 
S'il  est  facile  d'imiter  les  phénomènes  physi- 
ques, tels  que  les  tables  parlantes,  l'écriture  au- 
tomatique, les  apparitions  de  fantômes,  il  n'en 
est  pas  de  même  des  faits  d'ordre  intellectuel 
élevé.  On  n'imite  pas  le  talent,  encore  moins  le 
génie.  Nous  avons  été  souvent  témoin  de  scènes 
de  ce  genre,  et  elles  ont  laissé  en  nous,  chaque 
fois,  une  impression  profonde.  Vivre,  ne  fût-ce 
qu'un  moment,  dans  l'intimité  des  grands 
Etres,  est  une  des  rares  félicités  dont  on  puisse 
jouir  sur  la  terre.  C'est  par  cette  médiumnité 
de  l'incorporation  que  nous  avons  pu  communi- 


104  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

quer  avec  les  Esprits-guides,  avec  Jeanne  elle- 
même,  et  recevoir  d'eux  les  enseignements,  les 
révélations  que  nous  avons  consignés  en  nos 
ouvrages. 

Toutefois,  si  cette  faculté  est  une  source  de 
jouissances  pour  les  expérimentateurs,  elle 
offre  peu  de  satisfaction  au  médium  lui-même, 
car  il  ne  conserve,  au  réveil,  aucun  souvenir  de 
ce  qui  s'est  passé  durant  son  absence  du  corps. 

La  médiumnité  existe  à  Fétat  latent  chez  une 
foule  de  personnes.  Partout,  autour  de  nous, 
parmi  les  jeunes  filles,  les  jeunes  femmes,  les 
jeunes  hommes,  germent  des  facultés  subtiles, 
s'élaborent  des  fluides  puissants,  qui  peuvent 
servir  de  liens  entre  le  cerveau  humain  et  les 
intelligences  de  l'espace.  Ce  qui  nous  manque 
encore,  ce  sont  les  écoles  et  les  méthodes  né- 
cessaires pour  développer  ces  éléments  avec 
science  et  persévérance,  et  les  mettre  en  valeur. 
L'absence  de  préparation  méthodique  et  d'étude 
patiente,  ne  permet  pas  de  tirer  de  ces  germes 
tous  les  fruits  de  vérité  et  de  sagesse  qu'ils 
pourraient  donner.  Trop  souvent,  faute  de  sa- 
voir et  de  travail  régulier,  ils  se  dessèchent  ou 
ne  donnent  que  des  fleurs  empoisonnées. 

Mais,  peu  à  peu,  voici  qu'une  science  et  une 
croyance  nouvelles  naissent  et  se  propagent, 
apportant  à  tous  la  connaissance  des  lois  qui 


LA    MÉDIUMNITÉ    DE   JEANNE    d'aRC  105 

régissent  l'univers  invisible.  On  apprendra  bien- 
tôt à  cultiver  ces  facultés  précieuses,  à  faire 
d'elles  les  instruments  des  grandes  Ames,  dé- 
positaires des  secrets  de  l'Au-delà.  Les  expé- 
rimentateurs renonceront  aux  vues  étroites, 
aux  procédés  routiniers  d'une  science  vieillie  ; 
ils  s'attacheront  à  mettre  en  œuvre  les  pouvoirs 
de  l'esprit  par  la  pensée  élevée,  moteur  su- 
prême, trait  d'union  qui  relie  les  mondes  di- 
vins aux  sphères  inférieures,  et  un  rayon  d'en 
haut  viendra  féconder  leurs  recherches.  Ils 
sauront  que  l'étude  des  grands  problèmes  phi- 
losophiques, la  pratique  du  devoir,  la  dignité 
et  la  droiture  de  la  vie  sont  les  conditions  es- 
sentielles du  succès.  Si  la  science  et  la  méthode 
sont  indispensables  en  matière  d'expérimenta- 
tion psychique,  les  élans  généreux  de  l'âme  par 
la  prière  n'ont  pas  moins  d'importance,  car  ils 
constituent  l'aimant,  le  courant  fluidique  qui 
attire  les  puissances  bienfaisantes  et  éloigne 
les  influences  funestes.  Toute  la  vie  de  Jeanne 
le  démontre  surabondamment. 

Le  jour  où  toutes  ces  conditions  seront  réu- 
nies, le  nouveau  spiritualisme  entrera  pleine- 
ment dans  la  voie  de  ses  destinées.  A  l'heure 
où  tant  de  croyances  vacillent  sans  le  souffle 
des  passions,  et  où  l'âme  humaine  s'enlise  dans 
la  matière,  au  milieu  de  l'afTaissement  général 


106  JEANNE   D  ARC   MÉDIUM 

des  caractères  et  des  consciences,  il  deviendra 
un  moyen  de  salut,  une  force,  une  foi  vivante  et 
agissante,  qui  reliera  le  ciel  à  la  terre,  et  em- 
brassera lésâmes  et  les  mondes  dans  une  com- 
munion éternelle  et  infinie. 


V.  —  Vaucouleurs. 


Je  pars.  Adieu,  vous  que  j'aimais! 

P.   ÂLLARD. 


Reprenons  le  cours  de  l'histoire  de  Jeanne. 
Nous  l'avons  vue  quitter  Domremy.  Dès  ce  jour, 
l'épreuve  va  surgir  sous  chacun  de  ses  pas.  Et 
cette  épreuve  sera  d'autant  plus  cruelle  qu'elle 
lui  viendra  de  ceux  dont  elle  doit  attendre 
sympathie,  affection,  secours.  On  peut  lui  appli- 
quer ces  paroles  :  «  Elle  est  venue  parmi  les 
siens,  et  les  siens  ne  la  connurent  pas  (1).  » 

Les  alternatives  pénibles  qui  l'assiégeront 
fréquemment  par  la  suite,  Jeanne  les  connut 
dès  le  début  de  sa  mission.  Elle,  si  soumise  à 
l'autorité  de  ses  parents,  si  attachée  à  ses  de- 
voirs, malç^ré  l'amour  qu'elle  porte  à  son  ipère, 
à  sa  mère,  elle  doit  enfreindre  leurs  ordres  et, 
clandestinement,  s'échapper  de  la  demeure  qui 
l'a  vue  naître. 

Son  père  avait  eu  en  songe  une  révélation  de 

(1)  Év.  selon  saint  Jean,  I,  11 


108  JEANNE  d'arc   MEDIUM 

ses  desseins.  Une  nuit,  il  rêva  que  sa  fille  quit- 
tait son  pays,  sa  famille,  et  partait  avec  des 
hommes  d'armes.  Il  en  fut  vivement  préoccupé 
et  en  parla  à  ses  fils,  leur  ordonnant,  plutôt 
que  de  la  laisser  s'en  aller  ainsi,  «  de  la  noyer 
dans  la  Meuse.  Et  si  vous  ne  le  faites  vous- 
mêmes,  ajoutait-il,  moi,  je  le  ferai  !  » 

Jeanne  avait  dû  dissimuler,  résolue  qu'elle 
était  «  d'obéir  à  Dieu  plutôt  qu'aux  hommes  ». 

A  Rouen,  ses  juges  lui  en  feront  un  grief  : 
((  Groyiez-vous  bien  faire,  lui  demandèrent-ils, 
en  partant  sans  le  congé  de  votre  père  et  de 
votre  mère  ?  —  J'ai  bien  obéi  à  mon  père  et  à 
ma  mère  pour  toutes  autres  choses,  hors  pour 
ce  départ.  Mais  depuis,  je  leur  en  ai  écrit,  et 
ils  m'ont  pardonné.  » 

Elle  montre  par  là  sa  déférence  et  sa  soumis- 
sion envers  ceux  qui  l'ont  élevée.  Pourtant  les 
juges  insistent  :  «  Quand  vous  avez  quitté  votre 
père  et  votre  mère,  ne  croyiez-vous  point  pé- 
cher ?  »  Jeanne  exprime  alors  toute  sa  pensée 
dans  cette  belle  réponse  :  «  Puisque  Dieu  le 
commandait,  il  fallait  le  faire.  Même  si  j'eusse 
eu  cent  pères  et  cent  mères  et  que  j'eusse  été 
fille  de  roi,  encore  serais-je  partie  (1)  !  » 


(1)  J.  Favre,  Procès  de  condamnation^  2^  interrogatoire  se- 
cret, p.  1H9. 


VAUCOULEURS  109 

Accompagnée  d'un  de  ses  oncles,  qu'elle  a 
pris  en  passant  à  Burey,  Durand  Laxart,  le  seul 
membre  de  sa  famille  qui  ait  cru  à  sa  vocation, 
le  seul  qui  l'ait  encouragée  dans  ses  projets, 
elle  se  présente  à  Robert  de  Baudricourt,  com- 
mandant de  Yaucouleurs  pour  le  dauphin.  Le 
premier  accueil  est  brutal.  Jeanne  ne  se  décou- 
rage pas.  Elle  a  été  prévenue  par  ses  voix.  Sa 
résolution  est  inébranlable  ;  rien  ne  peut  la  dé- 
tourner de  son  but.  Elle  l'affirme  en  termes 
énergiques  aux  bonnes  gens  de  Yaucouleurs: 
«  Avant  la  mi-carême,  il  faut  que  je  sois  devers 
le  roi,  dussé-je  user  mes  jambes  jusqu'aux  ge- 
noux !  »  Et  peu  à  peu,  à  force  d'insistances,  le 
rude  capitaine  prête  plus  d'attention  à  ses  propos. 

Comme  tous  ceux  qui  l'approchent,  Roberi 
de  Baudricourt  a  subi  l'ascendant  de  cette  jeune 
fille.  Après  l'avoir  fait  exorciser  par  Jean  Tour- 
nier,  curé  de  Yaucouleurs,  et  s'être  convaincu 
qu'il  n'y  a  rien  de  mauvais  en  elle,  il  n'ose  plus 
nier  sa  mission,  ni  accumuler  les  obstacles  sur 
sa  route.  11  lui  fait  donner  un  cheval,  une  es- 
corte. Déjà  le  chevalier  Jean  de  Metz,  subjugué 
par  l'ardente  conviction  de  Jeanne,  lui  avait 
promis  de  la  mener  au  roi.  «  Mais  quand  ?  » 
lui  avait-il  demandé.  Yivement,  elle  répondit  : 
«  Plutôt  maintenant  que  demain,  plutôt  demain 
que  plus  tard  !  » 

7 


110  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

Elle  part  enfin,  et  la  dernière  parole  du 
capitaine  de  Vaucouleurs  est  celle-ci  :  «  Va, 
et  advienne  que  pourra  !  »  Parole  tiède  et 
peu  encourageante.  Qu'importe  à  Jeanne  !  Ce 
n'est  pas  aux  voix  de  la  terre  qu'elle  prête 
l'oreille,  c'est  à  celles  d'en  haut,  et  ces  voix  la 
stimulent  et  la  soutiennent.  Dans  son  âme,  la 
force  et  la  confiance  grandissent  avec  les  in- 
certitudes et  les  périls  du  lendemain.  Aussi 
répétera-t-elle  souvent  ce  dicton  de  son  pays: 
c(  Aide-toi,  Dieu  t'aidera  !  »  L'avenir  est  mena- 
çant. Tout,  autour  d'elle,  est  cause  d'effroi.  Mais 
elle  possède  les  forces  divines  ! 

C'est  là  un  exemple  qu'elle  donne  à  tous  les 
pèlerins  de  la  vie.  La  route  de  l'homme  est 
semée  d'embûches  :  partout  des  ornières,  des 
pierres  aiguës,  des  ronces,  des  épines.  Pour 
les  franchir,  Dieu  a  mis  en  nous  les  ressources 
d'une  énergie  cachée  que  nous  pouvons  mettre 
en  valeur,  en  attirant  des  puissances  invi- 
sibles, ces  mystérieux  secours  d'en  haut,  qui 
centuplent  nos  forces  personnelles  et  assurent 
le  succès  dans  la  lutte.  Aide-toi  et  Dieu  t'ai- 
dera! 

Elle  part,  accompagnée  seulement  de  quel- 
ques hommes  de  cœur.  Elle  voyage  jour  et 
nuit.  Il  faut  franchir  cent  cinquante  lieues  à 
travers  des  provinces  ennemies,  pour  atteindre 


VAUCOULEURS  111 

Ghinon,  où  réside  le  dauphin  Charles,  qu'on 
nomme  par  dérision  le  roi  de  Bourges,  puisqu'il 
ne  règne  plus  que  sur  un  lambeau  de  royaume ,^ 
Charles  qui  oublie  sa  mauvaise  fortune  dans 
les  plaisirs,  au  milieu  des  courtisans  qui  le  tra- 
hissent et  pactisent  en  secret  avec  l'ennemi. 

Elle  doit  traverser  le  pays  bourguignon  ,^ 
allié  de  l'Angleterre,  cheminer  sous  la  pluie 
par  les  sentiers  détournés,  passer  à  gué  des  ri- 
vières débordées,  coucher  sur  le  sol  détrempé. 
Jeanne  n'hésite  jamais.  Ses  voix  lui  disent  sans- 
cesse  :  «  Ya,  fille  de  Dieu,  va,  nous  viendrons  à 
ton  aide  !  »  Et  elle  va,  elle  va,  en  dépit  des  obsta- 
cles, au  milieu  des  dangers.  Elle  vole  au  secours^^ 
d'un  prince  sans  espérance  et  sans  courage. 

Et  voyez  quel  mystère  admirable  !  C'est  une 
enfant  qui  vient  tirer  la  France  de  l'abîme^ 
Qu'apporte-t-elle  donc  avec  elle  ?  Est-ce  un  se- 
cours militaire  ?  une  armée  ?  Non,  rien  de  tout 
cela.  Ce  qu'elle  apporte,  c'est  la  foi  en  soi- 
même,  la  foi  en  l'avenir  de  la  France,  cette 
foi  qui  exalte  les  âmes  et  soulève  les  mon- 
tagnes. Que  dit  Jeanne  à  tous  ceux  qui  se  pres- 
sent sur  son  passage  ?  «  Je  viens  de  la  part  du 
Roi  du  ciel,  et  je  vous  apporte  le  secours  du 
ciel!  » 


YI.  —  Ghinon,  Poitiers,  Tours. 


Chemine  hardiment,  la  victoire  suivra. 
Paul  Allard. 

La  plupart  des  auteurs  pensent  que  Jeanne 
est  entrée  en  Touraine  par  Amboise,  en  suivant 
la  voie  romaine  qui  longe  la  rive  gauche  de  la 
Loire.  Elle  serait  venue  d'abord  de  Gien  à 
Blois,  par  la  Sologne.  Repartie  d'Amboise,  elle 
aurait  franchi  le  Cher  à  Saint-Martin-le-Beau, 
PIndre  à  Cormery,  puis  aurait  fait  halte  à 
Sainte-Gatherine-de-Fierbois,  où  se  trouvait  un 
sanctuaire  consacré  à  Tune  de  ses  saintes. 
D'après  une  vieille  tradition,  Gharles  Martel, 
ayant  vaincu  les  Sarrasins,  qu'il  extermina  dans 
les  bois  sauvages  au  milieu  desquels  s'élevait 
cette  chapelle  (feras  boscus^  Fierbois),  déposa 
son  épée  dans  cet  oratoire.  Reconstruit  en  1375, 
il  était  fréquenté  par  les  chevaliers  et  hommes 
d'armes,  qui,  pour  obtenir  la  guérison  de  leurs 
blessures,  formaient  le  vœu  de  s'y  rendre  en 
pèlerinage  et  d'y  déposer  leur  épée. 


'    CHINON,  POITIERS,  TOURS  113 

Sur  la  route,  on  avait  embusqué  une  troupe 
soudoyée  probablement  par  le  perfide  La  Tré- 
moille  et  chargée  d'enlever  Jeanne  ;  mais,  à  la 
vue  de  l'envoyée,  ces  bandits  restèrent  comme 
cloués  au  sol  (1). 

D'après  les  dépositions  identiques  de  Pou- 
lengy  et  de  Novelonpont,  le  voyage  de  Vaucou- 
leurs  à  Ghinon  s'effectua  en  onze  jours  ;  il  s'en- 
suit, dit  l'abbé  Bossebœuf,  qu'elle  y  arriva  le 
mercredi  23  février  (2).  Wallon,  Quicherat  et 
d'autres  disent  le  6  mars. 

Voici  la  ville  et  ses  trois  châteaux,  qui  se  con- 
fondent dans  une  longue  masse  grise  de  murs 
crénelés,  de  tours  et  de  donjons. 

A  son  entrée  dans  Ghinon,  la  petite  caravane 
avait  défilé  par  les  rues  escarpées,  entre  les 
maisons  gothiques  aux  façades  plaquées  d'ar- 
doises, décorées,  à  leurs  angles,  de  statuettes 
de  bois.  Et,  aussitôt,  sur  le  seuil  des  portes,  ou 
le  soir,  à  la  veillée,  devant  l'âtre  qui  flamboie, 
les  récits  merveilleux  circulent  de  bouche  en 
bouche  sur  la  jeune  fille  qui  arrive  des  marches 
de  Lorraine,  pour  accomplir  les  prophéties  et 
mettre  un  terme  à  l'insolente  fortune  des  An- 
glais. 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I,  pp.  150-151.  Dé- 
position du  frère  Seguin. 

(2)  Bulletin  de  la  Société  archéologique  de  Touraine,  t.  XII. 


114  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

Jeanne  et  son  escorte  prirent  gîte  «  chez  une 
bonne  femme,  près  du  château  »  (1),  sans  doute 
dans  la  maison  du  gentilhomme  Reignier  de  la 
Barre,  dont  la  veuve  ou  la  fille  reçut  la  Pu- 
celle  avec  joie  (2).  Elle  y  demeura  deux  jours 
sans  obtenir  d'audience  (3).  Plus  tard,  elle  logea 
au  château  même,  dans  la  tour  du  Coudray. 

Cette  audience  tant  désirée  lui  fut  accordée. 
C'était  le  soir.  L'éclat  des  torches,  le  bruit  des 
fanfares,  l'appareil  de  la  réception,  tout  cela  ne 
va-t-il  pas  l'éblouir,  l'intimider  ?  Non,  elle  vient 
d'un  monde  plus  brillant  que  le  nôtre.  Depuis 
longtemps,  elle  a  connu  des  magnificences  au- 
près desquelles  toute  cette  mise  en  scène  est 
bien  pâle.  Plus  loin  que  Domremy,  plus  loin  que 
la  terre,  en  des  temps  qui  ont  précédé  sa  nais- 
sance, elle  a  fréquenté  des  demeures  plus  glo- 
rieuses que  la  cour  de  Finance,  et  elle  en  a  con- 
servé l'intuition. 

Plus  vibrante  que  le  cliquetis  des  armes  et 
les  sonneries  des  trompettes,  elle  entend  une 
voix  qui  parle  en  elle  et  répète  :  Va,  fille  de 
Dieu,  je  suis  avec  toi  ! 

Parmi  mes  lecteurs,  certains  trouveront  ces 


(1)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnation,  p.  150. 

(2)  M.  DE  CouGNY,    Chinon  et   ses  monuments,   m-8,   1898, 
pp.  35-36. 

(3)  Procès.  Déposition  de  Dunois. 


CHINON,    POITIERS,    TOURS  115 

propos  étranges.  C'est  ici  l'occasion  de  dire, 
de  rappeler  que  Tesprit  existe  avant  le  corps, 
qu'il  a  parcouru,  avant  la  dernière  naissance 
terrestre,  de  vastes  périodes  de  temps,  habité 
bien  des  milieux,  et  qu'il  redescend  en  ce 
monde,  à  chaque  incarnation  nouvelle,  avec 
tout  un  bagage  de  qualités,  de  facultés,  d'apti- 
tudes, qui  proviennent  de  ce  passé  obscur,  par 
lui  traversé. 

Il  existe  en  chacun  de  nous,  dans  les  profon- 
deurs de  notre  conscience,  une  accumulation 
d'impressions  et  de  souvenirs,  résultant  de  nos 
vies  antérieures,  soit  sur  la  terre,  soit  dansTes- 
pace.  Ces  souvenirs  dorment  en  nous  :  le  lourd 
manteau  de  chair  les  étouffe  et  les  éteint;  mais 
parfois,  sous  l'impulsion  de  quelque  agent 
extérieur,  ils  se  réveillent  soudain,  les  intui- 
tions jaillissent,  des  facultés  ignorées  reparais- 
sent, et  nous  ledevenons,  pour  un  instant,  un 
être  différent  de  celui  qu'on  voyait  en  nous  (1). 

Vous  avez  remarqué,  sans  doute,  ces  plantes 
qui  flottent  à  la  surface  de  l'eau  dormante  des 
étangs.  C'est  là  une  image  de  l'âme  humaine. 
Elle  flotte  sur  les  profondeurs  sombres  de  son 
passé  ;  ses  racines  plongent  en  des  régions  in- 


(1)  Voir  :  Léon  Denis,  Problème  de  VÊlre  et  de  la  Destinée, 
pp.  240  et  suiv. 


113  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

connues  et  lointaines,  d'où  elle  tire  ces  sucs 
vivifiants,  cette  fleur  brillante  qui  va  éclore, 
se  développer,  s'épanouir  dans  le  champ  de  la 
vie  terrestre. 

Dans  l'immense  salle  du  château  où  Jeanne 
fut  introduite,  trois  cents  seigneurs,  chevaliers 
et  nobles  dames,  en  brillants  costumes,  étaient 
assemblés.  Quelle  impression  cette  vue  ne  dut- 
elle  pas  produire  sur  l'humble  bergerette  ! 
quel  courage  ne  lui  fallut-il  pas  pour  aff*ronter 
tous  ces  regards  licencieux  ou  inquisiteurs, 
cette  foule  de  courtisans  qu'elle  sentait  hostile  ! 

Il  y  avait  là  Regnault  de  Chartres,  chance- 
lier de  France,  archevêque  de  Reims,  prêtre  à 
l'âme  desséchée,  perfide  et  envieux  ;  la  Tré- 
moille,  le  grand  chambellan,  homme  jaloux, 
ombrageux,  qui  dominait  le  roi  et  intriguait  en 
secret  avec  les  Anglais;  le  dur  et  orgueilleux 
Raoul  de  Gaucourt,  grand-maître  de  l'hôtel  du 
roi  ;  le  maréchal  Gilles  de  Retz,  l'infâme  magi- 
cien plus  connu  sous  le  surnom  de  Barbe-Bleue  ; 
puis,  des  courtisanes  titrées,  des  prêtres  astu- 
cieux, avides.  Jeanne  sentait  planer  autour 
d'elle  une  atmosphère  d'incrédulité  et  de  mal- 
veillance. Tel  était  le  milieu  où  vivait  Char- 
les VII,  amolli  par  Pabus  des  plaisirs,  loin  de  la 
guerre,  parmi  ses  favoris  et  ses  maîtresses. 

Soupçonneux  et  défiant,  le  roi,  pour  éprou- 


CHINON,    POITIERS,    TOURS  il7 

ver  Jeanne,  avait  fait  occuper  son  trône  par  un 
courtisan  et  s'était  dissimulé  dans  la  foule.  Mais 
elle  va  droit  à  lui,  s'agenouille,  lui  parle  lon- 
guement à  voix  basse  ;  elle  lui  révèle  ses  pen- 
sées secrètes,  ses  doutes  sur  sa  propre  nais- 
sance, ses  hésitations  cachées,  et  le  visage  de 
ce  triste  monarque,  dit  la  Chronique,  s'illu- 
mine d'un  rayon  de  confiance  et  de  foi  (1).  Les 
assistants,   étonnés,  comprirent  qu'un    phéno- 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabililalion.  Témoignage  du  cham- 
bellan Guillaume  Gouffier,  t.  II,  p.  286.  Pierre  Sala,  auteur 
des  Hardiesses  des  grands  rois  et  empereurs,  ouvrage  publié 
en  1516,  tenait  du  chambellan  Guillaume  Gouffier,  seigneur 
de  Boisy,  «  le  secret  qui  avait  été  entre  le  roi  et  la  Pucelle. 
Étant  très  aimé  de  ce  roi,  —  dit  Pierre  Sala,  —  il  en  avait 
reçu  les  confidences.  Le  roi  se  trouvait  si  bas  qu'il  ne 
savait  plus  que  faire  et  ne  faisait  que  penser  au  remède  de 
sa  vie,  étant,  de  ses  ennemis,  enclos  de  tous  côtés.  Il 
entra  un  matin  en  son  oratoire,  tout  seul  ;  et  là,  il  fit  une 
humble  requête  et  prière  à  Notre-Seigneur  dedans  son 
cœur,  sans  prononciation  de  paroles,  où  il  requérait  dévote- 
ment que,  s'il  était  vrai  héritier  du  royaume  de  France,  il  lui 
plût  de  le  lui  garder  ou,  au  pis,  de  lui  faire  la  grâce  d'échap- 
per et  de  se  sauver  en  Espagne  ou  en  Ecosse.  » 

La  Pucelle,  ajoute  en  substance  P.  Sala,  ayant  eu  révéla- 
tion de  ces  choses  aux  champs,  les  répéta  au  roi  dès  qu'elle 
lui  fut  présentée,  le  réconfortant  et  lui  affirmant  de  la  part 
de  Dieu  qu'il  était  vrai  fils  du  roi  et  héritier  de  la  cou- 
ronne de  France. 

Voir  manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale  ;  suppléments 
français,  n°  191.  M.  J.  Quicherat  cite,  avec  Sala,  dépositaire 
des  confidences  du  sire  de  Boisy,  deux  autres  versions 
tout  à  fait  concordantes  ;  ap.  Procès,  t.  IV,  pp.  257,  272,279. 

Voir  aussi  la  très  importante  lettre  d'Alain  Chartier,  ap. 
Procès,  t.  V,  p.  133. 

7. 


418  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

mène    extraordinaire   venait    de    se    produire. 

Et  cependant,  «  nul  ne  se  rencontra  qui  pût 
croire  que  le  sort  du  plus  fier  royaume  de  la 
chrétienté  était  remis  à  de  telles  mains,  ni  que 
le  faible  bras  d'une  pauvre  fille  de  village  fût 
réservé  pour  accomplir  une  tâche  où  avaient 
échoué  les  conseils  des  plus  sages  et  le  courage 
des  plus  forts  »  (1).  Il  fallut  encore  endurer  bien 
des  humiliations,  subir  Pexamen  de  matrones 
attestant  sa  pureté.  Envoyée  à  Poitiers,  Jeanne 
y  paraîtra  devant  une  commission  d'enquête, 
composée  d'une  vingtaine  de  théologiens  dont 
deux  évéques,  ceux  de  Poitiers  et  de  Mague- 
lonne. 

«  C'était  un  beau  spectacle,  dit  Alain  Ghar- 
tier,  qui  écrivait  sous  l'impression  même  de  la 
scène,  que  de  la  voir  disputer,  femme  contre 
les  hommes,  ignorante  contre  les  docteurs, 
seule  contre  tant  d'adversaires.  » 

Toutes  ses  réparties  dénotent  une  grande 
vivacité  d'esprit  et  un  à  propos  surprenant. 
Elle  éclatait,  à  tout  moment,  en  saillies  impré- 
vues et  originales,  qui  réduisaient  à  néant  les 
pitoyables  objections  de  ses  examinateurs.  Le 
procès-verbal  des  interrogatoires  de  Poitiers 
a  été  détruit.  Certains  historiens  en  font  peser 

(1)  DuPANLOUP,  Panégyrique  de  Jeanne  d'Arc,  1855. 


CHINON,    POITIERS,    TOURS  119 

la  responsabilité  sur  les  agents  de  la  couronne 
de  France,  qui  montrèrent  tant  d'ingratitude  et 
d'indifférence  coupable  envers  la  Pucelle,  pen- 
dant sa  longue  captivité.  Il  ne  nous  reste  qu'un 
résumé  des  conclusions  auxquelles  aboutirent 
les  docteurs  appelés  à  donner  leur  opinion  sur 
Jeanne  (1).  «  En  elle,  disent-ils,  on  ne  trouve 
point  de  mal,  fors  que  bien,  humilité,  virginité, 
dévotion,  honnêteté,  simplesse  (2).  » 

Nous  possédons  en  outre  les  témoignages 
du  procès  de  réhabilitation.  Le  P.  Seguin,  de 
Tordre  des  Frères  prêcheurs,  s'exprimait  ainsi, 
avec  simplicité  et  bonhomie  :  «  Moi  qui  parle, 
je  demandai  à  Jeanne  quel  idiome  parlait  sa 
voix.  —  «  Un  meilleur  que  le  vôtre  »,  me  répon- 
dit-elle. Et,  en  effet,  je  parle  limousin.  L'inter- 
rogeant derechef,  je  lui  dis  :  «  Croyez-vous  en 
Dieu  ?»  —  «  Oui,  mieux  que  vous  »,  me  répon- 
dit-elle (3).  » 

Un  autre  de  ses  juges  de  Poitiers,  Guillaume 
Aimery,  lui  objectait  :  «  Vous  dites  que  Dieu 
vous  a  promis  la  victoire  et  vous  demandez  des 
soldats.  A  quoi  bon  des  soldats,  si  la  victoire  est 
assurée  ?  —  En  nom   Dieu,    répliqua  Jeanne, 


(1)  Manuscrit  7301  de  la  Bibliothèque  na'rionale. 

(2)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I,  p.  170. 

(3)  Id.,  Ibid.,  t.  I.  Déposition  du  frère  Seguin. 


120  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

les  soldats  batailleront,  et  Dieu  donnera  la  vic- 
toire (1).  » 

Et  quand  on  lui  demande  des  signes,  c'est- 
à-dire  des  miracles  :  «  Je  ne  suis  pas  venue  à 
Poitiers  pour  y  donner  des  signes.  Mais  menez- 
moi  à  Orléans  et  je  vous  montrerai  les  signes 
pour  quoi  je  suis  envoyée  (2).  » 

De  nouveau,  on  lui  fait  subir  l'examen  d'un 
conseil  de  matrones,  présidé  par  la  reine  de 
Sicile,  pour  constater  sa  virginité. 

Sortie  triomphante  de  toutes  ces  épreuves, 
il  lui  fallut  attendre  plus  d'un  mois  encore  pour 
marcher  aux  Anglais.  C'est  seulement  à  l'heure 
où  la  situation  d'Orléans  devient  désespérée, 
que  Dunois  obtient  qu'on  l'envoie,  comme  der- 
nière ressource,  à  la  tête  d'un  convoi  de  vivres. 


Jeanne  vint  d'abord  à  Tours  pour  y  faire  pré- 
parer son  armure  et  son  étendard.  La  ville  était 
en  proie  à  une  vive  agitation.  Les  habitants  s'y 
employaient  activement  à  des  travaux  de  dé- 
fense. Dès  le  l/i  octobre  lZi28,  le  maréchal  de 
Gaucourt,  bailli  d'Orléans  et  grand-maître  de 


(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabililation,  t.  I,  p.  152. 

(2)  Ibid.,  p.  153. 


CHINON,    POITIERS,    TOURS  121 

rhôtel  du  roi,  les  informait  que  les  Anglais 
avaient  mis  le  siège  devant  Orléans  et  qu'ils  se 
proposaient  ensuite  de  marcher  sur  Tours  (1). 
La  cité  se  mettait  en  mesure  de  résister.  De 
toutes  parts,  dit  le  texte,  «  maczons,  bessons, 
hommes  de  bras  »,  déployaient  une  activité  fé- 
brile. On  travaillait  avec  ardeur  à  redresser  les 
boulevards,  on  creusait  et  élargissait  les  fos- 
sés, on  réparait  et  appareillait  les  ponts.  Sur  les 
tours  et  les  remparts,  on  établissait  des  gué- 
rites en  bois  pour  les  veilleurs.  On  pratiquait 
des  «  canonnières  »  dans  les  murs  d'enceinte. 
Bombardes  et  couleuvrines,  boulets  de  pierre, 
poudre  à  canon,  tout  ce  qui  constituait  l'artil- 
lerie  de  l'époque,  était  emmagasiné  dans  la  ville. 
L'ennemi  pouvait  venir  :  on  saurait  lui  ré- 
pondre. 

L'antique  cité  des  Turones  avait  alors  une 
grande  importance.  On  l'appelait  la  seconde 
Rome,  à  cause  de  ses  nombreuses  églises,  de 
ses  monastères  et  surtout  du  pèlerinage  de 
Saint-Martin,  où  l'on  venait  de  tous  les  points 
de  la  chrétienté.  Pour  nous  rendre  compte  de 
sa  situation  à  l'époque  de  Jeanne  d'Arc,  mon- 
tons, par  la  pensée,  sur   une   des  tours  de  la 


(1)  Voir  Registres  des  Comptes  de  la  ville  de  Tours,  t.  XXIV, 
ei  Bulletins  de  la  Société  archéologique  de  Touraine,  t.  XII. 


122  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

collégiale  de  Saint-Martin,  sur  la  tour  Charle- 
magne,  par  exemple,  conservée  jusqu'à  nos 
jours,  et  qui  renferme  le  tombeau  de  Luitgarde, 
femme  de  Gharlemagne,  d'où  elle  tire  son 
nom. 

L'aspect  de  la  ville,  à  vol  d'oiseau,  sera,  à  peu 
de  chose  près,  celui  que  nous  offriraient  toutes 
les  grandes  cités  françaises  du  moyen  âge,  c'est 
pourquoi  il  convient  de  s'y  arrêter  quelques 
instants. 

L'enceinte  formait  quatre  lignes  continues  de 
murailles  et  de  tours.  A  l'intérieur  des  murs, 
c'était  tout  un  labyrinthe  de  rues  étroites  et  de 
places  étranglées,  bordées  de  longues  files  de 
maisons  aux  pignons  en  ogive  et  aux  toits  den- 
telés, avec  des  étages  surplombant  les  uns  sur 
les  autres,  des  statuettes  accolées  aux  portes, 
des  solives  sculptées,  de  hautes  lucarnes  et  des 
vitres  de  couleur.  Pour  compléter  cet  ensemble 
si  pittoresque,  de  grandes  enseignes  en  fer, 
découpées  en  formes  bizarres,  remplacent  les 
numéros  des  maisons  et  se  balancent  au  vent. 
Les  unes  ont  un  sens  historique  ou  héraldique, 
les  autres  emblématique,  commémoratif  ou  re- 
ligieux. Voici,  par  exemple,  dans  la  Grand'Rue, 
les  enseignes:  «  à  la  Licorne  »,  «  à  la  Pie  », 
«  aux  Patenôtres  d'or  »,  «  à  l'Ane  qui  veille  »  ; 
place   Saint-Martin:    «  au  Singe  qui   prêche», 


CHINOxX,    POITIERS,    TOURS  123 

«au  Ghat-Huant  »;  rue  de  la  Rôtisserie  :  «  aux 
Trois  Tortues  »,  etc.  (1). 

Du  point  élevé  où  nous  sommes,  considérez 
cette  forêt  de  pignons  aigus,  de  clochers,  de 
murailles  d'où  émergent  les  trois  masses  de  la 
cathédrale,  dont  le  vaisseau  principal  seul  est  à 
peu  près  achevé,  mais  dont  les  tours  ne  s'élèvent 
encore  qu'à  dix  ou  vingt  mètres  au-dessus  du 
sol,  l'abbaye  de  Saint-Julien  et  la  masse  bien 
plus  imposante  de  la  collégiale  de  Saint-Mar- 
tin, dont  il  ne  reste  aujourd'hui  que  deux  tours. 

A  nos  pieds,  la  ville  entière,  avec  ses  cin- 
quante églises  ou  chapelles,  ses  huit  grands 
cloîtres  enclos  de  murs,  ses  nombreuses  hôtel- 
leries et  hôtels  nobles  ;  toute  une  foret  de  flè- 
ches, d'aiguilles,  de  clochetons,  de  tourelles  en 
fuseaux,  de  hautes  cheminées  gothiques.  Puis, 
le  dédale  des  rues  qui  se  croisent  et  s'entre- 
croisent, et  les  carrefours  étroits,  encombrés 
de  peuple  et  de  chevaux.  Prêtez  l'oreille  aux 
bruissements,  à  la  rumeur  de  la  cité  qui  mon- 
tent jusqu'à  vous.  Écoutez  le  tintement  des 
heures  qui  sonnent  à  tous  les  clochers. 

Faites  luire  sur  cet  ensemble  un  clair  rayon 
de  soleil  ;  contemplez  le  fleuve  aux  reflets 
changeants  ;   au  loin,  les  coteaux^  couverts  de 

(1)  Docteur  Giraudet,  Histoire  de  la  ville  de  Tours. 


124  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

vignes  et  les  grandes  forêts  qui  couvrent  les 
deux  plateaux,  surtout  au  sud,  et  dont  les 
masses  profondes  forment  un  cadre  de  verdure 
à  la  cité  qui  s'étale  au  fond  de  la  vallée.  Consi- 
dérez tout  cela,  et  vous  vous  ferez  une  idée  de 
ce  qu'était  la  ville  de  Tours,  le  jour  où  Jeanne 
d'Arc  y  fit  son  entrée,  suivie  de  sa  maison  mi- 
litaire (1). 

D'après  la  déposition  de  son  page,  Louis  de 
Contes,  au  procès,  elle  y  prit  gîte  chez  une 
dame  nommée  Lapau  (2).  Suivant  le  témoignage 
de  son  aumônier,  Jean  Pasquerel,  ce  fut  chez 
le  bourgeois  Jean  Dupuy  (3).  Ces  contradictions 
ne  sont  qu'apparentes.  En  effet,  le  seigneur 
tourangeau  Jehan  du  Puy  avait  pour  femme 
Éléonore  de  Paul,  et  le  peuple,  ami  de  ces  alté- 
rations, déforma  ce  nom.  Yolande,  reine  d'Ara- 
gon et  de  Sicile,  avait  donné  Éléonore  pour 
dame  d'honneur  à  sa  fille,  Marie  d'Anjou,  reine 
de  France.  «  Elle  était  angevine,  dit  M.  de 
Beaucourt  dans  son  Histoire  de  Charles  F// (4), 
et  avait    peut-être    été  élevée    avec  la  jeune 


(1)  Celle-ci  était  composée  de  Jean  d'Aulon,  son  écuyer, 
des  deux  chevaliers  qui  l'avaient  accompagnée  depuis  Vau- 
couleurs,  de  deux  pages  et  de  ses  deux  frères,  Jean  et 
Pierre  d'Arc,  qui  étaient  venus  la  rejoindre. 

(2)J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I,  p.  208. 

(3)  Ibid.,  p.  217. 

(4)  T.  II,  p.  183. 


CHINON,    POITIERS,    TOURS  125 

princesse.  »  Priés  par  la  reine  Yolande  d'hé- 
berger l'étrangère,  qu'elle  prenait  sous  sa  pro- 
tection, Jean  du  Puy,  qui  était  conseiller  du  roi 
et  échevin,  et  son  épouse  la  reçurent  dans  leur 
hôtel,  situé  près  de  l'église  de  Saint-Pierre-le- 
Puellier,  et  que  beaucoup  d'archéologues  croient 
reconnaître  dans  la  maison  dite  de  Tristan  (1). 

C'est  à  Tours  que  le  frère  Pasquerel,  alors 
lecteur  au  couvent  des  Augustins  de  la  ville, 
fut  attaché  au  service  de  Jeanne  en  qualité  d'au- 
mônier (2).  Il  la  suivra  fidèlement  jusqu'à  sa 
capture  à  Compiègne,  un  an  plus  tard. 

Ce  fut  aussi  à  Tours  que  la  vaillante  enfant 
reçut  son  équipement  militaire,  son  épée  et  sa 
bannière.  Sur  ses  indications,  un  armurier  de 
la  ville  alla  chercher  l'épée  déposée  par  Charles 
Martel  à  Sainte-Catherine-de-Fierbois.  Elle 
était  enterrée  derrière  l'autel,  et  personne  au 
monde  ne  connaissait  sa  présence    en  ce  lieu. 

(1)  D'autres  archéologues  sont  d'avis  que  la  maison  ac- 
tuelle, rue  Briçonnet,  date  seulement  du  règne  de  Char- 
les VIII  et  a  été  bâtie  sur  l'emplacement  de  celle  habitée 
par  la  Pucelle. 

(2)  Au  mois  d'octobre  1905,  après  des  remaniements  im- 
portants faits  dans  la  disposition  intérieure  de  l'immeuble 
situé  47,  rue  des  Halles,  on  put  se  convaincre  de  l'existence, 
en  cet  endroit,  de  la  chapelle  de  Jeanne  d'Arc  qui  faisait 
partie  du  couvent  des  religieux  Augustins,  et  où  elle 
aimait  à  se  rendre  pour  prier. 

Louis  DE  Saint-Gildas. 
{Touraine  Républicaine,  20  oct.  1905.) 


126  JEANNE    D  ARC   MÉDIUM 

Mais,  pour  l'héroïne,  cette  épée  sortira  de  la 
poussière  des  siècles,  et,  de  nouveau,  chassera 
l'étranger. 

Un  autre  armurier  de  Tours  fabriqua  pour 
Jeanne  une  armure  étincelante  de  blancheur  (1). 

Suivant  les  instructions  de  ses  voix,  Jeanne 
se  fît  faire,  par  un  artiste  tourangeau,  une  ban- 
nière blanche  qui  devait  servir  d'étendard  et  de 
signe  de  ralliement.  Elle  était  bordée  de  franges 
de  soie  et  portait,  avec  Pimage  de  Dieu  bénissant 
les  fleurs  de  lis,  la  devise  «  Jhésus  Maria  »  (2). 
L'héroïne  ne  séparait  jamais  la  cause  de  la 
France  de  celle,  plus  haute,  de  l'inspiration 
divine,  d'où  découlait  sa  mission. 

Jeanne  partit  de  Tours  vers  le  25  avril  l/i29, 
pour  se  rendre  à  Blois,  où  l'attendaient  les 
chefs  de  guerre  et  le  gros  de  l'armée.  Douze 
jours  après,  date  d'impérissable  mémoire,  elle 
gagnait  la  bataille  des  Tourelles  et  faisait  lever 
le  siège  d'Orléans. 

(1)  D'après  les  comptes  de  M«  Hémon  Régnier,  trésorier 
des  guerres,  publiés  par  Quicherat  {Procès  de  Jeanne 
d'Arc,  t.  V,  p.  158),  il  fut  payé  «  au  maistre  armurier,  pour 
ung  harnois  complet  pour  la  dite  Pucelle,  cent  livres  tour- 
nois ».  (Environ  600  francs  de  notre  monnaie.) 

(2)  Dans  les  mêmes  registres  du  trésorier  des  guerres  se 
lit  la  mention  suivante  :  «  Payé  à  Hannes  Poulvoir,  paintre 
demeurant  à  Tours,  pour  avoir  paint  et  baillé  estoffes  pour 
ung  grand  estendard  et  ung  petit  4)our  la  Pucelle,  25  livres 
tournois.  » 


CHINON,    POITIERS,    TOLliS  127 

Lorsqu'elle  quitta  Tours,  toute  la  population 
était  massée  dans  les  rues,  sur  les  places,  pour 
la  voir  et  l'acclamer.  Elle  caracolait  gentiment 
sur  son  beau  cheval  de  guerre,  dans  sa  blanche 
armure,  étincelante  aux  feux  du  matin.  Sa  ban- 
nière à  la  main,  Tépée  de  Fierbois  au  côté,  elle 
était  toute  rayonnante  d'espoir  et  de  foi  ;  on  eût 
cru  voir  l'ange  des  combats,  comme  un  mes- 
sager céleste  ! 


VII.  —  Orléans. 


Entrant  dans  Orléans,  qu'elle  était  grande  et  belle  ! 
Les  soldats  frémissants  se  pressaient  autour  d'elle. 
Les  mères  lui  tendaient  leurs  enfants  à  bénir, 
Et  tous  se  prosternaient  en  la  voyant  venir. 

Paul  Allard. 


Le  voyage  de  Tours  à  Orléans  fut  une  longue 
ovation.  Partout,  Jeanne  sème  l'allégresse  sur 
son  passage.  Si  les  courtisans  la  suspectent,  la 
dédaignent,  le  peuple  du  moins  croit  en  elle, 
en  sa  mission  libératrice.  Les  Anglais  eux-mêmes 
sont  frappés  de  stupeur.  Ils  restent  immobiles 
dans  leurs  retranchements,  lorsque  la  Pucelle 
passe  à  la  tête  de  l'armée  de  secours.  Les  habi- 
tants d'Orléans,  ivres  d'enthousiasme,  oublient 
le  péril,  sortent  des  murs,  se  portent  en  foule  à 
sa  rencontre.  D'après  un  témoin  oculaire,  «  ils 
se  sentoyent  jà  tous  reconfortez  et  comme 
desasiégez,  par  la  vertu  divine  qu'on  leur  avoit 
dit  estre  en  ceste  simple  pucelle,  qu'ilz  regar- 
doyent  moût  affectueusement,  tant  hommes, 
femmes  que  petis  enfans  (1).  » 

(1)  E.  Lavisse,  Histoire  de  France,  t.  IV,  p.  53. 


ORLÉANS  129 

Les  campagnes  de  Jeanne  sur  la  Loire  nous 
offrent  un  spectacle  unique  dans  l'histoire  :  les 
capitaines  de  Charles  VII,  les  Dunois,  les  La 
Hire,  les  Gaucourt,  les  Xaintrailles  marchent  à 
l'ennemi  sous  les  ordres  d'une  jeune  fille  de 
dix-huit  ans  ! 

Des  difficultés  sans  nombre  se  dressent.  Un 
cercle  de  bastilles  formidables  est  établi  par 
les  Anglais  autour  d'Orléans.  A  bref  délai,  c'est 
la  disette,  c'est  la  reddition  d'une  des  plus 
grandes  et  des  plus  fortes  places  du  royaume. 
On  a  devant  soi  les  meilleurs  soldats  de  l'An- 
gleterre, et  ils  sont  commandés  par  leurs  plus 
habiles  généraux,  ceux-là  mêmes  qui  viennent 
de  remporter  sur  les  Français  une  longue  série 
de  victoires.  Voilà  l'immense  obstacle  contre 
lequel  va  combattre  cette  jeune  fille.  Elle  a  bien 
avec  elle  des  braves,  mais  ils  sont  démoralisés 
par  tant  de  défaites  successives,  et  trop  mal 
organisés  pour  éviter  de  nouveaux  désastres. 

Une  première  attaque,  tentée  en  l'absence  de 
Jeanne  sur  la  bastille  Saint-Loup,  est  repous- 
sée. Avertie,  l'héroïne  s'élance  à  cheval  et  fait 
flotter  sa  bannière  ;  elle  électrise  les  soldats, 
et,  d'un  élan  puissant,  les  entraîne  à  l'assaut. 

«  C'était  la  première  fois,  —  dit  Anatole 
France,  dans  un  des  rares  passages  de  son 
oeuvre  où  il  sait  lui  rendre  justice,  —  c'était  la 


130  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

première  fois  que  Jeanne  voyait  des  gens  com- 
battre et,  sitôt  entrée  dans  la  bataille,  elle  en 
devint  le  chef,  parce  qu'elle  était  la  meilleure. 
Elle  fit  mieux  que  les  autres,  non  qu'elle  en  sût 
davantage  ;  elle  en  savait  moins.  Mais  elle  avait 
plus  grand  cœur.  Quand  chacun  songeait  à  soi, 
seule,  elle  songeait  à  tous  ;  quand  chacun  se 
gardait,  elle  ne  se  gardait  de  rien,  s'étant  offerte 
tout  entière  par  avance.  Et  cette  enfant,  qui, 
comme  toute  créature  humaine,  craignait  la 
souffrance  et  la  mort,  à  qui  ses  voix,  ses  pres- 
sentiments avaient  annoncé  qu'elle  serait  bles- 
sée, alla  droit  en  avant  et  demeura,  sous  les 
traits  d'arbalètes  et  les  plombées  de  couleu- 
vrines,  debout  au  bord  du  fossé,  son  étendard 
à  la  main,  pour  rallier  les  combattants  (1).  » 
Par  cette  attaque  vigoureuse,  elle  a  rompu  les 
lignes  anglaises.  Une  à  une,  les  bastilles  sont 
emportées.  En  trois  jours,  Orléans  est  délivré. 
Puis  les  combats  se  succèdent,  comme  une  série 
d'éclairs  dans  un  ciel  en  feu.  Chaque  attaque 
est  une  victoire.  C'est  Jargeau,  c'est  Meung, 
c'est  Beaugency  !  Enfin  à  Patay,  les  Anglais 
sont  battus  en  rase  campagne,  et  Talbot,  leur 
général,  est  fait  prisonnier.  Puis,  la  marche  sur 
Pieims,  et  Charles  VII  sacré  roi  de  France. 

(1)  A.  France,  Vie  de  Jeanne  d'Arc,  t.  I,  pp.  335-336. 


ORLÉANS  131 

En  deux  mois,  Jeanne  avait  réparé  tous  les 
désastres  :  reconstitué,  moralisé,  discipliné, 
transfiguré  l'armée  ;  elle  avait  relevé  tous  les 
courages.  «  iVvant  elle,  disait  Dunois,  deux 
cents  Anglais  mettaient  en  fuite  mille  Fran- 
çais ;  avec  elle,  quelques  centaines  de  Français 
font  reculer  une  armée  entière  (1).  »  Dans  le 
Mystère  du  siège ^  drame  populaire,  représenté 
pour  la  première  fois,  en  l/i56,  à  Orléans,  un 
des  acteurs  s'écrie  : 

«  Ung  de  nous  en  vaut  mieux  que  cent. 

Soubz  Festendart  de    la    Pucelle  (2).  » 

Certains  auteurs,  tel  M.  Thalamas  (3),  ont 
cru  pouvoir  dire  que  la  situation  d'Orléans  en 
l/i29  n'était  pas  aussi  grave  qu'on  l'assure  géné- 
ralement. Les  Anglais  étaient  peu  nombreux. 
Les  Bourguignons  s'étaient  retirés.  La  ville, 
bien  approvisionnée,  pouvait  résister  long- 
temps, et  les  Orléanais  étaient  capables  de  se 
délivrer  par  leurs  propres  efforts. 

Non  seulement  tous  les  historiens,  Michelet, 
Henri  Martin,  Wallon,  Lavisse,  etc.,  sont  una- 
nimes à  attester  la  situation  précaire  des  assié- 
gés,  mais  voici  l'opinion  d'un   autre  écrivain, 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I.  Déposition  de 
Dunois. 

(2)  Mystère  du  siège  d'Orléans,  v.  12,  232-233. 

(3)  Conférence  faite  à  Tours,  le  30  avril  1905. 


132  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

peu  suspect  de  partialité  envers  Jeanne.  Ana- 
tole France  écrit  :  «  Agités  de  doutes  et  de 
craintes,  brûlés  d'inquiétude,  sans  sommeil, 
sans  repos,  et  n'avançant  en  rien,  les  Orléanais 
commençaient  à  désespérer  (i).   » 

De  leur  côté,  les  Anglais  attendaient  de  nou- 
veaux renforts,  promis  parle  Régent.  Cinq  mille 
combattants  se  réunissaient  à  Paris,  sous  les 
ordres  de  sir  John  Falstolf,  avec  force  vivres, 
pour  marcher  au  secours  des  assiégeants  (2). 

Rappelons  en  outre  la  déposition  du  duc 
d'Alençon  au  procès  de  réhabilitation.  Il  parle 
des  bastilles  formidables  élevées  par  les  Anglais. 
«  Si  j'eusse  été,  dit-il,  dans  l'une  ou  dans  l'autre 
avec  un  petit  nombre  d'hommes  d'armes,  j'au- 
rais bien  osé  défier  la  puissance  d'une  armée  ; 
et  il  semble  bien  que  les  agresseurs  n'auraient 
pu  s'en  rendre  maîtres.  Au  reste,  ajoute-t-il,  les 
capitaines  qui  avaient  pris  part  aux  opérations 
m'ont  déclaré  que  ce  qui  s'était  fait  à  Orléans 
tenait  du  miracle  (3).  » 

A  ces  témoignages,  il  convient  d'ajouter  l'affir- 
mation d'un  des  assiégés,  Jean  Luillier,  notable 
commerçant  de    la  cité.   Il  s'exprimait  ainsi  : 


(1)  A.  France,  Vie  de  Jeanne  d'Arc,  t.  I,  p.  164. 

(2)  Ibid.,  p.  430.  (Ils  n'arrivèrent  que  pour  la  bataille  de 
Patay.) 

(3)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  1. 1,  p.  176. 


ORLÉANS  133 

«  Tous  mes  concitoyens  et  moi,  nous  croyons 
que  si  la  Pucelle  ne  fut  venue  à  notre  aide, 
nous  aurions  été  bientôt  au  pouvoir  des  assié- 
geants. Il  était  impossible  que  les  Orléanais 
pussent  longtemps  tenir  contre  les  forces  d'ad- 
versaires qui  avaient  si  grande  supériorité  (1).  » 

L'enthousiasme  des  habitants  donne  la  me- 
sure des  dangers  qu'ils  avaient  courus  :  après 
la  délivrance  de  leur  ville,  les  Orléanais  «  s'of- 
fraient à  Jeanne,  pour  qu'elle  fît  d'eux  et  de 
leurs  biens  à  sa  volonté,  »  nous  dit  le  Journal 
du  Siège  (2). 

Non  moins  probant  est  le  témoignage  que 
déposa,  sur  une  feuille  de  registre,  un  modeste 
tabellion  de  la  ville,  Guillaume  Girault.  Au  mi- 
lieu des  acclamations  de  la  France  entière,  il 
écrivait  que  cette  délivrance  était  le  «  miracle 
le  plus  évident  qui  adce  a  été  apparu,  puis  (de- 
puis) la  Passion  »  (3). 

Cette  partie  de  la  vie  de  Jeanne  est  riche  en 
phénomènes  de  prémonitions,  qu'il  faut  ajouter 
à  ceux  déjà  signalés. 

Ses  voix  lui  avaient  dit  qu'à  son  entrée  dans 


(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhahilitalion,  t.  I,  pp.  260-261.  Dépo- 
sition du  bourgeois  Jean  Luiliier. 

(2)  Pp.  91-92. 

(3)  J.  DoiNEL,  Mémoires  de  la  Société  historique    et  archéo- 
logique de    l'Orléanais,  1892,  t.  XXIV,  pp.  392-393. 


134  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

Orléans,  les  Anglais  ne  bougeraient  point.  Et  le 
fait  se  confirma. 

Les  chalands  qui  devaient  traverser  le  fleLve 
pour  embarquer  les  vivres,  ne  pouvaient  le  faire, 
le  vent  n'étant  pas  favorable.  Jeanne  dit  : 
«  Attendez  un  peu.  Tout  entrera  dans  la  ville.  » 
En  effet,  le  vent  tourna  et  gonfla  les  voiles  (1). 

Elle  n'éprouva  aucune  inquiétude  au  sujet  du 
maréchal  de  Boussac,  parti  au-devant  du  second 
convoi  de  vivres,  disant  :  «  Je  sais  bien  qu'il 
ne  lui  arrivera  aucun  mal.  »  Le  fait  se  réalisa 
exactement. 

Peu  à  peu,  l'allégresse  des  Orléanais  gagne 
toute  la  France.  A  mesure  que  les  victoires  de 
Jeanne  se  succèdent,  le  roi  les  annonce  à  ses 
bonnes  villes,  invitant  la  population  à  louer 
Dieu  et  à  honorer  la  Pucelle,  qui  «  avait  toujours 
été  en  personne  à  l'exécution  de  toutes  ces 
choses  »  (2). 

Partout  ces  nouvelles  sont  reçues  et  enregis- 
trées avec  une  joie  délirante,  et  le  peuple  voue 
à  l'héroïne  un  culte  qui  va  grandissant. 


(1)  Procès.  Déposition  de  Dunois.  —  Journal  du  Siège, 
pp.  74-75.  —  Chronique  de  la  Pucelle,  p.  284. 

(2)  Lettre  de  Charles  VII  aux  habitants  de  Narbonne, 
Procès,  t.  V,  pp.  101, 104.  —  Arcère,  Histoire  de  La  Rochelle. 
—  MoYNÈs,  Inventaire  des  Archives  de  l'Aude,  annexes» 
p.  390,  etc.  (d'après  A.  France). 


ORLÉANS  13^ 


Depuis  480  ans,  Orléans  fête  l'anniversaire  de 
ces  événements. 

Sur  l'invitation  gracieuse  du  maire,  il  m'a  été 
donné  d'assister  à  plusieurs  de  ces  solenni- 
t3S  (1).  Voici  les  notes  que  j'écrivais  alors,  sous 
l'impression  du  moment  ; 

Le  beffroi,  vieux  témoin  du  siège,  le  même 
qui  signalait  les  mouvements  des  Anglais,  tinte 
de  quart  d'heure  en  quart  d'heure.  Ses  vibra- 
tions sonores  s'étendent  sur  la  cité  ;  elles  glis- 
sent dans  les  rues  étroites  et  tortueuses  du  vieil 
Orléans,  pénètrent  au  fond  des  demeures,  ré- 
veillent dans  tous  les  cœurs  le  souvenir  de  la 
délivrance.  Bientôt,  à  son  appel,  toutes  les 
cloches  des  paroisses  s'ébranlent.  Leurs  voix 
de  bronze  montent  dans  l'espace  ;  elles  forment 
un  'puissant  concert,  que  dominent  les  notes 
graves  du  beffroi  et  qui  impressionne  l'âme 
rêveuse. 

Toute  la  ville  est  décorée,  pavoisée.  Des  ban- 
nières flottent  sur  les  édifices  ;  à  chaque  balcon, 


(1)  Notamment  de  1893  à  1905.  Le  programme  de  ces  fêtes 
ne  varie  pas  d'une  année  à  l'autre.  Seulement,  depuis  la 
séparation,  les  grands  corps  de  l'État  n'assistent  plus,  offi- 
ciellement, à  la  cérémonie  religieuse. 


136  fEANNE   d'arc   MÉDIUM 

à  chaque  fenêtre,  les  drapeaux  nationaux  se 
mêlent  aux  couleurs  et  aux  armes  de  la  Pucelle. 

La  foule  encombre  les  places  et  les  rues. 
Beaucoup  de  gens  des  environs  ;  mais  d'autres 
sont  venus  de  points  éloignés  de  la  France  et 
même  de  l'étranger.  Détail  significatif  :  des 
Anglais,  tous  les  ans,  viennent  en  nombre 
participer  aux  fêtes  de  la  vierge  lorraine.  On  y 
vit  le  cardinal  Vaughan,  archevêque  de  West- 
minster, figurer  au  milieu  des  prélats  français. 
Un  peuple  qui  agit  ainsi  n'est  pas  un  peuple 
sans  grandeur. 

Nulle  part,  le  souvenir  de  Jeanne  n'est  resté 
aussi  vivant.  A  Orléans,  tout  parle  d'elle. 
Chaque  coin  de  rue,  chaque  monument  rap- 
pelle un  détail  du  siège.  Pendant  quatre  siècles, 
la  France  a  méconnu  Jeanne.  Le  silence  et 
l'ombre  ont  enveloppé  sa  mémoire  ;  Orléans, 
seul,  n'a  pas  oublié. 

Dès  l/i30,  un  an  après  la  levée  du  siège,  la 
cérémonie  et  la  procession  commémoratives 
furent  instituées  et,  chaque  fois,  la  municipalité 
et  le  clergé,  dans  une  noble  émulation,  recher- 
chent les  moyens  de  donner  à  la  fête  un  nouvel 
attrait.  Spectacle  rare  et  touchant,  tous  les 
pouvoirs  s'unissent  pour  rendre  cette  manifes- 
tation plus  éclatante.  Le  souvenir  de  Jeanne, 
seul  aujourd'hui,  peut  refaire  l'union  dans  les 


ORLÉANS  137 

pensées  et  dans  les  cœurs,  comme  elle  refit 
l'unité  de  la  France,  à  l'heure  des  suprêmes 
désastres  et  de  l'écroulement. 

Le  soir  du  7  mai,  à  8  heures,  Jeanne,  victo- 
rieuse aux  Tourelles,  rentrait  dans  la  ville  assié- 
gée. Une  cérémonie  émouvante,  inoubliable, 
consacre  tous  les  ans  ce  souvenir.  Le  maire, 
précédé  de  la  bannière  de  l'héroïne,  blanche 
aux  fleurs  de  lis  d'or,  et  suivi  des  conseillers 
municipaux,  sort  de  l'Hôtel  de  Ville  et  vient, 
au  parvis  de  la  cathédrale,  remettre  l'étendard 
sacré  aux  mains  de  l'évêque,  entouré  de  son 
clergé  et  des  prélats  étrangers. 

Sous  un  ciel  noir  chargé  de  pluie,  la  basi- 
lique de  Sainte-Croix  dresse  ses  tours  massives. 
Les  troupes  forment  le  carré  ;  le  canon  gronde  ; 
le  beffroi,  le  bourdon  de  la  cathédrale,  les 
cloches  des  églises  sonnent  à  toute  volée.  Les 
portes  du  vaste  édifice  s'ouvrent  ;  le  cortège 
des  évêques  et  des  prêtres,  à  pas  lents,  franchit 
le  seuil  et  se  range  sous  les  porches  béants. 
Devant  eux,  les  bannières  de  saint  Aignan, 
saint  Euverte,  patrons  de  la  ville,  sont  dé- 
ployées. Les  mitres  et  les  crosses  brillent  à 
la  lueur  des  torches  portées  par  des  cavaliers. 
Des  feux,  subitement  allumés  à  l'intérieur  des 
tours,  les  éclairent  de  couleurs  fantastiques.  Une 
lumière  de  pourpre  se  répand  sur  les  rosaces, 

8. 


138  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

les  ogives,  sur  toute  la  dentelle  de  pierre  de  la 
façade,  sur  les  bannières  flottantes,  les  étoles  et 
les  surplis. 

Cinq  cents  voix  entonnent  VHymne  à  Véien^ 
dard  : 

Étendard  de  la  délivrance, 
A  la  victoire  tu  menas  nos  aïeux. 
Fils  de  ces  preux,  disons  comme  eux  : 
Vive  Jeanne  I  Vive  la  France  ! 

Un  frémissement,  un  souffle  puissant  passe 
sur  la  foule  attentive,  recueillie.  Les  fronts 
s'inclinent  devant  la  blanche  bannière  fleurde- 
lisée, qui  monte  lentement  les  degrés  et  dispa- 
raît sous  les  voûtes,  semblable  au  fantôme  de 
la  vierge  lorraine  revenant  dans  la  nuit  de  son 
anniversaire. 

Les  grilles  se  referment  ;  les  feux  s'éteignent; 
les  harmonies  se  taisent  ;  la  foule  s'écoule,  et 
la  basilique  demeure  sombre  et  silencieuse 
dans  la  nuit. 


8  mai,  10  heures.  Sous  les  rayons  du  soleil, 
la  cathédrale  déploie  sa  parure  d'oriflammes  et 
de  drapeaux.  La  décoration  intérieure  est  sobre 


ORLÉANS  139 

et  d'un  grand  effet.  De  hautes  bannières  rouge 
et  or,  les  couleurs  d'Orléans,  ornent  le  chœur. 
Aux  piliers  des  nefs  sont  suspendus  les  blasons 
du  Bâtard  et  des  autres  compagnons  de  la  Pu- 
celle.  A  la  hauteur  des  orgues,  dominant  le 
tout,  les  armes  de  Jeanne  (1),  dans  un  cadre 
virginal  de  blanches  étoffes.  Pas  une  place  ne 
reste  libre  dans  la  vaste  nef.  Toute  la  France  : 
armée,  magistrature,  clergé,  pouvoirs  munici- 
paux, bourgeois,  artisans,  est  représentée  dans 
cette  foule.  Les  gracieuses  toilettes  et  les  cha- 
peaux fleuris  des  jeunes  femmes  se  mêlent  aux 
uniformes  galonnés,  aux  robes  rouges  des  juges 
et  aux  habits  noirs  des  fonctionnaires. 

L'office  commence  par  la  Messe  à  la  mémoire 
de  Jeanne  d'Arc^  de  Gounod.  Les  fanfares 
guerrières  s'unissent  à  l'harmonie  des  orgues, 
puis,  un  chœur  de  jeunes  filles  chante  les  Voix 
de  Jeanne,  du  même  auteur.  Leurs  voix  pures 
descendent  de  la  haute  tribune,  semblables  à 
des  accents  célestes.  On  dirait  un  écho  des 
sphères  angéliques,  comme  une  évocation  de 
la  vierge  martyre  qu'on  sent  planer,  esprit  ra- 
dieux, sous  ces  voûtes.  Un  instant,  on  oublie 
la  terre,  ses  tristesses,  ses  douleurs.  L'impres- 

(1)  Ces  armes  sont:  d'azur  à  l'épée  d'argent,  à  la  garde 
d'or,  en  pal,  la  couronne  royale  d'or  à  la  pointe  ;  au  flanc, 
les  lis. 


140  JEANNE   d'arc  MÉDIUM 

sion  est  grandiose  et  profonde  ;  bien  des  yeux 
se  mouillent  de  larmes. 

J'élève  vers  Jeanne  ma  pensée,  ma  prière, 
et  un  rayon  de  soleil,  qui  filtre  à  travers  le  vi- 
trail armorié,  m'enveloppe  de  sa  lumière,  tandis 
que,  autour  de  moi,  l'ombre  couvre  la  foule 
pressée  des  auditeurs. 

Puis  vient  le  panégyrique,  prononcé  par 
Tévêque  d'Orléans.  Celui-ci  nous  ramène  sur 
la  terre.  Sa  parole  est  chaleureuse.  Il  expose  la 
situation  de  la  cité  au  cours  du  siège  : 

«  Certes,  dit-il,  elle  se  défend  bien,  la  noble  ville  ! 
Paris  est  ang-lais,  soit  :  Orléans  demeurera  français. 
Paris  n'est  que  la  tête  du  pays  :  Orléans  en  est  le 
cœur.  Tant  que  le  cœur  bat,  il  reste  de  l'espoir. 
Échevins,  peuple,  bourgeois,  clergé,  hommes  d'armes 
décident  de  mourir  plutôt  que  de  se  rendre.  On  brû- 
lera les  faubourgs  ;  on  démantèlera  les  égHses  ;  on  fera 
le  guet  de  jour,  de  nuit  ;  les  marchands  se  battront 
comme  si  c'était  leur  habituel  métier  ;  on  donnera  au 
roi  le  temps  d'envoyer  des  renforts  ;  et,  vive  Dieu  ! 
on  verra  bien  à  qui  la  fortune  des  batailles  sourira  I 

«  Hélas  !  le  roi  n'envoyait  ni  argent  ni  soldats  ; 
l'assiégeant  resserrait  ses  lignes  ;  les  bastilles  s'éle- 
vaient de  semaine  en  semaine  ,  les  vivres  s'épui- 
saient ;  la  faim,  l'horrible  faim,  sévissait  (i).  Encore 

(1)  Voir,  dans  le  Journal  du  Siège,  la  joie  avec  laquelle  est 
noté  le  moindre  arrivage  de  vivres. 


ORLÉANS  141 

quelque  demi-mois,  Orléans  succombera  ;  et  le  petit 
roi  de  Bourges  cessera  d'être  même  le  petit  roi  de 
Bourges  ;  et  la  France  descendra  à  ce  tombeau  où 
se  couchent  les  nations  mortes...  » 

Un  peu  après,  il  dépeint  l'ivresse  des  habi- 
tants après  les  victoires  de  Jeanne  : 

«  Ah  I  les  huit  jours  qui  suivirent  Patay,  comme 
il  dut  être  bon  de  les  vivre  !  Comme  le  renouveau 
dut  paraître  doux  et  la  nappe  de  notre  Loire  lumi- 
neuse, et  notre  Val  d'or  embaumé  !  Vous  représentez- 
vous  ces  visites  d'action  de  grâces  à  toutes  vos 
églises  ;  ces  chants  qui  ne  cessaient  plus  ;  ces  enthou- 
siasmes autour  des  héros  de  la  merveilleuse  épopée  ; 
ce  peuple  respirant  pour  la  première  fois  après  les 
oppressions  de  la  guerre  de  Cent  ans  ;  cette  ville,  en 
un  mot,  qui  s'acclamait  elle-même  dans  le  triomphe 
de  la  Pucelle  et  la  résurrection  de  la  Patrie  ?  » 

L'orateur  descend  de  la  chaire.  La  foule  se 
précipite  sur  le  parvis,  se  mêle  à  l'armée, 
parmi  les  évoques,  les  bannières  et  les  reliques, 
et  la  procession  traditionnelle  se  déroule,  longue 
de  deux  kilomètres,  sous  le  ciel  sans  nuages,  à 
travers  les  rues  pavoisées.  Elle  va  parcourir  les 
stations  de  victoire  que  Jeanne  fit  dans  Orléans 
assiégé. 

Sur  l'emplacement  du  fort  des  Tourelles,  une 
modeste  croix    rappelle    la    mémoire    de    celle 


142  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

qui,  dit  l'inscription,  «  par  sa  valeur,  sauva  la 
ville,  la  France  et  son  roi  ».  Là,  dernier  arrêt, 
pendant  lequel  le  canon  retentit  de  nouveau  et 
les  musiques  militaires  saluent  l'étendard.  Le 
cortège  revient  à  son  point  de  départ,  puis  se 
disperse.  La  foule  joyeuse  se  livrera  à  ses 
plaisirs,  pendant  que  les  véritables  amis  de 
Jeanne  iront  prier  et  méditer  à  l'écart. 


VIII.  —  Reims. 


«  Je  viens  rendre  au  dauphin  le 
royaume  de  France.  » 

Saint- Yves  d'Alveydre. 

La  prophétie  de  Jeanne  touchant  Orléans 
était  accomplie.  Restait  le  second  point  :  la 
marche  sur  Reims  et  le  sacre  de  Charles  VII. 
Sans  perdre  un  instant,  la  Pucelle  s'employa  à 
les  réaliser.  Elle  quitta  l'Orléanais  et  s'en  fut. 
relancer  le  dauphin  jusqu'au  fond  de  la  Tou- 
raine.  Elle  le  rejoignit  d'abord  à  Tours,  puis  le 
suivit  à  Loches,  le  pressant  sans  cesse  de  tout 
mettre  en  œuvre  pour  le  succès  de  cette  entre- 
prise hardie.  Mais  ce  prince  indolent,  faible  de 
volonté,  hésitait  entre  les  sollicitations  de  l'hé- 
roïne et  les  observations  de  ses  conseillers,  qui 
considéraient  comme  téméraire  de  risquer  un 
voyage  de  soixante  lieues,  à  travers  un  pays 
hérissé  de  forteresses  et  de  places  occupées  par 
l'ennemi.  A  leurs  objections,  Jeanne  répondait 
invariablement  :  «  Je  le  sais  bien.;  et  de  tout 
cela,  je  ne  tiens  compte.  Nous  réussirons  !  » 


144  JEANNE   d'arc   iMÉDIUM 

L'enthousiasme  du  peuple  et  de  l'armée  ga- 
gnait de  proche  en  proche.  On  s'écriait  qu'il 
fallait  mettre  à  profit  l'affolement  des  Anglais, 
qui  avaient  évacué  la  Loire  et  s'étaient  repliés 
sur  Paris,  abandonnant  bagages  et  artillerie. 
Jamais  ils  n'avaient  reçu  un  coup  si  rude.  Frap- 
pés de  terreur,  ils  croyaient  voir  dans  les  airs 
des  armées  de  fantômes  s'avancer  contre  eux. 

Le  bruit  de  ces  événements  retentissait  dans 
toute  la  France.  Avec  l'espoir,  l'énergie  se  ré- 
veillait. Le  courant  d'opinion  devint  tel,  que 
Charles  Vil  ne  put  persister  dans  son  indiffé- 
rence. 11  combla  d'honneurs  la  libératrice  et  sa 
famille,  mais  il  restait  sans  élan,  sans  courage. 
11  n'alla  pas  même  voir  les  Orléanais.  Ses  con- 
seillers influents  :  la  Trémoille  et  Regnault  de 
Chartres,  étaient  inquiets,  sourdement  irrités 
des  succès  de  Jeanne,  qui  les  reléguaient  dans 
l'ombre,  jaloux  d'un  prestige  qui  tournait  vers 
elle  l'attention  et  les  espérances  de  tous.  Ils  se 
demandaient  si  leur  crédit,  leur  fortune  n'al- 
laient pas  sombrer  dans  ce  grand  et  irrésistible 
courant  populaire,  qui  avait  fait  reculer  Pinva- 
sion  anglaise. 

Enfin  le  cri  public  se  changea  en  clameur  et 
il  fallut  céder.  Une  armée  de  12.000  combattants 
fut  réunie  à  Gien.  Les  gentilshommes  accou- 
raient de  toutes  parts,  et  ceux  qui  étaient  trop 


REIMS  145 

pauvres  pour  s'équiper,  demandaient  à  servir 
comme  hommes  de  pied.  On  partit  le  29  juin, 
avec  peu  d'argent,  peu  de  vivres  et  une  artille- 
rie insuffisante. 

Le  5  juillet,  on  arriva  devant  Troyes.  Laville_, 
très  forte^  bien  pourvue  et  défendue  par  une 
garnison  anglo-bourguignonne,  refusa  d'ouvrir 
ses  portes.  L'armée  française,  privée  de  res- 
sources, ne  pouvait  entreprendre  un  long  siège. 
Au  bout  de  quelques  jours,  les  soldats  étaient 
déjà  réduits  à  se  nourrir  des  fèves  et  du  blé  en 
épis  qu'ils  trouvaient  dans  les  champs. 

Le  roi  assembla  un  conseil  pour  délibérer 
sur  les  résolutions  à  prendre.  La  Pucelle  n'y 
fut  même  pas  convoquée.  Le  chancelier  fit  un 
exposé  de  la  triste  situation  où  l'on  se  trouvait, 
et  posa  la  question  :  L'armée  doit-elle  revenir 
en  arrière,  ou  continuer  sa  marche  sur  Reims  ? 
Chacun  des  assistants  devait  répondre  à  son 
tour.  Robert  le  Masson,  seigneur  de  Trèves- 
sur-Loire,  fit  observer  que  le  roi  n'ayant  entre- 
pris cette  expédition,  ni  parce  qu'elle  semblait 
facile,  ni  parce  qu'il  avait  une  armée  puissante 
et  Targent  nécessaire  pour  la  payer,  mais  bien 
parce  que  Jeanne  affirmait  que  c'était  la  volonté 
de  Dieu  et  qu'on  ne  trouverait  aucune  résis- 
tance, il  convenait  avant  tout  de  consulter  Thé- 
roïne.  Cette  proposition  fut  acceptée.  Au  même 


146  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

moment,  celle-ci,  déjà  prévenue  par  ses  voix, 
frappait  rudement  à  la  porte.  Elle  entra  et, 
s'adressant  au  roi,  lui  dit  :  «  Gentil  roi  de 
France,  si  vous  voulez  rester  seulement  deux 
jours  devant  votre  ville  de  Troyes,  elle  sera  en 
votre  obéissance,  par  force  ou  par  amour,  n'en 
faites  aucun  doute  !  »  Le  chancelier  répliqua  : 
«  Si  l'on  était  sûr  dans  six  jours,  on  attendrait 
bien  !»  —  «  N'en  doutez  pas  !  »  dit  encore 
Jeanne. 

Aussitôt,  elle  se  mit  à  parcourir  les  campe- 
ments pour  organiser  l'attaque,  communiquant 
à  tous  l'ardeur  dont  elle  était  animée.  La  nuit 
se  passa  en  préparatifs.  Du  haut  des  murailles 
et  des  tours,  les  assiégés  voyaient  le  camp  fran- 
çais en  proie  à  une  activité  fébrile.  A  la  lueur 
des  torches,  chevaliers,  écuyers,  soldats,  s'em- 
pressaient à  l'envi  à  combler  les  fossés,  à  pré- 
parer les  fascines  et  les  échelles,  à  construire 
des  abris  pour  l'artillerie.  Le  spectacle  était  fan- 
tastique et  impressionnant. 

Quand  l'aube  blanchit  l'horizon,  les  habitants 
de  Troyes  virent  avec  terreur  que  tout  était  dis- 
posé pour  un  assaut  furieux  :  les  colonnes  d'at- 
taque, rangées  sur  les  points  les  plus  favorables 
avec  leurs  réserves  ;  les  quelques  pièces  d'ar- 
tillerie, bien  abritées,  prêtes  à  ouvrir  le  feu  ; 
les  archers  et  arbalétriers,  à  leurs  postes  de 


REIMS  147 

combat.  Toute  l'armée,  rangée  en  silence,  atten- 
dait le  signal.  Debout  au  bord  du  fossé,  son 
étendard  à  la  main,  la  Pucelle  allait  faire  avan- 
cer les  trompettes  pour  sonner  Tassant.  Les 
assiégés,  saisis  d'épouvante,  demandèrent  à 
capituler. 

On  s'entendit  facilement  sur  les  conditions. 
Le  roi  avait  tout  intérêt  à  ménager  les  villes 
qui  voulaient  se  rendre.  Le  lendemain,  10  juil- 
let, la  garnison  anglaise  sortit  de  la  ville,  emme- 
nant quelques  prisonniers  de  guerre  français, 
dont  on  avait  oublié  de  régler  le  sort.  Ces  mal- 
heureux, apercevant  Jeanne,  se  jetèrent  à  ses 
pieds,  en  implorant  son  intervention.  Celle-ci 
s'opposa  énergiquement  à  leur  départ,  et  le  roi 
dut  payer  leur  rançon. 

A  l'exemple  de  Troyes,  Châlons  et  Reims 
ouvrirent  leurs  portes  à  Charles  VII. 

A  Châlons,  Jeanne  eut  la  joie  de  rencontrer 
plusieurs  habitants  de  Domremy,  qui  étaient 
venus  à  sa  rencontre,  et,  parmi  eux,  Gérardin, 
un  laboureur,  dont  le  fils,  Nicolas,  était  son  fil- 
leul. Elle  leur  ouvrit  sa  pensée  et  son  cœur, 
leur  exposant  ses  espérances  et  ses  craintes, 
leur  racontant  ses  luttes,  ses  victoires,  la  splen- 
deur du  sacre  prochain  et  le  relèvement  de  la 
France,  abaissée  et  meurtrie.  Près  de  ceshommes 
frustes  mais  bons,  qui  lui  apportaient  un  souve- 


148  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

nir  si  vif  de  son  enfance,  elle  se  sentait  à  l'aise 
^t  s'épanchait  tout  entière.  Elle  leur  disait  com- 
bien ces  gloires  la  laissaient  insensible,  et  quel 
plaisir  elle  aurait  à  retourner  au  village,  re- 
prendre sa  vie  paisible  et  ses  occupations  cham- 
pêtres, au  milieu  de  sa  famille.  Mais  sa  mission 
la  retenait  près  du  roi,  et  il  fallait  se  soumettre 
aux  volontés  d'en  haut.  La  lutte  contre  les  An- 
glais l'inquiétait  moins  que  les  intrigues  de 
cour  et  la  perfidie  des  grands  :  «  Je  ne  crains 
que  la  trahison,  »  leur  disait-elle  (l).Et,en  effet, 
c'est  par  trahison  qu'elle  devait  périr.  Pour  tout 
grand  missionnaire,  il  y  a  toujours  un  traître 
tapi  dans  Tombre,  qui  trame  sa  perte. 


