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in 2010 wifh funding from
University pf Ottawa
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BRUXSUUE
LE BOURGEON
COMÉDIE EN TROIS ACTES
Représentée pour la première fois, à Paris, au théâtre du Vaudeville,
le 1" mars 1906.
Il a été tiré de cette pièce 35 exemplaires de luxe
numérotés à la presse.
I exemplaire sur Chine tiré d'un seule côté — n" i.
14 exemplaires sur Japon — du n° 2 au n" i5.
20 exemplaires sur Hollande — du n° 16 au n° 35.
GEORGES FEYDEAU
LE
BOURGEON
COMEDIE EN TROIS ACTES
Avec la mise en scène complète et conforme
à la représentation
PARIS
LIBRAIRIE THÉÂTRALE
30, RUE DE GRAMMONT, 30
1906
Tous droits de traduction, de reproduction et de représentation réserTés pour
tons les pays y compris la Suède et la Norvège.
Entered according to act of Congress, in tbe year 1906, by Georges Feydeau, in the
ofSee of the Librariaa of Congress at Washington. AU Riglits reserved.
PERSONNAGES
HEURTELOUP MM. LÉRAND.
MARQUIS DE LAROCHE -TOURMEL . . . GASTON DUBOSC.
MUSIGNOL Louis Gauthieb.
MAURICE DE PLOUNIDEC ANDRÉ Brulé.
GUÉRASSIN Baron Fils.
L'ABBÉ BOURSE! JOFFRE.
VETILLE, médecin principal Victor Boucher.
LUC i . . . . Vkrtin.
JEAN-LOU.- .' ..... . ir >/ Lucien Brûlé.
ROGER . . . ■. . ." . . iH.J' Baud.
COMTESSE DE PLOUNFÇÎEC M"»" Anna Judic.
ÉTIENNETTE . . . .' Jea>>-E ROLLY.
EUGÉNIE HEURTELOUP CÉCILE Caron.
HUGUETTE YVONNE De Bray.
LA CLAUDIE Harlay.
CLEO De Mornand.
LA MARIOTTE Henriette Andràl.
LA CHOUTE Calvill.
PAULETTE Mariette Lelièrks.
NOTA : Cette pièce faisant jusqu'à nouvel ordre l'objet de
conventions particuliCres, MM. les Directeurs sont avisés
qu'ils ne pourront la monter sans une autorisation spé-
ciale (le l'auteur ou de son représentant, .M. R. Gangnat,
Agent-Général de la Société des Auteurs.
ACTE PREMIER
ACTE PREMIER
Au château de Plounidec, en Bretagne.
Le grand salon du château. — Au premier plan, à
droite, une porte donnant sur une })ioce du château.
— Immédiatement lires de la porte un boulon de son-
nerie électrique. — Au-dessus de la porte, au deuxième
plan, adossé au mur, un meuble-secrétaire, avec une
chaise devant. — A gauche premier plan, une chemi-
née surmontée d'un portrait enchâssé dans la boise-
rie. — Au deuxième plan, grand pan coupe au centre
duquel s'ouvre une vaste baie donnant de plain-pied
sur une terrasse avec vue sur la mer. — Au fond à
gauche une grande porte vitrée à quatre vantaux don-
nant sur le hall du château. — A droite de cette porte,
séparée par un pan de mur, une porte assez grande
mais à un seul vantail donnant sur la chamlire de
Maurice. — Tout le fond du liall est vitré permettant
de voir le parc dont il est séparé par la balustrade du
perron. Face à la porte vitrée du salon, porte vitrée
au fond du hall permettant d'accéder dans le parc.
— Dans le salon, près et à gauche de la cheminée,
un petit fauteuil tourné presque dos au pulilic. — Au-
dessus, prés et à droite de la cheminée, une cliaisc-
longue cil osier, avec des coussins. — Un peu au-
dessus à droite de la chaise-longue une grande table
LE BOURGEON
ronde sur laquelle sont dos journaux, des jeux, des
ouvrages de dames. — Au milieu une vasque avec
des fleurs. — Devant la table un tabouret carré pour
s'asseoir. — A droite de la table, un fauteuil ; à gau-
che entre la chaise-longue et la table, et un peu au-
dessus, une chaise dite « fumeuse » avec accoudoir,
le siège face au public. — A droite, presque au milieu
de la scène un petit meuble « tricoteuse s, avec, à sa
gauche, un petit fauteuil ; à sa droite une bergère. —
Dans la tricoteuse, les trois journaux catholiques dont
il sera question ; des pelotes de laine, un ouvrage
au tricot. — Au fond, de chaque côté de la porte
vitrée, adossée au mur, iine chaise à haut dossier.
— Lustre en cristal au plafond. — Sur la terrasse,
un ou deux fauteuils d'osier; un télescope sur son
trépied. — La banno do la baie est à moitié descen-
due. — Dans le hall à gauche, grande table d'anti-
chambre recouverte d'un tapis. — Il fait grand soleil
dehors. — Toutes les entrées des gens venant de l'in-
térieur du château, se feront par la droite du hall. —
Les entrées venant de l'extérieur se feront naturelle-
ment par la porte du fond du hall.
NOTA : Toutes les indications sont prises de la gau-
cho du spectateur placô censomont au centre de la .salle;
« un tel passe à droite ; un tel passe à gauche », signi-
fiera donc qu'un tel sera à droite, qu'un tel sera à gauche
du spectateur. Môme l'expression « un tel est à gauche
d'un tel » indiquera qu'un tel est à gauche de cet un tel
par rapport à ce même spectateur, alors qu en réalité et
par rapport à lui il sera h sa droite. Cependant quand
les indications, nu lieu do : « à droite de... à gauche
de... », porteront; « à /adroite de... à lU gauche de... »,
il est évident qu'il s agira alors de la gauche et de la
droite réelle, du personnage désigné.
LE BOURGEON
SCENE PREMIERE
LA COMTESSE, puis EUGÉNIE, puis LA CLAU-
DIE, puis LE MARQUIS. Dans le hall, LUC,
Deux Valets de I'ikd.
Au lever du rideau, la scène osl uu iustaut vide. Dans le
hall, on voit passer un valet eu livrée qui vient vite dire
deux mots à Luc le maître d hôtel et repart aussitôt.
Au môme instant, toujours dans le hall, paraît Eugénie
Hourtoloup portant un flacon de sels et une hurette de
vinaigre; elle arrive d un pas rapide, comme une per-
sonne pressée d apporter une chose qu on attend.
LA COMTESSE, sortant à moitié de la chambre de droite,
premier plan. — A Eugénie qui à déjà pénétré dans le
salon.
De l'éther!... vite, apporte de l'éther!
Elle rentre dans la chambre dont la porte reste ou-
verte.
EUGÉNIE, rebroussant chemin.
l)On!... (Se cognant presque dans La Claudio qui ac-
court une boule d'eau chaude à la main.) La, Glauclie ! .. .
LA CLAUDIE.
Madame ?...
EUGÉNIE.
Vitel dans la pliarmacie de Madame...
de l'éther 1
LA CLAUDIE.
Oui, madame.
LE BOURGKON
KUGlÎNIî'", à la Claudio qui déjà rebroussait chemin.
Allez, donnez-moi ça ! (Elle p end la boule des
mains de la Glaudie.) CoureZ !
LA GLAUDIE.
Oui, madame.
Elle sort en courant.
LE MARQUIS, sortant do la chambre et appelant.
Luc ! Luc ! (Il appuie sur le bouton électrique qui est
près de la porte ; voyant Eugénie qui se dirige vers la
chambre.) Ail! c'cst Ic vinaigTC ?. . . entrez, on
l'attend.
Eugénie entre dans la chambre. — A l'extérieur, pen-
dant ces dernières répliques, on a vu un deuxième
valet remonter du perron tenant deux bouteilles en-
veloppées qu il a remises à Luc. A ce moment sur
le coup de sonnette, Luc paraît.
LUG.
C'est monsieur le marquis qui a sonné?
LE MARQUIS, qui a traversé la scène avant l'entrée de Luc.
Oui. Avez- vous fait le nécessaire pour
qu'on aille chercher le docteur au train de
dix heures quarante ?
LUG.
Oui. monsieur! j'ai fait prévenir le co-
cher.
LE MARQUIS.
Bon. (Indiquant le^ bouteilles.) Qu'cSt-CC qUC
c'est que ça?
LE BOURGEON
LUC.
C'est l'alcool à frictions pour M. Maurice.
LE MARQUIS.
Ah! bon! Allez les porter.
LUC.
Oui, monsieur le marquis.
Il entre dans la pièce de droite.
Lii MARQUIS, comme un homme qui en a par-dessus la
tête.
Oh ! la-la ! la-la ! (ll se laisse tomber sur le fauteuil
à droite de la table et pousse un soupir d'épuisement.)
Fffue !
Après quoi tranquillement il tire de sa poche un exem-
plaire du « Rire » et se met à regarder les images.
VOIX DE LUC.
C'est l'alcool à frictions, madame la com-
tesse.
VOIX DE LA COMTESSE.
Ah! posez ça là.
VOIX DR LUC.
Oui, madame.
Luc ressort.
LE MARQUIS.
Dites donc, Luc?
LUC.
Monsieur le marquis?
LE MARQUIS.
C'est toujours comme ça ici ?
8 LE BOUPGKON
LUC.
Dam! depuis quelque temps!... ]M. Mau-
rice a, à propos de rien, des vapeurs : il
s'en va et puis y revient... C'est l'âge qui
veut ça !
LE MARQUIS.
C'est pas amusant, vous savez.
LUC.
Eh! non. monsieur le marquis, mais... on
ne le fait pas pour s'amuser.
LE MARQUIS^ hochant la tête.
Evidemment!
LUC.
Oui, monsieur le marquis, (ii remonte pendant
que le marquis se replonge dans son journal. — brusque-
ment une réflexion lui traverse le cerveau, il redescend.)
Ah!
LE MARQUIS, relevant la tète.
Quoi?
LUC.
Ah! Non, rien!... je vois que monsieur le
marquis a de quoi lire...! c'est parce que
les journaux sont arrivés! {prenant les journaux
en question dans la tricoteuse.) Si mOnsicUr Ic lUar-
quis désirait... il y a /a Croix du Finistère,
le Réceil Catholique, la Renaissance de la
Foi.
LK BOURGEON 9
LE MARQUIS} sur un ton plaisant.
Non, merci... j'ai le Rire.
LUC.
Enfin, ils sont là!... si monsieur le mar-
quis voulait se distraire...
LE MARQUIS.
C'est ça, Luc ! merci.
LUC.
Oui, monsieur le marquis.
Il sort.
VOIX DE LA COMTESSE
Eh bien, mon enfant chéri, c'est moi. ta
maman.
VOIX DE MAURICE.
Qu'est-ce qu'il y a eu donc ?
VOIX DE LA COMTESSE.
Rien, rien! Ne parle pas! Ne te fatigue
pas.
LE MARQUIS, se levant et à lui-raême, tout en se diri-
geant vers la porte qui est restée entr'ouverte.
Ah! ah! Je vois qu'il y a du mieux.
En passant devant la tricoteuse, il se débarrasse de
l'exemplaire du Rire préalablement plié en deux
dans le sens de la longueur, en le déposant sur le
tas des autres journaux. — Au moment d'arriver
à la porto do la chambre, il s'arrête en voyant
paraître la comtesse.
1.
10 LE BOURGEON
LA. COMTESSE, pénétrant dans le salon, ot parlant à son
li!s du pas de la porte, tandis que lo marquis regagne
un peu à ganche.
Là. tu vas être bien raisonnable et te
reposer un peu. (a Eugénie qui pavait à la porte.)
Va ! passe, toi ! {EIIc la fait passer devant elle; puis à
Maurice toujours invisible au spectateur.) Je ferme la
porte pour que tu n'entendes pas de bruit.
Elle ferme la porte.
LE MARQUIS, qui est arrivé au tabouret devant la table.
Ehl bien? ça va mieux?
LA COMTESSE, gagnant le fauteuil à droite de la table.
Oui. pour le moment; mais c'est égal,
tout cela m'inquiète bien.
EUGÉNIE, allant s'asseoir sur la bergère.
Heureusement encore que cette indispo-
sition l'a pris à cette heure-ci : il a pu au
moins assister à l'office.
LK MARQUIS, assis sur le tabouret. — Ironique.
Ah! oui... ça c'est de la veine!
LA COMTESSE.
Enfin, qu'est-ce qu'il peut avoir? C'est
un solide g'aillard cependant! Pourquoi, de-
puis quelque temps, ces faiblesses à propos
de rien? ces syncopes? et puis cette nervo-
sité, cette tristesse que rien ne justifie?
LE BOURGEON 11
LE MARQUIS.
Eh! tu ne veux pas le croire! Je te dis
que cet enfant est trop confit en dévotion.
LA COMTESSE et EUGÉNIE, se rôcriant.
Oh!
LE MARQUIS.
Mais oui! mais oui! tout ra l'exalte, lui
tape sur le système nerveux.
EUGK.VIE, tout ea tricotant.
Non, tu entends ton frère ? il voudrait
faire croire que c'est le zèle religieux de
Maurice qui est cause...
LA GOMTKSSK, faisant du crochet.
Quelle hérésie!
LE MARQUIS.
Je dis... je dis qu'à un âge où un jeune
homme a besoin de développer son corps
par l'hygiène, par l'exercice, par la gym-
nastique et par... tout ce que vous voudrez,
ça n'est vraiment pas le moment pour lui
de s'étioler dans les méditations, les claus-
trations, les mortifications et autres choses
déprimantes en « tion ». Ah! la! la! lorsque
j'avais son âge, moi, je ne pensais pas à
toutes ces choses-là... Quand je voyais une
jolie fille... !
Il esquisse un geste significatif.
12 LE BOURGEON
LA COMTESSE, le rappelant à l'ordre.
Onfroy !
LK MARQUIS.
C'est possible! Mais au moins je me por-
tais bien.
Il se lève et va a la cheminée.
EUGÉNIE.
Ah! tiens, laisse cet hérétique de côté.
ma chère ; et pour ce qui est de ton fils,
tranquillise-toi : j'ai brûlé ce matin à son
intention un cierge sur l'autel de Saint
Antoine de Padoue, ainsi... !
LA COMTESSE, touchée.
Oui?
LE MAUQUIS, gagnant un peu vers elles.
Quoi? quoi, « Saint x\ntoine de Padoue »?
C'est pas sa partie, ça : il est pour les ob-
jets perdus.
EUGÉME.
Eh bien?
LE MAKQUIS.
Eh bien! Maurice n'a rien perdu que je
sache... (Entre chair et cuir.) si mÔmC OU dcvait
lui reproclier quelque cliose...
Il remonte par la gaucho de la table à hauteur de la
baie.
LE BOURGEON 13
EUGÉNIE.
Rien perdu! et sa santé?
LE MARQUIS, ironique.
Ah ! pardon ! C'est juste I Saint Antoine la
lui retrouvera.
EUGÉNIE, de toute sa foi.
Absolument.
LE MARQUIS.
Oui ; eh! bien, si vous voulez bien, en at-
tendant, moi je vais vous amener un ami.
qui, sans contrarier en rien l'action de
Saint Antoine de Padoue, s'efforcera de con-
courir parallèlement au rétablissement de
notre cher Maurice : c'est le docteur Vétille,
médecin principal dans l'armée, actuelle-
ment à Concarneau. J'ai reçu une dépèche
il y a une heure m'annonçant son arrivée
par le train de dix heures quarante...
LA COMTESSE, vivement.
Vraiment? (se levant.) Oh! Mais as-tu dit
qu'on envoie une voiture le prendre à la
gare?
LE MARQUIS, avec une courbette gamine.
Je me suis permis !... et il sera ici dans
une demi-heure.
14 LE BOURGEON
I,A COMTESSE, touchée.
C'est gentil, Onfroy, ce que tu as fait là.
Pendant ce qui suit, la comtesse va'par lo fond, jusqu'à
la porto de droite qu'elle ouvre doucemeut pour
voir ce que fait son fils.
EDGÉNIE.
EvidemiiKmt, comme frère, vous valez
mieux (juc comme chrétien.
LE MARQUIS.
N'est-ce pas? Pour un démon, je ne suis
pas un trop mauvais diable.
Il s'assied dos au public sur le tabouret devant la ta-
ble et crayonne pour passer le temps, sur des papiers
qu'il trouve devant lui.
LA CO.UTESSE, refermant la porte sans bruit.
Il dort!
LE MARQUIS, tout en crajonnant.
Ah ! bien, c'est bon ça !
SCENE II
Les .Mî:mes, LA. GL.\UD1K.
La Claudie parait, l'air dépité, un litre à la main.
LA CLAUDIE (2).
Madame la comtesse...
LE BOURGEON 15
LA COMTESSE, (3) au-dessus et à gauche de la bergère
dans laquelle est assise Eugénie.
Te voilà, toit D'où arrives-tu?
I,A GLAUDIE.
Je ne trouve pas l'éther.
LA COMTESSE, railleuse.
Allons donc? 11 est bien temps!
LA GLAUDIE.
J'ai bien trouvé cette bouteille.
LA COMTESSE
Qu'est-ce que c'est?
LA CLaUDIE.
Je ne sais pas! Ça ne peut pas rempla-
cer?
LA COMTESSE, lisant l'étiquette de la bouteille
Du sirop antiscorbutique. Ah! ça tu es
folle? Xon, non, ça ne peut pas remplacer.
Elle passe au 2.
LA CLAUDIE.
C'est tout (le même du médicament.
LA COMTESSE, s asseyant et reprenant son crochet.
Ah! tu es bien restée paysanne! Allons,
va-t'en !
LA GLAUDIE, elle remonte.
Oui, madame la comtesse.
16 LE BOURGEON
LA COMTESSE.
Ah! (La Glaudiese seutaut rappelée, s'arrête aussitôt.)
Et puis je voulais t'avortir : demain tu en-:
treras à mon orphelinat de Kenogan.
LA. GLAUDIE, desceudant d'un pas vers la comtesse.
Moi ?
LA COMTESSE.
Oui, toi!... tu seras attachée à la linge-
rie...
LA CLAUDIE, navrée.
Oh I... madame me renvoie ?
LA COMTESSE.
Je ne te renvoie pas : je te change d'em-
ploi, voilà tout.
LA CLAUDIE, les larmes dans les yeux.
Oh! mais pourquoi?
LA COMTESSE, avec un peu d'impatience.
Ah!... Parce que j'en ai décidé ainsi ; je
n'ai pas d'explication à te donner.
LA CLAUDIE, pleurant presque.
Ohl je vois bien que madame la comtesse
ne m'a pas encore pardonné le bal forain
du 15 août.
LA COMTESSE.
Eh! il ne s'agit pas de (ja!
LE BOURGEON 17
LA GLAUDIE.
Oh! si; tout ça, parce qu'on a dit à ma-
dame que j'avais dansé avec un cuirassier.. .
qui était dans les dragons.
EUGÉNIE, scandalisée.
Vous avez dansé avec un dragon !
LA CLAUDIE.
Qui était dans les cuirassiers! Oui, ma-
dame ! pour ça !
EUGÉNIE, scandalisée.
Oli!... un dragon!... et à cheval! oh!
LE MARQUIS, toujours dessinant.
Bah! tant qu'il ne l'a pas dragonnée.
LA COMTESSE, sévèrement, au marquis.
Je t'en prie, toi. ne te môle pas!... (a la
Giaudie.) Je te répète, mon enfant, qu'il n'y a
pas l'ombre de disgrâce dans la mesure
que je prends. Mais je ne dois pas oublier
que j'ai charge d'âme ! tu es orpheline; c'est
moi qui t'ai élevée : j'ai pour devoir de
veiller sur toi. Or, ce penchant que tu
semblés manifester pour le plaisir m'est
un avertissement ; tu arrives à un âge
où la vie est pleine d'embûches pour une
jeune fille; et si elle n'a pas en elle une ri-
gidité de principes suffisante pour y parer,
elle y tombe fatalement un jour ou l'autre.
18 LE BOURGEON
Kh ! bien, je ne l'entends pas ainsi ; et pour
commencer, il est urgent que je te retire à
la promiscuité de l'office. Tu me comprends,
n'est-ce pas?
La Claudie qui écoute tout ce discours avec de grands
yeux ahuri>!, fait un signe afflrmatif de la tête que
dément rexpres>!ion do sa physionomie.
LE MARQUIS, levant les bras au plafond.
Mais pas un mot! Tu lui parles chinois!
LA GOMTESSK.
N'importe! Qu'il lui suffise de savoir
(ju'où je l'envoie, elle sera parfaitement
heureuse..., dans une atmosphère d'hon-
nèt(ité, de sainteté, à l'abri du mal et de la
tentation, au milieu de bonnes sœurs...
LE MARQUIS, avec une envuléo do la main au-dessus
do sa tète.
Ohé 1 Obéi
LA COMTESSE.
Et elle y restera jusqu'à son mariage.
on de ce fait ma responsabilité se trouvera
dégagée.
EUGÉNIE.
Vous voyez, mon enfant, que c'est au
contraire de la reconnaissance que vous de-
vez à madame la comtesse pour la sollici-
tude qu'elle a pour vous.
La Claudio approuve do la tèto sans conviction.
LE BOURGEON 19
LE MARQUIS, à part, tout en se levant.
Tu parles!
Il gagne la cheminée.
EUGÉNIE
Remerciez donc votre maîtresse.
LA GLAUDIE, sans conviction.
Merci, madame.
EUGliNIB.
A la bonne heure.
LA COMTESSE.
J'ajoute que s'il te plaît de te marier tout
de suite, il y a Jeannick qui ne demande
qu'à t'épouser ; c'est un honnête homme,
un bon cocher, et un excellent chrétien* :
j'approuverai cette union.
LA GLADDIE, de toute l'impulsion de son cœur.
Mais... il est vieux!
LA COMTESSE.
Vieux !
EUGÉNIE.
Ah I ça, ma pauvre enfant ( Que deman-
dez-vous donc au mariage?
LA CLAUDIE, bien naïvement.
Mais... un jeune I
Donner exactement la mémo valeur à ces trois qua-
lités en les énumérant.
20 LE BOURGEON
I.\ COMTESSE.
Voilà!... Yi)ilà, ce penchant pour les futi-
lités que je redoute.
LA CLAUDIE.
Ben, tiens!
LA COMTliSSE.
C'est bien, ma tille! ne perdons pas de
temps à discuter ; tu peux te retirer; je
n'ai plus besoin de toi.
La ClauJie sort avec humeur.
