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Full text of "Le Berceau de l'Islam, l'Arabie occidentale à la veille de l'hégire"

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SCRIPTA    PONTIFICII    INSTITUTI   BIBLICI 


LE 


Berceau  de  Tlslam 


L'ARABIE  OCCIDENTALE  À  LA  VEILLE  DE  L'HÈGIRE 


1"  VOLUME 

LE  CLIMAT  -  LES  BÉDOUINS 


HENRI  LAMMENS  S.  I. 

PROFESSEUR    DE    LITTÉRATURE    ARABE    À    L'INSTITUT    BIBLIQUE 


^M^ 


CUM    APPROBATIONE   SUPERIORUM 


3. 


S 


ROMAE 

SUMPTIBUS    PONTIFICII    INSTITUTI    BIBLICI 
1914 


IMPRIMATUR 
Fr.  Albertus  Lepidi  O.  P.  S.   P.  A.  Magister. 


IMPRIMATUR 
Franciscus  Faberi  Vicar.  Urbis  Adsessor. 


ROMAE   —   EX   TYPOGRAPHIA   PONTIFICIA    IN   INSTITUT©   PII    IX 


PREFACE 


Les  pages  suivantes  reproduisent  le  texte  des  leçons  publiques, 
professées  à  l'Institut  biblique  de  Rome,  pendant  le  printemps  de  cette 
année.  Dans  la  troisième  partie,  «  les  Bédouins  »  (pp.  185-334).  nous 
avons  remanie  la  matière  d'un  ancien  cours,  donné  à  la  Faculté  orien- 
tale de  l'Université  de  Be\"routh  (1905).  En  livrant  ce  travail  à  l'im- 
pression, nous  en  aAons  conser\'é  le  jet  primitif,  la  libre  allure  de  la 
causerie,  de  la  conférence,  laissant  subsister  certaines  allusions  locales, 
les  citations  d'intérêt  purement  littéraire,  les  digressions  et  aussi  les 
retours  sur  des  sujets  touchés  précédemment. 

Le  Berceau  de  l'islam  ouvre  la  série  d'études,  promises  dans 
Y  Avant- Propos  de  Fàtima  et  les  filles  de  Mahotiiet.  Le  volume  sui\-ant 
traitera  des  populations  sédentaires  du  Higâz.  Ensuite  nous  nous 
proposons  de  reprendre,  càl  i-i  J,  période  par  période  et  en  sui- 
vant l'ordre  chronologique,  la  vie  du  Prophète.  Nous  réunirons,  sous 
un  titre  spécial  et  avec  une  numérotation  indépendante,  les  fascicules 
consacrés  à  chacune  de  ces  époques,  jusque,  et  \-  compris,  le  coup 
d'état  du  Triuvitdrai,  c'est  à  dire,  jusqu'au  lendemain  de  la  mort  de 
Mahomet.  «  Immense  labeur  » .  tâche  de  longue  haleine  ;  pouvons-nous 
le  dissimuler'  Mais,  comme  l'a  deviné  un  bienveillant  critic}ue.  <  les 
fiches  sont  déjà  prêtes,  il  ne  reste  qu'à  les  mettre  en  œuvre  »  ('). 
Quoique  sur  plus  d'un  point  cette  préparation  se  trouve  fort  avancée, 

(')  Cl.  Huart,  Jour.  Asial.,  1913',  217. 


VI  Préface 

nous  renonçons  à  supputer  d'avance  le  nombre  d'années  et  de  volu- 
mes que  réclamera  l'exécution  de  ce  plan.  Nous  traiterons  chaque 
période  comme  un  tout  distinct,  sans  craindre  les  développements. 
Notre  procédé  sera  donc  plus  monojfraphiqîie  que  biographique.  L'en- 
semble —  si  nous  devons  en  \oir  la  fin  —  formera  une  nou\elle  Vie 
de  Mahomet. 

Dans  les  pages  consacrées  ici  au  climat  de  l'Arabie,  les  natura- 
listes reconnaîtront  sans  peine  que  l'auteur  n'est  ni  botaniste  ni  géolo- 
gue ni  météorologiste.  Il  n'éprouve  aucun  embarras  à  convenir  de 
cette  infériorité.  La  question  du  climat  arabe  et  de  sa  persistance  a 
été  maintes  fois  agitée  en  ces  dernières  années  (').  Au  dossier  d'une 
discussion,  dépassant  de  beaucoup  l'intérêt  de  l'histoire  préislamite, 
il  a  voulu  verser  les  documents  arabes  les  plus  anciens.  Il  a  donc  de 
nouveau  dépouillé  les  géographes,  les  enc\'clopédistes  Bakri  et  Yâ- 
qoût,  les  recueils  de  Haniàsa  et  du  Kitàb  al-Agàiii^  pour  ne  citer  que 
ces  noms,  dont  la  mention  reviendra  sans  cesse  dans  l'annotation 
Nous  nous  estimerions  heureux  si  les  résultats  de  ce  dépouillement 
pouvaient  attirer  l'attention  des  futurs  [explorateurs  du  Higâz  sur  les 
points  méritant  confirmation  ou  un  supplément  d'information. 


De  nos  jours  on  ne  peut  plus  aborder  la  Sîra  dans  l'état  d'esprit 
d'un  Caussin  de  Perceval,  ni  même  d'un  Sprenger  ou  d'un  Muir.  Nous 
n'envisageons  plus,  comme  nos  précurseurs,  le  problème  de  l'évolu- 
tion islamique.  A  l'époque,  où  nous  commencions  à  Beyrouth  en  1904 
les  Ehuies  sur  le  rcgne  du  calife  omayyade  Mo^àioia  /"",  des  orienta- 
listes reprenaient  encore  à  leur  compte  le  jponcif,  heureusement 
démodé:  «  l'islam  est  une  religion,  née  à  la  pleine  lumière  de  l'his- 
toire >.  Dans  le  cours  de  cette  dernière  décade,  peu  d'années  se 
sont  écoulées,  sans  amener  la  critique  à  sacrifier  une  ou  plusieurs 
des  anciennes  positions.  Elle  a  «  mis  en  pleine  lumière  la  faible  va- 
leur  documentaire,    sinon    de   la    primitive    littérature   islamique,   du 


(')  Voir  plus  bas  p.   113  sqq. 


Préface  vii 

moins  du  riche  développement  ultérieur,  représenté  notamment  par 
le  recueil  de  Bokhâri  >  (').  Petit  à  petit  une  conclusion  se  dégage,  se 
précise:  «  il  faut  reprendre  à  nouveau  l'étude  de  la  Sîra  »  (^);  ou 
encore  :  «  l'édifice  de  cette  histoire  est  à  recommencer  dès  la  base  »  (^). 
Ces  énoncés,  il  ne  nous  revient  pas  de  les  avoir  rencontrés  précé- 
demment, du  moins  sous  une  forme  aussi  catégorique.  Si,  depuis  les 
beaux  travaux  du  Prof.  Goldziher,  il  semblait  impardonnable  d'igno- 
rer le  caractère  tendancieux  de  la  tradition  mahométane,  nombre 
d'islamisants  hésitaient  à  appliquer  le  même  verdict  à  des  sections 
considérables  de  la  Sîra,  comme  si  Sîra  et  hadît  constituaient  deux 
sources  distinctes  d'information. 

Nous  considérons  donc  comme  un  signe  des  temps  -nouveaux 
cette  déclaration  d'un  maître  merveilleusement  documenté  sur  la  ge- 
nèse de  l'islam:  «  es  ist  allgemein  atierkannt  das  die  mekkanische 
Période  der  Sira  von  der  Légende  vôUig  iiberwuchert  und  die  me- 
dinische  stark  genug  davon  infiziert  ist  »  (*).  C'a  toujours  été  notre 
avis.  Seulement,  libellée  comme  elle  l'est,  cette  allégation,  du  moins 
pour  la  partie  que  nous  avons  pris  la  liberté  de  souligner,  pourra 
sembler  trop  absolue.  Nous  serions  heureux  de  connaître  les  écrits, 
les  biographies  de  Mahomet,  oii  l'on  jette  si  résolument  par  dessus 
bord  et  en  totalité  le  lest  encombrant  de  la  période  prémédinoise, 
où  l'on  se  décide,  en  d'autres  termes,  à  sacrifier  les  quatre  cinquiè- 
mes de  la  vie  du  Prophète.  Ces  textes,  où  l'on  fait  au  feu  une  part 
si  considérable,  auront  sans  doute  échappé  à  notre  attention.  Nous 
parlons  de  publications  antérieures  à  ces  dernières  années.  Si  depuis, 
une    appréciation  plus  radicale  sur  la  valeur  documentaire  de  la  Sîra 

(')  R.  Dussaud,  Jour,  des  Savants,  1913,  p.  133.  On  aimerait  avoir  des  précisions 
sur  cette  primitive  littérature  islamique,  sur  les  moyens  de  la  reconstituer.  Est-elle 
représentée  par  Ibn  Ishâq,  dont  nous  ne  possédons  plus  qu'un  remanîment,  par  les 
fragments  de  WâqidI,  par  les  poètes  contemporains  de  l'hégire  et  violemment  in- 
terpolés ? 

(-)  Lettre  particulière  du  Prof.  Snouck  Hurgronje.  Comp.  sa  recension  de  Fâtima 
dans  Denis.  Litteraturz.   15  Mars  1913,  c.   687-89. 

(-')  Cl.   Huart,  recension  de  Fàtima  dans  Rev.  hist.  relig.  1913,  p.  361. 

(<)  J.  Wellhausen,  compte-rendu  de  Fâtima  dans  Gôtt.  gel.  Anz.,  1913,  n.  5, 
p.   315. 


VIII  Préface 

mecquoise,  commence  à  s'imposer  aux  islamisants,  ce  revirement  ne 
serait-il  |)as  imputable  aux  récents  travaux  du  prince  Caetani,  ensuite 
aux  recherches  de  l'école  de  Beyrouth?  Mais  ce  n'est  qu'un  commen- 
cement, et  il  paraît  prématuré  de  parler  d'un  accord  établi.  De  ce 
revirement  nous  croyons  découvrir  une  preuve  nouvelle  dans  ce  juge- 
ment d'un  érudit,  que  personne  ne  taxera  d'hypercritique  :  <  Il  semble 
bien  que  le  mouvement  politique  qui  a  enlevé  à  l'Empire  romain  dé- 
g^énéré  ses  plus  belles  provinces ...  ait  eu  pour  point  de  déjjart  un 
mouvement  religieux,  dû  à  l'initiative  d'un  homme  réel,  dont  on 
ignore,  il  est  vrai,  le  nom  véritable,  mais  qui  est  universellement 
connu  sous  le  vocable  de  Mohammed.  C'est  là  le  fait  primordial  et, 
croyons-nous,  indéniable;  mais  les  détails  qui  entourent  cette  figure 
principale  sont  vraiment  bien  estompés  et  finissent  même  par  s'efta- 
cer  dans  la  brume  de  l'incertitude  »  ('). 

Quand  on  compare  cette  appréciation  désabusée  avec  le  résumé 
de  la  Sïra  donné  par  le  même  auteur  dans  son  Histoire  des  Arabes 
—  un  manuel  destiné  au  grand  public  —  on  mesurera  le  chemin  par- 
couru en  ces  dernières  années.  Mais  en  Allemagne  pas  plus  qu'en 
France,  l'entente  n'est  établie  sur  ces  questions.  Admettait-il  le  ca- 
ractère pleinement  légendaire  de  la  période  mecquoise  comme  univer- 
sellement reconnu,  allgemein  anerkamit,  cet  orientaliste  français,  au- 
teur de  plusieurs  ouvrages  sur  les  débuts  de  l'islam,  lorsqu'il  écrivait  : 
«  on  éprouve  presque  la  sensation  que  le  sujet  est  épuisé ...  ce  qui 
reste  à  faire  est  beaucoup  moins  important  que  ce  qui  a  été  fait;  on 
n'a  plus  guère  qu'à  préciser  ou  à  retoucher  »  (^) }  Au  lieu  de  «  re- 
prendre par  la  base  tout  l'édifice  de  la  Stra  »,  comme  le  conseille 
M.  Huart,  l'Angleterre  s'est  décidée  à  rééditer  avec  d'insignifiantes 
retouches  la  biographie  de  Muir. 

On  nous  permettra  donc  de  reproduire  ici  cette  sereine  mise  au 
point  du  Prof  C.  H.  Becker  :  «  Dans  ses  peintures  de  détail,  souvent 
si  prolixes,  la  Sîra  ne  constitue  pas  une  source  historique  indépen- 
dante. On  y  retrouve  exclusivement  les  matériaux  fournis  par  le  hadït, 
mais  disposés   en   forme  de  biographie.  Les  hadît  particuliers  repré- 


(')  Cl.  Huart,  yoKA-.  Asiat.,  1913',  p.  215. 

(-)   Où  en  est  l'histoire  des  religions  f  I,  423  sqq. 


Préface  ix 

sentent  un  développement  exégétique  d'allusions  qoraniques.  ou  bien 
des  inventions  postérieures  à  tendances  dot^matico-juridiques.  L'inté- 
rêt pour  l'exégèse  et  pour  le  dogme  est  antérieur  à  l'intérêt  pour 
l'histoire.  Ce  dernier  s'éveilla  alors  qu'en  face  des  sources  historiques 
chrétiennes,  attestant  la  personnalité  miraculeuse  et  divine  du  Christ. 
on  éprouva  le  besoin  d'une  documentation  analogue  pour  le  fonda- 
teur de  l'islam.  La  tradition  vraiment  historique  restant  extraordinaire- 
ment  restreinte,  on  s'attaqua  aux  allusions  du  Ooran  pour  les  exploi- 
ter. Mais  surtout  on  se  mit  à  recueillir  les  anciens  hadit  à  tendances 
dogmatique  et  juridique,  dans  le  but  de  les  distribuer  chronologique- 
ment. Ainsi  naquit  la  Sira  »  ('). 

C'est,  résumée  à  grands  traits,  la  théorie  développée  dans  «  Oo- 
ran et  Tradition  ».  L'adhésion  de  M.  Becker  à  cette  thèse  générale 
justifierait,  s'il  en  était  besoin,  la  nécessité  de  soumettre  à  une  révision 
méthodique  le  problème  de  la  Slra,  en  se  guidant  d'après  ces  prin- 
cipes (").  Comme  nous  le  disions  dans  L'âge  de  Mahomet  (p.  249), 
<  il  ne  peut  être  question  de  tout  rejeter  en  bloc.  Ce  serait  sacri- 
fier en  même  temps  les  importantes  parcelles  de  vérité  historique  qui 
s'\"  trou\'ent  mêlées  (^).  Au  lieu  de  renverser  la  lourde  construction 
élevée  par  la  Tradition,  contentons-nous  de  la  démonter  pierre  par 
pierre,  pour  examiner  la  valeur  des  matériaux  employés.  Opération 
fastidieuse  mais  indispensable  !  > .  Ce  travail,  nous  le  commençons  au- 
jourd'hui :  i. )UI.    ç:?-rtl    ^^i   i_jl^-<aJJ    ,_«-S»il    «»Ji)U 


Quelques  mots  sur  la  méthode  à  suivre  dans  cette  série  de  mo- 
nographies, inaugurées  par  le  «  Berceau  de  l'islam  ».  Elle  rappellera 
daiis  les  grandes  lignes  la  méthode  de  notre  précédent  travail,  «  Fâ- 
tima  et  les  filles  de  Mahomet  ». 


')  Prinzipielles  zii  Laminens'  Strastudien,  dans  Der  Islam,   IV,  263. 

(-)  En  majorité  M.  Becker  (loc.  cit.)  les  déclare  «  wohl  schon  allgemein  aner- 
kannt  ».  L'affirmation  ne  serait-elle  pas  trop  générale? 

P)  Nous  ne  nions  donc  pas  l'existence  d'un  noyau  solide  dans  le  conglomérat 
de  la  Sïra. 


X  Préface 

Dans  les  grandes  lignes,  disons-nous.  Falima  n'était  pas  une  œuvre 
définitive,  mais  bien  plutôt  —  le  sous-titre  le  déclarait  —  une  suite  de 
«  notes  critiques  pour  l'étude  de  la  Sîra  »,  d'aperçus  réunis  sous  la 
manchette  d'un  nom  populaire,  celui  de  Fâtima  ;  le  dernier  numéro 
enfin  dans  une  série  de  prolégomènes,  de  travaux  d'approche.  L'au- 
teur s'y  proposa  moins  d'édifier  que  de  démolir;  il  entendait  recourir 
au  pic  et  même  aux  explosifs  aussi  souvent  qu'à  la  truelle  et  au  mor- 
tier. Fàtima  devait  être  un  essai,  un  spécimen,  mais  suffisamment 
poussé  pour  provoquer  la  critique.  Sous  ce  dernier  rapport,  la  ten- 
tative n'a  pas  trop  mal  réussi  et  nous  saisissons  volentiers  cette  occa- 
sion de  rendre  hommage  à  la  bienveillance  empressée  de  nos  collè- 
gues (').  Comme  spécimen,  Fâtima  devait  donner  une  idée  de  la  do- 
cumentation, ensuite  montrer  l'application  des  principes,  énoncés  dans 
les  articles-programme  «  Ooran  et  Tradition  »  —  «  L'âge  de  Mahomet 
et  la  Chronologie  de  la  Sira  »  ;  en  même  temps  servir  d'introduction 
pratique  à  la  littérature,  s'occupant  des  débuts  de  l'islam,  édifier  le 
lecteur  sur  la  valeur  de  cette  compilation. 

Ce  faisceau  d'intentions  explique  le  caractère  composite  de  Fa- 
tmia,  à  la  fois  biographie,  œuvre  polémique  et  histoire  générale.  .Sciem- 
ment nous  avons  agrandi  l'horizon  restreint,  où  s'écoula  l'existence 
de  l'épouse  de  'Ali.  Nous  n'avons  pas  craint  d'ouvrir  des  parenthèses, 
sans  nous  hâter  de  les  fermer.  Aux  premiers  plans,  s'agite  la  masse 
confuse  des  prmcipaux  figurants  du  drame  islamite,  préoccupés,  dirait 
on,  de  masquer  la  pâle  héroïne  :  Mahomet,  "Ali.  'Aisa,  'Abbàs,  les 
Triuvivirs,  les  Mohassara,  les  fa\'oris  Zaid  et  Osâma,  le  harem  tur- 
bulent et  la  petite  cour  du  Maître  de  Médine.  La  figure  d'Aboû'l 
Qâsim  envahit  la  majeure  partie  du  cadre,  oîi  l'on  devine  plus  qu'on 
ne  distingue  les  traits  voilés  de  larmes  de  sa  fille.  Comme  l'a  bien 
noté  M.  Wellhausen  (').  une  telle  «  disposition  laisse  beaucoup  à  dé- 
sirer >.  Manque  de  pro|)ortions  voulu:  procédés  de  cinématographe 
peut-être,  mais  intentionnels! 

(')  On  nous  permettra  de  nommer  le  Prof.  Becker,  pour  avoir  bien  voulu  assu- 
mer la  partie  la  plus  ingrate,  celle  de  souligner,  d'ailleurs  avec  infiniment  de  mesure 
et  de  loyauté,  les  points  où  nous  divergeons.  Pour  ma  part,  j'ai  toujours  retrouvé  ces 
qualités  dans  les  critiques  du  directeur  de  Der  Islam. 

(2)  Loc.  sup.  cit. 


Préface  xi 

Voilà  pour  l'utilisation  et  le  classement  des  matériaux.  Pour  ce 
(|ui  est  du  st\-le,  tout  en  nous  adressant  aux  orientalistes,  nous  visions 
à  obtenir  un  texte  lisible  par  les  profanes,  les  lecteurs  étrangers  à 
nos  études  spéciales.  Pour  ceux-là  il  fallait  principalement  narrer, 
exposer,  peindre.  Dans  la  crainte  pourtant  d'égarer  le  jugement 
des  non-initiés,  nous  avons  semé  dans  le  cours  de  la  narration  les 
avertissements,  les  incises  dubitatives,  les  points  d'interrogation,  épuisé 
pour  ainsi  dire  la  gamme  des  notations,  destinées  à  rappeler  la  va- 
leur exacte  des  documents,  à  prévenir  les  conclusions  exagérées.  Jus- 
que dans  les  paragraphes,  où  nous  nous  donnions  l'air  d'accumuler 
les  données  positives,  l'accent,  l'intonation  invitaient  de  nouveau  à  la 
réservée.  Le  ton  ne  fait-il  pas  la  chanson  ?  Ajoutez  les  haltes  aux  tour- 
nants du  chemin,  pour  explorer  la  solidité  du  terrain  à  explorer.  Au 
risque  de  paraître  céder  à  la  manie  hypercritique,  nous  n'avons  cessé 
d'appeler  l'attention  sur  les  luttes,  sur  les  contradictions  des  écoles, 
des  partis,  inextricable  enchevêtrement  de  tendances  insidieusement 
dissimulées.  Parallèlement  à  ces  indications  générales,  une  annotation 
incessante  et  touffue,  contenant  les  lectiones  variae  —  encore  un  nid 
d'insinuations  tendancieuses  —  tout  X affaraUis  criticus  offraient  aux 
islamisants,  aux  professionnels,  avec  les  numéros  des  pièces  du  dos- 
sier, un  moyen  de  contrôle  personnel.  Ce  luxe  de  précautions  risquait 
peut-être  de  demeurer  insuffisant.  Aussi  la  «  Conclusion  »  de  Fàtùiia 
s'est-elle  efforcée  de  ramener  aux  proportions  exactes  les  éléments  du 
tableau  que  l'opposition  des  ombres  et  des  lumières,  l'empâtement 
des  couleurs,  les  touches  trop  vigoureuses  du  pinceau,  le  jeu  de  la 
perspective  et  du  relief  auraient  pu  déformer.  Cette  critique  négative 
ne  semble  pas  avoir  été  inutile,  puisqu'au  dire  du  Prof.  Becker  elle 
«  a  secoué  les  orientalistes  et  posé  tout  le  problème  de  la  .Sïra  sur 
une  base  nouvelle  >  ('). 

Le  même  savant  se  montre  beaucoup  moins  enchanté  des  résul- 
tats positifs  de  notre  méthode.  N'ouvre-t-elle  pas  la  porte  au.x  con- 
clusions subjecti\es!  Parfois  même  elle  a  l'air  d'adopter  les  procédés 
d'un  Ibn  Ishâq,  d'un  Wâqidf.  Comment,  dans  cette  reconstitution  de 


(')  Becker,  op.  cil.,  p.  260. 


XII  Préface 

la  physionomie  de  Fâtima,  reconnaître  les  parties  originales  de  la  re- 
touche et  du  travail  de  restauration  ?  Circonstance  agff  ravante  :  on 
semble  donner  une  valeur  historique  à  tous  les  détails,  où  les  héros 
de  l'islam  apparaissent  en  mauvaise  posture,  prendre  un  malin  [plaisir 
à  grossir  les  traits  les  plus  ingrats  de  leur  figure  morale  (').  Le  por- 
trait de  Pâtima  n'a  pas  été  flatté;  pour(iuoi  en  disconvenir?  Mais 
avant  d'apposer  sa  signature,  l'auteur  a  loyalement  prévenu  que  per- 
sonnellement elle  a  pu  être  moins  insignifiante  (}ue  ne  l'insinuaient 
les  rédacteurs  maladroits  de  son  9nosnad  orthodoxe  »  (').  Déclaration 
insuffisante  ou  tardive?  Peut-être  bien,  si  elle  était  demeurée  isolée, 
au  lieu  de  se  relier  aux  nombreux  passages,  oii  l'on  signalait  l'atti- 
tude embarrassée,  illogique  de  la  réaction  antisfite,  les  manœu\res  lou- 
ches des  mohaddit  'abbâsides.  aboutissant  toujours  à  amoindrir  le 
couple  'Ali-Fâtima. 

Complaisamment  nous  nous  sommes  arrêté  à  décrire  la  garde- 
robe,  le  train  de  maison  du  Prophète.  Sujet  nouveau  et  d'un  pitto- 
resque alléchant.  11  permettait  de  mettre  en  relief  l'intrusion  de  la 
politique  dans  la  vie  privée  d'Aboûl  Oâsim;  aspect  trop  négligé 
jusqu'ici.  Comment  combler  cette  lacune,  à  moins  d  accumuler  les 
traits,  les  exemples,  de  varier  les  situations.  Convenons-en  sans  détours  ; 
le  courage  nous  a  parfois  manqué  pour  résister  à  l'invitation  de  nos  car- 
nets, regorgeant  de  fiches,  fruits  de  longs  et  fastidieux  dépouillements. 
Qui  sine  peccato  est,  primais  Lipide^n  mittat!  (loan.  VIII,  7).  Une  note 
écrite  il  y  a  près  d'un  an,  pour  le  dernier  fascicule  i^)  du  Califat  de 
Yazîd  I"  (p.  424),  dénonce  le  caractère  tendancieux  de  ces  prolixes 
hadît.  En  introduisant  dans  le  costumier  prophétique  toutes  ces  exo- 
tiques confections,  on  visait  à  rassurer  les  consciences  timorées.  En 
les  lui  mettant  sur  les  épaules  pendant  la  sala',  on  insinuait  (]ue  le 
croyant  était  autorisé  à  conserver,  même  en  prière,  ces  étoftes,  tissées 
par  des  viains  infidèles  et  couvertes  de  figures.  Incidemment  nous 
avons  prévenu  que  le  Prophète  ne  pouvait   avoir   proscrit  les  bains, 

(*)  Becker,  loc.  cit.,  Comp.  R.  Dussaud, /of.  cit.,  «  est-i!  bon  que  l'historien  prenne 
parti  pour  les   uns   contre   les  autres?...  » 
(-)  Fâlima,   p.   140. 
{^)  I.e  manuscrit  a  été  expédié  à  Beyrouth,  en  Avril  1913. 


Préface  xiii 

un  luxe  inconnu  à  son  époque  au  Higâz  (').  Et  ita  forro.  Nous  ne 
nous  laissions   donc  pas  suggestionner  par  la  verbosité  des  Mosnad. 

Si  la  Tradition  a  cru  devoir  insister  sur  la  dureté  de  Mahomet 
à  l'égard  de  sa  fille  c'est,  disions-nous,  dans  le  but  d'inspirer  aux  mu- 
sulmanes le  goût  de  la  simplicité  (").  Montrer  partout  la  Sonna  op- 
posant ses  exagérations  à  celles  de  la  Sfa,  même  au  détriment  de  Fâ- 
tima  (^),  appeler  l'attention  sur  le  conflit  de  ces  contradictions;  ce 
procédé  convenait  trop  au  plan  de  l'auteur  pour  qu'il  ait  négligé  de 
s'en  prévaloir.  A  nos  yeux,  un  hadit  défavorable  aux  héros  de  l'islam 
n'en  devient  pas  authenti(]ue  pour  autant.  Nous  avons  souligné  l'in- 
suffisance de  ce  critérium,  à  l'endroit  même,  oîi  nous  insistions  sur 
le  robuste  appétit  d'Abou'l  Oâsim  (■*).  Les  Sahih  ont  pu  également 
s'inspirer  ici  des  versets  o^^'  crf  '^  '  des  déclamations  contre 
l'ascétisme,  la  «  rahbân^•va,  invention  des  chrétiens  ».  Nous  suggérions 
la  même  exégèse  pour  l'appareil  souverain,  entourant  Mahomet.  Fon- 
dées ou  non,  ces  admonitions  réitérées,  rappels  discrets  à  l'exercice 
d'une  critifiue  personnelle,  ne  mettaient-elles  pas  en  garde  contre  les 
entraînements  du  subjectivisme  ?  Il  nous  a  paru  également  utile  de 
prémunir  contre  les  formes  ascétiques  qu'on  a  parfois  prêtées  aux 
débuts  de  l'islam.  Etait-il  inclifterent  de  montrer,  dans  une  succession 
de  tableaux  vivants,  comment  la  tradition  ancienne  s'était  représenté 
le  Prophète?  Quelle  meilleure  préparation  imaginer  pour  les  décep- 
tions que  réserve  la  littérature  panachée  de  la  Slra? 

Assurément  «  il  a  existé  une  tradition,  dégagée  de  toute  tendance 
mais  c'était  une  tradition  orientale  mêlant  réalité  et  fiction...  Seul  le 
flair  historique  permettra  d'opérer  le  triage;  et  voilà  pourquoi  on 
aboutira  fatalement  à  des  conclusions  subjectives  »  (°).  Incedo  fer 
ignés,  ou,  pour  parler  arabe,  o/»-'  r^^  -^^  f"^'  nous  avancerons  un 
pied  et  retirerons  l'autre.  Toutefois  comme  avec  cette  dernière   mé- 


(')  Cf.  Fâiùiia,  p.  75,  II.  5. 
I-)  Voir  la  Conclusion  de  Fâiima. 
(3)  fâiima,  p.  27-28. 

(■')  Fâiima,    44.  Comp.  idid.    133-140  ;  nous  y  formulons  le  principe  que  souvent 
il  s'agit  uniquement  d'annihiler  des  exagérations  par  d'autres  en  sens  contraire. 
(5)  Becker,  op.  cil.,  264. 


XIV  Préfaee 

thode,  on  piétinerait  sur  place,  le  mieux  nous  paraît  —  comme  dans 
Fàtima  —  d'aller  de  l'avant,  sauf  à  faire  de  temps  à  autre  machine 
en  arrière.  On  profitera  de  ces  reculs  pour  dénicher  les  tendances 
jusque  dans  les  variantes  les  plus  inoffensives,  pour  scruter  le  témoi- 
gnage —  parfois  le  silence  —  du  Ooran  et  recourir,  s'il  \-  a  lieu,  au 
contrôle  de  la  poésie  contemporaine. 

* 

Le  danger  de  subjectivisme  !  Dans  le  domaine  que  nous  allons 
exploiter,  il  guette  partout  le  travailleur.  Il  devrait  du  moins,  semble- 
t-il,  se  trouver  grandement  atténué  dans  la  matière  du  présent  volume. 
Elle  sera  bien  subtile  la  tendance  pour  se  glisser  inaperçue  dans  les 
détails  d'une  description  climatologitiue  1  Surtout  quand  on  dispose 
de  cette  copieuse  documentation  poétique,  dont  nous  avons  toujours 
exalté  la  valeur  et  prisé  le  contrôle.  Or  précisément  ce  volumineux 
dossier  lancera  maintes  fois  sur  de  fausses  pistes,  si  l'on  ignore  l'art 
de  le  compulser.  Nous  lui  devons  une  foule  de  réputations  imméritées, 
en  bien  et  en  mal  ;  un  certain  nombre  se  trouvent  signalées  plus  loin. 
Fakr  et  hi^à\  panégyrique  et  satire,  ces  deux  grandes  moitiés  de  la 
poésie  arabe  conspirent  avec  la  même  inconscience  à  fausser  la  vé- 
rité historique. 

Est-il  admissible  qu'on  ait  récompensé  un  quatrain,  racheté  un 
meurtre  par  l'abandon  de  centaines  de  chameaux.'^  (')  Nous  pre- 
nons cet  exemple  au  hasard,  il  servira  pour  le  clhnat  et  pour  la  psv- 
chologie  du  Bédouin.  Quand  toute  la  Péninsule  eût  été  transformée 
en  Himâ  Par3'3-a,  et  favorisée  d'un  rahi  perpétuel,  comment  au- 
rait-elle suffi  à  nourrir  les  troupeaux  que  ces  chiffres  supposent.-'  La 
tradition  littéraire,  fixée  dans  des  recueils,  comme  l'inestimable  Kitàb 
al-Agàniy  s'est  arrogé  le  droit  de  le  conclure  de  la  qualification  de 
^^^  ^}J^>~  ,  donnée  aux  héros  de  la  munificence  par  les  fiirchbare 
Retioviisteii  (')  que  furent  les  rimeurs  arabes.  A  ce  danger  ajoutez  le 


(')  Voir  plus   loin  les  détails  sur  la  rançon  du  sang. 

(-)  L'expression  est   du  Prof.  Xoldeke  ;    voir   plus   bas   p.  320. 


Préface  xv 

mirage  impérialiste  et  chauviniste.  Ce  dernier  élément  de  déforma- 
tion n"a  pas  manqué  de  pro\oquer  la  réaction  des  So'oïib}  va.  Entre 
ces  deux  extrêmes,  s'appu\ant  chacun  sur  d'innombrables  et  parfois 
subtiles  falsifications,  qui  osera  se  vanter  de  découvrir  toujours  la  via 
viedia,  où  se  tient  sans  doute  la  vérité!  Plus  bas  nous  signalons  la 
qualité  inférieure  du  courage  bédouin.  Nous  aurions  pu  appliquer  la 
même  mesure  à  la  lo3'auté  du  nomade  (').  Sous  ce  dernier  rapport, 
notre  impression  définitive  lui  demeure  nettement  défavorable.  En 
e.xerçant  partout  une  critique  aussi  impitoyable,  ou,  pour  parler  avec 
le  Prof  Becker,  «  den  niichtern  historischen  Sinn  des  Schlusskapitels  » 
de  FâHma,  nous  nous  demandons  ce  qui  aurait  subsisté  dans  le 
portrait  du  Bédouin^  Lui  serait-il  resté  — comme  au  père  du  poète 
Gamil  —  à  tout  le  moins  un  lambeau  de  tunique  pour  voiler  s^ 
nudité   morale,    à>:u^  ^^\^^)  'àX^  ii,    (-)? 

Tout  en  nous  eftorçant  d'éviter  les  traquenards  du  subjectivisme, 
nous  avons  pense  devoir  résister  à  la  tentation  de  démasquer  partout 
le  bhcff  de  la  grandiloquence  bédouine,  de  la  duperie,  consciente  ou 
non,  des  Asma'i  et  des  Aboû'l  Farag.  Nous  voilà  de  nouveau  ramené 
au.x  grandes  lignes  de  la  méthode,  suivie  dans  Fatima.  Faire  marcher 
de  front  l'e.xposé  et  la  critique,  les  doser  dans  les  proportions  conve- 
nables, conserA-er  le  plus  possible  du  coloris,  du  relief  des  documents 
originaux,  obtenir  de  la  sorte  un  récit  bien  vivant,  mais  sans  franchir 
la  limite,  où  l'illusion  littéraire  engendrerait  la  confusion  et  l'erreur. 
La  tâche  est  malaisée  !  Qu'en  sortira-t-il  r  «  Quelque  chose  d'inattendu 
et  d'étonnant  en  même  temps.''  »  (^)  Sera-ce  le  Mahomet  histori<]ue? 
Réussirons-nous  mieux  que  dans  Cessai  de  Fàtima  à  satisfaire  au.x 
justes  exigences  de  la  critique .''  Nous  nous  estimerions  heureux  de 
parvenir  à  rétablir  la  ph^'sonomie  de  l'auteur  du  Qoran,  telle  qu'on 
se  la  figurait  à  la  fin  du  premier  siècle  de  l'islam.  Si  l'histoire  peut 
être  appelée  un  roman  véritable,  celle  de  l'Arabie  ancienne  demeure 


(•)  Voir  plus  bas  ;    comp.    les   expériences   du    Prof.    Musil   dans   Im   nârdlichen 
Hegàz. 

(2)  Voir  plus  loin  les  détails  sur  les  sa'lotik. 

(3)  Cl.   Huart,  op.  cit.  p.  217. 


XVI  Préface 

la  plus  romanes(iiie  des  histoires.  Il  n'est  pas  en  notre  pouvoir  de 
modifier  cette  situation. 

Du  calife  Mo'âwia  il  est  raconté  que  des  solliciteurs  impudents 
cherchèrent  parfois  à  égarer  sa  bonne  foi.  L'adroit  politique  affectait 
de  ne  s'apercevoir  de  rien  et  souriant,  les  j'eux  à  demi-clos,  continuait 
à  écouter,  U)  pl^rUi  <xtairJ  LLs"  ^^1  (').  Les  auteurs  de  NaiMciir  rela- 
tent le  trait  comme  une  des  preuves  les  plus  étonnantes  de  son  hilm 
proverbial.  Oriens  vnlt  decipi,  à  condition  qu'on  y  mette  des  formes. 

Cet  exemple,  les  explorateurs,  les  historiens  de  l'Orient  ne  de- 
vraient jamais  le  perdre  de  vue.  A  eux  d'examiner,  de  fouiller,  d'in- 
terroger, de  recueillir,  comme  si  partout  ils  supposaient  la  plus  entière 
lo3auté,  le  souci  désintéressé  de  la  vérité  dans  ce  milieu  de  mirages. 
Seule  cette  fiction  les  soutiendra  contre  les  assauts  de  l'énervement 
^^Ua)i  ç«  «àl  ^^1 ,  elle  permettra  de  mener  l'enquête  à  terme,  in  multa 
fatientia.  Nous  ajouterons:  et  doctrina.  Au  cours  même  de  ces  re- 
cherches fastidieuses,  à  fortiori  quand  il  s'agira  d'en  exposer  le  ré- 
sultat, alors  le  ton  de  la  voix,  l'expression  du  visage  suffiront  d'ordi- 
naire pour  révéler  que  l'enquêteur  ne  s'illusionne  ni  sur  la  valeur  de 
son  volumineux  dossier  ni  sur  la  probité  scientifique  de  ses  prolixes 
informateurs.  C'était  la  signification  de  l'énigmatique  sourire  de  Mo- 
'âwia. Aucun  contemporain  ne  s'y  trompa.  Peut-on  supposer  moins  de 
clairvoyance  chez  les  lecteurs  du  20°  siècle  ? 

«  Innombrables  sont  les  opinions  des  hommes  ici  bas;  la  majeure 
partie  de  leur  savoir  consiste  en  h3'pothèses  »  ("). 

Il  nous  reste  l'agréable  devoir  de  remercier  nos  collègues,  les 
PP.  Neyrand  et  Ruwet,   pour   leur  bienveillante  assistance   dans  la 


(')Qotaiba,  'Oyoùn.  28;  Ag.,  XVI,  34. 

(2)  Vers  de  Ahinad  ibn  Mohanimad,  surnommé  Doû'l  Mafâhir,  6«  siècle  H. 


Préface  xvii 

correction  des  épreuves,  ainsi  que  la  Tifografia  fcnitificia  nelC Istituto 
Pio  IX.  pour  la  diligence  apportée  à  l'impression  de  ce  travail.  La 
publication  de  tables  muiljtiqnes  est  réserx-ée  pour  l'achèvement  du 
Berceau  de  l'islam. 

Rome,  jin  Sefteinbre  1913 


LISTE 

DES  SIGLES  ET  ABBRÉVIATIONS   PRINCIPALES 


Aboû  'Obaid,  Carte  =  Aboû  'Obaid  al-Qâsim  ibn  Sallâm,  Garîb   cilhadït,    nian.   Ku- 

prulu,  Constantiiiople,  n.  64.  La  pagination  est  de  nous. 
»       Tammâni,  Haniâsa  =  Dïwân  A's'âr  al-Hamâsa;  à  moins  d'indication  contraire, 

l'édition  citée  est  celle  d'Egypte  (^  E)  en  4  vol. 
>       Vofisof,  Harâg  ^  Kitâh  al-Harâg;  Caire,   1302  H. 
»      Zaid,  k'i/âb  al-Matar  =  éd.  Cheikho,  A/airiç,  VIII,   162  sqq. 
Ag.  =  A'ittiô  al-Agâiii.   l'f  édit.,  avec  le  21'^  vol.  =  de  R.  Brùnnow. 
Age  de  Mahomet  ^^  H.   Laniniens,  L'âge  de   Mahomet  et  la  chronologie   de   la  Sira, 

dans  Jour.  Asiai.  1911',  209-50. 
Ahtal,  Divan  =  éd.  Salhani,  Beyrouth.  L'utilisation  des  manuscrits  de  Bagdad  et  du 

Vémen  sera  accompagnée  d'une  mention  spéciale. 
'Alqama  (Ahlw.)  =^  Son  divan  dans  W.   .'Xhlwardt,    The  divans  of  the  six  ancieiit  ara- 

bic  poets,   London,   1870. 
AsmaT,  Nabât  ^    Le    Kitâb   aii-iiabàt   was-kagar   d'Asma'ï,    éd.    Aug.    HaHiier    dans 

Masriq,   I,  406  sqq. 
Azraqi  (Wiist.)  =  Azraqï,  Kilâb  Ahbâr  Makka,  éd.  VViistenfeld. 
Bàdia  =  H.  Lammens,  La  Bâdia  et  la  Htra   sous  les  Oniaiyades,  dans  Mf'OB,  I\', 

91-112. 
Baiha<|î,  Mahûsin  =  Kitâb  al-mahâsiii  wal-masâwi,  éd.  Fr.  -Schwally. 
Bakrî.  Mo'gam  ^=  |««\j«Xwl  Le  ,,f>  »-;  i    iLX^:  éd.  Wijstenfeld. 
Balâdori,  FotoTth  =  Fotoûh  al-boldàn,  éd.  de  Goeje. 

»         Ansàh  =:  Ansâb  al-A'srâf,  manuscrit  de  Paris  (bibliothèque  nationale). 
Boljàri,  Siikïh  =  Le  recueil  des  traditions  musulmanes,  éd.  Krehl-Juynboll,   Leiden. 
Bohtorï,  Hamàsa  =  Kitàb  al-Hamâsa  de  Bohtori,  éd.  Cheikho,  Beyrouth. 
Caetani,  Annali  =  Annali  dell'islam  par  le  prince  Caetani  di  Teano  ;    plusieurs  vol. 

(en  cours  de  publication). 


XX  Liste  des  sigles  et   abbréviations  principales 

Caetani,  Sludi    -  Sludl  di  storia  orientale,   \"   vol.    1911. 

Chantre  ■-  H.   Lammens,  Le  chantre  des  Omiades,   notes  biographiques   et    littéraires 

sur  le  poète  arabe  chrétien  Ahtal. 
Chroniken  (Wûst.)  =  Wùstenfeld,  Die  Chroniken  der  Stadt  Mekka,   3  vol. 
Chronologie  de  la  Stra  =  Voir  Age  de  Mahomet. 
Dïnawarï,  Ahbâr  ou  Ahbàr  Tiwâl  =  Aboû  Hanïfa  ad-Dïnawarï,  KitHb  al-ahbir  at-tiwâl; 

éd.  Guirgass  Kratchkowsky. 
Doughty,    Travels  =:  Travels  in  Arabia  Déserta,  2  vol. 
Fâtima  =:  H.  Lammens,  Falima  et  les  filles  de  Mahomet  ;  notes  critiques  pour  l'étude 

de  la  Stra. 
Fihrist  ■=  G.  Fliigel,  Kitàb  al-Fihrist. 
Fraenkel,  Aram.  Fretndw.  =:  S.  Fraenkel,  Die   aramaeischen  Fremdwôrter  im   Ara- 

bischen. 
Gâhiz,  Bayân  ^  Al-Bayân  wa't-tabylti,   Caire,  2  vol. 
»       Haiawân  =  Kitàb  al-Haiawân.  Caire,  7  vol. 
»       Mahâsin  =  Kitâb  al-Mahâsin  wal-addâd,  attribué  à  Al-Gâhiz,  éd.  \'an  V'Ioten, 

Leiden,    1898. 
»       Tria  opicscula  ;=  éd.  Van  Vloten,   Leiden,   1903. 
>       Avares  =  Kitâb  al-Bohalâ'  éd.  Van  V'ioten,  Leiden,   1900. 
Goldziher,  M.  S.  :=  Muhanimedanische  Studien,   2  vol. 

»  Abhandlungen  ^=  Abhandlungen  zur  arabischen  Philologie,  2  vol. 

(juidi,  Sede  primitiva  =  Delta  sede  primitiva    dei  popoli  semitici  (dans  Reale   Acca- 

demia  dei  Lincei,   1878-79). 
Hanbal,  Mosnad,  ^  Le  Mosnad  d'Ahmad  ibn  Hanbal,  6  vol.  Caire. 
Hansâ',  Divan  =:  par  L.  Cheikho,  petite  édition  classique,   1888,  Beyrouth. 
Hassan  ibn  Tâbit,  Divan  =r  The  Dlwân  of  Hassan  ibn  Thâbit,  éd.  Hartwig  Hirschfeld. 
Hirschfeld,  New  researches  =  New  researches  info  the  composition   and   exegesis    of 

the  Qoran. 
Hosrî  ^=  Zahrat  al-Âdâb  d'Al-Hosrï,  en  marge  du  'Iqd  al-farld  d'Ibn  'Abdrabbihi. 
Hotai'a,  Divan  =  éd.  Goldziher  dans  ZDMG,    1892,   1893. 
Huart,  Histoire  des  Arabes  :=  2  vol. 
Ibn  al-Atîr,  Kdinil  =  At-târth  al-kâmil.   éd.   Tomberg. 
Ibn  Batoûta,   Voyages  =:  éd.  de  Paris,   Defréméry-Sanguinetti,  4  vol. 
Ibn   Doraid,  Istigâg  :=  Kitâb  al-Isliqâq,   éd.   Wùstenfeld. 

»         »         Si/at  as-Sahâb  =  éd.  Wright  dans  Opuscula  arabica. 
Ibn  Gobair,    Travels"  :=  la  2de  éd.  par  De  Goeje. 

Ibn  Hagar,  Isâba  ^=  Kitàb  al-isdba  fi  tamyîz  as-sahâba,  Calcutta.  4  vol. 
Ibn  Halâwaih,  Sagar  :=  Kitâb  ai-Sagar  attribué  à  Ibn  Halâwaih,  éd.  Sam.  Nagelberg. 
Ibn  Haldoûn,  Prolégomènes  =  éd.  Quatremère,   3  vol. 
Ibn  Hawqal,  Géogr.  =  Voir  plus  bas. 

Ibn  Hisani,  Stra  = 'Abdalmalik  ibn  Hisâm,  Strat  ar-rasoTil,  éd.  Wùstenfeld. 
Ibn  Mâgâ,  Sonan  =  Le  Kitâb  as-Sonati  d'Ibn   Mâgâ,  2  vol.  Caire. 


Liste  des  sigles  et  abbréviations  principales  xxi 

Ibn  Qais  ar-Roqayyât,  Divan  =  N.   Rhodokanakis.    Der  Diwâii    des  'Ubaid-Allah  ibn 

Kais  ar-Ruqajjât. 
Ibn  Rosteh,  A'iâq  =  Kitâb  al-A'lâq  an-na/'tsa,  éiws  Bibliotheca  geogr.  arabicorum  (de 

Goeje).  Voir  plus  bas.  Cité  aussi  comme  Ibn  Rosteh,   Géogr. 
Ibn  Sikkît,    Tahdîb  —  Ibn  as-Sikkît,  Kitâb  lahdib  al-a/fâz,  éd.  Cheikho,  Beyrouth,  1895. 
'Igd  =  Ibn  'Abdrabbihi,  A/-igdal-/aiUi.  Caire.  (Les  exposants  renvoient  au.x  éditions 

utilisées). 
I.  S.   Tahaq.   —Ibn  Sa'd,  Kitâb  at-labaqât  rt/-,èrt4j>- (collection  publiée  sous  la  direction 

d'Ed.  Sachau),  en  cours  de  publication. 
Der  Islam  ^  Zeitschrift  fur  Geschichte  iiiid  Kidtur  des  islamischen    Orient;    éditeur 

C.  H.  Becker. 
Istfab  -=  d'Ibn  'Abdalbarr,  éd.  de  Hyderabad  là  moins  d'indication  contraire^. 
Jacob,  Beduinenleben  =  G.  Jacob,  Altarabisches  Heduinenleben,  2.  édit. 
Jaussen,  Moab  =  Ant.  Jaussen,   Coutumes  des  Arabes  au  pays  de  Moab. 

»         Savignac,  Mission  :=  Mission  archéologique  en  Arabie,   2  vol. 
Kindî,  Governors  of  Egypt  —  AlKindî,    The  governors  and  jicdges  of  Egypt,  éd.  Rh. 

Ouest,  (dans  le  «  Gibb  mémorial  »). 
Labîd,  Divan  ^=  éd.  Huber-Brockelmann. 

Mahomet  fut-il  sincère  f  —  H.  Lammens,  (extrait  des    «  Recherches  de    science   reli- 
gieuse »,  n.   1   et  2,   1911). 
Maqdisï,   Géogr.   =  \'oir  plus   bas. 

Margoliouth,  Mohammed  =  Mohammed  and  the  rise  of  the  islam,  3^  éd. 
Mas'oûdî.  Prairies  =  Les  prairies  d'or;  éd.  Barbier  de  Meynard,  Paris.  9  vol. 

»  Tanbih  =  Kitàb  at-tanbth  zval-i'srâf,  éd.  de  Goeje  (voir  plus  bas). 

Masriq  —  al-Masriq.  Revue  orientale  (en  arabe)  éd.   L.  Cheikho,  Beyrouth. 
Mo'âwia  =  H.   Lammens,  Etudes  sur  le  règne  du  calife  omaiyade  Mo'âwia  /"■. 
Montahab  Kanz  =:  Monlahab  kanz  al-'ommâl,  6  vol.  en  marge  du  Mosnad d'\hi\  Hanbal. 
Moslim,  Sahïh  ^=  Moslim  ibn  al-Haggâg.  Sahih.  édit.  du  Caire.  L'exposant  2  renvoie 

à  celle  de  1327  H. 
.Musil,  Arabia  Petraea  :=  3  vol. 

»      Im  nord.  He'gàz  =:  Im  nôrdliclien  Hegàz.   Vorbericht  fiber  die  Forschungsreise 

1910.  pp.  23. 
Naqû'id  Garlr  =  Naqà'id  Garir  wal-Farazdag,  éd.  Bevan,  3  vol. 
Nasal,  Sonan  ^     Kitâb  as-Sonan,  éd.  Caire,  1312  H.,  2  vol. 
Nawawî,    Tahdib  :=  Tahdib  al-asmâ',  éd.  Wiistenfeld. 
Nôldeke-Schwally,  Geschichte  -=  Geschichte  des  Qorâns  de  Nôldeke;  nouvelle  édition 

par  Schwally. 
Nôldeke,  Neue  Beitràge  =  Neue  Beitràge  zur  semitisclien  Sprachwissenschaft. 
Omayya  ibn  Abi's-Salt.  Divan  =  éd.  F.  .Schulthess,  dans  les  Beitraege  fur  Assyrie - 

logie,  vol.  VIII. 
Opuscula  arabica  ^=  éd.  Will.  Wright. 
Osd  z=.  Osd  al-Gâba  d'Ibn  al-.\tîr,  Caire,  .5  vol. 


XXII  Liste  des  sigles  et  abbréviations  principales 

Poète  royal  =r  H.  Lammens,   Vn  poUe  royal  à  la  cour  des  Omiades  de  Damas  (extrait 

de  la  «  Revue  de  l'Orient  chrétien  >  19041. 
Qalqasandî,  Sobh  =  Sobh  a/-a'sd  fi  sanaat  al-iiisà',  Cnire,  X"'  vol. 
Qoran  =  Recension  de  Fluegel. 
Qoraii  et  Tradition  =  H.  Lammens,  Qo/ati  et  Tradition  ;   comment  J'iit   composée  la 

me  de  Mahomet,  (extrait  des  «  Recherches  de  science  religieuse  »  n.  1,  1910). 
Qotaiba,  Ma'ârif  =  Ibn  Qotaiba,  KUâb  al-Maârif,  éd.  Wûstenfeld. 
»         'OyoTtn  =  Ibn  Qotaiba,  'Oyoun  al-ahbâr,  éd.  Brockelmann. 
»         Poesis  =  Ibn  Qotaiba,  Liber  poesis  et  poetariim,  éd.  De  Goeje. 
Qotâmi,  Divan  =z  Dîwàn  des  'Umeir  ibn  Schujeim  Al-Qiitàmi,  éd.  J.  Barth. 
République  marchande  =  H.  Lammens,    La  république  marchande  de  la  Mecque  vers 

l'an   600   de   notre   ère  (extrait   du    Bulletin    de   l'Institut   égyptien,     1910, 

pp.  23-54). 
SâfiT,  Kitâb  al-Omni  =  Risâla  Kitâb  al-Omm  de  l'imâm  Sâfil,  éd.  Caire  1321   H. 
Sigistânî,  Mo'atnmaroûn  =i  I.    Goidziher,    Das  Kitâb  al-Mu'a7nmarÛ7i  des  Abu  Hàtini 

al-Sigistâni,  dans  Abhandlungen,   II  (voir  plus  hauti. 
Snouck  Hurgronje,  Mekka  =  2  vol. 

So'arâ'  ou    So'arà'    an-Nasrà?iyya   =    L.    Cheikho,    Kitâb   so'arà'  an-nasrânyya ,    Bey- 
routh, 1890. 
Sprenger,  Mohammad  =  Das  Leben  und  die  Lehre  des  Mohamniad,  3  vol..  2«  édit. 
Tab.,    Tafsïr     =  Tabarî,    Tafsir  al-Qor'ân,  .30  vol.  Caire,  1ère  édit. 

>      Annales  =       »         Annales,  éd.  De  Goeje. 
T^g  'Aroûs  =  Le  dictionnaire    Tàg  al-'Aroûs  de  Mohammad  Mortadâ,  10  vol.  Caire. 
Tâif  =^  H.  Lammens,    Tàif,   la  cité  alpestre  du  Hidjàz  au  ]""  siècle  de  l'islam  (extrait 

de  la  «  Revue  des  questions  scientifiques  »,  Octobre  1906). 
Tarafa  (Ahlw.)  ^  Son  divan  dans  W.  Ahlwardt,   The  divans  of  the  six  ancienl  arabic 

poets. 
Triumvirat  z=z    H.    Lammens,    Le  Trinminrat    Aboil   Bakr,  'Omar   et    Aboû  'Obaida 

(extrait  de  MFOB,   IV,  pp.  113-44). 
Vahiâ,  Harâg  =  Yahiâ  ibn  Adam,  Kitâb  al-Harâg,  éd.  Th.  \V.  Juynboll. 
Va'qoûbï,  Hist.  =  Al-Ya'qoûbi  Historiae,  2  vol.  éd.  M.  Th.  Houtsma. 

»  Géogr.    :=  Géographie  d'Al- Va'qoûbï,    dans  Bibliotheca   geogr.   arabicoruin 

(de  Goeje). 
Vâqoût,  Mo'gam  =  Dictionnaire  géographique,  éd.  Wûstenfeld.    La  réimpression  du 

Caire  est  notée  de  la  lettre  E. 
i'azid  =  H.  Lammens,  Le  califat  de  Yasîd  !"■  (extrait  de  MFOB.   IV-Vl). 
W'alther,    M'ûstenbildung  =  Das  Gesetz  der  Wiistenbildung  in  Cegeinvart  und  Vorzeit. 

2«  édit. 
Wâqidî  (Kremeri  =;  Kitâb  al-Magàzi.  éd.  \'on  Kremer. 

»      (VVell.)  =:  l'akidi's  Kitâb  al-Maghazi  par  Wellhausen. 
W'ellhausen,  Ehe  z=  Die  Ehe  bei  den  Arabern  (dans  Gôttinger  Nachrichten,   1893). 
»  Reich  :=  Das  arabisçhe  Reich  und  sein  Sturz. 


Liste  des  sigles  et  abbréviations  principales  xxiii 

Wellhausen,  Siizze/i  =  Skizzeti  und  Vorarbeilcn,  plusieurs  volumes. 

Wùstenfeld,  Gcbiet  :=  WOstenfeld,  Gebiel  von  Médina. 

Ziâd  ibn  Abïhi  =   H.  Lammens,    Ziâd  ibn   Ablki,    vice-roi   de   l'Iraq,    lieutenant   de 

Mo'âwia  I,   139  pp.  (extrait  de  Rivista  degli  studi  orientali,   IV). 
Zohair,  (Ahlw.)  =:  Son  divan  dans  Ahlwardt,  Six  ancient  poets. 
JRAS  =r  Journal  of  the  royal  asiatic  Society. 
L'A  =  Le  dictionnaire  Lisân  al-'Arab. 
MFOB  =^  Mélanges  de  la  Faculté  orientale  de  Beyrouth. 
WZKM   —   IViener  Zeitschrift  fur  die  Kunde  des  Morgenlàndes. 
ZDMG  =z  Zeitschrift  des  deutschen  viorgenlàndische  Gesellschaft. 

La  lettre  E  renvoie  à  une  édition  égyptienne  des  ouvrages  utilisés  :  ainsi  Yâ- 
qoût  E.  Les  géographes,  comme  Istahri,  Ibn  Hauqal,  Maqdisî,  Ibn  al-Faqîh,  Ibn 
Rosteh,  Ya'qoûbi,  Mas'oûdî  (Tanblh)  sont  cités  (p.  e.  Ibn  Faqîh,  Géogr.)  d'après  les 
éditions  de  la  Bibliotheca  geogr.  arabicorum  (de  Goeje)  ;  Hamdâuï,  Gazirat  al-'Arab, 
(cité  Hanidânî,  Gazira)  d'après  l'édit.   D.  H.  Millier. 

Pour  les  manuscrits,  nous  nous  contentons  d'un  renvoi  sommaire  au  lieu  de  pro- 
venance :  Leiden,  Berlin,  Paris,  Damas  (Al-malik  az-zàhir),  le  Caire  (Bibliothèque 
Khédiviale)  etc.  Il  s'agit  des  fonds  arabes  de  ces  dépôts.  L'immense  majorité  des 
innombrables  manuscrits  arabes,  dispersés  dans  les  mosquées,  les  turbés  etc.  de 
Constantinople  n'étant  pas  paginés,  nous  devons  nous  borner  à  indiquer  les  biblio- 
thèques particulières  de  la  capitale  turque.  Nous  conserverons  le  système  de  trans- 
cription, employé  dans  Faiima  et  dans  nos  précédentes  publications. 


INTRODUCTION 


<  Entre  deux  points  donnés,  la  ligne  droite  est  le  chemin  le  plus 
court  -.  Cet  axiome  les  géomètres  se  montrent  unanimes  à  le  pro- 
clamer, et  les  oiseaux  peut-être  les  seuls  à  le  mettre  en  pratique. 

Mais  dans  notre  vie  banale,  celle  de  tous  les  jours,  dans  cette 
faculté  de  locomotion,  que  nous  partageons  avec  les  mathématiciens 
et  avec  les  oiseaux,  combien  d'entre  nous  suivent  habituellement  la 
ligne  droite:  A  notre  époque  de  vie  intense,  d'enfièvrement  universel, 
où,  pour  être  de  son  siècle,  il  faut  avoir  été  piqué  par  la  tarentule 
du  déplacement,  l'homme  affairé  choisit  non  la  voie,  géométriquement 
la  plus  courte,  parce  que  la  plus  droite,  mais  la  plus  rapide,  celle 
destinée  à  le  mener  au  but  avec  la  moindre  dépense  de  temps  et 
d'argent,  abstraction  faite  de  la  distance  parcourue.  Toute  l'économie 
des  moyens  de  transport  repose  sur  cette  distinction.  Elle  amène  à 
accorder  la  préférence  aux  lignes  principales  sur  les  lignes  secondaires, 
fréquemment  plus  courtes  comme  longueur  kilométrique.  C'est  sur  les 
premières  que  circulent  les  direttissimi.  La  ligne  droite  deviendra 
décidément  la  plus  courte  le  jour,  prochain  peut-être,  oij  les  progrès 
de  l'aviation  nous  élèveront  au  niveau  des  oiseaux. 

La  vérité  de  ces  considérations  éclate  surtout  dans  le  domaine 
scientifique.  Voie  la  plus  courte,  chemin  des  écoliers  y  deviennent  fré- 
quemment synon)-mes.  Si  l'on  prétend  y  avancer,  aboutir  enfin,  il  faut 
tenir  com()te  d'un  facteur  essentiel  :  le  temps.  En  cette  arène,  bordée 
de  précipices,  semée  de  casse-cou,  de  pièges  et  de  traquenards,  il  est 
prudent  de  s'arrêter  parfois  pour  donner  un  coup  de  sonde,  explorer 
la  solidité  du  terrain.  Rien  de  dangereux  comme  de  prétendre  brûler 
les  étapes,  utiliser  les  sentiers  de  traverse,  les  coursières,  sous  pré- 
texte d'abréger  le  chemin.  On  doit  se  résigner  à  flâner,  accepter  de 

I.AMMENs  —  Btrceau  I 


2  Introduction 

marcher  à  toute  petite  vapeur,  de  subir  des  haltes  prolongées  dans 
des  stations  de  campagne. 

Prenons  un  exemple  dans  l'histoire  de  l'art.  Pour  étudier  un  de 
nos  grands  monuments,  deux  méthodes  se  présentent.  La  première, 
celle  des  gens  nerveux,  s'engouffrant  tête  baissée  à  l'intérieur,  les  yeux 
collés  sur  leur  Baedeker.  Cela  se  voit  même  à  Rome.  D'autres  mieux 
inspirés  commencent  par  prendre  du  temps  et  de  l'espace.  Ils  battent 
la  semelle  sur  la  place,  circulent  autour  de  l'édifice,  reviennent  sur 
leurs  pas  pour  étudier  son  emplacement,  son  enceinte,  en  un  mot,  le 
milieu  artistique.  Ils  cherchent  à  se  -donner  le  recul  nécessaire,  afin 
de  juger  de  l'effet,  produit  par  l'ensemble.  Fréquemment  la  réalisation 
d'un  chef  d'œuvre  représente  «  la  rencontre  d'un  grand  artiste  et  d'un 
grand  pax'sage.  Et  c'est  pour  cela  qu'il  est  absurde  de  séparer  le 
Parthénon  de  son  cadre.  Descendez-le  de  sa  colline,  ôtez-lui  les  jeux 
de  la  lumière,  l'athmosphère  brillante  et  ventilée,  où  il  s'épanouit  —  le 
voilà  presque  rabaissé  au  niveau  du  Théseion  »  (').  le  monument  trapu, 
s'abritant  aux  pieds  de  l'Acropole. 


Nous  saurons  éviter  cette  erreur.  Dans  notre  enquête  sur  les 
origines  de  l'islam,  nous  adopterons  la  méthode  des  zigzags,  des 
flâneries  scientifiques,  des  stationnements  sous  les  portiques  et  les 
propylées.  Guerre  à  la  précipitation,  au  nervosisme,  à  la  fièvre  des 
chemins  de  fer  et  des  randonnées  en  automobile.  Ils  mènent  droit 
aux  conclusions  hâtives,  prématurées:  ils  faussent  toutes  les  recher- 
ches scientifiques.  Nous  leur  devons  l'énorme  littérature  touriste,  es- 
sa3'iste,  impressionniste,  encombrant  les  bibliothèques  et  égarant  les 
jugements  du  public  non  averti. 

En  son  genre  c'est  un  monument  peu  banal  que  cette  religion, 
originaire  d'Arabie,  vieille  de  13  siècles  et  de  nos  jours  encore,  con- 
tinuant, sous  ses  voûtes  lézardées,  derrière  ses  murailles  branlantes 
à  abriter  200  millions  de  fidèles.    Ce  serait  folie,  prétendre  d'un  re- 

(')  Louis  Bertrand,  La  Grèce  du  soleil  et  des  paysages,   '(>. 


Introduction  3 

gard  circulaire  embrasser  d'aussi  vastes  dimensions.  Malgré  les  signes 
évidents  de  décrépitude,  sa  lourde  masse,  composée  de  matériaux 
disparates,  s'obstine  à  braver  l'action  du  temps.  Conception  bizarre, 
sorte  de  défi,  semble-t-il,  aux  lois  de  l'équilibre,  à  nos  principes  d'or- 
dre, d'harmonie  ;  non  moins  déconcertante  par  sa  brusque  apparition, 
sa  rupture  apparente  avec  le  passé  et  par  la  fascination  exercée  sur 
une  notable  et  non  la  moins  belle  part  de  l'humanité,  qu'elle  a  bru- 
talement arrachée  à  la  civilisation  ! 

En  faut-il  davantage  pour  réprimer  nos  impatiences  et  procéder 
avec  une  sage  défiance  de  nous-mêmes  ?  Puisque  les  inspirateurs,  les 
promoteurs  les  plus  considérables  de  cette  œuvre  —  nous  ne  disons 
pas  les  seuls  —  sont  nés,  ont  vécu  au  désert,  commençons  par  y 
excursionner,  par  y  faire  lécole  buissonnière.  A  vrai  dire,  les  buis- 
sons n'abondent  pas  en  Arabie  :  ceux  (ju'on  y  rencontre  offrent  plus 
d'épines  (')  que  de  feuilles.  Mais  tout  en  manquant  d'agrément,  ces 
proîiienades  monotones  nous  documenteront  plus  sûrement  que  les 
séances  dans  les  bibliothèques,  plus  rapidement  que  les  dissertations 
des  savants  de  cabinet.  En  réalité  le  principal  défaut  de  ces  élucu- 
brations,  ce  n'est  pas  l'insuffisance  de  l'information  —  certaines  pè- 
chent plutôt  par  excès  de  science,  —  c'est  l'incuriosité  du  milieu.  Ces 
maîtres,  si  soigneux  de  situer  dans  le  temps,  pointilleux  sur  des  vé- 
tilles chronologiques,  négligent  fré(]uemment  de  situer  dans  l'espace. 
Le  tableau  pourra  être  d'un  dessein  correct  mais  il  manque  de  pers- 
pective. De  là  des  malentendus,  des  admirations,  des  emballements 
à  côté,  des  colères  hors  de  propos,  Si  l'historien  doit  être  sine  ira  et 
studio,  nous  irons  demander  à  l'immuable  désert  de  nous  communi- 
quer une  part  de  son  calme  et  de  son  austère  sérénité. 

Quand  une  institution  a  bouleversé  les  plus  belles  contrées  de 
l'univers,  il  est  à  propos  de  remonter  à  ses  origines,  d'examiner  at- 
tentivement le  milieu,  où  a  reposé  son  berceau,  de  demander  à  ce 
milieu   de  nous    révéler  les    antécédents  séculaires,  les  causes  inulti- 


(')  Voir  Ibn  Halawaih,  Kitab  as-Sae^ar :  tous  les  arbres  mentionnés  sont  iS\J^ 
épineux;  mais  on  n'oublie  jamais  de  mentionner  (p.  ex.  VIII,  5)  s'ils  ont  des  branches 
et  des  feuilles,  ^3)5 5  ^— Ua.»  Cj'^  •  comp.  ^  j-  dans  Tag  'Arovs,  II,  73.  Le  ail,  sorte 
de  tamarisc,  sans  épines  forme  une  exception  ;  de  même  le  sabat  ou  Aniim  Arisaruin. 


4  Introduction 

pies,  qui  ont  amené  et  favorisé  ce  cataclysme,  pourquoi  une  partie 
de  l'humanité  a  brus(}uement  changé  de  direction  ?  Longtemps  en- 
core l'expansion,  les  succès  faciles  du  monothéisme  qoranique  demeu- 
meront  un  des  problèmes  les  plus  irritants  de  l'histoire  et  continue- 
ront à  faire  verser  des  flots  d'encre.  Le  pays  d'Agar  et  d'Ismaël  est 
bien  ancien. 

Dans    nos    recherches    nous    ne   prétendons   pas    manifester  une 
Arabie  inédite;    encore  moins   apporter   une  solution    définitive,   des 
formules    répondant   à    toutes    les    difficultés.    Nous   voudrions   seu- 
lement acheminer  vers  une  détermination  plus  positive  du  problème 
islamique.  Ce  sera,  cro3ons-nous,  le  serrer  de  plus  près,  avoir  chance 
d'en  éliminer  certaines  inconnues,  si  nous  replaçons    dans  leur  cadre 
naturel  les  origines  de  cette  religion,  en  étudiant  les  préoccupations 
morales,  la  valeur  intellectuelle,  la  capacité  civilisatrice   de  ses  prin- 
cipaux propagateurs;  les  ressources   ph3siques   et  économiques  des 
contrées,  premiers    témoins    d'une    révolution   aussi  considérable.    A 
tous  ces  facteurs   nous   demanderons  de    nous  indiquer    leur  part  de 
responsabilité  dans  l'œuvre    accomplie.  Jadis  on  croAait   pouvoir  at- 
tribuer les    grands    bouleversements    de    l'histoire  à  la  volonté    d'un 
seul  homme  :    ses  passions,  ses  préjugés  ou  son  génie  devaient  tout 
expliquer.    Quidquid  délirant  reges  plecttmtjir  AcJiivi  !   Comme  si  la 
Providence    consentait  à  abandonner   ses    créatures    aux  caprices  de 
l'égoïsme  humain.  Cette  méthode  fataliste  a  heureusement   passé  de 
mode.  Nous  nous  garderons  de  la  restaurer,    en    expliquant  exclusi- 
vement l'islam  par  la  personalité  de  Mahomet.  Nous  chercherons  plu- 
tôt à  découvrir  les  multiples  éléments,  qui  ont  amené  et  rendu  pos- 
sible l'action   du    Prophète    de  la  Mecque.    Mahomet  fut  lui-même  le 
produit  de  son  milieu.  Il  en  a,  comme  personne,  incarné  les  préjugés, 
les  passions  et  aussi  l'idéal,  si  lamentablement  humain  «  ^cu  J^j.^  Ul  lui 
fait  dire  la  Tradition;  je  suis  un  homme,  sorti  de  votre  milieu  ».    Il 
fut,  si  j'ose  ainsi  parler,  le  surhomme  de  l'Arabie.  Pauvre  surhomme 
en  vérité  !  Nous  aurons  vite  fait  d'en  connaître  l'envers.  Mais  tel  quel, 
en  dépit,  ou  si  l'on  veut,  en    raison  même    de    ses    tares,  il   séduisit 
le  Bédouin,  qui  se  reconnaissait  dans  le    Prophète  arabe-,    ainsi  l'ap- 
pelle complaisamment  le  Qoran.  Dans  cette  action  et  cette  réaction 
réciproques,  dans  la    correspondance    parfaite  entre    Mahomet    et  le 


Introduction  5 

milieu  (lui  l'avait  formé,  réside  principalement  le  secret  de  l'influence, 
exercée  sur  ses  contemporains.  Le  détacher  de  ce  centre,  c'est  dé- 
placer la  solution,  tourner  dans  un  cercle  vicieux. 

Imitons  plutôt  le  botaniste.  Par  l'étude  géologique  du  terrain,  il 
cherche  à  s'éclairer  sur  la  nature,  la  constitution  de  la  plante,  objet 
de  ses  recherches.  L'Arabie  à  la  veille  de  l'hégire,  son  climat,  ses 
habitants,  sa  religion,  sa  civilisation  à  ce  tournant  de  son  histoire 
mondiale,  ce  sera  la  matière  des  conférences  suivantes. 


LE    CLIMAT 


DE 


L'ARABIE    OCCIDENTALE 


L'Arabie  et  la  Province  du  ^i^az.  Délimitation  de  cette  province 


Dans  la  nomenclature  géographique,  le  terme  Arabie  représente 
une  de  ces  abstractions  fallacieuses,  héritage  du  passé,  dont  continue 
à  fourmiller  la  description  de  la  surface  planétaire,  que  nous  habitons. 
Comme  unité  chorographique,  l'Arabie  possède  juste  autant  de  titres 
à  l'existence  que  la  section  occidentale  de  l'Europe,  c'est-à-dire,  le 
continent  compris  entre  le  détroit  de  Gibraltar  d'une  part,  la  Baltique 
et  la  Mer  Noire  de  l'autre.  Arabie  et  Europe  occidentale  forment  deux 
presqu'iles,  couvrant  une  superficie  sensiblement  égale  et  comptant 
presqu'autant  de  races  (')  et  d'idiomes  différents.  Aux  plus  beaux 
temps  du  califat  "abbâside,  tous  les  efforts  des  souverains  de  Bagdad 
aboutirent  seulement  à  assurer  la  supériorité  du  dialecte  qoraisite, 
langue  de  la  religion  et  du  gouvernement  central.  Au  demeurant, 
l'Arabie  continua  à  former  un  agglomérat  de  terres  disparates,  une 
mosaïque  de  cent  peuples,  sans  unité  ph\sique  ni  ethnographique, 
divisés  par  de  hautes  chaînes  montagneuses,  par  des  déserts  infran- 
chissables. Là,  végètent  en  un  farouche  isolement  des  tribus  faméli- 
ques, ne  conservant  d'autres  relations  (jue  celles  du  belliuji  omnium 
contra  omties,  comme  aux  beaux  temps  de  leur  ancêtre  Ismaél. 


(')  Le  poète  Garîr  se  range  avec  les  Perses  et  les  Byzantins  contre  le  Yéinen  ; 
Yâ(\oûX.,  Mo'gam,  E.  IV,  328.  Le  Yémen  n'est  pas  englobé  dans  l'Arabie;  Ibn  al-Faqïh, 
Géogr.,  128.  A  la  veille  de  la  bataille  de  Doû  Qâr  les  Tamîtnites  escomptent  la  dé- 
faite des  Banoû  Bakr  et  s'apprêtent  à  les  razzier;  Ncujâ'id  Gartr,  648,  5  sqq. 


10  La  Mecque,  centre  religieux 


* 
*    * 


Ph3-siquement  la  presqu'île  arabique  offre  l'image  d'un  formidable 
rectangle,  terminant  au  midi  l'Asie  Antérieure.  Ce  gigantesque  étau 
de  terres  inhospitalières  vient  s'interposer  entre  les  fabuleux  pays  du 
mo3-en  Orient  et  l'Orient  classicjue,  berceau  de  notre  civilisation.  Dans 
ce  complexe  massif,  seule,  la  partie  la  plus  rapprochée  de  nous, 
l'Arabie  occidentale,  mérite  de  retenir  notre  attention.  Là  à  l'Est  de 
la  Mer  Rouge,  environ  à  moitié  chemin  entre  la  Syrie  et  l'Océan 
indien,  dans  la  province  encore  appelée  Higàz,  est  né  l'islam,  objet 
de  nos  recherches.  Il  }■  a  vécu  les  années  de  sa  première  enfance, 
avant  de  se  répandre  sur  le  monde.  Les  habitants  du  Higâz  seuls 
ont  créé  l'islam;  l'élaboration  de  l'indigente  et  primitive  dogmatique 
du  Ooran  con.stitue  leur  travail  exclusif,  repris  en  sous-œuvre  et 
complété  par  les  races  conquises. 

Une  théorie  malheureuse,  mise  en  circulation  par  les  écrivains 
musulmans  et  trop  facilement  acceptée  par  l'érudition' occidentale,  re- 
présente le  Higâz  avec  la  Mecque  sa  capitale,  comme  le  centre  reli- 
gieux de  l'Arabie  préislamique  (').  Les  prétentions  aristocratiques  de 
Qorais  ont  favorisé  la  diffusion  de  cette  fable.  Il  plaisait  à  l'orgueil 
des  Mecquois,  devenus  les  arbitres  du  califat,  de  revendiquer  pour  leur 
tribu  une  situation  aussi  exceptionnelle.  De  son  côté,  le  Qoran  con- 
tribua puissamment  au  succès  de  la  légende,  en  campant  le  sanctuaire 
de  la  Ka'ba  et  l'ancien  fétichisme  qoraisite  au  centre  de  la  religion 
islamique.  Cette  combinaison  répugnante  d'un  monothéisme  étroit  et 
d'un  paganisme  aussi  grossier,  on  avait  intérêt  à  y  reconnaître  comme 
la  consécration,  voulue  par  Allah,  des  privilèges,  du  monopole  poli- 


—  —  Il  * 

(')  Cf.  Vâqout,  E.  1,  33/,  pour  l'interprétation  du  nom  de  ^J^\  j>  I  ,  donné  à 
la  Mecque.  On  observe  une  tendance  marquée  à  représenter  les  tribus  arabes,  comme 
ayant  séjourné  du  moins  teniporainement  au  Higàz,  et  cette  province  comme  le  ber- 
ceau de  la  race  arabe  ,  Bakrî,  Mo'gam,  .■)8-59.  Je  crois  découvrir  la  même  inspiration 
dans  rénumération  des  nombreuses  tribus,  s'étant  successivement  partagé  X'igâsa  ou 
direction  du  pèlerinage;  Naçâ'id  Garîr,  450,  8-12;  notre   Va-îd,  341,  n.  4. 


Les  Bédouins,  rebelles  aux  abstractions  11 

tique  de  la  tribu,  détenant  le  califat.  \'^raisemblablement  Mahomet  s'est 
seulement  considéré  comme  le  prophète  du  Higâz  et  des  cantons  voi- 
sins. Les  Ooraisites  travailleront  à  le  transformer  en  prophète  national, 
en  attendant  d'en  faire  celui  du  genre  humain. 

Quoiqu'il  faille  penser  de  ces  théories  chauvinistes,  l'influence  dé- 
cisive du  Higâz  sur  le  reste  de  la  Péninsule  est  postérieure  à  l'appa- 
rition de  l'islam  et  née  avec  l'influence,  exercée  par  cette  religion. 
Dans  l'intérêt  de  nos  recherches,  il  suffira  donc  de  concentrer  notre 
attention  sur  le  Higâz.  Une  date  conventionnelle,  mais  d'une  certitude 
suffisante,  place  l'hégire  vers  l'an  622  de  notre  ère.  Aux  environs  de 
l'an  610,  Mahomet  aurait  commencé  sa  mission  (').  Essayons  donc  de 
nous  représenter,  à  l'aurore  du  7*^  siècle,  la  situation  physique,  reli- 
gieuse et  politique  du  Higâz,  berceau  de  l'islam. 


C'est  une  tâche  ardue  de  tracer,  pour  une  époque  aussi  loin- 
taine, les  limites  précises  de  cette  province.  Les  Bédouins  se  sont  tou- 
jours montrés  rebelles  aux  abstractions,  sans  relations  intimes  avec 
la  banalité  de  leur  vie  quotidienne.  Chaque  tribu  connaissait  en  détail 
l'étendue  de  son  territoire,  parfois  vaste  comme  des  ro3'aumes,  en 
d'autres  termes  l'ensemble  des  pâturages,  des  oasis  et  des  points  d'eau, 
assurant  son  existence.  Chaque  nomade  en  possédait  la  nomenclature 
complète;  il  aurait  pu  en  déterminer  la  position  exacte,  le  rendement, 
la  richesse  végétale,  jusqu'au  débit  journalier  des  puits  et  des  réser- 
voirs, où  il  venait  abreuver  ses  chameaux.  Ces  précisions  avaient  bien 
leur  mérite.  Rien  de  plus  minutieux  que  l'onomastique  (")  du  désert: 
couleur  du  sol,  accidents  du  terrain,  formes  des  montagnes,  des  dé- 
filés, des  plaines,  des  dépressions,  leur  richesse  h3fdrologique,  tout  y 
recevait  une  notation  distincte,   où  s'affirment  la  souplesse,   la  prodi- 


(')  Voir  notre  Chronologie  de  la  Sïra. 

(•)  Voir  les  dictionnaires,  Mo'gam,  de  Bakrî  et  de  Yâqoût.  Nous  utiliserons  dans 
les  pages  suivantes  leur  richesse  d'information. 


12  Etrangers  au  concept  de  la  «  province  » 

gieiise  ricliesse  de  l'idiome  arabe  (').  Ciiez  ces  vo3ageurs  perpétuels, 
l'habitude  de  la  vie  errante  avait  affiné  à  un  degré  incro\'able  le  sens 
de  l'observation  topographiciue.  Mais  cette  application  ne  s'élève  pas 
jusqu'aux  abstractions  de  géographie  politique,  Celles-ci  supposent 
une  centralisation,  une  organisation  sociale,  ignorées  par  les  irréduc- 
tibles individualistes  du  désert.  Ils  en  sont  demeurés  aux  formes  pa- 
triarcales, aux  groupements  primitifs  de  la  famille  humaine.  Même 
remanjue  pour  la  clironologie.  Seules  les  plus  petites  fractions  de 
la  subdivision  du  temps  :  le  jour  et  la  nuit,  ensuite  les  mois  et  les 
saisons,  parce  que  marquées  par  l'évolution  des  astres,  par  des  phé- 
nomènes, s'imposant  à  l'observateur  le  plus  distrait,  tous  ces  éléments 
chronologiques  impressionnent  le  nomade,  à  l'encontre  de  Xamiée,  un 
concept,  créé  par  la  science  astronomique.  Ces  années,  dont  le  poids 
nous  écrase,  le  Bédouin  semble  les  porter  d'un  cœur  léger,  parce  que. 
dédaigneux  de  l'arithmétique,  il  se  dispense  de  les  supputer.  Nous 
l'avons  constaté  ailleurs  ('),  en  cherchant  à  établir  l'âge  exact  de  Ma- 
homet. .Si  ce  calcul  s'est  démontré  impossible,  c'est  que  le  Prophète, 
à  l'instar  de  ses  contemporains,  a  ignoré  son  âge. 

Qu'est-ce  qu'une  province .''  Cette  (jnestion  leur  eût  paru  oiseuse  ; 
elle  ne  trouvait  aucun  écho  dans  leur  intelligence,  envahie  par  des  pré- 
occupations réalistes.  En  revanche  ils  notaient  avec  grand  soin,  on 
l'a  vu,  les  moindres  protubérances,  les  plus  imperceptibles  rugosités 
dans  la  figure  de  la  terre,  principalement  les  modifications  de  climat, 
affectant  si  profondément  l'homme  primitif  Les  Gajir,  les  Tihàma, 
les  Nagd  (■'),  toutes  les  variétés  de  terres  hautes  et  basses,  de  val- 
lées encaissées,  de  défilés  étranglés  entre  les  montagnes,  de  plaines 
côtières,  brûlées  par  le  soleil  (^),  leurs  anciens  poètes  ont  abondam- 

(M  Voir  plus  loin  les  détails  sur  les  puits. 

(-)  L'âge  de  Mahomet  et  la  chronologie  de  la  Sïra,  dans  Jour.  Asiat.  Voir  pour- 
tant un  vers  de  'Adî  ibn  Zaid  (Bakrî,  op.  cit.,  293,  1);  mais  c'est  un  chrétien  de 
Hîra,  attaché  à  la  chancellerie  perse. 

(^)  Sans  parler  de  Gais,  synonyme  de  Nagd,  que  la  langue  courante  paraît  avoir 
laissé  tomber;  cf.  Bakrî,  Mo'gam,  8-11  ;  Ibn  Sikkît,  Tahêïb,  éd.  Cheikho,  484;  Vâqoût, 
E.  III,   101,   124-. 

(^)  Le  pseudo-Ibn  Halauaih  dans  son  Kitâb  as-Sagar  conserve  quelques  bonnes 
notations  de  géographie  botanique.  Chez  lui  le  ternie    Higâz  relève  de  la  géographie 


Etymologie  de  «  Higaz  »  13 

ment  usé  de  cette  terminologie.  On  y  chercherait  \-ainement  les  dé- 
nominations géographiques,  les  divisions  administratives,  si  fréquentes 
sous  la  plume  des  écrivains  islamicjues  postérieurs.  Pourquoi  se  se- 
raient-ils inquiétés  de  déterminer  si  tel  tiliàma^  si  le  gaur  de  tel  dis- 
trict relevait  du  Higâz  ou  du  Yémen?  Le  côté  pratique  ou  utilitaire, 
c'est  le  seul  angle,  sous  lequel  ils  ont  jamais  consenti  à  envisager  la 
géographie  phxsique.  Par  ailleurs  le  vocable  Higâz  a  été  desservi 
par  ceux  de  Nagd  et  de  Tihâma,  régions  hvpsoviclriques  et  clwiato- 
logiqnes,  l'enserrant  à  droite  et  à  gauche  et  empiétant  constamment 
sur  son  domaine  au.x  limites  imprécises.  Ainsi  les  tribus,  comme  les 
BanoQ  Solaim,  débordant  la  frontière  orientale,  sont  tantôt  ratta- 
chées au  Nagd,  tantôt  au  Higâz.  Nagd  et  Tihâma,  c'est-à-dire  alti- 
tude et  dépression,  plaine  et  plateau,  chaud  et  froid,  autant  de  con- 
cepts, nettement  marqués  dans  l'esprit  des  Arabes  (').  Higâz  signi- 
fierait barrière  (").  Si  jamais  les  nomades  se  sont  amusés  aux  varia- 
tions étymologiques,  chères  aux  philologues  'abbâsides,  ils  ont  dû  se 
demander,  comme  nous,  l'origine  de  cette  appellation  et  comment 
le  Higâz  remplissait  son  rôle  de  barrière.  Venus  après  eux,  lexico- 
graphes et  géographes  arabes  ont  dépensé  des  trésors  d'ingéniosité, 
sans  y  mieux  réussir;  à  preuve  les  interprétations  arbitraires  et  sou- 
vent enfantines,  enregistrées  par  eux  (^),  sous  la  rubrique  Higâz. 
Même  quand  il  s'agit  de  centres  importants  comme  Taimâ',  Tâif, 


physique  plus  que  de  la  politique.  Même  remarque  pour  son  emploi  de  Nagd  =  terres 
hautes  ou  plateaux  ;  Tihâma  =  terres  basses  ;  Gaur  =  terres  basses  et  encaissées  ; 
Higâz  =  région  des  montagnes  abruptes,  comme  celles  du  Higâz. 

(')  Ainsi  à  chaque  grande  subdivision  de  l'Arabie,  comme  le  Yémen,  le  Hadra- 
maut,  on  assigne  un  Nagd,  un  Gaur,  un  Tihâma,  Gais;  cf.  Vâqoût,  Mo'gam,  E. 
III,   101. 

(î)  Cf.  Yâqoût,  op.  cil.  E,  III,   101;  Mas'oQdî,  Prairies,  III,    139. 

(3)  Par  ex.  Bakri,  Mo'gam,  9,  1.  11,  ^LjJ'^1  J-»  j-^ss^^>  ^"^  Ij"-^  cj^ 
ioUiLll  »^  j-jULs"*  yb •   .IsiioV^»  ;    comp.    Vâqoût,    op.    cil.    E.    II,    437;    III,    217-18; 

III,  233,  11,  etymologie  de  el^tx^,  vent  du  Nord;  celle  du  nom  propre  iJV.-Jii,  Hé- 
lène tj^Ki  t,jii  (3  iX^I  v^siaX..»)!  \>\  ^\  (_j*(jy'cr;  i^  C-Jlf  L^'SI  ;  Ibid.,  III, 
365.  «  Ils  sont  un  jlâs  refuge  »,  dit  Farazdaq;  JVaçâ'id  Gartr,  512,  11.  Voir  le  glos- 
saire des  JVaçâ'id  s.  v.  :'i.as  ;  Tag  'Aroîis,  I\',  33  is.  r.  j^s)  pour  les  étymologies  de 
Higâz.  Mas'oûdî,  Prairies,   III,   126,   139  renvoie  ici  à  Qoran,  23,    101  ;  23,  55. 


14  Limites  de  cette  province 

Taboûk  ('),  Médine,  la  Mecque,  Aila,  il  est  impossible  de  décider,  si 
vers  les  débuts  de  l'héfrire,  on  les  rattachait  au  Higâz,  au  Nagd  ou 
à  la  Syrie.  Cette  imprécision  met  à  la  torture  géographes  et  ency- 
clopédistes musulmans.  Si  trop  souvent  ils  recourent  à  la  formule 
découragée,  >*l  aïA  Dieu  le  sait  mieu.x,  cette  résignation  antiscientifi- 
c]ue  provient  du  manque  de  renseignements  poétiques  ("),  leur  source 
principale  de  documentation  géographique  (^).  Elle  l'est  demeurée 
pour  leurs  confrères,  les  chroniqueurs  et  annalistes,  plus  soucieux  d'in- 
terroger les  divans  des  poètes  que  de  fouiller  les  archives  officielles 
où  avaient  puisé  les  rédacteurs  de  Kitàb  al-Haràg,  livres  de  l'impôt, 
et  des  Masàlik^  recueils  tenant  le  milieu  entre  le  ro7dici\  et  le  manuel 
géographique.  A  la  Mecque  quand  on  partait  pour  Médine,  on  était 
censé  se  rendre  au  Higâz  (^)  ;  la  première  métropole,  à  cause  de  sa 
faible  altitude,  se  trouvant  attribuée  au  Tihâma  C^)  ou  même  au  Gaur. 

En  réalité,  toutes  ces  relations  provinciales  datent  en  Arabie  de 
l'institution  du  califat  et  d'une  hiérarchie  administrative.  Par  ses  luttes 
contre  le  particularisme  des  tribus,  par  sa  bureaucratie,  par  ses  ten- 
tatives unificatrices,  par  les  levées  d'hommes  et  de  taxes  (^),  enfin 
par  l'établissement  du  service  des  dotations  et  des  soldes,  toutes  des 
institutions  centralisatrices,  la  lourde  machine  du  califat  fit  pénétrer 
de  force  dans  la  mentalité  des  Bédouins  la  géographie  politique  dont 
ils  ne  voulaient  rien  savoir.  Ils  s'écriaient  avec  Farazdaq  : 

«  La  d\-nastie  marwânide  se  trompe  en  comptant  sur  mon  obéis- 


(')  Fréquemment  placé  en  Syrie;  Bakrï,  op,  cit.,  192,  ou  entre  la  Syrie  et  Wâdi'I 
Qorâ;  Yâqoût,  op.  cit.,  E.  II,  365;  Adroh,  près  du  Higâz;  Yâqout,  E.  I,  161  ;  Hismâ 
en  Syrie;  Yâqoût,  E.  II,  91;  .Médine  rattachée  au  Nagd  ;  Taimâ'  à  l'extrémité  de  la 
-Syrie;  ibid..  II,  442;  III,   101.  Cf.    Vazîd.  283. 

(■')  Cf.  Bakrî,  op.  cit.,  8-9. 

(■')  Beaucoup  plus  que  l'autopsie  ;  un  vers  leur  fait  abdiquer  leur  propre  juge- 
ment. Farazdaq  place  la  Mecque  dans  le  Gaur;  Ag.,  VIII,   188,  3. 

(*)  Ibn  Hisam,  Stra,  98,  2,  d.  1.,  99,  1. 

(^)  Yâqoût,  op.  cit.,  E.  II,  436,  437.  Asma'ï  ne  nomme  pas  la  Mecque  parmi  les 
douze  cantons  ou  subdivisions  du  Higâz;  Ibid.,  III,  218.  Istahri  ne  se  retrouve  plus 
dans  ces  divisions  archaïques;  voir  sa  Géogr.,   \ô,  4. 

C')  Les  Bédouins  jettent  dans  un  puits  le  collecteur  de  taxes;  Yâqoût,  E.  III, 
2S9  ;  infligent  le  même  traitement  à  un  prophète;  ibid.,  IV,  230,  3. 


Les  poètes  et  le  vocable  Higaz  15 

sance,   ma  soumission.  Derrière   moi,  j'ai   ma  tribu,  et  devant,  l'im- 
mensité du  désert  !  > 

V  y      ..  J'    1  *•  ^    S^  ^  Sr  ^Sr  ^^  ^  ^      ^     •    ^  •    J 

Au  demeurant  ils  laissèrent  aux  juristes  et  aux  casuistes  le  soin 
d'examiner,  où  commençait  la  frontière  nord  du  Higâz.  Il  s'agissait 
pour  ces  théoriciens  de  protéger  le  berceau  de  l'islam  contre  la  pft)- 
fanation  des  infidèles,  de  leur  interdire  l'accès  des  villes  saintes,  d'ex- 
pliquer comment  les  Juifs  avaient  pu  continuer  à  occuper  les  oasis 
de  Wâdi'l  Qorâ  (^),  nonobstant  la  prétendue  défense  attribuée  au 
Prophète  et  l'arbitraire  trop  réel  du  calife  'Omar. 

Le  vocable  Higâz  est  sans  doute  antérieur  à  l'hégire.  On  le  ren- 
contre dans  les  poètes  préislamiques,  mais  avec  incomparablement 
moins  de.  fréquence  que  le  groupe  Nagd-Tihâma-Gaur  (^)  et  les  ver- 
bes dérivés  de  ces  radicaux  (*).  Dès  lors  Médine  paraît  avoir  été 
co.nprise  dans  le  Higâz.  Lorsque  la  création  par  Mahomet  de  l'état 
médinois  déplaça  dans  l'Arabie  occidentale  le  centre  politique,  insen- 
siblement on  s'habitua  à  élargir  l'extension  géographique  du  Higâz; 
vers  le  Sud  d'abord,  ciuand  le  Prophète  réussit  à  s'emparer  de  la 
Mecque,  la  rattachant  ainsi  au  Higâz  de  Médine.  Néanmoins  le  terme 
de  Tihâma  conserva   toute  sa  valeur  pour  la  Mecque  et  l'on  admet 


(')  Yâqoût,  E.   IV,  49,  6  cl.  1. 

(^)  Ils  auraient  offert  des  cadeaux  au  Prophète;  Bakri,  op.  cit.,  30,  31. 

(3)  Bakri,  op.  cit.,  248,  4,  d.  1,;  544,  11  ;  Yâqoût  E.  II,  260;  III,  219,  d.  1.  ; 
Garir  ne  connaît  que  l'opposition  de  Nagd  et  de  Tihâma  ;  autre  poète  cite  Nagd, 
Iraq,  'Oman,  Tihâma  mais  pas  le  Higâz  ;  cf.  Ibn  Sikkit,  Tahdib,  (éd.  Cheikho),  484,  485. 

i'^)  yXf.\  et  /»4aJl  aller  au  Nagd  et  au  Tihâma,  très  fréquents  en  poésie  à  rencontre 
de  jarv^l  et  j-s:\^l.  aller  au  Higâz  ;  cf.  Ibn  Sikkît,  op.  cit.,  486  ;  Thorbecke,  Al- 
A'sà's  Lobgedicht  au/  Mukammad  dans  Morgenlând.  Forsch.,  255.  Le  vocable  Higâz 
se  rencontre  encore  dans  'Or\va  ibn  al-Ward  ;  So'arâ'  (Cheikho),  887,  2  ;  dans  Labîd, 
Divan,  XXYIII,  4  ;  (Bakri,  op.  cit.,  582,  3  d.  1.)  ;  Alqama  (Ahlw.),  108,  2  d.  1.  ;  comp. 
Bakri,  663,  6  d.  1.  Mention  plus  fréquente  depuis  l'hégire  ;  Naqâ'id  Garir,  450,  14  ; 
chez  Nagâsî  ;  Dînawari,  Ahbàr,  171,  3;  Lailâ  Ahyalyya  ;  Aboû  Tammâm,  Hamàsa, 
E.  I,  101;  IV,  76;  Hansâ',  Divan,  114;  Zohair  (Ahlw.),  90,  6  d.  1.  ;  Hamdâni, 
Gaztra,  47  d.  I.  ;  49,  50.  Yâqoût,  E.  III,  358. 


16  Pourquoi  la  délimitation  demeura  flottante 

que  le  Higâz  commence  au  Nord  de  'Osfân  (').  Au  septentrion  de 
Médine,  cette  extension  alla  de  pair  avec  la  marche  des  expéditions 
musulmanes  à  l'assaut  des  paj's  syriens.  Insensiblement  on  prit  l'habi- 
tude de  comprendre  sous  la  dénomination  de  Higâz  la  région  mon- 
tagneuse, entrecoupée  de  plateaux  et  bordée  de  plaines  côtières,  en 
d'autres  termes  la  [prolongation  de  la  massive  épine  dorsale  du  Sa- 
rât  (^),  courant  parallèlement  à  rEr3thrée  depuis  le  Ycmen  dans  la  di- 
rection du  golfe  d'Aila,  la  moderne  'Aqaba. 

A  l'exception  de  la  frontière  maritime,  les  autres  limites  de  ce 
long  rectangle,  étranglé  entre  les  flots  de  la  Mer  Rouge  et  les  hautes 
steppes  du  Nagd,  demeurèrent  toujours  flottantes.  Vers  le  Sud  elles 
se  prolongeaient  à  plusieurs  journées  au  delà  de  la  Mecque:  à  l'Est 
on  ne  s'accorda  jamais  sur  la  mouvance  administrative  de  certains 
districts.  La  frontière  s}Tienne  aurait  dû  être  moins  indécise.  Mais  elle 
dépendait  des  circonscriptions  à  assigner  aux  go7id  de  Syrie,  dont  la 
constitution  définitive  demeura  laborieuse.  Certains  auteurs  voudraient 
même  rattacher  la  Palestine,  c'est-à-dire  la  Pérée  méridionale,  plus  exac- 
tement les  régions  d'Edom  et  de  Moab,  au  Higâz  (').  Résumons  :  pour 
nous  le  Higâz  comprendra  toute  lArabie  occidentale,  à  l'exception  du 
Yémen,  soit  une  longueur  de  dix  degrés  de  latitude. 

(1)  Yâqoût,  E.  Il,  432;  III,  9,  5  d.  1.  Honain  est  A^L^J"  iïj>y  çj^  >\y,  Bal5- 
dorî,  Aiisâh,  232".  Voir  Bakrî,  op.  cit.,  429,  pour  la  limite  sud  du  Higâz.  Ibid.,  575: 
«  Nagrân,  le  meilleur  climat  du  Higâz  ».  Montagnes  du  pays  de  Tayy,  englobées  dans 
le  Higâz;  Yâqoût,  E.  IV,  313;  le  Higâz  identifié  à  la  chaîne  du  Saràt  ;  Hamdânî, 
Gazîra,  48. 

(2)  Yâqoût,  op,  cit.,   E.   III,  lui,  218.  Bonne  définition  du  Higâz  ;  ibid.,\\  60-61. 
(')  Yâqoût,  op.  cit.,  E.  III,  218.  Pendant  longtemps  Taboûk  fut  considéré,  comme 

marquant  la  frontière  syrienne;  Dînawarî,  Ahbâr,  150,  3;  le  même  auteur,  166,  11, 
parle  des  «  deux  Higâz  ».  Je  comprends  :  «  le  Higâz  de  Médine  et  celui  de  la  Mecque  ». 
'Ali  a  réuni  sous  son  autorité  :  . . . .  ^;_,\ jlsn^l  «  (Koûfa-Basra)  j^l-^Al»  j^L«  jil.  Les  deux 
haram  désigneraient  les  deu.x  villes  saintes  et  les  «  deux  Higâz  »  leur  territoire.  Cf. 
Tag  'Aroïis,  IV,  33-34,  sur  frontières  du  Higâz  ;  intéressant  à  cause  des  citations  an- 
ciennes.   A  côté  de   j-f:\^l  et   j-s^va».!  ^  aller  au  Higâz,    ce    recueil  cite  aussi  j-yntl 

une  forme  que  je  crois  refaite  sur  oasl  ,  «^^il ,  ^J*Jia.l  aller  au  Nagd,  au  Tihâma,  au 
Gais. 


II 

Climat  du  yigaz.  Température,  pluie 


Commençons  par  la  géographie  climatologique  du  Higâz.  Le  climat 
est  tropical,  la  chaleur  accablante,  excepté  en  quelques  districts  mon- 
tagneux, situés  sur  les  confins  du  Nagd  et  du  Yémen.  Sur  ce  point 
la  pittoresque  région  de  Tâif  et  son  prolongement  méridional,  la  chaîne 
du  Sarât,  atteignant  jusqu'à  3000  mètres  de  hauteur,  passaient  pour 
une  villégiature  alpestre. 

Excessif  pendant  l'été,  le  climat  demeure  pénible,  même  en  hi\er, 
surtout  dans  les  steppes  découvertes  de  l'intérieur.  Inutile  de  se  figurer 
alors  une  sorte  de  Riviera,  de  rêver  aux  tièdes  hivers,  dont  jouit  à 
la  même  latitude,  sur  le  bord  opposé  de  rEr3thrée,  la  lumineuse  vallée 
du  Nil.  C'est  la  fraîcheur  sans  doute,  mais  la  fi-aîcheur  âpre,  mordante, 
ébranlant  les  plus  robustes  constitutions.  Tout  est  tranché,  heurté  dans 
le  milieu  arabe  :  météorologie,  couleurs  du  paysage,  caractère  des 
habitants,  leur  constitution  tout  nerfs,  muscles  et  os,  leur  langue  à  la 
gamme,  si  pauvre  en  nuances  vocaliques,  à  côté  d'une  véritable  dé- 
bauche de  consonnes  et  de  gutturales. 

A  s'en  tenir  aux  descriptions  des  anciens  poètes  —  c'est  la  re- 
marque de  Gâhiz,  un  des  plus  spirituels  écrivains  de  la  brillante  période 
'abbâside  —  l'hiver  et  l'été  apparaissent  également  intolérables  au 
désert,  et  cela  malgré  l'absence  de  neige  (').    Cette  âpreté  est  due 

(')  Gâhiz,  Hataifàn,  V,  25.  On  connaît  pourtant  la  «  gelée  nocturne  »;  A.  Tam- 
mâm,  Hamâsa,  E.  I\'.   110,  3  d.  v. 

LAMME^s    -    Bercfaii  a 


18  Rigueurs  de  l'hiver 

principalement  à  l'action  du  vent  du  Nord  (').  11  s'abat  sur  le  Hi^âz, 
après  avoir  traversé  les  plateaux  neigeux  d'Anatolie  et  les  steppes 
dénudées  de  la  Syro-Mésopotamie.  Aussi  les  bardes  bédouins  l'appel- 
lent-ils  le  vent  de  Syrie  C),  plus  rarement  le  «  vent  du  Taurus  »  (^). 
Il  déverse  sur  la  Péninsule  le  froid  emmaj^asiné  dans  les  déserts  glacés 
de  la  chaîne  taurique.  A  la  suite  du  rayonnement  intense  du  sol,  pendant 
les  claires  nuits  d'hiver,  la  terre  achève  de  perdre  ses  dernières  réserves 
de  calorique,  cependant  que  les  furieuses  rafales  de  la  bise  syrienne 
chassent  devant  elles  les  effluves  plus  chaudes,  s'élevant  de  l'intérieur 
de  la  solitude,  des  chaudières  en  ébullition  de  l'Erythrée  et  de  l'O- 
céan indien  {*).  C'est  l'occasion  pour  les  grands  chefs  d'étaler  leur 
générosité,  amie  du  faste  et  de  l'ostentation  (■').  Des  troupes  d'enfants 
et  de  veuves  assiègent  leurs  tentes,  hurlant  la  faim,  grelottant  de 
froid  sous  leurs  misérables  haillons.  On  élève  un  enclos  de  branches 
d'arbres,  pour  abriter  les  chameaux,  accroupis  sur  le  sol  durci  et 
insuffisamment  protégés  par  leur  épaisse  cuirasse  de  bure.  Ramassé 
en  boule,  le  chien  engourdi,  dont  l'aboiement  sonore  doit  indiquer  le 
chemin  du  campement  au  vo}'ageur  attardé,  en  quête  d'un  gîte  noc- 
turne (^),  le  chien  lui-même  demeure  sans  voix;  le  serpent  transi  ne 
se  hasarde  plus  à  quitter  son  trou  ("). 

(')  tlï»  JU-^  f^-'  -^^•'  X>  ^>  ■*  >  Musil,  Arabia  Petraea,  III,  4.  Le  héros  arabe 
'Antar  serait  mort  de  froid;  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  170.  On  le  fait  ailleurs  mourir  de 
chaud.  Vent  du  Nord  ;  Naqâ'id  Gartr,  275,  4  v.  ;  290  d.  v.  Hansâ',  Divan,  37,  8  ; 
59  ;  87,  6. 

(-)  YaqoQt,  Mo'gam,  E.  I,  265,  2,  d.  1.;  Labîd,  Divan,  XXIII,  2;  XXXIX,  17; 
A.  Tanimâm,  Hainàsa,  E.  I,  55,  6  d.  1.  ;  Hotai'a,  Divan,   I,  25. 

c 

(3)  Vâqoût,  E.  III,  233,  11  :  ^JJ\  >^b  ^  CjS^-  »1^-^  ;  Anrfa'â' =  JU-«iJl  ^^1. 
Pourtant  il  peut  être  question  du  «  vent  de  Syrie  »,  puisque  d'après  Yâqoût,  op.  cit., 
VI,  33,  66,   ^X)l  >UJI  >Uj  g.^  JUi 

(<)  Cf.  Ibn  Gobair,    Travels-  117,  20. 

(^)  Cf.  Yazîd,  192,  193;  Yâqoût,  E.  III,  331,  14-15;  Hansâ',  Divan,  1,  1.  4;  4 
d.  1,  ;  13,  4. 

(6)  Cf.   Yazid,  192,  193. 

C)  Divan  d'  Ibn  Qais  ar-Roqayàt,  IV,  v.  13  ;  Ibn  Sikkît,  TaliM>  (éd.  Cheikho), 
614  ;  cf  Wellhausen,  Reste-,  96  ;  Ahtal,  Divan,  (éd.  Salhani),  250,  2  ;  A.  Tammâni, 
Hamâsa,  E.  IV,  60,  3  v.  Femmes  affamées  pendant  l'hiver.  «  Pendant  Gomâdâ,  dit 
Doraid  ibn  as-Simnia,  je  nourris  d'abord  les  veuves»;  Ag;.,Vïll,  83  12  d.  1.  ;  IX,  12, 


Les  sécheresses  19 

Les  pluies  très  espacées  et  irré^ulières  tombent  pendant  l'hiver 
et  aux  débuts  du  printemps.  On  connaît  également  des  années,  où 
«  l'eau  du  ciel  se  fait  attendre,  alors  que  déjà  les  branches  desséchées 
commencent  à  blanchir  » 

(')  \jb>^  Jfl^\^  "y^l  L^  ks?l^         Ljjy.  JUp^  vUlL  hl,  IM 

Ce  phénomène  on  l'observe,  quand  à  la  fin  de  l'hiver,  Gomâdâ 
a  refusé  la  pluie  (■)  coutumière  ^Lki)'^  ^>^  c-J>^  (').  Parfois  même 
leau  vient  à  manquer  totalement  ;  ce  sont  les  «  années  blanches  >  (*) 
ou  encore  les  années  grises  »U.{.-iJl  IL.^\  ;  expressions  rappelant  mer- 
veilleusement l'aspect  cendré  de  la  stejjpe  arabe  (^).  Cette  situation 
se  prolonge-t-elle  quatre  ans  de  suite,  c'est  la  famine,  observe  Dough- 
ty  (^),  et  on  peut  l'en  croire.  Les  troupeaux  périssent;  les  réser- 
ves du  sous-sol  s'épuisent  et  les  palmiers,  n'\-  rencontrant  plus  leur 
provision  d'humidité,  <  jaunissent  »  lamentablement.  L'histoire  de 
Médine  au  temps  de  Mahomet  C)  et  de  'Omar  (*)  a  conservé  la  mé- 
moire de  ces  sécheresses    extraordinaires.    Oubliant  leur  férocité  na- 


5-6  ;  50,  15.  «  Le  vent  du  nord,  appelé  gemad  (Jl^)  »,  lisez  ^^l*r  ;  Jaussen,  Pays  de 
Moab,  251.  Ibn  Doraid,  Is/igàq,  220,  2  d.  1.  ,  Labid,  Divan,  XXXIX,  15,  16.  En  hiver 
les  Bédouins  recherchent  le  soleil  ;  Ag.  ;  XI,  130-31.  On  fait  queue  devant  la  tente  du 
chef  «jusqu'à  ce  que  l'herbe  ,Jiij  ait  poussé  »  =  (la  pluie  soit  tombée).  Zohair  (Ahlw.) 
91,  3.  Description  de  la  nuit  d'hiver;  NaqWid  Gartr,  560-61  ;  transi  le  chameau  se  ré- 
fugie dans  la  tente,  sur  son  passage  renverse  les  poteaux  des  tentes;  ibid.,  560,  2  v.  ; 
le  givre  sur  le  poil  du  chameau,  «  rappellant  les  flocons  de  coton  »;  ibid.,  560,  3  v.; 
le  chien  dispute  une  place  au  foyer  de  la  tente  ;  ibid.,  560,  d.  v.  En  hiver  on  rap- 
proche les  tentes  ;  Tarafa,  (Ahlw.)  65,  5. 

(')  Yâqoût,  E.  III,  331,   14. 

(*)  A.  Tammâm,  Hamàsa,  E.  I,  60,  2  v.  ^Jol  O^^  ô^^  iJ^  t5  •  pluies  i?Jol. 

(3)  Bakri,  op.  cit.,  267,  8.  Gomâdâ,  mois  d'hiver,  d'après  l'étymologie  et  dans 
l'ancien  calendrier;  I.  Doraid,  Istiqâg,  220,  2,  d.  1. 

(♦)  On  mentionne  sous  VValîd  I^"'  ,JaI  ^  O^^^^^l  O^^^  'cfi  o>*t^'  OU..«.>»H 
lïS\JLJb  \^o^^^^  i-oyil,  Balâdorî,  Ansab,  413'». 

(*)  Zohair  (Ahlw.),  91,  2  ;  ou  simplement  tU^-^l  ;  Hansâ",  Divan,   59. 

(«)   Travels,  II,   113;  Ag.,  XI,  13. 

C)  Moslim,  Sahïh-^,  I,  329-30. 

(»)  Ag.„  XI,  80,  81  ;   I.  S.    Tabaq.,   IIP,  231,  232-34;  Ag.,  XI,    13. 


20  Anxiété  à  l'issue  de  l'été 

tive,  «  les  fauves  du  désert  venaient  se  réfugier  parmi  les  hommes  »  (*). 
Une  des  plus  terribles  imprécations  des  poètes,  c'est  celle  de  David, 
prononcée  contre  le  Gelboé  :  «  J^l  culi-o  V  (").  Que  la  pluie  du  ciel 
ne  l'abreuve  jamais  !  »  L'Arabie  est  par  excellence  le  pays  de  Xistis- 
qà'  ('),  cérémonies  et  prières  pour  obtenir  la  jiluie  {*). 

A  la  fin  de  l'été,  de  cet  été  interminable  d'Arabie  au  ciel  impla- 
cablement serein,  poli  comme  un  miroir  d'acier,  une  animation  inac- 
coutumée s'observe  au  sein  des  tribus.  Depuis  plusieurs  semaines  on 
a  arrêté  au  passage  les  pasteurs  isolés,  arrivant  de  la  morne  solitude. 
Invariablement  les  plus  grands  chefs,  émirs  de  Gassân  et  de  Hîra, 
plus  tard  les  gouverneurs  de  provinces,  jusqu'aux  califes  posent 
l'angoissante  interrogation  :  «  comment  ont-ils  laissé  le  ciel  derrière 
eux  »  (^)?  Dans  les  steppes  désolées,  les  maigres  fourrages  sont  épuisés. 
Entre  les  épines  des  buissons,  des  fourrés,  des  arbres,  tondus  par  la 
langue  prenante  des  chameaux,  plus  tme  feuille,  plus  une  baie  n'appa- 
raissent. A  voir  la  couleur  cendrée  de  leurs  branches  dépouillées, 
l'écorce  noircie  {^)  de  leurs  troncs  noueux,  bizarrement  tourmentés,  on 
jurerait  qu'on  3^  a  promené  la  flamme.  A  bref  délai  le  nomade  pré- 
voit l'épuisement  des  puits,  où  le  soir  il  accourt  de  loin  abreuver  ses 
troupeaux.  C'est  une  période  d'attente  anxieuse.  Partout   on  est  aux 

(')  Tab.,  Annales,   I,  2570,  2573,  2574;  Ag.,   XI,  83,  ÀiOsê  À..Uj,  passint. 

(-)  Yâqoût,  E.  I,  388  ;  Asma'ï,  Nabât,  412,  2  ;  Gâhiz,  Haiawân,  VI,  32,  6. 

P)  Par  eux  emprunté  aux  Juifs  ;  cf.  S.  Krauss,  Talmudische  Archaeologie,  II, 
150-51;  HamdSnî,  Garî/a,  214;  Ag.,  XII,  80  ;  I.  Gobair,  Trave/s-,  160-61.  Sécheresse 
de  sept  ans,  à  la  suite  d'un  do'à'  de  Mahomet  ;  notice  isolée  ;  Nagà'id  Garîr,  462. 
Année  sans  pluie  au  Higâz  du  temps  d' Ibn  Gobair,  Travels-  161  ;  Ibn  Batoûta,  Voyages, 
I,  320;  comp.  la  phrase  i^\yX.>j3  i,i;-ji_>L_X_j  ;  A.  Tammâm,  f/amâsa,,lL.  11,8.  i.JiX<a)l 
=r  pluie  d'été  ;  Ibn  Doraid,  Istigàq,  43  ;  ou  pluie  précédant  les  fortes  chaleurs  ;  Nagà'id 
Garïr,  578,  6.  Pour  Vistisgâ'  ;  Ibn  Mâgâ,  Soria/i,  E.  I,  198-99.  Sâfit,  K'i/âi  al-Omm, 
I,  218  sqq.  Rituel  de  1'  istisqâ'  dans  l'Egjpte  des  Marwânides  ;  Kindï,  Goz'ernors  of 
Egypt,  (Guest)  83. 

(■')  Cf.  Mo'âivia,  172  ;  notre  Chantre,  70. 

(5)  Ibn  Doraid,  Sifat  as-Sahâb,  32,  34,  37,  38  ;  A.  Tammâm,  Hamâsa,  E.  I,  108, 
bas  ;  Ag.,  XI,  153,  8.  (Comp.  les  descriptions  des  rowwâd,  recueillies  par  Gâhiz,  Bayàn, 
I,  206,  sqq.);  Gâhiz,  op.  cit.,  I,  176  d.  I.,  185,  2  d.  1.,  206-07.  A  ce  propos  on  cite 
fréquemment  le  nom  de  Haggâg  ;  Gâhiz,  op.  cit.,  I,  208;    Hansâ',  Divan,   100. 

(*)  Cf.  Musil,  Im  iwrdtichen  Hegâz,  p.   15  etc.  ;  Ibn  Doraid,  op.  cit.  passim. 


A  la  poursuite  de  la  pluie  21 

aguets  pour  épier  le  retour  de  la  pluie,  on  s'apprête  à  suivre  la  chute 
de  la  bienfaisante  humidité.  ■^^  ^\y  ç-^'  (')•  En  arabe  fiai/â  signi- 
fie pluie  et  bienfait.  Après  les  privations,  marquant  la  fin  de  l'été,  la 
pluie  n'est-elle  pas  une  miséricorde,  a^^  comme  l'appelait  le  Prophète?  (*) 
C'est  le  signal  de  la  migration,  de  la  rentrée  hivernale.  Remontés 
vers  le  Nord,  parfois  jusqu'à  la  périphérie  de  la  Péninsule,  les  Bédouins 
regagnent  maintenant  leurs  anciens  cantonnements,  à  l'intérieur  du 
désert.  Mais  voici  (^)  que  les  nuées  bienfaisantes  ont  passé,  sans 
s'arrêter,  par  dessus  le  territoire  de  la  tribu;  le  raâl\  la  pluie,  leur 
a  faussé  compagnie  i*»^^  &ï?y  Li^l  (*).  De  nouveau  le  camp  se  remet 
en  marche.  D'après  le  rapport  des  explorateurs,  >l^j,  la  pluie  «  a  fait 
couler  »  les  lointaines  vallées  de  Asâfi  (')  ou  du  'Aqiq  C^).  On  y  acco  irt 
du  fond  de  l'Arabie.  Il  reste  la  ressource  de  s'adresser  aux  voisins  plus 
favorisés  ('),  d'implorer,  au  besoin,  d'acheter  le  droit  de  pacage.  Pour 

(i)  Yâqoût,  op.  cit.,  E.  I,  116,  3  cl.  1.  ;  Bakri,  op.  cit.,  31,  11;  54;  114,  bas; 
Wâqidi,  Magàzi  (Wellh.),  242;  J:-w^l  ^1^  ;  Ibn  Doraid,  Si/ai  as-Sakàb  [éd.  \V. 
Wright)  30,  4. 

(-)  Moslim,  Sahtk-,  I,  330.  Tombant  de  la  «  gouttière  »  de  la  Ka'ba,  le  <sû)l  À^, 
lave  les  péchés;  Ibn  Gobair,  Travels-,  118-119.  «Ses  doigts  dégouttent»  (de  géné- 
rosité) ;  «  'Amrou  la  pluie  »  c.-à-d.  le  généreux  ;  Ag.,  XI,  82,  10  ;  130,  3  ;  cf.  A.  Tani- 
mâm,  Hamâsa,  E.  IV,  72.  Parallèle  entre  l'homme  généreux  et  la  pluie  ;  Ag.,  XI, 
163,   13  d.  1.  Sur  h^.^  —  pluie  voir  Bittner,    WZKM,  XXVII,  129-30. 

(')  Les  pluies  sont  parfois  étroitement  locales  ;  on  connaît  des  cantons  i.--n\  i 
ijjj^.  Le  'IJm  ^'i  jiatl;  Tahmân,  Divan,  (éd.  W  Wright,  Optiscula  arabica),  ~/l ,  8. 
Les  Banoû  'Odra  AJJ\  i^U  l^aarul  ;  Ag.,  VII,  94,  16;  XI,  93  ;  XII,  12,  5,  La  sé- 
cheresse oblige  de  se  réfugier  en  Syrie,  chez  les  B.  Godâm,  dans  les  pays  de  culture, 
OÇx,  ou  voisins  du  limes  syrien  et  perse;  Na^â'id  Gartr,  462-63;  Ag.,  XI,  82;  86, 
18,  93  ;5  d.  1.  ;  notre  Vaztd,  280. 

(*)  Naqa'id  Garïr  (éd.  Bevan)  890,  11.  Rabî',  terme  générique  pour  l'eau  tombée 
pendant  toute  la  saison  humide,  hiver  et  printemps;  Aboû  Zaid,  Kitâb  al-Maiar  {éà. 
Cheikhol  dans  Ma'sriq,  VIII,  163,  8  ;  cf.  Bakrî,  op.  cit.,  457,  5  ;  notre  Bâdia,  99; 
Yâqoût,  E.  III,  454,  6;  IV,  321 

(5)  Yâqoût,  E.  I,  253,  5  ;  sur  les  >l^^,  cf.  Ibn  Doraid,  Sifat  as-Sahâb,  29,  7;  38. 
Nagà'id  Garïr,  614,   16;  Gâhiz,  Bayait,  I,  206  sqq. 

(')  Voir  ce  terme  à  l'index  de  Mo'àwia  et  notre  'Aqtq  dans  Enzyk.  der  Islam,  I, 
251  ;  migration  des   tribus  à  la  poursuite  de  la  pluie;  I.  S.   Tabaq.,  Il',  62. 

(')  Ag.,  Vni,  111,  121,  12  ;  pendant  la  sécheresse,  la  tribu  se  met  à  la  suite 
d'une  chamelle  ;  Ag..  XV,  97,  bas. 


22  Hivers  humides 

l'obtenir,  les  clans  en  f^uerre  abjurent  leurs  inimitiés,  ils  contractent 
alliance  avec  d'anciens  adversaires,  ou  s'exposent  sans  défiance  à  leurs 
surprises.  Mahomet  voulut  profiter  d'une  de  ces  occasions  pour  raz- 
zier ses  voisins  bédouins,  «  réunis  à  la  chute  d'un  nuage  ^Is**'  £»y<  j,  »  ('). 
Seule  la  nécessité  peut  imposer  l'oubli  du  sang  versé  à  l'âme  vindica- 
tive du  nomade.  Les  chefs,  les  tribus  voient  leurs  métèques,  J-àr  se 
disperser  (*).  «  Les  fils  d'une  même  mère,  aux  tentes  indissoluble- 
ment unies  jusqu'à  ce  jour  »,  vont  chercher  ailleurs  des  cieux  plus 
cléments. 


o; 


JlXI\  .j^^\  U-0  lib  1   5  \J3y^  '-*-:;*r  r  '  u^  U— SLj 


Les  sacrifices  sont  heureusement  compensés  par  l'abondance, 
rentrée  au  camp.  Par  contre,  quand  les  vents  du  Nord  ont  relâché 
de  leur  persistance  désastreuse  {*),  on  connaît  des  hivers  exceptionnelle- 
ment humides.  Le  Bédouin  se  met  à  escompter  «  une  année  de  raâï'  >  (^), 
quand  il  apprend  que  dans  les  montagnes  les  creux  des  vallées 
commencent  à  se  remplir  d'eaux  courantes,  «  quand  le  wâdi  a  coulé. 
JlI  ».  (").  Il  espère  garder  ses  puits  bien  garnis,  «jusqu'au  cœur 
de  Sa'bân  »  ('),mois  d'été  dans  le  calendrier  préislamite. 


(')  Balâdori,  A?isàb,  2401)  ;  Ag.,  X,  51,  bas;  les  B.  Morra  courent  chez  les  B. 
Godâm  [Ag.,  XI,  86)  ;  les  B.  Tamïm,  à  la  suite  d'une  <)k^»o  chez  les  B.  Kalb,  où 
règne  le  ^-^^oa-  ;  Nagâ'id  Gaitr.  625,  7. 

('^)  Ag.,  XIV,   151  ;  description  d'une  sécheresse  ;  Yâqoût,  E.  IV,   136,  6-7. 

(^)  Yâqoût,  E.  I,  211.  Il  arrive  aussi  qu'on  se  dispute  les  armes  à  la  main  les 
terres  irriguées  ;  Bakrî,  op.  cit.,  492,  bas.  Pour  les  droits  de  pacage,  cf.  Jaussen,  Pays 
de  Mono,  239-40.  I.  S.   Tabaq.,  lU,  62;  Gâhiz,  Haimrâv,  V,   128  d.  v.  <U-*^1  kï^  \'>\ 

"  (■*)  Cf.  E.  Banse,  Die  U'ûsteti,  Steppen  uiid  Oascn  des  Orients  dans  Deuts.  Rund- 
schau f.  Geogr.,  XXXIV,  25, 

{=)  Yâqoût,  E.  III,  391,  13.  On  rattachait  la  pluie  à  l'apparition  de  certaines  con- 
stellations ;  protestations  du  Prophète  contre  cette  croyance  ;  Nagâ'id  Garîr,  636,  1  v. 
scolion.  Les  Bédouins  accusent  |«►Js:^JI  i_i^li^l,  Ag.,  X,  80,  voir  plus  loin  ;  ç^^.  pre- 
mière pluie;  Nôldeke,  Neue  Beitr.  z.  semit.  Sprachwissens.,  81;  i_*^.  pluie  d'été; 
"Tarafa  (Ahlw.)  67,   11;  Guidi,  Sede  primitiva,  575. 

(6)  Bakrî,  201,  8. 

(~)  Citation  de  poète  préislamite,  Bakrî,  op.  cit.,   166. 


Violence  des  pluies  23 

Les  pluies  sont  d'abord  de  courte  durée,  mais  d'une  violence  peu 
commune  :  véritables  trombes  d'eau,  ruptures  de  nuage,  rappelant  «  la 
déchirure  d'une  étoffe,  trop  fréquemment  dépliée  ^^  ^^^  *^*  *-^'^ 
^^;■f^  (')  ».  Dans  leurs  variations  poëticiues,  les  Bédouins  réclament 
des  pluies,  tombant  \j^j^,  comme  le  lait  d'une  robuste  chamelle. 
Menaces  terribles  pour  les  pa}s  de  culture  intensive  et  d'  agglomé- 
rations denses,  deux  conditions  rarement  vérifiées  au  Higâz  !  A  la 
Mecque  on  redoutait  le  sa//,  ou  la  trombe  d'eau  (-),  nous  le  consta- 
terons plus  tard.  A  Médine  une  de  ces  pluies  tropicales,  se  serait, 
au  dire  du  hadit,  prolongée  pendant  une  semaine.  C'était,  il  est  vrai, 
à  la  suite  d'un  istisqà^  du  Prophète  (^).  A  la  fin  Mahomet  dut  supplier 
Allah  de  modérer  les  chutes  d'eau  (*)  sur  Foasis.  A  l'intérieur  de 
Médine  les  maisons  commençaient  à  crouler  (^). 

Quand  la  durée  de  la  pluie  dépasse  le  tiers  du  jour  ou  de  la 
nuit,  elle  sort  de  l'ordinaire,  au  jugement  des  Arabes  C^).  Le  Higâz 
est  constitué,  on  l'a  vu,  par  une  forte  ossature  rocheuse,  allongée  du 
Nord  au  Sud,  entrecoupée  par  un  véritable  lab3Tinthe  de  vallées 
transversales,  un  ensemble  chaotique  de  sommets  et  de  pics,  aux 
formes  bizarres,  aux  pentes  d'une  raideur  capable  de  donner  le  ver- 
tige et  le  torticolis  au  vo3-ageur,  s'obstinant  à  les  regarder  Q).  En 
quelques  heures  les  cataractes  dévalent  le  long  des  versants  dénudés, 
sur  les  flancs  des  pics  basaltiques,  où  aucune  végétation  n'arrête 
leur  chute  vertigineuse.  Bientôt  dans  la  plaine,  <  on  n'aperçoit  plus 
que  le  ciel  et  la  pluie  et  les  sommets  des  acacias  »  désertiques,  émer- 
geant des  eaux.  Enfin  «  les  flots  écumant,  démesurément  grossis  em- 


(')  Moslim,   Sahlh^-,    I,    330;  Ag.,  VII,  85:   'iAs.'^  ,juiii, 

(•-)  Tab.,  Annales,   II,   1198,  1-4. 

(3)  Moslim,  op.  cit.,  I,  328-30  ;  même  phénomène  sous  le  calife  'Omar  ;  I.  S. 
Tabag.,  III',  232,  233.,  «L'accomplissement  d'un  hadd,  pénalité,  vaut  mieux  que  40 
matinées  (var.  nuits)  de  pluie  »,  (Mahomet)  ;  Ibn  Mâgâ,  Sonan,  E.  II,  58. 

(*)  Les  Bédouins  en  profitent  pour  laver  leur  linge  ;  Ag.,  VIII,  85,  20. 

(5)  Bohârî,  Sahîh.  (K.)  I,  237. 

(«)  Cf.  Aboû  Zaid,  op.  cil.,   164. 

O  C'est  le  témoignage  du  poète  Motanabbi  à  l'occasion  de  son  passage  par  le 
nord  du  Higâz,  à' Jui^o  LaI^  i.y^-^-  *J^  iS^  UnAa.1  À-I-ii  ^J,\  '-k.Ul  -JiUJI  )l,l  131 
Vâqoût,  E,  III,  276. 


24  Inondations 

portent  leurs  troncs  »  robustes  (').  Chartrées  de  pierres,  de  débris  de 
lave,  les  eaux  labourent  les  plaines  (^)  comme  ferait  une  charrue;  elles  at- 
teignent les  tertres,  où  l'on  a  creusé  les  zobia^  fosses  pour  la  chasse  du 
gros  gibier  (^)  et  vont  forcer  les  hyènes  jusque  dans  leur  repaire  (*). 
Au  fond  des  vallées,  l'inondation  forme  en  moins  d'un  jour  des  fleuves 
larges  comme  le  Nil  et  l'Euphrate  (").  La  réunion  de  ces  masses  d'eau 
rappelle  une  mer  aux  vagues  agitées. 

Pendant  tout  un  mois  les  wâdis  Qanât  ('')  et  'Aqiq  promènent  à 
travers  l'oasis  de  Médine  les  méandres  de  leurs  eaux  débordées  et 
chargées  de  débris  fertilisants.  Saturé  de  pluie,  le  sol  rappelle  «  une 
pâte  tendre  C)  »  et  boursoufflée,  où  fermente  partout  le  travail  de 
la  germination  souterraine. 

Une  de  ces  inondations  aurait  emporté  les  restes  du  peuple  my- 
thique des  Gorhomites  (*).  En  Arabie  le  Ooran  (''),  la  mémoire  popu- 
laire gardaient  le  souvenir  d'autres  agglomérations,  victimes  de  ces 
fléaux  C").  Les  premiers  califes  se  virent  forcés  d'appeler  à  Médine 


{')  Ibn  Doraid,  op.  cit.,  36,  7  ;  Qoran,  13,   18. 

(*)  Bohârï,  op.  cit.,   I,  237. 

(3)  Ibn  Doraid,  op.  cit.,  20,   bas. 

{*)  Gahiz,  Bayâti,  I,  208,  6  d.  1.  ;  Ibn  Doraid,  Sifat  as-Sahàb,  32-33,  39.  Pour 
ce  motif,  la  pluie  appelée  g^-<i)l  j^-;  Aboû  Zaid,  op.  cit.,   166. 

(=)  Cf.  Yazîd,  240;  nahr,  formé  par  s.U-»«*Jl  sL«  au  temps  de  Mahomet  ;  Hanbal, 
Mosnad,  III,  21,  9.  Pour  les  inondations  des  ruisseaux  de  .Médine,  voir  Balâdorî, 
Fotoûh,  10-12.  Le  Qanât  déborde  après  un  istisqa    de  Mahomet;    Bakrï,    745,    8  d.    1. 

(«)  Moslim,  op.  cit.,  I,  330;  Ibn  Doraid,  Sifat  as-Sahàb,  32;  J^^-~JI  O^^  ^ 
,I.Xx)Lj  ^UX_j  .IsJIf.  Bienfaisante  surtout  est  la  io,  pluie  douce  et  continue  pen- 
dant plusieurs  jours  ;  Ibid.,  31;  Naqaid  Gartr,  633,  4;  cf.  Ag.,  IX,  152,  16,  19; 
vallée  remplie  par  les  eaux  ;  Ag.,  IX,  156,  12  d.  1.  L'eau  des  sait  de  Médine  (le 
vvâdi  Mahzoûr  ;  Ibn  Maga,  II,  50),  utilisée  pour  l'irrigation. 

C)  Ibn  Doraid,  op.  cit.,  30,  8. 

(S)  Bakrï,  op.  cit.,  111,  2,  ;  autre  exemple,  ibid.,  232. 

(^)  f  J-*  ^J-^:^  ;  Qoran,  34,   15. 

('")  Bakri,  op.  cit.,  401  ;  Ibn  Hisâm,  Sîra,  639;  I.  S.  Tabag.,  II',  40,  1,  localité 
de  Gohfa,  emportée  par  l'inondation  ;  Ibn  Doraid,  Istigàg,  187,  (vraisemblablement 
une  étymologie  populaire).  L'inondation  aurait  jadis  submergé  la  Ka'ba  primitive:  Ibn 
Rosteh,  Géogr.,  25,  d,  I.  Un  sait,  trombe  d'eau,  arrête  les  poursuites  de  l'ennemi  ; 
I.  .S.    Tabag.,   II',  90,20  ;   112. 


Mahomet  et  la  météorologie  25 

des  ingénieurs  chrétiens,  chargés  de  protéger  la  cité  au  moyen  de 
digues  et  de  barrages  (').  Par  ailleurs  une  soudaine  irruption  des  eaux 
avait  sauvé  des  derniers  outrages  le  corps  du  mart\r  musulman 
'Àsim  ibn  Tâbit  (").  La  catastrophe  devenait  surtout  redoutable, 
(juand  elle  surprenait  un  camp  endormi.  Telle  en  était  la  violence  et 
la  soudaineté  que  les  imprudents  nomades  se  trouvaient  fatalement 
voués  à  la  mort.  Déchaînée  de  nuit  sur  les  flancs  de  la  montagne,  la 
trombe  d'eau  balayait  en  quelques  instants  hommes  et  troupeaux  (''). 
En  Arabie  tous  les  dictons,  fruits  de  l'expérience  bédouine,  doivent 
recevoir  leur  consécration  définitive  en  passant  sur  les  lèvres  du  Pro- 
phète. Le  surhomme  de  la  Mecque  a  tout  prévu.  On  lui  fait  donc 
interdire  de  camper  au  fond  des  vallées,  c'est  à  dire,  dans  l'axe  de 
la  pente  des  eaux,  le  long  des  sources  et  des  chemins,  «  rendez-vous 
des  insectes  nocturnes  »  {*).  Cette  dernière  raison,  ajoutée  par  Maho- 
met (^),  a  pu  sans  doute  motiver  cette  interdiction  {^).  Nous  ferons 
bien  d'y  ajouter  la  crainte  trop  motivée  des  inondations  hivernales. 
Dans  l'hiver  de  1910,  le  Khédive  d'Egypte  se  vit  arrêter  trois  jours 
pendant  son  pèlerinage  entre  Médine  et  la  mer  par  un  de  ces  dé- 
luges. Quelques  jours  plus  tard,  les  flots  de  l'Erythrée  rejetèrent  plu- 
sieurs milliers  de  cadavres  de  Bédouins,  victimes  de  l'inondation.  Nous 
aurons  à  en  reparler  à  l'occasion  de  la  Mecque  et  du  sanctuaire  de 
la  Ka'ba  C). 


(')  Vâqoût,  ofi.  cit.,  E.   III,  62. 

(^)  Balâdori.  Fotoûh,  11,  3  etc. 

(«)  .LJ  ^^  AXab  JLw  ^^|-<a.  ;  Yâqoût,  E.  III,  196,  d.  I.  ;  Gâhiz,  Bayûn,  I,  143-44. 

(^)  Voir  les  références  dans  notre  Bâdia,  95  ;  Moslim,  Sahîli-,  II,  106-107  ;  sur  la 
piqûre  empoisonnée  des  mouches  et  moustiques,  voir  Gâhiz,  Haiawân,  II,  86,  9  d.   1. 

(^)  Pour  sa  science  merveilleuse  de  la  météorologie,  voir  Ibn  Doraid,  Sifat  as- 
Sahàb,   16-17. 

(")  Quand  les  pluies  commencent,  le  Bédouin  transporte  sa  tente  sur  la  mon- 
tagne ;  Ibn  Doraid,  op.  cil.,  23;  cf.  J.  Walther,  Wiistefibildung,  22;  description  poé- 
tique d'une  inondation  emportant  les  arbres  ;  Bakrî,  op.  cit.,  687,  688.  Musil,  Arabia 
Petraea,  III,  10-11.  Malgré  le  péril  d'inondation  le  chef  généreux  campe  le  long  des 
chemins  pour  exercer  l'hospitalité  ;  AboQ  Tammâm,  Hainàsa,  E.  IV,  66,   3. 

(")  Cf.  Balâdori,  Fotoûh,  53-54. 


ni 

Réservoirs,  bassins,  étangs,  vasques,    <  gadir  » 


Même  pendant  les  hivers  ordinaires,  la  mo\enne  de  pluie,  tombée 
au  Higâz  suffisait  pour  ranimer  la  sobre  flore  du  désert,  pour  abreuver 
non  seulement  la  terre  des  oasis,  mais  encore  pour  rendre  cultivable 
une  partie  des  steppes.  Malheureusement  l'énorm.e  pente  du  sol  entraîne 
les  eaux  aux  gouffres  de  l'Erythrée.  Des  barrages  préviendraient  la 
déperdition  du  précieux  liquide  :  l'antiquité  a  usé  de  ce  mo3'en.  Ainsi 
en  témoignent  les  restes  du  passé  et  la  tradition  historique  ('). 

La  Providence  3'  a  pourvu  jusqu'à  un  certain  point  en  multipliant 
en  cette  contrée  déshéritée  les  résen'oirs  et  les  barrages  naturels: 
enfoncements  ('),  creux,  fossés  dans  les  plaines,  cratères  de  volcans 
éteints,  failles,  dépressions  entre  les  montagnes  (^),  amas  de  blocs  erra- 
tiques (*),  charriés  par  les  inondations  ;  seuils  rocheux,  lorsque  le  rebord 


(')  Barrages  du  Yémen  ;  Istahn,  Géogr.,  14  ;  Yaqout,  E.  IV,  244  ;  près  de  Haibar; 
Doughty,  Travels,  II,  181  ;  Ibii  al-  Faqîh,  Géogr.,  34,  37  ;  près  de  la  Mecque;  Vaqoût, 
E.  IV,  48. 

(2)    Les  ^^Ux*s,  sing.  l3!jU  ;  Ibn.  Doraid,  op.  cit.,  22. 

(^)  -j^Sl^  rj^  ,j  «">  ;  Bakrî,  op.  cit.,  171.  Mentionnons  encore  les  botnàn, 
J^Jl  cL.  tUl  L^  Jjjj:-^^.  ;  Vâqoût,  E.  II,  218,  S;  les  oLi,  '&akri,op.  cit.,  462,  11, 
f-1  ;,  11-  n  ftc  Jk..*^JI  <Jk-si  ;  bassins  naturels  dans  la  roche  vive,  ^^  tLa-wJI  éU:  ^iU»»^  ;^'^Lji 

,33^1  V jjtJI  l^.^, ,,»>"'"    ^-^  ti^-»-J  <*JJ'  l.jJLlri.  ïLLo;  YâqoOt,  E.  III,  453,  bas;  autre 

variété  de  réservoirs,  tU,l  liU».^  iiU>w«  ;  Bakrî,  415,  2  d.  1.  ;  463,  2;  des  «JULs  cavités 
dans  le  roc  «  gardent  l'eau  du  ciel  pendant  tout  le  rabf  »  ;  Bakrî,  345,  9-10. 

(^)  Sur  l'érosion  au  désert,  cf.  Walther,  Wûstenbilduttg,  111-208.  Pour  la  moyenne 
de  la  pluie,  voir  E.  Banse,  Der  arabische  Orient,  70. 


Catégories  de  gadîr  27 

—  la  lèvre  comme  disent  les  Arabes  —  vient  à  se  redresser  Ijrusque- 
ment  (').  Les  eaux  météoriques  se  ramassent  dans  ces  creux,'remplissent 
leurs  vides  et  toutes  les  solutions  de  continuité.  Ils  }•  forment  des  ré- 
servoirs, des  bassins,  des  étan<ïs,  vasques  de  toutes  les  dimensions. 
Les  plus  grands  reçoivent  le  nom  de  gaihr  (-).  Certains  sont  assez 
considérables  pour  permettre  aux  riverains  de  se  livrer  au  plaisir  de 
la  nage  (^),  si  rare  en  Arabie.  Cette  distraction  est  principalement 
appréciée  par  les  petits  Bédouins,  (_>y^l  cr*  •*-A»  ;  ils  éprouvent  une 
ioie  folle  à  se  plonger  mutuellement  dans  l'eau  (^).  Beaucoup  de  ces 
gadîr  représentent  de  véritables  crapaudières.  On  en  connaît  pourtant, 
s'étendant  sur  une  longueur  de  trois  parasanges  (^),  soit  environ  une 
quinzaine  de  kilomètres.  Ce  chiffre  suppose  déjà  une  belle  superficie. 
En  Arabie  ces  étangs  mériteraient  d'être  qualifiés  de  lacs,  puisque 
les  lacs  proprement  dits  y  sont  inconnus  C'). 

Certaines  vallées  possèdent  toute  une  série  de  gadîr^  s'échelon- 
nant  à  des  niveaux  variables.  On  serait  tenté  d'}'  reconnaître  les  restes 
d'un  ancien  lac,  si  toutefois  nous  n'avons  pas  plutôt  affaire  à  une 
succession  de  bassins,  de  collecteurs  de  l'humidité  hivernale,  di- 
stribués d'après  la  pente  du  terrain.  On  y  rencontrait  parfois  «  de 
petits   poissons  noirs  d'une    coudée    (')    de   long    et   d'un    goût  déli- 


(')  C'est  le  y?-^;  Yâqoût,  E.  III,   197;  cf.  Walter,  op.  cit.,  33. 

(2)  Qalqasandî,  Sobh  al-a'sâ  (éd.  Caire)  I,  532  ;  Yâqoût,  E.  I,  156,  237  ;  sur  ce 
dernier  cf.  ibn  Qais  ar-Roqaiyât,  Divan  (éd.  Rhodokanaki),  XXVII,  3;  Bakrï,  op.  cit., 
674,    j>UiJl  ïyJi^  J,\\  Qotaiba,  'Oyoun,   124,  2  d.  1.  ;   Bnkri,  op.  cit.,   728,   11. 

(^)  Cf.  Mo'âwia,,  index,  j.  v.  'Aqîq  ;  et  notre  article 'y4?î^,  Aa.ns  Enzyk.  d.  Islam, 
I,  loc.  cit.  ;  Osd,  II,  365,  7  ;  Bakrï,  op.  cit.,  311.  Tombé  dans  l'eau,  le  Bédouin  s'y  noie, 
«faute  de  savoir  nager»;  Ag.,  II,  103,  bas;  dans  Ag.,  X,  16,2  ^y,u^SÀ\  semble  dési- 
gner un  bain;  autres  exemples,  Ag.,  III,  82;  XIV,   167. 

(*)  ^^^'Lfo  ;  Ibn  Doraid,  Si/at  as-Sakâb,  23,  3  d.  1. 

r")  Yâqoût,  E.  I,  91,  d.  1.  ;  cf.  Ahtal,  Divan,  (éd.  Salhani)  149,  note  b.  ;  autres 
gadîr;  Bakrï,  op.  cit.,   128,  147;  gadîr  dans  la  harra ;  Bakrï,  op.  cit.,  700,   12;  742. 

('•)  Istahrï,  Géogr.,  15;  Maqdisî,  Géogr.,  95;  gadîr  permanents  ;  Wiistenfeld, 
Gebiet  von  Médina,  29,  31.  Scène  de  natation  dans  un  gadîr;  en  jouant  les  petits 
Bédouins  noient  un  de  leurs  compagnons.  Il  fallut  payer  plusieurs  CJ^.?  pour  arran- 
ger le  différend;  NaqcCid  Garïr,  91,   12  sqq. 

(")  f.\ô;  la  coudée  ancienne  a  dû  être  plus  courte  ;  sans  quoi  on  ne  comprendrait 
pas  la  qualification  de  petits  poissons.  Yâqoût,   E.  V,  307,   1-3. 


28  Gadïr  permanents 

cieux  »  (').  Ces  réservoirs  ont  dû  être  permanents  et  alimentés  par  des 
sources  ou  eaux  vives;  c'était  le  cas  pour  les  gadlr  de  Homm  ('),  et 
tous  les  gadïr ^  qu'on  dit  couler  ^3^.  Pour  justifier  cette  expression,  il  faut 
sans  doute  leur  supposer  un  émissaire,  assurant  le  débit  du  trop  plein 
et  le  renouvellement  régulier  de  ces  minuscules  bassins  lacustres  (').  En 
admettant  la  réunion  de  ces  conditions,  on  comprend  comment  on  a 
pu  vanter  la  limpidité  de  leurs  eaux.  La  vallée  de  Doû  Wirlân  au 
pays  des  Banou  Solaim  en  possédait  toute  une  enfilade  (^).  Les  pre- 
miers jours  après  la  pluie,  le  gadlr  gardait  encore  sa  couleur  terreuse 
ou  rouge,  comme  disent  les  Arabes  (■').  Elle  provenait  non  seulement 
des  boues,  mais  encore  des  efflorescences  salines,  formées  à  la  surface 
de  la  steppe  desséchée,  des  débris  minéraux  ("),  recueillis  sur  la  su- 
perficie du  Higâz,  région  volcanique  par  excellence. 

Parmi  ces  gadi'',  seuls  les  plus  considérables  résistaient  à  l'éva- 
poration  intense,  causée  par  la  siccité  de  l'air,  à  l'action  absorbante 
du  soleil  d'Arabie  ("),  fonctionnant  comme  une  pompe  à  vapeur.  On 
séjournait  dans  le  voisinage  jusqu'à  épuisement  de  l'eau.  Ainsi  fit 
Amroû'lqais  le  prince-poète  avec  ses  compagnons  d'aventure.  Les 
riverains  pouvaient  se  féliciter,  quand  le  gadïr  subvenait  à  leur  besoin 
d'eau    pendant  les  trois  mois,  consécutifs  à  la  dernière  pluie  (').  On 


(')  Bakri,  op.  cit..  462,  12.  Poissons  rares  à  Médine  ;  I.  S.  Tabaq.,  IV',  116,  26; 
122,  5;  poissons  à  Haibar,  Doughty,   Travels,   1,   184. 

(2)  Yâqoût,  E.  III,  469;  Bakiî,  op.  cil.,  232. 

(•*)  Yâqoût,  E.  II,  251,  1°  ;  III,  173,  13,  où  le  même  vers  se  trouve  attribué  à 
deux  poètes  différents  ;  eaux  courantes  à  Taboûk  et  Al-'Olâ  ;AuIer  Pascha,  Die  Heds- 
chasbahn,   II,  7. 

(<)  Bakrî,  op.  cit„    465,  2-6. 

(5)  ''yj^\  ;  désigne  la  couleur  du  gadïr  ;  tU..4^Hj  j^  CUja;».  ;  Ibn  Sikkît,  Tahdtb, 
562.  Le  toponynie  Agdira  fait  supposer  une  succession  de  réservoirs;  Yâqoût,  E.  I, 
294;  gadïr  de  Râbig  ;  Ibn  Batoûta,  Voyages,  I,  297.  Ag.,  X,  74,  18  :  «gadïr  d'eau 
du  ciel  »  ;  sur  les  catégories  de  gadïr,  voir  Walther,  Wûstenbildttng,  39  ;  gadïr,  disputé 
entre  les  voisins;  Nagaid  Garïr,  7,  6;  12,  1.  13-14;  autres  gadïr,  à  'Osfan  etc.  ;  I. 
S.   Tabag.,  II',  69;  117. 

(6)  Dépôts  salins  après  le  dessèchement  des  gadïr  ;  Walther,  op.  cit.,  247-  48. 
(')  Cf.  Walther,  loc.  cit. 

(')  Deux  poètes  cités  dans  Yâqoût,  E.   Il,   116,  2;  Ag.,  VIII,  68,  7  etc. 


La  %'éji;étalion  aux  abords  des  gadîr  29 

distintjuait  donc  les  gadïr  permanents  ou  gadïr  d'été  ('),  ceux  enfin 
«  ne  laissant  jamais  voir  le  fond  >  (').  Au  pa\s  de  Hismâ,  dans  le 
Nord  du  Higâz,  un  gadîr  aurait  même  conservé  les  dernières  eaux 
du  déluge  (^).  Aussi  jouissait-il  d'une  détestable  réputation,  *L<  cu-^1  ^, 
chargé,  cro3^ait-on,  de  toutes  les  iniquités  de  l'impie  génération,  con- 
temporaine de  Noé.  L'encyclopédiste  YâqoQt  a  le  courage  de  s'ins- 
crire en  faux  contre  cette  légende.  A  son  avis,  il  y  a  vraiment  trop 
loin  entre  le  Higâz  et  le  Goudi,  l'Ararat  des  Arabes  (''). 

La  présence  de  ces  masses  d'eau  donnait  nécessairement  naissance 
à  des  palmeraies  (°)  ou  à  des  fourrés  d'arbres  (°),  brousse,  maquis  : 
refuge  des  serpents  et  des  grands  fauves.  En  Arabie,  le  voisinage  de 
l'eau,  qu'il  s'agisse  d'une  mare,  d'une  source,  d'un  puits  (^)  entraîne 
toujours  celui  des  arbres.  D'où  la  notation  courante  chez  les  géographes 
Jly*!^  ^^3-v»,  puits  et  domaine  agricole,  Ji;:^  sU,  eau  et  palmeraie  (*). 
Par  ailleurs  leau  pouvait  être  malsaine,  provo(]uer  chez  l'homme  des 
urines  sanguinolentes  (^)  ;  elle  avait  le  goût  saumâtre  ('")  et  —  pour 
reprendre  la  pittoresque  expression  bédouine  —  salé  «  au  point  d'é- 


(1)  Bakrî,  op.  cit.,  171,  8;   172;  529,  5  d.  I;  Vâqoût,  E.  VI,  72,  4. 

(2)  eUt  As^Uj.  ■y^  i^  j3^.  ^  ;  Bakri,  op.  cit.,  172.  bas;  462,  12;  Yâqoût,  E.  I, 
336;  II,  62,  4-3  d.  1.;   Hotai'a,  Divan,  X,  7. 

P)  Bakri,  op.  cit..  298. 

(■•)  YâqoQt,  E.  III,  276,  277;  eaux  de  gadïr  inutilisables  parce  que  fourmillant 
d'insectes,  |_p-^U>  Yâqoût,  VI,  55,  6. 

(»)  Bakri,  op.  cit.,  173,  1  etc.  ;  463,  2-6  ;  .^J:^  ^  d^  sU  ;  Vâqoût,  E.  III,  444  ; 
453  459;  IV,  261,  281,  292;  Wûstenfeld,  Gebiel  von  Médina,  29,  31. 

CI  Yâqoût,  E.  III,  233,  248;  plus  loin  on  parlera  des  ÏaIoLxi,  repaires  des  lions, 
fréquemment  associés  avec  À^l  ;  Bakri,  op.  cit.,  281  ;  323,  3  d.  1. 

C)  D'où  le  nom  de  «Masgar»,  donné  à  une  ?a«  /  Bakri,  op.  cit.,  535,  11;  gadïr 
avec  beaucoup  de  salam;  Yâqoût,  E.  IV,  52,  1.  Ce  gadïr  durait  seulement  tout  le 
rain' ;  ibid.,  IV,  51  d.  1.;  serpents  dans  les  fourrés  ;  Ibn  Sikkît,  Ta/idîb,  556,  7.  Dans 
le  voisinage  de  ces  gadïr  poussaient  les  variétés  de  roseaux,  de  cannes,  mentionnées  par 
Ibn  Halâwaih,    Sagar,  XXI-XXII. 

(*)  Bakri,  op.  cit.,    191  ;   468  ;  Yqoût,  E.  II,  60,  2  ;  289;  332,  II,  6:   233,  III,  346  ; 

o 

arbres  et   ^J^--^  '<  ^^id.,   II,  439. 

(9)  ^jjl  J^  dol;  Bakri,  op.  cit.,    \-il,  d.  1. 
(i«)  Yâqoût,  E.   Il,   114,  7.  d.  I. 


30  Gadîr  des  couvents  chrétiens 

borj^ner  un  oiseau  »  (').  Ces  cas  étaient  fréquents  pour  les  gadir. 
Avant  d'aboutir  au  réservoir,  les  eaux  de  pluie  avaient  lavé  tant  de 
steppes  salines,  entraîné  dans  leur  course  folle  tant  d'éléments  miné- 
raux et  de  résidus  chimiques  I  En  desséchant  les  eaux,  le  soleil  inten- 
sifiait le  saunage,  la  concentration  minérale  des  éléments  solides.  Dans 
le  voisinage  des  étangs  de  Homm,  aucun  nourrisson  ne  parvenait  à 
vivre  (^).  Aussi  les  bassins  aux  eaux  douces  et  potables  sont-ils  ho- 
norés d'une  mention  spéciale.  Les  couvents  chrétiens,  disséminés  le 
long  de  la  frontière  nord  du  Higâz  possédaient  généralement  un  de 
ces  gadîr  (^),  libéralement  mis  à  la  disposition  des  pasteurs  nomades 
et  des  caravanes  de  passage  {*).  Les  poètes  bédouins  se  sont  mon- 
trés reconnaissants  en  célébrant  la  généreuse  hospitalité  des  moines, 
les  bons  Samaritains  du  désert  Q).  Elles  méritent  d'être  soulignées 
ces  sympathies  monacales  de  l'ancienne  poésie.  On  en  retrouve  l'écho 
jusque  dans  le  Qoran  (5,  85)  :  «  Chez  ceux  qui  se  proclament  chré- 
tiens, dit  Mahomet,  vous  constaterez  des  dispositions  plus  amicales 
pour  les  crojants.  Ils  le  doivent  à  l'influence  de  leurs  prêtres  et  de 
leurs  religieux,  à  leur  éloignement  de  tout  orgueil  ». 

Le  territoire  de  Médine  avec  son  périmètre  étendu  de  pâturages 
et  de  steppes,  possédait  plusieurs  de  ces  gadir,  surtout  dans  la  célèbre 
vallée  du  'Aqïq  (").  L'oasis  comptait  un  privilège  moins  enviable,  celui 
des  mares  stagnantes.  Sous  le  ciel  embrasé  de  l'aride  Higâz,  les  ma- 
rais ne  forment  pas   un    phénomène  exceptionnel  (").  Plusieurs  oasis. 


(')jiLkJI  ^  Lï-»->'  f^  ?L<  ;  Ibn  Sikkît,  Tahdîb,  559  1  ;  cf.  Walther,  loc.  sup.  cit.. 
Eaux  célèbres  pour  leur  douceur  ;  Yâqoût,  E.  IV,  293,  7  d.  1.  ;  Bakri,  600,  601,  614, 
5  ;  eaux  stagnantes,  donnant  la  fièvre  aux  chameaux  ;  Yâqoût,  E.  V,  262,  bas. 

(2)  Qotaiba,  'Oyoùn,  262,  4  d.  1. 

(3)  Cf.  notre  Poète  Royal,  38. 
(*)  Cf.  Yâqoût,   E.   IV,   178. 

(^)  Poète  royal  37-39.  Par  contre  on  se  vantait  parfois  de  défendre  l'approche 
de  son  puits,    ou  d'en  faire  payer  l'usage  ;  Naqaid  Garxr,  614,  9  ;  615,  7. 

C)  Bakrï,  op.  cit.,   173. 

C)  Yâqoût,  E.  III,  203,  210,  V,  84;  eaux  croupissantes  et  prenant  à  la  fin  une 
teinte  jaune  tÂ.ol  ^_yX^  «J^UJI  JU»  l>l  ^'^o ^  <3j^  *^  '  '^"  Sikkît,  op.  cit.,  561,  et 
autres  expressions  pour  la  stagnation  des  eaux  ;  ibid. 


Marécages,  malaria,  cascade  31 

nommons  Haibar,  Gohfa,  Homm  leur  devaient  une  réputation  méritée 
d'insalubrité  (')• 

Pour  avoir  tenté  de  défricher  une  de  ces  dépressions,  envahies 
par  les  eaux  et  la  brousse,  l'ancêtre  des  Omayyades  perdit  Ja  vie, 
victime,  assure-t-on,  de  la  vengeance  des  ^inn  (');  plus  vraisembla- 
blement emporté  par  la  malaria,  endémique  dans  les  terres  cultivées 
du  Higâz  (^).  Pas  une  seule  rivière  en  Arabie.  Les  géographes  posté- 
rieurs se  montrent  d'accord  pour  l'affirmer  (*)  et  nous  pouvons  les 
croire  sur  parole.  Pour  compléter  ce  tableau,  mentionnons  une  puis- 
sante cascade,  se  précipitant  d'une  haute  montagne.  Ce  spécimen 
unique,  cro3'ons-nous,  dans  l'hydrologie  du  Higâz  se  trouvait  près  du 
sanctuaire  de  Doû's-Sarâ,  dans  les  régions  alpestres  du  pa3-s  de 
Daus  (°),  entre  la  Mecque  et  la  frontière  du  Yémen,  c'est  à  dire  à 
la  limite  extrême  du  territoire  envisagé  par  nous. 


(')  Bakri,  232-33  ;  259  ;  voir  à  l'index  de  Mo'  Smia  les  mots  fièvre  et  Haibar  ;  autres 
gadîr  marécageux;  Yâqoût,  E.  I,  280,  6  d.  1.,  le  wâdi  tlil  <*-J*  i_-Jls  (Bakrï,  op.  cit., 
503,  2  d.  1.)  doit  désigner  une  plaine  marécageuse.  Grenouilles,  mentionnées  par  les 
poètes  ;  A.  Tammâm,  Hamàsa,  E.  I,  199.  Mahomet  apprenant  leur  utilité  ordonne  de 
les  épargner;  Nasal,  Sonan,  E.  II,  202;  marais;  Naqaid  Gartr,  11,  9;  292,  5-7. 

(»)  Ag.,  VI,  92  ;  Ibn  Sikldt,   Tahm,  540. 

r*)  Cf.  notre  Bâdia,  94  sqq. 

(*)  Istahrî,  Géogr.,   15  ;  MaqdisT,  Géogr.,  95. 

(5)  I.  S.  Tabaq.,  IV',  176,  13;  Yâqoût,  E.  V,  246.  Lac  au  Yémen,  mais  ce  texte 
est  un  apocrj-phe  ;  'Iqd^,  I,  108. 


IV 


Le    régime   des    eaux  au  désert.  La  salinité  du  sol. 
Les  puits,  les  «  hisa  v  ;  qualités  de  leurs  eaux 


Le  grand  ennemi  de  la  vie  des  plantes  au  désert,  c'est  l'énorme 
salinité  du  sol,  conséquence  de  l'évaporation.  Pénétrant  jusque  dans 
les  couches  profondes,  l'implacable  soleil  pendant  les  longs  mois 
d'un  été,  invariablement  serein,  soustrait  à  la  terre  les  dernières 
traces  d'humidité,  }•  abandonnant  et  accumulant  insensiblement  les 
parcelles  minérales,  contenues  dans  les  eaux  célestes.  Aux  pluies  tor- 
rentielles de  l'hiver  était  réservée  la  mission  —  remplie  dans  nos 
pays  par  les  rivières  et  par  un  arrosage  incessant  —  de  nettoyer, 
de  désaler  les  terres,  de  les  débarrasser  de  leur  excès  de  minéralisa- 
tion, enfin  d'entraîner  à  la  mer  les  résidus  chimiques  de  cette  les- 
sive à  grandes  eaux.  Tout  est  lavé,  irrigué  :  les  roches  basaltiques  et 
les  vieux  troncs  morts.  Ce  contraste  nous  a  valu  la  boutade  suivante  : 
«  La  fortune,  survenant  à  l'imbécile,  rappelle  l'inondation  hivernale, 
arrosant  le  bois  sec  >. 

(')     ij}-^^  o^^>  J^'   ..r-^.  J^^  (^  3^  ^  '^S   '-^•^-  J^':? 

En  outre  les  chutes  météoriques  doivent  être  assez  fortes  pour 
vaincre  la  résistance  du  sol,  cuit  et  recuit  aux  feux  de  l'été,  amollir 
la  croûte  superficielle,  la  saturer  d'humidité  et  pénétrer  dans  le  sein 
de  la  terre  jusqu'à   la  rencontre  d'une    couche   étanche.    L'opération 

(')   Ibn  Doraid,  Isliqâq,  280. 


Les  <  darât  »  33 

procède  dans  les  circonstances  les  plus  favorables,  quand  la  pluie  (') 
s'abat  sur  la  surface  des  dàràt  (*).  On  appelle  de  ce  nom  des  plaines, 
recou\ertes  de  sable,  closes  par  des  montagnes,  comme  en  un  cir- 
que. D'après  les  descriptions  des  Arabes,  rien  de  comparable  à  cette 
légère  couverture  de  sable. 

Elle  joue  au  désert  le  rôle  salutaire,  maternel  de  l'herbe  et  des 
plantes,  dans  nos  climats  tempérés.  Y^alma  mater,  la  terre  massive 
qui  nous  supporte,  a  elle  aussi  besoin  de  ménagements.  Le  sable  des 
dàràt  préserve  le  sol  contre  les  brutales  atteintes  de  l'érosion,  activée 
par  l'action  incessante  des  météores  :  le  soleil,  le  vent,  la  pluie.  Leurs 
attaques  combinées  donnent  aux  steppes  arabes  leur  surface  lépreuse, 
cet  aspect  de  pa3-sage  lunaire,  de  planète  éteinte.  Le  manteau  de 
sable  est  un  protecteur,  sans  devenir  envahissant,  encombrant,  comme 
le  lourd  linceuil,  recouvrant  les  nefoûd.  Il  abrite,  mais  n'enterre  pas. 
En  amortissant  les  ra3-ons  solaires,  il  ralentit  l'évaporisation  de  l'hu- 
midité terrestre,  il  favorise  les  manifestations  vitales  de  la  tenace 
flore  désertique. 

Aussi  les  Arabes  parlent-ils  de  leurs  dàràt  «  con  amore  ».  Ce 
sable  est  blanc,  «  comme  du  camphre  »;  il  est  fin,  aéré,  trituré  par 
les  vents  du  désert  au  point  de  devenir  «  coulant  >,  presque  liquide  (^). 
Passant  à  travers  ce  filtre  merveilleux,  les  pluies  pénètrent  dans  les 
couches  inférieures  :  elles  s')'  emmagasinent  à  des  profondeurs  varia- 
bles, souvent  ne  dépassant  pas  la  longueur  d'un  bâton.  Elles  )•  ali- 
mentent les  afisà  (*)  ;  vasques  invisibles,  filets  d'eau  (^),  glissant  silen- 

(')  Comp.  sUl  ^iXjjt  'i^>  et  oC_lc  i^.^  ï^b  ;  Bakrî,  op.  cit.,  630,  8  ;  631,  4  d. 

I.  La  qualification  de  J^'pl  ~f^  (voir  plus  bas),  terrain  défavorable  à  la  végétation,  ne 
saurait  convenir  aux  dârât.  Dans  celles-ci  la  couche  superficielle  de  sable  recouvre  et 
protège  le  sol,  où  plongent  les  racines. 

(-}  Dârât  de  Qorh  (W.  Qorâ)  ;  A.  Tanimâm,  Hamâsa,  E.  IV,  157,  10,  Ibn  al- 
Faqîh,  Géogr.,  32  ;  Cf.  Kitâb  ad-dârât  d'Asmal,  éd.  Aug.  Haffner  dans  Ma'sriq,  I,  406 
etc.  Les  dârât  possèdent  leur  végétation  et  leur  faune  ;  Bakrî,  op.  cit.,  338,  Yâqoût, 
E.  IV,   14,  bas;   119,  8  d.  1.  eau  dans  la  dâra. 

P)  Bakrî,  op.  cit.,  336,  2;  Yâqoût,  E.  III,  113,   10. 

(■•)  Yâqoût,  E.  I,  136-37;    III,  274,  bas;  Ibn  Gobair,   Travels-    204. 

(5)  i^Uti,  couches  étanches  ;  Ibn  Doraid,  Sifat  as-Sahâb,  30,  5  ;  le  'i^f^^  ^^  de 
Hamdânî,  Cazîra,   157,  20-21  ;  en  revanche  il  mentionne  des  sables  sans  fond,  où  l'eau 

Lamue.ss  —  Berceau  3 


34  Les  «  hisa  » 

cieiisement  dans  le  sous-sol,  réserves  bienfaisantes  d'eau  salubre  et 
pure.  Elles  sont  bien  connues  des  Bédouins,  très  adroits  pour  les  re- 
trouver. Cette  découverte  des  eaux  fut  sous  Mo'àwia  la  spécialité  de 
rOma3-yade  Ibn  'Àmir.  A  sa  naissance  Mahomet  avait  pratiqué  pour 
lui  le  /ahiiîk,  consistant  à  cracher  dans  la  bouche  du  nouveau-né.  Ce 
fut  l'augure  de  ses  futurs  succès  de  propriétaire:  il  n'exploita  jamais 
un  domaine  sans  y  découvrir  de  l'eau  (').  Ces  eaux  souterraines  con- 
stituent la  ressource  des  vo3-ageurs  et  des  troupeaux  transhumants. 
Après  une  longue  traversée,  quand  le  chameau  fourbu  trouve  à  brou- 
ter les  buissons  de  gadà  et  à  boire  l'eau  des  hisà,  ce  régime  ne 
manque  jamais  de  restaurer  ses  forces.  C'est  l'avis  des  Bédouins  (*). 
Il  suffit  d'ordinaire  de  gratter  superficiellement  le  sol,  pour  en  voir 
saillir  ces  eaux  souterraines  (^).  Les  chameaux  les  apprécient,  on  vient 
de  le  voir  ;  et  les  hommes  ne  font  pas  un  moindre  cas  de  ce  liquide 
frais  et  d'une  saveur  généralement  plus  douce.  .Soustrait  à  l'ac- 
tion directe  de  l'évaporation,  il  se  trouve  par  suite  moins  exposé 
à  la  salinité,  à  la  condensation  des  éléments  solides  en  suspension 
dans  toutes  les  eau.x  du  désert  {*  . 