Sur  l'azur  profond  du  ciel,  se  découpent  les 
hautes  tours  de  la  cathédrale  de  Reims,  déjà 
vieille  de  plusieurs  siècles  à  l'époque  de  Jeanne 
d'Arc.  Les  trois  portails  béants  laissent  entre- 
voir les  vastes  nefs  resplendissantes  de  la  lu- 
mière de  milliers  de  cierges,  où  se  presse  une 
foule  bigarrée  de  prêtres,  de  seigneurs,  d'hom- 
mes d'armes  et  de  bourgeois  en  habits  de  fête. 


(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhahililalion,    t.  I.  Déposition  de 
Gérardin. 


REIMS  149 

Les  vibrations  des  chants  sacrés  emplissent  les 
voûtes  et,  par  instants,  des  fanfares  guerrières 
éclatent  en  notes  stridentes. 

Les  confréries,  les  corporations,  leurs  em- 
blèmes en  tète,  tout  ce  qui  n'a  pu  trouver  place 
dans  la  basilique,  s'accumule  sur  le  parvis.  Une 
cohue  de  gens  du  peuple,  citadins  et  villageois 
des  environs,  assiège  les  abords  de  l'édifice, 
retenue  à  grand'peine  par  des  cavaliers  bardés 
de  fer,  et  par  des  archers  portant  costumes  aux 
armes  de  France.  Des  pages,  des  écuyers  tien- 
nent par  la  bride  les  magnifiques  montures  du 
roi,  des  pairs  et  des  chefs  de  guerre.  On  se 
montre  le  cheval  noir  de  la  Pucelle,  que  retient 
un  soldat  de  sa  suite. 

Pénétrons  sous  la  haute  nef  gothique  et  avan- 
çons jusqu'au  chœur.  Le  roi,  entouré  des  douze 
pairs  du  royaume,  laïques  et  ecclésiastiques,  ou 
de  leurs  suppléants,  et  du  connétable,  Charles 
d'Albret,  tenant  Tépée  de  France,  le  roi  vient 
d'être  armé  chevalier.  Près  de  lui,  debout, 
adossée  au  pilier  de  droite,  à  une  place  que  l'on 
montre  encore,  se  tient  Jeanne,  armée  en  guerre, 
son  blanc  étendard  à  la  main,  cet  étendard  qui, 
«  après  avoir  été  à  la  peine,  devait  être  à  l'hon- 
neur »  (1). 

(!)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnailon,  p.  189. 


150  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

Le  roi  reçut  Fonction  des  mains  de  l'arche- 
vêque de  Reims,  Regnault  de  Chartres.  Celui- 
ci  prit  sur  l'autel  la  couronne,  que  soutinrent 
les  douze  pairs,  les  mains  étendues  au-dessus 
de  la  tète  du  monarque.  Après  avoir  ceint  la 
couronne,  Charles  de  Valois  revêtit  le  manteau 
royal,  bleu,  parsemé  de  lis  d'or.  C'est  à  ce  mo- 
ment que  la  Pucelle,  dans  un  élan  ému,  se  jetant 
à  ses  pieds,  embrassa  ses  genoux  et  lui  dit  : 

«  Gentil  sire,  ainsi  est  fait  le  plaisir  de  Dieu, 
dont  la  volonté  fut  que  je  levasse  le  siège  d'Or- 
léans et  vous  amenasse  en  cette  cité  de  Reims, 
pour  y  recevoir  votre  digne  sacre,  afin  de  prou- 
ver que  vous  êtes  véritable  roi  et  héritier  de  la 
couronne  de  France.  » 

Les  trompettes  retentirent  de  nouveau  et  le 
cortège  se  forma.  Et  quand,  dans  l'ouverture 
du  grand  portail,  le  roi  apparut,  une  poussée 
immense  se  fit  dans  la  foule,  et  les  Noëls  !  écla- 
tèrent. 

Les  fanfares  font  vibrer  les  hautes  voûtes. 
Les  chants,  les  cris  joyeux  montent  dans  l'es- 
pace. Et,  à  leurs  appels,  répondent  des  milliers 
de  voix  invisibles.  Ils  sont  là,  tous  les  grands 
Esprits  de  la  Gaule,  pour  fêter  le  réveil  du  pays 
natal.  Ils  sont  là,  tous  ceux  qui  ont  aimé  et  servi 
jusqu'à  la  mort  le  noble  pays  de  France.  Us 
planent  au-dessus  de  la  foule  en  délire.  Voici 


REIMS  151 

Vercingétorix,  suivi  des  héros  de  Gergovie  et 
d'Alésia  !  Voici  Glovis  et  ses  Francs  !  Puis  Char- 
les Martel  et  ses  compagnons  !  Et  Charlemagne, 
le  grand  empereur  à  la  barbe  fleurie  ;  de  son 
épée,  Joyeuse,  il  salue  Jeanne  et  le  roi  Charles. 
Puis  Pioland  et  les  preux  !  Et  la  foule  innom- 
brable des  chevaliers,  des  prêtres,  des  moines, 
des  hommes  du  peuple,  dont  les  corps  reposent 
sous  les  lourdes  pierres  tombales  ou  dans  la 
poudre  des  siècles,  tous  ceux  qui  ont  donné 
leur  vie  pour  la  France.  Ils  sont  là  et  crient 
aussi  :  Noël  !  pour  fêter  la  résurrection  de  la 
patrie,  le  réveil  de  la  Gaule  !... 

Le  cortège  se  déroule  à  travers  les  rues 
étroites  et  les  places  étranglées.  A  côté  du  roi, 
chevauche  Jeanne,  tenant  sa  bannière;  puis 
viennent  les  princes,  les  maréchaux  et  les  ca- 
pitaines, tous  richement  vêtus,  montés  sur  de 
magnifiques  coursiers.  Pennons,  fanions,  ban- 
deroles flottent  au  vent.  Mais,  parmi  les  sei- 
gneurs aux  somptueux  costumes  et  les  guer- 
riers aux  armures  étincelantes,  tous  les  regards 
se  portent  avec  avidité  sur  la  jeune  fille  qui  les 
a  tous  conduits  dans  la  cité  du  sacre,  comme 
elle  l'avait  prédit  elle-même  dans  son  village, 
alors  qu'elle  n'était  encore  qu'une  simple  pay- 
sanne, une  petite  bergère  inconnue. 

Toute  la  ville  était  en  liesse.  On  était  venu  de 


152  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

fort  loin  au  couronnement.  Jacques  d'Arc,  père 
de  Jeanne,  était  arrivé  depuis  deux  jours  de 
Domremy  avec  Durand  Laxart.  Ils  logeaient  à 
l'auberge  de  l'Ane  rayé,  rue  du  Parvis.  Ce  fut 
une  scène  émouvante,  lorsque  l'héroïne,  accom- 
pagnée de  son  frère  Pierre,  revit  son  vieux 
père.  Elle  se  jeta  à  ses  genoux,  et  lui  demanda 
pardon  de  l'avoir  quitté  sans  son  assenti- 
ment, ajoutant  que  c'était  la  volonté  de  Dieu. 

Sur  les  instances  de  la  Pucelle,  le  roi  les 
reçut  et  accorda  aux  habitants  des  villages  de 
Greux  et  Domremy,  exemption  de  toutes  tailles 
et  impôts.  Les  dépenses  de  Jacques  d'Arc  furent 
payées  par  les  deniers  publics,  et  un  cheval  lui 
fut  donné  aux  frais  de  la  ville,  pour  retourner 
chez  lui. 

Jeanne  se  montra  par  les  rues,  accueillant 
avec  modestie  et  bonté  les  humbles,  les  sup- 
pliants. Le  peuple  se  pressait  autour  d'elle  ; 
tous  voulaient  toucher  ses  mains  et  son  anneau. 
Pas  un  qui  ne  fût  convaincu  qu'elle  était  venue 
de  par  Dieu,  pour  faire  cesser  les  calamités  du 
royaume.  Ceci  se  passait  le  dimanche  17  juillet 
1429,  et  cette  date  marque  le  point  culminant 
de  l'épopée  de  Jeanne  d'Arc. 

Toutefois,  Michelet  s'est  trompé  en  disant 
que  sa  mission  devait  prendre  fin  à  Reims,  et 
qu'elle  désobéit  à  ses  voix  en  continuant  la  lutte. 


REIMS  153 

Cette  assertion  est  démentie  par  les  propres 
paroles  de  Thérome,  par  ses  déclarations  aux 
examinateurs  de  Poitiers  et  aux  juges  de  Rouen. 
Elle  l'affirme  surtout  dans  sa  lettre  de  somma- 
tion aux  capitaines  anglais  devant  Orléans, 
datée  du  22  mars  : 

«  En  quelque  lieu  que  j'atteindrai  vos  gens  en 
France,  je  les  en  ferai  aller,  veuillent  ou  non  veuil- 
lent... Je  suis  venue  de  par  Dieu  pour  vous  bouter 
hors  de  toute  France  (i).  » 

Le  doute  n'est  donc  pas  possible.  La  version 
que  le  rôle  de  Jeanne  s'arrêtait  à  Reims,  n'a  été 
mise  en  avant  qu'au  moment  du  procès  de  réha- 
bilitation, afin  de  cacher  à  la  postérité  la  dé- 
loyauté, on  pourrait  dire  le  crime,  de  Char- 
les Yll  et  de  ses  conseillers,  afin  de  détourner 
les  lourdes  responsabilités  qui  pèsent  sur  eux. 
C'est  dans  ce  but  que  l'histoire  a  été,  par  leurs 
soins,  falsifiée,  mutilée,  les  témoignages  alté- 
rés, le  registre  des  interrogatoires  de  Poitiers 
détruit,  et  que  s'est  accompli  un  acte  odieux, 
une  œuvre  de  mensonge  et  d'iniquité  (2)  ! 


(1)  J.  Fabre  ,  Procès  de  condamnation,  p.  97. 

(2)  Jean  Chartier,  secrétaire  des  archives  royales,  nous 
dit  naïvement,  dans  son  histoire  de  Charles  VII,  que  «  des 
chroniques  nous  font  connaître  les  faits  choisis  par  le  roi 
pour  être  confiés  à  l'histoire,  dans  le  sens  et  le  jour  sous 

9. 


154  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

Ce  n'était  pourtant  pas  sans  appréhension, 
sans  regrets,  nous  l'avons  vu,  que  Jeanne  pour- 
suivit sa  route  ardue.  Quelques  jours  après, 
chevauchant  entre  Dunois  et  le  chancelier  Re- 
gnault  de  Chartres,  elle  disait  :  «  Que  je  vou- 
drais qu'il  plût  à  Dieu  que  je  m'en  retournasse 
maintenant,  quittant  les  armes,  et  que  je  revinsse 
servir  mon  père  et  ma  mère,  et  garder  leurs 
troupeaux  avec  ma  sœur  et  mes  frères,  qui  se- 
raient bien  aises  de  me  revoir  (1).  » 

Ces  paroles  le  démontrent  :  l'éclat  de  son 
triomphe  et  les  splendeurs  de  la  cour  ne  l'avaient 
point  éblouie.  Elle  était  parvenue  au  faîte  de  sa 
gloire.  Toutes  les  adorations  d'un  peuple  mon- 
taient vers  elle.  En  réalité,  elle  était  alors  la 
première  dans  le  royaume,  et  son  prestige  éclip- 
sait celui  de  Charles  YII.  Cependant,  elle 
n'aspirait  qu'à  la  paix  des  champs  et  aux  dou- 
ceurs du  foyer  paternel.  Ni  ses  victoires,  ni  la 
puissance  acquise  ne  l'avaient  changée.  Elle 
était  restée  simple  et  modeste  au  milieu  des 
grandeurs.  Quelle  leçon  pour  ceux  que  le 
moindre  succès  enivre,  enfle  d'orgueil,  à  qui 
les  faveurs  de  la  fortune  donnent  le  vertige  ! 


lequel  il  entendait  qu'ils  fussent  appréciés  ».  Ce  fut  le  roi 
qui  fit  dire  par  ses  scribes  que  la  mission  de  Jeanne  s'ar- 
rêtait à  Reims. 
(1)  Procès  de  réhabUilaîion.  Déposition  de  Dunois. 


IX.  —  COMPIÈGNE. 


Je  ne  crains  que  la  trahison. 
Jehanne. 

A  Paris  !  criait  la  Piicelle  au  lendemain  du 
sacre.  A  Paris  !  répétait  toute  l'armée  (1).  Si 
l'on  eût  marché  droit  sur  la  capitale,  comme  le 
voulait  Jeanne,  on  avait  toutes  chances  d'y  pé- 
nétrer à  la  faveur  du  désarroi  qui  régnait  parmi 
les  Anglais.  Mais  Charles  Vil  perdit  un  temps 
précieux,  que  le  duc  de  Bedford  mit  à  profit  pour 
renforcer  Paris  :  il  appela  d'Angleterre  une 
armée  de  secours,  levée  par  le  cardinal  de  Win- 
chester, oncle  du  roi  Henri,  et  destinée  tout 
d'abord  à  combattre  les  Hussites. 

Ici,  l'étoile  de  Jeanne  commence  à  pâlir.  Après 
les  triomphes,  les  victoires  éclatantes,  vont  ve- 
nir les  heures  sombres,  les  heures  d'épreuve, 
en  attendant  la  prison  et  le  supplice.  A  mesure 
que  le  renom  de  l'héroïne  s'étend,  que  sa  gloire 
surpasse  toutes  les  gloires,  la    haine    grandit 

(1)  Hemu  Martin,  lUsl.  de  France,  t.  VI,  p.  200. 


156  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

autour  d'elle  ;  des  intrigues  se  nouent  parmi  ces 
grands  seigneurs,  dont  elle  vient  déjouer  les 
plans,  les  machinations  ténébreuses.  Tous  ces 
courtisans  perfides  qu'elle  éclipse,  ces  hommes 
d'Eglise  à  Tesprit  plein  de  fiel,  qui  ne  lui  par- 
donnent pas  de  se  dire,  par-dessus  leur  autorité, 
envoyée  du  ciel,  et  de  préférer  à  leurs  conseils 
les  inspirations  de  ses  voix  ;  plusieurs  même 
de  ces  chefs  de  guerre,  vaincus  en  cent  combats 
et  qui  se  voient  surpassés  en  science  militaire 
par  une  fdle  des  champs,  tous  ces  hommes, 
froissés  dans  leur  orgueil,  ont  juré  sa  perte.  Ils 
attendent  l'heure  propice  ;  et  cette  heure  est 
proche. 

LesAnglais,  eux,  sont  atterrés  par  leurs  revers. 
Leur  principale  armée  est  détruite  ;  leurs  meil- 
leurs capitaines  sont  morts  ou  prisonniers; 
leurs  soldats  désertent  par  effroi  de  la  Pucelle. 
Ceux-là  ne  doutent  guère  de  la  puissance  sur- 
humaine de  celle  qu'ils  appellent  «  la  sorcière 
de  France  ».  Et  si  Charles  VII,  aussitôt  après 
son  sacre,  se  fut  porté  sur  Paris,  la  grande  ville 
se  livrait  sans  combat. 

On  perd  six  semaines  en  hésitations,  puis, 
quand  on  arrive  devant  la  capitale,  aucune  pré- 
caution n'est  prise  ;  les  ordres  de  Jeanne  ne  sont 
pas  exécutés  ;  les  fossés  ne  sont  pas  comblés  ;    1 
l'attaque  n'est  pas  soutenue.    On  lui  a  donné 


COMPIÈGNE  157 

pour  aides  les  deux  chefs  de  guerre  qui  lui  sont 
le  plus  hostiles,  «  les  hommes  les  plus  féroces 
qui  aient  jamais  existé  »,  dit  Michelet  :  Raoul 
de  Gaucourt  et  le  maréchal  de  Retz_,  l'odieux 
magicien  qui,  plus  tard,  montera  sur  Téchafaud 
pour  crime  de  sorcellerie  (1).  Le  roi  refusa  de 
se  montrer.  En  vain  lui  envoyait-on  message 
sur  message.  11  ne  venait  pas.  Le  duc  d'Alençon 
courut  le  chercher  à  Senlis  ;  il  promit  de  venir 
et  manqua  de  parole. 

A  Fattaque  de  la  porte  Saint-Honoré,  Jeanne, 
comme  toujours,  se  montra  héroïque.  Durant 
tout  le  jour,  elle  se  tint  debout  sur  le  bord  du 
fossé,  sous  une  pluie  de  projectiles,  excitant 
les  soldats  à  l'assaut.  Vers  le  soleil  couchant, 
elle  fut  atteinte  profondément  d'un  trait  d'arba- 
lète à  la  cuisse,  et  dut  s'étendre  sur  le  talus.  Elle 
ne  cessait  d'exhorter  les  Français,  s'écriant  par- 
fois :  «  Le  roi  !  le  roi  !  que  le  roi  se  montre  !  » 
Mais  le  roi  ne  vint  pas.  Vers  11  heures  du  soir, 
plusieurs  chefs  vinrent  la  prendre  et  l'emme- 
nèrent contre  sa  volonté. 

On  se  replia  sur  Saint-Denis,  où  le  roi  était 
arrivé  et  prenait  ses  mesures  pour  regagner  les 
châteaux  de  la  Loire.  Jeanne  ne  pouvait  se  dé- 

(1)  On  trouva  dans  les  oubliettes  de  seê  châteaux  de  la 
Suze,  TifTauges,  etc.,  les  ossements  de  plusieurs  centaines 
d'enfants,  dont  le  sang  avait  servi  à  ses  conjurations. 


158  JEANNE   D*ARC   MEDIUM 

cider  à  perdre  de  vue  les  clochers  de  Paris  : 
«  elle  était  comme  enchaînée  devant  la  grande 
cité  par  une  force  surhumaine  »  (1).  Dès  le  len- 
demain, elle  voulut  recommencer  l'attaque. 
Mais  qu'arriva-t-il  ?  On  ne  pouvait  plus  passer. 
Par  ordre  du  roi,  les  ponts  avaient  été  coupés 
et  la  retraite  imposée. 

C'est  ainsi  que  s'accomplit  une  des  plus 
grandes  infamies  de  l'histoire.  Ceux-là  mêmes 
vers  qui  Dieu  avait  envoyé  un  messie  sauveur, 
se  liguèrent  contre  lui.  Ils  réussirent  à  entraver 
la  mission  de  Jeanne  d'Arc  et,  selon  la  forte 
expression  d'Henri  Martin,  «  à  faire  mentir 
Dieu  ».  Leur  égoïsme,  leur  aveuglement  furent 
tels,  que  l'action  providentielle  fut  suspendue 
par  leur  propre  indignité. 

Après  l'échec  sous  Paris,  se  déroule  pour 
Jeanne  une  longue  période  d'incertitudes,  de 
troubles,  de  déchirements  intérieurs.  Pendant 
huit  mois,  elle  connaîtra  l'alternative  des  suc- 
cès et  des  revers  :  succès  à  Saint-Pierre-le- 
Moutier,  revers  à  la  Charité.  Elle  sent  que  la 
fortune  l'abandonne.  Sur  les  fossés  de  Melun^ 
ses  voix  lui  diront  :  «  Jeanne,  tu  seras  prise 
avant  la  Saint-Jean  !  »  Ce  retour  de  fortune,  il 
faut  l'attribuer  uniquement  au  mauvais  vouloir 

{1)  H.  Martin,  Hisf.  de  France,  t.  VI,  p.  209. 


COMPIÈGNE  159* 

des  hommes,  à  l'ingratitude  du  roi  et  de  ses> 
conseillers,  qui  lui  suscitèrent  mille  obstacles^ 
et  firent  échouer  ses  entreprises. 

En  fut-elle  amoindrie  ?  En  aucune  façon- 
C'est  à  partir  de  ce  moment  qu'elle  devint  vrai- 
ment grande,  plus  grande  que  ne  l'avaient  faite 
ses  victoires.  Ses  épreuves,  sa  captivité,  son. 
martyre,  si  noblement  supportés,  vont  l'élever 
au-dessus  des  conquérants  les  plus  illustres,  et 
la  rendre  sublime  aux  yeux  de  la  postérité.  Au 
fond  des  prisons,  devant  le  tribunal  de  Rouen,, 
du  haut  de  son  bûcher,  elle  nous  paraîtra- 
plus  imposante  que  dans  le  fracas  des  batailles 
ou  l'ivresse  du  triomphe.  Son  attitude,  ses  souf- 
frances, ses  paroles  inspirées,  ses  larmes,  son 
agonie  douloureuse,  en  feront  une  des  plus 
pures  gloires  de  la  France,  un  sujet  d'admira- 
tion pour  les  siècles,  un  objet  d'envie  pour  tous. 
les  peuples  ! 

L'adversité  ornera  son  front  d'une  auréole- 
sacrée.  Par  son  acceptation  héroïque  de  la  dou- 
leur, par  sa  grandeur  d'âme  dans  les  revers  et 
devant  la  mort,  elle  deviendra  une  juste  cause 
d'orgueil  pour  les  femmes  de  France,  un  objet 
de  vénération  pour  tous  ceux  en  qui  vibrent  et 
palpitent  le  sentiment  de  la  beauté  morale  et 
l'amour  de  leur  pays. 

La  gloire  des  armes  est  belle  :  mais,  seuls,  le 


160  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

génie,  la  sainteté,  la  souffrance,  ont  droit  aux 
apothéoses  de  l'histoire  ! 


Le  siège  de  la  Charité  ayant  échoué,  on  rap- 
pelle Jeanne  à  la  cour  ;  mais  bientôt  l'inaction 
lui  pèse  et,  de  nouveau,  son  ardeur  l'emporte. 
Elle  abandonne  le  roi  à  ses  plaisirs,  à  ses  fêtes  ; 
à  la  tête  d'une  troupe  dévouée,  elle  va  se  jeter 
dans  Gompiègne  assiégée.  Et  c'est  là  que,  pen- 
dant une  sortie,  le  gouverneur  de  la  ville, 
Guillaume  de  Flavy,  ayant  fait  baisser  la  herse, 
elle  ne  put  rentrer  dans  la  place  et  fut  prise 
par  le  comte  de  Luxembourg,  du  parti  de  Bour- 
gogne. 

Quelle  fut  la  part  de  responsabilité  du  sire  de 
Flavy  dans  cet  événement  ?  Les  uns  ont  vu  là 
une  trahison  préméditée.  Le  chancelier,  Re- 
gnault  de  Ghartres,  était  passé  depuis  peu  à 
Gompiègne  et  avait  eu  des  entrevues  avec  le 
duc  de  Bourgogne.  Pourtant,  la  plupart  des  his- 
toriens :  H.  Martin,  Quicherat,  Wallon,  Ana- 
tole France,  croient  à  la  loyauté  de  ce  capi- 
taine (1).   Malgré    leurs  assertions,    son    rôle, 

(1)  Voir  H.  Martin,  Hisl.  de  France,  t.  VI,  p.  231.  -  Wal- 
lon, Jeanne  dArc,  p.  211.  —  Ou[CHERAT,  Aperçus  nouveaux, 
pp.  77-85.  Ni  Lavisse  ni  Michelet  ne  se  prononcent  (voir 
Lavisse,  t.  IV,  p.  61). 


COMPIÈGNE  161 

lors  de  la  capture  de  Jeanne,  est  resté  équivoque 
et  mal  défini.  Il  est  vrai  que  le  récent  historio- 
graphe de  G.  de  Flavy,  M.  Pierre  Champion, 
n'a  pu  tirer  de  l'examen  des  textes  aucune  con- 
clusion formelle,  et,  de  son  côté,  il  n'a  décou- 
vert aucun  document  probant  (1).  D'après  des 
indications  reçues  de  l'Au-delà,  nous  sommes 
porté  à  croire  qu'il  n'y  eut  pas  préméditation, 
mais  qu'on  sut  profiter  de  l'occasion  qui  s'of- 
frait, de  se  débarrasser  d'une  personnalité  deve- 
nue gênante  pour  certaines  ambitions. 

Si  aucun  complot  ne  fut  ourdi,  au  préalable, 
contre  Jeanne,  il  n'y  eut  pas  moins  trahison,  en 
ce  sens  que  G.  de  Flavy  ne  tenta  rien  pour  la 
dégager.  Acculée  par  les  Bourguignons  dans 
l'angle  de  la  chaussée  de  Margny  et  du  boule- 
vard qui  défendait  la  tête  de  pont,  à  quelques 
mètres  de  Tentrée,  elle  pouvait  être  facilement 
secourue.  En  cet  instant  critique,  le  capitaine 
de  Compiègne  occupait  le  boulevard  avec  plu- 
sieurs centaines  d'hommes.  11  observait  tout  ce 
qui  se  passait,  ne  tenta  aucun  effort  et  aban- 
donna Jeanne  à  sa  destinée.  C'est  en  cela  que 
la  trahison  paraît  flagrante. 

Jeanne  fut  d'abord  enfermée  au  château  de 


(1)  Voir  Guillaume  de  Flavy,  par  Pierre  Champion,  1  vol. 
1906. 


162  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

Beaulieu,  à  quelque  distance  de  Compiègne, 
puis  transférée  au  donjon  de  Beaurevoir,  appar- 
tenant au  comte  de  Luxembourg.  Promenée 
pendant  six  mois,  de  prison  en  prison,  à  Arras, 
à  Drugy,  au  Grotoy,  ce  ne  fut  que  le  21  novem- 
bre, à  la  suite  des  sommations  pressantes  et 
comminatoires  de  l'Université  de  Paris,  qu'elle 
fut  vendue  aux  Anglais,  ses  cruels  ennemis,  pour 
dix  mille  livres  tournois,  plus  une  rente  faite 
au  soldai,  auteur  de  sa  capture. 

Jean  de  Luxembourg  était  de  haute  lignée, 
mais  de  cœur  étroit  et  de  maigre  fortune.  Il 
avait  inscrit  sur  son  blason  une  devise  décou- 
ragée :  «  A  l'impossible,  nul  n'est  tenu.  »  Com- 
bien plus  vibrant  le  cri  de  son  contemporain, 
Jacques  Cœur  :  «  A  cœur  vaillant,  rien  d'impos- 
sible !  ))  Très  endetté,  presque  ruiné,  Luxem- 
bourg ne  voulut  pas  se  résigner  à  vivre  pauvre, 
ni,  par  conséquent,  refuser  les  dix  mille  livres 
d'or  qu'offrait  le  roi  d'Angleterre.  A  ce  prix,  il 
vendit  Jeanne  et  la  livra. 

Dix  mille  livres  en  or  !  C'était  une  somme 
énorme  pour  l'époque.  Les  Anglais  étaient  pour- 
tant à  bout  de  ressources  et  ne  pouvaient  plus 
payer  leurs  fonctionnaires.  Faute  d'argent,  le 
cours  de  la  justice  fut  suspendu  à  Paris  pendant 
plusieurs  semaines.  Le  greffier  qui  rédigeait 
les  actes  du  parlement  dut  interrompre  son  tra- 


COMPIÈGNE  163^ 

vail,  faute  de  parchemin  (1).  Mais,  du  moment 
qu'il  s'agissait  d'acheter  Jeanne,  les  Anglais 
surent  bien  trouver  cette  grosse  somme.  Que 
firent-ils  pour  cela  ?  Une  chose  qui  leur  était 
familière  :  ils  levèrent  un  lourd  impôt  sur  toute^ 
la  Normandie.  Et  c'est  là  un  fait  à  signaler  :  c'est 
avec  de  l'argent  français  que  le  sang  de  Jeanne^ 
d'Arc  a  été  payé  ! 


Au  fond  de  ses  prisons,  le  plus  grand  souct 
de  Jeanne  n'est  pas  celui  de  son  propre  sort,, 
mais  plutôt  cette  pensée  tristement  exprimée  :: 
«  Je  ne  pourrai  plus  servir  le  noble  pays  de 
France!  »  A  la  nouvelle  que  les  bonnes  gens  de- 
Gompiègne  sont  menacés,  si  la  ville  est  prise,, 
d'être  passés  au  fil  de  l'épée,  elle  se  jette  dit 
haut  de  la  tour  de  Beaurevoir  pour  les  re- 
joindre :  ((  J'avais  ouï  dire,  expliquera-t-elle  à 
ses  juges,  que  ceux  de  Gompiègne,  tous  jusqu'à 
l'âge  de  sept  ans,  devaient  être  mis  à  feu  et  à 
sang  ;  et  moi^  j'aimais  mieux  risquer  la  mort 
que  de  vivre  après  une  telle  destruction  de^ 
bonnes  gens  (2).  » 

(1)  Registres   du  Parlement,   t.    XV,    février  1431,   d'après- 
H.  Martin,  t.  VI,  p.  245. 

(2)  J.  Fadre,  Procès  de  condamnation,  5«  interrogatoire  secret.. 


164  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

D'étape  en  étape,  de  donjon  en  donjon,  la 
voici  parvenue  au  Grotoy,  aux  confins  du  pays 
normand  occupé  par  les  Anglais.  On  l'enferme 
dans  une  tour  de  défense  qui  garde  Fembou- 
chure  de  la  Somme.  Delà  fenêtre  garnie  de  bar- 
reaux, sa  vue  s'étend  sur  un  panorama  de  grèves, 
puis,  au  delà,  sur  Pimmensité  de  la  mer.  C'est 
la  première  fois  qu'elle  contemple  la  grande 
nappe  liquide,  et  ce  spectacle  l'impressionne 
profondément. 

La  mer  !  avec  ses  vagues  écumantes,  ses  hori- 
zons sans  bornes  et    ses   reflets  changeants  ! 

Elle,  si  sensible  aux  harmonies  du  ciel  et  de 
la  terre,  aux  jours  ensoleillés  et  aux  nuits  étoi- 
lées,  elle  s'abîme  dans  la  contemplation  de  la 
vaste  étendue,  tantôt  d'un  gris  d'argent,  tantôt 
d'un  bleu  intense,  piquée,  le  soir,  de  scintille- 
ments d'astres  ;  elle  prête  une  oreille  étonnée 
aux  bruissements  mystérieux  du  vent  et  des 
flots.  Lorsque,  à  l'heure  de  la  haute  mer,  la 
plainte  des  vagues,  le  sanglot  de  l'Océan  monte 
jusqu'à  elle,  un  immense  sentiment  de  tristesse 
l'envahit.  Les  Anglais  vont  venir,  les  Anglais 
qui  l'ont  achetée  chèrement  !  Depuis  Gom- 
piègne,  elle  a  été  captive  des  Bourguignons,  ses 
adversaires,  sans  doute,  mais  hommes  de  même 
langue  et  de  même  race,  qui  ont  usé  de  ména- 
gement envers  elle.  Désormais  que   peut-elle 


COMPIÈGNE  165 

attendre  de  ces  étrangers  farouches,  qu'elle  a 
vaincus  tant  de  fois  et  qui,  lui  ayant  voué  une 
haine  féroce,  n'ont  jamais  manqué  une  occasion 
de  l'injurier.  Une  affreuse  angoisse  déchire  son 
âme,  et  elle  prie.  Mais  la  voix  dit  et  répète  : 
Prends  tout  en  gré  ! 

Elle  dut  attendre  ainsi,  au  Grotoy,  pendant 
trois  semaines.  Un  jour,  les  dames  d*Abbeville 
vinrent  la  visiter,  la  consoler,  et  leurs  larmes, 
un  instant,  se  mêlèrent  à  ses  larmes  (1). 

(1)  Wallon,  Jeanne  d'Arc,  p.  222. 


X.  —  Rouen  ;  la  prison. 


Celui  que  Dieu  choisit  pour  une  tâche  sainte, 
Soldat  libérateur,  prêtre,  apôtre  ou  martyr, 
Doit  affermir  son  cœur,  étouffer  toute  plainte  ; 
Il  est  beau  de  combattre  ;  il  est  grand  de  souffrir, 

Paul  Allard. 


Jeanne  est  aux  mains  des  Anglais.  Ils  Font 
33âillonnée,  afin  qu'elle  ne  puisse  communiquer 
avec  les  populations,  et  la  conduisent,  sous  bonne 
escorte,  au  château  de  Rouen.  Là,  elle  est  jetée 
clans  un  cachot,  enfermée  dans  une  cage  de  fer  : 
«  On  avait  fait  forger  pour  moi,  nous  dit-elle, 
une  sorte  de  cage,  dans  laquelle  on  me  mit.  J'y 
étais  étroitement  resserrée  ;  j'avais  une  grosse 
<îhaîne  au  cou,  une  à  la  taille,  d'autres  aux  pieds 
et  aux  mains.  J'eusse  succombé  à  cette  affreuse 
détresse,  si  Dieu  et  mes  Esprits  ne  m'eussent 
ménagé  des  consolations.  Rien  ne  peut  peindre 
leur  touchante  sollicitude  et  les  ineffables  con- 
solations qu'ils  me  donnèrent.  Mourante  de 
faim,  à  demi  vêtue,  entourée  d'immondices  et 


ROUEN  ;    LA    PRISON  167 

meurtrie  par  mes  fers,  je  puisai  dans  ma  foi  le 
courage  de  pardonner  à  mes  bourreaux.  » 

Traitement  atroce  !  Jeanne  est  prisonnière 
de  guerre  ;  c'est  une  femme,  et  on  l'enferme 
comme  une  bête  fauve  dans  une  cage  de  fer  ! 
Un  peu  plus  tard,  il  est  vrai,  les  Anglais  se 
contentèrent  de  l'attacher,  deux  chaînes  aux 
pieds,  à  une  grosse  poutre. 

Ainsi  commence  une  passion  de  six  mois, 
passion  sans  exemple  dans  l'histoire,  passion 
plus  douloureuse  même  que  celle  du  Christ. 
Car  le  Christ  était  homme,  et  ici,  il  s'agit  d'une 
jeune  fille  de  dix-neuf  ans  qui  est  à  la  merci  de 
soudards  brutaux,  stupides  et  lubriques.  Cinq 
soldats,  des  houspilleurs,  la  lie  de  l'armée 
anglaise,  disent  tous  les  historiens,  veillent 
jour  et  nuit  dans  son  cachot. 

Songez  à  ce  qu'une  jeune  femme  enchaînée 
peut  attendre  d'hommes  vils  et  grossiers,  ivres 
de  fureur  envers  celle  qu'ils  considèrent  comme 
la  cause  de  tous  leurs  revers.  Ces  misérables 
l'accablaient  de  mauvais  traitements.  Plusieurs 
fois,  ils  cherchèrent  à  lui  faire  violence,  et  comme 
ils  ne  pouvaient  y  parvenir,  ils  la  frappaient 
brutalement.  Elle  s'en  plaignait  à  ses  juges,  au 
cours  du  procès,  et  maintes  fois,  lorsque  ceux-ci 
pénètrent  dans  sa  prison  pour  l'interroger,  ils 
la  trouvent  tout  en  larmes,  le  visage  gonflé  et 


168  JEANNE    d'arc    médium 

meurtri    par   les    coups    qu'elle    a    reçus    (1). 

Songez  aux  horreurs  d'une  telle  situation,  à 
ces  pensées  de  la  femme,  à  ces  craintes  de  la 
vierge,  exposée  à  toutes  les  surprises,  à  tous 
les  outrages,  à  cette  privation  continuelle  de 
repos,  de  sommeil,  qui  brisait  son  corps,  anéan- 
tissait ses  forces,  au  milieu  de  ces  anxiétés,  de 
ces  angoisses  incessantes.  Seule  parmi  ces 
infâmes,  elle  ne  voulait  pas  quitter  ses  habits 
d'homme,  et  on  lui  reprochait  cet  acte  de  pudeur 
comme  un  crime  ! 

Les  visiteurs  n'étaient  pas  moins  abominables 
que  les  gardiens.  Le  comte  de  Luxembourg, 
qui  l'avait  vendue,  vint  un  jour  la  railler  dans 
son  cachot.  Il  était  accompagné  des  comtes  de 
Warwick,  de  Stafîord  et  de  l'évéque  de  Thé- 
rouanne,  chancelier  du  roi  d'Angleterre  :  «  Je 
suis  venu  ici  pour  vous  racheter,  —  lui  dit-il,  —  à 
condition  toutefois  que  vous  voudrez  promettre 
de  ne  plus  jamais  vous  armer  contre  nous.  »  — 
a  Vous  VOUS  raillez  de  moi, —  s'écria-t-elle.  — 
Je  sais  bien  que  vous  n'en  avez  ni  le  vouloir  ni 
le  pouvoir.  »  Et  comme  il  insistait,  elle  ajouta  : 
a  Je  sais  bien  que  ces  Anglais  me  feront  mou- 
rir, croyant  après  ma  mort  gagner  le  royaume 
de  France.  Mais  quand  ils  seraient  cent  mille 

(1)  H.  Martin,  hisf.  de  France,  t.  VI,  pp.  258,  290. 


ROUEN;    LA    PRISON  169 

de  plus  qu'à  présent,  ils  n'auront  pas  le 
royaume.  »  Ces  paroles  les  rendirent  furieux. 
Le  comte  de  Stafford  tira  sa  dague  pour  frapper 
Jeanne.  Warwick  l'en  empêcha  (1). 

Puis,  ce  sont  ses  juges  qui  confient  à  un  prêtre 
indigne,  traître  et  espion,  Loyseleur,  la  mission 
de  se  glisser  dans  la  prison,  en  habit  laïque.  Se 
faisant  passer  pour  lorrain  et  captif  des  Anglais, 
il  obtint  la  confiance  de  Jeanne  et  la  décida  à  se 
confesser  à  lui.  Pendant  leurs  entretiens,  des 
notaires,  apostés  en  secret,  écoutaient  par  une 
ouverture  pratiquée  à  dessein,  et  inscrivaient 
toutes  les  confidences  de  l'héroïne. 

Les  Anglais  croyaient  qu'un  «  charme  »  était 
attaché  à  sa  virginité  et  que,  si  elle  la  perdait, 
ils  n'auraient  plus  rien  à  redouter  d'elle.  Un 
examen  de  la  duchesse  de  Bedford,  assistée  de 
lady  Anna  Bavon  et  de  plusieurs  matrones,  avait 
démontré  que  cette  virginité  de  Jeanne  était 
bien  réelle.  Détail  qui  révèle  la  bassesse  de  son 
caractère  :  le  duc  de  Bedford,  régent  d'Angle- 
terre, assistait,  caché,  à  cet  examen. 

Ce  fut  peu  après  que  le  lord  connétable,  comte 
de  Stafford,  poussé  par  la  superstition  autant 
•que  par  une  passion  hideuse,  se  fit  ouvrir  le 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation.  Déposition  du  che- 
valier Aimond  de  Macy,  qui  assistait  à  la  scène,  t.  II,  pp.  143- 
U4. 

10 


170  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

cachot   de   Jeanne    et   tenta  de  lui   faire   vio- 
lence (1). 

Qui  pourrait  dire  ce  qu'elle  a  souffert  dans 
les  ténèbres  de  son  donjon  !  Abandonnée  de 
tous,  trahie  et  vendue  au  poids  de  For,  elle  a 
ressenti  toutes  les  affres  de  la  douleur.  Elle  les 
connut  ces  heures  d'angoisse,  de  torture  morale 
où  tout  s'assombrit  autour  de  nous,  où  les  voix 
du  ciel  semblent  se  taire  (2),  où  l'invisible  reste 
muet,  au  moment  où  toutes  les  fureurs,  toutes 
les  haines  terrestres  se  déchaînent  et  se  ruent 
sur  nous.  Tous  les  missionnaires  les  ont  subies, 
ces  heures  douloureuses,  et  elle  les  a  subies 
plus  que  tous,  pauvre  enfant,  exposée  sans 
défense  aux  plus  vils  outrages.  Pourquoi  Dieu 
permet-il  ces  choses  ?  C'est  pour  sonder  l'âme 
et  le  cœur  de  ses  fidèles,  pour  éprouver  leur 
foi  en  lui  ;  c'est  afin  que  leurs  mérites  s'accrois- 
sent encore,  et  que  la  couronne  qu'il  leur  réserve 
gagne  en  éclat  et  en  beauté. 

Mais,  dira-t-on,  comment  Jeanne,  épuisée, 
chargée  de  fers,  a-t-elle  pu  échapper  aux  ten- 
tatives infâmes  de  ses  visiteurs  et  de  ses  gar- 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabiliîaîion.  Dépositions  de  Maiy 
lin  Ladvenu  et  Isambard  de  la  Pierre,  t.  II,  pp.  88,  99. 

(2)  Les  Esprits  ne  l'assistaient  pas  toujours.  Ses  voix  ne 
la  préviennent  pas  des  pièges  et  artifices  de  Loyseleur;  elles 
n'interviennent  pas  au  cours  des  nombreuses  visites  qu'il 
fait  à  la  captive. 


ROUEN;    LA    PRISON  171 

diens  ?  Gomment  a-t-elle  pu  conserver  cette  fleur 
de  pureté  qui  était  sa  sauvegarde,  suivant  l'opi- 
nion, accréditée  à  cette  époque,  qu'une  vierge 
ne  pouvait  être  convaincue  de  sorcellerie  ? 

Eh  bien,  voici  !  A  ces  heures  terribles,  plus 
redoutées  d'elle  que  la  mort  même,  l'invisible 
intervient.  Dans  la  prison  froide  et  sombre,  une 
légion  radieuse  se  glisse.  Des  êtres  que,  seule, 
elle  voit  et  qu'elle  appelle  «  ses  frères  de  para- 
dis »,  viennent  l'assister,  la  soutenir,  lui  don- 
ner les  forces  nécessaires  pour  échapper  à  ce 
qui  eût  été  un  sacrilège  abominable. 

Ces  Esprits  la  réconfortent  et  lui  disent  ; 
«  Souff'rir,  c'est  grandir,  c'est  s'élever  !  »  Au 
milieu  de  l'ombre  qui  l'enveloppe,  une  clarté 
se  fait  ;  des  chants  suaves  arrivent  jusqu'à  elle, 
comme  un  écho  des  harmonies  de  l'espace. 

Ses  voix  la  consolent  et  lui  répètent  :  «  Prends 
courage  !  tu  seras  délivrée  par  grande  victoire  !  » 
Dans  sa  foi  naïve,  elle  croit  que  cette  délivrance, 
c'est  la  liberté.  Hélas  !  comme  l'enseignaient 
nos  ancêtres,  les  druides,  c'était  «  la  délivrance 
de  la  mort  »,  la  mort  par  le  martyre.  Il  le  fallait 
pour  donner  à  cette  sainte  figure  tout  son 
rayonnement  sublime. 

N'est-ce  pas  le  privilège  des  âmes  supérieures 
que  d'être  destinées  à  souffrir  pour  une  noble 
cause  ?  Ne  faut-il  pas  qu'elles  passent  par  le 


172  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

creuset  de  l'épreuve  pour  montrer  toutes  les 
vertus,  tous  les  trésors,  toutes  les  splendeurs 
qui  sont  en  elles  ?  Une  grande  mort  est  le  cou- 
ronnement nécessaire  d'une  grande  vie,  d'une 
vie  de  dévouement,  de  sacrifice.  C'est  l'initia- 
tion à  une  existence  plus  haute.  Mais,  à  ces 
heures  douloureuses,  dans  cette  purification 
suprême,  ces  âmes  sont  soutenues  par  une 
force  surhumaine,  une  force  qui  leur  permet 
de  tout  affronter,  de  tout  vaincre  ! 


XI.  —  Rouen  ;   le  procès. 


Mais  j'entre  en  frémissant  dans  cette  obscurité  ! 
Que  soit  faite,  ô  mon  Dieu,  ta  sainte  volonté! 

P.  Allard. 

Nous  arrivons  maintenant  au  procès. 

En  effet,  en  même  temps  que  cette  captivité 
si  dure,  si  horrible,  Jeanne  avait  à  subir  les 
phases  longues  et  tortueuses  d'un  procès  tel 
qu'il  n'a  jamais  eu  son  pareil  dans  le  monde. 

D'un  côté,  tout  ce  que  Pesprit  du  mal  peut 
distiller  de  noirceur  hypocrite,  d'astuce,  de 
perfidie,  d'ambition  servile.  Soixante  et  onze 
clercs,  prêtres  et  docteurs,  pharisiens  au  cœur 
sec,  tous  hommes  d'église,  mais  pour  qui  la 
religion  n'est  qu'un  masque  dissimulant  d'ar- 
dentes passions  :  la  cupidité,  l'esprit  d'intrigue, 
le  fanatisme  étroit. 

De  l'autre  côté,  seule,  sans  appui,  sans  con- 
seiller, sans  défenseur,  une  enfant  de  dix-neuf 
ans,  l'innocence  et  la  pureté  incarnées,  une  âme 
héroïque  dans  un  corps  de  vierge,  un  cœur 
sublime  et  tendre,  prêt  à  tous  les  sacrifices  pour 

10. 


174  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

sauver  son  pays,  pour  remplir  sa  mission  avec 
fidélité,  et  donner  l'exemple  de  la  vertu  dans 
le  devoir. 

Jamais  on  n'a  vu  la  nature  humaine  s'élever 
si  haut  d'une  part,  et,  de  l'autre,  tomber  si  bas. 

L'histoire  a  établi  les  responsabilités.  Je  ne 
veux  rien  dire  qui  puisse  surexciter  les  haines 
politiques  ou  religieuses.  Le  nom  de  Jeanne 
d'Arc  n'est-il  pas,  entre  tous  les  noms  glo- 
rieux, celui  qui  doit  rallier  tous  les  sentiments 
d'admiration,  quel  que  soit  le  parti  d'où  ils 
viennent  ? 

L'Église  a  voulu  se  disculper  de  l'accusation 
qui  pesait  sur  elle  depuis  des  siècles.  Pour  cela, 
elle  s'est  appliquée  à  rejeter  tout  l'odieux  de  la 
condamnation  de  Jeanne  sur  Pierre  Gauchon, 
évéque  de  Beauvais.  Elle  Pa  renié,  chargé  de 
ses  malédictions.  Mais  P.  Gauchon  est-il  le  seul 
grand  coupable  ? 

Rappelons-nous  une  chose.  Dès  le  26  mai  1430, 
trois  jours  après  la  capture  de  Jeanne  devant 
Gompiègne,  le  vicaire  général  du  grand  inqui- 
siteur de  France,  siégeant  à  Parfs,  écrivait  au 
duc  de  Bourgogne,  pour  le  supplier  et  lui  «  en- 
joindre, sur  les  peines  de  droit,  de  lui  envoyer 
prisonnière  certaine  femme  nommée  Jehanne 
la  Pucelle,  véhémentement  soupçonnée  de 
crimes  sentant  l'hérésie,  pour  comparaître  de- 


ROUEN;    LE    PROCÈS  175 

vant  le  promoteur  de  la  sainte  Inquisition  (1).  » 
Ainsi  ce  redoutable  tribunal  du  Saint-Office, 
qui  n'était  plus  qu'un  fantôme  à  cette  époque, 
reparaissait,  sortait  de  l'ombre,  pour  réclamer 
la  plus  grande  victime  qui  ait  jamais  comparu 
devant  lui.  Et  l'Université  de  Paris,  le  principal 
corps  ecclésiastique  de  France,  appuyait  ses 
revendications.  Anatole  France,  qui  est  bien 
renseigné  sur  ce  point,  nous  dit  (2)  : 

«c  Dans  Taffaire  de  la  Pucelle,  ce  n'était  pas  seule- 
ment un  évèque  qui  mettait  la  très  sainte  Inquisition 
en  mouvement,  c'était  la  fille  des  rois,  la  mère  des 
études,  le  beau  clair  soleil  de  France  et  de  la  chré- 
tienté, l'Université  de  Paris.  Elle  s'attribuait  le  pri- 
vilège de  connaître  dans  les  causes  relatives  aux  hé- 
résieSjCt  ses  avis,  de  toutes  parts  demandés,  faisaient 
autorité  sur  toute  la  face  du  monde  où  la  croix  est 
plantée.  » 

Depuis  un  an,  elle  demandait  la  remise  de  la 
Pucelle  à  l'inquisiteur,  comme  étant  suspecte 
de  sorcellerie. 

Le  même  auteur  nous  dit  encore  (3)  : 

«  Après  s'être  concerté  avec  les  docteurs  et  maî- 
tres   de  l'Université    de   Paris,  févêque   de  Beau- 

(1)  Procès,  t.  I,  pp.  8  et  suiv. 

(2)  A.  France,  Vie  de  Jeanne  d'Arc,  t.  II,  p.  179. 

(3)  ID.,  Ibid.,  t.  II,  p.  195. 


176  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

vais  se  présenta,  le  i\  juillet,  au  camp  deCompiègne 
et  réclama  la  Pucelle  comme  appartenant  à  sa  jus- 
tice. Il  présentait  à  l'appui  de  sa  demande  les  lettres 
adressées  par  Valma  Mater  au  duc  de  Bourgogne  et 
au  seigneur  de  Luxembourg.  » 

C'était  la  deuxième  fois  que  FUniversité  ré- 
clamait Jeanne  au  duc;  elle  craignait  que  d'au- 
tres la  délivrent  «  par  voies  obliques  »  et 
qu'elle  ne  fût  mise  hors  de  son  pouvoir.  En 
même  temps,  l'envoyé  était  chargé  d'offres  d'ar- 
gent. 

Pierre  Cauchon,  évêque  de  Beauvais,  qui 
avait  été  chassé  de  son  siège  par  le  peuple  pour 
s'être  rallié  aux  Anglais,  Cauchon  a  bien  ins- 
truit lui-même  et  dirigé  le  procès.  Il  y  a  joué  le 
rôle  le  plus  important,  cela  est  incontestable, 
maisle vice-inquisiteur,  JeanLemaître,  approuva 
tous  ses  choix  en  ce  qui  concerne  la  composi- 
tion du  tribunal,  où  il  siégea  plusieurs  fois  à 
ses  côtés.  Et  lorsque  Févêque  de  Beauvais 
était  empêché,  Jean  Lemaître  présidait  seul  les 
séances.  Cela  est  établi  par  tous  les  docu- 
ments (1). 

Le  vice-inquisiteur  a  signé  et  certifié  au- 
thentiques les  procès-verbaux  des  audiences. 


(i)  J.    Fabre,    Procès  de  condamnation,   4®  interrogatoire 
secret.  Déclaration  de  P.  Cauchon  à  Jeanne. 


ROUEN  ;    LE    PROCES  1// 

Ceux-ci  ont  été  rédigés  en  triple  expédition  par 
les  greffiers  du  tribunal.  Il  en  existe  un  exem- 
plaire à  la  bibliothèque  de  la  Chambre  des 
Députés,  et  il  est  revêtu  du  sceau  de  l'Inquisi- 
tion. 

Dans  les  procès  d'hérésie,  il  était  de  droit  que 
toutes  les  décisions,  tous  les  jugements  fus- 
sent pris  par  les  deux  juges  :  Févêque  et  l'in- 
quisiteur. C'est  ce  qui  eut  lieu  à  Rouen,  comme 
partout  ailleurs.  Il  est  donc  impossible  de  ne 
pas  reconnaître  que  Cauchon  était  couvert  par 
la  jurisprudence  inquisitoriale. 

Mais  ce  n'est  pas  tout.  Les  évêques  de  Cou- 
tances  et  de  Lisieux  furent  consultés  au  cours 
du  procès,  et  ils  approuvèrent  l'accusation.  Il  y 
a  même  ceci  de  particulier  à  relever  :  l'évéque 
de  Lisieux,  Zanon  de  Castiglione,  se  décida 
pour  la  condamnation,  par  ce  motif  que  Jeanne 
était  de  trop  basse  condition  pour  être  inspi- 
rée de  Dieu.  En  vérité,  on  peut  se  demander 
ce  que  les  apôtres  du  Christ,  ces  humbles  arti- 
sans et  bateliers  de  Galilée,  ce  que  le  Christ 
lui-même,  le  fils  du  charpentier,  eussent  pensé 
de  cette  réponse. 

Les  évêques  de  Thérouanne,  de  Noyon,  de 
Norwich  figurent  aussi  au  procès  :  tous  les 
trois  ont  pris  part  aux  admonitions  de  la  Pu- 
celle. 


178  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

Cauchon  s'entoura  de  personnages  considé- 
rables et  de  théologiens  de  renom.  Il  fit  siéger 
au  tribunal  des  hommes  tels  que  Thomas  de 
Gourcelles,  qu'on  appela  plus  tard  «  la  lumière 
du  concile  de  Bâle  et  le  second  Gerson  »,  Pierre 
Maurice  et  Jean  Beaupère,  qui,  tous  deux, 
avaient  été  recteurs  de  l'Université  de  Paris, 
des  docteurs  et  maîtres  en  théologie,  tels  que 
Guillaume  Érard,  Nicole  Midi,  Jacques  de  Tou- 
raine,  et  nombre  d'abbés  crosses  et  mitres  des 
grandes  abbayes  delà  Normandie. 

Or,  de  tous  ces  clercs  éminents,  aucun  ne 
se  montra  impartial.  Tous  étaient  partisans  des 
Anglais  et  ennemis  de  Jeanne.  Le  promoteur, 
Jean  d'Estivet,  âme  damnée  de  Cauchon, 
homme  sans  foi  ni  scrupules,  se  fit  particulière- 
ment remarquer  pour  sa  haine  et  ses  violences 
envers  l'accusée.  On  ne  fit  aucun  droit  à  la  lé- 
gitime demande  de  celle-ci,  d'introduire  dans 
le  tribunal  un  nombre  équitable  de  clercs  du 
parti  français.  Elle  en  appela  aussi  au  pape  et 
au  concile  ;  ce  fut  en  vain. 

Tous  les  juges,  assesseurs,  chanoines,  doc- 
teurs en  théologie,  recevaient  des  Anglais,  par 
séance,  une  indemnité  qui  équivalait  à  40  francs 
de  notre  monnaie  actuelle.  Les  quittances  sont 
jointes  au  procès.  Il  y  eut  près  de  cent  asses- 
seurs, mais  ils  ne  siégeaient  pas  tous  ensemble. 


ROUEN  ;    LE   PROCÈS  179 

Les  plus  hostiles  à  Jeanne   reçurent  aussi  des 
présents. 

Le  roi  d'Angleterre  donna  aux  membres  du 
tribunal  des  lettres  de  garantie,  pour  le  cas 
«  où  ceux  qui  avaient  eu  les  erreurs  de  Jeanne 
pour  agréables,  essayeraient  de  les  traîner  en 
cause  devant  le  pape,  le  concile  ou  autre 
part  »  (1). 

Il  y  eut  plusieurs  consultations  de  la  Sor- 
bonne,  entre  autres  celle  du  19  avril,  confir- 
mée par  les  quatre  Facultés  le  l/j  mai  :  toutes 
conclurent  contre  la  Pucelle. 

11  faut  ajouter  que  l'inquisiteur  général,  Jean 
Graverend,  prêcha  un  sermon  dans  ï'église 
Saint-Martin-des-Ghamps,  à  Paris,  après  le  sup- 
plice de  Jeanne,  dans  lequel  il  répétait  tous  les 
termes  de  l'accusation  et  approuvait  la  sen- 
tence. Peu  après,  le  pape  nommait  Pierre  Gau- 
chon  titulaire  du  siège  épiscopal  de  Lisieux. 

Si,  plus  tard,  il  fut  frappé  d'excommunication, 
ce  ne  fut  pas  en  punition  de  son  forfait,  mais 
simplement  pour  avoir  refusé  d'acquitter  un 
droit  réclamé  par  le  Vatican.  G'est  pour  une 
question  d'argent,  que  ce  prélat  fut  menacé  des 
foudres  pontificales,  à  l'abri  desquelles  il  était 
i^esté,   aussi  longtemps  qu'il  avait  été  unique- 

(1)  J«  Fabre,  Procès  de  condamnation,  p.  422. 


180  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

ment  coupable  de  la  condamnation  de  la  libé- 
ratrice de  son  pays  (1). 

En  réalité,  pas  une  voix  ne  s'éleva  dans  la 
chrétienté  pour  protester  contre  le  jugement 
inique  dont  Jeanne  fut  victime,  pas  plus  du 
côté  du  clergé  resté  français,  que  du  côté  du 
clergé  passé  aux  Anglais.  Au  contraire,  une  cir- 
culaire de  Regnault  de  Chartres,  archevêque 
de  Reims,  à  ses  diocésains,  nous  révèle  le  hon- 
teux état  d'esprit  de  Charles  VII  et  de  ses  con- 
seillers. On  a  retrouvé,  dans  une  relation  écrite 
d'après  les  chartes  de  l'hôtel  de  ville  et  éche- 
vinage  de  Reims,  l'analyse  d'une  dépêche  du 
chancelier  aux  habitants  de  sa  ville  archiépis- 
copale, conçue  dans  les  termes  qui  vont  suivre. 

Il  donne  avis  de  la  prise  de  Jeanne  devant 
Gompiègne,  et  «  comme  elle  ne  vouloit  croire 
conseil;  ains  (mais)  faisoit  tout  à  son  plaisir..» 
Dieu  avoit  souffert  prendre  Jehanne  la  Pucelle 
pour  ce  qu'elle  s'étoit  constituée  en  orgueil,  et 
pour  les  riches  habits  qu'elle  avoit  pris,  et 
qu'elle  n'avoit  fait  ce  que  Dieu  lui  avoit  com- 
mandé, ains  avoit  fait  sa  volonté  »  (2). 

Cependant,  Charles  Vil,  si  mal  conseillé  qu'il 
fut,  avait  été  aussi  l'objet   de  hautes  et  près- 


(1)  J.  Fadre,  Procès  de.  réhabililalion,  t.  II,  pp.  222-223. 

(2)  H.  Martin,  Ilisloire  de  France,  t.  VI,  p.  234. 


ROUEN;    LE    PROCÈS  181 

santés    sollicitations    en    faveur    de    l'héroïne. 

Jacques  Gélu,  seigneur  archevêque  d'Em- 
brun, son  ancien  précepteur,  écrivit  à  son 
royal  élève,  après  la  capture  de  Jeanne,  afin  de 
lui  rappeler  ce  que  la  Pucelle  avait  fait  pour  la 
couronne  de  France.  Il  le  priait  de  bien  exami- 
ner sa  conscience,  et  de  s'assurer  si  ce  n'étaient 
«  pas  ses  offenses  envers  Dieu  qui  avaient  ame- 
né ce  malheur  ».  «.  Je  vous  recommande, 
ajoute-t-il,  que,  pour  le  recouvrement  de  cette 
fille  et  pour  le  rachat  de  sa  vie,  vous  n'épar- 
gniez ni  moyens  ni  argent,  ni  quel  prix  que  ce 
soit,  si  vous  n'êtes  prêt  d'encourir  le  blâme 
indélébile  d'une  très  reprochable  ingratitude.  » 

Il  lui  conseille  de  faire  ordonner  partout  des 
prières  pour  la  délivrance  de  Jeanne,  afin  d'ob- 
tenir le  pardon  de  quelque  manquement  pos- 
sible. 

«  Ainsi  parla  ce  vieil  évéque,  à  qui  il  souve- 
nait d'avoir  été  conseiller  delphinal  dans  des 
temps  mauvais,  et  qui  aimait  chèrement  le  roi 
et  le  royaume  (1).  » 

On  aurait  pu  racheter  Jeanne  au  comte  de 
Luxembourg.  On  n'en  fit  rien.  On  pouvait  l'en- 
lever par  un  coup  de  force  :  les  Français  occu- 
paient Louviers,   à  peu  de  distance  de  Rouen. 

(1)  V.  A.  Fran'ce,  Vie  de  Jeanne  d'Arc,  t.  II,  pp.  185-186. 

11 


182  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

Ils  restèrent  immobiles.  Ceux  qui,  avant  le 
voyage  de  Reims,  parlaient  d'attaquer  la  Nor- 
mandie, se  taisaient  maintenant. 

Du  moins,  pouvait-on  agir  par  la  procédure, 
entraver  la  sentence  du  tribunal  par  les  mêmes 
formes  dont  ses  juges  semblaient  respectueux. 
L'évêque  de  Beauvais,  meneur  du  procès,  était 
le  sufFragant  de  l'archevêque  de  Reims.  Celui- 
ci  pouvait  exiger  qu'il  lui  donnât  au  moins  con- 
naissance des  débats.  11  s'abstint  de  toute  in- 
tervention. 

On  aurait  pu  recourir  aux  protestations  de 
la  famille  de  Jeanne,  réclamer  l'appel  au  pape 
ou  au  concile,  menacer  les  Anglais  de  repré- 
sailles sur  Talbot  et  les  autres  prisonniers  de 
guerre,  pour  sauver  la  vie  de  la  Pucelle.  Rien 
ne  fut  tenté  ! 

«  C'est  de  propos  délibéré,  dit  Wallon  (1), 
que  Jeanne  fut  abandonnée  à  son  sort  ;  sa  mort 
même  entrait  dans  les  calculs  de  ces  politiques  dé- 
testables... Regnault  de  Chartres,  La  Trémoille 
et  tous  ces  tristes  personnages,  pour  garder  leur 
ascendant  dans  les  conseils  du  roi,  ont  sacrifié, 
avec  Jeanne,  le  prince,  la  patrie  et  Dieu  même.  » 

Tout  bien  pesé,  la  responsabilité  du  supplice 
et  de  la  mort  de  Jeanne  nous  paraît  retomber, 

(1)  Wallon,  Jeanne  d'Arc,  p.  358. 


ROUEN;    LE    PROCÈS  183 

à  un  égal  degré,  sur  TÉglise  et  sur  les  deux 
couronnes  d'Angleterre  et  de  France. 

Toutefois,  en  ce  qui  concerne  TÉglise,  il  faut 
se  rappeler  une  chose.  C'est  que,  si  tant  de 
prêtres  et  de  prélats,  si  l'Inquisition  elle-même, 
ont  trempé  dans  le  procès  de  condamnation  de 
Jeanne  d'Arc,  c'est  aussi  sous  la  direction  du 
grand  inquisiteur,  Jean  Bréhal,  que  le  procès 
de  réhabilitation  s'est  déroulé.  S'il  s'est  trouvé 
des  prêtres  pour  condamner  la  Pucelle,  il  s'en 
est  trouvé  aussi,  et  non  des  moindres,  pour  la 
glorifier,  entre  autres  le  grand  Gerson  et  l'ar- 
chevêque d'Embrun. 

Certes,  Jeanne  ayant  été  brûlée  comme  sor- 
cière, la  couronne  de  France  ne  voulait  pas,  ne 
pouvait  pas  rester  sous  le  coup  de  l'accusation 
d'avoir  pactisé  avec  l'enfer.  Mais,  pour  amener 
ce  procès  de  revision  qui  devait  la  dégager,  il 
fallut  négocier  pendant  trois  années  avec  la 
.cour  de  Rome  ;  il  fallut  toute  l'influence  du  roi 
et  de  ses  conseillers,  influence  que  pourtant  le 
pontife  romain  avait  un  grand  intérêt  à  ména- 
ger à  cette  époque  de  schisme,  alors  que  trois 
papes  venaient  de  se  disputer  l'autorité  sur  le 
monde  chrétien.  Il  fallut  une  pression  puissante 
pour  amener  cette  revision,  et  sans  cette  pres- 
sion, sans  cette  insistance,  il  est  probable  que 
la  réparation  n'aurait  pas  eu  lieu. 


184  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

«  Le  tribunal  de  réhabilitation,  dit  Joseph 
Fabre,  qui  se  fit  attendre  vingt-cinq  ans,  sanc- 
tionna l'impunité  des  bourreaux,  en  même  temps 
qu'il  proclama  l'innocence  de  la  suppliciée.  De 
plus,  s'il  déclara  Jeanne  exempte  du  crime  d'hé- 
résie, il  admit  qu'hérétique  elle  aurait  mérité 
le  feu,  et  consacra  ainsi,  à  l'exemple  des  pre- 
miers juges,  ce  néfaste  principe  de  l'intolérance 
dont  elle  fut  la  victime  (1).  » 

Quoique  tardive  et  insuffisante,  acceptons 
cette  réparation  telle  qu'elle  s'est  produite. 
Rappelons  que  des  processions  expiatoires  eu- 
rent lieu  dans  les  principales  villes  de  France, 
et  que  le  clergé  y  prit  une  large  part.  Rappe- 
lons aussi  qu'à  une  époque  plus  récente,  les 
Anglais  eux-mêmes  ont  glorifié  la  mémoire  de 
Jeanne  :  un  de  leurs  poètes,  Southey,  l'a  procla- 
mée la  plus  grande  héroïne  du  genre  humain. 
Des  voix  nombreuses  se  sont  élevées  en  Angle- 
terre, pour  demander  qu'amende  honorable  soit 
faite  sur  les  places  publiques  de  Rouen,  par 
des  représentants  de  la  couronne  et  du  Parle- 
ment. 

Rappelons  tout  cela  et  disons  que,  devant 
la  grande  figure  de  Jeanne,  tout  ressentiment 
doit  disparaître,   toute  haine  doit  tomber.   Ce 

(1)  J.  Fabre,  Procè&  de  réhabililalîon,  t.  II,  p.  223. 


ROUEN  ;    LE   PROCÈS  185 

n'est  pas  sur  ce  nom  auguste  qu'une  lutte  de 
partis  ou  de  nations  doit  se  produire.  Car,  si  ce 
nom  est  entre  tous  un  symbole  de  patriotisme, 
c'est  aussi,  c'est  surtout  un  symbole  de  paix  et 
de  conciliation. 

Jeanne  appartient  à  tous,  certes,  et  par- 
dessus tout  à  la  France.  Et  cependant,  si  une 
exception  devait  être  faite  au  sein  de  la  nation, 
en  faveur  de  quelque  groupement  ou  collecti- 
vité, si  Jeanne  pouvait  appartenir  aux  uns  plu- 
tôt qu'aux  autres,  la  logique  inflexible  voudrait 
que  ce  fut  à  ceux  qui  ont  su  comprendre  sa  vie, 
en  pénétrer  le  mystère,  à  ceux  qui  recherchent, 
aujourd'hui  encore,  dans  l'étude  du  monde  in- 
visible, ces  forces,  ces  soutiens,  ces  secours  qui 
ont  assuré  son  triomphe,  et  qu'ils  veulent  faire 
servir  au   bien  moral  et  au  salut  de  leur  pays. 

Revenons  aux  juges  de  Rouen.  Quand  on 
étudie  les  phases  du  procès,  il  devient  évident 
que  dans  l'esprit  de  ces  sophistes  au  cœur 
glacé,  dans  la  pensée  de  ces  prêtres  vendus 
aux  Anglais,  Jeanne  était  condamnée  d'avance. 
N'avaient-ils  pas  tous  vu  avec  dépit,  avec  rage, 
une  femme  relever  au  nom  de  Dieu^  dont  ils  se 
disaient  les  représentants,  la  cause  qu'ils  avaient 
trahie,  la  croyant  perdue,  la  cause  de  la  France  ? 
Tous  ces  hommes  n'avaient  plus  qu'un  but,  un 
désir  :  c'était  de  venger  sur  cette  femme  leur 


186  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

autorité  menacée,  leur  situation  compromise. 
Pour  eux  comme  pour  les  Anglais,  Jeanne  était 
destinée  à  la  mort,  mais  cette  mort  ne  suffisait 
ni  à  leur  politique,  ni  à  leur  haine  ;  il  fallait 
qu'elle  mourût  déshonorée,  en  reniant  elle- 
même  sa  mission,  et  que  son  déshonneur  rejail- 
lît sur  le  roi  et  sur  toute  la  France  ! 

Pour  cela,  il  n'y  avait  qu^me  ressource  :  ob- 
tenir d'elle  une  rétractation,  un  désaveu  de  sa 
propre  mission.  Il  fallait  qu'elle  s'avouât  inspi- 
rée par  l'enfer;  un  procès  de  sorcellerie  saurait 
l'y  amener.  Pour  arriver  au  but,  on  ne  devait 
reculer  devant  aucun  moyen  :  la  ruse,  l'espion- 
nage, les  mauvais  traitements,  toutes  les  souf- 
frances, toutes  les  horreurs  d'une  prison  hi- 
deuse, où  la  chasteté  de  Jeanne  était  exposée 
aux  derniers  outrages.  Les  menaces,  la  torture 
même,  tout  leur  était  bon.  Mais  Jeanne  résista 
à  tout. 

Voyez,  par  la  pensée,  cette  salle  voûtée,  où 
filtre,  par  des  ouvertures  étroites,  un  jour 
sombre.  On  dirait  une  crypte  funéraire.  Le  tri- 
bunal est  assemblé.  Une  soixantaine  de  juges 
siègent  sous  la  présidence  de  l'évêque  de  Beau- 
vais,  à  qui  les  Anglais  ont  promis  l'archevêché 
de  Rouen,  s'il  sait  servir  leurs  intérêts.  Au-des- 
sus d'eux,  poignante  ironie,  l'image  du  Christ 
supplicié  s'étend  sur  la  muraille.  Puis,  au  fond 


ROUEN;    LE    PROCÈS  187 

de  la  salle,  à  toutes  les  issues,  on  voit  briller 
les  armes  des  soldats  anglais,  aux  visages  hai- 
neux, féroces. 

Pourquoi  ce  déploiement  de  forces  ?  Pour 
juger  une  enfant  de  dix-neuf  ans  !  Jeanne  est 
là,  pâle,  chancelante,  chargée  de  chaînes  ;  elle 
est  affaiblie  par  les  souffrances  d'une  longue 
captivité.  Elle  est  là,  seule  au  milieu  de  ses 
ennemis  qui  ont  juré  sa  perte. 

Seule?  oh  non  !  car  si  les  hommes  l'abandon- 
nent, si  son  roi  l'oublie,  si  les  nobles  de  France 
ne  font  rien  pour  l'arracher  aux  Anglais,  soit 
par  la  force,  soit  par  rançon,  du  moins  il  est 
des  êtres  invisibles  qui  veillent  sur  elle,  la  sou- 
tiennent et  lui  inspirent  des  réponses  telles  que, 
parfois,  elles  épouvantent  ses  juges. 

Et  quel  bruit  !  quel  tumulte  !  Dans  leur  fureur, 
dans  leur  rage,  parfois  ces  juges  en  arrivent 
à  s'interpeller ,  à  se  quereller  entre  eux.  Les  ques- 
tions se  pressent.  On  s'ingénie  àenlacer  l'accusée 
dans  des  ruses  hypocrites,  on  la  harcelle  par 
des  interrogatoires  si  subtils,  si  difficiles,  que, 
suivant  l'expression  d'un  des  assesseurs,  Isam- 
bard  de  la  Pierre,  «  les  plus  grands  clercs 
de  l'assistance  n'y  eussent  pu  répondre  qu'à 
grand'peine  »  (1). 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabililalion,  t.  I,  pp.  93-94. 


188  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

Et  pourtant  elle  y  répondait,  tantôt  avec  une 
finesse  admirable,  tantôt  avec  un  sens  si  pro- 
fond et  des  paroles  tellement  sublimes,  que 
personne  ne  doutait  plus  qu'elle  ne  fût  inspi- 
rée par  des  Esprits.  Une  impression  de  crainte 
s'emparait  de  l'assistance,  lorsqu'elle  disait  en 
parlant  d'eux  :  «  Ils  sont  là,  sans  qu'on  les 
voie  !  »  Mais  tous  ces  hommes  étaient  trop  en- 
foncés dans  leur  crime  pour  reculer. 

Ainsi,  on  cherchait  à  accabler  Jeanne  physi- 
quement et  moralement.  On  lui  faisait  subir 
interrogatoire  sur  interrogatoire,  jusqu'à  deux 
par  jour,  d'une  durée  de  trois  heures  chacun. 
Et,  pendant  tout  ce  temps,  on  l'obligeait  à  res- 
ter debout,  chargée  de  chaînes  pesantes. 

Jeanne  ne  se  laisse  pas  intimider.  Ce  lieu 
sinistre  est  pour  elle  comme  un  nouveau  champ 
de  bataille.  Là  se  montre  sa  grande  âme,  son 
mâle  courage.  La  Puissance  invisible  qui  Fins- 
pire  éclate  en  paroles  véhémentes,  qui  terrifient 
ses  accusateurs. 

Elle  s'adresse  à  Tévêque  de  Beauvais  :  «  Vous 
dites  que  vous  êtes  mon  juge.  Je  ne  sais  si 
vous  l'êtes.  Mais  avisez-vous  bien  de  ne  pas 
mal  juger  ;  car  vous  vous  mettriez  en  grand 
danger.  Je  vous  en  avertis,  afin  que  si  Notre- 
Seigneur  vous  châtie,  j'aie  fait  mon  devoir  de 
vous  le  dire.  »  —  «  Je  suis  venue  de  la  part  de 


ROUEN;    LE   PROCÈS  189 

Dieu.  Je  n'ai  rien  à  faire  ici.  Laissez-moi  au 
jugement  de  Dieu,  de  qui  je  suis  venue  (1).  » 

On  lui  pose  cette  question  perfide  :  «  Croyez- 
vous  être  en  la  grâce  de  Dieu? —  Si  je  n'y  suis, 
Dieu  m'y  mette;  et  si  j'y  suis,  qu'il  m'y  con- 
serve (2).  »  —  «  Vous  croyez  donc  inutile  de 
vous  confesser,  quoique  en  état  de  péché  mor- 
tel ?  —  Je  n'ai  jamais  commis  de  péché  mortel. 
—  Qu'en  savez-vous?  —  Mes  voix  me  l'auraient 
reproché;  mes  Esprits  m'auraient  délaissée  !  — 
Que  disent  vos  voix  ?  —  Elles  me  disent  : 
((  N'aie  crainte  ;  réponds  hardiment  ;  Dieu  t'ai- 
«  dera  (3)  !  » 

On  cherche  à  la  convaincre  de  magie,  de  sor- 
tilège, en  prétendant  qu'elle  s'est  servie  d'ob- 
jets possédant  des  pouvoirs  mystérieux  : 

«  Aidiez-vous  plus  à  votre  étendard,  ou  l'éten- 
dard à  vous  ?  »  Elle  répond  :  «  De  la  victoire 
de  l'étendard  ou  de  Jeanne,  c'était  tout  à 
Dieu.  —  Mais  l'espérance  d'avoir  victoire 
était-elle  fondée  en  votre  étendard  ou  en 
vous  ?  —  En  Dieu  et  non  ailleurs  {l\).  » 

Combien  d'autres,  à  sa  place,  n'auraient  pu 
ou  su  résister  à  la  tentation  de   s'attribuer  le 


(1)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnation^  pp.  6G^  158. 

(2)  Ibid.,  p.  71. 

(3)  Procès,  passim. 

(4)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnation,  p.  184. 

11. 


190  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

mérite  de  ses  victoires  !  L'orgueil  se  glisse  jus- 
qu'au fond  des  âmes  les  plus  nobles  et  les  plus 
pures.  Nous  sommes  presque  tous  enclins  à 
faire  valoir  nos  actes,  à  en  exagérer  la  portée, 
à  nous  glorifier  sans  raison.  Et,  pourtant,  tout 
nous  vient  de  Dieu.  Sans  lui,  nous  ne  serions 
rien,  nous  ne  pourrions  rien.  Jeanne  le  sait  et, 
dans  Tatmosphère  de  gloire  qui  l'entoure,  elle 
se  fait  humble,  petite,  reportant  à  Dieu  seul 
le  mérite  de  l'œuvre  accomplie.  Loin  de  tirer 
vanité  de  sa  mission,  elle  la  réduit  à  sa  juste 
mesure.  Elle  n'a  été  qu'un  instrument  au  ser- 
vice de  la  Puissance  suprême  : 

«  Il  a  plu  à  Dieu  d'agir  ainsi  par  le  fait  d'une 
simple  vierge  pour  repousser  les  adversaires 
du  roi  (1).  » 

Mais  quel  instrument  admirable  de  sagesse, 
d'intelligence  et  de  vertu  !  Quelle  profonde 
soumission  aux  volontés  d'en  haut  !  «  Tous  mes 
faits  et  paroles  sont  entre  les  mains  de  Dieu  et 
je  m'en  attends  à  lui.  » 


Un  jour,  l'évêque  de  Beauvais  pénètre  dans 
le  cachot.  Il  est  revêtu  de  ses  ornements  sacer- 

(1)  J.Fabre,  Procès  de  condamnation,  p.  152. 


ROUEN;    LE   PROCÈS  191 

dotaux  ;  sept  prêtres  l'accompagnent.  Jeanne 
est  prévenue  par  ses  voix,  elle  sait  que  cet  in- 
terrogatoire est  décisif.  Ses  voix  lui  ont  dit  de 
résister  vaillamment,  de  défendre  la  vérité,  de 
défier  la  mort.  Aussi,  à  la  vue  des  prêtres,  son 
corps  épuisé  se  redresse,  ses  traits  s'illumi- 
nent, son  regard  brille  d'un  éclat  profond. 

«  Jeanne,  dit  Tévêque,  voulez-vous  vous  sou- 
mettre à  l'Église?  »  Question  terrible  au  moyen 
âge  et  d'où  dépend  le  sort  de  l'héroïne  ! 

«  Je  m'en  'réfère  à  Dieu  pour  toutes  choses, 
répond-elle,  à  Dieu  qui  m'a  toujours  inspirée. 
—  Voilà  une  parole  bien  grave.  Entre  vous  et 
Dieu,  il  y  a  l'Eglise.  Voulez-vous,  oui  ou  non, 
vous  soumettre  à  l'Église  ?  —  Je  suis  venue 
vers  le  roi  pour  le  salut  de  la  France,  de  par 
Dieu  et  ses  saints  Esprits.  A  cette  Église-là, 
celle  de  là-haut^  je  me  soumets  en  tout  ce  que 
j'ai  fait  et  dit  !  —  Ainsi,  vous  refusez  de  vous 
soumettre  à  l'Église  ;  vous  refusez  de  renier  vos 
visions  diaboliques?  —  Je  m'en  rapporte  à  Dieu 
seul.  Pour  ce  qui  est  de  mes  visions,  je  n'ac- 
cepte le  jugement  d'aucun  homme  !  » 

Voilà  le  point  capital  du  procès.  11  s'agissait 
de  savoir  par-dessus  tout,  si  Jeanne  subordon- 
nerait aux  volontés  de  l'Église  l'autorité  de  ses 
révélations.  Lors  du  procès  de  réhabilitation, 
les  juges  et  les  témoins  n'ont  eu  qu'une  préoc- 


192  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

cupation,  c'était  de  démontrer  que  Jeanne  avait 
hésité,  puis  accepté  l'autorité  du  pape  et  de 
l'Eglise.  Encore  aujourd'hui,  c'est  l'argumen- 
tation de  ceux  qui  introduisent  l'héroïne  dans 
le  paradis  catholique. 

Lors  du  procès  de  condamnation,  au  contraire, 
Jeanne,  dans  toutes  ses  réponses,  paraît  réso- 
lue ;  sa  pensée  est  claire,  sa  parole  assurée. 
Elle  a  le  sentiment  profond  de  la  cause  qu'elle 
défend.  En  réalité,  ce  débat  solennel  se  pour- 
suit entre  deux  principes  inflexibles.  D'une 
part,  c'est  la  règle,  l'autorité  des  traditions  ; 
c'est  l'infaillibilité  supposée  d'un  pouvoir  immo- 
bilisé depuis  des  siècles.  D'autre  part,  c'est 
l'inspiration,  ce  sont  les  droits  sacrés  de  la 
conscience  individuelle.  Et  l'inspiration  se  ma- 
nifeste là  sous  une  des  formes  les  plus  sugges- 
tives, les  plus  touchantes  que  l'on  ait  vues  à 
travers  les  siècles. 

