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SCRIPTA PONTIFICII INSTITUTI BIBLICI
LE
Berceau de Tlslam
L'ARABIE OCCIDENTALE À LA VEILLE DE L'HÈGIRE
1" VOLUME
LE CLIMAT - LES BÉDOUINS
HENRI LAMMENS S. I.
PROFESSEUR DE LITTÉRATURE ARABE À L'INSTITUT BIBLIQUE
^M^
CUM APPROBATIONE SUPERIORUM
3.
S
ROMAE
SUMPTIBUS PONTIFICII INSTITUTI BIBLICI
1914
IMPRIMATUR
Fr. Albertus Lepidi O. P. S. P. A. Magister.
IMPRIMATUR
Franciscus Faberi Vicar. Urbis Adsessor.
ROMAE — EX TYPOGRAPHIA PONTIFICIA IN INSTITUT© PII IX
PREFACE
Les pages suivantes reproduisent le texte des leçons publiques,
professées à l'Institut biblique de Rome, pendant le printemps de cette
année. Dans la troisième partie, « les Bédouins » (pp. 185-334). nous
avons remanie la matière d'un ancien cours, donné à la Faculté orien-
tale de l'Université de Be\"routh (1905). En livrant ce travail à l'im-
pression, nous en aAons conser\'é le jet primitif, la libre allure de la
causerie, de la conférence, laissant subsister certaines allusions locales,
les citations d'intérêt purement littéraire, les digressions et aussi les
retours sur des sujets touchés précédemment.
Le Berceau de l'islam ouvre la série d'études, promises dans
Y Avant- Propos de Fàtima et les filles de Mahotiiet. Le volume sui\-ant
traitera des populations sédentaires du Higâz. Ensuite nous nous
proposons de reprendre, càl i-i J, période par période et en sui-
vant l'ordre chronologique, la vie du Prophète. Nous réunirons, sous
un titre spécial et avec une numérotation indépendante, les fascicules
consacrés à chacune de ces époques, jusque, et \- compris, le coup
d'état du Triuvitdrai, c'est à dire, jusqu'au lendemain de la mort de
Mahomet. « Immense labeur » . tâche de longue haleine ; pouvons-nous
le dissimuler' Mais, comme l'a deviné un bienveillant critic}ue. < les
fiches sont déjà prêtes, il ne reste qu'à les mettre en œuvre » (').
Quoique sur plus d'un point cette préparation se trouve fort avancée,
(') Cl. Huart, Jour. Asial., 1913', 217.
VI Préface
nous renonçons à supputer d'avance le nombre d'années et de volu-
mes que réclamera l'exécution de ce plan. Nous traiterons chaque
période comme un tout distinct, sans craindre les développements.
Notre procédé sera donc plus monojfraphiqîie que biographique. L'en-
semble — si nous devons en \oir la fin — formera une nou\elle Vie
de Mahomet.
Dans les pages consacrées ici au climat de l'Arabie, les natura-
listes reconnaîtront sans peine que l'auteur n'est ni botaniste ni géolo-
gue ni météorologiste. Il n'éprouve aucun embarras à convenir de
cette infériorité. La question du climat arabe et de sa persistance a
été maintes fois agitée en ces dernières années ('). Au dossier d'une
discussion, dépassant de beaucoup l'intérêt de l'histoire préislamite,
il a voulu verser les documents arabes les plus anciens. Il a donc de
nouveau dépouillé les géographes, les enc\'clopédistes Bakri et Yâ-
qoût, les recueils de Haniàsa et du Kitàb al-Agàiii^ pour ne citer que
ces noms, dont la mention reviendra sans cesse dans l'annotation
Nous nous estimerions heureux si les résultats de ce dépouillement
pouvaient attirer l'attention des futurs [explorateurs du Higâz sur les
points méritant confirmation ou un supplément d'information.
De nos jours on ne peut plus aborder la Sîra dans l'état d'esprit
d'un Caussin de Perceval, ni même d'un Sprenger ou d'un Muir. Nous
n'envisageons plus, comme nos précurseurs, le problème de l'évolu-
tion islamique. A l'époque, où nous commencions à Beyrouth en 1904
les Ehuies sur le rcgne du calife omayyade Mo^àioia /"", des orienta-
listes reprenaient encore à leur compte le jponcif, heureusement
démodé: « l'islam est une religion, née à la pleine lumière de l'his-
toire >. Dans le cours de cette dernière décade, peu d'années se
sont écoulées, sans amener la critique à sacrifier une ou plusieurs
des anciennes positions. Elle a « mis en pleine lumière la faible va-
leur documentaire, sinon de la primitive littérature islamique, du
(') Voir plus bas p. 113 sqq.
Préface vii
moins du riche développement ultérieur, représenté notamment par
le recueil de Bokhâri > ('). Petit à petit une conclusion se dégage, se
précise: « il faut reprendre à nouveau l'étude de la Sîra » (^); ou
encore : « l'édifice de cette histoire est à recommencer dès la base » (^).
Ces énoncés, il ne nous revient pas de les avoir rencontrés précé-
demment, du moins sous une forme aussi catégorique. Si, depuis les
beaux travaux du Prof. Goldziher, il semblait impardonnable d'igno-
rer le caractère tendancieux de la tradition mahométane, nombre
d'islamisants hésitaient à appliquer le même verdict à des sections
considérables de la Sîra, comme si Sîra et hadît constituaient deux
sources distinctes d'information.
Nous considérons donc comme un signe des temps -nouveaux
cette déclaration d'un maître merveilleusement documenté sur la ge-
nèse de l'islam: « es ist allgemein atierkannt das die mekkanische
Période der Sira von der Légende vôUig iiberwuchert und die me-
dinische stark genug davon infiziert ist » (*). C'a toujours été notre
avis. Seulement, libellée comme elle l'est, cette allégation, du moins
pour la partie que nous avons pris la liberté de souligner, pourra
sembler trop absolue. Nous serions heureux de connaître les écrits,
les biographies de Mahomet, oii l'on jette si résolument par dessus
bord et en totalité le lest encombrant de la période prémédinoise,
où l'on se décide, en d'autres termes, à sacrifier les quatre cinquiè-
mes de la vie du Prophète. Ces textes, où l'on fait au feu une part
si considérable, auront sans doute échappé à notre attention. Nous
parlons de publications antérieures à ces dernières années. Si depuis,
une appréciation plus radicale sur la valeur documentaire de la Sîra
(') R. Dussaud, Jour, des Savants, 1913, p. 133. On aimerait avoir des précisions
sur cette primitive littérature islamique, sur les moyens de la reconstituer. Est-elle
représentée par Ibn Ishâq, dont nous ne possédons plus qu'un remanîment, par les
fragments de WâqidI, par les poètes contemporains de l'hégire et violemment in-
terpolés ?
(-) Lettre particulière du Prof. Snouck Hurgronje. Comp. sa recension de Fâtima
dans Denis. Litteraturz. 15 Mars 1913, c. 687-89.
(-') Cl. Huart, recension de Fàtima dans Rev. hist. relig. 1913, p. 361.
(<) J. Wellhausen, compte-rendu de Fâtima dans Gôtt. gel. Anz., 1913, n. 5,
p. 315.
VIII Préface
mecquoise, commence à s'imposer aux islamisants, ce revirement ne
serait-il |)as imputable aux récents travaux du prince Caetani, ensuite
aux recherches de l'école de Beyrouth? Mais ce n'est qu'un commen-
cement, et il paraît prématuré de parler d'un accord établi. De ce
revirement nous croyons découvrir une preuve nouvelle dans ce juge-
ment d'un érudit, que personne ne taxera d'hypercritique : < Il semble
bien que le mouvement politique qui a enlevé à l'Empire romain dé-
g^énéré ses plus belles provinces ... ait eu pour point de déjjart un
mouvement religieux, dû à l'initiative d'un homme réel, dont on
ignore, il est vrai, le nom véritable, mais qui est universellement
connu sous le vocable de Mohammed. C'est là le fait primordial et,
croyons-nous, indéniable; mais les détails qui entourent cette figure
principale sont vraiment bien estompés et finissent même par s'efta-
cer dans la brume de l'incertitude » (').
Quand on compare cette appréciation désabusée avec le résumé
de la Sïra donné par le même auteur dans son Histoire des Arabes
— un manuel destiné au grand public — on mesurera le chemin par-
couru en ces dernières années. Mais en Allemagne pas plus qu'en
France, l'entente n'est établie sur ces questions. Admettait-il le ca-
ractère pleinement légendaire de la période mecquoise comme univer-
sellement reconnu, allgemein anerkamit, cet orientaliste français, au-
teur de plusieurs ouvrages sur les débuts de l'islam, lorsqu'il écrivait :
« on éprouve presque la sensation que le sujet est épuisé ... ce qui
reste à faire est beaucoup moins important que ce qui a été fait; on
n'a plus guère qu'à préciser ou à retoucher » (^) } Au lieu de « re-
prendre par la base tout l'édifice de la Stra », comme le conseille
M. Huart, l'Angleterre s'est décidée à rééditer avec d'insignifiantes
retouches la biographie de Muir.
On nous permettra donc de reproduire ici cette sereine mise au
point du Prof C. H. Becker : « Dans ses peintures de détail, souvent
si prolixes, la Sîra ne constitue pas une source historique indépen-
dante. On y retrouve exclusivement les matériaux fournis par le hadït,
mais disposés en forme de biographie. Les hadît particuliers repré-
(') Cl. Huart, yoKA-. Asiat., 1913', p. 215.
(-) Où en est l'histoire des religions f I, 423 sqq.
Préface ix
sentent un développement exégétique d'allusions qoraniques. ou bien
des inventions postérieures à tendances dot^matico-juridiques. L'inté-
rêt pour l'exégèse et pour le dogme est antérieur à l'intérêt pour
l'histoire. Ce dernier s'éveilla alors qu'en face des sources historiques
chrétiennes, attestant la personnalité miraculeuse et divine du Christ.
on éprouva le besoin d'une documentation analogue pour le fonda-
teur de l'islam. La tradition vraiment historique restant extraordinaire-
ment restreinte, on s'attaqua aux allusions du Ooran pour les exploi-
ter. Mais surtout on se mit à recueillir les anciens hadit à tendances
dogmatique et juridique, dans le but de les distribuer chronologique-
ment. Ainsi naquit la Sira » (').
C'est, résumée à grands traits, la théorie développée dans « Oo-
ran et Tradition ». L'adhésion de M. Becker à cette thèse générale
justifierait, s'il en était besoin, la nécessité de soumettre à une révision
méthodique le problème de la Slra, en se guidant d'après ces prin-
cipes ("). Comme nous le disions dans L'âge de Mahomet (p. 249),
< il ne peut être question de tout rejeter en bloc. Ce serait sacri-
fier en même temps les importantes parcelles de vérité historique qui
s'\" trou\'ent mêlées (^). Au lieu de renverser la lourde construction
élevée par la Tradition, contentons-nous de la démonter pierre par
pierre, pour examiner la valeur des matériaux employés. Opération
fastidieuse mais indispensable ! > . Ce travail, nous le commençons au-
jourd'hui : i. )UI. ç:?-rtl ^^i i_jl^-<aJJ ,_«-S»il «»Ji)U
Quelques mots sur la méthode à suivre dans cette série de mo-
nographies, inaugurées par le « Berceau de l'islam ». Elle rappellera
daiis les grandes lignes la méthode de notre précédent travail, « Fâ-
tima et les filles de Mahomet ».
') Prinzipielles zii Laminens' Strastudien, dans Der Islam, IV, 263.
(-) En majorité M. Becker (loc. cit.) les déclare « wohl schon allgemein aner-
kannt ». L'affirmation ne serait-elle pas trop générale?
P) Nous ne nions donc pas l'existence d'un noyau solide dans le conglomérat
de la Sïra.
X Préface
Dans les grandes lignes, disons-nous. Falima n'était pas une œuvre
définitive, mais bien plutôt — le sous-titre le déclarait — une suite de
« notes critiques pour l'étude de la Sîra », d'aperçus réunis sous la
manchette d'un nom populaire, celui de Fâtima ; le dernier numéro
enfin dans une série de prolégomènes, de travaux d'approche. L'au-
teur s'y proposa moins d'édifier que de démolir; il entendait recourir
au pic et même aux explosifs aussi souvent qu'à la truelle et au mor-
tier. Fàtima devait être un essai, un spécimen, mais suffisamment
poussé pour provoquer la critique. Sous ce dernier rapport, la ten-
tative n'a pas trop mal réussi et nous saisissons volentiers cette occa-
sion de rendre hommage à la bienveillance empressée de nos collè-
gues ('). Comme spécimen, Fâtima devait donner une idée de la do-
cumentation, ensuite montrer l'application des principes, énoncés dans
les articles-programme « Ooran et Tradition » — « L'âge de Mahomet
et la Chronologie de la Sira » ; en même temps servir d'introduction
pratique à la littérature, s'occupant des débuts de l'islam, édifier le
lecteur sur la valeur de cette compilation.
Ce faisceau d'intentions explique le caractère composite de Fa-
tmia, à la fois biographie, œuvre polémique et histoire générale. .Sciem-
ment nous avons agrandi l'horizon restreint, où s'écoula l'existence
de l'épouse de 'Ali. Nous n'avons pas craint d'ouvrir des parenthèses,
sans nous hâter de les fermer. Aux premiers plans, s'agite la masse
confuse des prmcipaux figurants du drame islamite, préoccupés, dirait
on, de masquer la pâle héroïne : Mahomet, "Ali. 'Aisa, 'Abbàs, les
Triuvivirs, les Mohassara, les fa\'oris Zaid et Osâma, le harem tur-
bulent et la petite cour du Maître de Médine. La figure d'Aboû'l
Qâsim envahit la majeure partie du cadre, oîi l'on devine plus qu'on
ne distingue les traits voilés de larmes de sa fille. Comme l'a bien
noté M. Wellhausen ('). une telle « disposition laisse beaucoup à dé-
sirer >. Manque de pro|)ortions voulu: procédés de cinématographe
peut-être, mais intentionnels!
(') On nous permettra de nommer le Prof. Becker, pour avoir bien voulu assu-
mer la partie la plus ingrate, celle de souligner, d'ailleurs avec infiniment de mesure
et de loyauté, les points où nous divergeons. Pour ma part, j'ai toujours retrouvé ces
qualités dans les critiques du directeur de Der Islam.
(2) Loc. sup. cit.
Préface xi
Voilà pour l'utilisation et le classement des matériaux. Pour ce
(|ui est du st\-le, tout en nous adressant aux orientalistes, nous visions
à obtenir un texte lisible par les profanes, les lecteurs étrangers à
nos études spéciales. Pour ceux-là il fallait principalement narrer,
exposer, peindre. Dans la crainte pourtant d'égarer le jugement
des non-initiés, nous avons semé dans le cours de la narration les
avertissements, les incises dubitatives, les points d'interrogation, épuisé
pour ainsi dire la gamme des notations, destinées à rappeler la va-
leur exacte des documents, à prévenir les conclusions exagérées. Jus-
que dans les paragraphes, où nous nous donnions l'air d'accumuler
les données positives, l'accent, l'intonation invitaient de nouveau à la
réservée. Le ton ne fait-il pas la chanson ? Ajoutez les haltes aux tour-
nants du chemin, pour explorer la solidité du terrain à explorer. Au
risque de paraître céder à la manie hypercritique, nous n'avons cessé
d'appeler l'attention sur les luttes, sur les contradictions des écoles,
des partis, inextricable enchevêtrement de tendances insidieusement
dissimulées. Parallèlement à ces indications générales, une annotation
incessante et touffue, contenant les lectiones variae — encore un nid
d'insinuations tendancieuses — tout X affaraUis criticus offraient aux
islamisants, aux professionnels, avec les numéros des pièces du dos-
sier, un moyen de contrôle personnel. Ce luxe de précautions risquait
peut-être de demeurer insuffisant. Aussi la « Conclusion » de Fàtùiia
s'est-elle efforcée de ramener aux proportions exactes les éléments du
tableau que l'opposition des ombres et des lumières, l'empâtement
des couleurs, les touches trop vigoureuses du pinceau, le jeu de la
perspective et du relief auraient pu déformer. Cette critique négative
ne semble pas avoir été inutile, puisqu'au dire du Prof. Becker elle
« a secoué les orientalistes et posé tout le problème de la .Sïra sur
une base nouvelle > (').
Le même savant se montre beaucoup moins enchanté des résul-
tats positifs de notre méthode. N'ouvre-t-elle pas la porte au.x con-
clusions subjecti\es! Parfois même elle a l'air d'adopter les procédés
d'un Ibn Ishâq, d'un Wâqidf. Comment, dans cette reconstitution de
(') Becker, op. cil., p. 260.
XII Préface
la physionomie de Fâtima, reconnaître les parties originales de la re-
touche et du travail de restauration ? Circonstance agff ravante : on
semble donner une valeur historique à tous les détails, où les héros
de l'islam apparaissent en mauvaise posture, prendre un malin [plaisir
à grossir les traits les plus ingrats de leur figure morale ('). Le por-
trait de Pâtima n'a pas été flatté; pour(iuoi en disconvenir? Mais
avant d'apposer sa signature, l'auteur a loyalement prévenu que per-
sonnellement elle a pu être moins insignifiante (}ue ne l'insinuaient
les rédacteurs maladroits de son 9nosnad orthodoxe » ('). Déclaration
insuffisante ou tardive? Peut-être bien, si elle était demeurée isolée,
au lieu de se relier aux nombreux passages, oii l'on signalait l'atti-
tude embarrassée, illogique de la réaction antisfite, les manœu\res lou-
ches des mohaddit 'abbâsides. aboutissant toujours à amoindrir le
couple 'Ali-Fâtima.
Complaisamment nous nous sommes arrêté à décrire la garde-
robe, le train de maison du Prophète. Sujet nouveau et d'un pitto-
resque alléchant. 11 permettait de mettre en relief l'intrusion de la
politique dans la vie privée d'Aboûl Oâsim; aspect trop négligé
jusqu'ici. Comment combler cette lacune, à moins d accumuler les
traits, les exemples, de varier les situations. Convenons-en sans détours ;
le courage nous a parfois manqué pour résister à l'invitation de nos car-
nets, regorgeant de fiches, fruits de longs et fastidieux dépouillements.
Qui sine peccato est, primais Lipide^n mittat! (loan. VIII, 7). Une note
écrite il y a près d'un an, pour le dernier fascicule i^) du Califat de
Yazîd I" (p. 424), dénonce le caractère tendancieux de ces prolixes
hadît. En introduisant dans le costumier prophétique toutes ces exo-
tiques confections, on visait à rassurer les consciences timorées. En
les lui mettant sur les épaules pendant la sala', on insinuait (]ue le
croyant était autorisé à conserver, même en prière, ces étoftes, tissées
par des viains infidèles et couvertes de figures. Incidemment nous
avons prévenu que le Prophète ne pouvait avoir proscrit les bains,
(*) Becker, loc. cit., Comp. R. Dussaud, /of. cit., « est-i! bon que l'historien prenne
parti pour les uns contre les autres?... »
(-) Fâlima, p. 140.
{^) I.e manuscrit a été expédié à Beyrouth, en Avril 1913.
Préface xiii
un luxe inconnu à son époque au Higâz ('). Et ita forro. Nous ne
nous laissions donc pas suggestionner par la verbosité des Mosnad.
Si la Tradition a cru devoir insister sur la dureté de Mahomet
à l'égard de sa fille c'est, disions-nous, dans le but d'inspirer aux mu-
sulmanes le goût de la simplicité ("). Montrer partout la Sonna op-
posant ses exagérations à celles de la Sfa, même au détriment de Fâ-
tima (^), appeler l'attention sur le conflit de ces contradictions; ce
procédé convenait trop au plan de l'auteur pour qu'il ait négligé de
s'en prévaloir. A nos yeux, un hadit défavorable aux héros de l'islam
n'en devient pas authenti(]ue pour autant. Nous avons souligné l'in-
suffisance de ce critérium, à l'endroit même, oîi nous insistions sur
le robuste appétit d'Abou'l Oâsim (■*). Les Sahih ont pu également
s'inspirer ici des versets o^^' crf '^ ' des déclamations contre
l'ascétisme, la « rahbân^•va, invention des chrétiens ». Nous suggérions
la même exégèse pour l'appareil souverain, entourant Mahomet. Fon-
dées ou non, ces admonitions réitérées, rappels discrets à l'exercice
d'une critifiue personnelle, ne mettaient-elles pas en garde contre les
entraînements du subjectivisme ? Il nous a paru également utile de
prémunir contre les formes ascétiques qu'on a parfois prêtées aux
débuts de l'islam. Etait-il inclifterent de montrer, dans une succession
de tableaux vivants, comment la tradition ancienne s'était représenté
le Prophète? Quelle meilleure préparation imaginer pour les décep-
tions que réserve la littérature panachée de la Slra?
Assurément « il a existé une tradition, dégagée de toute tendance
mais c'était une tradition orientale mêlant réalité et fiction... Seul le
flair historique permettra d'opérer le triage; et voilà pourquoi on
aboutira fatalement à des conclusions subjectives » (°). Incedo fer
ignés, ou, pour parler arabe, o/»-' r^^ -^^ f"^' nous avancerons un
pied et retirerons l'autre. Toutefois comme avec cette dernière mé-
(') Cf. Fâiùiia, p. 75, II. 5.
I-) Voir la Conclusion de Fâiima.
(3) fâiima, p. 27-28.
(■') Fâiima, 44. Comp. idid. 133-140 ; nous y formulons le principe que souvent
il s'agit uniquement d'annihiler des exagérations par d'autres en sens contraire.
(5) Becker, op. cil., 264.
XIV Préfaee
thode, on piétinerait sur place, le mieux nous paraît — comme dans
Fàtima — d'aller de l'avant, sauf à faire de temps à autre machine
en arrière. On profitera de ces reculs pour dénicher les tendances
jusque dans les variantes les plus inoffensives, pour scruter le témoi-
gnage — parfois le silence — du Ooran et recourir, s'il \- a lieu, au
contrôle de la poésie contemporaine.
*
Le danger de subjectivisme ! Dans le domaine que nous allons
exploiter, il guette partout le travailleur. Il devrait du moins, semble-
t-il, se trouver grandement atténué dans la matière du présent volume.
Elle sera bien subtile la tendance pour se glisser inaperçue dans les
détails d'une description climatologitiue 1 Surtout quand on dispose
de cette copieuse documentation poétique, dont nous avons toujours
exalté la valeur et prisé le contrôle. Or précisément ce volumineux
dossier lancera maintes fois sur de fausses pistes, si l'on ignore l'art
de le compulser. Nous lui devons une foule de réputations imméritées,
en bien et en mal ; un certain nombre se trouvent signalées plus loin.
Fakr et hi^à\ panégyrique et satire, ces deux grandes moitiés de la
poésie arabe conspirent avec la même inconscience à fausser la vé-
rité historique.
Est-il admissible qu'on ait récompensé un quatrain, racheté un
meurtre par l'abandon de centaines de chameaux.'^ (') Nous pre-
nons cet exemple au hasard, il servira pour le clhnat et pour la psv-
chologie du Bédouin. Quand toute la Péninsule eût été transformée
en Himâ Par3'3-a, et favorisée d'un rahi perpétuel, comment au-
rait-elle suffi à nourrir les troupeaux que ces chiffres supposent.-' La
tradition littéraire, fixée dans des recueils, comme l'inestimable Kitàb
al-Agàniy s'est arrogé le droit de le conclure de la qualification de
^^^ ^}J^>~ , donnée aux héros de la munificence par les fiirchbare
Retioviisteii (') que furent les rimeurs arabes. A ce danger ajoutez le
(') Voir plus loin les détails sur la rançon du sang.
(-) L'expression est du Prof. Xoldeke ; voir plus bas p. 320.
Préface xv
mirage impérialiste et chauviniste. Ce dernier élément de déforma-
tion n"a pas manqué de pro\oquer la réaction des So'oïib} va. Entre
ces deux extrêmes, s'appu\ant chacun sur d'innombrables et parfois
subtiles falsifications, qui osera se vanter de découvrir toujours la via
viedia, où se tient sans doute la vérité! Plus bas nous signalons la
qualité inférieure du courage bédouin. Nous aurions pu appliquer la
même mesure à la lo3'auté du nomade ('). Sous ce dernier rapport,
notre impression définitive lui demeure nettement défavorable. En
e.xerçant partout une critique aussi impitoyable, ou, pour parler avec
le Prof Becker, « den niichtern historischen Sinn des Schlusskapitels »
de FâHma, nous nous demandons ce qui aurait subsisté dans le
portrait du Bédouin^ Lui serait-il resté — comme au père du poète
Gamil — à tout le moins un lambeau de tunique pour voiler s^
nudité morale, à>:u^ ^^\^^) 'àX^ ii, (-)?
Tout en nous eftorçant d'éviter les traquenards du subjectivisme,
nous avons pense devoir résister à la tentation de démasquer partout
le bhcff de la grandiloquence bédouine, de la duperie, consciente ou
non, des Asma'i et des Aboû'l Farag. Nous voilà de nouveau ramené
au.x grandes lignes de la méthode, suivie dans Fatima. Faire marcher
de front l'e.xposé et la critique, les doser dans les proportions conve-
nables, conserA-er le plus possible du coloris, du relief des documents
originaux, obtenir de la sorte un récit bien vivant, mais sans franchir
la limite, où l'illusion littéraire engendrerait la confusion et l'erreur.
La tâche est malaisée ! Qu'en sortira-t-il r « Quelque chose d'inattendu
et d'étonnant en même temps.'' » (^) Sera-ce le Mahomet histori<]ue?
Réussirons-nous mieux que dans Cessai de Fàtima à satisfaire au.x
justes exigences de la critique .'' Nous nous estimerions heureux de
parvenir à rétablir la ph^'sonomie de l'auteur du Qoran, telle qu'on
se la figurait à la fin du premier siècle de l'islam. Si l'histoire peut
être appelée un roman véritable, celle de l'Arabie ancienne demeure
(•) Voir plus bas ; comp. les expériences du Prof. Musil dans Im nârdlichen
Hegàz.
(2) Voir plus loin les détails sur les sa'lotik.
(3) Cl. Huart, op. cit. p. 217.
XVI Préface
la plus romanes(iiie des histoires. Il n'est pas en notre pouvoir de
modifier cette situation.
Du calife Mo'âwia il est raconté que des solliciteurs impudents
cherchèrent parfois à égarer sa bonne foi. L'adroit politique affectait
de ne s'apercevoir de rien et souriant, les j'eux à demi-clos, continuait
à écouter, U) pl^rUi <xtairJ LLs" ^^1 ('). Les auteurs de NaiMciir rela-
tent le trait comme une des preuves les plus étonnantes de son hilm
proverbial. Oriens vnlt decipi, à condition qu'on y mette des formes.
Cet exemple, les explorateurs, les historiens de l'Orient ne de-
vraient jamais le perdre de vue. A eux d'examiner, de fouiller, d'in-
terroger, de recueillir, comme si partout ils supposaient la plus entière
lo3auté, le souci désintéressé de la vérité dans ce milieu de mirages.
Seule cette fiction les soutiendra contre les assauts de l'énervement
^^Ua)i ç« «àl ^^1 , elle permettra de mener l'enquête à terme, in multa
fatientia. Nous ajouterons: et doctrina. Au cours même de ces re-
cherches fastidieuses, à fortiori quand il s'agira d'en exposer le ré-
sultat, alors le ton de la voix, l'expression du visage suffiront d'ordi-
naire pour révéler que l'enquêteur ne s'illusionne ni sur la valeur de
son volumineux dossier ni sur la probité scientifique de ses prolixes
informateurs. C'était la signification de l'énigmatique sourire de Mo-
'âwia. Aucun contemporain ne s'y trompa. Peut-on supposer moins de
clairvoyance chez les lecteurs du 20° siècle ?
« Innombrables sont les opinions des hommes ici bas; la majeure
partie de leur savoir consiste en h3'pothèses » (").
Il nous reste l'agréable devoir de remercier nos collègues, les
PP. Neyrand et Ruwet, pour leur bienveillante assistance dans la
(')Qotaiba, 'Oyoùn. 28; Ag., XVI, 34.
(2) Vers de Ahinad ibn Mohanimad, surnommé Doû'l Mafâhir, 6« siècle H.
Préface xvii
correction des épreuves, ainsi que la Tifografia fcnitificia nelC Istituto
Pio IX. pour la diligence apportée à l'impression de ce travail. La
publication de tables muiljtiqnes est réserx-ée pour l'achèvement du
Berceau de l'islam.
Rome, jin Sefteinbre 1913
LISTE
DES SIGLES ET ABBRÉVIATIONS PRINCIPALES
Aboû 'Obaid, Carte = Aboû 'Obaid al-Qâsim ibn Sallâm, Garîb cilhadït, nian. Ku-
prulu, Constantiiiople, n. 64. La pagination est de nous.
» Tammâni, Haniâsa = Dïwân A's'âr al-Hamâsa; à moins d'indication contraire,
l'édition citée est celle d'Egypte (^ E) en 4 vol.
> Vofisof, Harâg ^ Kitâh al-Harâg; Caire, 1302 H.
» Zaid, k'i/âb al-Matar = éd. Cheikho, A/airiç, VIII, 162 sqq.
Ag. = A'ittiô al-Agâiii. l'f édit., avec le 21'^ vol. = de R. Brùnnow.
Age de Mahomet ^^ H. Laniniens, L'âge de Mahomet et la chronologie de la Sira,
dans Jour. Asiai. 1911', 209-50.
Ahtal, Divan = éd. Salhani, Beyrouth. L'utilisation des manuscrits de Bagdad et du
Vémen sera accompagnée d'une mention spéciale.
'Alqama (Ahlw.) =^ Son divan dans W. .'Xhlwardt, The divans of the six ancieiit ara-
bic poets, London, 1870.
AsmaT, Nabât ^ Le Kitâb aii-iiabàt was-kagar d'Asma'ï, éd. Aug. HaHiier dans
Masriq, I, 406 sqq.
Azraqi (Wiist.) = Azraqï, Kilâb Ahbâr Makka, éd. VViistenfeld.
Bàdia = H. Lammens, La Bâdia et la Htra sous les Oniaiyades, dans Mf'OB, I\',
91-112.
Baiha<|î, Mahûsin = Kitâb al-mahâsiii wal-masâwi, éd. Fr. -Schwally.
Bakrî. Mo'gam ^= |««\j«Xwl Le ,,f> »-; i iLX^: éd. Wijstenfeld.
Balâdori, FotoTth = Fotoûh al-boldàn, éd. de Goeje.
» Ansàh =: Ansâb al-A'srâf, manuscrit de Paris (bibliothèque nationale).
Boljàri, Siikïh = Le recueil des traditions musulmanes, éd. Krehl-Juynboll, Leiden.
Bohtorï, Hamàsa = Kitàb al-Hamâsa de Bohtori, éd. Cheikho, Beyrouth.
Caetani, Annali = Annali dell'islam par le prince Caetani di Teano ; plusieurs vol.
(en cours de publication).
XX Liste des sigles et abbréviations principales
Caetani, Sludi - Sludl di storia orientale, \" vol. 1911.
Chantre ■- H. Lammens, Le chantre des Omiades, notes biographiques et littéraires
sur le poète arabe chrétien Ahtal.
Chroniken (Wûst.) = Wùstenfeld, Die Chroniken der Stadt Mekka, 3 vol.
Chronologie de la Stra = Voir Age de Mahomet.
Dïnawarï, Ahbâr ou Ahbàr Tiwâl = Aboû Hanïfa ad-Dïnawarï, KitHb al-ahbir at-tiwâl;
éd. Guirgass Kratchkowsky.
Doughty, Travels =: Travels in Arabia Déserta, 2 vol.
Fâtima =: H. Lammens, Falima et les filles de Mahomet ; notes critiques pour l'étude
de la Stra.
Fihrist ■= G. Fliigel, Kitàb al-Fihrist.
Fraenkel, Aram. Fretndw. =: S. Fraenkel, Die aramaeischen Fremdwôrter im Ara-
bischen.
Gâhiz, Bayân ^ Al-Bayân wa't-tabylti, Caire, 2 vol.
» Haiawân = Kitàb al-Haiawân. Caire, 7 vol.
» Mahâsin = Kitâb al-Mahâsin wal-addâd, attribué à Al-Gâhiz, éd. \'an V'Ioten,
Leiden, 1898.
» Tria opicscula ;= éd. Van Vloten, Leiden, 1903.
> Avares = Kitâb al-Bohalâ' éd. Van V'ioten, Leiden, 1900.
Goldziher, M. S. := Muhanimedanische Studien, 2 vol.
» Abhandlungen ^= Abhandlungen zur arabischen Philologie, 2 vol.
(juidi, Sede primitiva = Delta sede primitiva dei popoli semitici (dans Reale Acca-
demia dei Lincei, 1878-79).
Hanbal, Mosnad, ^ Le Mosnad d'Ahmad ibn Hanbal, 6 vol. Caire.
Hansâ', Divan =: par L. Cheikho, petite édition classique, 1888, Beyrouth.
Hassan ibn Tâbit, Divan =r The Dlwân of Hassan ibn Thâbit, éd. Hartwig Hirschfeld.
Hirschfeld, New researches = New researches info the composition and exegesis of
the Qoran.
Hosrî ^= Zahrat al-Âdâb d'Al-Hosrï, en marge du 'Iqd al-farld d'Ibn 'Abdrabbihi.
Hotai'a, Divan = éd. Goldziher dans ZDMG, 1892, 1893.
Huart, Histoire des Arabes := 2 vol.
Ibn al-Atîr, Kdinil = At-târth al-kâmil. éd. Tomberg.
Ibn Batoûta, Voyages =: éd. de Paris, Defréméry-Sanguinetti, 4 vol.
Ibn Doraid, Istigâg := Kitâb al-Isliqâq, éd. Wùstenfeld.
» » Si/at as-Sahâb = éd. Wright dans Opuscula arabica.
Ibn Gobair, Travels" := la 2de éd. par De Goeje.
Ibn Hagar, Isâba ^= Kitàb al-isdba fi tamyîz as-sahâba, Calcutta. 4 vol.
Ibn Halâwaih, Sagar := Kitâb ai-Sagar attribué à Ibn Halâwaih, éd. Sam. Nagelberg.
Ibn Haldoûn, Prolégomènes = éd. Quatremère, 3 vol.
Ibn Hawqal, Géogr. = Voir plus bas.
Ibn Hisani, Stra = 'Abdalmalik ibn Hisâm, Strat ar-rasoTil, éd. Wùstenfeld.
Ibn Mâgâ, Sonan = Le Kitâb as-Sonati d'Ibn Mâgâ, 2 vol. Caire.
Liste des sigles et abbréviations principales xxi
Ibn Qais ar-Roqayyât, Divan = N. Rhodokanakis. Der Diwâii des 'Ubaid-Allah ibn
Kais ar-Ruqajjât.
Ibn Rosteh, A'iâq = Kitâb al-A'lâq an-na/'tsa, éiws Bibliotheca geogr. arabicorum (de
Goeje). Voir plus bas. Cité aussi comme Ibn Rosteh, Géogr.
Ibn Sikkît, Tahdîb — Ibn as-Sikkît, Kitâb lahdib al-a/fâz, éd. Cheikho, Beyrouth, 1895.
'Igd = Ibn 'Abdrabbihi, A/-igdal-/aiUi. Caire. (Les exposants renvoient au.x éditions
utilisées).
I. S. Tahaq. —Ibn Sa'd, Kitâb at-labaqât rt/-,èrt4j>- (collection publiée sous la direction
d'Ed. Sachau), en cours de publication.
Der Islam ^ Zeitschrift fur Geschichte iiiid Kidtur des islamischen Orient; éditeur
C. H. Becker.
Istfab -= d'Ibn 'Abdalbarr, éd. de Hyderabad là moins d'indication contraire^.
Jacob, Beduinenleben = G. Jacob, Altarabisches Heduinenleben, 2. édit.
Jaussen, Moab = Ant. Jaussen, Coutumes des Arabes au pays de Moab.
» Savignac, Mission := Mission archéologique en Arabie, 2 vol.
Kindî, Governors of Egypt — AlKindî, The governors and jicdges of Egypt, éd. Rh.
Ouest, (dans le « Gibb mémorial »).
Labîd, Divan ^= éd. Huber-Brockelmann.
Mahomet fut-il sincère f — H. Lammens, (extrait des « Recherches de science reli-
gieuse », n. 1 et 2, 1911).
Maqdisï, Géogr. = \'oir plus bas.
Margoliouth, Mohammed = Mohammed and the rise of the islam, 3^ éd.
Mas'oûdî. Prairies = Les prairies d'or; éd. Barbier de Meynard, Paris. 9 vol.
» Tanbih = Kitàb at-tanbth zval-i'srâf, éd. de Goeje (voir plus bas).
Masriq — al-Masriq. Revue orientale (en arabe) éd. L. Cheikho, Beyrouth.
Mo'âwia = H. Lammens, Etudes sur le règne du calife omaiyade Mo'âwia /"■.
Montahab Kanz =: Monlahab kanz al-'ommâl, 6 vol. en marge du Mosnad d'\hi\ Hanbal.
Moslim, Sahïh ^= Moslim ibn al-Haggâg. Sahih. édit. du Caire. L'exposant 2 renvoie
à celle de 1327 H.
.Musil, Arabia Petraea := 3 vol.
» Im nord. He'gàz =: Im nôrdliclien Hegàz. Vorbericht fiber die Forschungsreise
1910. pp. 23.
Naqû'id Garlr = Naqà'id Garir wal-Farazdag, éd. Bevan, 3 vol.
Nasal, Sonan ^ Kitâb as-Sonan, éd. Caire, 1312 H., 2 vol.
Nawawî, Tahdib := Tahdib al-asmâ', éd. Wiistenfeld.
Nôldeke-Schwally, Geschichte -= Geschichte des Qorâns de Nôldeke; nouvelle édition
par Schwally.
Nôldeke, Neue Beitràge = Neue Beitràge zur semitisclien Sprachwissenschaft.
Omayya ibn Abi's-Salt. Divan = éd. F. .Schulthess, dans les Beitraege fur Assyrie -
logie, vol. VIII.
Opuscula arabica ^= éd. Will. Wright.
Osd z=. Osd al-Gâba d'Ibn al-.\tîr, Caire, .5 vol.
XXII Liste des sigles et abbréviations principales
Poète royal =r H. Lammens, Vn poUe royal à la cour des Omiades de Damas (extrait
de la « Revue de l'Orient chrétien > 19041.
Qalqasandî, Sobh = Sobh a/-a'sd fi sanaat al-iiisà', Cnire, X"' vol.
Qoran = Recension de Fluegel.
Qoraii et Tradition = H. Lammens, Qo/ati et Tradition ; comment J'iit composée la
me de Mahomet, (extrait des « Recherches de science religieuse » n. 1, 1910).
Qotaiba, Ma'ârif = Ibn Qotaiba, KUâb al-Maârif, éd. Wûstenfeld.
» 'OyoTtn = Ibn Qotaiba, 'Oyoun al-ahbâr, éd. Brockelmann.
» Poesis = Ibn Qotaiba, Liber poesis et poetariim, éd. De Goeje.
Qotâmi, Divan =z Dîwàn des 'Umeir ibn Schujeim Al-Qiitàmi, éd. J. Barth.
République marchande = H. Lammens, La république marchande de la Mecque vers
l'an 600 de notre ère (extrait du Bulletin de l'Institut égyptien, 1910,
pp. 23-54).
SâfiT, Kitâb al-Omni = Risâla Kitâb al-Omm de l'imâm Sâfil, éd. Caire 1321 H.
Sigistânî, Mo'atnmaroûn =i I. Goidziher, Das Kitâb al-Mu'a7nmarÛ7i des Abu Hàtini
al-Sigistâni, dans Abhandlungen, II (voir plus hauti.
Snouck Hurgronje, Mekka = 2 vol.
So'arâ' ou So'arà' an-Nasrà?iyya = L. Cheikho, Kitâb so'arà' an-nasrânyya , Bey-
routh, 1890.
Sprenger, Mohammad = Das Leben und die Lehre des Mohamniad, 3 vol.. 2« édit.
Tab., Tafsïr = Tabarî, Tafsir al-Qor'ân, .30 vol. Caire, 1ère édit.
> Annales = » Annales, éd. De Goeje.
T^g 'Aroûs = Le dictionnaire Tàg al-'Aroûs de Mohammad Mortadâ, 10 vol. Caire.
Tâif =^ H. Lammens, Tàif, la cité alpestre du Hidjàz au ]"" siècle de l'islam (extrait
de la « Revue des questions scientifiques », Octobre 1906).
Tarafa (Ahlw.) ^ Son divan dans W. Ahlwardt, The divans of the six ancienl arabic
poets.
Triumvirat z=z H. Lammens, Le Trinminrat Aboil Bakr, 'Omar et Aboû 'Obaida
(extrait de MFOB, IV, pp. 113-44).
Vahiâ, Harâg = Yahiâ ibn Adam, Kitâb al-Harâg, éd. Th. \V. Juynboll.
Va'qoûbï, Hist. = Al-Ya'qoûbi Historiae, 2 vol. éd. M. Th. Houtsma.
» Géogr. := Géographie d'Al- Va'qoûbï, dans Bibliotheca geogr. arabicoruin
(de Goeje).
Vâqoût, Mo'gam = Dictionnaire géographique, éd. Wûstenfeld. La réimpression du
Caire est notée de la lettre E.
i'azid = H. Lammens, Le califat de Yasîd !"■ (extrait de MFOB. IV-Vl).
W'alther, M'ûstenbildung = Das Gesetz der Wiistenbildung in Cegeinvart und Vorzeit.
2« édit.
Wâqidî (Kremeri =; Kitâb al-Magàzi. éd. \'on Kremer.
» (VVell.) =: l'akidi's Kitâb al-Maghazi par Wellhausen.
W'ellhausen, Ehe z= Die Ehe bei den Arabern (dans Gôttinger Nachrichten, 1893).
» Reich := Das arabisçhe Reich und sein Sturz.
Liste des sigles et abbréviations principales xxiii
Wellhausen, Siizze/i = Skizzeti und Vorarbeilcn, plusieurs volumes.
Wùstenfeld, Gcbiet := WOstenfeld, Gebiel von Médina.
Ziâd ibn Abïhi = H. Lammens, Ziâd ibn Ablki, vice-roi de l'Iraq, lieutenant de
Mo'âwia I, 139 pp. (extrait de Rivista degli studi orientali, IV).
Zohair, (Ahlw.) =: Son divan dans Ahlwardt, Six ancient poets.
JRAS =r Journal of the royal asiatic Society.
L'A = Le dictionnaire Lisân al-'Arab.
MFOB =^ Mélanges de la Faculté orientale de Beyrouth.
WZKM — IViener Zeitschrift fur die Kunde des Morgenlàndes.
ZDMG =z Zeitschrift des deutschen viorgenlàndische Gesellschaft.
La lettre E renvoie à une édition égyptienne des ouvrages utilisés : ainsi Yâ-
qoût E. Les géographes, comme Istahri, Ibn Hauqal, Maqdisî, Ibn al-Faqîh, Ibn
Rosteh, Ya'qoûbi, Mas'oûdî (Tanblh) sont cités (p. e. Ibn Faqîh, Géogr.) d'après les
éditions de la Bibliotheca geogr. arabicorum (de Goeje) ; Hamdâuï, Gazirat al-'Arab,
(cité Hanidânî, Gazira) d'après l'édit. D. H. Millier.
Pour les manuscrits, nous nous contentons d'un renvoi sommaire au lieu de pro-
venance : Leiden, Berlin, Paris, Damas (Al-malik az-zàhir), le Caire (Bibliothèque
Khédiviale) etc. Il s'agit des fonds arabes de ces dépôts. L'immense majorité des
innombrables manuscrits arabes, dispersés dans les mosquées, les turbés etc. de
Constantinople n'étant pas paginés, nous devons nous borner à indiquer les biblio-
thèques particulières de la capitale turque. Nous conserverons le système de trans-
cription, employé dans Faiima et dans nos précédentes publications.
INTRODUCTION
< Entre deux points donnés, la ligne droite est le chemin le plus
court -. Cet axiome les géomètres se montrent unanimes à le pro-
clamer, et les oiseaux peut-être les seuls à le mettre en pratique.
Mais dans notre vie banale, celle de tous les jours, dans cette
faculté de locomotion, que nous partageons avec les mathématiciens
et avec les oiseaux, combien d'entre nous suivent habituellement la
ligne droite: A notre époque de vie intense, d'enfièvrement universel,
où, pour être de son siècle, il faut avoir été piqué par la tarentule
du déplacement, l'homme affairé choisit non la voie, géométriquement
la plus courte, parce que la plus droite, mais la plus rapide, celle
destinée à le mener au but avec la moindre dépense de temps et
d'argent, abstraction faite de la distance parcourue. Toute l'économie
des moyens de transport repose sur cette distinction. Elle amène à
accorder la préférence aux lignes principales sur les lignes secondaires,
fréquemment plus courtes comme longueur kilométrique. C'est sur les
premières que circulent les direttissimi. La ligne droite deviendra
décidément la plus courte le jour, prochain peut-être, oij les progrès
de l'aviation nous élèveront au niveau des oiseaux.
La vérité de ces considérations éclate surtout dans le domaine
scientifique. Voie la plus courte, chemin des écoliers y deviennent fré-
quemment synon)-mes. Si l'on prétend y avancer, aboutir enfin, il faut
tenir com()te d'un facteur essentiel : le temps. En cette arène, bordée
de précipices, semée de casse-cou, de pièges et de traquenards, il est
prudent de s'arrêter parfois pour donner un coup de sonde, explorer
la solidité du terrain. Rien de dangereux comme de prétendre brûler
les étapes, utiliser les sentiers de traverse, les coursières, sous pré-
texte d'abréger le chemin. On doit se résigner à flâner, accepter de
I.AMMENs — Btrceau I
2 Introduction
marcher à toute petite vapeur, de subir des haltes prolongées dans
des stations de campagne.
Prenons un exemple dans l'histoire de l'art. Pour étudier un de
nos grands monuments, deux méthodes se présentent. La première,
celle des gens nerveux, s'engouffrant tête baissée à l'intérieur, les yeux
collés sur leur Baedeker. Cela se voit même à Rome. D'autres mieux
inspirés commencent par prendre du temps et de l'espace. Ils battent
la semelle sur la place, circulent autour de l'édifice, reviennent sur
leurs pas pour étudier son emplacement, son enceinte, en un mot, le
milieu artistique. Ils cherchent à se -donner le recul nécessaire, afin
de juger de l'effet, produit par l'ensemble. Fréquemment la réalisation
d'un chef d'œuvre représente « la rencontre d'un grand artiste et d'un
grand pax'sage. Et c'est pour cela qu'il est absurde de séparer le
Parthénon de son cadre. Descendez-le de sa colline, ôtez-lui les jeux
de la lumière, l'athmosphère brillante et ventilée, où il s'épanouit — le
voilà presque rabaissé au niveau du Théseion » ('). le monument trapu,
s'abritant aux pieds de l'Acropole.
Nous saurons éviter cette erreur. Dans notre enquête sur les
origines de l'islam, nous adopterons la méthode des zigzags, des
flâneries scientifiques, des stationnements sous les portiques et les
propylées. Guerre à la précipitation, au nervosisme, à la fièvre des
chemins de fer et des randonnées en automobile. Ils mènent droit
aux conclusions hâtives, prématurées: ils faussent toutes les recher-
ches scientifiques. Nous leur devons l'énorme littérature touriste, es-
sa3'iste, impressionniste, encombrant les bibliothèques et égarant les
jugements du public non averti.
En son genre c'est un monument peu banal que cette religion,
originaire d'Arabie, vieille de 13 siècles et de nos jours encore, con-
tinuant, sous ses voûtes lézardées, derrière ses murailles branlantes
à abriter 200 millions de fidèles. Ce serait folie, prétendre d'un re-
(') Louis Bertrand, La Grèce du soleil et des paysages, '(>.
Introduction 3
gard circulaire embrasser d'aussi vastes dimensions. Malgré les signes
évidents de décrépitude, sa lourde masse, composée de matériaux
disparates, s'obstine à braver l'action du temps. Conception bizarre,
sorte de défi, semble-t-il, aux lois de l'équilibre, à nos principes d'or-
dre, d'harmonie ; non moins déconcertante par sa brusque apparition,
sa rupture apparente avec le passé et par la fascination exercée sur
une notable et non la moins belle part de l'humanité, qu'elle a bru-
talement arrachée à la civilisation !
En faut-il davantage pour réprimer nos impatiences et procéder
avec une sage défiance de nous-mêmes ? Puisque les inspirateurs, les
promoteurs les plus considérables de cette œuvre — nous ne disons
pas les seuls — sont nés, ont vécu au désert, commençons par y
excursionner, par y faire lécole buissonnière. A vrai dire, les buis-
sons n'abondent pas en Arabie : ceux (ju'on y rencontre offrent plus
d'épines (') que de feuilles. Mais tout en manquant d'agrément, ces
proîiienades monotones nous documenteront plus sûrement que les
séances dans les bibliothèques, plus rapidement que les dissertations
des savants de cabinet. En réalité le principal défaut de ces élucu-
brations, ce n'est pas l'insuffisance de l'information — certaines pè-
chent plutôt par excès de science, — c'est l'incuriosité du milieu. Ces
maîtres, si soigneux de situer dans le temps, pointilleux sur des vé-
tilles chronologiques, négligent fré(]uemment de situer dans l'espace.
Le tableau pourra être d'un dessein correct mais il manque de pers-
pective. De là des malentendus, des admirations, des emballements
à côté, des colères hors de propos, Si l'historien doit être sine ira et
studio, nous irons demander à l'immuable désert de nous communi-
quer une part de son calme et de son austère sérénité.
Quand une institution a bouleversé les plus belles contrées de
l'univers, il est à propos de remonter à ses origines, d'examiner at-
tentivement le milieu, où a reposé son berceau, de demander à ce
milieu de nous révéler les antécédents séculaires, les causes inulti-
(') Voir Ibn Halawaih, Kitab as-Sae^ar : tous les arbres mentionnés sont iS\J^
épineux; mais on n'oublie jamais de mentionner (p. ex. VIII, 5) s'ils ont des branches
et des feuilles, ^3)5 5 ^— Ua.» Cj'^ • comp. ^ j- dans Tag 'Arovs, II, 73. Le ail, sorte
de tamarisc, sans épines forme une exception ; de même le sabat ou Aniim Arisaruin.
4 Introduction
pies, qui ont amené et favorisé ce cataclysme, pourquoi une partie
de l'humanité a brus(}uement changé de direction ? Longtemps en-
core l'expansion, les succès faciles du monothéisme qoranique demeu-
meront un des problèmes les plus irritants de l'histoire et continue-
ront à faire verser des flots d'encre. Le pays d'Agar et d'Ismaël est
bien ancien.
Dans nos recherches nous ne prétendons pas manifester une
Arabie inédite; encore moins apporter une solution définitive, des
formules répondant à toutes les difficultés. Nous voudrions seu-
lement acheminer vers une détermination plus positive du problème
islamique. Ce sera, cro3ons-nous, le serrer de plus près, avoir chance
d'en éliminer certaines inconnues, si nous replaçons dans leur cadre
naturel les origines de cette religion, en étudiant les préoccupations
morales, la valeur intellectuelle, la capacité civilisatrice de ses prin-
cipaux propagateurs; les ressources ph3siques et économiques des
contrées, premiers témoins d'une révolution aussi considérable. A
tous ces facteurs nous demanderons de nous indiquer leur part de
responsabilité dans l'œuvre accomplie. Jadis on croAait pouvoir at-
tribuer les grands bouleversements de l'histoire à la volonté d'un
seul homme : ses passions, ses préjugés ou son génie devaient tout
expliquer. Quidquid délirant reges plecttmtjir AcJiivi ! Comme si la
Providence consentait à abandonner ses créatures aux caprices de
l'égoïsme humain. Cette méthode fataliste a heureusement passé de
mode. Nous nous garderons de la restaurer, en expliquant exclusi-
vement l'islam par la personalité de Mahomet. Nous chercherons plu-
tôt à découvrir les multiples éléments, qui ont amené et rendu pos-
sible l'action du Prophète de la Mecque. Mahomet fut lui-même le
produit de son milieu. Il en a, comme personne, incarné les préjugés,
les passions et aussi l'idéal, si lamentablement humain « ^cu J^j.^ Ul lui
fait dire la Tradition; je suis un homme, sorti de votre milieu ». Il
fut, si j'ose ainsi parler, le surhomme de l'Arabie. Pauvre surhomme
en vérité ! Nous aurons vite fait d'en connaître l'envers. Mais tel quel,
en dépit, ou si l'on veut, en raison même de ses tares, il séduisit
le Bédouin, qui se reconnaissait dans le Prophète arabe-, ainsi l'ap-
pelle complaisamment le Qoran. Dans cette action et cette réaction
réciproques, dans la correspondance parfaite entre Mahomet et le
Introduction 5
milieu (lui l'avait formé, réside principalement le secret de l'influence,
exercée sur ses contemporains. Le détacher de ce centre, c'est dé-
placer la solution, tourner dans un cercle vicieux.
Imitons plutôt le botaniste. Par l'étude géologique du terrain, il
cherche à s'éclairer sur la nature, la constitution de la plante, objet
de ses recherches. L'Arabie à la veille de l'hégire, son climat, ses
habitants, sa religion, sa civilisation à ce tournant de son histoire
mondiale, ce sera la matière des conférences suivantes.
LE CLIMAT
DE
L'ARABIE OCCIDENTALE
L'Arabie et la Province du ^i^az. Délimitation de cette province
Dans la nomenclature géographique, le terme Arabie représente
une de ces abstractions fallacieuses, héritage du passé, dont continue
à fourmiller la description de la surface planétaire, que nous habitons.
Comme unité chorographique, l'Arabie possède juste autant de titres
à l'existence que la section occidentale de l'Europe, c'est-à-dire, le
continent compris entre le détroit de Gibraltar d'une part, la Baltique
et la Mer Noire de l'autre. Arabie et Europe occidentale forment deux
presqu'iles, couvrant une superficie sensiblement égale et comptant
presqu'autant de races (') et d'idiomes différents. Aux plus beaux
temps du califat "abbâside, tous les efforts des souverains de Bagdad
aboutirent seulement à assurer la supériorité du dialecte qoraisite,
langue de la religion et du gouvernement central. Au demeurant,
l'Arabie continua à former un agglomérat de terres disparates, une
mosaïque de cent peuples, sans unité ph\sique ni ethnographique,
divisés par de hautes chaînes montagneuses, par des déserts infran-
chissables. Là, végètent en un farouche isolement des tribus faméli-
ques, ne conservant d'autres relations (jue celles du belliuji omnium
contra omties, comme aux beaux temps de leur ancêtre Ismaél.
(') Le poète Garîr se range avec les Perses et les Byzantins contre le Yéinen ;
Yâ(\oûX., Mo'gam, E. IV, 328. Le Yémen n'est pas englobé dans l'Arabie; Ibn al-Faqïh,
Géogr., 128. A la veille de la bataille de Doû Qâr les Tamîtnites escomptent la dé-
faite des Banoû Bakr et s'apprêtent à les razzier; Ncujâ'id Gartr, 648, 5 sqq.
10 La Mecque, centre religieux
*
* *
Ph3-siquement la presqu'île arabique offre l'image d'un formidable
rectangle, terminant au midi l'Asie Antérieure. Ce gigantesque étau
de terres inhospitalières vient s'interposer entre les fabuleux pays du
mo3-en Orient et l'Orient classicjue, berceau de notre civilisation. Dans
ce complexe massif, seule, la partie la plus rapprochée de nous,
l'Arabie occidentale, mérite de retenir notre attention. Là à l'Est de
la Mer Rouge, environ à moitié chemin entre la Syrie et l'Océan
indien, dans la province encore appelée Higàz, est né l'islam, objet
de nos recherches. Il }■ a vécu les années de sa première enfance,
avant de se répandre sur le monde. Les habitants du Higâz seuls
ont créé l'islam; l'élaboration de l'indigente et primitive dogmatique
du Ooran con.stitue leur travail exclusif, repris en sous-œuvre et
complété par les races conquises.
Une théorie malheureuse, mise en circulation par les écrivains
musulmans et trop facilement acceptée par l'érudition' occidentale, re-
présente le Higâz avec la Mecque sa capitale, comme le centre reli-
gieux de l'Arabie préislamique ('). Les prétentions aristocratiques de
Qorais ont favorisé la diffusion de cette fable. Il plaisait à l'orgueil
des Mecquois, devenus les arbitres du califat, de revendiquer pour leur
tribu une situation aussi exceptionnelle. De son côté, le Qoran con-
tribua puissamment au succès de la légende, en campant le sanctuaire
de la Ka'ba et l'ancien fétichisme qoraisite au centre de la religion
islamique. Cette combinaison répugnante d'un monothéisme étroit et
d'un paganisme aussi grossier, on avait intérêt à y reconnaître comme
la consécration, voulue par Allah, des privilèges, du monopole poli-
— — Il *
(') Cf. Vâqout, E. 1, 33/, pour l'interprétation du nom de ^J^\ j> I , donné à
la Mecque. On observe une tendance marquée à représenter les tribus arabes, comme
ayant séjourné du moins teniporainement au Higàz, et cette province comme le ber-
ceau de la race arabe , Bakrî, Mo'gam, .■)8-59. Je crois découvrir la même inspiration
dans rénumération des nombreuses tribus, s'étant successivement partagé X'igâsa ou
direction du pèlerinage; Naçâ'id Garîr, 450, 8-12; notre Va-îd, 341, n. 4.
Les Bédouins, rebelles aux abstractions 11
tique de la tribu, détenant le califat. \'^raisemblablement Mahomet s'est
seulement considéré comme le prophète du Higâz et des cantons voi-
sins. Les Ooraisites travailleront à le transformer en prophète national,
en attendant d'en faire celui du genre humain.
Quoiqu'il faille penser de ces théories chauvinistes, l'influence dé-
cisive du Higâz sur le reste de la Péninsule est postérieure à l'appa-
rition de l'islam et née avec l'influence, exercée par cette religion.
Dans l'intérêt de nos recherches, il suffira donc de concentrer notre
attention sur le Higâz. Une date conventionnelle, mais d'une certitude
suffisante, place l'hégire vers l'an 622 de notre ère. Aux environs de
l'an 610, Mahomet aurait commencé sa mission ('). Essayons donc de
nous représenter, à l'aurore du 7*^ siècle, la situation physique, reli-
gieuse et politique du Higâz, berceau de l'islam.
C'est une tâche ardue de tracer, pour une époque aussi loin-
taine, les limites précises de cette province. Les Bédouins se sont tou-
jours montrés rebelles aux abstractions, sans relations intimes avec
la banalité de leur vie quotidienne. Chaque tribu connaissait en détail
l'étendue de son territoire, parfois vaste comme des ro3'aumes, en
d'autres termes l'ensemble des pâturages, des oasis et des points d'eau,
assurant son existence. Chaque nomade en possédait la nomenclature
complète; il aurait pu en déterminer la position exacte, le rendement,
la richesse végétale, jusqu'au débit journalier des puits et des réser-
voirs, où il venait abreuver ses chameaux. Ces précisions avaient bien
leur mérite. Rien de plus minutieux que l'onomastique (") du désert:
couleur du sol, accidents du terrain, formes des montagnes, des dé-
filés, des plaines, des dépressions, leur richesse h3fdrologique, tout y
recevait une notation distincte, où s'affirment la souplesse, la prodi-
(') Voir notre Chronologie de la Sïra.
(•) Voir les dictionnaires, Mo'gam, de Bakrî et de Yâqoût. Nous utiliserons dans
les pages suivantes leur richesse d'information.
12 Etrangers au concept de la « province »
gieiise ricliesse de l'idiome arabe ('). Ciiez ces vo3ageurs perpétuels,
l'habitude de la vie errante avait affiné à un degré incro\'able le sens
de l'observation topographiciue. Mais cette application ne s'élève pas
jusqu'aux abstractions de géographie politique, Celles-ci supposent
une centralisation, une organisation sociale, ignorées par les irréduc-
tibles individualistes du désert. Ils en sont demeurés aux formes pa-
triarcales, aux groupements primitifs de la famille humaine. Même
remanjue pour la clironologie. Seules les plus petites fractions de
la subdivision du temps : le jour et la nuit, ensuite les mois et les
saisons, parce que marquées par l'évolution des astres, par des phé-
nomènes, s'imposant à l'observateur le plus distrait, tous ces éléments
chronologiques impressionnent le nomade, à l'encontre de Xamiée, un
concept, créé par la science astronomique. Ces années, dont le poids
nous écrase, le Bédouin semble les porter d'un cœur léger, parce que.
dédaigneux de l'arithmétique, il se dispense de les supputer. Nous
l'avons constaté ailleurs ('), en cherchant à établir l'âge exact de Ma-
homet. .Si ce calcul s'est démontré impossible, c'est que le Prophète,
à l'instar de ses contemporains, a ignoré son âge.
Qu'est-ce qu'une province .'' Cette (jnestion leur eût paru oiseuse ;
elle ne trouvait aucun écho dans leur intelligence, envahie par des pré-
occupations réalistes. En revanche ils notaient avec grand soin, on
l'a vu, les moindres protubérances, les plus imperceptibles rugosités
dans la figure de la terre, principalement les modifications de climat,
affectant si profondément l'homme primitif Les Gajir, les Tihàma,
les Nagd (■'), toutes les variétés de terres hautes et basses, de val-
lées encaissées, de défilés étranglés entre les montagnes, de plaines
côtières, brûlées par le soleil (^), leurs anciens poètes ont abondam-
(M Voir plus loin les détails sur les puits.
(-) L'âge de Mahomet et la chronologie de la Sïra, dans Jour. Asiat. Voir pour-
tant un vers de 'Adî ibn Zaid (Bakrî, op. cit., 293, 1); mais c'est un chrétien de
Hîra, attaché à la chancellerie perse.
(^) Sans parler de Gais, synonyme de Nagd, que la langue courante paraît avoir
laissé tomber; cf. Bakrî, Mo'gam, 8-11 ; Ibn Sikkît, Tahêïb, éd. Cheikho, 484; Vâqoût,
E. III, 101, 124-.
(^) Le pseudo-Ibn Halauaih dans son Kitâb as-Sagar conserve quelques bonnes
notations de géographie botanique. Chez lui le ternie Higâz relève de la géographie
Etymologie de « Higaz » 13
ment usé de cette terminologie. On y chercherait \-ainement les dé-
nominations géographiques, les divisions administratives, si fréquentes
sous la plume des écrivains islamicjues postérieurs. Pourquoi se se-
raient-ils inquiétés de déterminer si tel tiliàma^ si le gaur de tel dis-
trict relevait du Higâz ou du Yémen? Le côté pratique ou utilitaire,
c'est le seul angle, sous lequel ils ont jamais consenti à envisager la
géographie phxsique. Par ailleurs le vocable Higâz a été desservi
par ceux de Nagd et de Tihâma, régions hvpsoviclriques et clwiato-
logiqnes, l'enserrant à droite et à gauche et empiétant constamment
sur son domaine au.x limites imprécises. Ainsi les tribus, comme les
BanoQ Solaim, débordant la frontière orientale, sont tantôt ratta-
chées au Nagd, tantôt au Higâz. Nagd et Tihâma, c'est-à-dire alti-
tude et dépression, plaine et plateau, chaud et froid, autant de con-
cepts, nettement marqués dans l'esprit des Arabes ('). Higâz signi-
fierait barrière ("). Si jamais les nomades se sont amusés aux varia-
tions étymologiques, chères aux philologues 'abbâsides, ils ont dû se
demander, comme nous, l'origine de cette appellation et comment
le Higâz remplissait son rôle de barrière. Venus après eux, lexico-
graphes et géographes arabes ont dépensé des trésors d'ingéniosité,
sans y mieux réussir; à preuve les interprétations arbitraires et sou-
vent enfantines, enregistrées par eux (^), sous la rubrique Higâz.
Même quand il s'agit de centres importants comme Taimâ', Tâif,
physique plus que de la politique. Même remarque pour son emploi de Nagd = terres
hautes ou plateaux ; Tihâma = terres basses ; Gaur = terres basses et encaissées ;
Higâz = région des montagnes abruptes, comme celles du Higâz.
(') Ainsi à chaque grande subdivision de l'Arabie, comme le Yémen, le Hadra-
maut, on assigne un Nagd, un Gaur, un Tihâma, Gais; cf. Vâqoût, Mo'gam, E.
III, 101.
(î) Cf. Yâqoût, op. cil. E, III, 101; Mas'oQdî, Prairies, III, 139.
(3) Par ex. Bakri, Mo'gam, 9, 1. 11, ^LjJ'^1 J-» j-^ss^^> ^"^ Ij"-^ cj^
ioUiLll »^ j-jULs"* yb • .IsiioV^» ; comp. Vâqoût, op. cil. E. II, 437; III, 217-18;
III, 233, 11, etymologie de el^tx^, vent du Nord; celle du nom propre iJV.-Jii, Hé-
lène tj^Ki t,jii (3 iX^I v^siaX..»)! \>\ ^\ (_j*(jy'cr; i^ C-Jlf L^'SI ; Ibid., III,
365. « Ils sont un jlâs refuge », dit Farazdaq; JVaçâ'id Gartr, 512, 11. Voir le glos-
saire des JVaçâ'id s. v. :'i.as ; Tag 'Aroîis, I\', 33 is. r. j^s) pour les étymologies de
Higâz. Mas'oûdî, Prairies, III, 126, 139 renvoie ici à Qoran, 23, 101 ; 23, 55.
14 Limites de cette province
Taboûk ('), Médine, la Mecque, Aila, il est impossible de décider, si
vers les débuts de l'héfrire, on les rattachait au Higâz, au Nagd ou
à la Syrie. Cette imprécision met à la torture géographes et ency-
clopédistes musulmans. Si trop souvent ils recourent à la formule
découragée, >*l aïA Dieu le sait mieu.x, cette résignation antiscientifi-
c]ue provient du manque de renseignements poétiques ("), leur source
principale de documentation géographique (^). Elle l'est demeurée
pour leurs confrères, les chroniqueurs et annalistes, plus soucieux d'in-
terroger les divans des poètes que de fouiller les archives officielles
où avaient puisé les rédacteurs de Kitàb al-Haràg, livres de l'impôt,
et des Masàlik^ recueils tenant le milieu entre le ro7dici\ et le manuel
géographique. A la Mecque quand on partait pour Médine, on était
censé se rendre au Higâz (^) ; la première métropole, à cause de sa
faible altitude, se trouvant attribuée au Tihâma C^) ou même au Gaur.
En réalité, toutes ces relations provinciales datent en Arabie de
l'institution du califat et d'une hiérarchie administrative. Par ses luttes
contre le particularisme des tribus, par sa bureaucratie, par ses ten-
tatives unificatrices, par les levées d'hommes et de taxes (^), enfin
par l'établissement du service des dotations et des soldes, toutes des
institutions centralisatrices, la lourde machine du califat fit pénétrer
de force dans la mentalité des Bédouins la géographie politique dont
ils ne voulaient rien savoir. Ils s'écriaient avec Farazdaq :
« La d\-nastie marwânide se trompe en comptant sur mon obéis-
(') Fréquemment placé en Syrie; Bakrï, op, cit., 192, ou entre la Syrie et Wâdi'I
Qorâ; Yâqoût, op. cit., E. II, 365; Adroh, près du Higâz; Yâqout, E. I, 161 ; Hismâ
en Syrie; Yâqoût, E. II, 91; .Médine rattachée au Nagd ; Taimâ' à l'extrémité de la
-Syrie; ibid.. II, 442; III, 101. Cf. Vazîd. 283.
(■') Cf. Bakrî, op. cit., 8-9.
(■') Beaucoup plus que l'autopsie ; un vers leur fait abdiquer leur propre juge-
ment. Farazdaq place la Mecque dans le Gaur; Ag., VIII, 188, 3.
(*) Ibn Hisam, Stra, 98, 2, d. 1., 99, 1.
(^) Yâqoût, op. cit., E. II, 436, 437. Asma'ï ne nomme pas la Mecque parmi les
douze cantons ou subdivisions du Higâz; Ibid., III, 218. Istahri ne se retrouve plus
dans ces divisions archaïques; voir sa Géogr., \ô, 4.
C') Les Bédouins jettent dans un puits le collecteur de taxes; Yâqoût, E. III,
2S9 ; infligent le même traitement à un prophète; ibid., IV, 230, 3.
Les poètes et le vocable Higaz 15
sance, ma soumission. Derrière moi, j'ai ma tribu, et devant, l'im-
mensité du désert ! >
V y .. J' 1 *• ^ S^ ^ Sr ^Sr ^^ ^ ^ ^ • ^ • J
Au demeurant ils laissèrent aux juristes et aux casuistes le soin
d'examiner, où commençait la frontière nord du Higâz. Il s'agissait
pour ces théoriciens de protéger le berceau de l'islam contre la pft)-
fanation des infidèles, de leur interdire l'accès des villes saintes, d'ex-
pliquer comment les Juifs avaient pu continuer à occuper les oasis
de Wâdi'l Qorâ (^), nonobstant la prétendue défense attribuée au
Prophète et l'arbitraire trop réel du calife 'Omar.
Le vocable Higâz est sans doute antérieur à l'hégire. On le ren-
contre dans les poètes préislamiques, mais avec incomparablement
moins de. fréquence que le groupe Nagd-Tihâma-Gaur (^) et les ver-
bes dérivés de ces radicaux (*). Dès lors Médine paraît avoir été
co.nprise dans le Higâz. Lorsque la création par Mahomet de l'état
médinois déplaça dans l'Arabie occidentale le centre politique, insen-
siblement on s'habitua à élargir l'extension géographique du Higâz;
vers le Sud d'abord, ciuand le Prophète réussit à s'emparer de la
Mecque, la rattachant ainsi au Higâz de Médine. Néanmoins le terme
de Tihâma conserva toute sa valeur pour la Mecque et l'on admet
(') Yâqoût, E. IV, 49, 6 cl. 1.
(^) Ils auraient offert des cadeaux au Prophète; Bakri, op. cit., 30, 31.
(3) Bakri, op. cit., 248, 4, d. 1,; 544, 11 ; Yâqoût E. II, 260; III, 219, d. 1. ;
Garir ne connaît que l'opposition de Nagd et de Tihâma ; autre poète cite Nagd,
Iraq, 'Oman, Tihâma mais pas le Higâz ; cf. Ibn Sikkit, Tahdib, (éd. Cheikho), 484, 485.
i'^) yXf.\ et /»4aJl aller au Nagd et au Tihâma, très fréquents en poésie à rencontre
de jarv^l et j-s:\^l. aller au Higâz ; cf. Ibn Sikkît, op. cit., 486 ; Thorbecke, Al-
A'sà's Lobgedicht au/ Mukammad dans Morgenlând. Forsch., 255. Le vocable Higâz
se rencontre encore dans 'Or\va ibn al-Ward ; So'arâ' (Cheikho), 887, 2 ; dans Labîd,
Divan, XXYIII, 4 ; (Bakri, op. cit., 582, 3 d. 1.) ; Alqama (Ahlw.), 108, 2 d. 1. ; comp.
Bakri, 663, 6 d. 1. Mention plus fréquente depuis l'hégire ; Naqâ'id Garir, 450, 14 ;
chez Nagâsî ; Dînawari, Ahbàr, 171, 3; Lailâ Ahyalyya ; Aboû Tammâm, Hamàsa,
E. I, 101; IV, 76; Hansâ', Divan, 114; Zohair (Ahlw.), 90, 6 d. 1. ; Hamdâni,
Gaztra, 47 d. I. ; 49, 50. Yâqoût, E. III, 358.
16 Pourquoi la délimitation demeura flottante
que le Higâz commence au Nord de 'Osfân ('). Au septentrion de
Médine, cette extension alla de pair avec la marche des expéditions
musulmanes à l'assaut des paj's syriens. Insensiblement on prit l'habi-
tude de comprendre sous la dénomination de Higâz la région mon-
tagneuse, entrecoupée de plateaux et bordée de plaines côtières, en
d'autres termes la [prolongation de la massive épine dorsale du Sa-
rât (^), courant parallèlement à rEr3thrée depuis le Ycmen dans la di-
rection du golfe d'Aila, la moderne 'Aqaba.
A l'exception de la frontière maritime, les autres limites de ce
long rectangle, étranglé entre les flots de la Mer Rouge et les hautes
steppes du Nagd, demeurèrent toujours flottantes. Vers le Sud elles
se prolongeaient à plusieurs journées au delà de la Mecque: à l'Est
on ne s'accorda jamais sur la mouvance administrative de certains
districts. La frontière s}Tienne aurait dû être moins indécise. Mais elle
dépendait des circonscriptions à assigner aux go7id de Syrie, dont la
constitution définitive demeura laborieuse. Certains auteurs voudraient
même rattacher la Palestine, c'est-à-dire la Pérée méridionale, plus exac-
tement les régions d'Edom et de Moab, au Higâz ('). Résumons : pour
nous le Higâz comprendra toute lArabie occidentale, à l'exception du
Yémen, soit une longueur de dix degrés de latitude.
(1) Yâqoût, E. Il, 432; III, 9, 5 d. 1. Honain est A^L^J" iïj>y çj^ >\y, Bal5-
dorî, Aiisâh, 232". Voir Bakrî, op. cit., 429, pour la limite sud du Higâz. Ibid., 575:
« Nagrân, le meilleur climat du Higâz ». Montagnes du pays de Tayy, englobées dans
le Higâz; Yâqoût, E. IV, 313; le Higâz identifié à la chaîne du Saràt ; Hamdânî,
Gazîra, 48.
(2) Yâqoût, op, cit., E. III, lui, 218. Bonne définition du Higâz ; ibid.,\\ 60-61.
(') Yâqoût, op. cit., E. III, 218. Pendant longtemps Taboûk fut considéré, comme
marquant la frontière syrienne; Dînawarî, Ahbâr, 150, 3; le même auteur, 166, 11,
parle des « deux Higâz ». Je comprends : « le Higâz de Médine et celui de la Mecque ».
'Ali a réuni sous son autorité : . . . . ^;_,\ jlsn^l « (Koûfa-Basra) j^l-^Al» j^L« jil. Les deux
haram désigneraient les deu.x villes saintes et les « deux Higâz » leur territoire. Cf.
Tag 'Aroïis, IV, 33-34, sur frontières du Higâz ; intéressant à cause des citations an-
ciennes. A côté de j-f:\^l et j-s^va».! ^ aller au Higâz, ce recueil cite aussi j-yntl
une forme que je crois refaite sur oasl , «^^il , ^J*Jia.l aller au Nagd, au Tihâma, au
Gais.
II
Climat du yigaz. Température, pluie
Commençons par la géographie climatologique du Higâz. Le climat
est tropical, la chaleur accablante, excepté en quelques districts mon-
tagneux, situés sur les confins du Nagd et du Yémen. Sur ce point
la pittoresque région de Tâif et son prolongement méridional, la chaîne
du Sarât, atteignant jusqu'à 3000 mètres de hauteur, passaient pour
une villégiature alpestre.
Excessif pendant l'été, le climat demeure pénible, même en hi\er,
surtout dans les steppes découvertes de l'intérieur. Inutile de se figurer
alors une sorte de Riviera, de rêver aux tièdes hivers, dont jouit à
la même latitude, sur le bord opposé de rEr3thrée, la lumineuse vallée
du Nil. C'est la fraîcheur sans doute, mais la fi-aîcheur âpre, mordante,
ébranlant les plus robustes constitutions. Tout est tranché, heurté dans
le milieu arabe : météorologie, couleurs du paysage, caractère des
habitants, leur constitution tout nerfs, muscles et os, leur langue à la
gamme, si pauvre en nuances vocaliques, à côté d'une véritable dé-
bauche de consonnes et de gutturales.
A s'en tenir aux descriptions des anciens poètes — c'est la re-
marque de Gâhiz, un des plus spirituels écrivains de la brillante période
'abbâside — l'hiver et l'été apparaissent également intolérables au
désert, et cela malgré l'absence de neige ('). Cette âpreté est due
(') Gâhiz, Hataifàn, V, 25. On connaît pourtant la « gelée nocturne »; A. Tam-
mâm, Hamâsa, E. I\'. 110, 3 d. v.
LAMME^s - Bercfaii a
18 Rigueurs de l'hiver
principalement à l'action du vent du Nord ('). 11 s'abat sur le Hi^âz,
après avoir traversé les plateaux neigeux d'Anatolie et les steppes
dénudées de la Syro-Mésopotamie. Aussi les bardes bédouins l'appel-
lent-ils le vent de Syrie C), plus rarement le « vent du Taurus » (^).
Il déverse sur la Péninsule le froid emmaj^asiné dans les déserts glacés
de la chaîne taurique. A la suite du rayonnement intense du sol, pendant
les claires nuits d'hiver, la terre achève de perdre ses dernières réserves
de calorique, cependant que les furieuses rafales de la bise syrienne
chassent devant elles les effluves plus chaudes, s'élevant de l'intérieur
de la solitude, des chaudières en ébullition de l'Erythrée et de l'O-
céan indien {*). C'est l'occasion pour les grands chefs d'étaler leur
générosité, amie du faste et de l'ostentation (■'). Des troupes d'enfants
et de veuves assiègent leurs tentes, hurlant la faim, grelottant de
froid sous leurs misérables haillons. On élève un enclos de branches
d'arbres, pour abriter les chameaux, accroupis sur le sol durci et
insuffisamment protégés par leur épaisse cuirasse de bure. Ramassé
en boule, le chien engourdi, dont l'aboiement sonore doit indiquer le
chemin du campement au vo}'ageur attardé, en quête d'un gîte noc-
turne (^), le chien lui-même demeure sans voix; le serpent transi ne
se hasarde plus à quitter son trou (").
(') tlï» JU-^ f^-' -^^•' X> ^> ■* > Musil, Arabia Petraea, III, 4. Le héros arabe
'Antar serait mort de froid; Ibn Doraid, Istiqâq, 170. On le fait ailleurs mourir de
chaud. Vent du Nord ; Naqâ'id Gartr, 275, 4 v. ; 290 d. v. Hansâ', Divan, 37, 8 ;
59 ; 87, 6.
(-) YaqoQt, Mo'gam, E. I, 265, 2, d. 1.; Labîd, Divan, XXIII, 2; XXXIX, 17;
A. Tanimâm, Hainàsa, E. I, 55, 6 d. 1. ; Hotai'a, Divan, I, 25.
c
(3) Vâqoût, E. III, 233, 11 : ^JJ\ >^b ^ CjS^- »1^-^ ; Anrfa'â' = JU-«iJl ^^1.
Pourtant il peut être question du « vent de Syrie », puisque d'après Yâqoût, op. cit.,
VI, 33, 66, ^X)l >UJI >Uj g.^ JUi
(<) Cf. Ibn Gobair, Travels- 117, 20.
(^) Cf. Yazîd, 192, 193; Yâqoût, E. III, 331, 14-15; Hansâ', Divan, 1, 1. 4; 4
d. 1, ; 13, 4.
(6) Cf. Yazid, 192, 193.
C) Divan d' Ibn Qais ar-Roqayàt, IV, v. 13 ; Ibn Sikkît, TaliM> (éd. Cheikho),
614 ; cf Wellhausen, Reste-, 96 ; Ahtal, Divan, (éd. Salhani), 250, 2 ; A. Tammâni,
Hamâsa, E. IV, 60, 3 v. Femmes affamées pendant l'hiver. « Pendant Gomâdâ, dit
Doraid ibn as-Simnia, je nourris d'abord les veuves»; Ag;.,Vïll, 83 12 d. 1. ; IX, 12,
Les sécheresses 19
Les pluies très espacées et irré^ulières tombent pendant l'hiver
et aux débuts du printemps. On connaît également des années, où
« l'eau du ciel se fait attendre, alors que déjà les branches desséchées
commencent à blanchir »
(') \jb>^ Jfl^\^ "y^l L^ ks?l^ Ljjy. JUp^ vUlL hl, IM
Ce phénomène on l'observe, quand à la fin de l'hiver, Gomâdâ
a refusé la pluie (■) coutumière ^Lki)'^ ^>^ c-J>^ ('). Parfois même
leau vient à manquer totalement ; ce sont les « années blanches > (*)
ou encore les années grises »U.{.-iJl IL.^\ ; expressions rappelant mer-
veilleusement l'aspect cendré de la stejjpe arabe (^). Cette situation
se prolonge-t-elle quatre ans de suite, c'est la famine, observe Dough-
ty (^), et on peut l'en croire. Les troupeaux périssent; les réser-
ves du sous-sol s'épuisent et les palmiers, n'\- rencontrant plus leur
provision d'humidité, < jaunissent » lamentablement. L'histoire de
Médine au temps de Mahomet C) et de 'Omar (*) a conservé la mé-
moire de ces sécheresses extraordinaires. Oubliant leur férocité na-
5-6 ; 50, 15. « Le vent du nord, appelé gemad (Jl^) », lisez ^^l*r ; Jaussen, Pays de
Moab, 251. Ibn Doraid, Is/igàq, 220, 2 d. 1. , Labid, Divan, XXXIX, 15, 16. En hiver
les Bédouins recherchent le soleil ; Ag. ; XI, 130-31. On fait queue devant la tente du
chef «jusqu'à ce que l'herbe ,Jiij ait poussé » = (la pluie soit tombée). Zohair (Ahlw.)
91, 3. Description de la nuit d'hiver; NaqWid Gartr, 560-61 ; transi le chameau se ré-
fugie dans la tente, sur son passage renverse les poteaux des tentes; ibid., 560, 2 v. ;
le givre sur le poil du chameau, « rappellant les flocons de coton »; ibid., 560, 3 v.;
le chien dispute une place au foyer de la tente ; ibid., 560, d. v. En hiver on rap-
proche les tentes ; Tarafa, (Ahlw.) 65, 5.
(') Yâqoût, E. III, 331, 14.
(*) A. Tammâm, Hamàsa, E. I, 60, 2 v. ^Jol O^^ ô^^ iJ^ t5 • pluies i?Jol.
(3) Bakri, op. cit., 267, 8. Gomâdâ, mois d'hiver, d'après l'étymologie et dans
l'ancien calendrier; I. Doraid, Istiqâg, 220, 2, d. 1.
(♦) On mentionne sous VValîd I^"' ,JaI ^ O^^^^^l O^^^ 'cfi o>*t^' OU..«.>»H
lïS\JLJb \^o^^^^ i-oyil, Balâdorî, Ansab, 413'».
(*) Zohair (Ahlw.), 91, 2 ; ou simplement tU^-^l ; Hansâ", Divan, 59.
(«) Travels, II, 113; Ag., XI, 13.
C) Moslim, Sahïh-^, I, 329-30.
(») Ag.„ XI, 80, 81 ; I. S. Tabaq., IIP, 231, 232-34; Ag., XI, 13.
20 Anxiété à l'issue de l'été
tive, « les fauves du désert venaient se réfugier parmi les hommes » (*).
Une des plus terribles imprécations des poètes, c'est celle de David,
prononcée contre le Gelboé : « J^l culi-o V ("). Que la pluie du ciel
ne l'abreuve jamais ! » L'Arabie est par excellence le pays de Xistis-
qà' ('), cérémonies et prières pour obtenir la jiluie {*).
A la fin de l'été, de cet été interminable d'Arabie au ciel impla-
cablement serein, poli comme un miroir d'acier, une animation inac-
coutumée s'observe au sein des tribus. Depuis plusieurs semaines on
a arrêté au passage les pasteurs isolés, arrivant de la morne solitude.
Invariablement les plus grands chefs, émirs de Gassân et de Hîra,
plus tard les gouverneurs de provinces, jusqu'aux califes posent
l'angoissante interrogation : « comment ont-ils laissé le ciel derrière
eux » (^)? Dans les steppes désolées, les maigres fourrages sont épuisés.
Entre les épines des buissons, des fourrés, des arbres, tondus par la
langue prenante des chameaux, plus tme feuille, plus une baie n'appa-
raissent. A voir la couleur cendrée de leurs branches dépouillées,
l'écorce noircie {^) de leurs troncs noueux, bizarrement tourmentés, on
jurerait qu'on 3^ a promené la flamme. A bref délai le nomade pré-
voit l'épuisement des puits, où le soir il accourt de loin abreuver ses
troupeaux. C'est une période d'attente anxieuse. Partout on est aux
(') Tab., Annales, I, 2570, 2573, 2574; Ag., XI, 83, ÀiOsê À..Uj, passint.
(-) Yâqoût, E. I, 388 ; Asma'ï, Nabât, 412, 2 ; Gâhiz, Haiawân, VI, 32, 6.
P) Par eux emprunté aux Juifs ; cf. S. Krauss, Talmudische Archaeologie, II,
150-51; HamdSnî, Garî/a, 214; Ag., XII, 80 ; I. Gobair, Trave/s-, 160-61. Sécheresse
de sept ans, à la suite d'un do'à' de Mahomet ; notice isolée ; Nagà'id Garîr, 462.
Année sans pluie au Higâz du temps d' Ibn Gobair, Travels- 161 ; Ibn Batoûta, Voyages,
I, 320; comp. la phrase i^\yX.>j3 i,i;-ji_>L_X_j ; A. Tammâm, f/amâsa,,lL. 11,8. i.JiX<a)l
=r pluie d'été ; Ibn Doraid, Istigàq, 43 ; ou pluie précédant les fortes chaleurs ; Nagà'id
Garïr, 578, 6. Pour Vistisgâ' ; Ibn Mâgâ, Soria/i, E. I, 198-99. Sâfit, K'i/âi al-Omm,
I, 218 sqq. Rituel de 1' istisqâ' dans l'Egjpte des Marwânides ; Kindï, Goz'ernors of
Egypt, (Guest) 83.
(■') Cf. Mo'âivia, 172 ; notre Chantre, 70.
(5) Ibn Doraid, Sifat as-Sahâb, 32, 34, 37, 38 ; A. Tammâm, Hamâsa, E. I, 108,
bas ; Ag., XI, 153, 8. (Comp. les descriptions des rowwâd, recueillies par Gâhiz, Bayàn,
I, 206, sqq.); Gâhiz, op. cit., I, 176 d. I., 185, 2 d. 1., 206-07. A ce propos on cite
fréquemment le nom de Haggâg ; Gâhiz, op. cit., I, 208; Hansâ', Divan, 100.
(*) Cf. Musil, Im iwrdtichen Hegâz, p. 15 etc. ; Ibn Doraid, op. cit. passim.
A la poursuite de la pluie 21
aguets pour épier le retour de la pluie, on s'apprête à suivre la chute
de la bienfaisante humidité. ■^^ ^\y ç-^' (')• En arabe fiai/â signi-
fie pluie et bienfait. Après les privations, marquant la fin de l'été, la
pluie n'est-elle pas une miséricorde, a^^ comme l'appelait le Prophète? (*)
C'est le signal de la migration, de la rentrée hivernale. Remontés
vers le Nord, parfois jusqu'à la périphérie de la Péninsule, les Bédouins
regagnent maintenant leurs anciens cantonnements, à l'intérieur du
désert. Mais voici (^) que les nuées bienfaisantes ont passé, sans
s'arrêter, par dessus le territoire de la tribu; le raâl\ la pluie, leur
a faussé compagnie i*»^^ &ï?y Li^l (*). De nouveau le camp se remet
en marche. D'après le rapport des explorateurs, >l^j, la pluie « a fait
couler » les lointaines vallées de Asâfi (') ou du 'Aqiq C^). On y acco irt
du fond de l'Arabie. Il reste la ressource de s'adresser aux voisins plus
favorisés ('), d'implorer, au besoin, d'acheter le droit de pacage. Pour
(i) Yâqoût, op. cit., E. I, 116, 3 cl. 1. ; Bakri, op. cit., 31, 11; 54; 114, bas;
Wâqidi, Magàzi (Wellh.), 242; J:-w^l ^1^ ; Ibn Doraid, Si/ai as-Sakàb [éd. \V.
Wright) 30, 4.
(-) Moslim, Sahtk-, I, 330. Tombant de la « gouttière » de la Ka'ba, le <sû)l À^,
lave les péchés; Ibn Gobair, Travels-, 118-119. «Ses doigts dégouttent» (de géné-
rosité) ; « 'Amrou la pluie » c.-à-d. le généreux ; Ag., XI, 82, 10 ; 130, 3 ; cf. A. Tani-
mâm, Hamâsa, E. IV, 72. Parallèle entre l'homme généreux et la pluie ; Ag., XI,
163, 13 d. 1. Sur h^.^ — pluie voir Bittner, WZKM, XXVII, 129-30.
(') Les pluies sont parfois étroitement locales ; on connaît des cantons i.--n\ i
ijjj^. Le 'IJm ^'i jiatl; Tahmân, Divan, (éd. W Wright, Optiscula arabica), ~/l , 8.
Les Banoû 'Odra AJJ\ i^U l^aarul ; Ag., VII, 94, 16; XI, 93 ; XII, 12, 5, La sé-
cheresse oblige de se réfugier en Syrie, chez les B. Godâm, dans les pays de culture,
OÇx, ou voisins du limes syrien et perse; Na^â'id Gartr, 462-63; Ag., XI, 82; 86,
18, 93 ;5 d. 1. ; notre Vaztd, 280.
(*) Naqa'id Garïr (éd. Bevan) 890, 11. Rabî', terme générique pour l'eau tombée
pendant toute la saison humide, hiver et printemps; Aboû Zaid, Kitâb al-Maiar {éà.
Cheikhol dans Ma'sriq, VIII, 163, 8 ; cf. Bakrî, op. cit., 457, 5 ; notre Bâdia, 99;
Yâqoût, E. III, 454, 6; IV, 321
(5) Yâqoût, E. I, 253, 5 ; sur les >l^^, cf. Ibn Doraid, Sifat as-Sahâb, 29, 7; 38.
Nagà'id Garïr, 614, 16; Gâhiz, Bayait, I, 206 sqq.
(') Voir ce terme à l'index de Mo'àwia et notre 'Aqtq dans Enzyk. der Islam, I,
251 ; migration des tribus à la poursuite de la pluie; I. S. Tabaq., Il', 62.
(') Ag., Vni, 111, 121, 12 ; pendant la sécheresse, la tribu se met à la suite
d'une chamelle ; Ag.. XV, 97, bas.
22 Hivers humides
l'obtenir, les clans en f^uerre abjurent leurs inimitiés, ils contractent
alliance avec d'anciens adversaires, ou s'exposent sans défiance à leurs
surprises. Mahomet voulut profiter d'une de ces occasions pour raz-
zier ses voisins bédouins, « réunis à la chute d'un nuage ^Is**' £»y< j, » (').
Seule la nécessité peut imposer l'oubli du sang versé à l'âme vindica-
tive du nomade. Les chefs, les tribus voient leurs métèques, J-àr se
disperser (*). « Les fils d'une même mère, aux tentes indissoluble-
ment unies jusqu'à ce jour », vont chercher ailleurs des cieux plus
cléments.
o;
JlXI\ .j^^\ U-0 lib 1 5 \J3y^ '-*-:;*r r ' u^ U— SLj
Les sacrifices sont heureusement compensés par l'abondance,
rentrée au camp. Par contre, quand les vents du Nord ont relâché
de leur persistance désastreuse {*), on connaît des hivers exceptionnelle-
ment humides. Le Bédouin se met à escompter « une année de raâï' > (^),
quand il apprend que dans les montagnes les creux des vallées
commencent à se remplir d'eaux courantes, « quand le wâdi a coulé.
JlI ». ("). Il espère garder ses puits bien garnis, «jusqu'au cœur
de Sa'bân » ('),mois d'été dans le calendrier préislamite.
(') Balâdori, A?isàb, 2401) ; Ag., X, 51, bas; les B. Morra courent chez les B.
Godâm [Ag., XI, 86) ; les B. Tamïm, à la suite d'une <)k^»o chez les B. Kalb, où
règne le ^-^^oa- ; Nagâ'id Gaitr. 625, 7.
('^) Ag., XIV, 151 ; description d'une sécheresse ; Yâqoût, E. IV, 136, 6-7.
(^) Yâqoût, E. I, 211. Il arrive aussi qu'on se dispute les armes à la main les
terres irriguées ; Bakrî, op. cit., 492, bas. Pour les droits de pacage, cf. Jaussen, Pays
de Mono, 239-40. I. S. Tabaq., lU, 62; Gâhiz, Haimrâv, V, 128 d. v. <U-*^1 kï^ \'>\
" (■*) Cf. E. Banse, Die U'ûsteti, Steppen uiid Oascn des Orients dans Deuts. Rund-
schau f. Geogr., XXXIV, 25,
{=) Yâqoût, E. III, 391, 13. On rattachait la pluie à l'apparition de certaines con-
stellations ; protestations du Prophète contre cette croyance ; Nagâ'id Garîr, 636, 1 v.
scolion. Les Bédouins accusent |«►Js:^JI i_i^li^l, Ag., X, 80, voir plus loin ; ç^^. pre-
mière pluie; Nôldeke, Neue Beitr. z. semit. Sprachwissens., 81; i_*^. pluie d'été;
"Tarafa (Ahlw.) 67, 11; Guidi, Sede primitiva, 575.
(6) Bakrî, 201, 8.
(~) Citation de poète préislamite, Bakrî, op. cit., 166.
Violence des pluies 23
Les pluies sont d'abord de courte durée, mais d'une violence peu
commune : véritables trombes d'eau, ruptures de nuage, rappelant « la
déchirure d'une étoffe, trop fréquemment dépliée ^^ ^^^ *^* *-^'^
^^;■f^ (') ». Dans leurs variations poëticiues, les Bédouins réclament
des pluies, tombant \j^j^, comme le lait d'une robuste chamelle.
Menaces terribles pour les pa}s de culture intensive et d' agglomé-
rations denses, deux conditions rarement vérifiées au Higâz ! A la
Mecque on redoutait le sa//, ou la trombe d'eau (-), nous le consta-
terons plus tard. A Médine une de ces pluies tropicales, se serait,
au dire du hadit, prolongée pendant une semaine. C'était, il est vrai,
à la suite d'un istisqà^ du Prophète (^). A la fin Mahomet dut supplier
Allah de modérer les chutes d'eau (*) sur Foasis. A l'intérieur de
Médine les maisons commençaient à crouler (^).
Quand la durée de la pluie dépasse le tiers du jour ou de la
nuit, elle sort de l'ordinaire, au jugement des Arabes C^). Le Higâz
est constitué, on l'a vu, par une forte ossature rocheuse, allongée du
Nord au Sud, entrecoupée par un véritable lab3Tinthe de vallées
transversales, un ensemble chaotique de sommets et de pics, aux
formes bizarres, aux pentes d'une raideur capable de donner le ver-
tige et le torticolis au vo3-ageur, s'obstinant à les regarder Q). En
quelques heures les cataractes dévalent le long des versants dénudés,
sur les flancs des pics basaltiques, où aucune végétation n'arrête
leur chute vertigineuse. Bientôt dans la plaine, < on n'aperçoit plus
que le ciel et la pluie et les sommets des acacias » désertiques, émer-
geant des eaux. Enfin « les flots écumant, démesurément grossis em-
(') Moslim, Sahlh^-, I, 330; Ag., VII, 85: 'iAs.'^ ,juiii,
(•-) Tab., Annales, II, 1198, 1-4.
(3) Moslim, op. cit., I, 328-30 ; même phénomène sous le calife 'Omar ; I. S.
Tabag., III', 232, 233., «L'accomplissement d'un hadd, pénalité, vaut mieux que 40
matinées (var. nuits) de pluie », (Mahomet) ; Ibn Mâgâ, Sonan, E. II, 58.
(*) Les Bédouins en profitent pour laver leur linge ; Ag., VIII, 85, 20.
(5) Bohârî, Sahîh. (K.) I, 237.
(«) Cf. Aboû Zaid, op. cil., 164.
O C'est le témoignage du poète Motanabbi à l'occasion de son passage par le
nord du Higâz, à' Jui^o LaI^ i.y^-^- *J^ iS^ UnAa.1 À-I-ii ^J,\ '-k.Ul -JiUJI )l,l 131
Vâqoût, E, III, 276.
24 Inondations
portent leurs troncs » robustes ('). Chartrées de pierres, de débris de
lave, les eaux labourent les plaines (^) comme ferait une charrue; elles at-
teignent les tertres, où l'on a creusé les zobia^ fosses pour la chasse du
gros gibier (^) et vont forcer les hyènes jusque dans leur repaire (*).
Au fond des vallées, l'inondation forme en moins d'un jour des fleuves
larges comme le Nil et l'Euphrate ("). La réunion de ces masses d'eau
rappelle une mer aux vagues agitées.
Pendant tout un mois les wâdis Qanât ('') et 'Aqiq promènent à
travers l'oasis de Médine les méandres de leurs eaux débordées et
chargées de débris fertilisants. Saturé de pluie, le sol rappelle « une
pâte tendre C) » et boursoufflée, où fermente partout le travail de
la germination souterraine.
Une de ces inondations aurait emporté les restes du peuple my-
thique des Gorhomites (*). En Arabie le Ooran (''), la mémoire popu-
laire gardaient le souvenir d'autres agglomérations, victimes de ces
fléaux C"). Les premiers califes se virent forcés d'appeler à Médine
{') Ibn Doraid, op. cit., 36, 7 ; Qoran, 13, 18.
(*) Bohârï, op. cit., I, 237.
(3) Ibn Doraid, op. cit., 20, bas.
{*) Gahiz, Bayâti, I, 208, 6 d. 1. ; Ibn Doraid, Sifat as-Sahàb, 32-33, 39. Pour
ce motif, la pluie appelée g^-<i)l j^-; Aboû Zaid, op. cit., 166.
(=) Cf. Yazîd, 240; nahr, formé par s.U-»«*Jl sL« au temps de Mahomet ; Hanbal,
Mosnad, III, 21, 9. Pour les inondations des ruisseaux de .Médine, voir Balâdorî,
Fotoûh, 10-12. Le Qanât déborde après un istisqa de Mahomet; Bakrï, 745, 8 d. 1.
(«) Moslim, op. cit., I, 330; Ibn Doraid, Sifat as-Sahàb, 32; J^^-~JI O^^ ^
,I.Xx)Lj ^UX_j .IsJIf. Bienfaisante surtout est la io, pluie douce et continue pen-
dant plusieurs jours ; Ibid., 31; Naqaid Gartr, 633, 4; cf. Ag., IX, 152, 16, 19;
vallée remplie par les eaux ; Ag., IX, 156, 12 d. 1. L'eau des sait de Médine (le
vvâdi Mahzoûr ; Ibn Maga, II, 50), utilisée pour l'irrigation.
C) Ibn Doraid, op. cit., 30, 8.
(S) Bakrï, op. cit., 111, 2, ; autre exemple, ibid., 232.
(^) f J-* ^J-^:^ ; Qoran, 34, 15.
('") Bakri, op. cit., 401 ; Ibn Hisâm, Sîra, 639; I. S. Tabag., II', 40, 1, localité
de Gohfa, emportée par l'inondation ; Ibn Doraid, Istigàg, 187, (vraisemblablement
une étymologie populaire). L'inondation aurait jadis submergé la Ka'ba primitive: Ibn
Rosteh, Géogr., 25, d, I. Un sait, trombe d'eau, arrête les poursuites de l'ennemi ;
I. .S. Tabag., II', 90,20 ; 112.
Mahomet et la météorologie 25
des ingénieurs chrétiens, chargés de protéger la cité au moyen de
digues et de barrages ('). Par ailleurs une soudaine irruption des eaux
avait sauvé des derniers outrages le corps du mart\r musulman
'Àsim ibn Tâbit ("). La catastrophe devenait surtout redoutable,
(juand elle surprenait un camp endormi. Telle en était la violence et
la soudaineté que les imprudents nomades se trouvaient fatalement
voués à la mort. Déchaînée de nuit sur les flancs de la montagne, la
trombe d'eau balayait en quelques instants hommes et troupeaux ('').
En Arabie tous les dictons, fruits de l'expérience bédouine, doivent
recevoir leur consécration définitive en passant sur les lèvres du Pro-
phète. Le surhomme de la Mecque a tout prévu. On lui fait donc
interdire de camper au fond des vallées, c'est à dire, dans l'axe de
la pente des eaux, le long des sources et des chemins, « rendez-vous
des insectes nocturnes » {*). Cette dernière raison, ajoutée par Maho-
met (^), a pu sans doute motiver cette interdiction {^). Nous ferons
bien d'y ajouter la crainte trop motivée des inondations hivernales.
Dans l'hiver de 1910, le Khédive d'Egypte se vit arrêter trois jours
pendant son pèlerinage entre Médine et la mer par un de ces dé-
luges. Quelques jours plus tard, les flots de l'Erythrée rejetèrent plu-
sieurs milliers de cadavres de Bédouins, victimes de l'inondation. Nous
aurons à en reparler à l'occasion de la Mecque et du sanctuaire de
la Ka'ba C).
(') Vâqoût, ofi. cit., E. III, 62.
(^) Balâdori. Fotoûh, 11, 3 etc.
(«) .LJ ^^ AXab JLw ^^|-<a. ; Yâqoût, E. III, 196, d. I. ; Gâhiz, Bayûn, I, 143-44.
(^) Voir les références dans notre Bâdia, 95 ; Moslim, Sahîli-, II, 106-107 ; sur la
piqûre empoisonnée des mouches et moustiques, voir Gâhiz, Haiawân, II, 86, 9 d. 1.
(^) Pour sa science merveilleuse de la météorologie, voir Ibn Doraid, Sifat as-
Sahàb, 16-17.
(") Quand les pluies commencent, le Bédouin transporte sa tente sur la mon-
tagne ; Ibn Doraid, op. cil., 23; cf. J. Walther, Wiistefibildung, 22; description poé-
tique d'une inondation emportant les arbres ; Bakrî, op. cit., 687, 688. Musil, Arabia
Petraea, III, 10-11. Malgré le péril d'inondation le chef généreux campe le long des
chemins pour exercer l'hospitalité ; AboQ Tammâm, Hainàsa, E. IV, 66, 3.
(") Cf. Balâdori, Fotoûh, 53-54.
ni
Réservoirs, bassins, étangs, vasques, < gadir »
Même pendant les hivers ordinaires, la mo\enne de pluie, tombée
au Higâz suffisait pour ranimer la sobre flore du désert, pour abreuver
non seulement la terre des oasis, mais encore pour rendre cultivable
une partie des steppes. Malheureusement l'énorm.e pente du sol entraîne
les eaux aux gouffres de l'Erythrée. Des barrages préviendraient la
déperdition du précieux liquide : l'antiquité a usé de ce mo3'en. Ainsi
en témoignent les restes du passé et la tradition historique (').
La Providence 3' a pourvu jusqu'à un certain point en multipliant
en cette contrée déshéritée les résen'oirs et les barrages naturels:
enfoncements ('), creux, fossés dans les plaines, cratères de volcans
éteints, failles, dépressions entre les montagnes (^), amas de blocs erra-
tiques (*), charriés par les inondations ; seuils rocheux, lorsque le rebord
(') Barrages du Yémen ; Istahn, Géogr., 14 ; Yaqout, E. IV, 244 ; près de Haibar;
Doughty, Travels, II, 181 ; Ibii al- Faqîh, Géogr., 34, 37 ; près de la Mecque; Vaqoût,
E. IV, 48.
(2) Les ^^Ux*s, sing. l3!jU ; Ibn. Doraid, op. cit., 22.
(^) -j^Sl^ rj^ ,j «"> ; Bakrî, op. cit., 171. Mentionnons encore les botnàn,
J^Jl cL. tUl L^ Jjjj:-^^. ; Vâqoût, E. II, 218, S; les oLi, '&akri,op. cit., 462, 11,
f-1 ;, 11- n ftc Jk..*^JI <Jk-si ; bassins naturels dans la roche vive, ^^ tLa-wJI éU: ^iU»»^ ;^'^Lji
,33^1 V jjtJI l^.^, ,,»>"'" ^-^ ti^-»-J <*JJ' l.jJLlri. ïLLo; YâqoOt, E. III, 453, bas; autre
variété de réservoirs, tU,l liU».^ iiU>w« ; Bakrî, 415, 2 d. 1. ; 463, 2; des «JULs cavités
dans le roc « gardent l'eau du ciel pendant tout le rabf » ; Bakrî, 345, 9-10.
(^) Sur l'érosion au désert, cf. Walther, Wûstenbilduttg, 111-208. Pour la moyenne
de la pluie, voir E. Banse, Der arabische Orient, 70.
Catégories de gadîr 27
— la lèvre comme disent les Arabes — vient à se redresser Ijrusque-
ment ('). Les eaux météoriques se ramassent dans ces creux,'remplissent
leurs vides et toutes les solutions de continuité. Ils }• forment des ré-
servoirs, des bassins, des étan<ïs, vasques de toutes les dimensions.
Les plus grands reçoivent le nom de gaihr (-). Certains sont assez
considérables pour permettre aux riverains de se livrer au plaisir de
la nage (^), si rare en Arabie. Cette distraction est principalement
appréciée par les petits Bédouins, (_>y^l cr* •*-A» ; ils éprouvent une
ioie folle à se plonger mutuellement dans l'eau (^). Beaucoup de ces
gadîr représentent de véritables crapaudières. On en connaît pourtant,
s'étendant sur une longueur de trois parasanges (^), soit environ une
quinzaine de kilomètres. Ce chiffre suppose déjà une belle superficie.
En Arabie ces étangs mériteraient d'être qualifiés de lacs, puisque
les lacs proprement dits y sont inconnus C').
Certaines vallées possèdent toute une série de gadîr^ s'échelon-
nant à des niveaux variables. On serait tenté d'}' reconnaître les restes
d'un ancien lac, si toutefois nous n'avons pas plutôt affaire à une
succession de bassins, de collecteurs de l'humidité hivernale, di-
stribués d'après la pente du terrain. On y rencontrait parfois « de
petits poissons noirs d'une coudée (') de long et d'un goût déli-
(') C'est le y?-^; Yâqoût, E. III, 197; cf. Walter, op. cit., 33.
(2) Qalqasandî, Sobh al-a'sâ (éd. Caire) I, 532 ; Yâqoût, E. I, 156, 237 ; sur ce
dernier cf. ibn Qais ar-Roqaiyât, Divan (éd. Rhodokanaki), XXVII, 3; Bakrï, op. cit.,
674, j>UiJl ïyJi^ J,\\ Qotaiba, 'Oyoun, 124, 2 d. 1. ; Bnkri, op. cit., 728, 11.
(^) Cf. Mo'âwia,, index, j. v. 'Aqîq ; et notre article 'y4?î^, Aa.ns Enzyk. d. Islam,
I, loc. cit. ; Osd, II, 365, 7 ; Bakrï, op. cit., 311. Tombé dans l'eau, le Bédouin s'y noie,
«faute de savoir nager»; Ag., II, 103, bas; dans Ag., X, 16,2 ^y,u^SÀ\ semble dési-
gner un bain; autres exemples, Ag., III, 82; XIV, 167.
(*) ^^^'Lfo ; Ibn Doraid, Si/at as-Sakâb, 23, 3 d. 1.
r") Yâqoût, E. I, 91, d. 1. ; cf. Ahtal, Divan, (éd. Salhani) 149, note b. ; autres
gadîr; Bakrï, op. cit., 128, 147; gadîr dans la harra ; Bakrï, op. cit., 700, 12; 742.
('•) Istahrï, Géogr., 15; Maqdisî, Géogr., 95; gadîr permanents ; Wiistenfeld,
Gebiet von Médina, 29, 31. Scène de natation dans un gadîr; en jouant les petits
Bédouins noient un de leurs compagnons. Il fallut payer plusieurs CJ^.? pour arran-
ger le différend; NaqcCid Garïr, 91, 12 sqq.
(") f.\ô; la coudée ancienne a dû être plus courte ; sans quoi on ne comprendrait
pas la qualification de petits poissons. Yâqoût, E. V, 307, 1-3.
28 Gadïr permanents
cieux » ('). Ces réservoirs ont dû être permanents et alimentés par des
sources ou eaux vives; c'était le cas pour les gadlr de Homm ('), et
tous les gadïr ^ qu'on dit couler ^3^. Pour justifier cette expression, il faut
sans doute leur supposer un émissaire, assurant le débit du trop plein
et le renouvellement régulier de ces minuscules bassins lacustres ('). En
admettant la réunion de ces conditions, on comprend comment on a
pu vanter la limpidité de leurs eaux. La vallée de Doû Wirlân au
pays des Banou Solaim en possédait toute une enfilade (^). Les pre-
miers jours après la pluie, le gadlr gardait encore sa couleur terreuse
ou rouge, comme disent les Arabes (■'). Elle provenait non seulement
des boues, mais encore des efflorescences salines, formées à la surface
de la steppe desséchée, des débris minéraux ("), recueillis sur la su-
perficie du Higâz, région volcanique par excellence.
Parmi ces gadi'', seuls les plus considérables résistaient à l'éva-
poration intense, causée par la siccité de l'air, à l'action absorbante
du soleil d'Arabie ("), fonctionnant comme une pompe à vapeur. On
séjournait dans le voisinage jusqu'à épuisement de l'eau. Ainsi fit
Amroû'lqais le prince-poète avec ses compagnons d'aventure. Les
riverains pouvaient se féliciter, quand le gadïr subvenait à leur besoin
d'eau pendant les trois mois, consécutifs à la dernière pluie ('). On
(') Bakri, op. cit.. 462, 12. Poissons rares à Médine ; I. S. Tabaq., IV', 116, 26;
122, 5; poissons à Haibar, Doughty, Travels, 1, 184.
(2) Yâqoût, E. III, 469; Bakiî, op. cil., 232.
(•*) Yâqoût, E. II, 251, 1° ; III, 173, 13, où le même vers se trouve attribué à
deux poètes différents ; eaux courantes à Taboûk et Al-'Olâ ;AuIer Pascha, Die Heds-
chasbahn, II, 7.
(<) Bakrî, op. cit„ 465, 2-6.
(5) ''yj^\ ; désigne la couleur du gadïr ; tU..4^Hj j^ CUja;». ; Ibn Sikkît, Tahdtb,
562. Le toponynie Agdira fait supposer une succession de réservoirs; Yâqoût, E. I,
294; gadïr de Râbig ; Ibn Batoûta, Voyages, I, 297. Ag., X, 74, 18 : «gadïr d'eau
du ciel » ; sur les catégories de gadïr, voir Walther, Wûstenbildttng, 39 ; gadïr, disputé
entre les voisins; Nagaid Garïr, 7, 6; 12, 1. 13-14; autres gadïr, à 'Osfan etc. ; I.
S. Tabag., II', 69; 117.
(6) Dépôts salins après le dessèchement des gadïr ; Walther, op. cit., 247- 48.
(') Cf. Walther, loc. cit.
(') Deux poètes cités dans Yâqoût, E. Il, 116, 2; Ag., VIII, 68, 7 etc.
La %'éji;étalion aux abords des gadîr 29
distintjuait donc les gadïr permanents ou gadïr d'été ('), ceux enfin
« ne laissant jamais voir le fond > ('). Au pa\s de Hismâ, dans le
Nord du Higâz, un gadîr aurait même conservé les dernières eaux
du déluge (^). Aussi jouissait-il d'une détestable réputation, *L< cu-^1 ^,
chargé, cro3^ait-on, de toutes les iniquités de l'impie génération, con-
temporaine de Noé. L'encyclopédiste YâqoQt a le courage de s'ins-
crire en faux contre cette légende. A son avis, il y a vraiment trop
loin entre le Higâz et le Goudi, l'Ararat des Arabes ('').
La présence de ces masses d'eau donnait nécessairement naissance
à des palmeraies (°) ou à des fourrés d'arbres (°), brousse, maquis :
refuge des serpents et des grands fauves. En Arabie, le voisinage de
l'eau, qu'il s'agisse d'une mare, d'une source, d'un puits (^) entraîne
toujours celui des arbres. D'où la notation courante chez les géographes
Jly*!^ ^^3-v», puits et domaine agricole, Ji;:^ sU, eau et palmeraie (*).
Par ailleurs leau pouvait être malsaine, provo(]uer chez l'homme des
urines sanguinolentes (^) ; elle avait le goût saumâtre ('") et — pour
reprendre la pittoresque expression bédouine — salé « au point d'é-
(1) Bakrî, op. cit., 171, 8; 172; 529, 5 d. I; Vâqoût, E. VI, 72, 4.
(2) eUt As^Uj. ■y^ i^ j3^. ^ ; Bakri, op. cit., 172. bas; 462, 12; Yâqoût, E. I,
336; II, 62, 4-3 d. 1.; Hotai'a, Divan, X, 7.
P) Bakri, op. cit.. 298.
(■•) YâqoQt, E. III, 276, 277; eaux de gadïr inutilisables parce que fourmillant
d'insectes, |_p-^U> Yâqoût, VI, 55, 6.
(») Bakri, op. cit., 173, 1 etc. ; 463, 2-6 ; .^J:^ ^ d^ sU ; Vâqoût, E. III, 444 ;
453 459; IV, 261, 281, 292; Wûstenfeld, Gebiel von Médina, 29, 31.
CI Yâqoût, E. III, 233, 248; plus loin on parlera des ÏaIoLxi, repaires des lions,
fréquemment associés avec À^l ; Bakri, op. cit., 281 ; 323, 3 d. 1.
C) D'où le nom de «Masgar», donné à une ?a« / Bakri, op. cit., 535, 11; gadïr
avec beaucoup de salam; Yâqoût, E. IV, 52, 1. Ce gadïr durait seulement tout le
rain' ; ibid., IV, 51 d. 1.; serpents dans les fourrés ; Ibn Sikkît, Ta/idîb, 556, 7. Dans
le voisinage de ces gadïr poussaient les variétés de roseaux, de cannes, mentionnées par
Ibn Halâwaih, Sagar, XXI-XXII.
(*) Bakri, op. cit., 191 ; 468 ; Yqoût, E. II, 60, 2 ; 289; 332, II, 6: 233, III, 346 ;
o
arbres et ^J^--^ '< ^^id., II, 439.
(9) ^jjl J^ dol; Bakri, op. cit., \-il, d. 1.
(i«) Yâqoût, E. Il, 114, 7. d. I.
30 Gadîr des couvents chrétiens
borj^ner un oiseau » ('). Ces cas étaient fréquents pour les gadir.
Avant d'aboutir au réservoir, les eaux de pluie avaient lavé tant de
steppes salines, entraîné dans leur course folle tant d'éléments miné-
raux et de résidus chimiques I En desséchant les eaux, le soleil inten-
sifiait le saunage, la concentration minérale des éléments solides. Dans
le voisinage des étangs de Homm, aucun nourrisson ne parvenait à
vivre (^). Aussi les bassins aux eaux douces et potables sont-ils ho-
norés d'une mention spéciale. Les couvents chrétiens, disséminés le
long de la frontière nord du Higâz possédaient généralement un de
ces gadîr (^), libéralement mis à la disposition des pasteurs nomades
et des caravanes de passage {*). Les poètes bédouins se sont mon-
trés reconnaissants en célébrant la généreuse hospitalité des moines,
les bons Samaritains du désert Q). Elles méritent d'être soulignées
ces sympathies monacales de l'ancienne poésie. On en retrouve l'écho
jusque dans le Qoran (5, 85) : « Chez ceux qui se proclament chré-
tiens, dit Mahomet, vous constaterez des dispositions plus amicales
pour les crojants. Ils le doivent à l'influence de leurs prêtres et de
leurs religieux, à leur éloignement de tout orgueil ».
Le territoire de Médine avec son périmètre étendu de pâturages
et de steppes, possédait plusieurs de ces gadir, surtout dans la célèbre
vallée du 'Aqïq ("). L'oasis comptait un privilège moins enviable, celui
des mares stagnantes. Sous le ciel embrasé de l'aride Higâz, les ma-
rais ne forment pas un phénomène exceptionnel ("). Plusieurs oasis.
(')jiLkJI ^ Lï-»->' f^ ?L< ; Ibn Sikkît, Tahdîb, 559 1 ; cf. Walther, loc. sup. cit..
Eaux célèbres pour leur douceur ; Yâqoût, E. IV, 293, 7 d. 1. ; Bakri, 600, 601, 614,
5 ; eaux stagnantes, donnant la fièvre aux chameaux ; Yâqoût, E. V, 262, bas.
(2) Qotaiba, 'Oyoùn, 262, 4 d. 1.
(3) Cf. notre Poète Royal, 38.
(*) Cf. Yâqoût, E. IV, 178.
(^) Poète royal 37-39. Par contre on se vantait parfois de défendre l'approche
de son puits, ou d'en faire payer l'usage ; Naqaid Garxr, 614, 9 ; 615, 7.
C) Bakrï, op. cit., 173.
C) Yâqoût, E. III, 203, 210, V, 84; eaux croupissantes et prenant à la fin une
teinte jaune tÂ.ol ^_yX^ «J^UJI JU» l>l ^'^o ^ <3j^ *^ ' '^" Sikkît, op. cit., 561, et
autres expressions pour la stagnation des eaux ; ibid.
Marécages, malaria, cascade 31
nommons Haibar, Gohfa, Homm leur devaient une réputation méritée
d'insalubrité (')•
Pour avoir tenté de défricher une de ces dépressions, envahies
par les eaux et la brousse, l'ancêtre des Omayyades perdit Ja vie,
victime, assure-t-on, de la vengeance des ^inn ('); plus vraisembla-
blement emporté par la malaria, endémique dans les terres cultivées
du Higâz (^). Pas une seule rivière en Arabie. Les géographes posté-
rieurs se montrent d'accord pour l'affirmer (*) et nous pouvons les
croire sur parole. Pour compléter ce tableau, mentionnons une puis-
sante cascade, se précipitant d'une haute montagne. Ce spécimen
unique, cro3'ons-nous, dans l'hydrologie du Higâz se trouvait près du
sanctuaire de Doû's-Sarâ, dans les régions alpestres du pa3-s de
Daus (°), entre la Mecque et la frontière du Yémen, c'est à dire à
la limite extrême du territoire envisagé par nous.
(') Bakri, 232-33 ; 259 ; voir à l'index de Mo' Smia les mots fièvre et Haibar ; autres
gadîr marécageux; Yâqoût, E. I, 280, 6 d. 1., le wâdi tlil <*-J* i_-Jls (Bakrï, op. cit.,
503, 2 d. 1.) doit désigner une plaine marécageuse. Grenouilles, mentionnées par les
poètes ; A. Tammâm, Hamàsa, E. I, 199. Mahomet apprenant leur utilité ordonne de
les épargner; Nasal, Sonan, E. II, 202; marais; Naqaid Gartr, 11, 9; 292, 5-7.
(») Ag., VI, 92 ; Ibn Sikldt, Tahm, 540.
r*) Cf. notre Bâdia, 94 sqq.
(*) Istahrî, Géogr., 15 ; MaqdisT, Géogr., 95.
(5) I. S. Tabaq., IV', 176, 13; Yâqoût, E. V, 246. Lac au Yémen, mais ce texte
est un apocrj-phe ; 'Iqd^, I, 108.
IV
Le régime des eaux au désert. La salinité du sol.
Les puits, les « hisa v ; qualités de leurs eaux
Le grand ennemi de la vie des plantes au désert, c'est l'énorme
salinité du sol, conséquence de l'évaporation. Pénétrant jusque dans
les couches profondes, l'implacable soleil pendant les longs mois
d'un été, invariablement serein, soustrait à la terre les dernières
traces d'humidité, }• abandonnant et accumulant insensiblement les
parcelles minérales, contenues dans les eaux célestes. Aux pluies tor-
rentielles de l'hiver était réservée la mission — remplie dans nos
pays par les rivières et par un arrosage incessant — de nettoyer,
de désaler les terres, de les débarrasser de leur excès de minéralisa-
tion, enfin d'entraîner à la mer les résidus chimiques de cette les-
sive à grandes eaux. Tout est lavé, irrigué : les roches basaltiques et
les vieux troncs morts. Ce contraste nous a valu la boutade suivante :
« La fortune, survenant à l'imbécile, rappelle l'inondation hivernale,
arrosant le bois sec >.
(') ij}-^^ o^^> J^' ..r-^. J^^ (^ 3^ ^ '^S '-^•^- J^':?
En outre les chutes météoriques doivent être assez fortes pour
vaincre la résistance du sol, cuit et recuit aux feux de l'été, amollir
la croûte superficielle, la saturer d'humidité et pénétrer dans le sein
de la terre jusqu'à la rencontre d'une couche étanche. L'opération
(') Ibn Doraid, Isliqâq, 280.
Les < darât » 33
procède dans les circonstances les plus favorables, quand la pluie (')
s'abat sur la surface des dàràt (*). On appelle de ce nom des plaines,
recou\ertes de sable, closes par des montagnes, comme en un cir-
que. D'après les descriptions des Arabes, rien de comparable à cette
légère couverture de sable.
Elle joue au désert le rôle salutaire, maternel de l'herbe et des
plantes, dans nos climats tempérés. Y^alma mater, la terre massive
qui nous supporte, a elle aussi besoin de ménagements. Le sable des
dàràt préserve le sol contre les brutales atteintes de l'érosion, activée
par l'action incessante des météores : le soleil, le vent, la pluie. Leurs
attaques combinées donnent aux steppes arabes leur surface lépreuse,
cet aspect de pa3-sage lunaire, de planète éteinte. Le manteau de
sable est un protecteur, sans devenir envahissant, encombrant, comme
le lourd linceuil, recouvrant les nefoûd. Il abrite, mais n'enterre pas.
En amortissant les ra3-ons solaires, il ralentit l'évaporisation de l'hu-
midité terrestre, il favorise les manifestations vitales de la tenace
flore désertique.
Aussi les Arabes parlent-ils de leurs dàràt « con amore ». Ce
sable est blanc, « comme du camphre »; il est fin, aéré, trituré par
les vents du désert au point de devenir « coulant >, presque liquide (^).
Passant à travers ce filtre merveilleux, les pluies pénètrent dans les
couches inférieures : elles s')' emmagasinent à des profondeurs varia-
bles, souvent ne dépassant pas la longueur d'un bâton. Elles )• ali-
mentent les afisà (*) ; vasques invisibles, filets d'eau (^), glissant silen-
(') Comp. sUl ^iXjjt 'i^> et oC_lc i^.^ ï^b ; Bakrî, op. cit., 630, 8 ; 631, 4 d.
I. La qualification de J^'pl ~f^ (voir plus bas), terrain défavorable à la végétation, ne
saurait convenir aux dârât. Dans celles-ci la couche superficielle de sable recouvre et
protège le sol, où plongent les racines.
(-} Dârât de Qorh (W. Qorâ) ; A. Tanimâm, Hamâsa, E. IV, 157, 10, Ibn al-
Faqîh, Géogr., 32 ; Cf. Kitâb ad-dârât d'Asmal, éd. Aug. Haffner dans Ma'sriq, I, 406
etc. Les dârât possèdent leur végétation et leur faune ; Bakrî, op. cit., 338, Yâqoût,
E. IV, 14, bas; 119, 8 d. 1. eau dans la dâra.
P) Bakrî, op. cit., 336, 2; Yâqoût, E. III, 113, 10.
(■•) Yâqoût, E. I, 136-37; III, 274, bas; Ibn Gobair, Travels- 204.
(5) i^Uti, couches étanches ; Ibn Doraid, Sifat as-Sahâb, 30, 5 ; le 'i^f^^ ^^ de
Hamdânî, Cazîra, 157, 20-21 ; en revanche il mentionne des sables sans fond, où l'eau
Lamue.ss — Berceau 3
34 Les « hisa »
cieiisement dans le sous-sol, réserves bienfaisantes d'eau salubre et
pure. Elles sont bien connues des Bédouins, très adroits pour les re-
trouver. Cette découverte des eaux fut sous Mo'àwia la spécialité de
rOma3-yade Ibn 'Àmir. A sa naissance Mahomet avait pratiqué pour
lui le /ahiiîk, consistant à cracher dans la bouche du nouveau-né. Ce
fut l'augure de ses futurs succès de propriétaire: il n'exploita jamais
un domaine sans y découvrir de l'eau ('). Ces eaux souterraines con-
stituent la ressource des vo3-ageurs et des troupeaux transhumants.
Après une longue traversée, quand le chameau fourbu trouve à brou-
ter les buissons de gadà et à boire l'eau des hisà, ce régime ne
manque jamais de restaurer ses forces. C'est l'avis des Bédouins (*).