Comme  pour  les  hisà,  quand  on  veut  voir  saillir  l'eau,  au  fond 
des  puits  desséchés  par  le  brûlant  soleil  d'Arabie,  on  se  contente 
fréquemment  d'enfoncer  un  instrument  pointu,  par  ex.  une  flèche. 
L'opération  très  simple  fut  fréquemment  pratiquée  par  Mahomet  au 
cours  de  ses  expéditions  militaires  (').  Il    faut   sans    doute  rapporter 


se  perd,  L^IL  _  ,Uê  V^  liU*  VI  i^^  L^  çijV  ;  ibid.,  1.  24-25  ;  c'est  le  contraire  des 

terrains  «>Js  1-3  ïlil  l^iiôLi^  ^_,yCÙi  ;  Bakrî,  op.  cit.,  120,  5  d.  1.  En  poésie  les 
dàrâi  sont  présentées  comme  un  séjour  enchanteur  ;  Nagaid  Gartr,  250. 

(1)  Yâqoût,  op.  cit.,  E.  Il,  170  bas;  Mo'âwia,  241;  Maliomet  crache  dans  la 
bouche  des  malades;  Ibn  Mâgâ,  Sotian,  E.  II,   189,  191. 

(*)  Ag.,  VII,   116,  9.  Pour  le  gadâ  voir  plus  loin. 

(3)  Ibn  Gobair,  Travels-,  187,  3;  203,  15;  204;  Ibn  Batoûta,  Voyages,  I,  257, 
261,  407  ;  nombreux  kisà  dans  le  Wâdi'I  Miâh  ;  Bakrï,  op.  cit.,  633,  15  ;  «  hisâ  de 
printemps  »  ;  ihid.  633,  4  d.  1. 

{*)  Walther,  op.  cit.,  47. 

{')  I.  S.  Tabaq.,  II',  70,  1  ;  Yâqoût,  E.  II,  365  ;  Bakrî,  op.  cit.,  521,  bas.  (Dans 
le  Himâ  Darjya,  partout  l'eau  dans  le  sous-sol  ;  il  suffit  de  creuser  ;  Bakrï,  626-30). 
Aboû  Yoûsof,  Harâg,   128.  On  enfonce  un  bâton  ;  Musil,  Arabia  Petraea,  III,  259. 


Les  «  dahl  »  35 

à   l'eau    du    hisà   cette    description    du    poète    bédouin,    Aboû't-Ta- 
mahân. 

«  A  volonté  nos  bergers  puisent  dans  un  creux  du  sol  une  eau 
pure,  limpide  comme  le  cristal  de  l'œil  du  corbeau  ». 

Cette  méthode  sommaire  ne  saurait  convenir  aux  da/i/.  Ce  sont 
également  des  eaux  souterraines,  mais  circulant  dans  des  canaux 
«  d'une  roche  polie  et  lisse,  défiant  l'attaque  du  pic  et  du  ciseau. 
J'ai  pénétré  dans  un  de  ces  dak/,  écrit  un  géographe  arabe;  arrivé 
jusqu'à  l'eau,  j'ai  découvert  des  masses  li(]uides;  mais  l'obscurité  m'a 
empêché  d'en  évaluer  l'étendue,  la  (]uantité  et  la  profondeur.  J'en  ai 
goûté  avec  mes  compagnons  et  l'ai  trouvée  agréable  et  douce  (")  ; 
c'est  en  effet  de  l'eau  de  pluie,  ramassée  dans  les  entrailles  du  sol  »  ('). 
Ces  da/i/  se  trouvaient  disséminés  sur  la  surface  du  désert.  Ainsi  le 
prouve  la  fréquence  de  ce  terme  dans  la  toponymie  (^).  Le  m3-stère 
de  ces  eaux  profondes,  la  difficulté  d'arriver  jusqu'à  elles  avaient  valu 
à  certaines,  c'est  la  remarque  de  Yâqoût,  des  réputations  singulières, 
entr'autres  de  guérir  les  troubles  cérébraux  (''). 

Les  eaux  souterraines  exercent  une  action  beaucoup  mieux  vérifiée 
et  plus  générale  :  elles  assurent  l'alimentation  ("),  le  débit  régulier  des 
sources,  elles  maintiennent  le  réseau  des  innombrables  puits  et  points 
d'eau,  cou\rant  de  mailles  invisibles  la  superficie  de  la  Péninsule  C). 


(')  Ag.,  XI,   134,   12. 

('-)  Parce  qu'elle  échappe  au  procédé  de  saunage,  produit  par  le  soleil. 

(3)  VâqoQt,  E.   IV,  42. 

(•<)  Cf.   Bakri,  zWerjr,  s.  v.  Js^>  ;   Yâqoût,   E.   IV,  43. 

(■'•)  Yâqoût,  E.  IV,  42.  Le  scoliaste  de  Naqaid  Gartr  définit  les  ^^-^  cy^^ 
ç.wl_jJl  |J.^.JJI  (_5  i>^_ji  >>i  •  <*-*_>^.  ^'*  J^t"  ^-f:*  '-r'^*'^.  ^^'^^  cr*  cJ^'^r^i  Jfi)  ^ 
UôiJI»  -^  ■•■'■Il  On  ne  se  représentait  plus  exactement  la  nature  de  ces  eau.x  sou- 
terraines; cf.  Naga'id,   130,   12,   15:   166,  6. 

C')  Ibn  Gobair,  Travels-,  206,  3.  Trois  sources  souterraines  alimentent  le  puits 
de  Zamzam  ;  l'eau  diminue  ou  augmente  ;  parfois  même  le  puits  demeure  à  sec  ;  Ibn 
Rosteh,   Géogr.,  42,  43. 

(")  Le  long  de  ces  points  s'échelonnent  les  campements  des  Arabes  ;  on  est  sûr 
de  les  rencontrer;  Ag.,  VIII,  80-81. 


36  Creusement  des  puits 


Leurs  noms,  accompajjnés  parfois  d'une  brève  description,  se 
trouvent  dispersés  dans  les  divans  des  anciens  poètes  (').  S'il  faut 
en  croire  l'histoire  anecdotique  de  la  littérature  arabe,  maint  voya- 
geur égaré  dut  à  cette  mention  et  à  l'exactitude  de  sa  propre  éru- 
dition poétique  de  ne  pas  mourir  de  soif  dans  la  solitude  (").  Le  cé- 
lèbre vice-roi  omayyade  Haggâg  aurait  même  utilisé  les  indications, 
fournies  par  le  prince-poète,  le  chevalier-errant  Amroulqais  pour  creu- 
ser des  puits  sur  la  route  du  pèlerinage  (^).  Ce  sont  dans  les  recueils 
de  Naivâdir  autant  de  recommandations  indirectes  en  faveur  de  l'an- 
cienne poésie,  autant  d'invitations  à  étudier  ces  vénérables  monu- 
ments du  passé. 

Le  qualificatif  de  t_)l>=-,  creuseur  de  puits,  était  fort  envié.  On 
ne  se  montrait  pas  moins  fier  de  posséder  un  puits  inépuisable  con- 
servant de  l'eau  jusqu'au  mois  de  Sa'bân  (^).  Celui  du  mythi(]ue 
Loqmân  était  maçonné  (''),  un  avantage  peu  commun  en  Arabie. 
Telle  est  l'importance  de  l'eau  dans  l'existence  des  nomades  que 
deux  tribus  possèdent  fréquemment  en  indivis  le  même  puits  C^).  Il 
en  résulte  comme  aux  temps  d'Isaac  et  d'Abimelech,  des  différends  C), 
des  meurtres  aussi  et  d'interminables  luttes  fratricides  (').  Remus  et 

(*)  C'est  là  que  Bakri,  Yâqoût  sont  allés  les  recueillir,  se  dispensant  trop  souvent 
de  l'autopsie.  Même  opération  sur  la  Tradition.  Un  toponyme,  mentionné  dans  un 
hadît  d'Aboû  Horaira,  est  d'office  attribué  au  pays  de  Dau-;;  Yâqoût,  E.  V,  422. 

(2)  Bakrï,  op.   cit.,   620.  Yâqoût,  E.  V,   421. 

(3)  Bakrï,  op.  cit.,   207,  7;  Yâqoût,   E.  V,  240;  Qotaiba,  'Oyoun,   178-179. 

(*)  Naqâ'id  Garîr,  242;  Aboû  Tammâm,  Hamâsa,  E.  I,  56,  8;  Bakri,  op.  cit., 
723,  6-8. 

(=)  Nagaid  Garîr,   130,   13  etc.    ^^  .s.\^\  ;  Yâqoût,   E.  V,  304. 

(«)  Yâqoût,   E,  III,  351;  399;  Ag.,  X,  73,   11  ;  Yâqoût,  E.  V,  84,  357. 

(")  Bakri,  op.  cit.,  154,  10  d.  1.;  185;  285,  3;  342,  15;  429;  627-28;  Yâqoût. 
E.  III,  331,  5  d.  1.  ;  391,  10;  Ag.,X\,  127;  puits  comblé  pour  terminer  un  différend  ; 
Wùstenfeld,  Gebiet  von  Médina,  31  ;  guerre  causée  par  un  hiinâ  (réserve)  sur  les  eaux; 
Ag.,  VIII,  159;  Naqaid  Garîr,  14,  haut;  le  puits  est  comblé  (voir  plus  loin);  214, 
12  sqq.  ;  puits  creusés  dans  le  roc;  Yâqoût,  E.  V,   109,  bas. 

(8)  Yâqoût,  E.  V,  357. 


Le  «  harim  »  du   puits  37 

Romulus  se  sont  battus  pour  le  berceau  de  Rome.  Les  tribus  s'entre- 
détruisent  pour  décider  la  propriété  incontestée  de  quelques  mètres 
cubes  d'eau  (').  On  connaît  aussi  des  traits  plus  chevaleresques,  comme 
celui  raconté  de  Oais  ibn  'Asim,  avec  Mo'âwia  le  plus  grand  modèle 
de  magnanimité  ou  de  hihn  parmi  les  Arabes  (•).  Dans  une  razzia, 
peu  avant  d'atteindre  le  campement  ennemi,  ce  chef  tamimite  arrêta 
ses  hommes  pour  abreuver  les  chevaux,  puis  il  donna  l'ordre  de 
crever  les  outres,  contenant  le  reste  du  précieux  liquide.  Ce  geste 
énergique  leur  disait:  <  si  vous  ne  voulez  périr  de  soif,  vous  avez 
devant  vous  le  puits  de  nos  adversaires  ;  à  vous  de  le  conquérir  1  >  ('). 
Pour  protéger  la  possession  d'une  réserve  d'eau,  le  droit  coutumier 
du  désert  déclarait  fiarïm  ou  himà,  c'est  à  dire  intangible,  le  péri- 
mètre du  puits  (*).  A  quelle  distance  de  l'orifice  s'étendait  ce  lam- 
beau de  territoire  privilégié .'  y)  Nous  l'ignorons  au  juste  (^).  Mais  à 
l'intérieur  de  son  ra}on,  il  était  interdit  de  creuser  pour  chercher 
de  l'eau  ou  d'y  faire  stationner  des  troupeaux  étrangers  ("). 

Maqdisï,  un  géographe  du  10^  siècle  a  porté  un  jugement  sévère 
sur  les  eaux  du  Higâz  :  «  Celles  de  Wâdi'l  Oorâ  et  de  Yanbo',  écrit-il, 
sont  mauvaises;  les  autres  sont  bien  près  de  leur  ressembler  ».  - 
<  Pendant  mon  premier  pèlerinage,  ajoute-t-il,  j'ai  goûté  l'eau  de 
Zamzam  et  l'ai  trouvée  détestable  t^./:  à  une  seconde  visite,  elle 
m'a   paru    excellente  »  (*).   Un  barde  bédouin    déclare    ouvertement 


(1)  Bakri,  op.  cit.,  334,   11-12;    496-97. 

(*)  Cf.  Mo'âwia, ,  index  s.  v.  Qais  ibn  'Àsim. 

(3)  Bakri,  op.  cit.,  558,  bas  ;  Ibn  Doraid,  Isliqàq,   203. 

(^)  Yâqoût,  E.  III,  264. 

(5)  Cf.  FSlimn,  78;  Aboû  'Obaid  (ms.  Kuprulu,  Con^tantinople  i  135''  ,  'i)l  ,_^   ^ 

.yiJI  iii,*.,  J-vî-ll  J»-i=  •  T^*  ^  CjUj  tj- 

{'•)  Les  indications  varient  d'après  la  nature  du  puits  ^>^  ou  J^Xala.  préislamite, 
^Jo,  récent;  f.  ■^^\  ^^"^  pour  l'arrosage  des  cultures.  On  stipule  «  .')00  coudées  d'in- 
tervalle entre  deux  ^-^  »;  Yahiâ  ibn  Adam,  Haràg,  64,  71,  72  ;  73,  74.  Autres  me- 
sures, données  par  Aboû  Yoûsof,  Haràg,  57.  District  percé  de  puits  et  de  i— ->^  ; 
Yâqoûî,  E.  V,  247. 

C)  Cf.  Yahiâ,  loc.  cit.  ;  Aboû  Yoûsof,  loc.  cit.  ;  Ibn  Mâgâ,  Sonan,  E.  II,  5L 
(*)  Maqdisï,  Géogr.,   101.  Au    lieu   de    l'eau   de    Zamzam,    souillée    par    la  foule 
_^'JJ1  i.^y£.  on  propose  à  Mahomet  des  eaux  plus  pures;  Hanbal  Mosnad,  I,  215.  1. 


38  Qualité  des  eaux  du  Higâz 

(]u'il  sacrifierait  tout  le  puits  de  Zamzam  pour  une  gorgée  d'eau  de 
son  pa\s  (').  Le  jugement  le  moins  défavorable,  c'est  en  définitive 
celui  du  géographe  Istahrï  :  «  on  ne  j)eut  sans  inconvénient  en  faire 
longtemps  usage,  ^^  J*  cJ^>))\  ,^S^  V  (')•  Nous  aurons  à  en  re- 
parler à  propos  de  la  Mecque. 

Pourtant  les  nomades  ne  se  montraient  pas  fort  exigeants  en 
matière  d'eau.  Sur  les  confins  du  désert  sj-rien,  je  me  suis  vu  offrir 
des  liquides,  à  la  couleur,  à  l'odeur  caractéristiques,  de  nature  à  sup- 
primer la  plus  irrésistible  envie  de  se  désaltérer.  Ils  les  qualifiaient  de 
potables  ^—>}^,  (|uand  ils  tenaient  le  milieu  entre  l'eau  douce  et  l'eau 

salée  i_)iAJl^  £0^1  ^j^  ^^If  131  (^).  Les  puits  saumatres  doivent  abonder 
dans  la  Péninsule,  s'il  est  permis  d'en  juger  d'après  la  synonymie  ex- 
trêmement variée,  contenant  une  allusion  à  leur  salinité  (*).  Dès  lors 
on  connaissait  l'habitude  {')  de  faire  bouillir  l'eau,  i)our  la  conserver 
pendant  le  vo3"age  ("). 

Inutile  de  songer  aux  sources  de  nos  montagnes  s' échappant  à 
gros  bouillons  des  flancs  du  rocher.  Le  Higâz  possédait  trop  de  pics 
basaltiques,  trop  de  monts  pelés,  ^^1.  Quand  ces  masses  rouges 
ou  noires  (")  cèdent  le  précieux  liquide,  renfermé  dans  leurs  entrailles 


(i)  Bakrî,  ofi.  cil.,  247,  5-6. 

(-)  Istalin,  Géogr.,  17,  13.  Elle  guérit,  mais  à  condition  d'en  boire  longtemps  ; 
Ibn  Rosteh,  Géogr.,  58,  9;  Ibn  al-Faqîh,  Géogr.,  19;  Yâqoût,  IV,  401;  Gahiz,  Haia- 
wân,   I,  44. 

(3)  Ibn  Sikkît,    Tahdib,  558  ;  YaqoQt,  E.  V,  260. 

(■i)  Ibn  Sikkît,  op.  cit.,  558-59  ;  ^U^1  ._^L-«1  .^Ul  ;  Bakri,  op.  cit.,  47,  669  ;  Ibn  I5a- 
toùta.  Voyages,  I,  261,  408  ;  Yâqoût,  E.  IV,  372  ;  V,  426,  ^a.yil  joy^.  Eaux  prover- 
biales pour  leur  douceur;  Ibn  Doraid,  l'stiqàq,  111,  18;  Bakrî,  op.  cit.,  633,  |»^L-c  a.~»j 
Les  eaux  sont  censées  influer  sur  le  moral,  témoin  cette  prière  d'un  Bédouin  :  Y  fi^\ 

s.  "  f,  _  .  _  _  ' 

6^*0  Ijxl  i^^li  s^-w  *to  ,^^>_ï  ;  Qotaiba,  'Oyozin,  266,   1  ;  Gahiz,  Bayan,    I,    152,  9; 

Bakrî,  op.  cit.,   623,  cyM  tUs. 

(^)  Le  lait  se  conserve  mal  en  voyage  ,  Ag.,  X,  12,  1.  8  et  20.;  cf.  p.  16.  On  l'em- 
portait seulement  pour  un  léger  déplacement.  Eaux  «  douces  »  ou  «  très  douces  »  ; 
Yâqoût,  E.  V,  36,  2  ;  247,  4  ;  304  ;  357.  Celles  de  Saddâ' jouissaient  d'une  faveur  spé- 
ciale ;  Yâqoût,  V,  342. 

(8)  Yâqoût,  E.   Il,   179,  6. 

(')  Voir  plus  bas  ;  A'açâ'id  Carir,  658,  16. 


Sources  «  errantes  »  et  «  vauclusiennes  »  39 

calcinées,  où  les  derniers  feux  viennent  à  peine  de  s'éteindre,  elles 
le  font  avec  une  désespérante  parcimonie  :  c'est  le  wasal,  très  estimé 
—  comme  toutes  les  eaux  de  roche  —  à  cause  de  sa  pureté  (').  Rares 
sont  donc  les  sources  véritables,  celles  coulant  à  la  surface  du  sol, 
les  sources  «  errantes  et  en  mouvement  >.  ^^  asô'^  ^  (*).  Il 
faut  admettre  une  exception  pour  certaines  oasis  —  telles  Haibar  et 
Taimâ'  ;  on  y  rencontre  non  seulement  des  sources,  mais  des  ruis- 
seaux alimentés  par  leurs  flots  (^).  Il  avait  sans  doute  en  vue  un  ruis- 
seau le  poète  quand  il  décrivait  «  les  eaux,  promenant  leurs  méan- 
dres parmi  les  troncs  des  ricins  >  ('')  ou  «  à  l'ombre  des  aràk,  ^j^ 
^y^\  iJl^vi  ^Uil  cu2  »  (YâqoQt,  III,  405). 

La  région  de  Yanbo',  près  de  la  mer  Rouge,  en  fournit  un  autre 
exemple  (^).  Parmi  ses  «  99  sources  »  —  ni  plus  ni  moins  —  on  en 
compterait  même  de  vaiicbisienms.  Elles  jaillissent  du  sable  avec  une 
impétuosité  irrésistible,  au  point  de  ne  pouvoir  être  canalisées  au  bé- 
néfice des  cultures  voisines  ('').  Il  n'est  pas  toujours  facile  de  distinguer 
entre  *U.  ^  et  f~^-  puits  ou  source  ?  Nos  documents,  composés  sur 
des  collections  écrites,  beaucoup  moins  sur  l'inspection  topographique, 
laissent  dans  le  vague  la  valeur  de  ces  trois  termes.  Cette  S}'non\"mie 
désigne  généralement  des  points  d'eau,  alimentés  par  des  courants  sou- 
terrains (^),  plutôt  que  des  citernes,  destinées  à  recueillir  les  eaux  plu- 

(1)  Yâqoût,  E.  I\^  201,  2-3  ;  •>>^\  J-^  i)  sU  ;  IV,  252,  6  ;  Naqâ'id  Garïr ,  292,  8. 
sources  abondantes  au  fond  des  wâdi  ;  Doughty,   Travels,   I,  440,  448. 

(•-)  Ibn  Hanbal,  Mosnad,  I,  253,  6  d.  1.  ;  Yâqoût,  E.  I.  253,  5  ;  III,  233  ;  V,  179; 
Bakrï,  125,  9;  141,  7  d.  1.,  ru*^  tU  ...Jo^U.^^à  Médine;  Yâqoût,  E.  II,  211,  U  ;  Aboû 

Zaid,  Kitâb  al-Matar,   267,  5  :  JirJ\^  ^^1  J  .Ij^ï..  a-^  ^_,.5t-.iJ  ^-Ul  ^    îUl  ^\^) 

P)  Cf.  Doughty,   Travels,  II,  79,  184  ;  lac  et  nahr  à  Taimâ'  ;  Bakri,  209,  bas. 

(^)  Ibn  Sikkit,  op.  cit.,  561  ;  autre  nahr  à  Taimân  ;  Bakri,  555  ;  14. 

(5)  Peut-être  encore  le  «  Wâdi'l  Miâh  »  ;  Bakri,  op.  cit.,  568,  589,  704.  Montagnes 
autour  de  Tâif,  remplies  d'eau;  Yâqoût,  III,  450;  sources  i(\l^,  jaillissantes  dans  la 
région  de  Badr-Safrâ';  Ibn  Batoûta,  Voyages,  I,  295,  296,  298-99  ;  I.  Gobair,  Travels-, 
182,  187;  eaux  courantes,  YahiS,  Haràg,  78,  19;  81,  16.  Eaux  courantes  parmi  les 
aràk  ;  Ag.,  XI,  151,  4  d.  1.  Eau  courante,  sortant  au  pied  du  mont  Aboû  Qobais  et 
utilisée  par  les  foulons  ;  Yâqoût,  E.  V,  84,   13. 

C^)  Bakri,  op.  cit.,  158,  4;  169,  haut;  415;  416,  9;  Yâqoût,  E.  H,  72,  2-5; 
Wûstenfeld,  Gebiet  von  Médina,   U. 

C)  Yâqoût,   E.   II,  3-4.  ïîU  composée  de  2  rakyya;  Yâqcût,  E.  I\',  262,  6. 


40  Les  «  petites  eaux  > 

viales.  Il  n'est  pas  exagéré  d'affirmer  que  certaines  vallées  aux  envi- 
rons de  Médine,  puis  entre  cette  ville,  la  Mecque  et  Yanbo',  sont 
littéralement  criblées  de  puits  (').  Mentionnons  particulièrement  le  pa^'s 
des  Banoû  Solaim  ("),  ensuite  la  pittoresque  région  du  mont  Rad- 
wâ  (^)  ;  elle  nous  retiendra  encore  plus  loin.  L'abondance  des  eaux 
courantes  {*)  constitue  un  des  traits,  reparaissant  avec  une  fatiguante 
monotonie  dans  la  description  du  paradis  <]orani(iue:  ^IfJ'Sll  |»^-^  c^  ^^. 
Ce  souvenir  a  dû  contribuer  à  localiser  à  Raçlwâ  le  mystérieux  séjour 
du  Mahdî  sî'ite.  Au  sein  de  la  fraîcheur,  près  des  sources  et  des  bos- 
quets du  Radwâ,  ce  «  maître  de  l'heure  »  attend  le  signal  de  sa  réap- 
parition. 

«  La  mort  épargnera  ce  descendant  du  Prophète,  jusqu'à  ce  qu'il 
marche  à  la  tète  de  ses  escadrons,  précédés  de  son  étendard  >. 

Plus  ordinaires  sont  les  «  petites  eaux,  .iv.  C-<  ou  ij^-*  *  (^)  à 
débit  insignifiant.  Suintant  goutte  à  goutte  C),  elles  suffisent  «  à 
abreuver  un  ou  deux  cavaliers  au  maximum  »  (*).  Les  plus    estimées 


(')  Bakri,  op.  cit.,  195  ;  415,  7  etc.;  534-35;  ou  encore  <^U^  ;  Yâqoût,  E.  IV, 
321,  4;  rakyya  désigne  aussi  un  puits  ordinaire;  Naqû'id  Gartr,  31,  d.  1. 

(*)  Une  série  de  puits  communiquants  ;   Yâqoût,  E.  V,  341. 

(3)  Yâqoût,  E.  III,  4  ;  IV,  260-61.  On  distingue  entre  ^^t  et  yt>  pour  le  harim 
ou  himâ;  cf.  Yahiâ,  Harâ^,  72-73;  ^-^c  et  ^y^  dans  la  toponomastique  de  l'Arabie; 
Bakrï,  op.  cit.,   187,  688. 

(*)  Eaux  courantes,  sources  jaillissantes  i\\^  à  Holais  et  Batn  Marr  ;  Ibn  Gobair, 
Travels^,  182,   184. 

(»)  Ag.,  VII,   10,  5. 

(*)  Cf.  Bakrî,  210  ;  544,  ici  probablement  dérivé  du  toponyme  J,wj  Lxi,  au  di- 
minutif; Vâqoût,  E.   IV,  255,  2-5;  V,  293. 

Ç)  Yâqoût,  E.  IV,  255,  5-6  ;  parfois  itU  ;  ibid.,  IV,  262,  6  ;  281  ;  Bakri,  706  ; 
ïsL*,  d'ordinaire  avec  des  toponymes  féminins  ;  cf.  Bakrî,  718,  e.xceptions  ibid.,  718, 
1.  15,  20. 

(8)  Bakrî,  op.  cit.,  546,   13  ;  Yâqoût,  E.   IV,  321,  c>^^^.  »U-vJl  iU,  ^J^  *âjU 

lj_L-<   IM  ^..jji-Oj^  ,^^Jl.^  ^;  puits  pouvant  désaltérer  «50  brebis»;    I.    S.    Tabac., 
II',  72,  6;  autre  puits,  suffisant  «à  deux  souris»;  Naga'id  Garïr,  279,  d.  v. 


Eaux  salées  et  amères  41 

étaient  les  eaux  bleues  ('),  ainsi  appelées  sans  doute  à  cause  de  leurs 
masses  pures  et  profondes,  où  se  mirait  l'ardent  azur  du  firmament- 
A  d'autres  on  attribuait  la  propriété  «  d'engraisser  les  chameaux  »  i^). 
On  prêtait  la  même  action  à  l'eau  de  Zamzam,  pour  le  moins 
d'apaiser  la  faim  des  pèlerins  (^).  A  tout  prix  on  voulait  rétablir  la 
réputation  compromise  de  ces  eaux  sacrées,  puisque  même  en  les 
mélangeant  avec  du  suc  de  raisins,  on  arrivait  péniblement  à  en 
dissimuler  le  goût  nauséabond  (*).  De  certains  puits  on  disait  que 
<  leur  eau  était  semblable  à  l'eau  du  ciel  »  (^),  c'est  à  dire  à  la  pluie  : 
un  éloge  évidemment. 

On  s'en  persuadera  [mieux,  si  l'on  songe  au  nombre  considé- 
rable d'eaux  salées  et  amères  C^),  les  Marah  de  l'Exode.  Il  corre- 
spondait à  ^celui  des  saôaha,  terrains  salins  (").  On  en  rencontrait 
jusqu'au  sein  de  la  fertile  oasis  de  JMédine  (").  Des  plaines  étaient 
couvertes  d'efflorescences  brillantes,  craquant  sous  le  pied  des  mon- 
tures (').  «  Aucun  cours  d'eau  n'intervenant  pour  laver  et  drainer 
la  terre,  les  parties  solides  des  chutes  pluviales  s'amassent  dans  le 
sol  et  augmentent  insensiblement  sa  salinité  =>  ('").  Il  faut  tenir  égale- 
ment compte  de  l'évaporation,  de  l'action  de  la  chaleur  solaire  sur 
les  puits.  Elles  en  exagèrent  la  densité  et  la  proportion  en  élé- 
ments solides,  dont  elles    intensifient  les  réactions    chimiques.   Voilà 


(')  Ibn  Sikkît,   Ta/idîb,  562,  5  ;  Hotai'a,  Divan,   III,   15. 

(2)  Bakri,  op.  cit.,  342,  8,  d.  1. 

(3)  Gahiz,    Mahâsin,     182;     I.    .S.     Tabaq.,    IV ',    162:    >jxj    cU    Sil   lLai>    J    U, 

f    ^.    °  ^  ^  -»»  j>^^°^s..         -        '  °      ^ . 

f.^  AÀsr**'  ^-J^  ^  0^*-^j  ^^  cj-^  O^  Oj*~S-)    (_5^^^  k:U-U-^  ;  Yaqout,  E. 

IV,  401. 

(■•)  Cf.  Hanbal,  Mosnad,   I,  215,   1-2. 

(■•)  Comp.  j^jj— Ll  »U^  ,^,  purs  comme  l'eau  de  pluie  ;  A.  Tammâm,  Hamâsa, 
E.  I,  59  d.  V.  ;  Yâqout,  E.   III,   113,  2  ;  Bakri,   149,  7  <1.  1.  :  tUl   'L,Ss.  <i^l. 

(6)  VâqoQt,  E.  II,  251,  332;   III,  107;  Ibn  Sikkît,  op.  cit.,  561,  2. 

e 

C)  Yâqout,  E.  IV,  266,  12  ;  avec  des  salines,  IV,  283,  1  ;  319  :  ^U,!  ^UU,  saline 
Nagâ'id  Gartr,  231. 

(')  Salines  et  eaux  salées  en  Arabie;  Hamdânî,  Gazïra,  155;  sel  rouge;  ibid., 
155,   18. 

(«)  Bakri,  op.  cit..    172,  4:  yU.1  C-^  ^__y«.ïw  L^J  \X^  j:,^  ^J  >l^  '■^-^  J=^l- 

('«)  E.   Banse,  op.  cit.,  p.  30. 


42  Mahomet  et  l'eau  des  puits 

pourquoi  la  plupart  des  gadir  temporaires  de  la  Péninsule  finissent 
par  se  transformer  en  marais  salins.  La  même  cause  rend  inutilisa- 
bles nombre  de  puits,  non  alimentés  par  de  puissantes  sources  sou- 
terraines (').  Les  Israélites  en  firent  l'épreuve  quand  ils  pénétrè- 
rent dans  la  presqu'île  du  Sinaï  ('■).  Certains  puits  étaient  salés  au 
point,  disait-on  «  de  brûler  le  poil  du  chameau  »  (^),  apparemment 
après  avoir  brûlé  les  parois  de  son  robuste  estomac.  D'autres 
parmi  ces  eaux  possédaient  des  vertus  laxatives,  certaines  une  action 
contraire.  Le  tout  au  gré  des  éléments  chimiques,  dominant  dans 
leur  composition  {*).  Les  prophètes  de  l'Ancien  Testament  avaient 
changé  la  qualité  des  eaux.  On  comprendra  donc  pourquoi  la  Sira 
attribue  si  fréquemment  le  même  rôle  à  son  héros  (°).  Il  s'en  acfjuitte 
généralement  en  crachant  (")  au  fond  des  puits,  ou  en  }•  versant  C) 
le  résidu  de  ses  ablutions  (*). 


Mahomet  avait  fait  de  tristes  expériences  avec  l'eau  de  ces  puits. 
Il  n'en  manquait  pas  pourtant  à  Médine  et  plusieurs  fournissaient 
une  boisson  excellente.  Mais  ils  se  trouvaient  d'ordinaire  à  l'intérieur 
des  f^âr  ('),  vastes  enclos,  où  gîtait  tout  le  clan  avec  ses  troupeaux. 
De  là  des  infiltrations,  une  infection,  transformant    le    puits   commun 

(')  Walther,  op.  cil.,  30,  43,  55,  62. 

(-)  Cf.  Vigouroux,  Dict.  de  la  Bible,  s.  v.  Mara.  Le  célèbre  barrage  de  Mareb 
aurait  été  transformé  en  saline;  Ibn  Mâgâ,  Sonan,  E.  II,  49. 

(3)  Pour  ce  motif,    appelés   ^Iji^;   Ibn  Sikkît,  op.  cit.,   558. 

(*)  Yâqoût,  E.  II,  179  ;  Bakrî,  op.  cit.,  552,  5  ;  à  la  ligne  7,  ibid.,  on  trouve  une 
autre  explication  ;  i*Jo>  J-*»;',  exercer  une  action  laxative  ;  Yâqoût,  loc.  cit., 

f)  Yâqoût,  E.   II,  332. 

(S)  Crachat,  conseillé  comme  remède  par  Mahomet  ;  Bakrî,   606,  4  d.  1. 

(')  I.  S.  Tabaq,  II',  72,  6;  I.  Batoûta,  Voya^res,  I,  257,  289;  I.  Gobair,  Tra- 
vels-,  197;  Mahomet  multiplie  les  eaux;  I.  S.  Tabaq,  II',  72,  1.  A  l'imitation  de 
Mahomet  le  faux  prophète  Mosailima,  crache  dans  un  puits  et  le  fait  dessécher, 
Ci-  m  -  -«  ;  Brockelmann,  Ibti  Gauzï's  Kitâb  al-H'afà',  33. 

(*)  Il  s'en  sert  aussi  pour  les  malades  ;  Bohâri,  Sahîh,  K.,  I,  62.  Sources  sta- 
gnantes causant  la  fièvre  aux  chameaux  ;   Bakrî,  op.  cit.,  297,  3. 

P)  Comme  dans  la  saçi/a  des  B.  Sâ'ida;  Bakrî,  op.  cit.,   167. 


Les  Juifs  et  les  puits  43 

en  un  bouillon  de  culture  microbienne.  La  malaria  de  Médine  s'expli- 
que au  moins  partiellement  par  cette  négligence  (').  Un  jour  on  crut 
le  Prophète  ensorcelé.  II  avait  seulement  absorbé  l'eau  malsaine  du 
puits  des  Banoû  Zoraiq  (-).  On  suspecta  naturellement  les  Juifs. 
A  Médine  ils  possédaient  les  meilleurs  puits  (^)  et  les  musulmans 
devenaient  leurs  clients.  Cette  situation  ne  pouvait  se  prolonger  :  on 
chercha  un  prétexte  pour  les  déposséder  en  attendant  leur  expulsion 
de  Médine.  Au  Higâz  ils  avaient  gardé  le  monopole  pour  l'aménagement 
des  eaux.  Sous  le  califat  de  'Omar,  il  fallut  encore  recourir  à  leur 
intervention  pour  restaurer  et  maçonner  le  puits  principal  de  Taboûk  (^). 
Ceux  de  Wâdi'l  Qorâ  déplo}aient  en  ce  genre  ime  habileté  reconnue  (^). 

Le  simple  creusement  d'un  puits  passait  pour  une  affaire  impor- 
tante. On  n'hésitait  pas  à  implorer  l'assistance  pécuniaire  des  voisins, 
comme  on  l'eût  fait,  quand  il  s'agissait  d'une  hamàla  ou  prix  du 
sang  C). 

Dans  la  vie  de  Mahomet,  les  histoires  d'empoisonnement  occu- 
pent une  place  considérable.  Facilement  le  Prophète  soupçonne  des 
tentatives  criminelles  contre  sa  personne.  Quand  les  Bédouins  lui 
offrent  des  victuailles,  il  oblige  fréquemment  ses  compagnons  à  en 
goûter  avant  lui  (").  Depuis  son  expédition  de  Haibar,  il  souffrit 
constamment  de  la  fièvre,    la   terrible    vialaria   de  Haibar,  redoutée 

(')  Cf.  notre  Bâdia,  94-95;  Balâdori,  Fotoûh,   11. 

(-)  Bakri,  op.  cit.,  384-85  ;  I.  .S.  Tabaq.,  IV-.  4-6  ;  on  met  volontiers  en  cause  les 
B.  Zoraiq,  à  cause  de  leurs  prosélytes  juifs  ;  cf.  I.  S.  Tabaq.,  loc.  cit.  On  leur  attri- 
bue le  «  masgid  dissident,    )l  «-<àJI  »;  Yâqoût,  E.  II,  4,  1.  7. 

(^)  Al-Bâbî,  Nozhat  an-Nâzirïn,  (ms.  Instit.  biblique,  Rome),  39*  ;  Ibn  al-Faqïli, 
Géogr.,  25-26. 

(^)  Yâqoût,  E.  II,  365,  4  d.  1.  On  citait  des  eaux  courantes,  donnant  la  fièvre  ; 
Bakrî,  op;  cit.,  641,  7-6  d.  1.  Eau.x  peut-être  contaminées  par  la  présence  des  lauriers- 
roses,  comme  il  arrive  encore  dans  la  TransJordanie,  les  pays  de  Moab,  d'Edom  et 
la  Pétrée. 

(=)  Voir  plus  loin. 

(*)  Naqaid  Garîr,  31,  d.  1.  Le  poète  .Samau'al,  le  seigneur  de  Taimâ",  se  vante 
de  posséder  un  puits  inépuisable  ;  Ag.,  VllI,  83,  4  ;  c'était  un  Z^^  f^-^  *^  ■  Kakrî, 
op.  cit.,   628,  631. 

(")  Bakrî,  op.  cit.,  779,  5  d.  1.  ;  vraisemblablement  une  charge  des  citadins  contre 
les  nomades. 


44  La  faune  des  puits 

des  nomades  (').  Mahomet  préféra  attribuer  son  mal  à  l'effet  d'un 
toxique,  administré  par  une  Juive  vindicative.  Il  avait  l'antisémitisme 
féroce  :  tel  le  dépeignent  le  Ooran  et  la  Sira. 

Elle  est  riche,  trop  riche  la  faune  des  puits  et  des  sources  déser- 
tiques (").  La  vie  y  pullule.  Pour  décrire  une  vieille  Bédouine  au 
râtelier  ébréché,  les  poètes  aimaient  à  dire  : 

«  Quand  elle  sourit,  ses  gencives  supérieures  rai>pellent  une 
collection  de  noirs  coléoptères,  nageant  au  fond  d'un  puits. 

Le  sable  !  voilà  un  nouvel  ennemi  de  ces  installations.  Charrié  par 
les  samoûm,  les  «  vents  jaunes  »  de  la  Sira  (^),  il  compromettait  la 
pureté  des  eaux,  en  }•  accumulant  d'énormes  (juantités  de  poussières 
minérales.  Le  liquide  prenait  alors  des  couleurs  suspectes,  comme  si 
l'on  \'  avait  versé  «  une  teinture  de  henné  »  (^),  ou  bien  des  végéta- 
tions se  formaient  à  la  surface  (*^). 

Les  sources  arabes,  en  majorité  souterraines  et  se  trouvant  fré- 
quemment à  des  profondeurs  considérables,  ne  pouvaient  contribuer, 
comme  les  eaux  mortes  des  gadlr,  à  augmenter  la  superficie  des  ter- 
res marécageuses. 

Le  Bédouin  appartient  à  la  famille  des  peuples  buveurs  de 
lait,    où   il  trouve  sa  nourriture   et   sa  boisson    (").  C'est   seulement 

(')  Pour  la  combattre,  la  population  de  Haibar  usait  de  Tail  ;  répugnances  du 
Prophète  pour  ce  légume;  Mo'âwia,  366;  5b'arâ' (Cheikho),  912,  2  v.  G\i\à\,  Sede  pri- 
mitiva,  606.  Remèdes  contre  la  malaria;  citations  poétiques  dans  Gâiùz,  Haiau'àn  W, 
118-19. 

(-)  Pour  ce  motif  et  aussi  pour  la  salinité  de  l'eau,  résultat  de  l'active  évapora- 
tion,  il  faut  fréquemment  changer  de  puits  ;  peu  de  puits  3*^-  ou  ^3>'*  ;  I.  S.  Ta- 
baq.,  II-,  44,  4;  Yahiâ,  Harâg,  73;  Cf.  Walther,    Wûstenbildung,  87. 

(3)  Naqaid  Garïr,  37. 

(4)  Balâdori,  Ansâb,  218'  ;  cf.  Ibn  Sikkît,  op.  cit.,  .=>59,  4  ;  Tab.,  Antia/es,  I,  2736. 

(5)  I.  S.   Tabaq.,  IV-,  4,  1.   13;  6,  2;   Ibn  Sikkît,  op.  cit.,  561,  I. 

(6)  Ibn  Sikkît,  op.  cit.,  559,  2. 

(')  C^  ''  avoir  du  lait,  signifie  se  trouver  dans  l'abondance  ;  Abou  TamniSm, 
Hainâsa,  E.  II,  9.  Lait  boisson  nationale;  Ag.,  \',  191  ;  VllI,  74,  75;  XII,  37,  16; 
XXI,  35,  5  sqq.  Besoin  irrésistible  «du  lait  ;_;}^\  (Jl  <*<^  ;  Ag.,  Il,  411;  comp. 
notre  Bâdia,  92. 


Les  puits  et  l'arrosage  45 

en  voyage  ou  en  l'absence  de  son  liquide  favori,  que  cet  enfant 
jamais  sevré  se  résigne  à  boire  de  l'eau.  Il  l'apprécie  principa- 
lement en  vue  de  ses  troupeaux;  et  se  dispense  pour  l'entretien 
de  ses  puits  des  plus  élémentaires  précautions  hygiéniques.  Aussi 
mal  surveillées,  encore  plus  mal  protégées  contre  les  dangers  de 
contamination  et  l'insouciance  des  nomades  ('),  leurs  eau.K  devenaient 
facilement  croupissantes,  entraient  en  fermentation. 

Centre  volcani(jue  par  excellence,  le  Higâz  possède  naturellement 
des  sources  thermales  et  d'autres  sulfureuses  ('-).  Je  dois  me  contenter 
de  cette  brève  mention. 

Seules  les  eau.x,  coulant  à  fleur  de  terre,  peuvent  être  directe- 
ment utilisées  pour  la  culture.  Ainsi  à  Médine  on  se  servait  des  tor- 
rents temporaires,  des  eaux,  accumulées  pendant  l'hiver  derrière  les 
barrages  basaltiiiues  des  harra,  pour  arroser  les  palmeraies  (^).  Gé- 
néralement il  fallait  à  force  de  bras  (^),  au  mo\-en  de  cordes,  de  pou- 
lies, de  norias  (^),  amener  l'eau  des  puits  à  pied  d'œuvre.  Le  mécanisme 
d'ailleurs  très  primitif  était  mis  en  mouvement  par  un  homme  ou  par 
un  chameau.  On  amenait  la  corde  en  s'éloignant  du  puits,  elle  prenait 
alors  le  nom  de  JUi*  (").  Dans  les  débuts  de  son  séjour  à  Médine, 
°Alî  le  beau  fils  du  Prophète  aurait  de  la  sorte  travaillé,  aux  gages 
d'un  propriétaire  juif  C).  Manœuvre  pénible  !  Aussi  vante-t-on  les  puits 
«  à  corde  courte   »    (*).    Parfois    il   fallait   la   doubler,    dans    le    sens 

(M  Bakrî,  op.  cit.,  562;  Balâdorl,  Fotoûh,  10-11;  Ibn  Mâgâ,  Sonan,  II,  50. 
Yâqoût,  E.  m,  303:  tU^I  jJ^  *U  ;  variétés  d'arrosage  à  Médine  ;  Yahiâ  ibn  Adam, 
Harâg,  69-73,  86,  8-12  ;  eau  courante,  Yahiâ,  op,  cit.,  78,  1  ;  S^.  canal  d'eau  cou- 
rante; Ibn  Dbraid,  Istiqâq,  28  ;  Bakrî,  op.  cit.,  654.  tl<-*^l  (_r«i-^  employé  comme  synon. 
de  ,Jj«XJ1  Lsiù«>,  eau  du  sous-sol  ;  Yahiâ,  op.  cit.,  84,  3. 

('-)  On  y  jettait  les  ordures  ;  voir  dans  les  Sahth  les  Kitâb  al-wodou'  ;  .Moslim, 
Sahîh-,  I,  124  ;  Bohârî,  Sahîh  (K.),  I,  72  ;  parfois  aussi  les  cadavres,  comme  après 
Badr  ;  A.  Ta.mmâm,  Hamâsa,   E.   I,  188. 

y')  Ibn  Sikkït,  op.  cit.,  559,  2. 

(*)  Au  moyen  de  seaux;  Yahiâ,  op.  cit.,  78,   80,  81,  82. 

(5)  i^Uo  ,  tJl^  ;  Yâqoût,  W.  m,  146,  16;  cf.  Fraenkel,  Aram.  Fremdwôrter,  134. 

(6)  Yâqoût,   E.   III,    11,    16. 

C)  Cf.   Fàtima,  57  ;   Ibn  Mâgâ,  .Sonan,   E.   II,   45, 

(«)  yaiJl  ou  tLiyi  i^Ji;  Yâqoût,  E.  II,  247,  2;  286;  Hamdânî,  Gazïra.  128, 
18  :  elioJl  ^y>,^,  Ibn  Batoûta,   Voyages,   I,  335,  yiill  is-wo  ;  cf.   I.  Gobair,    Travels^, 


46  Profondeur  des  puits 

de  la  longueur  (').  Enfin  certains  puits,  aux  parois  formées  par  la 
roche  vive,  contenaient  des  eaux  tellement  profondes  (|u'on  devait 
renoncer  à  s'en  servir  pour  l'arrosaj^e  (*).  Heureusement  quantité 
d'arbres  se  contentaient  de  l'humidité,  puisée  dans  le  sous-sol,  où 
leurs  racines  allaient  la  chercher  parfois  jusqu'à  30  mètres  de  profon- 
deur :  ainsi  font  les  tamaris  et  les  acacias  (^).  Ce  sont  les  cultures 
h(il  (^)  ;  certaines  céréales  entraient  dans  la  même  catégorie  (")  et 
faisaient  preuve  d'une  égale  endurance. 


188  ;  Yâqoût,  E.  V,  36,  2  ;  eaux  dont  le  sLi .  est  à  20  ou  même  80'  iuls  ;  Yâqoût, 
E.  V,  84,  4;  247,  4;  Hotai'a,  Divan,  III,  15:  sLïcJI  ■f^i\  puits  communiquants 
jiJlJI  A^,  JI  ;  Bakrï,  op.  cit.,  743,  7,  d.  I. 

(1)  ,J^^,  ^1  ^:>h^i-i->  ^i»- •;....<  ;  Yâqoût,   E.   IV,   19,   12. 

(-')  J'interprète  de  la  sorte  Yâqoût,  E.  IV,  195,2;  ^i^^^S^"^  ^^i\-oJl  J  ^y^  ^  ; 
L^gj  ^jjiiX-Li  i-i-^':^  tjl  ^ii^  o''  P'i'ts  inépuisables  et  peu  profonds  ;  Wùstenfeld,  Ge- 
Met  von  Mcdiiia,  24. 

(3)  Cf.  Walther,  ot>.  cit.,  48.  De  Al-Hâg,  Al-Hagi  Maurorum,  Aboû  Hanifa  as- 
sure que  Ij^-oo  uaJ-/*  ^)"^I  (3  *^if-  ^-^*-*J  ;  Lisâu  al-'Arab,  III,  70;  Tag'Aroûs, 
II,  26. 

(^)  Cf.  Yazld,  330,  n.  2  :  Aboû  'Obaid,  Garîb,  (ms.  Kuprulu,  Constantinople) 
192*,  f^Ji^^   ^  ,^  3'if^.  '^~>r^.  \3^'^  J-*-^"  ;   Yahiâ,  op.  cit.,   80,  81,  84,  86. 

(•^)  Yâqoût,  E.  IV,  195,  1  :  ,^J.ll  «*^  ^yLaJ\  »\À»I  ^v»!—'.*  t\Ss.\  ^^*^) 
jJl*woM  ;  dépressions  conservant  l'humidité  ;  ibid.,  E.  111,  397  :  i\i\  L5■ï.^?.  ^^})  o^ 
llUSll»  ^^■^\  y=\io  yb^   y^^\    C~^-y^.   Ur^^    ^i^'    (J>^    '-^o^^-    Comp.    Ibn    Halâwaih, 

Sagar,  XXI,  5  :  »lr^il  t.».^  c,  iU  ji  t-^  '^^  «-wJl  ;  «  habrâ'  »,  nom  donné  aux  bou- 
quets de  sidr. 


V 


La  fête  de  la  nature.  Cueillette  de  truffes. 
Flore  du  Ijli^az.  Sources  et  puits;    classification 


Revenons  à  des  tableaux  plus  riants.  Nous  sommes  au  début  de 
l'hiver.  Après  quelques  semaines  d'attente  anxieuse,  de  luttes,  de 
passes  incertaines,  de  sautes  de  vent  entre  le  Nord  et  le  Midi  chargé 
d'humidité,  la  pluie  est  tombée  abondante.  C'est  le  saiL  la  trombe 
d'eau,  dévalant  des  hauteurs.  «  Bientôt  les  flots  ont  atteint  le  sommet 
des  tertres  dans  la  plaine  et  rempli  les  vallées.  Dix  jours  après,  la 
steppe  se  voit  métamorphosée  en  un  jardin  saturé  d'eau  »  (').  Ainsi 
s'exprime  l'enthousiasme  du  nomade,  au  sortir  de  la  fournaise  de 
l'été  arabe.  .Son  œil  embrasé  triple  spontanément  les  dimensions  des 
objets.  Il  demeure  vrai  pourtant  qu'à  ce  moment  les  mornes  solitudes 
du  Higâz  étalent  toutes  leurs  séductions.  Même  en  Arabie  la  nature 
sait  se  montrer  coquette,  coquetterie  austère  sans  doute,  mais  non 
sans  grâce.  Une  guirlande  de  verdure,  c]uelques  brins  d'herbes  lui 
suffisent  pour  se  faire  valoir. 

Ainsi  qu'une  bergère,   au  plus  beau  jour  de  fête, 

De  superbes  rubis  ne  charge  point  sa  tête 

Et  sans  mêler  à  l'or  l'éclat  des  diamants 

Cueille  en  un  champ  voisin  ses  plus  beaux  ornements. 


(')  |_^J'-o  iLi«>  l^jjLil,  i_s^^  \  yLs.  '^1  UJuJ  Ui;  Ibn  Doraid,5Y/Vî/  as-Sahab,  36. 


48  La  fête  du  printemps 

Vivifié  par  les  ondées  hivernales,  «  un  tapis  verdo}ant  recouvre 
les  cailloux  de  la  steppe  »  (').  Végétation  peu  variée,  il  est  vrai,  mais 
contrastant  agréablement  avec  la  désolation  précédente.  C'est  le  rabï' : 
il  suit  le  retour  des  premières  pluies  et  de  la  fraîcheur.  Période  ra- 
vissante pour  le  nomade  et  son  alter  ego  le  chameau  !  La  solitude 
fourmille  d'hommes  et  de  bêtes  (■),  attirés  par  cette  fête  de  la  natu- 
re. Les  terribles  écumeurs  du  désert,  les  losofis,  les  saiàtîn  al-Arad, 
les  fâtik,  les  hait,  aventuriers  désavoués  par  leurs  tribus,  mis  au 
ban  de  cette  patriarcale  société,  tous  les  chevaliers-brigands,  tous  les 
outlaws  de  la  solitude,  vivant  de  rapines  et  de  razzias,  se  sentent 
entraînés  dans  le  mouvement  général  ramenant  à  la  vie  pastorale. 
Pour  quelques  semaines  ils  échangent  la  lance  de  la  razzia  contre  la 
houlette  du  berger.  Arcades  omnes!  Le  démon  —  c'était  leur  nom  (^) 
^j^LUi)  U>y«J  lyt?  —  se  faisait  pasteur.  C'est  un  court  intermède  dans 
la  vie  agitée,  dans  les  luttes  de  la  Péninsule,  un  pendant  à  la  trêve 
des  mois  sacrés,  mieux  respectée  parce  que  plus  impérieuse  et  im- 
posée par  les  nécessités  de  l'existence  matérielle.  Pour  quelques  se- 
maines le  Bédouin  échappe  à  l'angoissante  préoccupation  de  mourir 
d'inanition  sous  le  ciel  inclément  de  sa  patrie  {*).  Pendant  les  dernières 
semaines  de  l'été,  la  misère  l'a  parfois  forcé  de  se  nourrir  de  feuilles 
et  de  baies,  des  fruits  du  domii  ou  palmier  sauvage,  de  s'attacher 
une  pierre  sur  l'abdomen,  pour  comprimer  les  douloureux  spasmes 
de  la  faim  (■'). 

Les  puits,  les  réservoirs  sont  pleins  à  déborder  ;  le  lait  et  le 
beurre  coulent  à  flots  ;  les  petits  Bédouins  prennent  du  ventre  et 
s'arrondissent  dans  tous  les  sens  ;  leurs  formes  sphériques  rappellent 

(')  Ibn  Doraid,  op.  cit.,  30,  bas.  D'après  Rou'bat  al-'Aggag,  le  processus  de  la 
végétation  serait  plus  lent  :  «  un  mois  de  pluie,  un  mois  de  germination,  un  troisième 
de  pâturage,  un  mois  pour  la  propagation  des  espèces  »  ;  cf.  AsmaT,  Kitâb  an-nabàt, 
1073,  5-8.  Comp.  les  descriptions  des  rowivàd,  réunies  par  Gâhiz,  Bayân,  I,  205  sqq. 
Le  rabV  fait  pousser  le  iJJb,  fourrage  ;  Hotai'a,  Divan,  XII,   14. 

(2)  Ag-.,  VIII,  71,  AjI^  ^  'L.y  1^"  cXi  iJLiiJi  pUxi  J^l. 

(3)  Yâqoût,  K.   I,   148,  3  d.  1. 

(*)  ç^yi  =.131  ^UJJ  àU^U.  Jsb^;  Bakri,  op.  cit.,   363,  2  ;   Ag.,  X,  7. 

(■')  Comme  on  le  raconte  du  Prophète  et  des  Sahâbîs  ;  Ibn  Mâgâ,  Sonan,  E.  II, 
278,  3  d.  1.;  280,  3;  Gâhiz,  Avares,  240,   12  sqq.  ;  241,  2  sqq.,  cf.  Fâiima,  43. 


Truffes  et  artichauts  49 

le  caniche  ('),  gorgé  du  lait  maternel  (■).  En  consignant  ces  traits,  je 
me  contente  de  résumer  les  descriptions  lyriques  des  Bédouins,  tout 
en  renonçant  à  rendre  le  pittoresque  de  leur  langue  savoureuse  mais 
réaliste. 

Pendant  toute  la  durée  du  rabi',  «  on  peut  éteindre  le  feu  et  en- 
terrer le  couteau  »  (^).  Plus  besoin  de  sacrifier  les  plus  belles  bêtes 
du  troupeau,  pour  mettre  leur  chair  dans  la  marmite.  A  son  maigre 
ordinaire.  l'Arabe  ajoutera  maintenant  une  abondante  cueillette  de 
truttes.  d'artichauts  sauvages  et  d'autres  plantes  spontanées.  Saturé 
d'humidité,  le  sol  de  la  steppe  boursoufflée  montre  partout  les  extré- 
mités des  truftes.  11  n'3-  avait  qu'à  se  baisser  pour  les  ramasser,  ou 
les  déterrer  avec  l'extrémité  du  bâton.  Aussi  disait-on  d'une  tribu 
peu  considérée. 

«  Ils  rappellent  des  têtes  de  tmftes.  Le  premier-venu  les  fait 
sortir  à  coups  de  bâton  » 

Gorgés  d'herbes,  de  plantes  grasses  et  débordantes  de  sève,  les 
chameaux  n'ont  plus  besoin  d'être  menés  à  l'abreuvoir,  parfois  à  de 
grandes  distances  {').  Au  bout  de  quelques  semaines  de  ce  régime, 
«  leur  bosse  s'enfle  au  point  de  combler  l'intervalle  des  épaules  à 
la  queue;  chez  d'autres  les  deux  dimensions,  la  longueur  et  la  lar- 
geur se    confondent    pour  ainsi    parler,  tellement  le  ventre   est  gon- 

(»)    Gâhiz,    Haiauân,    II,    62  :     »l^l  ,^^  ...i_-ijl  V^  ^J^\  ol«<^'  O-^  '^^ 

(2)  Gâhiz,  Haiawàn,  II,  62  •  t^  ,^,^»>>^\  ^:X-j1  ^  i^y-^^^  Zs^  C^'^i  Cr^'**~* 
wOli';  cf.  notre  Bâdia,  99  ;  Gahiz,  Bayàn,  I,  205  sqq.  £^1,  avoir  beaucoup  de  lait, 
Aboû  Tammâm,  Hamàsa,  E.  II,  9. 

(3)  .UJ\  J-iitl^  ^U-LJl  >1UÇ^;  Ibn  Doraid,  Sahàb,  37  ;  Gâhiz,  Bayân,  I,  208,  6. 
(*)  Pulicaria  undilata:  L.  'A.,  XIII,  280;    Tâg'Aroûs,  VII,  334;  cf.  Tâg'Aroûs, 

I,  262  :  plantes  toujours  vertes  au  fort  de  l'été  ;  Hamdânî,  Gazîra,  156,  20  ;  ,_àl;j«a/c, 
fourrage  d'été  ;  Ibn  Halâwaih,  Sagar,  X,  15  ;  XI,  4  ;  ibid.,  XII,  flore  herbacée,  spé- 
ciale aux  sables. 

(S)  Voir  les  références  dans  notre  Bâdia,  99-100;  Naqâ'id  Gartr,  13.  Ibn  Maga, 
Soiian,   E.   II,   179. 

Lammcns  —  Berceau  4 


50  Les  chameaux  s'engraissent 

flé  »  (')•  Il  faudrait  multiplier  les  citations  (')  et  dans  la  langue  ori- 
ginale. Nous  comprendrions  peut-être  alors  l'attendrissement  de  ce 
spectacle  non  seulement  pour  le  Bédouin,  mais  pour  les  hommes 
d'état  de  la  d3'nastie  oma3'3fade.  Haggâg,  le  puissant  vice-roi  de  l'O- 
rient, se  fait  amener  les  chameaux  prodiges;  il  les  contemple  avec 
stupeur  et  finalement  commande  de  les  égorger,  afin  de  pouvoir 
comparer  la  valeur  des  chairs  et  des  graisses  obtenues  (^).  En  faut-il 
davantage  pour  montrer  combien  après  un  siècle  de  conquêtes,  de 
domination  sur  les  plus  belles  contrées  du  monde  antique,  toute  cette 
société  était  demeurée  profondément  bédouine.  Chassez  le  nahirel.  il 
revient  au  galop.  Les  charmes  de  la  verdo\-ante  Damascène  se  mon- 
trèrent impuissants  pour  retenir  les  califes.  A  l'approche  du  rahï\ 
toute  la  cour  émigrait  au  désert  pour  y  jouir  des  douceurs  de  la 
bàdia;  c'était  le  nom  donné  à  cette  villégiature  d'un  nouveau  genre  (^). 
Les  pâturages  les  plus  estimés  seraient  ceux  «  situés  loin  des 
eaux  .  Ils  ne  sont  fréquentés  ni  par  les  moutons  ni  par  les  ânes,  ni 
empestés  par  leurs  crottins  :    autant  de  voisinages    déplaisants    pour 


(')  Bakri  op.  cit.,  280,  bas  : 
fi  j 

Uj»io  Ji»  ^v<  U^jt  5  ^-M»  !$»■'->**■'.•  Sur  les  plantes  et  arbustes,  trahissant  le  voisinage 

des  truffes,  cf.  Asma'i,  Kitâb  an-Nabâl  (éd.  Haffner)  513,  3-5.  Autre  plante  spontanée, 
le  semh,  une  céréale;  A.  Musil,  Arabia  Peiraea,  III,  152;  comp.  Maqdisî,  Géogr.,  252, 
il  pousse  près  des  gadïr.  Le  iJÎ-3  correspond,  semble-t-il  (Musil  affirme,  p.  6,  Im  nôrdl. 
Hegâz),  au  semh.  Nombreuses  variétés  de  tniffes  ;  Nagaid  Garlr,  152,  4-15. 

('-)  Comp.  A.  Musil,  Arabia  Peiraea,  III,  6  etc.  «  Ramasser  comme  on  ramasse 
des  truffes  »  disait-on  en  terme  de  mépris;  à  cause  de  l'intervention  du  bâton  et  vrai- 
semblablement encore  de  leur  fréquence  ;  Nagaid  Garîr,  582,  17.  Sur  le  C^  (Panicnm 
miliaceum)  et  autres  céréales  spontanées  du  désert,  remplaçant  le  pain  ;  cf.  Ibn  Ha- 
lâwaih,  Sagar,  XI,  5,  6  ;  XIV,  haut  ;  et  les  notes  de  l'éditeur  Nagelberg,  n.n.  59,  60, 
86,  87,  176,  243.  Le  t3i  était  un   aliment   de   famine  :  i_jjJll  j3  Jîji-?,:  c'était  »j*a. 

iJi-Ji  ou  encore  ^>  .  si  J^  yn^  O^^s-^»'  li  V-''/"^'  «J^b,  L.  'A.,  II,  481  ;  Tag 
'Aroiis,  I,  639.  Aussi  n'était-il  pas  admis  d'en  faire  l'objet  d'une  invitation  ;  Gâhiz, 
Avares,  236,  6;  Yàqoflt,  V,  433-434. 

(3)  Bakri,  op.  cit.,  282.  Comp.  la  réflexion,  conservée  par  Gâhiz,  Bayân,  I,  108, 
4  d.  1.  sur  l'intelligence  de  Haggâg,  «  dépassant  sensiblement  celle  du  commun  des 
mortels,  |_^UJ1  J^i*  ^  ff^^  *' 

(*)  Cf.  Bâdia,  100,  etc. 


L'Arabe  et  le  chameau  51 

les  g^oûts  aristocratiques  du  chameau  (').  C'est  du  moins  l'explica- 
tion donnée  par  les  Bédouins.  Peritis  m  arte  credefidum  est  !  (-). 

L'Arabe,  au  dire  de  Sprenger  (^),  serait  le  parasite  du  chameau. 
A  la  rig-ueur  on  peut  concevoir  la  Péninsule  sans  Arabes,  mais  non 
pas  sans  chameaux.  Quand  le  chameau  était  repu,  toute  l'Arabie 
cessait  d'avoir  faim.  Il  est  le  nourricier  des  nomades,  leur  véhicule, 
leur  objet  d'échange  dans  les  transactions  commerciales  (*).  Son  lait, 
sa  chair,  ses  poils  leur  fournissent  le  \i\re,  et  jusqu'à  un  certain 
point  le  couvert  (^).  Si  la  plus  noble  conquête  de  l'homme  fut  le 
cheval,  la  plus  utile  pour  les  Arabes  fut  le  chameau. 

Quelle  tendresse  dans  le  regard  du  Bédouin,  quand  à  la  fin  d'une 
belle  journée  de  printemps  il  contemple  l'ombre  de  son  troupeau, 
s'allongeant  dans  la  steppe  sans  limites  : 

Un  à  un  les  chameaux  se  sont  agenouillés 
Lèvre  pendante,  l'œil  dédaigneux,  panse  pleine  ! 
Le  couchant  resplendit  !  L'espace  est  sans  haleine, 
L'or  vespéral  revêt  les  objets  familiers  (^) 

Aucune  fête  n'est  éternelle  :  celle  du  rabV  finissait  avec  les  pre- 
mières chaleurs  de  l'été.  La  table  du  festin  était  enlevée  avec  non 
moins    d'instantanéité    <]ue    la    nature   n'en    avait  mise  à  la    dresser. 

(')  Yâqoût,  E.   m,  271,  2-4. 

(')  Ou  peut  ajouter  sans  doute  la  présence  des  mouches,  redoutées  par  les  cha- 
meaux, surtout  près  de  fourrés  épais  ;  Naqaid  Garîr,  636,  3  v.  La  mouche  bleue 
était  la  terreur  du  cavalier  ;  Aboû  Tammâm,  Hamâsa,  E.  I,  203,  2  v. 

(3)  ZDMG,  XLV,  361. 

(■■)  La  monnaie  de  compte  pour  le  rachat  des  prisonniers,  le  prix  du  sang,  le 
douaire;  conip.  :  U^sl^x-^  jUô.  Cf.  A.  Musil,  Arabia  Pelraea,  III,  254,  et  la  re- 
marque de  Gâhiz,  Avares,  233-34  sur  le  changement  de  signification  dans  ^_s1j^-o  kL^' 
Les  cultivateurs  de  palmiers  payaient  en  dattes  le  3l>J*-o  ;  Gâhiz,  toc.  cit.  D'après. 
Qotaiba,  'Oyoûn,  461,  7,  la  célèbre  Zarqâ'  aurait  été  une  chamelle.  Encore  une  lé- 
gende qui  s'en  va  ! 

(^)  Cuir  du  chameau,  ses  usages  ;  Jaussen,  Pays  de  Moab,  275-76  ;  anciennement 
les  liens  étaient  exclusivement  en  cuir;  Guidi,  Sede  priniitiva,  580-8L  Utilité  du  cha- 
meau ;  Aboû  Tammâm,  Hamasa,  E.  I,   127  ;  Ag.,   III,  5,  1.   10. 

(^)  Alf.  Droin,  Le  chant  du  Mogreb. 


52  La  flore  arabk|iie 

Voyons  comment  cet  animal  providentiel  s'arrangeait  alors  pour  vi- 
vre au  milieu  des  steppes  rasées  du  Higâz.  Steppes,  avons-nous  dit, 
et  non  pas  désert.  C'est  à  la  première  catégorie  de  terres  qu'appar- 
tiennent en  majeure  partie  les  districts  de  l'Arabie  occidentale. 

D'après  M.  Ewald  Banse,  «  la  steppe  suppose  une  longue  période 
de  sécheresse,  assez  persistante  pour  empêcher  des  arbres  aussi  so- 
bres que  les  pins  et  les  fourrés  de  chênes  d"}'  résister.  Par  ailleurs 
la  période  de  pluie  ne  doit  pas  faire  défaut,  (iuoi(iue  très  courte, 
mais  durer  suffisamment  pour  permettre  aux  radicelles  des  plantes 
assoiffées  d'absorber  la  quantité  convenable  d'humidité,  et  d'accomplir 
en  quelques  semaines  les  fonctions  de  la  propagation.  La  brièveté 
de  la  période  de  végétation  et  la  faculté  de  supporter  une  séche- 
resse prolongée  sont  donc  les  conditions  de  la  flore  des  steppes  »  ('). 
Comment  ces  conditions  se  réalisent  dans  la  Péninsule,  nous  le  savons 
maintenant.  Voyons  à  quelles  variétés  de  la  flore  elles  s'apiiliquent, 
quelles  ressources  offre  en  dehors  du  rabt  le  règne  végétal  au  Higâz. 

Nos  renseignements  demeureront  forcément  vagues  et  généraux. 

Sur  le  chapitre  de  la  flore  arabique,  les  érudits  musulmans  se 
montrent  aussi  diffus  que  peu  précis.  C'étaient  trop  souvent  des  phi- 
lologues citadins  (^),  étrangers  à  la  vie  du  désert,  plus  soucieux  d'al- 
longer leurs  collections  lexicographiques,  leurs  listes  de  gai'lb  ou  ex- 
pressions rares,  que  d'en  établir  la  valeur  exacte  (^).  Ajoutez  que 
l'étude  scientifique  des  plantes  du  désert  est  à  peine  commencée  ; 
enfin  que,  pour  comble  de  malheur,  je  ne  suis  pas  botaniste.  Que  ne 
puis-je  me  rassurer  en  répétant  avec  nos  écrivains  islamites  :  Allah 
suppléera  ^^LaJU^I  dàil  ! 


(')  op.  sup.  cil.,  29-30.  Voir  plus  loin  les  détails  sur  la  flore  des  sables,  des  har- 
ras  et  des  sabaha. 

(2)  Souvent  leur  érudition  est  exclusivement  livresque.  Ainsi  ils  citent  comme  re- 
doutable entre  tous  «  le  loup  [des  fourrés]  de  fadâ  »,  parce  que  les  poètes  aiment  à 
mentionner  le  UààJI  -A^^;  Tarafa  (Ahlw.),  57,  4  d.  1.,  Gâhiz,  Bayân,  I,  207,  16.  Rien 
n'oblige  à  admettre  la  réalité  de  leurs  longs  séjours  au  désert  avec  le  dessein  de  se 
documenter  sur  place.  Ils  sont  à  peine  renseignés  sur  les  villes  saintes.  De  là  ces  no- 
tations désespérantes  :  «  lieu  dans  ou  près  »  la  Mecque  et  Médine  ! 

(■■')  On  trouve  toutefois  un  embrj-on  de  description  dans  le  pseudo-Ibn  Halâwaih, 
Kitab  as-Sagar,  très  utile  publication  éditée  par  Sam.  Nagelberg. 


Traités  sur  la  flore  53 

Dans  son  traité  «  des  plantes  et  des  arbres  »  ('),  le  grammairien 
Asma'i  a  dressé  le  catalogue  des  plantes  du  Higâz.  Sa  liste  se  borne 
à  une  douzaine  de  noms.  Il  faut,  cro}ons-nous,  la  compléter  au  moyen 
des  renseignements,  contenus  dans  le  même  travail  sur  la  flore  gé- 
nérale de  la  Péninsule.  L'auteur  a  sans  doute  voulu  désigner  un 
nombre  restreint  de  plantes  spéciales  au  Higâz,  ou  mentionnées  par 
les  poètes  de  cette  province  (^).  Un  autre  catalogue  dressé  par  le 
géographe  sud-arabe  Hamdânî  (^)  comprend  une  riche  variété  de 
plantes,  toutes  extrêmement  vivaces,  comme  il  convient  à  la  flore 
des  steppes. 

Beaucoup  plus  complet  et  même  plus  précis  se  montre  le  Kitàb 
as-Sagar,  attribué  à  Ibn  Halâwaih.  Il  comprend  une  respectable  série 
d'arbres  et  de  plantes,  propres  au  Higâz  (■■).  Ce  travail  corrige  heu- 
reusement notre  impression  première  sur  la  pauvreté  de  la  végéta- 
tion higâzienne.  Non  moins  rassurants  apparaissent  ses  renseigne- 
ments sur  la  flore,  spéciale  aux  districts  sablonneux  (^).  C'est  plaisir 
de  l'entendre  affirmer,  à  propos  des  variétés,  décrites  par  lui,  qu'elles 
s'accommodent  des  terrains  les  plus  ingrats,  qu'elles  s'épanouissent 
dans  le  sable  à  1  exception  du  J-<jJI  js- .  à  savoir,  le  sable  pur, 
sans  aucun  mélange  d'argile.  Il  entend  désigner  les  couches  sablon- 
neuses, trop  profondes  pour  retenir  des  traces  d'humidité.  Non  seule- 
ment le  sable  n'arrive  pas  à  étouffer  ces  espèces,  mais  certaines, 
nommons  les  J^^  (^),  résistent  aux  sécheresses  les    plus  prolongées. 

(')  jp-^\^  Cj^-JI  c-J*^^.  éd.  Aug.  Haffner  dans  Makriq,  I,  877-78. 

(-)  Et  pour  cette  raison  attribuées  au  Higâz.  C'est  le  procédé  des  encyclopédistes, 
Bakrî,  Yâqoût,  pour  les  toponj-mes,  mentionnés  par  les  poètes.  Ils  les  rattachent  gé- 
néralement au  territoire  de  leurs  tribus. 

(3)  Gazira,   156-57. 

['■)  Voir  p.  I,  II,  III,  4,  6,  11,  12.  A  la  p.  XVIII,  11  :  ^^1=^1^  sjLa^l  Lfil-Lî, 
où  ïj'^  doit  signifier  :  régions  montagneuses,  rappellant  le  Higâz.  Cette  forme  n'est 
pas  enregistrée,  à  ma  connaissance,  par  les  le.xiques.  A  quelles  plantes  on  reconnaît 
le  Higâz  ;  Ibn  al-Faqîh,   Géogr.  27,  4. 

('    i^s^  I  arbre  des  sables  ;  Hotai'a,  Divan,  X  ;  Ibn  Halâwaih,  Sagar,  XXI,  11. 

(*)  Asmal,  Nabât,  1041  d.  1.  Rapprochez  :  .U  U  ^J-o  .LTyL^I  ^^  et  ys3.*iJl  J-T^, 
Ï^JJâS\  ^j;  Ibn  Halâwaih,  Sagar,  XXIV,  11,  12.  Safaryya,  période  du  mois  de 
Safar  ;  J-?  j>  s'épanouir  comme  les  J^  ^■ 


54  Le  fourrage  «  al-hamd  » 

Elles  verdoient,  «  (luand  le  sol  s'est  durci  »  sous  l'action  du  soleil, 
j».VI  ,_y~^L<  ojo  VI  v^uj.-^.  >^y  tU-iJI  <io,^  wv^^  131  _,  même  avant  la  chute 
des  premières  pluies.  «  La  moindre  odeur  de  l'hiver  suffit  pour  les 
ranimer  »  : 

Ce  stniggle  for  life  est  merveilleux  chez  ces  humbles  représen- 
tants de  la  vie  végétale.  En  dehors  de  la  robustesse,  une  de  leurs 
particularités,  c'est  de  comprendre  une  catégorie  de  lianes  aux 
longues  ramifications,  rampant  sur  le  sol  ('),  de  plantes  basses  sur 
tige,  généralement  d'un  goût  amer  et  salé  :  collection  variée  d'absin- 
thes désertiques,  de  végétaux  acides  et  fortement  aromatisés,  tous 
extrêmemeut  juteux  et  non  moins  appréciés  des  chameaux  (^).  Ils 
rendent  le  lait  abondant,  savoureux  et  riche  en  éléments  nutritifs.  On 
comprendra  donc  les  notations  fréquentes  dans  les  grands  lexiques 
et  les  recueils  spéciaux,  à  la  suite  du  nom  des  plantes  :  J^"iil(i  ç^'-'  ; 
elles  engraissent  et  font  prospérer  les  bêtes,   JLAI  (j  Aj«a^U  ^s^\  iiL^ 

ou  encore  :  «  avidemment  broutées  par  les  chameaux  *^  ^^y^  J-?^'  ' 
Tous  ces  fourrages  piquants  de  haut  goût,  on  les  range  sous 
le  nom  générique  de  Ja^-  Le  hmnd  comprend  les  espèces  à  la 
saveur  saline  ou  amère  ;  plantes  et  arbustes,  assez  vigoureux  pour 
résister  aux  ardeurs  de  l'été.  Ce  genre  exclut  seulement  les  arbres 
proprement  dits  (").  Si  le  régime  du  hamd  favorise  la  production  du 
lait,  on  ne  saurait  en  prolonger  la  durée,  sans  compromettre  le 
développement  normal  du  troupeau.  Cette  nourriture  échauffante  et 

(!)  Ibn  Halâwaih,  Sagar,  XIII,  d.  1.  ;  XVI,  11  ;  XVII,  7  etc.  ;  Tâg  'Aroûs.  I. 
222,  434;  YâqoSt,  E.  III,  30,  bas;  plantes  amères,  ,1,-0^11  ^^..«  ;  Ibn  Halâwaih,  o^. 
cit..  XII. 

(2)  Hamdânî,  Gaztra,  157,  ;  Asmal,  Nabât,  877.  Aucun  n'avait  la  réputa- 
tion du  sa'dân.  On  disait  :  ^\,XsuLi\  V^  i^r-^  '•  ^^■'  ^'  ^^^  '<  ^^^  Sikkît,  Tahdib,  557  , 
Asmal,  Nabât,  551  ;  Yàqout,  E.  III,  279.  Ses  effets  sur  le  lait;  Nagâ'id  Garîr,  208, 
13.  «  Le  sirât  (pont  de  l'enfer)  est  armé  de  pointes,  rappelant  celles  du  sa'dân.  à-^ 
^^,l>>j«-vJl  CL..c=i/ iiU4.,rk.  »  ;  Aboû  Yoûsof,  Haràg,  5,  1.  9.  Voir  notre  remarque  sur  le 
palais  cuirassé  du  chameau  ! 

(3)  »Uij«JI    ■"  ■'■•■11,  Asmal,  op.  cit.,  751  ;  même  remarque  pour  la  liolla,  comprenant 

plantes  et  arbustes.  Comp.  pourtant  à  propos  du  JjI,  tamarisc,    Jj'i'l  Ur?  Jfi-^^^  -^ 
il^i  jJ:  \  IM  ;  L.  'A.,  XI,  124;    Tâg' Aroûs,  VI,  177.  Toutefois  d'après  Ibn  Halâwaih, 

op.  cit.,   XXV  :    l!k  JXJU  J-^'>5  ^  7?^-^''  *-J^I- 


La  «  hoUa  »  .  55 

trop  forte  gonfle  démesurément  le  ventre  et  la  croupe  des  bêtes  ('). 
La  diarée  (^)  guette  le  chameau  gourmand  ;  les  sucs  acides  et  cor- 
rosifs du  hamd  lui  font  peler  les  lèvres,  Jj'Sil  jiLiw*  <*X1  ^  ^j:Xa3  (^). 
Aussi  l'instinct  l'amènc-t-il  à  varier  son  menu,  à  mêler  le  hamd  à  la 
holla,  'LXJ^-  Cette  dernière  famille  est  constituée  par  des  plantes  plus 
douces,  offrant  un  aliment  moins  épicé:  ^j.^  ^  is'^'iU.  ^  c^'é  U  (^). 
«  Le  hamd,  disent  les  Arabes,  c'est  la  viande  ou  le  condiment,  mais 
la  holla,  c'est  le  pain  pour  les  chameaux  ».  Cette  considération  les 
console  de  la  diminution  momentanée  du  lait,  qu'ils  attribuent  à  ce 
dernier  fourrage.  *  La  holla,  assurent-ils  encore,  donne  des  jambes 
au  lièvre  »  (^)  ;  ce  mammifère  ne  pouvant  s'accommoder  des  nour- 
ritures fortes,  préférées  par  les  chameaux. 

(')  Asmal,  op.  cit.,  751  ;  Hamdâni,  Gazlra,  157  ;  Yâqoût,  E,  IV,  247,  Vallée 
Lf.-!^  -XT;  Bakrî,  op.  cit.,  728,  2.  d.  !. 

(2)  JjVI  fSZS  CJ^  ;  mention  fréquente.  Voir  plus  loin  la  remarque  de  Musil 
sur  le  gadâ. 

(•■•)  L.  'A.,  Vil,   13  ;    Tàg  'Aroûs.   111,  538. 

(■•)  Asmal,  Nabât,  752  ;  Hamdânî,  op.  cit..  157.  L'usage  prolongé  de  la  holla 
fait  maigrir;    Ibn  Halâwaih,  Sagar,  XXV:    L-âisrv.»^'  ^  ^<H^  J=^l  ^1  C:.JjoLI  \'>\ 

(*)  Ibn  -Sikkît,  Ta/idit).  556;  So' arà'  {Cheikho)  910,  5  v.  ;  Asmal,  Nabàt,  751.  Le 
mélange  de  hamd  et  de  jiolla  ne  s'impose  pas  au  rabî',  quand  abonde  le  fourrage  frais  ; 
JJîJ  J>Lc  J^\>,  J^'  J,l  c_>li3l  j3  cJy^  lil^fjJÎ  JoMI  3-:J:^  Ibn  Halâwaih, 
Sagar,  XXV.    ,_).Xà.l   =  être  au  régime  de  la  ho/ta. 


VI 
Pâturages  et  flore.  Les  «  nefoûd  >.  Territoires  réservés 


En  Arabie  on  éprouve  seulement  l'embarras  du  choix,  pour 
découvrir  des  espaces  improductifs  et  d'une  complète  stérilité  ('). 
Chez  les  topographes  rien  de  plus  ordinaire  que  les  remarques  : 
«  plaine  désolée  sans  végétation;  canton  sablonneux,  où  rien  ne 
pousse  »  C).  Ces  descriptions  conviennent  surtout  aux  sables  mouvants 
et  profonds,  où  disparaît  non  seulement  le  pied  du  passant,  mais 
où,  malgré  sa  large  pantoufle  spongieuse,  le  vaisseau  du  désert 
lui-même  risque  de  s'enliser  (^). 

C'est  le  lieu  de  rappeler  les  Nefoûd  (*),  rangées  de  dunes  blan- 
ches ou  rougeâtres,  couvrant  des  centaines  de  kilomètres  et  atteignant 
parfois  50  mètres  de  hauteur  (^).  En  été  ces  mornes  étendues,  d'où 
toute  vie  semble  s'être  retirée,  font  la  terreur   des   voyageurs.  Mais 


(»)  iS-Ji  CU.*XJM  ;  Bakrî,  op.  cit.,  246,  6  ;  Ibn  Batoûta,  Voyages,  I,  296,  d.  I.  ;  297, 
1.  Près  de  .Médine,  montagne  «complètement  stérile  et  sans  eau  »;  Yâqoût,  E.  V, 
332  ;  337,  355  ;  YI.  43. 

(2)  Bakri,  op.  cit.,  237  :  L3^  CXUjV)  sb  li  <aJJ^;  Yâqoût,  E.  IV,  293.  4  d.  1. 
L-S.<.«o  CU.*-oV  tU.  Sur  l'abondante  terminologie  pour  les  terrains  sablonneux,  voir 
Guidi.  Sede  primitiva,  573. 

(3)  Yâqoût,     E.     IV,     113,     5;    Hamdâni,     Gaztra,     158,     II:       Jos'^l  rw)  A-i 

(*)  Etymologie  et  orthographe  incertaines  ;    cf.  de  Goeje,  art.  Arabien  dans  En- 

syk.  d.  Islam,  1,388;  Wellhausen,  ZDMG,  XLV,  175  écrit  ne/ud,  avec  rf  ponctué  (J>). 

(^)  Cf.  la  version  italienne  d'E.  Reclus,  Nuova  geografia  universale,  IX,  894-96. 


Les  «  nefoud  »  et  la  Dahna'  57 

quand  l'hiver  a  été  humide,  ils  deviennent  —  le  croirait-on  ?  —  le 
paradis  des  pasteurs.  Les  premières  pluies  les  recouvrent  d'un  léger 
tapis  de  verdure:  une  euphorbiacée,  le  _^ad(i,  amie  des  terrains 
sablonneux  ('),  s'y  développe,  au  milieu  d'une  multitude  d'humljles 
plantes,  de  lianes  vigoureuses  et  d'herbes  fortement  aromatisées  (■), 
dont  les  teintes  olivâtres  estompent  la  violente  coloration  du  sol. 
Pendant  tout  le  rabi\  les  espaces  illimités  des  nefoûd  constituent  la 
ressource  des  tribus  environnantes,  lesquelles  s'y  réfugient  avec  leurs 
troupeaux.  C'est  comme  un  terrain  de  vaine  pâture,  préparée  par  la 
Providence,  surtout  aux  nomades  pauvres,  ou  insuffisamment  pourvus 
de  territoires  pour  la  subsistance  de  leurs  bestiaux.  Un  de  ces  mfoûd^ 
situé  à  l'extrémité  orientale  de  la  Péninsule,  est  principalement  célèbre 
chez  les  nomades.  Ils  en  parlent  comme  d'une  terre  promise.  «  Pour 
les  fils  du  désert,  comme  pour  le  chameau,  observe  .Sprenger  ('),  le 
milieu  où  ils  vont  se  retremper,  c'est  l'aride  Dahnâ',  lorsqu'au  prin- 
temps elle  étale  ses  herbes  savoureuses  et  la  parure  de  ses  fleurs  >. 
A  perte  de  vue  des  sables  et  encore  des  sables,  de  l'eau  nulle  part, 
tout  au  plus  au  fond  de  quelque  gouffre,  où  elle  devient  presque 
inaccessible.  Les  chameaux  n'en  ont  cure  pour  lors  :  les  plantes  gras- 
ses et  parfumées  du  désert  en  contiennent  des  provisions  inépuisa- 
bles. Leurs  pasteurs  possèdent  du  lait  à  discrétion,  et  devant  eux 
des  espaces,  de  l'herbe,  des  pâturages,  un  air  pur,  vivifiant,  et  sur- 
tout pas  de  fièvre  à  redouter  !  On  comprendra  donc  le  témoignage 
de  nos  auteurs  ciue  «  lorsque  la  Dahnâ'  verdoyait,  elle  attirait  tous 
les  Arabes  »  ('').  Aucun  endroit  de  la  terre,  pas  même  Damas,  «  perle 


(')  Bakri,  op.  cit.,  252,  4.  L.  'A.,  XIX,  365  ;    Tâg  'Aroûs,  X,  367. 

(■2)  E.  Reclus,  op.  cit.,  900.  Une  variété  rappelant  le  gadâ  est  le  (^jl  Ephedra 
alata ;  voir  plus  haut.  On  note  les  districts,  riches  en  gadâ:  Yâqoût,  E.  V,   167. 

(3)  ZDMG.  XLV,  361. 

(■*)  Yaqoût,  E.  IV,  115,  2  d.  1.  :  Cuf.  ^^\C^Jdy  sUjfcjJI  d^,yiaJJ.  \'>\  ;  réservoir 
d'eau  dans  la  Dahna';  Ibn  Doraid,  Isiiqàq,  146.  Refuge  des  losoûs,  qui  y  cachent 
des  outres  d'eau,  à  des  points  déterminés  ;  Ag.,  X,  72,  21  ;  82.  Leurs  poètes  disent 
facilement  :  ^"LjJb  Cj^'  \-ni\  (qorâ  =  centres  habités)  ;  Bakrî,  op.  cit.,  639,  1  ; 
grandes  collines  de  sable,  au  milieu  poussent  les  JJij,  petites  plantes  fourragères,  et 
des  arbres;  Bakrî,  664,  13.  La  Dahnâ",  située  entre  Basra  et  le  Yamâma  ;  Ibn  Doraid, 
htiqâq,  14.  L'identification  avec  le  Rob'  «/-^/î  ne  me  parait  pas  s'imposer.   «Sable» 


58  Résistance  de  la  flore 

de  l'univers  »,  n'a  été  célébré  par  leurs  poètes  avec  autant  d'enthou- 
siasme. Retenus  au  loin,  leur  plus  vif  désir  est  de  la  revoir  en- 
core !  ('). 


En  Arabie  la  végétation  arborescente  se  trouve  nécessairement 
clair-semée,  moins  pourtant  qu'on  ne  l'imagine  communément.  On  )■ 
rencontre  non  seulement  des  arbres,  mais  de  modestes  bocages. 
Quand  le  soleil  d'été  aura  brûlé  les  humbles  plantes  (°)  de  la  steppe, 
les  feuilles  et  les  baies  des  arbres,  des  buissons,  sont  destinées  à  les 
remplacer,  en  attendant  les  pluies  toujours  problématiques  de  l'hiver 
prochain.  Ces  arbres  seront  littéralement  broutés  par  les  chameaux. 
La  forme  et  la  hauteur  du  cou  de  ces  animaux  donnent  déjà  une 
indication  à  cet  égard.  Parmi  les  plus  résistantes,  ajoutons,  les  moins 
exigeantes  des  flores  mondiales,  il  faut  assurément  compter  la  flore 
arabique.  Comme  le  nomade,  comme  le  chameau,  mais  avec  plus  de 
rigueur  encore,  elle  vit  de  rair  du  temps.  Dans  les  années  de  sécheresse, 
c'est  à  l'athmosphère,  à  la  rosée  des  nuits  (")  qu'elle  emprunte  l'humi- 
dité ;  «  l'odeur  de  l'hiver  »  lui  suffit  (^).  Non  seulement  elle  vit,   mais 


de  2  jours  de  longueur  ;  Naçà'id  Gartr,  190,  5  ;  coin  boisé  dans  la  Dahnâ';  ibid.,  190, 
10-11  ;  sable  aux  arbres  serrés,  refuge  des  gazelles  ;  ibid.,  602.  1.  Section  de  la  Dahnâ', 
appartenant  aux  Taniîmites  ;  Yâqoût,  E.  V,  274  ;  383,  6  ;  eaux  et  Cj^^^*^;  arbres 
nombreux;  IV,  115,  bas;  V,   105,  106;  éloge  poétique  de  la  Dahnâ',  î'Wrf.,  \'I,  33,  10. 

(i)  Yâqout,  E.  IV,  115.  Cet  enthousiasme  cadre  mal  avec  la  désolation  du  Rob' 
al-Hali.  Cf.  Hogarth,  Pénétration  of  Arabia,  333  sqq. 

(-)  C'est  le  iJJô,  désignant  actuellement  les  légumes,  les  produits  de  la  culture 
maraîchère.  Parfois  dans  sa  détresse  le  Bédouin  était  obligé  de  le  déterrer  ^  ^Â^_ 
JXJl;   A.  Tammâm,    Hamàsa,   E,  IV,  69,   13  d.  1.;  Ag.,    XI,    153,    9-10.    Synonymie 

de  'osh  et  de  bagt,   dans   Ibn  Halâvvaih,  Sagar,   X,  7  ;  Cîl^  lii*^  iJ^  f'^  ^  i_-~-;i-» 
-»  ^         ^         «. 

{^)  Très  abondante;  A.  Musil,  Arabia  Petraea,  III,  6,  14;  Jaussen,  Moab,  254, 
La  plante  absorbe  l'humidité  par  son  duvet  abondant  et  par  les  parcelles  de  sel  hy- 
groscopique,  qui  la  recouvrent.  Comp.  Vâqoût,  VI,   152,   1. 

(■i)  tLX.iJI  ^u  ,  '^^  '^'  :   ^■O'''  P'"^   haut. 


Arbres-prairies  59 

elle  arrive  à  prospérer  dans  des  conditions  aussi  défavorables.  Parmi 
les  arbres  et  les  arbustes,  de  nombreuses  variétés  poussent,  on  l'a 
vu.  au  milieu  des  sables.  Certaines  espèces  affectionnent  même  ce 
terrain  et  y  forment  de  véritables  fourrés:  le  vocable  de  g-aina  sert 
à  les  désigner  par  opposition  à  gaida,  arbres  poussant  dans  les  bas- 
fonds  humides  (').  .\  plus  forte  raison  trouve-t-on  des  arbres  dans 
les  noires  harra,  terres  embarrassées  de  blocs  volcaniques,  mais  riches 
en  éléments  fertilisants  (").  Dans  ces  milieux  embrasés  et  désolés 
la  végétation  arborescente  conserve,  l'année  durant,  la  sobre  orne- 
mentation de  son  feuillage  et  fournit  des  gommes,  avidemment 
sucées  par  les  Bédouins  (^).  Verdure  d'ailleurs  sombre,  il  faut  en 
convenir,  et  s'harmonisant  avec  le  cadre  gris  du  pa\sage.  Cette  cir- 
constance explique  la  tendance  de  la  poésie  arabe  à  la  qualifier  de 
noire,  ou  à  la  comparer  aux  ténèbres  de  la  nuit  (^). 

Au  fort  de  l'été,  les  vents  chauds,  les  samomn  Ç"),  ont  ache\'é  de 
dessécher  les  maigres  pâturages  (^)  de  la  steppe.  Des  épines,  ramas- 
sées en  boule,  des  lianes,  aux  branches  dépouillées  et  grillées,  cou- 
vrent lamentablement  la  superficie  des  plaines  grisâtres.  Une  tristesse 
infinie  plane  sur  ces  sépulcres  du  règne  végétal.  En  tout  autre  pays, 
ce  serait  l'arrêt  de  mort  pour  les  troupeaux.  La  Providence  \'  a  pourvu 
en  substituant  aux  pâturages  brûlés  toute  une  catégorie  d'arâres- 
pi'airies,  de  buissons,  de  fourrés  :  ils  constituent  les  réservées  pasto- 
rales, le  véritable  fourrage  de  la  saison  d'été  C).  L'analogue  de  nos 


(')  Yâqoùt,  E.  II,  145,  8  d.  1.  ;  Ibn  Hal5«aih,  Sagar.  XXII,  2. 

(2)  YâqoQt.  E.   III,  256;  257;  260,   10; 

(^)  Asmal,  Nabàt,  878  ;  harra,  remplie  d'arbres  ;  So'arS'  (Cheikho),  870,  7. 

(*)  Asmal,  Nabàt,  409,  410,  411  ;  citations  poétiques,  ^Cpl  »lT^» '.  Ibn  Halâwaih, 
op.  cit.,  XII,  XIV. 

(^)  Ibn  Batoûta,  Voyages,  I,  259,  261  ;  i_i.;:-»  ,^  f^y.  une  de  ses  victimes  aurait 
été  'Antar  ;  ./]g.,  VII,  152,  haut;  samoûin  homicide;  Ag.,  IX,  178,  5;  description 
poétique  dans  'Alqama  (Ahlw.),   113,   11-12. 

C)  Ils  sont  broutés  sur  pied  L«J»>  ^  Lu*_>l>  frais  et  desséchés  ;  cf.  Ibn  Halâwaih, 
Sagar  et  les  lexiques  passim. 

C)  Ibn  Mâgâ,  Soiian,  E.  II,  53  ;  Ibn  Halâwaih,  Sagar,  passim  ;  AsmaT,  Nabàt, 
1074;  Wâqidî,  (W),  227;  Ya'qoûbi,  Hist.,  II,  69,  20;  Bohâri,  Sahih  (K)  II,  80,  4; 
So'ara"  (Cheikho),  898,  d.  1.  Hanbal,  Mosnad,   III,  463,   12  d.   1.  ;    I.   Doraid,    Iktiqàq, 


60  Le  «  hima  » 

provisions  d'herbes,  de  paille,  de  foin  n'existe  guère  en  Arabie.  Ex- 
ceptionnellement, et  dans  les  centres  sédentaires,  on  ramasse  pour 
l'été  les  feuilles  des  'idàli,  nom  générique  désignant  une  catégorie 
d'acacias  robustes  et  épineux  (*).  Les  annales  primitives  de  l'islam 
croient  devoir  prêter  cet  acte  de  prévo3'ance  à  Aboû  Bakr  (^).  A  la 
veille  de  l'hégire,  cet  intime  de  Mahomet  aurait  engraissé  pendant 
quatre  mois  avec  des  feuilles  de  samora,  une  sorte  de  mimosa  (^), 
deux  chameaux,  destinés  à  favoriser  sa  fuite  et  celle  du  Prophète. 
La  tradition  s'ingénie  à  multiplier  les  relations  du  Maître  avec  l'heu- 
reux mortel,  associé  par  le  Ooran  (*)  à  l'hégire  d'Abou'l  Qâsim. 


Cette  situation  inspira  une  des  plus  intéressantes  institutions  de 
l'Arabie  préislamique  :  celle  du  himà  (^).  Aux  chefs,  chargés  de 
de  diriger  la  communauté  nomade,  eux-mêmes  propriétaires  de  trou- 
peaux considérables,  l'idée  devait  naître  de  protéger  tous  ces  intérêts 
contre  l'inconstance  du  climat  de  leur  patrie.  Pour  y  obvier,  il  fallait 
se  résoudre  à  établir  des  enclaves,  des  territoires,  où  l'on  surveille- 
rait le  droit  de  pacage  et  d'aiguade,  en  taveur  des  membres  du 
clan  ou  de  la  tribu,  bénéficiaires  du  privilège  de  himà.  La  tribu 
devait  être  bien  misérable  pour  ne  pas  posséder  une  de  ces  ré- 
serves pastorales,  sorte  de  parc  national  ou  de  pâturage  gardé.  On 


102;  I.  s.  Tabaq.,  II',  43,  4;  Naqà'id  Garïr,  48,  49;  A.  Tammâm,  Hamâsa,  E,  II, 
8;  ils  constituent  JUI  ,_j-^^  (mal  =:  chameau)  ibid.;  I,  183,  3. 

(')  Asmal,  Nabât,  1039;  Yâqoût,  E.  III,  398,  s.  v.  kX^;  Ag.,  X,  19,  13  d.  I.  ; 
en  broutant,  le  licou  du  chameau  s'embarrasse  dans  les  branches  ;   Ag.,  X,  7. 

(2)  Balldorî,  Ansâb,  164''  ;  aJ^UL,  chameaux  qui  broutent  les  acacias;  Naqà'id  Ga- 
rïr, 40,  2.  Le  haram  de  la  Mecque  aurait  eu  pour  but  de  préserver  les  arbres-prairies; 
Aboû  Yoûsof,  Harâg,  59.  Paille,  mentionnée  au  temps  de  Mahomet  ;  Nasal,  Sonati, 
E.  II,   154,  6. 

(')  Ou  plutôt  acacia,  selon  la  terminologie  plus  récente.  Pour  l'équivalent  scien- 
tifique voir  plus  bas. 

(<)  9,  40  :  _jUJl  t3  Ua  M  ^^;^'l  JLi' 

(5)  Cf.  notre  Mo'âwia,  225. 


Types  de  hima  61 

choisissait  à  cet  effet  les  cantons  les  plus  plantureux,  les  mieux  ada- 
ptés par  la  nature  du  sol  et  les  réserves  d'humidité  souterraine  pour 
alimenter  la  sobre  végétation  fourragère  et  forestière  des  steppes  ('). 
Le  t\pe  de  ces  installations  était  le  Himâ  Dary^a  ( "),  situé  au  cœur 
même  de  la  Péninsule  et  drainant  les  eaux,  recueillies  sur  les  hau- 
teurs voisines.  La  plupart  des  topon\-mes  de  cette  région  salubre  et 
ventilée,  dépeinte  par  les  poètes  (^)  comme  une  Arcadie  arabe,  ont 
passé  dans  leurs  divans  et  de  là  dans  les  enc\clopédies  de  Bakrî  et 
Yâqoût  {*).  Un  autre  type  était  le  himâ  d'Al-Baqi\  dans  le  voisinage 
de  Medine,  offrant  une  succession  variée  de  harra  aux  terres  riches 
et  de  gàdïr  aux  eaux  estivales  (^).  Certains  de  ces  himâ  avaient  l'ex- 
tension d'une  province  ;  tel  le  Himâ  Dary\  a,  tel  encore  celui  de  Ra- 
bada,  créé  par  "Omar  (*)  et  sans  cesse  agrandi  pour  subvenir  à  l'en- 
tretien des  haras  militaires  du  califat  ("). 

Il  faut  assigner  la  même  origine  aux  territoires  réservés  près  de 
certaines  cités:  la  Mecque,  Tâif,  Médine.  Dans  l'origine,  les  princi- 
paux centres  habités  ont  dû  être  entourés  de  himà.  En  vertu  d'un 
accord  exprès  ou  implicite  avec  les  nomades  des  environs,  il  demeu- 
rait interdit  à  ces  derniers  de  mener  leurs  troupeaux  à  l'intérieur  des 
limites  du    himâ  urbain  (*).    La  cité    possédait-elle   un  sanctuaire,  le 


(')  Yâqoût,  E.  III,  346,  347,  2;  I^Ioslim,  Sahih\  I,  469,  9  d.  I.  ;  Ag.,  VIII,  159 
(réser\'e  d'eau)  ;  XX,  165;  XI,  26  (himâ  des  Lahmides)  ;  Jaussen,  J/t)aé,  136;  Doughty, 
Travels,  II,  245,  285  ;  terrain  où  abonde  l'humidité  souterraine  et  poussent  les  sidr ; 
Naqâ'id  Garir,  73,  14  ;  himâ  des  rois  de  Kinda  ;  Ya'qoûbï,  Hist.,  II,  149,  2  ;  cause 
de  guerres  ;  Yâqoût,  E.  V,  281  ;  autres  himâ  ;  Yâqoût,  E.  I,  329,  335,  342  ;  V,  281  ; 
A.  Tammâm,  Hattiâsa,  E.  I,  37;  'Alqama  (Ahlw.),   110,  5  d.  1. 

(-)  Cf.  Bakrï,  op.  cit.,  626-639  ;  il  nourrissait  des  chevau.\  ;  'Alqama,  (Ahlw.),  110, 
6.  «  Nous  défendons  notre  himâ  »  ;  Naqâ'id  Garir,  649,  2  v.  Himâ  sur  les  eaux  ; 
Sammâh,  cité  dans  Yâqoût,  E.  V,  7,  3. 

(^)  Ils  soupirent  après  le  himâ  ;  Ag.,  V,   132,  133. 

(*)  Voir  aussi  les  index  d'Agâni,  de  la  Biblioth.  geograph.  arabic.  de  De  Goeje 
et  des  Naqaid  Gartr;  Yâqoût,  E.  V,  433. 

(*)  (jLjwaJb  UbfUo  j_yiL-^  ;   Bakrï,  op.  cit.,    171. 

(*)  Naqr,  autre  himâ  créé  par  'Omar  ;  Bakrï,  op.  cit.,  589,  9. 

(')  Bakrî,  op.  cit.,  395  ;  la  «  hoUa  »  y  abonde  ;  ibid.,  626. 

(')  Cf.  Wellhausen  dans  ZDMG,  XLV,  177.  Ainsi  Koûfa,  une  fondation  des 
Arabes   possède   son   himâ  ;  Ibn   Doraid,  Istiqâq,  229.  Description  du  himâ  de  Faid  ; 


62  Harain  et  hiina 

hima.  placé  sous  la  protection  de  la  divinité,  prenait  le  nom  et  les 
privilèges  du  haravi:  il  était  considéré  comme  participant  à  l'invio- 
labilité du  sanctuaire.  Ce  fut  le  cas  de  Tâif  et  de  la  Mecque.  La  po- 
litique des  Qorai-sites  s'ingénia  pour  élargir  progressivement  les  limites 
du  haram,  afin  d'assurer  leur  propre  sécurité  et  aussi  d'absorber  une 
multitude  de  masgid,  lieux  saints  de  second  ordre,  établis  dans  leur  \oi- 
sinage  (').  Quand  Mahomet,  souverain  de  Médine,  voulut  y  établir 
un  haram,  il  lui  suffit  de  donner  une  valeur  religieuse  à  la  significa- 
tion profane  du  Jtimà.  Sa  perspicacité  ne  pouvait  se  méprendre  sur 
les  avantages  de  cette  combinaison  (^).  Les  Bédouins  refusèrent  de 
la  prendre  au  sérieux;  ils  le  lui  prouvèrent  en  venant  piller  les  pal- 
meraies de  Médine  et  enlever  les  troupeaux  du  Prophète  (').  Les 
sanctuaires  situés,  dans  les  lieux  déserts  —  et  c'était  le  cas  de  la 
majorité  des  fétiches  arabes  —  possédaient  également  leur  himâ. 
Les  troupeaux  du  dieu  Galsad  paissaient  sous  sa  protection  dans  les 
dépendances  du  sanctuaire.  Un  animal  étranger  venait-il  à  franchir 
les  limites  de  la  réserve,  il  devenait  de  droit  propriété  du  dieu  (*). 

Dans  tous  ces  himâ,  réserves  des  villes  et  des  tribus  (^),  la  chasse, 
la  coupe  du  bois  restaient  interdites  et,  dans  les  haram,  considérées 
comme  des  sacrilèges  (*').  La  protection  des  sites,  des  arbres   et  des 


Bakrî,  op.  cit.,  717-19  ;  zèle  de  'Omar  I  et  de  'Omar  II  pour  la  protection  de  ces 
himâ  ;  Bakrî  op.  cit.,  719.  'Omar  I  se  voit  forcé  de  les  laisser  envahir  par  les  trou- 
peaux des  Mobas'sara:  il  s'e.xcuse  de  l'extension,  prise  par  les  himâ;  Aboû  YoQsof, 
Haràg,   60. 

{')  Cf.  notre  République  marchande,   13. 

(5)  Cf.   Fâliina,   79-80. 

(•')  On  le  verra  plus  loin. 

{*)  Yâqont,  E.  III,  122;  Wellhausen,  Reste-,  53-56.  Dans  une  partie  de  Himâ 
Daryya  la  chasse  porte  malheur;  les  troupeaux  tombent  malades,  si  l'on  vient  à  violer 
la  réserve  du  pâturage;  YâqoQt,  E.  V,  437.  Himâ  du  dieu  Doû's-Sarâ  ;  tbid.,  V,  246. 

(=)  Une  exception  est  toujours  faite  en  faveur  de  r«jrfAiV»,  Andropogon  schœ- 
nanthum,  modeste  arbuste;  cf.  Ibn  Mâgâ,  Sonan,  E.  II,  139,  3  et  l'explication  mar- 
ginale. L'idhir  semble  propre  au  territoire  de  la  Mecque.  Nous  y  reviendrons. 

("J  On  utilise  pourtant  les  branches  du  haram  pour  le  taqlïd;  Bakri,  335;  autres 
exemptions;  Baladorî,  Fotoûh,  42-43;  Mahomet  défend  de  toucher  aux  arbres,  au  gi- 
bier de  Tâif;  Bakrî,  578;  cf.  notre  Tâif,  7.;  A.  Tammâm,  Hamàsa,  E.  IV.  87  (taqlïd). 


Le  respect  du  hima  63 

animaux  se  trouvait  de  la  sorte  placée  sous  la  garde  de  la  divinité. 
Les  fauves  eux-mêmes  respectaient  la  sainteté  des  territoires  sacrés. 
Un  loup,  lancé  à  la  poursuite  d'une  gazelle,  s'arrêtait  à  la  limite 
du  haram  de  la  Mecque  (')•  Inutile  dé  parler  des  pigeons  de  la  Ka'ba; 
le  trait  étant  suffisamment  connu.  Dans  ces  réserves  étaient  éle- 
vées les  races  les  plus  estimées  de  l'Arabie  :  les  chameaux,  les 
troupeaux  des  himâ  faisaient  prime  sur  les  marchés  de  la  Péninsule. 
Nous  ne  parlons  pas  des  chevaux,  trop  délicats  pour  s'accommoder 
des  ronces,  des  buissons  et  des  absinthes,  dont  se  régalaient  les  plus 
fiers  dromadaires.  On  estimait  médiocrement  les  chefs  et  les  tribus, 
incapables  de  se  constituer  un  himâ  (").  Cette  infériorité  les  réduisait, 
en  temps  de  sécheresse,  à  la  merci  de  leurs  voisins.  Les  puissants 
n'en  demeuraient  pas  là.  Ainsi  au  temps  du  prophète  Natan,  on 
mettait  volontiers  à  la  broche  l'agneau  du  pauvre  C).  Un  poète  s'en 
explique  sans  détours  (*). 

«  Nous  utilisons,  sans  aucun  respect,  le  himâ  des  tribus  et  défen- 
dons l'accès  du  nôtre. 

Même  le  preux  'Amrou  ibn  Ma'dikarib  ne  réussit  pas  à  imposer 
aux  nomades  le  respect  de  ses  pâturages  C^).  Vrai  socialiste,  le 
Bédouin,  en  fait  de  propriété,  admet  seulement  la  sienne.  Pour  assu- 
rer la  subsistance  de  ses  haras,  de  ses  parcs  de  chameaux,  Mahomet 


(')  Ibn  Rosteh,  Géoffr.,  57.  Même  observation  pour  le  chien  de  chasse;  Gahiz, 
Haiawân,  III,  43. 

(-)  Bakrî,  op.  cit.,  807,  bas.  Pour  se  mettre  en  règle,  on  suppose  parfois  une  con- 
cession du  Prophète;  Yâqoût,   E.  V,  281. 

(3)  Ag.,  II,  186  d.  1.;  Naqâ'id  Garïr,  300  d.  v.  ;  539,  3,  9;  Ag.,  X,  28,  19  cite 
une  «  chamelle-himâ  ;  'i\4-  «isli  »,  caprice  d'un  phylarque  fassânide. 

(^)  Comp.  Gâhiz,  Haiœiuân,  V,  128  :  «  Quand  la  pluie  a  irrigué  les  terres  de  nos 
voisins,  nous  y  lâchons  nos  troupeaux,  sans  nous  arrêter  à  leurs  protestations  ». 

(^)  Naçâ'id  Garïr,  loc.  cit..-  cf.  Mo'âwia,  224. 
(«)  Bakrî,  op.  cit.,    148,  3. 


64  Mahomet  et  le  hima 

établit  des  himâ.  En  d'autres  termes,  devenu  clief  de  Médine,  il  avait 
déclaré  domaine  privé,  incorporé  à  sa  liste  civile  les  meilleurs  ter- 
rains de  pacage,  situés  aux  environs  de  sa  nouvelle  capitale  (').  Le 
bassin  étendu  du  Idam,  avec  ses  longues  ramifications,  recueillait  les 
eaux  des  montagnes  voisines.  Le  wâdi  irriguait  par  ses  affluents  :  le 
'Aqiq,  le  Qanat,  le  Bothan,  la  belle  oasis  de  Médine  et  la  saturait 
d'humidité  souterraine.  Tout  ce  vaste  système  hydrographique  avait 
frappé  cet  observateur  intelligent  ("),  et  suggéré  le  parti  à  en  tirer  pour 
l'établissement  des  himâ.  Il  ne  plaisantait  pas  d'ailleurs  (^)  sur 
l'exercice  de  ses  droits  souverains.  Malheur  aux  tribus,  assez  osées 
pour  envahir  ces  réserves,  «  pour  se  révolter  contre  Allah  et  son 
Prophète  »  ;  ainsi  s'exprime  le  Qoran.  L'apôtre  de  la  miséricorde  - 
c'est  un  de  ses  titres  dans  la  Tradition  —  les  traitera,  comme  jadis 
les  dynastes  gassânides  avaient  réprimé  un  délit  analogue  des  Banoû 
Dobiân  {'). 

Aux  Médinois  il  interdit  de  toucher  à  ses  arbres-prairies  :  a//. 
tarfà\  sid}%  arâk^  saiyâl,  saynora^  talh^  salam^  dâly  correspondant  à 
des  variétés  que  nous  désignons  sous  le  nom  d'acacia,  tamarisc, 
mimosa  (^).  Four  assigner  à  chaque  terme  de  cette  terminologie 
arabe  un  équivalent  en  nos  idiomes  occidentaux,  il  faudrait  recourir 
à  la  langue  rébarbative  et  bigarrée  de  notre  botanique  scientifique. 
On  les  rencontre  généralement  associés  par  groupes  de  même  espèce. 
Certaines  vallées  renferment  surtout  des  salam^  sorte  d'acacias  au  tronc 
élancé  (").  Ailleurs  on  trouve  plusieurs  variétés  réunies:  dàl(^)  et  arâk  ('), 


(1)  Cf.  Fàtinia,  79  sqq.  ;  Mo'âwia,    117;   Yâqoût,  E.   III,  64. 

(-')  Cf.  notre  Yazïd,  237  sqq.  ;  Wûstenfeld,  Gebiet  von  Médina,  16  ;  Yaqoût,  E. 
IV,  319.  Nombreux  sail,  à  Médine,  toujours  utilisés  pour  l'irrigation;  Ibn  Mâgâ,  Sonan, 
E.  I,  223. 

P)  Comp.  Qoran,  5.   37;   I.  S.    Tabaq.,   II',  67. 

(^)  Bakrï,  op.  cit.,    US;  Yâqoût,  E.   I,  310;   Balâdorî,  Fotoïih,   9,    13. 

(5)  E.   Reclus,  op.  cit..   IX,  819-20. 

(«)  Asma'î,  Nabât,   103,  9  ;  Bakri,  345  ;  Yâqoût,  E.  V,  420. 

C)  Arbre  de  la  steppe  J$ Zj  ;  Asmal,  op.  cit.,  1039;  Ag.,  VII,  95,  4,  d.  1.  ;  le 
dàl=^\J^\  y^^\;  Ag.,  IX,   15),   11. 

(*)  Yâqoût,  E.  IV,  93,  4  d.  1.  La  plupart  de  ces  arbres  se  retrouvent  dans  la 
harra;  cfr.  Doughty,   Travels,   I,  379,  439;  II,  72;  JjMI  ^i  ,  plantées  de  ail,  épithète 


Aspect  de  la  flore  65 

encore  une  variété  d'acacia  vidàh  et  sidr  ('),  sidr  et  dàl  (*).  D'autres  can- 
tons à  la  terre  plus  riche,  ou  conservant  mieux  l'humidité,  réunissent 
toutes  ces  espèces  (^)  et  produisent  des  arbres  de  belle  venue  (^). 

Je  parle  de  leur  développement.  Car  leur  aspect  n'offre  rien 
d'attrayant  et  contraste  vivement  avec  la  placide  et  reposante  flore 
de  nos  climats.  On  dirait  le  front  d'un  bataillon,  hérissé  de  baïonnet- 
tes. En  Arabie  le  rèfi^ne  végétal  se  tient  sur  la  défensive  :  aux  assail- 
lants il  offre  des  pointes  et  des  épines,  un  feuillage  rare,  court,  tour- 
menté et  rugueux  (^)  ;  aux  3-eux,  des  couleurs  ternes,  cendrées,  se 
confondant  avec  les  teintes  grisâtres  du  sol  ;  au  palais  des  siics  rési- 
neux et  amers  i^).  C'est    la    réunion    de    toutes   les  conditions    pour 


fréquente  pour  les  vallées  ;  Nagâ'id  Garïr,  158,  5.  Voici  quelques  équivalents  de  ces 
noms  d'arbres,  les  plus  fréquemment  cités.  AU  :=  tamarix  articulata  ;  Tar/â'  =  ta- 
marix  manifera  ;  Sidr  -=.  viola  arborea  ;  Arâk  =  salvadora  persica  ;  Sayâl  ;=  acacia 
seyal  ;  Samora  =:  acacia  mellifera  ;  Talh  =:  acacia  abyssinica  ;  Salant  =:  acacia  arabica  ; 
psl  z=  Rhamnus  Lotus.  Conip.  Schweinfurth,  Arabische  Pflanzenriainen  ans  Aegypten, 
Algérien  und  Jetnen.  Incomplet  pour  la  flore  arabique  et  avec  une  transcription  peu 
heureuse.  Le  'idâh  est  un  terme  générique  ;  il  désigne  de  gros  arbres  à  fortes  épines  ; 
Ibn  Halâwaih,  Sagar,  I  ;  comp.  Nagâ'id  Gartr,  211,  212.  Nôldeke,  Neue  Beilr.  z.  seni. 
Sprac/iwiss.,  145.  L'aràé  est  renommé  pour  ses  cure-dents,  i)VX«*o  *llj-uJl  j=c\Jo  yt 
à^^jLi  ;  la  vallée  de  Na'mân  près  de  'Arafa,  avec  ses  fourrés  d'arâk,  fournit  les  meil- 
leurs cure-dents  ;  Naçâ'id  Gartr,  ôôï,  2  v;  .^..^l  »>  ,  autre  épithète  de  vallée;  Na- 
gâ'id Gartr,  578  ;  j^lj\j-.«j  ;  YâqoQt,  E.  V,  53.  Talh  et  Sayâl  ;  Aboû  Tammâm,  Ha- 
ntàsa,  E.  I,  89.  Vallées  pleines  de  a//.- Auler  Pascha,  Die  Hedschasbahn,  II,  9;  autres, 
où  domine  le  talh;  Vâqoût,  VI,  98. 

(')  Yaqoût,  E.  III,  396,  3  d.  1. 

(2)  Bakrî,  576;  Yaqoût,  E.  II,  253;  III,  332,  1  ;  Zohair  (Ahhv.),  81-U. 

(^)  Noms  collectifs  des  divers  groupes  d'arbres  ;  Ibn  Halâwaih,  op.  cit.,  XXI, 
XXII  ;  Hamdânî,  Gazïra,  155-56  ;  chez  le  même  auteur  sidr  est  synonyme  de  daum, 
palmier  nain  ;  156,  2.  D'autres  expliquent  le  rfS/par  petit  sidr;  ci.  I.  Doraid,  Isligâg,  28. 

(•>)  JljkJl  ^jsn-iJl  vJU-Jj;  Bakrî,  415,  7  etc.;  <iUl.b  if^\  I-  S.  Tabag.,  II', 
44,  7;  gros  arbres;  Ibn  Halâwaih,  Sagar,   III,   10,   12;   IV,   11. 

{;•>)  Jyii-  ;  YâqoQt,  E.  IV,  263,  3  d.  1. 

(^)  Asmal,  Nabât,  878.  Comp.  les  notations  :  C^il  àJi^^  —  j«il  ^  >^  (lisse) 
^_j»JJal  —  3W^  *'rrr-*  —  o"  encore  el-<i  sl-ôi.,  vert-cendré. 

Lammeks  —  Berceau  5 


66  Elle  présente  des  épines 

résister  aux  ennemis  du  dehors,  avant  tout  au  contact  brutal  du 
soleil,  des  vents  empoisonnés  du  désert  et  des  nuées  de  sauterelles. 
Nous  nous  trouvons,  tout  le  rappelle,  dans  le  pa3's  d'Ismaël.  Jusque 
dans  le  calme,  dans  l'inaction  apparente  de  la  nature  végétale,  on 
retrouve  le  S3'stème  de  la  paix  armée.  Si  vis  pacem!...  L'.A.rabe  disait: 
.yji^  ^\  i^U. ,  oppresseur  ou  opprimé  !  Entre  les  deux  situations  il 
n'apercevait  pas  de  milieu  ('). 

Je  ne  sais  quelle  famille  ancienne  arbora  jadis  la  devise:  qui 
s'}^  frotte,  s'y  pique.  C'est  la  devise  de  la  flore  arabifjue  ou  plutôt 
celle  de  l'Arabie  entière.  Un  géographe,  par  ailleurs  fort  positif, 
Hamdânï  émet  à  ce  propos  une  observation,  qu'on  ne  manquera  pas 
de  trouver  piquante  :  <  Dans  leurs  noms  propres,  les  Arabes  affectent 
d'emprunter  les  appellations  des  arbres  épineux,  broutés  par  les 
chameaux,  à  cause  de  leur  rudesse  et  de  leurs  pointes,  de  leur  dureté, 
de  leur  endurance  et  de  leur  capacité  à  supporter  la  pénurie  d'eau  et 
le  manque  d'arrosage  »  (').  La  nature  devait  leur  suggérer  cette  idée  ; 
et  rien  n'oblige  à  tabler  ici  sur  la  croyance,  d'ailleurs  partagée  par 
les  Arabes:  l'influence  mystérieuse  du  nom,  porté  par  le  titulaire. 
Dans  la  botanique  du  désert,  parmi  les  arbres  grands  ou  petits, 
fourrés  ou  buissons,  marquant  de  taches  plus  sombres  la  morne 
superficie  du  Higâz,  la  famille  la  plus  abondamment  représentée  est 
celle  des  plantes  à  piquants,  des  'idàh^  comme  s'expriment  les  écri- 
vains arabes  (^).  Pour  eux  la  majorité  des  arbres  de  la  steppe  sont  des 
'idàh.  Comme  description,  cette  notation  doit  paraître  insuffisante,  mais 
j'en  connais  peu  d'aussi  réalistes,  renseignant  mieux  sur  la  nature  de 
la  végétation  désertique.  Dans  le  sadàn  (■*),  le  fourrage  préféré  du  cha- 
meau, nous  n'aurions  découvert  qu'une  boule  d'épines,  bonne  pour  le  feu. 
«  Par  adaptation  aux  vents  violents,  toutes  les  plantes  pérennes 


(')  Comp.  jCii  J^UJl  j^uL^I  ^^^  ,  Zohair  (.A.hl\v.)  96,  2  d.  1.;  poète  très  admiré 
par  les  anciens  Arabes,  comme  résumant  leur  sagesse.  Voir  p.  ex.  Zohair  (Ahlw).  96-97. 

(*)  Hamdânï,  Gazîra,  134,  1-2  ;  cf.  Ibn  Doraid,  l'stiqcu},  4,  bas. 

(•')  Asma'î,  Nabât,  1039  ;  Ibn  Doraid,  Istiqàq,  249.  yp-i  ^J*  ç-ÏJ.  ^\  sUà«J\ 
sLoaJl  Ljj»-»^  <*Â)J«sa  »U>.w\  àJ    i)».^!  ;   Ibn  HalSwaih,  Sagar,   I,  3. 

(■■)  Voir  plus  haut.  Pour  indiquer  un  objet  de  n\il  pri.x,  on  se  sert  du  terme  ,_)-*_» 
arbre  sans  épines  ,  Nagà'id  Ganr,  225,  2  v.  ;  voir  le  scolion  ibid. 


Le  «  gadâ  »  67 

du  désert  ont  les  feuilles  courtes,  étroites,  rugueuses,  terminées  en 
pointes  d'alêne,  ou  couvertes  dune  épaisse  fourrure  de  poils  blan- 
châtres. Un  épidémie,  rappelant  le  cuir  et  le  liège,  ou  semblable  à 
une  housse  blanche,  protège  le  tissu  contre  les  vents  desséchants  ; 
et  des  couchers  légères  de  sel  hygroscopique  y  fixent  des  traces 
d'humidité.  L'élasticité  des  tissus  donne  au  bois  et  aux  branches  une 
forte  flexibilité.  De  longues  racines  ancrent  l'arbre  dans  la  terre, 
pénètrent  jusqu'aux  couches  humides  souterraines  pour  }•  puiser  la 
provision  d'eau   indispensable  >  ('). 

Dans  son  «  Livre  des  plantes  et  des  arbres  »,  AsmaT  (p.  1039-40) 
décrit  sommairement  plusieurs  spécimens  de  cette  flore  étrange  : 
toutes  ont  un  trait  commun:  les  épines.  Ces  piquants  paraissent 
plutôt  attirer  le  chameau.  En  dépit  de  sa  gravité  et  de  sa  prudence 
proverbiales,  il  arrive  pourtant  au  dromadaire  de  s'\'  blesser  le 
naseau  (").  Quand  on  l'a  vu,  dans  les  contrées  du  Levant,  croquer 
béatement  les  énormes  feuilles  de  cactus,  armées  d'épines  effilées 
comme  la  lancette  du  chirurgien,  on  comprend  qu'il  soit  l'animal 
providentiel  de  la  Péninsule. 

Un  des  arbustes  les  plus  répandus,  c'est  le  gadâ,  t  ressemblant 
au  atj\  mais  moins  gros  et  moins  haut  ;  il  pousse  principalement 
dans  le  sable  >  (').  D'après  le  Prof  Al.  Musil,  «  il  atteint  4  à  5  mètres  et 
même  dans  la  saison  la  plus  chaude  conserve  la  fraîcheur  de  sa 
verdure,  comme  au  début  du  printemps.  Ses  longues  branches 
flexibles  offrent  un  excellent  fourrage  aux  chameaux,  mais  il  cause 
la  diarrhée  »  (^).  C'est  le  châtiment  de  leur  gourmandise  (^),  quand 
ils  négligent  de  mêler  aux  plantes  salées  les  fourrages   moins    forts, 


{•)  Walther,  op.  cit.,    H-lô. 

(-)  Asmal,  Nabot,  410,  2-3  ;  vers  de  Doû'r  Romma,  différemment  interprété  ; 
voir  les  notes  de  l'éditeur.  Walther,  op.  cit.,  76. 

f)  Vâqoût,  E.  II,  145,  6  d.  1.  :  Bakrî,  op.  cit.,  251;  gaàs.  =  Ephedra.  L.  'A., 
XIX,  365  ;    Tàg  'Aroûs,   X,  367. 

(^)  Musil,  Arabia  Petraea,  III,  14.  .Après  un  long  voyage  on  envoie  les  cha- 
meaux se  refaire  en  mangeant  du  gadâ;  Ag.,  VII,  116,  9  d.  Les  Arabes  distinguent 
plusieurs  variétés  de  gadiS  ;  Ja.Vl  =  Ephedra  alata;  iJUxiJl  =  Caroxylum  arti- 
culatum,  toutes  venant  dans  la  sable. 

(^)  Voir  plus  haut,  pp.  54-55. 


68  Ronces  et  buissons 

désignés  sous  le  nom  de  lioUa  (').  Toute  une  riche  collection  de 
ronces  buissonneuses,  —  nommons  le  'ausag  (*),  le  lasaf,  le  alà  (*), 
sorte  de  buis  —  outre  leurs  feuilles,  toujours  très  courtes,  produi- 
sent encore  des  baies  comestibles  (*).  La  multiplicité  de  ces  buissons 
suffit  souvent  pour  mériter  à  certains  cantons  la  qualification  de 
io,fp.'^  Jpj\  terre  abondante  en  arbres  (*).  «  Les  fourrés  de  ronces, 
observe  E.  Banse  {op.  cù.,  106)  représentent  la  forme  sèche,  le  négatif 
de  la  forêt,  un  essai  pour  la  remplacer,  partout  où  se  fait  sentir 
l'absence  d'humus  et  d'humidité  souterraine  >. 


(»)  Cf.  Asmal,  Nabâ/,  752. 

(*)  Il  apparaît  également  dans  la  liste  des  noms  propres  arabes.  Ibn  Doraid, 
Isiigàç,  131,  bas;  Ag:,  IV,  137. 

(3)  Asmal,  op.  ci/.,  878;  ' ausag  =r  Lyctum  arabicum;  \asa.{  =i  Capparis  £-a/ea(a  ; 
alâ' =  My  ri  us  communis  :  cf.   Ibn  Halâwaih,  op.  cit..  Vil,  7;   IX,  9-10. 

(*)  Baies  du  dal  et  de  Varak,;  Yâqoût,  E.  93,  4  d.  1. 

(5)  Bakrï,  op.  cit.,   193;  steppe  appelée  JS^-il  C)l>;  Ag.,  X,  78,  3  d.  1. 


VII 
Grands  arbres.  Arbres  sacrés.  Les  «  harra  »  et  anciens  volcans 


Les  arbres  de  belle  venue  sont  évidemment  plus  rares.  On  en 
rencontre  pourtant,  principalement  des  tamaris  et  des  acacias,  atj^ 
tarfcL,  aràk  (').  Dans  une  expédition,  les  Compagnons  du  Prophète, 
exténués  de  faim,  durent  se  nourrir  de  feuilles.  Pour  les  atteindre  ils 
se  virent  obligés  de  les  abattre  au  mo\-en  de  leurs  arcs  (^)  et  de 
leurs  bâtons  :  cela  permet  de  supposer  une  hauteur  respectable. 

On  rencontre  des  forêts  sur  divers  points  du  Higâz,  principale- 
ment dans  la  région  alpestre  dss  .Sarât;  il  en  sera  question  plus 
tard.  Aux  environs  de  Marr  az-Zahrân  dominaient  les  arâk  (^).  Cette 
variété  d'acacia  se  trouvait  de  même  bien  représentée  dans  d'autres 
vallées  (■*),  comme   celle  de    Na'mân  près  de   Mina   et  de  'Arafa  (^). 

(*)  Asinal,  op.  cit.,  751,  1043;  Bakri,  op.  cit.,  415,  7  etc.;  plus  rarement  des 
conifères  ^^  ;  Bakri,  op.  cit,^  (fi^^  2. 

(^)  U.^t>jL>  k.«_il  ^j-UjiC  ;  une  variante  cite  les  bâtons;  Hanbal,  Mosnad,  III,  .^11. 
A  Hodaibyya  les  Compagnons  soulèvent  les  branches  de  Varbre  de  la  bai'a;  I.  S. 
fabaq.,  II',  72  bas.  Arbres  L^  jJJLvi.  ;  Yaqoût,  E.  Y,  424,  14;  VI,  83;  ^^. 
grands  arbres;  Yâqoiit,  E.  V,  64,  68;  A^:i-«o  iiyscvi)  et  ^u}Ji*  » -sr-w  ;  Ibn  Halâwaih, 
Sagar,   III,   10,  12. 

(3)  Ag.,  VI,  97;  Yâqoût,  E.  I,  169;  Ibn  Gobair,  Travels^,  173,  2  d.  1.  t.\^. 
terre  boisée  ;  Nagà'id  Garir,   159,   1  ;   Ibn  Halâwaih,  Sagar,  XXI,  5. 

(')  Vallée  pleine  de  'idâh  ;  Hanbal,  Mosnad,  III,  311,  8  etc.  ;  forêt  du  même  arbre, 
Ag.,   X,  9,   13  d.  1. 

(^)  «  Plus  vert  que  Na'mân  »  ;  Naqâ'id  Garïr,  548,  d.  v.  349  ;  iJI^Ml  yJ^i  ^>\^  ; 
Bakrî,  op.  cit.,  585.  586;  cf.  Ag.,  VI,  25,  26;  d'après  les  vers  cités  ici,  le  vvâdi  est 
entre  Tâif  et  la  Mecque;  J.  S.    Tabaq.,   I',  8,  haut. 


70  Arljres  sacrés 

Une  autre  forêt  est  signalée  à  Homm,  près  d'un  gadir  homonj^me, 
célèbre  dans  les  récits  sîMtes  (').  Ailleurs  c'étaient  les  daum,  les 
doums  ou  palmiers-nains  (^).  Cet  arbre  figure  fré(|uemment  dans  les 
descriptions  des  poètes,  concurremment  avec  le  dâl  ("),  rencontré 
également  par  bouquets  forestiers,  au  pays  de  'Odra,  donc  au  Nord 
de  Médine  (■*).  Près  de  cette  ville,  le  topon\me  Al-Gàba  (^),  très 
connu,  atteste  également  l'existence  d'une  végétation  arborescente. 
Rien  n'autorise  à  penser  aux  forêts  de  nos  climats.  Quand  nos  au- 
teurs emploient  à  ce  propos  le  qualificatif  dense,  nioltajf,  il  s'agit 
évidemment  d'une  densité,  appréciable  en  Arabie  (°)  seulement. 

Avec  l'institution  du  hima,  les  sanctuaires  préislamites  contri- 
buèrent à  préserver  de  la  destruction  les  plus  beaux  spécimens  du 
règne  végétal.  Tous  possédaient  dans  leur  voisinage  des  puits  et  un 
bouquet  de  beaux  arbres;  objets  d'un  culte  spécial  et  couverts  d'ex- 
voto  (^),  tel  l'arbre  de  HodaibyAa,  respecté  par  le  libéralisme  de 
Mahomet  (*).  'Omar  dut  se  résoudre  à  détruire  ces  litais  sacrés,  me- 
nace perpétuelle  pour  le  monothéisme  vacillant  des  néoph\les  bé- 
douins (")  :  à  preuve  l'attitude  de  'Abdallah  fils  de  'Omar.  \\\  cours 
de  ses  fréquents  pèlerinages,  ce  dévot  personnage  sacrifiait  ius<iu'à 
sa  dernière  goutte  d'eau  pour  arroser  les  nombreux  arbres,  ayant 
eu  l'honneur  d'abriter  Aboû'l  Oasim  entre  Médine  et  la  Mecque  ('").  Si 

(')  Bakrî,  op.  cit.,   232;  YâqoQt,   E.   111,   469. 

(-)  Bakrî,  op.  cit.,  354;  YâqoQt,  E.  IV,  41,  6;  106;  appelé  aussi  ^JjL-^.^  ^s^  ; 
Ibn  Batoûta,  Voyages,  I,  299  ;  on  s'en  sert  pour  allumer  le  feu  ;  Ag.,  VII,  85,  86  ; 
Ibn  Gobair,   Travels-,   184. 

f)  Bakrî,  op.  cit.,    195,  205  ;  vallée  ombragée  ;  Ag.,   XI,  25,  5. 

(•i)  Bakrî,  op.  cit.,  616;  forêt  dans  la  même  région;  Ag.,  VII,  81,  bas. 

(»)  Un  des  himâ  de  Mahomet;  I.  S.  Tabaq.,  II',  58,  2-5;  59;  il  est  razzié  par 
les  Bédouins  ;  ihid. 

C)  On  signale  des  pins  au  sud  de  Aila  (Bakrî,  196,  15-16)  et  au  pays  de  Hismâ  ; 
Yaqoût,  E.  III,  277,  3  (remarquez  le  |«ft;). 

(■)  Cf.  Wellhausen,  Reste-,  45-64. 

(•*)   Cf.   I.  S.    Tabaq,   II',  70-74;  c'était  une  s jl4-^  ;  ibid.;  73. 

(3)  I.  S.  Tabaq.,  II',  73  :  J^y^^\  ïys^  V  J^^.  lî^'  ïys:^^\  ^^yb  ^UJ\  ^^IS' 
bswA-is  ^tiZ^x^;  Wiistenfeld,  Gebict  von  Mediiia,  15;  arbres  sacrés;  Vâqoût,  E.  V, 
237-38. 

('")   Osd,   111,  227,  bas. 


Apostrophes  aux  «  deux  »  palmiers  71 

e  souple  et  ondoyant  Prophète  ne  les  a  pas  honorés  ('),  il  s'était 
cru  pourtant  obligé  de  les  tolérer.  A  Badr  les  arbres,  couvrant 
cette  plaine,  moitié  sablonneuse,  abritèrent  les  musulmans  pendant 
la  pluie  miraculeuse,  attestée  par  le  Ooran.  Après  la  victoire  on  pro- 
posa même  d'utiliser  ce  bois  pour  brûler  les  prisonniers  (").  On  cite 
des  tamaris  aAjI  (^)  assez  larges  pour  ombrager  jusqu'à  cent  per- 
sonnes. Abwâ,  localité  gardant  la  tombe  traditionnelle  d'Amina,  mère 
du  Prophète,  possédait  une  forêt  touffue  de  tarfâ'  (*).  De  son  temps 
tout  le  massif  du  mont  Radwâ  devait  être  encore  suffisamment  boisé  : 
tous  nos  documents  en  témoignent. 

Les  palmeraies  abondaient  dans  les  oasis  et  près  des  centres 
habités  du  Higâz,  aux  environs  des  gadir,  et  partout  où  l'eau  per- 
sistait dans  le  sous-sol.  A  leur  apparition  le  voj^ageur  devinait  le 
voisinage  d'une  population  sédentaire.  Les  bardes  bédouins  compa- 
rent la  marche  cadencée  de  la  caravane,  surgissant  des  profondeurs 
du  désert  «  aux  sommets  élancés  (°)  des  palmiers  des  villages  L^lf 
Jj^Uïl^  ijC^  ^jh\  J^  »  (*).  Dans  leurs  descriptions  ils  aiment  à 
faire  figurer  un  groujje  de  deux  palmiers  —  parfois  remplacés  par 
deux  sidr  —  s'élevant  solitaires  au  milieu  de  la  steppe  C).  Le  ta- 
bleau a  dû  leur  paraître  éminemment  poétique,  à  en  juger  d'après 
leur  fidélité  à  se  transmettre  ce  cliché.  Quantité  de  leurs  qasîdas  dé- 
butent  par   une    apostrophe  (*)  aux  deux   palmiers,   ,J^  L?.  1  Même 

(')  Plusieurs  des  innombrables  vtasgid,  où  il  a  prié  le  long  des  routes,  voisinent 
avec  des  arbres  sacrés. 

(2)  Tab.,  Ta/str,  IX  122  ;  Hanbal,  Mosnad,  I,  117,  8  ;  383,  8  d.  1.,  384.  On  men- 
tionne également  les  arbres  du  champ  de  bataille  de  Honain,  I.  S.  Tabaq.,  II',  112-113. 

(3)  VâqoQt,  E.   1,   109,   1. 
(<)  Bakri,  op.  cit.:  62. 

(^)  Comp.  Naqa'id  Garïr,  159,  13;  «élevés  comme  les  palmiers  de  Haibar  »  ; 
ibid..  290,  3  v. 

C)  Doû  r  Romma  dans  Bakrî,  op.  cit.,  582.  Un  homme  vraiment  riche  doit  être 
J-^yi  ,  JsAJl^  (chameaux)  JU,1  p^\  Ag.,  VII,  120,    14  ;  Hotai'a  Divan,  V,  v.  2. 

("i  Yâqoût,  E.  II,  301,  352;  III,  12;  280.  Comp.  dans  Ag.,  XII,  108-09.  l'hi- 
stoire des  deux  palmiers  de  Halwân  ;   (^lj\a-.) ,     toponyme  ;  Yâqoût,  E.  V,  53. 

(*)  Rarement  à  un  seul  palmier  ;  A.  Tammâm,  Hamâsa,  E.  I,  108.  Comp.  ibid., 
IV,   84,   3   V.  :  ^-XlL,.^  ki'jÇ  ^^l.viiS'  ^y^  0^^^  S-iCJI  ^y<\   ^>  ,J*  >-^)r* 

Scolion  :        ,JψJI  ^^  Jl^aJl  |^la!LaJI 


72  Les  «  harra  » 

dans  les  cantons,  décrits  comme  «  riches  en  palmiers  et  en  arbres  », 
nos  auteurs  aiment  à  siç^naler  la  présence  «  de  palmiers  jumeaux  «  ('). 
Tous  ces  exemples  —  d'autres  suivront  —  nous  conseillent  dès  main- 
tenant de  ne  pas  exagérer  la  dénudation  de  la  Péninsule  à  l'époque 
du  Prophète.  Si  deux  dattiers  ne  constituent  pas  une  palmeraie,  rien 
ne  nous  autorise  à  méconnaître  la  signification  de  tous  ces  témoi- 
gnages concordants. 


Les  vastes  plaines,  couvertes  de  laves,  de  blocs  basaltiques,  comp- 
tent parmi  les  caractéristiques  des  steppes  (^)  du  Higaz.  A  ces  espa- 
ces désolés,  les  Arabes  donnent  le  nom  significatif  de  harra,  terres 
de  feu.  Leur  principale  aire  de  dispersion  se  trouve  comprise  entre 
la  Syrie,  à  partir  du  Haurân  méridional,  et  les  districts  à  l'Orient  de 
la  Mecque  (^).  Elles  occupent  une  superficie  considérable  des  cantons, 
situés  à  l'Est  de  cette  province  et  }•  attestent  l'activité  des  anciens 
volcans,  dont  on  aperçoit  de  tous  côtés  les  cratères  éteints.  Yâqoût 
a  consacré  à  ces  harra  une  monographie  dans  son  dictionnaire  géo- 
graphique (■*).  Parfois  les  blocs  de  lave  sont  rapprochés,  au  point  de 
laisser  juste  le  passage  aux  piétons  (').  Ailleurs  leurs  formes  massives 
et  fantastiques  rappellent  aux  nomades  une  caravane  de  chameaux 
accroupis  (^).  Par  dessous  les  dalles  sombres,  s'étend  une  terre  bru- 
nâtre et  remarquablement  fertile  (').  Dans  les  espaces  demeurés  li- 
bres, la  flore  fourragère  du  désert  pousse  dru,  quand  le  rabi'  vient 
la  ranimer.  On  découvre  même  des  groupes  de  palmiers,  auprès  des 


(')  Yâqoût,  E.   II,  305,  bas;   IV,  326,  7  d.   1. 

(-)  i^.lsr^,  comme  s'exprime  Ibn  Halâwaih,  Sagar,  passim. 

(3)  Harra  entre  Médine  et  la  Mecque  ;   Bak  rî,  op.  cit.,  275. 

(■•)  Cf.  Loth,  Die  Vulkanregiojien  von  Arabien  nach  Yâkût,  dans  ZDMG,  XXII, 
365-82  ;  E.  Reclus,  op.  cit.,   IX,  891-93. 

p)  Yâqoût,  E.  IV,  227  ;  même  observation  pour  les  Wa'r  de  l'Emésène;  cf.  H. 
Lammens,  Le  pays  des  Nosairis,  dans  Musée  belge,  1900,  p.  293  ;  du  même  Notes 
épigrap/iigues  et  topographiques  sur  l'Emésène,    extrait   du    Musée  belge,    1902,  p.  43. 

(«)  Yâqoût,  E.   III,  256. 

(')  Cf.  Loth,  op.  cit.,  p.  369. 


Anciens  volcans  73 

puits  (').  Aux  environs  de  Médine  des  domaines,  et  non  les    moins 
riches,  se  trouvaient  englobés  dans  les  harra  (^). 

A  l'époque  du  Prophète,  les  volcans  d'Arabie  avaient  depuis 
longtemps  cessé  d'attirer  l'attention.  On  cite  pourtant  des  reprises 
partielles  d'activité,  pendant  le  siècle  antérieur  à  l'hégire  (").  Une 
poésie  de  l'Achille  arabe,  'Antar,  semble  attester  une  de  ces  érup- 
tions, contemporaine  du  héros  {*).  Rien  n'autorise  à  tirer  la  même 
conclusion  (°)  du  vers  d'un  autre  poète,  'Ar'ara  des  Banou  Nomair  : 

«  On  croirait  un  incendie,  allumé  dans  la  harra  d'Al-Oaus  et  la 
double  dépression  de  Mahfil  et  entre  ses  collines  »  C). 

Le  souvenir  populaire  avait  gardé  la  mémoire  du  feu  souterrain, 
où  avait  disparu  l'impie  Himâr  ibn  Towaili',  une  sorte  de  Coré 
arabe  (").  Partout  dans  la  toponymie,  on  pouvait  retrouver  des  al- 
lusions à  l'histoire  des  volcans  de  la  Péninsule.  Les  noms  de  person- 
nes et  de  tribus  insinuaient  la  même  conclusion  (*).  Les  anecdotiers 
arabes  en  ont  profité  pour  broder  sur  ces  canevas  philologiques  des 
histoires  divertissantes.  Dans  la  Sira  et  dans  le  Hadlt  nous  assistons 
également  aux  efforts  de  Mahomet  pour  modifier  cette  eftra\-ante 
nomenclature  (").  La  postérité  lui  a  du  moins  attribué  cette  tentative 
pour  légitimer  sans  doute  la  croyance  aux  augures  et  à  l'influence 
des  noms  heureux  ou  malheureux. 


(M  Vâqoût,  E.  III,  260,   10. 

(2)  Cf.  notre   Yazîd,   238. 

(')  Gâhiz,  Haiawân,  IV,  152  ;  Bakri,  op.  cit.,  275,  9  d.  1.  ;  cf.  E.  Reclus,  loc. 
sup.  cit.;  Al-'Isâmî,  (JI^aJI  f.??^'  ke.*j  .  cité  dans  Masriq,    1912,  p.   779. 

(*)  Bakri,  op.  cit.,  295,  d.  1. 

(^)  Observation  déjà  faite  par  Loth,  op.  cit.,  375.  Pour  l'époque,  postérieure  à 
l'hégire,  cf.  Wùstenfeld,   Gebiet  von  Médina,  25,  33. 

C^)  Yâqoût,   E.   III,  259,  d.   1. 

C)  Yâqoût,    E.   III,   174. 

(8)  Bakri,  op.  cit.,  559,  5-6  ;  Yâqoût,  E.  III,  261-62. 

C)  Ag.,  IV,  20.  Quand  il  approche  d'un  campement  inconnu,  où  brille  le  feu, 
le  calife  'Omar  évite  l'apostrophe  .LUI  Jjbl  b  (signifiant  aussi  les  damnés);  Bakri, 
op.  cit.,  601,  4  d.  1. 


74  Les  sables  <  musicaux  » 

Dans  un  milieu,  portant  des  traces  aussi  manifestes  d'une  an- 
cienne activité  volcaniriue,  il  faut  s'attendre  à  voir  surgir  des  monta- 
gnes et  des  collines  noires  ('),  des  massifs  de  basalte,  «  où  rien  ne 
pousse  »  (').  Leurs  formes  tourmentées  et  bizarres  ont  frappé  l'ima- 
gination des  nomades:  ils  croient  y  reconnaître  tantôt  des  aigles, 
tantôt  des  têtes  de  démons  (^).  On  rencontre  également  des  monta- 
gnes rondes,  des  pics  isolés  (■*),  enfin  des  massifs  de  sable,  rendant 
un  son  musical  (^).  Le  plus  célèbre  est  voisin  du  fameux  champ  de 
bataille  de  Badr.  «  On  l'appelle  la  montagne  des  tambours  ;  les  habi- 
tants des  environs  croient  entendre  toutes  les  nuits  du  jeudi  au  ven- 
dredi comme  une  batterie  de  tambours  »  (°). 

En  traversant  ces  pa^'sages  désolés,  le  v03'ageur  éprouve  l'im- 
pression de  côto\er  de  gigantesques  foyers  éteints,  dont  l'activité, 
momentanément  suspendue,  pourrait  se  réveiller,  comme  il  est  arrivé 
vers  la  fin  du  moyen  âge.  Endroits  à  souhait  pour  servir  de  lieu 
d'asile  !  Aussi  voyons-nous  les  Bédouins  se  réfugier  clans  ces  massifs, 
forteresses  naturelles,  pour  échapper  aux  poursuites  des  bandes  de 
Mahomet.  Au  Prophète  ils  laissent  la  ressource  de  ramener  à  Mé- 
dine,  les  mains  vides,  les  guerriers  de  l'islam  ICLJ^  ^^Jj  K   C).    Ainsi 

(')  ftl>3^  ^L^l  ou  >^  Jt;^;  V,^kn,  op.  cit.,  207,  214,  256,  262,  320,  396,  397; 
Yâqoût,  E.  II,  256;   III,  33,   138,   156;  VI,  89.  Ag.,  VIII,   134,   138. 

(2)  Bakri,  op.  cit.,   462  ;   Ibn  Doraid,  Istigàg,    110. 

(3)  Bakii,  op.  cit.,  591  ;  Yâqoût,  E.   IV,  214,  6  d.  1.;  cf.   I,  249-50;  368;  370. 
(*)  Yâqoût,  E.  IV,  295.   Monts  isolés,  appelés  Batil  {z^  Bethel,  bétyle  ?)  ;  Yâqoût, 

E.  II,  58,  3;  autres,  nommés  >v»*;  «  lance  plus  effilée  que  le  >^.»6  de...  »;  Bakrî,  668,  10. 
p)  Cf.  Reclus,  op.  cit.,  882,  883  ;    Bakri,  op.  cit.,  659,  3-4  ;    nombreuses  vallées 
où  l'on  entend  les  cris  des  ginn  ;  ibid.,  688  ;  Mas'oûdï,  Prairies,   III,  323  sqq.  Du  phé- 
nomène Asma'î  donne  une  interprétation  rationaliste:    L^iA-jjU  JLcJI  (3  ^j_ajl  L^l 

J^j-il  Cj'^-^I  «^  1  ^y^\  L>»*^  J>H  ^  ..y^j '•     Naqâ'id   Gârïr,  599,   19-14.  La  plaine 
de  Badr  se  trouve   entrecoupée  de  collines   sablonneuses.    Sur   le  ^^1  uJ^.  j-»  voir   la 

littérature,  réunie  par  Goldziher,  Abhatidlungen,   I,  210-212.  Cf.  Yâqoût,  VI,   169,   171. 

('■')  Ibn  Batoûta,   Voyages,  I,  296;   Ibn  Gobair,    Travels-,  187. 

(")  I.  S.  labaq.,  Il',  24,  45,  61,  63,  65,  85,  95;  Ag.,  X,  36,  37;  Comp.  Zohair 
(Ahlw.)   100,   8: 

Bakrï,  op.  cit.,  694;  Ag.,  XI,   134;   1.  S.    Tabaq.,  11',    43,  57;    Aboû  Tammâm,  Ha- 
mâsa,   E.   I,   105,   142,  d.  v. 


Montagnes  boisées  75 

s'expriment  mélancoliquement  les  rédacteurs  de  ces  inglorieuses  ex- 
péditions. 

A  côté  de  ces  masses  noires,  on  trouve  également  de  nombreu- 
ses montagnes  rouges  (')  et  d'autres  tricolores:  noir,  blanc,  rouge  ("). 
Cette  indication  sommaire  est  loin  d'épuiser  la  gamme  des  couleurs 
de  ces  massifs  de  granit  et  de  porph3Te,  brillant  au  soleil  de  toutes 
les  nuances  de  l'arc  en  ciel  (^).  Certains  sont  signalés  comme  cou- 
\erts  d'une  vigoureuse  végétation,  ^y^il  ^,/  {*).  En  revanche  autour 
de  la  Mecijue  les  montagnes  apparaissent  complètement  stériles  ("). 
Ailleurs  on  rencontre  également  des  montagnes  dépouillées,  Agrad, 
sans  trace  aucune  de  végétation,   a-^  cJ-^  ^   (")• 

Par  contre  les  topon3mes  moins  austères  ne  font  pas  défaut  :  tel 
le  mont  Arîk,  ainsi  nommé  à  cause  de  ses  bouquets  ^aràk  ('). 
Ajoutez-}-  les  montagnes  \'ertes,  Ahdar,  OJiaidir  ("),  As'ar  (')  monts 
chevelus  ("),  contrastant  avec  les  monts  pelés,  Agrà'  (").  Les  géo- 
graphes prennent  d'ailleurs  la  précaution  de  nous  en  prévenir  :  tout 
le  district  des  monts  As'ar,  au  pays  de  Gohaina,  formait  une  suite 
presque  ininterrompue  de  cultures  et  de  points  d'eau.  Le  calife 
'Abdalmalik  \-  possédait  une  de  ses  ôàdias  désertiques,  peut  être  une 


(i)  Ibn  Batoûta,  Voyages,  I,  260,  336  ;  Bakri  313,  597,  638,  674,  675  ;  Yâqoût, 
E.  II,  269,  282,  326;  III,  30;  V.  34,  261,  330,  368;  Ag.,  X,  36  d.  1.;  Wûstenfeld, 
Gebiet  von  Médina,   16,   18,  27. 

(-)  Yâqoût,  E.  IV,  268,  3  d.  1.,  I.  S.  Tabaq..  Il',  43,  22.  Synonymie  pour  les 
couleurs  des  massifs  montagneux;  Yâqoût,  VI,   113,  bas. 

(3)  Cf.  Reclus,  op.  cit.,   IX,  882. 

(<)  Bakrî,  op.  cil.,  534,  9  d.  1. 

(■>)  Yâqoût,  E.  III,  240,  6-7.  VI,   164.  8:  ^^  ^^  sU'^J 

(6)  Yâqoût,  E.  I,   122;  240,  5  d.  1.  VI,  89;  Bakrî,  op.  cit.,   123. 

Q)  Bakri,  op.  cit..  86,  9  d.  I. 

(')  Istahri,  Géogr.,  21,  7;  mais  «  Ohaidir  »  représenterait  un  enfer  d'après  Ibn 
Batoûta,   Voyages,   I,  259,   1  ;  Auler  Pascha,  Die  Hedschasbahn,   II,  25. 

(*)  Ou  encore  les  monts  «  Sa'rân  »,  ainsi  appelés  Ub  ■■v>«'-'i  iJS^;  Bakri,   123. 

("'i  -«->'1H  is -iS"  j^  yjtil  ;  Bakri,  123  ;  tl  _>iio  ,  nom  des  sables,  où  poussent  des 
arbres;  Hamdânî,  Gazïra,   128. 

(")  Yâqoût,  E.  I,  258;  Bakri,  op.  cit.,  123.  Encore  appelés  ç!-ôl  chauves;  Ibn 
Doraid,  Isliqàq,   215. 


76  Les  arbres  du  TiliSnia 

de  celles  a\ant  excité  les  convoitises  du  poète  si'ite  Kotayyr  (')?  Or 
les  souverains  omayyades,  habitués  aux  jardins  de  la  Damascène, 
devaient  s'y  connaître  {^).  Une  comparaison  familière  était  la  sui- 
vante: «  nombreux  comme  les  arbres  de  Risa  >  (^),  une  vallée  sur  les 
confins  du  Yémen.  Nous  en  connaissons  une  autre,  attribuée  à 
Mahomet  lui-même  :  «  innombrables  comme  les  arbres  du  Tihâma, 
A-<i\4y:J\  ysxti  >j^  »  {*).  Le  Tihâma  ce  sont  les  plaines  basses  du 
Higâz,  principalement  celles  avoisinant  l'Erythrée. 


(')  A^.,  VIII,  30,   1-3. 

{•)  Bakri,  op.  cit.,  123,  bas  ;  124,  125.  La  terre  de  Yazîd  l",  cédée  par  lui  à 
'Abdalmalik,  se  trouvait  dans  les  environs  de  Wâdi'l  Qorâ  ;   Balâdorî,  Foioûh,  31. 

(3)  Yâqoût,  E.  III,  334,  d.  I.  ;  V,  60-61  ;  «  plus  vert  que  la  vallée  de  Na'mân  ». 
Voir  plus  haut.  Sur  la  flore  du  Tihâma,  comp.   Ibn  Halâwaih,  Sagar,  passim. 

0)  Hanbal,  Mosnad,   II,   184,  6  d.  1.;  Ya'qoûbi,  Hist.,  II,   116-7  d.  1. 


VIII 


Le  bois  et  les  moyens  de  chauffage. 
Le  Bédouin  et  le  feu.  Bûcherons  et  charbonniers 


Le  Bédouin  frileux  (')  se  montre  grand  amateur  du  feu  (^).  Par- 
tout où  ie  l'ai  rencontré,  dans  les  plaines  de  l'Emésène,  sur  les  pla- 
teaux de  la  TransJordanie  et  de  la  Pétrée,  même  pendant  les 
tièdes  nuits  d'Août,  j'ai  vu  les  membres  du  campement,  jeunes  et 
vieux  (^),  se  rapprocher  avec  délices  du  foyer.  «  Leurs  yeux  brillants 
fixaient  avec  convoitise  la  flamme,  allumée  »  à  l'entrée  de  la  tente. 
C'est  le  début  d'un  tableau  esquissé  par  A'sâ: 

«  Manger,  boire,  se  chauffer,  Ji^^U  ^j^}  ^  '  (^)'  cette  énuméra- 
tion  réaliste  épuise  tout  le  bien-être  rêvé  par  les  Nomades.  Le  feu 
allumé  en  permanence  pendant  la  nuit,  c'est  le  S3-mbole  de  la  gêné 


(')  Cf.  A.   Musil,  Arabia  Pelraea,  III,   12. 

(2)  Seul  le  foyer  sert  à  éclairer  la  tente  ;  pas  d'autre  luminaire.  Les  noms  pour 
le  désigner  sont  d'origine  araméenne  ;  cf.  Guidi,  Sede primttiva,  600  ;  Fraenkel,  Aratn. 
Fremdw.,  95-96.  Voilà  comment  la  lampe  du  moine  (Cf.  Guidi,  ibid.,  601)  est  de- 
venue une  image  poétique.  Pour  J^^X«  =  intelligent,  rapprochez  encore  Guidi, 
ibid.,  ô'(>. 

(3)  Le  Bédouin  a  surtout  la  tête  sensible  au  froid.  ;  Gâhiz,  Avares,  240,  16. 

(<)  ^Uj  =  colline  élevée;  A.  Tammâm,    Hamàsa,  E.  I,  71,    111,  11.   A^.,  VIII, 
80;  sur  sUj,  nom  propre,  cf.  Bakrî,  782;  Yâqoût,  E.  VIII,  511. 
(5)  Ag.,  VIII,  82,   1. 


78  Les  Bédouins  et  le  feu 

rosité  des  nobles  say_vd  (').  Parmi  eux,  les  plus  magnifiques  chargent 
leurs  esclaves  de  l'entretenir,  «  de  l'empêcher  de  dormir  »  (').  Ils 
s'empressent  d'\'  «  jeter  les  bûches  les  plus  grosses,  en  entendant 
l'écho  répéter  le  cri  d'appel  (^)  de  l'hôte  »  au  sein  de  la  nuit. 

D'un  Bédouin,  Gâhiz  cite  cette  naïve  prière  :  «  O  Allah,  ne  me 
laisse  manquer  de  feu  ni  dans  ce  monde  ni  dans  l'autre  !  >  (*).  On 
comprendra  comment  il  peut  être  amené  à  sacrifier  son  arc  et  ses 
flèches.  Sous  la  morsure  du  froid,  il  les  mettra  au  feu  pour  se  pro- 
curer (juelques  instants  de  soulagement  i^'). 

Aux  nomades  les  entrailles  de  leurs  troupeaux  fournissent  une 
fabrication  ininterrompue  de  combustible.  Tout  est  utilisé,  même  la 
bouse  de  chameau,  pour  entretenir  le  feu  (').  Mais  ce  serait  une  illu- 
sion de  les  croire  réduits  à  cette  mesquine  ressource,  pour  se  pro- 
curer la  sensation  d'une  flambée,  quand  souffle  la  bise  de  S3'rie.  Les 


(')  Il  est  honorable  d'avoir  un  grand  tas  de  cendres  devant  la  tente  ;  d'être, 
comme  'Orwa  ibn  al-Ward,  >UiJI  -f^;  So'arâ'  (Cheikho)  891,  2  d.  v.  Musil,  Arabia 
Petraea,   III,   130. 

(2)  »  jLs  f^yi>^  *->-?.  *J  ;  Aboli  Dahbal  al-Gomahï,  Divan,  Krenkow,  III,  12; 
notre  Yaztd,  193;  Ahtal,  Divan,  250,  3;  Aboû  Tammâm,  Hamâsa,  720;  Ibn  Sikkît, 
Tahdîf>,  614  ;  feu  de  l'hospitalité  ;  Ag.  XI,  95  ;  sur  les  collines  pour  attirer  les  hôtes  ; 
A.  Tammam,  Hamâsa,  E.  I,  60,  111,  1  ;  nombreuses  comparaisons  prises  du  feu  : 
Hamâsa,  E.  I,  210,   1  v.  ;    269  ;  «  feu  de  la  trahison  »  IV,   147-48. 

(3)  ^CLX*<jl ,  imiter  l'aboiement  du  chien. 

(^)  Aboû  Tammam,   Hamâsa,  E.  IV,  63,  4  v.;  description  des  chaudrons  de  Sald 

ibn  al-'Asi  J.i«iJi  J  j-4-^  i_y*5  •  '^^''"'^  flamber  très  fort  le  feu  pour  l'hôte;  ibid.  IV,  121  ; 
y  jeter  du  gros  bois,  produisant  une  flamme  durable  ;  éviter  l'emploi  du  \>çi\%  fumeux  ; 
Naqa'id  Gartr  102,  1  ;  139,  1-4.  On  loue  le  «  feu  jaune  »  avec  du  bois  bien  sec  ;  Gâhiz, 
Avares,  269,  12;  comp.  ibid.,  246,  U.  «Attisez  le  feu!»  pour  les  hôtes;  Naqa'id 
Gartr,  154,  6;  jusqu'à  la  fin  de  la  nuit;  Hotai'a,  Divan,  XII,  7;  comp.   VII,  v.    39. 

(5)  Haiawân,  IV,  154.  En  hiver  le  gàr  du  sayyd  généreu.x  ne  souffre  pas  du  froid; 
Hotai'a,  Divan,  VIII,  v.  20. 

C"')  G.  Jacob,  Beduinenleben,  p.  2;  dans  A.  Tammâm,  Hamâsa,  E.  I.  82  2  «brû- 
ler les  flèches  »  a  un  sens  métaphorique.  On  durcit  le  bâton  au  feu  ;  Hamâsa,  E.  IV, 
158,  d.  v.  ;  Naqa'id  Gartr  97,  3. 

(')  Cf.  Ag.,  X,  35,  4  et  2  d.  I.,  jaussen,  Pays  de  Moab,  275. 


Comparaisons  tirées  du  feu  79 

philologues  arabes  énumèrent  quantité  d'arbres,  d'arbustes,  de  buissons, 
poussant  jusque  dans  les  sables  et  dans  les  terrains  les  plus  ingrats  (') 
là  où,  dans  nos  climats,  le  chiendent  lui-même  étoufterait.  Leur  bois 
résineux,  noueux  et  dur  offre  un  excellent  moyen  de  chauffage.  Ainsi 
le  £'(Tdà,  précédemment  vanté  comme  fourrage,  dégage  une  chaleur 
considérable  ;  il  brûle  lentement  et  pour  ainsi  dire  sans  fumée.  Le 
calorique,  développé  par  le  gadà^  est  devenu  proverbial  (').  Les 
coquettes  du  désert  se  comparaient  volentiers  «  à  un  feu  allumé  dans 
la  nuit  froide.  is^CJ!  iX-JUI  ^  ^UJI  ,^  ^j^--^  »  (').  La  similitude  por^e 
non  seulement  sur  l'éclat  du  foyer,  mais  encore  sur  la  sensation  de 
bien-être,  éprouvée  au  coin  du  feu,  recherche  qui  ne  constituerait 
donc  pas  le  monopole  des  Septentrionaux.  Le  poète  assimile  'Azza, 
l'héroïne  par  lui  chantée  en  cent  qasîdas,  «  à  un  feu  (*)  inextinguible  : 
à  distance  son  éclat   rappelle  celui  d'un  astre  » 


a  ^  ^ 


Cette  passion  du  feu,  l'entretien  de  tous  ces  fo3"ers,  supportant 
des  chaudières,  c  larges  comme  des  réserv'oirs,  où  nagent  des  cha- 
meaux entiers  '  f  ),  tous  les  accessoires  enfin  de  cette  hospitalité,  plus 
fastueuse  encore  dans  l'expression  que  dans  la  réalité  —  au  dire  du 
malicieux  Gâhiz  (')  —  permettent  de  supposer  l'existence    de   réser- 


(•)  Voir  plus  haut. 

(')  Brillant  comme  «  la  braise  du  gadâ  »  ;  Gâhiz,  Avares,  257,  14  Cf.  Asma'i, 
Nabot,  878  ;  Le  gadâ  est  6^_yik-L>  ^  jj^  ô^..^  cï*^-  î'^'  cr"*^-  >-r*^'-«>  *-— >i^  *>  ; 
les  Lexiques.  Musil,  Arabia  Petraea,  III,  14  ;  Ibn  Sikkît,  Tahçhb,  556,  557  :  Ju.^1 
UààJl  v-oÎJi  i_jbJJI  ;  sur  le  loup  réfugié  dans  les  fourrés  de  gadâ,  voir  plus  haut. 

(^)  Ag.,  VIII,  38,  6.  Braise  de  gadâ,  comparée  à  l'éclat  des  pierres  précieuses  ; 
Gâhiz,  Avares,  Ihl ,  14.   Pour  la  modestie  des  fiancées  arabes,  voir  Ag.,  IX,   149-50; 

l'une  déclare  être:  \^\  A'.«.<^>»j.l  IXlii.  Aji-jJI  \S^_  p.\X>ai\  Q^^  '^J'^i^^'  '<  -^S--  I^. 
150,  8. 

{*)  Comp.  «  feu  brillant  comme  l'étoile  Sirius  »  ;  Bakrï,  op.  cit.,  699,  3  d.  1. 

e)  A-g..   VIII,  38,   4. 

(«)  Cf.  Yazid,  192-93  ;  Omay>'a  ibn  abi's-Salt,  Divan,  éd.  Schulthess,  XIII,  et  XVII, 
1  ;  Gâhiz.  Avares,  245-51  (copieuse  anthologie  chez  ce  dernier). 