Il  faut  donc  le  reconnaître  :  beaucoup  mieux 
que  les  témoignages  du  procès  de  réhabilita- 
tion, les  interrogatoires  de  Rouen  nous  mon- 
trent Jeanne  dans  toute  sa  grandeur,  dans  tout 
l'éclat  de  ses  réponses  passionnées,  réponses 
où  sa  parole  vibre,  où  son  regard,  dit  un  té- 
moin, «jette  des  éclairs».  Elle  fascinait  jus- 
qu'à ses  juges.  Nulle  part,  dans  aucun  milieu, 
elle  ne  s'est  montrée  plus  belle,  plus  imposante. 


ROUEN;    LE   PROCÈS  193 

«  Je  m'en  rapporte  à  Dieu  seul  !  »  avait-elle 
dit.  Et  alors,  devant  cette  résolution,  devant 
cette  volonté  que  rien  ne  peut  faire  plier,  on 
n'hésite  plus. 

Le  9  mai,  Jeanne  est  amenée  dans  la  chambre 
des  tortures.  Les  tortureurs  sont  là  avec  tout 
le  sinistre  appareil.  Les  instruments  sont  pré- 
parés; on  les  fait  rougir  au  feu.  Jeanne  per- 
siste. Elle  défend  la  France  et  le  roi  ingrat 
qui  Ta  délaissée  :  «  Si  vous  me  deviez  faire  arra- 
cher les  membres,  dit-elle,  et  faire  partir  l'âme 
hors  du  corps,  encore  ne  vous  dirais-je  autre 
chose  (1)  !  » 

Elle  ne  fut  pas  livrée  à  la  torture,  non  par 
un  sentiment  de  pitié,  de  ménagement,  de 
compassion,  mais  parce  que,  dans  son  état  de 
faiblesse  physique,  il  était  évident  qu'elle  expi- 
rerait au  milieu  des  tourments.  Et  on  voulait 
une  mort  publique,  un  cérémonial  éclatant,  afin 
de  frapper  l'imagination  de  la  foule. 

Ses  juges  ne  négligeaient  rien  pour  la  faire 
souffrir.  Par  un  raffinement  de  cruauté,  ils  se 
complaisaient  à  lui  décrire  les  horreurs  du  sup- 
plice du  feu.  Or,  ce  supplice,  elle  le  redoutait 
particulièrement  :  «  J'aimerais  mieux  être  dé- 
capitée,  disait-elle,  que    d'être  ainsi  brûlée.  » 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnation,]).  324. 


194  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

Loin  d'être  touchés  de  sa  plainte,  ils  insistaient 
de  plus  belle.  Accablée  par  le  poids  de  ses 
chaînes,  gardée  étroitement  par  des  ennemis 
brutaux,  au  fond  de  cet  abîme  de  misère  où 
pas  un  rayon  de  pitié,  pas  une  parole  secourable 
ne  descendait,  parfois  un  cri  de  révolte  montait 
à  ses  lèvres  et  elle  en  appelait  à  Dieu,  «  le  grand 
juge  »,  des  torts  qu'on  lui  causait.  Et  elle  ajou- 
tait :  «  Ceux  qui  voudront  m'ôter  de  ce  monde 
pourront  bien  s'en  aller  avant  moi.  »  Un  autre 
jour,  elle  disait  encore  à  son  interrogateur  : 
«  Vous  ne  ferez  ce  que  vous  dites  contre  moi 
qu'il  ne  vous  en  prenne  mal  au  corps  et  à 
l'âme  (1)  !  >) 

En  effet,  plusieurs  de  ses  juges  eurent  une 
fin  misérable.  Tous  eurent  à  subir  le  mépris 
public  et  les  reproches  de  leur  conscience.  Gau- 
chon  mourut  accablé  de  remords.  Le  peuple 
déterra  son  cadavre  pour  le  jeter  à  la  voirie.  Le 
promoteur,  Jean  d'Estivet,  périt  dans  un  égout. 
Quelques  autres  parurent  au  procès  de  réhabi- 
litation, vingt-cinq  ans  après,  bien  plus  en 
accusés  qu'en  témoins.  Leur  attitude  fut  piteuse, 
leur  langage  révélait  le  trouble  de  leur  âme  et 
le  sentiment  de  leur  indignité. 

On  ne  respectait  pas  toujours  la  vérité  dans 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnalion,  p.  321. 


ROUEN;    LE    PROCÈS  195 

la  transcription  des  paroles  de  Taccusée.  Un 
jour,  qu'étant  interrogée  sur  ses  visions,  on  lui 
lisait  une  de  ses  réponses  antérieures,  Jean 
Lefèvre  y  reconnut  une  erreur  de  rédaction  et 
la  fit  remarquer  à  Jeanne,  qui  pria  le  greffier 
Manchon  de  relire.  Il  relut,  et  Jeanne  déclara 
qu'elle  avait  dit  tout  le  contraire  (1).  » 

Une  autre  fois,  elle  leur  dit  d'un  ton  de  re- 
proche :  «  Vous  inscrivez  ce  qui  est  contre  moi 
et  non  ce  qui  est  pour  moi  !  » 

Malgré  tout,  l'énergie  surhumaine  de  Jeanne, 
son  langage  inspiré,  sa  grandeur  dans  la  souf- 
france, avaient  fini  par  impressionner  ses  juges. 
Cauchon  sentait  bien  qu'il  y  avait  là  un  être 
exceptionnel,  un  être  que  le  Ciel  soutenait.  Et 
les  conséquences  hideuses  de  son  crime  lui 
apparaissaient  maintenant  ;  elles  se  dressaient 
déjà  devant  lui.  A  certains  moments,  la  voix  de 
la  conscience  grondait,  menaçait.  L'épouvante 
envahissait  le  prélat.  Mais  comment  reculer  ? 
Les  Anglais  étaient  là  ;  ils  suivaient  avec  une 
attention  fiévreuse  la  marche  du  procès,  ils 
attendaient  avec  une  sombre  fureur  l'heure 
d'immoler  Jeanne,  après  l'avoir  torturée  et 
déshonorée.  L'évêque  de  Beauvais  ne  vit  qu'un 


(1)  H.  Wallon,  Jeanne  d'Arc,  p.  230.  —  J.  Fabre,  Procès 
de  réhabilitation,  t.  I,  p.  358.  Déposition  de  l'évêque  Jean 
Lefèvre. 


196  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

moyea.  C'était  de  faire  disparaître  la  victime 
par  un  assassinat;  c'était  d'éviter  un  crime  pu- 
blic par  un  crime  secret.  Il  songea  à  Tempoi- 
sonner  et  lui  fit  envoyer  un  poisson  dont  elle 
mangea.  Aussitôt,  elle  est  prise  de  vomisse- 
ments et  tombe  malade.  Son  abattement  est  ex- 
trême. On  craint  pour  sa  vie  ;  on  l'entoure  de 
soins  perfides,  car  il  ne  faut  pas  qu'elle  meure 
ainsi  obscurément.  Les  Anglais  l'ont  payée 
cher  et  ils  l'ont  destinée  au  bûcher.  Mais  sa 
constitution  robuste  triomphe.  Et  aussitôt  les 
souffrances  morales  recommencent.  On  profite 
de  son  état  de  faiblesse.  On  redouble  d'insis- 
tance. On  exige  d'elle  une  abjuration.  Rien 
n'avait  été  épargné  pour  en  arriver  à  ce  but  : 
espionnage,  mensonges,  tentative  de  viol  et 
jusqu'au  poison.  La  vierge  que  tout  un  peuple 
admirait,  avait  été  abreuvée  d'ignominie  par  ses 
juges,  par  ses  gardiens. 

Une  scène  —  on  pourrait  dire  une  comédie 
—  est  préparée  dans  le  cimetière  de  Saint- 
Ouen.  Là,  à  la  vue  du  peuple  et  des  Anglais, 
devant  ses  juges  rassemblés,  à  la  tête  desquels 
se  placent  un  cardinal  et  quatre  évoques, 
Jeanne  est  requise  de  déclarer  qu'elle  se  sou- 
met à  rÉglise.  On  la  presse,  on  la  sollicite  de 
s'épargner  elle-même,  de  ne  pas  se  condamner 
au  supplice  du  feu.  Le  bourreau  est  là,  en  effet. 


ROUEN;    LE    PROCÈS  197 

dans  sa  sinistre  charrette,  au  pied  même  de 
l'estrade  sur  laquelle  on  l'a  fait  monter,  le 
bourreau,  qui  va  la  conduire,  si  elle  refuse,  au 
Vieux-Marché,  où  le  bûcher  l'attend  ! 

Et  alors,  sous  ce  jour  sombre  qui  tombe  du 
ciel  comme  à  regret,  sous  l'impression  de  tris- 
tesse qui  se  dégage  de  ces  tombes,  de  ces  sé- 
pultures qui  l'entourent,  elle  se  sent  prise  d'un 
immense  abattement. 

Sa  pensée  se  détache  de  ce  champ  des  morts; 
elle  revoit  sa  vieille  terre  de  Lorraine,  ses  bois 
touffus  où  chantent  les  oiseaux,  ces  lieux  ai- 
més de  sa  jeunesse.  Elle  croit  entendre  ces 
chansons  des  fîleuses  et  des  pâtres,  ces  accents 
doux  et  plaintifs  apportés  par  l'aile  du  vent. 
Jylle  revoit  sa  chaumière,  sa  mère  et  son  vieux 
père  en  cheveux  blancs  qu'elle  a  revu  à  Reims, 
et  qui  auront  tant  de  peine  en  apprenant  sa 
mort  !  En  elle  s'éveille  le  regret  de  la  vie. 
Mourir  à  vingt  ans,  n'est-ce  pas  bien  cruel! 

Et,  pour  la  première  fois,  l'ange  faiblit.  Le 
Christ,  lui  aussi,  a  eu  son  heure  de  faiblesse. 
Au  mont  des  Oliviers  n'a-t-il  pas  voulu  écarter 
la  coupe  -de  fiel  ?  n'a-t-il  pas  dit  :  «  Que  ce  ca- 
lice s'éloigne  de  moi  !  » 

Jeanne,  à  bout  de  forces,  signe  la  cédule  qu'on 
lui  présente.  Souvenez-vous  qu'elle  ne  sait  ni 
lire  ni  écrire.  Et,  d'ailleurs,  la  cédule  qu'on  lui 


198  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

fait  signer  n'est  pas  celle  qu'on  enregistrera. 
Une  substitution  infâme  a  eu  lieu.  On  n'a  pas 
même  reculé  devant  cet  acte  odieux.  Aujour- 
d'hui la  preuve  est  faite  que  la  formule  d'abju- 
ration qui  figure  au  procès,  signée  d'une  croix, 
est  un  faux.  Cette  formule  n'est,  ni  comme  con- 
tenu, ni  comme  étendue,  celle  que  Jeanne  a 
signée.  Pas  un  des  témoins  du  procès  de  revi- 
sion n'a  attesté  l'identité  de  cette  pièce  :  cinq 
l'ont  niée.  La  pièce  que  nous  possédons  est 
extrêmement  longue.  Trois  témoins  :  Dela- 
chambre,  Taquel,  ^lonnet,  ont  dit:  «  Nous 
étions  tout  près,  nous  avons  vu  la  cédule,  elle 
ne  contenait  que  six  ou  sept  lignes  (1).  »  «  Sa 
lecture  dura  autant  qu'un  Paler  »,  a  ajouté  !Mi- 
giet  (2).  Un  autre  témoin  a  déclaré  :  «  Je  sais 
positivement  que  la  cédule  que  j'ai  lue  à 
Jeanne  et  qu'elle  a  signée,  n'était  pas  celle  dont 
il  est  fait  mention  au  procès  (3).  »  Or,  ce  té- 
moin n'est  autre  que  le  greffier  Massieu,  qui  a 
lui-même  fait  prononcer  par  Jeanne  la  formule 
d'abjuration. 

Jeanne,    troublée,  n'entendit   ni  ne  comprit 
cette  formule.    Elle    signa  sans  prononcer  de 


(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabililalion,  t.  II,  pp.  19,   63,  134. 

(2)  Ibid.,  t.  I,  p.  365. 

(3)  Ibid.,  t.  II,    p.  76.  Déposition  de  l'huissier  Jean  Mas- 
sieu. 


ai 


ROUEN;    LE    PROCÈS  199 

serment,  sans  avoir  la  pleine  conscience  de  son 
acte.  Elle  Fa  affirmé  elle-même  à  ses  juges, 
quelques  jours  après,  disant:  «  Ce  qui  était 
en  la  cédule  de  l'abjuration,  je  ne  l'entendais 
point.  Je  n'ai  entendu  rien  révoquer  qu'autant 
que  ce  serait  le  plaisir  de  Dieu  (1).  » 

Ainsi,  ce  que  les  menaces,  les  violences  et 
tout  l'appareil  des  tortures  n'avaient  pu  obtenir 
d'elle,  on  l'obtint  par  des  prières,  par  des  sol- 
licitations hypocrites.  Cette  âme  si  tendre  se 
laissa  prendre  aux  faux  semblants  de  sympa- 
thie, aux  faux  témoignages  de  bienveillance. 
Mais,  la  nuit  même,  les  voix  se  firent  entendre, 
impérieuses,  dans  la  prison.  Et  le  28  mai, 
Jeanne  le  déclare  à  ses  juges  :  «  La  voix  m'a  dit 
que  c'était  trahison  que  d'abjurer.  La  vérité  est 
que  Dieu  m'a  envoyée.  Ce  que  j'ai  fait  est  bien 
fait.  »  Et  elle  reprit  l'habit  d'homme  qu'on  lui 
avait  fait  quitter. 

Que  s'était-il  passé  après  l'abjuration, 
lorsque,  au  mépris  des  promesses  de  la  mettre 
en  «  prison  d'Église  »  et  de  la  faire  garder  par 
une  femme,  on  l'avait  ramenée  dans  son  ca- 
chot abject?  Les  témoignages  suivants  nous 
l'apprendront: 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnation,  p.  367. 


200  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

«  Jeanne  me  révéla  qu'après  son  abjuration,  on 
l'avait  tourmentée  violemment  en  la  prison  et  mo- 
lestée et  battue,  et  qu'un  milord  anglais  avait  tenté 
de  la  forcer.  Elle  disait  publiquement  et  elle  me  dit 
à  moi  que  c'était  là  la  cause  pour  laquelle  elle  avait 
repris  l'habit  d'homme  (i).  » 

«  En  ma  présence,  on  demanda  à  Jeanne  pour- 
quoi elle  avait  repris  l'habit  d'homme;  elle  répondit 
qu'elle  l'avait  fait  pour  défendre  sa  pudeur,  parce 
qu'elle  n'était  pas  en  sûreté,  sous  l'habit  de  femme, 
avec  ses  gardiens  qui  avaient  voulu  attenter  à  son 
honneur  (2).  » 

«  Plusieurs  autres  et  moi  nous  fûmes  présents  au 
moment  où  elle  s'excusait  d'avoir  revêtu  cet  habit, 
disant  et  affirmant  publiquement  que  les  Anglais  lui 
avaient  fait  en  la  prison  beaucoup  de  tort  et  de  vio- 
lence, quand  elle  portait  des  habillements  de  femme. 
De  fait,  je  la  vis  éplorée,  le  visage  plein  de  larmes 
et  défiguré  et  outragé  de  telle  sorte  que  j'en  eus 
pitié  et  compassion  (3).  » 

Dans  cette  prison  des  Anglais,  Jeanne  a  bu  le 
calice  d'amertume  jusqu'à  la  dernière  goutte  ; 
elle  est  descendue  jusqu'au  fond  du  gouffre  des 
misères  humaines.  Toutes  ses    souffrances  se 


(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabililalion,  t.   II,  pp.  88-89.  Dé- 
position du  frère  Martin  Ladvenu. 

(2)  Id.,  Ibid.,  t.  II,  p.  41.  Déposition  du  greffier  Manchon. 

(3)  Id.,  Ibid.,  t.  II,  p.  98.  Déposition  du  frère  Isambard  de 
la  Pierre. 


ROUEN;    LE    PROCÈS  201 

résument  en  ces  paroles  à  ses  juges  :  «  J'aime 
mieux  mourir  qu'endurer  plus  longuement 
peine  en  chartre  (1)  !  » 

Et,  à  ces  heures  affreuses,  là-bas,  dans  les 
châteaux  de  la  Loire,  Charles  Vil,  au  son  alan- 
gui  des  violes  et  des  rebecs,  Charles  se  livre 
aux  plaisirs  de  la  danse,  à  toutes  les  joies  de  la 
volupté.  Au  sein  des  fêtes,  il  oublie  celle  qui 
lui  a  donné  sa  couronne  ! 

En  présence  de  tels  faits,  la  pensée  s'attriste 
et  les  cœurs  se  troublent.  On  se  prend  à  douter 
de  l'éternelle  justice.  Comme  le  cri  d'angoisse 
de  Jeanne,  notre  plainte  douloureuse  s'élève 
dans  les  cieux  immenses  :  seul,  un  morne  si- 
lence répond  à  notre  appel.  Pourtant,  des- 
cendons en  nous-mêmes  et  sondons  le  grand 
mystère  de  la  douleur.  N'est-elle  pas  nécessaire 
à  la  beauté  des  âmes  et  à  l'harmonie  de  l'uni- 
vers ?  Que  serait  le  bien  sans  le  mal,  qui  lui 
sert  de  contraste  et  en  fait  ressortir  tout  l'éclat? 
Apprécierait-on  les  bienfaits  de  la  lumière,  si 
on  n'avait  souffert  de  la  nuit  ?  Oui,  la  terre 
estle  calvaire  des  justes,  mais  c'est  aussi  l'école 
de  l'héroïsme,  de  la  vertu  et  du  génie  ;  c'est  le 
vestibule  des  mondes  heureux  où  toute  peine 
endurée,  tout  sacrifice  accompli  nous  prépare 

(1)  J.Fabre,  Procès  de  condamnai  ion,  p.  366. 


202  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

des  joies  compensatrices.  Les  âmes  s'épurent 
ets'embellissentparla  souffrance.  Toute  félicité 
se  conquiert  par  la  douleur.  Ceux  qu'on  im- 
mole ont  la  plus  belle  part.  Tous  les  cœurs 
purs  souftVent  sur  la  terre  :  l'amour  ne  va  pas 
sans  larmes.  Il  n'y  a  que  vide  et  amertume  au 
fond  des  satiétés  humaines,  et  des  spectres  se 
glissent  jusque  dans  nos  plus  beaux  rêves. 

Mais  tout  est  passager  en  ce  monde.  Le  mal 
n'a  qu'un  temps,  et,  plus  haut,  dans  les  sphères 
supérieures,  le  règne  de  la  justice  s'épanouit 
dans  l'éternelle  durée.  Non,  la  confiance  des 
croyants,  le  dévouement  des  héros,  les  espé- 
rances des  martyrs  ne  sont  pas  de  vaines  chi- 
mères !  La  terre  est  un  marchepied  pour  mon- 
ter au  ciel. 

Que  ces  âmes  sublimes  nous  servent  d'exem- 
ples, et  que  leur  foi  rayonne  sur  nous  à  travers 
les  siècles  !  Chassons  de  nos  cœurs  les  tris- 
tesses et  les  vains  découragements.  Sachons 
tirer  de  nos  épreuves  et  de  nos  maux,  tout  le 
fruit  qu'ils  nous  offrent  pour  notre  élévation. 
Sachons  nous  rendre  dignes  de  renaître  en  des 
mondes  plus  beaux,  là  où  il  n'y  a  plus  ni  haine, 
ni  injustice,  ni  sécheresse  de  cœur,  et  où 
les  existences  se  déroulent  dans  une  harmonie 
toujours  plus  pénétrante  et  une  lumière  tou- 
jours plus  vive. 


ROUEN;    LE    PROCÈS  203 


Après  sa  rétractation,  Jeanne  fut  déclarée 
relapse,  hérétique,  schismatique  et  condamnée 
sans  retour.  Elle  n'avait  plus  qu'à  mourir,  mou- 
rir par  le  feu  !  Telle  fut  la  sentence  de  ses 
juges  ! 

Ces  juges,  ces  croyants  du  quinzième  siècle, 
n'ont  pas  voulu  reconnaître  la  mission  de 
Jeanne  d'Arc.  Ils  veulent  bien  croire  à  ces  ma- 
nifestations lointaines  dont  parlent  les  Bibles  ; 
ils  aiment  à  reporter  leur  pensée  vers  ces  épo- 
ques où  les  missionnaires,  où  les  envoyés  d'en 
haut  descendent  sur  la  terre  et  se  mêlent  aux 
hommes.  Ils  veulent  bien  croire  à  un  Dieu 
qu'ils  immobilisent  dans  les  profondeurs  du 
ciel,  et  à  qui  ils  envoient  tous  les  jours  des 
louanges  stériles. 

Mais  pour  le  Dieu  qui  vit,  agit  et  se  mani- 
feste dans  le  monde,  dans  toute  la  spontanéité, 
la  jeunesse  et  la  fraîcheur  de  la  vie,  pour  les 
grands  Esprits  qui  sont  là,  devant  eux,  répan- 
dant sur  leurs  missionnaires  le  souffle  d'une 
inspiration  puissante,  ils  n'ont  que  la  haine, 
l'insulte  et  la  flétrissure  ! 

Les  juges  de  Rouen  et  les  docteurs  de  l'Uni- 
versité de    Paris  ont  déclaré  Jeanne  inspirée 


204  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

par  Fenfer.  Et  pourquoi?  Parce  que  les  défen- 
seurs, les  représentants  de  la  lettre,  de  la  for- 
mule, de  la  routine,  n'ont  qu'un  savoir  de  sur- 
face, un  savoir  qui  dessèche  le  cœur,  prive  la 
pensée  de  nourriture  et,  dans  certains  cas,  peut 
conduire  jusqu'à  l'injustice,  jusqu'au  crime. 

C'est  ainsi  qu'à  toutes  les  époques,  les  hom- 
mes de  la  lettre  ont  été,  à  leur  insu,  les  bour- 
reaux de  l'idéal  et  du  divin.  C'est  ainsi  que, 
sous  la  roue  de  fer  du  despotisme,  on  a  broyé 
ce  qu'il  y  a  de  plus  beau,  de  plus  grand,  de 
plus  généreux  en  ce  monde.  Les  résultats  ne 
se  sont  pas  fait  attendre.  Ils  ont  été  terribles 
pour  l'Église.  C'est  ce  que  nous  dit  Henri  Mar- 
tin (1)  : 

«  En  condamnant  Jeanne,  la  doctrine  du  moyen 
âge,  la  doctrine  d'Innocent  III  et  de  l'Inquisition  a 
prononcé  sa  propre  condamnation.  Elle  avait  d'abord 
brûlé  des  sectaires,  puis  des  dissidents  qui  ensei- 
gnaient une  pure  morale  chrétienne;  maintenant 
elle  vient  de  brûler  un  prophète,  un  messie!  L'Es- 
prit s'est  retiré  d'elle.  C'est  désormais  en  dehors 
d'elle  et  contre  elle  que  s'opéreront  les  progrès  de 
l'humanité  et  les  manifestations  du  gouvernement 
delà  Providence  sur  la  terre.  » 

(1)  H.  Martin,  Histoire  de  France,  t.  VI,  p.  302. 


I 


ROUEN;    LE   PROCÈS  2U5 

Oui,  l'humanité  a  marché  ;  le  progrès  s'est 
réalisé  dans  le  monde.  On  ne  peut  plus  faire 
mourir  les  envoyés  de  Dieu  sur  la  croix  ou  sur 
le  bûcher.  Les  cachots,  les  salles  de  torture 
ont  été  fermés,  les  gibets  ont  disparu.  Pour- 
tant d'autres  armes  se  dressent  encore  contre 
les  novateurs,  contre  les  porte-paroles  de  l'idée 
nouvelle.  C'est  la  raillerie,  le  sarcasme,  la  ca- 
lomnie ;  c'est  la  lutte  sourde  et  continue. 

Mais,  si  les  institutions  redoutables  du  moyen 
âge,  si  tout  Tappareil  des  supplices,  si  les  écha- 
fauds  et  les  bûchers  n'ont  pu  arrêter  la  marche 
de  la  vérité,  comment  pourrait-on  l'entraver 
aujourd'hui  ?  L'heure  est  venue  où  l'homme 
ne  veut  plus,  dans  le  domaine  de  la  pensée, 
d'autre  autorité  que  sa  conscience  et  sa  raison. 
C'est  pour  cela  que  nous  devons  rester  fidèles 
à  notre  droit  éternel  de  juger  et  de  com- 
prendre. 

L'heure  s'approche,  l'heure  est  venue  où 
toutes  les  erreurs  du  passé  vont  comparaître 
au  grand  jour,  devant  le  tribunal  de  l'histoire. 
Déjà  les  paroles  et  les  actions  des  grands  mis- 
sionnaires, des  martyrs  et  des  prophètes  sont 
reprises  et  expliquées.  Elles  brillent  aux  yeux 
de  tous  d'un  éclat  nouveau.  Bientôt,  il  en  sera 
de  même  des  sociétés,  des  institutions  d'au- 
trefois. Elles  seront  jugées  à  leur  tour  et  elles 

12 


206  JEANNE   d'arc  MÉDIUM 

ne  conserveront  leur  puissance  morale,  leur 
autorité,  que  si  elles  savent  donner  à  l'homme 
plus  de  moyens  et  de  ressources  pour  penser, 
plus  de  liberté  pour  aimer,  pour  s'élever  et 
progresser. 


XII.  —  Rouen;  le  supplice. 


Du  Christ,  avec  ardeur,  Jeanne 
baisait  l'image. 

Casimir  Delavigne. 

Nous  sommes  au  30  mai  IZi31.  Le  drame 
touche  à  son  dénouement.  Il  est  huit  heures  du 
matin.  Toutes  les  cloches  de  la  grande  cité 
normande  tintent  lugubrement.  C'est  le  glas 
funèbre,  le  glas  des  morts.  On  annonce  à  Jeanne 
que  sa  dernière  heure  est  venue.  «  Hélas  ! 
s'écrie-t-elle  en  pleurant,  me  traite-t-on  ainsi 
horriblement  et  cruellement  qu'il  faille  que 
mon  corps  net  et  entier,  qui  ne  fut  jamais  cor- 
rompu, soit  aujourd'hui  consumé  et  réduit  en 
cendres  !  Ah  î  j'aimerais  mieux  être  décapitée 
sept  fois  que  d'être  ainsi  brûlée...  Oh!  j'en 
appelle  à  Dieu  des  grands  torts  et  injustices 
qu'on  me  fait  (1)  !  » 

Cette  pensée  du  supplice  par  le  feu  l'impres- 


(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabiliîalion,  t.  II,  p.  104.  Déposi- 
tion du  frère  Jean  Toutmouillé. 


208  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

sionne  douloureusement.  Elle  songe  à  l'avance 
à  ces  flammes  qui  montent,  à  cette  mort  qui 
s'approche  lentement,  à  cette  agonie  prolongée 
d'un  être  vivant,  ressentant  les  morsures  ar- 
dentes qui  dévorent  sa  chair.  Cette  mort  était 
celle  des  pires  criminels,  et  Jeanne,  la  vierge 
innocente,  Jeanne  la  libératrice  d'un  peuple,  va 
la  subir  ! 

Ici  se  montre  toute  la  bassesse  de  ses  enne- 
mis, de  ceux  qu'elle  avait  tant  de  fois  vaincus. 
Au  lieu  de  rendre  à  son  courage,  à  son  génie, 
les  hommages  que  des  soldats  civilisés  accor- 
dent à  ceux  de  leurs  adversaires,  que  la  mau- 
vaise fortune  fait  tomber  entre  leurs  mains,  les 
Anglais  réservent  à  Jeanne,  après  les  plus  mau- 
vais traitements,  une  fin  ignominieuse.  Son 
corps  sera  consumé,  sa  cendre  jetée  à  la  Seine. 
Elle  n'aura  pas  de  tombe  où  ceux  qui  l'ont 
aimée  pourront  venir  pleurer,  déposer  des 
fleurs,  pratiquer  le  culte  touchant  du  sou- 
venir. 

Elle  monte  sur  la  sinistre  charrette  et  l'on 
s'achemine  vers  le  lieu  du  supplice.  Huit  cents 
soldats  anglais  l'escortent.  Une  foule  conster- 
née se  presse  sur  son  passage.  Le  cortège  dé- 
bouche par  la  rue  Écuyère  sur  la  place  du  Vieux- 
Marché.  Là,  trois  échafauds  se  dressent.  Les 
prélats  et  les  officiers  ont  pris  place  sur  deux 


ROUEN;    LE    SUPPLICE  209 

estrades.  Voici,  sur  son  trône,  le  cardinal  de 
Winchester,  revêtu  de  la  pourpre  romaine, 
puis  les  évêques  de  Beauvais  et  de  Boulogne, 
tous  les  juges  et  les  capitaines  anglais.  Entre 
les  estrades,  le  bûcher  s'élève  ;  il  est  effrayant 
de  hauteur.  C'est  un  amoncellement  de  bois  qui 
domine  toute  la  place.  On  veut  que  le  supplice 
soit  long  et  que  la  vierge,  vaincue  par  la  dou- 
leur, implore,  crie  grâce,  renie  sa  mission  et 
ses  voix. 

On  lit  l'acte  d'accusation,  cet  acte  en  70  articles, 
dans  lequel  on  a  entassé  tout  ce  que  la  haine 
la  plus  venimeuse  a  pu  imaginer  pour  dénaturer 
les  faits,  pour  tromper  l'opinion  et  faire  de  la 
victime  un  objet  d'horreur.  Jeanne  s'agenouille. 
Dans  ce  moment  solennel,  devant  la  mort  qui 
s'apprête,  son  âme  se  dégage  des  ombres  ter- 
restres ;  elle  entrevoit  les  splendeurs  éternelles. 
Elle  prie  à  haute  voix.  Sa  prière  est  longue  et 
fervente.  Elle  pardonne  à  tous,  à  ses  ennemis,  à 
ses  bourreaux.  Dans  l'élan  sublime  de  sa  pensée 
et  de  son  cœur,  elle  réunit  deux  peuples,  elle 
embrasse  deux  royaumes.  A  ses  accents,  l'émo- 
tion gagne  la  foule  ;  dix  mille  personnes  sont 
là  qui  éclatent  en  sanglots.  Les  jugeseux-mêmes, 
ces  tigres  à  face  humaine,  Cauchon,  Winches- 
ter, tous  pleurent.  Mais  leur  émotion  dure  peu. 
Le  cardinal  fait  un  signe.   Jeanne  est  attachée 

12. 


210  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

au  poteau  fatal  par  des  liens  de  fer  ;  à  son  cou 
est  passé  un  lourd  carcan. 

A  ce  moment,  elle  s'adresse  à  Isambard  de  la 
Pierre  et  lui  dit  :  «  Je  vous  en  prie,  allez  me 
chercher  la  croix  de  l'église  voisine,  pour  la 
tenir  élevée  tout  droit  devant  mes  yeux,  jusques 
au  pas  de  la  mort  (1).  »  Et  quand  on  lui  apporte 
la  croix,  elle  la  couvre  de  baisers  en  pleu- 
rant; à  l'instant  où  elle  va  mourir  d'une 
mort  horrible,  abandonnée  de  tous,  elle  veut 
avoir  présente  devant  elle  Timage  de  cet  autre 
supplicié  qui,  là-bas,  sur  un  âpre  sommet 
d'Orient,  a  donné  sa  vie  comme  sanction  à  la 
vérité. 

A  cette  heure  solennelle,  elle  revoit  de  nouveau 
sa  vie,  courte  mais  éblouissante.  Elle  évoque 
le  souvenir  de  tous  ceux  qu'elle  a  aimés,  les 
jours  paisibles  de  son  enfance  à  Domremy,  le 
doux  profil  de  sa  mère,  la  physionomie  grave 
de  son  vieux  père  et  les  compagnes  de  sa  prime 
jeunesse  :  Hauviette  et  Mengette,  son  oncle 
Durand  Laxart  qui  l'accompagna  à  Vaucou- 
leurs  ;  puis,  les  hommes  dévoués  qui  lui  firent 
cortège  jusqu'à  Ghinon.  Dansune  vision  rapide, 
les  campagnes  de  la  Loire  se  déroulent,  les  glo- 


(1)  J.  Fabre,  Procès  de  véhahililalion^  t.  II,  p.  100.  Déposi- 
tion du  frère  Isambard  de  la  Pierre. 


ROUEN;    LE  SUPPLICE  211 

rieux  combats  d'Orléans,  de  Jargeau,  de  Patay, 
les  fanfares  guerrières  et  les  cris  joyeux  de  la 
foule  en  délire. 

Elle  revit,  entendit  tout  cela  à  l'heure  der- 
nière. Gomme  dans  un  embrassement  suprême, 
elle  voulut  dire  un  dernier  adieu  à  toutes  ces 
choses,  à  tous  ces  êtres  aimés.  N'ayant  rien 
d'eux  sous  ses  regards,  c'est  dans  l'image  du 
Christ  mourant  qu'elle  résuma  tous  ses  souve- 
nirs, toutes  ses  tendresses  ;  c'est  à  lui  qu'elle 
adressa  son  adieu  à  la  vie,  dans  les  derniers 
élans  de  son  cœur  brisé. 

Les  bourreaux  mettent  le  feu  au  bûcher  et  des 
tourbillons  de  fumée  montent  dans  l'air.  La 
flamme  s'élève,  court,  serpente  à  travers  les 
piles  de  bois.  L'évêque  de  Beauvais  s'approche 
et,  du  pied  du  bûcher,  lui  crie  :  «  Abjure  !  » 
Mais  Jeanne,  déjà  enveloppée  par  un  cercle  de 
feu,  répond  :  «  Evêque,  je  meurs  par  vous,  j'en 
appelle  de  votre  jugement  devant  Dieu  !  » 

La  flamme,  rouge,  ardente,  monte,  monte 
encore  et  lèche  son  corps  virginal  ;  ses  vête- 
ments fument.  Elle  se  tord  dans  ses  liens  de 
fer  ;  puis,  sa  voix  stridente  jette  à  la  foule  silen- 
cieuse, terrifiée,  ces  paroles  éclatantes  :  «  Oui, 
mes  voix  venaient  d'en  haut.  Mes  voix  ne  m'ont 
pas  trompée  !  Mes  révélations  étaient  de  Dieu. 
Tout  ce  que  j'ai  fait,  je  l'ai  fait  par  l'ordre  de 


212  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

Dieu  (1)!  »  Et  sa  robe  prend  feu,  devient  une 
des  étincelles  de  cette  fournaise.  Un  cri  hale- 
tant s'élève,  suprême  appel  de  la  martyre  de 
Rouen  au  supplicié  du  Golgotha  :  «  Jésus  !  » 

Et  l'on  n'entendit  plus  rien  que  le  bruit  de  la 
flamme  qui  crépitait... 

Jeanne  a-t-elle  beaucoup  souffert  ?  Elle-même 
assure  que  non.  «  Des  fluides  puissants,  nous 
dit-elle,  pleuvaient  sur  moi.  Et,  d'autre  part,  ma 
volonté  était  si  forte  qu'elle  commandait  à  la 
douleur.   » 

Jeanne  est  morte  !  L'espace  tout  entier  s'illu- 
mine. Au-dessus  de  la  terre  elle  s'élève,  elle 
plane,  laissant  derrière  elle  une  traînée  bril- 
lante. Ce  n'est  plus  un  être  matériel,  mais  un 
pur  esprit,  un  être  idéal  de  pureté  et  de  lu- 
mière. Pour  elle,  les  cieux  se  sont  ouverts 
jusque  dans  leurs  profondeurs  infinies.  Des 
légions  d'Esprits  radieux  s'avancent  à  sa  ren- 
contre ou  lui  font  cortège.  Et  l'hymne  de 
triomphe,  le  chœur  de  la  bienvenue  céleste  re- 
tentit :  «  Salut  !  salut  à  celle  que  le  martyre  a 
couronnée  !  Salut  à  toi  qui,  par  le  sacrifice,  as 
conquis  une  gloire  éternelle  !  » 


(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabililalion,  t.  II,  p.  91.  Déposition 
du  frère  Martin  Ladvenu. 


ROUEN;    LE  SUPPLICE  213 

Jeanne  est  entrée  dans  le  sein  de  Dieu,  dans 
ce  foyer  inextinguible  d'énergie,  d'intelligence 
et  d'amour  qui  anime  l'univers  entier  de  ses 
vibrations.  Longtemps,  elle  y  resta  plongée. 
Puis,  un  jour,  elle  en  sortit  plus  rayonnante  et 
plus  belle,  préparée  à  des  missions  d'un  autre 
ordre,  dont  nous  parlerons  plus  loin. 

Et  Dieu,  en  récompense,  lui  a  donné  autorité 
sur  ses  sœurs  du  ciel. 

Recueillons-nous  ;  saluons  cette  noble  figure 
de  vierge,  cette  fille  au  cœur  immense  qui,  après 
avoir  sauvé  la  France,  est  morte  pour  elle  avant 
d'avoir  vingt  ans. 

Sa  vie  resplendit  comme  un  rayon  céleste 
dans  la  nuit  affreuse  du  moyen  âge. 

Elle  est  venue  apporter  aux  hommes,  avec  sa 
foi  puissante  et  sa  confiance  en  Dieu,  le  courage, 
l'énergie  nécessaires  pour  surmonter  mille 
obstacles  ;  elle  est  venue  apporter  à  la  France 
trahie,  agonisante,  le  salut  et  le  relèvement. 
Pour  prix  de  son  abnégation  héroïque,  elle  n'a, 
hélas  !  recueilli  qu'amertume,  humiliation,  per- 
fidie, et,  pour  couronnement  de  sa  courte  mais 
merveilleuse  carrière,  une  passion  et  une  mort 
si  douloureuses,  qu'elles  n'ont  d'égales  que 
celles  du  Christ. 

Le   père  de  Jeanne,  frappé  au  cœur  par  la 


214  JEANxNE    d'arc    MEDIUM 

nouvelle  du  martyre  de  sa  fille,  mourut  subite- 
ment ;  il  fut  suivi  de  près  dans  la  tombe  par 
l'aîné  de  ses  fils.  La  mère  n'eut  plus  qu'un  but 
en  ce  monde  :  poursuivre  avec  persistance  la 
revision  du  procès.  Elle  fit  démarches  sur  dé- 
marches ;  elle  adressa  requêtes  sur  requêtes  au 
roi  et  au  pape  :  longtemps  en  vain. 

En  l/i/i9,  lorsque  Charles  VII  fit  son  entrée 
à  Rouen,  elle  eut  quelque  espoir,  mais  le  pape 
Nicolas  V  lui  opposa  des  réponses  évasives,  et 
le  roi  resta  figé  dans  son  ingratitude.  En  l/i55, 
avec  Calixte  III,  elle  eut  plus  de  succès,  car 
tout  le  peuple  de  France  appuyait  ses  réclama- 
tions. La  cour  fut  contrainte  d'écouter  la  voix 
publique.  Onavaitfait comprendre  au  roi,  que  son 
honneur  était  entaché  de  l'hérésie  qui  avait  servi 
de  prétexte  à  la  mort  de  Théroïne.  La  réhabili- 
tation se  fit  dans  l'intérêt  de  la  couronne  de 
France,  bien  plus  que  par  respect  pour  la  mé- 
moire de  Jeanne.  Aujourd'hui,  l'Église  s'apprête 
à  exploiter  son  ancienne  victime. 

Dans  tous  les  temps,  Jeanne  a  été  sacrifiée 
aux  intérêts  de  caste  et  de  parti.  Mais  il  est  des 
milliers  d'âmes  obscures  et  modestes  qui  savent 
Taimer  pour  elle-même,  avec  désintéressement. 
Leurs  pensées  d'amour  montent  vers  elle  à 
travers  l'espace.  Elle  y  est  beaucoup  plus  sen- 
sible qu^aux  manifestations  pompeuses  organi- 


ROUEN;    LE    SUPPLICE  2lo 

sées  en  son  honneur.  Elles  sont  sa  joie  véri- 
table et  sa  plus  douce  récompense,  ainsi  qu'elle 
Ta  affirmé  plus  d'une  fois,  dans  l'intimité  de  nos 
réunions  d'études. 


Longtemps,  Jeanne  a  été  méconnue,  incom- 
prise. Elle  l'est  encore  de  nos  jours  par  beau- 
coup de  ceux  qui  l'admirent.  Mais  il  faut  bien 
reconnaître  que  l'erreur  était  possible.  En  effet, 
ceux  qui  l'ont  sacrifiée  —  et  parmi  eux  il  y  avait 
un  roi  —  ceux-là,  pour  cacher  leur  crime  aux 
yeux  de  la  postérité,  se  sont  ingéniés  à  dénatu- 
rer son  rôle,  à  amoindrir  sa  mission,  à  étendre 
un  voile  sur  sa  mémoire.  C'est  dans  ce  but 
qu'ils  ont  détruit  le  registre  des  procès-ver- 
baux de  Poitiers,  que  certains  documents  du 
procès  de  Rouen,  d'après  Quicherat,  ont  été 
falsifiés,  que  les  témoignages  du  procès  de 
réhabilitation  ont  été  rendus,  avec  la  constante 
préoccupation  de  ménager  de  hautes  suscepti- 
bilités. 

Il  est  dit,  dans  les  procès-verbaux  de  Rouen, 
que,  le  matin  même  du  supplice,  au  dernier 
interrogatoire,  subi  dans  sa  prison,  sans  no- 
taires, sans  greffiers,  et  annoté  par  Gauchon 
seulement  quelques  jours  après,  Jeanne  a  renié 


216  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

ses  voix.  Gela  est  faux.  Elle  n'a  jamais  renié 
ses  voix.  Un  instant,  à  bout  de  forces,  elle  s'est 
soumise  à  l'Église  :  en  cela  seul  consiste  l'ab- 
juration de  Saint-Ouen. 

C'est  par  suite  de  ces  perfidies  que  l'ombre  a 
enveloppé  si  longtemps  la  mémoire  de  Jeanne. 
Au  commencement  du  dix-neuvième  siècle,  il 
ne  nous  restait  d'elle  qu'une  image  affaiblie, 
une  légende  incomplète,  infidèle.  Mais  la  jus- 
tice immanente  de  l'histoire  a  voulu  que  la  vé- 
rité se  fît  jour.  Des  rangs  du  peuple,  il  s'est 
élevé  des  travailleurs  persévérants  :  Michelet, 
Henri  Martin,  le  sénateur  Fabre,  Quicherat  sur- 
tout, le  directeur  de  l'École  des  Chartes,  des 
prêtres  aussi.  Tous  ces  travailleurs  conscien- 
cieux ont  scruté  les  parchemins  jaunis,  fouillé 
les  bibliothèques  poudreuses.  Beaucoup  de  ma- 
nuscrits ignorés  ont  été  découverts.  On  a  re- 
trouvé dans  les  Ordonnances  royales  du  temps, 
dans  les  Chroniques  de  Saint-Denis,  dans  une 
foule  d'archives  déposées  à  la  bibliothèque  des 
Chartes,  dans  les  Comptes  de  dépenses  des 
«  bonnes  villes  »,  la  révélation  de  faits  qui 
rehaussent  encore  l'héroïne.  La  justice  a  été 
tardive  pour  elle,  mais  elle  est  éclatante,  abso- 
lue, universelle. 

Et  c'est  pourquoi  la  France  moderne  a  un 
grand  devoir,  le  devoir  de  réparer,  au  moins 


ROUEN;    LE    SUPPLICE  217 

moralement,  les  fautes  de  la  France  ancienne. 
Aussi  le  regard  de  tous  doit-il  se  porter  vers 
cette  noble  et  pure  image,  vers  cette  figure  ra- 
dieuse qui  est  celle  de  Fange  de  la  patrie.  Il 
faut  que  tous  les  enfants  de  la  France  gravent, 
dans  leur  pensée  et  dans  leur  cœur,  le  souvenir 
de  celle  que  le  Ciel  nous  envoya,  à  l'heure  des 
désastres  et  des  écroulements.  Il  faut  qu'à  tra- 
vers les  temps,  un  éternel  hommage  monte  vers 
cet  esprit  vaillant  qui  a  aimé  la  France  jusqu'à 
en  mourir,  jusqu'à  pardonner  sur  le  bûcher 
tous  les  abandons,  toutes  les  perfidies,  vers 
celle  qui  s'est  offerte  en  holocauste  pour  le  salut 
d'un  peuple. 

Le  sacrifice  de  Jeanne  d'Arc  a  eu  une  portée 
immense.  En  politique  —  comme  nous  l'éta- 
blirons dans  la  deuxième  partie  de  cet  ouvrage 
—  il  a  fait  l'unité  de  la  France.  Avant  elle,  il 
n'y  avait  chez  nous  qu'un  pays  disloqué,  dé- 
chiré par  les  factions.  Après  elle,  il  y  eut  une 
France.  Jeanne  est  entrée  résolument  dans  la 
fournaise  et,  avec  son  âme  expirante,  Punité 
nationale  en  sortit. 

Toute  œuvre  de  salut  s'accomplit  par  le  sacri- 
fice. Plus  celui-ci  est  grand,  plus  l'œuvre  est 
superbe,  imposante.  Toute  mission  rédemp- 
trice s'achève  et  se  couronne  par^  le  martyre. 
C'est  la  grande  loi  de  l'histoire.  Aussi  en  fut-il 

13 


218  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

de  Jeanne  comme  du  Christ.  C'est  par  là  que 
sa  vie  porte  le  sceau  divin.  Dieu,  le  souverain 
artiste,  s'y  révèle  par  des  traits  incontestables 
et  sublimes. 

Le  sacrifice  de  Jeanne  a  une  portée  plus 
vaste  encore  :  il  restera  un  enseignement  et  un 
exemple  pour  les  générations,  pour  les  siècles 
à  venir.  Dieu  a  son  but  en  réservant  de  telles 
leçons  à  l'humanité.  C'est  vers  ces  grandes 
figures  de  martyrs  que  se  porteront  les  pensées 
de  tous  ceux  qui  souffrent,  de  tous  ceux  qui 
ploient  sous  le  fardeau  des  épreuves.  Ce  sont 
autant  de  foyers  d'énergie,  de  beauté  morale,  où 
viendront  se  réchauffer  les  âmes  glacées  par  le 
froid  de  l'adversité.  A  travers  les  siècles,  elles 
projettent  une  traînée  lumineuse,  comme  un 
sillage  qui  nous  attire,  nous  entraîne  vers  les 
régions  radieuses.  Ces  âmes  sont  passées  sur 
la  terre  pour  nous  faire  deviner  l'autre  monde. 
Leur  mort  a  enfanté  la  vie,  et  leur  souvenir  a 
réconforté  des  milliers  de  créatures  défaillantes 
et  attristées. 


DEUXIEME  PARTIE 


LES  MISSIONS  DE  JEANNE  D'ARC 


XIII.  —  Jeanne  d'Arc  et  l'idée  de  Patrie. 

Gloire  à  notre  France  immorlelle  ! 
Gloire  à  ceux  qui  sont  morts  pour  elle, 
Aux  vaillants,  aux  martyrs,  aux  forts  1 
Victor  Hugo. 

Dans  la  première  partie  de  cet  ouvrage,  nous 
avons  rappelé  les  principaux  faits  de  la  vie  de 
Jeanne  d'Arc,  et  nous  avons  cherché  à  les  expli- 
quer à  l'aide  des  données  fournies  par  les 
sciences  psychiques.  Nous  avons  dit  les  triom- 
phes, les  souffrances  de  l'héroïne  ;  nous  avons 
rappelé  son  martyre,  qui  est  comme  le  couron- 
nement de  cette  carrière  sublime. 

Il  nous  reste  à  rechercher  et  à  mettre  en  lu- 
mière les  conséquences  de  la  mission  de  Jeanne 
d'Arc  au  quinzième  siècle.  A  ce  point  de  vue, 


220  JEANNE  d'arc    MÉDIUM 

nous  poserons  d'abord  la  question  suivante  : 
Qu'est-ce  que  la  France  doit  à  Jeanne  ? 

Avant  tout,  nous  le  savons,  elle  lui  doit 
l'existence  ;  elle  lui  doit  d'être  une  nation,  une 
patrie.  Jusque-là  l'idée  de  patrie  est  une  chose 
vague,  confuse,  presque  inconnue.  On  se  ja- 
louse de  ville  à  ville;  on  se  bat  de  province  à 
province.  Aucune  union,  aucun  sentiment  de 
solidarité  ne  relie  les  différentes  parties  du 
pays.  Les  grands  fiefs  se  partagent  la  France, 
et  chaque  haut  seigneur  cherche  à  s'affranchir 
de  toute  autorité.  Quand  Jeanne  paraît,  les 
États  de  Bourgogne,  la  Picardie,  la  Flandre 
sont  alliés  aux  Anglais  ;  la  Bretagne,  la  Savoie 
restent  neutres  ;  la  Guyenne  est  aux  mains  de 
l'ennemi.  C'est  Jeanne,  la  première,  qui  évoque 
dans  les  âmes  la  sainte  image  de  la  patrie  com- 
mune, de  la  patrie  déchirée,  mutilée,  mou- 
rante. 

On  nous  objectera  que  le  mot  de  patrie  était 
peu  usité  alors.  Mais,  à  défaut  du  mot,  Jeanne 
nous  a  donné  la  chose  (1).  Et  c'est  là    ce  qu'il 

(1)  Il  résulte  de  récentes  recherches  que  Jean  Chartier, 
le  premier,  s'est  servi  du  mot  pairie,  dans  le  passage  suivant 
de  son  Histoire  de  Charles  VII,  p.  147  :  «  Suivant  le  proverbe 
qui  porte  qu'il  est  licite  à  un  chacun  et  louable  de  com- 
battre pour  sa  patrie.  » 

Maître  Jean  Chartier,  —  qui  n'était  pas,  comme  on  l'a  cru, 
le  frère  du  poète  Alain  Chartier  qu'a  rendu  célèbre  un  pré- 


JEANNE    d'arc    ET    l'iDÉE    DE    PATRIE  221 

faut  retenir.  La  notion  de  patrie  est  née  du 
cœur  d'une  femme,  de  son  amour,  de  son  sacri- 
fice. 

Au  milieu  de  la  tempête  qui  fondait  sur  elle, 
à  travers  le  sombre  nuage  de  deuil  et  de  misère 


tendu  baiser  de  la  dauphine  Marguerite  d'Ecosse,  et  qu'im- 
mortalise une  admirable  page  en  l'honneur  de  Jeanne 
d'Arc,  —  maître  Jean  Chartier  occupait,  en  1449,  l'emploi 
de  «  chroniqueur  de  France  »».  Autrement  dit,  c'était  l'histo- 
riographe officiel  de  la  cour.  Il  écrivait  sous  l'inspiration 
directe  du  souverain,  et  s'acquitta  de  ses  fonctions  litté- 
raires d'une  manière  si  agréable  au  roi,  que  celui-ci  lui 
ordonna  de  le  suivre  dans  les  guerres  contre  les  Anglais. 
M.  Michaud,  de  l'Académie  française,  et  MM.  Poujoulat, 
Bazin,  Champollion-Figeac,  etc.,  ont  donné,  dans  leur  Nou- 
velle Colleclion  des  Mémoires  relatifs  à  Vhistoire  de  France, 
quelques  extraits  de  Jean  Chartier,  notamment  ceci,  qui  est 
très  significatif  : 

«  Audit  an  mil  quatre  cent  vingt-neuf,  au  commencement 
du  mois  de  juin,  le  roi  dressa  une  grande  armée  par  la 
persuasion  de  la  Pucelle,  laquelle  disait  que  c'était  volonté 
de  Dieu  que  le  roi  allât  à  Reims  pour  là  être  sacré  et  cou- 
ronné; et  quelques  difficultés  et  doutes  qu'en  fît  le  roi  et 
son  conseil,  il  fut  conclu,  par  l'induction  d'icelle  Jeanne, 
que  le  roi  manderait  ce  qu'il  pourrait  ramasser  de  gens 
pour  entreprendre  le  voyage  de  son  couronnement  à 
Reims.  » 

La  Chronique  de  Charles  F//,  roi  de  France,  rédigée  d'abord 
en  latin  et  traduite  en  français  par  Jean  Chartier,  a  été  pu- 
bliée en  trois  volumes,  dans  la  «  Bibliothèque  elzévirienne  » 
de  MM.  Pion,  Nourrit  et  C'%  par  M.  Vallet  de  Viriville,  le 
savant  professeur  de  l'École  des  Chartes,  à  qui  l'on  doit,  en 
outre,  une  édition  du  Procès  de  condamnation  de  Jeanne 
dArc,  dite  la  Pucelle  d'Orléans,  traduit  du  latin  et  publié  in- 
tégralement pour  la  première  fois  en  français,  chez  Firmin- 
Didot  et  C'%  imprimeurs-libraires  de  l'Institut. 


222  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

qui  l'enveloppait,  la  France  a  vu  passer  cette 
figure  radieuse,  et  elle  en  est  restée  comme 
éblouie.  Elle  n'a  même  pas  compris,  pas  senti 
toute  l'étendue  du  secours  que  le  Ciel  lui  en- 
voyait. Et  cependant,  malgré  tout,  le  sacrifice 
de  Jeanne  a  communiqué  à  la  France  des  puis- 
sances jusque-là  inconnues.  La  première,  dans 
le  monde,  la  France  est  devenue  une  nation. 
Et  son  unité,  scellée  par  le  sang  de  l'héroïne, 
rien  depuis,  ni  les  vicissitudes,  ni  les  orages 
sociaux,  ni  des  désastres  sans  exemple,  rien 
n'a  pu  la  défaire,  l'anéantir! 


Nous  n'ignorons  pas  qu'à  notre  époque,  Tidée 
de  patrie  subit  une  sorte  d'éclipsé  ou  de  déca- 
dence. Depuis  quelques  années,  elle  est  vio- 
lemment critiquée  et  même  combattue  dans 
notre  pays.  Toute  une  catégorie  d'écrivains,  de 
penseurs  s'est  appliquée  à  en  faire  ressortir  les 
abus,  les  excès,  à  en  ruiner  le  principe  et  le 
culte  dans  les  âmes. 

Avant  tout,  dans  le  débat  engagé,  il  convien- 
drait de  bien  définir  et  de  préciser  l'idée  de 
patrie.  Elle  se  présente  à  la  pensée  sous  deux 
aspects.  Tantôt  abstraite  chez  certains  esprits, 
elle  constitue  alors  une  personne  morale  et  re- 


JEANNE    D  ARC    ET    LlDÉE    DE    PATRIE  223 

présente  l'acquisition  des  siècles,  le  génie  d'un 
peuple  sous  toutes  ses  faces  et  dans  toutes  ses 
manifestations  :  littérature,  art,  traditions^  la 
somme  de  ses  efforts  dans  le  temps  et  dans 
l'espace,  ses  gloires,  ses  revers,  ses  grands 
souvenirs.  En  un  mot,  ce  sera  toute  l'œuvre  de 
patience,  de  souffrance  et  de  beauté  dont  nous 
héritons  en  naissant,  œuvre  en  laquelle  vibre 
et  palpite  encore  l'âme  des  générations  dis- 
parues. 

Pour  d'autres,  la  patrie  sera  une  chose  con- 
crète. Ce  sera  l'expression  géographique,  le 
territoire,  avec  ses  frontières  déterminées. 

Pour  être  vraiment  belle  et  complète,  l'idée 
de  patrie  devra  embrasser  ces  deux  formes  et 
les  unir  dans  une  synthèse  supérieure.  Consi- 
dérée sous  un  seul  de  ces  aspects,  elle  ne  se- 
rait qu'un  geste  de  parade  ou  bien  une  abstrac- 
tion idéale,  vague,  imprécise. 

Ici  encore,  Tidée  apparaît  sous  ses  deux  for- 
mes :  l'esprit  et  la  lettre.  Suivant  le  point  de 
vue  adopté,  les  uns  rechercheront  la  grandeur 
morale  et  intellectuelle  de  leur  patrie  ;  les  au- 
tres viseront  surtout  sa  puissance  matérielle,  et 
le  drapeau  sera  pour  eux  le  symbole  de  cette 
puissance.  Dans  tous  les  cas,  il  faut  bien  le  recon- 
naître, pour  se  survivre  et  faire  rayonner  à  tra- 
vers le  monde  l'éclat  grandissant  de  son  génie, 


224  JEANNE    D  ARC   MEDIUM 

une  patrie  doit  sauvegarder  son  indépendance, 
sa  liberté. 

Dans  Tœuvre  immense  de  développement  et 
d'évolution  des  races  humaines,  chaque  nation 
fournit  sa  note  au  concert  général;  chaque 
peuple  représente  une  des  faces  du  génie  uni- 
versel. Ce  génie,  il  est  destiné  à  le  manifester, 
à  Fembellir  par  son  labeur  à  travers  les  âges. 
Toutes  les  formes  de  l'œuvre  humaine,  tous  les 
éléments  d'action  sont  nécessaires  à  l'évolution 
de  la  planète.  L'idée  de  patrie,  en  les  incarnant, 
en  les  concrétant,  éveille  entre  ces  éléments 
un  principe  d'émulation  et  de  concurrence,  qui 
les  stimule,  les  féconde,  les  élève  à  leur  su- 
prême puissance.  Le  groupement  de  tous  ces 
modes  d'activité  créera,  dans  l'avenir,  la  syn- 
thèse idéale  qui  constituera  le  génie  planétaire, 
l'apogée  évolutif  des  grandes  races  de  la  terre. 

Mais,  à  l'heure  actuelle,  dans  la  phase  d'évo- 
lution humaine  que  nous  parcourons,  les  com- 
pétitions, les  luttes  que  l'idée  de  patrie  pro- 
voque entre  les  hommes  ont  encore  leur  raison 
d'être.  Sans  elles,  le  génie  propre  à  chaque 
race  tendrait  à  s'affadir,  à  s'amoindrir  dans 
la  libre  possession  et  le  bien-être  d'une  vie 
exempte  de  heurts  et  de  dangers.  A  l'époque 
de  Jeanne  d'Arc,  cette  nécessité  était  plus  im- 
périeuse encore.  Aujourd'hui,  l'esprit  humain, 


JEANNE    d'arc    et    l'idÉE    DE    PATRIE  225 

plus  évolué,  doit  s'attacher  à  revêtir  ces  luttes, 
ces  compétitions,  de  formes  toujours  plus  belles 
et  plus  pures,  à  leur  enlever  tout  caractère  de 
sauvagerie,  à  en  retirer  tous  les  avantages 
qui  contribueront  à  accroître  l'héritage  com- 
mun de  riiumanité.  Elles  prendront  l'aspect  de 
tâches  de  plus  en  plus  nobles  et  fécondes,  par 
lesquelles  s'édifiera  l'avenir  ;  la  pensée  et  la 
forme  y  trouveront  leur  expression  toujours 
plus  magnifique  et  plus  sublime. 

Ainsi  se  dégagera  un  jour,  après  une  lente, 
confuse  et  douloureuse  incubation,  l'âme  des 
grandes  patries.  De  leur  réunion  naîtra  une 
civilisation,  dont  celle  des  temps  présents  n'est 
que  Fébauche  grossière. 

Aux  luttes  sanglantes  du  passé,  auront  suc- 
cédé alors  les  luttes  plus  hautes  de  l'intelli- 
gence, dans  son  application  à  la  conquête  des 
forces  et  à  la  réalisation  du  beau  idéal  dans 
l'art  et  la  pensée,  à  la  production  d'œuvres  où 
la  splendeur  de  l'expression  s'alliera  à  la  pro- 
fondeur de  ridée.  Et  cela  rendra  plus  intenses 
la  culture  des  âmes,  l'éveil  du  sentiment,  plus 
rapide  Tacheminement  de  tous  vers  les  som- 
mets où  règne  la  Beauté  éternelle  et  parfaite. 

Alors  la  terre  vibrera  d'une  même  pensée 
et  vivra  d'une  même  vie.  Déjà  Thumanité  se 
cherche  elle-même,    confusément.    La    pensée 

13. 


226  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

cherche  la  pensée  dans  la  nuit,  et  par-dessus  les 
voies  de  fer  et  les  grandes  nappes  liquides,  les 
peuples  s'appellent  et  se  tendent  les  bras. 
L'étreinte  est  proche  :  par  les  efforts  réunis, 
commencera  l'œuvre  géante  qui  aménagera  la 
demeure  humaine  pour  une  vie  plus  ample, 
plus  belle,  plus  heureuse  ! 

Le  nouveau  spiritualisme  contribuera  effica- 
cement au  rapprochement  des  esprits,  en  met- 
tant fin  à  l'antagonisme  des  religions,  et  en 
donnant  pour  base  à  la  croyance,  non  plus  l'en- 
seignement et  la  révélation  dogmatiques,  mais 
bien  la  science  expérimentale  et  la  communion 
avec  les  disparus.  Dès  à  présent,  ses  foyers 
s'allument  sur  tous  les  points  du  globe  ;  leur 
rayonnement  s'étendra  de  proche  en  proche, 
jusqu'à  ce  que  les  hommes  de  toutes  les  races 
soient  unis  dans  une  même  conception  de  leur 
destinée  sur  la  terre  et  dans  FAu-delà. 


Revenons  à  Jeanne  d'Arc.  Certains  écrivains 
estiment  que  son  intervention  dans  l'histoire 
a  été  plutôt  fâcheuse  pour  la  France  (1),  et  que 
la    réunion    des    deux  pays   sous  la  couronne 

(1)  Voir  le  Mercure  de  France.  «  La  malencontreuse  Jeanne 
d'Arc  »,  1907. 


JEANNE    d'arc    ET    l'idÉE    DE    PATRIE  227 

d'Angleterre  eut  constitué  une  nation  puis- 
sante, prépondérante  en  Europe,  appelée  aux 
plus  grandes  destinées  (1). 

Parler  ainsi,  c'est  méconnaître  le  caractère 
et  les  aptitudes  des  deux  peuples,  absolument 
dissemblables  et  qu'aucun  événement,  aucune 
conquête  n'aurait  réussi  à  fusionner  entière- 
ment à  cette  époque.  Le  caractère  anglais  pré- 
sente des  qualités  éminentes  que  nous  nous 
sommes  plu  à  reconnaître  (2),  mais  il  est  em- 
preint d'un  égoïsme  qui  est  allé  parfois  jusqu'à 
la  férocité.  L'Angleterre  n'a  reculé  devant  au- 
cun moyen  dans  la  réalisation  de  ses  vues.  Le 
Français,  au  contraire,  à  ses  nombreux  défauts, 
mêle  un  sentiment  de  générosité  presque  che- 
valeresque. Les  aptitudes  n'offrent  pas  moins 
de  diversité.  Le  génie  de  l'Angleterre  est  es- 
sentiellement maritime,  commercial,  colonisa- 
teur. Celui  de  la  France  est  plutôt  orienté  vers 
les  vastes  domaines  de  la  pensée.  Les  destinées 
des  deux  nations  sont  différentes,  et  leur  rôle, 
distinct  dans    l'harmonie  de  l'ensemble.  Pour 


(1)  La  terrible  guerre  civile  des  Deux-Roses,  York  et  Lan- 
castre,  qui  éclata  peu  après  la  guerre  de  Cent  ans,  et  faillit 
conduire  l'Angleterre  à  sa  perte,  montre  qu'en  ce  pays  même 
l'unité  n'était  pas  faite.  Comment  aurait-elle  pu  s'établir  avec 
des  éléments  aussi  disparates  que  ceux  ajoutés  par  la  con- 
quête de  la  France  ? 

(2)  Voir  le  Problème  de  l'Être,  chap.  sur  la  Volonté. 


228  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

parcourir  ses  voies  naturelles  et  garder  la  plé- 
nitude de  son  génie  propre,  chacune  d'elles  de- 
vait, avant  tout,  conserver  sa  liberté  d'action, 
sauvegarder  son  indépendance.  Réunis  sous 
une  domination  commune,  ces  deux  aspects  du 
génie  humain  se  seraient  contrariés,  entravés 
dans  leur  essor  respectif.  C'est  pour  cela,  qu'au 
quinzième  siècle,  le  génie  de  la  France  étant 
menacé,  Jeanne  d'Arc  est  devenue,  sur  l'échi- 
quier de  l'histoire,  le  champion  de  Dieu  contre 
TAngleterre. 


Jeanne  d'Arc  a  joué  un  grand  rôle  militaire  ; 
or,  de  nos  jours,  le  militarisme  tombe  en 
discrédit.  Sous  le  nom  de  pacifisme,  des  pen- 
seurs, animés  pour  la  plupart  des  intentions  les 
plus  louables,  mènent,  dans  notre  pays,  une 
vigoureuse  campagne  contre  tout  ce  qui  rap- 
pelle l'esprit  belliqueux  du  passé  et. les  luttes 
entre  nations. 

Certes,  l'idée  de  patrie  a  produit  d'incontes- 
tables abus.  C'est  la  condition  de  toutes  les 
choses  humaines.  Ce  n'est  pas  moins  un  droit 
et  un  devoir  pour  tous  les  peuples,  de  se  rap- 
peler leurs  gloires  et  de  s'enorgueillir  de  leurs 
héros. 


JEANNE   d'arc    ET    l'iDÉE    DE    PATRIE  229 

Le  militarisme  est  un  mal,  nous  en  conve- 
nons. Mais  n'est-il  pas  un  mal  nécessaire  ?  La 
paix  universelle  est  un  beau  rêve,  et  la  solution 
par  l'arbitrage  de  tous  les  différends  interna- 
tionaux, une  chose  éminemment  désirable.  Reste 
à  savoir  si  la  paix  assurée,  prolongée,  n'amène 
pas  des  maux  d'un  autre  ordre. 

«  Rien  qu'au  dix-neuvième  siècle,  dit  M.  Gh. 
Richet,  il  est  mort,  de  par  la  guerre,  quinze 
millions  de  braves  gens  (1).  Tout  le  passé  n'est 
qu'une  stérile  boucherie.  On  rougirait  de  vou- 
loir perpétuer  cette  infamie.  »  Et  l'auteur  con- 
vie l'humanité  à  des  œuvres  de  vie  plutôt  qu'à 
une  lugubre  besogne  de  mort. 

Ces  sentiments  font  honneur  à  M.  Ch.  Ri- 
chet. Cependant,  pour  voir  clair  en  cette  ques- 
tion, il  faudrait  s'élever  un  peu  au-dessus  des 
horizons  de  la  vie  présente,  et  embrasser  la  vaste 
perspective  des  temps  assignés  à  l'évolution 
des  âmes  humaines.  La  vie  actuelle,  on  le  sait, 
n'est  qu'un  point  dans  l'immensité  de  nos  desti- 
nées; tout  ce  qui  s'y  rapporte  ne  saurait  donc 
être  compris  ni  jugé,  si  on  fait  abstraction  de 
ce  qui  la  précède  et  de  ce  qui  la  suit.  Or,  c'est 
précisément  le  cas  de  M.  Richet,  qui  est  scep- 


(1)  Ch.  Richet,  le  Passé  de  la  guerre  et  VAucnir  de  la  paix. 
Paris,  Ollendorf,  1907. 


230  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

tique  de  sa  nature,  peu  renseigné  sur  l'Au-delà 
et  même,  suivant  sa  propre  expression,  qui  «  n'a 
pas  besoin  de  FAu-delà  ». 

Quant  à  la  mort  par  la  guerre,  écoutons  ce 
que  disent  à  ce  sujet  la  sagesse  antique  et  la 
sagesse  moderne. 

A  son  disciple  Ardjuna,  qui  hésite  à  livrer 
combat  aux  puissances  du  mal  et  à  sacrifier  des 
vies  humaines,  Krishna,  le  fondateur  du  brah- 
manisme, dit  ceci  : 

«  Les  sages  ne  se  lamentent  ni  sur  les  tristesses 
de  la  vie,  ni  sur  la  mort  qui  les  termine.  Tu  oublies 
que  moi,  toi  et  tous  ces  chefs  d'armée,  nous  avons 
toujours  existé  et  que  nous  ne  cesserons  jamais  d'être, 
alors  qu'à  la  place  de  nos  corps  usés,  nous  en  seront 
donnés  d'autres,  animés  d'une  nouvelle  vie?  Envisage 
donc  avec  le  calme  d'une  âme  impassible  les  joies  et 
les  douleurs  de  la  vie.  La  vie  de  toute  créature  défie 
toute  destruction,  car  l'âme  incarnée  est  éternelle. 
N'étant  pas  née,  elle  ne  saurait  mourir.  Ne  t'inquié- 
tant  ni  de  la  naissance  ni  de  la  mort,  regarde  en 
face  le  devoir  qui  t'incombe;  or,  ton  devoir  en  ce 
jour  est  de  Kvrerune  juste  et  légitime  bataille.  Toute 
abstention  de  ta  part  serait  une  lâcheté  qui  te  désho- 
norerait à  tout  jamais.  Tué,  tu  gagneras  le  ciel  ; 
vainqueur,  tu  posséderas  la  terre.  Lève-toi  donc,  fils 
des  héros  et  combats  avec  la  ferme  résolution  de 
vaincre  (i).  » 

(1)  Bhcujavad  Gila. 


JEANNE   d'arc  ET   l'iDÉE   DE   PATRIE  231 

Écoutons  maintenant  la  parole  d'un  des 
plus  grands  psychologues  de  notre  époque  : 
William  James,  recteur  de  l'Université  Har- 
vard (1): 

«  Un  instinct  profond  et  indéracinable  est  celui 
qui  nous  empêche  de  considérer  la  vie  comme  une 
simple  farce  ou  une  élégante  comédie.  Non,  la  vie 
est  une  âpre  tragédie,  et  ce  qui  en  elle  a  le  plus  de 
saveur,  c'est  ce  qui  est  le  plus  amer.  Sur  la  scène  du 
monde,  c'est  l'héroïsme  seul  qui  tient  les  grands 
rôles.  C'est  dans  l'héroïsme,  nous  le  sentons  bien, 
que  se  trouve  caché  le  mystère  de  la  vie.  Un  homme 
ne  compte  pas,  quand  il  est  incapable  de  faire  aucun 
sacrifice.  » 

Quelles  fins  réelles  poursuivons-nous  dans 
nos  vies  multiples,  à  travers  la  succession  de 
nos  existences  sur  la  terre  et  les  autres  mon- 
des ?  Le  but  de  Uâme  dans  sa  course,  nous 
Tavons  démontré  (2),  c'est  la  conquête  de  l'ave- 
nir, l'édification  de  sa  destinée  par  l'effort  per- 
sistant. Or,  la  paix  indéfinie,  sur  des  mondes 
inférieurs  et  au  sein  des  sociétés  encore  peu 
évoluées  comme  les  nôtres,  favorise  le  déve- 
loppement de  la  mollesse  et  de  la  sensualité, 
qui  sont  les   poisons   de   l'âme.   La   recherche 

(1)  William  James,  VExpèrience  religieuse,  p.  312, 

(2)  Voir  L.  Denis,  le  Problème  de  la  Deslinée,  passini. 


232  JEANNE    d'arc  MEDIUM 

exclusive  du  bien-être,  la  soif  de  richesse,  de 
confort,  qui  caractérisent  notre  époque,  sont  des 
causes  d'affaiblissement  de  la  volonté  et  de  la 
conscience.  Elles  détruisent  en  nous  toute  viri- 
lité et  nous  font  perdre  tout  ressort,  toute  force 
de  résistance  aux  heures  adverses. 

Au  contraire,  la  lutte  fait  naître  en  nous  des 
trésors  d'énergie,  qui  s'accumulent  dans  les  pro- 
fondeurs de  l'âme  et  finissent  par  faire  corps 
avec  la  conscience.  Après  avoir  été  longtemps 
orientées  vers  le  mal,  dans  nos  stades  évolu- 
tifs inférieurs,  par  suite  de  l'ascension  et  du 
progrès  de  l'être  ces  forces  se  transforment 
peu  à  peu  en  énergies  pour  le  bien.  Car  c'est 
le  propre  de  l'évolution  de  transmuter  les  puis- 
sances mauvaises  de  Pâme  en  forces  bienfai- 
santes. C'est  là  la  divine  et  suprême  alchimie. 

La  guerre  apprend  à  l'homme  à  mépriser  la 
douleur,  à  affronter  les  privations  et  la  mort. 
Les  énergies  intérieures,  ainsi  acquises,  au  lieu 
de  continuer  à  se  répandre  au  dehors,  se  tour- 
nent plus  tard,  avec  le  progrès  de  l'âme,  contre 
ses  propres  passions  et  lui  assurent  le  triomphe 
dans  la  lutte  contre  le  sensualisme  déprimant, 
contre  le  mal  et  la  souffrance. 

La  menace  des  guerres  étrangères  peut  être 
aussi  salutaire  pour  les  peuples  en  voie  d'évo- 
lution, que  pour  les  individus.  Elle  fait  l'union 


JE-VNNE    d'arc    et    l'idÉE    DE    PATRIE  233 

au  dedans.  La  paix  assurée  et  prolongée  favo- 
rise les  divisions  intestines;  elle  fomente  la 
guerre  civile,  comme  nous  le  voyons  en  ce  mo- 
ment par  les  grèves  qui  se  multiplient  autour 
de  nous.  Dans  les  luttes  engagées,  les  revers 
eux-mêmes  sont  plus  utiles  que  les  triomphes; 
le  malheur  rapproche  les  âmes  et  prépare  leur 
fusionnement.  Les  revers  sont  des  coups  frap- 
pés sur  une  nation  ;  mais,  comme  le  marteau  du 
sculpteur,  ces  coups  la  rendent  plus  belle,  car 
chacun  d'eux  a  une  répercussion  au  fond  des 
cœurs,  y  éveille  des  émotions  et  en  fait  surgir 
des  vertus  cachées.  C'est  aussi  dans  la  résis- 
tance à  la  fortune  adverse  que  se  trempent  et 
grandissent  les  caractères. 

Dans  l'évolution  grandiose  de  l'être,  la  qua- 
lité la  plus  essentielle,  c'est  le  courage.  Sans 
elle,  comment  pourrait-il  surmonter  les  obs- 
tacles innombrables  qui  s'accumulent  sur  sa 
route  ?  C'est  pourquoi,  dans  les  mondes  infé- 
rieurs, demeures  et  écoles  des  âmes  nouvelles, 
la  lutte  est  la  loi  générale  de  la  nature  et  des 
sociétés;  car,  dans  la  lutte,  l'être  acquiert  les 
énergies  premières,  indispensables  pour  dé- 
crire plus  tard  son  immense  trajectoire  à  tra- 
vers le  temps  et  l'espace. 

Ne  le  voyons-nous  pas  dès  cette  vie  ?  Celui 
qui,  dans  l'enfance,  a  reçu  une  éducation  forte, 


234  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

qui  a  été  trempé  par  de  grands  exemples  ou 
par  le  malheur,  qui,  jeune  encore,  a  appris  l'aus- 
térité et  le  sacrifice,  n'est-il  pas  mieux  préparé 
à  un  rôle  important,  à  une  action  profonde  ? 
Tandis  que  chez  l'enfant  trop  choyé,  habitué  à 
l'abondance,  à  la  satisfaction  de  ses  fantaisies  et 
de  ses  caprices,  les  qualités  viriles  s'éteignent 
et  les  ressorts  de  Tâme  se  détendent.  Trop  de 
bien-être  amollit.  Pour  ne  pas  s'attarder  dans 
la  voie,  il  faut  les  nécessités  qui  aiguillonnent, 
les  dangers  qui  suscitent  Teffort. 

Quant  aux  sociétés  terrestres,  leur  état  mo- 
ral présente  plus  d'une  analogie  avec  les  lois 
de  l'atmosphère.  Lorsque  celle-ci,  après  une 
longue  période  de  calme,  au  cours  de  l'été, 
s'altère  et  se  sature  d'émanations  malsaines,  un 
orage  violent  vient  presque  toujours  purifier 
l'air  et  rétablir  l'équilibre  rompu.  Ainsi, 
lorsque,  à  la  faveur  d'une  longue  paix,  les  pas- 
sions, les  convoitises,  les  égoïsmes  sont  arrivés 
à  leur  paroxysme,  lorsque  la  corruption  monte, 
monte  et  s'étend,  alors,  tôt  ou  tard,  des  événe- 
ments imprévus,  de  brusques  secousses,  de 
rudes  épreuves,  viennent  rappeler  les  hommes 
au  sentiment  des  graves  réalités  de  l'existence, 
La  guerre  est  souvent  la  forme  que  revêtent 
ces  événements.  Elle  relève  les  esprits  en 
meurtrissant  les  corps.  C'est  une  purgation  vio- 


JEANNE    d'arc    ET    l'iDÉE    DE    PATRIE  235 

lente  pour  les  sociétés.  Elle  est  plus  profitable 
aux  vaincus  qu'aux  vainqueurs,  car  elle  les 
éclaire  sur  leurs  faiblesses  et  leur  apporte  les 
dures  leçons  de  l'expérience. 

Aussi,  quoi  qu'on  fasse,  on  ne  parviendra 
à  assurer  complètement  la  paix  et  l'harmonie 
parmi  les  hommes,  que  par  un  relèvement  des 
caractères  et  des  consciences.  Notre  bonheur, 
notre  sécurité  parfaite,  ne  l'oublions  pas,  sont 
en  rapport  direct  avec  notre  capacité  pour  le 
bien.  Nous  ne  pouvons  être  heureux  que  dans 
la  mesure  de  nos  mérites.  Le  fléau  de  la 
guerre,  comme  tous  ceux  qui  frappent  l'huma- 
nité, ne  disparaîtra  qu'avec  la  cause  de  nos 
erreurs  et  de  nos  vices. 


XIV.  —  Jeanne   d'Arc   et   l'idée   d'humanité 


Je  n'ai  jamais  tué  personne. 
Jehanne. 

Nous  ne  prétendrons  pas  que  Jeanne  d'Arc 
nous  ait  apporté,  la  première,  la  notion  d'hu- 
manité. Bien  avant  elle,  et  dans  tous  les  temps, 
la  plainte  de  ceux  qui  souffrent  a  éveillé  dans 
les  âmes  sensibles  un  sentiment  de  pitié,  de 
compassion,  de  solidarité.  Mais,  au  cours  de  la 
guerre  de  Cent  ans,  ces  qualités  étaient  deve- 
nues bien  rares,  particulièrement  dans  l'entou- 
rage de  Jeanne,  parmi  ces  soudards  brutaux, 
qui  avaient  fait  de  la  guerre  une  œuvre  de  ra- 
pine et  de  brigandage.  Au  milieu  de  cette 
époque  de  fer  et  de  sang,  la  vierge  lorraine 
nous  fait  entendre  le  langage  de  la  pitié,  de  la 
bonté. 

Sans  doute,  elle  s'est  armée  pour  le  salut  de 
la  France  ;  mais,  lorsque  l'heure  de  la  lutte  est 
passée,  elle  redevient  la  femme  au  cœur  tendre, 
l'ange  de  douceur  et  de  charité.  Partout,  elle 
s'oppose  aux  massacres,  elle  offre  toujours  la 


JEANNE    D  ARC    ET    l'iDÉE    d'iILMANITÉ  237 

paix  avant  d'attaquer  (1).  Trois  fois  devant  Or- 
léans, elle  réitère  ses  offres  en  ce  sens.  Elle 
secourt  les  blessés  et  même  les  blessés  an- 
glais (2).  Elle  soulage  les  malheureux  ;  elle 
souffre  de  toutes  les  souffrances  humaines. 