Il suffit d'ordinaire de gratter superficiellement le sol, pour en voir
saillir ces eaux souterraines (^). Les chameaux les apprécient, on vient
de le voir ; et les hommes ne font pas un moindre cas de ce liquide
frais et d'une saveur généralement plus douce. .Soustrait à l'ac-
tion directe de l'évaporation, il se trouve par suite moins exposé
à la salinité, à la condensation des éléments solides en suspension
dans toutes les eau.x du désert {* .
Comme pour les hisà, quand on veut voir saillir l'eau, au fond
des puits desséchés par le brûlant soleil d'Arabie, on se contente
fréquemment d'enfoncer un instrument pointu, par ex. une flèche.
L'opération très simple fut fréquemment pratiquée par Mahomet au
cours de ses expéditions militaires ('). Il faut sans doute rapporter
se perd, L^IL _ ,Uê V^ liU* VI i^^ L^ çijV ; ibid., 1. 24-25 ; c'est le contraire des
terrains «>Js 1-3 ïlil l^iiôLi^ ^_,yCÙi ; Bakrî, op. cit., 120, 5 d. 1. En poésie les
dàrâi sont présentées comme un séjour enchanteur ; Nagaid Gartr, 250.
(1) Yâqoût, op. cit., E. Il, 170 bas; Mo'âwia, 241; Maliomet crache dans la
bouche des malades; Ibn Mâgâ, Sotian, E. II, 189, 191.
(*) Ag., VII, 116, 9. Pour le gadâ voir plus loin.
(3) Ibn Gobair, Travels-, 187, 3; 203, 15; 204; Ibn Batoûta, Voyages, I, 257,
261, 407 ; nombreux kisà dans le Wâdi'I Miâh ; Bakrï, op. cit., 633, 15 ; « hisâ de
printemps » ; ihid. 633, 4 d. 1.
{*) Walther, op. cit., 47.
{') I. S. Tabaq., II', 70, 1 ; Yâqoût, E. II, 365 ; Bakrî, op. cit., 521, bas. (Dans
le Himâ Darjya, partout l'eau dans le sous-sol ; il suffit de creuser ; Bakrï, 626-30).
Aboû Yoûsof, Harâg, 128. On enfonce un bâton ; Musil, Arabia Petraea, III, 259.
Les « dahl » 35
à l'eau du hisà cette description du poète bédouin, Aboû't-Ta-
mahân.
« A volonté nos bergers puisent dans un creux du sol une eau
pure, limpide comme le cristal de l'œil du corbeau ».
Cette méthode sommaire ne saurait convenir aux da/i/. Ce sont
également des eaux souterraines, mais circulant dans des canaux
« d'une roche polie et lisse, défiant l'attaque du pic et du ciseau.
J'ai pénétré dans un de ces dak/, écrit un géographe arabe; arrivé
jusqu'à l'eau, j'ai découvert des masses li(]uides; mais l'obscurité m'a
empêché d'en évaluer l'étendue, la (]uantité et la profondeur. J'en ai
goûté avec mes compagnons et l'ai trouvée agréable et douce (") ;
c'est en effet de l'eau de pluie, ramassée dans les entrailles du sol » (').
Ces da/i/ se trouvaient disséminés sur la surface du désert. Ainsi le
prouve la fréquence de ce terme dans la toponymie (^). Le m3-stère
de ces eaux profondes, la difficulté d'arriver jusqu'à elles avaient valu
à certaines, c'est la remarque de Yâqoût, des réputations singulières,
entr'autres de guérir les troubles cérébraux ('').
Les eaux souterraines exercent une action beaucoup mieux vérifiée
et plus générale : elles assurent l'alimentation ("), le débit régulier des
sources, elles maintiennent le réseau des innombrables puits et points
d'eau, cou\rant de mailles invisibles la superficie de la Péninsule C).
(') Ag., XI, 134, 12.
('-) Parce qu'elle échappe au procédé de saunage, produit par le soleil.
(3) VâqoQt, E. IV, 42.
(•<) Cf. Bakri, zWerjr, s. v. Js^> ; Yâqoût, E. IV, 43.
(■'•) Yâqoût, E. IV, 42. Le scoliaste de Naqaid Gartr définit les ^^-^ cy^^
ç.wl_jJl |J.^.JJI (_5 i>^_ji >>i • <*-*_>^. ^'* J^t" ^-f:* '-r'^*'^. ^^'^^ cr* cJ^'^r^i Jfi) ^
UôiJI» -^ ■•■'■Il On ne se représentait plus exactement la nature de ces eau.x sou-
terraines; cf. Naga'id, 130, 12, 15: 166, 6.
C') Ibn Gobair, Travels-, 206, 3. Trois sources souterraines alimentent le puits
de Zamzam ; l'eau diminue ou augmente ; parfois même le puits demeure à sec ; Ibn
Rosteh, Géogr., 42, 43.
(") Le long de ces points s'échelonnent les campements des Arabes ; on est sûr
de les rencontrer; Ag., VIII, 80-81.
36 Creusement des puits
Leurs noms, accompajjnés parfois d'une brève description, se
trouvent dispersés dans les divans des anciens poètes ('). S'il faut
en croire l'histoire anecdotique de la littérature arabe, maint voya-
geur égaré dut à cette mention et à l'exactitude de sa propre éru-
dition poétique de ne pas mourir de soif dans la solitude ("). Le cé-
lèbre vice-roi omayyade Haggâg aurait même utilisé les indications,
fournies par le prince-poète, le chevalier-errant Amroulqais pour creu-
ser des puits sur la route du pèlerinage (^). Ce sont dans les recueils
de Naivâdir autant de recommandations indirectes en faveur de l'an-
cienne poésie, autant d'invitations à étudier ces vénérables monu-
ments du passé.
Le qualificatif de t_)l>=-, creuseur de puits, était fort envié. On
ne se montrait pas moins fier de posséder un puits inépuisable con-
servant de l'eau jusqu'au mois de Sa'bân (^). Celui du mythi(]ue
Loqmân était maçonné (''), un avantage peu commun en Arabie.
Telle est l'importance de l'eau dans l'existence des nomades que
deux tribus possèdent fréquemment en indivis le même puits C^). Il
en résulte comme aux temps d'Isaac et d'Abimelech, des différends C),
des meurtres aussi et d'interminables luttes fratricides ('). Remus et
(*) C'est là que Bakri, Yâqoût sont allés les recueillir, se dispensant trop souvent
de l'autopsie. Même opération sur la Tradition. Un toponyme, mentionné dans un
hadît d'Aboû Horaira, est d'office attribué au pays de Dau-;; Yâqoût, E. V, 422.
(2) Bakrï, op. cit., 620. Yâqoût, E. V, 421.
(3) Bakrï, op. cit., 207, 7; Yâqoût, E. V, 240; Qotaiba, 'Oyoun, 178-179.
(*) Naqâ'id Garîr, 242; Aboû Tammâm, Hamâsa, E. I, 56, 8; Bakri, op. cit.,
723, 6-8.
(=) Nagaid Garîr, 130, 13 etc. ^^ .s.\^\ ; Yâqoût, E. V, 304.
(«) Yâqoût, E, III, 351; 399; Ag., X, 73, 11 ; Yâqoût, E. V, 84, 357.
(") Bakri, op. cit., 154, 10 d. 1.; 185; 285, 3; 342, 15; 429; 627-28; Yâqoût.
E. III, 331, 5 d. 1. ; 391, 10; Ag.,X\, 127; puits comblé pour terminer un différend ;
Wùstenfeld, Gebiet von Médina, 31 ; guerre causée par un hiinâ (réserve) sur les eaux;
Ag., VIII, 159; Naqaid Garîr, 14, haut; le puits est comblé (voir plus loin); 214,
12 sqq. ; puits creusés dans le roc; Yâqoût, E. V, 109, bas.
(8) Yâqoût, E. V, 357.
Le « harim » du puits 37
Romulus se sont battus pour le berceau de Rome. Les tribus s'entre-
détruisent pour décider la propriété incontestée de quelques mètres
cubes d'eau ('). On connaît aussi des traits plus chevaleresques, comme
celui raconté de Oais ibn 'Asim, avec Mo'âwia le plus grand modèle
de magnanimité ou de hihn parmi les Arabes (•). Dans une razzia,
peu avant d'atteindre le campement ennemi, ce chef tamimite arrêta
ses hommes pour abreuver les chevaux, puis il donna l'ordre de
crever les outres, contenant le reste du précieux liquide. Ce geste
énergique leur disait: < si vous ne voulez périr de soif, vous avez
devant vous le puits de nos adversaires ; à vous de le conquérir 1 > (').
Pour protéger la possession d'une réserve d'eau, le droit coutumier
du désert déclarait fiarïm ou himà, c'est à dire intangible, le péri-
mètre du puits (*). A quelle distance de l'orifice s'étendait ce lam-
beau de territoire privilégié .' y) Nous l'ignorons au juste (^). Mais à
l'intérieur de son ra}on, il était interdit de creuser pour chercher
de l'eau ou d'y faire stationner des troupeaux étrangers (").
Maqdisï, un géographe du 10^ siècle a porté un jugement sévère
sur les eaux du Higâz : « Celles de Wâdi'l Oorâ et de Yanbo', écrit-il,
sont mauvaises; les autres sont bien près de leur ressembler ». -
< Pendant mon premier pèlerinage, ajoute-t-il, j'ai goûté l'eau de
Zamzam et l'ai trouvée détestable t^./: à une seconde visite, elle
m'a paru excellente » (*). Un barde bédouin déclare ouvertement
(1) Bakri, op. cit., 334, 11-12; 496-97.
(*) Cf. Mo'âwia, , index s. v. Qais ibn 'Àsim.
(3) Bakri, op. cit., 558, bas ; Ibn Doraid, Isliqàq, 203.
(^) Yâqoût, E. III, 264.
(5) Cf. FSlimn, 78; Aboû 'Obaid (ms. Kuprulu, Con^tantinople i 135'' , 'i)l ,_^ ^
.yiJI iii,*., J-vî-ll J»-i= • T^* ^ CjUj tj-
{'•) Les indications varient d'après la nature du puits ^>^ ou J^Xala. préislamite,
^Jo, récent; f. ■^^\ ^^"^ pour l'arrosage des cultures. On stipule « .')00 coudées d'in-
tervalle entre deux ^-^ »; Yahiâ ibn Adam, Haràg, 64, 71, 72 ; 73, 74. Autres me-
sures, données par Aboû Yoûsof, Haràg, 57. District percé de puits et de i— ->^ ;
Yâqoûî, E. V, 247.
C) Cf. Yahiâ, loc. cit. ; Aboû Yoûsof, loc. cit. ; Ibn Mâgâ, Sonan, E. II, 5L
(*) Maqdisï, Géogr., 101. Au lieu de l'eau de Zamzam, souillée par la foule
_^'JJ1 i.^y£. on propose à Mahomet des eaux plus pures; Hanbal Mosnad, I, 215. 1.
38 Qualité des eaux du Higâz
(]u'il sacrifierait tout le puits de Zamzam pour une gorgée d'eau de
son pa\s ('). Le jugement le moins défavorable, c'est en définitive
celui du géographe Istahrï : « on ne j)eut sans inconvénient en faire
longtemps usage, ^^ J* cJ^>))\ ,^S^ V (')• Nous aurons à en re-
parler à propos de la Mecque.
Pourtant les nomades ne se montraient pas fort exigeants en
matière d'eau. Sur les confins du désert sj-rien, je me suis vu offrir
des liquides, à la couleur, à l'odeur caractéristiques, de nature à sup-
primer la plus irrésistible envie de se désaltérer. Ils les qualifiaient de
potables ^—>}^, (|uand ils tenaient le milieu entre l'eau douce et l'eau
salée i_)iAJl^ £0^1 ^j^ ^^If 131 (^). Les puits saumatres doivent abonder
dans la Péninsule, s'il est permis d'en juger d'après la synonymie ex-
trêmement variée, contenant une allusion à leur salinité (*). Dès lors
on connaissait l'habitude {') de faire bouillir l'eau, i)our la conserver
pendant le vo3"age (").
Inutile de songer aux sources de nos montagnes s' échappant à
gros bouillons des flancs du rocher. Le Higâz possédait trop de pics
basaltiques, trop de monts pelés, ^^1. Quand ces masses rouges
ou noires (") cèdent le précieux liquide, renfermé dans leurs entrailles
(i) Bakrî, ofi. cil., 247, 5-6.
(-) Istalin, Géogr., 17, 13. Elle guérit, mais à condition d'en boire longtemps ;
Ibn Rosteh, Géogr., 58, 9; Ibn al-Faqîh, Géogr., 19; Yâqoût, IV, 401; Gahiz, Haia-
wân, I, 44.
(3) Ibn Sikkît, Tahdib, 558 ; YaqoQt, E. V, 260.
(■i) Ibn Sikkît, op. cit., 558-59 ; ^U^1 ._^L-«1 .^Ul ; Bakri, op. cit., 47, 669 ; Ibn I5a-
toùta. Voyages, I, 261, 408 ; Yâqoût, E. IV, 372 ; V, 426, ^a.yil joy^. Eaux prover-
biales pour leur douceur; Ibn Doraid, l'stiqàq, 111, 18; Bakrî, op. cit., 633, |»^L-c a.~»j
Les eaux sont censées influer sur le moral, témoin cette prière d'un Bédouin : Y fi^\
s. " f, _ . _ _ '
6^*0 Ijxl i^^li s^-w *to ,^^>_ï ; Qotaiba, 'Oyozin, 266, 1 ; Gahiz, Bayan, I, 152, 9;
Bakrî, op. cit., 623, cyM tUs.
(^) Le lait se conserve mal en voyage , Ag., X, 12, 1. 8 et 20.; cf. p. 16. On l'em-
portait seulement pour un léger déplacement. Eaux « douces » ou « très douces » ;
Yâqoût, E. V, 36, 2 ; 247, 4 ; 304 ; 357. Celles de Saddâ' jouissaient d'une faveur spé-
ciale ; Yâqoût, V, 342.
(8) Yâqoût, E. Il, 179, 6.
(') Voir plus bas ; A'açâ'id Carir, 658, 16.
Sources « errantes » et « vauclusiennes » 39
calcinées, où les derniers feux viennent à peine de s'éteindre, elles
le font avec une désespérante parcimonie : c'est le wasal, très estimé
— comme toutes les eaux de roche — à cause de sa pureté ('). Rares
sont donc les sources véritables, celles coulant à la surface du sol,
les sources « errantes et en mouvement >. ^^ asô'^ ^ (*). Il
faut admettre une exception pour certaines oasis — telles Haibar et
Taimâ' ; on y rencontre non seulement des sources, mais des ruis-
seaux alimentés par leurs flots (^). Il avait sans doute en vue un ruis-
seau le poète quand il décrivait « les eaux, promenant leurs méan-
dres parmi les troncs des ricins > ('') ou « à l'ombre des aràk, ^j^
^y^\ iJl^vi ^Uil cu2 » (YâqoQt, III, 405).
La région de Yanbo', près de la mer Rouge, en fournit un autre
exemple (^). Parmi ses « 99 sources » — ni plus ni moins — on en
compterait même de vaiicbisienms. Elles jaillissent du sable avec une
impétuosité irrésistible, au point de ne pouvoir être canalisées au bé-
néfice des cultures voisines (''). Il n'est pas toujours facile de distinguer
entre *U. ^ et f~^- puits ou source ? Nos documents, composés sur
des collections écrites, beaucoup moins sur l'inspection topographique,
laissent dans le vague la valeur de ces trois termes. Cette S}'non\"mie
désigne généralement des points d'eau, alimentés par des courants sou-
terrains (^), plutôt que des citernes, destinées à recueillir les eaux plu-
(1) Yâqoût, E. I\^ 201, 2-3 ; •>>^\ J-^ i) sU ; IV, 252, 6 ; Naqâ'id Garïr , 292, 8.
sources abondantes au fond des wâdi ; Doughty, Travels, I, 440, 448.
(•-) Ibn Hanbal, Mosnad, I, 253, 6 d. 1. ; Yâqoût, E. I. 253, 5 ; III, 233 ; V, 179;
Bakrï, 125, 9; 141, 7 d. 1., ru*^ tU ...Jo^U.^^à Médine; Yâqoût, E. II, 211, U ; Aboû
Zaid, Kitâb al-Matar, 267, 5 : JirJ\^ ^^1 J .Ij^ï.. a-^ ^_,.5t-.iJ ^-Ul ^ îUl ^\^)
P) Cf. Doughty, Travels, II, 79, 184 ; lac et nahr à Taimâ' ; Bakri, 209, bas.
(^) Ibn Sikkit, op. cit., 561 ; autre nahr à Taimân ; Bakri, 555 ; 14.
(5) Peut-être encore le « Wâdi'l Miâh » ; Bakri, op. cit., 568, 589, 704. Montagnes
autour de Tâif, remplies d'eau; Yâqoût, III, 450; sources i(\l^, jaillissantes dans la
région de Badr-Safrâ'; Ibn Batoûta, Voyages, I, 295, 296, 298-99 ; I. Gobair, Travels-,
182, 187; eaux courantes, YahiS, Haràg, 78, 19; 81, 16. Eaux courantes parmi les
aràk ; Ag., XI, 151, 4 d. 1. Eau courante, sortant au pied du mont Aboû Qobais et
utilisée par les foulons ; Yâqoût, E. V, 84, 13.
C^) Bakri, op. cit., 158, 4; 169, haut; 415; 416, 9; Yâqoût, E. H, 72, 2-5;
Wûstenfeld, Gebiet von Médina, U.
C) Yâqoût, E. II, 3-4. ïîU composée de 2 rakyya; Yâqcût, E. I\', 262, 6.
40 Les « petites eaux >
viales. Il n'est pas exagéré d'affirmer que certaines vallées aux envi-
rons de Médine, puis entre cette ville, la Mecque et Yanbo', sont
littéralement criblées de puits ('). Mentionnons particulièrement le pa^'s
des Banoû Solaim ("), ensuite la pittoresque région du mont Rad-
wâ (^) ; elle nous retiendra encore plus loin. L'abondance des eaux
courantes {*) constitue un des traits, reparaissant avec une fatiguante
monotonie dans la description du paradis <]orani(iue: ^IfJ'Sll |»^-^ c^ ^^.
Ce souvenir a dû contribuer à localiser à Raçlwâ le mystérieux séjour
du Mahdî sî'ite. Au sein de la fraîcheur, près des sources et des bos-
quets du Radwâ, ce « maître de l'heure » attend le signal de sa réap-
parition.
« La mort épargnera ce descendant du Prophète, jusqu'à ce qu'il
marche à la tète de ses escadrons, précédés de son étendard >.
Plus ordinaires sont les « petites eaux, .iv. C-< ou ij^-* * (^) à
débit insignifiant. Suintant goutte à goutte C), elles suffisent « à
abreuver un ou deux cavaliers au maximum » (*). Les plus estimées
(') Bakri, op. cit., 195 ; 415, 7 etc.; 534-35; ou encore <^U^ ; Yâqoût, E. IV,
321, 4; rakyya désigne aussi un puits ordinaire; Naqû'id Gartr, 31, d. 1.
(*) Une série de puits communiquants ; Yâqoût, E. V, 341.
(3) Yâqoût, E. III, 4 ; IV, 260-61. On distingue entre ^^t et yt> pour le harim
ou himâ; cf. Yahiâ, Harâ^, 72-73; ^-^c et ^y^ dans la toponomastique de l'Arabie;
Bakrï, op. cit., 187, 688.
(*) Eaux courantes, sources jaillissantes i\\^ à Holais et Batn Marr ; Ibn Gobair,
Travels^, 182, 184.
(») Ag., VII, 10, 5.
(*) Cf. Bakrî, 210 ; 544, ici probablement dérivé du toponyme J,wj Lxi, au di-
minutif; Vâqoût, E. IV, 255, 2-5; V, 293.
Ç) Yâqoût, E. IV, 255, 5-6 ; parfois itU ; ibid., IV, 262, 6 ; 281 ; Bakri, 706 ;
ïsL*, d'ordinaire avec des toponymes féminins ; cf. Bakrî, 718, e.xceptions ibid., 718,
1. 15, 20.
(8) Bakrî, op. cit., 546, 13 ; Yâqoût, E. IV, 321, c>^^^. »U-vJl iU, ^J^ *âjU
lj_L-< IM ^..jji-Oj^ ,^^Jl.^ ^; puits pouvant désaltérer «50 brebis»; I. S. Tabac.,
II', 72, 6; autre puits, suffisant «à deux souris»; Naga'id Garïr, 279, d. v.
Eaux salées et amères 41
étaient les eaux bleues ('), ainsi appelées sans doute à cause de leurs
masses pures et profondes, où se mirait l'ardent azur du firmament-
A d'autres on attribuait la propriété « d'engraisser les chameaux » i^).
On prêtait la même action à l'eau de Zamzam, pour le moins
d'apaiser la faim des pèlerins (^). A tout prix on voulait rétablir la
réputation compromise de ces eaux sacrées, puisque même en les
mélangeant avec du suc de raisins, on arrivait péniblement à en
dissimuler le goût nauséabond (*). De certains puits on disait que
< leur eau était semblable à l'eau du ciel » (^), c'est à dire à la pluie :
un éloge évidemment.
On s'en persuadera [mieux, si l'on songe au nombre considé-
rable d'eaux salées et amères C^), les Marah de l'Exode. Il corre-
spondait à ^celui des saôaha, terrains salins ("). On en rencontrait
jusqu'au sein de la fertile oasis de JMédine ("). Des plaines étaient
couvertes d'efflorescences brillantes, craquant sous le pied des mon-
tures ('). « Aucun cours d'eau n'intervenant pour laver et drainer
la terre, les parties solides des chutes pluviales s'amassent dans le
sol et augmentent insensiblement sa salinité => ('"). Il faut tenir égale-
ment compte de l'évaporation, de l'action de la chaleur solaire sur
les puits. Elles en exagèrent la densité et la proportion en élé-
ments solides, dont elles intensifient les réactions chimiques. Voilà
(') Ibn Sikkît, Ta/idîb, 562, 5 ; Hotai'a, Divan, III, 15.
(2) Bakri, op. cit., 342, 8, d. 1.
(3) Gahiz, Mahâsin, 182; I. .S. Tabaq., IV ', 162: >jxj cU Sil lLai> J U,
f ^. ° ^ ^ -»» j>^^°^s.. - ' ° ^ .
f.^ AÀsr**' ^-J^ ^ 0^*-^j ^^ cj-^ O^ Oj*~S-) (_5^^^ k:U-U-^ ; Yaqout, E.
IV, 401.
(■•) Cf. Hanbal, Mosnad, I, 215, 1-2.
(■•) Comp. j^jj— Ll »U^ ,^, purs comme l'eau de pluie ; A. Tammâm, Hamâsa,
E. I, 59 d. V. ; Yâqout, E. III, 113, 2 ; Bakri, 149, 7 <1. 1. : tUl 'L,Ss. <i^l.
(6) VâqoQt, E. II, 251, 332; III, 107; Ibn Sikkît, op. cit., 561, 2.
e
C) Yâqout, E. IV, 266, 12 ; avec des salines, IV, 283, 1 ; 319 : ^U,! ^UU, saline
Nagâ'id Gartr, 231.
(') Salines et eaux salées en Arabie; Hamdânî, Gazïra, 155; sel rouge; ibid.,
155, 18.
(«) Bakri, op. cit.. 172, 4: yU.1 C-^ ^__y«.ïw L^J \X^ j:,^ ^J >l^ '■^-^ J=^l-
('«) E. Banse, op. cit., p. 30.
42 Mahomet et l'eau des puits
pourquoi la plupart des gadir temporaires de la Péninsule finissent
par se transformer en marais salins. La même cause rend inutilisa-
bles nombre de puits, non alimentés par de puissantes sources sou-
terraines ('). Les Israélites en firent l'épreuve quand ils pénétrè-
rent dans la presqu'île du Sinaï ('■). Certains puits étaient salés au
point, disait-on « de brûler le poil du chameau » (^), apparemment
après avoir brûlé les parois de son robuste estomac. D'autres
parmi ces eaux possédaient des vertus laxatives, certaines une action
contraire. Le tout au gré des éléments chimiques, dominant dans
leur composition {*). Les prophètes de l'Ancien Testament avaient
changé la qualité des eaux. On comprendra donc pourquoi la Sira
attribue si fréquemment le même rôle à son héros (°). Il s'en acfjuitte
généralement en crachant (") au fond des puits, ou en }• versant C)
le résidu de ses ablutions (*).
Mahomet avait fait de tristes expériences avec l'eau de ces puits.
Il n'en manquait pas pourtant à Médine et plusieurs fournissaient
une boisson excellente. Mais ils se trouvaient d'ordinaire à l'intérieur
des f^âr ('), vastes enclos, où gîtait tout le clan avec ses troupeaux.
De là des infiltrations, une infection, transformant le puits commun
(') Walther, op. cil., 30, 43, 55, 62.
(-) Cf. Vigouroux, Dict. de la Bible, s. v. Mara. Le célèbre barrage de Mareb
aurait été transformé en saline; Ibn Mâgâ, Sonan, E. II, 49.
(3) Pour ce motif, appelés ^Iji^; Ibn Sikkît, op. cit., 558.
(*) Yâqoût, E. II, 179 ; Bakrî, op. cit., 552, 5 ; à la ligne 7, ibid., on trouve une
autre explication ; i*Jo> J-*»;', exercer une action laxative ; Yâqoût, loc. cit.,
f) Yâqoût, E. II, 332.
(S) Crachat, conseillé comme remède par Mahomet ; Bakrî, 606, 4 d. 1.
(') I. S. Tabaq, II', 72, 6; I. Batoûta, Voya^res, I, 257, 289; I. Gobair, Tra-
vels-, 197; Mahomet multiplie les eaux; I. S. Tabaq, II', 72, 1. A l'imitation de
Mahomet le faux prophète Mosailima, crache dans un puits et le fait dessécher,
Ci- m - -« ; Brockelmann, Ibti Gauzï's Kitâb al-H'afà', 33.
(*) Il s'en sert aussi pour les malades ; Bohâri, Sahîh, K., I, 62. Sources sta-
gnantes causant la fièvre aux chameaux ; Bakrî, op. cit., 297, 3.
P) Comme dans la saçi/a des B. Sâ'ida; Bakrî, op. cit., 167.
Les Juifs et les puits 43
en un bouillon de culture microbienne. La malaria de Médine s'expli-
que au moins partiellement par cette négligence ('). Un jour on crut
le Prophète ensorcelé. II avait seulement absorbé l'eau malsaine du
puits des Banoû Zoraiq (-). On suspecta naturellement les Juifs.
A Médine ils possédaient les meilleurs puits (^) et les musulmans
devenaient leurs clients. Cette situation ne pouvait se prolonger : on
chercha un prétexte pour les déposséder en attendant leur expulsion
de Médine. Au Higâz ils avaient gardé le monopole pour l'aménagement
des eaux. Sous le califat de 'Omar, il fallut encore recourir à leur
intervention pour restaurer et maçonner le puits principal de Taboûk (^).
Ceux de Wâdi'l Qorâ déplo}aient en ce genre ime habileté reconnue (^).
Le simple creusement d'un puits passait pour une affaire impor-
tante. On n'hésitait pas à implorer l'assistance pécuniaire des voisins,
comme on l'eût fait, quand il s'agissait d'une hamàla ou prix du
sang C).
Dans la vie de Mahomet, les histoires d'empoisonnement occu-
pent une place considérable. Facilement le Prophète soupçonne des
tentatives criminelles contre sa personne. Quand les Bédouins lui
offrent des victuailles, il oblige fréquemment ses compagnons à en
goûter avant lui ("). Depuis son expédition de Haibar, il souffrit
constamment de la fièvre, la terrible vialaria de Haibar, redoutée
(') Cf. notre Bâdia, 94-95; Balâdori, Fotoûh, 11.
(-) Bakri, op. cit., 384-85 ; I. .S. Tabaq., IV-. 4-6 ; on met volontiers en cause les
B. Zoraiq, à cause de leurs prosélytes juifs ; cf. I. S. Tabaq., loc. cit. On leur attri-
bue le « masgid dissident, )l «-<àJI »; Yâqoût, E. II, 4, 1. 7.
(^) Al-Bâbî, Nozhat an-Nâzirïn, (ms. Instit. biblique, Rome), 39* ; Ibn al-Faqïli,
Géogr., 25-26.
(^) Yâqoût, E. II, 365, 4 d. 1. On citait des eaux courantes, donnant la fièvre ;
Bakrî, op; cit., 641, 7-6 d. 1. Eau.x peut-être contaminées par la présence des lauriers-
roses, comme il arrive encore dans la TransJordanie, les pays de Moab, d'Edom et
la Pétrée.
(=) Voir plus loin.
(*) Naqaid Garîr, 31, d. 1. Le poète .Samau'al, le seigneur de Taimâ", se vante
de posséder un puits inépuisable ; Ag., VllI, 83, 4 ; c'était un Z^^ f^-^ *^ ■ Kakrî,
op. cit., 628, 631.
(") Bakrî, op. cit., 779, 5 d. 1. ; vraisemblablement une charge des citadins contre
les nomades.
44 La faune des puits
des nomades ('). Mahomet préféra attribuer son mal à l'effet d'un
toxique, administré par une Juive vindicative. Il avait l'antisémitisme
féroce : tel le dépeignent le Ooran et la Sira.
Elle est riche, trop riche la faune des puits et des sources déser-
tiques ("). La vie y pullule. Pour décrire une vieille Bédouine au
râtelier ébréché, les poètes aimaient à dire :
« Quand elle sourit, ses gencives supérieures rai>pellent une
collection de noirs coléoptères, nageant au fond d'un puits.
Le sable ! voilà un nouvel ennemi de ces installations. Charrié par
les samoûm, les « vents jaunes » de la Sira (^), il compromettait la
pureté des eaux, en }• accumulant d'énormes (juantités de poussières
minérales. Le liquide prenait alors des couleurs suspectes, comme si
l'on \' avait versé « une teinture de henné » (^), ou bien des végéta-
tions se formaient à la surface (*^).
Les sources arabes, en majorité souterraines et se trouvant fré-
quemment à des profondeurs considérables, ne pouvaient contribuer,
comme les eaux mortes des gadlr, à augmenter la superficie des ter-
res marécageuses.
Le Bédouin appartient à la famille des peuples buveurs de
lait, où il trouve sa nourriture et sa boisson ("). C'est seulement
(') Pour la combattre, la population de Haibar usait de Tail ; répugnances du
Prophète pour ce légume; Mo'âwia, 366; 5b'arâ' (Cheikho), 912, 2 v. G\i\à\, Sede pri-
mitiva, 606. Remèdes contre la malaria; citations poétiques dans Gâiùz, Haiau'àn W,
118-19.
(-) Pour ce motif et aussi pour la salinité de l'eau, résultat de l'active évapora-
tion, il faut fréquemment changer de puits ; peu de puits 3*^- ou ^3>'* ; I. S. Ta-
baq., II-, 44, 4; Yahiâ, Harâg, 73; Cf. Walther, Wûstenbildung, 87.
(3) Naqaid Garïr, 37.
(4) Balâdori, Ansâb, 218' ; cf. Ibn Sikkît, op. cit., .=>59, 4 ; Tab., Antia/es, I, 2736.
(5) I. S. Tabaq., IV-, 4, 1. 13; 6, 2; Ibn Sikkît, op. cit., 561, I.
(6) Ibn Sikkît, op. cit., 559, 2.
(') C^ '' avoir du lait, signifie se trouver dans l'abondance ; Abou TamniSm,
Hainâsa, E. II, 9. Lait boisson nationale; Ag., \', 191 ; VllI, 74, 75; XII, 37, 16;
XXI, 35, 5 sqq. Besoin irrésistible «du lait ;_;}^\ (Jl <*<^ ; Ag., Il, 411; comp.
notre Bâdia, 92.
Les puits et l'arrosage 45
en voyage ou en l'absence de son liquide favori, que cet enfant
jamais sevré se résigne à boire de l'eau. Il l'apprécie principa-
lement en vue de ses troupeaux; et se dispense pour l'entretien
de ses puits des plus élémentaires précautions hygiéniques. Aussi
mal surveillées, encore plus mal protégées contre les dangers de
contamination et l'insouciance des nomades ('), leurs eau.K devenaient
facilement croupissantes, entraient en fermentation.
Centre volcani(jue par excellence, le Higâz possède naturellement
des sources thermales et d'autres sulfureuses ('-). Je dois me contenter
de cette brève mention.
Seules les eau.x, coulant à fleur de terre, peuvent être directe-
ment utilisées pour la culture. Ainsi à Médine on se servait des tor-
rents temporaires, des eaux, accumulées pendant l'hiver derrière les
barrages basaltiiiues des harra, pour arroser les palmeraies (^). Gé-
néralement il fallait à force de bras (^), au mo\-en de cordes, de pou-
lies, de norias (^), amener l'eau des puits à pied d'œuvre. Le mécanisme
d'ailleurs très primitif était mis en mouvement par un homme ou par
un chameau. On amenait la corde en s'éloignant du puits, elle prenait
alors le nom de JUi* ("). Dans les débuts de son séjour à Médine,
°Alî le beau fils du Prophète aurait de la sorte travaillé, aux gages
d'un propriétaire juif C). Manœuvre pénible ! Aussi vante-t-on les puits
« à corde courte » (*). Parfois il fallait la doubler, dans le sens
(M Bakrî, op. cit., 562; Balâdorl, Fotoûh, 10-11; Ibn Mâgâ, Sonan, II, 50.
Yâqoût, E. m, 303: tU^I jJ^ *U ; variétés d'arrosage à Médine ; Yahiâ ibn Adam,
Harâg, 69-73, 86, 8-12 ; eau courante, Yahiâ, op, cit., 78, 1 ; S^. canal d'eau cou-
rante; Ibn Dbraid, Istiqâq, 28 ; Bakrî, op. cit., 654. tl<-*^l (_r«i-^ employé comme synon.
de ,Jj«XJ1 Lsiù«>, eau du sous-sol ; Yahiâ, op. cit., 84, 3.
('-) On y jettait les ordures ; voir dans les Sahth les Kitâb al-wodou' ; .Moslim,
Sahîh-, I, 124 ; Bohârî, Sahîh (K.), I, 72 ; parfois aussi les cadavres, comme après
Badr ; A. Ta.mmâm, Hamâsa, E. I, 188.
y') Ibn Sikkït, op. cit., 559, 2.
(*) Au moyen de seaux; Yahiâ, op. cit., 78, 80, 81, 82.
(5) i^Uo , tJl^ ; Yâqoût, W. m, 146, 16; cf. Fraenkel, Aram. Fremdwôrter, 134.
(6) Yâqoût, E. III, 11, 16.
C) Cf. Fàtima, 57 ; Ibn Mâgâ, .Sonan, E. II, 45,
(«) yaiJl ou tLiyi i^Ji; Yâqoût, E. II, 247, 2; 286; Hamdânî, Gazïra. 128,
18 : elioJl ^y>,^, Ibn Batoûta, Voyages, I, 335, yiill is-wo ; cf. I. Gobair, Travels^,
46 Profondeur des puits
de la longueur ('). Enfin certains puits, aux parois formées par la
roche vive, contenaient des eaux tellement profondes (|u'on devait
renoncer à s'en servir pour l'arrosaj^e (*). Heureusement quantité
d'arbres se contentaient de l'humidité, puisée dans le sous-sol, où
leurs racines allaient la chercher parfois jusqu'à 30 mètres de profon-
deur : ainsi font les tamaris et les acacias (^). Ce sont les cultures
h(il (^) ; certaines céréales entraient dans la même catégorie (") et
faisaient preuve d'une égale endurance.
188 ; Yâqoût, E. V, 36, 2 ; eaux dont le sLi . est à 20 ou même 80' iuls ; Yâqoût,
E. V, 84, 4; 247, 4; Hotai'a, Divan, III, 15: sLïcJI ■f^i\ puits communiquants
jiJlJI A^, JI ; Bakrï, op. cit., 743, 7, d. I.
(1) ,J^^, ^1 ^:>h^i-i-> ^i»- •;....< ; Yâqoût, E. IV, 19, 12.
(-') J'interprète de la sorte Yâqoût, E. IV, 195,2; ^i^^^S^"^ ^^i\-oJl J ^y^ ^ ;
L^gj ^jjiiX-Li i-i-^':^ tjl ^ii^ o'' P'i'ts inépuisables et peu profonds ; Wùstenfeld, Ge-
Met von Mcdiiia, 24.
(3) Cf. Walther, ot>. cit., 48. De Al-Hâg, Al-Hagi Maurorum, Aboû Hanifa as-
sure que Ij^-oo uaJ-/* ^)"^I (3 *^if- ^-^*-*J ; Lisâu al-'Arab, III, 70; Tag'Aroûs,
II, 26.
(^) Cf. Yazld, 330, n. 2 : Aboû 'Obaid, Garîb, (ms. Kuprulu, Constantinople)
192*, f^Ji^^ ^ ,^ 3'if^. '^~>r^. \3^'^ J-*-^" ; Yahiâ, op. cit., 80, 81, 84, 86.
(•^) Yâqoût, E. IV, 195, 1 : ,^J.ll «*^ ^yLaJ\ »\À»I ^v»!—'.* t\Ss.\ ^^*^)
jJl*woM ; dépressions conservant l'humidité ; ibid., E. 111, 397 : i\i\ L5■ï.^?. ^^}) o^
llUSll» ^^■^\ y=\io yb^ y^^\ C~^-y^. Ur^^ ^i^' (J>^ '-^o^^- Comp. Ibn Halâwaih,
Sagar, XXI, 5 : »lr^il t.».^ c, iU ji t-^ '^^ «-wJl ; « habrâ' », nom donné aux bou-
quets de sidr.
V
La fête de la nature. Cueillette de truffes.
Flore du Ijli^az. Sources et puits; classification
Revenons à des tableaux plus riants. Nous sommes au début de
l'hiver. Après quelques semaines d'attente anxieuse, de luttes, de
passes incertaines, de sautes de vent entre le Nord et le Midi chargé
d'humidité, la pluie est tombée abondante. C'est le saiL la trombe
d'eau, dévalant des hauteurs. « Bientôt les flots ont atteint le sommet
des tertres dans la plaine et rempli les vallées. Dix jours après, la
steppe se voit métamorphosée en un jardin saturé d'eau » ('). Ainsi
s'exprime l'enthousiasme du nomade, au sortir de la fournaise de
l'été arabe. .Son œil embrasé triple spontanément les dimensions des
objets. Il demeure vrai pourtant qu'à ce moment les mornes solitudes
du Higâz étalent toutes leurs séductions. Même en Arabie la nature
sait se montrer coquette, coquetterie austère sans doute, mais non
sans grâce. Une guirlande de verdure, c]uelques brins d'herbes lui
suffisent pour se faire valoir.
Ainsi qu'une bergère, au plus beau jour de fête,
De superbes rubis ne charge point sa tête
Et sans mêler à l'or l'éclat des diamants
Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements.
(') |_^J'-o iLi«> l^jjLil, i_s^^ \ yLs. '^1 UJuJ Ui; Ibn Doraid,5Y/Vî/ as-Sahab, 36.
48 La fête du printemps
Vivifié par les ondées hivernales, « un tapis verdo}ant recouvre
les cailloux de la steppe » ('). Végétation peu variée, il est vrai, mais
contrastant agréablement avec la désolation précédente. C'est le rabï' :
il suit le retour des premières pluies et de la fraîcheur. Période ra-
vissante pour le nomade et son alter ego le chameau ! La solitude
fourmille d'hommes et de bêtes (■), attirés par cette fête de la natu-
re. Les terribles écumeurs du désert, les losofis, les saiàtîn al-Arad,
les fâtik, les hait, aventuriers désavoués par leurs tribus, mis au
ban de cette patriarcale société, tous les chevaliers-brigands, tous les
outlaws de la solitude, vivant de rapines et de razzias, se sentent
entraînés dans le mouvement général ramenant à la vie pastorale.
Pour quelques semaines ils échangent la lance de la razzia contre la
houlette du berger. Arcades omnes! Le démon — c'était leur nom (^)
^j^LUi) U>y«J lyt? — se faisait pasteur. C'est un court intermède dans
la vie agitée, dans les luttes de la Péninsule, un pendant à la trêve
des mois sacrés, mieux respectée parce que plus impérieuse et im-
posée par les nécessités de l'existence matérielle. Pour quelques se-
maines le Bédouin échappe à l'angoissante préoccupation de mourir
d'inanition sous le ciel inclément de sa patrie {*). Pendant les dernières
semaines de l'été, la misère l'a parfois forcé de se nourrir de feuilles
et de baies, des fruits du domii ou palmier sauvage, de s'attacher
une pierre sur l'abdomen, pour comprimer les douloureux spasmes
de la faim (■').
Les puits, les réservoirs sont pleins à déborder ; le lait et le
beurre coulent à flots ; les petits Bédouins prennent du ventre et
s'arrondissent dans tous les sens ; leurs formes sphériques rappellent
(') Ibn Doraid, op. cit., 30, bas. D'après Rou'bat al-'Aggag, le processus de la
végétation serait plus lent : « un mois de pluie, un mois de germination, un troisième
de pâturage, un mois pour la propagation des espèces » ; cf. AsmaT, Kitâb an-nabàt,
1073, 5-8. Comp. les descriptions des rowivàd, réunies par Gâhiz, Bayân, I, 205 sqq.
Le rabV fait pousser le iJJb, fourrage ; Hotai'a, Divan, XII, 14.
(2) Ag-., VIII, 71, AjI^ ^ 'L.y 1^" cXi iJLiiJi pUxi J^l.
(3) Yâqoût, K. I, 148, 3 d. 1.
(*) ç^yi =.131 ^UJJ àU^U. Jsb^; Bakri, op. cit., 363, 2 ; Ag., X, 7.
(■') Comme on le raconte du Prophète et des Sahâbîs ; Ibn Mâgâ, Sonan, E. II,
278, 3 d. 1.; 280, 3; Gâhiz, Avares, 240, 12 sqq. ; 241, 2 sqq., cf. Fâiima, 43.
Truffes et artichauts 49
le caniche ('), gorgé du lait maternel (■). En consignant ces traits, je
me contente de résumer les descriptions lyriques des Bédouins, tout
en renonçant à rendre le pittoresque de leur langue savoureuse mais
réaliste.
Pendant toute la durée du rabi', « on peut éteindre le feu et en-
terrer le couteau » (^). Plus besoin de sacrifier les plus belles bêtes
du troupeau, pour mettre leur chair dans la marmite. A son maigre
ordinaire. l'Arabe ajoutera maintenant une abondante cueillette de
truttes. d'artichauts sauvages et d'autres plantes spontanées. Saturé
d'humidité, le sol de la steppe boursoufflée montre partout les extré-
mités des truftes. 11 n'3- avait qu'à se baisser pour les ramasser, ou
les déterrer avec l'extrémité du bâton. Aussi disait-on d'une tribu
peu considérée.
« Ils rappellent des têtes de tmftes. Le premier-venu les fait
sortir à coups de bâton »
Gorgés d'herbes, de plantes grasses et débordantes de sève, les
chameaux n'ont plus besoin d'être menés à l'abreuvoir, parfois à de
grandes distances {'). Au bout de quelques semaines de ce régime,
« leur bosse s'enfle au point de combler l'intervalle des épaules à
la queue; chez d'autres les deux dimensions, la longueur et la lar-
geur se confondent pour ainsi parler, tellement le ventre est gon-
(») Gâhiz, Haiauân, II, 62 : »l^l ,^^ ...i_-ijl V^ ^J^\ ol«<^' O-^ '^^
(2) Gâhiz, Haiawàn, II, 62 • t^ ,^,^»>>^\ ^:X-j1 ^ i^y-^^^ Zs^ C^'^i Cr^'**~*
wOli'; cf. notre Bâdia, 99 ; Gahiz, Bayàn, I, 205 sqq. £^1, avoir beaucoup de lait,
Aboû Tammâm, Hamàsa, E. II, 9.
(3) .UJ\ J-iitl^ ^U-LJl >1UÇ^; Ibn Doraid, Sahàb, 37 ; Gâhiz, Bayân, I, 208, 6.
(*) Pulicaria undilata: L. 'A., XIII, 280; Tâg'Aroûs, VII, 334; cf. Tâg'Aroûs,
I, 262 : plantes toujours vertes au fort de l'été ; Hamdânî, Gazîra, 156, 20 ; ,_àl;j«a/c,
fourrage d'été ; Ibn Halâwaih, Sagar, X, 15 ; XI, 4 ; ibid., XII, flore herbacée, spé-
ciale aux sables.
(S) Voir les références dans notre Bâdia, 99-100; Naqâ'id Gartr, 13. Ibn Maga,
Soiian, E. II, 179.
Lammcns — Berceau 4
50 Les chameaux s'engraissent
flé » (')• Il faudrait multiplier les citations (') et dans la langue ori-
ginale. Nous comprendrions peut-être alors l'attendrissement de ce
spectacle non seulement pour le Bédouin, mais pour les hommes
d'état de la d3'nastie oma3'3fade. Haggâg, le puissant vice-roi de l'O-
rient, se fait amener les chameaux prodiges; il les contemple avec
stupeur et finalement commande de les égorger, afin de pouvoir
comparer la valeur des chairs et des graisses obtenues (^). En faut-il
davantage pour montrer combien après un siècle de conquêtes, de
domination sur les plus belles contrées du monde antique, toute cette
société était demeurée profondément bédouine. Chassez le nahirel. il
revient au galop. Les charmes de la verdo\-ante Damascène se mon-
trèrent impuissants pour retenir les califes. A l'approche du rahï\
toute la cour émigrait au désert pour y jouir des douceurs de la
bàdia; c'était le nom donné à cette villégiature d'un nouveau genre (^).
Les pâturages les plus estimés seraient ceux « situés loin des
eaux . Ils ne sont fréquentés ni par les moutons ni par les ânes, ni
empestés par leurs crottins : autant de voisinages déplaisants pour
(') Bakri op. cit., 280, bas :
fi j
Uj»io Ji» ^v< U^jt 5 ^-M» !$»■'->**■'.• Sur les plantes et arbustes, trahissant le voisinage
des truffes, cf. Asma'i, Kitâb an-Nabâl (éd. Haffner) 513, 3-5. Autre plante spontanée,
le semh, une céréale; A. Musil, Arabia Peiraea, III, 152; comp. Maqdisî, Géogr., 252,
il pousse près des gadïr. Le iJÎ-3 correspond, semble-t-il (Musil affirme, p. 6, Im nôrdl.
Hegâz), au semh. Nombreuses variétés de tniffes ; Nagaid Garlr, 152, 4-15.
('-) Comp. A. Musil, Arabia Peiraea, III, 6 etc. « Ramasser comme on ramasse
des truffes » disait-on en terme de mépris; à cause de l'intervention du bâton et vrai-
semblablement encore de leur fréquence ; Nagaid Garîr, 582, 17. Sur le C^ (Panicnm
miliaceum) et autres céréales spontanées du désert, remplaçant le pain ; cf. Ibn Ha-
lâwaih, Sagar, XI, 5, 6 ; XIV, haut ; et les notes de l'éditeur Nagelberg, n.n. 59, 60,
86, 87, 176, 243. Le t3i était un aliment de famine : i_jjJll j3 Jîji-?,: c'était »j*a.
iJi-Ji ou encore ^> . si J^ yn^ O^^s-^»' li V-''/"^' «J^b, L. 'A., II, 481 ; Tag
'Aroiis, I, 639. Aussi n'était-il pas admis d'en faire l'objet d'une invitation ; Gâhiz,
Avares, 236, 6; Yàqoflt, V, 433-434.
(3) Bakri, op. cit., 282. Comp. la réflexion, conservée par Gâhiz, Bayân, I, 108,
4 d. 1. sur l'intelligence de Haggâg, « dépassant sensiblement celle du commun des
mortels, |_^UJ1 J^i* ^ ff^^ *'
(*) Cf. Bâdia, 100, etc.
L'Arabe et le chameau 51
les g^oûts aristocratiques du chameau ('). C'est du moins l'explica-
tion donnée par les Bédouins. Peritis m arte credefidum est ! (-).
L'Arabe, au dire de Sprenger (^), serait le parasite du chameau.
A la rig-ueur on peut concevoir la Péninsule sans Arabes, mais non
pas sans chameaux. Quand le chameau était repu, toute l'Arabie
cessait d'avoir faim. Il est le nourricier des nomades, leur véhicule,
leur objet d'échange dans les transactions commerciales (*). Son lait,
sa chair, ses poils leur fournissent le \i\re, et jusqu'à un certain
point le couvert (^). Si la plus noble conquête de l'homme fut le
cheval, la plus utile pour les Arabes fut le chameau.
Quelle tendresse dans le regard du Bédouin, quand à la fin d'une
belle journée de printemps il contemple l'ombre de son troupeau,
s'allongeant dans la steppe sans limites :
Un à un les chameaux se sont agenouillés
Lèvre pendante, l'œil dédaigneux, panse pleine !
Le couchant resplendit ! L'espace est sans haleine,
L'or vespéral revêt les objets familiers (^)
Aucune fête n'est éternelle : celle du rabV finissait avec les pre-
mières chaleurs de l'été. La table du festin était enlevée avec non
moins d'instantanéité <]ue la nature n'en avait mise à la dresser.
(') Yâqoût, E. m, 271, 2-4.
(') Ou peut ajouter sans doute la présence des mouches, redoutées par les cha-
meaux, surtout près de fourrés épais ; Naqaid Garîr, 636, 3 v. La mouche bleue
était la terreur du cavalier ; Aboû Tammâm, Hamâsa, E. I, 203, 2 v.
(3) ZDMG, XLV, 361.
(■■) La monnaie de compte pour le rachat des prisonniers, le prix du sang, le
douaire; conip. : U^sl^x-^ jUô. Cf. A. Musil, Arabia Pelraea, III, 254, et la re-
marque de Gâhiz, Avares, 233-34 sur le changement de signification dans ^_s1j^-o kL^'
Les cultivateurs de palmiers payaient en dattes le 3l>J*-o ; Gâhiz, toc. cit. D'après.
Qotaiba, 'Oyoûn, 461, 7, la célèbre Zarqâ' aurait été une chamelle. Encore une lé-
gende qui s'en va !
(^) Cuir du chameau, ses usages ; Jaussen, Pays de Moab, 275-76 ; anciennement
les liens étaient exclusivement en cuir; Guidi, Sede priniitiva, 580-8L Utilité du cha-
meau ; Aboû Tammâm, Hamasa, E. I, 127 ; Ag., III, 5, 1. 10.
(^) Alf. Droin, Le chant du Mogreb.
52 La flore arabk|iie
Voyons comment cet animal providentiel s'arrangeait alors pour vi-
vre au milieu des steppes rasées du Higâz. Steppes, avons-nous dit,
et non pas désert. C'est à la première catégorie de terres qu'appar-
tiennent en majeure partie les districts de l'Arabie occidentale.
D'après M. Ewald Banse, « la steppe suppose une longue période
de sécheresse, assez persistante pour empêcher des arbres aussi so-
bres que les pins et les fourrés de chênes d"}' résister. Par ailleurs
la période de pluie ne doit pas faire défaut, (iuoi(iue très courte,
mais durer suffisamment pour permettre aux radicelles des plantes
assoiffées d'absorber la quantité convenable d'humidité, et d'accomplir
en quelques semaines les fonctions de la propagation. La brièveté
de la période de végétation et la faculté de supporter une séche-
resse prolongée sont donc les conditions de la flore des steppes » (').
Comment ces conditions se réalisent dans la Péninsule, nous le savons
maintenant. Voyons à quelles variétés de la flore elles s'apiiliquent,
quelles ressources offre en dehors du rabt le règne végétal au Higâz.
Nos renseignements demeureront forcément vagues et généraux.
Sur le chapitre de la flore arabique, les érudits musulmans se
montrent aussi diffus que peu précis. C'étaient trop souvent des phi-
lologues citadins (^), étrangers à la vie du désert, plus soucieux d'al-
longer leurs collections lexicographiques, leurs listes de gai'lb ou ex-
pressions rares, que d'en établir la valeur exacte (^). Ajoutez que
l'étude scientifique des plantes du désert est à peine commencée ;
enfin que, pour comble de malheur, je ne suis pas botaniste. Que ne
puis-je me rassurer en répétant avec nos écrivains islamites : Allah
suppléera ^^LaJU^I dàil !
(') op. sup. cil., 29-30. Voir plus loin les détails sur la flore des sables, des har-
ras et des sabaha.
(2) Souvent leur érudition est exclusivement livresque. Ainsi ils citent comme re-
doutable entre tous « le loup [des fourrés] de fadâ », parce que les poètes aiment à
mentionner le UààJI -A^^; Tarafa (Ahlw.), 57, 4 d. 1., Gâhiz, Bayân, I, 207, 16. Rien
n'oblige à admettre la réalité de leurs longs séjours au désert avec le dessein de se
documenter sur place. Ils sont à peine renseignés sur les villes saintes. De là ces no-
tations désespérantes : « lieu dans ou près » la Mecque et Médine !
(■■') On trouve toutefois un embrj-on de description dans le pseudo-Ibn Halâwaih,
Kitab as-Sagar, très utile publication éditée par Sam. Nagelberg.
Traités sur la flore 53
Dans son traité « des plantes et des arbres » ('), le grammairien
Asma'i a dressé le catalogue des plantes du Higâz. Sa liste se borne
à une douzaine de noms. Il faut, cro}ons-nous, la compléter au moyen
des renseignements, contenus dans le même travail sur la flore gé-
nérale de la Péninsule. L'auteur a sans doute voulu désigner un
nombre restreint de plantes spéciales au Higâz, ou mentionnées par
les poètes de cette province (^). Un autre catalogue dressé par le
géographe sud-arabe Hamdânî (^) comprend une riche variété de
plantes, toutes extrêmement vivaces, comme il convient à la flore
des steppes.
Beaucoup plus complet et même plus précis se montre le Kitàb
as-Sagar, attribué à Ibn Halâwaih. Il comprend une respectable série
d'arbres et de plantes, propres au Higâz (■■). Ce travail corrige heu-
reusement notre impression première sur la pauvreté de la végéta-
tion higâzienne. Non moins rassurants apparaissent ses renseigne-
ments sur la flore, spéciale aux districts sablonneux (^). C'est plaisir
de l'entendre affirmer, à propos des variétés, décrites par lui, qu'elles
s'accommodent des terrains les plus ingrats, qu'elles s'épanouissent
dans le sable à 1 exception du J-<jJI js- . à savoir, le sable pur,
sans aucun mélange d'argile. Il entend désigner les couches sablon-
neuses, trop profondes pour retenir des traces d'humidité. Non seule-
ment le sable n'arrive pas à étouffer ces espèces, mais certaines,
nommons les J^^ (^), résistent aux sécheresses les plus prolongées.
(') jp-^\^ Cj^-JI c-J*^^. éd. Aug. Haffner dans Makriq, I, 877-78.
(-) Et pour cette raison attribuées au Higâz. C'est le procédé des encyclopédistes,
Bakrî, Yâqoût, pour les toponj-mes, mentionnés par les poètes. Ils les rattachent gé-
néralement au territoire de leurs tribus.
(3) Gazira, 156-57.
['■) Voir p. I, II, III, 4, 6, 11, 12. A la p. XVIII, 11 : ^^1=^1^ sjLa^l Lfil-Lî,
où ïj'^ doit signifier : régions montagneuses, rappellant le Higâz. Cette forme n'est
pas enregistrée, à ma connaissance, par les le.xiques. A quelles plantes on reconnaît
le Higâz ; Ibn al-Faqîh, Géogr. 27, 4.
(' i^s^ I arbre des sables ; Hotai'a, Divan, X ; Ibn Halâwaih, Sagar, XXI, 11.
(*) Asmal, Nabât, 1041 d. 1. Rapprochez : .U U ^J-o .LTyL^I ^^ et ys3.*iJl J-T^,
Ï^JJâS\ ^j; Ibn Halâwaih, Sagar, XXIV, 11, 12. Safaryya, période du mois de
Safar ; J-? j> s'épanouir comme les J^ ^■
54 Le fourrage « al-hamd »
Elles verdoient, « (luand le sol s'est durci » sous l'action du soleil,
j».VI ,_y~^L< ojo VI v^uj.-^. >^y tU-iJI <io,^ wv^^ 131 _, même avant la chute
des premières pluies. « La moindre odeur de l'hiver suffit pour les
ranimer » :
Ce stniggle for life est merveilleux chez ces humbles représen-
tants de la vie végétale. En dehors de la robustesse, une de leurs
particularités, c'est de comprendre une catégorie de lianes aux
longues ramifications, rampant sur le sol ('), de plantes basses sur
tige, généralement d'un goût amer et salé : collection variée d'absin-
thes désertiques, de végétaux acides et fortement aromatisés, tous
extrêmemeut juteux et non moins appréciés des chameaux (^). Ils
rendent le lait abondant, savoureux et riche en éléments nutritifs. On
comprendra donc les notations fréquentes dans les grands lexiques
et les recueils spéciaux, à la suite du nom des plantes : J^"iil(i ç^'-' ;
elles engraissent et font prospérer les bêtes, JLAI (j Aj«a^U ^s^\ iiL^
ou encore : « avidemment broutées par les chameaux *^ ^^y^ J-?^' '
Tous ces fourrages piquants de haut goût, on les range sous
le nom générique de Ja^- Le hmnd comprend les espèces à la
saveur saline ou amère ; plantes et arbustes, assez vigoureux pour
résister aux ardeurs de l'été. Ce genre exclut seulement les arbres
proprement dits ("). Si le régime du hamd favorise la production du
lait, on ne saurait en prolonger la durée, sans compromettre le
développement normal du troupeau. Cette nourriture échauffante et
(!) Ibn Halâwaih, Sagar, XIII, d. 1. ; XVI, 11 ; XVII, 7 etc. ; Tâg 'Aroûs. I.
222, 434; YâqoSt, E. III, 30, bas; plantes amères, ,1,-0^11 ^^..« ; Ibn Halâwaih, o^.
cit.. XII.
(2) Hamdânî, Gaztra, 157, ; Asmal, Nabât, 877. Aucun n'avait la réputa-
tion du sa'dân. On disait : ^\,XsuLi\ V^ i^r-^ '• ^^■' ^' ^^^ '< ^^^ Sikkît, Tahdib, 557 ,
Asmal, Nabât, 551 ; Yàqout, E. III, 279. Ses effets sur le lait; Nagâ'id Garîr, 208,
13. « Le sirât (pont de l'enfer) est armé de pointes, rappelant celles du sa'dân. à-^
^^,l>>j«-vJl CL..c=i/ iiU4.,rk. » ; Aboû Yoûsof, Haràg, 5, 1. 9. Voir notre remarque sur le
palais cuirassé du chameau !
(3) »Uij«JI ■" ■'■•■11, Asmal, op. cit., 751 ; même remarque pour la liolla, comprenant
plantes et arbustes. Comp. pourtant à propos du JjI, tamarisc, Jj'i'l Ur? Jfi-^^^ -^
il^i jJ: \ IM ; L. 'A., XI, 124; Tâg' Aroûs, VI, 177. Toutefois d'après Ibn Halâwaih,
op. cit., XXV : l!k JXJU J-^'>5 ^ 7?^-^'' *-J^I-
La « hoUa » . 55
trop forte gonfle démesurément le ventre et la croupe des bêtes (').
La diarée (^) guette le chameau gourmand ; les sucs acides et cor-
rosifs du hamd lui font peler les lèvres, Jj'Sil jiLiw* <*X1 ^ ^j:Xa3 (^).
Aussi l'instinct l'amènc-t-il à varier son menu, à mêler le hamd à la
holla, 'LXJ^- Cette dernière famille est constituée par des plantes plus
douces, offrant un aliment moins épicé: ^j.^ ^ is'^'iU. ^ c^'é U (^).
« Le hamd, disent les Arabes, c'est la viande ou le condiment, mais
la holla, c'est le pain pour les chameaux ». Cette considération les
console de la diminution momentanée du lait, qu'ils attribuent à ce
dernier fourrage. * La holla, assurent-ils encore, donne des jambes
au lièvre » (^) ; ce mammifère ne pouvant s'accommoder des nour-
ritures fortes, préférées par les chameaux.
(') Asmal, op. cit., 751 ; Hamdâni, Gazlra, 157 ; Yâqoût, E, IV, 247, Vallée
Lf.-!^ -XT; Bakrî, op. cit., 728, 2. d. !.
(2) JjVI fSZS CJ^ ; mention fréquente. Voir plus loin la remarque de Musil
sur le gadâ.
(•■•) L. 'A., Vil, 13 ; Tàg 'Aroûs. 111, 538.
(■•) Asmal, Nabât, 752 ; Hamdânî, op. cit.. 157. L'usage prolongé de la holla
fait maigrir; Ibn Halâwaih, Sagar, XXV: L-âisrv.»^' ^ ^<H^ J=^l ^1 C:.JjoLI \'>\
(*) Ibn -Sikkît, Ta/idit). 556; So' arà' {Cheikho) 910, 5 v. ; Asmal, Nabàt, 751. Le
mélange de hamd et de jiolla ne s'impose pas au rabî', quand abonde le fourrage frais ;
JJîJ J>Lc J^\>, J^' J,l c_>li3l j3 cJy^ lil^fjJÎ JoMI 3-:J:^ Ibn Halâwaih,
Sagar, XXV. ,_).Xà.l = être au régime de la ho/ta.
VI
Pâturages et flore. Les « nefoûd >. Territoires réservés
En Arabie on éprouve seulement l'embarras du choix, pour
découvrir des espaces improductifs et d'une complète stérilité (').
Chez les topographes rien de plus ordinaire que les remarques :
« plaine désolée sans végétation; canton sablonneux, où rien ne
pousse » C). Ces descriptions conviennent surtout aux sables mouvants
et profonds, où disparaît non seulement le pied du passant, mais
où, malgré sa large pantoufle spongieuse, le vaisseau du désert
lui-même risque de s'enliser (^).
C'est le lieu de rappeler les Nefoûd (*), rangées de dunes blan-
ches ou rougeâtres, couvrant des centaines de kilomètres et atteignant
parfois 50 mètres de hauteur (^). En été ces mornes étendues, d'où
toute vie semble s'être retirée, font la terreur des voyageurs. Mais
(») iS-Ji CU.*XJM ; Bakrî, op. cit., 246, 6 ; Ibn Batoûta, Voyages, I, 296, d. I. ; 297,
1. Près de .Médine, montagne «complètement stérile et sans eau »; Yâqoût, E. V,
332 ; 337, 355 ; YI. 43.
(2) Bakri, op. cit., 237 : L3^ CXUjV) sb li <aJJ^; Yâqoût, E. IV, 293. 4 d. 1.
L-S.<.«o CU.*-oV tU. Sur l'abondante terminologie pour les terrains sablonneux, voir
Guidi. Sede primitiva, 573.
(3) Yâqoût, E. IV, 113, 5; Hamdâni, Gaztra, 158, II: Jos'^l rw) A-i
(*) Etymologie et orthographe incertaines ; cf. de Goeje, art. Arabien dans En-
syk. d. Islam, 1,388; Wellhausen, ZDMG, XLV, 175 écrit ne/ud, avec rf ponctué (J>).
(^) Cf. la version italienne d'E. Reclus, Nuova geografia universale, IX, 894-96.
Les « nefoud » et la Dahna' 57
quand l'hiver a été humide, ils deviennent — le croirait-on ? — le
paradis des pasteurs. Les premières pluies les recouvrent d'un léger
tapis de verdure: une euphorbiacée, le _^ad(i, amie des terrains
sablonneux ('), s'y développe, au milieu d'une multitude d'humljles
plantes, de lianes vigoureuses et d'herbes fortement aromatisées (■),
dont les teintes olivâtres estompent la violente coloration du sol.
Pendant tout le rabi\ les espaces illimités des nefoûd constituent la
ressource des tribus environnantes, lesquelles s'y réfugient avec leurs
troupeaux. C'est comme un terrain de vaine pâture, préparée par la
Providence, surtout aux nomades pauvres, ou insuffisamment pourvus
de territoires pour la subsistance de leurs bestiaux. Un de ces mfoûd^
situé à l'extrémité orientale de la Péninsule, est principalement célèbre
chez les nomades. Ils en parlent comme d'une terre promise. « Pour
les fils du désert, comme pour le chameau, observe .Sprenger ('), le
milieu où ils vont se retremper, c'est l'aride Dahnâ', lorsqu'au prin-
temps elle étale ses herbes savoureuses et la parure de ses fleurs >.
A perte de vue des sables et encore des sables, de l'eau nulle part,
tout au plus au fond de quelque gouffre, où elle devient presque
inaccessible. Les chameaux n'en ont cure pour lors : les plantes gras-
ses et parfumées du désert en contiennent des provisions inépuisa-
bles. Leurs pasteurs possèdent du lait à discrétion, et devant eux
des espaces, de l'herbe, des pâturages, un air pur, vivifiant, et sur-
tout pas de fièvre à redouter ! On comprendra donc le témoignage
de nos auteurs ciue « lorsque la Dahnâ' verdoyait, elle attirait tous
les Arabes » (''). Aucun endroit de la terre, pas même Damas, « perle
(') Bakri, op. cit., 252, 4. L. 'A., XIX, 365 ; Tâg 'Aroûs, X, 367.
(■2) E. Reclus, op. cit., 900. Une variété rappelant le gadâ est le (^jl Ephedra
alata ; voir plus haut. On note les districts, riches en gadâ: Yâqoût, E. V, 167.
(3) ZDMG. XLV, 361.
(■*) Yaqoût, E. IV, 115, 2 d. 1. : Cuf. ^^\C^Jdy sUjfcjJI d^,yiaJJ. \'>\ ; réservoir
d'eau dans la Dahna'; Ibn Doraid, Isiiqàq, 146. Refuge des losoûs, qui y cachent
des outres d'eau, à des points déterminés ; Ag., X, 72, 21 ; 82. Leurs poètes disent
facilement : ^"LjJb Cj^' \-ni\ (qorâ = centres habités) ; Bakrî, op. cit., 639, 1 ;
grandes collines de sable, au milieu poussent les JJij, petites plantes fourragères, et
des arbres; Bakrî, 664, 13. La Dahnâ", située entre Basra et le Yamâma ; Ibn Doraid,
htiqâq, 14. L'identification avec le Rob' «/-^/î ne me parait pas s'imposer. «Sable»
58 Résistance de la flore
de l'univers », n'a été célébré par leurs poètes avec autant d'enthou-
siasme. Retenus au loin, leur plus vif désir est de la revoir en-
core ! (').
En Arabie la végétation arborescente se trouve nécessairement
clair-semée, moins pourtant qu'on ne l'imagine communément. On )■
rencontre non seulement des arbres, mais de modestes bocages.
Quand le soleil d'été aura brûlé les humbles plantes (°) de la steppe,
les feuilles et les baies des arbres, des buissons, sont destinées à les
remplacer, en attendant les pluies toujours problématiques de l'hiver
prochain. Ces arbres seront littéralement broutés par les chameaux.
La forme et la hauteur du cou de ces animaux donnent déjà une
indication à cet égard. Parmi les plus résistantes, ajoutons, les moins
exigeantes des flores mondiales, il faut assurément compter la flore
arabique. Comme le nomade, comme le chameau, mais avec plus de
rigueur encore, elle vit de rair du temps. Dans les années de sécheresse,
c'est à l'athmosphère, à la rosée des nuits (") qu'elle emprunte l'humi-
dité ; « l'odeur de l'hiver » lui suffit (^). Non seulement elle vit, mais
de 2 jours de longueur ; Naçà'id Gartr, 190, 5 ; coin boisé dans la Dahnâ'; ibid., 190,
10-11 ; sable aux arbres serrés, refuge des gazelles ; ibid., 602. 1. Section de la Dahnâ',
appartenant aux Taniîmites ; Yâqoût, E. V, 274 ; 383, 6 ; eaux et Cj^^^*^; arbres
nombreux; IV, 115, bas; V, 105, 106; éloge poétique de la Dahnâ', î'Wrf., \'I, 33, 10.
(i) Yâqout, E. IV, 115. Cet enthousiasme cadre mal avec la désolation du Rob'
al-Hali. Cf. Hogarth, Pénétration of Arabia, 333 sqq.
(-) C'est le iJJô, désignant actuellement les légumes, les produits de la culture
maraîchère. Parfois dans sa détresse le Bédouin était obligé de le déterrer ^ ^Â^_
JXJl; A. Tammâm, Hamàsa, E, IV, 69, 13 d. 1.; Ag., XI, 153, 9-10. Synonymie
de 'osh et de bagt, dans Ibn Halâvvaih, Sagar, X, 7 ; Cîl^ lii*^ iJ^ f'^ ^ i_-~-;i-»
-» ^ ^ «.
{^) Très abondante; A. Musil, Arabia Petraea, III, 6, 14; Jaussen, Moab, 254,
La plante absorbe l'humidité par son duvet abondant et par les parcelles de sel hy-
groscopique, qui la recouvrent. Comp. Vâqoût, VI, 152, 1.
(■i) tLX.iJI ^u , '^^ '^' : ^■O''' P'"^ haut.
Arbres-prairies 59
elle arrive à prospérer dans des conditions aussi défavorables. Parmi
les arbres et les arbustes, de nombreuses variétés poussent, on l'a
vu. au milieu des sables. Certaines espèces affectionnent même ce
terrain et y forment de véritables fourrés: le vocable de g-aina sert
à les désigner par opposition à gaida, arbres poussant dans les bas-
fonds humides ('). .\ plus forte raison trouve-t-on des arbres dans
les noires harra, terres embarrassées de blocs volcaniques, mais riches
en éléments fertilisants ("). Dans ces milieux embrasés et désolés
la végétation arborescente conserve, l'année durant, la sobre orne-
mentation de son feuillage et fournit des gommes, avidemment
sucées par les Bédouins (^). Verdure d'ailleurs sombre, il faut en
convenir, et s'harmonisant avec le cadre gris du pa\sage. Cette cir-
constance explique la tendance de la poésie arabe à la qualifier de
noire, ou à la comparer aux ténèbres de la nuit (^).
Au fort de l'été, les vents chauds, les samomn Ç"), ont ache\'é de
dessécher les maigres pâturages (^) de la steppe. Des épines, ramas-
sées en boule, des lianes, aux branches dépouillées et grillées, cou-
vrent lamentablement la superficie des plaines grisâtres. Une tristesse
infinie plane sur ces sépulcres du règne végétal. En tout autre pays,
ce serait l'arrêt de mort pour les troupeaux. La Providence \' a pourvu
en substituant aux pâturages brûlés toute une catégorie d'arâres-
pi'airies, de buissons, de fourrés : ils constituent les réservées pasto-
rales, le véritable fourrage de la saison d'été C). L'analogue de nos
(') Yâqoùt, E. II, 145, 8 d. 1. ; Ibn Hal5«aih, Sagar. XXII, 2.
(2) YâqoQt. E. III, 256; 257; 260, 10;
(^) Asmal, Nabàt, 878 ; harra, remplie d'arbres ; So'arS' (Cheikho), 870, 7.
(*) Asmal, Nabàt, 409, 410, 411 ; citations poétiques, ^Cpl »lT^» '. Ibn Halâwaih,
op. cit., XII, XIV.
(^) Ibn Batoûta, Voyages, I, 259, 261 ; i_i.;:-» ,^ f^y. une de ses victimes aurait
été 'Antar ; ./]g., VII, 152, haut; samoûin homicide; Ag., IX, 178, 5; description
poétique dans 'Alqama (Ahlw.), 113, 11-12.
C) Ils sont broutés sur pied L«J»> ^ Lu*_>l> frais et desséchés ; cf. Ibn Halâwaih,
Sagar et les lexiques passim.
C) Ibn Mâgâ, Soiian, E. II, 53 ; Ibn Halâwaih, Sagar, passim ; AsmaT, Nabàt,
1074; Wâqidî, (W), 227; Ya'qoûbi, Hist., II, 69, 20; Bohâri, Sahih (K) II, 80, 4;
So'ara" (Cheikho), 898, d. 1. Hanbal, Mosnad, III, 463, 12 d. 1. ; I. Doraid, Iktiqàq,
60 Le « hima »
provisions d'herbes, de paille, de foin n'existe guère en Arabie. Ex-
ceptionnellement, et dans les centres sédentaires, on ramasse pour
l'été les feuilles des 'idàli, nom générique désignant une catégorie
d'acacias robustes et épineux (*). Les annales primitives de l'islam
croient devoir prêter cet acte de prévo3'ance à Aboû Bakr (^). A la
veille de l'hégire, cet intime de Mahomet aurait engraissé pendant
quatre mois avec des feuilles de samora, une sorte de mimosa (^),
deux chameaux, destinés à favoriser sa fuite et celle du Prophète.
La tradition s'ingénie à multiplier les relations du Maître avec l'heu-
reux mortel, associé par le Ooran (*) à l'hégire d'Abou'l Qâsim.
Cette situation inspira une des plus intéressantes institutions de
l'Arabie préislamique : celle du himà (^). Aux chefs, chargés de
de diriger la communauté nomade, eux-mêmes propriétaires de trou-
peaux considérables, l'idée devait naître de protéger tous ces intérêts
contre l'inconstance du climat de leur patrie. Pour y obvier, il fallait
se résoudre à établir des enclaves, des territoires, où l'on surveille-
rait le droit de pacage et d'aiguade, en taveur des membres du
clan ou de la tribu, bénéficiaires du privilège de himà. La tribu
devait être bien misérable pour ne pas posséder une de ces ré-
serves pastorales, sorte de parc national ou de pâturage gardé. On
102; I. s. Tabaq., II', 43, 4; Naqà'id Garïr, 48, 49; A. Tammâm, Hamâsa, E, II,
8; ils constituent JUI ,_j-^^ (mal =: chameau) ibid.; I, 183, 3.
(') Asmal, Nabât, 1039; Yâqoût, E. III, 398, s. v. kX^; Ag., X, 19, 13 d. I. ;
en broutant, le licou du chameau s'embarrasse dans les branches ; Ag., X, 7.
(2) Balldorî, Ansâb, 164'' ; aJ^UL, chameaux qui broutent les acacias; Naqà'id Ga-
rïr, 40, 2. Le haram de la Mecque aurait eu pour but de préserver les arbres-prairies;
Aboû Yoûsof, Harâg, 59. Paille, mentionnée au temps de Mahomet ; Nasal, Sonati,
E. II, 154, 6.
(') Ou plutôt acacia, selon la terminologie plus récente. Pour l'équivalent scien-
tifique voir plus bas.
(<) 9, 40 : _jUJl t3 Ua M ^^;^'l JLi'
(5) Cf. notre Mo'âwia, 225.
Types de hima 61
choisissait à cet effet les cantons les plus plantureux, les mieux ada-
ptés par la nature du sol et les réserves d'humidité souterraine pour
alimenter la sobre végétation fourragère et forestière des steppes (').
Le t\pe de ces installations était le Himâ Dary^a ( "), situé au cœur
même de la Péninsule et drainant les eaux, recueillies sur les hau-
teurs voisines. La plupart des topon\-mes de cette région salubre et
ventilée, dépeinte par les poètes (^) comme une Arcadie arabe, ont
passé dans leurs divans et de là dans les enc\clopédies de Bakrî et
Yâqoût {*). Un autre type était le himâ d'Al-Baqi\ dans le voisinage
de Medine, offrant une succession variée de harra aux terres riches
et de gàdïr aux eaux estivales (^). Certains de ces himâ avaient l'ex-
tension d'une province ; tel le Himâ Dary\ a, tel encore celui de Ra-
bada, créé par "Omar (*) et sans cesse agrandi pour subvenir à l'en-
tretien des haras militaires du califat (").
Il faut assigner la même origine aux territoires réservés près de
certaines cités: la Mecque, Tâif, Médine. Dans l'origine, les princi-
paux centres habités ont dû être entourés de himà. En vertu d'un
accord exprès ou implicite avec les nomades des environs, il demeu-
rait interdit à ces derniers de mener leurs troupeaux à l'intérieur des
limites du himâ urbain (*). La cité possédait-elle un sanctuaire, le
(') Yâqoût, E. III, 346, 347, 2; I^Ioslim, Sahih\ I, 469, 9 d. I. ; Ag., VIII, 159
(réser\'e d'eau) ; XX, 165; XI, 26 (himâ des Lahmides) ; Jaussen, J/t)aé, 136; Doughty,
Travels, II, 245, 285 ; terrain où abonde l'humidité souterraine et poussent les sidr ;
Naqâ'id Garir, 73, 14 ; himâ des rois de Kinda ; Ya'qoûbï, Hist., II, 149, 2 ; cause
de guerres ; Yâqoût, E. V, 281 ; autres himâ ; Yâqoût, E. I, 329, 335, 342 ; V, 281 ;
A. Tammâm, Hattiâsa, E. I, 37; 'Alqama (Ahlw.), 110, 5 d. 1.
(-) Cf. Bakrï, op. cit., 626-639 ; il nourrissait des chevau.\ ; 'Alqama, (Ahlw.), 110,
6. « Nous défendons notre himâ » ; Naqâ'id Garir, 649, 2 v. Himâ sur les eaux ;
Sammâh, cité dans Yâqoût, E. V, 7, 3.
(^) Ils soupirent après le himâ ; Ag., V, 132, 133.
(*) Voir aussi les index d'Agâni, de la Biblioth. geograph. arabic. de De Goeje
et des Naqaid Gartr; Yâqoût, E. V, 433.
(*) (jLjwaJb UbfUo j_yiL-^ ; Bakrï, op. cit., 171.
(*) Naqr, autre himâ créé par 'Omar ; Bakrï, op. cit., 589, 9.
(') Bakrî, op. cit., 395 ; la « hoUa » y abonde ; ibid., 626.
(') Cf. Wellhausen dans ZDMG, XLV, 177. Ainsi Koûfa, une fondation des
Arabes possède son himâ ; Ibn Doraid, Istiqâq, 229. Description du himâ de Faid ;
62 Harain et hiina
hima. placé sous la protection de la divinité, prenait le nom et les
privilèges du haravi: il était considéré comme participant à l'invio-
labilité du sanctuaire. Ce fut le cas de Tâif et de la Mecque. La po-
litique des Qorai-sites s'ingénia pour élargir progressivement les limites
du haram, afin d'assurer leur propre sécurité et aussi d'absorber une
multitude de masgid, lieux saints de second ordre, établis dans leur \oi-
sinage ('). Quand Mahomet, souverain de Médine, voulut y établir
un haram, il lui suffit de donner une valeur religieuse à la significa-
tion profane du Jtimà. Sa perspicacité ne pouvait se méprendre sur
les avantages de cette combinaison (^). Les Bédouins refusèrent de
la prendre au sérieux; ils le lui prouvèrent en venant piller les pal-
meraies de Médine et enlever les troupeaux du Prophète ('). Les
sanctuaires situés, dans les lieux déserts — et c'était le cas de la
majorité des fétiches arabes — possédaient également leur himâ.
Les troupeaux du dieu Galsad paissaient sous sa protection dans les
dépendances du sanctuaire. Un animal étranger venait-il à franchir
les limites de la réserve, il devenait de droit propriété du dieu (*).
Dans tous ces himâ, réserves des villes et des tribus (^), la chasse,
la coupe du bois restaient interdites et, dans les haram, considérées
comme des sacrilèges (*'). La protection des sites, des arbres et des
Bakrî, op. cit., 717-19 ; zèle de 'Omar I et de 'Omar II pour la protection de ces
himâ ; Bakrî op. cit., 719. 'Omar I se voit forcé de les laisser envahir par les trou-
peaux des Mobas'sara: il s'e.xcuse de l'extension, prise par les himâ; Aboû YoQsof,
Haràg, 60.
{') Cf. notre République marchande, 13.
(5) Cf. Fâliina, 79-80.
(•') On le verra plus loin.
{*) Yâqont, E. III, 122; Wellhausen, Reste-, 53-56. Dans une partie de Himâ
Daryya la chasse porte malheur; les troupeaux tombent malades, si l'on vient à violer
la réserve du pâturage; YâqoQt, E. V, 437. Himâ du dieu Doû's-Sarâ ; tbid., V, 246.
(=) Une exception est toujours faite en faveur de r«jrfAiV», Andropogon schœ-
nanthum, modeste arbuste; cf. Ibn Mâgâ, Sonan, E. II, 139, 3 et l'explication mar-
ginale. L'idhir semble propre au territoire de la Mecque. Nous y reviendrons.
("J On utilise pourtant les branches du haram pour le taqlïd; Bakri, 335; autres
exemptions; Baladorî, Fotoûh, 42-43; Mahomet défend de toucher aux arbres, au gi-
bier de Tâif; Bakrî, 578; cf. notre Tâif, 7.; A. Tammâm, Hamàsa, E. IV. 87 (taqlïd).
Le respect du hima 63
animaux se trouvait de la sorte placée sous la garde de la divinité.
Les fauves eux-mêmes respectaient la sainteté des territoires sacrés.
Un loup, lancé à la poursuite d'une gazelle, s'arrêtait à la limite
du haram de la Mecque (')• Inutile dé parler des pigeons de la Ka'ba;
le trait étant suffisamment connu. Dans ces réserves étaient éle-
vées les races les plus estimées de l'Arabie : les chameaux, les
troupeaux des himâ faisaient prime sur les marchés de la Péninsule.
Nous ne parlons pas des chevaux, trop délicats pour s'accommoder
des ronces, des buissons et des absinthes, dont se régalaient les plus
fiers dromadaires. On estimait médiocrement les chefs et les tribus,
incapables de se constituer un himâ ("). Cette infériorité les réduisait,
en temps de sécheresse, à la merci de leurs voisins. Les puissants
n'en demeuraient pas là. Ainsi au temps du prophète Natan, on
mettait volontiers à la broche l'agneau du pauvre C). Un poète s'en
explique sans détours (*).
« Nous utilisons, sans aucun respect, le himâ des tribus et défen-
dons l'accès du nôtre.
Même le preux 'Amrou ibn Ma'dikarib ne réussit pas à imposer
aux nomades le respect de ses pâturages C^). Vrai socialiste, le
Bédouin, en fait de propriété, admet seulement la sienne. Pour assu-
rer la subsistance de ses haras, de ses parcs de chameaux, Mahomet
(') Ibn Rosteh, Géoffr., 57. Même observation pour le chien de chasse; Gahiz,
Haiawân, III, 43.
(-) Bakrî, op. cit., 807, bas. Pour se mettre en règle, on suppose parfois une con-
cession du Prophète; Yâqoût, E. V, 281.
(3) Ag., II, 186 d. 1.; Naqâ'id Garïr, 300 d. v. ; 539, 3, 9; Ag., X, 28, 19 cite
une « chamelle-himâ ; 'i\4- «isli », caprice d'un phylarque fassânide.
(^) Comp. Gâhiz, Haiœiuân, V, 128 : « Quand la pluie a irrigué les terres de nos
voisins, nous y lâchons nos troupeaux, sans nous arrêter à leurs protestations ».
(^) Naçâ'id Garïr, loc. cit..- cf. Mo'âwia, 224.
(«) Bakrî, op. cit., 148, 3.
64 Mahomet et le hima
établit des himâ. En d'autres termes, devenu clief de Médine, il avait
déclaré domaine privé, incorporé à sa liste civile les meilleurs ter-
rains de pacage, situés aux environs de sa nouvelle capitale ('). Le
bassin étendu du Idam, avec ses longues ramifications, recueillait les
eaux des montagnes voisines. Le wâdi irriguait par ses affluents : le
'Aqiq, le Qanat, le Bothan, la belle oasis de Médine et la saturait
d'humidité souterraine. Tout ce vaste système hydrographique avait
frappé cet observateur intelligent ("), et suggéré le parti à en tirer pour
l'établissement des himâ. Il ne plaisantait pas d'ailleurs (^) sur
l'exercice de ses droits souverains. Malheur aux tribus, assez osées
pour envahir ces réserves, « pour se révolter contre Allah et son
Prophète » ; ainsi s'exprime le Qoran. L'apôtre de la miséricorde -
c'est un de ses titres dans la Tradition — les traitera, comme jadis
les dynastes gassânides avaient réprimé un délit analogue des Banoû
Dobiân {').
Aux Médinois il interdit de toucher à ses arbres-prairies : a//.
tarfà\ sid}% arâk^ saiyâl, saynora^ talh^ salam^ dâly correspondant à
des variétés que nous désignons sous le nom d'acacia, tamarisc,
mimosa (^). Four assigner à chaque terme de cette terminologie
arabe un équivalent en nos idiomes occidentaux, il faudrait recourir
à la langue rébarbative et bigarrée de notre botanique scientifique.
On les rencontre généralement associés par groupes de même espèce.
Certaines vallées renferment surtout des salam^ sorte d'acacias au tronc
élancé ("). Ailleurs on trouve plusieurs variétés réunies: dàl(^) et arâk ('),
(1) Cf. Fàtinia, 79 sqq. ; Mo'âwia, 117; Yâqoût, E. III, 64.
(-') Cf. notre Yazïd, 237 sqq. ; Wûstenfeld, Gebiet von Médina, 16 ; Yaqoût, E.
IV, 319. Nombreux sail, à Médine, toujours utilisés pour l'irrigation; Ibn Mâgâ, Sonan,
E. I, 223.
P) Comp. Qoran, 5. 37; I. S. Tabaq., II', 67.
(^) Bakrï, op. cit., US; Yâqoût, E. I, 310; Balâdorî, Fotoïih, 9, 13.
(5) E. Reclus, op. cit.. IX, 819-20.
(«) Asma'î, Nabât, 103, 9 ; Bakri, 345 ; Yâqoût, E. V, 420.
C) Arbre de la steppe J$ Zj ; Asmal, op. cit., 1039; Ag., VII, 95, 4, d. 1. ; le
dàl=^\J^\ y^^\; Ag., IX, 15), 11.
(*) Yâqoût, E. IV, 93, 4 d. 1. La plupart de ces arbres se retrouvent dans la
harra; cfr. Doughty, Travels, I, 379, 439; II, 72; JjMI ^i , plantées de ail, épithète
Aspect de la flore 65
encore une variété d'acacia vidàh et sidr ('), sidr et dàl (*). D'autres can-
tons à la terre plus riche, ou conservant mieux l'humidité, réunissent
toutes ces espèces (^) et produisent des arbres de belle venue (^).
Je parle de leur développement. Car leur aspect n'offre rien
d'attrayant et contraste vivement avec la placide et reposante flore
de nos climats. On dirait le front d'un bataillon, hérissé de baïonnet-
tes. En Arabie le rèfi^ne végétal se tient sur la défensive : aux assail-
lants il offre des pointes et des épines, un feuillage rare, court, tour-
menté et rugueux (^) ; aux 3-eux, des couleurs ternes, cendrées, se
confondant avec les teintes grisâtres du sol ; au palais des siics rési-
neux et amers i^). C'est la réunion de toutes les conditions pour
fréquente pour les vallées ; Nagâ'id Garïr, 158, 5. Voici quelques équivalents de ces
noms d'arbres, les plus fréquemment cités. AU := tamarix articulata ; Tar/â' = ta-
marix manifera ; Sidr -=. viola arborea ; Arâk = salvadora persica ; Sayâl ;= acacia
seyal ; Samora =: acacia mellifera ; Talh =: acacia abyssinica ; Salant =: acacia arabica ;
psl z= Rhamnus Lotus. Conip. Schweinfurth, Arabische Pflanzenriainen ans Aegypten,
Algérien und Jetnen. Incomplet pour la flore arabique et avec une transcription peu
heureuse. Le 'idâh est un terme générique ; il désigne de gros arbres à fortes épines ;
Ibn Halâwaih, Sagar, I ; comp. Nagâ'id Gartr, 211, 212. Nôldeke, Neue Beilr. z. seni.
Sprac/iwiss., 145. L'aràé est renommé pour ses cure-dents, i)VX«*o *llj-uJl j=c\Jo yt
à^^jLi ; la vallée de Na'mân près de 'Arafa, avec ses fourrés d'arâk, fournit les meil-
leurs cure-dents ; Naçâ'id Gartr, ôôï, 2 v; .^..^l »> , autre épithète de vallée; Na-
gâ'id Gartr, 578 ; j^lj\j-.«j ; YâqoQt, E. V, 53. Talh et Sayâl ; Aboû Tammâm, Ha-
ntàsa, E. I, 89. Vallées pleines de a//.- Auler Pascha, Die Hedschasbahn, II, 9; autres,
où domine le talh; Vâqoût, VI, 98.
(') Yaqoût, E. III, 396, 3 d. 1.
(2) Bakrî, 576; Yaqoût, E. II, 253; III, 332, 1 ; Zohair (Ahhv.), 81-U.
(^) Noms collectifs des divers groupes d'arbres ; Ibn Halâwaih, op. cit., XXI,
XXII ; Hamdânî, Gazïra, 155-56 ; chez le même auteur sidr est synonyme de daum,
palmier nain ; 156, 2. D'autres expliquent le rfS/par petit sidr; ci. I. Doraid, Isligâg, 28.
(•>) JljkJl ^jsn-iJl vJU-Jj; Bakrî, 415, 7 etc.; <iUl.b if^\ I- S. Tabag., II',
44, 7; gros arbres; Ibn Halâwaih, Sagar, III, 10, 12; IV, 11.
{;•>) Jyii- ; YâqoQt, E. IV, 263, 3 d. 1.
(^) Asmal, Nabât, 878. Comp. les notations : C^il àJi^^ — j«il ^ >^ (lisse)
^_j»JJal — 3W^ *'rrr-* — o" encore el-<i sl-ôi., vert-cendré.
Lammeks — Berceau 5
66 Elle présente des épines
résister aux ennemis du dehors, avant tout au contact brutal du
soleil, des vents empoisonnés du désert et des nuées de sauterelles.
Nous nous trouvons, tout le rappelle, dans le pa3's d'Ismaël. Jusque
dans le calme, dans l'inaction apparente de la nature végétale, on
retrouve le S3'stème de la paix armée. Si vis pacem!... L'.A.rabe disait:
.yji^ ^\ i^U. , oppresseur ou opprimé ! Entre les deux situations il
n'apercevait pas de milieu (').
Je ne sais quelle famille ancienne arbora jadis la devise: qui
s'}^ frotte, s'y pique. C'est la devise de la flore arabifjue ou plutôt
celle de l'Arabie entière. Un géographe, par ailleurs fort positif,
Hamdânï émet à ce propos une observation, qu'on ne manquera pas
de trouver piquante : < Dans leurs noms propres, les Arabes affectent
d'emprunter les appellations des arbres épineux, broutés par les
chameaux, à cause de leur rudesse et de leurs pointes, de leur dureté,
de leur endurance et de leur capacité à supporter la pénurie d'eau et
le manque d'arrosage » ('). La nature devait leur suggérer cette idée ;
et rien n'oblige à tabler ici sur la croyance, d'ailleurs partagée par
les Arabes: l'influence mystérieuse du nom, porté par le titulaire.
Dans la botanique du désert, parmi les arbres grands ou petits,
fourrés ou buissons, marquant de taches plus sombres la morne
superficie du Higâz, la famille la plus abondamment représentée est
celle des plantes à piquants, des 'idàh^ comme s'expriment les écri-
vains arabes (^). Pour eux la majorité des arbres de la steppe sont des
'idàh. Comme description, cette notation doit paraître insuffisante, mais
j'en connais peu d'aussi réalistes, renseignant mieux sur la nature de
la végétation désertique. Dans le sadàn (■*), le fourrage préféré du cha-
meau, nous n'aurions découvert qu'une boule d'épines, bonne pour le feu.
« Par adaptation aux vents violents, toutes les plantes pérennes
(') Comp. jCii J^UJl j^uL^I ^^^ , Zohair (.A.hl\v.) 96, 2 d. 1.; poète très admiré
par les anciens Arabes, comme résumant leur sagesse. Voir p. ex. Zohair (Ahlw). 96-97.
(*) Hamdânï, Gazîra, 134, 1-2 ; cf. Ibn Doraid, l'stiqcu}, 4, bas.
(•') Asma'î, Nabât, 1039 ; Ibn Doraid, Istiqàq, 249. yp-i ^J* ç-ÏJ. ^\ sUà«J\
sLoaJl Ljj»-»^ <*Â)J«sa »U>.w\ àJ i)».^! ; Ibn HalSwaih, Sagar, I, 3.
(■■) Voir plus haut. Pour indiquer un objet de n\il pri.x, on se sert du terme ,_)-*_»
arbre sans épines , Nagà'id Ganr, 225, 2 v. ; voir le scolion ibid.
Le « gadâ » 67
du désert ont les feuilles courtes, étroites, rugueuses, terminées en
pointes d'alêne, ou couvertes dune épaisse fourrure de poils blan-
châtres. Un épidémie, rappelant le cuir et le liège, ou semblable à
une housse blanche, protège le tissu contre les vents desséchants ;
et des couchers légères de sel hygroscopique y fixent des traces
d'humidité. L'élasticité des tissus donne au bois et aux branches une
forte flexibilité. De longues racines ancrent l'arbre dans la terre,
pénètrent jusqu'aux couches humides souterraines pour }• puiser la
provision d'eau indispensable > (').
Dans son « Livre des plantes et des arbres », AsmaT (p. 1039-40)
décrit sommairement plusieurs spécimens de cette flore étrange :
toutes ont un trait commun: les épines. Ces piquants paraissent
plutôt attirer le chameau. En dépit de sa gravité et de sa prudence
proverbiales, il arrive pourtant au dromadaire de s'\' blesser le
naseau ("). Quand on l'a vu, dans les contrées du Levant, croquer
béatement les énormes feuilles de cactus, armées d'épines effilées
comme la lancette du chirurgien, on comprend qu'il soit l'animal
providentiel de la Péninsule.
Un des arbustes les plus répandus, c'est le gadâ, t ressemblant
au atj\ mais moins gros et moins haut ; il pousse principalement
dans le sable > ('). D'après le Prof Al. Musil, « il atteint 4 à 5 mètres et
même dans la saison la plus chaude conserve la fraîcheur de sa
verdure, comme au début du printemps. Ses longues branches
flexibles offrent un excellent fourrage aux chameaux, mais il cause
la diarrhée » (^). C'est le châtiment de leur gourmandise (^), quand
ils négligent de mêler aux plantes salées les fourrages moins forts,
{•) Walther, op. cit., H-lô.
(-) Asmal, Nabot, 410, 2-3 ; vers de Doû'r Romma, différemment interprété ;
voir les notes de l'éditeur. Walther, op. cit., 76.
f) Vâqoût, E. II, 145, 6 d. 1. : Bakrî, op. cit., 251; gaàs. = Ephedra. L. 'A.,
XIX, 365 ; Tàg 'Aroûs, X, 367.
(^) Musil, Arabia Petraea, III, 14. .Après un long voyage on envoie les cha-
meaux se refaire en mangeant du gadâ; Ag., VII, 116, 9 d. Les Arabes distinguent
plusieurs variétés de gadiS ; Ja.Vl = Ephedra alata; iJUxiJl = Caroxylum arti-
culatum, toutes venant dans la sable.
(^) Voir plus haut, pp. 54-55.
68 Ronces et buissons
désignés sous le nom de lioUa ('). Toute une riche collection de
ronces buissonneuses, — nommons le 'ausag (*), le lasaf, le alà (*),
sorte de buis — outre leurs feuilles, toujours très courtes, produi-
sent encore des baies comestibles (*). La multiplicité de ces buissons
suffit souvent pour mériter à certains cantons la qualification de
io,fp.'^ Jpj\ terre abondante en arbres (*). « Les fourrés de ronces,
observe E. Banse {op. cù., 106) représentent la forme sèche, le négatif
de la forêt, un essai pour la remplacer, partout où se fait sentir
l'absence d'humus et d'humidité souterraine >.
(») Cf. Asmal, Nabâ/, 752.
(*) Il apparaît également dans la liste des noms propres arabes. Ibn Doraid,
Isiigàç, 131, bas; Ag:, IV, 137.
(3) Asmal, op. ci/., 878; ' ausag =r Lyctum arabicum; \asa.{ =i Capparis £-a/ea(a ;
alâ' = My ri us communis : cf. Ibn Halâwaih, op. cit.. Vil, 7; IX, 9-10.
(*) Baies du dal et de Varak,; Yâqoût, E. 93, 4 d. 1.
(5) Bakrï, op. cit., 193; steppe appelée JS^-il C)l>; Ag., X, 78, 3 d. 1.
VII
Grands arbres. Arbres sacrés. Les « harra » et anciens volcans
Les arbres de belle venue sont évidemment plus rares. On en
rencontre pourtant, principalement des tamaris et des acacias, atj^
tarfcL, aràk ('). Dans une expédition, les Compagnons du Prophète,
exténués de faim, durent se nourrir de feuilles. Pour les atteindre ils
se virent obligés de les abattre au mo\-en de leurs arcs (^) et de
leurs bâtons : cela permet de supposer une hauteur respectable.
On rencontre des forêts sur divers points du Higâz, principale-
ment dans la région alpestre dss .Sarât; il en sera question plus
tard. Aux environs de Marr az-Zahrân dominaient les arâk (^). Cette
variété d'acacia se trouvait de même bien représentée dans d'autres
vallées (■*), comme celle de Na'mân près de Mina et de 'Arafa (^).
(*) Asinal, op. cit., 751, 1043; Bakri, op. cit., 415, 7 etc.; plus rarement des
conifères ^^ ; Bakri, op. cit,^ (fi^^ 2.
(^) U.^t>jL> k.«_il ^j-UjiC ; une variante cite les bâtons; Hanbal, Mosnad, III, .^11.
A Hodaibyya les Compagnons soulèvent les branches de Varbre de la bai'a; I. S.
fabaq., II', 72 bas. Arbres L^ jJJLvi. ; Yaqoût, E. Y, 424, 14; VI, 83; ^^.
grands arbres; Yâqoiit, E. V, 64, 68; A^:i-«o iiyscvi) et ^u}Ji* » -sr-w ; Ibn Halâwaih,
Sagar, III, 10, 12.
(3) Ag., VI, 97; Yâqoût, E. I, 169; Ibn Gobair, Travels^, 173, 2 d. 1. t.\^.
terre boisée ; Nagà'id Garir, 159, 1 ; Ibn Halâwaih, Sagar, XXI, 5.
(') Vallée pleine de 'idâh ; Hanbal, Mosnad, III, 311, 8 etc. ; forêt du même arbre,
Ag., X, 9, 13 d. 1.
(^) « Plus vert que Na'mân » ; Naqâ'id Garïr, 548, d. v. 349 ; iJI^Ml yJ^i ^>\^ ;
Bakrî, op. cit., 585. 586; cf. Ag., VI, 25, 26; d'après les vers cités ici, le vvâdi est
entre Tâif et la Mecque; J. S. Tabaq., I', 8, haut.
70 Arljres sacrés
Une autre forêt est signalée à Homm, près d'un gadir homonj^me,
célèbre dans les récits sîMtes ('). Ailleurs c'étaient les daum, les
doums ou palmiers-nains (^). Cet arbre figure fré(|uemment dans les
descriptions des poètes, concurremment avec le dâl ("), rencontré
également par bouquets forestiers, au pays de 'Odra, donc au Nord
de Médine (■*). Près de cette ville, le topon\me Al-Gàba (^), très
connu, atteste également l'existence d'une végétation arborescente.
Rien n'autorise à penser aux forêts de nos climats. Quand nos au-
teurs emploient à ce propos le qualificatif dense, nioltajf, il s'agit
évidemment d'une densité, appréciable en Arabie (°) seulement.
Avec l'institution du hima, les sanctuaires préislamites contri-
buèrent à préserver de la destruction les plus beaux spécimens du
règne végétal. Tous possédaient dans leur voisinage des puits et un
bouquet de beaux arbres; objets d'un culte spécial et couverts d'ex-
voto (^), tel l'arbre de HodaibyAa, respecté par le libéralisme de
Mahomet (*). 'Omar dut se résoudre à détruire ces litais sacrés, me-
nace perpétuelle pour le monothéisme vacillant des néoph\les bé-
douins (") : à preuve l'attitude de 'Abdallah fils de 'Omar. \\\ cours
de ses fréquents pèlerinages, ce dévot personnage sacrifiait ius<iu'à
sa dernière goutte d'eau pour arroser les nombreux arbres, ayant
eu l'honneur d'abriter Aboû'l Oasim entre Médine et la Mecque ('"). Si
(') Bakrî, op. cit., 232; YâqoQt, E. 111, 469.
(-) Bakrî, op. cit., 354; YâqoQt, E. IV, 41, 6; 106; appelé aussi ^JjL-^.^ ^s^ ;
Ibn Batoûta, Voyages, I, 299 ; on s'en sert pour allumer le feu ; Ag., VII, 85, 86 ;
Ibn Gobair, Travels-, 184.
f) Bakrî, op. cit., 195, 205 ; vallée ombragée ; Ag., XI, 25, 5.
(•i) Bakrî, op. cit., 616; forêt dans la même région; Ag., VII, 81, bas.
(») Un des himâ de Mahomet; I. S. Tabaq., II', 58, 2-5; 59; il est razzié par
les Bédouins ; ihid.
C) On signale des pins au sud de Aila (Bakrî, 196, 15-16) et au pays de Hismâ ;
Yaqoût, E. III, 277, 3 (remarquez le |«ft;).
(■) Cf. Wellhausen, Reste-, 45-64.
(•*) Cf. I. S. Tabaq, II', 70-74; c'était une s jl4-^ ; ibid.; 73.
(3) I. S. Tabaq., II', 73 : J^y^^\ ïys^ V J^^. lî^' ïys:^^\ ^^yb ^UJ\ ^^IS'
bswA-is ^tiZ^x^; Wiistenfeld, Gebict von Mediiia, 15; arbres sacrés; Vâqoût, E. V,
237-38.
('") Osd, 111, 227, bas.
Apostrophes aux « deux » palmiers 71
e souple et ondoyant Prophète ne les a pas honorés ('), il s'était
cru pourtant obligé de les tolérer. A Badr les arbres, couvrant
cette plaine, moitié sablonneuse, abritèrent les musulmans pendant
la pluie miraculeuse, attestée par le Ooran. Après la victoire on pro-
posa même d'utiliser ce bois pour brûler les prisonniers ("). On cite
des tamaris aAjI (^) assez larges pour ombrager jusqu'à cent per-
sonnes. Abwâ, localité gardant la tombe traditionnelle d'Amina, mère
du Prophète, possédait une forêt touffue de tarfâ' (*). De son temps
tout le massif du mont Radwâ devait être encore suffisamment boisé :
tous nos documents en témoignent.
Les palmeraies abondaient dans les oasis et près des centres
habités du Higâz, aux environs des gadir, et partout où l'eau per-
sistait dans le sous-sol. A leur apparition le voj^ageur devinait le
voisinage d'une population sédentaire. Les bardes bédouins compa-
rent la marche cadencée de la caravane, surgissant des profondeurs
du désert « aux sommets élancés (°) des palmiers des villages L^lf
Jj^Uïl^ ijC^ ^jh\ J^ » (*). Dans leurs descriptions ils aiment à
faire figurer un groujje de deux palmiers — parfois remplacés par
deux sidr — s'élevant solitaires au milieu de la steppe C). Le ta-
bleau a dû leur paraître éminemment poétique, à en juger d'après
leur fidélité à se transmettre ce cliché. Quantité de leurs qasîdas dé-
butent par une apostrophe (*) aux deux palmiers, ,J^ L?. 1 Même
(') Plusieurs des innombrables vtasgid, où il a prié le long des routes, voisinent
avec des arbres sacrés.
(2) Tab., Ta/str, IX 122 ; Hanbal, Mosnad, I, 117, 8 ; 383, 8 d. 1., 384. On men-
tionne également les arbres du champ de bataille de Honain, I. S. Tabaq., II', 112-113.
(3) VâqoQt, E. 1, 109, 1.
(<) Bakri, op. cit.: 62.
(^) Comp. Naqa'id Garïr, 159, 13; «élevés comme les palmiers de Haibar » ;
ibid.. 290, 3 v.
C) Doû r Romma dans Bakrî, op. cit., 582. Un homme vraiment riche doit être
J-^yi , JsAJl^ (chameaux) JU,1 p^\ Ag., VII, 120, 14 ; Hotai'a Divan, V, v. 2.
("i Yâqoût, E. II, 301, 352; III, 12; 280. Comp. dans Ag., XII, 108-09. l'hi-
stoire des deux palmiers de Halwân ; (^lj\a-.) , toponyme ; Yâqoût, E. V, 53.
(*) Rarement à un seul palmier ; A. Tammâm, Hamâsa, E. I, 108. Comp. ibid.,
IV, 84, 3 V. : ^-XlL,.^ ki'jÇ ^^l.viiS' ^y^ 0^^^ S-iCJI ^y<\ ^> ,J* >-^)r*
Scolion : ,JψJI ^^ Jl^aJl |^la!LaJI
72 Les « harra »
dans les cantons, décrits comme « riches en palmiers et en arbres »,
nos auteurs aiment à siç^naler la présence « de palmiers jumeaux « (').
Tous ces exemples — d'autres suivront — nous conseillent dès main-
tenant de ne pas exagérer la dénudation de la Péninsule à l'époque
du Prophète. Si deux dattiers ne constituent pas une palmeraie, rien
ne nous autorise à méconnaître la signification de tous ces témoi-
gnages concordants.
Les vastes plaines, couvertes de laves, de blocs basaltiques, comp-
tent parmi les caractéristiques des steppes (^) du Higaz. A ces espa-
ces désolés, les Arabes donnent le nom significatif de harra, terres
de feu. Leur principale aire de dispersion se trouve comprise entre
la Syrie, à partir du Haurân méridional, et les districts à l'Orient de
la Mecque (^). Elles occupent une superficie considérable des cantons,
situés à l'Est de cette province et }• attestent l'activité des anciens
volcans, dont on aperçoit de tous côtés les cratères éteints. Yâqoût
a consacré à ces harra une monographie dans son dictionnaire géo-
graphique (■*). Parfois les blocs de lave sont rapprochés, au point de
laisser juste le passage aux piétons ('). Ailleurs leurs formes massives
et fantastiques rappellent aux nomades une caravane de chameaux
accroupis (^). Par dessous les dalles sombres, s'étend une terre bru-
nâtre et remarquablement fertile ('). Dans les espaces demeurés li-
bres, la flore fourragère du désert pousse dru, quand le rabi' vient
la ranimer. On découvre même des groupes de palmiers, auprès des
(') Yâqoût, E. II, 305, bas; IV, 326, 7 d. 1.
(-) i^.lsr^, comme s'exprime Ibn Halâwaih, Sagar, passim.
(3) Harra entre Médine et la Mecque ; Bak rî, op. cit., 275.
(■•) Cf. Loth, Die Vulkanregiojien von Arabien nach Yâkût, dans ZDMG, XXII,
365-82 ; E. Reclus, op. cit., IX, 891-93.
p) Yâqoût, E. IV, 227 ; même observation pour les Wa'r de l'Emésène; cf. H.
Lammens, Le pays des Nosairis, dans Musée belge, 1900, p. 293 ; du même Notes
épigrap/iigues et topographiques sur l'Emésène, extrait du Musée belge, 1902, p. 43.
(«) Yâqoût, E. III, 256.
(') Cf. Loth, op. cit., p. 369.
Anciens volcans 73
puits ('). Aux environs de Médine des domaines, et non les moins
riches, se trouvaient englobés dans les harra (^).
A l'époque du Prophète, les volcans d'Arabie avaient depuis
longtemps cessé d'attirer l'attention. On cite pourtant des reprises
partielles d'activité, pendant le siècle antérieur à l'hégire ("). Une
poésie de l'Achille arabe, 'Antar, semble attester une de ces érup-
tions, contemporaine du héros {*). Rien n'autorise à tirer la même
conclusion (°) du vers d'un autre poète, 'Ar'ara des Banou Nomair :
« On croirait un incendie, allumé dans la harra d'Al-Oaus et la
double dépression de Mahfil et entre ses collines » C).
Le souvenir populaire avait gardé la mémoire du feu souterrain,
où avait disparu l'impie Himâr ibn Towaili', une sorte de Coré
arabe ("). Partout dans la toponymie, on pouvait retrouver des al-
lusions à l'histoire des volcans de la Péninsule. Les noms de person-
nes et de tribus insinuaient la même conclusion (*). Les anecdotiers
arabes en ont profité pour broder sur ces canevas philologiques des
histoires divertissantes. Dans la Sira et dans le Hadlt nous assistons
également aux efforts de Mahomet pour modifier cette eftra\-ante
nomenclature ("). La postérité lui a du moins attribué cette tentative
pour légitimer sans doute la croyance aux augures et à l'influence
des noms heureux ou malheureux.
(M Vâqoût, E. III, 260, 10.
(2) Cf. notre Yazîd, 238.
(') Gâhiz, Haiawân, IV, 152 ; Bakri, op. cit., 275, 9 d. 1. ; cf. E. Reclus, loc.
sup. cit.; Al-'Isâmî, (JI^aJI f.??^' ke.*j . cité dans Masriq, 1912, p. 779.
(*) Bakri, op. cit., 295, d. 1.
(^) Observation déjà faite par Loth, op. cit., 375. Pour l'époque, postérieure à
l'hégire, cf. Wùstenfeld, Gebiet von Médina, 25, 33.
C^) Yâqoût, E. III, 259, d. 1.
C) Yâqoût, E. III, 174.
(8) Bakri, op. cit., 559, 5-6 ; Yâqoût, E. III, 261-62.
C) Ag., IV, 20. Quand il approche d'un campement inconnu, où brille le feu,
le calife 'Omar évite l'apostrophe .LUI Jjbl b (signifiant aussi les damnés); Bakri,
op. cit., 601, 4 d. 1.
74 Les sables < musicaux »
Dans un milieu, portant des traces aussi manifestes d'une an-
cienne activité volcaniriue, il faut s'attendre à voir surgir des monta-
gnes et des collines noires ('), des massifs de basalte, « où rien ne
pousse » ('). Leurs formes tourmentées et bizarres ont frappé l'ima-
gination des nomades: ils croient y reconnaître tantôt des aigles,
tantôt des têtes de démons (^). On rencontre également des monta-
gnes rondes, des pics isolés (■*), enfin des massifs de sable, rendant
un son musical (^). Le plus célèbre est voisin du fameux champ de
bataille de Badr. « On l'appelle la montagne des tambours ; les habi-
tants des environs croient entendre toutes les nuits du jeudi au ven-
dredi comme une batterie de tambours » (°).
En traversant ces pa^'sages désolés, le v03'ageur éprouve l'im-
pression de côto\er de gigantesques foyers éteints, dont l'activité,
momentanément suspendue, pourrait se réveiller, comme il est arrivé
vers la fin du moyen âge. Endroits à souhait pour servir de lieu
d'asile ! Aussi voyons-nous les Bédouins se réfugier clans ces massifs,
forteresses naturelles, pour échapper aux poursuites des bandes de
Mahomet. Au Prophète ils laissent la ressource de ramener à Mé-
dine, les mains vides, les guerriers de l'islam ICLJ^ ^^Jj K C). Ainsi
(') ftl>3^ ^L^l ou >^ Jt;^; V,^kn, op. cit., 207, 214, 256, 262, 320, 396, 397;
Yâqoût, E. II, 256; III, 33, 138, 156; VI, 89. Ag., VIII, 134, 138.
(2) Bakri, op. cit., 462 ; Ibn Doraid, Istigàg, 110.
(3) Bakii, op. cit., 591 ; Yâqoût, E. IV, 214, 6 d. 1.; cf. I, 249-50; 368; 370.
(*) Yâqoût, E. IV, 295. Monts isolés, appelés Batil {z^ Bethel, bétyle ?) ; Yâqoût,
E. II, 58, 3; autres, nommés >v»*; « lance plus effilée que le >^.»6 de... »; Bakrî, 668, 10.
p) Cf. Reclus, op. cit., 882, 883 ; Bakri, op. cit., 659, 3-4 ; nombreuses vallées
où l'on entend les cris des ginn ; ibid., 688 ; Mas'oûdï, Prairies, III, 323 sqq. Du phé-
nomène Asma'î donne une interprétation rationaliste: L^iA-jjU JLcJI (3 ^j_ajl L^l
J^j-il Cj'^-^I «^ 1 ^y^\ L>»*^ J>H ^ ..y^j '• Naqâ'id Gârïr, 599, 19-14. La plaine
de Badr se trouve entrecoupée de collines sablonneuses. Sur le ^^1 uJ^. j-» voir la
littérature, réunie par Goldziher, Abhatidlungen, I, 210-212. Cf. Yâqoût, VI, 169, 171.
('■') Ibn Batoûta, Voyages, I, 296; Ibn Gobair, Travels-, 187.
(") I. S. labaq., Il', 24, 45, 61, 63, 65, 85, 95; Ag., X, 36, 37; Comp. Zohair
(Ahlw.) 100, 8:
Bakrï, op. cit., 694; Ag., XI, 134; 1. S. Tabaq., 11', 43, 57; Aboû Tammâm, Ha-
mâsa, E. I, 105, 142, d. v.
Montagnes boisées 75
s'expriment mélancoliquement les rédacteurs de ces inglorieuses ex-
péditions.
A côté de ces masses noires, on trouve également de nombreu-
ses montagnes rouges (') et d'autres tricolores: noir, blanc, rouge (").
Cette indication sommaire est loin d'épuiser la gamme des couleurs
de ces massifs de granit et de porph3Te, brillant au soleil de toutes
les nuances de l'arc en ciel (^). Certains sont signalés comme cou-
\erts d'une vigoureuse végétation, ^y^il ^,/ {*). En revanche autour
de la Mecijue les montagnes apparaissent complètement stériles (").
Ailleurs on rencontre également des montagnes dépouillées, Agrad,
sans trace aucune de végétation, a-^ cJ-^ ^ (")•
Par contre les topon3mes moins austères ne font pas défaut : tel
le mont Arîk, ainsi nommé à cause de ses bouquets ^aràk (').
Ajoutez-}- les montagnes \'ertes, Ahdar, OJiaidir ("), As'ar (') monts
chevelus ("), contrastant avec les monts pelés, Agrà' ("). Les géo-
graphes prennent d'ailleurs la précaution de nous en prévenir : tout
le district des monts As'ar, au pays de Gohaina, formait une suite
presque ininterrompue de cultures et de points d'eau. Le calife
'Abdalmalik \- possédait une de ses ôàdias désertiques, peut être une
(i) Ibn Batoûta, Voyages, I, 260, 336 ; Bakri 313, 597, 638, 674, 675 ; Yâqoût,
E. II, 269, 282, 326; III, 30; V. 34, 261, 330, 368; Ag., X, 36 d. 1.; Wûstenfeld,
Gebiet von Médina, 16, 18, 27.
(-) Yâqoût, E. IV, 268, 3 d. 1., I. S. Tabaq.. Il', 43, 22. Synonymie pour les
couleurs des massifs montagneux; Yâqoût, VI, 113, bas.
(3) Cf. Reclus, op. cit., IX, 882.
(<) Bakrî, op. cil., 534, 9 d. 1.
(■>) Yâqoût, E. III, 240, 6-7. VI, 164. 8: ^^ ^^ sU'^J
(6) Yâqoût, E. I, 122; 240, 5 d. 1. VI, 89; Bakrî, op. cit., 123.
Q) Bakri, op. cit.. 86, 9 d. I.
(') Istahri, Géogr., 21, 7; mais « Ohaidir » représenterait un enfer d'après Ibn
Batoûta, Voyages, I, 259, 1 ; Auler Pascha, Die Hedschasbahn, II, 25.
(*) Ou encore les monts « Sa'rân », ainsi appelés Ub ■■v>«'-'i iJS^; Bakri, 123.
("'i -«->'1H is -iS" j^ yjtil ; Bakri, 123 ; tl _>iio , nom des sables, où poussent des
arbres; Hamdânî, Gazïra, 128.
(") Yâqoût, E. I, 258; Bakri, op. cit., 123. Encore appelés ç!-ôl chauves; Ibn
Doraid, Isliqàq, 215.
76 Les arbres du TiliSnia
de celles a\ant excité les convoitises du poète si'ite Kotayyr (')? Or
les souverains omayyades, habitués aux jardins de la Damascène,
devaient s'y connaître {^). Une comparaison familière était la sui-
vante: « nombreux comme les arbres de Risa > (^), une vallée sur les
confins du Yémen. Nous en connaissons une autre, attribuée à
Mahomet lui-même : « innombrables comme les arbres du Tihâma,
A-<i\4y:J\ ysxti >j^ » {*). Le Tihâma ce sont les plaines basses du
Higâz, principalement celles avoisinant l'Erythrée.
(') A^., VIII, 30, 1-3.
{•) Bakri, op. cit., 123, bas ; 124, 125. La terre de Yazîd l", cédée par lui à
'Abdalmalik, se trouvait dans les environs de Wâdi'l Qorâ ; Balâdorî, Foioûh, 31.
(3) Yâqoût, E. III, 334, d. I. ; V, 60-61 ; « plus vert que la vallée de Na'mân ».
Voir plus haut. Sur la flore du Tihâma, comp. Ibn Halâwaih, Sagar, passim.
0) Hanbal, Mosnad, II, 184, 6 d. 1.; Ya'qoûbi, Hist., II, 116-7 d. 1.
VIII
Le bois et les moyens de chauffage.
Le Bédouin et le feu. Bûcherons et charbonniers
Le Bédouin frileux (') se montre grand amateur du feu (^). Par-
tout où ie l'ai rencontré, dans les plaines de l'Emésène, sur les pla-
teaux de la TransJordanie et de la Pétrée, même pendant les
tièdes nuits d'Août, j'ai vu les membres du campement, jeunes et
vieux (^), se rapprocher avec délices du foyer. « Leurs yeux brillants
fixaient avec convoitise la flamme, allumée » à l'entrée de la tente.
C'est le début d'un tableau esquissé par A'sâ:
« Manger, boire, se chauffer, Ji^^U ^j^} ^ ' (^)' cette énuméra-
tion réaliste épuise tout le bien-être rêvé par les Nomades. Le feu
allumé en permanence pendant la nuit, c'est le S3-mbole de la gêné
(') Cf. A. Musil, Arabia Pelraea, III, 12.
(2) Seul le foyer sert à éclairer la tente ; pas d'autre luminaire. Les noms pour
le désigner sont d'origine araméenne ; cf. Guidi, Sede primttiva, 600 ; Fraenkel, Aratn.
Fremdw., 95-96. Voilà comment la lampe du moine (Cf. Guidi, ibid., 601) est de-
venue une image poétique. Pour J^^X« = intelligent, rapprochez encore Guidi,
ibid., ô'(>.
(3) Le Bédouin a surtout la tête sensible au froid. ; Gâhiz, Avares, 240, 16.
(<) ^Uj = colline élevée; A. Tammâm, Hamàsa, E. I, 71, 111, 11. A^., VIII,
80; sur sUj, nom propre, cf. Bakrî, 782; Yâqoût, E. VIII, 511.
(5) Ag., VIII, 82, 1.
78 Les Bédouins et le feu
rosité des nobles say_vd ('). Parmi eux, les plus magnifiques chargent
leurs esclaves de l'entretenir, « de l'empêcher de dormir » ('). Ils
s'empressent d'\' « jeter les bûches les plus grosses, en entendant
l'écho répéter le cri d'appel (^) de l'hôte » au sein de la nuit.
D'un Bédouin, Gâhiz cite cette naïve prière : « O Allah, ne me
laisse manquer de feu ni dans ce monde ni dans l'autre ! > (*). On
comprendra comment il peut être amené à sacrifier son arc et ses
flèches. Sous la morsure du froid, il les mettra au feu pour se pro-
curer (juelques instants de soulagement i^').
Aux nomades les entrailles de leurs troupeaux fournissent une
fabrication ininterrompue de combustible. Tout est utilisé, même la
bouse de chameau, pour entretenir le feu ('). Mais ce serait une illu-
sion de les croire réduits à cette mesquine ressource, pour se pro-
curer la sensation d'une flambée, quand souffle la bise de S3'rie. Les
(') Il est honorable d'avoir un grand tas de cendres devant la tente ; d'être,
comme 'Orwa ibn al-Ward, >UiJI -f^; So'arâ' (Cheikho) 891, 2 d. v. Musil, Arabia
Petraea, III, 130.
(2) » jLs f^yi>^ *->-?. *J ; Aboli Dahbal al-Gomahï, Divan, Krenkow, III, 12;
notre Yaztd, 193; Ahtal, Divan, 250, 3; Aboû Tammâm, Hamâsa, 720; Ibn Sikkît,
Tahdîf>, 614 ; feu de l'hospitalité ; Ag. XI, 95 ; sur les collines pour attirer les hôtes ;
A. Tammam, Hamâsa, E. I, 60, 111, 1 ; nombreuses comparaisons prises du feu :
Hamâsa, E. I, 210, 1 v. ; 269 ; « feu de la trahison » IV, 147-48.
(3) ^CLX*<jl , imiter l'aboiement du chien.
(^) Aboû Tammam, Hamâsa, E. IV, 63, 4 v.; description des chaudrons de Sald
ibn al-'Asi J.i«iJi J j-4-^ i_y*5 • '^^''"'^ flamber très fort le feu pour l'hôte; ibid. IV, 121 ;
y jeter du gros bois, produisant une flamme durable ; éviter l'emploi du \>çi\% fumeux ;
Naqa'id Gartr 102, 1 ; 139, 1-4. On loue le « feu jaune » avec du bois bien sec ; Gâhiz,
Avares, 269, 12; comp. ibid., 246, U. «Attisez le feu!» pour les hôtes; Naqa'id
Gartr, 154, 6; jusqu'à la fin de la nuit; Hotai'a, Divan, XII, 7; comp. VII, v. 39.
(5) Haiawân, IV, 154. En hiver le gàr du sayyd généreu.x ne souffre pas du froid;
Hotai'a, Divan, VIII, v. 20.
C"') G. Jacob, Beduinenleben, p. 2; dans A. Tammâm, Hamâsa, E. I. 82 2 «brû-
ler les flèches » a un sens métaphorique. On durcit le bâton au feu ; Hamâsa, E. IV,
158, d. v. ; Naqa'id Gartr 97, 3.
(') Cf. Ag., X, 35, 4 et 2 d. I., jaussen, Pays de Moab, 275.
Comparaisons tirées du feu 79
philologues arabes énumèrent quantité d'arbres, d'arbustes, de buissons,
poussant jusque dans les sables et dans les terrains les plus ingrats (')
là où, dans nos climats, le chiendent lui-même étoufterait. Leur bois
résineux, noueux et dur offre un excellent moyen de chauffage. Ainsi
le £'(Tdà, précédemment vanté comme fourrage, dégage une chaleur
considérable ; il brûle lentement et pour ainsi dire sans fumée. Le
calorique, développé par le gadà^ est devenu proverbial ('). Les
coquettes du désert se comparaient volentiers « à un feu allumé dans
la nuit froide. is^CJ! iX-JUI ^ ^UJI ,^ ^j^--^ » ('). La similitude por^e
non seulement sur l'éclat du foyer, mais encore sur la sensation de
bien-être, éprouvée au coin du feu, recherche qui ne constituerait
donc pas le monopole des Septentrionaux. Le poète assimile 'Azza,
l'héroïne par lui chantée en cent qasîdas, « à un feu (*) inextinguible :
à distance son éclat rappelle celui d'un astre »
a ^ ^
Cette passion du feu, l'entretien de tous ces fo3"ers, supportant
des chaudières, c larges comme des réserv'oirs, où nagent des cha-
meaux entiers ' f ), tous les accessoires enfin de cette hospitalité, plus
fastueuse encore dans l'expression que dans la réalité — au dire du
malicieux Gâhiz (') — permettent de supposer l'existence de réser-
(•) Voir plus haut.
(') Brillant comme « la braise du gadâ » ; Gâhiz, Avares, 257, 14 Cf. Asma'i,
Nabot, 878 ; Le gadâ est 6^_yik-L> ^ jj^ ô^..^ cï*^- î'^' cr"*^- >-r*^'-«> *-— >i^ *> ;
les Lexiques. Musil, Arabia Petraea, III, 14 ; Ibn Sikkît, Tahçhb, 556, 557 : Ju.^1
UààJl v-oÎJi i_jbJJI ; sur le loup réfugié dans les fourrés de gadâ, voir plus haut.
(^) Ag., VIII, 38, 6. Braise de gadâ, comparée à l'éclat des pierres précieuses ;
Gâhiz, Avares, Ihl , 14. Pour la modestie des fiancées arabes, voir Ag., IX, 149-50;
l'une déclare être: \^\ A'.«.<^>»j.l IXlii. Aji-jJI \S^_ p.\X>ai\ Q^^ '^J'^i^^' '< -^S-- I^.
150, 8.