(")  Gâhiz, /îî'fl»-ifj,  245;  |»*aj y^  l».^lia.^  ^y^^i  <^  ^yuai  ^  J$  c>^  ô"^-^  ^^ 


80  Bûcherons 

ves  de  bois.  Le  géograf>he  Hamdânl  (')  dans  sa  description  de  la 
Péninsule  arabe  développe  une  sjnonjmie  étendue  de  termes  pour 
désigner  la  variété  des  bocages,  d'après  les  essences  particuliè- 
res, qui  y  prédominent.  Les  réunions  ^aràk,  de  tarfà\  de  sidr, 
etc.  sont  désignées  en  arabe  par  un  nom  collectif,  comme  dans  nos 
langues  les  chênaies,  les  pinaies,  les  olivettes.  Cette  s\non3mie 
regarde,  il  est  vrai,  en  premier  lieu  le  Nagd  et  les  monts  du  Yémen. 
Mais  elle  convient  également  aux  hautes  chaînes  du  Higâz  (^)  et  à 
la  région  alpestre  de  cette  province,  au  Sarât  ('),  où  des  sommets 
approchent  de  3000  mètres.  Les  idiomes  de  nos  humides  climats 
n'offrent  rien  de  comparable  à  cette  richesse,  un  peu  factice  peut- 
être  et  accrue  par  le  zèle,  propre  à  tous  les  spécialistes,  désireux 
d'enrichir  leurs  collections.  Mais  il  nous  paraît  injuste  de  leur  dénier 
toute  signification  pour  la  s^-lviculture  de  la  Péninsule.  Cette  conclu- 
sion renverserait  les  lois  les  mieux  établies  de  la  philologie.  «  Quand 
quelqu'un  s'entend  à  décrire  la  bonne  chère,  les  morceaux  délicats, 
c'est  qu'apparemment  il  en  a  goûté  ».  Cette  remarque  de  Gâhiz  (*), 
à  propos  de  la  somptueuse  faconde  des  Arabes  dans  la  description 
de  leur  hospitalité,  doit  trouver  ici  son  application. 

Quoiqu'il  en  soit,  il  existait  des  bûcherons  en  Arabie.  Telle 
aurait  été  la  situation  du  futur  calife  'Omar  en  son  jeune  âge  (^). 
Leur  industrie  s'exerçait  (')  de  préférence,  on  le  comprendra,  dans 
le  voisinage  des  centres  habités.  Aux  environs  de  la  Mecque  le  vo}-a- 
geur  étranger  compte  sur  la  rencontre   d'un    bûcheron,   ^Ji=^   pour 


(•)  Gaztra,  155-56.  Voir  plus  haut.  Il  est  question  de  «  10,000  feux  »  au  camp 
de  Mahomet,  en  marche  vers  la  Mecque;   I.  S.   Tabaq  ;  IH,  97. 

(')  Expressément  noté  par  Ibn  Halâuaih.  Voir  plus  haut.  Ailleurs  on  signale  soi- 
gneusement les  «  arbres  prêtant  leur  ombre,  l^  |J.k<.t>o  »;  Yâqoût,  V,  424,  14  ;  VI, 
83.  Beaucoup  d'arbres  n'avaient  pas  de  feuilles. 

P)  Yâqoût,  E.  V,  59,  bas. 

(*)  Avares,  253,  haut.  Quand,  selon  l'usage,  les  poètes  décrivent  le  vin,  l'assi- 
stance leur  crie  fréquemment  :  «  tu  en  as  goûté  ». 

(3)  Bakrî,  op.  cit.,    618,  7  d.  I. 

(')  t_^l-iX'->l  ;  Ag.,  X,  32,  7.  Le  célèbre  Aboû  Horaira  avait  débuté,  comme  bû- 
cheron et  hâdi;  Ibn  Mâgâ,  Sonan,   E.  II,  45,   11.   \'oir  la  note  suivante. 


Bûcherons  'alides  81 

obtenir  des  renseignements  (').  Les  bûcherons  arabes  ne  paraissent 
pas  s'être  mieux  enricliis  (jne  celui  de  notre  bon  Lafontaine.  Il  fal- 
lait courir  au  loin,  escalader  le  sommet  des  montagnes,  oi^i  se  réfu- 
giaient les  plus  beaux  spécimens  de  la  flore  forestière  (•).  Mais  enfin, 
disait  le  Prophète,  en  désignant  du  doigt  les  monts,  encerclant  l'oasis 
de  Médine,  «  couper  du  bois  vaut  mieux  que  mendier  »  (^).  Pour 
signifier  un  maladroit,  exécutant  une  besogne  de  travers,  on  citait  le 
bûcheron,  coupant  du  bois  au  milieu  des  ténèbres  de  la  nuit  (*).  On 
ne  disait  pas  :  travailler  pour  le  Roi  de  Prusse,  mais  «  ramasser  du 
bois  avec  une  corde  d'emprunt,  s^i  jLL.  ^^  e_*i.3.  »  (^).  A  Médine, 
Mahomet  recevait  chaque  matin  sa  provision  de  bois  pour  la  jour- 
née C^).  On  connaissait  même  des  charbonniers,  puisque  dans  le  désert 
il  n'était  pas  rare  de  rencontrer  des  caravanes,  chargées  de  charbon  C). 
Au  12'  siècle  le  vo\-ageur  Ibn  Gobair  en  arrivant  à  Gadda,  port  de 
la  Mecque,  }•  trouva  les  descendants  de  Fâtima,  réduits  à  exercer 
les  plus  humbles  métiers,  celui  de  bûcheron  entr'autres  (*).  Ce  spec- 
tacle parut  au  pèlerin  andalou  l'abomination  de  la  désolation  :  «  Gloire 
à  l'Eternel,  s'écrie-t-il.  Il  décrète  à  son  gré  les  événements  !  Ces  saints 
personnages  appartiennent  à  une  famille  pour  laquelle  Allah  a  pré- 
féré au  bonheur  de  ce  monde  la  félicité  de  l'autre  vie!  »  (^). 


(')  y4g:,  VI,  97.  A  Médine  les  qorrff,  récitateurs  du  Qoran,  sont  bûcherons  et 
vivent  du  produit  de  leur  travail  ;  Hanbal,  Mosiiad,  III.  270,  10.  Leçon  d'ascétisme 
et  exemple  pour  les  gorya"  postérieurs,  vivant  aux  dépens  du  public.  Tout  se  retrouve 
dans  le  hadît  !  (Pour  les  traits  contre  les  gorrà'  cf.  Mo'mvia,  342-52).  Aboû  Horaira, 
récitateur  du  Qoran,  devait  être  bûcheron  :  cette  conclusion  a  été  accueillie  par  les 
Sonau  d'Ibn  Mâgâ. 

(2)  Hamdânî,  Gazïra,   156.   Ibn  Halâwaih,  Sagar,  passini  :  JUil  L^-iL-lxi 

(3)  Hanbal,  Mosnad.  II,  395,    11. 

(*)  Bohtori,  Hamâsa,  (éd.  Cheikho)  n.   1254. 

(5)  A.  Tammâm,  Hamàsa,   E.   I,   167,  5  d.  1. 

(8)  Cf.  Fàtima,   19,   n.  6, 

C)  Bakri,  op.  cit.,   251,   U  ;  citation  poétique,  743,    10. 

(*)  |^j^-4>ijiU  CjUj  _»iJI  ^JUmJ  tiUi  J^Uï  li:,^  ;  Ibn  Gobair,  Travels,  76  ;  les 
femmes  se  livraient  fréquemment  à  ce  pénible  travail  ;  cf.  Ag.,  X,  32,  7  ;  comp.  VII, 
85-86. 

(^)  Ibn  Gobair,  Travels-,  76.  Sur  la  rareté  du  bois,  comp.  Schulthess,  Zeits  f. 
Assyr.,  XXVII,  234. 

Lahhens  —  Berceau  6 


IX 
Le  palmier  au  yi^az.  Son  utilité 


Dans  les  oasis,  telles  que  Haibar  et  Médine,  le  palmier  abon- 
dait; nous  l'avons  dit.  De  là  le  proverbe:  «  porter  des  dattes  à 
Haibar  »  (*).  Nous  dirions,  nous:  «  porter  de  l'eau  à  la  rivière  >;  une 
tournure  forcément  vide  de  sens  dans  l'aride  Péninsule.  Arbre  pro- 
videntiel pour  les  nomades  1  Leur  tante  et  leur  mère,  comme  on 
amène  Mahomet  à  le  proclamer.  Avec  le  lait  il  complétait  le  menu 
des  familles  aisées  au  désert.  Joints  à  la  viande  de  chameau,  ses 
fruits  savoureux  formaient  la  seule  nourriture  solide  (^)  pour  des  mil- 
liers de  Bédouins,  vivant  et  mourant  ni  plus  ni  moins  que  nous,  mais 
sans  avoir  jamais  avalé  une  bouchée  de  pain  (^^. 

Pour  la  plupart  des  tribus  du  centre  de  la  Péninsule,  et  même 
pour  celles  du  Higâz,  éloignées  du  limes  syrien,  le  pain  constituait 
une  nourriture  de  choix,  le  blé  une  marchandise  de  luxe,  apportée 
de  loin;  commerce  exploité  par  les  chrétiens  de  la  Syro-Palestine  et 

(1)  AboQ  Tammâm,  Hamàsa,  631,  3;  Vâqoût,  E.  III,  497  ;  Gâhiz,  Bayàn,  I,  209; 
6  d.  I.  Le  palmier  «  tante  des  Arabes  »;  Gâhiz,  op.  cit.,   I,  208. 

(-)  Cf.  scolion  sur  le  Divan  de  Hotai'a  (éd.  Goldziher),  LVIII  ;  Gâhiz,  Avares, 
254.  Dattes  et  lait  constituent  l'ordinaire  des  Arabes  ;  Ag.,  XII,  48,  6  ;  49,  2. 

(3)  Cf.  Fatima,  43-44;  Ibn  Sikkït,  Tahdtb,  635  etc.,  chap.  ^jjsJI  'à-,>^\\  Gâhiz, 
Avares,  253  etc.,  i_j^lia.,  corbeilles,  fabriquées  avec  les  feuilles  de  palmier;  Yâqoût, 
E.  III,  444.  Palmeraies  de  Qorh  (Wâdi'l  Qorâ),  célébrées  par  Ibn  Moqbil  ;  Bakrï,  op. 
cit.,  736,  5  d.  1.  Ressources  alimentaires  de  Haibar;  R.  Leszynsky,  Diejuden  in  Ara- 
bien  zur  Zeit  Mohanimeds,   27. 


Le  pain  en  Arabie  83 

monopolisé  au  Higâz  par  les  Juifs  de  Médine.  Même  après  les  a\oir 
dépouillés  de  leurs  domaines,  Mahomet  demeure  leur  débiteur  pour 
l'achat  des  céréales  et  meurt  sans  avoir  soldé  ses  dettes  (').  Seuls 
les  plus  riches  sayvd  pouvaient  se  permettre  le  luxe  de  se  nourrir 
de  céréales.  L'usage  du  i)ain  donnait  de  l'esprit,  on  croyait  pouvoir 
l'affirmer,  tandis  qu'on  déniait  la  même  propriété  aux  dattes,  pitance 
plus  démocratique  (■).  Le  vo3'-ageur  Doughty  ('),  après  avoir  vécu 
deux  ans  de  la  vie  bédouine,  se  déclare  lui  aussi  peu  partisan  d'une 
alimentation  à  base  de  dattes.  Cette  opinion,  du  moins  pour  les  mi- 
lieux arabes,  doit  vraisemblablement  son  origine  à  la  réputation  de 
finesse,  attribuée  aux  habitants  de  Tâif  —  la  ville  des  dàhia  {*)  — 
où  l'on  se  nourrissait  généralement  de  blé  {').  C'est  une  des  innom- 
brables satires  indirectes,  mises  en  circulation  par  l'antagonisme,  très 
accentué,  surtout  à  partir  de  l'hégire,  entre  les  nomades  et  les  cita- 
dins. Ces  derniers,  enrichis  par  les  conquêtes  et  l'extension  de  l'em- 
pire musulman,  fiers  de  commander  au.x  plus  belles  contrées  de  l'O- 
rient, rougissaient  maintenant  de  leurs  cousins  nomades  :  tentation 
habituelle  aux  parvenus  !  Il  devint  de  mode  alors  de  railler  ('')  la 
grossièreté  du  Bédouin  ^31=- ,  brutal,  réfractaire  aux  choses  de  l'islam 
et  d'en  chercher  l'explication  dans  l'excessive  sobriété  de  son  régime. 
Se  nourrir  de  pain  !  Les  poètes,  ces  historiographes  préislamites,  ne 
manquaient    pas    de    relater  le  fait  dans    leurs    qaslda,  archives    des 


^')  Cf.  faiiina,   loc.  cit. 

(2)  Osd,  IV,   173;  Ag.,  XII,  43-49;  'Iqd^,  I,  211,  8.  Fàiima,  loc.  cit. 

(3)  Travels,   I,   148,  554. 

(■*)  Cf.  Mo'âwia,  214  ;  Ziâd  ibn  Abihi,  passim. 

(^)  Gâhiz,  Bayân,  I,  78,  bas  :  «  un  morceau  de  pain  ressusciterait  un  Tamïmite  ». 
Ibid.,  II,  142,  12  ;  on  court  jusque  dans  le  'Oman,  à  l'annonce  d'un  morceau  à  man- 
ger »  ;  Ibid.,  I,  9,  1.  14  etc.  «se  nourrir  de  blé  »,  un  éloge  en  poésie  !  Le  ^ivj  était 
con.sidérée  comme  une  céréale  de  famine  (voir  pi.  haut   p.    42).    Gâhiz,  Az'ares,  236, 

5^i.^''»'',«i>' 

6,  16.  Ibn  Doraid,  Istiqaq,  169,  11  nomme  encore  le  'alas  =  ^_j_il  ^j  :.  <  y  >ytAi\  <---v^ 
cf.  Nôldeke,  ZDMG,  XLIX,  714.  Moulins  à  eau  chez  les  Qodra  ;  A.  Tammam,  Ha- 
inâsa,  E.  IV,  75,  1.  Mais  plusieurs  de  leurs  tribus  peuplaient  la  Syrie  et  les  districts 
voisins.  On  parle  d'une  double  moisson  au  Yépien  ;  Yahiâ,  Harâg,  86,   14. 

C^)  Voir  surtont  les  œuvres  du  polygraphe  Gâhiz,  principalement  Haiawân,  passim. 
Cf.  notre  République,  32. 


84  Le  vin  de  dattes 

Arabes,  (_jyiJl  o'y.^-  '  ^^u  sein  de  notre  tribu  est  sorti  le  sajyd,  man- 
geur de  pain,  j-il  JïT  Lu  »  (').  Comment  laisser  ignorer  à  la  posté- 
rité un  trait  aussi  peu  banal  ? 

Des  dattes  on  tirait  une  liqueur  fermentée,  liquide  épais  et  fu- 
meux (-),  <  capable  de  taire  peler  le  visage,  *^^l  (^  ^lï— h>.  '^-y^  '  •  Le 
vin,  lui,  <  guérissait  la  migraine,  même  quand  on  le  buvait  sans  mélange  > 

Le  vin  de  dattes  devenait  une  cause  de  rixes  et  de  meurtres,  jusque 
dans  l'entourage  immédiat  de  Mahomet.  Son  saint  oncle  Hamza,  «  le 
lion  d'Allah  >,  quand  il  avait  bu  du  fiaâïd  —  c'était  le  nom  de  la  li- 
queur —  traitait  le  Prophète  de  vil  esclave  et  lardait  à  coups  de 
sabre  les  chameaux  de  son  neveu  'Alî  (^).  L'ivresse  lourde  du  fiaâid 
précipitait  les  uns  contre  les  autres  les  Compagnons  de  Mahomet  (*) 
et  les  partageait  en  deux  camps  ennemis:  Ansâriens  contre  Mec- 
quois  (*).  On  voit  si  le  Réformateur  manqua  de  motifs  pour  en  vou- 
loir aux  boissons  fermentées  ! 

Dans  son  écœurement  il  défendit  dans  le  Ooran  {4,  46)  de 
pénétrer   dans    la   mosquée    avant   d'avoir   complètement   cuvé    son 

alcool  :  o^j^  *-*  \yi-^  ^j'-^^  ^j'^— '  f->'j>  ^"^^^^  '^7»->^  \yX^\  ^,S^\  Ljjj  b 
Les  déchets,  les  qualités  inférieures,  jusqu'aux  noyaux  de  dattes,  écrasés 
et  piles,  entraient  dans  la  composition  d'un  gâteau  pour  les  chameaux, 
aux  entrailles  cuirassées  par  les  épines  et  la  gaine  rugueuse  des  fourra- 
ges désertiques  (").  Aussi  les  ramassait-on  soigneusement  pour  les  utili- 
ser :  un  métier  de  gagne-petit,  exercé  par  les  gamins  des  grandes  agglo- 


(')  Gâhiz,  Avares,  254,   12.  Comp.  Schulthess  dans  ^«Vj. /.  Assyr.,  XXVII,  240, 

(2)  Ag-..   IV,   104,   15;  'Alqama  (Ahlw.),   113,  5. 

(3)  Bohâri,  Sahïk  (K),  II,  80-82  ;  271  ;  'Omar  est  buveur;  Ibn  Hisâm,  Stra,  227,  228. 
(■')  'Abdarrahmân  ibn  'Auf,  'Alï,  plusieurs  Mobassara,  ivres-morts  dans  un  festin; 

Tab.,   Ta/sït;  V,  57,  bas. 

(^)  Cf.  Yaztd,  202  ;  au  moment  de  l'interdiction  qoranique,  le  vin  est  versé  dans 
les  rues  ç^LXir  ^^\  libLuJI  Cj^'S';  en  réalité  c'était  du  vabtd:  v->*«-Jl  "^1  S^^_  f^i^  ^i 
jOjLjXàa  J\J1^  ;   Hanbal,  Mosnad,    III,  217. 

(6)  Ibn  Doraid,  l'stiqâq,  271,  11  ;  cf   Doughty,    Travels,   II,   178,  Ag.,  X,  50,  6. 


Utilité  du  palmier  85 

mérations  (*).  Au  cours  des  razzias,  les  noyaux,  demeurés  dans  les  crot- 
tins de  chameau,  trahissaient  fréc^uemment  la  provenance  et  la  na- 
tionalité des  troupes  ennemies  (-).  Pour  tous  ces  motifs  on  comprendra 
pourquoi  le  Prophète  a  défendu  de  jeter  des  pierres  aux  palmiers  (^). 

Dans  sa  reconnaissance  le  Bédouin  leur  a  décerné  un  nom,  dé- 
rivé de  la  racine  ^ ,  servant  à  désigner  une  chose  exquise,  et  au 
fruit,  celui  de  lamar,  c'est  à  dire  le  fruit  par  excellence.  C'est  là  un 
exemple  des  multiples  et  fines  observations  philologiques,  émises  il 
y  a  déjà  longtemps  par  notre  grand  orientaliste,  le  Prof.  I.  Guidi 
dans  son  mémoire  classique  Délia  sede  priniitiva  dei  fopoli  semitici 
(p.  583). 

On  en  connaissait  de  nombreuses  variétés:  depuis  les  dattes, 
remplaçant  nos  glands  pour  l'engraissement  du  bétail,  ius(]u'à  celles, 
figurant  sur  la  table  des  chefs  de  grande  tente.  Dans  ces  conditions, 
ce  devait  être  le  rêve,  caressé  par  tous  les  Bédouins,  de  posséder  un 
lot  de  palmiers  (*).  Aussi  les  voit-on  sans  cesse  rôder  autour  des 
oasis  pour  s'en  approprier  une  parcelle,  ou  obtenir  par  menaces 
d'entrer  en  partage  de  la  récolte.  Ce  fut  en  partie  la  politique,  sui- 
vie par  Mahomet  à  l'égard  de  Haibar.  Il  parvint  à  s'}'  substituer  aux 
soi-disant  alliés  ou  protecteurs,  les  BanoQ  Gatafân  (°),  en  attendant 
d'attirer  à  lui  la  possession  complète  des  domaines  juifs.  C'est  l'hi- 
stoire de  toutes  les  autres  oasis:  Médine,  Fadak,  Taimâ',  Wâdi'l 
Oorâ  avec  leurs  Ifitàn,  jardins,  ardemment  convoités  par  les  tribus  en- 
vironnantes. Manœuvres  fréquemment  couronnées  de  succès  1  Quand 
ils  ne  peuvent  l'emporter  de  haute  lutte,  les  Bédouins  réussissent  du 
moins  à  s'imposer  comme  halïf,  comprenons,  partenaires.  En  d'autres 
termes,  la   cessation   d'hostilités  de  leur  part,  l'engagement  de  pro- 


(')  Ag.,  I,  164,  4  d.  1.  ^pJl  o>A^.  J~y^- 

<•)  Ibn  Hisâm,  Sira,  807  ;  Ag.,   IV,  42,   1  ;  X,  50,  6  ;  Nagà'id  Gartr,  50,  5. 

(')  Osd,  IV,   174,  haut. 

(■■)  Cf.  Gâhiz,  Haiawân,  I,  127.  6,  S.  Ils  se  considèrent  comme  les  propriétaires- 
nés  des  oasis  de  leur  district;  cf.  Auler  Pascha.  Die  Hedsckasbahti,  II,   11. 

p)  Avant  d'arriver  à  Haibar,  Mahomet  manœuvre  pour  empêcher  ces  Bédouins 
de  secourir  la  place  ;  cf.  Yâqoût,  E.  III,  152.  Je  doute  que  Haibar  ait  été  emporté 
de  vive  force,  comme  le  narre  la  Sïra. 


86  Les  palmeraies  au  Higâz 

téger  les  clos  contre  des  envahisseurs  étrangers,  tous  ces  ser\'ices 
devaient  être  pa3és,  et  l'étaient  généralement  en  charges  (')  de 
dattes  (^). 


Ces  palmeraies  on  les  rencontrait,  nous  le  savons  déjà,  aux 
abords  des  puits  et  des  gadir,  partout  où  l'eau  pouvait  s'emmagasiner 
dans  le  sous-sol.  De  là  la  phrase  stéréot\-pe  dans  nos  auteurs  :  tU 
Jj:  d^ ,  eau  avec  des  palmiers  (^).  Ces'  groupes  de  palmiers  jalon- 
naient de  leurs  archipels  verdoyants  l'océan  désolé  de  la  steppe  ara- 
bique, îlots  de  culture  et  d'agglomérations  humaines.  On  les  rencon- 
trait en  cheminant  dans  le  long  et  étroit  préau,  ancien  lit  de  rivière, 
si  justement  appelé  Wâdi'l  Qorâ  (^),  la  vallée  des  hameaux;  gracieux 
écran  tendu  depuis  le  Sud  de  TaboQk  et  les  jardins  d'Al-'Olà  (°), 
jusque  vers  le  débouché  septentrional  de  l'oasis  de  Médine.  Sur  ce 
point  le  rideau  de  verdure  s'ouvrait  soudain  en  un  éventail,  large- 
ment  déployé  C^).    Il  se    repliait  ensuite,    avec  de   nombreuses  solu- 

(')  dJl^  ,  JV*>. ,  couffins  de  dattes.  Cette  promesse  obtient  tout  ;  Naqâ'id  Garir, 
144-145. 

(-)  Les  B.  Gatafan  sont  les  halîf  des  Juifs  de  Médine  et  de  Haibar  ;  L  S.  Tabag., 
II',  41,  10.  Entrés  comme  halîf  dans  l'oasis  de  Médine,  les  Aus-Hazrag  se  mettent 
graduellement  en  possession  des  amwâl  ou  domaines  juifs.  Pendant  le  «  Handaq  », 
Mahomet  oflVe  aux  B.  Gatafân  le  1/3  des  dattes  de  l'oasis;  I.  S.  Tabag.,  II',  49,  19. 
Tribut  en  nature,  payé  par  les  Juifs  de  Wâdi'l  Qorâ  aux  Bédouins  ;  Bakrî,  30,  4  ;  30, 
2  d.  1.  ;   même   situation    à    Tâif;     JJl^  L,^  'i»W   ti*  (Wâdi'l  Qorâ)  V^  j<>^  ^ 

...  ^[^  (Ji^Ji   ^-^   l»jii>0|  i ;jJîJI  ,^  x>-{J  \AtjaX^e)  f ^  JS'  (3  Bakrî.  30,  50.  Cf.  Yazîd, 

281-82.  Bédouins  de  Mozaina  menacent  les  palmeraies  de  Médine  ;  voir  les  vers  du 
père  de  Hassan  ibn  Tâbit  ;   Bakrî,  op.  cit.,  666,  9  d.  1. 

(3)  YSqout,  E,  I,  293  ;  II,  3  ;  V,  83  ;  Bakrî,  op.  cit.,  620,  633,  637,  6-7.  Autres 
références,  données  plus  haut.  Puits  creusé  et  plantations  ;  Bakrî,  628  d.  1. 

(*)  De  nos  jours  encore  «  dicht  bewachsen  »  ;  Musil,  Im  nôrdlicheii  Hegâz,  16  ; 
comp.  Auler  Pascha,  op.  cit.,  II,   8-9. 

(^)  Ibn  Batoûta,  Voyages,  I,  260  ;  Auler  Pasclia,  Die  Hedschasbalin,  II,  6  sqq., 
48,  51-52. 

C)  Cf.  Yaztd,  237-38.  La  dépression  de  Taboûk  recueille  de  même  les  eaux  des 
wâdis  voisins;  Auler  Pascha,  op.  cit.,   II,  8. 


Badr  et  les  environs  de  la  Mecque  87 

tions  de  continuité,  dans  la  grande  vallée  de  l'Idam  aux  innombrables 
ramifications,  drainages  naturels,  recueillant  les  eaux  des  hauteurs  voisi- 
nes entre  Médine  et  le  champ  de  bataille  de  Badr  (').  Puis  à  Badr  même, 
où  le  panache  aérien  des  palmiers  se  balance  entre  les  vignes  et  les 
bananiers  ;  pour  parler  avec  plus  de  précision,  dans  les  oasis  spora- 
diques  couvrant  la  région  de  Badr  et  de  Safrâ',  ou  Badr-Safrâ',  comme 
on  disait  communément,  englobant  sous  un  seul  nom  les  deux  oasis 
principales  (").  Au  14^  siècle  Ibn  Batoûta  (^)  }•  traversa  encore  une 
suite  presque  ininterrompue  de  centres  de  culture  avec  sources  et 
jardins.  Même  constatation,  en  a\ançant  dans  la  direction  de  la  Mec- 
que, pour  les  hameaux  de  Rauhâ'  et  Rowaita  {*)  pour  Holais  et 
'Osfân  {').  Plus  près  encore  de  la  métropole  qoraisite,  Ibn  Gobair  (') 
signale  de  son  temps  des  jardins  et  des  vergers.  D'autres  cultures 
dans  le  même  district  devaient  leur  existence  à  l'initiative  d'immigrés 
du  Magrib  C). 

La  fertilité  de  l'oasis  de  Taima'  est  suffisamment  connue  (*). 
Celle  de  Médine  était  entretenue  par  les  apports  incessants  d'humidité 
et  d'éléments  fertilisants,  dûs  aux  affluents  et  ramifications  du  wâdi 
Idam  (^).  Même  en  dehors  du  périmètre  des  oasis    de  Médine  et  de 


(')  Bakrî,  op.  cit.,  141,  7  d.  I.  Avec  l'extension  de  Médine,  les  cultures  s'éten- 
dent progressivement  en  amont  et  en  aval  des  wâdis,  débouchant  dans  l'oasis. 

(2)  I.  S.  Tabaq.,  Il',  42,  11  ;  cf.  Ag.,  I,  10;  IV,  20;  I.  Gobair,  Travels"-,  188; 
plantations  de  Safrâ'  ;  VâqoQt,  E.  Y,  367. 

(3)  Voyages,  I,  295-96. 

(<)  à.A^  h.f''  Bakri,  op.  cit.,  427,  428,  251,  682,  693;  source  jaillissante  s^y  à 
Holais  ;  Ibn  Gobair  Travels,  ~  184  ;  grande  forêt  d'arâk,  près  la  Mecque;  idid.,  173,  2  d.  1. 

{')  Ibn  Batoûta,  Voyages,  I,  298;  Vâqoût,  E.  III,  500,  5;  Istahrî,  Géogr.,  20, 
bas;  fertilité  de  Radwâ,  retraite  d'Ibn  al-Hanafyya  ;  ibid.,  21.  E.\cellentes  dattes  dans 
la  région  de  Vanbo';  Yâqoût,  E.  VI,   181,  bas. 

'(6)   Travels'^,   115,  2  d.  1;  cf.  Yâqoût,  E.  III,   19,  6. 

C)  Ibn  Gobair,  Travels'^,  122,  5  etc.;  vergers  et  céréales;  Yâqoût,  E.  II,  374, 
bas;  région  de  Batn  Marr,  eau  courante,  palmeraies  etc.;  I.  Gobair,  182.  Région  de 
Hodaibj-ja,  nombreux  A/jâ,- «  plus  de  70  sources  coulantes  j3j^;  Bakrî,  o/.  «V.,  128,813. 

(«)  Bakri,  op.  cit.,  209,  bas. 

('  Cf.  Yaztd,  237-38.  Cultures  ^^■^  le  long  du  wâdi  Qanât  ;  Bakri,  op.  cit., 
745,  bas.  Il  faut  mettre  en  ligne  de  compte  l'apport  des  éléments  d'origine  volcani- 
que, recueillis  par  les  wâdis  dans  les  harras  voisines  de  Médine. 


88  Les  descriptions  du  Qoran 

Haibar  on  rencontrait  encore  des  hameaux  ('),  ou  i?.yi  plusieurs 
appartenant  aux  Juifs,  très  appliqués  à  développer  les  ressources 
agricoles  du  Higâz,  antérieurement  à  leur  arbitraire  expulsion  par 
Mahomet  (*).  Dans  un  ra}on  plus  ou  moins  étendu  de  Médine  et 
voisinant  avec  les  himà^  ou  pâturages  réservés  du  Prophète,  l'enc)'- 
clopédiste  YâqoQt  signale  toute  une  série  de  rauda  (^).  Or  pour 
mériter  cette  dénomination,  trois  conditions  se  trouvaient  reciuises  : 
la  présence  de  l'eau,  celle  de  la  verdure  et  une  certaine  extension  de 
terrain  mis  en  valeur  (*). 


* 

^  ^ 


La  gloire  de  Mahomet,  c'est  —  sinon  la  création  (^)  —  du  moins 
la  fixation  de  la  langue  religieuse.  Au  demeurant  il  fut  un  médio- 
cre styliste  (^).  Ses  descriptions  sont  généralement  ennu3'euses  et 
d'une  faiblesse  déplorable.  Constatation  assez  déconcertante  chez  un 
admirateur  aussi  fervent  de  la  nature,  comme  l'atteste  le  Ooran. 
Mais  son  admiration  ne  sort  pas  de  la  banalité  ;  elle  garde  la  naïveté, 
propre  aux  esprits  sans  culture.  Les  poètes  ses  contemporains  témoi- 
gnent d'une  observation  plus  fine  C).  Si  dans  leurs  descriptions,  la 
variété  fait  parfois  défaut,  en  revanche  les  traits  pittoresques  abon- 
dent. Sans    ce  secours,    nous    n'aurions   jamais    pu    ébaucher    cette 


(')  YâqoQt,  E.  II,  249;  pour  Haibar  cf.  Wiistenfeld,  Gebiet,  69-70.  Même  remar- 
que pour  Fadak;  dans  les  alentours:  hameaux,  sources,  fruits  abondants;  Bakrî,  op. 
cit.,  706,  16.  Voir  dans  Yâqoût,  VI,  146,  147  l'explication  de  i-oyil  3^f^  "-'^  s°"' 
V^.V  (3  LJ^'  '^'y*  °"  '^'^"  iJ^'^  tii'}^  "—"•5^  Ia>15--j. 

(2)  Yâqoiit,  E.   II,  224;  223,  d.    1. 

(3)  YâqoQt,  E.   IV,  316,  319,  324,  325.  Comp.  Ibn  Halâwaih,  Sagar,  passim. 
(■")  YâqoQt,  E.  IV,  307,  13. 

(^)  Il  a  dû  avoir  des  prédécesseurs  dans  les  kahin.  Malheureusement,  dans  sa 
forme  actuelle  la  littérature,  relative  aux  kàliin,  est  en  majorité  apocryphe. 

C»)  «  Hôchstens  ein  mittelmàssiger  Stylist  »;  Nôldeke-Schwally,  Geschichte,  I, 
143.  Voir  le  chap.  I,  Zur  Sprach.  des  Korâns,  dans  Nôldeke,  Neue  Beitr.  z.  semii. 
Sprackwiss.,   I,   1-30. 

Ç)  Cf.  Lyall,  dans  y/?^5,  1912,  p.   133  etc. 


Le  Qoran  et  la  météorologie  89 

esquisse  climatologic]ue  de  l'Arabie  préislamite.  Nos  prédécesseurs, 
les  géographes  et  encyclopédistes  musulmans  ne  se  trouvent  pas  dans 
de  meilleures  conditions  d'indépendance  littéraire.  L'auteur  du  Ooran 
qualifie  de  merveilles,  i>J ,  les  phénomènes  les  plus  ordinaires  de  la 
création:  la  pluie,  le  vent,  les  arbres,  les  bestiaux  ('),  le  lait  formé 
du  sang  (^),  même  le  vin  (^),  évidemment  avant  d'avoir  proscrit  définiti- 
vement cette  «  invention  impure  de  Satan  ï.  Il  s'extasie  devant  les  étoi- 
les, devant  la  formation  des  montagnes,  des  nuages,  du  chameau  {''). 
Obsédante  monotonie!  Chez  un  adversaire  aussi  décidé  du  miracle, 
considéré  comme  preuve  de  la  mission  prophétique  ("),  cette  insi- 
stance à  découvrir  des  miracles  d'ordre  banal  achève  d'éveiller  le 
soupçon  qu'il  a  tenté  de  démontrer  l'inutilité  du  miracle  surnaturel 
—  prétention  par  lui  émise  ailleurs  (°). 

Au  lieu  de  reproduire  invariablement  les  mêmes  poncifs,  d'insister 
sur  la  succession  surprenante  du  jour  et  de  la  nuit,  du  soleil  et  de 
la  lune,  forcés  par  Allah  de  fournir  leur  lumière  aux  humains  ('), 
combien  nous  lui  serions  plus  reconnaissants,  s'il  nous  avait  fourni 
des  traits  utilisables  pour  la  description  climatologique  de  sa  patrie  ! 
Pauvre  géographe,  Mahomet  se  désintéresse  encore  plus  complète- 
ment de  la  météorologie.  «  Allah  dispose  de  l'univers,  œuvre  de  ses 
mains,  comme  il  lui  plaît  !  »  Avec  cet  aphorisme  fataliste,  le  Prophète 
déroute  nos  curiosités  les  plus  légitimes.  Que  produisait  l'Arabie  à 
son  époque  ?  Ou'offrait-elle  pour  soutenir  l'existence  matérielle  de 
ses  habitants?  Si  pour  répondre  à  ces  questions,  nous  disposions 
exclusivement  du  Qoran,  nous  nous  trouverions  en  mauvaise  posture. 
Quelle  différence  avec  nos  Evangiles,  rendant  si  vive  l'impression  du 
paysage  palestinien,  principalement  de  la  verte  et  idyllique  Galilée. 
Il  suffirait   de  réunir    ces    traits    gracieux    pour    obtenir    une  bonne 

(')  Qoran,  2,  163;  76,    14;  4ô,  5. 

(2)  Qoran,  16.  66. 

(3)  Qoran,  16,  66,  67. 

(*)  Qoran,  6,  97-99;  voir  les  sourates  86,  87,  88,  17  etc.  Conip.  C.  Huart,  Histoire 
des  Arabes,   I,  200-201. 

(^)  Cf.  notre  Mahomet  fut-il  sincère?  18  ei  passirn. 

(*)  Hirschfeld,  Neui  Researches,  60,  72. 

C)  Lammens,  L'âge  de  Mahomet  et  la  chronologie  de  la  Sîra,  224  sqq. 


90  Les  vergers  du  Higaz 

esquisse  climatotogique.  Même  à  Médine,  Aboû'l  Qâsim  semble  être 
demeuré  sons  l'empire  du  lugubre  milieu  de  la  Mecque,  bien  fait 
pour  éteindre  la  plus  ardente  imagination.  S'agit-il  de  décrire  un 
jardin,  un  verger,  Mahomet,  outre  l'inévitable  dattier,  se  contente  de 
citer  la  vigne,  l'olivier  et  le  grenadier  (').  Cette  maigre  énumération 
suffit  à  épuiser  sa  faculté  descriptive.  Encore  en  est-il  si  satisfait  qu'il 
la  reproduit  quelques  versets  plus  loin  (6,  142),  en  y  ajoutant  l'invi- 
tation de  manger  les  fruits  de  ces  arbres,  sans  commettre  des  excès, 
ly^JoV  j  !  L'excès  était-il  vraiment  à  craindre  au  milieu  d'un  choix  aussi 
limité }  Jusque  dans  le  Paradis  de  Mahomet,  le  dessin  des  jardins  cé- 
lestes n'a  pas  été  conçu  sur  un  plan  plus  large  (*),  chez  cet  auteur  d'une 
abondance  réaliste  pour  des  jouissances  infiniment  plus  matérielles. 

La  nature  aurait  pu  lui  fournir  les  éléments  d'un  tableau  plus 
varié;  sans  l'obliger  à  recourir  à  l'olivier,  un  arbre  s\rien,  parfaite- 
ment inconnu  au  Higâz  :  les  auteurs  arabes  en  conviennent  (').  Dans 
les  vergers  de  l'Arabie  occidentale  —  nous  en  avons  déjà  signalé  un 
certain  nombre  —  la  vigne  se  trouvait  assez  bien  représentée.  Non 
pas  le  vignoble  pourtant  ;  mais  des  ceps  par  petits  groupes,  surtout 
la  vigne  en  treille  ou  en  berceau.  A  Tâif  seulement  on  paraît  avoir 
fabriqué  du  vin  (^),  du  vin  véritable,  et  non  pas  une  sorte  de  nabïd. 


{')  Qoran,  6,  99.  Comment  concilier  cette  indigence  descriptive  avec  l'hypothèse 
de  ses  voyages  en  Syrie? 

(-)  Au  Paradis  on  rencontre  ^^Uô,«  J^î  <*^-(^^  ;  Qoran,  55,  66.  La  grenade 
reparait  encore  Qoran,   6,99,  142.  Pour  <L^\s  ,  voir  Concordance  du  Qoran  J.  z». 

P)  Bakrî,  op.  cit.,  165,  5  d.  1.  ;  d'après  YâqoQt,  E.  IV,  278,  2  «  peu  d'huile  au 
Higâz»,  Ibn  Batoûta,   Voyages,  \,  385,  l'énumère,  C-o;,  parmi  les  productions  du  Sa- 

rât:  YâqoQt,  E.  L  133,  14  :  iJUijJl  jlâ:l  à  Médine;  on  les  utilise  pour  Vistisqà',  (des 
nasab?),  Comp.  YâqoQt,  E.  IV,  423:  L^..^  ^  ,13:1  ^^^j  ^^If  j^^-«  ioyib  C^  Jl  .las\ 
JUj,Ail  (j  -S'i  d^^  cUXJuxili  ^jj  JaJI  .  A-t-on  tenté  de  faire  disparaitre  ces  «  Reste  ara- 
bischen  Heidentums  ».?  Ag.,  VI,  64,  11  d.  I.,  parle  de  ^>\}  i^j-*  <^.}^\  iS^.  iJW: 
(JJjoil  (J,l  i^-lïJI,  vraisemblablement  une  caravane  en  transit.  Une  variante  du  même 
récit  au  lieu  de  Wâdi'l  Qorâ  nomme  le  port  de  Gadda.  Pour  l'olivier  et  le  figuier  en 
Arabie,  cf.  Guidi,  Sede  primitiva,  598  etc. 

(^)  Cf.  notre  Taif,  4-5;  raisins  au  Hadramaut  ;  Hanbal,  Mosnad,  IV,  311,  8. 
Zabïb  de  Haibar  ;  Manâqib  al-'Asara,  E.  I,  42,  2  ;  treilles  de  raisins  à  Médine  ;  Ibn 
Mâgâ,  Sonan,   E.  Il,   178,    5. 


La  vig^e  91 

u-*^  Jl  J^  ('),  tisane  composée  au  moyen  de  raisins  secs.  Avec 
ceux  de  Tâif,  on  essayait,  nous  le  savons  déjà,  de  dissimuler  le 
goût  nauséabond  du  puits  de  Zamzam  (-).  Macérés  dans  l'eau,  ils 
servaient  de  boisson  matinale  —  nous  dirions  de  café  au  lait  —  au 
calife  'Omar  (^).  Les  connaisseurs  méprisaient  cette  préparation,  taxée 
par  eux  de  boisson  morte,  sans  vie,  sans  réaction  sur  l'organisme, 
véritable  drogue  de  malades  (^),  potion  d'apothicaires  ; 

«  Laisse  donc,  ô  fils  de  Sari',  la  liqueur  définitivement  morte; 
prends  la  boisson  vivante,  au  goût  piquant. 

Elle  te  donnera  la  force  de  conquérir  l'empire  des  Sassânides  ; 
tandis  que  nos  récitateurs  du  Ooran  condamnent  le  suc  de  la  vigne. 

Il  v  a  loin  entre  le  vivant  et  le  mort;  va,  décide-toi  pour  la 
boisson  dorée  à  la  coupe  écumante  (^). 

Ton  père  Sarf  n'a-t-il  pas  recommandé  (*)  l'amour  du  vin  à  ses 
fils,  puis  à  mon  oncle  ;  Allah  pardonne  à  mon  oncle  ! 

Maintes  fois,  j'ai  vu  les  fils  de  mon  père  réunis  pour  boire  jusqu'au 
coucher  de  la  constellation  du  Scorpion  ("). 

Lentement  ils  vidaient  les  coupes,  grandes  et  petites,  circulant  au 
milieu,  depuis  la  prière  du  'asr^  quand  le  soleil  dominait  encorel'horizon. 

Ils  ont  vécu,  ils  sont  morts  :  les  yeux  fixés  sur  la  liqueur,  source 
d'inspirations,  brillante  comme  un  astre  >. 

(')     ^-aUU  ,_SL-o»j   «^rJlS'  d-sL^L-AX:.^  *-f-'^rf   i^ljvil  «  1_5^U  ^  l_5jL»i 

(')  Ag.,  II,  86,  bas;  dès  lors  les  marcliands  coupaient  leur  vin  d'eau;  Hanbal, 
Mosnad,  II,  306.  Le  proverbe  «  ni  vin  ni  vinaigre  »  (Aboû  Tammâtn,  Haniâsa,  558 
d.  V.)  suppose  une  diffusion  relative. 

(-)  Voir  plus  haut. 

(3)  Même  trait,  attribué  à  Mahomet  ;  Aboû  Voûsof,  Harâg,  100,  haut  ;  I.  S.  Ta- 
baq.,   VI,   105,   17;  Ibn  Mâga,  Sonan,   E.   II,   173,   11,  d.  1. 

(^)  Cf.  notre  Chantre,  68. 

(5)  ,_y«43i  \^^^\j  ,  litt.  :  qui  déborde. 

(")  Allusion  burlesque  à  la  wasyya,  recommandations  morales,  laissées  par  l'an- 
cêtre à  ses  descendants. 

(')  *3sJI  A^Lj  :  vraisemblablement  le  poète  désigne  l'étoile  AJ«-iJl  jjb"  dans  le 
Scorpion. 

n  Ag.,  II,  86-87. 


92  Arbres  du  Sarât 

Le  vin,  célébré  avec  tant  de  ferveur  par  les  poètes  buveurs 
d'Arabie,  ne  provenait  pas  pourtant  des  coteaux  du  Sarât,  mais  de  la 
S\Tie:  de  Bosrâ,  du  Haurân,  de  Bait  Râs,  de  Baisân,  des  montaj^mes 
du  Liban  (').  Ce  vin-là  «  s'insinuait  dans  les  os  et  rappelait  le  glis- 
sement silencieux  de  fourmis  minuscules  »  (YâqoQt,  IV,  325,  10) 

S^  tj*5  J-<^''  ,li-o  '-;^'>        ^-r-:^?^  sJUXs.  »h»ll  (3  Oj-a-  t<  131 

Outre  Taif  on  rencontrait  encore  la  vigne  à  Goras,  localité  Yé- 
ménite, rapprochée  du  Higâz  (•),  dans  les  régions  d'Aila,  à  W'âdi'l 
Qorâ  (^),  même  au  pays  de  Hismâ  —  assertion  passablement  dou- 
teuse pour  ce  dernier  point  (^).  Il  faut  juger  différemment  des  dis- 
tricts montagneux  du  Sarât,  continuation  de  la  chaîne  de  Tâif  Un 
Bédouin  des  BanoQ  Dans,  habitant  de  cette  région  ne  vit  aucune 
difficulté  à  offrir  une  outre  de  vin  au  Prophète;  ni  celui-ci  à  accepter 
les  cadeaux  de  cette  nature,  du  moins  antérieurement  à  l'interdiction, 
portée  par  le  Qoran  (^).  Si  ce  n'était  pas  pour  la  consommation,  on 
devine  malaisément  à  quel  usage  ils  auraient  pu  servir.  Mahomet  a 
en  outre  bu  du  nabïd  (*). 


*  * 


Dans  le  Sarât  les  arbres  à  gomme,  à  résine,  les  conifères  se 
trouvaient  également  représentés  :  on  en  recueillait  les  produits  et 
nous  rencontrons  des  caravanes,  venant  de  l'intérieur  et  transportant 
du  goudron  (').  Ces  montagnes  possédaient  des  no\'ers  en  abondan- 


(1)  Cf.  Poète  royal,  37  sqq.  ;  vins  du  Liban,  de  Beyrouth;  Ag.,  II,  86;  88,  6,  VI, 
120,  3  d.  1  ;  122,  2;  Syriens  importateurs  de  vin  à  Médine  ;   Hanbal,  Mosnad,  II,  132,  d.  1. 

(•)  Bakrî,  op.  cit.,  239,  1. 

(3)  Bakri,  30,  43;   119,    15-16. 

(*)  Yâqoût,  E.  III,  277,  3,  remarquez  le  ^fiX  . 

(=)  On  lui  en  offrait  chaque  année;  Hanbal,  Mosnad,  I,  230,  bas;  IV,  227. 

(6)  I.  S.    Tabaq.,   III S  63,  3,  d.  1. 

(")  Ag.,  VI,  26;  cyprès  sur  d'autres  points  du  Higâz;  Wûstenfeld,  Gebiet  von 
Médina,  21;  Guidi,  Sede  primitiva,  586;  Ibn  Halâwaih,  Sagar,   IV,   10. 


Oasis  et  vergers  au  nord  du  Higâz  93 

ce  (').  Les  mêmes  régions  étaient  d'ailleurs  célèbres  pour  la  beauté 
de  leurs  vergers.  Les  habitants  possédaient  le  monopole  de  fournir 
de  fruits  le  marché  de  la  I\Iec(]ue  (■).  Nous  aurons  à  reparler  des 
merveilleux  jardins  de  Tâif,  dans  la  monographie  de  cette  cité,  «  coin 
du  pa\'sage  syrien,  transporté  sur  le  sol  du  Higâz  >  ('),  ainsi  s'ex- 
prime la  tradition  musulmane. 

Dans  les  régions  plus  basses,  les  vergers  ne  faisaient  pas  défaut, 
sans  être  aussi  luxuriants  (*).  Il  faut  interpréter  avec  cette  atténua- 
tion les  renseignements  des  géographes  indigènes  sur  les  jardins 
étendus  de  .Sawariq\  va,  au  pa\-s  des  Solaimites,  sur  le  district  monta- 
gneux de  Radwâ,  et  les  cantons  situés  entre  ce  massif  et  le  port 
actuel  de  Yanbo"  (^).  De  nos  jours  encore  l'Anglais  Doughty  (")  a 
observé  à  Al-'Olâ  des  vergers,  remplis  de  limons  doux,  de  pruniers 
et  de  vignes  en  treille.  Ces  oasis,  celles  surtout  entre  Médine  et  la 
mer,  puis  les  autres  s'échelonnant  au  Nord  de  cette  ville,  le  long  de 
l'ancienne  route  commerciale  de  -Syrie,  dans  la  direction  de  Wâdi1 
Oorâ  et  de  Tabouk,  sans  parler  des  grandes  oasis  de  Haibar,  de 
Fadak  et  de  Taimâ',  depuis  longtemps  mises  en  valeur  par  l'indus- 
trieuse activité  des  Juifs,  tous  ces  îlots  de  verdure,  finirent  par  ex- 
citer les  convoitises  des  Compagnons  de  Mahomet  et  de  leurs  des- 
cendants C). 

(')  Bakri,  67,  bas;  Yâqoût,  E.  III,  168,  «  montagnes  de  noyers  »;  «tout  le  Hi- 
gâz, qualifié  de  Gauz,  noyer  »  (sic);  Balcrî,  466,  494;  VViistenfeld,  Gebiet,  4-5. 

(-    I.  Gobair,   Travels-,  131-32;   I.  Batoûta,  I,   359,  385-87;  à  la  p.  387,  1.  Trad. 

«.fJC^Jl  ,ji  ^^jyJ^y^  «  répondant  Ainen  à  leurs  invocations»  et  non  «ayant  foi  dans 
leurs  prières  »  ;  cf.  l'édition  de  De   Goeje  d'I.  Gobair,  133,   19. 

(3)  Azraqî,  (WUst).,  41;  arbres  du  Sarât  :  genévrier,  noyer,  grenadier  ;  Asmal,  A'ii- 
bâi,  1076,  1077;  flore  spéciale,  canne  à  sucre;  Yâqoût,  E.  V,  59.  ■f-f'^  conifère;  Yâ- 
qoût, VI,  148. 

(^)  Cf.  Wûstenfeld,  Gebiet  von  Médina,  19,  21.  Ibn  Halâwaih,  op.  cit.,  se  tait  sur 
les  arbres  fruitiers. 

(^)  Bakrî,  op.  cit.,  60,  haut;  90,  10  etc.,  415,  583,608;  céréales,  plantations  chez 
les  B.  Solaim;  ibid.,  383.  9-1   d.  1.,  728,  729. 

C')  Travels,  I,  152;  Auler  Pascha,  op.  cit.,  II,  9-20.  Le  «  Ghudêibaum  >  n'est 
autre  que  le  gadâ.  Vergers  de  Taimâ';  Doughty,  op.  cit.,  I,  294. 

C)  Domaines  considérables  et  immenses  troupeau.x  de  Talha,  de  Zobair  et  des 
Mobaisara;  Aboù  Yoûsof,  Harâg,  60,  haut;   130,  bas. 


X 
Domaines  et  exploitations  agricoles 


Devenus,  de  par  les  conquêtes  arabes,  possesseurs  d'immenses  ca- 
pitaux, de  troupeaux  d'esclaves,  beaucoup  tenaient  à  achever  au  pays 
natal  leur  carrière  aventureuse  (').  Ils  voulurent  se  donner  la  satis- 
faction de  devenir  propriétaires  sur  le  théâtre  même,  où  jadis  ils 
avaient  gardé  les  chameaux,  détroussé  les  caravanes  :  entre  ces  deux 
pôles  oscille  d'ordinaire  l'activité  des  Arabes  (').  Ils  se  répétaient 
avec  attendrissement  :  «  les  assurances  d'Allah  et  de  son  Apôtre  se 
sont  réalisées,  i^y^^^  «Cûl  jj^  »  (^).  Il  nous  a  constitués  les  maîtres  du 
monde,  les  héritiers   des  civilisations  antérieures  iJô^liL  fCi.»-^  (^).    Il 

nous  exhorte  «  à  jouir  des  douceurs  de  l'existence;  \^  \^\  ^^^..JUI  LjJl 
(cS'Uij^  U  o^-:^^  cr;  (^)-  '  Les  convoitises  de  cette  race  ardente,  aigui- 
sées par  un  jeûne  séculaire,  n'avaient  pas  besoin  de  ces  exhortations. 
Ce  fut  entre  eux  une  véritable  enchère,  à  qui  s'assurerait  les  parcelles 
de  terre  susceptibles  de  culture.  Les  premiers  califes  i^)  donnèrent  l'ex- 


(')  Cf.  Mo'â-a'ia,  index  s.  v.  Médhie;  Bakrî,  69-70. 

(^)  Comp.  le  chevaleresque  'Orwa  ibii  a!-Ward:  So'arâ'  (Cheikho)  837,   1  v. 

(•*)  Voir  les  Sahîh  et  les  Mosnad. 

{*)  Qoran,  6,   165;  10,   15;  33,  37. 

(5)  Qoran,  2,   163,  167  etc.;  voir  Concordance  du  Qoran  s.  v.  loX-S". 

(^)  Domaines  de 'Omar;  Yâqoût,  E.  III,  24,  1  ;  87  ;  ceux  d'Ibn  Zobair fournissent 
les  dattes  à  ses  troupes;  ibid.,  III,  13,  bas;  cf.  Bakrî,  op.  cit.,  661.  Le  calife  'Otmân 
creuse  un  canal  dans  ses  domaines  de  Médine;  ibid.,   469,  9  d.  1. 


Formation  des  domaines  95 

emple,  en  établissant  des  haras,  des  parcs  réservés,  des  domaines 
d'état  ('),  sans  d'ailleurs  oublier  leurs  propres  intérêts  ni  ceux  de 
leur  nombreuse  postérité. 

Bientôt  il  s'établit  comme  une  course  à  qui  découvrirait  au  mi- 
lieu des  sables,  perdus  dans  les  noires  Jiarras  (")  ou  dans  l'immensité 
des  steppes,  un  puits,  une  source  ('),  une  vallée  riche  en  eau  souter- 
raine, pour  y  essaxer  des  plantations  de  dattiers  et  s'y  bâtir  une 
demeure,  pompeusement  qualifiée  de  qasr  (*).  Toutes  ces  occupations 
plus  ou  moins  "arbitraires,  trop  souvent  spoliations  au  détriment  des 
tribus  faibles,  on  essaya  plus  tard  de  les  régulariser,  en  les  présen- 
tant comme  des  concessions,  qatta  du  pouvoir  souverain,  ou  même 
du  Prophète  (°).  C'est  la  saiiatio  in  radice,  largement  pratiquée  par 
la  tradition  postérieure.  Par  ailleurs  elle  a  cru  devoir  protester  con- 
tre cette  activité  désordonnée,  en  attribuant  au  Prophète  et  aux  pre- 
miers califes  des  dictons  défavorables  aux  défrichements  agricoles  (*). 

Tous  ces  domaines,  lentement  agrandis  et  améliorés,  acquirent 
bientôt  une  valeur  et  des  prix  fantastiques.  On  parle  de  900,000  dir- 
hems  équivalant  à  un  million  de  notre  monnaie  (").  A  Hosain  fils  de 
'Alï  le  calife  Mo'âwia  aurait  offert  une  somme  quatre  fois  plus  élevée. 


(')  'Omar  éprouve  le  besoin  de  se  justifier  sur  leur  extension  ;  AboQ  Yoûsof, 
Harâg,  60. 

(-)  Domaines  de  Zobair  ibn  al-'Awwâm  dans  la  harra  ;  Yahiâ  ibn  Adam,  Haràg, 
74.;  Balâdorï,  Fotoûh,  1-17.  Domaines  de  'Omar  à  Haibar;  Bakrî,  op.  cit„  332.  Le  ca- 
life se  trouvait  donc  intéressé  à  l'expulsion  des  Juifs. 

(^)  Halîg,  canal,  creusé  dans  l'oasis  de  Médine,  sous  'Omar;  Bakrî,  op.  cit.,(>ôi. 
On  utilise  pour  l'arrosage  l'eau  du  Mahzoûr  et  des  wâdis  de  Médine  ;  Ibn  .Mâg3,  So- 
nan,   E.   II,  50.   Balâdorï,  loc,   cit., 

{*)  Château  dans  les  palmiers  prés  de  Médine;  Yâqoût,  E.  III,  133,  15.  Qasr, 
des  'Alides  à  6  milles  de  Médine;  Ag.,  IV,  105;  dans  la  harra  Waqim ;  Balâdorï,  Fo- 
toûh, 14,  d.  1.;  cf.  Mo'Swia,  index  s.  v.  'Aqlq;  Aboû  Yoïisof,  Haràg,  60. 

(^)  Yahiâ  ibn  Adam,  Haràg,  56-57;  cf.  Mo'àwia,  228.  sqq.  On  essaye  de  faire 
admettre  que  'Ali  a  acheté  Yanbo';  Bakrî,  416. 

(*)  Yahiâ,  op.  cit.,  59;  cf.  Mo'àwia,  238,  242.  On  veut  insinuer  que  «  l'autorisa- 
tion de  l'imâm  »  :=  l'état  est  requise  pour  rendre  définitive  la  propriété;  Yahiâ,  op. 
cit.,  64,  bas. 

(")  Qotaiba,  'Oyoûn,  382,  2.  Domaines  aux  alentours  de  'Osfan;  Bakrî,  op.  cit., 
693.  Nous  y  reviendrons  avec  plus  de  détails. 


96  Domaines  'alides 

soit  200,000  dinars,  pour  une  propriété  près  de  Yanbo'  (').  Les  'Ali- 
des, «  lignée  de  saints  personnarjes  n'attachaient  pas  de  prix  aux  biens 
de  ce  monde  ».  Ainsi  l'affirme  M.  Cl.  Huart,  le  récent  historien  des 
Arabes  C^).  On  ne  peut  du  moins  leur  contester,  comme  le  firent  les 
contemporains  à  leur  ancêtre  'Ali  —  la  justesse  du  coup  d'oeil  et 
l'habileté  pour  ne  pas  arriver  trop  tard  dans  le  partage  des  bonnes 
terres  de  l'Arabie  occidentale.  Pendant  que  les  Compagnons  se  dis- 
putaient les  propriétés  à  proximité  de  l'oasis  médinoise,  eux  jetèrent 
leur  dévolu  sur  une  région  plus  éloignée,  voisine  de  l'Erythrée,  celle 
de  Yanbo'  (^).  Cette  localité  leur  doit  pour  ainsi  dire  son  existence 
et  le  pays  environnant,  merveilleusement  irrigué,  sa  renaissance  à  la 
vie  économique  {*).  Ils  n'eurent  ])as  à  regretter  le  choix.  Du  vivant 
de  'Ali,  ses  domaines  du  Higâz  rapportaient  déjà  en  revenus  annuels 
la  somme  rondelette  de  100,000  dirhems.  On  voit  comment  certains  de 
leurs  domaines  pouvaient  constituer  pour  leurs  filles  une  dot  princière, 
leur  permettant  de  repousser  les  avances  des  jeunes  Omayyades  (^). 
Dans  ces  descriptions,  on  pourra  faire  la  part  de  l'imagination 
arabe,  habituée  à  jongler  avec  les  chiffres.  Il  faut  également  y  join- 
dre l'attraction,  exercée  sur  les  Arabes  par  le  sol  de  la  patrie,  même 
après  les  gloires  de  la  prestigieuse  période  impérialiste.  Voilà  pour- 
quoi 'Alides,  'Omarides,  Zobairides,  'Otmânides,  toutes  les  familles 
des  califes,  ayant  successivement  détenu  le  pouvoir,  s'}'  disputent  les 
meilleures  terres  C').  Mais  voici  les  Oma3'3'ades,  fixés  en  Sj-rie  et  très 

(*)  Bakri,  op.  cit.,   417. 

(-)  Histoire  des  Arabes,  I,  257,  289.  «  Le  premier,  le  calife 'Otniân  aurait  accordé 
des  qatta  »;  Yahiâ,  op.  cit.,  58,  7  etc.  J'interprète:  le  premier  il  aurait  cherché  à  ar- 
rêter l'usurpation  arbitraire  des  terres,  en  faisant  intervenir  le  pouvoir  central.  A 'Okâz 
9n  trouve  ^y^  ^-Vci*  O^  ('  î  i-Âjjï-iJ  iJU-«U  Jj*^  ;  ces  biens  étaient  exempts  de 
la  dîme;   Maqrïzî,  ImtcC ,  III  (ms.  Kuprulu,  Constantinople) ;  cf.  Bakrî,  <?/.  cîV.,  662. 

(3)  Wûstenfeld,  Gebiet  von  Médina,  6,7,  9,  11;  'Alî  se  la  fait  concéder  par 'Omar; 
Yahiâ  ibn  Adam,  op.  cit.,  57;  autre  qatï'a  du  Prophète  à  'Alî;  Yahiâ,  loc.  cit. 

(*)  Yahiâ  ibn  Adam,  op.  cit.,  61,  3. 

p)  Yâqout,  E.  248;  Wûstenfeld,  op.  cit.,  7.  'AU  arrache  des  qatï'a  à  'Omar; 
Yahiâ,  op.  cit.,  57.  On  place  dans  le  massif  du  Radwâ  la  retraite  du  Mahdî  érite. 
Sans  doute  les  'Alides  ont  dû  posséder  des  domaines  en  cette  région. 

('■)  Voir  plus  haut.  Ajoutez:  Bakri,  op.  cit.,  158,  4;  169;  231,  256,  278;  401; 
Balâdorî,  Fotoûh,  8,  10,   11,   14;    domaines    des    Ga'farides,    Wûstenfeld,    Gebiet,  53; 


Influence  de  la  politique  97 

attachés  à  ce  pays,  voici  des  califes,  comme  Mo'âwia,  'Abdalmalik, 
Walid,  occupés  à  modifier  la  carte  de  l'ancien  monde.  A  leur  tour 
on  les  \oit  saisis  par  la  fièvre  des  accjuisitions  au  Higâz  (').  Quand 
on  constate  le  prodigieux  développement  de  Médine  à  cette  épocjne, 
ville  de  plaisir,  de  luxe,  séjour  des  artistes  et  de  l'aristocratie  arabe, 
tout  le  relèvement  agricole  de  l'Arabie  occidentale  —  nous  en  avons 
tracé  les  grandes  lignes  dans  notre  Mo'âwia  (^)  —  on  devra  suppo- 
ser des  réalités  tangibles  derrière  cette  brillante  façade.  Venant  en- 
suite à  réfléchir  que  sous  les  Nabatéens,  à  l'époque  des  Minéens, 
cette  province  connut  une  [irospérité  au  moins  égale,  on  sera  tenté 
de  se  demander  dès  maintenant,  si  l'avenir  de  l'Arabie  —  comme 
celui  de  l'Asie  antérieure  —  ne  dépend  pas  principalement  d'un  sage 
régime  économique.  «  Faites-moi  de  la  bonne  politique,  disait  le  ba- 
ron Louis,  je  ferai  de  bonnes  finances  >.  L'axiome  ne  s'applicjue  pas 
moins  à  l'agriculture. 

Ce  fut  le  programme  des  Oma}\ades  :  établir  la  sécurité  en  Ara- 
bie. Sans  cesser  de  leur  demeurer  hostiles,  les  Zobairides  en  profi- 
tèrent pour  mettre  en  valeur  le  district  considérable  de  Foro',  entre 
Médine  et  la  Mectiue.  Ils  y  creusèrent  des  puits  {^)-  Deux  de  ces 
puits  fournissaient  des  eaux  assez  abondantes  pour  arroser  un  lot  de 
20,000  palmiers  (^).  Cette  même  région  posséda  jusqu'à  14  fuinôar, 
chaires  de  mosquée  {*)  ;  une  prérogative  exclusivement  réservée,  dans 
le  principe,  aux  centres  importants.  Ces  centres  ne  manquaient  donc 
pas  au  pa3's  de  Foro'  ! 


Istahri,  Géogr.,  22,  2  etc.;  qatVa  de  Zobair  ibn  al-'Awwâm  ;  Yahia,  op.  cit.,  56,  57; 
domaines  zobairides  à  Wâdi'l  Qorâ  ;  I.  Doraid,  Isiiqàq,  243.  Une  partie  fut  plus  tard 
confisquée  par  le  calife  'Abdalmalik  ;  cf.  Zobair  ibn  Bakkâr,  Nasab  Qorais,  (nis.  Ku- 
prulu,  Constantinople),  4-5. 

(»)  Cf.  Mo'âwia,   225-52. 

(*)  Cf.  Mo'âwia,  index,  s.  v.  Médine. 

(3)  Bakrî,  op.  cit.,  707-708  ;  cf.  Wustenfeld,  Gebiet,  23  ;  d'après  les  quantités 
d'eau  fournies,  il  doit  s'agir  de  norias. 

(■*)  Bakrî,  708  ;  on  y  trouvera  l'énumération  des  villages,  728-729.  Villages,  points 
d'eau  et  cultures  du  Foro',  concessions  accordées  en  cette  région  par  Mahomet,  725, 
8  d.  1. 

Lamuens  —  Btrceau  7 


98  Dissensions  des  'Alides 


Si  nous  reprenons  notre  tour  du  Higâz  au  sud  de  Médine,  nous 
rencontrons  d'abord  la  vallée  du  'Aqiq  ('),  avec  ses  villas  et  ses 
maisons  de  plaisance,  perdues  dans  la  verdure.  Le  'Aqîq,  véritable 
Daphné  de  cette  Antioche  arabe,  non  moins  dissolue  que  celle  de 
Svrie.  Entre  cette  ville  et  la  Mecque,  la  liste  des  localités  encore 
habitées  au  3.  et  4.  siècles  de  l'hégire  demeure  considérable  (^).  Et 
cela  postérieurement  à  la  chute  de  la  d3nastie  onia3'}ade,  aux  nom- 
breuses révoltes  'alides,  durement  réprimées  par  les  'Abbâsides  (')  ; 
autant  de  coups  sensibles,  portés  à  la  prospérité  économique  du 
Higâz.  Les  califes  de  Bagdad,  dominés  par  les  influences  persanes 
et  turques,  se  désintéressèrent  de  l'Arabie  et  }'  laissèrent  les  multi- 
ples agents  de  décomposition  accomplir  leur  œuvre  de  destruction. 
Ces  souverains  s'éloignent  de  plus  en  plus  de  leurs  origines  arabes  : 
faute  soigneusement  évitée  par  les  califes  de  Damas.  Cette  considé- 
ration a  pu  inspirer  la  politique  agraire  des  Omay3'ades  au  Higâz 
et  la  constante  préoccupation  d'}-  arrondir  leurs  possessions  doma- 
niales {*). 

Au  lieu  de  s'unir,  on  voit  les  descendants  de  Hosain  et  de  Ga'far, 
malgré  les  liens  de  parenté,  se  livrer  à  des  guerres  fratricides  sur  la 
terre  du  Higâz  :  elles  amènent  leur  ruine  et  précipitent  la  décadence 


(')  Cf.  Mo'awia,  index  s.  v.  ;  Bakri,  op.  cil.,  173,  2-17.  Villages  en  ruines  entre 
Médine  et  la  Mecque;  Istahrî,  Gèogr.,   18.   Le 'Aqîq  «  doû'l  ârâk  »  ;  Vâqoût,  VI,  146. 

(2)  Ibn  Rosteh,  A'iâq,  178;  Ya'qoûbï,  Géogr.,  312-13;  Wûstenfeld,  Gebief,  22-23; 
Gohfa,  avec  deux  mosquées  et  niinbar  ;  Maqdisî,  Géogr.,  69,  77  ;  Vâqoût,  E.  62  ; 
Bakrï,  op.  cit.,  232.  D'après  Istahrî,  Géogr.,  20,  12  ;  Gohfa  seul  village  permanent 
entre  la  Mecque  et  Médine  ;  sur  le  centre  important  de  For'  (Foro'),  Vâqoût,  E.  VI, 
363  ;  Wûstenfeld,  Gebiet,  23  ;  Bakrï  et  détails  cités  plus  haut  ;  sources  et  palmiers 
près  de  Marr  az-Zahrân  ;  Vâqoût,  E.  VI,  90. 

(3)  Cf.  Ag.,  I,  165;  XVII,  109;  XVllI,  205  etc.;  Tab.,  Annales.  III,  s.  a.  144, 
p.  142  etc.  Ils  font  dévaster  les  vastes  domaines  des  'Alïdes  au  Higâz  ;  Wûstenfeld, 
Gebiet,  7  ;  Vâqoût,  E.  V,  180. 

(■')  Cf.  Mo'ôavia,  225  sqq.  Ils  y  acquièrent  des  domaines,  achetés  aux  Juifs  de  Wâdi'l 
Qorâ  ;  Balâdorï,  Fotoûh,  35. 


Prospérité  de  la  région  des  Solaimites  99 

du  pa\s  (').■  Combler  un  puits  est  un  malheur;  en  Arabie,  il  faut 
l'appeler  un  crime,  trop  souvent  irréparable.  La  pratique  était  devenue 
courante,  parmi  les  nomades,  ijuaud  ils  ne  pouvaient  se  mettre 
d'accord  pour  la  possession  d'une  source  (').  On  peut  en  dire  autant 
de  l'abominable  coutimie  de  raser  ou  de  brûler  les  palmeraies  ('), 
commandée  par  Mahomet  lui-même,  au  témoignage  du  Ooran  (■*). 

Parmi  toutes  les  contrées  de  l'univers,  la  Péninsule  plus  (]ue 
toute  autre  réclame  les  soins  incessants  de  l'homme,  une  lutte  sans 
relâche  contre  l'action  destructive  des  éléments,  travaillant  incessam- 
ment à  étendre  la  superficie  de  la  dénudation.  Or  cette  lutte  suppose 
l'entente,  un  pouvoir  énergique,  secondant  les  efforts  des  particuliers, 
la  cessation  des  divisions  intestines  ;  bref,  l'intervention  incessante 
d'un  Ziâd  ou  d'un  Haggâg  (^)  pour  imposer  la  paix  au  désert. 
Autant  de  conditions  rarement  vérifiées  en  Arabie,  à  partir  du  second 
siècle  de  l'hégire.  Aussi  n'est-il  plus  question  de  propriétés,  cou- 
vertes par  20,000  palmiers,  comme  celles  possédées  par  les  Zobairi- 
des  C)- 


* 

*  * 


A  l'Orient  de  la  route  directe  de  Médine  à  la  Mecque,  le  pays 
des  Banoû  Solaim  paraît  avoir  joui  d'une  remarquable  prospérité: 
successions  de  harras  volcaniques,  de  districts  miniers,  de  montagnes 


(')  Istahri,  Géogr.\  22,  2  etc.  On  voit  pourquoi  Ibn  Gobair  trouve  les  'Alides, 
réduits  à  exercer  les  métiers  les  plus  humiliants. 

(2)  Voir  dans  Bakrî,  op.,  «V.,  la  monographie  sur  Darj'ya,  626-639 ;  principalement 
627-28,  629,    632. 

(3)  Nous  aurons  à  y  revenir. 

(*)  Qoran,  59,  5.  Pour  terminer  une  contestation  entre  deux  plaideurs,  il  fait 
couper  des  palmiers;  Yahiâ,  Harâ.g.d'i,  2-14;  Yâqoût,  E.  II,  310,  U.  Domaines  'alides 
dévastés,  voir  note  précédente.  Palmiers  incendiés  par  Aboû  Sofiân  ;    ibid.,    VI,    163. 

(^)  Les  Bédouins  s'en  rendent  compte.  Voir  l'aveu  de  Lailâ  al-Ahyalyya  à  Hag- 
gâg; Ag.\  X,  83,  bas.  Comp.  notre /T/ôi/  ibn  Abihi.  Intelligence  supérieure  de  Haggâg; 
Gâhiz,  Bayâti,  I.  108,  4;  l'Iraq  eut  tort  envers  lui;  ibid.,  I,    148,   12  d.  1. 

(6)  Wûstenfeld,  Gebiet,  22-23. 


100  Témoignages  des  auteurs  ;  contradiction  apparente 

boisées,  de  points  d'eau  et  d'oasis,  intelligemment  exploités  (').  Zobair 
ibn  al-'Awwâm,  le  cupide  et  ambitieux  hawârî  de  Mahomet,  y  possé- 
dait un  domaine  acheté  170,000  dirhems  et  vendu  après  sa  mort  pour 
la  somme  fabuleuse  de  1,600,000  dirhems  (^).  Ces  chiffres  ont  leur 
éloquence:  à  l'aide  de  pareils  capitaux,  tout  devenait  possible  ;  même 
<  de  faire  fleurir  le  désert  »,  pour  reprendre  ici  le  stj'le  de  la  Bible. 
Un  des  centres  de  la  région  solaimite  ('')  était  Sawâriqyya  avec  une 
mosquée  et  un  mitidar.  Or  la  chaire  (.les  mosquées  était  la  caractéris- 
tique des  localités  importantes  {*)  Sawâri(]3'3'a  possédait  des  jardins 
s'étendant  sur  une  longueur  de  plusieurs  journées  de  marche  avec  des 
bananiers,  des  vignes,  des  grenadiers,  des  figuiers,  des  cognassiers, 
des  pêchers,  sans  parler  des  inévitables  dattiers  ('). 

Ici  une  remarque  s'impose;  elle  expliquera  l'apparente  contra- 
diction entre  les  témoignages  des  géographes:  ceux  des  vo3'ageurs 
musulmans  et  les  textes  des  enc\'clopédistes.  Les  premiers  constatent 
(ù  visu  les  progrès  de  la  décadence.  Quant  aux  auteurs  de  diction- 
naires, Yâqoût  et  Bakri,  ils  ont  largement  utilisé  les  poètes,  c'est  à 
dire  des  témoins  de  la  prospérité  omayyade  ou  de  la  situation  encore 
satisfaisante  de  la  période  immédiatement  antérieure,  alors  que  la 
politique  commerciale  des  avisés  Qoraisites  avait  réussi  à  maintenir 
l'Arabie  occidentale  dans  une  tranquillité  relative  (*).  Le  monde  des 
affaires,  la  haute  banque  détestent  le  fracas  des  armes. 


(1)  Bakrî,  op.  cit.,  60-61,  462;  728,  729.  Wûstenfeld,  op.  cit.,  25-35;  Yâqoût,  E. 
V,  370,  371. 

(2)  Wiistenfeld,  op.  cit.,  28  ;  pour  les  richesses  et  les  prodigalités  de  Zobair,  cf.  YazJd, 
352.  Il  s'agit  vraisemblablement  d'une  propriété,  sise  au  district  de  Foro'.  Voir  plus 
haut.  Du  vivant  de  Mahomet,  ce  Zobair  avait  déjà  manifesté  des  goûts  de  proprié- 
taire; cf.   Fâtima,  56,  note  1. 

P)  Bîr  Ma'oûna,  point  d'eau  de  cette  région,  nommé  dans  la  Sïra,  ne  reparaît 
plus  à  partir  de  cette  époque.  Cf.  notre  article  Bïr  Ma'oûna  dans  Enzyk.  d.  Islam,  I. 

(■*)  Cf.  A.  Mez,  Von  der  ntuhammedanischen  Stadt  in  4  Jahrhundert  dans  Zeits. 
f.  Assyr.,  XXVII,  65-66. 

(5)  Wûstenfeld,  Gebiet,  33;  Yâqoût,  E.  V,  164.  A  la  Mecque  et  dans  le  haram 
on  ne  rencontre  que  la  maigre  flore  désertique.  Les  vergers  se  trouvent  en  dehors  du 
territoire  sacré;   Istahrî,   Géogr.,   17. 

C"')  Cf.  notre  République  marchande,  passim. 


Le  long  de  la  côte  érythréenne  101 

Quand  on  remontait  le  long  de  la  rive  ér\-thréenne  dans  la 
direction  du  golfe  actuel  de  'Aqaba,  la  situation  se  présentait  encore 
plus  favorablement  que  dans  l'intérieur  des  terres.  Aux  pieds  des 
derniers  escarpements,  formés  par  les  montagnes  côtières.  au  débou- 
ché des  wâdis,  s'étalant  en  éventail  sur  la  mer,  s'ouvraient  des 
plaines,  saturées  de  pluies  hivernales.  Partout  l'humidité,  emprisonnée 
dans  les  entrailles  du  sol,  remontait  à  la  surface  sous  forme  de 
sources  ('),  ou  venait  s'accumuler  au  fond  des  puits,  percés  par 
l'activité  des  habitants.  On  traversait  une  suite  de  localités,  vivant 
du  trafic  maritime,  de  la  pêche  et  aussi  du  produit  de  leurs  floris- 
santes palmeraies.  Citons  .\1-Gâr,  port  de  Médine,  rendez-vous  des 
navires  commerçants  de  le  Mer  Rouge  et  même  de  l'Océan  indien, 
avec  des  demeures  somptueuses,  .y^  et  une  nombreuse  popula- 
tion (*).  Nous  avons  déjà  parlé  de  Yanbo'  ('),  de  ses  «  99  sources  » 
et  de  ses  jardins  luxuriants  {*).  Nommons  encore  :  Wagh,  Madian, 
Maqnâ,  Haurâ\  enfin  Alla,  où.  disaient  les  poètes,  <  le  froment  était 
commun  comme  ailleurs  le  sable  »  : 

Récemment  l'infatigable  explorateur  de  l'Arabie  occidentale,  le 
Dr.  Musil  a  visité  la  région  septentrionale  de  la  côte  du  Higâz, 
Partout  à  marée  basse,  il  a  rencontré  des  sources  d'eau  douce,  recou- 
vertes par  le  flot  montant.  L'oasis  Al-Badfa  (')  mesure  une  longueur 
de  six  kilomètres,  couverts  de  doums  et  de  palmiers.  La  localité  ma- 
ritime .Al-Horaiba  avait  jadis  possédé  un  aqueduc,  amenant  l'eau  de 

(')  Rapprochez  les  «  99  sources  »  de  Yanbo'  et  les  détails  de  Musil,  donnés  plus  bas. 

(*)  Bakrî,  op.  cil.,  225;  Balâdorî,  Fotoûh,  216;  Wûstenfeld,  Gebiet  von  Médina, 
12-13. 

(')  A  l'intérieur  des  terres,  distinct  de  la  Yanbo'  maritime  d'origine  postérieure. 
Actuellement  appelée   Yanbo'  an-nahl,  la  Yanbo'  des  palmiers. 

(*)  Bakti,  op.  cit.,  169,  416,  417,  608. 

(5)  Bakrî,  358.  Sur  Aila  voir  l'inde.x  de  Mo'awia. 

(6)  Orthographié    Bed'   et    Bedî'a   chez    Musil  ;    peut-être    ç-oLs    de    Bakri,    167 

jljo.i.1  J.ik.L«j  ;  Yâqoût,    E.    II,    39.    Peut-être    Bodai'  g..n  > ,    nommé    par   le    poète 
Kotayyr  en  même  temps  que  'Ainoûn;  Bakrî,  266;  Yâqoût,  E.  V,  81,  2-5. 


102  Situation  actuelle 

l'oasis  'Ainoûnâ,  nommée  dans  le  hadït  (').  A  la  rigueur  Mahomet 
aurait  pu  la  concéder  en  propriété  au  célèbre  Tamîm  ad-dârî;  mais 
le  hadït  se  trompe  en  plaçant  cette  dernière  en  Syrie.  Seulement  la  Tra- 
dition avait  à  cœur  d'attribuer  au  Maître  le  don  de  prophétie  et  aussi 
le  projet  de  conquêtes  en  dehors  des  frontières  arabes  (*).  Les  pal- 
meraies de  l'oasis  de  Horaiba  produisent  la  plus  favorable  im- 
pression. Voisine  est  l'oasis  de  Sarma.  «  Elle  compte,  dit  Musil,  25 
kilomètres  de  long;  avec  les  terrains  environnants  et  susceptibles  de 
culture,  elle  suffirait  à  nourrir  des  milliers  d'hommes  industrieux. 
Toute  cette  côte  pourrait  être  colonisée  et  devrait  former  un  des 
plus  florissants  districts  de  l'empire  ottoman  »  (').  Au  Nord  de  Ho- 
raiba, «  la  vallée  de  'Afâl  avec  l'oasis  de  Badra,  au  dire  du  même 
explorateur,  offrirait  aisément  la  subsistance  à  10,000  habitants  pour 
le  moins;  une  autre  dizaine  et  plus  trouveraient  à  cultiver  les  éten- 
dues fertiles  entre  'Afâl  et  "Ainoûna  »  {*). 


(1)  Bakrî.  266  s.  v.  'Ainoûn,  mais  le  vers  de  Kotayyr  écrit  'Ainoûnâ;  efforts 
pour  en  faire  une  localité  syrienne;  Bakrî,  loc.  cit.;  Yâqoût,  E.  VI,  258;  Ibn  Doraid, 
Istiqàq,   226. 

(2)  Cet  iglà'  impliquait  cette  double  conclusion.  Voilà  pourquoi  la  Tradition  s'est 
obstinée  à  chercher  en  Syrie  l'emplacement  de  'Ainoûnâ. 

(3)  Musil,  Ini  nôrdl.  Hegâz,  p.   12. 
(^)  Musil,  loc.  cit. 


XI 
La  responsabilité  du  Bédouin 


A  la  fin  de  cette  esquisse,  forcément  superficielle,  consacrée  au 
climat  de  l'Arabie,  une  constatation  s'impose,  si  je  ne  m'abuse.  C'est 
la  divergence  profonde  entre  la  réalité  (ju'elle  nous  permet  d'entre- 
voir et  les  idées  admises  jusqu'ici.  Même  après  avoir  pesé  les  ren- 
seignements résumés  ici,  sans  parler  de  nombreux  documents,  volon- 
tairement laissés  de  côté  ('),  nous  devons  nous  faire  violence,  sans 
cesse  réagir  sur  nous-mêmes  pour  ne  pas  céder  à  nos  anciennes  im- 
pressions. Nous  sommes  redevables,  au  moins  partiellement,  de  ces 
préjugés  à  notre  éducation  classique,  aux  décevantes  appellations 
d'Arabie  déserte  et  d'Arabie  Pétrée.  Cette  dernière,  très  innocente 
au  fond,  désignait  la  Nabatée  avec  sa  capitale  Petra,  XArabia  Pe- 
trcœa,  récemment  décrite  par  le  Prof.  Musil.  Nous  nous  obstinons  à 
3'  découvrir  une  ét}-mologie,  cadrant  avec  nos  préventions;  ensuite 
nous  étendons  à  l'Arabie  entière  cette  création  de  notre  imagination. 
Comme  pendant  aux    glaces  polaires,  elle  nous   représente  l'énorme 


(')  Comme  ceux  regardant  la  faune  et  la  chasse  :  toutes  deux  supposent  une 
certaine  richesse  végétale.  Nous  parlerons  plus  loin  des  lions  d'Arabie.  Pendant  plu- 
sieurs mois  Amroulqais  et  ses  nombreux  compagnons  vivent  de  la  chasse.  Puisque  le 
Qoran  a  cru  devoir  l'interdire  pendant  le  pèlerinage,  elle  devait  constituer  une  occu- 
pation fevorite.  Comp.  AboQ  Tammâm,  Hamâsa,  I,  106,  2;  114.  Nous  y  reviendrons 
dans  le  dernier  fascicule  du  Califat  de  Yazld  l'r.  Cf.  Auler  Pascha,  op.  cit.,  II,  10, 
Jaussen,  Pays  de  Moab,  282  sqq.  J.   V.\a\\,  JRAS  1912,  p.   139-41. 


104  Les  «  sabaha  » 

péninsule  arabe,  ensevelie  sous  un  morne  manteau  de  sable  :  chaoti- 
que succession  de  steppes,  déchiquetées  par  l'érosion  séculaire. 

C'est  le  mirage,  l'obsession  des  nefoûd.  Pourtant  les  nefoïid,  nous 
l'avons  vu,  forment  l'exception  en  Arabie.  Encore  constituent-ils  pen- 
dant l'hiver  une  précieuse  réserve  pastorale  pour  les  immenses  trou- 
peaux des  nomades.  La  période  humide  terminée,  alors  seulement  ils 
représentent  le  véritable  désert  saharien,  la  solitude  romantique,  où 
«  s'égarer,  c'est  se  vouer  à  la  mort  »  (')  où  le  plus  habile  «  guide  se 
mord  les  doigts  »  de  désespoir  ('),  (jue  «  l'oiseau  même  renonce  à 
traverser  »  (^). 

Beaucoup  moins  étendus,  mais  plus  redoutables  pour  la  vie  vé- 
gétale apparaissent  d'autres  restes  de  la  grande  mer,  ayant  jadis  re- 
couvert cette  partie  de  l'Asie  antérieure,  nous  voulons  parler  des 
sabaha,  steppes  salines  et  fréquemment  improductives  (^). 

Ce  sont  parfois  d'anciens  lits  de  gadlr  desséchés,  où  les  particules 
solides,  en  suspension  dans  l'eau,  sont  venues  s'accumuler.  Ces  sur- 
faces salines  gagnent  en  étendue,  à  la  suite  des  sécheresses  prolon- 
gées. Sous  l'action  de  l'évaporation,  tous  les  cantons,  soustraits  pen- 
dant une  période  notable  à  l'effet  des  fortes  chutes  de  l'hiver,  se 
couvrent  d'efflorescences  minérales.  L'eau  des  pluies,  e.xcepté  pour- 
tant celle  des  sail-  (^),  trombes,  glisse  à  la  surface.  Si  elle  pénètre 
dans  le  sol,  elle  risque  d'}'  entraîner  des  ferments  chimiques,  d'étouffer 
jusqu'aux  germes  de  la  vie  végétale.  Aussi  disait-on  en  manière  de 
proverbe  :  «  accorder  un  bienfait  à  un  homme  sans  honneur,  autant 
vaut  ensemencer  la  sabaha  »  C^).  Certaines  espèces  semblent  pourtant 
s'être  accommodées  de  conditions  aussi  défavorables.  Ibn  Halâwaih  C) 

(1)  lillft  d^  ^j  ^  ;  Bakri,   185,   1. 

AboQ  Tammâni,  Hamâsa,  E.  IV,  155  d.  v.  «  Il  se  mord  les  cinq  [doigts]  ».  Bakri, 
op.  cit.,  (pour  la  Dahnâ')  615,    7-8. 

(•■')  Ag.,  X,  82,  5  d.  1.  ;  «  où  s'égarent  le  qatâ  (perdrix  du  désert)  et  le  hâdi 
(guide)»;  Ahtal,  Divan,  87,  5;  Laila  Ahyalyj-a,  dans  Hansa',  Divan,   109,  4. 

(■•)  Bakrî,  op.  cit.,   172,  4.  Sabaha,   de  Médine  ;   Ibn  Hisâm,  Sïra,   557,  677. 

(^)  Le  sail  ramène  la  végétation  ;  NaqcCid  Garlr,   173,  2  v. 

(«)  Gàhiz,  Bayân,   I,   190,  7. 

C)  Sagar,  Vil,   1,  5,  8,  12;  VIII,  XI,  XIV. 


Inconstance  de  la  météorologie  105 

cite  toute  une  collection  de  plantes  et  d'arbustes,  poussant  dans  ces 
terrains.  Elles  en  diminuaient  l'excès  de  salinité,  en  la  fixant  partiel- 
lement dans  leurs  tissus. 

Malgré  leur  apparence  austère,  les  laves  des  harras,  en  se  dé- 
sagrégeant sous  l'actiori  des  agents  atmosphériques,  composent  une 
terre  d'une  étonnante  fertilité,  où  la  présence  de  quelques  gouttes 
d'humidité  provoque  les  réactions  les  plus  favorables  au  développe- 
ment des  plantes.  Au  milieu  des  harras  s'élevaient  les  plus  merveil- 
leuses oasis  du  Higâz  :  Taboûk,  Taimâ',  Haibar.  Médine,  les  riches 
palmeraies  du  pavs  des  Solaimites.  Elles  doivent  précisément  leur 
fécondité  au  voisinage  de  ces  éléments  fertilisants,  venant  périodi- 
quement reconstituer  et  activer  les  forces  productives  de  la  terre, 
jouer  le  rôle  des  engrais  chimiques  dans  nos  régions  plus  tempérées. 

Le  principal  désavantage  du  climat  arabe,  c'est  l'inconstance  de  la 

9 

météorologie  ou  pour  employer  le  langage  des  Arabes  ^ _j?rJl  ^)i^\  (*), 
la  déception  des  constellations,  le  paradoxe  des  hivers,  s'écoulant 
sans  amener  la  pluie.  Celle-ci  demeure  abandonnée  à  la  merci  des 
sautes  de  vent,  aux  caprices  de  la  bise  du  Nord.  S'obstinait-elle  à 
souffler,  adieu  le  ra^f,  la  bienfaisante  humidité  hivernale  !  C'était  la 
sécheresse,  partant  la  mort  pour  les  troupeaux  et  la  ruine  des  pas- 
teurs (^).  Cette  constatation  a  pu  influencer  la  signification  du  vocable 
TsUio ,  indiquant  la  direction  de  la  .S3Tie  et  aussi  les  objets  de  mau- 
vais augure.  Syrie,  vent  du  Nord,  disette  :  tous  ces  concepts  se  con- 
fondaient dans  la  pensée  des  nomades.  A  l 'encontre  la  racine  Vaman 
signifiait  la  prospérité  et  le  pa\-s  de  Yémen.  De  là  arrivaient  les 
nuages,  chargés  de  l'humidité  marine.  Comment  les  Arabes  n"}-  au- 
raient-ils pas  attaché  le  sens  de  bonheur  ^  Le  rêve  de  tout  Bédouin 
c'était  de  posséder  en  abondance  <  les  deux  noirs,  ^>'yM^\  »,  l'eau 
et  les  dattes  (').  La  pluie  seule  pouvait  réaliser  ce  rêve. 

(')  Ag.,  X,  80,  9  d.  1.  La  pluie  arrive  trop  tard,  «  les  troupeau.x  ont  péri  »  ; 
Ag..  XI,   153. 

(^)  Comp.  la  description  de  la  sécheresse  faite  par  Lailâ  Ahyalyya  à  Haggâg  ; 
Ag.,  X,  80,  bas  ;  Yâqoût,  E.  V,  27. 

(3)  Comme  on  l'a  vu,  l'eau  entraînait  généralement  la  présence  des  palmiers. 
Donc  posséder  les  i^>y>A  équivalait  à  être  propriétaire.  Ibn  Mâgâ,  Sonan,  E.  Il, 
278,  280. 


106  La  passivité  du  Bédouin 

On  comprendra  donc  les  vœux,  retentissant  incessamment  à  tra- 
vers la  poésie  de  ce  peuple.  Monotone  mélopée,  elle  appelle  les  eaux 
du  ciel,  sur  les  pâturages  de  la  tribu,  sur  les  campements  abandon- 
nés et  sur  la  tombe  de  ses  morts  (').  Jus(jue  dans  l'autre  monde  le 
Bédouin  emporte,  pour  ainsi  dire,  la  nostalgie  de  la  pluie.  D'où  la 
fréquence  des  islisqa'  (^),  des  rogations  où  le  Bédouin  secoue  mo- 
mentanément son  indifférence  religieuse. 

«  Aide-toi,  le  Ciel  t'aidera  !  >  Nulle  part  je  ne  me  rappelle  avoir 
retrouvé  l'équivalent  de  cet  axiome  dans  la  littérature  de  cette  race  (^), 
si  riche  pourtant  en  réflexions  sententieuses. 

«  Lent  à  se  plaindre  au  milieu  des  épreuves,  il  renvoie  au  len- 
demain la  discussion  sur  les  événements  de  la  veille. 

Dans  ce  vers,  justement  vanté  par  les  littérateurs  arabes  (^),  le 
poè  e  Doraid  ibn  as-Simma  esquisse  la  faculté  d'endurance  du  no 
made.  C'est  en  partie  l'équivalent  arabe  du  Si  fractus  illabatiir  or  bis. 
Nous  ne  demanderions  qu'à  admirer,  si  chez  le  Bédouin  de  tous  les 
temps  cette  qualité  n'aboutissait  à  éner\'er  les  ressorts  de  son  énergie 
morale,  si  trop  souvent  sa  patience  ne  dégénérait  en  une  sorte  de 
passivité  animale.  Le  même  Ibn  as-Simma  (")  a  célébré  ses  frères, 
tous  tombés  sur  le  champ  de  bataille: 

«  Si  la  mort  violente  s'obstine  à  frapper  les  fils  d'As-Simma,  c'est 
parce  qu'eux-mêmes  n'ont  pas  choisi  un  autre  sort  >. 


(')  Hansa',  Divan,  67  : 

(2)  Cf.   Musil,  Arabia  Petraea,   III,  S. 

(^)  Excepté  peut-être  dans  un  vers  du  grand  A'sâ  ;  aussi  l'attribue-t-on  à  une 
inspiration  chrétienne  ;  Ag.,  VIII,  79,  vers  le  bas. 

(*)  Ag..   IX,   5. 

(^)  Ag.,  loc.  cit.,-  comp.  A.  Tammâtn,  Haiiiàsa,  E.  I,  47.  Nous  y  reviendrons 
plus  bas. 

(«)  Voir  sa  notice,  Ag.,  IX,  3-20. 


Contradictions  dans  sa  mentalité  107 

Voilà  un  sentiment  digne  d'un  héros.  Mais  pourquoi  ajouter 
aussitôt  :  «  le  destin  s'attache  au  destin  ?  » 

Note  découragée  (");  on  dirait  la  résignation  d'un  peuple,  re- 
nonçant à  continuer  la  lutte  contre  une  nature  inexorable  !  Ce  sen- 
timent paraît  tellement  naturel  au  Bédouin  (|ue  lorsque  l'expression 
contraire  arrive  à  se  faire  jour,  les  Arabes  eux-mêmes  n'hésitent  pas 
à  y  découvrir  des  influences  chrétiennes.  Si  le  poète  A'sâ  proclame 
la  responsabilité  des  actions  humaines,  c'est,  déclarent-ils  gravement, 
une  doctrine,  apprise  des  évêques  de  Nagrân  (^). 


De  tout  temps  la  m\stérieuse  personnalité  du  Bédouin  a  sollicité 
la  curiosité  des  orientalistes,  mis  en  contact  avec  lui  par  leurs  étu- 
des, ensuite  des  dilettanti,  fascinés  par  le  puissant  relief  de  cette 
étrange  figure.  Nous  aurions  tort  de  nous  divertir  des  divergences 
profondes  constatées  entre  les  portraits  {]u'ils  en  ont  tracés  (*).  Quel 
objectif  fixerait  les  traits  de  cette  changeante  physionomie  ?  Personne 
ne  réunit  en  son  être  moral  autant  de  contrastes,  de  contradictions  ; 
personne  ne  s'entend,  comme  le  Bédouin,  à  les  concilier,  disons  mieux 
à  hospitaliser  en  son  âme  tous  ces  éléments  hostiles,  sans  que  leurs 
discordes  détruisent  sa  très  réelle  originalité,  originalité  d'ailleurs 
complètement  stérile  pour  la  cause  du  progrès. 


(')  Ag..   IX,  3. 

(-)  Un  autre  son  plus  viril  rend  ce  vers  de  Hosain  ibn  Homâm  : 

«  La  ténacité  —  c'est  le  fond  de  notre  caractère  —  nous  l'avons  appuyée  sur  nos 
glaives,  en  leur  donnant  à  moissonner  des  bras  et  des  poignets  »  So'arâ'  (Cheikho), 
736  d.  v. 

P)  Ag.,  X,  143,  haut.  On  loue  au  contraire  le  fatalisme  de  Labîd  ;  Ag.,  VIII, 
79.  Hosain  ibn  Homâm  fut-il  chrétien  ?  Son  divan  renferme  du  moins  des  vers 
nettement  monothéistes  ;  So'arâ',  (Cheikho),  636,  d.  v. 

(■•)  Voir  plus  loin  les  exemples  du  «  Paradoxe  bédouin  ». 


108  Sa  qualité  maîtresse 

Revenons  à  sa  qualité  maîtresse  ('),  à  sa  vertu  nationale,  au 
sabr,  ainsi  il  appelle  son  élastique  endurance.  Ecoutons-le  nous  la  dé- 
crire par  la  voix  de  ses  poètes,  interprètes  autorisés,  parce  que  Bé- 
douins eux-mêmes,  de  la  mentalité  nomade.  Nous  puiserons  nos  ci- 
tations dans  la  Hamàsa  de  Bohtori,  anthologie  extraite  des  plus 
anciens  recueils  poétiques  de  la  littérature  arabe. 

Au  sein  des  épreuves  il  se  proclame  un  roc  contre  lequel  vient 
s'effriter  le  granit  du  temps  (^).  L'œil  sec,  il  a  confié  à  la  terre  la 
dépouille  de  tous  les  siens;  pas  un  moment  il  n'a  tressailli;  pas  un 
muscle  de  son  visage  n'a  bougé  et  l'écho  n'a  pu  recueillir  le  son  d'une 
seule  de  ses  plaintes. 

:^  7  ^  ^    f  i,  ^  ■'9 

Et  pourtant  Allah  sait  avec  quelle  usure  (*)  le  temps  l'a  éprouvé  ; 
l'adversité  n'a  réussi  qu'à  mettre  en  relief  sa  résistance  (^).  Aussi  bien 
à  sa  place,  sous  les  coups  du  sort,  un  roc  se  serait  fendu  (*).  Si 
parfois  un  signe  d'émotion  a  pu  lui  échapper  ;  eh  bien  !  il  en  de- 
mande pardon  à  Dieu  comme  d'une  faiblesse,  indigne  d'un  homme  : 

Il  en  arrive  à  désavouer  «  les  larmes,  la  seule  arme  de  l'affligé  ». 

Quelle  grandiloquence  1  On  serait  tenté  d'ajouter  :  quel  peuple 
pour  avoir  trouvé  de  tels  accents  1    Cette   dernière   conclusion  serait 

(')  <*-».'sr**'  LL<  j--«aJl  j^j'S'^  ,  répètent  à  l'envi  ses  poètes. 

(*)  Bohtori,  Hatnâsa,  n.  642. 

(•')  Bohtori,  op.  cit.,  n.  644,  645  ;  pour  le  sens  cf.  A.  Tammâm,  Hamâsa,  E.  I,  93. 

(<)  Ji-i-J  UjLoI  . 

(5)  y^  ;   Bohtori,  op.   cit.,   n.  648. 

C')  Bohtori,  op.  cit.,  n.  651. 

C)  Bohtori,  op.  cit.,  n.  661  ;  cf.  Ag.,  XI,  92,  9  d.  1.  cU*  Jj  Jol  M  ,i-..»,^li 
viUU  . 

(S)  Comp.  So'arâ'  (Cheikho),  736,  4  v. 

(')  Opuscula  arabica  (Wright),  99,  12. 


Le  domaine  sur  la  nature  109 

exagérée.  Le  Bédouin  se  grise  facilement  de  sa  propre  faconde.  De 
l'énergie  il  a  su  trouver  l'expression  la  plus  solennelle,  s'approprier 
et  à  un  degré  éminent  toute  la  partie  négative.  .S'il  offre  la  rési- 
stance du  granit,  il  en  possède  aussi  toute  la  passivité,  toute  l'inertie. 
Nous  aurons  l'occasion  de  nous  en  convaincre  dans  la  suite  de  ces 
recherches.  C'est  là  une  des  nombreuses  surprises,  que  réserve  aux 
érudits  ranal3-se  de  la  complexe  mentalité  nomade. 


Après  des  milliers  d'années,  écoulées  depuis  sa  proclamation, 
l'ordre  divin,  inscrit  à  la  première  page  de  la  Genèse  (I.  2îS);  «  Re- 
plemini  terram  et  subjicite  eam  »  conserve  toute  sa  force.  A-t-il  reçu 
en  Arabie  son  entier  accomplissement }  Qui  oserait  le  prétendre, 
quand  nous  constatons  le  contraire  dans  des  climats  plus  favori- 
sés ?  Qu'a  fait  la  passivité  bédouine  pour  lutter  contre  le  ciel  inclé- 
ment de  son  pays,  pour  se  défendre  contre  son  inconstance,  pour 
arrêter,  à  tout  le  moins  retarder,  la  péjoration  incessante  du  climat, 
la  désolation  continue,  l'action  des  innombrables  agents  athmosphé- 
riques,  précipitant  la  dégradation  du  sol,  amenant  la  diminution  de 
l'humidité,  indispensable  à  l'épanouissement  de  la  vie  ?  Au  témoi- 
gnage des  géographes  arabes,  nombre  de  puits  et  de  sources  ont 
disparu  dans  le  désert,  faute  d'entretien  ('). 

Sur  aucun  point  de  notre  planète,  les  éléments  perturbateurs  ne  se 
trouvent  réunis  en  aussi  grand  nombre  ni  ne  disposent  de  moyens 
aussi  puissants  de  destruction.  A  leur  intervention  perturbatrice, 
quelles  barrières  a  opposées  l'énergie,  le  saâr  fastueux  des  Bédouins  } 

Sans  doute  l'homme  ne  possède  pas  le  pouvoir  de  violenter  la 
nature.  Lorsque,  conformément  à  l'ordre  divin,  il  lui  commande,  lors- 
que il  essaie  de  la  subjuguer,  il  ne  cesse  pas  en  réalité  d'obéir  à 
cette  même  nature.  Il  doit  se  contenter  de  la  seconder,   sous   peine 


(')  c*^  Cjly«  tt  ^^>  Ol>-<  ;  Bakri,  op.  ciL,  627-628.  Voir  les  détails,  donnés 
plus  haut  sur  les  puits  et  les  sources.  Puits  anciens  de  Madâin  Sâlih  ;  Auler  Pascha, 
Die  Hedschasbahn.   II,  55  sqq.  le  chap.  :   die   Wassej-versorgung . 


110  Collaboration  avec  le  monde  inerte 

d'être  la  première  victime  de  lois,  méconnues  dans  sa  présomption. 
Cette  collaboration  incessante  entre  l'homme  et  le  monde  inerte,  il 
nous  reste  à  en  examiner  les  vicissitudes  et  les  résultats  au  pays 
d'Ismaël.  Nous  nous  en  acquitterons  en  discutant  la  persistance  du 
climat  de  l'Arabie.  Chemin  faisant  nous  aurons  à  examiner  la  théorie 
récente,  présentant  l'expansion  arabe,  après  la  mort  de  Mahomet, 
comme  un  mouvement  plus  économique  que  religieux,  comme  le  ré- 
sultat d'une  longue  évolution  cosmique. 


II. 

LE  CLIMAT  DE  L'ARABIE 
A-T-TL  CHANGÉ? 


Théories  anciennes  et  modernes 


C'est  une  tendance,  commune  à  toutes  les  sociétés  humaines, 
de  placer  1  âge  dor  aux  alentours  de  leur  berceau.  La  somptueuse 
imaii'ination  des  Arabes  ne  pouvait  se  soustraire  à  la  tentation. 

Le  rude  climat  du  désert  leur  a  merveilleusement  trempé  le  tem- 
pérament ph3'sique;  il  a  développé  à  un  degré  peu  commun  chez 
eux  la  faculté  de  résistance.  Semblable  à  la  flore  maigre  et  trapue 
de  son  pays,  cet  être  aux  souples  muscles  d'acier  (')  s'obstine  à  vivre. 
Grâce  à  sa  ténacité,  à  ses  immenses  réserves  d'énergie  passive,  il 
réussit  presque  à  prospérer  dans  un  milieu  aussi  réfractaire  à  toutes 
les  manifestations  de  la  vie.  En  revanche  l'influence,  exercée  sur  le 
moral  du  Bédouin,  s'est  démontrée  moins  heureuse. 

Déprimé  par  la  lutte  incessante  contre  une  nature  inexorable,  il 
se  sent  comprimé  par  le  destin  «  comme  entre  deux  pierres  meulières  »  ; 
la  comparaison  a  été  trouvée  par  ses  poètes  (').  En  de  telles  condi- 
tions, l'initiative,  la  lutte  directe  lui  ont  paru  impossibles.  Il  s'est  décidé 
à  y  renoncer.  Stoïquement  il  courbe  la  tête  sous  le  joug  du  fatalisme, 
répétant  le  vers  de  Labld,  très  admiré  par  toute  la  tradition  musulmane  : 

«  Quand  Allah  prédestine  un  homme  à  la  félicité,  il  peut  marcher 
sans  inquiétude;  mais  Allah  dévoie  qui  il  lui  plaît  »  {'). 


(')  Cf.  Mas'oQdî,  Prairies,   III,  243  sqq. 

(-)  Pour  les  références,    voir  O.   Rescher,    Ober  falalistische    Tendenzett    in    den 
Anschauungen  der  Araber,  dans  Islam,  II,   342. 
^■')  Labîd,  Divan,  XXXIX,  3.  Voir  plus  haut. 

Lammens  —  Berctau  '  8 


114  I.e  fatalisme  bédouin 

Bien  avant  Mahomet,  le  Bédouin  s'est  représenté  l'auteur  de  la 
nature  comme  un  despote,  bro3'ant  ses  créatures  dans  l'étau  de  sa 
volonté  tyrannique.  «  L'ordre  de  Dieu,  proclame  le  Qoran,  est  un 
destin  irrésistible  »  (').  Il  en  est  presque  venu  à  envier  le  sort  de  la 
matière  inerte.  Affaissé  sur  lui-même,  il  a  repris  à  son  compte  cet 
autre  vers  de  Labid,  le  poète  ('),  écho  des  conceptions  pessimistes 
de  ses  .  contemporains  : 

«  L'usure  du  temps  nous  consume:  seules  ne  vieillissent  pas  les 
sublimes  étoiles.  Longtemps  après  nous  les  montagnes  et  les  massives 
forteresses  continueront  à  subsister  ('). 

«  L'homme  rappelle  l'éclat  éphémère  d'une  étincelle.  11  devient 
poussière  après  avoir  brillé  un  instant  !  »  (■*). 

Pour  se  consoler  de  sa  défaite  morale,  pour  s'arracher  au  senti- 
ment de  sa  navrante  misère,  au  spectacle  de  son  rude  milieu,  sa  fan- 
taisie aime  à  voyager  dans  le  passé.  Non  ;  sa  patrie  n'a  pas  toujours 
présenté  l'image  de  la  désolation,  dont  il  est  le  témoin  attriste  et 
impuissant.  Jadis  les  hommes  y  vivaient  plus  heureux,  plus  long- 
temps. C'est  l'origine  de  la  littérature  des  Mo'amntarmn^  des  «  Cen- 
tenaires ».  Le  Prof  Goldziher  en  a  publié  et  doctement  commenté  un 
remarquable  spécimen  le  Kitàb  al-Mo'ammaroûn  de  Sigistânl  (^).  Ses 
ancêtres,  l'Arabe  se  les  représente  blancs  de  visage,  de  taille  gigan- 
tesque (^).  Tous  ces  traits  ont    passé    dans    le  canon  de   l'esthétique 

(')  Qoran,  33,  38;  cf.  9,  51  ;  54,  49.  -«1,  terme  vague,  peut  signifier  l'ordre,  la 
chose,  la  disposition. 

(-)  Traité  avec  infiniment  d'égards  par  la  tradition  musulmane  et  transformé  par 
elle  en  croyant  sérieux;  voir  Ag.,  VIII,  79,  89;  XIV,  93-102,  surtout  97,  137,  138; 
XVIII,  165. 

{')  Comp.  Sabîb  ibn  al-Barsâ':  «j'irai  boire  à  la  source,  où  les  ancêtres  se  sont 
abreuvés»;  Ag.,  XI,  96. 

(■*)  Bohtorf,  Hamàsa,  n.  387  ;  Comp.  Zohair  (Ahlw.),  XX. 

{^)  Dans  le  2°  vol.  des  Abhandlungen;  Gâhiz  traite  les  Arabes  de  menteurs  en 
matière  de  longévité  ;  Haiawân,  I,   72  :  l^~is  l5J^  >3S>  ^  «.^  ^1  . 

C)  Cf.  Mo'âwia,  97-101  ;  Fâtima,  36-37.  Les  'Adites  étaient  «  hauts  comme  des 
palmiers  J.;^srJI  Cj^^^*  tS  *  ■  ''"^  lonsueur  de  leur  vie  était  proportionnée  ;  Mas'oûdî, 
Prairies,  III,  74  ;  sur  'Ad  cf.  Qoran,  26,  128;  53,  51  ;  notre  Ooraii  et  tradition,  19, 
on  y  verra  l'application  du  canon  au  Prophète. 


L'Arabie,  jadis  un  Paradis  115 

virile,  compilé  par  les  poètes,  et  fidèlement  appliqué  à  leurs  Mé- 
cènes et  plus  tard  par  les  annalistes  aux  héros  de  la  préhistoire  isla- 
mite.  11  retrouve  les  vestiges  de  leurs  demeures  (')  dans  les  mas- 
sives constructions  nabatéennes,  dans  les  hautes  forteresses  du 
Yémen. 

L'Arabie  elle-même  présentait  l'aspect  d'un  Paradis.  «  Elle  occupait 
le  centre  de  la  terre,  possédait  le  plus  délicieux  climat  et  les  terres 
les  plus  fertiles  »  (").  Après  la  confusion  de  Babel,  une  partie  des 
Arabes  traversa  le  Higâz.  S'il  a  reçu  cette  dénomination  de  Higâz, 
à  savoir  séparation  (^),  «  c'est  parce  que  les  charmes  de  la  région, 
l'infinie  variété  de  ses  productions  empêchèrent  alors  ses  premiers 
habitants  de  suivre  leurs  frères  dans  l'émigration  »  {*).  En  voyageant 
de  la  Mecque  à  Médine.  on  traversait  une  succession  ininterrompue 
de  districts  habités  et  de  riches  cultures.  Il  en  était  de  même  quand 
on  passait  par  le  Nord  de  l'Arabie  pour  atteindre  la  Babylonie  (°). 
A  l'intérieur  du  Higâz  s'élevaient  des  massifs  montagneux,  abondam- 
ment irrigués,  remplis  de  sources,  couverts  de  palmeraies,  d'olivettes, 
de  jasmins,  d'une  incroyable  variété  d'arbres  et  de  plantes  f).  Avec 
une  telle  fertilité,  on  comprend  comment,  au  dire  de  la  Tradition,  la 
plupart  des  tribus,  que  nous  trouvons  aux  environs  de  l'hégire,  ré- 
pandues sur  la  surface  de  la  Péninsule,  depuis  les  monts  septentrio- 
naux du  Yémen  jusqu'à  l'embouchure  des  fleuves  mésopotamiens, 
comment  ces  tribus  aient  pu  faire  bon  ménage  au  Higâz,  sans  se 
dévorer   mutuellement  —   conformément    à    leurs    habitudes    —    aux 


(•)  Cf.  Mas'oûdî,  Prairies,  III,  84. 

{')  Qalqasandî,  J^\  JoNls  (ms.  B.  Kh.),  J^l^  dJ.S'Lcl  Jj*l^  ^J-»-^'  '^^■'^'  à 
<JL»Uù  . 

(^)  Voir  plus  haut.  p.   13. 

(*)  Yâqoût,  E.  III,  218,  d.  I.  .«iJI  J^\  é  p*^^  c'  f^}^  V"^  'j*^  1*5^..^ 
Ub^^j».  iXSç^  o^r''  '^^  (3  L^>«kl  .  La  plupart  des  tribus  arabes  auraient  commencé 
par  résider  au  Higâz  ;  Ag-.,  XI,  160-62.  Un  bel  exemple  d'exégèse  historique,  s'a- 
chamant  sur  des  vers  difficilement  intelligibles. 

(5)  Osd,  I,  115,  8  etc.;  Ki/âè  al-Fàdil,  ms.  Beyrouth,  352.  Tout  était  peuplé 
entre  le  Yémen  et  la  Syrie  ;  Istahri,  Géogr.,   15.    Gâhiz,  Bayân,   I,  203,  bas. 

(*)  Bakri,  op.  cit.,  26,  haut.  Le  puits  de  Zamzam  aurait  inondé  la  terre,  si  Agar 
la  mère  d'Ismaël  ne  l'eût  arrêté  ;  Yâqoût,  E.  IV,  400,  402. 


116  Le  désert  idéal  de  WabSr 

temps  historiques  (').  Mère  féconde,  l'Arabie  nourrissait  sans  eiïort 
la  multitude  de  ses  enfants. 

De  cette  félicité  évanouie,  toute  trace  n'aurait  d'ailleurs  pas  dis- 
paru. Au  centre  de  la  Péninsule,  abrité  derrière  une  enceinte  de 
hautes  dunes  aux  sables  mouvants,  il  existerait  un  désert  idéal,  celui 
de  Wabâr.  Les  loups  eux-mêmes  s'y  nourrissaient  de  dattes.  La  vue 
de  l'hortime  n'effarouchait  pas  les  timides  gazelles,  elles  se  laissaient 
aborder  et  tuer  sans  résistance.  Ainsi  le  racontaient  du  moins  les 
outla-vs,  les  bolièmes  des  tribus,  les  chevaliers  Ijrigands  du  désert  (^). 
.\  les  en  croire,  ce  pa\'S  enchanté  les  aurait  frécjuemment  abrités  au 
cours  de  leur  aventureuse  existence  (^).  Les  merveilleux  méharis,  les 
dromadaires,  réputés  pour  leur  vélocité,  proviendraient  de  cette  ré- 
gion et  d'un  croisement  avec  les  chameaux  des  ^ifui.  Ces  génies  pro- 
tègent ce  pajrs  magique  contre  toute  exploration  indiscrète  (*). 

Les  légendes  préislamiques,  conservées  par  le  Ooran,  ne  sont 
peut-être  pas  étrangères  à  la  formation  de  cette  littérature  fabuleuse. 
Allah  V  insiste  longuement  sur  les  nations  détruites  par  sa  colère, 
sur  les  puissantes  races  de  'Ad,  de  Tamoud,  grands  constructeurs 
de  monuments,  sur  la  mystérieuse  cité  de  Irant  dàt  al-Imàd^  Iram 
aux  multiples  colonnes.  Cette  ville,  personne  ne  l'avait  visitée  (^), 
mais  une  opinion  inclinait  à  la  situer,  au  nord  du  Higâz,  dans  la 
Hismâ  du  pays  de  Godâm  (^). 

* 
*  * 

On  le  voit,  la  question  du  changement  de  climat  pour  l'Arabie 
se  trouve  posée  et  résolue  depuis  longtemps.  Son  apparition  nous 
paraît  avoir  coïncidé  avec  la  naissance  de  l'impérialisme  arabe.    Le 

(')  Cf.  Bakri,  /oc.  cit.;  Ag.,  XI,   160-62. 

(-)  ftLalil  (pi.  de  j;Jwà.  )  et  non  ^LiXil  ,  comme  porte  le  te.xte  imprimé  de  Gâhiz, 
Haiawàn,  I,  71,  2  ;  Hamdânî,  Gaztra,  37  ;  Caetani,  Sludi,   I,  293. 
(')  Qotaiba,  'Oyoûn,  474. 
(■•)  Gâhiz,  Haiawàn,   I,  70-71  ;   Ibn  al-Faqîh,   Géogr.,  34. 

(5)  Cf.    Ibn    HaldoQn,    Prolégomènes,    I,    23-24.    Yâqoût,   E.  I,  200,   la  juge  ^ 

(6)  Cf.   Yazld,  284. 


Jadis  on  montrait  plus  de  franchise  117 

jour,  OÙ  les  conquêtes  de  l'islam  eurent  introduit  brusquement  les 
compatriotes  de  Mahomet  sur  la  scène  mondiale  et  dans  la  société 
des  peuples,  leur  amour-propre  a  voulu  \'  jouer  un  rôle  honorable, 
mêler  sa  voix  à  la  sxmphonie  des  concerts  nationalistes.  Jadis  ils 
convenaient  franchement  de  leur  infériorité  (')  vis-à-vis  des  civilisa- 
tions étrangères.  Ecoutons  un  poète  de  Tamîm  instruire  le  procès  de 
ses  ancêtres  : 

<  Chosroès  déploya  plus  d'intelligence  que  Tamîm  le  jour,  où  il 
déserta  la  région  des  lézards  (°). 

Lorsqu'il  établit  les  siens  dans  les  pa\"s  de  culture,  d'arbres  et  de 
canaux  aux  eaux  savoureuses. 

Ses  descendants  en  devinrent  les  monarques  et  nous  sommes 
descendus  au  niveau  des  chiens  > 

Les  conquérants  jugèrent  cette  franchise  déplacée.  C'est  la  ca- 
ractéristique des  parvenus  de  rougir  facilement  de  l'humilité  de  leurs 
antécédents  {*).  Nous  aurons  bientôt  à  juger  leurs  prétentions  aristo- 
cratiques. Réhabiliter  dans  l'opinion  des  races  vaincues  leur  misérable 
patrie,  il  n'\-  fallait  pas  songer.  Raison  de  plus  d'exalter  son  passé. 
Si  jadis  la  Palestine  avait  possédé  des  fleuves  de  lait  et  de  miel, 
Allah  n'avait  pu  accorder  moins  à  l'Arabie,  le  berceau  de  la  race 
élue,  la  patrie  du  plus  grand  des  prophètes. 


(')  Je  crois  apocryphe  le  trait  du  roi  de  Hira  refusant  sa  fille  à  Chosroès  ;  Tab., 
Annales,  I,   1026-27. 

(-)  C'est  à  dire  l'Arabie.  Les  Bédouins  sont  grands  mangeurs  de  lézards.  Cet  ani- 
mal y  atteint  jusqu'à  0™,90  de  longueur;  Auler  Pascha,  Die  Hedschasbaliii ,  II,  10. 
Un  des  charmes  de  Himâ  Darj^a,  ce  sont  ses  lézards  savoureux  ;  Gâhiz,  Mahà- 
sin,   119. 

(3)  Cf.  Gâhiz,  Haiawân,  VI,  31  (et  non  122,  comme  porte  la  référence  de  Yazîd, 
304).  Le  poète  est-il  Aboû  Do'aib  (cf.  Ag.,  VI,  58  etc.  i?  Gâhiz,  loc.  cit.,  donne  les 
vers  comme  d'un  poète  de  Tamïni  :  j_y<7i"JI  (J^i  ;  I,  122,  il  les  attribue  à  Ibn  Dowad 
as-Sa'dî. 

(■*)  Par  réaction  contre  les  So'oûbyya,  on  idéalise  les  Bédouins  ;  Gâhiz,  Mahâsin, 
202  sqq.  ;  leur  grossièreté  ;  Gâhiz,  Bayân,  II,  9-10. 


118  La  théorie  de  Winckler 


■+ 
*  * 


A  la  fin  du  siècle  dernier  la  thèse  islamite  a  été  rej^rise  en  Al- 
lemagne, principalement  par  H.  Winckler  (').  Le  docte  professeur  de 
Berlin  ne  dédaigne  pas  de  s'amuser  aux  dépens  des  arabisants,  de 
railler  leurs  minutieux  travaux  de  critique  textuelle  (^).  Selon  toute 
vraisemblance,  il  n'est  pas  allé  puiser  ses  inspirations  dans  les  au- 
teurs arabes.  Il  a  pourtant  abouti  à  la  même  conclusion,  mais  par 
une  autre  voie.  Il  s'agissait  après  Schrader  et  Sprenger,  de  présenter 
l'Arabie  comme  la  patrie  primiti\e,  comme  le  grand  réservoir  des 
races  sémitiques.  La  thèse  paradoxale  se  heurtait  à  la  désolation  ac- 
tuelle de  cette  contrée,  parvenant  péniblement  à  nourrir  les  rares 
habitants  (^),  dispersés  sur  sa  vaste  superficie. 

En  vue  de  rendre  la  théorie  acceptable,  il  fallait  de  toute  nécessité 
supposer  un  changement  de  climat.  On  n'a  pas  reculé  devant  cette 
conclusion  commode  et  trop  fréquemment  mise  en  avant  par  des 
géologues.  Pour  certains  naturalistes,  la  Palestine,  l'Afrique  du  Xord 
ont  éprouvé  les  mêmes  vicissitudes  {*).  Voici  à  grands  traits  la  nou- 
velle S3nthèse,  saisissante  d'originalité.  Elle  menace  de  révolutionner 
toute  l'histoire  ancienne  de  l'Asie  Antérieure,  où  elle  introduit  la  plus 
séduisante  unité. 

Depuis  l'époque  glaciaire,  la  péninsule  arabique  s'est  graduelle- 
ment desséchée.  La  quantité  de  pluie  diminuant  progressivement, 
l'ensablement  a  gagné  de  proche  en  proche,  amenant  à  sa  suite 
l'appauvrissement  des  habitants.  Au  point  de  vue  scientifique,  il  eût 
été  plus  exact  de  signaler  l'extension  des  steppes  salines:  nous  le 
verrons    plus    loin.    Trouvant  de  la  peine  à  subsister  sur   un  sol  de 

(')  Pour  ses  prédécesseurs,  cf.  Guidi,  Sede  primitiva,  566,  568. 

(-)  Comp.  Mit/,  vorderasiat.  Gesellschaft,   1901,  4-7,  35-36. 

(■'*)  Pour  leur  nombre,  voir  Caetani,  JStudi,  315-317. 

C)  Cf.  E.  Oberhùmmer,  dans  Geogr.  Jahrbûch.,  XXXIV,  346,  357.  E.  Banse,  op. 
sup.  cit.,  ne  croit  pas  non  plus  à  un  changement  ;  comp.  Walther,  Wûstenbildung, 
309-10.  Brockelmann  se  montre  favorable  à  l'hypothèse,  {Litter.  Centralblatt,  1912, 
c.  352),  repoussée  par  Wellhausen,  Gôtt.  gelehrte  Anzeiger,  1912,  251-56  ;  Banse,  Der 
arabische  Orient,  71-72. 


Emigrations  successives  119 

moins  en  moins  fécond,  stérilisé  par  l'envahissement  des  sables  et 
des  efflorescences  salines,  la  population  s'est  décidée  à  déserter  cette 
région  inhospitalière,  pour  se  répandre  sur  les  contrées  du  Nord, 
moins  durement  éprouvées.  De  là  les  premiers  flots  de  Sémites,  al- 
lant se  déverser  sur  la  Babylonie  entre  6000  et  2500  avant  notre  ère. 
Successivement  à  des  intervalles  presque  réguliers  d'un  millénaire 
environ,  d'autres  émigrations  ont  si  ivi,  toutes  poussées  dehors  par 
la  misère,  envahissant  leur  patrie.  A  ces  nouveaux-venus  on  croit 
devoir  attribuer  la  fondation  de  la  dynastie,  d'où  serait  sorti  le  fa- 
meux Hammourabi. 

De  2500  à  1500  avant  J.  C,  signalons  les  exodes  les  plus  célè- 
bres: ceux  des  Phéniciens,  des  Chananéens,  puis  des  Hébreux,  allant 
se  fixer  dans  la  S^TO-Palestine.  Ensuite  les  Araméens,  les  Chaldéens, 
les  Assxriens  envahissent  la  Mésopotamie  et  les  pa^s,  auxquels  de- 
puis ils  ont  laissé  leur  nom.  Pendant  le  millénaire  antérieur  à  l'ère 
clirétienne,  on  constate  un  arrêt  dans  l'émigration  arabe.  Il  serait  dû, 
non  à  une  heureuse  modification  du  climat,  fatalement  condamné  à 
empirer,  mais  à  la  constitution  d'états  puissants  sur  la  frontière  sep- 
tentrionale de  la  Péninsule. 

Perses,  Grecs,  Arsacides,  Romains  opposent  un  mur  d'airain  à 
ra\'ance  des  nomades.  Parquées  dans  leurs  déserts,  oij  7000  ans  et 
plus  d'ensablement  ininterrompu  rendent  l'existence  intolérable,  en- 
fermées entre  les  flots  de  la  mer  et  le  boulevard  barrant  au  nord 
la  seule  issue  possible,  les  populations  arabes  se  tordent  dans  les 
aftres  de  la  faim.  Lente  agonie  d'une  race  I  On  se  demande,  même 
en  tenant  compte  de  leur  extraordinaire  vitalité,  comment  cette  ago- 
nie a  pu  durer  pendant  plus  de  mille  ans,  comment,  pendant  les  pé- 
riodes d'anarchie,  séparant  la  formation  des  grands  empires  asiatiques, 
les  Arabes  n'ont  pas  réussi  à  forcer  la  barrière,  momentanément  sans 
gardiens.  Sous  Héraclius,  la  lutte  entre  Byzance  et  Ctésiphon  épuise 
les  deux  principaux  états  de  l'Orient.  Au  moment,  où  la  crise  éco- 
nomique atteint  en  ^^rabie  son  maximum  d'acuité,  l'islam  donne  le 
signal  de  la  dernière  des  grandes  émigrations  sémiti(iues.  Elle  en  re- 
produit toutes  les  phases  et  forme,  pour  emprunter  les  expressions 
du  prince  Caetani,  un  phénomène  cosmique  ou  géologique. 

On  entrevoit  dès  maintenant  certaines  conséquences  du  théorème 


120  L'hypothèse  de  l'ensablement 

ainsi  posé.  L'Arabie  serait  bien  la  patrie  primitive  des  Sémites,  le 
réservoir,  d'où  ils  ont  débordé  sur  l'Abyssinie,  l'Eg^ypte,  l'Asie  An- 
térieure, «  le  sein  fécond,  avant  enfanté  presque  sans  interruption  à 
la  lumière  de  l'histoire,  envoyé  à  la  conquête  du  monde,  des  peuples 
sans  nombre,  les  uns  après  les  autres  »  (').  L'Arabie,  «  dans  le  plus 
lointain  passé,  parmi  les  ténèbres  denses  de  la  préhistoire,  centre 
moral,  ethnique  et  même,  jusqu'à  un  certain  point,  politique  de  l'Asie 
Antérieure  »  (^).  Faut-il  s'étonner,  si,  «  de  nos  jours  encore,  ce  nom 
d'Arabie  résonne  à  notre  oreille  avec  une  harmonie,  pleine  de  poésie, 
de  mvstère,  d'indicible  et  indéfinissable  beauté,  qui  semblent  défier 
les  horreurs  de  son  climat,  l'hostilité  indomptée  de  ses  fiers  et  bel- 
liqueux habitants  »  (^). 


* 
*  * 


Ces  dernières  appréciations  sont  du  prince  L.  Caetani.  La  thèse 
de  Winckler  a  été  reprise  et,  ajoutons,  complètement  rajeunie  par 
l'auteur  des  Annali  iiell'islam  et  des  Stiidi  di  storia  orientale.  Atta- 
ché à  l'étude  des  origines  islamiques,  le  pr.  Caetani  a  été  frappé,  et 
à  bon  droit,  par  l'importance  du  facteur  économique  dans  cette  brusque 
expansion,  où  jusqu'ici  on  s'obstinait  à  voir  un  mouvement  exclusive- 
ment religieux  (^).  Fanatisés  par  les  prédications  de  Mahomet,  brû- 
lant du  désir  de  répandre  la  lumière  de  l'islam,  les  Arabes  se  se- 
raient précipités  sur  le  monde  civilisé,  culbutant,  sabrant  tout,  pour 
la  plus  grande  gloire  d'Allah.  Antérieurement  à  \ ensablement  de 
Winckler,  le  fanatisme  devait  fournir  réponse  à  tout.  Mot  à  effet, 
servant  fréquemment  à  déguiser  l'impuissance  ou  la  paresse  intellec- 
tuelles. Le  prince  Caetani  a  raison  de  ne  plus  se  contenter  de  ce 
Schlagwort. 

C'est  la  misère,  assure-t-il,  qui  a  chassé  les  Arabes  de  leur  patrie. 


(')  Caetani,  Studi,  283. 

(2)  Caetani,  Studi,  203. 

(3)  Caetani,  Studi,  283. 

(*)  Théorie  battue  en  brèche  par  les  excellents  travaux  du  Prof.  C.    H.    Becker. 


La  faim  et  les  conquêtes  arabes  121 

Ils  ne  pensaient  pas  différemment  les  contemporains  (')  des  grandes 
conquêtes  arabes.  «  La  faim  vous  a  attirés  hors  de  vos  déserts  »,  di- 
sait aux  envahisseurs  le  général  perse  Rostom  (^).  Pour  exciter  les 
siens,  le  calife  Abou  Bakr  fait  également  miroiter  à  leurs  )-eux  l'ap- 
pât du  butin  (').  Nous  aurons  à  examiner  plus  tard  jusqu'à  quel 
degré  les  conquérants  bédouins  de  la  S3rie,  de  rEg3pte  et  de  la 
Perse  étaient  susceptibles  d'enthousiasme  religieux. 

(')  Comp.  le  vers  de  la  Hamàsa  d'Aboû  Tanimâni,  E.  IV,  158  (éd.  Freitag,  792)  : 
lÂJI^  4-->lil  jlil  i)Uj  ^  Ç)  Lj^^'  CjJ-4-*^  o^i^x^'^  '*-^  ^ 

«  En  émigrant  tu  n'as  pas  été  attiré  par  le  Paradis,  mais  bien  plutôt  par  le  désir  de 

t'assurer  du  pain  et  des  dattes  ». 

{-)  Balâdori,  Fotoûh,  257. 

(3)  Balâdori,  Fotoûh,  250. 


II 


Notre  description  du  climat,  d'après  les  auteurs  arabes. 
La  valeur  de  leurs  renseignements 


Notre  intention  ne  saurait  être  de  reprendre  un  à  un  les  argu- 
ments, apportés  à  l'appui  de  la  théorie  nouvelle  (').  Ce  serait  inutile- 
ment étendre  les  limites  de  nos  recherches.  L'ensemble  de  ces  argu- 
ments forme  un  réseau  imposant,  mais,  examinées  en  particulier, 
certaines  mailles  paraissent  inégalement  serrées  et  résistantes.  Loin 
de  nous  la  prétention  de  nier  l'intérêt  des  éléments  arabes,  rencontrés 
dans  l'onomastique  des  d3nasties  bab}-loniennes.  Ces  données  isolées 
et  imparfaitement  analysées  permettent-elles  d'affirmer  l'envahisse- 
ment de  la  BabA'lonie  par  les  nomades  2500  avant  J.-C }  Les  identi- 
fications, proposées  par  Winckler,  pour  les  topon3'mes  Aîusri,  Mi- 
luhha  etc.  sont  éminemment  suggestives  et  savoureuses.  Elles  four- 
nissent  aux  panbab}lonistes  l'occasion  cherchée  de  prendre  en  défaut 
le  flair  géographique  de  notre  vieille  Bible.  C'est  là  un  sport,  très 
en  honneur  dans  certains  milieux,  sport  à  tout  le  moins  aventureux. 
Débrouiller  l'écheveau  géographique  de  l'Arabie,  je  connais  peu 
d'entreprises  aussi  décevantes,  même  quand  il  s'agit  de  la  période 
postislamique.  Hatic  pessimani  occupatiotiem  dédit  Jiliis  Iiominiitn,  se- 
rait-on tenté  de  répéter  à  ce  propos. 

A  cet  égard  il  suffit  de  fré(]uenter  les    encyclopédistes    Bakri  et 


(')  Nous  renvoyons  à  Caetani,  Stiidi  di  sforia   orientale,   1°''    vol.    La    thèse   s'y 
trouve  défendue  avec  infiniment  de  conviction  et  un  incontestable  talent. 


Disparition  de  Fadak  123 

Yâqoût,  résumant  toute  l'érudition  géographie  [ue  du  moyen-âge  mu- 
sulman. Malgré  la  masse  de  documents  dont  ils  disposaient  —  énorme 
information  écrite  et  orale  —,  malgré  la  ressource  de  l'autopsie  —  ils 
en  ont  insuffisamment  fait  usage  —  les  efforts  de  ces  auteurs  (')  rap- 
pellent trop  souvent  ceux  des  bûcherons,  coupant  du  bois  à  l'heure 
de  minuit,  J-J  i_j.^U^.  On  compte  par  centaines  les  toponymes  ara- 
bes, où  ces  auteurs  terminent  par  un  iion  liguct.  Prenons  comme  ex- 
emple l'oasis  de  Fadak  (^),  si  célèbre  dans  les  annales  primitives  de 
l'islam  et  au  premier  siècle  de  l'hégire.  A  partir  du  second  siècle 
islamique,  je  n'ai  jamais  rencontré  un  auteur  arabe,  capable  d'en  in- 
diquer avec  précision  la  situation  (^).  Sur  ce  point,  ils  opèrent  abso- 
lument comme  nous;  ils  procèdent  en  tâtonnant,  au  mo\en  de  ré- 
miniscenses,  de  textes,  empruntés  à  la  Sîra  ainsi  iju'au  hadit,  où  il 
est  (juestion  de  Fadak.  Mais  pas  un  seul,  à  ma  connaissance  du  moins, 
n'affirme  l'avoir  visité,  ou  avoir  rencontré  un  habitant  de  Fadak  (*). 
V^oilà  donc  une  oasis  florissante,  faisant  partie,  il  y  a  douze  siècles, 
des  domaines  arabes  des  Omay3-ades,  et  dont  2C0  ans  plus  tard  on 
paraît  avoir  perdu  la  trace.  Il  s'agit  non  d'un  j.ioint  d'eau,  envahi 
par  le  sable,  épuisé  par  l'évaporation  ou  transformé  en  dépôt  salin 
—  phénomènes  pour  ainsi  dire  quotidiens  dans  l'histoire  naturelle  du 
désert  —  mais  d'une  superficie  considérable  de  terrains  cultivés,  pro- 
duisant d'énormes  quantités  de  blé  et  d'orge  (^).  Comment  alors, 
d'après  des  textes  d'une  interprétation  incomplète  et  ardue,  trancher 

(')  Pour  donner  un  exemple  de  leur  précision,  ils  se  contenteront  d'écrire  :  «  en- 
tre 'Aden  et  le  'Oman  »  (citation  de  Asmal)  ;  Yâqoût,  E.  V,  240. 

(-)  Cf.  Fatinui,  76;  112-13;   116. 

(2)  Yâqoût,  E.  IV,  291,  7  d.  1.,  la  place  vers  l'e.xtrémité  orientale  du  Wâdi 
Romma  ;  ibid.,  I,  113,  9  d.  1.,  distance  entre  Fadak  et  les  monts  de  Tayy  ;  1.  5,  ori- 
gine du  nom  de  Fadak.  Istahri  ignore  Fadak  ;  Ibn  al-Faqïh,  Géogr.,  26,  3,  la  nomme 
parmi  les  dépendances  de  Médine  :  Haibar,  Wâdi'l  Qorâ',  Taimâ',  Doûmat  al  Gandal, 
«  et  la  plus  rapprochée  de  cette  ville  i.ôyil  ,J,I  l^J^sl  yfc^  »,  parmi  ces  oasis.  Il  la 
place  également  au  Nord  »LiJI  jj-j  \Z^ 

(*)  Le  nom  propre  Fadakî  ne  se  rapporte  pas  nécessairement  à  Fadak  ;  jamais 
il  ne  prend  l'article. 

(^)  Cf.  Fàiiina,  loc.  cit.  Pour  la  salinité  du  terrain  voir  plus  haut.  Yâqoût,  E. 
V,  422  ;  433,  d.  1. 


124  Délimitation  de  la  controverse 

des  controverses   géographiques,  appartenant  à  l'Arabie    contempo- 
raine de  Hammourabbï  ? 

Au  fond  de  la  théorie  de  Winckler  je  m'imagine  toujours  décou- 
vrir l'antinomie  suivante  :  L"Ara])ie,  affirme-t-on,  est  le  réservoir  des 
peuples  sémites,  réservoir  à  moitié  rempli,  presque  à  sec,  puisque 
son  insuffisance  force  les  populations  à  émigrer  ;  et  simultanément 
plein,  plein  à  déborder,  puisque  périodiquement,  il  inonde  l'Asie  an- 
térieure. Je  ne  parviens  pas  à  concilier  ces  qualités  contradictoires. 
Si  dans  la  matière  j'avais  à  exprimer  une  préférence,  ce  serait  pour 
me  ranger  à  l'opinion  du  grand  orientaliste  italien,  le  prof  Ig.  Gui- 
di,  invitant  à  placer  en  Bab\lonie  «  le  siège  primitif  des  peuples  sé- 
mitiques »  ('). 


* 

*  * 


Au  lieu  de  nous  engager,  à  la  suite  de  la  nouvelle  école,  dans 
le  maquis  de  la  préhistoire  arabe,  c'est  à  dire  procéder  du  moins 
connu  à  l'inconnu,  commençons  par  délimiter  le  terrain  de  la  discus- 
sion, en  le  débarrassant  des  éléments  étrangers  qu'on  y  a  accumu- 
lés. L'Arabie  fut-elle  la  patrie  primiti\e  des  Sémites,  l'expansion  isla- 
mique se  réduisit-elle  à  être  un  mouvement  économique  (")  r  Questions 
hautement  intéressantes  !  Pour  garder  entière  notre  liberté  d'esprit, 
il  nous  paraît  préférable  d'en  abstraire.  Comme  il  arri\e  trop  sou- 
vent, le  mélange  engendrerait  ici  la  confusion.  Renfermons-nous  dans 
la  thèse  :  la  permanence  du  climat  arabe,  sans  nous  laisser  influencer 
par  les  hvpothèses.  Insensiblement  elles  pourraient  nous  tirer  de  leur 
côté,  troubler  notre  sérénité  dans  l'interprétation  des  faits  et  des  textes. 

Nous  prendrons  comme  point  de  départ  notre  reconstitution  clima- 
tologique  de  la  Péninsule,  vers  l'époque  de  l'hégire.  Cette  reconsti- 
tution nous  nous  sommes  efforcé  de  la  rendre  objective,  de  la  déga- 
ger de  toute  préoccupation  d'école.  Nous  avons  voulu  la  baser  exclu- 
sivement sur  les  textes,  sur  la  tradition  écrite,  telle  (]u'elle  est  par- 

(')  Voir  son  beau  mémoire  Delhi  sede  primitiva  dei  popoli  seiniiici. 
(2)  Un  facteur  qu'on  aurait  tort  de  négliger   dans  la  matière. 


Valeur  des  anciens  récits  islamiques  125 

venue  jusqu'à  nous,  dans  les  recueils  poétiques,  dans  la  littérature  de 
la  Slra,  la  tradition  musulmane,  dans  les  compilations  des  historiens 
et  des  géographes  arabes.  H\  pnotisés  par  le  fait  islamique,  annalistes 
et  topographes  se  sont  efforcés  de  multiplier  les  renseignements  sur 
les  origines  de  la  nouvelle  religion,  sur  l'Arabie,  terre  sainte  de  l'is- 
lam. Histoire  et  géographie  arabes  doivent  leur  origine  à  ces  préoc- 
cupations, au  désir  de  mieu.x  comprendre  les  obscures  allusions  du 
Ooran,  de  connaître  de  plus  près  les  héros  musulmans,  transformés 
en  modèles  des  vrais  cro\ants.  Nous  aurions  eu  tort  de  ne  pas  uti- 
liser cette  volumineuse  bibliothèque. 

Que  vaut  ce  dossier,  sur  lequel  nous  avons  basé  notre  reconsti- 
tution ?  Il  possède  la  valeur  de  toute  la  tradition  arabe.  J'ajouterai 
volontiers  :  cette  valeur  peut  même  être  élevée  d'un  cran.  Il  nous 
fournit  en  la  matière  l'opinion  des  générations,  immédiatement  posté- 
rieures à  l'établissement  de  l'hégire. 

Rien  n'est  délicat  comme  de  conduire  une  enquête  en  Orient  :  les 
savants  d'Occident  ne  s'en  souviennent  pas  toujours.  Quatre-vingt  dix 
fois  sur  cent  les  réponses  données  à  des  interrogations  directes  sur 
des  points  précis  seront  de  nature  à  égarer  le  jugement  de  l'enquê- 
teur (').  Avant  de  répondre,  le  témoin  oriental  consulte  son  propre 
intérêt.  A  aucun  prix  il  n'acceptera  de  se  compromettre  par  une  sin- 
cérité désintéressée. 

On  ne  saurait  assez  se  tenir  en  garde  en  parcourant  les  narra- 
tions des  premiers  historiens  de  l'islam.  Elles  se  proposent  la  glori- 
fication du  Prophète  et  de  ses  amis.  Mais  on  n'a  pas  les  mêmes  rai- 
sons de  suspecter  les  renseignements  topographiques  et  ph3siques, 
encadrant  ces  récits  à  tendances  apologétiques.  Limage  est  le  ré- 
sultat de  retouches  successives,  où  la  critique  cherche  à  démêler  les 
traits  primitifs  ;  mais  le  cadre  est  original  et  ancien.  Nous  en  avons 
fait  notre  profit,  et  obtenu  l'aspect  des  pa3sages  du  Higâz  vers  la 
fin  du  premier  siècle  de  l'hégire,  c'est  à  dire  à  l'épocjue,  où  les  lé- 
gendes de  la  Sïra  commencèrent   à  prendre  leur  forme  définitive. 


(')  Il  n'en  a  pas  suffisamment  tenu  compte  Curtiss,  l'auteur  trop  vanté  de  Urse- 
initische  Religion  itn  Volksleben  des  heutigen  Orients.  A  consulter  avec  infiniment 
de  précaution. 


126  Le  témoignage  de  la  poésie 

Pourquoi  les  témoins  auraient-ils  menti  en  des  détails  secondaires, 
peignant  au  vif  la  nature  et  les  mœurs  arabes  ?  La  gloire  de  l'islam 
ne  se  trouvait  pas  engagée  dans  ces  peintures.  Assurément  jusque 
dans  ces  particularités,  il  faut  s'attendre  à  retrouver  des  clichés  lit- 
téraires ('),  des  archaïsmes  recherchés  ('*),  des  couleurs  d'emprunt. 
Mais  ces  emprunts,  ces  artifices  de  st3-le,  les  rédacteurs  citadins  de 
Médine,  de  Koûfa,  de  Bagdad  sont  allés  s'en  approvisionner,  soit  au 
désert,  soit  dans  les  nombreux  recueils  poétiques,  dont  la  collection 
allait  s'augmentant. 

Pour  notre  but  —  ainsi  l'observe  en  un  cas  analogue  le  Prof  Guidi 
—  ces  fictions  littéraires  importent  peu,  <  puisque  pour  les  faire  ac- 
cepter, les  plagiaires  se  trouvaient  dans  l'obligation  de  reproduire  les 
idées  et  les  mœurs  des  anciens  Arabes  »  (').  Si  nous  connaissions 
seulement  l'Arabie  des  poètes,  il  ^•  aurait  lieu  de  conserver  un  cer- 
tain scepticisme.  «  Ils  parlent,  mais  n'agissent  point,  dit  à  leur  sujet 
le  Ooran  ;  ne  les  vois-tu  pas  s'égarer  dans  tous  les  vallons .'  »  (*).  Il 
leur  est  arrivé  d'embellir,  d'amplifier,  d'idéaliser.  Pourquoi  seraient-ils 
poètes,  c'est  à  dire  créateurs .?  En  fait  de  créations  poétiques,  ils  ont 
surtout  créé  des  réputations  imméritées. 

Je  me  demande  si  notre  civilisation  posséderait  assez  de  geôles 
pour  enfermer  les  dangereux  brigands,  célébrés  (^)  par  eux  comme 
les  types  de  l'honneur  et  de  la  vertu  chevaleresque .''  Il  faut  s'imposer 
violence  pour  en  excepter  les  Hâtim  Tayy,  les  'Orwa  ibn  al-W'ard, 
véritables  oiseaux  de  proie  ('),  trouvant  entre  deux  razzias  le  temps 

(*)  Comme  le  «  ï_«J  CXs,\  ;  l'éclair  m'a  tenu  éveillé»,  repris  par  d'innombra- 
bles poètes  ;  Yâqoût,  E.  V,  257,  258,  267,  317,  421  ;  VI,  60,  66,  83,   186. 

(■-)  Jusqu'à  des  incorrections,  dans  le  genre  de  l'impératif  J^'  ^  ^jJi  ;  Aboû 
Yoûsof,  Harâg,   107,  3  d.  1.  Cf.  notre  Fâiima,  passim.  Citons  encore  ^U«JI  =  femme; 

Hanbal,  Mosnad,   I,  360,  9;  ,j^ \  pour  ^j-^^s  ^  impur;  ibid.,   I,  418,  9. 
(')  Sede  primitiva,  580,  n.  3. 

(4)  Qoran,  26,  224. 

(5)  Toute  la  tradition  littéraire  admire  les  JpJ  ;  Qotaiba,  'Oyoûn,  243-14  sqq. 
L'origine  en  remonte  aux  ^v<aJJl  i^.jlXS',  à  \tMxs  divans  ;  Yâqoût,  E.  V,  274-275,  429. 

(^)  Il  faut  vraisemblablement  porter  le  même  jugement  sur  les  frères  de  Hansâ', 
célébrés  par  elle,  comme  des  modèles  de  toutes  les  vertus.  Les  meilleurs  philologues, 
tel  as-Sokkarî.  leur  composent  une  littérature  ;  cf.  Yâqoût,  loc.  sup.  cit. 


Son  rôle  moral  127 

pour  esquisser  un  geste  élégant,  pour  nourrir  avec  le  fruit  de  leurs 
rapines  <  la  veuve  et  l'orphelin  ».  A  leur  mort  chacun  s'entendra 
proclamer  «  la  fleur  des  braves  gens  >  :  cu-^-o  ^UJI  pL  ^\  ^-^^ 

C'étaient,  on  voulait  bien  en  convenir  parfois,  «  d'affreux  t3rans, 
et  indigeste  est  le  repas  de  la  t\Tannie  ». 

f^}    à^a-ij-^    S.5^'-?     or*-?    (  j   ^^    C.-^    J*^    LJ^^'    C-^5 

Il  pourra  arriver  au  poète  d'ajouter  une  réflexion  sententieuse  : 
«  Ne  commets   point  l'injustice,   même  si  tu   la   vois   profiter   à 
son  auteur  », 

N'importe!  cet  homme  dangereux  trouvera  une  H^-nsâ',  une  .sœur 
ou  une  parente  poétesses,  à  leur  défaut  un  rimeur  complaisant  pour 
s'écrier  :  «  La  gloire  formait  sa  ceinture,  l'honneur  son  vêtement  : 


-  ^  * 


L'énorme  hvperbole  se  payait  ;  elle  n'illusionnait  personne  ;  tout 
au  plus  égarerait-elle  l'opinion  de  la  postérité.  Galamment  les  Mécènes 
convenaient  du  marché  :  «  J'accepte  la  louange,  mais  je  sais  y  mettre  'e 
prix  :  ct-?^l  cJ^^  -^-^^  s^'-^'  *  (^)-  ^^ 'imitons  pas  la  sévérité  morose 
du  Qoran  pour  les  poètes  bédouins  1  Tout,  jusqu'à  leurs  exagérations, 
provo(]uait  une  salutaire  émulation.  Ils  moralisèrent,  à  leur  façon, 
leurs  rudes  contemporains.  En  exaltant  les  vertus  apocryphes  des 
sa)'3'd,  ils  insinuaient  la  voie  à  suivre.  Dans  cette  société  violente, 
c'était  beaucoup  d'arracher  aux  puissants  cet  aveu  :  <  être  loué,  voilà 

le  gain  par  excellence  :    \-C-4,  o'  '----^'  J^'  ^j^.    O- 


(')  11  s'agit  de  Hanial  ibn  Badr  le  Fazarite,  tué  pendant  la  guerre  de  Dahis  ; 
voir  Nagà'id  Garîr,    96-97. 

(2)  Nagà'id  Garîr,   96-97. 

(')  Hansâ',  Divan,  16,  4.  «  Tu  serais  immortel,  si  la  gloire  avait  ce  pouvoir  ^; 
Zohair  (Ahlw.)  81,  5. 

(••)  Bohtorî,  Hamâsa,  n.  1.  «La  gloire  coûte  cher»!  'Alqania  (Ahlw.),  112,  3 
d.  1.  €  Laisse-moi  acheter  la  gloire  »  !  s'écrie  'Orwa  ibn  al-VVard,  So'arâ'  (Cheikho),  883. 

(^)  Hansâ',  Divan,   16,  3. 


128  Le  lion  en  Arabie 

Citons  un  autre  exemple,  plus  en  rapport  avec  notre  sujet.  In- 
nombrables sont  les  vallées,  les  fourrés,  les  défilés,  désignés  dans  les 
géographes  sous  le  nom  de  ï^x^lt ,  infestés  par  les  lions  (').  Pourquoi 
suspecter  un  renseignement  aussi  positif  et  aussi  copieusement  attesté  ? 
Si  nous  le  faisons,  c'est  pour  }■  avoir  reconnu  un  procédé  de  compo- 
sition, cher  à  toute  l'ancienne  historiographie  arabe.  Il  consiste  à  se 
documenter  dans  les  archives  poétiques,  i_y«Jl  J.??.^  ^^i-iJl ,  sauf  à  les 
citer  à  la  fin  exclusivement,  en  guise  de  confirmation,  sâhid.  Cette  sorte 
de  voTEQov  ;tQCDT£Qov  ou  d'inversion  littéraire,  nous  en  surprenons  partout 
la  trace  —  les  citations  versifiées  en  témoignent  —  dans  les  notices  re- 
latives aux  mcisada  (').  Plus  on  se  rapproche  de  l'hégire  et  plus  on 
devine  dans  cette  Arabie  illettrée  l'existence  d'un  Gradus  ad  Pariias- 
sum,  la  formation  d'un  répertoire  poétique  (').  La  diffusion  prodigieuse 
de  la  versification,  son  inter\'ention  dans  les  actes  de  la  vie  publique 
et  privée,  chronique  de  guerre  et  de  deuil,  devaient  amener  ce  ré- 
sultat. L'obligation  du  ;-//«',  de  l'élégie,  imposée  aux  femmes  arabes, 
suppose  un  dressage,  un  véritable  entraînement  (^). 

Le  Livre  de  la  Poésie  et  des  -poètes  d'Ibn  Ootaiba,  principalement 
la  Hamàsa  de  Bohtori,  où  les  extraits  se  trouvent  rangés  sous  des 
rubriques  spéciales,  permettent  à  cet  égard  d'établir  des  comparaisons 
instructives.  Quand  un  poète  a  lancé  dans  la  circulation  une  formule 
heureuse,  une  image  pittoresque  (^),  un  développement  original,  on 
peut  s'attendre  à  les  voir  passer  dans  les  variations  de  ses  contem- 
porains et  de  ses  successeurs. 

Au  jugement  autorisé  de  Noldeke,  «  le  lion  a  dû  être  très  rare 
en  Arabie,  sans  en  excepter  les  temps  anciens.  Sa  fréquente  mention 
chez  les  poètes  ne  prouve  rien.  Aussi  n'est-il  jamais  dépeint  d'une 


(')  s  J^-«)U  ;   Hamdânî,   Gaztra,    127-28. 

(*)  Cantons  infestés  par  les  lions  ;  Bakrî,  Mo'gain,  196,  7  d.  1.  ;  323,  5  ;  470, 
bas;  651,  5;  Yaqoût,  E.  II,  275,  6;  III,  197;  331;  IV,  284,  6;  V,  245;  VI,  118,2; 
121  ;  Ag.,  X,  50,  2;  Farazdaq  et  le  lion  ;  Naqd'id  Garlr,  616-17. 

(3)  Cf.  Nôldeke,  ZDMG.  XLIX,  711. 

(■•)  Comp.   Rhodokanakis,  Al-Hausâ'  und  ihre  Trauerlieder,    18-105. 

{")  àJs.  JjLI»  d^\  ^j;yy^  ULc  ;  voir  les  notices  d'Ibn  Qotaiba,  Poesis,  206  et 
passim. 


Objectivité  des  descriptions  poétiques  129 

façon  aussi  expressive  que  l'onagre,  p.  ex.  Parmi  les  \ieux  poètes, 
qui  nous  en  parlent,  personne  peut-être  n'avait  vu  un  lion  »  (').  Mais 
ces  Tartarins  arabes  insinuaient  volontiers  qu'ils  avaient  traversé  sans 
trembler  les  parages,  fréquentés  par  le  roi  du  désert.  Dans  les  in- 
nombrables scènes  de  la  vie  pastorale,  conservées  par  YAgâJii,  par  les 
commentaires  des  Hamàsa  et  des  grands  recueils  poétitiues  nom- 
mons les  NaqWid  de  Garîr  —  on  ne  \oit  jamais  le  lion  s'attaquer 
aux  troupeaux  ou  à  leurs  bergers.  Assurément  il  est  question  d'un 
Ooraisite,  dévoré  par  un  lion.  Mais  c'était  un  ennemi  du  Prophète  : 
atteint  par  un  ch'à^^  imprécation  de  ce  dernier,  il  devait  périr  de  maie 
mort  1  «  Que  le  chien  d'Allah  le  dévore  !  »  se  serait  écrié  l'auteur  du 
Qoran.  «  Ainsi  donc,  ajoute  le  sceptique  Gâhiz,  en  relatant  le  trait, 
le  lion  serait  le  chien  d'Allah  »  (■).  Le  poète  AboQ  Zobaid  s'était  fait 
une  spécialité  de  ces  descriptions  de  lion.  Cette  manie  lui  attira  des 
observations  désagréables.  A  la  fin,  ses  propres  contribules,  craignant 
le  ridicule,  lui  imposèrent  silence  (^).  C'étaient  là  des  amusements 
innocents. 

La  situation  deviendrait  grave,  si,  comme  nos  peintres,  les  poètes, 
avaient  décrit  des  pa3'sages  conventionnels,  composé  des  Orientales, 
à  la  façon  de  V.  Hugo,  sans  avoir  entre\u  l'Orient.  A  nos  rimeurs 
jamais  il  n'est  venu  en  tète  d'introduire  la  neige  ('')  —  phénomène 
inconnu  par  eux  —  dans  leurs  tableaux  poétiijues.  En  regard  des  in- 
nombrables chasses,  on  ne  rencontre  pas  une  seule  scène  de  pèche  : 
une  distraction  ignorée  pas  ces  terriens.  S'ils  insistent  sur  les  pluies, 
sur  les  inondations  hivernales,  rien  ne  permet  de  révoquer  en  doute 
robjecti\'ité  de  ce  détail,  confirmé  par  le  Qoran  et  par  toute  l'histoire 
de  l'Arabie.  Réduisons  le  chiffre  des  chameaux  immolés,  pendant  les 

(')  ZDMG,  XLIX,  713-14  ;  Hassan  Ibn  Tâbit,  Divan,  consacre  son  121«  fragment  à 
un  homme,  dévoré    par  un  lion.   Pour  l'onagre  cf.   Lyall,  JRAS,    1912,  p.   137-38. 

(')  Gâhiz,  Haiau'Sii,  II,  66  ;  Bakrï,  3Io'gaiH,  437;  Ibn  Doraid,  Istigâq,  14.  D'après 
un  scolion  ibid.,  note  m,  il  s'agirait  non  de  'Otba  fils  d'Aboû  Lahab  —  il  demeure 
en  vie  !  —  mais  de  'Otaiba  ibn  Wâsi'.  Histoires  de  lion  ;  Gâhiz,  Makâsin,   101-107. 

(3)  Ag.,  XI,  24,  25,  26;  Gâhiz,  MaAâsin.  112. 

(*)  Cf.  Maqdisî,  Géogr.  96.  On  rencontre  parfois  de  la  glace  dans  les  montagnes 
de  Tâif  et  du  Sarât  ;  Istahrï,  Géogr.  19.  YâqoQt,  VI,  160,  1.  Banse,  Der  arabische 
Orient,  70,  signale  de  la  neige  dans  les  nefoûd.  Voir  plus  haut. 

Lammen5    —  Berceau  g 


130  L'Arabie  décrite  par  la  «  Sira  » 

mois  d'hiver,  par  les  grands  sayyd  ;  mais  acceptons  le  renseignement 
sur  le  froid  mordant  des  nuits  de  Gomâdà.  Aussi  Ijien  la  philologie 
nous  adresse  la  même  invitation.  Sans  doute  les  bosquets  de  la  Pé- 
ninsule ont  pu  être  moins  touffus  qu'il  leur  plaît  de  le  prétendre. 
Mais  les  arbres,  mentionnés  par  eux,  appartiennent  à  une  flore  exis- 
tante (')■ 

Nous  l'avons  noté  précédemment  :  à  côté  des  poètes,  nous  pos- 
sédons la  Sîra,  les  Magàzi,  les  Sahlh,  les  Mosnad,  les  Sonan,  biblio- 
thèque historique  unique  en  son  genre,  comme  étendue  et  variété. 
A  leur  témoignage  concordant,  <  jui  oserait  dénier  toute  valeur  ?  Pieu- 
sement, semaine  par  semaine,  mois  par  mois  (^),  ces  recueils  notent 
les  déplacements  du  Maître  à  travers  le  Higâz  et  les  districts  voisins 
du  Nagd.  Ils  ont  fait  mouvoir  leurs  personnages,  démesurément 
grandis  par  eux,  dans  une  Arabie  réelle,  sinon  celle  du  Prophète, 
du  moins  contemporaine  de  leur  propre  rédaction.  Il  ne  sert  de  rien 
de  rajeunir  la  date  de  ces  compilations.  Plus  on  la  rapprochera  de 
notre  époque,  plus  on  énervera  la  thèse  de  Winckler;  car  elle  sup- 
pose une  dégradation  ininterrompue,  une  péjoration  incessante  du 
climat. 


(')  De  là  les  ,u>,wy,  les  Juiy  etc.  (voir  plus  haut)  dans  la  toponomastique  ; 
Yâqoût,  E.  V,  112.  Comp.  J.  Lyall,  The  piciorial  aspects  of  ancient  arabian  poelry 
dans  JJ?AS.    1912,  p.  133  sqq. 

(2)  Voir  p.  ex.  les  Magàzi,  dans  les  Tabaqât  d'Ibn  Sa'd,  II',  édités  par  J.  Horovitz. 


III 


Le  climat  arabe  convient  à  une  société  pastorale.  Importance 
et  diffusion  du  chameau.  Tribus  nombreuses.  Introduction 
du  cheval  et  de  la  vigne 


Les  renseignements,  conservés  dans  ce  dossier,  où  les  amplifica- 
tions poétiques  voisinent  avec  les  descriptions  plus  sobres,  plus  pré- 
cises de  la  primitive  annalistique  de  l'islam,  nous  avons  essa^■é  d'en 
condenser  la  substance  dans  les  pages  précédentes.  L'impression,  se 
dégageant  de  l'ensemble,  c'est  celle,  non  du  désert  classique,  gisant 
inerte  sous  un  linceul  de  sable,  mais  d'une  région  de  steppes,  créées 
par  l'évaporation  solaire;  d'une  nature  sévère,  contrastant  avec  nos 
pa\sages  européens,  mais  où,  en  dehors  des  sécheresses  périodiques, 
l'existence  devenait  tolérable  pour  les  besoins  restreints  d'une  société 
pastorale  ('). 

Le  chameau  en  forme  incontestablement  le  centre  (").    Sa  place 


(')     Le  Kilàb  as-Sagar  d'Ibn  Halâwaih  nous  en  rétablit  l'image. 

(-)  11  est  honteux  d'acquitter  la  dot  en  ânes,  en  chèvres,  au  lieu  de  chameaux  ; 
Naqà'id  Garîr,  34,  6,  280,  4  v.  ;  793,  2.  L'urine  du  chameau  prescrite  comme  remède 
par  Mahomet  ;  Qastallâni,  Irsâd as-sâri,  I,  348  ;  notre  Bâdia,  92.  Antérieurement  à  l'im- 
position d'un  nom,  le  nouveau-né  est  appelé  «  gardien  de  chameau  »  —  «  Un  berger 
ou  une  bergère?»  demande-t-on  aux  parents,  pour  connaître  le  sexe  du  nouveau-né  ; 
Al.  Musil,  Arabia  Petraea,  IH,  215-16  ;  Jaussen,  Pays  de  Moab,  2(i9-71 .  Le  grand 
Mo'âwia  est  ^s-^^  .3^^'  Z^\  J-.4lj  y^^  >j   l>l^  sÂii'  àj^  SsJl^  IM  JlJJl  J^lf 

f^^.  '•^^-Kr^  ^  '  *-?.^.  S^.  ^  i3^'  **  ;   Qotaiba,  'Oyoûn,   26.  'Omar  compare  l'Arabe 
à  un  chameau  rétif;  Tab.,  Annales,  I,  2735. 


132  Le  chameau  et  le  milieu  arabe 

énorme  dans  la  poésie  indique  celle  occupée  dans  la  vie  riuotidienne. 
Sprenger  définissait  l'Arabe  le  parasite  du  chameau.  Le  calife  'Omar 
avait  dit  de  son  côté  :  «  l'Arabe  réussit  seulement  là  où  prospère  le 
chameau  »  (').  Rien  de  plus  exact  !  11  n'est  pas  cjuestion  de  la  vache. 
Elle  n'eût  pas  trouvé  son  compte  dans  la  steppe  grise  aux  buissons 
épineux,  où  jusqu'à  son  nom  est  demeuré  une  injure,  un  synon\'me 
de  stupidité  (^).  Pour  savoir  si  la  Péninsule  convenait  à  ses  habitants, 
examinons  si  elle  convenait  au  vaisseau  du  désert. 

Je  me  demande  s'il  est  possible  d'imaginer  un  milieu,  mieux 
adapté  que  les  steppes,  les  dàràt  avec  leurs  sables  légers  et  fluides, 
à  l'élevage  de  cet  animal  providentiel.  Dépaysé  dans  nos  climats 
humides,  il  se  plairait  médiocrement  (^)  au  sein  de  nos  plantureuses 
prairies.  Elles  lui  offriraient  une  nourriture  plus  abondante,  mais 
aussi  combien  moins  substantielle.  Autant  vaudrait  alimenter  un  de 
nos  vigoureux  terrassiers  avec  des  vol-au-vent.  A  nos  fines  herbes, 
son  rude  estomac  préfère  les  fourrages  rugueux  et  épicés  du  désert; 
les  grasses  lianes,  les  buissons  épineux  aux  feuilles  revèches  (*),  leurs 
baies  juteuses,  assaisonnées  de  sel,  toute  la  flore  du  haind  avec  leurs 
essences,  leurs  produits  amers  et  résineux  :  menu  solide  et  savoureux 
au  palais  du  dromadaire.  La  saison  des  pluies  les  lui  fournit  en  abon- 
dance. A  cette  époque,  même  l'épais  manteau  de  sable  des  nefoûd 
ne  réussit  pas  à  étouffer  la  poussée  de  vie,  sommeillant  dans  les  en- 


Ci)  Qotaiba,  'Oyoûn,    262. 

(2)  Qotaiba,  Mohtalif  al-hadtt,  60;  Gâhiz,  Haiawân,  VII,  14;  Ag.,  VII,  13,  1.  18; 
'Iqd^,  II,  51,  2.  Le  Bédouin  n'aime  pas  la  chair  de  vache;  Al.  Musil,  op.  cit.,  III, 
150.  «  Il  ne  plante  pas  de  palmier  et  les  vaches  ne  mugissent  pas  dans  son  campe- 
ment »  ('Abbâs  ibn  Mirdâs,  dans  Ibn  Hisâm,  Sïra,  862,  6  d.  1.  : 

Une  variante  apocryphe  énunière  la  vache  parmi  les  victimes  de  Hodaibyya  ;  I.  S. 
Jabaq.,  II',  75,  5.  Feu  pour  Visiisçâ',  attaché  aux  cornes  d'une  vache;  Yâqoût,  E. 
V,  108;  rite  en  usage  parmi  les  sédentaires? 