Dans  cette  sombre  nuit  féodale,  le  quinzième 
siècle  se  montre  plus  sombre,  plus  sinistre  en- 
core  que  les  autres  siècles.  C'est  celui  où  l'on 
vit  un  roi  d'Aragon  tuer  son  fils,  et  un  comte 
de  Gueldre,  son  père.  Un  duc  de  Bretagne  fait 
assassiner  son  frère,  et  une  comtesse  de  Foix, 
sa  sœur.  A  travers  la  nuée  sanglante  qui  s'élève, 
Jeanne  nous  apparaît  comme  une  vision  d'en 
haut;  sa  vue  repose  et  console  du  spectacle  des 
égorgements.  N'a-t-elle  pas  prononcé  ces  dou- 
ces paroles  :  «  Jamais  je  n'ai  vu  sang  de  Fran- 
çais que  les  cheveux  ne  me  levassent  (3)  !  » 

A  la  cour  de  Charles  Yll,  il  ne  se  commet- 
tait pas  seulement  des  rapines  et  des  brigan- 
dages   de  toute   sorte,    les    meurtres   aussi   y 

(1)  Voir  sa  lettre  aux  Anglais  :  Procès  de  condamnation. 
5*  interrogatoire  public. 

(2)  Voirie  témoignage  de  Louis  de  Contes  :  «  Jeanne,  dit-il, 
qui  était  très  compatissante,  eut  pitié  d'une  telle  boucherie. 
Elle  vit  un  Français,  qui  conduisait  des  prisonniers,  frapper 
l'un  d'eux  à  la  tète  si  rudement,  que  l'homme  tomba  comme 
mort.  Elle  descendit  de  cheval  et  fit  confesser  l'Anglais.  Elle 
lui  soutenait  la  tète  et  le  consolait  selon  son  pouvoir.  » 
J.  Fabre,  Procès  de  réhabililalion,  t.  I,  p.  213." 

(3)  Déposition  de  son  intendant  Jean  d'Aulon. 


238  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

étaient  fréquents.  Le  premier  chambellan,  de- 
venu plus  tard  le  favori  du  roi,  le  sire  de  Giac, 
avait  assassiné  sa  femme,  Jeanne  de  Naillac, 
afin  d'épouser  la  riche  comtesse  de  Tonnerre, 
Catherine  de  l'Isle-Bouchard.  Lui-même  est 
noyé  sur  les  instigations  du  connétable  de  Ri- 
chemont,  dont  il  gêne  la  politique,  et  de  La 
Trémoille  qui  convoite  sa  femme,  après  avoir 
si  fort  maltraité  la  sienne  qu'elle  en  était 
morte.  Un  autre  favori  de  Charles  VII,  Le  Ca- 
mus de  Beaulieu,  est  assassiné  sous  les  yeux 
de  ce  prince.  Le  comte  d'Armagnac  arrache  un 
testament  en  sa  faveur  au  maréchal  de  Séverac, 
qu'il  a  séquestré,  et  le  fait  tuer  ensuite  (1). 

C'est  dans  ce  milieu  monstrueux  que  la 
bonne  Lorraine  est  appelée  à  intervenir.  Sa 
tâche  en  sera  d'autant  plus  pénible,  et  sa  sensi- 
bilité multipliera  pour  elle  les  causes  de  souf- 
france. Certains  écrivains  ont  voulu  voir  en 
Jeanne  d'Arc  une  sorte  de  virago,  de  vierge 
guerrière  exaltée  par  Tamour  des  combats. 
Rien  n'est  plus  faux  ;  cette  opinion  est  démen- 
tie par  les  paroles  et  les  actes  de  Fhéroïne. 
Certes,  elle  sait  braver  le  péril  et  s'exposer 
aux  coups  de  l'ennemi.  Mais,  même  au  milieu 
des  camps  ou  dans  le  choc  des  batailles,  elle  ne 

(1)  D'après  Lavisse,  Histoire  de  France,  t.  IV,  pp.  24,  27. 


JEANNE   d'arc    ET    l'idÉE    d'iIUMANITÉ  239 

s'est  jamais  départie  de  la  douceur  et  de  la  mo- 
destie inhérentes  à  la  femme.  Elle  était  bonne  et 
pacifique  par  nature.  Jamais  elle  ne  livre  un  com- 
bat aux  Anglais,  sans  les  inviter  préalablement 
à  s'éloigner.  Quand  ils  se  retirent  sans  lutte, 
comme  le  8  mai, devant  Orléans,  ou  bien  quand  ils 
cèdent  sous  l'efFort  des  Français,  elle  commande 
de  les  épargner  :  «  Laissez-les  s'en  aller,  disait- 
elle,  ne  les  tuez  pas.  Leur  retraite  me  suffit.  » 

Au  cours  des  interrogatoires  de  Rouen,  on 
lui  demande  :  «  Qu'aimiez-vous  mieux,  de  votre 
étendard  ou  de  votre  épée  ?  »  Elle  répond  : 
«  J'aimais  beaucoup  plus,  voire  quarante  fois 
plus  mon  étendard  que  mon  épée.  Je  n'ai  ja- 
mais tué  personne  (1)  !  » 

Pour  se  garder  des  entraînements  de  la  lutte, 
elle  tenait  toujours  sa  bannière  à  la  main,  parce 
que,  disait-elle  encore  :  «  Je  ne  veux  pas  me 
servir  de  mon  épée.  »  Parfois,  elle  se  jetait  au 
plus  fort  des  mêlées,  au  risque  d'être  tuée  ou 
prise.  A  ces  moments,  disent  ses  compagnons 
d'armes,  elle  n'était  plus  elle-même.  Aussitôt 
le  péril  passé,  sa  douceur,  sa  simplicité  repre- 
naient le  dessus  (2).   Même   dans  l'action,    sa 


(1)  Quatrième  interrogatoire  public. 

(2)  Procès  de  réhabilitation.  Témoigndiges  de  Dunois,  du  duc 
d'Alençon,  de  Thibauld  d'Armagnac,  du  président  Simon 
Charles. 


240  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

sensibilité  se  réveille,  la  femme  reparaît  :  «Quand 
elle  se  sentit  blessée,  dit  le  texte,  elle  eut  peur 
et  pleura,  puis,  après  quelque  temps,  elle  dit  : 
Je  suis  consolée.  »  Ses  craintes,  ses  larmes  la 
rendent  encore  plus  touchante  à  nos  yeux.  Elles 
prêtent  à  son  caractère  ce  charme,  cette  force 
mystérieuse  qui  sont  un  des  plus  puissants 
attraits  de  son  sexe. 

Jeanne,  disions-nous,  avait  le  cœur  sensible. 
Les  injures  de  ses  ennemis  l'atteignaient  pro- 
fondément :  «  Quand  les  Anglais  l'appelaient 
ribaude,  dit  un  témoin,  elle  fondait  en  larmes.  » 
Puis,  dans  la  prière  qu'elle  adressait  à  Dieu, 
elle  purifiait  son  âme  de  tout  ressentiment,  et 
elle  pardonnait. 

Au  siège  d'Orléans,  un  des  principaux  chefs 
anglais,  Glasdale,  l'accablait  d'invectives  dès 
qu'il  l'apercevait.  Il  se  trouvait  au  fort  des  Tou- 
relles le  jour  de  Tattaque,  et  se  mit  à  vociférer 
contre  elle  du  haut  du  boulevard.  Peu  après, 
lorsque  la  bastille  fut  emportée  d'assaut,  ce 
capitaine  tomba  tout  armé  dans  la  Loire  et  fut 
noyé  :  «  Jeanne,  —  ajoute  le  même  témoin,  — 
émue  de  pitié,  se  prit  à  pleurer  fortement  pour 
Pâme  de  Glasdale  et  des  autres,  noyés  là  en 
grand  nombre  (1).  » 

(1)  J.  Fadre,  Procès  de  réhabililation.  Déposition  de  Jean 
Pasquerel,  t.  I,  p.  227. 


JEANNE  d'arc    ET    l'idÉE    d'hUMAMTÉ  241 


Jeanne  d'Arc  n'est  donc  pas  seulement  la 
vierge  des  combats.  Dès  que  la  lutte  a  cessé, 
l'ange  de  miséricorde  reparaît  en  elle.  Enfant, 
nous  Pavions  vue  secourir  les  pauvres  et  soi- 
gner les  malades.  Devenue  chef  d'armée,  elle 
saura  enflammer  les  courages  à  l'heure  du  dan- 
ger ;  mais,  aussitôt  que  la  bataille  prend  fin, 
elle  s'attendrit  sur  l'infortune  des  vaincus  et 
s'efForce  d'adoucir  pour  eux  les  maux  de  la 
guerre.  A  l'encontre  des  mœurs  du  temps,  dans 
la  mesure  où  l'intérêt  supérieur  de  la  France 
le  permet,  et  au  risque  de  sa  propre  vie,  elle 
défendra  les  prisonniers  et  les  blessés  qu'on 
veut  égorger.  Aux  mourants  même,  elle  s'ef- 
forcera de  rendre  la  mort  moins  cruelle. 

Au  moyen  âge,  la  coutume  était  de  faire 
«  main  basse  sur  les  vaincus.  Gens  de  petit  et 
moyen  état,  dit  le  colonel  Biottot(l),  étaient 
massacrés  et,  quelquefois,  les  grands  eux- 
mêmes.  Mais  Jeanne  s'interpose  ;  état  n'est  pas 
crime,  ni  pour  les  petits  ni  pour  les  grands  ; 
elle  les  veut  tous  saufs,  s'ils  ont  posé  les  armes. 
A  Jargeau,  c'est  à  grand'peine  qu'elle  arrache 
à  la  mort  le  comte  de  SufFolk,  qui  commandait 

(1)  Colonel  BiOTTOT,  les  Grands  Inspirés  devant  la  Science^ 
p.  183. 

14 


242  JEANxNE    D  ARC   MÉDIUM 

la  forteresse,  après  avoir  commandé  le    siège 
d'Orléans.   » 

Les  Anglais,  lorsqu'ils  la  tenaient  en  leur 
pouvoir  et  faisaient  instruire  son  procès,  au- 
raient dû  faire  entrer  en  ligne  de  compte  ces 
actes  généreux  de  la  Pucelle  ;  cependant,  pas 
une  voix  ne  s'éleva  devant  ses  juges  de  Rouen 
pour  les  rappeler.  Ses  ennemis  ne  songeaient 
qu'à  assouvir  leur  basse  rancune. 

Pourtant,  il  faut  le  reconnaître,  bien  avant 
même  que  le  mot  ait  été  prononcé,  Jeanne  a 
appliqué  le  droit  des  gens.  Elle  devançait  ainsi 
les  novateurs,  qui  convieront  le  monde  à  la  pra- 
tique de  l'égalité  et  de  la  fraternité  entre  les 
individus  et  les  nations,  qui  évoqueront,  dans 
les  temps  futurs,  les  principes  d'ordre,  d'équité, 
d'harmonie  sociale,  appelés  à  régir  une  huma- 
nité vraiment  civilisée.  A  ce  point  de  vue  en- 
core, la  bonne  Lorraine  prépare  les  bases  d'un 
meilleur  avenir  et  d'un  monde  nouveau. 

On  le  voit,  Jeanne  sut  établir  une  juste  me- 
sure en  toutes  choses.  Dans  cette  âme  si  bien 
équilibrée,  l'amour  du  pays  passe  avant  tous 
les  autres,  mais  ce  sentiment  n'est  pas  exclusif, 
et  sa  pitié,  sa  commisération  s'éveillent  au 
spectacle  de  toute  douleur  humaine. 

On  a  beaucoup  abusé  du  mot  humanité  à  notre 
époque,  et,  par  une  vaine  et  puérile  sensiblerie, 


JEANNE    d'arc    ET   l'iDÉE    d'hUMANITÉ  243 

nous  avons  vu  plus  d'une  fois  des  penseurs,  des 
écrivains,  faire  table  rase  des  intérêts  et  des 
droits  de  la  France,  au  profit  de  vagues  person- 
nalités ou  de  groupements  hypothétiques.  On 
ne  nous  fera  jamais  entendre  que  l'on  puisse 
aimer  des  nègres,  des  jaunes  ou  des  rouges, 
que  l'on  n'a  jamais  vus,  plus  que  ses  proches, 
plus  que  sa  famille,  plus  que  sa  mère  ou  ses 
frères.  Et  la  France  est  aussi  notre  mère.  Oui, 
il  faut  être  bon  et  humain  envers  tous.  Dans 
bien  des  cas  cependant,  il  n'y  a  là  qu'un  sophisme 
dont  on  abuse.  Si  nous  allions  au  fond  des 
choses,  nous  nous  apercevrions  tout  simple- 
ment que  certains  de  ces  grands  humanitaires, 
en  se  forgeant  par  leurs  théories  des  devoirs 
fictifs,  qu'ils  savent  bien  n'avoir  jamais  à  rem- 
plir, cherchent  à  en  éluder  d'autres,  impérieux 
et  immédiats,  envers  ceux  qui  les  entourent, 
envers  la  France,  leur  pays. 

Beaucoup,  par  un  excès  contraire,  détestent 
tout  ce  qui  leur  est  étranger  :  ils  nourrissent 
une  rancune  aveugle  pour  les  peuples  qui  se 
sont  tournés  contre  nous.  Que  nos  revers  ne 
nous  rendent  pas  injustes,  et  ne  nous  empêchent 
pas  de  reconnaître  les  qualités  et  la  bravoure 
des  nations  qui  nous  ont  vaincus  !  A  la  ques- 
tion :  (.(.  Dieu  hait-il  les  Anglais  ?  »  Jeanne  ré- 
pond :  «  De  la  haine  de  Dieu  pour  les  Anglais, 


JEANNE    D  ARC    MEDIUM 


je  ne  sais  rien,  mais  il  veut  qu'ils  quittent  la 
France  et  retournent  chez  eux  (1).  » 

Gomme  Jeanne,  soyons  équitables  et  ne  haïs- 
sons pas  nos  ennemis.  Sachons  honorer  le  mé- 
rite, même  chez  un  adversaire.  Défendons  nos 
droits,  notre  patrimoine  quand  il  le  faut,  mais 
ne  provoquons  personne. 

A  ce  point  de  vue,  la  vierge  lorraine  nous 
donne  plus  qu'une  leçon  de  patriotisme,  elle 
nous  donne  une  leçon  vivante  d'humanité. 
Quand  elle  s'arme,  c'est  bien  moins  au  nom  de 
la  loi  de  lutte  qu'au  nom  de  la  loi  d'amour,  bien 
moins  pour  attaquer  que  pour  défendre  et  sau- 
ver. Même  sous  l'armure,  les  plus  belles  qua- 
lités de  la  femme  se  révèlent  en  elle  :  l'esprit 
de  renoncement,  le  don  spontané,  absolu  de 
soi,  la  compassion  profonde  pour  tout  ce  qui 
soufFre,  l'attachement  poussé  jusqu'au  sacrifice 
pour  l'être  aimé  :  époux,  enfant,  famille,  patrie, 
l'ingéniosité  de  son  sens  pratique  et  de  ses  in- 
tuitions pour  la  défense  de  leurs  intérêts,  en 
un  mot  son  dévouement  jusqu'à  la  mort  pour 
tout  ce  qui  lui  est  cher.  C'est  en  ce  sens  que 
Jeanne  d'Arc  synthétise  et  personnifie  ce  qu'il 
y  a  de  plus  noble,  de  plus  délicat  et  de  plus 
beau  dans  Pâme  des  femmes  de  France. 

(1)  Huitième  interrogatoire  secret. 


XV.  —  Jeanne  d'Arc  et  l'idée  de  religion. 


J'aime  Dieu  de  tout  mon  cœur. 
Jehanne. 

Jeanne  a  les  croyances  de  son  époque  :  «  Je 
suis  bonne  chrétienne  et  je  mourrai  bonne  chré- 
tienne (1),  »  répondait-elle  à  ses  juges  et  exa- 
minateurs, aussi  souvent  que  ceux-ci  l'interro- 
geaient sur  sa  foi.  Il  ne  pouvait  en  être  autre- 
ment. C'est  dans  les  convictions  et  les  espé- 
rances des  hommes  de  son  temps,  qu'elle  devait 
puiser  les  ressources,  les  élaii«  nécessaires  au 
salut  de  la  France.  Le  monde  invisible  l'assis- 
tait ;  il  se  révélait  à  elle  sous  les  formes  et  les 
apparences  familières  à  la  religion  du  moyen 
âge.  D'ailleurs,  qu'importent  les  formes  !  Elles 
sont  variables  et  changeantes  suivant  les  siècles  ; 
quant  au  fond  même  de  l'idée  religieuse,  il  est 
éternel,  parce  qu'il  touche  aux  sources  divines. 

L'idée  religieuse,  sous  ses  aspects  divers, 
pénètre  profondément  toute   l'histoire,  toute  la 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnai  ion,  pp.  166,  256,  302,  etc. 

14. 


246  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

vie  intellectuelle  et  morale  de  l'humanité.  Elle 
s'égare,  elle  se  trompe  souvent.  Ses  enseigne- 
ments, ses  manifestations  sont  contestables  ; 
mais  elle  s'appuie  sur  des  réalités  invisibles 
d'ordre  permanent,  immuable.  L'homme  ne  les 
entrevoit  que  par  degrés  successifs,  au  cours 
de  sa  lente  et  pénible  évolution. 

Les  sociétés  humaines  ne  peuvent  se  passer 
d'idéal  religieux.  Dès  qu'elles  cherchent  à  le 
refouler,  à  le  détruire,  aussitôt  le  désordre 
moral  augmente  et  l'anarchie  dresse  sa  tête 
menaçante.  Ne  le  voit-on  pas  à  notre  époque  ? 
Nos  lois  terrestres  sont  impuissantes  à  réfréner 
le  mal.  Pour  comprimer  les  passions,  il  faut  la 
force  intérieure  et  le  sentiment  des  responsabi- 
lités que  procure  la  notion  de  l'Au-delà. 

L'idée  religieuse  ne  peut  périr.  Elle  ne  se 
voile  un  instant  que  pour  reparaître  sous  d'autres 
formes,  mieux  appropriées  aux  besoins  des 
temps  et  des  milieux. 

Jeanne,  avons-nous  dit,  est  animée  des  senti- 
ments religieux  les  plus  élevés.  Sa  foi  en  Dieu 
qui  l'a  envoyée  est  absolue  ;  sa  confiance  en 
ses  guides  invisibles  est  sans  bornes;  elle 
observe  fidèlement  les  rites  et  les  pratiques 
religieuses  de  son  temps  ;  mais,  quand  elle  con- 
fesse sa  foi,  elle  s'élève  au-dessus  de  toutes  les 
autorités  établies  en  ce  monde. 


JEANNE    d'arc   ET   l'iDÉE   DE   RELIGION  247 

L'ardente  croyance  de  l'héroïne  s'inspire 
directement  des  choses  d'en  haut  ;  elle  ne  relève 
que  de  sa  conscience.  En  effet,  à  qui  obéit-elle 
par-dessus  tout  ?  Ce  n'est  pas  à  PÉglise  ;  c'est 
aux  voix  qu'elle  entend.  Il  n'y  a  pas  d'intermé- 
diaire entre  elle  et  le  Ciel.  Un  souffle  est  passé 
sur  son  front,  qui  lui  apporte  l'inspiration  puis- 
sante, et  cette  inspiration  domine  toute  sa  vie^ 
règle  tous  ses  actes. 

Rappelons-nous  la  scène  de  Rouen,  lorsque 
l'évêque  de  Beauvais,  suivi  de  sept  prêtres, 
pénètre  dans  son  cachot  pour  l'interroger  : 
«  Jeanne,  dit  l'évêque,  voulez-vous  vous  sou- 
mettre à  l'Église  ?  » 

Elle  répond  :  «  Je  m'en  réfère  à  Dieu  pour 
toutes  choses,  à  Dieu  qui  m'a  toujours  inspi- 
rée !   » 

D.  «  Voilà  une  parole  bien  grave.  Entre  vous 
et  Dieu,  il  y  a  l'Église.  Voulez-vous,  oui  ou  non, 
vous  soumettre  à  l'Église  ?  » 

R.  ((  Je  suis  venue  vers  le  roi,  pour  le  salut 
de  la  France,  de  par  Dieu  et  ses  saints  esprits. 
A  cette  Église-là,  celle  de  là-haut,  je  me  sou- 
mets en  tout  ce  que  j'ai  fait  et  dit  !  » 

D.  «  Ainsi  vous  refusez  de  vous  soumettre  à 
TÉglise  ;  vous  refusez  de  renier  vos  visions 
diaboliques  ?  » 

R.  «  Je  m'en  rapporte  à  Dieu  seul.  Pour  ce 


248  JEANNE   d'arc    MEDIUM 

qui  est  de  mes  visions,  je  n'accepte  le  jugement 
d'aucun  homme  !  » 

Dans  la  droiture  de  sa  raison,  Jeanne  com- 
prend bien  que  cette  Église  n'est  pas  celle  de 
Dieu.  La  puissance  éternelle  n'a  aucune  part 
dans  les  iniquités  humaines.  Cela,  elle  ne  peut 
le  démontrer  à  l'aide  d'arguments  subtils  et 
savants  ;  elle  l'exprime  par  des  paroles  brèves, 
nettes,  brillantes  comme  l'éclair  qui  jaillit  d'une 
lame  d'acier.  Elle  obéira  à  l'Eglise,  mais  à  la 
condition  que  ses  exigences  soient  conformes 
aux  volontés  d'en  haut  :  «  Dieu  le  premier 
servi  !   » 

Ce  qui  prime  tout  dans  les  vues  religieuses 
de  Jeanne  d'Arc,  c'est  la  communion  par  la 
pensée  et  les  actes  avec  le  monde  invisible,  le 
monde  divin.  C'est  par  elle  que  se  réalisent  les 
grandes  choses,  c'est  d'elle  que  viennent  les 
profondes  intuitions.  Cette  communion  n'est 
possible  que  dans  certaines  conditions  d'éléva- 
tion morale,  et  ces  conditions,  Jeanne  les  réu- 
nissait au  plus  haut  degré.  Pour  les  obtenir  chez 
ceux  qui  l'entouraient,  elle  faisait  appel  à  leurs 
sentiments  religieux,  les  obligeant  à  se  con- 
fesser et  à  communier  ;  elle  chassait  du  camp 
les  filles  de  joie  ;  elle  ne  marchait  à  l'ennemi 
qu'au  bruit  des  prières  et  au  chant  des  can- 
tiques.   Tout   cela    peut    surprendre    à    notre 


JEANNE    d'arc    ET    LTDÉE    DE    RELIGION  219 

époque  sceptique  ;  en  réalité,  c'étaient  les 
seuls  moyens  par  lesquels  elle  pouvait  provo- 
quer, dans  ces  temps  de  foi  aveugle  et  chez 
ces  hommes  grossiers,  l'exaltation  nécessaire. 
Dès  que  cet  entraînement  moral  cesse,  que  les 
intrigues  des  courtisans  et  des  jaloux  ont  fait 
leur  œuvre,  dès  que  les  habitudes  vicieuses  et 
les  mauvais  sentiments  reprennent  le  dessus, 
on  voit  revenir  Theure  des  échecs  et  des 
revers. 

Peu  importent  aux  puissances  supérieures 
les  formes  du  culte  et  l'appareil  religieux  ;  ce 
qu'on  demande  aux  hommes,  c'est  l'élévation 
du  cœur  et  la  pureté  des  sentiments.  Gela,  on 
peut  l'obtenir  dans  toutes  les  religions,  et  même 
en  dehors  et  au-dessus  des  religions.  Nous 
le  sentons  bien,  nous,  spirites,  qui,  au  milieu 
des  railleries  et  des  difficultés  sans  nombre, 
allons  de  par  le  monde,  proclamant  la  vérité, 
sans  autre  appui  que  ce  soutien  des  Entités 
invisibles  qui  ne  nous  a  jamais  fait  défaut. 

Par-dessus  tout,  ce  qui  caractérise  Jeanne, 
c'est  sa  confiance,  confiance  au  succès,  con- 
fiance en  ses  voix,  confiance  en  Dieu.  Dans  la 
lutte  ardente,  aux  heures  indécises  du  combat, 
elle  fait  partager  ce  sentiment  à  tous  ceux  qui 
l'entourent  et  combattent  près  d^elle.  Sa  foi 
dans  la  victoire  est  si  grande,  qu'elle  devient  un 


250  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

des  éléments  essentiels  du  triomphe  définitif. 

Et  cette  confiance,  toute  sa  vie  en  est  impré- 
gnée. Dans  les  fers,  devant  ses  juges,  elle  croit 
encore  à  la  délivrance  finale  ;  elle  l'affirme  sans 
cesse  avec  fermeté.  Ses  voix  lui  ont  dit  qu'elle 
serait  délivrée  «  par  grande  victoire  ».  Mais 
ce  n'était  là  qu'une  figure  ;  en  réalité,  il  s'agis- 
sait du  martyre.  Elle  ne  l'entendit  pas  tout 
d'abord  dans  ce  sens.  Elle  compta  longtemps 
sur  le  secours  des  hommes.  Remarquons  que 
cette  erreur  était  nécessaire.  La  promesse  de 
ses  voix  fut  sa  ressource  suprême  aux  jours 
douloureux  du  procès.  Elle  puisait  en  elle  sa 
ferme  assurance  devant  le  tribunal.  Et  même  à 
l'heure  du  sacrifice,  elle  marchera  à  la  mort  avec 
confiance.  Son  dernier  cri,  s'élevant  du  scindes 
flammes  qui  la  dévorent,  sera  encore  une  affir- 
mation de  sa  croyance  :  «  Non,  mes  voix  ne 
m'ont  pas  trompée  !  » 

A  peine  quelques  doutes  effleureront-ils  sa 
pensée  à  Melun,  à  Beaurevoir,  à  Saint-Ouen  de 
Rouen.  Pauvre  jeune  fille  !  qui  oserait  lui  en 
faire  un  reproche,  à  son  âge  et  dans  sa  situation 
difficile  ?  Le  dénouement  lui  resta  caché  jus- 
qu'au bout.  Comment  aurait-elle  pu  avancer 
dans  Savoie  ardue,  si  elle  avait  su  d'avance  tout 
ce  qui  l'attendait  !  C'est  un  bienfait  d'en  haut 
qu'un  voile  nous  cache  l'heure  d'angoisse,  la 


JEANNE   d'arc    ET   l'idÉE   DE   RELIGION  251 

douloureuse  épreuve  qui  couronnera  la  vie.  Ne 
vaut-il  pas  mieux  que  nos  illusions  s'effeuillent 
lentement,  et  que  l'espérance  persiste  au  fond 
de  nos  cœurs  ?  Le  déchirement  en  sera  moins 
grand . 

A  mesure  cependant  que  Jeanne  se  rapproche 
du  terme  de  sa  carrière,  la  terrible  vérité  se 
dessine  plus  nettement  :  «  J'ai  demandé  à  mes 
voix  si  je  serais  brûlée.  Elles  m'ont  répondu  : 
Attends-toi  à  Notre-Seigneur  et  il  t'aidera.  — 
Prends  tout  en  gré  ;  ne  te  chaille  (soucie)  de 
ton  martyre.  Tu  viendras  enfin  en  Paradis  (1).  >> 

Aux  heures  sinistres,  quand  toute  espérance 
s'écroule,  l'idée  de  Dieu  est  le  suprême  refuge. 
Il  est  vrai  qu'elle  n'a  jamais  été  absente  de  la 
pensée  de  Jeanne.  Au  contraire,  elle  a  dominé 
toute  son  existence.  Mais,  aux  heures  d'agonie, 
elle  la  pénétrera  d'une  intensité  plus  vive,  elle 
la  préservera  des  faiblesses  du  désespoir.  Des 
profondeurs  infinies  descendra  le  rayon  conso- 
lateur, qui  illuminera  le  sombre  cachot  où  elle 
endure  mille  maux,  mille  injures  depuis  près 
de  six  mois,  et  un  coin  du  ciel  s'ouvrira  à  son 
clair  regard  de  voyante.  Les  choses  de  la  terre 
se  voilent  de  tristesse.  L'espoir  delà  délivrance 
s'affaiblit  dans  son  cœur.  L'ingratitude,  la  noire 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnation^  pp.  325, 159. 


252  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

perfidie  des  hommes,  la  méchanceté  féroce  de  ses 
juges  se  montrent  à  elle  dans  toute  leur  laide 
nudité.  La  réalité  poignante  apparaît.  Mais  les 
splendeurs  d'un  monde  plus  beau  filtrent  à  tra- 
vers les  barreaux  de  sa  prison.  Par  delà  le 
gouffre  effrayant  qu'il  faudra  franchir,  plus 
loin  que  le  supplice,  plus  loin  que  la  mort, 
elle  entrevoit  l'aube  des  choses  éternelles. 

La  souffrance  est,  nous  le  savons,  le  couron- 
nement d'une  vie  bien  remplie.  Rien  de  com- 
plet, rien  de  grand  sans  elle.  C'est  l'affinage  des 
âmes,  l'auréole  qui  nimbe  le  front  des  saints 
et  des  purs.  11  n'est  pas  d'autre  issue  vers  les 
mondes  supérieurs.  Et  c'est  là  ce  qu'il  faut 
entendre  par  le  mot  «  paradis  »,  le  seul  capable 
d'exprimer  aux  hommes  de  ce  siècle,  l'idée  de 
cette  vie  spirituelle  que  baignent  des  rayons  et 
des  harmonies  qui  ne  s'éteignent  jamais. 

Jeanne  n'a  personne  sur  la  terre  à  qui  confier 
sa  peine.  Mais  Dieu  n'abandonne  pas  ses  mis- 
sionnaires. Invisible  et  présent,  il  estFami  tou- 
jours fidèle,  le  soutien  puissant,  le  père  tendre 
qui  veille  sur  ses  enfants  malheureux.  C'est 
pour  l'avoir  méconnu,  c'est  pour  avoir  dédai- 
gné les  forces,  les  secours  d'en  haut,  que 
l'homme  actuel  ne  trouve  plus  de  soutien  dan& 
ses  épreuves,  de  consolation  dans  sa  douleur. 
Si  la  société  contemporaine  s'agite  fiévreuse  et 


JEANNE    d'arc    ET    l'iDÉE    DE   RELIGION  253 

roule  dans  rincohérence  des  idées  et  des  sys- 
tèmes, si  le  mal  grandit  en  elle,  si  nulle  part  elle 
ne  trouve  la  stabilité  et  le  contentement  inté- 
rieur, c'est  qu'elle  s'est  attachée  aux  choses 
apparentes  et  de  surface  et  veut  ignorer  les 
vraies  joies,  les  ressources  profondes  du  monde 
invisible.  Elle  a  cru  trouver  le  bonheur  dans  le 
développement  de  ses  richesses  matérielles,  et 
n'a  fait  qu'augmenter  le  vide  et  l'amertume 
des  âmes.  De  toutes  parts  s'élèvent  les  cris  de 
fureur,  les  âpres  revendications.  La  notion  du 
devoir  s'afFaiblit  et  les  bases  de  l'ordre  social 
sont  ébranlées.  L'homme  ne  sait  plus  aimer, 
parce  qu'il  ne  sait  plus  croire.  Il  se  tourne  vers 
la  science.  Mais  la  science  actuelle,  comme 
écrasée  sous  le  poids  de  ses  découvertes,  reste 
impuissante  à  lui  procurer  la  confiance  en  l'ave- 
nir et  la  paix  intérieure. 

Le  matin  même  du  supplice,  Jeanne  dit  à 
maître  Pierre  Morice  :  «  Par  la  grâce  de  Dieu, 
ce  soir,  je  serai  en  paradis  (1).  » 

Elle  s'est  résignée  au  martyre ,  et  l'affron- 
tera le  cœur  haut,  avec  une  âme  digne.  La  mort, 
même  la  plus  cruelle,  n'est-elle  pas  préférable 
à  ce  qu'elle  endure  depuis  six  longs  mois  ?  La 


(11  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  II,  p.  126.  Déposi- 
ion  du  curé  Riquier. 

15 


254  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

pensée  de  la  mort  éveille  dans  tout  être  jeune 
une  affreuse  angoisse.  Cette  angoisse,  Jeanne 
la  subit  depuis  le  jour  où  elle  est  entrée  dans 
la  cage  de  fer  de  Rouen.  Ce  qu'elle  y  a  souf- 
fert n'est-il  pas  pire  que  la  mort  ?  Les  espé- 
rances, les  rêves  de  gloire,  les  grands  desseins, 
tout  s'est  évanoui  comme  une  fumée.  Qui  pourra 
dire  tout  ce  qui  s'est  passé  en  cette  âme  angé- 
lique,  dans  les  longues  veillées  du  cachot,  à 
mesure  que  s'approchait  l'heure  fatale. 

«  Je  serai  en  paradis  !  »  disait-elle.  Il  faut 
expliquer  de  même  façon  ces  autres  paroles  qui 
reflètent  la  croyance  du  temps  :  «  Je  n'ai  de- 
mandé à  mes  voix  pour  récompense  finale  que 
le  salut  démon  âme  (1).  »  Sauver  son  âme,  c'est 
l'axiome  des  convictions  catholiques,  le  but 
ultime  assigné  par  les  idées  religieuses  du 
moyen  âge.  Cette  idée  trop  étroite  renferme 
pourtant  un  fond  de  vérité.  En  réalité,  rien 
n'est  sauvé,  rien  n'est  perdu,  et  la  justice  divine 
réserve  des  modes  de  réparation  pour  toutes 
les  fautes,  de  relèvement  pour  toutes  les  chutes. 
Ce  précepte  devrait  être  modifié  en  ce  sens  : 
L'âme  doit  sortir  de  la  vie  meilleure  et  plus 
grande  qu'elle  n'y  est  entrée.  Bien  des  moyens 
sont  bons  pour  cela  :  le  travail,  l'étude,  l'épreuve, 

(1)  Deuxième  interrogatoire  public. 


JEANNE    D  ARC   ET    l'idÉE    DE   RELIGION  255 

la  souffrance.  C'est  là  l'objectif  que  nous  devons 
avoir  sans  cesse  devant  nos  yeux.  Pour  Jeanne, 
ces  paroles  ont  un  sens  plus  particulier  encore. 
Son  souci  constant  est  d'accomplir  dignement 
la  mission  qui  lui  fut  confiée,  et  d'obtenir,  pour 
tous  ses  actes  et  tous  ses  dires,  la  sanction  de 
Celui  qui  ne  se  trompe  jamais. 


Chez  Jeanne,  le  sentiment  religieux  ne  dégé- 
nère pas  en  bigoterie  ni  en  préjugés  puérils^ 
Elle  n'importune  pas  Dieu  par  de  vaines  et 
interminables  sollicitations.  C'est  ce  qui  res- 
sort de  ses  paroles  :  «  Je  ne  requiers  point 
Notre-Seigneur  sans  nécessité  (1).  »  Elle  n'hé- 
sitera pas  à  combattre  sous  Paris  le  jour  de  la 
Nativité,  malgré  les  reproches  que  certains  lui 
firent  à  ce  sujet. 

Elle  aime  à  prier  à  l'église,  surtout  aux 
heures  où  celle-ci  est  silencieuse  et  solitaire,  et 
que,  dans  le  recueillement  et  le  calme  de  la 
pensée,  Famé  s'élance  plus  sûrement  vers  Dieu. 
Mais,  en  réalité,  quoi  qu'en  dise  Anatole  France, 
les  prêtres  eurent  peu  d'influence  sur  sa  jeu- 

(l)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnation,  p.  255. 


256  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

nesse.  Gomme  elle  l'affirme  au  cours  des  inter- 
rogatoires de  Rouen,  ce  fut  sa  mère  qui  l'ins- 
truisit des  choses  de  la  religion  :  «  Je  n'ai  appris 
ma  créance  d'autre  que  de  ma  mère  (1).  » 

Elle  ne  dit  rien  de  ses  voix  et  de  ses  visions 
au  curé  de  son  village,  et  ne  prit  conseil  que 
d'elle-même  pour  tout  ce  qui  avait  rapport  à 
ses  Esprits  protecteurs  :  a  De  croire  à  mes  ré- 
vélations, disait-elle  à  Rouen,  je  n'en  demande 
pas  conseil  à  évêque,  curé  ou  autre  (2).  » 

Jeanne  a  en  Dieu  une  foi  profonde  ;  cette  foi 
est  le  mobile  de  tous  ses  actes  et  lui  permet  d'af- 
fronter les  plus  dures  épreuves.  «  J'ai  bon 
maître,  dit-elle,  savoir  Notre-Seigneur,  à  qui  je 
m'attends  de  tout  et  non  à  un  autre  (3).  » 

Qu'importent  les  vicissitudes  de  ce  monde, 
si  notre  pensée  ne  fait  qu'un  avec  Dieu,  c'est-à- 
dire  avec  la  loi  éternelle  et  divine  ?  Toutefois, 
Dieu  n'est  pas  seulement  un  maître.  C'est  un 
père  que  nous  devons  aimer  comme  les  enfants 
aiment  celui  qui  leur  a  donné  la  vie.  Trop 
peu  d'hommes  le  sentent  ou  le  comprennent  ; 
c'est  pourquoi  ils  renient  Dieu  dans  l'adver- 
sité. Mais  Jeanne  l'affirme  en  ces  termes  tou- 
chants :  «  De  tout,   je   m'attends   à   Dieu,  mon 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnation,  p.  49. 

(2)  Id.,  Ibid.,  p.  242. 
[f  (3)  Id., /6/V/.  Admonition  publique,  p.  311. 


JEANNE    d'arc    ET    l'iDÉE    DE    RELIGION  257 

Créateur.  Je  l'aime  de  tout  mon  cœur  (1).  » 
En  vain,  les  inquisiteurs,  qui  ne  négligent 
aucun  moyen  de  la  tourmenter,  cherchent  à 
l'atteindre  dans  ses  croyances  et  à  la  pousser  au 
désespoir.  Ils  lui  démontrent  avec  une  perfide 
insistance  l'abandon  apparent  où  elle  se  trouve, 
ses  espoirs  déçus,  les  promesses  du  ciel  irréa- 
lisées. Elle  répond  invariablement  :  «  Que  Dieu 
m'ait  failli,  je  le  nie  !  »  Quel  exemple  pour  tous 
ceux  que  l'épreuve  accable,  qui  accusent  Dieu 
de  leurs  maux  et  souvent  le  blasphèment  ! 

Pour  elle,  Dieu  est  aussi  un  juge  :  «  Je  m'at- 
tends à  mon  juge.  C'est  le  Roi  du  ciel  et  de  la 
terre  (2).  »  Expression  naïve  pour  désigner  la 
puissance  qui  plane  au-dessus  de  toutes  les 
puissances  de  ce  monde.  Pendant  toute  sa  vie, 
Jeanne  a  été  victime  de  l'injustice  des  hommes. 
Elle  a  souftert  de  la  jalousie  des  courtisans  et 
des  chefs  de  guerre,  de  la  haine  des  seigneurs 
et  des  prêtres.  Les  juges  de  Rouen  s'inspirèrent 
non  de  l'équité,  mais  de  leurs  préjugés  et  de 
leurs  passions,  pour  la  condamner.  Aussi,  elle 
se  tourne  vers  le  ciel  et  en  appelle  au  Juge  sou- 
verain, qui  pèse  dans  sa  balance  éternelle  les 
actions  des  hommes.  «  Je  m'en  attends  à  mon 


(1)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnation,  p.  30?. 

(2)  Id.,  Ibid.,  p.  307. 


258  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

juge  !  »  C'est  le  refuge  des  spoliés,  des  déshé- 
rités, de  tous  ceux  que  la  partialité  a  blessés  au 
cœur.  Et  nul  ne  l'invoque  en  vain  ! 

Rien  n'est  plus  touchant  que  sa  réponse  à 
cette  question  :  «  Savez-vous  être  en  la  grâce  de 
Dieu  ?  —  Si  je  n'y  suis,  Dieu  m'y  mette  ;  si  j'y 
suis.  Dieu  m'y  garde.  Je  serais  la  plus  dolente 
du  monde,  si  je  savais  ne  pas  être  en  la  grâce 
de  Dieu  (1)  !  » 

La  candeur  de  cette  âme  angélique  a  su  déjouer 
la  ruse  de  ses  bourreaux.  Leur  question  insi- 
dieuse pouvait  la  perdre.  En  répondant  affirma- 
tivement, elle  faisait  preuve  de  présomption  ; 
négativement,  elle  s'avouait  coupable  et  justi- 
fiait toutes  les  suspicions.  Mais  son  innocence 
déjoue  leurs  ruses  astucieuses.  Elle  s'en  remet 
au  suprême  Juge,  qui,  seul,  sonde  les  cœurs  et 
les  consciences.  Faut-il  voir  dans  ces  paroles  la 
manifestation  d'un  sentiment  de  foi  exquise,  ou 
bien  une  de  ces  inspirations  soudaines  dont  elle 
était  gratifiée  ?  Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  là  un  des 
propos  les  plus  admirables  que  nous  devions  à 
cette  enfant  de  dix-neuf  ans. 


En  toutes  circonstances,  Jeanne  se  considère 

(!)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnai  ion,  p.  71. 


JEANNE    d'arc    ET    l'iDÉE    DE    RELIGION  259 

comme  un  instrument  de  la  volonté  divine,  et  ne 
fait  rien  sans  consulter  les  puissances  invisibles. 
Elle  n'agit  que  sur  Pordre  d'en  haut  :  «  C'est 
l'heure  quand  il  plaît  à  Dieu.  11  faut  besogner 
quand  Dieu  veut.  Travaillez,  Dieu  travail- 
lera (1).  » 

On  le  voit  :  d'après  elle,  l'intervention  divine 
ne  se  manifeste  pas  seulement  dans  sa  propre 
vie,  mais  dans  toute  vie.  Tous  nos  actes  doivent 
concorder  avec  le  plan  divin.  Avant  d'agir,  cha- 
cun de  nous  doit  interroger  sa  conscience  pro- 
fonde, qui  est  la  voix  divine  en  nous.  Elle  nous 
dira  dans  quel  sens  nous  devons  diriger  nos 
efforts.  Dieu  n'agit  en  nous  et  avec  nous  que 
par  notre  libre  concours.  Quand  notre  volonté 
et  nos  actes  coïncident  avec  sa  loi,  notre  œuvre 
devient  féconde  pour  le  bien,  et  les  effets  en 
rejaillissent  sur  toute  notre  destinée. 

Mais  peu  d'hommes  écoutent  la  voix  qui  s'élève 
en  eux  aux  heures  solennelles.  Emportés  par 
leurs  passions,  leurs  désirs,  leurs  espérances 
et  leurs  craintes,  ils  se  jettent  dans  le  tourbillon 
de  la  vie,  pour  conquérir  ce  qui  leur  est  le  plus 
préjudiciable  ;  ils  s'étourdissent  et  s'enivrent  de 
la  possession  des  choses  contraires  à  leurs  vrai» 


(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I,  p.i78.  Déposition 
du  duc  d'Alençon. 


260  JEANNE    d'arc    MÉOIUM 

intérêts,  et  c'est  seulement  sur  le  tard  de  la 
vie  que  leurs  illusions  tombent,  que  leurs 
erreurs  se  dissipent,  que  le  mirage  des  biens 
matériels  s'évanouit.  Alors  apparaît  le  cortège 
des  mornes  déceptions  ;  nous  constatons  que 
notre  agitation  a  été  vaine,  pour  n'avoir  pas  su 
étudier  et  saisir  les  vues  de  Dieu  sur  nous  et 
sur  le  monde.  Heureux  alors  ceux  à  qui  la  pers- 
pective des  existences  à  venir  offre  la  possibilité 
de  reprendre  la  tâche  manquée,  et  de  mieux 
employer  les  heures  ! 

Celui  qui  n'a  pas  su  voir  la  grande  harmonie 
qui  règne  sur  toutes  choses,  et  le  rayonnement 
de  la  pensée  divine  sur  la  nature  et  dans  la  cons- 
cience, celui-là  est  inhabile  à  mettre  ses  actes 
en  concordance  avec  les  lois  supérieures.  A  son 
retour  dans  l'espace,  lorsque  le  voile  tombe,  il 
aura  l'amertume  de  constater  que  tout  est  à  re- 
commencer, avec  un  esprit  nouveau  et  une  con- 
ception plus  juste,  plus  élevée,  du  devoir  et  de 
la  destinée. 

Pourtant,  objectera-t-on,  il  n'est  pas  toujours 
facile  de  connaître  l'heure  de  Dieu  ;  ses  volon- 
tés sont  obscures,  parfois  impénétrables.  Oui, 
sans  doute,  Dieu  se  dérobe  à  nos  regards  et  ses 
voies  sont  souvent  incertaines  pour  nous.  Mais 
Dieu  ne  se  dissimule  ainsi  que  par  nécessité,  et 
pour  nous  laisser  une  liberté  plus  entière.  S'il 


JEANNE    d'arc    et    l'idÉE    DE    RELIGION  261 

était  visible  à  tous  les  yeux,  si  ses  volontés  s'af- 
firmaient avec  puissance,  il  n'y  aurait  plus  d'hé- 
sitation possible  et,  partant,  plus  de  mérite. 
L'Intelligence  qui  dirige  Tunivers  physique  et 
moral  se  dérobe  à  nos  regards.  Les  choses  sont 
disposées  de  telle  façon  que  nul  ne  soit  obligé  de 
croire  en  elle.  Si  l'ordre  et  l'harmonie  du  Cos- 
mos ne  suffisent  pas  à  convaincre  l'homme,  il 
est  libre.  Rien  ne  contraint  le  sceptique  d'aller 
à  Dieu.  Dieu  se  cache  pour  nous  obliger 
à  le  rechercher,  et  parce  que  cette  recherche 
est  le  plus  noble  exercice  de  nos  facultés,  le 
principe  de  leur  plus  haut  développement. 
Mais,  vienne  une  heure  grave  et  décisive,  si 
nous  voulons  bien  y  prendre  garde,  il  y  a  tou- 
jours autour  de  nous  ou  en  nous-mêmes  un 
avertissement,  un  signe  qui  nous  dicte  le  de- 
voir. C'est  notre  inattention,  notre  indifférence 
aux  choses  d'en  haut,  à  leur  manifestation  dans 
notre  vie,  qui  cause  notre  irrésolution,  notre 
incertitude.  Pour  l'âme  avertie  qui  les  appelle, 
les  sollicite,  les  attend,  elles  ne  restent  pas 
muettes  :  par  mille  voix,  elles  parlent  clairement 
à^notre  esprit,  à  notre  cœur.  Des  faits  se  pro- 
duiront, des  incidents  surgiront  d'eux-mêmes, 
qui  nous  indiqueront  les  résolutions  à  prendre. 
C'est  dans  la  trame  même  des  événements  que 
Dieu  se  révèle  et  nous  instruit.  A  nous  de  sa- 
is. 


262  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

voir  saisir  et  comprendre,  au  moment  opportun, 
l'avis  mystérieux  et  à  demi  voilé  qu'il  nous 
donne,  mais  n'impose  pas. 

Jeanne,  dans  son  bon  sens,  à  la  fois  candide 
et  profond,  sait  bien  définir  cette  action  provi- 
dentielle dans  notre  vie.  Les  juges  de  Rouen 
lui  demandent  :  «  Présentement,  partiriez- vous 
si  vous  voyiez  un  point  de  sortie  ?  —  Si  je  voyais 
la  porte  ouverte,  je  m'en  irais,  dit-elle,  et  ce  me 
serait  le  congé  de  mon  Seigneur  (1).  » 

En  tout  temps,  la  volonté  d'en  haut  a  été  la 
sienne.  «  11  faut  que  j'aille,  dit-elle  à  Jean  de 
Metz  qui  l'interroge  à  Vaucouleurs,  il  faut  que 
j'aille  et  que  je  le  fasse,  parce  que  mon  Seigneur 
le  veut.  —  Et  quel  est  votre  Seigneur  ?  —  C'est 
Dieu!  ))  répond-elle  simplement  (2).  Ni  périls 
ni  dangers  ne  la  retiendront.  Commentez  aussi 
ces  paroles  par  lesquelles  elle  s'élève  bien  au- 
dessus  du  miroitement  des  gloires  ou  des  tris- 
tesses humaines,  jusqu'aux  régions  de  la  calme 
et  pure  sérénité  :  «  Qu'importe,  pourvu  que 
Dieu  soit  content  !   » 

Et  ceci  encore  qui  touche  au  sublime.  Prise 
à  Compiègne  et  traînée  de  prison  en  prison 
jusqu'au    cachot,  jusqu'au    bûcher    de    Rouen, 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnation,  p.  168. 

(2)  Id.,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I,  p.  126.  Déposition  de 
Jean  de  Metz. 


JEANNE    d'arc   ET    L'iDÉE    DE    RELIGION  263 

elle  bénit  la  main  qui  la  frappe.  A  ses  juges  qui 
cherchent  à  exploiter  sa  douleur  et  à  ébranler 
sa  foi  en  la  mission  reçue  du  ciel,  elle  répond  : 
«  Du  moment  que  cela  a  plu  à  Dieu,  je  crois 
que  c'est  pour  le  mieux  que  j'aie  été  prise  (1).  » 
Ceci  est  plus  grand  et  plus  beau  que  tous  ses 
succès  et  toutes  ses  victoires. 


En  résumé,  c'est  en  vain  qu'on  chercherait  à 
torturer  les  textes  et  les  faits  pour  démontrer 
que  Jeanne  d'Arc  fut,  en  tous  points,  d'une  ortho- 
doxie parfaite.  Son  indépendance  religieuse 
éclate  à  chaque  instant  dans  ses  paroles  :  «  Je 
m'en  rapporte  à  Dieu  seul.  » 

Le  langage  de  Jeanne,  son  intrépidité  au  mi- 
lieu des  souffrances  et  devant  la  mort  ne  rappel- 
lent-ils pas  nos  ancêtres  gaulois  ?  Devant  ce 
tribunal  de  Rouen,  la  vierge  lorraine  nous  appa- 
raît comme  le  génie  de  la  Gaule,  se  redressant, 
superbe^  devant  le  génie  de  Rome  pour  reven- 
diquer les  droits  sacrés  de  la  conscience.  Elle 
n'admet  pas  d'arbitre  entre  elle  et  le  ciel. 
Toute  la  dialectique  qu'on  lui  oppose,  toutes 
les.  subtilités  de  l'argumentation  et  les  forces 

(1)  J.  F ABï{E,  Procès  de  condamnation,  p.  137. 


264  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

de  l'éloquence,  tout  vient  se  briser  contre  cette 
volonté  ferme,  cette  calme  assurance,  contre 
cette  confiance  inébranlable  en  Dieu  et  ses 
messagers.  La  parole  de  Jeanne  a  raison  de 
tous  les  sophismes  :  à  ses  accents,  ils  s'effon- 
drent en  poussière.  C'est  une  aurore  qui  luit 
sur  ces  ténèbres  du  moyen  âge,  les  illuminant 
d'une  douce  clarté. 

Remarquez  que  nous  sommes  au  moment  où 
vient  de  paraître  Y  Imitation  de  Jésus-Christ 
(l/i2Zi),  œuvre  attribuée  à  Gerson,  mais  dont  le 
véritable  auteur  est  resté  inconnu.  C'est  un  des 
premiers  cris  d'affranchissement  de  l'âme  chré- 
tienne, qui  se  libère  du  dogme  et  communie 
directement  avec  son  Dieu,  sans  nul  intermé- 
diaire. 

Toutefois,  Jeanne  ignore  ce  qui  est  du  domaine 
des  lettres.  Point  n'est  besoin  pour  elle  d'études 
préalables:  elle  a  l'intuition  de  la  vérité.  Sa 
force  est  dans  sa  foi,  dans  sa  piété  profonde^ 
piété  indépendante,  avons-nous  dit,  se  dressant 
au-dessus  des  conceptions  étroites,  mesquines, 
de  son  époque  et  montant  droit  vers  le  ciel  : 
tel  fut  son  crime  et  la  raison  de  son  martyre. 

iVussi  n'est-ce  pas  un  des  spectacles  les  moins 
étranges  de  nos  temps  troublés,  que  de  voir 
rÉglise  romaine  sanctifier  celle  qu'autrefois 
elle  considérait  comme  hérétique.  La  mémoire 


JEANNE    d'arc    ET    L'idÉE    DE    RELIGION  265 

de  Jeanne  a  toujours  été  funeste  à  l'Église.  Déjà 
au  quinzième  siècle,  le  procès  de  réhabilitation 
lui  avait  porté  un  coup  violent.  11  entraîna  la 
chute  de  l'inquisition  en  France,  et  ce  fut  là 
encore  un  des  bienfaits  de  rhéroïne.Ce  sinistre 
tribunal  fut  achevé  par  un  procès  contre  les 
Vaudois,  en  IZ16I. 

A  cette  heure,  ce  n'est  point  par  PefFet  d'un 
simple  hasard,  si  tous  les  regards  se  portent  de 
nouveau  vers  cette  idéale  figure.  Il  y  a  là  un 
pressentiment  presque  unanime,  une  aspiration 
inconsciente  de  l'humanité  civilisée,  et  comme 
un  signe  de  l'avenir.  L'Église  romaine,  en  met- 
tant Jeanne  d'Arc  sur  ses  autels,  fait  un  geste 
gros  de  conséquences  ;  elle  signe  spontané- 
ment sa  propre  condamnation. 

Cette  jeune  femme  du  quinzième  siècle,  qui 
a  conversé  directement  avec  ses  voix  et  lu  si 
clairement  dans  le  monde  invisible,  estTimage 
de  l'humanité  prochaine,  qui  conversera,  elle 
aussi,  directement  avec  le  monde  des  Esprits, 
sans  l'intermédiaire  des  sacerdoces  officiels, 
sans  le  secours  des  rites,  dont  l'Église  a  perdu 
le  sens  et  laissé  s'oblitérer  la  vertu.  L'heure 
est  venue  où,  de  nouveau,  la  grande  âme  de 
Jeanne  plane  sur  le  monde  en  communion  avec 
l'invisible,  et  inaugure  le  règne  des  adorations 
en  esprit  et  en  vérité. 


266  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

Et  comme  c'est  la  loi,  que  toutes  les  grandes 
et  saintes  choses  doivent  germer  dans  la  souf- 
france et  être  sacrées  par  la  douleur,  il  est  juste 
que  les  temps  nouveaux  et  l'ère  de  l'Esprit  pur, 
s'inaugurent  sous  le  patronage  de  celle  qui  fut 
la  victime  de  la  théologie  et  la  martyre  de  la 
médiumnité. 


Chaque  religion  est  un  reflet  de  la  pensée 
éternelle  mêlé  aux  ombres  et  aux  imperfections 
de  la  pensée  humaine.  Il  est  parfois  difficile  de 
dégager  les  vérités  qu'elle  contient,  des  erreurs 
accumulées  par  l'œuvre  des  siècles.  Cependant, 
ce  qu'il  y  a  de  divin  en  elle  projette  une  lumière 
qui  éclaire  toute  âme  sincère.  Les  religions 
sont  plus  ou  moins  vraies  ;  elles  sont  surtout 
les  stations  que  l'esprit  humain  parcourt,  pour 
s'élever  vers  des  conceptions  toujours  plus 
larges,  de  l'avenir  de  l'être  et  de  la  nature  de 
Dieu.  Les  formes,  les  manifestations  religieuses 
sont  discutables  ;  elles  sont  passagères  et  chan- 
geantes ;  le  sentiment  profond  qui  les  inspire, 
leur  raison  d'être  ne  l'est  pas. 

L'humanité,  dans  sa  marche  vers  ses  desti- 
nées, est  appelée  à  se  faire  une  religion  tou- 
jours plus  pure,  dégagée  des  formes  matérielles 


JEANNE    d'arc    ET    l'iDÉE    DE    RELIGION  267 

et  des  dogmes,  sous  lesquels  la  pensée  divine 
est  trop  souvent  ensevelie.  C'est  une  idée  fausse 
et  dangereuse  que  de  vouloir  détruire  les  con- 
ceptions religieuses  du  passé,  comme  certains 
songent  à  le  faire.  La  sagesse  consiste  à  prendre 
en  elles  les  éléments  de  vie  qu'elles  contien- 
nent, pour  construire  Tédifice  de  la  pensée  fu- 
ture, dont  le  couronnement  s'élèvera  toujours 
plus  haut  vers  le  ciel. 

Chaque  religion  apportera  à  la  foi  de  l'avenir 
un  rayon  de  la  vérité  :  le  druidisme,  le  boud- 
dhisme lui  donneront  leur  notion  des  vies  suc- 
cessives ;  la  religion  grecque,  la  divine  pensée 
enfermée  dans  la  nature  ;  le  christianisme,  la 
révélation  plus  haute  de  l'amour,  l'exemple  de 
Jésus  vidant  la  coupe  des  douleurs  et  se  sacri- 
fiant pour  le  bien  des  hommes.  Si  les  formes 
du  catholicisme  sont  usées,  la  pensée  du  Christ 
est  toujours  vivante.  Son  enseignement,  sa  mo- 
rale, son  amour,  sont  encore  la  consolation  des 
cœurs  meurtris  par  les  âpres  luttes  d'ici-bas. 
Sa  parole  peut  être  renouvelée  ;  les  côtés  voilés 
de  sa  doctrine,  remis  en  lumière,  réservent  des 
trésors  de  beauté  aux  âmes  avides  de  vie  spiri- 
tuelle. 

Notre  temps  marquera  une  étape  décisive  de 
l'idée  religieuse.  Les  religions,  vieillies,  afFais- 
sées  sous  le  poids  des  siècles,  ont  besoin  de 


h 


268  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

s'infuser  d'autres  principes  régénérateurs, 
d'élargir  leurs  conceptions  du  but  de  l'existence 
et  des  lois  de  la  destinée. 

L'humanité  cherche  sa  voie  vers  de  nouveaux 
foyers.  Parfois,  un  cri  d'angoisse,  une  plainte 
douloureuse,  monte  des  profondeurs  de  l'âme 
vers  le  ciel.  C'est  un  appel  à  plus  de  lumière. 
La  pensée  s'agite  fiévreusement  au  milieu  des 
incertitudes,  des  contradictions  et  des  menaces 
de  notre  temps.  Elle  cherche  un  point  d'appui, 
pour  prendre  son  essor  vers  des  régions  plus 
belles  et  plus  riches,  que  toutes  celles  qu'elle 
a  parcourues  jusqu'ici.  Une  sorte  d'intuition 
sourde  la  pousse  en  avant.  Il  y  a  au  fond  de  l'être 
un  besoin  impérieux  de  savoir,  de  connaître,  de 
pénétrer  le  mystère  auguste  de  l'univers  et  le 
secret  de  son  propre  avenir. 

Et  voilà  que,  peu  à  peu,  la  route  s'éclaire. 
La  grande  loi  se  révèle,  grâce  aux  enseigne- 
ments de  l'Au-delà.  Par  des  moyens  variés  : 
typtologie,  messages  écrits,  discours  pronon- 
cés dans  la  trance,  les  Esprits-guides  et  inspi- 
rateurs nous  fournissent,  depuis  un  demi-siècle, 
les  éléments  d'une  nouvelle  synthèse  reli- 
gieuse. Du  sein  des  espaces,  un  courant  puis- 
sant de  force  morale  et  d'inspiration  découle 
sur  la  terre. 

Nous  avons    exposé  ailleurs    les    principes 


JEANNE    d'arc    ET    l'idÉE    DE    RELIGION  269 

essentiels  de  cet  enseignement  (1).  Dans  notre 
livre  :  Christianisme  et  Spiritisme,  nous  avons 
traité  plus  particulièrement  de  la  question  reli- 
gieuse. Sur  ce  problème  vital,  qui  soulève  tant 
de  contradictions  passionnées,  ce  qu'il  importe 
surtout  de  faire  connaître  au  lecteur,  c'est  la 
pensée  directe  de  nos  guides  invisibles,  les 
vues  des  grands  Esprits  de  l'espace,  des  Entités 
tutélaires  qui  planent  au-dessus  de  nous,  loin 
des  compétitions  humaines  et  qui,  jugeant  de 
plus  haut,  jugent  mieux. 

C'est  pourquoi  nous  reproduisons  ci-après 
quelques-uns  des  messages  récents,  obtenus  par 
voie  médianimique,  parmi  ceux  ayant  trait  à 
la  fois  au  problème  religieux,  pris  dans  son 
ensemble,  et  à  la  canonisation  de  Jeanne  d'Arc. 

MESSAGES 

Juin  1909.  Improvisation  dans  l'état  de  trance  : 

«  L'Église  s'en  va.  Elle  a  une  énergie,  une  orien- 
tation factices.  Cette  énergie  lui  vient  de  la  désor- 
ganisation des  partis  qui  lui  sont  opposés.  Elle  est 

9- 

(1)  Voir  Après  la  Mort  et  le  Problème  de  l'Être  et  de  la  Desti- 
née. En  ce  qui  concerne  les  procédés  de  communication  avec 
le  monde  invisible  :  écriture  médianimique,  incorporations  et 
discours  dans  la  trnuce  ou  sommeil  magnétique,  voir  Dans 
rinvisihle  :  Spiritisme  et  Médiamnité,  chap.  XVIII  et  XIX. 


270  JEANNE   d'arc    MEDIUM 

seule  debout  en  face  des  écoles  matérialistes.  Elle 
seule  représente  Tâme  en  face  du  matérialisme  et  de 
la  science.  De  l'heure  où  la  science  consacrera  l'âme, 
l'Église  s'écroulera.  L'Église  est  un  mieux  relatif. 
Tous  ceux  qui  sont  épris  de  la  vie  de  l'âme,  se  réfu- 
gient dans  rÉglise,  parce  qu'ils  n'ont  rien  d'autre. 
Bien  des  âmes  ne  peuvent  se  faire  une  foi  person- 
nelle ;  elles  demandent  à  d'autres  leur  croyance  et 
trouvent  plus  commode  de  s'adresser  à  l'Église. 
Mieux  vaut  croire  au  catholicisme  que  de  ne  croire 
à  rien.  Mais  du  jour  où  se  constituera  une  philoso- 
phie scientifique,  artistique  et  littéraire  qui  synthé- 
tisera l'idéal,  l'Église  actuelle  disparaîtra.  L'Église 
n'a  reçu  dans  son  sein  que  les  arts  et  les  lettres, 
mais  non  la  science.  Elle  rejette  une  partie  de  la 
connaissance;  aussi  devra-t-elle  céder  le  pas  à  une 
philosophie  qui  embrassera  tout  le  savoir  humain. 
Nous  disons  :  philosophie  et  non  religion,  parce  que 
ce  dernier  mot  a  aujourd'hui  le  sens  de  secte.  » 

((  La  Réforme  a  séduit  certaines  âmes,  parce 
qu'elle  permettait  d'unir  la  morale  à  la  religion. 
Tout  était  permis  alors  par  l'Église,  pourvu  que  Ton 
sût  se  faire  pardonner  par  de  l'argent.  La  vente  des 
indulgences  était  publique.  Tout  le  monde  voyait 
d'un  côté  la  morale,  de  l'autre  la  religion.  La  ques- 
tion morale  a  ébranlé  l'Église  ;  aujourd'hui,  ce  sera 
la  science  qui  l'achèvera;  K  l'heure  où  les  hommes 
sauront,  l'Église  s'écroulera.  » 

«  Nous  ne  pleurons  pas  sur  sa  disparition.  L'Église 
n'est,  dans  l'histoire,  qu'une  des  formes  de  l'idée 


JEANNE    d'arc   ET    l'iDÉE    DE    RELIGION  271 

religieuse  en  marche.  L'Église  a  fait  du  bien,  et  nous 
aimons  mieux  voir  ce  bien  que  le  mal  qu'elle  a  causé  ; 
par-dessus  tout,  nous  aimons  à  voir  en  elle  la  grande 
figure  du  Christ  qui  Ta  fondée.  Nous  verrons  tou- 
jours l'évangile  dans  la  messe  ;  c'en  est  le  véritable 
point  central  et  non  pas  l'élévation,  comme  beau- 
coup le  croient.  Nous  aimons  cet  évangile  ;  c'est  lui 
qui  nous  attire  encore  aujourd'hui  dans  certaines 
cathédrales.  Nous  aimons  l'Église,  nous  la  vénérons 
comme  tout  ce  qui  a  apporté  quelque  chose  de  grand 
à  l'humanité.  « 

«  Plus  tard,  nous  vénérerons  encore  davantage  celui 
qui  apportera  une  nouvelle  parole  de  vie,  cet  Esprit 
de  Vérité,  annoncé  depuis  longtemps.  Ce  sera  un 
homme  de  science,  un  savant,  un  philosophe  et, 
surtout,  un  homme  d'une  sensibilité  exquise.  Les 
Mahométans  l'attendent  aussi.  Toutes  les  religions 
l'ont  promis.  11  faut  que  toutes  les  âmes  se  sentent 
désorientées,  que  toutes  sentent  la  nécessité  de  sa 
venue.  La  dissolution  est  plus  profonde  qu'à  l'époque 
où  le  Christ  est  apparu,  le  désir  de  savoir  aussi. 
Tous  les  peuples  sont  pressurés  par  les  gouverne- 
ments. L'heure  vient.  » 

«  Il  ne  faut  pas  s'élever  contre  ceux  qui  s'en  vont, 
contre  l'Église.  Le  Christ  n'a  pas  crié  contre  la  reli- 
gion. Rappelez-vous  qu'il  a  dit  cette  parole  trop 
oubliée  :  «  Aux  Juifs  d'abord  !  »  Nous  aussi,  nous 
disons  :  «  A  l'Église  d'abord  !  »  car  c'est  elle  qui 
renferme  le  plus  de  spiritualistes  ;  c'est  elle  qui  en 
a  le  plus  besoin.  C'est  sur  les  bases  du  christianisme 


272  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

que  s'élèvera  la  religion  nouvelle,  comme  le  chris- 
tianisme s'est  élevé  sur  le  judaïsme.  L'ancienne 
Église,  comme  la  loi  de  Moïse,  sera  rénovée,  amé- 
liorée. » 

Jérôme  de  Prague. 


Juillet  1909;  par  rincorporation  : 

«  Que  sont  ces  dogmes  et  ces  mystères?  Cherchons 
le  sens  des  religions  I  » 

«  La  religion  s'entoure  d'un  appareil  sombre  et 
redoutable.  Tout,  croit-elle,  est  su,  connu,  décou- 
vert. Erreur  profonde  !  » 

«  La  vérité  ne  peut  pas  être  séparée  de  Dieu.  Elle 
ne  peut  pas  être  un  symbole.  C'est  un  rayon  échappé 
de  son  front  divin.  Nous  avons  Dieu  en  nous,  mais 
non  pas  par  son  corps  de  chair  (l'hostie).  » 

«  C'est  par  ses  messagers  que  s'accomplit  le  sacri- 
fice divin.  Dieu  est  en  nous  par  les  radiations  de  sa 
vérité.  Mais  celle-ci  n'est  pas  connue;  elle  est  espé- 
rée. Il  faut  savoir  l'aimer  pour  qu'elle  descende  jus- 
qu'à nous.  » 

«  L'homme  est  perfectible  à  l'infini.  C'est  une 
faute  grave  de  briser  devant  lui  les  perspectives  de 
l'avenir.  La  miséricorde  divine  lui  donne,  avec  l'es- 
poir, la  réparation  toujours  possible  de  ses  fautes.  » 

«  L'Église  dit  à  l'homme  :  Laisse-nous  te  diriger. 
Elle  oublie  qu'elle  devient  ainsi  responsable  de  la 
conduite  des  âmes  devant  Dieu.  Et  si  l'Église  est 
Dieu,  Dieu  serait  responsable  de  la   conduite  des 


JEANNE    d'arc    ET    l'iDÉE    DE   RELIGION  273 

âmes  ;   c'est  faux  !    L'homme  pourrait    s'endormir 
ainsi  dans  la  confiance  qu'il  est  assez  dirigé.  » 

«  L'Église  a  souvent  été  une  marâtre  pour  ceux 
qui  vivaient  dans  son  sein.  Elle  a  brisé  toutes  les 
intelligences  qui  dépassaient  un  certain  niveau.  Ce 
qui  l'a  perdue,  c'est  l'amour  de  la  matière,  la  puis- 
sance temporelle,  le  désir  de  la  domination.  L'eni- 
vrement du  pouvoir  l'a  envahie.  Elle  a  bu  à  la  coupe 
de  l'orgueil.  Ce  sera  la  cause  de  sa  décadence,  car  la 
matière  ne  peut  donner  la  vie.  » 

«  La  puissance  temporelle  s'est  écroulée  ;  les 
autres  suivront.  Respectons  l'Église  comme  on  res- 
pecte les  personnes  âgées,  qui  ont  fait  de  grandes 
choses  dans  leur  jeunesse.  Mais,  aujourd'hui,  les 
foules  s'éloignent.  Les  nefs  restent  solitaires  en 
dehors  des  gi'andes  cérémonies.  » 

«  L'Église  n'aime  plus  assez  ;  c'est  pour  cela 
qu'elle  meurt.  Aimer  davantage  :  c'est  toute  la  pen- 
sée du  Christ.  Il  a  aimé  les  hommes  plus  que  lui- 
même,  comme  Jeanne  a  aimé  la  France.  C'est  ce  que 
l'Église  ne  sait  plus  faire.  Il  fallait  gouverner  les 
âmes  par  l'amour  et  non  par  la  crainte.  Jean  a  dit  : 
<(  Aimez-vous,  c'est  toute  la  religion  !  » 

«  Le  Christ  a  aimé  Thomas,  qui  doutait,  jusqu'à 
se  matérialiser  et  lui  faire  toucher  ses  plaies.  Mais 
l'Église  n'aime  pas  ceux  qui  doutent  ;  elle  les  re- 
pousse. Pour  qu'une  foi  soit  réelle,  il  faut  l'amour 
qui  la  rend  féconde.  L'amour  est  le  levier  de  l'huma- 
nité. C'est  ce  que  l'Église  a  oublié,  et  c'est  pourquoi 
elle  est  destinée  à  s'affaiblir  de  plus  en  plus.  » 


274  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

«  Il  faut  la  saluer,  parce  qu'elle  a  reçu  autrefois 
la  pensée  du  Christ.  Maintenant,  elle  a  donné  tout 
ce  qu'elle  pouvait  donner  ;  elle  a  fait  son  temps.  Elle 
n'a  pas  compris  ce  siècle.  Elle  croit  que  tout  dort 
dans  le  passé.  Mais  au  lieu  de  remuer  la  cendre  des 
vieux  souvenirs,  il  faut  songer  aux  devoirs  envers  les 
hommes  du  présent  et  préparer  les  temps  futurs.  » 

«  Pas  de  haine  !  Il  faut  la  plaindre  et  la  laisser 
s'éteindre  doucement.  On  ne  crie  pas  contre  ceux 
qui  vont  mourir.  Que  la  paix  soit  sur  elle  I  Que  Ton 
prie  pour  elle  !  » 

«  Quant  à  son  attitude  envers  Jeanne,  elle  s'ex- 
plique ainsi  :  Elle  a  voulu  se  faire  une  sainte  popu- 
laire et,  parla,  ressaisir  un  peu  de  l'influence  perdue. 
Et  comme  le  patriotisme  s'affaiblit,  elle  cherche  à 
reprendre  cette  idée  à  son  profit.  Elle  ramasse  Tépée 
de  Jeanne  et  s'en  fait  une  arme  pour  combattre  ses 
ennemis.  Mais  ce  ne  sont  pas  ses  anciennes  vic- 
times qui  peuvent  ou  veulent  la  défendre  à  cette 
heure.   » 

«  Manifestation  plus  matérielle  que  spirituelle  ! 
Il  fallait  agir  autrement  et  instruire  un  nouveau 
procès  pour  établir  les  responsabilités,  accabler  Cau- 
chon  et  dégager  Rome.  Le  procès  de  réhabilitation 
a  été  fait  sur  les  textes.  On  n'a  pas  incriminé  les 
juges  ;  on  a  reconnu,  maintenu  leur  validité.  Il  ne 
suffit  pas  de  tonner  contre  eux  du  haut  de  la  chaire  ; 
il  fallait  un  acte  plus  solennel.  L'Église  n'a  pas  eu 
le  courage  de  ses  actes  et  de  sa  politique.  » 

Jérôme  de  Prague. 


JEANNE    d'aHC    ET   l'iDEE    DE   RELIGION  275 

Juillet  1909  ;  par  Fécriture  médianimique  : 

«  L'Église  est  souvent  en  contradiction  avec  ses 
enseignements.  Elle  demande  à  l'âme  de  se  purifier, 
de  s'améliorer,  d'abandonner  ses  erreurs  ;  mais  elle 
se  déclare  seule  omnisciente  et  omnipotente.  Elle 
n'admet  pas  que  sa  connaissance  d'autrefois  ne 
puisse  plus  suffire  aujourd'hui  ;  elle  croit  que  le 
monde  s'est  arrêté  sous  la  nef  des  cathédrales  go- 
thiques. En  réalité,  on  ne  demande  pas  à  l'homme 
instruit  et  sceptique  de  votre  siècle  ce  qu'on  pou- 
vait exiger  de  ceux  qu'épouvantaient  les  châtiments 
éternels.  Les  temps  ont  accompli  leur  œuvre  ;  ils 
ont  amoncelé  les  ruines.  Les  âmes  se  sont  renouve- 
lées et,  seule,  l'Église  s'est  acharnée  à  étayer  son 
ancien  édifice,  à  reconstruire  continuellement  la 
redoutable  forteresse.  Elle  s'est  ainsi  peu  à  peu  sépa- 
rée du  monde  ;  elle  s'est  complue  dans  la  satisfaction 
de  la  puissance  et  de  l'orgueil  ;  mais  elle  a  oublié 
l'histoire  des  civilisations.  » 

«  Les  exigences  de  l'évolution  que  subissent  les 
âmes  sont  si  puissantes  qu'elles  rénovent  la  foi  et 
la  science.  Les  anciennes  croyances  s'oublient  pour 
d'autres,  et  l'Église,  à  son  tour,  devrait  monter  vers 
la  lumière.  Elle  devrait  être  la  voie  naturelle  des 
âmes  allant  vers  Dieu,  et  leur  offrir  toutes  les  res- 
sources réclamées  par  des  intelligences  éprises  de 
beauté,  de  grandeur,  de  vérité  plus  parfaite.  » 

«  L'Église  donne  à  l'homme  adulte  les  mômes 
devoirs  qu'à  l'enfant.  Ses  explications,  ses  comman- 
dements sont  les  mêmes  pour  tous.  Elle  porte  par- 


276  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

tout  le  désir  d'unité  et  la  volonté  de  fixer  les  âmes 
dans  la  contemplation  de  ses  dogmes.   » 

«  Le  souci  continuel  de  sa  vie  et  de  son  existence 
devrait  faire  comprendre  à  l'Église  qu'il  serait  habile 
et  fort  d'abandonner,  à  l'heure  voulue,  les  procédés 
qui  avaient  suffi  à  gouverner  le  monde  autrefois.  On 
n'attire  pas  l'homme  par  les  mêmes  paroles  que  l'en- 
fant, et  ce  qui  réussissait  pour  les  peuples  des  siècles 
passés  est  insuffisant  aujourd'hui.  Des  esprits  habiles 
l'ont  senti  ;  ils  ont  essayé  de  donner  un  sens  mystique 
et  spirituel  à  ses  dogmes,  de  les  montrer  comme  les 
symboles  de  quelque  grande  pensée.  Mais  l'Église, 
comme  institution,  n'est  pas  accessible  à  la  sublime 
réflexion.  Les  médiocrités  se  sont  emparées  du  pou- 
voir et  l'on  a  vu  ces  essais  inutiles  rudement  répri- 
més, car  si  cette  réforme  avait  été  accomplie  pour  la 
foi,  elle  aurait  dû  l'être  aussi  pour  la  conduite  à  tenir. 
Il  fallait  avoir  le  courage  de  tout  symboliser,  de  mon- 
trer que  l'Église  avait  conduit  les  peuples  et  les  rois 
parce  qu'ils  n'étaient  encore  qu'en  enfance  ;  il  fallait 
réprouver  les  erreurs,  châtier  le  passé  et  hautement 
renier  tout  ce  qui  n'était  pas  d'accord  avec  ces  nou- 
velles vues.  On  eût  été  politique.  L'Église,  en  effet, 
aujourd'hui  n'est  plus  une  religion  au  sens  propre 
du  mot  :  elle  ne  cherche  pas  à  unir  les  âmes,  mais  à 
gouverner  les  corps  par  tous  les  moyens.  Pour  gou- 
verner les  corps,  il  faut  se  rendre  maître  des  âmes, 
et  il  eût  été  adroit  de  les  attirer  par  quelques  gestes 
habiles,  par  la  glorification  de  quelques  âmes  hono- 
rées de  tous.  » 


JEANNE    d'arc    ET    l'iDÉE    DE    RELIGION  277 

«  En  ces  temps  troublés,  où  l'Église  semble  sou- 
tenir le  suprême  combat,  elle  se  veut  donner  un  puis- 
sant auxiliaire  dans  la  personne  de  Jeanne.  Il  fallait 
nettement  accuser  d'imposture  les  juges,  et  montrer 
en  eux  les  agents  d'une  autorité  non  reconnue. 
L'Église  a  si  maladroitement  rejeté  de  son  sein  tant 
de  grands  hommes,  qu'elle  aurait  pu  facilement  faire 
quelques  victimes  de  plus,  et  elle  avait  ainsi  l'occa- 
sion tout  indiquée  de  placer  parmi  ses  saints  quel- 
ques-unes de  ses  autres  victimes,  sur  lesquelles 
s'étend  la  pitié  des  âmes  croyantes  elles-mêmes. 
Comme  institution,  elle  pouvait  le  faire.  Elle  a  long- 
temps défendu  les  juges  de  Jeanne,  et  maintenant 
elle  cherche  à  justifier  l'ancienne  hérétique,  mais 
bien  des  croyants  se  demandent  où  est  le  coupable 
dans  cette  triste  tragédie  de  Rouen.  » 

«  Aujourd'hui,  sachant  parfaitement  qu'elle  est 
une  sainte,  le  peuple  a  placé  Jeanne  parmi  les  pro- 
tectrices de  la  patrie,  mais  l'Église  a  voulu  se  glisser 
derrière  son  piédestal,  se  substituer  à  elle  en  la  pla- 
çant parmi  ses  élues.  Personne  ne  peut  le  nier  : 
Jeanne  est  plus  aimée  que  l'Église,  et  celle  qui  la 
condamna  ne  réussira  pas  à  la  défigurer.  Mais  nous 
ne  pouvons  pas  accepter  cette  béatification,  qui  est 
une  manœuvre  de  l'Église,  car  c'est  encore  une  fois 
un  de  ces  actes  par  lesquels  l'Église  s'est  rendue 
justement  célèbre  :  une  demi-lâcheté,  causée  par  un 
calcul  où  le  désir  de  vérité  est  masqué  par  l'inté- 
rêt. » 

Jérôme  de  Prague. 
16 


278  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

Juillet  1909  ;  par  l'incorporation  : 

«  Aimez  Dieu  par-dessus  tout.  Là  est  la 
force  qui  vous  libérera  de  ce  monde  matériel 
et  vous  fera  supporter  les  flammes  de  la  dou- 
leur. » 

«  Cet  amour  m'a  donné  toute  énergie,  toute 
puissance.  » 

«  Je  suis  dolente  de  voir  que  les  Français  se 
disputent  mon  âme.  » 

«  Je  pardonne  tout  à  l'Eglise,  excepté  son 
enseignement.  Je  ne  lui  pardonne  pas  de  ré- 
pandre des  erreurs  et  l'épouvante  dans  les 
âmes.    » 

«  L'Église  s'éteint.  Bénissons-la  pour  le  bien 
qu'elle  a  fait.  Plaignons-la  du  mal  qu'elle  a 
accompli.  » 

«  Je  suis  son  guide  et  non  son  défenseur.  » 

«  Que  la  France  redevienne  consciente  de 
son  rôle,  qui  est  de  répandre  dans  le  monde 
des  clartés  toujours  plus  vives.  » 

«  Les  temps  sont  venus.  L'Esprit  de  Vérité, 
annoncé  par  le  Christ,  est  proche.  Il  naîtra 
parmi  vous.  Le  christianisme  n'a  pas  été  com- 
pris. Il  était  venu  pour  tirer  Pâme  de  la  souf- 
france et  de  l'inconscience.  Maintenant,  d'autres 
vérités  supérieures  vont  luire.  » 

Jehanne. 