SCENE III
Les Mêmes, moins L.\ Cf.AUDIK,
puis HUGUETTE.
LA COMTESSE.
Xon; vous l'avez entendue? cette pay-
sanne! Il lui faut un jeune.
EUGÉNIE.
C'est extraordinaire!
LE MARQUIS, appuyant ironiquement sur le mot.
Extrordinaire !
Il reniouto à gauche de la table.
LA COMTESSE.
Enfin, qu'est-ce que tu en dis?
Lli MARQUIS, paillard.
Ce que j'en dis?... hé!... je dis (jue c'est
un licau brin de fille.
LE BOURGEON 21
LA COMTICPPK.
Oui ! Eh bien, justement c'est une des rai-
sons pour lesquelles jel'éloig-ne... Je trouve
qu'il n'est pas convenable que dans une
maison où il y a un jeune homme de vingt
ans, on ait des tendrons à son service.
LK MAUQUIS, ironique.
Tu as peur que ton fils la détourne?
LA COMTESSE.
Oh! Dieu non!... Mais si bien armé que
soit un être contre le démon, qui peut ré-
pondre que dans une heure de défaillance...
Exposer une enfant à un contact journa-
lier... !
EUGÉNIE, sur un ton péremptoire.
C'est très juste.
Le marquis hausse les épaules et gagne le fond.
LA COISITESSE.
Sans compter que j'ai remarqué que la
petite tournait beaucoup trop autour de
Maurice. Elle mettait une complaisance a
être toujours fourrée dans sa chambre!...
et l'enfant, lui. ça l'énervé.
LE MARQUIS, redescendant entre elles deux.
Mais ce qui l'énervé, c'est le combat en-
tre sa chair qu'il n'entend pas et ses con-
22 LE B0UR(1P:0X
viciions qui l'assourdissent. S'il voulait seu-
lement écouter un peu sa chair et s'il faisait
comme elle lui dit, ah! bien!... je te pro-
mets que ça ne l'énerverait pas longtemps.
EUGÉNIE.
Quelle horreur!
LA GOAITESSK.
Tu as une de ces moralités!..,
EUGÉNIE.
C'est dégoûtant.
LA COMTESSE.
J'élève mon fils comme je l'entends, libre
à toi d'élever ta fille comme il te plaît...
(lu moment que tu es satisfait de l'éducation
que tu lui donnes !...
LE MARQUIS.
Tu la trouves mal élevée ?
LA COMTESSE.
Je ne la trouve pas élevée du tout. Tu en
as fait une espèce de sauvageon, de garçon
manqué, toujours par monts et par vaux,
tantôt à cheval, tantôt à bicyclette.
EUGÉNIE, avec déffoùt.
Des choses qui s'enfourchent.
LE MAUQUIS.
Eh ? ben ?
LE BOURGEON 23
EUGÉKIE.
Ça donne des idées.
LE MARQUIS
Pas à elle.
LA COMTESSE.
Une enfant qui entend la messe tous les
Irente-six du mois ! — Elle devait nous re-
joindre à l'église ce matin : tu crois qu'elle
est venue ? Ah ! bien oui ! — Une enfant qui
n'a reçu aucune direction religieuse; qui a
fait tout juste sa première communion...
pour ne pas se faire remarquer, mais à part
ça... ! Mon pauvre Maurice a essayé plu-
sieurs fois. lui. de la moraliser, de lui faire
entrevoir les beautés de la doctrine chré-
tienne... Ah! elle l'a bien reçu!... C'est tout
'uste si elle a été polie.
LE MARQUIS.
Si elle n'a pas été polie, elle a eu tort ;
mais Maurice aurait peut-être mieux fait
de garder pour lui ses tentatives de prosé-
lytisme. Je ne tiens pas à faire de ma fille
une dévote. Elle aura de la religion ce qu'il
en faut... pour une femme du monde; en
tous cas ce sera une honnête femme, au
tempérament solide, au caractère droit,
24 LE BOUHGEOX
avec tout ce qu'il faut pour rendre son mari
heureux; c'est tout ce que je lui demande.
Je ne sais pas qui elle épousera, mais cer-
tainement ce ne sera pas le Christ ! Nous ne
sommes pas ambitieux.
En ce (lisant il passe devant la comtesse et va vers
la cheminée.
HUGUETÏE, qui est entrée sans bruit pendant que son
pore parlait et a entendu ces derniers propos.
Bravo, papa !
Elle va déposer sur la tricoteuse son chapeau qu'elle
tenait à la main en entrant. — Elle a une très élé-
gante toilette, mais toute déchirée, couverte do boue
et trempée d eau, surtout aux genoux.
LE MARQUIS, se retournant à la voix de sa fille.
Toi!
LA COMTESSE, voyant l'état delà robe d*Huguette.
D'où viens-tu, malheureuse enfant ? Dans
quel état!
HUGUETTE, indiquant à mesure les parties de sa toilette
dont elle parle.
Ah ! ça, ma tante, la déchirure : c'est les
ronces! le mouillé : c'est de l'eau!
LA COMTESSE.
Oh!
LE MARQUIS.
Eh bien! tu t'es bien arrangée.
LE BOURGEON-
EUGÉNIE, sur un ton de blâme dédaigneux.
Une toilette neuve!
HUGUETTE, elle passe devant la Comtesse et va vers son
père pour 1 embrasser.
Oui ! c'est embêtant.
LA GOMTRSSE, corrigeant.
C'est ennuyeux, tu veux dire.
HUGUETTE, dans les bras de son père et par-dessus
l'épaule.
Non ! C'est pas assez !
LE MARQUIS.
Elle a raison : « embêtant », c'est encore
faible.
Il embrasse sa tille.
LA COMTESSE, s'inclinant ironiquement.
Ah? bien, bien!... (changeant de ton.) Mais
avec tout ça, je croyais que tu devais venir
nous rejoindre à la messe ?
HUGUETTE, allant vers la comtesse.
Mais oui, ma tante. (Montrant sa robe.) VOUS
voyez : j'étais prête; j'avais même fait toi-
lette, (s'asseyant surlebord de la table, près de la Com-
tesse.) Seulement, voilà, au moment de par-
tir, dans la cour des écuries, j'ai vu le nou-
veau cheval arrivé hier! Vous ne pensez
pas vous en servir, ma tante ? il est vicieux !
2
26 LE DOURCJEON
Les hommes u'eii venaient pas à bout !
(Kedescendant un peu.) Yoilà t'il paS qUê tOUt à
coup, la bète fait un tète à queue, et v'ian!
son cavalier par terre. Alors, je ne sais pas
ce qui m'a pris, une sorte de vertige, d'en-
vie irrésistible!... avant même qu'on ait eu
le temps de faire « ouf », une, deux! mon
paroissien était dans les mains du palefre-
nier et j'avais, moi, enfourché le cheval !
En ce disant, elle a rassemblé ses jupes et s est mise à
cheval sur l'extrémité du tabouret qui est devant la
table
EUGÉNIE, avec un sursaut scandalise.
Enfourché !
UUGUKTTE, bien naturellement.
11 était sellé pour homme !
EUGiiXIE, les yeux au ciel.
Enfourché ! Et en g-rande toilette !
IIUGUETTE.
Ça prouve qu'il n'y avait pas prémédita-
tion! (Reprenant sou récit.) Et alorS (imitant le galop
sur son tabouret.) c'a été uue galopadc à travers
champs! tantôt je conduisais le cheval;
tantôt... (Moins fièrement.) il me Conduisait: et
on dév^orait l'espace, c'était amusant ! Mais
c'est égal, il no m'a pas désarçonnée...
LE BOURGEON 27
Alors, je me suis dit, je vais un peu lui
faire faire du kilomètre sur la plage, (imi-
tant do nouveau le galop, les mains tenant des rèncs ima-
ginaires.) et patatam ! patatam ! nous voilà sur
le sable; on allait un train ! Quand tout à
coup. (Se levant et gagnant la baie par la gauche Je la
table.) là, de l'autre côté de la pointe, où vous
voyez la cabine du douanier, j'aperçois un
rassemblement; (Au-dessus de la table, s'adressant
à son père.) tu counais ma curiosité ; je ne suis
pas femme pour rien ! Je cingle mon cheval ;
un temps de galop et j'y suis... (s'appuyant des
deux poings sur la table.) Qu'cst-Ce CJUC jCtrOUVC?
Un groupe de marins qui entourait un pau-
vre petit jeune homme qui avait été en-
traîné par notre maudit raz de marée, et
qu'on venait de repêcher sans connaissance .
LA GO.MTKSSE et EUGÉNIE.
Quelle horreur !
HUGUETTE, à son pore en descendant vers lui par la
gauche de la table.
C'est intéressant, n'est-ce pas? Etait-il
vivant? Etait-il mort? On ne savait pas.
Les pêcheurs discutaient gravement ! (Allant
vers la Comtesse.) On parlait déjà de Ic pcudro
par les pieds... pour lui faire rendre son eau.
28 LE BOURGEON
LE MARQUIS, à la cheminôo.
Les crétins ! Sainte routine!
HUGUETTE.
Je me dis : ma bonne lluguette, si tu
n'interviens pas, on va faire des boulettes.
(Se tournant vers son iiôro et gaîment.) lienS, C CSt
des vers! Je ne l'ai pas fait exprès! Alors,
ma foi, je ne fais ni une; ni deux, je saute à
bas de ma bète et je viens mêler ma voix
au chapitre. Naturellement, aucun méde-
cin! (un genou sur le tabouret.) Par bonllCUr, j'a-
vais déjà vu un cas pareil, une année à
Biarritz ; je me suis rappelée comment
avaient fait les hommes de l'art et ma foi,
je me suis mise à faire mon petit docteur.
(a son père.) Exercice illégal, oui, monsieur!
J'ai écarté le groupe et j'ai pris le comman-
dement: j'ai commencé par faire enlever le
costume de bain du petit bonhomme.
EUGÉNIE.
Comment, « enlever »? iMais alors... il
était tout nu ?
HUGUETTK.
Naturellement.
EUGÉNIE, scandalisée.
Devant toi! Oli!... Ça ne te faisait rien!
LE BOURGEON 29
HUGUETTE, bien simplement.
Non!
EUGÉNIE.
Oh!
LE MARQUIS, de la cheminée.
Mais c'est si ça lui avait fait quelque chose
que c'eût été répréhensihle. Je vous en prie.
Eugénie, ne montez donc pas la tète à ma
fille, n'est-ce pas ?
Il remonte par la gauche de la table.
EUGÉNIE.
Moi? C'est moi qui...? Oh!
HUGUETTE.
Une fois le petit en tenue, allez-y ! Je me
dis : adieu, ma helle toilette! D'ailleurs, il
n'y avait pas grand mal, elle avait déjà eu
affaire aux ronces. Je me plante par terre,
les deux genoux dans la vase, à cheval sur
le petit.
EUGÉNIE.
A cheval! Encore!
LA COMTESSE.
En amazone, au moins ?
LE MARQUIS, derrière le^fautouil de la comtesse. —
Avec un sourire d'aHoctueuse commisération.
En^amazonej
2.
30 LE BOURGEON
HUGUETTE.
Oh ! Vous me voyez faisant de la respira-
tion artificielle en amazone! (passant devant la
comtesse pour gagner le milieu de la scène.) MaiS nOn,
ma tante! là, corps à corps, face à lui,
comme pour lutter... et c'était une lutte,
en effet, contre la mort, là, qui guettait!
Aussi, à nous deux ! Je charge un marinier
de la manoeuvre des bras, tandis que moi,
je m'occupais à rétablir les fonctions respi-
ratoires, par des pressions régulières, au
bas du sternum ; pendant ce temps-là. les
autres me cherchaient des serviettes chau-
des, des briques chaudes, des fers chauds,
tout ce qu'on pouvait imaginer de chaud
pour ramener la circulation!.,. Et nous avons
respiré artificiellement comme ça pendant
une heure et quart ! Ah ! je n'en pouvais
plus ! Voilà que tout à coup nous avons vu
la poitrine se soulever faiblement. Oh !
quelle émotion ! Nous n'en croyions pas nos
yeux. Nous étions haletants! Puis, soudain,
un paquet d'eau de mer rejeté ! et un cri :
un cri rauque, terrible, déchirant ! un cri
qu'on n'oublie pas ! Ah ! ce cri, il m'a ré-
sonné jusqu'au cœur... Quelle joie ! C'était
la résurrection! Je vainquais la mort! Je
LE BOURGEON 31
refaisais une vie! Ah! papa! papa! il me
semblait que je faisais un enfant !
Elle se jette radieuse dans les bras de son père.
LA. COMTESSE et EUGÉNIE, choquées.
Oh!
La comtesse on poussant co c oh » s'est levée et reste
ainsi légôrement dos au public devant son fauteuil.
LE MARQUIS *.
Ma chère petite Huguette, je suis fier de
toi.
HUGUETTE.
N'est-ce pas papa que j'ai été chic?... (Des-
cendant légèrement vers Eugénie.) Ah! par exemple,
ma messe était dans l'eau... comme ma robe!
(a son père qui est descendu à sa suite.) IMais bah ! je
me disais : le bon Dieu, il est éternel, il peut
attendre, tandis que mon moribond, lui, il
ne peut pas... et ma foi, si j'ai fait tort au
bon Dieu de sa messe, je suis sûre qu'il ne
m'en voudra pas.
EUGÉNIE, pincée.
C'est commode !
LA COMTESSE.
Evidemment, ce que tu as fait est loua-
ble... quoique bien inconvenant pour une
jeune fille.
* La G. 1, le M. 2, H. 3, E, 4.
32 LE BOURGEON
LE MARQUIS, s'interposant.
Permets.
LA. COMTESSE, sur un ton péremptoire au Marquis.
Quoique bien inconvenant! (v Huguette.) Je
veux bien que cela t'absolve, mais cela ne
t'excuse pas d'avoir manqué à l'office.
Elle gagne par lo fond jusqu à la tricoteuse ou elle dé-
pose son ouvrage.
HUGUETTE.
En tout cas, je n'ai pas de regrets.
EUGÉNIE, se levant.
C'est un tort, car rien n'excuse dtï man-
quer à la messe 1 J'ai un mari, moi; c'est
un homme...
LE MARQUIS, passant devant Huguette pour s'approcher
d Eugénie et sur un ton ironique.
Allons donc ?
EUGÉNIE, hausse les épaules avec dédain, puis continue.
Eh ! bien, il se ferait plutôt hacher que de
ne pas accomplir ses devoirs religieux. Tous
les jours, il va jusqu'à Concarneau pour as-
sister à l'office. Ving-t-deux kilomètres à bi-
cyclette! dix pour aller, douze pour revenir.
LE MARQUIS.
Tiens ! Pourquoi deux de plus pour revenir ?
EUQÉNIË, avec un haussement d'épaule de pitié.
Parce que ça monte.
LE BOURGEON 33
LE MARQUIS, s'inclinant.
Ah ! je n'y avais pas pensé.
Il gagne vers la cheminée. Huguette remonte au fond.
SCENE IV
Les Mêmks, MAURICE.
La porte de ^Maurice s'ouvre à ce moment et 1 on voit pa-
raître le jeune homme, les jeux encore lourds de sommeil,
les cheveux décoilTés par le contact de 1 oreiller. Il est
revêtu d'un pyjama de molleton violet foncé, qui laisse
apercevoir sa chemise de nuit ; aux pieds des pantoufles
Sur le pas de la porte, il s'arrête et s étire discrète-
ment.
TOUS, à son entrée, lui faisant accueil.
Ah!
LA COMTESSE, qui depuis la fin de la scène est debout
derrière la bergère de droite, accourant vers son fils.
Oh! Tu t'es levé!
MAURICE, gagnant la gaucho accompagné par sa mère qui
le couve. — Gaîment et gentiment.
Oui. maman ça va mieux! Ce peu de re-
pos m'a fait du bien.
EUGÉNIE, empressée.
Tu ne veux pas t'asscoir?
34 LE BOURGEON
MAURIGK, avec insouciance.
Oh!
LA COMTESSE.
Si, si. (Au marquis.) Onfroy ! le roking ! le
roking!
LE MARQUIS, tirant lo roking à lui, de façon à amener
le pied de ce meuble entre lo fauteuil gauche de la che-
minée et lo tabouret.
Voilà! voilà!
MAUniGE,
Oh! mon oncle, je vous en prie!
LE MARQUIS.
Laisse donc ! laisse donc ! Tiens, étends-toi.
MAURICE.
Oh! Je suis confus !
Il s'assied sur lo roking.
LA COMTESSE, le calant avec des coussins.
Et tiens, sous ta tète! sous tes reins!
MAURICE, gentiment.
Mais, maman, je vous assure! Vous allez
me faire prendre pour plus malade que je
ne suis.
Il s'étend.
LA COMTESSE, s'asseyant sur le tabouret près do son fils.
Allons, allons, veux-tu te laisser soigner.
Lo marquis s'assied sur le fauteuil pr6s de la chemi-
née, Eugénie est debout devant le fauteuil à droite do
la table.
LE BOURGEON 35
MAURICE.
Et puis il va être l'heure de mon bain de
mer.
LA COMTESSE.
Tu vas prendre un bain après avoir été
souffrant !
MAURICE.
Mais je crois bien, maman! cela me fait
tant de bien ! Qu'est-ce que j'ai ? de la fai-
blesse. Eh ! bien, rien ne me remonte comme
cela ! Regardez, hier je n'ai pas pris de bain
à cause du temps et aujourd'hui, le ressort
m'a manqué.
LA COMTESSE.
En tout cas, tout à l'heure, doit venir un
médecin que ton oncle a eu la gentillesse
de mander ; je te prie d'attendre qu'il t'ait
vu avant de te baigner.
MAURICE, soumis et indifférent.
Bien, maman. (Avec intérêt.) M. le curé n'est
pas venu?
LA COMTESSE.
Il a fait dire qu'il passerait te voir dans
la matinée. Il ne tardera pas.
MAURICE.
Oh! oui ; sa visite me fera du bien. J'ai
tant, tant à lui dire !
36 LE BOURGEON
LA COMTESSE.
Eh ! mon Dieu, toi !...
LE MARQUIS.
Ah! bien... qu'est-ce que je dirais, moi!
LA COMTESSE.
Toi. mon pauvre enfant!
MAURICE.
Oh ! maman, on a beau faire... on est des
pêcheurs tout de même.
EUGÉNIE, avec un soupir profond.
ïïélas!
Elle gagne la droite et va s asseoir dans la bergère.
LE MARQUIS, avec le même soupir, mais ironique.
Eh! oui!
MAURICE, apercevant Huguette, qui, un peu au-dessus de
la table, avait été masquée jusque-là à son cousin par la
présence d'Eugénie.
Ah ! Huguette... Je ne te voyais pas.
(Huguetto descend entre le fauteuil à droite de la table et
la table.) Eh! qu'cst-cc qui t'est arrivé?
EUGÉNIE, tricottant.
Ah! oui. gTonde-la! Elle a encore fait de
ses folies.
MAURICE, sur un Ion de reproche affectueux.
Oh!
LE BOURGEON 37
HUGUETTE, à Eugénie.
Oli! vous n'avez pas besoin d'inciter Mau-
rice à me gronder; il est déjà assez porté
à voir tous mes défauts !
MAURICE, avec douceur.
Tu m'en veux encore de ce que hier je
me suis cru autorisé par l'affection que je
te porte...
HUGUETTE, sur un ton où perce un peu de dépit.
Mais pas du tout... seulement je sens que
je suis tellement indigne..!
MAURICE.
Comme tu me parles durement ! Jadis
nous étions si bons camarades I
HUGUETTE, même ton.
C'est que jadis tu étais un garçon comme
tout le monde. Maintenant tu es un saint!
MAURICE, se défendant en souriant.
Oh! .
HUGUETTE.
Mais si ! Tout le monde est d'accord là-
dessus. Eh ! bien, moi, je ne suis pas une
sainte; alors, n'est-ce pas, je sens tellement
la distance..!
Maurice pousse un soupir.
LA COMTESSE, sur un ton de reproche.
Huguctte! mon enfant.
38 LE BOURGEON
LE MARQUIS, se levant et affectueusement grondeur.
Voyons, Huguette 1
HUGUETTE, allant à la tricoteuse prendre son chapeau.
Qu'est-ce que vous voulez, ma tante? ou
est ce qu'on est! Je ne peux pas me refaire.
(Brisant la discussion.) Allons. je vais luc chan-
ger ! Comme cela on ne verra plus les tra-
ces de mes folies I A tout à l'heure.
LE MARQUIS, avec un geste amical de la main.
A tout à l'heure.
Il remonte par la gauche de la table.
HUGUETTE, sort dans le hall ; à peine sortie, elle re-
passe la tète.
Tenez ! voici mon cousin Hector qui ren-
tre ! Je vous le passe !
Elle disparaît à droite. Pendant les répliques suivantes
on voit Heurteloup arriver dans le hall.
LE MARQUIS, au-dessus et à droite de la table.
Elle est drôle, cette petite.
LA COMTESSE, avec une moue.
Tu trouves !
SCENE V
Les Mêmes, HEURTELOUP.
Il est en veston d'alpaga noir, pantalon noir ; petite cra-
vate noire de la largeur d'une ficelle autour du cou.
LE BOURGEON 39
et dont le nœud a tourne sur le côté ; aux pieds de
grosses bottines noires. Des pinces serrent son pantalon
autour de sa cheville ; il a un feutre mou sur la tête.
HEURTKLOUP, retirant son feutre et s'dpongeant le
front.
Oli! mes enfants, quelle chaleur dehors!..
Il va a la comtesse.
LA GOMTKSSE, à qui lleurteloup baise la main.
Aussi, mon cher Hector, faire de la bi-
cyclette par une température pareille...
HEURTELOUP, allant embrasser sa femme.
C'est vrai !
KUGÉNIE.
Oh 1 regarde un peu, tu es en transpira-
tion.
HEUPiTELOUP, allant serrer la main du marquis toujours
à sa même place.
C'est cette montée en plein soleil. (Redes-
cendant.) Ah! je vous annonce la visite de
M. le curé ; je viens de le brûler sur la route ;
il se dirigeait de ce côté.
MAURICE, avec joie«
Ah?
HEURTELOUP.
Au moment où je l'ai croisé, il m'a crié :
<( A tout à l'heure, je vous rejoins. » (ou en-
tend très au lointain deux coups do timbre bien distincts.)
40 LE BOURGEON
Et tenez, il franchit la grille du parc ! On
vient de timbrer deux fois.
LA GOMTKSSE.
En eii'et.