(3)  Au  désert  il  refuse  l'orge  ;  cf.  Musil,  Arabia  Petraea,  III,  269.  Il  dépérit  — 
on  l'a  vu  précédemment  p.  55  —  si  de  son  alimentation  on  exclut  les  produits  épicés 
du  hamd. 

(•*)    i.^'J.Js-  sans  feuilles  et  tout  en  tige  ;    Ibn  Halâwaih,  Sagar,    XIX,  2-3. 


Endurance  du  chameau  133 

trailles  de  la  terre.  Quelques  gouttes  d'humidité  suffisent  pour  faire 
germiner  la  solitude,  reverdir  les  buissons,  engourdis  parfois  depuis 
quatre  ans.  «  La  misère  ou  la  richesse  des  Bédouins,  observe  Gàhiz, 
dépendent  de  la  pluie.  Le  nuage  a-t-il  consenti  à  la  déverser,  l'eau 
recouvre  la  steppe  d'un  tapis  de  verdure.  Ce  spectacle  fend  le  cœur 
du  nomade,  pauvre  en  troupeaux  :  voilà  du  fourrage,  s'ecrie-t-il,  mais 
c|ui  en  profitera  ?  de    l'herbe  ;  mais  les   chameaux  me   font  défaut 


3      f 


Cette  saison  d'abondance  coïncide  avec  la  naissance,  avec  l'allai- 
tement des  jeunes  sujets,  destinés  à  assurer  l'avenir  du  troupeau.  Le 
reste  de  l'année,  des  plantes  grasses,  des  buissons,  des  bou(]uets  fo- 
restiers (^)  lui  assurent  un  ordinaire  moins  abondant  sans  doute,  mais 
permettant  d'attendre  des  jours  meilleurs.  C'est  la  mise  à  la  ration, 
mais  non  à  la  ration  de  famine,  puisque  le  chameau  continue  à  fournir 
du  lait.  .Seulement  l'ère  de  ses  pérégrinations  gagne  en  extension. 
Son  maître  doit  plus  fréquemment  replier  la  tente,  aller  chercher  au 
loin  les  arbres  et  les  buissons  espacés  et  clair-semés.  Mais  n'a\ons 
crainte.  Chaque  tribu  dispose  de  territoires,  de  pâturages  vastes 
comme  des  provinces. 

Très  endurant  le  chameau  peut  demeurer  jusqu'à  quatre  jours 
sans  absorber  de  liquide  (^).  Des  hisâ,  des  puits,  des  points  d'eau 
convenablement  distribués  lui  assurent  cette  réserve  indispensable. 
Quant  à  ses  gardiens  l'usage  du  lait  leur  permet  de  compenser  à 
volonté  les  déperditions  humides  de  leur  organisme.  Enfin  certains 
massifs  montagneux  (^),  des  cantons  mieux  arrosés,  moins  brûlés  par 


(')  Comme  ZSX\  ,  le  pauvre;  c.-a-d.  en  chameaux,  la  seule  richesse  des  Bédouins. 

(2)  Gâhiz,  Avares.    252. 

(S)  Les  arbustcs-haind ;  Ibn  Halâwaih,  Sagar,  IX,  7  ;  les  Safaryya,  derniers  four- 
rages d'été,   ^1  J^'  ;  ibid.,  XXIV,   XXV. 

(■>)  Cf.  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  68, '5  etc.  ;  à  partir  du  5«  jour,  la  soif  incommode 
l'animal  ;  Nagà'id  Garir,,  56,  6  ;  625,  17  ;  Il  s'agit  de  l'été,  à  cause  du  fourrage  salé, 
comme  note  Musil,  op.  cit.,   III,  257  ;  Jaussen,  Moab,  271. 

(')  Comme  le  Radwâ,  le  Sarât  ;   sur  ce  dernier,  voir  Yâqoût,  E.  V,  59  sqq. 


134  Diffusion  du  chameau 

le  soleil  ('),  un  chai)elet  d'oasis  et  de  palmeraies  offrent  au  Bédouin 
un  supplément  d'alimentation  solide,  riche  en  matières  sucrées  et  nu- 
tritives. Sans  parler  des  tribus,  rapprochées  des  pays  à  culture  plus 
intensive,  comme  la  Syrie  et  le  Yémen  :  centres  d'échange  pour  les 
produits  de  l'industrie  pastorale.  C'était  le  cas  du  Higâz,  lieu  de  pas- 
sage entre  l'ancienne  Arabie  Heureuse  et  les  contrées  de  l'Asie  An- 
térieure. 

Si  je  reviens  au  chameau,  c'est  pour  innocenter  le  brave  animal 
d'une  accusation  injustifiée,  articulée  f)ar  des  égyptologues.  A  les  en 
croire,  si  la  flore  du  désert  oriental  d'Egypte  étale  aujourd'hui  une 
aussi  lamentable  pau^  reté,  cette  indigence  daterait  seulement  de  l'in- 
troduction du  dromadaire  dans  la  \allée  du  Nil  (■).  C'est,  je  crois, 
gratuitement  charger  le  vaisseau  du  désert  (").  En  Arabie  sa  multipli- 
cation coïncide  au  contraire  avec  le  maximum  de  prospérité.  Toute 
la  richesse  est  évaluée  en  chameaux.  Le  vocable  mal,  fortune,  dé- 
signe d'abord  l'animal  qui  en  constitue  la  base.  Pour(|uoi  les  Bé- 
douins auraient-ils  accordé  cette  distinction  à  la  cause  de  leur  ruine  ? 

Or,  aux  environs  de  l'hégire,  il  devait  être  extraordinairement  ré- 
pandu en  Arabie  :  la  dot  des  femmes,  le  prix  du  sang,  l'enjeu  du 
maisir  —  la  distraction  favorite  des  riches  propriétaires  —  tout  s'ac- 
quittait en  chameaux.  On  se  serait  discrédité  en  leur  substituant  des 
chèvres  ou  du  petit  bétail  (^).  En  bien  des  cas  on  procédait  seulement 
par  centaines  (°).  Cent  chameaux  rachetaient  un  ineurtre  —  accidents 
fréquents  dans  la  vie  agitée  des  tribus.  S'agissait-il  d'un  chef  de  mar- 
que, il  fallait  doubler  la  centaine  ("),  la  décupler  pour  certains  princi- 

(')  Même  en  été  on  trouve  du  fourrage  dans  le  Nagd  ;    Vàqoût,  E.  \',  254,   10. 

(■')  E.  Lefebvre,  Le  chameau  d'Egypte,  dans  XVI«  congrès  orient.,  Alger,  7"  se- 
ction, 39-40;  cf.  Mahaffy,  A  history  of  Egypt  unter  the  Ptolomaic  dynasty,   111. 

(^)  En  Orient  on  articule  la  même  accusation  et,  semble-t-il,  avec  plus  de  raison, 
contre  la  chèvre. 

(■*)  Voir  plus  haut. 

(^)  Le  généreux  est  i^j^n^jJ!  AJilLI  ^-^\y>\  ;  Hotai'a,  Divan,  V,  28,  avec  notes  de 
Goldziher  ;  400  chameau.x  sacrifiés  dans  une  lutte  s  JLLo  de  générosité  ;  Nagâ'id  Ga- 
rtr,   625. 

C')  Le  sayyd  est  appelé  ,;J^  ij^^  •  payant  100  chameaux  pour  la  dya  :  voir 
plus  loin.  On  livrait  parfois  100  chamelles  l^Ui  U>  ^1  à^iJiJ^  pleines,  près  de  mettre 


Les  Banoa  'Adwân  *       135 

picules  (').  Dans  des  monàfara  solennelles,  où  les  tribus  se  disputaient 
la  prééminence,  2000  chameaux  étaient  tenus  en  réserve  pour  le  vain- 
queur (■).  On  en  réclamait  un  chiffre  égal,  afin  de  liquider  d'intermi- 
nables discordes  civiles  ;  rappelons  la  guerre  de  Dâhis  (^).  \'ers  la 
même  époque,  les  marchands  de  Oorais  organisaient  des  caravanes, 
comptant  plusieurs  milliers  de  chameaux  (^).  On  aurait  bien  surpris 
les  Arabes  en  leur  montrant  dans  ces  énormes  troupeaux,  couvrant 
la  Péninsule,  une  cause  de  décadence  pour  leur  patrie. 


Effectivement  aux  débuts  du  septième  siècle,  nous  trouvons  le 
Higâz  et  les  districts  limitrophes,  occupés  par  des  tribus  en  plein  dé- 
veloppement. Les  Banoû  'Adwân  —  le  clan  n'appartenait  plus  aux 
groupements  importants  —  comptaient  parmi  eux  70,000  garçons, 
n'aj'ant   pas  encore  atteint  la  puberté  (^).  Pour  la  reddition  de  la 


bas;  Naq&'id  Gartr,  92,  3  d.  1.;  c'était  l'équivalent  d'une  double  rançon  ;  idid.,  227, 
Le  chiffre  de  200  demeurait  insuffisant  pour  les  grands  chefs,  qu'on  qualifiait 
de  jj«>UJl  aX*c  et  de  -.à*  •^^^^  ibid.,  527.  Rançon  de  cent  chameaux  ;  Nagâ'id  Gartr, 
308;  284.   Rançon  de  400;  Vâqoût  VI,  267. 

(')  Mille  passait  pour  la  rançon  des  rois;  As'at  ibn  Qais  se  rachète  pour  3000 
chameaux  ;  d'autres  chefs  paient  2000  chameaux  et  1000  esclaves  ;  parfois  on  s'arrête 
au  chiffre  de  500  ;  Ibn  Rosteh,  Géogr.,  193,  7,  9,  11  ;  Naqffid  Garïr.  228,  2  ;  400  cha- 
meau.x  pour  la  rançon  de  Bistam  ibn  Qais;  Bakrï,  Mo'gavi,  714,  6  d.  1.  La  valeur  de 
la  rançon  de  <  100  »  chameaux  est  évaluée  d'ordinaire  à  400,  plus  rarement  à  mille 
dinars  ;  Nasal,  Sonan,  E.  I,  72  ;  Aboû  Yoûsof,  Harâg,  92,  6.  Cette  dya  doit  être 
payée  même  pour  le  meurtre  par  accident,  U»il  ;  Nasal,  Sonan,  E.  I,  72. 

(-)  Nagâ'id  Gartr.  140,  1-2  ;  comp.  68,  9  ;  généralement  on  se  contentait  de  100 
chameaux  ;  Gâhiz,  Mahàsin,  88,  10  ;  on  en  immole  300  sur  une  tombe  ;  ibid.,  107,  16. 
Quand  le  troupeau  atteint  le  chiffre  de  mille  chameaux,  on  crève  l'œil  à  l'étalon  ; 
Nagâ'id  Gartr,  234. 

(3)  Nagâ'id  Gartr,   105. 

{*)  Cf.  Républigtie  marchande,  22  sqq.  Le  butin  de  Honain  consista  en  24,000 
chameaux,  40,000  brebis;  I.  S.   Tabaq.,  II',  110. 

(^)  J^l  ou  t-âial  ;  une  variante  parle  de  40,000;  So'arâ'  (Cheikho),  625;  Ag.,  III, 
p.  2  et  3.  '.\dwân  était  alors  sur   le    déclin  ;   Sigistânî,  Mo'ammaroûn,  48.  Un  Arabe 


136  Alimentation  du  cheval 

Mec(jue  une  fraction  des  Banoù  Solaim  put  fournir  à  Mahomet  un 
contingent  de  700  à  900  chevaux.  Je  soupçonne  ce  chiffre  d'avoir  été 
légèrement  grossi,  conformément  aux  habitudes  de  la  Stra  (').  Aux 
temps  de  'Antar,  les  Banoii  'Abs  pouvaient  équiper  un  millier  de  ca- 
valiers (°).  Pour  mériter  le  titre  militaire,  très  ambitionné  à  cette 
époque,  de  garràr,  il  fallait  avoir  commandé  à  un  nombre  égal  de 
cavaliers.  Nouvelle  et  évidente  exagération.  Mais  la  multiplicité  de 
cette  qualification  (^)  et  celle  encore  plus  fréquente  de  fàris,  attestent 
pour  l'Arabie  préislamite  l'importance,  prise  par  le  cheval,  dans  les 
préoccupations  des  contemporains. 

Or  l'élevage  du  cheval  suppose  l'existence  de  fourrages.  Il  ne 
s'accommodait  pas  des  plantes  épineuses  et  salées,  où  le  chameau 
trouvait  ses  délices.  A  son  maître  de  s'ingénier  pour  y  substituer  une 
nourriture,  agréant  à  son  palais  délicat.  On  commençait  par  lui  adju- 
ger sa  ration  complète  de  lait,  avant  même  de  songer  à  sa  jjropre 
famille  (*).  Celle-ci  se  tirerait  d'affaire.  A  tout  prix  il  fallait  conserver 
la  noble  monture.  Pour  lui  on  fabriquait  au  besoin  des  gâteaux  avec 
des  no\aux  de  dattes  pilées.  L'alimentation  d'un  cheval  constituait  un 
rude  problème,  même  dans  l'oasis  de  Médine  (^).  En  désespoir  de 
cause,  on  lui  aurait  parfois  administré  de  la  viande  hachée.  J'ignore 
ce  qu'en  penseront  les  hippologues.  Mais  philologiquement  le  rensei- 


combat  à  la  tête  de  mille  de  ses  descendants  ;  un  autre  perd  trente  fils  à  la  guerre  ; 
Mo'ainmaroûn,  36,  64,  97.  Les  'Alides  remplissent  le  Higâz  ;  Yâqoût,  E.  IV',  261  ; 
Snouck  Hurgronje,  Mekka,  I,  34,  36  ;  cf.  Mo'àwia,  147.  K  la  bataille  de  Gabala  les 
Banoû  'Àmir  sont  30,000  ;  Nagaid  Gartr,  660,  9. 

(')  Pourtant  le  pays  des  Solaim  était  riche  en  palmeraies.  Le  divan  de  Hansâ' 
suppose  la  présence  de  nombreux  chevaux.  Quand  les  Solaimites  pénétrèrent  dans 
l'Afrique  du  Nord,  on  les  voit  bien  montés  ;  Qalqasandî,  Sobh,   I,  208. 

(2)  Naga'id  Gartr,  98,  15  ;  147,  12  ;  Hansâ',  Divan,  27,  3  ;  Ibn  Doraid,  Istiçâq, 
203,  8,  16  (il  s'agit  de  Taglib). 

(^)  Ag.,  VII,  152,  6  ;  ils  sont  100  dans  une  rencontre  ;    Naqâ'id  Gartr,  98,   12. 

(*)  Ag.,  IX,  18,  14  ;  Asma'yyàt  (Ahlwardt),  I,  4-13  ;  A.  Tammâm,  Hamâsa,  101, 
d.  v.  ;  Gâhiz,  Haiazvân,  I,  28;  lY,   117,  bas. 

(5)  I.  S.  Tabaq.,  VIII,  182,  21.  Il  ne  supporte  lias  la  soif;  Ag.,  X,  165,  5  d.  1. 
'Omar  impose  aux  propriétaires  de  haras  privés  à  Médine  l'obligation  d'importer  le 
fourrage;  Tab.,  Atinales,   I,  2756-2757. 


Le  cheval,  une  bête  de  luxe  137 

gnement  me  semble  intéressant.  \'raisemblablement  le  terme  lakvt, 
viande  a  pu  signifier  primitivement  la  nourriture  en  général,  les  cé- 
réales —  ainsi  dans  certains    dialectes   sémitiques.  Une  trace  en  est 

restée  dans  cette  expression  :  «  j^^;;?^!  ->^l  c^  '  '  ^^  '^'t  constitue  une 
des  deux  nourritures  principales  »  ('). 

Quoiqu'il  faille  en  penser,  ces  chiffres,  même  grossis,  supposent 
un  certain  développement  de  la  vie  végétale.  Au  désert  le  cheval  est 
une  bête  de  luxe  :  sa  possession  formait  une  présomption  de  richesse. 
A  sa  présence  les  rôdeurs  et  les  brigands  devinent  une  tribu  pros- 
père (').  Un  proverbe  —  il  provocjua  les  protestations  de  la  préten- 
tieuse 'Aisa,  —  affirmait  que  le  cheval  surpassait  la  femme  en  beau- 
té (^).  Il  apportait  à  son  possesseur  le  titre  envié  de  fàris,  c'est  à 
dire,  chevalier  et  le  rendait  presque  l'égal  du  say3'd.  Cette  multipli- 
cation du  cheval  —  il  faut  le  noter  —  est  antérieure  à  l'établissement 
des  grands  himà,  haras,  par  les  califes  (*).  Observons-le  en  passant  : 
le  succès  même  de  cette  institution,  où  l'on  élevait  par  milliers  les 
chevaux,  cadre  mal  avec  l'hyi'Othèse  d'une  dégradation  du  climat. 
«  Fréquemment  la  disette,  observe  Winckler,  relève  de  la  situation 
politique  beaucoup  plus  que  des  conditions  précaires  du  climat  »  (^). 
On  ne  saurait  mieux  dire! 

.Au  siège  de  Médine  par  les  Arabes  confédérés,  les  Ahzàb,  la 
tribu  de  Gatafân  envo\a  un  contingent  de  3000  combattants.  Ce  chiffre 
représente  seulement  une  partie  de  leurs  forces  disponibles  C^).  Les 
Bédouins  ne  commettaient  pas  l'imprudence  de  laisser  leur  territoire 


(')  Ag.,  XIX,  159,  bas  ;  cf,  A.  Musil,  Arabia  Pelraea,  III,  270  etc.  Cf.  Guidi, 
Sede  primiiiva,  584;  Caetani,  Siudi,    I,   349. 

(2)  Ag.,  XIV,   138,   1. 

(S)  Ag.,  XI,   126,   11  d.  I. 

(^)  'Omar  élève  4000  chevaux;  AboQ  Yoûsof,  Harâg,  27.  A  propos  de  himâ,  le 
nom  de  ce  calife  est  d'ordinaire  mis  en  avant;  YâqoQt,  E.  V,  254,  haut;  Bakrî,  773. 

{^)  Mitl.  vorderasiat.  GeselL,   1901,  39. 

C)  Les  Banoû  Yâd  avaient  été  aussi,  mais  antérieurement  à  cette  époque,  une 
tribu  prolifique;  Bakrî,  Mo'gam,  44,  8  d.  1.  ;  décimés  par  ^^.Jl  ,  les  moustiques;  Ag., 
III,  3.  D'après  Caetani,  Stitdi,  I,  313,  les  sédentaires  dominaient  comme  nombre  à 
l'époque  de  l'hégire.  J'hésite  à  partager  cette  opinion,  par  ailleurs  si  favorable  à 
ma  thèse. 


138  Anarchie  politique  à  la  veille  de  l'hégire 

sans  défense  contre  les  incursions  toujours  à  redouter  de  leurs  voisins 
principalement  une  confédération  aussi  active  et  inquiète  que  les  Ga- 
tafân,  appartenant  aux  plus  remuants  groupements  du  Higâz  et  du 
Nagd.  Ces  évaluations  permettent  donc  de  supposer  une  population 
plutôt  prospère  et  en  voie  d'augmentation.  Cette  prospérité  se  trouve 
forcément  liée  à  celle  du  pays.  Elle  eût  été  plus  complète  sans  l'oubli 
des  lois  les  plus  élémentaires  de  l'hygiène.  Contentons-nous  d'en  fournir 
ici  un  exemj)le.  Dans  le  clan  des  Banoû  'Auf,  de  la  grande  tribu  de 
Morra,  tous  les  individus,  à  partir  d'un  certain  âge,  se  trouvaient  at- 
teints de  cécité.  Le  fatalisme  aidant,  on  s'était  décidé  par  }•  recon- 
naître un  signe  de  légitimité  et  des  vieillards  s'affligeaient  de  mourir 
sans  pouvoir  s'en  glorifier  ('). 


* 
*  * 


Le  siècle  antérieur  à  l'établissement  de  l'hégire  fut  pourtant  une 
période  d'anarchie  politique,  de  véritable  décomposition  intérieure.  Il 
coïncida  avec  la  disparition  des  petits  états  indigènes  de  Hîra,  de 
Gassân,  de  Kinda,  avec  la  chute  du  régime  éthiopien  dans  le  Yémen; 
pouvoirs  pondérateurs,  atténuant  par  leur  surveillance  les  excès  de 
l'individualisme  arabe.  Ce  fut  une  époque  de  luttes  fratricides  entre 
les  tribus,  où  une  course  de  chevaux,  des  discussions  relatives  au 
droit  de  pacage  suffisaient  pour  déchaîner  d'interminables  guerres 
civiles  (")  ;  où  même  dans  les  cités,  comme  Médine,  on  connut  seule- 
ment des  trêves  entre  les  hostilités. 

D'après  la  théorie  de  Winckler,  le  climat  arabe  se  trouve  fatale- 

(')  Ag-.,  XI,  97  ;  vieux  Bédouins  aveugles,  y}g^.,  XII,  43,  bas  ;  voir  aussi  Sigi- 
stânï,  Mo' ammaroûn ,  passiin  ;  -rr^  ==  iit^^  '  '^  cécité  considérée  comme  le  mal  par 
excellence  ;  Ibn  Doraid,  Istigâg,  28  ;  ravages  de  la  vérole  avant  l'islam  ;  ibid.,  143  ; 
Doughty,  Travels,  I,  577,  «destruction  of  nomad  Arabia  »  ;  Musil,  Arabia  Petraea, 
111,  412,  vérole;  typhus,  causé  par  les  eaux.  Les  aveugles  abondent  dans  les  grandes 
familles  de  la  Mecque  :  Omayyades,  Hâsimites  etc.  Les  Abyssins  et  la  vérole  à  la 
Mecque;  I,  S.    Tabaq.,   I',  56. 

(2)  Lire  les  plaintes  de  Doû'l  Osbo'  ;  So'arâ'  (Cheikho)  625,  635.  Son  divan,  ibid., 
625-39,  me  produit  l'impression  d'avoir  été  fortement  interpolé. 


L'Arabie  s'enrichit  139 

ment  voué  à  toutes  les  dégradations,  le  pajs  à  toutes  les  ruines. 
Chaque  siècle  enregistre  les  progrès  du  dessèchement,  de  l'ensable- 
ment ('),  amenant  à  leur  suite  la  famine.  Le  nomade  demeure  le  té- 
moin impuissant  de  cette  décomposition  inévitable  et  dans  la  marche  de 
l'inexorable  processus  peut  d'avance  lire  l'extinction  de  sa  race.  Tel  un 
malade,  calculant  sur  lui-même  les  progrès  de  l'affection,  qui  menace  de 
l'emporter.  Spectacle  tragique,  on  en  conviendra  !  Dans  ces  conditions, 
les  annales  de  la  Péninsule  ne  devraient  être  qu'un  pit03'able  diaire, 
décrivant,  génération  par  génération,  les  phases  de  l'agonie  séculaire  des 
nomades. 

Plus  haut  l'histoire  du  cheval  arabe  nous  a  permis  de  noter 
combien  peu,  en  descendant  le  cours  des  âges,  il  est  donné  de  cons- 
tater l'appauvrissement  du  désert.  Nous  avons  pourtant  emprunté  nos 
exemples,  accordé  notre  attention  à  une  des  régions  les  moins  favo- 
risées de  l'Arabie  :  au  Higâz  (").  Un  pa\s  épuisé,  comme  on  nous  le 
dépeint,  voit  diminuer  ses  forces  productives,  tarir  les  sources  de  sa 
prospérité,  péricliter,  et  finalement  disjiaraître  l'un  après  l'autre  les 
représentants  de  la  flore  et  de  la  faune  indigènes,  hors  d'état  de  pro- 
longer plus  longtemps  la  lutte  pour  l'existence.  Or,  durant  l'intervalle 
séparant  l'hégire  des  débuts  de  l'ère  chrétienne,  nous  observons  pré- 
cisément le  phénomène  inverse.  Certes  le  climat  ne  paraît  pas  en 
voie  d'amélioration.  Au  cours  des  sécheresses  fréquentes,  l'érosion, 
l'action  de  l'évaporation  continuent,  comme  par  le  passé,  à  s'acharner 
sur  les  steppes  dénudées.  Et  pourtant  le  pays  s'enrichit  de  nouvelles 
conquêtes,  toutes  pacifiques  d'ailleurs,  dans  le  régne  végétal  et  animal, 
affirmant  de  la  sorte  sa  merveilleuse  vitalité. 

Dans  son  très  remarquable  mémoire  Délia  sede  frimitiva  dei 
fopoli  seniitici  (^),  le  savant  Prof  Ign.  Guidi  a  cité  les  textes  de 
Strabon  (XVI,  768,  784)  et  de  l'auteur  du   De  belb  Alexandrhio,  at- 


(')  Les  Banou  Bohtor,  un  clan  de  Tayy  sont  heureux  de  se  savoir  inattaquables 
dans  leur  «sable  de   'Alig,    quatre   jours    de    marche    sans    eau,    v.;^Lkj  lil  il-  «>-^« 

Cj^^^\  i^.?i^\  »  ;   Yâqoût,   E.   VI,   99,  3  sqq. 

(-)  Il  n'a  jamais  inspiré  les  éloges    dithyrambiques,    si    généreusement    accordés 
au  Nagd,  au  Himâ  Daryya,  séjour  des  rois  de  Kinda  ;  Yâqoût,  E.  \^  253,  bas. 

(3)  P.  588  sqq. 


]40  Diffusion  du  cheval 

testant  pour  leur  époque  l'absence  du  cheval  en  Arabie.  L'introduc- 
tion du  noble  animal  appartient  donc  à  une  époque  postérieure.  De 
combien  a-t-elle  précédé  rhé<ïire  :  (')  Nous  l'ignorons  et  pour  le  mo- 
ment il  importe  peu.  On  pourra  rajeunir  la  date  de  cet  événement 
sans  provoquer  nos  protestations  ;  bien  au  contraire  !  Or  malgré  les 
difficultés,  s'opposant  à  son  entretien  au  sein  de  la  steppe,  nous  le 
voyons  plutôt  en  train  de  se  multiplier  dans  l'Arabie  contemporaine 
du  Prophète.  Cette  multiplication  oblige  les  poètes  à  l'introduire  dans 
leurs  descriptions  militaires,  où  —  de  même  que  sur  les  bas-reliefs 
ass}Tiens  —  le  dromadaire  avait  seul  figuré  Juscjue-là.  Désormais  le 
titre  de  fàris,  cavalier,  devient  le  complément  obligatoire  de  la  di- 
gnité de  sa}vd  (-).  Insensiblement  le  r(ils  d'autrefois,  le  chef  de  la 
razzia,  se  transforme  en  J-Ji.1  jils   (^),   conducteur  de  la  cavalerie  (*). 

Escadrons  modestes,  sans  doute.  Nous  n'\-  contredirons  point. 
Mais  le  cheval  appartient  désormais  à  l'histoire  de  l'Arabie.  Par  ses 
qualités  exceptionnelles,  par  la  perfection  de  ses  formes,  la  race  "arabe 
s'est  placée  en  tête  de  l'aristocratie  chevaline  et  a  fait  croire  à  l'exi- 
stence en  Arabie  de  véritables  haras.  Et  cette  révolution  se  trouve 
rapprochée  de  la  dernière  des  grandes  crises  économiques,  périodi- 
quement traversées  par  la  Péninsule,  de  celle  enfin  dont  l'acuité  au- 
rait amené  et  précipité  l'expansion  islamique  ? 

Au  temps  de  Mahomet,  on  a  également  introduit  le  mulet  (^). 
Au  Higâz  cette  introduction  fut  vraisemblablement  l'œuvre  du  Pro- 
phète lui-même.  Devenu  souverain  de  Médine,  médiocre  cavalier,  se 
tenant    mal    à    cheval,  il  voulut   se  paver   le  luxe  de  ^cette  'monture 

(')  Les  Taglib  se  vantent  qu'avant  eux  les  Arabes  ne  montaient  pas  à  cheval 
Bakrï,  Mo'gam,  54,  9  ;  Cf.  Caetani,  Studi,   I,  346. 

(*)  Voir  plus  loin  :  les  titres  du  chef  de  la  tribu. 

(■')  Ou  de  ^f^  >  conducteur  d'escadrons  de  cavalerie.  Voir  plus  loin. 

(^)  Zohair  (Ahlw.),  85,  3;  98,  2.  J.;^sUJ  ^  «  Qui  conduira  les  chevaux'»?  s'é- 
crie constamment  Hansâ'  dans  ses  élégies  ;  cf.  Divan,  53,  3  d.  1.  ;  55  ;  71  : 

t_j-»_jJl  -,«wJl^  »»jiJl  ^a  i_,^.;Jail  a.'B.v'..»U  ^,UJ1  «A 

«  Il  est  le  chevalier  toujours  prêt,  orateur  de  la  tribu,  l'amateur  glorieux  du  jeu  de 
maisir  ». 

(5)  Mentionné  par  Hassan  ibn  Tâbit,  Divan,  (Hirschfeld),  CIIl,  2. 


Le  pain  en  Arabie  141 

exotique.  La  fameuse  mule  Doklol,  non  pas  don  du  vice-roi  d'Egypte 
—  ainsi  le  prétend  la  Tradition  —  a  dû  être  achetée  par  ses  agents 
commerciaux  dans  la  vallée  du  Nil  (').  Le  mulet  apparaît  seulement 
dans  les  cités,  jamais  dans  les  campements.  Voilà  pourquoi  nous  évi- 
tons d'insister  sur  cette  nouvelle  conquête.  Il  serait  téméraire  de  la 
présenter  comme  une  victoire  sur  l'inclémence  du  climat  arabe. 

D'après  le  témoignage  d'.-\mmien  Marcellin,  contemporain  de 
Julien  l'Apostat,  les  Arabe?  de  son  temps  ignoraient  complètement 
l'usage  du  froment  et  du  vin  :  «  Plerosque  nos  vidimus  frumenti  usum 
et  vini  penitus  ignorantes  »  (XIV,  c.  4).  Je  me  suis  autrefois  donné 
le  tort  de  contester  la  valeur  de  ce  passage  (").  Il  se  trouve 
pourtant  confirmé  par  toute  l'histoire  de  l'Arabie.  De  nos  jours  en- 
core le  pain  constitue  une  rareté  sous  la  tente  des  nomades  (^).  Pour 
eux  les  deux  seules  nourritures  solides  usuelles  sont  les  dattes  et  la 
viande.  Cette  dernière  porte  le  nom  de  laJpn,  peut-être  parce  avant 
l'introduction  et  la  diffusion  du  palmier-dattier,  elle  constitua  l'aliment 
solide  par  excellence  (^).  Même  dans  les  plus  florissantes  oasis  du 
Higàz,  la  culture  du  blé  n'a  jamais  pris  des  proportions  considéra- 
bles. Parmi  les  rares  céréales  cultivées,  on  s'\-  est  surtout  appliqué 
à  récolter  de  l'orge  (^). 

En  revanche  la  vigne,  on  l'a  vu,  avait  pris  certains  développe- 
ments, non  pas  pourtant  les  vignobles.  Nous  l'avons  retrouvée  dans 
la  majorité  des  oasis  du  Higâz  ("j.  Son  introduction  doit  donc  être 
postérieure  au  4*^  siècle  de  notre  ère.  Elle  s'est  répandue  pendant 
les  deux  centenaires,  immédiatement  antérieurs  à  l'hégire  C).  Nous 
la  vo3-ons  principalement  cultivée  dans  les  oasis  du  W'âdi'l  Oorâ,  à 
Médine,    à  Tâif.    Les    deux   premiers    centres    étaient   occupés    par 


(')  Cf.  Fâtima,  Inde.\  s.  v.  Doldol. 
(2)  Cf.  notre  Poète  royal,  40. 

(ï)  Le  blé  donne  de  l'esprit  ;  Ag..  XII,  48,  6  ;   49,   12. 
(<)  Guidi,  op.  Slip,  cit.,  594,  596. 

(=)  Même    chez    le    Prophète  on  ne  se  nourrissait  pas  tous  les  jours  de  pain  de 
froment  ;  cf.  Fûtima,  43  sqq. 

(*)  Notons  encore  Sawâriqj'ya,  au  pays  de  Solaim  ;  Yâqoût,  E.  Y,   164. 
C)  Ag.,  IV,  75,  9  etc.  ;  cf.  Fraenkel,  Aram.  Fremlw.,   156. 


142  La  vigne  et  le  dattier 

les  Juifs  et  l'on  doit  vraisemblablement  ce  progrès  à  leur  industrieuse 
activité.  S'ils  n'introduisirent  pas  la  culture  du  palmier-dattier  en  Ara- 
bie, ce  furent  certainement  leurs  prédécesseurs  araméens  dans  les 
oasis  du  Higâz  (').  C'est  la  conclusion,  se  dégageant  du  docte  mé- 
moire, cité  plus  haut,  du  Prof.  Guidi  (■).  Cette  aciiuisition,  si  impor- 
tante pour  l'avenir  de  la  Péninsule,  est  probablement  antérieure  à  l'ère 
chrétienne.  Elle  prouve,  comme  l'introduction  du  cheval  et  de  la  vigne, 
combien,  aidé  par  l'industrie  humaine,  le  rude  climat  de  l'Arabie  sem- 
ble susceptible  d'amélioration. 

(')  Bakri,  Mo'gain,  30,  leur  attribue  la  plantation  des  palmeraies  de  Wâdi'l  Qorâ. 
(2)  Sede  primitiva,  583,  sqq. 


IV 


Rigueur  du  climat  arabe;  sa  tendance  à  empirer. 
Réaction  des  agents  de  reconstitution.  Rôle  de  la  pluie 


Un  grave  malentendu  contribue,  croyons-nous,  à  embrouiller  toute 
cette  discussion.  Que  les  conditions  de  la  vie  au  désert  montrent  de 
siècle  en  siècle  une  tendance  à  empirer,  nous  l'avons  suffisamment 
insinué,  en  détaillant  les  méfaits  de  l'érosion  et  de  l'évaporation.  Cette 
constatation  autorise-t-elle  à  parler  d'une  évolution  plus  radicale,  d'un 
changement  de  climat  ?  Nous  ne  le  pensons  pas. 

Que  le  climat  de  la  Péninsule  appartienne  à  la  catégorie  des 
climats  rigoureux,  personne  ne  songe  à  le  contester  (').  Or  qu'ap- 
pelle-t-on  un  climat  rigoureux  ?  C'est  un  milieu,  où  l'équilibre  des 
forces  naturelles,  leur  opposition  merveilleusement  combinée,  mainte- 
nant l'ordre  varié  de  l'univers,  se  trouvent  détruits  au  profit  des  agents 
anarchi(]ues  de  destruction.  N'étant  plus  neutralisés,  ou  d'une  façon 
inadéquate,  ces  éléments  finissent  par  prendre  le  dessus,  par  inten- 
sifier leur  intervention  dévastatrice.  Le  déséquilibre  s'accroît  en  rai- 
son directe  de  la  diminution  de  la  résistance  rencontrée.  Ainsi  dans 
un  pays  à  moitié  dénudé,  l'action  des  neiges,  des  gelées,  celle  des 
pluies  torrentielles,  la  brusque  succession  de  la  chaleur  des  jours  aux 
froids  de  la  nuit  (^1,  se  montrent  plus  redoutables  que  dans  les  ré- 
gions, protégées  par  de  profondes  couches  d'humus,  capitonnées  par 

(')  Cf.  Banse,  Der  arabische  Orient,  65-78. 

(-)  La  nuit  dans  le  Nagd,  on  aurait  observé  —  10  degrés  ;    Banse,  op.  cit.,  IVi. 


114  Définition  du  désert 

une  couverture  de  prairies  et  de  végétation  arborescente.  Représen- 
tons-nous un  monument  en  ruine:  la  chute  d'une  bri(iue,  d'une  tuile 
prépare  la  disparition  de  la  tuile,  de  la  brique  voisines  et  amène 
l'ébranlement  total  de  l'édifice.  Théoriquement  la  destruction  devrait 
s'arrêter  le  jour  seulement,  où  elle  ne  rencontrera  plus  rien  à  dé- 
truire. 

Ainsi  un  climat  mauvais  montre  une  tendance  marquée  à  devenir 
excessif.  La  nature  fatiguée  semble  y  avoir  rendu  les  armes  et  re- 
noncé à  la  lutte.  La  décadence  de  la  veille  facilite  celle  du  lende- 
main, en  diminuant  la  somme  de  résistance;  elle  désagrège  le  fai- 
sceau des  forces  conservatrices,  travaillant  à  réparer  l'œuvre  de  des- 
truction. 

«  Le  désert,  a  dit  le  Prof.  Walther,  c'est  la  région  des  para- 
doxes géographiques:  orages  sans  pluie  ('),  sources  sans  rivières, 
rivières  sans  aboutissants,  arbres  sans  feuilles  »  (").  Ces  paradoxes 
correspondent  à  autant  de  déchéances,  de  défaillances  de  la  nature. 
Ils  soulignent  l'absence  des  facteurs,  capables  de  neutraliser  les 
éléments  perturbateurs,  déchaînés  dans  la  solitude.  Pour  préciser  da- 
vantage :  «  le  désert  c'est  une  région  de  pluies  insuffisantes  et  de 
sécheresse  trop  intense  »  (').  Ainsi  en  dernière  analyse,  le  désert  doit 
son  existence  à  l'extrême  inégalité  entre  l'apport  et  la  soustraction 
d'humidité.  Cette  rupture  d'équilibre  profite  à  un  facteur  d'une  incal- 
culable puissance  :  l'action  du  soleil  et  des  vents  d'orage,  ne  rencon- 
trant plus  d'obstacles  pour  désagréger  le  sol,  pour  lui  ravir  jusqu'à 
sa  dernière  goutte  d'humidité. 

Cette  constatation  me  paraît  d'une  souveraine  importance  dans 
notre  discussion.  Pour  expliquer  la  formation  et  l'existence  des  soli- 
tudes arabiques,  on  a  parlé  de  forces  cosmiques,  d'évolution  fatale, 
irrésistible.  P"ormules  n^vstérieuses  et  manquant  peut-être  de  clarté. 
11  s'agit  en  réalité  d'une  mesure  pluviométrique,  d'un  minimum  d'hu- 
midité. Ce  minimum  est-il  notablement  dépassé   en  certains  cantons, 

(')  Comme  au  siège  de  Médine  par  les  Confédérés,  Ahzâb;  I.  S.  Tabaq.,  I-,  50-51. 
(-)    Wttstenbildung,  p.  2.  Voir  plus  haut.  Le  cliché  poétique,  ^  ^  iJXsjl  (citations 
données  précédemment,  p.  126)  fait  sans  doute  allusion  à  des  orages  sans  pluie. 
(')  Walther,  op.  cit.,  p.  4. 


Résistance  de  la  flore  145 

le  désert  voit  diminuer  son  extension  ou  même  cesse  momentané- 
ment d'exister.  La  mesure  se  trouve-t-elle  inférieure,  le  désert  se 
réforme.  Pour  \ Arabia  déserta^  les  fastes  botanicjues  et  géologi(iues 
consisteraient  dans  l'enregistrement  de  ces  oscillations  pluviométri- 
ques.  Xous  V  reviendrons  plus  loin.  Telles  certaines  constitutions  hu- 
maines, souffrant  d'une  minéralisation  excessive  ou  imparfaitement 
éliminée.  La  terre  du  désert  souffre  du  même  mal.  Quant  à  la  for- 
mation, l'extension  des  sabaha  ('),  des  dépôts  salins,  elles  en  four- 
nissent autant  de  manifestations  extérieures,  facilitant  le  diagnostic. 
Seule  la  présence  d'eaux  abondantes,  diluviennes  est  capable  de 
l'en  débarrasser.  Comme  cette  constatation  aide  à  comprendre  les  in- 
vocations des  poètes  arabes  à  la  jikiie  !  N'était-elle  pas  l'unique  re- 
mède au  mal,  dont  menaçait  de  mourir  leur  patrie  ? 

Dans  les  régions  des  tropiques,  souffrant  d'un  excès  de  sécheresse, 
où  les  chutes  météoriques  sont  incertaines  et  de  courte  durée,  cha- 
que diminution  de  pluie  amène  l'épuisement  de  l'humidité  souterraine, 
destinée  à  entretenir  la  vie  des  plantes.  Chaque  progrès  de  la  dénu- 
dation,  de  l'érosion,  de  l'évaporation  présage  de  nouvelles  jiertes 
pour  l'avenir.  La  flore,  déjà  durement  éprouvée,  lutte  dans  des  con- 
ditions de  jjlus  en  plus  défavorables.  .Sous  l'influence  des  ra\'ons 
solaires,  la  salinité  souterraine  monte  à  la  surface  ;  elle  arrête  la  res- 
piration haletante  des  plantes  assoiftees,  elle  achève  de  les  brûler, 
en  les  enveloppant  d'invisibles  cristallisations.  Et  pourtant  Dieu  sait 
de  quelle  force  de  résistance  dispose  la  végétation  en  ces  terres  dé- 
solées !  Pendant  des  années,  les  semences,  les  racines  réussissent  à 
lutter  contre  la  dessication  du  sol,  contre  l'embrasement  de  l'atmos- 
phère. Leur  développement  est  généralement  fort  rapide.  Les  vents 
en  dispersent  les  graines  sur  toute  la  surface  des  steppes  ("),  les  dé- 

(')  Marais  snlins  dans  \' Arabia  Pelraea,  III,  412  ;  dans  la  poésie  bédouine  mo- 
derne, emblèmes  de  la  stérilité  absolue;  ibid.,  III,  454.  Sabaha  «lieu  de  ponte  pour 
les  autruches  »  ;  Vâqoût,  E.  V,  184.  La  solitude,  la  plus  grande  chaleur  déterminaient 
sans  doute  le  choix  de  ces  oiseau.x. 

(■-)  Où  elles  forment  de  vastes  districts,  d-^.à.i.<  ^i.l  ;  Vâqoût,  E.  V,  236.  Terres 

couvertes  de  l_J..^-i.*  .  Parmi  les  plantes  fourragères  le  'osb  est  A-L-o  felLs^  It*  U  ,    par 

opposition  au  baql  =:  ^V»  àJ-^  \..  Uo  ;   Ibn    Halâwaih,  Sagar,  X,  8-9.  Voir  plus  haut. 

Lammess  —  Bercrmi  lo 


146  Le  Bédouin  et  la  flore 

posent  dans  les  anfractuosités  des  rochers.  Quand  la  période  sèche 
vient  à  se  prolonger,  les  racines  des  arbres  s'enfoncent  dans  le  sol, 
pour  y  atteindre  les  couches,  conservant  des  restes  d'humidité. 

Mais  cette  résistance  ne  demeure  pas  illimitée.  Les  fréquentes 
aridités  (')  tendent  à  la  diminuer,  à  augmenter  la  surface  des  plaines 

lépreuses,  à  les  changer  en  déserts  improductifs,  CJi  ^^^--rs.  '^  •  Les 
couches  de  sable  superficiel  gagnent  en  profondeur  (').  Quant  aux 
sels,  aux  éléments  minéraux,  n'étant  plus  décomposés,  plus  neutrali- 
sés par  l'action  de  la  pluie  et  des  plantes,  plus  entraînés  à  la  mer 
par  les  trombes  hivernales,  ils  viennent  former  à  la  surface  du  sol 
des  plaques  salines,  des  sabaha,  d'année  en  année  plus  étendues.  Au- 
tant de  domaines,  compromis  pour  le  règne  végétal  (')  et  où  les 
chances  de  reconcjuète,  de  revanche  deviennent  de  plus  en  plus  pro- 
blématiques. La  passive  ténacité,  le  sabr  fataliste  du  Bédouin  manque 
de  ressort  pour  arrêter  cette  désastreuse  évolution.  S'il  demeure  le 
i_|!.ùxx)l  J.-jii  ,  vanté  par  Doraid  ibn  as-Simma  (^),  l'homme  «  sobre 
de  récriminations,  de  plaintes  »,  au  sein  de  l'infortune,  il  ne  songe  pas 
à  réaliser  l'idéal,  formulé  par  Ta'abbata  Sarran  : 

<  Insensible  aux  coups  du  sort,  il  se  multiplie,  il  s'ingénie  à  dé- 
couvrir les  issues  pour  s'y  dérober  ». 

(^)     aJLlil^  ^PJI  ,j:J:^  ^yjl  ^      '^^-^^..  j^rtl),  J:.iJJI  J^ 

"Abdallah,  le  fils  du  calife  'Omar,  arrosait  les  arbres,  a\-ant  jadis 
prêté  leur  ombre  au  Prophète  (").  Le  nomade  ne  témoigne  pas  cette 
sollicitude  pour  la  végétation  de  son  pays  C).  C'est  bien  assez  d'exi- 
ger de  lui  de  respecter  le  himà  de  sa  propre  tribu.  En  cas  de  con- 
testation ou  de    poursuite   par  l'ennemi,  il  n'hésitera  pas  à  combler 


{')  Comme  Doughty,  Musil  en  cite  de  quatre  ans  ;  il  atteste  également  le  caractère 
régional  de  la  pluie  ;  /;;/  nord/.  Hegâz,  8. 

(2)  tîljLJil  i^^si^  àSÂ^  ;  Yâqoût,  E.  V,  129,  249.  Voir  plus  haut. 

(')  Voir  plus  haut,  pour  la  flore  spéciale  des  sabaha. 

(*)  Ag.,  IX,  5  ;  légères  variantes  dans  Gâhiz,  Bayân,   I,  217. 

(^)  A.  Tammâm,  Hamâsa,   E.  I,  47. 

{«)  Bakrî,  Mo'gam,   428. 

C)  Il  se  vante  plutôt  de  ne  pas  planter  ;  Ibn  Hisâm,  Sira,  862,  6  d.  1. 


Diminution  des  bocages  147 

les  puits  ou  à  les  empoisonner  (').  Mahomet  brûle  les  palmeraies  des 
Juifs  à  Médine,  à  Haibar,  et  coupe  les  vicrnobles  de  Tâif,  pour  ré- 
duire par  ces  imprévo\'antes  mesures  la  résistance  de  ses  adversai- 
res C)- 

Voilà  dans  toute  sa  réalité,  la  déplorable  condition  du  climat 
arabe.  Si  l'on  vise  cette  situation,  quand  on  parle  d'ensablement,  de 
dessèchement  progressifs,  nous  n'\'  contredirons  pas.  De  nos  jours 
l'Arabie  compte  moins  de  bonnes  terres,  moins  d'espaces  bocagers 
que  jadis.  Dans  l'ensemble,  opine  M.  Nôldeke,  elle  se  trouve  dans 
une  condition  moins  favorable  (ju'à  l'époque  des  Md'allaqàt  (^).  Il 
faudrait  nier  l'évidence  pour  ne  pas  se  rallier  à  ce  jugement.  Certai- 
nes oasis,  celle  de  Fadak  p.  ex.  ont  bel  et  bien  disparu.  Celles  de 
Wâdi'l  Qora,  jadis  si  florissantes,  ont  vu  considérablement  diminuer 
leur  surface  de  culture  (^).  Disparition  et  diminution  confirment  la  rè- 
gle, plusieurs  fois  énoncée  ici  :  un  rude  climat  tend  naturellement  à 
empirer. 


De  là  à  affirmer  un  changement  plus  considérable,  il  \'  a  loin.  .Si 
l'on  s'\-  est  décidé,  c'est  pour  avoir  limité  son  attention  à  un  seul 
côté  de  la  question.  Dans  la  discussion,  on  s'est  borné  à  envisager, 


(')  Sources  comblées,  eaux  importantes  disparues  dans  le  sol,  peu  avant  l'islam. 
A.  Tamrnâm,  Hamàsa,  E.  I,  18  ;  Bakrî,  op.  cit.,  780,  2  ;  comp.  644,  15.  Pendant  la 
campagne  de  la  Harra,  sous  Yazîd  I,  les  Médinois  empoisonnent  les  puits  entre  la 
Syrie  et  le  Higâz. 

(-)  NasâT,  Sonan,  E.  I,  101;  Aboû  Yoûsof,  ^rtrâi",  120;  I.  S.  Tabaq.,  II»,  114. 
Aboû  Bakr  donne  la  même  prescription  à  Hâlid  ibn  al-Walîd.  Ces  exemples  embar- 
rassent la  Tradition.  Auzâl  et  l'école  syrienne  répugnent  à  s'y  conformer  ;  NasâT, 
loc.  cit.;  Sâfi'î,  Kitàb  al-Omm,  IV,  173-174,  324.  Propriétés,  palmeraies  des  '.Mides 
détruites  par  les  'Abbâsides  ;  Yâqoût,  E.  V,   180. 

(3)  Cf.  Nôldeke,  Fimf  Mu'allaqàl,   I,  p.  7. 

(*)  Même  conclusion  pour  TaboiJk,  où  Sarg  dans  le  «  wadi  Taboûk  »  a  disparu  ; 
Yâqoût,  E.  V,  70.  Cette  AJ  jl ,  mentionnée  par  le  hadït,  demeure  introuvable  pour  les 
géographes.  Bakrî,  op.  cit.,  ITi  la  cherche  en  Syrie. 


148  Rôle  (Je  hi  pluviométrie 

à  supputer  les  eftets  séculaires  de  l'érosion  et  de  l'évaitoration.  L'in- 
tervention de  ces  agents  atmosphéri(iues  est  éternelle  comme  le 
soleil  et  les  vents,  (|ui  continuent  à  désoler  les  solitudes  de  l'Arabie. 
Nous  ne  pensons  pas  en  avoir  atténué  les  effets.  Plus  logique  que 
l'école  de  Winckler,  nous  en  sommes  à  nous  demander  comment  leurs 
atta(}ues  n'ont  pas  abouti,  à  la  destruction  totale  de  l'-Arabie  ;  |)ouniuoi 
après  la  ruine  de  l'oasis  de  l'^adak,  des  palmeraies  de  Wâdi'l  Qora  ('). 
ils  ont  laissé  subsister  un  seul  des  pacages,  continuant  à  nourrir  par 
centaines  de  mille  les  chameaux  de  la  Péninsule .'' 

Par  bonheur  dans  le  climat  d'une  région  il  n'y  a  i)as  uniquement 
à  considérer  l'ingérence  de  ces  forces  brutales.  Le  soleil  et  les  vents 
ne  sont  pas  exclusivement  des  agents  de  dissolution.  Ils  tra\'aillent 
d'autre  part  à  la  reconstitution  de  leur  empire.  Sans  (}uoi  leur  action 
ne  trouverait  bientôt  plus  qu'à  s'exercer  sur  le  néant.  Aussi  bien  leurs 
efforts  combinés  aboutissent-ils  à  la  formation  de  la  pluie,  à  la  resti- 
tution de  cette  même  humidité,  précédemment  soustraite,  volatilisée 
par  leur  intervention.  L'eau,  puisée  par  le  soleil  dans  les  inépuisables 
bassins  maritimes,  baignant  les  côtes  d'Arabie,  les  vents  sont  chargés 
pour  ainsi  dire  de  l'amener  à  pied  d'œuvre  et  d'en  opérer  la  répar- 
tition sur  le  continent,  sur  les  oasis  et  les  steppes  épuisées.  Réparti- 
tion trop  souvent  aléatoire  ('),  inégale,  nous  en  convenons.  Les  ora- 
ges à  sec  comptent  parmi  les  paradoxes  géographiques  du  Higâz. 
Pendant  des  années  l'atmosphère  embrasée,  l'énorme  température 
du  sol,  chauffé  k  blanc,  contribueront  à  vaporiser  l'humidité,  charriée 
par  les  nuages  |«j«>>U^  j^yi  U^l  (^).  Mais  on  connaît  aussi  des  hivers, 
oij  l'accord  de  la  température  et  des  vents  tourne  au  profit  des  plaines 
brûlées.  Cette  situation  a  été  décrite  plus  haut. 

Si  l'érosion,  la  dénudation,  l'évaporation  interviennent,  comme 
agents  de  dissolution,  de  désorganisation,  la  pluviométrie  se  comporte 
en  qualité  de  reconstituant.  Elle  combat,  elle  neutralise  les  désastreux 

(')  Des  nombreuses  isKU.  àJ  S  (voir  plus  bas),  subsistant  encore  au  début  du 
3»  siècle  H. 

(^)  La  pluie  arrive  trop  tard,   les  troupeaux  ont  péri;   Ag.,   XI,   153,   10.  C'est  la  ^ 
plainte  ordinaire  des  Bédouins  auprès  des  gouverneurs  ;  cf.  Hansâ',  Divan,   100. 

(5)  Comp.  ^^l=\.*^l  |3^  •  ''■*  ""^®  ^  ^'^  avare  ;  Hansâ',  Divan,  99,  3  d.  1. 


Elle  diminue  la  salinité  149 

effets  de  la  volatilisation  de  l'humidité  céleste  ;  elle  parvient  a\ec  des 
alternatives,  plus  ou  moins  prolongées,  de  succès  et  d'échecs,  à  ré 
tablir  un  équilibre  temporaire  entre   ces  forces   ennemies,   entre  les 
deux   principes  dont   la   lutte   donne   à   la   Péninsule   son   apijarence 
saharienne. 

Nulle  part  le  rôle  bienfaisant  de  la  pluie  n'apparaît  comme  en 
Arabie.  A  elle  de  libérer  l'immense  superficie  des  scories,  des  impu- 
retés, véritable  lèpre  terrestre,  accumulées  pendant  les  périodes  ari- 
des. Elle  débarrasse  les  plantes,  les  arbres  de  leurs  poussières,  de 
leurs  gaines  salines.  Pendant  les  longs  mois  d'été,  la  flore  était  de- 
meurée soumise  au  régiine  des  eaux  minérales.  L'hiver  y  substitue 
celui  des  <  eaux  du  ciel,  sU-^JI  ^^  >.  reconstituant  de  leurs  tissus. 
En  amollissant  le  sol,  en  le  saturant  d  eau,  les  pluies  permettent  aux 
plantes  de  respirer  :  elles  vont  les  ranimer  jusque  dans  les  entrailles 
de  la  terre  et  y  reformer  leur  provision  d'humidité.  Les  plus  tenaces 
représentants  du  règne  végétal  vivront  sur  cette  réserve,  jusqu'à  la 
prochaine  période  hivernale.  Ils  utiliseront  ce  répit  pour  reconquérir 
une  partie  des  positions  perdues.  Cette  revanche  s'opère  dans  un 
laps  de  temps,  relativement  restreint  ('),  grâce  à  la  robustesse  des 
plantes  désertiques.  Il  suffit  de  l'intervention  de  l'industrie  humaine 
pour  lui  donner  la  plus  salutaire  extension  (').  Ainsi  le  prouve 
l'histoire  des  oasis  et  des  centres  de  culture  au  Higâz,  partout  enfin, 
où  l'homme  s'ingénie  à  seconder  les  ressources  latentes  du  sol  et  du 
climat  arabes.  Mais  la  mission  principale  de  la  pluie  —  et  sur  ce  point 
l'on  ne  saurait  trop  insister  —  semble  bien  de  débarrasser  le  désert 
de  son  excès  de  salinité  (^),  de  laver  à  grandes  eaux  la  surface  des 
sabaha  (^),  les  lits  des  gadlr  desséchés  et  recouverts  d'efflorescences 
minérales.  La  violence  des  pluies,  des  trombes  hivernales  donne  au 


(')  Voir  plus  haut. 

{^)  Celle-ci  va  de  pair  avec  les  progrès  de  la  prospérité  politique. 

(■')  Dans  un  même  district,  succession  de  puits  saumâtres  et  d'autres  à  eau  po- 
table ;   Vâqoût,   E.  V,   129. 

(^)  Au  pi.  jiL*-»)  ;  il  désigne  fréquemment  des  marais  salins,  comme  dans  la  ré- 
gion de  Basra  ;  cf.  Naqffid  Gartr,  367,  13  ;  Tàg  al-'Aroûs  s.  v.  syw  ;  Balâdori,  Fo- 
toTih,  356,   11. 


150  Rétablissement  de  l'équilibre 

phénomène  sa  véritable  efficacité,  celle  de  purifier  la  steppe,  de  res- 
tituer au  gouffre  de  la  mer  (')  les  parcelles  solides,  isolées  par  la 
chaleur  solaire. 

Mieux  réparties  d'après  les  saisons,  mais  moins  abondantes,  les 
pluies,  en  reproduisant  le  régime  de  nos  climats,  réussiraient  avec  moins 
d'efficacité  à  atteindre  —  nous  le  craignons  du  moins  —  ce  résultat 
indispensable.  Il  ne  faut  pas  se  lasser  de  le  répéter  :  le  grand  ennemi 
de  la  vie  végétale  en  Arabie,  c'est  la  surabondante  minéralisation, 
aboutissant  à  la  complète  stérilisation  du  sol. 

Ainsi  s'opère  périodiquement  la  désinfection,  le  netto}'age  à  fond 
de  la  solitude  arabi(]ue,  le  renouvellement  de  bail  pour  les  espèces, 
représentant  les  règnes  végétal  et  animal.  C'est  le  rétablissement  de 
l'équilibre  instable  des  forces  naturelles,  la  restauration  du  plan  pro- 
videntiel, présidant  au  jeu  désordonné  de  ces  éléments  contraires  et 
les  amenant  aux  vues  supérieures  du  Créateur,  jusque  dans  les  ré- 
gions les  plus  déshéritées  de  notre  globe.  L'histoire  climatologique 
du  Higâz  enregistre  les  phases  de  cette  lutte,  de  cette  opposition, 
jamais  interrompues.  Certes  il  arrive  c]ue  la  victoire  demeure  au  plus 
fort,  c'est  à  dire  au  soleil  et  à  la  chaleur.  Mais  cette  victoire  compte 
toujours  un  lendemain  ;  elle  finit  par  amener  une  réaction  bienfaisante, 
une  trêve  temporaire.  Elles  sont  utilisées  par  la  nature  pour  reprendre 
des  forces,  s'assurer  des  auxiliaires  en  vue  d'une  reprise  certaine  des 
hostilités.  Ce  répit  marque,  sinon  un  recul,  du  moins  un  arrêt,  dans 
les  progrès  de  la  dénudation.  Au  fond  d'un  terrain  plus  meuble,  des 
qà'^  ("),  d'une  vallée  mieux  abritée,  à  couvert  de  la  mince  couche  sa- 
blonneuse des  dàràt  (*),  sous  la  protection  des  longues  dalles  basal- 
tiques des  harra,  les  semences  engourdies  depuis  des  années,  les 
arbustes  aux  branches  noircies,  mais  à  la  racine,  plongeant  dans  une 
dernière  couche  humide,  réaffirment  leur  volonté  de  vivre.  Alternatives 


(M  Ainsi  l'inondation  aurait  jeté  à  la  mer  les  cadavres  des  Abyssins,  envahis- 
seurs du  haram  de  la  Mecque;  I.  S.  Tabaq.,  I',  56.  Elle  entraîne  les  arbres  à  d'é- 
normes distances;  G.âhiz,  Mahâsin,  248;  emporte  des  tribus  entières  ;  Vâqoùt,  VI,  274. 

(^)  Conservant  mieux  l'humidité.  Comp.  Hansâ',  Divan.  66,  1  v.  ;  Yâqoiit,  E. 
V,  382. 

(')  Voir  plus  haut. 


Persistance  du  climat  151 

de  défaites  et  aussi  de  victoires.  Les  partisans  de  Winckler  l'oublient 
trop  facilement.  Si  l'œuvre  de  décomposition  n'avait  jamais  subi  d'ar- 
rêt, nous  aurions  à  enregistrer  non  la  modification  du  climat,  mais  la 
disparition  de  toute  vie  en  Arabie. 


C'est  une  méthode  sommaire  d'affirmer  pour  la  Péninsule,  depuis 
la  fin  de  la  période  glaciaire,  la  progression  graduelle  du  dessèclie- 
ment.  La  vue  de  la  désolation  actuelle  nous  induit  trop  facilement  à 
en  admettre  sans  discussion  la  réalité.  Par  son  apparente  simplicité, 
la  théorie  achève  d'enlever  les  suftVages  ;  elle  amène  à  fermer  les 
veux  sur  l'absence  de  chiffres,  sur  la  faiblesse  des  rapi<rochements, 
sur  le  mirage  des  analogies.  Nous  nous  trouverions  d'ailleurs  fort 
embarrassé  pour  aligner  des  chiffres  (')  en  sens  contraire. 

De  l'histoire  primitive  de  l'Arabie  nous  possédons  seulement  des 
fragments,  des  épisodes  anecdotiques,  des  allusions  d'une  regrettable 
discrétion.  Plus  abondantes  les  descriptions  des  poètes  ('-)  manquent 
de  précision  et  valent  seulement  pour  le  siècle  antérieur  à  l'hégire. 
Pourtant,  il  faut  bien  en  convenir,  cette  double  source  de  renseigne- 
ments ne  se  prononce  pas  en  faveur  d'un  changement  radical.  Aussi 
haut  i^u'il  nous  est  donné  de  remonter  les  annales  préislami(iues,  nous 
nous  heurtons  à  la  succession  des  mêmes  phénomènes  météorologiques, 
à  la  constance  des  lois  physiques,  réglant  les  saisons  arabes.  Entre 
la  période  ancienne  et  la  période  contemporaine,  on  constate,  non  une 
lacune,  mais  la  continuation.  Nous  retrouvons  partout  les  traces  de 

(')  Nous  n'attribuons  aucune  valeur  absolue  à  ceux  donnés  plus  haut  sur  la  force 
numérique  des  tribus.  A  notre  avis,  la  population  n'était  pas  en  diminution  aux  en- 
virons de  l'hégire.  Impossible  de  se  montrer  plus  affirmatif  ;  mais  la  constatation  suffit! 

(-)  Je  n'y  ai  jamais  rencontré  une  allusion  au  changement  de  climat. 

La  sécheresse,  stérilité,  signalées  par  Doù'l  Osbo',  So'arà',  639,  3  d.  v.  (Cheikho) 
le  poète  les  présente  comme  la  suite  des  guerres,  de  la  diminution  des  siens.  (Comp. 
ibid,,  625,  635,  639).   Elles  sont  une  conséquence,  non  une  cause. 


152  Alternatives  de  sécheresses  et  d'inondations 

la  lutte  de  l'homme  contre  l'excès  de  sécheresse,  de  ses  efforts  pour 
en  atténuer  les  effets,  en  construisant  des  citernes,  des  réservoirs,  en 
perçant  des  puits  ('),  en  élevant  des  barrages.  Les  époques  d'humi- 
dité et  de  sécheresse  coïncident  avec  les  dates,  observées  de  nos  jours, 
avec  celles  notées  dans  les  écrivains,  postérieurs  à  l'hégire.  Les  rares 
indications  fournies  par  les  documents  assyriens,  par  les  auteurs  clas- 
siques et  orientaux,  tous  s'applicjuent  merveilleusement  à  l'Arabie 
contemporaine. 

Le  gigantesque  pluviomètre,  formé  par  le  réseau  du  Wâdi  îdam 
et  des  monts,  voisins  de  Médine,  continue  à  fonctionner  sous  nos  yeux, 
comme  à  l'époque  de  Mahomet.  Chaque  quart  de  siècle  au  moins  (*), 
la  Mecque  compte  une  inondation  (^).  Aussi  bien  l'énorme  cuve  de 
l'Erythrée  ne  cesse  de  fumer  sous  l'action  du  soleil.  Pour  condenser 
ces  vapeurs,  pour  les  précipiter  sur  la  surface  du  Higâz,  il  suffit  d'une 
heureuse  disposition  de  l'anémométrie.  Si  l'on  connaît,  comme  à  l'é- 
poque de  l'hégire,  des  sécheresses  de  quatre  ans  (*),  on  constate  éga- 
lement, comme  alors,  des  pluies  diluviennes,  durant  15  jours  {').  Au 
début  de  Janvier  1913  plusieurs  centaines  de  pèlerins  de  la  Mecque 
ont  trouvé  la  mort  dans  une  inondation  C').  Pendant  les  hivers  plu- 
vieux le  Bothân  (actuellement  appelé  ï>y^  ^1)  et  le  Aqïq  se  remplis- 
sent d'eau  et  coulent  à  pleins  bords.  Cet  événement  donne  à  Medine 
le  signal  d'une  fête  publique.  On  n'agissait  pas  autrement  à  l'époque 
des  Omay\-ades  quand  se  répandait  la  nouvelle  :  «  le  'Aqïq  déborde, 
,3;jLaJI  J'cJjvâ»  (").  Je  dois  ces  renseignements  à  l'obligeance  d'un  in- 
génieur musulman,  attaché  à  la  construction  du  chemin  de  fer  de  la 
Mecque. 

(')  Les  tribus  se  vantent  d'avoir  creusé  des  puits;  Vâqoiât,  E.  V,  142,  143;  Ba- 
lâdorî,  Fotoûh,   48-rt5.   Bakrî,  op-  cit.,   766. 

(-)  Tous  les  dix  ans,  d'après  Azraqî,  (WUst.)  28,  10. 

(3)  Snouck  Hurgronje,  Mt-kka,   I,   18-20;  J.  V.yM,  JRAS,   1912,  p.   148. 

(*)  Ag..  XI,  81. 

(5)  Ag.,  XI,  80. 

{^)  Même  phénomène,  arrivé  deux  ans  plus  tôt  ;  voir  plus  haut.  En  Janvier  1910, 
l'inondation  a  atteint  la  «pierre  noire»  à  la  Mecque;  J.  V.\a.\\,  JRAS,   1912.  p.   148. 

C)  Comp.  Musil,  Arabia  Petraea,  III,  26U  d.  1.  On  comprend  qu'on  l'ait  fait 
appeler  par  Mahomet  «  vallée  bénie,  il  ,U_c  ^>\<^  »  ;  Yâqoût,  E.  \'I,   199. 


La  situation  à  Médine  153 

Dans  la  vallée  du  'Aqicj  il  a  retrouve  nombre  de  barrages  et  de 
réservoirs,  actuellement  détruits.  Cette  observation  est  à  retenir.  «  On 
a  laissé  tomber  en  ruines,  affirme  mon  informateur,  tous  les  travaux 
d'art  des  anciens.  A  Médine  l'industrie  et  l'agriculture  se  réduisent. 
pour  ainsi  dire,  à  néant.  Les  habitants  vivent  d'aumônes  et  de  secours 
et  aussi  d'extorsions,  aux  dépens  des  pèlerins  »  (').  Sans  s'en  douter, 
mon  s\-mpathique  correspondant  soulève  ici  le  problème  du  change- 
ment climatologique.  Pourtant  l'idée  ne  lui  vient  pas  de  mettre  le  ciel 
en  cause,  mais  bien  plutôt  l'apathie  de  la  population.  11  aurait  pu 
ajouter  l'incurie  et  la  mauvaise  administration  du  régime  ottoman. 
Mais  fonctionnaire  et  musulman,  il  a  évité  d'insister  sur  ce  doulou- 
reux tableau. 


(■)  J'adoucis  le  texte  original:  j-^^il  Jl»xil  i_-vLw  ;  lettre  du  9  de  Dîl  Qa'da, 
1324  H.  -Même  situation  au  temps  d'Ibn  Gobair,  Travels-,  73.  «  Plus  de  religion,  dé- 
clare-t-il,  au  Higâz  ;  c'est  là  que  le  sultan  .Saladin,  Salâh  ad-dïn,  devrait  porter  le 
gihâd  »  ;  ibid.,   78. 


Activité  agricole  des  Juifs  en  Arabie.  Conséquences  désastreuses 
des  expulsions,  décrétées  par  Mahomet.  Vitalité  de  la  race 
arabe  au  7*  siècle 


Il  en  allait  tout  autrement  dans  les  milieux  juifs  du  Higâz.  On  a 
pu  en  faire  la  remarque  :  toutes  les  oasis  de  cette  province,  depuis 
Gohfa  au  midi  juscjue  à  Wâdi'l  Oorâ  ('),  se  trouvaient  en  la  possession 
de  cette  race  industrieuse.  A  en  juger  d'après  la  terminologie  agro- 
nomique, ils  }■  ont  probablement  remplacé  des  populations  de  langue 
araméenne  (").  Sans  négliger  le  commerce,  les  Juifs  arabes  tenaient 
en  mains  les  finances,  les  arts  mécani(]ues,  l'orfèvrerie  (^),  la  fabrica- 
tion des  armes  et  des  instruments  agricoles.  Cette  activité  variée  ne 
les  empêchait  pas  de  consacrer  leur  attention  à  la  culture  du  sol,  à 
l'aménagement  de  leurs  domaines.  Vers  la  mort  du  Prophète,  Wâdi'l 
Qorâ  présentait  sur  une  longueur  d'une  centaine  de  kilomètres  une 
succession  presque  ininterrompue  de  hameaux,  de  palmeraies,  là  où 
de  nos  jours  on  rencontre  seulement  le  maquis  et  la  brousse  (^).  Am- 


(')  Où  ils  se  sont  installés  de  bonne  heure  ;   Bakri,  Mo'gam,   42,  d.  1, 

(-)  Cf.  Fraenkel,  Aram.  Fremdw.,  125  sqq.  ;  Wellhausen,  Reste-,  230  sqq.  ; 
Winckler,  Mitl.  vorderas.   Gesells.,   1901,  71. 

(■')  Comme  à  Fadak  ;  Ag.,  IX,  176,  7.  Cf.  Leszynsky,  Die  Juden  in  Arabien, 
16  sqq.  Haibar  produisait  le  ijUn-o  ,  la  plus  fine  variété  de  dattes  connue  ;  Yâqoût, 
E,  VI,  181,  7  d.  1.  Ils  ont  contribué,  je  le  soupçonne,  à  améliorer  en  Arabie  la  cul- 
ture du  palmier.  Cf.  Guidi,  Sede  primitiva,   583. 

(^)  Cf.  Musil,  Im  nûrd.  Hegâz,  cité  plus  haut.  Le  mot  <^^a^  ,  domaine,  chez 
les  sédentaires,  signifiait  encore  pâturage  chez  les  nomades  ;  Nôldeke,  Neue  Beitr.  z. 
sentit.  Sprachwiss.,  59. 


Mahomet  et  les  Juifs  155 

mien  Marcellin  (XIV\  3.  4)  dit  des  Arabes  de  son  temps  :  «  Nec  quis- 
quam  stivam  apprehendit  vel  arborem  colit,  sed  errant  semper  per 
spatia  ».  Les  colons  juifs  professaient  des  principes  bien  différents. 
Bakri  va  nous  l'apprendre  :  *  Installés  à  Wâdi'I  Oorâ,  ils  s'empres- 
sèrent de  restaurer  les  anciens  puits,  de  les  netto\'er,  de  donner 
de  l'écoulement  aux  sources,  de  plan-ter  des  dattiers  et  des  vergers. 

.\ous  avons  obser\'^é  le  même  phénomène  à  Médine.  A  l'arrivée 
de  Mahomet,  les  meilleurs  puits,  les  .sources  les  plus  abondantes  ap- 
partenaient aux  Juifs.  Longtemps  les  musulmans  se  virent  dans  l'hu- 
miliante nécessité  de  leur  acheter  l'eau  potable.  Les  puits  des  Arabes 
mal  entretenus,  insuffisamment  protégés  devenaient  trop  souvent  des 
centres  de  maladies  infectieuses  (^).  Les  premiers  Compagnons  et  le 
Prophète  lui-même  en  firent  la  douloureuse  expérience;  ils  pa3'èrent 
leur  tribut  à  la  fièvre  de  Médine  i^.>>Al  J^-  .  Cette  malaria  paraît 
avoir  de  préférence  atteint  les  émigrés  mecquois,  à  l'exclusion  des 
Juifs  indigènes  (').  Il  semble  tout  indiqué  de  la  mettre  sur  le  compte 
des  eaux  insalubres  (^). 

Le  tempérament  passionné  du  Prophète  lui  inspira  des  mesures 
déplorables.  De  ce  nombre  fut  l'expulsion  des  Juifs,  ces  cultivateurs 
intelligents.  Mahomet  doit  en  porter  toute  la  responsabilité  (°).  Leur 
présence  au  Higâz,  l'exemple  de  leur  activité  profitèrent  grandement 
au  développement  agricole  de  cette  province.  Lorsque  le  père  du 
chef  solaimite  'Abbâs  ibn  Mirdâs  voulut  défricher  la  brousse  d'Al' 
Qoray\a  (").  cette  tentative  a  jhi  être  inspirée  par  le  spectacle  de  la 

(')  Bakri,  Mo'gam,  30.  Sur  les  nombreux  puits  anciens  de  Madâ'in  Sâlih,  voir 
Auler  Pascha,  Die  Hedschashahn,   40. 

{-)  Voir  plus  haut  p.  42.  En  changeant  de  dâr,  des  clans  d'Ansar  périssent  eux  et 
leurs  troupeaux  ;  Qotaiba,  'Oyoûn,   185,  7  sqq.  Je  soupronne  ici  l'action  des  eaux. 

(»)  Cf.  Fâtinta,   54. 

(*)  Mahomet  se  fait  apporter  de  loin  des  eaux  potables,  ÂjSa  ;  Yâqoût,  E.  \', 
94,  bas. 

{'■")  Il  a  pu  céder  également  aux  obsessions  des  Mohâgir  et  des  Ansârs,  créanciers 
des  Juifs  et  convoitant  leurs  riches  domaines. 

C^)  Cf.  Ag.,  XX,  135-36.  Hansâ',  Divan,  77,  5,  mentionne  'À^^^\  .  Voir  surtout 
Bakri,  Mo'gam,  735  ;  et  ici  même  p.  31. 


1Ô6  Leur  expulsion 

pros|)érité  juive.  Car  la  famille  de  'Abbâs  se  trouvait  liée  d'amitié 
avec  les  Juifs  du  Hi^râz.  Pour  le  Prophète,  les  dix  années  de  son  ré- 
gime à  Médine  se  résument  dans  la  lutte  contre  Israël.  Afin  de  pré- 
parer l'oiinion,  il  commença  contre  eux  une  canipa.i:ne  de  presse,  ni 
plus  ni  moins  déloyale  que  les  manœuvres  de  ce  genre.  Elle  lui  parut 
indispensable  à  cause  des  nombreux  intérêts,  rattachant  ses  disciples 
ansâriens  à  leurs  compatriotes  juifs:  alliances  de  religion,  de  famille, 
de  clientèle,  questions  d'argent.  La  plupart  des  Médinois  se  trouvaient 
être  leurs  débiteurs.  Dans  d'interminables  sourates  —  elles  comp- 
tent parmi  les  plus  prolixes  (')  du  Ooran  -  Mahomet  ne  cessa  d'ac- 
cabler les  Juifs  (°),  de  les  dénoncer  comme  les  ennemis  de  la  nationa- 
lité arabe,  des  traîtres,  des  conspirateurs.  Lorsqu'il  jugea  les  esprits 
suffisamment  préparés,  lorsque,  par  ime  suite  de  lâches  assassinats,  il 
pensa  avoir  jeté  la  terreur  parmi  ses  adversaires,  il  les  somma  de 
quitter  le  pa\s,  de  lui  abandonner  leurs  riches  domaines.  Repoussé 
avec  hauteur,  il  leur  déclara  la  guerre  ;  lutte  où,  il  faut  le  proclamer, 
la  loj-auté  du  Prophète  fit  lamentablement  naufrage  Elle  se  termina 
par  l'expulsion  et  aussi  par  le  massacre  de  centaines  de  prisonniers 
Israélites. 

"Omar  poussa  justju'à  ses  conséquences  extrêmes  la  malheureuse 
politique,  inaugurée  par  Mahomet.  Ce  dernier  les  avait  laissés  dans 
les  autres  oasis  du  Higâz,  non  par  tolérance,  mais  ne  sachant  com- 
ment remplacer  ces  intelligents  cultivateurs.  La  malaria  de  H^ibar, 
encore  plus  redoutable  que  celle  de  Médine,  terrassait  les  plus  ro- 
bustes de  ses  Compagnons.  Contre  ses  atteintes  les  Juifs  se  seraient 
immunisés  en  absorbant  quantité  d'ail  (^).  Or  l'odorat  délicat  de  Maho- 
met n'en  pouvait  supporter  la  senteur  caractéristi(iue  {*).  'Omar  les 
expulsa  brutalement,  se  couvrant  derrière  un  testament  apocryphe 
du  Maître.  .Si  les  funestes  effets  de  la  mesure  ne  se  firent  pas  sentir 
immédiatement,  on  le  doit  à    l'importation  de  milliers    d'esclaves,  de 


(*)  Et  aussi  les  moins  franches. 

{-)  Cf.   Hirschfeld,  Researches,   chap.  X,  Political  speeches,   p.    111   sqq. 
(^)  Cf.  Mo'âwia,  index  s.  v.  ail. 

(•■)  Un  autre  préservatif  c'était  de  braire    comme    un   ,îne  ;    Yaqoût,  E.  IV,  309. 
Sur  l'ail,  comme  remède  contre  le  mauvais  œil,  cf.  Echos  d'Orient,   XV,  387-388. 


Mo'awia  et  l'agriculture  arabe  157 

captifs  au  Higaz,  pendant  la  période  des  conquêtes  arabes  (').  On 
le  doit  principalement  à  la  sage  politique  des  Oma}-3ades  (■),  très  at- 
tentifs à  relever  l'agriculture  dans  leur  pays  d'origine.  En  ce  sens, 
Mo'âwia  paraît  avoir  pris  au  sérieux  le  titre  de  sa\-\-d  de  Modar,  ré- 
clamé par  lui  (^).  Sur  un  de  ses  domaines  en  Arabie,  ce  monaniue  entre- 
tenait jusqu'à  4,000  esclaves  (*).  Un  chiffre  suggestif!  Non  moins  instruc- 
tif semble  le  renseignement  affirmant  (jue  les  domaines  les  plus  esti- 
més par  les  Omay3'ades  se  trou\'aient  enArabie  aI^I  ,^  f^-y^  ^Uri.  ('). 
Leurs  agents  en  ce  pays  sont  chargés  de  les  informer  et  de  leur  si- 
gnaler les  meilleures  acquisitions.  [)our  y  arrondir  leurs  possessions 
domaniales.  Le  souverain  s'empresse  d'ailleurs  de  les  entretenir,  de 
les  améliorer  sans  cesse,  en  y  e.xécutant  des  travaux  considérables. 
Vers  ce  temps-là  l'Arabie  paraît  avoir  possédé  en  abondance  le  fro- 
ment et  les  dattes.  C'était  le  cadeau  ordinaire  aux  poètes  faméliques. 
*  Qu'on  charge  leurs  chameaux  de  blé  et  de  dattes,  disent  les  Mé- 
cènes,    l^«  !_;-?  à^XsJ^j  "^ifi^      '    O- 

Voilà  où  en  était  le  Higâz  au.x  7"  et  8"  siècles,  contemporains  de 
la  grande  expansion  au  dehors  de  la  race  bédouine.  Ni  le  pays  ni 
le  peuple  ne  semblent  en  train  de  mourir.  C'est  bien  plutôt  l'époque, 
où  tous  deux  fournissent  les  preuves  de  leur  plus  grande  vitalité  C). 


(')  I.  s.  rabaç.,  IP,   83,    1,  J:.^V1  J^  J^  U^^ ^  JC^I  c^S^J.!  ^^,  <i  "j-^- 

(-)  Comp.  Mo'àwia,   239  sqq. 

(3)  Ag..   XII,  30,  5. 

(■*)  Balâdorî,  (.«MiUv.),  126-127.  Sous  'Omar  un  ."XTabe  possède  jusqu'à  «  4000  fa- 
milles d'esclaves  »  ;  Nagd^id  Garîr,  46,  9.  «  Aucune  nation  ne  comptera  autant  d'es- 
claves que  la  mienne»  (Mahomet);   Nas,!"!,  Sonan,   E.   II,  207,  2. 

O  Ag.,  XI,  152,  2  d.  Mo'àwia  se  fait  rensei.icner  sur  la  valeur  des  propriétés  au 
Higâz  ;  Bakrî,  Mo'gam.  726,  5.  Palmeraies  de  Mo'awia  près  de  la  .Mecque  ;  Yâqoût, 
E.  V,  371,  6  d.  1. 

C)  Ag.,  XI,  83.  L'idéal  c'est  de  posséder  en  été  abondance  de  dattes  et  de  lait  ; 
Hotai'a,  Divan,  V,  v.   10. 

C)  Winckler  signale  les  «  grands  excédents  »  de  la  population  ;  Mitt.  vorder- 
asiat.  Geselh.,  1901,  72. 


158  Les  gouverneurs  omayyades 

Nous  \o\ons  en  même  temps  comment  l'Arabie  récompense  les  soins 
qu'on  lui  consacre.  Une  jjalmeraie  d'Ibn  Zobair,  sise  au  Higâz,  suffit 
pour  alimenter  de  dattes  les  troupes,  chargées  de  défendre  la  Mec- 
que contre  l'armée  de  Yazid  V.  Ces  soins  demandent,  pour  demeu- 
rer efficaces,  à  être  accompagnés  d'une  vigoureuse  action  politique  ('). 
Ainsi  avait  agi  Ziad  ibn  Al)ihi  dans  sa  turbulente  vice-royauté  de 
l'Iraq  (-).  Il  tira  le  glaive  du  fourreau  au  profit  de  l'autorité  (').  Les 
gouverneurs  omayyades  du  Higâz  prirent  soin  de  l'imiter  {*). 

Sans  posséder  toujours  son  énergie  ni  ses  talents  d'administra- 
teur, qu'ils  s'appelassent  Marwân,  Sa'id  ibn  al-'Asi,  'Amrou'l  Asdaq, 
tous  ces  membres  de  la  famille  régnante  se  préoccupèrent  sé- 
rieusement de  pacifier  les  Arabes,  d'établir  un  commencement  d'or- 
dre au  désert  {').  Un  chiffre  nous  permettra  de  deviner  l'étendue 
des  ruines,  accumulées  par  l'incurable  indiscipline  des  nomades.  Il 
démontre,  à  notre  avis,  la  faillite  retentissante  du  s\-stème  patriarcal, 
l'anachronisme,  perpétué  par  les  mœurs  de  la  gàhily^a  au  sein  du 
nouvel  empire.  Le  trait  nous  paraît  d'ailleurs  légendaire;  nous  le 
donnons  seulement  comme  indication.  Le  calife  'Omar  reçut  un  jour 
la  visite  d'un  chef  du  Yémen,  propriétaire  de  4,000  familles  d'escla- 
ves, tous  Arabes,  faits  prisonniers  (")  à  l'époque  préislamite,   i«u^,l  <0 

iJLaU.1    (3   ^j^\    dUJU-i   iw_>j^l   0-5     Crj   «-^^-^^   J^*    ^'^'    C)  • 

Ainsi  donc  la  vie  pastorale  offrait  un  aliment  insuffisant  à  l'acti- 
vité désordonnée  des  Bédouins.  La  période  hivernale  du  raôi'  formait 
une  diversion  trop  courte  (*)  hélas  1  pour  absorber  utilement  Texubé- 


{')  Cf.  Winckler,  o/>.  cit.,  39. 

(2)  Cf.  Nagâ'id  Gartr.  608,  5  :  Aj  ^_^''^  liJi  JU  1>1  >l?.j  J^  . 

(8)  Cf.  notre  Ziâd  ibn  Abî/ii,  passim  «  Le  lion  est  moins  redoutable  que  Ziâd  »; 
Nagâ'id  Gartr,  617,  20.  Sous  son  gouvernement  les  troupeaux  au  désert  peuvent  re- 
ster sans  gardiens;  Qotaiba,  'Oyoûn,  25,    18. 

{*)  Ils  envoyent  leur  gendarmerie  AJ.j^JiÇ  rétablir  l'ordre  dans  les  tribus;  Qotaiba, 
'Oyoûn,    164,  8  sqq. 

(^)  Aboû  Tammâm,  Haiiiâsa,  E.  \,  29.  Marwân  ibn  al-Hakam  accorde  des  con- 
cessions dans  le  'Aqîq  ;  Yâqoût,  E,  V,  436. 

(*)  Il  ne  s'agissait  donc  pas  de  serfs  de  la  glèbe. 

C)  Naqaid  Gartr,  46,  9-10. 
(')  Voir  plus  haut,  chap.  V. 


L'obsession  de  la  razzia  159 

rance  de  cette  race  vigoureuse.  Pendant  le  long  été  de  l'Arabie,  des 
milliers  de  bras  demeuraient  inoccupés  au  sein  des  tribus,  éloignées 
des  centres  commerciaux,  vivant  loin  de  la  frontière  syrienne,  où  le 
trafic  et  le  transit  des  marchandises  réclamaient  les  meilleures  éner- 
gies (').  Et  voilà  comment  le  brigandage  de  la  razzia  avait  été  élevé 
à  la  hauteur  d'une  institution  nationale  (").  Aux  losous  on  reprochait, 
non  de  s'}-  livrer,  mais  de  la  pratiquer  sans  l'assentiment,  sans  la 
participation  de  la  tribu. 

A  cette  situation  tendue  s'ajoutaient  les  années  d'aridité.  Alors 
le  besoin  venait  stimuler  par  ses  perfides  suggestions  la  cupidité 
innée  du  Bédouin.  Les  célèbres  jouniées  des  Arabes,  (_)y<Jl  »IjI  (^), 
sont  là  pour  l'attester.  Aucun  lendemain  ne  pouvait  garantir  la  pos- 
session des  biens,  péniblement  gardés.  Un  coup  de  main,  habilement 
conduit,  suffisait  pour  ruiner  toutes  ces  espérances  (^).  Ce  ne  sont  pas 
seulement  les  tribus  pauvres,  mais  les  plus  florissantes  confédérations 
nomades,  les  riches  et  puissants  groupes  de  Gatafàn,  de  Ta>'y,  de 
Tamim,  aucun  ne  peut  résister  à  l'obsédante  tentation  de  la  razzia. 
»yjix.  y  JLb  !  Hésiter  entre  les  deux  alternatives,  reculer  devant  l'a- 
bus de  la  force,  c'eût  été  se  rendre  l'existence  impossible  dans  ce 
milieu  violent.  Même  dans  la  tribu  chrétienne  de  Taglib,  le  poète 
Qotâmï,  un  Taglibite  islamite,  n'hésite  pas  à  le  proclamer  :  «  Nous 
exécutons  des  razzias  contre  les  étrangers;  à  leur  défaut  contre  les 
clans  de  Taglib  »  (^).  Hoino  Jiomini  lupus  !  Impossible  de  traduire 
avec  plus  de  cynisme  le  vieu.x  dicton  latin. 

Voilà  où  en  étaient  les  respectables  sayj^d,  les  parangons  du  liihn 
en  .Arabie,  ULjj  ,^3,  Lv^lii^l  «5>  C^).   Quelles   licences   ne    devaient  pas 


(')  Cf.   Yaztd,  chap.  XIX,   281. 

(')  Les  plus  sympathiques  représentants  de  la  race  s'y  livrent  :  Hâtim  Tayy, 
'Orwa  ibn  al-Ward,  Bistâm  ibn  Qais  (voir  ce  nom  à  Vindex  des  Nagâ'id  Gartr). 

(^)  Nous  renvoyons  aux  très  complets  exposés  du  scoliaste  des  Nagâ'id  Gartr, 
édités  par  le  Prof.  Bevan. 

(■•)  Comparez  Musil,  Arabia  Petraea,  III,  369  sqq.  ;  Jaussen,  Pays  de  Moab, 
165  sqq. 

(^)  Cité  dans  AboQ  Tammâm,  Hamâsa,  E.  I,   182. 

(«)  Hansâ',  Divan,  86  d.  1. 


16U  Répression  du  bri^îandage 

s'accorder  les  losoûs  ('),  les  irréguliers  du  désert  ?  Les  récits  du  Kitâb 
al-Agàni  sont  pleins  de  leurs  néfastes  exploits,  copieusement  exposés 
par  le  complaisant  auteur  (^).  N'appartenant  à  aucune  organisation, 
ils  devenaient  jiratiquement  insaisissables.  La  mise  au  ban  de  leur 
tribu  non  seulement  avait  perdu  toute  efficacité,  mais  elle  se  démon- 
trait prescjue  nuisible,  puisriue  leurs  victimes  perdaient  le  recours 
contre  une  collectivité  responsable. 


A  Médine  les  représentants  du  pouvoir  oma\\ade  ne  se  laissè- 
rent pas  décourager  par  l'étendue  du  mal  (^).  Vaillamment  ils  s'obsti- 
neront à  lutter  contre  l'anarchie.  Ils  commencèrent  par  mettre  à  prix 
la  tête  des  brigands  arabes.  Pour  l'exemple,  certains  furent  suspendus 
au  gibet  (*).  Contre  eux  la  moindre  pénalité  était  celle  décernée  par 
le  Qoran  (^)  :  la  perte  de  la  main  !  Cette  perspective  donna  à  réflé- 
chir aux  aventuriers. 

«  Malgré  tous  ses  avantages,  s'écriaient-ils,  le  monde  demeure 
sans  charmes,  si  notre  gauche  vient  à  perdre  la  droite  », 


(')  Ils  ont  leur  littérature  spéciale,  contenue  dans  les  ^a-,aill  l  iLX^:  Vâqoiit,  E. 
V,  236.  Mahomet  les  lance  contre  les  caravanes  qoraisites  ;  Aboû  Voûsof,  Harâg,  130, 
7  sqq.  ;  cf.  Ziâd  ibn  Abthi,  3.  Les  losoûs  se  comparent  à  des  loups  ;  voir  le  morceau 
de  Sanfarâ,  traduit  par  J.   Lyall,  JRAS,    1912,  p.   144-45. 

(-)  Ils  sont  généralement  poètes  ;  Yâqoût,  E.  \ ,  243. 

(^)  Comme  Haggâg  ils  s'appliquent  à  «  guérir  jusqu'à  la  racine  du  mal  »  ; 

lftiLi,ii  L^b  j__j^l'ç!,»_XJj  *^\iù.j  Ci,\  ^lsiJ.1  ijy  \M 

Lailâ  Ahyalyya  citée  dans  Gâhiz,  Mahâsin,   191,  2. 

(^)  Ag.,  XI,  96.  Brigands  emprisonnés;  Yâqoiît,  E.  V,  243.  Voir  plus  loin  le 
cas  de  Ga'far  fils  de  'Olba  ;  Ag..  XI,  152  ;  celui  de  Qattâl  ;  Ag.,  XX,  158-66  ;  Yâqoût, 
E.  VI,   232. 

(5)  Cf.  Fàtjma,   104-105  ;   Ibn  Mâgâ,  Soiian,   E.  II,  64. 

C^)  Yâqoût,  E.  III,  446;  Qotaiba,  'Oyoûn,  124,  6-11.  Sur  cette  pénalité  voir  Aboû 
Yoûsof,  Harâg,   100  :  à  quel  endroit  du  bras,  il  faut  couper  la  main  ;   102,  haut  ;  éva- 


Les  poètes  et  la  paix  publique  161 

Les  hommes  d'état  omayxades  ne  s'arrêtèrent  pas  devant  ces 
protestations.  Parfois  plus  difficile  à  écarter  était  l'intercession  des 
contribules.  Ceux-ci  croyaient  devoir  s'intéresser  aux  brigands,  pré- 
cédemment désavoués  par  eux,  dès  l'instant  que  l'autorité  s'en  oc- 
cupait. Comme  si  cette  intervention  supérieure  constituait  un  empié- 
tement sur  leurs  droits  I  Un  autre  expédient,  pour  en  débarrasser  le 
pa\"s,  consistait  à  les  enrôler,  afin  de  les  envoyer  combattre  aux  fron- 
tières de  l'empire.  Leur  audace  avait  cru  au  point  de  ne  plus  même 
respecter  les  caravanes  de  pèlerins  (').  Désormais  les  tribus  auront 
à  répondre  de  la  sécurité,  des  biens  des  voyageurs  et  des  commer- 
çants, traversant  leur  territoire  ("). 

Après  les  brigands,  les  poètes  devenaient  fréquemment  une  me- 
nace pour  la  paix  publique.  On  exagérera  difficilement  leur  influence 
dans  cette  société  illettrée,  mais  inflammable,  où  «  le  moindre  geste 
prenait  d'énormes  proportions  et  causait  l'effusion  de  flots  de  sang  »  : 

Leurs  virulentes  attaques  allumaient  la  guerre  entre  les  tribus  {'). 
Celles-ci  prirent  parfois  l'initiative  de  porter  plainte  devant  l'au- 
torité (^).  Ici  l'intervention  du  pouvoir  devenait  plus  délicate.  11  ne 
pouvait  être  question  de  couper  le  poignet.  Quant  à  la  langue,  l'opi- 
nion publique  n'admettait  qu'une  coupe  métaphorique  ^^UJJl  çki» ,  à 
force  d'adresse  et  de  bons  traitements.  Journalistes  de  leur  siècle,  les 
poètes  réclamèrent  incessamment  la  liberté  illimitée  de  la  publicité. 


luation  du  vol,  entraînant  cette  punition  ;  106,  en  cas  de  récidive,  couper  la  main, 
puis  le  pied,  discussions  curieuses  à  ce  sujet  ;  nombreux  vols  pour  lesquels  on  n'in- 
flige pas  l'ablation  de  la  main;  (on  s'ingénie  à  restreindre  la  pénalité)  104,  105,  106; 
'AU  l'applique  et  suspend  la  main  au  cou  du  voleur,  102-03. 

C)  Bakrî,  Mo'gam,  713,  9-5  d.  1.  Toute  l'ancienne  littérature  a  poétisé  les /ofoôf.- 
voir  So'arâ'  (Cheikho)  885-886.  Cette  situation  compliquait  la  tâche  de  l'autorité. 

(-)  Gâhiz,  Bayân,   I,   150,    4-5. 

(3)  Tarafa,    (Ahlw.)  53,  2. 

(^)  Conf.  Goldziher,  l'introduction  au  divan  de  Hotai'a,  16  sqq.  ;  Naqâ'id  Garïr, 
609,  comment  Ziâd  traque  le  dangereux   Farazdaq. 

(■•)  Naqâ'id  Garïr.  220-221,  626,  d.  v.,  627,  2;  Ag.,  XI,  96,  128,  132,  147,  149, 
152.   173. 

Lammens  —  Berceau  II 


162  La  suppression  des  mois  sacrés 

c'est  à  dire  de  la  satire.  Il  eût  été  dangereux  de  les  pousser  contre  le 
gouvernement.  Celui-ci  réussit  pourtant  à  se  faire  respecter.  Ue 
grands  poètes,  comme  Garîr,  éprouvaient  la  plus  salutaire  terreur 
des  autorités,  j^LkX*JI  ^^  La^  ^tJI  JLil  ^^  ^^  (').  Traqué  par  l'in- 
exorable justicier  Ziâd,  Farazdaq  sent  «  circuler  dans  ses  veines  le  feu 
de  la  fièvre  de  Haibar  ou  le  venin  des  serpents  »  : 

(")        j^^'^'^'   j-U-J^l   ^5^^   ^   Cj^  Mj;  :.  <    y-s^~^   J  ^  •^^^ 

Le  redoutable  satiriijue  se  \it  forcé  d'errer  de  tribu  en  tribu. 
Lentement  les  nomades  s'habituèrent  à  déférer  au  tribunal  de  l'état 
leurs  différends  au  sujet  des  eaux  et  des  pâturages  (^),  à  lui  aban- 
donner le  rôle,  jadis  dévolu  aux  hakam  ou  arbitres  (*). 

Un  pouvoir  central,  supérieur  aux  tribus,  passant  par  dessus  les 
say\d  et  les  maglis  (^),  cette  conception  nouvelle  constituait  une  in- 
novation considérable  dans  l'organisation  sociale  des  Bédouins.  Cette 
mission,  Mahomet  l'avait  rêvée  pour  sa  réforme  religieuse.  Par  ail- 
leurs on  lui  découvre  des  inspirations  moins  heureuses;  et  cela  en 
dépit  de  ses  tendances  centralisatrices,  malgré  l'obligation  inscrite 
par  lui  dans  le  'ahd  ou  pacte  de  Médine  de  déférer  toutes  les  con- 
testations à  la  barre  du  Prophète.  Son  regard  ne  porta  pas  assez 
loin  ;  il  ne  demeura  pas  suffisamment  dégagé  de  préoccupations  per- 
sonnelles, de  considérations  contingentes  et  transitoires.  Ainsi  il  ima- 
gina de  supprimer  les  mois  sacrés  i^),  trêves,  périodes  d'arrêt  salu- 
taires dans  la  vie  agitée  de  la  Péninsule.  Un  législateur  avisé  aurait 
cherché  à  tirer  parti  de  l'institution,  en  la  développant,  en  l'entourant 
de  garanties.  La  déplorable  initiative,  prise  par  Mahomet,  a  certai- 
nement   favorisé   la    désorganisation   sociale  de   l'Arabie  (").    Elle  a 

(')  Naqâ'id  Gatïr,   32,  2. 

(2)  Tab.,  Annales,  II,  108. 

(^)  Najâ'id  Garîr,  214.  Les  Bédouins  prennent  l'Iiabitude  de  recourir  à  l'auto- 
rité centrale;  Ag:,   IV,   134,  7. 

(•■)  Voir  plus  loin  le  rôle  des  hakam. 

(5)  Exécutant  des  travaux  d'utilité  publique,  creusant  des  puits  pour  les  cara- 
vanes ;  tel  Haggâg  ;  Vâqoût,  E.  V,  240. 

(«)  Qoran,  9,  36,  37. 

C)  Nôldeke,  ZDMG,  XLIX,  712;  cf.  notre  République  marchande,  12. 


Abandon  des  marchés  anciens  163 

exercé  une  influence  funeste  sur  la  vie  économi(]ue,  en  délivrant  de 
toute  contrainte  les  éléments  anarchiques.  Ainsi  l'ancien  marche  de 
'Okâz  ne  tarda  pas  à  être  abandonné.  L'insécurité  des  routes  ne 
permit  plus  de  fréquenter  ces  rendez-vous  ('),  tous  situés  loin  des 
centres  habités.  Pour  les  atteindre,  il  fallait  traverser  le  territoire  de 
tribus  hostiles,  libres  désormais  de  la  légère  contrainte  des  mois  sa- 
crés. Les  auteurs  musulmans  ont  préféré  mettre  en  avant  des  scru- 
pules de  conscience.  On  aurait  hésité  à  se  retrouver  devant  les  sou- 
venirs de  la  période  préislamique  (°).  Ces  répugnances  eussent  été 
mieux  à  leur  place  au  pied  des  fétiches  de  la  Ka'ba,  au  milieu  des 
cultes  orgiasti(  lues  de  la  Mecque,  de  Safà  et  de  Marwa. 

(')  Sur  leur  ancienne  importance,  voir  République  marchandi:,   loc.  cit. 
(*)  Cf.  Bakrî,  Mo'gam,  660,  d.  I.,  661,   1;  à  la  1.   11  on  cite  une  légère  variante 
qoranique. 


VI 


Prospérité  du  i}i^âz  sous  les  Omayyades 
Extension  des  cultures 


Ce  premier  siècle  de  l'islam  nous  apparaît  comme  une  des  plus 
florissantes  périodes  dans  l'histoire  du  Higâz.  Cette  province  passe  pour 
la  première  préfecture  de  l'empire  arabe,  réservée  de  préférence  à 
un  membre  de  la  famille  régnante  (').  Assurément  les  souvenirs  reli- 
gieux et  nationaux,  la  présidence  du  pèlerinage  national,  rattaché  à 
la  charge,  ont  dû  contribuer  à  lui  valoir  cette  prééminence.  Mais  ces 
considérations  demeurent  impuissantes  à  tout  expliquer.  Indépendam- 
ment du  passé  historique  et  religieux,  il  faut  tenir  compte  du  remar- 
quable développement  du  pavs.  Le  Higâz  devint  le  séjour  des  prin- 
cipales familles  de  l'empire,  la  retraite  aristocratique,  celle  des  'Alides 
et  des  autres  familles  a}-ant  jadis  occupé  le  califat  :  Bakrides,  'Omari- 
des,  'Otmânides,  Zobairides,  avec  leurs  nombreux  partisans  et  clients  ('). 
Pendant  leur  rapide  passage  au  pouvoir,  ces  groupes  n'avaient  pas 
oublié  leurs  intérêts  privés  (^).  Le  népotisme  tient  à  la  nature  même 

(1)  Cf.  Mo'âwia.  30-31. 

(*)  Mo'âwia,  passim.  Là  se  trouvent  leurs  sadaq&t,  biens-fonds  inaliénables,  sorte 
de  fiefs  de  famille;  YâqoQt,  E.  V,  180;  sadaqàt  'abbâsides;  ibid..  Y,  402,  3;  domai- 
nes 'alides;  ibid..   VI,  229. 

P)  Propriétés  considérables  d'ibn  'Omar;  Aboû  Voûsof,  Haràg,  55,  5  sqq.  Elles 
datent  du  califat  de  son  père;  àA^  d'Ibn  al-Hanafyya  au  Higâz;  Dînawarï,  Ahbâr, 
235,  1.  Au  dedans  et  autour  de  Médine,  les  Omayyades  voulaient  réserver  quelques 
espaces  libres.  Ils  se  voient  débordés  par  les  demandes  de  concessions  ;  Yâqoût,  E. 
VI,   144,   145. 


Prospérité  des  villes  du   Higâz  165 

du  peuple  arabe,  à  sa  conception  spéciale  de  la  cohésion  entre  pa- 
rents et  contribules,  |<o.yi ,  comme  il  aime  à  s'exprimer.  Le  favoritisme 
du  calife  'Otmân  ne  dépassa  pas  la  limite  admise  par  l'opinion  des  Bé- 
douins. Seule  la  tradition  postérieure  a  cru  devoir  le  choisir  comme 
bouc  émissaire,  afin  de  voiler  des  motifs  moins  avouables,  plus  com- 
promettants pour  la  réputation  des  anciens  Compagnons  du  Prophète. 

De  cette  prospérité  matérielle,  l'Agâni  nous  fournit  la  meilleure 
preuve,  parce  qu'indirecte,  dans  ses  notices  si  vivantes,  consacrées 
aux  poètes  et  aux  artistes  de  l'époque.  Pour  ces  amuseurs  de  l'hu- 
manité, où  trouver  place  dans  les  pays  en  décadence  (*) }  Les  sociétés 
appauvries  manquent  des  charmes  requis  pour  les  attirer  ou  les  re- 
tenir. A  ces  amateurs  il  faut  les  foules,  les  opulents  Mécènes,  le  spec- 
tacle de  la  richesse,  le  contact  de  la  vie  facile,  les  douceurs  de  l'a- 
bondance et  de  la  paix.  Or,  sur  aucune  autre  partie  de  l'empire 
on  n'aurait  alors  trouvé,  comme  au  Higâz,  la  réunion  de  tous  ces 
avantages.  Médine  et  la  Mecque  sont  devenues  des  centres  de  plaisir, 
des  académies  de  poètes,  des  conservatoires  de  musiciens,  déversant 
leur  trop-plein  sur  les  autres  provinces  du  califat  ('). 

Là  les  membres  de  l'aristocratie  arabe  viennent  achever  leurs 
jours  et  dépenser  les  fortunes,  amassées  dans  l'exploitation  des  pro- 
vinces conquises  (').  A  l'e.xpiration  de  leur  mandat,  ils  reprennent  la 
route  du  Higâz  —  tel  .Sa'ïd,  fils  du  calife  'Otmân  —  «  avec  de  l'argent, 
des  armes  et  des  esclaves  »  {*).  Ces  derniers,  ils  les  emploient  de  préfé- 
rence dans  la  construction  de  leurs  palais  (°).  C'est  une  nouvelle  inter- 
vention du  s\-stème  de  la  liturgie,  signalé  la  première  fois,  je  crois,  par 
le  Prof  C.  H.  Becker  ('"').  Elle  expli(]ue  le  disparate  des  primitifs  monu- 
ments islamiques.  La  bâtisse  paraît  la  principale  passion  des  hommes 

(')  S'ils  se  déplacent,  c'est  pour  améliorer  leur  situation.  Tel  A'sa  :  JUJ  C-^ii>  ; 
Yâqoût,  E.  Y,  78. 

(-)  Cf.  iMo'âwia,  index  s.  v.  musique. 

(3)  Vers  satiriques  à  ce  propos;  Yâqoût,  E.  V,  73,  bas;  Ag.,  XXI,  33. 

(<)  .xi^\  ^^  l,x^  cJ^^S  C-^.?  ^^'  '*-^.'^'  ("^  ''  ^^^■'  f'  '^■ 
(5)  Yâqoût,   E.   VI,   186,  haut.    Nombreux  çasr  dans  le  wâdi 'Aqïq.  Eau  et  çasr  ; 
ibid.,V,  83,  3  d.  I.  ;  qasr  à  Qobâ  (vers  de  Ahwas)  ;   Bakrî,  Mo'gam,  72.J,  3  d.  1.  ;  autre 
dans  la  harra  Wâqim  ;  Balàdorî,  Fotoùh,   14,  d.  1.;  Yâqoût,  E.  VI,   144-145. 

C)  Cf.  E.  Herzfeld,  Die  Genesis  der  islamisc/ieti   Kunst,    dans   hlam,   I,  60  sqq. 


166  Extension  de  l'oasis  médinoise 

du  jour.  Elle  marche  de  pair  avec  l'engoûment  pour  les  défrichements 
et  les  plantations.  Aussi,  en  même  temps  que  les  artistes,  voit-on  af- 
fluer les  entrepreneurs,  les  ingénieurs  agricoles  et  hydrographes.  On 
construit  des  mosquées  monumentales,  on  creuse  des  puits,  des  ca- 
naux ('),  on  élève  des  barrages,  on  amène  les  eaux,  captées  dans  les 
montagnes.  Un  gouverneur  oma}3ade  se  permet  d'établir  la  supério- 
rité des  nouvelles  installations  sur  le  liquide  nauséabond,  débité  jusque- 
là  par  le  [uiits  de  Zamzam  (•). 

Les  limites  de  l'oasis  de  Médine  s'élargissent  et  englobent  les 
harras  (^)  voisines  ;  la  longue  vallée  du  'Aqiq  (^)  se  remplit  de  \illas 
et  de  châteaux.  Bientôt,  l'espace  faisant  défaut,  les  constructions  en\a- 
hissent  les  autres  affluents  du  Idam.  Vers  l'occident  les  défrichements, 
la  mise  en  valeur  des  terres  vont  rejoindre  les  oasis  de  Badr  et  de 
Safrâ'  ;  au  septentrion  ils  touchent  presque  aux  premières  palmeraies 
de  Wâdi'l  Qorâ.  Nous  avons  montré  précédemment  les  heureux  chan- 
gements, survenus  entre  Médine  et  la  Mecque,  et  dans  les  environs 
de  cette  dernière  métropole  (')•  Les  propriétaires  de  ces  lieux  de 
plaisance,  de  ces  domaines  auraient  été  fort  étonnés  d'apprendre  que 
le  Higâz  traversait  alors  une  crise  économique,  la  dernière  et  la  plus 
aigiie  de  ses  crises  séculaires.  Ils  auraient  sans  doute  pensé  à  une 
crise  d'abondance  (").  A  Marwân  ibn  al-Hakam,  les  terres  de  Fadak 
rapportaient  annuellement  la  somme  de  10,000  dinars  (").  De  ses  pro- 

(')  ç^ ,  ,  canal  d'arrosage  à  Médine;  Moslim,  Sahlh-,   II,  34,  6. 

(■-)  Ibn  alAtïr,  Kâmil,  E.  IV,  220  ;  renseignement  contesté  par  'Aini,  (ms.  B. 
Kh.)  sub  anno  89. 

(')  Domaines  et  cours  d'eau  pour  l'arrosage,  r;  y^  ■  ^y^^  dans  la  harra  ;  Balâdorî, 
Fototth,  8,  1.  10  ;  12  ;  Yâqoût,  E.  \',  246,  250.  A  Médine  tous  les  espaces  vides  finis- 
sent par  être  concédés  ;  Yâqoût,  VI,   144-145. 

(■•)  Complètement  mis  en  valeur  sous  'Omar  ;  Aboû  Yoûsof,  Haràg,  34.  Au  temps 
du  calife  'Otmân,  tous  les  wâdis  voisins  de  Médine  sont  remplis  de  palmiers  ;  Bakrî, 
Mo'gam,   751. 

(5)  Voir  plus  haut.  A  'Osfàn,  à  'Arafa,  à  Marr  az-Zahrân,  on  rencontre  i^y^ 
j_yoUJl  ^y\yi\  LfJ  i-f^-  ■  ■  source  coulante;  AjcoU.  à^..f\  Yâqoût,  E.  V,  78. 

(^)  Aboû  Darr  proteste  contre  l'accumulation  de  leurs  richesses  ;  Moslim,  5'(iA»i4*, 
I,  368.  Les  rigoristes  rapportaient  à  cette    situation  le    verset  du  Ooran  9,  34:  j^jJ^ÀJI 

'èJ^\^   ÇX»,iJl  (^^i^.  . 

(T)  I.    S.    Tabaq.,   V,  286. 


Contre  la  théorie  de  l'ensablement  167 

priétés  du  Higâz,  Mo'âwia  tirait  150,000  charges  de  dattes  et  100,000 
sacs  de  céréales  (').  Aussi  le  calife  dans  son  palais-  de  Damas  envi- 
ait-il le  sort  de  l'intendant  de  ses  domaines  en  ce  district.  «  Heureux 
mortel  !  s"écriait-il,  il  passe  le  printemps  à  Gadda,  l'été  à  Tâif,  l'hiver 
à  la  Mecque  !  »  (")  Un  dattier  avait  fini  par  \'  représenter  une  valeur 
vénale  de  1,000  dirhems  ('). 

La  mode  de  la  ââdm  {*),  des  villégiatures  désertiques,  si  commune 
chez  les  ()ma\-yades,  cadre  mal  avec  rh3pothèse  d'un  ensablement, 
d'un  dessèchement  progressifs.  Jusqu'au  sein  de  la  verdo3'ante  Damas- 
cène,  les  califes  et  leurs  hommes  d'état  conservent  la  nostalgie  de  la 
solitude.  Nous  dégageons  une  conclusion  non  moins  favorable  de  l'ex- 
tension des  /nmà,  activement  développés  par  les  califes  (").  On  \'  entre- 
tenait des  milliers  de  dromadaires  et  aussi  de  chevaux.  Les  bons  pâ- 
turages ne  manquaient  donc  pas  en  Arabie  C).  L'industrie  humaine 
avait  trouvé  mo\"en  de  fournir  au  cheval,  si  difficile  à  élever  au  dé- 
sert, les  fourrages  à  sa  convenance.  Certaines  de  ces  réserves  pasto- 
rales, comme  Par\\a  et  Rabada,  mesuraient  une  superficie  de  plu- 
sieurs centaines  de  kilomètres  carrés.  Dans  toute  la  force  du  terme, 
le  Higâz  était  devenue  une  terre,  <  dont  le  corbeau  ne  s'éloignait 
plus  »  ("),  une  région  où  la  présence  de  nombreux  troupeaux  fournis- 
sait à  cet  oiseau,  ami  du  chameau,  une  abondante  pâture  ('). 

(')  Cf.  Mo'âwia,    248. 

(*)  Mo'âwia,  248;  Qotaiba',  'Oyoûii,  257,  d.  1.;  le  fils  de  'Anirou  ibn  al-'Àsi, 
'Abdallah  possède  également  au  Higâz  un  intendant  ^^Lc.^  et  de  nonibreu.x  escla- 
ves;  Moslini,  Sahïh,   I,  369,  2  d.  1. 

Pj  Ibn  al-Gauzî,  Safwat  as-Sa/wa  (m.  B.  Kh.)  I,  178;  cf.  \'a'qôubï,  Hist.,  11, 
278;  Mo'âwia,  246-47. 

(*)  Cf.  notre  Bàdia,  93  sqq.  Eloge  de  Himâ  Daryya,  pas  de  fièvre  !  Douceur 
de  ses  eaux!  Gâhiz,  Mahâsin,  119.  Adam  a  été  créé  du  limon  de  Daryya;  I.  S.  7a- 
bag.,   Ji,  6.  1.  7. 

p)  Cf.   Bakri,  Mo'gam,   626;  Yâqoùt,  E.  IV,  372,  8.  Voir  plus  haut. 

(^)  D'après  le  calife  'Omar,  le  Higâz  ne  convient  qu'à  des  bergers;  Ibn  Haldoûn, 
Prolégomènes,  I,  303.  On  mentionne  des  provisions  de  paille  à  Médina;  I.  S.  Tabaq., 
II',  20,  20. 

C)  Bakri,  Mo'gam,  676. 

(8)  Comp.  A.  Musil,  Arabia  Peiraea,  111,  19,  200;  il  abonde  dans  le  voisinage 
des  grands  troupeaux  de  chameaux. 


168  On  vit  dans  l'abondance 

Parallèlement  à  l'extension  des  cultures,  à  la  multiplication  des 
pâturages  et  des  troupeaux,  nous  voyons  le  mouvement  de  la  popu- 
lation suivre  la  même  proportion  ascendante  (')  ;  malgré  les  contin- 
gents considérables,  fournis  aux  incessantes  guerres  de  conquêtes.  Sans 
doute  l'importation  d'esclaves,  de  prisonniers  (*)  contribua  pour  sa 
part  à  combler  les  lacunes  causées  par  les  levées  militaires.  Elle  permit 
d'autre  part  —  nous  l'avons  noté  —  grâce  à  l'introduction  d  éléments 
étrangers  i)lus  industrieux,  par  l'adoption  de  méthodes  nouvelles,  de 
rompre  avec  les  vieilles  traditions,  d'entreprendre  les  grands  travaux 
de  défrichement.  Les  rédacteurs  des  Tabaqà^  et  des  Fotouh  en  con- 
viennent sans  détours  :  «  Quand  le  calife  'Omar  vit  abonder  la  main 
d'reuvre  agricole,  il  se  décida  à  expulser  les  Juifs  de  Haibar  »  (^).  Il 
prit  la  même  mesure  à  l'égard  des  chrétiens  de  Nagrân  (*).  Le  dé- 
part de  ces  milliers  d'hommes  ne  paraît  pas  avoir  causé  de  vides  dans 
la  population  de  la  Péninsule.  C'est  la  situation  visée  par  Ibn  Oais 
ar-Roqaiyât  : 

«  Ah  !  le  beau  temps,  (]uand  toute  notre  nation  vivait  unie,  sans 
permettre  aux  passions  (politiques)  de  diviser  ses  intérêts  1 

Avant  que  les  tribus  rivales,  en  convoitant  l'hégémonie  de  Oo- 
rais,  ne  comblent  de  joie  nos  ennemis  1  »  (^) 

Tout  ce  monde  semble  vivre  dans  l'abondance  et  non  plus  seule- 
ment dans  l'abondance  des  temps  anciens,  celle  des  ^'>'^^\  ,  l'eau  et 
les  dattes  i^).  La  population  du  Higâz  se  montre  avide  de  jouissan- 
ces, de  tous  les  raffinements  de  la  civilisation  :  jouissances  des  arts, 
luxe   des  installations  balnéaires,  des  palais  ornés  de  fresques  (").  Elle 


{')  Médine  prend  l'extension  d'une  capitale  ;  un  peu  partout  surgissent  des  do  Ji 
Àjixi^.  ;  des  villes,  comme  Yanbo',  centre  des  'Alides  ;  voii  plus  haut  ;  AWi*  ^ij* 
dans  la  région  de  Foro'  ;  Yâqoût,  E.  V,  78  ;  villages  avec  f.  ,li-«  ;  palmeraies  et  sour- 
ces ;  ibid.,  V,  252  ;  grand  village  avec  minbàr  au  pays  de  Daus  ;    ibid.,  III,  12,  bas. 

(2)  Comp.  Ag.,   XIV,  85  ;  Naqà'id  Garlr,   384,  5. 

(3)  I.  S.    Tabaq.,   Il',  83,   1. 
(<)  Cf.   Yazîd,  chap.  XXII. 
p)  Divan,  XXXIX,  9-10. 

(6)  I.  S.    Tabaq.,   I',  3;  ou  du  lait  et  des  dattes;  Hotai'a,  Divan,  V,  v.   10. 
C)  Nous  le  montrerons  en  publiant  notre  communication  au  3'  congrès    archéo- 
logique de  Rome  (Oct.  1912):  Les  arts  figurés  au  premier  siècle  de  l'hégire. 


Bâtisses  et  canaux  169 

réclame  des  mosaïques,  jusque  dans  ses  mos(]uées  de  Médine  et  de 
la  Mecque.  Les  Omayyades  construisent  des-  routes  pour  les  pèlerins 
et  les  jalonnent  de  pierres  milliaires,  à  l'instar  des  anciennes  voies 
romaines  ('). 

Cette  évolution,  toutes  -ces  exhibitions  d'un  luxe  insolent  causè- 
rent un  véritable  scandale  parmi  les  vieux  Compagnons  survivants 
de  Mahomet.  Ils  comparaient  les  privations  du  passé  avec  les  prodi- 
galités de  l'heure  présente.  Bâtisses,  plantations  1  Le  Prophète  n'avait 
pas  laissé  cet  exemple.  «  f-^^r^  Ju^jI  jll  ;  je  n'ai  pas  été  envoyé  pour 
planter  »  ('),  aurait-il  dit.  N'avait  il  pas  protesté  contre  l'acquisition 
des  domaines,  Aj«.~«ill  Uii^N)  r  (^)  A  ces  dictons,  à  ces  traditions  la  nou- 
velle génération  en  opposait  d'autres,  plus  en  harmonie  avec  les  ten- 
dances de  l'époque.  L'auteur  du  Qoran  aurait  (]ualifié  de  mart\T  le 
propriétaire,  mort  en  défendant  ses  terres  {*). 

Quand  après  la  défaite  des  Marwânides,  les  \A.bbâsides  pénétrè- 
rent à  la  Mecque,  ils  déclarèrent  gravement  dans  la  chaire  de  la  grande 
mosquée:  «  Nous  n'avons  pas  pris  les  armes  pour  recommencer  au 
milieu  de  vous  à  creuser  des  canaux  et  à  construire  des  châteaux, 
IJI.0S  ^  i^s^-^h^  "^ i  \'x^  f-:?  y^-^  '  (^)-  Les  bâtisses,  les  travaux 
hydrographiques  1  Pour  désigner  le  régime  des  Oma3yades  au  Higâz 
—  car  il  s'agit  de  cette  province  —  leurs  ennemis  ne  trouvaient  pas 
de  caractéristiques  mieux  appropriées.  Cette  période  ils  la  déclarèrent 
close   pour  l'Arabie.  Aucune   promesse  ne  devait  être  mieux  tenue. 

(*)  Yâqoût,  E.  I,  26,  7.  Il  est  fait  allusion  à  ces  milliaires,  dans  un  vers  des 
Naqâ'id  Garîr,  293,  3  v.,  variante  JU/cl  au  lieu  de  JLÏUl  ;  voir  le  scolion  sur  ce 
vers;  Ibn  Rosteli,   Géogr.  56,   10.  Comp.  Yâqont,  VI,  265,  6  d.  1. 

(*)  I.  S.  Jabaq.,  I',  65;  Nasal,  Sonan,  E.  II,  258.  Mahomet  loue  l'agriculture  ; 
Yâqoût,  E.  V,  99,  3-4. 

(3)  Hanbal,  Mosnad,  I,  443;  cf.  Moslini,  SahïhK  I,  457;  Tirmidî,  Sahth.  I,  260; 
Mo'âu-ia,  238. 

(')  Mo'âwia,  242;  Osd,  II,  307;  Bojiârï,  Sahlh,  (Kr.)  11,  108,  n.  33:  ^^Ji  v_jb 
<*JUe  j^5>  JJii"  ;  Moslim,  Sahïh^,  I,  50;  Tirmidî,  Sahlh,  I,  266;  Hanbal,  Mosnad,  I, 
79,  188-89  ;  II,  310.  On  a  étendu  le  privilège  à  tous  les  assassinés  ;  cf.  Mo'âivia,  242  ; 
n.  3;  Bohârî,  Sahth,  (Kr.)  II,  209,  6;  ainsi  le  fils  du  calife  'Otmân  (voir  plus  haut) 
assassiné  par  les  Sogdiens  ;  Ag.,  II,  85. 

(■>)  Gâhiz,  Bayàn,   I,   127. 


170  Mahomet  et  ragriculture 

Impossible  d'assumer  plus  franchement  devant  l'histoire  la  responsa- 
bilité pour  la  décadence  de  la  Péninsule!  (') 

A  vrai  dire,  le  nom  du  Prophète  se  trouvait  fort  mal  à  propos 
mêlé  à  cette  discussion.  Mahomet  n'avait  jamais  négligé  à  ce  point 
les  intérêts  de  sa  liste  civile  et  de  ses  domaines  médinois  (■).  Il  n'en 
est  (}ue  plus  remarquable  de  voir  ce  thème  revenir  avec  persistance 
dans  les  lamentations  de  cette  époque  (^).  Sans  cesse  l'opposition 
reproche  aux  Omayyades  leur  politiciue  agraire,  la  préoccupation  d'ar- 
rondir leurs  possessions  domaniales.  Or  ces  princes  étaient,  nous  le 
savons,  grands  propriétaires  fonciers  au  Higâz.  Ils  accordèrent  toujours 
le  meilleur  de  leur  attention  à  cette  province,  berceau  de  la  religion, 
de  l'empire  arabe  et  de  leur  famille.  D'autre  part  le  changement 
opéré  en  un  demi-siècle  de  ce  régime  avait  été  si  brusque,  que  les 
rares  survivants  parmi  les  contemporains  de  l'hégire  3'  perdirent  la 
notion  de  la  réalité.  Les  résultats  ne  se  montrèrent  pas  moins  surpre- 
nants. Les  palmeraies,  \'endues  des  centaines  de  mille  dirhems,  devaient 
être  extraordinairement  productives  (*)  pour  atteindre  ces  prix,  le  sol 
posséder  une  incomparable  fécondité. 


(')  Ils  profitent  des  révoltes  pour  dévaster,  détruire  établissements  et  plantations 
de  leurs  ennemis  ;  Vâqoût,  E.  V,   180. 

(2)  Fâiima,  l^-l'i  ;   112. 

(3)  Cf.  Mo'àwia,  238  ;  Ziâd  ihn  Abthi,  65  sqq. 

(■■)  Maqdisï,   Géogr.,  67,   13,  vante   pour   son    temps    la    fécondité   de    l'Arabie 
abondance  des  eau.x  d'arrosage  ;  Aboû  Yoûsof,  Harâg,  55,  5  sqq. 


vu 


Môme  sujet.  Explication  de  l'expansion  et  des  conquêtes  arabes. 
Le  facteur  économique.  Un  climat  rigoureux  peut  être  amé= 
lioré.  Les  'Abbâsides  et  la  décadence  de  l'Arabie 


Ici  encore  la  poésie  contemporaine  vient  nous  rassurer  contre  la 
possibilité  d'une  erreur  de  perspective.  Ce  danger  est-il  vraiment  à 
craindre,  quand  nous  disposons  de  l'énorme  dossier,  recueilli  par  l'au- 
teur de  \'A,^àui  et  les  collections  similaires.  Les  So'oùb3\a  ont  chargé, 
comme  à  plaisir,  le  tableau  de  la  misère  des  Bédouins  (')  et  de  la 
désolation  de  l'Arabie;  ils  ont  assombri  toutes  les  couleurs  (-).  Tout 
en  admirant  sincèrement  ses  ancêtres,  Aboù'l  Farag  ne  songe  pas  à 
polémiquer  avec  ces  adversaires  de  la  nationalité  et  de  la  suprématie 
arabes.  Il  se  contente  de  nous  introduire  dans  la  société  des  artistes, 
musiciens  et  poètes,  auxquels  il  a  consacré  son  recueil.  Les  charmes 
de  leur  compagnie  l'amènent  à  oublier  toute  autre  préoccupation.  Nous 
ne  possédons  plus  les  productions  musicales  de  ces  anciens  maîtres, 
ro3-alement  récompensés  par  les  puissants  du  jour  et  s'obstinant  à 
demeurer  au  Higâz,  malgré  les  pressantes  invitations  des  califes  s>Tiens. 


Cj  Ils  sont  dévorés  par  la  vermine  ;  A.  Tamniâm, //a«/â5a,  (Fr.),  633,  3  v.  ;  Ha- 
mîs.  II,  42;  Ag.,  XXI,  195,  1,  19;  Gâhiz,  Mahàsin,  81,  13;  I.  S.  Tabaq.,  IIH,  72, 
13,  17,  20.  Ils  meurent  de  faim;  Gâhiz,  Mahàsin,  119,  10;  Bohâri,  (Kr.)  II.  292,  d. 
1.;  337,  6,  10;  I.  S.    Tabaq..    III',  223,  21. 

(^  Gâhiz,  Avares,  252,  11  ;  263,  11;  Gâhiz,  Bayàn,  II,  9-10;  Mo'âwia,  index  s. 
V.  Bédouins.  Sur  les  So'oûbyya,  cf.  Goldziher,  M.  S..  I,  147  sqq;  Mo'âwia,  356,  note  ; 
424,  429;  ils  détestent  le  chameau;  ibid.,  429,  note. 


172  I-a  nostalgie  du  désert 

Mais  les  poésies,  embellies  par  l'art  des  musiciens,  nous  sont  restées. 
Le  ton  en  est  d'une  gaieté  (')  exubérante  :  elles  célèbrent  le  vin,  l'amour, 
le  bonheur  de  vivre  dans  le  cadre  id\lli(]ue  des  oasis,  des  himâs  et 
des  âàiiias  arabes.  Quand  parmi  les  familles  oma3yades,  fixées  au 
Hig'âz,  les  discordes  civiles  forcent  des  membres  à  émigrer  en  S\Tie, 
ces  hommes  s'\-  considèrent  comme  en  exil  (■).  Ils  pleurent  au  sou- 
venir de  Médine: 

«  Des  châteaux,  ornés  de  fresques,  avec  leurs  donjons  élevés,  où 
roucoulent  les  tourterelles  >. 

A  fortiori  faut-il  s'attendre  à  retrouver  ces  accents  chez  les  Bé- 
douins. A  l'étranger  ils  soupirent  après  leur  désert  {*).  Ils  le  regret- 
tent pendant  leur  séjour  à  la  Mecque  et  au  sein  de  la  plus  généreuse 
hospitalité.  Tel  Aboû't-Tamahân: 

«  Ma  chamelle  a  soupiré  et  son  maître  l'a  imité.  Elle  se  rappelle 
sa  patrie  et  moi  je  songe  au.x  miens. 

Que  ne  connaît-elle  les  spéculations  commerciales  (^)  I  Elle  pren- 
drait plaisir  à  la  Mecque  d'échanger  Xidhir  (*)  contre  son  fourrage 
favori,  le  hamd  ». 

(M  Comp.  Ibn  Qais  ar-Roqaiyât,  Divan,  XXXIX,  9-10. 

(-)  Après  son  expulsion  de  Médine,  le  premier  mouvement  de  Marwân  ibn  al- 
Hakam  sera  de  rentrer  au  Higâz,  malgré  le  triomphe  d'Ibn  Zobair.  Pour  le  retenir 
il  faudra  toute  l'éloquence  de  'Obaidallah  fils  de  Ziâd.  Cf.  F.  Buhl,  Die  Krisis  der 
Ufnajjadenherschaft  iin  Jahre  6S4,  dans  Zeits.  f.  Assyr.,  XXVII,  50-64. 

(3)  Ag.,  I,   15. 

(1)  Yâqoût,  E.  1,  85;  III,  260,  272,  347,  348;  V,  144-45;  181;  231;  235;  250; 
272;  309;  339;  343;  VI,  83.  Bakrî,  Mo'gam,  459. 

(=)  Allusion  aux  goûts  mercantiles  des  Qoraisites  ;  cf.  notre  République  marchande, 
passim. 

('■)  Cf.  Balâdori,  Fototih,  42-43.  Voir  plus  haut.  C'était  une  plante,  spéciale 
au  territoire  de  la  Mecque  ;  Yâqoût,  E.  V,  224  (vers  attribués  au  nègre  Bilâl). 

(^)  De  t^\  . 

(8)  Ag.,  XI,    134. 


Les  charmes  du  Nagd  173 

Cette  nostalgie  du  désert  domine  toute  l'ancienne  littérature  arabe. 
Ici  encore  il  sera  prudent  d'assigner  une  part  au  convenu,  à  la  t\ran- 
nie  des  anciens  modèles.  Aux  environs  de  l'hégire  la  poésie  arabe 
commence  déjà  à  se  hicratiscr  :  elle  connaît  un  moule  et  des  poncifs 
obligatoires.  Mais  jusque  derrière  ces  formes  conventionnelles  se  cache 
un  sentiment  réel.  Nous  l'avons  jadis  signalé  chez  le  poète  Ahtal  ('). 
On  le  retrouve  chez  les  rimeurs  attirés  à  la  cour  de  Damas  (").  Ahtal, 
le  chantre  des  Omayyades,  comblé  de  faveurs  par  le  calife,  une  fois 
sa  cour  faite,  ne  trouvait  rien  de  plus  pressé  que  de  rejoindre  ses 
contribules  au  nord  des  steppes  de  la  Palm\Tène. 

La  majorité  des  poètes  préislamiques,  étant  originaires  du  centre 
de  l'Arabie,  le  Nagd  (^)  a  naturellement  bénéficié  des  descriptions 
enthousiastes,  célébrant  les  charmes  et  le  climat  de  cette  région.  Leurs 
auteurs  déclarent  préférer  mourir  de  faim  plutôt  que  de  quitter  leur 
patrie,  le  N^agd  et  le  Himâ  Par\\-a  (■*).  Aussi  dans  la  littérature  posté- 
rieure est-il  devenu,  comme  un  topique,  d'éprouver  et  d'exprimer  les 
mêmes  impressions.  Tous  les  vo\ageurs,  tous  les  géographes  croient 
devoir  composer  un  paragraphe  pour  vanter  la  salubrité,  les  avantages 
de  cette  région,  la  constance  de  sa  température  en  toute  saison  ("). 
Les  explorateurs  européens  enregistrent  d'ailleurs  le  même  témoi- 
gnage. 

Exagérations  de  dilettanti!  Tant  qu'on  voudra!  Désir  d'étaler  sa 
familiarité  avec  l'ancienne  poésie  —  devenue  de  bonne  heure  une 
jouissance  d'esthète  —  atavisme,  retrouvant  du  charme  dans  le  pa3"s 
des  ancêtres  !  Tous  ces  sentiments  peuvent  avoir  inspiré  ces  élucubra- 


(')  Cf.   Chantre,   154-55. 

('^)  Aucun  ne  consent  à  s'y  fi.xer,  malgré  les  instances  des  Omayyades.  Souvent 
leurs  gratifications  doivent  aller  les  chercher  au  désert.  Cf.  Chantre,  51-52.  Comment 
concilier  cette  situation  avec  l'hypothèse  de  la  misère,  chassant  les  Arabes  de  leur  pays? 

f)  Cf.  Caetani,   Sliidi,   I,  304. 

(■•)  Aboû  Tammâm,  Hamâsa,  E,  1,  148  ;  Bakrî,  Mo'gam,  626-39  ;  Yâqout,  E.  IV, 
373;  V,  83;  on  regrette  surtout  les  eaux  du  Nagd;  Gâhiz,  Mahâsiti,  119.  Pour 
Himâ  Darj'j'a  voir  plus  haut,  passhn.  Endroit  le  plus  salubre  du  Nagd  ;  Yâqout,  E. 
V,  260  d.  1. 

(^)  Ibn  Gobair,  Travels-,  203-204  ;  Ibn  Batoûta,  Voyages,  I,  408,  lequel  pille 
outrageusement  son  devancier. 


174  La  faim  a  chassé  les  Bédouins  iKi  désert 

tions.  Mais  cette  explication  ne  f)eut  convenir  aux  poètes,  antérieurs 
à  l'hégire,  à  leurs  successeurs  du  premier  siècle,  ayant  célébré  avec 
tant  de  ferveur  leur  patrie.  Une  race  à  son  déclin,  obsédée  par  les 
lugubres  images  de  la  destruction  physique,  luttant  péniblement  con- 
tre l'envahissement  des  sables  n'inventerait  pas  ces  accents.  Des  nau- 
fragés ne  chantent  pas  sur  le  radeau  les  séparant  de  l'abîme  (').  Stoï- 
cisme, insouciance,  comment  l'appeler-  11  n'y  a  pas  d'exemple  d'une 
pareille  fiction  littéraire,  d'un  chauvinisme  aussi  héroïque,  exaltant  le 
bonheur  de  vivre  au  milieu  des  affres  de  l'agonie.  Dans  cette  dernière 
h\-pothèse  on  devrait  pouvoir  surprendre  des  voix  discordantes.  L'in- 
dividualisme bédouin  ne  redoutait  pas  de  se  singulariser,  de  rompre 
en  visière  avec  les  idées  reçues.  Dans  la  défiance,  manifestée  par  le 
Ooran  à  l'égard  des  poètes,  on  retrouve  la  rancune,  la  protestation 
contre  leurs  allures  indépendantes. 


Après  la  mort  de  Mahomet,  la  faim  a  chassé  les  Bédouins  de  leurs 
déserts  (").  Cette  formule  demande  à  être  appréciée  à  sa  juste  valeur. 
Elle  constate  que  le  nomade  n'a  jamais  renoncé  à  l'espoir  d'améliorer 
son  sort  ;  qu'il  demeure  un  incorrigible  pillard,  décidé  à  récolter  là, 
où  il  n'a  pas  semé  (').  Ce  programme,  les  Bédouins  de  l'intérieur  de 
la  Péninsule  l'ont  toujours  mis  en  pratique  aux  dépens  des  palmeraies 
et  des  oasis  (■*),  situées  dans  leur  voisinage,  comme  les  tribus  de  la 
périphérie  n'avaient  jamais  cessé  d'empiéter  sur  les  frontières,  les  sé- 
parant des  pa\'s  de  culture  (^).  On  peut  poursuivre  la  série  de  ces 

(')  Comme  on  le  raconte  des  naufragés  du   Titanic. 

(-)  Parmi  les  conquérants  beaucoup  n'ont  pas  d'habit  de  rechange  ;  Michel  le 
Syrien,  Chronique,  (éd.  Chabot),  II,  421-422.  Parmi  eux  certains  ressemblaient  à  ce 
Bédouin,  dépeint  par  Qotaiba,    Poesis,  361,  8  :  àJ^^  j_^  ■UJ'^  ^.>.».».".i  ^^  LoJ  ^^^  . 

(^)  De  nos  jours  encore  il  s'arroge  des  droits  de  propriété  sur  les  terres  cultivées 
dans  son  voisinage  ;  Auler  Pascha,  Die  Hedschasbahn,   W. 

(*)  Malgré  le  prestige  de  Mahomet  et  l'établissement  du  haram  de  Médine,  les 
Bédouins  ne  cesseront  de  piller  l'oasis  et  d'enlever  les  troupeaux  du  Prophète  ;  Yâ- 
qoût,   E.  V,  90;   I.  S.    Tabaq.,    II'.  .52. 

(^)  Comp.  l'exemple  des  Banou  Godâm  ;    Yazld,   282. 


L'islam  réunit  les  Arabes  175 

empiétements  pour  le  moins  depuis  l'époque  d'Hammourabbi.  Tout 
devait  engager  les  Arabes  à  \-  persévérer.  En  cas  d'échec,  il  leur 
suffisait  de  regagner  leurs  déserts,  où  personne  ne  songerait  à  les 
poursuivre.  Dans  cette  vie  mouvementée,  l'hégire  allait  marquer  une 
date  importante.  La  révolution  religieuse  devait  profondément  boule- 
verser les  conditions  d'existence  de  l'Arabie  occidentale. 

Le  Qoran  travailla  à  réunir  les  tribus  du  Higâz.  La  prédication 
de  Mahomet  réussit  à  mettre  sur  jned  une  armée,  la  plus  nombreuse, 
la  plus  disciplinée  qu'on  eût  vue  jusque-là  dans  la  Péninsule.  Cette 
force  ne  pouvait  longtemps  demeurer  sans  emploi  (').  Par  ailleurs 
l'islam,  en  imposant  la  paix  entre  les  tribus,  ralliées  à  la  nouvelle 
religion  (')  ou  simplement  à  l'état  médinois  en  formation,  —  le  tcilïf 
al-qoloûb  poursuivait  ce  dernier  objectif  —  l'islam  allait  fermer  toute 
issue  à  l'inquiète  activité  des  nomades.  Il  prétendit  supprimer,  à  tout 
le  moins  limiter,  le  droit  de  razzia  (^),  placé  à  la  base  de  cette  so- 
ciété patriarcalement  anarchique.  Il  fallait  s'attendre  à  voir  le  torrent, 
momentanément  endigué,  déborder  sur  les  régions  frontières. 

Que  Mahomet  ait  assigné  ce  but  à  leurs  efforts  r  II  devient  diffi- 
cile de  défendre  cette  thèse,  trop  facilement  acceptée  jusqu'ici.  L'une 
après  l'autre  croulent  les  théories,  échafaudées  pour  explitjuer  les 
origines  du  mouvement  islamique  par  la  mégalomanie  des  rédacteurs 
de  la  Sira  (*).  Le  dramaturge  H.  de  Bornier  (")  s'en  est  inspiré, 
lorsqu'il  nous  présente  le  Prophète  gourmandant  ses  fidèles  trem- 
blants à  l'approche  présumée  des  B^^zantins  C')  : 

Les  Romains  près  de  nous  ?  —  Je  les  trouvais  trop  loin  ! 
Toute  guerre  me  plaît,  qui  mettra  moins  d'espace 
Entre  nous  et  ces  fils  de  la  louve  rapace. 


{')  Voir  Caetani,  Studi,  I,  La  psicologia  délie  grandi  vittorie  musulmane,   338  sqq. 

(2;  Les  chefs  puissants,  comme  'Oyaina  ibn  Hisn,  continueront  leurs  razzias; 
Nagà'id  Garïr,  302,  lô. 

P)  Le  signe  de  la  décrépitude  physique  c'est  ^  iàJl  iJ  y  ;  Naqaid  Garïr,  657,  11. 
Le  généreux  Hàtim  at-Tayy  subordonne  ses  paiements  au  succès  de  la  prochaine 
THzzin;  il  s'acquittera  k.liJl  Jjti  ;  Gâhiz,  Mahâsin,  81. 

(^)  Désireux  de  fournir  une  base  historique  à  l'universalité  de  l'islam. 

(S)  Mahomet,  IH,  se.  5. 

(')  Comment  le  hadït  lui  fait  prédire  le  siège  de  Constantinople  ;  Mo'âxvia,   444. 


176  Mahomet  et  les  conquêtes  extérieures 

Nos  autres  ennemis  :  Persans,  Egjptiens, 

Leur  sort  était  fixé  dans  mes  projets  anciens. 

Je  vois  mieux  sous  le  ciel  que  Médine  et  la  Mecque, 

Je  vois  la  péninsule  italique  et  la  grecque. 

Je  vois  Rome,  ouverte  après  quelques  combats, 

Constantinople,  clé  de  l'Europe  là-bas, 

Puis  l'Espagne  qu'un  double  océan  enveloppe, 

Et  puis  les  profondeurs  obscures  de  l'Europe  ! 

C'est  là  qu'il  faut  aller,  c'est  là  que  nous  irons  ! 

Battre  ces  froides  mers  de  nos  fiers  avirons. 

A  nos  chevaux  guerriers  ouvrir  ce  monde  immense. 

C'est  l'œuvre  de  l'islam,  c'est  moi  qui  la  commence. 

La  tirade  est  éloquente,  mais  on  la  concevrait  à  peine  sur  les 
lèvres  du  calife  Mo'âwia  (').  En  réalité  le  Prophète  est  mort  sans 
avoir  regardé  au-delà  des  limites  de  l'Arabie.  Au  besoin  les  pointes 
rapides,  poussées  par  lui  dans  le  Nord  du  Higâz  auraient  suffi  pour 
calmer  l'ardeur  de  ses  velléités  conquérantes  ("),  s'il  en  avait  nourri 
de  ce  côté.  Toutes  ces  tentatives  se  terminèrent  par  des  désastres, 
comme  Moûta  (^),  ou  se  limitèrent  à  la  levée  d'une  contribution  de 
guerre  ;  ce  fut  le  cas  de  l'expédition  de  Tabouk.  Mahomet  jugea 
prudent  de  ne  pas  dépasser  cette  limite  {*).  Dans  rh\pothèse  d'un 
meilleur  succès,  il  eût  probablement  poussé  plus  loin,  pour  razzier  et 
rançonner  les  districts  du  /unes,  situés  au  delà  de  Adroh  et  de  Gar- 
bâ'.  L'expédition  de  Osâma  ibn  Zaid.  organisée  au  moment  de  sa 
mort,  se  borna  à  un  j'aie/  rapide,  qu'il  ne  put  sans  doute  refuser  à 
l'impatience  des  siens,  réduits  à  l'inaction,  depuis  Taboûk  ('). 

Aboû  Bakr  —  afhrme-t-on  —  lança  les  siens  sur  la  S}  rie,  afin  de 


(')  Au  moment  d'envoj-er  son  fils  Yazïd  au  siège  de  Constantinople!  Cf.  Mo'âwia, 
442  sqq. 

(3)  Cf.   Yazïd;  chap.  XIX. 

P)  Le  récit  traditionnel  de  cette  journée  doit  être  remis  à  l'étude.  La  Stra  l'a 
utilisé  pour  arranger  une  fin  honorable  à  Ga'far  at-Tayyâr,  par  ailleurs  complètement 
inconnu.  On  voulait  également  préparer  le  lecteur  aux  exploits  futurs  de  Hàlid  ibn 
al-Walid. 

(^)  Considérée  comme  la  frontière  du  Higâz.  Il  est  remarquable  qu'on  ne  peut 
prouver  la  présence  de  Mahomet  en  dehors  de  cette  province,  même  du  côté  du  Nagd. 

(5)  Cf.   Yaztd.  loc.  cit. 


Le  climat  du  désert  peut  être  amélioré  177 

produire  une  heureuse  diversion,  après  la  crise  de  la  ridda!  Cette 
diversion,  très  réelle  d'ailleurs,  fut  déterminée  par  une  suite  de  cir- 
constances, indépendantes  de  la  volonté  du  premier  calife.  L'histoire 
des  conquêtes  mieux  connues  (')  montre  comment  les  deux  premiers 
successeurs  de  Mahomet  reproduisirent  dans  leur  attitude  les  hésita- 
tions du  Prophète  (^).  S'ils  interviennent  alors,  c'est  pour  restreindre 
le  mouvement  d'expansion.  Ils  l'auraient  dirigé,  assurait-on  :  en  réalité, 
ils  le  subirent.  Leur  prudence  se  trouva  débordée  par  l'ambition,  sou- 
vent par  l'imprévoyance,  par  l'impéritie  de  leurs  auxiliaires.  Bédouins, 
capitaines,  califes  furent  menés  par  les  événements.  Tout  leur  réussit, 
ius(]u"à  leurs  échecs  ;  ces  derniers  en  les  obligeant  à  renforcer  les 
anciens  cadres  et  à  chercher  l'occasion  d'une  revanche. 

Ensablement,  dessèchement,  évolution  cosmique  et  climatologi- 
que .-  A  notre  avis,  l'expansion  islamique  comporte  une  explication 
encore  plus  terre-à-terre.  Elle  est  née  de  l'irrésistible  penchant  à  la 
razzia,  animant  tous  les  Arabes.  Le  succès  de  ces  incursions  tumul- 
tueuses, dû  à  une  meilleure  organisation  militaire,  leur  a  suggéré  tar- 
divement l'idée  d'occupation  et  de  conquête,  idée  absente  au  début. 


Le  Prof  Walther  (^)  demeure  persuadé  de  la  possibilité  d'amé- 
liorer le  climat  et  le  sort  des  contrées  désertiques  :  «  Avec  la  parole 
magique  irrigatioti  la  jeune  Amérique  restitue  aux  bénédictions  de 
la  culture  d'immenses  étendues  stériles.  Au  moyen  de  gigantesques 
travaux  d'irrigation,  la    Russie   métamorphose  en  un  fertile  jardin  la 


(')  Surtout  depuis  les  travaux  du  Pr.  Caetani.  Ce  n'est  pas  un  mince  éloge  d'a- 
voir pu  entièrement  renouveler  la  matière,  après  les  études  du  regretté  de  Goeje. 

(-)  'Omar  recueillit  le  bénéfice  des  heureuses  imprudences,  commises  sous  Aboû 
Bakr.  En  ce  sens  la  Tradition  a  raison  de  lui  attribuer  le  mérite  des  conquêtes.  Il 
se  vit  entraîné  à  soutenir  militairement  les  bandes  de  pillards,  partis  sous  son  prédé- 
cesseur. 

(3)  Wûstenbildung ,  73,  Rappelons  l'extension  du  système  d'irrigation  en  Egypte, 
depuis  l'établissement  des  barrages  d'Aswân. 

Lammens  —  Btrctau  '2 


178  Ce  que  l'Arabie  doit  aux  Omayyades 

désolée  Transcaspie Il  suffit  d'une  certaine  quantité  d"eau  pour 

faire  produire  à  ces  terres  vierges  les  plus  riches  moissons  »  ('). 

Nous  avons  également  affirmé  notre  confiance  dans  le  rôle  réservé 
à  l'activité  humaine  pour  transformer  les  terres  désertiques.  Il  est  donc 
permis  de  mentionner  «  les  modifications,  produites  par  les  forces  en 
activité  dans  le  désert,  mais  sans  toutefois  amener  un  changement  de 
climat  »  (^).  Ces  agents  de  destruction,  nous  les  avons  signalés  plus 
haut.  Leur  action  se  réduit  à  un  excès  de  minéralisation,  compro- 
mettant le  développement  de  la  vie  végétale.  Le  désert  est  la 
création  de  cette  salinité  e.xagérée.  Nous  avons  de  même  énuméré  les 
forces  agissant  en  sens  contraire,  et  réussissant  avec  des  alternatives 
diverses  à  rétablir  l'équilibre  vital.  L'histoire  climatologique  de  la  Pé- 
ninsule se  résume  dans  la  lutte  de  ces  éléments  opposés.  Il  appar- 
tient à  l'homme  de  promouvoir  l'action  des  forces  conservatrices. 
Combien  en  ce  domaine  son  action  peut  être  féconde,  nous  pensons 
l'avoir  montré  plus  haut. 

A  la  gloire  des  Oma\\ades  Ibn  Qais  ar-Roqa^yât  a  consacré  le 
vers  suivant  Ç^)  : 

«  Pépinière  de  rois,  seuls  ils  s'entendent  à  réaliser  le  bonheur 
des  Arabes  », 

Toute  l'histoire  de  la  dynastie  omay^-ade  prouve  la  vérité  de  cette 
affirmation.  Elle  fut  par  excellence  la  dynastie  arabe,  das  arabische 
Reich  !  Ces  souverains  n'ont  pas  seulement  attesté  leur  habileté  dans 
le  gouvernement  des  nomades  ;  mais  la  Péninsule,  le  Hii^âz  en  par- 
ticulier, leur  doivent  les  plus  enviables  bénédictions,  la  preuve  tangi- 
ble des  ressources,  cachées  dans  les  entrailles  de  cette  terre.  Elle  suc- 
combait sous  les  rigueurs  du  climat,  non  moins  peut-être  sous  l'aban- 
don, où  la  laissaient  ses  populations  fatalistes,  mal  préparées  par  des 

(')  Abondance  des  eaux  d'arrosage;  Aboû  ^'oûsof,  Harâg,  55,  5  sqq.  Cf.  Auler 
Pascha,  Die  Hedschasbahu,   II,  chap.   III,    Wasserversorgung ,  p.  55  sqq. 

(■-)  Walther,  op.  cit.,  289. 

(^)  Au  sortir  des  longues  guerres  civiles,  consécutives  à  la  chute  des  Sofiânides. 
Le  poète  parle  d'expérience  ! 

(■*)  Ibn  Qais  ar-Roqayyât,  Divan,   1,  35. 


Travaux  du  calife  Mo'awia  179 

siècles  de  liberté  anarchique  à  la  lutte  contre  les  éléments  hostiles. 
«  Le  sûï/,  l'inondation  apporte  la  bénédiction  I  »  chantait  le  poète  Ho- 
tai'a  ('),  un  des  moins  sympathiques  représentants  de  l'individualisme 
bédouin.  Rien  de  plus  exact.  La  climatologie  ne  pourrait  mieux  dire  ! 
Périodiquement  les  trombes  d'eau,  les  inondations  (^)  doivent  débar- 
rasser la  steppe  arabique  de  ses  efflorescences  salines  ('),  de  la  gaine 
minérale,  sous  lesquelles  elle  étouffe.  La  tâche  n'est  pas  facile.  Cer- 
taines sabaha  —  nommons  celle  de  'Orâ'ir  —  <  demeurent  infécondes, 
même  après  avoir  été  lavées  par  six  mois  de  pluies  ininterrompues  » 

Les  califes  de  Damas  assumèrent  la  mission  d'assurer  à  leur  pa- 
trie d'origine  le  bénéfice  d'une  inondation  disciplinée,  régularisée.  Ils 
créèrent  l'arrosage  artificiel  (^),  pour  suppléer  aux  caprices,  à  l'insuf- 
fisance des  eaux  météoriques.  Dans  notre  Mo'ànna  (242-43),  nous  avons 
donné  l'esquisse  de  ces  efforts,  remarquables  pour  le  pays  et  l'époque, 
où  ils  furent  tentés.  Ces  travaux  permirent  aux  croyants  dans  les  \'il- 
les  saintes  d'accomplir  les  cinq  lotions  quotidiennes,  introduites  après 
la  mort  de  Mahomet  par  l'évolution  rituelle.  Le  premier  calife  sofiâ- 
nide  ne  recula  pas  devant  d'énormes  dépenses  pour  creuser  des  puits, 
établir  des  jardins  à  'Arafa  et  jusque  dans  la  stérile  banlieue  de  la 
Mecque  (^).  Il  \-  éleva  des  digues  contre  les  inondations  soudaines, 
causées  par  les  trombes  hivernales,  il  construisit  des  fontaines  avec 
des  réservoirs   pour  arroser  les  propriétés  voisines  (").  Ces  mesures 


(')  Divan,  III,  7  ;  ou  plutôt  c'est  le  scoliaste,  interprétant  Hotai'a,  comme  suit  : 
^  jjc  ftU.  <Ov^  ils.  \'>\  . 

(-)  Balâdorî,  Foioûh,   11,  3;  digues,  barrages;  ibid.  11. 

(^)  Les  sabaha,  empiétant  sur  le  domaine  des  oasis,  comme  à  Médine  ;  Bakrî, 
Mo'gam,  205,  332,  762  ;  cf.  Yâqoût,  E.  XT,   132,  bas. 

(1)  Yâqoût,  E.  VI,   133. 

(^)  A  Médine  ^J^  devient  fréquemment  synonyme  de  JUo  =1  domaine  ;  cf.  Bakrî, 
Mo'gam,  624,  4.  On  commençait  par  creuser  un  puits;  eau  et  ydi  ;  Yâqoût,  E.  V,  83,  3  d.  1. 

(^)  Sur  la  végétation  spontanée  de  ce  district,  voir  Balâdorî,  Fotoûh,  44-45. 

C)  Voir  les  références  dans  Mo'âwia,  243.  Bohârï,  SahVi.  (Kr.)  Il,  222,  10.  Il 
est  malaisé  de  décider  si  les  nombreux  sadd  ou  sodd  désignent  un  barrage  pour  les 
eaux,  ou  une  montagne,  barrant  la  route.  Cf.  Tûg  'Aroûs,  II,  373  ;  Gloss.  Tabarî, 
s.  V.  .^^ui  ;  Mo'âwia,   248,  n.  5. 


180  Même  sujet 

transformèrent  les  environs  de  la  Mecque,  où,  un  demi-siècle  aupara- 
vant, les  contemporains  de  Mahomet  trouvaient  l'existence  insuppor- 
table ('). 

Pour  capter  les  eaux,  recueillies  sur  les  flancs  abrupts  du  mont 
Ohod,  Mo'âwia  se  vit  forcé  de  pratiquer  des  tranchées  dans  le  cime- 
tière, où  la  Tradition  place  les  tombes  des  martyrs  de  la  fameuse 
bataille  ('").  Cette  opération  amena  leur  exhumation  sans  soulever 
d'ailleurs  des  protestations  (^).  Mo'awia  n'hésite  pas  davantafje  devant 
les  travaux  considérables,  nécessités  pour  amener  l'eau  des  sources, 
captées  au  loin  dans  les  montagnes  {*). 

Chez  les  Omayyades,  les  domaines  du  Higâz  figuraient  en  tète 
de  leur  liste  civile.  Tous  travaillèrent  à  les  arrondir.  Il  était  interdit 
de  les  aliéner  ;  à  aucun  prix  ils  ne  devaient  sortir  de  la  famille  ré- 
gnante (^).  Cet  attachement  aux  oasis  minuscules,  péniblement  mises 
en  valeur,  devait  contribuer  à  augmenter  la  prospérité  agricole  du 
Higâz.  Toutes  les  grandes  familles  de  Qorais,  et  celles  originaires  de 
Médine,  tinrent  à  honneur  de  rivaliser  avec  le  souverain  pour  amé- 
liorer les  propriétés,  situées  en  cette  province.  Nous  savons  comment 
elles  se  virent  récompensées.  On  en  trouve  la  meilleure  preuve  dans 
le  prix  des  terres  et  l'importance  des  récoltes,  obtenues  à  cette  épo- 
que (').  Un  gouverneur  de  ce  temps  estimait  le  bénéfice  annuel,  réa- 


(')  Ibn  Hisâm,  Sîra,   188  ;  cf.  République  marchande,  28-29. 

C^)  Il  s'agissait  en  réalité  d'un  cimetière  de  Bédouins,  morts  de  la  petite  vérole. 
Cf.  Fathna,  index  s.  v.  Ohod;  Hanbal,  Mosnad,  III,  398,  5;  Wâqidi  (Kr.),  263: 
Mo'âwia,  243,  n.  4. 

(■')  Voir  pourtant  Goldziher,  M.  S.,  Il,  314.  En  réalité  la  Tradition  au  sujet  des 
tombes  d'Ohod  n'était  pas  encore  formée  ;  Ibn  Hagar,  Isâba,  E.  I,  354.  Cette  circon- 
stance expliquerait  l'indifférence  des  contemporains  de  Mo'âwia. 

(*)  Mo'âwia,  248. 

(5)  On  voit  un  frère  du  calife  et  'Abdallah,  fils  de  'Amrou  ibn  al-'Àsi,  se  disputer 
un  de  ces  domaines,  les  armes  à  la  main;  Moslini,  Sahîh-,  II,  67.  Peut-être  des  ^a- 
daqàt,  comme  c'est  le  cas  pour  les  'Alides,  Zobairides  etc.  Pourtant  je  ne  rappelle 
aucune  mention  de  sadagàl  omayyades  au  Higâz. 

(^)  Voir  plus  haut.  Les  Zobairides  créent  des  domaines  dans  la  dépression,  «  wâdi 
TaboQk  »  ;  Vâqoût,  E.  V,  70,  12.  Pour  les  environs  de  la  Mecque,  \.^  *p^  C^X^ 
j_yiUJI  JU.0I  ,  (citation  dont  je  ne  retrouve  plus  l'original). 


Intervention  désastreuse  des  'Abbâsides  181 

lise  par  lui  dans  le  seul  gouvernement  de  la  Mecque  supérieur  à  la 
somme  globale  de  100,000  dirhems  ('). 

Lavénement  des  'Abbâsides  ruina  toutes  ces  belles  espérances. 
Triste  exemple  de  l'influence  néfaste,  exercée  par  la  politique  sur 
l'avenir  économique  d'une  région  (^).  Pour  l'Arabie  on  a  trop  souvent 
négligé  ce  facteur  important.  Le  triomphe  des  califes  de  Bagdad  mar- 
qua la  fin  de  l'hégémonie  arabe  et  l'apogée  de  l'activité  littéraire  des 
So'oûbyya,  ennemis  déclarés  de  la  supériorité  politique  des  conqué- 
rants. Pour  mieux  la  battre  en  brèche,  ils  se  mirent  à  railler  la  gros- 
sièreté de  mœurs,  la  misère  des  nomades  (')  ;  ils  exagérèrent  la  déso- 
lation physique  de  l'Arabie.  Ces  thèmes  devinrent  à  la  mode  dans 
les  cercles  officiels  de  Bagdad.  Plus  funeste  pour  le  pays  que  ce  mou- 
vement littéraire  fut  l'attitude  des  nouveaux  détenteurs  du  califat. 

Ils  s'acharnèrent  sur  les  monuments,  élevés  par  leurs  rivaux,  sur 
leurs  tombes  et,  fait  plus  grave  pour  le  sort  économique  du  Higâz, 
sur  les  œuvres  d'art,  sur  les  travaux  d'intérêt  agricole,  exécutés  par 
les  Omay3'ades  (*).  Ce  fut  le  signal  de  la  longue  décadence  où  cette 
province  continue  à  gémir.  Les  familles  dirigeantes,  les  grandes  for- 
tunes, les  capitaux  émigrèrent,  laissant  derrière  elles  la  ruine  et  l'a- 
narchie. Les  barrages  cessèrent  d'être  entretenus  ;  les  puits  furent  com- 
blés; leurs  eaux  s'évaporèrent  et  se  changèrent  en  dépôts  salins  (^). 
Le  sable  envahit  les  palmeraies,  les  efflorescences  minérales  recouvri- 
rent la  superficie  des  himà,  des  pâturages  réservés,  créés  par  l'indu- 
strieuse sollicitude  des  anciens  califes.  Pendant  deux  ou  trois  siècles, 


(')  Cf.  Ag.,-  m,   103,  4;   Mo'âuna,  30,  n.  3. 

(2)  Winckier,  iî/i//.  vorderasiat.   Gesells.,   1901,  p.  39;  Caetani,  Studi,   I,  316. 

P)  Voir  plus  haut.  On  insiste  beaucoup  sur  les  lézards,  mangés  par  les  Bédouins; 
Yâqoût,  E.  m.  205,  d.  1.  Conip.  le  portrait  repoussant,  tracé  du  père  du  poète  Garîr; 
Qalqasandî,  Sobh,  I,  229.  La  contrepartie;  Gâhiz,  Mahâsin,  202,  sqq. 

Cj'Cf.  Mo'auiia,   242,  n.  3. 

(')  Peu  de  puits  anciens  ;  à  Mosallal  les  eau.x  ont  disparu  depuis  la  période  isla- 
mique ;  Naqâ'id  Garîr,  166,  6-8  ;  Bakrî,  Mo'gam,  l'i'),  2  d.  1.  j_pjbla.  |»J.JJ>  tU»  ;  (ibid., 
764,  5,  à  propos  de  Mosallal,  il  faut  lire  Moslim  ibn  'Oqba  au  lieu  de  Moslim  ibn 
Qotaiba.  Il  s'agit  du  terrible  vainqueur  de  la  Harra  ;  cf.  Yaztd,  chap.  XVII).  Yâqoût, 
E.  V,  111  ;  autres  puits  comblés;  ibid.,  V,  357.  Comparez  à  l'époque  préislamite  le 
zèle  des  principaux  Qoraisites  pour  creuser  de  nouveaux    puits  ;    Bakri,  op.  cit.,  766. 


182  Abandon  de  l'Arabie 

on  continua  à  manifester  de  l'intérêt  pour  la  route  des  pèlerinages, 
menant  de  l'Irac]  aux  villes  saintes.  Quant  au  pays  lui-même,  il  avait 
perdu  son  importance  aux  3'eux  de  souverains,  tous  fils  d'esclaves 
étrangères,  se  débattant  péniblement  contre  les  maires  du  palais  et 
la  turbulence  des  gardes  prétoriennes.  Désormais  dans  la  lutte  contre 
l'implacable  climat,  la  Péninsule  se  trouvera  abandonnée  à  elle-même. 
Abandon  redoutable!  Nous  le  comprendrons  mieux,  quand  nous 
aurons  connu  de  plus  près  les  Bédouins. 


III. 


LES     BÉDOUINS 


in 

Jugement  général  sur  le  Bédouin.  Ses  qualités  morales.  Son  in= 
dividualisme;  son  courage  douteux.  La  ténacité,  sa  qualité 
maîtresse 


Dans  les  pages  précédentes,  nous  nous  sommes  attardé  à  étudier 
l'aspect,  les  conditions  ph^-siques  de  l'Arabie,  les  ressources  offertes 
par  le  pays  à  l'existence  et  au  développement  d'un  peuple.  11  est 
temps  de  nous  occuper  de  ce  dernier.  Après  avoir  minutieusement 
inspecté  le  domaine,  étudions  son  propriétaire. 

Sur  un  territoire  ainsi  constitué,  végète  une  population  forcé- 
ment clairsemée.  Elle  se  divise  en  deux  fractions  ;  les  nomades  et  les 
sédentaires,  les  Bédouins  et  les  habitants  des  oasis  et  des  villes.  Nous 
aurons  vite  fait  d'énumérer  les  cités  du  Higâz.  On  comptait  en  tout 
trois  agglomérations  urbaines:  au  Nord  JNIédine,  au  .Sud  la  Mecque 
et  non  loin  de  celle-ci  vers  l'Orient  et  le  Nagd,  Tâif,  située  dans  la 
chaîne  de  Sarât  (*). 

Les  Bédouins  formaient  la  grande  majorité  de  la  population  du 
Higâz.  A  ce  titre  ils  méritent  d'attirer  les  premiers  notre  attention. 
Chez  eux  le  type  arabe  s'est  le  mieux  conservé.  On  n'en  peut  dire 
autant  des  sédentaires.  Quoique  incessamment  renouvelés  par  les  af- 
flux  du   désert,   parmi   eux  les  influences    et   même  des    infiltrations 


(*)  Les  pages  suivantes  reproduisent  un  cours,  professé  à  la  Faculté  orientale  de 
l'Université  de   Beyrouth. 

(')  Maqdisî,  Géogr.,  83,  bas,  proclame,  pour  son  époque,  Qorh  (centre  principal 
du  Wâdi'l  Qorâ)  la  ville  la  plus  importante  du  Higâz.  Pour  la  période  voisine  de 
l'hégire,  rien  ne  trahit  l'existence  au  Wâdi'l  Qorâ  d'un  centre  urbain  considérable. 
Cfr.  Vâqoût,  L.  VU,  48-49,  te.xtes  anciens  relatifs  à  Qorh  ;  Bakrï,  op.  cit.  736. 