XVI.  —  Jeanne  d'Arc  et  l'idéal  celtique. 


O  terre  de  granit,  recouverte  de  chênes  ! 

Brizeux. 

Un  soir,  l'Esprit  de  J.  Michelet,  précédant  et 
annonçant  celui  de  Jeanne  d'Arc,  nous  tenait  ce 
langage,  au  cours  d'une  de  nos  séances  d'étu- 
des :  ((  Jeanne  acquit  dans  ses  existences  anté- 
rieures le  sentiment  des  grands  devoirs  qu'elle 
aurait  à  remplir.  Nous  nous  sommes  rencontrés 
plusieurs  fois  dans  ces  temps  lointains.  Ce  lien, 
établi  entre  elle  et  nous,  l'attire.  De  même 
qu'elle  m'a  inspiré,  elle  vous  inspirera.  Mon 
livre  n'a  été  qu'un  écho  de  sa  passion  pour  la 
France  et  pour  la  vérité.  Maintenant,  elle  va 
descendre  vers  vous,  pour  vous  apporter  une 
parcelle  de  la  vérité  divine.  » 

Nombreuses  ont  été  les  existences  de  Jeanne 
sur  la  terre,  comme  celles  de  toutes  les  âmes 
qui  parcourent  avec  nous  le  cycle  immense  des 
évolutions.  11  y  en  eut  de  brillantes,  vécues 
sur  les  marches  d'un  trône  ;  il  y  en  eut  d'obs- 
cures, mais  toutes  ont  été    bienfaisantes   pour 


280  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

autrui,  fécondes  pour  son  propre  avancement. 

Ses  premières  vies  terrestres  se  succédèrent 
à  l'époque  celtique,  au  pays  d'Armor.  C'est  là 
que  sa  personnalité  s'imprégna  de  ce  génie 
particulier,  fait  d'idéal,  d'intrépidité  et  de  poé- 
sie rêveuse,  que  l'on  retrouve  en  elle  au  quin- 
zième siècle. 

Dès  son  enfance  à  Domremy,  elle  aimait  à 
fréquenter  les  lieux  où  s'accomplirent  les  rites 
druidiques  :  les  bosquets  de  chênes,  témoins 
des  anciens  appels  aux  âmes,  les  fontaines 
sacrées,  les  monuments  de  pierre  brute  que  l'on 
rencontrait  çà  et  là  aux  environs  de  son  village. 
Elle  aimait  à  s'enfoncer  dans  la  forêt  profonde, 
à  en  écouter  les  harmonies,  lorsqu'elle  frémit 
et  vibre  comme  une  harpe  gigantesque  sous  les 
souffles  du  vent.  De  son  regard  de  voyante, 
elle  distinguait  sous  ses  voûtes  les  ombres  mys- 
térieuses de  ceux  qui  présidaient  aux  évocations 
et  aux  sacrifices.  Parmi  ses  guides  invisibles,  on 
pouvait  rencontrer  les  Esprits  protecteurs  des 
Gaules,  ceux-là  mêmes  qui,  dans  tous  les  siè- 
cles, assistent  les  fils  d'Arthur  et  de  Merlin,  et 
donnent  à  ceux  qui  luttent  pour  une  noble  cause, 
la  volonté  et  l'amour  qui  mènent  à  la  victoire. 

En  vain  le  gui  est  mort  sur  les  branches,  en 
vain  la  flamme  sacrée  s'est  éteinte  dans  les 
foyers,    la    foi    aux    vies    immortelles    et   aux 


JEANNE    d'arc    ET    l'iDÉAL    CELTIQUE  281 

mondes  supérieurs  vivra  toujours  dans  le  cœur 
de  Jeanne.  Tous  les  historiens  qui  ont  su  analy- 
ser et  comprendre  son  caractère,  ont  reconnu  en 
elle  ce  double  courant  celtique  et  chrétien,  dont 
tout  à  l'heure  elle  nous  indiquera  elle-même 
l'origine.  Henri  Martin,  notamment,  l'avait  cons- 
taté dans  les  pages  de  son  Histoire.  Il  rappelle 
d'abord  en  ces  termes  les  souvenirs  celtiques, 
encore  vivants  au  temps  de  l'héroïne  : 

«  Près  de  la  maison  de  Jeanne  d'Arc,  un  sentier 
montait,  à  travers  des  touffes  de  groseilliers,  vers  le 
sommet  du  coteau  ;  la  crête  boisée  se  nommait  le 
Bois  Chesnu.  A  mi-côte,  jaillissait,  sous  un  grand 
hêtre  isolé,  une  fontaine,  objet  d'un  culte  tradition- 
nel. Les  malades  tourmentés  de  la  fièvre  venaient, 
de  temps  immémorial,  chercher  leur  guérison  dans 
ces  eaux  pures...  Des  êtres  mystérieux,  antérieurs 
chez  nous  au  christianisme,  et  que  nos  paysans  n'ont 
jamais  consenti  à  confondre  avec  les  esprits  infer- 
naux de  la  légende  chrétienne,  les  génies  des  eaux, 
des  pierres  et  des  bois,  les  dames  faées  hantaient  le 
hêtre  séculaire  et  la  claire  fontaine.  Le  hêtre  s'ap- 
pelait le  Beau  Mai.  Au  retour  du  printemps,  sous 
l'arbre  de  mai,  «  beau  comme  les  lis  »,  les  jeunes 
filles  venaient  danser  et  suspendre  aux  rameaux,  en 
l'honneur  des  fées,  des  guirlandes  qui  disparais- 
saient, disait-on,  pendant  la  nuit  (i).  » 

(1)  H.  Martin,  Histoire  de  France,  t.  VI,  pp.  138,  139. 

16. 


JEANNE   D  ARC    MEDIUM 


Henri  Martin  décrit  ensuite  les  impressions 
de  la  vierefe  lorraine  : 


t) 


«  Les  deux  grands  courants  du  sentiment  celtique 
et  du  sentiment  chrétien,  qui  s'étaient  unis  pour 
enfanter  la  poésie  chevaleresque,  se  mêlent  de  nou- 
veau pour  former  cette  âme  prédestinée.  La  jeune 
pastoure  tantôt  rêve  au  pied  de  «  l'arbre  de  mai  » 
ou  sous  les  chênes...  tantôt  s'oubhe  au  fond  de  la 
petite  église,  en  extase  devant  les  saintes  images 
qui  resplendissent  sur  les  vitraux...  Quant  aux  fées, 
elle  ne  les  a  jamais  vues  mener  au  clair  de  lune  les 
cercles  de  leur  danse  autour  du  beau  mai  ;  mais  sa 
marraine  les  a  rencontrées  jadis,  et  Jeanne  croit 
apercevoir  parfois  des  formes  incertaines  dans  les 
vapeurs  du  crépuscule  :  des  voix  gémissent  le  soir 
entre  les  rameaux  des  chênes  ;  les  fées  ne  dansent 
plus  ;  elles  pleurent  ;  c'est  la  plainte  de  la  vieille 
Gaule  qui  expire  (i)!  » 

Enfin,  parlant  du  procès  de  Rouen,  le  même 
auteur  dit  encore  (2)  : 

«  Jeanne  sut  opposer  le  libre  génie  gaulois  à  ce 
clergé  romain  qui  veut  prononcer  en  dernier  ressort 
sur  l'existence  de  la  France.  Par  elle,  le  génie  mys- 
tique revendique  les  droits  de  la  personne  humaine 
avec  la  même  force  que  le  génie  philosophique  ;  la 


(1)  H.  Martin,  Histoire  de  France,  t.  VI,  p.  HO. 

(2)  Id.,  Ibid.,  t.  VI,  p.  302. 


JEANNE    d'arc    ET    l'iDÉAL    CELTIQUE  283 

même  âme,  la  grande  âme  de  la  Gaule,  éclose  dans 
le  Sanctuaire  du  Chêne,  éclate  également  dans  le 
libre  arbitre  de  Lérins  et  du  Paraclet,  dans  la  sou- 
veraine indépendance  de  l'inspiration  de  Jeanne  et 
dans  le  Moi  de  Descartes.  » 

Jeanne  elle-même,  confirmant  ces  vues,  s'ex- 
primait ainsi,  dans  un  message  dicté  à  Paris,  en 

1898  (1)  : 

«  Remontons,  pendant  un  instant,  le  cours 
des  âges,  afin  de  vous  apprendre  quel  chemin 
j'ai  parcouru  pour  me  préparer  à  cette  étape 
douloureuse  que  vous  connaissez.  » 

«  Elles  ont  été  multiples,  les  existences  qui 
ont  contribué  à  mon  avancement  spirituel.  Elles 
se  sont  écoulées  dans  la  vieille  Armorique,  sous 
le  dôme  des  grands  chênes  séculaires,  couverts 
du  gui  sacré.  C'est  là  que,  lentement,  je  me 
suis  acheminée  vers  l'étude  des  lois  de  l'esprit 
et  le  culte  de  la  patrie.  » 

«  0  heures  bénies  entre  toutes,  où  le  barde, 
par  ses  chants  d'allégresse,  faisait  retentir  nos 
cœurs  et  ouvrait  nos  yeux  à  la  lumière,  en  nous 
laissant  entrevoir  les  merveilles  de  l'infini  !  Il 
nous  enseignait  alors  que  le  passage  du  trépas 


(1)  Voir  Revue  scientifique   et    morale  du  Spirilisme,   jan- 
vier 1898. 


28i  JEANNE    D  ARC   MÉDIUM 

à  la  résurrection  glorieuse  de  l'Esprit  dans  l'es- 
pace, n'était  qu'une  simple  transformation, 
sombre  ou  lumineuse,  selon  que  l'homme  sui- 
vait la  voie  de  la  justice  et  de  l'amour  ici-bas, 
ou  qu'il  se  laissait  dominer  par  les  forces  pas- 
sionnelles de  la  matière.  Il  nous  faisait  com- 
prendre les  lois  de  la  solidarité  et  de  l'abné- 
gation; il  nous  enseignait  ce  qu'était  la  prière 
et  nous  disait  :  «  Prier,  c'est  triompher  ;  la 
((  prière,  c'est  le  moteur  dont  se  sert  la  pensée 
«  pour  stimuler  les  facultés  de  l'Esprit,  qui  sont 
«  pour  lui,  dans  l'espace,  ses  outils.  La  prière 
«  est  l'aimant  puissant  duquel  se  dégage  le  fluide 
«  magnétique  spirituel,  qui,  non  seulement  peut 
«  soulager  et  guérir,  mais  qui  ouvre  à  l'esprit 
«  des  horizons  sans  fin,  et  lui  permet  de  satisfaire 
«  ce  désir  de  connaître  et  de  se  rapprocher  sans 
«  cesse  de  cette  source  divine,  d'où  toute  chose 
«  découle.  La  prière  est  le  fil  conducteur  qui 
«  m^t  la  créature  en  relation  avec  le  Créateur 
«  et  ses  missionnaires  célestes.  » 

«  Un  jour,  pénétrée  de  ces  vérités,  je  m'en- 
dormis et  j'eus  la  vision  suivante  :  J'assistai 
d'abord  à  bien  des  combats,  hélas  !  qu'il  était 
impossible  d'éviter  en  raison  du  libre  arbitre 
de  chacun,  mais  surtout  à  cause  de  l'amour  de 
l'or  et  de  la  domination,  ces  deux  fléaux  de 
l'humanité.  Puis  je  vis  aussi  clairement  la  gran- 


JEANNE    d'arc    ET    l'iDÉAL    CELTIQUE  285 

deur  future  de  la  France  et  son  rôle  civilisa- 
teur dans  l'avenir.  Je  résolus  de  m'y  attacher 
tout  spécialement.   » 

«  Aussitôt  une  foule  sympathique  m'entoure. 
La  majeure  partie  pleurait  et  regrettait  ma 
perte.  Puis,  le  poison,  le  gibet,  le  bûcher,  pas- 
sent lentement  devant  moi.  Je  sentis  les  flam- 
mes consumer  ma  chair  et  je  m'évanouis!... 
mais  des  voix  amies  me  rappelèrent  à  la  vie  et 
me  dirent  :  «  Espère  !  La  phalange  céleste  qui 
((  a  pour  mission  de  veiller  sur  ce  globe,  t'a  choi- 
«  sie  pour  la  seconder  dans  son  œuvre,  et  pour 
((  ton  avancement  spirituel.  Mortifie  ta  chair, 
((  afin  que  ses  lois  ne  puissent  entraver  ton  es- 
«  prit.  L'épreuve  sera  courte,  mais  rude.  Prie,  et 
«  la  force  te  sera  donnée;  tu  recueilleras  de  ta 
«  mission  les  bénédictions  de  tous  dans  l'avenir. 
«  Tu  assureras  le  triomphe  de  la  foiraisonnée  sur 
«  Terreur  et  la  superstition.  Prépare-toi  à  faire 
«  en  tout  la  volonté  du  Seigneur,  afin  que,  l'heure 
«  venue,  tu  aies  acquis  assez  de  force  morale  pour 
«  résister  aux  hommes  et  obéir  à  Dieu  !  En  sui- 
«  vant  ces  conseils,  les  messagers  célestes  vien- 
«  dront  vers  toi,  tu  entendras  leurs  voix,  ils  te 
«  guideront  et  te  conseilleront;  tu  peux  être  sans 
((  crainte,  ils  ne  t'abandonneront  pas!  » 

«  Gomment  décrire  l'élan  suprême  qui  s'em- 
para de  moi  !  Je   sentis  l'aiguillon  de  l'amour 


286  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

pénétrer  tout  mon  être.  Je  n'eus  plus  qu'un 
but  :  travailler  à  Taffranchissement  spirituel  de 
cette  contrée  bénie,  dans  laquelle  je  venais  de 
goûter  au  pain  de  vie  et  de  boire  à  la  coupe  des 
forts.  Cette  vision  fut  pour  mon  âme  un  via- 
tique céleste.  » 


Là-bas,  aux  confins  du  continent,  comme  une 
immense  citadelle  à  laquelle  la  mer  et  la  tem- 
pête livrent  un  éternel  assaut,  se  dresse  une 
terre  étrange,  austère,  recueillie,  propice  à 
l'étude,  aux  méditations  profondes. 

Au  centre,  en  un  vaste  plateau,  s'étendent, 
à  perte  de  vue,  les  landes  parsemées  de  bruyè- 
res roses,  de  genêts  d'or,  d'ajoncs  épineux. 
Puis,  les  champs  de  blé  noir  alternent  avec  les 
pommiers  rabougris;  des  bois  de  chênes,  si 
épais  qu'aucun  rayon  de  lumière  ne  pénètre 
sous  leurs  ramures,  bordent  Thorizon. 

C'est  la  Bretagne,  le  sanctuaire  de  la  Gauk, 
le  lieu  sacré  où  dort  l'âme  celtique  de  son  lourd 
sommeil  de  vingt  siècles. 

Que  de  fois  j'ai  parcouru,  le  bâton  à  la  main, 
le  sac  de  voyage  au  côté,  ses  halliers,  ses  ra- 
vins sauvages,  ses  criques  découpées  par  le 
flot!  que  de  fois  j'ai  interrogé  l'Océan  du  haut 


JEANNE  d'aRG    ET    l'idÉAL    CELTIQUE  287 

de  ses  promontoires  de  granit  !  Je  connais  les 
plis  et  les  replis  de  ses  côtes  et  de  ses  vallées. 
Je  connais  les  solitudes  de  ses  forets  ombreu- 
ses et  murmurantes  :  Kénécan,  Coatmeur  et, 
par-dessus  tout,  Brocélyande,  où  dort  Merlin, 
le  barde  gallois  à  la  harpe  d'or,  l'enchanteur 
enchanté  par  Viviane,  la  belle  fée,  qui  symbo- 
lise la  nature,  la  matière,  la  chair.  Mais  Merlin 
se  réveillera,  car  Radiance,  son  âme  inspirée, 
son  génie  immortel,  veille  et,  vienne  l'heure, 
saura  l'arracher,  lui  et  ses  fils,  aux  voiles  du 
sensualisme,  qui  paralysent  leur  action  et  arrê- 
tent l'essor  de  leur  pensée. 

La  Bretagne  ne  ressemble  à  aucun  autre 
pays.  Sous  les  sombres  rameaux  de  ses  chênes, 
sur  ses  landes  grises  et  mornes  où  bruit  la  triste 
mélopée  du  vent,  sur  ses  côtes  déchiquetées, 
où  les  lames  écumantes  livrent  aux  remparts 
de  rochers  un  incessant  combat,  partout  on 
sent  planer  une  influence  mystérieuse  ;  partout 
on  sent  passer  comme  le  souffle  de  l'invisible. 
La  terre,  l'espace  et  les  eaux,  tout  y  est  plein 
de  voix,  qui  murmurent  à  l'âme  du  rêveur  mille 
secrets  oubliés.  La  poésie  de  la  terre  bretonne 
a  quelque  chose  d'austère  qui  vous  enveloppe 
et  vous  émeut.  Elle  est  virile  et  pénétrante.  Ses 
enseignements,  lorsqu'ils  sont  compris  et  ap- 
pliqués,  font    les    grandes   âmes,    les    carac- 


288  JEANiNE    d'arc   MEDIUM 

tères  héroïques,  les  fiers  et  profonds  penseurs. 

Là  subsistent  les  derniers  rejetons  de  la 
race;  là  aussi  se  perpétuent  les  accents  de 
cette  langue  sonore^  dont  les  phrases  retentis- 
sent comme  des  cliquetis  d'épée  et  des  chocs 
de  boucliers. 

C'est  la  terre  d'Armor  !  Ar-mor-ic^  pays  de 
la  mer,  où  s'est  cachée,  derrière  la  triple  mu- 
raille des  forêts,  des  montagnes  et  des  récifs, 
l'âme  profonde,  le  génie  mélancolique  et  rê- 
veur de  la  Gaule.  Là  seulement,  vous  retrouve- 
rez dans  toute  sa  pureté  la  race  vaillante,  te- 
nace et  forte,  qui  a  rempli  le  monde  du  bruit 
de  ses  exploits  ;  vous  la  retrouverez  sous  ses 
deux  aspects-  :  celui  que  César  a  décrit  dans  ses 
Commentaires,  l'aspect  gaélique,  à  l'esprit  vif, 
léger  et  changeant,  et  Taspect  kymrique,  la 
branche  la  plus  moderne  de  la  race  celtique, 
grave,  parfois  triste,  fidèle  à  ses  attachements, 
passionnée  pour  ce  qui  est  grand,  gardant  ja- 
lousement, dans  les  replis  cachés  de  son  âme, 
l'arche  sainte  des  souvenirs. 

Cette  race,  rien  n'a  pu  la  lasser;  elle  a  résisté 
deux  cents  ans  par  les  armes,  comme  l'a  dit 
Michelet,  et  mille  ans  par  l'espérance  ;  vaincue, 
elle  étonne  encore  ses  vainqueurs.  Pourtant 
elle  a  su  se  donner,  et  c'est  par  un  mariage 
que  la  France  se  l'est  assimilée. 


JEAN.NE  D  ARC  ET  L  IDEAL  CELTIQUE       289 

L'âme  celtique  a  son  sanctuaire  en  Bretagne, 
mais  les  vibrations  de  sa  pensée  et  de  sa 
vie  s'étendent  au  loin  sur  toute  la  région  qui 
fut  la  (jaule,  de  l'Escaut  aux  Pyrénées,  de 
l'Océan  aux  pays  des  Helvètes,  Elle  s'est  créé 
sur  tous  les  points  du  sol  national  des  retraites 
cachées,  où  vit,  latente,  la  pensée  des  âges. 
C'est  le  plateau  central,  l'xVr-vernie,  la  «  haute 
demeure  »,  le  Morvan,  les  âpres  Cévennes,  les 
forêts  lorraines  où  Jeanne  entendait  ses  «  voix  ». 

Qu'est-ce  donc  que  l'âme  celtique  ?  C'est  la 
conscience  profonde  de  la  Gaule.  Refoulée  par 
le  génie  latin,  opprimée  parla  brutalité  franque, 
méconnue,  oubliée  par  ses  propres  enfants, 
l'âme  celtique  subsiste  à  travers  les  siècles. 

C'est  elle  qui  reparaît  aux  heures  solennelles 
de  l'histoire,  aux  époques  de  désastre  et  d'écrou- 
lement, pour  sauver  la  patrie  en  péril.  C'est  la 
vieille  mère  qui  tressaille  chaque  fois  que  le 
pied  de  l'ennemi  souille  sa  couche,  et  se  lève 
de  son  sommeil  pour  faire  appel  à  ses  fils  et 
chasser  l'étranger. 

D'elle  encore  viennent  les  souffles  puissants, 
les  impulsions  irrésistibles,  les  inspirations 
grandioses,  qui  ont  fait  de  la  France  le  cham- 
pion de  l'idée  et  l'inspiratrice  de  l'humanité. 

Aussi  la  France  ne  peut-elle  périr,  malgré 
ses  fautes,  ses  faiblesses,  ses  décadences  et  ses 

17 


290  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

chutes.  Chaque  fois  que  rabîme  s'est  ouvert 
sous  ses  pas,  du  sein  des  espaces  une  main 
s'est  tendue  vers  elle  pour  la  guider.  Pendant 
la  guerre  de  Cent  ans,  comme  au  temps  de  la 
Révolution,  Tâme  celtique  reparaît,  pour  entraî- 
ner, pour  enflammer  les  héros.  C'est  elle  qui 
inspire  les  envoyés  providentiels  et  change  la 
face  des  choses. 

Parfois  elle  se  recueille.  Pâme  celtique;  elle 
sommeille,  elle  dort.  Et  alors,  quand  sa  voix  se 
tait,  son  peuple  s'affaisse;  il  perd  sa  virilité^  sa 
grandeur  ;  il  se  laisse  glisser  peu  à  peu  sur  1^ 
pente  du  doute,  du  sensualisme,  de  l'indiffé- 
rence ;  il  ne  sait  plus  rien  des  vertus,  des  puis- 
sances cachées  en  lui.  Mais  les  réveils  sont 
éclatants.  Et,  tôt  ou  tard,  l'âme  celtique  repa- 
raît, jeune,  ardente,  impétueuse,  pour  indiquer 
à  ses  fils  le  chemin  des  grandes  cimes  et  la 
source  des  hautes  inspirations. 

Nous  en  sommes  là  à  l'heure  présente.  De- 
puis plus  d'un  siècle,  nous  traversons  une  pé- 
riode de  silence.  L'âme  celtique  se  tait  ;  le  gé- 
nie national  perd  de  son  éclat.  La  France  se 
matérialise  et  dégénère.  Elle  oublie  son  but  su- 
blime, sa  tâche  sacrée.  Mais  déjà,  dans  la  lu- 
mière naissante  des  jours  qui  se  lèvent,  le  pen- 
seur voit  l'âme  de  la  Gaule  se  dresser  dans  ses 
longs  voiles.  Elle  reparaît,  brillante  d'une  éter- 


JEANNE    DARC    ET    l'iDÉAL    CELTIQUE  291 

nelle  jeunesse,  couronnée  de  verveine  ;  elle 
oublie  ses  longs  deuils,  sa  mort  apparente,  ses 
épreuves  douloureuses.  Son  doigt,  levé  vers  le 
ciel,  nous  montre  l'aube,  le  renouveau  de 
l'idée,  le  triomphe  définitif  et  prochain  de  la 
pensée  celtique,  dégagée  des  ombres  qu'ont 
accumulées  sur  elle  vingt  siècles  d'oppressions 
et  d'erreurs  étrangères. 

Toute  une  série  de  manifestations  de  la  pen- 
sée celtique  se  sont  produites  depuis  trente  ans. 

Lors  de  l'Exposition  de  1900,  le  contre-amiral 
Reveillère  écrivait  au  Conseil  municipal  de 
Paris,  pour  lui  proposer  de  faire  figurer  au 
Champ  de  Mars  le  menhir  brisé  de  Locmaria- 
ker,  cette  pierre  de  vingt-cinq  mètres,  qui  est 
le  plus  colossal  monument  élevé  par  la  main  des 
Celtes,  au  bord  de  cette  petite  mer,  Annor 
bihan  (Morbihan),  dont  les  rives  et  les  îles  sont 
si  riches  en  grands  souvenirs:  dolmens  gigan- 
tesques, cromlechs,  tumulus,  «  pierres  de- 
bout »,  à  l'ombre  desquels  chantaient  les 
bardes. 

Il  faut,  ajoutait  M.  Reveillère  dans  l'exposé 
de  sa  proposition,  que  «  le  panceltisme  rede- 
vienne une  foi,  une  religion  ».  Précisant  sa  pen- 
sée, l'amiral  écrivait  ailleurs  : 

«  L'œuvre  de  notre  époque  est  double.  C'est  d'abor 


292  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

le  renouvellement  de  la  foi  chrétienne,  entée  sur 
la  doctrine  celtique  de  la  transmigration  des  âmes, 
comme  la  croix  s'est  entée  sur  le  menhir,  doctrine 
seule  capable  de  satisfaire  Tintelligence,  par  la 
croyance  en  la  perfectibilité  indéfinie  de  l'âme  hu- 
maine, dans  une  suite  d'existences  successives.  La 
seconde  est  la  restauration  de  la  patrie  celtique  et  la 
réunion,  en  un  seul  corps,  de  ses  membres  aujour- 
d'hui séparés.  Nous  ne  sommes  pas  des  Latins,  nous 
sommes  des  Celtes  !  » 

Nous  applaudissons  à  ces  paroles,  qui  protes- 
tent contre  une  erreur  historique,  grosse  de 
conséquences  funestes  pour  la  France. 

Depuis  lors,  ce  mouvement  d'idées  a  pris 
une  grande  extension.  Tous  les  ans,  une  as- 
semblée ou  eisieddfod  réunit,  sur  quelque  point 
de  la  terre  celtique,  les  représentants  les  plus 
illustres  de  la  race.  Chaque  région  y  envoie 
ses  délégués  :  Écossais,  Irlandais,  Gallois,  Bre- 
tons de  France,  Cornouaillais,  insulaires  de 
Man,  celtisants  venus  d'Amérique  et  même 
d'Australie,  car,  «  dans  n'importe  quelle  partie 
du  monde,  les  Celtes  sont  frères  ».  Tous  s'as- 
semblent, unis  dans  un  même  symbole,  pour 
célébrer  les  grands  ancêtres  et  se  livrer  aux 
joutes  de  la  pensée. 

Bien  plus  nombreux  encore  sont  ceux  qui,  à 
l'heure   présente,    poursuivent  la  lutte    en  fa- 


JEANNE   d'arc   ET   l'idÉAL    CELTIQUE  293 

veur  du  Celtisme  renaissant  sous  la  forme  du 
spiritualisme  moderne. 

Aussi  croyons-nous  utile  de  redire  ici,  en  ter- 
mes succincts,  ce  qu'étaient  les  croyances  de 
nos  pères. 


Les  travaux  d'éminents  historiens,  de  pen- 
seurs érudits  (1),  en  dissipant  les  préjugés  se- 
més dans  nos  esprits  par  les  auteurs  latins  et 
les  écrivains  catholiques,  ont  jeté  une  vive  lu- 
mière sur  les  institutions  et  les  croyances  des 
Gaulois. 

La  philosophie  des  druides,  reconstituée 
dans  son  imposante  grandeur,  s'est  trouvée 
conforme  aux  aspirations  des  nouvelles  écoles 
spiritualistes. 

Comme  nous,  les  druides  affirmaient  l'infi- 
nité de  la  vie,  les  existences  progressives  de 
l'âme,  la  pluralité  des  mondes  habités. 

C'est  dans  ces  doctrines  viriles,  dans  le  sen- 
timent de  l'immortalité  qui  en  découle,  que  nos 
pères  puisaient  leur  esprit  de  liberté,  d'égalité 


(1)  Voir:  Gatien  Arnoult,  Philosophie  gauloise, i.  I"  ;  Henri 
Martin,  t.  I"  de  VHistoire  de  France  ;  Adolphe  Pictet,  Biblio- 
thèque de  Genève  ;  Alfred  Dumesnil,  Immortalité  ;  Jean  Rey- 
NAUD,  l'Esprit  de  la  Gaule. 


294  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

sociale,    leur   héroïsme    en  face    de    la  mort. 

Une  sorte  de  vertige  s'empare  de  notre  pen- 
sée, lorsque,  nous  reportant  à  vingt  siècles  en 
arrière,  nous  considérons  que  les  principes  de 
la  nouvelle  philosophie  étaient  répandus  dans 
toute  la  société  gauloise,  qu'ils  en  inspiraient 
les  institutions  et  en  fécondaient  le  génie. 

Cette  grande  lumière,  qui  éclaira  la  terre  des 
Gaules,  s'éteignit  tout  à  coup.  La  main  brutale 
de  Rome,  en  chassant  les  druides,  fit  place  aux 
prêtres  chrétiens.  Puis  vinrent  les  Barbares  ; 
alors  la  nuit  s'étendit  sur  la  pensée,  cette  nuit 
du  moyen  âge,  longue  de  dix  siècles,  si 
épaisse  que  les  rayons  de  la  vérité  ne  sem- 
blaient jamais  devoir  la  dissiper. 

Enfin,  après  une  gestation  lente  et  doulou- 
reuse, la  foi  de  nos  ancêtres,  rajeunie,  com- 
plétée par  les  travaux  scientifiques,  par  les 
conquêtes  intellectuelles  des  derniers  siècles, 
adoucie  sous  l'influence  du  christianisme,  re- 
naît sous  une  forme  nouvelle.  Fils  des  Gaulois, 
nous  reprenons  l'œuvre  de  nos  pères.  Armés 
de  la  tradition  philosophique  qui  fit  leur  gran- 
deur, éclairés  comme  eux  sur  les  mystères  de 
la  vie  et  de  la  mort,  nous  offrons  à  la  société 
actuelle,  envahie  par  les  instincts  matériels, 
un  enseignement  qui  lui  apporte,  avec  le  relè- 
vement moral,  les  moyens  d'assurer  ici-bas  le 


JEANNE   d'arc   ET   l'idÉAL   CELTIQUE  295 

règne  de  la  justice,  de  la  vraie  fraternité.  II 
importe  donc  de  rappeler  ce  que  fut,  au  point 
de  vue  des  croyances  et  des  aspirations,  ce 
passé  de  notre  race.  II  importe  de  rattacher  le 
mouvement  philosophique  moderne  à  ces  con- 
ceptions de  nos  pères,  à  ces  doctrines  des 
druides,  si  rationnelles,  basées  sur  Tétude  de 
la  nature  et  l'observation  des  forces  psychiques, 
de  montrer  dans  la  rénovation  spiritualiste  une 
véritable  résurrection  du  génie  de  la  Gaule, 
une  reconstitution  des  traditions  nationales,  que 
tant  de  siècles  d'oppression  et  d'erreur  ont  pu 
voiler,  mais  non  détruire. 

La  base  essentielle  du  druidisme  était  la 
croyance  aux  vies  progressives  de  l'âme,  à  son 
ascension  sur  l'échelle  des  mondes.  C'est  sur 
cette  notion  fondamentale  de  la  destinée,  que 
je  crois  devoir  insister  ici. 

Je  voudrais  avoir  les  ressources  de  l'élo- 
quence et  la  persuasion  du  génie,  pour  exposer 
cette  grande  loi  des  Triades  (1)  et  dire  com- 
ment, des  profondeurs  du  passé,  du  sein  des 
abîmes  de  vie,  sourdent  sans  cesse,  se  dérou- 
lent et  montent  les  longues  théories  des  âmes. 
Le  principe  spirituel  qui  nous  anime  doit  des- 


(1)  Cyfrinach  Beirdd  Inys  Prydain  :  Mystères  des  bardes  de 
l'île  de  Bretagne,  traduction  Edward  Williams,  1794. 


290  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

cendre  dans  la  matière  pour  s'individualiser,  et 
constituer,  puis  développer,  par  son  lent  tra- 
vail séculaire,  ses  facultés  latentes  et  son  moi 
conscient.  De  degré  en  degré,  il  se  façonne  des 
formes,  des  organismes  appropriés  aux  be- 
soins de  son  évolution,  formes  périssables, 
qu'il  abandonne  à  la  fin  de  chaque  existence 
comme  un  vêtement  usé,  pour  en  rechercher 
d'autres  plus  belles,  mieux  adaptées  aux  néces- 
sités de  ses  tâches  grandissantes. 

Dans  toute  la  durée  de  son  ascension,  il  reste 
solidaire  du  milieu  qu'il  occupe,  lié  à  ses  sem- 
blables par  des  affinités  mystérieuses,  concou- 
rant à  leur  progrès,  comme  eux  travaillent  au 
sien.  11  redescend  de  vie  en  vie,  dans  le  creuset 
toujours  plus  vaste,  toujours  changeant  de 
l'humanité,  pour  conquérir  des  vertus,  des 
connaissances,  des  qualités  nouvelles.  Puis, 
quand  il  a  acquis  sur  un  monde  tout  ce  que 
celui-ci  pouvait  lui  donner  de  science  et  de  sa- 
gesse, il  s'élève  vers  des  sociétés  meilleures, 
vers  des  sphères  mieux  partagées,  entraînant 
tous  ceux  qu'il  aime  avec  lui. 

Vers  quel  but  monte-t-il  ?  Quel  sera  le  terme 
ultime  de  ses  eflbrts  ?  Ce  but  paraît  si  lointain  ! 
N'est-ce  pas  folie  que  de  prétendre  l'atteindre  ? 
Le  navigateur  qui  vogue  à  travers  les  vastes 
solitudes  de  l'Océan,  a  choisi  comme  objectif  de 


JEANNE    d'arc    ET    l'idÉAL    CELTIQUE  297 

sa  course,  l'étoile  dont  la  lumière  tremble  là- 
bas  à  l'horizon.  Gomment  pourrait-il  y  parve- 
nir? Des  distances  infranchissables  les  sépa- 
rent !  Et  cependant  cette  étoile,  perdue  au  fond 
des  cieux,  il  pourra  la  connaître  un  jour,  dans 
un  autre  temps  et  sous  une  autre  forme.  De 
même,  l'homme  terrestre  que  nous  sommes, 
connaîtra  un  jour  les  mondes  de  la  vie  heu- 
reuse et  parfaite.  La  perfection  dans  la  pléni- 
tude de  l'être,  voilà  le  but.  Toujours  apprendre, 
approfondir  les  divins  mystères.  L'infini  nous 
attire.  Nous  passons  l'éternité  à  parcourir  l'im- 
mensité, à  en  goûter  les  splendeurs,  les  beau- 
tés enivrantes.  Devenir  toujours  meilleure,  tou- 
jours plus  grande  par  l'intelligence  et  par  le 
cœur,  s'élever  dans  une  harmonie  toujours  plus 
pénétrante,  dans  une  lumière  toujours  plus 
vive,  entraîner  avec  soi  tout  ce  qui  soufTre,  tout 
ce  qui  ignore  :  voilà  le  but  assigné  à  toute  âme 
par  la  loi  divine. 

N'y  a-t-il  pas  une  haute  idée  de  la  vie  dans 
cette  conception  des  Triades!  L'homme,  arti- 
san de  ses  destinées,  par  ses  actes  prépare  lui- 
même  et  construit  son  avenir.  Le  but  réel  de 
l'existence,  c'est  l'élévation  par  l'effort,  par 
l'accomplissement  du  devoir,  par  la  souffrance 
même.  Plus  cette  vie  est  semée  d'amertume, 
plus  elle  est  féconde   pour   celui  qui  la    sup- 

17. 


298  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

porte  avec  vaillance.  Elle  est  comme  un  champ 
clos,  où  le  brave  montre  son  courage,  conquiert 
un  grade  plus  élevé  ;  c'est  un  creuset  où  le 
malheur,  où  les  épreuves  font  pour  la  vertu 
ce  que  le  feu  produit  sur  les  métaux  qu'il  af- 
fine et  purifie.  A  travers  des  vies  multiples  et 
des  conditions  diverses,  l'homme  précipite  sa 
course  terrestre,  passant  de  l'une  à  l'autre, 
après  un  temps  de  repos  et  de  recueillement 
dans  l'espace  ;  sans  cesse,  il  avance  sur  cette 
voie  d'ascension  qui  n'a  pas  de  terme.  Doulou- 
reuses et  pénibles  sont  presque  toutes  ces  exis- 
tences ici-bas,  mais  fécondes  aussi,  car  c'est 
par  elles  que  grandissent  nos  âmes,  que  s'ac- 
croissent force  et  sagesse. 

Une  telle  doctrine  peut  fournir  aux  sociétés 
humaines  un  incomparable  stimulant  pour  le 
bien.  Elle  ennoblit  les  sentiments,  épure  les 
mœurs  ;  elle  éloigne  également  des  puérilités 
du  mysticisme  et  des  sécheresses  du  positi- 
visme. 

Cette  doctrine  est  la  nôtre.  Les  croyances  de 
nos  pères  reparaissent  élargies,  appuyées  sur 
tout  un  ensemble  de  faits,  de  révélations,  de 
phénomènes  constatés  par  la  science  moderne. 
Elles  s'imposent  à  l'attention  de  tous  les  pen- 
seurs. 


JEANNE    d'arc    ET    l'iDÉAL    CELTIQUE  299 


Les  existences  antérieures  de  Jeanne  se  sont 
effacées  de  sa  mémoire  à  chaque  renaissance. 
C'est  la  loi  commune.  La  chair  est  un  éteignoir 
qui  étouffe  les  souvenirs  ;  le  cerveau  humain, 
sauf  des  cas  d'exception  (1),  ne  peut  reproduire 
que  les  sensations  enregistrées  par  lui.  Mais 
toute  notre  histoire  reste  gravée  dans  notre 
conscience  profonde.  Dès  que  l'esprit  se  dé- 
tache de  sa  dépouille  mortelle,  l'enchaînement 
des  souvenirs  se  reconstitue,  avec  d'autant  plus 
d'intensité  que  l'âme  est  plus  évoluée,  plus 
éclairée,  plus  parfaite.  Malgré  l'oubli  tempo- 
raire, le  passé  est  toujours  vivant  en  nous  ;  il 
se  retrouve  dans  chacune  de  nos  vies  terrestres, 
sous  la  forme  des  aptitudes,  des  facultés,  des 
goûts  acquis,  dans  les  traits  de  notre  caractère 
et  de  notre  mentalité.  Il  suffirait  de  nous  étu- 
dier nous-mêmes  avec  attention,  pour  recons- 
truire les  grandes  lignes  de  notre  passé.  Il  en 
était  de  même  pour  Jeanne  d'Arc,  en  qui  on  pou- 
vait retrouver  les  traces  de  ses  vies  celtiques 
et  celles,  moins  anciennes,  de  ses  existences  de 
patricienne,  de  grande  dame,  éprise  de  cos- 

(1)  Voir  :  le  Problème  de  VÊtre  eî  de  la  Destinée,  chap.  XIV. 
Rénovation  de  la  mémoire. 


300  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

tûmes  éclatants  et  de  belles  armures.  Ce  qui 
persiste  en  elle,  surtout,  de  ses  premières  vies, 
c'est  cette  forme  particulière  et  bien  accusée 
du  mysticisme  des  druides  et  des  bardes,  c'est- 
à-dire  l'intuition  directe  des  choses  de  l'âme 
qui  réclame  une  révélation  personnelle,  et  n'ac- 
cepte pas  la  foi  imposée.  Ce  sont  ses  facultés  de 
voyante,  propres  à  la  race  celtique,  si  répan- 
dues aux  origines  de  notre  histoire,  et  que  l'on 
retrouve  encore  aujourd'hui  dans  certains  mi- 
lieux ethniques,  particulièrement  en  Ecosse^ 
en  Irlande  et  dans  la  Bretagne  armoricaine. 
C'est  par  l'usage  méthodique  de  ces  facultés, 
qu'on  peut  expliquer  la  connaissance  approfon- 
die qu'avaient  les  druides  du  monde  invisible 
et  de  ses  lois.  La  fête  du  2  novembre,  la  com- 
mémoration des  morts,  est  de  fondation  gau- 
loise. On  pratiquait  l'évocation  des  défunts  dans 
les  enceintes  de  pierres.  Les  druidesses  et  les 
bardes  rendaient  des  oracles. 

L'histoire  en  fournit  des  exemples  (1).  Elle 
rapporte  que  Vercingétorix  s'entretenait,  sous 
la  sombre  ramure  des  bois,  avec  les  âmes  des 
héros  morts  pour  la  patrie.  Gomme  Jeanne, 
cette  autre  personnification  de  la  Gaule,  le 
jeune  chef  entendait  des  voix  mystérieuses. 

(1)  V.  Bosc  et  BoNNEMÈRE,  Hisîoire  nationale  des  Gaulois. 


JEANNE    d'arc    ET    l'idÉAL    CELTIQUE  301 

Un  autre  épisode  de  la  vie  de  Vercingétorix 
prouve  que  les  Gaulois  évoquaient  les  Esprits 
dans  les  circonstances  graves. 

A  l'extrémité  du  vieux  continent,  au  point  où 
finit  l'âpre  plateau  de  la  Gornouaille  bretonne, 
de  hautes  falaises  se  dressent  sous  un  ciel 
chargé  de  nuées.  Les  vagues  courroucées  y 
livrent  aux  rocs  gigantesques  une  bataille  éter- 
nelle. Rapides,  écumantes,  semblables  à  des 
murailles  liquides,  elles  accourent  du  large  et 
se  ruent  sur  les  remparts  de  granit.  Ceux-ci, 
rongés  par  l'action  des  eaux,  sèment  la  plage 
de  leurs  débris.  Au  sein  des  nuits  d'hiver,  le 
roulement  des  blocs  entrechoqués,  la  clameur 
immense  de  l'Océan  se  font  entendre  à  plu- 
sieurs lieues  à  l'intérieur  des  terres.  Ils  éveillent 
dans  les  cœurs  une  crainte  superstitieuse.  A 
peu  de  distance  de  cette  côte  sinistre,  au  mi- 
lieu des  écueils  blancs  d'écume,  s'étend  une 
île,  jadis  parsemée  de  bosquets  de  chênes,  sous 
lesquels  s'élevaient  des  autels  de  pierre  brute. 
C'est  Sein,  antique  demeure  des  druidesses, 
Sein,  sanctuaire  du  mystère,  que  le  pied  de 
l'homme  ne  souillait  jamais.  Pourtant,  avant  de 
soulever  la  Gaule  contre  César  et,  dans  un  su- 
prême efîort,  tenter  de  délivrer  la  patrie  du 
joug  étranger,  Vercingétorix  s'y  rendit,  muni 
d'un  sauf-conduit  du  chef  des  druides.  Là,  au 


302  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

milieu  des  éclats  de  la  foudre,  dit  la  légende, 
le  génie  de  la  Gaule  lui  apparut,  et  lui  prédit 
sa  défaite  et  son  martyre. 

Certains  faits  de  la  vie  du  grand  chef  gaulois  ne 
s'expliquent  que  par  des  inspirations  occultes. 
Par  exemple,  sa  reddition  à  César,  devant  Alé- 
sia.  Tout  autre  Celte  se  serait  donné  la  mort, 
plutôt  que  de  se  livrer  au  vainqueur  et  de  ser- 
vir de  trophée  à  son  triomphe.  Vercingétorix 
accepte  l'humiliation  comme  une  réparation  de 
fautes  graves,  commises  dans  ses  vies  anté- 
rieures et  qui  lui  avaient  été  révélées. 

Tels  furent  les  principes  essentiels  de  la  phi- 
losophie druidique  :  en  première  ligne,  Tunité 
de  Dieu.  Le  Dieu  des  Celtes  a  pour  temple  l'in- 
fini des  espaces  ou  les  retraites  mystérieuses 
des  grands  bois.  Il  est,  par-dessus  tout,  force, 
vie,  amour.  Ces  espaces  sont  parsemés  de 
mondes,  étapes  des  âmes  dans  leur  ascension 
vers  le  bien,  à  travers  des  vies  toujours  renais- 
santes, vies  de  plus  en  plus  belles  et  heureuses, 
suivant  les  mérites  acquis.  Une  communion 
intime  relie  les  vivants  de  la  terre  aux  défunts, 
invisibles  mais  présents.  Cet  enseignement  dé- 
veloppait dans  les  esprits  de  hautes  notions  de 
progrès  et  de  liberté.  C'est  grâce  à  lui  que 
le  Celte  a  introduit  dans  le  monde  ce  goût  de 
l'idéal,  que  le  Romain,  plus  attaché  aux  réalités 


JEANNE   d'arc   ET    l'iDÉAL   CELTIQUE  30^ 

positives,  ne  connut  jamais.  Le  Celte  est  porté 
vers  les  grandes  et  généreuses  actions.  De  la 
guerre,  il  aime  la  gloire  et  non  le  profit.  Son 
âme  est  magnanime.  Il  sait  pratiquer  le  renon- 
cement, mépriser  la  peur,  défier  la  mort.  De 
là,  son  attitude  au  sein  des  combats.  «  C'est  en 
costumes  étincelants,  chevauchant  des  montures 
dignes  des  dieux,  que  les  chefs  de  guerre  vont 
à  la  mêlée  »,  dit  le  colonel  Biottot  (1). 

Etudiez  bien  Jeanne  d'Arc  et  vous  retrouverez 
en  elle  tous  ces  sentiments,  tous  ces  goûts. 
Jeanne  d'Arc  est  comme  une  synthèse  de  l'âme 
celtique  et  de  l'âme  française,  dans  ce  qu'elles 
ont  de  plus  pur  et  de  plus  élevé.  C'est  pourquoi 
son  souvenir  rayonnera  toujours  comme  une 
étoile  au  firmament  assombri  de  la  patrie.  A 
toutes  les  heures  de  détresse  nationale,  la  France 
se  tournera  instinctivement  vers  elle,  comme 
vers  son  palladium  vivant  et  protecteur. 

Nouvelle  Velléda,  dernière  fleur  éclose  parmi 
les  touffes  du  gui  sacré,  Jeanne  personnifie  le 
génie  delà  Gaule  et  l'âme  de  la  France. 

Toutes  les  formes,  tous  les  signes  caractéris- 
tiques des  facultés  dont  les  voyants  et  les  drui- 
desses  étaient  doués,  se  retrouvent  en  elle  ;  elle 


(1)  Colonel  Biottot,  les  Grands  Inspirés  devant  la  Science. 
Jeanne  d'Arc,  p.  224. 


304  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

est  le  médium  par  excellence,  et  les  Esprits 
protecteurs  de  la  Gaule,  devenue  la  France,  se 
sont  servis  d'elle  pour  la  sauver.  Or,  pour  sau- 
ver un  peuple^  il  faut  être  du  plus  pur  de  sa 
substance,  se  rattacher  aux  racines  vivaces  de 
ses  origines  et  de  toute  son  histoire.  Jeanne 
fut  cela  au  degré  le  plus  éminent  ;  c'est  pour- 
quoi elle  incarne  en  elle  le  double  génie  de  la 
Gaule  celtique  et  de  la  France  chrétienne. 

Une  partie  de  notre  race  a  perdu  sa  nationa- 
lité distincte,  pourtant  l'âme  celtique  survit  dans 
la  nation  française.  Elle  en  est,  disions-nous,  la 
conscience  profonde,  et,  de  même  que  les  puis- 
sances accumulées  en  nous  au  cours  des  âges 
et  endormies  sous  la  chair,  ont  des  réveils  écla- 
tants, de  même  l'âme  celtique  reparaîtra  en 
une  résurrection  splendide,  pour  sauver,  non 
plus,  comme  autrefois,  la  vie  matérielle  de  son 
peuple,  mais  sa  vie  morale  compromise.  Elle 
viendra  réveiller,  dans  les  âmes  lassées,  l'amour 
de  la  connaissance  et  la  volonté  du  sacrifice. 
Elle  nous  redira  les  paroles  consacrées,  les 
appels  émouvants,  qui  faisaient  retentir  les 
grèves  sonores  et  les  échos  des  forêts.  Elle 
rendra  aux  esprits  hésitants,  ballottés  sur  l'océan 
de  l'incertitude,  la  vision  des  horizons  où  tout 
est  calme  et  splendeur. 

Ce  qui  manquait  à  la  France  actuelle,  c'était 


JEANNE    D  ARC    ET    l'idÉAL    CELTIQUE  305 

la  science  supérieure  des  destinées,  la  divine 
espérance,  la  confiance  sereine  en  l'avenir  infini. 
Ses  éducateurs  n'ont  pas  su  lui  donner  ces 
choses  essentielles,  sans  lesquelles  il  n'est  pas 
de  véritable  grandeur,  pas  de  nobles  élans  de 
l'âme.  De  là  vient  la  stérilité  relative  de  notre 
époque,  l'absence  d'idéal  et  de  génie.  Mais  voici 
le  remède. 

En  même  temps  que  les  courants  de  la  démo- 
cratie nous  ramènent  aux  traditions  politiques 
de  la  Gaule,  le  spiritualisme  expérimental  nous 
ramène  à  ses  traditions  philosophiques.  AUan 
Kardec,  inspiré  par  les  grands  Esprits,  a  res- 
tauré sur  un  plan  élargi  les  croyances  de  nos 
ancêtres.  C'est  véritablement  l'esprit  religieux 
de  la  Gaule  qui  se  réveille  en  ce  chef  d'école. 
Tout  en  lui,  son  nom  d'emprunt,  absolument 
celtique,  le  monument  qui,  par  sa  volonté,  re- 
couvre sa  dépouille  mortelle,  sa  vie  austère,  son 
caractère  grave,  méditatif,  son  œuvre  entière, 
rappelle  le  druide.  Allan  Kardec,  préparé  par 
ses  existences  passées  à  la  grande  mission  qu'il 
vient  d'accomplir,  n'est  que  la  réincarnation 
d'un  Celte  éminent.  Lui-même  l'affirme  par  le 
message  suivant,  obtenu  en  1909  : 

«  J'ai  été  prêtre,  directeur  des  prêtresses  de  l'île 
de  Sein,  et  j'ai  vécu  sur  les  bords  de  la  mer  furieuse, 


306  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

à  l'extrême  pointe  de  ce  que  vous  appelez  la  Bre- 
tagne. » 

«  N'oubliez  pas  le  grand  Esprit  de  vie,  celui  qui 
fait  croître  le  gui  sur  les  chênes,  et  que  consacrent 
les  antiques  pierres  de  vos  aïeux.  Je  suis  heureux  de 
vous  assurer  que  toujours  vos  pères  ont  eu  la  foi  ; 
gardez-la  comme  eux,  car  Tesprit  celtique  n'est  pas 
éteint  en  France,  il  a  survécu  et  rendra  aux  fils  la 
volonté  de  croire  et  de  se  rapprocher  de  Dieu.  » 

«  N'oubliez  pas  vos  aimés  qui  sont  autour  de  vous, 
comme  les  étoiles  du  ciel  que  vous  ne  voyez  pas  en 
plein  jour,  quoiqu'elles  soient  toujours  là.  » 

«  La  puissance  divine  est  infinie  ;  elle  rayonne 
jusqu'à  vous  à  travers  les  brumes  de  la  terre,  et  vous 
en  recevez  les  rayons  épandus  et  affaiblis.  » 

«  Écoutez  la  voix  de  votre  cœur,  quand,  devant 
l'océan  où  les  vagues  furieuses  se  poursuivent,  vous 
vous  sentez  étreintsde  frayeur  et  d'espoir.  Elle  parle 
haut  à  ceux  qui  veulent  l'entendre.  Vous  devez  la 
comprendre,  car  pour  cela  vous  avez  eu  tous  les 
enseignements  de  la  terre  réunis.  » 

«  Aimez-nous,  nous  les  anciens  hommes  de  la 
terre,  nous  avons  besoin  de  votre  souvenir,  mesbien- 
aimés.  Que  vos  âmes  viennent  nous  visiter  pendant 
le  sommeil  que  Dieu  vous  donne  !  » 

«  Vous  voulez  savoir  qui  je  suis  :  je  vous  dirai 
mon  nom,  mais  qu'importent  les  noms  !  Nous  avons 
laissé  sur  la  terre,  avec  notre  corps,  le  souvenir  des 
noms  et  des  choses,  pour  ne  plus  nous  rappeler  que 
les  volontés   de  Dieu   et   les  sentiments   qui  nous 


JEANNE   d'arc    ET    l'iDÉAL   CELTIQUE  307 

portent  vers  Lui,  pour  ne  plus  connaître  là-haut  que 
son  amour  et  sa  gloire,  car,  dans  l'infinie  lumière, 
toute  flamme  semble  s'éteindre  :  le  soleil  de  Dieu  la 
rend  moins  visible  et  la  fond  dans  un  éternel  rayon- 
nement. » 

«  La  terre  n'est  qu'un  lieu  de  passage,  une  forêt 
profonde  et  obscure,  où  ne  résonnent  plus  qu'assour- 
dis les  échos  de  la  vie  des  mondes.  » 

«  Nous  serons  toujours  là,  les  grands  guides  qui 
conduisent  l'humanité  soull'rante  vers  le  but  inconnu 
des  hommes,  mais  que  Dieu  a  fixé  ;  il  brille  pour 
nous  dans  la  nuit  des  temps  comme  une  torche  lumi- 
neuse. » 

«  Nous  attendons  le  moment  où,  enfin  libérés,  vous 
pourrez  revenir  à  nous,  pour  chanter  l'hymne  éternel 
qui  glorifie  Dieu.  » 

«  Ames  de  France,  vous  êtes  filles  des  Gaules.  Sou- 
venez-vous des  croyances  de  vos  ancêtres  qui  furent 
aussi  les  vôtres.  Remontez  quelquefois  par  la  pensée 
vers  les  sources  salubres  de  nos  origines,  vers  les 
traditions  fortes  et  les  hauteurs  de  notre  histoire, 
pour  y  retrouver  l'énergie  et  la  foi,  pour  raviver 
votre  esprit  et  réchauffer  votre  cœur,  dans  l'air  pur 
et  la  beauté  des  cimes  et  dans  la  lumière  infinie.  » 

Allan  Kardeg. 


XVII.  —  Jeanne  d'Arc  et  le  Spiritualisme 
MODERNE.  Les  Missions  de  Jeanne. 


Quand  tout  semble  obscurci,  la  foi,  les  mœurs,  les  lois, 
De  Jeanne,  à  l'horizon,  monte  la  blanche  étoile  : 
Sachons  lever  vers  elle  et  nos  yeux  et  nos  voix. 

Paul  Allard. 


La  Gaule  ne  fut  pas  le  seul  théâtre  des  ma- 
nifestations de  l'Au-delà.  Toute  l'antiquité  a 
connu  les  phénomènes  occultes.  Ils  formaient 
un  des  principaux  éléments  des  mystères  grecs. 
Les  premiers  temps  du  christianisme  sont 
remplis  de  visions,  d'apparitions,  de  voix,  de 
songes  prémonitoires  (1).  Les  initiés  et  les 
croyants  puisaient  en  eux  une  force  morale, 
qui  communiquait  à  leur  vie  une  impulsion 
incomparable,  et  leur  permettait  d'affronter 
sans  défaillance  les  épreuves  et  les  supplices. 
Depuis  les  temps  les  plus  reculés,  l'humanité 
invisible  a  toujours  communiqué  avec  la  nôtre. 
Sans  cesse  un  courant  de  vie  spirituelle  s'est 

(1)  Voir:  Après  la  Mort  et  Chrisîianisme  eî  Spiritisme, passim. 


JEANNE    d'arc    ET   LE    SPIRITUALISME  309 

répandu  sur  rhumanité  terrestre,  par  l'inter- 
médiaire  des  prophètes  et  des  médiums.  C'est 
lui,  c'est  cet  influx  vital,  venu  des  sources  éter- 
nelles, qui  a  donné  naissance  aux  grandes  reli- 
gions. Toutes,  à  leur  origine,  trempent  dans 
ces  eaux  profondes  et  régénératrices.  Aussi 
longtemps  qu'elles  s'y  abreuvent,  elles  gardent 
leur  jeunesse,  leur  prestige,  leur  vitalité.  Elles 
s'affaiblissent  et  meurent,  dès  qu'elles  s'en  éloi- 
gnent et  en  dédaignent  les  forces  cachées. 

C'est  ce  qui  arrive  au  catholicisme.  11  a  mé- 
connu, oublié  ce  grand  courant  de  puissance 
spirituelle,  qui  fécondait  l'idée  chrétienne  à  son 
berceau.  11  a  brûlé  par  milliers  les  agents  du 
monde  invisible,  rejeté  ses  enseignements, 
étouffé  ses  voix.  Les  procès  de  sorcellerie,  les 
bûchers  de  l'Inquisition  ont  dressé  une  barrière 
entre  les  deux  mondes  et  suspendu,  pendant 
des  siècles,  cette  communion  spirituelle,  qui, 
loin  d'être  un  accident,  est  au  contraire  une  loi 
fondamentale  de  la  nature. 

Les  effets  désastreux  s'en  font  sentir  autour 
de  nous.  Les  religions  ne  sont  plus  que  des 
branches  desséchées  sur  un  tronc  privé  de 
sève,  parce  que  ses  racines  ne  plongent  plus 
aux  sources  vives.  Elles  nous  parlent  encore 
de  la  survivance  de  l'être  et  de  la  vie  future, 
mais   elles  sont   impuissantes  à   en  fournir  la 


310  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

moindre  preuve  sensible.  Il  en  est  de  même 
des  systèmes  philosophiques.  Si  la  foi  est 
devenue  chancelante,  si  le  matérialisme  et 
l'athéisme  ont  fait  des  pas  de  géant,  si  le  doute, 
les  passions  ardentes,  si  le  suicide  exercent 
tant  de  ravages,  c'est  que  les  ondes  de  la  vie 
supérieure  ne  rafraîchissent  plus  la  pensée  hu- 
maine, c'est  que  l'idée  de  l'immortalité  manque 
de  démonstration  expérimentale.  Le  dévelop- 
pement des  études  scientifiques  et  de  l'esprit 
critique  ont  rendu  l'homme  de  plus  en  plus 
exigeant.  Les  affirmations  ne  lui  suffisent  plus 
aujourd'hui.  Ce  qu'il  réclame,  ce  sont  des 
preuves  et  des  faits.  ■  ^^^ 

Considérez  de  quelle  importance  serait,  à 
l'heure  présente,  une  science,  une  révélation, 
basée  sur  un  ensemble  de  phénomènes  et  d'ex- 
périences, qui  nous  apporteraient  la  démons- 
tration positive  de  la  survivance  et,  en  même 
temps,  la  preuve  que  la  loi  de  justice  n'est  pas 
un  vain  mot,  chacun  de  nous  retrouvant  dans 
l'Au-delà  une  situation  proportionnelle  à  ses 
mérites. 

Or,  c'est  là  précisément  ce  que  le  spiritua- 
lisme moderne  vient  nous  offrir.  Il  contient  les 
germes  d'une  véritable  révolution  :  révolution 
dans  les  idées,  les  croyances,  les  opinions  et 
les  mœurs.  De  là,    la  nécessité  d'étudier  ces 


JEANNE    d'arc    ET    LE    SPIRITUALISME  311 

faits,  de  les  classer,   de  les  analyser  avec  mé- 
thode, eux  et  renseignement  qui  en  découle. 


La  situation  morale  des  sociétés  est  devenue 
grave  et  inquiétante.  Malgré  l'instruction  ré- 
pandue, la  criminalité  monte  ;  vols,  meurtres, 
suicides  se  multiplient.  Les  mœurs  se  corrom- 
pent. La  haine,  le  désenchantement  pénètrent 
toujours  plus  avant  au  cœur  de  l'homme.  L'ho- 
rizon est  sombre  et,  dans  le  lointain,  on  entend 
des  grondements  sourds  qui  semblent  présager 
la  tempête  sociale.  Dans  presque  toutes  les 
classes,  le  sensualisme  a  envahi  les  caractères 
et  les  consciences.  On  a  éteint  tout  idéal  dans 
l'âme  du  peuple  ;  on  lui  a  dit  :  mange,  bois, 
enrichis-toi,  tout  le  reste  est  chimère.  11  n'y  a 
pas  d'autre  dieu  que  l'argent,  pas  d'autre  but 
à  la  vie  que  les  jouissances!  —  Et  les  passions, 
les  appétits,  les  convoitises  se  sont  déchaînés. 
Le  flot  populaire  monte  comme  une  vague  im- 
mense et  menace  de  tout  submerger. 

Pourtant,  beaucoup  de  bons  esprits  réfléchis- 
sent et  s'attristent.  Ils  sentent  bien  que  la  ma- 
tière n'est  pas  tout.  Il  y  a  des  heures  où  l'hu- 
manité pleure  l'idéal  perdu,  où  elle  sentie  vide, 
l'instabilité  des   choses  terrestres.  Elle  près- 


312  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

sent  que  renseignement  donné  n'a  pas  tout  dit, 
que  la  vie  est  plus  ample,  le  monde  plus  vaste, 
l'univers  plus  merveilleux  qu'on  ne  l'a  sup- 
posé. L'homme  cherche,  tâtonne,  interroge.  11 
cherche  non  seulement  un  idéal,  mais  plutôt 
une  certitude  qui  le  soutienne,  le  console  au 
milieu  de  ses  épreuves,  de  ses  luttes,  de  ses 
souffrances.  Il  se  demande  ce  qui  va  succéder 
à  cette  époque  de  transition  qui  voit  la  mort 
d'un  monde  de  croyances,  de  systèmes^  de  tra- 
ditions, dont  la  poussière  s'éparpille  autour  de 
nous. 

Par  son  obstination  à  s'enfermer  dans  le 
cercle  étroit  de  ses  dogmes,  par  son  refus 
d'élargir  sa  conception  de  la  destinée  humaine 
et  de  Tunivers,  la  religion  a  éloigné  d'elle 
l'élite  des  penseurs  et  des  savants,  presque 
tous  ceux  dont  l'opinion  fait  autorité  dans  le 
monde.  Et  la  foule  les  a  suivis.  Le  regard  de 
l'humanité  s'est  tourné  vers  la  science.  Depuis 
longtemps  elle  lui  demande  la  solution  du  pro- 
blème de  l'existence.  Mais  la  science,  celle 
d'hier,  malgré  ses  magnifiques  conquêtes,  était 
encore  trop  imbue  des  théories  positivistes, 
pour  fournir  à  l'homme  une  notion  de  l'être  et 
de  ses  destinées  qui  exalte  ses  forces,  ré- 
chauffe son  cœur,  lui  inspire  des  chants  de  foi 
et  d'amour  pour  bercer  ses  petits  enfants. 


JEANNE    d'abc    ET    LE    SPIRITUALISME  313 

Or,  voici  que  ce  monde  invisible,  dont  Jeanne 
fut  un  des  interprètes,  ce  monde  que  l'Église 
avait  combattu,  refoulé  dans  Fombre  pendant 
des  siècles,  entre  de  nouveau  en  action;  il  se 
manifeste  sur  tous  les  points  du  globe  à  la  fois, 
sous  des  formes  sans  nombre,  et  par  les 
moyens  les  plus  variés  (1).  Il  vient  montrer  aux 
hommes  la  voie  sûre,  la  voie  droite  qui  doit 
les  conduire  vers  les  hauts  sommets. 

En  tous  milieux,  des  médiums  se  révèlent, 
des  phénomènes  troublants  se  produisent,  des 
sociétés  d'étude  et  des  revues  se  fondent, 
constituant  autant  de  foyers,  d'où  irradie,  de 
proche  en  proche,  l'idée  nouvelle.  Elles  sont 
déjà  assez  nombreuses,  ces  sociétés,  pour  for- 
mer un  réseau  qui  enveloppe  toute  la  planète. 
Et  par  elles,  depuis  cinquante  ans,  on  a  pu 
voir  germer  d'abord,  se  préparer,  s'accentuer, 
grandir  ensuite,  le  travail  sourd,  obscur,  de  la 
floraison  du  siècle  qui  va  venir.  C'est  là  ce 
que  nous  appelons  le  nouveau  spiritualisme, 
le  spiritualisme  moderne,  non  pas  une  reli- 
gion dans  le  sens  étroit  du  mot,  mais  plutôt 
une  science,  une  synthèse,  un  couronnement 
de  tous  les  travaux,  de  toutes  les  conquêtes  de 
la  pensée,  une  révélation  qui  entraîne  Fhuma- 

(1)  Voir  :  Dans  l'Invisible  ;  Spiritisme  et  Médiumnilé. 

18 


314  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

nité  hors  des  sentiers  et  des  voies,  qu'elle  a 
parcourus  jusqu'ici,  agrandit  ses  horizons  et  la 
fait  participer  à  la  vie  des  larges  espaces,  à  la 
vie  universelle,  infinie. 

Le  spiritualisme  moderne,  c'est  l'étude  de 
l'homme,  non  pas  dans  sa  forme  corporelle  et 
fugitive,  mais  dans  son  esprit,  dans  sa  réalité 
impérissable,  et  son  évolution  à  travers  les 
âges  et  les  mondes.  C'est  l'étude  des  phéno- 
mènes de  la  pensée  transcendantale  et  de  la 
conscience  profonde,  la  solution  des  questions 
de  responsabilité,  de  liberté,  de  justice,  de  de- 
voir, de  tous  les  problèmes  de  la  vie  et  de  la 
mort,  de  l'en-deçà  et  de  l'Au-delà.  C'est  l'appli- 
cation de  ces  problèmes  au  progrès  moral,  au 
bien  de  tous,  à  l'harmonie  sociale. 

La  vie  matérielle  n'est  qu'un  passage,  notre 
existence  présente,  un  instant  dans  la  durée, 
notre  demeure,  un  point  dans  l'immensité. 
L'homme  est  un  atome  pensant  et  conscient  sur 
le  globe  qui  l'emporte,  et  ce  globe  n'est  lui- 
même  qu'un  atome,  roulant  dans  l'univers  sans 
bornes.  Mais  notre  avenir  est  infini  comme 
l'univers,  et  les  mondes  qui  brillent  la  nuit  sur 
nos  .têtes  sont  notre  héritage. 

Le  spiritualisme  moderne  nous  apprend  à 
sortir  du  cercle  restreint  de  nos  occupations 
quotidiennes,  et  à  embrasser  le  vaste  champ  de 


JEANxNE   d'arc   ET   LE    SPIRITUALISME  315 

travail,  d'activité,  d'élévation  qui  nous  est  ou- 
vert. La  grande  énigme  se  dissipe,  le  plan  di- 
vin se  révèle.  La  nature  prend  un  sens  ;  elle 
devient  à  nos  yeux  l'échelle  grandiose  de  l'évo- 
lution, le  théâtre  des  efforts  de  l'âme  pour  se 
dégager  de  la  matière,  de  la  vie  inférieure,  et 
monter  \ers  la  lumière. 

Une  communion  d'harmonie  relie  les  êtres  à 
tous  les  degrés  de  l'immense  échelle  d'ascen- 
sion, et  sur  tous  les  plans  de  la  vie.  L'homme 
n'est  jamais  seul,  quand  il  lutte  et  souffre  pour 
le  bien  et  la  vérité.  Une  foule  invisible  l'assiste 
et  l'inspire,  comme  elle  assistait  Jeanne  et  les 
vaillants  qui  combattaient  sous  ses  ordres. 

Cette  solidarité  se  fait  sentir  puissamment  au 
temps  présent.  Aux  heures  de  crise,  quand  les 
âmes  s'abandonnent,  quand  l'humanité  hésite 
sur  la  route  ardue,  le  monde  invisible  inter- 
vient. Les  Esprits  célestes,  les  messagers  de 
l'espace,  se  mettent  à  l'œuvre  ;  ils  stimulent  la 
marche  des  événements  et  celle  des  idées.  Pré- 
sentement, ils  travaillent  à  rétablir  le  lien  brisé 
qui  unissait  deux  humanités.  Eux-mêmes  nous 
le  disent  en  ces  termes  (1)  : 

«  Écoutez  nos  voix,  vous  qui  cherchez  et  pleurez  ! 


(1)  Communication  obtenue  au  Mans,  en  juin  1909.  Médium  : 
Mlle  L. 


316  JEANNE    D  ARC    MEDIUM 

Vous  n'êtes  pas  abandonnés!  Nous  avons  souffert 
pour  établir  une  communication  entre  votre  monde 
oublieux  et  notre  monde  de  souvenir.  Nous  avons 
établi  un  lien  d'abord  fragile,  mais  qui  deviendra 
puissant  :  la  médiumnité.  Désormais,  elle  ne  sera 
plus  méprisée,  honnie,  persécutée,  et  les  hommes  ne 
pourront  plus  la  méconnaître.  Elle  est  le  seul  inter- 
médiaire possible  entre  les  vivants  et  les  morts,  et 
ceux-ci  ne  laisseront  pas  refermer  l'issue  qu'ils 
avaient  ouverte,  afin  que  l'homme  inquiet  puisse 
apprendre  à  lutter,  à  la  lueur  des  célestes  clartés.  » 

Jean,  disciple  de  Paul. 

Elle  vient  à  son  heure,  la  nouvelle  révéla- 
tion, et  elle  revêt  le  caractère  qu'exige  l'esprit 
du  temps  :  le  caractère  scientifique  et  philoso- 
phique. Elle  ne  vient  pas  détruire,  mais  édifier. 
L'enseignement  du  monde  invisible  va  illumi- 
ner à  la  fois  les  profondeurs  du  passé  et  celles 
de  l'avenir  ;  il  fera  surgir  de  la  poussière  des 
siècles  les  croyances  endormies,  il  les  fera  re- 
vivre en  les  complétant,  en  les  fécondant.  Aux 
sombres  paroles  de  l'Eglise  romaine,  paroles 
de  crainte  et  de  condamnation,  disant  :  «  Il  faut 
mourir  I  »  il  vient  substituer  ces  paroles  de 
vie:  «  Il  faut  renaître!  »  Au  lieu  des  terreurs 
inspirées  par  l'idée  du  néant  ou  l'épouvante  de 
l'enfer,  il  nous  donne  la  joie  de  l'âme,  épa- 
nouie dans  la  vie  immense,  radieuse,  solidaire, 


JEANNE    d'arc    ET    LE    SPIRITUALISME  317 

infinie.  A  tous  les  désespérés  de  la  terre,  aux 
faibles,  aux  désenchantés,  il  vient  offrir  la  coupe 
des  forts,  le  vin  généreux  de  l'espérance  et  de 
l'immortalité. 


Revenons  à  Jeanne  d'Arc.  Il  semble,  à  pre- 
mière vue^  que  les  développements  auxquels 
nous  venons  de  nous  livrer,  nous  aient  éloignés 
de  notre  sujet.  11  n'en  est  rien.  Ces  considéra- 
tions feront  mieux  comprendre  le  rôle  et  les 
missions  de  Jeanne.  Nous  disons  missions,  car 
son  œuvre  actuelle,  quoique  moins  apparente, 
a  autant  d^importance  que  celle  du  quinzième 
siècle.  Parlons  d'abord  de  celle-ci  : 

Qu'était  Jeanne,  en  réalité,  lorsqu'elle  appa- 
rut sur  la  grande  scène  de  l'histoire?  Jeanne 
était  un  messager  céleste  et,  suivant  l'expres- 
sion d'Henri  Martin,  un  «  messie  ».  Comment 
définirons-nous  ces  termes  ?  Laissons  ce  soin 
aux  Esprits  eux-mêmes.  Voici  ce  que  nous  di- 
sait, par  l'incorporation,  un  de  nos  guides  : 

«  Lorsque  les  hommes  sont  oublieux  du  devoir, 
Dieu  leur  envoie  un  messager,  un  aide,  pour  l'ac- 
complissement plus  facile,  mais  aussi  plus  actif  de 
leur  tâche.  Ce  sont  ceux-là  que  vous  pouvez  appeler 
les  messies.  Ils  ont,  à  l'heure  grave  où  les  âmes  s'ou- 
blient dans  la  lâcheté,  montré  de  leur  voix  inspirée, 

18. 


318  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

la  vérité  appelant  les  hommes.  Remarquez,  en  effet, 
qu'ils  apparaissent  toujours  aux  heures  de  crises, 
lorsque  tout  semble  s'écrouler  sous  la  lutte  ardente 
des  intérêts  et  des  passions.  Ils  font  un  peu  comme 
le  vent  du  soir,  qui  vient  pacifier  les  vagues  houleuses 
et  révoltées,  pendant  la  tourmente  de  la  journée. 
Paix  à  vous  qui  cherchez  votre  voie,  vous  qui  n'avez 
plus  assez  de  force  pour  aller  à  votre  Seigneur.  De- 
mandez et  il  vous  sera  accordé  l'aide  divine,  ainsi 
que  notre  Maître  vous  Ta  promis.  Mais  ne  repoussez 
pas  le  messager  ;  sachez  le  comprendre  ;  respectez 
sa  pensée  et  son  âme  :  il  est  l'envoyé  de  Dieu,  son 
être  est  revêtu  de  la  lumière  de  sa  vérité,  aussi  vous 
lui  devez  votre  reconnaissance.  » 

«  Les  peuples  ne  savent  pas  toujours  découvrir  au 
front  de  ces  êtres  supérieurs  l'éclat  surhumain  et 
charitable,  dont  rayonne  leur  âme.  Ils  se  rendent 
compte  que  les  messies  sont  autres  que  les  hommes 
de  la  chair,  mais  ils  ne  comprennent  pas,  et  c'est 
pourquoi,  toujours,  vous  verrez  l'envoyé  du  Seigneur 
clôturer  son  enseignement  suprême,  en  signant  son 
œuvre  de  la  suprême  douleur.  Cherchez  et  vous  ver- 
rez que  tous  ceux  que  l'humanité  a  enfin  honorés, 
sont  morts  oubliés,  ou  plutôt  trahis  et  sacrifiés. 
C'est  que  leur  enseignement  devait  montrer  aussi  la 
grandeur  de  la  douleur,  et  leur  dernier  mot,  que  vous 
retrouvez  sur  les  lèvres  du  Maître  et  de  tous  les 
grands  suppliciés,  a  été  :  «  Pardonnez  à  ceux  qui 
«ignorent!»   La   souffrance  est    encore    un    acte 

d'amour.  » 

Jean,  disciple  de  PauL 


JEANNE   d'arc   ET   LE    SPIRITUALISME  319 

Jeanne  est  un  de  ces  messies,  envoyés  pour 
sauver  un  peuple  qui  agonise  et  que,  pour- 
tant, de  grandes  destinées  attendent.  La  France 
était  appelée  à  jouer  un  rôle  considérable  dans 
le  monde.  Son  histoire  Ta  prouvé.  Elle  avait 
pour  cela  les  qualités  nécessaires.  Certes,  on 
peut  dire  que,  parmi  les  autres  nations,  il  en 
est  de  plus  sérieuses,  de  plus  réfléchies,  de 
plus  pratiques,  aucune  cependant  ne  possède  ces 
élans  du  cœur,  cette  générosité  un  peu  aventu- 
reuse qui  a  fait  de  la  France  l'apôtre,  le  soldat 
de  la  justice  et  de  la  liberté  dans  le  monde. 
Toutefois,  ce  rôle  auquel  elle  était  prédestinée, 
la  France  ne  pouvait  l'accomplir  qu'à  la  condi- 
tion de  rester  libre  et,  cependant,  ses  fautes 
l'avaient  conduite  à  deux  doigts  de  sa  perte.  On 
croyait,  lorsque  Jeanne  apparut,  on  disait  déjà 
dans  toute  l'Europe,  que  la  mission  de  la  France, 
de  ce  grand  peuple  qui  s'était  illustré  par  tant 
de  hauts  faits,  était  finie.  C'était  elle  surtout 
qui  avait  enfanté  la  chevalerie,  suscité  les  croi- 
sades, fondé  les  arts  du  moyen  âge.  Elle  avait 
été  l'initiatrice  du  progrès  en  Occident.  Et 
voilà  que  toutes  les  ressources  humaines  étaient 
devenues  impuissantes  à  sauver  notre  pays. 
Mais,  ce  que  les  hommes  ne  peuvent  plus  faire, 
un  esprit  supérieur  va  l'accomplir,  avec  le  se- 
cours du  monde  invisible. 


320  JEANNE   d'arc    MEDIUM 

Ici,  une  question  se  pose.  Pourquoi  Dieu  a- 
t-il  choisi  la  main  d'une  femme  pour  arracher 
la  France  au  tombeau?  Est-ce,  comme  l'a  pensé 
Michelet,  parce  que  la  France  est  femme,  femme 
par  le  cœur  ?  Serait-ce,  comme  Font  dit  d'autres 
écrivains,  parce  que  la  femme  est  supérieure  à 
l'homme  par  les  sentiments,  la  pitié,  la  ten- 
dresse, Penthousiasme  ?  Oui,  sans  doute,  et 
c'est  là  le  secret  du  dévouement  de  la  femme, 
de  son  esprit  de  sacrifice. 

Au  quinzième  siècle,  dit  Henri  Martin,  toutes 
les  énergies  du  sexe  fort,  du  sexe  fait  pour  la 
vie  extérieure,  pour  l'action,  sont  épuisées.  La 
dernière  réserve  de  la  France  est  dans  la 
femme,  soutenue  par  la  puissance  divine.  C'est 
pourquoi  le  ciel  nous  délègue  celle  que  ses  voix 
nomment  «  la  fille  de  Dieu  ». 

Mais,  à  ce  choix,  il  y  a  une  raison  plus  haute. 
Si  Dieu,  se  jouant  par  là  de  la  faiblesse  des 
forts  et  de  la  prudence  des  sages,  a  voulu  sau- 
ver la  France  par  la  main  d'une  femme,  d'une 
jeune  fille,  presque  une  enfant,  c'est  surtout 
afin  que,  comparant  la  débilité  de  l'instrument 
à  la  grandeur  du  résultat,  l'homme  ne  doute 
plus  ;  c'est  afin  qu'il  voie  clairement,  dans  cette 
œuvre  de  salut,  l'action  d'une  volonté  supé- 
rieure, l'intervention  de  la  puissance  éternelle. 

On  nous  demandera  sans  doute:    Si  Jeanne 


JEANNE    d'arc   ET    LE   SPIRITUALISME  321 

est  une  envoyée  du  ciel,  si  sa  mission  est  pro- 
videntielle, pourquoi  tant  de  vicissitudes,  de 
difficultés  dans  l'œuvre  de  délivrance?  Pour- 
quoi ces  hésitations,  ces  intrigues  sourdes,  ces 
défaillances,  ces  trahisons  autour  d'elle? Quand 
le  ciel  intervient,  quand  Dieu  envoie  ses  mes- 
sies sur  la  terre,  peut-il  y  avoir  des  résistances, 
des  obstacles  à  leur  action  ? 