Elle se lève et reinoate. Pendant ce qui suit, on voit
Luc arriver de droite par le hall, et aller ouvrir la
porte donnant sur le perron pour recevoir le curé
à son arrivée.
HEUUTELOUPj allant par devant, serrer la main
à .Maurice.
Bonjour, Maurice. Eh! quoi :' pas encore
habillé.
MAURICE.
J'ai été un peu indisposé tout à Tlieure.
HEURTELOUP.
Allons, bon, encore!
MAURICE.
Oui, mais c'est fini à présent. Et... il y
avait beaucoup de monde à l'église :'
HEURTELOUP.
A Concarneau '? Ah! plein! tu penses: un
sermon du Père Euchariste! Vraiuient il est
admirable !
MAURICE.
Ah! oui.
HEURTELOUP.
Quelle fougue! Quelle force de persuasion!
Quelle éloquence! Ahl ranimai.
LE BOURGEON 41
EUGÉNIE, sévèrement.
Hector !
IIEURTELOUP, allant à Eugénie.
Pardon : lapsus! (corrigeant.) Quel orateur!
EUGÉNIE.
A la bonne heure... (Remarquant sa cravate toute
de travers.) Oli ! comme ta cravats est mise !
HEURTELOUP, pendant que sa femme lui arrange sa
cravate.
Oh! qu'est-ce que ça fait ? tu penses bien
que je vais me changer... et puis, si tu crois
que je m'occupe de ces colifichets!
EUGÉNIE, lui refaisant son nœud.
Ah! tu n'es pas coquet! (Le nœud fait.) Là,
au moins..!
HEURTELOUP.
Tu es contente, hein? quand tu peux me
donner l'air d'un gandin.
LE M.\RQUI.S, sur le ton le plus sérieux.
Le fait est qu'on pourrait s'y tromper.
HEURTELOUP.
Oui ? Eh bien vous êtes témoin que c'est
le fait de ma femme.
Il gagne l'extrême droite. A ce moment on aperçoit
1 abbé dans le hall, introduit par Luc. La comtesse
va au-devant do lui.
42 LE BOURGEON
SCENE VI
Les Mêmes, L'ABBÉ BOURSET *.
LA. COMTESSE, allaut au-devant de l'abbé.
Ah! monsieur le curé, que c'est gentil I
l'abbé, descendant accompagné de la comtesse.
Vous êtes vraiment trop bonne, madame
la comtesse I Monsieur le marquis, je vous
présente mes hommages.
Il va vers Maurice.
MAURICE, se levant.
Ah! mon clier père, je vous attendais avec
impatience.
l'abbé.
Voulez-vous bien ne pas bouger, mon
cher enfant.
MAURICE.
Mais pourquoi donc? Je suis solide à pré-
sent.
l'abbé.
Non, non, je vous en prie, restez assis!
* Maurice 1 ; le Marquis 2, au dessus de la table ;
l'AbLé 3; la Comtesse 4; Eugénie 5; Ileurteloup G.
LE BOURGEON 43
(a Eugénie.) Madame, mes respects ! (a Heurte-
loup, sans aller à lui.) MonsicUF ÏÏCUrteloup, jC nC
vous dis pas bonjour, c'est déjà fait sur la
route.
HEURTELOUP.
Oui. monsieur le curé.
l'abbé, s'asseyant sur le tabouret près de ^Maurice qui
s'est rassis sur la chaise longue mais sans s étendre.
Alors, quoi donc, mon cher enfant? vous
avez encore eu un de ces vilains malaises?
MAURICE.
Mon cher père, la santé corporelle est peu
de chose à côté de la santé spirituelle et
c'est celle-ci qui me préoccupe. Voilà pour-
quoi j'ai besoin de votre direction éclairée.
Si j'avais été mieux, je me serais rendu à
votre confessionnal.
l'abbé.
Je suis tout à votre dévotion, mon cher
enfant.
LA COMTESSE.
Nous allons te laisser, mon chéri ; si tu
désires t'entrctenir avec M. le curé...
MAURICE.
Pourquoi, ma mère? nous pouvons aussi
bien passer dans ma chambre, M. le curé
et moi.
44 LE BOUr.GEON
LA COMTESSE.
Mais non. mais non ! d'ailleurs, j'ai des
comptes à vérifier: Eugénie viendra m'ai-
der. Quant au marquis, il ira au-devant du
docteur; c'est bien le moins qu'on lui doive.
LE MARQUIS.
Mais oui! et puis ça me dégourdira les
jambes.
HEURTELOUP.
Et moi, ma mission est toute tracée : je
suis en transpiration, je vais me changer.
MAURICE.
Comme vous voudrez.
Tout le monde remonte pour laisser Maurice et l'abho ;
le marquis et la comtesse en tête, Eugénie et Heur-
teloup en dernier,
L ABBÉ, hélant Heurteloiip de sa place.
M. Heurteloup!
Tout le monde s'arrête à 1 appel de 1 abbé. ^Maurice
assis sur le pied de la chaise longue, la tête dans
sa main, le coude sur le genou, s'absorbe pendant
ce qui suit dans seS' méditations.
l'abbé.
Vous reveniez de Concarneau quand je
vous ai croisé tout à l'heure?
HEURTELOUP.
Oui. monsieur le curé.
LE BOURGEON 45
l'abbé, sur un ton d'affectueux reproche.
Le service divin de notre humble église
de villag'e alors ne vous suffit pas ?
HEURTELOUP, do-jcendant vers l'abbé.
Oh! ce n'est pas cela... Mais la bicyclette
m'est recommandée, et puis, la perspective
d'entendre prêcher le révérend Père Eu-
chariste...!
l'abiîé.
Ah! oui... Cela a dû être un désappointe-
ment pour les fidèles d'apprendre qu'ils en
seraient privés.
HEURTELODP, très visiblement décontenancé.
Ilein? Comment? Mais... pas du tout.
Tout le monde redescend un peu, excepté le marquis
qui reste au-dessus du fauteuil de droite de la ta-
ble, et le monocle dans l'œil, se met à observer
Heurteloup d'un air narquois.
EUGÉNIE, descendant (6).
En quoi privé?... Le Père Euchariste a
prêché,
LA GOMTKSSE, descendant (S).
Il a même été d'une éloquence, paraît-il!
l'abbé. *
Mais ce n'est pas possible!... Il a la rou-
geole depuis deux jours.
M. survie roking, l'Ab. sur le tabouret, Heurteloup près
de l'Abbé, le Marquis au-dessua de la table, la G., Eug.
3.
46 LE BOURGEON
HEURTELOUP, de plus en plus gêné.
Mais voyons... oh! vous faites erreur, je
vous assure.
Il remonte.
l'abbé.
Enfin, voyez plutôt les journaux catho-
liques ; les avez-vous là ?
HEURTELOUP, vivement et instinctivement se rap-
prochant de la tricoteuse.
Non, non I
LA COMTESSE, étonnée.
Tiens!., comment..?
LE MARQUIS, bien perfide, le sourire aux lèvres.
Si. si, ils sont là.
Il indique la tricoteuse d'un geste de la tête,
LA COMTESSE, allant à la tricoteuse.
Ah I ça m'étonnait aussi ! (Grimace d'neurte-
loup. La comtesse prend les journaux de la main droite. Au
moment de les passer, elle aperçoit dans le nombre le Rire
posé là par le marquis. Elle détache aussitôt ce journal des
autres en le prenant avec horreur du bout des doigts de
sa main gauche. ,\vec répugnance, le tenant loin d'elle.)
Qu'est-ce que c'est que ça ?
LE MARQUIS, le plus naturellement du monde.
Ah! c'est le Rire. C'est à moi.
LA COMTESSE (5) passant le journal à llourteloup (4)
qui le passe au marquis (3).
C'est toi qui introduis ces choses clioz
moi I..,
LE BOURGEON 47
L ABBÉ, curieusement et avec bonne humeur.
C'est le numéro de cette semaine? Oh!
vous permettez...?
Il se lève,
LE MARQUIS, lui tondant le numéro.
Mais comment donc, monsieur le curé.
Les deux femmes échangent un regard d'étonnement.
LA GOMTESSK.
Eh! quoi, monsieur le curé, vous n'êtes
pas scandalisé ?
EUGÉNIE.
Le Rire, monsieur le curé! le Rire!
L'ABBÉ.
Mais oui, madame, le Rire!... le rire est
une helle qualité française qui n'a jamais
contaminé personne, et ma foi, j'avoue que
je le salue partout où je le rencontre.
EUGÉNIE, n'en croyant pas ses oreilles.
Oh!
L'ABBÉ.
Vous me le prêtez, monsieur le marquis.
LE MARQUIS.
Mais volontiers.
l'abbé.
Merci.
Il plie le journal et le mot dans la poche de sa sou-
tane. — La comtesse, ahurie, a considéré cette scène
bouche bée, les bras écartés. — Heurteloup qui est
à côté d'elle, et qui n'a pas perdu de vue les jour-
48 LE BOURGEON
naux qu'elle tient toujours à la main, les lui tondant
pour ainsi dire, ne manque pas une aussi bonne oc-
casion de les subtiliser ; le plus naturellement du
monde et sans que la comtesse s'en aperçoive, il les
lui prend et les glisse aussitôt entre son veston et
son gilet. Ce jeu de scène très rapide n'échappe pas
au marquis.
l'abbé.
Là... et maintenant les journaux!
LA COMTESSE, s'apercevant seulement do leur dispa-
rition.
Ah!... Eh! bien, les journaux? les jour-
naux?
LE MARQUIS indiquant malicieusement Ileurteloup qui
remonte à pas de loup vers le hall avec le vague espoir
de passer inaperçu.
C'est Heurteloup qui les a.
LA COMTESSE et EUGÉNIE.
Hector! Hector!
LA COMTESSE.
Les journaux!
HEURTELOUP.
Hein? all! oui... tiens! (En manière d'excuse.)
inadvertance!
LE MARQUIS, moqueur.
Evidemment! Evidemment!
HEURTELOUP, les tendant à l'abbô.
Pardon !
l'abbé, prenant les journaux et se rasseyant sur le tabouret.
^ Ah! La Croix du Finistère... voyons.
LE BOURGEON 49
(il déplie la feuille en question.) Eh ! teneZ ! (Lisant.)
Nous apprenons que le R. P. Eucharistc
dont la parole vibrante a si souvent tou-
ché les cœurs de nos lecteurs, est atteint
d'une rougeole bénigne, ce qui le met dans
l'obligation de remettre à plus tard le ser-
mon qu'il devait prononcer aujourd'hui de-
vant les fidèles de Concarneau. (AHcuneioup.)
Vous voyez que je n'invente rien.
EUGÉNIE, étonnée mais sans défiance.
Qu'est-ce que cela signifie?
HEURTELOUP, allant à sa femme.
Mais je ne sais pas I Qu'est-ce que tu veux
que je te dise? Ou c'est un canard, ou alors
il aura été remplacé et j'aurai pris un au-
tre pour lui.
EUGÉNIE, facile à convaincre.
Ah I peut-être, oui, oui.
La comtesse qui était un peu redescendue pendant la
lecture, remonte au fond vers le marquis.
HEURTELOUP.
Ce que je peux dire c'est qu'il y a un do-
minicain qui a prêché ; maintenant, est-ce
le P. Euchariste, ça?... En tous cas, il a
joliment bien prêclié. Ah! le bougre!
EUGÉNIE, sévèrement.
Hector !
50 LE BOURGEON
HEURTELOUP.
Pardon, lapsus!... Allons, je vais me
changer.
LA COMTESSE.
C'est cela! Laissons Maurice avec M, le
curé.
LE MARQUIS.
A tout à l'heure.
Ils sortent
EUGÉNIE, tout en sortant derrière eux avec Heurteloup,
Et sur quoi a-t-il prêché ?
HEURTELOUP.
Oh ! bien tu sais, un peu sur tout, un peu
sur rien... comme on prêche.
Ils disparaissent à droite, à la suite de la comtesse.
Le marquis a pris son chapeau et sort par le fond
pour aller à la rencontre du docteur.
SCENE Vil
L'ABBÉ, MAURICE.
l'abbé, qui s'était levo à la sortie p-énorale, allant à
Maurice et paternellement lui mettant la main sur 1 o-
paule, ce qui le tire de sa méditation.
Eh I bien, nous voici seuls, mon cher en-
LE BOURGEON 51
fant; qu'avez-vous donc de si grave à con-
fesser ?
MAURICE.
Oh ! mon père, mon père, je m'accuse
parce que j'ai péché, monstrueusement pé-
ché.
Il se laisse tomber sur les deux genoux.
l'abbé, le relevant et le faisant asseoir sur le pied
de la chaise longue.
Mon enfant! Mon fils, relevez-vous! («'as-
seyant en face et tout près de lui, sur le tabouret.) Ici
nous ne sommes pas au confessionnal ; et
confiez-vous à moi, comme à votre père spi-
rituel. Je suis sûr que vous vous exagérez
vos fautes.
MAURICE.
Oh ! non, mon père. Dieu m'est témoin
pourtant que ma volonté n'y est pour rien.
Comment dans mon cerveau, dont j'écarte
avec tant de zèle toute idée coupable, a-t-il
pu germer une horreur pareille!.. Cette
nuit, j'ai fait un cauchemar : j'ai vu la
Magdeleine au pied de IV. S. Jésus-Christ.
Elle était belle, belle! ses cheveux étaient
défaits et son corps était nu jusqu'à la
taille... Elle implorait Notre Seigneur et ses
yeux brûlaient d'un amour profane. (L'Abbé
52 LE BOURGEON
hocho la têto.) Oh ! commont oserai-jo vous
dire...?
Il ramène son bras sur son front pour dissimuler sa
honte.
l'abbé, paternellement.
Allez, mon enfant, allez !
MA.URIGE, faisant un elTort sur lui-même et reprenant
sa confession.
Tout à coup, je m'aperçus que le Christ
me ressemblait; oui. mon père, le Christ,
c'était moi ! Quel sacrilège ! Quel péché
d'orgueil!... et la Magdeleine, la Magde-
leine c'était traits pour traits la Claudie.
notre servante! Elle me regardait, avec ces
yeux que je lui ai déjà vus en réalité, ces
yeux qui me gênent... et, c'est atfreux à
dire : moi, moi le Christ, au lieu de repous-
ser ses avances, d'essayer de l'amener au
bien, de lui dire les mots qui purifient, je
n'avais pas le courage ! que dis-je ? j'éprou-
vais comme une joie de sa présence, son
regard me troublait, sa caresse me rete-
nait ! C'était moi, moi qui la rapprochais de
moi, et avant que j'aie pu me ressaisir,
oh! mon père! je devenais humainement
et misérablement sa chose!... (Avec des san-
LE BOURGEON
giots.) Vous entendez, mon père, sa chose!
sa chose!
Il so laisse tomber aux pieds du prêtre et sanfrlote,
la tête enfouie dans son bras et appu\ée sur les ge-
noux de l'abbc.
l'abbé, lui caressant paternellement la tête.
Mon enfant! Mon pauvre enfant.
MAURICE, relevant la tête.
Ah! Comment expierai-je un pareil sacri-
lège ! (il se lève et passe à droite.) Quaud jC me
suis éveillé, j'ai prié; j'ai prié jusqu'au ma-
tin, implorant mon pardon, me déchirant
la poitrine, me meurtrissant les chairs ;
mais je le sens bien : Dieu s'est retiré de
moi !
l'abbé, se levant (l) et allant à lui (2).
Non, mon enfant, non! Dieu ne s'est pas
retiré de vous ! Certes votre rêve est crimi-
nel et le démon vous a visité cette nuit.
Mais croyez-vous, que tous, et parmi les
plus saints, nous n'avons pas eu à subir
des épreuves pareilles ? Est-ce que S. An-
toine n'eut pas à résister à toutes les ten-
tations qui l'hallucinaient? Sa sainteté en
a-t-elle été diminuée ?
MAURICE.
Oh ! mon père, si c'était vrai !
54 LE BOURGEON
l'abbé, lui prenant le bras.
Dieu ne retient que les péchés que
riiomme commet à l'état conscient ; (Tout en
marchant de façon à gagner tous deux la droite de la scène.)
Mais sa miséricorde est trop grande pour
qu'il fasse un grief d'un péché qui se pro-
duit en dehors du lihre arbitre. Aussi, est-
ce en son nom, mon fils, que je vous absous,
et que je vous dis : allez en paix, vos pé-
chés vous sont remis.
MAURICE, so précipitant dans ses bras.
Oh! mon père, mon père, que la bonté de
Dieu est infinie!
l'abbé, le serrant dans ses bras.
Mon cher enfant! Que j'admire l'ardeur
de votre foi de néophyte.
MAURICE.
Mon père, je suis lieureux.
L'abbô l'embrasse.
LE BOURGEON 55
SCENE VIII
Les Mêmes, LA COMTESSE, puis LUC dans le
hall, LE MARQUIS et VÉTILLE.
LA COMTESSE.
Dans les bras l'un de l'autre ! Voilà qui
est de bon augure. (Descendant au-dessus du fauteuil
de droite de la table.) Je VOUS demande pardon
de vous interrompre : (a Maurice.) Maurice,
voici le docteur.
MAURICE.
Comment! Déjà! On n'a pas averti.
LA COMTESSE.
Je te demande pardon, on a timbré deux
fois *. Dans le feu de votre entretien vous
n'aurez pas entendu.
MAUHIGE, montrant l'abbé.
Ah! ma mère, mon meilleur médecin, le
voici.
Les doux coups de timbre dont parle la comtesse ne
doivent pas avoir été sonnés ; le public devant avoir, comme
Maurice, 1 illusion de ne pas les avoir remarqués.
ôG LE BOUKGliOX
LA. CD.MTKSSE.
Ah! voici ces messieurs.
Sur ces dernières répliques, on a vu dans le hall pa-
raître Luc qui est allô se planter à son poste près
de la porte donnant sur le perron. — Arrivent le
marquis et Vétille que Luc introduit aussitôt.
LR MARQUIS, s'effaçant pour laisser passer le docteur.
Tenez, si vous voulez entrer, mon cher
docteur ?
VÉTILLE, uniforme do médecin principal.
Pardon.
Se trouvant face à face avec la comtesse, il s incline.
LE MARQUIS (3).
Ma chère sœur, je te présente mon ami,
monsieur le médecin principal, Vétille.
VÉTILLE (2).
Madame, très honoré.
LA COMTESSE, (l) descendant en sc^ne tout en
parlant.
Combien c'est aimable à vous de vous
être dérangé. Docteur!... vraiment, par
cette chaleur...!
VÉTILLE, descendant à l'exemple do la comtesse
Il fait chaud, en effet! il fait chaud!
LA COMTESSE.
Et surtout en uniforme!
LE BOURGEON 57
VÉTILLE.
Ah! ça. madame, c'est un principe chez
moi ! Je déplore la fâcheuse tendance que
je vois chez les officiers de se mettre en
pékins dès qu'ils peuvent. On doit avoir
l'orgueil do son uniforme.
LA COMTESSE.
Ces sentiments vous font honneur.
VÉTILLE, tout en se retournant vers 1 abbô qui est devant
le fauteuil à gauche de la berge. e.
En tous cas, c'est ma façon de voir, ça
ne fait de mal à personne ; (a l'abbo sans tran-
sition.) Vous êtes ecclésiastique, monsieur,
si je ne me trompe...?
l'abbé, souriant.
Et catholique, oui, monsieur.
LA COMTESSE, présentant
M. l'abbé Bourset, curé de notre village.
VÉTILLE, s'inclinent.
Ah! parfaitement! (Poursuivant sa pensée.) Eli!
bien, il ne vous vient pas à l'idée de vous
mettre en pékin ? Alors, pourquoi est-ce
que je m'y mettrais?
l'aubé.
Parfaitement dit.
Il remonte.
58 LE BOURGEON
LA COMTESSE, présentant sou fils qui est deriôrc la
bergère et redescend par 1 extrême droite.
Je vous présente également mon fils.
IMaurice s'incline
VÉTILLE, allant à Maurice et se plantant devant lui en
assujôtissant son lorgnon sur son nez.
Aha ! C'est le jeune phénomène en ques-
tion.
LA COMTESSE.
C'est lui dont la santé...
VÉTILLÉjles deux poings sur les hanches, et dévisageant
Maurice comme il le ferait d un soldat au régiment
Oui, oui, je suis au courant... Le marquis
m'a exposé en venant... Eh! bien, mais...
je ne peux pas vous répondre comme ça,
moi! faudrait voir... faudrait voir!
LA COMTESSE, esquissant un mouvement dans la direc-
tion de la chambre du fond.
Si vous voulez, docteur, que nous passions
dans la chambre de mon fils.
VÉTILLE.
Elil bien, mais... ça me parait ce qu'il y a
de plus pratique.
LA COMTESSE, à son fils, l'invitant à se ren<lro dans
sa chambre.
Maurice!
MAUlircK.
Voilà maman.
LIS BOURGEON 50
Il remonte par l'extrême droite ; Vétille remonte à la
suite de la comtesse. — A ce moment ou entend
lieux coups de timbre au lointain.
LA. COMTESSE.
Oh ! justement voici du monde, dépô-
chonS-nOUS ! (a l'abbé et au marquis, qui sont restés en
place.) Vous permettez! (ns s'inclinent.) Par ici
docteur !
Elle entre dans la chambre de Maurice suivie du doc-
teur et de Maurice. — On voit comme précédemment
paraître Luc dans le hall pour attendre les nouveaux
arrivants.
SCENE IX
LE MARQUIS, L'ABBÉ, puis LUC, ÉTl EN-
NETTE, GUÉRASSIN.
LE MARQUIS, de sa place, c'est-à-diro au-dessus do la
table. — Après un temps.
Dites donc, monsieur le curé! vous tenez
à voir le monde ?
l'abbé^ derrière la bergère.
Pas du tout.
LE MARQUIS.
Moi non plus ! Eh ! bien, si nous cédions
la place..? Allons fumer une bonne pipe
dans ma chambre.
60 LE BOURGEON
l'abbé, bien bonhomme.
C'est que... je ne fume pas.
LE MARQUIS.
J'ai dit: « une., bonne pipe ». C'est niui
qui la fumerai.
Il va à 1 abbé
l'abbé.
Ah! A ce compte-là, je veux Lien.
LE MAE.QUIS, apercevant Étiennette suivie de Guôrassin
qui pénètre dans le hall.
Oh!... Venez monsieur le curé.
Il lui prend le bras et l'entraîne. Tous deux sortent par
la droite premier plan. — Pendant ce qui précède
on a vu Guérassin retirer son cache-poussière que
Luc a déposé sur la table du hall.