186  Intelligence  du  Bédouin 

étrangères  sont  indéniables.  La  Mec(iue  était  un  centre  cosmopolite  ('), 
Médine  fortement  judaïsée.  Rien  de  pareil  cliez  les  Bédouins,  protégés 
par  leur  isolement  contre  l'envahissement  des  mœurs  du  dehors. 

Que  penser  de  l'Arabe .'  Quel  jugement  porter  sur  l'habitant  des 
mystérieuses  solitudes  de  l'Asie  Antérieure }  Comment  ce  peuple,  la 
veille  inconnu  du  vieux  monde,  fut-il  amené  à  une  brusque  entrée  en 
scène  sur  le  théâtre  de  l'histoire.'  Il  s'agit  d'énumérer,  de  préciser 
les  causes  qui  le  préparèrent  à  être  le  créateur,  le  propagandiste 
armé  du  monothéisme  le  plus  récent  ;  ^^i—'i)!  sîu ,  la  matière  de  l'islam  ('), 
selon  une  expression,  attribuée  au  calife  'Omar. 


L'Arabe  est  un  peuple  éminemment  ouvert  (^).  Même  rencontré 
pour  la  première  fois,  le  Bédouin,  malgré  ses  dehors  frustes,  ne  peut 
être  confondu  avec  un  barbare.  Son  attitude  décidée,  l'a  propos,  la 
finesse  de  ses  répliques,  l'aisance,  avec  lesquelles  il  accueille  l'étranger, 
produiraient  bien  plutôt  l'impression  de  quelque  gentilhomme  déchu, 
d'un  descendant  attardé  des  patriarches  bibliques.  Tout  chez  ce  gueux 
complète  l'illusion,  jusqu'à  ses  dehors  solennels,  et  ses  haillons  dé- 
coratifs. Placé  dans  des  conditions  favorables,  il  est  en  mesure  de 
s'assimiler  nos  progrès  les  plus  raffinés.  Il  fournira  des  d\nasties  à 
la  Babvlonie,  un  législateur  comme  Hammourabbi  ;  à  Rome  un  em- 
pereur, Philippe  l'Arabe,  des  adversaires  aussi  redoutables  que  Zé- 
nobie,  un  moment  maîtresse  de  l'Orient.  Il  élèvera  les  monuments  de 
PalmjTe  et  de  Pétra  et  concentrera  entre  ses  mains  le  commerce  de 
l'Asie  Antérieure.  Cet  illettré  aime  et  cultive  passionnément  une  poésie, 
à  la  facture  savante,  aux  formes  archaïques,  riche  d'expressions  sen- 
tentieuses  plus  que  d'idées,  ne  manquant  d'ailleurs  ni  d'harmonie,  ni  de 


(')  Cfr.  notre  Répîiblique  marchande. 

{*)  s>Ui  signifie  aussi  secours,  réservées,  comme  JiXc  ;  'Omar  a  pu  viser  cette 
dernière  signification.  Les  citadins  de  Médine  lui  ont  fait  proclamer  que  les  Bédouins 
constituent  les  réserves  armées  de  l'islam. 

(5)  Doughty,  Travels,  II,  32,  89  les  trouve  fins  politiques  ;  Comp.  A.  Musil,  .-ira- 
bia  Petraea,   III,  24. 


Son  individualisme  187 

pittoresque,  ni  surtout  d'une  étonnante  variété  de  formules.  Si  la  lan- 
gue peut  être  considérée  comme  reflétant  l'image  d'un  peuple, 
l'idiome  arabe  devrait  suffire  pour  nous  interdire  de  reléguer  les  Bé- 
douins parmi  les  nations  sauvages.  Structure  grammaticale  merveil- 
leuse, abondance  de  formes,  opulence  étonnante  du  vocabulaire,  voilà 
assurément  des  propriétés  philologiques  peu  communes.  Ce  sont  celles 
de  l'idiome  du  désert. 

X'enons  aux  qualités  morales  (').  Ici  une  grande  réserve  s'impose. 
Après  une  longue  familiarité  avec  plusieurs  fractions,  composant  le 
peuple  arabe,  avec  sa  vaste  littérature,  je  ne  me  sens  pas  le  courage 
de  reprendre  à  mon  compte  le  tableau  idyllique,  élaboré  par  certains 
orientalistes.  Sous  l'influence  de  souvenirs  littéraires,  il  nous  arrive 
d'emboîter  trop  facilement  le  pas  derrière  ces  maîtres.  Quand  j'aurai 
qualifié  le  Bédouin  à' individualiste,  j'aurai  renfermé  en  un  mot  les  plus 
graves  lacunes  de  son  caractère  moral.  Jamais  il  n'est  parvenu  à  se 
hisser  jusqu'à  la  dignité  d'animal  social,  jroXitixov  twov  (").  D'où  ab- 
sence de  dévoûment,  de  sacrifice  à  l'intérêt  commun;  tout  le  cortège 
des  bienfaisantes  vertus  sociales  :  la  douceur  surtout,  l'humanité, 
charmes  de  cette  vie  terrestre,  UioJl  is'Uil  i^^  (^),  lui  font  défaut. 

L'âpre  désert,  où  se  dresse  sa  tente,  le  force  à  \'ivre  dans  l'iso- 
lement, lui  et  les  siens.  La  solitude  farouche  exaspère  son  individua- 
lisme. Chaque  voisin  devient  pour  ainsi  dire  un  rival,  venant  lui  dis- 
puter l'eau  parcimonieuse  du  puits  et  les  maigres  pâturages,  l'herbe 
rare,  assurant  l'existence  de  son  troupeau  (^).  Situation  tendue  I  In- 
cessamment elle  ramène  la  répétition  des  scènes  bibliques  de  l'épocjuc 


(')  Pour  les  pages  suivantes,  consulter  Caetani,  Stiidi,  pp.  376-400:  Le  caratte- 
risUche  principali  délia  natura  araba  ;  ensemble  d'obser\ations  très  fines;  Cl.  Huart, 
Histoire  des  Arabes,  I,  9-43,  sans  oublier  Goidziher  71/.  S.,  I,  passim,  auquel  il  faut 
sans  cesse  se  reporter,  surtout  pp.   1-146. 

(^)  Comme  Tofail  ibn  'Àmir,  il  peut  dire  :  s  Juw^l  CL"^  ^l^j  Jl^^  (Gâhiz, 
Mahàsin,  103);  le  Bédouin  recherche  d'instinct  Visolement.  Seule  garantie  de  sa  tran- 
quillité ;    ,1>'>JI  (3  Lj^Lo  ïî^l  (3  '>?)'JiJ    Gâhiz,  Bayân,   I,   176,   14. 

(3)  Comme  s'exprime,  en  une  autre  occasion,  le  Qoran. 

{*)  Caetani,  Siiidî,  I,  381-82.  Hâtim  Tayy  prend  la  place  d'un  prisonnier,  en  at- 
tendant que  ce  dernier  rapporte  la  somme,  promise  par  Hâtim;  Gâhiz,  Mahàsin,  81. 


188  Dureté  du  Bédouin 

patriarcale.  Moderne  Abraham,  le  cheikh  bédouin  reprend  le  geste 
de  l'oncle  de  Lot  et  invite  ses  parents,  ses  alliés  à  s'éloigner  à  droite 
ou  à  gauche.  a**o1^  «àl  jr>y  :  la  terre  d'Allah  est  vaste  !  (Ooran,  i?P,  56; 
39,  13). 

De  l'individualisme  le  nomade  possède  tous  les  défauts  et  aussi 
les  douteuses  et  contestables  qualités  :  la  confiance  en  lui-même,  une 
sombre  résolution,  sans  oublier  l'égoïsme  (')  et  la  rapacité.  Avec  ses 
l^oètes,  f  parmi  les  bois,  il  n'estime  que  les  plus  noueux,  parmi  les 
oiseaux,  le  faucon  obtient  ses  préférences  : 

L'isolement  achève  d'endurcir  son  âme,  d'émousser  sa  sensibilité. 
Aisément  il  se  laisse  entraîner  à  maltraiter  les  faibles  :  les  femmes  et 
les  enfants  (^).  Par  contre  en  exaltant  toutes  ses  facultés  natives,  en  les 
tendant  au  point  d'en  tirer  le  maximum  d'énergie,  en  l'obligeant  à 
compter  sur  lui  seul,  la  solitude  l'a  empêché  de  tomber  dans  la  ba- 
nalité, dans  la  vulgarité,  dans  la  médiocrité  enfin.  Son  stade  inférieur 
de  développement  social,  sa  vie  familiale  et  grégaire  ne  sauraient 
les  tolérer.  Ainsi  le  rude  climat  du  désert  supprime  impitoyablement 
les  individus  mal  constitués.  Notre  civilisation  au  contraire  se  montre 
accueillante  pour  les  vertus  mo}ennes.  ^  Elle  a  créé,  dit  M.  Faguet, 
la  médiocrité  protégée  par  les  lois,  vivant  en  sécurité  et  s'entrete- 
nant  à  peu  de  frais,  de  pensées  nobles,  de  lectures  saines,  de  re- 
ligion consolatrice  et  fortifiante,  d'arts  aimables  et  agréablement  pué- 


(')  Comp.  cette  prière  d'un  Bédouin  contemporain  du  Prophète  :  «  Allah  !  par- 
donne-moi et  à  Mahomet  et  à  personne  d'autre;  15.a,.l  Ujt^  ^>i>.y  'Va  l->^«  ,__y^y  |«^l. 
Hanbal,  Mosnad.   II,  283,  5.  Comp.  ibid.,   II,  503,  9.  ^ 

(-)  Ag.,  XI,  95;  comparaison  de  Hansâ",  appliquée  à  ses  deux  frères:  U-^if  U-*5 
^^  ^  I  ÛC  jS  ^\X^  \yy^,  ^i  Divan,  44,  4  ;  88,  3;  comp.  Gâhiz,  Bayait,  11, 
37,  9  d.  1.  Bois  durs;  Ibn  Qais  ar-RoqayySt,  Divan,  84,  1,  2.  J^y»,  un  arbre  sans 
épines  désigne  un  objet  sans  valeur  ;  Naqâ'id  Garîr.  225,  2  v.  ;  comparaison  employée 
par  Haggag;  Gâhiz,  Bayân,  II,  32;  Ag.,  XX,  18,  9;  Bohtorî,  Hamâsa,  n.»'  639,  v.  7. 
895,  V.  3. 

(3)  Et  aussi  les  vieillards,  parfois  abandonnés  par  les  leurs  ;  cf.  Sigistânï,  Mo'am- 
inaroûn,   33,  37.  Voir  plus  loin. 


Le  respect  de  la  femme  189 

rils  »  (').  Aucune  de  ces  ressources  au  désert  :  point  de  société,  point 
d'autorité,  veillant  sur  les  droits  de  l'individu  ;  en  fait  de  religion,  des 
terreurs  et  des  pratiques  superstitieuses,  un  fétichisme  grossier;  nous 
le  verrons  plus  tard.  Tout  un  ensemble,  étouffant  la  sève  des  qua- 
lités mitoyennes  (-),  mais  d'alitant  plus  propice  au  développement 
de  l'individualisme  et  de  la  personnalité  1 

On  doit,  il  est  vrai,  aux  vieux  poètes  bédouins,  ceux  d'avant  l'is- 
lam, la  proclamation  de  certains  principes  généreux,  le  rappel  à  des 
mœurs  plus  humaines.  La  gara  —  c'est  à  dire  la  femme  —  à  défaut 
de  ses  protecteurs-nés,  ils  la  plaçaient  sous  la  sauvegarde  de  l'opi- 
nion. Modeste  éclosion  d'un  sentiment  délicat,  contenant  en  germe  la 
chevalerie  du  mo\en-âge,  fleur  prématurément  flétrie  par  le  contact 
brutal  de  l'islam  (■').  Trop  souvent  la  pratique  venait  infliger  un  dé- 
menti retentissant  aux  généreuses  théories  des  bardes  du  désert  (*). 
Elles  profitaient  tout  au  plus  aux  femmes  de  la  tribu,  —  à  l'exclusion 
des  étrangères  —  surtout  quand  leur  parenté  se  trouvait  en  mesure 
de  venger  le  déshonneur.  Un  fait  mérite  d'être  noté:  il  possède  la 
valeur  d'un  aveu.  Le  culte,  le  respect  chevaleresques  de  la  femme, 
l'opinion  bédouine  a  cru  devoir  en  réser\-er  le  monopole  à  la  tribu 
des  Banoû  'Odra  (').  Or  cette  tribu  était  chrétienne.  On  le  lui  repro- 
chait encore  à  la  fin  du  premier  siècle  de  l'hégire.  Les  Banoû  'Odra, 
disait-on,  se  divisent  «  en  deux   catégories:  des  moines,  établis  dans 


(')   Rei'.  des  deux  mondes,   15  Dec.   1912,  p.  909. 

(')  Traits  héroïques,  attribués  à  Hâtim  Tayy;  Gâhiz,  Mahàsin,  81  ;  autre  trait,  cité 
dans  Ag.,  X,  23,  Bédouin  se  voue  à  la  mort  pour  sauver  les  femmes  de  la  tribu  ; 
Bakri,   Mo'gam,    469,    3.    Dévouement  apocryphe  de  Doraid    ibn  as-Simma  ;    So'arà' , 

'rn-%0. 

(3)  Cfr.  iVo'âwia.  333. 

(*)  Ainsi  Hâtim  Tayy  viole  les  mois  sacrés  ^-vl-.  i_->JJ:>^.  >yJ^  r{-^'  (j  r  r*- 
(ici  A^l->  ^  objet  à  dérober)  et  simultanément  déploie  sa  générosité  ;  Gâhiz,  Mahàsin,  81 . 

(^)  Uniquement  parmi  eux  on  aurait  rencontré  l'amour  platonique;  cf.  Ag.,  X,  50, 
bas.  Voir  les  Tables  d'Agâni,  s.  v.  ï.JLs  ;  notice  de  Gamïl,  ibid.,  III,  77-100;  voir  ce 
nom  et  celui  de  Botaina  ;  Ag.,  XX,  152-154.  DoQ'l  Osbo'  proteste  de  son  respect  pour 
l'honneur  des  femmes  —  de  sa  tribu  — ;  So'arà',  630,  8,  9,  11.  «Je  détourne  mes 
yeux  de  la  gara,  quand  le  vent  renverse  sa  tente  »  ;  So'arà',  905,  5;  'Orwa  ibn  al-Ward 
déclare  respecter  les  captives;  So'arà'.  889,  2;  comp.  p.   750. 


190  Jamais  cruel  sans  nécessité 

le  couloir  de  Wâdi'l   Oorâ,  ou   des   prêtres   parmi   les  chrétiens  de 
S^'rie, 

Les  chrétiens  arabes  de  Natjrân  se  vantaient  de  respecter  la  vie 
de  leurs  prisonniers  et  l'honneur  des  femmes  (').  Programme  trop 
élevé  pour  la  mentalité  réaliste  des  Bédouins!  Ils  préféraient  reven- 
diquer la  gloire  de  ne  pas  posséder  des  <  lances  chrétiennes  »  (')  ;  en 
d'autres  termes,  ils  ne  s'embarrassaient  pas  des  scrupules  d'humanité 
professés  par  leurs  compatriotes,  disciples  du  Christ  (*).  Pourquoi  le 
Ooran  est-il  venu  brusquement  interrompre  la  douce  influence  de  l'E- 
vangile (^)  sur  le  fils  du  désert? 

Malgré  les  ombres  de  ce  tableau,  cet  homme  ne  devient  jamais 
vulgaire,  ni  cruel  sans  nécessité.  Il  n'éprouvera  aucun  scrupule  à  dé- 
pouiller un  voyageur,  égaré  sans  protecteur  officiel  sur  le  territoire 
de  sa  tribu.  Mais  il  ne  touchera  pas  à  sa  peau,  à  moins  que  la  rési- 
stance de  la  victime  ne  l'y  oblige.  Ce  dut  être  le  cas  du  blessé  évan- 
gélique,  soigné  par  le  bon  Samaritain  sur  le  chemin  de  Jéricho.  Dans 
les  bonnes  années,  quand  des  pluies  abondantes  auront  ranimé  la  vé- 
gétation et  gonflé  les  mamelles  de  ses  troupeaux,  ou  bien  encore,  à  la 
suite  d'une  razzia  fructueuse,  le  saloftk,  terreur  de  la  steppe,  se  trans- 
formera soudain  en  grand  seigneur  et  exercera  noblement  la  généro- 
sité. Il  mettra  à  la  broche  les  chameaux  enlevés,  pour  en  nourrir  les 
orphelins  et  les  veuves  de  la  tribu  (").  Surtout  lorsqu'un  poète  se  trou- 


(1)  Ag.,  VII,   101,   11  d.  1.   Pour  ^li  conip.  Ag.,  XX,   154,  7  d.  1.,  136. 

(^)  Ag.,  X,  147,  16.  Voilà  pourquoi  les  fugitifs  leur  confiaient  volontiers  la  garde 
de  leur  famille;  cf.   Vazîd,  343;  So'arâ'.  779,  1. 

P)  So'arâ'  an-nasrânyya,  éd.  Cheikho,  190,  4  ;  cf.  Mo'àivia,  429-30.  Sur  la  loyauté 
des  chrétiens  et  des  Arabes  monothéistes,  voir  plus  bas. 

(*)  Le  Qoran,  57,  27  insiste  sur   cette  caractéristique:  j^yyJI    ^_iyX-i   ^^   UJj»:^. 

(•^)  Celle  des  moines  et  des  prêtres,  de  nouveau  reconnue  par  le  Qoran.  Voir 
précédemment  p.  30. 

C')  'Orwa  ibn  al-Ward  vole  les  riches  pour  enrichir  les  pauvres;  So'arâ' ,  906. 
Vers  d'Aswad  ibn  Va'for;  Ag.,  XI,   134,  10-9  d.  1.;    autres  de  Hâgiz;    Ag.,  XII,  ôO. 


Le  type  du  «  sa'louk  »  191 

ve  à  ses  côtés  pour  trompetter  aux  quatre  coins  de  l'Arabie  les  preu- 
ves de  sa  munificence,  pour  mesurer  les  dimensions  de  ses  chaudiè- 
res fumantes  (').  Le  t\'pe  devait  exercer  une  véritable  séduction  sur  les 
contemporains,  puisque  nous  voyons  la  chaste  Lailâ  al-Ahial\ya  con- 
sacrer son  talent  poétique  à  glorifier  Tauba  ('),  un  détrousseur  de 
grand  chemin,  pour  lequel  notre  code  n'aurait  jamais  prévu  des  pé- 
nalités assez  sévères. 

« 

On  l'a  proclamé  courageux.  L'on  a  même  attribué  à  sa  valeur 
les  succès  des  premières  conquêtes  musulmanes.  J'hésite  à  partager 
une  opinion  aussi  favorable  (').  Encore  serait-il  bon  de  s'entendre  sur 
le  concept  du  courage.  Un  illustre  ph3-siologiste  Beaunis  énumérait 
133  variétés  de  douleur.  C'est  sans  doute  excessif.  Les  Stoïciens  la 
réduisaient  à  être  un  mot  ;  ce  qui  devient  décidément  insuffisant.  Mais 


(1)  Cf.  Vaztd,  192-93;  Ag:,  XI,  lo<r.  cit.;  155,  1,  10;  XII,  25,  8  d.  1.  ;  26,  5;  49. 
Hâtim  at-Tayy  tire  des  traites  sur  la  prochaine  razzia;  il  s'acquittera  k  ,LàJl  Ojo  ;  Gâhiz, 
-Mahâsin,   81. 

I-)  Ag.,  X,  67-84;  voir  le  nom  de  Lailâ  à  l'index  d'Agâni  ;  ces  faVoSA  sont  halîf 
des  grandes  familles  qoraisites;  Ag.,  XII,  49,  bas;  —  ainsi  en  Turquie  les  riches 
propriétaires  entretiennent  des  brigands  à  leur  solde  —  \'oir  le  divan  de  Lailâ  dans 
Hansâ'  Divan,  p.  99-117.  'Onva  le  sa'loûk  est  qualifié  de  '>\^\  Ibn  Doraid,  Istiqàq, 
170.  Lailâ  proclame  Tauba  «  plus  réser%é  qu'une  jeune  fille  »  ;  dans  Hansâ',  Divayi, 
106,  1.;  comment  elle  le  défend  contre  l'accusation  de  brigandage;  ibid.,  103;  112,  3 
etc.  ;  «  il  vécut  sans  peur  et   sans  reproche  »  i_y^l  ei*  j^  Cjj^-^   Le    iJ_».«J 

IjUtI  kUii  ^  il^  I)  IM  ;  Ibid.,   110,  5.  Comp.  Ag.,  XVII,  153,  3  d.  1.,  XVIII,  215; 
puis  XII,  26,  5;  49,  50;  XIII,  2;  XX,  21,  bas. 

(3)  Cf.  Yaztd,  372,  n.  1.  A  propos  de  cette  note,  le  Prof.  Th.  Nôldeke  m'écrit: 
«J'approuve  entièrement  votre  jugement  sur  le  courage  des  Bédouins.  Assurément 
ils  ont  eu  et  ont  encore  des  individus  courageux  et  de  petites  tribus  isolées,  méritant 
la  même  qualification.  Je  ne  le  conteste  pas.  Mais  en  général  la  bravoure  n'est  pas 
une  qualité  saillante  du  véritable  Arabe  ;  ils  sont  bien  plutôt  d'extraordinaires  fanfa- 
rons, furchtbare  Renomisleti  ».  Les  Syriens,  voisins  des  Grecs,  participeraient  à  leur 
courage;  Vâqoût,  E.  I,  48,  7  d.  1.  Voir  dans  Qotaiba,  'Oyoûn,  198  sqq.  chapitre  sur 
la  lâcheté. 


192  Le  courage  du  Bédouin 

il  existe  assurément  plusieurs  sortes  de  courage.  La  valeur  de  l'homme 
primitif,  celle  du  barbare  ne  correspondent  pas  à  celle  du  civilisé.  De 
part  et  d'autre,  les  concepts  et  partant  la  pratique  diffèrent.  Là,  où 
nous  placerions  la  bravoure,  le  Bédouin  verrait  une  imprudence,  une 
bravade  gratuites.  Il  accorde  à  la  ruse  une  part  prépondérante  ;  à  l'in- 
star des  fauves,  il  préfère  surprendre  son  ennemi  ('J  et  considère  fré- 
quemment la  fuite  comme  un  stratagème  de  guerre.  Cet  homme  pro- 
fesse une  doctrine  très  spéciale  sur  l'eftusion  du  sang  humain,  sur  les 
conséquences  de  cet  acte  pour  l'individu,  pour  la  collectivité.  Sous 
l'influence  de  cette  conviction,  il  se  laissera  entraîner  à  des  attitudes 
incompatibles,  dans  notre  manière  de  voir,  avec  les  lois  du  courage 
et  de  l'honneur  militaires  (*).  Nous  aurons  à  3'  revenir. 

Aux  yeux  du  nomade  les  vertus  cachées  n'ont  aucun  pri.x.  L'his- 
toire de  l'Arabie  ne  compte  pas  un  seul  S^  Martin,  partageant  son 
manteau  avec  un  misérable,  le  long  d'une  route  solitaire.  Au  dire  de 
la  poétesse  Hansâ'  (^),  son  frère  Sahr  aurait  imité  le  généreux  chré- 
tien; mais  il  se  donnait  comme  témoin  la  tribu  entière.  Quoiqu'il  en 
soit,  le  Bédouin  n'estime  pas  la  valeur  anonyme,  celle  du  soldat, 
combattant  dans  le  rang  et  succombant,  victime  obscure  d'une  consi- 
gne ou  de  l'honneur  (■*).  II  appartient  plutôt  à  l'école  des  héros  d'Ho- 
mère, tapageurs  et  verbeux,  paradant  devant  la  galerie.  Le  nomade 
se  bat  seulement,  lorsqu'il  se  voit  acculé  à  la  lutte.  Ainsi  se  con- 
duisait 'Antar,  l'Achille  des  Arabes  (^).  La  résistance  lui  paraissait-elle 


(')  La  razzia  n'est  qu'une  surprise. 

('-)  Comp.  Caetani,  Studî,  \,  390.  On  se  bat  à  coups  de  bâton,  même  avec  des 
'itnâma;  Ag.,  XL  149,  L  Armes  primitives  des  Arabes:  pierres,  bâtons,  lances  ter- 
minées en  pointe  de  corne  en  guise  de  fer;  Gâhiz,  Bayàn,  H,  52.  Critique  par  les 
So'oflbyya  de  l'art  militaire  des  Bédouins;  ibid..  H,  52-53.  Naqâ'id  Gafîr,  658,  10. 

(3)  Divan,  28,  8.  Sur  la  valeur  de  son  frère  Mo'âwia,  tant  loué  par  elle,  voir 
Ag.,  XIII,   141. 

(■•)  Cf.   Ibn  Haldoun,  Prolégomènes,   I,  269,  270. 

(5)  Un  Bédouin  se  voue  à  la  mort  pour  sauver  les  siens;  Bakrî.  Ato'gam,  185, 
4-6.  Ag.,  \\\,  152,  haut.  Pourtant  Sabïb  ibn  al-Barsâ'  refuse  de  fuir;  Ag.,  XI,  98,  5. 
En  revanche  le  fameux  Hâgiz  al-Azdî  <  jljJJl  .^^  <*jI  ,U  g.«  ^^  était,  malgré  ses 
nombreuses  razzias,  un  grand  fuyard  »  ;  Ag.,  XII,  52,  20.  Cette  faiblesse  n'enlevait 
rien  à  sa  réputation.  Le  célèbre  'Àmir  ibn  at-Tofail.  également  un  fuyard;  Naqâ'id 
Garïr,  242.  Voir  plus  bas. 


Même  sujet  193 

trop  périlleuse,  il  ne  trouvait  aucun  déshonneur  à  tourner  les  talons. 
Mourir  alors,  pour  sauver  l'honneur  du  drapeau,  lui  semble  une  folie. 
«  La  belle  consolation  !  ainsi  cliantaient  ses  poètes  —  il  né  faut  jamais 
se  lasser  de  les  consulter  —  lorsque  les  femmes  sur  ma  tombe  vien- 
dront verser  des  larmes.  Leurs  élégies  me  rappelleront-elles  à  l'exis- 
tence? »  ('). 

Fréquemment  les  capitaines  bédouins  doivent  exiger  de  leurs 
hommes  le  serment  de  ne  pas  lâcher  pied.  Mahomet  l'imposa  aux  siens 
à  la  journée  de  Hodaibyya.  Quand  le  nomade  tient  à  s'enlever  la 
tentation  de  la  fuite,  alors  il  recourt  à  un  stratagème  désespéré,  mais 
médiocrement  galant,  il  poste  ses  femmes  au  milieu  des  rangs  ("). 
La  jalousie,  leurs  reproches,  leurs  larmes  lui  donneront  du  cœur. 

Car  toutes  elles  sont  d'une  race  guerrière; 
Quand  dans  une  bataille  on  les  voit  en  arrière, 
C'est  pour  fermer  la  route  et  ramener,  souvent 
A  coups  de  javelots,  les  fuyards  en  avant  P). 

Il  faut  admettre  une  exception  en  faveur  des  ontlaK's  du  désert, 
les  L_);-»J1  il-i-i  .  gens  de  sac  et  de  corde,  désavoués  par  les  leurs  {*). 
Ne  vivant  que  de  leur  épée,  n'ayant  aucun  quartier  à  espérer,  ces 
condottieri  se  battaient  parfois  comme  des  preux.  Aussi  les  chefs, 
désireux  de  porter  à  leurs  adversaires  un  coup  décisif,  faisaient-ils 
appel  à  leur  bravoure,  de  préférence  aux  hommes  de  leur  propre 
tribu.  Cette  intrépidité  ne  devait  pas  être  étrangère  à  l'admiration 


(')  Cf.  Yaztd,  194-95  ;  Qotaiba,  'Oyoûn,  200,  2.  «  Nous  ne  craignons  pas  la  mort  ;  tous 
nos  sayyd  ont  péri  en  combattant  »;  Aboû  Tammâm,  Haniâsa,  E.  58;  comp.  ibid.,  16, 
1 ,  3  «  chevaliers  qui  ne  redoutent  pas  la  mort  »  ;  autres  vers  belliqueux,  «  tous  i_jt*>-  .j^'  » 
ibid.,  64,  66;  Hansâ',  citée  dans  Qotaiba,  'Oyoûn,   157,   1;  So'arâ',  741,  1-2. 

(-)  Cf.  notre  Poè/e  royal,  48;    Nagaid  Garîr,    569.  4  v.  ;  Wellhausen,    lî/if,   451. 

(••)  H.  de  Bornier,  Mahomet,  III,  se.  5.  On  dresse  un  chameau  somptueusement 
orné,  ou  une  tente;  on  jure  de  fuir  seulement  quand  le  chameau  ou  la  tente  bougeront  ; 
Xagâ'id  Garîr,  259,  1  ;  641,  10.  Cette  tente  était  parfois  un  beau  pavillon  rouge,  elle 
servait  de  centre  de  ralliement  ;  Bakrî,  op.  cit.,  723,  1 1 .  Etait-elle  le  bait,  ou  renfer- 
mait-elle le  fétiche  de  la  tribu? 

(■•)  On  proclame  le  célèbre  capitaine  Mohallab  «  brave  comme  un  sa'loQk  »  ; 
.Mas'oûdî,  Prairies,  \,  351. 

Lammens  —  Berceau  13 


194  La  bravoure  du  <  sa'louk  » 

que  leur  vouaient  les  Arabes  (').  L'opinion  se  met  toujours  du  côté 
des  beaux  joueurs.  Ils  pouvaient  être,  comme  Aboù  Tamahân,  dé- 
criés de  réputation,  sans  foi  ni  loi  .^Lw^Jl  J  j  <'^-*'4'  li  o-?"^'  ^-^^rr^'  des 
pillards  incorrigibles  :J.;j«^  ^J^  cUM,  les  Bédouins  n'hésitaient  [)as 
à  leur  accorder  les  deux  titres  les  plus  enviés  de  la  Péninsule,  ceux 
de  chevalier-poète,  ^^li  y-lio  (^).  En  cas  d'échec,  ils  trouvaient  tou- 
jours un  say3^d,  un  clan  pour  les  accueillir  et  leur  garantir  une  re- 
traite ('). 


* 

*  * 


La  plus  incontestable  qualité  du  Bédouin  —  encore  un  fruit  de 
son  individualisme,  —  c'est,  nous  l'avons  déjà  noté  (■*),  sa  ténacité,  sa 
constance  à  lutter  contre  la  nature  ennemie,  contre  les  éléments,  les 
fauves,  les  hommes,  cent  fois  plus  redoutables   que  les  loups  et  les 


(')  Voir  leur  éloge  par  Hatim  Tayy  et 'Orwa  ibn  al-Ward  ;  Qotaiba,  'Oyoun,  280, 
281;  A.  Tammâm,  Hamâsa,  E.  I,  167-68;    220,  2;    Ag.,  XX,  21,  bas;    XXI,  96,   15. 

(2)  Ag.,  XI,  130,  bas;  notice  de  Hâgiz;  Ag.,  XII,  49-53;  160,  2  d.  1.  'Orwa  ibn 
al-Ward  est  >l»-a.  ^s^\  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  170;  il  marche  à  la  tête  des  sdloûk. 
Au  jugement  du  calife  'Abdalmalik,  à  lui,  non  à  Hâtim,  revient  la  palme  de  la  géné- 
rosité ;  So'arà',  911.  Les  sa'louk  compagnons  d'Amroulqais  auraient  collaboré  à  la  con- 
fection de  son  divan  ;  Asmal,  Fohoûlat  as-So'arâ'  (Torrey),  493  (dans  ZDMG,  LXV). 

(^)  Ag.,  XI,   132.   Pour  exprimer  le  courage  et  la  force  physique  on  aime  à  dire  : 

( i-ill  1^  O^^.  ^  1.5^  '   1    A.   Tammâm,    Hamâsa,    E.    1,    45,    3    d.    1.    Le    célèbre 

'Amir  ibn  at-'Tofail  compte  parmi  j'iLJI  •^OiU-io  ;  Xaqà'id  Garîr,  451,  3.  ç.;^^  et  lilïU 
réfugiés  à  la  Mecque;  Bakrî,  Mo'gam,  334,  7  d.  1.  Le  Prophète  aime  à  les  utiliser; 
I.  S.  Tabaq.,  II',  68;  cf.  Ziâd  iht!  Abïhi,  p.  3.  On  leur  accorde  volontiers  toutes  les 
qualités:  tel  Gahdar:  I^Li  iSLs:^  Uols  Cu^  ^If  ;  Gâhiz,  lifakâsiv,  100,  9.  Beaucoup 
méritèrent   pourtant   l'éloge  que   leur  décerne  'Orwa,  le  prince    des  sa'/oûk 


y->^^  ^^.  C--*^^-*^-  o'î  ^•■^-tri-  ^-''^-^.  <*~?^' 


CX]Ss> 


So'arâ',   886,    4.    Comp.    Yâqoût,    E.  VI,  312:    L^La-sn.^,  o  ^^  (_5^  J'--*-*  c^  cJ^ 
Lfjljj»^.;  qâtil,   plur.  qottâl,   autre  vocable  désignant  les  brigands.  On  met  toujours  en 
avant  leur  courage  et  leur  virtuosité  poétique.  Qotaiba,  Poesis,  229. 
(■>)  Voir  plus  haut  pp.   108,   113. 


La  ténacité  du  Bédouin  195 

h3'ènes  du  désert.  Cette  ténacité  lui  a  formé  un  tempérament  d'acier  (*), 
à  la  fois  souple  et  résistant  :  telles  les  vieilles  lames  de  Damas  I  D'une 
sobriété  de  chameau,  l'œil  toujours  aux  agruets,  habitué  à  scruter  l'ho- 
rizon, l'oreille  tendue  aux  moindres  bruits  de  la  solitude,  son  imagi- 
nation, exaltée  par  l'isolement,  croit  par  moments  entendre  la  voix 
des  ginn  (').  Son  corps  tout  en  muscles,  en  nerfs,  vibre  aux  moindres 
impressions,  au  premier  afflux  de  son  sang  embrasé.  C'est  un  être 
étonnant,  arrivant  à  vivre,  à  prospérer  en  un  climat,  oii  tout  s'étiole, 
fors  le  Bédouin  et  son  altcr  ego.  le  vaisseau  du  désert.  Plus  on  s'at- 
tarde à  le  considérer  et  moins  on  trouve  vulgaire  ce  produit  d'un 
milieu  invariablement  ensoleillé,  où  les  contours  se  dessinent  avec 
une  aveuglante  crudité,  les  reliefs  s'accusent  au  delà  de  la  réalité. 
Qualités,  défauts,  tout  \  prend  des  proportions  insolites.  Les  teintes 
plus  délicates  finissent  par  se  délacer  dans  l'éclatante  auréole  d'une 
lumière  uniforme.  Dans  ces  corps  anguleux,  osseux,  perpétuellement 
baignés  d'air  sec  et  dur,  la  sensation  pénètre  comme  la  pointe  d'une 
lancette,  avec  la  rapidité  de  l'étincelle  électrique.  De  là  ces  convoiti- 
ses, un  sensualisme  effréné,  l'explosion  de  colères,  menaçant  de 
tout  briser. 

Cet  homme  se  montre  excessif  jusijue  dans  l'expression  des 
sentiments  les  plus  légitimes.  Ga'far  fils  de  'Olba  avait  été  mis  à 
mort  pour  un  meurtre  commis.  Dans  nos  sociétés  le  fait  imposerait 
la  réserve  à  la  famille  du  condamné.  L'Arabe  ne  reconnaît  pas  à  l'auto- 
rité le  droit  de  glaive.  Aussi  les  femmes  de  la  tribu  consacrèrent-elles 
à  Ga'far  une  solennelle  lamentation,  comme  à  un  héros.  Son  père 
<  'Olba  égorgea  tous  les  agneaux,  tous  les  petits  chameaux  se  trou- 


(')  Caetani,  Sludî,  I,  387;  voir  précédemment  p.   113. 

(2)  Voir  plus  haut  p.  74  détails  sur  les  sables  musicaux  ;  ajoutez,  Gâhiz,  Haiawàn, 
VI,  54,  13  (citation  poétique).  Dans  le  bruissement  du  vent,  le  poète  reconnaît  les 
gémissements  des  ginn;  Bakrï,  op.  cit.,  258,  13;  Gâhiz,  Haiawàn,  VI,  53,  54,  56; 
cf.  Yâqoût,  E.  I,  78,  1.  Etres  fantastiques  dont  le  nomade  peuple  le  désert;  Mas'oûdî, 
Prairies,  III,  314,  sqq.  ;  323  chap.  sur  les  i_iL)l»*  et  les  ginn.  Des  auteurs  arabes  eux- 
mêmes  y  ont  déjà  reconnu  le  produit  de  l'imagination;  Mas'oûdî,  op.  cit.,  III,  323-24; 
cf.  SâfiT,  Kitâb  al-Omni,  I,  76,  1.  Chaque  coin  de  terre  est  habité  par  des  anges; 
Qotaiba,  'Oyoûn,   168. 


196  II  est  excessif  dans  ses  sentiments 

vant  dans  le  camp  et  lança  devant  leurs  mères  les  têtes  sanj^lantes. 
..  Pleurez  avec  nous,  s'écria-t-il,  mon  fils  Ga'far  ".  A  ce  spectacle  pi- 
toyable les  sourds  mugissements  des  chameaux,  les  bêlements  grêles 
des  brebis  s'élevèrent  et  firent  aux  cris  stridents  des  femmes  un  for- 
midable et  lugubre  accompagnement.  'Olba  lui-même  éclata  en  san- 
glots. Jamais  parmi  les  Arabes,  conclut  le  narrateur,  on  n'assista  de- 
puis à  une  pareille  scène  de  deuil  et  de  désolation  »  (').  Notre  im- 
pression pourra  sans  doute  être  différente.  Pour  l'Arabe,  l'important 
c'est  moins  de  donner  libre  cours  à  la  douleur  cjue  de  forcer  l'atten- 
tion par  une  manifestation  retentissante.  La  crainte  du  grotesque  ne 
l'arrête  pas. 

Par  suite  de  la  sélection  naturelle,  d'une  élimination  incessante, 
une  race  remarquablement  vigoureuse  a  fini  par  se  constituer.  L'im- 
placable milieu  (^)  supprimant,  élaguant  tous  les  individus  mal  con- 
formés, ph\-siquement  ineptes  aux  luttes  pour  l'existence,  seuls  les 
plus  beaux  spécimens,  les  plus  robustes  représentants  survivent  et 
perpétuent  jusqu'à  nos  jours  la  postérité  d'Ismaël. 


(*)  Ag.,  XI,  152:  'î^^.  ^-<  S-lr^J'  tj  ^^  3f^i  ir^i^  C^  f^<S}J  ^-  Comp. 
YâqoUt,  E.  V,  45. 

p)  Ajoutez  les  famines,  les  épidémies.  Leur  résistance  à  la  faim  ;  Ag-.,  XXI,  60,  4-15. 


II 


Le  Bédouin  rebelle  à  l'idde  d'autorité.  Opposition  entre  ses  aspi= 
rations  aristocratiques  et  son  milieu  égalitaire 


Si  jamais  une  nation  a  fait  sienne  cette  devise.  «  notre  ennemi, 
c'est  notre  maître  »  ('),  ce  sont  assurément  les  Arabes.  Maints  dus 
contra  omnes  et  mamis  onminni  contra  eum  et  e  regione  imiversonim  fra- 
irnm  suorum  figet  tabernactilum.  C'est  la  pittoresque  et  si  vraie  des- 
cription de  notre  vieille  Genèse  (16,  12).  Elle  ne  pourra  surprendre 
les  érudits,  attentifs  à  suivre  l'évolution  historique  de  l'empire  des 
califes.  On  \-  constate  à  chaque  pas  l'esprit  indiscipliné,  la  contra- 
diction innée,  la  tendance  au  morcellement  indéfini,  à  l'éparpillement 
sans  limites,  à  l'émiettement  politique.  Autant  de  traits  caractérisant 
la  population  de  la  Péninsule  I  Incapable  de  s'élever  par  elle-même 
au-dessus  de  l'idée  de  clan,  de  tribu,  de  concevoir  une  autre  forme 
d'organisation  sociale,  elle  retombe  fatalement  dans  le  chaos,  dès  que 
le  retrait  d'une  main  de  fer  (')  lui  permet  de  s'abandonner  à  la  pente 
naturelle  de  son  tempérament  anarchique. 

Nous  devons  donc  nous  attendre  à  trouver  les  Arabes  rebelles 
à  l'idée  de  l'autorité,  j'entends   d'une   autorité  constituée,  ayant  con- 


(')  Comp.  JJà4.  ^«-^'  et  l'héinistiche  «Ito  liU  bl  V  ^Ik-o  JS^«  ;  Gâhiz,  Haia- 
wân,   III,  25,  3,  5. 

(2)  Exceptionnellement  on  entend  les  Bédouins,  remercier,  par  la  bouche  de  Lailâ 
Ahyalyya,  le  justicier  Haggâg  de  la  salutaire  terreur,  inspirée  par  son  gouvernement. 
Cf.   Hansâ",  Divan,   101. 


198  Le  Bédouin,  un  aristocrate 

science  de  sa  mission.  Ils  s'y  soumettent  seulement  dans  le  cas  de 
force  majeure,  contraints  par  l'instinct  de  la  conservation  individuelle 
ou  familiale  (').  En  dehors  de  ces  circonstances,  nous  les  vo\-ons  re- 
tourner à  l'anarchie  et  rendre  impossible  le  fonctionnement  d'un  gou- 
vernement {'). 

On  se  tromperait  étrangement  en  assimilant  cette  disposition  aux 
tendances  de  l'esprit  républicain  ou  démocratique,  telles  que  nous  les 
révèlent  l'histoire  de  ranti(]uité  classi(]ue  et  des  communes  de  l'Italie 
et  de  la  Flandre  médiévales.  Il  faut  en  demander  la  raison  aux  ano- 
malies, se  heurtant  dans  l'âme  arabe,  anomalies,  créées  par  l'étrange 
climat,  oîi  le  nomade  se  trouve  condamné  à  traîner  son  existence  (')• 


Quand  on  étudie  le  Bédouin,  une  des  constatations  les  plus  décon- 
certantes, c'est  de  découvrir  une  constante  opposition  entre  la  fierté 
de  ses  aspirations,  entre  la  disproportion  de  son  féroce  appétit  des 
distinctions  et  la  platitude,  la  vulgarité  de  son  milieu  égalitaire.  L'Arabe 
est  essentiellement  un  aristocrate  ;  il  l'est  demeuré  jusqu'à  nos  jours  {*); 
mais  un  aristocrate  né,  grandi  parmi  des  bohèmes,  dans  une  société 
foncièrement  démagogique.  Jamais  les  marquis  de  l'ancien  régime 
n'ont  parlé  de  leur  blason,  énuméré  leurs  quartiers  de  noblesse, 
^yxJ\  ^ly^l  ;  discuté  leurs  pairs  ou  kofon^^  n'ont  redouté  les  més- 
alliances (^),  comme  le  nomade  sait  vanter  la  pureté  de  sa  race  et 
les  gloires  de  son  clan.  C'est  peu  pour  lui  de  remonter  en  droiture 
jusqu'à  Adam,  s'il  n'ajoute,  avec  Haggâg,  qu'entre  lui  et  le  père  du 
genre  humain  il  ne  se  reconnaît  qu'une  seule  mère  esclave,  l'Egyp- 


(')  Bakrî,  Mo'gam,  35,  d.  1.  ;  36,  haut. 

p)  Ibn  Haldoûn,  Prolégomènes,  I,  313;  incapables  de  gouverner,  ibid.,  314. 

P)  Comp.  Caetani,  Studî,   I,  384-85. 

(^)  Nôldeke,  Gesch.  des  Oorâiis^,  p.  3;  Dougtliy,  Travels,  1,245;  Ibn  Haldoûn, 
Prolégomènes,   I,  312. 

(=)  Cf.  notice  de  'AqTl  ibn  'Ollafa  ;  Ag.,  XI,  86  etc.  Un  autre  affirme  que  «sa 
noblesse  lui  permet  de  heurter  du  front  les  Pléiades,  sans  redresser  la  taille  »  !  Gâhiz, 
Mahâsin,   135,   15;  ^_^I<,SUI  ^-^,  «nous  sommes  les  étoiles  >  ;  Hansâ',  113,7. 


II  ne  supporte  pas  de  supérieur  199 

tienne  Agar  (').  Ce  gueux,  vêtu  de  haillons,  dévoré  de  vermine,  tom- 
bant en  grappes  le  long  de  ses  tresses  capillaires  ("),  se  trouve  avoir 
la  tête  farcie  de  toute  la  morgue  des  castes  les  plus  pri\'ilégiées.  Un 
trône  ne  lui  parait  pas  au  dessus  de  son  mérite: 


(^)    1-oS    àS-X.^^    ^c>    U..>.j— JM  ^T-^    ^   al«....  H    sLo  yXi    ^-ji. 


i 


Il  se  drape  dans  sa  misère  comme  dans  un  manteau  ;  semblable 
à  cet  Arabe,  grelottant  de  froid,  mais  «  réchaufte,  assurait-il,  par  sa 
noblesse  ».  Ne  lui  adressez  pas  le  souhait  banal:  «  Que  le  Ciel 
multiplie  tes  semblables;  >iUUul  à^\  ^  »•  *  Vœu  inutile!  répliquera-t- 
il  :  Allah  lui-même  ne  pourrait  le  réaliser  !  >  (*).  Vainement  le  Qoran 
a  déclamé  contre  l'ostentation  de  la  gàhiliya,  l'ancienne  société  bé- 
douine (^).  Elle  fut  matée,  mais  non  vaincue  par  le  déclin  des  institu- 
tions et  de  la  race  arabes,  sous  les  'Abbâsides. 

«  Admettant  de  n'avoir  personne  au-dessus  de  soi  (^),  il  juge 
néanmoins  intolérable  de  n'être  pas  supérieur  à  d'autres  »  (").  Un 
sentiment  par  ailleurs  très  moderne,  disons  mieux,  de  tous  les  temps. 
Seulement  l'exaltation  de  ce  sentiment  chez  le  Bédouin  le  portera  — 
en  poésie  s'entend  —  à  se  proclamer  roi  et  l'égal  des  califes  oma^ya- 


(')  Gâhiz,  Bayân,  I,  180;  Comp.  Xagà'id  Gartr:  «notre  aïeul  est  contemporain 
de  Doû'I  Qamain  »,  110,   1. 

(*)  Comp.  les  vers  réalistes  de  Farazdaq,  dans  Na^â'id  Gartr,  199,  2-3  v. 

(*)  A.  Tammâm,  Hamàsa,  E.  I,  130.  Dans  les  deux  vers  précédents,  le  poète 
vantait  la  modestie  des  siens,  leur  condescendance  pour  les  contribules!  A  ce  vers 
semble  répondre  le  hadît,  relatif  à  Agar    mère    d'Ismaêl:  tU-**»JI  sU  ^_y^  b  Xîl  liUj 

jïU^l  "IV  AJil  f^Uj  ^J^lf;  I.  S.  Tabaq.,  I',  24,  haut.  C'est  une  réplique  détournée 
des  So'oûbj'^-a. 

(*)  Cf.  'Iqd^,  I,  242,  18,  20,  25;  Qotaiba,  'Oyoûn,  318,  322;  autres  exemples  dans 
Gâhiz,  Bayan,  I,   125. 

(^)  Qoran,  49,  1-14;  cf.  Azraqî,  (Wûst.),  351:  L^bb  U^,  ^^M-'  »>^  :  Gold- 
ziher,  M.  S.,  I,  l«f  chap.  Muruwwa  und  Din,  1-40. 

(^)  «  Ne  suis-je  pas  le  premier  de  ma  tribu?»,  question  fréquemment  adressée  à 
-Mahomet;  Osd,  IV,  274,  il.  «Nous  sommes  tous  rois  et  fils  de  rois»;  Hassan  ibn 
Tâbit,  Divan,  LXXIX,  3  ;  «  Je  suis  le  plus  noble»;  Ibn  Mâg^à,  Sonan,  E.  I,  68. 

(")  G.  d'Avenel,  Les  Français  de  inon  temps. 


200  La  gloire  de  ses  ancêtres 

des  (').  Voilà  poiirtiuoi  les  rédacteurs  de  la  Sira  ont  compris  la  néces- 
sité d'anoblir  Mahomet.  Le  nomade  n'eût  pas  compris  un  prophète 
plébéien  (^).  Quand  de  ces  hauteurs,  où  se  complaît  son  orgueil,  il 
redescend  sur  la  terre,  il  se  sent  saisi  par  les  institutions  les  plus 
égalitaires,  par  la  révoltante  promiscuité  de  la  vie  arabe.  Comment 
ne  pas  se  rappeler  l'ivrogne  de  Bruges,  qu'un  caprice  du  duc  Philippe 
le  Bon  a  fait  roi  d'un  jour,  et  retombant,  à  son  réveil,  dans  sa  misère 
primitive.?  (Comp.  Ootaiba,  Pocsis,  239,  5-6.) 

Le  roi  de  la  steppe  arabique  nous  offre  un  spectacle  à  peine 
moins  comique.  Avec  ses  appels  incessants  à  la  noblesse  de  ses  aïeu.x, 
«  constructeurs  d'impérissables  monuments  de  gloire  >  ('),  au  passé 
de  sa  tribu,  de  sa  race,  il  devrait  être  partisan  des  inégalités,  des 
distinctions  hiérarchiques,  introduites  par  les  lois  historiques  et  par 
l'infinie  variété  des  aptitudes  individuelles.  Tel  ce  héros  de  tragédie, 
il  touche 

Du  pied  à  tous  les  ducs,  du  front  à  tous  les  rois. 

Il  se  plaît  à  énumérer  la  longue  suite  de  ses  ancêtres  (*).  A  l'en 
croire,  il  atteint  le  sommet  de  l'aristocratie  (").  C'est  là  que  l'auteur 
de  sa  race  a  bâti  le  monument  de  sa  gloire,  à  ces  hauteurs,  où  rési- 
dent les  princes  de  la  générosité,  les  arbitres  des  peuples  (^).  Allah  lui- 
même  en  a  raffermi  les  fondements  C).  Ce  monument  touche  du 
faîte  au  ciel;  il  rejoint  les  sublimes  étoiles  (*).  Avec  quelle  assurance 
il  défie  ses  envieux  de  X\   reioindre!    Autant    vaudrait    atteindre   le 


(')  'Iqd^,  I,  126,  11;  cf.  Mo'mvia,  192;  Naqaid  Garïr,  184,  14;  187,  d.  v;  391, 
11.  Ag.,  XI,  163,  11;  «nos  ancêtres  ont  dominé  les  rois,  iJ^'Sll  IjS-X-o;  Xagaict 
Garïr,  68,  19.  Le  Bédouin  proclame  le  calife  son  oncle;  Ag.,  XI,  134,  9  d.  1.  ;  Hansâ  , 
119,  3  d.  1. 

(-)  Caetani,  Annali,  I,  72;  notre  Fâtima,   p.  64. 

(')  A.   Tamniâni,  Hamâsa,   E.   I,    36: 

Cf.  Yazld,  37;  Ag.,  XI,  143,  14;  Naqâ'id  Garïr,  265,  13. 
C)  Zohair,  (Ahlw.)  91,   10. 
(^)  Tarafa  (Ahlw.),  57,  5. 
C)  Naqffid  Garïr,   265,   13. 
C)  Naqaid  Garïr,   182,   1-3   v. 
(«)  Naqa'id  Garïr,    172,  3-4  v.  Comp.  Ag.,   XXI,   97,   19. 


Conflit  de   prétentions  201 

firmament  (')  I  Dans  le  clan  des  Banoû  'Auf  les  misérables  conditions 
d'existence  causaient  fréquemment  la  cécité.  Pourtant  les  vieillards 
'aufites  préféraient  perdre  la  vue  avant  de  voir  mettre  en  question 
une  aussi  glorieuse  appartenance  (*).  Voilà,  si  je  ne  m'abuse,  l'hé- 
roïsme des  convictions  nobiliaires. 

Or,  ces  aristocrates  sui  getieris  (')  se  trouvent  être  des  ennemis 
déclarés  du  principe  d'autorité  et  de  subordination.  <  11  serait  plus 
facile  à  la  main  de  toucher  le  firmament,  yl^\  sU— Jl  ^Z^  ,  que 
damener  un  Bédouin  à  se  ranger  à  la  suite  d'un  égal  »  (^).  Adver- 
saire des  privilèges  de  caste,  hormis  de  la  sienne,  il  entre  fatalement 
en  collision  avec  des  prétentions  analogues  chez  ses  contribules,  aussi 
férus  d'abstractions  patriciennes.  De  ce  conflit  d'ambitions,  d'amours- 
propres  froissés,  résulte  la  confusion  la  plus  absolue  (^).  Démocrate,  dé- 
magogue dans  sa  vie  sociale  et  publique,  aristocrate  individuellement 
et  dans  son  for  intérieur,  seul  le  Bédouin  croit  posséder  le  secret  de 
réunir,  de  concilier  en  sa  personnalité  complexe  des  attitudes  et  des 
principes  si  nettement  contradictoires  (*). 


Mais  enfin  :  oligarchie,  republique,  démocratie,  dans  nos  sociétés 
les  dénominations  peuvent  varier.  Quelle  que  soit  l'étendue  des  pri- 
vilèges dont  jouissent  la  nation  ou  certaines  classes  de  cit03-ens,  l'au- 


(')  Nagà'id  Garlr.   147,  2;   185,  3  v. 

(-)  Ag.,  XI,  141,  142.  Malheureusement  le  doute  subsiste  toujours,  si  nous  ne  som- 
mes pas  en  présence  d'une  charge,  d'une  satire  indirecte,  œuvre  des  So'oûbj-ja?  Cette 
trop  légitime  suspicion  rend  spécialement  ardue  l'étude  de  l'ondoyante  psycholog^ie 
bédouine.  Comment  toujours  se  reconnaître  dans  ce  chassé-croisé  de  tendances  con- 
tradictoires ? 

^)  Ag.,  XI,  93,  4  d.  I.;  il  s'agit  de  deux  gueux,  '.■\qn  ibn  'Ollafa  et  Sabîb  ibn 
al-Barsâ':  ^ii^^  f^T^  '--^  l5  ''^^  (3  '^^i^  ^.r~'  CJ^  Uj»^ 

{*)  Ag..  XI,  131,  8  d.  1. 

(^)  A  la  discipline  des  Turcs,  Gàhiz,   Opuscula,  35  oppose  l'anarchie  des  Arabes 

^     ..       '.    ...               '■.. 
>>-^UJ^   .-^U'ij  O^.^IJ  i 1^^=^! .  Cette  antithèse  ne  cesse  de  demeurer  vraie. 

C)  Peut-on  mettre  en  avant  ici  le  long  passé  de  l'Arabie,  son  ancienne  culture, 

son  contact  avec  les  plus  anciennes  races  civilisées  de  l'Orient?  Cf.  Winckler,  Milth. 

VAC,  1901,  p.  181. 


202  Difliculté  de  la  présente  discussion 

torité  existe,  jalousement  limitée,  surveillée  peut-être,  mais  avec  des 
droits,  une  action  définis  et  reconnus.  Cette  limite,  cette  barrière  à 
l'anarchie  paraissent  inadmissibles  à  l'esprit  du  nomade  ('). 

En  étudiant  les  conditions  de  l'autorité  dans  l'Arabie  préislami- 
que et  contemporaine  de  Mahomet  (^),  il  faut  avant  tout  nous  débar- 
rasser de  nos  concepts  occidentaux,  de  notre  habitude  de  classifica- 
tions méthodiques,  de  ranger  les  idées  par  catégories  et  comme  en 
des  casiers  soigneusement  numérotés,  de  vouloir  rattacher  à  des  types 
connus  et  copieusement  étudiés  toutes  les  formes  extérieures  de  la 
vie  politique.  Avec  la  meilleure  bonne  volonté,  il  nous  deviendra  im- 
possible d'empêcher  la  discussion,  de  rappeler  parfois  la  licence  du 
désert  (^).  En  définitive  le  mal  pourra  ne  pas  être  grand.  Peintre  fi- 
dèle d'un  désordre  social,  avons-nous  le  droit  de  lui  donner  les  ap- 
parences d'un  s}'stème,  le  majestueux  développement  d'une  théorie, 
quand  précisément  nous  voudrions  produire  l'impression  d'un  monde 
presque  chaotique  .'^  Non  pas  que  de  la  confusion  il  soit  malaisé  de 
dégager  certains  principes  généraux.  Seulement  le  nombre  des  e.xcep- 
tions,  des  dérogations  à  la  loi  pourra  quelquefois  rendre  contestable 
l'existence  de  la  loi  elle-même.  Nous  en  rejetterons  la  responsabilité 
sur  le  tempérament  arabe,  composé  d'extrêmes  mal  assortis,  où  l'on 
découvre  une  poitrine  d'anarchiste,  dominée,  sans  être  gouvernée,  par 
une  tête  d'aristocrate  {*). 

Nous  commencerons  par  examiner  quelle  idée  l'Arabe  se  formait 
de  l'homme  appelé  à  exercer  sur  lui  le  commandement,  puis  nous 
aborderons  l'examen  des  conditions,  auxquelles  il  acceptait  de  recon- 
naître une  autorité,  distincte  de  la  sienne  ou   du  chef  de   sa  famille. 

(•)  Flûgel,  Gramjnadsche  Schulen,  p.  6,  le  déclare  très  soumis  à  son  saih! 

('-)  Si  nous  alléguons  des  exemples  postérieurs,  ce  sera  pour  constater  la  sur\i- 
vance  de  l'esprit  de  la  gâhilyya,  comme  c'est  le  cas  pour  la  plus  grande  partie  de  la 
période  omay>'ade.  Consulter  surtout  l'inappréciable  collection  des  Naqaid  Garîr  dans 
la  belle  édition,  maintenant  achevée,  du  Prof.  Bevan  ! 

(^1  Sans  parler  de  la  suspicion  toujours  légitime  d'une  tendance,  provoquant  fata- 
lement l'expression  de  la  tendance  opposée.  Je  ne  puis  me  flatter  d'avoir  constamment 
réussi  à  les  démêler. 

(^)  Cette  antithèse  —  réelle  par  ailleurs  :  voir  l'ancienne  poésie  —  a  été  exagé- 
rée dans  le  sens  impérialiste.  Les  écrivains  postérieurs  ont  prêté  à  la  gâhilyya  tous  les 
sentiments  de  la  période  des  conquêtes.  Il  s'agissait  de  voiler  la  nudité  des  ancêtres. 


II! 


La  terminologie  en  usage    pour    désigner    les    représentants    de 
l'autorité.  Pas  de  protocole  rigoureux 


Saj'j'd,  saih,  rabb^  ràs,  rcLîs^  voilà  chez  les  Arabes  préislamiques 
les  termes  communément  employés  pour  désigner  le  dépositaire  de 
l'autorité.  Indiquons  brièvement  le  sens  spécial,  attaché  aux  trois  der- 
niers vocables.  Nous  reviendrons  plus  tard  sur  le  titre  d'amîr,  d'un 
emploi  plutôt  rare,  quand  il  s'agit  des  chefs  de  tribu  ('). 

Le  plus  extraordinaire  de  ces  s\nom-mes  raôô  se  trouve  main- 
tenant être  réservé  à  la  divinité,  c'est  à  dire  depuis  l'empreinte  pro- 
fonde des  idées  qoraniques  sur  la  langue    du    désert  (").  Antérieure- 


(')  Ag.,  XV,  73,  3,  d.  1.;  Gâhiz,  Haiaiiâti.  V,  11,  8;  Qotâmî,  Divan  (éd.  Barth) 
IV,  29;  et  III,  45,  où  l'on  trouve  la  forme  ^"f ,  àiiiif.  I.  S.  Tabaq.,  III',  63,  13,  le 
titre  d' aimr  al-tnoumimn  accordé  à  un  Mohâgir,  commandant  une  razzia.  Les  chefs 
des  saryya  se  trouvent  généralement  qualifiés  d'émir.  Pour  AboQ  'Obaida  ibn  al-Garrâh 
on  y  ajoute  celui  de  »LiJI  tl-cl  j^l  ;  Ibn  'Asâkir,  Târîh,  (ms.  Damas)  I,  174,  b. 
Amïr  est  moderne  chez  les  Bédouins,  titre  parfois  accordé  par  le  gouvernement  turc  ; 
cf.  E.  Littmann,  Zur  Entzifferung  der  Ihamuden.  Inschrift.,  p.  92.  Dans  Ag.,  X,  152, 
16;  XX,  121,  8,  les  chefs  ainsi  qualifiés  étaient  en  même  temps  gouverneurs  de  dis- 
tricts; cf.  Bohtorî,  Hamâsa,  n.  1100.  Naqâ'id  Gartr,  149,  14,  awzr  ^  sayyd  ;  (mais  p.  7, 
1.  8  il  désigne  le  mari  ou  le  père);  A.  Tammâm,  Hamâsa,  E.  I,  79,  3  v;  Qotaiba, 
'OyoJin,  271;  'Orwa  ibn  al-Ward,  dans  So'ara'  an-Nasrânyya,  891,  5  v.  où  amïr  =  con- 
seiller. Dans  plusieurs  passages  du  Qoran  «ûil  _«l  =:  la  parole  d'Allah. 

(-)  Cf.  Flûgel,  Concordance  du  Qoran,  s.  v.  Oj  J  la  sourate  de  Joseph  l'emploie 
dans  le  sens    de    maître    humain  ;    Comp.    dans   les   poètes  le    serment    fréquent  i_]l)  i 


204  I-e  titre  de  «  rabb  » 

ment  à  cette  période,  on  n'éprouvait  aucune  hésitation  à  l'accorder 
aux  maîtres  de  la  terre  (*);  à  condition  toutefois  pour  eux  d'exercer 
leur  autorité  sur  une  tribu  considérable  ou  plutôt  sur  une  confédé- 
ration de  tribus  (").  Ce  dernier  cas  était  généralement  celui  des  grou- 
pements de  nomades,  se  rattachant  aux  noms  de  Tamim,  de  Bakr, 
de  Gatafân,  de  Hoza'a  et  de  tant  d'autres.  D'où  la  signification  de 
iLLaJ\  Cjj,  maître  de  la  qobba ,  le  grand  pavillon  de  cuir  écarlate  (') 
étant  un  des  insignes  du  pouvoir  souverain  (■*).  De  nobles  chefs  se 
montraient  heureux  de  le  dresser  au  milieu  du  camp,  non  seulement 
pour  honorer  des  hôtes  de  distinction,  mais  encore  pour  faire  de- 
vant les  leurs  étalage  de  leur  fortune  (^).  Ce  calcul  entre  toujours  dans 
les  manœuvres  des  Arabes,  ^-oNJI  ^1  C^),  le  plus  fastueux  des  peuples. 
On  qualifiait  également  de  rabb  certains  kàhin,  devins,  de  renom, 
vraisemblement  des  savvd,  cumulant  les  deux  dignités  Ç).  Dans  l'e.xer- 
cice  de  leurs  fonctions  spéciales,  il  arrivait  à  ces  officiants  de  se  pé- 
nétrer totalement  de  leur  rôle,  de  se  substituer  pour  ainsi  dire   à  la 


j_yX.-a  (Jl  O'-^U' >  le  dieu  des  chameaux  (caravanes)  en  marche  vers  Mina;    Hamasa 

d'A.  Tammâm,  E.  IV,  87;  s,»2  O'-^l-^*  lJl>^;  Bakrî,  op.  cit.,  277,  488.  J>^  Çj_)  : 
Naqâ'id  Garïr,   174,  3  v. 

(')  Ibn  Doraid,  Istiqâg,  9.4,  12;  cf.  63,  3;  Baihaqï,  Mahâsin,  98,  10;  surtout  sous 
la  forme  du  phiriel  arbâb ;  cf.  ZDMG,    LIV,  439,  440;   Chroniken   (Wûst.)  II,  21,  5  d.  1. 

(-)  Anthologie  de  citations    dans  Gâhiz,  Haiazcân.   I,  60;  Ag.,  VIII,  66;  X,   15. 

(3)  Abritant  parfois  le  bail  ou  le  fétiche  divin  de  la  tribu,  surtout  aux  temps  an- 
ciens. Le  chef  de  tribu  était  à  la  fois  kâhin ;  plus  tard  le  pavillon  rouge  est  devenu 
un  insigne  honorifique.  Cette  évolution  expliquerait  la  persistance  de  l'emphatique  rabb 
dans  aJLslJI  iHj  >  ■  Comp.  qobba-asile;  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  215,  2  d.  1.  et  ici  même 
p.  193.  Ajoutez  l'expression  fréquente  :  CU-^L  ^j-iJl  <-(-^  ;  cette  maison  pos- 
sède la  noblesse  et  le  bait.  Rapprochez:  la  Ka'ba  de  Nagrân,  primitivement  un  vaste 
pavillon  ou  Tabernacle.  Cf.   Yaztd,   340-41. 

(4)  Nâbiga,  71,  17;  cf.  Fâtima,  74;  Ag.,  VIII,  65,  9  d.  1.  ^1  ^_J^\  Jjtl  ;  X, 
53,  3;  Xallino,   Costituzione  délie  tribu,  616. 

(*)  Cf.  notre  Chantre,  155;  Fâtima,  75;  qobba  pour  les  hôtes;  Ag.,  VII,  170,  4; 
Naqâ'id  Gartr,   140,  8;  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  208,  7  d. 

f)  Gâhiz,   Opuscula,  45,   13. 

C)  Qotaiba,  Poesis,  38,  5.  Ainsi  Zohair  ibn  Ganâb  est  à  la  fois  sa\yd  et  hàzi ; 
Sigistânï,  Mo'ammaroitn,  25,  4-5  ;  appelé  kâhin,  28  ;  autre  exemple,  ibid.,  30. 


Même  sujet  205 

divinité  locale,  au  point  d'en  usurper  le  st)-le  protocolaire  (').  On 
s'expliquera  donc  des  appellations,  comme  Rabb  as-Sàm,  maître  de 
la  S}Tie,  donnée  à  un  Gassânide,  ph\larque,  ou  surveillant  au  nom 
des  B3-zantins  du  //w«  syro-arabe,  celle  de  R.iihb  al-Higâz,  accordée 
avec  plus  ou  moins  de  raison  à  un  chef  de  fortune  (').  Pour  une  cause 
analogue,  le  père  d'Amroukjais  obtient  le  même  titre.  Le  roi  Lahmide 
de  Hîra  est  appelé  rabb  al-Hawarjiaq^  la  splendide  résidence  de  ces 
dynastes  arabes  (■'). 

Mis  en  relation  de  dépendance  avec  un  nom  commun,  le  vocable 
peut  convenir  au  propriétaire  d'un  objet  (juelconque.  En  cette  qua- 
lité, le  possesseur  d'un  esclave  (^),  d'une  maison,  d'un  troupeau 
peut  revendiquer  le  titre  de  rabb  (°).  Dans  cette  construction  spéciale, 
le  terme  a  fini  par  perdre  sa  signification  emphatique,  pour  devenir 
s\-nonyme  de  sâhib,  possesseur.  Ainsi  on  parle  des  J_j;aJl  ^—h^ ,  des 
,_jlkil  K_h^  pour  désigner  des  gens  d'esprit,  des  maîtres  de  la  parole. 

Si,  depuis  l'hégire,  le  vocable  rabb  a  pratiquement  disparu  du 
protocole  hiérarchique  du  désert  C^),  cette  modification  est  due,  avons- 
nous  dit,  à  l'influence  du  Qoran  et  à  sa  transformation  en  titre  divin  C). 
La  Sonna,  en  amenant  Mahomet  à  interdire  l'emploi  de  rabb  pour 
lui  substituer  le  terme  de  sa\'3'd,  signale  ré\'olution  plutôt  qu'elle  n'en 
fournit  l'e.xplication  (**). 


(')  Ag.,  VIII,  66.  Cf.  Massignon,  Kitâb  al  Tawâsin,  95;  même  phénomène  chez 
les  mystiques  musulmans  postérieurs. 

(2)  Ag.,  XIV,  7,  15;  Ibn  Doraid,  Istiqâq.  320,  16;  Chroniken,  iWûst.),  II,  140, 
141;   Bohtori,  Hamâsa,   n.   1355;  Gâhiz,  Haiawân,    I,   160. 

(3)  Qotaiba,  Poesis.   39,  7;  71,   17;   112,  4;  239,  5. 

(■")  Nawawî,   Tahiib,  293,  9;   Chroniken,  {VViist.),  II,  21,  5  d.  1. 

p)  Aboû  Tammâm,  Hamâsa,  520,  5;  730,  v.  3;  733,  1.  4.;  Ag.,  S.  I,  101;  X, 
139,  19;  XVII,  92,  d.  1.  Qotaiba,  Poesis,  129,  1;  229,  10;  Azraqî,  (Wùst.)  95,  13; 
C-^  Cj)'^  ^\lj^i\  J-?l  iI->^  ;  I-  S.  Tabaq.,  VI,  105,  9;  Hanbal,  Mosnad,  IV,  136. 
2  d.  1.  ;  Tab.,  Ta/sïr,   I,  46,  d.  1.  interprète  Cj.  par  jilkil  JvX*»Jl 

C)  Le  calife  s'entend  encore  qualifier  de  ai«  (Jjj  c-à-d.  souverain  de  tous  les 
Arabes;  Ag.,  XVIII,   141,   13;  comp.  j»-^'  ^2j.  ,  Ahtal,  Divan,  305,  9. 

C)  Dans  le  Qoran,  arbâb  i=  les  créatures,  honorées  aux  dépens  du  Créateur;  Qoran, 
3,  57,  74;  9,  31  ;  12.  39  etc. 

(»)  Moslim,  Sahm^,  II,   197;  Bohârî,  Sahïlf.   K.  II,   125,   6. 


206  Le  titre   de  «  rais 


Le  Prof.  Nallino  (')  a  parfaitement  vu  (]ue  ra'is,  au  lieu  d'être  un 
pur  synonyme  de  savvd,  impliciue  l'idée  d'un  commandement  mili- 
taire (^).  Nous  ne  manquons  pas  pourtant  de  textes,  où  l'ancienne 
langue  semble  négliger  cette  S3non3'mie  {^).  On  en  trouve  des  preuves 
jusque  dans  les  nombreuses  références  accumulées  à  l'appui  de  son 
assertion  (^).  En  bien  des  cas,  la  fluctuation  est  le  fait  des  rédacteurs 
postérieurs.  Ils  se  sont  permis  de  substituer  à  ra^ls  le  terme  plus 
moderne  de  qà'id,  simple  traduction  du  latino-b3-zantin  Ôov|. 

Intimement  apparenté  à  l'dîs  par  l'étymologie,  le  terme  râs  ne 
lui  tient  pas  de  moins  près  par  la  signification.  Il  désigne  tous  les 
échelons  du  commandement,  depuis  un  simple  chef  de  brigands  (*), 
jusqu'au  sa3'yd  de  grandes  tribus,  comme  Taglib  (').  Ici  encore  on 
découvre  à  la  base  le  sens  de  commandement  militaire  C). 

Saih,  de  nos  jours  qualification  habituelle  des  chefs  bédouins,  était 
iadis  d'un  usage  beaucoup  plus  restreint  C).   Il  semble   avoir  été  le 


(')  Dans  sa  substantielle  étude,  Sulta  costituzione  délie  tribu  arabe  prima  del- 
l'islamismo,  dans  Nuova  Antologia,  15  Oct.  1893;  cf.  Zohair,  (Ahlw.)  98,  13;  Ibn  Do- 
raid,  Istigâq,    106,  230,  ^  ^i  ^y.^^  ;  233,  ^_j*».^,  '^■•y^ 

(-)  Aux  références  de  Nallino  ajoutez,  Ag:,  IV,  75,  5  d.  1.,  VI,  3,  3  d.  1.  ;  4,  1.  3; 
p.  5;  X,  65;  XX,  128,  4;  Nagâ'id,  Garîr,  144;  149,  454,  4;  474;  481,13;  Farazdaq, 
Divan  (Boucher)  81,  8;  Gâhiz,  Haiaziân,  I,  160,  161;  Ibn  Doraid, /iZ/yâ^,  215;  Bakrî, 
op.  cit.,  505,  6,  7;  533,    6  d.  1.,  721. 

(3)  Nagâ'id  Garîr,  638,  464;  Ag.,  V,  159,  5  d.  I.;  X,  17;  21,  bas.;  Dînawarï, 
Ahbàr  tiwâl,  291,  12,  «  rais  de  tous  les  Azd  »  ;  comp.  Ibn  Doraid,  Istigâq,  195,  197, 
où  l'on  lit  promiscue  à^^t^..  SL^  et  à.^*^  \  o'^c-')  •  ^"  revanche  Ibn  Doraid,  Istigâq, 
^,li  -^,>^,  r=  capitaine;  Ibn  Hagar,  Isâba,  11,244;  Gâhiz,  Opusciila,  60,  12;  Qalqa- 
sandî,  Sobh,  1,  57. 

(1)  jy^Uil  ^\y  Ibn  Doraid,  Istigâq,  271;  comp.  ibid.,  141,  1  ;  ^^.,  VII,  122; 
X,  32,  7;  Xl\^  90;  ^\ ^ ^  >\^  ^  ^.^^.y^.^  ^ ^\i ,  Ag..  XI,  9,1.  10.  I.  S.  Tabaq.,  I  *, 
72,  14  «râs  d'une  députation  et  leur  orateur,  |»i-SLX-c  ou  i_-^-Jaal.  «  ;  I.  S.  Tabag.,  II', 
45,   10  :  JvLo^  ^^t^;  Nagâ'id  Garîr,  239,  240. 

(^)  Scolion  de  Qotâmï,  Divan,   III,  44;  remarque  de  Gâhiz,  Avares,   116,   13. 

(*)  Ibn  Doraid,  Istigâq,  115,  1;  mais  200,   1  râs  =  sayyd;  141,  ^j^\}  '^^î^ 

(')  Nallino,  op.  cit.,  614,  n.  le  dit  inconnu  à  l'antiquité  dans  le  sens  de  sayyd. 
Voir  Ag.,  XI,  58,  8  et  II   d.  1.,  XVI,  70,  7.  Gâhiz,  Haiawân,  VII,  50,  5;  Tab.,  An- 


Celui  de  «  saili  »  207 

plus  emphatique  des  sj-nonymes  pour  signifier  le  sa\yd.  Rarement 
il  se  présente  isolé.  Il  désigne  dans  ce  cas  les  chefs  a3ant  derrière 
eux  un  long  passé,  des  vétérans  de  gloire,  des  seigneurs  enfin,  senior: 
tels  Ahnaf  ibn  Oais  et  Zofar  ibn  al-Hârit  (').  Par  ailleurs  il  se  trouve 
fréquemment  associé  au  terme  de  sayyd  ou  à  un  de  ses  équivalents 
arabes  :  kabir,  zcClm  (^).  Cette  combinaison  renforce  considérablement 
la  signification  du  complexe  (^).  Pour  prétendre  à  cette  titulature 
fastueuse,  il  fallait  à  l'autorité,  trop  souvent  nominale,  du  chef  de  tribu, 
joindre  l'influence  personnelle,  le  prestige  des  richesses  et  des  services 
rendus.  Toutes  ces  conditions  se  voyaient  réunies  chez  Aboû  Sofiân, 
justement  qualifié,  nous  le  savons,  de  sayyd  et  de  saih  de  Oorais  (*)  ; 
à  un  moindre  degré  chez  Hâni  ibn  'Orwa  (^)  contemporain  de  'Obai- 
dallah  ibn  Ziâd  à  Koûfa,  appelé  zcûlm  et  saih  de  Morâd  (*). 

Cette  ampleur,  propre  au  terme  de  saih^  dérive  en  première  ligne 


nales,  I,  3466;  très  coninuin  au  plur.  asiâh  :=  notables.  Saih,  Saiha  désignent  les 
vieux  parents;  Af.,  XII,  41,  11;  42  ;  47  ;  Nagà'id  Garîr,  152,  d.  1.  »-^  =  sayyd; 
Gâhiz,  Avares,  2.51,  7;  Hassan  ibn  Tâbit,  Divan,  VI,  16;  au  plur.:  .Xaçai'd  Garîr, 
612,  4;  Qotaiba,  'Oyoûti,  242,  1. 

(')  Ahtal,  Divan,  221;  Qotaiba,  'Oyoûn,  275.  Sur  Ahnaf,  cf.  Mo'àwia,  inde.\;  sur 
Zofar,  cf  notre  Chantre,  134  seqq.;  Naqà'id  Garîr,  72,  12;  612,  4;  627,  2  v.,  ,J^„-S  H-i; 
Ag.,   XVI,  70,  7. 

(2)  Sl^^  H-i  ,  Dînavvarî,  Ahbâr,  309,  11;  p»J^  »-i  ;  Ag.,  XII,  54;  Sigistânî, 
Mo'ammaroûn,  38,  4.  Dans  Gâhiz,  Bayàn,  I,  130,  4,  le  complexe  ^^  '■*-!^  désigne 
un  grand  seigneur. 

(3)  Tab.,  Annales,  II,  332,  6;  les  'Alides  appellent  'Ali  ■^^ ^  ^r^;  I.  -S.  7a- 
baq.,  V,  162,  d.  1.  On  trouve  ^^L»>.-o,  ^VxL^  ;  Ibn  Doraid,  Istiqàq,  233,  15;  'Iqd^, 
II,  72,  2.  Même  titulature  pour  Hosain  fils  de  'Alî;  Ibn  al-Atîr,  Kâmil,  E.  IV,  26,  1; 
Nagaid  Garîr,  746,  1:  sj-iJl  ^\  »-^;  *4i-«-< ,  possesseur  du  'imâma,  autre  synonyme 
de  sayyd  (voir  explication  dans  Qox&Voa., 'Oyoûn,  273);  |,ijt«  ^  .Là  ;  Hansâ',  Z'/ea;;  13, 
4  d.  1.;  25,  31.  83.  Gâhiz,  Haiawân,  III,  25;  Sâhib  est  rare;  comp.  p*J^  u;->^».Lo  ; 
Naqà'id  Garîr,    140. 

(*)  Cf.  République  marchande,  p.  9. 

(^)  Cf.   Yazîd,  144,  145.  Hâni  a  été  e.xalté  par  la  Sra,  comme  un  martyr  de  la  cause. 

(«)  Mas'oûdî,  Prairies.  V,  140;  Hanbal,  Mosnad,  III,  432,  pej^  J>^  ;  111,461,  1, 
jkXw»  -c^ '<  nième  remarque  pour  'Otba  ibn  Rabï'a,  l'aïeul  maternel  de  Mo'àwia: 
L^^  ^Uatl  bboXvJa  ^j^f  t^  '  ^^'Sqidî  (Kr.)  58,  8;  Balâdori,  Fotoûh,  359,  8:  rvi 
UjJLj,  s.--vLj«JI  ;  Ag.,   .Xl.K,   141,  3  d.    1.;  ^^^ ^  .yJI  r>i. 


208  «  Sayyd  »  qualification  ordinaire 

du  principe  du  sêniorat,  cher  aux  Arabes  ;  il  en  sera  question  plus 
loin.  Pour  la  même  raison  kalnr,  s\non3me  de  saih,  acquérait  la  si- 
gnification de  sa}  yd.  Mais  outre  la  considération,  accordée  à  l'âge 
et  aux  cheveux  blancs,  on  observe,  dans  l'ancienne  littérature,  une 
tendance  très  marquée  à  les  réserver  pour  les  plus  fameux  capi- 
taines ('),  pour  les  plus  grands  souverains,  les  plus  estimés  parmi 
les  califes.  'Ali,  'Otmân  et  Mo'âwia  (-)  ne  se  trouvent  pas  désignés 
autrement  (^).  La  tradition  affecte  de  confondre  fraternellement  Aboû 
Hakr  et  'Omar  sous  la  dénomination  de  saihàn,  les  deux  saih.  Comme 
cliez  les  Arabes  les  Chosroès  de  Perse,  les  Césars  de  B\'zance  ont 
toujours  passé  pour  les  représentants  du  pouvoir  absolu  (*),  les 
poètes  s'empressent  de  leur    conférer  également  le    titre  de  saih  (*). 


*  * 


Si  rien  n'autorise  à  affirmer  l'existence  d'un  protocole  rigoureux, 
réglant  l'emploi  de  ces  synonj^mes  honorifiques,  il  reste  vrai  pourtant 
que  le  terme  de  sayyd  formait,  à  proprement  parler,  le  titre  ordinaire, 
la  qualification  la  plus  communément  accordée  au  chef  arabe,  dans 
l'antiquité  et  pendant  toute  la  période,  si  exclusivement  arabe  des 
Omay}-ades  (").  Il  a  depuis  cédé  la  place    au  vocable  de   saih.   Ne 


{*)  Comme  Mohallab,  et  Zofar,  nommé  plus  haut. 

(3)  Tab.,  Annales,  I,  3454,  4;  II,  747,  1  ;  Dïnawarî,  Ahbâr,  164,  5  d.  1.;  190,  12; 
192,  19;  Mas'oudî,  Prairies,   IV,  401,  4. 

(3)  Mas'oudî,  Prairies,  lY,  326,  3;  Dïnawarî,  Ahbâr,  280,  15,  21;  Tab.,  Anna- 
les, II,   146,  15;  A.  Tammâm,  Hamâsa,  E.  I,   155. 

(*)  Comp.  Tab.,  Annales,  II,  266,  15;  notre  Yaztd,  94,  95.  Comp.  l'expression 
Ci^-y^  .  Comme  saihan,  elle  doit  affirmer  l'union  intime  des  chefs  du  Triumvirat. 

i=)  Ag.,  II,  107,  10  d.  1.;  V,  103,  4;  150,  2  d.  1.;  VIII,  88,  3;  Ahtal,  Divan, 
155,  3;  Gâhiz,  Opuscula,  60,  12.  Saih  ^  roi  absolument;  Qotaiba, /"ofjw,  39,  11.  Même 
emploi  chez  le  poète  Hotai'a. 

(6)  Wellhausen,  Die  Ehe  bei  den  Arabern,  447,  n.  1  dérive  d'^f-.,  II,  29,  26,  que 
sayyd  =  mari.  Il  s'agit  d'une  prisonnière,  d'où  l'expression  fort  naturelle  de  gy««>i 
^xX*ujL)  ,  obéissante  à  son  maître.  Au  pluriel  sa>->d  et  saih  désignent  des  notables,  com- 
me les  ^^ï  jZy^  ,  chaque  clan  possédait  le  sien;  Ag.,  XXI,  267,  11.  Comp.  pourtant 


Absence  de  protocole  rigoureux  209 

serait-ce  pas  (]u'on  a  prétendu  plus  tard  réserver  aux  descendants 
de  Mahomet  la  qualification  de  savyd?  La  même  préoccupation  a  pu 
faire  disparaître  de  la  langue  courante  du  désert  le  terme  de  sarïf, 
noble.  Le  spectacle  de  la  dégradation  de  ces  chérifs  'Alides,  Hasa- 
nides,  Hosainides,  Ga'farides  arrachera  plus  tard  des  larmes  au  pè- 
lerin andalou  Ibn  Gobair,  à  son  arrivée  au  Higâz.  Ramasser  du  bois, 
des  dattes!  Et  parfois  cette  himiiliation  atteint  jusqu'aux  femmes 
de  ces  chérifs,  U.   .Jltll  ^Lsa..^  ^w{,.»oJb  Cj'-«-^.r«iJl  |»j«>^U~J  ^>  J»*-^  '-*^_>« 

Say3'd  ou  saih?  C'étaient  là  de  simples  appellations,  non  des 
titres  permanents  et  officiels.  En  parlant  au  chef  de  sa  tribu,  le  moin- 
dre Bédouin  (^)  se  contentait  de  l'interpeller  par  son  nom,  ou  bien 
encore  par  sa  konia,  si  par  hasard  il  en  possédait  une.  Usage  assez 
restreint  à  l'époque  préislamite  et  fréquemment  un  sobriquet,  une 
association  de  mots,  rien  moins  qu'honorifique  (^).  Le  nomade  aurait 
cru  déroger  en  le  traitant  de  sayyd.  Comme  plus  tard,  il  s'écoulera  du 
temps  avant  de  l'habituer  à  accorder  le  titre  d'émir  aux  gouverneurs 
omay\ades  {*).  Infatué  du  sentiment  de  sa  propre  autonomie,  il  aban- 
donnait cette  politesse  aux  rimeurs  faméli(]ues,  avides  de  provoquer 
les  largesses  d'un  chef  opulent.  A  l'époque  du  califat,  il  faudra  re- 
courir à  des  mesures  de  rigueur,  pour  imposer  aux  nomades  une 
attitude  plus  respectueuse  (^). 


Osd,  IV,  167,  11,  où  'Oyaina  ibn  Hisn  prend  le  titre  de  j^^-wVl  j^l  —  variante  ^^X 
.U^Ml  ;  'Iqd^,  I,  242.  Le  calife  'Omar  se  fâche  croyant  y  découvrir  une  allusion  à  sa 
propre  origine  plébéienne. 

(')  Ibn  Gobair,  Travels'^,  76.  Voir  précédemment  p.  81.  Je  ne  me  rappelle  pour 
la  période  omayyade  aucun  e.xemple  de  l'emploi  de  sarïf  pour  les  'Alides.  L'idée  de 
cette  noblesse  spéciale  ne  me  parait  pas  d'origine  arabe. 

(-)  Devant  son  frère,  Hansâ'  fait  dresser  les  assistants,  «  comme  on  se  lève  devant 
la  nouvelle  lune».  Exagération  fraternelle;  cf.  '^s.Wmo,  op.  cit.,  616;  Goldziher  jlf.  5'. , 
I,  154.  Mais  la  comparaison  ij))k^  |»^Us  est  intéressante  pour  l'histoire  religieuse 
préislamite.  Elle  présuppose  des  cérémonies  au  lever  de  la  lune  nouvelle. 

(^)  Comme  on  l'admet  trop  communément. 

(<)  Qalqasandî,  Sobh,   I,  250,  3.    Leur  ton  insolent  ;  Ag.,   XX,   10,  9. 

(5)  Qalqasandî,  Sobh,   I,  249;Soyoûtî,   Califes,    10. 

Lammens  —  Berceau  14 


210  Le  titre  de  roi 

Le  titre  de  roi  se  retrouve  uniquement  (')  chez  les  populations 
sédentaires  et  très  anciennement  civilisées  du  Yémen  (^),  chez  les 
Lahmides  de  Hira,  chez  les  phylarques  S3ro-arabes  de  Gassân  ;'')  et 
par  exception  chez  des  nomades,  comme  les  Kinda  {*).  Ces  derniers 
étaient  d'origine  yéménite  et  placés  temporairement  à  la  tète  de 
grandes  confédérations;  jouissant  par  suite  d'un  pouvoir  bien  supé- 
rieur à  celui  des  chefs  de  tribu  ('). 


(')  Voir  dans  Balâdorî,  Fotoûh,  101,  7;  comp.  I.  S.  Tabaq.,  V,  7, 1.  5,  comment 
on  y  prodiguait  ce  titre;  Tab.,  Annales,  I,  1717,  14  etc.  Dans  la  >«o/âAara  des  B.  Ta- 
mîm,  en  présence  de  Mahomet,  les  deux  partisse  proclament  rois;  Tab.,  Annales, 
1,  1711-1716;  Nallino,  op.  cit.,    615  n. 

(2)  Dans  le  centre  de  l'Arabie  la  rencontre  d'un  inconnu,  somptueusement  habillé, 
provoque  la  réflexion:  tiU-c  Lj^  yj~^  îW  >-^|j  ...liUil  ^]^LJ  i^l*i*  ^tl  ;  Ag.,  XI, 
131.  Certains  chefs,  comme  Hauda  ibn  'Alî,  sont  qualifiés  de  _UJ1  .i  ;  Ibn  Doraid, 
Istigàg,  209  ;  tâg  et  rois  du  Yémen  ;  Bakrî,  Mo'gam,  698.  La  mention  du  tâg  figure 
également  dans  l'inscription  proto-arabe  de  Namâra,  trouvée  par  M.  R.  Dussaud. 

(3)  Sur  leur  titulature,  voir  Nôldeke,  Die  Ghassànischen  Fûrsten,  que  je  n'ai  pas  pour 
le  moment  à  ma  portée. 

(■•)  Comme  Amroulqais,  le  «roi  errant  »  ;  Ag.,  VIH,  63,  9  et  sa  notice,  ibid..  Dans 
le  high  li/e  du  désert  on  mettait  à  part  Kinda,  considéré  comme  une  tribu  royale  ; 
Qalqasandî,  Sobh,   I,  228,  bas;  voir  Ag.,  XVII,  106,  1. 

(')  Titre  de  roi  donné  aux  chefs  du  'Oman,  du  Bahrain,  du  Yamâma;  Qalqasandî, 
Sobh,  \,  57.  Le  taglibite  Kolaib  reçoit  aussi  ce  titre;  ibid.,   I,  204,   10. 


IV 


Chez    les    Arabes    l'exercice  de    l'autorité    entraîne   surtout    des 
charges.  Rare  ensemble  de  qualités  qu'elle  suppose 


Le  calife  Mo'âwia  s'informa  un  jour  auprès  d'un  Arabe  des  Ba- 
noû  Bakr,  comment  on  obtenait  chez  eux  l'autorité.  La  réponse  mé- 
rite d'être  méditée:  «  Table  ouverte,  douceur  de  langage,  largesses 
abondantes;  s'interdire  de  rien  exiger;  montrer  la  même  affabilité 
aux  petits  et  aux  grands:  bref,  les  traiter  tous  en  égaux  »  (').  Nos 
démagogues  modernes  pourraient  signer  le  programme.  Il  n'y  man- 
que que  les  poignées  de  main,  les  promesses,  et  aussi  les  verres 
d'absinthe  et  de  vermouth,  prodigués  par  eux,  du  moins  pendant  la 
période  électorale. 

A  une  question  analogue  le  célèbre  Qais  ibn  'Asim  aurait  ré- 
pondu comme  suit  :  «  En  défendant  mes  contribules  contre  l'injustice, 
en  pratiquant  la  bienfaisance  et  en  protégeant  mes  alliés  »  (*).  Son 
fidèle  imitateur  Ahnaf  ibn  Qais  ne  se  distinguait  (^)  ni  par  l'illustra- 
tion de  la  naissance,  ni  par  les  avantages  extérieurs,  si    estimés  par 


(')  Mas'oQdï,  Prairies,  V,  106.  C'est  le  motif  développé  en  vers,  attribués  au  cé- 
lèbre Ahnaf  ibn  Qais.  La  fortune  est  indispensable  pour  sauvegarder  la  position  et 
l'honneur  du  chef;  Gâhiz,  Bayân,  II,  26,  bas.  De  même,  pas  de  célébrité  sans  d'abon- 
dantes largesses;  ibid.,   I,  203.  Sans  fortune  pas  de  sayyd  ;  Qotaiba,  'QyoK»,  286  sqq. 

(■•')  Maidâ,  allié,  affilié.  Comp.  les  vers  de  'Àmir  ibn  at-Tofail;  'Iqd^,  I,  221,  13 
d.  1.;  questions  et  réponses  analogues  dans  Qotaiba,  'Oyoûn,  271,  272,  273. 

(■')  Cf.  Moâwia,  voir  ce  nom  à  V index. 


212  Recommandations  de  Doû'l  Osbo' 

les  populations  primitives.  En  fait  de  qualités,  on  ne  trouvait  guère 
à  relever  chez  lui  que  le  fameux  hilnt  arabe.  Aussi  s'étonnait-on  à 
bon  droit  de  sa  très  réelle  influence.  Il  répliqua  à  un  interlocuteur 
assez  curieux  pour  le  sonder  à  ce  sujet  :  «  Je  la  dois  à  un  avantage, 
qui  te  fait  complètement  défaut,  fils  de  mon  frère  —  A  savoir?  — 
Ma  discrétion  absolue!  J'évite  de  me  mêler  des  affaires  d'autrui  »  ('). 

Au  centre  de  l'Arabie,  parmi  les  Banou  "Adwân  (^),  on  pensait 
comme  à  l'Est  de  la  Péninsule  parmi  les  Bakrites  et  les  Tamimites  ('). 
Sur  son  lit  de  mort,  le  vieux  poète  Doû'l  Osbo'  (')  adressa  à  son  fils 
ces  recommandations:  «  Sois  affable  pour  tes  contribules,  tu  méri- 
teras ainsi  leur  amour;  humble  devant  eux,  ils  t'exalteront;  montre- 
leur  un  visage  souriant,  ils  t'obéiront.  Si  tu  ne  te  réserves  rien,  ils 
te  proclameront  sayyd.  Grands  et  petits,  témoigne  à  tous  une  égale 
déférence;  les  grands  t'honoreront  et  dans  le  cœur  des  jeunes  croî- 
tra l'affection  pour  toi.  Sois  prodigue  de  ta  fortune;  défends  ton 
droit  (^)  et  celui  de  tes  alliés.  Assiste  tous  tes  quémandeurs  ;  honore 
ton  hôte;  accours  dès  que  retentira  le  cri  d'appel  (^).  Ainsi  la  con- 
sidération te  sera  acquise;  enfin  ne  repousse  la  sollicitation  de  per- 
sonne. A  ces  conditions  tu  raffermiras  ton  autorité  »  (").  Que  pour- 
rait-on ajouter .''  Le  programme  se  trouve  complet. 

De  nos  jours  l'argent  peut  procurer  un  blason  et  des  titres.  Chez 
les  Bédouins,  en  l'absence  de  tout  gouvernement,  les  poètes,  arbitres 
de  l'opinion,  prenaient  sur  eux  de  décerner  les  distinctions  (*).  Nous 
n'aurions  qu'à  nous  en  féliciter,  si,  dans  l'exercice  de  ce  pouvoir  dis- 


(')  'IqdK   I,  219;  Qotaiba,  'Oyoûii,  272. 

(-)  Voir  précédemment  p.   135. 

(3)  Ahnaf  et  Qais  ibn  'Àsim  appartenaient  au  groupe  de   Tamîm. 

{^)  Enuméré  parmi   les  centenaires  ;  cf.  Sigistânî,  Mo'ammarotm,   102. 

(^)  II  s'agit  non  du  droit  personnel,  privé,  mais  des  droits  comme  membre  de 
la  tribu,  partant  communs  à  tout  le  groupe. 

(")  i^--fo\  appel  au  secours,  quand  on  poussait  la  da'wa  de  la  tribu  :  Yàla  Folân, 
A  moi  les  Arabes  de...  ! 

(")  Ag.,  III,  6,  bas.  ;  So'arà',  632  ;  le  même  testament  en  vers,  sentant  l'apo- 
cryphe très  fort;  So'ard',   632-33. 

(S)  Cf.  Mo'àwia,   92  sqq. 


'Araba  al-Ausî  213 

crétionnaire,  ils  avaient  emplo\é  une  plus  jurande  dose  de  réserve  ('). 
Le  trop  vanté  Qais  ibn  'Asim  dut  principalement  sa  notoriété  au  beau 
vers,  prononcé  à  l'occasion  de  sa  mort  : 

«  Non  le  trépas  de  Oais  ne  lut  pas  la  mort  d'un  homme  isolé, 
mais  l'effondrement  du  monument  de  sa  tribu, 

(-)     Lcji-{_'j    j.^'    ^;J^-o    à^JSl  a  Jvi>.U    ^iUub    AiDufc    ^J^^    cJ^    '^ 

Un  tel  homme  devait  être  un  héros  1  Les  Arabes  ne  se  deman- 
dèrent pas  si  l'éloge  ne  dépassait  pas  la  mesure.  Comme  les  prix  de 
vertu,  accordés  par  l'Académie,  les  verdicts  de  l'aréopage  des  poètes 
demeuraient  sans  appel.  La  \'anité  \-  trouvait  son  intérêt.  Dans  la  pai- 
sible oasis  de  Médine,  vivait  perdu  parmi  la  foule  de  ses  concitoyens 
un  Ansârien,  'Arâba  al-AusL  II  sut  saisir  l'occasion  d'obliger  un  poète, 
Sammâh.  Celui-ci  l'en  récompensa  par  une  pièce,  où  se  détachait 
le  vers  suivant  : 

<  Quand  on  élève  l'étendard  de  la  renommée,  on  voit  'Arâba  le 
saisir  de  la  droite, 

A  dater  de  ce  jour,  le  brave  planteur  de  Médine  se  vit  sacré 
grand  homme,  ou  mieux  sa3-\d,  pour  parler  arabe  :  «  Veux-tu  exercer 
de  l'influence,  disait  ce  galant  homme,  ne  sois  pas  attaché  à  ton  bien  ni 
pointilleux  sur  ton  honneur;  garde-toi  de  mépriser  le  faible  et  d'envier 
le  puissant  »  {*).  D'après  une  autre  version,  Mo'âwia  (^),  un  des  plus 
grands  politiques  de  l'Arabie,  vivement  intéressé  dans  la  question,  pria 
'Arâba  de  lui  indiquer  le  secret  de  son  autorité.  Il  répondit  :  «  je  par- 


(')  Leur  indiscrétion  a  créé  nombre  de  réputations  imméritées,  imprudemment 
enregistrées  par  les  annalistes  et  avidement  propagées  par  les  auteurs  de  nawàdir. 

(2)  Voir  sa  notice,  Ag.,  XII,  149-58;  le  vers  cité,  W'IIl,  163.  Comp.  un  vers 
moins  élogieux  pour  Qais,  donné  par  le  scoliaste  de  Hotai'a,  Divan,  VII,  34. 

(■^)  Ag.,  VIII,   106;  cf.  ibid.,   105;  Nawawi,  Taiidïb,  418.  Qotaiba,  Poesis,   179. 

(*)  Cf.  Ag.,   VIII,   105. 

Ç")  Nos  auteurs  le  mettent  constamment  en  avant,  quand  il  s'agit  de  leçons  po- 
litiques. Cf.  Mo'âwia,  189-213.  Par  ailleurs  rien  ne  prouve  que  cet  'Arâba  ait  possédé 
une  véritable  influence.  Voir  son  nom  à  l'index  d'Agâni. 


^!14  L'envie,  péché  national  des  Arabes 

donne  les  impertinences  ;  je  ne  repousse  aucun  quémandeur  et  m'oc- 
cupe des  intérêts  de  mes  solliciteurs  (').  En  agissant  de  la  sorte,  on 
arrive  au  même  résultat,  avec  du  plus  ou  du  moins  ;  le  succès  dépend 
des  efforts  de  chacun  »  (^). 


La  couronne  des  rois  peut  cacher  des  épines.  Chez  les  Arabes 
la  'imàtna  ou  coiffure  des  sayjd  était  rarement  doublée  de  velours. 
Chaque  tribu  se  montrait  fière  de  posséder  des  sayj-d  influents  ("); 
mais  les  particuliers  se  chargeaient  de  leur  faire  expier  leur  précaire 
influence.  «  Chez  nous,  disait  un  Bédouin,  le  sax'^^d  doit  imposer  le 
respect  par  sa  présence;  a-t-il  tourné  le  dos,  nous  ne  manquons  pas 
de  le  débiner;  sUÛ;;*!  ISSl  IM^  aUl»  jJLil  \M  ^JJl  ol^^JI  »  [*).  Craint  et 
démonétisé!  Ces  deux  alternatives  résumaient  la  situation  du  sa\yd 
au  sein  de  sa  tribu.  Il  en  souffrait  sans  doute?  (°)  Ce  serait  ime  illu- 
sion de  se  l'imaginer.  Lui  parlait-on  d'un  rival  ?  «  Pourquoi  le  redou- 
ter, répliquait-il:  il  ne  mérite  pas  même  d'être  jalousé,  V^^^t»^ 
l^wa^  i_5*-^,'  »  C^)  L'envie,  le  péché  national  des  Arabes,  au  témoi- 
gnage autorisé  de  Mahomet!  C)  «  Ne  pas  envier,  ajoutait  un  saint  de 
l'islam,  Anas  ibn  Mâlik,  voilà   une  perfection    impossible  à  atteindre 


(1)  Comp.  Hatini  Tayy,  Divan  (Schultessj  XL,   IL 

(*)  Comp.  la  définition  de  'Adï  ibn  Hâtim  '■  ^3  ^S^'^^  ^'^  i3  ^-^si^l  ^--^  j>;1..mJI 

sjJCi  y.  .h  U  à^^  ;  Divan  de  Hâtim,  p.  7,  1.  14.  Par  quelles  condescendances  Asmâ' 
ibn  Hâriga  devint  sayyd,  cf.   Balâdori  (Ahhvardt),  248. 

(^)  Les  poètes  en  vantent  toujours  la  pléthore  dans  leur  tribu.  Voir  plus  loin:  la 
question  du  séniorat. 

(')  Gâhiz,  Haiawàn,   II,  32. 

(=)  Il  n'ignore  pas  les  sentiments  de  la  tribu  à  son  égard;  Nagâ'id  Carîr,  97,  9. 
Une  détestable  réputation  lui  paraît  préférable  à  l'obscurité:  ^;j\  ^  -^  ILùJb  k^-f-iJI 

_^  'SI  «,   .j~J^  *-*r*  '  ^  •  '-'^hiz,  Haiau'âti,   II,  3ô. 

('•)  Gâhiz,  Haiawân,   II,   30. 

(")  Tab.,  Annales,  I,  2516,  5:  »j-^«    * 'r^''  <3  '*^»-— ^  si  ;a.l  iSj-i.>s  >x,l^l  ^^^ 

^UJl^Lo  J.  Comp.  Ag.,  XX,  117. 


L'abnégation  indispensable  au  sayyd  215 

pour  nous  >  (').  Le  sajyd  avait  à  se  garer  contre  la  jalousie  de  ses 
propres  parents,  la  plus  implacable  de  toutes,  observe  Gâhiz  (").  Le 
poète  l'avait  dit: 

«  Le  gouvernement  des  hommes,  sache-le  bien,  c'est  une  montée  ; 
longue  en  est  l'ascension  >  ('). 

Un  véritable  concours!  Le  plus  entreprenant  emportait  le  titre 
de  sayyd: 

Comme  on  le  voit,  l'exercice  de  l'autorité  chez  les  Arabes  entraîne 
surtout  des  charges,  il  suppose  des  devoirs.  Elle  exige  un  |rare  en- 
semble de  qualités,  une  dose  peu  commune  d'abnégation,  une  vigi- 
lance de  tous  les  instants,  pour  dissimuler  la  supériorité  personnelle, 
obliger  grands  et  petits  (^),  tout  en  évitant  de  se  mettre  trop  en  ve- 
dette. Il  }■  faut  de  l'opulence  ("),  infiniment  de  tact  et  non  moins  de 
dignitéjdans  l'attitude.  Si,  outre  cet  heureux  ensemble,  le  sayyd  adop- 
tait comme  devise  ce  vers  du  poète: 

«  Demandez-moi,  accablez-moi  ;  je  vous  abandonne  tout  ce  que 
je  possède  dans  la  bonne,  dans  la  mauvaise  fortune, 

(»)  Hanbal,  Mosnad,   III,   165,  9  d.  1. 

(2)  Mo'âwia,  24,  n.  5;  Bohtori,  Hamâsa.  chap.  152  et  suivants;  Jaussen,  Moab, 
114.   Sigistânî,  Mo'ammaroûn,  28,  bas. 

(3)  Gâhiz,  Haiaivân,   II,  32;  Qotaiba,  'Oyoûn.  273. 
(<)  Zohair  (Ahhv.),  80,  2  d.  1. 

1^)  Avoir  l'air  rayonnant,  comme  si  l'on  recevait  au  lieu  de  donner: 

Zohair  (Ahhv.).  93,  9.  Le  sayyd  doit  être  uJ»^-^  ,  dissipateur;  Hansâ',  Divan,  14, 
d.  I.;  ou  ^UX<o  ;  Gâhiz,   Bayân,   I,  21U,   19. 

C')  w>.".»..ll  j-i  >y^.  iJ^'i  Baihaqî,  Mahâsiit,  301,  6;  comme  exception  de  sayyd 
pauvre,  on  cite  'Otba  ibn  Rabfa  de  Qorais;  Qotaiba,  'Oyoûn,  291,  7.  Autre  e.xception, 
un  sayyd  avare;  Gâhiz,  Bay&n,   I,  210,  3-5. 

(■)  Ibn  Doraid,  l'stiqâq,  219,  6. 


216  Le  sayyd,  «l'esclave  de  tous» 

S'il  savait  }•  joindre  l'inébranlable  résolution  de  se  laisser  piller,  démoné- 
tiser, manquer  de  toutes  façons,  se  tenir  constamment  à  la  disposition 
des  siens,  s'il  possédait  enfin  le  hilm  dans  un  degré  peu  commun,  il 
augmentait  dans  la  même  mesure  les  chances  de  voir  durer  sa  pré- 
caire autorité.  Non  pas  pendant  un  siècle  —  ainsi  l'affirme  la  notice 
légendaire  d'un  chef(')  —  mais  peut-être  de  recueillir  40  fois  le  mirbà' 
ou  le  quart  du  butin  ;  chance  exceptionnelle  échue,  assure-t-on.  à  Dai- 
hân  ibn  an-Namir  (*).  La  sagesse  populaire  condensait  l'ensemble  de 
ces  conditions  dans  ces  deux  dictons  :  j»AlJLi>l  .yCJl  -Çw  et  encore  -wj 
*.^>U.  »yOI  (^):  le  sa3yd  est  l'esclave  de  tout  le  monde!  Cer- 
tains sa^^-d  avaient  la  bonne  grâce  d'en  convenir  :  <  si  ie  suis  sajyd, 
c'est  pour  être  votre  serviteur  »  (^). 


(»)  Cf.  Osd,  IV,  212,  4;  Gâhiz,  Haiawân,  III,  24-26,  anthologie  de  citations;  Qo- 
taiba,  'OyoTiti,  271-72,  conditions  requises  pour  mériter  le  titre  de  sayyd  ;  les  dix  qua- 
lités du  sayyd,  Hotai'a,  Divan,  XL,  15-24,  entraînent  surtout  des  charges;  comp.  dé- 
finition du  sayyd  par  Mahomet,  dans  Ibn  al-Atîr,  Ni/iâia,  (msc.  B.  Kh.)  s.  v.   >yM 

(-)  Autres  exemples;  Ibn  Doraid,  Istigâg,  145,  152.  Pour  le  inirbà',  cf.  Ag.,  IX, 
3,  5  d.  1.  ;  XII,  12,  2;  50;  I.  Doraid,  op.  cit.,  210,  212;  mirbâ'  et  sa/àya  ;  Xaçâ'id 
Garïr,   192,  6. 

(^)  Aboû  Tammâni,  Haftiâsa  (Fr.),  122;  Hosrï',  I,  21  (en  marge  de  'Iqd^,  I). 

{^)  Gâhiz,  Bayàn,   I,   151  ;  Sigistânî,  Mo'atnmaroûn,  50,  2. 


V 


Le  sayyd  doit  être   intelligent.    La  vertu    politique  du    «  tiilm  >. 
Importance  de   l'art   oratoire 


Dans  les  foires  annuelles  de  la  Péninsule,  réunions  utilisées  pour 
la  tenue  de  fêtes  littéraires,  de  joutes  poétiques,  il  n'était  pas  rare 
d'entendre  un  nomade  porter  ce  défi  :  «  Qui  osera  disputer  à  ma  tribu 
la  prééminence  pour  ses  cavaliers,  pour  ses  poètes  et  pour  le  nombre 
de  ses  membres,  \>SS^  tl^aiij  GUojS  ...^^^y^  ijf^^-  cr<  ?  (')»•  Puissance 
militaire,  intelligence,  nombreuse  population  :  à  ces  indices  le  Bédouin 
reconnaissait  la  supériorité  d'un  groupe.  Qu'on  veuille  bien  remarquer 
la  place,  accordée  à  l'intelligence,  représentée  dans  la  circonstance  par 
la  poésie  !  En  réalité  l'Arabe  la  mettait  au  premier  rang  (*)  ;  quand 
il  s'agissait  de  choisir  le  chef  destiné  à  le  guider,  il  le  voulait 
intelligent  ! 

Maintes  fois  nous  avons  eu  l'occasion  de  nommer  le  /li/m,  le 
signe  trahissant  les  hommes,  nés  pour  conduire  leurs  contemporains  (^). 
Tels  le  calife  Mo'âwia,  les  chefs  de  tribu  Oais  ibn  'Asim,  Ahnaf  ibn 
Qais,  cités  plus  haut.  Constamment  il  est  question  du  hilm  des  sayyd, 
ï>U)  .^lo..!   {*).    Le   sa3-\-d  doit    être  hahm.   «  Possède  le  hilm,    tu    de- 

(')  Ag..  VIII,  77. 

(^,  Les  Banoû  'Abs  se  vantent  de  n'obéir  qu'au  plus  intelligent  parmi  eux;  Gâhiz, 
Bayân,  II,  31,  6. 

{')  Mo'àwia,  79-80,  83,  87.  Opinions  en  sens  contraire  :  Qotaiba,  'Oyoûn,  269,  13, 
270,  1,  2;  on  entend  prouver  que  chez  un  jeune  homme  l'audace  est  de  bon  augure. 

{*)  Ag.,  XI,  133,   13. 


218  Le  «  hilm  » 

viendras  sayyd,  >x*^  li^l  »,  disait  le  proverbe  (').  C'était  la  qualité 
maîtresse  des  califes  onia\'3'ades  ('■). 

«  Terribles  dans  leur  colère,  tant  (ju'on  leur  résiste,  personne 
n'unit  à  un  plus  haut  degré  le  /nùn  au  pouvoir  souverain  ». 

J'ai  laissé  à  dessein  Ai/m  sans  traduction.  Nous  manquons  en 
français  d'un  terme,  rendant  adécjuatement  le  concept  arabe.  Le  /li/m 
n'est  ni  la  lon^janimité  ou  la  possession  de  soi-même,  ni  la  maturité 
de  l'esprit,  ni  la  modération  (■*).  Il  se  contente  d'empnmter  à  chacune 
de  ces  (jualités,  à  la  maturité  de  l'intelligence  surtout,  juste  assez  pour 
donner  le  change  à  l'observateur  distrait.  Comme  la  valeur,  le  /li/m 
n'attend  pas  le  nombre  des  années  et  on  peut  l'observer  chez  les 
jeunes,  Mi  J~^  l^j^\  ^^  (^).  Par  ailleurs,  l'intelligence  fournit  une 
composante  indispensable  (")  du  /li/m  et  l'on  rencontre  des  hommes, 
chez  qui  le  ////;«  équilibre  difficilement  la  légèreté  de  l'esprit  »^sla.l 
l^yCs.  J.^  C).  De  ces  emprunts  superficiels,  opérés  aux  dépens  de 
l'intelligence,  de  la  rouerie,  de  la  simulation,  de  la  longanimité,  de  la 
modération  (*),  de  la  maturité,  il  résulte  une  vertu  spécifiquement 
arabe;  complexe  hvbride,  mal  défini,  aux  contours  flottants  et  imprécis; 


(1)  Qotaiba,  'Oyoûn,   271,   13;  332,   5. 

(-)  Cf.  Mo'âwia;  chap.  5:  Le  hilm  de  Mo'âwia  et  des  Oniayyades,  66-108, 

(3)  Ahtal,  Divan,  104,  d.  v.  ;  Ibn  Qais  ar-Roqayyât,  Divan,  255,  4;  266,  3;  le 
hilm  de  Qorais  (ibid.,  171,  2J,  la  tribu  impériale,  créée  pour  régir  les  Arabes!  Il  n'est 
jamais  question  du  hilm  des  Ansârs. 

(■•)  Comp.  Mo'mi'ia,  67  etc.  Je  reprends  les  traits  principau.x  de  l'esquisse  tracée 
en  ces  pages. 

(5j  Ag.,  XIII,   106,  9. 

(6)  Non  pas  exclusive,  comme  l'ont  prétendu  le  regretté  K.  Vollers  et  le  Prof.  R. 
Geyer. 

(7)  Farazdaq,  Divan  (Boucher),  2,  2  d.  I.  non  pas  «  fantômes  à  petites  cervelles  », 
comme  traduit  Boucher. 

(')  Et  aussi  de  la  douceur;  Hansâ',  Divan,  51,  14.  On  mêle  adroitement  l'empor- 
tement au   hilm:  Jl^-^  »Uï>.b  ;  Saqaid  Garïr,  568,  d.  v.  ainsi   expliqué   ibid.,  569: 

Mer^  fj^  IM|  J4.^  ^»  tUi    U4   ,xij    ;  comp.  ibid.,  569,  2  v. 


Même  sujet  219 

si  imprécis  même  que  le  moraliste  se  trouve  embarrassé  pour  \'  déter- 
miner la  limite  exacte  entre  la  qualité  et  le  défaut.  Cette  fluctuation 
tient  à  la  mentalité,  à  la  nature  du  peuple  arabe, composées  d'extrêmes; 
nature  excessive  et  exubérante,  d'un  relief  vigoureux,  mais  heurté, 
tout  en  ombres  et  lumières,  sans  gradation  de  teintes  et  de  nuances  ; 
héritier  d'une  antiiiue  civilisation,  mais  par  suite  de  révolutions  clima- 
tologiques  ('),  économiques  et  politiques,  retombé  dans  un  état  voisin 
de  la  barbarie. 

Le  hilm,  en  dépit  de  toutes  les  combinaisons  disparates,  des  dé- 
formations, causées  par  la  rudimentaire  ps\chologie  des  Arabes,  le 
hilm  demeurait  en  définitive  une  prérogative  spécifiquement  intellec- 
tuelle, une  pâle  copie  de  la  acoqpQoovvii  antique,  sorte  de  raison  de 
second  ordre.  Composée  principalement  de  finesse  et  de  rouerie, 
infiniment  plus  pratique  que  spéculative,  cette  prudence  devait  ap- 
prendre à  tourner  les  difficultés,  quand  on  ne  pouvait  les  aborder  de 
front.  Elle  ne  dédaignait  pas  les  voies  obliques,  tortueuses,  et  ne  s'in- 
terdisait pas  de  tendre  un  traquenard  à  un  adversaire  puissant,  où  il 
trouverait  (^)  le  châtiment  de  son  insolence  (').  Les  écrivains  arabes 
insistent  avec  complaisance  sur  ces  habiletés  équivoques  des  savyd 
les  plus  vantés.  Ceux-ci  prenaient  modèle  sur  le  serpent  aI^.  ^.^  ji^l  (^), 
friic/enies  siait  serpentes.  On  tenait  en  petite  estime  la  lente  perception 
des  grands  fauves,  ^L^l  ^X-^\  (°),  et,  en  tout  dernier  lieu,  celle 
des  moineaux,  ^'^-ot  ^^=.-1  (^).  Les  Arabes  ont-ils  connu  la  théorie, 
établissant  une  relation  entre  le  développement,  le  volume  du  cerveau 
et  celui  de  l'intelligence  ?  Constamment  nous  les  entendons  parler  du 


(')  Celles-ci  dans  le  sens  expliqué  plus  haut. 

('^  Où  l'on  lui  «  limerait  les  ongles  »,  disaient  les  Arabes.  Bohtorî,  Haviàsa, 
n.   1308,  1  V. 

(3)  Mo'àwia,  68-69. 

(■*)  Qotaiba,  'Oyoûn,  459,  16  ;  comp.  460,  8.  Pour  la  même  raison,  ces  écrivains 
réservaient  leur  admiration  aux  dàhia;  cf.  Mo'àwia,  214-215.  Or  le  dâhia  devait  avant 
tout  posséder  le  hilm. 

(S)  Hanbal,  iMosnad,  II,  166,  10  d.  1. 

1^1   Gâhiz,   Haiawân,   V,    73,    nombreuses   citations  ;    Hassan   ibn   Tâbit,   Divan. 

cm,  2. 


220  Etait-ce  une  qualité  ? 

poids  de  leur  hilm.  Il  doit  être  assez  lourd  pour  contrebalancer  la 
masse  des  montagnes  ('). 

Reniar(]ue  plus  importante  pour  notre  sujet  :  le  hilm  était  la 
vertu  des  politiques,  la  ([ualité  maîtresse  des  say}d  (^)!  Dans  la  foule 
des  sayyd  —  et  en  Arabie  (}ui  ne  prétendait  à  ce  titre?  —  on  arrivait 
à  percer,  à  la  condition  de  posséder  dans  un  degré  peu  commun  cette 
vertu  à  double  fin,  rappelant  le  sabre  de  M.  Prudhomme. 

Au  fond  le  hilm,  comme  la  plupart  des  qualités  arabes  (•*),  est 
une  vertu  bruyante  et  d'apparat,  composée  d'ostentation.  Chez  ce 
peuple  théâtral,  héritier  insouciant  d'anciennes  civilisations,  la  répu- 
tation de  hilm  s'acquiert  au  prix  d'un  geste  élégant,  de  quelcjue 
dicton  sonore,  soigneusement  relevés  par  les  poètes.  Elle  ne  suppose 
pas  la  victoire  sur  les  passions  irascibles  (*),  la  lutte  contre  l'ignorance. 
Elle  peut  s'allier  avec  la  brutalité  dans  la  vie  journalière.  L'exemple 
de  Qais  ibn  'Asim  suffirait  à  le  prouver.  Ce  t)-pe  du  hilm  se  vantait 
d'avoir  enterré  vivantes  une  trentaine  de  ses  filles.  Le  hallvi  voudrait 
se  persuader  à  lui-même  et  surtout  à  ses  contemporains,  combien  il 
se  sent  supérieur  à  l'outrage,  évitant  d'y  répondre,  par  mépris  pour 
l'agresseur,  ou  pour  s'épargner  des  désagréments  plus  grands.  Ainsi 
certains  poètes  dédaignaient  de  riposter  à  des  adversaires,  jugés  par 
eux  indignes  d'une  réplique  (■')• 

En  parlant  du  hilm,  il  nous  est  arrivé  d'emplo^^er  le  terme  de 
qualité.  C'était  avant  tout  une  attitude,  un  opportunisme  prudent.  Ils 
prévenaient  des  abus  d'autorité,  toujours  regrettables,  sous  un  régime 
en  principe  démocrati(]ue,  surtout    dans   un  milieu   aussi   anarchique, 


(1)  Cf.  Mdmvia,  74,  364,  n.  1;  .U=^\ll  'LkL.\  Naqâ'id  Garir,  18,  1;  Ag.,  XX, 
105,  4  d.  1.  ;  «  plus  lourd  que  le  mont  Radwâ  »;  Hassan  ibn  Tâbit,  Divan,   X,  25. 

(')  Cf.  Mo'âwia,  79,  80;  Qotaiba,  'Oyoûn,   331,  333. 

(3)  Nommons  la  générosité;  cf.   Yazîd,   191,  sqq. 

{■*)  Elle  est  presque  toujours  jointe  à  la  plus  intolérable  jactance.  Le  héros  est 
pii^  ^_iyQÀ\  Hansâ',  Divan,  113,  1,  avec  la  variante  plus  naturelle  de  pJ*^-  ^^='-'- 

(=)  Cf.  Mo'âwia,  82;  Bohtorî,  Hamâsa,  nos  911,  912,  sqq.  Ag.,  II,  116;  XX,  172; 
Ahtal,  Divan,  67,  5-6;  132,  4;  316,  U;  parfois  on  attaquait  pour  obtenir  l'honneur 
d'une  réplique;  Ag.,  Il,  24,  7.  Pour  les  débutants,  c'était  une  façon  de  se  mettre  en 
vedette. 


Son  importance  pour  le  sayyd  221 

OÙ  tout  acte  de  violence  provoquait  fatalement  une  réaction  (').  La 
crainte  du  iàr,  du  talion  —  et  non  pas  un  sentiment  d'humanité  (*)  — 
inspira  au  Bédouin  l'horreur  du  sang  versé.  Ainsi  les  conséquences 
fâcheuses  d'un  mot,  d'un  geste  emportés  lui  révélèrent  la  valeur  du 
hilm.  A  ce  titre  il  s'imposait  à  l'attention  des  sa3yd,  obligés  par 
office  à  maintenir  l'équilibre  entre  les  éléments  de  désordre,  s'agitant 
au  sein  de  la  tribu.  Celle-ci  se  trouvait  régie  par  des  institutions, 
rappelant  le  régime  parlementaire  (').  Les  décisions  du  sa}-yd  deve- 
naient exécutoires,  quand  ils  avaient  été  discutés  et  approuvés  par 
le  maglis,  iiâdi,  7iia/â\  ou  conseil  des  chefs  de  tente  {*).  Il  fallait  tenir 
compte  des  orateurs,  surtout  ménager  l'amour-propre  de  la  nom- 
breuse et  inquiète  corporation  des  poètes,  très  influents  sur  l'opinion 
publique.  Cette  organisation  faisait  du  hilm  pour  le  dépositaire  de 
l'autorité  une  vertu  politique  de  premier  ordre  (").  Chez  les  particu- 
liers, abrégé  pratique  de  l'ancienne  sagesse  du  désert,  s'inspirant 
principalement  d'orgueil  et  de  dédain,  le  hilm  se  révèle  à  nous,  comme 
une  contrefaçon  peu  réussie  de  la  réserve,  de  la  longanimité  chré- 
tiennes f). 

Ce  caractère  composite,  cette  combinaison  inégale  de  défauts 
et  de  qualités  en  constituaient  précisément  la  valeur  aux  j-eux  des 
Arabes,  incapables  d'apprécier  le  mérite  des  actions  simples  et  mo- 
destes, la  pratique  des  vertus  domestiques,  relevant  seulement  de 
Dieu  et  de  la  conscience  individuelle. 


(*)  Des  meurtres,  partant  des  rançons  à  payer.  Le  poids  de  ces  rançons  —  nous  le 
verrons  plus  bas  —  retombait  principalement  sur  le  saj'yd. 

(-)  Hâtim  Tayy  se  vante,  comme  d'une  action  d'éclat,  de  n'avoir  jamais  tué  le 
fils  unique  de  sa  mère;  Gâhiz,  Mahàsin,  80,  15. 

(3)  Cf.  Mo'âwia,  59-66. 

(••)  Voir  plus  loin  le  droit  de  l'eto. 

{^)  Comp.  l'e.xpression  Xà\^  *5r'"^  ii^'^  ij-"^  ;  Hizânat  al-adab,  II,  146,  2  d.  1. 
C'était  la  vertu  des  hakam  ou  arbitres,  comme  Sinân  ibn  Abi  Hârita;  Ya'qoûbî,  ^«j/., 
I,  299;  également  vertu  des  vieillards;  Bohtorî,  Hamâsa,  chap.   119. 

('•)  Voir  dans  Bohtorî,  Haviâsa,  chap.  108  sur  le  pardon;  on  remarquera  com- 
bien le  ton  demeure  dédaigneux  et  hautain.  Le  vieu.x  poète  Ma'n  ibn  Aus  fait  exception 
par  son  accent  de  mansuétude  presque  évangélique  ;  Bohtori,  op.  cit.,  n.  1308. 


222  Les  orateurs 


Malgré  toutes  ces  confusions,  en  dépit  de  ce  mélange  de  bien  et 
de  mal,  l'estime  des  Arabes  pour  le  hilm,  considéré  par  eux  comme 
première  prérogative  des  hommes  politiques,  cette  estime  n'en  consti- 
tuait pas  moins  un  hommage  rendu  à  l'intelligence.  C'était  reconnaître 
son  influence  sur  la  conduite  des  affaires.  Cet  aveu  ne  restait  pas 
isolé.  Il  prouve,  comme  nous  l'avons  insinué,  les  dispositions  de  cette 
race  (')  pour  une  culture  plus  avancée. 

Saj'j'd  et  amir,  ces  deux  termes  servaient  à  désigner  le  chef. 
Primitivement  ils  paraissent  bien  avoir  signifié  l'orateur.  Ainsi  l'indi- 
que du  moins  la  comparaison  avec  les  dialectes  sud-arabes,  avec 
l'hébreu  et  avec  le  syriaque  (^).  Dans  nombre  de  textes  et  de  récits 
anciens,  les  mots  >-rr^  ^t  p*j  orateur  (')  remplacent  fréquemment  ce- 
lui de  sa3-\d  {*).  Chaque  tribu,  chaque  clan  possédaient  un  hatlb.  un 
zcCîm,  un  motakallim  ou  un  gazuroàl,  orateur,  chargé  de  débattre  et 
d'expédier  les  affaires  (').  Il  parlait  et  traitait  au  nom  de  son  groupe. 


(*)  Elle  impose  à  ses  héros,  avant  de  les  admirer,  l'obligation  d'être  orateurs 
ou  poètes,  souvent  les  deux  à  la  fois. 

(2)  Cf.  Hommel,  ZDMG,  XLVI,  529;  comp.  j-j"  du  Yémen;  M.  Hartmann,  Isla- 
inische  Orient,  II,  350,  445;  Brown,  Driver  et  Briggs,  Dict.  héb.  syriaque,  s.  v.  TID 
691;  Nallino,  Costituzione  délie  tribu,  615;  Goldziher  dans  U'ZKM,  VI,  97;  lequel 
compare  jrit  :  ^  chef  («*;,  affirmer);  M.  S.  II,  52.  Rapprochez  i_-%.-iii.«  pt  ;,  cité  plus 
bas;  pour  p6j  =  orateur,  voir  note  de  Hansâ',  Divan,   115,  n.  4;  Gâhiz,  Bayàn,  I,  21. 

(')  Cf.  Goldziher,  Abhandlungen,  I,  20  ;  Aboû  Tammâm,  Hamâsa,  E.  I,  178,  1. 
Pour  toute  cette  matière  consulter  l'indispensable  Kitâb  al-Bayân  wat-tabyîn  de  Gâhiz. 
L'époque  préislamite  aurait  déjà  possédé  des  formulaires  et  des  collections  oratoires  ; 
Gâhiz,  Bayân,  I,  133,  13  etc.  Elles  n'ont  pas  dû  être  sans  influence,  je  le  soupçonne, 
sur  la  formation  stylistique  de  l'auteur  du  Qoran. 

(f)  Voir  Der  Chattb  bei  deti  alten  Arabern  du  Prof.  Goldziher  dans  WZKM,  \'I, 
97-102. 

(5)  Orateur  de  sa  tribu;  Hansâ',  Divan,  21,  4  d.  I.  .«i>  ^--^.-jka».  ou  i_«  .U-^  j  p*  3  • 
Gâhiz,  Bayân,  I,  21;  94,  3;  96;  Aboû  Tammâm,  Hamâsa,  E.  IV,  26,  3  v.  ;  Va'qoûbï, 
Hist.,  II,  207,  6  d.  1.  HaOb  des  Ansârs,  Ag.,  XVIII,  139,  11  d.  1.;  hatîb  du  Prophète 
I.  Doraid,  Istigàg,  268,  12;  toute  une  famille  de  haub  ;  ibid.,  198,  199  (celle  de  Soûhân) 
A  la  Mecque  'Otba  ibn  Rabî'a  est  —  en  dépit  de  sa  pauvreté  —  proclamé  saj'j'd  parce 


Le  «  magrlis  »  de  la  tribu  223 


Un  noble  Arabe,  poète  et  orateur,  affirme  qu'après  sa  mort  «  le  ma- 
^lis  le  pleurera,  et  aussi  les  malheureux  affamés,  expulsés  des  réu- 
nions publiques. 


f  -z. 


Le  niaglis,  le  modeste  parlement  de  la  tribu  (•)  !  Ne  croirait-on 
pas  entendre  un  député  démocrate,  faisant  l'éloge  de  son  activité 
politique  ?  Le  maglis  ou  nàdi  était  le  théâtre  des  luttes  et  des  succès 
du  savyd  plus  encore  que  le  champ  de  bataille,  oij  il  ne  réussissait 
pas  toujours  à  obtenir  la  conduite  des  opérations.  Tous  les  sa\yd  ne 
possédaient  pas  les  aptitudes  universelles  d'un  Ta'abbatasarran,  à  la 
fois  «  porte-fanion,  membre  du  conseil,  orateur  sententieux  et  vo3^a- 
geur  infatigable. 

Tous  ne  se  sentaient  pas  en  mesure  de  pouvoir  apostropher  le 
calife  : 

<  Si  Mo'âwia  vient  à  m'insulter,  n'ai-je  pas  ma  langue  et  ma  fine 
lame  ? 

--  »  0  .-?  ...         * 


que  ÎLjj  ii*:!^  ÛUJ  1)  volj  ^UJl  ^1  ;  Wâqidî  (Kr.)  59,  4  ;  Hansa",  Divan,  94  ;  Nal- 
lino,  Costituzio7ie  délie  tribu,  618  ;  ^Uil,  J^^l  ^^,j  ;  Ag.,  XVIII,  146,  10  d.  1.  ; 
|JSU<«  =  orateur;  I.  S.   Tabaq.,  I',  72,   14. 

(»)  Ag.,   XI,   157.   7. 

If)  De  là  la  phrase  :  ^^^A^  ^3  i»a»  ;  Ag.,  XI,  161,  1  ;  Farazdaq  dans  Gshiz,  Bayân, 
I,  126,   15. 

(')  Mofaddalyyàt ,  éd.  Thorbecke,  I,   13.  Conip.  Hansâ',  Divatt,  27,  3  : 

,1  ^    ^_yi.-;sAJ     i^.Jol    >^C^  i^.'^l     \>i^    i^.y     J^ 

Gâhiz,  Avares,  268,  bas:  i?.^»!  i ilZ^  .  Toutes  ces  expressions  synonymes  font  allu- 
sion à  l'activité  du  héros,  «  dont  la  nuit  le  lit  demeure  froid  ».  Voir  citations,  Gâhiz, 
op.  cit.,  268-69.  Le  héros  ne  dort  pas  la  nuit  ;  il  doit  être  en  course  ;  So'arâ'.  764, 
1-2  d.  V.,  comp.  Bohtorï,  Hamâsa,  628,  4  v.  ;  le  sa'loTik  dormeur  est  méprisé;  Bohtorî, 
op.  cit.,  641,  1.  Ag.,  XX,  21,  3  d.  1.,  variante  du  vers  de  Hansà',  attribué  à  un  autre. 
(*)  Ibn  Doraid,  Iktiqâq,  239,  2  a.  d.  1.  Èo'arà',  912,  2  d.  v. 


224  Importance  de   l'art  oratoire 

Tous  ne  pouvaient  reprendre  pour  leur  compte  le  distiiiue  du 
poète  : 

«  Selon  notre  bon  plaisir,  nous  repoussons  les  avis  contraires; 
mais  personne  n'ose  répliquer  à  nos  discours. 

Parmi  nous,  un  sa}  yd  vient-il  à  disparaître,  un  autre  sayj'd  prend 
sa  place,  éloqtient,  mettant  en  exécution  les  décisions  des  hommes 
d'honneur, 

Mais  dans  toutes  les  descriptions,  à  côté  «  de  l'intelligence,  de 
la  générosité,  on  relève  chez  le  sa}  yd  la  nécessité  de  l'art  oratoire. 

Il  fallait  s'}'  attendre:  la  forfanterie  arabe  réclamerait  parfois  ce 
privilège  pour  tous  les  membres  de  la  tribu  :  tel  Qais  ibn  'Asim  pour 
le  clan  d'ailleurs  assez  obscur  des  BanoQ  Minqar,  «  tous  éloquents, 
quand  leur  tour  de  parole  est  venu,  blancs  de  visage,  éloquents,  di- 
serts, 

(^)    çïUa-c    s».a.JI    Ja^  (»%^^    f*^',    vl^^    iLJaa,.   » 

La  privation  d'orateur  passait  pour  une  calamité  publique  (*),  et 


(')  Abou  Tammam,  Hamâsa,   E.  I,  60;  comp.  Gahiz,  Bayàn,  I,  94,   18. 

(2)  Ag..  XI,  133,  13;  Nawawi,  Ta)M,  308,  3  d.  I.;  j^LJUl  ^'>'^  Hansà',  Divan, 
73,  4;  «langue  de  la  tribu»;  Ibn  Doraid, /i/î'yâ^,  213,  216;  «langue,  comme  l'alêne 
du  cordonnier»;  ibid.,  167;  ^-jU^J.  (^to  «O  ;  ibid.,   145,  4  d.  1.,   149. 

(3)  A.  Tammàm,  Hamâsa,  E.  IV,  68;  pour  l'éloquence  des  B.  Rlinqar,  cf.  I.  Do- 
raid,  l'stiqâq,  154,  3.  Il  est  toujours  permis  de  se  demander  si  ce  vers  n'a  pas  donné 
naissance  à  la  tradition. 

{*)  Qotâmî,  Divan,  XIV,  20,  le  déplore  pour  les  Banoû  Taglib.  Tribus  célèbres 
pour  leur  éloquence  :  Banoû  Saibân,  B.  Taniîm  (on  l'aura  déduit  du  vers  de  Qais  ibn 
'Àsim),  B.  lyâd,  B.  Asad  ;  'Jqd^,  II,  54;  Ç,îl\\\z,  Bayân,  1,20,24,  25;  133,6;  déshon- 
neur de  posséder  «  un  orateur,  forcé  d'écouter  les  discours  d'autrui  comme  à  la  dérobée: 

^i.^  (^'-^I  (i  (*«^^  ô'^  (*<-**^  f>^'  *'«•••  *'  ^bî^'-  i^'ï'aii,   299,  4. 

Les  héros  sont  toujours  blancs  de  visage;  Ibn  Qais  ar-Roqayyât,  Divan,  83,  84, 
92;  Hansâ',  Divan,  36,  4  d.  1.  ;  Nagâ'id  Gartr,  266,   1.  Bohtorî,  Haviâsa,  n.   1164. 


Organisation  démocratique  225 

la  satire  ne  manquait  pas  d'exploiter  cette  infériorité  (').  La  perte 
d'un  de  ces  princes  de  la  parole  était  ressentie  douloureusement  et 
servait  parfois  aux  nomades,  chronologistes  fort  nécrlicrents,  de  point 
de  repère  pour  la  supputation  du  temps  ('").  On  comptait  depuis  sa 
mort,  comme  on  l'eût  fait  depuis  la  dernière  grande  sécheresse  ou 
peste  caméline.  A  défaut  d'éloquence,  certains  chefs  devaient  se  reje- 
ter sur  leur  valeur  militaire:  à  elle  de  suppléer  pour  la  défense  de 
la  tribu  (").  D'aucuns  pouvaient  s'écrier  fièrement:  «je  suis  votre 
langue  et  votre  lance  ,XiU^,  jXJU-o  »  (*).  «  Mon  épée  pénètre  jusqu'au 
fond  des  os  ;  mais  ma  langue  n'est  pas  moins  acérée  que  mon  sabre. 

Encore  la  lance  ne  suppléait-elle  pas  à  la  parole  dans  les  députations 
et  les  négociations,  confiées  au  Aa/lâ  (''),  orateur  et  diplomate  des 
siens  (*). 

Cette  estime  de  la  parole  ('),  l'importance  accordée  aux  tribuns, 
tiennent  à  l'organisation  démocratique  de  la  tribu.  Pour  vaincre  les 
oppositions,  le  sa\'3'd,  issu  de    l'élection,  se  vo\ait    pratiquement    ré- 


(')  Nagâ'id  Gartr,  29,  4  ;  autres  références  dans  Ziâd  ibn  Abthi,  35. 

(-)  Gahiz,  Bayân,   I,  134,   18;  cf.  L'âge  de  Mahomet,  210. 

(3)  Gâhiz,  Bayân,  I,  93,  bas. 

(<)  Qotaiba,  Ma'ârif,  E.  139,  8;  Tab.,  Annales,  II,  130,  4;  148,  4.  Le  vers  sui- 
vant est  de  Garîr;  Gâhiz,  Bayân,    I,  70,  4;   I.   Doraid,  l'stiqâq,   198,   199,   11. 

(■')  Cj'^'^s  î^  i_-.i^It>  et  à  partir  du  califat  ai_^  (cf.  Mo'âwia,  60-64)  ;  Gâhiz,  Bayân, 
I,  135,  5  d.  1.,  Mobarrad,  Kâmil,  768,  9;  sayyd  porte-parole,  Ag.,  XII,  122;  crainte 
inspirée  par  un  hatîb  ;  Gâhiz,  Bayân,  I,  94,  3,  122,  12;  sayyd  à  la  fois  poète,  hattb, 
fâris,  et  noble;  un  autre  est  hatîb,  hakam  et  nassâb  ;  Ag.,  XIII,  57;  Gâhiz,  op.  cit., 
I,  96;  134,  14.  Orateurs  et  poètes,  leur  place  dans  les  solennités;  Ag.,  XI,  163; 
i__j_aJl  ^L«jjS»  -^l  -I — :  1  ftljjt^  ;  Dînawarî,  Ahhâr.    128. 

r  .      Jiy-I^  ^  J>J  ti^\  ^SJ  I^>U^  ^1  f.yJI  .^.;i=L  ^^.  i:,  (.1 

Gâhiz,  Bayân,  I,  75,  4.;  Goidziher,  WZK'M,  VI,  97;  Ag.,  IV,  8  ;  X,  155,  d.  I.; 
XXI,  79,  23  ;  99,  2  ;  Tab.,  Annales,  II,  38,  10  ;  A.  Tammâni,  Hamâsa.  (Fr.)  650,  d. 
V.  >,«ii  v_..».tTt,;  Gâhiz,  Bayân,  73,  5  d.  1.,  hatîb  des  Ansârs  ;  V'a'qoûbî,  Hist.,  II,  207,  6  d.  1. 

(")  («yiJI  >— -«h-»  1,^1,  dit  Mo'âwia  à  un  orateur,  c-à-d.  tu  es  le  plus  intelligent 
de  tous  !  Tab.,  Annales,  I,  2910,  10.  «Je  dois  à  mon  âge  d'être  leur  hatîb»  ;  Ibn  al- 
Atîr.  Kâmil,   III,  217,    10  d.  1. 

Lammens  —  Berceau  15 


226  L'Arabe  et  la  poésie 

duit  à  la  persuasion,  en  l'absence  de  tout  autre  moyen  coercitif.  Re- 
marquons-le en  passant,  sous  le  régime  oma\-\ade  ('),  si  profondé- 
ment arabe,  les  plus  grands  politiques  —  nommons  Mo'âwia,  Ziâd  ibn 
Abihi,  Haggâg  —  manièrent  avec  beaucoup  d'adresse  l'art  de  la 
parole  (^).  L'Arabe  se  trouve  merveilleusement  doué  pour  l'éloquence! 
Placé  dans  son  milieu  naturel,  le  désert  libre  et  illimité,  où  il  ne 
relève  que  d'Allah  et  de  lui-même,  tout  tend  à  développer  chez  lui 
ses  dispositions  natives,  l^e  culte  de  la  poésie,  poussé  si  avant  par 
le  nomade,  ne  doit  pas  nous  donner  le  change. 

Convenons-en  franchement.  L'Arabe  est  trop  réaliste  pour  attein- 
dre à  la  haute  poésie.  Chez  lui,  la  vie  au  sein  de  ses  mornes  soli- 
tudes éteint  trop  souvent  l'imagination  féconde.  La  lutte  pour  l'exis- 
tence, l'incessant  souci  du  lendemain  lui  interdisent  les  rêves  gracieux, 
la  création  des  symboles,  l'évocation  d'irréelles  images.  Au  moyen 
des  ginn,  production  de  sa  fantaisie  surchauffée,  il  n'a  j)as  même  su 
former  l'ébauche  d'une  mythologie  rudimentaire.  Sa  sensibilité  se 
trouve  émoussée,  son  individualisme,  sa  profonde  misère  l'empêchant 
de  s'apito\er  sur  celle  d'autrui.  Mais  passionné,  observateur,  épris 
d'indépendance  personnelle  jusqu'à  l'anarchie  inclusivement,  disposant 
d'un  idiome  sonore  et  remarquablement  riche,  l'Arabe  est  facilement 
disert  (^).  Qu'à  ces  dispositions  viennent  se  joindre  une  culture  ini- 
tiale, la  participation  à  l'existence  agitée  de  la  tribu,  le  contact  avec 


(')  Voir  le  vers  d'Aboû'l  'Abbâs  l'aveugle  ;  Gâhiz,  Bayàn,  I,  94,  18. 

(^)  Voir  pour  cette  période  Ahtal,  Divmi,  304,  11-12.  Pour  empêcher  le  hattb  de 
Qorais  de  nuire  à  la  bonne  cause,  le  futur  calife  'Omar  conseilla  de  lui  casser  les  dents; 
Ibn  Hagar,  Isâba,  II,  292,  3  d.  1.;  294,  2.  Un  sayyd  «pas  embarrassé  pour  parler»; 
Zohair  (Ahlw.)  99,  7  d.  1.  Un  autre  homme  d'état  omayyade,  Rauh  ibn  Zinbâ'  (cf. 
Vaztd,  305)  était  également  célèbre  par  son  éloquence,  Gâhiz,  Bayàn,  I,  132,  8  d.  I.; 
137,  5.  Voir  la  critique  de  l'éloquence  arabe  par  les  So'oûbyya  ;  Gâhiz,  o^.  <"//.,  II,  01-52. 

(3)  Maître  de  l'éloquence,  au  dire  de  Mas'oûdï,  Prairies,  IV,  164.  Voir  le  chapitre 
de  Gâhiz,  Bayàii,  I,  43  sqq.  où  il  énumère  |JJ  JU  Lkil  ïls  ç.<  CU^-~o.  JlS^.  V  ^^  .  On 
connaissait  pourtant  le  proverbe  :  «  la  parole  est  d'argent,  le  silence  est  d'or, 
*_-%*>  ,^  Cjy>^*^  i*-^  cr*  f^^'  o*^  o'  "•  '*2rf->  107,  6.  Un  des  adversaires  de  Ga- 
rîr,  al-Balt  est  poète  médiocre,  mais  admirable  orateur  ;  c'est  la  remarque  de  Gâhiz, 
Bayân,  II,  51,  4.  Les  Banoû  Saibân,  excellents  orateurs  (voir  plus  haut)  sont  mal  doués 
pour  la  poésie,  d'après  Asmal,  FohoTilat  a's-So'arà'  (éd.  TorreyV 


Pourquoi  il  n'existe  pas  d'éloquence  arabe  227 

un  milieu,  où  toutes  les  convoitises  s'entrechoquent  et  entrent  en 
conflit,  alors  cette  nature  violente,  tout  en  nerfs,  frissonnant  à  la 
moindre  commotion,  trouvera  sans  effort  des  traits  éloquents.  Dans 
les  plus  fameuses  çaslihs,  les  tirades  grandiloquentes,  sententieuses 
empiètent  constamment  sur  la  place  de  la  poésie  et  les  transforment 
en  hûidas  rimées.  Là-même,  où  le  Bédouin  se  croit  le  plus  poète,  il 
nous  fournit  surtout  les  preuves  de  ses  facultés  oratoires,  il  se  dé- 
montre ç^a^  ^-^li).  poète  disert  1  (')  Dans  son  Bayàn,  consacré  à 
la  glorihcation  de  l'éloquence  arabe,  le  très  avisé  Gâhiz  cite  princi- 
palement des  exemples  poétiques;  les  trois  quarts  de  ses  orateurs 
sont  des  poètes.  Si  l'éloquence  est  la  répercussion  vocale,  l'extério- 
risation d'une  âme  vigoureuse,  éclatant  en  accents  passionnés  (*)  et 
vibrants,  personne  mieux  que  l'Arabe  ne  remplit  ces  conditions.  Pour- 
quoi ces  dispositions  natives  sont-elles  demeurées  sans  emploi,  pour- 
quoi n'existe-t-il  point  d'éloquence  arabe-  {^). 

Avons-nous  le  droit  de  soupçonner  ici  l'action  de  l'islam  ?  Il  sem- 
ble bien  difficile  de  le  mettre  complètement  hors  de  cause.  A  mesure 
qu'il  pénètre  les  Arabes,  on  voit  diminuer  les  manifestations  de  la 
vie  publique  (^)  et  sim  iltanément  tarir  la  source  de  leur  inspiration 
oratoire.  Si  cette  évolution  tient  à  l'appauvrissement  graduel  de  la 
Péninsule,  nous  constatons  de  nouveau  la  faillite  de  l'islam.  Il  avait 
promis  monts  et  merveilles;  l'adopter,  c'était,  affirmait  le   Qoran  (5, 


(')  Qualification  donnée  à  l'immense  majorité  des  poètes  dans  Asmal,  op.  cit. 
(éd.  Torrey,  ZDMG,  LXV,  492-503):  cuai  Js*  ^sLi;  Ag;.,  XIX,  84,  106.  Poète 
ne  possédant  que  la  .J>-.loà  ;   Ag.,  XX,   168,   10.  La  remarque  aurait  pu  être  étendue. 

(*)  Les  So'oûbyya  leur  reprochaient  de  crier  comme  des  sourds  ;  Gâhiz,  Bayân, 
II,   52,  6.  Cette  mode  n'a  pas  changé. 

(^)  Cf.  notre  Ziâd  ibn  Atn/ii,  34-35.  Rapprochez  les  jtUj  ._-^n-^  et  ._-v..v^t:w  f^^  .iti; 
Ibn  Doraid,  Istiqâg,  114,  147,  196,  242  ;  Ag.,  XX,  180.  Ibn  al-Faqîh,  Géogr.,  1  page,  d.  1. 
parle  d'un  recueil  de  «  mille  hotba  »,  transmis  de  mémoire,  au  début  de  la  dynastie 
'abbâside.  II  existait  une  édition  >-«'ttf  des  discours  du  calife  Mo'âwia;  Gâhiz,  Bayàn, 
I,   173,   10  d.  1. 

(*)  Partout  s'y  multiplient  les  titasgid  qaum,  centres  d'incessantes  parlottes  et  de 
discussions  politiques.  Rares  sont  les  màglis  silencieux,  <  où  l'on  chuchote  à  voix 
basse  :    -oUaJ.!  i_,^^  y^\  i^  lj-«»_ï  Uo  lil  f^**^  vioJuJ.1  Jaià.  *£3--Jl=s;  Gâhiz, 

Bayàn,   I,   140. 


228  Influence  de  l'islam 

70),  nager  dans  l'abondance  («4^^^  ^^  crf^  ^^^  ^  l*^"^-  Par  ailleurs, 
en  restaurant  le  despotisme  des  anciennes  monarchies  asiatiques,  l'ab- 
solutisme des  'Abbâsides  doit  assumer  une  lourde  part  de  responsa- 
bilité. Sous  les  Omavyades,  les  traditions  du  désert  se  survivent  jus- 
(jue  dans  les  pa^'s  conquis  ('). 

En  théorie  le  califat  demeure  une  monarchie  élective,  le  com- 
mandeur des  cro3'ants,  le  premier  des  sa3'\d  arabes,  un  primns  in- 
ter  pares  ou,  comme  s'expriment  les  Byzantins  un  JtQcotooiVPovJ.oç  parmi 
ses  avnf3ouXoî,  à  savoir  les  membres  de  l'aristocratie  arabe,  les  délé- 
gués des  tribus,  formant  une  sorte  de  Parlement  (■).  Les  mosquées 
primitives  restèrent  longtemps  des  centres  de  réunions  profanes.  Califes 
et  gouverneurs  3'  discutaient  les  affaires  publiques  dans  des  meetings 
contradictoires  et  fréquemment  orageux  (').  La  persistance  des  mœurs 
anciennes  empêcha  de  prévoir  l'évolution  qui  se  préparait.  Jusqu'alors 
la  mosquée  avait  remplacé  le  maghs  ou  conseil  de  la  tribu;  insen- 
siblement elle  se  transforma  en  temple  pour  le  culte  islamique.  Les 
harangues  politiques  tendent  à  devenir  des  sermons,  où  les  citations 
du  Ooran  éliminent  peu  à  peu  les  tirades  poétiques,  demeurées  en 
faveur.  Le  minbar,  ou  tribune,  transformée  en  chaire  de  prédicateur, 
retentira  désormais  de  déclamations  froides,  où  l'on  imitera  servile- 
ment le  st3'le  compassé  du  Ooran,  celui  des  sourates  médinoises,  aux 
incises  lourdes  et  traînantes.  Ce  fut  le  coup  de  grâce  pour  un  genre 
littéraire,  riche  d'espérances.  Nous  avons  tenté  de  préciser  pourquoi 


(')  Le  sayyd,  le  viagHs  perdent  alors  le  i jlkil  ,J^oâ,  la  décision  des  affaires.  Hansâ', 

Divan.  51,  12  ;  cf.  Goldziher,  WZKM,  YI,  97.  n.  4  ;  comp.  cUiiJl  J-o»,  Gâhiz,  Bayân, 
I,  129,  7  d.  1.  \'oir  encore  Nawawî,  Tahdtb,  23ô  ;  JyJI  J-oi  ;  Gâhiz,  Bayân,  I,  140,  16; 
comp.  ibid..   II,  37,  6  d.  1.  ;  J-o-^  X^  II,  50,  15;  J^UJI  ^M^\ ,  II,  20,  bas;  Àj'arà', 

743,   8  :  J^U:  ^jA  aJy;  ^>\y  "-r-^f^.  '^S^  '   f»^'   '-*'  J--^  d^^:i:^  ^^ 

(■-)  Cf.  Mo'âwia,  253.  Mo'âwia  les  consulte  non  seulement  sur  les  affaires  de  Sy- 
rie, mais  sur  celles  des  autres  provinces,  comme  dans  le  cas  de  Hogr  ibn  'Adï;  cf. 
Ziâd  ibn  Abthi,  70  sqq. 

(3)  Cf.  Ziâd  ibn  Abthi,  31-34.  Dans  Ag..  XI,   167,  4  d.  1.  A^Uv^  —  assemblées 

politiques  (et  non    mosquées):   «  rJS.^  cX.Jl^  \J^o^  i^y^^^  ^m.o..;'..I1  j^^y»  * ;'*^j 

j^a.U^lU  ^y^\  ■  Avant  le  coucher  du  soleil  les  gens  des  villes  et  les  assemblées 
(niasgid-maglis)  auront  prononcé  ton  expulsion».  Ag.,  loc.  cit.  ajoute:  \Jr\  j,a>L^I 
U^^  ci-^^.  o^  ^T^.  •  e.xplication  évidemment  forcée. 


La  poésie,  élément  de  civilisation  229 

il  n'a  pas  tenu  les  promesses  du  début  chez  un   peuple   par  ailleurs 
si  heureusement  doué  ('). 


*  * 


Parmi  les  say^d,  la  proportion  des  poètes  était  à  peine  inférieure 
à  celle  des  orateurs.  Chez  les  Bédouins,  peuple  d'illettrés,  le  poète 
représentait  par  excellence  l'élément  intellectuel.  Sous  ce  rapport, 
on  ne  saurait  exagérer  son  influence  civilisatrice.  Comme  à  l'ancien 
voies  lui  a-t-on  jadis  attribué  en  outre  un  certain  pouvoir  surnaturel, 
une  sorte  de  cannen?  Les  subtiles  recherches  du  Prof.  Goldziher  (') 
ont  rendu  cette  opinion  fort  plausible.  On  bâillonnait  soigneusement 
les  captifs  poètes,  pour  prévenir  l'impression  de  leurs  satires  (^ . 

On  a  pu  s'en  apercevoir  jusqu'ici  :  avec  son  autorité  limitée,  em- 
prisonnée dans  un  ensemble  de  coutumes,  restrictives  de  toute  initia- 
tive, la  tâche  du  sa}\-d  devenait  malaisée.  Moins  favorisé  que  le  plus 
humble  de  nos  maires,  de  nos  bourgmestres,  le  chef  des  plus  puis- 
santes tribus  n'avait  pas  même  un  garde-champêtre  (^)  sous  ses  ordres. 


(')  Le  roi  No'mân  de  Hîra  se  montre  jalou.x  de  la  faconde  des  Bédouins  et 
de  l'a  propos  de  leurs  répliques;  A.  Tammâm,  Hamàsa,  E.  I,  108-09.  Pour  la  difTusion 
de  l'éloquence,  voir  Hansâ',  Divan,  5,  1.  9;  55,  4;  107,  5;  Goldziher,  WZk'M,  VI, 
97  sqq.  Le  titre  le  plus  ambitionné,  c'était  d'être  proclamé  le  «  liatîb  »  de  toute  la  tribu. 
Tel  Aboû  'Ammâr  At-Tâyy  (un  Tâ'ite!)  U^  ^J^  <_<>.,h-;  ^^  »  ;  Gâhiz,  Bayàn,  I,  133, 
17.  Ou  encore  de  descendre  —  comme  'Amrou'l  Asdaq  —  de  deux  générations  de 
hatib;  ^^^<  ^\  ^_,^.;Jai.  ^\  i_,..->kiL  :  ibid.,  \,  122,  10;  autre  exemple,  Qotaiba, 
Poesis,   402,  7. 

(-)  Abhandlungen,  I,  14  etc. 

(3)  Naqâ'id  Garlr,   152,   12;   154,  2. 

(■*)  Ils  ont  tout  au  plus  un  monâdi,  héraut,  crieur  public  ;  Bakrî,  op.  cit.,  43.  Le 
monàdi  était  aussi  appelé  mo'addin;  ainsi  As'at  aurait  été  celui  de  la  prophétesse  (?) 
Sagâh  ;  une  insinuation  calomnieuse,  propagée  par  les  Sfites,  très  montés  contre  la 
famille  de  As'at;  cf.  Mo'àwia,  150,  n.  7.  Au  l"'  siècle  H.  on  ne  manifeste  aucun  en- 
thousiasme pour  l'office  de  ^>^\  I.  S.  Tabaq.,  VI,  71,  22.  Etre  mo'addin  équivalait 
à  être  au  service  d'un  autre;  Tab.,  Annales,  II,  1120,  12  etc.  (pour  l'allusion,  voir 
p.  1118-19).  Sa'd  ibn  'Obâda  (voir  plus  bas)  possède  aussi  son  monàdi.  'Âisa,  la  favo- 
rite du   Prophète,  également;    Ya'qoûbî,  Hisi.,   Il,    210,  4.  Autre  exemple:    Ibn    Do- 


230  Supériorité  de  la  poésie  sur  l'éloquence 

Son  influence,  son  pouvoir  de  persuasion  pouvaient  être  très  réels. 
Trop  souvent  il  se  trouvait  tenu  en  échec  par  les  poètes.  De  là  pour 
lui  l'avantage  de  réunir  les  deux  (jualités.  Nous  rencontrons  effective- 
ment nombre  de  sa3yd  poètes,  d'autres  à  la  fois  orateurs  et  poètes  ('). 
La  mention  de  ^^U  j-^Ui  (^),  sa3yd  et  poète,  ou  celle  de  sajyd,  ora- 
teur et  poète  (^)  se  rencontrent  communément  dans  la  chronique  du 
désert.  Le  poète  possédait  sur  l'orateur  vme  supériorité  indéniable. 
.Ses  productions  jouissaient  d'une  diftlision  plus  rapide,  plus  étendue. 
La  poésie  marche  plus  \'ite,  ^^\  ^jt-iJI  {*),  disait-on,  elle  avait  des 
ailes,  apparemment  les  ailes  des  \ents.  Aux  vents  un  poète  confie 
une  de  ses  satires,  expédiée  «  comme  une  dépêche  »  à  ses  détracteurs 


raid,  Istiqàq,  'J4  ;  muezzin-monâdi  de  Sagâh  ;  ibid.,  137;  cf.  232,  13.  Primitivement  le 
muezzin  est  attaché,  non  à  la  mosquée,  mais  à  la  personne  du  fonctionnaire;  ibid.,  200. 
Le  changement  est  survenu  à  la  suite  de  l'évolution  liturgique,  si  finement  esquissée  par 
le  Prof.  Becker,  Der  Islam,  III,  374-99.  L'évolution  terminée,  les  Sahîh  doivent  se 
donner  —  on  voit  pourquoi  —  infiniment  de  mal  pour  ennoblir  cet  emploi  subalterne. 
(')  Ag.,  XIV,  66,  13.  Orateurs-poètes  au  zi'afd  de  Tamïm  chez  Mahomet;  Tab., 
Annales,  \,  1711;  ■_^'  ■} — ^  jSUo  sous  les  Omayyades;  Tab.,  Annales,  II,  1054,  6.  D'où 
les  innombrables  citations  poétiques  dans  les  primitives  hotbas  de  la  mosquée.  Ces 
prédicateurs  novices  connaissaient  mieux  les  poètes  que  le  Qoran.  Ag.,  XIX,  156,  157, 
sartf,  cavalier  et  poète  ;  Ag.,  XVIII,   156  ^^  i^l>L<.-  ^^  ^)^  ^slio 

(-)  Ag.,  III,  2;  XI,  127,  10;  XII,  148:  p-Xk  ^~f^  ^J^  ^\1j  ;  faits  —  sa.yy  à 
[Ag.,  V,  189,  bas)  le  cheval  étant  un  animal  de  lu.xe  au  désert,  cf.  Mo'Swia,  262  (nom- 
breuses références);  Ag.,  IX,  2:  Doraid  ibn  as-Simma  est  ^L-j-sJI  il-jcio  Jp  •  ^  '^ 
fois  «  le  sayyd  et  le  fâris  »  de  son  clan  ;  ibid.  :  ^Li  (_j^.  r*>>  et  député  oj^-s  ;  I.  S. 
Tabaq.,  V,  383,  18;  385;  poète  gsloi  ^\  Ag.,  XIX,  84  d.  1.;  qualification  ne  s'ap- 
pliquant  qu'aux  plus  puissants  sayyd;  |_yo .Is  r=  sayyd  de  Solaim  ;  Bakrî,  op.  cit.,  777: 
le  cavalier  est  désigné  parle  nom  de  son  cheval;  Bakrî,  op.  cit.,  471,  9;  cf.  Fâliwa,  80 
comp.  ïj*>  ij*')^  6t  ^UJI  |_y» j'i  ;    I-   Doraid, /i/î^ây,   215,  293. 

(•')  I.  Doraid,  Istiqàq.  147,  3  d.  1.  ;  Osd,  II,  208;  242;  Ag..  V,  155,  9,  c>^^^  jsLi 
XX,  180:  JilsjJ.1  ^  >':^«  JW-yi  cr*  ^'-r*'^  O^Hj  ^;^  i^  "-r^^  Q^  f^  •  '•'?'''• 
I,  124,  10:  union  de  la  poésie  et  de  l'éloquence  chez  les  députés  des  tribus.  Gailân 
chef  et  poète;  Ag..  XII,  45-49;  Goldziher,  U'/CK.'ir.  VI,  98-99;  Ibn  Doraid,  Istiqàq. 
113,  >\^^Li;  g-^;  238. 

(<)  Cf.  Poète  Royal  p.  10;  BalSdorî,  (Ahluardt),  167,  d.  1.;  Hauiàsa  (.'\.  Tammâml 
I,  E.   119,  3;  Zohair  (Ahhv.),  84,  3. 


Le  chameau  sensible  à   l'harmonie  231 

Cette  télégraphie  aérienne  leur  assurait  une  surprenante  célé- 
rité. Elles  volaient  de  camp  en  camp,  de  point  d'eau  en  point  d'eau, 
conservées  par  l'imperturbable  mémoire  de  ce  peuple  sans  instruction. 
L'opposition  au  pouvoir  des  sayvd  en  fit  son  organe  habituel:  les 
poètes  devinrent  les  journalistes  de  leur  temps.  Quand  on  connaît 
les  annales  de  cette  époque,  on  ne  trouvera  rien  de  forcé  dans  ce 
rapprochement.  Si  les  poètes  arabes  remplirent  certains  rôles  (■), 
tenus  de  nos  jours  par  la  presse,  ils  méritèrent  également  la  plupart 
des  reproches,  adressés  à  nos  journalistes  contemporains,  tout  spé- 
cialement celui  de  vénalité  (').  Ces  rimeurs  du  désert  se  transformè- 
rent trop  souvent  en  maîtres  chanteurs. 

Avec  non  moins  de  raison  que  pour  l'ancienne  monarchie  fran- 
çaise, il  faut  insister  sur  le  tempérament,  apporté  à  l'arbitraire  pos- 
sible du  sayyd,  par  les  satires  et  les  chansons  {*).  La  musique!  encore 
un  genre,  durement  traité  par  l'islam  orthodoxe!  (^) 

Le  chameau  nous  est  représenté  comme  un  animal,  sensible  à 
l'harmonie.  Durant  les  marches  pénibles,  surtout  celles  de  nuit  (*), 
son  conducteur,  /lâdï  ('),  se  plaît  à  l'animer  par  ses  improvisations 
musicales  (*).  La  monotone  mélopée  force  le  chamelier  à  demeurer 

(')  Ag:,  XI,  172.  C'est  peu  d'appartenir  à  une  tribu  guerrière,  si  les  poètes  n'y 
abondent;  Aboû  Tammâm,  Hamàsa,  E.  I,   153  d.  1.;   154,  1. 

(-)  Comme  de  préparer  l'opinion,  de  défendre  la  politique  des  chefs. 

(')  Cf.  Poète  royal,  22-23;  So'arâ',  765-66.  L'habitude  est  si  invétérée  qu'un  pa- 
ladin comme  Doraid  ibn  as-Simma  n'y  peut  résister  et  attaque  le  riche  Mecquois  Ibn 
God'ân. 

(*)  Cf.  Mo'âuia,  254. 

(')  Mo'àvna,  176-78.  Le  chef  s'empresse  de  renvoyer  aux  poètes  —  il  s'agit  ici 
de  Labîd  —  ce  qu'on  a  pu  leur  enlever  pendant  la  razzia;  Bakri,  op.  cit.,  721,  bas. 
A  tout  prix  on  voulait  éviter  de  se  compromettre  à  leur  égard. 

(')  Cl.  Huart,  Histoire  des  Arabes,  H,  331  ;  Cf.  Musil,  Arabia  Petraea,  lU,  259, 
374,  381. 

(")  Cf.  Ziâd  ibn  AbtJii.  133;  Yâqoût,  E.  111,  495,  1-2;  Ahtal,  Diva»,  18,  3;  91, 
5;  198,  2;  à  la  Mecque,  Addi,  kodât,  chantre  religieux;  Ibn  BatoQta,  Voyages,  1,  211, 
5;  ^>lj».  =  3^'^  et  Oj->aJI  O-'»*^  >_5>'-^  ;   Moslim.  Sahih-,  II,   293. 

(")  Le  hâdi  improvisateur;  VâqoQt,  E.  IV,  280;  Bakri,  op.  cit.,  106,  8.  «  Le  hâdi 
fera  parvenir  mes  satires  jusque  dans  le  'Oman  »  ;  Naqâ'id  Gartr,  296,   1  v. 