Nous  touchons  ici  au  grand  problème.  Avant 
tout,  il  faut  se  pénétrer  d'une  chose  :  c'est  que 
rhomme  est  libre,  l'humanité  est  libre  et  res- 
ponsable. Pas  de  responsabilité  sans  la  liberté. 
L'humanité,  libre,  subit  les  conséquences  de 
ses  actes  à  travers  les  temps.  Nous  l'avons  vu  : 
ce  sont  les  mêmes  êtres  qui  reviennent  de 
siècle  en  siècle,  dansThistoire,  recueillir,  dans 
une  vie  nouvelle,  les  fruits  doux  ou  amers,  fruits 
de  joie  ou  de  douleur,  qu'ils  ont  semés  dans 
leurs  vies  précédentes.  L'oubli  de  leur  passé 
n'est  que  temporaire  et  ne  prouve  rien  contre 
la  loi.  L'humanité  est  libre,  mais  la  liberté  sans 
la  sagesse,  sans  la  raison,  sans  la  lumière,  la 
liberté  peut  la  conduire  aux  abîmes.  L'aveugle 
est  libre,  lui  aussi,  et  cependant,  sans  guide, 
à  quoi  lui  sert  sa  liberté  ?  C'est  pourquoi  l'hu- 
manité a  besoin  d'être  soutenue,  guidée,  pro- 
tégée, inspirée  dans  une  certaine  mesure  par 
la    Providence.  Mais   il  faut  que  cet   appui   ne 


322  JEANNE    D  ARC   MEDIUM 

soit  pas  trop  ostensible,  car,  si  la  puissance  su- 
périeure s'impose  ouvertement,  elle  se  change 
en  contrainte  ;  elle  amoindrit,  annihile  la  li- 
berté humaine;  l'homme  perd  le  mérite  de  son 
initiative;  il  ne  s'élève  plus  par  ses  propres 
efforts  ;  le  but  divin  est  manqué,  l'œuvre  de 
progrès  est  compromise.  De  là,  les  difficultés 
de  l'intervention  aux  heures  troublées.  Que 
fera  donc  l'envoyé  d'en  haut,  le  ministre  des 
volontés  éternelles?  Une  s'imposera  pas,  il  s'of- 
frira; il  ne  commandera  pas,  il  inspirera;  et  l'in- 
dividu, la  collectivité,  l'humanité  entière  res- 
teront libres  de  leurs  déterminations. 

Ainsi  s'expliquent  la  mission  de  Jeanne,  ses 
triomphes  et  ses  revers,  sa  gloire  et  son  mar- 
tyre. Et  de  même,  s'explique  la  loi  des  influen- 
ces spirituelles  dans  l'humanité.  La  puissance 
que  Dieu  envoie  n'agit  dans  le  monde,  que  dans 
la  mesure  où  elle  est  acceptée  par  le  monde.  Si 
elle  est  accueillie,  obéie,  soutenue,  elle  devient 
active,  fécondante,  réformatrice.  Si  elle  est  re- 
poussée, elle  reste  impuissante.  L'envoyé,  le 
messie,  s'éloigne  de  la  terre. 

L'humanité  est  en  marche  à  travers  les  siè- 
cles, pour  conquérir  elle-même  les  biens  su- 
prêmes :  la  vérité,  la  justice,  l'amour.  Ces 
biens,  elle  doit  les  atteindre  par  ses  libres  ef- 
forts. C'est  la  loi  de  sa  destinée,  la  raison  même 


JEANNE    d'arc    ET    LE    SPIRITUALISME  323 

de  son  existence.  Mais,  aux  heures  de  trouble, 
de  péril,  de  recul,  à  l'humanité  qui  s'égare, 
s'oublie,  se  perd,  le  ciel  envoie  ses  mission- 
naires. 

Jeanne  est  de  ceux-ci.  Gomme  presque  tous 
les  messagers  divins,  elle  est  descendue  parmi 
les  plus  pauvres  et  les  plus  obscurs.  Son  enfance 
a  cela  de  commun  avec  l'enfance  du  Christ. 
C'est  une  loi  de  l'histoire  et  une  leçon  de  Dieu  ; 
ce  qu'il  y  a  de  plus  grand  vient  de  plus  bas.  Le 
Christ  fut  l'enfant  d'un  humble  charpentier  ; 
Jeanne  d'Arc  une  fille  des  campagnes,  issue 
du  pauvre  peuple  de  France.  Ces  deux  messies 
n'ont  choisi  ici-bas  ni  la  science,  ni  la  richesse. 
Qu'en  auraient-ils  fait?  Les  fils  de  la  terre  ont 
besoin  de  la  puissance  matérielle  ou  scientifique, 
pour  accomplir  de  grandes  choses.  Ces  messies 
n'en  avaient  que  faire.  Ils  possédaient  la  force 
par  excellence.  Nés  et  restés  humbles,  ils  n'en 
étaient  pas  moins  supérieurs  aux  plus  nobles, 
aux  plus  savants. 

Jeanne  avait  à  remplir  une  double  mission, 
qu'elle  poursuit  encore  aujourd'hui  sur  le  plan 
spirituel.  A  la  France,  elle  apportait  le  salut;  à 
la  terre  entière,  elle  apporte  la  révélation  du 
monde  invisible  et  des  forces  qu'il  contient; 
elle  apporte  l'enseignement,  les  paroles  de  vie 
qui  doivent  retentir  à  travers  les  siècles. 


324  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

Cet  enseignement,  au  moyen  âge,  l'humanité 
n'était  ni  apte  à  le  comprendre,  ni  capable  de 
rappliquer.  Il  a  fallu,  pour  rendre  cette  révéla- 
tion possible  et  profitable,  plus  de  quatre  siè- 
cles de  travail  et  de  progrès.  C'est  pourquoi  la 
Volonté  suprême  a  permis  que  Tombre  envelop- 
pât pendant  quatre  cents  ans  la  mémoire  de 
Jeanne,  et  qu'un  réveil  éclatant  se  fît.  Aujour- 
d'hui, cette  grande  figure  se  dégage,  resplen- 
dissante, de  l'obscurité  des  temps.  La  pensée 
humaine  va  pénétrer  ce  problème,  et  plonger 
dans  ce  monde  des  Esprits,  dont  la  vie  et  la 
mission  de  Jeanne,  dont  sa  communion  constante 
avec  l'Au-delà  sont  une  des  affirmations,  un  de& 
témoignages  les  plus  éloquents  de  l'histoire. 


Jeanne  avait  ses  protecteurs,  ses  guides  in- 
visibles; or,  il  est  bon  de  le  faire  remarquer  : 
dans  un  ordre  moins  élevé,  il  en  est  de 
même  de  chacun  de  nous.  Tout  être  humain  a, 
près  de  lui,  un  ami  invisible  qui  le  soutient,  le 
conseille,  le  dirige  dans  le  bon  chemin,  s'iL 
consent  à  suivre  son  inspiration.  Le  plus  sou- 
vent, ce  sont  ceux  que  nous  avons  aimés  sur  la 
terre  :  un  père,  une  mère  disparus,  une  épouse, 
décédée  prématurément.   Plusieurs  êtres  veil- 


JEANNE    D  ARC    ET    LE   SPIRITUALISME  325 

lent  sur  nous  et  s'efforcent  de  réagir  contre  les 
instincts,  les  passions,  les  influences  qui  nous 
poussent  au  mal.  Et  que  ce  soient  là  nos  gé- 
nies familiers,  comme  les  appelaient  les  Grecs, 
ou  bien  les  anges  gardiens  du  catholicisme, 
peu  importe  le  nom  qu'on  leur  attribue.  En 
réalité,  tous,  nous  avons  nos  guides,  nos  inspi- 
rateurs occultes;  tous,  nous  avons  nos  voix. 

Mais,  tandis  que,  pour  Jeanne,  ces  voix  étaient 
extérieures,  objectives,  perçues  par  les  sens, 
chez  la  plupart  d'entre  nous,  elles  sont  inté- 
rieures, intuitives  et  ne  retentissent  que  dans 
le  domaine  de  la  conscience. 

N'en  est-il  pas  parmi  vous,  lecteurs,  qui  les 
aient  entendues,  ces  voix  ?  Elles  parlent  dans 
le  silence  et  le  recueillement  ;  elles  disent  les 
luttes  à  poursuivre,  les  efforts  à  faire  pour  nous 
élever  en  élevant  les  autres.  Bien  certaine- 
ment, tous,  vous  l'avez  entendue,  la  voix  qui, 
dans  le  sanctuaire  de  l'âme,  nous  exhorte  au 
devoir  et  au  sacrifice.  Et  quand  vous  voudrez 
l'entendre  de  nouveau,  recueillez-vous,  élevez 
vos  pensées.  Demandez  et  vous  recevrez.  Faites 
appel  aux  forces  divines.  Cherchez,  étudiez, 
méditez,  afin  d'être  initiés  aux  grands  mystè- 
res, et,  peu  à  peu,  vous  sentirez  s'éveiller  en 
vous  des  puissances  nouvelles  ;  une  lumière 
inconnue  descendra  à  flots  dans  votre  être  ;  en 

19 


k 


32G  JEANNE   d'arc   médium 

VOUS  s'épanouira  la  fleur  délicieuse  de  l'espé- 
rance, et  vous  serez  pénétrés  de  cette  énergie 
que  donnent  la  certitude  de  l'Au-delà,  la  con-« 
fiance  en  la  justice  éternelle.  Alors,  tout  vous 
deviendra  plus  facile.  Votre  pensée,  au  lieu  de 
se  traîner  péniblement  dans  le  dédale  obscur 
des  doutes  et  des  contradictions  terrestres, 
prendra  son  essor;  elle  sera  vivifiée,  illuminée 
par  les  inspirations  d'en  haut. 

11  faut  se  rappeler  qu'en  chacun  de  nous  dor- 
ment inutiles,  improductives,  des  richesses  infi- 
nies. De  là,  notre  indigence  apparente,  notre 
tristesse  et,  parfois  même,  le  dégoût  de  la  vie. 
Mais,  ouvrez  votre  cœur,  laissez-y  descendre  le 
rayon,  le  souffle  régénérateur,  et  alors  une  vie 
plus  intense  et  plus  belle  s'éveillera  en  vous. 
Vous  prendrez  goût  à  mille  choses  qui  vous 
étaient  indifl'érentes,  et  qui  feront  le  charme  de 
vos  jours.  Vous  vous  sentirez  grandir  ;  vous 
marcherez  dans  l'existence  d'un  pas  plus  ferme, 
plus  sûr,  et  votre  âme  deviendra  comme  un 
temple  rempli  de  lumière,  de  splendeur  et 
d'harmonie. 


Jeanne  d'Arc,  avons-nous  dit,  était  la  messa- 
gère du  monde  des  Esprits,  un  des  médiums  de 


JEANNE    d'arc    ET    LE    SPIRITUALISME  327 

Dieu.  Les  facultés  qu'elle  possédait  ne  se  re- 
trouvent que  de  loin  en  loin,  à  un  degré  aussi 
éminent,  et  l'on  peut  dire  qu'elle  a  réalisé  dans 
notre  histoire  l'idéal  de  la  médiumnité.  Pour- 
tant, ce  qu'elle  possédait  à  titre  exceptionnel^ 
peut  devenir  le  partage  d'un  grand  nombre. 

Nous  avons  déjà  cité  ailleurs  ces  prophétiques, 
paroles  :  «  Quand  les  temps  seront  venus,  je 
répandrai  mon  esprit  sur  toute  chair  :  vos 
jeunes  gens  auront  des  visions  et  vos  vieillards 
auront  des  songes  (1).  » 

Tout  semble  indiquer  que  ces  temps  sont 
proches.  Cette  parole  se  vérifie  peu  à  peu  au- 
tour de  nous.  Ce  qui  a  été,  dans  le  passé,  le 
privilège  de  quelques-uns,  tend  à  devenir  le 
bien  de  tous.  Déjà,  partout,  au  sein  du  peuple, 
il  y  a  des  missionnaires  ignorés;  partout  il  y  a 
des  signes,  des  indications  qui  annoncent  des 
temps  nouveaux.  Avant  peu,  tout  ce  qui  fait  la 
grandeur  et  la  beauté  du  génie  humain,  toutes 
les  gloires  de  la  civilisation,  tout  sera  renou- 
velé, fécondé  par  cette  source  immense  d'ins- 
pirations,  qui  viendra  ouvrir  à  l'esprit  de 
l'homme  un  domaine,  un  champ  sans  bornes^  où 
s'élèveront  des  œuvres  qui  éclipseront  toutes 
les  merveilles  du  passé.  Tous  les  arts,  les  phi- 

(1)  Actes,  II,  17. 


328  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

losophies,  lettres,  sciences,  niusique,  poésie, 
tout  s'abreuvera  à  ces  sources  intarissables, 
tout  se  transformera  sous  le  souffle  puissant  de 
rinfini. 

La  mission  du  nouveau  spiritualisme,  comme 
celle  de  Jeanne,  est  une  mission  de  lutte,  tra- 
versée par  de  dures  épreuves.  Elle  est  marquée 
par  des  indices,  des  présages,  et  porte  Fem- 
preinte  du  sceau  divin.  Son  rôle  est  de  com- 
battre, de  chasser  l'ennemi,  et  l'ennemi,  au- 
jourd'hui, c'est  le  néantisme,  le  pessimisme, 
c'est  cette  philosophie  froide  et  sombre,  qui 
ne  sait  faire  que  des  jouisseurs  ou  des  déses- 
pérés. 

Tout  d'abord,  il  lui  faudra  parcourir  la  voie 
douloureuse.  C'est  le  sort  réservé  à  toute  idée 
nouvelle.  En  ce  moment,  l'heure  de  son  pro- 
cès a  sonné.  Gomme  Jeanne  devant  ses  exami- 
nateurs de  Poitiers,  la  nouvelle  révélation  se 
tient  debout  devant  les  croyances  et  les  systèmes 
du  passé,  devant  les  théologiens,  les  représen- 
tants de  la  science  étroite  et  de  la  lettre.  En 
face  d'elle  se  dressent  toutes  les  autorités,  les 
mandataires  de  l'idée  vieillie  ou  incomplète,  de 
l'idée  devenue  insuffisante  et  qui  doit  céder  le 
pas  au  verbe  nouveau,  réclamant  sa  place  dans 
le  monde,  au  grand  soleil  de  la  vie. 

A   l'heure   présente,   ce   procès  solennel  se 


JEANNE    d'arc    ET    LE    SPIRITUALISME  329 

déroule  à  la  face  de  l'humanité,  spectatrice  in- 
téressée et  dont  l'avenir  même  est  en  question. 
Quel  sera  le  résultat,  le  jugement  ?  Aucun 
doute  n'est  possible.  Entre  l'idée  jeune  et  fé- 
conde, pleine  de  vie,  qui  monte  et  s'avance,  et 
la  vieillesse,  décrépite,  afFaiblie,  qui  descend 
et  s'affaisse,  comment  hésiter  ?  L'humanité  a 
besoin  de  vivre,  de  prospérer,  de  grandir,  et  ce 
n'est  pas  dans  les  ruines,  qu'elle  trouvera  un 
asile  pour  sa  raison  et  son  cœur. 

Le  nouveau  spiritualisme  est  debout  devant 
le  tribunal  de  lopinion.  Il  s'adresse  aux  Églises 
et  aux  puissances  terrestres,  et  leur  dit  :  «  Vous 
possédez  tous  les  moyens  d'action  que  pro- 
cure une  autorité  séculaire,  et  vous  ne  pou- 
vez rien  contre  le  matérialisme  et  le  pessimisme, 
contre  le  crime  et  l'immoralité,  qui  s'étendent 
comme  une  plaie  immense.  Vous  êtes  impuis- 
santes à  sauver  l'humanité  en  péril.  Ne  restez 
donc  pas  insensibles  aux  appels  de  l'esprit 
nouveau,  car  il  vous  apporte,  avec  la  vérité  et 
la  vie,  les  ressources  nécessaires  pour  relever, 
régénérer  la  société.  Faites  appel  à  ce  qu'il  y  a 
de  grand  et  de  beau  dans  l'âme  de  l'homme,  et, 
avec  moi,  dites-lui  : 

«  Prends  ton  essor,  élève-toi,  âme  humaine  î 
Avance  dans  le  sentiment  de  la  force  qui  te 
soutient  ;  avance  avec  confiance  vers  ton  ma- 


330  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

gnifîque  avenir.  Les  puissances  infinies  t'assis- 
tent; la  nature  s'associe  à  ton  œuvre  ;  les  astres, 
dans  leur  course,  éclairent  ta  marche  ! 

«  Va,  âme  humaine,  forte  du  secovirs  qui 
t'appuie  !  Va,  comme  la  Jeanne  des  batailles,  à 
travers  le  monde  de  la  matière  et  les  luttes  des 
passions  ;  à  ta  voix,  les  sociétés  se  transfor- 
meront, les  formes  vieillies  disparaîtront,  pour 
faire  place  à  des  formes  nouvelles,  à  des  orga- 
nisations plus  jeunes,  plus  riches  de  lumière  et 
de  vie.  » 

Quant  à  Jeanne,  nous  l'avons  vu,  son  in- 
fluence, son  action  ont  persisté  dans  le  monde 
après  son  départ.  C'est  par  elles,  d'abord,  que 
la  France  a  été  délivrée  des  Anglais,  non  pas 
en  une  seule  campagne,  non  pas  par  une  pous- 
sée semblable  à  celle  des  vagues  de  l'Océan, 
balayant  le  sable  des  grèves,  comme  cela  au- 
rait eu  lieu  si  les  hommes  avaient  eu  autant 
de  confiance  et  de  foi  qu'elle-même,  mais  à  tra- 
vers des  vicissitudes  nombreuses,  des  alterna- 
tives de  succès  et  de  revers.  L'âme  de  Jeanne, 
si  pleine  d'amour  et  de  volonté  pour  le  bien,  de 
dévouement  pour  son  pays,  une  telle  âme  ne 
pouvait  s'immobiliser  dans  la  béatitude  céleste. 
A  l'heure  présente,  elle  revient  vers  nous  avec 
une  autre  mission,  pour  accomplir  dans  un  do- 
maine plus  vaste,  sur  le  plan  spirituel  et  moral, 


JEANNE    d'arc    et    le    SPIRITUALISME  331 

ce  qu'elle  a  fait  pour  la  France  au  point  de  vue 
matériel.  Elle  soutient,  elle  inspire  les  servi- 
teurs, les  porte-paroles  de  la  foi  nouvelle,  tous 
ceux  qui  ont  au  cœur  une  confiance  inébran- 
lable en  l'avenir. 

Sachez-le  :  une  révolution  plus  grande  que 
toutes  celles  qui  se  sont  accomplies  dans  le 
monde,  est  commencée,  révolution  pacifique  et 
régénératrice  ;  elle  arrachera  les  sociétés  hu- 
maines aux  routines  et  aux  ornières,  et  élèvera 
le  regard  de  Fhomme  vers  les  destinées  splen- 
dides  qui  l'attendent. 

Les  grandes  âmes  qui  ont  vécu  ici-bas  repa- 
raissent ;  leurs  voix  retentissent  ;  elles  exhor- 
tent l'homme  à  se  hâter  dans  sa  marche.  Et 
Pâme  de  Jeanne  est  une  des  plus  puissantes, 
dans  la  foule  de  celles  qui  agissent  sur  le 
monde,  qui  travaillent  à  préparer  une  ère  nou- 
velle pour  l'humanité.  C'est  pour  cela  que  la 
vérité  s'est  faite  à  cette  heure  précise,  sur  le 
caractère  de  Jeanne  et  sur  sa  mission.  Et  par 
elle,  par  son  appui,  avec  l'aide  des  grands 
Esprits  qui  ont  aimé,  servi  la  France  et  Thuma- 
nité,  les  espérances  de  ceux  qui  veulent  le 
bien  et  cherchent  la  justice  s'accompliront. 

La  légion  radieuse  de  ces  Esprits,  dont  les 
noms  marquent,  comme  des  foyers  <ie  lumière, 
les  étapes  de  l'histoire,  les  grands  initiés   du 


332  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

passé,  les  prophètes  de  tous  les  peuples,  les 
messagers  de  vérité,  tous  ceux  qui  ont  fait 
l'humanité  avec  des  siècles  de  travail,  de  médi- 
tation, de  sacrifice  :  tous  sont  à  l'œuvre.  Et  au- 
dessus  d'eux,  Jeanne  elle-même,  Jeanne  nous 
conviant  au  labeur,  à  l'effort.  Tous  nous  crient  : 
«  Debout  !  non  plus  pour  le  choc  des  épées, 
mais  pour  les  luttes  fécondes  de  la  pensée.  De- 
bout! pour  la  lutte  contre  une  invasion  plus 
redoutable  que  celle  de  l'étranger,  la  lutte 
contre  le  matérialisme,  le  sensualisme  et  toutes 
leurs  conséquences:  l'abus  des  jouissances,  la 
ruine  de  tout  idéal;  contre  tout  ce  qui,  lente- 
ment, nous  déprime,  nous  énerve,  nous  affai- 
blit, nous  prépare  à  rabaissement,  à  la  chute. 
Debout  !  travaillez  et  luttez  pour  le  salut  intel- 
lectuel et  le  relèvement  de  notre  race  et  de 
l'humanité  !  » 


La  grande  âme,  dont  ce  livre  évoque  le  sou- 
venir poignant  et  glorieux,  plane  au-dessus  de 
nous.  En  bien  des  circonstances,  elle  a  pu  se 
faire  entendre  et  dire  ce  qu'elle  pensait  du 
mouvement  d'idées  qui  se  porte  vers  elle,  de 
tant  d'appréciations  diverses  et  contradictoires 
sur  son  rôle,  et  sur  la  nature  des  forces  qui  la 


JEANNE    d'arc    ET    LE    SPIRITUALISME  333 

soutenaient.  Cédant  à  notre  prière,  elle  a  con- 
senti à  résumer  toute  sa  pensée  dans  un  mes- 
sage, que  nous  nous  faisons  un  devoir  de  repro- 
duire avec  une  fidélité  scrupuleuse,  comme  la 
plus  belle  conclusion  que  nous  puissions  don- 
ner à  ce  chapitre. 

Ce  message  porte  en  lui-même  toutes  les  ga- 
ranties d'authenticité  désirables.  L'Esprit  qui 
Ta  dicté,  a  choisi  pour  interprète  un  médium 
ayant  vécu  au  quinzième  siècle,  et  conservant, 
dans  son  moi  profond,  des  souvenirs,  des  rémi- 
niscences de  cette  époque.  C'est  ce  qui  lui  a 
permis  de  donner  à  son  langage,  dans  une  cer- 
taine mesure,  les  formes  du  temps  (1). 

Message  de  .Jeanne,  15  juillet  1909. 

«  Doulce  m'est  la  communion  avec  ceux  qui, 
comme  moi,  aiment  notre  Seigneur  et  Père  — 
et  point  ne  m'est  dolente  la  vision  du  passé, 
car  elle  me  rapproche  de  vous,  et  la  souvenance 
de  mes  communications  avec  les  morts  et  les 
saints,  me  fait  la  sœur  et  l'amie  de  tous  ceux  à 
qui  Dieu  dévolut  la  faveur  de  connaître  le  se- 
cret de  la  vie  et  de  la  mort.  » 


(1)  On  m'objectera  peut-être  que  Jeanne  ne  savait  ni  lire 
ni  écrire.  Je  répondrai  qu'après  sa  mort  tragique,  à  son 
retour  dans  l'espace,  elle  a  retrouvé  toutes  ses  connais- 
sances antérieures. 

19. 


334  JEANNE   d'arc  MEDIUM 

«  Je  rendrai  grâces  à  Dieu  de  me  permettre 
de  vous  donner  ma  créance  et  ma  foi,  et  de  pou- 
voir encore  dire  à  ceulx  qui  savent  un  peu,  que 
les  vies  que  le  Seigneur  nous  donne  doivent 
«tre  utilisées  saintement,  pour  être  en  sa 
grâce.  Pour  nous,  toute  vie  doit  être  doulce  qui 
nous  permet  de  faire  la  tasche  assignée  par  le 
tout  puissant  Juge  et  Père,  et  nous  devons  bé- 
nir ce  que  nous  recevons  de  sa  main.  » 

«  Il  a  choisi  toujours  les  faibles  pour  réali- 
ser ses  voies,  car  il  sait  donner  la  force  à 
l'agneau,  ainsi  qu'il  l'a  promis,  mais  il  ne  doit 
pas  aller  avec  les  loups,  et  l'âme  éprise  de  foi 
doit  se  garer  des  embûches,  et  souffrir  avec  pa- 
tience toutes  épreuves  et  châtiments  qu'il  plaît 
^u  Seigneur  de  donner.  » 

«  Il  nous  apporte  sa  vérité  sous  les  formes  les 
plus  changeantes,  mais  tous  ne  pénètrent  point 
sa  volonté.  Soumise  à  ses  lois  et  cherchant  à 
les  respecter,  j'ai  cru  plus  tôt  que  je  n'ai  com- 
pris. Je  savais  que  de  sidoulx  conseils  ne  pou- 
vaient être  l'œuvre  de  l'ennemi,  et  le  réconfort 
qu'ils  m'ont  toujours  donné,  a  été  pour  moi  un 
soutien  et  la  plus  doulce  des  satisfactions.  Ja- 
mais ne  sus  quelle  était  la  volonté  lointaine  du 
Seigneur.  Il  me  cacha  par  ses  envoyés  la  fin 
douloureuse  que  je  fis,  ayant  pitié  de  ma  fai- 
blesse et   de  ma  peur  de  la  souffrance;  mais. 


JEANNE   d'arc   ET   LE    SPIRITUALISME  335 

quand  l'heure  vint,  j'eus,  par  eux,  toute  force 
et  tout  courage.  » 

«  Il  m'est  plus  doulx  et  précieux  de  revenir 
aux  heures  où  j'entendis  premièrement  mes 
voix.  Je  ne  peux  dire  que  je  craignis.  Je  fus 
grandement  étonnée  et  même  un  peu  surprise, 
de  me  voir  l'objet  de  la  myséricorde  divine.  Je 
sentis  subitement,  sans  que  les  paroles  encore 
me  fussent  advenues,  qu'ils  étaient  les  servi- 
teurs de  Dieu,  et  je  sentis  grande  doulceur  en 
mon  cœur  qui  s'apaisa  enfin,  lorsque  la  voix  du 
saint  résonna  à  mon  oreille.  Vous  dire  ce  qui 
était  alors  en  moi,  point  n'est  possible,  car  je 
ne  saurais  vous  dire  ma  joie  paisible  et  si 
grande,  mais  j'éprouvai  si  grande  paix,  qu'à  leur 
départ  je  me  sentis  l'orpheline  de  Dieu  et  du 
ciel.  Je  comprenais  un  peu  que  leur  volonté  de- 
vait être  la  mienne,  mais  si  je  souhaitais  grande- 
ment leur  visite,  je  m'étonnai  de  leurs  ordres  et 
craignais  un  peu  de  voir  leur  désir  s'accomplir. 
Il  me  semblait  une  belle  œuvre,  certes,  de  de- 
venir la  sauvegarde  de  notre  France,  mais  une 
fille  ne  va  point  parmi  les  hommes  d'armes.  En- 
fin, dans  leur  habituelle  et  doulce  compagnie, 
je  vins  à  avoir  plus  de  confiance  en  moi-même, 
et  l'amour  que  toujours  j'avais  porté  à  Dieu  me 
dicta  ma  conduite, car  il  n'est  poiM  séant  de  se 
rebeller  contre  la  volonté  d'un  père.  » 


336  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

«  Cela  fut  pénible  et  aussi  pour  moi  une  joie 
d'obéir,  et  je  fis  premièrement  enfin  la  volonté 
de  Dieu.  De  cette  obéissance,  je  suis  heureuse, 
et  en  cela  aussi  je  trouve  une  raison  de  faire  ce 
que  Dieu  veult,  de  pardonner  à  ceux  qui  furent 
l'instrument  de  ma  mort,  car  je  crois  qu'ils 
n'avaient  point  de  haine  pour  mon  âme  en  lui 
donnant  sa  liberté,  mais  surtout  pour  l'œuvre 
que  j'accomplis.  » 

«  Cette  tasche  avait  été  bénie  de  Dieu,  aussi 
étaient-ils  grandement  coupables;  mais,  comme 
eux,  je  n'ai  nulle  haine  pour  leurs  âmes.  Je 
suis  ennemie  de  tout  ce  que  Dieu  réprouve,  de 
la  faute  et  de  la  méchanceté.  C'est  leur  œuvre 
qui  est  hors  la  grâce  ;  ils  y  retourneront  tou- 
jours, mais  le  souvenir  de  leur  passé,  point  ne 
s'effacera  en  eux.  Je  pleure  sur  la  haine  qu'ils 
ont  laissée  parmi  leurs  frères,  sur  la  mauvaise 
graine  qu'ils  ont  semée  parmi  l'Eglise,  et  qui 
apporta,  à  cette  mère  que  tant  j'ai  chérie,  plus 
de  recherche  de  la  foi  que  d'amour  du  pardon. 
Il  m'est  doulx  pourtant  de  les  voir  s'amender  et 
déclarer  un  peu  leur  erreur  ;  mais  ce  ne  fut 
nullement  comme  j'aurais  souhaité,  et  mon  af- 
fection pour  l'Église  se  détachera  de  plus  en 
plus  de  cette  ancienne  rectrice  des  âmes,  pour 
ne  plus  se  donner  qu'à  notre  doulx  et  gracieux 
Seigneur.  »  Jehanne. 


XVIII.  —  Portrait  et  Caractère 
DE  Jeanne  d'Arc. 


Vive  labeur! 

Jehanne. 

Il  n'est  pas  de  sujet  qui  ait  excité  au  même 
point  que  la  personne  de  Jeanne,  l'émulation  de 
nos  poètes,  de  nos  artistes,  de  nos  orateurs.  La 
poésie,  la  musique  et  l'éloquence  rivalisent 
d'éclat  et  s'exaltent  en  la  chantant.  La  peinture 
et  la  statuaire  font  appel  à  l'inspiration  et  s'ef- 
forcent, sans  y  réussir,  de  fixer  son  image.  De 
toutes  parts,  le  marbre  et  le  bronze  cherchent 
à  reproduire  ses  traits,  et,  un  jour,  sa  statue 
s'élèvera  dans  toutes  les  villes  de  notre  France. 
Mais  hélas,  dans  la  multitude  de  ces  reproduc- 
tions fantaisistes,  que  d'œuvres  médiocres  ou 
franchement  mauvaises  ! 

En  réalité,  nous  ne  possédons  aucun  portrait 
authentique  de  Jeanne.  Parmi  les  œuvres  mo- 
dernes, la  physionomie  qui  paraît  la  plus  res- 
semblante, est  celle  que  lui  a  prêtée  le  sculp- 
teur Barrias,  dans  le  monument  de    Bon-Se- 


338  JEANNE    d'arc   MEDIUM  m 

1 

cours,  à  Rouen.  C'est  du  moins  ce  qu'affirment 
les  voyants  à  qui  elle  est  apparue.  Les  grands 
artistes  ont  parfois  des  intuitions  sûres  ;  ils 
perçoivent  des  lueurs  de  la  vérité  et,  à  ce  point 
de  vue,  eux  aussi  sont  médiums. 

Jeanne  s'est  rendue  visible  à  plusieurs  repri- 
ses, en  des  circonstances  qui  ne  permettent  pas 
de  douter  du  phénomène.  11  est  vrai  que,  dans 
cet  ordre  de  manifestations,  les  erreurs  et  les  su- 
percheries abondent.  On  pourrait  citer  de  nom- 
breux cas  imaginaires  ou  frauduleux, où  on  la  fait 
intervenir  indûment.  Il  n'est  pas  de  personna- 
lité psychique  dont  on  ait  plus  abusé.  Dans  les 
exhibitions  de  tel  simulateur  célèbre,  il  y  avait 
aussi  une  Jeanne  d'Arc.  Elle  avait  l'accent 
anglais,  celui  de  l'opérateur,  et  se  livrait  à  des 
démonstrations  excentriques.  En  réalité,  ses 
manifestations  sont  rares.  Nous  en  connaissons 
pourtant  de  bien  authentiques.  Nous  les  avons  • 
signalées.  Ajoutons  que,  dans  certains  phéno- 
mènes d'incorporation,  elle  se  révèle  avec  une 
puissance,  une  grandeur  impressionnantes.  Je 
la  vois  encore  envahir  brusquement  le  corps  de 
son  médium  favori,  au  milieu  d'une  discussion 
politique,  se  dresser  d'un  mouvement  plein  de 
majesté,  avec  un  geste  d'autorité  et  un  éclair 
dans  le  regard,  pour  protester  contre  les  théo- 
ries des  sans-patrie  et  des  sans-Dieu,  Elle  n'est 


PORTRAIT  ET  CARACTÈRE  DE  JEANNE  d'aRC   339 

pas  moins  véhémente  dans  les  discussions  reli- 
gieuses. A  certain  ecclésiastique,  assistant  par 
exception  à  nos  séances,  elle  disait  :  «  Ne  par- 
lez jamais  de  peines  éternelles  !  Vous  faites  de 
Dieu  un  bourreau.  Dieu  est  amour  ;  il  ne  peut 
infliger  des  souffrances  sans  utilité,  sans  pro- 
fit. En  parlant  ainsi,  vous  éloignez  l'homme  de 
Dieu  !  )) 

Quand  elle  intervient,  la  voix  du  médium  est 
généralement  d'une  suave  douceur  ;  elle  a  des 
inflexions  mélodieuses  qui  pénètrent,  émeuvent 
les  plus  insensibles.  La  manifestation  est  si 
impressionnante,  qu'on  éprouve  comme  un  désir 
de  s'agenouiller.  Au  moment  de  paraître  dans 
les  séances,  Jeanne  est  annoncée  par  une  har- 
monie qui  n'a  rien  de  terrestre,  et  que,  seuls,  les 
médiums  perçoivent.  Une  grande  lumière  se 
fait  et,  pour  eux,  elle  devient  visible.  Il  y  a,  sur 
son  front  et  dans  ses  paroles,  comme  un  reflet 
divin,  et  des  battements  d'ailes  dans  l'air  qui 
l'entoure.  Nul  ne  peut  résister  à  son  influence. 
C'est  bien  réellement  la  «  fille  de  Dieu  ».  Elle 
n'est  pas  la  seule.  Il  existe  bien  haut,  au-dessus 
de  nous,  une  région  supérieure  et  pure,  où 
s'épanouit  toute  une  création  angélique  que  les 
hommes  ignorent.  De  là  viennent  les  messies, 
les  agents  divins  à  qui  incombent  les  missions 
douloureuses.    Ils  s'incarnent  sur  les  mondes 


340  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

de  la  matière  et  se  mêlent  souvent  à  nous,  pour 
donner  aux  fils  de  la  terre  l'exemple  de  l'amour 
et  du  sacrifice.  On  peut  les  rencontrer  dans  les 
rangs  des  humbles  et  des  plus  obscurs  ;  mais 
ils  sont  toujours  reconnaissables  à  leurs  nobles 
sentiments,  à  leurs  hautes  vertus. 


De  Jeanne,  avons-nous  dit,  il  ne  reste  aucune 
image  contemporaine.  On  a  cependant  retrouvé, 
dans  les  fouilles  effectuées  à  Orléans  pour  le 
percement  de  la  rue  Jeanne-d'Arc,  la  statuette 
ancienne  d'une  femme  casquée,  dont  le  fin  profil 
se  rapproche  sensiblement  des  traits  de  la  sta- 
tue de  Barrias  (1). 

D'autre  part,  les  documents  historiques  con- 
tenant des  descriptions  de  la  Pucelle,  sont  peu 
nombreux  et  peu  précis.  11  faut  citer  tout  d'abord 
une  lettre  des  comtes  Guy  et  André  de  Laval  à 
leur  mère,  écrite  le  8  juin  1429.  Ils  l'ont  vue  à 
Selles  en  Berry  :  «  armée  tout  en  blanc,  sauf 
la  tête,  une  petite  hache  à  la  main,  sur  un  grand 
coursier  noir  ».  Et,  ajoutent-ils  avec  enthou- 
siasme, «  ce  semble  chose  toute  divine,  de  son 
fait,  de  la  voir  et  de  l'ouïr  »  (2). 

(1)  Varl  golhique,  Dictionnaire  encyclopédique  :  Musée 
archéologique  d'Orléans,  par  L.  Gonse. 

(2)  Wallon,  Jeanne  d'Arc,  p.  100. 


PORTRAIT  ET  CARACTÈRE  DE  JEANNE  d'aRC    341 

Un  chroniqueur,  picard  d'origine,  parle  de 
Jeanne  en  ces  termes,  d'après  les  témoignages 
de  plusieurs  personnes  qui  l'avaient  vue,  che- 
minant entre  Reims  et  Boissons  (1)  : 

«  Et  chevauchait  devant  le  roi,  toute  armée  de 
plein  harnais,  à  étendard  déployé.  Et  quand  elle  était 
désarmée,  si  avait-elle  état  et  habit  de  chevalier, 
souliers  lacés  hors  le  pied,  pourpoint  et  chausses 
ajustées,  et  un  chaperon  sur  la  tête,  et  portait  très 
nobles  habits  de  drap  d'or  et  de  soie  bien  fourrés.  » 

D'après  la  déposition  du  chevalier  Jean  d'Au- 
lon,  «  elle  était  belle  et  bien  faite  »  (2),  «  ro- 
buste et  infatigable  »,  selon  les  dires  du  prési- 
dent Simon  Charles  (3),  «  ayant  à  la  fois  l'air  riant 
et  l'œil  facile  aux  larmes  »,  d'après  la  relation  du 
conseiller-chambellan  Perceval  de  Boulainvil- 
1ers  (4).  «  Elle  a  bonne  prestance  sous  les  armes 
et  la  poitrine  belle  »,  dit  son  compagnon  le  duc 
d'iVlençon(5).  «  Ses  sourcils,  finement  dessinés, 
ombrageant  de  beaux  yeux  bruns,  donnaient 
une  expression  de  douceur  infinie  à  son  regard 
inspiré  »,  ajoute  un  écrivain  de  notre  temps  (6). 

(T)  Chronique  picarde,  Bévue  hebdomadaire,  17  avril  1909. 

(2)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabililalionA.  I. 

(3)  Id.,  Ibid.,i.  I. 

(4)  Id.,  Jeanne  d'Arc  libératrice,  p.  263. 

(5)  Id.,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I. 

(6)  Le  Portrait  de  Jeanne  d'Arc  par  un  Essénien  du  dix-neu- 
vième siècle.  Chamuel,  éditeur. 


342  JEANNE   d'arc    MÉDIUM 

Les  débats  du  procès  nous  apprennent  que 
ses  cheveux,  teintés  en  blond  par  tant  de  pein- 
tres et  déroulés  sur  ses  épaules,  «  étaient  noirs, 
taillés  courts  en  écuelle,  de  façon  à  former  sur 
la  tête  une  sorte  de  calotte,  semblable  à  un  tissu 
de  soie  sombre  ». 

Le  colonel  Biottot,  résumant  les  relations  de 
divers  chroniqueurs,  s'exprime  ainsi,  au  sujet 
du  costume  et  du  maintien  de  la  Pucelle  (1)  : 

«  Le  visage  de  rhéroïne,  dans  ses  traits  réguliers, 
était  empreint  de  douceur  et  de  modestie.  Le  corps 
se  développait  en  lignes  pleines  et  harmonieuses.  Dès 
les  premiers  jours,  les  gestes  aisés  de  l'enfant,  sa 
grâce  souple  en  toutes  circonstances  et  particulière- 
ment sous  le  costume  de  guerre,  en  selle,  la  lance  ou 
la  bannière  en  main,  étonnent  et  charment  les  yeux. 
Enfin,  sur  l'ensemble,  le  candide  éclat  de  sa  virginité 
et  la  flamme  de  son  inspiration  répandaient  «  une 
«  vertu  secrète  qui  écartait  les  désirs  charnels  », 
commandant  aux  plus  grossiers  le  respect  et  les 
égards.  » 

«  Elle  revêt  de  brillants  atours  de  guerre.  Ses  vê- 
tements, sa  bannière  sont  de  tissus  précieux  etblancs, 
comme  il  convenait  pour  rappeler  sa  chasteté  et  la 
mission  angélique  qui  y  était  liée.  » 


(1)  Colonel  Biottot,  les  Grands  Inspirés  devant  la  Science, 
pp.  123,  125. 


PORTRAIT   ET    CARACTÈRE    DE    JEANNE    d'aRC        343 

D'après  toutes  les  descriptions,  il  y  avait 
comme  un  suave  reflet  sur  ce  visage  qu'illumi- 
nait une  pensée  intérieure.  L'âme,  dans  une 
certaine  mesure,  façonne  elle-même  les  traits 
de  son  enveloppe.  Par  là,  nous  pouvons  nous 
faire  une  idée  de  la  beauté  de  cet  être  excep- 
tionnel, du  foyer  caché  en  lui,  foyer  qui  éclaire 
son  visage  et  rayonne  sur  ses  actes. 

Il  émanait  d'elle  une  sérénité,  une  radiation 
qui  s'étendaient  sur  tous  ceux  qui  l'appro- 
chaient, et  apaisaient  les  plus  farouches.  Dans 
le  tumulte  des  batailles  et  des  camps,  elle  garde 
ce  calme  imposant  qui  est  le  privilège  des 
âmes  supérieures.  A  Gompiègne,  au  plus  fort 
du  combat,  lorsque  les  Bourguignons  lui  cou- 
pent la  retraite,  sur  le  point  d'être  prise,  elle 
est  plongée  comme  dans  un  rêve  et  dit  aux 
Français  qui  l'entourent  et  s'affolent  :  a  Ne  son- 
gez qu'à  férir  !   » 

A  travers  les  documents  les  plus  variés, 
Jeanne  nous  apparaît  comme  une  fleur  des 
campagnes  de  France,  svelte  et  robuste,  fraîche 
et  parfumée.  x4ussi  est-ce  une  chose  lamentable, 
de  voir  de  quelle  façon  la  plupart  de  nos  pein- 
tres et  statuaires  l'ont  affublée,  sans  nul  souci 
de  la  vérité  et  de  l'histoire.  Certain  critique  parle 
ainsi,  non  sans  raison,  de  la  statue  xle  Frémiet, 
érigée  place  des  Pyramides,  au  cœur  de  Paris  : 


344  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

«  Il  fil  un  garçonnet,  ennuyé,  mécontent,  avec  de 
longs  cheveux  ainsi  qu'une  crinière,  un  bras  de  bois, 
tenant  une  longue  bannière,  une  couronne  en  l'air  !  » 

Quoi  d'étonnant  ?  fait-il  remarquer  :  Frémiet 
est  un  animalier,  aussi  sa  Jeanne  est-elle  «  un 
être  hybride,  de  petite  taille,  sur  un  cheval 
énorme  »  (1).  Cette  statue  est  une  parodie,  une 
honte  pour  les  Français,  surtout  à  l'endroit  où 
elle  se  trouve,  exposée  aux  yeux  de  tous  les 
étrangers. 

Celle  de  Roulleau,  à  Chinon,  est  pire  encore, 
lourde,  massive,  aussi  matérielle  que  possible. 

D'autres  artistes  ont  mieux  réussi,  sans  mon- 
trer plus  de  scrupules  au  point  de  vue  du  res- 
pect de  l'histoire.  Charpentier  nous  la  repré- 
sente en  prière.  La  physionomie  est  gracieuse 
et  touchante.  Mais  pourquoi  ce  livre  tombé  à 
ses  piedSv  alors  qu'elle  ne  savait  pas  lire,  et  à 
une  époque  où  l'imprimerie  n'était  pas  inven- 
tée ? 

Les  peintres  ne  sont  pas  plus  soucieux  de  la 
vérité  historique  :  M.  Jean-Paul  Laurens  a  signé 
le  triptyque  qui  orne  une  des  salles  du  nouvel 
hôtel  de  ville  de  Tours,  et  reproduit  trois  scènes 
de  la  vie  de  l'héroïne.  Le  dernier  panneau  nous 


(1)  Le  Portrait  de  Jeanne  d'Arc  par  un  Essénien  du  dix- 
neuvième  siècle. 


PORTRAIT  ET  CARACTÈRE  DE  JEANNE  D  ARC   345 

montre,  sous  la  nuit,  la  place  où  eut  lieu  le 
supplice.  Elle  est  vide  maintenant,  et,  du  bû- 
cher qui  achève  de  s'éteindre,  un  peu  de  fumée 
monte  vers  le  ciel.  Le  dernier  des  juges  se  re- 
tire. M.  J.-P.  Laurens  n'a  pas  lu.  Il  ignore  que 
les  Anglais,  aussitôt  que  Jeanne  fut  morte, 
firent  éteindre  le  feu,  de  telle  façon  que  son 
pauvre  corps  carbonisé  resta  exposé,  pendant 
huit  jours,  à  la  vue  du  peuple,  et  que  tous  pu- 
rent s'assurer  qu'elle  n'était  plus  de  ce  monde. 
Au  bout  d'une  semaine,  on  ralluma  le  bûcher 
jusqu'à  destruction  complète,  et  on  fit  jeter  à  la 
Seine  les  cendres  de  la  victime  (1). 


L'étude  des  âmes  est  une  des  plus  belles  qui 
s'offrent  aux  recherches  du  penseur.  Celle  de 
Jeanne  d'Arc  est  captivante  entre  toutes.  Ce  qui 
surprend  le  plus  en  elle,  ce  n'est  pas  son  œuvre 
d'héroïsme,  pourtant  unique  dans  l'histoire, 
c'est  ce  caractère  admirable,  où  s'unissent  et 
se  fondent  les  qualités  en  apparence  les  plus 
contradictoires  :  la  force  et  la  douceur,  l'éner- 
gie et  la  tendresse,  la  prévoyance,  la  sagacité, 
l'esprit  vif,    ingénieux,  pénétrant,  qui  sait  en 

(1)  Voir  H.  Martin,  Histoire  de  France,  t.  VI,  pp.  304,  305. 


346  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

peu  de  mots,  nets  et  précis,  trancher  les  ques- 
tions les  plus  difficiles,  les  situations  les  plus 
ambiguës. 

Aussi,  sa  vie  offrira  des  exemples  de  toutes 
sortes.  Patriote  et  française,  en  toutes  circon- 
stances elle  nous  apprendra  le  dévouement 
poussé  jusqu'au  sacrifice.  Profondément  reli- 
gieuse, idéaliste  et  chrétienne,  dans  un  temps 
où  le  christianisme  est  la  seule  force  morale 
d'une  société  encore  barbare,  elle  montrera  les 
qualités  élevées,  les  hautes  vertus  du  croyant 
exempt  de  fanatisme  et  de  bigoterie.  Dans  la 
vie  intime,  familiale,  elle  se  révèle  douée  des 
vertus  modestes  qui  sont  la  richesse  des  hum- 
bles :  l'obéissance,  la  simplicité,  l'amour  du 
travail.  En  un  mot,  toute  son  existence  est  un 
enseignement  pour  celui  qui  sait  voir  et  com- 
prendre. Mais  ce  qui  la  caractérise  par-dessus 
tout,  c'est  la  bonté,  la  bonté  sans  laquelle  il  n'est 
pas  de  véritable  beauté  morale. 

Cette  alliance  harmonieuse,  cet  équilibre  par- 
fait de  dons  qui,  de  prime  abord,  semblent  de- 
voir s'exclure,  font  de  Jeanne  d'Arc  une  énigme 
que  nous  avons  pourtant  la  prétention  de  ré- 
soudre. 

C'est  un  témoignage  que  lui  rendent  tous 
ceux  de  ses  contemporains  qui  l'ont  approchée  : 
à  une  ferme  volonté  que  rien,  dans  l'action  guer- 


PORTRAIT  ET  CARACTERE  DE  JEANNE  d'aRC   347 

tière  ou  au  milieu  des  épreuves,  ne  fera  fléchir, 
elle  joignait  une  grande  douceur.  Les  bourgeois 
d'Orléans  s'accordaient  à  dire,  dans  leurs  dépo- 
sitions :  «  C'était  grande  consolation  d'avoir 
commerce  avec  elle  (1).  »  Nous  retrouvons 
encore  tous  ces  traits  de  caractère  chez  l'Esprit 
qui  s'est  manifesté  plus  d'une  fois  sous  son 
nom,  dans  notre  cercle  d'études.  En  lui  aussi 
les  vertus,  les  sentiments  les  plus  variés  se 
fondent  en  une  parfaite  harmonie. 

Pour  bien  juger  cette  grande  figure,  il  con- 
vient de  la  dégager  des  querelles  de  partis,  et 
de  la  contempler  dans  la  pure  lumière  de  sa 
vie  et  de  ses  pensées.  Un  rayon  de  l'Au-delà 
nimbe  son  beau  front  grave.  Elle  inspire  une 
émotion  mêlée  de  respect.  Malgré  le  scepti- 
cisme de  nos  temps,  on  ne  peut  se  défendre 
du  sentiment  qu'il  existe,  au-dessus  des  condi- 
tions habituelles  de  la  vie  humaine,  des  êtres 
de  choix,  qui  sont  l'honneur  de  notre  race,  et 
Téternelle  splendeur  de  l'histoire. 

L'existence  de  la  vierge  lorraine  est  compa- 
rable à  une  symphonie,  où  les  voix  émouvantes 
et  tragiques  de  la  terre  se  mêlent  aux  appels 
mystérieux  du  monde  invisible. 

Gomme  toutes  les  grandes  âmes,  elle  croyait 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I,  p.  266. 


348  JEANNE   d'arc   MÉDIUM 

en  elle-même,  à  sa  haute  mission,  et  elle  savait 
communiquer  sa  foi  aux  autres  par  toutes  les 
radiations  de  son  être. 

Toujours  mesurée  et  sage,  elle  sait  allier 
l'humilité  de  la  fille  des  champs  à  la  fierté 
d'une  reine,  une  pureté  absolue  à  une  audace 
extrême.  Vêtue  en  homme,  elle  vit  dans  les 
camps,  tel  un  ange  sur  qui  repose  le  regard  de 
Dieu,  et  nul  ne  songe  à  en  prendre  scandale. 
La  gloire  qui  l'environne  lui  paraît  si  naturelle 
qu'elle  ne  saurait  en  tirer  vanité.  N'est-elle  pas 
venue  pour  accomplir  de  grandes  choses,  et 
l'honneur  ne  doit-il  pas  suivre  la  peine  ?  De  là, 
l'aisance  dont  elle  fait  preuve  au  milieu  des 
seigneurs  et  des  nobles  dames.  Devant  Dieu 
seul,  elle  courbe  le  front;  elle  aime  à  se  faire 
petite  avec  les  petits  qui  lui  offrent  leurs  hom- 
mages :  à  l'église,  c'est  parmi  les  enfants  qu'elle 
élève  de  préférence  son  âme  vers  le  ciel. 

Jeanne  n'est  pas  moins  admirable  dans  ses 
propos  que  dans  ses  actes.  Au  milieu  des  discus- 
sions les  plus  confuses,  elle  apporte  toujours  le 
mot  juste,  l'argument  précis.  Sous  une  certaine 
naïveté  gauloise,  perce  en  elle  un  sens  profond 
des  êtres  et  des  choses,  et,  aux  heures  décisives, 
elle  trouve  les  accents  qui  raniment  l'ardeur 
dans  les  âmes,  les  sentiments  puissants  et  géné- 
reux dans  les  cœurs. 


PORTRAIT    ET    CARACTÈRE    DE    JEANNE    d'aRC        349 

Gomment  croire  qu'une  enfant  de  dix-huit  ans 
ait  pu  trouver  d'elle-même  des  paroles  comme 
celles  que  nous  avons  citées  ?  Gomment  douter 
qu'elle  fût  inspirée  par  des  génies  invisibles, 
comme  le  furent,  avant  et  après  elle,  tant  d'au- 
tres agents  de  l'Au-delà  ? 

Les  paroles  sublimes,  nous  l'avons  vu,  four- 
millent dans  cette  courte  existence,  et  nous  ne 
manquerons  pas  d'en  reproduire  quelques-unes 
encore.  Ges  lèvres  de  dix-huit  ans  ont  proféré 
des  jugements,  qui  méritent  de  figurer  à  côté 
des  plus  beaux  préceptes  de  l'antiquité. 

«  Elle  était  moult  sage  et  peu  parlant  (1),  » 
disait  la  Ghronique,  mais,  quand  elle  parlait,  sa 
voix  avait  des  vibrations  qui  pénétraient  au  plus 
intime  de  l'auditeur,  sensibilisaient  en  lui  des 
fib^^es  qu'il  ne  se  connaissait  pas,  et  qu'aucune 
puissance  n'avait  pu  émouvoir  jusque-là.  G'était 
là  le  secret  de  son  ascendant  sur  tant  d'âmes 
rudes,  mais  bonnes,  au  fond. 

Et  ces  paroles  ne  profitèrent  pas  seulement 
à  ceux  qui  les  entendirent.  Recueillies  par  l'his- 
toire, elles  iront,  à  travers  les  siècles,  consoler 
les  âmes  et  réchauffer  les  cœurs. 

En  toutes  circonstances,  elle  a  l'expression 
qui   convient,  et  les  images  dont  elle   se  sert 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I,  p.  135,  note  1. 

20 


350  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

sont  riches  de  relief  et  de  couleur.  11  en  est 
de  même  aujourd'hui,  dans  les  messages  qu'elle 
dicte  à  quelques  rares  médiums,  et  que  nous 
avons  reproduits  en  partie.  Ce  sont  là,  pour 
nous,  autant  de  preuves,  autant  de  révélations 
de  son  identité. 

Rappelons  quelques-unes  de  ses  paroles,  à  la 
fois  ingénues  et  profondes.  On  ne  saurait  trop 
les  redire,  ni  trop  les  proposer  comme  préceptes 
et  leçons  à  tant  de  gens  qui,  tout  en  honorant 
Jeanne,  s'efforcent  peu  de  lui  ressembler  sous 
le  rapport  du  caractère  et  des  vertus.  Nous 
avons  tous  un  intérêt  personnel  à  étudier  cette 
vie,  à  nous  hausser  à  la  hauteur  des  enseigne- 
ments qu'elle  contient,  par  les  exemples  qu'elle 
offre  de  vie  intime  et  de  vie  sociale,  de  beauté 
morale  et  de  grandeur  dans  la  simplicité. 

«  A  partir  du  moment  où  je  sus  que  je  devais 
venir  en  France,  je  me  donnai  peu  aux  jeux  et 
aux  promenades  (1).  » 

L'insouciance  et  la  légèreté  sont  habituelles 
à  l'enfance,  et  elles  persistent  chez  un  grand 
nombre  jusqu'à  un  âge  déjà  avancé.  Jeanne, 
au  contraire,  a  le  souci  de  l'avenir,  la  préoccu- 
pation constante  de  la  grande  mission  qui  lui 
incombe,  le  souci  des  charges  qui  vont  peser 

(1)  Troisième  interrogatoire  public. 


PORTRAIT    ET    CARACTÈRE    DE    JEANNE    d'aRC        351 

sur  elle.  Elle  a  été  touchée  par  l'aile  des  créa- 
tures angéliqiies,  et  sa  vie  a  reçu  une  impulsion 
qui  ne  cessera  qu'à  la  mort.  Elle  a  perçu  l'ap- 
pel mystérieux  d'en  haut,  et  ses  entretiens  avec 
l'invisible  ont  déjà  donné,  à  son  attitude  et  à 
ses  pensées,  cette  gravité  qui  se  mêlera  tou- 
jours, en  sa  personne,  à  la  grâce  et  à  la  dou- 
ceur. 

A  l'interrogatoire  de  Poitiers,  Guillaume 
Aimery  lui  dit  :  «  Jeanne,  vous  demandez  des 
gens  d'armes  et  vous  dites  que  c'est  le  plaisir 
de  Dieu  que  les  Anglais  s'en  aillent.  Si  cela  est, 
pas  n'est  besoin  de  gens  d'armes,  car  Dieu  seul 
y  suffit.  —  En  nom  Dieu  !  répond-elle,  les  gens 
d'armes  batailleront  et  Dieu  leur  donnera  la 
victoire  (1).  » 

Ces  paroles  renferment  un  grand  enseigne- 
ment. L'homme  est  libre.  La  loi  suprême  exige 
qu'il  édifie  lui-même  sa  destinée  à  travers  les 
temps,  au  moyen  de  ses  existences  innom- 
brables. Sans  cela,  quels  seraient  ses  mérites, 
ses  titres  au  bonheur,  à  la  puissance,  à  la  féli- 
cité ?  Ces  avantages,  s'il  pouvait  les  acquérir 
sans  effort,  seraient  sans  prix  à  ses  yeux.  Il  n'en 
comprendrait  pas  même  la  valeur.  Car  Thomme 
n'apprécie  les  choses  qu'en  raison  de  la  peine 

(1)  Procès  de  réhabiliîalion.  Déposition  du  frllre  Seguin. 


352  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

qu'elles  lui  ont  coûté.  Mais  lorsque  les  obstacles 
sont  insurmontables,  et  que  sa  pensée  s'unit  à 
la  volonté  divine,  les  forces,  les  secours  d'en 
haut  descendent  vers  lui,  et  il  triomphe  des  plus 
grandes  difficultés.  C'est  le  principe  de  l'inter- 
vention divine  dans  l'histoire,  que  Jeanne  affirme 
en  ces  termes.  C'est  la  communion  féconde  du 
ciel  et  de  la  terre,  qui  aplanit  nos  voies  et  four- 
nit à  nos  âmes,  aux  heures  désespérées,  la  pos- 
sibilité du  salut. 

Chose  étrange  !  l'homme  méconnaît  et,  sou- 
vent, dédaigne  ce  qui  lui  est  le  plus  nécessaire. 
Sans  ces  secours  d'en  haut,  et  en  dehors  de  la 
solidarité  étroite  qui  relie  la  faiblesse  humaine 
aux  puissances  du  ciel,  comment  pourrions- 
nous  poursuivre,  par  nos  propres  ressources*, 
cette  immense  ascension  qui  nous  élève  du  fond 
des  abîmes  de  vie  jusqu'à  Dieu  ?  La  seule  pers- 
pective de  la  route  immense  à  parcourir,  suffi- 
rait à  nous  décourager,  à  nous  accabler.  L'éloi- 
gnement  du  but,  la  nécessité  de  l'effort  persis- 
tant, paralyseraient  notre  activité.  C'est  pour- 
quoi, sur  les  premiers  degrés  de  la  prodigieuse 
échelle,  aux  premières  étapes,  le  but  lointain 
nous  reste  caché,  et  nos  perspectives  de  vie  sont 
restreintes.  Mais,  sur  la  voie  âpre,  aux  passages 
périlleux,  des  mains  invisibles  se  tendent  vers 
nous,  pour  nous  soutenir.  Nous  sommes  libres 


PORTRAIT    ET    CARACTÈRE    DE    JEANNE    d'aRG        353 

de  les  repousser.  Si,  au  contraire,  nous  nous 
prêtons  à  l'aide  qui  nous  est  offerte,  les  entre- 
prises les  plus  ardues  peuvent  se  réaliser. 
L'œuvre  de  beauté  et  de  grandeur  qu'élaborent 
nos  vies,  ne  saurait  s'accomplir  sans  l'action 
combinée  de  Fhomme  et  de  ses  frères  invisibles. 
C'est  ce  que  Jeanne  affirme  encore  en  ces  autres 
paroles  :  «  Sans  la  grâce  de  Dieu,  je  ne  saurais 
rien  faire.  « 

Elle  accueillait  toujours  avec  bonté  les  cu- 
rieux qui  venaient  la  voir,  surtout  les  femmes. 
Elle  leur  parlait  si  doucement  et  si  gracieuse- 
ment, dit  la  Chronique,  qu'elles  les  faisait  pleu- 
rer. 

Toutefois,  simple  et  sans  prétention,  elle  eût 
préféré  éviter  les  «  adorations  »  de  la  foule  ; 
elle  en  sentait  le  péril  et  disait  :  «  En  vérité, 
je  ne  saurais  me  garder  dételles  choses,  si  Dieu 
ne  m'en  gardait  (1).  »  «  On  me  baisait  les  mains 
le  moins  que  je  pouvais  »,  affirme-t-elle  au  cours 
de  son  procès  (2).  Et  quand,  en  la  cité  de  Bourges, 
des  femmes  du  peuple  lui  apportaient  de  menus 
objets  pour  qu'elle  les  touchât,  Jeanne,  en  riant, 
disait  :  «  Touchez-les  vous-mêmes.  Ils  seront 


(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I.  Dépositions  de 
l'avocat  Barbiii  et  de  Simon  Beaucroix. 

(2)  Sixième  interrogatoire  public.  Voir  aussi  ses  paroles  à 
la  lecture  de  Tacte  d'accusation. 

20. 


354  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

tout  aussi  bons  par  votre  toucher  que  par  le 
mien  (1).  » 

A  côté  de  cela,  Jeanne  possédait  un  sens  esthé- 
tique remarquable  : 

«  Elle  aimait  passionnément  les  belles  armures, 
racontent  ses  historiens,  et  elle  révélait  un  goût  fort 
pur  et  distingué  dans  les  moindres  détails  de  sa  per- 
sonne et  de  sa  mise.  Les  courtisans  en  étaient  dans 
Tadmiration  ;  les  dames  elles-mêmes  Teussent  volon- 
tiers prise  pour  une  des  leurs,  tant  elle  avait  de  grâce 
et  de  distinction. 

«  Cette  vaillante,  qui,  dans  les  combats,  bravait 
gaiement  la  mort  sans  jamais  la  donner,  adorable- 
ment  femme,  se  montrait  contente  d'avoir  de  belles 
armes  brillantes  et  de  beaux  chevaux  noirs,  surtout 
«  tels  et  si  malicieux  qu'il  n'était  nul  qui  osât  les 
chevaucher  (2).  » 

Ses  juges  lui  firent  un  crime  de  son  goût 
pour  les  costumes  élégants  et  les  chevaux  de 
race.  Mais,  comme  le  dit  Henri  Martin  (3)  : 
«  Son  mysticisme  élevé,  associant  le  sentiment 
du  beau  à  celui  du  bien,  n'avait  rien  de  com- 
mun avec  cette  espèce  d'ascétisme  qui  fait  une 


(1)  J.  Fabre,    Procès  de   réhabilita! ion,  t.  I.  Déposition  de 
Marguerite  la  Touroulde. 

(2)  H.  BoissoNNOT,  Jeanne  d'Arc  à  Tours. 

(3)  H.  Martin    Histoire  de  France,  t.  VI,  p.  234. 


PORTRAIT    ET    CARACTÈRE    DE    JEANNE    d'aRC        355 

vertu  de  la  négligence  corporelle  et  de  Texte* 
rieur  sordide,  et  qui  semble  poursuivre  l'idéal 
du  laid.  » 

Fait  particulièrement  pénible  :  dans  sa  courte 
carrière  politique,  ce  furent  ceux  qui  lui  de- 
vaient soutien,  reconnaissance,  amour,  qui  la 
firent  le  plus  souffrir. 

Son  caractère  n'en  fut  pas  aigri.  Elle  n'en 
concevait  aucune  humeur.  Quand  elle  avait  à 
subir  quelque  amère  déception,  elle  montrait 
une  constance  inébranlable  et  avait  recours 
à  la  prière  :  «  Quand  je  suis  contrariée  en 
quelque  manière,  disait-elle,  je  me  retire  à 
l'écart  et  je  prie  Dieu,  me  plaignant  à  lui  de 
ce  que  ceux  à  qui  je  parle  ne  me  croient  pas 
facilement.  Ma  prière  à  Dieu  achevée,  j'en- 
tends une  voix  qui  me  dit  :  Fille  Dé  (de  Dieu), 
va,  va,  je  serai  ton  aide,  va  (1)  î   » 

On  l'accusa  d'avoir  voulu  se  suicider,  au 
château  de  Beaurevoir.  C'était  un  mensonge. 
Il  est  vrai  que,  captive  de  Jean  de  Luxembourg, 
elle  tenta  de  s'évader,  estimant  que  tel  est  le 
droit  de  tout  prisonnier.  Bien  loin  de  vouloir 
se  détruire,  comme  on  essaya  de  l'insinuer  au 
procès,  elle  avait,  dit-elle,  «  l'espérance  de 
sauver  son  corps    et    d'aller  secourir  tant  de 

(1)  Procès  de  réhabililalion.  Déposition  de  Diinois. 


356  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

bonnes  gens  qui  étaient  en  péril  »  (1).  Il  s'agis- 
sait des  assiégés  de  Compiègne,  dont  le  sort  lui 
tenait  tant  au  cœur.  Elle  réfléchit,  mûrit  longue- 
ment son  projet  et  ne  sauta  pas  follement  dans 
le  vide,  ainsi  qu'on  le  croit  en  général.  Un  cor- 
dage qu'elle  assujettit  à  la  fenêtre  de  son  ca- 
chot, lui  permit  de  se  laisser  glisser  vers  le  bas 
de  la  tour  ;  mais,  trop  court  ou  rompu  sous 
l'effort,  il  ne  put  l'empêcher  de  tomber  rude- 
ment sur  le  roc.  A  demi  morte,  elle  fut  relevée 
et  réintégrée  dans  sa  prison  (2). 

C'est  surtout  à  Rouen,  devant  ses  juges 
fourbes  et  astucieux,  qu'éclatent  ses  répliques 
fines  et  primesautières,  ses  ripostes  brèves, 
incisives,  enflammées.  Guido  Goerres  le  cons- 
tate en  des  termes  qu'il  est  bon  de  citer  : 

«  A  chaque  question,  Jeanne  avait  le  plus  rude  des 
combats  à  soutenir.  Toutefois,  la  simple  jeune  fille, 
qui  n'avait  appris  de  ses  parents  que  le  Pater,  Y  Ave 
et  le  Credo,  fixait  sur  ses  ennemis  un  regard  ferme 
et  tranquille  ;  et  plus  d'une  fois,  elle  leur  fit  baisser 
les  yeux  et  les  remplit  de  confusion,  en  déchirant 
tout  à  coup  la  trame  de  leur  perfidie,  et  en  leur  appa- 
raissant dans  tout  l'éclat  de  son  innocence.  Si,  na- 
guère, les  plus  braves  chevaliers  avaient  admiré  son 
courage  héroïque   au   milieu   des  batailles,  elle  en 

(1)  Sixième  interrogatoire  secret. 

(2)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  II,  p.  142,  note  2. 


PORTRAIT    ET   CARACTÈRE    DE    JEANNE    d'aRG       357 

montrait  un  bien  plus  grand  encore,  maintenant  que, 
chargée  de  fers  et  en  face  d'une  mort  horrible,  elle 
attestait  à  ses  ennemis  eux-mêmes  la  vérité  de  sa 
mission  divine  et  prophétisait  à  ce  tribunal,  prêt  à 
la  condamner  au  nom  du  roi  d'Angleterre,  la  chute 
complète  de  la  puissance  anglaise  en  France  et  le 
triomphe  de  la  cause  nationale.  » 

«  Savez-vous,  lui  demande-t-on,  si  les  saintes 
Catherine  et  Marguerite  haïssent  les  Anglais  ? 

—  Elles  aiment  ce  que  Dieu  aime  et  haïssent  ce 
que  Dieu  hait  (1).  »  Et  le  juge  reste  interdit. 
Un  autre  interroge  :  «  Sainte  Marguerite  parle- 
t-elle  anglais  ?  —  Gomment  parlerait-elle  an- 
glais, puisqu'elle  n'est  pas  du  parti  des  Anglais  ! 

—  Saint  Michel  était-il  nu  ?  —  Pensez-vous 
que  Dieu  n'ait  pas  de  quoi  le  vêtir  ? —  Avait-il 
des  cheveux  ?  —  Pourquoi  lui  auraient-ils  été 
coupés  (2)  ?  » 

Elle  déjoue  d'un  mot  les  pièges  qu'on  lui 
tend.  On  lui  demande  si  elle  est  en  état  de 
grâce  :  «  Si  je  n'y  suis,  Dieu  m'y  mette  ;  si  j'y 
suis,  Dieu  m'y  garde  (3).  » 

Pvappelons  encore  la  digne  et  fîère  réponse 
qu'elle  fit,  quand  on  lui  reprocha  d'avoir,  au 
sacre  de    Reims,   déployé   son   étendard  :  «  Il 

(1)  Huitième  interrogatoire  secret. 

(2)  Cinquième  interrogatoire  public. 

(3)  Troisième  interrogatoire  public. 


358  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

avait  été  à  la  peine  ;  c'était  bien  raison  qu'il  fut 
à  rhonneur  (1).   » 

Un  des  inquisiteurs  semble  la  narguer  au  su- 
jet de  sa  captivité  et  du  supplice  qui  l'attend. 
Elle  lui  répond  sans  hésiter  :  «  Ceux  qui  vou- 
dront m'enlever  de  ce  monde  pourront  bien 
s'en  aller  avant  moi  (2).  » 

L'évêque  de  Beauvais,  inquiet,  tourmenté 
par  sa  conscience,  lui  demande  :  «  Vos  voix 
vous  parlent-elles  jamais  de  vos  juges  ?  —  J'ai 
souvent,  par  mes  voix,  nouvelles  de  vous,  mon- 
seigneur de  Beauvais.  —  Que  vous  disent-elles 
de  moi  ?  — Je  vous  le  dirai  à  vous,  à  part  (3).  » 
Et,  par  ces  simples  mots,  voilà  un  prélat  rap- 
pelé au  sentiment  de  sa  dignité,  par  celle  dont 
il  a  résolu  la  perte. 


Comment  expliquerons-nous,  chez  Jeanne 
d'Arc,  les  contrastes  qui  prêteut  à  cette  grande 
figure  un  si  puissant  éclat  :  la  pureté  d'une 
vierge  et  l'intrépidité  d'un  capitaine  ;  le  recueil- 
lement du  temple  et  de  la  prière  et  le  joyeux 
entrain  des  camps  ;  la  simplicité  d'une  paysanne 


(1)  Neuvième  interrogatoire  secret. 

(2)  Cinquième  interrogatoire  public. 

(3)  J.  Fabre,  Procès  de  condamnation,  p.  244. 


PORTRAIT    ET    CARACTÈRE    DE    JEANNE    D  ARC        359 

et  les  goûts  délicats  d'une  grande  dame  ;  la 
grâce,  la  bonté,  jointes  à  l'audace,  à  la  force, 
au  génie  ?  Que  penser  de  cette  complexité  de 
traits,  qui  font  de  notre  héroïne  une  physio- 
nomie sans  précédent  dans  l'histoire  ? 

Nous  l'expliquerons  de  trois  façons  :  tout 
d'abord  par  sa  nature  et  son  origine.  Son  âme, 
nous  l'avons  dit,  venait  de  haut.  Ce  qui  le  dé- 
montre, c'est  que,  dépourvue  de  toute  culture 
terrestre,  son  intelligence  s'élevait  jusqu'aux 
conceptions  les  plus  sublimes.  Ensuite,  par  les 
inspirations  de  ses  guides.  En  troisième  lieu, 
par  les  richesses  accumulées  en  elle,  au  cours 
de  ses  vies  antérieures,  vies  qu'elle-même  a 
révélées. 

Jeanne  était  une  missionnaire,  une  envoyée, 
un  médium  de  Dieu.  Et  comme  chez  tous  les 
envoyés  du  ciel  pour  le  salut  des  nations,  on 
rencontre  en  elle  trois  grandes  choses  :  l'inspi- 
ration, l'action,  enfin  la  passion,  la  souffrance 
qui  est  le  couronnement,  l'apothéose  de  toute 
noble  existence. 

Domremy,  Orléans,  Rouen  furent  les  trois 
scènes  choisies  pour  l'éclosion,  le  développe- 
ment et  la  consommation  de  cette  destinée  mer- 
veilleuse. 

Cette  vie  offre  des  analogies  frappantes  avec 
celle   du    Christ.  Colnme  lui,    Jeanne  est   nce 


360  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

parmi  les  humbles  de  la  terre.  L'adolescent  de 
Nazareth  répliquait  aux  docteurs  de  la  loi  dans 
le  sanhédrin  ;  de  même,  elle  confondra  ceux  de 
Poitiers  en  répondant  à  leurs  questions  insi- 
dieuses. Quand  elle  chasse  les  ribaudes  du 
camp,  nous  reconnaissons  le  geste  de  Jésus 
expulsant  les  marchands  du  temple.  La  passion 
de  Rouen  n'est-elle  pas  le  pendant  de  celle  du 
Golgotha,  et  la  mort  de  Jeanne  d'Arc  ne  peut- 
elle  être  comparée  à  la  fin  tragique  du  fils  de 
Marie  ?  Gomme  lui,  elle  est  reniée  et  vendue. 
Le  prix  de  la  victime  sonnera  dans  la  main  de 
Jean  de  Luxembourg  comme  dans  celle  de  Ju- 
das. A  l'exemple  de  Pierre  dans  le  prétoire,  le 
roi  Charles  et  ses  conseillers  détourneront  la 
tête  et  ne  sembleront  plus  la  connaître,  lors- 
qu'on leur  apprendra  que  Jeanne  est  aux  mains 
des  Anglais  et  menacée  d'une  mort  affreuse.  Il 
n'est  pas  jusqu'à  la  scène  de  Saint-Ouen,  qui  ne 
présente  des  analogies  avec  celle  du  jardin  des 
Oliviers. 

Nous  avons  longuement  parlé  des  missions 
de  Jeanne  d'Arc.  Qu'on  ne  se  méprenne  pas-^ 
sur  le  sens  de  ce  mot.  Nous  croyons  opportun 
de  dire  ici,  qu'en  réalité  chaque  âme  a  la 
sienne  en  ce  monde.  La  plupart  ont  en  partage 
des  missions  humbles,  obscures,  effacées  ;' 
d'autres  ont  des  tâches  plus  hautes,  appropriées 


PORTRAIT    ET    CARACTÈRE    DE    JEANNE    d'aRC        361 

à  leurs  aptitudes,  aux  qualités  acquises  dans 
leur  évolution  à  travers  les  siècles.  Aux  nobles 
âmes  seules  sont  réservées  les  grandes  mis- 
sions, couronnées  par  le  martyre. 

Chaque  existence  terrestre,  nous  le  savons, 
est  la  résultante  d'un  immense  passé  de  travail 
et  d'épreuves.  Cette  loi  d'ascension  à  travers  le 
temps  et  l'espace,  que  nous  avons  déjà  expo- 
sée (1),  Jeanne  n'avait  nul  besoin  de  la  con- 
naître au  quinzième  siècle,  pour  accomplir  son 
œuvre  ;  car  elle  n'entrait  pas  dans  les  vues  de 
son  époque.  La  conception  de  la  destinée  était 
fort  restreinte  ;  les  vastes  perspectives  de  l'évo- 
lution auraient  troublé,  sans  profit,  la  pensée 
d'hommes  trop  arriérés  encore,  pour  connaître 
et  comprendre  les  magnifiques  desseins  de 
Dieu  sur  eux.  Et  cependant,  en  cet  esprit  supé- 
rieur de  Jeanne,  qui  subit  comme  tous,  pen- 
dant l'incarnation  terrestre,  la  loi  de  l'oubli,  un 
passé  grandiose  se  révèle  encore  ;  vertus,  fa- 
cultés, intuition  :  tout  démontre  que  cette  âme 
a  parcouru  un  vaste  cycle,  et  qu'elle  est  mûre 
pour  les  missions  providentielles.  On  peut 
même,  nous  l'avons  vu,  reconnaître  plus  parti- 
culièrement en  elle  un  esprit  celtique,  tout  im- 


(1)  Voir  plus  haut  chapitre  XVI  et  Problème  de  VÊlre  et  de 
la  Destinée,  passim. 

21 


362  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

prégné  des  qualités  de  cette  race  enthousiaste 
et  généreuse,  passionnée  pour  la  justice,  tou- 
jours prête  à  se  dévouer  pour  les  nobles  causes. 
Familiarisée,  dès  l'aube  de  l'histoire,  avec  les 
grands  problèmes,  cette  race  a  toujours  possédé 
de  nombreux  médiums.  Jeanne  nous  apparaît, 
au  milieu  du  sombre  moyen  âge,  comme  une 
renaissance  de  quelque  voyante  antique,  à  la 
fois  guerrière  et  prophétesse. 

Mais  ce  qui  domine  en  elle,  dans  tous  les 
temps  et  les  milieux  où  elle  a  vécu^  c'est  l'esprit 
de  sacrifice,  c'est  la  bonté,  le  pardon,  la  charité. 
Dans  toutes  les  tâches  qui  lui  ont  été  dévolues, 
elle  s'est  montrée  ce  qu'Henri  Martin  a  su  dé- 
finir d'un  mot  :  «  la  fille  au  grand  cœur  ».  Ces 
tâches  n'ont  pas  pris  fin  à  ses  yeux.  Elle  se  con- 
sidère toujours  comme  obligée  envers  ceux  que 
Dieu  a  placés  sous  sa  protection.  Son  amour 
pour  la  France  est  aussi  ardent  aujourd'hui 
qu'au  quinzième  siècle,  et  ceux  qui,  à  cette  épo- 
que, étaient  l'objet  de  sa  sollicitude,  sont  encore 
ses  protégés  à  l'heure  présente.  Parmi  ceux  qui 
ont  participé  à  sa  vie  héroïque,  soit  en  bien, 
soit  en  mal,  plusieurs  revivent  actuellement  sur 
la  terre,  en  des  conditions  bien  diverses.  Char- 
les VII,  réincarné  en  un  bourgeois  obscur 
accablé  d'infirmités,  a  reçu  souvent  la  visite  de 
la  «  fille  de  Dieu  ».  Initié  aux  doctrines  spiri- 


PORTRAIT  ET  CARACTÈRE  DE  JEANNE  D  ARC    363 

tiialistes,  il  a  pu  communiquer  avec  elle,  rece- 
voir ses  conseils,  ses  encouragements.  Elle  ne 
lui  a  jamais  fait  entendre  qu'une  parole  de  re- 
proche :  «  C'est  à  vous,  lui  dil-elle  un  jour, 
que  j'ai  eu  le  plus  de  peine  à  pardonner.  »  Par 
des  moyens  et  à  l'aide  d'influences  qu'il  serait 
superflu  d'indiquer  ici,  elle  avait  su  rassembler 
sur  un  même  point,  il  y  a  un  certain  nombre 
d'années,  ceux  qui  furent  ses  ennemis,  voire 
ses  bourreaux,  et,  par  son  ascendant,  elle  cher- 
chait à  les  entraîner  vers  la  lumière,  à  en  faire 
des  défenseurs,  des  propagateurs  de  la  foi  nou- 
velle. C'était  alors  un  émouvant  spectacle  pour 
celui  qui,  connaissant  ces  personnalités  d'un 
autre  âge,  pouvait  comprendre  sa  façon  sublime 
de  se  venger,  en  s'efForçant  de  faire  d'elles  des 
agents  de  rénovation. 