LUC, une fois la sortie de 1 abbé et du marquis, intro-
duisant.
Si monsieur et madame veulent entrer,
je vais aller prévenir madame la comtesse.
ÉTIENNETTE (2).
C'est cela! (Luc va frapper à la porte de Maurice et
entre. — A Guérassin, après la sortie de Luc.) DlS doUC !
Bien, ici! pur! noblesse vieille roche! Ça
se sent.
GUÉRASSIN (l).
Arcllipur.
ÉTIENNETTE.
Archi.
LE BOURGEON 61
LUC, ressortant de la chambre de Maurice et sans
descendre.
Madame la comtesse prie madame de
l'attendre un instant.
ÉTIENNETTE.
Bien ! (I-uc gagne le hall dont il referme la porte sur
le salon — Étiennette s assied sur le petit fauteuil à
gauche de la bergère tandis que Guêrassin en fait autant
sur le fauteuil à droite de la table. — Une fois assis.)
Mais qu'est-ce que je disais donc ? Ah ! oui . . .
Alors, n'est-ce pas ? en bas : le salon ;
guérâssin.
Oui!
ÉTIENNETTE.
La salle à manger ;
GUÊRASSIN.
Oui...
ÉTIENNETTE.
Et du billard je fais ma chambre à cou-
cher.
GUÊRASSIN.
Oui, (Changeant de ton.) Oll ! bicil, tU Sais,
comme je n'y suis pas admis...
ÉTIENNETTE, avec un sourire narquois.
Oh ! tu ne voudrais pas I
GUÉKASSIN.
Tiens, pourquoi donc?
62 LE BOURGEON
ÉTIENNETTE.
Mais voyons ! Il y a trop long-temps qu'on
se connaît! Ces choses-là, c'est tout de suite
ou jamais.
GUÉIIASSIN.
C'est consolant !
ÉTIENNETTE.
Mon pauvre vieux, aujourd'hui, tu es le
«sans importance, » pour moi!... D'ail-
leurs comme pour mes amants. Regarde :
quand ils s'absentent, à qui me confient-
ils? à toi ! Musignol mon actuel, au moment
de partir en manœuvres, qu'est-ce qu'il t'a
dit? «Tu tiendras un peu compagnie à Etien-
nettcl » Pourquoi? Parce qu'on sait que tu
es de tout repos.
GUÉRASSIN', avec un sourire vexé.
C'est ça I C'est exquis 1
ÉTIENNETTE, se levant et remontant tout en parlant.
Oh! Tiens, tu ne mérites pas ton bon-
heur.
GUÉRASSIN, ronchonnant.
Oui, c'est entendu.
ÉTIENNETTE, avec un soupir de regret.
Et pourtant si au lieu de toi, tout de
même, j'avais fait cette tournée d'auto avec
un autre... !
LE BOURGEON 63
GUÉRASSIN, idem.
Non. mais va donc !
ÉTIENNETTE,
Je ne sais pas si c'est la griserie de la
vitesse, si c'est la campagne, l'air de la
mer. le vent chaud, le soleil?... Ah ! Je me
sens amoureuse aujourd'hui !
GUÉRA.SSIN.
Allons, de qui encore? Pas de Musignol,
assurément.
ÉTIENNETTE.
Oh ! non, lui c'est mon amant.
GUÉRASSIN.
Alors?
ÉTIENNETTE.
Mais de personne, malheureusement.
Amoureuse, un point, c'est tout. Amoureuse
en disponibilité. (Au-dessus du fauteuil sur lequel est
assis Guérassin.) Il y a dcs uiomcnts commc
cela où l'on sent que l'on aimerait aimer
quelqu'un! Mais tu penses bien que si je l'a-
vais ce quelqu'un, je serais avec lui, je ne
serais pas avec toi.
GUÉRASSIN.
Merci.
ÉTIENNETTE, allant jusqu'à la baie.
Pas de quoi I (Admirant lo paysajre.) Regarde-
64 LE BOURGEON
moi euUe vue, cette mer verte ! cette
bonne brise tiède! Ça ne t'incite pas à l'a-
mour?
GUÉRASSIN, qui s'est levé sur ces paroles, allant se
mettre à côté A elle à sa droite.
Mais si, je te dis!
Il lui prend la taille.
ÉTIENNETTE, se dégaf^eant.
Oh! là! t'es bètel (changeant de ton.) Ah! J'ai-
merais à prendre un bain là-dedans! On se
déshabillerait dans la cabine, là-bas...
GUÉRASSIN, d une main lui prenant la taille, de l'autre
le poignet et la faisant familièrement passer au 2.
Oui, eh bien on se baig^nera quand on
sera arrivé à Roskoffi On a emporté ses
costumes et ses peignoirs pour ça 1 Au moins
là-bas, il y a des bains organisés.
ÉTIEXNETTE, sentimentale.
Justement, ce ne sera pas la même
chose! Se baigner avec un tas de gens
qu'on ne connaît pas... ! dans la même eau!
GUÉRASSIN.
On ne peut pourtant pas vous donner une
mer par personne.
ÉTIENNETTE, revenant à sa place primitive et dési-
gnant la mer.
Mais c'est ce qu'on a ici : l'Océan à soi
LE BOURGEON 65
tout seul; la mer tout à vous, la mer toute
vierge.
GUÉRASSIN, sur le ton d'un homme qui la connaît dans
les coins.
Mais non! Elle a l'air comme ça; mais
c'est la môme qu'à Roskoff. Elle fait sa
vierge ici, et là-bas elle s'est donnée à tout
le monde!... Faut pas s'en laisser conter.
ÉTIENNETTE.
Ah! Tu n'as pas l'âme poétique pour un
sou.
QUKRASSIN.
Ail I Toi tu l'as, Tâme poétique !
ÉTIENNETTE.
Toujours.
A ce moment Heurteloup venant du hall pénètre carré-
ment dans le salon, comme un homme qui entre dans
une pièce où il ne s attend à trouver personne. Il
a changé de vêtements et porte une longue redin-
gote noire très sévère.
4.
G6 LE BOURGEON
SCENE X
Les Mêmes, HEURTELOUP, puis LA COM-
TESSE.
HEURTELOUP, qui se dirigeait vers la table, apercevant
Étiennette et Guérassin. — Avec un petit mouvement de
recul.
Oh I pardon, je ne savais pas!...
ÉTIENNETTE et GUÉRASSIN, le reconnaissant.
Ah I Totor.
HEURTELOUP, reculant instinctivement vers la porte
de Maurice.
Xom d'un chien I Etiennette, Guérassin!
ÉTIENNETTE.
Eh bien, qu'est-ce que tu fais ici?
HEURTELOUP, revenant à eux.
Chut ! Taisez-vous ! C'est le sein de hx fa-
miUe : ma femme, mes cousin, cousine, ne-
veu, tout le tralala... et des curés! De la
religion jusqu'au cou !
ÉTIENNETTE, riant.
Ah! c'est pour ça que tu es en sacristain?
HEURTELOUP.
C'est ma tenue de recueillement. Surtout,
si on vient, vous ne me connaissez pas.
LE BOURGEON 67
ÉTIENNETTE.
Ah ! Mon pauvre ïotor !
GUÉRASSIN, à pleine voix.
Eh bien, et la Choute?
HEURTELOUP, sursautant.
Oh ! chut donc.
GUÉRASSIN, sans voix, articulant simplement avec
les lèvres.
Ehl bien et la Choute?
HEURTELOUP.
Elle est à Concarneau I Pauvre petite,
c'est pas drôle ! Juste deux heures par jour
pour se voir! C'est sec!... et déplus le matin!
Assommant pour les deux! Mais pas moyen
autrement ! Faut que ça concorde avec les
offices I (Étiennette et Guérassin rient.) ChoutC qui
n'aime pas qu'on l'éveille de bonne heure!
Comme c'est gai! et moi obligé d'avaler
des kilomètres de bécane ! Voilà un cal-
vaire! Oh! le mariage. (Étiennette et Guérassin
rient à gorge déployée.) CllUt I la COUsiuC !
On redevient subitement sérieux avec 1 aspect des gens
qui ne se connaissent pas, Heurteloup s'écarte avec
des petites révérences, pour se donner l'air de
quelqu un qui vient seulement d entrer.
LA COMTKSSE, s'avançant vers Étiennette.
Madame de Marigny?
G8 LE BOURGEON
ÉTIENNETTE, tr^s correcte.
Oui, madame.
LA COMTESSE (4).
Mon maître d'hùtel m'a remis votre
carte. Excusez-moi de vous avoir fait at-
tendre, mais j'étais avec mon fils qui vient
d'être un peu souffrant.
ÉTIE.NÎNETTE (2).
Mais je vous en prie, madame.
LA. COMTESSE, indiquant Guérassin.
Monsieur de Marigny sans doute ?
GUÉRASSIN (l), après une seconde d'hésitation voyant
que c est lui dont il est question.
Non... non madame, à mon grand re-
gret, je dois le dire.
LA COMTESSE.
Ah I pardon.
ÉTIENNETTE.
Monsieur est un de mes amis qui a bien
voulu m'accompagner : monsieur Guéras-
sin.
Guérassin s'incline. La comtesse fait un salut aimable
de la tête.
LA COMTESSE» présentant Heurteloup (s) un peu au-des-
sus.
Mon cousin, monsieur Hector Heurteloup.
Salut correct et froid de part et d'autre.
LE BOURGEON 69
HEURTELOUP.
Je VOUS demande pardon, j'ai fait irrup-
tion dans le salon, ignorant qu'il y avait
du monde, mais je puis...
II fait signe de se retirer.
ÉTIENNETTE.
Mais du tout, ce que j'ai à dire ne cache
aucun mystère.
LA. COMTESSE, indiquant le fauteuil à droite delà table.
Je vous en prie.
Heurteloup avance un peu le dit fauteuil sur lequel
s'assied Étiennette, puis, en faisant le tour de la ta-
ble par en dessus, va s'asseoir sur le pied de la
chaise longue. Guorassin - assied sur le tabouret, la
comtesse, sur le fauteuil gaucho de la bergère.
ÉTIENNETTE, une fois tout le monde assis.
Yoici en deux mots, madame... J'ai vu
qu'il y avait, attenant au parc de ce châ-
teau, un pavillon do chasse disposé en mai-
son d'hahitation, et qui est à louer.
LA. COMTESSE.
Parfaitement.
ÉTIENNETTE.
Je l'ai visité et il me plaît tout à fait...
Alors, comme on m'a dit que c'était vous
qui en étiez propriétaire...
70 LE BOURGEON
LA COMTESSE.
En effet, madame! mais l'on aurait dû
vous dire ég-alement que c'était mon inten-
dant qui avait charge... Mais n'importe,
je suis bien heureuse que vous vous soyez
adressée à moi, puisque cela me permet de
recommander tout particulièrement votre
requête à mon intendant.
ÉTIENXETTE.
Vraiment madame, je suis confuse !
LA COMTESSE.
Mais du tout, madame. Croyez bien que
c'est en égoïste que je parle. Vous devez le
savoir mieux que personne, dans notre
monde, nous avons un peu le préjugé de
caste. Aussi, quand il m'arrive de pouvoir
louer à quelqu'un de la noblesse...
ÉTIENNETTE, un peu interloquée.
Ah?
Elle jette un regard, à Gutsrassin qui en adresse un
à Heurteloup qui, lui, ne bronche pas.
LA COMTESSE, cherchant dans sa mémoire.
« De Marigny » : j'ai connu un chevalier
de Marigny. Est-ce que vous auriez épousé
son fils?
Guérassin ne peut réprimer un pouffement do rire qui
dans l'etrort qu'il fait pour le retenir prend l'ap-
LE BOURGEON 71
parence d un vaste éternuement qu il étoutfe aussi-
tôt dans son mouchoir. Heurteloup et Étiennette le
foudroient d'un regard.
LA. COMTESSE, qui croit qu'il a éternué.
A VOS souhaits, monsieur.
GUÉRASSIN5 une seconde interloqué.
Hein ? Mille grâces, madame.
LA. COMTESSE.
C'est le grand soleil qui enrhume.
GUÉR.\SSIN.
C'est le grand soleil, évidemment.
Il lance un petit coup de pied d intelligence à Heur-
teloup, qui gêné, se détourne d un mouvement brus-
que. Mais comme il est tout au pied du roking, ce
jeu de scène fait basculer la chaise longue qui le dé-
pose par terre, en repliant son dossier sur lui.
TOUS.
Ohl
LA CO.MTESSE.
Eh ! bien qu'est-ce qui vous prend, Hec-
tor ?
HEURTELOUP, se relevant et se rasseyant.
Hein! rien... c'est le roking qui a bas-
culé.
LA COMTESSE.
Oh! vous nous donnez des émotions! (a
Étiennette.) Je VOUS demandais dune, madame,
si...
72 LE BOUIIGEON
ÉTIENNETTE, avec décision.
Mon Dieu, madame, j'aime mieux être
franche :je ne suis pas mariée. J'ai bien
connu le chevalier de Marigny, mais il fut
un ami et un père pour moi ; à ce point, que
quand j'ai eu la douleur de le perdre, son
nom m'est resté par l'habitude ; et comme
aucun héritier n'était là pour le recueillir,
''ai continué à le porter au tliéàtre.
LA COMTESSE, refroidie.
Ah! vous...?
Elle se lève, Étiennette se lève ègalemeat.
GDÉRASSIN, à part.
Aïe donc!
Il se lève à son tour. Seul Ileurteloup reste assis,
ÉTIENNETTE.
Quant à moi, mon nom est beaucoup
moins aristocratique : je m'appelle vulgai-
rement Charlotte Cunard. comme mon père
qui tenait un petit café rue de la Tour
d'Auvergne. Vous voyez donc, madame,
que je serais fort en peine pour faire croire
que j'ai du sang bleu dans les veines.
LA COMTESSE, pincée.
Mon Dieu, madame, après ce que...
LE BOURGEON 73
ÉTIENMETTIi;, lui coupant la parole.
Laissez-moi achever, madame... quand
ce ne serait que pour me permettre dédire
moi-même, ce qui me serait plus pénible à
entendre de votre bouche. De la profession
de foi que vous avez bien voulu me faire
tout à l'heure, je dois conclure que j'ai peu
do chance de retrouver les bonnes disposi-
tions que vous sembliez avoir à mon égard,
et que. par conséquent, pour ce pavillon...
LA COMTESSE, avec effort.
Ecoutez, madame, puisque vous avez le
tact de comprendre certaines susceptibili-
tés, qui sont peut-être d'un autre âge, mais
enfin qui sont.
ÉTIENNETTE.
Oui, madame, oui.
LA COMTESSE.
Certes, je ne jette la pierre à personne ;
mon cousin vous dira que nos sentiments
chrétiens sont trop ancrés...
ÉTIENNETTE.
Ah?
Elle se tourne d'un air moqueur vers Heurteloup ainsi
que Guôrassin.
HEURTELOUP, les lèvres pincées.
Hein?... euh... Oui!... oui, oui, oui...
0
74 LE BOURGEON
LA COMTESSE.
Mais enfin, dans notre entourage, très
austère, un milieu artiste surgissant tout
à coup...! Ce serait même une gêne de part
et d'autre.
ÊTIENNETTE.
Il suffit, madame ! Xe vous croyez pas
obligée de me donner des explications.
Soyez bien persuadée, même, que si j'avais
pu prévoir,., mais l'écritcau ne portait
aucune restriction... alors, je me suis cru
permis... N'importe! je suis édifiée et il ne
me reste plus qu'à m'excuser.
LA COMTESSE.
Croyez que je suis désolée...
ÉTIENNETTE, avec une pointe d'ironie.
Ne vous désolez pas, madame, il n'y a
vraiment pas de quoi! (a Cuérassinsur un ton dé-
taché.) Vous, venez, mon ami ? (saluant.) Ma-
dame ! Monsieur...
LA COMTESSE^ s'inclinant légèrement puis, tout en re-
montant un peu.
Si vous voulez accompagner madame
jusqu'à son automobile, Hector ?
HEURTELOUP.
Volontiers.
Il remonte par la gauche de la tahle, remet en pas-
L-E BOURGEON 75
sant le fauteuil occupe par Étiennette à sa place
primitive et sort à la suite des deux visiteurs.
LA COMTESSE, s'incline une dernière fois.
Madame.
Echange de saluts. Au moment de la sortie, Eugénie
paraît à la porte du salon; elle s etfaco devant
Étiennette et les deux hommes. On échange des sa-
luts froids et Eugénie reste un moment sur le pas
de la porte à regarder la sortie.
LA COMTESSE, une fois la sortie faite, agitant son mou-
choir comme pour chasser les miasmes et gagnant a
gauche.
Ah ! puuali 1 pouah I
EUGÉNIE, sur le pas de la porte.
Qu'est-ce que c'est que ces gens ?
LA COMTESSE.
Une actrice! Une actrice chez moi!
EUGÉNIE, descendant au-dessus de la table.
Une actrice 1
LA COMTESSE, gagnant le milieu de la scène,
x\h ! ces créatures ont toutes les audaces.
EUGÉNIE.
Une actrice ! Et M. Heurteloup se com-
met avec elle ?
LA COMTESSE, se dirigeant vers la chambre de sonfils.
Non, ne t'inquiète pas, c'est moi qui l'ai
prié...
76 LE BOURGEON
EUGÉNIE.
Ah 1 J'espère !
Elle descend en scène.
SCENE XI
Les AlÈMEs, VÉTILLE, puis LE MARQUIS
et L'ABBÉ.
LA. COMTESSE, voyant le docteur qui sort de chez son fils.
Ah I docteur!... (Redescendant en scène pvec lui.)
Eh bien, vous avez examiné mon fils?
VÉTILLE (3).
Eh! oui, madame. Il se dispose à aller
prendre son bain.
LA COMTESSE (2).
Ah! vous autorisez.,.?
VÉTILLE.
Certes! Très bon. la mer ! Ça fouette le
sang... Tout ce qui est exercice violent,
j'approuve.
LA COMTESSE.
Et, comment l'avez-vous trouvé ? Qu'est-
ce qu'il a ?
VÉTILLE.
Qu'est-ce que vous voulez que je vous
LE BOURGEON 77
dise ? C'est un garçon qui fait de la neu-
rasthénie.
LA. COMTESSE, s'effarant.
Ah ! mon Dieu! C'est grave?
VÉTILLE.
En soi, non... mais enfin, c'est toujours
un mauvais terrain.
LA COMTESSE.
Vous m'effrayez ! Quand je pense que ce
garçon doit partir en octobre pour son ser-
vice militaire.
VÉTILLE.
Ah ? bon, ça ! très bien, parfait 1
LA COMTESSE.
Ah?
VÉTILLE.
C'est ce qui peut lui arriver de meilleur.
11 trouvera parmi ses camarades des exem-
ples salutaires à son état, et, s'il a la bonne
idée de les suivre...
LA COMTESSE.
Vraiment, docteur? Ah 1 vous me tran-
quillisez ! Mais, enfin, étant donné l'état
actuel, comment peut-on enrayer...?
VÉTILLE.
Comment ?
78 LE BOURGEON
LA COMTESSE.
Oui.
VÉTILLE, embarrassé et tout en se tortillant la mous-
tache.
Comment 1 (Brusquement.) Ecoutez-moi, ma-
dame : je suis un vieux militaire, et. pour
moi, un chat est un chat.
LA COMTESSE.
Oui, docteur, oui.
VlÎTrLLÉ.
Eh ! bien, ce qu'il faudrait à votre fils,
dam... il faudrait... il faudrait...
LA COMTESSE, sur les charbons.
Mais quoi ? Quoi?
VÉTILLE, éclatant.
Mais qu'il marche, madame! qu'il mar-
che I
LA COMTESSE, qui ne comprend pas.
Qu'il marche ?
VÉTILLE.
Evidemment.
LA COMTESSE, très naïvement.
Mais... il marche, docteur.
VÉTILLE, interloqué.
Hein ?... Avec qui ?
LA COMTESSE.
Mais avec ma cousine, avec moi, avec
M. le curé.
LE BOURGEON 79
VÉTILLE, ahuri.
Hein ? (Retenant une envie de rire.) Ah t nOn,
non ! vous n'y êtes pas du tout ! Notez
que je ne trouve pas mauvais qu'il fasse du
footing avec madame, ou avec M. le curé,
mais ce n'est pas du tout cela que j'en-
tends.
LA COMTESSE.
Mais alors, quoi ? Quoi ?
VÉTILLE, s'emballant.
Mais ne comprenez-vous pas, madame,
que ce qui travaille cet enfant : c'est sa
jeunesse, c'est son printemps! ne compre-
nez-vous pas qu'il subit la loi de la nature,
commune à tous les êtres, commune aux
oiseaux, aux fleurs, aux arbres, à tout ce
qui a une vie ! C'est le bourgeon qui crrrève
de sève jusqu'à éclater. (Esquissant le mouvement
de remonter pour redescendre aussitôt.) Eh blCn, UOm
de D...! (sur ce juron qu'il n'achève pas, Eugénie et la
comtesse comme deux poules effarouchées se rapprochent
instinctivement l'une de l'autre. Eugénie fait un rapide signe
de croix. La comtesse contracte sa figure comme lorsqu'on
entend scier un bouchon.) qu'oU faSSC donC Ce qu'il
faut pour qu'il éclate.
LA COMTESSE, commençant à s'énerver.
Mais qu'est-ce qu'il faut, docteur?
80 LE BOURGEON
VÉTILLE, à tue-tête.
Mais une fcmmo. madame, une femme !
LA COMTESSE.
Une femme ?
EUGÉNIE.
Pourquoi faire?
VÉTILLE, subitement calmé.
Ah! ça, madame, vous m'en demandez
trop.
LA COMTESSE.
Une femme!... mon fils...! mais... c'est
un saint !
VÉTILLE.
Eh! justement, madame, mais c'est un
saint-vierge! Et c'est ce qu'il ne faut pas.
LA COMTESSE.
Mais songez, docteur, songez que mon
fils a l'intention de se consacrer à Dieu.
EUGÉNIE.
Et Dieu impose à ses ministres, comme
premier devoir, la chasteté.
VÉTILLE.
Ah! ça, madame, c'est un autre point de
vue, chacun son traitement ; moi, ce n'est
pas le mien.
Il remonte.
LE BOURGEON 81
LA COMTESSE, rémontant à sa suite par un mouvement
arrondi de façon à passer au 3.
Et puis, enfin, mon fils est trop jeune
pour le marier.
VÉTILLE.
Mais qui est-ce qui vous parle de le ma-
rier ?
LA COMTESSE, scandalisée.