{*) Comp. « feu brillant comme l'étoile Sirius » ; Bakrï, op. cit., 699, 3 d. 1.
e) A-g.. VIII, 38, 4.
(«) Cf. Yazid, 192-93 ; Omay>'a ibn abi's-Salt, Divan, éd. Schulthess, XIII, et XVII,
1 ; Gâhiz. Avares, 245-51 (copieuse anthologie chez ce dernier).
(") Gâhiz, /îî'fl»-ifj, 245; |»*aj y^ l».^lia.^ ^y^^i <^ ^yuai ^ J$ c>^ ô"^-^ ^^
80 Bûcherons
ves de bois. Le géograf>he Hamdânl (') dans sa description de la
Péninsule arabe développe une sjnonjmie étendue de termes pour
désigner la variété des bocages, d'après les essences particuliè-
res, qui y prédominent. Les réunions ^aràk, de tarfà\ de sidr,
etc. sont désignées en arabe par un nom collectif, comme dans nos
langues les chênaies, les pinaies, les olivettes. Cette s\non3mie
regarde, il est vrai, en premier lieu le Nagd et les monts du Yémen.
Mais elle convient également aux hautes chaînes du Higâz (^) et à
la région alpestre de cette province, au Sarât ('), où des sommets
approchent de 3000 mètres. Les idiomes de nos humides climats
n'offrent rien de comparable à cette richesse, un peu factice peut-
être et accrue par le zèle, propre à tous les spécialistes, désireux
d'enrichir leurs collections. Mais il nous paraît injuste de leur dénier
toute signification pour la s^-lviculture de la Péninsule. Cette conclu-
sion renverserait les lois les mieux établies de la philologie. « Quand
quelqu'un s'entend à décrire la bonne chère, les morceaux délicats,
c'est qu'apparemment il en a goûté ». Cette remarque de Gâhiz (*),
à propos de la somptueuse faconde des Arabes dans la description
de leur hospitalité, doit trouver ici son application.
Quoiqu'il en soit, il existait des bûcherons en Arabie. Telle
aurait été la situation du futur calife 'Omar en son jeune âge (^).
Leur industrie s'exerçait (') de préférence, on le comprendra, dans
le voisinage des centres habités. Aux environs de la Mecque le vo}-a-
geur étranger compte sur la rencontre d'un bûcheron, ^Ji=^ pour
(•) Gaztra, 155-56. Voir plus haut. Il est question de « 10,000 feux » au camp
de Mahomet, en marche vers la Mecque; I. S. Tabaq ; IH, 97.
(') Expressément noté par Ibn Halâuaih. Voir plus haut. Ailleurs on signale soi-
gneusement les « arbres prêtant leur ombre, l^ |J.k<.t>o »; Yâqoût, V, 424, 14 ; VI,
83. Beaucoup d'arbres n'avaient pas de feuilles.
P) Yâqoût, E. V, 59, bas.
(*) Avares, 253, haut. Quand, selon l'usage, les poètes décrivent le vin, l'assi-
stance leur crie fréquemment : « tu en as goûté ».
(3) Bakrî, op. cit., 618, 7 d. I.
(') t_^l-iX'->l ; Ag., X, 32, 7. Le célèbre Aboû Horaira avait débuté, comme bû-
cheron et hâdi; Ibn Mâgâ, Sonan, E. II, 45, 11. \'oir la note suivante.
Bûcherons 'alides 81
obtenir des renseignements ('). Les bûcherons arabes ne paraissent
pas s'être mieux enricliis (jne celui de notre bon Lafontaine. Il fal-
lait courir au loin, escalader le sommet des montagnes, oi^i se réfu-
giaient les plus beaux spécimens de la flore forestière (•). Mais enfin,
disait le Prophète, en désignant du doigt les monts, encerclant l'oasis
de Médine, « couper du bois vaut mieux que mendier » (^). Pour
signifier un maladroit, exécutant une besogne de travers, on citait le
bûcheron, coupant du bois au milieu des ténèbres de la nuit (*). On
ne disait pas : travailler pour le Roi de Prusse, mais « ramasser du
bois avec une corde d'emprunt, s^i jLL. ^^ e_*i.3. » (^). A Médine,
Mahomet recevait chaque matin sa provision de bois pour la jour-
née C^). On connaissait même des charbonniers, puisque dans le désert
il n'était pas rare de rencontrer des caravanes, chargées de charbon C).
Au 12' siècle le vo\-ageur Ibn Gobair en arrivant à Gadda, port de
la Mecque, }• trouva les descendants de Fâtima, réduits à exercer
les plus humbles métiers, celui de bûcheron entr'autres (*). Ce spec-
tacle parut au pèlerin andalou l'abomination de la désolation : « Gloire
à l'Eternel, s'écrie-t-il. Il décrète à son gré les événements ! Ces saints
personnages appartiennent à une famille pour laquelle Allah a pré-
féré au bonheur de ce monde la félicité de l'autre vie! » (^).
(') y4g:, VI, 97. A Médine les qorrff, récitateurs du Qoran, sont bûcherons et
vivent du produit de leur travail ; Hanbal, Mosiiad, III. 270, 10. Leçon d'ascétisme
et exemple pour les gorya" postérieurs, vivant aux dépens du public. Tout se retrouve
dans le hadît ! (Pour les traits contre les gorrà' cf. Mo'mvia, 342-52). Aboû Horaira,
récitateur du Qoran, devait être bûcheron : cette conclusion a été accueillie par les
Sonau d'Ibn Mâgâ.
(2) Hamdânî, Gazïra, 156. Ibn Halâwaih, Sagar, passini : JUil L^-iL-lxi
(3) Hanbal, Mosnad. II, 395, 11.
(*) Bohtori, Hamâsa, (éd. Cheikho) n. 1254.
(5) A. Tammâm, Hamàsa, E. I, 167, 5 d. 1.
(8) Cf. Fàtima, 19, n. 6,
C) Bakri, op. cit., 251, U ; citation poétique, 743, 10.
(*) |^j^-4>ijiU CjUj _»iJI ^JUmJ tiUi J^Uï li:,^ ; Ibn Gobair, Travels, 76 ; les
femmes se livraient fréquemment à ce pénible travail ; cf. Ag., X, 32, 7 ; comp. VII,
85-86.
(^) Ibn Gobair, Travels-, 76. Sur la rareté du bois, comp. Schulthess, Zeits f.
Assyr., XXVII, 234.
Lahhens — Berceau 6
IX
Le palmier au yi^az. Son utilité
Dans les oasis, telles que Haibar et Médine, le palmier abon-
dait; nous l'avons dit. De là le proverbe: « porter des dattes à
Haibar » (*). Nous dirions, nous: « porter de l'eau à la rivière >; une
tournure forcément vide de sens dans l'aride Péninsule. Arbre pro-
videntiel pour les nomades 1 Leur tante et leur mère, comme on
amène Mahomet à le proclamer. Avec le lait il complétait le menu
des familles aisées au désert. Joints à la viande de chameau, ses
fruits savoureux formaient la seule nourriture solide (^) pour des mil-
liers de Bédouins, vivant et mourant ni plus ni moins que nous, mais
sans avoir jamais avalé une bouchée de pain (^^.
Pour la plupart des tribus du centre de la Péninsule, et même
pour celles du Higâz, éloignées du limes syrien, le pain constituait
une nourriture de choix, le blé une marchandise de luxe, apportée
de loin; commerce exploité par les chrétiens de la Syro-Palestine et
(1) AboQ Tammâm, Hamàsa, 631, 3; Vâqoût, E. III, 497 ; Gâhiz, Bayàn, I, 209;
6 d. I. Le palmier « tante des Arabes »; Gâhiz, op. cit., I, 208.
(-) Cf. scolion sur le Divan de Hotai'a (éd. Goldziher), LVIII ; Gâhiz, Avares,
254. Dattes et lait constituent l'ordinaire des Arabes ; Ag., XII, 48, 6 ; 49, 2.
(3) Cf. Fatima, 43-44; Ibn Sikkït, Tahdtb, 635 etc., chap. ^jjsJI 'à-,>^\\ Gâhiz,
Avares, 253 etc., i_j^lia., corbeilles, fabriquées avec les feuilles de palmier; Yâqoût,
E. III, 444. Palmeraies de Qorh (Wâdi'l Qorâ), célébrées par Ibn Moqbil ; Bakrï, op.
cit., 736, 5 d. 1. Ressources alimentaires de Haibar; R. Leszynsky, Diejuden in Ara-
bien zur Zeit Mohanimeds, 27.
Le pain en Arabie 83
monopolisé au Higâz par les Juifs de Médine. Même après les a\oir
dépouillés de leurs domaines, Mahomet demeure leur débiteur pour
l'achat des céréales et meurt sans avoir soldé ses dettes ('). Seuls
les plus riches sayvd pouvaient se permettre le luxe de se nourrir
de céréales. L'usage du i)ain donnait de l'esprit, on croyait pouvoir
l'affirmer, tandis qu'on déniait la même propriété aux dattes, pitance
plus démocratique (■). Le vo3'-ageur Doughty ('), après avoir vécu
deux ans de la vie bédouine, se déclare lui aussi peu partisan d'une
alimentation à base de dattes. Cette opinion, du moins pour les mi-
lieux arabes, doit vraisemblablement son origine à la réputation de
finesse, attribuée aux habitants de Tâif — la ville des dàhia {*) —
où l'on se nourrissait généralement de blé {'). C'est une des innom-
brables satires indirectes, mises en circulation par l'antagonisme, très
accentué, surtout à partir de l'hégire, entre les nomades et les cita-
dins. Ces derniers, enrichis par les conquêtes et l'extension de l'em-
pire musulman, fiers de commander au.x plus belles contrées de l'O-
rient, rougissaient maintenant de leurs cousins nomades : tentation
habituelle aux parvenus ! Il devint de mode alors de railler ('') la
grossièreté du Bédouin ^31=- , brutal, réfractaire aux choses de l'islam
et d'en chercher l'explication dans l'excessive sobriété de son régime.
Se nourrir de pain ! Les poètes, ces historiographes préislamites, ne
manquaient pas de relater le fait dans leurs qaslda, archives des
^') Cf. faiiina, loc. cit.
(2) Osd, IV, 173; Ag., XII, 43-49; 'Iqd^, I, 211, 8. Fàiima, loc. cit.
(3) Travels, I, 148, 554.
(■*) Cf. Mo'âwia, 214 ; Ziâd ibn Abihi, passim.
(^) Gâhiz, Bayân, I, 78, bas : « un morceau de pain ressusciterait un Tamïmite ».
Ibid., II, 142, 12 ; on court jusque dans le 'Oman, à l'annonce d'un morceau à man-
ger » ; Ibid., I, 9, 1. 14 etc. «se nourrir de blé », un éloge en poésie ! Le ^ivj était
con.sidérée comme une céréale de famine (voir pi. haut p. 42). Gâhiz, Az'ares, 236,
5^i.^''»'',«i>'
6, 16. Ibn Doraid, Istiqaq, 169, 11 nomme encore le 'alas = ^_j_il ^j :. < y >ytAi\ <---v^
cf. Nôldeke, ZDMG, XLIX, 714. Moulins à eau chez les Qodra ; A. Tammam, Ha-
inâsa, E. IV, 75, 1. Mais plusieurs de leurs tribus peuplaient la Syrie et les districts
voisins. On parle d'une double moisson au Yépien ; Yahiâ, Harâg, 86, 14.
C^) Voir surtont les œuvres du polygraphe Gâhiz, principalement Haiawân, passim.
Cf. notre République, 32.
84 Le vin de dattes
Arabes, (_jyiJl o'y.^- ' ^^u sein de notre tribu est sorti le sajyd, man-
geur de pain, j-il JïT Lu » ('). Comment laisser ignorer à la posté-
rité un trait aussi peu banal ?
Des dattes on tirait une liqueur fermentée, liquide épais et fu-
meux (-), < capable de taire peler le visage, *^^l (^ ^lï— h>. '^-y^ ' • Le
vin, lui, < guérissait la migraine, même quand on le buvait sans mélange >
Le vin de dattes devenait une cause de rixes et de meurtres, jusque
dans l'entourage immédiat de Mahomet. Son saint oncle Hamza, « le
lion d'Allah >, quand il avait bu du fiaâïd — c'était le nom de la li-
queur — traitait le Prophète de vil esclave et lardait à coups de
sabre les chameaux de son neveu 'Alî (^). L'ivresse lourde du fiaâid
précipitait les uns contre les autres les Compagnons de Mahomet (*)
et les partageait en deux camps ennemis: Ansâriens contre Mec-
quois (*). On voit si le Réformateur manqua de motifs pour en vou-
loir aux boissons fermentées !
Dans son écœurement il défendit dans le Ooran {4, 46) de
pénétrer dans la mosquée avant d'avoir complètement cuvé son
alcool : o^j^ *-* \yi-^ ^j'-^^ ^j'^— ' f->'j> ^"^^^^ '^7»->^ \yX^\ ^,S^\ Ljjj b
Les déchets, les qualités inférieures, jusqu'aux noyaux de dattes, écrasés
et piles, entraient dans la composition d'un gâteau pour les chameaux,
aux entrailles cuirassées par les épines et la gaine rugueuse des fourra-
ges désertiques ("). Aussi les ramassait-on soigneusement pour les utili-
ser : un métier de gagne-petit, exercé par les gamins des grandes agglo-
(') Gâhiz, Avares, 254, 12. Comp. Schulthess dans ^«Vj. /. Assyr., XXVII, 240,
(2) Ag-.. IV, 104, 15; 'Alqama (Ahlw.), 113, 5.
(3) Bohâri, Sahïk (K), II, 80-82 ; 271 ; 'Omar est buveur; Ibn Hisâm, Stra, 227, 228.
(■') 'Abdarrahmân ibn 'Auf, 'Alï, plusieurs Mobassara, ivres-morts dans un festin;
Tab., Ta/sït; V, 57, bas.
(^) Cf. Yaztd, 202 ; au moment de l'interdiction qoranique, le vin est versé dans
les rues ç^LXir ^^\ libLuJI Cj^'S'; en réalité c'était du vabtd: v->*«-Jl "^1 S^^_ f^i^ ^i
jOjLjXàa J\J1^ ; Hanbal, Mosnad, III, 217.
(6) Ibn Doraid, l'stiqâq, 271, 11 ; cf Doughty, Travels, II, 178, Ag., X, 50, 6.
Utilité du palmier 85
mérations (*). Au cours des razzias, les noyaux, demeurés dans les crot-
tins de chameau, trahissaient fréc^uemment la provenance et la na-
tionalité des troupes ennemies (-). Pour tous ces motifs on comprendra
pourquoi le Prophète a défendu de jeter des pierres aux palmiers (^).
Dans sa reconnaissance le Bédouin leur a décerné un nom, dé-
rivé de la racine ^ , servant à désigner une chose exquise, et au
fruit, celui de lamar, c'est à dire le fruit par excellence. C'est là un
exemple des multiples et fines observations philologiques, émises il
y a déjà longtemps par notre grand orientaliste, le Prof. I. Guidi
dans son mémoire classique Délia sede priniitiva dei fopoli semitici
(p. 583).
On en connaissait de nombreuses variétés: depuis les dattes,
remplaçant nos glands pour l'engraissement du bétail, ius(]u'à celles,
figurant sur la table des chefs de grande tente. Dans ces conditions,
ce devait être le rêve, caressé par tous les Bédouins, de posséder un
lot de palmiers (*). Aussi les voit-on sans cesse rôder autour des
oasis pour s'en approprier une parcelle, ou obtenir par menaces
d'entrer en partage de la récolte. Ce fut en partie la politique, sui-
vie par Mahomet à l'égard de Haibar. Il parvint à s'}' substituer aux
soi-disant alliés ou protecteurs, les BanoQ Gatafân (°), en attendant
d'attirer à lui la possession complète des domaines juifs. C'est l'hi-
stoire de toutes les autres oasis: Médine, Fadak, Taimâ', Wâdi'l
Oorâ avec leurs Ifitàn, jardins, ardemment convoités par les tribus en-
vironnantes. Manœuvres fréquemment couronnées de succès 1 Quand
ils ne peuvent l'emporter de haute lutte, les Bédouins réussissent du
moins à s'imposer comme halïf, comprenons, partenaires. En d'autres
termes, la cessation d'hostilités de leur part, l'engagement de pro-
(') Ag., I, 164, 4 d. 1. ^pJl o>A^. J~y^-
<•) Ibn Hisâm, Sira, 807 ; Ag., IV, 42, 1 ; X, 50, 6 ; Nagà'id Gartr, 50, 5.
(') Osd, IV, 174, haut.
(■■) Cf. Gâhiz, Haiawân, I, 127. 6, S. Ils se considèrent comme les propriétaires-
nés des oasis de leur district; cf. Auler Pascha. Die Hedsckasbahti, II, 11.
p) Avant d'arriver à Haibar, Mahomet manœuvre pour empêcher ces Bédouins
de secourir la place ; cf. Yâqoût, E. III, 152. Je doute que Haibar ait été emporté
de vive force, comme le narre la Sïra.
86 Les palmeraies au Higâz
téger les clos contre des envahisseurs étrangers, tous ces ser\'ices
devaient être pa3és, et l'étaient généralement en charges (') de
dattes (^).
Ces palmeraies on les rencontrait, nous le savons déjà, aux
abords des puits et des gadir, partout où l'eau pouvait s'emmagasiner
dans le sous-sol. De là la phrase stéréot\-pe dans nos auteurs : tU
Jj: d^ , eau avec des palmiers (^). Ces' groupes de palmiers jalon-
naient de leurs archipels verdoyants l'océan désolé de la steppe ara-
bique, îlots de culture et d'agglomérations humaines. On les rencon-
trait en cheminant dans le long et étroit préau, ancien lit de rivière,
si justement appelé Wâdi'l Qorâ (^), la vallée des hameaux; gracieux
écran tendu depuis le Sud de TaboQk et les jardins d'Al-'Olà (°),
jusque vers le débouché septentrional de l'oasis de Médine. Sur ce
point le rideau de verdure s'ouvrait soudain en un éventail, large-
ment déployé C^). Il se repliait ensuite, avec de nombreuses solu-
(') dJl^ , JV*>. , couffins de dattes. Cette promesse obtient tout ; Naqâ'id Garir,
144-145.
(-) Les B. Gatafan sont les halîf des Juifs de Médine et de Haibar ; L S. Tabag.,
II', 41, 10. Entrés comme halîf dans l'oasis de Médine, les Aus-Hazrag se mettent
graduellement en possession des amwâl ou domaines juifs. Pendant le « Handaq »,
Mahomet oflVe aux B. Gatafân le 1/3 des dattes de l'oasis; I. S. Tabag., II', 49, 19.
Tribut en nature, payé par les Juifs de Wâdi'l Qorâ aux Bédouins ; Bakrî, 30, 4 ; 30,
2 d. 1. ; même situation à Tâif; JJl^ L,^ 'i»W ti* (Wâdi'l Qorâ) V^ j<>^ ^
... ^[^ (Ji^Ji ^-^ l»jii>0| i ;jJîJI ,^ x>-{J \AtjaX^e) f ^ JS' (3 Bakrî. 30, 50. Cf. Yazîd,
281-82. Bédouins de Mozaina menacent les palmeraies de Médine ; voir les vers du
père de Hassan ibn Tâbit ; Bakrî, op. cit., 666, 9 d. 1.
(3) YSqout, E, I, 293 ; II, 3 ; V, 83 ; Bakrî, op. cit., 620, 633, 637, 6-7. Autres
références, données plus haut. Puits creusé et plantations ; Bakrî, 628 d. 1.
(*) De nos jours encore « dicht bewachsen » ; Musil, Im nôrdlicheii Hegâz, 16 ;
comp. Auler Pascha, op. cit., II, 8-9.
(^) Ibn Batoûta, Voyages, I, 260 ; Auler Pasclia, Die Hedschasbalin, II, 6 sqq.,
48, 51-52.
C) Cf. Yaztd, 237-38. La dépression de Taboûk recueille de même les eaux des
wâdis voisins; Auler Pascha, op. cit., II, 8.
Badr et les environs de la Mecque 87
tions de continuité, dans la grande vallée de l'Idam aux innombrables
ramifications, drainages naturels, recueillant les eaux des hauteurs voisi-
nes entre Médine et le champ de bataille de Badr ('). Puis à Badr même,
où le panache aérien des palmiers se balance entre les vignes et les
bananiers ; pour parler avec plus de précision, dans les oasis spora-
diques couvrant la région de Badr et de Safrâ', ou Badr-Safrâ', comme
on disait communément, englobant sous un seul nom les deux oasis
principales ("). Au 14^ siècle Ibn Batoûta (^) }• traversa encore une
suite presque ininterrompue de centres de culture avec sources et
jardins. Même constatation, en a\ançant dans la direction de la Mec-
que, pour les hameaux de Rauhâ' et Rowaita {*) pour Holais et
'Osfân {'). Plus près encore de la métropole qoraisite, Ibn Gobair (')
signale de son temps des jardins et des vergers. D'autres cultures
dans le même district devaient leur existence à l'initiative d'immigrés
du Magrib C).
La fertilité de l'oasis de Taima' est suffisamment connue (*).
Celle de Médine était entretenue par les apports incessants d'humidité
et d'éléments fertilisants, dûs aux affluents et ramifications du wâdi
Idam (^). Même en dehors du périmètre des oasis de Médine et de
(') Bakrî, op. cit., 141, 7 d. I. Avec l'extension de Médine, les cultures s'éten-
dent progressivement en amont et en aval des wâdis, débouchant dans l'oasis.
(2) I. S. Tabaq., Il', 42, 11 ; cf. Ag., I, 10; IV, 20; I. Gobair, Travels"-, 188;
plantations de Safrâ' ; VâqoQt, E. Y, 367.
(3) Voyages, I, 295-96.
(<) à.A^ h.f'' Bakri, op. cit., 427, 428, 251, 682, 693; source jaillissante s^y à
Holais ; Ibn Gobair Travels, ~ 184 ; grande forêt d'arâk, près la Mecque; idid., 173, 2 d. 1.
{') Ibn Batoûta, Voyages, I, 298; Vâqoût, E. III, 500, 5; Istahrî, Géogr., 20,
bas; fertilité de Radwâ, retraite d'Ibn al-Hanafyya ; ibid., 21. E.\cellentes dattes dans
la région de Vanbo'; Yâqoût, E. VI, 181, bas.
'(6) Travels'^, 115, 2 d. 1; cf. Yâqoût, E. III, 19, 6.
C) Ibn Gobair, Travels'^, 122, 5 etc.; vergers et céréales; Yâqoût, E. II, 374,
bas; région de Batn Marr, eau courante, palmeraies etc.; I. Gobair, 182. Région de
Hodaibj-ja, nombreux A/jâ,- « plus de 70 sources coulantes j3j^; Bakrî, o/. «V., 128,813.
(«) Bakri, op. cit., 209, bas.
(' Cf. Yaztd, 237-38. Cultures ^^■^ le long du wâdi Qanât ; Bakri, op. cit.,
745, bas. Il faut mettre en ligne de compte l'apport des éléments d'origine volcani-
que, recueillis par les wâdis dans les harras voisines de Médine.
88 Les descriptions du Qoran
Haibar on rencontrait encore des hameaux ('), ou i?.yi plusieurs
appartenant aux Juifs, très appliqués à développer les ressources
agricoles du Higâz, antérieurement à leur arbitraire expulsion par
Mahomet (*). Dans un ra}on plus ou moins étendu de Médine et
voisinant avec les himà^ ou pâturages réservés du Prophète, l'enc)'-
clopédiste YâqoQt signale toute une série de rauda (^). Or pour
mériter cette dénomination, trois conditions se trouvaient reciuises :
la présence de l'eau, celle de la verdure et une certaine extension de
terrain mis en valeur (*).
*
^ ^
La gloire de Mahomet, c'est — sinon la création (^) — du moins
la fixation de la langue religieuse. Au demeurant il fut un médio-
cre styliste (^). Ses descriptions sont généralement ennu3'euses et
d'une faiblesse déplorable. Constatation assez déconcertante chez un
admirateur aussi fervent de la nature, comme l'atteste le Ooran.
Mais son admiration ne sort pas de la banalité ; elle garde la naïveté,
propre aux esprits sans culture. Les poètes ses contemporains témoi-
gnent d'une observation plus fine C). Si dans leurs descriptions, la
variété fait parfois défaut, en revanche les traits pittoresques abon-
dent. Sans ce secours, nous n'aurions jamais pu ébaucher cette
(') YâqoQt, E. II, 249; pour Haibar cf. Wiistenfeld, Gebiet, 69-70. Même remar-
que pour Fadak; dans les alentours: hameaux, sources, fruits abondants; Bakrî, op.
cit., 706, 16. Voir dans Yâqoût, VI, 146, 147 l'explication de i-oyil 3^f^ "-'^ s°"'
V^.V (3 LJ^' '^'y* °" '^'^" iJ^'^ tii'}^ "—"•5^ Ia>15--j.
(2) Yâqoiit, E. II, 224; 223, d. 1.
(3) YâqoQt, E. IV, 316, 319, 324, 325. Comp. Ibn Halâwaih, Sagar, passim.
(■") YâqoQt, E. IV, 307, 13.
(^) Il a dû avoir des prédécesseurs dans les kahin. Malheureusement, dans sa
forme actuelle la littérature, relative aux kàliin, est en majorité apocryphe.
C») « Hôchstens ein mittelmàssiger Stylist »; Nôldeke-Schwally, Geschichte, I,
143. Voir le chap. I, Zur Sprach. des Korâns, dans Nôldeke, Neue Beitr. z. semii.
Sprackwiss., I, 1-30.
Ç) Cf. Lyall, dans y/?^5, 1912, p. 133 etc.
Le Qoran et la météorologie 89
esquisse climatologic]ue de l'Arabie préislamite. Nos prédécesseurs,
les géographes et encyclopédistes musulmans ne se trouvent pas dans
de meilleures conditions d'indépendance littéraire. L'auteur du Ooran
qualifie de merveilles, i>J , les phénomènes les plus ordinaires de la
création: la pluie, le vent, les arbres, les bestiaux ('), le lait formé
du sang (^), même le vin (^), évidemment avant d'avoir proscrit définiti-
vement cette « invention impure de Satan ï. Il s'extasie devant les étoi-
les, devant la formation des montagnes, des nuages, du chameau {'').
Obsédante monotonie! Chez un adversaire aussi décidé du miracle,
considéré comme preuve de la mission prophétique ("), cette insi-
stance à découvrir des miracles d'ordre banal achève d'éveiller le
soupçon qu'il a tenté de démontrer l'inutilité du miracle surnaturel
— prétention par lui émise ailleurs (°).
Au lieu de reproduire invariablement les mêmes poncifs, d'insister
sur la succession surprenante du jour et de la nuit, du soleil et de
la lune, forcés par Allah de fournir leur lumière aux humains ('),
combien nous lui serions plus reconnaissants, s'il nous avait fourni
des traits utilisables pour la description climatologique de sa patrie !
Pauvre géographe, Mahomet se désintéresse encore plus complète-
ment de la météorologie. « Allah dispose de l'univers, œuvre de ses
mains, comme il lui plaît ! » Avec cet aphorisme fataliste, le Prophète
déroute nos curiosités les plus légitimes. Que produisait l'Arabie à
son époque ? Ou'offrait-elle pour soutenir l'existence matérielle de
ses habitants? Si pour répondre à ces questions, nous disposions
exclusivement du Qoran, nous nous trouverions en mauvaise posture.
Quelle différence avec nos Evangiles, rendant si vive l'impression du
paysage palestinien, principalement de la verte et idyllique Galilée.
Il suffirait de réunir ces traits gracieux pour obtenir une bonne
(') Qoran, 2, 163; 76, 14; 4ô, 5.
(2) Qoran, 16. 66.
(3) Qoran, 16, 66, 67.
(*) Qoran, 6, 97-99; voir les sourates 86, 87, 88, 17 etc. Conip. C. Huart, Histoire
des Arabes, I, 200-201.
(^) Cf. notre Mahomet fut-il sincère? 18 ei passirn.
(*) Hirschfeld, Neui Researches, 60, 72.
C) Lammens, L'âge de Mahomet et la chronologie de la Sîra, 224 sqq.
90 Les vergers du Higaz
esquisse climatotogique. Même à Médine, Aboû'l Qâsim semble être
demeuré sons l'empire du lugubre milieu de la Mecque, bien fait
pour éteindre la plus ardente imagination. S'agit-il de décrire un
jardin, un verger, Mahomet, outre l'inévitable dattier, se contente de
citer la vigne, l'olivier et le grenadier ('). Cette maigre énumération
suffit à épuiser sa faculté descriptive. Encore en est-il si satisfait qu'il
la reproduit quelques versets plus loin (6, 142), en y ajoutant l'invi-
tation de manger les fruits de ces arbres, sans commettre des excès,
ly^JoV j ! L'excès était-il vraiment à craindre au milieu d'un choix aussi
limité } Jusque dans le Paradis de Mahomet, le dessin des jardins cé-
lestes n'a pas été conçu sur un plan plus large (*), chez cet auteur d'une
abondance réaliste pour des jouissances infiniment plus matérielles.
La nature aurait pu lui fournir les éléments d'un tableau plus
varié; sans l'obliger à recourir à l'olivier, un arbre s\rien, parfaite-
ment inconnu au Higâz : les auteurs arabes en conviennent ('). Dans
les vergers de l'Arabie occidentale — nous en avons déjà signalé un
certain nombre — la vigne se trouvait assez bien représentée. Non
pas le vignoble pourtant ; mais des ceps par petits groupes, surtout
la vigne en treille ou en berceau. A Tâif seulement on paraît avoir
fabriqué du vin (^), du vin véritable, et non pas une sorte de nabïd.
{') Qoran, 6, 99. Comment concilier cette indigence descriptive avec l'hypothèse
de ses voyages en Syrie?
(-) Au Paradis on rencontre ^^Uô,« J^î <*^-(^^ ; Qoran, 55, 66. La grenade
reparait encore Qoran, 6,99, 142. Pour <L^\s , voir Concordance du Qoran J. z».
P) Bakrî, op. cit., 165, 5 d. 1. ; d'après YâqoQt, E. IV, 278, 2 « peu d'huile au
Higâz», Ibn Batoûta, Voyages, \, 385, l'énumère, C-o;, parmi les productions du Sa-
rât: YâqoQt, E. L 133, 14 : iJUijJl jlâ:l à Médine; on les utilise pour Vistisqà', (des
nasab?), Comp. YâqoQt, E. IV, 423: L^..^ ^ ,13:1 ^^^j ^^If j^^-« ioyib C^ Jl .las\
JUj,Ail (j -S'i d^^ cUXJuxili ^jj JaJI . A-t-on tenté de faire disparaitre ces « Reste ara-
bischen Heidentums ».? Ag., VI, 64, 11 d. I., parle de ^>\} i^j-* <^.}^\ iS^. iJW:
(JJjoil (J,l i^-lïJI, vraisemblablement une caravane en transit. Une variante du même
récit au lieu de Wâdi'l Qorâ nomme le port de Gadda. Pour l'olivier et le figuier en
Arabie, cf. Guidi, Sede primitiva, 598 etc.
(^) Cf. notre Taif, 4-5; raisins au Hadramaut ; Hanbal, Mosnad, IV, 311, 8.
Zabïb de Haibar ; Manâqib al-'Asara, E. I, 42, 2 ; treilles de raisins à Médine ; Ibn
Mâgâ, Sonan, E. Il, 178, 5.
La vig^e 91
u-*^ Jl J^ ('), tisane composée au moyen de raisins secs. Avec
ceux de Tâif, on essayait, nous le savons déjà, de dissimuler le
goût nauséabond du puits de Zamzam (-). Macérés dans l'eau, ils
servaient de boisson matinale — nous dirions de café au lait — au
calife 'Omar (^). Les connaisseurs méprisaient cette préparation, taxée
par eux de boisson morte, sans vie, sans réaction sur l'organisme,
véritable drogue de malades (^), potion d'apothicaires ;
« Laisse donc, ô fils de Sari', la liqueur définitivement morte;
prends la boisson vivante, au goût piquant.
Elle te donnera la force de conquérir l'empire des Sassânides ;
tandis que nos récitateurs du Ooran condamnent le suc de la vigne.
Il v a loin entre le vivant et le mort; va, décide-toi pour la
boisson dorée à la coupe écumante (^).
Ton père Sarf n'a-t-il pas recommandé (*) l'amour du vin à ses
fils, puis à mon oncle ; Allah pardonne à mon oncle !
Maintes fois, j'ai vu les fils de mon père réunis pour boire jusqu'au
coucher de la constellation du Scorpion (").
Lentement ils vidaient les coupes, grandes et petites, circulant au
milieu, depuis la prière du 'asr^ quand le soleil dominait encorel'horizon.
Ils ont vécu, ils sont morts : les yeux fixés sur la liqueur, source
d'inspirations, brillante comme un astre >.
(') ^-aUU ,_SL-o»j «^rJlS' d-sL^L-AX:.^ *-f-'^rf i^ljvil « 1_5^U ^ l_5jL»i
(') Ag., II, 86, bas; dès lors les marcliands coupaient leur vin d'eau; Hanbal,
Mosnad, II, 306. Le proverbe « ni vin ni vinaigre » (Aboû Tammâtn, Haniâsa, 558
d. V.) suppose une diffusion relative.
(-) Voir plus haut.
(3) Même trait, attribué à Mahomet ; Aboû Voûsof, Harâg, 100, haut ; I. S. Ta-
baq., VI, 105, 17; Ibn Mâga, Sonan, E. II, 173, 11, d. 1.
(^) Cf. notre Chantre, 68.
(5) ,_y«43i \^^^\j , litt. : qui déborde.
(") Allusion burlesque à la wasyya, recommandations morales, laissées par l'an-
cêtre à ses descendants.
(') *3sJI A^Lj : vraisemblablement le poète désigne l'étoile AJ«-iJl jjb" dans le
Scorpion.
n Ag., II, 86-87.
92 Arbres du Sarât
Le vin, célébré avec tant de ferveur par les poètes buveurs
d'Arabie, ne provenait pas pourtant des coteaux du Sarât, mais de la
S\Tie: de Bosrâ, du Haurân, de Bait Râs, de Baisân, des montaj^mes
du Liban ('). Ce vin-là « s'insinuait dans les os et rappelait le glis-
sement silencieux de fourmis minuscules » (YâqoQt, IV, 325, 10)
S^ tj*5 J-<^'' ,li-o '-;^'> ^-r-:^?^ sJUXs. »h»ll (3 Oj-a- t< 131
Outre Taif on rencontrait encore la vigne à Goras, localité Yé-
ménite, rapprochée du Higâz (•), dans les régions d'Aila, à W'âdi'l
Qorâ (^), même au pays de Hismâ — assertion passablement dou-
teuse pour ce dernier point (^). Il faut juger différemment des dis-
tricts montagneux du Sarât, continuation de la chaîne de Tâif Un
Bédouin des BanoQ Dans, habitant de cette région ne vit aucune
difficulté à offrir une outre de vin au Prophète; ni celui-ci à accepter
les cadeaux de cette nature, du moins antérieurement à l'interdiction,
portée par le Qoran (^). Si ce n'était pas pour la consommation, on
devine malaisément à quel usage ils auraient pu servir. Mahomet a
en outre bu du nabïd (*).
* *
Dans le Sarât les arbres à gomme, à résine, les conifères se
trouvaient également représentés : on en recueillait les produits et
nous rencontrons des caravanes, venant de l'intérieur et transportant
du goudron ('). Ces montagnes possédaient des no\'ers en abondan-
(1) Cf. Poète royal, 37 sqq. ; vins du Liban, de Beyrouth; Ag., II, 86; 88, 6, VI,
120, 3 d. 1 ; 122, 2; Syriens importateurs de vin à Médine ; Hanbal, Mosnad, II, 132, d. 1.
(•) Bakrî, op. cit., 239, 1.
(3) Bakri, 30, 43; 119, 15-16.
(*) Yâqoût, E. III, 277, 3, remarquez le ^fiX .
(=) On lui en offrait chaque année; Hanbal, Mosnad, I, 230, bas; IV, 227.
(6) I. S. Tabaq., III S 63, 3, d. 1.
(") Ag., VI, 26; cyprès sur d'autres points du Higâz; Wûstenfeld, Gebiet von
Médina, 21; Guidi, Sede primitiva, 586; Ibn Halâwaih, Sagar, IV, 10.
Oasis et vergers au nord du Higâz 93
ce ('). Les mêmes régions étaient d'ailleurs célèbres pour la beauté
de leurs vergers. Les habitants possédaient le monopole de fournir
de fruits le marché de la I\Iec(]ue (■). Nous aurons à reparler des
merveilleux jardins de Tâif, dans la monographie de cette cité, « coin
du pa\'sage syrien, transporté sur le sol du Higâz > ('), ainsi s'ex-
prime la tradition musulmane.
Dans les régions plus basses, les vergers ne faisaient pas défaut,
sans être aussi luxuriants (*). Il faut interpréter avec cette atténua-
tion les renseignements des géographes indigènes sur les jardins
étendus de .Sawariq\ va, au pa\-s des Solaimites, sur le district monta-
gneux de Radwâ, et les cantons situés entre ce massif et le port
actuel de Yanbo" (^). De nos jours encore l'Anglais Doughty (") a
observé à Al-'Olâ des vergers, remplis de limons doux, de pruniers
et de vignes en treille. Ces oasis, celles surtout entre Médine et la
mer, puis les autres s'échelonnant au Nord de cette ville, le long de
l'ancienne route commerciale de -Syrie, dans la direction de Wâdi1
Oorâ et de Tabouk, sans parler des grandes oasis de Haibar, de
Fadak et de Taimâ', depuis longtemps mises en valeur par l'indus-
trieuse activité des Juifs, tous ces îlots de verdure, finirent par ex-
citer les convoitises des Compagnons de Mahomet et de leurs des-
cendants C).
(') Bakri, 67, bas; Yâqoût, E. III, 168, « montagnes de noyers »; «tout le Hi-
gâz, qualifié de Gauz, noyer » (sic); Balcrî, 466, 494; VViistenfeld, Gebiet, 4-5.
(- I. Gobair, Travels-, 131-32; I. Batoûta, I, 359, 385-87; à la p. 387, 1. Trad.
«.fJC^Jl ,ji ^^jyJ^y^ « répondant Ainen à leurs invocations» et non «ayant foi dans
leurs prières » ; cf. l'édition de De Goeje d'I. Gobair, 133, 19.
(3) Azraqî, (WUst)., 41; arbres du Sarât : genévrier, noyer, grenadier ; Asmal, A'ii-
bâi, 1076, 1077; flore spéciale, canne à sucre; Yâqoût, E. V, 59. ■f-f'^ conifère; Yâ-
qoût, VI, 148.
(^) Cf. Wûstenfeld, Gebiet von Médina, 19, 21. Ibn Halâwaih, op. cit., se tait sur
les arbres fruitiers.
(^) Bakrî, op. cit., 60, haut; 90, 10 etc., 415, 583,608; céréales, plantations chez
les B. Solaim; ibid., 383. 9-1 d. 1., 728, 729.
C') Travels, I, 152; Auler Pascha, op. cit., II, 9-20. Le « Ghudêibaum > n'est
autre que le gadâ. Vergers de Taimâ'; Doughty, op. cit., I, 294.
C) Domaines considérables et immenses troupeau.x de Talha, de Zobair et des
Mobaisara; Aboù Yoûsof, Harâg, 60, haut; 130, bas.
X
Domaines et exploitations agricoles
Devenus, de par les conquêtes arabes, possesseurs d'immenses ca-
pitaux, de troupeaux d'esclaves, beaucoup tenaient à achever au pays
natal leur carrière aventureuse ('). Ils voulurent se donner la satis-
faction de devenir propriétaires sur le théâtre même, où jadis ils
avaient gardé les chameaux, détroussé les caravanes : entre ces deux
pôles oscille d'ordinaire l'activité des Arabes ('). Ils se répétaient
avec attendrissement : « les assurances d'Allah et de son Apôtre se
sont réalisées, i^y^^^ «Cûl jj^ » (^). Il nous a constitués les maîtres du
monde, les héritiers des civilisations antérieures iJô^liL fCi.»-^ (^). Il
nous exhorte « à jouir des douceurs de l'existence; \^ \^\ ^^^..JUI LjJl
(cS'Uij^ U o^-:^^ cr; (^)- ' Les convoitises de cette race ardente, aigui-
sées par un jeûne séculaire, n'avaient pas besoin de ces exhortations.
Ce fut entre eux une véritable enchère, à qui s'assurerait les parcelles
de terre susceptibles de culture. Les premiers califes i^) donnèrent l'ex-
(') Cf. Mo'â-a'ia, index s. v. Médhie; Bakrî, 69-70.
(^) Comp. le chevaleresque 'Orwa ibii a!-Ward: So'arâ' (Cheikho) 837, 1 v.
(•*) Voir les Sahîh et les Mosnad.
{*) Qoran, 6, 165; 10, 15; 33, 37.
(5) Qoran, 2, 163, 167 etc.; voir Concordance du Qoran s. v. loX-S".
(^) Domaines de 'Omar; Yâqoût, E. III, 24, 1 ; 87 ; ceux d'Ibn Zobair fournissent
les dattes à ses troupes; ibid., III, 13, bas; cf. Bakrî, op. cit., 661. Le calife 'Otmân
creuse un canal dans ses domaines de Médine; ibid., 469, 9 d. 1.
Formation des domaines 95
emple, en établissant des haras, des parcs réservés, des domaines
d'état ('), sans d'ailleurs oublier leurs propres intérêts ni ceux de
leur nombreuse postérité.
Bientôt il s'établit comme une course à qui découvrirait au mi-
lieu des sables, perdus dans les noires Jiarras (") ou dans l'immensité
des steppes, un puits, une source ('), une vallée riche en eau souter-
raine, pour y essaxer des plantations de dattiers et s'y bâtir une
demeure, pompeusement qualifiée de qasr (*). Toutes ces occupations
plus ou moins "arbitraires, trop souvent spoliations au détriment des
tribus faibles, on essaya plus tard de les régulariser, en les présen-
tant comme des concessions, qatta du pouvoir souverain, ou même
du Prophète (°). C'est la saiiatio in radice, largement pratiquée par
la tradition postérieure. Par ailleurs elle a cru devoir protester con-
tre cette activité désordonnée, en attribuant au Prophète et aux pre-
miers califes des dictons défavorables aux défrichements agricoles (*).
Tous ces domaines, lentement agrandis et améliorés, acquirent
bientôt une valeur et des prix fantastiques. On parle de 900,000 dir-
hems équivalant à un million de notre monnaie ("). A Hosain fils de
'Alï le calife Mo'âwia aurait offert une somme quatre fois plus élevée.
(') 'Omar éprouve le besoin de se justifier sur leur extension ; AboQ Yoûsof,
Harâg, 60.
(-) Domaines de Zobair ibn al-'Awwâm dans la harra ; Yahiâ ibn Adam, Haràg,
74.; Balâdorï, Fotoûh, 1-17. Domaines de 'Omar à Haibar; Bakrî, op. cit„ 332. Le ca-
life se trouvait donc intéressé à l'expulsion des Juifs.
(^) Halîg, canal, creusé dans l'oasis de Médine, sous 'Omar; Bakrî, op. cit.,(>ôi.
On utilise pour l'arrosage l'eau du Mahzoûr et des wâdis de Médine ; Ibn .Mâg3, So-
nan, E. II, 50. Balâdorï, loc, cit.,
{*) Château dans les palmiers prés de Médine; Yâqoût, E. III, 133, 15. Qasr,
des 'Alides à 6 milles de Médine; Ag., IV, 105; dans la harra Waqim ; Balâdorï, Fo-
toûh, 14, d. 1.; cf. Mo'Swia, index s. v. 'Aqlq; Aboû Yoïisof, Haràg, 60.
(^) Yahiâ ibn Adam, Haràg, 56-57; cf. Mo'àwia, 228. sqq. On essaye de faire
admettre que 'Ali a acheté Yanbo'; Bakrî, 416.
(*) Yahiâ, op. cit., 59; cf. Mo'àwia, 238, 242. On veut insinuer que « l'autorisa-
tion de l'imâm » := l'état est requise pour rendre définitive la propriété; Yahiâ, op.
cit., 64, bas.
(") Qotaiba, 'Oyoûn, 382, 2. Domaines aux alentours de 'Osfan; Bakrî, op. cit.,
693. Nous y reviendrons avec plus de détails.
96 Domaines 'alides
soit 200,000 dinars, pour une propriété près de Yanbo' ('). Les 'Ali-
des, « lignée de saints personnarjes n'attachaient pas de prix aux biens
de ce monde ». Ainsi l'affirme M. Cl. Huart, le récent historien des
Arabes C^). On ne peut du moins leur contester, comme le firent les
contemporains à leur ancêtre 'Ali — la justesse du coup d'oeil et
l'habileté pour ne pas arriver trop tard dans le partage des bonnes
terres de l'Arabie occidentale. Pendant que les Compagnons se dis-
putaient les propriétés à proximité de l'oasis médinoise, eux jetèrent
leur dévolu sur une région plus éloignée, voisine de l'Erythrée, celle
de Yanbo' (^). Cette localité leur doit pour ainsi dire son existence
et le pays environnant, merveilleusement irrigué, sa renaissance à la
vie économique {*). Ils n'eurent ])as à regretter le choix. Du vivant
de 'Ali, ses domaines du Higâz rapportaient déjà en revenus annuels
la somme rondelette de 100,000 dirhems. On voit comment certains de
leurs domaines pouvaient constituer pour leurs filles une dot princière,
leur permettant de repousser les avances des jeunes Omayyades (^).
Dans ces descriptions, on pourra faire la part de l'imagination
arabe, habituée à jongler avec les chiffres. Il faut également y join-
dre l'attraction, exercée sur les Arabes par le sol de la patrie, même
après les gloires de la prestigieuse période impérialiste. Voilà pour-
quoi 'Alides, 'Omarides, Zobairides, 'Otmânides, toutes les familles
des califes, ayant successivement détenu le pouvoir, s'}' disputent les
meilleures terres C'). Mais voici les Oma3'3'ades, fixés en Sj-rie et très
(*) Bakri, op. cit., 417.
(-) Histoire des Arabes, I, 257, 289. « Le premier, le calife 'Otniân aurait accordé
des qatta »; Yahiâ, op. cit., 58, 7 etc. J'interprète: le premier il aurait cherché à ar-
rêter l'usurpation arbitraire des terres, en faisant intervenir le pouvoir central. A 'Okâz
9n trouve ^y^ ^-Vci* O^ (' î i-Âjjï-iJ iJU-«U Jj*^ ; ces biens étaient exempts de
la dîme; Maqrïzî, ImtcC , III (ms. Kuprulu, Constantinople) ; cf. Bakrî, <?/. cîV., 662.
(3) Wûstenfeld, Gebiet von Médina, 6,7, 9, 11; 'Alî se la fait concéder par 'Omar;
Yahiâ ibn Adam, op. cit., 57; autre qatï'a du Prophète à 'Alî; Yahiâ, loc. cit.
(*) Yahiâ ibn Adam, op. cit., 61, 3.
p) Yâqout, E. 248; Wûstenfeld, op. cit., 7. 'AU arrache des qatï'a à 'Omar;
Yahiâ, op. cit., 57. On place dans le massif du Radwâ la retraite du Mahdî érite.
Sans doute les 'Alides ont dû posséder des domaines en cette région.
('■) Voir plus haut. Ajoutez: Bakri, op. cit., 158, 4; 169; 231, 256, 278; 401;
Balâdorî, Fotoûh, 8, 10, 11, 14; domaines des Ga'farides, Wûstenfeld, Gebiet, 53;
Influence de la politique 97
attachés à ce pays, voici des califes, comme Mo'âwia, 'Abdalmalik,
Walid, occupés à modifier la carte de l'ancien monde. A leur tour
on les \oit saisis par la fièvre des accjuisitions au Higâz ('). Quand
on constate le prodigieux développement de Médine à cette épocjne,
ville de plaisir, de luxe, séjour des artistes et de l'aristocratie arabe,
tout le relèvement agricole de l'Arabie occidentale — nous en avons
tracé les grandes lignes dans notre Mo'âwia (^) — on devra suppo-
ser des réalités tangibles derrière cette brillante façade. Venant en-
suite à réfléchir que sous les Nabatéens, à l'époque des Minéens,
cette province connut une [irospérité au moins égale, on sera tenté
de se demander dès maintenant, si l'avenir de l'Arabie — comme
celui de l'Asie antérieure — ne dépend pas principalement d'un sage
régime économique. « Faites-moi de la bonne politique, disait le ba-
ron Louis, je ferai de bonnes finances >. L'axiome ne s'applicjue pas
moins à l'agriculture.
Ce fut le programme des Oma}\ades : établir la sécurité en Ara-
bie. Sans cesser de leur demeurer hostiles, les Zobairides en profi-
tèrent pour mettre en valeur le district considérable de Foro', entre
Médine et la Mectiue. Ils y creusèrent des puits {^)- Deux de ces
puits fournissaient des eaux assez abondantes pour arroser un lot de
20,000 palmiers (^). Cette même région posséda jusqu'à 14 fuinôar,
chaires de mosquée {*) ; une prérogative exclusivement réservée, dans
le principe, aux centres importants. Ces centres ne manquaient donc
pas au pa3's de Foro' !
Istahri, Géogr., 22, 2 etc.; qatVa de Zobair ibn al-'Awwâm ; Yahia, op. cit., 56, 57;
domaines zobairides à Wâdi'l Qorâ ; I. Doraid, Isiiqàq, 243. Une partie fut plus tard
confisquée par le calife 'Abdalmalik ; cf. Zobair ibn Bakkâr, Nasab Qorais, (nis. Ku-
prulu, Constantinople), 4-5.
(») Cf. Mo'âwia, 225-52.
(*) Cf. Mo'âwia, index, s. v. Médine.
(3) Bakrî, op. cit., 707-708 ; cf. Wustenfeld, Gebiet, 23 ; d'après les quantités
d'eau fournies, il doit s'agir de norias.
(■*) Bakrî, 708 ; on y trouvera l'énumération des villages, 728-729. Villages, points
d'eau et cultures du Foro', concessions accordées en cette région par Mahomet, 725,
8 d. 1.
Lamuens — Btrceau 7
98 Dissensions des 'Alides
Si nous reprenons notre tour du Higâz au sud de Médine, nous
rencontrons d'abord la vallée du 'Aqiq ('), avec ses villas et ses
maisons de plaisance, perdues dans la verdure. Le 'Aqîq, véritable
Daphné de cette Antioche arabe, non moins dissolue que celle de
Svrie. Entre cette ville et la Mecque, la liste des localités encore
habitées au 3. et 4. siècles de l'hégire demeure considérable (^). Et
cela postérieurement à la chute de la d3nastie onia3'}ade, aux nom-
breuses révoltes 'alides, durement réprimées par les 'Abbâsides (') ;
autant de coups sensibles, portés à la prospérité économique du
Higâz. Les califes de Bagdad, dominés par les influences persanes
et turques, se désintéressèrent de l'Arabie et }' laissèrent les multi-
ples agents de décomposition accomplir leur œuvre de destruction.
Ces souverains s'éloignent de plus en plus de leurs origines arabes :
faute soigneusement évitée par les califes de Damas. Cette considé-
ration a pu inspirer la politique agraire des Omay3'ades au Higâz
et la constante préoccupation d'}- arrondir leurs possessions doma-
niales {*).
Au lieu de s'unir, on voit les descendants de Hosain et de Ga'far,
malgré les liens de parenté, se livrer à des guerres fratricides sur la
terre du Higâz : elles amènent leur ruine et précipitent la décadence
(') Cf. Mo'awia, index s. v. ; Bakri, op. cil., 173, 2-17. Villages en ruines entre
Médine et la Mecque; Istahrî, Gèogr., 18. Le 'Aqîq « doû'l ârâk » ; Vâqoût, VI, 146.
(2) Ibn Rosteh, A'iâq, 178; Ya'qoûbï, Géogr., 312-13; Wûstenfeld, Gebief, 22-23;
Gohfa, avec deux mosquées et niinbar ; Maqdisî, Géogr., 69, 77 ; Vâqoût, E. 62 ;
Bakrï, op. cit., 232. D'après Istahrî, Géogr., 20, 12 ; Gohfa seul village permanent
entre la Mecque et Médine ; sur le centre important de For' (Foro'), Vâqoût, E. VI,
363 ; Wûstenfeld, Gebiet, 23 ; Bakrï et détails cités plus haut ; sources et palmiers
près de Marr az-Zahrân ; Vâqoût, E. VI, 90.
(3) Cf. Ag., I, 165; XVII, 109; XVllI, 205 etc.; Tab., Annales. III, s. a. 144,
p. 142 etc. Ils font dévaster les vastes domaines des 'Alïdes au Higâz ; Wûstenfeld,
Gebiet, 7 ; Vâqoût, E. V, 180.
(■') Cf. Mo'ôavia, 225 sqq. Ils y acquièrent des domaines, achetés aux Juifs de Wâdi'l
Qorâ ; Balâdorï, Fotoûh, 35.
Prospérité de la région des Solaimites 99
du pa\s (').■ Combler un puits est un malheur; en Arabie, il faut
l'appeler un crime, trop souvent irréparable. La pratique était devenue
courante, parmi les nomades, ijuaud ils ne pouvaient se mettre
d'accord pour la possession d'une source ('). On peut en dire autant
de l'abominable coutimie de raser ou de brûler les palmeraies ('),
commandée par Mahomet lui-même, au témoignage du Ooran (■*).
Parmi toutes les contrées de l'univers, la Péninsule plus (]ue
toute autre réclame les soins incessants de l'homme, une lutte sans
relâche contre l'action destructive des éléments, travaillant incessam-
ment à étendre la superficie de la dénudation. Or cette lutte suppose
l'entente, un pouvoir énergique, secondant les efforts des particuliers,
la cessation des divisions intestines ; bref, l'intervention incessante
d'un Ziâd ou d'un Haggâg (^) pour imposer la paix au désert.
Autant de conditions rarement vérifiées en Arabie, à partir du second
siècle de l'hégire. Aussi n'est-il plus question de propriétés, cou-
vertes par 20,000 palmiers, comme celles possédées par les Zobairi-
des C)-
*
* *
A l'Orient de la route directe de Médine à la Mecque, le pays
des Banoû Solaim paraît avoir joui d'une remarquable prospérité:
successions de harras volcaniques, de districts miniers, de montagnes
(') Istahri, Géogr.\ 22, 2 etc. On voit pourquoi Ibn Gobair trouve les 'Alides,
réduits à exercer les métiers les plus humiliants.
(2) Voir dans Bakrî, op., «V., la monographie sur Darj'ya, 626-639 ; principalement
627-28, 629, 632.
(3) Nous aurons à y revenir.
(*) Qoran, 59, 5. Pour terminer une contestation entre deux plaideurs, il fait
couper des palmiers; Yahiâ, Harâ.g.d'i, 2-14; Yâqoût, E. II, 310, U. Domaines 'alides
dévastés, voir note précédente. Palmiers incendiés par Aboû Sofiân ; ibid., VI, 163.
(^) Les Bédouins s'en rendent compte. Voir l'aveu de Lailâ al-Ahyalyya à Hag-
gâg; Ag.\ X, 83, bas. Comp. notre /T/ôi/ ibn Abihi. Intelligence supérieure de Haggâg;
Gâhiz, Bayâti, I. 108, 4; l'Iraq eut tort envers lui; ibid., I, 148, 12 d. 1.
(6) Wûstenfeld, Gebiet, 22-23.
100 Témoignages des auteurs ; contradiction apparente
boisées, de points d'eau et d'oasis, intelligemment exploités ('). Zobair
ibn al-'Awwâm, le cupide et ambitieux hawârî de Mahomet, y possé-
dait un domaine acheté 170,000 dirhems et vendu après sa mort pour
la somme fabuleuse de 1,600,000 dirhems (^). Ces chiffres ont leur
éloquence: à l'aide de pareils capitaux, tout devenait possible ; même
< de faire fleurir le désert », pour reprendre ici le stj'le de la Bible.
Un des centres de la région solaimite ('') était Sawâriqyya avec une
mosquée et un mitidar. Or la chaire (.les mosquées était la caractéris-
tique des localités importantes {*) Sawâri(]3'3'a possédait des jardins
s'étendant sur une longueur de plusieurs journées de marche avec des
bananiers, des vignes, des grenadiers, des figuiers, des cognassiers,
des pêchers, sans parler des inévitables dattiers (').
Ici une remarque s'impose; elle expliquera l'apparente contra-
diction entre les témoignages des géographes: ceux des vo3'ageurs
musulmans et les textes des enc\'clopédistes. Les premiers constatent
(ù visu les progrès de la décadence. Quant aux auteurs de diction-
naires, Yâqoût et Bakri, ils ont largement utilisé les poètes, c'est à
dire des témoins de la prospérité omayyade ou de la situation encore
satisfaisante de la période immédiatement antérieure, alors que la
politique commerciale des avisés Qoraisites avait réussi à maintenir
l'Arabie occidentale dans une tranquillité relative (*). Le monde des
affaires, la haute banque détestent le fracas des armes.
(1) Bakrî, op. cit., 60-61, 462; 728, 729. Wûstenfeld, op. cit., 25-35; Yâqoût, E.
V, 370, 371.
(2) Wiistenfeld, op. cit., 28 ; pour les richesses et les prodigalités de Zobair, cf. YazJd,
352. Il s'agit vraisemblablement d'une propriété, sise au district de Foro'. Voir plus
haut. Du vivant de Mahomet, ce Zobair avait déjà manifesté des goûts de proprié-
taire; cf. Fâtima, 56, note 1.
P) Bîr Ma'oûna, point d'eau de cette région, nommé dans la Sïra, ne reparaît
plus à partir de cette époque. Cf. notre article Bïr Ma'oûna dans Enzyk. d. Islam, I.
(■*) Cf. A. Mez, Von der ntuhammedanischen Stadt in 4 Jahrhundert dans Zeits.
f. Assyr., XXVII, 65-66.
(5) Wûstenfeld, Gebiet, 33; Yâqoût, E. V, 164. A la Mecque et dans le haram
on ne rencontre que la maigre flore désertique. Les vergers se trouvent en dehors du
territoire sacré; Istahrî, Géogr., 17.
C"') Cf. notre République marchande, passim.
Le long de la côte érythréenne 101
Quand on remontait le long de la rive ér\-thréenne dans la
direction du golfe actuel de 'Aqaba, la situation se présentait encore
plus favorablement que dans l'intérieur des terres. Aux pieds des
derniers escarpements, formés par les montagnes côtières. au débou-
ché des wâdis, s'étalant en éventail sur la mer, s'ouvraient des
plaines, saturées de pluies hivernales. Partout l'humidité, emprisonnée
dans les entrailles du sol, remontait à la surface sous forme de
sources ('), ou venait s'accumuler au fond des puits, percés par
l'activité des habitants. On traversait une suite de localités, vivant
du trafic maritime, de la pêche et aussi du produit de leurs floris-
santes palmeraies. Citons .\1-Gâr, port de Médine, rendez-vous des
navires commerçants de le Mer Rouge et même de l'Océan indien,
avec des demeures somptueuses, .y^ et une nombreuse popula-
tion (*). Nous avons déjà parlé de Yanbo' ('), de ses « 99 sources »
et de ses jardins luxuriants {*). Nommons encore : Wagh, Madian,
Maqnâ, Haurâ\ enfin Alla, où. disaient les poètes, < le froment était
commun comme ailleurs le sable » :
Récemment l'infatigable explorateur de l'Arabie occidentale, le
Dr. Musil a visité la région septentrionale de la côte du Higâz,
Partout à marée basse, il a rencontré des sources d'eau douce, recou-
vertes par le flot montant. L'oasis Al-Badfa (') mesure une longueur
de six kilomètres, couverts de doums et de palmiers. La localité ma-
ritime .Al-Horaiba avait jadis possédé un aqueduc, amenant l'eau de
(') Rapprochez les « 99 sources » de Yanbo' et les détails de Musil, donnés plus bas.
(*) Bakrî, op. cil., 225; Balâdorî, Fotoûh, 216; Wûstenfeld, Gebiet von Médina,
12-13.
(') A l'intérieur des terres, distinct de la Yanbo' maritime d'origine postérieure.
Actuellement appelée Yanbo' an-nahl, la Yanbo' des palmiers.
(*) Bakti, op. cit., 169, 416, 417, 608.
(5) Bakrî, 358. Sur Aila voir l'inde.x de Mo'awia.
(6) Orthographié Bed' et Bedî'a chez Musil ; peut-être ç-oLs de Bakri, 167
jljo.i.1 J.ik.L«j ; Yâqoût, E. II, 39. Peut-être Bodai' g..n > , nommé par le poète
Kotayyr en même temps que 'Ainoûn; Bakrî, 266; Yâqoût, E. V, 81, 2-5.
102 Situation actuelle
l'oasis 'Ainoûnâ, nommée dans le hadït ('). A la rigueur Mahomet
aurait pu la concéder en propriété au célèbre Tamîm ad-dârî; mais
le hadït se trompe en plaçant cette dernière en Syrie. Seulement la Tra-
dition avait à cœur d'attribuer au Maître le don de prophétie et aussi
le projet de conquêtes en dehors des frontières arabes (*). Les pal-
meraies de l'oasis de Horaiba produisent la plus favorable im-
pression. Voisine est l'oasis de Sarma. « Elle compte, dit Musil, 25
kilomètres de long; avec les terrains environnants et susceptibles de
culture, elle suffirait à nourrir des milliers d'hommes industrieux.
Toute cette côte pourrait être colonisée et devrait former un des
plus florissants districts de l'empire ottoman » ('). Au Nord de Ho-
raiba, « la vallée de 'Afâl avec l'oasis de Badra, au dire du même
explorateur, offrirait aisément la subsistance à 10,000 habitants pour
le moins; une autre dizaine et plus trouveraient à cultiver les éten-
dues fertiles entre 'Afâl et "Ainoûna » {*).
(1) Bakrî. 266 s. v. 'Ainoûn, mais le vers de Kotayyr écrit 'Ainoûnâ; efforts
pour en faire une localité syrienne; Bakrî, loc. cit.; Yâqoût, E. VI, 258; Ibn Doraid,
Istiqàq, 226.
(2) Cet iglà' impliquait cette double conclusion. Voilà pourquoi la Tradition s'est
obstinée à chercher en Syrie l'emplacement de 'Ainoûnâ.
(3) Musil, Ini nôrdl. Hegâz, p. 12.
(^) Musil, loc. cit.
XI
La responsabilité du Bédouin
A la fin de cette esquisse, forcément superficielle, consacrée au
climat de l'Arabie, une constatation s'impose, si je ne m'abuse. C'est
la divergence profonde entre la réalité (ju'elle nous permet d'entre-
voir et les idées admises jusqu'ici. Même après avoir pesé les ren-
seignements résumés ici, sans parler de nombreux documents, volon-
tairement laissés de côté ('), nous devons nous faire violence, sans
cesse réagir sur nous-mêmes pour ne pas céder à nos anciennes im-
pressions. Nous sommes redevables, au moins partiellement, de ces
préjugés à notre éducation classique, aux décevantes appellations
d'Arabie déserte et d'Arabie Pétrée. Cette dernière, très innocente
au fond, désignait la Nabatée avec sa capitale Petra, XArabia Pe-
trcœa, récemment décrite par le Prof. Musil. Nous nous obstinons à
3' découvrir une ét}-mologie, cadrant avec nos préventions; ensuite
nous étendons à l'Arabie entière cette création de notre imagination.
Comme pendant aux glaces polaires, elle nous représente l'énorme
(') Comme ceux regardant la faune et la chasse : toutes deux supposent une
certaine richesse végétale. Nous parlerons plus loin des lions d'Arabie. Pendant plu-
sieurs mois Amroulqais et ses nombreux compagnons vivent de la chasse. Puisque le
Qoran a cru devoir l'interdire pendant le pèlerinage, elle devait constituer une occu-
pation fevorite. Comp. AboQ Tammâm, Hamâsa, I, 106, 2; 114. Nous y reviendrons
dans le dernier fascicule du Califat de Yazld l'r. Cf. Auler Pascha, op. cit., II, 10,
Jaussen, Pays de Moab, 282 sqq. J. V.\a\\, JRAS 1912, p. 139-41.
104 Les « sabaha »
péninsule arabe, ensevelie sous un morne manteau de sable : chaoti-
que succession de steppes, déchiquetées par l'érosion séculaire.
C'est le mirage, l'obsession des nefoûd. Pourtant les nefoïid, nous
l'avons vu, forment l'exception en Arabie. Encore constituent-ils pen-
dant l'hiver une précieuse réserve pastorale pour les immenses trou-
peaux des nomades. La période humide terminée, alors seulement ils
représentent le véritable désert saharien, la solitude romantique, où
« s'égarer, c'est se vouer à la mort » (') où le plus habile « guide se
mord les doigts » de désespoir ('), (jue « l'oiseau même renonce à
traverser » (^).
Beaucoup moins étendus, mais plus redoutables pour la vie vé-
gétale apparaissent d'autres restes de la grande mer, ayant jadis re-
couvert cette partie de l'Asie antérieure, nous voulons parler des
sabaha, steppes salines et fréquemment improductives (^).
Ce sont parfois d'anciens lits de gadlr desséchés, où les particules
solides, en suspension dans l'eau, sont venues s'accumuler. Ces sur-
faces salines gagnent en étendue, à la suite des sécheresses prolon-
gées. Sous l'action de l'évaporation, tous les cantons, soustraits pen-
dant une période notable à l'effet des fortes chutes de l'hiver, se
couvrent d'efflorescences minérales. L'eau des pluies, e.xcepté pour-
tant celle des sail- (^), trombes, glisse à la surface. Si elle pénètre
dans le sol, elle risque d'}' entraîner des ferments chimiques, d'étouffer
jusqu'aux germes de la vie végétale. Aussi disait-on en manière de
proverbe : « accorder un bienfait à un homme sans honneur, autant
vaut ensemencer la sabaha » C^). Certaines espèces semblent pourtant
s'être accommodées de conditions aussi défavorables. Ibn Halâwaih C)
(1) lillft d^ ^j ^ ; Bakri, 185, 1.
AboQ Tammâni, Hamâsa, E. IV, 155 d. v. « Il se mord les cinq [doigts] ». Bakri,
op. cit., (pour la Dahnâ') 615, 7-8.
(•■') Ag., X, 82, 5 d. 1. ; « où s'égarent le qatâ (perdrix du désert) et le hâdi
(guide)»; Ahtal, Divan, 87, 5; Laila Ahyalyj-a, dans Hansa', Divan, 109, 4.
(■•) Bakrî, op. cit., 172, 4. Sabaha, de Médine ; Ibn Hisâm, Sïra, 557, 677.
(^) Le sail ramène la végétation ; NaqcCid Garlr, 173, 2 v.
(«) Gàhiz, Bayân, I, 190, 7.
C) Sagar, Vil, 1, 5, 8, 12; VIII, XI, XIV.
Inconstance de la météorologie 105
cite toute une collection de plantes et d'arbustes, poussant dans ces
terrains. Elles en diminuaient l'excès de salinité, en la fixant partiel-
lement dans leurs tissus.
Malgré leur apparence austère, les laves des harras, en se dé-
sagrégeant sous l'actiori des agents atmosphériques, composent une
terre d'une étonnante fertilité, où la présence de quelques gouttes
d'humidité provoque les réactions les plus favorables au développe-
ment des plantes. Au milieu des harras s'élevaient les plus merveil-
leuses oasis du Higâz : Taboûk, Taimâ', Haibar. Médine, les riches
palmeraies du pavs des Solaimites. Elles doivent précisément leur
fécondité au voisinage de ces éléments fertilisants, venant périodi-
quement reconstituer et activer les forces productives de la terre,
jouer le rôle des engrais chimiques dans nos régions plus tempérées.
Le principal désavantage du climat arabe, c'est l'inconstance de la
9
météorologie ou pour employer le langage des Arabes ^ _j?rJl ^)i^\ (*),
la déception des constellations, le paradoxe des hivers, s'écoulant
sans amener la pluie. Celle-ci demeure abandonnée à la merci des
sautes de vent, aux caprices de la bise du Nord. S'obstinait-elle à
souffler, adieu le ra^f, la bienfaisante humidité hivernale ! C'était la
sécheresse, partant la mort pour les troupeaux et la ruine des pas-
teurs (^). Cette constatation a pu influencer la signification du vocable
TsUio , indiquant la direction de la .S3Tie et aussi les objets de mau-
vais augure. Syrie, vent du Nord, disette : tous ces concepts se con-
fondaient dans la pensée des nomades. A l 'encontre la racine Vaman
signifiait la prospérité et le pa\-s de Yémen. De là arrivaient les
nuages, chargés de l'humidité marine. Comment les Arabes n"}- au-
raient-ils pas attaché le sens de bonheur ^ Le rêve de tout Bédouin
c'était de posséder en abondance < les deux noirs, ^>'yM^\ », l'eau
et les dattes ('). La pluie seule pouvait réaliser ce rêve.
(') Ag., X, 80, 9 d. 1. La pluie arrive trop tard, « les troupeau.x ont péri » ;
Ag.. XI, 153.
(^) Comp. la description de la sécheresse faite par Lailâ Ahyalyya à Haggâg ;
Ag., X, 80, bas ; Yâqoût, E. V, 27.
(3) Comme on l'a vu, l'eau entraînait généralement la présence des palmiers.
Donc posséder les i^>y>A équivalait à être propriétaire. Ibn Mâgâ, Sonan, E. Il,
278, 280.
106 La passivité du Bédouin
On comprendra donc les vœux, retentissant incessamment à tra-
vers la poésie de ce peuple. Monotone mélopée, elle appelle les eaux
du ciel, sur les pâturages de la tribu, sur les campements abandon-
nés et sur la tombe de ses morts ('). Jus(jue dans l'autre monde le
Bédouin emporte, pour ainsi dire, la nostalgie de la pluie. D'où la
fréquence des islisqa' (^), des rogations où le Bédouin secoue mo-
mentanément son indifférence religieuse.
« Aide-toi, le Ciel t'aidera ! > Nulle part je ne me rappelle avoir
retrouvé l'équivalent de cet axiome dans la littérature de cette race (^),
si riche pourtant en réflexions sententieuses.
« Lent à se plaindre au milieu des épreuves, il renvoie au len-
demain la discussion sur les événements de la veille.
Dans ce vers, justement vanté par les littérateurs arabes (^), le
poè e Doraid ibn as-Simma esquisse la faculté d'endurance du no
made. C'est en partie l'équivalent arabe du Si fractus illabatiir or bis.
Nous ne demanderions qu'à admirer, si chez le Bédouin de tous les
temps cette qualité n'aboutissait à éner\'er les ressorts de son énergie
morale, si trop souvent sa patience ne dégénérait en une sorte de
passivité animale. Le même Ibn as-Simma (") a célébré ses frères,
tous tombés sur le champ de bataille:
« Si la mort violente s'obstine à frapper les fils d'As-Simma, c'est
parce qu'eux-mêmes n'ont pas choisi un autre sort >.
(') Hansa', Divan, 67 :
(2) Cf. Musil, Arabia Petraea, III, S.
(^) Excepté peut-être dans un vers du grand A'sâ ; aussi l'attribue-t-on à une
inspiration chrétienne ; Ag., VIII, 79, vers le bas.
(*) Ag.. IX, 5.
(^) Ag., loc. cit.,- comp. A. Tammâtn, Haiiiàsa, E. I, 47. Nous y reviendrons
plus bas.
(«) Voir sa notice, Ag., IX, 3-20.
Contradictions dans sa mentalité 107
Voilà un sentiment digne d'un héros. Mais pourquoi ajouter
aussitôt : « le destin s'attache au destin ? »
Note découragée ("); on dirait la résignation d'un peuple, re-
nonçant à continuer la lutte contre une nature inexorable ! Ce sen-
timent paraît tellement naturel au Bédouin (|ue lorsque l'expression
contraire arrive à se faire jour, les Arabes eux-mêmes n'hésitent pas
à y découvrir des influences chrétiennes. Si le poète A'sâ proclame
la responsabilité des actions humaines, c'est, déclarent-ils gravement,
une doctrine, apprise des évêques de Nagrân (^).
De tout temps la m\stérieuse personnalité du Bédouin a sollicité
la curiosité des orientalistes, mis en contact avec lui par leurs étu-
des, ensuite des dilettanti, fascinés par le puissant relief de cette
étrange figure. Nous aurions tort de nous divertir des divergences
profondes constatées entre les portraits {]u'ils en ont tracés (*). Quel
objectif fixerait les traits de cette changeante physionomie ? Personne
ne réunit en son être moral autant de contrastes, de contradictions ;
personne ne s'entend, comme le Bédouin, à les concilier, disons mieux
à hospitaliser en son âme tous ces éléments hostiles, sans que leurs
discordes détruisent sa très réelle originalité, originalité d'ailleurs
complètement stérile pour la cause du progrès.
(') Ag.. IX, 3.
(-) Un autre son plus viril rend ce vers de Hosain ibn Homâm :
« La ténacité — c'est le fond de notre caractère — nous l'avons appuyée sur nos
glaives, en leur donnant à moissonner des bras et des poignets » So'arâ' (Cheikho),
736 d. v.
P) Ag., X, 143, haut. On loue au contraire le fatalisme de Labîd ; Ag., VIII,
79. Hosain ibn Homâm fut-il chrétien ? Son divan renferme du moins des vers
nettement monothéistes ; So'arâ', (Cheikho), 636, d. v.
(■•) Voir plus loin les exemples du « Paradoxe bédouin ».
108 Sa qualité maîtresse
Revenons à sa qualité maîtresse ('), à sa vertu nationale, au
sabr, ainsi il appelle son élastique endurance. Ecoutons-le nous la dé-
crire par la voix de ses poètes, interprètes autorisés, parce que Bé-
douins eux-mêmes, de la mentalité nomade. Nous puiserons nos ci-
tations dans la Hamàsa de Bohtori, anthologie extraite des plus
anciens recueils poétiques de la littérature arabe.
Au sein des épreuves il se proclame un roc contre lequel vient
s'effriter le granit du temps (^). L'œil sec, il a confié à la terre la
dépouille de tous les siens; pas un moment il n'a tressailli; pas un
muscle de son visage n'a bougé et l'écho n'a pu recueillir le son d'une
seule de ses plaintes.
:^ 7 ^ ^ f i, ^ ■'9
Et pourtant Allah sait avec quelle usure (*) le temps l'a éprouvé ;
l'adversité n'a réussi qu'à mettre en relief sa résistance (^). Aussi bien
à sa place, sous les coups du sort, un roc se serait fendu (*). Si
parfois un signe d'émotion a pu lui échapper ; eh bien ! il en de-
mande pardon à Dieu comme d'une faiblesse, indigne d'un homme :
Il en arrive à désavouer « les larmes, la seule arme de l'affligé ».
Quelle grandiloquence 1 On serait tenté d'ajouter : quel peuple
pour avoir trouvé de tels accents 1 Cette dernière conclusion serait
(') <*-».'sr**' LL< j--«aJl j^j'S'^ , répètent à l'envi ses poètes.
(*) Bohtori, Hatnâsa, n. 642.
(•') Bohtori, op. cit., n. 644, 645 ; pour le sens cf. A. Tammâm, Hamâsa, E. I, 93.
(<) Ji-i-J UjLoI .
(5) y^ ; Bohtori, op. cit., n. 648.
C') Bohtori, op. cit., n. 651.
C) Bohtori, op. cit., n. 661 ; cf. Ag., XI, 92, 9 d. 1. cU* Jj Jol M ,i-..»,^li
viUU .
(S) Comp. So'arâ' (Cheikho), 736, 4 v.
(') Opuscula arabica (Wright), 99, 12.
Le domaine sur la nature 109
exagérée. Le Bédouin se grise facilement de sa propre faconde. De
l'énergie il a su trouver l'expression la plus solennelle, s'approprier
et à un degré éminent toute la partie négative. .S'il offre la rési-
stance du granit, il en possède aussi toute la passivité, toute l'inertie.
Nous aurons l'occasion de nous en convaincre dans la suite de ces
recherches. C'est là une des nombreuses surprises, que réserve aux
érudits ranal3-se de la complexe mentalité nomade.
Après des milliers d'années, écoulées depuis sa proclamation,
l'ordre divin, inscrit à la première page de la Genèse (I. 2îS); « Re-
plemini terram et subjicite eam » conserve toute sa force. A-t-il reçu
en Arabie son entier accomplissement } Qui oserait le prétendre,
quand nous constatons le contraire dans des climats plus favori-
sés ? Qu'a fait la passivité bédouine pour lutter contre le ciel inclé-
ment de son pays, pour se défendre contre son inconstance, pour
arrêter, à tout le moins retarder, la péjoration incessante du climat,
la désolation continue, l'action des innombrables agents athmosphé-
riques, précipitant la dégradation du sol, amenant la diminution de
l'humidité, indispensable à l'épanouissement de la vie ? Au témoi-
gnage des géographes arabes, nombre de puits et de sources ont
disparu dans le désert, faute d'entretien (').
Sur aucun point de notre planète, les éléments perturbateurs ne se
trouvent réunis en aussi grand nombre ni ne disposent de moyens
aussi puissants de destruction. A leur intervention perturbatrice,
quelles barrières a opposées l'énergie, le saâr fastueux des Bédouins }
Sans doute l'homme ne possède pas le pouvoir de violenter la
nature. Lorsque, conformément à l'ordre divin, il lui commande, lors-
que il essaie de la subjuguer, il ne cesse pas en réalité d'obéir à
cette même nature. Il doit se contenter de la seconder, sous peine
(') c*^ Cjly« tt ^^> Ol>-< ; Bakri, op. ciL, 627-628. Voir les détails, donnés
plus haut sur les puits et les sources. Puits anciens de Madâin Sâlih ; Auler Pascha,
Die Hedschasbahn. II, 55 sqq. le chap. : die Wassej-versorgung .
110 Collaboration avec le monde inerte
d'être la première victime de lois, méconnues dans sa présomption.
Cette collaboration incessante entre l'homme et le monde inerte, il
nous reste à en examiner les vicissitudes et les résultats au pays
d'Ismaël. Nous nous en acquitterons en discutant la persistance du
climat de l'Arabie. Chemin faisant nous aurons à examiner la théorie
récente, présentant l'expansion arabe, après la mort de Mahomet,
comme un mouvement plus économique que religieux, comme le ré-
sultat d'une longue évolution cosmique.
II.
LE CLIMAT DE L'ARABIE
A-T-TL CHANGÉ?
Théories anciennes et modernes
C'est une tendance, commune à toutes les sociétés humaines,
de placer 1 âge dor aux alentours de leur berceau. La somptueuse
imaii'ination des Arabes ne pouvait se soustraire à la tentation.
Le rude climat du désert leur a merveilleusement trempé le tem-
pérament ph3'sique; il a développé à un degré peu commun chez
eux la faculté de résistance. Semblable à la flore maigre et trapue
de son pays, cet être aux souples muscles d'acier (') s'obstine à vivre.
Grâce à sa ténacité, à ses immenses réserves d'énergie passive, il
réussit presque à prospérer dans un milieu aussi réfractaire à toutes
les manifestations de la vie. En revanche l'influence, exercée sur le
moral du Bédouin, s'est démontrée moins heureuse.
Déprimé par la lutte incessante contre une nature inexorable, il
se sent comprimé par le destin « comme entre deux pierres meulières » ;
la comparaison a été trouvée par ses poètes ('). En de telles condi-
tions, l'initiative, la lutte directe lui ont paru impossibles. Il s'est décidé
à y renoncer. Stoïquement il courbe la tête sous le joug du fatalisme,
répétant le vers de Labld, très admiré par toute la tradition musulmane :
« Quand Allah prédestine un homme à la félicité, il peut marcher
sans inquiétude; mais Allah dévoie qui il lui plaît » {').
(') Cf. Mas'oQdî, Prairies, III, 243 sqq.
(-) Pour les références, voir O. Rescher, Ober falalistische Tendenzett in den
Anschauungen der Araber, dans Islam, II, 342.
^■') Labîd, Divan, XXXIX, 3. Voir plus haut.
Lammens — Berctau ' 8
114 I.e fatalisme bédouin
Bien avant Mahomet, le Bédouin s'est représenté l'auteur de la
nature comme un despote, bro3'ant ses créatures dans l'étau de sa
volonté tyrannique. « L'ordre de Dieu, proclame le Qoran, est un
destin irrésistible » ('). Il en est presque venu à envier le sort de la
matière inerte. Affaissé sur lui-même, il a repris à son compte cet
autre vers de Labid, le poète ('), écho des conceptions pessimistes
de ses . contemporains :
« L'usure du temps nous consume: seules ne vieillissent pas les
sublimes étoiles. Longtemps après nous les montagnes et les massives
forteresses continueront à subsister (').
« L'homme rappelle l'éclat éphémère d'une étincelle. 11 devient
poussière après avoir brillé un instant ! » (■*).
Pour se consoler de sa défaite morale, pour s'arracher au senti-
ment de sa navrante misère, au spectacle de son rude milieu, sa fan-
taisie aime à voyager dans le passé. Non ; sa patrie n'a pas toujours
présenté l'image de la désolation, dont il est le témoin attriste et
impuissant. Jadis les hommes y vivaient plus heureux, plus long-
temps. C'est l'origine de la littérature des Mo'amntarmn^ des « Cen-
tenaires ». Le Prof Goldziher en a publié et doctement commenté un
remarquable spécimen le Kitàb al-Mo'ammaroûn de Sigistânl (^). Ses
ancêtres, l'Arabe se les représente blancs de visage, de taille gigan-
tesque (^). Tous ces traits ont passé dans le canon de l'esthétique
(') Qoran, 33, 38; cf. 9, 51 ; 54, 49. -«1, terme vague, peut signifier l'ordre, la
chose, la disposition.
(-) Traité avec infiniment d'égards par la tradition musulmane et transformé par
elle en croyant sérieux; voir Ag., VIII, 79, 89; XIV, 93-102, surtout 97, 137, 138;
XVIII, 165.
{') Comp. Sabîb ibn al-Barsâ': «j'irai boire à la source, où les ancêtres se sont
abreuvés»; Ag., XI, 96.
(■*) Bohtorf, Hamàsa, n. 387 ; Comp. Zohair (Ahlw.), XX.
{^) Dans le 2° vol. des Abhandlungen; Gâhiz traite les Arabes de menteurs en
matière de longévité ; Haiawân, I, 72 : l^~is l5J^ >3S> ^ «.^ ^1 .
C) Cf. Mo'âwia, 97-101 ; Fâtima, 36-37. Les 'Adites étaient « hauts comme des
palmiers J.;^srJI Cj^^^* tS * ■ ''"^ lonsueur de leur vie était proportionnée ; Mas'oûdî,
Prairies, III, 74 ; sur 'Ad cf. Qoran, 26, 128; 53, 51 ; notre Ooraii et tradition, 19,
on y verra l'application du canon au Prophète.
L'Arabie, jadis un Paradis 115
virile, compilé par les poètes, et fidèlement appliqué à leurs Mé-
cènes et plus tard par les annalistes aux héros de la préhistoire isla-
mite. 11 retrouve les vestiges de leurs demeures (') dans les mas-
sives constructions nabatéennes, dans les hautes forteresses du
Yémen.
L'Arabie elle-même présentait l'aspect d'un Paradis. « Elle occupait
le centre de la terre, possédait le plus délicieux climat et les terres
les plus fertiles » ("). Après la confusion de Babel, une partie des
Arabes traversa le Higâz. S'il a reçu cette dénomination de Higâz,
à savoir séparation (^), « c'est parce que les charmes de la région,
l'infinie variété de ses productions empêchèrent alors ses premiers
habitants de suivre leurs frères dans l'émigration » {*). En voyageant
de la Mecque à Médine. on traversait une succession ininterrompue
de districts habités et de riches cultures. Il en était de même quand
on passait par le Nord de l'Arabie pour atteindre la Babylonie (°).
A l'intérieur du Higâz s'élevaient des massifs montagneux, abondam-
ment irrigués, remplis de sources, couverts de palmeraies, d'olivettes,
de jasmins, d'une incroyable variété d'arbres et de plantes f). Avec
une telle fertilité, on comprend comment, au dire de la Tradition, la
plupart des tribus, que nous trouvons aux environs de l'hégire, ré-
pandues sur la surface de la Péninsule, depuis les monts septentrio-
naux du Yémen jusqu'à l'embouchure des fleuves mésopotamiens,
comment ces tribus aient pu faire bon ménage au Higâz, sans se
dévorer mutuellement — conformément à leurs habitudes — aux
(•) Cf. Mas'oûdî, Prairies, III, 84.
{') Qalqasandî, J^\ JoNls (ms. B. Kh.), J^l^ dJ.S'Lcl Jj*l^ ^J-»-^' '^^■'^' à
<JL»Uù .
(^) Voir plus haut. p. 13.
(*) Yâqoût, E. III, 218, d. I. .«iJI J^\ é p*^^ c' f^}^ V"^ 'j*^ 1*5^..^
Ub^^j». iXSç^ o^r'' '^^ (3 L^>«kl . La plupart des tribus arabes auraient commencé
par résider au Higâz ; Ag-., XI, 160-62. Un bel exemple d'exégèse historique, s'a-
chamant sur des vers difficilement intelligibles.
(5) Osd, I, 115, 8 etc.; Ki/âè al-Fàdil, ms. Beyrouth, 352. Tout était peuplé
entre le Yémen et la Syrie ; Istahri, Géogr., 15. Gâhiz, Bayân, I, 203, bas.
(*) Bakri, op. cit., 26, haut. Le puits de Zamzam aurait inondé la terre, si Agar
la mère d'Ismaël ne l'eût arrêté ; Yâqoût, E. IV, 400, 402.
116 Le désert idéal de WabSr
temps historiques ('). Mère féconde, l'Arabie nourrissait sans eiïort
la multitude de ses enfants.
De cette félicité évanouie, toute trace n'aurait d'ailleurs pas dis-
paru. Au centre de la Péninsule, abrité derrière une enceinte de
hautes dunes aux sables mouvants, il existerait un désert idéal, celui
de Wabâr. Les loups eux-mêmes s'y nourrissaient de dattes. La vue
de l'hortime n'effarouchait pas les timides gazelles, elles se laissaient
aborder et tuer sans résistance. Ainsi le racontaient du moins les
outla-vs, les bolièmes des tribus, les chevaliers Ijrigands du désert (^).
.\ les en croire, ce pa\'S enchanté les aurait frécjuemment abrités au
cours de leur aventureuse existence (^). Les merveilleux méharis, les
dromadaires, réputés pour leur vélocité, proviendraient de cette ré-
gion et d'un croisement avec les chameaux des ^ifui. Ces génies pro-
tègent ce pajrs magique contre toute exploration indiscrète (*).
Les légendes préislamiques, conservées par le Ooran, ne sont
peut-être pas étrangères à la formation de cette littérature fabuleuse.
Allah V insiste longuement sur les nations détruites par sa colère,
sur les puissantes races de 'Ad, de Tamoud, grands constructeurs
de monuments, sur la mystérieuse cité de Irant dàt al-Imàd^ Iram
aux multiples colonnes. Cette ville, personne ne l'avait visitée (^),
mais une opinion inclinait à la situer, au nord du Higâz, dans la
Hismâ du pays de Godâm (^).
*
* *
On le voit, la question du changement de climat pour l'Arabie
se trouve posée et résolue depuis longtemps. Son apparition nous
paraît avoir coïncidé avec la naissance de l'impérialisme arabe. Le
(') Cf. Bakri, /oc. cit.; Ag., XI, 160-62.
(-) ftLalil (pi. de j;Jwà. ) et non ^LiXil , comme porte le te.xte imprimé de Gâhiz,
Haiawàn, I, 71, 2 ; Hamdânî, Gaztra, 37 ; Caetani, Sludi, I, 293.
(') Qotaiba, 'Oyoûn, 474.
(■•) Gâhiz, Haiawàn, I, 70-71 ; Ibn al-Faqîh, Géogr., 34.
(5) Cf. Ibn HaldoQn, Prolégomènes, I, 23-24. Yâqoût, E. I, 200, la juge ^
(6) Cf. Yazld, 284.
Jadis on montrait plus de franchise 117
jour, OÙ les conquêtes de l'islam eurent introduit brusquement les
compatriotes de Mahomet sur la scène mondiale et dans la société
des peuples, leur amour-propre a voulu \' jouer un rôle honorable,
mêler sa voix à la sxmphonie des concerts nationalistes. Jadis ils
convenaient franchement de leur infériorité (') vis-à-vis des civilisa-
tions étrangères. Ecoutons un poète de Tamîm instruire le procès de
ses ancêtres :
< Chosroès déploya plus d'intelligence que Tamîm le jour, où il
déserta la région des lézards (°).
Lorsqu'il établit les siens dans les pa\"s de culture, d'arbres et de
canaux aux eaux savoureuses.
Ses descendants en devinrent les monarques et nous sommes
descendus au niveau des chiens >
Les conquérants jugèrent cette franchise déplacée. C'est la ca-
ractéristique des parvenus de rougir facilement de l'humilité de leurs
antécédents {*). Nous aurons bientôt à juger leurs prétentions aristo-
cratiques. Réhabiliter dans l'opinion des races vaincues leur misérable
patrie, il n'\- fallait pas songer. Raison de plus d'exalter son passé.
Si jadis la Palestine avait possédé des fleuves de lait et de miel,
Allah n'avait pu accorder moins à l'Arabie, le berceau de la race
élue, la patrie du plus grand des prophètes.
(') Je crois apocryphe le trait du roi de Hira refusant sa fille à Chosroès ; Tab.,
Annales, I, 1026-27.
(-) C'est à dire l'Arabie. Les Bédouins sont grands mangeurs de lézards. Cet ani-
mal y atteint jusqu'à 0™,90 de longueur; Auler Pascha, Die Hedschasbaliii , II, 10.
Un des charmes de Himâ Darj^a, ce sont ses lézards savoureux ; Gâhiz, Mahà-
sin, 119.
(3) Cf. Gâhiz, Haiawân, VI, 31 (et non 122, comme porte la référence de Yazîd,
304). Le poète est-il Aboû Do'aib (cf. Ag., VI, 58 etc. i? Gâhiz, loc. cit., donne les
vers comme d'un poète de Tamïni : j_y<7i"JI (J^i ; I, 122, il les attribue à Ibn Dowad
as-Sa'dî.
(■*) Par réaction contre les So'oûbyya, on idéalise les Bédouins ; Gâhiz, Mahâsin,
202 sqq. ; leur grossièreté ; Gâhiz, Bayân, II, 9-10.
118 La théorie de Winckler
■+
* *
A la fin du siècle dernier la thèse islamite a été rej^rise en Al-
lemagne, principalement par H. Winckler ('). Le docte professeur de
Berlin ne dédaigne pas de s'amuser aux dépens des arabisants, de
railler leurs minutieux travaux de critique textuelle (^). Selon toute
vraisemblance, il n'est pas allé puiser ses inspirations dans les au-
teurs arabes. Il a pourtant abouti à la même conclusion, mais par
une autre voie. Il s'agissait après Schrader et Sprenger, de présenter
l'Arabie comme la patrie primiti\e, comme le grand réservoir des
races sémitiques. La thèse paradoxale se heurtait à la désolation ac-
tuelle de cette contrée, parvenant péniblement à nourrir les rares
habitants (^), dispersés sur sa vaste superficie.
En vue de rendre la théorie acceptable, il fallait de toute nécessité
supposer un changement de climat. On n'a pas reculé devant cette
conclusion commode et trop fréquemment mise en avant par des
géologues. Pour certains naturalistes, la Palestine, l'Afrique du Xord
ont éprouvé les mêmes vicissitudes {*). Voici à grands traits la nou-
velle S3nthèse, saisissante d'originalité. Elle menace de révolutionner
toute l'histoire ancienne de l'Asie Antérieure, où elle introduit la plus
séduisante unité.
Depuis l'époque glaciaire, la péninsule arabique s'est graduelle-
ment desséchée. La quantité de pluie diminuant progressivement,
l'ensablement a gagné de proche en proche, amenant à sa suite
l'appauvrissement des habitants. Au point de vue scientifique, il eût
été plus exact de signaler l'extension des steppes salines: nous le
verrons plus loin. Trouvant de la peine à subsister sur un sol de
(') Pour ses prédécesseurs, cf. Guidi, Sede primitiva, 566, 568.
(-) Comp. Mit/, vorderasiat. Gesellschaft, 1901, 4-7, 35-36.
(■'*) Pour leur nombre, voir Caetani, JStudi, 315-317.
C) Cf. E. Oberhùmmer, dans Geogr. Jahrbûch., XXXIV, 346, 357. E. Banse, op.
sup. cit., ne croit pas non plus à un changement ; comp. Walther, Wûstenbildung,
309-10. Brockelmann se montre favorable à l'hypothèse, {Litter. Centralblatt, 1912,
c. 352), repoussée par Wellhausen, Gôtt. gelehrte Anzeiger, 1912, 251-56 ; Banse, Der
arabische Orient, 71-72.
Emigrations successives 119
moins en moins fécond, stérilisé par l'envahissement des sables et
des efflorescences salines, la population s'est décidée à déserter cette
région inhospitalière, pour se répandre sur les contrées du Nord,
moins durement éprouvées. De là les premiers flots de Sémites, al-
lant se déverser sur la Babylonie entre 6000 et 2500 avant notre ère.
Successivement à des intervalles presque réguliers d'un millénaire
environ, d'autres émigrations ont si ivi, toutes poussées dehors par
la misère, envahissant leur patrie. A ces nouveaux-venus on croit
devoir attribuer la fondation de la dynastie, d'où serait sorti le fa-
meux Hammourabi.
De 2500 à 1500 avant J. C, signalons les exodes les plus célè-
bres: ceux des Phéniciens, des Chananéens, puis des Hébreux, allant
se fixer dans la S^TO-Palestine. Ensuite les Araméens, les Chaldéens,
les Assxriens envahissent la Mésopotamie et les pa^s, auxquels de-
puis ils ont laissé leur nom. Pendant le millénaire antérieur à l'ère
clirétienne, on constate un arrêt dans l'émigration arabe. Il serait dû,
non à une heureuse modification du climat, fatalement condamné à
empirer, mais à la constitution d'états puissants sur la frontière sep-
tentrionale de la Péninsule.
Perses, Grecs, Arsacides, Romains opposent un mur d'airain à
ra\'ance des nomades. Parquées dans leurs déserts, oij 7000 ans et
plus d'ensablement ininterrompu rendent l'existence intolérable, en-
fermées entre les flots de la mer et le boulevard barrant au nord
la seule issue possible, les populations arabes se tordent dans les
aftres de la faim. Lente agonie d'une race I On se demande, même
en tenant compte de leur extraordinaire vitalité, comment cette ago-
nie a pu durer pendant plus de mille ans, comment, pendant les pé-
riodes d'anarchie, séparant la formation des grands empires asiatiques,
les Arabes n'ont pas réussi à forcer la barrière, momentanément sans
gardiens. Sous Héraclius, la lutte entre Byzance et Ctésiphon épuise
les deux principaux états de l'Orient. Au moment, où la crise éco-
nomique atteint en ^^rabie son maximum d'acuité, l'islam donne le
signal de la dernière des grandes émigrations sémiti(iues. Elle en re-
produit toutes les phases et forme, pour emprunter les expressions
du prince Caetani, un phénomène cosmique ou géologique.
On entrevoit dès maintenant certaines conséquences du théorème
120 L'hypothèse de l'ensablement
ainsi posé. L'Arabie serait bien la patrie primitive des Sémites, le
réservoir, d'où ils ont débordé sur l'Abyssinie, l'Eg^ypte, l'Asie An-
térieure, « le sein fécond, avant enfanté presque sans interruption à
la lumière de l'histoire, envoyé à la conquête du monde, des peuples
sans nombre, les uns après les autres » ('). L'Arabie, « dans le plus
lointain passé, parmi les ténèbres denses de la préhistoire, centre
moral, ethnique et même, jusqu'à un certain point, politique de l'Asie
Antérieure » (^). Faut-il s'étonner, si, « de nos jours encore, ce nom
d'Arabie résonne à notre oreille avec une harmonie, pleine de poésie,
de mvstère, d'indicible et indéfinissable beauté, qui semblent défier
les horreurs de son climat, l'hostilité indomptée de ses fiers et bel-
liqueux habitants » (^).
*
* *
Ces dernières appréciations sont du prince L. Caetani. La thèse
de Winckler a été reprise et, ajoutons, complètement rajeunie par
l'auteur des Annali iiell'islam et des Stiidi di storia orientale. Atta-
ché à l'étude des origines islamiques, le pr. Caetani a été frappé, et
à bon droit, par l'importance du facteur économique dans cette brusque
expansion, où jusqu'ici on s'obstinait à voir un mouvement exclusive-
ment religieux (^). Fanatisés par les prédications de Mahomet, brû-
lant du désir de répandre la lumière de l'islam, les Arabes se se-
raient précipités sur le monde civilisé, culbutant, sabrant tout, pour
la plus grande gloire d'Allah. Antérieurement à \ ensablement de
Winckler, le fanatisme devait fournir réponse à tout. Mot à effet,
servant fréquemment à déguiser l'impuissance ou la paresse intellec-
tuelles. Le prince Caetani a raison de ne plus se contenter de ce
Schlagwort.
C'est la misère, assure-t-il, qui a chassé les Arabes de leur patrie.
(') Caetani, Studi, 283.
(2) Caetani, Studi, 203.
(3) Caetani, Studi, 283.
(*) Théorie battue en brèche par les excellents travaux du Prof. C. H. Becker.
La faim et les conquêtes arabes 121
Ils ne pensaient pas différemment les contemporains (') des grandes
conquêtes arabes. « La faim vous a attirés hors de vos déserts », di-
sait aux envahisseurs le général perse Rostom (^). Pour exciter les
siens, le calife Abou Bakr fait également miroiter à leurs )-eux l'ap-
pât du butin ('). Nous aurons à examiner plus tard jusqu'à quel
degré les conquérants bédouins de la S3rie, de rEg3pte et de la
Perse étaient susceptibles d'enthousiasme religieux.
(') Comp. le vers de la Hamàsa d'Aboû Tanimâni, E. IV, 158 (éd. Freitag, 792) :
lÂJI^ 4-->lil jlil i)Uj ^ Ç) Lj^^' CjJ-4-*^ o^i^x^'^ '*-^ ^
« En émigrant tu n'as pas été attiré par le Paradis, mais bien plutôt par le désir de
t'assurer du pain et des dattes ».
{-) Balâdori, Fotoûh, 257.
(3) Balâdori, Fotoûh, 250.
II
Notre description du climat, d'après les auteurs arabes.
La valeur de leurs renseignements
Notre intention ne saurait être de reprendre un à un les argu-
ments, apportés à l'appui de la théorie nouvelle ('). Ce serait inutile-
ment étendre les limites de nos recherches. L'ensemble de ces argu-
ments forme un réseau imposant, mais, examinées en particulier,
certaines mailles paraissent inégalement serrées et résistantes. Loin
de nous la prétention de nier l'intérêt des éléments arabes, rencontrés
dans l'onomastique des d3nasties bab}-loniennes. Ces données isolées
et imparfaitement analysées permettent-elles d'affirmer l'envahisse-
ment de la BabA'lonie par les nomades 2500 avant J.-C } Les identi-
fications, proposées par Winckler, pour les topon3'mes Aîusri, Mi-
luhha etc. sont éminemment suggestives et savoureuses. Elles four-
nissent aux panbab}lonistes l'occasion cherchée de prendre en défaut
le flair géographique de notre vieille Bible. C'est là un sport, très
en honneur dans certains milieux, sport à tout le moins aventureux.
Débrouiller l'écheveau géographique de l'Arabie, je connais peu
d'entreprises aussi décevantes, même quand il s'agit de la période
postislamique. Hatic pessimani occupatiotiem dédit Jiliis Iiominiitn, se-
rait-on tenté de répéter à ce propos.
A cet égard il suffit de fré(]uenter les encyclopédistes Bakri et
(') Nous renvoyons à Caetani, Stiidi di sforia orientale, 1°'' vol. La thèse s'y
trouve défendue avec infiniment de conviction et un incontestable talent.
Disparition de Fadak 123
Yâqoût, résumant toute l'érudition géographie [ue du moyen-âge mu-
sulman. Malgré la masse de documents dont ils disposaient — énorme
information écrite et orale —, malgré la ressource de l'autopsie — ils
en ont insuffisamment fait usage — les efforts de ces auteurs (') rap-
pellent trop souvent ceux des bûcherons, coupant du bois à l'heure
de minuit, J-J i_j.^U^. On compte par centaines les toponymes ara-
bes, où ces auteurs terminent par un iion liguct. Prenons comme ex-
emple l'oasis de Fadak (^), si célèbre dans les annales primitives de
l'islam et au premier siècle de l'hégire. A partir du second siècle
islamique, je n'ai jamais rencontré un auteur arabe, capable d'en in-
diquer avec précision la situation (^). Sur ce point, ils opèrent abso-
lument comme nous; ils procèdent en tâtonnant, au mo\en de ré-
miniscenses, de textes, empruntés à la Sîra ainsi iju'au hadit, où il
est (juestion de Fadak. Mais pas un seul, à ma connaissance du moins,
n'affirme l'avoir visité, ou avoir rencontré un habitant de Fadak (*).
V^oilà donc une oasis florissante, faisant partie, il y a douze siècles,
des domaines arabes des Omay3-ades, et dont 2C0 ans plus tard on
paraît avoir perdu la trace. Il s'agit non d'un j.ioint d'eau, envahi
par le sable, épuisé par l'évaporation ou transformé en dépôt salin
— phénomènes pour ainsi dire quotidiens dans l'histoire naturelle du
désert — mais d'une superficie considérable de terrains cultivés, pro-
duisant d'énormes quantités de blé et d'orge (^). Comment alors,
d'après des textes d'une interprétation incomplète et ardue, trancher
(') Pour donner un exemple de leur précision, ils se contenteront d'écrire : « en-
tre 'Aden et le 'Oman » (citation de Asmal) ; Yâqoût, E. V, 240.
(-) Cf. Fatinui, 76; 112-13; 116.
(2) Yâqoût, E. IV, 291, 7 d. 1., la place vers l'e.xtrémité orientale du Wâdi
Romma ; ibid., I, 113, 9 d. 1., distance entre Fadak et les monts de Tayy ; 1. 5, ori-
gine du nom de Fadak. Istahri ignore Fadak ; Ibn al-Faqïh, Géogr., 26, 3, la nomme
parmi les dépendances de Médine : Haibar, Wâdi'l Qorâ', Taimâ', Doûmat al Gandal,
« et la plus rapprochée de cette ville i.ôyil ,J,I l^J^sl yfc^ », parmi ces oasis. Il la
place également au Nord »LiJI jj-j \Z^
(*) Le nom propre Fadakî ne se rapporte pas nécessairement à Fadak ; jamais
il ne prend l'article.
(^) Cf. Fàiiina, loc. cit. Pour la salinité du terrain voir plus haut. Yâqoût, E.
V, 422 ; 433, d. 1.
124 Délimitation de la controverse
des controverses géographiques, appartenant à l'Arabie contempo-
raine de Hammourabbï ?
Au fond de la théorie de Winckler je m'imagine toujours décou-
vrir l'antinomie suivante : L"Ara])ie, affirme-t-on, est le réservoir des
peuples sémites, réservoir à moitié rempli, presque à sec, puisque
son insuffisance force les populations à émigrer ; et simultanément
plein, plein à déborder, puisque périodiquement, il inonde l'Asie an-
térieure. Je ne parviens pas à concilier ces qualités contradictoires.
Si dans la matière j'avais à exprimer une préférence, ce serait pour
me ranger à l'opinion du grand orientaliste italien, le prof Ig. Gui-
di, invitant à placer en Bab\lonie « le siège primitif des peuples sé-
mitiques » (').
*
* *
Au lieu de nous engager, à la suite de la nouvelle école, dans
le maquis de la préhistoire arabe, c'est à dire procéder du moins
connu à l'inconnu, commençons par délimiter le terrain de la discus-
sion, en le débarrassant des éléments étrangers qu'on y a accumu-
lés. L'Arabie fut-elle la patrie primiti\e des Sémites, l'expansion isla-
mique se réduisit-elle à être un mouvement économique (") r Questions
hautement intéressantes ! Pour garder entière notre liberté d'esprit,
il nous paraît préférable d'en abstraire. Comme il arri\e trop sou-
vent, le mélange engendrerait ici la confusion. Renfermons-nous dans
la thèse : la permanence du climat arabe, sans nous laisser influencer
par les hvpothèses. Insensiblement elles pourraient nous tirer de leur
côté, troubler notre sérénité dans l'interprétation des faits et des textes.
Nous prendrons comme point de départ notre reconstitution clima-
tologique de la Péninsule, vers l'époque de l'hégire. Cette reconsti-
tution nous nous sommes efforcé de la rendre objective, de la déga-
ger de toute préoccupation d'école. Nous avons voulu la baser exclu-
sivement sur les textes, sur la tradition écrite, telle (]u'elle est par-
(') Voir son beau mémoire Delhi sede primitiva dei popoli seiniiici.
(2) Un facteur qu'on aurait tort de négliger dans la matière.
Valeur des anciens récits islamiques 125
venue jusqu'à nous, dans les recueils poétiques, dans la littérature de
la Slra, la tradition musulmane, dans les compilations des historiens
et des géographes arabes. H\ pnotisés par le fait islamique, annalistes
et topographes se sont efforcés de multiplier les renseignements sur
les origines de la nouvelle religion, sur l'Arabie, terre sainte de l'is-
lam. Histoire et géographie arabes doivent leur origine à ces préoc-
cupations, au désir de mieu.x comprendre les obscures allusions du
Ooran, de connaître de plus près les héros musulmans, transformés
en modèles des vrais cro\ants. Nous aurions eu tort de ne pas uti-
liser cette volumineuse bibliothèque.
Que vaut ce dossier, sur lequel nous avons basé notre reconsti-
tution ? Il possède la valeur de toute la tradition arabe. J'ajouterai
volontiers : cette valeur peut même être élevée d'un cran. Il nous
fournit en la matière l'opinion des générations, immédiatement posté-
rieures à l'établissement de l'hégire.
Rien n'est délicat comme de conduire une enquête en Orient : les
savants d'Occident ne s'en souviennent pas toujours. Quatre-vingt dix
fois sur cent les réponses données à des interrogations directes sur
des points précis seront de nature à égarer le jugement de l'enquê-
teur ('). Avant de répondre, le témoin oriental consulte son propre
intérêt. A aucun prix il n'acceptera de se compromettre par une sin-
cérité désintéressée.
On ne saurait assez se tenir en garde en parcourant les narra-
tions des premiers historiens de l'islam. Elles se proposent la glori-
fication du Prophète et de ses amis. Mais on n'a pas les mêmes rai-
sons de suspecter les renseignements topographiques et ph3siques,
encadrant ces récits à tendances apologétiques. Limage est le ré-
sultat de retouches successives, où la critique cherche à démêler les
traits primitifs ; mais le cadre est original et ancien. Nous en avons
fait notre profit, et obtenu l'aspect des pa3sages du Higâz vers la
fin du premier siècle de l'hégire, c'est à dire à l'épocjue, où les lé-
gendes de la Sïra commencèrent à prendre leur forme définitive.
(') Il n'en a pas suffisamment tenu compte Curtiss, l'auteur trop vanté de Urse-
initische Religion itn Volksleben des heutigen Orients. A consulter avec infiniment
de précaution.
126 Le témoignage de la poésie
Pourquoi les témoins auraient-ils menti en des détails secondaires,
peignant au vif la nature et les mœurs arabes ? La gloire de l'islam
ne se trouvait pas engagée dans ces peintures. Assurément jusque
dans ces particularités, il faut s'attendre à retrouver des clichés lit-
téraires ('), des archaïsmes recherchés ('*), des couleurs d'emprunt.
Mais ces emprunts, ces artifices de st3-le, les rédacteurs citadins de
Médine, de Koûfa, de Bagdad sont allés s'en approvisionner, soit au
désert, soit dans les nombreux recueils poétiques, dont la collection
allait s'augmentant.
Pour notre but — ainsi l'observe en un cas analogue le Prof Guidi
— ces fictions littéraires importent peu, < puisque pour les faire ac-
cepter, les plagiaires se trouvaient dans l'obligation de reproduire les
idées et les mœurs des anciens Arabes » ('). Si nous connaissions
seulement l'Arabie des poètes, il ^• aurait lieu de conserver un cer-
tain scepticisme. « Ils parlent, mais n'agissent point, dit à leur sujet
le Ooran ; ne les vois-tu pas s'égarer dans tous les vallons .' » (*). Il
leur est arrivé d'embellir, d'amplifier, d'idéaliser. Pourquoi seraient-ils
poètes, c'est à dire créateurs .? En fait de créations poétiques, ils ont
surtout créé des réputations imméritées.
Je me demande si notre civilisation posséderait assez de geôles
pour enfermer les dangereux brigands, célébrés (^) par eux comme
les types de l'honneur et de la vertu chevaleresque .'' Il faut s'imposer
violence pour en excepter les Hâtim Tayy, les 'Orwa ibn al-W'ard,
véritables oiseaux de proie ('), trouvant entre deux razzias le temps
(*) Comme le « ï_«J CXs,\ ; l'éclair m'a tenu éveillé», repris par d'innombra-
bles poètes ; Yâqoût, E. V, 257, 258, 267, 317, 421 ; VI, 60, 66, 83, 186.
(■-) Jusqu'à des incorrections, dans le genre de l'impératif J^' ^ ^jJi ; Aboû
Yoûsof, Harâg, 107, 3 d. 1. Cf. notre Fâiima, passim. Citons encore ^U«JI = femme;
Hanbal, Mosnad, I, 360, 9; ,j^ \ pour ^j-^^s ^ impur; ibid., I, 418, 9.
(') Sede primitiva, 580, n. 3.
(4) Qoran, 26, 224.
(5) Toute la tradition littéraire admire les JpJ ; Qotaiba, 'Oyoûn, 243-14 sqq.
L'origine en remonte aux ^v<aJJl i^.jlXS', à \tMxs divans ; Yâqoût, E. V, 274-275, 429.
(^) Il faut vraisemblablement porter le même jugement sur les frères de Hansâ',
célébrés par elle, comme des modèles de toutes les vertus. Les meilleurs philologues,
tel as-Sokkarî. leur composent une littérature ; cf. Yâqoût, loc. sup. cit.
Son rôle moral 127
pour esquisser un geste élégant, pour nourrir avec le fruit de leurs
rapines < la veuve et l'orphelin ». A leur mort chacun s'entendra
proclamer « la fleur des braves gens > : cu-^-o ^UJI pL ^\ ^-^^
C'étaient, on voulait bien en convenir parfois, « d'affreux t3rans,
et indigeste est le repas de la t\Tannie ».
f^} à^a-ij-^ S.5^'-? or*-? ( j ^^ C.-^ J*^ LJ^^' C-^5
Il pourra arriver au poète d'ajouter une réflexion sententieuse :
« Ne commets point l'injustice, même si tu la vois profiter à
son auteur »,
N'importe! cet homme dangereux trouvera une H^-nsâ', une .sœur
ou une parente poétesses, à leur défaut un rimeur complaisant pour
s'écrier : « La gloire formait sa ceinture, l'honneur son vêtement :
- ^ *
L'énorme hvperbole se payait ; elle n'illusionnait personne ; tout
au plus égarerait-elle l'opinion de la postérité. Galamment les Mécènes
convenaient du marché : « J'accepte la louange, mais je sais y mettre 'e
prix : ct-?^l cJ^^ -^-^^ s^'-^' * (^)- ^^ 'imitons pas la sévérité morose
du Qoran pour les poètes bédouins 1 Tout, jusqu'à leurs exagérations,
provo(]uait une salutaire émulation. Ils moralisèrent, à leur façon,
leurs rudes contemporains. En exaltant les vertus apocryphes des
sa)'3'd, ils insinuaient la voie à suivre. Dans cette société violente,
c'était beaucoup d'arracher aux puissants cet aveu : < être loué, voilà
le gain par excellence : \-C-4, o' '----^' J^' ^j^. O-
(') 11 s'agit de Hanial ibn Badr le Fazarite, tué pendant la guerre de Dahis ;
voir Nagà'id Garîr, 96-97.
(2) Nagà'id Garîr, 96-97.
(') Hansâ', Divan, 16, 4. « Tu serais immortel, si la gloire avait ce pouvoir ^;
Zohair (Ahlw.) 81, 5.
(••) Bohtorî, Hamâsa, n. 1. «La gloire coûte cher»! 'Alqania (Ahlw.), 112, 3
d. 1. € Laisse-moi acheter la gloire » ! s'écrie 'Orwa ibn al-VVard, So'arâ' (Cheikho), 883.
(^) Hansâ', Divan, 16, 3.
128 Le lion en Arabie
Citons un autre exemple, plus en rapport avec notre sujet. In-
nombrables sont les vallées, les fourrés, les défilés, désignés dans les
géographes sous le nom de ï^x^lt , infestés par les lions ('). Pourquoi
suspecter un renseignement aussi positif et aussi copieusement attesté ?
Si nous le faisons, c'est pour }■ avoir reconnu un procédé de compo-
sition, cher à toute l'ancienne historiographie arabe. Il consiste à se
documenter dans les archives poétiques, i_y«Jl J.??.^ ^^i-iJl , sauf à les
citer à la fin exclusivement, en guise de confirmation, sâhid. Cette sorte
de voTEQov ;tQCDT£Qov ou d'inversion littéraire, nous en surprenons partout
la trace — les citations versifiées en témoignent — dans les notices re-
latives aux mcisada ('). Plus on se rapproche de l'hégire et plus on
devine dans cette Arabie illettrée l'existence d'un Gradus ad Pariias-
sum, la formation d'un répertoire poétique ('). La diffusion prodigieuse
de la versification, son inter\'ention dans les actes de la vie publique
et privée, chronique de guerre et de deuil, devaient amener ce ré-
sultat. L'obligation du ;-//«', de l'élégie, imposée aux femmes arabes,
suppose un dressage, un véritable entraînement (^).
Le Livre de la Poésie et des -poètes d'Ibn Ootaiba, principalement
la Hamàsa de Bohtori, où les extraits se trouvent rangés sous des
rubriques spéciales, permettent à cet égard d'établir des comparaisons
instructives. Quand un poète a lancé dans la circulation une formule
heureuse, une image pittoresque (^), un développement original, on
peut s'attendre à les voir passer dans les variations de ses contem-
porains et de ses successeurs.
Au jugement autorisé de Noldeke, « le lion a dû être très rare
en Arabie, sans en excepter les temps anciens. Sa fréquente mention
chez les poètes ne prouve rien. Aussi n'est-il jamais dépeint d'une
(') s J^-«)U ; Hamdânî, Gaztra, 127-28.
(*) Cantons infestés par les lions ; Bakrî, Mo'gain, 196, 7 d. 1. ; 323, 5 ; 470,
bas; 651, 5; Yaqoût, E. II, 275, 6; III, 197; 331; IV, 284, 6; V, 245; VI, 118,2;
121 ; Ag., X, 50, 2; Farazdaq et le lion ; Naqd'id Garlr, 616-17.
(3) Cf. Nôldeke, ZDMG. XLIX, 711.
(■•) Comp. Rhodokanakis, Al-Hausâ' und ihre Trauerlieder, 18-105.
{") àJs. JjLI» d^\ ^j;yy^ ULc ; voir les notices d'Ibn Qotaiba, Poesis, 206 et
passim.
Objectivité des descriptions poétiques 129
façon aussi expressive que l'onagre, p. ex. Parmi les \ieux poètes,
qui nous en parlent, personne peut-être n'avait vu un lion » ('). Mais
ces Tartarins arabes insinuaient volontiers qu'ils avaient traversé sans
trembler les parages, fréquentés par le roi du désert. Dans les in-
nombrables scènes de la vie pastorale, conservées par YAgâJii, par les
commentaires des Hamàsa et des grands recueils poétitiues nom-
mons les NaqWid de Garîr — on ne \oit jamais le lion s'attaquer
aux troupeaux ou à leurs bergers. Assurément il est question d'un
Ooraisite, dévoré par un lion. Mais c'était un ennemi du Prophète :
atteint par un ch'à^^ imprécation de ce dernier, il devait périr de maie
mort 1 « Que le chien d'Allah le dévore ! » se serait écrié l'auteur du
Qoran. « Ainsi donc, ajoute le sceptique Gâhiz, en relatant le trait,
le lion serait le chien d'Allah » (■). Le poète AboQ Zobaid s'était fait
une spécialité de ces descriptions de lion. Cette manie lui attira des
observations désagréables. A la fin, ses propres contribules, craignant
le ridicule, lui imposèrent silence (^). C'étaient là des amusements
innocents.
La situation deviendrait grave, si, comme nos peintres, les poètes,
avaient décrit des pa3'sages conventionnels, composé des Orientales,
à la façon de V. Hugo, sans avoir entre\u l'Orient. A nos rimeurs
jamais il n'est venu en tète d'introduire la neige ('') — phénomène
inconnu par eux — dans leurs tableaux poétiijues. En regard des in-
nombrables chasses, on ne rencontre pas une seule scène de pèche :
une distraction ignorée pas ces terriens. S'ils insistent sur les pluies,
sur les inondations hivernales, rien ne permet de révoquer en doute
robjecti\'ité de ce détail, confirmé par le Qoran et par toute l'histoire
de l'Arabie. Réduisons le chiffre des chameaux immolés, pendant les
(') ZDMG, XLIX, 713-14 ; Hassan Ibn Tâbit, Divan, consacre son 121« fragment à
un homme, dévoré par un lion. Pour l'onagre cf. Lyall, JRAS, 1912, p. 137-38.
(') Gâhiz, Haiau'Sii, II, 66 ; Bakrï, 3Io'gaiH, 437; Ibn Doraid, Istigâq, 14. D'après
un scolion ibid., note m, il s'agirait non de 'Otba fils d'Aboû Lahab — il demeure
en vie ! — mais de 'Otaiba ibn Wâsi'. Histoires de lion ; Gâhiz, Makâsin, 101-107.
(3) Ag., XI, 24, 25, 26; Gâhiz, MaAâsin. 112.
(*) Cf. Maqdisî, Géogr. 96. On rencontre parfois de la glace dans les montagnes
de Tâif et du Sarât ; Istahrï, Géogr. 19. YâqoQt, VI, 160, 1. Banse, Der arabische
Orient, 70, signale de la neige dans les nefoûd. Voir plus haut.
Lammen5 — Berceau g
130 L'Arabie décrite par la « Sira »
mois d'hiver, par les grands sayyd ; mais acceptons le renseignement
sur le froid mordant des nuits de Gomâdà. Aussi Ijien la philologie
nous adresse la même invitation. Sans doute les bosquets de la Pé-
ninsule ont pu être moins touffus qu'il leur plaît de le prétendre.
Mais les arbres, mentionnés par eux, appartiennent à une flore exis-
tante (')■
Nous l'avons noté précédemment : à côté des poètes, nous pos-
sédons la Sîra, les Magàzi, les Sahlh, les Mosnad, les Sonan, biblio-
thèque historique unique en son genre, comme étendue et variété.
A leur témoignage concordant, < jui oserait dénier toute valeur ? Pieu-
sement, semaine par semaine, mois par mois (^), ces recueils notent
les déplacements du Maître à travers le Higâz et les districts voisins
du Nagd. Ils ont fait mouvoir leurs personnages, démesurément
grandis par eux, dans une Arabie réelle, sinon celle du Prophète,
du moins contemporaine de leur propre rédaction. Il ne sert de rien
de rajeunir la date de ces compilations. Plus on la rapprochera de
notre époque, plus on énervera la thèse de Winckler; car elle sup-
pose une dégradation ininterrompue, une péjoration incessante du
climat.
(') De là les ,u>,wy, les Juiy etc. (voir plus haut) dans la toponomastique ;
Yâqoût, E. V, 112. Comp. J. Lyall, The piciorial aspects of ancient arabian poelry
dans JJ?AS. 1912, p. 133 sqq.
(2) Voir p. ex. les Magàzi, dans les Tabaqât d'Ibn Sa'd, II', édités par J. Horovitz.
III
Le climat arabe convient à une société pastorale. Importance
et diffusion du chameau. Tribus nombreuses. Introduction
du cheval et de la vigne
Les renseignements, conservés dans ce dossier, où les amplifica-
tions poétiques voisinent avec les descriptions plus sobres, plus pré-
cises de la primitive annalistique de l'islam, nous avons essa^■é d'en
condenser la substance dans les pages précédentes. L'impression, se
dégageant de l'ensemble, c'est celle, non du désert classique, gisant
inerte sous un linceul de sable, mais d'une région de steppes, créées
par l'évaporation solaire; d'une nature sévère, contrastant avec nos
pa\sages européens, mais où, en dehors des sécheresses périodiques,
l'existence devenait tolérable pour les besoins restreints d'une société
pastorale (').
Le chameau en forme incontestablement le centre ("). Sa place
(') Le Kilàb as-Sagar d'Ibn Halâwaih nous en rétablit l'image.
(-) 11 est honteux d'acquitter la dot en ânes, en chèvres, au lieu de chameaux ;
Naqà'id Garîr, 34, 6, 280, 4 v. ; 793, 2. L'urine du chameau prescrite comme remède
par Mahomet ; Qastallâni, Irsâd as-sâri, I, 348 ; notre Bâdia, 92. Antérieurement à l'im-
position d'un nom, le nouveau-né est appelé « gardien de chameau » — « Un berger
ou une bergère?» demande-t-on aux parents, pour connaître le sexe du nouveau-né ;
Al. Musil, Arabia Petraea, IH, 215-16 ; Jaussen, Pays de Moab, 2(i9-71 . Le grand
Mo'âwia est ^s-^^ .3^^' Z^\ J-.4lj y^^ >j l>l^ sÂii' àj^ SsJl^ IM JlJJl J^lf
f^^. '•^^-Kr^ ^ ' *-?.^. S^. ^ i3^' ** ; Qotaiba, 'Oyoûn, 26. 'Omar compare l'Arabe
à un chameau rétif; Tab., Annales, I, 2735.
132 Le chameau et le milieu arabe
énorme dans la poésie indique celle occupée dans la vie riuotidienne.
Sprenger définissait l'Arabe le parasite du chameau. Le calife 'Omar
avait dit de son côté : « l'Arabe réussit seulement là où prospère le
chameau » ('). Rien de plus exact ! 11 n'est pas cjuestion de la vache.
Elle n'eût pas trouvé son compte dans la steppe grise aux buissons
épineux, où jusqu'à son nom est demeuré une injure, un synon\'me
de stupidité (^). Pour savoir si la Péninsule convenait à ses habitants,
examinons si elle convenait au vaisseau du désert.
Je me demande s'il est possible d'imaginer un milieu, mieux
adapté que les steppes, les dàràt avec leurs sables légers et fluides,
à l'élevage de cet animal providentiel. Dépaysé dans nos climats
humides, il se plairait médiocrement (^) au sein de nos plantureuses
prairies. Elles lui offriraient une nourriture plus abondante, mais
aussi combien moins substantielle. Autant vaudrait alimenter un de
nos vigoureux terrassiers avec des vol-au-vent. A nos fines herbes,
son rude estomac préfère les fourrages rugueux et épicés du désert;
les grasses lianes, les buissons épineux aux feuilles revèches (*), leurs
baies juteuses, assaisonnées de sel, toute la flore du haind avec leurs
essences, leurs produits amers et résineux : menu solide et savoureux
au palais du dromadaire. La saison des pluies les lui fournit en abon-
dance. A cette époque, même l'épais manteau de sable des nefoûd
ne réussit pas à étouffer la poussée de vie, sommeillant dans les en-
Ci) Qotaiba, 'Oyoûn, 262.
(2) Qotaiba, Mohtalif al-hadtt, 60; Gâhiz, Haiawân, VII, 14; Ag., VII, 13, 1. 18;
'Iqd^, II, 51, 2. Le Bédouin n'aime pas la chair de vache; Al. Musil, op. cit., III,
150. « Il ne plante pas de palmier et les vaches ne mugissent pas dans son campe-
ment » ('Abbâs ibn Mirdâs, dans Ibn Hisâm, Sïra, 862, 6 d. 1. :
Une variante apocryphe énunière la vache parmi les victimes de Hodaibyya ; I. S.
Jabaq., II', 75, 5. Feu pour Visiisçâ', attaché aux cornes d'une vache; Yâqoût, E.
V, 108; rite en usage parmi les sédentaires?