Pourquoi  la  vérité  m'oblige-t-elle  à  dire  que 
les  résultats  furent  médiocres  ?  Tous,  sans 
doute,  l'écoutaient  avec  une  déférence  admira- 
tive,  sentant  bien  qu'il  y  avait  en  elle  un  esprit 
de  haute  valeur.  Mais  le  poids  des  soucis  mon- 
dains, des  intérêts  égoïstes,  des  préoccupations 
d'amour-propre,  retombait  aussitôt  lourdement 
sur  ces  âmes.  Le  souffle  d'en  haut,  qui,  un  ins- 
tant, les  avait  fait  tressaillir,  s'éteignit.  Jeanne 
ne  se  révéla  qu'à  un  petit  nombi^.  Les  autres 
ne  surent  pas   la  deviner.  Bien  peu  purent  la 


364  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

comprendre.  Son  langage  était  trop  grand  ;  les 
cimes  où  elle  voulait  les  attirer,  trop  hautes. 
Ces  stigmatisés  de  l'histoire,  qui  s'ignorent  eux- 
mêmes,  n'étaient  pas  mûrs  pour  un  tel  rôle.  Tou- 
tefois, ce  qu'elle  n'a  pas  réussi  à  faire  au  cours 
de  cette  existence,  elle  l'obtiendra  dans  celles  à 
venir,  car  rien  ne  saurait  lasser  sa  patience  ni 
sa  bonté.  Et  les  âmes  se  retrouvent  toujours  sur 
les  chemins  de  la  destinée. 


i 


XIX.  —  GÉNIE  MILITAIRE  DE  JeANNE  d'ArC. 


Le  principal  mérite  de  la  victoire 
revint  à  la  Pucelle. 

Colonel  E.  Collet. 


Les  contempteurs  de  Jeanne  d'Arc  :  Ana- 
tole France,  Thalamas,  H.  Bérenger,  Jules 
Soury,  etc.,  s'accordent  à  nier  ses  talents  mili- 
taires. A.  France,  surtout,  ne  néglige  aucune 
occasion  de  rapetisser  son  rôle,  de  restreindre 
sa  participation  à  l'œuvre  de  délivrance.  11  fait 
peu  de  cas  des  dépositions  de  ses  compagnons 
d'armes  au  procès  de  réhabilitation,  sous  pré- 
texte qu'ils  sont  mêlés  à  ceux  d'une  «  honnête 
veuve  ».  11  raille  les  historiens  qui  ont  vu  en 
elle  «  la  patronne  des  officiers  et  des  sous- 
officiers,  le  modèle  inimitable  des  élèves  de 
Saint-Gyr,  la  garde  nationale  inspirée,  la  canon- 
nière patriote  »  (1).  Et  plus  loin,  il  dit  : 

«  Elle  n'avait  qu'une  tactique,  c'était  d'empêcher 

(1)  Anatole  France,  Vie  de  Jeanne  d'^rc.  Préface,  p.  xxxviii. 


366  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

les  hommes  de  blasphémer  et  de  mener  avec  eux  des 
ribaudes... 

«  Mener  des  gens  d'armes  à  confesse,  c'était  tout 
son  art  militaire  (i).  » 

A  notre  tour,  quel  cas  devons-nous  faire  de 
ces  jugements  ?  Dans  quelle  mesure  des  pro- 
fesseurs, des  romanciers,  des  journalistes,  qui 
n'ont  peut-être  jamais  porté  une  arme,  sont-ils 
compétents  pour  apprécier  les  opérations  mili- 
taires de  la  Pucelle  ? 

Dans  son  ouvrage  intitulé  :  Jeanne  d^Arc, 
r histoire  et  la  légende,  M.  Thalamas  nous  con- 
seille, avec  raison,  de  nous  en  tenir  aux  témoi- 
gnages directs  et  de  négliger  les  autres.  Cet 
avis  nous  paraît  surtout  applicable  à  la  ques- 
tion qui  nous  occupe.  Les  témoignages  concer- 
nant les  aptitudes  militaires  de  Jeanne  sont 
formels.  Ils  émanent  de  gens  qui  l'ont  vue  de 
près,  ont  partagé  ses  dangers  et  combattu  à  ses 
côtés.  Le  duc  d'Alençon  s'exprime  ainsi  (2)  : 

«  Dan* le  fait  de  la  guerre,  elle  était  fort  experte, 
tant  pour  porter  la  lance  que  pour  réunir  une  armée 
ou  ordonner  un  combat  et  disposer  l'artillerie.  Tous 
s'émerveillaient  de  voir  que,  dans  les  choses  mili- 


(1)  Anatole  France,  Vie  de  Jeanne  d'Arc,  t.  I,  p.  309. 

(2)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  I. 


GÉNIE   MILITAIRE   DE   JEANNE   d'aRG  367 

taires,  elle  agit  avec  autant  de  sagesse  et  de  pré- 
voyance que  si  elle  eût  été  un  capitaine  ayant  guer- 
royé vingt  ou  trente  ans.  C'était  surtout  dans  le 
maniement  de  l'artillerie  qu'elle  s'entendait  bien.   » 

Un  autre  capitaine,  Thibauld  d'Armagnac,  sire 
de  Termes,  dit  de  son  côté  : 

«  Dans  tous  ces  assauts  (au  siège  d'Orléans),  elle 
fut  si  valeureuse  et  se  comporta  de  telle  sorte  qu'il 
ne  serait  pas  possible  à  homme  quelconque  d'avoir 
meilleure  attitude  dans  le  fait  de  la  guerre.  Tous  les 
capitaines  s'émerveillaient  de  sa  vaillance  et  de  son 
activité,  et  des  peines  et  labeurs  qu'elle  supportait... 
Dans  le  fait  de  la  guerre,  pour  conduire  et  disposer 
les  troupes,  pour  ordonner  la  bataille  et  animer  les 
soldats,  elle  se  comportait  comme  si  elle  eût  été  le 
plus  habile  capitaine  du  monde,  de  tout  temps  formé 
à  la  guerre  (i).   » 


Parmi  les  écrivains  contemporains  qui  se 
sont  occupés  de  Jeanne  d'Arc,  les  plus  aptes  à 
apprécier  son  rôle  militaire  sont  évidemment 
ceux  qui  ont  exercé  la  profession  des  armes, 
commandé  des  troupes,  dirigé  des  opérations 
de  guerre.  Or,  tous  sont  unanimes  à  reconnaître 
les  talents  de  Jeanne  dans  l'art  de  combattre, 

(1)  J.  Fabre,  Procès  de  réhabililalion,  t.  I. 


368  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

son  goût  pour  la  tactique,  son  habileté  à  utiliser 
l'artillerie. 

La  campagne  de  la  Loire  reste,  pour  eux,  un 
modèle  du  genre.  Le  général  russe  Dragomi- 
row  la  résume  ainsi  : 

«  Le  10  juin  seulement,  on  lui  permit  de  marcher 
avec  l'armée  du  duc  d'Alençon,  pour  dégager  les 
points  que  les  Anglais  continuaient  d'occuper  sur  la 
Loire.  Le  i4  juin,  elle  prit  d'assaut  Jargeau  ;  le  i5, 
le  pont  de  Meung  ;  le  17,  elle  occupa  Beaugency  ;  le 
18,  elle  défit  Talbot  et  Falsiolf,  dans  une  rencontre 
en  rase  campagne.  Résultat  pour  les  cinq  jours  : 
deux  assauts  et  une  bataille  ;  voilà  qui  n'eût  point 
déparé  la  gloire  de  Napoléon  lui-même,çt  voilà  ce  que 
Jeanne  savait  Faire  quand  on  ne  l'entravait  pas  (1)  !  » 

Ce  qu'il  faut  remarquer  dans  cette  action 
foudroyante,  c'est  l'ardeur  mêlée  de  prudence 
qui  l'inspire  et  la  dirige.  Ces  mouvements  ra- 
pides ont  pour  but  d'atteindre  et  de  frapper 
l'ennemi  au  plus  fort  de  sa  puissance,  sans  lui 
laisser  le  temps  de  se  reconnaître,  suivant  la 
méthode  des  grands  capitaines  modernes. 

Ce  fut  encore  le  sens  stratégique  de  Jeanne, 
qui  dicta  la  marche  sur  Reims  et  poussa  en- 
suite le  roi  sur  Paris.  La  grande  ville  eût  été 
prise,  sans  l'inqualifiable  abandon  du  siège 
ordonné  par  Charles  VIL 

(1)  Dragomirow,  Jeanne  d'Arc,  p.  37. 


GÉNIE   MILITAIRE    DE   JEANNE   d'aRC  369 

Ajoutez  son  courage  héroïque  et  son  con- 
stant sacrifice  d'elle-même.  Elle  ne  connaissait 
ni  la  peur  ni  la  fatigue,  dormant  tout  armée  et 
se  contentant  d'une  frugale  nourriture.  Elle 
avait  surtout  un  don  merveilleux  pour  entraîner 
les  troupes.  A  Troyes,  selon  le  témoignage  de 
Dunois,  elle  déployait  plus  d'énergie  et  d'adresse 
pour  organiser  un  assaut  contre  les  remparts 
de  la  ville,  que  n'auraient  pu  le  faire  les  meil- 
leurs chefs  d'armée  de  l'Europe  entière.  Le 
maréchal  de  Gaucourt,  vétéran  de  la  guerre  de 
Cent  ans^  s'accorde  avec  Dunois  sur  la  conduite 
admirable  de  Jeanne  en  cette  circonstance,  où 
il  se  trouvait  mêlé  en  personne. 

Le  souci  de  Théroïne  pour  la  discipline  était 
constant,  et  sa  sollicitude  pour  le  soldat  dénote 
une  connaissance  approfondie  de  la  vie  mili- 
taire. Aux  Tourelles,  quoique  blessée,  elle 
prescrit  que  les  troupes  se  restaurent  avant  de 
retourner  à  l'assaut.  A  propos  de  son  antipathie 
pour  les  pillards  et  les  ribaudes,  de  son  désir 
que  les  soldats  s'abstinssent  de  débauche,  de 
sacrilège  et  de  brigandage,  il  est  facile  à  M.  Ana- 
tole France  de  railler  sa  pruderie  de  «  béguine  »  ; 
avouons  pourtant  que  c'était  là  le  seul  moyen 
de  rétablir  l'ordre  et  la  discipline,  conditions 
essentielles  du  succès. 

«  Elle  se  préoccupait,  dit  Andrew^  Lang,  aussi 

21. 


370  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

bien  des  âmes  que  des  corps  de  ses  hommes 
ce  qui  semble  aujourd'hui  enfantin  et  absurde 
à  l'esprit  scientifique  de  l'école  de  M.  France; 
mais  il  faut  se  rappeler  qu'elle  était  une  femme 
de  son  temps  et  que  sa  méthode  était  celle  de 
Gromwell,  celle  des  plus  grands  conducteurs 
d'hommes  de  toute  l'histoire  de  jadis.  » 

Son  entente,  sa  prévoyance,  son  discernement 
des  choses  de  la  politique  n'étaient  pas  moins 
remarquables.  M.  A.  France  semble  parfois  la 
considérer  comme  une  sorte  d'idiote.  Qu'il 
veuille  bien  se  rappeler  son  accueil  au  conné- 
table de  Richemont,  maladroitement  repoussé 
par  le  roi,  et  dont  les  huit  cents  lances  contri- 
buèrent largement  à  la  victoire  de  Patay  ;  puis, 
les  stratagèmes  qu'elle  employait  pour  tromper 
les  ennemis  au  sujet  de  ses  messages,  dans  les 
cas  où  ceux-ci  pouvaient  tomber  entre  leurs 
mains.  N'oublions  pas  non  plus  avec  quelle 
subtilité  elle  sut  deviner,  longtemps  avant  les 
politiciens  les  plus  sagaces,  la  fausseté  des  né- 
gociations entamées  par  le  duc  de  Bourgogne, 
après  le  sacre  de  Charles  Vil.  Elle  disait  alors  : 
«  On  ne  trouvera  point  de  paix  des  Bourgui- 
gnons, si  ce  n'est  par  la  pointe  de  la  lance  (1).  » 


(1)  J.    Fabre,    Procès  de  condamnation,   6«    interrogatoire 
publie. 


GÉNIE   MILITAIRE   DE   JEANNE   d'arC  371 

Joseph  Fabre  fait  ressortir  en  traits  vigoureux 
ce  don  de  pénétration  qu'elle  possédait  : 

«  Forçant  le  succès  à  force  d'y  croire,  avec  quel 
fier  instinct  elle  brise  les  toiles  d'araignée  de  la 
diplomatie  pour  se  jeter  dans  l'action  à  outrance  ! 
C'est  un  oiseau  de  haut  vol  qui  déconcerte  victo- 
rieusement les  politiques  à  ras  de  terre,  lâches  fau- 
teurs de  la  paix  à  tout  prix  (i).  » 

Consultons  maintenant  les  écrivains  militaires 
qui  nous  paraissent  avoir  étudié,  avec  le  plus  de 
sagacité  et  de  conscience,  le  rôle  de  l'héroïne. 
Le  général  Ganonge  s'exprime  ainsi  (2)  : 

«  Jeanne  imprime  aux  opérations,  autour  d'Or- 
léans, une  activité  jusqu'alors  inconnue  et,  au  bout 
de  neuf  jours,  le  siège,  qui  durait  depuis  six  mois,  se 
terminée  notre  avantage. 

<i  Conduite  offensivement,  la  campagne  de  la  Loire 
réussit  avec  une  rapidité  imprévue  ;  la  journée  de 
Patay  y  met  fin  le  18.  Vainement  on  a  essayé  de  nier 
contre  toute  vérité  la  part  que  prit  Jeanne  à  cette 
victoire  décisive  :  elle  avait  fait  le  nécessaire  pour 
que  le  contact  des  Anglais  ne  fût  pas  perdu,  elle 
annonça  la  lutte  et,  tout  en  donnant  la  formule  de  la 
poursuite,  la  victoire. 

«  A  la  fin  de  juin,  Jeanne  cesse  d'être  «  chef  de 

(1)  J.  Fabre,  la  Fête  nationale  de  Jeanne  d'Arc. 

(2)  Général  F.  Canonge,  Jeanne  d'Arc,  chef  de  guerre.  Le 
Journal  15  avril  1909. 


372  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

guerre  »  et,  par  suite,  distinction  importante,  n'est 
plus  responsable. 

«  Au  cours  de  la  chevauchée  vers  Reims,  du 
29  juin  au  16  juiDet,  devant  Troyes,  la  force  morale 
de  Jeapne  intervient  efficacement  au  moment  même 
op  l'entourage  royal  ne  songea  rien  moins  qu'à  faire 
rétrograder  l'armée  sur  la  Loiîe.  On  le  sait,  laîiborlé 
d'action  pîlensement  accordée  à  la  Puce) Je  fut  suivie 
à  bref  d'"loi  de  lu  chute  de  Troyes. 

«  A  partir  du  sacre,  Jeanne  est  négligée.  Il  est 
ccpendi'ut  prouvé  qu'elle  s'opposa  à  la  marche 
ondoyante  sur  Paris  et  que,  bien  inspirée  à  tous 
égards,  elle  pr^oonisa  la  marche  directe. 

«  Quant  à  l'échec  devant  Pari«,  il  ne  saurait  lui 
être  imputé.  Si  le  faible  Charles  VIT  l'eût  écoutée  au 
lieu  de  la  réduire  à  l'impuissance,  l'insuccès  du  8  sep- 
tembre aurait  éié  promptement  réparé. 

«  Sur  la  haute  Loiie,  pendant  les  sièges  de  Saint- 
Pierre-le-Moutier  et  de  la  Charité.  Jeanne,  placée  en 
sous-ordre,  n'agit  que  par  son  merveilleux  exemple, 
comme  un  capitaine. 

«  Enfin,  dans  sa  dernière  campagne  si  brutale- 
ment terminée,  Jeanne  joua  le  rôle  d'un  chef  de  par- 
tisans. 

«  Au  moment  où  elle  fut  faite  prisonnière,  elle 
était  à  peine  âgée  de  dix-huit  ans  et  cinq  mois  ;  son 
rôle  militaire  n'avait  donc  duré  que  treize  mois. 

«  Il  était  inutile  de  s'attarder  à  démontrer  que  la 
libération  complète  de  la  France  ne  coïncidera  point 
avec  la  disparition  de  la  Pucelle.   Cependant,  il  est 


GÉNIE    MILITAIRE    DE  JEANNE    d'aRC  373 

indéniable  que,  grâce  à  Jeanne,  l'indolent  monarque 
avait  recouvré  la  majeure  partie  du  pays  compris 
entre  Orléans  et  la  Meuse,  que  la  confiance  était 
revenue,  enfin  que  la  libération  définitive  résulta  de 
l'élan  patriotique  prodigieux  communiqué  par  elle. 

«  Le  rôle  militaire  de  Jeanne  d'Arc  peut  être  envi- 
sagé de  deux  façons  : 

«  Le  «  soldat  »  se  distingua  par  des  qualités  dont 
la  réunion  est  rare. 

«  Chez  tout  observateur  loyal,  non  disposé  à  nier 
même  l'évidence,  le  «  chef  de  guerre  »  provoque  un 
véritable  étonnement. 

«  C'est  ensuite  un  ensemble  de  qualités  qui  se  re- 
trouvent chez  les  quelques  victorieux  dont  l'histoire 
a  enregistré  les  noms.  Chez  Jeanne,  en  effet,  la  con- 
ception et  l'exécution  marchent  de  pair.  Sa  concep- 
tion aboutit  à  une  offensive  audacieuse,  opiniâtre, 
de  la  nature  de  celle  qui,  admise  depuis  Napoléon, 
fixe  sur  place  l'ennemi,  ne  lui  laisse  pas  le  temps  de 
se  reconnaître  et  réussit  à  le  briser  matériellement 
et  moralement. 

«  L'exécution  est  fougueuse  mais  tempérée  au 
besoin  par  la  prudence. 

«  11  suffira  d'énumérer  les  autres  qualités  qui  lui 
permirent  de  violenter  la  victoire  :  science  du  temps, 
prévoyance,  bon  sens  peu  commun,  foi  impertur- 
bable dans  le  succès,  exemple  entraînant,  réconfor- 
tant, grande  puissance  de  travail,  esprit  de  suite 
secondé  par  une  volonté  inébranlable,  connaissance 
du   cœur   humain,  d'où  une  influence  morale  que 


374  JEANNE    d'arc  MEDIUM 

quelques  grands  capitaines  seuls  possédèrent,  avec 
le  temps,  au  môme  degré. 

«  Le  caractère  de  la  guerre  au  quinzième  siècle 
ne  fournit  pas  à  Jeanne  Toccasion  de  faire  œuvre  de 
stratégiste.  Par  exemple,  il  est  certain  que  tous  ses 
contemporains  ont  reconnu  en  elle  une  tacticienne 
remarquable  et  redoutée. 

((  L'origine,  l'ignorance  et  l'inexpérience  des  choses 
de  la  guerre,  le  sexe  et  la  jeunesse  de  Jeanne  ont 
dérouté  bien  des  esprits. 

«  S'il  ne  saurait  être  question  ni  de  comparer 
notre  héroïne  avec  tel  ou  tel  grand  capitaine,  ni  même 
de  lui  assigner  un  rang  dans  la  glorieuse  phalange 
des  hommes  de  guerre,  il  est  juste,  pour  une  excel- 
lente raison,  de  l'y  placer  :  les  talents  qu'elle  déploya 
sont  ceux  qui,  de  tout  temps,  ont  procuré  la  vic- 
toire. 

«  Abordons  maintenant  la  recherche  du  pourquoi 
de  l'initiation  subite  de  Jeanne  aux  secrets  les  plus 
délicats  de  l'art  de  la  guerre. 

«  A  vrai  dire,  cette  recherche  serait  inutile  s'il 
était  vrai,  comme  on  l'a  avancé  bien  légèrement,  que 
l'art  militaire  n'existait  pas  au  quinzième  siècle^  qu'il 
suffisait  alors  de  monter  à  cheval,  enfin  que,  en  ce 
qui  concerne  Jeanne,  son  art  militaire  se  réduisait  à 
mener  les  gens  d'armes  à  confesse.  Ici,  parlons  net. 

«  La  première  négation  provient,  à  n'en  pas  dou- 
ter, d'une  ignorance  complète  de  la  question.  La  se- 
conde est  stupéfiante  :  Dunois  et  quelques  autres 
capitaines  joignaient,  en  effet,  à  l'expérience  et  au 


GÉNIE    MILITAIRE   DE   JEANNE   d'aRC  375 

savoir  une  science  équestre  plus  que  suffisante  pour 
vaincre  ;  or,  le  succès  leur  fît  défaut  jusqu'à  l'arrivée 
de  Jeanne.  Quant  à  la  dernière  allégation,  —  d'ail- 
leurs en  complet  désaccord  avec  les  faits,  —  elle  est 
tout  au  moins  singulière. 

«  Arrivons  donc  aux  objections  formulées  par  des 
historiens  sérieux  et  dignes  de  tous  égards,  parce 
qu'ils  ont  cherché  la  solution  avec  une  incontes- 
table loyauté.  Toutefois,  cet  examen  sera  rapide. 

«  Nier  l'incompréhensible  dans  le  rôle  militaire  de 
la  Pucelle,  est  faire  bon  marché  des  difficultés  du 
problème. 

K  Le  (c  bon  sens  »,  cette  qualité  maîtresse  que 
l'on  a  invoquée,  était  impuissant  à  donner,  du  jour 
au  lendemain,  les  connaissances  techniques  néces- 
saires pour  conduire  des  opérations. 

w  La  foi  ardente  qui  régnait  au  quinzième  siècle 
put-elle  fournir  à  Jeanne  un  levier  suffisant?  Le 
doute  est  permis. 

«  On  a  aussi  invoqué  l'obéissance  ;  or,  elle  n'est 
réellement  venue  qu'après  la  délivrance  d'Orléans. 

((  Dire  que  Jeanne  réalisa  l'unité  d'action  qui,  jus- 
qu'à elle,  manqua,  c'est  reconnaître  un  fait;  ce  n'est 
pas  le  rendre  compréhensible. 

«  Dunois  est  un  témoin  avec  lequel  il  fallait  comp- 
ter. Cependant  il  se  montra  bien  petit  garçon  vis-à- 
vis  de  la  Pucelle,  le  7  mai  1429,  lors  de  l'attaque  de 
la  bastille  des  Tourelles.  On  sait  avec  quelle  fougue 
elle  attaqua.  Le  procédé  fut  le  même  à  Jargeau,  à 
Patay  et  devant  Troyes  et  Saint-Pierre-le-Moutier. 


376  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

u  Enfin,  on  s'est  cru  en  droit  d'attribuer  «  unique- 
ment au  sentiment  de  révolte  patriotique  »  les 
succès  de  Jeanne.  Certes,  le  patriotisme  peut,  soit 
collectivement,  soit  individuellement,  enfanter  des 
miracles  :  mais  il  est  impuissant  à  transformer  en 
chef  d'armée,  du  jour  au  lendemain,  une  jeune  fille 
ignorante  et  âgée  de  moins  de  dix-huit  ans.  Jeanne 
constitue  un  phénomène  véritable,  unique  dans  son 
genre  ;  à  ce  titre,  elle  occupe  une  place  exception- 
nelle en  France  et  dans  l'histoire  de  tous  les  peuples. 
Le  rapprochement  suivant  est  digne  de  réflexion. 
En  1429,  le  patriotisme,  dont  Jeanne  hâta  le  déve- 
loppement, commençait  seulement  à  naître.  Pour- 
quoi en  1870-1871,  alors  qu'il  était  plus  éclairé,  plus 
ardent  et  plus  répandu,  a-t-il  été  manifestement 
impuissant  à  sauver  la  France  qui  se  trouvait  réduite 
aux  abois  ? 

«  En  somme,  il  semble  qu'aucune  des  raisons 
humaines  produites  ne  fournit  la  clef  de  victoires 
remportées  en  employant,  consciemment  ou  non,  les 
principes  appliqués,  sur  des  théâtres  d'opérations 
plus  ou  moins  vastes,  par  de  grands  capitaines. 

«  Soldat,  je  me  déclare  incapable  de  résoudre, 
humainement  parlant,  le  problème  militaire  de 
Jeanne  d'Arc.  » 

Et  le  général  Ganonge  adopte,  en  terminant, 
la  solution  que  Jeanne  elle-même  a  fournie,  en 
signalant  comme  origine  de  ses  actes  princi- 
paux ((  le  secours  de  Dieu  ». 


GÉNIE    MILITAIRE    DE   JEANNE    d'aRG  377 

A  ces  considérations  d'un  écrivain  dont  Fau- 
torité  en  pareilles  matières  ne  saurait  être  con- 
testée, nous  joindrons  les  citations  suivantes, 
empruntées  à  un  travail  inédit  et  dont  la  publi- 
cation est  prochaine  (1).  Elles  sont  dues  à  la 
plume  de  M.  le  colonel  E.  Collet,  vice-prési- 
dent de  la  Société  des  Études  psychiques  de 
Nancy,  et  répondent  de  point  en  point  aux  cri- 
tiques de  MM.  Anatole  France  et  Thalamas  sur 
la  levée  du  siège  d^Orléans,  dont  il  faudrait, 
selon  eux,  attribuer  le  mérite  bien  plus  aux 
assiégés  qu'à  Jeanne  elle-même. 

L'auteur  énumère  les  événements  du  siège, 
puis  ajoute  : 

«  Il  est  donc  bien  établi  que  la  Pucelle,  dès  le  pre- 
mier jour,  montrait  un  sens  militaire  infiniment 
supérieur  à  celui  des  meilleurs  capitaines  de  Tarmée, 
en  disciplinant  les  troupes  et  en  voulant  marcher 
immédiatement  sur  le  point  où  les  Anglais  avaient 
leurs  principales  forces.  Les  capitaines  d'un  esprit 
élevé  ou  droit,  comme  le  Bâtard  d'Orléans,  Florent 
d'Illiers,  La  Hire,  etc.,  et  les  hommes  d'armes  qui 
n'étaient  ni  orgueilleux  ni  jaloux,  ne  tardèrent  pas  à 
le  reconnaître. 

«  La  milice  communale  la  reconnut,  sur-le-champ, 
pour  son  véritable  chef  et  fut  persuadée  qu'elle  serait 

(1)  Colonel  E.  Collet,  Vie  militaire  de  Jeanne  dArc.  Con- 
sidérations sur  le  siège  d'Orléans. 


378  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

invincible  sous  ses  ordres.  —  C'est  un  fait  de  psy- 
chologie militaire  qui  s'explique  facilement  dans  ce 
cas,  mais  dont  la  cause  est  plus  mystérieuse  dans 
beaucoup  d'autres  cas  dont  l'histoire  fait  mention. 
Par  quel  instinct  de  juste  discernement  la  foule 
ignorante  des  soldats  a-t-elle  souvent  reconnu,  sans 
aucun  signe  apparent,  celui  qui  était  réellement 
capable  de  la  guider  et  de  lui  procurer  le  succès  ?  — 
Elle  contribua,  en  effet,  plus  que  les  troupes  sol- 
dées, à  la  prise  des  Tourelles,  et  montra  toute  la 
valeur  et  la  force  dont  sont  capables  ceux  qui  se 
battent  pour  la  défense  de  leurs  foyers  et  de  leur 
liberté  ;  c'est  ce  qui  donna  à  la  Pucelle  la  première 
idée  d'une  armée  nationale  permanente,  instituée, 
plus  tard,  par  le  roi  Charles  VU,  devenu  plus  sage 
et  plus  patriote. 

«  Nous  avons  déjà  parlé  des  raisons  intuitives  qui 
la  déterminèrent  à  continuer  l'attaque  des  ouvrages 
de  la  rive  gauche,  malgré  la  décision  contraire  des 
capitaines  paraissant  basée  sur  la  prudence  ;  l'évé- 
nement prouva  que  ces  raisons  d'ordre  psycholo- 
gique étaient  bonnes.  Lorsque,  blessée  pendant  l'ac- 
tion, ellesurmonla  sa  souffrance,  encouragée  par  ses 
voix,  et  accourut  auprès  du  Bâtard  d'Orléans  pour 
l'empêcher  d'ordonner  la  retraite  et  pour  diriger, 
ensuite,  elle-même,  l'assaut  décisif,  elle  obéit  encore 
à  la  même  intuition  de  psychologie  militaire  et  au 
principe  le  plus  rationnel  d'une  bonne  offensive  de 
tactique,  celui  de  la  persévérance.  On  peut,  à  ce 
sujet,  faire  une  observation  intéressante.  En  disant 


GÉME   MILITAIRE   DE   JEANNE   d'aRG  379 

au  Bâtard  d'Orléans  :  «  Faites  reposer  nos  gens  ; 
«  faites-les  boire  et  manger  »,  ne  montrait-elle  pas 
le  sens  pratique  d'un  vieux  capitaine,  s'occupant  des 
besoins  matériels  de  ses  soldats  avant  de  leur  de- 
mander un  nouvel  effort  ?  Cela  fait  penser  à  Bugeaud 
et  aux  praticiens  instruits  à  la  vieille  école  de  la 
guerre,  qui  seront  toujours  nos  maîtres  dans  l'art 
difficile  de  conduire  les  troupes. 

«  On  peut  donc  affirmer,  avec  toute  certitude,  que 
le  principal  mérite  de  la  victoire  revint  à  la  Pucelle^ 
bien  secondée  parles  vaillants  capitaines  et  hommes 
d'armes  qui  la  suivirent  sur  la  rive  gauche,  et  puis- 
samment aidée  par  les  Orléanais,  agissant  avec 
autant  d'habileté  que  de  vigueur  dans  l'attaque  des 
Tourelles  par  le  pont  de  la  Loire  :  sans  elle,  Tattaque 
n'aurait  pas  eu  lieu  ou  aurait  échoué. 

«  11  faut  rappeler  que,  dès  le  3  mai,  Jeanne  avait 
annoncé  que  le  siège  serait  levé  dans  cinq  jours.  (Dé- 
position de  frère  Jean  Pasquerel  et  aveu  de  Jean  de 
Wavrin  du  Forestel,  chroniqueur  du  parti  anglais.) 

«  M.  Anatole  France  se  méfie  du  témoignage  du 
frère  Pasquerel,  bien  qu'il  soit  corroboré  par  un  autre 
témoignage.  Les  prédictions  de  la  Pucelle  lui  sem- 
blent suspectes  et,  pour  justifier  son  scepticisme,  il 
cite  celle-ci  : 

«  Avant  que  le  jour  de  la  Saint-Jean-Baptiste 
«  arrive  (an  29),  il  ne  doit  pas  y  avoir  un  Anglais,  si 
«  fort  et  si  vaillant  soit-il,  qui  se  laisse  voir  par  la 
«  France,  soit  en  campagne,  soit  en  bataille.  »  Source 
citée  :  Greffier  de  la  Chambre  des  Comptes  de  Bra- 


380  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

bant  dans  Procès,  t.  IV,  p.  4^6  {Vie  de  Jeanne  d'Arc, 
t.  I,  p.  402). 

«  Or  nous  avons  cherché  cette  prétendue  prédic- 
tion dans  Je  document  cité  {Procès,  t.  IV,  p.  426),  et 
nous  ne  l'y  avons  pas  trouvée.  On  y  voit,  au  con- 
traire, que  la  prédiction  de  Jeanne  au  sujet  de  la 
délivrance  d'Orléans,  de  sa  blessure  et  du  sacre  de 
Reims  s'est  parfaitement  réalisée.  Et  les  fourberies 
de  ce  genre  abondent  dans  le  livre  de  M.  France  : 
on  ne  peut  pas  saboter  plus  indignement  l'his- 
toire.  » 

M.  le  colonel  Collet  cite  ensuite  le  document 
suivant,  qui  démontre,  une  fois  de  plus,  com- 
bien les  critiques  de  MM.  France  et  Thalamas 
sont  peu  justifiées  : 

«  Et  combien  que  les  capitaines  et  autres  gens 
de  guerre  exécutassent  ce  qu'elle  disoit,  la  dicte 
Jehanne  aloit  tousjours  à  l'escarmouche  en  son  har- 
nois,  combien  que  ce  f  ust  contre  la  voulenté  et  oppi- 
nion  de  la  plus  part  d'yceulx  gens  de  guerre  ;  et 
montoit  sur  son  coursier,  armée  aussytost  que  che- 
valier qui  fust  en  l'armée  ne  en  la  court  du  roy.  De 
quoy  les  gens  de  guerre  estoient  courouciez  et  moult 
esbahiz.  » 

Jean  Chartier. 

Et  M.  le  colonel  Collet  conclut  en  ces  termes  : 
«  En  résumé,   le    siège    d'Orléans,  conduit  sans 


GÉNIE  MILITAIRE    DE    JEANNE    d'aRC  381 

habileté  et  sans  vigueur  par  les  Anglais,  se  serait 
néanmoins  terminé  à  une  date  plus  ou  moins  rappro- 
chée, par  la  capitulation  de  la  ville,  dont  les  res- 
sources auraient  fini  par  s'épuiser,  malgré  le  coura- 
geux dévouement  et  la  constance  de  ses  habitants, 
parce  que  la  place  ne  recevait  plus  que  des  secours 
insuffisants  et  perdait  peu  à  peu  ses  forces  dans  des 
actions  partielles,  conduites  sans  méthode  et  sans 
esprit  de  suite  par  des  capitaines  abusant  trop  sou- 
vent de  leur  initiative.  Mais  Tarrivée  de  la  Pucelle 
changea  la  face  des  choses  par  l'efTet  moral  qu'elle 
produisit  inversement  sur  les  deux  armées,  et  la  force 
irrésistible  qu'elle  apporta  à  la  défense.  Et  cette 
force,  la  jeune  guerrière  sut  admirablement  l'utili- 
ser. En  disciplinant  les  troupes  par  le  puissant 
moyen  de  la  foi  religieuse  dominant  tout  à  cette 
époque,  elle  en  devint  le  véritable  chef  et  les  rendit 
capables  de  l'effort  prodigieux  que  la  victoire  de- 
mandait. Elle  leur  imposa  sa  volonté  par  la  parole 
et  par  l'exemple,  leur  donna  l'unité  d'action  et  de 
direction  qui  leur  faisait  défaut,  et  leur  enseigna 
l'offensive  hardie,  calculée  et  persévérante  qui  force 
le  succès.  Enfin,  dans  toutes  les  circonstances  où 
nous  l'avons  vue,  elle  agit  en  chef  ayant  une  con- 
naissance parfaite  des  hommes,  l'intuition  des  prin- 
cipes régulateurs  essentiels,  l'expérience  des  choses 
de  la  guerre  et  une  bravoure  extraordinaire.  » 

i. 

Ajoutons    encore    le   tableau    suivant,   plein 
d'entrain  et  de  couleur,  que  M.  le  colonel  Col- 


382  JEANNE  d'arc    MÉDIUM 

let   trace  du    rôle  de  la  Pucelle  au  siège   de 
Troyes  (i)  : 

«  La  Pucelle,  à  cheval,  un  bâton  à  la  main,  accou- 
rut aussitôt  dans  les  campements  pour  faire  prépa- 
rer, en  toute  hâte,  les  engins  et  les  matériaux  néces- 
saires à  Tattaque  de  vive  force  de  la  place.  Elle  eut 
bientôt  communiqué  son  ardeur  aux  troupes,  et  cha- 
cun s'empressa  à  la  besogne  qui  lui  incombait  :  che- 
valiers, écuyers,  archers,  gens  de  toutes  conditions 
mirent  une  activité  prodigieuse  à  disposer,  sur  des 
points  bien  choisis,  les  quelques  canons  et  bom- 
bardes que  l'armée  possédait,  à  transporter  des  fas- 
cines, madriers,  planches,  ais  déportes,  volets,  etc., 
et  à  construire  des  couverts  et  des  approches,  en  vue 
d'un  assaut  imminent  et  terrible  (2). 

«  Jeanne  encourageait  les  travailleurs,  stimulait 
leur  zèle,  veillait  à  tout  et  faisait,  dit  Dunois  dans  sa 
déposition,  si  merveilleuse  diligence,  que  deux  ou 
trois  capitaines  consommés  n'auraient  pu  faire  da- 
vantage. 

«  Et  cela  se  passait  au  milieu  de  la  nuit,  qui  don- 
nait un  aspect  fantastique  à  ces  préparatifs  extraor- 
dinaires :  mouvements  d'hommes,  de  chevaux  et  de 
charrois,  à  la  lueur  fumeuse  des  torches,  dans  un 
vacarme  assourdissant  de  cris,  d'appels,  de  hennis- 
sements, de  coups  de  hache  et  de  marteau,  de  cra- 

(1)  Voir  Bulletin  de  la  Société  d'Études  psychiques  de  Nancy, 
décembre  1907. 

(2)  Chronique  de  la  Pucelle. 


GÉNIE    MILITAIRE    DE   JEANNE    d'aRC  383 

quemenls  et  d'écroulements,  de  grincements  d'es- 
sieux, de  cahotements,  etc. 

«  Le  spectacle  n'était  point  banal,  sans  doute, 
pour  les  hommes  d'armes  de  la  garnison,  veillant 
derrière  les  créneaux,  et  les  bourgeois  de  la  ville, 
montés  au  plus  haut  des  maisons  et  des  monuments 
publics,  et  nous  pouvons  facilement  nous  imaginer 
leur  étonnement  et  leur  épouvante.  Quel  change- 
ment s'était  donc  opéré  dans  le  camp  français  plutôt 
découragé  ?  Que  voulaient  dire  cette  étrange  agita- 
tion, cet  effrayant  tumulte  ?  Mystère  diabolique  ne 
présageant  rien  de  bon  :  une  formidable  catastrophe 
planait  sur  la  ville,  c'était  certain  ! 

«  Les  bruits  les  plus  sinistres  circulaient  parmi 
les  gens  du  peuple  terrifiés  ;  on  se  pressait  dans  les 
églises  ;  on  se  lamentait  ;  on  clamait  qu'il  fallait  se 
soumettre  au  roi  et  à  la  Pucelle,  ainsi  que  le  con- 
seillait frère  Richard  dans  ses  prédications  (i). 
L'évêque  et  les  notables  bourgeois  étaient  dans  une 
cruelle  perplexité  :  ils  s'étaient  engagés  à  résister 
jusqu'à  la  mort  ;  mais  ils  commençaient  à  entrevoir 
les  avantages  de  la  soumission.  Quant  aux  seigneurs 
et  aux  hommes  d'armes  de  la  garnison,  ils  étaient 
peu  rassurés  sur  l'issue  de  la  lutte,  si  la  terrible 
Pucelle  les  assaillait. 

«  Cependant,  l'effroyable  tumulte  cessa  peu  à  peu 
dans  le  camp  français  ;  les  torches  s'éteignirent  les 


(1)  Ipsi  cives  perdiderunt  animum   nec  quœrebant  nisi 
refugium  et  fugere  ad  ecclesias.  (Déposition  de  Dunois.) 


384  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

unes  après  les  autres,  et  la  nuit  sembla  plus  noire. 
Les  assiégés  angoissés  ne  voyaient  plus  que  des 
masses  sombres  et  confuses,  qui  semblaient  grossir 
et  se  mouvoir  sur  quelques  points  rapprochés  des 
fossés  ;  ils  n'entendaient  plus  qu'une  vague  rumeur 
de  voix  étouffées,  d'armes  entre-choquées,  de  pas  mal 
assurés,  de  branchages  froissés,  etc.,  sinistre  gron- 
dement, précurseur  de  la  tempête. 

«  Mais  à  l'aube,  tout  se  dessina  plus  nettement 
aux  yeux  troublés  des  Troyens  ;  le  fantastique  dis- 
parut peu  à  peu  pour  faire  place  à  la  réalité  non 
moins  menaçante,  à  savoir  :  le  dispositif  complet 
d'un  assaut  qui  ne  pouvait  être  que  furieux,  obstiné, 
implacable  ! 

«  L'armée  française,  munie  de  son  matériel  d'ap- 
proche et  d'attaque,  était  disposée  en  ordre  parfait 
sur  les  points  les  plus  favorables  ,  car  la  Pucelle, 
comme  de  coutume,  avait  mis  le  temps  à  profit  pour 
reconnaître  la  place  ;  les  trois  ou  quatre  pièces  d'ar- 
tillerie, bien  placées  et  bien  abritées,  s'apprêtaient 
à  ouvrir  le  feu  et  à  suppléer  au  nombre  par  la  rapi- 
dité et  la  justesse  du  tir;  les  groupes  de  porteurs  de 
fascines  et  d'échelles,  les  archers  et  arbalétriers, 
embusqués  derrière  les  abris,  les  colonnes  d'assaut 
et  les  réserves,  silencieuses  et  recueillies,  attendaient 
le  signal,  et  la  Pucelle,  debout  au  bord  du  fossé,  son 
étendard  à  la  main,  donnait  un  coup  d'œil  satisfait  à 
cet  ensemble  imposant,  avant  de  faire  avancer  les 
«  trompilles  »  pour  sonner  l'attaque  :  c'était  d'un 
effet  saisissant.  » 


GÉNIE    MILITAIRE    DE    JEANNE    d'aRC  385 

Enfin,  le  colonel  Biottot,  dans  ses  Grands 
Inspirés  devant  la  Science  :  Jeanne  d^Arc, 
s'élève  à  des  vues  d'ensemble,  que  nous  croyons 
devoir  reproduire,  en  terminant  ce  chapitre  (1)  : 

«  Les  inspirations  militaires  de  Jeanne  d'Arc,  nous 
dit  un  critique  éminent,  lui  furent  galamment  prê- 
tées par  les  gens  de  métier,  ses  compagnons  d'ar- 
mes. 

«  Les  faits  témoigneront  à  l'encontre  de  la  thèse, 
mais  dès  maintenant  nous  voyons  la  raison  qui  la 
fait  insoutenable.  La  guerre  est  un  acte  qui,  comme 
tous  les  actes,  est  commandé  dans  ses  formes  par 
son  objet.  —  Héréditairement,  les  seigneurs,  les 
chefs  de  bandes  qui  seront  les  collaborateurs  de 
Jeanne,  ont  une  conception  de  l'objet  de  la  guerre 
diamétralement  opposée  à  celle  qu'énonce  et  mani- 
feste l'héroïne. 

«  National  est  pour  elle  cet  objet  et  elle  s'efforce 
à  créer  instruments  et  procédés  adéquats.  Elle 
s'adresse  de  préférence,  pour  constituer  ses  armées, 
à  l'élément  national,  aux  bons  Français  ;  ceux-ci, 
déjà  compréhensifs  de  la  cause,  seront  compréhen- 
sifs  des  procédés  qui  y  conviennent.  Ces  procédés 
seront  d'invention  simple  et  de  compréhension 
facile.  Il  s'agit  de  faire  vite  et  décisivement  ;  on 
frappera  avec  énergie,  ténacité,  rapidité  et  avec 
suite,  et  là  où  l'ennemi  «  a  sa  plus  grande  puis- 
sance ».  C'est  toute  la  stratégie  et  la  tactique  des 

(1)  Pp.  150,  155,  158,211,  213. 


386  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

guerres  de  Nation,  c'est  la  stratégie  et  la  tactique 
de  Napoléon,  qui  en  reçut  l'inspiration  de  la  natio- 
nalisation des  causes  et  des  instruments  de  la  guerre 
de  son  temps. 

«  Mais  ce  ne  peut  être  stratégie  et  tactique  des 
professionnels  du  quinzième  siècle.  Ils  se  laisseront 
entraîner  à  appliquer  cette  stratégie  et  cette  tac- 
tique ;  ils  ne  peuvent  les  imaginer,  les  souffler.  Elles 
rompent  avec  leurs  traditions,  leurs  routines  ;  elles 
doivent  ruiner  leur  métier. 

«  Napoléon,  s'il  eût  eu  Frédéric  parmi  ses  lieute- 
nants, eût-il  pu  être  suspecté  de  tenir  ses  inspirations 
de  ce  génie  de  la  guerre  géométrique,  à  acteurs  mer- 
cenaires ?  Il  est  moins  possible  encore  que  Jeanne 
ait  été  l'inspirée  d'un  Dunois,  d'un  La  Hire,  maîtres 
peut-être  en  la  petite  escrime  de  leur  siècle,  mais 
d'autant  plus  incapables  d'une  largeur,  d'une  ingé- 
niosité, d'une  nouveauté  des  vues  qui  pouvaient 
seules  découler  de  l'extension,  de  la  diversité,  de  la 
nouveauté  de  la  scène  où  le  nationalisme  se  déga- 
geant enfin  portait  la  guerre 

«  Son  instrument  pour  guerre  nationale  Jeanne 
doit  l'inventer.  Il  faut  à  œuvre  nationale,  artisans 
nationaux.  Elle  réunit  l'armée  de  Gien  qui,  dans  sa 
foi  patriotique,  son  ardeur  civique,  est  le  prototype 
des  armées  de  citoyens.  Il  n'y  a  pas  là  mince  mérite, 
quoi  qu'on  soit  tenté  de  croire  d'abord. 

«  Combien  ne  devait-il  pas  paraître  plus  expéditif , 
plus  sûr  et  plus  simple  de  ne  faire  appel  qu'aux 
bandes  professionnelles,  toutes  militarisées,  ou  du 


GÉNIE   MILITAIRE   DE   JEANNE   d'aRG  387 

moins  de  leur  donner  dans  la  composition  de  Tarmée 
toute  la  place  qu'autorisaient  leur  nombre  et  les 
finances.  C'est  le  contraire  que  fait  Jeanne;  elle 
exclurait  plutôt  les  bandes. 

«  Jeanne  imagina  ou  créa  donc  l'instrument  con- 
venable à  la  guerre  qu'il  lui  fallait  faire  et  en  cela^ 
déjà,  son  génie  résolut  victorieusement  une  difficulté 
avec  laquelle  n'eut  pas  à  compter  le  génie  de  Napo- 
léon. Napoléon,  en  effet,  reçut  comme  entrée  de  jeu, 
nous  l'avons  dit,  la  nationalisation  à  laquelle  la 
France  avait  été  conduite,  de  la  guerre  et  des  armées. 
Il  n'eut  pas  à  montrer  d'intérêt  national,  l'objet  qu'il 
proposait  aux  efforts  :  la  défaite  de  la  volonté  enne- 
mie prétendant  attenter  à  la  liberté  et  à  la  vie  de  la 
Nation.  Gela  allait  de  soi  plus  clairement  que  du 
temps  de  Jeanne.  11  ne  manqua  pas,  pourtant,  de  le 
rappeler,  de  le  répéter  comme  l'héroïne.  Il  avait  com- 
pris, il  avait  pu  observer  que  là  était  la  force  morale, 
supérieure  à  la  force  numérique  et  mécanique  de 
l'adversaire.  Il  avait  reconnu  la  nécessité,  pour  le 
chef  de  guerre,  de  faire  commune  dans  sa  généra- 
lité, vitale  dans  son  intérêt,  la  cause  à  débattre. 

«  Le  génie  de  Jeanne  avait  conçu  cela  spontané- 
ment, parce  qu'il  était  directement  et  véritablement 
inspiré  d'une  cause  générale 

«  Si  l'on  ne  juge  pas  du  génie  d'après  l'importance 
des  moyens  mis  en  œuvre,  si  on  ne  doit  le  recon- 
naître qu'à  la  nouveauté,  l'originalité  de  ces  moyens, 
le  génie  de  Jeanne  est  aussi  indéniable  que  celui  de 
Napoléon. 


388  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

«  Avons-nous  vu,  au  cours  de  ces  derniers  événe- 
ments (i),  que  le  génie  de  la  Pucelle  ait  subi  une 
éclipse,  s'en  soit  remis  aux  inspirations  de  l'entou- 
rage? Ce  génie  nous  est  apparu,  au  contraire,  plus 
trempé  que  jamais  d'énergie  et  de  ténacité,  de 
volonté,  plus  que  jamais  souple,  ingénieux,  fécond 
dans  l'adaptation  des  moyens  aux  circonstances,  plus 
que  jamais  personnel  et  faisant  de  soi. 

«  A  Saint-Pierre-le-Moutier,  à  la  Charité,  comme 
devant  la  bastille  Saint-Loup,  il  ne  faut  qu'audace, 
domination  de  la  volonté  adverse  par  la  manifesta- 
tion d'une  volonté  de  puissance  et  d'essence  supé- 
rieures. Plus  qu'à  la  bastille  Saint-Loup,  Jeanne 
est  audacieuse  et  de  volonté  dominatrice. 

«  Devant  Franquet  d'Arras,  elle  inaugure  une  tac- 
tique qui  sera  celle  de  Napoléon,  le  plus  souvent,  et 
lui  vaudra  ses  plus  grands  succès.  Elle  immobilise, 
elle  fixe  un  ennemi  supérieur  en  nombre  jusqu'à  ce 
qu'elle  puisse  l'écraser,  énervé,  décimé,  avec  le  con- 
cours de  troupes  accourues. 

«  Pour  délivrer  Choisy,  elle  imagine,  puisqu'elle 
ne  peut  frapper,  elle  imagine  des  coups  et  ma- 
nœuvres indirects,  ce  qui  deviendra,  deux  siècles  plus 
tard,  la  guerre  d'évolution,  la  guerre  des  Turenne, 
Montécuculli,  Frédéric  le  Grand 

«  Au  cours  des  derniers  faits  d'armes  de  l'héroïne, 
et  même  à  Compiègne,  le  génie  de  Jeanne  resta  égal 
à  lui-même.  Et  comment  ne  l'eût-il  pas  été,  procé- 

(1)  Il  s'agit  de  la  retraite  effectuée  après  lattaque  de  Paris. 


GÉNIE    MILITAIRE    DE    JEANINE    d'aRG  389 

danl  d'une  même  inspiration,  d'une  même  passion, 
plutôt  exaspérée  qu'affaiblie.  » 

Notre  histoire  est  riche  en  grands  capitaines  : 
gentilshommes  ou  fils  du  peuple,  tous  preux  à 
la  vaillante  épée.  Jeanne  d'Arc,  on  le  voit,  les 
égale  et,  en  certains  points,  les  surpasse.  Elle 
a  toutes  leurs  qualités  militaires,  et  elle  a  plus 
encore  :  Thabileté  dans  la  préparation,  et  l'au- 
dace, la  fougue  irrésistible  dans  Texécution. 
Elle  sait  d'instinct  que  le  soldat  français  excelle 
dans  l'offensive,  que  la  faria  est  un  des  privi- 
lèges de  notre  race.  Aussi  cinq  jours  lui  suffi- 
sent pour  débloquer  Orléans,  huit  jours  pour 
dégager  la  vallée  de  la  Loire,  quinze  pour  con- 
quérir la  Champagne  :  en  tout,  deux  mois  à  peine 
pour  relever  la  France  abattue.  C'est  en  vain 
qu'on  chercherait  un  fait  semblable  dans  l'his- 
toire. Les  guerriers  les  plus  illustres  peuvent 
s'incliner  devant  cette  jeune  fille  de  dix-huit  ans, 
dont  le  front  s'auréole  du  prestige  de  telles  vic- 
toires ! 

On  ne  rencontre  pas  un  seul. moment  de  dé- 
faillance physique  ou  morale  dans  cette  carrière 
étonnante,  mais  partout  et  toujours  l'endu- 
rance, l'intrépidité  dans  le  combat,  l'insouciance 
du  danger  et  de  la  mort,  la  grandeur  d'âme 
dans  la  souffrance.  Sans  cesse,  l'amour  du  pays 


390  JEANNE    d'arc   MÉDIUM 

vibre  et  palpite  en  Jeanne,  et  aux  heures  déses- 
pérées, il  éclate  en  paroles  brèves,  enflammées, 
qui  emportent  tout. 

Bref,  sans  l'intervention  de  causes  occultes, 
on  ne  saurait  expliquer  chez  cette  enfant  la 
réunion  d'aptitudes  guerrières  et  de  connais- 
sances techniques,  que,  seules,  peuvent  procu- 
rer l'expérience  et  une  longue  pratique  du  mé- 
tier des  armes. 

La  France  a  possédé  des  milliers  de  vaillants 
soldats  et  d'habiles  généraux  ;  elle  n'a  eu  qu'une 
Jeanne  d'Arc  ! 


XX.  —  Jeanne  d'Arc  au  vingtième  siècle  ; 
SES  admirateurs:  ses  contempteurs. 


Je  suis  dolente  de  voir  que  les  Fran- 
çais se  disputent  mon  âme. 

Jehanne. 


La  deuxième  moitié  du  dix-neuvième  siècle 
et  le  commencement  du  vingtième  ont  vu  se 
produire,  en  faveur  de  la  vierge  lorraine,  un 
puissant  courant  d'opinion,  à  la  fois  laïque  et 
religieux.  Les  réputations  mal  assises  ne  ré- 
sistent guère  à  l'action  du  temps.  La  physiono- 
mie de  rhéroïne,  au  contraire,  grandit  avec  les 
siècles  et  resplendit  d'un  plus  vif  éclat. 

Ce  courant  d^opinion  a  deux  sources.  Il  a 
pris  naissance,  d'une  part,  dans  les  nombreux 
ouvrages  d'histoire  et  d'érudition,  publiés  par 
J.  Michelet,  Quicherat,  H.  Martin,  Wallon,  Si- 
méon  Luce,  J.  Fabre,  etc.  Dans  cet  ordre 
d'idées,  aucun  sujet  n'a  provoqué  un  ensemble 
de  travaux  aussi  imposant. 

Il  découle  aussi  des  enquêtes  et  du  procès 
dirigés  par  l'Église  catholique,  en  vue  de  la  ca- 


392  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

nonisation  de  Jeanne  d'Arc.  Des  deux  côtés,  la 
mémoire  de  l'héroïne  a  trouvé  des  admirateurs 
sincères  et  des  défenseurs  généreux.  Après 
une  longue  période  de  silence  et  d'oubli,  c'est 
comme  un  réveil  d'enthousiasme.  On  se  croi- 
rait au  lendemain  de  la  délivrance  d'Orléans. 
A  mesure  que  les  travaux  se  précisent,  la  lu- 
mière se  fait  plus  complète.  Cette  grande  figure 
sort  des  limites  étroites,  dans  lesquelles  le  passé 
Tavait  enfermée.  Elle  apparaît  maintenant  dans 
toute  sa  beauté,  comme  la  plus  pure  incarna- 
tion de  l'idée  de  patrie,  comme  un  véritable 
messie  national.  Ce  magnifique  élan  de  sym- 
pathie, malgré  les  efforts  de  certains  détracteurs 
dont  nous  parlerons  plus  loin,  n'a  cessé  de 
s'accentuer;  aujourd'hui,  la  Pucelle  est  sur  le 
point  de  devenir  la  figure  historique  la  plus 
populaire  de  notre  pays. 

Dès  188/i,  le  cabinet  politique,  présidé  par 
M.  Dupuy,  prit  l'initiative  d'une  fête  nationale 
en  rhonneur  de  Jeanne  d'Arc.  Une  première 
proposition  fut  présentée  à  la  Chambre,  le 
30  juin.  Elle  portait  les  signatures  de  252  dé- 
putés et  préludait  par  un  exposé  des  motifs 
ainsi  conçu  : 

«  Un  grand  mouvement  d'opinion  vient  de  se  pro- 
duire en  faveur  de  Tinstitution  d'une  fête  nationale 
de  Jeanne  d'Arc,  qui  serait  la  fête  du  patriotisme. 


JEANNE    d'arc   AU    VINGTIÈME   SIECLE  393 

«  La  République  des  États-Unis,  outre  sa  fête  de 
l'Indépendance,  a  sa  fête  de  Washington.  La  Répu- 
blique française,  outre  sa  fête  de  la  Liberté,  aurait 
sa  fête  de  Jeanne  d'Arc. 

«  11  y  aura  à  opter  entre  deux  dates  :  le  8  mai,  date 
glorieuse  de  la  délivrance  d'Orléans,  et  le  3o  mai, 
jour  anniversaire  de  la  mort  de  Jeanne  d'Arc. 

«  Le  3o  mai  se  trouvant  peut-être  trop  rapproché 
du  i4  juillet,  nous  proposerons  le  8  mai. 

«  Ce  jour-là,  tous  les  Français  s'uniraient  dans  une 
bienfaisante  communion  d'enthousiasme.  » 

La  commission  d'initiative  conclut  à  la  prise 
en  considération.  Mais  la  législature  ayant  pris 
fin,  la  proposition  resta  en  suspens,  puis  fut 
reprise  par  le  Sénat,  sur  la  demande  de  120  sé- 
nateurs républicains. 

Dans  son  rapport,  présenté  à  la  haute  assem- 
blée, M.  Joseph  Fabre,  sénateur  de  PAveyron, 
s'exprimait  ainsi  : 

«  Ni  l'Orient  avec  toutes  ses  légendes,  ni  la  Grèce 
avec  tous  ses  poèmes,  n'ont  rien  conçu  de  compa- 
rable à  cette  Jeanne  d'Arc  que  l'histoire  nous  a  don- 
née. » 

Dans  sa  conclusion,  il  disait  encore: 

«  Le  moment  n'est-il  pas  opportun  pour  opposer 
cette  grande  mémoire  aux  déclarations  dangereuses 
de  tous  les  pontifes  du  cosmopolitisme,  qui  vou- 
draient nous  persuader  qu'il  ne  nous  reste  pas  même 


394  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

la  seule  religion  qui  ne  comporte  pas  d'athées,  la 
religion  de  la  patrie?  » 

Le  projet  de  loi  fut  voté  par  le  Sénat  et  ren- 
voyé à  la  Chambre. 

Le  29  juillet  1890,  le  Conseil  supérieur  de 
l'Instruction  publique,  de  son  côté,  adoptait  la 
proposition  suivante  : 

«  Est  déclaré  jour  de  fête,  pour  tous  les  établisse- 
ments d'instruction  publique,  le  8  mai  de  chaque  an- 
née, jour  anniversaire  de  la  délivrance  d'Orléans.  » 

Cette  décision  n'eut  aucune  suite.  Quant  au 
projet  de  loi  voté  par  le  Sénat,  il  dort  encore 
dans  les  cartons  de  la  Chambre.  Ni  l'examen 
ni  la  discussion  n'en  ont  été  abordés  en  séance 
publique,  malgré  une  énergique  pétition  des 
femmes  de  France.  En  cela  les  députés  républi- 
cains ont  commis  une  lourde  faute.  Leur  indiffé- 
rence, leur  mauvais  vouloir  ont  permis  aux  ca- 
tholiques de  prjendre  les  devants,  de  s'emparer 
de  cette  noble  figure  de  vierge  et  de  la  placer 
sur  leurs  autels.  Alors  qu'elle  devrait  apparte- 
nir à  tous  les  Français,  constituer  un  lien  entre 
les  divers  partis,  unis  pour  honorer  sa  mé- 
moire, elle  risque  de  devenir  ainsi  la  prison- 
nière d'une  religion  exclusive. 

Quelle  considération  a  retenu  nos  politiciens 
sceptiques  de  la  Chambre  ?  Probablement  les 


JEANNE    d'arc   AU   VINGTIÈME    SIÈCLE  395 

«  voix  »  de  Jeanne  d'Arc  et  le  caractère  spiri- 
tualiste  de  sa  mission.  Mais  ces  voix  ont  existé, 
le  monde  invisible  est  intervenu.  La  solidarité 
qui  relie  les  êtres  vivants  s'étend  par  delà  le 
monde  physique,  embrasse  deux  humanités  et 
se  révèle  par  des  faits.  Les  Entités  de  l'espace 
ont  sauvé  la  France  au  quinzième  siècle  par 
l'intermédiaire  de  l'héroïne.  Que  cela  plaise  ou 
non,  on  ne  supprime  pas  l'histoire.  La  France 
et  le  monde  sont  entre  les  mains  de  Dieu, 
même  lorsque  ce  sont  les  matérialistes  et  les 
athées  qui  gouvernent.  La  Révolution  elle-même 
fut  un  geste  des  puissances  invisibles  ;  mais 
elle  ne  fut  pas  comprise  dans  l'idée-mère  qui 
l'inspira. 

On  peut  combattre  le  cléricalisme  et  ses 
abus  ;  pour  ce  qui  est  de  l'idéal  spiritualiste  et 
religieux,  on  ne  le  détruira  jamais.  Il  domine 
les  temps  et  les  empires,  se  transformant  avec 
eux  pour  revêtir  un  caractère  toujours  plus  large 
et  plus  élevé. 

Quant  à  cette  sorte  d'accaparement  de  la  mé- 
moire de  Jeanne  par  l'Église  catholique,  ne 
l'oublions  pas,  c'est  l'étroitesse  d'esprit  de  cer- 
tains républicains  qui  l'a  rendu  possible. 

Jeanne  a  autant  de  titres  à  l'afFection  des  dé- 
mocrates qu'à  celle  des  cléricaux.  En  effet,  son 
œuvre  n'est  pas  seulement  une  affirmation  de 


39G  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

r Au-delà,  elle  est  aussi  la  glorification  du 
peuple  dont  elle  est  issue,  celle  de  la  femme^ 
celle  du  droit  des  nations  et  surtout  Taffirma- 
tion  de  l'inviolabilité  des  consciences. 

Les  hommes  de  89  et  de  li8  avaient  une  tout 
autre  conception  de  cette  idéale  figure  que  les 
républicains  de  nos  jours.  Tous  s'inclinaient 
devant  la  mémoire  de  Jeanne,  et  Barbés  écri- 
vait «  qu'elle  aurait  un  jour  sa  statue  jusque 
dans  nos  plus  petits  hameaux  ». 

Du  côté  catholique,  le  mouvement  d'opinion 
en  faveur  de  la  Libératrice  a  suivi  une  marche 
régulière  et  continue.  L'évêque  d'Orléans,. 
Mgr  Dupanloup,  conçut,  le  premier,  le  projet  de 
canonisation.  Le  8  mai  1869,  il  adressa  au  pape 
Pie  IX  une  requête  signée  par  de  nombreux 
évêques,  pour  obtenir  que  la  «  Pucelle,  pro- 
clamée sainte,  pût  recevoir  dans  les  temples 
les  hommages  et  les  prières  des  fidèles  ».  Les 
événements  de  1870,  et  la  chute  du  pouvoir  tem- 
porel retardèrent  les  effets  de  cette  première 
instance.  Mais,  peu  après,  la  question  fut  re- 
prise, et  le  «  procès  informatif  »,  ordonné  en 
187/i,  fut  terminé  en  1876. 

Le  11  octobre  1888,  trente-deux  cardinaux, 
archevêques  et  évêques  français,  adressaient  à 
Léon  XIIÏ  «  leurs  supplications  pour  que 
Jeanne  d'Arc  fût  bientôt  placée  sur  les  autels  ». 


JEANNE    d'arc   AU    VINGTlÈiME    SIÈCLE  397 

Le  27  janvier  189/i,  la  congrégation  des  Rites 
se  prononçait  à  l'unanimité  pour  l'introduction 
de  la  cause,  et  Jeanne  d'Arc  était  déclarée 
«  vénérable  ».  C'est  le  premier  degré  de  la 
canonisation. 

Puis  vint  la  béatification,  célébrée  en  grande 
pompe  le  24  avril  1909,  à  Saint-Pierre  de  Rome, 
par  Pie  X,  en  présence  de  30.000  pèlerins  fran- 
çais, dont  65  évêques.  La  foule  débordait  sur  les 
parvis  et  couvrait  la  place  jusqu'à  la  colonnade 
du  Bernin. 

Pour  justifier  cette  béatification,  on  a  invo- 
qué des  motifs  étonnants,  des  «  guérisons  mi- 
raculeuses »  de  cancers  et  autres  maladies, 
opérées  par  Jeanne  d'Arc  sur  des  religieuses, 
à  la  prière  de  celles-ci.  Nous  savons  que  ces 
guérisons  sont  une  des  conditions  imposées  par 
l'Église  pour  la  canonisation  ;  mais  n'aurait-on 
pu  trouver  mieux  ? 

Nous  ne  songeons  nullement  à  blâmer  les 
manifestations  solennelles  qui  ont  eu  lieu  à 
Rome  et  dans  la  France  entière.  Tous  les  Fran- 
çais ont  le  droit  d'honorer  la  Libératrice  à  leur 
guise.  Nous  regrettons  seulement  qu'un  parti 
politique  profite  presque  exclusivement  de 
cette  béatification,  par  la  faute  de  républicains 
matérialistes  et  mauvais  patriotes,  qui  ont 
manqué  de  sens  pratique  et  de  clairvoyance. 

23 


398  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

Nous  disons  :  parti  politique.  En  effet,  dans 
le  mouvement  catholique  en  faveur  de  Jeanne 
d'Arc,  l'intérêt  de  caste  paraît  évident.  On  ex- 
ploite la  mémoire  de  l'héroïne,  et  on  la  déforme 
en  la  sanctifiant  ;  on  cherche  à  faire  d'elle  un 
trophée,  un  signe  de  ralliement  pour  des  luttes 
semi-politiques,  semi-religieuses.  La  vierge 
lorraine  paraît  peu  sensible  à  ces  hommages. 
Aux  cérémonies  bruyantes,  elle  préfère  l'affec- 
tion de  tant  d'âmes  modestes  et  obscures,  qui 
savent  l'aimer  en  silence.  Leurs  pensées  mon- 
tent vers  elle  comme  le  parfum  discret  des  vio- 
lettes, dans  le  calme  et  le  recueillement  de  la 
prière.  Et  cela  la  touche  plus  que  l'éclat  des 
fêtes  et  le  fracas  des  orgues  ou  des  canons. 


Ce  courant  catholique  a  provoqué  un  courant 
contraire.  C'est  seulement  depuis  peu  qu'on 
voit,  avec  un  étonnement  mêlé  de  stupeur,  se 
dessiner  contre  Jeanne  d'Arc  une  campagne 
de  dénigrement.  Alors  que  tous  les  peuples 
nous  l'envient,  que  les  Allemands  la  glorifient 
par  Tœuvre  de  Schiller,  tandis  que  les  Anglais 
eux-mêmes  l'honorent  comme  un  des  plus 
beaux  exemples  offerts  à  l'humanité,  il  faut  que 
ce   soit  en  France  que  l'on  entende  critiquer, 


JEANNE   DARG   AU   VINGTIÈME   SIÈCLE  399 

rabaisser  une  des  plus  pures  gloires  de  notre 
nation. 

Toute  une  catégorie  d'écrivains  libres  pen- 
seurs s'est  ruée  sur  le  renom  de  Jeanne.  La 
franc-maçonnerie  elle-même,  cette  association 
puissante  qui,  pendant  des  siècles,  fut  l'asile 
de  toutes  les  idées  généreuses,  le  refuge  et  le 
soutien  de  ceux  qui  luttaient  pour  la  liberté 
contre  l'oppression,  aveuglée  maintenant  par 
son  matérialisme  doctrinal,  s'est  abaissée  jus- 
qu'à prendre  l'initiative  d'un  mouvement  contre 
la  grande  inspirée.  L'institution  d'une  fête  de 
Jeanne  d'Arc  fit  probablement  craindre  aux 
grands  maîtres  de  la  Maçonnerie  française,  que 
la  glorification  de  l'épopée  de  Jeanne  provo- 
quât un  réveil  de  l'idéal  religieux. 

Quel  que  soit  le  mobile  auquel  ils  aient  obéi, 
voici  la  circulaire  que  le  président  de  la  Loge 
«  Clémente  amitié  »  adressa  aux  députés  francs- 
maçons  du  Parlement,  le  jour  où  la  discussion 
sur  rinstitution  de  la  fête  de  Jeanne  d'Arc 
devait  venir  à  la  Chambre  : 

«  La  Chambre  est  aujourd'hui  saisie  d'un  rapport 
sentimental  appuyé  sur  des  pétitions  de  femmes, 
colportées  par  les  curés.  Le  projet  de  loi  pour  une 
fête  de  Jeanne  d'Arc  porte  de  nombreuses  signatures 
de  membres  du  Parlement,  aveugles  ou  complices 
de  la  réaction  cléricale.  Les  aveugles,  adressez-vous 


400  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

à  eux,  TT.-.CG/.FF.*.,  et  relevez  leurs  paupières; 
les  complices,  complices  du  Pape  et  des  Jésuites, 
c'est  notre  affaire;  nous  les  connaîtrons  et  nous  ne 
les  oublierons  pas;  mais  nous  vous  supplions, 
TT.'.CG.-.FF.'.  républicains,  sans  compromissions 
sordides,  d'empêcher  l'institution  de  la  fête  de 
Jeanne  d'Arc.  » 

Cette  injonction  produisit  son  effet,  et  la  mise 
à  l'ordre  du  jour  fut  définitivement  repoussée 
en  1898. 

Ont-ils  obéi  au  même  mot  d'ordre,  ce  direc- 
teur d'un  journal  parisien  et  ce  professeur  de 
l'Université,  qui  se  sont  acquis  une  notoriété 
spéciale  en  dénaturant  l'œuvre  de  Jeanne  ?  ou 
bien  ont-ils  simplement  cédé  à  ce  besoin  mal- 
sain d'abaisser  toute  supériorité,  qui  est  le 
propre  de  certains  esprits  ?  On  ne  sait  ;  mais  on 
ne  peut  que  déplorer  l'attitude  de  ces  deux 
hommes,  que  leur  culture  intellectuelle  eût  dû 
préserver  d'une  telle  déchéance. 

Lisons  ce  qu'écrit  M.  Bérenger,  directeur  du 
journal  r Action,  sur  la  grande  âme  dont  nous 
venons  d'étudier  la  vie  : 

«  Maladive,  hystérique,  ignorante,  Jeanne  d'Arc, 
même  brûlée  par  les  prêtres  et  trahie  par  son  roi,  ne 
mérite  pas  nos  sympathies.  Aucun  des  idéaux,  au- 
cun des  sentiments  qu'inspire  l'humanité  d'aujour- 
d'hui n'a  guidé  l'hallucinée  mystique  de  Domremy. 


JEANNE    d'arc    AU   VINGTIÈME    SIÈCLE  401 

En  soutenant  un  Valois  contre  un  Plantagenet,  que 
fit-elle  d'héroïque  ou  même  de  louable  ?  Elle  contri- 
bua, plus  que  tout  autre,  à  créer,  entre  la  France  et 
l'Angleterre,  le  misérable  antagonisme  dont  nous 
avons  peine  à  nous  libérer  six  siècles  après.  Puisque 
les  calottes  prétendent  imposer  son  fétichisme  à  la 
République,  nous  saurons  répondre  à  cette  provo- 
cation comme  il  convient.  Cette  vierge  stérile  n'aima 
que  la  religion  et  l'armée,  l'huile  sainte  et  l'arque- 
buse. Son  bûcher  final  nous  la  fait  plaindre,  non 
l'admirer.  Donc,  à  bas,  le  culte  de  Jeanne  d'Arc  !  A 
bas,  la  légende  empucelée  !  A  bas,  toute  hystérie 
contre  nature  et  contre  raison,  qui  paralyse  l'huma- 
nité au  profit  d'une  dynastie  I  » 

Que  dire  de  cet  amas  dinsanités,  où  presque 
chaque  mot  est  un  outrage,  chaque  pensée  un 
défi  à  riiistoire  et  au  bon  sens  ? 

Et  M.  Thalamas,  ce  professeur  d'un  lycée  de 
Paris,  cherchant,  par  ses  cours  à  des  enfants 
de  quinze  ans,  à  faire  pénétrer  dans  ces  jeunes 
cerveaux  des  doutes  sur  le  véritable  caractère 
de  la  Pucelle  !  A  quelle  source  a-t-il  puisé  sa 
prétendue  érudition  ? 

Jaurès,  le  grand  orateur  socialiste,  qui,  le 
l^*"  décembre  1904,  prit,  à  la  Chambre  des  dé- 
putés, la  défense  de  ce  singulier  professeur 
d'histoire,  fut  plus  habile.  Il  sauva  son  client 
des    mesures    disciplinaires    qui    auraient  été 


402  JEANNE   d'arc   MEDIUM 

peut-être  édictées  contre  lui,  en  puisant  dans 
ses  souvenirs  de  l'École,  les  éléments  d'une 
sorte  de  panégyrique  de  la  grande  calomniée. 
Dans  son  discours,  Jeanne  n'est  plus  l'halluci- 
née, dépeinte  à  ses  élèves  par  le  professeur  du 
Lycée  Gondorcet  ;  l'orateur  est  bien  obligé  de 
lui  concéder  une  «  merveilleuse  hauteur  d'ins- 
piration morale  »  ;  puis  il  atténue  cette  appré- 
ciation, trop  spiritualiste  sans  doute,  par  une 
louange  excessive  de  «  sa  merveilleuse  finesse 
et  subtilité  d'esprit»,  ce  par  quoi  elle  se  rat- 
tache «  au  vieux  fond  gaulois  de  notre  race  ». 
Dans  ses  articles  de  journaux,  conférences  et 
brochure,  M.  Thalamas  semble  aussi  étranger 
au  patriotisme  et  aux  nobles  sentiments  dont 
l'histoire  de  la  Pucelle  est  tissée,  qu'aux  no- 
tions psychiques  et  aux  connaissances  militaires 
qu'il  est  nécessaire  de  posséder,  pour  la  bien 
comprendre  et  surtout  pour  la  décrire.  En  par- 
courant son  opuscule  :  Jeanne  d'Arc^  Vhisloire 
et  la  légende^  on  est  tout  d'abord  surpris  de 
voir  avec  quelle  légèreté  il  fait  la  leçon  à  des 
historiens  tels  que  Michelet,  H.  Martin,  etc., 
qui  ont  lu  les  textes,  les  ont  compris  et  les  ont 
interprétés  logiquement  à  leur  point  de  vue  psy- 
chologique, patriotique  et  humain,  dans  un  beau 
langage.  Tout  en  rendant  justice  çà  et  là  à  la 
«  splendide  conviction  »  et  même  à  «  l'héroïsme  » 


JEANNE    d'arc    AU   VINGTIÈME    SIÈCLE  403 

de  la  Pucelle,  sous  sa  plume,  la  physionomie 
de  la  Vierge  lorraine  s'estompe,  s'efface  ;  sa 
mémoire  pâlit,  son  rôle  se  restreint.  Elle 
devient  un  personnage  de  deuxième  ou  troi- 
sième plan. 

Parfois,  sa  tactique  consiste  à  comparer,  à 
opposer  à  Jeanne  d'Arc  d'autres  voyantes  :  Ca- 
therine de  La  Rochelle  et  Perrinaïc  la  Bre- 
tonne. Or,  on  chercherait  vainement  dans  l'exis- 
tence de  ces  pauvres  femmes  un  fait,  un  acte, 
une  parole  comparables  à  ceux  qu'on  trouve  en 
abondance  dans  la  vie  de  Jeanne.  Il  y  a  là  un  parti 
pris  évident,  un    désir  d'amoindrir  l'héroïne. 

Dans  ses  conférences  à  travers  la  France, 
M.  Thalamas  émettait  l'opinion  que  les  Orléa- 
nais assiégés  pouvaient  se  tirer  seuls  d'affaire; 
dans  sa  brochure,  il  est  d'un  tout  autre  avis. 
La  prise  d'Orléans,  dit-il  (p.  3/i),  dans  un  délai 
plus  ou  moins  rapproché,  malgré  la  mauvaise 
direction  du  siège,  n'en  était  pas  moins  fatale. 

Les  Parisiens,  en  1870,  pouvaient  aussi  chas- 
ser les  Allemands  ;  ni  les  hommes,  ni  l'argent, 
ni  le  courage  ne  leur  manquaient  :  on  l'a  bien 
vu  par  la  durée  de  leur  résistance  ;  c'est  un 
chef  possédant  la  foi  communicative  et  les  ta- 
lents militaires  nécessaires,  qui  leur  a  fait  dé- 
faut. Ce  chef-là,  Orléans  le  trouva  et,  par  lui, 
fut  sauvé  ! 


■404  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

Parmi  les  écrivains  contempteurs  de  Jeanne 
d'Arc,  M.  Anatole  France  s'est  fait  une  place 
considérable  par  la  publication,  en  1908,  de 
deux  gros  volumes  in-8.  Mais  son  œuvre,  si 
importante  en  apparence  par  l'étendue  et  la 
documentation,  perd  beaucoup  de  sa  valeur 
dès  qu'on  la  soumet  à  une  analyse  attentive.  Ce 
qui  domine  en  elle,  c'est  l'ironie  perfide  et  les 
subtiles  moqueries.  On  n'y  trouve  pas  de  bru- 
talités à  la  manière  des  Bérenger  et  autres  cri- 
tiques. L'habile  académicien  procède  par  voie 
d'insinuation.  Tout  concourt,  dans  ces  pages, 
à  rapetisser  l'héroïne  et,  souvent,  à  la  rendre 
ridicule. 

Si,  en  certains  cas,  il  consent  à  lui  rendre 
justice,  la  plupart  du  temps,  il  la  ravale  au 
dernier  rang  et  lui  attribue  le  rôle  d'une  fille 
imbécile.  Ainsi,  lorsque  Loyseleur  vient  l'entre- 
tenir^  nombre  de  fois,  dans  sa  prison,  tantôt 
sous  le  costume  d'un  cordonnier,  tantôt  sous 
un  vêtement  ecclésiastique,  elle  ne  s'aperçoit 
pas  qu'elle  a  affaire  à  une  seule  et  même  per- 
sonne. 

Le  premier  volume  de  M.  France  était  remar- 
q^uable  comme  style  et  coordination  d'idées.  On 
y  retrouvait  le  subtil  lettré.  Le  second  fut  in- 
cohérent, d'un  style  relâché,  rempli  d'anecdotes 
plaisantes  ou  tragiques,  de  faits  curieux,  par- 


JEANNE    d'arc    AU    VINGTIEME    SIÈCLE  405 

fois  étrangers  au  sujet.  Ces  récits  en  rendent 
cependant  la  lecture  amusante,  et  en  ont  assuré 
le  succès.  Mais  c'est  en  vain,  que  dans  toute 
l'œuvre  on  chercherait  un  sentiment  élevé  et 
quelque  grandeur.  Ces  qualités  sont  inconnues 
à  Fauteur.  Et  que  d'erreurs  volontaires! 

Ces  erreurs.  M.  Achille  Luchaire,  professeur 
à  la  Sorbonne,  Tun  des  maîtres  incontestés  des 
études  sur  le  moyen  âge,  a  été  un  des  premiers 
à  les  signaler.  En  voici  un  exemple.  Le  cheva- 
lier Robert  de  Baudricourt  est,  pour  M.  Ana- 
tole France,  un  homme  «  simple  et  jovial  ».  Et, 
à  Pappui  de  cette  affirmation,  il  cite  {Procès, 
t.  III,  p.  86)  une  page  où  il  n'est  nullement 
question  de  ce  personnage  (Luchaire,  Grande 
Revue,  25  mars  1908,  p.  231,  note).  M.  France 
prête  au  même  Baudricourt  cette  opinion  «  que 
Jeanne  ferait  une  belle  ribaude,  et  que  ce  serait 
un  friand  morceau  pour  les  gens  d'armes  ». 
«  Mais  le  Procès  (t.  III,  p.  85),  auquel  M.  France 
se  reporte  à  ce  sujet,  dit  ^î.  Luchaire,  ne  parle 
que  de  l'entrevue  de  Chinon  et  du  siège  d'Or- 
léans, et  nullement  du  capitaine  de  Yaucou- 
leurs.  »  {Grande  Revue,  25  mars  1908,  p.  230, 
note)  (1). 

M.  Luchaire  donne   d'autres  exemples.  Des 

(1)  Voir  Revue  hebdomadaire,  4  juillet  1908. 

23. 