Oh ! Oh !
Elle gagne la droite jusqu au-dessus du fauteuil.
EUGÉNIE, gagnant la droite également.
Oh! mais docteur, vous êtes le diable.
VÉTILLE, riant.
Mais non, madame, mais non.
Il gagne jusqu'à la baie.
LE MARQUIS, passant la tête par l'embrasure de la porte
par laquelle il est sorti, et qu'il entr'ouvre avec précau-
tion.
On est parti ?
Il entre suivi de l'abbé.
LA COMTESSE, s'élançant vers lui pour redescendre aus-
sitôt par la gauche du fauteuil qui est près de la trico-
teuse.
Ah! viens, Onfrny! Et vous, monsieur le
curé, venez à notre secours. M. le docteur
est en train de nous dire des choses terri-
bles.
83 LE BOURGEON
EUGÉNIE, à l'abbé qui est descendu par la droite — pas-
sant devant lui, les mains jointes, dos au public, de façon
à arriver à l'extrême droite.
Terribles !
LE MARQUIS, au-dessus de la bergère.
A ce point ?
l'abbé.
Ahl mon Dieu! Quoi donc?
LA COMTESSE.
Il a vu Maurice, n'est-ce pas, et il nous
a dit qu'il faudrait... qu'il faudrait... Oh!
non, je n'oserai jamais.
Elle se laisse tomber sur le fauteuil.
VÉTILLE, descendant au-dessus de la table et du fauteuil
de droite.
J'ai dit, j'ai dit... que ce jeune homme
était arrivé à la nubilité et que la nubilité
avait ses exigences.
LE MARQUIS, triomphant.
Là! qu'est-ce que je disais.
Il va au docteur. L'abbé sérieux et songeur, hoche la
tête.
LA COMTESSE.
Ainsi, vous comprenez, M. le Curé, ce que
l'on voudrait, que mon fils...
EUGÉNIE.
Oui, l'œuvre de chair, et sans mariage
LE BOURGEON 83
encore! Voyons, M. le Curé, parlez; dites
votre indignation.
l'aBBÊ, entre la comtesse assise, et Eugénie.
Ah! madame, la question est grave, et
vaut qu'on y réfléchisse.
LA COMTESSE.
Hein?
EUGÉNIE.
Comment, vous ne frémissez pas?
l'abbîS.
Je suis bien obligé de tenir compte de
l'état particulier de Maurice. 11 est établi
que son tempérament manifeste des exigen-
ces impérieuses qui rejaillissent sur sa
santé. Eh bien ! qui vous dit que ce tempé-
rament qu'il ignore aujourd'hui ne le trahira
pas quelque jour ?
EUGÉNIE.
C'est vous, monsieur le curé, qui parlez
ainsi !
l'abbé.
Mais oui, madame, c'est moi. Le vœu de
chasteté est un sacrifice dont on ne mesure
souvent pas assez l'étendue. Au moins,
Maurice, s'il le prononce quelque jour le
fcra-t-il en connaissance de cause ; et, dût-
84 LE BOURGEON
il en résulter son renoncement à une vo-
cation dont il ne se sentirait pas la force,
j'aimerais encore mieux cela, alors qu'il
en est temps encore, que le voir devenir
plus tard un mauvais prêtre ou un renégat.
Il gagne le milieu de la scène en passant devant la
comtesse.
LE MARQUIS.
Voilà.
VÉTILLE.
Parfaitement parlé !
La comtesse affalée, les 3'eux à terre, écarte les bras
et les laisse retomber comme une femme déso-
rientée.
EUGÉNIE, pimbêche.
Vraiment, monsieur le curé, vous êtes
d'un libéralisme ! Certes, votre prédécesseur
était autrement intransigeant.
Elle remonte et va s'appuj'er sur le dossier de la ber-
gère.
l'abbé.
Bien oui... je sais : il y a les deux écoles.
Moi, j'estime que l'intransigeance est in-
compatible avec le caractère du prêtre. La
religion de Dieu est faite d'indulgence et
de miséricorde. Eh bien, je crois qu'il faut
écouter les enseignements d'en haut et ne
LE BOURGEON 85
pas être plus légitimiste (indiquant le clel du doigt
et avec un bon sourire.) que le TOI,
Il gagne un peu la gauche.
LE MARQUIS.
Bravo !
II remonte au fond.
VÉTILLE, qui est descendu par la gauche de la table.
M. le curé, je ne suis pas positivement un
bondieusard : mais, vrai, vous m'allez! vous
devriez être militaire.
l'abbé.
Halte-là, M. le médecin principal... En
temps de guerre, nous avons notre place
comme vous sur le champ de bataille! Nous
ne tuons pas, voilà tout.
VÉTILLE, se rebiffant.
Mais moi non plus, monsieur le curé I
moi non plus!... quoique médecin.
Il remonte par le même chemin et va rejoindre le
marquis près de la baie.
l'abbé.
Oh ! ce n'est pas cela que je voulais dire;
soyez-en persuadé.
VÉTILLE, tout en remontant.
A la bonne heure.
l'abbé.
Et maintenant, madame la comtesse, je
LE BOURGEON
VOUS ai dit ce que ma conscience me dictait,
je ne veux pas intervenir plus longtemps
dans une question qui sort vraiment trop
de mes attributions. Vous avez eu la gra-
cieuseté de m'inviter à déjeuner, j'ai encore
mon bréviaire à dire, je vais, si vous le per-
mettez, me recueillir un peu par là.
LA COMTESSE, abattue.
Faites, monsieur le curé.
Il passe derrière le fauteuil de la comtesse, dans la
direction de la porte de droite, il s'arrête en enten-
dant parler Eugénie,
EUGÉNIE, pincée.
Et moi aussi je m'en vais, parce que vrai-
ment devant la tournure que prennent les
choses... I
Elle remonte entre 1 abbé et la bergère.
LK MARQUIS, moqueur.
Mais allez donc, Eugénie, allez donc !
EUGÉNIE, en sortant.
Mais certainement je vais! Certainement
je vais...!
Elle sort par le fond droit.
l'abbé, sur le pas de la porte,
A tout à l'heure.
Il sort de droite.
LE BOURGEON 87
SCENE XII
LE MARQUIS, LA COMTESSE, VÉTILLE,
puis MAURICE.
VÉTILLE, descendant vers la comtesse.
Tout le monde s'en va...? Mais alors,
moi aussi.
LA COMTESSE, se levant.
Quoi? Vous aussi, docteur?
VÉTILLE,
Mais, madame, ma mission est terminée ;
pour la décision que vous avez à prendre,
c'est affaire de famille, et je n'ai pas voix
au chapitre, (a ce momoment, la porte de Maurice s'ou-
vre et l'on voit celui-ci en costume de bain achevant de pas-
ser un peignoir que Luc lui tend.) D'aillcurS, Voici
votre fils qui est prêt ; si vous le permettez,
en attendant l'heure de mon train, je des-
cendrai avec lui, assister à son bain.
LA COMTESSE, regardant son fils qui sort de sa chambre,
— avec émotion et d'une voix étranglée.
Le pauvre petit !
MAURICE, sortant de sa chambre.
Je vais prendre mon bain, maman.
88 LE BOURGEON
LA. COMTESSE, s'etTorçant de dissimuler son trouble.
Oui, mon enfant, va !... Tiens, M. le doc-
teur t'accompagne.
MAURICE.
Ah! c'est bien aimable! Alors, venez doc-
teur.
Il fait mine de gagner le hall.
VÉTILLE, faisant le même mouvement.
Voilà.
LA. COMTESSE, le voyant s'en aller, brusquement.
Maurice !
MA.URICE, se retournant.
Maman ?
LA. COMTESSE, très émue.
Embrasse-moi, mon enfant, embrasse-moi
bien !
MAURICE, allant à elle.
Mais avec joie, maman, (ii l'embrasse, eiie
le mange de baisera.) Qu'cst-CC CJUe VOUS aveZ ?
LA COMTESSE, voulant cacher son émotion.
Rien, rien, mon enfant! va! va !
MAURICE, que cette réponse ne satisfait pas.
Ah?
Il adresse au marquis un regard interrogateur.
LE MARQUIS, au-dessus et à gaucho de la table.
Hein?... Mais il n'y a rien. Ta mère
éprouve le besoin de t'embrasser. C'est
très naturel.
LE BOURGEON 89
MAURICE, peu convaincu.
Ah?... oui... (a part.) C'est drôle! (naut à
vétille.) Eh bien, docteur, si vous voulez...?
VÉTILLE.
Je vous suis.
LA COMTESSE, le regardant partir.
Pauvre petit !
VÉTILLE.
A tout à l'heure, madame ! Je viendrai
vous présenter mes hommages.
LA COMTESSE, remontant.
C'est cela, docteur, à tout à l'heure.
LE MARQUIS, remontant également.
Et merci.
LA GOMTESSa.
Ah ! oui.
VÉTILLE, fait un geste pour dire que cela n en vaut pas
la peine, puis :
A tout à l'heure !
Il sort rejoindre Maurice.
90 LE BOURGEON
SCÈNE XIII
LA COMTESSE, LE MARQUIS.
LA. COMTESSE, sur le pas delà porte du salon, les yeux
dans la direction prise par son fils.
Et c'est cet enfant-là qu'on voudrait que
moi... Oh! non, jamais! jamais!
Elle descend jusqu'à l'extrême gauche.
LE MARQUIS, descendant au-dessus du fauteuil droite
de la table.
Allons ! Solange...
LA COMTESSE, se retournant vers le marquis.
Hein? Tu triomphes, toi I
LE MARQUIS.
Moi?
LA COMTESSE, s'asseyant sur le tabouret.
Mais en quoi êtes-vous donc faits, vous
autres hommes, que tous, jusqu'aux plus
purs, vous soyez ainsi assujettis à la tyran-
nie de votre chair ?
LE MARQUIS, allant à elle.
Prends garde, ma chère sœur, tu es en
train de blasphémer! Songe que c'est le
bon Dieu qui a organisé les choses ainsi,
pour la perpétuation de son œuvre... Et il
LE BOURGEON 91
a bien fait ! car c'est encore le meilleur
moyen d'assurer la conservation de l'espèce.
Il gagne la droite.
LA GOMTESSE-
Pauvre petit être si chaste, si pur... dans
les bras d'une femme!...
LE MARQUIS.
Ah! dam...!
LA COMTESSE.
Alors sa mère?... sa mère ne lui suffit
plus?
LE MARQUIS, avec une bonhomie narquoise.
Oh! Tu ne voudrais pas!
Il remonte vers le fond.
LA COMTESSE.
Et il faudrait que j'aille démolir dans son
âme, le monument de candeur que j'avais
si jalousement édifié, (se dressant.) Oh! non,
ça, jamais, jamais.
LR MARQUIS, avec un geste évasif.
Ah!
LA COMTESSE, passant à droite.
Tu t'en chargeras toi,, si tu veux.
LE MARQUIS, s'inclinant.
Merci de la commission.
LA COMTESSE, douloureusement.
Moi, je fermerai les yeux, puisqu'il le
faut.
92 LE BOURGEON
LK MARQUIS, allant à elle.
Mais il m'enverra religieusement prome-
ner.
LA GOMTKSSE, s'alïalant sur le fauteuil près de la tri-
coteuse.
Ah! mon Dieu! mon Dieu!
SCENE XIV
Les Mêmes, IIUGUETTE.
HUGUETTE, accourant et se dirigeant droit vers la baie.
Ma tante, ma tante! Qu'est-ce qui se
passe sur la plage? Je vois des gens qui
courent en tous sens! et au loin, dans la
mer, une personne qui a l'air d'être en-
traînée par le courant.
LE MARQUIS, se précipitant sur la terrasse.
Entraînée !
LA GOMTB'SSE, courant à la baie.
Allons bon! Qu'est-ce qui arrive encore?
HUGUETTE *.
Quelque nouvelle victime du raz de ma-
rée.
* Le marquis sur la terrasse suivant le drame par lo
LE BOUliGEON 93
LA COMTESSE, avec angoisse.
Ce n'est pas Maurice?
HUGUSTTE.
Xon, Maurice connaît sa plage et ne se
risque pas de ce côté-là.
LE MARQUIS, qui interroge l'horizon avec la longue-
vue.
On dirait une femme! Je vois sur sa tète
comme une marmotte rouge.
HUGUETTE.
La malheureuse!
LE MARQUIS.
Elle lutte éperdument contre le courant.
HUGUETTE.
Et pas une barque, pas un homme pour
aller à son secours !
LA COMTESSE.
De tous ces marins, aucun ne sait nager.
LE MARQUIS.
Heureusement qu'elle a l'air de bien sa-
voir, elle! Ah! voilà quelqu'un qui s'est mis
à l'eau et fait force de bras dans sa direc-
tion.
télescope. — liuguetle contre le chambranle de la baie,
le plus éloigné de la scène. — La comtesse de l'autre côté
et plus en scène que les autres.
94 LE BOURGEON
LA COMTESSE, poussant un cri de détresse.
Mon Dieu! mais c'est Maurice!
LE MARQUIS et HUGOETTE, tressaillant.
Maurice!
LA COMTESSE.
Oui, oui, je reconnais son maillot.
LE MARQUIS, quittant la longue-vue.
Oui, c'est Maurice!
HUGUETTE, répétant angoissée.
Maurice!
LA COMTESSE.
Mon Dieu! mon Dieu! mon enfant! Mais
il est tou! (courant comme une folle vers le hall.)
Maurice!... Maurice!
LE MARQUIS.
Voyons, Solange, un peu de sang-froid.
LA COMTESSE.
Mais tu ne vois pas que les flots l'entraî-
nent! Maurice ! Maurice! (Elle sort, suivie du mar-
quis. Arrivée dans le hall.) Luc! LuC ! tOUt le
monde ! Vite ! Venez tous, M. Maurice est
en train de se noyer... Maurice! Maurice!
Elle disparaît par le fond suivie du marquis. — Hu-
guette est restée affalée, sans forces contre le
chambranle de la baie. — A peine le marquis et
la comtesse sont-ils sortis depuis quelques secondes
que 1 on voit dans le hall, surgir en trombe, Luc suivi
des deux valets de pied ; ils traversent atfolés avec
des « ah ! mon Dieu I quelle catastrophe !
qu'est-ce qui se passe?... vite dépêchons I
LE BOURGEON 95
etc. » et disparaissent par le fond — quelques se-
condes encore et courant à leur suite, passe Eugénie,
trottinant tant qu'elle peut pour les rattraper, en le-
vant de grands bras au ciel *.
HUGUETTE, qui est restée comme paralj'sêe, les j'eux
fixés sur 1 horizon.
J'ai peur! J'ai peur! Oh! qu'il est déjà
loin!... Il a presque rejoint la femme!
(Les yeux au ciel.) Mon Dieu ! Mon Dicu ! Vous
ne laisserez pas se consommer une pareille
catastrophe ! (Tombant à genoux contre la fumeuse dont
le dossier lui tient lieu de prie-Dieu.) MoU DlCU ! JC
vous implore à genoux, sauvez Maurice !
Sauvez-le ! Je sais que son vœu le plus ar-
dent est de m'amener à vous. Eh bien, je
jure de me faire votre servante! mais sau-
vez-le, mon Dieu, sauvez-le !
SCENE XV
HUGUETTE, L'ABBÉ.
L ABBÉ, accourant très inquiet.
Que se passe-t-il donc ? J'ai entendu crier ;
tout le monde courait I
Mettre de 1 air entre ces entrées successives. — Une
fois le marquis et la comtesse sortis, compter jusqu à 4 ou 5
et faire passer les domestiques ; même temps pour faire
passer Eugénie.
96 LE BOURGEON
HUGUETTK, courant à l'abbé.
Ah! monsieur le curé, recevez mon ser-
ment! Devant vous je renouvelle le vœu
que je viens de faire à Dieu de renoncer au
monde et d'entrer au couvent.
l'abbé.
Qu'y a-t-il donc? Vous m'effrayez!
HUGUETTE.
Il y a que Maurice est en péril, qu'il va
se noyer peut-être.
l'abbé.
Se noyer, Maurice! Et vous ne me dites
pas ça tout de suite!...
Il sort rapidement.
HUGUETTE, continuant à lui parler bien qu'il ne l'écoute
plus.
Ah! sauvez-le, mon père! Ramenez-le!
(Après un temps d'abattement, relevant la tête.) OÙ CSt-
il '? Je n'ose regarder... (Risquant un regard et
avec un cri rauque.) Jc UC Ic Vois pluS... Ah! si,
il a gagné à gauche... On dirait qu'il se rap-
proche de la rive... la femme est près de
lui... Ah! Seigneur, est-ce possible? Cou-
rage, Maurice, courage!... un peu d'effort...
Va... va... Il n'y a plus très loin... On di-
rait qu'il a pied... Oui... oui... Il soutient
la femme qui a l'air épuisé... Il la prend
LE BOURGEON 97
dans ses bras. Sauvés! Ils sont sauvés!
Ah! Dieu! soyez Léni! qui avez eu pitié de
ma détresse !
Sa phrase s'achève dans une sorte de rire convulsif ;
en même temps elle tombe à genoux contre la fu-
meuse.
SCÈNE XVI
HUCIUETTE, LUC, Deux Vaj.ets de Pied,
LA GLAUDIE, puis L'ABBÉ.
LUC) suivi des deux valets de pied qui portent des peignoirs,
des brosses à friction, des bouteilles d'alcool.
Venez! venez vous autres! (au premier vaiet
de chambre tout en ouvrant la porte du fond.) TcneZ,
vous! apprêtez tout par là, chez M, Mau-
rice, (a l'autre ouvrant la porte de droite.) VoUS,
dans cette pièce pour la dame, (a La ciaudie
qui accourt.) Et toi, La Claudic, des serviettes
dans les deux chambres. Vite!
Les deux valets de chambre sont entrés au fur et à
mesure des ordres, chacun dans la chambre qu'on
lui a indiquée. — Au moment où la Claudie s'ap-
prête à rebrousser chemin, elle s efface pour laisser
entrer 1 abbé, puis sort immédiatement, suivie de
Luc qui regagne précipitamment le parc, tandis que
la Claudie file à droite.
L ABBÉ, accourant.
Ah! mon enfant, remerciez le Trôs-IIaut.
Il a exaucé votre prière.
6
98 LE BOURGEON
HUGUETTE (1), qui s'est relevée à l'entrée des domes-
tiques.
Je le sais, muiisieur l'abbé ! Je la fenêtre
j'ai suivi tout le drame. Ah! que Dieu soit
béni! (Après un temps, changeant de ton.) YoUS aveZ
reçu mon serment, monsieur l'abbé, je le
tiendrai.
l'abbé (2).
Non, mon enfant, non ! Dieu a entendu
votre cri de détresse et en a ou pilié, mais
jamais il ne fait de sa miséricorde le prix
d'un marché. Un vœu prononcé dans de
telles circonstances ne saurait être valable :
devant lui, et en son nom je vous en re-
lève!...
HUGUETTE.
Cependant, monsieur l'abbé...!
l'abbé.
Chut! voici du monde.
Il descend un peu à droite.
SCENE XVII
Les Mêmes, hX COMTESSE ..uivie d'EUGÉNIE.
LA COMTESSE, radieuse et cmue allant à l'abbé.
Sauvé! 11 est sauvé! Ah! monsieur l'abbé -
LE BOURGEON 99
l'abbé.
Madame la comtesse, le Seigneur était
avec vous,
EUGÉNIE, accourant (2) à la suite de la comtesse et
s'arrêtant au fond.
0 Jésus! Marie! Sainte Mère de Dieu!
Soyez bénie!
Elle se signe.
LA. COMTESSE (S), à Huguette (l).
Huguette ! Huguette ! Ton cousin est sauvé !
HUGUETTE, sur un ton sauvage.
Oui!...
Elle sort brusquement par la terrasse.
L.\ COMTESSE, la regardant partir.
Petit cœur sec, va !
Elle descend à gauche.
l'abbé, descendant à l'extrême droite.
Hé! Sait-on jamais ce qui se passe au
fond d'un cœur?
EUGÉNIE, elle descend par la gauche de la table.
Il n'y a qu'à la voir!
L abbé, sur un ton plein de sous- entendus.
Oui, je sais bien !
100 LE BOURGEON
SCENE XVIII
Les Mêmes, LE MARQUIS, suivi de MAURICE
en peignoir, portant dans ses bras ETIENNETTE,
en costume de bain et enveloppée d un peignoir — elle a
une marmotte rouge sur la tête. A leur suite GUE-
RASSIN, VÉTILLE, LUC.
A ce moment grande rumeur, on voit arriver précédé du
marquis, Maurice portant Étiennette à moitié évanouie
et accompagné des personnages ci-dessus désignés —
Cette entrée doit durer l'e^^pacé d'un éclair — Le Mar-
quis s'efface à gauche, pour livrer le chemin à Maurice
— Luc se précipite, en passant derrière la bergère, pour
ouvrir la porte droite, premier plan ; Maurice descend avec
Ktiennette et passe devant la bergère pour gagner la
chambre — Au-dessus du cortège, cavalcadant, tel un
Auguste de cirque, Guérassin portant les vêtements d É-
tiennette et ne trouvant rien d'autre que de répéter à
satiété. « Quel drame, mon Dieu, quel drame ! » — Vé-
tille suit également — A 1 entrée des personnages, la
comtesse se précipite au-devant de son fils, ainsi qu'Eu-
génie, c'est un vrai brouhaha dan= loquel on distingue
ce qui suit, dit en quelque sorte ensemble. — Tout le
monde parle à la fois, en faisant irruption dans la pièce.
LE MARQUIS.
Tenez, par ici.
MAURICE.
La porte, Luc. la porte!
LE BOURGEON 101
LA COMTESSE.
Ah! mon enfant! quelle imprudence!
MAURICE.
Oui, maman, tout à l'heure.
Luc ouvre la porte de droite.
GUÉRASSIN.
Quel drame, mon Dieu! quel drame!
ÉTIENNETTE, reprenant ses sens.
Qu'est-ce qu'il y a eu, donc?
MAURICE.
Rien, rien ! docteur, venez.
VÉTILLE.
Voilà !
GUÉRASSIN.
Quel drame! mon Dieu! quel drame!
Il entre à la suite dé tout le monde, dans la pièce,
premier plan droit.
SCENE XIX
LA COMTESSE, LE MARQUIS, EUGÉNIE, puis
LA CLAUDIE.
LA COMTESSE *, qui a accompagné tout le monde jus-
qu'à la porte, se laissant tomber dans la bergère.