232  Les  satires  et  la  musique 

éveillé,  et,  ajoute  Gâhiz  (')  «  elle  caresse  agréablement  les  oreilles  du 
grave  animal  et  l'engage  à  presser  le  pas:  U^ÙM  j  1j^  \>\  lv>lil  ^ 
L(.;u.vL*  j3  vXiji.'^  liUiJ  >bj;',  ^>U.l  ».  F"réquemment  le  texte  de  ces  va- 
riations était  fourni  par  les  satires  à  la  mode.  Les  poètes  en  me- 
naçaient leurs  adversaires:  «  mes  attaques  seront  répétées  par  les 
conducteurs  de  caravanes,  o^^y'  ^  5-^  '  (")•  Ce  n'était  pas  là  une 
vaine  menace;  l'histoire  littéraire  de  cette  époque  nous  l'apprend. 
La  chanson  de  Malbroiig  compte  d'illustres  antécédents  en  Arabie. 
On  paraît  y  avoir  saisi  et  rendu  le  ridicule  avec  non  moins  d'à  pro- 
pos que  dans  les  faubourgs  de  Paris.  Un  nouveau  trait,  distinguant 
avantageusement  les  Bédouins  des  peuplades  barbares  et  témoi- 
gnant en  faveur  de  leur  esprit  éveillé.  Rester  *ivi--«  (^),  c'est  à 
dire  laisser  l'attaque  sans  réplique,  autant  valait  pour  le  sajyd  (^) 
rentrer  dans  la  vie  privée.  Certaines  satires,  mises  en  musique,  traî- 
naient leurs  mélancoliques  accords  sur  toutes  les  pistes  de  la  Pénin- 
sule. Les  panégyriques  obtenaient  parfois  la  même  distinction.  Mais 
la  malignité  humaine  a  de  tout  temps  pris  plaisir  à  voir  déshabiller 


(')  Haiawân,  IV,  64.  Du  hàdi  il  faut  distinguer  le  dalll,  guide  des  caravanes  et 
des  razzias,  beaucoup  plus  élevé  dans  la  hiérarchie  sociale;  cf.  Mo'âwia,  291  ;  Naqâ'id 
Gartr,  234,  haut.  Fréquemment  les  poètes  les  prennent  l'un  pour  l'autre. 

(2)  Ag.,  VII,  170,  5;  Ahtal,  Divan,  162,  3;  Hansâ",  Divan  28,  7;  Bohtori,  Ha- 
niâsa,  n.  1300.  Qotaiba,  'Oyoûn,  179,  8.  Le  poète  Sammâh  fait  le  hâdi  ;  Qotaiba,  Poesis, 
178,  12.  Autres  poètes  trop  fiers  refusent  ce  rôle  devant  le  calife  ;  Ag.,  XIX.  113.  Le 
ragaz  était  le  mètre  préféré  par  les  hâdi  ;  Ag.,  XVlll,   164. 

(3)  Hassan  Ibn  Tâbit,  Divan,  Cil,  12;  Ibn  Qais  ar-Roqayyât,  Divan,  239,  3; 
Mo'âwia,  263;  Ag.,  VI,  177,  10  d.  1.  «  _si-iJlj  !^-r>»U  ,3li-^  ^''^  .  ta  générosité 
est  capable  d'inspirer  le  poète  impuissant  »;  Vil,  115,  5;  AboU  Zaid,  Xawâdir,  110; 
Ag..  S.  I,  128;  VIII,  180,  5  d.  1.;  195,  3;  XIX,  39;  Ahtal,  Divan,  89,  6,  où  >^\» 
=:  l»svi-<;  Naqâ'id  Gartr,  2,  1.  12:  _3i-,iJI  ^^cyJ^M  ^^»flrÀ«,  d'où  obligation  de  recourir 
à  un  poète  étranger.  Une  seule  fois  dans  sa  vie,  il  arriva  au  calife  'Otmân  de  rester 
.»t\  à .«  ;  Gâhiz,  Bayân,  I,  96,  13.  Ce  souverain  n'était  donc  pas  si  dénué  qu'on  a  voulu 
le  prétendre;    ihid.,   II,  21,   11  {^ssxsuo),  22,  3,  4;  Naqâ'id  Gartr,  547. 

(^)  Il  devait  être  sourd,  disait-on;  c-à-d.  ne  pas  entendre  les  attaques;  Gâhiz, 
Bayàn,  I,  41.  Le  poète  Nâbiga  Ga'dï  demeura  |«srLi-<  pendant  30  ans  ;  Asma*!,  Fahoû- 
lat  ak-So'arâ',  502,  17.  Un  trait  bien  appliqué  rend  |«si_Lc  les  plus  fougueux  satiri- 
ques ;  Ag.,  XI,  144,  1,  Poètes  mis  en  cause,  s'ils  ne  répliquent  pas;  Ag.,  W'ill, 
161,  21 


Nécessité  de  ménager  les  poètes  233 

son  prochain.  Il  n'en  allait  pas  autrement  au  désert,  six  siècles  après 
la  naissance  du  Christ  (').  Dans  ses  Ncuja'id,  où  le  poète  Garir  donne 
la  replitjue  à  son  rival  Farazdaq,  il  est  fait  allusion  à  cette  alliance 
entre  la  musique  et  la  satire  arabes: 

«  Je  suis  l'auteur  de  satires  originales,  se  propageant  sur  le  pas- 
sage du  caravanier,  qui  les  chante  de  nuit  >  ("). 

Un  sayyd,  conscient  des  difficultés  de  sa  position  ne  pouvait 
hésiter  un  instant  à  s'assurer  l'appui  ou  la  neutralité  du  getms  irritabile 
l'otiwi.  Heureusement  pour  la  paix  publique,  cette  faveur,  il  lui  était 
loisible  de  l'acheter  (^).  Fréquemment  l'attatjue  n'avait  pas  visé  d'autre 
but.  «  L'homme  d'esprit,  disait  Gâhiz,  doit  connaître  les  maux  causés 
par  la  satire  et  se  garer  des  attaques  du  plus  misérable  rimailleur, 
en  sacrifiant  au  besoin  la  moitié  de  sa  fortune  »  (*).  A  cette  condition 
la  muse  acceptait  de  se  discipliner,  de  coopérer  au  maintien  de 
l'ordre  ;  elle  inspirait  aux  contemporains  des  sentiments  conformes  à 
la  politique  du  sa3\d  et  lui  conciliait  l'opinion  publique  à  grand  renfort 
de  poétiques  hyperboles.  Egorgeait-il  un  mouton,  le  bard«;  parlait, 
non  de  brebis  —  un  bétail  peu  estimé  (^)  —  mais  d'hécatombes  de 
chameaux.  Allumait-il  du  feu,  la  flamme  du  médiocre  fo}'er  se  trans- 
formait en  un  volcan.  Le  modeste  plat,  passé  à  la  tente  voisine  pour 
rassasier   des  orphelins,   prenait  les  dimensions   d'un   réservoir  (^),  à 


(')  Cf.  Mo'àwia,  254;  pour  les  panégyriques,  cf.  Ag.,  V,  153,  3  d.  1. 

(*)  Nagà'id  Garir,  628;  cf.  63,  7;  342,  1,  430,  6;  Mo'àwia,  254;  ajoutez  les  réfé- 
rences: AboU  Zaid,  Nawàdir,  68,  6;  Ag.,  II,  153,  9  d.  1.  ;  VII,  170,  15;  YIII,  78; 
94,  8  d.  1.;  XI,  42,  3;  XVII,  55,  11;  61,  10  etc.;  Gâhiz,  Haiawân,  I,  178,  10;  dans 
Ibn  Hisâm,  Sïra,  {^^J^    =  réciter  des  vers),  518,  d.  1.,  519,  1. 

P)  ...  aJU:  sLLill  ,^--»i^  ^f-^.  i_<^  ;  Ag..  XII,  15;  acheter  est  le  terme 
ordinaire  pour  acquérir  de  la  gloire  ;  Qoran,  31,  5  ;  Nôldeke,  Delectus  Carminum,  36, 
10.  «On  loue  celui  qui  sait  y  mettre  le  prix»;  Hotai'a,  Divan,  VII,  36: 

.  .  0  s. 

(<)  Gâhiz,  Haiawân,  V,  90. 

p)  Cf.  Ag.,  XII,   14,   1-2;  comp.,  X,   12,  8. 

(')  Ibn  Qais  ar-Roqajrjât,  Divan,  180,  4.  Gâhiz,  Avares,  245-46  etc.  Le  Mécène 
est  «  donneur  de  100  »  chameaux  ;  Hotai'a,  Divan,  V,  28,  avec  le  commentaire  de 
Goldziher.    Plats-réservoirs,    ijl»-::^;  Tarafa  (Ahlw.)  62,  4  d.  ,ï*JI  j^jlj   ï^-UJl  «des 


234  Ils  trouvent  de  nobles  accents 

l'instar  des  bassins  gigantesques,  fabriqués  par  les  ginn  pour  Solaimân 
t_jl^if^^Ua..  (')  Mensonges  littéraires!  (*).  Tout  le  monde  voulait  bien 
se  laisser  prendre  à  ces  énormités.  En  définitive  la  cause  de  la  paix 
en  bénéficiait.  Ce  service  suffira  pour  nous  permettre  de  comprendre 
la  munificence  de  certains  chefs  à  l'égard  de  ces  auxiliaires  au  verbe 
solennel.  Il  nous  enlève  le  droit  de  qualifier  trop  sévèrement  le  geste 
de  la  main  toujours  tendue,  familier  à  ces  mendiants-poètes  ('). 

Permettons-leur  donc  de  renchérir  encore  sur  l'éloge  des  «  plats, 
garnis  de  viande,  destinés  aux  veuves  et  au.x  orphelins,  profonds 
comme  des  puits  !  »  (^).  Chemin  faisant,  il  leur  est  arrivé  de  trouver  de 
nobles  accents  (^).  «  Allons  donc!  A-t-on  jamais  vu  l'homme  généreux 
mourir  de  faim  ?  A  quel  Crésus  avare  la  fortune  a-t-elle  assuré  l'im- 
mortalité .''  Sus,  qu'on  me  laisse  (*)  disposer  de  la  mienne  et  non 
l'argent  me  dominer  !  Qu'elle  serve  à  protéger  mon  honneur,  avant 
que  ma  réputation  ne  vienne  à  faire  naufrage  !  » 


chèvres  après  des  chameaux»,  c'était  déchoir!  Gâhiz,  Bayân,  I,  112,  4.  Bêtise  pro- 
verbiale des  bergers  de  moutons,  non  de  chameaux  ;  ibid.,   I,  100  ;  Ag.,  X,  12,  8. 

(1)  Qoran,  34,   12,  lequel  parait  avoir  emprunté  l'expression  à  l'ancienne  poésie. 

(-)  «  Tout  n'y  était  pas  mensonge,  JJ^b  »  ;  Gâhiz,  Avares,  245,   17-18. 

(5)  Cf.  Mo'âziia.  260.  «  Donateur  de  100  chamelles  avec  le  berger  et  l'étalon  »; 
Ibn  Qais  ar-Roqayyât,  Divan,  78,  d.  v.  Même  dans  leurs  plus  belles  louanges,  ils  glis- 
sent un  appel  à  la  générosité  :  tel  l'éloge,  vraisemblablement  adressé  à  'Abdarazîz 
{=:  Ibn  Lailâ)  frère  du  calife  'Abdalmalik  :  «  il  parle  bien,  mais  ses  actions  ;=  géné- 
rosités) valent  mieux  encore  »  : 

OpusciUa  arabica  (Wright)  100,  9.  Le  prince  ne  pouvait  s'y  méprendre. 

(■•)  «  Marmites  rangées,  comme  des  chevaux,  autour  de  nos  tentes  »  ;  Hassan  ibn 
Tâbit,  Dii'ati,  IV,  22;  IX,  2.  Hôtes  «groupés  autour  des  marmites,  comme  autour 
d'une  idole»;  Naqà'id  Gartr,  563,  2  d.  v.  Ag.,  XI,  138,   8  d.  1.  XX,  72,   19. 

(")  Comme  le  titre  de  père  des  orphelins  ;  Hansâ',  Divan,  58,  6  ;  67  ;  Labïd,  Divan. 
XXXIX,  15,  16;  ^LXJI  ç^^  ;  Gâhiz,  Avares,  252  ;  O'^M-U  f^,"^'  ^-»-4^:  ^^""di, 
Governors  of  Egypt  (Ouest),  92. 

C')  Le  poète  apostrophe  sa  femme:  de  là  ^j-^.)'  ^'^  lj-*-?)^-  Comp.  les  vers  de 
Hâtim  T.ïyy  ;  Gâhiz,  Mahâsin,   81,5. 


Le  riche  d'après  la  conception  bédouine  235 

(')  blJ  Ji  j4i  (^^  jai  ^.  ^,L»,  ^^^  j,u  ^^.  ^./i 

Aussi    bien   «  à   quoi    servirait    la    fortune,    quand    Thonneur   est 
absent  ? 

En  résumé  le  poète  <  rougit  d'avoir  à  l'égard  de  ses  contempo- 
rains plus  d'obligations  qu'ils  n'en  ont  contracté  envers  lui  »  (^). 


Dans  la  conception  bédouine,  mélange  bizarre  de  théories  chré- 
tiennes et  communistes,  le  riche  apparaît  comme  un  'simple  déposi- 
taire, un  détenteur  momentané  de  sa  propre  fortune.  Sa  mission  est 
de  la  distribuer  aux  nécessiteux  de  la  tribu,  d'en  user  pour  exercer 
l'hospitalité,  pour  racheter  les  prisonniers  et  payer  le  prix  du  sang  (*). 
Mais  en  retour,  il  a  droit  à  la  louange  et  aux  panég3Tiques  des  poètes. 
Ces  derniers  contractent  à  son  égard  une  véritable  obligation.  Com- 
parer leurs  sollicitations,  même  les  plus  importunes,  à  la  xnendicité? 
Fi   donc  I   Ils    cherchent   seulement    une    occasion    de    »  se  délier  la 


(*)  ■•-Ig:,  XI,  139.  «On  vogue  sur  l'océan  de  sa  générosité»;  Gâhiz,  Bayân, 
I,  179,  11;  son  visage  illumine  la  nuit;  Gahiz,  Mahâsin,  138,   1. 

(*i  Ag.,  XI,  155,  8  d.  1.  «Chaudière:  une  mer  aux  vagues  agitées»;  Gâhiz, 
Avares,  246-47  ;  elle  compte  deux  coudées  de  large  sur  plusieurs  de  hauteur  ;  ibid., 
248,  6.  Celle  du  calife  Mo'âwia,  large  comme  des  réservoirs  ;  Ag.,   XX,  72,  5. 

(3)  Yâqoût,   E.  VII,  75  : 

(*)  D'où  les  beaux  noms  de  père,  refuge  des  orphelins,  des  veuves  ;  Hansâ', 
Divan,  r>%,  6  ;  67  ;  83,  85  ;  voir  p.  234.  Pleuré  par  les  prisonniers,  les  veuves  ;  Hansa', 
120.  Les  veuves  reviennent  incessamment  sur  la  lyre  des  poètes.  On  en  devine  le 
nombre  et  la  misère.  On  commençait  par  les  servir  les  premières  ;  So'aiâ',  768,  3  v. 


236  Les  poètes  et  les  cadeaux 

langue  >  ;  c'était  la  formule  classique.  Les  riches  de  leur  côté  par- 
laient de  «  leur  couper  la  langue  »,  c'est  à  dire  de  se  mettre  à  l'abri 
de  leur  malignité,  en  déliant  les  cordons  de  la  bourse. 

«  Que  ta  gauche  ignore  les  générosités  de  ta  droite!  >.  Ce  pré- 
cepte évangélique  n'a  pas  cours  au  désert.  La  mendicité  y  devient 
une  profession  ou  plutôt  l'exercice  d'un  droit,  entraînant  d'ailleurs  des 
obligations.  De  là  entre  bienfaiteurs  et  bénéficiaires  \m  échange  inces- 
sant de  procédés  pour  ainsi  dire  protocolaires.  Le  Mécène  se  déclare 
l'obligé  (')  de  qui  veut  bien  accepter  ses  libéralités  (^).  C'est  à  fortiori 
l'opinion  des  poètes  eux-mêmes  (").  Entre  lui  et  les  rimeurs  s'établit 
une  sorte  d'égalité.  S'il  est  glorieux  de  donner,  il  l'est  presque  autant 
de  recevoir.  «  Les  cadeaux  passent,  observait  le  calife  'Omar  ;  la 
louange  demeure  »  {*).  Elle  demeurait  gravée  dans  la  mémoire  tenace 
du  nomade.  Voilà  comment  la  coutume  bédouine  prétend  avoir  ré- 
solu les  problèmes  de  l'impôt  sur  le  revenu  et  de  l'assistance  publi- 
que. Par  malheur  cette  solution  suppose  la  diffusion  du  don  poétique. 

Aussi  les  poètes  se  montraient-ils  non  pas  gênés,  mais  plutôt 
fiers  de  se  voir  enrichis  par  la  munificence  d'autrui  (°).  Puisqu'ils 
servaient  le  public,  ils  trouvaient  juste  d'être  entretenus  à  ses  frais. 
Ces  largesses  attestaient  leur  virtuosité  et  la  valeur  de  leur  marchan- 
dise poétique.  Leur  prestige  n'en  sortait  pas  diminué  (^).  Dans  ce 
libre   échange  de  cadeaux  et  de  dith3'rambes,  les  Arabes  cro3"aient 


(')  Cf.  'Içii^,  !,  85,  4,  5-13.  «Il  s'illumine  et  tressaille  comme  la  fine  lame  d'une 
épée  ;  cX^O»'  3'j^^'  i-^là  J-Ji^  »;  Hotai'a,  Divan,  VII,  38;  Ahtal,  Divan,  143,  5.  Le 
sayyd  doit  dépenser;  Hassan  ibn  Tàbit,  Divati,   VI,   II,   12. 

(^)  Sur  les  récitations  actuelles  de  vers  chez  les  Bédouins,  voir  A.  Musil,  Arabia 
Petraea,  III,  233-34. 

P)  Qotâmî,  Divan,  XVII,   1  et  6. 

(^)  Ag.,  IX.  154,  7. 

{')  Ag.,  VIII,  29,  Comp.  Bohtorî,  Hamasa,  n.  1  :  co^l  ^;JAJb  CCil  ^J^l  ■  Le 
dithyrambe  se  paie  cher  ;  des  deu.x  côtés  on  en  convient  sans  fausse  honte.  'Iqd.  *  II, 
92.  Voir  le  chap.  71,  Bohtorî,  Haniàsa,  le  sayyd  doit  donner  sans  attendre  qu'on  le 
sollicite.  Comp.  Hotai'a,  cité  dans  Qotaiba,  Poesis  ;  184,  4-5.  On  achète  la  louange; 
Ag.,  XIX,  145,  14  ;  pour  un  bienfait  on  attend  le  |»*olfttl  JUiwX^. .  être  célébré  dans 
les  foires  ;  Nagâ'id,  720,  2  ;  765,  3. 

(^)  Voir  la  notice  de  A'sâ  Qais  ;  Ag.,  VIII,    77-86. 


Poésie  et  diplomatie  237 

reconnaître,  non  une  preuve  de  vénalité,  niais  une  transaction,  une 
variété  d'opérations  commerciales  :  do  7it  des  (').  Quand  le  rimeur 
possédait  la  verve,  l'inspiration  d'un  A'sâ,  d'un  Zohair,  d'un  Nâbiga,  ses 
contemporains  estimaient  qu'il  donnait  plus  qu'on  ne  lui  rendait.  Plus 
tard  on  attribuera  à  Mahomet  cette  parole:  «la  main  qui  donne  est 
supérieure  à  celle  qui  reçoit  :  ^J■À.»-JI  .a-JI  ,^  ^  UbJl  jlJ\>  (-)  »  ;  une  con- 
trefaçon arabe  de  la  parole  du  Christ  :  «  Beatius  est  dare  quam 
accipere  '. 

Entre  les  familles,  entre  les  cla-ses  composant  la  même  tribu, 
puis  entre  les  tribus  voisines  s'élevaient  d'incessantes  contestations. 
On  se  disputait  la  propriété  d'un  puits,  d'un  bon  pâturage  ;  on  n'ar- 
rivait pas  à  s'entendre  sur  le  prix  du  sang.  Le  conseil  des  anciens, 
ou  une  assemblée  générale  des  tribus  contendantes  étaient  chargés 
alors  de  régler  les  différends.  Ces  négociations  mettaient  en  relief 
les  talents  diplomatiques  des  chefs.  Fréquemment  on  3'  vo\ait  paraître 
des  orateurs,  doublés  de  poètes  et  à  ces  deux  titres,  jouteurs  d'autant 
plus  redoutables  (').  Certaines  tirades  de  vers,  prononcées  à  ces  diètes, 
produisaient  parfois  plus  d'effet  que  les  plus  habiles  harangues  (*).  Le 
rythme,  les  grandes  figures  poétiques  impressionnaient  les  enfants 
passionnés,  que  sont  demeurés  les  Bédouins,  en  dépit  de  leur  gravité 
extérieure  et  de  leurs  allures  de  patriarches  bibliques.  Pour  combat- 
tre à  armes  égales,  les  tribus,  les  chefs  devaient  a\oir  des  poètes 
à  leur  dévotion. 

(')  jL  .1  ui  ^^^.^\  ^^  ^\Sl,       liu  ^,^  i^iyi  o-^uji  ui 

«  C'est  moi  le  pasteur  responsable  ;  à  moi  de  défendre  leur  hon- 
neur ou  à  qui  me  ressemble  ». 

(')  Comp.  So'arâ\  750  ;  «  durant  ta  vie  tu  as  opéré  le  bien  ;  tu  mérites  que  ma 
lyre  te  chante  aujourd'hui, 

(-)  Cf.  Mo'àwia,  261,  note;  ajoutez,  Bohâri,  Sahih,  (K.)  II,  188;  Moslim,  6"aAîA', 
I,  282;  'Iqd^,   I,  308;  Qastallânî,  Irsâd  as-sàri,   III,  30-32. 

{^)  Cf.  Gâhiz,  Bayân,   I,  70  ;  éloquence  du  poète  Labîd  ;  ibid.,   II,  51. 

(*)  Cf.  Mo'àwia,  262.  Services  rendus  par  les  poètes  ;  Gâhiz,  Bayân,  I,  98,  5  etc. 

(5)  Naqâ'id  Carir,   128. 


238  Poètes,  organes  et  arbitres  de  l'opinion 

En  Arabie,  il  devenait  de  la  plus  grande  importance  de  s'assurer 
une  bonne  presse,  c'est  à  dire  une  bonne  poésie,  en  s'attachant  les 
rimeurs,  à  la  fois  organes  et  arbitres  de  l'opinion  publique.  Cette 
nécessité  contribuait  à  compliquer  la  situation  du  sayyd.  Pour  gagner 
les  poètes,  il  fallait  beaucoup  de  dextérité  et  surtout  une  grande 
fortune.  Cela  nous  ramène  à  une  constatation  précédente  :  les  charges 
pécuniaires,  pesant  sur  le  chef  de  la  tribu. 


VI 


Nécessité  de  la  fortune  pour  le  sayyd.  11  doit  tenir  table  ouverte. 

La  rançon  du  sang 


Parfois  cependant  —  c'était  surtout  le  cas  pour  les  tribus  misé- 
rables (')  —  le  titre  de  sayyd  s'obtenait  à  moins  de  frais.  'Abdallah 
ibn  Habib  le  gagna  parce  que  dédaigneux  des  dattes,  il  se  bornait  à 
manger  du  pain.  Dans  un  pa\s.  pauvre  en  blé,  on  ne  pouvait  man- 
quer de  reconnaître  à  ce  dédain  superbe,  la  mar(iue  d'un  esprit  su- 
périeur, destiné  à  commander.  On  aurait  pu  lui  appliquer  l'hémis- 
tiche composé  à  propos  de  'Isâm  ibn  Sahbar  (^),  le  chambellan  du 
roi  No'mân  de  Hira:  «  ^Ua*  0>^-^  j.Ui_p  ^^..JJ  :  'Isâm,  s'il  est  devenu 
chef,  le  doit  uni(]uement  à  sa  grandeur  d'âme  ».  Quant  à  'Abdal- 
lah ibn  Habib,  son  titre  de  mangeur  de  pain  fut  recueilli  par  sa 
tribu  (')  et  elle  ne  manqua  pas  de  s'en  prévaloir  dans  la  suite  (■*). 

C'étaient  là  des  exceptions.  Le  positivisme  des  Bédouins  exigeait 
des  titres  plus  sérieux  pour  obtenir  la  dignité  de  sa\\d.  On  ne  sau- 


(')  Le  Bédouin  se  voit  parfois  forcé  de  manger    des    feuilles  ;    Gàhiz,   Bayân,    I, 
76,  7.  Voir  précédemment. 

(2)  Ou  Sahbara  ;  cf.   Ibn  Doraid,  Istigâg,   318;   Ag.,    IX,    165,   171,   172,   176.  Qo- 
taiba,  'Oyoûn,  273  en  fait  un  esclave. 

(3)  Voir  plus  haut  p.  84. 

(*)  Gâhiz,  Avares,    254.   Par  exception  on    élit    le    sayyd    pauvre,  s'il  possède  la 
morowwa  (cf.  Goldziher,  M.  S.,  I,   !•-'  chap.)  : 

Lî^>A«  ^  ^\^  Lui  <*^5r*  O-"^  1^1  J-^'^'  J^'  '^  >'i-~i 

Hassan  ibn  Tâbit,  Divan,  IV,  29.  Exemples  cités  précédemment. 


240  La  trahison  :  comment  la  jugent  les  poètes 

rait  assez  insister  sur  ce  réalisme,  si  l'on  veut  pénétrer  dans  la  men- 
talité des  nomades,  se  rendre  compte  de  sa  merveilleuse  élasticité. 
Fré(iuemment  leurs  poètes  ont  stigmatisé  la  trahison  (').  Par 
ailleurs  ces  admirateurs  de  la  force  brutale  déversaient  le  ridicule 
sur  <  une  tribu  incapable  de  trahison  ou  d'injustice,  même  [jour  la 
valeur  d'un  grain  de  sénevé, 

L'injustice  les  révoltait,  surtout  exercée  à  leurs  dépens.  Un  poète 
cependant  se  plaint  de  sa  propre  tribu  : 

«  Malgré  leur  nombre  imposant,  les  miens  sont  impuissants  pour 
commettre  le  mal,  même  ([uand  il  ne  leur  coûterait  rien. 

.Seuls  parmi  les  hommes,  on  les  dirait  créés  pour  praticjuer  la 
crainte  de  Dieu, 

C'est  la  continuation  du  paradoxe  bédouin,  prétendant  concilier 
les  contradictoires.  Parmi  les  qualités  du  say\-d,  parallèlement  aux 
dons  intellectuels,  on   mettait  la  générosité,  c'est  à  dire  la  richesse; 


(')  Le  sayyd  n'est  pas  traître;  Hansa',  Divan,  84,  2  d.  1.;  «il  est   loyal,    quand 
les  autres  trahissent  »  ;  i/>id.,  37,  7.    On  signale  la  traîtrise   de  certaines  populations, 


)>>.»  àSjb\  (3;   Mas'oudî,  Prairies,   ÏU,  127 


(-  A.  Tanimâm,  Hamâsa,  E.  L  128  ;  Qotaiba,  ' OyoTm,  228.  Comp.  notre  ï'azûf, 
289  ;  Bohtorî,  Hamâsa,  chap.  82  ;  anthologie  de  poètes,  blâmant  la  trahison.  «  La 
loyauté  d'un  Morrite  rappelle  un  verre  brisé  ;  la  cassure  demeure  irréparable, 

.,-is^.  i  \4^oJo  <i=~^>.  ;il  JJi^  <*'-*:^  '-^-r:^  3"^^  aJUU 

Bohtorî,  Hamâsa,  n.  709  ;  Qotaiba,  Poesis,   188. 

(•*)  Aboû  Tammâm,  Hamâsa,  E.  \,  9  d.  v.;  10;  2  v.  La  trahison  parait  n'avoir 
pas  été  un  fait  isolé.  On  confiait  volontiers  les  dépôts  aux  Nagrânites  (cf.  Yaztd,  343) 
et  aux  Juifs.  Un  de  ces  derniers  s'écrie:  «à  nous,  gens  de  l'Ecriture,  la  trahison  est 
interdite  »,  ,J^Âi  ^-,1  UJ  ,_yà-;-ô  '^^  i^USJl  \Si  ,^\  Ag-.,  IH,  83.  3.  «Je  suis  loyal, 
parce  que  chrétien  ».  répond  le  Tâ'ite,  venant  au  jour  marqué  s'offrir  à  la  mort.  — Je 
suis  loyal,  dit  l'Israélite  .Samau'al,  alors  que  les  autres  trahissent  »  ;  Gâhiz.  iMahâsin, 
72,  6;  75,  9-10.   Leszynsky,  Die  Juden  in  Arabien,   12. 


La  pauvreté  d'après  les  poètes  241 

l'une  n'allait  pas  sans  l'autre.  La  pauvreté  n'a  jamais  été  une  vertu 
arabe  (')•  Ecoutons  le  s\mpathique  salofik,  'Orwa  ibn  al-\\'ard: 

^JCÀJl  j»»yi  ^^'  ^^)j  iJ^  (_y-~^*  1.^-^-^  i_s-^^ 

«  Laisse-moi  courir  après  la  fortune  ;  aussi  bien,  je  le  vois,  le  plus 
malheureux  des  hommes,  c'est  le  pauvre; 

Le  moins  recherché,  le  plus  méprisé  de  tous,  quelle  que  soit 
d'ailleurs  la  noblesse  de  son  extraction. 

Le  conseil  de  la  tribu  le  repousse,  sa  femme  le  raille,  le  plus 
petit  le  bouscule. 

Il  rencontre  le  riche,  entouré  de  considération  à  faire  éclater  sa 
poitrine  de  fierté. 

Ses  méfaits  passent  pour  des  peccadilles,  malcrré  leur  énormité. 
Ah!  le  riche  a  pour  lui  un  Seigneur  miséricordieux! 

«  Une  tribu  doit  être  bien  misérable,  bien  désireuse  de  décoinrir 
un  chef,  pour  avoir  songé  à  te  proclamer  sayyd, 

Le  trait  méchant  atteignait  à  la  fois  la  tribu  et  son  chef.  Quand 
l'avarice  se  trouve  en  cause,  la  situation  de\'ient  encore  plus  grave 
et  l'on  note  l'opposition  entre  ce  vice  et  la  dignité  de  say3-d.  On  en 
faisait  la  remarque  à  propos  de  Ahnaf  ibn  Oais  (^).  Pour  être  digne 
de  son  rang,  le  sa}  yd  devait  exercer  la  générosité  jusqu'à  la  prodi- 
galité, (^)  accumuler  les  amas  de   cendres  à  l'entrée  de  sa  tente,  où 

(')  Cf.  Gâhi?,  Bayàu,  I,  95,  10;  A.  Tammâni,  Haviâsa,  E.  I,  161  ;  167,  d.  v.  ; 
voir  pourtant  Hassan  ibn  Tâbit,  vers  cité  plus  haut  p.  239. 

(*)  Bohtorï,  Hamâsa,   n.  1101.  'Orwa  ibn  al-W'ard,  dans  So'arâ'  an-Nasrâ7iyya,  888. 

(3)  I.  S.  Tabag.,  VI,  102,  20;  Ag.,  XI,  107-08;  Osd,  IV,  93;  Gâhiz,  Avares, 
176,  16;  Qotaiba,  'Oyoûn,  207,  d.  1.  Ibn  Mâgâ,  Sonaii,  E.  II,  274-75.  D'autres  mohad- 
dit  observent  que  les  dictons  à  l'éloge  de  la  pauvreté  et  attribués  —  comme  ici  à 
Mahomet  —  sont  controuvés.  «  La  mort  est  préférable  à  une  vie  pauvre  »  ;  So'arâ', 
904,  d.   V.;  907,  91 1;  anthologie  poétique:  Qotaiba,  'Oyoûn,   287  sqo. 

{*^  Gâhiz,  Ilaiaiiân,  III,  25;  Qotaiba,  'Oyoûn,  271  ;  il  est  i_J>J^  et  ^^U^  ;  Ho- 
tai'a.  Divan.  VII,  38;  Ag.,  X,  109,  7;  Gâhiz,  Bayân,  1,  106,  7;  Gâhiz,  Mahâsin, 
187,   1. 

Lammens  —  Berceau  i6 


242  Le  sayyd  à  table 

le  feu  brillait  en  permanence  (').  En  cette  matière  les  vieux  anna- 
listes entassent  les  épithètes  et  les  (jualificatifs  (■). 

Il  fallait  combler  de  cadeaux  et  aussi  de  festins.  L'estomac  du 
Bédouin,  d'ordinaire  si  sobre,  peut  à  l'occasion  donner  des  preu\es 
d'une  élasticité  peu  commune  (').  Destiné  à  exercer  une  hospitalité 
ininterrompue,  le  sayyd  doit  lui-même  se  montrer  vaillant  à  table. 
Hârita  ibn  Badr  était  le  saj-yd  des  Banoû  Godâna,  poète,  orateur, 
doué  d'un  ensemble  de  qualités  peu  vulgaires,  et  de  plus  fervent 
buveur  (*).  Liqueur  de  luxe  (^),  à  ce  titre  le  vin  obtenait  l'estime  des 
Bédouins.  Un  poète  rival  décocha  à  Hârita  le  trait  suivant.  On  }•  joue 
sur  le  sens  du  mot  |»=^-^,  signifiant  gros  et  important  (*). 

«  Godâna  prétend  posséder  un  chef  considérable;  rél3lre  d'une 
sauterelle  suffit  à  le  cacher. 

Buvant  autant  qu'une  mouche,  il  s'abreuve  de  honte  et  une 
cuisse  de  lièvre  le  rassasie  »  Ç). 

{')  \'oir  précédemment  p.  78;  Hansâ',  Divan,  19,  4  ;  97,  3.  Il  est  >UJ1  >l-!C  rdi»  , 
ou  ^JviJl  >U^  yJ:^  ;  So'arâ',   748,   1   v.,  749,  3  d.  v.  Ag.,   XXI,  58,   10. 

(-)  Jija.,  tlka^,  >Lakj  ;  Ag.,  \'III,  1116,  3  ;  XIX,  39,  5;  Qotaiba,  Poesis,  199,  5; 
Ibn  Doraid,  Istiqâg,  63,  2  ;  122,  16,  239,  243,  269,  Azraqî,  (Wiist.)  133,  1  ;  quatre  gé- 
nérations de  sayyd  ^•jj.t-'ak<  ;   Osd,    II,  283  ;  'Iqd^,  II,  78  ;  Labïd,  Divan,  XXXIII,  5, 

/^-ak«  ;  Hansâ',  Divan,  4,  2  d.  1.  ;  85,  2  ;  87,  3  d.  1.   iXaçâ'id  Garïr,    236,  275,  455. 

(^)  Dans  les  «  magâzi  »  de  la  Sû-a,  un  chameau  est  calculé  comme  devant  suf- 
fire à  l'alimentation  de  cent  hommes:  mesure  plutôt  modeste.  A  Badr,  elle  permit  à 
Mahomet  d'évaluer  le  total  de  ses  adversaires  qoraisites. 

(*)  Cf.  Ziâd  ibn  Abthi,  120-22. 

(^)  Guidi,  Sede  primitiva,    607. 

(*)  D'où  p.>»^.  \..^^,.^  et  |«sx-o  ;  et  encore  |«sn-o  jJLw  ;  cf.  ii/o'àwia  97-99  ;  no- 
tes de  Goldziher  sur  Hotai'a,  Divan,  IV,  37.  Le  bon  orateur  doit  avoir  gros  ventre 
et  grosse  tête  ;  Gâhiz,  Bayân,   I,  52,  8  ;  Qotaiba,  'Oyoûn,  21'i. 

Q)  Ag.,  XII,   11.   Pourtant  dans  Hansâ',  Divan,  84,  3  d.  1.  ^^jUJL*  ,  n'est  pas  lau- 

datif  ;  de  même  So'arà',  765,  3  d.  v.  ;  Ibn  .Sikkït,  Tahdîh,  410,  2  d.  1.  ^J^  -=  ^;JU»^ 
dans  le  sens  de  goulu,  gros  mangeur.  Au  sayyd  on  pardonne  un  ventre  rentré,  quand 
par  ailleurs  sa  table  est  abondamment  servie  et  accessible  à  tous, 

<•  "  '  .  J^  •>  f  ^     ^  >    ''. 

So'arà',  759,  cf.  Bohtori,  Hamâsa,  nos  637,  1  v.,  638,  639;  Tab.,  Annales,  11,808,  11  : 
l»sri^  j_yjj  ^  j»i\-o  '^^îv*^  .  illustre  sayyd  montant  une  vigoureuse  jument. 


Son  hospitalité  243 

Pour  les  Arabes,  abstinence,  pauvreté,  avarice  :  autant  de  concepts 
inséparables.  Mahomet  se  sentait  capable  de  dévorer  à  la  file  trois 
gigots  de  mouton  ('),  et  d'y  joindre  tout  le  contenu  d'un  couffin  de 
dattes  (*).  A  voir  la  complaisance  de  la  Tradition,  insistant  sur  le 
robuste  appétit  du  Prophète,  on  s'aperçoit  comment  les  Arabes  vou- 
laient pouvoir  se  reconnaître  dans  leur  surhomme.  Parmi  les  signes  de 
supériorité,  le  calife  Mo'âwia,  corpulent  lui-même,  plaçait  la  proémi- 
nence de  l'abdomen  (').  Aucun  sa}-\d  n'eût  été  flatté  de  s'entendre 
appliquer  le  distique  : 

Baour-Lormian  de  gloire  se  nourrit. 

Aussi  voyez  comme  il  maigrit  ! 

Au  sav\d  de  tenir  table  ouverte  !  A  la  fin  de  sa  carrière  ce  ga- 
lant homme  'ne  devra  laisser  à  sa  veuve  éplorée  <  qu'un  sabre  et  des 
marmites.  Ce  sera  là  tout  son  héritage: 


{*)  y^\^  ^J>^«  ^y»  cr'  ^"'r*  -^^  "f  '  v3j^'-*  ^^• 


V>\ 


La  faveur  populaire  demeurait  à  ce  prix.  Pour  la  capter,  les  plus 
puissants  envovaient  tous  les  jours  un  héraut  faire  la  proclamation 
suivante  :  <  si  l'on  veut  se  rassasier,  de  viande,  de  dattes,  de  lait,  on 
est  invité  à  la  maison  du  sa\-yd  !  >  (^).  Ce  dernier  profitait  de  la  cha- 
leur communicative  du  banquet  pour  enlever  l'adoption  des  mesures, 


(')  Ces  hadît  représenteraient-ils  une  protestation  indirecte  contre  l'ascétisme 
chrétien?  Principalement  l'abstinence  de  chair?  Ou  bien  doivent-ils  ser\-ir  de  commen- 
taire à  l'invitation  fréquente  dans  le  Qoran  :  0^-:;i»JI  1?^  ?  O"  0^4^  ^=  viandes.  Ici 
faut-il  admettre  que  «  ist  nur  die  Tendenz,  nicht  der  Inhalt  historisch  verwertbar  »  ? 
Prof.   Becker,  Der  Islam,   IV,  266 

(*)  Fâtima,  43,  44.  cf.  Mâgâ,  Sonati,  E.  II,  161-62,  festins  offerts  par  lui  à  la 
mosquée,  rôti  etc.,  appétit  du  Prophète. 

^)  ^i-JI  ïU.jJl  ;  Qotaiba,  'Oyoûn,  269.  L'embonpoint  était  commun  parmi  les 
sayyd;  cf.  Mo'àwia,  97-99;  Ag.,  XII,  42,  9-11.  Pour  Mahomet,  \o\x  Mo'âwia,  368-69.  Les 
illustres  sayyd  sont  J,*^  f^'<  iNaqc^id  Garîr,  152,  15),  g^ros  ;  Ag.,  XII,  48;  XXI, 
95  d.  1.  So'arâ'  an-Nasrânyya,  887,  5  v. 

(^)  Ag.,   XI,   155,  5  d.  1. 

(^)  Bakrî,  op.  cit.,  43.  Remarquez  la  présence  du  wonârfi  (voir  plus  haut).  Comme 
ici,  on  ne  les  rencontre  qu'au  service  des  grands  chefs.  Fâtima,  67. 


244  La  natation  en  Arabie 

intéressant  sa  politique,  assuré  de  ne  pas  rencontrer  d'opposition  ('). 
«  Le  saj'j'd,  affirmaient  les  Arabes,  doit  nous  laisser  fouler  aux  pieds 
son  honneur  et  mettre  sa  fortune  au  pillage;  U^JLU:^  a-1j6  ^-^^. 
i*Ju  »  (■').  Avec  le  même  sans-gêne,  ils  lui  adressaient  ensuite  ce  com- 
pliment :  «  Quelles  obligations  n"as-tu  pas  contractées  envers  nous  ! 
Nous  t'avons  distingué  au  milieu  de  la  foule,  pour  te  proclamer  notre 
savvd,  iiu>^^  iiuuïj  cuij;  uxL«  Jàsi  l<  »  i  ("). 


* 


Dans  l'Arabie  préislamite,  pour  obtenir  la  (jualihcation  de  kàmil, 
parfait,  trois  conditions  se  trouvaient  requises  :  être  habile  au  tir  de 
l'arc,  savoir  écrire  et  enfin...  nager!  (*)  Cette  dernière  devait  être 
d'une  réalisation  difficile  dans  l'aride  steppe  arabique.  Nous  savons 
maintenant,  grâce  au  Prof  Goidziher  (^),  où  les  écrivains  musulmans 
sont  allés  chercher  ce  non-sens,  inscrit  par  eux  au  programme  de 
toute  éducation  distinguée.  La  valeur  pédagogique  de  la  nage  se 
trouve  déjà  préconisée  dans  le  Talmiid  et  ce  recueil  aura  vraisembla- 
blement emprunté  le  trait  aux  Grecs.  Au  divin  Platon  {Leg.,  III,  689) 
«  nT)Te  veIv  ^TiTË  YeâfH*"^«i  ignorer  la  natation  et  les  lettres  >  paraissait 
le  comble  de  l'ineptie. 


(')  Bakrî,  loc.  cil.  C'était  conquérir,  à  force  de  générosité,  le  titre  de  sayyd  ; 
Hansâ',  Divan,  88,  9. 

(-)  Qotaiba,  'Oyoûn,  273,  2-3.  Les  bêtes  sacrifiées  n'étaient  pas  toujours  de  pre- 
mier choix  ;  Hassan  ibn  Tâbit,  Divan,   IV,  30  vante  chez  les  Ansârs  : 

Li-~-o  Livs^  cj-~»*^'  ^  «s-uLII  ^-j^  Ls.Ui  s-Ls.  ^j  v-i-^^J'  ^T*^  cJli 

On  n'immole  pour  l'hôte  survenant  à  l'improviste  que  les  bêtes  les  plus  grasses,  les 
plus  saines. 

(')  Qotaiba,  'Oyoùn,  275,  2. 

(^1  Voir  le  détail  et  les  références  dans  Mo'àwia,  330  ;  Gâhiz,  Bayàn,  I,  213-14. 
Haggâg  recommande  d'enseigner  la  natation  avant  l'écriture  à  ses  enfants  »J^^ 
l»<3-U  f.,1^,  1^  ^^»-<-v^  '^^  4>i^^  ^r-"-^.  lj*  O»-?^^*^.  *bid.,   I,  213.   Passe  pour  l'Iraq! 

(•')  Voir  dans  l'Encycl.  de  Hastings,  Religion  and  Ethics,  l'article  de  Goidziher 
sur  «  l'éducation  chez  les  musulmans  »  (p.   198-207). 


Générosité  de  Sa'd  ibn  'Obada  245 

Quoiqu'il  en  soit,  l'Ansârien  Sa'd  ibn  'Obàda,  sayyd  (')  des  Haz- 
rag  de  Médine  (•).  possédait  ce  rare  ensemble  de  qualités.  Quant  à  la 
nage  il  l'avait  sans  doute  apprise,  comme  Mahomet,  dans  un  puits  à 
Médine  (^).  Elles  contribuèrent  à  lui  assurer  de  l'influence.  Sa  géné- 
rosité acheva  de  l'établir.  Les  clans  de  Médine  vivaient  réunis  dans 
des  i^nr  ou  enclos,  renfermant  une  cour  centrale  (■*).  Des  oàw!,  sortes 
de  donjons  en  pierre,  dominaient  les  enclos  principaux  et  en  assu- 
raient la  défense.  Chaque  jour  du  haut  du  o/o///  de  Sa'd  retentissait 
cette  proclamation  :  «  celui  (|ui  désire  se  rassasier  de  viande  et  de 
graisse,  qu'il  se  rende  à  la  demeure  de  Sa'd  ibn  'Obâda!  >  {').  Une 
telle  invitation  devait  au  plus  haut  point  éveiller  les  convoitises  des 
Bédouins,  dégoûtés  à  la  fin  de  leur  maigre  ordinaire  :  dattes  et  lait  (°), 
et  tout  spécialement  amateurs  de  graisse  C).  A  la  mort  du  Prophète, 
Sa'd  se  vit  sur  le  point  de  recueillir  le  fruit  de  sa  générosité.  Les 
Ansâriens,  assure-t-on,  auraient  songé  à  couronner  (*)  ce  say\d  libéral. 
Il  est  du  moins  certain  qu'il  devint  alors  leur  candidat  au  califat.  Le 
projet  échoua  contre  le  Triumvirat,  organisé  par  Aboû-Bakr  ('). 

C)  i^o-Ç^  .  ainsi  Mahomet  le  désigne  en  parlant  aux  Ansârs  ;  Ibn  Mâgâ,  So- 
nan,   E.   II,  67. 

(-)  Ibn  Hagar,  Isâba,  II,  155.  A  la  p.  156,  4  au  lieu  de  is.>ji.  lisez  <».«.àr>,  assiette. 
La  tradition  ansârienne  a  tenté  l'impossible  pour  illustrer  la  mémoire  de  ce  chef,  si 
malheureux  dans  sa  lutte  contre  le  Triumvirat  ;  cf.  notre  Triutmnrat ,  142.  C'était  un 
homme  d'esprit:  il  constate  l'absurdité  des  conditions,  stipulées  par  le  Ooran,  pour 
établir  le  délit  d'adultère  ;  Ibn  Mâgâ,  Sotiati,   E.   II,  67. 

(3)  I.  S.   Tabaq.,  I',  73,   17. 

(■*)  Et  un  ou  plusieurs  puits.  X'oir  précédemment  p.  42. 

(5)  I.  S.  Tabaq.,  III  2,  143;  cf.  Gâhiz,  Avares,  253,  10;  la  graisse  de  la  bosse  du 
chameau,  un  morceau  de  choi.x!  Ibid.,  254,  17.  En  revanche  on  disait  en  manière  de 
proverbe:  «  insipide  comme  la  chair  d'un  jeune  chameau  »;  Ibn  Doraid,  Isfiqâq,  288,  8. 

(*)  Gâhiz.  Avares,  254;  cf.  Nallino,  op.  cit.,  617.  Sémites  grands  mangeurs  de 
viande  ;  voir  Guidi,  Sede  pritnitiva,  594,  596. 

f!)  Cf.  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  81,  bas  ;  'Iqd\  II,  24,  5  d.  1.;  Hansâ',  Divan,  11,  9; 
36,   1;  60,  2;  87,  8;  Labîd,  Divan,  XXXIX,   14;  Musil,  Arabia  Petraea,   III,   149. 

("1  Pour  les  cérémonies,  analogues  au  couronnement,  cf.  Jacob,  Beduinenlebeti,  224  ; 
Ya'qoûbi.  Hist.,  II,  136,  d.  1.  Qalqasandî,  Sobh,  I,  249-50;  Chroniken,  (VVûst.)  II,  143, 
2.  L'inscription  proto-arabe  de  Namâra  parle  du /^,  porté  par  les  anciens  chefs;  Nal- 
lino, Costituzioiie  délie  tribii,  616  ;  Hassan  ibn  Tâbit,  Divan,  LXXX,  6. 

(')  Cf.  notre   Triumvirat. 


246  La  loi  du  talion 


* 
*  * 


Posséder  des  «  pavillons  spacieux  »  ('),  aux  couleurs  attirantes  (*), 
établis  bien  en  vue  sur  la  colline  ('),  et  non  pas  repoussés  à  l'écart, 
et  comme  en  quarantaine,  derrière  l'alignement  des  tentes  (*),  voilà 
l'idéal  du  sa3yd  bédouin.  Cet  idéal  supposait  de  la  fortune,  des  mo- 
3-ens  considérables  (;'). 

Jusqu'ici  nous  avons  seulement  indic^ué  une  partie  des  charges, 
retombant  sur  le  sa3'yd.  Une  hygiène  défectueuse,  la  frécjuence  des 
razzias,  des  vendettas,  la  facilité  illimitée  du  divorce  multipliaient  le 
nombre  des  veuves,  des  orphelins,  errant  sans  gîte,  sans  ressources 
au  milieu  du  campement.  A  défaut  des  parents,  négligents  ou  morts, 
le  chef  devait  pourvoir  à  la  subsistance  de  ces  infortunés.  A  lui  de 
pa^-er  les  innombrables  dvài  (")  ou  prix  du  sang,  fruits  de  l'anarchie 
sociale. 

Le  Bédouin  éprouve  l'horreur  du  sang  versé,  sans  en  connaître 
le  remords.  S'il  lui  arrive  de  respecter  la  vie  de  son  semblable,  c'est 
grâce  au  ^âr,  la  loi  du  talion,  l'inexorable  vendetta  :  le  sang  doit  être 
vengé  ou  racheté!  Sans  cette  loi  salutaire,  l'existence  deviendrait  im- 
possible au  milieu  du  désert.  Pour  le  meurtrier,  l'important   c'est  de 


(1)  àS>\yu,  *ixi  ;  .'Klital,  Divan,  160,  5;  comp.   Yaztd,  193. 

('^)  Tente  en  cuir  rouge  ;  voir  Fâtima,   73. 

(3)  Ahtal,  Divan,  243;  Ibn  Qais  ar-Roqayyât,  Divan,   LIX,   10. 

(^)  Ahtal,  Divan,  299,  4:  ^.^..wlss  ^vïJI  *U^  •  La  tente  du  saj-j-d  doit  se  trou- 
ver sur  une  éminence,  jili^,  ;  Hotai'a,  Divan,  XII,  7,  Nagaid  Gaitr,  224,  3  v.  ;  602; 
non  pas  à  l'écart,  ^Jlf»^  ;  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  164;  Aboû  Tammâm,  Haniàsa,  E.  I, 
184;  il  est  peu  glorieux  de  camper  dans  les  vallées  et  non  sur  la  hauteur;  Ag..  XI, 
92,  6  d.  1.  comp.  A.  Musil,  Arabia  Petraea,  III,  351.  Les  pauvres,  les  solliciteurs  doi- 
vent se  tenir  à  distance.  'Orwa  ibn  al-Ward,  dans  So'arâ',  884,  3;  898,  6;  ,_ji;^\^ 
J.S3J.I  ,  campant  à  l'écart;   Ibn   Doraid,  Istiqâq,    174;  Gâhiz,  Bayân,   I,   165,  5. 

(=)  Comp.  le  vers  de  'Orwa  ibn  al-Ward,  So'arâ',  906  : 

Ce  n'est  pas  par  la  richesse,  mais^par  les  actes  que  le  sayyd  gouverne.  Ici  Jl*»,  actions 
veut  dire  :  libéralités. 

(")  Ou  kamâlâi  (et  non  O'^^'  dans  Mas'oûdî,  Prairies,  III,  248,  il  s'agit  de 
dyâ/  et  non  de  «  belles  actions  »,  comme  a  compris  le  traducteur. 


Le  jeu  de  la  razzia  247 

réunir,  dans  le  plus  bref  délai,  le  prix  du  sang,  la  dya,  fréquemment 
estimée  100  chameaux  (').  Cent  chameaux  !  Une  fortune  !  Aussi  le  chif- 
fre, non  le  repentir,  fait  réfléchir  le  Bédouin.  On  l'observe,  le  front 
haut,  circuler  au  milieu  des  tentes  ("),  parcourir  les  campements  de 
la  tribu  et  des  alliés  de  sa  tribu,  pour  arriver  à  parfaire  le  nombre 
légal.  Sans  aucun  embarras  il  tend  la  main.  Partout  il  se  voit  bien 
accueilli.  Un  meurtre,  voilà  un  fait  bien  banal  parmi  les  descendants 
dlsmaéll  Ils  considèrent  le  quémandeur  comme  un  malheureux,  tout 
au  plus  comme  un  maladroit.  La  razzia  se  trouve  à  la  base  de  cette 
société.  Chaque  bien  non  gardé,  mal  défendu,  devient  bomim  tmllhis, 
exposé  à  la  merci  du  plus  fort,  du  plus  habile.  En  bonne  règle  la 
razzia  ne  devrait  jamais  être  sanglante.  Jeu  élégant,  sorte  de  tournoi, 
où  les  jouteurs  sans  intentions  homicides  luttent  pour  se  surprendre. 
Dans  la  pratique,  la  plupart  des  razzias  se  terminent  sans  accident  (^), 
même  depuis  l'adoption  des  armes  à  feu  :  beaucoup  de  bruit,  de  fumée 
et  de  poudre  brûlée,  mais  peu  de  blessures!  C'est  par  exception,  si 
ces  règles  du  jeu  viennent  à  être  violées.  Les  partenaires  ont  manqué 
d'adresse,  ou  se  sont  laissés  emporter  par  un  excès  d'impétuosité 
dans  l'attaque  ou  dans  la  défense  (*).  Oubliant  leur  qualité  de  jouteurs, 
Is  se  sont  transformés  en  combattants.    Voilà  comment  les  Bédouins 


(')  Voir  précédemment  p.   134. 

(-)  ...  (j  ij*-^  :  on  en  charge  volontiers  les  poètes;  personne  n'osant  leur  refuser 
par  crainte  de  représailles  ;  Ag.,  XII,  44,  XIX,  160;  Chantre,  Xôd  sqq.  Ces  intermédiai- 
res sont  également  qualifiés  de  jJ-eU». .  Hâmil,  un  centenaire,  a  pu  y  gagner  son  nom 

i*-*^"  ^i  U«iJLI  ^JI  ij^^^r^.  i_)-«'^^  ^'^  .  évidemment  pour  des  dya;  Sigistânî,  Mo'am- 
niaroûn,  86.  Voyages  pour  aJI^,  pri.x  du  sang;  Gàhiz,  Mahâsin,  86,  87;  Gâhiz,  Bayàn, 
II,  26.  Offrir  des  brebis,  au  lieu  de  chameaux,  était  une  dérision  ;  So'arâ',  742.  C'é- 
tait une  façon  de  rompre  les  négociations  ou  de  décourager  les  solliciteurs. 

(3)  Naturellement  après  le  combat,  les  poètes  affirment  le  contraire  ;  ils  ne  par- 
lent que  de  «  veuves  abandonnées  solitaires,  pleurant  maris  et  enfants:  {Ag.,  XII,  47) 

U-.^.L~U  iJ.jtJI   -.^SUj  l^»J    ,1-01   (i  *syL«J  '^S3 

Yâqoût,  E.  VII,  39  bas,  citation  de  Hotai'a  •  So'atâ',  744,  4  d.  v.  Cadavres  abandon- 
nés aux  hyènes;  Al-Qohaif  al-'Oqailï,  Divan  (éd.  Krenkow)  à&nsJRAS,  1913,  352-53; 
So'arâ',  760,  4  d.  v.,  765. 

(*)  Comp.  les  regn'ets  exprimés  par  'Amrou  ibn  Ma'dikarib;  Ag.,  XII,  52,  9. 


248  La  guerre  est  une  ruse 

raisonnent  la  théorie  de  la  razzia.  Ils  en  dissertent,  comme  l'Espagnol 
parle  d'une  course  de  taureaux.  Le  torero  a  manqué  de  sang-froid  1 
Cette  remarque  nous  permettra  de  compléter  et  au  besoin  de 
iustifier  notre  appréciation  sur  la  bravoure  bédouine.  Nous  en  avons 
souligné  la  qualité  inférieure  (').  Cette  infériorité  provient  précisé- 
ment de  la  manière  de  comprendre  la  razzia,  un  jeu  oîi  il  s'agit  de 
lutter  de  finesse.  Or  de  la  guerre  le  nomade  connaît  une  seule  et 
unique  forme,  la  razzia.  S'il  se  bat,  c'est  pour  dépouiller  ses  voisins. 
L'idée  de  risquer  alors  sa  peau  ne  saurait  lui  venir.  .S'il  échoue,  c'est 
partie  remise.  Le  récit  contenant  l'épopée  de  ses  conquêtes  mondiales. 
l'Arabe  l'a  intitulé  Magàzi.  c'est  à  dire  razzias;  il  les  a  considérées 
comme  des  razzias  de  grand  style  ;  c'est  sous  cette  dernière  forme  que 
les  adroits  Ooraisites  ont  pu  entraîner  les  Bédouins  à  leur  suite.  Toutes 
ses  théories  sur  la  guerre,  le  nomade  les  condense  en  cette  formule  : 
AftOiL  s-'y-''  '^  guerre  est  une  ruse  :  espionnage,  service  d'éclaireurs. 
embuscades  (■),  fuites  simulées,  personne  en  ces  stratagèmes  n'égale 
sa  virtuosité.  Aussi  l'auteur  de  l'Agâni  reman^ue-t-il  à  propos  d'un 
des  plus  célèbres  che\'aliers-brigands  de  l'Arabie,  Hâgiz  al-Azdi: 
«  malgré  la  fréquence  de  ses  razzias,  il  fut  un  incorrigible  fu\ard 
^lyjl  pir  AJl^U  ^  J6  »  {Ag.  XII,  52,  20).  Ajoutons  que  c'était  un  coureur 
merveilleux,  capable  de  devancer  les  chevaux  au  galop  (^).  Les  théo- 
ries développées  par  Ibn  Haldoun  ('')  sur  la  bravoure  des    Bédouins 


(')  On  se  ligotte  pour  s'enlever  la  possibilité  de  la  fuite  :  Yâqoût,  E.  V,  24S.  Les 
femmes  doivent  supplier  les  hommes  de  ne  pas  fuir;  Xaga'id  Garîr,  569,  d.  v. 

"(*)  Dans  les  Jilagâzi  du'  Prophète,   «  on  marche  la  nuit,  on  se  cache  (^^r^le  jour  »; 
I.   S.    Tabaq.   II  '  passim. 

(^)  Ag.,  XII,  49  ;  autres  exemples  de  coureurs  ;  ibid.,  50,  .ïl  ;  XX,  20  :  Ibn 
Doraid,  Istigàg,  166  ;  chez  les  Hodailites,  Asmal  compte  f>-i^^  lili.*  l-tLi  ^v«->)l 
^,U  *^-~»  S""^  "^^i  i_i*  •-*-^.  •  Fohoûlai as-So'arâ',  (Torrey)  502,  13;  Ag.,  XXI.  61. 

(■•)  Prolégomènes,  (Quatremère)  I,  263,  (I,  228  etc.  te.xte  arabe).  Musil,  Arabia 
Petraea,  III,  370-71  se  montre  de  même  favorable  à  la  bravoure  bédouine.  Il  faut  sa- 
voir fuir  à  propos,  dit  le  poète  ;  Aboû  Tammâm,  Hamâsa,  E.  I,  93,  94.  Le  héros  avoue 
qu'il  combat  malg^ré  lui  ;  d'une  voix  plaintive  il  s'excuse  d'avoir  fui,  «  quand  il  a  flairé 
l'odeur  de  la  mort»;  Hamâsa,  E.  I,  94,  97-98.  D'autres  pourtant  ont  refusé  de  fuir; 
Hansâ',  Divan,   124,  3-4.  Comp.  chap.  15,  Bohtort,  Hamâsa,  O^^  AjI ia.V.>..»l  ^j  ,_J-j"  U-J 


Le  rachat  du  sang  249 

sont    une    des    nombreuses   considérations  à   priori,  lamilières   à   cet 
auteur,  féru  d'abstractions. 


Dans  ces  conditions,  un  meurtre  arri\e  au  cours  dune  razzia 
constitue  un  simple  accident.  Comme  punition  de  la  maladresse,  on 
impose  seulement  au  meurtrier  une  expiation  pécuniaire,  le  rachat  du 
sang  versé  (').  A  lui  de  s'ingénier  pour  solliciter  la  générosité  des 
membres  de  la  tribu.  Ceux-ci  inter\'iennent  volontiers.  Demain  peut- 
être,  ils  auront  à  bénéficier  de  la  même  largeur  d'idées. 

Le  sa}yd,  il  faut  s'\-  attendre,  se  trouve  parmi  les  premiers  à 
recevoir  la  visite.  Le  bon  ton  veut  même  qu'il  prenne  les  devants  et 
assure  la  compensation  du  sang  versé.  Non  seulement  le  sa\vd  doit 
donner,  mais  il  doit  porter J-»^;.  ^s^  (')■  Q^e  peut-il  bien  porter:  Il 
porte  le  sang  (').  Il  s'agit  non  de  la  responsabilité  morale  {*).  mais  des 
conséquences  matérielles  du  crime  commis.  L'acquittement  des  dom- 
mages-intérêts constituait  en  majeure  partie  le  grand  fardeau  du  sa\'vd. 

Il  devient  alors  dans  toute  la  force  du  terme  le  portefaix  de  la 
tribu  ;  jCi-  (^),  le  vocable  encore  en  usage  dans  tout  le  Levant  pour 
désigner  la  solide  corporation  des  portefaix.  Le  sa^yd  s'appelle 
J'Xj'^ii  J^'^  C).  Cj^.>  J^^  et  tt«>  J-f'-a.  (").  porteur  de  sang,  porteur  de 
rançons,  à  savoir  les  rançons  du  sang  (*).    Comment  ne  pas  se   rap- 


(')  Voir  A.  Tammam,  Haviasa,   E.  I,  116,  sqq. 
{*)  Qotaiba,  Poesis,  200,   1. 

(■•)  Il  n'en  est  jamais  question. 

I*)  Hassan  ibn  Tâbit,  Divan,  LXXX,  6. 

(«)  Ag..  VIII,  48  ;   XIX,   46,  ;  93  JUi'l  J'-i^  ,  Nâbiga,  cité  dans  Yâqoût,  E.  I,  93. 

C)  Ibn  Doraid,  Istigâg,  192;  Hansâ',  Divan,  10,  8;  37,  1;  120,  9;  Xi-;lj>.  ,  il 
s'agit  de  son  frère  Sahr;  Zohair,  (Ahlw.)  80,  4  d.  1.  Farazdaq,  cité  dans  Gâhiz,  Bâ- 
yân.   I,   126,   15. 

(*)  '/?</',  II,  60,  5  d.  I.  Ag.,  XIX,  93;  «quand  les  autres  ploient  sous  le  far- 
deau, nous  en  prenons  le  poids  sur  nos  épaules, 

J^^LI  J..-Ji'.^'  U^U«j  ^-ai  L^'V^v    .J-JJLil   <*JU.il  lil,  » 


250  Le  sayyd  portefaix 

peler  cette  description  de  M.  Louis  Bertrand  ?  <  Six  hommes  de  haute 
taille  s'avançaient  lentement,  le  pas  rythmé,  sous  le  fardeau  d'une 
poutre,  qui  se  balançait  d'un  branle  imperceptible,  prestjue  à  ras  du 
sol...  Les  hommes  robustes  allaient  en  cadence,  l'air  grave,  le  jarret 
tendu,  le  corps  un  peu  raide.  mais  pourtant  avec  une  élégance  aisée 
de  gymnastes  »  ('). 

C'est  l'image  du  saj'^d.  Comme  les  porteurs  de  poutre,  il  doit 
s'exécuter  de  bonne  grâce  (")  sans  courber  l'échiné,  «  d'un  dos  lé^er, 
disent  les  Arabes,  sous  l'énormité  du  faix,  J^"  J^  ^  ,-fiJl  ,_i.;^  >  (^). 
Et  on  le  charge  par  quintaux,  ou  plutôt  par  centaines  (^),  pour  conser- 
ver la  notation  arabe  ,j^  J^i^.  En  d'autres  termes,  à  lui  l'obligation 
de  pa^-er  sans  rechigner  des  rançons  (^),  s'élevant  à  cent  chameaux. 
Descendre  d'un  de  ces  Hercules  de  la  munificence,  j^  jû^  o-?'  O 
voilà  un  titre  trop  glorieux  pour  être  négligé  par  la  poésie.  L'assassiné 
était-il  un  sayyd,  frécjuemment  sa  famille  et  sa  tribu  exigeaient  une 
double  dra,  c'est  à  dire  une  rançon  de  200  chameaux  (").  Aussi  le 
plus    ambitionné    de   tous    les    qualificatifs    était-il   celui    de    premier 


(')  Le  livre  de  la  Méditerranée,   17. 

(2)  Voir  Chantre,  159-61,  comment  Ahtal  se  venge  d'avoir  été  repoussé  dans  une 
circonstance  analogue.  II  est  le  messager  ordinaire  de  Taglib  pour  les  hamâlât. 

p)  Hâtim  Tayy,  Dii'an  (Schulthess)  il,  d.  v.  ;  Ag.,  XIII,  145,  12,  où  lisez  Cj^^ 
au  lieu  de  O^W:- 

(■>)  «  Donneur  de  cent  »  chameaux  ;  Hotai'a,  Divan,  V,  28  :  Nâbiga  Dobyânï  dans 
So'arâ',  664,  2. 

(5)  Il  passait  pour  peu  honorable  d'augmenter  ses  troupeaux  au  moyen  du  paie- 
ment des  douaires  et  des  dyàl:  cette  dernière  concession  marquait  un  manque  de 
courage  : 

Gâhiz,  Avares,  255,  4-5.  Aux  familles  ainsi  enrichies  on  reprochait  de  boire  le  sang 
des  leurs,  avec  le  lait  des  chameaux.  Bohtorî,  Hamâsa,  n.   112. 

(^}  Farazdaq,  Divan  (Boucher)  170,  4;  sayyd  chargé  de  recueillir  dix  rançons; 
Gâhiz,  Bayàn,  II,  26,  4  d.  1.  ;  voyages  entrepris  à  cette  fin,  Xaçâ'id  Gartr,  277,  3  v.; 
So'arâ',   742.  Mille  chameaux  pour  le  père  d'AmrouIqais  ;  Ag:,   XIX,  85,  2. 

(")  Ag-.,   XII,  50,  54-55.  Voir  précédemment  p.   134. 


Même  sujet  251 

portefaix  de  son  siècle  ^UJi  J^\  (').  De  leur  côté,  les  poètes  criaient 
aux  rivaux  de  leurs  Mécènes  :  «  seriez-vous  en  mesure  de  supporter 
les  fardeaux  (jue  notre  héros  soulève,  jX^-  U  J-<U>.  ?  »  (')  Eloges  so- 
nores, mais  venant  lourdement  grever  le  budget  du  sa\}d  arabe  1 


(1)  Farazdaq  (Boucher)  129,  5;  Balâdori,  (Ahlw.)  11,  7;  187;  Hotai'a,  /Jhwi,  XL, 
20,  avec  le  commentaire  de  Goldziher;  cf.  Jaussen,  Moab,  p.  127. 

(2)  Ahtal,    Divan,   8,    1.   8.    Pour  la  dya,    pour    l'expression  JUul  Jlii». .  cf.  C). 
Procksch,  Die  Blutrache  bei  den  Arabern,  57-59. 


VII 


Division  de  l'autoritd.  Multiplicitd  des  sayyd. 
Opposition  à  leur  pouvoir 


Les  Arabes  se  montrèrent  toujours  partisans  déterminés  de  la 
décentralisation.  Comme  si  au  désert,  il  y  avait  lieu  de  redouter  une 
dictature!  (*)  Quand  Toffice  de  sajyd  entraînait  des  charg^es  onéreu- 
ses et  supposant,  pour  ainsi  di.-e,  le  dévoùment  à  jet  continu  !  Il  y 
aurait  plutôt  lieu  d'admirer  l'abnégation  des  chefs  ('),  disposés  à  les 
assumer,  s'il  ne  fallait  mettre  en  ligne  de  compte  la  vanité  arabe, 
incessamment  en  quête  de  distinctions. 

Même  dans  les  villes  où,  comme  à  la  Mecque,  on  découvre  un 
embr\on  d'organisation  municipale,  on  trouve  éparpillées  à  l'infini  les 
prérogatives,  conférant 'une  certaine  influence  politiijue  (^).  En  étu- 
diant l'organisation  de  la  métropole  qoraisite,  nous  verrons  comment 
les  principales  familles  les  avaient  partagées  et  se  les  transmettaient 
jalousement  {*).  11  n'en  allaitpas  autrement  du  pèlerinage  et  du  sanc- 


(')  Certains  vers  semblent  l'insinuer;  Gahiz,  Haiawan,   III,  25,  3,    5. 
(*)  D'aucuns  maudissent  le  temps  de  leur  syâda  : 

Bohtorî,  Hamàsa,  n.   1098  ;  comp.   le  chap.   124. 

(•')  Voir  'Iqd^,  II,  45;  ensemble  de  données  légendaires,  mais  attestant  les  in- 
stinctives répugnances  des  Arabes  pour  une  autorité  fortement  constituée.  Cf.  notre 
République  marchande,  p.  8  sqq., 

(*)  Mo'âwia  blâme  l'esprit  de  jalousie  et  de  division,  séparant  les  familles  qorai- 


L'organisation  de  Nagrân  253 

tuaire  national  de  la  Ka'ba,  habilement  exploités  par  les  âpres  mar- 
chands de  Ocrais  et  devenus  l'occasion  d'opérations  plus  lucratives 
qu'honorables. 

L'exemple  de  Nagrân  ne  paraît  pas  moins  instructif.  Nous  le 
rappelons  ici  à  ce  titre,  quoique  la  cité  (')  se  trouve  en  dehors  de 
cette  partie  de  l'Arabie  occidentale,  spécialement  envisagée  par  nous. 
Dans  ce  centre  chrétien,  commerçant  et  industriel,  ville  yéménite  en- 
fin, où  devaient  se  conserver  les  dernières  traditions  politiques  de 
l'Arabie  Heureuse,  nous  surprenons  la  même  division  des  pouvoirs. 
Le  savvd  de  Nagrân  —  constatation  pour  le  moins  insolite!  —  n'y 
aurait  pas  occupé  la  première  place  :  à  lui  revenait  l'organisation  des 
caravanes  et  des  mo\ens  de  transport.  Ministre  du  commerce,  il  de- 
meurait également  chargé  des  relations  extérieures.  Une  plus  grande 
part  de  responsabilité  et,  si  l'on  peut  s'exprimer  de  la  sorte,  de  pou- 
voir exécutif,  paraît  avoir  été  dévolue  à  un  second  personnage,  gra- 
tifié du  titre  énigmatique  de  'àqib.  Venait  enfin  l'évêque.  Outre  les 
écoles  et  les  soins  spirituels  de  la  communauté,  l'évêque  se  trouvait 
également  associé  à  l'exercice  du  gouvernement  ;  aucune  décision  ne 
devait  être  prise  sans  son  inter^'ention.  Dans  le  Califat  de  Yazid  I"  (^) 
nous  avons  étudié  ce  triumvirat  original,  cette  ville  libre  de  Nagrân, 


sites;  'Iqd^,  II,  49;  République  marchande.  Voir  Gâhiz,  Bayàii,  I,  129,  15  etc.  [lire 
Ailjk.>o  au  lieu  de  islj^4*)]  comment  la  malignité  bédouine  refusait  de  prendre  au  sérieux 
les  dignités  de  la  Mecque.  Elles  sont  nommées  dans  Hassan  ibn  Tâbit,  Divan,  pièce 
145,  où  la  tradition  postérieure  est  allée  les  recueillir.  Ibn  'Abb.ns  insistait  sur  la  ja- 
lousie des  Mecquois;   Moslim,  Sakîh',   I,  486,   11. 

(')  Elle  était  d'ailleurs  en  relations  fréquentes  avec  la  Mecque  (cf.  notre  Vaztd, 
ch.  XXII  et  XXI II)  et  avec  les  tribus  de  Hawâzin  (voir  So'arâ',  776,  10),  leur  mar- 
ché pour  les  chevaux. 

(*)  Voir  les  chap.  XXII  et  XXIII.  L'éloquence  de  «l'évêque  de  Nagrân»  était 
proverbiale;  Gâh'\z,  Bayân,  I,  137,  d.  1.  A-t-on  pensé  à  Qoss  ibn  Sâ'ida,  autre  grand 
orateur,  ou  est-on  parti  de  cette  donnée  anonyme  pour  transformer  Qoss  en  évèque 
de  Nagrân?  Les  chefs  de  la  cité  avaient  la  répmtation  de  savoir  faire  respecter  les 
droits  de  Nagrân  ;  iXaqâ'id  Garïr,  600,  2  v.  ;  ses  châteaux,  ^yaS,  étaient  célèbres  ; 
Gahiz,  Mahâsin,  189,  11.  En  temps  de  troubles  on  abrite  à  Nagrân  familles  et  fortu- 
nes; ce  qui  semble  indiquer  la  confiance  dans  l'ordre  établi  ;  So'arâ',    775,  5  d.  I. 


254  Chefs  secondaires 

moitié  république,  moitié  état  ecclésiastique,  où  les  représentants 
des  trois  puissances:  l'état,  la  religion,  les  intérêts  matériels,  étroite- 
ment unis,  contribuaient  fraternellement,  chacun  dans  sa  sphère,  au 
bien  général.  N'est-ce  pas  l'idéal?  Cet  idéal,  trop  beau  sans  doute 
pour  notre  monde  sublunaire,  l'anarchique  Arabie  l'aurait  réalisé! 
Comment  réprimer  un  mouvement  de  scepticisme?  Ne  serions-nous 
pas  le  jouet  d'interprétations  trop  subjectives  ou  de  la  féconde  ima- 
gination de  nos  informateurs  arabes?  (')  Le  désert  est  par  excellence 
le  milieu  des  mirages. 


L'on  en  était  là  à  la  Mecque,  à  Nagrân  ;  dans  ces  villes  importantes, 
l'on  sentait  pourtant  la  nécessité  de  l'union  et  de  la  solidarité,  du  moins 
dans  la  mesure  oîi  leur  utilité  est  capable  de  s'imposer  à  la  menta- 
lité arabe.  Nous  pourrons  aisément  nous  représenter  la  situation  dans 
le  reste  de  la  Péninsule. 

«  Quand  un  particulier  enrichi  dit  à  la  tribu  :  c'est  moi  le  say\-d, 
chargé  de  décider,  revêtu  de  pouvoir! 

Si  ensuite,  il  ne  donne  rien,  la  tribu  lui  refuse  obéissance  et  d'un 
cœur  léger  brave  ses  prétentions  injustes!  »  {'). 

Ce  distique  renouvelle  l'incessante  protestation  de  la  convoitise 
arabe.  La  générosité  ne  suffisait  pas  pourtant  pour  étouffer  les  com- 
pétitions. Les  chefs  les  plus  en  vue  se  voyaient  forcés  de  partager  leur 
influence  avec  une  foule  de  petits  potentats.  Ceux-ci  accaparent  l'au- 
torité dans  les  âaùi  ou  clans  secondaires  ('),  s'érigeant  en  chefs  de 
parti  ou  de  la  minorité  en  opposition  au  sa\'\d  (^).  Ou  bien  ce  sont 


(')  Je  soupçonnerais  volontiers  l'intervention  de  cette  dernière  cause  de  déforma- 
tion. En  général  la  poésie  préislamite  se  montre  prévenue  en  faveur  des  Nagrânites; 
cf.   Yazîd,  loc.  cit.  et  Doraid  ibn  as-Simma  dans  So'arâ',  l'/ô-lt. 

(-)  Gâhiz,  Haiawân,   III,  25,  bas. 

(3)  Ou  J;Xj  ;  Ibn  Doraid,  IHiqaq,  7,1.3;  10,  3. 

{•')  Osd,  III,  406,  bas;  deux  partis  dans  la  tribu;  Ag.,  XI,  133,  5;  sayyd  tnul- 
tiples;  Hansâ',  Divan,  62,  2;  Ag.,  XXI,  60,    19. 


La  tribu  de  'Abs  255 

des  esprits  brouillons,  comme  le  fameux  'Aqil  ibn  'Ollafa  ('),  faisant 
avec  les  siens  bande  à  part  ("),  et  refusant  de  se  reconnaître  un  égal 
dans  toute  l'Arabie.  Ces  concurrents  du  sayyd  officiel  s'appelaient 
eux-mêmes  say^d,  sàdàt,  ou  asrâf\  nobles,  ou  sayyd  gaumiki,  chefs 
de  groupe  (').  Cet  éparpillement,  nous  ne  disons  pas  du  pouvoir, 
mais  de  la  notion  d'autorité,  produit  dans  les  troubles  annales  pré- 
islami(]ues  un  pêle-mêle  babylonien. 

L'empressement  de  tous  ces  figurants  secondaires,  de  tous  ces 
comparses,  désireux  de  se  mettre  en  évidence,  distrait  l'attention  et 
empêche  de  démêler  les  premiers  rôles.  La  tribu  de  'Abs  ne  se  dis- 
tinguait pas  par  le  nombre  ;  et  pourtant  le  principal  titre  de  Zohair 
ibn  Gadima  fut  d'y  avoir  commandé  comme  sa3yd  unique,  >a1w  ji 
L{Ir  ^j-^  {*).  Plus  tard  on  les  entendra  se  glorifier  de  ne  faire  qu'un 
avec  leur  sayvd  (").  Il  est  également  question  d'un  sayyd  de  tous  les 
Azd  :  autant   d'expressions  à   interpréter   avec  discrétion  (*').  C'était 


(')  Fierté  grotesque  des  Morrites;  Abou  Tammâm,  Hamasa,  E.  I,  102-103.  La 
Tradition  ne  leur  pardonne  pas  Moslim  ibn  'Oqba;  cf.   Vazïd,  chap.  XVI-XVIIL 

(«)  Ag.,  XL  92,  2  d.  I.  Il  est  le  type  du  tUa.  idéalisé  ;  ibid..  XL  86  ;  cJOi.  jjlyil 
kjla.  89,  2  ;  histoires  plaisantes  sur  le  tlia.  ;  vraisemblablement  extraits  d'un  recueil 
factice  composé  à  Bagdad.  Voir  plus  bas  les  données  sur  'Oyaina  ibn  Hisn. 

(3)  <jocJ>  ^^  ^  -*-*-*>  ;  Qotaiba,  Poesis,  118,  2  ;  «-{-^  ïjLo  **  ;  Ibn  Doraid,  Isti- 

qâq,  180.  Ou  6^^  (i  jC^  ;  Ag.,  XL  93,  4  d.  1.;  95;  Osd,  IV,  13;  I.  S.  fabag., 
III  *,  28,  15;  comme  'Aqîl  ibn  'OUafa  et  Sabïb  ibn  al-Barsâ',  tous  les  deux  membres 
du  même  clan  des  Banoû  Morra,  proches  parents  et  adversaires  irréductibles.  Pour  la 
Mecque,  cf.  notre  République  marchande,  p.  9.  Par  ailleurs  Nâbiga  Dobyânî  appelle  le 
gassânide  Al-Hârit  <^<,9  JÔLw  ;  So'arà',   645. 

(^)  'Iqd^,  II,  62,  11  d.  1.  Même  pour  le  très  modeste  clan  nomade  des  Banoû 
'Otmân  le  poète  proclame  son  héros  IajJLoj  11L  ^^Ui*  i,J^\  Ag.,  XI,  82,  10;  Ibn 
Haldoûn,    Prolégomènes,  I,  312    signale    la    multiplicité  des  chefs  chez  les   Bédouins. 

{^)  Gâhiz,  Bayân,   II,   31,  5. 

(*)  Ag.,  XII,  50,  13  d.  1.  chef,  touchant  le  mirbâ'  de  tous  les  Azd.  «  Say>'d  des 
nomades  et  des  sédentaires»;  Zohair,  (Ahlw.)  81,  13.  Chef,  JÔls,  de  tous  les  Varboû'; 
il  recueille  le  mirbâ';  Ibn  Doraid,  l'stiqâq,  137,  3  d.  1.  ^UJI  wxI^j  et  _ô-o  J^^  ;  titres 
destinés  à  faire  monter  le  prix  de  la  dya:  Naqà'id  Gartr,  227.  Dans  le  groupe  de 
Qodâ'a  on  connaît  seulement  deux  exemples  d'un  chef  unique  ;  Bakrî,  Mo'gam,  27,  6; 
Sigistànî,  Mo'aminaroûn,  28.  Le  célèbre  Afkal  est  chef  de  tout    Rabfa  ;    Ibn  Doraid, 


256  Chez  Taniîm  et  Bakr 

d'ailleurs  une  situation  trop  extraordinaire,  pour  n'être  pas  enregistrée 
dans  les  annales  de  la  Péninsule  1  ('). 

Au  moment  précis,  où  nous  voyons  Qais  ibn  'Asiin  proclamé 
chef  de  Tamim,  cette  même  qualification  est  accordée  à  Zibri(]ân  et 
à  une  demi-douzaine  de  leurs  contribules  (").  Une  génération  plus 
tard,  à  l'heure  où  le  prestige  d'Ahnaf  (^)  paraît  solidement  établi 
parmi  les  mêmes  Tamimites  —  formant  en  réalité  une  confédération 
de  nomades  —  nous  trouvons  les  noms  d'autres  sa3'\'d,  comme  Hâ- 
rita  ibn  Badr,  et  Zaid  ibn  Gabala  (*).  Une  observation  analogue  s'ap- 
plique à  la  puissante  tribu  de  Bakr,  également  divisée  en  une  mul- 
titude de  ,^  ou  sous-tribus  {').  On  connaît  le  fanatique  attachement 
des  Bakrites  à  la  personne  de  Mâlik  ibn  Misma'  C^).  Pourtant  vers  le 
même  temps,  le  grand  chef  chrétien  Haggâr  ibn  Abgar  C)  jouissait 
d'une  influence  presque  équivalente  parmi  les  siens  et  cela  en  dépit 
de  ses  convictions  religieuses. 

A  peine  moins  redoutable  que  les  sa\  yd  des  groupes  particuliers 
était  la  réunion  des  notables  et  des  anciens  de  la  tribu,  désireux  de 


Istigâg.  197.  Dans  un  groupe  considérable,  le  sayyd  unique  recueille  fréquemment  le 
niirbâ':  Ibn  Doraid,  op.  cit.,  201,  7;  207,  7.  Sur  le  7it:rb5'  comp.  Goidziher,  dans  Z?i?r 
Is/aw,  II,   102-104. 

(')  Comp.  dans  Nagâ'id  Garîr,  238-43,  «Journée  d'an-Nisâr»,  confusion  intro- 
duite dans  le  récit  par  la  multiplicité  des  sayyd  secondaires  et  des  prétentions  —  sans 
parler  des  falsifications  postérieures  —  de  leurs  tribus  respectives. 

(*)  Ils  figurent  dans  le  wa/d  envoyé  à  Mahomet;  I.  S.  Tabac..  II  ',  116.  Même 
phénomène  chez  les  Banoû  Zobaid  ;  deux  chefs  sans  parler  du  fameux  'Amrou  ibn 
Ma'dikarib;  Ibn  Hagar,  /sàba,  III,  n.  6478;  chez  les  B.  Godâm;  Ostf.  IV,  210;  Ibn 
Doraid,  Iktiqâq,  225;  voir  notre  Yazid,  chap.  XX,  spécialement  p.  302  sqq. 

(■')  Voir  la  réflexion  prêtée  à  Ziâd  ibn  Abîhi  ;  |^i.L  ^_,i.JI  ,^  çlj  i^Jt-i^-^ll  ^1 
>>^-«Jlj;  Qotaiba,  'OyoTin,  274,  4.  Ahnaf  sayyd  de  tous  les  Taniîni  à  Basra  (Ibn  Doraid, 
Istigâg,    152),  comme  Hâni  ibn  'Orwa,  chef  des  B.   Morâd  à  Kolifa  ;   cf.    V'azîd,   144. 

{})  Ag.,  XXI,  20,  21  ;   Ibn  Hagar,  Isâba,  II,  87-88. 

(5)  Cf.  -Igâ^,  II,  64-67. 

(6)  Cf.  Mo'âwia,  80-81.  Ag.,  XX,  17,  1.   18. 

C)  Cf.  Mo'âwia,  436-38.  Chez  les  Fazâra,  'Oyaina  ibn  Hisn  et  Manzoûr  ibn  Zab- 
bân  (voir  plus  bas)  tiennent  en  même  temps  «  les  cordons  de  la  noblesse  »  ;  mais 
'Oyaina,  A^^"  jj  ^It-io  ,  jouissait  d'une  autorité  plus  eflfective. 


Devins  et  sibylles  237 

contrôler  et  surtout  de  contrecarrer  l'autorité  du  chef  (^).  Ce  dernier 
devait  compter  {")  avec  les  fils  et  les  partisans  des  sayyd,  ses  pré- 
décesseurs, avec  l'influence  des  liàzi,  kà/iin  ou  devins  ('),  avec  celle 
des  sibylles  ou  sorcières,  kàJiiiia,  sàhira  (*).  Aux  approches  de  l'hé- 
gire, sous  la  poussée  grandissante  des  idées  monothéistes,  on  avait 
cessé  d'accorder  aux  kàhin  l'exorbitante  qualification  de  rabb^  sei- 
gneur (°).  La  laïcisation  du  pouvoir  était  un  fait  accompli.  On  ne  ren- 
contrait plus  guère  de  sayyd,  cumulant  les  fonctions  de  kàhin,  plus 
rarement  encore  y  joignant,  comme  Rabï'a  ibn  Hodâr.  la  conduite 
des  opérations  militaires  et  sans  cesse  à  la  tête  des  razzias  o*^^'  p^'C)- 
Mais  on  continuait  à  consulter  les  devins,  même  parmi  les  classes 
aristocratiques  de  Qorais.  Nous  le  constaterons  en  étudiant  la  reli- 
gion préislamite.  Les  progrès  du  scepticisme  n'avaient  en  aucune 
façon  retardé  ceux  de  la  superstition  {Ag.,  VIII,  51). 

Il  fallait  respecter  les  décisions  des  hakam  ("),  à  la  fois  juges  et 


(')  C'est  le  sens  de  cette  parole  de  Moslim  ibn  Qotaiba:  Ur-«aj  (_,X=k.  L>v^  ^ 
jàrCJI  ^y»^^\  jljio  jj*  ;  Qotaiba,  'Oyoûn,  271  d.  I.  Au  chef  de  supporter  toutes  les 
avanies,  suscitées  par  la  jalousie  des  anciens  ! 

{-)  Chez  les  B.  'Abs,  les  descendants  de  Zohair  sont  s>Ivj  ^_il-iol  c^f  ■  '^"  ^°' 
raid,  Istiqâq,   169,   188. 

(3)  Kâhin  au  pays  de  Godâni  ;  Ibn  Hisâm,  19,  2  ;  92,  3  ;  ^3^=».  pi.  ^'^^  .  Bohtorï, 
Haniâsa,  n.  863,  864.  Sawid  ibn  Qârib,  un  type  du  genre;  Ibn  Hagar, /fâAa,  II,  299- 
302.  On  les  consulte  avant  la  razzia;  Naqà'id  Garïr,  149,  9;  ils  l'accompagnent; 
(ibid.,  j661,  11)  probablement  avec  le  bail  r=  fétiche  de  la  tribu.  Comp.  Qotaiba, 
Poesis,  248.  249;   kàhina,  à  la  suite  de  la  razzia,  ses  prédictions  ;  Ag.,  XX,  24,  2. 

(<)  Ag.,  XXI,  275,  18;  sàhira,  Ag.,  XII,  51;  cailloux  de  la  kàhina:  Ibn  Doraid. 
Istiqâq,  277,  9;  <isl^ ,   Ibn  Hisâm,  Sîra,   98,  2  d.  1.  ;   Balcri,  Mo'gam,   703. 

(?)  Ag.,  VIII,  66  ;  voir  plus  haut.  Kâhin  maître  absolu  de  sa  tribu  ;  ^Vâ.JLc  C^'i 
^Ujj  .Âiis  ijA  J  ;    Ibn  Doraid,  Istiqâq,  239,   12  ;  Gâhiz,  Bayân,   I,   136-37. 

(«)  Vâqoût,'viI,  40,  3.  Voir  plus  bas.  Sur  notre  Rabfa  cf.  Ag.,  X,  65.  Cet  Asa- 
dite  aurait  été  contemporain  de  l'hégire,  d'après  Ag.,  XII,  44  ;  XXI,  174.  Autres 
chefs  et  kàhin,  cités  plus  loin,  comme  Zohair  ibn  Ganâb.  Kâhin  des  Arabes  ;  Gâhiz, 
Bayân,  I,  136-37.  Les  devins  étant  consultés  pour  les  razzias,  on  comprend  qu'on  leur 
en  ait  confié  la  direction. 

C)  Non  hakim,  comme  porte  habituellement,  'Iqd'-,  II,  (>2 ,  passitn .  Swy  Xi:  hakam 
moderne,  voir  Dought>-,  Travels,  I,  145,  502-03;  II,  133;  Jaussen,  Moab,  133-34.  Les 
textes  hésitent  parfois  entre  hakîm  et  hakam;  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  164,  5;  172,  bas; 
hakîm  distinct  du  hakam;  ibid.,   127,   6  d.  I. 

Lammens  —  Berceau 


17 


258  Les  «  hakam  » 

arbitres.  Leur  autorité,  basée  sur  le  prestige  personnel,  se  trouvait 
en  harmonie  constante  avec  les  vieilles  coutumes  du  désert  ('),  inces- 
samment invoquées  par  les  arbitres,  avec  une  sorte  de  consensus  uni- 
versel. Tout  cet  ensemble  finissait  par  s'imposer  au.\  Arabes,  hostiles 
par  tempérament  au.\  représentants  ré<ïuliers  du  pouvoir.  A  ce  der- 
nier  le  nomade  reprochait  par  l'organe  de  ses  poètes:  *iJii  >^--J.I  ou 
encore  ^^_  viU  bl  \i  ^lk.o  jï  (-),  c  est  a  dire,  toute  autorité  est  de 
sa  nature  envahissante  et  tyrannique.  Cette  objection  ne  pouvait  être 
élevée  contre  la  plus  discrète  intervention  des  arbitres,  toujours  pro- 
voquée par  les  intéressés.  Ils  allaient  parfois  la  chercher  au  loin, 
jusque  dans  la  cité  chrétienne  de  Nagrân  ('),  assurés  de  trouver  dans 
l'éloignement  et  aussi  dans  la  religion  des  hakam  une  garantie  d'im- 
partialité (*).  -Simple  particulier,  par  ailleurs  de  bonne  maison,  le 
poète  chrétien  Ahtal  doit  à  son  beau  talent,  peut-être  aussi  à  sa  re- 
ligion, de  se  voir  choisi,  quoique  Taglibite,  comme  arbitre  par  les 
Bakrites  musulmans  en  désaccord  avec  sa  propre  tribu  (').  Cette  dis- 
tinction permet  de  deviner  l'influence,  dont  il  devait  jouir  parmi  les 
Taglibites. 


{')  On  s'obstine  à  recourir  aux  hakam  célèbres,  même  tombés  dans  l'enfance  ; 
Ibn  Doraid,  Istigâg,  164.  Le  Prophète  aurait  interdit  le  nom  propre  de  Hakam,  parce 
que  réservé  à  Allah  ;  Osd,  V,  53,  6  etc.  Un  trait  dirigé  contre  les  Marvvânides,  de- 
scendants d'Al-Hakam.  En  revanche  on  a  essayé  de  transformer  en  hakam  le  père  du 
calife  'Omar  ;  Gâhiz,  Bayân,  I,  117,  bas.  La  Tradition  se  donne  infiniment  de  mal 
pour  illustrer  la  famille  du  second  successeur  du  Prophète.  Sentences  des  hakatii,  dits 
conformes  à  la  Sonna  (l'inverse  correspond  à  la  vérité)  ;  Ibn  Doraid,  Istiqàq,  232  ; 
234.  Hakam  occasionnels,  arbitres  dans  un  cas  particulier  ;   Bakrî,  op.  cit.,  783,  3. 

(*)  Gâhiz,  Haiawân,  III,  25,  3,  5.  Le  pseudo-prophète  Tolaiha  est  kâhin,  ora- 
teur, poète  et  ^l^r*^  ,  improvisateur  de  sag' ;  Gâhiz,  Bayân,   I,   137,  8. 

(S)  Ag.,  XIV,  41  ;  Chroniken  (VViist.),  II,  135,  9;  Ibn  Doraid,  ntigàg,  218,  2; 
cf.  Yaztd,  332.  Un  arbitre  entre  deux  personnes  est  transformé  par  la  postérité  en  Xi 
i_;'li)l  ;  Nagd'id  Garïr,  265,  15  etc.;  autres  hakam  ;  ibid.,  224  ;  438,  700  ;  Ibn  Doraid, 
Istigâg,  266,  8. 

(••)  Ibn  Doraid,  Istigâg,  172;  Aboû  Tanmiâm,  Haiiiàsa,  9S  (K.  1,  108);  Va'qoûbl, 
Hist.,  I.  299  ;  Nagâ'id  Garïr,  139  ;  on  prétend  connaître  le  nom  du  premier  hakam, 
coupable  de  vénalité;  Aboij  Tammâm,  Haiiiâsa,  E.  I,  127;  Nallino,  Costituzioue dette 
tribii,  621. 

(^)  ^g'  VII,   179;  comp.  Goldziher,  Abhandtungen,   I,  21. 


Passion  des  distinctions  259 


Aucun  peuple  n'a  su,  comme  les  Arabes,  ces  irréductibles  aristo- 
crates, égarés  au  milieu  d'une  démagogie,  allier  la  passion  de  l'éga- 
lité à  la  soif  des  prérogatives  honorifiques  (').  Toute  la  littérature 
préislamite  en  témoignerait  au  besoin.  On  se  demande  comment  cette 
race  fastueuse,  *^M1  f^\  ,  ne  fut  pas  amenée  à  in\enter  les  décora- 
tions. Mahomet  connaissait  et  sut  adroitement  exploiter  cette  pro- 
pension. On  admire  à  bon  droit  la  variété  d'appellations  sonores, 
accordées  par  lui  (')  aux  Compagnons  et  Auxiliaires,  groupés  autour 
de  sa  personne  (^). 

Cette  situation  n'avait  pu  échapper  à  la  pénétrante  psychologie 
d'un  distingué  say3"d,  Hârita  ibn  Badr,  déjà  signalé  par  nous.  Malgré 
sa  naissance,  ses  remarquables  qualités  —  nous  les  avons  détaillées 
dans  l'étude  consacrée  à  Ziâd  ibn  Abïhi  {*)  —  sa  passion  pour  le  vin 
—  la  boisson  des  rois  —  était  blâmée  par  ses  contribules  de  Taniïm. 
Avec  nombre  de  ses  confrères  en  poésie,  il  mettait  «  la  honte,  non  à 
boire  du  vin,  mais  à  violer  les  lois  de  l'honneur  (°)  ».  Sa  finesse  ne  lui 
permettait  pas  de  s'illusionner  sur  l'importance  réelle  dun  sa\\-d 
arabe  (").  Il  sacrifia  volontiers  les  douteux  honneurs  de  la  position, 
pour  cultiver  la  faveur  et  l'amitié  du  grand  vice-roi  de  l'Iraq,  Ziâd. 
Un  jour,  tombant  en  compagnie  de  Ka'b,  son  maulâ  ou  affranchi,  au 
milieu  d'une  réunion    de  Tamimites.  (]uelle  n'est  pas  sa  surprise    de 

(')  Comp.  le  proverbe  :  ijLsU-l  ,je y  «  i.Uo'ill  I JJls».  ;  Balâdori,  Fotoûh,  211. 

(*)  Qalqasandî,  Sobh,   I,  269:  cf.  Von  Kremer,  Herschende  Ideen,   166-65. 

(')  Cf.  Margoliouth,  Mohammed^,  110.  En  voici  un  spécimen:  Sahâin,  Ansârî, 
'Aqaln,  Badrt,  Ohodl,  Sagarï,  y  agît,  Mobaisara  (voir  ces  termes  à  l'index  de  Mo'âwia), 
pour  plusieurs  l'invention  en  est  postérieure  à  la  mort  de  Mahomet.  Ibn  Hagar,  Isâba, 
II,  152,  bas,  incident  soulevé  par  un  vers  de  Hassan  ibn  Tâbit.  Pour  chaque  tribu, 
arrivant  lui  faire  hommage,  le  Prophète  découvre  un  trait  distinctif.  Ici  encore  l'ima- 
gination des  rédacteurs  de  Kitâb  al-wofoûd  a  dû  se  donner  carrière  ;  beaucoup  de  tri- 
bus n'étant  jamais  entrées  en  relations  directes  avec  Mahomet.  Comp.  Ibn  Hagar,  Isâba, 
II,  230,  à  la  ligne  10,  lisez  ^^U;=L.I ,  gendres,  et  non  ,l.X=i.l  ;  Mobarrad,  A'⻫jV  (Wrigth), 
777-78  ;  Caetani,  Annali,  I,  340,  571. 

(*)  Cf.  Ziâd  ibn  Alnhi,   120-22  ;  Ag.,  XXI,  20-44. 

(5)  Ag.,  XI,    147,  9. 

(«)  «  J^i   ^.^'  o' '  l'homme  supérieur  doit  s'abaisser»;  .^^.,  XI,   133,  21. 


260  Hârita  ibn   Badr 

les  voir  à  son  approche  se  lever  comme  un  seul  homme!  Ses  com- 
patriotes ne  prodiguaient  pas  ces  marques  de  déférence  envers  leurs 
sa3'3'd.  Son  étonnement  alla  croissant,  quand  il  s'entendit  saluer  de  l'ac- 
clamation: «  Que  notre  sa)-3'd  soit  le  bienvenu!  ».  Lorsqu'ils  eurent 
pris  congé,  Ka'b  (')  dit  à  son  patron:  «  Jamais  plus  agréable  compli- 
ment n'a  flatté  mes  oreilles!  »  —  «  Et  moi,  réplicjua  Hârita,  je  n'ai 
jamais  entendu  rien  de  plus  odieux  —  Et  pourquoi  cela?  —  Ecoute 
Ka'b :  s'ils  m'ont  acclamé  comme  say\d,  c'est  après  avoir  perdu  leurs 
notables  et  les  principaux  de  la  tribu.  N'oublie  pas  ce  vers  (*),  que 
ie  te  rappelle  : 

«  Le  campement  est  désert,  je  règne  sur  la  solitude.  Le  comble 
de  la  disgrâce,  c'est  de  ne  rencontrer  personne  pour  partager  ma 
souveraineté  ». 

Si  quelqu'un  devait  mériter  le  respect  des  Arabes,  c'était  Doraid 
ibn  as-Simma,  poète,  libéral,  valeureux  capitaine  et  frère  de  plusieurs 
héros,  morts  pour  la  défense  de  la  tribu  (^).  Or  voici  comment  ce 
paladin  {*)  décrivait  son  influence  sur  les  siens: 

«  Lorsqu'ils  me  contrecarrent,  je  me  range  avec  eux;  j'adopte 
leur  erreur  ou  je  suppose  que  je  me  trompe. 

Que  suis-je  moi  ?  Un  Arabe  de  GazAya  !  Si  Gaz}  va  s'égare,  je  la 
suis  dans  l'égarement;  marche- t-elle  dans  la  bonne  voie,  j'y  marche 
avec  elle. 


(i)  Vraisemblablement  un  de  ces  maulâs  étrangers,  qu'on  trouve  à  cette  époque 
en  la  compagnie  des  principaux  Arabes  ;  cf.   y'azïd,   142. 

(^)  Il  était  dès  lors  passé  en  proverbe;  cf.  'Iqd^,  I,  221,  haut;  Gâhiz, //aî'oa'â»/, 
III,  24;  Qotaiba,  'Oyoûn,  316,  5;  Ag.,  XXI,  44. 

(')  Voir  sa  notice,  Ag.,  IX,  2-20  ;  il  appartenait  au  clan  de  Gazyya,  comme  il 
le  rappelle  dans  ce  distique.  Son  divan  dans  So'arà',  752-82. 

(^)  Complètement  abandonné  dans  sa  vieillesse  ;  consulter  Agâni  et  So'arà'  aux 
endroits  cités.  Les  Bédouins  n'avaient  pas  la  reconnaissance  politique. 

(^)  Comp.  X-Lc  j_)^N  lil ,  parole  si  fréquemment  prêtée  au  1"  siècle  H.  aux  hom- 
mes d'état.  Ainsi  Mohallab  :  XL-j  Jvi^.ljS',  Dînawarî,  Ahbàr,  281,  19;  Qotaiba,  'Oyoûn. 
28,  6;  "Tab.,  Attna/ts.    Il,  648,   16;  651,   15;   1054.   1;   1087,   13;  Gahiz,   Jiayân,   I,   198. 

(*)  Ag.,   IX,  4  ;  So'arà',  757  ;  a^j^  C-^  dit  'Adï  ibn  Hâtim  à  ses   contribules  ; 


Doraid  ibn  as-Simnia  261 

Ce  programme  rappelle  étrangement  la  parole  prêtée  à  Ledru- 
RoUin  :  «  je  suis  leur  chef,  donc  je  dois  les  suivre  ».  Lami  de  Ziâd 
ne  se  sentit  pas  capable  de  tant  d'abnégation.  Peut-être  se  laissa-t-il 
également  effra\'er  par  une  autre  partie  du  programme  du  même 
Doraid: 

«  Quand  les  miens  perdent  la  tète,  je  conserve  la  mienne  ;  mais 
j"épui.se  mes  provisions  bien  avant  les  leurs! 

C'était  de  nouveau  l'héroïsme  mais  sous  une  autre  forme,  l'hé- 
roïsme du  dépouillement,  Hârita  prêta  cette  dernière  intention  à  ses 
contribules:  il  préféra  décliner  leurs  avances,  pour  cultiver  la  fami- 
liarité de  Ziâd. 


* 
*  * 


L'instinct  de  la  conservation  parvenait  pourtant  à  étouffer  (^)  les 
répugnances  instinctives  (')  des  nomades  contre  l'autorité  d'un  seul. 
Un  ennemi  puissant  menaçait-il  l'existence  même  de  la  tribu,  ils  con- 
sentaient à  remettre  à  l'un  des  leurs  le  soin  de  la  défense  commune  (■*) 
avec  le   titre   de  ra'ïs,  plus    rarement  qu'ici  (*)  ou  fàrù,  et   dans    ce 


Qotaiba,  'Oyoûti,  385,  16.  Abou  Bakr  et  'Omar  emploient  la  même  formule  dans  leurs 
hotba.  Voir  Ibn  Doraid,  l'stiqâq ,   177,  4  d.  1.  sur  les  Banoû  Gazyya. 

(')  Ag.,  IX,  13,  6.  De  là  le  titre  de  *.^CII  >!;  ,  viatique  de  la  caravane,  porté 
par  certains  héros  de  la  générosité. 

(2)  Cf.  Nallino,   Coslituzione  délie  tribu,   619. 

(3)  On  les  a  e.xagérées,   d'après  M.  Nôldeke;  ZDMG,  XLIX,  716. 

(••)  Comp.  Ag.,  XI,  131,  5  d.  1.;  «ce  fut  la  première  fois  qu'on  vit  Kindites  et 
SakoQniles  marcher  ensemble;  ,_y~.^  i^y^ ^  ^^JLi\  à^  c;-oi<\a.l  »^_  ij»'»;  I''"  Do- 
raid, litigâg,   184,  fâris  et  ra'ts. 

(5)  Sous  les  Omayyades;  Osd,  IV,  201,  5;  206,  7  d.  1.;  Ahtal,  Divan,  8,  5;  Ag., 
XXI,  93.  d.  1.;  Aboû  Tammâm,  Hamâsa,  672,  6  v.  On  rencontre  aussi  ^L  et  SL^ 
dans  le  sens  de  commandant  militaire;  'Iqd^,  II,  66,  12;  78,  12.  A^^XaU.!  ^j  >lï  ;  Ibn 
Doraid,  Istiqâq,  211,  2:  |_^' ^*  >l»  (où  l'on  réunit  les  deux  synonymes),  ibid.,  145;  Ibn 


262  Election  du  chef  militaire 

dernier  cas,  toujours  accompagné  d'une  épithète  emphatique  (').  Ils 
choisissaient  alors  de  préférence  au  sein  d'un  clan,  réunissant  le  nom- 
bre et  la  noblesse,  ^yi^\}  >^\  (•).  Ainsi  agirent  les  tribus  deTaqif  et 
de  Hawâzin,  à  la  bataille  de  Honain,  pour  résister  plus  sûrement  à 
la  poussée  envahissante  de  l'islam.  Mais  jusque  dans  cette  concession,  les 
Arabes  trahissaient  leurs  défiances  invétérées  (').  Fréquemment  ils 
abandonnèrent  au  sort  le  soin  d'indiquer  le  notable,  chargé  d'assumer 
cette  redoutable  responsabilité  (*).  Le  célèbre  Zohair  ibn  Ganâb,  une 
figure  légendaire,  —  nous  )•  reviendrons  plus  loin  —  est  appelé  sa3-yd 
de  Kalb  et  leur  chef  à  la  guerre.  Il  mérita  cette  situation  prépondé- 
rante, grâce  à  la  noblesse  de  son  e.xtraction  (^).  à  son  courage  et  sur- 
tout à  l'heureuse  issue  des  expéditions,  conduites  par  lui.  Dans  tou- 
tes les  démocraties,  le  succès  forme  un  élément  considérable  de  po- 
pularité. Mais  les  annales  des  Arabes  offrent  peu  d'exemples  d'une 
pareille  dictature  {^).  Ajoutons  à  leur  décharge  :  les  razzias  consti- 
tuaient une  assez  médiocre  formation  militaire.  Le  say\d  n'était  pas 
nécessairement  un  Achille  ni  même  un  'Antar.  Ainsi  Rauh  ibn  Zinbâ', 


Hisâni,  Stra.   118;    Bakrï,  Mo'gam,    478,    1-2.  Rais  à  la  fois  kihin,  «Jj'^Lw  -a-^-I  »*« 
^^lJliJl  -f--^  ', )5J»J1;  Vàqoût,  E.  VII,  40,  3.  Voir  précédemment  p.  257. 

(1)  Comme  cU^  ou  çjIJwJ  ^  etc.  Osd,  IV,  227,  9;  Ibn  Hagar,  Isàba,  III,  23,  8; 
Ibn  Doraid,  Istigâg,  124,  138;  i_jo-io  ^\^\  sayyd  et/àris:  ibid.,  114,  7;  116,  d.  1.; 
131,  138;  ï>L.o  i_ilji>l  J^f'-  '*"^-'   1^^'   1^^- 

(2)  Ou  C-.^W  >aiJl  ;  'Iqd^,  II,  57-87;   Ibn  Doraid,  Istiqàq,  passim. 

(3)  R.  Smith,  Kinship.  68;  Qotaiba,  Poesis,  110,  17:  vers  d'Afwah  al-Audî  contre 
l'anarchie  :  «  C'est  un  désastre  pour  une  tribu  que  l'anarchie  et  l'absence  de  sayyd. 
S'abandonner  à  la  conduite  des  ignorants,  autant  vaut  supprimer  les  chefs, 

(■*)  '/çd^,  II,  45,  d.  1.  Le  plus  brave  est  élu  pour  le  commandement  militaire; 
Musil,  Arabia  Peiraea,  III,  371. 

(5)  Ibn  Doraid, /i/îVâ?,  316,  7;  Ag..  XXI,  93-94;  Sigistânî,  Mo'ammaroûn,  24  sqq.; 
il  est  i^o  1^  i_so  ^  fUx-o  \Xy^ui  ;   ibid.,   25. 

(')  Exemple  de  Afwah  al-Audî;  Ag.,  XI,  44,  9;  Ibn  Hisâm,  Stra,  ^J  l'IsLi  ^^ 
A  ^...Ln  ,  ij^  ^^j»i^.»«ji  IjJjlâ  .  Le  vieux  Doraid    ibn  as-Simma,  ombre  de  lui-même, 

est  emporté  en  litière  à  Honain,  ^^  » ty^_  <*^jj«-c^  ^.r?  C^Ô^'  ^'  *cj*^^'*~r:*  S"^ 

Li  3t8  ^SU:^ii  ,  mais  la  décision  appartient  à  un  autre;  So'ara',  771. 


Salmâ  ibn  Naufal  263 

le  puissant  chef  de    Godâm  avouait  sans    détour  que.    ne  possédant 
qu'une  seule  vie.  il  se  réservait  le  droit  de  la  ménager  ('). 

Le  danger  avait-il  disparu,  les  Bédouins  reprenaient  leur  anar- 
chique  liberté  et  laissaient  leur  Cincinnatus  retourner  à  ses  chameaux. 
Si  l'infortune  say\d  réussissait  alors  à  retenir  une  ombre  d'autorité, 
il  le  devait  à  des  prodiges  de  magnanimité,  kilm  (-)  et  à  son  mer- 
veilleux doigté  politique.  Il  paraît  avoir  réalisé  ce  miracle  d'équilibre 
Salmâ  ibn  Naufal,  célébré  comme  un  sayyd  éminent  par  les  contem- 
porains de  l'hégire.  Son  histoire  nous  est  trop  peu  connue  pour  nous 
permettre  de  décider  si  à  la  vertu  politique  du  hilm  ('),  il  joignit 
les  autres  qualités,  exigées  par  les  Arabes  chez  le  représentant  attitré 
de  l'autorité.  Alors  même  on  affectait  de  lui  rappeler,  comme  on  le 
fit  à  Salmâ  ibn  Naufal,  l'origine  populaire  de  son  pouvoir.  La  sou- 
veraineté ne  réside-t-elle  pas  dans  la  nation?  Les  Arabes  n'en  ont 
jamais  douté.  Saziruiadnâka,  nous  t'avons  établi  sa3\dl  Ainsi  parle  à 
Salmâ  le  Bédouin,  qui  vient  d'assommer  son  fils,  et  ce  souvenir  l'o- 
blige à  réprimer  les  révoltes  de  son  cœur  de  père  {*). 

Cependant  le  désordre  augmente.  Les  nomades  eux-mêmes  sen- 
tent le  besoin  d'être  contenus,  protégés  contre  leurs  propres  e.xcès, 
et  gouvernés  par  un  homme    à    poigne  (').  Ce  fut  la  démarche  des 

(')  Ag.,  VIII,  UO,  haut;  cf.  y'azïd,  305  sqq.  Voir  dans  I.  S.  fabaq.,  I',  81, 
12  etc.  les  noms  des  k>U» «  ^y^^s  de  Qorais ;  'Abbâs  n'y  est  pas  nommé.  Ibid.  :  énu- 
mération  des  rais  de  leurs  adversaires  de  Qais.  Quand  plusieurs  rais  sont  réunis,  on  se 
décide  parfois  à  nommer  un  généralissime.  Ibid. 

(-)  .Abou  Tammâm,  Hamàsa,  499,  2  d.  v.  Voir  surtout  les  beaux  vers  de  iMa'n 
ibn  Aus  (Bohtori,  Hamàsa,  n.  1308)  «  sur  la  patience  et  l'utilité  à  dévorer  sa  colère, 

(■■')  Cf.  Mo'âwia,  81  avec  les  références;  au  lieu  de  Salmà  on  trouve  aussi  la 
forme  Salm. 

{*)  Cf.  Mo'âwia,  l'i,  81  ;  Qotaiba,  'Oyoûn,  275,  2.  Il  doit  sa  célébrité  au  vers  (Ibn 
Doraid,  Istigâq,   108)  : 

Comme   pour  'Àsim  ibn   Qais,  'Arâba  et  tant  d'autres,  nous  nous   trouvons   toujours 
ramenés  à  la  poésie. 

(5|  Vers  contre  l'anarchie;  Qotaiba,  Poesis,   110,  bas. 


264  Mahomet  profite  de  la  réaction 

tribus  de  Nizàr,  un  instant  réunies  sous  la  main  vigoureuse  de  l'aïeul 
d'Amroulciais,  le  prince-poète.  Après  le  meurtre  du  puissant  chef,  les 
Arabes,  effrayés  par  le  débordement  d'anarchie,  vinrent  s'offrir  à 
son  fils  :  «  Nous  nous  remettons  à  votre  discrétion  :  arrachez-nous 
seulement  au  désordre!  »  (').  L'excès  du  mal  produit  parfois  de  ces 
revirements  salutaires. 

* 
*  * 

L'hégire  coïncida  avec  une  de  ces  périodes  de  réaction,  d'abat- 
tement moral,  où  la  Péninsule,  travaillée,  excédée  par  les  discordes, 
paraissait  attendre  un  maître.  C'est  le  sentiment,  saisi  par  H.  de  Bor- 
nier  dans  sa  tragédie  de  Mahomet  (acte  I,  se.  2),  quand  il  fait  ainsi 
parler  AboQ  Bakr,  le  futur  ami  et  successeur  du  Prophète: 

...Parmi  nous,   il  peul  surgir  un  homme, 

Quelque  rude  guerrier,  qui  nous  mette  d'accord. 

Et  nous  fasse  au  be.soin,  trembler  tous,  moi  d'abord  ! 

Nous  en  avons  besoin  tous.  Chrétiens,  Juifs,  Arabes, 

Et  je  le  dis  à  tous  sans  compter  mes  syllabes. 

Tout  va  bien,  pensez-vous,  quand  vous   avez  bien  bu   (^), 

Cependant  le  désordre  est  dans  chaque  tribu... 

Notre  courage  meurt  en  ces  honteuses  tâches, 

Les  aigles  du  désert  disent  :  où  vont  ces  lâches  ?  (^) 

Nos  fils  vaudront  encore  moins  que  nous  ne  valions, 

Et  le  mépris  de  l'homme  est  dans  l'œil  des  lions! 

Ce  sera  l'heure,  choisie  par  Mahomet,  pour  s'introduire  à  Mé- 
dine,  au  milieu  des  souples  Ansârs.   A  la  Mecque,  sur  ia  population 


(*)  Ag.,  VIII,  6.5.  Pour  arriver  à  se  faire  obéir,  parfois  le  sayyd  menace  de  se 
suicider;  Naqû'id  Garïr,  94,  12.  D'ordinaire  il  recourt  à  cette  protestation:  ^jji-J»! 
jbwAJl  (j^-oft»    f^' ;  obéissez-moi  aujourd'hui;  je  vous  dégage  pour  l'avenir». 

(*)  Conip.  la  scène  décrite  Ag.,  XII,  44,  réunion  de  sayyd  et  de  poètes  à  une 
partie  de  vin;  cf.  ibid.,  XXI,  61. 

(3)  Voir  la  notice  de  Qattâl  ;  Ag.,  XX,  l.ï8  ;  ^^f^  ^,li  yilii  son  humeur  fa- 
rouche, son  individualisme  sauvage  en  font  le  fléau  des  siens,  Ag.,  XX,  163  CUj'vi' 
i(j  J^  cr°  ^'^^^  '^^  »l>l  cr*  '-f-*^.  *-<•  ^^]-^  *y^  <*-sijà-o  JUiDI     ip^ 


L'autorité  chez  les  Taglib  265 

de  banquiers  et  de  commerçants  (')  sa  prédication  n'avait  pas  eu  de 
prise.  La  très  élémentaire  constitution  qoraisite  garantissait  aux  af- 
faires ce  minimum  de  tranquillité  dont  la  vie  économique  ne  saurait 
se  passer.  Médine  souftrait,  depuis  un  quart  de  siècle,  de  guerres  in- 
testines; partagée  entre  les  factions  rivales  des  Aus  et  des  Hazrag. 
Un  observateur  attentif  aurait  pu  prévoir  le  retour  de  l'hégémonie 
juive,  longtemps  seule  maîtresse  des  destinées  de  la  florissante  oasis  (*). 
Quand  Tâif  et  la  Mecque  prospéraient  au  midi  et  à  l'orient  du  Higâz, 
Médine,  maigre  les  ressources  de  son  territoire,  les  avantages  de  sa 
situation,  assistait  impuissante  à  son  propre  déclin  et  courait  à  la 
ruine.  Aussi  n"hésita-t-elle  pas  à  acclamer  un  sauveur  (^),  venu  du 
dehors,  placé  au-dessus  des  partis  et  capable  de  s'imposer  à  tous.  La 
bande  de  Ooraisites  et  de  Mohâgir.  amenée  par  lui,  n'avait  pas  la 
main  légère.  En  rétablissant  la  concorde,  ils  raffermiront  leur  joug, 
devenu  bientôt,  de  par  le  Ooran,  le  joug  d'Allah  {*)  et  à  ce  titre  trouvé 
moins  pesant  par  les  indolents  Ansâriens.  Quand  ils  voudront  le  se- 
couer, il  sera  trop  tard  (^). 


-Sur  les  autres  points  de  la  Péninsule,  on  constate  la  même  im- 
patience de  tout  frein  d'autorité.  Les  Taglibites  auraient  dû,  semble- 
t-il,  former  une  heureuse  exception.  Dégrossis,  au  moins  superficiel- 
lement, par   l'Evangile,    cette  grande    école  de  discipline   (*),  placés 


(')  Cf.  République  marchande ,  passim. 

(*)  Cf.  Yaztd,  201.  Les  plus  forts  otom  appartenaient  au.x  Juifs  ;  Yâqoût,  E.  III,  281. 

p)  C-à-d.  la  minorité,  qui  avait  appelé  .Mahomet  ;  cf.   yaztd,   200-202. 

(*)  Comp.  les  exhortations  <*J«,.w ,.  aïjI  Uj»^1  ;  Qoran,  passim.  Enumération  des 
redevances,  dues  «  à  -Mlah  et  à  son  Envoyé  »;  ibid.  Sur  cette  évolution  et  son  entière 
loyauté  chez  Mahomet,  voir  Wellhausen,  Reich,  p.  3. 

(^)  Voir  Triumvirat,  et  Yazîd,  ch.  XIV  :  Ansàrs  et  Qorais. 

(*)  Je  pense,  avec  M.  Wellhausen,  qu'aux  tribus  arabes  de  Syrie  il  n'a  pas  été 
inutile  d'avoir  passé  par  cette  discipline;  cf.  Dos  arabische  Reich,  83.  Sans  leur  aide 
dévouée,  les  Omayyades  auraient  sans  doute  échoué  dans  l'organisation  du  califat.  Cf. 
Mo'âwia,  inde.x  s.  v.  Syriens. 


266  Prestige  du  tnflibite  Kolaib 

à  la  jonction  de  l'Arabie,  tle  la  S\Tie  et  de  la  Mésopotamie,  entre 
les  puissants  empires  de  l'Iran  et  de  Byzance,  ils  auraient  pu  gagner 
à  ce  contact  un  plus  profond  sentiment  de  l'autorité.  Effectivement 
un  de  leurs  poètes  nous  dit: 

«  Nous  obéissons  à  notre  chef;  mais  nous  ne  le  choisissons   que 
dans  notre  sein  ». 

Malheureusement  le  barde  taglibite  ajoute  immédiatement  après  : 

«  Tour  à  tour  nous  obéissons  et  résistons  à  notre  chef  (')  ;  nous 
ne  nous  croyons  pas  tenus  à  le  consulter  en  tout  temps  »  ('). 

Le  dicton  fameux:  «  quand  Ahnaf  se  fâche,  100,000  glaives  sor- 
tent du  fourreau,  sans  même  lui  demander  la  raison  de  sa  colère  », 
est  une  de  ces  phrases  ronflantes,  comme  on  en  rencontre  à  foison 
dans  la  littérature  d'un  peuple,  se  prenant  à  ses  propres  exagéra- 
tions (^).  On  n'a  pas  manqué  de  la  rééditer  à  propos  du  célèbre  chef 
bakrite  Mâlik  ibn  Misma'  (").  Ahnaf  lui-même  s'en  rendait  compte  et 
se  contentait  de  sourire  du  parallèle,  établi  entre  son  autorité  et  la 
puissance  du  calife  Mo'âwia  (^).  Un  chef  énergique  reprenait  seule- 
ment l'avantage,  quand  l'e.xistence  de  la  tribu  se  trouvait  en  jeu,  ou 
quand  retentissait  la  da'zja,  le  cri  d'appel  et  de  guerre  de  la  tribu. 
En  dehors  de  ces  circonstantes  exceptionnelles,  aucun  sayyd  sensé 
n'eût  commis  l'imprudence  de  mettre  à  l'épreuve  un  pouvoir  que  tous 
savaient  précaire.  Ils  n'étaient  pas  même  assurés  de  voir  respecter 
l'ordre  de  déplacer  le  campement  ('").  Le  chef  taglibite  Kolaib  —  son 
nom  est  demeuré  s\'nonyme  de  fierté  —  pouvait  pousser  jusque  là. 
Aussi  les  Arabes  citent-ils  avec  étonnement  cette  preuve  de  son  au- 


(*)  Aviir:  il  peut  être  question  ici  du  gouverneur  omayyade,  dont  relevait  le  ter- 
ritoire de  Taglib  :  en  ce  sens  il  n'y  aurait  pas  de  contradiction.  A>utrz=  sayyd  est  ex- 
trêmement rare  dans  l'ancienne  poésie, 

(2)  Qotâmî,  Divan.   III,  45;   IV,  29. 

P)  IJifrâi  signalé  en  poésie  par  Qotaiba,  Poesis,   174  et  passhii, 

(*)  'Igd^,  I,  51;  iMo'âwia,  80-81. 

(5)  Cf.  Mo'àmia,  72;  'Iqd^,  I,  218,  7.  Voir  Ag..  VIII,  181,  et  plus  loin  quand 
nous  parlerons  du  droit  de  veto  des  simples  Bédouins. 

(*)  Surtout  quand  ils  n'avaient  pas  la  garde  du  bail.  Ils  risquaient  de  se  heurter 
à  l'opposition  du  kâhin.  Voir  plus  loin. 


Afwah  al-Audï  267 


torité  (')•  Un  autre  chef,  Al-Afwah  al-Audï,  se  permettait  également 
d'escompter  l'obéissance  des  siens  ("),  en  édictant  des  mesures  d'in- 
térêt général  (^). 


{})  Ag.,  \y ,  140;  appelé  v j-ajl  -xL^:  Ag.,  IX,  149;  Abou  Tammam,  Haniàsa,  420; 

exemple  de  Zohair  ibn  Ganâb;  Bakri,  52,  7;  Sigistânî,  Mo'ammaroûn,  25;  autre  exem- 
ple, «  Madhig  recule  ou  avance  sur  son  ordre  »;  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  239,   12. 

(')  Ag..  XI,  44  :  <JoT .  ^  ^;_,,  .  j-«ai  lylf  ;  voir  les  remarques  de  Goldziher,  Abhand- 
lungen,  I,    19. 

(')  La  fonction  de  fixer  et  de  lever  le  camp  semble  avoir  été  rattachée  d'abord 
à  celle  de  kâhin,  de  hâzi,  ou  à  la  possession  du  bait,  bétyle,  fétiche.  Zohair  ibn  Ga- 
nâb est  hâzi;  les  autres  chefs  cités  sont  kâhin  ;  cf.  Ibn  Doraid,  239,  12  ;  Sigistânî, 
Mo'ammaroûn,  25,  89  ;  Bakrî,  52,  8.  Comp.  Goldziher,  Abhandlungen,  I,  19-20.  Vrai- 
semblablement le  bait,  tabernacle  de  la  tribu,  s'ébranlait  d'abord.  Les  autres  tentes 
suivaient.  Chez  les  Romains,  se  rappeler  le  rôle  des  aruspices  pour  l'établissement  du 
camp.  Comparez  l'histoire  du  Tabernacle  chez  les  Israélites  dans  le  désert. 


VIII 

Chefs  incontestés.  Lutte  de  Mahomet  et  des  premiers  califes 
contre  l'aristocratie  bédouine.  Le  sayyd  et  la  représentation 
extérieure  de  la  tribu 


En  définitive  on  eût  vite  compté  les  sayyd,  commandant  chez 
eux  sans  conteste.  Ceux-là  on  les  qualifiait  de  jsIa-c  yj-,  irrésistibles  ('), 
^Ux« ,  obéis  ('^),  ^)^y ,  incontestés  ou  encore  A-ïy^akly  ,  auxquels  on 
ne  désobéit  pas  (^),  comme  on  se  le  permettait  trop  facilement  vis- 
à-vis  des  sav\d  ordinaires.  Parmi  ces  bénéficiaires  (^)  d'une  situation 
aussi  anormale,  citons  'Oyaina  ibn  Hisn,  appelé  par  Mahomet  «  le 
fou,  maître  incontesté  dans  sa  tribu  »  (^).  Il  s'était  attiré  cette  dure 
qualification  C'),  pour  n'avoir  jamais  pris  au  sérieux  ni  le  Prophète 
ni  l'islam,    et   aussi   pour    avoir  à   maintes    reprises   razzié  les   pro- 


(')  Cf.  Mo'â7via,  75;  Ag.,  XI,  55,  16  ;  XXI,  260,  11  ;  Osd,  IV,  215,  227,  9  :  I.  S. 
Tabaq.,   Y,  33,   14;  Tab.,    Tafstr,   I,  46,  d.  1.;  Istiqàq,  124  (Ibn  Doraid). 

(")  Wâqidî  (Kr.),  58,  8;  I.  S.  fabaq.,  I',  48,  4;  VI,  124:  (i  ^Ll^  wi>-?,_^ 
A-jy  ;    Ibn  Hagar,  Isâba.   III,  23,  8. 

1^)  1.  S.  fabaq.,  I',  39,  19;  Ag.,  XXI,  267,  II.  jL>-«  Jl^  est  rare;  Ag.,  XIX, 
158,  6  d.   1. 

(■•)  Généralement  des  Qaisites,  appartenant  surtout  au  groupe  de  Gatafan.  Impos- 
sible de  ne  pas  être  frappé  de  cette  partialité  qaisite.  On  peut  lui  opposer  celle  de 
la  Stra,  leur  prêtant  d'ordinaire  des  attitudes  grotesques. 

(5)  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  173  et  sa  famille:  ^^_^yiîlj^  _^  .^^'■^^  ^^^-r^  1  ibid.;  tout 
Ieirtr(i/de  Qais  réside  dans  la  tribu  de  Fazâra  ;  'Iqd^,  11,  62. 

C")  S'il  assiste  au  siège  de  Tâif,  c'est  dans  l'espoir  de  gagner  une  captive,  qui 
lui  donnera  un  fils  intelligent.  Un  trait  destiné  à  justifier  le  dicton  de  Mahomet. 


Manzour  ibn  Zabbân  269 

priétés  et  les  troupeaux  de  Mahomet.  La  Slra  et  la  Tradition  (')  lui 
ont  voué  une  tenace  rancune.  Nommons  encore  Manzour  ibn  Zabbân. 
C'était  un  autre  chef  de  Fazâra,  la  farouche  et  indépendante  tribu, 
voisins  incommodes  pour  Mahomet  à  Médine.  Ce  Manzour  tenait, 
selon  Texpression  arabe,  tous  les  cordons  de  la  noblesse:  ^\M  j,  S^LS 
^-iJ\  {■).  Comme  mordue  aristocratique,  mais  non  comme  influence, 
on  ne  peut  lui  comparer  que  'Aqil  ibn  'Ollafa,  appartenant  à  la  gé- 
nération sui^'ante.  Nous  le  rencontrerons  plus  tard  et  son  portrait  ne 
détonnera  pas  dans  cette  galerie  d'illustrations  qaisites. 

Manzour  (^)  nous  est  connu  comme  buveur  impénitent  {*).  Beau- 
coup de  ces  savA'd  buvaient  du  vin,  parce  que  c'était  une  liqueur  de 
luxe,  pour  se  séparer  de  la  foule,  àJiy^\ ,  réduite  au  nabïd,  à  l'alcool 
de  palme.  Les  poètes  imitaient  les  sayyd  (^).  De  là  l'énorme  quantité 
de  chants  bachiques  dans  la  littérature  d'un  pays  ne  produisant  pas 
de  vin  C^).  Même  les  rimeurs  abstèmes  ne  pouvaient  s'empêcher  d'en- 
tonner l'éloge  du  vin  :  ainsi  le  voulait  la  tradition  poétique.  En  outre 
conformément  aux  mœurs  anciennes,  Manzour  s'était  permis  en  plein 
islam  d'épouser  C)  sa  belle-mère,  union  déclarée  abominable  par 
le  Ooran  (^).  'Omar,  le  calife  zélote,  travaillait  alors  à  introduire  un 
semblant  d'ordre  dans  l'épouvantable  confusion  arabe.  Il  aurait  bien 
voulu  sévir  pour  faire  un  exemple.  Ce  souverain,  d'origine  plébéienne, 
continuant    les    traditions    de    Mahomet,  ne  demandait  qu'à    humilier 


')  Principalement  l'école  médinoise.  Voir  la  pièce  XIV  du  divan  de  Hassan  ibn 
Tâbit.  La  Slra  s'en  est  inspirée  pour  sa  version  du  siège  des  Ahzàb.  On  voudrait 
croire  que  ce  fut  pour  compléter  —  non  pour  établir  !  —  la  tradition  locale. 

(2)  Af.,  XI,  86,  3;  XXI,  260,  12;  cf.  Mo'àwia,  233,  287,  300. 

^^)  Devenu  dans  'Iqd^.   II,  62  ,^_\  ^^o  ,«-oX-o 

(*)  Cf.  Mo'âwia,  295,  411. 

(^)  C'était  leur  façon  de  traduire  en  action  :   Odi  profanuni  vulgus  et  arceo. 

(*•)  Corrigez  en  ce  sens  ce  que  nous  avons  écrit  sur  la  diffusion  du  vin  en  Ara- 
bie ;  Poêle  royal,  p.  40  sqq.  Le  noble  Fazârite,  Hisn  ibn  Hodaifa  se  voit  pourtant  quali- 
fié de  A3*.w  par  opposition  à  un  Lahmide  ;  Naqaid  Garir,  240,  16.  Vin  boisson  de 
rois  ;  ibid.,  211,  d.  v. 

(■)  Trace  de  l'ancienne  promiscuité  arabe,  où  la  femme  demeurait  la  propriété 
du  clan,  de  la  famille. 

(«)  Qoran,  4,  23,  26;  cf  Ag..   I,   11,   19:  Vlll,   18;  XI,  55  etc.;  XVIII,  153,  23. 


270  Manzoûr  et  Hasan   fils   de  'AU 

l'ancienne  aristocratie  bédouine  ('),  rebelle  aux  idées  de  l'islam.  Mais 
ne  se  dissimulant  pas  les  inconvénients  de  la  sévérité  contre  ce  pa- 
tricien, il  se  contenta  dinflifrer  à  Manzoûr  quelques  heures  d'arrêt  et 
de  lui  imposer  par  serment  l'affirmation  qu'il  ignorait  la  culpabilité 
des  actes  posés  par  lui  (^). 

En  cette  occurrence,  le  violent  'Omar  avait  donné  une  preuve  de 
prudence.  Un  trait  va  nous  montrer  de  quoi  le  chef  Fazârite  se  sen- 
tait capable.  Hasan  le  petit-fils  du  Prophète  paraît  avoir  tenu  à  cette 
époque  le  record  du  mariage:  on  parle  de  700  unions  conclues  par 
lui  {'). 

Ce  record  singulier  n'a  pas  nui  à  sa  réputation  de  sainteté  {*). 
Parmi  ses  innombrables  fantaisies  matrimoniales,  le  fils  de  Fâtima  avait 
jeté  les  yeux  sur  la  fille  de  Manzoûr,  un  des  beau-pères  les  plus  décora- 
tifs du  désert.  Seulement  l'insouciant  personnage  négligea  de  demander 
préalablement  l'assentiment  du  Fazârite.  Irrité  par  cette  infraction  à 
l'étiquette,  ce  dernier  accourut  du  fond  du  Nagd  à  Médine,  planta  sa 
bannière  dans  la  cour  (^)  de  la  grande  mosquée  et  vit  bientôt  tous  les 
Oaisites  se  ranger  autour  de  lui.  Cette  manifestation  força  Hasan  à 
renvoyer  la  fiancée  et  à  venir  humblement  solliciter  l'agrément  du 
chef  bédouin  ("),  par  ailleurs  tout  disposé  à  l'accorder. 


(')  Il  prenait  contre  elle  sa  revanche  des  échecs  que  lui  infligeaient  l'opposition 
des  Ji/obassart!  et  l'indépendance  des  gouverneurs  de  province. 

I-)  Ag-.,  XXI,  21.  Manzoûr  comparé  à  Aboû  Bakr  ;  cf.  Ag:,  \'11I,  185,  ,î  :  au.\ 
pp.  188-89  il  faut  lire  ULî  ; .  Manzoûr  a  pu  jurer  de  bonne  foi.  On  n'e.xagèrera  jamais 
pour  cette  époque  l'incurie  et  l'ignorance  islamiques  des  Bédouins.  Sans  les  dragon- 
nades de  la  ridda,  l'immense  majorité  des  nomades  eût  continué  à  ignorer  le  chan- 
gement religieux  introduit  par  le  Qoran. 

(3)  Mo'âwia,    148. 

('')  Même  auprès  des  orientalistes  ;  cf.  C.  Huart,  Histoire  des  Arabes,  1,  257, 
289.  Comp.  cette  juste  remarque,  destinée  à  faire  <  comprendre  avec  quelle  facilité 
une  religion,  qui  n'établit  pas  sur  la  pureté  de  la  vie  intérieure  la  notion  de  la  sain- 
teté, se  déforme  et  ramène  les  âmes  aux  ténèbres  primitives,  d'où  un  instant  elles 
avaient  cru  sortir  ».  Cl.   Boringe,  Esquisses  tiiarocaines,  paysage  et  religion. 

(^)  C'était  la  grande  place  publique  de  Médine.  De  la  tombe  du  Prophète,  on 
s'inquiétera  plus  tard  seulement. 

(«)  Ag.,  XXI,  262;  260-63;  comp.  XI,  56,  57, 


Lutte  de  Mahomet  contre  l'aristocratie  271 


*  * 


Mais  en  Arabie,  où  tout  le  monde  se  proclamait  noble,  sans  en 
iournir  la  preuve  ('),  on  rencontrait  peu  de  sayyd  de  la  taille  de 
Manzoùr,  possédant  comme  lui.  une  généalogie  irréprochable  et  authen- 
tique. Epuisé  à  ce  moment-là  même  par  le  gigantesque  effort  des 
conquêtes  extérieures,  le   désert  n'avait  plus  la  force  d'en  produire. 

Comme  Richelieu  en  France.  Mahomet  inaugura  de  son  vivant 
la  lutte  contre  l'ancienne  aristocratie.  Conformément  à  sa  tactique,  il 
commença  par  une  campagne  de  presse,  engagée  dans  le  Ooran.  pour 
préparer  l'opinion,  en  ameutant  ses  Compagnons  contre  les  Bédouins, 
^\f\  c'est  à  dire  contre  les  chefs.  Car  il  s'agit  de  secours  militaires 
refusés  par  eux,  ou  retirés  après  avoir  été  promis  (').  Il  se  défendit 
d'agréer  leurs  excuses  (^);  il  les  accable  d'invectives  :  menteurs,  par- 
jures (*).  ennemis  cachés  ;  ils  spéculent  sur  un  échec  (^)  du  Prophète 
pour  se  retourner  contre  lui.  Ce  sont  les  pires  des  infidèles  ;  il  déclare 
leurs  protestations  de  foi  musulmane  des  chefs  d' œuvre  d'h3pocrisie  ("). 


(')  Garir  remémore  sans  cesse  —  et  Farazdaq  répond  dans  le  même  ton  —  les 
monuments  de  gloire,  élevés  par  ses  aïeux  ;  Nagaid  Garïr,  651.  «  Nous  sommes  les 
premiers  des  descendants  d'Adam»;  Hassan  ibn  Tâbit,  Divan,  VI,  19.  «  Quand  je 
heurte  à  la  porte  des  rois,  c'est  avec  le  battant  de  mes  ancêtres,  à  la  noblesse  in- 
contestée, 

|.sru.o  ^'j^  ^\,^\  ébL>  <S^  S  àJ^^  liU.-e  k jb  Le  IM  ^lU-LS'^  » 

Naçâ'id  Garir,  68,  17;  comp.  ^»k)l  >_.-,l>^l  ;  Hansâ',  Divan,  68,  8. 

«Notre  gloire  a  atteint    le    firmament»;    Qotaiba,  Poesis,   158,  d.  I.;   191,   14.  Comp. 

Af.,   XIX.  85,  6  d.  I. 

(*)  Qoran,  9,  91,  95.  Campagne  de  presse  dans  le  Qoran  contre  les  Juifs;  voir 
précédemment  p.   156. 

(3)  Qoran,  9,   95  ;  -^9,    14. 

(*)  Mahomet  les  fait  également  attaquer  par  ses  poètes  ;  Hassan  leur  adresse  les 
mêmes  invectives  ;  Bohtorî,   Hanmsa,   n.   709. 

(^)  Ce  dernier  reproche  n'était  pas  infondé.  Les  projets  de  Mahomet  inquiétaient 
ses  voisins  bédouins. 

(«)  Qoran  9,  98,  99,  102,  121;  48,  11,  16;  49,  14.  Les  innombrables  hadît,  dé- 
favorables aux  Bédouins,  se  sont  inspirés  de  ces  versets  violents.  Comp.  précédem- 
ment p.  43. 


'J72  Calvitie  des  sayyd 

Cette  [)olitique  fut  continuée  par  les  successeurs  immédiats  du 
Prophète,  par  les  saints  et  justes  califes,  ^^^jJiiyi  tUJiil.  Après  la 
mort  de  Mahomet,  l'Arabie  se  souleva  en  masse.  Le  doux  Aboû 
Bakr  profita  de  la  répression,  pour  pratiquer  des  trouées  sanglantes 
dans  les  rangs  de  l'aristocratie  bédouine.  Les  crânes  des  saxjd  et  de 
leurs  meilleurs  guerriers  servirent  de  supports  aux  chaudières,  où 
cuisait  le  repas  de  l'armée  musulmane  (').  Désormais  grandirait  Mé- 
dine,  berceau  de  la  noblesse  islamite  (*).  Douloureusement  affecté  par 
l'incertitude  de  sa  propre  généalogie  ('),  Aboû'l  Qâsim  n'avait  cessé 
de  condamner  les  appels  constants  de  ses  contemporains  à  la  gloire 
des  ancêtres  (^).  Dans  son  plan  primitif,  les  tribus,  les  familles  parti- 
culières devaient  venir  se  fondre  au  sein  de  la  «  nation  de  Mahomet, 
Jwas  i^l  »,  vaste  communauté,  où  le  souvenir  des  services,  rendus 
à  l'islam,  éclipserait  les  illustrations  passées  (^). 


L>e  tous  ces  détails,  une  conclusion  se  dégage  avec  une  suffisante 
netteté  :  c'est  la  situation  complexe  des  chefs  de  tribu.  On  comprend 
que  de  bonne  heure  ils  aient  blanchi  sous  le  faix.  Ils  ne  tardaient  pas 
à  \-  perdre  tous  leurs  cheveux.  Blancs  et  chauves,  voilà  les  caracté- 
ristiques   du   sa^•3■d  (*).   De  nos  jours  encore,   obser\'e  Wellhausen, 


(*)   Ag^.,   XIV,  67-68  ;  Tab.,  Ainia/es.   I,   1915. 

(2)  Avec  les  degrés  divers  de  grandesse  :  Badrl,  Ohodï,  Sagart,  'Aqabi  etc.  sur 
lesquels  insiste  l'école  médinoise. 

(3)  Gâhiz,  Mabàsiii,    135. 

i*)  Osd,   I\'.  200,  5;  cf.  Goldziher,  M.  S..   I,  40-lOU,  Gâhiz,  Baj'âit,   I,  163,    Qo- 

-        J  '. ,  ... 
ran,  57,    19:  A-Uj    .  -vU  < 

(^)  L'école  de  Médine,  les  Ansâriens  ne  pardonnèrent  jamais  aux  Omayyades  de 
n'avoir  pas  mis  ce  concept  à  la  base  de  leur  gouvernement,  de  s'appuyer  sur  les  tri- 
bus syriennes,  tardivement  ralliées  à  la  foi  nouvelle,  sur  des  hommes  d'état,  comme 
Ziâd  ibn  Abïhi,  Haggâg,  Hâlid  al-Qasrî  sans  passé  islamique. 

(•"•)  Tarafa  (AhUv.),  54,  14;  Ibn  Oais  ar-Roqayyât,  Divan,  141,  1  ;  239,  3.  'Omar 
est  çJual,  çl-J^'l  ;  Moslim,  Sam-,  I,  487  ;  cf  Ibn  Rosteh,  Geogr..  223  ;  'Igd^,  II,  155. 
Ce  trait  manque  au  portrait  de  'AU  dans  Fàtima  (p.  36),  observe  M.  CI.   Huart  (Jour. 


La  représentation  extérieure  de  la  tribu  273 

«  les  devoirs  des  saih  l'emportent  incomparablement  en  étendue  sur 
leurs  droits  ;  ils  ne  possèdent  absolument  aucun  mo3'en  de  coercition. 
Leur  influence  morale  sur  les  Bédouins,  qui  se  laissent  plus  volontiers 
gouverner  par  la  parole  que  par  la  cravache,  demeure  pourtant  très 
réelle.  Véritables  eloiivôjtoioi  du  désert  {Mail.,  5,  19),  ils  mettent  des 
bornes  à  l'excès  de  licence,  menace  pour  l'union  intérieure  de  la  tribu, 
ou  l'exposant  à  des  guerres  étrangères.  Enfin  ils  sont  des  diplomates 
et  des  politiques  de  premier  ordre  »  ('). 

Cette  remarque  du  Professeur  de  Gœttingue  nous  permet  d'ap- 
pu3-er  sur  un  détail,  signalé  en  passant  dans  les  lignes  précédentes  : 
à  savoir  la  représentation  extérieure  de  la  tribu  (*).  Dévolue  au  chef, 
elle  lui  confère  le  droit  de  conclure  des  traités,  de  décider  de  la  paix 
ou  de  déclarer  la  guerre  (^);  à  lui  le  ^_;U»il  J-os  (■*),  de  trancher  dans 
les  questions  (^),  intéressant  l'existence  et  l'avenir  de  la  communauté 
nomade,  qui  lui  a  confié  ses  destinées.  Ces  pactes  obligent  toute  la 
tribu.  Les  particuliers  se  réservent  pourtant  le  droit  de  -veto  personnel 


Asiat.,  1913',  216).  'AU  fut-il  chauve  à  25  ans?!  Chez  les  Arabes  la  calvitie  est  l'indice 
des  vieux  sayyd  et  des  vieux-  guerriers.  Les  uns  mettent  en  avant  le  port  prolongé 
du  casque,  d'autres  plus  prosaïquement  celui  du  'itiiâma.  Comp.  Gâhiz,  Bayàn,  I,  52,  8. 

(»)  ZDMG,  1891,  p.  177. 

(')  Voir  plus  haut  les  détails  sur  le  hatîb  ;  Gâhiz,  Bayâii,  i,  140,  141  ;  hatîb  des 
Ansârs,  chargé  de  leurs  intérêts  ;  Ya'qoûbî,  Hist.,  II,  207.  Le  sayyd  célèbre  son  élo- 
quence, ses  succès  diplomaticiues.  «  Le  ton  de  sa  voix  monte,  s'élève,  peu  s'en  faut 
qu'elle  ne  détruise  les  créneaux  des  donjons    'otom). 


Bohtorî,  Hamàsa,  n.   884,  v.   4,  comp.  tout  le  chap.   105  :  OjtLLil»  ,_)ilacdl  (j,  ^J^  Uy 
1^)  Comp.  préliminaires  à  la  journée  de  DoQ  Qâr  ;  Nagaid  Gartr,  639-40.  Pour- 
tant la  décision  est  remise  à  un  particulier,  ^.^«^i».  ^  do  ^^Xjvo  ly!?  ,  640,  10-11.   Le 

sayyd  des    B.    Hanîfa  doit  consulter  ses,  pairs,  appelés  ici  c\y<\:  Nagâ'id   Gartr,    98, 
16  etc. 

(*)  Ag.,   XIX,  93  :  nos  orateurs  ont  le  dernier  mot  dans  les  réunions  publiques, 
.1.        t  ••       .  ■*. 

(^)  Même  à  la  cour  des  rois  iiyil  , >|y^;   Bohtorî,  Hamàsa,  n.  885,  886. 

I-AMMENS  —  Berceau  l8 


274  l.e  droit  de  veto 

et  peuvent,   pour  les   clauses,  les  touchant  directement,   refuser  de 
ratifier  les  stipulations,  acceptées  j^ar  le  chef  ('). 

On  s'en  aperçut  au  moment  de  la  conquête  de  la  Perse.  Affolé 
à  la  suite  d'un  sérieux  revers  {"),  éprouvé  par  les  troupes  musulma- 
nes (^),  'Omar,  —  im  assez  pauvre  soldat  —  avait  offert  à  la  tribu  de 
Bagîla  de  lui  abandonner  le  quart  des  terres  plantureuses  dans  la 
Basse  Babylonie,  à  condition  d'aller  en  masse  renforcer  l'armée  d'in- 
vasion. Quand  le  succès  eut  définitivement  couronné  ce  méritoire 
effort,  on  découvrit  l'imprudence  de  la  concession,  'Omar  réussit  à 
convaincre  Garir  (*),  chef  de  Bagila,  de  la  nécessité  d'un  compromis. 
Outre  les  cadeaux,  faits  à  leur  sa\'\d,  tous  les  Bagilites  se  virent  inscrits 
au  divan  pour  la  dotation  maximum  de  2000  dirhems  (^).  Seule  une 
femme  C')  de  la  tribu  forma  opposition  à  la  convention  :  «  Mon  père 
est  mort,  s'écria-t-elle,  mais  ses  droits  subsistent.  Si  les  autres  ont 
sacrifié  les  leurs,  je  ne  me  crois   pas  l'obligation  de  les  imiter  ».  Et 


(')  Veto  de  la  tribu  de  'Abs  contre  la  décision  de  Qais  ibn  Zohair,  guerre  de 
Dâhis)  ;  Naqâ'id  Garîr,   83,  3  etc. 

(2)  Cf.  Mo'âwia,  234-35.  Sa  responsabilité  s'y  trouvait  engagée.  Les  chefs  médi- 
nois,  imprudemment  substitués  aux  Bakrites,  donnèrent  des  preuves  éclatantes  de  leur 
incapacité.  'Omar  se  montra  spécialement  jaloux  du  vaillant  Bakrite  Motannâ  :  F.  S. 
Tabaq.,  III  ',  204,  13.  Il  prenait  facilement  ombrage  des  supériorités  ;  témoin  Hâlid 
ibn  al-Walïd,  par  ailleurs  d'une  indépendance  fort  incommode  pour  son  chef.  Les  con- 
temporains reprochent  à  'Omar  son  ingratitude  pour  Hâlid  ;  Ag.,  XIX,  89,   10  d.  1. 

(^)  Sur  la  détresse  des  musulmans,  cf.  Gâhiz,  Avares,   242,  16. 

(^)  Vraisemblablement  par  l'application  du  principe  du  ta'lif  (voir  ce  mot  à  \' in- 
dex de  Mo'âwia)  c-a-d.  en  l'achetant.  Ce  fut  un  des  moyens  du  gouvernement  de 
'Omar,  plus  efficace  que  la  légendaire  ïti .  Il  lui  permit  de  tenir  en  laisse  les  Mo- 
ha'skara  remuants  et  de  neutraliser,  en  les  opposant  les  uns  aux  autres,  les  chefs  de- 
venus gênants.  Jusqu'à  cette  époque,  le  calife  ne  disposait  pas  de  moyens  de  coerci- 
tion plus  efficaces  qu'un  sayyd  ordinaire.  En  revanche  il  pouvait  recourir  à  la  desti- 
tution. Quoiqu'on  en  ait  pensé  jusqu'ici,  c'est  'Otmân,  appuyé  sur  les  Omayyades, 
qui  essaiera  d'un  gouvernement  plus  personnel.  La  tradition  sera  reprise  par  Mo'âwia. 

(^)  De  ces  privilégiés  on  disait  ^_»iJl  ,_]j«iL>  ,_^1  ;  Gâhiz,  Bayàn,  I,  219,  9  d.  1. 
C'est  le  sUajiJI  ^J^\  voir  ce  mot  à  \' index  de  Mo'âuia. 

('■')  La  tradition  démocratique  l'a  choi.sie  à  dessein  pour  faire  reculer  l'autoritaire 
'Omar. 


Même  sujet  275 

'Omar  se  vit  forcé  d'en  passer  par  ses  conditions  ('),  au  demeurant 
fort  discrètes. 

Un  fait  analogue  (')  se  produisit  sous  le  califat  de  Yazîd  I".  Il 
atteste  la  persistance  de  l'idéal  bédouin,  même  chez  les  Arabes  de 
Svrie,  infiniment  plus  disciplines  que  leurs  compatriotes  de  la  Pénin- 
sule. Rauh  ibn  Zinbâ\  chef  de  Godâm  avait  prié  le  sou\-erain  de  le 
transférer  lui  et  les  siens  dans  le  groupement  modarite.  Malgré  toute 
l'influence  (')  du  noble  say3'd  —  80,000  hommes  lui  obéissent  :  disait 
de  lui  le  poète  'Adî  ibn  ar-Riqâ'  —  l'opposition  d'un  seul  suffit  pour 
amener  l'échec  du  projet.  .Aussi  le  calife  avait-il  exigé  l'unanimité  de 
la  tribu,  affirmant  par  cette  condition  l'existence  du  veto  arabe. 

Voilà  une  esquisse  de  la  position  du  .say3d  chez  les  anciens 
Arabes:  elle  indique  l'étendue  ou  plutôt  les  limites  de  cette  autorité 
mal  définie  et  toute  morale.  Intelligence  des  affaires,  don  de  la  pa- 
role, générosité,  fortune:  ces  avantages  les  Bédouins  les  présuppo- 
saient pour  ainsi  dire  dans  le  chef  de  la  tribu.  11  nous  reste  à  con- 
sidérer les  conditions  sine  qua  non,  présidant  à  son  élection.  Avant 
tout,  pour  prétendre  à  l'honneur  de  gouverner  les  nomades,  il  fallait 
être  de  naissance  libre. 


(')  Baladori,  Fotdûh,  267-68.  Pour  la  valeur  de  l'anecdote,  cf.  Mo'âwia,  234,  n.  ô. 
J'insiste  uniquement  sur  l'existence  du  veto.  Hâlid  al-Qasrî,  lui-même  de-Bagîla,  ad- 
mettait l'authenticité  de  la  concession  de  'Omar  ;  Tab.,  Annales,  II,  1655,  8-10.  Le 
cas  prouve  le  désarroi,  ayant  dominé  les  débuts  du  califat  ;  Yahiâ,  Harâg,  29-30.  Par 
d'habiles  capitulations,  'Omar  prévint  la  dissolution  de  l'empire  naissant.  Ce  fut  son 
grand  mérite,  bien  différent  de  la  conception,  admise  jusqu'ici.  L'important  était  de 
gagner  du  temps,  de  permettre  au  grand  Mo'âwia  d'achever  son  éducation  politique. 

{•)  Pour  cette  affaire  cf.   YazU,  chap.  XX. 

(3)  Pour  son  éloquence  voir  Gâhiz,  Bayân,  I,  137.  Cet  auteur  le  juge  plus  favo- 
rablement que  l'école  médinoise.  Celle-ci  ne  lui  pardonne  pas  sa  participation  à  la  ba- 
taille de  la  Harra  ;  cf.   Yazid,  269. 


IX 


La  femme    dans    l'Arabie    ancienne.  Promiscuité. 
Réaction    aux  environs  de  l'hégire 


Si  la  pol\-gamie  n'eût  pas  existé  avant  lui  en  Arabie,  Mahomet 
se  trouvait  tout  désigné  pour  l'inventer.  En  revanche  ses  compatriotes 
lui  doivent  l'organisation  du  harem,  la  claustration  du  sexe  faible.  Or 
cette  dernière  institution,  placée  par  le  Qoran  sous  la  sanction  de  la 
loi  divine  ('),  a  discipliné  pour  ainsi  dire  la  polygamie,  et,  en  la  ren- 
dant pratiquable  sur  une  grande  échelle,  elle  a  fatalement  abouti  à 
la  déconsidération  de  la  femme.  Prisonnière  de  guerre  !  (')  'Voilà  com- 
ment Mahomet  qualifie  la  femme,  dans  son  fameux  discours  au  pè- 
lerinage d'adieu,  nous  livrant  ainsi  la  dernière  formule  (^)  de  son  évo 
lution  féministe.  L'orthodoxie  n'a  jamais  mis  en  question  l'authenti- 
cité de  la  peu  galante  comparaison  {*).  Elle  allait  peser  lourdement 
sur  le  sort  de  la  femme  musulmane! 

Celle-ci  ne  tarda  pas  à  descendre  au  même  niveau,  parfois  plus 
bas  que  des  rivales  de  condition  servile,  mieux  favorisées   par  la  na- 


(')  Comp.  les  réflexions  de  Wellhausen,  £/ie,  452.  Dans  le  principe  le  Aigâb  et 
le  titre  corrélatif  de  «  mères  des  croyants»  visaient  l'institution  d'un  cérémonial,  spé- 
cial au.x  femmes  du  Prophète.  Cf.  Fâtima,  99. 

(•)    i^\s..  lJ'^;   Ibn  Hisâm,  Stra.   969,  5;  comp.  Wellhausen,  E/ie,   447. 

p)  Telle  du  moins  que  l'ancienne  tradition  a  cru  devoir  la  fixer,  c-à-d.  au  plus 
lard  vers  les  débuts  du  2.  siècle  H. 

(■•)  On  la  trouve  partout  ;  Gâhiz,  Bayân,  I,  164,  16ô  ;  il  la  cite  parmi  les  spéci- 
mens de  l'éloquence  du  Prophète,  considérés  comme  les  plus  authentiques. 


Le  Bédouin  polygame  277 

ture  (]ue  la  maîtresse  du  foyer  familial.  La  maladie,  la  vieillesse  ('), 
la  stérilité  :  autant  de  dangers,  menaçant  la  position  de  l'épouse  li- 
bre 1  Sans  parler  des  caprices  de  Thomme,  de  son  penchant  à  l'abso- 
lutisme :  tous  défauts,  exaltés  encore  par  l'indépendance  illimitée,  par 
l'individualisme  du  désert.  «  La  femme  libre,  c'est  un  carcan  au  cou 
de  son  mari  ».  disait-on,  ^\  Cjy^^  c<  ^3-^  S  J*  '^ y^^  (")•  Effectivement 
les  Bédouines  se  montraient  moins  dociles,  moins  passives  que  l'es- 
clave étrangère.  Les  premières  sentaient  derrière  elles  des  parents, 
une  tribu,  prêts  à  soutenir  leurs  droits  ('),  au  besoin  à  les  défendre 
contre  la  t\rannie  du  ba'l,  maître  et  seigneur,  comme  la  langue  arabe 
qualifie  le  mari  (^). 

Longtemps  avant  le  Prophète,  le  Bédouin  pratiqua  la  pol5-ga- 
mie,  (^).  Personne  n'apprécie  comme  cet  individualiste,  perdu  dans 
l'immensité  de  la  steppe  ("),  la  bénédiction  promise  aux  patriarches 
bibliques  :  imdtiplicabo  semen  hmm.  Mais  son  sens  aristocratique  C) 
a  toujours  maintenu  les  distances,  séparant  la  femme  libre  de  l'esclave. 
Pour  cette  dernière,  le  descendant  d'Ismaël  ne  concevait  ni  l'égalité 
de  droits  ni  celle  de   traitement.    11  veillait  jalousement  à  maintenir 


(•)  Au  Prophète  on  fait  déjà  renvoyer  la  ineille  Sauda,  et  d'autres  pour  motif  de 
maladie.  L'humeur  volage  des  maris  cherchait  à  s'abriter  derrière  d'illustres  précédents. 
Voir  la  noble  protestation  du  poète  Miskîn  contre  la  claustration  des  femmes  {Ag., 
XVIIl,  69);  elle  ne  garantit  ni  l'honneur  ni  l'union  du  foyer,  pas  plus  que  la  cravache: 

(2)  'IgtiK  in,  292  (=243,  'Iqd*^  ^-r^^.  '^'— '„'  JiP^.  ^7-^^-^'  *^'^'  =  '*"'• 

(»)  Wellhausen,  Ehe,   450. 

(■•)  Comp.  Naqaid  Gartr,  650  d.  v.  ;  Wellhausen,  Ehe,  447,  où  l'on  renvoie  au 
texte  curieux,  Ag.,  VIII,  43,   17,   18. 

Q>)  A  Tâif,  Gailân  possède  dix  femmes  ;  I.  S.  Tabac..  V,  371  ;  Osd,  IV,  172  ; 
Aboû  Sofiân,  père  de  Mo'âwia,  compte  six  femmes;  Osd,  V,  626,  bas;  Cf.  Wellhau- 
sen, £Ae.  448. 

(*)  Souffrant  plus  que  tout  autre  du  manque  de  main  d'œuvre.  Avec  quelle  faci- 
lité pourtant  on  a  généralisé  chez  lui  la  pratique  de  l'infanticide.  On  a  pris  à  la  lettre 
des  formules  oratoires  du  Qoran.  Cf.  Mo'âwia,   77,  356. 

C)  Nous  parlons  de  la  période  voisine  de  l'hégire. 


278  II  ne  comprend  pas  l'unité  du  mariage 

intacte  la  pureté  de  sa  race.  Voilà  du  moins  la  conclusion,  tirée  des 
déclamations  des  poètes  (')  et  de  l'étude  des  documents,  relatifs  à  la 
période,  voisine  de  l'hégire.  L'on  peut  admettre  l'authenticité  de  nom- 
bre de  ces  poésies.  Mais  les  documents  ont  été  remaniés  dans  un  sens 
i?>iférialiste  par  les  compilateurs  de  la  période  'abbâsside  avec  la  pa- 
triotique intention  de  rendre  présentables  les  ancêtres  arabes  (").  Que 
faut-il  penser  de  leurs  affirmations,  tacitement  admises  comme  des 
axiomes  par  les  orientalistes? 


L'Arabe,  sous  le  rapport  de  l'organisation  familiale,  est  demeuré 
un  primitif.  Jamais  il  ne  paraît  avoir  compris,  nous  ne  disons  pas  la 
sainteté,  mais  l'unité  ou  la  stabilité  du  mariage.  Ce  libertaire  entend 
se  réserver  la  faculté  de  le  dissoudre,  comme  il  défait  le  frêle  abri, 
destiné  à  le  protéger  momentanément  contre  les  intempéries  du  cli- 
mat. Pour  les  deux  actes,  sa  langue  emploie  le  même  vocable  :  ,^-0, 
ôanà  signifie  se  marier  et  dresser  la  tente  (^).  Il  suffirait  de  Vappeler 
les  défaillances  sur  ce  point  des  tribus  chrétiennes  (*),  imparfaitement 
dégrossies  par  l'Evangile. 

Aussi  loin  que  les  sources  nous  permettent    de    remonter,  nous 


(')  Eux  et  les  leurs  sont  toujours  '^'f^  i^\  ;  voir  plus  bas  ;  citation  de  Labîd  dans 
Ibn  Hisam,  Sïra,  317,  3.  Ag..  XIX,  166,  5  d.  1.  XX,  159,  4.  Voir  la  notice  du  fa- 
rouche Qattâl  ;  Ag.,  XX,  158-  67.  11  prétend  interdire  à  son  clan  les  mariages  ancil- 
laires,  tUVI  U-^  jjj'  ^1  Jai.-i  >ftï  Ûl  ;  Ag.,  XX,   165,   1. 

(-)  Et  de  répondre  aux  charges  des  So'oQbyya,  acharnés  à  favoriser  la  production 
et  l'exploitation  de  la  littérature  des  Matàlib,  où  sont  énumérées  les  tares  des  tribus. 

(3)  Voir  la  remarque  de  Gâhiz,  Avares,  234,  4  sur  cette  synonymie  ;  Wellhausen, 
Ehe,  444;  Ui-o  ïLo  ,  donner  fille  en  mariage,  Nagà'id  Ganr,  639,  9.  Comp.  les  pas- 
sages nombreux  oii  pour  le  Prophète  en  voyage  «  on  bâtit  un  masgid  »  ;  Vâqoût  E.  V, 
283,  2  d.  1.,  cf.  I\',  229,  6.  381,  9.  Evidemment  il  ne  peut  s'agir  d'une  constniction, 
mais  plutôt  d'une  tente. 

(■*)  Cf.  Chantre,  36  ;  Poêle  royal,  28.  L'accusation  contre  le  poète  chrétien  Aboû 
Zobaid  est  controuvée,  au  témoignage  même  de  Ag.,  IV,  183. 


Les  femmes  prisonnières  279 

trouvons  la  plus  dégoûtante  promiscuité  ('),  présidant  dans  la  Pénin- 
sule à  l'union  de  l'homme  avec  la  femme.  Celle-ci,  au  cours  des  in- 
cessantes razzias,  se  voit  enlevée  pêle-mêle  avec  les  chameaux  du 
campement  (").  Prisonnière  ou  délivrée,  elle  demeure  un  jouet  pour 
les  ignobles  convoitises  du  ravisseur  ou  du  sauveur  (^).  Qu'on  se  figure 
la  scène  après  la  bataille  de  Honain  :  plusieurs  milliers  de  captives 
tombent  entre  les  mains  de  Mahomet!  La  pudeur  peut  se  voiler  la 
face  sur  l'horrible  orgie,  organisée  par  les  Compagnons  du  Prophète, 
brutes  humaines  se  ruant  sur  ce  troupeau  sans  défense.  Admirons  le 
calme  des  rédacteurs  de  la  Slra.  C'était  là  un  fait  banal  dans  la 
chronique  militaire  de  l'Arabie.  Comment  d'ailleurs  blâmer  des  hommes, 
tous  canonisés  par  l'islam  et  distingués  par  l'eulogie  :  j»^  *JU1  ^^_j  ?  (*) 
Dans  les  milieux  bédouins  la  fornication  ne  passait  pas  même  pour 
une  peccadille  {^).  On  considérait  seulement  l'adultère  comme  une 
atteinte  au  droit  de  propriété,  quand  il  compromettait  une  personne, 
appartenant  à  la  tribu.  En   dehors   de  ces    cas,  les  poètes   s'en  van- 


(')  Cf.  'Iqd'-,  II,  88,  11,  il  s'agit  du  chevaleresque  (?)  Qais  ibn  "Asim,  délivrant 
une  prisonnière  déjà  violentée  par  son  ravisseur:  ^  Joo  L^Jjbl  ^^  '^^lî  UtJ.iù^V.>oU 
L^  ^^  .  On  voit  si  nous  avons  eu  raison  de  signaler  la  brutalité  de  ce  type  de 
ht/tft.  Les  femmes  isolées  —  quand  elles  n'appartiennent  pas  à  la  tribu  —  sont  dés- 
honorées ;  cf.  Qotaiba,  Poesis,  218,  5. 