(3) Au désert il refuse l'orge ; cf. Musil, Arabia Petraea, III, 269. Il dépérit —
on l'a vu précédemment p. 55 — si de son alimentation on exclut les produits épicés
du hamd.
(•*) i.^'J.Js- sans feuilles et tout en tige ; Ibn Halâwaih, Sagar, XIX, 2-3.
Endurance du chameau 133
trailles de la terre. Quelques gouttes d'humidité suffisent pour faire
germiner la solitude, reverdir les buissons, engourdis parfois depuis
quatre ans. « La misère ou la richesse des Bédouins, observe Gàhiz,
dépendent de la pluie. Le nuage a-t-il consenti à la déverser, l'eau
recouvre la steppe d'un tapis de verdure. Ce spectacle fend le cœur
du nomade, pauvre en troupeaux : voilà du fourrage, s'ecrie-t-il, mais
c|ui en profitera ? de l'herbe ; mais les chameaux me font défaut
3 f
Cette saison d'abondance coïncide avec la naissance, avec l'allai-
tement des jeunes sujets, destinés à assurer l'avenir du troupeau. Le
reste de l'année, des plantes grasses, des buissons, des bou(]uets fo-
restiers (^) lui assurent un ordinaire moins abondant sans doute, mais
permettant d'attendre des jours meilleurs. C'est la mise à la ration,
mais non à la ration de famine, puisque le chameau continue à fournir
du lait. .Seulement l'ère de ses pérégrinations gagne en extension.
Son maître doit plus fréquemment replier la tente, aller chercher au
loin les arbres et les buissons espacés et clair-semés. Mais n'a\ons
crainte. Chaque tribu dispose de territoires, de pâturages vastes
comme des provinces.
Très endurant le chameau peut demeurer jusqu'à quatre jours
sans absorber de liquide (^). Des hisâ, des puits, des points d'eau
convenablement distribués lui assurent cette réserve indispensable.
Quant à ses gardiens l'usage du lait leur permet de compenser à
volonté les déperditions humides de leur organisme. Enfin certains
massifs montagneux (^), des cantons mieux arrosés, moins brûlés par
(') Comme ZSX\ , le pauvre; c.-a-d. en chameaux, la seule richesse des Bédouins.
(2) Gâhiz, Avares. 252.
(S) Les arbustcs-haind ; Ibn Halâwaih, Sagar, IX, 7 ; les Safaryya, derniers four-
rages d'été, ^1 J^' ; ibid., XXIV, XXV.
(■>) Cf. Ibn Doraid, Istiqâq, 68, '5 etc. ; à partir du 5« jour, la soif incommode
l'animal ; Nagà'id Garir,, 56, 6 ; 625, 17 ; Il s'agit de l'été, à cause du fourrage salé,
comme note Musil, op. cit., III, 257 ; Jaussen, Moab, 271.
(') Comme le Radwâ, le Sarât ; sur ce dernier, voir Yâqoût, E. V, 59 sqq.
134 Diffusion du chameau
le soleil ('), un chai)elet d'oasis et de palmeraies offrent au Bédouin
un supplément d'alimentation solide, riche en matières sucrées et nu-
tritives. Sans parler des tribus, rapprochées des pays à culture plus
intensive, comme la Syrie et le Yémen : centres d'échange pour les
produits de l'industrie pastorale. C'était le cas du Higâz, lieu de pas-
sage entre l'ancienne Arabie Heureuse et les contrées de l'Asie An-
térieure.
Si je reviens au chameau, c'est pour innocenter le brave animal
d'une accusation injustifiée, articulée f)ar des égyptologues. A les en
croire, si la flore du désert oriental d'Egypte étale aujourd'hui une
aussi lamentable pau^ reté, cette indigence daterait seulement de l'in-
troduction du dromadaire dans la \allée du Nil (■). C'est, je crois,
gratuitement charger le vaisseau du désert ("). En Arabie sa multipli-
cation coïncide au contraire avec le maximum de prospérité. Toute
la richesse est évaluée en chameaux. Le vocable mal, fortune, dé-
signe d'abord l'animal qui en constitue la base. Pour(|uoi les Bé-
douins auraient-ils accordé cette distinction à la cause de leur ruine ?
Or, aux environs de l'hégire, il devait être extraordinairement ré-
pandu en Arabie : la dot des femmes, le prix du sang, l'enjeu du
maisir — la distraction favorite des riches propriétaires — tout s'ac-
quittait en chameaux. On se serait discrédité en leur substituant des
chèvres ou du petit bétail (^). En bien des cas on procédait seulement
par centaines (°). Cent chameaux rachetaient un ineurtre — accidents
fréquents dans la vie agitée des tribus. S'agissait-il d'un chef de mar-
que, il fallait doubler la centaine ("), la décupler pour certains princi-
(') Même en été on trouve du fourrage dans le Nagd ; Vàqoût, E. \', 254, 10.
(■') E. Lefebvre, Le chameau d'Egypte, dans XVI« congrès orient., Alger, 7" se-
ction, 39-40; cf. Mahaffy, A history of Egypt unter the Ptolomaic dynasty, 111.
(^) En Orient on articule la même accusation et, semble-t-il, avec plus de raison,
contre la chèvre.
(■*) Voir plus haut.
(^) Le généreux est i^j^n^jJ! AJilLI ^-^\y>\ ; Hotai'a, Divan, V, 28, avec notes de
Goldziher ; 400 chameau.x sacrifiés dans une lutte s JLLo de générosité ; Nagâ'id Ga-
rtr, 625.
C') Le sayyd est appelé ,;J^ ij^^ • payant 100 chameaux pour la dya : voir
plus loin. On livrait parfois 100 chamelles l^Ui U> ^1 à^iJiJ^ pleines, près de mettre
Les Banoa 'Adwân * 135
picules ('). Dans des monàfara solennelles, où les tribus se disputaient
la prééminence, 2000 chameaux étaient tenus en réserve pour le vain-
queur (■). On en réclamait un chiffre égal, afin de liquider d'intermi-
nables discordes civiles ; rappelons la guerre de Dâhis (^). \'ers la
même époque, les marchands de Oorais organisaient des caravanes,
comptant plusieurs milliers de chameaux (^). On aurait bien surpris
les Arabes en leur montrant dans ces énormes troupeaux, couvrant
la Péninsule, une cause de décadence pour leur patrie.
Effectivement aux débuts du septième siècle, nous trouvons le
Higâz et les districts limitrophes, occupés par des tribus en plein dé-
veloppement. Les Banoû 'Adwân — le clan n'appartenait plus aux
groupements importants — comptaient parmi eux 70,000 garçons,
n'aj'ant pas encore atteint la puberté (^). Pour la reddition de la
bas; Naq&'id Gartr, 92, 3 d. 1.; c'était l'équivalent d'une double rançon ; idid., 227,
Le chiffre de 200 demeurait insuffisant pour les grands chefs, qu'on qualifiait
de jj«>UJl aX*c et de -.à* •^^^^ ibid., 527. Rançon de cent chameaux ; Nagâ'id Gartr,
308; 284. Rançon de 400; Vâqoût VI, 267.
(') Mille passait pour la rançon des rois; As'at ibn Qais se rachète pour 3000
chameaux ; d'autres chefs paient 2000 chameaux et 1000 esclaves ; parfois on s'arrête
au chiffre de 500 ; Ibn Rosteh, Géogr., 193, 7, 9, 11 ; Naqffid Garïr. 228, 2 ; 400 cha-
meau.x pour la rançon de Bistam ibn Qais; Bakrï, Mo'gavi, 714, 6 d. 1. La valeur de
la rançon de < 100 » chameaux est évaluée d'ordinaire à 400, plus rarement à mille
dinars ; Nasal, Sonan, E. I, 72 ; Aboû Yoûsof, Harâg, 92, 6. Cette dya doit être
payée même pour le meurtre par accident, U»il ; Nasal, Sonan, E. I, 72.
(-) Nagâ'id Gartr. 140, 1-2 ; comp. 68, 9 ; généralement on se contentait de 100
chameaux ; Gâhiz, Mahàsin, 88, 10 ; on en immole 300 sur une tombe ; ibid., 107, 16.
Quand le troupeau atteint le chiffre de mille chameaux, on crève l'œil à l'étalon ;
Nagâ'id Gartr, 234.
(3) Nagâ'id Gartr, 105.
{*) Cf. Républigtie marchande, 22 sqq. Le butin de Honain consista en 24,000
chameaux, 40,000 brebis; I. S. Tabaq., II', 110.
(^) J^l ou t-âial ; une variante parle de 40,000; So'arâ' (Cheikho), 625; Ag., III,
p. 2 et 3. '.\dwân était alors sur le déclin ; Sigistânî, Mo'ammaroûn, 48. Un Arabe
136 Alimentation du cheval
Mec(jue une fraction des Banoù Solaim put fournir à Mahomet un
contingent de 700 à 900 chevaux. Je soupçonne ce chiffre d'avoir été
légèrement grossi, conformément aux habitudes de la Stra ('). Aux
temps de 'Antar, les Banoii 'Abs pouvaient équiper un millier de ca-
valiers (°). Pour mériter le titre militaire, très ambitionné à cette
époque, de garràr, il fallait avoir commandé à un nombre égal de
cavaliers. Nouvelle et évidente exagération. Mais la multiplicité de
cette qualification (^) et celle encore plus fréquente de fàris, attestent
pour l'Arabie préislamite l'importance, prise par le cheval, dans les
préoccupations des contemporains.
Or l'élevage du cheval suppose l'existence de fourrages. Il ne
s'accommodait pas des plantes épineuses et salées, où le chameau
trouvait ses délices. A son maître de s'ingénier pour y substituer une
nourriture, agréant à son palais délicat. On commençait par lui adju-
ger sa ration complète de lait, avant même de songer à sa jjropre
famille (*). Celle-ci se tirerait d'affaire. A tout prix il fallait conserver
la noble monture. Pour lui on fabriquait au besoin des gâteaux avec
des no\aux de dattes pilées. L'alimentation d'un cheval constituait un
rude problème, même dans l'oasis de Médine (^). En désespoir de
cause, on lui aurait parfois administré de la viande hachée. J'ignore
ce qu'en penseront les hippologues. Mais philologiquement le rensei-
combat à la tête de mille de ses descendants ; un autre perd trente fils à la guerre ;
Mo'ainmaroûn, 36, 64, 97. Les 'Alides remplissent le Higâz ; Yâqoût, E. IV', 261 ;
Snouck Hurgronje, Mekka, I, 34, 36 ; cf. Mo'àwia, 147. K la bataille de Gabala les
Banoû 'Àmir sont 30,000 ; Nagaid Gartr, 660, 9.
(') Pourtant le pays des Solaim était riche en palmeraies. Le divan de Hansâ'
suppose la présence de nombreux chevaux. Quand les Solaimites pénétrèrent dans
l'Afrique du Nord, on les voit bien montés ; Qalqasandî, Sobh, I, 208.
(2) Naga'id Gartr, 98, 15 ; 147, 12 ; Hansâ', Divan, 27, 3 ; Ibn Doraid, Istiçâq,
203, 8, 16 (il s'agit de Taglib).
(^) Ag., VII, 152, 6 ; ils sont 100 dans une rencontre ; Naqâ'id Gartr, 98, 12.
(*) Ag., IX, 18, 14 ; Asma'yyàt (Ahlwardt), I, 4-13 ; A. Tammâm, Hamâsa, 101,
d. v. ; Gâhiz, Haiazvân, I, 28; lY, 117, bas.
(5) I. S. Tabaq., VIII, 182, 21. Il ne supporte lias la soif; Ag., X, 165, 5 d. 1.
'Omar impose aux propriétaires de haras privés à Médine l'obligation d'importer le
fourrage; Tab., Atinales, I, 2756-2757.
Le cheval, une bête de luxe 137
gnement me semble intéressant. \'raisemblablement le terme lakvt,
viande a pu signifier primitivement la nourriture en général, les cé-
réales — ainsi dans certains dialectes sémitiques. Une trace en est
restée dans cette expression : « j^^;;?^! ->^l c^ ' ' ^^ '^'t constitue une
des deux nourritures principales » (').
Quoiqu'il faille en penser, ces chiffres, même grossis, supposent
un certain développement de la vie végétale. Au désert le cheval est
une bête de luxe : sa possession formait une présomption de richesse.
A sa présence les rôdeurs et les brigands devinent une tribu pros-
père ('). Un proverbe — il provocjua les protestations de la préten-
tieuse 'Aisa, — affirmait que le cheval surpassait la femme en beau-
té (^). Il apportait à son possesseur le titre envié de fàris, c'est à
dire, chevalier et le rendait presque l'égal du say3'd. Cette multipli-
cation du cheval — il faut le noter — est antérieure à l'établissement
des grands himà, haras, par les califes (*). Observons-le en passant :
le succès même de cette institution, où l'on élevait par milliers les
chevaux, cadre mal avec l'hyi'Othèse d'une dégradation du climat.
« Fréquemment la disette, observe Winckler, relève de la situation
politique beaucoup plus que des conditions précaires du climat » (^).
On ne saurait mieux dire!
.Au siège de Médine par les Arabes confédérés, les Ahzàb, la
tribu de Gatafân envo\a un contingent de 3000 combattants. Ce chiffre
représente seulement une partie de leurs forces disponibles C^). Les
Bédouins ne commettaient pas l'imprudence de laisser leur territoire
(') Ag., XIX, 159, bas ; cf, A. Musil, Arabia Pelraea, III, 270 etc. Cf. Guidi,
Sede primiiiva, 584; Caetani, Siudi, I, 349.
(2) Ag., XIV, 138, 1.
(S) Ag., XI, 126, 11 d. I.
(^) 'Omar élève 4000 chevaux; AboQ Yoûsof, Harâg, 27. A propos de himâ, le
nom de ce calife est d'ordinaire mis en avant; YâqoQt, E. V, 254, haut; Bakrî, 773.
{^) Mitl. vorderasiat. GeselL, 1901, 39.
C) Les Banoû Yâd avaient été aussi, mais antérieurement à cette époque, une
tribu prolifique; Bakrî, Mo'gam, 44, 8 d. 1. ; décimés par ^^.Jl , les moustiques; Ag.,
III, 3. D'après Caetani, Stitdi, I, 313, les sédentaires dominaient comme nombre à
l'époque de l'hégire. J'hésite à partager cette opinion, par ailleurs si favorable à
ma thèse.
138 Anarchie politique à la veille de l'hégire
sans défense contre les incursions toujours à redouter de leurs voisins
principalement une confédération aussi active et inquiète que les Ga-
tafân, appartenant aux plus remuants groupements du Higâz et du
Nagd. Ces évaluations permettent donc de supposer une population
plutôt prospère et en voie d'augmentation. Cette prospérité se trouve
forcément liée à celle du pays. Elle eût été plus complète sans l'oubli
des lois les plus élémentaires de l'hygiène. Contentons-nous d'en fournir
ici un exemj)le. Dans le clan des Banoû 'Auf, de la grande tribu de
Morra, tous les individus, à partir d'un certain âge, se trouvaient at-
teints de cécité. Le fatalisme aidant, on s'était décidé par }• recon-
naître un signe de légitimité et des vieillards s'affligeaient de mourir
sans pouvoir s'en glorifier (').
*
* *
Le siècle antérieur à l'établissement de l'hégire fut pourtant une
période d'anarchie politique, de véritable décomposition intérieure. Il
coïncida avec la disparition des petits états indigènes de Hîra, de
Gassân, de Kinda, avec la chute du régime éthiopien dans le Yémen;
pouvoirs pondérateurs, atténuant par leur surveillance les excès de
l'individualisme arabe. Ce fut une époque de luttes fratricides entre
les tribus, où une course de chevaux, des discussions relatives au
droit de pacage suffisaient pour déchaîner d'interminables guerres
civiles (") ; où même dans les cités, comme Médine, on connut seule-
ment des trêves entre les hostilités.
D'après la théorie de Winckler, le climat arabe se trouve fatale-
(') Ag-., XI, 97 ; vieux Bédouins aveugles, y}g^., XII, 43, bas ; voir aussi Sigi-
stânï, Mo' ammaroûn , passiin ; -rr^ == iit^^ ' '^ cécité considérée comme le mal par
excellence ; Ibn Doraid, Istigâg, 28 ; ravages de la vérole avant l'islam ; ibid., 143 ;
Doughty, Travels, I, 577, «destruction of nomad Arabia » ; Musil, Arabia Petraea,
111, 412, vérole; typhus, causé par les eaux. Les aveugles abondent dans les grandes
familles de la Mecque : Omayyades, Hâsimites etc. Les Abyssins et la vérole à la
Mecque; I, S. Tabaq., I', 56.
(2) Lire les plaintes de Doû'l Osbo' ; So'arâ' (Cheikho) 625, 635. Son divan, ibid.,
625-39, me produit l'impression d'avoir été fortement interpolé.
L'Arabie s'enrichit 139
ment voué à toutes les dégradations, le pajs à toutes les ruines.
Chaque siècle enregistre les progrès du dessèchement, de l'ensable-
ment ('), amenant à leur suite la famine. Le nomade demeure le té-
moin impuissant de cette décomposition inévitable et dans la marche de
l'inexorable processus peut d'avance lire l'extinction de sa race. Tel un
malade, calculant sur lui-même les progrès de l'affection, qui menace de
l'emporter. Spectacle tragique, on en conviendra ! Dans ces conditions,
les annales de la Péninsule ne devraient être qu'un pit03'able diaire,
décrivant, génération par génération, les phases de l'agonie séculaire des
nomades.
Plus haut l'histoire du cheval arabe nous a permis de noter
combien peu, en descendant le cours des âges, il est donné de cons-
tater l'appauvrissement du désert. Nous avons pourtant emprunté nos
exemples, accordé notre attention à une des régions les moins favo-
risées de l'Arabie : au Higâz ("). Un pa\s épuisé, comme on nous le
dépeint, voit diminuer ses forces productives, tarir les sources de sa
prospérité, péricliter, et finalement disjiaraître l'un après l'autre les
représentants de la flore et de la faune indigènes, hors d'état de pro-
longer plus longtemps la lutte pour l'existence. Or, durant l'intervalle
séparant l'hégire des débuts de l'ère chrétienne, nous observons pré-
cisément le phénomène inverse. Certes le climat ne paraît pas en
voie d'amélioration. Au cours des sécheresses fréquentes, l'érosion,
l'action de l'évaporation continuent, comme par le passé, à s'acharner
sur les steppes dénudées. Et pourtant le pays s'enrichit de nouvelles
conquêtes, toutes pacifiques d'ailleurs, dans le régne végétal et animal,
affirmant de la sorte sa merveilleuse vitalité.
Dans son très remarquable mémoire Délia sede frimitiva dei
fopoli seniitici (^), le savant Prof Ign. Guidi a cité les textes de
Strabon (XVI, 768, 784) et de l'auteur du De belb Alexandrhio, at-
(') Les Banou Bohtor, un clan de Tayy sont heureux de se savoir inattaquables
dans leur «sable de 'Alig, quatre jours de marche sans eau, v.;^Lkj lil il- «>-^«
Cj^^^\ i^.?i^\ » ; Yâqoût, E. VI, 99, 3 sqq.
(-) Il n'a jamais inspiré les éloges dithyrambiques, si généreusement accordés
au Nagd, au Himâ Daryya, séjour des rois de Kinda ; Yâqoût, E. \^ 253, bas.
(3) P. 588 sqq.
]40 Diffusion du cheval
testant pour leur époque l'absence du cheval en Arabie. L'introduc-
tion du noble animal appartient donc à une époque postérieure. De
combien a-t-elle précédé rhé<ïire : (') Nous l'ignorons et pour le mo-
ment il importe peu. On pourra rajeunir la date de cet événement
sans provoquer nos protestations ; bien au contraire ! Or malgré les
difficultés, s'opposant à son entretien au sein de la steppe, nous le
voyons plutôt en train de se multiplier dans l'Arabie contemporaine
du Prophète. Cette multiplication oblige les poètes à l'introduire dans
leurs descriptions militaires, où — de même que sur les bas-reliefs
ass}Tiens — le dromadaire avait seul figuré Juscjue-là. Désormais le
titre de fàris, cavalier, devient le complément obligatoire de la di-
gnité de sa}vd (-). Insensiblement le r(ils d'autrefois, le chef de la
razzia, se transforme en J-Ji.1 jils (^), conducteur de la cavalerie (*).
Escadrons modestes, sans doute. Nous n'\- contredirons point.
Mais le cheval appartient désormais à l'histoire de l'Arabie. Par ses
qualités exceptionnelles, par la perfection de ses formes, la race "arabe
s'est placée en tête de l'aristocratie chevaline et a fait croire à l'exi-
stence en Arabie de véritables haras. Et cette révolution se trouve
rapprochée de la dernière des grandes crises économiques, périodi-
quement traversées par la Péninsule, de celle enfin dont l'acuité au-
rait amené et précipité l'expansion islamique ?
Au temps de Mahomet, on a également introduit le mulet (^).
Au Higâz cette introduction fut vraisemblablement l'œuvre du Pro-
phète lui-même. Devenu souverain de Médine, médiocre cavalier, se
tenant mal à cheval, il voulut se paver le luxe de ^cette 'monture
(') Les Taglib se vantent qu'avant eux les Arabes ne montaient pas à cheval
Bakrï, Mo'gam, 54, 9 ; Cf. Caetani, Studi, I, 346.
(*) Voir plus loin : les titres du chef de la tribu.
(■') Ou de ^f^ > conducteur d'escadrons de cavalerie. Voir plus loin.
(^) Zohair (Ahlw.), 85, 3; 98, 2. J.;^sUJ ^ « Qui conduira les chevaux'»? s'é-
crie constamment Hansâ' dans ses élégies ; cf. Divan, 53, 3 d. 1. ; 55 ; 71 :
t_j-»_jJl -,«wJl^ »»jiJl ^a i_,^.;Jail a.'B.v'..»U ^,UJ1 «A
« Il est le chevalier toujours prêt, orateur de la tribu, l'amateur glorieux du jeu de
maisir ».
(5) Mentionné par Hassan ibn Tâbit, Divan, (Hirschfeld), CIIl, 2.
Le pain en Arabie 141
exotique. La fameuse mule Doklol, non pas don du vice-roi d'Egypte
— ainsi le prétend la Tradition — a dû être achetée par ses agents
commerciaux dans la vallée du Nil ('). Le mulet apparaît seulement
dans les cités, jamais dans les campements. Voilà pourquoi nous évi-
tons d'insister sur cette nouvelle conquête. Il serait téméraire de la
présenter comme une victoire sur l'inclémence du climat arabe.
D'après le témoignage d'.-\mmien Marcellin, contemporain de
Julien l'Apostat, les Arabe? de son temps ignoraient complètement
l'usage du froment et du vin : « Plerosque nos vidimus frumenti usum
et vini penitus ignorantes » (XIV, c. 4). Je me suis autrefois donné
le tort de contester la valeur de ce passage ("). Il se trouve
pourtant confirmé par toute l'histoire de l'Arabie. De nos jours en-
core le pain constitue une rareté sous la tente des nomades (^). Pour
eux les deux seules nourritures solides usuelles sont les dattes et la
viande. Cette dernière porte le nom de laJpn, peut-être parce avant
l'introduction et la diffusion du palmier-dattier, elle constitua l'aliment
solide par excellence (^). Même dans les plus florissantes oasis du
Higàz, la culture du blé n'a jamais pris des proportions considéra-
bles. Parmi les rares céréales cultivées, on s'\- est surtout appliqué
à récolter de l'orge (^).
En revanche la vigne, on l'a vu, avait pris certains développe-
ments, non pas pourtant les vignobles. Nous l'avons retrouvée dans
la majorité des oasis du Higâz ("j. Son introduction doit donc être
postérieure au 4*^ siècle de notre ère. Elle s'est répandue pendant
les deux centenaires, immédiatement antérieurs à l'hégire C). Nous
la vo3-ons principalement cultivée dans les oasis du W'âdi'l Oorâ, à
Médine, à Tâif. Les deux premiers centres étaient occupés par
(') Cf. Fâtima, Inde.\ s. v. Doldol.
(2) Cf. notre Poète royal, 40.
(ï) Le blé donne de l'esprit ; Ag.. XII, 48, 6 ; 49, 12.
(<) Guidi, op. Slip, cit., 594, 596.
(=) Même chez le Prophète on ne se nourrissait pas tous les jours de pain de
froment ; cf. Fûtima, 43 sqq.
(*) Notons encore Sawâriqj'ya, au pays de Solaim ; Yâqoût, E. Y, 164.
C) Ag., IV, 75, 9 etc. ; cf. Fraenkel, Aram. Fremlw., 156.
142 La vigne et le dattier
les Juifs et l'on doit vraisemblablement ce progrès à leur industrieuse
activité. S'ils n'introduisirent pas la culture du palmier-dattier en Ara-
bie, ce furent certainement leurs prédécesseurs araméens dans les
oasis du Higâz ('). C'est la conclusion, se dégageant du docte mé-
moire, cité plus haut, du Prof. Guidi (■). Cette aciiuisition, si impor-
tante pour l'avenir de la Péninsule, est probablement antérieure à l'ère
chrétienne. Elle prouve, comme l'introduction du cheval et de la vigne,
combien, aidé par l'industrie humaine, le rude climat de l'Arabie sem-
ble susceptible d'amélioration.
(') Bakri, Mo'gain, 30, leur attribue la plantation des palmeraies de Wâdi'l Qorâ.
(2) Sede primitiva, 583, sqq.
IV
Rigueur du climat arabe; sa tendance à empirer.
Réaction des agents de reconstitution. Rôle de la pluie
Un grave malentendu contribue, croyons-nous, à embrouiller toute
cette discussion. Que les conditions de la vie au désert montrent de
siècle en siècle une tendance à empirer, nous l'avons suffisamment
insinué, en détaillant les méfaits de l'érosion et de l'évaporation. Cette
constatation autorise-t-elle à parler d'une évolution plus radicale, d'un
changement de climat ? Nous ne le pensons pas.
Que le climat de la Péninsule appartienne à la catégorie des
climats rigoureux, personne ne songe à le contester ('). Or qu'ap-
pelle-t-on un climat rigoureux ? C'est un milieu, où l'équilibre des
forces naturelles, leur opposition merveilleusement combinée, mainte-
nant l'ordre varié de l'univers, se trouvent détruits au profit des agents
anarchi(]ues de destruction. N'étant plus neutralisés, ou d'une façon
inadéquate, ces éléments finissent par prendre le dessus, par inten-
sifier leur intervention dévastatrice. Le déséquilibre s'accroît en rai-
son directe de la diminution de la résistance rencontrée. Ainsi dans
un pays à moitié dénudé, l'action des neiges, des gelées, celle des
pluies torrentielles, la brusque succession de la chaleur des jours aux
froids de la nuit (^1, se montrent plus redoutables que dans les ré-
gions, protégées par de profondes couches d'humus, capitonnées par
(') Cf. Banse, Der arabische Orient, 65-78.
(-) La nuit dans le Nagd, on aurait observé — 10 degrés ; Banse, op. cit., IVi.
114 Définition du désert
une couverture de prairies et de végétation arborescente. Représen-
tons-nous un monument en ruine: la chute d'une bri(iue, d'une tuile
prépare la disparition de la tuile, de la brique voisines et amène
l'ébranlement total de l'édifice. Théoriquement la destruction devrait
s'arrêter le jour seulement, où elle ne rencontrera plus rien à dé-
truire.
Ainsi un climat mauvais montre une tendance marquée à devenir
excessif. La nature fatiguée semble y avoir rendu les armes et re-
noncé à la lutte. La décadence de la veille facilite celle du lende-
main, en diminuant la somme de résistance; elle désagrège le fai-
sceau des forces conservatrices, travaillant à réparer l'œuvre de des-
truction.
« Le désert, a dit le Prof. Walther, c'est la région des para-
doxes géographiques: orages sans pluie ('), sources sans rivières,
rivières sans aboutissants, arbres sans feuilles » ("). Ces paradoxes
correspondent à autant de déchéances, de défaillances de la nature.
Ils soulignent l'absence des facteurs, capables de neutraliser les
éléments perturbateurs, déchaînés dans la solitude. Pour préciser da-
vantage : « le désert c'est une région de pluies insuffisantes et de
sécheresse trop intense » ('). Ainsi en dernière analyse, le désert doit
son existence à l'extrême inégalité entre l'apport et la soustraction
d'humidité. Cette rupture d'équilibre profite à un facteur d'une incal-
culable puissance : l'action du soleil et des vents d'orage, ne rencon-
trant plus d'obstacles pour désagréger le sol, pour lui ravir jusqu'à
sa dernière goutte d'humidité.
Cette constatation me paraît d'une souveraine importance dans
notre discussion. Pour expliquer la formation et l'existence des soli-
tudes arabiques, on a parlé de forces cosmiques, d'évolution fatale,
irrésistible. P"ormules n^vstérieuses et manquant peut-être de clarté.
11 s'agit en réalité d'une mesure pluviométrique, d'un minimum d'hu-
midité. Ce minimum est-il notablement dépassé en certains cantons,
(') Comme au siège de Médine par les Confédérés, Ahzâb; I. S. Tabaq., I-, 50-51.
(-) Wttstenbildung, p. 2. Voir plus haut. Le cliché poétique, ^ ^ iJXsjl (citations
données précédemment, p. 126) fait sans doute allusion à des orages sans pluie.
(') Walther, op. cit., p. 4.
Résistance de la flore 145
le désert voit diminuer son extension ou même cesse momentané-
ment d'exister. La mesure se trouve-t-elle inférieure, le désert se
réforme. Pour \ Arabia déserta^ les fastes botanicjues et géologi(iues
consisteraient dans l'enregistrement de ces oscillations pluviométri-
ques. Xous V reviendrons plus loin. Telles certaines constitutions hu-
maines, souffrant d'une minéralisation excessive ou imparfaitement
éliminée. La terre du désert souffre du même mal. Quant à la for-
mation, l'extension des sabaha ('), des dépôts salins, elles en four-
nissent autant de manifestations extérieures, facilitant le diagnostic.
Seule la présence d'eaux abondantes, diluviennes est capable de
l'en débarrasser. Comme cette constatation aide à comprendre les in-
vocations des poètes arabes à la jikiie ! N'était-elle pas l'unique re-
mède au mal, dont menaçait de mourir leur patrie ?
Dans les régions des tropiques, souffrant d'un excès de sécheresse,
où les chutes météoriques sont incertaines et de courte durée, cha-
que diminution de pluie amène l'épuisement de l'humidité souterraine,
destinée à entretenir la vie des plantes. Chaque progrès de la dénu-
dation, de l'érosion, de l'évaporation présage de nouvelles jiertes
pour l'avenir. La flore, déjà durement éprouvée, lutte dans des con-
ditions de jjlus en plus défavorables. .Sous l'influence des ra\'ons
solaires, la salinité souterraine monte à la surface ; elle arrête la res-
piration haletante des plantes assoiftees, elle achève de les brûler,
en les enveloppant d'invisibles cristallisations. Et pourtant Dieu sait
de quelle force de résistance dispose la végétation en ces terres dé-
solées ! Pendant des années, les semences, les racines réussissent à
lutter contre la dessication du sol, contre l'embrasement de l'atmos-
phère. Leur développement est généralement fort rapide. Les vents
en dispersent les graines sur toute la surface des steppes ("), les dé-
(') Marais snlins dans \' Arabia Pelraea, III, 412 ; dans la poésie bédouine mo-
derne, emblèmes de la stérilité absolue; ibid., III, 454. Sabaha «lieu de ponte pour
les autruches » ; Vâqoût, E. V, 184. La solitude, la plus grande chaleur déterminaient
sans doute le choix de ces oiseau.x.
(■-) Où elles forment de vastes districts, d-^.à.i.< ^i.l ; Vâqoût, E. V, 236. Terres
couvertes de l_J..^-i.* . Parmi les plantes fourragères le 'osb est A-L-o felLs^ It* U , par
opposition au baql =: ^V» àJ-^ \.. Uo ; Ibn Halâwaih, Sagar, X, 8-9. Voir plus haut.
Lammess — Bercrmi lo
146 Le Bédouin et la flore
posent dans les anfractuosités des rochers. Quand la période sèche
vient à se prolonger, les racines des arbres s'enfoncent dans le sol,
pour y atteindre les couches, conservant des restes d'humidité.
Mais cette résistance ne demeure pas illimitée. Les fréquentes
aridités (') tendent à la diminuer, à augmenter la surface des plaines
lépreuses, à les changer en déserts improductifs, CJi ^^^--rs. '^ • Les
couches de sable superficiel gagnent en profondeur ('). Quant aux
sels, aux éléments minéraux, n'étant plus décomposés, plus neutrali-
sés par l'action de la pluie et des plantes, plus entraînés à la mer
par les trombes hivernales, ils viennent former à la surface du sol
des plaques salines, des sabaha, d'année en année plus étendues. Au-
tant de domaines, compromis pour le règne végétal (') et où les
chances de reconcjuète, de revanche deviennent de plus en plus pro-
blématiques. La passive ténacité, le sabr fataliste du Bédouin manque
de ressort pour arrêter cette désastreuse évolution. S'il demeure le
i_|!.ùxx)l J.-jii , vanté par Doraid ibn as-Simma (^), l'homme « sobre
de récriminations, de plaintes », au sein de l'infortune, il ne songe pas
à réaliser l'idéal, formulé par Ta'abbata Sarran :
< Insensible aux coups du sort, il se multiplie, il s'ingénie à dé-
couvrir les issues pour s'y dérober ».
(^) aJLlil^ ^PJI ,j:J:^ ^yjl ^ '^^-^^.. j^rtl), J:.iJJI J^
"Abdallah, le fils du calife 'Omar, arrosait les arbres, a\-ant jadis
prêté leur ombre au Prophète ("). Le nomade ne témoigne pas cette
sollicitude pour la végétation de son pays C). C'est bien assez d'exi-
ger de lui de respecter le himà de sa propre tribu. En cas de con-
testation ou de poursuite par l'ennemi, il n'hésitera pas à combler
{') Comme Doughty, Musil en cite de quatre ans ; il atteste également le caractère
régional de la pluie ; /;;/ nord/. Hegâz, 8.
(2) tîljLJil i^^si^ àSÂ^ ; Yâqoût, E. V, 129, 249. Voir plus haut.
(') Voir plus haut, pour la flore spéciale des sabaha.
(*) Ag., IX, 5 ; légères variantes dans Gâhiz, Bayân, I, 217.
(^) A. Tammâm, Hamâsa, E. I, 47.
{«) Bakrî, Mo'gam, 428.
C) Il se vante plutôt de ne pas planter ; Ibn Hisâm, Sira, 862, 6 d. 1.
Diminution des bocages 147
les puits ou à les empoisonner ('). Mahomet brûle les palmeraies des
Juifs à Médine, à Haibar, et coupe les vicrnobles de Tâif, pour ré-
duire par ces imprévo\'antes mesures la résistance de ses adversai-
res C)-
Voilà dans toute sa réalité, la déplorable condition du climat
arabe. Si l'on vise cette situation, quand on parle d'ensablement, de
dessèchement progressifs, nous n'\' contredirons pas. De nos jours
l'Arabie compte moins de bonnes terres, moins d'espaces bocagers
que jadis. Dans l'ensemble, opine M. Nôldeke, elle se trouve dans
une condition moins favorable (ju'à l'époque des Md'allaqàt (^). Il
faudrait nier l'évidence pour ne pas se rallier à ce jugement. Certai-
nes oasis, celle de Fadak p. ex. ont bel et bien disparu. Celles de
Wâdi'l Qora, jadis si florissantes, ont vu considérablement diminuer
leur surface de culture (^). Disparition et diminution confirment la rè-
gle, plusieurs fois énoncée ici : un rude climat tend naturellement à
empirer.
De là à affirmer un changement plus considérable, il \' a loin. .Si
l'on s'\- est décidé, c'est pour avoir limité son attention à un seul
côté de la question. Dans la discussion, on s'est borné à envisager,
(') Sources comblées, eaux importantes disparues dans le sol, peu avant l'islam.
A. Tamrnâm, Hamàsa, E. I, 18 ; Bakrî, op. cit., 780, 2 ; comp. 644, 15. Pendant la
campagne de la Harra, sous Yazîd I, les Médinois empoisonnent les puits entre la
Syrie et le Higâz.
(-) NasâT, Sonan, E. I, 101; Aboû Yoûsof, ^rtrâi", 120; I. S. Tabaq., II», 114.
Aboû Bakr donne la même prescription à Hâlid ibn al-Walîd. Ces exemples embar-
rassent la Tradition. Auzâl et l'école syrienne répugnent à s'y conformer ; NasâT,
loc. cit.; Sâfi'î, Kitàb al-Omm, IV, 173-174, 324. Propriétés, palmeraies des '.Mides
détruites par les 'Abbâsides ; Yâqoût, E. V, 180.
(3) Cf. Nôldeke, Fimf Mu'allaqàl, I, p. 7.
(*) Même conclusion pour TaboiJk, où Sarg dans le « wadi Taboûk » a disparu ;
Yâqoût, E. V, 70. Cette AJ jl , mentionnée par le hadït, demeure introuvable pour les
géographes. Bakrî, op. cit., ITi la cherche en Syrie.
148 Rôle (Je hi pluviométrie
à supputer les eftets séculaires de l'érosion et de l'évaitoration. L'in-
tervention de ces agents atmosphéri(iues est éternelle comme le
soleil et les vents, (|ui continuent à désoler les solitudes de l'Arabie.
Nous ne pensons pas en avoir atténué les effets. Plus logique que
l'école de Winckler, nous en sommes à nous demander comment leurs
atta(}ues n'ont pas abouti, à la destruction totale de l'-Arabie ; |)ouniuoi
après la ruine de l'oasis de l'^adak, des palmeraies de Wâdi'l Qora (').
ils ont laissé subsister un seul des pacages, continuant à nourrir par
centaines de mille les chameaux de la Péninsule .''
Par bonheur dans le climat d'une région il n'y a i)as uniquement
à considérer l'ingérence de ces forces brutales. Le soleil et les vents
ne sont pas exclusivement des agents de dissolution. Ils tra\'aillent
d'autre part à la reconstitution de leur empire. Sans (}uoi leur action
ne trouverait bientôt plus qu'à s'exercer sur le néant. Aussi bien leurs
efforts combinés aboutissent-ils à la formation de la pluie, à la resti-
tution de cette même humidité, précédemment soustraite, volatilisée
par leur intervention. L'eau, puisée par le soleil dans les inépuisables
bassins maritimes, baignant les côtes d'Arabie, les vents sont chargés
pour ainsi dire de l'amener à pied d'œuvre et d'en opérer la répar-
tition sur le continent, sur les oasis et les steppes épuisées. Réparti-
tion trop souvent aléatoire ('), inégale, nous en convenons. Les ora-
ges à sec comptent parmi les paradoxes géographiques du Higâz.
Pendant des années l'atmosphère embrasée, l'énorme température
du sol, chauffé k blanc, contribueront à vaporiser l'humidité, charriée
par les nuages |«j«>>U^ j^yi U^l (^). Mais on connaît aussi des hivers,
oij l'accord de la température et des vents tourne au profit des plaines
brûlées. Cette situation a été décrite plus haut.
Si l'érosion, la dénudation, l'évaporation interviennent, comme
agents de dissolution, de désorganisation, la pluviométrie se comporte
en qualité de reconstituant. Elle combat, elle neutralise les désastreux
(') Des nombreuses isKU. àJ S (voir plus bas), subsistant encore au début du
3» siècle H.
(^) La pluie arrive trop tard, les troupeaux ont péri; Ag., XI, 153, 10. C'est la ^
plainte ordinaire des Bédouins auprès des gouverneurs ; cf. Hansâ', Divan, 100.
(5) Comp. ^^l=\.*^l |3^ • ''■* ""^® ^ ^'^ avare ; Hansâ', Divan, 99, 3 d. 1.
Elle diminue la salinité 149
effets de la volatilisation de l'humidité céleste ; elle parvient a\ec des
alternatives, plus ou moins prolongées, de succès et d'échecs, à ré
tablir un équilibre temporaire entre ces forces ennemies, entre les
deux principes dont la lutte donne à la Péninsule son apijarence
saharienne.
Nulle part le rôle bienfaisant de la pluie n'apparaît comme en
Arabie. A elle de libérer l'immense superficie des scories, des impu-
retés, véritable lèpre terrestre, accumulées pendant les périodes ari-
des. Elle débarrasse les plantes, les arbres de leurs poussières, de
leurs gaines salines. Pendant les longs mois d'été, la flore était de-
meurée soumise au régiine des eaux minérales. L'hiver y substitue
celui des < eaux du ciel, sU-^JI ^^ >. reconstituant de leurs tissus.
En amollissant le sol, en le saturant d eau, les pluies permettent aux
plantes de respirer : elles vont les ranimer jusque dans les entrailles
de la terre et y reformer leur provision d'humidité. Les plus tenaces
représentants du règne végétal vivront sur cette réserve, jusqu'à la
prochaine période hivernale. Ils utiliseront ce répit pour reconquérir
une partie des positions perdues. Cette revanche s'opère dans un
laps de temps, relativement restreint ('), grâce à la robustesse des
plantes désertiques. Il suffit de l'intervention de l'industrie humaine
pour lui donner la plus salutaire extension ('). Ainsi le prouve
l'histoire des oasis et des centres de culture au Higâz, partout enfin,
où l'homme s'ingénie à seconder les ressources latentes du sol et du
climat arabes. Mais la mission principale de la pluie — et sur ce point
l'on ne saurait trop insister — semble bien de débarrasser le désert
de son excès de salinité (^), de laver à grandes eaux la surface des
sabaha (^), les lits des gadlr desséchés et recouverts d'efflorescences
minérales. La violence des pluies, des trombes hivernales donne au
(') Voir plus haut.
{^) Celle-ci va de pair avec les progrès de la prospérité politique.
(■') Dans un même district, succession de puits saumâtres et d'autres à eau po-
table ; Vâqoût, E. V, 129.
(^) Au pi. jiL*-») ; il désigne fréquemment des marais salins, comme dans la ré-
gion de Basra ; cf. Naqffid Gartr, 367, 13 ; Tàg al-'Aroûs s. v. syw ; Balâdori, Fo-
toTih, 356, 11.
150 Rétablissement de l'équilibre
phénomène sa véritable efficacité, celle de purifier la steppe, de res-
tituer au gouffre de la mer (') les parcelles solides, isolées par la
chaleur solaire.
Mieux réparties d'après les saisons, mais moins abondantes, les
pluies, en reproduisant le régime de nos climats, réussiraient avec moins
d'efficacité à atteindre — nous le craignons du moins — ce résultat
indispensable. Il ne faut pas se lasser de le répéter : le grand ennemi
de la vie végétale en Arabie, c'est la surabondante minéralisation,
aboutissant à la complète stérilisation du sol.
Ainsi s'opère périodiquement la désinfection, le netto}'age à fond
de la solitude arabi(]ue, le renouvellement de bail pour les espèces,
représentant les règnes végétal et animal. C'est le rétablissement de
l'équilibre instable des forces naturelles, la restauration du plan pro-
videntiel, présidant au jeu désordonné de ces éléments contraires et
les amenant aux vues supérieures du Créateur, jusque dans les ré-
gions les plus déshéritées de notre globe. L'histoire climatologique
du Higâz enregistre les phases de cette lutte, de cette opposition,
jamais interrompues. Certes il arrive c]ue la victoire demeure au plus
fort, c'est à dire au soleil et à la chaleur. Mais cette victoire compte
toujours un lendemain ; elle finit par amener une réaction bienfaisante,
une trêve temporaire. Elles sont utilisées par la nature pour reprendre
des forces, s'assurer des auxiliaires en vue d'une reprise certaine des
hostilités. Ce répit marque, sinon un recul, du moins un arrêt, dans
les progrès de la dénudation. Au fond d'un terrain plus meuble, des
qà'^ ("), d'une vallée mieux abritée, à couvert de la mince couche sa-
blonneuse des dàràt (*), sous la protection des longues dalles basal-
tiques des harra, les semences engourdies depuis des années, les
arbustes aux branches noircies, mais à la racine, plongeant dans une
dernière couche humide, réaffirment leur volonté de vivre. Alternatives
(M Ainsi l'inondation aurait jeté à la mer les cadavres des Abyssins, envahis-
seurs du haram de la Mecque; I. S. Tabaq., I', 56. Elle entraîne les arbres à d'é-
normes distances; G.âhiz, Mahâsin, 248; emporte des tribus entières ; Vâqoùt, VI, 274.
(^) Conservant mieux l'humidité. Comp. Hansâ', Divan. 66, 1 v. ; Yâqoiit, E.
V, 382.
(') Voir plus haut.
Persistance du climat 151
de défaites et aussi de victoires. Les partisans de Winckler l'oublient
trop facilement. Si l'œuvre de décomposition n'avait jamais subi d'ar-
rêt, nous aurions à enregistrer non la modification du climat, mais la
disparition de toute vie en Arabie.
C'est une méthode sommaire d'affirmer pour la Péninsule, depuis
la fin de la période glaciaire, la progression graduelle du dessèclie-
ment. La vue de la désolation actuelle nous induit trop facilement à
en admettre sans discussion la réalité. Par son apparente simplicité,
la théorie achève d'enlever les suftVages ; elle amène à fermer les
veux sur l'absence de chiffres, sur la faiblesse des rapi<rochements,
sur le mirage des analogies. Nous nous trouverions d'ailleurs fort
embarrassé pour aligner des chiffres (') en sens contraire.
De l'histoire primitive de l'Arabie nous possédons seulement des
fragments, des épisodes anecdotiques, des allusions d'une regrettable
discrétion. Plus abondantes les descriptions des poètes ('-) manquent
de précision et valent seulement pour le siècle antérieur à l'hégire.
Pourtant, il faut bien en convenir, cette double source de renseigne-
ments ne se prononce pas en faveur d'un changement radical. Aussi
haut i^u'il nous est donné de remonter les annales préislami(iues, nous
nous heurtons à la succession des mêmes phénomènes météorologiques,
à la constance des lois physiques, réglant les saisons arabes. Entre
la période ancienne et la période contemporaine, on constate, non une
lacune, mais la continuation. Nous retrouvons partout les traces de
(') Nous n'attribuons aucune valeur absolue à ceux donnés plus haut sur la force
numérique des tribus. A notre avis, la population n'était pas en diminution aux en-
virons de l'hégire. Impossible de se montrer plus affirmatif ; mais la constatation suffit!
(-) Je n'y ai jamais rencontré une allusion au changement de climat.
La sécheresse, stérilité, signalées par Doù'l Osbo', So'arà', 639, 3 d. v. (Cheikho)
le poète les présente comme la suite des guerres, de la diminution des siens. (Comp.
ibid,, 625, 635, 639). Elles sont une conséquence, non une cause.
152 Alternatives de sécheresses et d'inondations
la lutte de l'homme contre l'excès de sécheresse, de ses efforts pour
en atténuer les effets, en construisant des citernes, des réservoirs, en
perçant des puits ('), en élevant des barrages. Les époques d'humi-
dité et de sécheresse coïncident avec les dates, observées de nos jours,
avec celles notées dans les écrivains, postérieurs à l'hégire. Les rares
indications fournies par les documents assyriens, par les auteurs clas-
siques et orientaux, tous s'applicjuent merveilleusement à l'Arabie
contemporaine.
Le gigantesque pluviomètre, formé par le réseau du Wâdi îdam
et des monts, voisins de Médine, continue à fonctionner sous nos yeux,
comme à l'époque de Mahomet. Chaque quart de siècle au moins (*),
la Mecque compte une inondation (^). Aussi bien l'énorme cuve de
l'Erythrée ne cesse de fumer sous l'action du soleil. Pour condenser
ces vapeurs, pour les précipiter sur la surface du Higâz, il suffit d'une
heureuse disposition de l'anémométrie. Si l'on connaît, comme à l'é-
poque de l'hégire, des sécheresses de quatre ans (*), on constate éga-
lement, comme alors, des pluies diluviennes, durant 15 jours {'). Au
début de Janvier 1913 plusieurs centaines de pèlerins de la Mecque
ont trouvé la mort dans une inondation C'). Pendant les hivers plu-
vieux le Bothân (actuellement appelé ï>y^ ^1) et le Aqïq se remplis-
sent d'eau et coulent à pleins bords. Cet événement donne à Medine
le signal d'une fête publique. On n'agissait pas autrement à l'époque
des Omay\-ades quand se répandait la nouvelle : « le 'Aqïq déborde,
,3;jLaJI J'cJjvâ» ("). Je dois ces renseignements à l'obligeance d'un in-
génieur musulman, attaché à la construction du chemin de fer de la
Mecque.
(') Les tribus se vantent d'avoir creusé des puits; Vâqoiât, E. V, 142, 143; Ba-
lâdorî, Fotoûh, 48-rt5. Bakrî, op- cit., 766.
(-) Tous les dix ans, d'après Azraqî, (WUst.) 28, 10.
(3) Snouck Hurgronje, Mt-kka, I, 18-20; J. V.yM, JRAS, 1912, p. 148.
(*) Ag.. XI, 81.
(5) Ag., XI, 80.
{^) Même phénomène, arrivé deux ans plus tôt ; voir plus haut. En Janvier 1910,
l'inondation a atteint la «pierre noire» à la Mecque; J. V.\a.\\, JRAS, 1912. p. 148.
C) Comp. Musil, Arabia Petraea, III, 26U d. 1. On comprend qu'on l'ait fait
appeler par Mahomet « vallée bénie, il ,U_c ^>\<^ » ; Yâqoût, E. \'I, 199.
La situation à Médine 153
Dans la vallée du 'Aqicj il a retrouve nombre de barrages et de
réservoirs, actuellement détruits. Cette observation est à retenir. « On
a laissé tomber en ruines, affirme mon informateur, tous les travaux
d'art des anciens. A Médine l'industrie et l'agriculture se réduisent.
pour ainsi dire, à néant. Les habitants vivent d'aumônes et de secours
et aussi d'extorsions, aux dépens des pèlerins » ('). Sans s'en douter,
mon s\-mpathique correspondant soulève ici le problème du change-
ment climatologique. Pourtant l'idée ne lui vient pas de mettre le ciel
en cause, mais bien plutôt l'apathie de la population. 11 aurait pu
ajouter l'incurie et la mauvaise administration du régime ottoman.
Mais fonctionnaire et musulman, il a évité d'insister sur ce doulou-
reux tableau.
(■) J'adoucis le texte original: j-^^il Jl»xil i_-vLw ; lettre du 9 de Dîl Qa'da,
1324 H. -Même situation au temps d'Ibn Gobair, Travels-, 73. « Plus de religion, dé-
clare-t-il, au Higâz ; c'est là que le sultan .Saladin, Salâh ad-dïn, devrait porter le
gihâd » ; ibid., 78.
Activité agricole des Juifs en Arabie. Conséquences désastreuses
des expulsions, décrétées par Mahomet. Vitalité de la race
arabe au 7* siècle
Il en allait tout autrement dans les milieux juifs du Higâz. On a
pu en faire la remarque : toutes les oasis de cette province, depuis
Gohfa au midi juscjue à Wâdi'l Oorâ ('), se trouvaient en la possession
de cette race industrieuse. A en juger d'après la terminologie agro-
nomique, ils }■ ont probablement remplacé des populations de langue
araméenne ("). Sans négliger le commerce, les Juifs arabes tenaient
en mains les finances, les arts mécani(]ues, l'orfèvrerie (^), la fabrica-
tion des armes et des instruments agricoles. Cette activité variée ne
les empêchait pas de consacrer leur attention à la culture du sol, à
l'aménagement de leurs domaines. Vers la mort du Prophète, Wâdi'l
Qorâ présentait sur une longueur d'une centaine de kilomètres une
succession presque ininterrompue de hameaux, de palmeraies, là où
de nos jours on rencontre seulement le maquis et la brousse (^). Am-
(') Où ils se sont installés de bonne heure ; Bakri, Mo'gam, 42, d. 1,
(-) Cf. Fraenkel, Aram. Fremdw., 125 sqq. ; Wellhausen, Reste-, 230 sqq. ;
Winckler, Mitl. vorderas. Gesells., 1901, 71.
(■') Comme à Fadak ; Ag., IX, 176, 7. Cf. Leszynsky, Die Juden in Arabien,
16 sqq. Haibar produisait le ijUn-o , la plus fine variété de dattes connue ; Yâqoût,
E, VI, 181, 7 d. 1. Ils ont contribué, je le soupçonne, à améliorer en Arabie la cul-
ture du palmier. Cf. Guidi, Sede primitiva, 583.
(^) Cf. Musil, Im nûrd. Hegâz, cité plus haut. Le mot <^^a^ , domaine, chez
les sédentaires, signifiait encore pâturage chez les nomades ; Nôldeke, Neue Beitr. z.
sentit. Sprachwiss., 59.
Mahomet et les Juifs 155
mien Marcellin (XIV\ 3. 4) dit des Arabes de son temps : « Nec quis-
quam stivam apprehendit vel arborem colit, sed errant semper per
spatia ». Les colons juifs professaient des principes bien différents.
Bakri va nous l'apprendre : * Installés à Wâdi'I Oorâ, ils s'empres-
sèrent de restaurer les anciens puits, de les netto\'er, de donner
de l'écoulement aux sources, de plan-ter des dattiers et des vergers.
.\ous avons obser\'^é le même phénomène à Médine. A l'arrivée
de Mahomet, les meilleurs puits, les .sources les plus abondantes ap-
partenaient aux Juifs. Longtemps les musulmans se virent dans l'hu-
miliante nécessité de leur acheter l'eau potable. Les puits des Arabes
mal entretenus, insuffisamment protégés devenaient trop souvent des
centres de maladies infectieuses (^). Les premiers Compagnons et le
Prophète lui-même en firent la douloureuse expérience; ils pa3'èrent
leur tribut à la fièvre de Médine i^.>>Al J^- . Cette malaria paraît
avoir de préférence atteint les émigrés mecquois, à l'exclusion des
Juifs indigènes ('). Il semble tout indiqué de la mettre sur le compte
des eaux insalubres (^).
Le tempérament passionné du Prophète lui inspira des mesures
déplorables. De ce nombre fut l'expulsion des Juifs, ces cultivateurs
intelligents. Mahomet doit en porter toute la responsabilité (°). Leur
présence au Higâz, l'exemple de leur activité profitèrent grandement
au développement agricole de cette province. Lorsque le père du
chef solaimite 'Abbâs ibn Mirdâs voulut défricher la brousse d'Al'
Qoray\a ("). cette tentative a jhi être inspirée par le spectacle de la
(') Bakri, Mo'gam, 30. Sur les nombreux puits anciens de Madâ'in Sâlih, voir
Auler Pascha, Die Hedschashahn, 40.
{-) Voir plus haut p. 42. En changeant de dâr, des clans d'Ansar périssent eux et
leurs troupeaux ; Qotaiba, 'Oyoûn, 185, 7 sqq. Je soupronne ici l'action des eaux.
(») Cf. Fâtinta, 54.
(*) Mahomet se fait apporter de loin des eaux potables, ÂjSa ; Yâqoût, E. \',
94, bas.
{'■") Il a pu céder également aux obsessions des Mohâgir et des Ansârs, créanciers
des Juifs et convoitant leurs riches domaines.
C^) Cf. Ag., XX, 135-36. Hansâ', Divan, 77, 5, mentionne 'À^^^\ . Voir surtout
Bakri, Mo'gam, 735 ; et ici même p. 31.
1Ô6 Leur expulsion
pros|)érité juive. Car la famille de 'Abbâs se trouvait liée d'amitié
avec les Juifs du Hi^râz. Pour le Prophète, les dix années de son ré-
gime à Médine se résument dans la lutte contre Israël. Afin de pré-
parer l'oiinion, il commença contre eux une canipa.i:ne de presse, ni
plus ni moins déloyale que les manœuvres de ce genre. Elle lui parut
indispensable à cause des nombreux intérêts, rattachant ses disciples
ansâriens à leurs compatriotes juifs: alliances de religion, de famille,
de clientèle, questions d'argent. La plupart des Médinois se trouvaient
être leurs débiteurs. Dans d'interminables sourates — elles comp-
tent parmi les plus prolixes (') du Ooran - Mahomet ne cessa d'ac-
cabler les Juifs (°), de les dénoncer comme les ennemis de la nationa-
lité arabe, des traîtres, des conspirateurs. Lorsqu'il jugea les esprits
suffisamment préparés, lorsque, par ime suite de lâches assassinats, il
pensa avoir jeté la terreur parmi ses adversaires, il les somma de
quitter le pa\s, de lui abandonner leurs riches domaines. Repoussé
avec hauteur, il leur déclara la guerre ; lutte où, il faut le proclamer,
la loj-auté du Prophète fit lamentablement naufrage Elle se termina
par l'expulsion et aussi par le massacre de centaines de prisonniers
Israélites.
"Omar poussa justju'à ses conséquences extrêmes la malheureuse
politique, inaugurée par Mahomet. Ce dernier les avait laissés dans
les autres oasis du Higâz, non par tolérance, mais ne sachant com-
ment remplacer ces intelligents cultivateurs. La malaria de H^ibar,
encore plus redoutable que celle de Médine, terrassait les plus ro-
bustes de ses Compagnons. Contre ses atteintes les Juifs se seraient
immunisés en absorbant quantité d'ail (^). Or l'odorat délicat de Maho-
met n'en pouvait supporter la senteur caractéristi(iue {*). 'Omar les
expulsa brutalement, se couvrant derrière un testament apocryphe
du Maître. .Si les funestes effets de la mesure ne se firent pas sentir
immédiatement, on le doit à l'importation de milliers d'esclaves, de
(*) Et aussi les moins franches.
{-) Cf. Hirschfeld, Researches, chap. X, Political speeches, p. 111 sqq.
(^) Cf. Mo'âwia, index s. v. ail.
(•■) Un autre préservatif c'était de braire comme un ,îne ; Yaqoût, E. IV, 309.
Sur l'ail, comme remède contre le mauvais œil, cf. Echos d'Orient, XV, 387-388.
Mo'awia et l'agriculture arabe 157
captifs au Higaz, pendant la période des conquêtes arabes ('). On
le doit principalement à la sage politique des Oma}-3ades (■), très at-
tentifs à relever l'agriculture dans leur pays d'origine. En ce sens,
Mo'âwia paraît avoir pris au sérieux le titre de sa\-\-d de Modar, ré-
clamé par lui (^). Sur un de ses domaines en Arabie, ce monaniue entre-
tenait jusqu'à 4,000 esclaves (*). Un chiffre suggestif! Non moins instruc-
tif semble le renseignement affirmant (jue les domaines les plus esti-
més par les Omay3'ades se trou\'aient enArabie aI^I ,^ f^-y^ ^Uri. (').
Leurs agents en ce pays sont chargés de les informer et de leur si-
gnaler les meilleures acquisitions. [)our y arrondir leurs possessions
domaniales. Le souverain s'empresse d'ailleurs de les entretenir, de
les améliorer sans cesse, en y e.xécutant des travaux considérables.
Vers ce temps-là l'Arabie paraît avoir possédé en abondance le fro-
ment et les dattes. C'était le cadeau ordinaire aux poètes faméliques.
* Qu'on charge leurs chameaux de blé et de dattes, disent les Mé-
cènes, l^« !_;-? à^XsJ^j "^ifi^ ' O-
Voilà où en était le Higâz au.x 7" et 8" siècles, contemporains de
la grande expansion au dehors de la race bédouine. Ni le pays ni
le peuple ne semblent en train de mourir. C'est bien plutôt l'époque,
où tous deux fournissent les preuves de leur plus grande vitalité C).
(') I. s. rabaç., IP, 83, 1, J:.^V1 J^ J^ U^^ ^ JC^I c^S^J.! ^^, <i "j-^-
(-) Comp. Mo'àwia, 239 sqq.
(3) Ag.. XII, 30, 5.
(■*) Balâdorî, (.«MiUv.), 126-127. Sous 'Omar un ."XTabe possède jusqu'à « 4000 fa-
milles d'esclaves » ; Nagd^id Garîr, 46, 9. « Aucune nation ne comptera autant d'es-
claves que la mienne» (Mahomet); Nas,!"!, Sonan, E. II, 207, 2.
O Ag., XI, 152, 2 d. Mo'àwia se fait rensei.icner sur la valeur des propriétés au
Higâz ; Bakrî, Mo'gam. 726, 5. Palmeraies de Mo'awia près de la .Mecque ; Yâqoût,
E. V, 371, 6 d. 1.
C) Ag., XI, 83. L'idéal c'est de posséder en été abondance de dattes et de lait ;
Hotai'a, Divan, V, v. 10.
C) Winckler signale les « grands excédents » de la population ; Mitt. vorder-
asiat. Geselh., 1901, 72.
158 Les gouverneurs omayyades
Nous \o\ons en même temps comment l'Arabie récompense les soins
qu'on lui consacre. Une jjalmeraie d'Ibn Zobair, sise au Higâz, suffit
pour alimenter de dattes les troupes, chargées de défendre la Mec-
que contre l'armée de Yazid V. Ces soins demandent, pour demeu-
rer efficaces, à être accompagnés d'une vigoureuse action politique (').
Ainsi avait agi Ziad ibn Al)ihi dans sa turbulente vice-royauté de
l'Iraq (-). Il tira le glaive du fourreau au profit de l'autorité ('). Les
gouverneurs omayyades du Higâz prirent soin de l'imiter {*).
Sans posséder toujours son énergie ni ses talents d'administra-
teur, qu'ils s'appelassent Marwân, Sa'id ibn al-'Asi, 'Amrou'l Asdaq,
tous ces membres de la famille régnante se préoccupèrent sé-
rieusement de pacifier les Arabes, d'établir un commencement d'or-
dre au désert {'). Un chiffre nous permettra de deviner l'étendue
des ruines, accumulées par l'incurable indiscipline des nomades. Il
démontre, à notre avis, la faillite retentissante du s\-stème patriarcal,
l'anachronisme, perpétué par les mœurs de la gàhily^a au sein du
nouvel empire. Le trait nous paraît d'ailleurs légendaire; nous le
donnons seulement comme indication. Le calife 'Omar reçut un jour
la visite d'un chef du Yémen, propriétaire de 4,000 familles d'escla-
ves, tous Arabes, faits prisonniers (") à l'époque préislamite, i«u^,l <0
iJLaU.1 (3 ^j^\ dUJU-i iw_>j^l 0-5 Crj «-^^-^^ J^* ^'^' C) •
Ainsi donc la vie pastorale offrait un aliment insuffisant à l'acti-
vité désordonnée des Bédouins. La période hivernale du raôi' formait
une diversion trop courte (*) hélas 1 pour absorber utilement Texubé-
{') Cf. Winckler, o/>. cit., 39.
(2) Cf. Nagâ'id Gartr. 608, 5 : Aj ^_^''^ liJi JU 1>1 >l?.j J^ .
(8) Cf. notre Ziâd ibn Abî/ii, passim « Le lion est moins redoutable que Ziâd »;
Nagâ'id Gartr, 617, 20. Sous son gouvernement les troupeaux au désert peuvent re-
ster sans gardiens; Qotaiba, 'Oyoûn, 25, 18.
{*) Ils envoyent leur gendarmerie AJ.j^JiÇ rétablir l'ordre dans les tribus; Qotaiba,
'Oyoûn, 164, 8 sqq.
(^) Aboû Tammâm, Haiiiâsa, E. \, 29. Marwân ibn al-Hakam accorde des con-
cessions dans le 'Aqîq ; Yâqoût, E, V, 436.
(*) Il ne s'agissait donc pas de serfs de la glèbe.
C) Naqaid Gartr, 46, 9-10.
(') Voir plus haut, chap. V.
L'obsession de la razzia 159
rance de cette race vigoureuse. Pendant le long été de l'Arabie, des
milliers de bras demeuraient inoccupés au sein des tribus, éloignées
des centres commerciaux, vivant loin de la frontière syrienne, où le
trafic et le transit des marchandises réclamaient les meilleures éner-
gies ('). Et voilà comment le brigandage de la razzia avait été élevé
à la hauteur d'une institution nationale ("). Aux losous on reprochait,
non de s'}- livrer, mais de la pratiquer sans l'assentiment, sans la
participation de la tribu.
A cette situation tendue s'ajoutaient les années d'aridité. Alors
le besoin venait stimuler par ses perfides suggestions la cupidité
innée du Bédouin. Les célèbres jouniées des Arabes, (_)y<Jl »IjI (^),
sont là pour l'attester. Aucun lendemain ne pouvait garantir la pos-
session des biens, péniblement gardés. Un coup de main, habilement
conduit, suffisait pour ruiner toutes ces espérances (^). Ce ne sont pas
seulement les tribus pauvres, mais les plus florissantes confédérations
nomades, les riches et puissants groupes de Gatafàn, de Ta>'y, de
Tamim, aucun ne peut résister à l'obsédante tentation de la razzia.
»yjix. y JLb ! Hésiter entre les deux alternatives, reculer devant l'a-
bus de la force, c'eût été se rendre l'existence impossible dans ce
milieu violent. Même dans la tribu chrétienne de Taglib, le poète
Qotâmï, un Taglibite islamite, n'hésite pas à le proclamer : « Nous
exécutons des razzias contre les étrangers; à leur défaut contre les
clans de Taglib » (^). Hoino Jiomini lupus ! Impossible de traduire
avec plus de cynisme le vieu.x dicton latin.
Voilà où en étaient les respectables sayj^d, les parangons du liihn
en .Arabie, ULjj ,^3, Lv^lii^l «5> C^). Quelles licences ne devaient pas
(') Cf. Yaztd, chap. XIX, 281.
(') Les plus sympathiques représentants de la race s'y livrent : Hâtim Tayy,
'Orwa ibn al-Ward, Bistâm ibn Qais (voir ce nom à Vindex des Nagâ'id Gartr).
(^) Nous renvoyons aux très complets exposés du scoliaste des Nagâ'id Gartr,
édités par le Prof. Bevan.
(■•) Comparez Musil, Arabia Petraea, III, 369 sqq. ; Jaussen, Pays de Moab,
165 sqq.
(^) Cité dans AboQ Tammâm, Hamâsa, E. I, 182.
(«) Hansâ', Divan, 86 d. 1.
16U Répression du bri^îandage
s'accorder les losoûs ('), les irréguliers du désert ? Les récits du Kitâb
al-Agàni sont pleins de leurs néfastes exploits, copieusement exposés
par le complaisant auteur (^). N'appartenant à aucune organisation,
ils devenaient jiratiquement insaisissables. La mise au ban de leur
tribu non seulement avait perdu toute efficacité, mais elle se démon-
trait prescjue nuisible, puisriue leurs victimes perdaient le recours
contre une collectivité responsable.
A Médine les représentants du pouvoir oma\\ade ne se laissè-
rent pas décourager par l'étendue du mal (^). Vaillamment ils s'obsti-
neront à lutter contre l'anarchie. Ils commencèrent par mettre à prix
la tête des brigands arabes. Pour l'exemple, certains furent suspendus
au gibet (*). Contre eux la moindre pénalité était celle décernée par
le Qoran (^) : la perte de la main ! Cette perspective donna à réflé-
chir aux aventuriers.
« Malgré tous ses avantages, s'écriaient-ils, le monde demeure
sans charmes, si notre gauche vient à perdre la droite »,
(') Ils ont leur littérature spéciale, contenue dans les ^a-,aill l iLX^: Vâqoiit, E.
V, 236. Mahomet les lance contre les caravanes qoraisites ; Aboû Voûsof, Harâg, 130,
7 sqq. ; cf. Ziâd ibn Abthi, 3. Les losoûs se comparent à des loups ; voir le morceau
de Sanfarâ, traduit par J. Lyall, JRAS, 1912, p. 144-45.
(-) Ils sont généralement poètes ; Yâqoût, E. \ , 243.
(^) Comme Haggâg ils s'appliquent à « guérir jusqu'à la racine du mal » ;
lftiLi,ii L^b j__j^l'ç!,»_XJj *^\iù.j Ci,\ ^lsiJ.1 ijy \M
Lailâ Ahyalyya citée dans Gâhiz, Mahâsin, 191, 2.
(^) Ag., XI, 96. Brigands emprisonnés; Yâqoiît, E. V, 243. Voir plus loin le
cas de Ga'far fils de 'Olba ; Ag.. XI, 152 ; celui de Qattâl ; Ag., XX, 158-66 ; Yâqoût,
E. VI, 232.
(5) Cf. Fàtjma, 104-105 ; Ibn Mâgâ, Soiian, E. II, 64.
C^) Yâqoût, E. III, 446; Qotaiba, 'Oyoûn, 124, 6-11. Sur cette pénalité voir Aboû
Yoûsof, Harâg, 100 : à quel endroit du bras, il faut couper la main ; 102, haut ; éva-
Les poètes et la paix publique 161
Les hommes d'état omayxades ne s'arrêtèrent pas devant ces
protestations. Parfois plus difficile à écarter était l'intercession des
contribules. Ceux-ci croyaient devoir s'intéresser aux brigands, pré-
cédemment désavoués par eux, dès l'instant que l'autorité s'en oc-
cupait. Comme si cette intervention supérieure constituait un empié-
tement sur leurs droits I Un autre expédient, pour en débarrasser le
pa\"s, consistait à les enrôler, afin de les envoyer combattre aux fron-
tières de l'empire. Leur audace avait cru au point de ne plus même
respecter les caravanes de pèlerins ('). Désormais les tribus auront
à répondre de la sécurité, des biens des voyageurs et des commer-
çants, traversant leur territoire (").
Après les brigands, les poètes devenaient fréquemment une me-
nace pour la paix publique. On exagérera difficilement leur influence
dans cette société illettrée, mais inflammable, où « le moindre geste
prenait d'énormes proportions et causait l'effusion de flots de sang » :
Leurs virulentes attaques allumaient la guerre entre les tribus {').
Celles-ci prirent parfois l'initiative de porter plainte devant l'au-
torité (^). Ici l'intervention du pouvoir devenait plus délicate. 11 ne
pouvait être question de couper le poignet. Quant à la langue, l'opi-
nion publique n'admettait qu'une coupe métaphorique ^^UJJl çki» , à
force d'adresse et de bons traitements. Journalistes de leur siècle, les
poètes réclamèrent incessamment la liberté illimitée de la publicité.
luation du vol, entraînant cette punition ; 106, en cas de récidive, couper la main,
puis le pied, discussions curieuses à ce sujet ; nombreux vols pour lesquels on n'in-
flige pas l'ablation de la main; (on s'ingénie à restreindre la pénalité) 104, 105, 106;
'AU l'applique et suspend la main au cou du voleur, 102-03.
C) Bakrî, Mo'gam, 713, 9-5 d. 1. Toute l'ancienne littérature a poétisé les /ofoôf.-
voir So'arâ' (Cheikho) 885-886. Cette situation compliquait la tâche de l'autorité.
(-) Gâhiz, Bayân, I, 150, 4-5.
(3) Tarafa, (Ahlw.) 53, 2.
(^) Conf. Goldziher, l'introduction au divan de Hotai'a, 16 sqq. ; Naqâ'id Garïr,
609, comment Ziâd traque le dangereux Farazdaq.
(■•) Naqâ'id Garïr. 220-221, 626, d. v., 627, 2; Ag., XI, 96, 128, 132, 147, 149,
152. 173.
Lammens — Berceau II
162 La suppression des mois sacrés
c'est à dire de la satire. Il eût été dangereux de les pousser contre le
gouvernement. Celui-ci réussit pourtant à se faire respecter. Ue
grands poètes, comme Garîr, éprouvaient la plus salutaire terreur
des autorités, j^LkX*JI ^^ La^ ^tJI JLil ^^ ^^ ('). Traqué par l'in-
exorable justicier Ziâd, Farazdaq sent « circuler dans ses veines le feu
de la fièvre de Haibar ou le venin des serpents » :
(") j^^'^'^' j-U-J^l ^5^^ ^ Cj^ Mj; :. < y-s^~^ J ^ •^^^
Le redoutable satiriijue se \it forcé d'errer de tribu en tribu.
Lentement les nomades s'habituèrent à déférer au tribunal de l'état
leurs différends au sujet des eaux et des pâturages (^), à lui aban-
donner le rôle, jadis dévolu aux hakam ou arbitres (*).
Un pouvoir central, supérieur aux tribus, passant par dessus les
say\d et les maglis (^), cette conception nouvelle constituait une in-
novation considérable dans l'organisation sociale des Bédouins. Cette
mission, Mahomet l'avait rêvée pour sa réforme religieuse. Par ail-
leurs on lui découvre des inspirations moins heureuses; et cela en
dépit de ses tendances centralisatrices, malgré l'obligation inscrite
par lui dans le 'ahd ou pacte de Médine de déférer toutes les con-
testations à la barre du Prophète. Son regard ne porta pas assez
loin ; il ne demeura pas suffisamment dégagé de préoccupations per-
sonnelles, de considérations contingentes et transitoires. Ainsi il ima-
gina de supprimer les mois sacrés i^), trêves, périodes d'arrêt salu-
taires dans la vie agitée de la Péninsule. Un législateur avisé aurait
cherché à tirer parti de l'institution, en la développant, en l'entourant
de garanties. La déplorable initiative, prise par Mahomet, a certai-
nement favorisé la désorganisation sociale de l'Arabie ("). Elle a
(') Naqâ'id Gatïr, 32, 2.
(2) Tab., Annales, II, 108.
(^) Najâ'id Garîr, 214. Les Bédouins prennent l'Iiabitude de recourir à l'auto-
rité centrale; Ag:, IV, 134, 7.
(•■) Voir plus loin le rôle des hakam.
(5) Exécutant des travaux d'utilité publique, creusant des puits pour les cara-
vanes ; tel Haggâg ; Vâqoût, E. V, 240.
(«) Qoran, 9, 36, 37.
C) Nôldeke, ZDMG, XLIX, 712; cf. notre République marchande, 12.
Abandon des marchés anciens 163
exercé une influence funeste sur la vie économi(]ue, en délivrant de
toute contrainte les éléments anarchiques. Ainsi l'ancien marche de
'Okâz ne tarda pas à être abandonné. L'insécurité des routes ne
permit plus de fréquenter ces rendez-vous ('), tous situés loin des
centres habités. Pour les atteindre, il fallait traverser le territoire de
tribus hostiles, libres désormais de la légère contrainte des mois sa-
crés. Les auteurs musulmans ont préféré mettre en avant des scru-
pules de conscience. On aurait hésité à se retrouver devant les sou-
venirs de la période préislamique (°). Ces répugnances eussent été
mieux à leur place au pied des fétiches de la Ka'ba, au milieu des
cultes orgiasti( lues de la Mecque, de Safà et de Marwa.
(') Sur leur ancienne importance, voir République marchandi:, loc. cit.
(*) Cf. Bakrî, Mo'gam, 660, d. I., 661, 1; à la 1. 11 on cite une légère variante
qoranique.
VI
Prospérité du i}i^âz sous les Omayyades
Extension des cultures
Ce premier siècle de l'islam nous apparaît comme une des plus
florissantes périodes dans l'histoire du Higâz. Cette province passe pour
la première préfecture de l'empire arabe, réservée de préférence à
un membre de la famille régnante ('). Assurément les souvenirs reli-
gieux et nationaux, la présidence du pèlerinage national, rattaché à
la charge, ont dû contribuer à lui valoir cette prééminence. Mais ces
considérations demeurent impuissantes à tout expliquer. Indépendam-
ment du passé historique et religieux, il faut tenir compte du remar-
quable développement du pavs. Le Higâz devint le séjour des prin-
cipales familles de l'empire, la retraite aristocratique, celle des 'Alides
et des autres familles a}-ant jadis occupé le califat : Bakrides, 'Omari-
des, 'Otmânides, Zobairides, avec leurs nombreux partisans et clients (').
Pendant leur rapide passage au pouvoir, ces groupes n'avaient pas
oublié leurs intérêts privés (^). Le népotisme tient à la nature même
(1) Cf. Mo'âwia. 30-31.
(*) Mo'âwia, passim. Là se trouvent leurs sadaq&t, biens-fonds inaliénables, sorte
de fiefs de famille; YâqoQt, E. V, 180; sadaqàt 'abbâsides; ibid.. Y, 402, 3; domai-
nes 'alides; ibid.. VI, 229.
P) Propriétés considérables d'ibn 'Omar; Aboû Voûsof, Haràg, 55, 5 sqq. Elles
datent du califat de son père; àA^ d'Ibn al-Hanafyya au Higâz; Dînawarï, Ahbâr,
235, 1. Au dedans et autour de Médine, les Omayyades voulaient réserver quelques
espaces libres. Ils se voient débordés par les demandes de concessions ; Yâqoût, E.
VI, 144, 145.
Prospérité des villes du Higâz 165
du peuple arabe, à sa conception spéciale de la cohésion entre pa-
rents et contribules, |<o.yi , comme il aime à s'exprimer. Le favoritisme
du calife 'Otmân ne dépassa pas la limite admise par l'opinion des Bé-
douins. Seule la tradition postérieure a cru devoir le choisir comme
bouc émissaire, afin de voiler des motifs moins avouables, plus com-
promettants pour la réputation des anciens Compagnons du Prophète.
De cette prospérité matérielle, l'Agâni nous fournit la meilleure
preuve, parce qu'indirecte, dans ses notices si vivantes, consacrées
aux poètes et aux artistes de l'époque. Pour ces amuseurs de l'hu-
manité, où trouver place dans les pays en décadence (*) } Les sociétés
appauvries manquent des charmes requis pour les attirer ou les re-
tenir. A ces amateurs il faut les foules, les opulents Mécènes, le spec-
tacle de la richesse, le contact de la vie facile, les douceurs de l'a-
bondance et de la paix. Or, sur aucune autre partie de l'empire
on n'aurait alors trouvé, comme au Higâz, la réunion de tous ces
avantages. Médine et la Mecque sont devenues des centres de plaisir,
des académies de poètes, des conservatoires de musiciens, déversant
leur trop-plein sur les autres provinces du califat (').
Là les membres de l'aristocratie arabe viennent achever leurs
jours et dépenser les fortunes, amassées dans l'exploitation des pro-
vinces conquises ('). A l'e.xpiration de leur mandat, ils reprennent la
route du Higâz — tel .Sa'ïd, fils du calife 'Otmân — « avec de l'argent,
des armes et des esclaves » {*). Ces derniers, ils les emploient de préfé-
rence dans la construction de leurs palais (°). C'est une nouvelle inter-
vention du s\-stème de la liturgie, signalé la première fois, je crois, par
le Prof C. H. Becker ('"'). Elle expli(]ue le disparate des primitifs monu-
ments islamiques. La bâtisse paraît la principale passion des hommes
(') S'ils se déplacent, c'est pour améliorer leur situation. Tel A'sa : JUJ C-^ii> ;
Yâqoût, E. Y, 78.
(-) Cf. iMo'âwia, index s. v. musique.
(3) Vers satiriques à ce propos; Yâqoût, E. V, 73, bas; Ag., XXI, 33.
(<) .xi^\ ^^ l,x^ cJ^^S C-^.? ^^' '*-^.'^' ("^ '' ^^^■' f' '^■
(5) Yâqoût, E. VI, 186, haut. Nombreux çasr dans le wâdi 'Aqïq. Eau et çasr ;
ibid.,V, 83, 3 d. I. ; qasr à Qobâ (vers de Ahwas) ; Bakrî, Mo'gam, 72.J, 3 d. 1. ; autre
dans la harra Wâqim ; Balàdorî, Fotoùh, 14, d. 1.; Yâqoût, E. VI, 144-145.
C) Cf. E. Herzfeld, Die Genesis der islamisc/ieti Kunst, dans hlam, I, 60 sqq.
166 Extension de l'oasis médinoise
du jour. Elle marche de pair avec l'engoûment pour les défrichements
et les plantations. Aussi, en même temps que les artistes, voit-on af-
fluer les entrepreneurs, les ingénieurs agricoles et hydrographes. On
construit des mosquées monumentales, on creuse des puits, des ca-
naux ('), on élève des barrages, on amène les eaux, captées dans les
montagnes. Un gouverneur oma}3ade se permet d'établir la supério-
rité des nouvelles installations sur le liquide nauséabond, débité jusque-
là par le [uiits de Zamzam (•).
Les limites de l'oasis de Médine s'élargissent et englobent les
harras (^) voisines ; la longue vallée du 'Aqiq (^) se remplit de \illas
et de châteaux. Bientôt, l'espace faisant défaut, les constructions en\a-
hissent les autres affluents du Idam. Vers l'occident les défrichements,
la mise en valeur des terres vont rejoindre les oasis de Badr et de
Safrâ' ; au septentrion ils touchent presque aux premières palmeraies
de Wâdi'l Qorâ. Nous avons montré précédemment les heureux chan-
gements, survenus entre Médine et la Mecque, et dans les environs
de cette dernière métropole (')• Les propriétaires de ces lieux de
plaisance, de ces domaines auraient été fort étonnés d'apprendre que
le Higâz traversait alors une crise économique, la dernière et la plus
aigiie de ses crises séculaires. Ils auraient sans doute pensé à une
crise d'abondance ("). A Marwân ibn al-Hakam, les terres de Fadak
rapportaient annuellement la somme de 10,000 dinars ("). De ses pro-
(') ç^ , , canal d'arrosage à Médine; Moslim, Sahlh-, II, 34, 6.
(■-) Ibn alAtïr, Kâmil, E. IV, 220 ; renseignement contesté par 'Aini, (ms. B.
Kh.) sub anno 89.
(') Domaines et cours d'eau pour l'arrosage, r; y^ ■ ^y^^ dans la harra ; Balâdorî,
Fototth, 8, 1. 10 ; 12 ; Yâqoût, E. \', 246, 250. A Médine tous les espaces vides finis-
sent par être concédés ; Yâqoût, VI, 144-145.
(■•) Complètement mis en valeur sous 'Omar ; Aboû Yoûsof, Haràg, 34. Au temps
du calife 'Otmân, tous les wâdis voisins de Médine sont remplis de palmiers ; Bakrî,
Mo'gam, 751.
(5) Voir plus haut. A 'Osfàn, à 'Arafa, à Marr az-Zahrân, on rencontre i^y^
j_yoUJl ^y\yi\ LfJ i-f^- ■ ■ source coulante; AjcoU. à^..f\ Yâqoût, E. V, 78.
(^) Aboû Darr proteste contre l'accumulation de leurs richesses ; Moslim, 5'(iA»i4*,
I, 368. Les rigoristes rapportaient à cette situation le verset du Ooran 9, 34: j^jJ^ÀJI
'èJ^\^ ÇX»,iJl (^^i^. .
(T) I. S. Tabaq., V, 286.
Contre la théorie de l'ensablement 167
priétés du Higâz, Mo'âwia tirait 150,000 charges de dattes et 100,000
sacs de céréales ('). Aussi le calife dans son palais- de Damas envi-
ait-il le sort de l'intendant de ses domaines en ce district. « Heureux
mortel ! s"écriait-il, il passe le printemps à Gadda, l'été à Tâif, l'hiver
à la Mecque ! » (") Un dattier avait fini par \' représenter une valeur
vénale de 1,000 dirhems (').
La mode de la ââdm {*), des villégiatures désertiques, si commune
chez les ()ma\-yades, cadre mal avec rh3pothèse d'un ensablement,
d'un dessèchement progressifs. Jusqu'au sein de la verdo3'ante Damas-
cène, les califes et leurs hommes d'état conservent la nostalgie de la
solitude. Nous dégageons une conclusion non moins favorable de l'ex-
tension des /nmà, activement développés par les califes ("). On \' entre-
tenait des milliers de dromadaires et aussi de chevaux. Les bons pâ-
turages ne manquaient donc pas en Arabie C). L'industrie humaine
avait trouvé mo\"en de fournir au cheval, si difficile à élever au dé-
sert, les fourrages à sa convenance. Certaines de ces réserves pasto-
rales, comme Par\\a et Rabada, mesuraient une superficie de plu-
sieurs centaines de kilomètres carrés. Dans toute la force du terme,
le Higâz était devenue une terre, < dont le corbeau ne s'éloignait
plus » ("), une région où la présence de nombreux troupeaux fournis-
sait à cet oiseau, ami du chameau, une abondante pâture (').
(') Cf. Mo'âwia, 248.
(*) Mo'âwia, 248; Qotaiba', 'Oyoûii, 257, d. 1.; le fils de 'Anirou ibn al-'Àsi,
'Abdallah possède également au Higâz un intendant ^^Lc.^ et de nonibreu.x escla-
ves; Moslini, Sahïh, I, 369, 2 d. 1.
Pj Ibn al-Gauzî, Safwat as-Sa/wa (m. B. Kh.) I, 178; cf. \'a'qôubï, Hist., 11,
278; Mo'âwia, 246-47.
(*) Cf. notre Bàdia, 93 sqq. Eloge de Himâ Daryya, pas de fièvre ! Douceur
de ses eaux! Gâhiz, Mahâsin, 119. Adam a été créé du limon de Daryya; I. S. 7a-
bag., Ji, 6. 1. 7.
p) Cf. Bakri, Mo'gam, 626; Yâqoùt, E. IV, 372, 8. Voir plus haut.
(^) D'après le calife 'Omar, le Higâz ne convient qu'à des bergers; Ibn Haldoûn,
Prolégomènes, I, 303. On mentionne des provisions de paille à Médina; I. S. Tabaq.,
II', 20, 20.
C) Bakri, Mo'gam, 676.
(8) Comp. A. Musil, Arabia Peiraea, 111, 19, 200; il abonde dans le voisinage
des grands troupeaux de chameaux.
168 On vit dans l'abondance
Parallèlement à l'extension des cultures, à la multiplication des
pâturages et des troupeaux, nous voyons le mouvement de la popu-
lation suivre la même proportion ascendante (') ; malgré les contin-
gents considérables, fournis aux incessantes guerres de conquêtes. Sans
doute l'importation d'esclaves, de prisonniers (*) contribua pour sa
part à combler les lacunes causées par les levées militaires. Elle permit
d'autre part — nous l'avons noté — grâce à l'introduction d éléments
étrangers i)lus industrieux, par l'adoption de méthodes nouvelles, de
rompre avec les vieilles traditions, d'entreprendre les grands travaux
de défrichement. Les rédacteurs des Tabaqà^ et des Fotouh en con-
viennent sans détours : « Quand le calife 'Omar vit abonder la main
d'reuvre agricole, il se décida à expulser les Juifs de Haibar » (^). Il
prit la même mesure à l'égard des chrétiens de Nagrân (*). Le dé-
part de ces milliers d'hommes ne paraît pas avoir causé de vides dans
la population de la Péninsule. C'est la situation visée par Ibn Oais
ar-Roqaiyât :
« Ah ! le beau temps, (]uand toute notre nation vivait unie, sans
permettre aux passions (politiques) de diviser ses intérêts 1
Avant que les tribus rivales, en convoitant l'hégémonie de Oo-
rais, ne comblent de joie nos ennemis 1 » (^)
Tout ce monde semble vivre dans l'abondance et non plus seule-
ment dans l'abondance des temps anciens, celle des ^'>'^^\ , l'eau et
les dattes i^). La population du Higâz se montre avide de jouissan-
ces, de tous les raffinements de la civilisation : jouissances des arts,
luxe des installations balnéaires, des palais ornés de fresques ("). Elle
{') Médine prend l'extension d'une capitale ; un peu partout surgissent des do Ji
Àjixi^. ; des villes, comme Yanbo', centre des 'Alides ; voii plus haut ; AWi* ^ij*
dans la région de Foro' ; Yâqoût, E. V, 78 ; villages avec f. ,li-« ; palmeraies et sour-
ces ; ibid., V, 252 ; grand village avec minbàr au pays de Daus ; ibid., III, 12, bas.
(2) Comp. Ag., XIV, 85 ; Naqà'id Garlr, 384, 5.
(3) I. S. Tabaq., Il', 83, 1.
(<) Cf. Yazîd, chap. XXII.
p) Divan, XXXIX, 9-10.
(6) I. S. Tabaq., I', 3; ou du lait et des dattes; Hotai'a, Divan, V, v. 10.
C) Nous le montrerons en publiant notre communication au 3' congrès archéo-
logique de Rome (Oct. 1912): Les arts figurés au premier siècle de l'hégire.
Bâtisses et canaux 169
réclame des mosaïques, jusque dans ses mos(]uées de Médine et de
la Mecque. Les Omayyades construisent des- routes pour les pèlerins
et les jalonnent de pierres milliaires, à l'instar des anciennes voies
romaines (').
Cette évolution, toutes -ces exhibitions d'un luxe insolent causè-
rent un véritable scandale parmi les vieux Compagnons survivants
de Mahomet. Ils comparaient les privations du passé avec les prodi-
galités de l'heure présente. Bâtisses, plantations 1 Le Prophète n'avait
pas laissé cet exemple. « f-^^r^ Ju^jI jll ; je n'ai pas été envoyé pour
planter » ('), aurait-il dit. N'avait il pas protesté contre l'acquisition
des domaines, Aj«.~«ill Uii^N) r (^) A ces dictons, à ces traditions la nou-
velle génération en opposait d'autres, plus en harmonie avec les ten-
dances de l'époque. L'auteur du Qoran aurait (]ualifié de mart\T le
propriétaire, mort en défendant ses terres {*).
Quand après la défaite des Marwânides, les \A.bbâsides pénétrè-
rent à la Mecque, ils déclarèrent gravement dans la chaire de la grande
mosquée: « Nous n'avons pas pris les armes pour recommencer au
milieu de vous à creuser des canaux et à construire des châteaux,
IJI.0S ^ i^s^-^h^ "^ i \'x^ f-:? y^-^ ' (^)- Les bâtisses, les travaux
hydrographiques 1 Pour désigner le régime des Oma3yades au Higâz
— car il s'agit de cette province — leurs ennemis ne trouvaient pas
de caractéristiques mieux appropriées. Cette période ils la déclarèrent
close pour l'Arabie. Aucune promesse ne devait être mieux tenue.
(*) Yâqoût, E. I, 26, 7. Il est fait allusion à ces milliaires, dans un vers des
Naqâ'id Garîr, 293, 3 v., variante JU/cl au lieu de JLÏUl ; voir le scolion sur ce
vers; Ibn Rosteli, Géogr. 56, 10. Comp. Yâqont, VI, 265, 6 d. 1.
(*) I. S. Jabaq., I', 65; Nasal, Sonan, E. II, 258. Mahomet loue l'agriculture ;
Yâqoût, E. V, 99, 3-4.
(3) Hanbal, Mosnad, I, 443; cf. Moslini, SahïhK I, 457; Tirmidî, Sahth. I, 260;
Mo'âu-ia, 238.
(') Mo'âwia, 242; Osd, II, 307; Bojiârï, Sahlh, (Kr.) 11, 108, n. 33: ^^Ji v_jb
<*JUe j^5> JJii" ; Moslim, Sahïh^, I, 50; Tirmidî, Sahlh, I, 266; Hanbal, Mosnad, I,
79, 188-89 ; II, 310. On a étendu le privilège à tous les assassinés ; cf. Mo'âivia, 242 ;
n. 3; Bohârî, Sahth, (Kr.) II, 209, 6; ainsi le fils du calife 'Otmân (voir plus haut)
assassiné par les Sogdiens ; Ag., II, 85.
(■>) Gâhiz, Bayàn, I, 127.
170 Mahomet et ragriculture
Impossible d'assumer plus franchement devant l'histoire la responsa-
bilité pour la décadence de la Péninsule! (')
A vrai dire, le nom du Prophète se trouvait fort mal à propos
mêlé à cette discussion. Mahomet n'avait jamais négligé à ce point
les intérêts de sa liste civile et de ses domaines médinois (■). Il n'en
est (}ue plus remarquable de voir ce thème revenir avec persistance
dans les lamentations de cette époque (^). Sans cesse l'opposition
reproche aux Omayyades leur politiciue agraire, la préoccupation d'ar-
rondir leurs possessions domaniales. Or ces princes étaient, nous le
savons, grands propriétaires fonciers au Higâz. Ils accordèrent toujours
le meilleur de leur attention à cette province, berceau de la religion,
de l'empire arabe et de leur famille. D'autre part le changement
opéré en un demi-siècle de ce régime avait été si brusque, que les
rares survivants parmi les contemporains de l'hégire 3' perdirent la
notion de la réalité. Les résultats ne se montrèrent pas moins surpre-
nants. Les palmeraies, \'endues des centaines de mille dirhems, devaient
être extraordinairement productives (*) pour atteindre ces prix, le sol
posséder une incomparable fécondité.
(') Ils profitent des révoltes pour dévaster, détruire établissements et plantations
de leurs ennemis ; Vâqoût, E. V, 180.
(2) Fâiima, l^-l'i ; 112.
(3) Cf. Mo'àwia, 238 ; Ziâd ihn Abthi, 65 sqq.
(■■) Maqdisï, Géogr., 67, 13, vante pour son temps la fécondité de l'Arabie
abondance des eau.x d'arrosage ; Aboû Yoûsof, Harâg, 55, 5 sqq.
vu
Môme sujet. Explication de l'expansion et des conquêtes arabes.
Le facteur économique. Un climat rigoureux peut être amé=
lioré. Les 'Abbâsides et la décadence de l'Arabie
Ici encore la poésie contemporaine vient nous rassurer contre la
possibilité d'une erreur de perspective. Ce danger est-il vraiment à
craindre, quand nous disposons de l'énorme dossier, recueilli par l'au-
teur de \'A,^àui et les collections similaires. Les So'oùb3\a ont chargé,
comme à plaisir, le tableau de la misère des Bédouins (') et de la
désolation de l'Arabie; ils ont assombri toutes les couleurs (-). Tout
en admirant sincèrement ses ancêtres, Aboù'l Farag ne songe pas à
polémiquer avec ces adversaires de la nationalité et de la suprématie
arabes. Il se contente de nous introduire dans la société des artistes,
musiciens et poètes, auxquels il a consacré son recueil. Les charmes
de leur compagnie l'amènent à oublier toute autre préoccupation. Nous
ne possédons plus les productions musicales de ces anciens maîtres,
ro3-alement récompensés par les puissants du jour et s'obstinant à
demeurer au Higâz, malgré les pressantes invitations des califes s>Tiens.
Cj Ils sont dévorés par la vermine ; A. Tamniâm, //a«/â5a, (Fr.), 633, 3 v. ; Ha-
mîs. II, 42; Ag., XXI, 195, 1, 19; Gâhiz, Mahàsin, 81, 13; I. S. Tabaq., IIH, 72,
13, 17, 20. Ils meurent de faim; Gâhiz, Mahàsin, 119, 10; Bohâri, (Kr.) II. 292, d.
1.; 337, 6, 10; I. S. Tabaq.. III', 223, 21.
(^ Gâhiz, Avares, 252, 11 ; 263, 11; Gâhiz, Bayàn, II, 9-10; Mo'âwia, index s.
V. Bédouins. Sur les So'oûbyya, cf. Goldziher, M. S.. I, 147 sqq; Mo'âwia, 356, note ;
424, 429; ils détestent le chameau; ibid., 429, note.
172 I-a nostalgie du désert
Mais les poésies, embellies par l'art des musiciens, nous sont restées.
Le ton en est d'une gaieté (') exubérante : elles célèbrent le vin, l'amour,
le bonheur de vivre dans le cadre id\lli(]ue des oasis, des himâs et
des âàiiias arabes. Quand parmi les familles oma3yades, fixées au
Hig'âz, les discordes civiles forcent des membres à émigrer en S\Tie,
ces hommes s'\- considèrent comme en exil (■). Ils pleurent au sou-
venir de Médine:
« Des châteaux, ornés de fresques, avec leurs donjons élevés, où
roucoulent les tourterelles >.
A fortiori faut-il s'attendre à retrouver ces accents chez les Bé-
douins. A l'étranger ils soupirent après leur désert {*). Ils le regret-
tent pendant leur séjour à la Mecque et au sein de la plus généreuse
hospitalité. Tel Aboû't-Tamahân:
« Ma chamelle a soupiré et son maître l'a imité. Elle se rappelle
sa patrie et moi je songe au.x miens.
Que ne connaît-elle les spéculations commerciales (^) I Elle pren-
drait plaisir à la Mecque d'échanger Xidhir (*) contre son fourrage
favori, le hamd ».
(M Comp. Ibn Qais ar-Roqaiyât, Divan, XXXIX, 9-10.
(-) Après son expulsion de Médine, le premier mouvement de Marwân ibn al-
Hakam sera de rentrer au Higâz, malgré le triomphe d'Ibn Zobair. Pour le retenir
il faudra toute l'éloquence de 'Obaidallah fils de Ziâd. Cf. F. Buhl, Die Krisis der
Ufnajjadenherschaft iin Jahre 6S4, dans Zeits. f. Assyr., XXVII, 50-64.
(3) Ag., I, 15.
(1) Yâqoût, E. 1, 85; III, 260, 272, 347, 348; V, 144-45; 181; 231; 235; 250;
272; 309; 339; 343; VI, 83. Bakrî, Mo'gam, 459.
(=) Allusion aux goûts mercantiles des Qoraisites ; cf. notre République marchande,
passim.
('■) Cf. Balâdori, Fototih, 42-43. Voir plus haut. C'était une plante, spéciale
au territoire de la Mecque ; Yâqoût, E. V, 224 (vers attribués au nègre Bilâl).
(^) De t^\ .
(8) Ag., XI, 134.
Les charmes du Nagd 173
Cette nostalgie du désert domine toute l'ancienne littérature arabe.
Ici encore il sera prudent d'assigner une part au convenu, à la t\ran-
nie des anciens modèles. Aux environs de l'hégire la poésie arabe
commence déjà à se hicratiscr : elle connaît un moule et des poncifs
obligatoires. Mais jusque derrière ces formes conventionnelles se cache
un sentiment réel. Nous l'avons jadis signalé chez le poète Ahtal (').
On le retrouve chez les rimeurs attirés à la cour de Damas ("). Ahtal,
le chantre des Omayyades, comblé de faveurs par le calife, une fois
sa cour faite, ne trouvait rien de plus pressé que de rejoindre ses
contribules au nord des steppes de la Palm\Tène.
La majorité des poètes préislamiques, étant originaires du centre
de l'Arabie, le Nagd (^) a naturellement bénéficié des descriptions
enthousiastes, célébrant les charmes et le climat de cette région. Leurs
auteurs déclarent préférer mourir de faim plutôt que de quitter leur
patrie, le N^agd et le Himâ Par\\-a (■*). Aussi dans la littérature posté-
rieure est-il devenu, comme un topique, d'éprouver et d'exprimer les
mêmes impressions. Tous les vo\ageurs, tous les géographes croient
devoir composer un paragraphe pour vanter la salubrité, les avantages
de cette région, la constance de sa température en toute saison (").
Les explorateurs européens enregistrent d'ailleurs le même témoi-
gnage.
Exagérations de dilettanti! Tant qu'on voudra! Désir d'étaler sa
familiarité avec l'ancienne poésie — devenue de bonne heure une
jouissance d'esthète — atavisme, retrouvant du charme dans le pa3"s
des ancêtres ! Tous ces sentiments peuvent avoir inspiré ces élucubra-
(') Cf. Chantre, 154-55.
('^) Aucun ne consent à s'y fi.xer, malgré les instances des Omayyades. Souvent
leurs gratifications doivent aller les chercher au désert. Cf. Chantre, 51-52. Comment
concilier cette situation avec l'hypothèse de la misère, chassant les Arabes de leur pays?
f) Cf. Caetani, Sliidi, I, 304.
(■•) Aboû Tammâm, Hamâsa, E, 1, 148 ; Bakrî, Mo'gam, 626-39 ; Yâqout, E. IV,
373; V, 83; on regrette surtout les eaux du Nagd; Gâhiz, Mahâsiti, 119. Pour
Himâ Darj'j'a voir plus haut, passhn. Endroit le plus salubre du Nagd ; Yâqout, E.
V, 260 d. 1.
(^) Ibn Gobair, Travels-, 203-204 ; Ibn Batoûta, Voyages, I, 408, lequel pille
outrageusement son devancier.
174 La faim a chassé les Bédouins iKi désert
tions. Mais cette explication ne f)eut convenir aux poètes, antérieurs
à l'hégire, à leurs successeurs du premier siècle, ayant célébré avec
tant de ferveur leur patrie. Une race à son déclin, obsédée par les
lugubres images de la destruction physique, luttant péniblement con-
tre l'envahissement des sables n'inventerait pas ces accents. Des nau-
fragés ne chantent pas sur le radeau les séparant de l'abîme ('). Stoï-
cisme, insouciance, comment l'appeler- 11 n'y a pas d'exemple d'une
pareille fiction littéraire, d'un chauvinisme aussi héroïque, exaltant le
bonheur de vivre au milieu des affres de l'agonie. Dans cette dernière
h\-pothèse on devrait pouvoir surprendre des voix discordantes. L'in-
dividualisme bédouin ne redoutait pas de se singulariser, de rompre
en visière avec les idées reçues. Dans la défiance, manifestée par le
Ooran à l'égard des poètes, on retrouve la rancune, la protestation
contre leurs allures indépendantes.
Après la mort de Mahomet, la faim a chassé les Bédouins de leurs
déserts ("). Cette formule demande à être appréciée à sa juste valeur.
Elle constate que le nomade n'a jamais renoncé à l'espoir d'améliorer
son sort ; qu'il demeure un incorrigible pillard, décidé à récolter là,
où il n'a pas semé ('). Ce programme, les Bédouins de l'intérieur de
la Péninsule l'ont toujours mis en pratique aux dépens des palmeraies
et des oasis (■*), situées dans leur voisinage, comme les tribus de la
périphérie n'avaient jamais cessé d'empiéter sur les frontières, les sé-
parant des pa\'s de culture (^). On peut poursuivre la série de ces
(') Comme on le raconte des naufragés du Titanic.
(-) Parmi les conquérants beaucoup n'ont pas d'habit de rechange ; Michel le
Syrien, Chronique, (éd. Chabot), II, 421-422. Parmi eux certains ressemblaient à ce
Bédouin, dépeint par Qotaiba, Poesis, 361, 8 : àJ^^ j_^ ■UJ'^ ^.>.».».".i ^^ LoJ ^^^ .
(^) De nos jours encore il s'arroge des droits de propriété sur les terres cultivées
dans son voisinage ; Auler Pascha, Die Hedschasbahn, W.
(*) Malgré le prestige de Mahomet et l'établissement du haram de Médine, les
Bédouins ne cesseront de piller l'oasis et d'enlever les troupeaux du Prophète ; Yâ-
qoût, E. V, 90; I. S. Tabaq., II'. .52.
(^) Comp. l'exemple des Banou Godâm ; Yazld, 282.
L'islam réunit les Arabes 175
empiétements pour le moins depuis l'époque d'Hammourabbi. Tout
devait engager les Arabes à \- persévérer. En cas d'échec, il leur
suffisait de regagner leurs déserts, où personne ne songerait à les
poursuivre. Dans cette vie mouvementée, l'hégire allait marquer une
date importante. La révolution religieuse devait profondément boule-
verser les conditions d'existence de l'Arabie occidentale.
Le Qoran travailla à réunir les tribus du Higâz. La prédication
de Mahomet réussit à mettre sur jned une armée, la plus nombreuse,
la plus disciplinée qu'on eût vue jusque-là dans la Péninsule. Cette
force ne pouvait longtemps demeurer sans emploi ('). Par ailleurs
l'islam, en imposant la paix entre les tribus, ralliées à la nouvelle
religion (') ou simplement à l'état médinois en formation, — le tcilïf
al-qoloûb poursuivait ce dernier objectif — l'islam allait fermer toute
issue à l'inquiète activité des nomades. Il prétendit supprimer, à tout
le moins limiter, le droit de razzia (^), placé à la base de cette so-
ciété patriarcalement anarchique. Il fallait s'attendre à voir le torrent,
momentanément endigué, déborder sur les régions frontières.
Que Mahomet ait assigné ce but à leurs efforts r II devient diffi-
cile de défendre cette thèse, trop facilement acceptée jusqu'ici. L'une
après l'autre croulent les théories, échafaudées pour explitjuer les
origines du mouvement islamique par la mégalomanie des rédacteurs
de la Sira (*). Le dramaturge H. de Bornier (") s'en est inspiré,
lorsqu'il nous présente le Prophète gourmandant ses fidèles trem-
blants à l'approche présumée des B^^zantins C') :
Les Romains près de nous ? — Je les trouvais trop loin !
Toute guerre me plaît, qui mettra moins d'espace
Entre nous et ces fils de la louve rapace.
{') Voir Caetani, Studi, I, La psicologia délie grandi vittorie musulmane, 338 sqq.
(2; Les chefs puissants, comme 'Oyaina ibn Hisn, continueront leurs razzias;
Nagà'id Garïr, 302, lô.
P) Le signe de la décrépitude physique c'est ^ iàJl iJ y ; Naqaid Garïr, 657, 11.
Le généreux Hàtim at-Tayy subordonne ses paiements au succès de la prochaine
THzzin; il s'acquittera k.liJl Jjti ; Gâhiz, Mahâsin, 81.
(^) Désireux de fournir une base historique à l'universalité de l'islam.
(S) Mahomet, IH, se. 5.
(') Comment le hadït lui fait prédire le siège de Constantinople ; Mo'âxvia, 444.
176 Mahomet et les conquêtes extérieures
Nos autres ennemis : Persans, Egjptiens,
Leur sort était fixé dans mes projets anciens.
Je vois mieux sous le ciel que Médine et la Mecque,
Je vois la péninsule italique et la grecque.
Je vois Rome, ouverte après quelques combats,
Constantinople, clé de l'Europe là-bas,
Puis l'Espagne qu'un double océan enveloppe,
Et puis les profondeurs obscures de l'Europe !
C'est là qu'il faut aller, c'est là que nous irons !
Battre ces froides mers de nos fiers avirons.
A nos chevaux guerriers ouvrir ce monde immense.
C'est l'œuvre de l'islam, c'est moi qui la commence.
La tirade est éloquente, mais on la concevrait à peine sur les
lèvres du calife Mo'âwia ('). En réalité le Prophète est mort sans
avoir regardé au-delà des limites de l'Arabie. Au besoin les pointes
rapides, poussées par lui dans le Nord du Higâz auraient suffi pour
calmer l'ardeur de ses velléités conquérantes ("), s'il en avait nourri
de ce côté. Toutes ces tentatives se terminèrent par des désastres,
comme Moûta (^), ou se limitèrent à la levée d'une contribution de
guerre ; ce fut le cas de l'expédition de Tabouk. Mahomet jugea
prudent de ne pas dépasser cette limite {*). Dans rh\pothèse d'un
meilleur succès, il eût probablement poussé plus loin, pour razzier et
rançonner les districts du /unes, situés au delà de Adroh et de Gar-
bâ'. L'expédition de Osâma ibn Zaid. organisée au moment de sa
mort, se borna à un j'aie/ rapide, qu'il ne put sans doute refuser à
l'impatience des siens, réduits à l'inaction, depuis Taboûk (').
Aboû Bakr — afhrme-t-on — lança les siens sur la S} rie, afin de
(') Au moment d'envoj-er son fils Yazïd au siège de Constantinople! Cf. Mo'âwia,
442 sqq.
(3) Cf. Yazïd; chap. XIX.
P) Le récit traditionnel de cette journée doit être remis à l'étude. La Stra l'a
utilisé pour arranger une fin honorable à Ga'far at-Tayyâr, par ailleurs complètement
inconnu. On voulait également préparer le lecteur aux exploits futurs de Hàlid ibn
al-Walid.
(^) Considérée comme la frontière du Higâz. Il est remarquable qu'on ne peut
prouver la présence de Mahomet en dehors de cette province, même du côté du Nagd.
(5) Cf. Yaztd. loc. cit.
Le climat du désert peut être amélioré 177
produire une heureuse diversion, après la crise de la ridda! Cette
diversion, très réelle d'ailleurs, fut déterminée par une suite de cir-
constances, indépendantes de la volonté du premier calife. L'histoire
des conquêtes mieux connues (') montre comment les deux premiers
successeurs de Mahomet reproduisirent dans leur attitude les hésita-
tions du Prophète (^). S'ils interviennent alors, c'est pour restreindre
le mouvement d'expansion. Ils l'auraient dirigé, assurait-on : en réalité,
ils le subirent. Leur prudence se trouva débordée par l'ambition, sou-
vent par l'imprévoyance, par l'impéritie de leurs auxiliaires. Bédouins,
capitaines, califes furent menés par les événements. Tout leur réussit,
ius(]u"à leurs échecs ; ces derniers en les obligeant à renforcer les
anciens cadres et à chercher l'occasion d'une revanche.
Ensablement, dessèchement, évolution cosmique et climatologi-
que .- A notre avis, l'expansion islamique comporte une explication
encore plus terre-à-terre. Elle est née de l'irrésistible penchant à la
razzia, animant tous les Arabes. Le succès de ces incursions tumul-
tueuses, dû à une meilleure organisation militaire, leur a suggéré tar-
divement l'idée d'occupation et de conquête, idée absente au début.
Le Prof Walther (^) demeure persuadé de la possibilité d'amé-
liorer le climat et le sort des contrées désertiques : « Avec la parole
magique irrigatioti la jeune Amérique restitue aux bénédictions de
la culture d'immenses étendues stériles. Au moyen de gigantesques
travaux d'irrigation, la Russie métamorphose en un fertile jardin la
(') Surtout depuis les travaux du Pr. Caetani. Ce n'est pas un mince éloge d'a-
voir pu entièrement renouveler la matière, après les études du regretté de Goeje.
(-) 'Omar recueillit le bénéfice des heureuses imprudences, commises sous Aboû
Bakr. En ce sens la Tradition a raison de lui attribuer le mérite des conquêtes. Il
se vit entraîné à soutenir militairement les bandes de pillards, partis sous son prédé-
cesseur.
(3) Wûstenbildung , 73, Rappelons l'extension du système d'irrigation en Egypte,
depuis l'établissement des barrages d'Aswân.
Lammens — Btrctau '2
178 Ce que l'Arabie doit aux Omayyades
désolée Transcaspie Il suffit d'une certaine quantité d"eau pour
faire produire à ces terres vierges les plus riches moissons » (').
Nous avons également affirmé notre confiance dans le rôle réservé
à l'activité humaine pour transformer les terres désertiques. Il est donc
permis de mentionner « les modifications, produites par les forces en
activité dans le désert, mais sans toutefois amener un changement de
climat » (^). Ces agents de destruction, nous les avons signalés plus
haut. Leur action se réduit à un excès de minéralisation, compro-
mettant le développement de la vie végétale. Le désert est la
création de cette salinité e.xagérée. Nous avons de même énuméré les
forces agissant en sens contraire, et réussissant avec des alternatives
diverses à rétablir l'équilibre vital. L'histoire climatologique de la Pé-
ninsule se résume dans la lutte de ces éléments opposés. Il appar-
tient à l'homme de promouvoir l'action des forces conservatrices.
Combien en ce domaine son action peut être féconde, nous pensons
l'avoir montré plus haut.
A la gloire des Oma\\ades Ibn Qais ar-Roqa^yât a consacré le
vers suivant Ç^) :
« Pépinière de rois, seuls ils s'entendent à réaliser le bonheur
des Arabes »,
Toute l'histoire de la dynastie omay^-ade prouve la vérité de cette
affirmation. Elle fut par excellence la dynastie arabe, das arabische
Reich ! Ces souverains n'ont pas seulement attesté leur habileté dans
le gouvernement des nomades ; mais la Péninsule, le Hii^âz en par-
ticulier, leur doivent les plus enviables bénédictions, la preuve tangi-
ble des ressources, cachées dans les entrailles de cette terre. Elle suc-
combait sous les rigueurs du climat, non moins peut-être sous l'aban-
don, où la laissaient ses populations fatalistes, mal préparées par des
(') Abondance des eaux d'arrosage; Aboû ^'oûsof, Harâg, 55, 5 sqq. Cf. Auler
Pascha, Die Hedschasbahu, II, chap. III, Wasserversorgung , p. 55 sqq.
(■-) Walther, op. cit., 289.
(^) Au sortir des longues guerres civiles, consécutives à la chute des Sofiânides.
Le poète parle d'expérience !
(■*) Ibn Qais ar-Roqayyât, Divan, 1, 35.
Travaux du calife Mo'awia 179
siècles de liberté anarchique à la lutte contre les éléments hostiles.
« Le sûï/, l'inondation apporte la bénédiction I » chantait le poète Ho-
tai'a ('), un des moins sympathiques représentants de l'individualisme
bédouin. Rien de plus exact. La climatologie ne pourrait mieux dire !
Périodiquement les trombes d'eau, les inondations (^) doivent débar-
rasser la steppe arabique de ses efflorescences salines ('), de la gaine
minérale, sous lesquelles elle étouffe. La tâche n'est pas facile. Cer-
taines sabaha — nommons celle de 'Orâ'ir — < demeurent infécondes,
même après avoir été lavées par six mois de pluies ininterrompues »
Les califes de Damas assumèrent la mission d'assurer à leur pa-
trie d'origine le bénéfice d'une inondation disciplinée, régularisée. Ils
créèrent l'arrosage artificiel (^), pour suppléer aux caprices, à l'insuf-
fisance des eaux météoriques. Dans notre Mo'ànna (242-43), nous avons
donné l'esquisse de ces efforts, remarquables pour le pays et l'époque,
où ils furent tentés. Ces travaux permirent aux croyants dans les \'il-
les saintes d'accomplir les cinq lotions quotidiennes, introduites après
la mort de Mahomet par l'évolution rituelle. Le premier calife sofiâ-
nide ne recula pas devant d'énormes dépenses pour creuser des puits,
établir des jardins à 'Arafa et jusque dans la stérile banlieue de la
Mecque (^). Il \- éleva des digues contre les inondations soudaines,
causées par les trombes hivernales, il construisit des fontaines avec
des réservoirs pour arroser les propriétés voisines ("). Ces mesures
(') Divan, III, 7 ; ou plutôt c'est le scoliaste, interprétant Hotai'a, comme suit :
^ jjc ftU. <Ov^ ils. \'>\ .
(-) Balâdorî, Foioûh, 11, 3; digues, barrages; ibid. 11.
(^) Les sabaha, empiétant sur le domaine des oasis, comme à Médine ; Bakrî,
Mo'gam, 205, 332, 762 ; cf. Yâqoût, E. XT, 132, bas.
(1) Yâqoût, E. VI, 133.
(^) A Médine ^J^ devient fréquemment synonyme de JUo =1 domaine ; cf. Bakrî,
Mo'gam, 624, 4. On commençait par creuser un puits; eau et ydi ; Yâqoût, E. V, 83, 3 d. 1.
(^) Sur la végétation spontanée de ce district, voir Balâdorî, Fotoûh, 44-45.
C) Voir les références dans Mo'âwia, 243. Bohârï, SahVi. (Kr.) Il, 222, 10. Il
est malaisé de décider si les nombreux sadd ou sodd désignent un barrage pour les
eaux, ou une montagne, barrant la route. Cf. Tûg 'Aroûs, II, 373 ; Gloss. Tabarî,
s. V. .^^ui ; Mo'âwia, 248, n. 5.
180 Même sujet
transformèrent les environs de la Mecque, où, un demi-siècle aupara-
vant, les contemporains de Mahomet trouvaient l'existence insuppor-
table (').
Pour capter les eaux, recueillies sur les flancs abrupts du mont
Ohod, Mo'âwia se vit forcé de pratiquer des tranchées dans le cime-
tière, où la Tradition place les tombes des martyrs de la fameuse
bataille ('"). Cette opération amena leur exhumation sans soulever
d'ailleurs des protestations (^). Mo'awia n'hésite pas davantafje devant
les travaux considérables, nécessités pour amener l'eau des sources,
captées au loin dans les montagnes {*).
Chez les Omayyades, les domaines du Higâz figuraient en tète
de leur liste civile. Tous travaillèrent à les arrondir. Il était interdit
de les aliéner ; à aucun prix ils ne devaient sortir de la famille ré-
gnante (^). Cet attachement aux oasis minuscules, péniblement mises
en valeur, devait contribuer à augmenter la prospérité agricole du
Higâz. Toutes les grandes familles de Qorais, et celles originaires de
Médine, tinrent à honneur de rivaliser avec le souverain pour amé-
liorer les propriétés, situées en cette province. Nous savons comment
elles se virent récompensées. On en trouve la meilleure preuve dans
le prix des terres et l'importance des récoltes, obtenues à cette épo-
que ('). Un gouverneur de ce temps estimait le bénéfice annuel, réa-
(') Ibn Hisâm, Sîra, 188 ; cf. République marchande, 28-29.
C^) Il s'agissait en réalité d'un cimetière de Bédouins, morts de la petite vérole.
Cf. Fathna, index s. v. Ohod; Hanbal, Mosnad, III, 398, 5; Wâqidi (Kr.), 263:
Mo'âwia, 243, n. 4.
(■') Voir pourtant Goldziher, M. S., Il, 314. En réalité la Tradition au sujet des
tombes d'Ohod n'était pas encore formée ; Ibn Hagar, Isâba, E. I, 354. Cette circon-
stance expliquerait l'indifférence des contemporains de Mo'âwia.
(*) Mo'âwia, 248.
(5) On voit un frère du calife et 'Abdallah, fils de 'Amrou ibn al-'Àsi, se disputer
un de ces domaines, les armes à la main; Moslini, Sahîh-, II, 67. Peut-être des ^a-
daqàt, comme c'est le cas pour les 'Alides, Zobairides etc. Pourtant je ne rappelle
aucune mention de sadagàl omayyades au Higâz.
(^) Voir plus haut. Les Zobairides créent des domaines dans la dépression, « wâdi
TaboQk » ; Vâqoût, E. V, 70, 12. Pour les environs de la Mecque, \.^ *p^ C^X^
j_yiUJI JU.0I , (citation dont je ne retrouve plus l'original).
Intervention désastreuse des 'Abbâsides 181
lise par lui dans le seul gouvernement de la Mecque supérieur à la
somme globale de 100,000 dirhems (').
Lavénement des 'Abbâsides ruina toutes ces belles espérances.
Triste exemple de l'influence néfaste, exercée par la politique sur
l'avenir économique d'une région (^). Pour l'Arabie on a trop souvent
négligé ce facteur important. Le triomphe des califes de Bagdad mar-
qua la fin de l'hégémonie arabe et l'apogée de l'activité littéraire des
So'oûbyya, ennemis déclarés de la supériorité politique des conqué-
rants. Pour mieux la battre en brèche, ils se mirent à railler la gros-
sièreté de mœurs, la misère des nomades (') ; ils exagérèrent la déso-
lation physique de l'Arabie. Ces thèmes devinrent à la mode dans
les cercles officiels de Bagdad. Plus funeste pour le pays que ce mou-
vement littéraire fut l'attitude des nouveaux détenteurs du califat.
Ils s'acharnèrent sur les monuments, élevés par leurs rivaux, sur
leurs tombes et, fait plus grave pour le sort économique du Higâz,
sur les œuvres d'art, sur les travaux d'intérêt agricole, exécutés par
les Omay3'ades (*). Ce fut le signal de la longue décadence où cette
province continue à gémir. Les familles dirigeantes, les grandes for-
tunes, les capitaux émigrèrent, laissant derrière elles la ruine et l'a-
narchie. Les barrages cessèrent d'être entretenus ; les puits furent com-
blés; leurs eaux s'évaporèrent et se changèrent en dépôts salins (^).
Le sable envahit les palmeraies, les efflorescences minérales recouvri-
rent la superficie des himà, des pâturages réservés, créés par l'indu-
strieuse sollicitude des anciens califes. Pendant deux ou trois siècles,
(') Cf. Ag.,- m, 103, 4; Mo'âuna, 30, n. 3.
(2) Winckier, iî/i//. vorderasiat. Gesells., 1901, p. 39; Caetani, Studi, I, 316.
P) Voir plus haut. On insiste beaucoup sur les lézards, mangés par les Bédouins;
Yâqoût, E. m. 205, d. 1. Conip. le portrait repoussant, tracé du père du poète Garîr;
Qalqasandî, Sobh, I, 229. La contrepartie; Gâhiz, Mahâsin, 202, sqq.
Cj'Cf. Mo'auiia, 242, n. 3.
(') Peu de puits anciens ; à Mosallal les eau.x ont disparu depuis la période isla-
mique ; Naqâ'id Garîr, 166, 6-8 ; Bakrî, Mo'gam, l'i'), 2 d. 1. j_pjbla. |»J.JJ> tU» ; (ibid.,
764, 5, à propos de Mosallal, il faut lire Moslim ibn 'Oqba au lieu de Moslim ibn
Qotaiba. Il s'agit du terrible vainqueur de la Harra ; cf. Yaztd, chap. XVII). Yâqoût,
E. V, 111 ; autres puits comblés; ibid., V, 357. Comparez à l'époque préislamite le
zèle des principaux Qoraisites pour creuser de nouveaux puits ; Bakri, op. cit., 766.
182 Abandon de l'Arabie
on continua à manifester de l'intérêt pour la route des pèlerinages,
menant de l'Irac] aux villes saintes. Quant au pays lui-même, il avait
perdu son importance aux 3'eux de souverains, tous fils d'esclaves
étrangères, se débattant péniblement contre les maires du palais et
la turbulence des gardes prétoriennes. Désormais dans la lutte contre
l'implacable climat, la Péninsule se trouvera abandonnée à elle-même.
Abandon redoutable! Nous le comprendrons mieux, quand nous
aurons connu de plus près les Bédouins.
III.
LES BÉDOUINS
in
Jugement général sur le Bédouin. Ses qualités morales. Son in=
dividualisme; son courage douteux. La ténacité, sa qualité
maîtresse
Dans les pages précédentes, nous nous sommes attardé à étudier
l'aspect, les conditions ph^-siques de l'Arabie, les ressources offertes
par le pays à l'existence et au développement d'un peuple. 11 est
temps de nous occuper de ce dernier. Après avoir minutieusement
inspecté le domaine, étudions son propriétaire.
Sur un territoire ainsi constitué, végète une population forcé-
ment clairsemée. Elle se divise en deux fractions ; les nomades et les
sédentaires, les Bédouins et les habitants des oasis et des villes. Nous
aurons vite fait d'énumérer les cités du Higâz. On comptait en tout
trois agglomérations urbaines: au Nord JNIédine, au .Sud la Mecque
et non loin de celle-ci vers l'Orient et le Nagd, Tâif, située dans la
chaîne de Sarât (*).
Les Bédouins formaient la grande majorité de la population du
Higâz. A ce titre ils méritent d'attirer les premiers notre attention.
Chez eux le type arabe s'est le mieux conservé. On n'en peut dire
autant des sédentaires. Quoique incessamment renouvelés par les af-
flux du désert, parmi eux les influences et même des infiltrations
(*) Les pages suivantes reproduisent un cours, professé à la Faculté orientale de
l'Université de Beyrouth.
(') Maqdisî, Géogr., 83, bas, proclame, pour son époque, Qorh (centre principal
du Wâdi'l Qorâ) la ville la plus importante du Higâz. Pour la période voisine de
l'hégire, rien ne trahit l'existence au Wâdi'l Qorâ d'un centre urbain considérable.
Cfr. Vâqoût, L. VU, 48-49, te.xtes anciens relatifs à Qorh ; Bakrï, op. cit. 736.
186 Intelligence du Bédouin
étrangères sont indéniables. La Mec(iue était un centre cosmopolite ('),
Médine fortement judaïsée. Rien de pareil cliez les Bédouins, protégés
par leur isolement contre l'envahissement des mœurs du dehors.
Que penser de l'Arabe .' Quel jugement porter sur l'habitant des
mystérieuses solitudes de l'Asie Antérieure } Comment ce peuple, la
veille inconnu du vieux monde, fut-il amené à une brusque entrée en
scène sur le théâtre de l'histoire.' Il s'agit d'énumérer, de préciser
les causes qui le préparèrent à être le créateur, le propagandiste
armé du monothéisme le plus récent ; ^^i—'i)! sîu , la matière de l'islam ('),
selon une expression, attribuée au calife 'Omar.
L'Arabe est un peuple éminemment ouvert (^). Même rencontré
pour la première fois, le Bédouin, malgré ses dehors frustes, ne peut
être confondu avec un barbare. Son attitude décidée, l'a propos, la
finesse de ses répliques, l'aisance, avec lesquelles il accueille l'étranger,
produiraient bien plutôt l'impression de quelque gentilhomme déchu,
d'un descendant attardé des patriarches bibliques. Tout chez ce gueux
complète l'illusion, jusqu'à ses dehors solennels, et ses haillons dé-
coratifs. Placé dans des conditions favorables, il est en mesure de
s'assimiler nos progrès les plus raffinés. Il fournira des d\nasties à
la Babvlonie, un législateur comme Hammourabbi ; à Rome un em-
pereur, Philippe l'Arabe, des adversaires aussi redoutables que Zé-
nobie, un moment maîtresse de l'Orient. Il élèvera les monuments de
PalmjTe et de Pétra et concentrera entre ses mains le commerce de
l'Asie Antérieure. Cet illettré aime et cultive passionnément une poésie,
à la facture savante, aux formes archaïques, riche d'expressions sen-
tentieuses plus que d'idées, ne manquant d'ailleurs ni d'harmonie, ni de
(') Cfr. notre Répîiblique marchande.