Ah ! Onfroy ! Onfroy, l'émotion par laquelle
je viens de passer.,.!
* Eug. 1, la G. 2, le M, 3.
102 LE BOURGEON
LE MARQUIS, entre la porte et la bergère.
Voyons, ce n'est pas le moment de te lais-
ser aller, maintenant que tout est fini.
LA. COMTESSE, voyant la Claudie faire irruption et der-
rière elle, se diriger, son paquet de serviettes en mains,
vers la chambre de droite, premier plan.
Qu'est-ce que c'est?
LA CLAUDIE, faisant un crochet et venant à gauche du
fauteuil voisin de la tricoteuse.
C'est les serviettes.
LA COMTESSE, avec humeur.
Eh bien, dépêchez-vous ! qu'est-ce que
vous restez là à causer ?
LA CLAUDIE.
Mais c'est madame qui me parle!
LA COMTESSE.
Mais allez donc, voyons !
LA CLAUDIE, pirouettant à la voix de la comtesse.
Oui, madame.
Elle refait le même crochet en sens inverse, et gagne
rapidement la chambre de droite.
LA COMTESSE.
Dire que j'aurais pu ne jamais le revoir I
EUGÉNIE, tout en gagnant la gauche.
Et tout ça, pour cette demoiselle !
LE MARQUIS, au-dessus de la bergère.
Qu'est-ce que vous voulez, Eugénie? c'est
LE BOURGEON 103
toujours vous qui faites la perte des hom-
mes.
EUGÉNIE, humblement, les mains croisées sur la
poitrine.
Moi?
LE MARQUIS, s'avançant vers le milieu de la scène.
Votre sexe I
Eugénie hausse les épaules. — Le marquis remonte.
LA COMTESSE.
Ah! je t'en prie!... Ne plaisante pas... Tu
as le cœur aussi sec que ta fille.
Elle se lève.
EUGÉNIE.
Et ce n'est pas peu dire !
LE MARQUIS, en appuyant sur le ' oui. »
Oui, Eugénie ! Oui !
SCÈNE XX
Les Mêmes, MAURICE, L'ABBË.
MAURICE, sortant de la chambre et se dirigeant vers la
sienne.
Là! Eh bien! maintenant qu'il n'y a plus
d'inquiétude à avoir, je vais me rhabiller.
l'abbé, qui le suit.
C'est ya ! Ne prenez pas froid.
104 LE BOURGEON
LA. COMTESSE, qui est remontée, vivement à son fils.
Oh ! vilain enfant ! Tu n'aimes donc pas
ta mère, pour lui infliger des transes pa-
reilles ?
MAURICE.
Mais maman, il fallait bien!...
LA COMTESSE, entre lui et la porte de sa chambre.
Promets-moi, promets-moi que plus ja-
mais...
MAURICE.
Oui, maman! seulement... je vais pren-
dre froid.
LE MARQUIS.
Mais oui, laisse-le donc aller...
LA COMTESSE.
Ah! On voit que ce n'est pas ton fils à
toi!... (a Maurice.) Va, mou cufaut, va!... (a
l'Abbc.) Monsieur l'abbé, accompagnez-le !
Veillez à ce qu'il ne manque de rien,
MAURICE, tout en entrant dans sa chambre dont il laisse
la porte ouverte.
Oh ! ce n'est pas la peine.
LA COMTESSE.
Si, si ! Je vous en prie M. l'abbé.
l'abbé.
Mais comment donc, madame ! (ii entre
dans la pièce, et parlant à Maurice qu'on ne voit plus,
LE BOURGEON ■ 105
comme ponr l'exhorter, et en se donnant de petites tapes
d'une main dans l'autre.) AllonS ! alloDS !
LA COMTESSE, au moment de refermer la porte. —
Apercevant La Claudia qui sort de droite, avec une par-
tie du linge dans les bras.
Eh bien ! voyons, le linge ! le linge de
M. Maurice.
LA. CLAUDIE.
Mais j'étais là avec la dame noyée.
LA COMTESSE, nerveuse.
Eh! « la dame, la dame »! elle pouvait
attendre ; tandis que M. Maurice peut at-
traper froid.
LK MARQUIS, avec logique.
Mon Dieu... la dame aussi!
LA COMTESSE, avec un suberbe ôgo'isme.
Oui, <>h ! mais la dame... ! (a la ciaudio.)
Eh ! bien courez, voyons.
LA CLAUDIE.
Oui, madame.
Elle entre chez Maurice.
EUGÉNIE, apercevant le docteur qui sort de chez Ktien-
nette.
Ah! le docteur.
106 LE BOURGEON
SCENE XXI
Les Mêmes, VÉTILLE.
VÉTILLE, remontant dans la direction de la comtesse.
Allons, nous en avons été quittes pour la
peur. . . la petite syncope de cette jeune dame
n'est que le résultat de l'émotion. Tout va
bien.
EUGÉNIE (i), bien pimbêche.
Vraiment, ce n'était pas la peine de ve-
nir jeter le trouble dans notre milieu pour
si peu de chose !
LE MARQUIS (2), railleur.
Qu'est-ce que vous voulez Eugénie ?. . . cette
pauvre dame, elle a fait ce qu'elle a pu.
EUGÉNIE, haussant les épaules avec dédain.
Ah!
VÉTILLE (3), qui a regarde sa montre.
Oh! mais l'heure de mon train approche!
Il serait bon de penser au départ.
LA COMTESSE.
Vous avez le temps docteur, (a Eugénie.)
Veux-tu voir si le phaëton est attelé?
LE BOURGEON 107
EUGÉXIEj remontant.
J'y vais !
VÉTILLE.
Oh ! madame, ne vous donnez pas la peine!
EUGÉNIE, passant entre le marq^uis et Vétille — moitié
miel et moitié vinaigre.
Mais comment donc, docteur !
Elle sort.
VÉTILLE.
Moi, madame, pendant ce temps, je vais
aller prendre congé de votre fils, et voir, ce
qui est peu probable, s'il n'a pas besoin de
mes services. La vérité c'est que cela me
permettra de le féliciter pour son courag'e
et son dévouement... car pour ce qui est de
sa santé, je suis sans inquiétude... je vous
ai dit le seul remède qu'elle réclamait.
(voyant à la physionomie de la comtesse que ce genre de
recommandation la met au supplice.) AlloUS, JC SCnS
que je vous fais souffrir; je vais retrouver
votre fils.
LA COMTESSE.
Tenez, par ici, docteur.
108 LE BOURGEON
SCENE XXII
LE MARQUIS, LA COMTESSE, puis
LA CLAUDIE.
LA COMTESSE, referme la porte et pousse un gos sou-
pir; puis remarquant le marquis qui se mord les lèvres
d un air narquois.
Ah ! je t'en prie, ne prends pas cet air
malin! tu m'agaces.
EKe descend à gauche.
LE MARQUIS, de l'air le plus candide.
Moi ?
LA COMTESSf:, allant s'asseoir sur le fauteuil à droite
de la table.
C'est vrai : c'est ta faute tout ça! C'est toi
qui as sermonné le docteur...
LE MAUQUIS, descendant près d'elle.
Moi!
LA COMTESSE.
Oui! Eh hien, vous aurez heau vous li-
guer contre moi ! jamais, tu m'entends, ja-
mais !
Le marquis s'incline avec un geste de soumission et
va s'asseoir sur le fauteuil près do la tricoteuse.
A ce moment la Glaudie sort de la chambre de
Maurice.
LE BOURGEON 109
LA COMTESSE, avec anxiété.
Ah! Eh bien? M. Maurice?
LA. GLAUDIE, qui s apprêtait à sortir, descendant auprès
de la comtesse.
Oh ! ça va bien!
LA GOMTESSK, respirant.
Ah ! tant mieux ! (La Claudie remonte pour sortir,
— la rappelant.) La Claudie!
LA GLAUDIE, redescendant.
Madame la Comtesse?
LA COMTESSE, après un effort visible.
Non... rien.
LA CLAUDIE.
Ah?
Elle remonte.
LA COMTESSE, brusquement.
Si !... (T-a Claudie s'arrête. — La Comtesse voyant
le regard du marquis fixé sur elle, et le sourire moqueur
qu'il a sur les lèvres.) Ah ! ne ris paS toi ! (A la
Claudie, avec embarras.) Ça... Ça t'eunuie beau-
coup de rentrer à l'orphelinat de Kenogan.
LA CLAUDIE, levant de grands bras.
Oh! madame la Comtesse...!
LA COMTESSE, avec des efforts qui lui coûtent.
Eh bien... c'est bien... pour le moment je
consens... Nous... nous verrons plus tard...
tu resteras au château.
7
110 LE BOURGEON
LA GLAUDIE, avec expansion.
Oh ! merci, madame la Comtesse !
LA COMTESSE, avec humeur, lui coupant son élan.
Ah ! C'est bien... va !... va !... ne m'agace
pas.
Elle se lève et gagné la gauche.
LA GLAUDIE, interloquée.
Oui, madame la Comtesse.
Elle sort radieuse.
LE MARQUIS, une fois la Claudie sortie.
Allons donc ! Tu te ranges au parti de
la raison I
LA COMTESSE, pi-otestant.
Moi! moi! qu'est-ce que tu veux dire?
LE MARQUIS, Lieu amicalement.
Allons, voyons ! Crois-tu que je ne lis pas
dans ta pensée ? (se levant et allant vers elle.) PoUF-
quoi ce brusque revirement, si ce n'est parce
que tu te dis...
LA COMTESSE, toute honteuse et sur un ton suppliant.
Oh ! tais-toi I tais-toi !
LE MARQUIS.
Ahl tu vois bien que j'ai deviné juste.
LA COMTESSE, s'affalant sur le tabouret.
Ah! les enfants!... les enfants!
LE MARQUIS, derrière elle, lui prenant affectueusement
les épaules entre ses deux mains.
Ne te désole donc pas, val... C'est la loi
LE BOURGEON 111
humaine après tout!... Eh bien, pourquoi
s'insurger contre elle?. .. Faisons en sorteque
Maurice ne vive pas plus longtemps en
marge de cette loi !... et pour cela, le mieux
est Je laisser parler la nature : entoure ha-
bilement Maurice, sans avoir l'air de rien,
de jolies femmes, de frimousses aguichan-
tes... qu'il en trouve partout et tout le
temps !... que diable, il n'y a pas un homme
qui n'ait son heure de défaillance et, un
jour où la tentation sera trop forte...
II gagne la droite.
LA COMTESSE, bien simplement.
Je le connais, il se mettra à prier.
LE MARQUIS.
Oh ! alors, zut !
Il remonte.
LA COMTESSE.
Et puis enfin, tu es bon ! « Entoure-le, en-
toure-le » ! Gomment veux-tu que je m'y
prenne ! Je n'en connais pas, moi, des fem-
mes I En as-tu toi ?
LE MARQUIS, qui est un peu redescendu sur les paroles
de sa sœur.
Moi ? Mais ma pauvre sœur du bon Dieu,
il y a longtemps que je suis rangé des voi-
tures !
113 LE BOURGEON
LA COMTESSE.
Quoi?
LE MARQUIS.
Expression qui veut dire qu'il y a long'-
temps que j'ai enrayé; du jour où j'ai cons-
taté que j'étais au-dessous de mes ali'aires...!
et que je ne faisais plus honneur à ma si-
gnature...! Aujourd'hui, je vis dans mes
terres de Touraine et ce n'est pas là que...
(Allant à elle.) La dcmière quc j'ai connue était
une nommée Clarisse lloulgate qui avait fait
les beaux jours du 16 mai.
LA COMTESSE, avec une lueur d'espoir.
Ah?... Eh bien voilà! Qu'est-ce qu'elle est
devenue?
LE MARQUIS.
Dame, elle est devenue. . . vieille ; du moins
je le suppose, parce que. avec les femmes,
les années, ce n'est pas comme avec les
hommes.
LA COMTESSE.
N'importe! Tu pourrais te renseigner!
une femme d'un certain âge... elles ont le
sentiment maternel plus développé... cette
Houlgate me conviendrait très bien.
LE MARQUIS.
Non mais tu es superbe! Ce n'est pas à
LE BOURGEON 113
toi qu'il faut qu'elle convienne! c'est à ton
fils.
Il remonte.
LA COMTESSE,
C'est vrai ! (Avec découragement.) Ail ! mon
Dieu! mon Dieu que le rôle d'une mère est
donc difficile !
Elle remonte vers la droite de la table.
SCENE XXIII
Les Mêmes, HEURTIîLOUP, puis VÉTILLE.
HEURTELOUP, accourant, venant du hall côté droit
et descendant milieu de la scène.
Qu'est-ce qu'on vient de me dire ? Maurice
entraîné par le raz de marée ?...
LA COMTESSE.
Non... non... rassurez-vous.
LE MARQUIS.
C'est fini... C'est fini...
EUGÉNIE} qui est entrée sur les derniers mots de son
mari.
Ah ! tu arrives toujours comme les cara-
biniers, toi. (a la Comtesse tout on descendant par la
gauche de la table.) La ^■oiture du doctcur est
avancée.
114 LE BOURGEON
LE MARQUIS.
Ah ? bon ! (Allant ouvrir la porte de Maurice et ap-
pelant.) Docteur !
VÉTILLE, paraissant.
Voilà !
LE MARQUIS.
La voiture vous attend.
VÉTILLE.
Ah! parfait! (a la comtesse.) Madame, votre
fils est en excellent état.
LA COMTESSE, l'accompagnant jusqu'au hall ainsi que le
marquis.
Encore merci docteur.
LE DOCTEUR.
Mais comment donc ! Madame la Comtesse,
je vous présente mes respects.
LA COMTESSE.
Au revoir, docteur, et ne nous abandon-
nez pas.
LE MARQUIS.
Je vous accompagne.
VÉTILLE.
Parfait ! (s'incllnant devant Eugénie et Heurteloup.)
Monsieur ! Madame !
HEURTELOUP et EUGÉNIE.
Au revoir, docteur !
Sortie du marquis et de Vëtillé.
LE BOURGEON 115
SCÈNE XXIV
LA COMTESSE, HEURTELOUP, EUGÉNIE,
puis ÉTIENNETTE et GUÉRASSIN.
LA. COMTESSE, au-dessus de la table et tout en mettant
un peu d'ordre.
Ah ! je suis tout de même plus rassurée
maintenant que j'ai vu le docteur.
HEURTELOUP, à droite du tabouret et devant.
Ça a l'air d'un bon médecin.
EUGÉNIE, à gauche du tabouret et devant.
Tu trouves toi ?... un médecin qui traite
par la pornographie!
HEURTELOUP.
Oh!
EUGÉNIE.
Jamais il ne te soignera! tu entends...
HEURTELOUP, avec un soupir de résignation.
Bon!
EUGÉNIE.
Ni moi non plus.
A. ce moment paraît Ktiennetto qui entre timidement
suivie de Guérassin. Elle est entièrement rhabillée
116 LE BOURGEON
à 1 exception de son manteau que Guôrassin porte sur
le bras.
_2 ( LA COMTESSE.
m| I Madame de Marigny !
= g I EUGÉNIE.
S g g y
""=1 1 L'actrice !
z ? ^ J
W * I HEURTELOUP, à part.
E ( Étiennette !
ÉTIENNETTE, timidement.
Excusez-moi, madame la Comtesse...
LA COMTESSEj qui est toujours au-dessus de la table,
descendant vivement entre celle-ci et le roking, et écar-
tant Eugénie et Heurteloup pour passer entre eux afin
d'aller plus vite à Étiennette.
Vous, vous ! madame ! Mais comment donc !
Mais je vous en prie, mais asseyez-vous...
après les émotions que vous venez de tra-
verser... !
TOUS, étonnés.
Hein?
ÉTIENNETTE, n'en croyant pas ses oreilles.
Oh! vraiment, madame, je suis confuse!
LA COMTESSEj la faisant asseoir dans la bergère.
Mais, je vous en prie, ne vous excusez
pas...
EUGÉNIE, à part, scandalisée.
Oll ! (Haut et sèchement iinpérative.) VicnS, HcCtOr I
LE BOURGEON 117
HEURTELOUP.
Moi?
EUGÉNIE.
Oui, toi ; viens!
LA COMTESSE, qui s'est assise dans le fauteuil près de
la bergère, à Eugénie.
Tu t'en vas ?
EUGÉNIE, très pincée.
Oui ! nous avons affaire par là.
Elle remonte par la gauche do la table.
LA COMTE SSE, en prenant philosophiquemout son parti.
Ah ? bien !
Heurteloup fait signe de la tête à la comtesse que ce
n'est pas vrai et suit en époux résigné; ils sortent.
LA COMTESSE, une fois la sortie faite.
Ah ! madame î A quel effroyable danger
vous venez d'échapper ! j'en suis encore tout
en émoi.
ÉTIENNETTE.
Ah I Madame !
GUÉRASSIN, debout, appuyé à la bergère d'Étiennette.
J'en ai mon déjeuner qui m'est resté là.
ÉTIENNETTE.
Et c'est au courage de monsieur votre fils
que je dois... Aussi, avant de partir...
Elle se lève.
118 LE BOURGEON
LA. COMTESSE, la faisant rasseoir.
Eh quoi I vous songez déjà à nous quitter ?
ÉTIENNKTTE.
Mais oui, madame...
LA COMTESSE, avec hésitation.
Ecoutez, madame...! vous... vous auriez
désiré louer ce petit pavillon...?
ÉTIENNETTE.
Oh! madame! ne revenons plus sur ce
caprice d'un moment dont vous m'avez fait
comprendre toute l'outrecuidance.
LA COMTESSE.
Mais du tout madame... j'ai réfléchi et
après tout... tout bien pesé... je ne vois pas
pourquoi?...
ÉTIENNETTE.
C'est trop aimable madame... mais non !...
d'ailleurs, ce n'eût été que pour l'année
prochaine, ainsi... !
LA COMTESSE, bien naïvement.
Oh! comme c'est tard!...
ÉTIENNETTE, étonnée.
Tard? pourquoi?
LA GOMTESSIC, id.
Mon fils sera au régiment à ce moment...
ÉTIENNETTE, qui n'y entend pas malice.
Ah! monsieur votre fils sera... ?
LE BOURGEON 119
LA COMTESSE.
Oui, madame! Penser qu'on crée des êtres
pour en faire de la chair à canon.. I
ÉTIENNETTE, pousse un soupir approbatif puis après
réflexion.
Oh!... en temps de paix.
GUÉRASSIN.
C'est moins dangereux.
LA COMTESSE.
C'est ce qui me console.
ÉTIENNETTE, se levant.
Mais madame, je ne voudrais pas abu-
ser... et si avant de partir, vous m'auto-
risiez à exprimer ma reconnaissance à
monsieur votre fils...
LA COMTESSE.
Mais comment donc ! 11 sera trop heu-
reux... 11 doit être prêt ; je vais le chercher.
Elle remonte vers la chambre de son fils.
ÉTIENNETTE, suivant la comtesse par une passade ar-
rondie.
Comment vous remercier, madame...
LA COMTESSE.
Mais voyons...
Elle sort. Guérassin est passé à gauche au moment où
Étiennette est remontée.
120 LE BOURGEON
SCENE XXV
Les Mêmes, moins LA COMTESSE.
ÉTIENNETTEj une fois la porte refermée, descendant
vivement vers Guérassin (l) et avec transport.
Ah! Guérassin! Guérassin! Ce garçon,
depuis qu'il m'a serrée dans ses bras,, de-
puis que j'ai éprouvé son étreinte vigou-
reuse, tandis qu'il nie disputait aux flots... !
Ah! je ne sais pas, Guérassin!... Jamais je
n'ai été serrée comme cela !
GUÉRASSIN, faisant claquer sa main >ur sa cuisse.
Allons, bon!
ÉTIENNETTB.
Vois-tu. en une minute, en une seconde...
j'ai senti que celui-là c'était mon homme !
je lui appartenais.
GUÉRASSIN, attestant le ciel.
Elle devient folle!
ÉTIENNETTE,
Guérassin! je n'ai jamais éprouvé cela !
LE BOURGEON 121
SCÈNE XXVI
Les Mêmes, LA GOiMTESSE, puis MAURICE,
et L'ABBÉ.
LA. COMTESSE, sortant de la chambre et descendant au-
dessus de la bergère.
Voici mon fils, Madame.
KTIENNKTTE, s'élançant à sa rencontre.
Ah! Monsieur je... (.Maurice paraît suivi de l'abbé.
Il est en tenue de séminariste. Étiennette, ne peut répri-
mer un sursaut à cette apparition.) Ah !
GUÉRASSIN, idem.
Ah! (Riant sous cape.) Oh!
MAURICE, descendant un peu.
Que je suis heureux, madame, de vous
savoir saine et sauve.
ÉTIENNETTE, essayant de dissimuler sa déception et
dé faire bonne contenance.
Et c'est à vous que je le dois... monsieur
l'abbé! Ah! comment reconnaîtrai-je ja-
mais... !
MAURICE.
C'est le ciel que vous devez remercier,
madame; moi. je n'ai été que le bras qui
exécute.
122 LE BOURGEON
ÉTIENNETTE.
C'est ég'al. monsieur l'abbé, je ne vous
reverrai peut-être jamais, mais je tiens à
vous dire que j'emporterai d'ici le souvenir
le plus reconnaissant.
MAURICE, très simplement.
Adieu donc, madame, et que Dieu vous
protège...
Il descend jusqu'à a gauche du fauteuil qui est près
de la tricoteuse, la comtesse est près de lui devant
le fauteuil, le curé au-dessus de la tricoteuse.
ÉTIENNETTE.
Adieu, monsieur l'abbé !
On s'incline de part et d'autre. Étiennette remonte
lentement.
MAURICE, brusquement pris d'un étourdissement.
Ah!
Il a porté le bras droit à son front, de la main gau-
che il s'est retenu au dossier du fauteuil.
TOUS.
Ah!
LA COMTESSE, qui a retenu son fils sur le point de
tomber.
Maurice! mon enfant!
MAURICE, se remettant.
Ce n'est rien : un de ces fâcheux verti-
ges... C'est passé... merci...
LE BOURGEON 123
LA COMTESSE.
Ah! que tu me donnes de tourments.
MAURICE.
Ce n'est rien. ..(a Étiennette.) Adieu madame.
ÊTIENNETTE, s'incline à nouveau, puis au moment dé
sortir, jette un dernier regard à Maurice ; après quoi, à
part, avec un soupir:
Ah! C'est dommage!
Rideau.