(')  Voir  Naqâ'id  Garlr,  241-42,  après  la  «  journée  »  de  Nisâr;  surtout  le  vers  cité 
ibid.,  245,  2. 

(^)  'Iqd^,  II,  87-88.  'Abbâs  ibn  Mirdâs,  blâmé  de  déshonorer  «  les  captives  ara- 
bes »  se  défend  ainsi  :  <  LL!jU*J  ,3  ^^\sLki  jo^LwJ  ^j  fi^^  «Ôj».!  ;  je  traite  leurs  fem- 
mes exactement  comme  ils  traitent  les  nôtres  »;  Ag.,  XVI,   140. 

(•*)  Pour  ces  eulogies,  voir  Yaztd,  20-25.  Sur  l'enlèvement  des  femmes  cf.  Well- 
hausen,  Ehe.  435.  Les  tribus  de  Rabfa  s'en  seraient  abstenues,  quand  elles  étaient  en 
guerre  avec  une  fraction  de  leur  confédération  ;  ibid.,  435,  n.  5.  Pour  Nagrân,  voir 
plus  bas. 

C")  Les  poètes  la  signalent  avec  le  vin  parmi  les  trois  transgressions  dont  ils  affir- 
ment n'éprouver  aucun  remords  : 

...C^Xi  ly^  vjLlJ  JNlbL  Cj^" 
'Iqd*.   II,  103.  Tous  les  Badrites  sont  prédestinés.  On  leur  fait  donner  carte  blanche 
par  Mahomet  :  «  iJ<L\  Xi   C-^.-ji.^  ois  rLtwL«  ^l^I  ;  Hanbal,  Mosnad,  I,  105  18)  agis- 
sez à  votre  guise  ;  le  Paradis  vous  demeure  assuré  .  ». 


280  Formes  anciennes  du  mariage 

tent  (')  comme  d'un  tour  agréable,  joué  à  des  étrangers,  avec  la 
même  désinvolture  qu'ils  célèbrent  un  rapt  adroit  de  chameaux.  Nous 
passerons  sous  silence  les  vices  contre  nature  (^),  fréquents  dans  ce 
milieu  pastoral,  où  l'on  a  parfois  placé  l'école  de  la  pureté  des 
mœurs. 

Cette  impression  défavorable  se  dégage  clairement  des  textes  de 
Strabon  (/6,  7)  et  d'Ammien  Marcellin  {14,  4)  sur  les  Arabes  de  leur 
temps.  On  serait  tenté  de  taxer  d'exagération  ces  vieux  auteurs,  si, 
sans  y  prétendre,  les  documents  islamites  ne  leur  apportaient  la  plus 
éclatante  confirmation.  Dans  l'état  de  guerre  perpétuelle  de  l'Arabie  ('), 
la  faiblesse  de  la  femme  l'a  réduite  à  la  condition  d'éternelle  \ictime, 
abandonnée  à  la  brutalité  du  plus  fort.  Nous  ne  pouvons  nous  attar- 
der ici  à  le  prouver.  Contentons-nous  de  renvo3er  au  paragraphe 
célèbre  de  Bohârï,  sur  les    mariages    préislamiques  (*).  Le  libellé  de 

(1)  Qotaiba,  Poesis,  56,  aflirme  le  contraire;  Wellhausen,  Ehe,  472.  C'est  un  thè- 
me important  des  Naqaid,   exploité  avec  une  égale   virtuosité  par  Garir  et  Farazdaq. 

{-)  Trop  nombreuses  sont  les  accusations  pour  être  toutes  calomnieuses,  même 
après  avoir  fait  la  part  de  la  satire.  (Les  Arabes  ne  croyaient  pas  à  la  moralité  des 
leurs,  à  l'exception  peut-être  des  tribus  chrétiennes;  celle  de  'Odra  est  demeurée  le 
type  de  la  galanterie  chevaleresque!.  Citations  dans  Gâhiz,  Mahâsin,  170,  8;  Opuscula, 
63-64;  Mas'oûdî,  Prairies,  VI,  138-55;  Qotaiba.  Poesis,  188,  7;  203,  5-14;  Margoliouth, 
Mohammed  ',  30.  La  locution  «  al-atyabân  »  =  j-'SUJl^  »^1  montre  dans  le  Bédouin  un 
être  sensuel  et  paresseux.  Le  respect  de  la  gara  (voir  plus  loin),  vanté  comme  une 
qualité  éminente,  atteste  en  même  temps  la  licence  générale;  Aboû  Tammâm,  Hamàsa, 
E.  I,  210;  vices  contre  nature;  ibid.,  205;  Nagaid  Garîr,  574.  Pour  la  période  con- 
temporaine, l'unanimité  des  voyageurs  affirme  la  sévérité  des  mœurs  bédouines.  La 
propre  femme  de  l'honnête  Miskïn  conteste  la  réalité  de  ses  sentiments  chevaleresques; 
Ag.,  XVIII,  72,  vers  le  bas. 

(3)  Nagaid  Gartr,  14,  1.  18;  femmes  enlevées  pendant  que  les  hommes  ^^^. 
sont  absents,   145,  haut;   ignominies  subies,  592,  593. 

{*)  Traduit  et  brièvement  commenté  dans  Wellhausen,  Die  Ehe  bei  den  Arabern, 
460  etc.  ;  travail  classique,  nous  y  renvoyons  une  fois  pour  toutes.  Comp.  Wilken, 
Matriarchat.  Sous  la  dénomination  générique  de  zinà,  l'islam  comprenait  non  seule- 
ment la  prostitution  vulgaire,  mais  toute  l'ancienne  licence,  présidant  aux  rapports 
entre  les  sexes  (cf.  Ehe,  472);  situation  acceptée  et  n'entraînant  aucune  flétrissure  pen- 
dant la  gâhilyya.  Aux  premiers  Ansârs,  Mahomet  impose  la  <  bai'a  des  femmes  »  : 
elle  interdit  spécialement  le  zinâ  et  le  «  boht.în  »,  un  synonyme  de  zinà  d'après  le 
contexte;   I.  S.   Tabag.,   P.   148. 


Le  Qoran  nianjue  un  progrès  281 

l'auteur  du  Sahih  semble  trop  absolu  sans  doute.  Il  peut  avoir  forcé 
les  couleurs,  dans  le  but  d'opposer  les  progrès  de  la  législation  ma- 
trimoniale du  Ooran  au  laxisme  antérieur.  Une  conclusion  demeure 
pourtant  acquise:  au  second  siècle  de  l'hégire,  la  tradition  musulmane 
jugeait  sévèrement  le  relâchement  des  mœurs  dans  l'ancienne  Arabie. 
Rappelons  enfin  la  mot'a,  ou  mariage  temporaire  ('),  autorisé  par 
Mahomet  et  sous  ses  premiers  successeurs.  Cette  tolérance  en  dit  long. 
Les  théories  modernes  sur  l'amour  libre  auraient  pu  paraître 
austères  aux  Bédouins  préislami(iues.  La  théologie  musulmane  a  en- 
globé tous  ces  abus  sous  la  dénomination  générale  de  zinà  et  croit 
pouvoir  baser  sur  l'interdiction  de  cette  dernière  la  supériorité  de  sa 
morale,  comparée  à  celle  de  l'âge  précédent  (°).  Noius  nous  sentons 
tout  disposé  à  lui  donner  raison. 


Malgré  ses  défaillances  et  ses  lacunes  déplorables,  la  législation 
qoranique,  inspirée  par  celle  de  la  communauté  juive,  marquait  pour 
l'Arabie  un  progrès  incontestable.  Cette  constatation  indique  suffi- 
samment la  gravité  de  la  situation  antérieure  à  Mahomet.  Sa  régle- 
mentation matrimoniale  endigua  l'immoralité  arabe;  elle  lui  creusa  un 
lit  assez  large  ou  assez  profond  pour  contenir  tous  les  anciens  débor- 
dements (^).  Ceux-ci,  désormais  canalisés,  devinrent  inexcusables  de 
franchir  les  barrières  récentes.  Notre  vieux  Tibre  roule-t-il  des  ondes 
plus  limpides  depuis  la  construction  des  nouveaux  cjuais  ?  Le  progrès 
n'en  est  pas  moins  appréciable  et  le  fleuve  a  été  vraiment  discipliné. 

Ce  ne  fut  pas  là  une  des  moindres  habiletés  de  l'étrange  réfor- 
mateur mecquois,  d'avoir  abrité  sous  sa  large  tolérance  et  au  moyen 
d'insignifiantes  restrictions  l'ancienne  liberté.  Il  acheva  de  s'assurer 
la  complicité   de   l'égoïsme   masculin,  en    laissant    seule    debout,    en 

(')  Cf.  Mo'âwia,  voir  ce  mot  à  l'index. 

i^)  Comp.  I.  S.  Tabaq.,  VIII,  4,  conditions  imposées  aux  femmes  pour  la  bai' a; 
la  scène  légendaire  rend  les  idées  de  l'i.slam  en  la  matière. 

{')  Elle  permettra  à  un  fils  de  'Ali  de  contracter  700  mariages. 


282  «  Konias  »  suspectes 

renforçant  dans  la  famille  islamite  l'autorité  du  mari,  en  facilitant 
le  divorce,  mais  uniquement  en  faveur  de  l'homme,  en  l'enlevant  à 
l'épouse  ('),  droit  reconnu  à  cette  dernière  par  l'antique  coutume 
arabe  (').  L'islam  est  bien  une  religion  de  mâles,  la  consécration  de 
l'absolutisme  masculin.  Celui-ci  a  pourchassé  de  partout  la  femme 
désarmée  :  des  réunions,  des  affaires,  sans  même  la  tolérer  aux  céré- 
monies du  culte  (')  ;  comme  refuge,  il  lui  a  abandonné  le  fo)'er  {*);, 
mais  en  lui  mesurant  l'espace,  en  la  déconsidérant  devant  ses  fils. 
«  Le  paradis  se  trouve  aux  pieds  d'une  mère,  oV'VI  ^Ij*»!  >s^  A-^.l  >. 
Ainsi  fait-on  parler  le  Prophète.  Mais  pourquoi  la  critique  musulmane 
elle-même  hésite-t-elle  à  garantir  l'authenticité  de  cette  tradition.'  (^) 
Un  Arabe,  à  la  généalogie  embrouillée,  avait  reçu  le  sobriquet 
d'Aboû  Nohaila,  parce  qu'il  était  né  au  pied  d'un  dattier  (°).  Mais  les 
palmiers  n'abondent  pas  dans  le  désert,  et  la  légende  n'a  pu  con- 
server tous  les  surnoms  de  ce  genre.  Il  serait  piquant  d'examiner  à 
ce  point  de  vue  les  konia,  donnés  aux    enfants  dès  leur    berceau  ("). 


(')  Indépendance  de  la  femme  préislamite  ;  Wellhausen,  Ehe,  467. 

(-)  Ag.,  XIII,  124,  19  ;  Bédouines  mettant  comme  condition  la  monogamie  et  le 
renvoi  des  rivales  ;  Ag.,  XIV,   149,   152  ;  Aboiî  Tammâni,  Hatnâsa,  E.  I,  202. 

On  respectait  religieusement  le  jlj^.  protection,  accordé  par  les  femmes  Gâhiz, 
Makàsin,  70-73)  aux  fugitifs  étrangers.  La  femme  protégeait  son  mari,  quand  celui-ci 
appartenait  à  une  tribu  différente;  Naqà'id  Garîr,  278,  d.  v. 

(3)  «  Pas  de  femmes,  pas  d'enfants.  C'est  le  culte  viril.  L'homme  seul  s'approche 
de  son  créateur».  Cl.   Boringe,  Esquisses  inaroraines. 

(■*)  Wellhausen,  E/ie,  444-45  :  la  femme  et  la  tente,  antérieurement  à  l'islam.  Dans 
les  anciennes  poésies,  la  femme  mène  le  dialogue  ;  elle  est  la  peqîétuelle  AJiU  ,  blâ- 
mant, conseillant  son  mari.  Est-ce  un  effet  du  hasard,  si,  avec  l'avènement  de  l'islam, 
insensiblement  cette  fiction  poétique  s'évanouit.' 

(=)   Taniyîz  at-tayyb,  (Ms.  Bibl.  Khéd.) 

\f)  Ibn  Doraid,  Isligâg,  154,  15;  autre  Aboû  Nohaila;  A'açâ'id  Gaftr,  71,  6; 
72,  4;  poète,  portant  cette  kovia  ;  Bakrî,  op.  cit.,  775,  4  d.  1.  Comp.  Aboû  Sagara, 
nom  d'un  fils  de  la  poétesse  Hansâ'.  Qotaiba,  Poesis,  197,  14.  Ibn  Hagar,  Fsàba,  E. 
IV,  197  cite  un  Compagnon  du  nom  d'Aboii  Nohaila.  Comp.  Ag.,  XVlll,  139,  9  : 
A-Jls  Lijjvk*  A«.«mS  (j  G>y:_>^  j_jiL>  .  Le  surnom  de  'Alî,  Aboû  Torâb  cache  toujours 
son  mystère.  Voir  ce  terme  à  l'inde.x  de  Eaiima. 

(")  Cf.  Qotaiba,  'Oyoûn,  444,  16  ;  on  y  retrouverait  des  allusions  (?)  aux  hasards 
de  leur  naissance. 


Immoralité  dans  les  villes  283 

L'enquête  porterait  vraisemblablement  un  peu  plus  de  lumière  dans 
la  théorie  traditionnelle,  encore  fort  obscure,  de  la  konia.  Les  noma- 
des, naissant  à  peu  près  comme  les  chiens  errants  des  cites  orien- 
tales ('),  on  s'était  vu  forcé  de  créer  un  art  spécial,  chargé  d'éclaircir 
le  mvstère  de  leur  origine  et  de  restituer'les  enfants  aux  ayant  droit: 
c'était  l'art  de  la  qiàfa  (^).  D'ordinaire  on  \-  regardait  de  moins  près. 
La  qualité  de  mari  de  la  mère  suffisait  pour  établir  la  paternité  : 
JJi^  Jô^l  ,  l'enfant  appartient  au  lit  conjugal  (~).  Cet  axiome,  ado- 
pté par  l'islam,  abstra)ait  des  antécédents  de  la  mère  et  procla- 
mait l'acceptation  du  fait  accompli,  interdisant  de  pousser  au  delà 
les  investigations. 

Dans  les  villes,  principalement  à  la  Mecque  (^),  le  débordement 
s'étalait  avec  encore  plus  d'impudence  que  sous  la  tente  (^).  Tout 
l'y  favorisait:  l'affluence  des  étrangers,  des  esclaves,  les  fréquents 
déplacements  de  la  population  commerçante.  Les  marchands  qorai- 
sites  (")  s'étaient  de  la  sorte  créé  des  foyers,  plus  ou  moins  réguliers, 
sur  les  différents  points  de  la  Péninsule,  visités  par  eux.  Qu'on  se  rap- 
pelle la  naissance  du  fameux  Ziâd  ibn  Abïhi,  un  des  hommes  les  plus 
remarquables    du    règne    de   Mo'àwia  C).    La   tradition   musulmane, 


(')  Comp.  le  vers  de  Farazdaq  à  l'adresse  du  clan  de  Garîr  ;  A'aqà'id Gatir.  279,  2  v. 

('':  'Omar  y  a  recours  ;  Qotaiba,  'Oyoûii,  457.  Bédouins  appelés  (_»jtïJl  ^\  ;  Naqaid 
Gaitr,  195,  7;  Mas'oQdî,  Prairies,  111,  336  sqq.;  on  considérait  principalement  la  forme 
du  pied;  d'après  l'empreinte  du  pied  les  nomades  peuvent  décrire  un  inconnu; 
Mas'oûdî,  op.  cit.,  III,  338,  342.  Un  chef  poursuivi  repose  ses  pieds  sur  le  rocher, 
pour  ne  pas  trahir  la  trace  de  son  passage.  On  reconnaît  de  même  tel  cheval  par 
l'empreinte  de  son  sabot;  NagâUd  Garîr,  95,   11  ;  cf.  Gâhiz,  Makâsin,  70,   13. 

(3)  Cf.  Aboû  Tammâm,  Hamàsa,  E.  I,  216. 

(*)  Le  calife  'Omar  fils  d'une  négresse,  d'après  Mas'oûdî,  Prairies,  IV,  192.  Ses 
descendants  ont  le  teint  foncé;  comment  l'e.xplique  Ibn  'Omar;  I.  S.  Tabag.,  III ', 
235,  3  etc.  Le  chef  tamîmite  Zibriqân  a  une  généalogie  incertaine  ;  Ibn  Doraid,  Isti- 
qâq,  206,   10-13. 

(^)  Réputation  douteuse  des  femmes  Mahzoûmites;  'Iqd^,  II,  155,  9  d.  1.  Les  gé- 
néalogistes étaient  redoutés  à  la  Mecque  ;  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  87,  5. 

('■)  Comme  Hâsim,  l'ancêtre  de  Mahomet;  Ag.,  XVIII,  124;  cf.  W'ellhausen, 
Ehe,  469. 

(')  Cf.  notre  Ziâd  ibn  Abîhi,   20  sqq.  ;   I.   Doraid,  Istiqâq,    185-86. 


284  Renseignements  fournis  par  la  «  Sira  » 

inspirée  par  les  rancunes  des  'Alides  et  les  dépits  politiques  de  l'Iraq, 
a  affecté  de  se  scandaliser  et  de  mettre  le  fait  à  la  charge  des  im- 
pies Omayyades.  En  }■  regardant  de  près,  on  n'aurait  pas  été  em- 
barrassé pour  découvrir  des  Somayva  au  sein  des  plus  saintes  famil- 
les de  l'islam:  Aboû  Bakr,  peut-être  un  affranchi,  'atlq-  'Omar,  fils 
d'une  mère  esclave.  Chatiue  clan  illustre  avait  fourni  la  matière  d'un 
chapitre  plus  on  moins  étendu  du  Kitàh  al-matàlià  ('),  chroni(]ue 
scandaleuse,  mettant  en  une  triste  lumière  la  généalogie  et  les  ori- 
gines des  hommes  les  plus  considérés.  Mahomet  vouait  aux  feux  de 
l'enfer  le  mortel  assez  indiscret  pour  remonter  jusqu'à  la  neuvième 
génération  (^).  Ainsi  formulé,  le  hadit  voudrait  donner  le  change  à 
la  critique.  Aucun  contemporain  de  l'hégire  n'eût  été  en  mesure  de 
remonter  aussi  loin  dans  son  état-civil  (^). 


La  littérature  de  la  Slra  est  particulièrement  instructive  à  cet 
égard.  Elle  nous  met  en  rapport  avec  une  famille,  célèbre  entre  toutes, 
et  sur  les  origines  de  laquelle  la  Tradition  a  voulu  répandre  des 
flots  de  lumière  {*).  N'a-t-elle  pas  suivi  depuis  Adam  la  goutte  de 
sang,  destinée  à  donner  à  l'humanité  le  sceau,  le  plus  grand  des  pro- 
phètes.? {')  A  ces  titres  elle  mérite  d'arrêter  notre  attention.  «  Parmi 
mes  aïeules,  dira  plus  tard  Mahomet,  on  ne  rencontre  pas  trace  du 


(')  Cf.  Fihrist,  95,  96,  99,  111,  112.  Ibid.,  100,  1:  «  livre  des  courtisanes  de  Qo- 
rais  et  de  leurs  fils  ».  On  comprend  comment  l'auteur  Haitam  ibn  'Adî  est  devenu 
odieux  à  la  Tradition.  Comp.  plus  haut  la  remarque  sur  les  So'oûbyya  et  la  littérature 
des  Matâlib. 

(8)  Hanbal,  Mosnad,   IV,   134. 

(')  Pour  les  Bédouins  modernes,  comp.  F.  Schwally,  Beitr.  z.  Kenntnis  des  Le- 
bens  der...  Beduineii  i»i  heiitigen  Aegypten,  dans  Sitzungsberichte  de  l'Acad.  des  scien- 
ces de  Heidelberg,   1912. 

(^)  Sur  ce  trompe-l'œil  enfin  reconnu,  voir  le  jugement  du  Prof.  C.  H.  Becker, 
Der  Islam,  IV,  263,  269  et  Wellhausen,   GôH.  gel.  Anz.,  1913,  315. 

(5)  Cf.  I.  a.Tabag.,  I',   1-60;  surtout   p.  26  ^L<.t>».>'^  ^sô^  Jii\  ^_}^ ^  i_-,-^yi 


jOJll-VS     >>î     (Jl     SOJ^    ^ 


Le    mariage  du  père  de  Mahomet  285 

safàh  »,  c'est  l'expression  arabe  pour  désigner  l'union  libre  (').  Privi- 
lège incomparable  dans  un  milieu,  aussi  amoral  que  l'ancienne  société 
arabe:  miracle  de  la  Providence  d'Allah,  attentive  à  préserver  de  toute 
souillure  le  berceau  du  dernier  des  prophètes  1  Par  malheur  l'histoire, 
d'ailleurs  légendaire,  des  Hâsimites,  réfute  à  chaque  page  cette  pré- 
tention. Hâsim  se  marie  en  passant  à  Médine,  et  ne  paraît  plus  se 
souvenir  de  sa  femme  et  de  son  enfant  (*),  abandonnés  en  cette 
ville  (').  Imitons  la  réser\'e  des  annalistes  musulmans  et  gardons-nous 
de  scruter  les  motifs  de  cette  désertion  peu  galante.  Le  grand-père 
de  Mahomet,  'Abdalmottalib,  était-il  fils  de  Hâsim  ou  l'esclave  de 
Mottalib.  comme  son  nom  l'indiciue  '^.  Nous  ne  le  saurons  jamais  au 
juste.  Si  les  Mecquois  lui  ont  accordé  cette  dernière  qualification  (*), 
apparemment  ils  avaient  leurs  raisons.  Tous  les  parents  de  Mahomet 
étaient  d'ailleurs  d'un  noir  profond,  trahissant  une  forte  proportion 
de  sang  nègre  et  de  fréquentes  unions  a:\'ec  des  esclaves.  Cet  en- 
semble confère  une  lointaine  vraisemblance  à  la  tradition,  disant  les 
Hâsimites  originaires  du  Yémen  (°). 

Il  est  malheureusement  difficile  de  discuter  en  français  les  inci- 
dents, immédiatement  antérieurs  au  mariage  du  père  de  Mahomet. 
Avec  la  plus  entière  inconscience,  la  Slra  a  utilisé  une  réédition  de 
rhi.stoire  de  Joseph  et  de  la  femme  de  Putiphar.  Si  'Abdallah,  le  père 
de  Mahomet,  ne  se  crut  pas  tenu  à  prendre  modèle  sur  le  patriarche 
biblique,  celle  qui  faillit  devenir  la  mère  du  Prophète,  copia  brutale- 
ment l'attitude  de  la  trop  fameuse  Egyptienne.   Ce  laxisme  n'a  pas 


k})  I.  .s.    Tabaq.,   I',  31,  24  ;  32. 

(*)  Ainsi  se  conduira  plus  tard  le  pieu.x  musulman  et  voyageur  Ibn  Batoûta.  Tran- 
quillement il  inscrira  sur  son  carnet  :  «  'M>-f->  aûI  Jjù  Le  ^^j1  L<j  ;  j'ignore  ce  qu'ils 
(^  la  mère  et  l'enfantj  sont  devenus  ». 

(')  I.  S.  Tabaq.,  I*,  46.  On  peut  y  reconnaître  une  tentative  des  Médinois  pour 
introduire  une  des  leurs  dans  la  généalogie  prophétique.  On  place  à  Gazza  le  tom- 
beau de  Hâsim  ;  Yâqoût,  E.  YI,  290,  en  tablant  sur  des  vers  apocrxphes,  comme 
ceux  de  Matroûd  ibn  Ka'b. 

(•<)   I.   S.    Tabaq.,    I',   49,   7. 

(•')  Gâhiz,  Opuscula,  75,  4  etc.;  I.  S.  Tabaq.,  I',  3-4;  en  réponse  on  lui  fait  ré- 
véler par  Gabriel  qu'il  appartient  à  Modar;  I.  S.  Tabaq.,  I',  3.  Les  habitants  du 
Higâz  tiennent  du  caractère  des  nègres  ;  Yâqoût,  E.  L  48. 


286  Mystères  entourant  ses  ancêtres 

empêché  la  Tradition  de  la  présenter  comme  le  type  de  l'honneur 
féminin  (').  La  légende  s'est  donné  beaucoup  de  mal  pour  expliquer 
la  mort  de  'Abdallah  et  d'Amina  mère  de  Mahomet,  hors  de  la 
Mecque.  Pour  tourner  une  partie  de  la  difficulté,  elle  a  essa3é  de 
placer  le  tombeau  de  cette  dernière  en  cette  ville  (").  Enfin  le  propre 
mariage  de  Mahomet  soulève  de  graves  objections. 

Jusqu'à  25  ans,  il  serait  demeuré  célibataire,  et  cela  dans  un 
milieu,  où,  à  13  ans,  nombre  de  ses  concitoyens  comptaient  déjà  des 
enfants  et  parfois  un  divorce  (^).  Pourquoi  épouse-t-il  une  femme  de 
40  ans  et  fallut-il  —  une  légende  musulmane  l'affirme  —  eni\Ter  le 
père  de  Hadiga  pour  arracher  son  consentement' (*)  Impossible  d'ac- 
cumuler plus  de  maladresses  ! 

Si,  avant  le  succès  de  sa  mission  prophétique,  nous  comprenons 
la  froideur  des  Hâsimites  (*)  à  son  égard,  nous  ne  savons  comment 
expliquer  l'appellation  de  fils  d'Aboû  Kabsa  —  un  esclave  1  (^)  — 
donnée  à  Mahomet.  Quels  étaient  ses  rapports  de  famille  avec  la 
négresse  Omm  Aiman  C),  avec  la  Bédouine  des  BanoCi  Sa'd,  sa  nour- 
rice vraie  ou  prétendue  ?  (*)  Ses  derniers  se  proclament  ses  oncles,  et 
le  Prophète  ne  repousse  pas  cette  prétention,  bien  exorbitante  pour 
de  simples  nourriciers  ('').  comme  on  essaie  de  les  représenter. 

Le  m\-stère,  planant  sur  l'origine  de  personnalités,  aussi  en  vue 
que  les  ancêtres  traditionnels  de  Mahomet,  laisse   deviner  quelle  de- 


(')  I.  s.   Tabac.,   H,  58  d.  1.;  59;  elle  est  qualifiée  de  ^J^  ïl^l 

(-)  I.  S.    Tabac.,   I',  73-74.  D'ordinaire  on  la  localise  à  Abwa.  Voir  précédemment. 

(*)  'Abdallah  ibn  'Àmir  a  un  fils  à  l'âge  de  13  ans  ;  Osâma  ibn  Zaid  divorce  à 
treize;  I.  S.  Tabac.,  V,  31,  24;  127,  14;  cf.  Fàiitiia,  30-31.  Sur  les  mariages  précoces 
chez  les  musulmans  d'Egypte  cf.  Schwally,  op.  sup.  cit.,  p.   10. 

\*)  I.  S.  fabag.,  I',  84-85.  Balâdorî,  Aiisâb,  58  b.  donne  même  à  Hadîga  46  ans; 
il  cite  une  autre  version,  où  l'on  se  contente  de  28  ans. 

{")  Mahomet  les  place  tous  en  enfer:  I.  S.   Tabaq.,  I',  75;    e.st-ce  une  réponse? 

C^)  Seybold,  JMorassa' ,  186;  I.  S.  Taba^.,  III',  33;  Margoliouth,  Mohammed ^, 
50-51  ;  efforts  pour  expliquer  cette  filiation  ;   Balâdorî,  Ansâb,   54  a. 

(")  Voir  ce  nom  à  l'inde.x  de  Mo'âwia.  Ibn  Qayym  al-Gauzyya,  Zâd  al-mo'âd 
(ms.  Bâyazîd,  Constantinople)  I,  la  qualifie  de  <Cob  ;  faut-il  lire  <JJo\>? 

(«)  I.  S.    làbaq.,    I»,  71,  25,  28. 

(9)  I.  S.    Tabaq..   I',  72,   19  etc. 


Réaction  monothéiste  287 

vait  être  la  situation  des  autres  familles  arabes.  Lors(]ue  la  Sïra  s'in- 
génie à  tirer  tout  avi  clair,  elle  réussit  seulement  à  épaissir  les  ténè- 
bres et  à  multiplier  les  points  d'interrogation  (').  Sans  nous  y  arrêter 
plus  longtemps,  constatons  combien  cette  fantastique  histoire  fortifie 
nos  soupçons  précédents,  produit  l'impression  d'une  moralité  très 
spéciale.  Et  pourtant  nous  avons  e.xclusivement  consulté  la  <  légende 
dorée  >,  composée  à  la  plus  grande  gloire  du  Prophète.  Ce  n'est  pas 
le  lieu  d'examiner  son  degré  d'authenticité.  Mais  ijue  penser  des  mœurs 
d'une  société,  où,  pour  voiler  la  réalité,  l'histoire  doit  recourir  à  d'aussi 
misérables  fictions.^ 


Or  dans  le  siècle,  précédant  l'hégire,  un  observateur  attentif  au- 
rait pu  constater  au  sein  de  l'immobile  Arabie  une  grande  fermenta- 
tion d'idées,  signe  précurseur  d'une  révolution.  Par  trois  côtés  au 
moins:  par  la  Syro-Mésopotamie,  par  rAb3ssinie,  par  la  vallée  du 
Nil,  sans  parler  du  Yémen,  le  christianisme  pénétrait  en  Arabie,  en- 
tamée déjà  par  le  judaïsme,  maître  des  riches  oasis  du  Higâz  (").  Ce 
double  courant  (^)  introduisait  à  sa  suite  le  monothéisme  avec  son 
contingent  de  principes  civilisateurs.  Concurremment  avec  ce  mouve- 
ment, une  reprise  du  commerce  (*),  le   long  de    l'ancienne    route  de 


(')  Même  constatation  pour  le  mariage  de  Fâtima  et  de 'AU;  cf.  Fâthna,  voirie 
chap.  II. 

(*)  Pour  Vistisqà'  les  anciens  Arabes  s'adressaient  volontiers  aux  Juifs  ;  Ibn  Hi- 
sâm,  Stra,  136;  cf.  Wellhausen,  A'^j/s^^  224-30;  courant  chrétien,  Ibn  Doraid,  Isti- 
gàg,   197,   10. 

(^)  11  est  dit  à  propos  d'Omayya  ibn  abi's  Sait:  ^^^^^  f-i^^  ';*?  ^S^^"^'^  i-j*")'' 
T  Jî  i_-vXSJl  J^ ^  ^.5-*<ï"  •  '''"  Doraid,  Is/iqâq,  184,  4  d.  1.  Zohair  ibn  Abi  Solmâ  emprunte 
aux  Juifs  l'idée  de  la  résurrection  ;  Asmal,  Fohoûlai  as-So'a/à',  (Torrey)  500,  16.  Re- 
marque analogue  à  propos  de  A'sâ  ;  voir  précédemment,  p.   107. 

{*)  Cf.  République  marchande,  3-4.  La  tradition  —  celle  de  Médine  surtout  — 
veut  écarter  l'hypothèse  des  emprunts  juifs.  Voilà  pourquoi  elle  attribue  aux  Qorais 
préislamites  la  pratique  du  jeûne  de  'Asoûrâ  ;  elle  en  fait  autant  pour  les  chrétiens. 
Tout  plutôt  qu'une  dépendance  juive!  Cf.  Moslim,  Sahîh-,  1,419-423. 


288  Elle  est  favorisée  par  les  poètes 

l'encens,  attira  les  Bédouins  occidentaux  hors  de  leurs  déserts  et  les 
mit  en  contact  avec  leurs  voisins,  intellectuellement  plus  développés, 
plus  respectueux  des  lois  du  mariage  et  des  droits  du  sexe  faible. 
Les  voyages  forment  la  jeunesse  des  particuliers  ;  ils  n'exercent  pas 
une  moins  salutaire  influence  sur  l'évolution  des  peuples  nouveaux. 
Comme  toujours  les  poètes  (')  donnèrent  le  signal  du  mouve- 
ment. Ces  intellectuels  cosmopolites  couraient  le  mondejen'quête  d'im- 
pressions nouvelles  et  surtout  de  Mécènes  généreux.  De  leurs  visites 
aux  cités  de  Palestine  et  de  Mésopotamie  (^),  aux  cours  des  roitelets 
des  limes  S3Tien  et  perse,  dynastes  de  Hïra,  ph\larques  de  Gassân, 
en  s'arrêtant  dans  les  couvents  si  hospitaliers,  jalonnant  les  confins 
arabiques,  de  leurs  relations  avec  les  sa^yd  de  Nagrân  (^),  les  poètes 
rapportèrent  une  poignée  d'idées  généreuses  et,  hérauts  retentissants, 
les  claironnèrent  aux  quatre  coins  de  la  Péninsule.  Leur  nouveauté  fit 
sensation  au  sein  d'une  société,  fatiguée  et  honteuse  de  son  indivi- 
dualisme. Un  des  premiers,  le  sexe  devait  bénéficier  de  la  révolu- 
tion. Les  bardes  ambulants  se  mirent  à  proclamer  le  respect,  dû  à 
la  gara,  la  femme  (*),  les  égards  que  méritait  sa  faiblesse  (^).  Dans 
leurs  vers  on  voit  poindre  le  sentiment  chevaleresque  (°),  destiné  à 
prendre  son    plein    développement  pendant   le    moyen-âge    chrétien. 


(')  A  cette  époque  le  ton  de  la  poésie  devient  monothéiste. 

C^)  Comme  A'sâ,  visitant  Honis,  Jérusalem  etc.,  Qotaiba,  Poesis,  135;  ses  voya- 
ges à  Nagrân  ;  cf.  Vazîd,  chap.  XXII.  Rappelons  le  cycle  légendaire  des  courses 
d'Amroulqais,   Nâbiga  faisant  la  navette  entre  Hîra  et  les  résidences  gassânides. 

(*)  Voir  Doraid  ibn  as-Simma  dans  So'arâ',   ~7d  sqq.   Ag.,   XVIII,   160,   10  d.   1. 

(^)  Nombreuses  références  de  Goldziher  dans  ZDHIG,  1893,  80  ;  Aboû  Tammâni, 
Hamâsa,  714,  4  ;  727.  1  ;  Gâhiz,  Avares,  266,  16  ;  267  ;  Qotaiba,  Poesis,  201,  4  ;  'Igd^, 
II,  25,  4;  cf.  Mo'âwia,  305  etc.  Ag.,  XI,  158,  bas;  XII,  16,  5.  Respect  de  la  gara 
en  l'absence  du  mari,  respect  de  la  veuve  et  de  l'orphelin;  Hansâ',  Dh>an,  1,  1.  4  ; 
4,  d.  1.  ;  13,  4;  17,  5;  37,  8;  42,  d.  1.;  69,  8;  conip.  20,  4  d.  1.;  27,  7;  voir  plus 
haut;  influence  des  idées  chrétiennes  sur  ces  conceptions,  voir  note    précédente. 

(5)  A  la  Mecque  les  mariages,  assure-t-bn,  se  concluaient  dans  le  Dâr  an-Nadwa. 
Mais  pourquoi  n'en  trouve-t-on  jamais  la  confirmation,  ni  même  une  allusion  à  une 
innovation  aussi  grave,  dans  les  récits  particuliers? 

(«)  Comp.  Wellhausen,  Elie,  471-72. 


L'importance  du  «  hasab  »  289 

«  Yazid  a  rendu  inviolées  les  femmes  captives.  Aucun  autre  n'eût 
donné  cet  exemple  d'honneur  »  ('). 

Le  poète  Doraid  ibn  as-Simma  connaissait  sans  doute  ses  com- 
patriotes. Pourquoi  a-t-il  réservé  ce  magnifique  hommage  au  chef  des 
nomades  de  la  chrétienne  Nagrân- 

Rappelons  de  nouveau  l'exemple  des  Banou  'Odra.  Si  parmi  eux 
seulement  s'est  développée  une  poésie  spéciale,  à  la  fois  sentimentale 
et  chaste  (*),  dégagée  de  la  grossièreté  bédouine,  ne  faudrait-il  pas 
chercher  l'explication  de  ce  phénomène  dans  le  christianisme  de 
cette  tribu?  (Ootaiba,  Poesis,  260). 

Insensiblement  les  nomades  commencèrent  à  comprendre  les  avan- 
tages pour  le  fo\er  d'une  stabilité  plus  grande,  à  admettre  une  cer- 
taine réglementation  dans  la  matière,  à  rougir  de  l'ancienne  licence  ('). 
L'homme  distingué  tint  à  honneur  de  régulariser  sa  situation  matri- 
moniale. Il  voulut  laisser  à  ses  descendants  les  éléments  indispensa- 
bles d'un  état-civil;  il  tint  à  calculer,  à  énumérer  les  noms  de  ses 
parents,  pour  les  transmettre  à  ses  héritiers.  Sur  ce  calcul  —  hasad 
n'a  pas  d'autre  sens  —  fut  basée  la  noblesse.  Elle  dépendit  désormais 
du  nombre  des  quartiers  ou,  comme  s'expriment  les  Arabes,  de  la 
long2ien>\  de  Yépaisseiir  plus  ou  moins  grandes  {*)  du  Iiasab,  terme 
devenu  synonyme  d'extraction  aristocratique  (^).  Les  esclaves,  ne  pos- 
sédant pas  de  généalogie,  ne  pouvaient  prétendre  au  hasab.  Il  devint 
de  bon  ton  d'épouser  des  femmes  libres,  appartenant  à  des  familles, 
à  des  tribus  connues.  De  là  l'importance  grandissante  du  hàl  f  ),  de 
l'oncle  maternel;  il  représentait  l'illustration  des  ascendants  féminins. 


l')  So'arâ',  777,   1. 

(^)  Pas  toujours  authentique  ;  d'accord  !  Mais  pourquoi  les  faussaires  ont-ils  en- 
dossé cette  littérature  aux  B.  'Odra  ?  En  revanche  on  relève  l'immoralité,  zhiâ,  de 
la  tribu  de  Daus  ;   Ibn  Doraid,  Isiigâq,  296,  3. 

(•')  Exclamation  de  Hind,  mère  de  Mo'âwia  :  «  Une  femme  libre  commet-elle  le 
rt«â»!  I.  S.    Tabaq.,  VIII,  4,   12.   Ici  libre  =  noble. 

(*)  C'est  le  sens  du  ^b_jl»  >_-«<'I.'s  ,  du  ^^sc^^  i_^<»^  ;  cf.  Mo'âzvîa,  97-99.  «  L'hom- 
me noble  doit  faire  descendre  le  plateau  de  la  balance  »  ;  Ibn  Doraid,  Istigâq,  257, 
4  ;   i\'agaid  Gartr,   300,  9. 

(■')  Goldziher,  M.  S.,  I,  41;  ZDMG,   1892,  p.   198. 

(S)  Cf  jWo'ôaia,  299-305.  Qotaiba,'^^^*»,  449,  d.  1.  Cj'^^'-  J^"   homme  de  rien, 

I.AMHENS  —  Berceau  19 


290  Situation  exceptionnelle  des  grands  chefs  bédouins 

Les  unions  serviles  ne  disparurent  pas  pour  autant;  mais  les 
enfants,  issus  de  ces  mariages,  jouiront  désormais  d'une  moindre  con- 
sidération. Toutefois,  pendant  plusieurs  générations  encore,  la  multi- 
plication des  patronymi(]ues  féminins  (')  maintiendra  le  souvenir  de 
l'ancien  »!airiarcat  et  de  la  primitive  licence  bédouine.  La  défa\eur 
même,  s'attachant  à  ce  passé,  atteste  à  sa  façon  la  réalité  des  faits, 
voués  maintenant  à  l'oubli.  Elle  explique  la  situation  exceptionnelle 
prise,  au  début  de  l'islam,  par  certaines  familles  de  grands  chefs  bé- 
douins. Nommons  Manzoûr  ibn  Zabbân,  '0}aina  ibn  Hisn,  'Aqil  ibn 
'Ollafa.  Chez  eux  du  moins  l'arbre  généalogique  ne  représentait  pas 
une  création  artificielle.  Ils  tenaient  «  les  deux  bouts  de  la  noblesse 
v_i^^l  tj^  »  (-);  leurs  ancêtres  du  côté  paternel  et  maternel  ;  avantage 
assez  insolite  sans  doute,  pour  expliquer  le  prix  qu'on  y  attachera 
désormais.  Aussi  verrons-nous  les  plus  hautes  illustrations,  le  Prophète 
et  les  califes  se  disputer  l'honneur  de  les  compter  comme  beau.x- 
pères  (^). 

* 

Personnellement  ces  savyd  nous  sont  dépeints,   comme   des  rus- 
tres, d'affreux  mécréants.  A  peine   poètes  (*),  nullement  orateurs,  ils 


comptant  peu  de  tantes  maternelles.  Pour  sa  part,  'Orwa  ibn  al-Ward  déplore  l'obscu- 
rité de  ses  ahwâl;  So'arâ' ,  906,  7.  Un  homme  noble  doit  avoir  une  nombreuse  pa- 
renté féminine  connue,  être  Cj'^^I^  Cj'^lil^  OU-»J'  tC^'»  Ya'qoûbî,  Hist.,  II,  192,  3. 
(')  Cf.  Ibn  Doraid,  Istiqaq,  176,  177,  247,  268,  277,  tX.  passim  ;  citons  Ibn  Mai- 
yâda,  Ibn  Sohayya,  Ibn  al-Barsâ'  etc.  Un  satirique  se  moque  de  ceux  qui  transfor- 
ment leurs  aïeules  en  hommes;  Ibn  Doraid,  op.  cit.,  186,  bas;  212;  Nagà'id  Garir, 
40,  52,  118,   121,   183,  186,  973. 

(^)  Ag.,  XI,  86,  3  ;  Ibn  Doraid,  Istigâg.  174,  CU<v-JU  v_s;->i»JI  ("-«^  ""  •  ■■  *— "^ 
i^_^j»sliXo  _*6  ;  comp.  la  section  consacrée  à  Gatafân;  ibid.,  p.  167  etc.;  une  des  filles 
de  Manzoûr  entre  dans  le  harem  du  calife  'Otmân  ;  Aboû  Tammâm,  Hamâsa,  E.  I, 
206.  Autres  épouses  de  Gatafân  et  de  Qais  chez  'Otman  ;  Tab.,  Annales,  I,  3056.  Les 
califes  comprenaient  la  nécessité  d'une  alliance  avec  leurs  voisins  du  Nagd.  Omm  al-ba- 
nîn,  fille  de  'Oyaina,  épouse  de  'Otmân  ;  Tab.,  loc.  cit. 

p)  Cf.  Wellhausen,  Ehe,  439;  note  précédente;  Ag.,  XXI,  145,   13. 

(*)  A  l'exception  pourtant  de  'Aqïl  ibn  'Ollafa,  jjiix  jtUo ,  poète  d'occasion. 


'Oyaina  ibn  Hisn  291 

ne  se  distinguent  ni  par  la  fastueuse  générosité  du  désert,  ni  dans 
les  chevauchées  de  la  razzia,  seules  capables  de  réveiller  chez  l'Arabe, 
né  brigand,  son  équivoque  bravoure.  Manzoùr  un  ivrogne  notoire  et 
époux  de  sa  belle-mère  1  (')  'Oyaina,  constamment  rebelle  au  prestige 
du  Prophète,  le  traitait  avec  la  désinvolture  des  sa\\d  bédouins,  avec 
la  familiarité  dégagée  d'un  supérieur,  se  reconnaissant  peu  de  pairs 
ou  kofou  .  11  doit  incontestablement  à  ces  irrévérences  le  jour  défa- 
vorable, où  le  place  la  Tradition,  saturée  de  préjugés  musulmans.  Elle 
nous  le  représente  comme  une  sorte  de  maniaque,  hautain  et  brutal, 
un  fou  enfin,  comme  l'aurait  qualifié  le  Prophète  (^).  D'après  les  an- 
nales de  l'évangelisation  des  tribus  germaines,  certains  chefs  barbares 
aimaient  mieux  rejoindre  leurs  ancêtres  en  enfer  que  de  se  retrouver  au 
ciel  avec  les  chrétiens.  On  prête  la  même  déclaration  au  fier  Fazârite. 
Le  paradis  de  Mahomet  ne  lui  disait  rien,  s'il  n'avait  l'assurance  d'y 
rejoindre  ses  contribules  et  ses  alliés  d'Asad  (^).  S'il  consent  à  accom- 
pagner le  Prophète  au  siège  de  Tâif,  ce  n'est  pas  pour  soutenir  la  cause 
d'Allah.  Mais,  comme  on  l'en  fait  convenir  ingénument,  connaissant 
la  finesse  des  Taqafites,  il  espère  obtenir  une  prisonnière,  destinée 
à  lui  donner  des  enfants  intelligents  (■*).  A  la  mort  de  Mahomet,  il 
s'empressa,  non  de  renier  l'islam  —  il  ne  l'avait  jamais  embrassé  (*)  — 
mais  de  dénoncer  son  alliance  momentanée  avec  Médine.  Son  influence 


(')  Cf.  Goldziher,  M.  S.,  I,  26  ;   Ibn  Doraid,  Istiqàq,   173. 

(Sj  Cf.  Ibn  Doraid,  Istigâq,  173.  Il  faut  de  nouveau  supposer  l'influence  des  ver- 
sets du  Qoran,  hostiles  aux  Bédouins  et  aussi  les  rancunes  des  Médinois,  dont  'Oyaina 
avait  si  souvent  pillé  les  propriétés.  Comme  'Àmir  ibn  at-Tofail  avec  le  Prophète, 
sans  cesse  ces  chefs  réclament  l'abandon  de  À-oyil    ,lr  i_*^  ;  Qotaiba.  Poesis,   192,   1. 

(3)  Ibn  Doraid,  Isligâq,  173.  Asad  et  Gatafân  s'appelaient  ^U-J^l  ,  les  deux  tri- 
bus alliées.  Sur  cette  alliance,  voir  Nâbiga  Dobyânî  dans  So'arâ',  674-76. 

{*)  «Von  sich  aus  konnte  er  keine  Weisheit  vererben  »  ;  Wellhausen,  Reich,  72. 
Les  Banoû  Taqîf  sont  \3iSJi\^  \^jfà\  ^'>\\  Ibn  Hisâm,  Stra,  131;  cf.  notre  Taïf, 
p.  11.  La  Tradition  entend  faire  reconnaître  par  le  chef  de  Fazâra  en  personne  la 
qualification  de  fou.  Le  procédé  paraît  assez  naïf,  mais  il  sert  à  illustrer  les  artifices 
de  rédaction  dans  le  hadît. 

(•')  Le  contraire  est  supposé  par  la  Tradition,  laquelle  reconnaît  dans  la  ridda 
l'apostasie  des  tribus.  Le  mérite  du  prince  Caetani  est  d'avoir  fait  bonne  justice  de 
cette  conception  surannée. 


292  Alliances  matrimoniales  avec  les  chefs  bédouins 

entraîna  les  Arabes  de  Qais  dans  la  révolte  (').  La  tradition  de  cette 
ville  s'en  est  vengée,  en  déversant  le  ridicule  sur  'Oyaina  :  elle  satis- 
faisait en  même  temps  ses  rancunes  contre  les  Bédouins,  incorrigibles 
pillards  des  domaines  ansâriens.  Fait  prisonnier,  il  est  amené  devant  le 
calife  AboQ  Bakr.  Ce  dernier  lui  reproche  d'avoir  renié  Allah.  «Jamais, 
s'écria-t-il,  je  n'ai  cru  en  lui  :  et  s'il  \'  en  avait  un,  je  jurerais  par  lui 
qu'il  n'existe  pas  !  ». 

Le  trait  est  vigoureux,  mais  que  vaut-il  ?  Dans  le  style  de  l'islam 
primitif  tout  rebelle  est  déclaré  ennemi  d'Allah  (-).  Allah  représente, 
dans  cette  phraséologie  à  allures  théocratiques,  les  abstractions  so- 
ciales :  le  gouvernement,  l'administration,  la  justice,  les  finances  de 
l'état,  tout  est  rapporté  à  Allah:  aàl  ^.IkUo  et  ^«3)1  JU,  sans  en  ex- 
cepter la  cavalerie  et  la  gendarmerie  ;  témoins  les  locutions  ^l  J-^ 
et  <ài\  i>J^  (^).  Si  réellement  'O^-aina  a  inventé  la  déclaration,  citée 
plus  haut,  rien  ne  prouve  que  le  sens  n'en  ait  pas  été  compris  de 
travers  par  les  compilateurs  postérieurs.  A  notre  avis  le  chef  fazârite 
a  simplement  protesté  qu'à  aucune  époque  il  n'avait  reconnu  la  su- 
prématie de  l'état  médinois,  fondé  par  Mahomet,  le  <à!  ^IL^-c,  repré- 
senté après  sa  mort  par  le  calife  Aboii  Bakr. 


Anoblis  de  par  la  nouxelle  religion,  les  anciens  marchands  de 
la  Mecque  éprouvèrent  le  besoin  de  passer  par  dessus  le  récent  ba- 
digeon de  leur  blason  islamite  (*)  une  couche  de  vermillon  aristocra- 
tique, en  s'alliant  avec  ces  maisons  bédouines  à  la  noblesse  incontestée, 


(*'  Ce  passé  compromettant  ne  l'a  pas  empêché  de  recevoir  le  titre  de  Compa- 
gnon  et  de  figurer  en  cette  qualité  dans   Ibn   Hagar,  Isâba,   E.   III,  54-55. 

(•-)  Cf.  Ag.,  XII,  26,  27.   Le  rebelle  détruit  <sil  ^}  J)U>  :  Ag..  XIX,   140. 

(3)  Cf.  Ziâd  ibn  Atnhi,  101  ;  <ui\  J^  ;  Hassan  ibn  Tâbit,  Divaii,  XLI,  1.  Yazid. 
135.  Sous  les  'Abbâsides  le  commandement  ,_y^  s\  «ûjl  J.^  b  demeure  le  boute-selle 
de  la  cavalerie  ;  Qotaiba,  'Oyoûn,  145,  12. 

(■*!  Seul  'Omar  se  prétend  indifférent  à  la  noblesse  de  ses  femmes  et  de  ses  gen- 
dres ;  I.  S.    Tabaq.,   III ',  208,  8. 


Les  chefs  kalbites  293 

jyùlj-c  -i  ■ -v:^  (')■  i'"*^  noblesse  antérieure  à  l'hégire,  »_i^  >_u^  Jjt\ 
aJJiaU.'^  J-«ai-<  (").  Si,  dans  Tintimité,  ils  tournaient  en  ridicule  le 
gafà\  la  rudesse  des  mœurs  (^),  ils  tenaient  infiniment  à  conserver 
les  bonnes  crràces  des  grands  sa\'yd.  Humiliés  par  lincertitude  de  leurs 
propres  généalogies,  Oma\Tades,  'Alides,  Zobairides,  tous  les  préten- 
dants à  la  succession  du  Prophète  voulurent  être  les  gendres  de  ces 
Bédouins  mécréants. 

A  ces  beaux-pères  du  désert,  maréchaux  de  l'aristocratie  arabe, 
choyés  par  les  magnats  islamiques,  il  faut  adjoindre  une  autre  four- 
née de  say\'d,  choisis  dans  la  puissante  tribu  s\TO-chrétienne  de  Kalb  : 
Al-Forâfisa  et  Bahdal  ibn  Onaif  (^).  Le  grand  calife  ÎMo'âwia,  les  So- 
fiànides  après  lui,  croiront  ne  pouvoir  affermir  [leur  autorité  qu'en 
s'alliant  à  cette  lignée  de  chefs  bédouins.  Nous  l'avons  montré  dans 
les  études  consacrées  aux  deux  premiers  califes  oma3'vades  (')• 
Nommons  encore  As'at  ibn  Oais,  le  roitelet  de  Kinda  C^).  Il  fut  fait 
prisonnier  pendant  la  révolte  des  Arabes,  après  la  mort  de  Mahomet, 
et  amené  à  Aboû  Bakr.  Ce  calife  avait  alors  sur  les  bras  sa  propre 
sœur,  une  veuve  d'âge  mûr.  Or  le  Prophète  avait  loué  la   précipita- 


(')  Ibn  Doraid,  Istiqâg,  173,  180.  Les  annalistes  relèvent  avec  raison  l'ilhistration 
des  alliances  matrimoniales,  conclues  par  l'anticalife  Ibn  Zobair. 

(•-)  Ibn  Doraid,  op.  cil..  213  d.  I.  ;  214,  1.  Comp.  Ag.,  XXI, 145,  3  ;  privilège  rare  !  A 
Médine  la  famille  de  Sa'd  ibn  'Obâda,  >>y^\  ^^  ^^.f  >-^^-^  •  "'"  Doraid,  op.  cit.,  269, 
4  d.  1.  On  n'ose  épouser  ses  femmes  divorcées  ;  Hanbal,  Mosiiad,  I,  238. 

(3)  Comp.  Ag..  IV,  8;  9,  3  d.  L  ;  34,  4  d.  1.  ;  Mobarrrad,  Kâmil,  40,  .ô  ;  'Iqd^, 
II,  151,  10,  14;  Hanbal,  Mosnad,  I,  257;  cf.  République  marchande,  32;  au  lieu  de 
tliii.  on  emploie  aussi  k\i  et  ^-vl.^  ;  I.  S.  Tahaq.,  VI,  115,  8;  194;  Hanbal,  Mosnad, 
II,  203,  5,  s-^f^  \J^\  NasâT,  Sotian,  II,  139;  comp.  Migne  P.G.,\o\.  82,  c.  1475: 
S.  Siméon  Stylite  et  les  .Sarrazins.  Le  Bédouin  convient  de  son  gafà':  Aboû  Tammâm, 
Hamàsa,  E.  I,  203  d.  v.  'Jqd*,   II,  76  sqq.  chapitre  consacré   au.\   Bédouins,  passim. 

0)  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  316,  7;  '/yrf',  II,  72,  2.  Pour  anoblir  le  légendaire  Dahia 
ibn  Halïfa,  on  le  rattache  à  ces  personnages  ;  'Iqd,  loc.  cit.  Cf.   Vaztd,   290. 

{'•>)  Cf.  Mo'âwia,  311-312;  Yazïd,  109.  Voir  duns  V  Encyclopédie  de  l'islam  nos  ar- 
ticles :  Bahdal  ibn  Onaif  et  Hassan   ibn    Mâlik. 

C''  Cf.  .Mo'âwia,  index  ;  Dînawari,  Akbàr  fitvâl,  166,  277.  Une  de  ses  filles  passe 
d'un  'Alide  a  un  Hâsimite;  I.  S.  fabaq.,  V,  231,  14.  Un  autre  beau-père  aristocrati- 
que serait  (?)  'Àmir  ibn  at-Tofail  (voir  plus  loin);  Ibn  Hagar,  Isàha,  II,  343;  Aboû 
Tammâm,  Hainâsa,  E.   I,  28,  29. 


294  As'at  ibn  Qais 

tion  en   deux   circonstances:  pour   enterrer  un  mort  et    marier    une 

veuve  (')•  ^>*»  cy^  -^  ^ly^  cjr^  z>i  (^•^•'  ^"^^  ^^  '•  ^^)'  ^'°''^  ^^  devise 
des  veuves  arabes;  un  mari-soliveau  plutôt  (jne  de  se  morfondre  sous 
la  tente  paternelle  (').  Désireux  de  se  tirer  de  son  mauvais  cas,  le 
chef  révolté  demanda  la  main  de  la  sœur  d'Aboù  Hakr.  Par  cette 
adroite  flatterie  à  l'adresse  du  modeste  cito\-en,  devenu  chef  d'empire, 
l'aristocrate  yéménite  obtint  la  ^■ie  sauve  et  l'absolution  du  passé. 
Les  "Alides  briguèrent  également  l'alliance  d' As'at  (*). 

Si  dans  certaines  occurrences,  Mo'âwia  se  plaisait  à  proclamer 
la  supériorité  des  femmes  qoraisites  (*),  nous  connaissons  aussi  le 
prix  attaché  par  ce  politique  éclairé  aux  unions  avec  les  tribus  de 
S3Tie  (^),  où  le  christianisme,  en  préconisant  la  monogamie,  avait  lutté, 
non  sans  succès,  contre  l'ancienne  promiscuité.  De  nos  jours  des  par- 
venus cherchent  par  de  brillantes  alliances  à  faire  oublier  l'humilité 
de  leurs  débuts,  en  projetant  sur  l'obscurité  de  leur  passé  l'éclat  em- 
prunté d'une  glorieuse  série  d'ancêtres.  Nous  venons  de  constater  le 
même  phénomène  au  sein  de  la  société  arabe,  en  cette  vigile  de 
l'hégire. 

(')  Gâhiz,  Bayàn,    I,  220. 

^-)  Comp.  ce  vers  de  Hosain  ibn  Homâm,  mort  peu  avant  l'hégire;   So'arâ,  744 

Veuves  désireuses  de  convoler,  mais  la  guerre  a  décimé  les  hommes  de  la  tribu. 

P)  Cf.  Mo'âwia,  loc.  cit.  Les  'Alides  semblaient  donc  ignorer  les  actes  de  trahi- 
son —  et  à  leur  détriment  —  attribués  à  la  famille  d'As'at,  qualifiée  par  les  Si'ites 
yXi}\  ^  ^«Jjs-ll  ij^'i;   Ibn   Rosteh,  A'/âq.   229;  cf.  Ag..   X\'III,    159    ('Ali    et  As'atJ. 

(J)  Cf.  Mo'àwia,   .310. 

(5)  Mo'âwia.  311. 


Importance   de    la  condition    maternelle. 
Ni  esclave  ni  prisonnière  de  guerre 


Ce  phénomène,  cette  évolution  d'idées  étaient  en  train  de  se 
produire,  quand  parut  le  novateur  mecquois.  En  dépit,  ou  peut-être 
en  raison  même  du  mystère,  entourant  sa  naissance  ('),  il  s'appropria 
ce  progrès.  Le  flair  de  l'homme  d'état  l'amena  à  en  favoriser  les  ten- 
dances aristocratiques.  On  observe  dans  son  Ooran,  dans  les  sourates 
médinoises,  une  atténuation  (■)  constante  des  principes  démocratiques 
du  début,  développés  au  cours  des  prédications  à  la  Mecque  (^).  Tout 
en  consacrant,  au  nom  d'Allah,  la  polygamie  et  les  unions  ancillai- 
res  (*),  il  renforça,  mais  aux  dépens  de  l'épouse,  l'autorité  du  mari, 
devenu  l'unique  chef,  le  fondement  exclusif  de  la  famille  (*). 

Ici,  comme  en  maintes  autres  questions,  la  présomption,  l'esprit 
de  tendance  persuadèrent  aux  Arabes  que  les  mœurs,  les  idées  nou- 
velles plongeaient  leurs  racines  dans  l'antiquité  la  plus  reculée.  Leur 


(•)  Il  s'en  trouvait  gêné;  Gâhiz,  Mahàsin.   135. 

(-)  Mais  adroitement  dissimulée  comme  dans  Qoran,  3,  153. 

(3)  Cf.  Fàtitna,   61. 

{*)  A_>u:l  CvSLLc  U;  Qoran.  passiui.  Cette  consécration  est  un  des  plus  mauvais 
ser\'ices,  rendus  à  ses  sectateurs.  Elle  s'oppose  à  toute  évolution,  partant  à  toute  réforme 
sérieuse  de  la  famille  musulmane.  Les  modernes  réformateurs  turcs  le  sentent  doulou- 
reusement et  ont  parfois  le  courage  d'en  convenir. 

(')  Cf.  Wellhausen,  Ehe,  446  sqq. 


296  I-e  «  hal  »  ou  oncle  maternel 

chauvinisme  impérialiste  ('),  exalté  au  contact  des  peuples  civilisés, 
maintenant  réduits  à  la  condition  de  tributaires,  les  conduisit  à  ac- 
cepter d'enthousiasme  la  fiction  de  la  pureté  de  la  race  arabe.  Elle 
devint  un  des  arguments,  établissant  leur  prétendue  supériorité  sur 
les  vaincus.  «  Ne  ressemblons  pas,  aurait  dit  le  grave  'Omar,  aux 
Nabatéens  de  la  Bab\lonie.  Quand  on  les  interroge  sur  leur  origine 
ils  répondent  par  le  nom  de  leur  village  »  {"). 

Les  familles,  placées  de  par  l'islam  à  la  tête  d'un  immense  em- 
pire, voulurent  bien  croire  à  la  réalité  des  proli.Kes  généalogies,  fa- 
briquées par  des  nassàôa  impudents  (^).  Nous  ne  songerions  pas  à  pro- 
tester. Cette  illusion,  complaisamment  acceptée,  constatait  en  défini- 
tive un  progrès  de  la  moralité.  C'était  glorifier  des  principes,  trop 
longtemps  oubliés,  aux  dépens  du  développement  de  la  ci\ilisation 
arabe.  Au  cours  des  décades,  immédiatement  antérieures  à  l'hégire, 
les  idées  nouvelles  ont  fini  par  s'imposer  à  l'opinion,  aux  classes  di- 
rigeantes. Interprétant  dans  ce  sens  l'adage  juridique  :  parlus  sequittir 
ventretn,  les  Arabes  ont  compris  l'importance  de  la  noblesse  mater- 
nelle {*).  De  cette  estime  découlait  précisément  la  considération  spé- 
ciale, attachée  à  la  qualité  du  hàl  ou  frère  de  la  mère.  «  L'honnête 
homme  »  devait  en  première  ligne  posséder  des  hàl  irréprochables  ; 
condition  impossible  à  réaliser  dans  l'hvpothèse  d'un  mariage  servile. 

(')  Mahomet  les  proclame  le  peuple  choisi;  1.  S.  Tabaq.,  I',  p.  '1  \  dans  le  Qo- 
ran,  passim,  les  musulmans  recueillent  l'héritage  religieu.\  et  temporel  des  anciennes 
sociétés,  détruites  pour  leur  infidélité. 

(*)  'Iqd^,  II,  44.  En  parlant  de  leurs  origines,  les  Arabes  les  comparent  à  «l'eau 
du  ciel,  tL».»»Jl  ^j  f«-^  cj^  ;  on  l'a  vu  dans  les  citations  précédentes. 

(■')  Pour  les  généalogies  de  Qorais,  Mahomet  renvoie  à  Aboû  Bakr  ;  il  proteste 
contre  les  fictions  généalogiques;  Hosrî ',  I,  27;  I.  S.  Tabaq.,  I',  27-29.  L'ange 
Gabriel  lui  apprend  qu'il  descend  de  Modar;  I.  S.  Tabaq.,  I',  .S,  1.  13  ;  comme  si  sur 
ce  point  une  révélation  devenait  nécessaire.  Il  est  surprenant  que  le  grand  généalo- 
giste soit  Dagfal,  un  Bakrite,  vivant  à  des  centaines  de  kilomètres  du  Higàz.  Les 
Xaqâ'id  Gartr,   189,   1  v.  citent  déjà  une  <*j.;^s-^  de  Dagfal. 

(■<)  Qotaiba,  Poesis,    130,   10;   Ibn  Doraid,  Iktiqàq,    180,  4-7: 

Allusion  satiriciue  aux  mensonges  des  généalogistes  et  aussi  au  favoritisme.  Cf.  Bohtorî, 
Hâinasa,   n.   1096,  variante:   ,1^  «,1  Ctcl  ^Is"^.!»  \ 


Les  joutes  poétiques  297 

La  modestie  est  une  fleur  trop  délicate  pour  s'épanouir  au  dé- 
sert. Dans  les  annales  littéraires  de  la  Péninsule,  rien  de  fréquent 
comme  la  mention  des  tournois  poétiques,  où  il  est  question  d'établir 
sa  propre  supériorité  ou  celle  de  sa  tribu  (').  La  sincérité,  le  scru- 
puleux respect  de  la  vérité  n'y  étaient  pas  de  rigueur  et  l'on  cite 
avec  admiration  les  poètes  a\ant  tait  exception  sur  ce  point,  ^  j^I 
if>^  j:  A-.~i-)  ^  J-»-<»>.  (■).  Ces  joutes  s'appelaient  vwfâhara^  moiiàfara 
ou  monàza'a.  Pour  les  partenaires,  l'épreuve  la  plus  redoutable  était 
sans  contredit  l'état-civil  de  la  mère  (^):  libre  ou  esclave?  Sous  l'in- 
fluence des  mœurs  nouvelles,  on  finit  par  pousser  très  loin  la  délica- 
tesse (^);  on  n'acceptait  plus  même  d'avoir  été  élevé  par  une  femme 
esclave,  de  l'avoir  eue  comme  nourrice  (^). 

On  i)eut  posséder  de  l'honneur  et  n'avoir  pas  été  bercé  sur  les 
genoux  d'une  duchesse.  Ainsi  pensait  déjà  un  poète  bédouin:  son 
nom  eût  mérité  d'être  conservé  I  C')  •  Sans  faire  partie,  disait-il,  de 
la  haute  aristocratie,  j'appartiens  à  une  famille  honorable.  Sans  être 
un  modèle  de  générosité,  ni  un  foudre  de  guerre,  je  n'hésite  pas  à 
exercer  la  charité,  à  accomplir  mon  devoir  sur  le  champ  de  bataille  : 


(')  Cf.  notre  Chantre  175-76;  Gâhiz,  Mahâsitt,  135  sqq.  Naqâ'id  Gartr,  141  :  nio- 
fahara  apocryphe  :  elle  fournit  l'occasion  de  glorifier  Qorais  et  d'énumérer  les  ancien- 
nes divinités  arabes  ;  c'est  un  exercice  d'archéologie  ;  autre  mofahara  dans  le  genre 
grossier;  ibid.,  Il,  7  sqq.  Type  de /aAr  emphatique,  l'éloge  des  Ansârs  dans  Hassan 
ibn  Tâbit,  Divan,  pièce  161. 

(^1  Cf.  Qotaiba,  Poesis.  222,  15.  Le  paladin  'Anirou  ibn  Ma'dikarib  avoue  qu'il 
prend  la  fuite  et  redoute  la  mort;  Qotaiba,  op.  cit.,  221,  2-4.  N'oir  plus  liaut  le  con- 
cept du  courage  arabe. 

P)  Aboû  Tammâm,  Haniâsa,   113,  4  v.;  J.   Hell,  Farazdak's  Lobgedicht,  p.  2. 

(■•j  Ici  la  poésie  se  porte  garant  de  l'existence  de  ces  sentiments. 

p)  Ag.,  VIII,  190,  bas;  Gâhiz,  Haiawan,  111,  29,  3.  On  voulait  «avoir  seule- 
ment sucé  les  mamelles  d'une  femme  libre,  au  blanc  visage. 

De  nouveau  le  noble  Arabe  est  de  couleur  blanche;   à  fortiori  les   émirs  gassânides  ; 
Nâbiga  Dobyânï  dans  So'arâ',   648. 

(^)  jâ-i  Jl*^;  la  Hamâsa  ne  le  désigne  pas  autrement.  Je  n'ai  pu  rencontrer  ail- 
leurs la  tirade. 


298  Dégradation  morale  de  la  femme  esclave 

Ce  Bédouin  était  trop  pondéré,  trop  raisonnable  pour  faire  école 
en  sa  patrie.  Dans  cet  idiome  arabe,  si  riche  en  (jualificatifs  injurieux 
l'expression  «  fils  de  l'esclave  »  représentait  une  tles  plus  désajjréables 
épithètes.  Ce  n'était  pas  une  affaire  de  sentiment  ni  de  philanthropie. 
Mais  par  suite  des  conditions  sociales  de  l'Arabie  (_ï--->j-»  crt^  signifiait 
facilement  «  fils  de  la  courtisane:  t^f  V  J>Ji-?.  i^'  J-^  »  (^).  ♦  Epou- 
ser une  esclave,  déclarera  un  dicton,  c'était  se  rapprocher  de  l'a- 
dultère !•  {*).  Dans  l'horrible  promiscuité  de  la  vie  nomade,  où  le 
mot  de  chasteté  n'a  pas  de  valeur  absolue,  où  l'honneur  féminin  passe 
pour  un  monopole  aristocratique  (°),  on  se  figure  malaisément  à 
quels  abîmes  de  dégradation  devait  parfois  descendre  la  femme  esclave, 
propriété  absolue  et  jouet  d'un  maître  brutal  ("^).  Même  sans  aller  si 


(')  Le  poète  est  censé  interpeller  sa  femme,  l'éternelle  <iJiU  .  Ses  récriminations 
servent  de  prétexte  aux  développements  poétiques.  Elle  remplit  la  partie  du  chœur, 
dans  les  tragédies  antiques.  Voir  précédemment. 

('-)  Aboû  Tammâm,  Hamâsa,   E.  I,   148-49. 

(3)  Ag.,  IV,  45,  2;  cf.  44-45;  Naqà'id  Garîr,  40  d.  I.;  63  d.  v.  Cf.  Mo'âwia. 
300;  Yaztd,  82,  83;  Morassa'  (.Seyboldti  51.  7,  comp.  l'introd.  p.  X\',  et  les  pre- 
scriptions du  Qoran,  prohibant  de  forcer  les  esclaves  à  la  prostitution.  ^Jitorn,  syno- 
nyme de  ^_^JiS\  Naqà'id  Garîr,   41. 

(•*)  Aboiî  'Obaid,  Garib,  (ms.  Kupnilu)  354,  *.  ;  un  hadît  inventé  pour  résister 
à  la  mode  croissante  des  unions  ancillaires,  du  yf^  ,  comme  on  disait.  On  essaie  de 
la  justifier  par  l'exemple  des  plus  saints  personnages  de  l'islam;  'Igd*,   II,  243. 

(^)  Conception  favorisée  par  l'islam  ;  «  la  femme  esclave  peut  prier  sans  voilt',  c'est 
sa  sotitiay;  à  rencontre  de  la  femme  libre;   Mâlik,  3Iodaztrwana,   1,  94. 

(•')  Nous  renvoyons  à  Ag.,  VIII,  182,  5  etc.,  où  le  calme  du  narrateur  impres- 
sionne péniblement.  Sous  l'islam,  peu  de  maîtres  obligent,  comme  Ibn  'Abbâs  leurs 
esclaves  à  se  marier  pour  les  préserver  du  désordre;  I.  S.  Tabaq.,  V,  212,  11.  Un 
noble  musulman  assistant  au  mariage  d'un  de  ses  esclaves,  les  traite  de  chiens  et  de 
prostitués;  'Iqd^,  II,  203,  1  etc.  Les  recueils  de  nawâdir  sont  friands  de  cette  litté- 
rature épicée. 


La  condition  de  la  mère  299 

loin,  on  posait  en  principe  que  le  descendant  d'une  mère,  condamnée 
aux  plus  vils  travaux,  devait  conserver  dans  l'âme  des  sentiments  (') 
dignes  d'une  gardienne  de  chameaux.  Mahomet  aurait  dit  :  «  les  der- 
niers temps  seront  proches,  quand  on  verra  la  servante  enfanter  son 
maître  »  ('). 

<  Le  clan    de  ta  mère    est   suspect  ('),    examine    donc   la  valeur 
de  tes  flèches  >   {*). 


Une  allusion  analogue  suffisait  pour  rabattre  les  plus  hères 
prétentions.  Ce  thème  sert  de  trame  à  la  légende  de  'Antar,  véri- 
table roman  à  thèse,  montrant  un  héros,  condamné  à  lutter  sa  vie 
entière  contre  ces  préjugés  (*).  Chez  les  Arabes,  ils  expliquent  l'in- 
sistance à  se  proclamer  s  ji  c>i\  ,  fils  d'une  mère  libre  ou  encore  ^\ 
jy^l  .1  (^),  un  nom  propre  si  répandu  à  l'époque  impérialiste  C),  fils 


(«)  Mo/addalyyât,  (Thorbecke),  XXIV,  20  ;  Goldziher, /!/.  5..  I,  121-22.  «  Ma  mère 
n'est  pas  une  esclave  »;  So'ara,  637,  5. 

(-)  Moslim,  .SaAS*',  I,  27;  Bohâri  K.)  SahUt,  I,  21;  11,120.  Qu'en  pensaient  les 
'Abbasides,  fils  d'esclaves,  à  trois  exceptions  près?  Ils  se  trouvaient  certainement  visés 
dans  ce  hadït  à  tendance  politique. 

(3)  Salîiii,  voir  la  note  suivante.  Garîr  a  voulu  choisir  ce  terme.  Saiïtii  ou  So- 
taim  f  Le  sens  demeurait  défavorable,  étant  donnée  l'obscurité  des  Banoû  Sotaim  ;  comp. 
Aa.yi  p^  ;  Zohair  (Ahlw.),  76,  8. 

(•*)  Vers  adressé  par  Garir  à  Farazdaq  :  f>j^  ^^  '^  I  i»*  >  C^i  •  ''^"  ''^"  '^^ 
SalÎHi,  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  118-19  lit  Sotaim  et  cite  à  ce  propos  les  BanoQ  Sotaim. 
Le  sens  serait  :  «  ta  mère  appartient  au.\  B.  Sotaim  »  ;  pas  nommés  dans  les  Tabellen 
de  Wûstenfeld.  D'après  Xagâ'id,  188.  8-10,  (cf.  Ag.,  XIX,  2)  la  mère  de  Farazdaq 
n'était  pas  de  ce  clan.  Voir  citations  dans  Hell,  op.  cit.,  2-3.  Sabyya  parmi  les  aïeules 
de  Farazdaq;  Nagâ'id  Garîr,  764,  3.  Sotaim  était  un  clan  dabbite,  apparenté  à  celui 
de  sa  mère,  c'est  le  sens  de  l'insinuation  de  Garîr  et  dans  ce  cas  il  paraît  préférable 
de  retenir  la  leçon  Sotaim. 

y")  Cf.  Qotaiba,  Poesis,    130. 

(«)  Wright,  Opuscula,  49,  6  d.  I.  ;  Labîd,  Divan,  (Huber-Brockelmann)  XXVII, 
2.  XXXIII,  3,  4;  cf.  Nôldeke,  IfZKM.  VI,  310;  Ibn  Doraid,  Isiiqâq,  210;  Tarafa 
fAhUv.)  66;  So'arâ',  914,  4;  Gâhiz,  Bayàn.   II,  35,  14. 

C)  Voir  les  index  d'Agâni  et  de  Tabari,  Annales.  Cf.  Nagâ'id  Garîr,  535.  On  rencon- 


300  Klle  ne  doit  pas  être  esclave 

de  la  mère  des  hommes  libres,  par  opposition  au  nom  réaliste  de  l'es- 
clave, jJ  ^  Vl .  On  se  Hit  encore  eUio  ^ol ,  fils  d'vme  blanche  ('),  les  es- 
claves étant  ordinairement  des  négresses,  à  cette  époque,  en  Arabie  {^). 
Les  belles  et  grandes  actions,  on  les  considérait  comme  réservées 
aux  descendants  de  la  femme  libre  (').  Les  nomades  se  refusaient  à 
admettre  qu'une  esclave  pût  donner  le  jour  à  qui  devait  être  son 
maître,  le  fils  suivant  fatalement  la  condition  de  sa  mère  {*).  De  là 
encore  le  sens,  attaché  à  l'épithète  de  liorra,  devenu  s\non}'me  de 
grande  dame  (^). 

<  Notre  race  est  pure,  chantaient  les    poètes,  ce    privilège  nous 
le  devons  à  nos  aïeules  et  à  nos  ancêtres. 

Nous  ressemblons  à  l'eau  du  ciel  (")  :  dans  nos  origines,  tout  est 
tranché,  net;  jamais  on  ne  comptera   parmi  nous   un   avare, 
-,    '    '  i  ^  •  ■>  .    .  »  -' 


tre  aussi  À~jr.S  ^i\  ;  Vaciout,  E.  V,  235.  TVI  i^-o  se  trouve  opposé  à  ^^'bijiJI  ^-o  -;  tils 
de  mères  différentes  ;  Ibn  Mâgâ,  Sonan,  E.  I,  82,  10.  Dans  une  pièce  en  l'honneur  de 
Mos'ab  ibn  Zobair,  Ibn  Qais  ar-Roqayyât.  Divan,  181  d.  v.,  appelle  par  mépris  les  Sy- 
riens, partisans  des  Omayyades,  0^'-*J^  y^. 

(1)  Gâhiz,  Mahàsin,  192,  7.  I.  S.  Tabaq.,  I',  43,  d.  1.  Ag.,  XI,  154;  XXI,  97; 
Hâtim,  Divan,  LXVI,  3,  Blancheur  -^:  noblesse  ;  Aboû  Tainniâin,  Hainâsa,  673,  bas; 
comp.  mains  i/awf Af .s  =  généreuses,  non  des  mains  d'esclaves;  conij).  Gâhiz,  Haia- 
wân,  m,  29,  3.  On  se  proclame  \l  vï>-^I  C-"^' 5  "j^-  ■  Hansâ",  Divan,  34,  1.  «  Blancs  de  vi- 
sage, blancs  jusqu'à  illuminer»;  Nagâ'id  Garïr,  287;  301,  4  v.  ;  Gâhiz,  Haiawân,  III, 
28,  bas.  Il  est  question  aussi  de  «  mains  vertes  »  :=  généreuses  ;  JVaçâ'id  Garïr,  412,  14. 

(-)  La  Copte  Mariam  de  Mahomet  aurait  été  à  son  époque  la  seule  femme  blan- 
che en  Arabie;  1.  S.  Tabac..  I',  86,  9.  Deux  aïeules  négresses;  Ibn  Uoraid,  l'stiqâq, 
183,  3  d.  1.  La  mère  est  )f-^\  <*-ol  ;  Ag.,  XXI,   134,   d.  1. 

('')  Aboû  Tammâm,  Hainasa,    E.   I,  25. 

(^)  Voir  l'incident  soulevé  par  le  Bédouin  Qattâl  ;  Ag.,  XX,  164,  etc.;  cf.  Gold- 
ziher,  M.  S.,  I,  122;  Wellhausen,  Ehe,   440;  Ag.,  XX,   162,  bas;   164  bas. 

(5)  Naqâ'id  Garïr,   153,   1. 

(^)  Comp.   Bohtori,  Hainâsa,   n.    1169  : 

Q)  Aboij  Tammâm,  Hainâsa,  E.  I,  59.  Eau  du  ciel  synonyme  de  pureté  parce 
que  soustraite  à  la  décomposition,  provoquée  par  l'évaporation  (Voir précédemment.) 


Même  sujet  301 

Si  à  cet  état  de  l'âme  arabe,  on  ajoute  l'exagération,  l'ostentation, 
propres  à  cette  nation,  on  comprendra  la  portée  de  la  prétention  de  ce 
Bédouin  :  «  entre  moi  et  Adam  (*),  je  ne  connais  d'autre  esclave  que 
Agar.  mère  d'Ismaël  >  (").  Absurde  ou  non,  la  pratic|ue  devait  en 
tenir  compte.  Assurément  on  se  montrait  fier  de  ses  ascendants  pa- 
ternels : 

«  Nos  pères  sont  des  personnages,  que  des  ancêtres  de  noble 
extraction  ont  élevés  au  sommet  de  la  gloire  ». 

Mais  c'était  pour  ajouter  incontinent  après: 

«  Et  quelle  noblesse  chez  nos  mères,  vénérables  matrones  ;  elles 
ont  hérité  l'illustration  d'une  longue  série  d'aïeux  I 

Un  cas  douteux  dans  la  descendance  féminine  suffisait  pour 
annuler  les  quartiers  de  noblesse  paternelle.  Citons  l'exemple  d'in- 
signes sayvd,  ne  trouvant  pas  à  se  marier  dans  leur  propre  tribu  (*). 
Sous  une  forme  piquante,  une  parole  (')  du  spirituel  'Aqïl,  frère  de 
'Ali,  le  gendre  borné,  >«as8  de  Mahomet,  résume  toutes  ces  théories. 
A  la  question,  devenue  banale  chez  les  nomades  (^):  «  quel  est  le 
plus  noble  des  hommes  »,  c'est  à  dire  des  Arabes,  'Aqîl,  donna  cette 


(')  Dans  la  généalog^ie  le  Bédouin  remonte  droit  à  Adam;  Ag.,  XI,  166,  10.  Les 
exemples  ont  été  cités  plus  haut. 

(-)  .■\ttribuee  également  au  fameux  Haggâg;  'Iqd^,  II,  54,  10  d.  1.;  Gâhiz,  Bayân, 
I,  180.  Les  So'oûbyya  insistent  volontiers  sur  Agar  ;  ils  font  dire  à  Aboû  Horaira  : 
tU— J'  i^  tj-o  b  XZ^  ClUi;  .Moslim,  Sahîh',  II,  308,  5;  Naçâ'id  Garir,  221,  6. 

(3)  I.  S.  Tabaq.,  VI,  119,  2,  3;  Nagà'id  Gartr,  806,  12.  A  partir  de  l'islam,  les 
poètes  célèbrent  leur  mère  plus  rarement.  Voir  plus  haut  la  remarque  sur  le  person- 
nage loquace  de  la  iUiU.  Sous  les  Oma>-yades,  on  retrouve  encore  le  panégyrique  de 
la  mère,  .•\insi  'Aisa,  mère  du  calife  'Abdalmalik,  est  célébrée  comme  une  reine.  Ibn 
Qais  ar-Roqayyât.  Divan,  215-216;  ajoutez  p.  83,   14;  257;  Ag.:  XX,  159,  4. 

1^)  Il  s'agit  du  fils  du  grand  sayyd  'Oyaina  ibn  Hisn  ;  AboûTammâm,  Hawâsa. 
261,   II. 

(^)  Elle  peut  avoir  été  trouvée  après  coup.  Mais  elle  résume  bien  les  anciennes 
idées  arabes.  En  insistant  sur  les  répliques  spirituelles  de  'Aqïl,  la  Tradition  veut  in- 
sinuer que  les  descendants  d'Aboû  "Tâlib  n'étaient  pas  dépourvus  d'intelligence. 

(«)  Comp.  :  ,j^y  3-=*'  vi>-lil  :  'IqdK   IV,  274,   11. 


302  Knfaiit  trouvé 

réponse:  «  moi  d'abord,  puis  le  fils  de  ma  mère  »  (').  Pour  en  saisir 
la  portée,  y  découvrir  plus  qu'une  prétentieuse  tautologie,  il  faut  sup- 
poser la  polygamie,  réunissant  dans  la  promiscuité  du  harem  des 
femmes  de  condition  différente.  En  véritable  Arabe,  'Aqil  commen- 
çait par  se  décerner  le  premier  rang  dans  la  grandesse  du  désert. 
En  biaisant  sur  ce  point,  il  n'eût  pas  été  de  son  pa3s.  Ensuite  sous 
forme  de  concession,  il  admettait  la  possibilité  d'approcher  de  sa  no- 
blesse, à  condition  de  descendre  de  la  mênii-  mère  ('). 

Si  la  (]ualification  de  fils  de  t  esc  lave  ne  constituait  pas  ime  re- 
commandation (^),  on  comprendra  à  quel  point  on  redoutait  celle 
û'enfaiU  trouvé^  <  laqït  »  ('').  C'était  l'effondrement  de  tous  les  rêves 
généalogiques,  caressés  par  les  Arabes: 

<  Le  palmier  ne  pousse  que  dans  son  terroir  et  le  salant  (^)  dé- 
sertique ne  saurait  produire  le  bois  des  lances, 

(*)  ILlJl  lllil  cZ-^,  M  ,  ^.^  d^^  ^  nTi^  jJ:CjI  culo.  M  > 

*   * 

Dans  les  guerres  entre  tribus,  on  n'enlevait  pas  seulement  des 
troupeaux,  on  razziait  également  les  femmes.  Les  tribus  chrétiennes 

(')  Ibn  Hagar,  Isâba,   II,   195,  L'. 

(2)  On  relève  l'opposition,  comme  finesse  et  intelligence,  entre  'Alî  et  'Aqîl  quoique 
fils  de  la  même  mère;  Gahiz,  Bayân,  II,  37;  Ailleurs  on  leur  assigne  des  mères  diffé- 
rentes. Le  mot  de  'Aqîl  suppose  le  dernier  cas. 

(3)  Arta'a  ibn  Zofar,  fils  d'une  sabyya,  est  pourtant  qualifié  de  i_À>_w  ^>.^' 
-jL«Jc  ^lk«  ;  voir  sa  notice,  Ag.,  XI,  139-46.  Le  Taqafite  Gailân  conseille  à  ses  fils 
de  n'épouser  que  de  nobles  Bédouines:  Ag.,  Xll,  47-48.  Sur  ces  sortes  de  conseils, 
comp.  le  chap.  74  de  Bohtorî,  Hamàsa,   n.  636-42. 

(*)  Aboû  Tammâm,  Hamàsa,  E.  I,  5  d.  v.  Le  nom  de  Laqït,  fréquent  dans  l'ono- 
mastique; Ibn  Doraid,  lUiqâq,  104,  144,  293;  Balâdorî,  ^o/o«A,  76;  Qotaiba,  Poesis, 
97,  428;  Gahiz,  Avares,  200;  index  d'Agdni,  et  de  Tab.  Annales.  'Omar  affranchit 
un  enfant  trouvé  V^»-<  et  transfère  son  u'i/â'  à  qui  l'a  ramassé;  I.  S.  Tabah.,  V,  45,  6. 
L'ancêtre  de 'Oyaina  ibn  Hisn,  appelé  ilwJJl  ^^l  ;  Xaqaid  Gartr,  101,17;  autre  Laqït, 
ihid.,  227,  9  ;  ,ik^l  y^  ;  Qotaiba,  'Oyoûn,  228,  9.  Hassan  ibn  Tâbit,  Divan,  CXXXVII, 
1;  Ag.,   XVIII,   121,  y>y^  S^i  ^iJ 

(^)  Voir  plus  haut  p.  64-65. 

(6)  Bohtorî,  Hamàsa,  n.   1162. 


Les  prisonnières  303 

ne  se  conduisaient  pas  différemment.  Le  poète  chrétien  Ahtal  décrit 
«  les  prisonnières  de  tout  âge,  butin  de  guerre,  entraînées  comme 
des  chameaux  conduits  au  marché,  et  conquises  à  la  pointe  des  lances 
de  sa  tribu  >  (').  Ces  prisonnières  s'appelaient  ahida  ou  sabyya  (*). 
Etant  donné  le  réalisme  des  mœurs  bédouines,  on  peut  se  figurer  les 
outrages,  subis  par  ces  malheureuses;  on  se  vantait  de  les  mal- 
traiter ('). 

Plus  tard  entre  les  prisonnières  et  leurs  maîtres  s'établissait  fré- 
quemment le  lien  d'un  mariage  régulier  (■*).  Mais  cette  forme  d'u- 
nion, sans  xoali  ni  malu\  sans  l'assistance  d'un  parent  ni  l'interven- 
tion d'une  dot,  passait,  on  le   comprendra,  pour  une   des   moins  dis- 


(•)  Ahtal,  Divan,  227,  228;  Commentaire  de  Barth  sur  Qotamî,  Divan,  p.  10, 
V.  4.  Comp.  «  nous  épousons  à  la  pointe  des  lances  »  ;  Nagà'id  Gailr,  605,  3  v.  sqq. 
652,  10.  Vers  de  'Orwa  ibn  al-VVard  :  «  nous  entraînons  les  jeunes  mères  et  les  femmes 
enceintes»;  So'arâ',  911,  2. 

(*)  Rarement  nazt'a;  Ahtal,  Divan,  317,  6;  cf.  scoliaste.  Proprement  le  ç?.^, 
celui  dont  la  mère  est  d'une  autre  tribu  ;  NaqSid  GarJr,  303,  7. 

(3)  Ag..  X,  32,  9;  XI,  139,  7;  140,  1  ;  146,  7;  172,  6  d.  1.  ;  XII,  172,  17;  So'arâ\ 
Ihl.  NazF  désigne  également  l'Arabe  exclus  de  sa  tribu.  .Mahomet  e.xplique  tb'laJl 
par  JiUiJl  ^  #ljjl  ;  Hanbal,  Mos7tad,  I,  398,  17.  II  s'agit  des  j^.yb.L^l  viUlU-o  ; 
Aboû  'Obaid,  Garlb,  ms.  sup.  cit.,  52,  b.  ;  cf.  Ziâd  ibn  Abthi,  p.  3,  n.  3;  Ibn  Mâgâ, 
Sonan,   E.  II,  248-49. 

(*)  Ag.,  XIX,  158.  Le  frère  de  la  poétesse  Hans5' épouse  une  prisonnière  ;  Ag., 
XIII,  136,  137.  Sabyya  parmi  les  aïeules  de  Farazdaq  ;  Nagà'id  Garîr,  764,  3.  Le  neveu  de 
Hansâ',  le  poète  Hofaf  ibn  Nabda,  était  fils  d'une  négresse  et,  à  cause  de  son  teint, 
énumérè  parmi  les  «  corbeau.x  des  Arabes,  (_;CaJl  isjil»;  Qotaiba,  Poesis,  196.  Qua- 
lifié de  j»^Lj  J  ^-jM  ^}^-  ^^o\t  sa  notice,  Ag.,  XV'I,  139-45.  Solaik  ibn  as-Salaka,  au- 
tre «corbeau    des  Arabes  »,  fils    de   négresse  ^_jÔI«JI  i j-aJI  tiLJLst^s.  ^x^.! ,    coureur 

incomparable,  grand  brigand,  admiré  des  Bédouins.  Qotaiba,  Poesis,  214;  ^f-.,  XVIII, 
133  sqq.  Généralement  ces  sa'loûk  sont  coureurs  et  poètes.  Hâgiz  ibn  'Auf,  cité  pré- 
cédemment, reconnaît  devoir  son  salut  moins  à  son  courage  qu'à  son  agilité.  Avec 
quelle  comique  effusion  il  bénit  ses  pieds  (Bohtori,  Hamàsa,  n.  223)  : 

Variante  de  ce  vers,  attribué  à  un  autre  poète  ;  Ag.,  XIX,  140,  d.  1.  où  lire  1^_^^^  ,  au 
lieu  de  J.^,.  Voir  tout  le  chap.  25  de  Bohtori,  Hamàsa,  célébrant  «  la  fuite  à  pied  », 
les  coureurs  merveilleux,  dépassant  les  chevaux;  comp.  Qotaiba,  'Oyoûn,  213,  2. 


30't  Leur  condition  pénible 

tinguées  ('),  par  suite  de  l'absence  d'indépendance  chez  la  conjointe. 
Sans  prétendre  disposer  seule  de  sa  main,  la  libre  Bédouine  entend 
uniquement  céder  de  son  droit,  sur  ce  point,  en  faveur  de  ses  pa- 
rents ou  de  ses  répondants  naturels  :  ils  sont  ses  wali  ou  procureurs. 
€  Vos  veuves  sont  épousées  sans  hotba  »,  c'est  à  dire  de  force,  crie 
à  ses  adversaires  le  terrible  satiri(]ue  Farazdaq  (^).  Le  trait  attaquait 
à  la  fois  et  leur  sentiment  d'honneur  et  leur  réputation  de  bra- 
voure. Sur  l'esclave,  souvent  d'origine  étrangère,  la  captive  possédait 
le  bénéfice  de  la  nationalité  arabe  et  la  pratique  devait  en  tenir 
compte  (^). 

Mais  l'indigénat  constituait  en  somme  le  principal  avantage,  qui 
difterentiât  sa  situation;  il  n'effaçait  qu'imparfaitement  la  tache  ré- 
sultant de  la  servitude  {*).  Au  sein  de  la  tribu  les  femmes  s'ingé- 
niaient pour  lui  rendre  la  vie  dure  ;  elle  était  publiquement  traitée 
d'esclave.  Ce  fut  le  cas  de  l'épouse  d"Or\va  ibn  al-Ward,  le  cheva- 
leresque et  s\mpathique  sa'lofik,  brigand  (').  Aussi  les  fils  de  la  pri- 
sonnière se  vo3'aient-ils  à  peine  plus  estimés  que  ceu.x  de  l'esclave. 
Ils  adoptaient  généralement  le  nom  de  leur  mère  C^).  Or  à  cette  épo- 


(')  Lorsque  la  condition  de  la  mère  est  douteuse,  la  généalogie  s'efforce  de  la 
transformer  en  sabyya,  pour  écarter  l'hypothèse  odieuse  de  l'esclavage.  Ainsi  aurait 
fait  'Amrou  ibn  al-'Àsi  pour  sa  mère,  Osd,  IV,  116,  haut;  Ag.,  VIII,  159.  Cette  as- 
sertion trahit  les  rancunes  de  la  tradition  'abbâside  contre  ce  lieutenant  de  Mo'âwia, 
non   moins  acharnée  que  contre  la  mère  de  Ziâd  ibn  Abïhi. 

(2)  Farazdaq,  Divan  (Boucher)  86,  6.  Liberté  des  jeunes  fiancées  chez  les  anciens 
Arabes  ;  Ag.,  III,  4,  bas.  Comment  la  jeune  Hansâ'  repousse  la  main  de  Doraid  ibn 
as-Simma;  So'arà',  766-67.  Jeune  fille  ou  mariée,  la  Bédouine  est  souvent  i\y>,  c.  a. 

d.  elle  parait  en  public  et  converse  avec   les    hommes;    voir   p.  ex.    Ag.,  XIX,  161: 

■^  «  .. 
^.jji'j^a  J'^r"  ,y^  ^^  LjJjb'^  ^j-^^  s  >r?  C^lf  .    Voir  les    références  dans  le  Glos- 
saire de  Tabarî,  Annales,  CXXXI,  s.  v.    ;_> 

O  Ag.,   IX,   150. 

(■*)  Quand  la  mère  est  sabyya,  l'adversaire  aflfecte  l'emploi  du  patronymique  fénii- 

..9     . 

nin,  peu  honorable;  Nnqâ'id  Gartr,  40,  6;  il  lui  crie  <  ta  mère  est  j^-o-j  »  une  grosse 
injure  !  i6id.,  40,  d.  v.  A  'Orwa  ibn  al-VVard  on  reproche  que  sa  mère  est  une  étran- 
gère ;   So'arà'  909,   1;   914,  3  v. 

(^)  Voir  son  Divan  (éd.  Nôldeke;  p.  17;  So'arà'  an-Nasrànyya,  889,  sqq.  Les 
califes  omayyades  auraient  voulu  le  compter  parmi  leurs  ancêtres;  ibid.,  887,  3  v. 

.«)  Ibn  Doraid,  Istiqàq,  156;  Ag.,  XIII,   140,   142.  Voir  plus  haut  p.   125. 


Même  sujet  305 

que  un  patron)  mie lUc  féminin  était  mal  porté.  Pour  enlever  la  tare 
s'attachant  à  cette  descendance,  il  fallut,  dans  certains  cas,  rompre  le 
mariage  primitif  et  contracter  une  nouvelle  union,  conforme  au  cérémo- 
nial de  l'ancien  code  bédouin  (').  Ce  progrès  (^)  dans  la  procédure  ma- 
trimoniale atteste  de  nouveau  le  changement  réalisé  dans  les  idées. 
\"oilà  pourquoi  dans  la  fameuse  viofàhara  ("')  entre  'Alqama  ibn 
'Olâta  et  'Amir  ibn  at-Tofail,  le  premier,  fils  d'une  captive  arabe  (*) 
se  contenta  de  célébrer  ses  oncles  paternels.  La  mention  des  ahwàl  C^), 
ou  oncles  maternels,  était  de  nature  à  réveiller  des  souvenirs  désa- 
gréables pour  son  amour-propre  {^).  'Amir  pouvait  nommer  une  suite 
de  (juatre    aïeules    maternelles    connues  (^).    Privilège   incomparable, 


^»j  Ag.,   II,   175,   191,    192;  cf.   Wellhausen,  Ehe.   435-36. 

(*)  Ici  encore  il  faudrait  citer  d'assez  nombreuses  exceptions.  Des  poètes  très  con- 
sidérés portent  des  patronymiques  féminins.  Fils  d'une  sabyya,  le  neveu  de  'Abbâs 
ibn  Mirdâs  réussit  à  tenir  son  oncle  en  écliec.  Même  remarque  pour  Doraid  ibn  as- 
Simma;  mais  sa  mère  était  Raihâna,  sœur  du  fameux  'Amrou  ibn  Ma'dikarib,  (Qotaiba, 
Poesis,  219).  On  ne  voit  pas  qu'il  ait  souffert  de  cette  situation.  'Omair  ibn  al-Hobâb 
et  Gahhâf,  héros  de  la  lutte  Qais-Taglib  sont  de  sang  nègre  ;  Gâhîz,  Opuscula,  65-66; 
voir  autres  exceptions  dans  le  second  opuscule  ou  j^Ub-^Jl  ^  ^  y^^X  ys^  v.jl.XS'  de 
Gâhiz,  op.  cit.,   p.  57  sqq. 

(3)  Cf.  Huber-Brockelmann,  Zaiîi/,  II,  inlrod.,  p.  4.  Mofâhara  sous  les  Marwânides; 
Qotaiba,  Poesis,  261;  Ag.,  XIX,  112.  Les  Juifs  de  Taimâ' choisis  comme  arbitres  par 
des  poètes  de  la  valeur  de  Gamïl  et  de  Gawvvâs.  Cette  distinction,  l'indépendance  de 
langage  chez  ces  arbitres  cadrent  mal  avec  la  situation  humiliée  que  leur  prête  la 
Tradition.  Plus  on  examine  de  près  et  plus  on  sent  l'obligation  de  réformer  ses 
verdicts.  Partout  on  rencontre  les  Juifs,  Aa^ considérés  des  tribus  arabes  ;  So'arà'.  734. 
(<)  Osd.  IV,  13. 
"')  Comp.  les  vers  de  'Onva  ibn  al-Ward  {So'arâ',  906)    sur  ses  ahwâl  : 

(■*)  Ag.,  XV,  53.  Rapprochez  le  cas  de  Qais  ibn  Doraih  ;  Ag.,  V'III,  113.  Les 
futurs  sont  ko/ou';  mais  au  lieu  de  céder  à  l'intercession  très  considérée  d'un  'Alide, 
on  préfère  voir  le  père  de  Qais  procéder  aux  démarches  officielles  auprès  des  parents, 
pour  écarter  d'avance  toute  comparaison  possible  avec  la  situation  d'une  ahïda. 

(")  Ag.,  XV,  53,  1-4.  'Àmir  a  pourtant  le  dessous  dans  une  mofâhara  avec  V'a- 
zîd  ibn  'Abdalmadân  de  Nagrân;  Ag.,  XVIII,   160;  Cf.   Yazïd,  343. 

Lammens    —  Berceau  ao 


306  Lutte  entre  les  idées  nouvelles  et  anciennes 

antérieurement  à  la  louche    activité   des  nassàba,  généalogistes   pos- 
térieurs! (') 

Sans  se  donner  beaucoup  de  peine,  on  trouvera  des  vers,  comme 
ceux  attribués  à  Hâtim,  où  ce  généreux  paladin  prête  aux  fils  des 
captives  toutes  les  vertus,  prisées  par  les  nomades  (■).  Ces  élucubra- 
tions  poétiques  permettent  de  saisir  sur  le  vif  la  lutte  entre  les  mœurs 
anciennes  et  celles  tendant  à  s'imposer  à  la  nouvelle  génération.  El- 
les prouvent  à  leur  façon  l'importance  attachée  désormais  par  les 
Bédouins  à  la  noblesse  maternelle.  Progrès  incontestable!  Il  intro- 
duisait au  sein  de  la  famille  un  élément  notable  de  dignité  et  de 
stabilité.  En  exaltant  la  situation  de  Tépouse  libre,  il  restreignit  les 
déplorables  effets  de  Tesclavagisme.  L'invasion  des  mœurs  islami- 
ques (^)  viendra  compromettre  tous  ces  résultats! 


(')  Cf.  Mo'âwia,  300,  354-56.  Quand  on  l'ajoute  à  celle  des  wioAa</rfi/,  l'esprit  de- 
meure  confondu   devant  l'énorme  somme  d'ingéniosité,  dépensée  à  cette  époque. 

(2)  'IqdK  m,  293,  bas;  Hâtim,  Divan,  LXVI.  Doraid  ibn  as-Simma  et  ses  frè- 
res, véritables  paladins,  étaient  fils  d'une  sabyya;  cf.  So'arâ',  752  sqq. 

(3)  En  mettant  au  même  niveau  d'abord  le  mariage  avec  les  affranchies,  enfin 
avec  les  esclaves.  La  Tradition  a  choisi  Hosain  fils  de  'Alî  pour  prendre  la  défense 
de  cette  situation;  cf.  Mo'âivia,  375. 


XI 
Le  chef  doit  posséder  la  maturité  de  l'âge 


Indispensable,  cette  illustration  généalogique  ne  conférait  pas  le 
droit  à  l'exercice  de  l'autorité  chez  les  Arabes.  Si  antérieurement  à 
l'hégire,  le  terme  sayyd  était  devenu  le  titre  habituel  pour  le  chef  de 
la  tribu,  de  bonne  heure  on  s'habitua  à  y  joindre  les  qualificatifs  de 
saih  (*)  ou  de  kablr^  tous  les  deux  désignant  la  pleine  maturité  de 
l'âge  (»). 

Comme  tous  les  peuples  primitifs,  les  Bédouins  accordaient  avant 
tout  leur  estime  à  la  force  physique.  Ils  se  montraient  fiers  de  pos- 
séder un  chef  assez  haut  de  taille  «  pour  que  sa  'imàma,  turban,  pût 
servir  de  drapeau  >,  de  point  de  ralliement  pendant  le  combat  : 

(')  Aboû  Tammâni,  Hamâsa,  E.  II,  6,  3  v.  ;  Ibn  Doraid,  Isliqâg,  76,  9;  autres 
références,  données  plus  haut;  cf.  Mawaffaqyyât,  dans  ZDMG,  LIV,  426,  6;  ^^U  ïtw 
ïjii,  Naqà'id  Gartr,  746,  1  :  L*cCj*jj  ïL^-ioiJI  sxio  ;  Balâdorî,  Fotoûh,  359,  8.  «srJ  ïxi 
LfcijJlw»  ;Kindî,  Governors  of  Egypt  (Ouest),  45. 

(^)  UoX^^  v./^.!*  r^'  "^"  Hisam,  Sïra,  33,  3  ;  »fiiyyS^  f^'^  f^  ;  ^S--  XIX, 
141,3  d.  I.;  Dînawarî,  Ahbàr  Tiwâl,  309,  21;  Jl^^  yy^\  Hanbal,  Mosnad,  III,  461, 
\:  Lf^  iJI^^Ij  ^->^i-J5  kJ""^!^  T^  •  ^^^'1''^'  (Kr.),  58.  Au  titre  de  àJi  ■...■.>.,t  ^^  ^lk< 
il  faut  joindre  celui  de  ^^  ^  i  ;  Nagâ'id  Gartr,  608,  14.  Hosain  ibn  Homâm  \>  ^ 
l»Aw)il,^  |,*ailsj  *.(jT,  ;  So'arâ',  733,  8;  l'addition  de  >>il,,  explorateur,  est  rare. 

(3)  Aboû  Tammâm,  Hamâsa,  I,  144;  et  scolion  ibid.\  'imâma  rouge,  indice  des 
sayj'd;  Ibn  Doraid, /i/iV"?»  156,  2  ;  d'où  J^^k^  ^  sayyd;  Hassan  ibn  Tâbit,  Divan,  X, 
33  ;  coiffure  des  sayyd  ;  Qotaiba,  'Oyoû/i,  273,  5  ;  J^jl^c  J.h">  ;  Ag.,  XX,  129,  13  ;  Qotâmî, 
Divan,  IX,  9.  Enlever  la  'itnâtna  équivalait  à  proclamer  la  déchéance;  cf.  Yazïd,  220-21. 


308  Rôle  important  de  l'intelligence 

L'image  fait  rêver  au  panaclie  blanc  d'Henri  IV^  toujours  au 
chemin  de  l'honneur.  Mais  ils  estimaient  également,  on  l'a  vu,  le  dé- 
veloppement des  facultés  intellectuelles.  Quelle  misère,  si  on  pouvait 
dire  à  leur  sayyd: 

«  O  clan  de  Sofiân,  votre  cas  m'embarrasse;  vos  hommes  d'âge 
possèdent  des  cervelles  de  moineaux, 

«  Pour  juger  de  l'importance  de  l'esprit  d'une  tribu,  il  suffisait 
d'étudier  le  sayyd, 

Ils  ne  tenaient  pas  à  s'embarrasser  d'un  sa\\d  à  l'esprit  super- 
ficiel comme  celui  des  jeunes  filles,  ^^y^'  »Ua.tf  (').  Leur  chef  se  trou- 
vait incessamment  exposé  à  défendre  sa  tribu  contre  une  aggression 
étrangère  (*),  appelé  à  gouverner  principalement  par  la  persuasion 
et  par  le  prestige  personnel,  à  diriger  les  délibérations  du  corps  des 
anciens,  Aiv-iU,!,  à  conduire  les  négociations  diplomatiques.  Les  Arabes 
pensèrent  uniquement  pouvoir  rencontrer  ce  rare  ensemble  de  qua- 
lités dans  un  homme  d'âge  mur,  sans  toucher  toutefois  à  la  limite, 
voisine  de  la  décrépitude  (^).  L'expérience  leur  avait  appris  la  néces- 
sité de  cette  restriction.  Au  contact  de  la  vie  mouvementée  du  désert 
les  forces  s'usaient  rapidement  C^).  Nous   le   constatons  dans  les  an- 


(')  So'arà',  761  ;  il  devait  être  v_^>a  •»,)!  pî^  .  avoir  la  colère  intelligente,  sensée  ; 
toujours  maître  de  lui-même  ;  ibid..  766,  2  v. 

{')  Bohtori,  Hatnûsa,  n.   1111. 

P)  Ag.,  XI,  145;  cf.  So'ara,  733,  8;  cervelles  d'oiseaux.  yS,  >Uî^1  (ailleurs 
^Uae  fUa-l),  Hassan  ibn  Tâbit,  Divan.   LXV,  2  v. 

(*)  Dans  les  fréquents  fo  Jia ,  cri  pour  avertir  de  l'attaque  des  troupeaux  par  les 
maraudeurs,  les  li?  jU,  il  devait  repousser  les  assaillants,  au  besoin  servir  de  râ'id  : 
voir  précédemment. 

Q')    Tab.,  yhina/es,   III,  2523,  8;  comp.  Bohtori,  Hamâsa,  chap.   121  ;  Aa.  <_.«.«->Ù.ll 

j^^-ia.  (_jU-iiJl  ^  ;  ibid.  n.  1045,  1  v.  ;  n.  1047,  1  v.,  1048.  Ainsi 'Otba  ibn  Rabfa,  malgré 
son  âge  peu  avancé,  est  appelé  L^..^  >Uail^  Ui>>JLuj  ^yi-?.y>  t5•^^'  Wâqidî  (Kr.)  59,  3. 
("j  Comp.  Hansâ"  citée  dans  Qotaiba,  'Oyoûn,  231,   13-15. 


La  sénilité  chez  les  sajyd  309 

nales  préislamites  :  les  sayyd  les  plus  actifs,  les  plus  intelligents,  les 
hakam  les  plus  considérés  se  voyaient  guêtés  par  la  sénilité,  par  le 
gâtisme  (').  bien  longtemps  avant  d'avoir  atteint  400,  700  ans,  comme 
le  voudrait  la  fantastique  littérature  des  Centenaires,  Moammaroûn  ('). 


Malgré  son  faible  penchant  à  la  sensibilité  ('),  le  nomade  savait 
pourtant  apprécier  «  l'honneur  des*  cheveux  blancs,  couronnant  de 
leur  éclat  une  tête  vénérable. 


J\^\  >b  ^  ^  ^^ 


U  IM 


«  La  vieillesse  —  il  en  convenait  —  c'était  la  maturité  de  l'es- 
prit, et  la  jeunesse,  la  folie  :  trop  souvent  le  jeune  homme  devenait 
le  jouet  de  la  passion  »  (^).  Mais  ces  considérations  philosophiques 
consolaient  médiocrement  cet  homme  d'action,  quand  vieillard  il  jet- 
tait  un  regard  sur  son  passé.  Ohl  les  mélancoliques  réflexions  que 
ce  retour  lui  arrache  I  (^)  Ne  pouvoir  plus  se  lever  désormais,  qu'en 
s'arcboutant  sur  les  mains,  qu'appuyé  sur  un  bâton  I  C) 


(')  Cf.  Ibn  Doraid,  ntigâg.  113,  164,  5;  172;  198;  Ag.,  IX,  14,  151;  So'arâ\ 
629,  768,  771  ;  Sigistâni,  Mo'ammaroûn,  25,  29,  30,  37,  70,  4,  20.  Qotaiba,  Poesis,  173, 
13;  250;  Ag.,X.\l\\\,  158;  XXI,  98,    204.  Ibn   Doraid,    op.   cit..  14:  o>-4'  J-^  ^-.XsJI 

(»*  >*t  (_5  J.-J3  ^  ^  \yJ^  y )jj«JI  i--~~oj  .  Remède   contre  la  rage;    Ziâd  ibn   Abîlii   le 

fait  afficher  à  la  mosquée  ;  Gâhiz,  Haiawân,   II,  5  ;  Qotaiba,  Poesis,  219,  2-8. 

I-)  Cf.  Sigistâni,  Mo'ammaroûn,  25,  29,  passhn.  Le  célèbre  Hàrita  ibn  Abi  Sinân, 
tombé  en  enfance  et  disparu  delà  circulation;  Gâhiz,  Haiawân,  III,  153,  bas.  On  cite 
de  ses  vers  vraisemblablement  apocrj'phes  ;  Yâqoût,  E.  V,  238. 

P)  Comp.  Goldziher,  Sigistâni,  Mo' ammaroûn ,   Introduc.  LI  etc. 

(■•)  Bohtori,  Hatnâsa,  n.   1039;  Goldziher,  op.  cit.,  XLVI-XLVII. 

(5)  Bohtori,  Hainâsa,  n.  1045,  1  v.  ;   comp.  le  chap.   121  :  ,_-^.;^ll  ^j^  ^j  J^  '^i 

C)  Bohtori,  Hamdsa,  chap.   122  ;  comp.   Doraid  ibn  as-Simma  dans  So'arâ',   781. 
Beaucoup  d'autres  poètes,  atteints  par  la  sénilité;  Ag-.,  XIX,  160;  Qotaiba,  Poesis,  250. 
(■)  Bohtori,  Hatnâsa,  n.    1050;  Ag.,  XVIII,   158. 


310  Préférence  accordée  à  la  maturité 

«  Les  vicissitudes  du  temps  m'ont  terrassé  à  l'improviste.  Com- 
ment me  défendre?  Je  me  sens  attaqué  sans  pouvoir  riposter I 

(')  sj^'r^  cr^i  Lj-jr?-  c^  Jk^        ^J»  '  "^  ^^^-^^  o:?  y^'  ^if  S^)  " 

Le  vieux  chef  rampe  par  terre;  ses  yeux  voient  triple  (*).  Dans 
cette  posture  humiliante,  il  pense  aux  chevauchées,  aux  prouesses 
d'antan  (')  : 

«  Me  voici,  impuissant  à  porter  les  armes,  incapable  de  réduire 
un  chameau   rétif. 

Je  redoute  le  loup  rencontré  dans  la  solitude:  je  redoute  les 
vents  et  la  pluie  »  (*). 

Réflexion  non  moins  douloureuse;  le  brillant  orateur  d'autrefois 
n'est  plus  écouté  ;  il  n'intervient  plus  au  inaglis  de  la  tribu  : 

<  Mes  propres  fils  décident  sans  me  consulter;  même  en  assis- 
tant à  leurs  délibérations,  je  ressemble  à  un  absent!  »   (^) 

Mélancoliquement  le  chef  délaissé  tire  la   conclusion  : 

«  Or  donc,  quand  surviendra  l'hiver,  réchauffez-moi  :  l'hiver,  c'est 
l'arrêt  de  mort  du  vieillard, 

Pour  toutes  ces  raisons,  les  Arabes  accordèrent  leurs  préférences 
à  la  maturité.  En  ce  sens  ils  se  déclarèrent  partisans  décidés  du  sé- 


(')  Bohtorî,  Hamasâ,  n.  1050. 

(2)  Bohtori,  Hamâsa,  n.  1063,  1064,  1065  ;  Goldziher,  op.  cil..  L,  LI.  Comme 
Doraid  ibn  as-Simma,  on  l'attache  au  même  anneau  que  la  jument  ;  So'arâ',  768. 

(^)  Comp.  Ag.,  IX,  14  ;  Goldziher,  op.  cit.,  XLIX.  Vieillards  abandonnés;  Sigis- 
tânî,  61,  83,  avec  les  notes  de  Goldziher  sur  le  n.  LXXXII. 

(■*)   Bohtorî,  Hamâsa.  n.   1052  ;  Sigistânï,  Mo'amniaroUn,  25  ;  Ag.,  XXI,  98. 

(^)  So'arâ',  768.  A  la  ligne  9  au  lieu  de  dJ^\  lire  ici,  ser\'ante,  esclave;  Bohtorî, 
Hatnâsa,  n.  1063  ;  comp.  n.  1051  ;  Goldziher,  op.  cit.,  LI  etc.  Vieillards  maltraités  par 
leurs  enfants  ;  Gâhiz,  Bayâîi,  I,   127. 

(^)  Bohtori,  Hamâsa,  n.  1053,  v.  4  ;  le  vers  est  attribué  à  Hotai'a,  Divan,  VIII, 
46,  au  lieu  de  Rabï'  ibn  ad-Dabo'.  Il  est  poignant  l'abandon  de  Doraid  ibn  as-Simma, 
si  longtemps  le  bouclier  de  sa  tribu  ;  So'arâ',  768.  Les  vers,  qu'on  lui  attribue  alors 
euvent  être  d'une  médiocre  authenticité  ;  mais  ils  dépeignent  une  situation  réelle  et 
ne  sont  pas  à  l'honneur  de  la  mentalité  bédouine.  Même  remarque  pour  Ag.,  XVIII, 
158,  bas.  Couvrir  les  vieu.x  parents,  marque  de  piété  filiale;  Ag.,  XVIII,   158,   1. 


La  formule  du  séniorat  311 

niorat  (').  Le  sayyd  pouvait  être  chauve,  mais  non  pas  imberbe  ('). 
Oais  ibn  Sa'd  était  le  dâhia  ('),  c'est  à  dire  le  grand  homme,  le  po- 
liticiue.  le  diplomate  des  Ansârs:  un  clan,  médiocrement  pourvai  de 
spécialistes  en  ce  genre.  Malheureusement,  à  l'inverse  du  bouc  de 
Lafontaine,  il  possédait  plus  d'esprit  que  de  poils  au  menton.  Ses 
concitoyens  s'en  montraient  désolés.  <  Nous  sacrifierions,  disaient-ils, 
nos  fortunes  afin  de  procurer  ime  barbe  à  Ibn  Sa'd  »  (^).  Pour  expri- 
mer le  principe  du  séniorat,  les  Arabes  avaient  inventé  une  formule  : 
kàbir  'an  kàbir  ou  kàbir  had  kàbir  (^),  dahié  en  aîné,  ou  Yamé  après 
faîne.  Elle  remontait  probablement  à  une  antiquité  assez  reculée, 
s'il  est  permis  d'en  juger  par  la  forme  et  la  signification  archaïques 
de  ce  participe  (*).  Quoiqu'il  en  soit,  elle  attestait  l'importance,  atta- 
chée par  les  Arabes,  à  la  question  d'âge  pour  l'exercice  du  pouvoir. 


Une  des  plus  parfaites  incarnations  des  cjualités  et  des  défauts 
de  sa  race,  rhomme  proclamé  par  Mahomet  «  ^yi  Jjtl  a.--^  ,  le  sa}'\'d 

(')  Cf.  Yaztd,  88-91.  On  fait  prédire  par  Mahomet  «  la  perte  de  sa  nation  ^ 
ùo  J>  -_«»Uj-w<*J^Jo  ou  ,_j^.  jS  1^  sLfj-A:  <*4^  I  slyo  I  ;  Hanbal,  Mosnad,  II,  288, 
299,  334,  bas.  Evidemment  les  Omayyades  sont  visés  !  Voir  Yazîd,  loc.  cit.  pour  l'allusion. 

(')  Qotaiba,  'Oyoûn,  270.  Importance  de  la  barbe  chez  les  Bédouins  modernes  ; 
i,JLk  AX~i.  ^  il  a  bon  cœur  ;  ^^^  ^  U  =  vaurien  ;  Doughtj-,  Travels,  I,  268,  585; 
Jaussen.  Moab,  95.  Doughty,  II,  38  cite  un  'aqîd,  chef  militaire,  imberbe.  L'anticalife 
Ibn    Zobair   était    également   ^^*JJal    c-à-d.  A^jj.^  jcio  \l  ^jJl  ;     cf.    ^--^a^aJI    CJ^y^ 

(ms.  B.  Kh.).  I,  91;  j_^  jCLo  est  indifférent,  mais  >J>\  =  jeune,  ou  c'est  une  flatte- 
rie; Hansa',   Divan,   15;   16,  2. 

/*)  Cf.  Mo'âwia,  index,  s.  v.  dâhia  et  Qais  ibn  Sa'd. 

{*)   Osd,    IV,  215,  216. 

(^)  Aboû  Tammâm,  Haviàsa,  743,  d.  v.  ;  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  87,  12;  Ibn  Hisâm, 
Sîra.  75,  78,  115;  Azraqî  ,\VOst.)  65,  3;  'Iqd^,  II,  45;  I.  S.  Tabaq.,  VI,  119,  3;  cf. 
Mo'âwia,  7;   Yazîd,  88;  on  dit  encore  ,^\  yS\\  Bakri,  Mo'gam,  359,  2;  Hassan  ibn 

T'Ah\\,  Divan,    CXXII,    5;    Ag.,    XIX,    130,    2  :  ^If  ^^^t  ^li"  lliJi  >l*- Il  s'agit 

d'un  sayyd  de  Tamîm  ;  Ma'add  est  pour  l'emphase. 

(■')  Comp.  :  jka.U,  f^\y  -ilï  (=1  ^.J-^ï-«)  ;  •  ■  •  (3  <  '-^  C^\  ;  etc.  ;  Abou  'Obaid, 
Garîb  (ms.  cité),  159  a;  "l^..  Annales,  II,  340,  d.  1.  Qastallâni,  Ir'sàd  as-sàri,  III,  51 
traduit  <?l,  par  ^.^  ^^ 


312  'Abbas,  choisi  pour  la  guerre 

des  nomades  »  ('),  Oais  ibn  'Asim  disait  à  ses  fils,  réunis  autour  de 
son  lit  de  mort  :  «  Quand  j'aurai  cessé  de  vivre,  placez  à  votre  tête 
des  hommes  âgés,  de  préférence  à  des  adolescents,  si  vous  ne  voulez 
devenir  la  risée  des  Arabes  »  (^).  Cette  recommandation  résume  la 
coutume,  fidèlement  observée  dans  toute  la  Péninsule.  Elle  rend 
suspecte  l'anecdote,  inventée  plus  tard  pour  glorifier  lancétre  des 
califes  de  Bagdad,  'Abbâs,  l'âpre  usurier  de  la  Mecque,  le  prisonnier 
de  Mahomet  à  la  bataille  de  Badr.  A  tout  prix  on  voulut  découvrir 
des  antécédents  plus  honorables  que  son  attitude  douteuse  vis  à-vis 
de  l'islam,  antérieurement  à  la  reddition,  fath,  de  la  Mecque.  Aux 
prérogatives  antéislamiques  des  Oma\vades  ('),  les  'Abbâsides  tenaient 
à  opposer  la  prérogative  de  leur  aïeul  C). 

A  l'occasion  d'une  guerre,  les  Ooraisites  avant  chargé  le  sort 
de  désigner  le  commandant  de  l'expédition,  la  flèche  de  'Abbâs  l'em- 
porta ;  et  ses  compatriotes  s'empressèrent  de  l'acclamer,  en  dépit  de 
son  jeune  âge  (^).  Les  influents  Mahzoûmites  (")  ont  revendiqué  le 
même  privilège  pour  le  jeune  Abou  Gahl,  l'ennemi  de  Mahomet  (^). 
Les  choses  ont  dû  se  dérouler  différemment  (*),  du  moins  dans  le 
cas  de  'Abbâs.  En  fait  de  qualités  militaires,  ce  banquier  retors  pa- 
raît avoir  surtout  possédé   une  voix    de  Stentor.  Exceptionnellement 


(M  Ibn  Hagar,  Isâba,  E.  III,  252-54. 

(2)  'Iqd^,  I,  220,  bas.  ;  Ag.,  XII,  154,  4  ;  Gâhiz,  Bayân,   I,   179,  bas. 

P)  La  Tradition  présente  au  contraire  la  giâda-riâsa,  le  commandement  militaire, 
comme  le  privilège  exclusif  des  Omayyades  ;  Azraqî,  (Wûst.)  71.  On  l'a  déduite  du 
fait  que  Aboû  Sofiân  commande  généralement  les  expéditions  contre  Médine  et  Ma- 
homet. 

(■■)  Voir  dans  Fatima,  23,  24,  leurs  efforts  pour  montrer  les  'Alides,  comme  ayan 
vécu  dans   leur   dépendance   et   bénéficié  de  la   situation   exceptionnelle,  occupée  par 
'Abbâs.  On  voit  comment  la  politique  servit  à  combler  les  lacunes  de  la  Sîra. 

(^)ilçd^,  II,  45-46  ;  comp.  G.  Jacob,  Seduinetilebeti,   224. 

(")  Autres  exemples  à  la  Mecque  ;  République  marchande,  10.  Sur  l'influence 
des  Mahzoûmites  avant  l'islam,  voir  I.  Doraid,  Isliqâg,   94. 

C)  Qotaiba,  'Oyoûn,  276.  Chaque  famille  cherchait  à  se  découvrir  des  illustrations. 
Aboû  Gahl  avait  un  frère  imbécile,  ^j^.f  (^"«"«•C  ,^  ;  Qotaiba,  op.  ai.,  340  d.  1. 

{*)  Sa>'yd  jeunes  ;    Qotaiba,  'Oyoûn,  275-76. 


Répugnances  contre  les  jeunes  chefs  313 

il  en  fit  l'épreuve  à  la  bataille  de  Honain.  Généralement  il  l'utilisait 
à  des  fins  plus  pacifiques,  pour  communiquer  avec  ses  nombreux  es- 
claves, établis  sur  ses  domaines  de  Médine.  Elle  aurait  possédé,  as- 
sure-t-on,  une  portée  de  huit  milles  ('). 

On  voudra  bien  aussi  se  rappeler  les  protestations,  soulevées 
par  la  décision  du  Prophète,  lorsqu'il  confia  le  commandement  d'une 
expédition  au  fils  de  son  favori  Zaid,  un  adolescent  de  20  ans  (^). 
Plusieurs  musulmans  et  non  des  moins  qualifiés  —  nous  avons  nom- 
mé ailleurs  AboO  Ayyoûb  (^)  —  refi.isèrent  de  se  ranger  sous  ses 
ordres,  malgré  les  objurgations  de  Mahomet  mourant.  Les  plus  in- 
fluents califes  omay\-ades  se  verront  forcés  de  compter  avec  cette 
tradition  arabe,  un  des  plus  puissants  obstacles  à  l'établissement  d'une 
autorité  stable  {*).  En  cette  matière  il  faut  se  défier  des  exagérations 
habituelles  aux  poètes. 

Chez  les  âmes  bien  nées 
La  valeur  n'attend  pas  le  nombre  des  années. 

Les  rimeurs  arabes  s'en  doutèrent,  bien  avant  Corneille.  Pourquoi 
se  seraient-ils  interdit  d'exploiter  ce  thème,  fécond  en  développe- 
ments élogieux.  Ils  en  profitèrent  pour  hausser  le  prix  de  leurs  pa- 
négvriques.  De  là  quand  on  dépouille  leurs  divans,  le  nombre  pro- 
digieux d'Arabes,  «  rois,  savyd  depuis  le  berceau,  pour  le  moins  à 
partir  de  l'enfance,  l>^l^  "^i '^iisJ ,  bien  avant  l'apparition  du  pre- 
mier duvet  de  l'adolescence  »  (^).  De  là  les  qualificatifs  de  .>!->  ^_^  C'), 
de  >^l  J-1-.0  (').  Ces  enthousiastes  à  froid  citent  des  sayyd  de  dix  ans. 


(')  Cf.  Qotaiba,  'Oycmn,  225,  226. 

{-)  Hamïs,  II,  154;  Nawawî,  Tahdtb,  147.  'Omar  faisait  partie  de  l'expédition; 
ibid..   149,  2. 

P)  Mo'àwia,   445-46. 

(<)  Cf.   Yazid,  89-90. 

(^)  Ag.,  IV,  50,  17  ;  XIII,  160,   13. 

(*)  ^j^  peut  signifier  un  adolescent  et  un  homme  fait. 

P)  Ag..  XIII,  140,  16-17;  XIV,  158,  9;  ci.  Jour.  Asiat.,  1907,  423;  Hansâ',  citée 
plus  haut;   Hotai'a,   Divan,   \'I,   12;   IX,   14. 


314  Les  chefs  imberbes 

de  15  ans,  de  25  ans  (*),  sans  [larler  de  la  foule  des  chefs  imberbes  (*), 
c'est  à  dire,  n'ayant  pas  atteint  la  ([uinzaine,  époque,  où  le  Bédouin 
devait  déjà  avoir  fondé  une  famille.  Ces  exagérations  faisaient  partie 
du  répertoire  parnassien;  elles  ne  trompaient  personne  et  n'exercè- 
rent aucune  influence  sur  le  sentiment  conservateur  des  Arabes. 

«  Quand  parmi  nous  un  sa^'j'd  vient  à  mourir,  nous   gardons  en 
réserve  un  jeune  sayyd  (pour  lui  succéder) 

Ce  vers  ne  contredit  en  aucune  façon  les  données  précédentes. 
C'est  une  nouvelle  bravade  dans  le  plus  pur  goût  bédouin.  A  cer- 
taines tribus,  on  reprochait  d'être  trop  pauvres  pour  se  pa3'er  le  luxe 
d'un  sa3yd  ('').  Le  poète  prétend  insister  sur  la  puissance,  sur  la  ri- 
chesse des  siens.  La  mort  d'un  chef  ne  les  prend  jamais  au  dépourvu, 
ils  en  ont  des  réserves;  il  en  font  un  véritable  élevage.  Car  c'est  bien 
là  le  sens  du  terme  l-^J^l,  comme  l'explique  le  scoliaste  de  la  Ha- 
mâsa.  Le  réalisme  de  l'image  rappelle  les  jeunes  poulains  bondissant 
au  milieu  des  himà^  et  le  vocable  ^^XJ-  a  été  ajouté  à  dessein  pour 
renforcer  la    comparaison. 


(1)  Ag.,  IX,  11  ;  XV,  15,  3  d.  ;  Hirniq,  Divan  (éd.  Cheikho)  p.  4  ;  comp.  :  Cj^ 
CoNU  CLiS;  Ag.,  XI,  141,  11  ;  Hotai'a,  Divan,  VI,  12;  IX,  14.  .NUJU  A.<UjJI  ,  Labîd. 
Divan,  (éd.  Huber)  XVIII,  4.  A  la  bataille  de  Honain,  le  chef  des  Hawâzin  aurait 
compté  seulement  30  ans;  I.  S.   Tabaq..  H',   108,  7;  Ibn  Rosteh,  Geogr.,  228;  20-22. 

(-)  >  _<1  fait  allusion  à  la  jeunesse,  non  à  l'absence  de  barbe.  N'oir  précédem- 
ment p.  31 1. 

(3)  Hamâsa  (E.  I,  53,   1)  d'Abou  Tammâm. 

(*)  Comp.  le  vers  attribué  au  Juif  Rabi'  ibn  Abi'l  Hoiiaiq,  (Bohtorï,  Haviasa, 
n.   1158): 


XII 


Exclusion  de   l'hérédité  et  de   l'idée    dynastique. 
Le  droit  de  primogéniture 


Etant  donnés  les  penchants  libertaires  de  la  race,  l'hérédité  du 
pouvoir,  l'idée  dynastique  devaient  compter  parmi  les  concepts  les 
plus  antipathiques  à  l'esprit  arabe  (').  Chez  nombre  de  peuples,  le 
principe  électif  a  prévalu.  On  le  trouve  à  la  base  des  institutions 
républicaines.  Mais  dans  leur  aversion  pour  la  transmission  du  pouvoir, 
au  sein  d'une  même  famHle  ('),  l'instinct  égalitaire  des  Arabes  n'a 
pas  obéi  aux  considérations  inspiratrices  des  législations  démocrati- 
ques, pendant  l'antiquité  et  au.x  temps  modernes. 

En  s'accordant  sur  le  procédé  de  la  consultation  électorale,  les 
.Arabes  n'ont  pas  prétendu  manifester  en  faveur  d'un  sj'stème  parti- 
culier de  gouvernement,  d'une  expression  extérieure  de  l'autorité  so- 
ciale. Jamais  peuple  n'a  su  se  débarrasser  à  ce  point  du  fardeau  des 
idées  abstraites.  Leur  intention  fut  avant  tout  de  sauvegarder  la  li- 
berté illimitée  du   clan,  de    la    famille,  de  l'individu,  de    consacrer  le 


{')  Dozy  parle  des  «  familles  nobles,  c'est  à  dire  celles  qui  pendant  plusieurs  gé- 
nérations avaient  été  à  la  tète  de  leurs  tribus»;  Musulmans  d'Espagne,  I,  39.  Ces 
familles  on  eût  vite  fini  de  les  compter. 

(-)  L'héritier  en  ligne  directe  est  désigné  par  >A3«j;  cf.  Tâg  'Aroûs,  II,  470; 
principe  peu  compris  par  les  Arabes,  à  en  juger  d'après  leurs  explications  embarras- 
sées ;   cf.  Wellhausen,  Ehe,  AT!,  n.  3. 


316  Les  frères  du  chef  défunt 

maintien  du  régime  anarchique.  du  tnanus  oninmm  contra  omnes,  inau- 
guré par  l'ancêtre  Ismaël.  Ils  ont  prétendu  protester,  non  contre  une 
forme  de  gouvernement,  mais  contre  l'autorité  elle-même.  «  Un  prince 
redouté  vaut  mieux  (ju'un  prince  tremblant  »  (').  Ce  dicton  indien, 
cité  par  les  auteurs  arabes,  le  Bédouin  ne  l'a  pas  adopté.  En  re- 
vanche il  craint  de  s'entendre  appliquer  le  vers  d'un  de  ses  poètes  : 
<  Ton  attitude  dans  ta  tribu  me  rappelle  celle  du  chameau  d'ar- 
rosage, aucjuel  on  crie  :  avant  I  arrière  ! 

Chez  ces  rudes  habitants  du  désert,  chez  ces  asiàh,  chefs  de  fa- 
mille, de  clans  minuscules,  ^;^^>kj  ('),  souverains  au  petit  pied  (*)  dans 
l'étroit  ra3-on  des  cordes,  retenant  les  poteaux;  de  leur  tente,  de  la 
steppe,  tondue  par  la  dent  de  leurs  chameaux,  on  s'explique  les  pré- 
férences pour  le  séniorat  (^),  les  répugnances  à  se  plier  aux  ordres 
d'un  jeune  homme  inexpérimenté.  Mais  à  défaut  d'enfants,  exclus  par 
leur  âge  même,  par  leur  faiblesse  physique,  le  chef  défunt  laissait 
souvent  des  frères.  Formés  à  son  école,  continuant  ses  traditions,  ces 
parents  se  sentaient  capables  de  maintenir  la  cohésion  intérieure  de 
la  tribu,  d'en  imposer  le  respect  aux  ennemis  du  dehors  (^).  La  mo- 
bilité des  Arabes,  leur  esprit  soupçonneux  et  jaloux  (')  ne  leur  per- 
mirent pas  d'envisager  ces  avantages.  Devant  ces  hommes,  flairant 


(*)  Qotaiba,  'Oyoûn,  19  :  L^l.i:  ^UiL^  ^_c  ^^    -^  ^^y^  <^^  c)^'^ 

(^)  AboS  Tammâm,  Hamàsa,  E.  I,  227. 

(')  Chaque  «  puits  »  —  ou  campement  —  possède  un  sayyd  ;  Naqà'id  Garîr, 
462,  15. 

(■•)  «  Quand  on  les  rencontre,  on  s'écrie  :  voilà  leur  sayyd.  On  dirait  des  étoiles, 
guidant  la  marche  du  voyageur,  (Gâhiz,  Haiazcân,   III,  30,  4) 

(5)  Les  enfants  se  trouvaient  également  exclus  de  la  ridâfa,  sorte  de  vice-royauté 
à  Hïra  ;  Naqà'id  Gartr,  66,  11.  En  quoi  elle  consiste;  iiid.,  299,  5;  cf.  p.  300,  et  66, 
8-10.  Voir  ce  mot  chez  Caussin  de  Perceval,  Essai,  index. 

(*)  Ainsi  'Amrou  ibn  Ma'dikarib  succède  à  son  frère  assassiné  ;  Ag.,  XI\',  33, 
8  d.  1. 

('')  Stigmatisé,  on  l'a  vu,  par  Mahomet,  par  'Orwa  ibn  al-VVard  ;  So'arâ',  909,  1-3. 


'Amir  ibn  at-Tofail  317 

partout  des  menaces  de  tyrannie,  de  pouvoir  absolu,  il  suffisait  d'a- 
giter le  spectre  de  <  la  ro\auté  pour  les  voir  détaler,  comme  un  trou- 
peau d'ona,yres  au  cri  de  :  à  bas  le  roi  1  lyiUiU  iLL^j  c^  <Uli  jU*  Jl» 
kï  kiLU  ,Lol^^  ^^^  U  ^;_jiJU  O'^U  iJUsJk^  lyis  *_)'  ^jL^^\  j^  J^^^^  *  (')• 
Ils  préférèrent  se  condamner  à  changer  perpétuellement  de  chef.  En 
tête  de  leurs  libertés  individuelles  ("),  ils  inscrivirent  le  principe  électif 
du  représentant  de  l'autorité,  l'exclusion  du  concept  d'hérédité  et  de 
succersion  d\nastiques.  Toujours  le  triomphe  de  l'individualisme! 


Dans  cette  longue  galerie,  où  les  annales  du  désert  nous  ont 
conservé  les  portraits  des  chefs  (')  de  tribu  contemporains  de  l'hégire, 
une  figure  se  détache  entre  toutes  avec  un  relief  puissant  :  celle  d'un 
noble  sa}-yd,  brave  entre  les  braves  (■*)  :  'Amir  ibn  at-Tofail.  On  le 
plaçait  au  premier  rang  parmi  les  «  chefs  et  les  démotis  de  l'Ara- 
bie »  (").  Ce  dernier  (jualificatif  n'implique  rien  de  déplaisant.  Si 
on  l'appliquait  aux  sa'loûk,  écumeurs  du  désert,  c'était  pour  souligner 
plus  expressivement  leur  impétueuse  valeur  f),  exprimer  l'admiration 

(')  Chtoniken  (VVùst.)  Il,  144;  le  tâg  chez  les  Arabes  ;  Naqâ'id  Gartr,  264,  d.  v., 
265,  4  ;  comp.  237,  1  v.  ;  240,  15.  Cette  aversion  de  la  royauté  ne  les  empêche  pas 
de  se  proclamer  tous  rois,  comme  Doraid  ibn  as-Simma  ;  So'arâ',  782  : 

Voir  précédemment. 

(*)  En  cas  de  disette  d'eau,  le  raïs  lui-même  n'a  droit  qu'à  la  portion  congrue, 
comme  les  autres  membres  de  l'expédition  ;  Gâhiz,  Ai'ares,  239,  1. 

(3)  On  les  retrouve  principalement  dans  l'incomparable  Kitâb  al-Agàni. 

{*)  On  citait  des  occasions,  où  il  prit  la  fuite  ;  Xaqaid  Garïr,  242;  Ag.,  V'H,  152, 
7  d.  I.  voir  l'index  des  Nagâ'id  Garïr,   s.  v. 

(5)  |,.{.X.-i>U-i.«  >»iJI  ^îîj  0-*  ;  Ag.,  XV,  137,  7.  Les  Omayyades  s'allieront  à 
sa  famille  ;  Ibn  Hagar,  Isâba,  II,  343  ;  pour  sa  noblesse,  cf.  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  180, 
215;  j^jUk»  ^;_^Ui  ;  ibid.,  177,  2;  ^^Lw  jj  ^^^Uii  ;  cf.  Gâhiz,  Haiawân,  I,  145-46; 
Vâqoût,  E.  V,  .327,  4;  'Iqd\   II,  102,   II;  Ag.,   XXI,  83  d.  1. 

(*)  Moins  estimée  était  la  catégorie  des  sa'loûk  dormeurs:  Bohtorî,  Hantàsa, 
641,   1   V. 


318  Même  sujet 

pour  leurs  stratagèmes  et  leurs  ruses  de  guerre  d'une  si  déconcer- 
tante variété.  Pourvu  qu'un  geste  soit  élégant,  l'Arabe  ferme  volon- 
tiers les  yeux  sur  sa  moralité. 

Comme  tous  les  chefs  intelligents  de  l'Arabie  centrale,  'Amir  (') 
se  montra  méfiant  vis  à-vis  de  l'islam.  Dans  la  puissance  grandissante 
du  Prophète  et  de  l'état  médinois,  sa  perspicacité  entrevo3-ait  une 
menace  pour  l'indépendance  des  tribus  du  Nagd.  La  Sirâ  (*)  a  essayé 
de  le  compromettre,  en  lui  attribuant  un  rôle  de  traître  dans  la  lou- 
che affaire  de  Bïr  Ma'oima.  Il  \-  surprit  non  les  missionnaires,  qon'â' 
—  ainsi  le  voudrait  la  Tradition  —  mais  les  émissaires  de  Mahomet, 
venus  pour  fomenter  des  troubles  (').  Quand  on  se  rappelle  les  assas- 
sinats politiques  du  Prophète,  exaltés  par  la  Slra,  on  se  demande 
comment  les  rédacteurs  de  cette  compilation  se  sont  laissés  aller  à 
parler  de  trahison.'  Dans  [une  circonstance  mémorable,  'Amir  avait 
promis  au  poète  A'sâ  de  le  garantir  non  seulement  contre  les  hom- 
mes et  les  ginji,  mais  contre  |la  mort  elle-même.  L'énormité  {*)  de  ce 
trait  trahit  un  Arabe  authentique  (').  C'en  fut  assez  pour  le  mettre 
en  vedette  dans  toute  la  Péninsule,  où  l'on  n'éprouve  pas  au  même 
degré  que  sous  notre  ciel  tempéré,  le  besoin  de  la  proportion.  Le  dis- 


(')  Il  n'est  pas  sûr  qu'il  ait  laissé  une  postérité;  Qotaiba,  Poesis,  191,  le  nie: 
Gâhiz,  Haiawân,  II,  100,  2)  lui  accorde  un  fils;  sa  konia  ne  prouve  rien,  (Mobarrad, 
kaniil,  (Wright)  768,  2)  ;  surtout  contre  son  propre  témoignage  :  il  se  proclame  «  bor- 
gne, stérile  ...  l'IsU  "^^1  C^-Xi  ^\  ,_yXiJl  ^Jls£j;  Qotaiba,  Poesis,   191. 

(2)  Ibn  Hisâm,  Stra,  649,  939.  Il  aurait  proposé  d'embrasser  l'islam,  si  Mahomet 
voulait  le  reconnaître  pour  son  successeur  ;  Qotaiba,  Poesis,  192;  VLAnhaX,  Mos7iad,  III, 
210  ;  en  cas  de  refus  il  déclarait:  cl-aXi  i_âJl  «  JL^I  i_JJI  ^^likàj  ^^j*'  >  Hanbal,  lac. 
cit.,  Voir  son  nom  à  l'index  à'Agâ?ii. 

(3)  Qotaiba,  Poesis,  224,  où  le  beau  rôle  revient  à  l'oncle  de  'Àmir,  AboQ'l  Barâ'. 
Cf.  Enzyk  d.  Islam,  art.  Bïr  Ma'oûna,  I.  Un  des  objectifs  de  la  politique  de  Mahomet 
fut  de  diviser  le  fort  groupement  de  Gatafan.  L'affaiblissement  de  cette  tribu  s'impo- 
sait pour  ses  projets  sur  Haibar  —  protégé  par  Gatafan,  —  et  son  extension  du  côté 
du  Nagd. 

(*)  Le  \i\j>\,  signalé  par  Qotaiba,  Poesis,  133,    174  et  passim;   Ag.,  XXI,  208-9. 
(5)  Ag.,  VIII,  83. 


Zohair  ibn  Ganâb  319 

tique  suivant  de  'Àmir  ibn  at-Tofail,  —  car  il  était  poète  —  va  nous 
résumer  l'opinion  bédouine  (')  sur  l'hérédité  du  pouvoir. 

«  Oui,  je  suis  le  fils  du  chef  des  Banoû  'Amir,  leur  cavalier  (-), 
connu  dans  toutes  les  rencontres. 

Et  pourtant  'Amir  (^)  ne  m'a  pas  conféré  le  commandement  à 
titre  héréditaire.  Non!  Dieu  n'a  pas  permis  que  ce  fût  en  considéra- 
tion de  mes  ancêtres  »  {*). 

Aristocrate,  fier  du  «  monument  de  gloire,  élevé  par  les  ancê- 
tres »  (*),  le  Bédouin  prétend  toutefois  être  l'homme  de  ses  œuvres, 
un  self  mode  man  !  Lier  son  sort  à  celui  d'une  famille  révolte  cet  in- 
dividualiste. Toute  l'histoire  préislamite  confirme  la  fidélité  des  Ara- 
bes à  cette  manière  de  voir.  Un  des  exemples  les  plus  t\piques  nous 
paraît  celui  du  chef  kalbite,  déjà  nommé  par  nous,  Zohair  ibn  Ganâb. 
Ce  nom  nous  ramène  au  milieu  des  tribus  S}To-arabes,  placées  dans 
les  conditions  les  plus  favorables  à  une  évolution  politique  rationnelle. 

Zohair  possédait  ^toutes  les  qualités  de  nature  à  enthousiasmer 
les  Bédouins.  De  noble  race,  poète,  personnellement  très  courageux, 
capitaine  expérimenté  et  constamment  lieureux  dans  les  «  200  com- 
bats livrés  par  lui  »  ("),  il   se  vo\ait    entouré  d'une    nombreuse  cou- 


(1)  Elle  n'a  pas  changé  depuis  ;  cf.  Jaussen,  Moab,   128,   138. 

(^)  ^\l»  ,  chef  militaire  ;  c'est  le  sens  de  ^^«.j.U;  de  même  (^Vj  (_s-^  i_j^)^  •  Conip. 
Ibn  Doraid,  Istiqâq,    180  :   «  »^  f,.^^  ,  leur  commandant   à  la  journée  de .  .  .  ». 

(')  C-à-d.  mes  contribules,  les  Banoû  'Àmir. 

(*)  'Iqd^,   I,  221;   11,  90. 

(*)  I.  S.  Tabaq.,  VI,  119,  1  ;  comp.  Gâhiz,  Haxawân,  III,  25,  6-5  d.  1.  NaqôHid 
Garir,  225,  5  v.  «  Leur  noblesse  est  une  mer  où  l'on  se  noie;  une  montagne  inacces- 
sible »;  ibid.,  263,  264  ;  autre  exemple  de  grotesques  prétentions  aristocratiques;  ibid., 
619,  5-6  sqq.  «  Dépasser  tous  les  bâtisseurs  »  de  monuments  de  gloire  ;  ibid.,  611,  2. 
«  Nous  sommes  rois  et  fils  de  rois  >;  Hassan  ibn  Tâbit,  Divan,  LXXIX,  2. 

(*)  Sigistânî,  Mo'ammaroûn  (Goldziher),  25.  La  légende  de  Zohair  a  été  considé- 
rablement remaniée.  Certains  le  font  contemporain  de  l'hégire,  quoique  d'après  les 
généalogistes,  il  aurait  dû  être  plus  ancien  ;  cf.  Sigistânî,  Mo' ammaroûn,  24-29.  Le 
portrait  tracé  de  Doraid  ibn   as-Simma  rappelle  celui  de  Zohair  ;  So'arà',  752. 


320  Même  sujet 

ronne  de  fils  ('),  tous  poètes  comme  lui.  «  Jamais,  affirme  l'Agâni.  ni 
avant  ni  après  l'islam  on  ne  vit  clans  une  même  famille  une  pareille 
exubérance  de  talent  poéti(]ue  »  (^).  Le  livre  des  Centenaires  (mo'am- 
maroûn)  se  montre  encore  plus  lyrique  (')  :  «  Zohair  assembla  en  sa 
personne,  dit  ce  recueil,  dix  prérogatives  —  privilège  unique  parmi 
ses  contemporains:  —  il  fut  sayj'd  des  siens,  leur  orateur,  leur 
poète,  leur  ambassadeur  auprès  des  rois,  leur  devin  (*),  leur  médecin, 
à  l'époque  où  la  médecine  constituait   une   distinction  (^);  il  fut  enfin 

(')  Ou  descendants  de  Zohair;  Ag.,  XXI,  102-104. 

(2)  Ag.,  XXI,  94,  2.  Le  Prof.  Nôldeke  m'écrit  (18  Janv.  1913)  à  propos  de  la 
rareté  des  poètes  chez  les  Godâm  (signalée  dans  Yazid,  290)  :  <  Les  tribus,  vivant  plus 
ou  moins  dans  la  mouvance  de  l'empire  byzantin,  ne  jouèrent  aucun  rôle  dans  la  poé- 
sie de  la  gâhilyya,  à  rencontre  des  groupes  de  Rabfa,  voisins  de  l'Euphrate.  Plus  tard 
les  Kalb  éprouvèrent  le  besoin  d'avoir  possédé  eux  aussi  un  grand  poète  aux  temps 
anciens.  Ainsi  furent  fabriquées  (Ag.,  XXI,  93  sqq.)  les  poésies  de  Zohair  ibn  Ganâb. 
A  mon  avis,  le  motif  principal  de  ce  phénomène  réside  dans  l'énorme  différence,  entre 
le  dialecte  de  ces  tribus  et  la  langue  des  groupes  de  l'Arabie  intérieure  ».  Les  spéci- 
mens poétiques,  cités  dans  Sigistânî,  Mo'ammaroûn,  24-29,  ne  peuvent  que  fortifier 
cette  e.xplication.  Cette  louche  activité  littéraire  s'étendit  également  au  Kitâb  al-  Wofoûd, 
où  les  tribus  syro-arabes  tinrent  à  introduire  leurs  représentants.  Peut-être  leur  devons- 
nous  également  dans  la  Stra  la  qualité  de  Kalbile,  accordée  au  personnage  mystérieux 
de  Zaid  ibn  Hârita,  le  favori  de  Mahomet  (cf.  Fâtima),  et  surtout  l'insaisissable  Dahia 
al-Kalbî  ;  voir  notre  notice  dans  V Encyclop.  de  l'islam.  Asma'î  ignorait  l'existence  des 
poésies  de  Zohair  :  i_.J-i^«  ^.^^.ia  j_j-o  ^^  YjxJ^  |[JJil  L^J^  ^_^  ^^^-y^  '^^^  ti  .j"^ 
,\y<i  çijl  ^Ls..vio  J-i-0  i_-J-S'.  *>,JJ>  <J^J^U.I  ^h,  .s^Li  i_-0_5U  ^-— J*  Asmal,  Fohoûlat 
ah-So' ara" ,  (éd  Torrey)  dans  ZDMG,  T.  65,  p.  502. 

(^)  Sigistânî,  Mo'atntnaroûn,  ne  cite  aucun  isnâd.  Toute  cette  légende  de  Zohair 
repose  exclusivement  sur  l'autorité  suspecte,  en  cette  matière  surtout,  d'Ibn  al-Kalbî; 
cf.  Ag.,  XXI,  93-104.  Exemple  d'apocrjphes  d'Ibn  al-Kalbî,  ,^\  t^\^ yJ-'OM  ^^j^ 
Cs^'^y  Ag.,   XVIII,   161,  4  d.  1. 

(*)  j^lJJliJI  ïijilj  ^^  >-55'^-  '  Sigistânî,  op.  cit.,  25.  Voir  précédemment.  Saj-yd 
et  à  la  fois  sâdin  (desservant)  d'un  sanctuaire  païen  ;  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  119,  3.  Chez  les 
chefs,  ayant  joui  d'une  autorité  exceptionnelle,  nous  nous  trouvons  généralement  ra- 
menés à  la  possession  du  bail.  Rien  ne  s'oppose  à  ce  que  le  fameux  Mohtâr,  avec 
son  tabernacle,  ait  tenté  de  faire  revivre  une  ancienne  coutume  bédouine.  Le  bait  des 
Arabes  et  le  tabernacle  de  Mohtâr  acompagnent  les  armées;  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  291, 
3-5;  Tab.,  Annales.   II,  701-702. 

(^)  Par  opposition  à  la  période  du  califat,  où  la  médecine,  devenue  l'apanage  des 
tributaires,  perdit  de  son  prestige  aux  yeux  des  musulmans. 


Suicide  de  Zohair  321 

leur  ca\alier.  En  lui  se  réunissaient  l'illustration  aristocratique  et  le 
plus  grand  nombre  de  descendants  au  sein  de  sa  tribu  »  (').  Cette 
dernière  prérogative  s'appelle  >j^i,  le  nombre,  avantage  singulière- 
ment estimé  chez  les  Arabes  {'). 

Cet  ensemble  de  qualités  transcendantes  explique  comment  Zo- 
hair aurait  réussi  à  conserver  le  pouvoir  jusqu'à  la  fin  de  sa  très 
longue  et  mouvementée  carrière.  D'autres  sayyd  étaient  également 
restés  en  place  jusqu'à  la  mort  (*),  ou  pendant  «  20  hagg  >  pèleri- 
nages, c'est  à  dire  pendant  vingt  ans  {*).  La  durée  de  l'autorité  sur 
les  nomades  à  l'esprit  mobile  est  considérée  comme  un  phénomène, 
soigneusement  noté  par  les  annalistes,  l^>  ^\^  (^).  La  vie  publi- 
que de  Zohair  se  serait  prolongée  pendant  un  siècle  entier.  Rangé 
parmi  les  mo'ammaroTcn  (°)  centenaires,  après  avoir  xézw  420  ans  C), 
ce  grand  seigneur  bédouin,  trop  constamment  heureux,  finit  par  s'en- 
nuyer de  l'existence.  Il  \-  mit  fin  en  absorbant  d'énormes  quantités 
de  vin  (*):  le  genre    de    suicide,  considéré  alors  comme   le  plus    di- 


(')  Sigistânï,  op.  cit.,  25  ;  cf.  Qotaiba,  Poesis,  223-25,  où  on  le  dit  contemporain 
de  l'expédition  des  Abyssins  contre  la  Mecque.  Chronologie  à  l'avenant,  comme  tout 
le  contenu  de  la  légende  de  Zohair. 

(*)   D'où  la  formule  ^^U^lj  >aj«JI 

(3;   Ibn   Doraid.  Istiqâq,   198,  4  d.  1. 

(<)   Ibn  Hisâm,  Sîra,   113,  5  d.  1. 

(5)  Ibn  Doraid.  Htiqâq,   242,  243,  3,  6,   16. 

(«)  Cf.  Sigistânï,  op.  cit.,  24,  28;  Ag.,  XXI,  93,  d.  1.  Autre  sayyd  pendant  cent 
ans,  (malgré  un  grave  défaut  de  langue),  Ibn  Doraid,  Istiqâq,  240,  10;  Qotaiba,  Poesis, 
loc.  cit.  Nous  croyons  inutile  de  discuter  la  valeur  de  ces  chifires.  La  légende  de  Zo- 
hair vaut  surtout  comme  indication.  Elle  concrétise  certains  concepts  arabes  sur  l'ex- 
tension et  aussi  sur  la  délimitation  de  la  dignité  du  saj-yd.  Aux  Kalb  elle  offrait  l'oc- 
casion d'affirmei  leur  inter\ention  plus  ou  moins  historique  dans  les  affaires  de  l'Ara- 
bie préislaniite,  comme  les  personnages  de  Zaid  ibn  Hârita  et  Dahia  ibn  Halïfa  les 
avaient  introduits  dans  l'intimité  du  Prophète. 

C)  Sigistânï,  op.  cit.,  25,   1. 

(*,'  -^f-^  XXI,  94,  1;  autres  suicides  par  le  vin;  So'ara',  744;  Mo'ammaroûn,  29; 
Naqâ'id  Gartr,  199.  Un  sayyd,  condamné  à  mort,  réclame  la  ic -S'  <JjJvJ>  ,  celle  par  le 
vin;  ibid.,  153,  10;  Qotaiba,  Poesis,  224;  menace  de  suicide  chez  Hansâ',  Divan, 
50,  3  ;  comp.  Gâhiz,  Mahâsin,   107  :  Bakrî,  Mo'gam,   420,   10-7  d.  1. 

Lammens  —  Berceau  31 


322  Son  autorité  passe  à  un  neveu 

stingué,  le  vin  passant  pour  la  liqueur  aristocratique  par  excel- 
lence ('). 

Une  aussi  fabuleuse  durée  d'autorité,  le  prestige  d'un  tel  homme 
auraient  dû,  semble-t-il,  apprivoiser  ses  compatriotes,  les  réconcilier 
avec  une  transmission  régulière,  avec  l'hérédité  du  pouvoir.  Nos  so- 
ciétés vieillies,  épuisées  par  l'égoïsme  et  la  jouissance,  songent  à  ins- 
tituer des  commissions  de  repopulation.  Misérable  expédient:  il  eût 
fait  sourire  le  Bédouin!  La  race  est  d'ailleurs  prolifique.  Zibriqân,  un 
chef  contemporain  de  l'hégire  comptait  80  garçons  ;  un  autre,  moins 
favorisé,  devait  se  contenter  de  24  descendants  mâles  (').  Parmi  la 
très  nombreuse  postérité  masculine  (')  de  l'incomparable  Zohair,  il 
devait  se  rencontrer  un  fils  en  âge  de  porter  avec  honneur  le  faix 
du  commandement.  Pourtant  ce  fut  non  à  lui,  mais  à  un  neveu  de 
Zohair  que  pa.ssèrent  le  titre  et  l'autorité  de  sayyd  {*).  Les  Kalbites 
pensèrent  sans  doute  avoir  consenti  un  assez  grand  sacrifice  en  main- 
tenant pendant  un  aussi  long  laps  de  temps  cette  dignité  dans  la 
famille  du  chef  illustre.  Ce  fut  certainement  l'avis  du  neveu  de  Zo- 
hair (^).  L'opposition,  fomentée  par  lui,  amena  l'oncle  à  se  démettre 
de  la  charge  et  de  la  vie! 

Placé  dans  une  situation  analogue,  un  de  ces  vieu.x  rimeurs  ad- 
mirés par  le  calife  Mo'âwia,  Ma'n  ibn  Aus  déplo}-a  une  plus  adroite 
longanimité.  Nous  citons  volontiers  cet  heureux  contraste  avec  l'indi- 
vidualisme étroit  et  rancunier  des  Bédouins,  dont  nous  avons  dû  rap- 
peler tant  d'exemples.  Ma'n  avait  d'abord  espéré  que  son  /iï/»i  con- 


(')  Dans  son  propre  panégj'rique  Doraid  ibn  as-Sinima  aime  à  se  montrer  «  vic- 
time  du  vin  j.l>>il  ,J..~3"  »  ;  So'arâ',  ~iW2.  Sayyd,  il  doit  s'abreuver  copieusement  de 
la  boisson  des  sayyd. 

(2)  Ibn  Doraid,  Istigâg,  208,  5;  227.  'Igd*,  II,  76  sqq.  chap.  sur  les  Bédouins, 
les  présente  généralement  comme  chargés  de  famille  et  se  lamentant  sur  J^j«JI  i^. 
Bogair  ibn  'A'id  (voir  plus  bas)  compte  vingt  fils  d-J-o  ^^,  peut-être  descendants) 
ayant  recueilli  le  mii-bôî .  Ag.,  XX,   133. 

(3)  Ag.,   XXI,   94,    1  ;   102-104. 

(*)  Ag.,  XXI,   100,  9  ;  Qotaiba,  Poesis,  loc.  cit. 

p)  Le  cas  du  neveu,  conspirant  contre  le  sayyd,  n'est  pas  isolé  ;  So'arâ',  634, 
6  sqq.;  opposition  rencontrée  par  Zibriqân;  Bohtori,  Hamàsa,  n.  1304.  Le  même  rôle 
est  attribué  à  'Àniir  ibn  at-Tofail  ;  Qotaiba,  Poesis,  224. 


Longanimité  de  Ma'n  ibn  Aus  323 

descendant  désarmerait  l'hostilité  de  son  parent.  L'insensé  refusa  de 
comprendre  la  magnanimité  de  cette  attitude  : 


-»  =- 


Se  venger?  C'eût  été  faire  le  jeu  de  leurs  ennemis  communs,  leur 
passer  pour  ainsi  parler  des  flèches,  destinées  à  se  retourner  con- 
tre les  donateurs  imprudents: 

»  h  «Jl    L{j    ^iLjJi-»o    «JjiJI    f^-**'  ^y^"')    J^   Cr^^    '*'^    -«aX_>  I    j^j'  * 

Puis  le  sentiment  de  la  crainte  d'Allah  1  La  conviction  que  la 
rupture  au  sein  d'une  famille  constitue  le  plus  abominable  des  crimes! 

Tant  de  longanimité  se  vit  enfin  récompensée.  A  force  de  pa- 
tience Ma'n  parvint  à  guérir  la  blessure,  à  éteindre  le  feu  de  la  ran- 
cune. Après  les  hostilités,  une  paix  durable  fut  conclue  : 


v»^  o  s^i^-^^» 


*  * 


Parmi  les  tribus  entreprenantes,  réclamant  Rabfa.  comme  leur 
ancêtre,  on  observe  la  même  inconsistance.  En  dépit  de  leur  voisi- 
nage avec  les  Perses,  de  leur  civilisation  plus  avancée,  de  leur  péné- 
tration par  le  christianisme,  on  ne  découvre  pas  chez  eux  des  notions 
plus  saines  sur  la  stabilité  du  pouvoir:  et  nous  vo3-ons  l'autorité  va- 


(')  Bohtori,  Hantàsa,  n.  1308.  D'après  le  proverbe,  le  neveu  est  ^'-'^^  i)^->^ 
iJâjj;,  ton  ennemi,  puis  l'ennemi  de  tes  ennemis;  'Igd*,  II,  97,  c-à-d.  qu'en  cas  de 
danger  il  se  rallie  contre  l'ennemi  commun. 


324  1,'iclée  dynastique  révolte  le  Bédouin 

giier  d'une  famille  à  l'autre  ('),  sans  parvenir  à  se  fixer  (").  Rien  ne 
charmait  le  Bédouin,  comme  ce  changement  incessant  de  titulaires, 
venant  rompre  la  monotonie  de  l'existence  au  désert.  Il  répétait  avec 
le  poète  de  Tamim: 

~>  _  »  _ 

«  J'appartiens  à  une  tribu,  tous  la  connaissent.  Quand  un  sa\'3'd 
vient  à  mourir,  son  compagnon  lui  succède. 

Etoiles  du  ciel  ;  lorsqu'un  astre  se  couche,  un  autre  se  montre, 
groupant  autour  de  lui  ses  satellites. 

«  Leur  noblesse,  la  splendeur  de  leurs  traits  illumineront  le  firma- 
ment, aussi  longtemps  que  le  joaillier  percera  les   perles  »  f). 

C'est  à  dire  tant  qu'il  existera  des  Arabes  1  A  l'autre  extrémité 
de  l'Arabie  (*),  les  Azd  du  'Oman,  apprenant  la  mort  de  Mahomet 
et  son  remplacement  par  AboO  Bakr,  levèrent  les  bras  au  ciel.  «  Com- 
ment, sécrièrent-ils,  tous  les  Ooraisites  doivent  se  croire  prophètes! 
c'est  là  une  t\'rannie  insupportable  »  (^). 

Dans  la  succession  d'un  Ooraisite  à  un  autre  Ooraisite,  c'est  l'idée 
dynastique,  qui  les  révolte  avant  tout,  et  dans  cette  idée  la  préten- 
tion de  disposer  de  leurs  clans,  de  leurs  tribus,  sans  demander  leur 
assentiment,  comme  on  se  passe  un  legs  de  famille.  Cette  prétention 


(i)  Cf.  Yazid,  92,  n.  3.  Ag.,  XXI,  186;  Va'qoubï,  Hist.,  I,  256-57,  260-61.  Même 
phénomène  chez  Modar  (Va'qoûbi,  lac.  cit.),  au  Yémen  :  à  Sarâhîl  ibn  as-Saitân  suc- 
cède un  chef,  membre  d'une  autre  famille;  Ibn  Doraid,  Istiqâg,  243,  3-5.  De  Ibn  Sa'd 
(Well.)  p.  5,  n.  5,  W'ellhausen  (E/!t\  477i  conclut  à  l'existence  parmi  les  Azd  de  'Oman 
de  deux  frères,  gouvernant  simultanément.  Le  contexte  ne  semble  pas  imposer  cette 
déduction. 

(-)  Ibn  HaldoQn,  Prolégomènes,  I,  272  (texte  fran',-ais,  avec  le  texte  arabe  en 
regard)  affirme  le  contraire,  en  s'appuyant  sur  des  raisons  à  priori. 

(3)  Gâhiz,  Haimvàn,   III,  29. 

(^)  Même  observation  pour  le  Higâz  ;    Chroniken,   (W'ust.i,   11,    140-41. 