{*) s>Ui signifie aussi secours, réservées, comme JiXc ; 'Omar a pu viser cette
dernière signification. Les citadins de Médine lui ont fait proclamer que les Bédouins
constituent les réserves armées de l'islam.
(5) Doughty, Travels, II, 32, 89 les trouve fins politiques ; Comp. A. Musil, .-ira-
bia Petraea, III, 24.
Son individualisme 187
pittoresque, ni surtout d'une étonnante variété de formules. Si la lan-
gue peut être considérée comme reflétant l'image d'un peuple,
l'idiome arabe devrait suffire pour nous interdire de reléguer les Bé-
douins parmi les nations sauvages. Structure grammaticale merveil-
leuse, abondance de formes, opulence étonnante du vocabulaire, voilà
assurément des propriétés philologiques peu communes. Ce sont celles
de l'idiome du désert.
X'enons aux qualités morales ('). Ici une grande réserve s'impose.
Après une longue familiarité avec plusieurs fractions, composant le
peuple arabe, avec sa vaste littérature, je ne me sens pas le courage
de reprendre à mon compte le tableau idyllique, élaboré par certains
orientalistes. Sous l'influence de souvenirs littéraires, il nous arrive
d'emboîter trop facilement le pas derrière ces maîtres. Quand j'aurai
qualifié le Bédouin à' individualiste, j'aurai renfermé en un mot les plus
graves lacunes de son caractère moral. Jamais il n'est parvenu à se
hisser jusqu'à la dignité d'animal social, jroXitixov twov ("). D'où ab-
sence de dévoûment, de sacrifice à l'intérêt commun; tout le cortège
des bienfaisantes vertus sociales : la douceur surtout, l'humanité,
charmes de cette vie terrestre, UioJl is'Uil i^^ (^), lui font défaut.
L'âpre désert, où se dresse sa tente, le force à \'ivre dans l'iso-
lement, lui et les siens. La solitude farouche exaspère son individua-
lisme. Chaque voisin devient pour ainsi dire un rival, venant lui dis-
puter l'eau parcimonieuse du puits et les maigres pâturages, l'herbe
rare, assurant l'existence de son troupeau (^). Situation tendue I In-
cessamment elle ramène la répétition des scènes bibliques de l'épocjuc
(') Pour les pages suivantes, consulter Caetani, Stiidi, pp. 376-400: Le caratte-
risUche principali délia natura araba ; ensemble d'obser\ations très fines; Cl. Huart,
Histoire des Arabes, I, 9-43, sans oublier Goidziher 71/. S., I, passim, auquel il faut
sans cesse se reporter, surtout pp. 1-146.
(^) Comme Tofail ibn 'Àmir, il peut dire : s Juw^l CL"^ ^l^j Jl^^ (Gâhiz,
Mahàsin, 103); le Bédouin recherche d'instinct Visolement. Seule garantie de sa tran-
quillité ; ,1>'>JI (3 Lj^Lo ïî^l (3 '>?)'JiJ Gâhiz, Bayân, I, 176, 14.
(3) Comme s'exprime, en une autre occasion, le Qoran.
{*) Caetani, Siiidî, I, 381-82. Hâtim Tayy prend la place d'un prisonnier, en at-
tendant que ce dernier rapporte la somme, promise par Hâtim; Gâhiz, Mahàsin, 81.
188 Dureté du Bédouin
patriarcale. Moderne Abraham, le cheikh bédouin reprend le geste
de l'oncle de Lot et invite ses parents, ses alliés à s'éloigner à droite
ou à gauche. a**o1^ «àl jr>y : la terre d'Allah est vaste ! (Ooran, i?P, 56;
39, 13).
De l'individualisme le nomade possède tous les défauts et aussi
les douteuses et contestables qualités : la confiance en lui-même, une
sombre résolution, sans oublier l'égoïsme (') et la rapacité. Avec ses
l^oètes, f parmi les bois, il n'estime que les plus noueux, parmi les
oiseaux, le faucon obtient ses préférences :
L'isolement achève d'endurcir son âme, d'émousser sa sensibilité.
Aisément il se laisse entraîner à maltraiter les faibles : les femmes et
les enfants (^). Par contre en exaltant toutes ses facultés natives, en les
tendant au point d'en tirer le maximum d'énergie, en l'obligeant à
compter sur lui seul, la solitude l'a empêché de tomber dans la ba-
nalité, dans la vulgarité, dans la médiocrité enfin. Son stade inférieur
de développement social, sa vie familiale et grégaire ne sauraient
les tolérer. Ainsi le rude climat du désert supprime impitoyablement
les individus mal constitués. Notre civilisation au contraire se montre
accueillante pour les vertus mo}ennes. ^ Elle a créé, dit M. Faguet,
la médiocrité protégée par les lois, vivant en sécurité et s'entrete-
nant à peu de frais, de pensées nobles, de lectures saines, de re-
ligion consolatrice et fortifiante, d'arts aimables et agréablement pué-
(') Comp. cette prière d'un Bédouin contemporain du Prophète : « Allah ! par-
donne-moi et à Mahomet et à personne d'autre; 15.a,.l Ujt^ ^>i>.y 'Va l->^« ,__y^y |«^l.
Hanbal, Mosnad. II, 283, 5. Comp. ibid., II, 503, 9. ^
(-) Ag., XI, 95; comparaison de Hansâ", appliquée à ses deux frères: U-^if U-*5
^^ ^ I ÛC jS ^\X^ \yy^, ^i Divan, 44, 4 ; 88, 3; comp. Gâhiz, Bayait, 11,
37, 9 d. 1. Bois durs; Ibn Qais ar-RoqayySt, Divan, 84, 1, 2. J^y», un arbre sans
épines désigne un objet sans valeur ; Naqâ'id Garîr. 225, 2 v. ; comparaison employée
par Haggag; Gâhiz, Bayân, II, 32; Ag., XX, 18, 9; Bohtorî, Hamâsa, n.»' 639, v. 7.
895, V. 3.
(3) Et aussi les vieillards, parfois abandonnés par les leurs ; cf. Sigistânï, Mo'am-
inaroûn, 33, 37. Voir plus loin.
Le respect de la femme 189
rils » ('). Aucune de ces ressources au désert : point de société, point
d'autorité, veillant sur les droits de l'individu ; en fait de religion, des
terreurs et des pratiques superstitieuses, un fétichisme grossier; nous
le verrons plus tard. Tout un ensemble, étouffant la sève des qua-
lités mitoyennes (-), mais d'alitant plus propice au développement
de l'individualisme et de la personnalité 1
On doit, il est vrai, aux vieux poètes bédouins, ceux d'avant l'is-
lam, la proclamation de certains principes généreux, le rappel à des
mœurs plus humaines. La gara — c'est à dire la femme — à défaut
de ses protecteurs-nés, ils la plaçaient sous la sauvegarde de l'opi-
nion. Modeste éclosion d'un sentiment délicat, contenant en germe la
chevalerie du mo\en-âge, fleur prématurément flétrie par le contact
brutal de l'islam (■'). Trop souvent la pratique venait infliger un dé-
menti retentissant aux généreuses théories des bardes du désert (*).
Elles profitaient tout au plus aux femmes de la tribu, — à l'exclusion
des étrangères — surtout quand leur parenté se trouvait en mesure
de venger le déshonneur. Un fait mérite d'être noté: il possède la
valeur d'un aveu. Le culte, le respect chevaleresques de la femme,
l'opinion bédouine a cru devoir en réser\-er le monopole à la tribu
des Banoû 'Odra ('). Or cette tribu était chrétienne. On le lui repro-
chait encore à la fin du premier siècle de l'hégire. Les Banoû 'Odra,
disait-on, se divisent « en deux catégories: des moines, établis dans
(') Rei'. des deux mondes, 15 Dec. 1912, p. 909.
(') Traits héroïques, attribués à Hâtim Tayy; Gâhiz, Mahàsin, 81 ; autre trait, cité
dans Ag., X, 23, Bédouin se voue à la mort pour sauver les femmes de la tribu ;
Bakri, Mo'gam, 469, 3. Dévouement apocryphe de Doraid ibn as-Simma ; So'arà' ,
'rn-%0.
(3) Cfr. iVo'âwia. 333.
(*) Ainsi Hâtim Tayy viole les mois sacrés ^-vl-. i_->JJ:>^. >yJ^ r{-^' (j r r*-
(ici A^l-> ^ objet à dérober) et simultanément déploie sa générosité ; Gâhiz, Mahàsin, 81 .
(^) Uniquement parmi eux on aurait rencontré l'amour platonique; cf. Ag., X, 50,
bas. Voir les Tables d'Agâni, s. v. ï.JLs ; notice de Gamïl, ibid., III, 77-100; voir ce
nom et celui de Botaina ; Ag., XX, 152-154. DoQ'l Osbo' proteste de son respect pour
l'honneur des femmes — de sa tribu — ; So'arà', 630, 8, 9, 11. «Je détourne mes
yeux de la gara, quand le vent renverse sa tente » ; So'arà', 905, 5; 'Orwa ibn al-Ward
déclare respecter les captives; So'arà'. 889, 2; comp. p. 750.
190 Jamais cruel sans nécessité
le couloir de Wâdi'l Oorâ, ou des prêtres parmi les chrétiens de
S^'rie,
Les chrétiens arabes de Natjrân se vantaient de respecter la vie
de leurs prisonniers et l'honneur des femmes ('). Programme trop
élevé pour la mentalité réaliste des Bédouins! Ils préféraient reven-
diquer la gloire de ne pas posséder des < lances chrétiennes » (') ; en
d'autres termes, ils ne s'embarrassaient pas des scrupules d'humanité
professés par leurs compatriotes, disciples du Christ (*). Pourquoi le
Ooran est-il venu brusquement interrompre la douce influence de l'E-
vangile (^) sur le fils du désert?
Malgré les ombres de ce tableau, cet homme ne devient jamais
vulgaire, ni cruel sans nécessité. Il n'éprouvera aucun scrupule à dé-
pouiller un voyageur, égaré sans protecteur officiel sur le territoire
de sa tribu. Mais il ne touchera pas à sa peau, à moins que la rési-
stance de la victime ne l'y oblige. Ce dut être le cas du blessé évan-
gélique, soigné par le bon Samaritain sur le chemin de Jéricho. Dans
les bonnes années, quand des pluies abondantes auront ranimé la vé-
gétation et gonflé les mamelles de ses troupeaux, ou bien encore, à la
suite d'une razzia fructueuse, le saloftk, terreur de la steppe, se trans-
formera soudain en grand seigneur et exercera noblement la généro-
sité. Il mettra à la broche les chameaux enlevés, pour en nourrir les
orphelins et les veuves de la tribu ("). Surtout lorsqu'un poète se trou-
(1) Ag., VII, 101, 11 d. 1. Pour ^li conip. Ag., XX, 154, 7 d. 1., 136.
(^) Ag., X, 147, 16. Voilà pourquoi les fugitifs leur confiaient volontiers la garde
de leur famille; cf. Vazîd, 343; So'arâ'. 779, 1.
P) So'arâ' an-nasrânyya, éd. Cheikho, 190, 4 ; cf. Mo'àivia, 429-30. Sur la loyauté
des chrétiens et des Arabes monothéistes, voir plus bas.
(*) Le Qoran, 57, 27 insiste sur cette caractéristique: j^yyJI ^_iyX-i ^^ UJj»:^.
(•^) Celle des moines et des prêtres, de nouveau reconnue par le Qoran. Voir
précédemment p. 30.
C') 'Orwa ibn al-Ward vole les riches pour enrichir les pauvres; So'arâ' , 906.
Vers d'Aswad ibn Va'for; Ag., XI, 134, 10-9 d. 1.; autres de Hâgiz; Ag., XII, ôO.
Le type du « sa'louk » 191
ve à ses côtés pour trompetter aux quatre coins de l'Arabie les preu-
ves de sa munificence, pour mesurer les dimensions de ses chaudiè-
res fumantes ('). Le t\'pe devait exercer une véritable séduction sur les
contemporains, puisque nous voyons la chaste Lailâ al-Ahial\ya con-
sacrer son talent poétique à glorifier Tauba ('), un détrousseur de
grand chemin, pour lequel notre code n'aurait jamais prévu des pé-
nalités assez sévères.
«
On l'a proclamé courageux. L'on a même attribué à sa valeur
les succès des premières conquêtes musulmanes. J'hésite à partager
une opinion aussi favorable ('). Encore serait-il bon de s'entendre sur
le concept du courage. Un illustre ph3-siologiste Beaunis énumérait
133 variétés de douleur. C'est sans doute excessif. Les Stoïciens la
réduisaient à être un mot ; ce qui devient décidément insuffisant. Mais
(1) Cf. Vaztd, 192-93; Ag:, XI, lo<r. cit.; 155, 1, 10; XII, 25, 8 d. 1. ; 26, 5; 49.
Hâtim at-Tayy tire des traites sur la prochaine razzia; il s'acquittera k ,LàJl Ojo ; Gâhiz,
-Mahâsin, 81.
I-) Ag., X, 67-84; voir le nom de Lailâ à l'index d'Agâni ; ces faVoSA sont halîf
des grandes familles qoraisites; Ag., XII, 49, bas; — ainsi en Turquie les riches
propriétaires entretiennent des brigands à leur solde — \'oir le divan de Lailâ dans
Hansâ' Divan, p. 99-117. 'Onva le sa'loûk est qualifié de '>\^\ Ibn Doraid, Istiqàq,
170. Lailâ proclame Tauba « plus réser%é qu'une jeune fille » ; dans Hansâ', Divayi,
106, 1.; comment elle le défend contre l'accusation de brigandage; ibid., 103; 112, 3
etc. ; « il vécut sans peur et sans reproche » i_y^l ei* j^ Cjj^-^ Le iJ_».«J
IjUtI kUii ^ il^ I) IM ; Ibid., 110, 5. Comp. Ag., XVII, 153, 3 d. 1., XVIII, 215;
puis XII, 26, 5; 49, 50; XIII, 2; XX, 21, bas.
(3) Cf. Yaztd, 372, n. 1. A propos de cette note, le Prof. Th. Nôldeke m'écrit:
«J'approuve entièrement votre jugement sur le courage des Bédouins. Assurément
ils ont eu et ont encore des individus courageux et de petites tribus isolées, méritant
la même qualification. Je ne le conteste pas. Mais en général la bravoure n'est pas
une qualité saillante du véritable Arabe ; ils sont bien plutôt d'extraordinaires fanfa-
rons, furchtbare Renomisleti ». Les Syriens, voisins des Grecs, participeraient à leur
courage; Vâqoût, E. I, 48, 7 d. 1. Voir dans Qotaiba, 'Oyoûn, 198 sqq. chapitre sur
la lâcheté.
192 Le courage du Bédouin
il existe assurément plusieurs sortes de courage. La valeur de l'homme
primitif, celle du barbare ne correspondent pas à celle du civilisé. De
part et d'autre, les concepts et partant la pratique diffèrent. Là, où
nous placerions la bravoure, le Bédouin verrait une imprudence, une
bravade gratuites. Il accorde à la ruse une part prépondérante ; à l'in-
star des fauves, il préfère surprendre son ennemi ('J et considère fré-
quemment la fuite comme un stratagème de guerre. Cet homme pro-
fesse une doctrine très spéciale sur l'eftusion du sang humain, sur les
conséquences de cet acte pour l'individu, pour la collectivité. Sous
l'influence de cette conviction, il se laissera entraîner à des attitudes
incompatibles, dans notre manière de voir, avec les lois du courage
et de l'honneur militaires (*). Nous aurons à 3' revenir.
Aux yeux du nomade les vertus cachées n'ont aucun pri.x. L'his-
toire de l'Arabie ne compte pas un seul S^ Martin, partageant son
manteau avec un misérable, le long d'une route solitaire. Au dire de
la poétesse Hansâ' (^), son frère Sahr aurait imité le généreux chré-
tien; mais il se donnait comme témoin la tribu entière. Quoiqu'il en
soit, le Bédouin n'estime pas la valeur anonyme, celle du soldat,
combattant dans le rang et succombant, victime obscure d'une consi-
gne ou de l'honneur (■*). II appartient plutôt à l'école des héros d'Ho-
mère, tapageurs et verbeux, paradant devant la galerie. Le nomade
se bat seulement, lorsqu'il se voit acculé à la lutte. Ainsi se con-
duisait 'Antar, l'Achille des Arabes (^). La résistance lui paraissait-elle
(') La razzia n'est qu'une surprise.
('-) Comp. Caetani, Studî, \, 390. On se bat à coups de bâton, même avec des
'itnâma; Ag., XL 149, L Armes primitives des Arabes: pierres, bâtons, lances ter-
minées en pointe de corne en guise de fer; Gâhiz, Bayàn, H, 52. Critique par les
So'oflbyya de l'art militaire des Bédouins; ibid.. H, 52-53. Naqâ'id Gafîr, 658, 10.
(3) Divan, 28, 8. Sur la valeur de son frère Mo'âwia, tant loué par elle, voir
Ag., XIII, 141.
(■•) Cf. Ibn Haldoun, Prolégomènes, I, 269, 270.
(5) Un Bédouin se voue à la mort pour sauver les siens; Bakrî. Ato'gam, 185,
4-6. Ag., \\\, 152, haut. Pourtant Sabïb ibn al-Barsâ' refuse de fuir; Ag., XI, 98, 5.
En revanche le fameux Hâgiz al-Azdî < jljJJl .^^ <*jI ,U g.« ^^ était, malgré ses
nombreuses razzias, un grand fuyard » ; Ag., XII, 52, 20. Cette faiblesse n'enlevait
rien à sa réputation. Le célèbre 'Àmir ibn at-Tofail. également un fuyard; Naqâ'id
Garïr, 242. Voir plus bas.
Même sujet 193
trop périlleuse, il ne trouvait aucun déshonneur à tourner les talons.
Mourir alors, pour sauver l'honneur du drapeau, lui semble une folie.
« La belle consolation ! ainsi cliantaient ses poètes — il né faut jamais
se lasser de les consulter — lorsque les femmes sur ma tombe vien-
dront verser des larmes. Leurs élégies me rappelleront-elles à l'exis-
tence? » (').
Fréquemment les capitaines bédouins doivent exiger de leurs
hommes le serment de ne pas lâcher pied. Mahomet l'imposa aux siens
à la journée de Hodaibyya. Quand le nomade tient à s'enlever la
tentation de la fuite, alors il recourt à un stratagème désespéré, mais
médiocrement galant, il poste ses femmes au milieu des rangs (").
La jalousie, leurs reproches, leurs larmes lui donneront du cœur.
Car toutes elles sont d'une race guerrière;
Quand dans une bataille on les voit en arrière,
C'est pour fermer la route et ramener, souvent
A coups de javelots, les fuyards en avant P).
Il faut admettre une exception en faveur des ontlaK's du désert,
les L_);-»J1 il-i-i . gens de sac et de corde, désavoués par les leurs {*).
Ne vivant que de leur épée, n'ayant aucun quartier à espérer, ces
condottieri se battaient parfois comme des preux. Aussi les chefs,
désireux de porter à leurs adversaires un coup décisif, faisaient-ils
appel à leur bravoure, de préférence aux hommes de leur propre
tribu. Cette intrépidité ne devait pas être étrangère à l'admiration
(') Cf. Yaztd, 194-95 ; Qotaiba, 'Oyoûn, 200, 2. « Nous ne craignons pas la mort ; tous
nos sayyd ont péri en combattant »; Aboû Tammâm, Haniâsa, E. 58; comp. ibid., 16,
1 , 3 « chevaliers qui ne redoutent pas la mort » ; autres vers belliqueux, « tous i_jt*>- .j^' »
ibid., 64, 66; Hansâ', citée dans Qotaiba, 'Oyoûn, 157, 1; So'arâ', 741, 1-2.
(-) Cf. notre Poè/e royal, 48; Nagaid Garîr, 569. 4 v. ; Wellhausen, lî/if, 451.
(••) H. de Bornier, Mahomet, III, se. 5. On dresse un chameau somptueusement
orné, ou une tente; on jure de fuir seulement quand le chameau ou la tente bougeront ;
Xagâ'id Garîr, 259, 1 ; 641, 10. Cette tente était parfois un beau pavillon rouge, elle
servait de centre de ralliement ; Bakrî, op. cit., 723, 1 1 . Etait-elle le bait, ou renfer-
mait-elle le fétiche de la tribu?
(■•) On proclame le célèbre capitaine Mohallab « brave comme un sa'loQk » ;
.Mas'oûdî, Prairies, \, 351.
Lammens — Berceau 13
194 La bravoure du < sa'louk »
que leur vouaient les Arabes ('). L'opinion se met toujours du côté
des beaux joueurs. Ils pouvaient être, comme Aboù Tamahân, dé-
criés de réputation, sans foi ni loi .^Lw^Jl J j <'^-*'4' li o-?"^' ^-^^rr^' des
pillards incorrigibles :J.;j«^ ^J^ cUM, les Bédouins n'hésitaient [)as
à leur accorder les deux titres les plus enviés de la Péninsule, ceux
de chevalier-poète, ^^li y-lio (^). En cas d'échec, ils trouvaient tou-
jours un say3^d, un clan pour les accueillir et leur garantir une re-
traite (').
*
* *
La plus incontestable qualité du Bédouin — encore un fruit de
son individualisme, — c'est, nous l'avons déjà noté (■*), sa ténacité, sa
constance à lutter contre la nature ennemie, contre les éléments, les
fauves, les hommes, cent fois plus redoutables que les loups et les
(') Voir leur éloge par Hatim Tayy et 'Orwa ibn al-Ward ; Qotaiba, 'Oyoun, 280,
281; A. Tammâm, Hamâsa, E. I, 167-68; 220, 2; Ag., XX, 21, bas; XXI, 96, 15.
(2) Ag., XI, 130, bas; notice de Hâgiz; Ag., XII, 49-53; 160, 2 d. 1. 'Orwa ibn
al-Ward est >l»-a. ^s^\ Ibn Doraid, Istiqâq, 170; il marche à la tête des sdloûk.
Au jugement du calife 'Abdalmalik, à lui, non à Hâtim, revient la palme de la géné-
rosité ; So'arà', 911. Les sa'louk compagnons d'Amroulqais auraient collaboré à la con-
fection de son divan ; Asmal, Fohoûlat as-So'arâ' (Torrey), 493 (dans ZDMG, LXV).
(^) Ag., XI, 132. Pour exprimer le courage et la force physique on aime à dire :
( i-ill 1^ O^^. ^ 1.5^ ' 1 A. Tammâm, Hamâsa, E. 1, 45, 3 d. 1. Le célèbre
'Amir ibn at-'Tofail compte parmi j'iLJI •^OiU-io ; Xaqà'id Garîr, 451, 3. ç.;^^ et lilïU
réfugiés à la Mecque; Bakrî, Mo'gam, 334, 7 d. 1. Le Prophète aime à les utiliser;
I. S. Tabaq., II', 68; cf. Ziâd iht! Abïhi, p. 3. On leur accorde volontiers toutes les
qualités: tel Gahdar: I^Li iSLs:^ Uols Cu^ ^If ; Gâhiz, lifakâsiv, 100, 9. Beaucoup
méritèrent pourtant l'éloge que leur décerne 'Orwa, le prince des sa'/oûk
y->^^ ^^. C--*^^-*^- o'î ^•■^-tri- ^-''^-^. <*~?^'
CX]Ss>
So'arâ', 886, 4. Comp. Yâqoût, E. VI, 312: L^La-sn.^, o ^^ (_5^ J'--*-* c^ cJ^
Lfjljj»^.; qâtil, plur. qottâl, autre vocable désignant les brigands. On met toujours en
avant leur courage et leur virtuosité poétique. Qotaiba, Poesis, 229.
(■>) Voir plus haut pp. 108, 113.
La ténacité du Bédouin 195
h3'ènes du désert. Cette ténacité lui a formé un tempérament d'acier (*),
à la fois souple et résistant : telles les vieilles lames de Damas I D'une
sobriété de chameau, l'œil toujours aux agruets, habitué à scruter l'ho-
rizon, l'oreille tendue aux moindres bruits de la solitude, son imagi-
nation, exaltée par l'isolement, croit par moments entendre la voix
des ginn ('). Son corps tout en muscles, en nerfs, vibre aux moindres
impressions, au premier afflux de son sang embrasé. C'est un être
étonnant, arrivant à vivre, à prospérer en un climat, oii tout s'étiole,
fors le Bédouin et son altcr ego. le vaisseau du désert. Plus on s'at-
tarde à le considérer et moins on trouve vulgaire ce produit d'un
milieu invariablement ensoleillé, où les contours se dessinent avec
une aveuglante crudité, les reliefs s'accusent au delà de la réalité.
Qualités, défauts, tout \ prend des proportions insolites. Les teintes
plus délicates finissent par se délacer dans l'éclatante auréole d'une
lumière uniforme. Dans ces corps anguleux, osseux, perpétuellement
baignés d'air sec et dur, la sensation pénètre comme la pointe d'une
lancette, avec la rapidité de l'étincelle électrique. De là ces convoiti-
ses, un sensualisme effréné, l'explosion de colères, menaçant de
tout briser.
Cet homme se montre excessif jusijue dans l'expression des
sentiments les plus légitimes. Ga'far fils de 'Olba avait été mis à
mort pour un meurtre commis. Dans nos sociétés le fait imposerait
la réserve à la famille du condamné. L'Arabe ne reconnaît pas à l'auto-
rité le droit de glaive. Aussi les femmes de la tribu consacrèrent-elles
à Ga'far une solennelle lamentation, comme à un héros. Son père
< 'Olba égorgea tous les agneaux, tous les petits chameaux se trou-
(') Caetani, Sludî, I, 387; voir précédemment p. 113.
(2) Voir plus haut p. 74 détails sur les sables musicaux ; ajoutez, Gâhiz, Haiawàn,
VI, 54, 13 (citation poétique). Dans le bruissement du vent, le poète reconnaît les
gémissements des ginn; Bakrï, op. cit., 258, 13; Gâhiz, Haiawàn, VI, 53, 54, 56;
cf. Yâqoût, E. I, 78, 1. Etres fantastiques dont le nomade peuple le désert; Mas'oûdî,
Prairies, III, 314, sqq. ; 323 chap. sur les i_iL)l»* et les ginn. Des auteurs arabes eux-
mêmes y ont déjà reconnu le produit de l'imagination; Mas'oûdî, op. cit., III, 323-24;
cf. SâfiT, Kitâb al-Omni, I, 76, 1. Chaque coin de terre est habité par des anges;
Qotaiba, 'Oyoûn, 168.
196 II est excessif dans ses sentiments
vant dans le camp et lança devant leurs mères les têtes sanj^lantes.
.. Pleurez avec nous, s'écria-t-il, mon fils Ga'far ". A ce spectacle pi-
toyable les sourds mugissements des chameaux, les bêlements grêles
des brebis s'élevèrent et firent aux cris stridents des femmes un for-
midable et lugubre accompagnement. 'Olba lui-même éclata en san-
glots. Jamais parmi les Arabes, conclut le narrateur, on n'assista de-
puis à une pareille scène de deuil et de désolation » ('). Notre im-
pression pourra sans doute être différente. Pour l'Arabe, l'important
c'est moins de donner libre cours à la douleur cjue de forcer l'atten-
tion par une manifestation retentissante. La crainte du grotesque ne
l'arrête pas.
Par suite de la sélection naturelle, d'une élimination incessante,
une race remarquablement vigoureuse a fini par se constituer. L'im-
placable milieu (^) supprimant, élaguant tous les individus mal con-
formés, ph\-siquement ineptes aux luttes pour l'existence, seuls les
plus beaux spécimens, les plus robustes représentants survivent et
perpétuent jusqu'à nos jours la postérité d'Ismaël.
(*) Ag., XI, 152: 'î^^. ^-< S-lr^J' tj ^^ 3f^i ir^i^ C^ f^<S}J ^- Comp.
YâqoUt, E. V, 45.
p) Ajoutez les famines, les épidémies. Leur résistance à la faim ; Ag-., XXI, 60, 4-15.
II
Le Bédouin rebelle à l'idde d'autorité. Opposition entre ses aspi=
rations aristocratiques et son milieu égalitaire
Si jamais une nation a fait sienne cette devise. « notre ennemi,
c'est notre maître » ('), ce sont assurément les Arabes. Maints dus
contra omnes et mamis onminni contra eum et e regione imiversonim fra-
irnm suorum figet tabernactilum. C'est la pittoresque et si vraie des-
cription de notre vieille Genèse (16, 12). Elle ne pourra surprendre
les érudits, attentifs à suivre l'évolution historique de l'empire des
califes. On \- constate à chaque pas l'esprit indiscipliné, la contra-
diction innée, la tendance au morcellement indéfini, à l'éparpillement
sans limites, à l'émiettement politique. Autant de traits caractérisant
la population de la Péninsule I Incapable de s'élever par elle-même
au-dessus de l'idée de clan, de tribu, de concevoir une autre forme
d'organisation sociale, elle retombe fatalement dans le chaos, dès que
le retrait d'une main de fer (') lui permet de s'abandonner à la pente
naturelle de son tempérament anarchique.
Nous devons donc nous attendre à trouver les Arabes rebelles
à l'idée de l'autorité, j'entends d'une autorité constituée, ayant con-
(') Comp. JJà4. ^«-^' et l'héinistiche «Ito liU bl V ^Ik-o JS^« ; Gâhiz, Haia-
wân, III, 25, 3, 5.
(2) Exceptionnellement on entend les Bédouins, remercier, par la bouche de Lailâ
Ahyalyya, le justicier Haggâg de la salutaire terreur, inspirée par son gouvernement.
Cf. Hansâ", Divan, 101.
198 Le Bédouin, un aristocrate
science de sa mission. Ils s'y soumettent seulement dans le cas de
force majeure, contraints par l'instinct de la conservation individuelle
ou familiale ('). En dehors de ces circonstances, nous les vo\-ons re-
tourner à l'anarchie et rendre impossible le fonctionnement d'un gou-
vernement {').
On se tromperait étrangement en assimilant cette disposition aux
tendances de l'esprit républicain ou démocratique, telles que nous les
révèlent l'histoire de ranti(]uité classi(]ue et des communes de l'Italie
et de la Flandre médiévales. Il faut en demander la raison aux ano-
malies, se heurtant dans l'âme arabe, anomalies, créées par l'étrange
climat, oîi le nomade se trouve condamné à traîner son existence (')•
Quand on étudie le Bédouin, une des constatations les plus décon-
certantes, c'est de découvrir une constante opposition entre la fierté
de ses aspirations, entre la disproportion de son féroce appétit des
distinctions et la platitude, la vulgarité de son milieu égalitaire. L'Arabe
est essentiellement un aristocrate ; il l'est demeuré jusqu'à nos jours {*);
mais un aristocrate né, grandi parmi des bohèmes, dans une société
foncièrement démagogique. Jamais les marquis de l'ancien régime
n'ont parlé de leur blason, énuméré leurs quartiers de noblesse,
^yxJ\ ^ly^l ; discuté leurs pairs ou kofon^^ n'ont redouté les més-
alliances (^), comme le nomade sait vanter la pureté de sa race et
les gloires de son clan. C'est peu pour lui de remonter en droiture
jusqu'à Adam, s'il n'ajoute, avec Haggâg, qu'entre lui et le père du
genre humain il ne se reconnaît qu'une seule mère esclave, l'Egyp-
(') Bakrî, Mo'gam, 35, d. 1. ; 36, haut.
p) Ibn Haldoûn, Prolégomènes, I, 313; incapables de gouverner, ibid., 314.
P) Comp. Caetani, Studî, I, 384-85.
(^) Nôldeke, Gesch. des Oorâiis^, p. 3; Dougtliy, Travels, 1,245; Ibn Haldoûn,
Prolégomènes, I, 312.
(=) Cf. notice de 'AqTl ibn 'Ollafa ; Ag., XI, 86 etc. Un autre affirme que «sa
noblesse lui permet de heurter du front les Pléiades, sans redresser la taille » ! Gâhiz,
Mahâsin, 135, 15; ^_^I<,SUI ^-^, «nous sommes les étoiles > ; Hansâ', 113,7.
II ne supporte pas de supérieur 199
tienne Agar ('). Ce gueux, vêtu de haillons, dévoré de vermine, tom-
bant en grappes le long de ses tresses capillaires ("), se trouve avoir
la tête farcie de toute la morgue des castes les plus pri\'ilégiées. Un
trône ne lui parait pas au dessus de son mérite:
(^) 1-oS àS-X.^^ ^c> U..>.j— JM ^T-^ ^ al«.... H sLo yXi ^-ji.
i
Il se drape dans sa misère comme dans un manteau ; semblable
à cet Arabe, grelottant de froid, mais « réchaufte, assurait-il, par sa
noblesse ». Ne lui adressez pas le souhait banal: « Que le Ciel
multiplie tes semblables; >iUUul à^\ ^ »• * Vœu inutile! répliquera-t-
il : Allah lui-même ne pourrait le réaliser ! > (*). Vainement le Qoran
a déclamé contre l'ostentation de la gàhiliya, l'ancienne société bé-
douine (^). Elle fut matée, mais non vaincue par le déclin des institu-
tions et de la race arabes, sous les 'Abbâsides.
« Admettant de n'avoir personne au-dessus de soi (^), il juge
néanmoins intolérable de n'être pas supérieur à d'autres » ("). Un
sentiment par ailleurs très moderne, disons mieux, de tous les temps.
Seulement l'exaltation de ce sentiment chez le Bédouin le portera —
en poésie s'entend — à se proclamer roi et l'égal des califes oma^ya-
(') Gâhiz, Bayân, I, 180; Comp. Xagà'id Gartr: «notre aïeul est contemporain
de Doû'I Qamain », 110, 1.
(*) Comp. les vers réalistes de Farazdaq, dans Na^â'id Gartr, 199, 2-3 v.
(*) A. Tammâm, Hamàsa, E. I, 130. Dans les deux vers précédents, le poète
vantait la modestie des siens, leur condescendance pour les contribules! A ce vers
semble répondre le hadît, relatif à Agar mère d'Ismaêl: tU-**»JI sU ^_y^ b Xîl liUj
jïU^l "IV AJil f^Uj ^J^lf; I. S. Tabaq., I', 24, haut. C'est une réplique détournée
des So'oûbj'^-a.
(*) Cf. 'Iqd^, I, 242, 18, 20, 25; Qotaiba, 'Oyoûn, 318, 322; autres exemples dans
Gâhiz, Bayan, I, 125.
(^) Qoran, 49, 1-14; cf. Azraqî, (Wûst.), 351: L^bb U^, ^^M-' »>^ : Gold-
ziher, M. S., I, l«f chap. Muruwwa und Din, 1-40.
(^) « Ne suis-je pas le premier de ma tribu?», question fréquemment adressée à
-Mahomet; Osd, IV, 274, il. «Nous sommes tous rois et fils de rois»; Hassan ibn
Tâbit, Divan, LXXIX, 3 ; « Je suis le plus noble»; Ibn Mâg^à, Sonan, E. I, 68.
(") G. d'Avenel, Les Français de inon temps.
200 La gloire de ses ancêtres
des ('). Voilà poiirtiuoi les rédacteurs de la Sira ont compris la néces-
sité d'anoblir Mahomet. Le nomade n'eût pas compris un prophète
plébéien (^). Quand de ces hauteurs, où se complaît son orgueil, il
redescend sur la terre, il se sent saisi par les institutions les plus
égalitaires, par la révoltante promiscuité de la vie arabe. Comment
ne pas se rappeler l'ivrogne de Bruges, qu'un caprice du duc Philippe
le Bon a fait roi d'un jour, et retombant, à son réveil, dans sa misère
primitive.? (Comp. Ootaiba, Pocsis, 239, 5-6.)
Le roi de la steppe arabique nous offre un spectacle à peine
moins comique. Avec ses appels incessants à la noblesse de ses aïeu.x,
« constructeurs d'impérissables monuments de gloire > ('), au passé
de sa tribu, de sa race, il devrait être partisan des inégalités, des
distinctions hiérarchiques, introduites par les lois historiques et par
l'infinie variété des aptitudes individuelles. Tel ce héros de tragédie,
il touche
Du pied à tous les ducs, du front à tous les rois.
Il se plaît à énumérer la longue suite de ses ancêtres (*). A l'en
croire, il atteint le sommet de l'aristocratie ("). C'est là que l'auteur
de sa race a bâti le monument de sa gloire, à ces hauteurs, où rési-
dent les princes de la générosité, les arbitres des peuples (^). Allah lui-
même en a raffermi les fondements C). Ce monument touche du
faîte au ciel; il rejoint les sublimes étoiles (*). Avec quelle assurance
il défie ses envieux de X\ reioindre! Autant vaudrait atteindre le
(') 'Iqd^, I, 126, 11; cf. Mo'mvia, 192; Naqaid Garïr, 184, 14; 187, d. v; 391,
11. Ag., XI, 163, 11; «nos ancêtres ont dominé les rois, iJ^'Sll IjS-X-o; Xagaict
Garïr, 68, 19. Le Bédouin proclame le calife son oncle; Ag., XI, 134, 9 d. 1. ; Hansâ ,
119, 3 d. 1.
(-) Caetani, Annali, I, 72; notre Fâtima, p. 64.
(') A. Tamniâni, Hamâsa, E. I, 36:
Cf. Yazld, 37; Ag., XI, 143, 14; Naqâ'id Garïr, 265, 13.
C) Zohair, (Ahlw.) 91, 10.
(^) Tarafa (Ahlw.), 57, 5.
C) Naqffid Garïr, 265, 13.
C) Naqaid Garïr, 182, 1-3 v.
(«) Naqa'id Garïr, 172, 3-4 v. Comp. Ag., XXI, 97, 19.
Conflit de prétentions 201
firmament (') I Dans le clan des Banoû 'Auf les misérables conditions
d'existence causaient fréquemment la cécité. Pourtant les vieillards
'aufites préféraient perdre la vue avant de voir mettre en question
une aussi glorieuse appartenance (*). Voilà, si je ne m'abuse, l'hé-
roïsme des convictions nobiliaires.
Or, ces aristocrates sui getieris (') se trouvent être des ennemis
déclarés du principe d'autorité et de subordination. < 11 serait plus
facile à la main de toucher le firmament, yl^\ sU— Jl ^Z^ , que
damener un Bédouin à se ranger à la suite d'un égal » (^). Adver-
saire des privilèges de caste, hormis de la sienne, il entre fatalement
en collision avec des prétentions analogues chez ses contribules, aussi
férus d'abstractions patriciennes. De ce conflit d'ambitions, d'amours-
propres froissés, résulte la confusion la plus absolue (^). Démocrate, dé-
magogue dans sa vie sociale et publique, aristocrate individuellement
et dans son for intérieur, seul le Bédouin croit posséder le secret de
réunir, de concilier en sa personnalité complexe des attitudes et des
principes si nettement contradictoires (*).
Mais enfin : oligarchie, republique, démocratie, dans nos sociétés
les dénominations peuvent varier. Quelle que soit l'étendue des pri-
vilèges dont jouissent la nation ou certaines classes de cit03-ens, l'au-
(') Nagà'id Garlr. 147, 2; 185, 3 v.
(-) Ag., XI, 141, 142. Malheureusement le doute subsiste toujours, si nous ne som-
mes pas en présence d'une charge, d'une satire indirecte, œuvre des So'oûbj-ja? Cette
trop légitime suspicion rend spécialement ardue l'étude de l'ondoyante psycholog^ie
bédouine. Comment toujours se reconnaître dans ce chassé-croisé de tendances con-
tradictoires ?
^) Ag., XI, 93, 4 d. I.; il s'agit de deux gueux, '.■\qn ibn 'Ollafa et Sabîb ibn
al-Barsâ': ^ii^^ f^T^ '--^ l5 ''^^ (3 '^^i^ ^.r~' CJ^ Uj»^
{*) Ag.. XI, 131, 8 d. 1.
(^) A la discipline des Turcs, Gàhiz, Opuscula, 35 oppose l'anarchie des Arabes
^ .. '. ... '■..
>>-^UJ^ .-^U'ij O^.^IJ i 1^^=^! . Cette antithèse ne cesse de demeurer vraie.
C) Peut-on mettre en avant ici le long passé de l'Arabie, son ancienne culture,
son contact avec les plus anciennes races civilisées de l'Orient? Cf. Winckler, Milth.
VAC, 1901, p. 181.
202 Difliculté de la présente discussion
torité existe, jalousement limitée, surveillée peut-être, mais avec des
droits, une action définis et reconnus. Cette limite, cette barrière à
l'anarchie paraissent inadmissibles à l'esprit du nomade (').
En étudiant les conditions de l'autorité dans l'Arabie préislami-
que et contemporaine de Mahomet (^), il faut avant tout nous débar-
rasser de nos concepts occidentaux, de notre habitude de classifica-
tions méthodiques, de ranger les idées par catégories et comme en
des casiers soigneusement numérotés, de vouloir rattacher à des types
connus et copieusement étudiés toutes les formes extérieures de la
vie politique. Avec la meilleure bonne volonté, il nous deviendra im-
possible d'empêcher la discussion, de rappeler parfois la licence du
désert (^). En définitive le mal pourra ne pas être grand. Peintre fi-
dèle d'un désordre social, avons-nous le droit de lui donner les ap-
parences d'un s}'stème, le majestueux développement d'une théorie,
quand précisément nous voudrions produire l'impression d'un monde
presque chaotique .'^ Non pas que de la confusion il soit malaisé de
dégager certains principes généraux. Seulement le nombre des e.xcep-
tions, des dérogations à la loi pourra quelquefois rendre contestable
l'existence de la loi elle-même. Nous en rejetterons la responsabilité
sur le tempérament arabe, composé d'extrêmes mal assortis, où l'on
découvre une poitrine d'anarchiste, dominée, sans être gouvernée, par
une tête d'aristocrate {*).
Nous commencerons par examiner quelle idée l'Arabe se formait
de l'homme appelé à exercer sur lui le commandement, puis nous
aborderons l'examen des conditions, auxquelles il acceptait de recon-
naître une autorité, distincte de la sienne ou du chef de sa famille.
(•) Flûgel, Gramjnadsche Schulen, p. 6, le déclare très soumis à son saih!
('-) Si nous alléguons des exemples postérieurs, ce sera pour constater la sur\i-
vance de l'esprit de la gâhilyya, comme c'est le cas pour la plus grande partie de la
période omay>'ade. Consulter surtout l'inappréciable collection des Naqaid Garîr dans
la belle édition, maintenant achevée, du Prof. Bevan !
(^1 Sans parler de la suspicion toujours légitime d'une tendance, provoquant fata-
lement l'expression de la tendance opposée. Je ne puis me flatter d'avoir constamment
réussi à les démêler.
(^) Cette antithèse — réelle par ailleurs : voir l'ancienne poésie — a été exagé-
rée dans le sens impérialiste. Les écrivains postérieurs ont prêté à la gâhilyya tous les
sentiments de la période des conquêtes. Il s'agissait de voiler la nudité des ancêtres.
II!
La terminologie en usage pour désigner les représentants de
l'autorité. Pas de protocole rigoureux
Saj'j'd, saih, rabb^ ràs, rcLîs^ voilà chez les Arabes préislamiques
les termes communément employés pour désigner le dépositaire de
l'autorité. Indiquons brièvement le sens spécial, attaché aux trois der-
niers vocables. Nous reviendrons plus tard sur le titre d'amîr, d'un
emploi plutôt rare, quand il s'agit des chefs de tribu (').
Le plus extraordinaire de ces s\nom-mes raôô se trouve main-
tenant être réservé à la divinité, c'est à dire depuis l'empreinte pro-
fonde des idées qoraniques sur la langue du désert ("). Antérieure-
(') Ag., XV, 73, 3, d. 1.; Gâhiz, Haiaiiâti. V, 11, 8; Qotâmî, Divan (éd. Barth)
IV, 29; et III, 45, où l'on trouve la forme ^"f , àiiiif. I. S. Tabaq., III', 63, 13, le
titre d' aimr al-tnoumimn accordé à un Mohâgir, commandant une razzia. Les chefs
des saryya se trouvent généralement qualifiés d'émir. Pour AboQ 'Obaida ibn al-Garrâh
on y ajoute celui de »LiJI tl-cl j^l ; Ibn 'Asâkir, Târîh, (ms. Damas) I, 174, b.
Amïr est moderne chez les Bédouins, titre parfois accordé par le gouvernement turc ;
cf. E. Littmann, Zur Entzifferung der Ihamuden. Inschrift., p. 92. Dans Ag., X, 152,
16; XX, 121, 8, les chefs ainsi qualifiés étaient en même temps gouverneurs de dis-
tricts; cf. Bohtorî, Hamâsa, n. 1100. Naqâ'id Gartr, 149, 14, awzr ^ sayyd ; (mais p. 7,
1. 8 il désigne le mari ou le père); A. Tammâm, Hamâsa, E. I, 79, 3 v; Qotaiba,
'OyoJin, 271; 'Orwa ibn al-Ward, dans So'ara' an-Nasrânyya, 891, 5 v. où amïr = con-
seiller. Dans plusieurs passages du Qoran «ûil _«l =: la parole d'Allah.
(-) Cf. Flûgel, Concordance du Qoran, s. v. Oj J la sourate de Joseph l'emploie
dans le sens de maître humain ; Comp. dans les poètes le serment fréquent i_]l) i
204 I-e titre de « rabb »
ment à cette période, on n'éprouvait aucune hésitation à l'accorder
aux maîtres de la terre (*); à condition toutefois pour eux d'exercer
leur autorité sur une tribu considérable ou plutôt sur une confédé-
ration de tribus ("). Ce dernier cas était généralement celui des grou-
pements de nomades, se rattachant aux noms de Tamim, de Bakr,
de Gatafân, de Hoza'a et de tant d'autres. D'où la signification de
iLLaJ\ Cjj, maître de la qobba , le grand pavillon de cuir écarlate (')
étant un des insignes du pouvoir souverain (■*). De nobles chefs se
montraient heureux de le dresser au milieu du camp, non seulement
pour honorer des hôtes de distinction, mais encore pour faire de-
vant les leurs étalage de leur fortune (^). Ce calcul entre toujours dans
les manœuvres des Arabes, ^-oNJI ^1 C^), le plus fastueux des peuples.
On qualifiait également de rabb certains kàhin, devins, de renom,
vraisemblement des savvd, cumulant les deux dignités Ç). Dans l'e.xer-
cice de leurs fonctions spéciales, il arrivait à ces officiants de se pé-
nétrer totalement de leur rôle, de se substituer pour ainsi dire à la
j_yX.-a (Jl O'-^U' > le dieu des chameaux (caravanes) en marche vers Mina; Hamasa
d'A. Tammâm, E. IV, 87; s,»2 O'-^l-^* lJl>^; Bakrî, op. cit., 277, 488. J>^ Çj_) :
Naqâ'id Garïr, 174, 3 v.
(') Ibn Doraid, Istiqâg, 9.4, 12; cf. 63, 3; Baihaqï, Mahâsin, 98, 10; surtout sous
la forme du phiriel arbâb ; cf. ZDMG, LIV, 439, 440; Chroniken (Wûst.) II, 21, 5 d. 1.
(-) Anthologie de citations dans Gâhiz, Haiazcân. I, 60; Ag., VIII, 66; X, 15.
(3) Abritant parfois le bail ou le fétiche divin de la tribu, surtout aux temps an-
ciens. Le chef de tribu était à la fois kâhin ; plus tard le pavillon rouge est devenu
un insigne honorifique. Cette évolution expliquerait la persistance de l'emphatique rabb
dans aJLslJI iHj > ■ Comp. qobba-asile; Ibn Doraid, Istiqâq, 215, 2 d. 1. et ici même
p. 193. Ajoutez l'expression fréquente : CU-^L ^j-iJl <-(-^ ; cette maison pos-
sède la noblesse et le bait. Rapprochez: la Ka'ba de Nagrân, primitivement un vaste
pavillon ou Tabernacle. Cf. Yaztd, 340-41.
(4) Nâbiga, 71, 17; cf. Fâtima, 74; Ag., VIII, 65, 9 d. 1. ^1 ^_J^\ Jjtl ; X,
53, 3; Xallino, Costituzione délie tribu, 616.
(*) Cf. notre Chantre, 155; Fâtima, 75; qobba pour les hôtes; Ag., VII, 170, 4;
Naqâ'id Gartr, 140, 8; Ibn Doraid, Istiqâq, 208, 7 d.
f) Gâhiz, Opuscula, 45, 13.
C) Qotaiba, Poesis, 38, 5. Ainsi Zohair ibn Ganâb est à la fois sa\yd et hàzi ;
Sigistânï, Mo'ammaroitn, 25, 4-5 ; appelé kâhin, 28 ; autre exemple, ibid., 30.
Même sujet 205
divinité locale, au point d'en usurper le st)-le protocolaire ('). On
s'expliquera donc des appellations, comme Rabb as-Sàm, maître de
la S}Tie, donnée à un Gassânide, ph\larque, ou surveillant au nom
des B3-zantins du //w« syro-arabe, celle de R.iihb al-Higâz, accordée
avec plus ou moins de raison à un chef de fortune ('). Pour une cause
analogue, le père d'Amroukjais obtient le même titre. Le roi Lahmide
de Hîra est appelé rabb al-Hawarjiaq^ la splendide résidence de ces
dynastes arabes (■').
Mis en relation de dépendance avec un nom commun, le vocable
peut convenir au propriétaire d'un objet (juelconque. En cette qua-
lité, le possesseur d'un esclave (^), d'une maison, d'un troupeau
peut revendiquer le titre de rabb (°). Dans cette construction spéciale,
le terme a fini par perdre sa signification emphatique, pour devenir
s\-nonyme de sâhib, possesseur. Ainsi on parle des J_j;aJl ^—h^ , des
,_jlkil K_h^ pour désigner des gens d'esprit, des maîtres de la parole.
Si, depuis l'hégire, le vocable rabb a pratiquement disparu du
protocole hiérarchique du désert C^), cette modification est due, avons-
nous dit, à l'influence du Qoran et à sa transformation en titre divin C).
La Sonna, en amenant Mahomet à interdire l'emploi de rabb pour
lui substituer le terme de sa\'3'd, signale ré\'olution plutôt qu'elle n'en
fournit l'e.xplication (**).
(') Ag., VIII, 66. Cf. Massignon, Kitâb al Tawâsin, 95; même phénomène chez
les mystiques musulmans postérieurs.
(2) Ag., XIV, 7, 15; Ibn Doraid, Istiqâq. 320, 16; Chroniken, iWûst.), II, 140,
141; Bohtori, Hamâsa, n. 1355; Gâhiz, Haiawân, I, 160.
(3) Qotaiba, Poesis. 39, 7; 71, 17; 112, 4; 239, 5.
(■") Nawawî, Tahiib, 293, 9; Chroniken, {VViist.), II, 21, 5 d. 1.
p) Aboû Tammâm, Hamâsa, 520, 5; 730, v. 3; 733, 1. 4.; Ag., S. I, 101; X,
139, 19; XVII, 92, d. 1. Qotaiba, Poesis, 129, 1; 229, 10; Azraqî, (Wùst.) 95, 13;
C-^ Cj)'^ ^\lj^i\ J-?l iI->^ ; I- S. Tabaq., VI, 105, 9; Hanbal, Mosnad, IV, 136.
2 d. 1. ; Tab., Ta/sïr, I, 46, d. 1. interprète Cj. par jilkil JvX*»Jl
C) Le calife s'entend encore qualifier de ai« (Jjj c-à-d. souverain de tous les
Arabes; Ag., XVIII, 141, 13; comp. j»-^' ^2j. , Ahtal, Divan, 305, 9.
C) Dans le Qoran, arbâb i= les créatures, honorées aux dépens du Créateur; Qoran,
3, 57, 74; 9, 31 ; 12. 39 etc.
(») Moslim, Sahm^, II, 197; Bohârî, Sahïlf. K. II, 125, 6.
206 Le titre de « rais
Le Prof. Nallino (') a parfaitement vu (]ue ra'is, au lieu d'être un
pur synonyme de savvd, impliciue l'idée d'un commandement mili-
taire (^). Nous ne manquons pas pourtant de textes, où l'ancienne
langue semble négliger cette S3non3'mie {^). On en trouve des preuves
jusque dans les nombreuses références accumulées à l'appui de son
assertion (^). En bien des cas, la fluctuation est le fait des rédacteurs
postérieurs. Ils se sont permis de substituer à ra^ls le terme plus
moderne de qà'id, simple traduction du latino-b3-zantin Ôov|.
Intimement apparenté à l'dîs par l'étymologie, le terme râs ne
lui tient pas de moins près par la signification. Il désigne tous les
échelons du commandement, depuis un simple chef de brigands (*),
jusqu'au sa3'yd de grandes tribus, comme Taglib ('). Ici encore on
découvre à la base le sens de commandement militaire C).
Saih, de nos jours qualification habituelle des chefs bédouins, était
iadis d'un usage beaucoup plus restreint C). Il semble avoir été le
(') Dans sa substantielle étude, Sulta costituzione délie tribu arabe prima del-
l'islamismo, dans Nuova Antologia, 15 Oct. 1893; cf. Zohair, (Ahlw.) 98, 13; Ibn Do-
raid, Istigâq, 106, 230, ^ ^i ^y.^^ ; 233, ^_j*».^, '^■•y^
(-) Aux références de Nallino ajoutez, Ag:, IV, 75, 5 d. 1., VI, 3, 3 d. 1. ; 4, 1. 3;
p. 5; X, 65; XX, 128, 4; Nagâ'id, Garîr, 144; 149, 454, 4; 474; 481,13; Farazdaq,
Divan (Boucher) 81, 8; Gâhiz, Haiaziân, I, 160, 161; Ibn Doraid, /iZ/yâ^, 215; Bakrî,
op. cit., 505, 6, 7; 533, 6 d. 1., 721.
(3) Nagâ'id Garîr, 638, 464; Ag., V, 159, 5 d. I.; X, 17; 21, bas.; Dînawarï,
Ahbàr tiwâl, 291, 12, « rais de tous les Azd » ; comp. Ibn Doraid, Istigâq, 195, 197,
où l'on lit promiscue à^^t^.. SL^ et à.^*^ \ o'^c-') • ^" revanche Ibn Doraid, Istigâq,
^,li -^,>^, r= capitaine; Ibn Hagar, Isâba, 11,244; Gâhiz, Opusciila, 60, 12; Qalqa-
sandî, Sobh, 1, 57.
(1) jy^Uil ^\y Ibn Doraid, Istigâq, 271; comp. ibid., 141, 1 ; ^^., VII, 122;
X, 32, 7; Xl\^ 90; ^\ ^ ^ >\^ ^ ^.^^.y^.^ ^ ^\i , Ag.. XI, 9,1. 10. I. S. Tabaq., I *,
72, 14 «râs d'une députation et leur orateur, |»i-SLX-c ou i_-^-Jaal. « ; I. S. Tabag., II',
45, 10 : JvLo^ ^^t^; Nagâ'id Garîr, 239, 240.
(^) Scolion de Qotâmï, Divan, III, 44; remarque de Gâhiz, Avares, 116, 13.
(*) Ibn Doraid, Istigâq, 115, 1; mais 200, 1 râs = sayyd; 141, ^j^\} '^^î^
(') Nallino, op. cit., 614, n. le dit inconnu à l'antiquité dans le sens de sayyd.
Voir Ag., XI, 58, 8 et II d. 1., XVI, 70, 7. Gâhiz, Haiawân, VII, 50, 5; Tab., An-
Celui de « saili » 207
plus emphatique des sj-nonymes pour signifier le sa\yd. Rarement
il se présente isolé. Il désigne dans ce cas les chefs a3ant derrière
eux un long passé, des vétérans de gloire, des seigneurs enfin, senior:
tels Ahnaf ibn Oais et Zofar ibn al-Hârit ('). Par ailleurs il se trouve
fréquemment associé au terme de sayyd ou à un de ses équivalents
arabes : kabir, zcClm (^). Cette combinaison renforce considérablement
la signification du complexe (^). Pour prétendre à cette titulature
fastueuse, il fallait à l'autorité, trop souvent nominale, du chef de tribu,
joindre l'influence personnelle, le prestige des richesses et des services
rendus. Toutes ces conditions se voyaient réunies chez Aboû Sofiân,
justement qualifié, nous le savons, de sayyd et de saih de Oorais (*) ;
à un moindre degré chez Hâni ibn 'Orwa (^) contemporain de 'Obai-
dallah ibn Ziâd à Koûfa, appelé zcûlm et saih de Morâd (*).
Cette ampleur, propre au terme de saih^ dérive en première ligne
nales, I, 3466; très coninuin au plur. asiâh := notables. Saih, Saiha désignent les
vieux parents; Af., XII, 41, 11; 42 ; 47 ; Nagà'id Garîr, 152, d. 1. »-^ = sayyd;
Gâhiz, Avares, 2.51, 7; Hassan ibn Tâbit, Divan, VI, 16; au plur.: .Xaçai'd Garîr,
612, 4; Qotaiba, 'Oyoûti, 242, 1.
(') Ahtal, Divan, 221; Qotaiba, 'Oyoûn, 275. Sur Ahnaf, cf. Mo'àwia, inde.\; sur
Zofar, cf notre Chantre, 134 seqq.; Naqà'id Garîr, 72, 12; 612, 4; 627, 2 v., ,J^„-S H-i;
Ag., XVI, 70, 7.
(2) Sl^^ H-i , Dînavvarî, Ahbâr, 309, 11; p»J^ »-i ; Ag., XII, 54; Sigistânî,
Mo'ammaroûn, 38, 4. Dans Gâhiz, Bayàn, I, 130, 4, le complexe ^^ '■*-!^ désigne
un grand seigneur.
(3) Tab., Annales, II, 332, 6; les 'Alides appellent 'Ali ■^^ ^ ^r^; I. -S. 7a-
baq., V, 162, d. 1. On trouve ^^L»>.-o, ^VxL^ ; Ibn Doraid, Istiqàq, 233, 15; 'Iqd^,
II, 72, 2. Même titulature pour Hosain fils de 'Alî; Ibn al-Atîr, Kâmil, E. IV, 26, 1;
Nagaid Garîr, 746, 1: sj-iJl ^\ »-^; *4i-«-< , possesseur du 'imâma, autre synonyme
de sayyd (voir explication dans Qox&Voa., 'Oyoûn, 273); |,ijt« ^ .Là ; Hansâ', Z'/ea;; 13,
4 d. 1.; 25, 31. 83. Gâhiz, Haiawân, III, 25; Sâhib est rare; comp. p*J^ u;->^».Lo ;
Naqà'id Garîr, 140.
(*) Cf. République marchande, p. 9.
(^) Cf. Yazîd, 144, 145. Hâni a été e.xalté par la Sra, comme un martyr de la cause.
(«) Mas'oûdî, Prairies. V, 140; Hanbal, Mosnad, III, 432, pej^ J>^ ; 111,461, 1,
jkXw» -c^ '< nième remarque pour 'Otba ibn Rabï'a, l'aïeul maternel de Mo'àwia:
L^^ ^Uatl bboXvJa ^j^f t^ ' ^^'Sqidî (Kr.) 58, 8; Balâdori, Fotoûh, 359, 8: rvi
UjJLj, s.--vLj«JI ; Ag., .Xl.K, 141, 3 d. 1.; ^^^ ^ .yJI r>i.
208 « Sayyd » qualification ordinaire
du principe du sêniorat, cher aux Arabes ; il en sera question plus
loin. Pour la même raison kalnr, s\non3me de saih, acquérait la si-
gnification de sa} yd. Mais outre la considération, accordée à l'âge
et aux cheveux blancs, on observe, dans l'ancienne littérature, une
tendance très marquée à les réserver pour les plus fameux capi-
taines ('), pour les plus grands souverains, les plus estimés parmi
les califes. 'Ali, 'Otmân et Mo'âwia (-) ne se trouvent pas désignés
autrement (^). La tradition affecte de confondre fraternellement Aboû
Hakr et 'Omar sous la dénomination de saihàn, les deux saih. Comme
cliez les Arabes les Chosroès de Perse, les Césars de B\'zance ont
toujours passé pour les représentants du pouvoir absolu (*), les
poètes s'empressent de leur conférer également le titre de saih (*).
* *
Si rien n'autorise à affirmer l'existence d'un protocole rigoureux,
réglant l'emploi de ces synonj^mes honorifiques, il reste vrai pourtant
que le terme de sayyd formait, à proprement parler, le titre ordinaire,
la qualification la plus communément accordée au chef arabe, dans
l'antiquité et pendant toute la période, si exclusivement arabe des
Omay}-ades ("). Il a depuis cédé la place au vocable de saih. Ne
{*) Comme Mohallab, et Zofar, nommé plus haut.
(3) Tab., Annales, I, 3454, 4; II, 747, 1 ; Dïnawarî, Ahbâr, 164, 5 d. 1.; 190, 12;
192, 19; Mas'oudî, Prairies, IV, 401, 4.
(3) Mas'oudî, Prairies, lY, 326, 3; Dïnawarî, Ahbâr, 280, 15, 21; Tab., Anna-
les, II, 146, 15; A. Tammâm, Hamâsa, E. I, 155.
(*) Comp. Tab., Annales, II, 266, 15; notre Yaztd, 94, 95. Comp. l'expression
Ci^-y^ . Comme saihan, elle doit affirmer l'union intime des chefs du Triumvirat.
i=) Ag., II, 107, 10 d. 1.; V, 103, 4; 150, 2 d. 1.; VIII, 88, 3; Ahtal, Divan,
155, 3; Gâhiz, Opuscula, 60, 12. Saih ^ roi absolument; Qotaiba, /"ofjw, 39, 11. Même
emploi chez le poète Hotai'a.
(6) Wellhausen, Die Ehe bei den Arabern, 447, n. 1 dérive d'^f-., II, 29, 26, que
sayyd = mari. Il s'agit d'une prisonnière, d'où l'expression fort naturelle de gy««>i
^xX*ujL) , obéissante à son maître. Au pluriel sa>->d et saih désignent des notables, com-
me les ^^ï jZy^ , chaque clan possédait le sien; Ag., XXI, 267, 11. Comp. pourtant
Absence de protocole rigoureux 209
serait-ce pas (]u'on a prétendu plus tard réserver aux descendants
de Mahomet la qualification de savyd? La même préoccupation a pu
faire disparaître de la langue courante du désert le terme de sarïf,
noble. Le spectacle de la dégradation de ces chérifs 'Alides, Hasa-
nides, Hosainides, Ga'farides arrachera plus tard des larmes au pè-
lerin andalou Ibn Gobair, à son arrivée au Higâz. Ramasser du bois,
des dattes! Et parfois cette himiiliation atteint jusqu'aux femmes
de ces chérifs, U. .Jltll ^Lsa..^ ^w{,.»oJb Cj'-«-^.r«iJl |»j«>^U~J ^> J»*-^ '-*^_>«
Say3'd ou saih? C'étaient là de simples appellations, non des
titres permanents et officiels. En parlant au chef de sa tribu, le moin-
dre Bédouin (^) se contentait de l'interpeller par son nom, ou bien
encore par sa konia, si par hasard il en possédait une. Usage assez
restreint à l'époque préislamite et fréquemment un sobriquet, une
association de mots, rien moins qu'honorifique (^). Le nomade aurait
cru déroger en le traitant de sayyd. Comme plus tard, il s'écoulera du
temps avant de l'habituer à accorder le titre d'émir aux gouverneurs
omay\ades {*). Infatué du sentiment de sa propre autonomie, il aban-
donnait cette politesse aux rimeurs faméli(]ues, avides de provoquer
les largesses d'un chef opulent. A l'époque du califat, il faudra re-
courir à des mesures de rigueur, pour imposer aux nomades une
attitude plus respectueuse (^).
Osd, IV, 167, 11, où 'Oyaina ibn Hisn prend le titre de j^^-wVl j^l — variante ^^X
.U^Ml ; 'Iqd^, I, 242. Le calife 'Omar se fâche croyant y découvrir une allusion à sa
propre origine plébéienne.
(') Ibn Gobair, Travels'^, 76. Voir précédemment p. 81. Je ne me rappelle pour
la période omayyade aucun e.xemple de l'emploi de sarïf pour les 'Alides. L'idée de
cette noblesse spéciale ne me parait pas d'origine arabe.
(-) Devant son frère, Hansâ' fait dresser les assistants, « comme on se lève devant
la nouvelle lune». Exagération fraternelle; cf. '^s.Wmo, op. cit., 616; Goldziher jlf. 5'. ,
I, 154. Mais la comparaison ij))k^ |»^Us est intéressante pour l'histoire religieuse
préislamite. Elle présuppose des cérémonies au lever de la lune nouvelle.
(^) Comme on l'admet trop communément.
(<) Qalqasandî, Sobh, I, 250, 3. Leur ton insolent ; Ag., XX, 10, 9.
(5) Qalqasandî, Sobh, I, 249;Soyoûtî, Califes, 10.
Lammens — Berceau 14
210 Le titre de roi
Le titre de roi se retrouve uniquement (') chez les populations
sédentaires et très anciennement civilisées du Yémen (^), chez les
Lahmides de Hira, chez les phylarques S3ro-arabes de Gassân ;'') et
par exception chez des nomades, comme les Kinda {*). Ces derniers
étaient d'origine yéménite et placés temporairement à la tète de
grandes confédérations; jouissant par suite d'un pouvoir bien supé-
rieur à celui des chefs de tribu (').
(') Voir dans Balâdorî, Fotoûh, 101, 7; comp. I. S. Tabaq., V, 7, 1. 5, comment
on y prodiguait ce titre; Tab., Annales, I, 1717, 14 etc. Dans la >«o/âAara des B. Ta-
mîm, en présence de Mahomet, les deux partisse proclament rois; Tab., Annales,
1, 1711-1716; Nallino, op. cit., 615 n.
(2) Dans le centre de l'Arabie la rencontre d'un inconnu, somptueusement habillé,
provoque la réflexion: tiU-c Lj^ yj~^ îW >-^|j ...liUil ^]^LJ i^l*i* ^tl ; Ag., XI,
131. Certains chefs, comme Hauda ibn 'Alî, sont qualifiés de _UJ1 .i ; Ibn Doraid,
Istigàg, 209 ; tâg et rois du Yémen ; Bakrî, Mo'gam, 698. La mention du tâg figure
également dans l'inscription proto-arabe de Namâra, trouvée par M. R. Dussaud.
(3) Sur leur titulature, voir Nôldeke, Die Ghassànischen Fûrsten, que je n'ai pas pour
le moment à ma portée.
(■•) Comme Amroulqais, le «roi errant » ; Ag., VIH, 63, 9 et sa notice, ibid.. Dans
le high li/e du désert on mettait à part Kinda, considéré comme une tribu royale ;
Qalqasandî, Sobh, I, 228, bas; voir Ag., XVII, 106, 1.
(') Titre de roi donné aux chefs du 'Oman, du Bahrain, du Yamâma; Qalqasandî,
Sobh, \, 57. Le taglibite Kolaib reçoit aussi ce titre; ibid., I, 204, 10.
IV
Chez les Arabes l'exercice de l'autorité entraîne surtout des
charges. Rare ensemble de qualités qu'elle suppose
Le calife Mo'âwia s'informa un jour auprès d'un Arabe des Ba-
noû Bakr, comment on obtenait chez eux l'autorité. La réponse mé-
rite d'être méditée: « Table ouverte, douceur de langage, largesses
abondantes; s'interdire de rien exiger; montrer la même affabilité
aux petits et aux grands: bref, les traiter tous en égaux » ('). Nos
démagogues modernes pourraient signer le programme. Il n'y man-
que que les poignées de main, les promesses, et aussi les verres
d'absinthe et de vermouth, prodigués par eux, du moins pendant la
période électorale.
A une question analogue le célèbre Qais ibn 'Asim aurait ré-
pondu comme suit : « En défendant mes contribules contre l'injustice,
en pratiquant la bienfaisance et en protégeant mes alliés » (*). Son
fidèle imitateur Ahnaf ibn Qais ne se distinguait (^) ni par l'illustra-
tion de la naissance, ni par les avantages extérieurs, si estimés par
(') Mas'oQdï, Prairies, V, 106. C'est le motif développé en vers, attribués au cé-
lèbre Ahnaf ibn Qais. La fortune est indispensable pour sauvegarder la position et
l'honneur du chef; Gâhiz, Bayân, II, 26, bas. De même, pas de célébrité sans d'abon-
dantes largesses; ibid., I, 203. Sans fortune pas de sayyd ; Qotaiba, 'QyoK», 286 sqq.
(■•') Maidâ, allié, affilié. Comp. les vers de 'Àmir ibn at-Tofail; 'Iqd^, I, 221, 13
d. 1.; questions et réponses analogues dans Qotaiba, 'Oyoûn, 271, 272, 273.
(■') Cf. Moâwia, voir ce nom à V index.
212 Recommandations de Doû'l Osbo'
les populations primitives. En fait de qualités, on ne trouvait guère
à relever chez lui que le fameux hilnt arabe. Aussi s'étonnait-on à
bon droit de sa très réelle influence. Il répliqua à un interlocuteur
assez curieux pour le sonder à ce sujet : « Je la dois à un avantage,
qui te fait complètement défaut, fils de mon frère — A savoir? —
Ma discrétion absolue! J'évite de me mêler des affaires d'autrui » (').
Au centre de l'Arabie, parmi les Banou "Adwân (^), on pensait
comme à l'Est de la Péninsule parmi les Bakrites et les Tamimites (').
Sur son lit de mort, le vieux poète Doû'l Osbo' (') adressa à son fils
ces recommandations: « Sois affable pour tes contribules, tu méri-
teras ainsi leur amour; humble devant eux, ils t'exalteront; montre-
leur un visage souriant, ils t'obéiront. Si tu ne te réserves rien, ils
te proclameront sayyd. Grands et petits, témoigne à tous une égale
déférence; les grands t'honoreront et dans le cœur des jeunes croî-
tra l'affection pour toi. Sois prodigue de ta fortune; défends ton
droit (^) et celui de tes alliés. Assiste tous tes quémandeurs ; honore
ton hôte; accours dès que retentira le cri d'appel (^). Ainsi la con-
sidération te sera acquise; enfin ne repousse la sollicitation de per-
sonne. A ces conditions tu raffermiras ton autorité » ("). Que pour-
rait-on ajouter .'' Le programme se trouve complet.
De nos jours l'argent peut procurer un blason et des titres. Chez
les Bédouins, en l'absence de tout gouvernement, les poètes, arbitres
de l'opinion, prenaient sur eux de décerner les distinctions (*). Nous
n'aurions qu'à nous en féliciter, si, dans l'exercice de ce pouvoir dis-
(') 'IqdK I, 219; Qotaiba, 'Oyoûii, 272.
(-) Voir précédemment p. 135.
(3) Ahnaf et Qais ibn 'Àsim appartenaient au groupe de Tamîm.
{^) Enuméré parmi les centenaires ; cf. Sigistânî, Mo'ammarotm, 102.
(^) II s'agit non du droit personnel, privé, mais des droits comme membre de
la tribu, partant communs à tout le groupe.
(") i^--fo\ appel au secours, quand on poussait la da'wa de la tribu : Yàla Folân,
A moi les Arabes de... !
(") Ag., III, 6, bas. ; So'arà', 632 ; le même testament en vers, sentant l'apo-
cryphe très fort; So'ard', 632-33.
(S) Cf. Mo'àwia, 92 sqq.
'Araba al-Ausî 213
crétionnaire, ils avaient emplo\é une plus jurande dose de réserve (').
Le trop vanté Qais ibn 'Asim dut principalement sa notoriété au beau
vers, prononcé à l'occasion de sa mort :
« Non le trépas de Oais ne lut pas la mort d'un homme isolé,
mais l'effondrement du monument de sa tribu,
(-) Lcji-{_'j j.^' ^;J^-o à^JSl a Jvi>.U ^iUub AiDufc ^J^^ cJ^ '^
Un tel homme devait être un héros 1 Les Arabes ne se deman-
dèrent pas si l'éloge ne dépassait pas la mesure. Comme les prix de
vertu, accordés par l'Académie, les verdicts de l'aréopage des poètes
demeuraient sans appel. La \'anité \- trouvait son intérêt. Dans la pai-
sible oasis de Médine, vivait perdu parmi la foule de ses concitoyens
un Ansârien, 'Arâba al-AusL II sut saisir l'occasion d'obliger un poète,
Sammâh. Celui-ci l'en récompensa par une pièce, où se détachait
le vers suivant :
< Quand on élève l'étendard de la renommée, on voit 'Arâba le
saisir de la droite,
A dater de ce jour, le brave planteur de Médine se vit sacré
grand homme, ou mieux sa3-\d, pour parler arabe : « Veux-tu exercer
de l'influence, disait ce galant homme, ne sois pas attaché à ton bien ni
pointilleux sur ton honneur; garde-toi de mépriser le faible et d'envier
le puissant » {*). D'après une autre version, Mo'âwia (^), un des plus
grands politiques de l'Arabie, vivement intéressé dans la question, pria
'Arâba de lui indiquer le secret de son autorité. Il répondit : « je par-
(') Leur indiscrétion a créé nombre de réputations imméritées, imprudemment
enregistrées par les annalistes et avidement propagées par les auteurs de nawàdir.
(2) Voir sa notice, Ag., XII, 149-58; le vers cité, W'IIl, 163. Comp. un vers
moins élogieux pour Qais, donné par le scoliaste de Hotai'a, Divan, VII, 34.
(■^) Ag., VIII, 106; cf. ibid., 105; Nawawi, Taiidïb, 418. Qotaiba, Poesis, 179.
(*) Cf. Ag., VIII, 105.
Ç") Nos auteurs le mettent constamment en avant, quand il s'agit de leçons po-
litiques. Cf. Mo'âwia, 189-213. Par ailleurs rien ne prouve que cet 'Arâba ait possédé
une véritable influence. Voir son nom à l'index d'Agâni.
^!14 L'envie, péché national des Arabes
donne les impertinences ; je ne repousse aucun quémandeur et m'oc-
cupe des intérêts de mes solliciteurs ('). En agissant de la sorte, on
arrive au même résultat, avec du plus ou du moins ; le succès dépend
des efforts de chacun » (^).
La couronne des rois peut cacher des épines. Chez les Arabes
la 'imàtna ou coiffure des sayjd était rarement doublée de velours.
Chaque tribu se montrait fière de posséder des sayj-d influents (");
mais les particuliers se chargeaient de leur faire expier leur précaire
influence. « Chez nous, disait un Bédouin, le sax'^^d doit imposer le
respect par sa présence; a-t-il tourné le dos, nous ne manquons pas
de le débiner; sUÛ;;*! ISSl IM^ aUl» jJLil \M ^JJl ol^^JI » [*). Craint et
démonétisé! Ces deux alternatives résumaient la situation du sa\yd
au sein de sa tribu. Il en souffrait sans doute? (°) Ce serait ime illu-
sion de se l'imaginer. Lui parlait-on d'un rival ? « Pourquoi le redou-
ter, répliquait-il: il ne mérite pas même d'être jalousé, V^^^t»^
l^wa^ i_5*-^,' » C^) L'envie, le péché national des Arabes, au témoi-
gnage autorisé de Mahomet! C) « Ne pas envier, ajoutait un saint de
l'islam, Anas ibn Mâlik, voilà une perfection impossible à atteindre
(1) Comp. Hatini Tayy, Divan (Schultessj XL, IL
(*) Comp. la définition de 'Adï ibn Hâtim '■ ^3 ^S^'^^ ^'^ i3 ^-^si^l ^--^ j>;1..mJI
sjJCi y. .h U à^^ ; Divan de Hâtim, p. 7, 1. 14. Par quelles condescendances Asmâ'
ibn Hâriga devint sayyd, cf. Balâdori (Ahhvardt), 248.
(^) Les poètes en vantent toujours la pléthore dans leur tribu. Voir plus loin: la
question du séniorat.
(') Gâhiz, Haiawàn, II, 32.
(=) Il n'ignore pas les sentiments de la tribu à son égard; Nagâ'id Carîr, 97, 9.
Une détestable réputation lui paraît préférable à l'obscurité: ^;j\ ^ -^ ILùJb k^-f-iJI
_^ 'SI «, .j~J^ *-*r* ' ^ • '-'^hiz, Haiau'âti, II, 3ô.
('•) Gâhiz, Haiawân, II, 30.
(") Tab., Annales, I, 2516, 5: »j-^« * 'r^'' <3 '*^»-— ^ si ;a.l iSj-i.>s >x,l^l ^^^
^UJl^Lo J. Comp. Ag., XX, 117.
L'abnégation indispensable au sayyd 215
pour nous > ('). Le sajyd avait à se garer contre la jalousie de ses
propres parents, la plus implacable de toutes, observe Gâhiz ("). Le
poète l'avait dit:
« Le gouvernement des hommes, sache-le bien, c'est une montée ;
longue en est l'ascension > (').
Un véritable concours! Le plus entreprenant emportait le titre
de sayyd:
Comme on le voit, l'exercice de l'autorité chez les Arabes entraîne
surtout des charges, il suppose des devoirs. Elle exige un |rare en-
semble de qualités, une dose peu commune d'abnégation, une vigi-
lance de tous les instants, pour dissimuler la supériorité personnelle,
obliger grands et petits (^), tout en évitant de se mettre trop en ve-
dette. Il }■ faut de l'opulence ("), infiniment de tact et non moins de
dignitéjdans l'attitude. Si, outre cet heureux ensemble, le sayyd adop-
tait comme devise ce vers du poète:
« Demandez-moi, accablez-moi ; je vous abandonne tout ce que
je possède dans la bonne, dans la mauvaise fortune,
(») Hanbal, Mosnad, III, 165, 9 d. 1.
(2) Mo'âwia, 24, n. 5; Bohtori, Hamâsa. chap. 152 et suivants; Jaussen, Moab,
114. Sigistânî, Mo'ammaroûn, 28, bas.
(3) Gâhiz, Haiaivân, II, 32; Qotaiba, 'Oyoûn. 273.
(<) Zohair (Ahhv.), 80, 2 d. 1.
1^) Avoir l'air rayonnant, comme si l'on recevait au lieu de donner:
Zohair (Ahhv.). 93, 9. Le sayyd doit être uJ»^-^ , dissipateur; Hansâ', Divan, 14,
d. I.; ou ^UX<o ; Gâhiz, Bayân, I, 21U, 19.
C') w>.".»..ll j-i >y^. iJ^'i Baihaqî, Mahâsiit, 301, 6; comme exception de sayyd
pauvre, on cite 'Otba ibn Rabfa de Qorais; Qotaiba, 'Oyoûn, 291, 7. Autre e.xception,
un sayyd avare; Gâhiz, Bay&n, I, 210, 3-5.
(■) Ibn Doraid, l'stiqâq, 219, 6.
216 Le sayyd, «l'esclave de tous»
S'il savait }• joindre l'inébranlable résolution de se laisser piller, démoné-
tiser, manquer de toutes façons, se tenir constamment à la disposition
des siens, s'il possédait enfin le hilm dans un degré peu commun, il
augmentait dans la même mesure les chances de voir durer sa pré-
caire autorité. Non pas pendant un siècle — ainsi l'affirme la notice
légendaire d'un chef(') — mais peut-être de recueillir 40 fois le mirbà'
ou le quart du butin ; chance exceptionnelle échue, assure-t-on. à Dai-
hân ibn an-Namir (*). La sagesse populaire condensait l'ensemble de
ces conditions dans ces deux dictons : j»AlJLi>l .yCJl -Çw et encore -wj
*.^>U. »yOI (^): le sa3yd est l'esclave de tout le monde! Cer-
tains sa^^-d avaient la bonne grâce d'en convenir : < si ie suis sajyd,
c'est pour être votre serviteur » (^).
(») Cf. Osd, IV, 212, 4; Gâhiz, Haiawân, III, 24-26, anthologie de citations; Qo-
taiba, 'OyoTiti, 271-72, conditions requises pour mériter le titre de sayyd ; les dix qua-
lités du sayyd, Hotai'a, Divan, XL, 15-24, entraînent surtout des charges; comp. dé-
finition du sayyd par Mahomet, dans Ibn al-Atîr, Ni/iâia, (msc. B. Kh.) s. v. >yM
(-) Autres exemples; Ibn Doraid, Istigâg, 145, 152. Pour le inirbà', cf. Ag., IX,
3, 5 d. 1. ; XII, 12, 2; 50; I. Doraid, op. cit., 210, 212; mirbâ' et sa/àya ; Xaçâ'id
Garïr, 192, 6.
(^) Aboû Tammâni, Haftiâsa (Fr.), 122; Hosrï', I, 21 (en marge de 'Iqd^, I).
{^) Gâhiz, Bayàn, I, 151 ; Sigistânî, Mo'atnmaroûn, 50, 2.
V
Le sayyd doit être intelligent. La vertu politique du « tiilm >.
Importance de l'art oratoire
Dans les foires annuelles de la Péninsule, réunions utilisées pour
la tenue de fêtes littéraires, de joutes poétiques, il n'était pas rare
d'entendre un nomade porter ce défi : « Qui osera disputer à ma tribu
la prééminence pour ses cavaliers, pour ses poètes et pour le nombre
de ses membres, \>SS^ tl^aiij GUojS ...^^^y^ ijf^^- cr< ? (')»• Puissance
militaire, intelligence, nombreuse population : à ces indices le Bédouin
reconnaissait la supériorité d'un groupe. Qu'on veuille bien remarquer
la place, accordée à l'intelligence, représentée dans la circonstance par
la poésie ! En réalité l'Arabe la mettait au premier rang (*) ; quand
il s'agissait de choisir le chef destiné à le guider, il le voulait
intelligent !
Maintes fois nous avons eu l'occasion de nommer le /li/m, le
signe trahissant les hommes, nés pour conduire leurs contemporains (^).
Tels le calife Mo'âwia, les chefs de tribu Oais ibn 'Asim, Ahnaf ibn
Qais, cités plus haut. Constamment il est question du hilm des sayyd,
ï>U) .^lo..! {*). Le sa3-\-d doit être hahm. « Possède le hilm, tu de-
(') Ag.. VIII, 77.
(^, Les Banoû 'Abs se vantent de n'obéir qu'au plus intelligent parmi eux; Gâhiz,
Bayân, II, 31, 6.
{') Mo'àwia, 79-80, 83, 87. Opinions en sens contraire : Qotaiba, 'Oyoûn, 269, 13,
270, 1, 2; on entend prouver que chez un jeune homme l'audace est de bon augure.
{*) Ag., XI, 133, 13.
218 Le « hilm »
viendras sayyd, >x*^ li^l », disait le proverbe ('). C'était la qualité
maîtresse des califes onia\'3'ades ('■).
« Terribles dans leur colère, tant (ju'on leur résiste, personne
n'unit à un plus haut degré le /nùn au pouvoir souverain ».
J'ai laissé à dessein Ai/m sans traduction. Nous manquons en
français d'un terme, rendant adécjuatement le concept arabe. Le /li/m
n'est ni la lon^janimité ou la possession de soi-même, ni la maturité
de l'esprit, ni la modération (■*). Il se contente d'empnmter à chacune
de ces (jualités, à la maturité de l'intelligence surtout, juste assez pour
donner le change à l'observateur distrait. Comme la valeur, le /li/m
n'attend pas le nombre des années et on peut l'observer chez les
jeunes, Mi J~^ l^j^\ ^^ (^). Par ailleurs, l'intelligence fournit une
composante indispensable (") du /li/m et l'on rencontre des hommes,
chez qui le ////;« équilibre difficilement la légèreté de l'esprit »^sla.l
l^yCs. J.^ C). De ces emprunts superficiels, opérés aux dépens de
l'intelligence, de la rouerie, de la simulation, de la longanimité, de la
modération (*), de la maturité, il résulte une vertu spécifiquement
arabe; complexe hvbride, mal défini, aux contours flottants et imprécis;
(1) Qotaiba, 'Oyoûn, 271, 13; 332, 5.
(-) Cf. Mo'âwia; chap. 5: Le hilm de Mo'âwia et des Oniayyades, 66-108,
(3) Ahtal, Divan, 104, d. v. ; Ibn Qais ar-Roqayyât, Divan, 255, 4; 266, 3; le
hilm de Qorais (ibid., 171, 2J, la tribu impériale, créée pour régir les Arabes! Il n'est
jamais question du hilm des Ansârs.
(■•) Comp. Mo'mi'ia, 67 etc. Je reprends les traits principau.x de l'esquisse tracée
en ces pages.
(5j Ag., XIII, 106, 9.
(6) Non pas exclusive, comme l'ont prétendu le regretté K. Vollers et le Prof. R.
Geyer.
(7) Farazdaq, Divan (Boucher), 2, 2 d. I. non pas « fantômes à petites cervelles »,
comme traduit Boucher.
(') Et aussi de la douceur; Hansâ', Divan, 51, 14. On mêle adroitement l'empor-
tement au hilm: Jl^-^ »Uï>.b ; Saqaid Garïr, 568, d. v. ainsi expliqué ibid., 569:
Mer^ fj^ IM| J4.^ ^» tUi U4 ,xij ; comp. ibid., 569, 2 v.
Même sujet 219
si imprécis même que le moraliste se trouve embarrassé pour \' déter-
miner la limite exacte entre la qualité et le défaut. Cette fluctuation
tient à la mentalité, à la nature du peuple arabe, composées d'extrêmes;
nature excessive et exubérante, d'un relief vigoureux, mais heurté,
tout en ombres et lumières, sans gradation de teintes et de nuances ;
héritier d'une antiiiue civilisation, mais par suite de révolutions clima-
tologiques ('), économiques et politiques, retombé dans un état voisin
de la barbarie.
Le hilm, en dépit de toutes les combinaisons disparates, des dé-
formations, causées par la rudimentaire ps\chologie des Arabes, le
hilm demeurait en définitive une prérogative spécifiquement intellec-
tuelle, une pâle copie de la acoqpQoovvii antique, sorte de raison de
second ordre. Composée principalement de finesse et de rouerie,
infiniment plus pratique que spéculative, cette prudence devait ap-
prendre à tourner les difficultés, quand on ne pouvait les aborder de
front. Elle ne dédaignait pas les voies obliques, tortueuses, et ne s'in-
terdisait pas de tendre un traquenard à un adversaire puissant, où il
trouverait (^) le châtiment de son insolence ('). Les écrivains arabes
insistent avec complaisance sur ces habiletés équivoques des savyd
les plus vantés. Ceux-ci prenaient modèle sur le serpent aI^. ^.^ ji^l (^),
friic/enies siait serpentes. On tenait en petite estime la lente perception
des grands fauves, ^L^l ^X-^\ (°), et, en tout dernier lieu, celle
des moineaux, ^'^-ot ^^=.-1 (^). Les Arabes ont-ils connu la théorie,
établissant une relation entre le développement, le volume du cerveau
et celui de l'intelligence ? Constamment nous les entendons parler du
(') Celles-ci dans le sens expliqué plus haut.
('^ Où l'on lui « limerait les ongles », disaient les Arabes. Bohtorî, Haviàsa,
n. 1308, 1 V.
(3) Mo'àwia, 68-69.
(■*) Qotaiba, 'Oyoûn, 459, 16 ; comp. 460, 8. Pour la même raison, ces écrivains
réservaient leur admiration aux dàhia; cf. Mo'àwia, 214-215. Or le dâhia devait avant
tout posséder le hilm.
(S) Hanbal, iMosnad, II, 166, 10 d. 1.
1^1 Gâhiz, Haiawân, V, 73, nombreuses citations ; Hassan ibn Tâbit, Divan.
cm, 2.
220 Etait-ce une qualité ?
poids de leur hilm. Il doit être assez lourd pour contrebalancer la
masse des montagnes (').
Reniar(]ue plus importante pour notre sujet : le hilm était la
vertu des politiques, la ([ualité maîtresse des say}d (^)! Dans la foule
des sayyd — et en Arabie (}ui ne prétendait à ce titre? — on arrivait
à percer, à la condition de posséder dans un degré peu commun cette
vertu à double fin, rappelant le sabre de M. Prudhomme.
Au fond le hilm, comme la plupart des qualités arabes (•*), est
une vertu bruyante et d'apparat, composée d'ostentation. Chez ce
peuple théâtral, héritier insouciant d'anciennes civilisations, la répu-
tation de hilm s'acquiert au prix d'un geste élégant, de quelcjue
dicton sonore, soigneusement relevés par les poètes. Elle ne suppose
pas la victoire sur les passions irascibles (*), la lutte contre l'ignorance.
Elle peut s'allier avec la brutalité dans la vie journalière. L'exemple
de Qais ibn 'Asim suffirait à le prouver. Ce t)-pe du hilm se vantait
d'avoir enterré vivantes une trentaine de ses filles. Le hallvi voudrait
se persuader à lui-même et surtout à ses contemporains, combien il
se sent supérieur à l'outrage, évitant d'y répondre, par mépris pour
l'agresseur, ou pour s'épargner des désagréments plus grands. Ainsi
certains poètes dédaignaient de riposter à des adversaires, jugés par
eux indignes d'une réplique (■')•
En parlant du hilm, il nous est arrivé d'emplo^^er le terme de
qualité. C'était avant tout une attitude, un opportunisme prudent. Ils
prévenaient des abus d'autorité, toujours regrettables, sous un régime
en principe démocrati(]ue, surtout dans un milieu aussi anarchique,
(1) Cf. Mdmvia, 74, 364, n. 1; .U=^\ll 'LkL.\ Naqâ'id Garir, 18, 1; Ag., XX,
105, 4 d. 1. ; « plus lourd que le mont Radwâ »; Hassan ibn Tâbit, Divan, X, 25.
(') Cf. Mo'âwia, 79, 80; Qotaiba, 'Oyoûn, 331, 333.
(3) Nommons la générosité; cf. Yazîd, 191, sqq.
{■*) Elle est presque toujours jointe à la plus intolérable jactance. Le héros est
pii^ ^_iyQÀ\ Hansâ', Divan, 113, 1, avec la variante plus naturelle de pJ*^- ^^='-'-
(=) Cf. Mo'âwia, 82; Bohtorî, Hamâsa, nos 911, 912, sqq. Ag., II, 116; XX, 172;
Ahtal, Divan, 67, 5-6; 132, 4; 316, U; parfois on attaquait pour obtenir l'honneur
d'une réplique; Ag., Il, 24, 7. Pour les débutants, c'était une façon de se mettre en
vedette.
Son importance pour le sayyd 221
OÙ tout acte de violence provoquait fatalement une réaction ('). La
crainte du iàr, du talion — et non pas un sentiment d'humanité (*) —
inspira au Bédouin l'horreur du sang versé. Ainsi les conséquences
fâcheuses d'un mot, d'un geste emportés lui révélèrent la valeur du
hilm. A ce titre il s'imposait à l'attention des sa3yd, obligés par
office à maintenir l'équilibre entre les éléments de désordre, s'agitant
au sein de la tribu. Celle-ci se trouvait régie par des institutions,
rappelant le régime parlementaire ('). Les décisions du sa}-yd deve-
naient exécutoires, quand ils avaient été discutés et approuvés par
le maglis, iiâdi, 7iia/â\ ou conseil des chefs de tente {*). Il fallait tenir
compte des orateurs, surtout ménager l'amour-propre de la nom-
breuse et inquiète corporation des poètes, très influents sur l'opinion
publique. Cette organisation faisait du hilm pour le dépositaire de
l'autorité une vertu politique de premier ordre ("). Chez les particu-
liers, abrégé pratique de l'ancienne sagesse du désert, s'inspirant
principalement d'orgueil et de dédain, le hilm se révèle à nous, comme
une contrefaçon peu réussie de la réserve, de la longanimité chré-
tiennes f).
Ce caractère composite, cette combinaison inégale de défauts
et de qualités en constituaient précisément la valeur aux j-eux des
Arabes, incapables d'apprécier le mérite des actions simples et mo-
destes, la pratique des vertus domestiques, relevant seulement de
Dieu et de la conscience individuelle.
(*) Des meurtres, partant des rançons à payer. Le poids de ces rançons — nous le
verrons plus bas — retombait principalement sur le saj'yd.
(-) Hâtim Tayy se vante, comme d'une action d'éclat, de n'avoir jamais tué le
fils unique de sa mère; Gâhiz, Mahàsin, 80, 15.
(3) Cf. Mo'âwia, 59-66.
(••) Voir plus loin le droit de l'eto.
{^) Comp. l'e.xpression Xà\^ *5r'"^ ii^'^ ij-"^ ; Hizânat al-adab, II, 146, 2 d. 1.
C'était la vertu des hakam ou arbitres, comme Sinân ibn Abi Hârita; Ya'qoûbî, ^«j/.,
I, 299; également vertu des vieillards; Bohtorî, Hamâsa, chap. 119.
('•) Voir dans Bohtorî, Haviâsa, chap. 108 sur le pardon; on remarquera com-
bien le ton demeure dédaigneux et hautain. Le vieu.x poète Ma'n ibn Aus fait exception
par son accent de mansuétude presque évangélique ; Bohtori, op. cit., n. 1308.
222 Les orateurs
Malgré toutes ces confusions, en dépit de ce mélange de bien et
de mal, l'estime des Arabes pour le hilm, considéré par eux comme
première prérogative des hommes politiques, cette estime n'en consti-
tuait pas moins un hommage rendu à l'intelligence. C'était reconnaître
son influence sur la conduite des affaires. Cet aveu ne restait pas
isolé. Il prouve, comme nous l'avons insinué, les dispositions de cette
race (') pour une culture plus avancée.
Saj'j'd et amir, ces deux termes servaient à désigner le chef.
Primitivement ils paraissent bien avoir signifié l'orateur. Ainsi l'indi-
que du moins la comparaison avec les dialectes sud-arabes, avec
l'hébreu et avec le syriaque (^). Dans nombre de textes et de récits
anciens, les mots >-rr^ ^t p*j orateur (') remplacent fréquemment ce-
lui de sa3-\d {*). Chaque tribu, chaque clan possédaient un hatlb. un
zcCîm, un motakallim ou un gazuroàl, orateur, chargé de débattre et
d'expédier les affaires ('). Il parlait et traitait au nom de son groupe.
(*) Elle impose à ses héros, avant de les admirer, l'obligation d'être orateurs
ou poètes, souvent les deux à la fois.
(2) Cf. Hommel, ZDMG, XLVI, 529; comp. j-j" du Yémen; M. Hartmann, Isla-
inische Orient, II, 350, 445; Brown, Driver et Briggs, Dict. héb. syriaque, s. v. TID
691; Nallino, Costituzione délie tribu, 615; Goldziher dans U'ZKM, VI, 97; lequel
compare jrit : ^ chef («*;, affirmer); M. S. II, 52. Rapprochez i_-%.-iii.« pt ;, cité plus
bas; pour p6j = orateur, voir note de Hansâ', Divan, 115, n. 4; Gâhiz, Bayàn, I, 21.
(') Cf. Goldziher, Abhandlungen, I, 20 ; Aboû Tammâm, Hamâsa, E. I, 178, 1.
Pour toute cette matière consulter l'indispensable Kitâb al-Bayân wat-tabyîn de Gâhiz.
L'époque préislamite aurait déjà possédé des formulaires et des collections oratoires ;
Gâhiz, Bayân, I, 133, 13 etc. Elles n'ont pas dû être sans influence, je le soupçonne,
sur la formation stylistique de l'auteur du Qoran.
(f) Voir Der Chattb bei deti alten Arabern du Prof. Goldziher dans WZKM, \'I,
97-102.
(5) Orateur de sa tribu; Hansâ', Divan, 21, 4 d. I. .«i> ^--^.-jka». ou i_« .U-^ j p* 3 •
Gâhiz, Bayân, I, 21; 94, 3; 96; Aboû Tammâm, Hamâsa, E. IV, 26, 3 v. ; Va'qoûbï,
Hist., II, 207, 6 d. 1. HaOb des Ansârs, Ag., XVIII, 139, 11 d. 1.; hatîb du Prophète
I. Doraid, Istigàg, 268, 12; toute une famille de haub ; ibid., 198, 199 (celle de Soûhân)
A la Mecque 'Otba ibn Rabî'a est — en dépit de sa pauvreté — proclamé saj'j'd parce
Le « magrlis » de la tribu 223
Un noble Arabe, poète et orateur, affirme qu'après sa mort « le ma-
^lis le pleurera, et aussi les malheureux affamés, expulsés des réu-
nions publiques.
f -z.
Le niaglis, le modeste parlement de la tribu (•) ! Ne croirait-on
pas entendre un député démocrate, faisant l'éloge de son activité
politique ? Le maglis ou nàdi était le théâtre des luttes et des succès
du savyd plus encore que le champ de bataille, oij il ne réussissait
pas toujours à obtenir la conduite des opérations. Tous les sa\yd ne
possédaient pas les aptitudes universelles d'un Ta'abbatasarran, à la
fois « porte-fanion, membre du conseil, orateur sententieux et vo3^a-
geur infatigable.
Tous ne se sentaient pas en mesure de pouvoir apostropher le
calife :
< Si Mo'âwia vient à m'insulter, n'ai-je pas ma langue et ma fine
lame ?
-- » 0 .-? ... *
que ÎLjj ii*:!^ ÛUJ 1) volj ^UJl ^1 ; Wâqidî (Kr.) 59, 4 ; Hansa", Divan, 94 ; Nal-
lino, Costituzio7ie délie tribu, 618 ; ^Uil, J^^l ^^,j ; Ag., XVIII, 146, 10 d. 1. ;
|JSU<« = orateur; I. S. Tabaq., I', 72, 14.
(») Ag., XI, 157. 7.
If) De là la phrase : ^^^A^ ^3 i»a» ; Ag., XI, 161, 1 ; Farazdaq dans Gshiz, Bayân,
I, 126, 15.
(') Mofaddalyyàt , éd. Thorbecke, I, 13. Conip. Hansâ', Divatt, 27, 3 :
,1 ^ ^_yi.-;sAJ i^.Jol >^C^ i^.'^l \>i^ i^.y J^
Gâhiz, Avares, 268, bas: i?.^»! i ilZ^ . Toutes ces expressions synonymes font allu-
sion à l'activité du héros, « dont la nuit le lit demeure froid ». Voir citations, Gâhiz,
op. cit., 268-69. Le héros ne dort pas la nuit ; il doit être en course ; So'arâ'. 764,
1-2 d. V., comp. Bohtorï, Hamâsa, 628, 4 v. ; le sa'loTik dormeur est méprisé; Bohtorî,
op. cit., 641, 1. Ag., XX, 21, 3 d. 1., variante du vers de Hansà', attribué à un autre.
(*) Ibn Doraid, Iktiqâq, 239, 2 a. d. 1. Èo'arà', 912, 2 d. v.
224 Importance de l'art oratoire
Tous ne pouvaient reprendre pour leur compte le distiiiue du
poète :
« Selon notre bon plaisir, nous repoussons les avis contraires;
mais personne n'ose répliquer à nos discours.
Parmi nous, un sa} yd vient-il à disparaître, un autre sayj'd prend
sa place, éloqtient, mettant en exécution les décisions des hommes
d'honneur,
Mais dans toutes les descriptions, à côté « de l'intelligence, de
la générosité, on relève chez le sa} yd la nécessité de l'art oratoire.
Il fallait s'}' attendre: la forfanterie arabe réclamerait parfois ce
privilège pour tous les membres de la tribu : tel Qais ibn 'Asim pour
le clan d'ailleurs assez obscur des BanoQ Minqar, « tous éloquents,
quand leur tour de parole est venu, blancs de visage, éloquents, di-
serts,
(^) çïUa-c s».a.JI Ja^ (»%^^ f*^', vl^^ iLJaa,. »
La privation d'orateur passait pour une calamité publique (*), et
(') Abou Tammam, Hamâsa, E. I, 60; comp. Gahiz, Bayàn, I, 94, 18.
(2) Ag.. XI, 133, 13; Nawawi, Ta)M, 308, 3 d. I.; j^LJUl ^'>'^ Hansà', Divan,
73, 4; «langue de la tribu»; Ibn Doraid, /i/î'yâ^, 213, 216; «langue, comme l'alêne
du cordonnier»; ibid., 167; ^-jU^J. (^to «O ; ibid., 145, 4 d. 1., 149.
(3) A. Tammàm, Hamâsa, E. IV, 68; pour l'éloquence des B. Rlinqar, cf. I. Do-
raid, l'stiqâq, 154, 3. Il est toujours permis de se demander si ce vers n'a pas donné
naissance à la tradition.
{*) Qotâmî, Divan, XIV, 20, le déplore pour les Banoû Taglib. Tribus célèbres
pour leur éloquence : Banoû Saibân, B. Taniîm (on l'aura déduit du vers de Qais ibn
'Àsim), B. lyâd, B. Asad ; 'Jqd^, II, 54; Ç,îl\\\z, Bayân, 1,20,24, 25; 133,6; déshon-
neur de posséder « un orateur, forcé d'écouter les discours d'autrui comme à la dérobée:
^i.^ (^'-^I (i (*«^^ ô'^ (*<-**^ f>^' *'«••• *' ^bî^'- i^'ï'aii, 299, 4.
Les héros sont toujours blancs de visage; Ibn Qais ar-Roqayyât, Divan, 83, 84,
92; Hansâ', Divan, 36, 4 d. 1. ; Nagâ'id Gartr, 266, 1. Bohtorî, Haviâsa, n. 1164.
Organisation démocratique 225
la satire ne manquait pas d'exploiter cette infériorité ('). La perte
d'un de ces princes de la parole était ressentie douloureusement et
servait parfois aux nomades, chronologistes fort nécrlicrents, de point
de repère pour la supputation du temps ('"). On comptait depuis sa
mort, comme on l'eût fait depuis la dernière grande sécheresse ou
peste caméline. A défaut d'éloquence, certains chefs devaient se reje-
ter sur leur valeur militaire: à elle de suppléer pour la défense de
la tribu ("). D'aucuns pouvaient s'écrier fièrement: «je suis votre
langue et votre lance ,XiU^, jXJU-o » (*). « Mon épée pénètre jusqu'au
fond des os ; mais ma langue n'est pas moins acérée que mon sabre.
Encore la lance ne suppléait-elle pas à la parole dans les députations
et les négociations, confiées au Aa/lâ (''), orateur et diplomate des
siens (*).
Cette estime de la parole ('), l'importance accordée aux tribuns,
tiennent à l'organisation démocratique de la tribu. Pour vaincre les
oppositions, le sa\'3'd, issu de l'élection, se vo\ait pratiquement ré-
(') Nagâ'id Gartr, 29, 4 ; autres références dans Ziâd ibn Abthi, 35.
(-) Gahiz, Bayân, I, 134, 18; cf. L'âge de Mahomet, 210.
(3) Gâhiz, Bayân, I, 93, bas.
(<) Qotaiba, Ma'ârif, E. 139, 8; Tab., Annales, II, 130, 4; 148, 4. Le vers sui-
vant est de Garîr; Gâhiz, Bayân, I, 70, 4; I. Doraid, l'stiqâq, 198, 199, 11.
(■') Cj'^'^s î^ i_-.i^It> et à partir du califat ai_^ (cf. Mo'âwia, 60-64) ; Gâhiz, Bayân,
I, 135, 5 d. 1., Mobarrad, Kâmil, 768, 9; sayyd porte-parole, Ag., XII, 122; crainte
inspirée par un hatîb ; Gâhiz, Bayân, I, 94, 3, 122, 12; sayyd à la fois poète, hattb,
fâris, et noble; un autre est hatîb, hakam et nassâb ; Ag., XIII, 57; Gâhiz, op. cit.,
I, 96; 134, 14. Orateurs et poètes, leur place dans les solennités; Ag., XI, 163;
i__j_aJl ^L«jjS» -^l -I — : 1 ftljjt^ ; Dînawarî, Ahhâr. 128.
r . Jiy-I^ ^ J>J ti^\ ^SJ I^>U^ ^1 f.yJI .^.;i=L ^^. i:, (.1
Gâhiz, Bayân, I, 75, 4.; Goidziher, WZK'M, VI, 97; Ag., IV, 8 ; X, 155, d. I.;
XXI, 79, 23 ; 99, 2 ; Tab., Annales, II, 38, 10 ; A. Tammâni, Hamâsa. (Fr.) 650, d.
V. >,«ii v_..».tTt,; Gâhiz, Bayân, 73, 5 d. 1., hatîb des Ansârs ; V'a'qoûbî, Hist., II, 207, 6 d. 1.
(") («yiJI >— -«h-» 1,^1, dit Mo'âwia à un orateur, c-à-d. tu es le plus intelligent
de tous ! Tab., Annales, I, 2910, 10. «Je dois à mon âge d'être leur hatîb» ; Ibn al-
Atîr. Kâmil, III, 217, 10 d. 1.
Lammens — Berceau 15
226 L'Arabe et la poésie
duit à la persuasion, en l'absence de tout autre moyen coercitif. Re-
marquons-le en passant, sous le régime oma\-\ade ('), si profondé-
ment arabe, les plus grands politiques — nommons Mo'âwia, Ziâd ibn
Abihi, Haggâg — manièrent avec beaucoup d'adresse l'art de la
parole (^). L'Arabe se trouve merveilleusement doué pour l'éloquence!
Placé dans son milieu naturel, le désert libre et illimité, où il ne
relève que d'Allah et de lui-même, tout tend à développer chez lui
ses dispositions natives, l^e culte de la poésie, poussé si avant par
le nomade, ne doit pas nous donner le change.
Convenons-en franchement. L'Arabe est trop réaliste pour attein-
dre à la haute poésie. Chez lui, la vie au sein de ses mornes soli-
tudes éteint trop souvent l'imagination féconde. La lutte pour l'exis-
tence, l'incessant souci du lendemain lui interdisent les rêves gracieux,
la création des symboles, l'évocation d'irréelles images. Au moyen
des ginn, production de sa fantaisie surchauffée, il n'a j)as même su
former l'ébauche d'une mythologie rudimentaire. Sa sensibilité se
trouve émoussée, son individualisme, sa profonde misère l'empêchant
de s'apito\er sur celle d'autrui. Mais passionné, observateur, épris
d'indépendance personnelle jusqu'à l'anarchie inclusivement, disposant
d'un idiome sonore et remarquablement riche, l'Arabe est facilement
disert (^). Qu'à ces dispositions viennent se joindre une culture ini-
tiale, la participation à l'existence agitée de la tribu, le contact avec
(') Voir le vers d'Aboû'l 'Abbâs l'aveugle ; Gâhiz, Bayàn, I, 94, 18.
(^) Voir pour cette période Ahtal, Divmi, 304, 11-12. Pour empêcher le hattb de
Qorais de nuire à la bonne cause, le futur calife 'Omar conseilla de lui casser les dents;
Ibn Hagar, Isâba, II, 292, 3 d. 1.; 294, 2. Un sayyd «pas embarrassé pour parler»;
Zohair (Ahlw.) 99, 7 d. 1. Un autre homme d'état omayyade, Rauh ibn Zinbâ' (cf.
Vaztd, 305) était également célèbre par son éloquence, Gâhiz, Bayàn, I, 132, 8 d. I.;
137, 5. Voir la critique de l'éloquence arabe par les So'oûbyya ; Gâhiz, o^. <"//., II, 01-52.
(3) Maître de l'éloquence, au dire de Mas'oûdï, Prairies, IV, 164. Voir le chapitre
de Gâhiz, Bayàii, I, 43 sqq. où il énumère |JJ JU Lkil ïls ç.< CU^-~o. JlS^. V ^^ . On
connaissait pourtant le proverbe : « la parole est d'argent, le silence est d'or,
*_-%*> ,^ Cjy>^*^ i*-^ cr* f^^' o*^ o' "• '*2rf-> 107, 6. Un des adversaires de Ga-
rîr, al-Balt est poète médiocre, mais admirable orateur ; c'est la remarque de Gâhiz,
Bayân, II, 51, 4. Les Banoû Saibân, excellents orateurs (voir plus haut) sont mal doués
pour la poésie, d'après Asmal, FohoTilat a's-So'arà' (éd. TorreyV
Pourquoi il n'existe pas d'éloquence arabe 227
un milieu, où toutes les convoitises s'entrechoquent et entrent en
conflit, alors cette nature violente, tout en nerfs, frissonnant à la
moindre commotion, trouvera sans effort des traits éloquents. Dans
les plus fameuses çaslihs, les tirades grandiloquentes, sententieuses
empiètent constamment sur la place de la poésie et les transforment
en hûidas rimées. Là-même, où le Bédouin se croit le plus poète, il
nous fournit surtout les preuves de ses facultés oratoires, il se dé-
montre ç^a^ ^-^li). poète disert 1 (') Dans son Bayàn, consacré à
la glorihcation de l'éloquence arabe, le très avisé Gâhiz cite princi-
palement des exemples poétiques; les trois quarts de ses orateurs
sont des poètes. Si l'éloquence est la répercussion vocale, l'extério-
risation d'une âme vigoureuse, éclatant en accents passionnés (*) et
vibrants, personne mieux que l'Arabe ne remplit ces conditions. Pour-
quoi ces dispositions natives sont-elles demeurées sans emploi, pour-
quoi n'existe-t-il point d'éloquence arabe- {^).
Avons-nous le droit de soupçonner ici l'action de l'islam ? Il sem-
ble bien difficile de le mettre complètement hors de cause. A mesure
qu'il pénètre les Arabes, on voit diminuer les manifestations de la
vie publique (^) et sim iltanément tarir la source de leur inspiration
oratoire. Si cette évolution tient à l'appauvrissement graduel de la
Péninsule, nous constatons de nouveau la faillite de l'islam. Il avait
promis monts et merveilles; l'adopter, c'était, affirmait le Qoran (5,
(') Qualification donnée à l'immense majorité des poètes dans Asmal, op. cit.
(éd. Torrey, ZDMG, LXV, 492-503): cuai Js* ^sLi; Ag;., XIX, 84, 106. Poète
ne possédant que la .J>-.loà ; Ag., XX, 168, 10. La remarque aurait pu être étendue.
(*) Les So'oûbyya leur reprochaient de crier comme des sourds ; Gâhiz, Bayân,
II, 52, 6. Cette mode n'a pas changé.
(^) Cf. notre Ziâd ibn Atn/ii, 34-35. Rapprochez les jtUj ._-^n-^ et ._-v..v^t:w f^^ .iti;
Ibn Doraid, Istiqâg, 114, 147, 196, 242 ; Ag., XX, 180. Ibn al-Faqîh, Géogr., 1 page, d. 1.
parle d'un recueil de « mille hotba », transmis de mémoire, au début de la dynastie
'abbâside. II existait une édition >-«'ttf des discours du calife Mo'âwia; Gâhiz, Bayàn,
I, 173, 10 d. 1.
(*) Partout s'y multiplient les titasgid qaum, centres d'incessantes parlottes et de
discussions politiques. Rares sont les màglis silencieux, < où l'on chuchote à voix
basse : -oUaJ.! i_,^^ y^\ i^ lj-«»_ï Uo lil f^**^ vioJuJ.1 Jaià. *£3--Jl=s; Gâhiz,
Bayàn, I, 140.
228 Influence de l'islam
70), nager dans l'abondance («4^^^ ^^ crf^ ^^^ ^ l*^"^- Par ailleurs,
en restaurant le despotisme des anciennes monarchies asiatiques, l'ab-
solutisme des 'Abbâsides doit assumer une lourde part de responsa-
bilité. Sous les Omavyades, les traditions du désert se survivent jus-
(jue dans les pa^'s conquis (').
En théorie le califat demeure une monarchie élective, le com-
mandeur des cro3'ants, le premier des sa3'\d arabes, un primns in-
ter pares ou, comme s'expriment les Byzantins un JtQcotooiVPovJ.oç parmi
ses avnf3ouXoî, à savoir les membres de l'aristocratie arabe, les délé-
gués des tribus, formant une sorte de Parlement (■). Les mosquées
primitives restèrent longtemps des centres de réunions profanes. Califes
et gouverneurs 3' discutaient les affaires publiques dans des meetings
contradictoires et fréquemment orageux ('). La persistance des mœurs
anciennes empêcha de prévoir l'évolution qui se préparait. Jusqu'alors
la mosquée avait remplacé le maghs ou conseil de la tribu; insen-
siblement elle se transforma en temple pour le culte islamique. Les
harangues politiques tendent à devenir des sermons, où les citations
du Ooran éliminent peu à peu les tirades poétiques, demeurées en
faveur. Le minbar, ou tribune, transformée en chaire de prédicateur,
retentira désormais de déclamations froides, où l'on imitera servile-
ment le st3'le compassé du Ooran, celui des sourates médinoises, aux
incises lourdes et traînantes. Ce fut le coup de grâce pour un genre
littéraire, riche d'espérances. Nous avons tenté de préciser pourquoi
(') Le sayyd, le viagHs perdent alors le i jlkil ,J^oâ, la décision des affaires. Hansâ',
Divan. 51, 12 ; cf. Goldziher, WZKM, YI, 97. n. 4 ; comp. cUiiJl J-o», Gâhiz, Bayân,
I, 129, 7 d. 1. \'oir encore Nawawî, Tahdtb, 23ô ; JyJI J-oi ; Gâhiz, Bayân, I, 140, 16;
comp. ibid.. II, 37, 6 d. 1. ; J-o-^ X^ II, 50, 15; J^UJI ^M^\ , II, 20, bas; Àj'arà',
743, 8 : J^U: ^jA aJy; ^>\y "-r-^f^. '^S^ ' f»^' '-*' J--^ d^^:i:^ ^^
(■-) Cf. Mo'âwia, 253. Mo'âwia les consulte non seulement sur les affaires de Sy-
rie, mais sur celles des autres provinces, comme dans le cas de Hogr ibn 'Adï; cf.
Ziâd ibn Abthi, 70 sqq.
(3) Cf. Ziâd ibn Abthi, 31-34. Dans Ag.. XI, 167, 4 d. 1. A^Uv^ — assemblées
politiques (et non mosquées): « rJS.^ cX.Jl^ \J^o^ i^y^^^ ^m.o..;'..I1 j^^y» * ;'*^j
j^a.U^lU ^y^\ ■ Avant le coucher du soleil les gens des villes et les assemblées
(niasgid-maglis) auront prononcé ton expulsion». Ag., loc. cit. ajoute: \Jr\ j,a>L^I
U^^ ci-^^. o^ ^T^. • e.xplication évidemment forcée.
La poésie, élément de civilisation 229
il n'a pas tenu les promesses du début chez un peuple par ailleurs
si heureusement doué (').
* *
Parmi les say^d, la proportion des poètes était à peine inférieure
à celle des orateurs. Chez les Bédouins, peuple d'illettrés, le poète
représentait par excellence l'élément intellectuel. Sous ce rapport,
on ne saurait exagérer son influence civilisatrice. Comme à l'ancien
voies lui a-t-on jadis attribué en outre un certain pouvoir surnaturel,
une sorte de cannen? Les subtiles recherches du Prof. Goldziher (')
ont rendu cette opinion fort plausible. On bâillonnait soigneusement
les captifs poètes, pour prévenir l'impression de leurs satires (^ .
On a pu s'en apercevoir jusqu'ici : avec son autorité limitée, em-
prisonnée dans un ensemble de coutumes, restrictives de toute initia-
tive, la tâche du sa}\-d devenait malaisée. Moins favorisé que le plus
humble de nos maires, de nos bourgmestres, le chef des plus puis-
santes tribus n'avait pas même un garde-champêtre (^) sous ses ordres.
(') Le roi No'mân de Hîra se montre jalou.x de la faconde des Bédouins et
de l'a propos de leurs répliques; A. Tammâm, Hamàsa, E. I, 108-09. Pour la difTusion
de l'éloquence, voir Hansâ', Divan, 5, 1. 9; 55, 4; 107, 5; Goldziher, WZk'M, VI,
97 sqq. Le titre le plus ambitionné, c'était d'être proclamé le « liatîb » de toute la tribu.
Tel Aboû 'Ammâr At-Tâyy (un Tâ'ite!) U^ ^J^ <_<>.,h-; ^^ » ; Gâhiz, Bayàn, I, 133,
17. Ou encore de descendre — comme 'Amrou'l Asdaq — de deux générations de
hatib; ^^^< ^\ ^_,^.;Jai. ^\ i_,..->kiL : ibid., \, 122, 10; autre exemple, Qotaiba,
Poesis, 402, 7.
(-) Abhandlungen, I, 14 etc.
(3) Naqâ'id Garlr, 152, 12; 154, 2.
(■*) Ils ont tout au plus un monâdi, héraut, crieur public ; Bakrî, op. cit., 43. Le
monàdi était aussi appelé mo'addin; ainsi As'at aurait été celui de la prophétesse (?)
Sagâh ; une insinuation calomnieuse, propagée par les Sfites, très montés contre la
famille de As'at; cf. Mo'àwia, 150, n. 7. Au l"' siècle H. on ne manifeste aucun en-
thousiasme pour l'office de ^>^\ I. S. Tabaq., VI, 71, 22. Etre mo'addin équivalait
à être au service d'un autre; Tab., Annales, II, 1120, 12 etc. (pour l'allusion, voir
p. 1118-19). Sa'd ibn 'Obâda (voir plus bas) possède aussi son monàdi. 'Âisa, la favo-
rite du Prophète, également; Ya'qoûbî, Hisi., Il, 210, 4. Autre exemple: Ibn Do-
230 Supériorité de la poésie sur l'éloquence
Son influence, son pouvoir de persuasion pouvaient être très réels.
Trop souvent il se trouvait tenu en échec par les poètes. De là pour
lui l'avantage de réunir les deux (jualités. Nous rencontrons effective-
ment nombre de sa3yd poètes, d'autres à la fois orateurs et poètes (').
La mention de ^^U j-^Ui (^), sa3yd et poète, ou celle de sajyd, ora-
teur et poète (^) se rencontrent communément dans la chronique du
désert. Le poète possédait sur l'orateur vme supériorité indéniable.
.Ses productions jouissaient d'une diftlision plus rapide, plus étendue.
La poésie marche plus \'ite, ^^\ ^jt-iJI {*), disait-on, elle avait des
ailes, apparemment les ailes des \ents. Aux vents un poète confie
une de ses satires, expédiée « comme une dépêche » à ses détracteurs
raid, Istiqàq, 'J4 ; muezzin-monâdi de Sagâh ; ibid., 137; cf. 232, 13. Primitivement le
muezzin est attaché, non à la mosquée, mais à la personne du fonctionnaire; ibid., 200.
Le changement est survenu à la suite de l'évolution liturgique, si finement esquissée par
le Prof. Becker, Der Islam, III, 374-99. L'évolution terminée, les Sahîh doivent se
donner — on voit pourquoi — infiniment de mal pour ennoblir cet emploi subalterne.
(') Ag., XIV, 66, 13. Orateurs-poètes au zi'afd de Tamïm chez Mahomet; Tab.,
Annales, \, 1711; ■_^' ■} — ^ jSUo sous les Omayyades; Tab., Annales, II, 1054, 6. D'où
les innombrables citations poétiques dans les primitives hotbas de la mosquée. Ces
prédicateurs novices connaissaient mieux les poètes que le Qoran. Ag., XIX, 156, 157,
sartf, cavalier et poète ; Ag., XVIII, 156 ^^ i^l>L<.- ^^ ^)^ ^slio
(-) Ag., III, 2; XI, 127, 10; XII, 148: p-Xk ^~f^ ^J^ ^\1j ; faits — sa.yy à
[Ag., V, 189, bas) le cheval étant un animal de lu.xe au désert, cf. Mo'Swia, 262 (nom-
breuses références); Ag., IX, 2: Doraid ibn as-Simma est ^L-j-sJI il-jcio Jp • ^ '^
fois « le sayyd et le fâris » de son clan ; ibid. : ^Li (_j^. r*>> et député oj^-s ; I. S.
Tabaq., V, 383, 18; 385; poète gsloi ^\ Ag., XIX, 84 d. 1.; qualification ne s'ap-
pliquant qu'aux plus puissants sayyd; |_yo .Is r= sayyd de Solaim ; Bakrî, op. cit., 777:
le cavalier est désigné parle nom de son cheval; Bakrî, op. cit., 471, 9; cf. Fâliwa, 80
comp. ïj*> ij*')^ 6t ^UJI |_y» j'i ; I- Doraid, /i/î^ây, 215, 293.
(•') I. Doraid, Istiqàq. 147, 3 d. 1. ; Osd, II, 208; 242; Ag.. V, 155, 9, c>^^^ jsLi
XX, 180: JilsjJ.1 ^ >':^« JW-yi cr* ^'-r*'^ O^Hj ^;^ i^ "-r^^ Q^ f^ • '•'?'''•
I, 124, 10: union de la poésie et de l'éloquence chez les députés des tribus. Gailân
chef et poète; Ag.. XII, 45-49; Goldziher, U'/CK.'ir. VI, 98-99; Ibn Doraid, Istiqàq.
113, >\^^Li; g-^; 238.
(<) Cf. Poète Royal p. 10; BalSdorî, (Ahluardt), 167, d. 1.; Hauiàsa (.'\. Tammâml
I, E. 119, 3; Zohair (Ahhv.), 84, 3.
Le chameau sensible à l'harmonie 231
Cette télégraphie aérienne leur assurait une surprenante célé-
rité. Elles volaient de camp en camp, de point d'eau en point d'eau,
conservées par l'imperturbable mémoire de ce peuple sans instruction.
L'opposition au pouvoir des sayvd en fit son organe habituel: les
poètes devinrent les journalistes de leur temps. Quand on connaît
les annales de cette époque, on ne trouvera rien de forcé dans ce
rapprochement. Si les poètes arabes remplirent certains rôles (■),
tenus de nos jours par la presse, ils méritèrent également la plupart
des reproches, adressés à nos journalistes contemporains, tout spé-
cialement celui de vénalité ('). Ces rimeurs du désert se transformè-
rent trop souvent en maîtres chanteurs.
Avec non moins de raison que pour l'ancienne monarchie fran-
çaise, il faut insister sur le tempérament, apporté à l'arbitraire pos-
sible du sayyd, par les satires et les chansons {*). La musique! encore
un genre, durement traité par l'islam orthodoxe! (^)
Le chameau nous est représenté comme un animal, sensible à
l'harmonie. Durant les marches pénibles, surtout celles de nuit (*),
son conducteur, /lâdï ('), se plaît à l'animer par ses improvisations
musicales (*). La monotone mélopée force le chamelier à demeurer
(') Ag:, XI, 172. C'est peu d'appartenir à une tribu guerrière, si les poètes n'y
abondent; Aboû Tammâm, Hamàsa, E. I, 153 d. 1.; 154, 1.
(-) Comme de préparer l'opinion, de défendre la politique des chefs.
(') Cf. Poète royal, 22-23; So'arâ', 765-66. L'habitude est si invétérée qu'un pa-
ladin comme Doraid ibn as-Simma n'y peut résister et attaque le riche Mecquois Ibn
God'ân.
(*) Cf. Mo'âuia, 254.
(') Mo'àvna, 176-78. Le chef s'empresse de renvoyer aux poètes — il s'agit ici
de Labîd — ce qu'on a pu leur enlever pendant la razzia; Bakri, op. cit., 721, bas.
A tout prix on voulait éviter de se compromettre à leur égard.
(') Cl. Huart, Histoire des Arabes, H, 331 ; Cf. Musil, Arabia Petraea, lU, 259,
374, 381.
(") Cf. Ziâd ibn AbtJii. 133; Yâqoût, E. 111, 495, 1-2; Ahtal, Diva», 18, 3; 91,
5; 198, 2; à la Mecque, Addi, kodât, chantre religieux; Ibn BatoQta, Voyages, 1, 211,
5; ^>lj». = 3^'^ et Oj->aJI O-'»*^ >_5>'-^ ; Moslim. Sahih-, II, 293.
(") Le hâdi improvisateur; VâqoQt, E. IV, 280; Bakri, op. cit., 106, 8. « Le hâdi
fera parvenir mes satires jusque dans le 'Oman » ; Naqâ'id Gartr, 296, 1 v.