ACTE DEUXIEME
V,
ACTE DEUXIÈME
Chez Étiennette. — Petit salon très élégant. — A
gauche premier plan, une cheminée avec sa garni-
ture. — Deuxième plan, une porte. — Au fond plein
milieu porte donnant sur une galerie. — A droite,
premier plan, une fenêtre-bow-window. — Deuxième
plan, une porte. — Près de la cheminée, côté le
plus rapproché de la scène, un petit fauteuil dos au
public. — De l'autre côté lui faisant vis-à-vis, une
bergère. — A droite de la bergère, un canapé face au
public. — Adossée au canapé, une table de même gran-
deur. — Sous le canapé, un coussin de pied. — Un peu
à droite et devant le canapé, à un mètre environ, un
siège-tabouret. — Près de la grande table et à sa
droite, une chaise volante. — A droite de la scène, près
du boMT-windovv^, un peu au-dessus, un sopha, entouré
d'un paravent. — Devant le sopha, un peu vers la
gauche un siège-tabouret. — A gauche du sopha, un
fauteuil portatif. — Entre le sopha et le fauteuil, une
toute petite table à tiroirs. — Au fond de chaque côté
de la porte un meuble de style. — Au fond, dans la
galerie, face à la porte, un canapé. — Dans l'embra-
sure du bow-window, jardinière avec des plantes ver-
tes. — Sur la grande table un service à café, une cave
à liqueurs et une boîte contenant des cigarettes. — A
la dernière feuille de gauche du paravent est sus-
pendu, amené par un fil, un bouton de sonnerie élec-
trique. — Autre bouton électrique à droite de la che-
minée. — Lustre de style au plafond.
138 LE BOUHGEON
SCÈNE PREMIERE
ÉTIENNETTE, PAULETTE, GLÉO, GUÉRAS-
SIN, MUSIGNOL, tenue de cheval d'offlcier de dra-
gons.
Au lever du rideau, Étiennette, face au public au-dessus dû
la table qui est derrière le canapé, sert le café tout en
discutant avec Musignol, — Celui-ci, plus bas en scène
un peu à droite, est entre Paulette et Guôrassin. — Cleo
est près d Étiennette. — Tout le monde parle à la fois :
Guérassin et Paulette essayant de calmer Musignol ; Cleo
de convaincre Étiennette. On entend des « allons Étien-
nette...! — Mais non, mais non! — Musignol voyons!
— Ah ! laissez-moi...! » etc.
MUSIGNOL, * brusquement à Étiennette.
Voyons, Étiennette, ça n'est pas sérieux!
Qu'est-ce que tu as ? Qu'est-ce que je t'ai
fait?
ÉTIENNETTE, tout en versant du café.
Mais rien, je te répète! tu ne m'as rien
fait. J'en ai assez : j'en ai assez! et voilà
tout.
MUSIGNOL.
Ah! non, non. celle-là...!
PAULKTTE, quittant Musignol et gagnant la cheminée.
Oh! ce qu'ils sont embêtants!
* C. 1, — Kt. 2, — P. :<, — M. 4, — (i. 3.
LE BOURGEON 129
ÉTIENNETTE, prosentant une tasse à Cleo.
Une tasse de café, Cleo ?
GLÉO, prenant la tasse.
Merci, (a mi-voix.) Pourquoi es-tu dure
comme ça avec ce pauvre Musignol?
ÉTIENNETTE, écartant Cleo qui va par la suite s'asseoir
dans la bergère près de la cheminée.
Ah! non, je t'en prie, hein? ne te mêle
pas. (a Guérassin.) Du café. Guérassin ?
GUKRASSIN, remontant légèrement.
Avec beaucoup du sucre, s'il te plaît?
MUSIGNOL, gagnant sur la droite.
Xon, non, elle est raide, celle-là! (Reve-
nant brusquement à Guérassin qui est redescendu n" 4.)
Enfin, qu'est-ce que tout cela veut dire,
hein ?... qu'est-ce que tu as fait d'Étiennette
pendant mon absence?
GUÉRASSIN, ahuri de cette interpellation.
Moi?...
MUSIGNOL.
Oui, toi! je te l'ai confiée comme à un
être de tout repos...
GUÉRASSIN, se vexant.
Ah! bien, dis donc...!
MUSIGNOL.
...je reviens de manœuvres aujourd'hui...
130 LE BOURGEON
ETIENNE TTE, apportant à Guôrassin la tasse qu'elle a
préparée pendant ce qui procède.
Mais laisse donc Guérassin tranquille, il
n'a rien à voir dans tout ça.
Elle remonte.
GUÊRASSINj sa tasse en main gagnant la droite du ca-
napé.
Là! C'est clair !
MUSIGNOL.
Pardon : il me doit des comptes!... (s 'as-
seyant sur le tabouret à droite de la scène.) CommCnt !
j'accours ici, n'ayant qu'une idée : revoir
mon Etiennette; lui apporter toutes les
économies d'amour de cinq semaines de cé-
libat...
ETIENNETTE, tout en tendant une tasse de café à Pau-
lette par-dessus le dossier du canapé. — Haussant les
épaules.
Ah! laisse-moi donc tranquille.
MUSIGNOL, remontant vers Etiennette.
Oui, de célibat !
Paulette qui était debout, un genou sur le canapé, une
fois servie, s assied sur le canapé.
ETIENNETTE, lui coupant la parole.
Du café ?
MUSIGNOL, interloqué.
Hein?... Je veux bien.... (ueprenant.) et au
lieu de l'accueil que j'attendais, je trouve
LE BOURGEON 131
une femme de glace, que ma tendresse ex-
cède, que mes assiduités insupportent !
qu'est-ce que ça veut dire tout ça ? Pour-
quoi ? (a Guérassin en le tirant par la manche, ce qui ren-
verse à moitié la tasse de café qu'il tient à la main.)
Pourquoi ?
GUÉRASSIN.
Ah! zut! (s'essuyant avec son mouchoir.) MaiS CSt-
ce que je sais, mon ami ?
Musiguol redescend un peu à d;oite.
ÉTIEKNETTE.
Non, mais c'est extraordinaire!... enfin
est-ce que nous avons contracté un bail
pour l'éternité, dis ? Je n'ai pas aliéné ma
liberté que je sache? Eh! bien, il me con-
vient de la reprendre, je la reprends.
MUSIGNOL, rageur.
Allons donc!... dis donc qu'il y a un
homme là-dessous ! il y a un homme!
ÉTIENNETTE, excédée.
Oh! (changeant de ton et descendant 4 à gauche de
Musignoi 5.) Tiens, ton café.
MUSIGNOL, boudeur.
Je n'en veux pas !...
ÉTIENNETTE.
A ton aise; qui est-ce qui en veut?
132 LE BOURGEON
MUSIGNOL.
Moi.
Il prend rageusement la tasse.
ÉTIENNETTE, remontant à sa place primitive au-dessus
de la table.
Ce n'était pas la peine de dire que tu n'en
voulais pas.
PAULETTE.
Ecoutez, mes enfants, vous n'avez pas
bientôt fini de v(ms chamailler?
GLÉO.
Mais laisse-le donc. Tout ça c'est des raf-
finements d'amoureux : on se dispute et
puis, c'est bien meilleur après.
ÉTIENNETTE.
Oh! bien, je t'assure, tu ne me connais
pas.
MUSIGNOL. déposant sa tasse vide sur la petite table
qui est près du paravent.
Quand une femme subit une transforma-
tion pareille, sans raison apparente, c'est
qu'il y a un homme !
ÉTIENNETTE, descendant et excédée.
Eh bien, oui, là, il y a un homme ! Es-tu
content ?
LE BOURGEON 133
MUSIGNOL, avec un ricanement rageur.
Ah! qu'est-ce que je disais! hein, Gué-
rassin ? Qu'est-ce que je disais ?
GUÉRASSIN, gagnant la gauche.
Eh ! bien, mon ami, qu'est-ce que tu veux
que j'y fasse ?
Il s'assied en face de Gléo dans le fauteuil, dos au pu-
blic, près de la cheminée.
PAULETTE.
Allons, voyons, voyons !
MUSIGNOL.
Je savais bien que si tu étais ainsi chan-
gée à mon égard, c'est que tu avais abusé
de mon absence pour me tromper.
CLÉO, le rappelant à l'ordre.
Oh! Musignol!...
MUSIGNOL.
Parfaitement!
ÉTIEXNETTE.
Te tromper. Ah! non, mon ami, je ne
t'ai pas trompé! Si ce n'était que cela, tu
n'aurais constaté aucun changement en
moi !
MUSIGNOL.
C'est exquis!
ÉTIENNETTE.
Non, le sentiment qui m'étreint est au-
134 LE BOURGEON
trement élevé, car il m'a entièrement trans-
formée. Il m'a donné l'horreur de ma si-
tuation, le mépris de la vie que je mène ;
qu'est-ce que je suis après tout? une femme
entretenue, une cocotte.
GLÉO.
Ah! bien, dis donc, au moins n'en dé-
goûte pas les autres.
MUSIGNOL, furieux.
Et quel est-il, l'auteur de ce miracle? le
godelureau, le polichinelle... ?
ÉTIENNKTTB, allant prendre la lasse déposée par Mu-
signol pour la reporter sur la grande table.
Va, va, insulte-le! Epanche ton dépit im-
puissant : tout cela ne changera rien à ce
qui est.
MUSIGNOL, écumant.
Étiennette...!
ÈTIENNETTE, se retournant et le toisant.
Quoi?
GUÊRASSIN, se levant.
Allons, voyons, mes enfants, ça n'est pas
sérieux!
ÉTLENNETTE, redescendant.
Oh! très sérieux!
LE BOURGEON 135
CLÉO.
Mais non, Étiennette, tu n'en penses pas
un mot.
ÉTIENNETTE.
Pourquoi parlerais-je de la sorte si mon
parti n'était pas pris? Ai-je l'air d'une
femme qui cède à un caprice ou à un mou-
vement d'humeur? non, c'est posément,
tranquillement, mais bien résolument que
je lui dis : « C'est fini, fini nous deux. »
Elle s'assied face au public sur le tabouret de gau-
che, tandis que Guôrassin va déposer sa tasse vide
sur la table derrière le canapé.
MUSIGNOL, pincé et comme un homme qui prend une
résolution.
C'est bien, puisqu'il en est ainsi, il ne me
reste plus qu'à m'en aller.
ÉTIENNETTE, écartant les bras en signe d'acquiesce-
ment.
Eh bien, mon ami... !
MUSIGNOL, après un temps.
Adieu.
GUÉRASSIN, redescendant par la droite dé la table.
Voyons, Musignol, tu ne vas pas faire
cela !
MUSIGNOL.
Oh! si, par exemple!... Oh! sil...
136 LE BOURGEON
PAULETTE, se levant.
Mais non! (Aiunt à Étiennette.) Etiennette.
dis-lui un mot aimable!
ÉTIENNETTE.
Moi? je n'ai rien à dire.
GLÉO, se levant.
Allons, voyons, Musignol.
MUSIGNOL.
Non, non, inutile d'essayer de me rete-
nir. Maintenant, moi aussi, mon parti est
pris!
PAULETTE.
Ah! non. écoutez, mes enfants, vous n'ê-
tes pas rig-olos!
Elle va déposer sa tasse sur la petite table près du
paravent et redescend à droite.
MUSIGNOL, à Étiennette.
Et puis, tu sais, tu pourras venir me
supplier après, ce sera comme si tu flùtais !
ÉTIENNETTE, les jeux au plafoml et avec un calme
déconcertant.
Je ne flûterai pas.
MUSIGNOL.
Et quant à ton gigolo...!
ÉTIENNETTE, id.
Ça n'est pas un gigolo!
LE BOURGEON 137
MUSIGNOL.
Ton « tout ce que tu voudras », je te ré-
ponds bien que jamais tu ne l'auras.
ÉTIENNETTE5 avec un rictus plein de mélancolie.
Je le sais! Oh! mais n'en tire aucune va-
nité, tu n'y seras pour rien!
MUSIGNOL.
Voilà! Vous l'entendez! Non, quand je
pense que je lui étais fidèle! que je repous-
sais des avances!., car enfin si j'avais voulu
en manœuvres, Dieu sait...! Ah! il y en
a plus d'une...! Oh! mais maintenant plus
souvent que je me gênerai!
ÉTIENNETTE, avec le même calme.
Merci de me dire cela ; car enfin une chose
pouvait me faire hésiter; c'était la peur de
te faire de la peine, mais maintenant que
tu as pris soin de mettre ma conscience en
repos.
MUSIGNOL, subitement petit gardon et sur un ton qui dé-
ment tout ce qu'il a dit.
Hein?... Oh! mais c'est pas vrai, tu sais!
c'est pas vrai !
TOUS, entourant Étiennette.
C'est pas vrai, là! c'est pas vrai.
138 LE BOURGEON
ÉTIENNETTE, écartant tout le monde du geste.
Trop tard, mon ami! ce qui est dit est
dit! et puis si ce n'est pas vrai aujourd'hui,
ce le sera demain.
MUSIGN'OL.
Oh! non, non, jamais! Étiennette, je t'en
prie.
GUÉRASSIN, GLÉO, PAULETTE, intercédant.
Étiennette!...
ÉTIENNETTE, se levant.
Non. mon ami. non. Donnons-nous la main
et quittons-nous en bons camarades.
Elle lui tend la main.
MUSIGNOL.
Ah! ça, non. par exemple! adieu!
Il remonte.
ÉTIENNETTE.
A ton aise !
Elle gagne la cheminée.
MUSIGNOL, redescendant.
Jamais, tu m'entends, jamais je ne re-
mettrai les pieds ici!
Il remonte à nouveau.
ÉTIENNETTE.
Soit !
TOUS.
Ohl
LE BOURGEON 139
MUSIGNOL, qui a été jusqu'à la porte, l'a même ouverte
pour sortir, se ravisant au moment de partir, referme la
porte, redescend comme pour aller encore dire quelque
chose à Étiennette, hésite un instant, puis, ne trouvant
rien, avise Guérassin tranquillement adossé contre lé côté
droit du canapé.
Oh! toi, tu sais, je te garde un chien de
ma chienne!
Il sort précipitamment,
GUKRASSIN.
Ah! mais zut. à la fin! est-ce que j'y suis
pour quelque chose?
Il gagné la droite.
ÉTIENNETTE, excédée.
Ah! non, maison nette! maison nette!
maison nette!
Elle va s'asseoir sur la partie droite du canapé de
gauche.
GUÉRASSIN, allant vers Étiennette.
Voyons, Etiennette, ce n'est pas possible !
C'est ton séminariste qui te monte comme
ça au cerveau?
ÉTIENNETTE.
Ah! je ne sais ce qui me monte au cer-
veau; ce que je sais, c'est que je suis une
autre femme et que je romps avec mon
passé.
140 LE BOURGEON
PAULETTE, ébahie.
Ah!
Elle va au-dessus de la table derrière le canapé pren-
dre et allumer une cigarette.
CLEO) s'asseyant près d'Étiennette sur ie canapé.
Mais ma pauvre Étiennette, mais c'est de
l'amour!
ÉTIENNETTE.
Eh bien, oui, je l'aime, là! je l'aime!
CLÉO, tout en prenant sans se lever, la cigarette que
Paulelle lui passe par-dessus la table.
Eh bien, mon colon I
Elle allume sa cigarette à celle de l'aulette, que
cette dernière lui tend également par-dessus la
table.
ÉTIENNETTE.
Oh! mais rien de commun avec l'amour
tel que nous le concevons : c'est quelque
chose de pur, d'idéal...
GUÉRASSIN, sur le même ton qu'Étiennette.
d'éthéré...
ÉTIENNETTE, sur un ton sans réplique.
Mais oui!... (Après un temps.) Oh! ccrtcs, d'a-
bord, je l'ai désiré comme un autre homme :
matériellement, sensuellement. J'avais
comme un besoin de lui, de le voir, de lui
dire mon amour. Il est venu; je n'ai pas
osé; l'aveu a expiré sur mes lèvres; j'ai
LE BOURGEON 141
compris que j'aimais l'inaccessible; qu'un
mot l'éloignerait à jamais. Alors j'ai re-
foulé cet amour, je me suis tue pour le g"ar-
der, n'ayant plus qu'une terreur c'est qu'il
apprît ce que j'avais été, tant je tremblais
qu'il me méprisât !... Et je l'ai revu souvent
depuis; peu à peu, j'ai subi l'ascendant de
sa parole, qui a été pour moi comme une
eau lustrale, comme un bain purificateur;
aussi, la pensée que j'ai pu le désirer, m'ap-
parait aujourd'hui comme une monstruo-
sité; si je l'aime, si je l'aime toujours, du
moins c'est d'un amour noble, immatériel,
quelque chose comme un amour spirituel.
GUÉRASSIN, narquois.
Ah! tu le trouves spirituel!
PAULETTE, qui, pendant tout ce qui procède, est res-
tée debout au-dessus de la table, à prendre un petit
verre de liqueur.
C'est idiot, on n'aime pas dans le clergé !
Elle va s asseoir dans le fauteuil au-dessus de la che-
minée.
GLÉO, à Paulette.
Tu parles!... (a Étiennette.) Qu'cst-cc que tu
peux espérer ?
ÉTIENNETTE, vivement et avec conviction.
Oh! rien! je n'(*spore rien!
142 LE BOURGEON
GTJÉRASSIN, s'asseyant en face d'elle sur le tabouret.
Eh ! bien, si tu n'espères rien, ne gâche
donc pas ta situation à plaisir. Tu as en
Musignol un protecteur sérieux...
É TIEN NETTE, avec indignation se levant et gagnant la
droite.
Moi. le tromper avec Musignol! ah! ja-
mais!
GUÉRASSIN, dos au public.
Mais tu es superbe!... Ce n'est pas lui
que tu tromperais avec Musignol, c'est Mu-
signol que...! puisqu'il est le premier occu-
pant.
ÉTIENNETTE, debout au milieu de la scène.
Quand je te répète que c'est une méta-
morphose qui s'est opérée en moi. Je vais
te paraître idiote; si je te disais que je rêve
de choses folles : d'entrer dans un couvent,
de me consacrer au bien, d'étonner le monde
par ma dévotion; puis, de tout cela, d'aller
lui faire l'offrande, à lui ! et de lui dire :
« voilà votre œuvre ! »
GUÉRASSIN, railleur.
C'est ça! la Magdeleine au vingtième
siècle! Mais ça ne se fait plus, ma ché-
rie!
LE BOURGEON 143
PAULETTE, se levant et allant à la cheminée.
Et tu t'imagines que tu ne l'aimes plus
avec tes sens !
GLÉO.
Mais c'est des loufoqueries de femme
amoureuse.
GUÉRASSIN.
Si c'en est! (se levant.) Mais aie donc le
courage de t'interroger sincèrement! ce
n'est pas Dieu que tu vois en lui ; c'est lui
que tu vois en Dieu! Alors inconsciemment
tu t'es dit : « la religion, voilà le terrain
qui nous rapprochera. »
ÉTIENNETTE.
Ah! tais-toi, tais-toi, tu blasphèmes !
GUÉRASSIN.
C'est possible, mais j'y vois clair !
On sonne.
ÉTIENNETTE, tressaillant.
Mon Dieu, on a sonné!., c'est peut-être
lui!
Elle court au fond.
GLÉO, PAULETTE, ne comprenant pas.
Lui?
Gléo s'est levée.
ÉTIENN'ETTEj très agitée allant et venant au fond.
Oui, monsieur l'abbé de Plounidec ; c'est
144 LE BOURGEON
l'heure où il vient généralement... Allons,
bon I qu'est-ce que j'ai fait de., ?
GLÉO, remontant entre fauteuil et canapé vers Étiennetto.
De quoi?
ÉTIENNETTE, cherchant a droite et à gauche.
Je ne sais pas... c'est de... Je ne sais
plus ce que je voulais...
Elle gagne ainsi la cheminée.
GUKRASSIN, gouailleur.
Là, là, regarde-la!... Elle valse!
ÉTIENNETTE, furieuse.
Allons voyons toi... !
Tout en parlant, elle écarte Paulotte qui est devant la
cheminée, et la gêne pour se regarder dans la glace;
rapidement elle arrange sa coiffure en se mirant.
GUÉRASSIN, à qui ce jeu de scène n'a pas échappé.
Eh bien, quoi donc? dans la glace main-
tenant?... mais oui, on est très bien : du
moment que l'âme est belle...
ÉTIENNETTE.
Ah! te tairas-tu, insupportable plaisant!
Elle remonte dans la direction de la porte du fond.
Lie I30UUGK0N 145
SCENE II
Les Mêmes, ROGER, HEURTELOUP,
LA CHÛUTE.
ROGER, paraissant au fond et se rangeant à droite de la
porte.
Monsieur et madame Heurteloup !
Pendant ce qui suit il ramasse les tasses qui traînent
et les range sur le plateau qu il emporte aussitôt.
UEUKTELOUP et LA GHOUTE, passant leurs deux tê-
tes dans 1 embrasure de la porte.
Bonjour, les enfants!
ÉTIENNETTE, désappointée.
Vous I
PAULETTE, debout dos au public non loin du tabouret
de gauche.
Heurteloup!
GLÉO.
La Choute I
GUÉRASSIN, sur un ton de déception atfecté.
Ah I . . . Ce n'est que vous !
HEURTELOUP, qui est allé embrasser Étiennette puis
Gléo, descendant par la gauche vers Paulette et tout en
marchant.
Comment : « Ce n'est que nous » ?
n embrasse Paulette.
9
146 LE BOURGEON
LA. GHOUTE, qui est allée embrasser Étiennette et Cleo,
descendant vers Paulette par la droite du canapé, ce qui
la fait se croiser avec Heurteloup qui va serrer la main
à Guérassin.
C'est encore gentil!...
Elle embrasse Pauielte.
ÉTIENNETTE, descendant par le milieu de la scène.
Ne faites pas attention : c'est son genre
d'esprit.
GUÉRASSIN, avec un geste do désinvolture.
C'est mon genre I
GLÉO, qui est descendue près de la cheminée.
Ahl ça, vous êtes à Paris,, vous autres?
LA GHOUTE et HEUHTELOUP, ensemble et vivement.
Non, non !
GLÉO.
Comment : « non non » ?
HEURTELOUP *, sur un ton dévot.
Je suis actuellement en retraite au mo-
nastère de Concarneau, où je prépare mon
jubilé.
TOUS.
Non?
LA GHOUTE) dévotement, les mains croisées sur la
poitrine.
Et moi aussi.
*GI. 1,— Paul 2, —H. 3, — la Gh. 4, — Et. 5, —G. 6.
LE BOURGEON 147
ÉTIENNETTE.
C'est du joli !