(^)  Qotaiba,  Poesis-,  181  ;  Caetani,  Aiiiia/i.  II,  778.  Dans  Mahomet,  ils  avaient 
surtout  entrevu  le  pouvoir  politique,  dont  le  prophétisme  qoranicjue  leur  paraissait  une 
justification;  cf.  Fàtima,  61,  64. 


Même  sujet  325 

excessive  allume  leur  verve.  <  Eh   quoi  !  s'écrient  les   poètes,  jouant 
sur  le  nom  d'AboQ  Bakr.  père  de  la  chamelle: 

«  Le  Prophète  à  sa  mort  nous  transmettra-t-il  en  héritage  à  une 
chamelle!  Par  Allah I  ce  serait  le  comble  du  déshonneur! 

La  susceptibilité  bédouine  ne  pouvait  plus  ouvertement  exprimer 
ses  répugnances  (")  contre  la  stabilité  du  pouvoir,  contre  son  maintien 
dans  une  seule  famille,  et  même  au  sein  d'une  nombreuse  et  puis- 
sante association  comme  le  syndicat  qoraisite,  établi  à  la  Mecque. 
Après  un  soigneux  dépouillement  des  annales  préislamiques  les  com- 
pilateurs musulmans  en  ont  extrait  les  noms  de  quatre  say3"d  arabes, 
assez  privilégiés  pour  voir  leur  autorité  continuer  à  être  reconnue 
jusqu'après  l'hégire  (^).  Privilège  exorbitant  dans  l'estime  des  no- 
mades. A  leurs  }-eux  une  révolution,  même  religieuse  (^),  doit  se  ma- 
nifester tout  d'abord  par  le  changement  des  titulaires  précédents  (^). 

Le  cas  de  'Amir  ibn  at-Tofail  nous  l'a  montré,  il  arrive  au  fils  de 
remplacer  son  père  dans  la  charge  de  saAyd  (°).  Mais  on  peut  con- 
sidérer comme  un  phénomène,  quand  trois  chefs  se  succèdent  en  ligne 


(')  Tab.,  Annales.   I,  1876;   Yazid,  350. 

(')  Et  aussi  contre  la  très  modeste  origine  du  premier  calife. 

(3)  Ibn  Doraid,  Istiqâq.    186  ;    >NL.^''yU  *^M-'  à  |«*>>«.-^-  J-<aJ'l 

(■*)  Il  est  vrai  que  chez  Mahomet,  ils  ne  séparèrent  pas  le  Prophète  du  chef  d'é- 
tat. 11  leur  apparut,  comme  certains  de  leurs  anciens  sajyd  —  nommons  Zohair  ibn 
Ganâb  —  à  la  fois  kâhin  et  sa>yd. 

(^)  Ce  fut  également  l'opinion  des  Ansârs.  A  leur  avis,  les  Qoraisites  avaient  as- 
sez longtemps  gouverné  avec  Mahomet  ;  cf.  notre   Triumvirat. 

(6)  Ibn  Hagar,  Isàba,  II,  315  ;  cf.  Labîd,  Divan,  XVIII,  4  ;  Ibn  Doraid,  Isti- 
qâq, 144,  8;  233,  15;  235,  bas,  JjLs  ^^,jl  J-jLJ  ;  Naqâ'id  Cartr.lXi,.  ;eiiô  ^l  ^Jm\ 
Ibn  Hisâm,  Stra,  89,  3  ;  Chroniken  (Wust.)  Il,  140,  bas;  Qotâmî,  Divan,  Xl\'.  8  :  ^Jj^ 
iJyl  *»jÇLw  ;  H>id.,  III.  58.  On  hérite  la  syàda;  Zohair  (Ahlw.),  62,  14;  sasyd  fils 
de  sayyd  et  orateur,  jVaqâ'id  Gartr,  613,  d.  v.  ;  Hansâ',  Divan,  10;  Gâhiz,  Haiawâu, 
111,  29,  11.  Encore  rien  ne  garantit  que  dans  ces  expressions  sayyd,  saih  ]ne  désignent 
pas  simplement  des  notables,  au  lieu  de  sayyd  =;;  chef  de  tribu  ou  de  clan.  Ag.,  XIX, 
102  :  *^'l>Uo   ^-j  J 


326  Les  grandes  familles  de  l'Arabie 

directe  dans  la  même  famille  (').  C'est  la  conclusion  à  tirer  de  l'anec- 
dote (*)  suivante. 

Un  jour  le  roi  de  Perse  s'informa  auprès  des  députés  arabes,  si 
dans  leur  pays,  on  reconnaissait  la  supériorité  de  certaines  familles. 
«  Assurément,  fut-il  répondu,  quand  elles  ont  compté  dans  leur  sein 
trois  chefs  sans  interruption  et  que  le  descendant  de  ces  say}'d,  sayyd 
lui-même,  mérite  la  qualification  de  kâmil  »  (').  La  dernière  condition 
devenait  d'une  réalisation  malaisée  dans  l'Arabie  préislamique  (^). 
Quant  à  la  première,  les  députés,  après  avoir  compulsé  les  annales  du 
passé,  découvrirent  en  tout  quatre  familles  (^),  répondant  au  signalement 
indiqué,  en  d'autres  termes,  où  l'on  pouvait  constater  comme  une 
ébauche  de  l'idée  dynastique  i^).  Ce  chiftre  modeste  nous  laisse  loin 
du  protocole  fastueux  d'un  monarque  indien.  Dans  une  lettre  au  ca- 
life 'Omar  II,  il  s'intitula  «  le  fils  de  mille  rois,  l'époux  de  la  descen- 
dante de  mille  monarques  »  (^).  Chez  Asmâ'  ibn  Hâriga  le  poète 
Ootâmi  \^)  célèbre  la  longue  série  de  ses  ancêtres  tous  sayyd.  Il  ou- 
blie de  nous  dire  au  prix  de  quelles  condescendances,  nous  dirions 
presque  d'humiliations,  le  chef  fazârite  réussit  à  ne  pas  déchoir  ('). 
»_^'l_'I  ^  >>^-^  1^^^,  avoir  hérité  la   seigneurie   des    aïeux  1    Voi- 


(')  ^g-..  XVII,   106,  3  ;  Qotaiba,  Ma'àrif,  E.   197. 

(^)  Elle  ne  possède  pas  d'autre  valeur  ni  de  garantie  historique.  Elle  prétend 
surtout  répondre  au.x  objections  des  So'oûbyya,  objections  provoquées  elles-mêmes  par 
l'intransigeance  de  l'impérialisme  arabe.  Les  So'oûb)->'a  entendaient  protester  contre 
ce  chauvinisme  exalté,  se  manifestant  à  tout  propos,  comme  chez  Hassan  ibn  Tâbit: 
«  nous  (les  Arabes)  sommes  les  régents  de  la  terre  »,  Divan,  LXXIX,   18. 

(•■*)  g->Ul  (JL»5o  cU>  ^J.^'1  I-ï  ;  Quatremère  traduit:  si  le  commandement  passe 
ensuite  a  l'arrière  petit-fils  ;  version  par  ailleurs  très  acceptable. 

(■•)  Voir  plus  haut,  p.   27. 

(•■>)  Entr'autres  celles  de  'Oyaina  ibn  Hisn  et  d'As'at  ibn  Qais;  Af.,  XVH,  105, 
106.  Voir  précédemment. 

C)  Qalqasandî,  Sobh,  I,  227;  comp.  les  trois  O^x??  nobiliaires  de  l'Arabie;  Ibn 
Doraid,  Jstiqâg,  238,  10  ;  Ibn  Haldoûn,  Prolégomènes,  I  250,  d'après  Ag.,  XVII, 
105-106. 

C)  'Iqd^,   II,  87;  lettre  analogue  de  l'empereur  chinois  ;  Gàhiz, //aj(j?f<î«,  VII,  36. 

(*)  Qotâmï,  Divan,   pièce  XVII. 

(3)  Balâdori,  (Ahlw.),  248;  Ag.,  XIII,  35-36;  comp.   Ibn  Rosteh,  Géogr..  229,  1-2. 


Théorie  d'Ibn  Haldouii  327 

là  un  de  ces  nombreux  clichés,  exploités  par  les  poètes  (').  Ces 
hyperboles  produisaient  toujours  de  l'eftet.  sans  tromper  personne. 
Nous  aurions  tort  de  nous  montrer  plus  crédules  que  les  contempo- 
rains. La  famille  de  Sa'd  ibn  "Obâda,  le  généreux  Ansârien,  crrand 
distributeur  de  viande  et  de  graisse  ('),  comptait  une  série  de  qua- 
tre say3'd  tous  ^,v»^i^  ('),  tenant  table  ouverte  {*).  Au  delà  de  ce 
chiffre,  la  féconde  imagination  arabe  se  refusait,  dirait-on,  à  étendre 
la  succession  dynastique. 

Sur  cette  donnée,  Ibn  Haldoun,  plus  philosophe  qu'historien,  a 
édifié  une  de  ses  plus  ingénieuses  théories.  A  son  avis,  la  thèse  que 
«  la  noblesse  d'une  tamille  persiste  pendant  quatre  générations,  est 
généralement  fondée  ».  Et  en  voici  la  raison  :  «  ce  nombre  de  quatre 
comprend  le  fondateur,  le  continuateur,  l'imitateur  et  le  destructeur  >  {'). 
Rien  de  plus  élégant  que  l'agencement  de  cette  double  progression 
ascendante  et  descendante.  A  l'appui  d'une  si  belle  argumentation 
l'autorité  du  Prophète  ne  pouvait  faire  défaut  (^).  Aux  3-eux  de  Ma- 
homet «  le  plus  noble  des  hommes  était  le  patriarche  Joseph,  fils 
de  trois  générations  de  patriarches,  distingués  par  leur  noblesse  »  C). 

* 
*  * 

Pour  infirmer  la  valeur  de  ces  développements,  il  serait  superflu 
de  citer  l'exemple  des  Gassânides  de  Syrie  et  des  Lahmides  de  Hî- 
ra  (').  Avec  ces  familles  de  ph3larques  et  de  roitelets,  nous  quittons 


(')  Tarafa  (Ahlw.)  V,    45. 
(*)  11  en  a  été  question  plus  haut. 

(^)  Donc  fortunés,  condition  indispensable   de  la  syâda.  Comp.  la  prière  du  Bé- 
douin :  '/çd\    11,    78,  4    d.   I.  :  U  ,^^\i  JU:  V\  JLai  V^  J'^  NT  ^pL  V  ^1  IjiJl 

{*)  Osd,  II,  283.  E.xeniples  de  trois  générations  de  saj-j-d  à  partir  de  l'islam;  Ibn 
Rosteh,  Géo^r.,  228-29. 

(^)  Ibn  Haldoun,  Prolégomènes,  éd.  Quatremère,  1,  249. 
^^)  On  retrouve  le  hadlt  dans  tous  les  Sahïh  et  Mosnad. 
C)  Ibn  Haldoun,    loc.    cit.    Pour    ce   motif  qualifié  de  ^\  i_jo_ùJI  ^\  i_iu  -iJl 

(")  Celui  des  princes   de    Kinda,  et   des  dynasties   locales  du  Vémen.  Ag.,  XII, 


328  Situation  des  Lahmides  et  des  Gassânides 

l'Arabie  propre,  pour  nous  transporter  à  la  périphérie  de  la  Pénin- 
sule (').  Chez  eux  l'idée  dynastique  fut  un  emprunt  aux  empires  voi- 
sins, une  loi  imposée  par  un  pouvoir  étranger.  Cette  conception  d'une 
forte  autorité,  se  transmettant  dans  une  même  maison,  jetait  dans  la 
stupeur  les  poètes.  Aucune  figure  ne  leur  paraissait  assez  expressive 
pour  peindre  «  la  situation  exceptionnelle  »,  de  ces  minuscules  ro3au- 
tés.  Elles  leur  rappelaient  «  le  soleil  éclipsant  par  son  apparition  l'é- 
clat des  autres  étoiles; 

(^)  1^^  %<r^  ^^.  pJ  S^^    I>1  ^^^  ^y-^'«  _r~^  ^W 

Représentants  de  Byzance  et  de  Ctésiphon  auprès  des  nomades, 
répondant  de  l'ordre  au  désert  devant  ces  deux  gouvernements,  les 
phylarques  ont  dû  non  seulement  subir  leur  influence,  toucher  la  solde, 
mais  encore  se  soumettre  à  leurs  conditions.  Or,  ni  César  ni  Chosroès 
ne  pouvaient  s'accommoder  de  l'instabilité  arabe.  Quand  une  famille 
leur  paraissait  avoir  donné  ses  preuves,  ils  ^entendaient  la  maintenir. 
Il  ne  convenait  pas  à  leur  politique  de  traiter  avec  des  chefs  inconnus, 
sans  passé,  insaisissables,  n'a3"ant  jamais  fourni  de  garanties  au  pou- 
voir métropolitain.  Ainsi  s'explique  l'apparente  exception  à  la  loi  du 
désert.  Elle  contribua  puissamment  au  prestige  et  à  la  puissance  de 
ces  deux  familles,  partant  à  la  cause  de  la  paix  1  (^) 


50,  riâsa  dans  une  famille.  On  cite  Bogair  ibn  'Â'id  :  ^c^yi^  à,^J.^^  ^^  ^_^ij>JLI  ^. 
^Ij^ ,  20  des  siens  prirent  le  mirbâ'  »  c-à-d.  ils  dirigèrent  des  expéditions  victorieuses, 
mais  ils  n'ont  pu  successivement  commander  à  leur  tribu.  Le  iiiiibà',  implique  seule- 
ment un  commandement  militaire,  lequel  n'était  pas  nécessairement  dévolu  au  sayj'd. 
\'oir  précédemment. 

(')  Comp.  Xôldeke,  r>ie  Ghassânischen  Fûrsien  ans  dein  Hanse  Ga/iia's. 

(^)  Nâbiga  Dobyânî  dans  So'arà',  656. 

(')  Par  ailleurs  la  disparition  des  Lahmides  et  des  Gafnides  ouvrit  la  route  aux 
premières  conquêtes  de  l'islam.  —  A  ce  pouvoir  des  phylarques,  comparez  celui  at- 
tribué au  célèbre  Zohair  ibn  Ganâb,  représentant  des  Abyssins.  II  possède  une  sorte 
de  gendarmerie,  des  gardes  k-io  ,  recrutés  parmi  les  Kalbites.  Ag.,  XXI,  96,  6.  Comp. 
avec  les  monâdi-mo' addin  des  sayyd  (plus  haut  p.  229).  Chaque  fois  qu'il  est  question 
d'un  pouvoir  organisé,  les  Arabes  supposent  une  origine  étrangère. 


La  primogéniture  chez  les  Arabes  329 

Ajoutons  pour  terminer  ces  données  sur  l'hérédité  :  les  Arabes 
ignorèrent  le  droit  de  primogéniture  (').  Elle  leur  inspirait  plutôt  un 
terreur  superstitieuse.  Nous  l'avons  constaté  (*)  chez  un  esprit  aussi 
éclairé,  aussi  ferme  (]ue  le  calife  Mo'âwia.  On  regardait  les  premiers- 
nés,  de  préférence  les  garçons,  comme  de  mauvais  augure  (')  :  ^-*  fXi^l 
^,->v->-Jl  !  Plus  fatal  que  Basofis  ;  elle  avait  causé  l'interminable  guer- 
re entre  Bakr  et  Taglib.  Longue  était  la  liste  néfaste  de  ces  pre- 
miers-nés {*).  Qais  ibn  Zohair,  occasion  de",la  guerre  de  Dahis,  encore 
un  premier-né,  fils  de  deux;  parents,  eux-mêmes  premiers-nés!  Pour 
comble  de  malheur,  Oais  avait  les  yeux  bleus  !  Ainsi  la  nature  sem- 
blait avoir  voulu  réunir  en  sa  personne  tous  les  signes  de  malheur 
o?./-?  cJ^  '/-?  j^j'  J^  O-  A"'^  Arabes,  le  6/eu  apparaissait  comme  la 
teinte  de  la  calamité  :  la  mort  est  bleue,  l'ennemi  également  ('').  Dans 
cette  défaveur  il  faut  certainement  'faire  intervenir  une  explication 
ph^-siologique,  la  faiblesse  ph3-sique  des  premiers-nés.  Certains  écri- 
vains arabes  l'ont  déjà  entrevu  Ç).  Il  suffit  de  se  rappeler  les  unions 
précoces.  Les  deux  conjoints,  en  mettant  leur  âge  en  commun  n'arri- 
vaient pas  toujours  à  parfaire  le  total  de  22  ans  (*). 

Aussi  Pdans  les  cas  exceptionnels,  où  le  sayvd  transmettait  le 
pouvoir  à  ses  héritiers  directs,  l'aîné  n'en  bénéficiait  pas  nécessaire- 
ment. A  partir  de  la  période  impérialiste  arabe,  l'usage  de  la  koma  (') 
tend  à  se  généraliser,  à  indiquer  la  qualité  de  père,  à  dévenir  enfin 


(')  G.  Jacob,  Beduinenleben,  21.ï. 

(^)  Cf.  Mo'âiuia,  323.  Le  premier-né  de  Qosayy,  l'ancêtre  aristocratique  de  Qorais, 
est  ^J»^^jst^.  imbécile;   I.  S.   Tabag.,   I',  41,  23.  Comp.    Yazîd,   432,  n.  5. 

(^)  Qotaiba,  'Oyoûn,   453. 

(<)  Gahiz,  Haiawân,  V,   101  ;  Qotaiba,  'Oyoûti,  271. 

(5)  Qotaiba.  'Oyoûn,   453. 

(")  Les  |ï,;  célèbres,  Arabes  aux  yeu.x  bleus  ;  Ibn  Rosteh,  Géogr.,  'i2'i.  Yazîd,  39, 
86.  Les  jumeaux  sont  à  peine  mieux  vus;  Gâhiz,  Bayân,  I,  73,  16.  Vâqoût,  E.  V,  64, 
citation  de  .\htal.  A  l'actif  de  leurs  héros,  les  poètes  mettent  de  n'être  pas  jumeaux. 

C)  Gâhiz,  Haiawân,  IV,  19.  Cf.  Schwally,  op.  siip.  cit.,  sur  les  conséquences 
fâcheuses  des  mariages  précoces. 

(8)  Cf.  Fâlhna,   30,  31. 

(')  Sorte  de  surnom,  composé  avec  aboû,  père. 


330  Quand  le  chef  règle  sa  succession 

un  titre  d'honneur,  réservé  à  la  race  privilégiée  des  conquérants  ('). 
Mais  alors  même  le  nom  de  l'aîné  ne  forme  pas  d'une  façon  régulière 
l'élément  essentiel  de  la  konia.  Dans  le  principe  on  aurait  même 
cherché,  semble-t-il,  à  éviter  cette  combinaison  ('').  On  connaît  des 
cas,  où  elle  équivalait  à  une  injure.  Ainsi  pour  le  pseudocalife  Ibn 
Zobair  la  konia  d'  «  AboQ  Hobaib  ».  Ces  ennemis  le  nommaient  ainsi 
d'après  son  aîné  Hobaib  ('),  par  ailleurs  le  plus  insignifiant  des  fils, 
si  peu  marcjuants,  du  souverain  zobairide  (^). 

Hogr,  le  père  d'Amroulqais,  lègue  en  mourant  son  autorité  à 
celui  parmi  ses  fils,  qui  se  montrera  plus  homme  et  plus  disposé  à 
le  venger  (°).  Enfin  un  chef  militaire,  surpris  par  la  mort  dans  l'exer- 
cice de  son  commandement,  gardait  le  droit  de  nommer  son  rempla- 
çant. Ce  désir  du  mourant  liait  l'armée  (^).  Aboû  Bakr  et  'Omar  ont 
pu  prétendre  user  de  ce  privilège,  de  cette  concession,  arrachée  à 
l'insubordination  arabe,  en  s'occupant,  à  leurs  derniers  moments,  de 
régler  la  succession  au  califat.  La  tradition  orthodoxe  relève  avec  une 
insistance  marquée  la  différence,  distinguant  ces  exemples  de  celui 
donné  par  Mo'âwia.  Non  seulement  ce  souverain  se  permit  de  trans- 


(*)  On  la  conteste  aux  mautâs  (ainsi  Omm  al-banln,  résen-é  aux  femmes  nobles); 
Naqa'id  Gartr,  820,  14-17;  réaction  contre  cette  tendance;  I.  S.  Tabag.,  VI,  239,  16; 
le  rebelle  perd  tout  droit  à  la  konia;  Balâdorî,  (Ahlw.)  63,  bas.  Aboû  ' Oniair  (souhait 
de  longue  vie?)  konia  d'un  enfant;  Aboû  Saif,  celle  d'un  armurier  à.  Médine  ;  Moslim, 
Sahïh^,  II,  171,  213.  En  poésie  on  affectait  de  varier  \es  konias.  On  en  a  déduit  l'hy- 
pothèse de  konias  multiples  pour  un  même  personnage.  Comp.  Gâhiz,  Bayâti,  I,  131. 
Chez  les  poètes,  nécessité  du  mètre,  affaire  de  vanité....  ? 

(-)  On  préférait   au   besoin  —  je  le   soupçonne   du   moins  —  introduire  un   nom 

de  fille.  C'est  le  cas  de  Hâtim  Tayy.  Il  comptait  pourtant  un  fils  !  'Àmir  ibn  at-Tofail 

porte  une  kotiia,  quoiqu'il  n'eût  pas  d'enfant  ;  même  cas  pour  le  célèbre  Sahâbî,  So- 

haib  ibn  Sinân. 

(■')  Ag.,   I,  9,  1.  10.  d.  1.   Parfois  la  konia  de  la  femme  est  composée  avec  le  nom 

».  -^ 
de  l'époux;  cf.  Gratzl,   AUarabische  Frauennamen,   17-18.  Comp.  le   nom  féminin:  *l 

Lf^l  ,  littéral,  mère  de  son  père. 

(*)  Les  maulâs  finiront  par  conquérir  le  privilège  de  la  konia.  C'est  sans  doute 
à  partir  de  cette  date  qu'elle  fut  définitivement    mise   en   relation   avec  la   paternité. 

(5)  Ag.,  VIII,  67,  bas. 

(«)  Wellhausen,  Reste-,   191;   cf.   Yazid,  99. 


Comment  les  Omaj'jades  utilisent  cette  coutume  331 

mettre  le  pouvoir  à  son  fils,  mais  il  prit  cette  grave  mesure,  non  à 
ses  derniers  moments,  mais  en  pleine  santé  (').  Circonstances  aggra- 
vantes aux  yeux  de  la  Tradition  et  accentuant  l'abus  de  pouvoir  chez 
les  impies  Oma\\adesl  (')  Il  est  piquant  de  relever  ces  protestations, 
s'inspirant  du  plus  pur  individualisme  bédouin  et  cela  à  une  époque  (^). 
où  l'ancien  idéal  arabe  n'était  plus  qu'un  lointain  souvenir,  au  sein 
de  la  société  musulmane,  courbée  sous  l'absolutisme. 


(']  Qalqasandî,  Sobh,   I,  249;   Yozia,  98-100;  UO-Ul. 

(-)  .*JJ  lîtLAl  dit  le  Qoran.  Sur  le  molk,  pouvoir  absolu,  reproché  aux  Omayyades, 
voir  Mo'âwia,  chap.  X,   189-213. 

(')  Sous  les  'Abbâsides,  restaurateurs  des  anciennes  autocraties  asiatiques.  Les 
califes  de  Bagdad  s'empressèrent  de  reprendre  les  traditions,  reprochées  aux  Omayya- 
des, pour  la  transinission  du  pouvoir. 


CONCLUSION 


Telle  nous  apparaît  la  condition  politique  et  morale  des  Bédouins, 
au  moment  oii  un  groupe  de  Ooraisites,  réunis  à  Médine  autour  de 
Mahomet,  s'apprêtèrent  à  les  utiliser,  à  les  façonner  pour  en  tirer  la 
matière  de  islam,  .^*^MI  «îu,  et  tout  spécialement  les  cadres  de  la 
future  organisation  de  leur  église  militante.  Race  plus  batailleuse  que 
guerrière!  (*)  Matière  ingrate,  rebelle;  nous  n'avons  pas  cherché  à 
le  dissimuler!  Mais  outre  le  nombre,  elle  renfermait  une  réserve  de 
forces  latentes,  une  accumulation  d'énergies  vierges,  trop  longtemps 
demeurées  sans  emploi. 

Passivité,  violence  :  entre  ces  deux  pôles  oscille  toute  la  destinée 
bédouine.  «  Passivité  de  l'animal  sensible  dont  nous  admirons  les  beaux 
gestes  paresseux,  les  souples  étirements,  qui  mire  le  soleil  dans  ses 
yeux  de  flamme...  passivité  du  bel  animal  docile  à  l'instinct  qui  com- 
mande sa  vie  »  (').  Cette  passivité  fataliste  (^),  l'absence  de  traditions 

(')  Les  auteurs  observent  que  le  Bédouin  n'aime  pas  la  guerre  sainte;  Qotaiba, 
'Oyoûn,  201,  12.  Ce  n'est  pas  l'avis  de  M.  Cl.  Huart.  A  propos  de  Fâiima,  29,  il 
observe  :  «  Tous  ces  Arabes,  citadins  ou  scénites,  étaient  des  guerriers  nés  ;  ils  sa- 
vaient dès  l'enfance  se  servir  de  l'arc  et  des  flèches  ;  sans  maître  d'escrime,  ils  savaient 
combattre  au  moins  à  pied  ;  ils  y  étaient  obligés  par  leurs  fréquents  voyages  en  cara- 
vane ;  pour  recruter  ses  troupes,  Aboû  Sofyân  n'a  éprouvé  aucune  peine  ».  Jour.  Asiat., 
1913',  216.   Pourtnnt  les  Ahâbik  !  !  Voir  plus  bas. 

(^)  Cl.  Boringe,  Esquisses  marocaines. 

(^)  Voir  précédemment,  pp.   106,   113. 


On  discipline  les  Bédouins  333 

et  d'organisation  sociales,  rémiettement  politique,  tout  l'ensemble  des 
lacunes  morales  constatées  chez  les  Bédouins,  devaient  réduire  les 
nomades  à  la  merci  d'hommes  de  leur  race,  capables  d'exploiter  les  res- 
sources, insoupçonnées  jusque-là,  de  ce  peuple  nouveau.  Ces  ambitieux 
ne  tireront  pas  un  ^moindre  parti  des  passions  violentes  du  descen- 
dant d'Ismaël.  L'humeur  inquiète,  le  goût  pour  le  pillage  et  la  rapine  de 
ces  chevaliers-brigands  en  guenilles,  chefs  de  bandes,  terreur  des  grands 
chemins  ('),  ils^  les  soumettront  à  la  discipline  de  la  guerre  sainte,  ils 
réussiront  à  les  rompre,  à  les  assouplir  aux  méthodes  militaires,  ap- 
prises de  l'étranger.  Ce  sera  la  tâche  des  dernières  années  de  Maho- 
met. Tâche  à  peine  ébauchée!  Le  Ooran  en  témoigne  dans  des  versets 
découragés,  oîi  s'exhale  le  dépit  d'Aboû'l  Oâsim  contre  l'indocilité  bé- 
douine (■).  La  mort  prématurée  du  Prophète  l'obligera  à  léguer  à 
ses  successeurs  l'épineuse  entreprise.  Elle  sera  achevée  par  les  O- 
ma\  yades,  «  véritable  pépinière  de  souverains,  s'entendant  comme 
personne  à  régir  les  Arabes  (^), 

~         .,  '  »  '      -. 

Après  avoir  tenu  longtemps  en  échec  la  gendarmerie  des  gouver- 
neurs (*).  ces  écumeurs  du  désert,  pour  lesquels  il  fallait  multiplier  les 

(')  Ag.,  XIX,  111.  Uï'.jJij  >jNJI  .iULa.^  ;^.  'Xj,^  ^LS".  13,1^'lSiU  lij  ^U 
iljU^l  ^  v>J.y»JI  S^.^  S-'r*^'  ''>t^'  «J*  «-f^  j::*^-  Qotaiba.  Poesis.  205,  ^ôJ  ^Ls 
^-kJI  k_-..s„a>  ;.^^.,  XX,  20.  »'_ij  isiCS'»  ô^aA^  iwxJo»  <»JCs^  Tï^'    ,3r.^  i iLl   ;  Conip. 

ibid.,  XX,   150  d.  1.  Qotaiba,  Poesis,  261,  kj;.>>:l  ^.lyi^  Al»ii  ^  '^  ^ 

(')  Voir  précédemment  p.  271. 

(■')  Nous  avons  essayé  de  le  montrer  dans  les  études,  consacrées  aux  deux  pre- 
miers califes  omayyades,  Mo'âu'ia  et  )'azïd.  En  les  rappelant,  M.  Cl.  Huart  observe: 
«  Les  aristocrates  de  la  Mecque,  vainqueurs  à  ÇifTîn,  ne  doivent  pas  nous  faire  oublier 
les  artisans  de  la  première  heure.  Vicirix  causa...  Le  P.  Lammens  ne  veut  pas  être 
Caton  ».  _/o7<r.  Asial.,  1913',  215.  J'ai  toujours  vu  dans  les  Omaj-yades  des  vaincus, 
des  calomniés,  contre  lesquels  l'orthodoxie  islamite  s'acharne  depuis  douze  siècles. 
Je  me  rappelle  le  temps  où  la  censure    turque    m'interdisait    de   les  nommer  dans  le 

Basir  et  dans  le  iSlasriq.    Mes  sympathies  omaj-yades  n'ont  fait  qu'y  gagner Victa 

Caloni. 

(■*)  Ag.,  XIX,  163  ;  on  les  poursuit  de  tribu  en  tribu.  «  La  terre  elle-même  les 
rejette,     i,Ml  «J^JiJiiJ   »  {Ag..  XX,    13,  2  d.  1.),    tellement  la  poursuite  devient  serrée. 


334  Les  Bédouins  et  la  diffusion  islaniite 

gibets  et  jeter  l'interdit  sur  des  tribus  entières  (')  rendues  responsa- 
bles de  leurs  méfaits,  l'uniforme  —  ou  comme  on  disait,  l'inscription 
au  divan  (^)  —  arrivera  à  les  transformer,  en  assignant  un  but,  en 
ouvrant  une  issue  à  leur  sauvage  et  stérile  activité.  Une  fois  enrôlés, 
ces  gens  de  sac  et  de  corde  se  convertiront  en  paladins  (')  de  l'ex- 
})ansion  arabe,  ne  rêveront  plus  qu'exploits.  Ils  refuseront  les  emplois 
les  mieux  rétribués,  s'ils  doivent  les  retenir  loin  du  champ  de  batail- 
le (^).  Désormais  arraché  au  milieu,  où  s'alimentaient  son  incurable  in- 
dividualisme et  son  indifférence  religieuse,  le  Bédouin,  doté  enfin  d'une 
conscience  nationale,  s'apercevra  qu'il  appartient  à  une  grande  race; 
il  s'échauffera  pour  la  cause  de  l'impérialisme  (*)  et  deviendra  un  in- 
comparable instrument  de  propagande    et  de  défense  islamites. 


(')  Voir  précédemment.  Ag.,  XIX,  169.  Ils  se  réfugient  dans  la  solitude  de  \Va- 
bâr;  (voir  plus  haut),  Ag.,  XIX,  164,  6.  XXI,  80  d.  1.,  269,   14. 

(-)  Qotaiba,  Poesis,  205;  Ag..  XVII,   153:  XIX,   163,   167. 

(^)  Ils  sont  d'ailleurs  poètes  JyaJ  kiOli  ^Lio  ,  élégants,  bien  faits  de  leur  personne 
I.3UÎ  ^.^...U^s^l^  l.^^  ^UJI  ^;j.v-3^l  ;  Ag.,  XIX,   163;  comp.   Ag.,  XX,  23,  4;   163,  4. 

1^)  Ag.,  XIX,  166;  cf.  la  notice  de  Mâlik  ibn  ar-Raib  ;  Ag.,  XIX,  163-69.  Le 
territoire  sacré  de  la  Mecque  refuge  de  hatï' ,  brigands  désavoués  par  leurs  tribus.  On 
va  les  y  enrôler  pour  les  mauvais  coups  et  les  expéditions  aventureuses  ;  Ag.,  XXI, 
62,  8;  68,  8;  voir  précédemment  p.  193-94.  Plusieurs  étaient  Aa/ï/' des  Qorais.  «  Pour 
recruter  ses  troupes  Aboii  Sofyân  n'a  éprouvé  aucune  peine  »,  on  le  voit. 

(^)  Nous  en  avons  partout  reconnu  des  traces  dans  cette  psychologie  du  Bédouin. 
Le  tort  des  annalistes  postérieurs  fut  d'antidater  l'éveil  de  cette  conscience  et  de 
prêter  aux  nomades  de  notre  6'^  siècle  les  sentiments  et  les  préjugés  des  témoins  des 
Magàzi. 


TABLE    DES    MATIERES 


Préface   ........ 

Liste  des  sigles  et  abbréviations  principales 
Introduction   ....... 


V 
XIX 

1 


LE   CLnLA.T    DE   L'ARABIE   OCCIDENTALE 


I.  —  L'Arabie  et  la  Province  du  iliéaz.  Délimitation  de  cette  Province 

Le  terme  Arabie,  une  abstraction  fallacieuse;  il  ne  correspond  à  aucune  unité 

géographique,  physique  ou  ethnographique  .......  9 

A  quoi  aboutit  la  centralisation  sous  les  'Abbâsides  ......  » 

Représentation  physique  de  la  péninsule  arabe  .......  10 

Pourquoi  nous  bornerons  notre  étude  au  Higâz,  berceau  de  l'islam.  .  » 

Le  Higâz  et  la  Mecque,  centre  religieux  de   l'Arabie    préislamique:  comment 

est  née  cette  théorie.  Prétentions  des  Qoraisites  et  influence  des  conceptions 

qoraniques        .......... 

Mahomet  s'est  considéré  comme  le  prophète  du  Higâz      .  .         .  11 

L'influence  du  Higâz  est  postérieure  à  l'islam    .... 

Notre  étude  débutera  avec  la  première  décade  du  7"  siècle 
Les  Bédouins,  rebelles  à  l'abstraction.         ..... 

Variété  des  notations  géographiques  en  arabe     .......  » 

Finesse  de  l'observation  topographique  chez  le  Bédouin    .....  12 

Pourquoi  elle  ne  s'élève  pas  jusqu'aux  abstractions  de  géographie  politique 
Indifférent  à  la  chronologie,  le  Bédouin  ne  suppute  pas  les  divisions  du  temps 

il  ignore  son  âge    ........... 


336  Table  des  matières 

Le  concept  de  «  province  »  ne  lui  représente  rien  ;  par  ailleurs  sa  nomencla- 
ture géographique  note  les  moindres  modifications  du  sol  et  du  climat     . 

Ces  notations,  fréquentes  chez  les  anciens  poètes  ;  absence  des  dénominations 
géographiques,  des  divisions  administratives         ...... 

Le  côté  utilitaire,  le  seul  angle  sous  lequel  les  nomades  ont  envisagé  la  géo- 
graphie      

Ce  qui  a  fait  tort  au  vocable  Higâz  et  favorisé  l'imprécision.  Etymologies  ar- 
bitraires pour  ce  vocable        .......... 

Même  pour  les  centres  importants,  impossible  de  décider  si,  avant  l'hégire,  on 
les  rattachait  au  Higâz  ........... 

La  poésie,  source  principale  de  la  documentation  géographique  ;  on  a  plus  ra- 
rement consulté  les  archives  officielles ........ 

Le  califat  et  la  centralisation  administrative  firent  entrer  la  géographie  poli- 
tique dans  la  mentalité  des  Bédouins    ........ 

Juristes  et  casuistes  s'intéressent  à  la  question  des  frontières  du  Higâz  , 

Antiquité  de  ce  vocable;  pourquoi  plus  rare  en  poésie      ..... 

Médine,  comprise  dans  le  Higâz.  Ses  limites  s'étendent  vers  le  Sud.  à  par- 
tir de  l'hégire.  Situation  spéciale  de  la  Mecque  ...... 

Déplacement  des  frontières  septentrionales  du   Higâz         ..... 

Fixation  de  l'e.xtension  géographique  du  Higâz:  les  limites  demeurent  flot- 
tantes à  l'Est  et  au  Nord.  Pour  nous,  il  comprendra  toute  l'Arabie  occi- 
dentale, à  l'exception  du  Yémen  ......... 


13 


14 


15 


Ib 


Climat  du  Higaz.   Température,   pluie 


Excessif  pendant  l'été,  le  climat  demeure  pénible   en   hiver,   malgré   l'absence 

de  la  neige.  Tout  est  tranché,  heurté  dans  le  milieu  arabe 
L'action  du  vent  du  Nord,  «  vent  de  Syrie  »  et  «  vent  du  Taurus  » 
Effets  des  froides  nuits  d'hiver  sur  les  hommes  et  les  animaux 
L'hiver,  période  des  pluies  .......... 

«  Années  blanches  »  et  «  années  grises  »;  sécheresses  pendant  quatre  ans 
L'Arabie,  pays  de  Vistisqa,  prières  pour  obtenir  la  pluie  .... 

Animation  dans  les  tribus,  à  la  fin  de  l'été.  Interrogations  sur  les  probabilités 

de  la  pluie  anxieusement  attendue.  Fourrage  et  eau  font  défaut 
On  épie  le  retour  de  la  pluie  ;  on  s'apprête  à  en  suivre  la  première  chute.  Si 

gnal  de  la  migration,  de  la  rentrée  hivernale       ..... 
La  pluie  passe  par  dessus  le  territoire  delà  tribu.  Les  explorateurs  ou  «  row 

wâd  ».  On  achète  le  droit  de  pacage    ..... 

Dispersion  des  Bédouins  ;  «  réunis  à  la  chute  d'un  nuage  » 
Hivers  exceptionnellement  humides      ...... 

Trombes  d'eau,  ruptures  de  nuage,  le  sail.         .... 

Pluie  durant  une  semaine  entière  ...... 


17 
18 


19 


20 


23 


Table  des  matières 


337 


Le  Higâz,  labyrinthe  de  montagnes,  de  pics  basaltiques  et  dénudés,  où  rien 
n'arrête  la  chute  des  eaux     .......... 

Violence  des  inondations  ;  elles  forment  des  fleuves  larges  comme  le  Nil  et 
l'Euphrate.  Agglomérations  et  tribus,  emportées  par  les  eaux    . 

La  catastrophe  est  surtout  redoutable,  quand  elle  surprend  un  camp  endormi. 

Tous  les  dictons,  fruits  de  l'expérience  bédouine,  sont  attribués  au  Prophète; 
il  aurait  défendu  de  camper  au  fond  des  vallées.         ..... 

Inondations  récentes  ;  leurs  effets   désastreux      ....... 


23 


24 


3.  —  Réservoirs,  bassins,  étangs,  vasques.  <  gadir  » 

Même  pendant  les  hivers  ordinaires,  la    pluie   suffirait   aux    besoins   restreints 

du  désert,  si  on  relevait  les  anciens   barrages      .... 

La  Providence  y  a  pour\'u  en  multipliant  les  barrages  naturels 
Vides  et  creux,  où  se  ramassent  les  eau.\;  les  «gadïr» 
Distraction  de  la  nage  en   Arabie         ....... 

Variété  et  superficie  des  gadîr.  Absence  de  lacs  .... 

Série  de  gadîr,  s'échelonnant  à  divers  niveaux;  gadîr   poissonneux  . 

Gadîr  permanents,  alimentés  par  des  sources;  émissaire  assurant  le  débit  du  trop 

plein.  Leur  coloration  ;  gadîr  temporaires     ...... 

Gadîr  «  d'été  »;  gadîr  «  ne  laissant  jamais  voir  le  fond  ». 

Gadîr  ayant  recueilli  les  dernières  eaux  du  déluge 

Végétation  dans  le  voisinage  des  gadîr       ....... 

Qualités  de  leurs  eaux,  saumâtres,  salées  «  au  point  d'éborgner   un    oiseau  » 

Explication  de  cette  composition  chimique  ;  action  du  soleil 
Les  étangs  de  Homm  ;  dans  le  voisinage  aucun  nourrisson  ne  peut  vivre 
Bassins  des  couvents  chrétiens,  célébrés  par  les  poètes.  Hommage  rendu   aux 

moines  par  le  Qoran       ...... 

Gadîr  et  mares  stagnantes  dans  l'oasis  de  Médine     . 
Insalubrité  des  oasis,  causée  par  les  marais 
La  malaria  endémique  dans  les  terres  cultivées  du  Higâz 
Pas  une  seule  rivière  en  Arabie.  Une  cascade    . 


26 


28 
29 

> 


30 


31 


4.  —  Le  régime  des  eaux  au  désert.  La  salinité  du  soL 
Les  puits,  les  <  hisa  >;  qualités   de  leurs  eaux 

La  salinité  du  sol,  ennemi  principal  de  la  flore  désertique.  Elle  est  causée 
par  l'évaporation  solaire.         .......... 

Le  rôle  de  la  pluie  :  dessaler  la  terre,  la  débarrasser  de  l'e.xcés  de  minéralisa- 
tion.  Lessive  à  grandes  eaux.         ......... 

La  violence  de  la  pluie  doit  vaincre  la  résistance  du  sol,  amollir  la  croûte  su- 
perficielle, la  saturer  d'humidité 

Lahhens  —  Berceau  2 


32 


338  Table  des  matières 

Les  «  darât  ».  Le  rôle  bienfaisant  du  sable  dans  les  dàrûl,  fonctionnant   com- 
me un  filtre  pour  les  eaux.   Différences  avec  les  nefoûd      ....  33 

Les  «hisâ»,  réserves  d'eau  dans  le  sous-sol,  bien  connues  des  Bédouins  34 

Comment  l'Omayyade  Ibn  'Àmir  acquit  la  spécialité  de  découvrir  les  eau.\  » 
Les  «  hisâ  »,  ressource  des  voyageurs  et  des  troupeaux.   Ils  rendent  les  forces 

au  chameau.  Très  appréciés  par  les  Bédouins      ......  » 

Moyens  pour  faire  jaillir  l'eau  des  hisâ  et  au  fond  des  puits  desséchés.  Prati- 
ques de  Mahomet.         ............  » 

Description  des  «  dahl  »;  propriétés  de  leurs  eaux      ......  35 

Le  rôle  des  eaux  souterraines       .....                  ....  » 

Sources  et  puits;  leurs  noms  conservés  par  la  poésie.   Utilité  de  cette  mention. 

Le  poète  Amroulqais  et  Haggag  .........  36 

Creusement  des  puits, 'un  titre  de  gloire;  puits  «  inépuisable  jusqu'en  SaTiân  ». 

Le  puits  de  Loqmân       ...........  » 

Puits  possédé  par  plusieurs  tribus,  cause  de  luttes  fratricides  ....  » 

L'allocution  de  Qais  ibn  'Àsim     ..........  37 

Le  «  harîm  »  ou  «  himâ  »  du  puits.  Conséquences  de  ce  privilège    ...  » 

Jugement  de  Maqdisî  sur  les  eaux  du  Higaz       .......  » 

Comment  on  apprécie  le  puits  de  Zamzam.  Jugement  d'Istahri.         ...  38 

Les  nomades  peu  exigeants  en  matière  d'eau.   Comment  ils  définissent   l'eau 

potable.   Multiplicité  des  puits  saumâtres       .......  » 

Rareté  du  «  wasal  »,  eau   de  roche;    peu   de   sources   coulant  à  la  surface   du 

sol,  sinon  dans  certaines  oasis       .........  39 

Les  «  99  sources  »  de  Yanbo'.  Sources   vauclusiennes.         .....  » 

Synonymie  de  sL«,  ^^-.^  et    -ij  .  D'où   provient  le  vague  de  leur  signification  ? 
Absence  d'inspection  topographique.  Il  s'agit   d'eaux,  alimentées  par  des 

courants  souterrains,  plutôt  que  de   citernes.         ......  > 

Leur  multiplicité  en  certaines  vallées  .........  40 

Les  eaux  courantes  dans  le  Qoran        .........  ^> 

Pourquoi  on  a  placé  au  mont  Radwâ  le  séjour  du  Mahdi  sî'ite  ... 

Les  «  petites  eaux  »,  suffisant  à  «  abreuver  deux  cavaliers  »       .         .         .         .  <> 

Les  «  eaux  bleues  »  très  estimées  ;  celles  engraissant  les  chameaux.                  .  41 

Propriétés  des  eaux  de  Zamzam  ;    efforts  pour  en  dissimuler  le.  goût         .         .  » 

Eaux  comparées  à  la  pluie.  Multiplicité  des  eaux  amères  .....  » 

Fréquence  des  «  sabaha  » .  terrains  salins  ;  comment  ils  se  forment  ...  » 
Beaucoup  de  gadïr  se  transforment  en  mares  salines  ;  nombre  de  puits  devien- 
nent inutilisables     ............  42 

Puits  qui  «  brûlent  ie  poil   du   chameau  »  ;    vertu   laxative  et  autres  propriétés 

de  certaines  eaux    ............  >^ 

Mahomet  améliore  les  eaux.  Comment  il  s'y  prend    ......  » 

Accidents,  causés  au  Prophète  par  l'eau  des  puits     ......  » 


Table  des  matières  339 

Les  eaux  de  Médine;   comment  elles   se  contaminaient.  Une  explication  pour 

la  malaria  de  Médine     ...........  43 

Le  Prophète  ensorcelé.  Le    puits    des   BanoQ   Zoraiq.  Les  Juifs   et  l'aménage- 
ment des  eaux.  Ce  monopole,  une  des  causes  de  leur  perte       ...  » 
Creusement  d'un  puits;  importance  de  l'opération      ......  » 

Mahomet  et  les  histoires   d'empoisonnement.    Il  soupçonne  des  tentatives  cri- 
minelles, se  défie  des  Bédouins     .........  » 

La  malaria  de  Haibar " 

L'antisémitisme  du   Prophète 44 

La  faune  des  puits  et  des  sources  désertiques.  Le  sable,  le  «  samoûm  »,    me- 
naces pour  les  eaux.  Profondeur  des  puits   .......  « 

Le  Bédouin,  buveur   de   lait.  Comment  il  apprécie   l'eau.  Absence  de  précau- 
tions pour  prévenir  la  contamination  des  puits     ......  45 

Sources  thermales  et  sulfureuses  ..........  » 

Eaux  utilisées  pour  la  culture.  Barrages  des  «  harras  » » 

Le   mécanisme   des   norias   en  Arabie.  'AU   forcé  de  tirer  l'eau.  Les  puits  «  à 

corde  courte  ».  Ceux  ne  pouvant  servir  à  l'arrosage    .....  46 

Arbres  allant  puiser  l'humidité  à  30  mètres  de  profondeur.  Cultures  «  ba'l  »    .  » 

5.  —  La  fête  de  la  nature.  Cueillette  de  truffes.  Flore  du  n\éâz. 
Sources  et  puits;  classification 

Au  début  de  l'hiver!   Le  «  sail  »  ou  l'inondation.  Coquetterie  de  la  nature  dé- 
sertique   ..............  47 

Les  charmes  du  «  rabî'  ».  Les  chevaliers-brigands  se  font  bergers.  Courte  pé- 
riode de  paix  ..............  48 

Misère  du  Bédouin  à  la  fin  de  l'été     .........  » 

L'abondance  renait:  le  lait  et  le  beurre.  Enthousiasme  des  nomades.  On  peut 

«  éteindre  le  feu  et  enterrer  le  couteau  ........  49 

Cueillette  de  truffes,  d'artichauts.  Prospérité,  formes  exubérantes  du  chameau.  » 

Attendrissement  des  Bédouins.  Haggâg  et  les  chameaux -lO 

Après  un  siècle  de  conquêtes   la  société   arabe  était   demeurée  bédouine.  Les 

califes  et  la  villégiature  de  la  bâdia       ........  » 

Les  meilleurs  pâturages,  ceux   situés   loin   des  eaux.  Goijts   aristocratiques  du 

chameau  ..............  J' 

L'Arabe,  «  le  parasite  du  chameau  »  (Sprenger)          ......  » 

Le  chameau,  la  plus  utile  conquête  du   nomade.         ......  » 

Durée  éphémère  du  tabî'.     ...........  * 

Les  districts  du  Higâz  appartiennent  principalement  à  la  catégorie  des  steppes.  .12 

Origine  et  formation  de  la  steppe  arabe      ........  » 

La  flore  d'Arabie.  DiflScultés  du  sujet  :  imprécision  des  écrivains  musulmans  ; 

étude  peu  avancée  des  plantes  désertiques  .......  » 


340  Table  des  matières 

Asmaf  et  la  flore  du  Higâz.  Le  catalogue  de  Hamdâni 53 

Le  Kilâb  as-Sagar  d'Ibn   Halâwaih » 

La  flore  des  sables;  sa  résistance.  Le  J-«J1   Z-s>-  et  les  (J>?^    ....  » 

c  La  moindre  odeur  de  l'hiver  suffit  pour  tout  ranimer  « J4 

Caractéristiques  et  variétés  de  la  flore  des  sables  :    lianes,  plantes  basses,  aci- 
des et  juteuses.  Très  appréciées  du  chameau       ......  » 

Définition-  du  genre  hamd.  Son  rôle  dans  l'alimentation  des  troupeaux  » 

L'abus  du  hamd:  la  diarrhée  du  chameau  ........  ô.j 

La  holla;  définition.  Alimentation  mixte      ........  » 

6.  —  Pâturages  et  flore.  Les    «  nefoOd  ».  Territoires  réservés 

Fréquence  des  espaces  complètement   stériles.  Sables   où  disparaît  le  pied  du 

chameau  ..............  56 

Les  «  nefoQd  ..............  » 

Terreur  du  vojageur,  les  nefoûd,  après  un  hiver  humide,  deviennent  le  para- 
dis des  bergers        ............  57 

Le  gadâ  et  la  flore  des  nefoûd,  ressource  des  tribus  pauvres     ....  » 

Description  de  la  Dahnâ'.  Eloges  lyriques  des  poètes         .....  58 

La  végétation  arborescente,  réserve  des  troupeaux.  Sa  force  de  résistance.  Où 

elle  emprunte  l'humidité         ..........  » 

Arbres  et  fourrés  des  sables.  \'égétation   spéciale  des  haïras.  Arbres-prairies.  59 

Les  provisions  de  fourrage  inconnues  en  Arabie         ......  60 

Comment  Aboû  Bakr  prépara   l'évasion  de  Mahomet.         .....  » 

L'institution  du  himà:  son  origine       .........  » 

Le  Himâ  Darj'ya,  celui  de  Rabada  etc.       ........  61 

Origine  des  territoires  réser\'és  prés  des  cités > 

Leur  transformation  en  haram      ..........  62 

Ingéniosité  des  Qoraisites  pour  élargir  le  haram  de  la  Mecque.         ...  » 

Mahomet    établit    un    haram   à   Médine.    Les    Bédouins    n'en    tiennent    aucun 

compte     ..............  » 

Le  hiinâ  des  sanctuaires.  Les  troupeaux  du  dieu  Galsad  .....  » 

Privilèges  attachés  aux  himâ  et  au.x  haram.  Ils  sont  respectés  par  les  fauves.  63 

Les  chameaux  des  himâ  font  prime  sur  le  marché     ......  » 

Nécessité  pour  les  tribus  de  constituer  un  himâ.  Difficulté  pour  en  imposer  le 

respect.  En  fait  de  propriété  le  Bédouin  admet  seulement  la   sienne.         .  » 

Les  himâ  de  Mahomet  et  sa  liste  civile       ........  64 

Le  bassin  du  wâdi  Idam  et  le  système  hydrographique  de   Médine.  Comment 

le   Prophète  l'utilise  ;  avec  quelle  sévérité  il  punit  les  contraventions.         .  » 
Arbres   du  Higâz,  difficulté   de   leur  assigner  des  équivalents   en  nos  idiomes. 

On  les  retrouve  par  groupes  ..........  » 

Arbres   de   belle   venue.  Caractéristique  générale  :    épines,  feuillage   rare,  cou- 


Table  des  matières  341 

leurs  ternes,  sucs  résineux  :    autant  de  conditions  pour  résister  aux  enne- 
mis du  dehors         ............  65 

Le  système  de  la  paix  armée  au  sein  de  la  nature  végétale      ....  66 

«  Pour  leurs    noms   propres,  les  Arabes  affectent   d'emprunter  les  appellations 

des  arbres  épineux  »  (Hamdânî)    .........  » 

L'influence  du  nom,  porté  par  le  titulaire » 

La  famille  des  'idâh,  la  plus  fréquemment  représentée  en  Arabie      ...  » 

Description  du  feuillage,  tissus  et  racines 67 

Préférences  du  chameau  pour  les  plantes  épineuses » 

L'arbuste  «gadâ»;  quand  cause-t-il  la  diarrhée?         ......  » 

Riche  collection  de  ronces  buissonneuses.   «  Elles  représentent  la  forme  sèche, 

le  négatif  de  la  forêt  »  (Banse) 68 

7,  —  Grands  arbres.  Arbres  sacrés.   Les  ••  harra  ■>  et  anciens  volcans 

Grands  arbres  et  forêts.  On  se  nourrit  de  feuilles       ......  69 

Fréquence  de  l'acacia  «  arâk  ...........  » 

Les  doiims  ou  palmiers-nains  ;  avec  le  ciâl  ils  forment  des  bouquets  forestiers.  70 

Ce  qu'il  faut  entendre  par  forêt   en  Arabie.         .......  » 

Les  himàs  préservent  de  la  destruction  les  plus  beaux  arbres   ....  » 

Les  arbres  et  les  liiciis  sacrés  :  ils  sont  une  menace  pour  le  monothéisme  des 

Bédouins  ;  le  calife  'Omar  et  son  fils  'Abdallah » 

Mahomet  et  les  arbres  sacrés        ..........  71 

Arbres  du  champ   de  bataille   de  Badr;    forêt  d'.\buâ;    massif  boisé  du  mont 

Radwâ.  Tamarisc  pouvant  ombrager  cent  personnes » 

Les  palmeraies  du  Higâz:    elles   notent  le  voisinage   de  l'eau  et  d'une  agglo- 
mération ..............  » 

Le  palmier  dans  la  poésie.  L'apostrophe  aux  «  deux  palmiers  »...  > 

Evitons  d'exagérer  la  dénudation  de  la  Péninsule       ......  72 

Les  «  harra  »;  extension  et  description.   La  monographie  de    Yâqoût.  Leur  ri- 
chesse en  humus  :  flore  fourragère  et  palmiers     ......  » 

Domaines  englobés  dans  les  harra        .........  7.3 

Anciens  volcans  d'Arabie.  Reprises  partielles  d'activité  aux  environs  de  l'hégire. 
Le  souvenir  en  est  demeuré  dans  la  mémoire  populaire  et  dans  la  topony- 
mie locale         .............  » 

Efforts  de  Mahomet  pour  modifier  cette  nomenclature;  on    croit    à  l'influence 

du  nom  sur  le  titulaire  ...........  » 

Montagnes  noires;  formes  bizarres  et    tourmentées     ......  74 

Montagnes  rondes.  Les  sables  «  musicaux  »;  la   montagne  des    «  tambours  »  à 

Badr > 

En  traversant  ces   paysages    désolés,  on  éprouve    l'impression  de    côtoyer    de 

gigantesques  foyers  éteints     ..........  » 


342 


Table  des  matières 


Les  montagnes-asiles,  où  les  Bédouins  se  dérobent  aux  poursuites  de  Mahomet 

Montagnes  rouges  et  multicolores  ;  massifs  de  granit  et  de  porphyre.  Massifs 
boisés  ;  autres  complètement  stériles.  La  toponymie  y  fait  allusion  :  elle 
signale  les  montagnes  vertes,  chevelues  et  pelées.         ..... 

Les  monts  As'ar  au  pays  de  Gohaina ......... 

La  bâdia  du  calife  'Abdalmalik  et  le  poète  Kotayyr  ...... 

Comparaisons  attestant  la  fréquence  des  arbres.  «  Nombreu.x  comme  les  arbres 
de  Bîsa  et  la  végétation    du  Tihâma  ». 


74 


TS 


Ih 


8.  —  Le  bois  et  les  moyens  de   chauffage. 
Le  Bédouin  et  le  feu.  Bûcherons  et  charbonniers 

Le  Bédouin,   frileu.x  et  amateur  du  feu,  aime  à  se  réunir  autour  du  foyer        .  77 

«  Manger,  boire,  se  chaufier  »,  voilà  tout  le  bien-être  rêvé  par  les   Nomades  .  » 

Le  feu,  symbole  de  la  générosité;  il  ne  doit  pas  «  dormir»      ....  78 

\Jn  Bédouin  prie  «  Allah  de  ne  le  laisser  manquer  de  feu  dans  ce  monde  ni  dans 

l'autre»    ..............  » 

Pour  se  chauffer,  le  nomade  sacrifie  son  arc  et  ses  flèches.  La  bouse  de  cha- 
meau est   utilisée    ............  » 

Arbres  variés.  Leur  bois  résineux  et  dur    oftVe  un  excellent  moyen    de  chauf- 
fage. Celui  du  g'adà  est   proverbial         ........  79 

Les  coquettes  arabes  se  proclament  «  belles  comme  le  feu  dans  la  nuit  froide  »  » 

Foyer   supportant    des    chaudières,  «  larges   comme   des  résenoirs,  où  nagent 

des  chameaux  entiers  »  ..........  » 

Remarque  malicieuse  de  Gâhiz  sur  la  grandiloquence  des  Bédouins.   Leur  exa- 
gération même  permet  de  supposer  l'existence  de  réserves  de  bois  .         .  » 
Riche  synonymie  pour  désigner  les  bocages,  d'après  les   essences,  qui  y   pré- 
dominent. A  quelles  parties  du  Higâz  elle  convient  principalement  .          .            80 
A  cette  richesse  verbale,  quoique  légèrement  factice,  on  aurait    tort   de  dénier 

toute  signification  pour  la  sylviculture  arabe         ......  » 

Bûcherons  arabes.  Grands  personnages,  ayant  exercé  cette  industrie.  Bûcherons 
aux  environs  des  villes  ........... 

Métier  pénible  et  médiocrement    lucratif.    Mais  «  couper  du    bois  vaut    mieux 

que  mendier  ■»  (Mahomet)       ..........  81 

Maladroit  comme  le  bûcheron,  «  coupant  du  bois  au  milieu  de  la  nuit  ».         .  » 

Charbonniers  et  caravanes,  chargées  de  charbon         ......  » 

Les  descendants  de  Fâtima  bûcherons.   Réflexion  d'Ibn  Gobair.         ...  » 


9.  —  Le  palmier  au  Iliéaz.  Son   utilité 

11  abonde  dans  les  oasis.  D'où  le  proverbe:   «porter  des   dattes  à  Haibar  » 
Arbre  providentiel,  «  la  tante  et  la  mère  des  Arabes  »       .         .         .         . 


82 


Table  des  matières  343 

Avec  la  viande,  la  datte  seule  nourriture  solide  des  Bédouins,  ignorant  l'usage 
du  pain.  Le  blé,  une  marchandise  de  luxe,  un  commerce   monopolisé    au 
Higâz  par  les  Juifs ............  83 

Les  céréales,  nourriture  des  riches.  Leur  usage  donne  de  l'esprit,  à  l'encontre 

des  dattes,  pitance  démocratique » 

L'opinion  de  Doughty.  Elle  doit  son  origine  à  la  réputation  de  finesse  des  ha- 
bitants de  Tâif.  Satire  indirecte  contre  les    Bédouins  .....  » 

Pourquoi  les  citadins  leur  sont  hostiles        ........  » 

Manger  du  pain  :  titre  de  gloire,  recueilli  par  la  poésie     .....  84 

Liqueur  de  dattes,  le  ?iabtd,  <  capable  de  faire  peler  le  visage  ».  Cause  de  ri.xes 
dans  l'entourage  de  Mahomet:  l'ivresse  de  son  oncle  Hamza;  luttes  entre 
Ansârs  et  Mecquois.       ...........  » 

Le  Qoran  et  l'interdiction  des  boissons  fermentées     ......  » 

Les  déchets,  les  noyau.x  de  dattes  composant  des  gâteau.x  pour  les  chameaux. 

On  ramasse  soigneusement  les  noyaux.         .......  > 

Leur  présence  dans  le  crottin  trahit  la  nationalité  d'une  troupe  ennemie.         .  85 

Mahomet  interdit  de  lapider  les  palmiers    ........  » 

La  philologie  témoigne  de  l'estime  du    Bédouin   pour  le    dattier.   Nombreuses 

variétés  de  ses  fruits       ...........  » 

Le  rêve  de  tout  Bédouin  est  de  posséder  un  lot  de  palmiers    ....  » 

Leurs  attaques  contre    les  oasis.  Ils    s'imposent    comme  partenaires.  La    poli- 
tique de  Mahomet  à  l'égard  de  Haibar  et  des  centres  juifs  du  Higâz        .  » 
A  quel  prix  les  nomades  protègent  les  oasis  contre  les  tribus  étrangères         .  » 
Les  palmiers  et  le    voisinage  de  l'eau  :    îlots    de    verdure   dans  l'océan    de  la 

steppe 86 

Extension  des  palmeraies  de  Wâdi'l  Qorâ   ........  » 

Leurs  ramifications  dans  la  vallée  de  l'Idam,  puis  dans  la  direction  de    Badr- 

Safrâ'.  Témoignage  d'Ibn  Batoûta.         ........  87 

Cultures  dans   la  région  de  la  Mecque.  Jardins    et  vergers,  à    l'époque    d'Ibn 

Gobair      ..............  » 

Fertilité  de  l'oasis  de   Taimà'.  Celle    de  Médine,  entretenue    par    les    apports 

du  wâdi   Iclam.         ............  » 

Centres  situés  en  dehors  du  périmètre  des  oasis  de  Médine  et  de  Haibar,  ap- 
partenant en  majorité  aux  Juifs     .........  88 

Hitnà  et  rauda  dans    les  dépendances  de  Médine.  Conditions  pour  justifier  la 

dénomination  de  rauda  ...........  » 

Mahomet  et  la    fixation  de    la    langue  religieuse  ;  médiocre    styliste  ;  faiblesse 
de  ses  descriptions.  Le  Prophète,  fervent  admirateur  de    la  nature.  Cette 
admiration  demeure  banale  et  trahit  la  naïveté  d'un  esprit  sans  culture    .  » 
Les  poètes  contemporains  ont  l'observation  plus  fine,  riche  en  traits  pittoresques            » 
Importance  de  ces  traits  pour  la  climatologie  de  l'Arabie  préislamite  ;  les  géo- 
graphes musulmans  les  ont  largement  utilisés 89 


344  Table  des  matières 

Ce  que  le  Qoran  qualifie  de  merveilles.  Monotonie  et  insistance  sur  des  mi- 
racles d'ordre  banal 89 

Le  Qoran  inutilisable  pour  la  climatologie.  Pauvre  géographe,  Mahomet  se  dé- 
sintéresse de  la  météorologie.  Son  recueil  ne  fournit  aucun  renseignement 
sur  les  ressources  de  l'Arabie.   Différence  avec  l'Evangile  ....  » 

Même  à  Médine,  le  Prophète    semble   demeuré  sous    l'impression   du  lugubre 

milieu  de  la  Mecque 90 

Arbres  composant  la  description  d'un  verger,  d'après  le  Qoran.   Le  dessin  des 

jardins  célestes  n'est  pas  conçu  sur  un  plan  plus  large       ....  » 

L'olivier  inconnu  au  Higâz,  à  rencontre  de  la  vigne  ;  on  y  trouve,  non  le  vi- 
gnoble, mais  la  vigne  en  treille  ou  en  berceau    ......  » 

"Tâif  et  la  fabrication  du  vin.  A  quels  usages  servaient  les  raisins  secs  de  Tâif. 

La  boisson  matinale  du  calife  'Omar     ........  91 

Mépris  des  poètes  pour  cette  boisson  morte        .......  » 

D'où  provenait  le  vin  consommé  en  Arabie,  «  rappelant  le  glissement  silen- 
cieux de  fourmis  minuscules  ..........  92 

Localités  du  Higâz,  cultivant  la  vigne.         ........  » 

Cadeaux  de  vin  au  Prophète  ;  il  boit  du  natnd    .......  » 

Arbres  du  Sarât;  conifères,  arbres  à  gomme,  à  résine.  Commerce  et  transport 

du  goudron.  Nombreux  noyers       .........  » 

Vergers   luxuriants   du   Sarât.  Ce   district  alimentait  en  fruits   le  marché  de  la 

Mecque.  Les  jardins  de  Tâif,  «  coin  de  Syrie,  transporté  au  Higâz  »  .  93 

Vergers  des  régions  basses  :  le  pays  des  Solaimites,  Radwâ,  Vanbo',  et  Al-'Olâ. 
La  prospérité  des  oasis  juives  excite  les  convoitises  des  Compagnons  de 
Mahomet  .............  » 

lo.  —  Domaines  et  exploitations  agricoles 

Les  Compagnons  veulent  devenir  propriétaires.  Le  Qoran  les  encourage  «  à 
jouir  des  douceurs  de  l'existence  ».  Leur  empressement  à  s'assurer  les 
terres,  susceptibles  de  culture        .........  94 

L'e.xemple  des  premiers  califes  :  établissement  de  haras,  de  parcs  réservés,  de 

domaines  d'état       ............  95 

Multiplication  des  plantations  de  dattiers.  Comment  la  Tradition  essaie  de  pré- 
senter ces  entreprises  arbitraires,  fréquemment  des  spoliations.  Attitude 
contradictoire  attribuée  au  Prophète      ........  » 

Valeur  fantastique  des  nouveaux  domaines  .......  » 

Propriétés  des  'Alides.  Ils  jettent  leur  dévolu  sur  la  région  de  Yanbo'.  Excel- 
lence du  choix.   Revenus  annuels  des  domaines  de  'Alï       ....  96 

Attraction  du  sol  de  la  patrie  sur  les  .\rabes,  même  après  la  prestigieuse  pé- 
riode impérialiste.  Les  plus  illustres  familles,  celles  des  anciens  califes,  s'y 
disputent  les  terres.         ...........  » 


Table  des  matières  345 

Les  Omayyades  n'agissent  pas  différemment       .......  97 

Prodigieux  développement  de  Médine  :  il  atteste  la  réalité  de  la  prospérité  éco- 
nomique ..............  » 

D'après  l'expérience  du  passé,  l'avenir  de  l'Arabie  dépendrait  en  première  ligne 

d'un  sage  régime  économique         .......-•  » 

Programme   des  Oma>yades:    établir   la  sécurité.  Les   Zobairides   en    profitent 

pour  arrondir  leurs  domaines         .........  » 

Prospérité  du  district  de  Foro'.  Il  possède  14  chaires  de  mosquée.  Lot  de  20,000 

palmiers  ..............  » 

La  vallée  du  'Aqîq  et  ses  villas 98 

Liste  des  localités  entre  Médine  et  la  Mecque    .......  » 

Les  'Abbâsides  négligent  l'Arabie,  à  rencontre  des  Omayyades,  conscients  de 

leurs  origines  arabes        ...........  » 

Dissensions  entre  les  'Alides  :  elles  favorisent  la  décadence  du   pays         .         .  » 

La  coutume  de  combler  les  puits,  de  brûler  les  palmeraies,  pratiquée  par  Ma- 
homet        99 

Plus  que  toute  autre,  l'Arabie  réclame  les  soins  de  l'homme,  la  lutte  inces- 
sante contre  les  éléments.  Cet  ensemble  suppose  un  pouvoir  énergique,  la 
cessation  des  dissensions.  Conditions  rarement  vérifiées  à  partir  du  2^  siè- 
cle H » 

Prospérité  du  pays  des  Solaimites  :  variété  de  ses  ressources  et  de  ses  districts 
géographiques.  Valeur  fabuleuse  du  domaine  qu'y  possède  Zobair  ibn  al- 
'Awwâm 100 

Importance  de  Sawâriqyya,  centre  de  cette  région.  Etendue  et  variété  de   ses 

vergers     ..............  » 

Contradiction  entre  les  témoignages  des  géographes  et  ceux  des  anciens  au- 
teurs. Comment  les  concilier.  Les  encyclopédistes  ont  utilisé  les  poètes, 
témoins  de  la  prospérité  omayj'ade        ........  » 

Efforts  des  anciens  Qoraisites  pour  maintenir  la  paix  en  Arabie        ...  » 

Prospérité  de  la  côte  érjthréenne  en  remontant  vers  'Aqaba.  Description  .géo- 
graphique, abondance  des  eaux      .........  101 

Nombre  et  ressources  des  localités.  Avantages  d'Al-Gâr,  d'Aila,  où  «  le  fro- 
ment est  commun  comme  le  sable  .........  » 

L'exploration   du   Prof.  Musil  :    l'oasis  Al-Badî'a,  le   port   d'Al-Horaiba  et  son 

aqueduc   ..............  » 

L'oasis  'Ainoûnâ.  Pourquoi  la  Tradition  la   fait   concéder  par  Mahomet  à  Ta- 

niîm  ad-dâri     .............         102 

Description  de  l'oasis  de  Sarma;  ses  ressources  et  celles  de  'Afal.  Cette  région 

«  devrait  former  un  des  plus  florissants  districts  de  la  Turquie  »  (Musil)  .  » 


346  Table  des  matières 

II.  —  La  responsabilité  du   Bédouin 

Divergence  entre  la  réalité  entrevue  par  nous  et  les  idées  admises  jusqu'ici    .         103 

Explication  de  cette   antithèse.   Les   appellations   d'Arabie  déserle  et  à' Arabie 

Pélrée.  Mirage  étymologique > 

Comment  notre  imagination  nous  représente  l'Arabie.  L'obsession  des  nef&Ud. 
Ils  forment  l'exception  et  pendant  l'hiver  une  précieuse  réserve  pasto- 
rale. L'été,  ils  représentent  le  désert  saharien  où  «  s'égarer  c'est  se  vouer 
à  la  mort  ..............         104 

Les  «  sabaha»,  steppes  salines  et  improductives.  Leur  origine.  Le  rôle  de  l'é- 

vaporation  solaire  et  des  pluies » 

Flore  spéciale  à  la  sabaha;  comment  elle  atténue  la  salinité  du  sol.         .         .         105 

Causes  de  la  fertilité  des  harra.    Elles  assurent   la   prospérité  des   plus  riches 

oasis  du  Higâz         ............  » 

Inconstance  de  la  météorologie,  le  principal  désavantage  du  climat  arabe.  Le 
paradoxe  des  hivers  sans  pluie;  le  vent  du  Nord.  Pourquoi  la  Syrie  et  le 
Vémen  éveillent  les  idées  de  mauvais  augure  et  de  prospérité  ...  » 

«  Les  deux  noirs  »,  l'eau  et  les  dattes         ........  » 

L'eau  du  ciel  et  son  rôle  dans  la  poésie.  Nostalgie  de  la  pluie.  Fréquence  des 

istisgâ'      ..............         106 

Passivité  du  Bédouin  :  elle  énerve  sa  vigueur  morale.  Célébrée  par  Doraid  ibn 

as-Simma.         .............  » 

Note  fataliste  et  découragée  de  la  poésie  arabe.  Influences  chrétiennes,  agis- 
sant en  sens  contraire.  Le  poète  A'sâ  et  les  évêques  de  Nagrân        .         .         107 

Difficulté  de  tracer  le  portrait  moral  du  Bédouin.  Descriptions  divergentes.  Con- 
tradictions dans  la  mentalité  du  nomade;  elles  se  concilient  avec  sa  très 
réelle  originalité       ............  » 

L'endurance,  sabr,  qualité  maîtresse,  vertu  nationale  du  Bédouin.  Description 

et  citations  des  poètes,  principalement  d'après  la  Haviâsa  de  Bohtori       .         108 

Le  nomade  la  confond  avec  l'insensibilité.  Jusque  dans  le  deuil  des  siens,  il 
garde  l'œil  sec.  Si  un  signe  d'émotion  a  pu  lui  échapper,  il  s'en  excuse 
comme  d'une  faiblesse,  il  désavoue  «  les  larmes,  la  seule  arme  de  l'affligé  ».  » 

Grandiloquence  trompeuse.  De  l'énergie  il  possède  la  partie  négative      .         .         10^ 

«  Replemini    terrani   et   subiicite   eam  >>  (Genèse).  Cet    ordre  n'a  pas  reçu  son 

accomplissement  en  Arabie    ..........  » 

La  passivité  bédouine  dans  la  lutte  contre  la  péjoration  du  climat   ...  » 

L'homme  ne  peut  violenter  la  nature,  mais  seulement  la  seconder  et  collabo- 
rer avec  elle    .............         HO 


Table  des  matières  347 

II 

LE   CLIMAT    DE   L'ARAHIE   A-T-IL   CHANGÉ? 


I.    —  Théories  anciennes  et  modernes 

Tendance  commune  à  toutes  les  sociétés  de  placer  l'âge  d'or  autour   de    leur 

berceau.  Les  Arabes  ne  pouvaient  s'y  soustraire.  IIS 

Le  désert  a  trempé  le  tempérament  physique  du   Hédouin.   L'influence  morale 
a  été  moins  heureuse.   Déprimé  par  la  lutte  contre  une  nature  inexorable, 
il  courbe  la  tête  sous  le  joug  du  fatalisme  .......  » 

L'admiration  pour  le  poète  Labîd  dans  la  tradition  musulmane         ...  » 

Comment  le  Bédouin  préislamite  s'est  représenté  Dieu.  Conceptions  pessimis- 
tes des  anciens  poètes  arabes         .  .  111 
Pour  se  consoler,  il  a  embelli  la  situation  passée  de  sa   patrie,  le   portrait  de 

ses  ancêtres.  Origine  de  la  littérature  des  Mo'ainmarottn  ou  Centenaires  .  » 

Le  canon  de  l'esthétique  virile,  d'après  les  poètes     .         .         .         .         .         .         U.'i 

Ce  que  l'Arabe  découvre  dans  les  monuments  de  la  Nabatée  et  du  Yémen    .  » 

Jadis  l'Arabie  présentait  l'aspect  d'un  Paradis.  Nouvelle  étymologie  du  vocable 
Higâz.  Prospérité,  nombreuse  population  de  l'ancienne  Arabîfe,  d'après  la 
légende    ..............  » 

Multiples  tribus  occupant  jadis  le  Higâz  .         .         .  .         .         .         116 

Le  désert  idéal  de  Wabâr,  terre  de  merveilles,  patrie    des  méharis.    Influence 
du   Qoran  sur    la    formation  de  ces    légendes.    Le    site    de    Irain   dât   al- 
'  Itnâd        ..............  >• 

L'impérialisme  arabe  et  la  question  du  changement  de  climat.  Jadis  les  Arabes 
avouaient  leur  infériorité  vis-à-vis  des  peuples  étrangers.  Témoignages  de  la 
poésie.  Depuis  l'hégire,  ils  rougissent  de  l'humilité  de  leurs  antécédents 
et  exaltent  le  passé  de  leur  patrie  .  .         117 

Genèse  de  la  théorie  de  H.  Winckler.  .  .         .  .  IIH 

L'Arabie,  patrie  primitive,  réservoir  des  Sémites.  Pour  faire  accepter  cette  con- 
ception, on  a  recouru  au  changement  de  climat  ......  » 

Résumé  de  la  théorie  de  Winckler       .........  » 

Le  dessèchement,  l'ensablement  progressifs  ont  forcé  les   habitants  à  déserter 

l'Arabie 119 

Emigrations  principales,  se  succédant  à  un  millénaire  d'intervalle.  Arrêt  dans 

l'exode,  mille  ans  avant  l'ère  chrétienne.  Comment  on  cherche  à  l'expliquer  » 

.Sous  Héraclius,  la  crise  économique  atteint  son  maximum  en  Arabie;  l'islam 
donne  le  signal  de  la  dernière  des  grandes  émigrations  sémitiques  et  forme 
«  un  phénomène  cosmique  ou  géologique  »  (Caetani)  ..... 


348  Table  des  matières 

Conséquences  de  la  théorie:  l'Arabie,  <  centre  moral,  ethnique  même  et,  jusqu'à 

un  certain  point,  politique  de  l'Asie  Antérieure  »  (Caetani)         .         .         .         120 

La  thèse  de  Winckler  reprise  et  rajeunie  par  le  prince  Caetani.  L'importance 
du  facteur  économique  dans  l'expansion  de  l'islam.  Le  fanatisme  religieu.x. 
Abus  et  insuffisance   de  cette   explication  surannée » 

La  misère  aurait  chassé  les  Bédouins  de  leur  désert.  La  formule  n'est  pas  nou- 
velle          121 

2.  —  Notre  description  du  climat,  d'après  les  auteurs   arabes. 
La  valeur  de  leurs  renseignements 

Valeur  de  la  nouvelle  théorie.  Les  arguments  forment  un  réseau  imposant,  au.\ 

mailles  inégalement  serrées  et  résistantes 122 

Difficulté   des   identifications    géographiques,    principalement    pour    l'ancienne 

Arabie » 

Hésitations  des  géographes  arabes,  leurs    tâtonnements,  aveux  d'impuissance. 

Rarement  ils  recourent  à  l'autopsie       ........         123 

Le  cas    de  Fadak.  On    parait  en    avoir  perdu    la  trace;  difficulté    pour    situer 

cette  oasis  importante     ...........  » 

Prudence  conseillée  par  cet  e.xemple  pour  les  controverses    géographiques    de 

l'Arabie,  contemporaine  de  Hammourabbi 124 

Antinomie  de  la  théorie  de  Winckler  :  celle  de  réservoir  à  moitié  vide  et  simul- 
tanément plein  à  déborder » 

Le  Prof.  Ig.  Guidi  place  en  Babylonie  «  le  siège  primitif  des  peuples  sémi- 
tiques ...............  » 

Il  faut  délimiter  le  terrain  de  la  discussion,  le  débarrasser  des  éléments  étran- 
gers, se  renfermer  dans  la  question  de  la  permanence  du  climat        .         .  » 

Point  de  départ:    la    reconstitution    climatologique,  aux  environs    de   l'hégire. 

Cette  reconstitution  nous  l'avons  basée  sur  la  tradition  littéraire        .         .  » 

Prolixité  de  cette  tradition  écrite;  explication  du  fait  .....         125 

Valeur  du  dossier  :  elle  est  légèrement  ^supérieure  à  la  documentation  histo- 
rique générale  de  la  littérature  arabe     ........  » 

Difficultés  des  enquêtes  en  Orient  :  les   réponses   sont  rarement  désintéressées  » 

Tendances  apologétiques  des  premiers  historiens  de  l'islam  ;  mais  on  n'a  au- 
cune raison  de  suspecter  leurs  renseignements  topographiques  et  physiques  » 

Nous  les  avons  utilisés  pour  reconstituer  l'aspect  des  paysages  du  Higâz,  au   1"' 

siècle  de  l'hégire » 

Valeur  documentaire,   caractéristiques   littéraires   de    ces  renseignements  ;  rôle 

des  rédacteurs  postérieurs,  leurs  artifices  de  style        .         .         .         .         .         126 

«  Les  plagiaires  se  trouvaient  dans  l'obligation  de  reproduire  les  idées    et  les 

mœurs  des  anciens  Arabes  »  (Guidi)     ........  » 


Table  des  matières  349 

Valeur  objective  des  descriptions  des  anciens  poètes,  En  revanche  ils  ont  créé 
des  réputations  imméritées.  Exacte  valeur  morale  des  héros  de  l'Arabie 
préislamique     .............         126 

Leur  éloge  par  les  poètes     ...........         127 

Protestations  platoniques  contre  la  tyrannie  et  l'injustice » 

La  louange  poétique  devait  se  payer.  Comment  les  poètes  moralisèrent  leurs 
contemporains;  ils  provoquaient  l'émulation,  en  exaltant  la  valeur  de  la 
louange    ..............  » 

Les  «  ma'sada  »,  cantons  infestés  par  les  lions.  Leur  multiplicité  a  été  déduite 
de  la  poésie,  d'après  un  procédé  fréquent  dans  la  documentation  histo- 
rique et  géographique  des   Arabes 128 

Diffusion  de  l'art  poétique;  son  intervention  continue  dans  la  vie  privée  et 
publique.  Dressage  et  entraînement  poétiques.  Les  poètes  se  copient  ;  ils 
se  transmettent  les  formules,  les  images  pittoresques  .....  » 

«  Le  lion,  rare  en  Arabie,  sans  en   excepter  les  temps  anciens  »  (Nôldeke),  à 

rencontre  de  l'onagre     ...........  » 

Ce  que  prouve  sa  mention  par  les  poètes;  «aucun  peut-être  n'avait  vu  un  lion  » 

(Xôldeke).  Témoignage  des  grands  recueils  à  cet  égard     ....         129 

Le  lion    dans  la  Tradition    musulmane.  «  Il  serait    le  chien  d'Allah  »  (Gâhiz). 

Aboû  Zobaid  et  les  descriptions  du  lion       .......  » 

Les  poètes  n'ont  pas  décrit  des  paysages   conventionels  :  ils    ne    mentionnent 

ni  la  neige  ni  la  pêche  ...........  » 

Le  froid  mordant  des  nuits  de  Gomâdâ.  Les  forêts  ont  pu  être  moins  touflues, 

mais  les  arbres,  mentionnés  en  poésie,  appartiennent  à  une  flore  réelle    .         130 

La  bibliothèque  variée  de  la    Stra,  des   Sahïh  corrobore   le   témoignage  de  la 

poésie       ..............  » 

Tous  ces  documents  font  mouvoir  leurs   personnages  dans   une  Arabie  réelle. 

Plus  on  en    rajeunira  la  date,  plus  on  affaiblira  la  thèse  de  Winckler         .  » 

3.  —  Le  climat  arabe  convient  à  une  société  pastorale.  Importance  et  diffu= 
sien  du  chameau.  Tribus  nombreuses.  Introduction  du  cheval  et  de  la 
vigne. 

L'impression,  résultant  de  ce  dossier,  constitué  par  la  poésie  et  l'ancienne  an- 
nalistique,  est  celle  de  steppes,  créées  par  l'évaporation  et  suffisant  aux 
besoins  d'une  société  pastorale 131 

Le  chameau  en  forme  le  centre.  Sa  place  énorme  dans  la  littérature  indique 
celle  occupée  dans  la  vie  quotidienne.  «  L'Arabe  réussit  seulement  là  où 
prospère  le  chameau  »  ('Omar) 132 

Il  n'est  jamais  question  de  la  vache  ;  elle  trouverait  difficilement  sa  subsistance 

dans  les  steppes  arabes,  où  son  nom  est  demeuré  une  injure    ...  » 

Pour  prouver  que  l'Arabie    convenait  jaux    habitants,  il  suffit   d'établir  qu'elle 


350  Table  d(.'S  matières 

convenait  au  chameau.  Rien  de  mieux  adapté  à  son  élevage  que  les  durât. 
Le  chameau  subsisterait  péniblement  dans  nos  climats  humides.  Ressources 
que  lui  offre  la  flore  désertique;  sa  variété  .......         \?,< 

En  hiver,  le  sable  même  des  «  nefoûd  »  devient  productif  .         .         1.3.3 

«  La  misère  ou  la  richesse  du  Bédouin  dépendent  de  la  pluie  »  (Gâhiz).  En 
hiver  ce  n'est  pas  l'herbe  mais  plutôt  les  chameaux  qui  font  défaut.  Cette 
saison  coïncide  avec  la  naissance,  l'allaitement  des  petits  ....  » 

Ressources  offertes  après  la  saison  humide:  le  chameau  mis  à  la  ration,  mais 
non  à  la  ration  de  famine.  Arbres  et  buis.sons  ;  extension  des  pérégrina- 
tions, pour  trouver  le  fourrage,  et  des  territoires,  dont  disposent  les  tribus         1.34 

Combien  de  jours  le  chameau  tolère  la  soif:  distribution  convenable  des  points 

d'eau.  Pour  les  Bédouins  l'usage  du  lait  compense  les  déperditions  humides  •> 

Le  voisinage  des  oasis,  celui  de  la  Syrie  et  du  Yémen  leur  fournissent  un  sup- 
plément d'alimentation  solide.   Le  Higâz,  lieu  de  passage  ....  » 

Les  ég:>-ptologues  et  la  flore  du  désert  oriental  d'Egypte.  Ils  rejettent  sur  le 
chameau  l'appauvrissement  de  cette  flore.  Ce  qu'il  faut  pen.ser  de  cette 
accusation         .............  » 

En  Arabie  la  multiplication  du  chameau  coïncide  avec  le  ma.ximum  de  prospé- 
rité. Le  vocable  mal,  fortune,  le  désigne  tout  d'abord.  Le  chameau,  extraor- 
dinairement  répandu  aux  environs  de  l'hégire.  Le  petit  bétail  est  peu  con- 
sidéré      ..............  » 

Transactions  où  l'on  procède  par  centaines  de  chameaux  .....  » 

Cas  où  il  fallait  doubler,  décupler  ce  nombre.  Milliers  de  chameaux,  tenus  en 
réserve  pour  les  vainqueurs  des  iiwnâfara,  pour  la  liquidation  des  guerres 
civiles       ..............         135 

Quantité  de  chameaux,  requis  pour  le  service  des  caravanes.  Jamais  les  Arabes 

n'ont  associé  leur  multiplication  à  la  décadence  de  leur  patrie  ...  » 

Prospérité  des  tribus  du  Higâz  aux  environs  de  l'hégire.  Chiffre  de  la  popula- 

lation  des  Banoîi  'Advvân        ..........  » 

Nombreux  chevaux  possédés  par  les  BanoQ  Solaini,  les  Bar.oii  'Abs.  A  quelle 
condition  on  méritait  le  titre  militaire  de  garrar  ;  celui  A^  fàris  atteste 
l'importance  grandissante  du  cheval       .  .  .  .  .  .         .         .  136 

Problème  de  l'alimentation  du  cheval  au  désert:  lait,  gâteaux  de  dattes,  viande 

hachée.  On  songe  à  lui  avant  la  propre  famille    .         .         .         ...         .  » 

Signification  primitive  du  vocable  «  lahm  »  .......         137 

Le  cheval,  une  bête  de  luxe  au    désert;  à    sa  présence    on  devine    une    tribu 

riche.  D'après  un  proverbe,  il  surpassait  la  femme  en  beauté    ...  » 

La  multiplication  du  cheval,  celle  des  «  hiniâ  »  ne  cadrent  pas  avec  l'hypo- 
thèse d'une  dégradation  du    climat         ........  » 

Indices  permettant  de  supposer  une  population  prospère  et  en  voie  d'augmen- 
tation, malgré  l'oubli  des  lois  de  l'hygiène.   La  cécité  chez  les   Banoû  'Auf        138 


Table  des  matières  351 

Le  siècle   antérieur  à    l'hégire,    période    d'anarchie    politique;    disparition  des 

états  indigènes,  des  pouvoirs  pondérateurs  .         .  •         138 

D'après  Winckler,  le  climat  arabe  se  trouve  voué  fatalement  à  toutes  les  dégra- 
dations, chaque  siècle  enregistre  les  progrès  de  l'ensablement    .         .         .         139 

L'Arabie  s'enrichit  pourtant  de  nouvelles  conquêtes  dans  les  règnes  végétal  et 

animal      .........■•■■•  » 

Date  de  l'introduction  du  cheval  en  Arabie.  Conséquences  de  sa  multiplication 

pour  les  descriptions  poétiques.  Son  nom  se  rattache  à  la  dignité  de  chef        IJO 

Le  cheval  appartient  désormais    à    l'histoire    arabe;  celui    de  la    Péninsule  se 

place  à  la  tète  de  l'aristocratie  chevaline » 

Introduction  du  mulet,  œuvre  du  Prophète » 

La  mule  Doldol.  Le  mulet  n'apparaît  que  dans  les  cités  de  l'Arabie  141 

Le  pain  dans  l'ancienne  Arabie,  sa  rareté.  Dattes  et  viande,  les  seules  nourri- 
tures solides.  Culture  du  blé  et  des  céréales.   La  vigne  au  Higâz;  son  in-  » 
troduction  postérieure  à  notre  4«  siècle.  Centres  de  diffusion      ...  » 

Les  Juifs  arabes  et  la  culture  de  la  vigne.  A  qui  l'on  doit  l'introduction  du 
dattier.  Son  importance  pour  l'avenir  de  l'Arabie:  elle  montre  la  possi- 
bilité d'améliorer  le  climat     ..........         142 

4.  —  Rigueur  du  climat  arabe;  sa  tendance  à  empirer. 
Réaction    des  agents   de    reconstitution.   Rôle   de   la  pluie 

Grave  malentendu,  troublant  cette  discussion 143 

Le  climat  arabe  est  rigoureux.  Définition  d'un  climat  rigoureu.x        ...  » 

Un  climat   mauvais   tend  à  devenir  excessif 144 

Le  désert,  «  une  région  de  pluies  insuffisantes  et  de  sécheresse  trop  intense  » 

(Walther).   Paradoxes  géographiques  au  désert     ......  » 

Action  du  soleil.  Minimum   d'humidité         ........  » 

L'extension  du  désert   en  dépend.  Le  désert    souffre  d'un    e.xcès  de  minérali- 
sation :  sabaha  et  dépôts  salins,  manifestations  de  ce  mal.  que  seules  des 
eaux  diluviennes  peuvent  combattre.  Invocations  des  poètes  à  la  pluie  145 

Conditions  défavorables  de  la  flore  arabe  ;  sa    résistance    admirable  ;    dévelop- 
pement   rapide         ............  » 

Les  fréquentes  aridités  diminuent  cette  résistance  ;    elles  favorisent  l'extension 

des  sabaha.  La  passivité  du  Bédouin  manque  de  ressort  pour  l'arrêter      .         146 
Eloge  poétique  du  sabr.  Le  fils  de  'Omar  s'intéresse  aux   arbres  ayant   abrité 

Mahomet.  Le  Bédouin  ne  partage  pas  cette  sollicitude        ....  » 

.■\rbres  coupés  et  puits  comblés.    Diminution  des    bocages,  des  bonnes    terres 

et  des  oasis  en  Arabie.  Fadak  et  Wâdi'I  Qorâ 147 

Pourquoi  on  a  affirmé  un  changement  plus  considérable  :  on  s'est  borné  à  sup- 
puter les  effets  séculaires  de  l'évaporation    .         .         .         .         .  148 
Le  soleil  et  les  vents  sont  également  des  agents  de  reconstitution   ...  » 


352  Table  des  matières 

Comment  la  pluie  parvient  à  rétablir  l'équilibre.  Elle  permet  à  la  flore  de  re- 
conquérir une  partie  des  positions  perdues.  La  pluie  doit  avant  tout  dé- 
barrasser le  désert  de  son  e.\cès  de  salinité  .......         149 

Pourquoi  les  pluies  doivent  être  abondantes.  Vicissitudes  de  l'équilibre  des 
forces  naturelles  au  désert:  l'histoire  climatologique  du  Higâz  enregistre 
les  phases  de  cette  lutte.  Répits  utilisés  par  la  végétation.         .         .         .         150 

Ces  répits  expliquent  la  persistance  de  la  vie  végétale  en  Arabie  .  151 

La  tradition  écrite  n'est  pas  favorable  à  un  changement  de  climat.  Entre  la 
période  ancienne  et  la  période  contemporaine,  elle  constate,  non  une  lacune, 
mais  la  continuation        ...........  > 

Partout  la  lutte  de  l'homme  contre  l'e.xcès  de  sécheresse;  constance  des  pé- 
riodes climatologiques  ;  elles  coïncident  avec  les  dates,  observées  de  nos 
jours.  Même  observation  pour  la  pluie  et  les  inondations.  Pluies  diluviennes 
et  débordements.  Faits  contemporains  .         .         .         .         .         .         .         .         152 

Anciens  barrages  et  réservoirs  du  'Aqîq.  Apathie  des  Médinois  modernes       .         153 


5.  —  Activité   agricole    des    Juifs    en  Arabie.    Conséquences    désastreuses    des 
expulsions  décrétées  par  Mahomet.  Vitalité  de   la   race  arabe  au  7.  siècle 

Toutes  les  oasis  du  Higâz  ocupées  parles  Juifs;  leur  activité  variée;  elle  pro- 
fite à  l'agriculture.  Etendue  de  Wâdi'l  Qorâ         ......         154 

Mépris  des  Bédouins  pour  l'agriculture,  d'après  Ammien  Marcellin  .         .         .         155 

Travaux  agricoles  des  Juifs  de  Wâdi'l  Qorâ.  A  Médine,  les  meilleurs  puits  leur 
appartiennent.  Les  musulmans  sont  leurs  tributaires.  Encore  la  malaria  de 
Médine     ..............  » 

Hostilité    de    Mahomet    contre    les   Juifs;    leurs    succès    agricoles    provoquent 

l'émulation       .............  » 

Comment  le  Prophète  prépara  sa  lutte  contre  Israël  :  multiples  relations  entre 
Juifs  et  Médinois.  E.xpulsion  des  Juifs;  politique  continuée  par  le  calife 
'Omar.   Comment  on  s'immunisait  contre  la  fièvre  de  Haibar     .         .  156 

Importation  d'esclaves  au  Higâz;  elle  atténue  les  effets  de  l'e.xpulsion  des  Juifs         157 

La  politique  agraire  des  Oma>'jades.  Efforts  de  Mo'âwia.  Les  nombreux  escla- 
ves, fixés  sur  ses  domaines  d'Arabie.  Mesures  des  Omaj^-ades  en  faveur 
de  l'agriculture         ............  » 

Abondance  de  blé  et  de  dattes.  Prospérité  du  Higâz  à  cette  époque  ;  rende- 
ment  d'une  palmeraie     ...........  » 

Le  pouvoir  seconde  ce  renouveau  agricole.  Efforts  des  gouverneurs  omayyades 

pour  guérir  l'indiscipline  des  nomades.         .......         158 

Ruines  causées  par  l'anarchie  antérieure.  Milliers  d'Arabes,  réduits  en  escla- 
vage. La  vie  pastorale,  aliment  insuffisant  à  l'activité  des  Bédouins  .         .  » 

Obsession  de  la    razzia,  devenue    une  institution    nationale.  Aucune  tribu    n'y 


Table  des  matières  353 

résiste  :  on  n'épargne  pas  même  les  contribules.    Les    Bédouins    chrétiens 

ne  font  pas  exception.  Les  «journées  des  Arabes»     .         .         .         .         •         l'>'J 

Exploits  des  «  losoûs  »,  brigands  insaisissables.    Répression  du  brigandage:  la 

pénalité  de  la  main  coupée    ..........         I6u 

Les  tribus  interviennent  en  faveur  de  leurs  irréguliers.   Ceux-ci  ne  respectent 

pas  même  les  pèlerins    ........•■         161 

Les  poètes  troublent  la  paix.  On  les  défère  à  l'autorité.  La  roupe  métapho- 
rique de  la  langue  ........•••■  » 

Le  gouvernement  réussit  à  se  faire    redouter   des    poètes.  E.xemples  de  Garir 

et  de  Farazdaq        ............         162 

Les  Bédouins  s'habituent  à  recourir  au  gouvernement.  Mahomet  supprime  les 
mois  sacrés  ;  conséquences  déplorables  de  cette  suppression.  Pourquoi  l'on 
abandonna  'Okâz  et  les  anciens   marchés      .......         163 

6.  —  Prospérité  du  Hiész  sous  les  Omayyades.  Extension  des  cultures 


164 
165 


166 


167 


Prospérité  du  Higâz  au  1«''  siècle  H.  Pourquoi  il  devient  la  première  préfecture 
du  califat,  la  retraite  aristocratique,  le  rendez-vous  des  grandes  familles 

Népotisme  inhérent  à  la  nature  arabe.  Le  favoritisme  du  calife  "Otmân   . 

Les  artistes  foisonnent  au  Higâz.   Médine  et  la  Mecque,  villes  de  plaisir.  L'a 
ristocratie  arabe  s'y  retire      ......... 

Le  système  de  la  liturgie  et  les  primitifs  monuments  de  l'islam 

La  passion  des  constructions  et  des  défrichements  ;  travaux  hydrologiques 

Extension  de  l'oasis  médinoise.  Les  autres  centres  de  culture,  Badr-Safrâ" 
Wâdi'l  Qorâ,  reculent  leurs  limites.  Revenus  des  propriétés  de  Fadak 

Ce  que  rapportaient  à  Mo'âwia  les  domaines  du  Higâz       .... 

La  mode  de  la  bàdia,  l'institution  des  himâ,  la  prospérité  de  l'élevage  du 
cheval,  autant  de  présomptions  contre  la  théorie  de  l'ensablement.  Le 
Higâz  devient  une  terre  «  dont  le  corbeau  ne  s'éloigne  plus  » 

La  population  augmente  proportionnellement.  L'introduction  d'éléments  étran- 
gers favorise  l'adoption  de  méthodes  nouvelles.  .Multiplicité  de  la  m.iin 
d'œuvre.  L'expulsion  des  Nagrânites  et  des  Juifs  ne    cause  pas    de   vides         168 

Abondance  générale;  témoignage  d'Ibn  Qais  ar-Roqayyât.  On  adopte  tous  les 

raffinements  de  la  civilisation  et  des  arts      .......  » 

Routes  et  pierres  milliaires.  Scandale  des  vieux  Compagnons  :  ils  en  appellent 

à  l'autorité  et  à   l'exemple  du   Prophète        .  .         .         .         .         .         169 

Les  'Abbâsides  rompent  avec  ces  traditions;  désormais,  déclarent-ils,  ni  canaux 

ni  bâtisses        .............  » 

Mahomet  et  l'agriculture.  S'y  est-il  montré  hostile?  Pourquoi  on  a  ici  interposé 

son  autorité 170 


Lammens  —  Berceau 


"3 


354  Tabli-  dcr.  matières 

7.  —  Même  sujet.  Explication  de  l'expansion  et  des  conquêtes  arabes.  Le 
facteur  économique.  Un  climat  rigoureux  peut  être  amélioré.  Les  'Abba- 
sides  et  la  décadence  de  l'Arabie 

Exagérations  propagées  par  les  So'oûby>'a.    Réfutation  indirecte  de  VAgàtii     .         171 
Les  poésies  contemporaines  chantent  le  bonhieur  de  vivre.    Emigrés  en  Syrie, 
les  Omayyades  du  IHIigâz  s'y  considèrent    en  exil.    Magnificences  des  châ- 
teaux de  Médine;  nostalgie  du  désert  .         .         .         .         .  .         .         172 

On  la  retrouve  chez  les  poètes  bédouins  de  la  période  omayyade     .         .         .         173 
Les  charmes  du  Nagd  et  de  Himâ  Daryya.  Témoignages  des  voyageurs  .         .  » 

Signification  de  cet  accord  unanime 174 

La  faim  a  chassé  les    Bédouins    de    leur    désert,    après  la  mort  de    Mahomet. 

Sens  de  cette  formule     ...........  » 

L'islam  a  opéré  la    réunion  des    .arabes,  en    supprimant  les    luttes    intestines, 

en  limitant  le  droit  de  razzia  .........         175 

Mahomet  et  les  conquêtes    extérieures.    Inconsistance    de   la    théorie    adoptée 

jusqu'ici  .............  ^^ 

A  quoi  se  réduisirent  les  expéditions  du  Prophète  au  nord  du   Higa/.  Le  raid 

d'Osâma  ibn  Zaid   .         .         .         .  .  .         .         .         .         .         .         .         176 

La  ridda  et  les  premières  conquêtes.  L'expansion  islamique  est  née  de  l'irré- 
sistible penchant  à  la  razzia  .         .         .         .         .  .         .         .         .         177 

Un  climat  désertique  peut  être  amélioré » 

Les  Omayyades  en  ont  fourni  la  preuve 178 

Leurs  eftbrts  pour  assurer  au  Higâz  l'arrosage  artificiel.  Travaux  de  Mo'âwia  : 

création  de  jardins  près  de  la  Mecque.  ......         179 

On  capte  les  eaux  :  importance  attachée  par  les  Omayyades  à  leurs  domaines 

du  Higâz.  Ce  que  rapportait  le  gouvernement  de  la  Mecque  .         .         180 

L'avènement  des  'Abbâsides,  un    désastre    pour    le  Higâz  ;    ils    détruisent    les 

ouvrages  d'art  de  leurs  devanciers         .         .         .         .         .         .         .         .         181 

Ils  abandonnent  le  pays  aux  éléments  destructeurs 182 


m 

LES    BEDonXS 

I,  _  Jugement  d'ensemble  sur  le   Bédouin.   Ses  qualités   morales. 
Son  individualisme;  son  courage   douteux.  La  ténacité,  sa  qualité  maîtresse 

Division  de  la  population  du  Higâz  :  sédentaires  et  nomades.  X'illes  du  Higâz. 
Les  nomades  sont  les  plus  nombreux  et  ont  mieux  conservé  le  type  de 
la  race     ........••.••         '85 


Table  des  matières  355 

Infiltrations  étrangères  chez  les  sédentaires.         .......  186 

Le  Bédouin  intelligent  et  passionné  de  poésie » 

Prérogatives  de  la  langue  arabe 187 

Lacunes  morales  du  Bédouin  :   son   individualisme    les  résume.    D'où  provient 

chez  lui  l'absence  de  vertus  sociales » 

De  l'individualisme  il  possède  tous  les  défauts  et  aussi  les  douteuses  qualités. 

Dureté  du  Bédouin 188 

Le  respect  du  sexe,  proclamé  par  les  vieux  poètes.  Le  culte  chevaleresque  de 

la  femme,  monopole  de  la  tribu  chrétienne  de  'Odra 189 

Humanité  plus  grande  des  tribus  chrétiennes.  Pourtant  le  Bédouin  ne  devient 

jamais  vulgaire,  ni  cniel  sans  nécessité         .......  190 

Séduction  exercée  par  le  type  du  sa'laûk  sur  les  contemporains  .  .  .  191 
Qualité  inférieure  du  courage  chez  le  Bédouin  ;  il  n'estime  pas  les  vertus  ca- 
chées, la  valeur  anonyme 192 

La  fuite  n'est  pas  considérée  comme  un  déshonneur.  Le  rôle  des  femmes  à  la 

guerre      ..............  193 

Intrépidité  des  «  saHoûk  »,  elle  explique  l'admiration  qu'on  leur  vouait    .  194 

La  ténacité  —  qualité  maîtresse  du  Bédouin » 

Oppositions  dans  son   tempérament  physique    et  moral.  Il  est  excessif  jusque 

dans  les  sentiments  les  plus   légitimes  ........  195 

Comment  fut  pleuré  le  brigand  Ga'far   ibn  'Olba         .         .         .         .         .         .  196 

La  sélection  naturelle  e.xplique  la  robustesse  de  la  race     .....  » 

2.  —  Le  Bédouin  rebelle  à  l'idée  d'autorité. 
Opposition  entre  ses  aspirations  aristocratiques  et  son  milieu  égalitaire 

«  Notre  ennemi,  c'est  notre  maître  »,  devise  adoptée  par  les  Bédouins  .  .  197 
C'est  un  aristocrate,    né,    grandi  dans  un   milieu   foncièrement    égalitaire:   ses 

quartiers  de  noblesse    j_à_.iJl   y_slJ>l  ,  ses  pairs  ou  ko/ou' .         .         .         .         198 

Son  ostentation;  il  n'admet  pas  d'avoir  un  supérieur 199 

Appels  incessants  à  la  gloire  des  ancêtres  ........         200 

La  cécité  chez  les  Banoîi  'Auf  est  considérée  comme  une  marque  de  légitimité. 

Le  Bédouin  ennemi  du  principe  de   subordination       .  .  .         201 

Conflits,  confusion,  amenés  par  ces  prétentions.  Le  Bédouin,  démagogue  dans 

sa  vie  publique,  aristocrate  individuellement  et  dans  son  for  intérieur       .  » 

Droits  reconnus  à  l'autorité  dans  les  démocraties  les  plus  avancées.  Le  nomade 

refuse  de  les  admettre    ...........  » 

Diflîculté  de  la  présente  discussion  :  il  faut  nous  débarrasser  de  notre  habitude 

de  classification,  de  réduire  en  catégories,  de  ramener  à  des  types  toutes 

les  formes  de  la  vie  politique         .........         202 

Le  nombre  des  exceptions  semblera  mettre    en   doute  la  réalité  des  principes 


23 


356 


Table  des  matières 


généraux  que  nous  aurons  dégagés.  Nous  commencerons  par  étudier  l'au- 
torité chez  le  chef  de  la  communauté  nomade     ...... 


202 


La  terminologie  en  usage  pour  désigner  les  représentants  de  l'autorité. 
Pas  de  protocole  rigoureux 


Synonymes  désignant  le  dépositaire  du  pouvoir  ...... 

Sens  du  vocable  rabb ;  il  est  accordé  à  certains  kâhin        .... 

Grands  chefs  qualifiés  de  rabb.    L'influence    du  Qoran  l'a  transformé  en    titre 
divin.  Multiple  usage  antérieur  de  ce  vocable       ..... 

Ra'îs  désigne  le  commandant  militaire  ;  qffid  en  est  un  synonyme    moins   an 
cien.  Valeur  du  terme  ras      ......... 

Sazh,  qualification  la  plus  habituelle  de  nos  jours,  était  jadis  plus  rare    et  fré- 
quemment associée  à  un  équivalent        ....... 

L'ampleur  du  terme  saih  provient    du    sénioral.  Titre  également    accordé  aux 
grands  souverains  et  au.x  premiers  califes     ...... 

Sayyd,  titre  ordinaire  des  chefs  bédouins,  pendant  l'antiquité  et  sous  les  Omay 
yades        ............. 

Sayyd,  sarïf,  réservés  plus  tard  aux  descendants  de  Mahomet  . 

Absence  de  protocole  rigoureux.  Le  Bédouin  refuse  de  s'y  plier 

Le  titre  de  roi  :  à  qui  réservé       .         .         .         ... 


203 
204 

205 

206 

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208 

» 
209 

» 
210 


4.  —  Chez  les   Arabes    l'exercice   de   l'autorité  entraîne  surtout  des  charges. 
Rare  ensemble  de  qualités  qu'elle  suppose 


A    quelles    conditions    on  acquérait    l'autorité.    Réponses    de    Qais  ibn  'Àsim, 

d'Ahnaf  ibn  Qais  et  d'un  Bédouin  des  Banoû  Bakr  .         .         .         .         211 

Programme  et  recommandations  à  ce  sujet  de  Doû'l  Osbo'.  Les  poètes  décer- 
nent les  distinctions       _...........         212 

Qais  ibn  'Âsim  doit  sa  réputation  aux  poètes  ;  même  remarque  pour  'Arâba  al- 

Ausî.  Sa  déclaration  au  calife  Mo'âwia.         .......         213 

Le  sayyd  à  la  fois  craint  et  démonétisé  ;  il  le  sait  et  s'accomode  de  cette  si- 
tuation. L'envie,  péché  national  des   Arabes         .         .         .         .         .         .         21  i 

Ensemble  de  qualités  rares  exigé  du  sayyd:  l'abnégation  lui  est  indispensable, 

pour  dissimuler  sa  supériorité  et  se  laisser  dépouiller 215 

11  doit  être  à  la  disposition  des  siens,  être  «  l'esclave  de  tous  >        .         .  216 

S.  —  Le  sayyd  doit  être  intelligent.  La  vertu  politique  du  hilm. 
Importance  de  l'art  oratoire 


Joutes  poétiques.  A  quelles  qualités  on  reconnaissait  la  supériorité  des  tribus  ; 
en  première  ligne,  l'intelligence 


217 


Table  des  matières  357 

Le  kilm.  De  quoi  se  compose  cette  vertu  des  hommes  faits  pour  commander  218 

Mélange  de  qualités  et  de  défauts;  prérogative  spécifiquement  intellectuelle    .  219 

Une  vertu  politique.  C'était  une  attitude,  un  opportunisme  prudent.         .         .  220 

L'organisation  démocratique  de  la  tribu  la  rendait  indispensable  pour  le  say>'d  22) 
Sayyd  et  amir  désignaient  primitivement    l'orateur.    Le  hatïb,  porte-parole  de 

la  tribu 222 

Le  maglis,  nâdi,  parlement  où  se  traitent  les  affaires  de  la  tribu      .         .  223 

Importance  de  l'art  oratoire.  Manquer  d'orateur,  une  calamité  publique  .  224 
La  mort  d'un  orateur  sert  de    repère  chronologique.  Cette    situation    tient  de 

nouveau  à  l'organisation  démocratique'.         .......  225 

Tous  les  grands  hommes  d'état  oma>yades  furent  orateurs        ....  226 

L'Arabe  trop  réaliste  pour  atteindre  à  la  haute   poésie  ;  en   revanche  merveil- 
leusement doué  pour  l'éloquence  .........  » 

Même  en  poésie,  l'Arabe  démontre  surtout  son  éloquence         ....  227 

Pourtant  il  n'e.xiste  pas  d'éloquence  arabe.  Influence  de  l'islam        ...  » 

Responsabilité  des  'Abbâsides  en  cette  matière  .......  228 

Nombreux  poètes  parmi  les  sayyd.  La  poésie,  un  facteur  de  civilisation .         .  229 
Privé  de  tout  moyen  de  coercition,  le  sayyd  n'a  pas  même  un  garde-champê- 
tre sous  ses  ordres.         ...........  » 

Supériorité  de  la  poésie  sur  l'éloquence,  «elle  marche  plus  vite!  ».         .         .  230 

Diffusion  de  la  satire.  Parallèle  entre  les  poètes  et  les  journalistes  .         .         .  231 

La  musique  et  la  satire.  Le  chameau  sensible  à  l'harmonie      ....  » 

Le  «  hâdi  »,  conducteur  de  chameau  :  musicien  et  improvisateur.  Agent  de  dif- 
fusion pour  la  satire.  Le  sa\"yd  ne  pouvait  rester    j»-yvà  .c  ,  laisser  l'attaque 

sans  réplique  .............  232 

Nécessité  de  gagner  les  poètes.  Leurs  h>T3erboles      ......  233 

Ils  trouvent  aussi  de  nobles  accents.  Services  rendus  à  la  paix  publique.         .  234 

Le  riche,  d'après  la  conception  bédouine    ........  235 

Les  poètes  et  les  cadeaux.  Entre  eux  et  leurs  Mécènes,   échange  de  procédés 

presque  protocolaires,  une  sorte  d'égalité  s'établit       .....  236 

S'ils  reçoivent,  ils  paient  en  louanges;  aussi  ne   sont-ils  pas  gênés    d'être  en- 
richis par  la  munificence  d'autrui  .........  » 

Intervention  de  la  poésie  dans  les  discussions,  dans  les  négociations  diploma- 
tiques      ..............  237 

Importance  de  s'assurer  une  bonne  presse,  c'est  à  dire  le  concours   des  poè- 
tes      238 

6.  —  Nécessité  de  la  fortune  pour  le  sayyd.  Il  doit  tenir  table  ouverte. 

La  rançon  du  sang 

'Abdallah  ibn  Habib,  «  le  mangeur  de  pain  ........  239 

Les  poètes  ont  stigmatisé  la  trahison.   Par  ailleurs  ils  déversent  le  ridicule  sur 


358  Table  des  matières 

les  tribus  incapables  d'une  injustice,  quand  elle  ne  coûte  rien.  C'est  le  pa- 
radoxe bédouin        ............         240 

•  J.a  pauvreté  n'est  pas   une  vertu  arabe;   opinion  des  poètes.   Le  sayyd  avare! 

Tas  de  cendres  à  l'entrée  de  la  tente  du  chef    .  .         .         .         .         241 

Le  saj-yd  doit  se  montrer  vaillant  à  table    ........         242 

11  doit  être  corpulent,  à  sa  mort  laisser  comme  unique  héritage  «  un  sabre  et 
des  marmites  ».  Invitation  publique  à  venir  se  rassasier  chez  lui  de  vian- 
des...!       243 

Conditions  pour  mériter  le  titre  de  kâviil.  La  natation,  inscrite  au  programme 

d'éducation.  Comment  cette  idée  est  venue  aux  Arabes      ....         244 

Générosité  de  Sa'd  ibn  'Obâda.  Son  invitation  quotidienne  à  «  se  rassasier  de 

viande  et  de  graisse  ».  Sa'd  et  le  «  Triumvirat  ».         .         .         .         .         .         245 

La  dignité  de  sayyd  suppose  la  fortune.  Les  veuves,  les  orphelins  demeurent 

à  sa  charge.  La  loi  du  talion  multiplie  leur  nombre    .....         246 

Le  prix  du  sang:  le  meurtrier  le  réclame  sans  embarras   .....         247 

Le  jeu  de  la  razzia  :  elle  ne  devrait  jamais  être  sanglante.         ....  » 

Pour  le  Bédouin,  l'art  de  la  guerre  se  résume  dans  la  ruse.  Les  plus  célèbres 

«  sa'loûk  »  sont  des  fuyards,  des  coureurs  devançant  les  chevaux      .         .         248 
Un  meurtre,  considéré  comme  un  accident.  Le  sayyd  doit  coopérer  au  rachat 

du  sang.  Le  titre  honorifique  de  «  portefaix  .......         249 

11  comporte  l'obligation  de  fournir  des  centaines  de  chameaux.         .         .         .         250 

Variations  poétiques  sur  ce  sujet.  «  Le  premier  portefaix  du  siècle!  »      .         .         251 

7.  —  Division  de  l'autorité.  Multiplicité  des  sayyd.  Opposition  à  leur  pouvoir 

Les  Arabes,  partisans   de   la  décentralisation.  Même  dans  les  villes,  l'autorité 

se  trouve  éparpillée          ...........  252 

L'organisation  de  Kagran,  partagée  entre  le  sayj'd,  le  'âqib  et  l'évêque  .         .  253 

Multitude  de  chefs  secondaires  dans  une  même  tribu 254 

Le  chef  unique  pour  toute   une  tribu  —  comme  celle  de  'Abs  —  forme   l'ex- 
ception    ..............  255 

Même  observation  pour  les  groupes  considérables  de  Tamim   et  de  Bakr        .  256 
Les  notables   de  la   tribu,  les  fils  des  anciens  sayyd,  les  hakani,  les  kâhin,  les 

sibylles,  autant  de  castes  à  ménager     ........  257 

L'influence  des  kahiii  ;  certains  dirigent  les  razzias >< 

Les  hakam.  D'où   provenait   leur  autorité.  Chrétiens   choisis   comme    arbitres. 

Exemples  de  Nagrân  et  du  poète  Ahtal        .......  258 

Les  Arabes  avides  de  distinctions.  Comment  Mahomet  exploita   cette  propen- 
sion: variété  de  titres  accordés  par  lui.         .         .         .         .         .         .  259 

Qualités  de  Hârita  ibn  Badr » 

Pourquoi  il  refuse  le  titre  de  sayyd      .........  260 


I 


I 


Table  des  matières  359 

Mérites  éminents  de  Doraid   ibii   as-Simma  ;  il  se  dit  prêt  à  suivre  ses  contri- 

bules,  même  dans  l'erreur      ..........  260 

Héroïsme  du  dépouillement  imposé  au  sayyd      .......  261 

Seul  l'instinct  de  la  conservation  peut  forcer  les  Arabes  à  remettre   au   sayyd 

le  soin  de  la  défense  commune      .........  » 

Election  du  chef  militaire.  Dictature  de  Zohair  ibn  Ganâb         ....  262 

Le  danger  disparu,  le  chef  perd  son  autorité.  On  lui  rappelle,  comme  à  Salmâ 

ibn  Naufal,  l'origine  populaire  de  son  pouvoir     ......  263 

Les  e.xcès  de  l'anarchie  amènent  les  Arabes  à  choisir  un  chef  énergique.  ^laho- 

met  profita  d'une  de  ces  périodes  de  réaction  pour  s'introduire  à  Médine.  '-'64 

Situation  critique  de  cette  ville  à  la  veille  de  l'hégire        .....  265 

L'autorité  chez  les  Taglib.  Prestige  de  Kolaib    .......  » 

«  Quand  Ahnaf  se  fâche,  100,000  glaives  sortent  du  fourreau  ».  Que  penser  de 

cette  bravade?          ............  266 

Les  cas,  où  Afwah  al-Audî  peut  compter  sur  la  docilité  des  siens  .         .         .  267 

8.  —  Chefs  incontestés.  Lutte  de  Mahomet  et  des  premiers  califes  contre 
l'aristocratie  bédouine.  Le  sayyd  et  la  représentation  extérieure  de  la 
tribu 

Sayyd  incontestés,  comme  'Oyaina  ibn  Hisn        .......         268 

Noblesse  de  Manzoiir  ibn  Zabbân,  un    mauvais  musulman.         ....         269 

Manzoûr  refuse  sa  fille  à  Hasan  fils  de  'Alî         .......         270 

Lutte   de    Mahomet   contre   l'aristocratie:    invectives   du  Qoran  contre  les  Bé- 
douins     ...............         271 

La  lutte  est  continuée  par  les   successeurs   du   Prophète.  Sanglante  répression 

sous  Aboîi  Bakr.  La  seule  noblesse  sera  désormais  celle  de  l'islam   .         .         272 
Les  sayyd  sont  blancs  et  chauves         .........  » 

Leur  influence  toute  morale  ;  ils  sont  diplomates  et  politiques  ....  •> 

La  représentation  extérieure  de  la  tribu  leur  est  dévolue,  les  questions  de  paix 

et  de  guerre     .............         273 

Le  droit  de  l'eto.  Concessions  de  'Omar  à  la  tribu  de  Bagîla,  pendant  la  guerre 
de  Perse.  Composition  à  l'amiable  :    une    Bédouine  y  oppose   son   veto  et 
obtient  gain  de  cause     ...........         J74 

Sous  Yezîd  I,  fait  analogue  chez  les  Banoû  Godâm   ......         275 

Limites  de  l'autorité  du  sayyd.  Qualités  qu'on  présupposait;  les  conditions  sine 

qua  non,  présidant  à  son    élection.         ........  » 

9.  —  La  femme  dans  l'Arabie  ancienne.  Promiscuité. 
Réaction  aux  environs  de  l'hégire 

Mahomet  et  la  polygamie:    l'organisation    du  harem.  Il   qualifie   la  femme   de 

«prisonnière  de  guerre».  Son  évolution  féministe       .....         276 


360  Table  des  matières 

La  femme  libre  en  face  de   l'épouse   esclave.  Dangers    menaçant   sa  situation. 

Position  plus  indépendante  de  la  femme  libre      ......         277 

Le  Bédouin  polygame  et  jaloux  de  s'assurer  une  nombreuse  postérité     .  » 

Il  veille  à  la  pureté  de  sa  race:   ce   qu'il   faut  penser  des   documents  s'expri- 

mant  en  ce  sens.  Le  témoignage  de  la  poésie     ......         278 

L'Arabe  ne  comprend  ni  la  stabilité  ni  l'unité  du  mariage         ....  » 

Promiscuité  ;  comment  sont  traitées  les  prisonnières.  Scènes  d'horreur  après  la 

bataille  de  Honain.  Comment  est  considéré   l'adultère         ....         279 

Vices  contre  nature.  Formes  anciennes  du  mariage    ......         280 

La  moi'a;  le  sens  de  zinâ  dans  la  terminologie  musulmane      ....         281 

La  législation  matrimoniale  du  Qoran  marque  un  progrès:    habileté  de  Maho- 
met. Le  progrès  s'opère  à  l'avantage  de  l'homme       .....  » 

En  revanche  il  a  amoindri  la  situation  de  la   femme 282 

«  Aboû  Noljaila  »    et  autres  konias  suspectes.  Koiiias  données  à  la  naissance.  >• 

La  giâ/a,  chargée  de  scruter  le  mystère  des  naissances.    Immoralité  dans    les 

villes,  surtout  à  la  Mecque     ..........         283 

Le  «  Kitâb  al-matâlib  »  et  les  origines  des  hommes  les   plus  considérés.  Ren- 
seignements à  ce  sujet  fournis  par  la  Sîra.  Le  «  safâh  ».         .         .         .         284 

Les  ancêtres  de  Mahomet.  Le  mariage  de  son  père 285 

Ses  parents  morts    hors    de    la    Mecque.  Comment   se    maria   Mahomet  ;  «  fils 

d'Aboû  Kabsa  »  ;  la  négresse  Omm  Aiman  et  ses  oncles  des  BanoCi  Sa'd.         286 
La  Sïra  ne  réussit  pas  à  éclaircir   ces    mystères.  Que  penser   alors  des  autres 

familles  ? 287 

Réaction  monothéiste  au  6«  siècle,  entraînant  un  contingent  de  principes  civi- 
lisateurs     » 

La  reprise  du  commerce  attire  les  Bédouins  hors  de  leurs  déserts   .  .         288 

Cette  réaction  est  favorisée  par  les   poètes,  infatigables   voyageurs.  Ils  procla- 
ment le  respect  dû  à  la  femme      ......... 

Ce  respect  parait  avoir  été  le  monopole  des  Arabes  chrétiens  ....         289 

Importance  du  hasab,  e.xtraction  aristocratique  ;  il  favorise  le  mariage  des  fem- 
mes libres        ............. 

Persistance  des  patronymiques  féminins.  D'où  provenait  la  situation  exception- 
nelle de  certains  grands  sayj'd       .........         290 

Comment  on  nous   dépeint   ces   patriciens  :    .Manzoûr  et  'Oyaina.  Comment  ils 

comprenaient  et  pratiquaient  l'islam      .         .         .         .         .         .         .         .         291 

'Oyaina  et  l'existence  d'Allah.  Les  Compagnons  cherchent  à  entrer  dans  la  fa- 
mille des  grands  sajyd  ...........  292 

Même  constatation   pour  les   chefs  kalbites.    As'at  ibn  Qais   et  le  calife  Aboû 

Bakr 293 

Les  Omayyades  s'allient  aux  tribus  arabes  de  Syrie  ......         294 


Table  des  matières  361 

10.  —  Importance  de  la  condition  maternelle. 
Ni  esclave  ni  prisonnière  de  guerre 

Mahomet  adopte  ce  progrès.  Atténuation   dans  le  Qoran  des   principes  démo- 
cratiques du   début.         ...........         29.5 

La  fiction  de  la  pureté  de  la  race  arabe,  des  généalogies  :  importance  du  hâl, 

oncle  maternel         ............         296 

Les  «  monâfara  »,  joutes  poétiques,  et  l'état  civil  de  la  mère  ....         297 

Dégradation  morale  de  la  femme  esclave     ........         298 

Les  héros  se  proclament  fils  d'une  femme  libre,  ho7-ra 299 

Evolution  du  terme  de  horra 300 

Entre  lui  et  Adam,  le    nomade    ne  connaît    d'autre    mère   esclave   que  l'Egy- 
ptienne Agar.  Un   cas   douteux   dans   la   descendance   féminine   annule  la 
noblesse  paternelle.         ...........         301 

La  parole  de  'Aqîl  frère  de  'Alî:  <  le  plus  noble  des  hommes  c'est   moi,  puis 

le  fils  de  ma  mère  ».  Enfant  trouvé 302 

Les  prisonnières  de  guerre  :  leur  condition  malheureuse     .....         303 

Avec  elles  le  mariage  est  peu  considéré  ;    leurs    enfants    à  peine  plus    estimés 

que  ceux  de  l'esclave     ...........         304 

Pour    enlever    la    tare,  il   faut    rompre    le    premier    mariage    et    le    renouveler 

d'après  le  code  bédouin 305 

La  mofâhara  de  'Àmir  ibn  at-Tofail  avec  'Alqama  ibn  'Olâta    ....         306 
Lutte  entre  les  idées  nouvelles  et  anciennes.    Le    progrès   de  l'islam    compro- 
mettra les  résultats  obtenus » 

II.  —  Le  chef  doit  posséder  la  maturité  de  l'âge 

Les  qualificatifs  saih,  kabtr  joints  au  titre  de  sayyd.  Estime  des  Bédouins  pour 

la  force  physique.  Un  chef  dont  €  la  'itnânta  sert  de  drapeau  »  .         .         307 

Avant  tout,  ils  exigent  l'intelligence,  la  maturité  de  l'âge,  mais  sans  atteindre 

la  limite  voisine  de  la  décrépitude         ........         308 

Au  désert,  les  sayyd  les  plus  intelligents  sont  guettés  par  la  sénilité       .         .         309 
Les  inconvénients  de  la  vieillesse,  d'après  les  poètes         .....  » 

Impuissance  et  abandon  des  vieillards.  En  quel    sens  les  Arabes  se   déclarent 

partisans  du  séniorat,  c-à-d.  pour  la  maturité  de  l'âge         ....         310 

Le  sayyd  ne  doit  pas  être  imberbe:  le  cas  de  l'Ansârien  Qais  ibn  Sa'd  .         .         311 
La  formule  du  séniorat  :  kâbir  'an  kâbir      ........  » 

Opinion  à  cet  égard  de  Qais  ibn  'Àsim.  Invraisemblance  de  la  légende  du  jeune 
'Abbâs  choisi  par  les  Qoraisites  comme  chef  militaire.  La  même  prérogative 
réclamée  pour  Aboû  Gahl.  Médiocres  qualités  guerrières  de  'Abbâs  .         .         312 
Répugnances  contre  les  jeunes  chefs.   Le  cas  de  Zaid  ibn  Tâbit        .         .         .         313 
Exagérations  des  poètes,  célébrant  leurs  Mécènes,  <  sayyd  à  partir  du  berceau  ». 

Chefs  «imberbes».  Que  penser  de  ces  bravades  poétiques?       .         .         .         314 


362  Table  des  matières 

■a.  —  Exclusion  de  l'hérédité  et  de  l'idée  dynastique. 
Le  droit  de  primogéniture 

L'hérédité  du  pouvoir,  le  concept    dynastique    répugnent  aux  Bédouins.    D'où 

provient  cette  répugnance 315 

Ils  n'admettent    pas    d'exception,  même    pour  les    frères    du    sayyd,   en    cette 

matière     ..............         316 

Ils  flairent  partout  le  danger  du  pouvoir  absolu.   «  Un  roi  au  Tihâma  »  !  .         .         317 
'Àmir  ibn  at-Tofail,  un  des  principaux  «  démons  d'Arabie  ».    Sens  de  ce  qua- 
lificatif       » 

Ses  antécédents,  ses  rapports  avec  le  poète  A'sâ,  avec  Mahomet      .         .         .         318 
.Son  opinion  sur  l'hérédité  du  pouvoir  ........         319 

Le  Bédouin  refuse  de  se  lier  au  sort  d'une   famille.    L'histoire  de    Zohair  ibn 

Ganâb  en  fournit  un  nouvel  exemple     ........  » 

Portrait,  qualités  éminentes  de  Zohair,  un  des  «  Centenaires  »  ...         320 

Succès  et  durée  extraordinaires   de  sa    carrière    publique.    Son    suicide    par  le 

vin,  le  genre  de  mort  aristocratique      ........         321 

Les  Bédouins,  une  race  prolifique.  Nombreuse  descendance  de  Zohair.   Oppo- 
sition de  son  neveu,  lequel  hérite  de  son  autorité        .....         322 

Ma'n  ibn  Aus  et  sa  longanimité  dans  une  situation  analogue.  Beaux  vers  qu'il 

prononce  à  cette  occasion       ..........         323 

Même  inconsistance  chez  les  tribus  de  Rabï'a     .......  » 

Le  déplacement  incessant  de  l'autorité  charme  les  Bédouins     ....         324 

Ils  protestent  contre  Aboîi  Bakr,  succédant  à  Mahomet     .....  » 

Ils  n'admettent  pas  la  stabilité  du  pouvoir,    même  au    sein    d'un    clan    consi- 
dérable      325 

L'histoire  arabe  enregistre  quatre  exceptions.  C'est  un  phénomène  que  la  suc- 
cession de  trois  chefs  en  ligne  directe  ........  » 

Quatre  grandes  familles  en  Arabie  :  elles  doivent  compter  une  succession  inin- 
terrompue de  quatre  chefs,    ayant    mérité  le  titre  de  kâmil.    Les    députés 
arabes  en  présence  du  roi  de  Perse      ........         326 

A  quelles  conditions  la  famille  d'Asmâ'  ibn  Hâriga  conserva  le  titre  de  sayyd  » 

Celle  de  l'Ansârien  Sa'd  ibn  'Obâda  compte  une    série    de    quatre    sayyd.    Ce 

chiffre  n'a  jamais  été  dépassé  dans  une  même  famille         ....         327 

Théorie  d'Ibn  Haldoûn  :  pourquoi  «la  noblesse  d'une  famille  persiste  pendant 

quatre  générations  ».   L'exemple  du  patriarche  Joseph  ....  » 

On  ne  peut  opposer  celui  des  Gassânides  et  des  Lahmides        ....  » 

Chez  ces  derniers,  l'idée  dynastique  fut  un  emprunt  étranger,    imposé  par  les 
gouvernements    qu'ils  servaient.  Avantages  de  cette  situation.  Impression 
produite  sur  l'esprit  des  nomades.         ........         328 

Les  Arabes  ignorent  le  droit  de  primogéniture.  Les  premiers-nés  sont  de  mau- 


Table  des  matières  363 

vais  augure,  surtout  quand  ils  ont  les  yeux  «  bleus  »,  une  couleur  né- 
faste. Explication  physiologique  de  ce  préjugé      ......         329 

Même  dans  le  cas  de  transmission  directe,  l'aîné  n'hérite  pas  nécessairement 

du  pouvoir  paternel » 

La  konia  et  le  nom  de  l'aîné.    On  évite  de  la    combiner   avec  ce    nom.  Aboû 

Hobaib,  konia  injurieuse  d'Ibn  Zobair.  Pourquoi?         .....         330 

La  succession  de  Hogr  père  d'Amroulqais.  Le  commandant  militaire  peut  dé- 
signer son  remplaçant,  exemple  imité  par  les  califes  Aboû  Bakr  et  'Omar 
à  leur  mort      .............  » 

La  pratique  chez  les  Omayj'ades,  critiquée  par  l'orthodoxie       ....         331 


CONCLUSION 


332 


333 


Mahomet  et  les  Qoraisites  se  préparent  à  utiHser  les  Bédouins  pour  en  tirer 
les  cadres  de  leurs  armées.  Accumulation  d'énergies  dans  cette  race 

Passivité,  violence  :  entre  ces  deux  pôles  oscille  toute  la  destinée  bédouine 

Les  lacunes  morales  du  Bédouin  le  mettaient  à  la  merci  de  meneurs  ambitieux. 
Comment  ils  exploitent  ses  penchants  violents      ..... 

Ils  les  disciplinent  par  la  guerre  sainte  :  tâche  ébauchée  par  Mahomet     . 

Elle  sera  achevée  par  les  Omayj'ades  ........ 

L'inscription  au  difan  transformera  ces  brigands  nés.  Arraché  à  son  milieu  anar- 
chique,  le  Bédouin  deviendra  un  incomparable  instrument  de  propagande 
et  de  défense  islamites  . 334 

Table  des  matières         ............         335 

Addenda  et  Corrigenda.         ...........         365 


ADDENDA  ET  CORRIGENDA 


p.  4,  8  a.  d.  ligne:  Comp.  Qoran,  10,  2:  «-j-^  ^-^)  t-i'  ^-^Cr^^'  •  ''^  verset  aura  ins- 
piré le  dicton. 

P.  4,  6  a.  d.  ligne  :  ^J-< If  ^^U*Jl  diront  plus  tard  les  soûfis.  Cf.  Massignon,  Kitâb  ai-Ja- 
wâsîn,  140,   181,  182.  'Abdalqâdir  al-Kilânî  interpelle  Mahomet:  ^^J^  o'-^^'    '~^ 

P.  10,  note  1  :  Quand  les  Tatnîni  ont  été  vaincus  par  les  Perses,  les  tribus  voisines 
s'apprêtent  à  les  attaquer;  Ag.,  XV,  73.  Le  sentiment  de  la  solidarité  arabe  n'e- 

.\iste  pas.  Alors,  comme  de  nos  jours  encore,  ^ >li  signifie  non  pas  Arabes   mais 

fwinades,  Bédouins. 

P.  15:  Le  vocable  Higâz  en  poésie:  Ag.,  XV,  138,  17  (citation  de  Soraqa  ibn  'Auf); 
autres  citations  ;  Yâqoût,  E.  VI,  306  ('Abïd  ibn  al-Abras);  389,  5  ;  So'arâ'  744,  745. 

P.   16,   note  3,  2  a.  d.  ligne:  lisez:  os^il 

P.   17  :   Sur  les  rig^ueurs  de  l'hiver,  cf.  Jaussen-Savignac,  Mission,  1,   80. 

P.  19  :  Comp.  la  phrase  fréquente  :  i^^'  j^j-i-«J  '-«^^  iJ:,o»jLa_j  ^'Igd*,  \l.  83;  Jaus- 
sen-Savignac, op.  cit.,  I,  95  ;  sécheresse  de  4  ans;  Le  Boulicaut,  Au  pays  des  mystè- 
res, 59. 

P.   20,  ligne  4:  Comp.:   ...Jii\  ^_yiù^  ^)\  Qotaiba.  Poesis.  188;  Yâqoût,  IV,  371,   10. 

P.  20,  ligne  8:  On  désespère  de  la  pluie;  Qoran,  42,  28. 

P.  20,  ligne  11  :  Interrogations  sur  la  pluie;  Ag.,  XXI,  204,  bas. 

P.  20,  n.  3:  Pluie  d'été;  Ag.,  XXI,  98;  forte  pluie  d'automne;  le 'Aqiq  coule;  ^4^., 
XVII,   119,   1-2. 

P.  21,  ligne  4  :  Comp.   «  eau  bénie  i>:  Qoran,  50,  9. 

P.  21,  ligne  5:  la  double  migration  hivernale  et  estivale;   Bakrî,  op.  cit.,  l'iA.  haut. 

P.  21,  ligne  11:  Sur  les  rà'id ;  Ag..  XXI,  205. 

P.  22,  ligne  4:  On  en  profite  pour  la  lessive;  Qotaiba,  Poesis,  262;  comp.  261,  16; 
263,   14,  citation  poétique,  d'où  le  trait  a  été  tiré. 

P.  25,  ligne  7:  Comp.  Jaussen-Savignac,  i1/îVjîo?;,  I,  77,  81:  pendant  plusieurs  Jours 
l'inondation  interrompt  la  circulation.  Ibid.  p.  72  au  lieu  de  i^LiJl ,  lire  jlà.Jl , 
défilé.    P.  27,  n.  4  ;   Ag.,   XVI,  29. 


366  Addenda  et  corrigenda 

P.  29,  11.  6:  CorriRez:  Yaqoût,  II,   60,  2;  289;  332;   III,   11,  6;  233  etc. 

P.  33,  lignes   14,   15  :   Lisez  linceul,  évaporalioii. 

P.  35  :   Pour  les  eaux  souterraines  comp.  Yâqoût  E.  YI,  327  :     C^^js^  CJi^  ^-*'-r* 

P.  36  :  Sur  les  puits  des  Arabes,  voir  les  remarques  du  Prof.  J.  Hess  dans  Der  Islam. 
IV,  317-318.  Puits  possédé  en  indivis,  Yâqoût,  E.  VI,   186. 

P.  37,  n.  5  ;  Au  lieu  de  ^X^\  lire  j_X-«-" 

P.  38  :   L'eau  du  Paradis  n'est  pas  saumâtre  ;  Qoran,  47,   15. 

P.  38,  n.  5  :   Pour  les  eau.x  de  Sarldâ',  cf.  Ag.,  XIX,   133. 

P.  39,  ligne  3  :  Eau  de  roche,  une  rareté  ;  cf.  Qoran,  2,  74  ;  pour  le  J^io»  ,  pi.  JtiiJ 
voir  Bakrî,  op.  cit.,  764  ;  le  Glossaire  de  Qotaiba,  Poesis,  s.  v.;  nombreux  wasal 
au  pays  de  Mozaina  ;  Yâqoût,  E.  VII,  35;  comp.  VI,  218,  3  d.  1.;  233.  4;  le 
diminutif  J.^'^  dans  Lailâ  Aliyalyya  ;  Qotaiba,  Poesis,  272,  6. 

P.  40,  ligne  7  :  A  cause  de  leur  rareté  en  Arabie,  le  Qoran  a  fait  des  eaux  courantes 
une  caractéristique  du    Paradis. 

P.  42,  n.  6  :  Mahomet  crache  au  fond  du  puits  ;  Yâqoût,  E.  VI,  277  ;  le  puits  le  plus 
profond  du  Nagd  ;  ibid.,  \'\,   125,   bas. 

P.   44,  ligne  7  :  au  lieu  de  gencives,  lisez  molaires. 

P.  45,  ligne  1  :  Les  losoûs  vivent  pendant  des  semaines  de  lait,  rencontré  d'occasion  ; 
Ag.,  XXI,   77,  78. 

P.  45:   Rétablir  comme  suit  l'interversion  des  notes:  2  ^  1  ;  3  ;=  2  ;    1  =3. 

P.  46,  ligne  9  :   Pour  le  sens  spécial  de  i>olà",  voir  Yâqoût,  E.  VII,  18,  d.  1.,   19.  haut. 

P.  49,  n.  3:  Ajoutez  Gâhiz,  Haiawân,  IV,  149.  La  note  4  de  cette  page  doit  être  rap- 
portée à  la  p.  50,  n.   2  ;  et  cette  dernière  à  la  p.  49,  n.  4. 

P.  55,  n.  5:  Lisez  UJj,  .  Légèreté  proverbiale  du  .*wLil  i_-o,l  .  lièvre  se  nourrissant 
de  holla;  Gâhiz,  Haiawân,  VI,   58,   7. 

P.  56  :  Pour  l'orthographe  de  ne/oûd  a.\ec  dâl,  comp.  le  nom  d'un  Bédouin  <  Mefeyid, 
kleine  Sandwûste  »  (donc  j^à-o  ),  dans  J.  Hess,  Beduinennamen  aus  Zeutralara- 
bien,  p.   7. 

P.  58  :   Pour    les   arbres   broutés    par    les  chameaux,    comp.    Qoran,  5,  66  :     ^,y«  JJS\ 

CXaC  ^;^j  ...^^\  locution  =  être  dans  l'abondance.  Elle  fait  allusion  au  cha- 
meau pendant  le  rahf.  broutant  à  la  fois  les  arbres  et  le  .JXi  ,  donc  en  haut  et 
en  bas. 

P.  58,  n.  2  :  Yâqoût,  E.  VII.  75,  prairies  pour  les  chevaux,  pleines  de  jjjb  .  Le  seul 
passage  du  Qoran,  2,  58,  où  parait  JJl>  ,  semble  bien  désigner  les  légumes.  Sens 
adopté  par  les  sédentaires  ? 

P.  58,  n.  3  :  Pour  la  rosée  JJ>  ,  cf.  Naqâ'id  Garlr,  603,  604  ;  Qoran,  2,  267. 

P.  59:  Le  saiiioûm  dessèche  les  outres;  Ag.,  XX,  20.  Samoûm  nom  de  l'enfer;  Qo- 
ran, 52,  27;  vent  chaud,  qui  brûle  tout,  pendant  7  jours  ;  Qoran,  31.  41,  42; 
69,   6. 

P.  60  sqq.  Le  hiiiiâ:  Daryya,  type  de  hintâ;  Ag.,  XV,  87.  Concessions  de  hiinà  par 
le  Prophète;  Ag.,  XX,   165;  Bakrî,  op.  cit.,  780.  Himâ  de  Basra  ;  de  Omm   Hâ- 


\ 


Addenda  et  corrigenda  367 

lid  dans  la  région  de  Médine,  de  Ziâd  ibn  Abïhi  au  désert  ;  Ag:,  XIX,  146  , 
146;  Yâqoût,  E.  \',  279;  Ag:,  XVIII,  68.  On  viole  le  hiniA  voisin,  mais  on  im- 
pose le  respect  du  hiniâ  de  sa  tribu;  motif  banal;  Qotaiba,  Poesis,  257,  1  ;  Ag., 
XIX.   85. 

P.  65  ;  Au  Paradis  les  arbres  n'ont  pas  d'épines;  Omaj'ya  ibn  Abi's-Salt,  Divan,  XLII,  1. 

P.  66,  ligne  22  :  Écrivez  'idàh  (ïUài);  même  correction  p.  69,  n.  4. 

P.  66,  d.  ligne  :  Ag.,  XV.   157,  5  :  iJI  ,^l  ^^jU-so  ,  citation  de  poète. 

P.  69,  n.  3  :  Lisez  sarh,  _  Jlt 

P.  70:  Comp.  Jaussen  Savignac,  3/issioii,  I,  84,  92,  107,  passim.  nombreu.x  groupes 
de  talha  ;  p.  85,  forêt. 

P.  71,  d.  ligne  :  Apostrophe  aux  deux  palmiers;  Yâqoût,  E.  VI,  201,  306,  d.  1.,  307,  10. 

P.  72  :  Harra  ne  produisant  rien  ;   Bakri,  op.  cil.,  764. 

P.  75  :  Montagnes  noires  ;  Jaussen-Savignac,  Mission,  I,  85-87. 

P.  75,  n.  5  :    Corrigez  ^\ 

P.  78,  ligne  6  :  Le  Bédouin  souhaite  mourir  comme  AboQ  Hâriga  :  ,__i_w«  l^^  J^\ 
^Ut^  ^Vs>  OUà  ^y~„^\  ^  .L>^  UjtJx*  ;  'Tgd*,  II,  101. 

P.  78,  n.  2  :   Lire    s^li  ...LLj  11  ou  s^li  ...Lo  i  .    Comp.  Ag.,  I,  154,  19. 

P.  79,  ligne  1-7:  Pour  \e  gadâ,  comp.  Yâqoût,  E.  VI,  295,297;  pour  la  comparaison, 
ajoutez,  Ag.,  XXI,  363,    17. 

P.  79,    n.  2  :  Le  loup  du  gadâ  ;    Bohtori,   Hamâsa,    n.    1305,   3  v. 

P.  80.  Comp.  le  toponyme  Mahlab  au  nord  de  Taboûk  ;  Jaussen-Savignac,  Mission, 
I,    57.    Bois    de  chauffage  ;   Qoran,   36,   80. 

P.  81,  ligne  8  :  Citation  de  Kotayyr  dans  Qotaiba.  Poesis,  262,  15.  «  Bois  mort  ra- 
massé de  nuit  »  yAg.    XX;   163): 

f   '       r  _  ■■•...■? 

É,W«  ^y^\^  Oi^^  L^'g.çj^  i_j-J>'>j>.  dk^LoJ"  Ls-*»*  '>^t5>J> 

p.  83,  n.  5:  Au  lieu  i lyi.  lire  i^_>>-^ 

P.  86,  ligne  13  :  Comp.  pour  Wâdi'l  Qorâ  ,J.^^  *  )'r*  C^  (Gamîl)  ;  Qotaiba,  Poesis,  "idl. 

P.  86,  n.  6:  Comp.  pour  les  environs  de  Taboûk,  Jaussen-Savignac,  Mission,  I,  66-68, 
nombreuses  traces  de  cultures.  ïo  S  avec  minbar  et  marché  au  pays  de  'Odra  ;  la 
li.A^'â  du  célèbre  Zohri  se  trouve  dans  la  même  région;  Yâqoût,  E.  V,  277. 

P.  89,  ligne  18:  Qoran,  35,  1. 

P.  90:  Jaussen-Savignac,  Mission,  I,  63,  vigne,  citronniers,  grenadiers,  figuiers  à 
Taboûk. 

P.  92,  ligne  9:  Pour  les  environs  de  Wâdi'l  Qorâ,  comp.  Qotaiba,  Poesis,  261,  11  : 
»^Jjl  ,_5>|5  ,  variante  t^-S^^  i_5'lj- 

P.  93,  n.  6:   C'est  plutôt  le  diminutif  «  godayya  »  de  gadâ;  Yâqoût,  E.  VI,  297. 

P.  96:  La  «  sadaqa  >  de  'Ali  rapporte  40,000  dinars;   Yazid,  361,  n.   1. 

P.  98,  ligne  8:  Yâqoût,  E.  VI,  341. 

P.  99,  ligne  5  :  C'était  la  coutume  à  Médine,  dès  avant  l'islam,  dans  les  guerres  ci- 
viles; Ag.,  XV,   164. 

P.  102,  ligne  1  :  Cf.   Ibn  Hagar,  Isâba.  E.  I,  184. 


368  Addenda  et  corrigenda 

P.   103,  n.    !:  Chasse;  Ag:,  XV,  87;  XXI,   81,  2. 

H.  106:  Ce  vers  de  Doraid  ibn  as-SiniiTia  peut  aussi  signifier  qu'il  profite  le  lendemain 
des  critiques  faites  sur  ses  actes  de  la  veille.  Exégèse  trop  subtile  peut-être  quand 
il  s'agit  du  Bédouin  impulsif. 

P.  113:  Traces  de  pessimisme,  même  chez  le  gai  poète  AboQ  Mihgan  :  Ag:,  XXI, 
219,   14-15. 

P.   114,  ligne  4:  Comp.  Qoran,  3,   46;  sLiXs  Le  ^J^iJC  aSi\ . 

P.   123:  n.  3:  Corrig.  Wâdi'l  Qora. 

P.   126,  n.  6:  Leur  composent;  il  s'agit  des  losoûs. 

P.   128,  n.  5.  Ajoutez  Qotaiba.   Poesis,   160,   174,   178,   186-87,  205,  235,  268. 

P.  133,  ligne  8:  Ce  n'est  pas  un  vers,  comme  inviterait  à  le  supposer  la  malheureuse 
disposition  typographique. 

P.   134,  n.  6  :  Cent  chanieau.\  avec  les  petits;  Ag:,  XVI,  27,   11  ;  30,  3. 

P.  135,  ligne  1  ;  Comp.  Ag.,  XX,  9. 

P.  135,  n.   1:   Pour  le  meurtre  Ikil ,  cf.  Qoran,  4,  92. 

P.  136,  ligne  1  :  On  a  emprunté  le  chiffre  au.\  «  mille  cavaliers  de  Solaim  »,  hyperbole 
poétique;  Ag.,  XV,   150,  6. 

P.  136,  ligne  10  sqq  :  On  mentionne  le  >•  J-c ,  râtelier  du  célèbre  cheval  Dâhis;  Ag., 
XVI,  25.  Malboûna,  chevau.x  nourris  de  lait;  Bakrï,  op.  cit..  781,  6-7;  comp. 
Qotaiba,  Poesis,   173,   12-13. 

P.   137,  ligne  1  :   Pour  lahm,   nourriture,  cf.  Qoran,  35,    12. 

P.   138,  ligne  8:  Gâhiz,  Haiawàn,   VI,   165. 

P.  140,  ligne  23:  Pourtant  à  Médine,  vers  l'époque  de  la  bataille  de  Bo'ât,  il  est 
question  de  la  mule  d'Ibn  Obajy  ;  Ag.,  XV,   164. 

P.  145:  La  pluie  symbole  de  la  résurrection,  elle  revivifie  C-^--o  ■^ — >;  une  goutte 
d'eau  ranime  toute  la  flore;  Qoran,  2,   163;  7,  57;  41,  39. 

P.   147,  ligne  12:  Fadak,  cité  dans  un  vers;  Yâqoût,  E.  V,  283. 

P.  147,  n.  4  :  Comp.  Jaussen-Savignac,  Mission,  I,  66-68  etc.  ;  54,  oasis  de  Dât  al-Hagg. 

P.  152,  ligne  18:  Le  Boulicaut,  Au  pays  des  mystères,  147,  mentionne  des  pluies  de 
trois  mois  ;  comprenons  des  périodes  pluvieuses. 

P.   157,  ligne  15:  Qotaiba,  Poesis,   183;  Ag.,  XV,  60,  7  d.  ;  XVIII,  68. 

P.  157,  n.  1  :  A  -j^J^-i^Al  ^^.  ,^^_  comp.  Qoran,  49,  1  :  ^»*j  ,«  djjl  ^o^_  .j^  ;  sur- 
tout Qoran  2,  62  où  Ujjo  ^yo  se    rapporte  à   un  pluriel. 

P.   159,  1.   13:  Comp.  Qoran,  6,    65:  ^ixa->  ^b  /Cojsj  ^■Xj>  . 

P.  159-160:  Les  brigands  arrêtent  les  pèlerins;  Ag.,  XXI,  75;  brigands  exécutés  par 
le  gouvernement;  XXI,  73;  ibid.,  75  sqq.  Histoire  de  Samhari,  elle  expose  les 
phases  de  la  lutte  contre  le  brigandage  ;  XXI,  269,  14,  familles  emprisonnées  pour 
les  forcer  à  livrer  le  meurtrier;  sa'loTik  enrôlés;  Ag.,  XVII,  153.  Le  gouvernement 
est  interpellé  pour  rétablir  l'ordre;  Aboû  Tammâm,  Hamâsa,  E.  I,  223. 

P.  161,  n.  1  :  Si  les  losoûs  ont  été  idéalisés  par  la  littérature,  c'est  parce  que  le  Bé- 
douin s'est  reconnu  en  eux. 


Addenda  et  corrigenda  369 

P.  161-162:  On  en  appelle  au  gouvernement  contre  la  satire;  Ag:,  XXI,  267;  les 
tribus  sont  rendues  responsables;  XIX,  111;  poètes  perturbateurs  pourchassés  de 
tribu  en  tribu;  XX,  13,  2  d.  1.  Voir  ici  p.  334.  «  Le  désert  nous  protège  contre 
les  Omayj'ades  !  »  s'écrient  les  poètes;  Qotaiba,  Poesis,  206,   11  sqq. 

P.  166,  ligne  4  etc.  :  Sous  Mo'âwia  I,  on  retrouve  et  on  utilise  les  sources  de  Wâdi'l 
Qorâ;  Yâqoût,  E.  VII,  7.S,  74. 

V.  169,  ligne  19:  Pour  ce  terme  de  »-as,  comp.  remarque  dans  Jaussen-Savignac, 
Mission,  I,  66,  note;  «  la  moindre  construction  est  appelée  qasr  ».  Cette  emphase 
n'est  pas  récente,  nos  textes  le  prouvent. 

P.   172;  Nostalgie  du  désert;  Ag.,  XX,   116. 

P.   179,  n.  3:   Les  sabaha  à  Médine  ;  Ag.,  XV,   161. 

P.   188,  n.  2;  faucon;  Ag.,  XXI,   147,  2. 

P.  188,  n.  3:  Le  cas  qu'il  fait  de  la  vie  des  enfants,  voir  Ag.,  XV,  162,  2-3.  L'ora- 
teur, lin  Juif  pourtant,  mais  surtout  Bédouin,  propose  de  sacrifier  les  enfants 
laissés  en  otage  :  «  nos  femmes  nous  en  donneront  >^  !  —  «  Nous  ne  pleurons  jamais 
nos  morts»;  Aboû  Tammâm,  Hamâsa,   E.   1,  hh. 

P.   190,  ligne  1:  Pour  'arrâf,  ici  prêtre  chrétien,  cf.  Cheikho,  Ma'sriq,  .\VI,  676. 

P.  190,  ligne  23;  Les  gara  nourries  et  respectées;  Ag.,  XXI,  263,  3. 

P.   191,  n.   1:  Au  lieu  de  Hâtim  at-Tayy,  lisez  Hâtim  Tayy. 

P.  193,  ligne  3:  Aboû  Tammâm,  Hamâsa,  E.  I,  99. 

P.  193,  n.  1  :  A.  Tammâm,  Hamâsa,  E.  I,  58.  «  Mourir  à  la  guerre  vaut  mieu.x  que 
le  suicide»;  SoUirâ',  910.   1. 

P.  193-194:  Pourquoi  le  sa'loûk  ne  dort  pas;  brave,  parce  qu'il  ne  possède  que  son 
sabre;  Ag.,  XXI,  175,  17  etc.  Comp.  :  «  Bon  pour  les  nègres  de  se  faire  tuer  dans 
une  attaque  sans  merci.  Le  Marocain  n'oublie  jamais  qu'il  est  père  de  famille 
et  que  son  cheval  lui  appartient  ».  Pierre  Khorat,  Scènes  de  la  pacification  ma- 
rocaine. 

P.   195,  2  a.  d.  ligne  :  Ce  Ga'far  est  qualifié  de  il^A^o  ^Li  ^^U  ;  Ag..  XV,  73. 

P.  199,  ligne  12:  «Nous  sommes  rois  et  rois  des  rois»,  (époque  des  Sofiânides)  ;  Ag., 
XX,  268,  6:  269,  3.- 

P.  200,  n.   1  ;  Au  lieu  de  oncle  lisez  neveu  ;  Garîr  en  fait  autant;  Qotaiba,  Poesis,  289. 

P.  203,  n.  1  ;  Amîr  =:  sayyd;  Ag.,  XV,  73,  3  d.  1.  Amïr  =  chef  d'expédition,  I.  S. 
Taiay.  Il  »,  91,  21;  92. 

P.  209,  n.  9;  Comp.  le  vers  de  Farazdaq  {Ag.,  XXI,   196): 

p.  210:  Le  ràs  (chef)  de  Doûmal  al  Gandal  également  qualifié  de  roi;  I.  S.  Tabac. 
II',  64,  bas. 

P.  224,  ligne  15:  Supprimer  la  répétition:  éloquents. 

P.  225,  n.  4  :  A  la  4  1.  de  cette  note;  Gâhiz,  Bayân,   I  etc. 

P.  229,  n.  3:  Ag.,   XV,  76,  9. 

P.  229,  n.  4:  Monâdi  chez  un  grand  sayyd;  Ag.,  XV,  86,  10,  d.  1.  Comp.  XI,  5,  Di- 
van d'Omayya  ibn  Abi's-Salt. 


370  Addenda  et  corrigenda 

F.  231-232:  Vers  de  Garir,  chantés  en  caravane;  Qotaiba,  Poesis,  285,  15.  Le  hâdi 
improvise  sur  le  mètre  ragaz  ;  pour  ce  motif  parfois  appelé  aussi  rûgiz;  Ag..  XV, 
28,  2  d.  I.;  XXI.  266,   1-5. 

P.  234,  n.  6:  Corrigez  Tayy. 

P.   237  :  Pour  le  vers  cité  cf.  Divan  d'Omaji'a  ibn  Abi's-Salt,  \'. 

P.  240  :  La  loyauté  est  présentée  par  les  poètes,  comme  un  fait  extraordinaire.  Le  héros 
ne  trahit  pas  ;  Ag.,  XXI,  64,  18;  cf.  66.  Ruses  de  Dalîla  chez  de  jeunes  Bédouines 
pour  endormir  les  défiances;  Ag.,  XXI,  81,  bas.  «Mon  feu  (=:  hospitalité)  n'est 
pas  traître  »  ;  on  se  vante  de  ne  pas  trahir  le^âr,-  Ag.,  XV.  28,  7-8  d.  1,;  167,  2. 
Omayya    ibn  Abi's-Salt,  Divan,  XII,  2. 

P.  243,  n.  3;  Le  sayyd  est  p-;?4-  ^^  J-t^  p^-  ^S-<  XV,  53,  9  d.  1.;  75. 

P.  249,  ligne  13:  On  dit  encore  JfJL,  se  charger  des  rançons,  Ag.,  XXI,  162,  20. 

P.  250,  n.  5:  Comp.  Ag.,  XXI,  65. 

5    ^    ^  .,  *^ 

P.  250,  n.  2  :  Comp.  le  poète  Balt  jJJI  ^y»:i  l^  \l  v»-  0*^5  ^^  çS  J  1-^  :  ses 
exigences;  terreur  qu'il  exerce;  Ag.,  XV,  62. 

P.  254-255:  Say^d  multiples;  ^J^S  CjI*^  crj  '^^'^  ■^S'-'  ^^<  l*-  Say)d  unique; 
Ag.,  XXI,  191,   15.  Sayyd  sur  tous  les  Tajy  de  (mont)  Salmâ;  Ag.,  XXI,  81,  9. 

P.  257:  iâ/iin  interrogé  déconseille  la  razzia;  tué  pendant  la  bataille  :  Ag.,  XV,  73,  8 
d.  1.;  75,  14  ;  kâhina  fait  ses  prédictions  au  nom  de  son  génie  familier  (. . .  ^^> 
,_jax,);  Ag.,  XXI,   275,    18. 

P.  257-258:  hakam :  on  nomme  un  juge  (qâdi)  des  Arabes,  avant  l'islam;  Ag.,  XV, 
73,4d.  l.Je  doute  que  le  terme  qâdi  fût  dès  lors  en  usage.  Hakam  célèbres,  à  qui 
on  a  appliqué  le  proverbe  :  LûLaJI  <^y^.  '^  (^^  ^^  ;  Ag.,  XXI,  204.  Ces  arbi- 
tres siègent  régulièrement,  semble-t-il,  et  les  audiences  sont  publiques  ;  Ag.,  XXI, 
186,  18.  Dans  les  contestations  délicates,  des  chefs,  comme  AboS  Sofiân,  Aboû 
Gahl,  'Oyaina  ibn  Hisn  (il  ne  manquait  donc  pas  d'intelligence!)  refusent  le  rôle 
dangereux  ;  par  chauvinisme  on  affirme  ici  que  les  Arabes  s'adressaient  de  préfé- 
rence à  Ocrais;  Ag.,  XV,  54.  Un  prince,  comme  Hogr  le  Kindite  pouvait  accepter 
sans  inconvénient;  Ag.,  XV,  87,  d.  1.  Quand  l'arbitre  appartient  à  une  des  deux 
tribus  contestantes,  on  ne  le  choisit  que  s'il  est  également  parent  avec  les  adver- 
saires; Ag.,  XVI,  26.  jsUj  signifie  aussi  demander  l'arbitrage;  Ag.,  XVI,  25,  14. 
Le  type  de  ces  arbitrages  est  la  ntonàfara,  entre  'Àmir  ibn  at-Tofail  et  'Alqama 
ibn  'Olâta.  L'art  consiste  à  faire  croire  aux  deux  adversaires  que  leurs  arguments 
sont  sans  valeur,  à  les  impressionner,  puis  de  découvrir  une  solution  moyenne, 
ménageant  tous  les  amours  propres.  Les  grands  hakam  triomphaient  dans  ces 
combinazioni ;  Ag.,  XV,  56-57.  Titre  divin  dans  Omayya  ibn  Abi's-Salt,  XXII,  1. 

P.  258,  n.  1:  Comp.  Ag.,  XV,  58.  'Omar  ressemblait  à  Hâlid  ibn  al-\Valîd.  Le  but 
de  l'anecdote  est  de  prouver  que  la  mère  du  calife  était  —  non  une  esclave  — 
mais  de  Mahzoûm.  Une  glorification  indirecte  ! 

P.  260,  n.  6  :  Lisez  :  f^r^.  ^.lU-J 

P.  262  :  Election  du  chef  militaire;  Ag.,  XV,   161,  3. 

P.  262,  n.  6  :  Je  n'ai  pu  retrouver  cette  citation  d'Ibn  Hisâm. 


Adiieiula  el  cûrii.s>eiuU\  .371 

P.  269:  ^ê-,  XXI,   267.  10,  ii^-.aJ«J.  '^  ..r—^) 

Y.  2T2  :  Le  calife  'Otmân    est    chauve;    Ag..  X\',  71.    Comp.  Yâqoût,  E.,   I,  335,   1  : 

...  l«.y4h-'«.o  ^  »*i!l  çi-«î  ;  'es  chauves  (=:  les  anciens)  n'avaient  pas  encore  repris 

le  turban  ».  C'était  le  matin. 
P.  272,  n.  6  :   Pour  la  calvitie,  attribué  au  port  du  casque,  voir  scolion,  A.  Taiiimam 

Haniàsa,  E.   1,  63  d.  v. 
P.  274,  n.   4  :  Au  lieu  de  ïTi  lire  !sT> 

P.  277,  ligne   15:  Conip.  le   thème  réaliste    à\x  fakr  :  |_7jUJ1  <iiLJI  U-<  :   Ag.,    XV,  97 

d.  ligne. 
P.  279,  ligne  4  :  Pour  y  échapper  et  empêcher  le  déshonneur  de  rejaillir  sur  ses  fils, 

la  mère  de  Ziâd  ibn  Rabï'  se  suicide  ;  Ag.,  XVI,  28. 
P.  280,  ligne  3:  Des  paladins  conmie  'Àmir  ibn  at-Tofail  et  'Alqama  ibn  'Olâta  s'ac- 
cusent réciproquement  de  promiscuité;  Ag..  X\',  53.  8. 
P.  286,  n.  8:  Corrigez   Tabag. 

P.  289,  d.  ligne:  Comp.  le  vers  cité,  Ag.,  XVI,  22,  3  ;  ^U.  C^^  ii\;  C^\  ^\  Jli^ 
P.  290,  n.  4:  On  cite  quelques  vers  de  Manzoûr;  Ag.,  XXI,  261. 
P.  293-294  :  Les  Bédouins  se  vantent  d'être  les  «  gendres  de  Qorais  »  ;  Ag.,  XXI,  263,  4. 
P.  298,  n.  5:  Fartanâ,  nom  propre  de  Bédouine;  Ag.,  XVI,  25,  11  d.  1. 
P.  299-300:     iji  =  grande  dame;  k'yi  yj  ;  Ag..  XV,  75;   139,  6  d.   1.   «Jamais  on 

ne  verra  une  mère  comme  la  nôtre  »,  Ag.,  XXI,  268,  22. 
P.  302,  n.   4  :   Corrig.    Tabah.  en    Tabag. 
P.  303,  n.   4:   Dans  Ag.,  XV,  77,  16;  XIX,   140,  d.  1.,  le  vers...  \^  ^5i  semble  une 

interpolation;  comp.  Naqâ'id  Gartr,    155. 
P.  308,  ligne  8:  .Mettre  une  virgule  après  l'importance. 
P.  309,  Sénilité  de  Hogr  l'aïeul  d'AmrouIqais  ;  Ag..  XV,  86;    le  père  du   poète  Garîr 

est  ^_^5J«-^i«;  Qotaiba,  Poesis,  283,   13.  A  la  1.  2  lisez:  guettés. 
P.  310  :  Vieu.x  pères  maltraités;  pièce  \'IiI  du  divan  d'Oniayya  ibn  Abi's-Salt. 
P.   313,  n.  7:  Jour.   Asial.,    1907'  etc. 
P.  321,  n.  8:  Suicide  par  le  vin;  Ag.,  XV,   75. 
P.  322:  Comp.  le  cas  de  cet  Arabe  appelé  »jJ^  iiS^  ï>)iyi\  Cljf^  Ag.,    .W,   158,  4  ; 

neveu  disputant  l'autorité  à  son  oncle;  ibid. 
P.  329,  ligne  19:   «  Il  est  sayyd  et  a  trouvé  les  siens  sayyd  »  ;  Ag.,  XV,  88,   13, 


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