232 Les satires et la musique
éveillé, et, ajoute Gâhiz (') « elle caresse agréablement les oreilles du
grave animal et l'engage à presser le pas: U^ÙM j 1j^ \>\ lv>lil ^
L(.;u.vL* j3 vXiji.'^ liUiJ >bj;', ^>U.l ». F"réquemment le texte de ces va-
riations était fourni par les satires à la mode. Les poètes en me-
naçaient leurs adversaires: « mes attaques seront répétées par les
conducteurs de caravanes, o^^y' ^ 5-^ ' (")• Ce n'était pas là une
vaine menace; l'histoire littéraire de cette époque nous l'apprend.
La chanson de Malbroiig compte d'illustres antécédents en Arabie.
On paraît y avoir saisi et rendu le ridicule avec non moins d'à pro-
pos que dans les faubourgs de Paris. Un nouveau trait, distinguant
avantageusement les Bédouins des peuplades barbares et témoi-
gnant en faveur de leur esprit éveillé. Rester *ivi--« (^), c'est à
dire laisser l'attaque sans réplique, autant valait pour le sajyd (^)
rentrer dans la vie privée. Certaines satires, mises en musique, traî-
naient leurs mélancoliques accords sur toutes les pistes de la Pénin-
sule. Les panégyriques obtenaient parfois la même distinction. Mais
la malignité humaine a de tout temps pris plaisir à voir déshabiller
(') Haiawân, IV, 64. Du hàdi il faut distinguer le dalll, guide des caravanes et
des razzias, beaucoup plus élevé dans la hiérarchie sociale; cf. Mo'âwia, 291 ; Naqâ'id
Gartr, 234, haut. Fréquemment les poètes les prennent l'un pour l'autre.
(2) Ag., VII, 170, 5; Ahtal, Divan, 162, 3; Hansâ", Divan 28, 7; Bohtori, Ha-
niâsa, n. 1300. Qotaiba, 'Oyoûn, 179, 8. Le poète Sammâh fait le hâdi ; Qotaiba, Poesis,
178, 12. Autres poètes trop fiers refusent ce rôle devant le calife ; Ag., XIX. 113. Le
ragaz était le mètre préféré par les hâdi ; Ag., XVlll, 164.
(3) Hassan Ibn Tâbit, Divan, Cil, 12; Ibn Qais ar-Roqayyât, Divan, 239, 3;
Mo'âwia, 263; Ag., VI, 177, 10 d. 1. « _si-iJlj !^-r>»U ,3li-^ ^''^ . ta générosité
est capable d'inspirer le poète impuissant »; Vil, 115, 5; AboU Zaid, Xawâdir, 110;
Ag.. S. I, 128; VIII, 180, 5 d. 1.; 195, 3; XIX, 39; Ahtal, Divan, 89, 6, où >^\»
=: l»svi-<; Naqâ'id Gartr, 2, 1. 12: _3i-,iJI ^^cyJ^M ^^»flrÀ«, d'où obligation de recourir
à un poète étranger. Une seule fois dans sa vie, il arriva au calife 'Otmân de rester
.»t\ à .« ; Gâhiz, Bayân, I, 96, 13. Ce souverain n'était donc pas si dénué qu'on a voulu
le prétendre; ihid., II, 21, 11 {^ssxsuo), 22, 3, 4; Naqâ'id Gartr, 547.
(^) Il devait être sourd, disait-on; c-à-d. ne pas entendre les attaques; Gâhiz,
Bayàn, I, 41. Le poète Nâbiga Ga'dï demeura |«srLi-< pendant 30 ans ; Asma*!, Fahoû-
lat ak-So'arâ', 502, 17. Un trait bien appliqué rend |«si_Lc les plus fougueux satiri-
ques ; Ag., XI, 144, 1, Poètes mis en cause, s'ils ne répliquent pas; Ag., W'ill,
161, 21
Nécessité de ménager les poètes 233
son prochain. Il n'en allait pas autrement au désert, six siècles après
la naissance du Christ ('). Dans ses Ncuja'id, où le poète Garir donne
la replitjue à son rival Farazdaq, il est fait allusion à cette alliance
entre la musique et la satire arabes:
« Je suis l'auteur de satires originales, se propageant sur le pas-
sage du caravanier, qui les chante de nuit > (").
Un sayyd, conscient des difficultés de sa position ne pouvait
hésiter un instant à s'assurer l'appui ou la neutralité du getms irritabile
l'otiwi. Heureusement pour la paix publique, cette faveur, il lui était
loisible de l'acheter (^). Fréquemment l'attatjue n'avait pas visé d'autre
but. « L'homme d'esprit, disait Gâhiz, doit connaître les maux causés
par la satire et se garer des attaques du plus misérable rimailleur,
en sacrifiant au besoin la moitié de sa fortune » (*). A cette condition
la muse acceptait de se discipliner, de coopérer au maintien de
l'ordre ; elle inspirait aux contemporains des sentiments conformes à
la politique du sa3\d et lui conciliait l'opinion publique à grand renfort
de poétiques hyperboles. Egorgeait-il un mouton, le bard«; parlait,
non de brebis — un bétail peu estimé (^) — mais d'hécatombes de
chameaux. Allumait-il du feu, la flamme du médiocre fo}'er se trans-
formait en un volcan. Le modeste plat, passé à la tente voisine pour
rassasier des orphelins, prenait les dimensions d'un réservoir (^), à
(') Cf. Mo'àwia, 254; pour les panégyriques, cf. Ag., V, 153, 3 d. 1.
(*) Nagà'id Garir, 628; cf. 63, 7; 342, 1, 430, 6; Mo'àwia, 254; ajoutez les réfé-
rences: AboU Zaid, Nawàdir, 68, 6; Ag., II, 153, 9 d. 1. ; VII, 170, 15; YIII, 78;
94, 8 d. 1.; XI, 42, 3; XVII, 55, 11; 61, 10 etc.; Gâhiz, Haiawân, I, 178, 10; dans
Ibn Hisâm, Sïra, {^^J^ = réciter des vers), 518, d. 1., 519, 1.
P) ... aJU: sLLill ,^--»i^ ^f-^. i_<^ ; Ag.. XII, 15; acheter est le terme
ordinaire pour acquérir de la gloire ; Qoran, 31, 5 ; Nôldeke, Delectus Carminum, 36,
10. «On loue celui qui sait y mettre le prix»; Hotai'a, Divan, VII, 36:
. . 0 s.
(<) Gâhiz, Haiawân, V, 90.
p) Cf. Ag., XII, 14, 1-2; comp., X, 12, 8.
(') Ibn Qais ar-Roqajrjât, Divan, 180, 4. Gâhiz, Avares, 245-46 etc. Le Mécène
est « donneur de 100 » chameaux ; Hotai'a, Divan, V, 28, avec le commentaire de
Goldziher. Plats-réservoirs, ijl»-::^; Tarafa (Ahlw.) 62, 4 d. ,ï*JI j^jlj ï^-UJl «des
234 Ils trouvent de nobles accents
l'instar des bassins gigantesques, fabriqués par les ginn pour Solaimân
t_jl^if^^Ua.. (') Mensonges littéraires! (*). Tout le monde voulait bien
se laisser prendre à ces énormités. En définitive la cause de la paix
en bénéficiait. Ce service suffira pour nous permettre de comprendre
la munificence de certains chefs à l'égard de ces auxiliaires au verbe
solennel. Il nous enlève le droit de qualifier trop sévèrement le geste
de la main toujours tendue, familier à ces mendiants-poètes (').
Permettons-leur donc de renchérir encore sur l'éloge des « plats,
garnis de viande, destinés aux veuves et au.x orphelins, profonds
comme des puits ! » (^). Chemin faisant, il leur est arrivé de trouver de
nobles accents (^). « Allons donc! A-t-on jamais vu l'homme généreux
mourir de faim ? A quel Crésus avare la fortune a-t-elle assuré l'im-
mortalité .'' Sus, qu'on me laisse (*) disposer de la mienne et non
l'argent me dominer ! Qu'elle serve à protéger mon honneur, avant
que ma réputation ne vienne à faire naufrage ! »
chèvres après des chameaux», c'était déchoir! Gâhiz, Bayân, I, 112, 4. Bêtise pro-
verbiale des bergers de moutons, non de chameaux ; ibid., I, 100 ; Ag., X, 12, 8.
(1) Qoran, 34, 12, lequel parait avoir emprunté l'expression à l'ancienne poésie.
(-) « Tout n'y était pas mensonge, JJ^b » ; Gâhiz, Avares, 245, 17-18.
(5) Cf. Mo'âziia. 260. « Donateur de 100 chamelles avec le berger et l'étalon »;
Ibn Qais ar-Roqayyât, Divan, 78, d. v. Même dans leurs plus belles louanges, ils glis-
sent un appel à la générosité : tel l'éloge, vraisemblablement adressé à 'Abdarazîz
{=: Ibn Lailâ) frère du calife 'Abdalmalik : « il parle bien, mais ses actions ;= géné-
rosités) valent mieux encore » :
OpusciUa arabica (Wright) 100, 9. Le prince ne pouvait s'y méprendre.
(■•) « Marmites rangées, comme des chevaux, autour de nos tentes » ; Hassan ibn
Tâbit, Dii'ati, IV, 22; IX, 2. Hôtes «groupés autour des marmites, comme autour
d'une idole»; Naqà'id Gartr, 563, 2 d. v. Ag., XI, 138, 8 d. 1. XX, 72, 19.
(") Comme le titre de père des orphelins ; Hansâ', Divan, 58, 6 ; 67 ; Labïd, Divan.
XXXIX, 15, 16; ^LXJI ç^^ ; Gâhiz, Avares, 252 ; O'^M-U f^,"^' ^-»-4^: ^^""di,
Governors of Egypt (Ouest), 92.
C') Le poète apostrophe sa femme: de là ^j-^.)' ^'^ lj-*-?)^- Comp. les vers de
Hâtim T.ïyy ; Gâhiz, Mahâsin, 81,5.
Le riche d'après la conception bédouine 235
(') blJ Ji j4i (^^ jai ^. ^,L», ^^^ j,u ^^. ^./i
Aussi bien « à quoi servirait la fortune, quand Thonneur est
absent ?
En résumé le poète < rougit d'avoir à l'égard de ses contempo-
rains plus d'obligations qu'ils n'en ont contracté envers lui » (^).
Dans la conception bédouine, mélange bizarre de théories chré-
tiennes et communistes, le riche apparaît comme un 'simple déposi-
taire, un détenteur momentané de sa propre fortune. Sa mission est
de la distribuer aux nécessiteux de la tribu, d'en user pour exercer
l'hospitalité, pour racheter les prisonniers et payer le prix du sang (*).
Mais en retour, il a droit à la louange et aux panég3Tiques des poètes.
Ces derniers contractent à son égard une véritable obligation. Com-
parer leurs sollicitations, même les plus importunes, à la xnendicité?
Fi donc I Ils cherchent seulement une occasion de » se délier la
(*) ■•-Ig:, XI, 139. «On vogue sur l'océan de sa générosité»; Gâhiz, Bayân,
I, 179, 11; son visage illumine la nuit; Gahiz, Mahâsin, 138, 1.
(*i Ag., XI, 155, 8 d. 1. «Chaudière: une mer aux vagues agitées»; Gâhiz,
Avares, 246-47 ; elle compte deux coudées de large sur plusieurs de hauteur ; ibid.,
248, 6. Celle du calife Mo'âwia, large comme des réservoirs ; Ag., XX, 72, 5.
(3) Yâqoût, E. VII, 75 :
(*) D'où les beaux noms de père, refuge des orphelins, des veuves ; Hansâ',
Divan, r>%, 6 ; 67 ; 83, 85 ; voir p. 234. Pleuré par les prisonniers, les veuves ; Hansa',
120. Les veuves reviennent incessamment sur la lyre des poètes. On en devine le
nombre et la misère. On commençait par les servir les premières ; So'aiâ', 768, 3 v.
236 Les poètes et les cadeaux
langue > ; c'était la formule classique. Les riches de leur côté par-
laient de « leur couper la langue », c'est à dire de se mettre à l'abri
de leur malignité, en déliant les cordons de la bourse.
« Que ta gauche ignore les générosités de ta droite! >. Ce pré-
cepte évangélique n'a pas cours au désert. La mendicité y devient
une profession ou plutôt l'exercice d'un droit, entraînant d'ailleurs des
obligations. De là entre bienfaiteurs et bénéficiaires \m échange inces-
sant de procédés pour ainsi dire protocolaires. Le Mécène se déclare
l'obligé (') de qui veut bien accepter ses libéralités (^). C'est à fortiori
l'opinion des poètes eux-mêmes ("). Entre lui et les rimeurs s'établit
une sorte d'égalité. S'il est glorieux de donner, il l'est presque autant
de recevoir. « Les cadeaux passent, observait le calife 'Omar ; la
louange demeure » {*). Elle demeurait gravée dans la mémoire tenace
du nomade. Voilà comment la coutume bédouine prétend avoir ré-
solu les problèmes de l'impôt sur le revenu et de l'assistance publi-
que. Par malheur cette solution suppose la diffusion du don poétique.
Aussi les poètes se montraient-ils non pas gênés, mais plutôt
fiers de se voir enrichis par la munificence d'autrui (°). Puisqu'ils
servaient le public, ils trouvaient juste d'être entretenus à ses frais.
Ces largesses attestaient leur virtuosité et la valeur de leur marchan-
dise poétique. Leur prestige n'en sortait pas diminué (^). Dans ce
libre échange de cadeaux et de dith3'rambes, les Arabes cro3"aient
(') Cf. 'Içii^, !, 85, 4, 5-13. «Il s'illumine et tressaille comme la fine lame d'une
épée ; cX^O»' 3'j^^' i-^là J-Ji^ »; Hotai'a, Divan, VII, 38; Ahtal, Divan, 143, 5. Le
sayyd doit dépenser; Hassan ibn Tàbit, Divati, VI, II, 12.
(^) Sur les récitations actuelles de vers chez les Bédouins, voir A. Musil, Arabia
Petraea, III, 233-34.
P) Qotâmî, Divan, XVII, 1 et 6.
(^) Ag., IX. 154, 7.
{') Ag., VIII, 29, Comp. Bohtorî, Hamasa, n. 1 : co^l ^;JAJb CCil ^J^l ■ Le
dithyrambe se paie cher ; des deu.x côtés on en convient sans fausse honte. 'Iqd. * II,
92. Voir le chap. 71, Bohtorî, Haniàsa, le sayyd doit donner sans attendre qu'on le
sollicite. Comp. Hotai'a, cité dans Qotaiba, Poesis ; 184, 4-5. On achète la louange;
Ag., XIX, 145, 14 ; pour un bienfait on attend le |»*olfttl JUiwX^. . être célébré dans
les foires ; Nagâ'id, 720, 2 ; 765, 3.
(^) Voir la notice de A'sâ Qais ; Ag., VIII, 77-86.
Poésie et diplomatie 237
reconnaître, non une preuve de vénalité, niais une transaction, une
variété d'opérations commerciales : do 7it des ('). Quand le rimeur
possédait la verve, l'inspiration d'un A'sâ, d'un Zohair, d'un Nâbiga, ses
contemporains estimaient qu'il donnait plus qu'on ne lui rendait. Plus
tard on attribuera à Mahomet cette parole: «la main qui donne est
supérieure à celle qui reçoit : ^J■À.»-JI .a-JI ,^ ^ UbJl jlJ\> (-) » ; une con-
trefaçon arabe de la parole du Christ : « Beatius est dare quam
accipere '.
Entre les familles, entre les cla-ses composant la même tribu,
puis entre les tribus voisines s'élevaient d'incessantes contestations.
On se disputait la propriété d'un puits, d'un bon pâturage ; on n'ar-
rivait pas à s'entendre sur le prix du sang. Le conseil des anciens,
ou une assemblée générale des tribus contendantes étaient chargés
alors de régler les différends. Ces négociations mettaient en relief
les talents diplomatiques des chefs. Fréquemment on 3' vo\ait paraître
des orateurs, doublés de poètes et à ces deux titres, jouteurs d'autant
plus redoutables ('). Certaines tirades de vers, prononcées à ces diètes,
produisaient parfois plus d'effet que les plus habiles harangues (*). Le
rythme, les grandes figures poétiques impressionnaient les enfants
passionnés, que sont demeurés les Bédouins, en dépit de leur gravité
extérieure et de leurs allures de patriarches bibliques. Pour combat-
tre à armes égales, les tribus, les chefs devaient a\oir des poètes
à leur dévotion.
(') jL .1 ui ^^^.^\ ^^ ^\Sl, liu ^,^ i^iyi o-^uji ui
« C'est moi le pasteur responsable ; à moi de défendre leur hon-
neur ou à qui me ressemble ».
(') Comp. So'arâ\ 750 ; « durant ta vie tu as opéré le bien ; tu mérites que ma
lyre te chante aujourd'hui,
(-) Cf. Mo'àwia, 261, note; ajoutez, Bohâri, Sahih, (K.) II, 188; Moslim, 6"aAîA',
I, 282; 'Iqd^, I, 308; Qastallânî, Irsâd as-sàri, III, 30-32.
{^) Cf. Gâhiz, Bayân, I, 70 ; éloquence du poète Labîd ; ibid., II, 51.
(*) Cf. Mo'àwia, 262. Services rendus par les poètes ; Gâhiz, Bayân, I, 98, 5 etc.
(5) Naqâ'id Carir, 128.
238 Poètes, organes et arbitres de l'opinion
En Arabie, il devenait de la plus grande importance de s'assurer
une bonne presse, c'est à dire une bonne poésie, en s'attachant les
rimeurs, à la fois organes et arbitres de l'opinion publique. Cette
nécessité contribuait à compliquer la situation du sayyd. Pour gagner
les poètes, il fallait beaucoup de dextérité et surtout une grande
fortune. Cela nous ramène à une constatation précédente : les charges
pécuniaires, pesant sur le chef de la tribu.
VI
Nécessité de la fortune pour le sayyd. 11 doit tenir table ouverte.
La rançon du sang
Parfois cependant — c'était surtout le cas pour les tribus misé-
rables (') — le titre de sayyd s'obtenait à moins de frais. 'Abdallah
ibn Habib le gagna parce que dédaigneux des dattes, il se bornait à
manger du pain. Dans un pa\s. pauvre en blé, on ne pouvait man-
quer de reconnaître à ce dédain superbe, la mar(iue d'un esprit su-
périeur, destiné à commander. On aurait pu lui appliquer l'hémis-
tiche composé à propos de 'Isâm ibn Sahbar (^), le chambellan du
roi No'mân de Hira: « ^Ua* 0>^-^ j.Ui_p ^^..JJ : 'Isâm, s'il est devenu
chef, le doit uni(]uement à sa grandeur d'âme ». Quant à 'Abdal-
lah ibn Habib, son titre de mangeur de pain fut recueilli par sa
tribu (') et elle ne manqua pas de s'en prévaloir dans la suite (■*).
C'étaient là des exceptions. Le positivisme des Bédouins exigeait
des titres plus sérieux pour obtenir la dignité de sa\\d. On ne sau-
(') Le Bédouin se voit parfois forcé de manger des feuilles ; Gàhiz, Bayân, I,
76, 7. Voir précédemment.
(2) Ou Sahbara ; cf. Ibn Doraid, Istigâg, 318; Ag., IX, 165, 171, 172, 176. Qo-
taiba, 'Oyoûn, 273 en fait un esclave.
(3) Voir plus haut p. 84.
(*) Gâhiz, Avares, 254. Par exception on élit le sayyd pauvre, s'il possède la
morowwa (cf. Goldziher, M. S., I, !•-' chap.) :
Lî^>A« ^ ^\^ Lui <*^5r* O-"^ 1^1 J-^'^' J^' '^ >'i-~i
Hassan ibn Tâbit, Divan, IV, 29. Exemples cités précédemment.
240 La trahison : comment la jugent les poètes
rait assez insister sur ce réalisme, si l'on veut pénétrer dans la men-
talité des nomades, se rendre compte de sa merveilleuse élasticité.
Fré(iuemment leurs poètes ont stigmatisé la trahison ('). Par
ailleurs ces admirateurs de la force brutale déversaient le ridicule
sur < une tribu incapable de trahison ou d'injustice, même [jour la
valeur d'un grain de sénevé,
L'injustice les révoltait, surtout exercée à leurs dépens. Un poète
cependant se plaint de sa propre tribu :
« Malgré leur nombre imposant, les miens sont impuissants pour
commettre le mal, même ([uand il ne leur coûterait rien.
.Seuls parmi les hommes, on les dirait créés pour praticjuer la
crainte de Dieu,
C'est la continuation du paradoxe bédouin, prétendant concilier
les contradictoires. Parmi les qualités du say\-d, parallèlement aux
dons intellectuels, on mettait la générosité, c'est à dire la richesse;
(') Le sayyd n'est pas traître; Hansa', Divan, 84, 2 d. 1.; «il est loyal, quand
les autres trahissent » ; i/>id., 37, 7. On signale la traîtrise de certaines populations,
)>>.» àSjb\ (3; Mas'oudî, Prairies, ÏU, 127
(- A. Tanimâm, Hamâsa, E. L 128 ; Qotaiba, ' OyoTm, 228. Comp. notre ï'azûf,
289 ; Bohtorî, Hamâsa, chap. 82 ; anthologie de poètes, blâmant la trahison. « La
loyauté d'un Morrite rappelle un verre brisé ; la cassure demeure irréparable,
.,-is^. i \4^oJo <i=~^>. ;il JJi^ <*'-*:^ '-^-r:^ 3"^^ aJUU
Bohtorî, Hamâsa, n. 709 ; Qotaiba, Poesis, 188.
(•*) Aboû Tammâm, Hamâsa, E. \, 9 d. v.; 10; 2 v. La trahison parait n'avoir
pas été un fait isolé. On confiait volontiers les dépôts aux Nagrânites (cf. Yaztd, 343)
et aux Juifs. Un de ces derniers s'écrie: «à nous, gens de l'Ecriture, la trahison est
interdite », ,J^Âi ^-,1 UJ ,_yà-;-ô '^^ i^USJl \Si ,^\ Ag-., IH, 83. 3. «Je suis loyal,
parce que chrétien ». répond le Tâ'ite, venant au jour marqué s'offrir à la mort. — Je
suis loyal, dit l'Israélite .Samau'al, alors que les autres trahissent » ; Gâhiz. iMahâsin,
72, 6; 75, 9-10. Leszynsky, Die Juden in Arabien, 12.
La pauvreté d'après les poètes 241
l'une n'allait pas sans l'autre. La pauvreté n'a jamais été une vertu
arabe (')• Ecoutons le s\mpathique salofik, 'Orwa ibn al-\\'ard:
^JCÀJl j»»yi ^^' ^^)j iJ^ (_y-~^* 1.^-^-^ i_s-^^
« Laisse-moi courir après la fortune ; aussi bien, je le vois, le plus
malheureux des hommes, c'est le pauvre;
Le moins recherché, le plus méprisé de tous, quelle que soit
d'ailleurs la noblesse de son extraction.
Le conseil de la tribu le repousse, sa femme le raille, le plus
petit le bouscule.
Il rencontre le riche, entouré de considération à faire éclater sa
poitrine de fierté.
Ses méfaits passent pour des peccadilles, malcrré leur énormité.
Ah! le riche a pour lui un Seigneur miséricordieux!
« Une tribu doit être bien misérable, bien désireuse de décoinrir
un chef, pour avoir songé à te proclamer sayyd,
Le trait méchant atteignait à la fois la tribu et son chef. Quand
l'avarice se trouve en cause, la situation de\'ient encore plus grave
et l'on note l'opposition entre ce vice et la dignité de say3-d. On en
faisait la remarque à propos de Ahnaf ibn Oais (^). Pour être digne
de son rang, le sa} yd devait exercer la générosité jusqu'à la prodi-
galité, (^) accumuler les amas de cendres à l'entrée de sa tente, où
(') Cf. Gâhi?, Bayàu, I, 95, 10; A. Tammâni, Haviâsa, E. I, 161 ; 167, d. v. ;
voir pourtant Hassan ibn Tâbit, vers cité plus haut p. 239.
(*) Bohtorï, Hamâsa, n. 1101. 'Orwa ibn al-W'ard, dans So'arâ' an-Nasrâ7iyya, 888.
(3) I. S. Tabag., VI, 102, 20; Ag., XI, 107-08; Osd, IV, 93; Gâhiz, Avares,
176, 16; Qotaiba, 'Oyoûn, 207, d. 1. Ibn Mâgâ, Sonaii, E. II, 274-75. D'autres mohad-
dit observent que les dictons à l'éloge de la pauvreté et attribués — comme ici à
Mahomet — sont controuvés. « La mort est préférable à une vie pauvre » ; So'arâ',
904, d. V.; 907, 91 1; anthologie poétique: Qotaiba, 'Oyoûn, 287 sqo.
{*^ Gâhiz, Ilaiaiiân, III, 25; Qotaiba, 'Oyoûn, 271 ; il est i_J>J^ et ^^U^ ; Ho-
tai'a. Divan. VII, 38; Ag., X, 109, 7; Gâhiz, Bayân, 1, 106, 7; Gâhiz, Mahâsin,
187, 1.
Lammens — Berceau i6
242 Le sayyd à table
le feu brillait en permanence ('). En cette matière les vieux anna-
listes entassent les épithètes et les (jualificatifs (■).
Il fallait combler de cadeaux et aussi de festins. L'estomac du
Bédouin, d'ordinaire si sobre, peut à l'occasion donner des preu\es
d'une élasticité peu commune ('). Destiné à exercer une hospitalité
ininterrompue, le sayyd doit lui-même se montrer vaillant à table.
Hârita ibn Badr était le saj-yd des Banoû Godâna, poète, orateur,
doué d'un ensemble de qualités peu vulgaires, et de plus fervent
buveur (*). Liqueur de luxe (^), à ce titre le vin obtenait l'estime des
Bédouins. Un poète rival décocha à Hârita le trait suivant. On }• joue
sur le sens du mot |»=^-^, signifiant gros et important (*).
« Godâna prétend posséder un chef considérable; rél3lre d'une
sauterelle suffit à le cacher.
Buvant autant qu'une mouche, il s'abreuve de honte et une
cuisse de lièvre le rassasie » Ç).
{') \'oir précédemment p. 78; Hansâ', Divan, 19, 4 ; 97, 3. Il est >UJ1 >l-!C rdi» ,
ou ^JviJl >U^ yJ:^ ; So'arâ', 748, 1 v., 749, 3 d. v. Ag., XXI, 58, 10.
(-) Jija., tlka^, >Lakj ; Ag., \'III, 1116, 3 ; XIX, 39, 5; Qotaiba, Poesis, 199, 5;
Ibn Doraid, Istiqâg, 63, 2 ; 122, 16, 239, 243, 269, Azraqî, (Wiist.) 133, 1 ; quatre gé-
nérations de sayyd ^•jj.t-'ak< ; Osd, II, 283 ; 'Iqd^, II, 78 ; Labïd, Divan, XXXIII, 5,
/^-ak« ; Hansâ', Divan, 4, 2 d. 1. ; 85, 2 ; 87, 3 d. 1. iXaçâ'id Garïr, 236, 275, 455.
(^) Dans les « magâzi » de la Sû-a, un chameau est calculé comme devant suf-
fire à l'alimentation de cent hommes: mesure plutôt modeste. A Badr, elle permit à
Mahomet d'évaluer le total de ses adversaires qoraisites.
(*) Cf. Ziâd ibn Abthi, 120-22.
(^) Guidi, Sede primitiva, 607.
(*) D'où p.>»^. \..^^,.^ et |«sx-o ; et encore |«sn-o jJLw ; cf. ii/o'àwia 97-99 ; no-
tes de Goldziher sur Hotai'a, Divan, IV, 37. Le bon orateur doit avoir gros ventre
et grosse tête ; Gâhiz, Bayân, I, 52, 8 ; Qotaiba, 'Oyoûn, 21'i.
Q) Ag., XII, 11. Pourtant dans Hansâ', Divan, 84, 3 d. 1. ^^jUJL* , n'est pas lau-
datif ; de même So'arà', 765, 3 d. v. ; Ibn .Sikkït, Tahdîh, 410, 2 d. 1. ^J^ -= ^;JU»^
dans le sens de goulu, gros mangeur. Au sayyd on pardonne un ventre rentré, quand
par ailleurs sa table est abondamment servie et accessible à tous,
<• " ' . J^ •> f ^ ^ > ''.
So'arà', 759, cf. Bohtori, Hamâsa, nos 637, 1 v., 638, 639; Tab., Annales, 11,808, 11 :
l»sri^ j_yjj ^ j»i\-o '^^îv*^ . illustre sayyd montant une vigoureuse jument.
Son hospitalité 243
Pour les Arabes, abstinence, pauvreté, avarice : autant de concepts
inséparables. Mahomet se sentait capable de dévorer à la file trois
gigots de mouton ('), et d'y joindre tout le contenu d'un couffin de
dattes (*). A voir la complaisance de la Tradition, insistant sur le
robuste appétit du Prophète, on s'aperçoit comment les Arabes vou-
laient pouvoir se reconnaître dans leur surhomme. Parmi les signes de
supériorité, le calife Mo'âwia, corpulent lui-même, plaçait la proémi-
nence de l'abdomen ('). Aucun sa}-\d n'eût été flatté de s'entendre
appliquer le distique :
Baour-Lormian de gloire se nourrit.
Aussi voyez comme il maigrit !
Au sav\d de tenir table ouverte ! A la fin de sa carrière ce ga-
lant homme 'ne devra laisser à sa veuve éplorée < qu'un sabre et des
marmites. Ce sera là tout son héritage:
{*) y^\^ ^J>^« ^y» cr' ^"'r* -^^ "f ' v3j^'-* ^^•
V>\
La faveur populaire demeurait à ce prix. Pour la capter, les plus
puissants envovaient tous les jours un héraut faire la proclamation
suivante : < si l'on veut se rassasier, de viande, de dattes, de lait, on
est invité à la maison du sa\-yd ! > (^). Ce dernier profitait de la cha-
leur communicative du banquet pour enlever l'adoption des mesures,
(') Ces hadît représenteraient-ils une protestation indirecte contre l'ascétisme
chrétien? Principalement l'abstinence de chair? Ou bien doivent-ils ser\-ir de commen-
taire à l'invitation fréquente dans le Qoran : 0^-:;i»JI 1?^ ? O" 0^4^ ^= viandes. Ici
faut-il admettre que « ist nur die Tendenz, nicht der Inhalt historisch verwertbar » ?
Prof. Becker, Der Islam, IV, 266
(*) Fâtima, 43, 44. cf. Mâgâ, Sonati, E. II, 161-62, festins offerts par lui à la
mosquée, rôti etc., appétit du Prophète.
^) ^i-JI ïU.jJl ; Qotaiba, 'Oyoûn, 269. L'embonpoint était commun parmi les
sayyd; cf. Mo'àwia, 97-99; Ag., XII, 42, 9-11. Pour Mahomet, \o\x Mo'âwia, 368-69. Les
illustres sayyd sont J,*^ f^'< iNaqc^id Garîr, 152, 15), g^ros ; Ag., XII, 48; XXI,
95 d. 1. So'arâ' an-Nasrânyya, 887, 5 v.
(^) Ag., XI, 155, 5 d. 1.
(^) Bakrî, op. cit., 43. Remarquez la présence du wonârfi (voir plus haut). Comme
ici, on ne les rencontre qu'au service des grands chefs. Fâtima, 67.
244 La natation en Arabie
intéressant sa politique, assuré de ne pas rencontrer d'opposition (').
« Le saj'j'd, affirmaient les Arabes, doit nous laisser fouler aux pieds
son honneur et mettre sa fortune au pillage; U^JLU:^ a-1j6 ^-^^.
i*Ju » (■'). Avec le même sans-gêne, ils lui adressaient ensuite ce com-
pliment : « Quelles obligations n"as-tu pas contractées envers nous !
Nous t'avons distingué au milieu de la foule, pour te proclamer notre
savvd, iiu>^^ iiuuïj cuij; uxL« Jàsi l< » i (").
*
Dans l'Arabie préislamite, pour obtenir la (jualihcation de kàmil,
parfait, trois conditions se trouvaient requises : être habile au tir de
l'arc, savoir écrire et enfin... nager! (*) Cette dernière devait être
d'une réalisation difficile dans l'aride steppe arabique. Nous savons
maintenant, grâce au Prof Goidziher (^), où les écrivains musulmans
sont allés chercher ce non-sens, inscrit par eux au programme de
toute éducation distinguée. La valeur pédagogique de la nage se
trouve déjà préconisée dans le Talmiid et ce recueil aura vraisembla-
blement emprunté le trait aux Grecs. Au divin Platon {Leg., III, 689)
« nT)Te veIv ^TiTË YeâfH*"^«i ignorer la natation et les lettres > paraissait
le comble de l'ineptie.
(') Bakrî, loc. cil. C'était conquérir, à force de générosité, le titre de sayyd ;
Hansâ', Divan, 88, 9.
(-) Qotaiba, 'Oyoûn, 273, 2-3. Les bêtes sacrifiées n'étaient pas toujours de pre-
mier choix ; Hassan ibn Tâbit, Divan, IV, 30 vante chez les Ansârs :
Li-~-o Livs^ cj-~»*^' ^ «s-uLII ^-j^ Ls.Ui s-Ls. ^j v-i-^^J' ^T*^ cJli
On n'immole pour l'hôte survenant à l'improviste que les bêtes les plus grasses, les
plus saines.
(') Qotaiba, 'Oyoùn, 275, 2.
(^1 Voir le détail et les références dans Mo'àwia, 330 ; Gâhiz, Bayàn, I, 213-14.
Haggâg recommande d'enseigner la natation avant l'écriture à ses enfants »J^^
l»<3-U f.,1^, 1^ ^^»-<-v^ '^^ 4>i^^ ^r-"-^. lj* O»-?^^*^. *bid., I, 213. Passe pour l'Iraq!
(•') Voir dans l'Encycl. de Hastings, Religion and Ethics, l'article de Goidziher
sur « l'éducation chez les musulmans » (p. 198-207).
Générosité de Sa'd ibn 'Obada 245
Quoiqu'il en soit, l'Ansârien Sa'd ibn 'Obàda, sayyd (') des Haz-
rag de Médine (•). possédait ce rare ensemble de qualités. Quant à la
nage il l'avait sans doute apprise, comme Mahomet, dans un puits à
Médine (^). Elles contribuèrent à lui assurer de l'influence. Sa géné-
rosité acheva de l'établir. Les clans de Médine vivaient réunis dans
des i^nr ou enclos, renfermant une cour centrale (■*). Des oàw!, sortes
de donjons en pierre, dominaient les enclos principaux et en assu-
raient la défense. Chaque jour du haut du o/o/// de Sa'd retentissait
cette proclamation : « celui (|ui désire se rassasier de viande et de
graisse, qu'il se rende à la demeure de Sa'd ibn 'Obâda! > {'). Une
telle invitation devait au plus haut point éveiller les convoitises des
Bédouins, dégoûtés à la fin de leur maigre ordinaire : dattes et lait (°),
et tout spécialement amateurs de graisse C). A la mort du Prophète,
Sa'd se vit sur le point de recueillir le fruit de sa générosité. Les
Ansâriens, assure-t-on, auraient songé à couronner (*) ce say\d libéral.
Il est du moins certain qu'il devint alors leur candidat au califat. Le
projet échoua contre le Triumvirat, organisé par Aboû-Bakr (').
C) i^o-Ç^ . ainsi Mahomet le désigne en parlant aux Ansârs ; Ibn Mâgâ, So-
nan, E. II, 67.
(-) Ibn Hagar, Isâba, II, 155. A la p. 156, 4 au lieu de is.>ji. lisez <».«.àr>, assiette.
La tradition ansârienne a tenté l'impossible pour illustrer la mémoire de ce chef, si
malheureux dans sa lutte contre le Triumvirat ; cf. notre Triutmnrat , 142. C'était un
homme d'esprit: il constate l'absurdité des conditions, stipulées par le Ooran, pour
établir le délit d'adultère ; Ibn Mâgâ, Sotiati, E. II, 67.
(3) I. S. Tabaq., I', 73, 17.
(■*) Et un ou plusieurs puits. X'oir précédemment p. 42.
(5) I. S. Tabaq., III 2, 143; cf. Gâhiz, Avares, 253, 10; la graisse de la bosse du
chameau, un morceau de choi.x! Ibid., 254, 17. En revanche on disait en manière de
proverbe: « insipide comme la chair d'un jeune chameau »; Ibn Doraid, Isfiqâq, 288, 8.
(*) Gâhiz. Avares, 254; cf. Nallino, op. cit., 617. Sémites grands mangeurs de
viande ; voir Guidi, Sede pritnitiva, 594, 596.
f!) Cf. Ibn Doraid, Istiqâq, 81, bas ; 'Iqd\ II, 24, 5 d. 1.; Hansâ', Divan, 11, 9;
36, 1; 60, 2; 87, 8; Labîd, Divan, XXXIX, 14; Musil, Arabia Petraea, III, 149.
("1 Pour les cérémonies, analogues au couronnement, cf. Jacob, Beduinenlebeti, 224 ;
Ya'qoûbi. Hist., II, 136, d. 1. Qalqasandî, Sobh, I, 249-50; Chroniken, (VVûst.) II, 143,
2. L'inscription proto-arabe de Namâra parle du /^, porté par les anciens chefs; Nal-
lino, Costituzioiie délie tribii, 616 ; Hassan ibn Tâbit, Divan, LXXX, 6.
(') Cf. notre Triumvirat.
246 La loi du talion
*
* *
Posséder des « pavillons spacieux » ('), aux couleurs attirantes (*),
établis bien en vue sur la colline ('), et non pas repoussés à l'écart,
et comme en quarantaine, derrière l'alignement des tentes (*), voilà
l'idéal du sa3yd bédouin. Cet idéal supposait de la fortune, des mo-
3-ens considérables (;').
Jusqu'ici nous avons seulement indic^ué une partie des charges,
retombant sur le sa3'yd. Une hygiène défectueuse, la frécjuence des
razzias, des vendettas, la facilité illimitée du divorce multipliaient le
nombre des veuves, des orphelins, errant sans gîte, sans ressources
au milieu du campement. A défaut des parents, négligents ou morts,
le chef devait pourvoir à la subsistance de ces infortunés. A lui de
pa^-er les innombrables dvài (") ou prix du sang, fruits de l'anarchie
sociale.
Le Bédouin éprouve l'horreur du sang versé, sans en connaître
le remords. S'il lui arrive de respecter la vie de son semblable, c'est
grâce au ^âr, la loi du talion, l'inexorable vendetta : le sang doit être
vengé ou racheté! Sans cette loi salutaire, l'existence deviendrait im-
possible au milieu du désert. Pour le meurtrier, l'important c'est de
(1) àS>\yu, *ixi ; .'Klital, Divan, 160, 5; comp. Yaztd, 193.
('^) Tente en cuir rouge ; voir Fâtima, 73.
(3) Ahtal, Divan, 243; Ibn Qais ar-Roqayyât, Divan, LIX, 10.
(^) Ahtal, Divan, 299, 4: ^.^..wlss ^vïJI *U^ • La tente du saj-j-d doit se trou-
ver sur une éminence, jili^, ; Hotai'a, Divan, XII, 7, Nagaid Gaitr, 224, 3 v. ; 602;
non pas à l'écart, ^Jlf»^ ; Ibn Doraid, Istiqâq, 164; Aboû Tammâm, Haniàsa, E. I,
184; il est peu glorieux de camper dans les vallées et non sur la hauteur; Ag.. XI,
92, 6 d. 1. comp. A. Musil, Arabia Petraea, III, 351. Les pauvres, les solliciteurs doi-
vent se tenir à distance. 'Orwa ibn al-Ward, dans So'arâ', 884, 3; 898, 6; ,_ji;^\^
J.S3J.I , campant à l'écart; Ibn Doraid, Istiqâq, 174; Gâhiz, Bayân, I, 165, 5.
(=) Comp. le vers de 'Orwa ibn al-Ward, So'arâ', 906 :
Ce n'est pas par la richesse, mais^par les actes que le sayyd gouverne. Ici Jl*», actions
veut dire : libéralités.
(") Ou kamâlâi (et non O'^^' dans Mas'oûdî, Prairies, III, 248, il s'agit de
dyâ/ et non de « belles actions », comme a compris le traducteur.
Le jeu de la razzia 247
réunir, dans le plus bref délai, le prix du sang, la dya, fréquemment
estimée 100 chameaux ('). Cent chameaux ! Une fortune ! Aussi le chif-
fre, non le repentir, fait réfléchir le Bédouin. On l'observe, le front
haut, circuler au milieu des tentes ("), parcourir les campements de
la tribu et des alliés de sa tribu, pour arriver à parfaire le nombre
légal. Sans aucun embarras il tend la main. Partout il se voit bien
accueilli. Un meurtre, voilà un fait bien banal parmi les descendants
dlsmaéll Ils considèrent le quémandeur comme un malheureux, tout
au plus comme un maladroit. La razzia se trouve à la base de cette
société. Chaque bien non gardé, mal défendu, devient bomim tmllhis,
exposé à la merci du plus fort, du plus habile. En bonne règle la
razzia ne devrait jamais être sanglante. Jeu élégant, sorte de tournoi,
où les jouteurs sans intentions homicides luttent pour se surprendre.
Dans la pratique, la plupart des razzias se terminent sans accident (^),
même depuis l'adoption des armes à feu : beaucoup de bruit, de fumée
et de poudre brûlée, mais peu de blessures! C'est par exception, si
ces règles du jeu viennent à être violées. Les partenaires ont manqué
d'adresse, ou se sont laissés emporter par un excès d'impétuosité
dans l'attaque ou dans la défense (*). Oubliant leur qualité de jouteurs,
Is se sont transformés en combattants. Voilà comment les Bédouins
(') Voir précédemment p. 134.
(-) ... (j ij*-^ : on en charge volontiers les poètes; personne n'osant leur refuser
par crainte de représailles ; Ag., XII, 44, XIX, 160; Chantre, Xôd sqq. Ces intermédiai-
res sont également qualifiés de jJ-eU». . Hâmil, un centenaire, a pu y gagner son nom
i*-*^" ^i U«iJLI ^JI ij^^^r^. i_)-«'^^ ^'^ . évidemment pour des dya; Sigistânî, Mo'am-
niaroûn, 86. Voyages pour aJI^, pri.x du sang; Gàhiz, Mahâsin, 86, 87; Gâhiz, Bayàn,
II, 26. Offrir des brebis, au lieu de chameaux, était une dérision ; So'arâ', 742. C'é-
tait une façon de rompre les négociations ou de décourager les solliciteurs.
(3) Naturellement après le combat, les poètes affirment le contraire ; ils ne par-
lent que de « veuves abandonnées solitaires, pleurant maris et enfants: {Ag., XII, 47)
U-.^.L~U iJ.jtJI -.^SUj l^»J ,1-01 (i *syL«J '^S3
Yâqoût, E. VII, 39 bas, citation de Hotai'a • So'atâ', 744, 4 d. v. Cadavres abandon-
nés aux hyènes; Al-Qohaif al-'Oqailï, Divan (éd. Krenkow) à&nsJRAS, 1913, 352-53;
So'arâ', 760, 4 d. v., 765.
(*) Comp. les regn'ets exprimés par 'Amrou ibn Ma'dikarib; Ag., XII, 52, 9.
248 La guerre est une ruse
raisonnent la théorie de la razzia. Ils en dissertent, comme l'Espagnol
parle d'une course de taureaux. Le torero a manqué de sang-froid 1
Cette remarque nous permettra de compléter et au besoin de
iustifier notre appréciation sur la bravoure bédouine. Nous en avons
souligné la qualité inférieure ('). Cette infériorité provient précisé-
ment de la manière de comprendre la razzia, un jeu oîi il s'agit de
lutter de finesse. Or de la guerre le nomade connaît une seule et
unique forme, la razzia. S'il se bat, c'est pour dépouiller ses voisins.
L'idée de risquer alors sa peau ne saurait lui venir. .S'il échoue, c'est
partie remise. Le récit contenant l'épopée de ses conquêtes mondiales.
l'Arabe l'a intitulé Magàzi. c'est à dire razzias; il les a considérées
comme des razzias de grand style ; c'est sous cette dernière forme que
les adroits Ooraisites ont pu entraîner les Bédouins à leur suite. Toutes
ses théories sur la guerre, le nomade les condense en cette formule :
AftOiL s-'y-'' '^ guerre est une ruse : espionnage, service d'éclaireurs.
embuscades (■), fuites simulées, personne en ces stratagèmes n'égale
sa virtuosité. Aussi l'auteur de l'Agâni reman^ue-t-il à propos d'un
des plus célèbres che\'aliers-brigands de l'Arabie, Hâgiz al-Azdi:
« malgré la fréquence de ses razzias, il fut un incorrigible fu\ard
^lyjl pir AJl^U ^ J6 » {Ag. XII, 52, 20). Ajoutons que c'était un coureur
merveilleux, capable de devancer les chevaux au galop (^). Les théo-
ries développées par Ibn Haldoun ('') sur la bravoure des Bédouins
(') On se ligotte pour s'enlever la possibilité de la fuite : Yâqoût, E. V, 24S. Les
femmes doivent supplier les hommes de ne pas fuir; Xaga'id Garîr, 569, d. v.
"(*) Dans les Jilagâzi du' Prophète, « on marche la nuit, on se cache (^^r^le jour »;
I. S. Tabaq. II ' passim.
(^) Ag., XII, 49 ; autres exemples de coureurs ; ibid., 50, .ïl ; XX, 20 : Ibn
Doraid, Istigàg, 166 ; chez les Hodailites, Asmal compte f>-i^^ lili.* l-tLi ^v«->)l
^,U *^-~» S""^ "^^i i_i* •-*-^. • Fohoûlai as-So'arâ', (Torrey) 502, 13; Ag., XXI. 61.
(■•) Prolégomènes, (Quatremère) I, 263, (I, 228 etc. te.xte arabe). Musil, Arabia
Petraea, III, 370-71 se montre de même favorable à la bravoure bédouine. Il faut sa-
voir fuir à propos, dit le poète ; Aboû Tammâm, Hamâsa, E. I, 93, 94. Le héros avoue
qu'il combat malg^ré lui ; d'une voix plaintive il s'excuse d'avoir fui, « quand il a flairé
l'odeur de la mort»; Hamâsa, E. I, 94, 97-98. D'autres pourtant ont refusé de fuir;
Hansâ', Divan, 124, 3-4. Comp. chap. 15, Bohtort, Hamâsa, O^^ AjI ia.V.>..»l ^j ,_J-j" U-J
Le rachat du sang 249
sont une des nombreuses considérations à priori, lamilières à cet
auteur, féru d'abstractions.
Dans ces conditions, un meurtre arri\e au cours dune razzia
constitue un simple accident. Comme punition de la maladresse, on
impose seulement au meurtrier une expiation pécuniaire, le rachat du
sang versé ('). A lui de s'ingénier pour solliciter la générosité des
membres de la tribu. Ceux-ci inter\'iennent volontiers. Demain peut-
être, ils auront à bénéficier de la même largeur d'idées.
Le sa}yd, il faut s'\- attendre, se trouve parmi les premiers à
recevoir la visite. Le bon ton veut même qu'il prenne les devants et
assure la compensation du sang versé. Non seulement le sa\vd doit
donner, mais il doit porter J-»^;. ^s^ (')■ Q^e peut-il bien porter: Il
porte le sang ('). Il s'agit non de la responsabilité morale {*). mais des
conséquences matérielles du crime commis. L'acquittement des dom-
mages-intérêts constituait en majeure partie le grand fardeau du sa\'vd.
Il devient alors dans toute la force du terme le portefaix de la
tribu ; jCi- (^), le vocable encore en usage dans tout le Levant pour
désigner la solide corporation des portefaix. Le sa^yd s'appelle
J'Xj'^ii J^'^ C). Cj^.> J^^ et tt«> J-f'-a. ("). porteur de sang, porteur de
rançons, à savoir les rançons du sang (*). Comment ne pas se rap-
(') Voir A. Tammam, Haviasa, E. I, 116, sqq.
{*) Qotaiba, Poesis, 200, 1.
(■•) Il n'en est jamais question.
I*) Hassan ibn Tâbit, Divan, LXXX, 6.
(«) Ag.. VIII, 48 ; XIX, 46, ; 93 JUi'l J'-i^ , Nâbiga, cité dans Yâqoût, E. I, 93.
C) Ibn Doraid, Istigâg, 192; Hansâ', Divan, 10, 8; 37, 1; 120, 9; Xi-;lj>. , il
s'agit de son frère Sahr; Zohair, (Ahlw.) 80, 4 d. 1. Farazdaq, cité dans Gâhiz, Bâ-
yân. I, 126, 15.
(*) '/?</', II, 60, 5 d. I. Ag., XIX, 93; «quand les autres ploient sous le far-
deau, nous en prenons le poids sur nos épaules,
J^^LI J..-Ji'.^' U^U«j ^-ai L^'V^v .J-JJLil <*JU.il lil, »
250 Le sayyd portefaix
peler cette description de M. Louis Bertrand ? < Six hommes de haute
taille s'avançaient lentement, le pas rythmé, sous le fardeau d'une
poutre, qui se balançait d'un branle imperceptible, prestjue à ras du
sol... Les hommes robustes allaient en cadence, l'air grave, le jarret
tendu, le corps un peu raide. mais pourtant avec une élégance aisée
de gymnastes » (').
C'est l'image du saj'^d. Comme les porteurs de poutre, il doit
s'exécuter de bonne grâce (") sans courber l'échiné, « d'un dos lé^er,
disent les Arabes, sous l'énormité du faix, J^" J^ ^ ,-fiJl ,_i.;^ > (^).
Et on le charge par quintaux, ou plutôt par centaines (^), pour conser-
ver la notation arabe ,j^ J^i^. En d'autres termes, à lui l'obligation
de pa^-er sans rechigner des rançons (^), s'élevant à cent chameaux.
Descendre d'un de ces Hercules de la munificence, j^ jû^ o-?' O
voilà un titre trop glorieux pour être négligé par la poésie. L'assassiné
était-il un sayyd, frécjuemment sa famille et sa tribu exigeaient une
double dra, c'est à dire une rançon de 200 chameaux ("). Aussi le
plus ambitionné de tous les qualificatifs était-il celui de premier
(') Le livre de la Méditerranée, 17.
(2) Voir Chantre, 159-61, comment Ahtal se venge d'avoir été repoussé dans une
circonstance analogue. II est le messager ordinaire de Taglib pour les hamâlât.
p) Hâtim Tayy, Dii'an (Schulthess) il, d. v. ; Ag., XIII, 145, 12, où lisez Cj^^
au lieu de O^W:-
(■>) « Donneur de cent » chameaux ; Hotai'a, Divan, V, 28 : Nâbiga Dobyânï dans
So'arâ', 664, 2.
(5) Il passait pour peu honorable d'augmenter ses troupeaux au moyen du paie-
ment des douaires et des dyàl: cette dernière concession marquait un manque de
courage :
Gâhiz, Avares, 255, 4-5. Aux familles ainsi enrichies on reprochait de boire le sang
des leurs, avec le lait des chameaux. Bohtorî, Hamâsa, n. 112.
(^} Farazdaq, Divan (Boucher) 170, 4; sayyd chargé de recueillir dix rançons;
Gâhiz, Bayàn, II, 26, 4 d. 1. ; voyages entrepris à cette fin, Xaçâ'id Gartr, 277, 3 v.;
So'arâ', 742. Mille chameaux pour le père d'AmrouIqais ; Ag:, XIX, 85, 2.
(") Ag-., XII, 50, 54-55. Voir précédemment p. 134.
Même sujet 251
portefaix de son siècle ^UJi J^\ ('). De leur côté, les poètes criaient
aux rivaux de leurs Mécènes : « seriez-vous en mesure de supporter
les fardeaux (jue notre héros soulève, jX^- U J-<U>. ? » (') Eloges so-
nores, mais venant lourdement grever le budget du sa\}d arabe 1
(1) Farazdaq (Boucher) 129, 5; Balâdori, (Ahlw.) 11, 7; 187; Hotai'a, /Jhwi, XL,
20, avec le commentaire de Goldziher; cf. Jaussen, Moab, p. 127.
(2) Ahtal, Divan, 8, 1. 8. Pour la dya, pour l'expression JUul Jlii». . cf. C).
Procksch, Die Blutrache bei den Arabern, 57-59.
VII
Division de l'autoritd. Multiplicitd des sayyd.
Opposition à leur pouvoir
Les Arabes se montrèrent toujours partisans déterminés de la
décentralisation. Comme si au désert, il y avait lieu de redouter une
dictature! (*) Quand Toffice de sajyd entraînait des charg^es onéreu-
ses et supposant, pour ainsi di.-e, le dévoùment à jet continu ! Il y
aurait plutôt lieu d'admirer l'abnégation des chefs ('), disposés à les
assumer, s'il ne fallait mettre en ligne de compte la vanité arabe,
incessamment en quête de distinctions.
Même dans les villes où, comme à la Mecque, on découvre un
embr\on d'organisation municipale, on trouve éparpillées à l'infini les
prérogatives, conférant 'une certaine influence politiijue (^). En étu-
diant l'organisation de la métropole qoraisite, nous verrons comment
les principales familles les avaient partagées et se les transmettaient
jalousement {*). 11 n'en allaitpas autrement du pèlerinage et du sanc-
(') Certains vers semblent l'insinuer; Gahiz, Haiawan, III, 25, 3, 5.
(*) D'aucuns maudissent le temps de leur syâda :
Bohtorî, Hamàsa, n. 1098 ; comp. le chap. 124.
(•') Voir 'Iqd^, II, 45; ensemble de données légendaires, mais attestant les in-
stinctives répugnances des Arabes pour une autorité fortement constituée. Cf. notre
République marchande, p. 8 sqq.,
(*) Mo'âwia blâme l'esprit de jalousie et de division, séparant les familles qorai-
L'organisation de Nagrân 253
tuaire national de la Ka'ba, habilement exploités par les âpres mar-
chands de Ocrais et devenus l'occasion d'opérations plus lucratives
qu'honorables.
L'exemple de Nagrân ne paraît pas moins instructif. Nous le
rappelons ici à ce titre, quoique la cité (') se trouve en dehors de
cette partie de l'Arabie occidentale, spécialement envisagée par nous.
Dans ce centre chrétien, commerçant et industriel, ville yéménite en-
fin, où devaient se conserver les dernières traditions politiques de
l'Arabie Heureuse, nous surprenons la même division des pouvoirs.
Le savvd de Nagrân — constatation pour le moins insolite! — n'y
aurait pas occupé la première place : à lui revenait l'organisation des
caravanes et des mo\ens de transport. Ministre du commerce, il de-
meurait également chargé des relations extérieures. Une plus grande
part de responsabilité et, si l'on peut s'exprimer de la sorte, de pou-
voir exécutif, paraît avoir été dévolue à un second personnage, gra-
tifié du titre énigmatique de 'àqib. Venait enfin l'évêque. Outre les
écoles et les soins spirituels de la communauté, l'évêque se trouvait
également associé à l'exercice du gouvernement ; aucune décision ne
devait être prise sans son inter^'ention. Dans le Califat de Yazid I" (^)
nous avons étudié ce triumvirat original, cette ville libre de Nagrân,
sites; 'Iqd^, II, 49; République marchande. Voir Gâhiz, Bayàii, I, 129, 15 etc. [lire
Ailjk.>o au lieu de islj^4*)] comment la malignité bédouine refusait de prendre au sérieux
les dignités de la Mecque. Elles sont nommées dans Hassan ibn Tâbit, Divan, pièce
145, où la tradition postérieure est allée les recueillir. Ibn 'Abb.ns insistait sur la ja-
lousie des Mecquois; Moslim, Sakîh', I, 486, 11.
(') Elle était d'ailleurs en relations fréquentes avec la Mecque (cf. notre Vaztd,
ch. XXII et XXI II) et avec les tribus de Hawâzin (voir So'arâ', 776, 10), leur mar-
ché pour les chevaux.
(*) Voir les chap. XXII et XXIII. L'éloquence de «l'évêque de Nagrân» était
proverbiale; Gâh'\z, Bayân, I, 137, d. 1. A-t-on pensé à Qoss ibn Sâ'ida, autre grand
orateur, ou est-on parti de cette donnée anonyme pour transformer Qoss en évèque
de Nagrân? Les chefs de la cité avaient la répmtation de savoir faire respecter les
droits de Nagrân ; iXaqâ'id Garïr, 600, 2 v. ; ses châteaux, ^yaS, étaient célèbres ;
Gahiz, Mahâsin, 189, 11. En temps de troubles on abrite à Nagrân familles et fortu-
nes; ce qui semble indiquer la confiance dans l'ordre établi ; So'arâ', 775, 5 d. I.
254 Chefs secondaires
moitié république, moitié état ecclésiastique, où les représentants
des trois puissances: l'état, la religion, les intérêts matériels, étroite-
ment unis, contribuaient fraternellement, chacun dans sa sphère, au
bien général. N'est-ce pas l'idéal? Cet idéal, trop beau sans doute
pour notre monde sublunaire, l'anarchique Arabie l'aurait réalisé!
Comment réprimer un mouvement de scepticisme? Ne serions-nous
pas le jouet d'interprétations trop subjectives ou de la féconde ima-
gination de nos informateurs arabes? (') Le désert est par excellence
le milieu des mirages.
L'on en était là à la Mecque, à Nagrân ; dans ces villes importantes,
l'on sentait pourtant la nécessité de l'union et de la solidarité, du moins
dans la mesure oîi leur utilité est capable de s'imposer à la menta-
lité arabe. Nous pourrons aisément nous représenter la situation dans
le reste de la Péninsule.
« Quand un particulier enrichi dit à la tribu : c'est moi le say\-d,
chargé de décider, revêtu de pouvoir!
Si ensuite, il ne donne rien, la tribu lui refuse obéissance et d'un
cœur léger brave ses prétentions injustes! » {').
Ce distique renouvelle l'incessante protestation de la convoitise
arabe. La générosité ne suffisait pas pourtant pour étouffer les com-
pétitions. Les chefs les plus en vue se voyaient forcés de partager leur
influence avec une foule de petits potentats. Ceux-ci accaparent l'au-
torité dans les âaùi ou clans secondaires ('), s'érigeant en chefs de
parti ou de la minorité en opposition au sa\'\d (^). Ou bien ce sont
(') Je soupçonnerais volontiers l'intervention de cette dernière cause de déforma-
tion. En général la poésie préislamite se montre prévenue en faveur des Nagrânites;
cf. Yazîd, loc. cit. et Doraid ibn as-Simma dans So'arâ', l'/ô-lt.
(-) Gâhiz, Haiawân, III, 25, bas.
(3) Ou J;Xj ; Ibn Doraid, IHiqaq, 7,1.3; 10, 3.
{•') Osd, III, 406, bas; deux partis dans la tribu; Ag., XI, 133, 5; sayyd tnul-
tiples; Hansâ', Divan, 62, 2; Ag., XXI, 60, 19.
La tribu de 'Abs 255
des esprits brouillons, comme le fameux 'Aqil ibn 'Ollafa ('), faisant
avec les siens bande à part ("), et refusant de se reconnaître un égal
dans toute l'Arabie. Ces concurrents du sayyd officiel s'appelaient
eux-mêmes say^d, sàdàt, ou asrâf\ nobles, ou sayyd gaumiki, chefs
de groupe ('). Cet éparpillement, nous ne disons pas du pouvoir,
mais de la notion d'autorité, produit dans les troubles annales pré-
islami(]ues un pêle-mêle babylonien.
L'empressement de tous ces figurants secondaires, de tous ces
comparses, désireux de se mettre en évidence, distrait l'attention et
empêche de démêler les premiers rôles. La tribu de 'Abs ne se dis-
tinguait pas par le nombre ; et pourtant le principal titre de Zohair
ibn Gadima fut d'y avoir commandé comme sa3yd unique, >a1w ji
L{Ir ^j-^ {*). Plus tard on les entendra se glorifier de ne faire qu'un
avec leur sayvd ("). Il est également question d'un sayyd de tous les
Azd : autant d'expressions à interpréter avec discrétion (*'). C'était
(') Fierté grotesque des Morrites; Abou Tammâm, Hamasa, E. I, 102-103. La
Tradition ne leur pardonne pas Moslim ibn 'Oqba; cf. Vazïd, chap. XVI-XVIIL
(«) Ag., XL 92, 2 d. I. Il est le type du tUa. idéalisé ; ibid.. XL 86 ; cJOi. jjlyil
kjla. 89, 2 ; histoires plaisantes sur le tlia. ; vraisemblablement extraits d'un recueil
factice composé à Bagdad. Voir plus bas les données sur 'Oyaina ibn Hisn.
(3) <jocJ> ^^ ^ -*-*-*> ; Qotaiba, Poesis, 118, 2 ; «-{-^ ïjLo ** ; Ibn Doraid, Isti-
qâq, 180. Ou 6^^ (i jC^ ; Ag., XL 93, 4 d. 1.; 95; Osd, IV, 13; I. S. fabag.,
III *, 28, 15; comme 'Aqîl ibn 'OUafa et Sabïb ibn al-Barsâ', tous les deux membres
du même clan des Banoû Morra, proches parents et adversaires irréductibles. Pour la
Mecque, cf. notre République marchande, p. 9. Par ailleurs Nâbiga Dobyânî appelle le
gassânide Al-Hârit <^<,9 JÔLw ; So'arà', 645.
(^) 'Iqd^, II, 62, 11 d. 1. Même pour le très modeste clan nomade des Banoû
'Otmân le poète proclame son héros IajJLoj 11L ^^Ui* i,J^\ Ag., XI, 82, 10; Ibn
Haldoûn, Prolégomènes, I, 312 signale la multiplicité des chefs chez les Bédouins.
{^) Gâhiz, Bayân, II, 31, 5.
(*) Ag., XII, 50, 13 d. 1. chef, touchant le mirbâ' de tous les Azd. « Say>'d des
nomades et des sédentaires»; Zohair, (Ahlw.) 81, 13. Chef, JÔls, de tous les Varboû';
il recueille le mirbâ'; Ibn Doraid, l'stiqâq, 137, 3 d. 1. ^UJI wxI^j et _ô-o J^^ ; titres
destinés à faire monter le prix de la dya: Naqà'id Gartr, 227. Dans le groupe de
Qodâ'a on connaît seulement deux exemples d'un chef unique ; Bakrî, Mo'gam, 27, 6;
Sigistànî, Mo'aminaroûn, 28. Le célèbre Afkal est chef de tout Rabfa ; Ibn Doraid,
256 Chez Taniîm et Bakr
d'ailleurs une situation trop extraordinaire, pour n'être pas enregistrée
dans les annales de la Péninsule 1 (').
Au moment précis, où nous voyons Qais ibn 'Asiin proclamé
chef de Tamim, cette même qualification est accordée à Zibri(]ân et
à une demi-douzaine de leurs contribules ("). Une génération plus
tard, à l'heure où le prestige d'Ahnaf (^) paraît solidement établi
parmi les mêmes Tamimites — formant en réalité une confédération
de nomades — nous trouvons les noms d'autres sa3'\'d, comme Hâ-
rita ibn Badr, et Zaid ibn Gabala (*). Une observation analogue s'ap-
plique à la puissante tribu de Bakr, également divisée en une mul-
titude de ,^ ou sous-tribus {'). On connaît le fanatique attachement
des Bakrites à la personne de Mâlik ibn Misma' C^). Pourtant vers le
même temps, le grand chef chrétien Haggâr ibn Abgar C) jouissait
d'une influence presque équivalente parmi les siens et cela en dépit
de ses convictions religieuses.
A peine moins redoutable que les sa\ yd des groupes particuliers
était la réunion des notables et des anciens de la tribu, désireux de
Istigâg. 197. Dans un groupe considérable, le sayyd unique recueille fréquemment le
niirbâ': Ibn Doraid, op. cit., 201, 7; 207, 7. Sur le 7it:rb5' comp. Goidziher, dans Z?i?r
Is/aw, II, 102-104.
(') Comp. dans Nagâ'id Garîr, 238-43, «Journée d'an-Nisâr», confusion intro-
duite dans le récit par la multiplicité des sayyd secondaires et des prétentions — sans
parler des falsifications postérieures — de leurs tribus respectives.
(*) Ils figurent dans le wa/d envoyé à Mahomet; I. S. Tabac.. II ', 116. Même
phénomène chez les Banoû Zobaid ; deux chefs sans parler du fameux 'Amrou ibn
Ma'dikarib; Ibn Hagar, /sàba, III, n. 6478; chez les B. Godâm; Ostf. IV, 210; Ibn
Doraid, Iktiqâq, 225; voir notre Yazid, chap. XX, spécialement p. 302 sqq.
(■') Voir la réflexion prêtée à Ziâd ibn Abîhi ; |^i.L ^_,i.JI ,^ çlj i^Jt-i^-^ll ^1
>>^-«Jlj; Qotaiba, 'OyoTin, 274, 4. Ahnaf sayyd de tous les Taniîni à Basra (Ibn Doraid,
Istigâg, 152), comme Hâni ibn 'Orwa, chef des B. Morâd à Kolifa ; cf. V'azîd, 144.
{}) Ag., XXI, 20, 21 ; Ibn Hagar, Isâba, II, 87-88.
(5) Cf. -Igâ^, II, 64-67.
(6) Cf. Mo'âwia, 80-81. Ag., XX, 17, 1. 18.
C) Cf. Mo'âwia, 436-38. Chez les Fazâra, 'Oyaina ibn Hisn et Manzoûr ibn Zab-
bân (voir plus bas) tiennent en même temps « les cordons de la noblesse » ; mais
'Oyaina, A^^" jj ^It-io , jouissait d'une autorité plus eflfective.
Devins et sibylles 237
contrôler et surtout de contrecarrer l'autorité du chef (^). Ce dernier
devait compter {") avec les fils et les partisans des sayyd, ses pré-
décesseurs, avec l'influence des liàzi, kà/iin ou devins ('), avec celle
des sibylles ou sorcières, kàJiiiia, sàhira (*). Aux approches de l'hé-
gire, sous la poussée grandissante des idées monothéistes, on avait
cessé d'accorder aux kàhin l'exorbitante qualification de rabb^ sei-
gneur (°). La laïcisation du pouvoir était un fait accompli. On ne ren-
contrait plus guère de sayyd, cumulant les fonctions de kàhin, plus
rarement encore y joignant, comme Rabï'a ibn Hodâr. la conduite
des opérations militaires et sans cesse à la tête des razzias o*^^' p^'C)-
Mais on continuait à consulter les devins, même parmi les classes
aristocratiques de Qorais. Nous le constaterons en étudiant la reli-
gion préislamite. Les progrès du scepticisme n'avaient en aucune
façon retardé ceux de la superstition {Ag., VIII, 51).
Il fallait respecter les décisions des hakam ("), à la fois juges et
(') C'est le sens de cette parole de Moslim ibn Qotaiba: Ur-«aj (_,X=k. L>v^ ^
jàrCJI ^y»^^\ jljio jj* ; Qotaiba, 'Oyoûn, 271 d. I. Au chef de supporter toutes les
avanies, suscitées par la jalousie des anciens !
{-) Chez les B. 'Abs, les descendants de Zohair sont s>Ivj ^_il-iol c^f ■ '^" ^°'
raid, Istiqâq, 169, 188.
(3) Kâhin au pays de Godâni ; Ibn Hisâm, 19, 2 ; 92, 3 ; ^3^=». pi. ^'^^ . Bohtorï,
Haniâsa, n. 863, 864. Sawid ibn Qârib, un type du genre; Ibn Hagar, /fâAa, II, 299-
302. On les consulte avant la razzia; Naqà'id Garïr, 149, 9; ils l'accompagnent;
(ibid., j661, 11) probablement avec le bail r= fétiche de la tribu. Comp. Qotaiba,
Poesis, 248. 249; kàhina, à la suite de la razzia, ses prédictions ; Ag., XX, 24, 2.
(<) Ag., XXI, 275, 18; sàhira, Ag., XII, 51; cailloux de la kàhina: Ibn Doraid.
Istiqâq, 277, 9; <isl^ , Ibn Hisâm, Sîra, 98, 2 d. 1. ; Balcri, Mo'gam, 703.
(?) Ag., VIII, 66 ; voir plus haut. Kâhin maître absolu de sa tribu ; ^Vâ.JLc C^'i
^Ujj .Âiis ijA J ; Ibn Doraid, Istiqâq, 239, 12 ; Gâhiz, Bayân, I, 136-37.
(«) Vâqoût,'viI, 40, 3. Voir plus bas. Sur notre Rabfa cf. Ag., X, 65. Cet Asa-
dite aurait été contemporain de l'hégire, d'après Ag., XII, 44 ; XXI, 174. Autres
chefs et kàhin, cités plus loin, comme Zohair ibn Ganâb. Kâhin des Arabes ; Gâhiz,
Bayân, I, 136-37. Les devins étant consultés pour les razzias, on comprend qu'on leur
en ait confié la direction.
C) Non hakim, comme porte habituellement, 'Iqd'-, II, (>2 , passitn . Swy Xi: hakam
moderne, voir Dought>-, Travels, I, 145, 502-03; II, 133; Jaussen, Moab, 133-34. Les
textes hésitent parfois entre hakîm et hakam; Ibn Doraid, Istiqâq, 164, 5; 172, bas;
hakîm distinct du hakam; ibid., 127, 6 d. I.
Lammens — Berceau
17
258 Les « hakam »
arbitres. Leur autorité, basée sur le prestige personnel, se trouvait
en harmonie constante avec les vieilles coutumes du désert ('), inces-
samment invoquées par les arbitres, avec une sorte de consensus uni-
versel. Tout cet ensemble finissait par s'imposer au.\ Arabes, hostiles
par tempérament au.\ représentants ré<ïuliers du pouvoir. A ce der-
nier le nomade reprochait par l'organe de ses poètes: *iJii >^--J.I ou
encore ^^_ viU bl \i ^lk.o jï (-), c est a dire, toute autorité est de
sa nature envahissante et tyrannique. Cette objection ne pouvait être
élevée contre la plus discrète intervention des arbitres, toujours pro-
voquée par les intéressés. Ils allaient parfois la chercher au loin,
jusque dans la cité chrétienne de Nagrân ('), assurés de trouver dans
l'éloignement et aussi dans la religion des hakam une garantie d'im-
partialité (*). -Simple particulier, par ailleurs de bonne maison, le
poète chrétien Ahtal doit à son beau talent, peut-être aussi à sa re-
ligion, de se voir choisi, quoique Taglibite, comme arbitre par les
Bakrites musulmans en désaccord avec sa propre tribu ('). Cette dis-
tinction permet de deviner l'influence, dont il devait jouir parmi les
Taglibites.
{') On s'obstine à recourir aux hakam célèbres, même tombés dans l'enfance ;
Ibn Doraid, Istigâg, 164. Le Prophète aurait interdit le nom propre de Hakam, parce
que réservé à Allah ; Osd, V, 53, 6 etc. Un trait dirigé contre les Marvvânides, de-
scendants d'Al-Hakam. En revanche on a essayé de transformer en hakam le père du
calife 'Omar ; Gâhiz, Bayân, I, 117, bas. La Tradition se donne infiniment de mal
pour illustrer la famille du second successeur du Prophète. Sentences des hakatii, dits
conformes à la Sonna (l'inverse correspond à la vérité) ; Ibn Doraid, Istiqàq, 232 ;
234. Hakam occasionnels, arbitres dans un cas particulier ; Bakrî, op. cit., 783, 3.
(*) Gâhiz, Haiawân, III, 25, 3, 5. Le pseudo-prophète Tolaiha est kâhin, ora-
teur, poète et ^l^r*^ , improvisateur de sag' ; Gâhiz, Bayân, I, 137, 8.
(S) Ag., XIV, 41 ; Chroniken (VViist.), II, 135, 9; Ibn Doraid, ntigàg, 218, 2;
cf. Yaztd, 332. Un arbitre entre deux personnes est transformé par la postérité en Xi
i_;'li)l ; Nagd'id Garïr, 265, 15 etc.; autres hakam ; ibid., 224 ; 438, 700 ; Ibn Doraid,
Istigâg, 266, 8.
(••) Ibn Doraid, Istigâg, 172; Aboû Tanmiâm, Haiiiàsa, 9S (K. 1, 108); Va'qoûbl,
Hist., I. 299 ; Nagâ'id Garïr, 139 ; on prétend connaître le nom du premier hakam,
coupable de vénalité; Aboij Tammâm, Haiiiâsa, E. I, 127; Nallino, Costituzioue dette
tribii, 621.
(^) ^g' VII, 179; comp. Goldziher, Abhandtungen, I, 21.
Passion des distinctions 259
Aucun peuple n'a su, comme les Arabes, ces irréductibles aristo-
crates, égarés au milieu d'une démagogie, allier la passion de l'éga-
lité à la soif des prérogatives honorifiques ('). Toute la littérature
préislamite en témoignerait au besoin. On se demande comment cette
race fastueuse, *^M1 f^\ , ne fut pas amenée à in\enter les décora-
tions. Mahomet connaissait et sut adroitement exploiter cette pro-
pension. On admire à bon droit la variété d'appellations sonores,
accordées par lui (') aux Compagnons et Auxiliaires, groupés autour
de sa personne (^).
Cette situation n'avait pu échapper à la pénétrante psychologie
d'un distingué say3"d, Hârita ibn Badr, déjà signalé par nous. Malgré
sa naissance, ses remarquables qualités — nous les avons détaillées
dans l'étude consacrée à Ziâd ibn Abïhi {*) — sa passion pour le vin
— la boisson des rois — était blâmée par ses contribules de Taniïm.
Avec nombre de ses confrères en poésie, il mettait « la honte, non à
boire du vin, mais à violer les lois de l'honneur (°) ». Sa finesse ne lui
permettait pas de s'illusionner sur l'importance réelle dun sa\\-d
arabe ("). Il sacrifia volontiers les douteux honneurs de la position,
pour cultiver la faveur et l'amitié du grand vice-roi de l'Iraq, Ziâd.
Un jour, tombant en compagnie de Ka'b, son maulâ ou affranchi, au
milieu d'une réunion de Tamimites. (]uelle n'est pas sa surprise de
(') Comp. le proverbe : ijLsU-l ,je y « i.Uo'ill I JJls». ; Balâdori, Fotoûh, 211.
(*) Qalqasandî, Sobh, I, 269: cf. Von Kremer, Herschende Ideen, 166-65.
(') Cf. Margoliouth, Mohammed^, 110. En voici un spécimen: Sahâin, Ansârî,
'Aqaln, Badrt, Ohodl, Sagarï, y agît, Mobaisara (voir ces termes à l'index de Mo'âwia),
pour plusieurs l'invention en est postérieure à la mort de Mahomet. Ibn Hagar, Isâba,
II, 152, bas, incident soulevé par un vers de Hassan ibn Tâbit. Pour chaque tribu,
arrivant lui faire hommage, le Prophète découvre un trait distinctif. Ici encore l'ima-
gination des rédacteurs de Kitâb al-wofoûd a dû se donner carrière ; beaucoup de tri-
bus n'étant jamais entrées en relations directes avec Mahomet. Comp. Ibn Hagar, Isâba,
II, 230, à la ligne 10, lisez ^^U;=L.I , gendres, et non ,l.X=i.l ; Mobarrad, A'⻫jV (Wrigth),
777-78 ; Caetani, Annali, I, 340, 571.
(*) Cf. Ziâd ibn Alnhi, 120-22 ; Ag., XXI, 20-44.
(5) Ag., XI, 147, 9.
(«) « J^i ^.^' o' ' l'homme supérieur doit s'abaisser»; .^^., XI, 133, 21.
260 Hârita ibn Badr
les voir à son approche se lever comme un seul homme! Ses com-
patriotes ne prodiguaient pas ces marques de déférence envers leurs
sa3'3'd. Son étonnement alla croissant, quand il s'entendit saluer de l'ac-
clamation: « Que notre sa)-3'd soit le bienvenu! ». Lorsqu'ils eurent
pris congé, Ka'b (') dit à son patron: « Jamais plus agréable compli-
ment n'a flatté mes oreilles! » — « Et moi, réplicjua Hârita, je n'ai
jamais entendu rien de plus odieux — Et pourquoi cela? — Ecoute
Ka'b : s'ils m'ont acclamé comme say\d, c'est après avoir perdu leurs
notables et les principaux de la tribu. N'oublie pas ce vers (*), que
ie te rappelle :
« Le campement est désert, je règne sur la solitude. Le comble
de la disgrâce, c'est de ne rencontrer personne pour partager ma
souveraineté ».
Si quelqu'un devait mériter le respect des Arabes, c'était Doraid
ibn as-Simma, poète, libéral, valeureux capitaine et frère de plusieurs
héros, morts pour la défense de la tribu (^). Or voici comment ce
paladin {*) décrivait son influence sur les siens:
« Lorsqu'ils me contrecarrent, je me range avec eux; j'adopte
leur erreur ou je suppose que je me trompe.
Que suis-je moi ? Un Arabe de GazAya ! Si Gaz} va s'égare, je la
suis dans l'égarement; marche- t-elle dans la bonne voie, j'y marche
avec elle.
(i) Vraisemblablement un de ces maulâs étrangers, qu'on trouve à cette époque
en la compagnie des principaux Arabes ; cf. y'azïd, 142.
(^) Il était dès lors passé en proverbe; cf. 'Iqd^, I, 221, haut; Gâhiz, //aî'oa'â»/,
III, 24; Qotaiba, 'Oyoûn, 316, 5; Ag., XXI, 44.
(') Voir sa notice, Ag., IX, 2-20 ; il appartenait au clan de Gazyya, comme il
le rappelle dans ce distique. Son divan dans So'arà', 752-82.
(^) Complètement abandonné dans sa vieillesse ; consulter Agâni et So'arà' aux
endroits cités. Les Bédouins n'avaient pas la reconnaissance politique.
(^) Comp. X-Lc j_)^N lil , parole si fréquemment prêtée au 1" siècle H. aux hom-
mes d'état. Ainsi Mohallab : XL-j Jvi^.ljS', Dînawarî, Ahbàr, 281, 19; Qotaiba, 'Oyoûn.
28, 6; "Tab., Attna/ts. Il, 648, 16; 651, 15; 1054. 1; 1087, 13; Gahiz, Jiayân, I, 198.
(*) Ag., IX, 4 ; So'arà', 757 ; a^j^ C-^ dit 'Adï ibn Hâtim à ses contribules ;
Doraid ibn as-Simnia 261
Ce programme rappelle étrangement la parole prêtée à Ledru-
RoUin : « je suis leur chef, donc je dois les suivre ». Lami de Ziâd
ne se sentit pas capable de tant d'abnégation. Peut-être se laissa-t-il
également effra\'er par une autre partie du programme du même
Doraid:
« Quand les miens perdent la tète, je conserve la mienne ; mais
j"épui.se mes provisions bien avant les leurs!
C'était de nouveau l'héroïsme mais sous une autre forme, l'hé-
roïsme du dépouillement, Hârita prêta cette dernière intention à ses
contribules: il préféra décliner leurs avances, pour cultiver la fami-
liarité de Ziâd.
*
* *
L'instinct de la conservation parvenait pourtant à étouffer (^) les
répugnances instinctives (') des nomades contre l'autorité d'un seul.
Un ennemi puissant menaçait-il l'existence même de la tribu, ils con-
sentaient à remettre à l'un des leurs le soin de la défense commune (■*)
avec le titre de ra'ïs, plus rarement qu'ici (*) ou fàrù, et dans ce
Qotaiba, 'Oyoûti, 385, 16. Abou Bakr et 'Omar emploient la même formule dans leurs
hotba. Voir Ibn Doraid, l'stiqâq , 177, 4 d. 1. sur les Banoû Gazyya.
(') Ag., IX, 13, 6. De là le titre de *.^CII >!; , viatique de la caravane, porté
par certains héros de la générosité.
(2) Cf. Nallino, Coslituzione délie tribu, 619.
(3) On les a e.xagérées, d'après M. Nôldeke; ZDMG, XLIX, 716.
(••) Comp. Ag., XI, 131, 5 d. 1.; «ce fut la première fois qu'on vit Kindites et
SakoQniles marcher ensemble; ,_y~.^ i^y^ ^ ^^JLi\ à^ c;-oi<\a.l »^_ ij»'»; I''" Do-
raid, litigâg, 184, fâris et ra'ts.
(5) Sous les Omayyades; Osd, IV, 201, 5; 206, 7 d. 1.; Ahtal, Divan, 8, 5; Ag.,
XXI, 93. d. 1.; Aboû Tammâm, Hamâsa, 672, 6 v. On rencontre aussi ^L et SL^
dans le sens de commandant militaire; 'Iqd^, II, 66, 12; 78, 12. A^^XaU.! ^j >lï ; Ibn
Doraid, Istiqâq, 211, 2: |_^' ^* >l» (où l'on réunit les deux synonymes), ibid., 145; Ibn
262 Election du chef militaire
dernier cas, toujours accompagné d'une épithète emphatique ('). Ils
choisissaient alors de préférence au sein d'un clan, réunissant le nom-
bre et la noblesse, ^yi^\} >^\ (•). Ainsi agirent les tribus deTaqif et
de Hawâzin, à la bataille de Honain, pour résister plus sûrement à
la poussée envahissante de l'islam. Mais jusque dans cette concession, les
Arabes trahissaient leurs défiances invétérées ('). Fréquemment ils
abandonnèrent au sort le soin d'indiquer le notable, chargé d'assumer
cette redoutable responsabilité (*). Le célèbre Zohair ibn Ganâb, une
figure légendaire, — nous )• reviendrons plus loin — est appelé sa3-yd
de Kalb et leur chef à la guerre. Il mérita cette situation prépondé-
rante, grâce à la noblesse de son e.xtraction (^). à son courage et sur-
tout à l'heureuse issue des expéditions, conduites par lui. Dans tou-
tes les démocraties, le succès forme un élément considérable de po-
pularité. Mais les annales des Arabes offrent peu d'exemples d'une
pareille dictature {^). Ajoutons à leur décharge : les razzias consti-
tuaient une assez médiocre formation militaire. Le say\d n'était pas
nécessairement un Achille ni même un 'Antar. Ainsi Rauh ibn Zinbâ',
Hisâni, Stra. 118; Bakrï, Mo'gam, 478, 1-2. Rais à la fois kihin, «Jj'^Lw -a-^-I »*«
^^lJliJl -f--^ ', )5J»J1; Vàqoût, E. VII, 40, 3. Voir précédemment p. 257.
(1) Comme cU^ ou çjIJwJ ^ etc. Osd, IV, 227, 9; Ibn Hagar, Isàba, III, 23, 8;
Ibn Doraid, Istigâg, 124, 138; i_jo-io ^\^\ sayyd et/àris: ibid., 114, 7; 116, d. 1.;
131, 138; ï>L.o i_ilji>l J^f'- '*"^-' 1^^' 1^^-
(2) Ou C-.^W >aiJl ; 'Iqd^, II, 57-87; Ibn Doraid, Istiqàq, passim.
(3) R. Smith, Kinship. 68; Qotaiba, Poesis, 110, 17: vers d'Afwah al-Audî contre
l'anarchie : « C'est un désastre pour une tribu que l'anarchie et l'absence de sayyd.
S'abandonner à la conduite des ignorants, autant vaut supprimer les chefs,
(■*) '/çd^, II, 45, d. 1. Le plus brave est élu pour le commandement militaire;
Musil, Arabia Peiraea, III, 371.
(5) Ibn Doraid, /i/îVâ?, 316, 7; Ag.. XXI, 93-94; Sigistânî, Mo'ammaroûn, 24 sqq.;
il est i^o 1^ i_so ^ fUx-o \Xy^ui ; ibid., 25.
(') Exemple de Afwah al-Audî; Ag., XI, 44, 9; Ibn Hisâm, Stra, ^J l'IsLi ^^
A ^...Ln , ij^ ^^j»i^.»«ji IjJjlâ . Le vieux Doraid ibn as-Simma, ombre de lui-même,
est emporté en litière à Honain, ^^ » ty^_ <*^jj«-c^ ^.r? C^Ô^' ^' *cj*^^'*~r:* S"^
Li 3t8 ^SU:^ii , mais la décision appartient à un autre; So'ara', 771.
Salmâ ibn Naufal 263
le puissant chef de Godâm avouait sans détour que. ne possédant
qu'une seule vie. il se réservait le droit de la ménager (').
Le danger avait-il disparu, les Bédouins reprenaient leur anar-
chique liberté et laissaient leur Cincinnatus retourner à ses chameaux.
Si l'infortune say\d réussissait alors à retenir une ombre d'autorité,
il le devait à des prodiges de magnanimité, kilm (-) et à son mer-
veilleux doigté politique. Il paraît avoir réalisé ce miracle d'équilibre
Salmâ ibn Naufal, célébré comme un sayyd éminent par les contem-
porains de l'hégire. Son histoire nous est trop peu connue pour nous
permettre de décider si à la vertu politique du hilm ('), il joignit
les autres qualités, exigées par les Arabes chez le représentant attitré
de l'autorité. Alors même on affectait de lui rappeler, comme on le
fit à Salmâ ibn Naufal, l'origine populaire de son pouvoir. La sou-
veraineté ne réside-t-elle pas dans la nation? Les Arabes n'en ont
jamais douté. Saziruiadnâka, nous t'avons établi sa3\dl Ainsi parle à
Salmâ le Bédouin, qui vient d'assommer son fils, et ce souvenir l'o-
blige à réprimer les révoltes de son cœur de père {*).
Cependant le désordre augmente. Les nomades eux-mêmes sen-
tent le besoin d'être contenus, protégés contre leurs propres e.xcès,
et gouvernés par un homme à poigne ('). Ce fut la démarche des
(') Ag., VIII, UO, haut; cf. y'azïd, 305 sqq. Voir dans I. S. fabaq., I', 81,
12 etc. les noms des k>U» « ^y^^s de Qorais ; 'Abbâs n'y est pas nommé. Ibid. : énu-
mération des rais de leurs adversaires de Qais. Quand plusieurs rais sont réunis, on se
décide parfois à nommer un généralissime. Ibid.
(-) .Abou Tammâm, Hamàsa, 499, 2 d. v. Voir surtout les beaux vers de iMa'n
ibn Aus (Bohtori, Hamàsa, n. 1308) « sur la patience et l'utilité à dévorer sa colère,
(■■') Cf. Mo'âwia, 81 avec les références; au lieu de Salmà on trouve aussi la
forme Salm.
{*) Cf. Mo'âwia, l'i, 81 ; Qotaiba, 'Oyoûn, 275, 2. Il doit sa célébrité au vers (Ibn
Doraid, Istigâq, 108) :
Comme pour 'Àsim ibn Qais, 'Arâba et tant d'autres, nous nous trouvons toujours
ramenés à la poésie.
(5| Vers contre l'anarchie; Qotaiba, Poesis, 110, bas.
264 Mahomet profite de la réaction
tribus de Nizàr, un instant réunies sous la main vigoureuse de l'aïeul
d'Amroulciais, le prince-poète. Après le meurtre du puissant chef, les
Arabes, effrayés par le débordement d'anarchie, vinrent s'offrir à
son fils : « Nous nous remettons à votre discrétion : arrachez-nous
seulement au désordre! » ('). L'excès du mal produit parfois de ces
revirements salutaires.
*
* *
L'hégire coïncida avec une de ces périodes de réaction, d'abat-
tement moral, où la Péninsule, travaillée, excédée par les discordes,
paraissait attendre un maître. C'est le sentiment, saisi par H. de Bor-
nier dans sa tragédie de Mahomet (acte I, se. 2), quand il fait ainsi
parler AboQ Bakr, le futur ami et successeur du Prophète:
...Parmi nous, il peul surgir un homme,
Quelque rude guerrier, qui nous mette d'accord.
Et nous fasse au be.soin, trembler tous, moi d'abord !
Nous en avons besoin tous. Chrétiens, Juifs, Arabes,
Et je le dis à tous sans compter mes syllabes.
Tout va bien, pensez-vous, quand vous avez bien bu (^),
Cependant le désordre est dans chaque tribu...
Notre courage meurt en ces honteuses tâches,
Les aigles du désert disent : où vont ces lâches ? (^)
Nos fils vaudront encore moins que nous ne valions,
Et le mépris de l'homme est dans l'œil des lions!
Ce sera l'heure, choisie par Mahomet, pour s'introduire à Mé-
dine, au milieu des souples Ansârs. A la Mecque, sur ia population
(*) Ag., VIII, 6.5. Pour arriver à se faire obéir, parfois le sayyd menace de se
suicider; Naqû'id Garïr, 94, 12. D'ordinaire il recourt à cette protestation: ^jji-J»!
jbwAJl (j^-oft» f^' ; obéissez-moi aujourd'hui; je vous dégage pour l'avenir».
(*) Conip. la scène décrite Ag., XII, 44, réunion de sayyd et de poètes à une
partie de vin; cf. ibid., XXI, 61.
(3) Voir la notice de Qattâl ; Ag., XX, l.ï8 ; ^^f^ ^,li yilii son humeur fa-
rouche, son individualisme sauvage en font le fléau des siens, Ag., XX, 163 CUj'vi'
i(j J^ cr° ^'^^^ '^^ »l>l cr* '-f-*^. *-<• ^^]-^ *y^ <*-sijà-o JUiDI ip^
L'autorité chez les Taglib 265
de banquiers et de commerçants (') sa prédication n'avait pas eu de
prise. La très élémentaire constitution qoraisite garantissait aux af-
faires ce minimum de tranquillité dont la vie économique ne saurait
se passer. Médine souftrait, depuis un quart de siècle, de guerres in-
testines; partagée entre les factions rivales des Aus et des Hazrag.
Un observateur attentif aurait pu prévoir le retour de l'hégémonie
juive, longtemps seule maîtresse des destinées de la florissante oasis (*).
Quand Tâif et la Mecque prospéraient au midi et à l'orient du Higâz,
Médine, maigre les ressources de son territoire, les avantages de sa
situation, assistait impuissante à son propre déclin et courait à la
ruine. Aussi n"hésita-t-elle pas à acclamer un sauveur (^), venu du
dehors, placé au-dessus des partis et capable de s'imposer à tous. La
bande de Ooraisites et de Mohâgir. amenée par lui, n'avait pas la
main légère. En rétablissant la concorde, ils raffermiront leur joug,
devenu bientôt, de par le Ooran, le joug d'Allah {*) et à ce titre trouvé
moins pesant par les indolents Ansâriens. Quand ils voudront le se-
couer, il sera trop tard (^).
-Sur les autres points de la Péninsule, on constate la même im-
patience de tout frein d'autorité. Les Taglibites auraient dû, semble-
t-il, former une heureuse exception. Dégrossis, au moins superficiel-
lement, par l'Evangile, cette grande école de discipline (*), placés
(') Cf. République marchande , passim.
(*) Cf. Yaztd, 201. Les plus forts otom appartenaient au.x Juifs ; Yâqoût, E. III, 281.
p) C-à-d. la minorité, qui avait appelé .Mahomet ; cf. yaztd, 200-202.
(*) Comp. les exhortations <*J«,.w ,. aïjI Uj»^1 ; Qoran, passim. Enumération des
redevances, dues « à -Mlah et à son Envoyé »; ibid. Sur cette évolution et son entière
loyauté chez Mahomet, voir Wellhausen, Reich, p. 3.
(^) Voir Triumvirat, et Yazîd, ch. XIV : Ansàrs et Qorais.
(*) Je pense, avec M. Wellhausen, qu'aux tribus arabes de Syrie il n'a pas été
inutile d'avoir passé par cette discipline; cf. Dos arabische Reich, 83. Sans leur aide
dévouée, les Omayyades auraient sans doute échoué dans l'organisation du califat. Cf.
Mo'âwia, inde.x s. v. Syriens.
266 Prestige du tnflibite Kolaib
à la jonction de l'Arabie, tle la S\Tie et de la Mésopotamie, entre
les puissants empires de l'Iran et de Byzance, ils auraient pu gagner
à ce contact un plus profond sentiment de l'autorité. Effectivement
un de leurs poètes nous dit:
« Nous obéissons à notre chef; mais nous ne le choisissons que
dans notre sein ».
Malheureusement le barde taglibite ajoute immédiatement après :
« Tour à tour nous obéissons et résistons à notre chef (') ; nous
ne nous croyons pas tenus à le consulter en tout temps » (').
Le dicton fameux: « quand Ahnaf se fâche, 100,000 glaives sor-
tent du fourreau, sans même lui demander la raison de sa colère »,
est une de ces phrases ronflantes, comme on en rencontre à foison
dans la littérature d'un peuple, se prenant à ses propres exagéra-
tions (^). On n'a pas manqué de la rééditer à propos du célèbre chef
bakrite Mâlik ibn Misma' ("). Ahnaf lui-même s'en rendait compte et
se contentait de sourire du parallèle, établi entre son autorité et la
puissance du calife Mo'âwia (^). Un chef énergique reprenait seule-
ment l'avantage, quand l'e.xistence de la tribu se trouvait en jeu, ou
quand retentissait la da'zja, le cri d'appel et de guerre de la tribu.
En dehors de ces circonstantes exceptionnelles, aucun sayyd sensé
n'eût commis l'imprudence de mettre à l'épreuve un pouvoir que tous
savaient précaire. Ils n'étaient pas même assurés de voir respecter
l'ordre de déplacer le campement ('"). Le chef taglibite Kolaib — son
nom est demeuré s\'nonyme de fierté — pouvait pousser jusque là.
Aussi les Arabes citent-ils avec étonnement cette preuve de son au-
(*) Aviir: il peut être question ici du gouverneur omayyade, dont relevait le ter-
ritoire de Taglib : en ce sens il n'y aurait pas de contradiction. A>utrz= sayyd est ex-
trêmement rare dans l'ancienne poésie,
(2) Qotâmî, Divan. III, 45; IV, 29.
P) IJifrâi signalé en poésie par Qotaiba, Poesis, 174 et passhii,
(*) 'Igd^, I, 51; iMo'âwia, 80-81.
(5) Cf. Mo'àmia, 72; 'Iqd^, I, 218, 7. Voir Ag.. VIII, 181, et plus loin quand
nous parlerons du droit de veto des simples Bédouins.
(*) Surtout quand ils n'avaient pas la garde du bail. Ils risquaient de se heurter
à l'opposition du kâhin. Voir plus loin.
Afwah al-Audï 267
torité (')• Un autre chef, Al-Afwah al-Audï, se permettait également
d'escompter l'obéissance des siens ("), en édictant des mesures d'in-
térêt général (^).
{}) Ag., \y , 140; appelé v j-ajl -xL^: Ag., IX, 149; Abou Tammam, Haniàsa, 420;
exemple de Zohair ibn Ganâb; Bakri, 52, 7; Sigistânî, Mo'ammaroûn, 25; autre exem-
ple, « Madhig recule ou avance sur son ordre »; Ibn Doraid, Istiqâq, 239, 12.
(') Ag.. XI, 44 : <JoT . ^ ^;_,, . j-«ai lylf ; voir les remarques de Goldziher, Abhand-
lungen, I, 19.
(') La fonction de fixer et de lever le camp semble avoir été rattachée d'abord
à celle de kâhin, de hâzi, ou à la possession du bait, bétyle, fétiche. Zohair ibn Ga-
nâb est hâzi; les autres chefs cités sont kâhin ; cf. Ibn Doraid, 239, 12 ; Sigistânî,
Mo'ammaroûn, 25, 89 ; Bakrî, 52, 8. Comp. Goldziher, Abhandlungen, I, 19-20. Vrai-
semblablement le bait, tabernacle de la tribu, s'ébranlait d'abord. Les autres tentes
suivaient. Chez les Romains, se rappeler le rôle des aruspices pour l'établissement du
camp. Comparez l'histoire du Tabernacle chez les Israélites dans le désert.
VIII
Chefs incontestés. Lutte de Mahomet et des premiers califes
contre l'aristocratie bédouine. Le sayyd et la représentation
extérieure de la tribu
En définitive on eût vite compté les sayyd, commandant chez
eux sans conteste. Ceux-là on les qualifiait de jsIa-c yj-, irrésistibles ('),
^Ux« , obéis ('^), ^)^y , incontestés ou encore A-ïy^akly , auxquels on
ne désobéit pas (^), comme on se le permettait trop facilement vis-
à-vis des sav\d ordinaires. Parmi ces bénéficiaires (^) d'une situation
aussi anormale, citons 'Oyaina ibn Hisn, appelé par Mahomet « le
fou, maître incontesté dans sa tribu » (^). Il s'était attiré cette dure
qualification C'), pour n'avoir jamais pris au sérieux ni le Prophète
ni l'islam, et aussi pour avoir à maintes reprises razzié les pro-
(') Cf. Mo'â7via, 75; Ag., XI, 55, 16 ; XXI, 260, 11 ; Osd, IV, 215, 227, 9 : I. S.
Tabaq., Y, 33, 14; Tab., Tafstr, I, 46, d. 1.; Istiqàq, 124 (Ibn Doraid).
(") Wâqidî (Kr.), 58, 8; I. S. fabaq., I', 48, 4; VI, 124: (i ^Ll^ wi>-?,_^
A-jy ; Ibn Hagar, Isâba. III, 23, 8.
1^) 1. S. fabaq., I', 39, 19; Ag., XXI, 267, II. jL>-« Jl^ est rare; Ag., XIX,
158, 6 d. 1.
(■•) Généralement des Qaisites, appartenant surtout au groupe de Gatafan. Impos-
sible de ne pas être frappé de cette partialité qaisite. On peut lui opposer celle de
la Stra, leur prêtant d'ordinaire des attitudes grotesques.
(5) Ibn Doraid, Istiqâq, 173 et sa famille: ^^_^yiîlj^ _^ .^^'■^^ ^^^-r^ 1 ibid.; tout
Ieirtr(i/de Qais réside dans la tribu de Fazâra ; 'Iqd^, 11, 62.
C") S'il assiste au siège de Tâif, c'est dans l'espoir de gagner une captive, qui
lui donnera un fils intelligent. Un trait destiné à justifier le dicton de Mahomet.
Manzour ibn Zabbân 269
priétés et les troupeaux de Mahomet. La Slra et la Tradition (') lui
ont voué une tenace rancune. Nommons encore Manzour ibn Zabbân.
C'était un autre chef de Fazâra, la farouche et indépendante tribu,
voisins incommodes pour Mahomet à Médine. Ce Manzour tenait,
selon Texpression arabe, tous les cordons de la noblesse: ^\M j, S^LS
^-iJ\ {■). Comme mordue aristocratique, mais non comme influence,
on ne peut lui comparer que 'Aqil ibn 'Ollafa, appartenant à la gé-
nération sui^'ante. Nous le rencontrerons plus tard et son portrait ne
détonnera pas dans cette galerie d'illustrations qaisites.
Manzour (^) nous est connu comme buveur impénitent {*). Beau-
coup de ces savA'd buvaient du vin, parce que c'était une liqueur de
luxe, pour se séparer de la foule, àJiy^\ , réduite au nabïd, à l'alcool
de palme. Les poètes imitaient les sayyd (^). De là l'énorme quantité
de chants bachiques dans la littérature d'un pays ne produisant pas
de vin C^). Même les rimeurs abstèmes ne pouvaient s'empêcher d'en-
tonner l'éloge du vin : ainsi le voulait la tradition poétique. En outre
conformément aux mœurs anciennes, Manzour s'était permis en plein
islam d'épouser C) sa belle-mère, union déclarée abominable par
le Ooran (^). 'Omar, le calife zélote, travaillait alors à introduire un
semblant d'ordre dans l'épouvantable confusion arabe. Il aurait bien
voulu sévir pour faire un exemple. Ce souverain, d'origine plébéienne,
continuant les traditions de Mahomet, ne demandait qu'à humilier
') Principalement l'école médinoise. Voir la pièce XIV du divan de Hassan ibn
Tâbit. La Slra s'en est inspirée pour sa version du siège des Ahzàb. On voudrait
croire que ce fut pour compléter — non pour établir ! — la tradition locale.
(2) Af., XI, 86, 3; XXI, 260, 12; cf. Mo'àwia, 233, 287, 300.
^^) Devenu dans 'Iqd^. II, 62 ,^_\ ^^o ,«-oX-o
(*) Cf. Mo'âwia, 295, 411.
(^) C'était leur façon de traduire en action : Odi profanuni vulgus et arceo.
(*•) Corrigez en ce sens ce que nous avons écrit sur la diffusion du vin en Ara-
bie ; Poêle royal, p. 40 sqq. Le noble Fazârite, Hisn ibn Hodaifa se voit pourtant quali-
fié de A3*.w par opposition à un Lahmide ; Naqaid Garir, 240, 16. Vin boisson de
rois ; ibid., 211, d. v.
(■) Trace de l'ancienne promiscuité arabe, où la femme demeurait la propriété
du clan, de la famille.
(«) Qoran, 4, 23, 26; cf Ag.. I, 11, 19: Vlll, 18; XI, 55 etc.; XVIII, 153, 23.
270 Manzoûr et Hasan fils de 'AU
l'ancienne aristocratie bédouine ('), rebelle aux idées de l'islam. Mais
ne se dissimulant pas les inconvénients de la sévérité contre ce pa-
tricien, il se contenta dinflifrer à Manzoûr quelques heures d'arrêt et
de lui imposer par serment l'affirmation qu'il ignorait la culpabilité
des actes posés par lui (^).
En cette occurrence, le violent 'Omar avait donné une preuve de
prudence. Un trait va nous montrer de quoi le chef Fazârite se sen-
tait capable. Hasan le petit-fils du Prophète paraît avoir tenu à cette
époque le record du mariage: on parle de 700 unions conclues par
lui {').
Ce record singulier n'a pas nui à sa réputation de sainteté {*).
Parmi ses innombrables fantaisies matrimoniales, le fils de Fâtima avait
jeté les yeux sur la fille de Manzoûr, un des beau-pères les plus décora-
tifs du désert. Seulement l'insouciant personnage négligea de demander
préalablement l'assentiment du Fazârite. Irrité par cette infraction à
l'étiquette, ce dernier accourut du fond du Nagd à Médine, planta sa
bannière dans la cour (^) de la grande mosquée et vit bientôt tous les
Oaisites se ranger autour de lui. Cette manifestation força Hasan à
renvoyer la fiancée et à venir humblement solliciter l'agrément du
chef bédouin ("), par ailleurs tout disposé à l'accorder.
(') Il prenait contre elle sa revanche des échecs que lui infligeaient l'opposition
des Ji/obassart! et l'indépendance des gouverneurs de province.
I-) Ag-., XXI, 21. Manzoûr comparé à Aboû Bakr ; cf. Ag:, \'11I, 185, ,î : au.\
pp. 188-89 il faut lire ULî ; . Manzoûr a pu jurer de bonne foi. On n'e.xagèrera jamais
pour cette époque l'incurie et l'ignorance islamiques des Bédouins. Sans les dragon-
nades de la ridda, l'immense majorité des nomades eût continué à ignorer le chan-
gement religieux introduit par le Qoran.
(3) Mo'âwia, 148.
('') Même auprès des orientalistes ; cf. C. Huart, Histoire des Arabes, 1, 257,
289. Comp. cette juste remarque, destinée à faire < comprendre avec quelle facilité
une religion, qui n'établit pas sur la pureté de la vie intérieure la notion de la sain-
teté, se déforme et ramène les âmes aux ténèbres primitives, d'où un instant elles
avaient cru sortir ». Cl. Boringe, Esquisses tiiarocaines, paysage et religion.
(^) C'était la grande place publique de Médine. De la tombe du Prophète, on
s'inquiétera plus tard seulement.
(«) Ag., XXI, 262; 260-63; comp. XI, 56, 57,
Lutte de Mahomet contre l'aristocratie 271
* *
Mais en Arabie, où tout le monde se proclamait noble, sans en
iournir la preuve ('), on rencontrait peu de sayyd de la taille de
Manzoùr, possédant comme lui. une généalogie irréprochable et authen-
tique. Epuisé à ce moment-là même par le gigantesque effort des
conquêtes extérieures, le désert n'avait plus la force d'en produire.
Comme Richelieu en France. Mahomet inaugura de son vivant
la lutte contre l'ancienne aristocratie. Conformément à sa tactique, il
commença par une campagne de presse, engagée dans le Ooran. pour
préparer l'opinion, en ameutant ses Compagnons contre les Bédouins,
^\f\ c'est à dire contre les chefs. Car il s'agit de secours militaires
refusés par eux, ou retirés après avoir été promis ('). Il se défendit
d'agréer leurs excuses (^); il les accable d'invectives : menteurs, par-
jures (*). ennemis cachés ; ils spéculent sur un échec (^) du Prophète
pour se retourner contre lui. Ce sont les pires des infidèles ; il déclare
leurs protestations de foi musulmane des chefs d' œuvre d'h3pocrisie (").
(') Garir remémore sans cesse — et Farazdaq répond dans le même ton — les
monuments de gloire, élevés par ses aïeux ; Nagaid Garïr, 651. « Nous sommes les
premiers des descendants d'Adam»; Hassan ibn Tâbit, Divan, VI, 19. « Quand je
heurte à la porte des rois, c'est avec le battant de mes ancêtres, à la noblesse in-
contestée,
|.sru.o ^'j^ ^\,^\ ébL> <S^ S àJ^^ liU.-e k jb Le IM ^lU-LS'^ »
Naçâ'id Garir, 68, 17; comp. ^»k)l >_.-,l>^l ; Hansâ', Divan, 68, 8.
«Notre gloire a atteint le firmament»; Qotaiba, Poesis, 158, d. I.; 191, 14. Comp.
Af., XIX. 85, 6 d. I.
(*) Qoran, 9, 91, 95. Campagne de presse dans le Qoran contre les Juifs; voir
précédemment p. 156.
(3) Qoran, 9, 95 ; -^9, 14.
(*) Mahomet les fait également attaquer par ses poètes ; Hassan leur adresse les
mêmes invectives ; Bohtorî, Hanmsa, n. 709.
(^) Ce dernier reproche n'était pas infondé. Les projets de Mahomet inquiétaient
ses voisins bédouins.
(«) Qoran 9, 98, 99, 102, 121; 48, 11, 16; 49, 14. Les innombrables hadît, dé-
favorables aux Bédouins, se sont inspirés de ces versets violents. Comp. précédem-
ment p. 43.
'J72 Calvitie des sayyd
Cette [)olitique fut continuée par les successeurs immédiats du
Prophète, par les saints et justes califes, ^^^jJiiyi tUJiil. Après la
mort de Mahomet, l'Arabie se souleva en masse. Le doux Aboû
Bakr profita de la répression, pour pratiquer des trouées sanglantes
dans les rangs de l'aristocratie bédouine. Les crânes des saxjd et de
leurs meilleurs guerriers servirent de supports aux chaudières, où
cuisait le repas de l'armée musulmane ('). Désormais grandirait Mé-
dine, berceau de la noblesse islamite (*). Douloureusement affecté par
l'incertitude de sa propre généalogie ('), Aboû'l Qâsim n'avait cessé
de condamner les appels constants de ses contemporains à la gloire
des ancêtres (^). Dans son plan primitif, les tribus, les familles parti-
culières devaient venir se fondre au sein de la « nation de Mahomet,
Jwas i^l », vaste communauté, où le souvenir des services, rendus
à l'islam, éclipserait les illustrations passées (^).
L>e tous ces détails, une conclusion se dégage avec une suffisante
netteté : c'est la situation complexe des chefs de tribu. On comprend
que de bonne heure ils aient blanchi sous le faix. Ils ne tardaient pas
à \- perdre tous leurs cheveux. Blancs et chauves, voilà les caracté-
ristiques du sa^•3■d (*). De nos jours encore, obser\'e Wellhausen,
(*) Ag^., XIV, 67-68 ; Tab., Ainia/es. I, 1915.
(2) Avec les degrés divers de grandesse : Badrl, Ohodï, Sagart, 'Aqabi etc. sur
lesquels insiste l'école médinoise.
(3) Gâhiz, Mabàsiii, 135.
i*) Osd, I\'. 200, 5; cf. Goldziher, M. S.. I, 40-lOU, Gâhiz, Baj'âit, I, 163, Qo-
- J '. , ...
ran, 57, 19: A-Uj . -vU <
(^) L'école de Médine, les Ansâriens ne pardonnèrent jamais aux Omayyades de
n'avoir pas mis ce concept à la base de leur gouvernement, de s'appuyer sur les tri-
bus syriennes, tardivement ralliées à la foi nouvelle, sur des hommes d'état, comme
Ziâd ibn Abïhi, Haggâg, Hâlid al-Qasrî sans passé islamique.
(•"•) Tarafa (AhUv.), 54, 14; Ibn Oais ar-Roqayyât, Divan, 141, 1 ; 239, 3. 'Omar
est çJual, çl-J^'l ; Moslim, Sam-, I, 487 ; cf Ibn Rosteh, Geogr.. 223 ; 'Igd^, II, 155.
Ce trait manque au portrait de 'AU dans Fàtima (p. 36), observe M. CI. Huart (Jour.
La représentation extérieure de la tribu 273
« les devoirs des saih l'emportent incomparablement en étendue sur
leurs droits ; ils ne possèdent absolument aucun mo3'en de coercition.
Leur influence morale sur les Bédouins, qui se laissent plus volontiers
gouverner par la parole que par la cravache, demeure pourtant très
réelle. Véritables eloiivôjtoioi du désert {Mail., 5, 19), ils mettent des
bornes à l'excès de licence, menace pour l'union intérieure de la tribu,
ou l'exposant à des guerres étrangères. Enfin ils sont des diplomates
et des politiques de premier ordre » (').
Cette remarque du Professeur de Gœttingue nous permet d'ap-
pu3-er sur un détail, signalé en passant dans les lignes précédentes :
à savoir la représentation extérieure de la tribu (*). Dévolue au chef,
elle lui confère le droit de conclure des traités, de décider de la paix
ou de déclarer la guerre (^); à lui le ^_;U»il J-os (■*), de trancher dans
les questions (^), intéressant l'existence et l'avenir de la communauté
nomade, qui lui a confié ses destinées. Ces pactes obligent toute la
tribu. Les particuliers se réservent pourtant le droit de -veto personnel
Asiat., 1913', 216). 'AU fut-il chauve à 25 ans?! Chez les Arabes la calvitie est l'indice
des vieux sayyd et des vieux- guerriers. Les uns mettent en avant le port prolongé
du casque, d'autres plus prosaïquement celui du 'itiiâma. Comp. Gâhiz, Bayàn, I, 52, 8.
(») ZDMG, 1891, p. 177.
(') Voir plus haut les détails sur le hatîb ; Gâhiz, Bayâii, i, 140, 141 ; hatîb des
Ansârs, chargé de leurs intérêts ; Ya'qoûbî, Hist., II, 207. Le sayyd célèbre son élo-
quence, ses succès diplomaticiues. « Le ton de sa voix monte, s'élève, peu s'en faut
qu'elle ne détruise les créneaux des donjons 'otom).
Bohtorî, Hamàsa, n. 884, v. 4, comp. tout le chap. 105 : OjtLLil» ,_)ilacdl (j, ^J^ Uy
1^) Comp. préliminaires à la journée de DoQ Qâr ; Nagaid Gartr, 639-40. Pour-
tant la décision est remise à un particulier, ^.^«^i». ^ do ^^Xjvo ly!? , 640, 10-11. Le
sayyd des B. Hanîfa doit consulter ses, pairs, appelés ici c\y<\: Nagâ'id Gartr, 98,
16 etc.
(*) Ag., XIX, 93 : nos orateurs ont le dernier mot dans les réunions publiques,
.1. t •• . ■*.
(^) Même à la cour des rois iiyil , >|y^; Bohtorî, Hamàsa, n. 885, 886.
I-AMMENS — Berceau l8
274 l.e droit de veto
et peuvent, pour les clauses, les touchant directement, refuser de
ratifier les stipulations, acceptées j^ar le chef (').
On s'en aperçut au moment de la conquête de la Perse. Affolé
à la suite d'un sérieux revers {"), éprouvé par les troupes musulma-
nes (^), 'Omar, — im assez pauvre soldat — avait offert à la tribu de
Bagîla de lui abandonner le quart des terres plantureuses dans la
Basse Babylonie, à condition d'aller en masse renforcer l'armée d'in-
vasion. Quand le succès eut définitivement couronné ce méritoire
effort, on découvrit l'imprudence de la concession, 'Omar réussit à
convaincre Garir (*), chef de Bagila, de la nécessité d'un compromis.
Outre les cadeaux, faits à leur sa\'\d, tous les Bagilites se virent inscrits
au divan pour la dotation maximum de 2000 dirhems (^). Seule une
femme C') de la tribu forma opposition à la convention : « Mon père
est mort, s'écria-t-elle, mais ses droits subsistent. Si les autres ont
sacrifié les leurs, je ne me crois pas l'obligation de les imiter ». Et
(') Veto de la tribu de 'Abs contre la décision de Qais ibn Zohair, guerre de
Dâhis) ; Naqâ'id Garîr, 83, 3 etc.
(2) Cf. Mo'âwia, 234-35. Sa responsabilité s'y trouvait engagée. Les chefs médi-
nois, imprudemment substitués aux Bakrites, donnèrent des preuves éclatantes de leur
incapacité. 'Omar se montra spécialement jaloux du vaillant Bakrite Motannâ : F. S.
Tabaq., III ', 204, 13. Il prenait facilement ombrage des supériorités ; témoin Hâlid
ibn al-Walïd, par ailleurs d'une indépendance fort incommode pour son chef. Les con-
temporains reprochent à 'Omar son ingratitude pour Hâlid ; Ag., XIX, 89, 10 d. 1.
(^) Sur la détresse des musulmans, cf. Gâhiz, Avares, 242, 16.
(^) Vraisemblablement par l'application du principe du ta'lif (voir ce mot à \' in-
dex de Mo'âwia) c-a-d. en l'achetant. Ce fut un des moyens du gouvernement de
'Omar, plus efficace que la légendaire ïti . Il lui permit de tenir en laisse les Mo-
ha'skara remuants et de neutraliser, en les opposant les uns aux autres, les chefs de-
venus gênants. Jusqu'à cette époque, le calife ne disposait pas de moyens de coerci-
tion plus efficaces qu'un sayyd ordinaire. En revanche il pouvait recourir à la desti-
tution. Quoiqu'on en ait pensé jusqu'ici, c'est 'Otmân, appuyé sur les Omayyades,
qui essaiera d'un gouvernement plus personnel. La tradition sera reprise par Mo'âwia.
(^) De ces privilégiés on disait ^_»iJl ,_]j«iL> ,_^1 ; Gâhiz, Bayàn, I, 219, 9 d. 1.
C'est le sUajiJI ^J^\ voir ce mot à \' index de Mo'âuia.
('■') La tradition démocratique l'a choi.sie à dessein pour faire reculer l'autoritaire
'Omar.
Même sujet 275
'Omar se vit forcé d'en passer par ses conditions ('), au demeurant
fort discrètes.
Un fait analogue (') se produisit sous le califat de Yazîd I". Il
atteste la persistance de l'idéal bédouin, même chez les Arabes de
Svrie, infiniment plus disciplines que leurs compatriotes de la Pénin-
sule. Rauh ibn Zinbâ\ chef de Godâm avait prié le sou\-erain de le
transférer lui et les siens dans le groupement modarite. Malgré toute
l'influence (') du noble say3'd — 80,000 hommes lui obéissent : disait
de lui le poète 'Adî ibn ar-Riqâ' — l'opposition d'un seul suffit pour
amener l'échec du projet. .Aussi le calife avait-il exigé l'unanimité de
la tribu, affirmant par cette condition l'existence du veto arabe.
Voilà une esquisse de la position du .say3d chez les anciens
Arabes: elle indique l'étendue ou plutôt les limites de cette autorité
mal définie et toute morale. Intelligence des affaires, don de la pa-
role, générosité, fortune: ces avantages les Bédouins les présuppo-
saient pour ainsi dire dans le chef de la tribu. 11 nous reste à con-
sidérer les conditions sine qua non, présidant à son élection. Avant
tout, pour prétendre à l'honneur de gouverner les nomades, il fallait
être de naissance libre.
(') Baladori, Fotdûh, 267-68. Pour la valeur de l'anecdote, cf. Mo'âwia, 234, n. ô.
J'insiste uniquement sur l'existence du veto. Hâlid al-Qasrî, lui-même de-Bagîla, ad-
mettait l'authenticité de la concession de 'Omar ; Tab., Annales, II, 1655, 8-10. Le
cas prouve le désarroi, ayant dominé les débuts du califat ; Yahiâ, Harâg, 29-30. Par
d'habiles capitulations, 'Omar prévint la dissolution de l'empire naissant. Ce fut son
grand mérite, bien différent de la conception, admise jusqu'ici. L'important était de
gagner du temps, de permettre au grand Mo'âwia d'achever son éducation politique.
{•) Pour cette affaire cf. YazU, chap. XX.
(3) Pour son éloquence voir Gâhiz, Bayân, I, 137. Cet auteur le juge plus favo-
rablement que l'école médinoise. Celle-ci ne lui pardonne pas sa participation à la ba-
taille de la Harra ; cf. Yazid, 269.
IX
La femme dans l'Arabie ancienne. Promiscuité.
Réaction aux environs de l'hégire
Si la pol\-gamie n'eût pas existé avant lui en Arabie, Mahomet
se trouvait tout désigné pour l'inventer. En revanche ses compatriotes
lui doivent l'organisation du harem, la claustration du sexe faible. Or
cette dernière institution, placée par le Qoran sous la sanction de la
loi divine ('), a discipliné pour ainsi dire la polygamie, et, en la ren-
dant pratiquable sur une grande échelle, elle a fatalement abouti à
la déconsidération de la femme. Prisonnière de guerre ! (') 'Voilà com-
ment Mahomet qualifie la femme, dans son fameux discours au pè-
lerinage d'adieu, nous livrant ainsi la dernière formule (^) de son évo
lution féministe. L'orthodoxie n'a jamais mis en question l'authenti-
cité de la peu galante comparaison {*). Elle allait peser lourdement
sur le sort de la femme musulmane!
Celle-ci ne tarda pas à descendre au même niveau, parfois plus
bas que des rivales de condition servile, mieux favorisées par la na-
(') Comp. les réflexions de Wellhausen, £/ie, 452. Dans le principe le Aigâb et
le titre corrélatif de « mères des croyants» visaient l'institution d'un cérémonial, spé-
cial au.x femmes du Prophète. Cf. Fâtima, 99.
(•) i^\s.. lJ'^; Ibn Hisâm, Stra. 969, 5; comp. Wellhausen, E/ie, 447.
p) Telle du moins que l'ancienne tradition a cru devoir la fixer, c-à-d. au plus
lard vers les débuts du 2. siècle H.
(■•) On la trouve partout ; Gâhiz, Bayân, I, 164, 16ô ; il la cite parmi les spéci-
mens de l'éloquence du Prophète, considérés comme les plus authentiques.
Le Bédouin polygame 277
ture (]ue la maîtresse du foyer familial. La maladie, la vieillesse ('),
la stérilité : autant de dangers, menaçant la position de l'épouse li-
bre 1 Sans parler des caprices de Thomme, de son penchant à l'abso-
lutisme : tous défauts, exaltés encore par l'indépendance illimitée, par
l'individualisme du désert. « La femme libre, c'est un carcan au cou
de son mari ». disait-on, ^\ Cjy^^ c< ^3-^ S J* '^ y^^ (")• Effectivement
les Bédouines se montraient moins dociles, moins passives que l'es-
clave étrangère. Les premières sentaient derrière elles des parents,
une tribu, prêts à soutenir leurs droits ('), au besoin à les défendre
contre la t\rannie du ba'l, maître et seigneur, comme la langue arabe
qualifie le mari (^).
Longtemps avant le Prophète, le Bédouin pratiqua la pol5-ga-
mie, (^). Personne n'apprécie comme cet individualiste, perdu dans
l'immensité de la steppe ("), la bénédiction promise aux patriarches
bibliques : imdtiplicabo semen hmm. Mais son sens aristocratique C)
a toujours maintenu les distances, séparant la femme libre de l'esclave.
Pour cette dernière, le descendant d'Ismaël ne concevait ni l'égalité
de droits ni celle de traitement. 11 veillait jalousement à maintenir
(•) Au Prophète on fait déjà renvoyer la ineille Sauda, et d'autres pour motif de
maladie. L'humeur volage des maris cherchait à s'abriter derrière d'illustres précédents.
Voir la noble protestation du poète Miskîn contre la claustration des femmes {Ag.,
XVIIl, 69); elle ne garantit ni l'honneur ni l'union du foyer, pas plus que la cravache:
(2) 'IgtiK in, 292 (=243, 'Iqd*^ ^-r^^. '^'— '„' JiP^. ^7-^^-^' *^'^' = '*"'•
(») Wellhausen, Ehe, 450.
(■•) Comp. Naqaid Gartr, 650 d. v. ; Wellhausen, Ehe, 447, où l'on renvoie au
texte curieux, Ag., VIII, 43, 17, 18.
Q>) A Tâif, Gailân possède dix femmes ; I. S. Tabac.. V, 371 ; Osd, IV, 172 ;
Aboû Sofiân, père de Mo'âwia, compte six femmes; Osd, V, 626, bas; Cf. Wellhau-
sen, £Ae. 448.
(*) Souffrant plus que tout autre du manque de main d'œuvre. Avec quelle faci-
lité pourtant on a généralisé chez lui la pratique de l'infanticide. On a pris à la lettre
des formules oratoires du Qoran. Cf. Mo'âwia, 77, 356.
C) Nous parlons de la période voisine de l'hégire.
278 II ne comprend pas l'unité du mariage
intacte la pureté de sa race. Voilà du moins la conclusion, tirée des
déclamations des poètes (') et de l'étude des documents, relatifs à la
période, voisine de l'hégire. L'on peut admettre l'authenticité de nom-
bre de ces poésies. Mais les documents ont été remaniés dans un sens
i?>iférialiste par les compilateurs de la période 'abbâsside avec la pa-
triotique intention de rendre présentables les ancêtres arabes ("). Que
faut-il penser de leurs affirmations, tacitement admises comme des
axiomes par les orientalistes?
L'Arabe, sous le rapport de l'organisation familiale, est demeuré
un primitif. Jamais il ne paraît avoir compris, nous ne disons pas la
sainteté, mais l'unité ou la stabilité du mariage. Ce libertaire entend
se réserver la faculté de le dissoudre, comme il défait le frêle abri,
destiné à le protéger momentanément contre les intempéries du cli-
mat. Pour les deux actes, sa langue emploie le même vocable : ,^-0,
ôanà signifie se marier et dresser la tente (^). Il suffirait de Vappeler
les défaillances sur ce point des tribus chrétiennes (*), imparfaitement
dégrossies par l'Evangile.
Aussi loin que les sources nous permettent de remonter, nous
(') Eux et les leurs sont toujours '^'f^ i^\ ; voir plus bas ; citation de Labîd dans
Ibn Hisam, Sïra, 317, 3. Ag.. XIX, 166, 5 d. 1. XX, 159, 4. Voir la notice du fa-
rouche Qattâl ; Ag., XX, 158- 67. 11 prétend interdire à son clan les mariages ancil-
laires, tUVI U-^ jjj' ^1 Jai.-i >ftï Ûl ; Ag., XX, 165, 1.
(-) Et de répondre aux charges des So'oQbyya, acharnés à favoriser la production
et l'exploitation de la littérature des Matàlib, où sont énumérées les tares des tribus.
(3) Voir la remarque de Gâhiz, Avares, 234, 4 sur cette synonymie ; Wellhausen,
Ehe, 444; Ui-o ïLo , donner fille en mariage, Nagà'id Ganr, 639, 9. Comp. les pas-
sages nombreux oii pour le Prophète en voyage « on bâtit un masgid » ; Vâqoût E. V,
283, 2 d. 1., cf. I\', 229, 6. 381, 9. Evidemment il ne peut s'agir d'une constniction,
mais plutôt d'une tente.
(■*) Cf. Chantre, 36 ; Poêle royal, 28. L'accusation contre le poète chrétien Aboû
Zobaid est controuvée, au témoignage même de Ag., IV, 183.