406  JEANNE   d'arc  MEDIUM 

constatations  identiques  sont  faites  par  M.  Sa- 
lomon  Reinacii  dans  la  Revue  critique.  M.  France 
ccrit  :  «  Elle  entendit  la  voix  qui  lui  disait  : 
Le  voilà!  »  En  note,  renvoi  à  Procès  (t.  II, 
p.  Zi56),  où  on  ne  trouve  rien  de  tel  [Revue  cri^ 
tique,  19  mars  1908,  p.  214).  De  même  M.  An- 
drew Lang,  dans  la  Fortnightly  Review.  A  pro- 
pos de  prétendues  prophéties  que  les  prêtres 
auraient  révélées  à  quelques  dévots,  et  parmi 
eux  à  Jeanne  d'Arc,  M.  Lang  fait  observer  : 
«  A  l'appui  de  son  dire,  M.  France  cite  un 
passage  du  procès  qui  prouve  exactement  le 
contraire  de  ce  qu'il  vient  d'avancer.  »  Ailleurs, 
il  s'agit  des  voyages  que  Jeanne  aurait  faits  à 
Toul,  pour  y  paraître  devant  le  tribunal  de 
Pofficial,  sous  l'inculpation  d'avoir  rompu  une 
promesse  de  mariage,  et  M.  Lang  objecte  :  «  A 
Fappui  de  ses  dires,  M.  France  cite  trois  pages 
du  Procès  (t.  I  et  II).  L'une  des  trois  (t.  II, 
p.  M6)  n'existe  pas,  les  deux  autres  ne  confir- 
ment en  rien  ce  qu'il  avance,  et  l'une  des  pages 
suivantes  le  contredit.  » 

Dans  un  article  bibliographique  publié  par 
la  Revue  hebdomadaire  (1),  M.  Funck-Brentano 
fait  ressortir  avec  justesse  ces  graves  imper- 
fections de  l'œuvre  de  M.  France: 

(1)  Revue  hebdomadaire,  4  juillet  1908. 


JEANNE    d'arc   AU    VINGTIÈME   SIÈCLE  407 

«  Les  inexactitudes  y  reviennent  sans  cesse.  Elles 
surprennent  de  la  part  d'un  écrivain  qui,  au  cours 
de  sa  préface,  se  montre  si  sévère  à  ses  devanciers  ; 
mais,  après  tout,  il  n'y  a  là  que  péché  véniel,  encore 
qu'il  se  répèle  souvent.  On  devient  plus  perplexe  sur 
la  valeur  historique  de  l'œuvre  de  France,  quand  on 
trouve  aux  textes  une  portée  toute  différente  de 
celle  qu'il  leur  attribue.  Qu'un  historien  force  sa 
pensée  dans  la  direction  d'idées  préconçues,  c'est 
regrettable  ;  mais  que  dire  s'il  y  incline  arbitraire- 
ment les  documents  eux-mêmes  ? 

«  Les  différents  critiques,  qui  se  sont  occupés  jus- 
qu'à ce  jour  de  l'œuvre  retentissante  de  M.  France, 
de  cette  Vie  de  Jeanne  tfAi^c  qui  fit  tant  de  bruit 
avant  même  que  de  paraître,  ont  été  surpris  de 
constater,  en  maints  endroits,  à  propos  des  textes 
auxquels  renvoyait  l'auteur  comme  fondement  de 
son  récit  ou  de  ses  opinions,  que,  non  seulement  ces 
textes  étaient  reproduits  ou  commentés  inexacte- 
ment, mais  qu'ils  ne  contenaient  rien  qui  concernât 
de  près  ni  de  loin  ce  que  M.  France  leur  faisait 
dire. 

«  Le  sens  commun,  dit  M.  France,  est  rarement 
le  sens  du  juste  et  du  vrai  (t.  I,  p.  827).  Aussi  le  sens 
commun  a-t-il  été  exclus  de  son  livre  avec  un  soin 
parfait.  En  son  lieu  et  place,  pour  l'agrément  du 
lecteur,  des  histoires  pittoresques  et  inattendues, 
T.  I,  p.  532,  il  s'agit  du  don,  attribué  à  nos  anciens 
rois,  de  guérir  les  écrouelles.  Notre  séduisant  histo- 
rien constate  que,  dans  la  vieille  France,  les  vierges 


408  JEANNE    d'arc   INIÉDIUM 

avaient  le  même  don,  à  condition  qu'elles  fussent 
toutes  nues  et  qu'elles  invoquassent  Apollon.  Voilà, 
du  moins,  qui  est  imprévu!  La  citation  renvoie  à 
Leber  (Des  Cérémonies  du  sacre).  M.  Salomon  Rei- 
nach  Ta  vérifiée  :  il  s'agit  d'un  emprunt  fait  par  un 
clerc  à  Pline,  lequel  vivait  au  premier  siècle!  » 

Au  cours  du  même  article,  M.  Funck-Brentano 
cite  encore  Topinion  d'Andrew  Lang,  auteur 
d'un  ouvrage  estimé  sur  Jeanne  d'Arc,  publié 
en  langue  anglaise  : 

«  M.  Lang  signale  l'éternel  et  déplaisant  ricane- 
ment dont  M.  France  accable  littéralement  ses  lec- 
teurs. Le  mot  «  ricanement  »  est  sans  doute  un  peu 
dur.  M.  France  ne  ricane  pas.  C'est  le  fin  sourire 
d'un  aimable  ironiste.  Mais  l'ironie  n'est  pas  de  l'his- 
toire. L'ironiste  se  moque  et  l'historien  doit  expli- 
quer. Qu'est-ce  que  l'histoire?  L'explication  des  faits 
du  passé. 

«  Mais  revenons  à  M.  Lang  qui  dit  :  «  La  première 
«  qualité  du  véritable  historien,  c'est  l'imagination 
«  sympathique  qui,  seule,  permet  de  comprendre 
«  l'époque  dont  il  parle,  d'en  connaître  les  pensées  et 
«  les  sentiments,  et  de  revivre  en  quelque  sorte  la  vie 
«  des  hommes  d'autrefois.  M.  Anatole  France  manque 
«  de  ce  don  essentiel  à  un  degré  tout  à  fait  surpre- 
((  nant.  » 

«  M.  France  est  un  admirable  sophiste  —  à 
prendre  ce  mot  dans  son  vrai  sens.  » 


JEANXE   d'arc    au    VINGTIÈME    SIECLE  409 

Enfin  M.  Funck-Brentano  commente  un  arti- 
cle du  critique  allemand,  Max  Nordau,  sur  la 
Jeanne  d'Arc  d'A.  France.  11  débutait  par  ces 
mots,  empruntés  à  Schiller,  à  propos  de  la 
Pacelle  d'Orléans  :  «  Le  monde  aime  à  ternir 
ce  qui  brille,  il  aime  à  traîner  dans  la  poussière 
ce  qui  s'est  élevé.  »  La  conclusion  de  l'article 
répondait  à  cette  entrée  en  matière  : 

«  Après  le  travail  d'Anatole  France,  il  nous  sera 
difficile  de  passer  sans  haussement  d'épaules  devant 
la  statue  équestre  de  la  Pucelle  d'Orléans.  Sans  bru- 
talité, avec  la  main  habile,  douce  et  caressante  d'une 
soubrette,  il  l'a  dépouillée  de  sa  légende,  et  voici 
que,  privée  de  cette  riche  parure  faite  de  contes  et 
de  traditions,  Jeanne  d'Arc  n'inspire  plus  que  de  la 
pitié;  il  ne  peut  plus  être  question  pour  elle  d'admi- 
ration, ni  même  de  sympathie.  » 

Ces  lignes  font  ressortir  nettement  le  carac- 
tère perfide  et  malfaisant  de  l'œuvre  d'un  écri- 
vain soi-disant  rationaliste,  qui,  ne  comprenant 
rien  aux  effets,  a  néanmoins  la  prétention  d'en 
indiquer  les  causes,  et  ne  craint  pas  de  torturer 
les  textes  pour  fausser  l'opinion. 

L'œuvre  de  M.  iVnatole  France  est,  à  certains 
points  de  vue,  une  lourde  erreur  et  une  mau- 
vaise action.  On  pourrait  lui  appliquer  le  mot 
de  Mme  de  Staël,  parlant  de-  la  Pacelle  de 
Voltaire  :  «  C'est  un  crime  de  lèse-nation  !  » 


410  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

A  ces  diatribes,  nous  allons  opposer  l'opi- 
nion de  contemporains  illustres,  qui  ne  se 
sont  pas  laissé  aveugler  par  la  haine  poli- 
tique. 

Vers  la  fin  du  dernier  siècle,  un  journaliste, 
Ivan  de  Wœstyne,  ayant  eu  l'idée  de  deman- 
der aux  membres  de  l'Académie  française  leur 
sentiment  sur  Jeanne  d'Arc,  recueillit  un  en- 
semble de  témoignages  constituant  le  plus  ma- 
gnifique éloge  de  l'inspirée  (1).  Ces  représen- 
tants les  plus  raffinés  du  talent  et  de  l'esprit  en 
notre  pays,  tinrent  à  honneur  de  déposer  aux 
pieds  de  l'héroïne  le  tribut  de  leur  admira- 
tion et  de  leur  reconnaissance. 

Pasteur  écrivait  : 

«  La  grandeur  des  actions  humaines  se  mesure  à 
l'inspiration  qui  les  fait  naître  ;  la  vie  de  Jeanne 
d'Arc  en  est  la  preuve  sublime.  » 

Gaston  Boissier  s'écriait  à  son  tour  : 

«  Nous  la  reconnaissons  ;  elle  est  bien  de  notre 
race  et  de  notre  sang:  Française  par  les  qualités 
de  son  esprit  autant  que  par  son  amour  pour  la 
France.  » 

Mézières,  un  Lorrain,  lui  consacre  les  vers 
suivants  : 

(1)  Voir  le  supplément  du  Figaro  du  13  août  1887. 


JEANNE   d'arc   AU   VINGTIÈME   SIÈCLE  411 

«  Si  tu  ressuscitais,  ô  ma  bonne  Lorraine, 

Tu  conduirais  au  feu  par  les  monts,  par  la  plaine, 

Nos  jeunes  bataillons  vengeurs  de  leurs  aînés.  » 

Léon  Say  ajoutait  : 

«  Quand  la  patrie  est  malheureuse,  il  reste  aux 
Français  une  consolation.  Ils  se  souviennent  qu'il 
est  né  une  Jeanne  d'Arc  et  que  l'histoire  se  recom- 
mence. » 

Enfin,  Alexandre  Dumas  fils  exprimait  dans 
une  brève  formule  les  sentiments  du  pays  tout 
entier  : 

«  Je  crois  qu'en  France  tout  le  monde  pense  de 
Jeanne  d'Arc  ce  que  j'en  pense  moi-même.  Je  l'ad- 
mire, je  la  regrette  et  je  l'espère  I  » 

Beaucoup  d'autres  penseurs  et  hommes  poli- 
tiques s'associèrent  à  cette  manifestation.  Dans 
un  discours  prononcé  au  Cirque  américain, 
Gambetta  s'écriait  (1)  : 

«  Il  faut  en  finir  avec  les  querelles  historiques, 
On  doit  passionnément  admirer  la  figure  de  la  Lor- 
raine qui  apparut  au  quinzième  siècle,  pour  abaisser 
l'étranger  et  pour  nous  redonner  la  patrie.  » 

De  son  côté,  Jules  Favre  prononça  à  Anvers 
un  panégyrique  de  Jeanne  d'iVrc,  qui  se  termi- 
nait ainsi: 

(1)  Voir  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitalidn,  t.  II.  La  fête  na- 
tionale de  Jeanne  d'Arc. 


412  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

«  Jeanne,  Pucelle  d'Orléans,  c'est  la  France!  la 
France  bien-aimée,  à  laquelle  on  se  doit  dévouer 
d'autant  plus  qu'elle  est  malheureuse;  c'est  plus  en- 
core, c'est  le  devoir,  c'est  le  sacrifice,  c'est  l'hé- 
roïsme de  la  vertu  !  Les  siècles  reconnaissants  n'au- 
ront jamais  assez  de  bénédictions  pour  elle.  Heureux 
si  son  exemple  peut  relever  les  âmes,  les  passionner 
pour  le  bien  et  répandre,  sur  la  patrie  entière,  les 
germes  féconds  des  nobles  inspirations  et  des  dé- 
vouements désintéressés  !  » 

Avant  Jules  Favre,  Eugène  Pelletan  avait 
admiré  dans  Jeanne  la  patronne  de  la  démocra- 
tie. II  disait  aussi  (1)  : 

«  O  noble  fille  !  tu  devais  payer  de  ton  sang  la 
plus  sublime  gloire  qui  ait  sacré  une  tête  humaine. 
Ton  martyre  devait  diviniser  encore  plus  ta  mission. 
Tu  as  été  la  plus  grande  femme  qui  ait  marché  sur 
cette  terre  des  vivants.  Tu  es  maintenant  la  plus 
pure  étoile  qui  brille  à  l'horizon  de  l'histoire.  » 

Francisque  Sarcey  s'inscrivait  sur  les  listes 
de  l'évêque  de  Verdun  et  déclarait  : 

«  saluer  de  tout  son  patriotisme  le  jour  où  toutes 
les  églises  du  pays  s'ouvriront  à  la  fois  pour  célébrer 
les  louanges  de  Jeanne,  et  lui  réserveront  une  cha- 
pelle que  les  femmes  viendront  parer  de  fleurs.  » 

Cette  déclaration  nous  ramène  dans  le  camp 

(1)  Voir  J.  Fabre,  Procès  de  réhabilitation,  t.  II.  La  fête 
nationale  de  Jeanne  d'Arc. 


JEANNE    d'arc   AU    VINGTIÈME    SIECLE  413 

adverse,  le  camp  de  ceux  qui  pensent  avoir 
racheté  le  passé,  en  érigeant  sur  leurs  autels 
la  statue  de  Fhéroïne. 

Nous  nous  sommes  suffisamment  expliqué  à 
leur  endroit  pour  n'avoir  plus  à  insister.  En  ses 
messages  reproduits  plus  haut,  Jeanne  elle- 
même  s'est  prononcée;  après  sa  parole,  la  nôtre 
aurait  peu  d'autorité. 

Rappelons  seulement  certains  propos  et  dis- 
cours, qui  jurent  singulièrement  avec  l'affirma- 
tion des  écrivains  et  des  orateurs  de  ce  parti, 
que  leur  culte  pour  la  «  sainte  nouvelle  »  est 
un  sentiment  noble  et  sans  alliage,  une  des 
formes  les  plus  pures  de  l'amour  du  pays. 

Dans  une  circonstance  solennelle,  au  milieu 
d'une  assistance  nombreuse  où  figuraient,  au 
premier  rang,  trois  grands  dignitaires  de 
l'Eglise,  Pévêque  de  Belley,  Mgr  Luçon,  tenait 
le  langage  qu'on  va  lire.  La  scène  se  passe  en 
Vendée  à  l'érection  du  monument  de  Catheli- 
neau.  Après  avoir  fait  du  mouvement  vendéen 
le  panégyrique  inévitable  en  pareil  lieu,  l'ora- 
teur termine  par  cette  adjuration  :  «  Plaise  à  la 
divine  Providence  de  consacrer  un  jour,  en  la 
personne  de  Gathelineau,  comme  elle  l'a  fait 
pour  la  libératrice  de  la  France  au  quinzième 
siècle,  un  des  plus  beaux  modèles^  de  l'héroïsme 
se  dévouant  y^ro  aris  elfocis.  » 


414  JEANNE    d'arc    MÉDIUM 

Peut-on  vraiment  concilier  Famour  de  la  patrie, 
avec  cette  glorification  enflammée  de  la  guerre 
civile  en  la  personne  d'un  de  ses  chefs  ?  Est-ce 
du  patriotisme,  cet  aveuglement  qui  confond  en 
un  même  éloge  Théroïque  paysanne  qui,  jadis, 
chassait  l'Anglais  de  France,  et  les  Vendéens 
qui  l'y  introduisaient  ? 

Il  faut  noter  aussi  que  le  Monde  et  VUnivers 
attaquèrent  vivement  l'institution  d'une  fête  de 
Jeanne  d'Arc  par  la  République,  et  soutinrent 
qu'il  appartenait  aux  seuls  catholiques  et  roya- 
listes de  célébrer  la  Pucelle  (1). 

De  nombreuses  manifestations  politiques  se 
sont  produites  sur  divers  points  de  la  France, 
dans  lesquelles  le  nom  de  Jeanne  devient  un 
trophée,  un  instrument  de  combat.  Citons  un 
exemple  entre  tous  : 

Le  Journal  du  5  juillet  1909  publie  le  fait 
suivant  : 

Lille,  4  juillet.  —  Cet  après-midi,  une  réunion 
royaliste  a  eu  lieu  à  Lille.  Quatre  cents  personnes  y 
assistaient.  Après  un  exposé  du  programme  roya- 
liste par  M.  Pierre  Lasseyne,  professeur  révoqué, 
M.  Maurice  Pujo  a  fait  une  conférence  sur  Jeanne 
d'Arc.  Il  a  engagé  les  royalistes  à  adopter  la  conduite 


(1)  Voir  Joseph   Fabre,  Procès  de  réhabillîalion,  t.    II.   La 
fête  nationale  de  Jeanne  d'Arc. 


JEANNE    DARG    AU    VINGTIEME    SIECLE  415 

de  rhéroïne,    c'est-à-dire  à   employer  la  méthode 
violente  pour  arriver  à  leur  but. 

Certes,  il  est  loisible  aux  catholiques  et  aux 
royalistes  d'honorer  à  leur  manière  cette  mé- 
moire bénie.  Mais  qu'ils  n'oublient  pas  une 
chose  :  ce  serait  un  acte  coupable  de  mêler  le 
nom  de  la  grande  inspirée  à  nos  luttes,  à  nos 
dissensions  et,  sous  prétexte  de  lui  rendre  hom- 
mage, de  prendre  à  tâche  de  diviser  les  Fran- 
çais, en  discréditant,  par  des  violences,  une 
cause  que  l'on  croit  servir. 

Jeanne  a  péri  victime  des  passions  politiques 
et  religieuses  de  son  temps.  En  ce  qui  la  con- 
cerne, le  présent,  on  le  voit,  n'est  pas  sans 
analogie  avec  le  passé.  Sa  mémoire  est  ballottée 
entre  des  courants  d'opinions  diverses.  Aban- 
donnée par  les  républicains  de  la  Chambre,  qui 
ont  dédaigné  de  sanctionner  les  décisions  du 
Sénat,  elle  est  accaparée  par  les  royalistes  dans 
un  but  trop  intéressé.  Exaltée  par  les  uns,  dé- 
nigrée par  les  autres  dans  un  esprit  d'opposition 
systématique,  son  prestige  sombrera-t-il  dans 
cette  tourmente  d'idées?  Non,  car  la  pure  et 
noble  image  de  la  vierge  lorraine  est  gravée 
pour  toujours  dans  le  cœur  du  peuple,  qui,  lui, 
saura  Taimer  pour  elle-même,  sans  arrière-pen- 
sée. Rien  ne  saurait  l'en  effacer! 


416  JEANNE    d'arc    médium 

Au  milieu  de  nos  discordes,  le  nom  de  Jeanne 
d'Arc  est  encore  le  seul  qui  puisse  rallier  tous 
les  Français  dans  le  culte  de-la  patrie.  L'amour 
de  la  France  s'est  affaibli  dans  le  cœur  de  ses 
fils.  Des  divisions  profondes  les  séparent  ;  les 
partis  se  font  une  guerre  sans  merci.  Les  reven- 
dications violentes  des  uns,  l'égoïsme  et  le  res- 
sentiment des  autres,  tout  contribue  à  déchirer 
la  famille  française.  Les  grands  sentiments  se 
font  rares  ;  les  appétits,  les  convoitises,  les 
passions  régnent  en  maîtres.  Gomme  au  temps 
de  Jeanne,  la  voix  des  Esprits  s'élève  et  nous 
dit,  sinon  au  point  de  vue  matériel,  du  moins 
au  point  de  vue  moral,  «  la  grande  pitié  qui  est 
au  pays  de  France  ». 

Élevons  nos  âmes  au-dessus  des  misères  et 
des  déchirements  de  l'heure  présente.  Appre- 
nons, par  Pexemple  et  les  paroles  de  l'héroïne, 
à  aimer  notre  patrie  comme  elle  sut  l'aimer,  à 
la  servir  avec  désintéressement  et  esprit  de  sa- 
crifice. Redisons  bien  haut  que  Jeanne  n'appar- 
tient ni  à  un  parti  politique,  ni  à  une  Église 
quelconque.  Jeanne  appartient  à  la  France,  à 
tous  les  Français! 

Aucune  critique,  aucune  controverse  ne  sau- 
rait ternir  la  chaste  auréole  qui  l'entoure.  Grâce 
à  un  mouvement  national  irrésistible,  cette 
grande  figure  montera  toujours  plus  haut  dans 


JEANNE    d'arc   AU    VINGTIEME    SIÈCLE  417 

le  ciel  de  la  pensée  calme,  recueillie,  libérée 
des  préoccupations  égoïstes.  Elle  apparaît  non 
plus  comme  une  personnalité  de  premier  plan, 
mais  comme  l'idéal  réalisé  de  la  beauté  mo- 
rale. L'histoire  nous  offre  de  brillantes  pléiades 
d'êtres  de  génie,  de  penseurs  et  de  saints.  Elle 
ne  nomme  qu'une  Jeanne  d'Arc  ! 

Ame  toute  faite  de  poésie,  de  passion  patrio- 
tique et  de  foi  céleste,  elle  se  détache  avec  éclat 
de  l'ensemble  des  vies  humaines  les  plus  belles. 
Elle  se  montre  sans  voile  à  notre  siècle  scep- 
tique et  désenchanté,  comme  une  pure  émana- 
tion de  ce  monde  supérieur,  source  de  toute 
force,  de  toute  consolation,  de  toute  lumière, 
de  ce  monde  que  nous  avons  trop  oublié,  et  vers 
lequel  doivent  maintenant  se  tourner  nos 
regards. 

Jeanne  d'Arc  revient  parmi  nous,  non  seule- 
ment par  le  souvenir,  mais  par  une  réelle  pré- 
sence et  dans  une  action  souveraine.  Elle  nous 
invite  à  compter  sur  l'avenir  et  sur  Dieu.  Sous 
son  égide,  la  communion  des  deux  mondes, 
unis  dans  une  même  pensée  d'amour  et  de  foi, 
peut  encore  se  réaliser  pour  la  régénération  de 
la  vie  morale  expirante,  pour  le  renouvellement 
de  la  pensée  et  de  la  conscience  de  l'humanité! 


XXL  —  Jeanne  d'Arc  a  l'étranger. 


Nous  pensons  en  Angleterre 
que  Jeanne  est  la  plus  grande 
héroïne  qu'ait  vue  le  monde,  et 
nous  regrettons  ce  qui  a  été 
fait  et  qui  fut  mal  fait. 

Edward  Clarke. 

La  vie  et  Fœuvre  de  Jeanne  d'Arc  ont  suscité 
l'admiration  de  tous  nos  voisins.  La  vierge  lor- 
raine, critiquée,  dénigrée  en  France,  ne  ren- 
contre au  dehors  qu'un  respect  et  une  sympa- 
thie universels. 

Domremy  est  devenu  le  but  de  pèlerinages 
internationaux.  Le  14  juin  1909,  les  journaux  de 
Nancy  publiaient  la  note  suivante  : 

«  Trois  trains  spéciaux  ont  amené  jeudi,  à 
Domremy,  des  dames  italiennes  venant  accom- 
plir un  pieux  pèlerinage  à  la  maison  natale  de 
Jeanne  d'Arc.  » 

De  leur  côté,  les  Anglais,  venus  soit  en 
groupes,  soit  isolément,  y  affluent.  On  y  ren- 
contre aussi  des  Américains,  des  Russes,  des 
Hollandais,  des  Belges,  des  Allemands,  etc. 


JEANNE   d'arc   A   l'ÉTRANGER  419 

L'Angleterre  tout  entière  s*est  prise  d'en- 
thousiasme pour  la  grande  inspirée,  et  ses  fils 
ne  manquent  pas  une  seule  occasion  de  la  glo- 
rifier. 

Aux  fêtes  normandes  célébrées  en  mai,  à 
Rouen,  figurent,  chaque  année,  des  délégations 
anglaises,  qui  traversent  la  Manche  pour  honorer, 
avec  solennité,  la  mémoire  de  la  Pucelle.  En 
190/i,  M.  Tree,  maire  d'Hastings,  s'y  présentait 
en  grand  cérémonial,  revêtu  de  son  costume 
d'apparat  et  précédé  des  deux  massiers  tradi- 
tionnels, pour  déposer  une  branche  de  lis  en 
fer  forgé,  sur  la  place  même  où  Jeanne  fut  sup- 
pliciée. 

Ce  beau  geste  fut  répété  en  1909.  Des  An- 
glais, en  nombreux  cortège,  vinrent  prendre 
part  aux  fêtes  de  Rouen.  M.  Edward  Glarke^ 
maire  d'Hastings,  vice-président  de  VUnion 
Jeanne  d'Arc  de  Bouen,  avait  pris  l'initiative 
de  cette  manifestation.  Quelques  jours  aupara- 
vant, il  écrivait  au  maire  de  la  grande  cité  nor- 
mande : 

«  Il  n'y  a  pas  un  seul  Anglais  qui  ne  soit  prêt  à 
rendre  un  sincère  hommage  à  Jeanne  d'Arc.  Nous 
pensons,  en  Angleterre,  qu'elle  est  la  plus  grande 
héroïne  qu'ait  vue  le  monde,  et  nous  regrettons  ce 
qui  a  été  fait  et  qui  fut  mal  fait  (i).  » 

(1)  Voir  le  Journal,  31  mai  1909. 


420  JEANNE    D  ARC    MEDIUM 

Le  30  mai  1909,  sir  Ed.  Clarke  renouvelait, 
au  nom  de  la  délégation  anglaise  qu'il  diri- 
geait, ces  déclarations  émouvantes.  Elles  furent 
très  applaudies. 

En  1885,  un  Italien,  le  comte  Balsami,  ayant 
découvert  aux  archives  du  Vatican  un  mémoire 
du  quinzième  siècle  sur  les  «  miracles  »  accom- 
plis par  Jeanne^  une  commission  fut  constituée 
pour  dépouiller  et  vérifier  ce  document. 

Le  président  désigné  fut  un  cardinal  anglais, 
l'éminent  Howard,  d'illustre  naissance.  Il  eut 
une  noble  expression  :  «  Ce  n'est  pas  d'une 
main  sanglante  que  je  vais  tourner  les  pages 
de  cette  sublime  histoire  :  c'est  d'une  main  re- 
pentante. )> 

L'Angleterre  avait  déjà  répudié  le  crime  de 
Bedford,  le  jour  où  la  reine  Victoria  voulut 
avoir  sous  les  yeux  l'image  de  notre  Jeanne,  et 
fit  peindre  son  portrait. 

Catholique,  l'Angleterre  n'avait  pas  cherché 
à  intimider  Rome  lors  du  procès  de  réhabili- 
tation ;  devenue  protestante,  elle  aida  de  son 
mieux  à  la  béatification. 

Spectacle  touchant  :  le  léopard  se  couche 
aux  pieds  de  la  vierge  de  Domremy  et  implore 
son  pardon! 

N'y  a-t-il  pas  là  une  leçon  pour  les  Fran- 
çais ?  une  invitation  à  tresser  la  plus  belle  des 


JEANNE    d'arc    A    LETRANGER  42J 

couronnes  à  leur  héroïne  et,  comme  nos  voi- 
sins d'outre-Manche,  à  faire  amende  honorable 
devant  celle  envers  qui  tous  les  partis  se  ren- 
dirent coupables  ?  Oui  certes,  coupables  !  Ce 
furent  des  catholiques  français  qui  la  condam- 
nèrent, au  moment  même  où  les  royalistes 
l'abandonnaient  à  son  sort  cruel,  et  les  libres 
penseurs  n'ont  guère  mieux  agi  envers  elle  : 
un  de  leurs  maîtres.  Voltaire,  Fa  profanée,  et 
aujourd'hui  encore,  c'est  parmi  eux  que  se  ran- 
gent tous  ses  détracteurs. 


Recherchons  de  quelle  façon  la  mémoire  de 
Jeanne  a  conquis  peu  à  peu  l'opinion  publique 
en  x\ngleterre  et  en  Allemagne.  Dans  cet  exa- 
men, nous  nous  inspirerons,  tout  spécialement, 
du  travail  de  M.  James  DdLrmesteter  :  Nouvelles 
Études  anglaises^  et  de  l'intéressante  brochure 
de  M.  Georges  Goyau  :  Jeanne  d'Arc  devant 
l'opinion  allemande. 

Tout  d'abord,  en  ce  qui  touche  l'opinion  an- 
glaise, citons  M.  J.  Darmesteter  : 

«  La  vie  de  Jeanne  d'Arc  en  Angleterre,  depuis  sa 
mort  jusqu'à  nos  jours,  se  divise  en  trois  périodes  : 
sorcière,  —  héroïne,  —  sainte  ;  d'abord  deux  siècles 
d'insulte   et  de    haine,   puis  un   siècle   de  justice 

24 


422  JEANNE   d'arc  MEDIUM 

humaine;  enfin,  en  1798,  s'ouvre  une  ère   d'adora- 
tion et  d'apothéose.  » 

A  la  première  période  se  rattachent  les  chro- 
niques de  Caxton  et  Holinshed,  et  le  Henri  VI 
attribué  à  Shakespeare.  La  vague  de  haine  et 
de  calomnie,  soulevée  par  l'œuvre  de  Jeanne 
d'Arc,  s'arrête  là.  En  1679,  le  docteur  Howell 
constate  déjà,  que  «  la  fameuse  bergère  Jeanne 
de  Lorraine  a  fait  de  bien  grandes  choses». 

En  17 M,  l'historien  conservateur  William 
Guthrie  écrit,  à  propos  du  jugement  de  la 
Pucelle  :  «  Comme  l'or,  elle  parut  plus  pure  à 
chaque  épreuve.  »  Peuaprès,  John  Wesley,  com- 
mentant le  récit  de  Guthrie,  ajoutera  :  «  Elle 
ne  méritait  certainement  pas  ce  sort,  soit  qu'elle 
fût  une  enthousiaste  convaincue  ou  une  per- 
sonne qu'il  avait  plu  à  Dieu  de  susciter  pour  la 
délivrance  de  son  pays.  » 

En  1 796  apparaît  l'œuvre  célèbre  de  Southey  : 
Joan  of  Arc,  poème  épique  plein  de  lacunes  et 
d'erreurs,  mais  qu'anime  un  souffle  généreux. 
Nous  en  détacherons  quelques  passages. 

Jeanne,  en  route  pour  Chinon,  raconte  à  ses 
compagnons  de  voyage,  parmi  lesquels  l'auteur 
range  Dunois,  les  impressions  de  sa  jeunesse,  et 
comment  elle  apprit  la  mission  dont  elle  est 
chargée.   Elle  n'est  pas  aimée  chez  elle  ;  elle 


JEANNE    d'arc   A    L  ÉTRANGER  4^3 

demeure  chez  son  oncle  et  mène  paître  le  trou- 
peau de  son  père  le  long  de  la  Meuse.  La  beauté 
du  paysage  et  la  solitude  des  bois  agissent  peu 
à  peu  sur  son  âme  contemplative  ;  la  mort  d'une 
amie  tourne  son  cœur  vers  les  soufFrances 
humaines  ;  une  conversation  enthousiaste  la 
remue  et  l'exalte. 

«  Des  pensées  guerrières,  —  dit-elle,  —  assié- 
geaient mon  esprit,  si  bien  que  je  ne  m'endormis 
qu'à  l'aube;  mais  cela  ne  calma  pas  mon  esprit 
surexcité,  car  des  visions  surgirent,  envoyées,  j'en 
suis  convaincue,  par  le  Très-Haut  !  Je  vis  une  ville 
fortifiée  de  toute  part,  garnie  de  hautes  tours  et 
cernée  par  les  ennemis.  La  Famine  y  suivait  d'un  œil 
d'envie,  près  d'un  amas  de  squelettes,  le  corbeau 
repu,  qui  se  nourrit  de  lambeaux  sanglants.  Je  me 
tournai,  alors,  vers  le  camp  de  l'assiégeant,  et  là  il 
y  avait  fête;  le  rire  grossier  éclata,  très  fort,  à  mes 
oreilles,  et  je  contemplai  ces  chefs  qui,  même  pen- 
dant leurs  festins,  préparaient  des  plans  de  mort. 
J'en  fus  écœ.urée  jusqu'au  fond  de  l'âme.  Puis  il  me 
sembla  que  d'un  nuage,  aussi  noir  que  celui  qui 
engendre  la  tempête,  un  bras  géant  surgit  et  laissa 
tomberune  épée  qui  raya,  comme  l'éclair,  les  ténèbres 
de  la  nuit.  Une  voix  se  fit  entendre  à  mon  oreille, 
qui  résonnera  de  nouveau  à  l'heure  de  joie  terrible, 
où  l'ennemi  affaibli  s'évanouira  devant  ma  colère. 
Depuis  cette  nuit-là,  je  pus  sentir  .mon  âme  sou- 
cieuse palpitant  sous  la  force  divine  qui  s'épandait 


424  JEANNE    D  ARC    MEDIUM 

en  moi.  Je  restai  songeuse,  pensant  aux  jours  à 
venir,  sans  voir  ce  qui  se  passait  autour  de  moi  et 
sans  m'en  soucier,  dans  ce  demi-sommeil  de  Tâme 
où  tous  les  sens  corporels  sont  comme- endormis  et 
que,  seul,  l'esprit  veille.  J'ai  entendu  des  voix  incon- 
nues, dans  le  vent  du  soir;  des  formes  étrangères, 
à  demi  visibles,  remplissaient  en  foule  l'air  du  cré- 
puscule. Ceux  qui  m'avaient  connue  autrefois,  jeune 
fille  gaie  et  insouciante,  s'étonnèrent.  »  (Livre  I, 
vers  44o  et  suivants.) 

«  Oui,  capitaine, —  dit-elle  à  Dunois,  —  le  monde 
croira  bientôt  en  ma  mission,  car  le  Seigneur  fera 
soulever  l'indignation  et  déversera  sa  colère  sur 
ceux  qui  oppressent,  et  ils  périront.  »  (Livre  I, 
les  4  derniers  vers.) 

L'auteur  n'en  fait  pas  une  dévote  :  elle  dé- 
clare aux  théologiens  qui  l'interrogent  que, 
maintenant,  c'est  dans  la  contemplation  de  la 
nature  et  non  dans  les  pratiques  extérieures 
de  la  piété,  qu'elle  trouve  réconfort  et  commu- 
nion divine.  (Livre  III,  vers  hOO  et  suivants.) 
On  la  tient  pour  une  hérétique,  et  l'on  veut  la 
soumettre  au  jugement  de  Dieu  ;  mais  voici 
Jeanne  qui  s'écrie,  en  montrant  un  tombeau 
voisin  : 

«  L'épée  de  Dieu  est  ici  ;  la  tombe  va  parler  pour  le 
prouver.  Entendez-vous?  Là,  sont  les  armes  qui  jet- 
teront la  terreur  dans  l'armée  ennemie  ;  je  les  revê- 


JEANNE   d'arc    A    l'ÉTRANGER  425 

tirai  en  présence  de  notre  roi  et  du  peuple  assemblé  ; 
je  les  sortirai  de  ce  tombeau  où  elles  sont  enfer- 
mées depuis  longtemps,  incorruptibles,  cachées,  à 
moi  destinées,  l'envoyée  du  ciel  !  » 

Ce  n'est  pas  sans  difficulté  que  Jeanne 
pourra  se  mettre  en  route  pour  l'armée  ;  elle  a 
revêtu  l'armure  dans  le  sanctuaire  de  Sainte - 
Catherine;  c'est  sans  crainte  qu'elle  va  partir, 
bien  qu'elle  sache  comment  elle  mourra  : 

«  C'était  pendant  la  dernière  nuit  que  je  passai  à 
Domremy  ;  j'étais  assise  près  du  ruisseau,  l'âme  dé- 
bordante d'esprit  divin.  Je  vis  alors  une  troupe  de 
bandits  entourant  un  bûcher  ;  au  poteau,  une  femme 
était  attachée  ;  les  fers  meurtrissaient  sa  poitrine, 
et,  autour  de  ses  membres,  le  feu  lançait  ses  flammes 
ardentes.  Je  vis  ses  traits  et  je  me  reconnus.  » 
(Livre  IV,  hgnes  3io  et  suivantes.) 

L'œuvre  de  Southey  accentua  le  revirement 
d'opinion  en  faveur  de  Jeanne.  Certains  cri- 
tiques anglais  la  trouvèrent  pourtant  insuffi- 
sante. Thomas  de  Quincey,  Fun  des  écrivains 
les  plus  érudits  et  les  plus  estimés  de  ce  temps, 
reproche  au  poète  d'avoir  arrêté  la  carrière  de 
l'héroïne  au  sacre  de  Reims,  et  d'avoir  esquivé 
sa  passion.  Il  dit  à  ce  sujet  : 

«  Tout  ce  qu'elle  avait  à  faire  était  accompli  ;  il 
lui  restait  à  souffrir.  Jamais,  depuis  que  furent  jetés 

24. 


426  JEANNE    d'arc  MEDIUM 

les  fondements  de  la  terre,  il  n'y  eut  tel  procès  que 
le  sien,  si  on  pouvait  le  déployer  dans  toute  sa  beauté 
de  défense,  dans  toute  son  horreur  infernale  d'at- 
taque. 0  enfant  de  France,  bergère,  jeune  paysanne 
foulée  aux  pieds  de  tous  ceux  qui  t'entourent  !  » 

Depuis  un  siècle,  l'Angleterre  ne  cesse  de 
rendre  à  la  mémoire  de  Jeanne  les  plus  cha- 
leureux hommages.  Richard  Green  la  considère 
comme  «  la  figure  de  pureté  qui  se  détaclie 
du  sein  de  l'avidité,  de  la  luxure,  derégoïsme, 
de  l'incrédulité  du  temps  ».  Les  biographies 
de  l'héroïne,  les  apologies  se  multiplient.  Ci- 
tons aussi  ces  paroles  de  Carlyle  : 

«  Jeanne  d'Arc  devait  être  une  créature  de  rêves 
pleins  d'ombres  et  de  lumières  profondes,  de  senti- 
ments indicibles,  de  pensées  qui  erraient  à  tra- 
vers Téternité.  Qui  peut  dire  les  épreuves  et  les 
triomphes,  les  splendeurs  et  les  terreurs  dont  ce 
simple  esprit  était  la  scène?  » 

Il  y  a  soixante  ans,  le  jeune  pasteur  et  poète 
John  Stirling  célébrait  à  son  tour  notre  héroïne 
nationale,  et  voyait  en  elle  «  le  personnage 
peut-être  le  plus  merveilleux,  le  plus  exquis, 
le  plus  complet  de  toute  l'histoire  du  monde  ». 
Il  ajoute  : 

«  Bien  haut  parmi  les  morts  qui  donnent  une  vie 
meilleure  à  ceux  qui  vivent,  voyez  briller  la  jeune 


JEANNE    d'arc    A    L'ÉTRANGER  427 

paysanne  dans  sa  cuirasse  sacrée,  elle  que  le  Sei- 
gneur de  la  paix  et  de  la  guerre  envoya,  comme  un 
char  de  flamme,  loin  du  bercail  paternel.  » 

L'œuvre  toute  récente  de  l'écrivain  écossais 
Andrew  Lang,  sur  Jeanne  d'Arc  (1),  vient  com- 
pléter cet  ensemble  de  travaux.  Elle  constitue 
un  magnifique  plaidoyer  en  faveur  de  l'héroïne, 
que  l'auteur  défend  avec  humour  et  sagacité 
contre  les  attaques  sournoises  d'Anatole  France. 
Dès  le  milieu  du  dix-huitième  siècle,  dit-il,  lors- 
que David  Hume,  grâce  aux  chroniqueurs  écos- 
sais, put  acquérir  la  certitude  de  l'iniquité  de  la 
condamnation  de  Jeanne,  tout  le  monde  en 
Angleterre  fut  éclairé  sur  cet  événement  his- 
torique. 

Depuis,  on  y  a  glorifié  la  martyre  de  maintes 
façons.  Chaque  enfant  connaît  son  histoire,  his- 
toire sans  pareille,  constate  iVndrew  Lang. 
Quelles  que  fussent  les  difficultés  présentes, 
Jeanne  les  comprenait  à  l'instant,  résolvait  le 
problème  et,  selon  les  circonstances,  agissait 
en  capitaine,  en  savant  ou  en  grande  dame 
(p.  6).  Ce  qu'il  admire  surtout  en  elle,  c'est  sa 
volonté,  sa  ténacité  (p.  193).  Rien  ne  la  rebute 
pour  arriver  à  ce  qu'elle  envisage  comme  étant 


(1)  Andrew  Lang,  The  Maid  of  France.  Longmans,  Green, 
and  C°,  39,  Paternoster  Row,  London,  1909. 


-428  JEANNE    d'arc   médium 

le  bien  du  royaume.  A  Rouen,  elle  est  sublime 
de  courage  et  de  résolution,  lorsqu'elle  refuse 
de  donner  sa  parole  qu'elle  ne  s'échappera  pas, 
préférant  ainsi  endurer  l'odieuse  compagnie  de 
«  houspilieurs  »,  que  de  sacrifier  son  droit  légi- 
time !  (P.  252.) 

Quant  aux  forces  déployées  par  l'Angleterre 
pour  envahir  la  France,  l'auteur  affirme,  sur  la 
foi  de  documents  encore  inédits,  que,  pour 
jeter  la  terreur  dans  les  cœurs  français  les  plus 
audacieux,  l'Angleterre  fît  des  préparatifs  con- 
sidérables et  dépensa  sans  compter,  utilisant 
les  dernières  inventions  de  l'art  militaire 
(p.  66).  Mais,  ajoute-t-il,  les  Anglais  n'étaient 
pas  en  nombre  suffisant  pour  se  maintenir  dans 
leur  conquête. 

Andrew  Lang  est  bien  forcé  de  l'avouer  :  la 
science  ne  peut  pas  tout  expliquer  dans  la  vie 
de  Jeanne  d'Arc.  Il  espère  cependant  qu'elle  le 
pourra  sans  doute  un  jour  (p.  1/i).  Son  espoir  ne 
saurait  être  déçu. 

L'Amérique  possède  aussi  une  Vie  de  Jeanne 
d'Arc  (1)  très  estimée;  elle  est  due  à  la  plume 
de  Francis  Low^ell. 

(1)  F.  LowELL,  Life  ofJoan  of  Arc. 


JEANNE    d'arc    A    l'ÉTRANGER  429 


En  Allemagne,  les  exploits  de  Jeanne  d'Arc, 
nous  dit  M.  Georges  Goyau  (1),  étaient  connus 
et  suivis  au  jour  le  jour.  Il  en  subsiste  des 
preuves  écrites,  par  exemple  le  Mémorial 
d'Eberhard  de  Windecke,  historiographe  de 
l'empereur  Sigismond. 

Un  siècle  plus  tard,  vers  la  fin  du  règne  de 
François  P'",  au  même  moment  où  Du  Maillan, 
chroniqueur  patenté  des  Valois,  diffamait  la  Pu- 
celle,  et  où  Etienne  Pasquier  constatait  avec  dou- 
leur le  discrédit  dans  lequel  sa  mémoire  était 
tombée  dans  notre  pays,  un  jeune  Prussien, 
Eustache  de  Knobelsdorf,  improvisait  un  éloge 
pathétique  de  la  grande  inspirée. 

En  1800,  Schiller,  que  la  Convention  avait 
honoré  du  titre  de  citoyen  français,  dans  un 
poème  tragique  de  belle  envolée,  vengeait 
Jeanne  d'Arc  des  insanités  de  Voltaire. 

Ce  poème  fut  mis  à  la  scène  et  obtint,  dans 
toute  l'Allemagne,  un  succès  extraordinaire. 
De  1801  à  1843,  la  Pucelle  d'Orléans  n'eut  pas 
moins  de  2/il  représentations  sur  la  seule  scène 
berlinoise;  on  ne  se  lassait  pas  de  l'applaudir. 
C'est  ainsi,  nous  dit  G.  Goyau,  que,    grâce   à 

(1)  G.  Goyau,  Jeanne  d'Arc  devant  Vopinion  allemande. 


430  JEANNE    d'arc   MEDIUM 

l'œuvre  de  Frédéric  Schiller,  la  gloire  de  Thé- 
roïne  lorraine  se  confond  avec  la  gloire  litté- 
raire de  l'Allemagne. 

Gœthe  écrivait  à  Schiller  (1)  :  «  Votre  pièce 
est  si  bonne,  si  bonne  et  si  belle,  que  je  ne  vois 
rien  à  lui  comparer.  »  Cette  œuvre  est  cepen- 
dant loin  d'être  parfaite. 

L'auteur  a  bien  vu  en  Jeanne  une  âme  enflam- 
mée de  patriotisme,  mais,  dans  son  drame  (2), 
il  a  complètement  défiguré  l'histoire. 

Le  poème  contient  pourtant  des  passages  qui 
méritent  d'être  signalés.  Voici  d'abord,  comment 
l'auteur  nous  présente  l'héroïne  : 

Un  paysan  apporte  de  Vaucouleurs  un  casque 
qu'une  bohémienne  lui  a,  pour  ainsi  dire,  imposé.  A 
cette  vue,  Jeanne  s'approche.  Elle  voit  dans  ce  casque 
un  signe  du  ciel  et  s'en  empare,  prêtant  avidement 
l'oreille  aux  récits  du  laboureur,  qui  vient  d'appren- 
dre la  détresse  d'Orléans  et  la  désunion  des  Fran- 
çais. Inspirée,  elle  prophétise  le  relèvement  de  la 
patrie  par  le  secours  de  Dieu.  Elle  gagne  Chinon  où, 
tout  de  suite,  son  succès  dans  un  combat  et  sa  clair- 
voyance maintes  fois  vérifiée,  lui  obtiennent  la  faveur 
de  la  cour. 


(1)  Correspondance  entre  Gœthe  et  Schiller^  traduction  Saint- 
René-Taillandier,  t.  II,  p.  229. 

(2)  Die  Jungfrau   von  Orléans.    Eine   romanlische    Tragôdie 
von  Fr.  von  Schiller. 


JEANNE   d'arc   A    l'ÉTRANGER  431 

Le  drame  se  transforme  ensuite  en  un  pur  ro- 
man. A  la  fin,  Jeanne,  capturée  par  les  Anglais, 
leur  propose  fièrement,  au  nom  de  son  roi,  un 
contrat  de  paix,  s'ils  consentent  à  restituer  à  la 
France  ce  qu'ils  lui  ont  pris,  les  avertissant  que 
leurpuissance  touche  à  sa  fin.  Cependant  l'armée 
française  cherche  à  délivrer  Jeanne,  que  ses  en- 
nemis veulent  mettre  à  mort.  De  la  tour  où  elle 
est  enchaînée  sous  la  garde  d'Isabeau,  qui  doit 
lui  donner  le  coup  de  grâce  si  les  Anglais  ont 
le  dessous,  l'héroïne  suit  avec  émotion  les  péri- 
péties du  combat,  que  leur  décrit  un  soldat  placé 
à  un  poste  d'observation.  Ses  prières  accompa- 
gnent les  Français.  Mais  voilà  le  roi  entouré 
d'adversaires  !  Une  ardente  invocation  procure  à 
Jeanne  le  pouvoir  de  rompre  ses  lourdes  chaînes; 
elle  vole  au  secours  des  siens.  Du  haut  de  la 
tour,  on  la  voit  dégager  son  roi  et  ramener  la 
victoire  du  côté  des  Français.  C'est  au  prix  de 
sa  vie.  Elle  meurt  glorieusement  sur  le  champ 
de  bataille,  dans  une  dernière  vision,  où  la 
Vierge  l'accueille  avec  un  sourire.  Et,  sur  un 
signe  du  roi,  tous  les  drapeaux  sont  doucement 
déposés  sur  son  beau  corps  refroidi. 

Certes,  nous  ne  saurions  reconnaître  notre 
Jeanne  dans  celle  du  poète  allemand.  Il  en  a 
pris  trop  à  son  aise  avec  la  vérité  historique. 
Son  drame,  néanmoins,  passera,  sans  doute,  à 


43:2  JEANNE  d'arc  médium 

la  postérité,  car  il  témoigne  du  noble  idéal  de 
son  auteur  en  des  vers  tantôt  incisifs,  et  qui  se 
Sfravent  comme  des  sentences  dans  la  mémoire, 
tantôt  si  touchants,  si  vraiment  humains,  que 
Fàme  en  garde  une  impression  profonde. 

Un  critique  éminent,  A.-W.  Schlegel,  disait  en 
ces  termes  son  admiration  pour  le  caractère  de 
Jeanne  d'Arc  dans  l'œuvre  de  Schiller  (1)  :  «  La 
haute  mission  dont  elle  a  la  conscience,  et  qui 
imposele  respectàtout  ce  quil'approche,  produit 
un  effet  extraordinaire  et  plein  de  grandeur.  » 

Schlegel,  l'illustre  ami  de  Mme  de  Staël,  con- 
sacra une  pièce  de  vers  au  supplice  de  l'hé- 
roïne. Dans  cette  œuvre,  il  prend  violemment 
Voltaire  à  partie  et  semble  même  demander 
compte  au  peuple  français  tout  entier,  de  l'erreur 
commise  par  le  philosophe  :  «  Un  poète,  dit-il, 
non  !  un  insulteur  de  la  pieuse  voyante,  outrage 
la  pure  créature;  la  gloire  de  l'histoire,  en  un 
poème  infâme,  vous  sert  de  passe-temps  répu- 
gnant. »  Et  Schlegel,  avec  véhémence,  traite 
les  Français  de  «  race  sans  cœur,  étrangère  à 
la  loyauté  et  au  droit,  tantôt  oppressive  et  tan- 
tôt esclave,  jamais  douce,  jamais  libre  »  (2).  De 

(1)  Cours  de  lillérature  dramatique,  t.  III,  pp.  309-310.  Paris 
et  Genève,  Paschoud,  1814. 

(2)  A.-W.    Schlegel,   Poetische    Werke,   t.   I,  pp.   233-236. 
(Heidelberg,  Mohr  et  Zimmer,  1811.) 


JEANNE    d'arc   A    l'ÉTRANGER  433 

son  côté,  Mme  de  Staël  écrivait,  dans  son  livre 
De  V Allemagne  :  «  Les  Français  seuls  ont  laissé 
déshonorer  la  mémoire  de  Jeanne  :  c'est  un 
grand  tort  de  notre  nation,  que  de  ne  pas  résis- 
ter à  la  moquerie,  quand  elle  lui  est  présentée 
sous  des  formes  piquantes  (1).  »  Schlegel,  dit 
G.  Goyau  (2),  traduisait  en  invectives  la  sévère 
remarque  de  Mme  de  Staël;  pour  réprimer 
son  torrent  d'injures,  il  eût  suffi  de  lui  dire, 
d'un  mot,  que  la  France  de  Voltaire  n'est  pas 
toute  la  France. 

L'odyssée  littéraire  de  laPucelle  en  Allemagne 
ne   s'arrête  pas  là. 

Au  lendemain  de  1815,  un  publiciste  bava- 
rois, Friedrich  Gottlob  Wetzel,  écrivit  une  tra- 
gédie sur  Jeanne  d'Arc. 

Le  baron  de  la  Motte-Fouqué,  descendant  de 
réfugiés  protestants,  pour  célébrer  l'héroïne  se 
fit  traducteur.  Il  adapta  au  goût  allemand  V His- 
toire de  Jeanne  d'Arc,  de  Lebrun  desCharmettes. 

Mais  l'œuvre  la  plus  rigoureusement  histori- 
que consacrée,  au  delà  du  Rhin,  au  souvenir  de 
notre  Jeanne,  est  celle  de  Guido  Goerres.  Joseph 
Goerres  et  Guido,  son  fils,  écrivirent  un  livre, 
dans  lequel  «  ils  prosternaient  aux  pieds  de  la 

(1)  Mme  DE  Staël,  De  V Allemagne.,  édit.  Garnier,  p.  242. 

(2)  G.    Goyau,    Jeanne   d'Arc    devant  Vopinion  allemande, 
pp.  43-44. 

25 


434  JEANNE  d'arc  MÉt)itjM 

vierge  française  les  hommages  de  F  Allemagne  ». 

Jeanne  d'Ar?  est  l'envoyée  de  Dieu  pour  le 
salut  de  la  France  :  voilà  la  thèse  que  soutient 
Joseph  Goerres,  dans  la  préface  dont  il  fait 
précéder  le  livre  de  son  fils. 

«  Déjà  dans  le  lointain  —  nous  explique-t-il  — 
se  préparait  la  Réforme,  et,  plus  loin  encore,  la 
Révolution;  or  ni  l'une  ni  l'autre  ne  devaient 
trouver  l'Angleterre  et  la  France  réunies  sous 
un  même  sceptre,  parce  que,  dans  l'état  de 
complet  absolutisme  qui  eût  pesé  sur  le  monde 
européen,  elles  eussent  été  étouffées  par  la 
force  purement  matérielle,  ou  bien,  s'étendant 
victorieusement  sur  cette  partie  du  monde,  elles 
auraient  produit  une  anarchie  effrénée,  et,  dans 
l'un  et  Fautre  cas,  la  dissolution  de  l'ordre  so- 
cial. C'était  en  outre  la  destinée  des  Français 
de  devenir,  entre  les  mains  de  Dieu,  dans  les 
âges  suivants,  un  fouet  et  un  aiguillon  pour  les 
autres  peuples,  et  la  France  n'eût  pu  remplir  ce 
rôle  providentiel,  si  elle  n'eût  pas  été  délivrée 
de  la  domination  étrangère  et  n'eût  pas  conservé 
son  individualité  (1).  » 

Selon  Joseph  Goerres,  Jeanne  appartenait  à 
deux  mondes,  celui  de  la  terre  et  celui  du  ciel  ; 


(1)  GuiDO   Goerres,  Jeanne  d'Arc,  traduction   Léon  Bore, 

pp.  XI-XII. 


JEANNE    d'arc    A    l'ÉTRANGER  435 

elle  était  appelée  à  agir  dans  Pun  comme  en- 
voyée de  l'autre;  à  ce  titre,  elle  appartiendrait 
à  tous  les  peuples,  au  peuple  français  par  le 
sang,  aux  autres  par  ses  nobles  actions. 

11  s'en  fallut  de  peu  que  Guido  Goerres  ne 
précédât  Quicherat  dans  ses  recherches.  Mon- 
talembert  eut  Fintention  d'aborder  ce  grand 
sujet,  mais  le  travail  de  Guido  Goerres  lui  parut 
assez  important  pour  l'y  faire  renoncer,  et  il 
l'écrivit  au  père  de  l'auteur.  Guido  séjourna  à 
Orléans,  vint  à  Paris,  à  la  Bibliothèque  Natio- 
nale, et  projetait  un  nouveau  livre  sur  la 
Pucelle,  plus  documenté  que  le  premier,  quand 
il  fut  rappelé  en  Allemagne  et  détourné  par 
d'autres  travaux. 

Depuis  cette  époque,  une  pléiade  de  savants, 
d'historiens,  d'écrivains  de  tous  rangs  se  sont 
mis,  au  delà  du  Rhin,  à  commenter  l'épopée  de 
la  vierge  lorraine. 

Par  la  plume  des  deux  Goerres,  le  catholi- 
cisme allemand  avait  rendu  hommage  à  la  Pu- 
celle; Charles  Hase,  en  1850,  lui  apporta  Thom- 
mage  du  protestantisme  (1).  Hase  est  aussi  un 
admirateur  passionné  de  Jeanne  d'Arc.  Guido 
Goerres  avait  instauré,  parmi   les  catholiques 


(1)  Heilige  and  Propheten,  Zweiter  Teil    (3»  édition,  1893, 
Leipzig,  Breitkopf  etHaertel). 


436  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

d'Allemagne,  une  sorte  de  culte  de  Jeanne 
d'Arc  ;  Charles  Hase,  lui,  introduisait  chez  les 
protestants  une  sorte  de  religiosité  de  Jeanne. 

L'historien  Reinhold  Pauli,  en  1860,  déclarait 
que,  «  pour  tous  les  esprits  impartiaux,  elle 
demeurait  une  énigme  »  (i). 

Un  des  biographes  allemands  de  Jeanne  (2), 
le  professeur  Hermann  Semmig,  osait  écrire  en 
1883  :  «  En  France,  hors  d'Orléans,  la  Pucelle 
n'est  pas  partout  aussi  chère  au  peuple  français, 
qu'elle  l'est  au  peuple  allemand  (3).  » 

«  L'Allemagne  — ■  écrit  encore  G .  Goyau  (4)  — 
semble  affecter  une  sorte  de  coquetterie  à  l'en- 
droit de  la  Pucelle;  et  cette  coquetterie,  parfois, 
dans  l'expression  dont  elle  se  pare,  devient 
presque  offensante  pour  nous.  Si  la  France 
pouvait  être  accusée  d'oublier  Jeanne,  l'Allema- 
gne serait  là  pour  la  célébrer;  si  quelque  Fran- 
çais diffame  Jeanne,  l'Allemand  surgit  comme 
chevalier.  On  dirait  que  l'Allemagne  littéraire 
et  savante,  toujours  éprise  de  l'antique  Velléda, 
porte  quelque  envie  aux  Français.  » 
Cet    intérêt  passionné    pour    notre    héroïne 

(1)  Bilder  ans  AU-England  (Gotha,  Perthes,  1860). 

(2)  Semmig,  Die  Jungfrau  von  Orléans  und  ihre  Zeitgenossen. 
(Leipzig,  Unflad,  1885.) 

(3)  Die  Garlenlaube,  1883,  n"  18,  p.  291. 

(4)  G.    Goyau,   Jeanne  d'Arc   devant    l'opinion    allemande, 
pp.  76-77. 


JEANNE   d'arc   a   L'ÉTRANGER  437 

démontre  à  quel  point  les  Allemands  ont  le 
goût  de  l'idéal.  Chez  eux,  les  écrivains  de  toutes 
écoles  :  rationalistes  et  spiritualistes,  physio- 
logistes et  mysticfues,  ont  tourné  leurs  regards 
admirateurs  vers  cette  figure  si  française,  qui 
projette,  à  travers  les  siècles,  un  sillage  lumi- 
neux. 


L'Italie  nous  olfre,  sur  le  même  sujet,  la 
Chronique  générale  de  Venise  on  Diario^  d'x\nto- 
nio  Morosini,  récemment  traduite  et  publiée  (1). 

A.  Morosini,  noble  Vénitien  et  négociant  ar- 
mateur de  réel  mérite,  a  rédigé  sous  ce  titre  un 
((  journal  »,  tenu  sans  interruption  de  \!\^!x  à 
l/i3/i,  que  la  Revue  hebdomadaire  commente  en 
ces  termes  : 

«  Observateur  prévoyant  et  avisé,  il  (Morosini)  a 
su  intercaler  le  texte  de  vingt-cinq  lettres  ou  groupes 
de  lettres  relatant  au  furet  à  mesure  la  suite  des  ac- 
tions de  la  Pucelle.  Ainsi  se  trouve  composé,  spon- 
tanément, le  plus  sincère  des  ensembles,  la  «  série  » 
la  plus  captivante  de  notions,  d'impressions  et  de 
sensations,  rédigées  non  seulement  de  semaine  à 
semaine,  mais  presque  de  jour  à  jour. 


(1)  Chronique  d'ANTONio  Morosini.  Commentaire  et  traduc- 
tion, Ed.  G.  L.-P.  et  Léon  Dore/, 


438  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

«  Ces  correspondances,  pour  la  plupart,  provien- 
nent de  Bruges,  la  grande  place  commerciale  de 
Flandre,  centre  de  négoce,  d'affaires  et  d'informa- 
tions. Elles  résument  elles-mêmes,  quelquefois,  des 
lettres  de  multiples  origines,  de  Bourgogne,  de  Paris, 
de  Bretagne.  D'autres  arrivent  à  Venise,  directement 
d'Avignon,  de  Marseille,  de  Gênes,  de  Milan,  du 
Montferrat.  Elles  ont  pour  auteur  principal  le  Véni- 
tien Pancrazio  Giustiniani,  résidant  à  Bruges.  A 
côté  de  lui,  se  décèle  Giovanni  de  Molino,  fixé  à  Avi- 
gnon. 

«  En  très  peu  de  jours,  dès  le  lo  mai  peut-être, 
avec  une  rapidité  vraiment  surprenante,  parvenait 
d'Orléans  jusqu'en  Flandre  la  nouvelle  du  combat 
des  Tourelles,  livré  le  7,  avec  la  prévision  de  la  rup- 
ture immédiate  du  siège.  Par  le  courrier  ordinaire,  la 
«  valise  »  qui  voyage  entre  Bruges  et  la  cité  des 
Doges,  Pancrazio  Giustiniani,  presque  immédiate- 
ment l'expédie  à  Venise,  à  son  père.  Ce  jour  même, 
le  18  juin,  Antonio  Morosini  transcrit  la  lettre,  la 
préserve  et  la  sauve. 

«  Depuis,  à  intervalles  plus  ou  moins  proches,  il 
enregistre,  copie  ou  résume  de  continuelles  mis- 
sives. La  retraite  des  Anglais,  Patay,  le  sacre,  la  mar- 
che sur  Paris,  sont  annoncés,  observés,  transmis, 
avec  le  reflet  de  la  stupéfaction  et  de  l'enthousiasme 
suscités  par  ces  incompréhensibles  réalités.  Même 
après  l'affreux  retour  sur  la  Loire,  après  le  désastre 
de  Compiègne,  les  sympathies  continuent.  Il  court 
des  bruits  d'invasion  et  de   renti'ée  en  campagne. 


JEANNE    d'arc    A    L'ÉTRANGER  439 

Jusqu'au  deuil  de  Rouen,  le  drame  est  suivi  avec  une 
émotion  qui  ne  se  dément  pas  (i).  » 


Par  cette  étude  rapide,  on  peut  voir  comment 
Jeanne,  partout  glorifiée  au  dehors,  même  par 
ses  ennemis  d'antan,  n'a  rencontré  des  détrac- 
teurs que  dans  le  pays  fait,  par  elle,  libre  et 
victorieux.  Le  culte  dont  elle  est  l'objet  à 
l'étranger  n'est-il  pas  de  nature  à  frapper  ses 
contempteurs,  eux  qui  se  disent  animés  de 
sentiments  internationalistes  ?  C'est  en  France 
seulement  que  Jeanne  a  été  dénigrée  par  des 
écrivains  de  mérite  peut-être,  mais  incapables 
de  la  comprendre,  parce  qu'en  elle  l'humain  et 
le  divin  se  fondent  et  s'harmonisent  en  une 
idéale  figure  qui  nous  surpasse  tous. 

Sa  vie  est  comme  un  reflet  de  celle  du  Christ. 
Comme  lui,  elle  est  née  parmi  les  humbles; 
comme  lui,  elle  a  subi  l'injustice  et  la  cruauté 
des  hommes.  Morte  jeune,  sa  courte  et  doulou- 
reuse existence  s'illumine,  ainsi  que  la  sienne, 
des  rayons  du  monde  invisible.  Il  s'y  ajoute 
même  un  élément  de  poésie  de  plus  :  c'est  qu'elle 
était  femme  et,  parmi  les  femmes,  une  des  plus 

(1)  G.  Lefèvke-Pontalis,  Jeanne  d'Arc  et  ses  contempo- 
rains, Revue  hebdomadaire^  17  avril  1909,  p.  313. 


440  JEANNE   D*ARC   MEDIUM 

sensibles  et  des  plus  tendres.  Chose  singidière 
et  touchante,  cette  guerrière  a  le  don  de  pacifier 
et  d'unir.  Elle  attire  tout  à  elle.  Les  Anglais, 
qui  l'immolèrent,  sont  aujourd'hui  ses  plus 
chauds  partisans;  en  France  même,  pour  tous 
ceux  dont  Pâme  n'est  pas  desséchée  par  le  vent 
du  scepticisme,  les  divergences  de  vue  en  ce 
qui  la  concerne,  s'estompent  et  s'évanouissent 
dans  une  commune  vénération. 

Nous  parlons  des  âmes  desséchées.  Le  nombre 
en  est  grand  chez  nous.  Depuis  un  siècle,  le 
scepticisme  a  fait  son  œuvre.  Il  tend  de  plus  en 
plus  à  appauvrir  les  sources  de  la  vie  et  de  la 
pensée.  Loin  d'être  une  force,  une  qualité, 
c'est  plutôt  une  maladie  de  l'esprit.  Il  détruit, 
annihile  la  confiance  que  nous  devons  avoir  en 
nous-mêmes,  en  nos  ressources  cachées,  la 
confiance  aux  possibilités  de  nous  développer, 
de  grandir,  de  nous  élever,  par  un  effort  continu, 
sur  les  plans  magnifiques  de  l'univers,  la  con- 
fiance en  cette  loi  suprême  qui  attire  l'être  du 
fond  des  abîmes  de  vie,  et  ouvre  à  son  initia- 
tive, à  son  essor,  les  perspectives  infinies  du 
temps  et  le  vaste  théâtre  des  mondes. 

Le  scepticisme  détend  peu  à  peu  les  ressorts 
de  Tâme,  amollit  les  caractères,  éteint  l'action 
féconde  et  créatrice.  Puissant  pour  détruire,  il 
n'a  jamais  rien  enfanté  de  grand.  En  s'accrois- 


JEANNE   d'arc    A    l'ÉTRANGEH  441 

sant,  il  peut  devenir  un  fléau,  une  cause  de  dé- 
cadence et  de  mort  pour  un  peuple. 

Le  criticisme  est  un  produit  de  l'esprit  scep- 
tique de  notre  temps.  Il  a  accompli  un  lent  tra- 
vail de  désagrégation;  il  a  réduit  en  poussière 
tout  ce  qui  faisait  la  force  et  la  grandeur  de  l'es- 
prit humain.  La  littérature  est  son  principal 
moyen  d'influence.  En  ce  domaine,  Renan  a  été 
un  créateur  et  comme  le  modèle  du  genre.  Ana- 
tole France  est  actuellement  le  représentant  le 
plus  illustre  de  cette  école,  qui  recrute  chaque 
jour,  parmi  notre  jeunesse,  de  nombreux  parti- 
sans. La  nouvelle  génération  se  laisse  séduire 
par  la  forme  élégante  du  langage  et  la  magie  de 
l'expression  chez  ses  devanciers,  et  aussi  par 
cette  considération  morbide,  qu'il  est  plus  facile 
de  critiquer,  de  railler,  que  d'étudier  à  fond  un 
sujet  et  de  conclure  logiquement.  On  renonce 
ainsi  peu  à  peu  à  toute  conviction,  à  toute  foi 
élevée,  pour  se  complaire  en  une  sorte  de  dilet- 
tantisme vague  et  stérile.  Il  est  de  bon  ton  de 
poser  pour  des  désabusés,  de  considérer  l'effort 
comme  vain,  la  vérité  comme  inaccessible, 
d'écarter  toute  besogne  pénible,  en  se  contentant 
de  comparer  les  opinions  et  les  idées,  pour  les 
traiter  par  l'ironie  et  les  tourner  en  dérision. 

La  méthode  est  aussi  indigente  que  funeste, 
car  elle  débilite  l'intelligence  et   le  jugement. 


442  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

Il  en  résulte,  à  la  longue,  un  amoindrissement 
sensible  des  qualités  viriles  de  notre  race,  une 
insouciance  des  grands  devoirs  de  l'existence, 
une  méconnaissance  du  but  de  la  vie,  qui  ga- 
gnent de  proche  en  proche,  pénètrent  jusqu'au 
cœur  du  peuple,  et  tendent  à  tarir  les  sources 
de  l'énergie  nationale. 

Les  progrès  du  scepticisme  s'expliquent  en 
ce  sens  que,  chez  nous,  les  formes  de  la  foi  ne 
répondent  plus  aux  exigences  de  l'esprit  mo- 
derne et  de  la  loi  d'évolution.  La  religion  est 
dépourvue  des  bases  rationnelles  sur  lesquelles 
peut  s'édifier  une  conviction  forte.  Le  spiritua- 
lisme expérimental  vient  combler  cette  lacune, 
et  offrir  à  l'âme  contemporaine  un  terrain  d'ob- 
servation, un  ensemble  de  preuves  et  de  faits, 
qui  constitue  un  ferme  appui  pour  les  croyances 
de  l'avenir. 

Gomme  aux  temps  de  Jeanne  et  du  Christ,  le 
souffle  de  l'invisible  passe  sur  le  monde.  Il  va 
ranimer  les  courages  défaillants,  réveiller  les 
âmes  qui  semblaient  mortes.  Il  ne  faut  jamais 
désespérer  de  l'avenir  de  notre  race.  Le  germe 
de  la  résurrection  est  en  nous,  dans  nos  esprits, 
dans  nos  cœurs.  La  foi  éclairée,  la  confiance  et 
l'amour  sont  les  leviers  de  l'âme  ;  quand  ils 
l'inspirent,  la  soutiennent,  l'emportent,  il  n'est 
pas  de  sommet  qu'elle  ne  puisse  atteindre  ! 


CONCLUSIONS 


De  la  vie  de  Jeanne  d'Arc,  trois  grands  en- 
seignements se  dégagent  en  traits  de  lumière. 
Les  voici  : 

L'humanité,  dans  ses  heures  de  crise  et 
d'épreuve,  n'est  pas  abandonnée  à  elle-même  ; 
mais,  d^en  haut,  des  secours,  des  forces,  des 
inspirations  viennent  la  soutenir  et  la  guider 
dans  sa  marche.  Quand  le  mal  triomphe,  quand 
l'adversité  s'acharne  sur  un  peuple,  Dieu  inter- 
vient par  ses  messagers.  La  vie  de  Jeanne  est 
une  des  manifestations  les  plus  éclatantes  de 
la  Providence  dans  l'histoire. 

Une  communion  puissante  relie  tous  les 
plans  de  la  vie,  visibles  ou  invisibles.  Pour 
les  âmes  sensibles  et  évoluées,  chez  qui  les 
sens  intérieurs,  les  facultés  psychiques,  sont 
suffisamment  développés,  cette  communion 
s'établit  dès  ce  monde,  au  sein  de  la  vie  ter- 
restre. Elle  est  d'autant  plus  étroite  et  féconde 


444  JEANNE   d'arc    MEDIUM 

que  ces  âmes  sont  plus  pures,  détachées  des 
influences  inférieures,  mieux  préparées  aux 
missions  qui  leur  incombent.  Tels  sont  la  plu- 
part des  médiums.  Parmi  eux,  Jeanne  d'Arc  fut 
un  des  plus  grands. 

Cette  communion  des  vivants  et  des  morts, 
des  habitants  de  la  terre  et  de  ceux  de  l'espace, 
chacun  de  nous  est  appelé  à  y  participer  dans 
l'avenir,  par  l'évolution  psychique  et  le  perfec- 
tionnement moral,  jusqu'à  ce  que  les  deux 
humanités,  terrestre  et  céleste,  ne  forment 
plus  qu'une  seule  et  immense  famille,  unie 
dans  la  pensée  de  Dieu. 

Dès  maintenant,  des  liens  subsistent  entre 
les  hommes  et  les  disparus.  Toutes  les  âmes 
qui  se  sont  rencontrées  sur  la  terre  sont  reliées 
par  des  fils  mystérieux.  Le  présent  est  soli- 
daire du  passé  et  de  Tavenir,  et  la  destinée  des 
êtres  se  déroule  en  spirale  ascendante^  depuis 
notre  humble  planète  jusqu'aux  profondeurs 
du  ciel  étoile. 

De  là,  de  ces  hauteurs,  descendent  les  mes- 
sies, les  messagers  providentiels.  Leur  appari- 
tion parmi  nous  constitue  toute  une  révélation. 
En  les  étudiant,  en  apprenant  à  les  connaître, 
nous  soulevons  un  coin  du  voile  qui  nous 
cache  les  mondes  supérieurs  et  divins  auxquels 
ils   api)artiennent,    mondes    que    les    hommes 


CONCLUSIONS  445 

Soupçonnent  à  peine,  écrasés  qu'ils  sont,  pour 
la  plupart,  sous  la  lourde  chrysalide  matérielle. 

Aux  grandes  dates  de  l'histoire,  Dieu  offre  de 
telles  vies  en  exemples  et  en  leçons  à  l'huma- 
nité. C'est  vers  ces  figures  de  héros  et  de  mar- 
tyrs, que  doivent  se  tourner  les  regards  de  ceux 
qui  doutent,  de  ceux  qui  souffrent.  Parmi  elles, 
il  n'en  est  pas  de  plus  suave  que  celle  de 
Jeanne  d'Arc.  Ses  actes,  ses  paroles,  sont  à 
la  fois  ingénus  et  sublimes.  Cette  existence 
si  courte,  mais  si  merveilleuse,  est  un  des  plus 
beaux  dons  que  Dieu  ait  faits  à  la  France,  et  ce 
sera  une  des  gloires  du  dix-neuvième  siècle, 
parmi  tant  d'erreurs  et  de  fautes,  que  d'avoir 
remis  en  lumière  ce  noble  profil  de  vierge. 
Aucune  nation  ne  possède  dans  ses  annales  un 
fait  comparable  à  cette  vie.  Ainsi  que  l'a  écrit 
Etienne  Pasquier,  elle  est  bien  «  un  vrai  pro- 
dige de  la  main  de  Dieu  ». 

Son  action  dans  le  passé  a  été  le  signal  d'une 
rénovation  nationale  ;  dans  le  présent,  elle 
est  le  signal  d'une  rénovation  religieuse,  dif- 
férente de  celles  qui  l'ont  précédée,  mais  s'adap- 
tant  mieux  encore  aux  nécessités  de  notre 
évolution.  Quand  nous  disons  religieuse,  il 
serait  plus  exact  de  dire  scientifique  et  philo- 
sophique. Toujours  est-il  que  les  croyances  de 
l'humanité    vont    être  renouvelées.   Le   senti- 


446  JEANNE    d'arc    MEDIUM 

ment  religieux  périra-t-il  pour  cela?  Non,  sans 
doute  ;  il  se  transformera  seulement,  pour  re- 
vêtir des  aspects  nouveaux.  La  foi  ne  peut 
s'éteindre  au  cœur  de  l'homme.  Elle  ne  dis- 
paraît un  instant  que  pour  faire  place  à  une 
foi  plus  haute.  Ne  faut-il  pas  que  notre  soleil 
passe  sous  l'horizon,  pour  que  les  soleils  de 
la  nuit  s'allument,  et  que  l'immensité  étoilée 
se  révèle  à  nos  yeux?  Quand  le  jour  s'évanouit, 
il  semble  que  l'univers  se  voile  et  que  la  vie 
va  prendre  fin.  Et  cependant,  sans  l'extinc- 
tion de  la  lumière  diurne,  pourrions-nous 
voir  le  fourmillement  des  astres  au  fond  des 
cieux  ?  lien  est  de  même  des  formes  actuelles 
de  la  religion  et  de  la  croyance.  Elles  ne 
meurent  en  apparence  que  pour  renaître 
plus  amples  et  plus  belles.  L'action  de  Jeanne 
et  des  grandes  âmes  de  l'espace  prépare  cette 
renaissance,  à  laquelle,  de  notre  côté  et  sur  le 
plan  terrestre,  nous  travaillons  sans  relâche, 
depuis  longtemps,  sous  Tégide  de  la  glorieuse 
inspirée,  dont  les  conseils  et  les  instructions 
ne  nous  ont  pas  manqué. 

Aussi  est-ce  avec  un  sentiment  d'ardente 
sympathie  pour  elle,  de  tendre  vénération  et 
de  vive  reconnaissance,  que  j'ai  écrit  ce  livre. 
Il  a  été  conçu  en  des  heures  de  recueillement, 
loin  des  agitations  de  ce  monde.  A  mesure  que 


CONCLUSIONS  447 

se  précipite  le  cours  de  ma  vie,  l'aspect  des 
choses  se  fait  plus  triste  et  Tombre  s'épaissit 
autour  de  moi.  Mais  un  rayon  venu  d'en  haut 
illumine  tout  mon  être,  et  ce  rayon  émane  de 
l'esprit  de  Jeanne.  C'est  lui  qui  m'a  éclairé, 
guidé  dans  ma  tâche. 

Depuis  un  demi-siècle,  on  a  beaucoup  écrit, 
disserté,  discuté  au  sujet  de  la  Vierge  lorraine. 
Des  polémiques  violentes,  des  manifestations 
tapageuses  se  sont  produites  en  divers  sens  ; 
on  a  presque  livré  bataille  en  son  nom.  Au  mi- 
lieu de  ces  contradictions,  de  ces  luttes,  qu'elle 
suivait  d'un  regard  attristé,  elle  a  voulu  faire 
entendre  sa  voix.  Elle  a  daigné  se  communi- 
quer à  nous,  comme  à  un  serviteur  dévoué  de 
la  cause  qu'elle  protège  aujourd'hui.  Ces  pages 
sont  l'expression  fidèle  de  sa  pensée,  de  ses 
vues.  C'est  à  ce  titre,  qu'en  toute  humilité  per- 
sonnelle, je  les  présente  à  ceux  qui,  en  ce 
monde,  honorent  Jeanne  et  aiment  la  France. 


FIN 


TABLE  DES  MATIERES 


Pages. 

Introduction 1 

Première  partie.  —  Vie  et  Médiumnité  de  Jeanne  d'Arc. 

I.  Domremy 19 

II.  La  situation  en  1429 26 

III.  Enfance  de  Jeanne  d'Arc 30 

IV.  Médiumnité deJeanne  d'Arc.  Ce  qu'étaient 

ses  voix.  Phénomènes  analogues,  anciens 

et  récents 40 

V.  Vaucouleurs 107 

VI.  Chinon,  Poitiers,  Tours 112 

VII.  Orléans 128 

VIII.  Reims 143 

IX.  Compiègne 155 

X.  Rouen  :  la  prison 166 

XI.  Rouen  :  le  procès 173 

XII.  Rouen  :  le  supplice 207 

Deuxième  partie.  —  Les  Missions  de  Jeanne  d  Arc. 

XIII.  Jeanne  d'Arc  et  l'idée  de  patrie     ...  219 

XIV.  Jeanne  d'Arc  et  l'idée  d'humanité    .     .     .  236 
XV.  Jeanne  d'Arc  et  l'idée  de  religion     .     .     .  245 


450 


TABLE    DES    MATIERES 


XVI.  Jeanne  d'Arc  et  l'idéal  celtique   .     .     . 
XVII.  Jeanne  d'Arc  et  le  spiritualisme  moderne 

les  missions  de  Jeanne 

XVIII.  Portrait  et  caractère  de  Jeanne  d'Arc. 
XIX.  Génie  militaire  de  Jeanne  d'Arc.     .     . 
XX.  Jeanne  d'Arc  au    vingtième  siècle  ;   se 

admirateurs;  ses  contempteurs.     .     . 
XXI.  Jeanne  d'Arc  à  l'étranger 


Pages. 
279 

308 
337 
365 

391 
418 


Conclusions 443 


25U1.    —  TOURS,    IMPRIMERIE    E.    ARRAULT   ET   C'' 


y 


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MAR  â  t  ^928