Les femmes prisonnières 279
trouvons la plus dégoûtante promiscuité ('), présidant dans la Pénin-
sule à l'union de l'homme avec la femme. Celle-ci, au cours des in-
cessantes razzias, se voit enlevée pêle-mêle avec les chameaux du
campement ("). Prisonnière ou délivrée, elle demeure un jouet pour
les ignobles convoitises du ravisseur ou du sauveur (^). Qu'on se figure
la scène après la bataille de Honain : plusieurs milliers de captives
tombent entre les mains de Mahomet! La pudeur peut se voiler la
face sur l'horrible orgie, organisée par les Compagnons du Prophète,
brutes humaines se ruant sur ce troupeau sans défense. Admirons le
calme des rédacteurs de la Slra. C'était là un fait banal dans la
chronique militaire de l'Arabie. Comment d'ailleurs blâmer des hommes,
tous canonisés par l'islam et distingués par l'eulogie : j»^ *JU1 ^^_j ? (*)
Dans les milieux bédouins la fornication ne passait pas même pour
une peccadille {^). On considérait seulement l'adultère comme une
atteinte au droit de propriété, quand il compromettait une personne,
appartenant à la tribu. En dehors de ces cas, les poètes s'en van-
(') Cf. 'Iqd'-, II, 88, 11, il s'agit du chevaleresque (?) Qais ibn "Asim, délivrant
une prisonnière déjà violentée par son ravisseur: ^ Joo L^Jjbl ^^ '^^lî UtJ.iù^V.>oU
L^ ^^ . On voit si nous avons eu raison de signaler la brutalité de ce type de
ht/tft. Les femmes isolées — quand elles n'appartiennent pas à la tribu — sont dés-
honorées ; cf. Qotaiba, Poesis, 218, 5.
(') Voir Naqâ'id Garlr, 241-42, après la « journée » de Nisâr; surtout le vers cité
ibid., 245, 2.
(^) 'Iqd^, II, 87-88. 'Abbâs ibn Mirdâs, blâmé de déshonorer « les captives ara-
bes » se défend ainsi : < LL!jU*J ,3 ^^\sLki jo^LwJ ^j fi^^ «Ôj».! ; je traite leurs fem-
mes exactement comme ils traitent les nôtres »; Ag., XVI, 140.
(•*) Pour ces eulogies, voir Yaztd, 20-25. Sur l'enlèvement des femmes cf. Well-
hausen, Ehe. 435. Les tribus de Rabfa s'en seraient abstenues, quand elles étaient en
guerre avec une fraction de leur confédération ; ibid., 435, n. 5. Pour Nagrân, voir
plus bas.
C") Les poètes la signalent avec le vin parmi les trois transgressions dont ils affir-
ment n'éprouver aucun remords :
...C^Xi ly^ vjLlJ JNlbL Cj^"
'Iqd*. II, 103. Tous les Badrites sont prédestinés. On leur fait donner carte blanche
par Mahomet : « iJ<L\ Xi C-^.-ji.^ ois rLtwL« ^l^I ; Hanbal, Mosnad, I, 105 18) agis-
sez à votre guise ; le Paradis vous demeure assuré . ».
280 Formes anciennes du mariage
tent (') comme d'un tour agréable, joué à des étrangers, avec la
même désinvolture qu'ils célèbrent un rapt adroit de chameaux. Nous
passerons sous silence les vices contre nature (^), fréquents dans ce
milieu pastoral, où l'on a parfois placé l'école de la pureté des
mœurs.
Cette impression défavorable se dégage clairement des textes de
Strabon (/6, 7) et d'Ammien Marcellin {14, 4) sur les Arabes de leur
temps. On serait tenté de taxer d'exagération ces vieux auteurs, si,
sans y prétendre, les documents islamites ne leur apportaient la plus
éclatante confirmation. Dans l'état de guerre perpétuelle de l'Arabie ('),
la faiblesse de la femme l'a réduite à la condition d'éternelle \ictime,
abandonnée à la brutalité du plus fort. Nous ne pouvons nous attar-
der ici à le prouver. Contentons-nous de renvo3er au paragraphe
célèbre de Bohârï, sur les mariages préislamiques (*). Le libellé de
(1) Qotaiba, Poesis, 56, aflirme le contraire; Wellhausen, Ehe, 472. C'est un thè-
me important des Naqaid, exploité avec une égale virtuosité par Garir et Farazdaq.
{-) Trop nombreuses sont les accusations pour être toutes calomnieuses, même
après avoir fait la part de la satire. (Les Arabes ne croyaient pas à la moralité des
leurs, à l'exception peut-être des tribus chrétiennes; celle de 'Odra est demeurée le
type de la galanterie chevaleresque!. Citations dans Gâhiz, Mahâsin, 170, 8; Opuscula,
63-64; Mas'oûdî, Prairies, VI, 138-55; Qotaiba. Poesis, 188, 7; 203, 5-14; Margoliouth,
Mohammed ', 30. La locution « al-atyabân » = j-'SUJl^ »^1 montre dans le Bédouin un
être sensuel et paresseux. Le respect de la gara (voir plus loin), vanté comme une
qualité éminente, atteste en même temps la licence générale; Aboû Tammâm, Hamàsa,
E. I, 210; vices contre nature; ibid., 205; Nagaid Garîr, 574. Pour la période con-
temporaine, l'unanimité des voyageurs affirme la sévérité des mœurs bédouines. La
propre femme de l'honnête Miskïn conteste la réalité de ses sentiments chevaleresques;
Ag., XVIII, 72, vers le bas.
(3) Nagaid Gartr, 14, 1. 18; femmes enlevées pendant que les hommes ^^^.
sont absents, 145, haut; ignominies subies, 592, 593.
{*) Traduit et brièvement commenté dans Wellhausen, Die Ehe bei den Arabern,
460 etc. ; travail classique, nous y renvoyons une fois pour toutes. Comp. Wilken,
Matriarchat. Sous la dénomination générique de zinà, l'islam comprenait non seule-
ment la prostitution vulgaire, mais toute l'ancienne licence, présidant aux rapports
entre les sexes (cf. Ehe, 472); situation acceptée et n'entraînant aucune flétrissure pen-
dant la gâhilyya. Aux premiers Ansârs, Mahomet impose la < bai'a des femmes » :
elle interdit spécialement le zinâ et le « boht.în », un synonyme de zinà d'après le
contexte; I. S. Tabag., P. 148.
Le Qoran nianjue un progrès 281
l'auteur du Sahih semble trop absolu sans doute. Il peut avoir forcé
les couleurs, dans le but d'opposer les progrès de la législation ma-
trimoniale du Ooran au laxisme antérieur. Une conclusion demeure
pourtant acquise: au second siècle de l'hégire, la tradition musulmane
jugeait sévèrement le relâchement des mœurs dans l'ancienne Arabie.
Rappelons enfin la mot'a, ou mariage temporaire ('), autorisé par
Mahomet et sous ses premiers successeurs. Cette tolérance en dit long.
Les théories modernes sur l'amour libre auraient pu paraître
austères aux Bédouins préislami(iues. La théologie musulmane a en-
globé tous ces abus sous la dénomination générale de zinà et croit
pouvoir baser sur l'interdiction de cette dernière la supériorité de sa
morale, comparée à celle de l'âge précédent (°). Noius nous sentons
tout disposé à lui donner raison.
Malgré ses défaillances et ses lacunes déplorables, la législation
qoranique, inspirée par celle de la communauté juive, marquait pour
l'Arabie un progrès incontestable. Cette constatation indique suffi-
samment la gravité de la situation antérieure à Mahomet. Sa régle-
mentation matrimoniale endigua l'immoralité arabe; elle lui creusa un
lit assez large ou assez profond pour contenir tous les anciens débor-
dements (^). Ceux-ci, désormais canalisés, devinrent inexcusables de
franchir les barrières récentes. Notre vieux Tibre roule-t-il des ondes
plus limpides depuis la construction des nouveaux cjuais ? Le progrès
n'en est pas moins appréciable et le fleuve a été vraiment discipliné.
Ce ne fut pas là une des moindres habiletés de l'étrange réfor-
mateur mecquois, d'avoir abrité sous sa large tolérance et au moyen
d'insignifiantes restrictions l'ancienne liberté. Il acheva de s'assurer
la complicité de l'égoïsme masculin, en laissant seule debout, en
(') Cf. Mo'âwia, voir ce mot à l'index.
i^) Comp. I. S. Tabaq., VIII, 4, conditions imposées aux femmes pour la bai' a;
la scène légendaire rend les idées de l'i.slam en la matière.
{') Elle permettra à un fils de 'Ali de contracter 700 mariages.
282 « Konias » suspectes
renforçant dans la famille islamite l'autorité du mari, en facilitant
le divorce, mais uniquement en faveur de l'homme, en l'enlevant à
l'épouse ('), droit reconnu à cette dernière par l'antique coutume
arabe ('). L'islam est bien une religion de mâles, la consécration de
l'absolutisme masculin. Celui-ci a pourchassé de partout la femme
désarmée : des réunions, des affaires, sans même la tolérer aux céré-
monies du culte (') ; comme refuge, il lui a abandonné le fo)'er {*);,
mais en lui mesurant l'espace, en la déconsidérant devant ses fils.
« Le paradis se trouve aux pieds d'une mère, oV'VI ^Ij*»! >s^ A-^.l >.
Ainsi fait-on parler le Prophète. Mais pourquoi la critique musulmane
elle-même hésite-t-elle à garantir l'authenticité de cette tradition.' (^)
Un Arabe, à la généalogie embrouillée, avait reçu le sobriquet
d'Aboû Nohaila, parce qu'il était né au pied d'un dattier (°). Mais les
palmiers n'abondent pas dans le désert, et la légende n'a pu con-
server tous les surnoms de ce genre. Il serait piquant d'examiner à
ce point de vue les konia, donnés aux enfants dès leur berceau (").
(') Indépendance de la femme préislamite ; Wellhausen, Ehe, 467.
(-) Ag., XIII, 124, 19 ; Bédouines mettant comme condition la monogamie et le
renvoi des rivales ; Ag., XIV, 149, 152 ; Aboiî Tammâni, Hatnâsa, E. I, 202.
On respectait religieusement le jlj^. protection, accordé par les femmes Gâhiz,
Makàsin, 70-73) aux fugitifs étrangers. La femme protégeait son mari, quand celui-ci
appartenait à une tribu différente; Naqà'id Garîr, 278, d. v.
(3) « Pas de femmes, pas d'enfants. C'est le culte viril. L'homme seul s'approche
de son créateur». Cl. Boringe, Esquisses inaroraines.
(■*) Wellhausen, E/ie, 444-45 : la femme et la tente, antérieurement à l'islam. Dans
les anciennes poésies, la femme mène le dialogue ; elle est la peqîétuelle AJiU , blâ-
mant, conseillant son mari. Est-ce un effet du hasard, si, avec l'avènement de l'islam,
insensiblement cette fiction poétique s'évanouit.'
(=) Taniyîz at-tayyb, (Ms. Bibl. Khéd.)
\f) Ibn Doraid, Isligâg, 154, 15; autre Aboû Nohaila; A'açâ'id Gaftr, 71, 6;
72, 4; poète, portant cette kovia ; Bakrî, op. cit., 775, 4 d. 1. Comp. Aboû Sagara,
nom d'un fils de la poétesse Hansâ'. Qotaiba, Poesis, 197, 14. Ibn Hagar, Fsàba, E.
IV, 197 cite un Compagnon du nom d'Aboii Nohaila. Comp. Ag., XVlll, 139, 9 :
A-Jls Lijjvk* A«.«mS (j G>y:_>^ j_jiL> . Le surnom de 'Alî, Aboû Torâb cache toujours
son mystère. Voir ce terme à l'inde.x de Eaiima.
(") Cf. Qotaiba, 'Oyoûn, 444, 16 ; on y retrouverait des allusions (?) aux hasards
de leur naissance.
Immoralité dans les villes 283
L'enquête porterait vraisemblablement un peu plus de lumière dans
la théorie traditionnelle, encore fort obscure, de la konia. Les noma-
des, naissant à peu près comme les chiens errants des cites orien-
tales ('), on s'était vu forcé de créer un art spécial, chargé d'éclaircir
le mvstère de leur origine et de restituer'les enfants aux ayant droit:
c'était l'art de la qiàfa (^). D'ordinaire on \- regardait de moins près.
La qualité de mari de la mère suffisait pour établir la paternité :
JJi^ Jô^l , l'enfant appartient au lit conjugal (~). Cet axiome, ado-
pté par l'islam, abstra)ait des antécédents de la mère et procla-
mait l'acceptation du fait accompli, interdisant de pousser au delà
les investigations.
Dans les villes, principalement à la Mecque (^), le débordement
s'étalait avec encore plus d'impudence que sous la tente (^). Tout
l'y favorisait: l'affluence des étrangers, des esclaves, les fréquents
déplacements de la population commerçante. Les marchands qorai-
sites (") s'étaient de la sorte créé des foyers, plus ou moins réguliers,
sur les différents points de la Péninsule, visités par eux. Qu'on se rap-
pelle la naissance du fameux Ziâd ibn Abïhi, un des hommes les plus
remarquables du règne de Mo'àwia C). La tradition musulmane,
(') Comp. le vers de Farazdaq à l'adresse du clan de Garîr ; A'aqà'id Gatir. 279, 2 v.
('': 'Omar y a recours ; Qotaiba, 'Oyoûii, 457. Bédouins appelés (_»jtïJl ^\ ; Naqaid
Gaitr, 195, 7; Mas'oQdî, Prairies, 111, 336 sqq.; on considérait principalement la forme
du pied; d'après l'empreinte du pied les nomades peuvent décrire un inconnu;
Mas'oûdî, op. cit., III, 338, 342. Un chef poursuivi repose ses pieds sur le rocher,
pour ne pas trahir la trace de son passage. On reconnaît de même tel cheval par
l'empreinte de son sabot; NagâUd Garîr, 95, 11 ; cf. Gâhiz, Makâsin, 70, 13.
(3) Cf. Aboû Tammâm, Hamàsa, E. I, 216.
(*) Le calife 'Omar fils d'une négresse, d'après Mas'oûdî, Prairies, IV, 192. Ses
descendants ont le teint foncé; comment l'e.xplique Ibn 'Omar; I. S. Tabag., III ',
235, 3 etc. Le chef tamîmite Zibriqân a une généalogie incertaine ; Ibn Doraid, Isti-
qâq, 206, 10-13.
(^) Réputation douteuse des femmes Mahzoûmites; 'Iqd^, II, 155, 9 d. 1. Les gé-
néalogistes étaient redoutés à la Mecque ; Ibn Doraid, Istiqâq, 87, 5.
('■) Comme Hâsim, l'ancêtre de Mahomet; Ag., XVIII, 124; cf. W'ellhausen,
Ehe, 469.
(') Cf. notre Ziâd ibn Abîhi, 20 sqq. ; I. Doraid, Istiqâq, 185-86.
284 Renseignements fournis par la « Sira »
inspirée par les rancunes des 'Alides et les dépits politiques de l'Iraq,
a affecté de se scandaliser et de mettre le fait à la charge des im-
pies Omayyades. En }■ regardant de près, on n'aurait pas été em-
barrassé pour découvrir des Somayva au sein des plus saintes famil-
les de l'islam: Aboû Bakr, peut-être un affranchi, 'atlq- 'Omar, fils
d'une mère esclave. Chatiue clan illustre avait fourni la matière d'un
chapitre plus on moins étendu du Kitàh al-matàlià ('), chroni(]ue
scandaleuse, mettant en une triste lumière la généalogie et les ori-
gines des hommes les plus considérés. Mahomet vouait aux feux de
l'enfer le mortel assez indiscret pour remonter jusqu'à la neuvième
génération (^). Ainsi formulé, le hadit voudrait donner le change à
la critique. Aucun contemporain de l'hégire n'eût été en mesure de
remonter aussi loin dans son état-civil (^).
La littérature de la Slra est particulièrement instructive à cet
égard. Elle nous met en rapport avec une famille, célèbre entre toutes,
et sur les origines de laquelle la Tradition a voulu répandre des
flots de lumière {*). N'a-t-elle pas suivi depuis Adam la goutte de
sang, destinée à donner à l'humanité le sceau, le plus grand des pro-
phètes.? {') A ces titres elle mérite d'arrêter notre attention. « Parmi
mes aïeules, dira plus tard Mahomet, on ne rencontre pas trace du
(') Cf. Fihrist, 95, 96, 99, 111, 112. Ibid., 100, 1: « livre des courtisanes de Qo-
rais et de leurs fils ». On comprend comment l'auteur Haitam ibn 'Adî est devenu
odieux à la Tradition. Comp. plus haut la remarque sur les So'oûbyya et la littérature
des Matâlib.
(8) Hanbal, Mosnad, IV, 134.
(') Pour les Bédouins modernes, comp. F. Schwally, Beitr. z. Kenntnis des Le-
bens der... Beduineii i»i heiitigen Aegypten, dans Sitzungsberichte de l'Acad. des scien-
ces de Heidelberg, 1912.
(^) Sur ce trompe-l'œil enfin reconnu, voir le jugement du Prof. C. H. Becker,
Der Islam, IV, 263, 269 et Wellhausen, GôH. gel. Anz., 1913, 315.
(5) Cf. I. a.Tabag., I', 1-60; surtout p. 26 ^L<.t>».>'^ ^sô^ Jii\ ^_}^ ^ i_-,-^yi
jOJll-VS >>î (Jl SOJ^ ^
Le mariage du père de Mahomet 285
safàh », c'est l'expression arabe pour désigner l'union libre ('). Privi-
lège incomparable dans un milieu, aussi amoral que l'ancienne société
arabe: miracle de la Providence d'Allah, attentive à préserver de toute
souillure le berceau du dernier des prophètes 1 Par malheur l'histoire,
d'ailleurs légendaire, des Hâsimites, réfute à chaque page cette pré-
tention. Hâsim se marie en passant à Médine, et ne paraît plus se
souvenir de sa femme et de son enfant (*), abandonnés en cette
ville ('). Imitons la réser\'e des annalistes musulmans et gardons-nous
de scruter les motifs de cette désertion peu galante. Le grand-père
de Mahomet, 'Abdalmottalib, était-il fils de Hâsim ou l'esclave de
Mottalib. comme son nom l'indiciue '^. Nous ne le saurons jamais au
juste. Si les Mecquois lui ont accordé cette dernière qualification (*),
apparemment ils avaient leurs raisons. Tous les parents de Mahomet
étaient d'ailleurs d'un noir profond, trahissant une forte proportion
de sang nègre et de fréquentes unions a:\'ec des esclaves. Cet en-
semble confère une lointaine vraisemblance à la tradition, disant les
Hâsimites originaires du Yémen (°).
Il est malheureusement difficile de discuter en français les inci-
dents, immédiatement antérieurs au mariage du père de Mahomet.
Avec la plus entière inconscience, la Slra a utilisé une réédition de
rhi.stoire de Joseph et de la femme de Putiphar. Si 'Abdallah, le père
de Mahomet, ne se crut pas tenu à prendre modèle sur le patriarche
biblique, celle qui faillit devenir la mère du Prophète, copia brutale-
ment l'attitude de la trop fameuse Egyptienne. Ce laxisme n'a pas
k}) I. .s. Tabaq., I', 31, 24 ; 32.
(*) Ainsi se conduira plus tard le pieu.x musulman et voyageur Ibn Batoûta. Tran-
quillement il inscrira sur son carnet : « 'M>-f-> aûI Jjù Le ^^j1 L<j ; j'ignore ce qu'ils
(^ la mère et l'enfantj sont devenus ».
(') I. S. Tabaq., I*, 46. On peut y reconnaître une tentative des Médinois pour
introduire une des leurs dans la généalogie prophétique. On place à Gazza le tom-
beau de Hâsim ; Yâqoût, E. YI, 290, en tablant sur des vers apocrxphes, comme
ceux de Matroûd ibn Ka'b.
(•<) I. S. Tabaq., I', 49, 7.
(•') Gâhiz, Opuscula, 75, 4 etc.; I. S. Tabaq., I', 3-4; en réponse on lui fait ré-
véler par Gabriel qu'il appartient à Modar; I. S. Tabaq., I', 3. Les habitants du
Higâz tiennent du caractère des nègres ; Yâqoût, E. L 48.
286 Mystères entourant ses ancêtres
empêché la Tradition de la présenter comme le type de l'honneur
féminin ('). La légende s'est donné beaucoup de mal pour expliquer
la mort de 'Abdallah et d'Amina mère de Mahomet, hors de la
Mecque. Pour tourner une partie de la difficulté, elle a essa3é de
placer le tombeau de cette dernière en cette ville ("). Enfin le propre
mariage de Mahomet soulève de graves objections.
Jusqu'à 25 ans, il serait demeuré célibataire, et cela dans un
milieu, où, à 13 ans, nombre de ses concitoyens comptaient déjà des
enfants et parfois un divorce (^). Pourquoi épouse-t-il une femme de
40 ans et fallut-il — une légende musulmane l'affirme — eni\Ter le
père de Hadiga pour arracher son consentement' (*) Impossible d'ac-
cumuler plus de maladresses !
Si, avant le succès de sa mission prophétique, nous comprenons
la froideur des Hâsimites (*) à son égard, nous ne savons comment
expliquer l'appellation de fils d'Aboû Kabsa — un esclave 1 (^) —
donnée à Mahomet. Quels étaient ses rapports de famille avec la
négresse Omm Aiman C), avec la Bédouine des BanoCi Sa'd, sa nour-
rice vraie ou prétendue ? (*) Ses derniers se proclament ses oncles, et
le Prophète ne repousse pas cette prétention, bien exorbitante pour
de simples nourriciers (''). comme on essaie de les représenter.
Le m\-stère, planant sur l'origine de personnalités, aussi en vue
que les ancêtres traditionnels de Mahomet, laisse deviner quelle de-
(') I. s. Tabac., H, 58 d. 1.; 59; elle est qualifiée de ^J^ ïl^l
(-) I. S. Tabac., I', 73-74. D'ordinaire on la localise à Abwa. Voir précédemment.
(*) 'Abdallah ibn 'Àmir a un fils à l'âge de 13 ans ; Osâma ibn Zaid divorce à
treize; I. S. Tabac., V, 31, 24; 127, 14; cf. Fàiitiia, 30-31. Sur les mariages précoces
chez les musulmans d'Egypte cf. Schwally, op. sup. cit., p. 10.
\*) I. S. fabag., I', 84-85. Balâdorî, Aiisâb, 58 b. donne même à Hadîga 46 ans;
il cite une autre version, où l'on se contente de 28 ans.
{") Mahomet les place tous en enfer: I. S. Tabaq., I', 75; e.st-ce une réponse?
C^) Seybold, JMorassa' , 186; I. S. Taba^., III', 33; Margoliouth, Mohammed ^,
50-51 ; efforts pour expliquer cette filiation ; Balâdorî, Ansâb, 54 a.
(") Voir ce nom à l'inde.x de Mo'âwia. Ibn Qayym al-Gauzyya, Zâd al-mo'âd
(ms. Bâyazîd, Constantinople) I, la qualifie de <Cob ; faut-il lire <JJo\>?
(«) I. S. làbaq., I», 71, 25, 28.
(9) I. S. Tabaq.. I', 72, 19 etc.
Réaction monothéiste 287
vait être la situation des autres familles arabes. Lors(]ue la Sïra s'in-
génie à tirer tout avi clair, elle réussit seulement à épaissir les ténè-
bres et à multiplier les points d'interrogation ('). Sans nous y arrêter
plus longtemps, constatons combien cette fantastique histoire fortifie
nos soupçons précédents, produit l'impression d'une moralité très
spéciale. Et pourtant nous avons e.xclusivement consulté la < légende
dorée >, composée à la plus grande gloire du Prophète. Ce n'est pas
le lieu d'examiner son degré d'authenticité. Mais ijue penser des mœurs
d'une société, où, pour voiler la réalité, l'histoire doit recourir à d'aussi
misérables fictions.^
Or dans le siècle, précédant l'hégire, un observateur attentif au-
rait pu constater au sein de l'immobile Arabie une grande fermenta-
tion d'idées, signe précurseur d'une révolution. Par trois côtés au
moins: par la Syro-Mésopotamie, par rAb3ssinie, par la vallée du
Nil, sans parler du Yémen, le christianisme pénétrait en Arabie, en-
tamée déjà par le judaïsme, maître des riches oasis du Higâz ("). Ce
double courant (^) introduisait à sa suite le monothéisme avec son
contingent de principes civilisateurs. Concurremment avec ce mouve-
ment, une reprise du commerce (*), le long de l'ancienne route de
(') Même constatation pour le mariage de Fâtima et de 'AU; cf. Fâthna, voirie
chap. II.
(*) Pour Vistisqà' les anciens Arabes s'adressaient volontiers aux Juifs ; Ibn Hi-
sâm, Stra, 136; cf. Wellhausen, A'^j/s^^ 224-30; courant chrétien, Ibn Doraid, Isti-
gàg, 197, 10.
(^) 11 est dit à propos d'Omayya ibn abi's Sait: ^^^^^ f-i^^ ';*? ^S^^"^'^ i-j*")''
T Jî i_-vXSJl J^ ^ ^.5-*<ï" • '''" Doraid, Is/iqâq, 184, 4 d. 1. Zohair ibn Abi Solmâ emprunte
aux Juifs l'idée de la résurrection ; Asmal, Fohoûlai as-So'a/à', (Torrey) 500, 16. Re-
marque analogue à propos de A'sâ ; voir précédemment, p. 107.
{*) Cf. République marchande, 3-4. La tradition — celle de Médine surtout —
veut écarter l'hypothèse des emprunts juifs. Voilà pourquoi elle attribue aux Qorais
préislamites la pratique du jeûne de 'Asoûrâ ; elle en fait autant pour les chrétiens.
Tout plutôt qu'une dépendance juive! Cf. Moslim, Sahîh-, 1,419-423.
288 Elle est favorisée par les poètes
l'encens, attira les Bédouins occidentaux hors de leurs déserts et les
mit en contact avec leurs voisins, intellectuellement plus développés,
plus respectueux des lois du mariage et des droits du sexe faible.
Les voyages forment la jeunesse des particuliers ; ils n'exercent pas
une moins salutaire influence sur l'évolution des peuples nouveaux.
Comme toujours les poètes (') donnèrent le signal du mouve-
ment. Ces intellectuels cosmopolites couraient le mondejen'quête d'im-
pressions nouvelles et surtout de Mécènes généreux. De leurs visites
aux cités de Palestine et de Mésopotamie (^), aux cours des roitelets
des limes S3Tien et perse, dynastes de Hïra, ph\larques de Gassân,
en s'arrêtant dans les couvents si hospitaliers, jalonnant les confins
arabiques, de leurs relations avec les sa^yd de Nagrân (^), les poètes
rapportèrent une poignée d'idées généreuses et, hérauts retentissants,
les claironnèrent aux quatre coins de la Péninsule. Leur nouveauté fit
sensation au sein d'une société, fatiguée et honteuse de son indivi-
dualisme. Un des premiers, le sexe devait bénéficier de la révolu-
tion. Les bardes ambulants se mirent à proclamer le respect, dû à
la gara, la femme (*), les égards que méritait sa faiblesse (^). Dans
leurs vers on voit poindre le sentiment chevaleresque (°), destiné à
prendre son plein développement pendant le moyen-âge chrétien.
(') A cette époque le ton de la poésie devient monothéiste.
C^) Comme A'sâ, visitant Honis, Jérusalem etc., Qotaiba, Poesis, 135; ses voya-
ges à Nagrân ; cf. Vazîd, chap. XXII. Rappelons le cycle légendaire des courses
d'Amroulqais, Nâbiga faisant la navette entre Hîra et les résidences gassânides.
(*) Voir Doraid ibn as-Simma dans So'arâ', ~7d sqq. Ag., XVIII, 160, 10 d. 1.
(^) Nombreuses références de Goldziher dans ZDHIG, 1893, 80 ; Aboû Tammâni,
Hamâsa, 714, 4 ; 727. 1 ; Gâhiz, Avares, 266, 16 ; 267 ; Qotaiba, Poesis, 201, 4 ; 'Igd^,
II, 25, 4; cf. Mo'âwia, 305 etc. Ag., XI, 158, bas; XII, 16, 5. Respect de la gara
en l'absence du mari, respect de la veuve et de l'orphelin; Hansâ', Dh>an, 1, 1. 4 ;
4, d. 1. ; 13, 4; 17, 5; 37, 8; 42, d. 1.; 69, 8; conip. 20, 4 d. 1.; 27, 7; voir plus
haut; influence des idées chrétiennes sur ces conceptions, voir note précédente.
(5) A la Mecque les mariages, assure-t-bn, se concluaient dans le Dâr an-Nadwa.
Mais pourquoi n'en trouve-t-on jamais la confirmation, ni même une allusion à une
innovation aussi grave, dans les récits particuliers?
(«) Comp. Wellhausen, Elie, 471-72.
L'importance du « hasab » 289
« Yazid a rendu inviolées les femmes captives. Aucun autre n'eût
donné cet exemple d'honneur » (').
Le poète Doraid ibn as-Simma connaissait sans doute ses com-
patriotes. Pourquoi a-t-il réservé ce magnifique hommage au chef des
nomades de la chrétienne Nagrân-
Rappelons de nouveau l'exemple des Banou 'Odra. Si parmi eux
seulement s'est développée une poésie spéciale, à la fois sentimentale
et chaste (*), dégagée de la grossièreté bédouine, ne faudrait-il pas
chercher l'explication de ce phénomène dans le christianisme de
cette tribu? (Ootaiba, Poesis, 260).
Insensiblement les nomades commencèrent à comprendre les avan-
tages pour le fo\er d'une stabilité plus grande, à admettre une cer-
taine réglementation dans la matière, à rougir de l'ancienne licence (').
L'homme distingué tint à honneur de régulariser sa situation matri-
moniale. Il voulut laisser à ses descendants les éléments indispensa-
bles d'un état-civil; il tint à calculer, à énumérer les noms de ses
parents, pour les transmettre à ses héritiers. Sur ce calcul — hasad
n'a pas d'autre sens — fut basée la noblesse. Elle dépendit désormais
du nombre des quartiers ou, comme s'expriment les Arabes, de la
long2ien>\ de Yépaisseiir plus ou moins grandes {*) du Iiasab, terme
devenu synonyme d'extraction aristocratique (^). Les esclaves, ne pos-
sédant pas de généalogie, ne pouvaient prétendre au hasab. Il devint
de bon ton d'épouser des femmes libres, appartenant à des familles,
à des tribus connues. De là l'importance grandissante du hàl f ), de
l'oncle maternel; il représentait l'illustration des ascendants féminins.
l') So'arâ', 777, 1.
(^) Pas toujours authentique ; d'accord ! Mais pourquoi les faussaires ont-ils en-
dossé cette littérature aux B. 'Odra ? En revanche on relève l'immoralité, zhiâ, de
la tribu de Daus ; Ibn Doraid, Isiigâq, 296, 3.
(•') Exclamation de Hind, mère de Mo'âwia : « Une femme libre commet-elle le
rt«â»! I. S. Tabaq., VIII, 4, 12. Ici libre = noble.
(*) C'est le sens du ^b_jl» >_-«<'I.'s , du ^^sc^^ i_^<»^ ; cf. Mo'âzvîa, 97-99. « L'hom-
me noble doit faire descendre le plateau de la balance » ; Ibn Doraid, Istigâq, 257,
4 ; i\'agaid Gartr, 300, 9.
(■') Goldziher, M. S., I, 41; ZDMG, 1892, p. 198.
(S) Cf jWo'ôaia, 299-305. Qotaiba,'^^^*», 449, d. 1. Cj'^^'- J^" homme de rien,
I.AMHENS — Berceau 19
290 Situation exceptionnelle des grands chefs bédouins
Les unions serviles ne disparurent pas pour autant; mais les
enfants, issus de ces mariages, jouiront désormais d'une moindre con-
sidération. Toutefois, pendant plusieurs générations encore, la multi-
plication des patronymi(]ues féminins (') maintiendra le souvenir de
l'ancien »!airiarcat et de la primitive licence bédouine. La défa\eur
même, s'attachant à ce passé, atteste à sa façon la réalité des faits,
voués maintenant à l'oubli. Elle explique la situation exceptionnelle
prise, au début de l'islam, par certaines familles de grands chefs bé-
douins. Nommons Manzoûr ibn Zabbân, '0}aina ibn Hisn, 'Aqil ibn
'Ollafa. Chez eux du moins l'arbre généalogique ne représentait pas
une création artificielle. Ils tenaient « les deux bouts de la noblesse
v_i^^l tj^ » (-); leurs ancêtres du côté paternel et maternel ; avantage
assez insolite sans doute, pour expliquer le prix qu'on y attachera
désormais. Aussi verrons-nous les plus hautes illustrations, le Prophète
et les califes se disputer l'honneur de les compter comme beau.x-
pères (^).
*
Personnellement ces savyd nous sont dépeints, comme des rus-
tres, d'affreux mécréants. A peine poètes (*), nullement orateurs, ils
comptant peu de tantes maternelles. Pour sa part, 'Orwa ibn al-Ward déplore l'obscu-
rité de ses ahwâl; So'arâ' , 906, 7. Un homme noble doit avoir une nombreuse pa-
renté féminine connue, être Cj'^^I^ Cj'^lil^ OU-»J' tC^'» Ya'qoûbî, Hist., II, 192, 3.
(') Cf. Ibn Doraid, Istiqaq, 176, 177, 247, 268, 277, tX. passim ; citons Ibn Mai-
yâda, Ibn Sohayya, Ibn al-Barsâ' etc. Un satirique se moque de ceux qui transfor-
ment leurs aïeules en hommes; Ibn Doraid, op. cit., 186, bas; 212; Nagà'id Garir,
40, 52, 118, 121, 183, 186, 973.
(^) Ag., XI, 86, 3 ; Ibn Doraid, Istigâg. 174, CU<v-JU v_s;->i»JI ("-«^ "" • ■■ *— "^
i^_^j»sliXo _*6 ; comp. la section consacrée à Gatafân; ibid., p. 167 etc.; une des filles
de Manzoûr entre dans le harem du calife 'Otmân ; Aboû Tammâm, Hamâsa, E. I,
206. Autres épouses de Gatafân et de Qais chez 'Otman ; Tab., Annales, I, 3056. Les
califes comprenaient la nécessité d'une alliance avec leurs voisins du Nagd. Omm al-ba-
nîn, fille de 'Oyaina, épouse de 'Otmân ; Tab., loc. cit.
p) Cf. Wellhausen, Ehe, 439; note précédente; Ag., XXI, 145, 13.
(*) A l'exception pourtant de 'Aqïl ibn 'Ollafa, jjiix jtUo , poète d'occasion.
'Oyaina ibn Hisn 291
ne se distinguent ni par la fastueuse générosité du désert, ni dans
les chevauchées de la razzia, seules capables de réveiller chez l'Arabe,
né brigand, son équivoque bravoure. Manzoùr un ivrogne notoire et
époux de sa belle-mère 1 (') 'Oyaina, constamment rebelle au prestige
du Prophète, le traitait avec la désinvolture des sa\\d bédouins, avec
la familiarité dégagée d'un supérieur, se reconnaissant peu de pairs
ou kofou . 11 doit incontestablement à ces irrévérences le jour défa-
vorable, où le place la Tradition, saturée de préjugés musulmans. Elle
nous le représente comme une sorte de maniaque, hautain et brutal,
un fou enfin, comme l'aurait qualifié le Prophète (^). D'après les an-
nales de l'évangelisation des tribus germaines, certains chefs barbares
aimaient mieux rejoindre leurs ancêtres en enfer que de se retrouver au
ciel avec les chrétiens. On prête la même déclaration au fier Fazârite.
Le paradis de Mahomet ne lui disait rien, s'il n'avait l'assurance d'y
rejoindre ses contribules et ses alliés d'Asad (^). S'il consent à accom-
pagner le Prophète au siège de Tâif, ce n'est pas pour soutenir la cause
d'Allah. Mais, comme on l'en fait convenir ingénument, connaissant
la finesse des Taqafites, il espère obtenir une prisonnière, destinée
à lui donner des enfants intelligents (■*). A la mort de Mahomet, il
s'empressa, non de renier l'islam — il ne l'avait jamais embrassé (*) —
mais de dénoncer son alliance momentanée avec Médine. Son influence
(') Cf. Goldziher, M. S., I, 26 ; Ibn Doraid, Istiqàq, 173.
(Sj Cf. Ibn Doraid, Istigâq, 173. Il faut de nouveau supposer l'influence des ver-
sets du Qoran, hostiles aux Bédouins et aussi les rancunes des Médinois, dont 'Oyaina
avait si souvent pillé les propriétés. Comme 'Àmir ibn at-Tofail avec le Prophète,
sans cesse ces chefs réclament l'abandon de À-oyil ,lr i_*^ ; Qotaiba. Poesis, 192, 1.
(3) Ibn Doraid, Isligâq, 173. Asad et Gatafân s'appelaient ^U-J^l , les deux tri-
bus alliées. Sur cette alliance, voir Nâbiga Dobyânî dans So'arâ', 674-76.
{*) «Von sich aus konnte er keine Weisheit vererben » ; Wellhausen, Reich, 72.
Les Banoû Taqîf sont \3iSJi\^ \^jfà\ ^'>\\ Ibn Hisâm, Stra, 131; cf. notre Taïf,
p. 11. La Tradition entend faire reconnaître par le chef de Fazâra en personne la
qualification de fou. Le procédé paraît assez naïf, mais il sert à illustrer les artifices
de rédaction dans le hadît.
(•') Le contraire est supposé par la Tradition, laquelle reconnaît dans la ridda
l'apostasie des tribus. Le mérite du prince Caetani est d'avoir fait bonne justice de
cette conception surannée.
292 Alliances matrimoniales avec les chefs bédouins
entraîna les Arabes de Qais dans la révolte ('). La tradition de cette
ville s'en est vengée, en déversant le ridicule sur 'Oyaina : elle satis-
faisait en même temps ses rancunes contre les Bédouins, incorrigibles
pillards des domaines ansâriens. Fait prisonnier, il est amené devant le
calife AboQ Bakr. Ce dernier lui reproche d'avoir renié Allah. «Jamais,
s'écria-t-il, je n'ai cru en lui : et s'il \' en avait un, je jurerais par lui
qu'il n'existe pas ! ».
Le trait est vigoureux, mais que vaut-il ? Dans le style de l'islam
primitif tout rebelle est déclaré ennemi d'Allah (-). Allah représente,
dans cette phraséologie à allures théocratiques, les abstractions so-
ciales : le gouvernement, l'administration, la justice, les finances de
l'état, tout est rapporté à Allah: aàl ^.IkUo et ^«3)1 JU, sans en ex-
cepter la cavalerie et la gendarmerie ; témoins les locutions ^l J-^
et <ài\ i>J^ (^). Si réellement 'O^-aina a inventé la déclaration, citée
plus haut, rien ne prouve que le sens n'en ait pas été compris de
travers par les compilateurs postérieurs. A notre avis le chef fazârite
a simplement protesté qu'à aucune époque il n'avait reconnu la su-
prématie de l'état médinois, fondé par Mahomet, le <à! ^IL^-c, repré-
senté après sa mort par le calife Aboii Bakr.
Anoblis de par la nouxelle religion, les anciens marchands de
la Mecque éprouvèrent le besoin de passer par dessus le récent ba-
digeon de leur blason islamite (*) une couche de vermillon aristocra-
tique, en s'alliant avec ces maisons bédouines à la noblesse incontestée,
(*' Ce passé compromettant ne l'a pas empêché de recevoir le titre de Compa-
gnon et de figurer en cette qualité dans Ibn Hagar, Isâba, E. III, 54-55.
(•-) Cf. Ag., XII, 26, 27. Le rebelle détruit <sil ^} J)U> : Ag.. XIX, 140.
(3) Cf. Ziâd ibn Atnhi, 101 ; <ui\ J^ ; Hassan ibn Tâbit, Divaii, XLI, 1. Yazid.
135. Sous les 'Abbâsides le commandement ,_y^ s\ «ûjl J.^ b demeure le boute-selle
de la cavalerie ; Qotaiba, 'Oyoûn, 145, 12.
(■*! Seul 'Omar se prétend indifférent à la noblesse de ses femmes et de ses gen-
dres ; I. S. Tabaq., III ', 208, 8.
Les chefs kalbites 293
jyùlj-c -i ■ -v:^ (')■ i'"*^ noblesse antérieure à l'hégire, »_i^ >_u^ Jjt\
aJJiaU.'^ J-«ai-< ("). Si, dans Tintimité, ils tournaient en ridicule le
gafà\ la rudesse des mœurs (^), ils tenaient infiniment à conserver
les bonnes crràces des grands sa\'yd. Humiliés par lincertitude de leurs
propres généalogies, Oma\Tades, 'Alides, Zobairides, tous les préten-
dants à la succession du Prophète voulurent être les gendres de ces
Bédouins mécréants.
A ces beaux-pères du désert, maréchaux de l'aristocratie arabe,
choyés par les magnats islamiques, il faut adjoindre une autre four-
née de say\'d, choisis dans la puissante tribu s\TO-chrétienne de Kalb :
Al-Forâfisa et Bahdal ibn Onaif (^). Le grand calife ÎMo'âwia, les So-
fiànides après lui, croiront ne pouvoir affermir [leur autorité qu'en
s'alliant à cette lignée de chefs bédouins. Nous l'avons montré dans
les études consacrées aux deux premiers califes oma3'vades (')•
Nommons encore As'at ibn Oais, le roitelet de Kinda C^). Il fut fait
prisonnier pendant la révolte des Arabes, après la mort de Mahomet,
et amené à Aboû Bakr. Ce calife avait alors sur les bras sa propre
sœur, une veuve d'âge mûr. Or le Prophète avait loué la précipita-
(') Ibn Doraid, Istiqâg, 173, 180. Les annalistes relèvent avec raison l'ilhistration
des alliances matrimoniales, conclues par l'anticalife Ibn Zobair.
(•-) Ibn Doraid, op. cil.. 213 d. I. ; 214, 1. Comp. Ag., XXI, 145, 3 ; privilège rare ! A
Médine la famille de Sa'd ibn 'Obâda, >>y^\ ^^ ^^.f >-^^-^ • "'" Doraid, op. cit., 269,
4 d. 1. On n'ose épouser ses femmes divorcées ; Hanbal, Mosiiad, I, 238.
(3) Comp. Ag.. IV, 8; 9, 3 d. L ; 34, 4 d. 1. ; Mobarrrad, Kâmil, 40, .ô ; 'Iqd^,
II, 151, 10, 14; Hanbal, Mosnad, I, 257; cf. République marchande, 32; au lieu de
tliii. on emploie aussi k\i et ^-vl.^ ; I. S. Tahaq., VI, 115, 8; 194; Hanbal, Mosnad,
II, 203, 5, s-^f^ \J^\ NasâT, Sotian, II, 139; comp. Migne P.G.,\o\. 82, c. 1475:
S. Siméon Stylite et les .Sarrazins. Le Bédouin convient de son gafà': Aboû Tammâm,
Hamàsa, E. I, 203 d. v. 'Jqd*, II, 76 sqq. chapitre consacré au.\ Bédouins, passim.
0) Ibn Doraid, Istiqâq, 316, 7; '/yrf', II, 72, 2. Pour anoblir le légendaire Dahia
ibn Halïfa, on le rattache à ces personnages ; 'Iqd, loc. cit. Cf. Vaztd, 290.
{'•>) Cf. Mo'âwia, 311-312; Yazïd, 109. Voir duns V Encyclopédie de l'islam nos ar-
ticles : Bahdal ibn Onaif et Hassan ibn Mâlik.
C'' Cf. .Mo'âwia, index ; Dînawari, Akbàr fitvâl, 166, 277. Une de ses filles passe
d'un 'Alide a un Hâsimite; I. S. fabaq., V, 231, 14. Un autre beau-père aristocrati-
que serait (?) 'Àmir ibn at-Tofail (voir plus loin); Ibn Hagar, Isàha, II, 343; Aboû
Tammâm, Hainâsa, E. I, 28, 29.
294 As'at ibn Qais
tion en deux circonstances: pour enterrer un mort et marier une
veuve (')• ^>*» cy^ -^ ^ly^ cjr^ z>i (^•^•' ^"^^ ^^ '• ^^)' ^'°''^ ^^ devise
des veuves arabes; un mari-soliveau plutôt (jne de se morfondre sous
la tente paternelle ('). Désireux de se tirer de son mauvais cas, le
chef révolté demanda la main de la sœur d'Aboù Hakr. Par cette
adroite flatterie à l'adresse du modeste cito\-en, devenu chef d'empire,
l'aristocrate yéménite obtint la ^■ie sauve et l'absolution du passé.
Les "Alides briguèrent également l'alliance d' As'at (*).
Si dans certaines occurrences, Mo'âwia se plaisait à proclamer
la supériorité des femmes qoraisites (*), nous connaissons aussi le
prix attaché par ce politique éclairé aux unions avec les tribus de
S3Tie (^), où le christianisme, en préconisant la monogamie, avait lutté,
non sans succès, contre l'ancienne promiscuité. De nos jours des par-
venus cherchent par de brillantes alliances à faire oublier l'humilité
de leurs débuts, en projetant sur l'obscurité de leur passé l'éclat em-
prunté d'une glorieuse série d'ancêtres. Nous venons de constater le
même phénomène au sein de la société arabe, en cette vigile de
l'hégire.
(') Gâhiz, Bayàn, I, 220.
^-) Comp. ce vers de Hosain ibn Homâm, mort peu avant l'hégire; So'arâ, 744
Veuves désireuses de convoler, mais la guerre a décimé les hommes de la tribu.
P) Cf. Mo'âwia, loc. cit. Les 'Alides semblaient donc ignorer les actes de trahi-
son — et à leur détriment — attribués à la famille d'As'at, qualifiée par les Si'ites
yXi}\ ^ ^«Jjs-ll ij^'i; Ibn Rosteh, A'/âq. 229; cf. Ag.. X\'III, 159 ('Ali et As'atJ.
(J) Cf. Mo'àwia, .310.
(5) Mo'âwia. 311.
Importance de la condition maternelle.
Ni esclave ni prisonnière de guerre
Ce phénomène, cette évolution d'idées étaient en train de se
produire, quand parut le novateur mecquois. En dépit, ou peut-être
en raison même du mystère, entourant sa naissance ('), il s'appropria
ce progrès. Le flair de l'homme d'état l'amena à en favoriser les ten-
dances aristocratiques. On observe dans son Ooran, dans les sourates
médinoises, une atténuation (■) constante des principes démocratiques
du début, développés au cours des prédications à la Mecque (^). Tout
en consacrant, au nom d'Allah, la polygamie et les unions ancillai-
res (*), il renforça, mais aux dépens de l'épouse, l'autorité du mari,
devenu l'unique chef, le fondement exclusif de la famille (*).
Ici, comme en maintes autres questions, la présomption, l'esprit
de tendance persuadèrent aux Arabes que les mœurs, les idées nou-
velles plongeaient leurs racines dans l'antiquité la plus reculée. Leur
(•) Il s'en trouvait gêné; Gâhiz, Mahàsin. 135.
(-) Mais adroitement dissimulée comme dans Qoran, 3, 153.
(3) Cf. Fàtitna, 61.
{*) A_>u:l CvSLLc U; Qoran. passiui. Cette consécration est un des plus mauvais
ser\'ices, rendus à ses sectateurs. Elle s'oppose à toute évolution, partant à toute réforme
sérieuse de la famille musulmane. Les modernes réformateurs turcs le sentent doulou-
reusement et ont parfois le courage d'en convenir.
(') Cf. Wellhausen, Ehe, 446 sqq.
296 I-e « hal » ou oncle maternel
chauvinisme impérialiste ('), exalté au contact des peuples civilisés,
maintenant réduits à la condition de tributaires, les conduisit à ac-
cepter d'enthousiasme la fiction de la pureté de la race arabe. Elle
devint un des arguments, établissant leur prétendue supériorité sur
les vaincus. « Ne ressemblons pas, aurait dit le grave 'Omar, aux
Nabatéens de la Bab\lonie. Quand on les interroge sur leur origine
ils répondent par le nom de leur village » {").
Les familles, placées de par l'islam à la tête d'un immense em-
pire, voulurent bien croire à la réalité des proli.Kes généalogies, fa-
briquées par des nassàôa impudents (^). Nous ne songerions pas à pro-
tester. Cette illusion, complaisamment acceptée, constatait en défini-
tive un progrès de la moralité. C'était glorifier des principes, trop
longtemps oubliés, aux dépens du développement de la ci\ilisation
arabe. Au cours des décades, immédiatement antérieures à l'hégire,
les idées nouvelles ont fini par s'imposer à l'opinion, aux classes di-
rigeantes. Interprétant dans ce sens l'adage juridique : parlus sequittir
ventretn, les Arabes ont compris l'importance de la noblesse mater-
nelle {*). De cette estime découlait précisément la considération spé-
ciale, attachée à la qualité du hàl ou frère de la mère. « L'honnête
homme » devait en première ligne posséder des hàl irréprochables ;
condition impossible à réaliser dans l'hvpothèse d'un mariage servile.
(') Mahomet les proclame le peuple choisi; 1. S. Tabaq., I', p. '1 \ dans le Qo-
ran, passim, les musulmans recueillent l'héritage religieu.\ et temporel des anciennes
sociétés, détruites pour leur infidélité.
(*) 'Iqd^, II, 44. En parlant de leurs origines, les Arabes les comparent à «l'eau
du ciel, tL».»»Jl ^j f«-^ cj^ ; on l'a vu dans les citations précédentes.
(■') Pour les généalogies de Qorais, Mahomet renvoie à Aboû Bakr ; il proteste
contre les fictions généalogiques; Hosrî ', I, 27; I. S. Tabaq., I', 27-29. L'ange
Gabriel lui apprend qu'il descend de Modar; I. S. Tabaq., I', .S, 1. 13 ; comme si sur
ce point une révélation devenait nécessaire. Il est surprenant que le grand généalo-
giste soit Dagfal, un Bakrite, vivant à des centaines de kilomètres du Higàz. Les
Xaqâ'id Gartr, 189, 1 v. citent déjà une <*j.;^s-^ de Dagfal.
(■<) Qotaiba, Poesis, 130, 10; Ibn Doraid, Iktiqàq, 180, 4-7:
Allusion satiriciue aux mensonges des généalogistes et aussi au favoritisme. Cf. Bohtorî,
Hâinasa, n. 1096, variante: ,1^ «,1 Ctcl ^Is"^.!» \
Les joutes poétiques 297
La modestie est une fleur trop délicate pour s'épanouir au dé-
sert. Dans les annales littéraires de la Péninsule, rien de fréquent
comme la mention des tournois poétiques, où il est question d'établir
sa propre supériorité ou celle de sa tribu ('). La sincérité, le scru-
puleux respect de la vérité n'y étaient pas de rigueur et l'on cite
avec admiration les poètes a\ant tait exception sur ce point, ^ j^I
if>^ j: A-.~i-) ^ J-»-<»>. (■). Ces joutes s'appelaient vwfâhara^ moiiàfara
ou monàza'a. Pour les partenaires, l'épreuve la plus redoutable était
sans contredit l'état-civil de la mère (^): libre ou esclave? Sous l'in-
fluence des mœurs nouvelles, on finit par pousser très loin la délica-
tesse (^); on n'acceptait plus même d'avoir été élevé par une femme
esclave, de l'avoir eue comme nourrice (^).
On i)eut posséder de l'honneur et n'avoir pas été bercé sur les
genoux d'une duchesse. Ainsi pensait déjà un poète bédouin: son
nom eût mérité d'être conservé I C') • Sans faire partie, disait-il, de
la haute aristocratie, j'appartiens à une famille honorable. Sans être
un modèle de générosité, ni un foudre de guerre, je n'hésite pas à
exercer la charité, à accomplir mon devoir sur le champ de bataille :
(') Cf. notre Chantre 175-76; Gâhiz, Mahâsitt, 135 sqq. Naqâ'id Gartr, 141 : nio-
fahara apocryphe : elle fournit l'occasion de glorifier Qorais et d'énumérer les ancien-
nes divinités arabes ; c'est un exercice d'archéologie ; autre mofahara dans le genre
grossier; ibid., Il, 7 sqq. Type de /aAr emphatique, l'éloge des Ansârs dans Hassan
ibn Tâbit, Divan, pièce 161.
(^1 Cf. Qotaiba, Poesis. 222, 15. Le paladin 'Anirou ibn Ma'dikarib avoue qu'il
prend la fuite et redoute la mort; Qotaiba, op. cit., 221, 2-4. N'oir plus liaut le con-
cept du courage arabe.
P) Aboû Tammâm, Haniâsa, 113, 4 v.; J. Hell, Farazdak's Lobgedicht, p. 2.
(■•j Ici la poésie se porte garant de l'existence de ces sentiments.
p) Ag., VIII, 190, bas; Gâhiz, Haiawan, 111, 29, 3. On voulait «avoir seule-
ment sucé les mamelles d'une femme libre, au blanc visage.
De nouveau le noble Arabe est de couleur blanche; à fortiori les émirs gassânides ;
Nâbiga Dobyânï dans So'arâ', 648.
(^) jâ-i Jl*^; la Hamâsa ne le désigne pas autrement. Je n'ai pu rencontrer ail-
leurs la tirade.
298 Dégradation morale de la femme esclave
Ce Bédouin était trop pondéré, trop raisonnable pour faire école
en sa patrie. Dans cet idiome arabe, si riche en (jualificatifs injurieux
l'expression « fils de l'esclave » représentait une tles plus désajjréables
épithètes. Ce n'était pas une affaire de sentiment ni de philanthropie.
Mais par suite des conditions sociales de l'Arabie (_ï--->j-» crt^ signifiait
facilement « fils de la courtisane: t^f V J>Ji-?. i^' J-^ » (^). ♦ Epou-
ser une esclave, déclarera un dicton, c'était se rapprocher de l'a-
dultère !• {*). Dans l'horrible promiscuité de la vie nomade, où le
mot de chasteté n'a pas de valeur absolue, où l'honneur féminin passe
pour un monopole aristocratique (°), on se figure malaisément à
quels abîmes de dégradation devait parfois descendre la femme esclave,
propriété absolue et jouet d'un maître brutal ("^). Même sans aller si
(') Le poète est censé interpeller sa femme, l'éternelle <iJiU . Ses récriminations
servent de prétexte aux développements poétiques. Elle remplit la partie du chœur,
dans les tragédies antiques. Voir précédemment.
('-) Aboû Tammâm, Hamâsa, E. I, 148-49.
(3) Ag., IV, 45, 2; cf. 44-45; Naqà'id Garîr, 40 d. I.; 63 d. v. Cf. Mo'âwia.
300; Yaztd, 82, 83; Morassa' (.Seyboldti 51. 7, comp. l'introd. p. X\', et les pre-
scriptions du Qoran, prohibant de forcer les esclaves à la prostitution. ^Jitorn, syno-
nyme de ^_^JiS\ Naqà'id Garîr, 41.
(•*) Aboiî 'Obaid, Garib, (ms. Kupnilu) 354, *. ; un hadît inventé pour résister
à la mode croissante des unions ancillaires, du yf^ , comme on disait. On essaie de
la justifier par l'exemple des plus saints personnages de l'islam; 'Igd*, II, 243.
(^) Conception favorisée par l'islam ; « la femme esclave peut prier sans voilt', c'est
sa sotitiay; à rencontre de la femme libre; Mâlik, 3Iodaztrwana, 1, 94.
(•') Nous renvoyons à Ag., VIII, 182, 5 etc., où le calme du narrateur impres-
sionne péniblement. Sous l'islam, peu de maîtres obligent, comme Ibn 'Abbâs leurs
esclaves à se marier pour les préserver du désordre; I. S. Tabaq., V, 212, 11. Un
noble musulman assistant au mariage d'un de ses esclaves, les traite de chiens et de
prostitués; 'Iqd^, II, 203, 1 etc. Les recueils de nawâdir sont friands de cette litté-
rature épicée.
La condition de la mère 299
loin, on posait en principe que le descendant d'une mère, condamnée
aux plus vils travaux, devait conserver dans l'âme des sentiments (')
dignes d'une gardienne de chameaux. Mahomet aurait dit : « les der-
niers temps seront proches, quand on verra la servante enfanter son
maître » (').
< Le clan de ta mère est suspect ('), examine donc la valeur
de tes flèches > {*).
Une allusion analogue suffisait pour rabattre les plus hères
prétentions. Ce thème sert de trame à la légende de 'Antar, véri-
table roman à thèse, montrant un héros, condamné à lutter sa vie
entière contre ces préjugés (*). Chez les Arabes, ils expliquent l'in-
sistance à se proclamer s ji c>i\ , fils d'une mère libre ou encore ^\
jy^l .1 (^), un nom propre si répandu à l'époque impérialiste C), fils
(«) Mo/addalyyât, (Thorbecke), XXIV, 20 ; Goldziher, /!/. 5.. I, 121-22. « Ma mère
n'est pas une esclave »; So'ara, 637, 5.
(-) Moslim, .SaAS*', I, 27; Bohâri K.) SahUt, I, 21; 11,120. Qu'en pensaient les
'Abbasides, fils d'esclaves, à trois exceptions près? Ils se trouvaient certainement visés
dans ce hadït à tendance politique.
(3) Salîiii, voir la note suivante. Garîr a voulu choisir ce terme. Saiïtii ou So-
taim f Le sens demeurait défavorable, étant donnée l'obscurité des Banoû Sotaim ; comp.
Aa.yi p^ ; Zohair (Ahlw.), 76, 8.
(•*) Vers adressé par Garir à Farazdaq : f>j^ ^^ '^ I i»* > C^i • ''^" ''^" '^^
SalÎHi, Ibn Doraid, Istiqâq, 118-19 lit Sotaim et cite à ce propos les BanoQ Sotaim.
Le sens serait : « ta mère appartient au.\ B. Sotaim » ; pas nommés dans les Tabellen
de Wûstenfeld. D'après Xagâ'id, 188. 8-10, (cf. Ag., XIX, 2) la mère de Farazdaq
n'était pas de ce clan. Voir citations dans Hell, op. cit., 2-3. Sabyya parmi les aïeules
de Farazdaq; Nagâ'id Garîr, 764, 3. Sotaim était un clan dabbite, apparenté à celui
de sa mère, c'est le sens de l'insinuation de Garîr et dans ce cas il paraît préférable
de retenir la leçon Sotaim.
y") Cf. Qotaiba, Poesis, 130.
(«) Wright, Opuscula, 49, 6 d. I. ; Labîd, Divan, (Huber-Brockelmann) XXVII,
2. XXXIII, 3, 4; cf. Nôldeke, IfZKM. VI, 310; Ibn Doraid, Isiiqâq, 210; Tarafa
fAhUv.) 66; So'arâ', 914, 4; Gâhiz, Bayàn. II, 35, 14.
C) Voir les index d'Agâni et de Tabari, Annales. Cf. Nagâ'id Garîr, 535. On rencon-
300 Klle ne doit pas être esclave
de la mère des hommes libres, par opposition au nom réaliste de l'es-
clave, jJ ^ Vl . On se Hit encore eUio ^ol , fils d'vme blanche ('), les es-
claves étant ordinairement des négresses, à cette époque, en Arabie {^).
Les belles et grandes actions, on les considérait comme réservées
aux descendants de la femme libre ('). Les nomades se refusaient à
admettre qu'une esclave pût donner le jour à qui devait être son
maître, le fils suivant fatalement la condition de sa mère {*). De là
encore le sens, attaché à l'épithète de liorra, devenu s\non}'me de
grande dame (^).
< Notre race est pure, chantaient les poètes, ce privilège nous
le devons à nos aïeules et à nos ancêtres.
Nous ressemblons à l'eau du ciel (") : dans nos origines, tout est
tranché, net; jamais on ne comptera parmi nous un avare,
-, ' ' i ^ • ■> . . » -'
tre aussi À~jr.S ^i\ ; Vaciout, E. V, 235. TVI i^-o se trouve opposé à ^^'bijiJI ^-o -; tils
de mères différentes ; Ibn Mâgâ, Sonan, E. I, 82, 10. Dans une pièce en l'honneur de
Mos'ab ibn Zobair, Ibn Qais ar-Roqayyât. Divan, 181 d. v., appelle par mépris les Sy-
riens, partisans des Omayyades, 0^'-*J^ y^.
(1) Gâhiz, Mahàsin, 192, 7. I. S. Tabaq., I', 43, d. 1. Ag., XI, 154; XXI, 97;
Hâtim, Divan, LXVI, 3, Blancheur -^: noblesse ; Aboû Tainniâin, Hainâsa, 673, bas;
comp. mains i/awf Af .s = généreuses, non des mains d'esclaves; conij). Gâhiz, Haia-
wân, m, 29, 3. On se proclame \l vï>-^I C-"^' 5 "j^- ■ Hansâ", Divan, 34, 1. « Blancs de vi-
sage, blancs jusqu'à illuminer»; Nagâ'id Garïr, 287; 301, 4 v. ; Gâhiz, Haiawân, III,
28, bas. Il est question aussi de « mains vertes » := généreuses ; JVaçâ'id Garïr, 412, 14.
(-) La Copte Mariam de Mahomet aurait été à son époque la seule femme blan-
che en Arabie; 1. S. Tabac.. I', 86, 9. Deux aïeules négresses; Ibn Uoraid, l'stiqâq,
183, 3 d. 1. La mère est )f-^\ <*-ol ; Ag., XXI, 134, d. 1.
('') Aboû Tammâm, Hainasa, E. I, 25.
(^) Voir l'incident soulevé par le Bédouin Qattâl ; Ag., XX, 164, etc.; cf. Gold-
ziher, M. S., I, 122; Wellhausen, Ehe, 440; Ag., XX, 162, bas; 164 bas.
(5) Naqâ'id Garïr, 153, 1.
(^) Comp. Bohtori, Hainâsa, n. 1169 :
Q) Aboij Tammâm, Hainâsa, E. I, 59. Eau du ciel synonyme de pureté parce
que soustraite à la décomposition, provoquée par l'évaporation (Voir précédemment.)
Même sujet 301
Si à cet état de l'âme arabe, on ajoute l'exagération, l'ostentation,
propres à cette nation, on comprendra la portée de la prétention de ce
Bédouin : « entre moi et Adam (*), je ne connais d'autre esclave que
Agar. mère d'Ismaël > ("). Absurde ou non, la pratic|ue devait en
tenir compte. Assurément on se montrait fier de ses ascendants pa-
ternels :
« Nos pères sont des personnages, que des ancêtres de noble
extraction ont élevés au sommet de la gloire ».
Mais c'était pour ajouter incontinent après:
« Et quelle noblesse chez nos mères, vénérables matrones ; elles
ont hérité l'illustration d'une longue série d'aïeux I
Un cas douteux dans la descendance féminine suffisait pour
annuler les quartiers de noblesse paternelle. Citons l'exemple d'in-
signes sayvd, ne trouvant pas à se marier dans leur propre tribu (*).
Sous une forme piquante, une parole (') du spirituel 'Aqïl, frère de
'Ali, le gendre borné, >«as8 de Mahomet, résume toutes ces théories.
A la question, devenue banale chez les nomades (^): « quel est le
plus noble des hommes », c'est à dire des Arabes, 'Aqîl, donna cette
(') Dans la généalog^ie le Bédouin remonte droit à Adam; Ag., XI, 166, 10. Les
exemples ont été cités plus haut.
(-) .■\ttribuee également au fameux Haggâg; 'Iqd^, II, 54, 10 d. 1.; Gâhiz, Bayân,
I, 180. Les So'oûbyya insistent volontiers sur Agar ; ils font dire à Aboû Horaira :
tU— J' i^ tj-o b XZ^ ClUi; .Moslim, Sahîh', II, 308, 5; Naçâ'id Garir, 221, 6.
(3) I. S. Tabaq., VI, 119, 2, 3; Nagà'id Gartr, 806, 12. A partir de l'islam, les
poètes célèbrent leur mère plus rarement. Voir plus haut la remarque sur le person-
nage loquace de la iUiU. Sous les Oma>-yades, on retrouve encore le panégyrique de
la mère, .•\insi 'Aisa, mère du calife 'Abdalmalik, est célébrée comme une reine. Ibn
Qais ar-Roqayyât. Divan, 215-216; ajoutez p. 83, 14; 257; Ag.: XX, 159, 4.
1^) Il s'agit du fils du grand sayyd 'Oyaina ibn Hisn ; AboûTammâm, Hawâsa.
261, II.
(^) Elle peut avoir été trouvée après coup. Mais elle résume bien les anciennes
idées arabes. En insistant sur les répliques spirituelles de 'Aqïl, la Tradition veut in-
sinuer que les descendants d'Aboû "Tâlib n'étaient pas dépourvus d'intelligence.
(«) Comp. : ,j^y 3-=*' vi>-lil : 'IqdK IV, 274, 11.
302 Knfaiit trouvé
réponse: « moi d'abord, puis le fils de ma mère » ('). Pour en saisir
la portée, y découvrir plus qu'une prétentieuse tautologie, il faut sup-
poser la polygamie, réunissant dans la promiscuité du harem des
femmes de condition différente. En véritable Arabe, 'Aqil commen-
çait par se décerner le premier rang dans la grandesse du désert.
En biaisant sur ce point, il n'eût pas été de son pa3s. Ensuite sous
forme de concession, il admettait la possibilité d'approcher de sa no-
blesse, à condition de descendre de la mênii- mère (').
Si la (]ualification de fils de t esc lave ne constituait pas ime re-
commandation (^), on comprendra à quel point on redoutait celle
û'enfaiU trouvé^ < laqït » (''). C'était l'effondrement de tous les rêves
généalogiques, caressés par les Arabes:
< Le palmier ne pousse que dans son terroir et le salant (^) dé-
sertique ne saurait produire le bois des lances,
(*) ILlJl lllil cZ-^, M , ^.^ d^^ ^ nTi^ jJ:CjI culo. M >
* *
Dans les guerres entre tribus, on n'enlevait pas seulement des
troupeaux, on razziait également les femmes. Les tribus chrétiennes
(') Ibn Hagar, Isâba, II, 195, L'.
(2) On relève l'opposition, comme finesse et intelligence, entre 'Alî et 'Aqîl quoique
fils de la même mère; Gahiz, Bayân, II, 37; Ailleurs on leur assigne des mères diffé-
rentes. Le mot de 'Aqîl suppose le dernier cas.
(3) Arta'a ibn Zofar, fils d'une sabyya, est pourtant qualifié de i_À>_w ^>.^'
-jL«Jc ^lk« ; voir sa notice, Ag., XI, 139-46. Le Taqafite Gailân conseille à ses fils
de n'épouser que de nobles Bédouines: Ag., Xll, 47-48. Sur ces sortes de conseils,
comp. le chap. 74 de Bohtorî, Hamàsa, n. 636-42.
(*) Aboû Tammâm, Hamàsa, E. I, 5 d. v. Le nom de Laqït, fréquent dans l'ono-
mastique; Ibn Doraid, lUiqâq, 104, 144, 293; Balâdorî, ^o/o«A, 76; Qotaiba, Poesis,
97, 428; Gahiz, Avares, 200; index d'Agdni, et de Tab. Annales. 'Omar affranchit
un enfant trouvé V^»-< et transfère son u'i/â' à qui l'a ramassé; I. S. Tabah., V, 45, 6.
L'ancêtre de 'Oyaina ibn Hisn, appelé ilwJJl ^^l ; Xaqaid Gartr, 101,17; autre Laqït,
ihid., 227, 9 ; ,ik^l y^ ; Qotaiba, 'Oyoûn, 228, 9. Hassan ibn Tâbit, Divan, CXXXVII,
1; Ag., XVIII, 121, y>y^ S^i ^iJ
(^) Voir plus haut p. 64-65.
(6) Bohtorî, Hamàsa, n. 1162.
Les prisonnières 303
ne se conduisaient pas différemment. Le poète chrétien Ahtal décrit
« les prisonnières de tout âge, butin de guerre, entraînées comme
des chameaux conduits au marché, et conquises à la pointe des lances
de sa tribu > ('). Ces prisonnières s'appelaient ahida ou sabyya (*).
Etant donné le réalisme des mœurs bédouines, on peut se figurer les
outrages, subis par ces malheureuses; on se vantait de les mal-
traiter (').
Plus tard entre les prisonnières et leurs maîtres s'établissait fré-
quemment le lien d'un mariage régulier (■*). Mais cette forme d'u-
nion, sans xoali ni malu\ sans l'assistance d'un parent ni l'interven-
tion d'une dot, passait, on le comprendra, pour une des moins dis-
(•) Ahtal, Divan, 227, 228; Commentaire de Barth sur Qotamî, Divan, p. 10,
V. 4. Comp. « nous épousons à la pointe des lances » ; Nagà'id Gailr, 605, 3 v. sqq.
652, 10. Vers de 'Orwa ibn al-VVard : « nous entraînons les jeunes mères et les femmes
enceintes»; So'arâ', 911, 2.
(*) Rarement nazt'a; Ahtal, Divan, 317, 6; cf. scoliaste. Proprement le ç?.^,
celui dont la mère est d'une autre tribu ; NaqSid GarJr, 303, 7.
(3) Ag.. X, 32, 9; XI, 139, 7; 140, 1 ; 146, 7; 172, 6 d. 1. ; XII, 172, 17; So'arâ\
Ihl. NazF désigne également l'Arabe exclus de sa tribu. .Mahomet e.xplique tb'laJl
par JiUiJl ^ #ljjl ; Hanbal, Mos7tad, I, 398, 17. II s'agit des j^.yb.L^l viUlU-o ;
Aboû 'Obaid, Garlb, ms. sup. cit., 52, b. ; cf. Ziâd ibn Abthi, p. 3, n. 3; Ibn Mâgâ,
Sonan, E. II, 248-49.
(*) Ag., XIX, 158. Le frère de la poétesse Hans5' épouse une prisonnière ; Ag.,
XIII, 136, 137. Sabyya parmi les aïeules de Farazdaq ; Nagà'id Garîr, 764, 3. Le neveu de
Hansâ', le poète Hofaf ibn Nabda, était fils d'une négresse et, à cause de son teint,
énumérè parmi les « corbeau.x des Arabes, (_;CaJl isjil»; Qotaiba, Poesis, 196. Qua-
lifié de j»^Lj J ^-jM ^}^- ^^o\t sa notice, Ag., XV'I, 139-45. Solaik ibn as-Salaka, au-
tre «corbeau des Arabes », fils de négresse ^_jÔI«JI i j-aJI tiLJLst^s. ^x^.! , coureur
incomparable, grand brigand, admiré des Bédouins. Qotaiba, Poesis, 214; ^f-., XVIII,
133 sqq. Généralement ces sa'loûk sont coureurs et poètes. Hâgiz ibn 'Auf, cité pré-
cédemment, reconnaît devoir son salut moins à son courage qu'à son agilité. Avec
quelle comique effusion il bénit ses pieds (Bohtori, Hamàsa, n. 223) :
Variante de ce vers, attribué à un autre poète ; Ag., XIX, 140, d. 1. où lire 1^_^^^ , au
lieu de J.^,. Voir tout le chap. 25 de Bohtori, Hamàsa, célébrant « la fuite à pied »,
les coureurs merveilleux, dépassant les chevaux; comp. Qotaiba, 'Oyoûn, 213, 2.
30't Leur condition pénible
tinguées ('), par suite de l'absence d'indépendance chez la conjointe.
Sans prétendre disposer seule de sa main, la libre Bédouine entend
uniquement céder de son droit, sur ce point, en faveur de ses pa-
rents ou de ses répondants naturels : ils sont ses wali ou procureurs.
€ Vos veuves sont épousées sans hotba », c'est à dire de force, crie
à ses adversaires le terrible satiri(]ue Farazdaq (^). Le trait attaquait
à la fois et leur sentiment d'honneur et leur réputation de bra-
voure. Sur l'esclave, souvent d'origine étrangère, la captive possédait
le bénéfice de la nationalité arabe et la pratique devait en tenir
compte (^).
Mais l'indigénat constituait en somme le principal avantage, qui
difterentiât sa situation; il n'effaçait qu'imparfaitement la tache ré-
sultant de la servitude {*). Au sein de la tribu les femmes s'ingé-
niaient pour lui rendre la vie dure ; elle était publiquement traitée
d'esclave. Ce fut le cas de l'épouse d"Or\va ibn al-Ward, le cheva-
leresque et s\mpathique sa'lofik, brigand ('). Aussi les fils de la pri-
sonnière se vo3'aient-ils à peine plus estimés que ceu.x de l'esclave.
Ils adoptaient généralement le nom de leur mère C^). Or à cette épo-
(') Lorsque la condition de la mère est douteuse, la généalogie s'efforce de la
transformer en sabyya, pour écarter l'hypothèse odieuse de l'esclavage. Ainsi aurait
fait 'Amrou ibn al-'Àsi pour sa mère, Osd, IV, 116, haut; Ag., VIII, 159. Cette as-
sertion trahit les rancunes de la tradition 'abbâside contre ce lieutenant de Mo'âwia,
non moins acharnée que contre la mère de Ziâd ibn Abïhi.
(2) Farazdaq, Divan (Boucher) 86, 6. Liberté des jeunes fiancées chez les anciens
Arabes ; Ag., III, 4, bas. Comment la jeune Hansâ' repousse la main de Doraid ibn
as-Simma; So'arà', 766-67. Jeune fille ou mariée, la Bédouine est souvent i\y>, c. a.
d. elle parait en public et converse avec les hommes; voir p. ex. Ag., XIX, 161:
■^ « ..
^.jji'j^a J'^r" ,y^ ^^ LjJjb'^ ^j-^^ s >r? C^lf . Voir les références dans le Glos-
saire de Tabarî, Annales, CXXXI, s. v. ;_>
O Ag., IX, 150.
(■*) Quand la mère est sabyya, l'adversaire aflfecte l'emploi du patronymique fénii-
..9 .
nin, peu honorable; Nnqâ'id Gartr, 40, 6; il lui crie < ta mère est j^-o-j » une grosse
injure ! i6id., 40, d. v. A 'Orwa ibn al-VVard on reproche que sa mère est une étran-
gère ; So'arà' 909, 1; 914, 3 v.
(^) Voir son Divan (éd. Nôldeke; p. 17; So'arà' an-Nasrànyya, 889, sqq. Les
califes omayyades auraient voulu le compter parmi leurs ancêtres; ibid., 887, 3 v.
.«) Ibn Doraid, Istiqàq, 156; Ag., XIII, 140, 142. Voir plus haut p. 125.
Même sujet 305
que un patron) mie lUc féminin était mal porté. Pour enlever la tare
s'attachant à cette descendance, il fallut, dans certains cas, rompre le
mariage primitif et contracter une nouvelle union, conforme au cérémo-
nial de l'ancien code bédouin ('). Ce progrès (^) dans la procédure ma-
trimoniale atteste de nouveau le changement réalisé dans les idées.
\"oilà pourquoi dans la fameuse viofàhara ("') entre 'Alqama ibn
'Olâta et 'Amir ibn at-Tofail, le premier, fils d'une captive arabe (*)
se contenta de célébrer ses oncles paternels. La mention des ahwàl C^),
ou oncles maternels, était de nature à réveiller des souvenirs désa-
gréables pour son amour-propre {^). 'Amir pouvait nommer une suite
de (juatre aïeules maternelles connues (^). Privilège incomparable,
^»j Ag., II, 175, 191, 192; cf. Wellhausen, Ehe. 435-36.
(*) Ici encore il faudrait citer d'assez nombreuses exceptions. Des poètes très con-
sidérés portent des patronymiques féminins. Fils d'une sabyya, le neveu de 'Abbâs
ibn Mirdâs réussit à tenir son oncle en écliec. Même remarque pour Doraid ibn as-
Simma; mais sa mère était Raihâna, sœur du fameux 'Amrou ibn Ma'dikarib, (Qotaiba,
Poesis, 219). On ne voit pas qu'il ait souffert de cette situation. 'Omair ibn al-Hobâb
et Gahhâf, héros de la lutte Qais-Taglib sont de sang nègre ; Gâhîz, Opuscula, 65-66;
voir autres exceptions dans le second opuscule ou j^Ub-^Jl ^ ^ y^^X ys^ v.jl.XS' de
Gâhiz, op. cit., p. 57 sqq.
(3) Cf. Huber-Brockelmann, Zaiîi/, II, inlrod., p. 4. Mofâhara sous les Marwânides;
Qotaiba, Poesis, 261; Ag., XIX, 112. Les Juifs de Taimâ' choisis comme arbitres par
des poètes de la valeur de Gamïl et de Gawvvâs. Cette distinction, l'indépendance de
langage chez ces arbitres cadrent mal avec la situation humiliée que leur prête la
Tradition. Plus on examine de près et plus on sent l'obligation de réformer ses
verdicts. Partout on rencontre les Juifs, Aa^ considérés des tribus arabes ; So'arà'. 734.
(<) Osd. IV, 13.
"') Comp. les vers de 'Onva ibn al-Ward {So'arâ', 906) sur ses ahwâl :
(■*) Ag., XV, 53. Rapprochez le cas de Qais ibn Doraih ; Ag., V'III, 113. Les
futurs sont ko/ou'; mais au lieu de céder à l'intercession très considérée d'un 'Alide,
on préfère voir le père de Qais procéder aux démarches officielles auprès des parents,
pour écarter d'avance toute comparaison possible avec la situation d'une ahïda.
(") Ag., XV, 53, 1-4. 'Àmir a pourtant le dessous dans une mofâhara avec V'a-
zîd ibn 'Abdalmadân de Nagrân; Ag., XVIII, 160; Cf. Yazïd, 343.
Lammens — Berceau ao
306 Lutte entre les idées nouvelles et anciennes
antérieurement à la louche activité des nassàba, généalogistes pos-
térieurs! (')
Sans se donner beaucoup de peine, on trouvera des vers, comme
ceux attribués à Hâtim, où ce généreux paladin prête aux fils des
captives toutes les vertus, prisées par les nomades (■). Ces élucubra-
tions poétiques permettent de saisir sur le vif la lutte entre les mœurs
anciennes et celles tendant à s'imposer à la nouvelle génération. El-
les prouvent à leur façon l'importance attachée désormais par les
Bédouins à la noblesse maternelle. Progrès incontestable! Il intro-
duisait au sein de la famille un élément notable de dignité et de
stabilité. En exaltant la situation de Tépouse libre, il restreignit les
déplorables effets de Tesclavagisme. L'invasion des mœurs islami-
ques (^) viendra compromettre tous ces résultats!
(') Cf. Mo'âwia, 300, 354-56. Quand on l'ajoute à celle des wioAa</rfi/, l'esprit de-
meure confondu devant l'énorme somme d'ingéniosité, dépensée à cette époque.
(2) 'IqdK m, 293, bas; Hâtim, Divan, LXVI. Doraid ibn as-Simma et ses frè-
res, véritables paladins, étaient fils d'une sabyya; cf. So'arâ', 752 sqq.
(3) En mettant au même niveau d'abord le mariage avec les affranchies, enfin
avec les esclaves. La Tradition a choisi Hosain fils de 'Alî pour prendre la défense
de cette situation; cf. Mo'âivia, 375.
XI
Le chef doit posséder la maturité de l'âge
Indispensable, cette illustration généalogique ne conférait pas le
droit à l'exercice de l'autorité chez les Arabes. Si antérieurement à
l'hégire, le terme sayyd était devenu le titre habituel pour le chef de
la tribu, de bonne heure on s'habitua à y joindre les qualificatifs de
saih (*) ou de kablr^ tous les deux désignant la pleine maturité de
l'âge (»).
Comme tous les peuples primitifs, les Bédouins accordaient avant
tout leur estime à la force physique. Ils se montraient fiers de pos-
séder un chef assez haut de taille « pour que sa 'imàma, turban, pût
servir de drapeau >, de point de ralliement pendant le combat :
(') Aboû Tammâni, Hamâsa, E. II, 6, 3 v. ; Ibn Doraid, Isliqâg, 76, 9; autres
références, données plus haut; cf. Mawaffaqyyât, dans ZDMG, LIV, 426, 6; ^^U ïtw
ïjii, Naqà'id Gartr, 746, 1 : L*cCj*jj ïL^-ioiJI sxio ; Balâdorî, Fotoûh, 359, 8. «srJ ïxi
LfcijJlw» ;Kindî, Governors of Egypt (Ouest), 45.
(^) UoX^^ v./^.!* r^' "^" Hisam, Sïra, 33, 3 ; »fiiyyS^ f^'^ f^ ; ^S-- XIX,
141,3 d. I.; Dînawarî, Ahbàr Tiwâl, 309, 21; Jl^^ yy^\ Hanbal, Mosnad, III, 461,
\: Lf^ iJI^^Ij ^->^i-J5 kJ""^!^ T^ • ^^^'1''^' (Kr.), 58. Au titre de àJi ■...■.>.,t ^^ ^lk<
il faut joindre celui de ^^ ^ i ; Nagâ'id Gartr, 608, 14. Hosain ibn Homâm \> ^
l»Aw)il,^ |,*ailsj *.(jT, ; So'arâ', 733, 8; l'addition de >>il,, explorateur, est rare.
(3) Aboû Tammâm, Hamâsa, I, 144; et scolion ibid.\ 'imâma rouge, indice des
sayj'd; Ibn Doraid, /i/iV"?» 156, 2 ; d'où J^^k^ ^ sayyd; Hassan ibn Tâbit, Divan, X,
33 ; coiffure des sayyd ; Qotaiba, 'Oyoû/i, 273, 5 ; J^jl^c J.h"> ; Ag., XX, 129, 13 ; Qotâmî,
Divan, IX, 9. Enlever la 'itnâtna équivalait à proclamer la déchéance; cf. Yazïd, 220-21.
308 Rôle important de l'intelligence
L'image fait rêver au panaclie blanc d'Henri IV^ toujours au
chemin de l'honneur. Mais ils estimaient également, on l'a vu, le dé-
veloppement des facultés intellectuelles. Quelle misère, si on pouvait
dire à leur sayyd:
« O clan de Sofiân, votre cas m'embarrasse; vos hommes d'âge
possèdent des cervelles de moineaux,
« Pour juger de l'importance de l'esprit d'une tribu, il suffisait
d'étudier le sayyd,
Ils ne tenaient pas à s'embarrasser d'un sa\\d à l'esprit super-
ficiel comme celui des jeunes filles, ^^y^' »Ua.tf ('). Leur chef se trou-
vait incessamment exposé à défendre sa tribu contre une aggression
étrangère (*), appelé à gouverner principalement par la persuasion
et par le prestige personnel, à diriger les délibérations du corps des
anciens, Aiv-iU,!, à conduire les négociations diplomatiques. Les Arabes
pensèrent uniquement pouvoir rencontrer ce rare ensemble de qua-
lités dans un homme d'âge mur, sans toucher toutefois à la limite,
voisine de la décrépitude (^). L'expérience leur avait appris la néces-
sité de cette restriction. Au contact de la vie mouvementée du désert
les forces s'usaient rapidement C^). Nous le constatons dans les an-
(') So'arà', 761 ; il devait être v_^>a •»,)! pî^ . avoir la colère intelligente, sensée ;
toujours maître de lui-même ; ibid.. 766, 2 v.
{') Bohtori, Hatnûsa, n. 1111.
P) Ag., XI, 145; cf. So'ara, 733, 8; cervelles d'oiseaux. yS, >Uî^1 (ailleurs
^Uae fUa-l), Hassan ibn Tâbit, Divan. LXV, 2 v.
(*) Dans les fréquents fo Jia , cri pour avertir de l'attaque des troupeaux par les
maraudeurs, les li? jU, il devait repousser les assaillants, au besoin servir de râ'id :
voir précédemment.
Q') Tab., yhina/es, III, 2523, 8; comp. Bohtori, Hamâsa, chap. 121 ; Aa. <_.«.«->Ù.ll
j^^-ia. (_jU-iiJl ^ ; ibid. n. 1045, 1 v. ; n. 1047, 1 v., 1048. Ainsi 'Otba ibn Rabfa, malgré
son âge peu avancé, est appelé L^..^ >Uail^ Ui>>JLuj ^yi-?.y> t5•^^' Wâqidî (Kr.) 59, 3.
("j Comp. Hansâ" citée dans Qotaiba, 'Oyoûn, 231, 13-15.
La sénilité chez les sajyd 309
nales préislamites : les sayyd les plus actifs, les plus intelligents, les
hakam les plus considérés se voyaient guêtés par la sénilité, par le
gâtisme ('). bien longtemps avant d'avoir atteint 400, 700 ans, comme
le voudrait la fantastique littérature des Centenaires, Moammaroûn (').
Malgré son faible penchant à la sensibilité ('), le nomade savait
pourtant apprécier « l'honneur des* cheveux blancs, couronnant de
leur éclat une tête vénérable.
J\^\ >b ^ ^ ^^
U IM
« La vieillesse — il en convenait — c'était la maturité de l'es-
prit, et la jeunesse, la folie : trop souvent le jeune homme devenait
le jouet de la passion » (^). Mais ces considérations philosophiques
consolaient médiocrement cet homme d'action, quand vieillard il jet-
tait un regard sur son passé. Ohl les mélancoliques réflexions que
ce retour lui arrache I (^) Ne pouvoir plus se lever désormais, qu'en
s'arcboutant sur les mains, qu'appuyé sur un bâton I C)
(') Cf. Ibn Doraid, ntigâg. 113, 164, 5; 172; 198; Ag., IX, 14, 151; So'arâ\
629, 768, 771 ; Sigistâni, Mo'ammaroûn, 25, 29, 30, 37, 70, 4, 20. Qotaiba, Poesis, 173,
13; 250; Ag.,X.\l\\\, 158; XXI, 98, 204. Ibn Doraid, op. cit.. 14: o>-4' J-^ ^-.XsJI
(»* >*t (_5 J.-J3 ^ ^ \yJ^ y )jj«JI i--~~oj . Remède contre la rage; Ziâd ibn Abîlii le
fait afficher à la mosquée ; Gâhiz, Haiawân, II, 5 ; Qotaiba, Poesis, 219, 2-8.
I-) Cf. Sigistâni, Mo'ammaroûn, 25, 29, passhn. Le célèbre Hàrita ibn Abi Sinân,
tombé en enfance et disparu delà circulation; Gâhiz, Haiawân, III, 153, bas. On cite
de ses vers vraisemblablement apocrj'phes ; Yâqoût, E. V, 238.
P) Comp. Goldziher, Sigistâni, Mo' ammaroûn , Introduc. LI etc.
(■•) Bohtori, Hatnâsa, n. 1039; Goldziher, op. cit., XLVI-XLVII.
(5) Bohtori, Hainâsa, n. 1045, 1 v. ; comp. le chap. 121 : ,_-^.;^ll ^j^ ^j J^ '^i
C) Bohtori, Hamdsa, chap. 122 ; comp. Doraid ibn as-Simma dans So'arâ', 781.
Beaucoup d'autres poètes, atteints par la sénilité; Ag-., XIX, 160; Qotaiba, Poesis, 250.
(■) Bohtori, Hatnâsa, n. 1050; Ag., XVIII, 158.
310 Préférence accordée à la maturité
« Les vicissitudes du temps m'ont terrassé à l'improviste. Com-
ment me défendre? Je me sens attaqué sans pouvoir riposter I
(') sj^'r^ cr^i Lj-jr?- c^ Jk^ ^J» ' "^ ^^^-^^ o:? y^' ^if S^) "
Le vieux chef rampe par terre; ses yeux voient triple (*). Dans
cette posture humiliante, il pense aux chevauchées, aux prouesses
d'antan (') :
« Me voici, impuissant à porter les armes, incapable de réduire
un chameau rétif.
Je redoute le loup rencontré dans la solitude: je redoute les
vents et la pluie » (*).
Réflexion non moins douloureuse; le brillant orateur d'autrefois
n'est plus écouté ; il n'intervient plus au inaglis de la tribu :
< Mes propres fils décident sans me consulter; même en assis-
tant à leurs délibérations, je ressemble à un absent! » (^)
Mélancoliquement le chef délaissé tire la conclusion :
« Or donc, quand surviendra l'hiver, réchauffez-moi : l'hiver, c'est
l'arrêt de mort du vieillard,
Pour toutes ces raisons, les Arabes accordèrent leurs préférences
à la maturité. En ce sens ils se déclarèrent partisans décidés du sé-
(') Bohtorî, Hamasâ, n. 1050.
(2) Bohtori, Hamâsa, n. 1063, 1064, 1065 ; Goldziher, op. cil.. L, LI. Comme
Doraid ibn as-Simma, on l'attache au même anneau que la jument ; So'arâ', 768.
(^) Comp. Ag., IX, 14 ; Goldziher, op. cit., XLIX. Vieillards abandonnés; Sigis-
tânî, 61, 83, avec les notes de Goldziher sur le n. LXXXII.
(■*) Bohtorî, Hamâsa. n. 1052 ; Sigistânï, Mo'amniaroUn, 25 ; Ag., XXI, 98.
(^) So'arâ', 768. A la ligne 9 au lieu de dJ^\ lire ici, ser\'ante, esclave; Bohtorî,
Hatnâsa, n. 1063 ; comp. n. 1051 ; Goldziher, op. cit., LI etc. Vieillards maltraités par
leurs enfants ; Gâhiz, Bayâîi, I, 127.
(^) Bohtori, Hamâsa, n. 1053, v. 4 ; le vers est attribué à Hotai'a, Divan, VIII,
46, au lieu de Rabï' ibn ad-Dabo'. Il est poignant l'abandon de Doraid ibn as-Simma,
si longtemps le bouclier de sa tribu ; So'arâ', 768. Les vers, qu'on lui attribue alors
euvent être d'une médiocre authenticité ; mais ils dépeignent une situation réelle et
ne sont pas à l'honneur de la mentalité bédouine. Même remarque pour Ag., XVIII,
158, bas. Couvrir les vieu.x parents, marque de piété filiale; Ag., XVIII, 158, 1.
La formule du séniorat 311
niorat ('). Le sayyd pouvait être chauve, mais non pas imberbe (').
Oais ibn Sa'd était le dâhia ('), c'est à dire le grand homme, le po-
liticiue. le diplomate des Ansârs: un clan, médiocrement pourvai de
spécialistes en ce genre. Malheureusement, à l'inverse du bouc de
Lafontaine, il possédait plus d'esprit que de poils au menton. Ses
concitoyens s'en montraient désolés. < Nous sacrifierions, disaient-ils,
nos fortunes afin de procurer ime barbe à Ibn Sa'd » (^). Pour expri-
mer le principe du séniorat, les Arabes avaient inventé une formule :
kàbir 'an kàbir ou kàbir had kàbir (^), dahié en aîné, ou Yamé après
faîne. Elle remontait probablement à une antiquité assez reculée,
s'il est permis d'en juger par la forme et la signification archaïques
de ce participe (*). Quoiqu'il en soit, elle attestait l'importance, atta-
chée par les Arabes, à la question d'âge pour l'exercice du pouvoir.
Une des plus parfaites incarnations des cjualités et des défauts
de sa race, rhomme proclamé par Mahomet « ^yi Jjtl a.--^ , le sa}'\'d
(') Cf. Yaztd, 88-91. On fait prédire par Mahomet « la perte de sa nation ^
ùo J> -_«»Uj-w<*J^Jo ou ,_j^. jS 1^ sLfj-A: <*4^ I slyo I ; Hanbal, Mosnad, II, 288,
299, 334, bas. Evidemment les Omayyades sont visés ! Voir Yazîd, loc. cit. pour l'allusion.
(') Qotaiba, 'Oyoûn, 270. Importance de la barbe chez les Bédouins modernes ;
i,JLk AX~i. ^ il a bon cœur ; ^^^ ^ U = vaurien ; Doughtj-, Travels, I, 268, 585;
Jaussen. Moab, 95. Doughty, II, 38 cite un 'aqîd, chef militaire, imberbe. L'anticalife
Ibn Zobair était également ^^*JJal c-à-d. A^jj.^ jcio \l ^jJl ; cf. ^--^a^aJI CJ^y^
(ms. B. Kh.). I, 91; j_^ jCLo est indifférent, mais >J>\ = jeune, ou c'est une flatte-
rie; Hansa', Divan, 15; 16, 2.
/*) Cf. Mo'âwia, index, s. v. dâhia et Qais ibn Sa'd.
{*) Osd, IV, 215, 216.
(^) Aboû Tammâm, Haviàsa, 743, d. v. ; Ibn Doraid, Istiqâq, 87, 12; Ibn Hisâm,
Sîra. 75, 78, 115; Azraqî ,\VOst.) 65, 3; 'Iqd^, II, 45; I. S. Tabaq., VI, 119, 3; cf.
Mo'âwia, 7; Yazîd, 88; on dit encore ,^\ yS\\ Bakri, Mo'gam, 359, 2; Hassan ibn
T'Ah\\, Divan, CXXII, 5; Ag., XIX, 130, 2 : ^If ^^^t ^li" lliJi >l*- Il s'agit
d'un sayyd de Tamîm ; Ma'add est pour l'emphase.
(■') Comp. : jka.U, f^\y -ilï (=1 ^.J-^ï-«) ; • ■ • (3 < '-^ C^\ ; etc. ; Abou 'Obaid,
Garîb (ms. cité), 159 a; "l^.. Annales, II, 340, d. 1. Qastallâni, Ir'sàd as-sàri, III, 51
traduit <?l, par ^.^ ^^
312 'Abbas, choisi pour la guerre
des nomades » ('), Oais ibn 'Asim disait à ses fils, réunis autour de
son lit de mort : « Quand j'aurai cessé de vivre, placez à votre tête
des hommes âgés, de préférence à des adolescents, si vous ne voulez
devenir la risée des Arabes » (^). Cette recommandation résume la
coutume, fidèlement observée dans toute la Péninsule. Elle rend
suspecte l'anecdote, inventée plus tard pour glorifier lancétre des
califes de Bagdad, 'Abbâs, l'âpre usurier de la Mecque, le prisonnier
de Mahomet à la bataille de Badr. A tout prix on voulut découvrir
des antécédents plus honorables que son attitude douteuse vis à-vis
de l'islam, antérieurement à la reddition, fath, de la Mecque. Aux
prérogatives antéislamiques des Oma\vades ('), les 'Abbâsides tenaient
à opposer la prérogative de leur aïeul C).
A l'occasion d'une guerre, les Ooraisites avant chargé le sort
de désigner le commandant de l'expédition, la flèche de 'Abbâs l'em-
porta ; et ses compatriotes s'empressèrent de l'acclamer, en dépit de
son jeune âge (^). Les influents Mahzoûmites (") ont revendiqué le
même privilège pour le jeune Abou Gahl, l'ennemi de Mahomet (^).
Les choses ont dû se dérouler différemment (*), du moins dans le
cas de 'Abbâs. En fait de qualités militaires, ce banquier retors pa-
raît avoir surtout possédé une voix de Stentor. Exceptionnellement
(M Ibn Hagar, Isâba, E. III, 252-54.
(2) 'Iqd^, I, 220, bas. ; Ag., XII, 154, 4 ; Gâhiz, Bayân, I, 179, bas.
P) La Tradition présente au contraire la giâda-riâsa, le commandement militaire,
comme le privilège exclusif des Omayyades ; Azraqî, (Wûst.) 71. On l'a déduite du
fait que Aboû Sofiân commande généralement les expéditions contre Médine et Ma-
homet.
(■■) Voir dans Fatima, 23, 24, leurs efforts pour montrer les 'Alides, comme ayan
vécu dans leur dépendance et bénéficié de la situation exceptionnelle, occupée par
'Abbâs. On voit comment la politique servit à combler les lacunes de la Sîra.
(^)ilçd^, II, 45-46 ; comp. G. Jacob, Seduinetilebeti, 224.
(") Autres exemples à la Mecque ; République marchande, 10. Sur l'influence
des Mahzoûmites avant l'islam, voir I. Doraid, Isliqâg, 94.
C) Qotaiba, 'Oyoûn, 276. Chaque famille cherchait à se découvrir des illustrations.
Aboû Gahl avait un frère imbécile, ^j^.f (^"«"«•C ,^ ; Qotaiba, op. ai., 340 d. 1.
{*) Sa>'yd jeunes ; Qotaiba, 'Oyoûn, 275-76.
Répugnances contre les jeunes chefs 313
il en fit l'épreuve à la bataille de Honain. Généralement il l'utilisait
à des fins plus pacifiques, pour communiquer avec ses nombreux es-
claves, établis sur ses domaines de Médine. Elle aurait possédé, as-
sure-t-on, une portée de huit milles (').
On voudra bien aussi se rappeler les protestations, soulevées
par la décision du Prophète, lorsqu'il confia le commandement d'une
expédition au fils de son favori Zaid, un adolescent de 20 ans (^).
Plusieurs musulmans et non des moins qualifiés — nous avons nom-
mé ailleurs AboO Ayyoûb (^) — refi.isèrent de se ranger sous ses
ordres, malgré les objurgations de Mahomet mourant. Les plus in-
fluents califes omay\-ades se verront forcés de compter avec cette
tradition arabe, un des plus puissants obstacles à l'établissement d'une
autorité stable {*). En cette matière il faut se défier des exagérations
habituelles aux poètes.
Chez les âmes bien nées
La valeur n'attend pas le nombre des années.
Les rimeurs arabes s'en doutèrent, bien avant Corneille. Pourquoi
se seraient-ils interdit d'exploiter ce thème, fécond en développe-
ments élogieux. Ils en profitèrent pour hausser le prix de leurs pa-
négvriques. De là quand on dépouille leurs divans, le nombre pro-
digieux d'Arabes, « rois, savyd depuis le berceau, pour le moins à
partir de l'enfance, l>^l^ "^i '^iisJ , bien avant l'apparition du pre-
mier duvet de l'adolescence » (^). De là les qualificatifs de .>!-> ^_^ C'),
de >^l J-1-.0 ('). Ces enthousiastes à froid citent des sayyd de dix ans.
(') Cf. Qotaiba, 'Oycmn, 225, 226.
{-) Hamïs, II, 154; Nawawî, Tahdtb, 147. 'Omar faisait partie de l'expédition;
ibid.. 149, 2.
P) Mo'àwia, 445-46.
(<) Cf. Yazid, 89-90.
(^) Ag., IV, 50, 17 ; XIII, 160, 13.
(*) ^j^ peut signifier un adolescent et un homme fait.
P) Ag.. XIII, 140, 16-17; XIV, 158, 9; ci. Jour. Asiat., 1907, 423; Hansâ', citée
plus haut; Hotai'a, Divan, \'I, 12; IX, 14.
314 Les chefs imberbes
de 15 ans, de 25 ans (*), sans [larler de la foule des chefs imberbes (*),
c'est à dire, n'ayant pas atteint la ([uinzaine, époque, où le Bédouin
devait déjà avoir fondé une famille. Ces exagérations faisaient partie
du répertoire parnassien; elles ne trompaient personne et n'exercè-
rent aucune influence sur le sentiment conservateur des Arabes.
« Quand parmi nous un sa^'j'd vient à mourir, nous gardons en
réserve un jeune sayyd (pour lui succéder)
Ce vers ne contredit en aucune façon les données précédentes.
C'est une nouvelle bravade dans le plus pur goût bédouin. A cer-
taines tribus, on reprochait d'être trop pauvres pour se pa3'er le luxe
d'un sa3yd (''). Le poète prétend insister sur la puissance, sur la ri-
chesse des siens. La mort d'un chef ne les prend jamais au dépourvu,
ils en ont des réserves; il en font un véritable élevage. Car c'est bien
là le sens du terme l-^J^l, comme l'explique le scoliaste de la Ha-
mâsa. Le réalisme de l'image rappelle les jeunes poulains bondissant
au milieu des himà^ et le vocable ^^XJ- a été ajouté à dessein pour
renforcer la comparaison.
(1) Ag., IX, 11 ; XV, 15, 3 d. ; Hirniq, Divan (éd. Cheikho) p. 4 ; comp. : Cj^
CoNU CLiS; Ag., XI, 141, 11 ; Hotai'a, Divan, VI, 12; IX, 14. .NUJU A.<UjJI , Labîd.
Divan, (éd. Huber) XVIII, 4. A la bataille de Honain, le chef des Hawâzin aurait
compté seulement 30 ans; I. S. Tabaq.. H', 108, 7; Ibn Rosteh, Geogr., 228; 20-22.
(-) > _<1 fait allusion à la jeunesse, non à l'absence de barbe. N'oir précédem-
ment p. 31 1.
(3) Hamâsa (E. I, 53, 1) d'Abou Tammâm.
(*) Comp. le vers attribué au Juif Rabi' ibn Abi'l Hoiiaiq, (Bohtorï, Haviasa,
n. 1158):
XII
Exclusion de l'hérédité et de l'idée dynastique.
Le droit de primogéniture
Etant donnés les penchants libertaires de la race, l'hérédité du
pouvoir, l'idée dynastique devaient compter parmi les concepts les
plus antipathiques à l'esprit arabe ('). Chez nombre de peuples, le
principe électif a prévalu. On le trouve à la base des institutions
républicaines. Mais dans leur aversion pour la transmission du pouvoir,
au sein d'une même famHle ('), l'instinct égalitaire des Arabes n'a
pas obéi aux considérations inspiratrices des législations démocrati-
ques, pendant l'antiquité et au.x temps modernes.
En s'accordant sur le procédé de la consultation électorale, les
.Arabes n'ont pas prétendu manifester en faveur d'un sj'stème parti-
culier de gouvernement, d'une expression extérieure de l'autorité so-
ciale. Jamais peuple n'a su se débarrasser à ce point du fardeau des
idées abstraites. Leur intention fut avant tout de sauvegarder la li-
berté illimitée du clan, de la famille, de l'individu, de consacrer le
{') Dozy parle des « familles nobles, c'est à dire celles qui pendant plusieurs gé-
nérations avaient été à la tète de leurs tribus»; Musulmans d'Espagne, I, 39. Ces
familles on eût vite fini de les compter.
(-) L'héritier en ligne directe est désigné par >A3«j; cf. Tâg 'Aroûs, II, 470;
principe peu compris par les Arabes, à en juger d'après leurs explications embarras-
sées ; cf. Wellhausen, Ehe, AT!, n. 3.
316 Les frères du chef défunt
maintien du régime anarchique. du tnanus oninmm contra omnes, inau-
guré par l'ancêtre Ismaël. Ils ont prétendu protester, non contre une
forme de gouvernement, mais contre l'autorité elle-même. « Un prince
redouté vaut mieux (ju'un prince tremblant » ('). Ce dicton indien,
cité par les auteurs arabes, le Bédouin ne l'a pas adopté. En re-
vanche il craint de s'entendre appliquer le vers d'un de ses poètes :
< Ton attitude dans ta tribu me rappelle celle du chameau d'ar-
rosage, aucjuel on crie : avant I arrière !
Chez ces rudes habitants du désert, chez ces asiàh, chefs de fa-
mille, de clans minuscules, ^;^^>kj ('), souverains au petit pied (*) dans
l'étroit ra3-on des cordes, retenant les poteaux; de leur tente, de la
steppe, tondue par la dent de leurs chameaux, on s'explique les pré-
férences pour le séniorat (^), les répugnances à se plier aux ordres
d'un jeune homme inexpérimenté. Mais à défaut d'enfants, exclus par
leur âge même, par leur faiblesse physique, le chef défunt laissait
souvent des frères. Formés à son école, continuant ses traditions, ces
parents se sentaient capables de maintenir la cohésion intérieure de
la tribu, d'en imposer le respect aux ennemis du dehors (^). La mo-
bilité des Arabes, leur esprit soupçonneux et jaloux (') ne leur per-
mirent pas d'envisager ces avantages. Devant ces hommes, flairant
(*) Qotaiba, 'Oyoûn, 19 : L^l.i: ^UiL^ ^_c ^^ -^ ^^y^ <^^ c)^'^
(^) AboS Tammâm, Hamàsa, E. I, 227.
(') Chaque « puits » — ou campement — possède un sayyd ; Naqà'id Garîr,
462, 15.
(■•) « Quand on les rencontre, on s'écrie : voilà leur sayyd. On dirait des étoiles,
guidant la marche du voyageur, (Gâhiz, Haiazcân, III, 30, 4)
(5) Les enfants se trouvaient également exclus de la ridâfa, sorte de vice-royauté
à Hïra ; Naqà'id Gartr, 66, 11. En quoi elle consiste; iiid., 299, 5; cf. p. 300, et 66,
8-10. Voir ce mot chez Caussin de Perceval, Essai, index.
(*) Ainsi 'Amrou ibn Ma'dikarib succède à son frère assassiné ; Ag., XI\', 33,
8 d. 1.
('') Stigmatisé, on l'a vu, par Mahomet, par 'Orwa ibn al-VVard ; So'arâ', 909, 1-3.
'Amir ibn at-Tofail 317
partout des menaces de tyrannie, de pouvoir absolu, il suffisait d'a-
giter le spectre de < la ro\auté pour les voir détaler, comme un trou-
peau d'ona,yres au cri de : à bas le roi 1 lyiUiU iLL^j c^ <Uli jU* Jl»
kï kiLU ,Lol^^ ^^^ U ^;_jiJU O'^U iJUsJk^ lyis *_)' ^jL^^\ j^ J^^^^ * (')•
Ils préférèrent se condamner à changer perpétuellement de chef. En
tête de leurs libertés individuelles ("), ils inscrivirent le principe électif
du représentant de l'autorité, l'exclusion du concept d'hérédité et de
succersion d\nastiques. Toujours le triomphe de l'individualisme!
Dans cette longue galerie, où les annales du désert nous ont
conservé les portraits des chefs (') de tribu contemporains de l'hégire,
une figure se détache entre toutes avec un relief puissant : celle d'un
noble sa}-yd, brave entre les braves (■*) : 'Amir ibn at-Tofail. On le
plaçait au premier rang parmi les « chefs et les démotis de l'Ara-
bie » ("). Ce dernier (jualificatif n'implique rien de déplaisant. Si
on l'appliquait aux sa'loûk, écumeurs du désert, c'était pour souligner
plus expressivement leur impétueuse valeur f), exprimer l'admiration
(') Chtoniken (VVùst.) Il, 144; le tâg chez les Arabes ; Naqâ'id Gartr, 264, d. v.,
265, 4 ; comp. 237, 1 v. ; 240, 15. Cette aversion de la royauté ne les empêche pas
de se proclamer tous rois, comme Doraid ibn as-Simma ; So'arâ', 782 :
Voir précédemment.
(*) En cas de disette d'eau, le raïs lui-même n'a droit qu'à la portion congrue,
comme les autres membres de l'expédition ; Gâhiz, Ai'ares, 239, 1.
(3) On les retrouve principalement dans l'incomparable Kitâb al-Agàni.
{*) On citait des occasions, où il prit la fuite ; Xaqaid Garïr, 242; Ag., V'H, 152,
7 d. I. voir l'index des Nagâ'id Garïr, s. v.
(5) |,.{.X.-i>U-i.« >»iJI ^îîj 0-* ; Ag., XV, 137, 7. Les Omayyades s'allieront à
sa famille ; Ibn Hagar, Isâba, II, 343 ; pour sa noblesse, cf. Ibn Doraid, Istiqâq, 180,
215; j^jUk» ^;_^Ui ; ibid., 177, 2; ^^Lw jj ^^^Uii ; cf. Gâhiz, Haiawân, I, 145-46;
Vâqoût, E. V, .327, 4; 'Iqd\ II, 102, II; Ag., XXI, 83 d. 1.
(*) Moins estimée était la catégorie des sa'loûk dormeurs: Bohtorî, Hantàsa,
641, 1 V.
318 Même sujet
pour leurs stratagèmes et leurs ruses de guerre d'une si déconcer-
tante variété. Pourvu qu'un geste soit élégant, l'Arabe ferme volon-
tiers les yeux sur sa moralité.
Comme tous les chefs intelligents de l'Arabie centrale, 'Amir (')
se montra méfiant vis à-vis de l'islam. Dans la puissance grandissante
du Prophète et de l'état médinois, sa perspicacité entrevo3-ait une
menace pour l'indépendance des tribus du Nagd. La Sirâ (*) a essayé
de le compromettre, en lui attribuant un rôle de traître dans la lou-
che affaire de Bïr Ma'oima. Il \- surprit non les missionnaires, qon'â'
— ainsi le voudrait la Tradition — mais les émissaires de Mahomet,
venus pour fomenter des troubles ('). Quand on se rappelle les assas-
sinats politiques du Prophète, exaltés par la Slra, on se demande
comment les rédacteurs de cette compilation se sont laissés aller à
parler de trahison.' Dans [une circonstance mémorable, 'Amir avait
promis au poète A'sâ de le garantir non seulement contre les hom-
mes et les ginji, mais contre |la mort elle-même. L'énormité {*) de ce
trait trahit un Arabe authentique ('). C'en fut assez pour le mettre
en vedette dans toute la Péninsule, où l'on n'éprouve pas au même
degré que sous notre ciel tempéré, le besoin de la proportion. Le dis-
(') Il n'est pas sûr qu'il ait laissé une postérité; Qotaiba, Poesis, 191, le nie:
Gâhiz, Haiawân, II, 100, 2) lui accorde un fils; sa konia ne prouve rien, (Mobarrad,
kaniil, (Wright) 768, 2) ; surtout contre son propre témoignage : il se proclame « bor-
gne, stérile ... l'IsU "^^1 C^-Xi ^\ ,_yXiJl ^Jls£j; Qotaiba, Poesis, 191.
(2) Ibn Hisâm, Stra, 649, 939. Il aurait proposé d'embrasser l'islam, si Mahomet
voulait le reconnaître pour son successeur ; Qotaiba, Poesis, 192; VLAnhaX, Mos7iad, III,
210 ; en cas de refus il déclarait: cl-aXi i_âJl « JL^I i_JJI ^^likàj ^^j*' > Hanbal, lac.
cit., Voir son nom à l'index à'Agâ?ii.
(3) Qotaiba, Poesis, 224, où le beau rôle revient à l'oncle de 'Àmir, AboQ'l Barâ'.
Cf. Enzyk d. Islam, art. Bïr Ma'oûna, I. Un des objectifs de la politique de Mahomet
fut de diviser le fort groupement de Gatafan. L'affaiblissement de cette tribu s'impo-
sait pour ses projets sur Haibar — protégé par Gatafan, — et son extension du côté
du Nagd.
(*) Le \i\j>\, signalé par Qotaiba, Poesis, 133, 174 et passim; Ag., XXI, 208-9.
(5) Ag., VIII, 83.
Zohair ibn Ganâb 319
tique suivant de 'Àmir ibn at-Tofail, — car il était poète — va nous
résumer l'opinion bédouine (') sur l'hérédité du pouvoir.
« Oui, je suis le fils du chef des Banoû 'Amir, leur cavalier (-),
connu dans toutes les rencontres.
Et pourtant 'Amir (^) ne m'a pas conféré le commandement à
titre héréditaire. Non! Dieu n'a pas permis que ce fût en considéra-
tion de mes ancêtres » {*).
Aristocrate, fier du « monument de gloire, élevé par les ancê-
tres » (*), le Bédouin prétend toutefois être l'homme de ses œuvres,
un self mode man ! Lier son sort à celui d'une famille révolte cet in-
dividualiste. Toute l'histoire préislamite confirme la fidélité des Ara-
bes à cette manière de voir. Un des exemples les plus t\piques nous
paraît celui du chef kalbite, déjà nommé par nous, Zohair ibn Ganâb.
Ce nom nous ramène au milieu des tribus S}To-arabes, placées dans
les conditions les plus favorables à une évolution politique rationnelle.
Zohair possédait ^toutes les qualités de nature à enthousiasmer
les Bédouins. De noble race, poète, personnellement très courageux,
capitaine expérimenté et constamment lieureux dans les « 200 com-
bats livrés par lui » ("), il se vo\ait entouré d'une nombreuse cou-
(1) Elle n'a pas changé depuis ; cf. Jaussen, Moab, 128, 138.
(^) ^\l» , chef militaire ; c'est le sens de ^^«.j.U; de même (^Vj (_s-^ i_j^)^ • Conip.
Ibn Doraid, Istiqâq, 180 : « »^ f,.^^ , leur commandant à la journée de . . . ».
(') C-à-d. mes contribules, les Banoû 'Àmir.
(*) 'Iqd^, I, 221; 11, 90.
(*) I. S. Tabaq., VI, 119, 1 ; comp. Gâhiz, Haxawân, III, 25, 6-5 d. 1. NaqôHid
Garir, 225, 5 v. « Leur noblesse est une mer où l'on se noie; une montagne inacces-
sible »; ibid., 263, 264 ; autre exemple de grotesques prétentions aristocratiques; ibid.,
619, 5-6 sqq. « Dépasser tous les bâtisseurs » de monuments de gloire ; ibid., 611, 2.
« Nous sommes rois et fils de rois >; Hassan ibn Tâbit, Divan, LXXIX, 2.
(*) Sigistânî, Mo'ammaroûn (Goldziher), 25. La légende de Zohair a été considé-
rablement remaniée. Certains le font contemporain de l'hégire, quoique d'après les
généalogistes, il aurait dû être plus ancien ; cf. Sigistânî, Mo' ammaroûn, 24-29. Le
portrait tracé de Doraid ibn as-Simma rappelle celui de Zohair ; So'arà', 752.
320 Même sujet
ronne de fils ('), tous poètes comme lui. « Jamais, affirme l'Agâni. ni
avant ni après l'islam on ne vit clans une même famille une pareille
exubérance de talent poéti(]ue » (^). Le livre des Centenaires (mo'am-
maroûn) se montre encore plus lyrique (') : « Zohair assembla en sa
personne, dit ce recueil, dix prérogatives — privilège unique parmi
ses contemporains: — il fut sayj'd des siens, leur orateur, leur
poète, leur ambassadeur auprès des rois, leur devin (*), leur médecin,
à l'époque où la médecine constituait une distinction (^); il fut enfin
(') Ou descendants de Zohair; Ag., XXI, 102-104.
(2) Ag., XXI, 94, 2. Le Prof. Nôldeke m'écrit (18 Janv. 1913) à propos de la
rareté des poètes chez les Godâm (signalée dans Yazid, 290) : < Les tribus, vivant plus
ou moins dans la mouvance de l'empire byzantin, ne jouèrent aucun rôle dans la poé-
sie de la gâhilyya, à rencontre des groupes de Rabfa, voisins de l'Euphrate. Plus tard
les Kalb éprouvèrent le besoin d'avoir possédé eux aussi un grand poète aux temps
anciens. Ainsi furent fabriquées (Ag., XXI, 93 sqq.) les poésies de Zohair ibn Ganâb.
A mon avis, le motif principal de ce phénomène réside dans l'énorme différence, entre
le dialecte de ces tribus et la langue des groupes de l'Arabie intérieure ». Les spéci-
mens poétiques, cités dans Sigistânî, Mo'ammaroûn, 24-29, ne peuvent que fortifier
cette e.xplication. Cette louche activité littéraire s'étendit également au Kitâb al- Wofoûd,
où les tribus syro-arabes tinrent à introduire leurs représentants. Peut-être leur devons-
nous également dans la Stra la qualité de Kalbile, accordée au personnage mystérieux
de Zaid ibn Hârita, le favori de Mahomet (cf. Fâtima), et surtout l'insaisissable Dahia
al-Kalbî ; voir notre notice dans V Encyclop. de l'islam. Asma'î ignorait l'existence des
poésies de Zohair : i_.J-i^« ^.^^.ia j_j-o ^^ YjxJ^ |[JJil L^J^ ^_^ ^^^-y^ '^^^ ti .j"^
,\y<i çijl ^Ls..vio J-i-0 i_-J-S'. *>,JJ> <J^J^U.I ^h, .s^Li i_-0_5U ^-— J* Asmal, Fohoûlat
ah-So' ara" , (éd Torrey) dans ZDMG, T. 65, p. 502.
(^) Sigistânî, Mo'atntnaroûn, ne cite aucun isnâd. Toute cette légende de Zohair
repose exclusivement sur l'autorité suspecte, en cette matière surtout, d'Ibn al-Kalbî;
cf. Ag., XXI, 93-104. Exemple d'apocrjphes d'Ibn al-Kalbî, ,^\ t^\^ yJ-'OM ^^j^
Cs^'^y Ag., XVIII, 161, 4 d. 1.
(*) j^lJJliJI ïijilj ^^ >-55'^- ' Sigistânî, op. cit., 25. Voir précédemment. Saj-yd
et à la fois sâdin (desservant) d'un sanctuaire païen ; Ibn Doraid, Istiqâq, 119, 3. Chez les
chefs, ayant joui d'une autorité exceptionnelle, nous nous trouvons généralement ra-
menés à la possession du bail. Rien ne s'oppose à ce que le fameux Mohtâr, avec
son tabernacle, ait tenté de faire revivre une ancienne coutume bédouine. Le bait des
Arabes et le tabernacle de Mohtâr acompagnent les armées; Ibn Doraid, Istiqâq, 291,
3-5; Tab., Annales. II, 701-702.
(^) Par opposition à la période du califat, où la médecine, devenue l'apanage des
tributaires, perdit de son prestige aux yeux des musulmans.
Suicide de Zohair 321
leur ca\alier. En lui se réunissaient l'illustration aristocratique et le
plus grand nombre de descendants au sein de sa tribu » ('). Cette
dernière prérogative s'appelle >j^i, le nombre, avantage singulière-
ment estimé chez les Arabes {').
Cet ensemble de qualités transcendantes explique comment Zo-
hair aurait réussi à conserver le pouvoir jusqu'à la fin de sa très
longue et mouvementée carrière. D'autres sayyd étaient également
restés en place jusqu'à la mort (*), ou pendant « 20 hagg > pèleri-
nages, c'est à dire pendant vingt ans {*). La durée de l'autorité sur
les nomades à l'esprit mobile est considérée comme un phénomène,
soigneusement noté par les annalistes, l^> ^\^ (^). La vie publi-
que de Zohair se serait prolongée pendant un siècle entier. Rangé
parmi les mo'ammaroTcn (°) centenaires, après avoir xézw 420 ans C),
ce grand seigneur bédouin, trop constamment heureux, finit par s'en-
nuyer de l'existence. Il \- mit fin en absorbant d'énormes quantités
de vin (*): le genre de suicide, considéré alors comme le plus di-
(') Sigistânï, op. cit., 25 ; cf. Qotaiba, Poesis, 223-25, où on le dit contemporain
de l'expédition des Abyssins contre la Mecque. Chronologie à l'avenant, comme tout
le contenu de la légende de Zohair.
(*) D'où la formule ^^U^lj >aj«JI
(3; Ibn Doraid. Istiqâq, 198, 4 d. 1.
(<) Ibn Hisâm, Sîra, 113, 5 d. 1.
(5) Ibn Doraid. Htiqâq, 242, 243, 3, 6, 16.
(«) Cf. Sigistânï, op. cit., 24, 28; Ag., XXI, 93, d. 1. Autre sayyd pendant cent
ans, (malgré un grave défaut de langue), Ibn Doraid, Istiqâq, 240, 10; Qotaiba, Poesis,
loc. cit. Nous croyons inutile de discuter la valeur de ces chifires. La légende de Zo-
hair vaut surtout comme indication. Elle concrétise certains concepts arabes sur l'ex-
tension et aussi sur la délimitation de la dignité du saj-yd. Aux Kalb elle offrait l'oc-
casion d'affirmei leur inter\ention plus ou moins historique dans les affaires de l'Ara-
bie préislaniite, comme les personnages de Zaid ibn Hârita et Dahia ibn Halïfa les
avaient introduits dans l'intimité du Prophète.
C) Sigistânï, op. cit., 25, 1.
(*,' -^f-^ XXI, 94, 1; autres suicides par le vin; So'ara', 744; Mo'ammaroûn, 29;
Naqâ'id Gartr, 199. Un sayyd, condamné à mort, réclame la ic -S' <JjJvJ> , celle par le
vin; ibid., 153, 10; Qotaiba, Poesis, 224; menace de suicide chez Hansâ', Divan,
50, 3 ; comp. Gâhiz, Mahâsin, 107 : Bakrî, Mo'gam, 420, 10-7 d. 1.
Lammens — Berceau 31
322 Son autorité passe à un neveu
stingué, le vin passant pour la liqueur aristocratique par excel-
lence (').
Une aussi fabuleuse durée d'autorité, le prestige d'un tel homme
auraient dû, semble-t-il, apprivoiser ses compatriotes, les réconcilier
avec une transmission régulière, avec l'hérédité du pouvoir. Nos so-
ciétés vieillies, épuisées par l'égoïsme et la jouissance, songent à ins-
tituer des commissions de repopulation. Misérable expédient: il eût
fait sourire le Bédouin! La race est d'ailleurs prolifique. Zibriqân, un
chef contemporain de l'hégire comptait 80 garçons ; un autre, moins
favorisé, devait se contenter de 24 descendants mâles ('). Parmi la
très nombreuse postérité masculine (') de l'incomparable Zohair, il
devait se rencontrer un fils en âge de porter avec honneur le faix
du commandement. Pourtant ce fut non à lui, mais à un neveu de
Zohair que pa.ssèrent le titre et l'autorité de sayyd {*). Les Kalbites
pensèrent sans doute avoir consenti un assez grand sacrifice en main-
tenant pendant un aussi long laps de temps cette dignité dans la
famille du chef illustre. Ce fut certainement l'avis du neveu de Zo-
hair (^). L'opposition, fomentée par lui, amena l'oncle à se démettre
de la charge et de la vie!
Placé dans une situation analogue, un de ces vieu.x rimeurs ad-
mirés par le calife Mo'âwia, Ma'n ibn Aus déplo}-a une plus adroite
longanimité. Nous citons volontiers cet heureux contraste avec l'indi-
vidualisme étroit et rancunier des Bédouins, dont nous avons dû rap-
peler tant d'exemples. Ma'n avait d'abord espéré que son /iï/»i con-
(') Dans son propre panégj'rique Doraid ibn as-Sinima aime à se montrer « vic-
time du vin j.l>>il ,J..~3" » ; So'arâ', ~iW2. Sayyd, il doit s'abreuver copieusement de
la boisson des sayyd.
(2) Ibn Doraid, Istigâg, 208, 5; 227. 'Igd*, II, 76 sqq. chap. sur les Bédouins,
les présente généralement comme chargés de famille et se lamentant sur J^j«JI i^.
Bogair ibn 'A'id (voir plus bas) compte vingt fils d-J-o ^^, peut-être descendants)
ayant recueilli le mii-bôî . Ag., XX, 133.
(3) Ag., XXI, 94, 1 ; 102-104.
(*) Ag., XXI, 100, 9 ; Qotaiba, Poesis, loc. cit.
p) Le cas du neveu, conspirant contre le sayyd, n'est pas isolé ; So'arâ', 634,
6 sqq.; opposition rencontrée par Zibriqân; Bohtori, Hamàsa, n. 1304. Le même rôle
est attribué à 'Àniir ibn at-Tofail ; Qotaiba, Poesis, 224.
Longanimité de Ma'n ibn Aus 323
descendant désarmerait l'hostilité de son parent. L'insensé refusa de
comprendre la magnanimité de cette attitude :
-» =-
Se venger? C'eût été faire le jeu de leurs ennemis communs, leur
passer pour ainsi parler des flèches, destinées à se retourner con-
tre les donateurs imprudents:
» h «Jl L{j ^iLjJi-»o «JjiJI f^-**' ^y^"') J^ Cr^^ '*'^ -«aX_> I j^j' *
Puis le sentiment de la crainte d'Allah 1 La conviction que la
rupture au sein d'une famille constitue le plus abominable des crimes!
Tant de longanimité se vit enfin récompensée. A force de pa-
tience Ma'n parvint à guérir la blessure, à éteindre le feu de la ran-
cune. Après les hostilités, une paix durable fut conclue :
v»^ o s^i^-^^»
* *
Parmi les tribus entreprenantes, réclamant Rabfa. comme leur
ancêtre, on observe la même inconsistance. En dépit de leur voisi-
nage avec les Perses, de leur civilisation plus avancée, de leur péné-
tration par le christianisme, on ne découvre pas chez eux des notions
plus saines sur la stabilité du pouvoir: et nous vo3-ons l'autorité va-
(') Bohtori, Hantàsa, n. 1308. D'après le proverbe, le neveu est ^'-'^^ i)^->^
iJâjj;, ton ennemi, puis l'ennemi de tes ennemis; 'Igd*, II, 97, c-à-d. qu'en cas de
danger il se rallie contre l'ennemi commun.
324 1,'iclée dynastique révolte le Bédouin
giier d'une famille à l'autre ('), sans parvenir à se fixer ("). Rien ne
charmait le Bédouin, comme ce changement incessant de titulaires,
venant rompre la monotonie de l'existence au désert. Il répétait avec
le poète de Tamim:
~> _ » _
« J'appartiens à une tribu, tous la connaissent. Quand un sa\'3'd
vient à mourir, son compagnon lui succède.
Etoiles du ciel ; lorsqu'un astre se couche, un autre se montre,
groupant autour de lui ses satellites.
« Leur noblesse, la splendeur de leurs traits illumineront le firma-
ment, aussi longtemps que le joaillier percera les perles » f).
C'est à dire tant qu'il existera des Arabes 1 A l'autre extrémité
de l'Arabie (*), les Azd du 'Oman, apprenant la mort de Mahomet
et son remplacement par AboO Bakr, levèrent les bras au ciel. « Com-
ment, sécrièrent-ils, tous les Ooraisites doivent se croire prophètes!
c'est là une t\'rannie insupportable » (^).
Dans la succession d'un Ooraisite à un autre Ooraisite, c'est l'idée
dynastique, qui les révolte avant tout, et dans cette idée la préten-
tion de disposer de leurs clans, de leurs tribus, sans demander leur
assentiment, comme on se passe un legs de famille. Cette prétention
(i) Cf. Yazid, 92, n. 3. Ag., XXI, 186; Va'qoubï, Hist., I, 256-57, 260-61. Même
phénomène chez Modar (Va'qoûbi, lac. cit.), au Yémen : à Sarâhîl ibn as-Saitân suc-
cède un chef, membre d'une autre famille; Ibn Doraid, Istiqâg, 243, 3-5. De Ibn Sa'd
(Well.) p. 5, n. 5, W'ellhausen (E/!t\ 477i conclut à l'existence parmi les Azd de 'Oman
de deux frères, gouvernant simultanément. Le contexte ne semble pas imposer cette
déduction.
(-) Ibn HaldoQn, Prolégomènes, I, 272 (texte fran',-ais, avec le texte arabe en
regard) affirme le contraire, en s'appuyant sur des raisons à priori.
(3) Gâhiz, Haimvàn, III, 29.
(^) Même observation pour le Higâz ; Chroniken, (W'ust.i, 11, 140-41.
(^) Qotaiba, Poesis-, 181 ; Caetani, Aiiiia/i. II, 778. Dans Mahomet, ils avaient
surtout entrevu le pouvoir politique, dont le prophétisme qoranicjue leur paraissait une
justification; cf. Fàtima, 61, 64.
Même sujet 325
excessive allume leur verve. < Eh quoi ! s'écrient les poètes, jouant
sur le nom d'AboQ Bakr. père de la chamelle:
« Le Prophète à sa mort nous transmettra-t-il en héritage à une
chamelle! Par Allah I ce serait le comble du déshonneur!
La susceptibilité bédouine ne pouvait plus ouvertement exprimer
ses répugnances (") contre la stabilité du pouvoir, contre son maintien
dans une seule famille, et même au sein d'une nombreuse et puis-
sante association comme le syndicat qoraisite, établi à la Mecque.
Après un soigneux dépouillement des annales préislamiques les com-
pilateurs musulmans en ont extrait les noms de quatre say3"d arabes,
assez privilégiés pour voir leur autorité continuer à être reconnue
jusqu'après l'hégire (^). Privilège exorbitant dans l'estime des no-
mades. A leurs }-eux une révolution, même religieuse (^), doit se ma-
nifester tout d'abord par le changement des titulaires précédents (^).
Le cas de 'Amir ibn at-Tofail nous l'a montré, il arrive au fils de
remplacer son père dans la charge de saAyd (°). Mais on peut con-
sidérer comme un phénomène, quand trois chefs se succèdent en ligne
(') Tab., Annales. I, 1876; Yazid, 350.
(') Et aussi contre la très modeste origine du premier calife.
(3) Ibn Doraid, Istiqâq. 186 ; >NL.^''yU *^M-' à |«*>>«.-^- J-<aJ'l
(■*) Il est vrai que chez Mahomet, ils ne séparèrent pas le Prophète du chef d'é-
tat. 11 leur apparut, comme certains de leurs anciens sajyd — nommons Zohair ibn
Ganâb — à la fois kâhin et sa>yd.
(^) Ce fut également l'opinion des Ansârs. A leur avis, les Qoraisites avaient as-
sez longtemps gouverné avec Mahomet ; cf. notre Triumvirat.
(6) Ibn Hagar, Isàba, II, 315 ; cf. Labîd, Divan, XVIII, 4 ; Ibn Doraid, Isti-
qâq, 144, 8; 233, 15; 235, bas, JjLs ^^,jl J-jLJ ; Naqâ'id Cartr.lXi,. ;eiiô ^l ^Jm\
Ibn Hisâm, Stra, 89, 3 ; Chroniken (Wust.) Il, 140, bas; Qotâmî, Divan, Xl\'. 8 : ^Jj^
iJyl *»jÇLw ; H>id., III. 58. On hérite la syàda; Zohair (Ahlw.), 62, 14; sasyd fils
de sayyd et orateur, jVaqâ'id Gartr, 613, d. v. ; Hansâ', Divan, 10; Gâhiz, Haiawâu,
111, 29, 11. Encore rien ne garantit que dans ces expressions sayyd, saih ]ne désignent
pas simplement des notables, au lieu de sayyd =;; chef de tribu ou de clan. Ag., XIX,
102 : *^'l>Uo ^-j J
326 Les grandes familles de l'Arabie
directe dans la même famille ('). C'est la conclusion à tirer de l'anec-
dote (*) suivante.
Un jour le roi de Perse s'informa auprès des députés arabes, si
dans leur pays, on reconnaissait la supériorité de certaines familles.
« Assurément, fut-il répondu, quand elles ont compté dans leur sein
trois chefs sans interruption et que le descendant de ces say}'d, sayyd
lui-même, mérite la qualification de kâmil » ('). La dernière condition
devenait d'une réalisation malaisée dans l'Arabie préislamique (^).
Quant à la première, les députés, après avoir compulsé les annales du
passé, découvrirent en tout quatre familles (^), répondant au signalement
indiqué, en d'autres termes, où l'on pouvait constater comme une
ébauche de l'idée dynastique i^). Ce chiftre modeste nous laisse loin
du protocole fastueux d'un monarque indien. Dans une lettre au ca-
life 'Omar II, il s'intitula « le fils de mille rois, l'époux de la descen-
dante de mille monarques » (^). Chez Asmâ' ibn Hâriga le poète
Ootâmi \^) célèbre la longue série de ses ancêtres tous sayyd. Il ou-
blie de nous dire au prix de quelles condescendances, nous dirions
presque d'humiliations, le chef fazârite réussit à ne pas déchoir (').
»_^'l_'I ^ >>^-^ 1^^^, avoir hérité la seigneurie des aïeux 1 Voi-
(') ^g-.. XVII, 106, 3 ; Qotaiba, Ma'àrif, E. 197.
(^) Elle ne possède pas d'autre valeur ni de garantie historique. Elle prétend
surtout répondre au.x objections des So'oûbyya, objections provoquées elles-mêmes par
l'intransigeance de l'impérialisme arabe. Les So'oûb)->'a entendaient protester contre
ce chauvinisme exalté, se manifestant à tout propos, comme chez Hassan ibn Tâbit:
« nous (les Arabes) sommes les régents de la terre », Divan, LXXIX, 18.
(•■*) g->Ul (JL»5o cU> ^J.^'1 I-ï ; Quatremère traduit: si le commandement passe
ensuite a l'arrière petit-fils ; version par ailleurs très acceptable.
(■•) Voir plus haut, p. 27.
(•■>) Entr'autres celles de 'Oyaina ibn Hisn et d'As'at ibn Qais; Af., XVH, 105,
106. Voir précédemment.
C) Qalqasandî, Sobh, I, 227; comp. les trois O^x?? nobiliaires de l'Arabie; Ibn
Doraid, Jstiqâg, 238, 10 ; Ibn Haldoûn, Prolégomènes, I 250, d'après Ag., XVII,
105-106.
C) 'Iqd^, II, 87; lettre analogue de l'empereur chinois ; Gàhiz, //aj(j?f<î«, VII, 36.
(*) Qotâmï, Divan, pièce XVII.
(3) Balâdori, (Ahlw.), 248; Ag., XIII, 35-36; comp. Ibn Rosteh, Géogr.. 229, 1-2.
Théorie d'Ibn Haldouii 327
là un de ces nombreux clichés, exploités par les poètes ('). Ces
hyperboles produisaient toujours de l'eftet. sans tromper personne.
Nous aurions tort de nous montrer plus crédules que les contempo-
rains. La famille de Sa'd ibn "Obâda, le généreux Ansârien, crrand
distributeur de viande et de graisse ('), comptait une série de qua-
tre say3'd tous ^,v»^i^ ('), tenant table ouverte {*). Au delà de ce
chiffre, la féconde imagination arabe se refusait, dirait-on, à étendre
la succession dynastique.
Sur cette donnée, Ibn Haldoun, plus philosophe qu'historien, a
édifié une de ses plus ingénieuses théories. A son avis, la thèse que
« la noblesse d'une tamille persiste pendant quatre générations, est
généralement fondée ». Et en voici la raison : « ce nombre de quatre
comprend le fondateur, le continuateur, l'imitateur et le destructeur > {').
Rien de plus élégant que l'agencement de cette double progression
ascendante et descendante. A l'appui d'une si belle argumentation
l'autorité du Prophète ne pouvait faire défaut (^). Aux 3-eux de Ma-
homet « le plus noble des hommes était le patriarche Joseph, fils
de trois générations de patriarches, distingués par leur noblesse » C).
*
* *
Pour infirmer la valeur de ces développements, il serait superflu
de citer l'exemple des Gassânides de Syrie et des Lahmides de Hî-
ra ('). Avec ces familles de ph3larques et de roitelets, nous quittons
(') Tarafa (Ahlw.) V, 45.
(*) 11 en a été question plus haut.
(^) Donc fortunés, condition indispensable de la syâda. Comp. la prière du Bé-
douin : '/çd\ 11, 78, 4 d. I. : U ,^^\i JU: V\ JLai V^ J'^ NT ^pL V ^1 IjiJl
{*) Osd, II, 283. E.xeniples de trois générations de saj-j-d à partir de l'islam; Ibn
Rosteh, Géo^r., 228-29.
(^) Ibn Haldoun, Prolégomènes, éd. Quatremère, 1, 249.
^^) On retrouve le hadlt dans tous les Sahïh et Mosnad.
C) Ibn Haldoun, loc. cit. Pour ce motif qualifié de ^\ i_jo_ùJI ^\ i_iu -iJl
(") Celui des princes de Kinda, et des dynasties locales du Vémen. Ag., XII,
328 Situation des Lahmides et des Gassânides
l'Arabie propre, pour nous transporter à la périphérie de la Pénin-
sule ('). Chez eux l'idée dynastique fut un emprunt aux empires voi-
sins, une loi imposée par un pouvoir étranger. Cette conception d'une
forte autorité, se transmettant dans une même maison, jetait dans la
stupeur les poètes. Aucune figure ne leur paraissait assez expressive
pour peindre « la situation exceptionnelle », de ces minuscules ro3au-
tés. Elles leur rappelaient « le soleil éclipsant par son apparition l'é-
clat des autres étoiles;
(^) 1^^ %<r^ ^^. pJ S^^ I>1 ^^^ ^y-^'« _r~^ ^W
Représentants de Byzance et de Ctésiphon auprès des nomades,
répondant de l'ordre au désert devant ces deux gouvernements, les
phylarques ont dû non seulement subir leur influence, toucher la solde,
mais encore se soumettre à leurs conditions. Or, ni César ni Chosroès
ne pouvaient s'accommoder de l'instabilité arabe. Quand une famille
leur paraissait avoir donné ses preuves, ils ^entendaient la maintenir.
Il ne convenait pas à leur politique de traiter avec des chefs inconnus,
sans passé, insaisissables, n'a3"ant jamais fourni de garanties au pou-
voir métropolitain. Ainsi s'explique l'apparente exception à la loi du
désert. Elle contribua puissamment au prestige et à la puissance de
ces deux familles, partant à la cause de la paix 1 (^)
50, riâsa dans une famille. On cite Bogair ibn 'Â'id : ^c^yi^ à,^J.^^ ^^ ^_^ij>JLI ^.
^Ij^ , 20 des siens prirent le mirbâ' » c-à-d. ils dirigèrent des expéditions victorieuses,
mais ils n'ont pu successivement commander à leur tribu. Le iiiiibà', implique seule-
ment un commandement militaire, lequel n'était pas nécessairement dévolu au sayj'd.
\'oir précédemment.
(') Comp. Xôldeke, r>ie Ghassânischen Fûrsien ans dein Hanse Ga/iia's.
(^) Nâbiga Dobyânî dans So'arà', 656.
(') Par ailleurs la disparition des Lahmides et des Gafnides ouvrit la route aux
premières conquêtes de l'islam. — A ce pouvoir des phylarques, comparez celui at-
tribué au célèbre Zohair ibn Ganâb, représentant des Abyssins. II possède une sorte
de gendarmerie, des gardes k-io , recrutés parmi les Kalbites. Ag., XXI, 96, 6. Comp.
avec les monâdi-mo' addin des sayyd (plus haut p. 229). Chaque fois qu'il est question
d'un pouvoir organisé, les Arabes supposent une origine étrangère.
La primogéniture chez les Arabes 329
Ajoutons pour terminer ces données sur l'hérédité : les Arabes
ignorèrent le droit de primogéniture ('). Elle leur inspirait plutôt un
terreur superstitieuse. Nous l'avons constaté (*) chez un esprit aussi
éclairé, aussi ferme (]ue le calife Mo'âwia. On regardait les premiers-
nés, de préférence les garçons, comme de mauvais augure (') : ^-* fXi^l
^,->v->-Jl ! Plus fatal que Basofis ; elle avait causé l'interminable guer-
re entre Bakr et Taglib. Longue était la liste néfaste de ces pre-
miers-nés {*). Qais ibn Zohair, occasion de",la guerre de Dahis, encore
un premier-né, fils de deux; parents, eux-mêmes premiers-nés! Pour
comble de malheur, Oais avait les yeux bleus ! Ainsi la nature sem-
blait avoir voulu réunir en sa personne tous les signes de malheur
o?./-? cJ^ '/-? j^j' J^ O- A"'^ Arabes, le 6/eu apparaissait comme la
teinte de la calamité : la mort est bleue, l'ennemi également (''). Dans
cette défaveur il faut certainement 'faire intervenir une explication
ph^-siologique, la faiblesse ph3-sique des premiers-nés. Certains écri-
vains arabes l'ont déjà entrevu Ç). Il suffit de se rappeler les unions
précoces. Les deux conjoints, en mettant leur âge en commun n'arri-
vaient pas toujours à parfaire le total de 22 ans (*).
Aussi Pdans les cas exceptionnels, où le sayvd transmettait le
pouvoir à ses héritiers directs, l'aîné n'en bénéficiait pas nécessaire-
ment. A partir de la période impérialiste arabe, l'usage de la koma (')
tend à se généraliser, à indiquer la qualité de père, à dévenir enfin
(') G. Jacob, Beduinenleben, 21.ï.
(^) Cf. Mo'âiuia, 323. Le premier-né de Qosayy, l'ancêtre aristocratique de Qorais,
est ^J»^^jst^. imbécile; I. S. Tabag., I', 41, 23. Comp. Yazîd, 432, n. 5.
(^) Qotaiba, 'Oyoûn, 453.
(<) Gahiz, Haiawân, V, 101 ; Qotaiba, 'Oyoûti, 271.
(5) Qotaiba. 'Oyoûn, 453.
(") Les |ï,; célèbres, Arabes aux yeu.x bleus ; Ibn Rosteh, Géogr., 'i2'i. Yazîd, 39,
86. Les jumeaux sont à peine mieux vus; Gâhiz, Bayân, I, 73, 16. Vâqoût, E. V, 64,
citation de .\htal. A l'actif de leurs héros, les poètes mettent de n'être pas jumeaux.
C) Gâhiz, Haiawân, IV, 19. Cf. Schwally, op. siip. cit., sur les conséquences
fâcheuses des mariages précoces.
(8) Cf. Fâlhna, 30, 31.
(') Sorte de surnom, composé avec aboû, père.
330 Quand le chef règle sa succession
un titre d'honneur, réservé à la race privilégiée des conquérants (').
Mais alors même le nom de l'aîné ne forme pas d'une façon régulière
l'élément essentiel de la konia. Dans le principe on aurait même
cherché, semble-t-il, à éviter cette combinaison (''). On connaît des
cas, où elle équivalait à une injure. Ainsi pour le pseudocalife Ibn
Zobair la konia d' « AboQ Hobaib ». Ces ennemis le nommaient ainsi
d'après son aîné Hobaib ('), par ailleurs le plus insignifiant des fils,
si peu marcjuants, du souverain zobairide (^).
Hogr, le père d'Amroulqais, lègue en mourant son autorité à
celui parmi ses fils, qui se montrera plus homme et plus disposé à
le venger (°). Enfin un chef militaire, surpris par la mort dans l'exer-
cice de son commandement, gardait le droit de nommer son rempla-
çant. Ce désir du mourant liait l'armée (^). Aboû Bakr et 'Omar ont
pu prétendre user de ce privilège, de cette concession, arrachée à
l'insubordination arabe, en s'occupant, à leurs derniers moments, de
régler la succession au califat. La tradition orthodoxe relève avec une
insistance marquée la différence, distinguant ces exemples de celui
donné par Mo'âwia. Non seulement ce souverain se permit de trans-
(*) On la conteste aux mautâs (ainsi Omm al-banln, résen-é aux femmes nobles);
Naqa'id Gartr, 820, 14-17; réaction contre cette tendance; I. S. Tabag., VI, 239, 16;
le rebelle perd tout droit à la konia; Balâdorî, (Ahlw.) 63, bas. Aboû ' Oniair (souhait
de longue vie?) konia d'un enfant; Aboû Saif, celle d'un armurier à. Médine ; Moslim,
Sahïh^, II, 171, 213. En poésie on affectait de varier \es konias. On en a déduit l'hy-
pothèse de konias multiples pour un même personnage. Comp. Gâhiz, Bayâti, I, 131.
Chez les poètes, nécessité du mètre, affaire de vanité.... ?
(-) On préférait au besoin — je le soupçonne du moins — introduire un nom
de fille. C'est le cas de Hâtim Tayy. Il comptait pourtant un fils ! 'Àmir ibn at-Tofail
porte une kotiia, quoiqu'il n'eût pas d'enfant ; même cas pour le célèbre Sahâbî, So-
haib ibn Sinân.
(■') Ag., I, 9, 1. 10. d. 1. Parfois la konia de la femme est composée avec le nom
». -^
de l'époux; cf. Gratzl, AUarabische Frauennamen, 17-18. Comp. le nom féminin: *l
Lf^l , littéral, mère de son père.
(*) Les maulâs finiront par conquérir le privilège de la konia. C'est sans doute
à partir de cette date qu'elle fut définitivement mise en relation avec la paternité.
(5) Ag., VIII, 67, bas.
(«) Wellhausen, Reste-, 191; cf. Yazid, 99.
Comment les Omaj'jades utilisent cette coutume 331
mettre le pouvoir à son fils, mais il prit cette grave mesure, non à
ses derniers moments, mais en pleine santé ('). Circonstances aggra-
vantes aux yeux de la Tradition et accentuant l'abus de pouvoir chez
les impies Oma\\adesl (') Il est piquant de relever ces protestations,
s'inspirant du plus pur individualisme bédouin et cela à une époque (^).
où l'ancien idéal arabe n'était plus qu'un lointain souvenir, au sein
de la société musulmane, courbée sous l'absolutisme.
('] Qalqasandî, Sobh, I, 249; Yozia, 98-100; UO-Ul.
(-) .*JJ lîtLAl dit le Qoran. Sur le molk, pouvoir absolu, reproché aux Omayyades,
voir Mo'âwia, chap. X, 189-213.
(') Sous les 'Abbâsides, restaurateurs des anciennes autocraties asiatiques. Les
califes de Bagdad s'empressèrent de reprendre les traditions, reprochées aux Omayya-
des, pour la transinission du pouvoir.
CONCLUSION
Telle nous apparaît la condition politique et morale des Bédouins,
au moment oii un groupe de Ooraisites, réunis à Médine autour de
Mahomet, s'apprêtèrent à les utiliser, à les façonner pour en tirer la
matière de islam, .^*^MI «îu, et tout spécialement les cadres de la
future organisation de leur église militante. Race plus batailleuse que
guerrière! (*) Matière ingrate, rebelle; nous n'avons pas cherché à
le dissimuler! Mais outre le nombre, elle renfermait une réserve de
forces latentes, une accumulation d'énergies vierges, trop longtemps
demeurées sans emploi.
Passivité, violence : entre ces deux pôles oscille toute la destinée
bédouine. « Passivité de l'animal sensible dont nous admirons les beaux
gestes paresseux, les souples étirements, qui mire le soleil dans ses
yeux de flamme... passivité du bel animal docile à l'instinct qui com-
mande sa vie » ('). Cette passivité fataliste (^), l'absence de traditions
(') Les auteurs observent que le Bédouin n'aime pas la guerre sainte; Qotaiba,
'Oyoûn, 201, 12. Ce n'est pas l'avis de M. Cl. Huart. A propos de Fâiima, 29, il
observe : « Tous ces Arabes, citadins ou scénites, étaient des guerriers nés ; ils sa-
vaient dès l'enfance se servir de l'arc et des flèches ; sans maître d'escrime, ils savaient
combattre au moins à pied ; ils y étaient obligés par leurs fréquents voyages en cara-
vane ; pour recruter ses troupes, Aboû Sofyân n'a éprouvé aucune peine ». Jour. Asiat.,
1913', 216. Pourtnnt les Ahâbik ! ! Voir plus bas.
(^) Cl. Boringe, Esquisses marocaines.
(^) Voir précédemment, pp. 106, 113.
On discipline les Bédouins 333
et d'organisation sociales, rémiettement politique, tout l'ensemble des
lacunes morales constatées chez les Bédouins, devaient réduire les
nomades à la merci d'hommes de leur race, capables d'exploiter les res-
sources, insoupçonnées jusque-là, de ce peuple nouveau. Ces ambitieux
ne tireront pas un ^moindre parti des passions violentes du descen-
dant d'Ismaël. L'humeur inquiète, le goût pour le pillage et la rapine de
ces chevaliers-brigands en guenilles, chefs de bandes, terreur des grands
chemins ('), ils^ les soumettront à la discipline de la guerre sainte, ils
réussiront à les rompre, à les assouplir aux méthodes militaires, ap-
prises de l'étranger. Ce sera la tâche des dernières années de Maho-
met. Tâche à peine ébauchée! Le Ooran en témoigne dans des versets
découragés, oîi s'exhale le dépit d'Aboû'l Oâsim contre l'indocilité bé-
douine (■). La mort prématurée du Prophète l'obligera à léguer à
ses successeurs l'épineuse entreprise. Elle sera achevée par les O-
ma\ yades, « véritable pépinière de souverains, s'entendant comme
personne à régir les Arabes (^),
~ ., ' » ' -.
Après avoir tenu longtemps en échec la gendarmerie des gouver-
neurs (*). ces écumeurs du désert, pour lesquels il fallait multiplier les
(') Ag., XIX, 111. Uï'.jJij >jNJI .iULa.^ ;^. 'Xj,^ ^LS". 13,1^'lSiU lij ^U
iljU^l ^ v>J.y»JI S^.^ S-'r*^' ''>t^' «J* «-f^ j::*^- Qotaiba. Poesis. 205, ^ôJ ^Ls
^-kJI k_-..s„a> ;.^^., XX, 20. »'_ij isiCS'» ô^aA^ iwxJo» <»JCs^ Tï^' ,3r.^ i iLl ; Conip.
ibid., XX, 150 d. 1. Qotaiba, Poesis, 261, kj;.>>:l ^.lyi^ Al»ii ^ '^ ^
(') Voir précédemment p. 271.
(■') Nous avons essayé de le montrer dans les études, consacrées aux deux pre-
miers califes omayyades, Mo'âu'ia et )'azïd. En les rappelant, M. Cl. Huart observe:
« Les aristocrates de la Mecque, vainqueurs à ÇifTîn, ne doivent pas nous faire oublier
les artisans de la première heure. Vicirix causa... Le P. Lammens ne veut pas être
Caton ». _/o7<r. Asial., 1913', 215. J'ai toujours vu dans les Omaj-yades des vaincus,
des calomniés, contre lesquels l'orthodoxie islamite s'acharne depuis douze siècles.
Je me rappelle le temps où la censure turque m'interdisait de les nommer dans le
Basir et dans le iSlasriq. Mes sympathies omaj-yades n'ont fait qu'y gagner Victa
Caloni.
(■*) Ag., XIX, 163 ; on les poursuit de tribu en tribu. « La terre elle-même les
rejette, i,Ml «J^JiJiiJ » {Ag.. XX, 13, 2 d. 1.), tellement la poursuite devient serrée.
334 Les Bédouins et la diffusion islaniite
gibets et jeter l'interdit sur des tribus entières (') rendues responsa-
bles de leurs méfaits, l'uniforme — ou comme on disait, l'inscription
au divan (^) — arrivera à les transformer, en assignant un but, en
ouvrant une issue à leur sauvage et stérile activité. Une fois enrôlés,
ces gens de sac et de corde se convertiront en paladins (') de l'ex-
})ansion arabe, ne rêveront plus qu'exploits. Ils refuseront les emplois
les mieux rétribués, s'ils doivent les retenir loin du champ de batail-
le (^). Désormais arraché au milieu, où s'alimentaient son incurable in-
dividualisme et son indifférence religieuse, le Bédouin, doté enfin d'une
conscience nationale, s'apercevra qu'il appartient à une grande race;
il s'échauffera pour la cause de l'impérialisme (*) et deviendra un in-
comparable instrument de propagande et de défense islamites.
(') Voir précédemment. Ag., XIX, 169. Ils se réfugient dans la solitude de \Va-
bâr; (voir plus haut), Ag., XIX, 164, 6. XXI, 80 d. 1., 269, 14.
(-) Qotaiba, Poesis, 205; Ag.. XVII, 153: XIX, 163, 167.
(^) Ils sont d'ailleurs poètes JyaJ kiOli ^Lio , élégants, bien faits de leur personne
I.3UÎ ^.^...U^s^l^ l.^^ ^UJI ^;j.v-3^l ; Ag., XIX, 163; comp. Ag., XX, 23, 4; 163, 4.
1^) Ag., XIX, 166; cf. la notice de Mâlik ibn ar-Raib ; Ag., XIX, 163-69. Le
territoire sacré de la Mecque refuge de hatï' , brigands désavoués par leurs tribus. On
va les y enrôler pour les mauvais coups et les expéditions aventureuses ; Ag., XXI,
62, 8; 68, 8; voir précédemment p. 193-94. Plusieurs étaient Aa/ï/' des Qorais. « Pour
recruter ses troupes Aboii Sofyân n'a éprouvé aucune peine », on le voit.
(^) Nous en avons partout reconnu des traces dans cette psychologie du Bédouin.
Le tort des annalistes postérieurs fut d'antidater l'éveil de cette conscience et de
prêter aux nomades de notre 6'^ siècle les sentiments et les préjugés des témoins des
Magàzi.
TABLE DES MATIERES
Préface ........
Liste des sigles et abbréviations principales
Introduction .......
V
XIX
1
LE CLnLA.T DE L'ARABIE OCCIDENTALE
I. — L'Arabie et la Province du iliéaz. Délimitation de cette Province
Le terme Arabie, une abstraction fallacieuse; il ne correspond à aucune unité
géographique, physique ou ethnographique ....... 9
A quoi aboutit la centralisation sous les 'Abbâsides ...... »
Représentation physique de la péninsule arabe ....... 10
Pourquoi nous bornerons notre étude au Higâz, berceau de l'islam. . »
Le Higâz et la Mecque, centre religieux de l'Arabie préislamique: comment
est née cette théorie. Prétentions des Qoraisites et influence des conceptions
qoraniques ..........
Mahomet s'est considéré comme le prophète du Higâz . . . 11
L'influence du Higâz est postérieure à l'islam ....
Notre étude débutera avec la première décade du 7" siècle
Les Bédouins, rebelles à l'abstraction. .....
Variété des notations géographiques en arabe ....... »
Finesse de l'observation topographique chez le Bédouin ..... 12
Pourquoi elle ne s'élève pas jusqu'aux abstractions de géographie politique
Indifférent à la chronologie, le Bédouin ne suppute pas les divisions du temps
il ignore son âge ...........
336 Table des matières
Le concept de « province » ne lui représente rien ; par ailleurs sa nomencla-
ture géographique note les moindres modifications du sol et du climat .
Ces notations, fréquentes chez les anciens poètes ; absence des dénominations
géographiques, des divisions administratives ......
Le côté utilitaire, le seul angle sous lequel les nomades ont envisagé la géo-
graphie
Ce qui a fait tort au vocable Higâz et favorisé l'imprécision. Etymologies ar-
bitraires pour ce vocable ..........
Même pour les centres importants, impossible de décider si, avant l'hégire, on
les rattachait au Higâz ...........
La poésie, source principale de la documentation géographique ; on a plus ra-
rement consulté les archives officielles ........
Le califat et la centralisation administrative firent entrer la géographie poli-
tique dans la mentalité des Bédouins ........
Juristes et casuistes s'intéressent à la question des frontières du Higâz ,
Antiquité de ce vocable; pourquoi plus rare en poésie .....
Médine, comprise dans le Higâz. Ses limites s'étendent vers le Sud. à par-
tir de l'hégire. Situation spéciale de la Mecque ......
Déplacement des frontières septentrionales du Higâz .....
Fixation de l'e.xtension géographique du Higâz: les limites demeurent flot-
tantes à l'Est et au Nord. Pour nous, il comprendra toute l'Arabie occi-
dentale, à l'exception du Yémen .........
13
14
15
Ib
Climat du Higaz. Température, pluie
Excessif pendant l'été, le climat demeure pénible en hiver, malgré l'absence
de la neige. Tout est tranché, heurté dans le milieu arabe
L'action du vent du Nord, « vent de Syrie » et « vent du Taurus »
Effets des froides nuits d'hiver sur les hommes et les animaux
L'hiver, période des pluies ..........
« Années blanches » et « années grises »; sécheresses pendant quatre ans
L'Arabie, pays de Vistisqa, prières pour obtenir la pluie ....
Animation dans les tribus, à la fin de l'été. Interrogations sur les probabilités
de la pluie anxieusement attendue. Fourrage et eau font défaut
On épie le retour de la pluie ; on s'apprête à en suivre la première chute. Si
gnal de la migration, de la rentrée hivernale .....
La pluie passe par dessus le territoire delà tribu. Les explorateurs ou « row
wâd ». On achète le droit de pacage .....
Dispersion des Bédouins ; « réunis à la chute d'un nuage »
Hivers exceptionnellement humides ......
Trombes d'eau, ruptures de nuage, le sail. ....
Pluie durant une semaine entière ......
17
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19
20
23
Table des matières
337
Le Higâz, labyrinthe de montagnes, de pics basaltiques et dénudés, où rien
n'arrête la chute des eaux ..........
Violence des inondations ; elles forment des fleuves larges comme le Nil et
l'Euphrate. Agglomérations et tribus, emportées par les eaux .
La catastrophe est surtout redoutable, quand elle surprend un camp endormi.
Tous les dictons, fruits de l'expérience bédouine, sont attribués au Prophète;
il aurait défendu de camper au fond des vallées. .....
Inondations récentes ; leurs effets désastreux .......
23
24
3. — Réservoirs, bassins, étangs, vasques. < gadir »
Même pendant les hivers ordinaires, la pluie suffirait aux besoins restreints
du désert, si on relevait les anciens barrages ....
La Providence y a pour\'u en multipliant les barrages naturels
Vides et creux, où se ramassent les eau.\; les «gadïr»
Distraction de la nage en Arabie .......
Variété et superficie des gadîr. Absence de lacs ....
Série de gadîr, s'échelonnant à divers niveaux; gadîr poissonneux .
Gadîr permanents, alimentés par des sources; émissaire assurant le débit du trop
plein. Leur coloration ; gadîr temporaires ......
Gadîr « d'été »; gadîr « ne laissant jamais voir le fond ».
Gadîr ayant recueilli les dernières eaux du déluge
Végétation dans le voisinage des gadîr .......
Qualités de leurs eaux, saumâtres, salées « au point d'éborgner un oiseau »
Explication de cette composition chimique ; action du soleil
Les étangs de Homm ; dans le voisinage aucun nourrisson ne peut vivre
Bassins des couvents chrétiens, célébrés par les poètes. Hommage rendu aux
moines par le Qoran ......
Gadîr et mares stagnantes dans l'oasis de Médine .
Insalubrité des oasis, causée par les marais
La malaria endémique dans les terres cultivées du Higâz
Pas une seule rivière en Arabie. Une cascade .
26
28
29
>
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31
4. — Le régime des eaux au désert. La salinité du soL
Les puits, les < hisa >; qualités de leurs eaux
La salinité du sol, ennemi principal de la flore désertique. Elle est causée
par l'évaporation solaire. ..........
Le rôle de la pluie : dessaler la terre, la débarrasser de l'e.xcés de minéralisa-
tion. Lessive à grandes eaux. .........
La violence de la pluie doit vaincre la résistance du sol, amollir la croûte su-
perficielle, la saturer d'humidité
Lahhens — Berceau 2
32
338 Table des matières
Les « darât ». Le rôle bienfaisant du sable dans les dàrûl, fonctionnant com-
me un filtre pour les eaux. Différences avec les nefoûd .... 33
Les «hisâ», réserves d'eau dans le sous-sol, bien connues des Bédouins 34
Comment l'Omayyade Ibn 'Àmir acquit la spécialité de découvrir les eau.\ »
Les « hisâ », ressource des voyageurs et des troupeaux. Ils rendent les forces
au chameau. Très appréciés par les Bédouins ...... »
Moyens pour faire jaillir l'eau des hisâ et au fond des puits desséchés. Prati-
ques de Mahomet. ............ »
Description des « dahl »; propriétés de leurs eaux ...... 35
Le rôle des eaux souterraines ..... .... »
Sources et puits; leurs noms conservés par la poésie. Utilité de cette mention.
Le poète Amroulqais et Haggag ......... 36
Creusement des puits, 'un titre de gloire; puits « inépuisable jusqu'en SaTiân ».
Le puits de Loqmân ........... »
Puits possédé par plusieurs tribus, cause de luttes fratricides .... »
L'allocution de Qais ibn 'Àsim .......... 37
Le « harîm » ou « himâ » du puits. Conséquences de ce privilège ... »
Jugement de Maqdisî sur les eaux du Higaz ....... »
Comment on apprécie le puits de Zamzam. Jugement d'Istahri. ... 38
Les nomades peu exigeants en matière d'eau. Comment ils définissent l'eau
potable. Multiplicité des puits saumâtres ....... »
Rareté du « wasal », eau de roche; peu de sources coulant à la surface du
sol, sinon dans certaines oasis ......... 39
Les « 99 sources » de Yanbo'. Sources vauclusiennes. ..... »
Synonymie de sL«, ^^-.^ et -ij . D'où provient le vague de leur signification ?
Absence d'inspection topographique. Il s'agit d'eaux, alimentées par des
courants souterrains, plutôt que de citernes. ...... >
Leur multiplicité en certaines vallées ......... 40
Les eaux courantes dans le Qoran ......... ^>
Pourquoi on a placé au mont Radwâ le séjour du Mahdi sî'ite ...
Les « petites eaux », suffisant à « abreuver deux cavaliers » . . . . <>
Les « eaux bleues » très estimées ; celles engraissant les chameaux. . 41
Propriétés des eaux de Zamzam ; efforts pour en dissimuler le. goût . . »
Eaux comparées à la pluie. Multiplicité des eaux amères ..... »
Fréquence des « sabaha » . terrains salins ; comment ils se forment ... »
Beaucoup de gadïr se transforment en mares salines ; nombre de puits devien-
nent inutilisables ............ 42
Puits qui « brûlent ie poil du chameau » ; vertu laxative et autres propriétés
de certaines eaux ............ >^
Mahomet améliore les eaux. Comment il s'y prend ...... »
Accidents, causés au Prophète par l'eau des puits ...... »
Table des matières 339
Les eaux de Médine; comment elles se contaminaient. Une explication pour
la malaria de Médine ........... 43
Le Prophète ensorcelé. Le puits des BanoQ Zoraiq. Les Juifs et l'aménage-
ment des eaux. Ce monopole, une des causes de leur perte ... »
Creusement d'un puits; importance de l'opération ...... »
Mahomet et les histoires d'empoisonnement. Il soupçonne des tentatives cri-
minelles, se défie des Bédouins ......... »
La malaria de Haibar "
L'antisémitisme du Prophète 44
La faune des puits et des sources désertiques. Le sable, le « samoûm », me-
naces pour les eaux. Profondeur des puits ....... «
Le Bédouin, buveur de lait. Comment il apprécie l'eau. Absence de précau-
tions pour prévenir la contamination des puits ...... 45
Sources thermales et sulfureuses .......... »
Eaux utilisées pour la culture. Barrages des « harras » »
Le mécanisme des norias en Arabie. 'AU forcé de tirer l'eau. Les puits « à
corde courte ». Ceux ne pouvant servir à l'arrosage ..... 46
Arbres allant puiser l'humidité à 30 mètres de profondeur. Cultures « ba'l » . »
5. — La fête de la nature. Cueillette de truffes. Flore du n\éâz.
Sources et puits; classification
Au début de l'hiver! Le « sail » ou l'inondation. Coquetterie de la nature dé-
sertique .............. 47
Les charmes du « rabî' ». Les chevaliers-brigands se font bergers. Courte pé-
riode de paix .............. 48
Misère du Bédouin à la fin de l'été ......... »
L'abondance renait: le lait et le beurre. Enthousiasme des nomades. On peut
« éteindre le feu et enterrer le couteau ........ 49
Cueillette de truffes, d'artichauts. Prospérité, formes exubérantes du chameau. »
Attendrissement des Bédouins. Haggâg et les chameaux -lO
Après un siècle de conquêtes la société arabe était demeurée bédouine. Les
califes et la villégiature de la bâdia ........ »
Les meilleurs pâturages, ceux situés loin des eaux. Goijts aristocratiques du
chameau .............. J'
L'Arabe, « le parasite du chameau » (Sprenger) ...... »
Le chameau, la plus utile conquête du nomade. ...... »
Durée éphémère du tabî'. ........... *
Les districts du Higâz appartiennent principalement à la catégorie des steppes. .12
Origine et formation de la steppe arabe ........ »
La flore d'Arabie. DiflScultés du sujet : imprécision des écrivains musulmans ;
étude peu avancée des plantes désertiques ....... »
340 Table des matières
Asmaf et la flore du Higâz. Le catalogue de Hamdâni 53
Le Kilâb as-Sagar d'Ibn Halâwaih »
La flore des sables; sa résistance. Le J-«J1 Z-s>- et les (J>?^ .... »
c La moindre odeur de l'hiver suffit pour tout ranimer « J4
Caractéristiques et variétés de la flore des sables : lianes, plantes basses, aci-
des et juteuses. Très appréciées du chameau ...... »
Définition- du genre hamd. Son rôle dans l'alimentation des troupeaux »
L'abus du hamd: la diarrhée du chameau ........ ô.j
La holla; définition. Alimentation mixte ........ »
6. — Pâturages et flore. Les « nefoOd ». Territoires réservés
Fréquence des espaces complètement stériles. Sables où disparaît le pied du
chameau .............. 56
Les « nefoQd .............. »
Terreur du vojageur, les nefoûd, après un hiver humide, deviennent le para-
dis des bergers ............ 57
Le gadâ et la flore des nefoûd, ressource des tribus pauvres .... »
Description de la Dahnâ'. Eloges lyriques des poètes ..... 58
La végétation arborescente, réserve des troupeaux. Sa force de résistance. Où
elle emprunte l'humidité .......... »
Arbres et fourrés des sables. \'égétation spéciale des haïras. Arbres-prairies. 59
Les provisions de fourrage inconnues en Arabie ...... 60
Comment Aboû Bakr prépara l'évasion de Mahomet. ..... »
L'institution du himà: son origine ......... »
Le Himâ Darj'ya, celui de Rabada etc. ........ 61
Origine des territoires réser\'és prés des cités >
Leur transformation en haram .......... 62
Ingéniosité des Qoraisites pour élargir le haram de la Mecque. ... »
Mahomet établit un haram à Médine. Les Bédouins n'en tiennent aucun
compte .............. »
Le hiinâ des sanctuaires. Les troupeaux du dieu Galsad ..... »
Privilèges attachés aux himâ et au.x haram. Ils sont respectés par les fauves. 63
Les chameaux des himâ font prime sur le marché ...... »
Nécessité pour les tribus de constituer un himâ. Difficulté pour en imposer le
respect. En fait de propriété le Bédouin admet seulement la sienne. . »
Les himâ de Mahomet et sa liste civile ........ 64
Le bassin du wâdi Idam et le système hydrographique de Médine. Comment
le Prophète l'utilise ; avec quelle sévérité il punit les contraventions. . »
Arbres du Higâz, difficulté de leur assigner des équivalents en nos idiomes.
On les retrouve par groupes .......... »
Arbres de belle venue. Caractéristique générale : épines, feuillage rare, cou-
Table des matières 341
leurs ternes, sucs résineux : autant de conditions pour résister aux enne-
mis du dehors ............ 65
Le système de la paix armée au sein de la nature végétale .... 66
« Pour leurs noms propres, les Arabes affectent d'emprunter les appellations
des arbres épineux » (Hamdânî) ......... »
L'influence du nom, porté par le titulaire »
La famille des 'idâh, la plus fréquemment représentée en Arabie ... »
Description du feuillage, tissus et racines 67
Préférences du chameau pour les plantes épineuses »
L'arbuste «gadâ»; quand cause-t-il la diarrhée? ...... »
Riche collection de ronces buissonneuses. « Elles représentent la forme sèche,
le négatif de la forêt » (Banse) 68
7, — Grands arbres. Arbres sacrés. Les •• harra ■> et anciens volcans
Grands arbres et forêts. On se nourrit de feuilles ...... 69
Fréquence de l'acacia « arâk ........... »
Les doiims ou palmiers-nains ; avec le ciâl ils forment des bouquets forestiers. 70
Ce qu'il faut entendre par forêt en Arabie. ....... »
Les himàs préservent de la destruction les plus beaux arbres .... »
Les arbres et les liiciis sacrés : ils sont une menace pour le monothéisme des
Bédouins ; le calife 'Omar et son fils 'Abdallah »
Mahomet et les arbres sacrés .......... 71
Arbres du champ de bataille de Badr; forêt d'.\buâ; massif boisé du mont
Radwâ. Tamarisc pouvant ombrager cent personnes »
Les palmeraies du Higâz: elles notent le voisinage de l'eau et d'une agglo-
mération .............. »
Le palmier dans la poésie. L'apostrophe aux « deux palmiers »... >
Evitons d'exagérer la dénudation de la Péninsule ...... 72
Les « harra »; extension et description. La monographie de Yâqoût. Leur ri-
chesse en humus : flore fourragère et palmiers ...... »
Domaines englobés dans les harra ......... 7.3
Anciens volcans d'Arabie. Reprises partielles d'activité aux environs de l'hégire.
Le souvenir en est demeuré dans la mémoire populaire et dans la topony-
mie locale ............. »
Efforts de Mahomet pour modifier cette nomenclature; on croit à l'influence
du nom sur le titulaire ........... »
Montagnes noires; formes bizarres et tourmentées ...... 74
Montagnes rondes. Les sables « musicaux »; la montagne des « tambours » à
Badr >
En traversant ces paysages désolés, on éprouve l'impression de côtoyer de
gigantesques foyers éteints .......... »
342
Table des matières
Les montagnes-asiles, où les Bédouins se dérobent aux poursuites de Mahomet
Montagnes rouges et multicolores ; massifs de granit et de porphyre. Massifs
boisés ; autres complètement stériles. La toponymie y fait allusion : elle
signale les montagnes vertes, chevelues et pelées. .....
Les monts As'ar au pays de Gohaina .........
La bâdia du calife 'Abdalmalik et le poète Kotayyr ......
Comparaisons attestant la fréquence des arbres. « Nombreu.x comme les arbres
de Bîsa et la végétation du Tihâma ».
74
TS
Ih
8. — Le bois et les moyens de chauffage.
Le Bédouin et le feu. Bûcherons et charbonniers
Le Bédouin, frileu.x et amateur du feu, aime à se réunir autour du foyer . 77
« Manger, boire, se chaufier », voilà tout le bien-être rêvé par les Nomades . »
Le feu, symbole de la générosité; il ne doit pas « dormir» .... 78
\Jn Bédouin prie « Allah de ne le laisser manquer de feu dans ce monde ni dans
l'autre» .............. »
Pour se chauffer, le nomade sacrifie son arc et ses flèches. La bouse de cha-
meau est utilisée ............ »
Arbres variés. Leur bois résineux et dur oftVe un excellent moyen de chauf-
fage. Celui du g'adà est proverbial ........ 79
Les coquettes arabes se proclament « belles comme le feu dans la nuit froide » »
Foyer supportant des chaudières, « larges comme des résenoirs, où nagent
des chameaux entiers » .......... »
Remarque malicieuse de Gâhiz sur la grandiloquence des Bédouins. Leur exa-
gération même permet de supposer l'existence de réserves de bois . . »
Riche synonymie pour désigner les bocages, d'après les essences, qui y pré-
dominent. A quelles parties du Higâz elle convient principalement . . 80
A cette richesse verbale, quoique légèrement factice, on aurait tort de dénier
toute signification pour la sylviculture arabe ...... »
Bûcherons arabes. Grands personnages, ayant exercé cette industrie. Bûcherons
aux environs des villes ...........
Métier pénible et médiocrement lucratif. Mais « couper du bois vaut mieux
que mendier ■» (Mahomet) .......... 81
Maladroit comme le bûcheron, « coupant du bois au milieu de la nuit ». . »
Charbonniers et caravanes, chargées de charbon ...... »
Les descendants de Fâtima bûcherons. Réflexion d'Ibn Gobair. ... »
9. — Le palmier au Iliéaz. Son utilité
11 abonde dans les oasis. D'où le proverbe: «porter des dattes à Haibar »
Arbre providentiel, « la tante et la mère des Arabes » . . . .
82
Table des matières 343
Avec la viande, la datte seule nourriture solide des Bédouins, ignorant l'usage
du pain. Le blé, une marchandise de luxe, un commerce monopolisé au
Higâz par les Juifs ............ 83
Les céréales, nourriture des riches. Leur usage donne de l'esprit, à l'encontre
des dattes, pitance démocratique »
L'opinion de Doughty. Elle doit son origine à la réputation de finesse des ha-
bitants de Tâif. Satire indirecte contre les Bédouins ..... »
Pourquoi les citadins leur sont hostiles ........ »
Manger du pain : titre de gloire, recueilli par la poésie ..... 84
Liqueur de dattes, le ?iabtd, < capable de faire peler le visage ». Cause de ri.xes
dans l'entourage de Mahomet: l'ivresse de son oncle Hamza; luttes entre
Ansârs et Mecquois. ........... »
Le Qoran et l'interdiction des boissons fermentées ...... »
Les déchets, les noyau.x de dattes composant des gâteau.x pour les chameaux.
On ramasse soigneusement les noyaux. ....... >
Leur présence dans le crottin trahit la nationalité d'une troupe ennemie. . 85
Mahomet interdit de lapider les palmiers ........ »
La philologie témoigne de l'estime du Bédouin pour le dattier. Nombreuses
variétés de ses fruits ........... »
Le rêve de tout Bédouin est de posséder un lot de palmiers .... »
Leurs attaques contre les oasis. Ils s'imposent comme partenaires. La poli-
tique de Mahomet à l'égard de Haibar et des centres juifs du Higâz . »
A quel prix les nomades protègent les oasis contre les tribus étrangères . »
Les palmiers et le voisinage de l'eau : îlots de verdure dans l'océan de la
steppe 86
Extension des palmeraies de Wâdi'l Qorâ ........ »
Leurs ramifications dans la vallée de l'Idam, puis dans la direction de Badr-
Safrâ'. Témoignage d'Ibn Batoûta. ........ 87
Cultures dans la région de la Mecque. Jardins et vergers, à l'époque d'Ibn
Gobair .............. »
Fertilité de l'oasis de Taimà'. Celle de Médine, entretenue par les apports
du wâdi Iclam. ............ »
Centres situés en dehors du périmètre des oasis de Médine et de Haibar, ap-
partenant en majorité aux Juifs ......... 88
Hitnà et rauda dans les dépendances de Médine. Conditions pour justifier la
dénomination de rauda ........... »
Mahomet et la fixation de la langue religieuse ; médiocre styliste ; faiblesse
de ses descriptions. Le Prophète, fervent admirateur de la nature. Cette
admiration demeure banale et trahit la naïveté d'un esprit sans culture . »
Les poètes contemporains ont l'observation plus fine, riche en traits pittoresques »
Importance de ces traits pour la climatologie de l'Arabie préislamite ; les géo-
graphes musulmans les ont largement utilisés 89
344 Table des matières
Ce que le Qoran qualifie de merveilles. Monotonie et insistance sur des mi-
racles d'ordre banal 89
Le Qoran inutilisable pour la climatologie. Pauvre géographe, Mahomet se dé-
sintéresse de la météorologie. Son recueil ne fournit aucun renseignement
sur les ressources de l'Arabie. Différence avec l'Evangile .... »
Même à Médine, le Prophète semble demeuré sous l'impression du lugubre
milieu de la Mecque 90
Arbres composant la description d'un verger, d'après le Qoran. Le dessin des
jardins célestes n'est pas conçu sur un plan plus large .... »
L'olivier inconnu au Higâz, à rencontre de la vigne ; on y trouve, non le vi-
gnoble, mais la vigne en treille ou en berceau ...... »
"Tâif et la fabrication du vin. A quels usages servaient les raisins secs de Tâif.
La boisson matinale du calife 'Omar ........ 91
Mépris des poètes pour cette boisson morte ....... »
D'où provenait le vin consommé en Arabie, « rappelant le glissement silen-
cieux de fourmis minuscules .......... 92
Localités du Higâz, cultivant la vigne. ........ »
Cadeaux de vin au Prophète ; il boit du natnd ....... »
Arbres du Sarât; conifères, arbres à gomme, à résine. Commerce et transport
du goudron. Nombreux noyers ......... »
Vergers luxuriants du Sarât. Ce district alimentait en fruits le marché de la
Mecque. Les jardins de Tâif, « coin de Syrie, transporté au Higâz » . 93
Vergers des régions basses : le pays des Solaimites, Radwâ, Vanbo', et Al-'Olâ.
La prospérité des oasis juives excite les convoitises des Compagnons de
Mahomet ............. »
lo. — Domaines et exploitations agricoles
Les Compagnons veulent devenir propriétaires. Le Qoran les encourage « à
jouir des douceurs de l'existence ». Leur empressement à s'assurer les
terres, susceptibles de culture ......... 94
L'e.xemple des premiers califes : établissement de haras, de parcs réservés, de
domaines d'état ............ 95
Multiplication des plantations de dattiers. Comment la Tradition essaie de pré-
senter ces entreprises arbitraires, fréquemment des spoliations. Attitude
contradictoire attribuée au Prophète ........ »
Valeur fantastique des nouveaux domaines ....... »
Propriétés des 'Alides. Ils jettent leur dévolu sur la région de Yanbo'. Excel-
lence du choix. Revenus annuels des domaines de 'Alï .... 96
Attraction du sol de la patrie sur les .\rabes, même après la prestigieuse pé-
riode impérialiste. Les plus illustres familles, celles des anciens califes, s'y
disputent les terres. ........... »
Table des matières 345
Les Omayyades n'agissent pas différemment ....... 97
Prodigieux développement de Médine : il atteste la réalité de la prospérité éco-
nomique .............. »
D'après l'expérience du passé, l'avenir de l'Arabie dépendrait en première ligne
d'un sage régime économique .......-• »
Programme des Oma>yades: établir la sécurité. Les Zobairides en profitent
pour arrondir leurs domaines ......... »
Prospérité du district de Foro'. Il possède 14 chaires de mosquée. Lot de 20,000
palmiers .............. »
La vallée du 'Aqîq et ses villas 98
Liste des localités entre Médine et la Mecque ....... »
Les 'Abbâsides négligent l'Arabie, à rencontre des Omayyades, conscients de
leurs origines arabes ........... »
Dissensions entre les 'Alides : elles favorisent la décadence du pays . . »
La coutume de combler les puits, de brûler les palmeraies, pratiquée par Ma-
homet 99
Plus que toute autre, l'Arabie réclame les soins de l'homme, la lutte inces-
sante contre les éléments. Cet ensemble suppose un pouvoir énergique, la
cessation des dissensions. Conditions rarement vérifiées à partir du 2^ siè-
cle H »
Prospérité du pays des Solaimites : variété de ses ressources et de ses districts
géographiques. Valeur fabuleuse du domaine qu'y possède Zobair ibn al-
'Awwâm 100
Importance de Sawâriqyya, centre de cette région. Etendue et variété de ses
vergers .............. »
Contradiction entre les témoignages des géographes et ceux des anciens au-
teurs. Comment les concilier. Les encyclopédistes ont utilisé les poètes,
témoins de la prospérité omayj'ade ........ »
Efforts des anciens Qoraisites pour maintenir la paix en Arabie ... »
Prospérité de la côte érjthréenne en remontant vers 'Aqaba. Description .géo-
graphique, abondance des eaux ......... 101
Nombre et ressources des localités. Avantages d'Al-Gâr, d'Aila, où « le fro-
ment est commun comme le sable ......... »
L'exploration du Prof. Musil : l'oasis Al-Badî'a, le port d'Al-Horaiba et son
aqueduc .............. »
L'oasis 'Ainoûnâ. Pourquoi la Tradition la fait concéder par Mahomet à Ta-
niîm ad-dâri ............. 102
Description de l'oasis de Sarma; ses ressources et celles de 'Afal. Cette région
« devrait former un des plus florissants districts de la Turquie » (Musil) . »
346 Table des matières
II. — La responsabilité du Bédouin
Divergence entre la réalité entrevue par nous et les idées admises jusqu'ici . 103
Explication de cette antithèse. Les appellations d'Arabie déserle et à' Arabie
Pélrée. Mirage étymologique >
Comment notre imagination nous représente l'Arabie. L'obsession des nef&Ud.
Ils forment l'exception et pendant l'hiver une précieuse réserve pasto-
rale. L'été, ils représentent le désert saharien où « s'égarer c'est se vouer
à la mort .............. 104
Les « sabaha», steppes salines et improductives. Leur origine. Le rôle de l'é-
vaporation solaire et des pluies »
Flore spéciale à la sabaha; comment elle atténue la salinité du sol. . . 105
Causes de la fertilité des harra. Elles assurent la prospérité des plus riches
oasis du Higâz ............ »
Inconstance de la météorologie, le principal désavantage du climat arabe. Le
paradoxe des hivers sans pluie; le vent du Nord. Pourquoi la Syrie et le
Vémen éveillent les idées de mauvais augure et de prospérité ... »
« Les deux noirs », l'eau et les dattes ........ »
L'eau du ciel et son rôle dans la poésie. Nostalgie de la pluie. Fréquence des
istisgâ' .............. 106
Passivité du Bédouin : elle énerve sa vigueur morale. Célébrée par Doraid ibn
as-Simma. ............. »
Note fataliste et découragée de la poésie arabe. Influences chrétiennes, agis-
sant en sens contraire. Le poète A'sâ et les évêques de Nagrân . . 107
Difficulté de tracer le portrait moral du Bédouin. Descriptions divergentes. Con-
tradictions dans la mentalité du nomade; elles se concilient avec sa très
réelle originalité ............ »
L'endurance, sabr, qualité maîtresse, vertu nationale du Bédouin. Description
et citations des poètes, principalement d'après la Haviâsa de Bohtori . 108
Le nomade la confond avec l'insensibilité. Jusque dans le deuil des siens, il
garde l'œil sec. Si un signe d'émotion a pu lui échapper, il s'en excuse
comme d'une faiblesse, il désavoue « les larmes, la seule arme de l'affligé ». »
Grandiloquence trompeuse. De l'énergie il possède la partie négative . . 10^
« Replemini terrani et subiicite eam >> (Genèse). Cet ordre n'a pas reçu son
accomplissement en Arabie .......... »
La passivité bédouine dans la lutte contre la péjoration du climat ... »
L'homme ne peut violenter la nature, mais seulement la seconder et collabo-
rer avec elle ............. HO
Table des matières 347
II
LE CLIMAT DE L'ARAHIE A-T-IL CHANGÉ?
I. — Théories anciennes et modernes
Tendance commune à toutes les sociétés de placer l'âge d'or autour de leur
berceau. Les Arabes ne pouvaient s'y soustraire. IIS
Le désert a trempé le tempérament physique du Hédouin. L'influence morale
a été moins heureuse. Déprimé par la lutte contre une nature inexorable,
il courbe la tête sous le joug du fatalisme ....... »
L'admiration pour le poète Labîd dans la tradition musulmane ... »
Comment le Bédouin préislamite s'est représenté Dieu. Conceptions pessimis-
tes des anciens poètes arabes . . 111
Pour se consoler, il a embelli la situation passée de sa patrie, le portrait de
ses ancêtres. Origine de la littérature des Mo'ainmarottn ou Centenaires . »
Le canon de l'esthétique virile, d'après les poètes . . . . . . U.'i
Ce que l'Arabe découvre dans les monuments de la Nabatée et du Yémen . »
Jadis l'Arabie présentait l'aspect d'un Paradis. Nouvelle étymologie du vocable
Higâz. Prospérité, nombreuse population de l'ancienne Arabîfe, d'après la
légende .............. »
Multiples tribus occupant jadis le Higâz . . . . . . 116
Le désert idéal de Wabâr, terre de merveilles, patrie des méharis. Influence
du Qoran sur la formation de ces légendes. Le site de Irain dât al-
' Itnâd .............. >•
L'impérialisme arabe et la question du changement de climat. Jadis les Arabes
avouaient leur infériorité vis-à-vis des peuples étrangers. Témoignages de la
poésie. Depuis l'hégire, ils rougissent de l'humilité de leurs antécédents
et exaltent le passé de leur patrie . . 117
Genèse de la théorie de H. Winckler. . . . . IIH
L'Arabie, patrie primitive, réservoir des Sémites. Pour faire accepter cette con-
ception, on a recouru au changement de climat ...... »
Résumé de la théorie de Winckler ......... »
Le dessèchement, l'ensablement progressifs ont forcé les habitants à déserter
l'Arabie 119
Emigrations principales, se succédant à un millénaire d'intervalle. Arrêt dans
l'exode, mille ans avant l'ère chrétienne. Comment on cherche à l'expliquer »
.Sous Héraclius, la crise économique atteint son maximum en Arabie; l'islam
donne le signal de la dernière des grandes émigrations sémitiques et forme
« un phénomène cosmique ou géologique » (Caetani) .....
348 Table des matières
Conséquences de la théorie: l'Arabie, < centre moral, ethnique même et, jusqu'à
un certain point, politique de l'Asie Antérieure » (Caetani) . . . 120
La thèse de Winckler reprise et rajeunie par le prince Caetani. L'importance
du facteur économique dans l'expansion de l'islam. Le fanatisme religieu.x.
Abus et insuffisance de cette explication surannée »
La misère aurait chassé les Bédouins de leur désert. La formule n'est pas nou-
velle 121
2. — Notre description du climat, d'après les auteurs arabes.
La valeur de leurs renseignements
Valeur de la nouvelle théorie. Les arguments forment un réseau imposant, au.\
mailles inégalement serrées et résistantes 122
Difficulté des identifications géographiques, principalement pour l'ancienne
Arabie »
Hésitations des géographes arabes, leurs tâtonnements, aveux d'impuissance.
Rarement ils recourent à l'autopsie ........ 123
Le cas de Fadak. On parait en avoir perdu la trace; difficulté pour situer
cette oasis importante ........... »
Prudence conseillée par cet e.xemple pour les controverses géographiques de
l'Arabie, contemporaine de Hammourabbi 124
Antinomie de la théorie de Winckler : celle de réservoir à moitié vide et simul-
tanément plein à déborder »
Le Prof. Ig. Guidi place en Babylonie « le siège primitif des peuples sémi-
tiques ............... »
Il faut délimiter le terrain de la discussion, le débarrasser des éléments étran-
gers, se renfermer dans la question de la permanence du climat . . »
Point de départ: la reconstitution climatologique, aux environs de l'hégire.
Cette reconstitution nous l'avons basée sur la tradition littéraire . . »
Prolixité de cette tradition écrite; explication du fait ..... 125
Valeur du dossier : elle est légèrement ^supérieure à la documentation histo-
rique générale de la littérature arabe ........ »
Difficultés des enquêtes en Orient : les réponses sont rarement désintéressées »
Tendances apologétiques des premiers historiens de l'islam ; mais on n'a au-
cune raison de suspecter leurs renseignements topographiques et physiques »
Nous les avons utilisés pour reconstituer l'aspect des paysages du Higâz, au 1"'
siècle de l'hégire »
Valeur documentaire, caractéristiques littéraires de ces renseignements ; rôle
des rédacteurs postérieurs, leurs artifices de style . . . . . 126
« Les plagiaires se trouvaient dans l'obligation de reproduire les idées et les
mœurs des anciens Arabes » (Guidi) ........ »
Table des matières 349
Valeur objective des descriptions des anciens poètes, En revanche ils ont créé
des réputations imméritées. Exacte valeur morale des héros de l'Arabie
préislamique ............. 126
Leur éloge par les poètes ........... 127
Protestations platoniques contre la tyrannie et l'injustice »
La louange poétique devait se payer. Comment les poètes moralisèrent leurs
contemporains; ils provoquaient l'émulation, en exaltant la valeur de la
louange .............. »
Les « ma'sada », cantons infestés par les lions. Leur multiplicité a été déduite
de la poésie, d'après un procédé fréquent dans la documentation histo-
rique et géographique des Arabes 128
Diffusion de l'art poétique; son intervention continue dans la vie privée et
publique. Dressage et entraînement poétiques. Les poètes se copient ; ils
se transmettent les formules, les images pittoresques ..... »
« Le lion, rare en Arabie, sans en excepter les temps anciens » (Nôldeke), à
rencontre de l'onagre ........... »
Ce que prouve sa mention par les poètes; «aucun peut-être n'avait vu un lion »
(Xôldeke). Témoignage des grands recueils à cet égard .... 129
Le lion dans la Tradition musulmane. « Il serait le chien d'Allah » (Gâhiz).
Aboû Zobaid et les descriptions du lion ....... »
Les poètes n'ont pas décrit des paysages conventionels : ils ne mentionnent
ni la neige ni la pêche ........... »
Le froid mordant des nuits de Gomâdâ. Les forêts ont pu être moins touflues,
mais les arbres, mentionnés en poésie, appartiennent à une flore réelle . 130
La bibliothèque variée de la Stra, des Sahïh corrobore le témoignage de la
poésie .............. »
Tous ces documents font mouvoir leurs personnages dans une Arabie réelle.
Plus on en rajeunira la date, plus on affaiblira la thèse de Winckler . »
3. — Le climat arabe convient à une société pastorale. Importance et diffu=
sien du chameau. Tribus nombreuses. Introduction du cheval et de la
vigne.
L'impression, résultant de ce dossier, constitué par la poésie et l'ancienne an-
nalistique, est celle de steppes, créées par l'évaporation et suffisant aux
besoins d'une société pastorale 131
Le chameau en forme le centre. Sa place énorme dans la littérature indique
celle occupée dans la vie quotidienne. « L'Arabe réussit seulement là où
prospère le chameau » ('Omar) 132
Il n'est jamais question de la vache ; elle trouverait difficilement sa subsistance
dans les steppes arabes, où son nom est demeuré une injure ... »
Pour prouver que l'Arabie convenait jaux habitants, il suffit d'établir qu'elle
350 Table d(.'S matières
convenait au chameau. Rien de mieux adapté à son élevage que les durât.
Le chameau subsisterait péniblement dans nos climats humides. Ressources
que lui offre la flore désertique; sa variété ....... \?,<
En hiver, le sable même des « nefoûd » devient productif . . 1.3.3
« La misère ou la richesse du Bédouin dépendent de la pluie » (Gâhiz). En
hiver ce n'est pas l'herbe mais plutôt les chameaux qui font défaut. Cette
saison coïncide avec la naissance, l'allaitement des petits .... »
Ressources offertes après la saison humide: le chameau mis à la ration, mais
non à la ration de famine. Arbres et buis.sons ; extension des pérégrina-
tions, pour trouver le fourrage, et des territoires, dont disposent les tribus 1.34
Combien de jours le chameau tolère la soif: distribution convenable des points
d'eau. Pour les Bédouins l'usage du lait compense les déperditions humides •>
Le voisinage des oasis, celui de la Syrie et du Yémen leur fournissent un sup-
plément d'alimentation solide. Le Higâz, lieu de passage .... »
Les ég:>-ptologues et la flore du désert oriental d'Egypte. Ils rejettent sur le
chameau l'appauvrissement de cette flore. Ce qu'il faut pen.ser de cette
accusation ............. »
En Arabie la multiplication du chameau coïncide avec le ma.ximum de prospé-
rité. Le vocable mal, fortune, le désigne tout d'abord. Le chameau, extraor-
dinairement répandu aux environs de l'hégire. Le petit bétail est peu con-
sidéré .............. »
Transactions où l'on procède par centaines de chameaux ..... »
Cas où il fallait doubler, décupler ce nombre. Milliers de chameaux, tenus en
réserve pour les vainqueurs des iiwnâfara, pour la liquidation des guerres
civiles .............. 135
Quantité de chameaux, requis pour le service des caravanes. Jamais les Arabes
n'ont associé leur multiplication à la décadence de leur patrie ... »
Prospérité des tribus du Higâz aux environs de l'hégire. Chiffre de la popula-
lation des Banoîi 'Advvân .......... »
Nombreux chevaux possédés par les BanoQ Solaini, les Bar.oii 'Abs. A quelle
condition on méritait le titre militaire de garrar ; celui A^ fàris atteste
l'importance grandissante du cheval . . . . . . . . 136
Problème de l'alimentation du cheval au désert: lait, gâteaux de dattes, viande
hachée. On songe à lui avant la propre famille . . . ... . »
Signification primitive du vocable « lahm » ....... 137
Le cheval, une bête de luxe au désert; à sa présence on devine une tribu
riche. D'après un proverbe, il surpassait la femme en beauté ... »
La multiplication du cheval, celle des « hiniâ » ne cadrent pas avec l'hypo-
thèse d'une dégradation du climat ........ »
Indices permettant de supposer une population prospère et en voie d'augmen-
tation, malgré l'oubli des lois de l'hygiène. La cécité chez les Banoû 'Auf 138
Table des matières 351
Le siècle antérieur à l'hégire, période d'anarchie politique; disparition des
états indigènes, des pouvoirs pondérateurs . . • 138
D'après Winckler, le climat arabe se trouve voué fatalement à toutes les dégra-
dations, chaque siècle enregistre les progrès de l'ensablement . . . 139
L'Arabie s'enrichit pourtant de nouvelles conquêtes dans les règnes végétal et
animal .........■•■■• »
Date de l'introduction du cheval en Arabie. Conséquences de sa multiplication
pour les descriptions poétiques. Son nom se rattache à la dignité de chef IJO
Le cheval appartient désormais à l'histoire arabe; celui de la Péninsule se
place à la tète de l'aristocratie chevaline »
Introduction du mulet, œuvre du Prophète »
La mule Doldol. Le mulet n'apparaît que dans les cités de l'Arabie 141
Le pain dans l'ancienne Arabie, sa rareté. Dattes et viande, les seules nourri-
tures solides. Culture du blé et des céréales. La vigne au Higâz; son in- »
troduction postérieure à notre 4« siècle. Centres de diffusion ... »
Les Juifs arabes et la culture de la vigne. A qui l'on doit l'introduction du
dattier. Son importance pour l'avenir de l'Arabie: elle montre la possi-
bilité d'améliorer le climat .......... 142
4. — Rigueur du climat arabe; sa tendance à empirer.
Réaction des agents de reconstitution. Rôle de la pluie
Grave malentendu, troublant cette discussion 143
Le climat arabe est rigoureux. Définition d'un climat rigoureu.x ... »
Un climat mauvais tend à devenir excessif 144
Le désert, « une région de pluies insuffisantes et de sécheresse trop intense »
(Walther). Paradoxes géographiques au désert ...... »
Action du soleil. Minimum d'humidité ........ »
L'extension du désert en dépend. Le désert souffre d'un e.xcès de minérali-
sation : sabaha et dépôts salins, manifestations de ce mal. que seules des
eaux diluviennes peuvent combattre. Invocations des poètes à la pluie 145
Conditions défavorables de la flore arabe ; sa résistance admirable ; dévelop-
pement rapide ............ »
Les fréquentes aridités diminuent cette résistance ; elles favorisent l'extension
des sabaha. La passivité du Bédouin manque de ressort pour l'arrêter . 146
Eloge poétique du sabr. Le fils de 'Omar s'intéresse aux arbres ayant abrité
Mahomet. Le Bédouin ne partage pas cette sollicitude .... »
.■\rbres coupés et puits comblés. Diminution des bocages, des bonnes terres
et des oasis en Arabie. Fadak et Wâdi'I Qorâ 147
Pourquoi on a affirmé un changement plus considérable : on s'est borné à sup-
puter les effets séculaires de l'évaporation . . . . . 148
Le soleil et les vents sont également des agents de reconstitution ... »
352 Table des matières
Comment la pluie parvient à rétablir l'équilibre. Elle permet à la flore de re-
conquérir une partie des positions perdues. La pluie doit avant tout dé-
barrasser le désert de son e.\cès de salinité ....... 149
Pourquoi les pluies doivent être abondantes. Vicissitudes de l'équilibre des
forces naturelles au désert: l'histoire climatologique du Higâz enregistre
les phases de cette lutte. Répits utilisés par la végétation. . . . 150
Ces répits expliquent la persistance de la vie végétale en Arabie . 151
La tradition écrite n'est pas favorable à un changement de climat. Entre la
période ancienne et la période contemporaine, elle constate, non une lacune,
mais la continuation ........... >
Partout la lutte de l'homme contre l'e.xcès de sécheresse; constance des pé-
riodes climatologiques ; elles coïncident avec les dates, observées de nos
jours. Même observation pour la pluie et les inondations. Pluies diluviennes
et débordements. Faits contemporains . . . . . . . . 152
Anciens barrages et réservoirs du 'Aqîq. Apathie des Médinois modernes . 153
5. — Activité agricole des Juifs en Arabie. Conséquences désastreuses des
expulsions décrétées par Mahomet. Vitalité de la race arabe au 7. siècle
Toutes les oasis du Higâz ocupées parles Juifs; leur activité variée; elle pro-
fite à l'agriculture. Etendue de Wâdi'l Qorâ ...... 154
Mépris des Bédouins pour l'agriculture, d'après Ammien Marcellin . . . 155
Travaux agricoles des Juifs de Wâdi'l Qorâ. A Médine, les meilleurs puits leur
appartiennent. Les musulmans sont leurs tributaires. Encore la malaria de
Médine .............. »
Hostilité de Mahomet contre les Juifs; leurs succès agricoles provoquent
l'émulation ............. »
Comment le Prophète prépara sa lutte contre Israël : multiples relations entre
Juifs et Médinois. E.xpulsion des Juifs; politique continuée par le calife
'Omar. Comment on s'immunisait contre la fièvre de Haibar . . 156
Importation d'esclaves au Higâz; elle atténue les effets de l'e.xpulsion des Juifs 157
La politique agraire des Oma>'jades. Efforts de Mo'âwia. Les nombreux escla-
ves, fixés sur ses domaines d'Arabie. Mesures des Omaj^-ades en faveur
de l'agriculture ............ »
Abondance de blé et de dattes. Prospérité du Higâz à cette époque ; rende-
ment d'une palmeraie ........... »
Le pouvoir seconde ce renouveau agricole. Efforts des gouverneurs omayyades
pour guérir l'indiscipline des nomades. ....... 158
Ruines causées par l'anarchie antérieure. Milliers d'Arabes, réduits en escla-
vage. La vie pastorale, aliment insuffisant à l'activité des Bédouins . . »
Obsession de la razzia, devenue une institution nationale. Aucune tribu n'y
Table des matières 353
résiste : on n'épargne pas même les contribules. Les Bédouins chrétiens
ne font pas exception. Les «journées des Arabes» . . . . • l'>'J
Exploits des « losoûs », brigands insaisissables. Répression du brigandage: la
pénalité de la main coupée .......... I6u
Les tribus interviennent en faveur de leurs irréguliers. Ceux-ci ne respectent
pas même les pèlerins ........•■ 161
Les poètes troublent la paix. On les défère à l'autorité. La roupe métapho-
rique de la langue ........•••■ »
Le gouvernement réussit à se faire redouter des poètes. E.xemples de Garir
et de Farazdaq ............ 162
Les Bédouins s'habituent à recourir au gouvernement. Mahomet supprime les
mois sacrés ; conséquences déplorables de cette suppression. Pourquoi l'on
abandonna 'Okâz et les anciens marchés ....... 163
6. — Prospérité du Hiész sous les Omayyades. Extension des cultures
164
165
166
167
Prospérité du Higâz au 1«'' siècle H. Pourquoi il devient la première préfecture
du califat, la retraite aristocratique, le rendez-vous des grandes familles
Népotisme inhérent à la nature arabe. Le favoritisme du calife "Otmân .
Les artistes foisonnent au Higâz. Médine et la Mecque, villes de plaisir. L'a
ristocratie arabe s'y retire .........
Le système de la liturgie et les primitifs monuments de l'islam
La passion des constructions et des défrichements ; travaux hydrologiques
Extension de l'oasis médinoise. Les autres centres de culture, Badr-Safrâ"
Wâdi'l Qorâ, reculent leurs limites. Revenus des propriétés de Fadak
Ce que rapportaient à Mo'âwia les domaines du Higâz ....
La mode de la bàdia, l'institution des himâ, la prospérité de l'élevage du
cheval, autant de présomptions contre la théorie de l'ensablement. Le
Higâz devient une terre « dont le corbeau ne s'éloigne plus »
La population augmente proportionnellement. L'introduction d'éléments étran-
gers favorise l'adoption de méthodes nouvelles. .Multiplicité de la m.iin
d'œuvre. L'expulsion des Nagrânites et des Juifs ne cause pas de vides 168
Abondance générale; témoignage d'Ibn Qais ar-Roqayyât. On adopte tous les
raffinements de la civilisation et des arts ....... »
Routes et pierres milliaires. Scandale des vieux Compagnons : ils en appellent
à l'autorité et à l'exemple du Prophète . . . . . . 169
Les 'Abbâsides rompent avec ces traditions; désormais, déclarent-ils, ni canaux
ni bâtisses ............. »
Mahomet et l'agriculture. S'y est-il montré hostile? Pourquoi on a ici interposé
son autorité 170
Lammens — Berceau
"3
354 Tabli- dcr. matières
7. — Même sujet. Explication de l'expansion et des conquêtes arabes. Le
facteur économique. Un climat rigoureux peut être amélioré. Les 'Abba-
sides et la décadence de l'Arabie
Exagérations propagées par les So'oûby>'a. Réfutation indirecte de VAgàtii . 171
Les poésies contemporaines chantent le bonhieur de vivre. Emigrés en Syrie,
les Omayyades du IHIigâz s'y considèrent en exil. Magnificences des châ-
teaux de Médine; nostalgie du désert . . . . . . . 172
On la retrouve chez les poètes bédouins de la période omayyade . . . 173
Les charmes du Nagd et de Himâ Daryya. Témoignages des voyageurs . . »
Signification de cet accord unanime 174
La faim a chassé les Bédouins de leur désert, après la mort de Mahomet.
Sens de cette formule ........... »
L'islam a opéré la réunion des .arabes, en supprimant les luttes intestines,
en limitant le droit de razzia ......... 175
Mahomet et les conquêtes extérieures. Inconsistance de la théorie adoptée
jusqu'ici ............. ^^
A quoi se réduisirent les expéditions du Prophète au nord du Higa/. Le raid
d'Osâma ibn Zaid . . . . . . . . . . . . 176
La ridda et les premières conquêtes. L'expansion islamique est née de l'irré-
sistible penchant à la razzia . . . . . . . . . 177
Un climat désertique peut être amélioré »
Les Omayyades en ont fourni la preuve 178
Leurs eftbrts pour assurer au Higâz l'arrosage artificiel. Travaux de Mo'âwia :
création de jardins près de la Mecque. ...... 179
On capte les eaux : importance attachée par les Omayyades à leurs domaines
du Higâz. Ce que rapportait le gouvernement de la Mecque . . 180
L'avènement des 'Abbâsides, un désastre pour le Higâz ; ils détruisent les
ouvrages d'art de leurs devanciers . . . . . . . . 181
Ils abandonnent le pays aux éléments destructeurs 182
m
LES BEDonXS
I, _ Jugement d'ensemble sur le Bédouin. Ses qualités morales.
Son individualisme; son courage douteux. La ténacité, sa qualité maîtresse
Division de la population du Higâz : sédentaires et nomades. X'illes du Higâz.
Les nomades sont les plus nombreux et ont mieux conservé le type de
la race ........••.•• '85
Table des matières 355
Infiltrations étrangères chez les sédentaires. ....... 186
Le Bédouin intelligent et passionné de poésie »
Prérogatives de la langue arabe 187
Lacunes morales du Bédouin : son individualisme les résume. D'où provient
chez lui l'absence de vertus sociales »
De l'individualisme il possède tous les défauts et aussi les douteuses qualités.
Dureté du Bédouin 188
Le respect du sexe, proclamé par les vieux poètes. Le culte chevaleresque de
la femme, monopole de la tribu chrétienne de 'Odra 189
Humanité plus grande des tribus chrétiennes. Pourtant le Bédouin ne devient
jamais vulgaire, ni cniel sans nécessité ....... 190
Séduction exercée par le type du sa'laûk sur les contemporains . . . 191
Qualité inférieure du courage chez le Bédouin ; il n'estime pas les vertus ca-
chées, la valeur anonyme 192
La fuite n'est pas considérée comme un déshonneur. Le rôle des femmes à la
guerre .............. 193
Intrépidité des « saHoûk », elle explique l'admiration qu'on leur vouait . 194
La ténacité — qualité maîtresse du Bédouin »
Oppositions dans son tempérament physique et moral. Il est excessif jusque
dans les sentiments les plus légitimes ........ 195
Comment fut pleuré le brigand Ga'far ibn 'Olba . . . . . . 196
La sélection naturelle e.xplique la robustesse de la race ..... »
2. — Le Bédouin rebelle à l'idée d'autorité.
Opposition entre ses aspirations aristocratiques et son milieu égalitaire
« Notre ennemi, c'est notre maître », devise adoptée par les Bédouins . . 197
C'est un aristocrate, né, grandi dans un milieu foncièrement égalitaire: ses
quartiers de noblesse j_à_.iJl y_slJ>l , ses pairs ou ko/ou' . . . . 198
Son ostentation; il n'admet pas d'avoir un supérieur 199
Appels incessants à la gloire des ancêtres ........ 200
La cécité chez les Banoîi 'Auf est considérée comme une marque de légitimité.
Le Bédouin ennemi du principe de subordination . . . 201
Conflits, confusion, amenés par ces prétentions. Le Bédouin, démagogue dans
sa vie publique, aristocrate individuellement et dans son for intérieur . »
Droits reconnus à l'autorité dans les démocraties les plus avancées. Le nomade
refuse de les admettre ........... »
Diflîculté de la présente discussion : il faut nous débarrasser de notre habitude
de classification, de réduire en catégories, de ramener à des types toutes
les formes de la vie politique ......... 202
Le nombre des exceptions semblera mettre en doute la réalité des principes
23
356
Table des matières
généraux que nous aurons dégagés. Nous commencerons par étudier l'au-
torité chez le chef de la communauté nomade ......
202
La terminologie en usage pour désigner les représentants de l'autorité.
Pas de protocole rigoureux
Synonymes désignant le dépositaire du pouvoir ......
Sens du vocable rabb ; il est accordé à certains kâhin ....
Grands chefs qualifiés de rabb. L'influence du Qoran l'a transformé en titre
divin. Multiple usage antérieur de ce vocable .....
Ra'îs désigne le commandant militaire ; qffid en est un synonyme moins an
cien. Valeur du terme ras .........
Sazh, qualification la plus habituelle de nos jours, était jadis plus rare et fré-
quemment associée à un équivalent .......
L'ampleur du terme saih provient du sénioral. Titre également accordé aux
grands souverains et au.x premiers califes ......
Sayyd, titre ordinaire des chefs bédouins, pendant l'antiquité et sous les Omay
yades .............
Sayyd, sarïf, réservés plus tard aux descendants de Mahomet .
Absence de protocole rigoureux. Le Bédouin refuse de s'y plier
Le titre de roi : à qui réservé . . . ...
203
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»
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»
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4. — Chez les Arabes l'exercice de l'autorité entraîne surtout des charges.
Rare ensemble de qualités qu'elle suppose
A quelles conditions on acquérait l'autorité. Réponses de Qais ibn 'Àsim,
d'Ahnaf ibn Qais et d'un Bédouin des Banoû Bakr . . . . 211
Programme et recommandations à ce sujet de Doû'l Osbo'. Les poètes décer-
nent les distinctions _........... 212
Qais ibn 'Âsim doit sa réputation aux poètes ; même remarque pour 'Arâba al-
Ausî. Sa déclaration au calife Mo'âwia. ....... 213
Le sayyd à la fois craint et démonétisé ; il le sait et s'accomode de cette si-
tuation. L'envie, péché national des Arabes . . . . . . 21 i
Ensemble de qualités rares exigé du sayyd: l'abnégation lui est indispensable,
pour dissimuler sa supériorité et se laisser dépouiller 215
11 doit être à la disposition des siens, être « l'esclave de tous > . . 216
S. — Le sayyd doit être intelligent. La vertu politique du hilm.
Importance de l'art oratoire
Joutes poétiques. A quelles qualités on reconnaissait la supériorité des tribus ;
en première ligne, l'intelligence
217
Table des matières 357
Le kilm. De quoi se compose cette vertu des hommes faits pour commander 218
Mélange de qualités et de défauts; prérogative spécifiquement intellectuelle . 219
Une vertu politique. C'était une attitude, un opportunisme prudent. . . 220
L'organisation démocratique de la tribu la rendait indispensable pour le say>'d 22)
Sayyd et amir désignaient primitivement l'orateur. Le hatïb, porte-parole de
la tribu 222
Le maglis, nâdi, parlement où se traitent les affaires de la tribu . . 223
Importance de l'art oratoire. Manquer d'orateur, une calamité publique . 224
La mort d'un orateur sert de repère chronologique. Cette situation tient de
nouveau à l'organisation démocratique'. ....... 225
Tous les grands hommes d'état oma>yades furent orateurs .... 226
L'Arabe trop réaliste pour atteindre à la haute poésie ; en revanche merveil-
leusement doué pour l'éloquence ......... »
Même en poésie, l'Arabe démontre surtout son éloquence .... 227
Pourtant il n'e.xiste pas d'éloquence arabe. Influence de l'islam ... »
Responsabilité des 'Abbâsides en cette matière ....... 228
Nombreux poètes parmi les sayyd. La poésie, un facteur de civilisation . . 229
Privé de tout moyen de coercition, le sayyd n'a pas même un garde-champê-
tre sous ses ordres. ........... »
Supériorité de la poésie sur l'éloquence, «elle marche plus vite! ». . . 230
Diffusion de la satire. Parallèle entre les poètes et les journalistes . . . 231
La musique et la satire. Le chameau sensible à l'harmonie .... »
Le « hâdi », conducteur de chameau : musicien et improvisateur. Agent de dif-
fusion pour la satire. Le sa\"yd ne pouvait rester j»-yvà .c , laisser l'attaque
sans réplique ............. 232
Nécessité de gagner les poètes. Leurs h>T3erboles ...... 233
Ils trouvent aussi de nobles accents. Services rendus à la paix publique. . 234
Le riche, d'après la conception bédouine ........ 235
Les poètes et les cadeaux. Entre eux et leurs Mécènes, échange de procédés
presque protocolaires, une sorte d'égalité s'établit ..... 236
S'ils reçoivent, ils paient en louanges; aussi ne sont-ils pas gênés d'être en-
richis par la munificence d'autrui ......... »
Intervention de la poésie dans les discussions, dans les négociations diploma-
tiques .............. 237
Importance de s'assurer une bonne presse, c'est à dire le concours des poè-
tes 238
6. — Nécessité de la fortune pour le sayyd. Il doit tenir table ouverte.
La rançon du sang
'Abdallah ibn Habib, « le mangeur de pain ........ 239
Les poètes ont stigmatisé la trahison. Par ailleurs ils déversent le ridicule sur
358 Table des matières
les tribus incapables d'une injustice, quand elle ne coûte rien. C'est le pa-
radoxe bédouin ............ 240
• J.a pauvreté n'est pas une vertu arabe; opinion des poètes. Le sayyd avare!
Tas de cendres à l'entrée de la tente du chef . . . . . 241
Le saj-yd doit se montrer vaillant à table ........ 242
11 doit être corpulent, à sa mort laisser comme unique héritage « un sabre et
des marmites ». Invitation publique à venir se rassasier chez lui de vian-
des...! 243
Conditions pour mériter le titre de kâviil. La natation, inscrite au programme
d'éducation. Comment cette idée est venue aux Arabes .... 244
Générosité de Sa'd ibn 'Obâda. Son invitation quotidienne à « se rassasier de
viande et de graisse ». Sa'd et le « Triumvirat ». . . . . . 245
La dignité de sayyd suppose la fortune. Les veuves, les orphelins demeurent
à sa charge. La loi du talion multiplie leur nombre ..... 246
Le prix du sang: le meurtrier le réclame sans embarras ..... 247
Le jeu de la razzia : elle ne devrait jamais être sanglante. .... »
Pour le Bédouin, l'art de la guerre se résume dans la ruse. Les plus célèbres
« sa'loûk » sont des fuyards, des coureurs devançant les chevaux . . 248
Un meurtre, considéré comme un accident. Le sayyd doit coopérer au rachat
du sang. Le titre honorifique de « portefaix ....... 249
11 comporte l'obligation de fournir des centaines de chameaux. . . . 250
Variations poétiques sur ce sujet. « Le premier portefaix du siècle! » . . 251
7. — Division de l'autorité. Multiplicité des sayyd. Opposition à leur pouvoir
Les Arabes, partisans de la décentralisation. Même dans les villes, l'autorité
se trouve éparpillée ........... 252
L'organisation de Kagran, partagée entre le sayj'd, le 'âqib et l'évêque . . 253
Multitude de chefs secondaires dans une même tribu 254
Le chef unique pour toute une tribu — comme celle de 'Abs — forme l'ex-
ception .............. 255
Même observation pour les groupes considérables de Tamim et de Bakr . 256
Les notables de la tribu, les fils des anciens sayyd, les hakani, les kâhin, les
sibylles, autant de castes à ménager ........ 257
L'influence des kahiii ; certains dirigent les razzias ><
Les hakam. D'où provenait leur autorité. Chrétiens choisis comme arbitres.
Exemples de Nagrân et du poète Ahtal ....... 258
Les Arabes avides de distinctions. Comment Mahomet exploita cette propen-
sion: variété de titres accordés par lui. . . . . . . 259
Qualités de Hârita ibn Badr »
Pourquoi il refuse le titre de sayyd ......... 260
I
I
Table des matières 359
Mérites éminents de Doraid ibii as-Simma ; il se dit prêt à suivre ses contri-
bules, même dans l'erreur .......... 260
Héroïsme du dépouillement imposé au sayyd ....... 261
Seul l'instinct de la conservation peut forcer les Arabes à remettre au sayyd
le soin de la défense commune ......... »
Election du chef militaire. Dictature de Zohair ibn Ganâb .... 262
Le danger disparu, le chef perd son autorité. On lui rappelle, comme à Salmâ
ibn Naufal, l'origine populaire de son pouvoir ...... 263
Les e.xcès de l'anarchie amènent les Arabes à choisir un chef énergique. ^laho-
met profita d'une de ces périodes de réaction pour s'introduire à Médine. '-'64
Situation critique de cette ville à la veille de l'hégire ..... 265
L'autorité chez les Taglib. Prestige de Kolaib ....... »
« Quand Ahnaf se fâche, 100,000 glaives sortent du fourreau ». Que penser de
cette bravade? ............ 266
Les cas, où Afwah al-Audî peut compter sur la docilité des siens . . . 267
8. — Chefs incontestés. Lutte de Mahomet et des premiers califes contre
l'aristocratie bédouine. Le sayyd et la représentation extérieure de la
tribu
Sayyd incontestés, comme 'Oyaina ibn Hisn ....... 268
Noblesse de Manzoiir ibn Zabbân, un mauvais musulman. .... 269
Manzoûr refuse sa fille à Hasan fils de 'Alî ....... 270
Lutte de Mahomet contre l'aristocratie: invectives du Qoran contre les Bé-
douins ............... 271
La lutte est continuée par les successeurs du Prophète. Sanglante répression
sous Aboîi Bakr. La seule noblesse sera désormais celle de l'islam . . 272
Les sayyd sont blancs et chauves ......... »
Leur influence toute morale ; ils sont diplomates et politiques .... •>
La représentation extérieure de la tribu leur est dévolue, les questions de paix
et de guerre ............. 273
Le droit de l'eto. Concessions de 'Omar à la tribu de Bagîla, pendant la guerre
de Perse. Composition à l'amiable : une Bédouine y oppose son veto et
obtient gain de cause ........... J74
Sous Yezîd I, fait analogue chez les Banoû Godâm ...... 275
Limites de l'autorité du sayyd. Qualités qu'on présupposait; les conditions sine
qua non, présidant à son élection. ........ »
9. — La femme dans l'Arabie ancienne. Promiscuité.
Réaction aux environs de l'hégire
Mahomet et la polygamie: l'organisation du harem. Il qualifie la femme de
«prisonnière de guerre». Son évolution féministe ..... 276
360 Table des matières
La femme libre en face de l'épouse esclave. Dangers menaçant sa situation.
Position plus indépendante de la femme libre ...... 277
Le Bédouin polygame et jaloux de s'assurer une nombreuse postérité . »
Il veille à la pureté de sa race: ce qu'il faut penser des documents s'expri-
mant en ce sens. Le témoignage de la poésie ...... 278
L'Arabe ne comprend ni la stabilité ni l'unité du mariage .... »
Promiscuité ; comment sont traitées les prisonnières. Scènes d'horreur après la
bataille de Honain. Comment est considéré l'adultère .... 279
Vices contre nature. Formes anciennes du mariage ...... 280
La moi'a; le sens de zinâ dans la terminologie musulmane .... 281
La législation matrimoniale du Qoran marque un progrès: habileté de Maho-
met. Le progrès s'opère à l'avantage de l'homme ..... »
En revanche il a amoindri la situation de la femme 282
« Aboû Noljaila » et autres konias suspectes. Koiiias données à la naissance. >•
La giâ/a, chargée de scruter le mystère des naissances. Immoralité dans les
villes, surtout à la Mecque .......... 283
Le « Kitâb al-matâlib » et les origines des hommes les plus considérés. Ren-
seignements à ce sujet fournis par la Sîra. Le « safâh ». . . . 284
Les ancêtres de Mahomet. Le mariage de son père 285
Ses parents morts hors de la Mecque. Comment se maria Mahomet ; « fils
d'Aboû Kabsa » ; la négresse Omm Aiman et ses oncles des BanoCi Sa'd. 286
La Sïra ne réussit pas à éclaircir ces mystères. Que penser alors des autres
familles ? 287
Réaction monothéiste au 6« siècle, entraînant un contingent de principes civi-
lisateurs »
La reprise du commerce attire les Bédouins hors de leurs déserts . . 288
Cette réaction est favorisée par les poètes, infatigables voyageurs. Ils procla-
ment le respect dû à la femme .........
Ce respect parait avoir été le monopole des Arabes chrétiens .... 289
Importance du hasab, e.xtraction aristocratique ; il favorise le mariage des fem-
mes libres .............
Persistance des patronymiques féminins. D'où provenait la situation exception-
nelle de certains grands sayj'd ......... 290
Comment on nous dépeint ces patriciens : .Manzoûr et 'Oyaina. Comment ils
comprenaient et pratiquaient l'islam . . . . . . . . 291
'Oyaina et l'existence d'Allah. Les Compagnons cherchent à entrer dans la fa-
mille des grands sajyd ........... 292
Même constatation pour les chefs kalbites. As'at ibn Qais et le calife Aboû
Bakr 293
Les Omayyades s'allient aux tribus arabes de Syrie ...... 294
Table des matières 361
10. — Importance de la condition maternelle.
Ni esclave ni prisonnière de guerre
Mahomet adopte ce progrès. Atténuation dans le Qoran des principes démo-
cratiques du début. ........... 29.5
La fiction de la pureté de la race arabe, des généalogies : importance du hâl,
oncle maternel ............ 296
Les « monâfara », joutes poétiques, et l'état civil de la mère .... 297
Dégradation morale de la femme esclave ........ 298
Les héros se proclament fils d'une femme libre, ho7-ra 299
Evolution du terme de horra 300
Entre lui et Adam, le nomade ne connaît d'autre mère esclave que l'Egy-
ptienne Agar. Un cas douteux dans la descendance féminine annule la
noblesse paternelle. ........... 301
La parole de 'Aqîl frère de 'Alî: < le plus noble des hommes c'est moi, puis
le fils de ma mère ». Enfant trouvé 302
Les prisonnières de guerre : leur condition malheureuse ..... 303
Avec elles le mariage est peu considéré ; leurs enfants à peine plus estimés
que ceux de l'esclave ........... 304
Pour enlever la tare, il faut rompre le premier mariage et le renouveler
d'après le code bédouin 305
La mofâhara de 'Àmir ibn at-Tofail avec 'Alqama ibn 'Olâta .... 306
Lutte entre les idées nouvelles et anciennes. Le progrès de l'islam compro-
mettra les résultats obtenus »
II. — Le chef doit posséder la maturité de l'âge
Les qualificatifs saih, kabtr joints au titre de sayyd. Estime des Bédouins pour
la force physique. Un chef dont € la 'itnânta sert de drapeau » . . 307
Avant tout, ils exigent l'intelligence, la maturité de l'âge, mais sans atteindre
la limite voisine de la décrépitude ........ 308
Au désert, les sayyd les plus intelligents sont guettés par la sénilité . . 309
Les inconvénients de la vieillesse, d'après les poètes ..... »
Impuissance et abandon des vieillards. En quel sens les Arabes se déclarent
partisans du séniorat, c-à-d. pour la maturité de l'âge .... 310
Le sayyd ne doit pas être imberbe: le cas de l'Ansârien Qais ibn Sa'd . . 311
La formule du séniorat : kâbir 'an kâbir ........ »
Opinion à cet égard de Qais ibn 'Àsim. Invraisemblance de la légende du jeune
'Abbâs choisi par les Qoraisites comme chef militaire. La même prérogative
réclamée pour Aboû Gahl. Médiocres qualités guerrières de 'Abbâs . . 312
Répugnances contre les jeunes chefs. Le cas de Zaid ibn Tâbit . . . 313
Exagérations des poètes, célébrant leurs Mécènes, < sayyd à partir du berceau ».
Chefs «imberbes». Que penser de ces bravades poétiques? . . . 314
362 Table des matières
■a. — Exclusion de l'hérédité et de l'idée dynastique.
Le droit de primogéniture
L'hérédité du pouvoir, le concept dynastique répugnent aux Bédouins. D'où
provient cette répugnance 315
Ils n'admettent pas d'exception, même pour les frères du sayyd, en cette
matière .............. 316
Ils flairent partout le danger du pouvoir absolu. « Un roi au Tihâma » ! . . 317
'Àmir ibn at-Tofail, un des principaux « démons d'Arabie ». Sens de ce qua-
lificatif »
Ses antécédents, ses rapports avec le poète A'sâ, avec Mahomet . . . 318
.Son opinion sur l'hérédité du pouvoir ........ 319
Le Bédouin refuse de se lier au sort d'une famille. L'histoire de Zohair ibn
Ganâb en fournit un nouvel exemple ........ »
Portrait, qualités éminentes de Zohair, un des « Centenaires » ... 320
Succès et durée extraordinaires de sa carrière publique. Son suicide par le
vin, le genre de mort aristocratique ........ 321
Les Bédouins, une race prolifique. Nombreuse descendance de Zohair. Oppo-
sition de son neveu, lequel hérite de son autorité ..... 322
Ma'n ibn Aus et sa longanimité dans une situation analogue. Beaux vers qu'il
prononce à cette occasion .......... 323
Même inconsistance chez les tribus de Rabï'a ....... »
Le déplacement incessant de l'autorité charme les Bédouins .... 324
Ils protestent contre Aboîi Bakr, succédant à Mahomet ..... »
Ils n'admettent pas la stabilité du pouvoir, même au sein d'un clan consi-
dérable 325
L'histoire arabe enregistre quatre exceptions. C'est un phénomène que la suc-
cession de trois chefs en ligne directe ........ »
Quatre grandes familles en Arabie : elles doivent compter une succession inin-
terrompue de quatre chefs, ayant mérité le titre de kâmil. Les députés
arabes en présence du roi de Perse ........ 326
A quelles conditions la famille d'Asmâ' ibn Hâriga conserva le titre de sayyd »
Celle de l'Ansârien Sa'd ibn 'Obâda compte une série de quatre sayyd. Ce
chiffre n'a jamais été dépassé dans une même famille .... 327
Théorie d'Ibn Haldoûn : pourquoi «la noblesse d'une famille persiste pendant
quatre générations ». L'exemple du patriarche Joseph .... »
On ne peut opposer celui des Gassânides et des Lahmides .... »
Chez ces derniers, l'idée dynastique fut un emprunt étranger, imposé par les
gouvernements qu'ils servaient. Avantages de cette situation. Impression
produite sur l'esprit des nomades. ........ 328
Les Arabes ignorent le droit de primogéniture. Les premiers-nés sont de mau-
Table des matières 363
vais augure, surtout quand ils ont les yeux « bleus », une couleur né-
faste. Explication physiologique de ce préjugé ...... 329
Même dans le cas de transmission directe, l'aîné n'hérite pas nécessairement
du pouvoir paternel »
La konia et le nom de l'aîné. On évite de la combiner avec ce nom. Aboû
Hobaib, konia injurieuse d'Ibn Zobair. Pourquoi? ..... 330
La succession de Hogr père d'Amroulqais. Le commandant militaire peut dé-
signer son remplaçant, exemple imité par les califes Aboû Bakr et 'Omar
à leur mort ............. »
La pratique chez les Omayj'ades, critiquée par l'orthodoxie .... 331
CONCLUSION
332
333
Mahomet et les Qoraisites se préparent à utiHser les Bédouins pour en tirer
les cadres de leurs armées. Accumulation d'énergies dans cette race
Passivité, violence : entre ces deux pôles oscille toute la destinée bédouine
Les lacunes morales du Bédouin le mettaient à la merci de meneurs ambitieux.
Comment ils exploitent ses penchants violents .....
Ils les disciplinent par la guerre sainte : tâche ébauchée par Mahomet .
Elle sera achevée par les Omayj'ades ........
L'inscription au difan transformera ces brigands nés. Arraché à son milieu anar-
chique, le Bédouin deviendra un incomparable instrument de propagande
et de défense islamites . 334
Table des matières ............ 335
Addenda et Corrigenda. ........... 365
ADDENDA ET CORRIGENDA
p. 4, 8 a. d. ligne: Comp. Qoran, 10, 2: «-j-^ ^-^) t-i' ^-^Cr^^' • ''^ verset aura ins-
piré le dicton.
P. 4, 6 a. d. ligne : ^J-< If ^^U*Jl diront plus tard les soûfis. Cf. Massignon, Kitâb ai-Ja-
wâsîn, 140, 181, 182. 'Abdalqâdir al-Kilânî interpelle Mahomet: ^^J^ o'-^^' '~^
P. 10, note 1 : Quand les Tatnîni ont été vaincus par les Perses, les tribus voisines
s'apprêtent à les attaquer; Ag., XV, 73. Le sentiment de la solidarité arabe n'e-
.\iste pas. Alors, comme de nos jours encore, ^ >li signifie non pas Arabes mais
fwinades, Bédouins.
P. 15: Le vocable Higâz en poésie: Ag., XV, 138, 17 (citation de Soraqa ibn 'Auf);
autres citations ; Yâqoût, E. VI, 306 ('Abïd ibn al-Abras); 389, 5 ; So'arâ' 744, 745.
P. 16, note 3, 2 a. d. ligne: lisez: os^il
P. 17 : Sur les rig^ueurs de l'hiver, cf. Jaussen-Savignac, Mission, 1, 80.
P. 19 : Comp. la phrase fréquente : i^^' j^j-i-«J '-«^^ iJ:,o»jLa_j ^'Igd*, \l. 83; Jaus-
sen-Savignac, op. cit., I, 95 ; sécheresse de 4 ans; Le Boulicaut, Au pays des mystè-
res, 59.
P. 20, ligne 4: Comp.: ...Jii\ ^_yiù^ ^)\ Qotaiba. Poesis. 188; Yâqoût, IV, 371, 10.
P. 20, ligne 8: On désespère de la pluie; Qoran, 42, 28.
P. 20, ligne 11 : Interrogations sur la pluie; Ag., XXI, 204, bas.
P. 20, n. 3: Pluie d'été; Ag., XXI, 98; forte pluie d'automne; le 'Aqiq coule; ^4^.,
XVII, 119, 1-2.
P. 21, ligne 4 : Comp. « eau bénie i>: Qoran, 50, 9.
P. 21, ligne 5: la double migration hivernale et estivale; Bakrî, op. cit., l'iA. haut.
P. 21, ligne 11: Sur les rà'id ; Ag.. XXI, 205.
P. 22, ligne 4: On en profite pour la lessive; Qotaiba, Poesis, 262; comp. 261, 16;
263, 14, citation poétique, d'où le trait a été tiré.
P. 25, ligne 7: Comp. Jaussen-Savignac, i1/îVjîo?;, I, 77, 81: pendant plusieurs Jours
l'inondation interrompt la circulation. Ibid. p. 72 au lieu de i^LiJl , lire jlà.Jl ,
défilé. P. 27, n. 4 ; Ag., XVI, 29.
366 Addenda et corrigenda
P. 29, 11. 6: CorriRez: Yaqoût, II, 60, 2; 289; 332; III, 11, 6; 233 etc.
P. 33, lignes 14, 15 : Lisez linceul, évaporalioii.
P. 35 : Pour les eaux souterraines comp. Yâqoût E. YI, 327 : C^^js^ CJi^ ^-*'-r*
P. 36 : Sur les puits des Arabes, voir les remarques du Prof. J. Hess dans Der Islam.
IV, 317-318. Puits possédé en indivis, Yâqoût, E. VI, 186.
P. 37, n. 5 ; Au lieu de ^X^\ lire j_X-«-"
P. 38 : L'eau du Paradis n'est pas saumâtre ; Qoran, 47, 15.
P. 38, n. 5 : Pour les eau.x de Sarldâ', cf. Ag., XIX, 133.
P. 39, ligne 3 : Eau de roche, une rareté ; cf. Qoran, 2, 74 ; pour le J^io» , pi. JtiiJ
voir Bakrî, op. cit., 764 ; le Glossaire de Qotaiba, Poesis, s. v.; nombreux wasal
au pays de Mozaina ; Yâqoût, E. VII, 35; comp. VI, 218, 3 d. 1.; 233. 4; le
diminutif J.^'^ dans Lailâ Aliyalyya ; Qotaiba, Poesis, 272, 6.
P. 40, ligne 7 : A cause de leur rareté en Arabie, le Qoran a fait des eaux courantes
une caractéristique du Paradis.
P. 42, n. 6 : Mahomet crache au fond du puits ; Yâqoût, E. VI, 277 ; le puits le plus
profond du Nagd ; ibid., \'\, 125, bas.
P. 44, ligne 7 : au lieu de gencives, lisez molaires.
P. 45, ligne 1 : Les losoûs vivent pendant des semaines de lait, rencontré d'occasion ;
Ag., XXI, 77, 78.
P. 45: Rétablir comme suit l'interversion des notes: 2 ^ 1 ; 3 ;= 2 ; 1 =3.
P. 46, ligne 9 : Pour le sens spécial de i>olà", voir Yâqoût, E. VII, 18, d. 1., 19. haut.
P. 49, n. 3: Ajoutez Gâhiz, Haiawân, IV, 149. La note 4 de cette page doit être rap-
portée à la p. 50, n. 2 ; et cette dernière à la p. 49, n. 4.
P. 55, n. 5: Lisez UJj, . Légèreté proverbiale du .*wLil i_-o,l . lièvre se nourrissant
de holla; Gâhiz, Haiawân, VI, 58, 7.
P. 56 : Pour l'orthographe de ne/oûd a.\ec dâl, comp. le nom d'un Bédouin < Mefeyid,
kleine Sandwûste » (donc j^à-o ), dans J. Hess, Beduinennamen aus Zeutralara-
bien, p. 7.
P. 58 : Pour les arbres broutés par les chameaux, comp. Qoran, 5, 66 : ^,y« JJS\
CXaC ^;^j ...^^\ locution = être dans l'abondance. Elle fait allusion au cha-
meau pendant le rahf. broutant à la fois les arbres et le .JXi , donc en haut et
en bas.
P. 58, n. 2 : Yâqoût, E. VII. 75, prairies pour les chevaux, pleines de jjjb . Le seul
passage du Qoran, 2, 58, où parait JJl> , semble bien désigner les légumes. Sens
adopté par les sédentaires ?
P. 58, n. 3 : Pour la rosée JJ> , cf. Naqâ'id Garlr, 603, 604 ; Qoran, 2, 267.
P. 59: Le saiiioûm dessèche les outres; Ag., XX, 20. Samoûm nom de l'enfer; Qo-
ran, 52, 27; vent chaud, qui brûle tout, pendant 7 jours ; Qoran, 31. 41, 42;
69, 6.
P. 60 sqq. Le hiiiiâ: Daryya, type de hintâ; Ag., XV, 87. Concessions de hiinà par
le Prophète; Ag., XX, 165; Bakrî, op. cit., 780. Himâ de Basra ; de Omm Hâ-
\
Addenda et corrigenda 367
lid dans la région de Médine, de Ziâd ibn Abïhi au désert ; Ag:, XIX, 146 ,
146; Yâqoût, E. \', 279; Ag:, XVIII, 68. On viole le hiniA voisin, mais on im-
pose le respect du hiniâ de sa tribu; motif banal; Qotaiba, Poesis, 257, 1 ; Ag.,
XIX. 85.
P. 65 ; Au Paradis les arbres n'ont pas d'épines; Omaj'ya ibn Abi's-Salt, Divan, XLII, 1.
P. 66, ligne 22 : Écrivez 'idàh (ïUài); même correction p. 69, n. 4.
P. 66, d. ligne : Ag., XV. 157, 5 : iJI ,^l ^^jU-so , citation de poète.
P. 69, n. 3 : Lisez sarh, _ Jlt
P. 70: Comp. Jaussen Savignac, 3/issioii, I, 84, 92, 107, passim. nombreu.x groupes
de talha ; p. 85, forêt.
P. 71, d. ligne : Apostrophe aux deux palmiers; Yâqoût, E. VI, 201, 306, d. 1., 307, 10.
P. 72 : Harra ne produisant rien ; Bakri, op. cil., 764.
P. 75 : Montagnes noires ; Jaussen-Savignac, Mission, I, 85-87.
P. 75, n. 5 : Corrigez ^\
P. 78, ligne 6 : Le Bédouin souhaite mourir comme AboQ Hâriga : ,__i_w« l^^ J^\
^Ut^ ^Vs> OUà ^y~„^\ ^ .L>^ UjtJx* ; 'Tgd*, II, 101.
P. 78, n. 2 : Lire s^li ...LLj 11 ou s^li ...Lo i . Comp. Ag., I, 154, 19.
P. 79, ligne 1-7: Pour \e gadâ, comp. Yâqoût, E. VI, 295,297; pour la comparaison,
ajoutez, Ag., XXI, 363, 17.
P. 79, n. 2 : Le loup du gadâ ; Bohtori, Hamâsa, n. 1305, 3 v.
P. 80. Comp. le toponyme Mahlab au nord de Taboûk ; Jaussen-Savignac, Mission,
I, 57. Bois de chauffage ; Qoran, 36, 80.
P. 81, ligne 8 : Citation de Kotayyr dans Qotaiba. Poesis, 262, 15. « Bois mort ra-
massé de nuit » yAg. XX; 163):
f ' r _ ■■•...■?
É,W« ^y^\^ Oi^^ L^'g.çj^ i_j-J>'>j>. dk^LoJ" Ls-*»* '>^t5>J>
p. 83, n. 5: Au lieu i lyi. lire i^_>>-^
P. 86, ligne 13 : Comp. pour Wâdi'l Qorâ ,J.^^ * )'r* C^ (Gamîl) ; Qotaiba, Poesis, "idl.
P. 86, n. 6: Comp. pour les environs de Taboûk, Jaussen-Savignac, Mission, I, 66-68,
nombreuses traces de cultures. ïo S avec minbar et marché au pays de 'Odra ; la
li.A^'â du célèbre Zohri se trouve dans la même région; Yâqoût, E. V, 277.
P. 89, ligne 18: Qoran, 35, 1.
P. 90: Jaussen-Savignac, Mission, I, 63, vigne, citronniers, grenadiers, figuiers à
Taboûk.
P. 92, ligne 9: Pour les environs de Wâdi'l Qorâ, comp. Qotaiba, Poesis, 261, 11 :
»^Jjl ,_5>|5 , variante t^-S^^ i_5'lj-
P. 93, n. 6: C'est plutôt le diminutif « godayya » de gadâ; Yâqoût, E. VI, 297.
P. 96: La « sadaqa > de 'Ali rapporte 40,000 dinars; Yazid, 361, n. 1.
P. 98, ligne 8: Yâqoût, E. VI, 341.
P. 99, ligne 5 : C'était la coutume à Médine, dès avant l'islam, dans les guerres ci-
viles; Ag., XV, 164.
P. 102, ligne 1 : Cf. Ibn Hagar, Isâba. E. I, 184.
368 Addenda et corrigenda
P. 103, n. !: Chasse; Ag:, XV, 87; XXI, 81, 2.
H. 106: Ce vers de Doraid ibn as-SiniiTia peut aussi signifier qu'il profite le lendemain
des critiques faites sur ses actes de la veille. Exégèse trop subtile peut-être quand
il s'agit du Bédouin impulsif.
P. 113: Traces de pessimisme, même chez le gai poète AboQ Mihgan : Ag:, XXI,
219, 14-15.
P. 114, ligne 4: Comp. Qoran, 3, 46; sLiXs Le ^J^iJC aSi\ .
P. 123: n. 3: Corrig. Wâdi'l Qora.
P. 126, n. 6: Leur composent; il s'agit des losoûs.
P. 128, n. 5. Ajoutez Qotaiba. Poesis, 160, 174, 178, 186-87, 205, 235, 268.
P. 133, ligne 8: Ce n'est pas un vers, comme inviterait à le supposer la malheureuse
disposition typographique.
P. 134, n. 6 : Cent chanieau.\ avec les petits; Ag:, XVI, 27, 11 ; 30, 3.
P. 135, ligne 1 ; Comp. Ag., XX, 9.
P. 135, n. 1: Pour le meurtre Ikil , cf. Qoran, 4, 92.
P. 136, ligne 1 : On a emprunté le chiffre au.\ « mille cavaliers de Solaim », hyperbole
poétique; Ag., XV, 150, 6.
P. 136, ligne 10 sqq : On mentionne le >• J-c , râtelier du célèbre cheval Dâhis; Ag.,
XVI, 25. Malboûna, chevau.x nourris de lait; Bakrï, op. cit.. 781, 6-7; comp.
Qotaiba, Poesis, 173, 12-13.
P. 137, ligne 1 : Pour lahm, nourriture, cf. Qoran, 35, 12.
P. 138, ligne 8: Gâhiz, Haiawàn, VI, 165.
P. 140, ligne 23: Pourtant à Médine, vers l'époque de la bataille de Bo'ât, il est
question de la mule d'Ibn Obajy ; Ag., XV, 164.
P. 145: La pluie symbole de la résurrection, elle revivifie C-^--o ■^ — >; une goutte
d'eau ranime toute la flore; Qoran, 2, 163; 7, 57; 41, 39.
P. 147, ligne 12: Fadak, cité dans un vers; Yâqoût, E. V, 283.
P. 147, n. 4 : Comp. Jaussen-Savignac, Mission, I, 66-68 etc. ; 54, oasis de Dât al-Hagg.
P. 152, ligne 18: Le Boulicaut, Au pays des mystères, 147, mentionne des pluies de
trois mois ; comprenons des périodes pluvieuses.
P. 157, ligne 15: Qotaiba, Poesis, 183; Ag., XV, 60, 7 d. ; XVIII, 68.
P. 157, n. 1 : A -j^J^-i^Al ^^. ,^^_ comp. Qoran, 49, 1 : ^»*j ,« djjl ^o^_ .j^ ; sur-
tout Qoran 2, 62 où Ujjo ^yo se rapporte à un pluriel.
P. 159, 1. 13: Comp. Qoran, 6, 65: ^ixa-> ^b /Cojsj ^■Xj> .
P. 159-160: Les brigands arrêtent les pèlerins; Ag., XXI, 75; brigands exécutés par
le gouvernement; XXI, 73; ibid., 75 sqq. Histoire de Samhari, elle expose les
phases de la lutte contre le brigandage ; XXI, 269, 14, familles emprisonnées pour
les forcer à livrer le meurtrier; sa'loTik enrôlés; Ag., XVII, 153. Le gouvernement
est interpellé pour rétablir l'ordre; Aboû Tammâm, Hamâsa, E. I, 223.
P. 161, n. 1 : Si les losoûs ont été idéalisés par la littérature, c'est parce que le Bé-
douin s'est reconnu en eux.
Addenda et corrigenda 369
P. 161-162: On en appelle au gouvernement contre la satire; Ag:, XXI, 267; les
tribus sont rendues responsables; XIX, 111; poètes perturbateurs pourchassés de
tribu en tribu; XX, 13, 2 d. 1. Voir ici p. 334. « Le désert nous protège contre
les Omayj'ades ! » s'écrient les poètes; Qotaiba, Poesis, 206, 11 sqq.
P. 166, ligne 4 etc. : Sous Mo'âwia I, on retrouve et on utilise les sources de Wâdi'l
Qorâ; Yâqoût, E. VII, 7.S, 74.
V. 169, ligne 19: Pour ce terme de »-as, comp. remarque dans Jaussen-Savignac,
Mission, I, 66, note; « la moindre construction est appelée qasr ». Cette emphase
n'est pas récente, nos textes le prouvent.
P. 172; Nostalgie du désert; Ag., XX, 116.
P. 179, n. 3: Les sabaha à Médine ; Ag., XV, 161.
P. 188, n. 2; faucon; Ag., XXI, 147, 2.
P. 188, n. 3: Le cas qu'il fait de la vie des enfants, voir Ag., XV, 162, 2-3. L'ora-
teur, lin Juif pourtant, mais surtout Bédouin, propose de sacrifier les enfants
laissés en otage : « nos femmes nous en donneront >^ ! — « Nous ne pleurons jamais
nos morts»; Aboû Tammâm, Hamâsa, E. 1, hh.
P. 190, ligne 1: Pour 'arrâf, ici prêtre chrétien, cf. Cheikho, Ma'sriq, .\VI, 676.
P. 190, ligne 23; Les gara nourries et respectées; Ag., XXI, 263, 3.
P. 191, n. 1: Au lieu de Hâtim at-Tayy, lisez Hâtim Tayy.
P. 193, ligne 3: Aboû Tammâm, Hamâsa, E. I, 99.
P. 193, n. 1 : A. Tammâm, Hamâsa, E. I, 58. « Mourir à la guerre vaut mieu.x que
le suicide»; SoUirâ', 910. 1.
P. 193-194: Pourquoi le sa'loûk ne dort pas; brave, parce qu'il ne possède que son
sabre; Ag., XXI, 175, 17 etc. Comp. : « Bon pour les nègres de se faire tuer dans
une attaque sans merci. Le Marocain n'oublie jamais qu'il est père de famille
et que son cheval lui appartient ». Pierre Khorat, Scènes de la pacification ma-
rocaine.
P. 195, 2 a. d. ligne : Ce Ga'far est qualifié de il^A^o ^Li ^^U ; Ag.. XV, 73.
P. 199, ligne 12: «Nous sommes rois et rois des rois», (époque des Sofiânides) ; Ag.,
XX, 268, 6: 269, 3.-
P. 200, n. 1 ; Au lieu de oncle lisez neveu ; Garîr en fait autant; Qotaiba, Poesis, 289.
P. 203, n. 1 ; Amîr =: sayyd; Ag., XV, 73, 3 d. 1. Amïr = chef d'expédition, I. S.
Taiay. Il », 91, 21; 92.
P. 209, n. 9; Comp. le vers de Farazdaq {Ag., XXI, 196):
p. 210: Le ràs (chef) de Doûmal al Gandal également qualifié de roi; I. S. Tabac.
II', 64, bas.
P. 224, ligne 15: Supprimer la répétition: éloquents.
P. 225, n. 4 : A la 4 1. de cette note; Gâhiz, Bayân, I etc.
P. 229, n. 3: Ag., XV, 76, 9.
P. 229, n. 4: Monâdi chez un grand sayyd; Ag., XV, 86, 10, d. 1. Comp. XI, 5, Di-
van d'Omayya ibn Abi's-Salt.
370 Addenda et corrigenda
F. 231-232: Vers de Garir, chantés en caravane; Qotaiba, Poesis, 285, 15. Le hâdi
improvise sur le mètre ragaz ; pour ce motif parfois appelé aussi rûgiz; Ag.. XV,
28, 2 d. I.; XXI. 266, 1-5.
P. 234, n. 6: Corrigez Tayy.
P. 237 : Pour le vers cité cf. Divan d'Omaji'a ibn Abi's-Salt, \'.
P. 240 : La loyauté est présentée par les poètes, comme un fait extraordinaire. Le héros
ne trahit pas ; Ag., XXI, 64, 18; cf. 66. Ruses de Dalîla chez de jeunes Bédouines
pour endormir les défiances; Ag., XXI, 81, bas. «Mon feu (=: hospitalité) n'est
pas traître » ; on se vante de ne pas trahir le^âr,- Ag., XV. 28, 7-8 d. 1,; 167, 2.
Omayya ibn Abi's-Salt, Divan, XII, 2.
P. 243, n. 3; Le sayyd est p-;?4- ^^ J-t^ p^- ^S-< XV, 53, 9 d. 1.; 75.
P. 249, ligne 13: On dit encore JfJL, se charger des rançons, Ag., XXI, 162, 20.
P. 250, n. 5: Comp. Ag., XXI, 65.
5 ^ ^ ., *^
P. 250, n. 2 : Comp. le poète Balt jJJI ^y»:i l^ \l v»- 0*^5 ^^ çS J 1-^ : ses
exigences; terreur qu'il exerce; Ag., XV, 62.
P. 254-255: Say^d multiples; ^J^S CjI*^ crj '^^'^ ■^S'-' ^^< l*- Say)d unique;
Ag., XXI, 191, 15. Sayyd sur tous les Tajy de (mont) Salmâ; Ag., XXI, 81, 9.
P. 257: iâ/iin interrogé déconseille la razzia; tué pendant la bataille : Ag., XV, 73, 8
d. 1.; 75, 14 ; kâhina fait ses prédictions au nom de son génie familier (. . . ^^>
,_jax,); Ag., XXI, 275, 18.
P. 257-258: hakam : on nomme un juge (qâdi) des Arabes, avant l'islam; Ag., XV,
73,4d. l.Je doute que le terme qâdi fût dès lors en usage. Hakam célèbres, à qui
on a appliqué le proverbe : LûLaJI <^y^. '^ (^^ ^^ ; Ag., XXI, 204. Ces arbi-
tres siègent régulièrement, semble-t-il, et les audiences sont publiques ; Ag., XXI,
186, 18. Dans les contestations délicates, des chefs, comme AboS Sofiân, Aboû
Gahl, 'Oyaina ibn Hisn (il ne manquait donc pas d'intelligence!) refusent le rôle
dangereux ; par chauvinisme on affirme ici que les Arabes s'adressaient de préfé-
rence à Ocrais; Ag., XV, 54. Un prince, comme Hogr le Kindite pouvait accepter
sans inconvénient; Ag., XV, 87, d. 1. Quand l'arbitre appartient à une des deux
tribus contestantes, on ne le choisit que s'il est également parent avec les adver-
saires; Ag., XVI, 26. jsUj signifie aussi demander l'arbitrage; Ag., XVI, 25, 14.
Le type de ces arbitrages est la ntonàfara, entre 'Àmir ibn at-Tofail et 'Alqama
ibn 'Olâta. L'art consiste à faire croire aux deux adversaires que leurs arguments
sont sans valeur, à les impressionner, puis de découvrir une solution moyenne,
ménageant tous les amours propres. Les grands hakam triomphaient dans ces
combinazioni ; Ag., XV, 56-57. Titre divin dans Omayya ibn Abi's-Salt, XXII, 1.
P. 258, n. 1: Comp. Ag., XV, 58. 'Omar ressemblait à Hâlid ibn al-\Valîd. Le but
de l'anecdote est de prouver que la mère du calife était — non une esclave —
mais de Mahzoûm. Une glorification indirecte !
P. 260, n. 6 : Lisez : f^r^. ^.lU-J
P. 262 : Election du chef militaire; Ag., XV, 161, 3.
P. 262, n. 6 : Je n'ai pu retrouver cette citation d'Ibn Hisâm.
Adiieiula el cûrii.s>eiuU\ .371
P. 269: ^ê-, XXI, 267. 10, ii^-.aJ«J. '^ ..r—^)
Y. 2T2 : Le calife 'Otmân est chauve; Ag.. X\', 71. Comp. Yâqoût, E., I, 335, 1 :
... l«.y4h-'«.o ^ »*i!l çi-«î ; 'es chauves (=: les anciens) n'avaient pas encore repris
le turban ». C'était le matin.
P. 272, n. 6 : Pour la calvitie, attribué au port du casque, voir scolion, A. Taiiimam
Haniàsa, E. 1, 63 d. v.
P. 274, n. 4 : Au lieu de ïTi lire !sT>
P. 277, ligne 15: Conip. le thème réaliste à\x fakr : |_7jUJ1 <iiLJI U-< : Ag., XV, 97
d. ligne.
P. 279, ligne 4 : Pour y échapper et empêcher le déshonneur de rejaillir sur ses fils,
la mère de Ziâd ibn Rabï' se suicide ; Ag., XVI, 28.
P. 280, ligne 3: Des paladins conmie 'Àmir ibn at-Tofail et 'Alqama ibn 'Olâta s'ac-
cusent réciproquement de promiscuité; Ag.. X\', 53. 8.
P. 286, n. 8: Corrigez Tabag.
P. 289, d. ligne: Comp. le vers cité, Ag., XVI, 22, 3 ; ^U. C^^ ii\; C^\ ^\ Jli^
P. 290, n. 4: On cite quelques vers de Manzoûr; Ag., XXI, 261.
P. 293-294 : Les Bédouins se vantent d'être les « gendres de Qorais » ; Ag., XXI, 263, 4.
P. 298, n. 5: Fartanâ, nom propre de Bédouine; Ag., XVI, 25, 11 d. 1.
P. 299-300: iji = grande dame; k'yi yj ; Ag.. XV, 75; 139, 6 d. 1. «Jamais on
ne verra une mère comme la nôtre », Ag., XXI, 268, 22.
P. 302, n. 4 : Corrig. Tabah. en Tabag.
P. 303, n. 4: Dans Ag., XV, 77, 16; XIX, 140, d. 1., le vers... \^ ^5i semble une
interpolation; comp. Naqâ'id Gartr, 155.
P. 308, ligne 8: .Mettre une virgule après l'importance.
P. 309, Sénilité de Hogr l'aïeul d'AmrouIqais ; Ag.. XV, 86; le père du poète Garîr
est ^_^5J«-^i«; Qotaiba, Poesis, 283, 13. A la 1. 2 lisez: guettés.
P. 310 : Vieu.x pères maltraités; pièce \'IiI du divan d'Oniayya ibn Abi's-Salt.
P. 313, n. 7: Jour. Asial., 1907' etc.
P. 321, n. 8: Suicide par le vin; Ag., XV, 75.
P. 322: Comp. le cas de cet Arabe appelé »jJ^ iiS^ ï>)iyi\ Cljf^ Ag., .W, 158, 4 ;
neveu disputant l'autorité à son oncle; ibid.
P. 329, ligne 19: « Il est sayyd et a trouvé les siens sayyd » ; Ag., XV, 88, 13,
?76 5 4
^UL 1 7 /ââg,