PAULETTE.
Et ta femme a donné là-dedans?
HEUKÏELOUP.
Ma femme, tu parles I... Elle est ici avec
la famille à l'occasion de l'entrée de notre
neveu au régiment.
GUÉRASSIN.
Oui, oui... le petit séminariste.
ÉTIENNETTE, très simplemeut.
En effet, c'est demain qu'il entre au
corps.
HEURTELOUP.
Ahl tu sais?
GUÉRASSIN.
Comment, si elle sait!
HEUTELOUP.
Alors j'ai trouvé ce truc pour me don-
ner campo! et surtout, défense de m'écrire,
de m'envoyer mes lettres : tout au jubilé!
Je suis retiré du monde! Comme ça, c'est un
mois de bon! Ohé I Ohé I
Il s assied sur le tabouret de gauche,
LA CHOU TE.
Et ce qu'on jubile, ouh, mon Totor !
Elle lui saute sur les épaules.
148 LE BOUllGEON^
HEURTELOUP, gesticulant des épaules pour se dégager
de son étreinte.
Allons, voyons! Alil celle-là, quand elle
n'est pas sur mon dos, sur mes reins ou
sur mes épaules...!
GUÉE.ASSIN, jovialement.
... c'est que tu te retournes.
On rit.
LA GHOUTK, quittant lleurteloup et sur un ton scanda-
lisé que dément une envie do rire mal dissimulée.
Ah! dis donc, toi! si tu étais convena-
ble!
HKURTELOUP, se levant et passant devant la Ghoute
pour aller à Éliennette.
Au fait, à propos de convenances, qu'est-
ce qu'a donc Musignol? Xous venons de le
croiser dans la rue. Je lui ai dit : « Bon-
jour, Musignol. » Il m'a répondu : « ... la
garde meurt et ne se rend pas. »
LA GHOUTE, un genou sur le tabouret quitté par Heurte-
loup.
Gomment, pas du tout. 11 t'a répondu :
m...
HEURTELOUP, vivement, lui mettant la main sur la bou-
che; et presque crié :
Je sais! (-sur un ton de voix plus pondéré.) MaiS
c'est comme (;a que ça se dit dans les sa-
lons...
LE BOURGEON 149
LA CHOU TE, bien naïvement.
Ohl... comme c'est plus longf
On rit.
GUÉRASSIN.
Ah! il t'a dit...? Eh bien, ça ne m'étonne
pas ! ce pauvre Musignoll campo aussi ;
mais lui pas de son propre gré : Étiennette
vient de rompre.
LA GHOUTE et HEURT ELOUP.
Non?
GUÉRASSIN.
Et en cinq sec encore I
ÉTIENNETTE, remontant jusqu'à la petite table près du
paravent. — Avec humeur.
Mais qu'est-ce que ça a d'intéressant?
HEURTELOUP.
Ah! bien, je comprends alors.
GUÉRASSIN, se rapprochant d'Heurteloup.
Et pourquoi, je vous le demande?
ÉTIENNETTK, se précipitant (6) sur Gucrassin (5).
Allons, voyons Guérassin!
GUÉRASSIN, l'écartant du bras gauche.
Si ! si ! il faut qu'ils sachent.
ÉTIENNETTK, essayant de le faire taire en lui mettant
la main sur la bouche.
Non !... non I
150 LE BOURGEON
QUÉRASSIN, se débattant contre son étreinte et dominant
la voix d'Étiennette qui pendant celte phrase pique autant
qu'elle peut des « non !... non !... C'est pas vrai ! »
C'est parce que madame est amoureuse
do ton neveu, le jeune Plounidec.
HEURTELOUP, LA GHOUTE, ahuris.
Non?
ÉTIENNETTR, furieuse.
Ce n'est pas vrai !
GUÉRASSIN, GLÉO, PADLETTE.
Si, si... c'est vrai, c'est vrai!...
ÊTIENNETTE, très vexée allant s'asseoir sur le tabou-
ret de droite.
Vous êtes stupides!
HEURTELOUP, se tordant.
Maurice? ah! ah! Elle est bien bonne.
LA GHOUTE, se laissant tomber sur le tabouret de gauche.
Le petit séminariste! ah! ah! je me
tords.
GUÉRASSIN.
Hein? N'est-ce pas qu'elle est drôle?
GLÉO.
^' Croyez-vous, hein?
^i PAULETTE.
H I
Ah ! la pauvre Etiennette !
Tous les cinq se tordent de rire.
LE BOURGEON 151
ÉTIENNETTE, après les avoir laissé rire un instant en
les considérant d un air do profonde pitié.
Non, mais je vous en prie!... voulez-vous
que j'appelle les domestiques, le concierge?
GLÉO, un genou sur le tabouret sur lequel la Chouto est
elle-même assise.
Oh! bien quoi? du moment qu'il y a do
l'amour au fond d'une chose, il y a pas de
mal.
ÉTIENNETTE, dépitée.
Je ne vous dis pas ! mais enfin ça ne re-
garde que moi.
PAULBTTE.
C'est égal, une soutane, moi. ça me jet-
terait un froid.
GLÉO.
Pourquoi ? c'est toujours un homme qui
est dedans. Tiens, moi, j'en ai connu un
comme ça, qui avait voulu se faire prêtre.
TOUS, étonnés.
Ah!
GLÉO.
C'était un juif!
TOUS.
Quoi?
CLÉO.
Oui. enfin, un prêtre juif.
152 LE BOURGEON
GUÉRASSIN.
Ah ! un ralibin !
GLÉO, affirmative.
C'est (;al... (changeant de ton.) Seulement
après, ça ne lui avait plus dit... alors il
était entré à la Bourse.
GUÉRASSIN, avec bonne humeur.
Oui!.,, monsieur voulait un temple!
CLÉO.
Eh bien, vous savez, mes enfants, c'était
un homme comme tout le monde... à peu
de chose près.
GUÉRASSIN, s'inrlinant gouailleur.
Voyez-vous ça !...
CLÉO résumant.
Tout ça, c'est pour dire qu'un homme
n'est jamais qu'un homme.
Elle remonte au coin droit du canapé.
HEURTELOUP, gagnant le 5, vers Étiennette.
Ahl non, mais c'est égal, Maurice! Ah I
ma pauvre Etiennette celui qui le dég-our-
dira celui-là !
ÉTIENNKTTIO, sur un ton sans réplique.
Je n'ai pas l'intention de le dég-ourdir.
GUÉRASSIN.
Mais non! c'est ce qu'il y a de superbe :
LE BOURGEON 153
foin do la chair I l'amour psychique! le col-
lage hlanc!... Voilà ce qu'elle rêve!
LA GHOUTE
Ah! ben!...
HEURTELOUP.
Mon Dieu ! à ce compte-Li... on peut s'en-
tendre... Mais autrement! ah! la la ! Mais
tenez, voilà Maurice soldat; je parie qu'il
sortira du rég-iment aussi novice qu'il y en-
tre. Il le quittera gradé... et vierge.
LA. CHOUTE, avec une conviction comique.
Sortir vierge d'un régiment! olil... moi je
pourrais pas !
GUÉRASSIN, moqueur.
Tiens, l'autre!
On rit.
HEURTELOUP.
Assez, la Choute! je suis là.
On sonne.
ÉTIENNETTE, se dressant tout d'une pièce.
On a sonné !
vivement, elle court vers la porte. Dans son mouve-
ment précipité, elle a été donner contre Heurteloup
qui lui barre le chemin, le dos tourné; elle le fait
pivoter et gagne le fond, en proie à la même agita-
tion que précédemment.
154 LE BOURGEON
GUÉRASSIN.
Tenez là I regarJez-la! le boston qui re-
commence.
ÉTIENNETTE, au fond.
Eh bien, quoi? je no peux plus bouger ?
c'est extraordinaire, ma parole !
Heurteloup va s asseoir sur le tabouret de droite.
SCENE III
Les Mêmes, ROGER.
ROGER, au fond.
Madame, c'est monsieur l'abbé de Plou-
nidec.
ÉTIENN'ETTE, très agitée.
Mon Dieu, c'est lui... c'est lui !... (a Roger.)
où est-il? Vous l'avez fait entrer par là ?
ROGER.
Oui, madame, dans le petit salon.
ÉTIENNETTE.
Bon, tout de suite! Je vous sonnerai!
(sortie de Roger. — Étiennette descend en passant devant
Gléo, jusqu'à la Ghoute — Gléo, aussitôt ce mouvement, des-
cend à droite d'Ktiennette. Pendant ce qui suit Guêras-
LE BOURGEON 155
sin gagne la cheminée par le fond de la scène.) MeS Gn-
fants, vous êtes très gentils, mais vous allez
vous en aller.
TOUTES, se levant.
Oh!
PAULETTE.
Comment, juste au moment...?
ÉTIEN NETTE.
Oui, oui, juste au moment.
GLÉO.
Oh! laisse-nous le voir...
ÉTIENNETTB.
A vous !
TOUTES TROIS, l'entourant.
Oh ! oui ! oh ! oui !
HEURTELOUP, se levant vivement.
Mais non, mais non, mais pas du tout!
Je notions pas à le voir, moi! merci! et
mon monastère... ! Ah ! non !
LA GHOUTE, qui est devant Ktiennette et dos au public,
se tournant pour se rapprocher d Heurteloup.
Eh bien, tu iras faire un somme sur la
chaise-longue d'Etiennetto. Justement tu
n'as pas fermé l'œil entre Concarneau et
Paris.
156 LE BOURGEON
HEURTELODP.
A qui la faute ?
LA GHOUTE.
Je ne te dis pas ! Eh bien, voilà l'occasion
de te refaire, (a Ktlennette, se rapprochant du groupe
et sans transition.) OU ! montrC-lc nOUS.
GLÉO et PAULETTE.
Montre-nous le.
LA GHOUTE.
Montre le nous le.
ÉTIENNETTE.
Mais non, voyons ! En voilà une idée !
Ce n'est pas une bête curieuse !
TOUTES.
Oh ! pourquoi ? pourquoi ?
ÉTIENNETTE.
Mais parce que! Parce qu'il y a là une
question de bienséance, de délicatesse!...
vous présenter à monsieur l'abbé, vous I
PAULETTE, dégageant, en descendant avant-scône
gauche.
Ah! mais dis donc, tu es encore aimable!
GLÉO, dégageant vers la droite.
Du moment qu'il vient chez toi, il peut
nous voir !
LE BOURGEON 157
LA CHOUTE, qui a dégagé en même temps que Cleo de sorte
qu'elles conservent respectivement le même numéro.
D'autant qu'on a des usages...
GDÉRASSINj adossé à la cheminée.
Si on en a !...
ÉTIENNETTE.
Oui, je ne vous dis pas; mais...
PAULETTE, par dessus l'épaule et sur un ton pincé,
tout en gagnant au-dessus de la table par la gauche de
la scène.
Mais avoue donc la vérité I Après le por-
trait dithyrambique que tu nous as fait de
ton petit ecclésiastique, tu as peur que nous
ayons une déception.
ÉTIENNETTE, indignée.
Oh!
GLÉO.
C'est vrai ce que dit Paulette! Il est peut-
être très toc, ton séminariste.
LA CHOUTE, surenchérissant.
Très moche!
ÉTIENNETTE, indignée.
Toc ! monsieur l'abbé I Ah bien, par exem-
ple!...
Elle va à la cheminée comme pour sonner.
PAULETTE, de l'air le plus détaché, tout en se dirigeant
vers la porte du fond comme une personne qui se dis-
pose à s en aller.
Allons, au revoir.
158 LE BOURGEON
LES DEUX AUTRES, entrant dans le jeu de Paulette.
Au revoir.
Elles remontent.
ÉTIENNETTE, s élançant plus vite que les trois femmes
entre elles et la porte.
Hein?... du tout, du tout, vous allez me
faire le plaisir de rester là.
TOUTES, se faisant prie;-.
Mais non, mais non !
CLÉO.
Tu nous as fait comprendre que nous
étions de trop.
ÉTIENNETTE, voulant parler.
j\on, pardon...
LA GHOUTE. lui coupant la parole.
Nous ne voulons pas être indiscrètes.
ÉTIENNETTE.
Oui, eh ! bien, vous vous en irez tout à
l'heure si vous voulez, mais pas avant d'a-
voir vu monsieur l'abbé.
TOUTES, sans conviction.
Mais non! mais non !
ÉTIENNETTE, sur un ton impératif.
Ah!... je le veux. (Les trois femmes descendent
de l'air détaché de personnes qui veulent bien faire la
concession qu'on leur demande, _Étiennette va sonner n la
LE BOURGEON 159
cheminée.) Toc, moD séminariste! Ah! ben, je
vous ferai voir, moi, s'il est toc !
PAULETTE.
Soit ! C'est bien pour t'être agréable !
Elle descend jusqu'au coin droit du canapé.
GLÊO, LA GHOUTEj descendant vers la droite.
Oh ! oui !
QUÉRASSIN, adossé à la cheminée. — A part.
Comme les femmes connaissent le cœur
humain !
SCÈNE IV
Les Mêmes, ROGER, puis MAURICE.
ROGER.
Madame a sonné ?
ÉTIENNETTE, du coin de la cheminée.
Introduisez monsieur l'abbé.
HEURTELOUP *, qui s'était assis pendant cette scène
sur le sopha de droite, se levant vivement et saisissant
au passage son chapeau qu'il avait déposé lors de son
entrée sur la petite table près du paravent.
Eh! là, attendez! attendez! que je m'éva-
pore!
G. 1, à la cheminée, — Et. 2, au-dessus de la chemi-
née, — P. 3, au coin droit du carapé, — Gl. 4 et la Gh. 5,
— H, 6, sur le sopha.
160 LE BOURGEON
LA GIIOUTE.
Bon, va!
HEURTELOUP, à la Choute.
Quand Maurice s'en ira, tu viendras me
prévenir.
LA CHOUTE.
Entendu !
HEURTELODP» sur le pas de la porte de droite, à Ro-
ger sur le seuil de celle du fond.
Vous pouvez introduire.
Il sort.
ÉTIENNKTTE.
C est ça. (sortie de Roger. — Descendant légèrement
vers les trois femmes.) Et VOUS, je VOUS en prie,
observez-vous surtout... de la tenue... son-
gez que vous n'avez pas affaire à un gigolo. . .
TOUTES, sur le ton ennuyé dont on accueille une recom-
mandation superflue.
Mais oui, mais oui !
ÉTIENNETTE.
Que monsieur l'abbé ignore tout de moi ;
que s'il se doutait jamais... !
PAULETTE.
Allons, voyons, tout de môme, il ne s'i-
magine pas être chez une chanoinesse !
RUo passe à droite.
ÉTIENNETTE.
Il ne s'imagine rien du tout! son esprit
LE BOURGEON 161
ig-norc tellemont le mal qu'il ne lui arrive
même pas de le soupçonner.
G LÉO, un peu vexée.
« Le mal, le mail... » Tu es toujours à
parler du mail vraiment, de quoi avons-
nous l'air ? C'est vrai, ça !
ÉTIENNETTE.
Allons, voyons, Cleo, tune vas pas...! (sans
transition, en voyant entrer Maurice introduit par Roger —
lemontant vivement entre la cheminée et la table, pour
s'élancer à sa rencontre.) Ah ! mOUsieur l'abbé...
quel plaisir de vous voir !...
MAURICE, s'arrêtant, un peu interdit.
Oh! madame, vous avez du monde; si
j'avais su!... vraiment, je suis indiscret!
ÉTIENNETTE.
Indiscret, vous, monsieur l'abbé !
PAULETTE, remontant légèrement vers Maurice.
C'est nous qui sommes indiscrètes, mais
nous n'avons pas voulu nous en aller, mon-
sieur l'abbé.
En ce disant elle esquisse une révérence.
CI.ÉO, même jeu que Paulette.
Nous avions un si grand désir de vous
connaître, monsieur l'abbé I
Elle fait la révérence.
162 LE BOURGEON
LA GHOUTE, même jeu.
Xotre amie Etiennette nous a fait un tel
élog-e de vous, monsieur l'abbé 1
Révérence,
MAURICE, qui est descendu peu à peu en scène suivi
d Etiennette.
Oh ! mesdames.
GUÉRASSrx, de la cheminée.
Voilà un accueil qui doit rassurer vos
scrupules, monsieur l'abbé.
MAURICE, allant serrer la main à Guérassin.
On n'est pas plus aimable que ces dames.
Votre serviteur, monsieur Guérassin !
GUÉRASSIN, gaîment avec une courbette comique.
Mais... nous en sommes un autre, mon-
sieur l'abbé.
ETIENNETTE *, présentant.
Mesdames Paulette de Vermandois et Cleo
de... de Montespan.
Les deux femmes font une profonde révérence.
MAURICE, s'inclinant, et galamment.
Ah ! mesdames voilà des noms qui appar-
tiennent à l'histoire.
* G. 1, à la cheminée, — M. 2, — Et. 3, — la Ch. 4,
un peu au-dessus des autres, — Cl. 5, — P. 6.
LE BOURGEON 163
GUÉRASSIN, à part.
Ils n'appartiennent même qu'à elle.
ÉTIENNETTE.
Et... (voyant la Choute un peu remontée, lui faisant
de la tête signe d'avancer.) une pPtitC amie à
nous. Simonne Clovisse; dans l'intimité « La
Choute ».
MAURICE.
De mieux en mieux, un nom de roi, main-
tenant.
LA CHOUTE, bien espiègle.
Quoi? « La Choute? »
MAURICE.
Non, Clovis.
LA CHOUTE.
Oh! de mollusque plutôt : ça s'écrit deux
S-E.
MAURICE, un peu interloqué.
Ah?... Ah?
LA CHOUTE.
On n'est pas ambitieuse!
ÉTIENNETTE.
Et maintenant, mes amies, vous le con-
naissez, mon sauveur ; celui à qui je dois
d'être près de vous en ce moment.
MAURICE, modestement.
Oh t madame !
164 LE BOUHGKOX
PAULETTE.
Oui, oli! Etiennette nous a dit! vous avez
montré un courage I
MAURICE, protestant.
Oh!
CLÉO.
Si, si ! il paraît que vous avez été sublime.
ETIENNETTE, avec admiration.
S'il a été sublime !
Elle remonte légèrement jusqn an coin droit du canapé.
LA CHOUTE.
Que vous avez affronté les courants les
plus dangereux.
MAURICE.
Mais non. mais non I quelle exagération !
j'avais un bain à prendre, je l'ai pris ; voilà
tout!
TOUTES, se pâmant.
Ah!
PAULETTE.
Quelle simplicité dans le dévouement!
LA CHOUTE
C'est un héros !
CLÉO et PAULETTK.
Un iiéros !
ETIENNE rTIÎ, conlirmnnt l 'expro-^sion.
Un héros.
LE BOURGEON 165
MAURICE, tout confus.
Mais je vous en prie, mesdames, je vous
en priel
LA. CHOUTE, bas aux deux femmes, avec orgueil.
Et dire que c'est mon cousin par alliance !
MAUUIGE.
D'ailleurs je n'étais pas seul ; et M. Gué-
rassin ici présent...
GUÉRASSIN, bien modeste.
Oh! moi... sur le rivage!
ÉTIENNETTE.
Oui, demandez-lui donc s'il se serait mis à
l'eau, lui, pour me sauver, (.v cuérassin.) Car
enfin, pourquoi ? pourquoi ne t'es-tu pas
mis à l'eau?
GUÉRASSIN, très bon enfant.
J' sais pas nager.
ÉTIENNETTE.
En voilà une raison !
MAURICE? avec un sourire d indulgence.
Oh! si madame, c'en est une. Et puis en-
fin il faut être juste : sans monsieur Gué-
rassin qui m'a signalé le danger que vous
couriez, je ne me serais certainement pas
aperçu...
166 LE BOURGEON
GUiLrASSIN, saisissant la balle au bond.
Ah! je ne suis pas fâché!... car enfin,
c'est moi, le monsieur qui courait en tous
sens en criant: « Au secours au secours!
il y a une femme qui se noie ».
LA G HOU TE.
Eh ! hen quoi ! C'est pas sorcier !
GUKRASSIN.
C'est pas sorcier ; mais fallait y penser.
KTIENXETTE, brusquement.
Oh! Mais je vous en prie, monsieur l'abbé,
vous restez là debout !
Tout en parlant elle a gagné jusqu'à la bergère près do
la cheminée, en faisant le tour au-dessus de la table.
^ I PAULETTE, ailant chercher le tabouret de droite et
= I le rapportant.
C'est vrai, un siège pour monsieur
l'abbé.
LA GHOUTE, allant chercher la chaise à droite de
la table.
Tenez, monsieur l'abbé, prenez donc
l.icette chaise.
G LÉO, qui est allée prendre le fauteuil près du
paravent.
Non, ce fauteuil plutôt, monsieur
l'abbé ! vous serez mieux.
Toutes trois rangées en demi-cercle lui présentent cha-
cune son lueublc qu'elles ticiaenl à hauteur de poitriac.
LE BOURGEON 1G7
ÉTIEXNETTE, agaoeje de tant de zèle de leur part, sur
un ton un peu sec.
Laissez donc! laissez donc!... (sur un ton plus
impératif.) LaisSOZ I
LKS XaOIS FEMMES, interloquées.
Ah?
ÉÏIENNETTE, sur un ton plus doux, et tout en avançant
la bergère avec l'aide de Uuérassin.
Voici le fauteuil qu'atiectionne JNI. l'abbé!
Je commence à connaître ses goûts!
Les femmes toutes déconfites ont été remettre les meu-
bles à leur place primitive. Guérassin qui est resté
au-dessus de la bergère après 1 avoir avancée, re-
monte au-dessus de la table. Étiennette descend au
fauteuil face à la bergère de Maurice et s'assied.
MAURICE;, assis.
Oh ! vraiment, mesdames, je suis confus !
PAULETTE, revenant vivement.
Mais comment donc M. l'abbé.
GLÉO, id.
j I Mais c'est bien le moins M. l'abbé.
W\ LA GHOUTE, id.
1/3 1
H j Oh I M. l'abbé nous sommes trop heu-
reuses.
l'abbé.
Oh! mesdames...
168 LE BOURGEON
LA GHOUTE,
Vous êtes bien, Monsieur l'abbé?
MAURICE.
Mais, comment donc...
PAULETTE, près du canapé au-dessus de Cleo.
Vous ne désirez pas un tabouret ?
MAURICE.
Madame I je vous en prie.
CLÉO, se précipitant et presque à genoux pour ramasser
le coussin qui est sous le canapé.
Ou ce coussin sous vos pieds ?
MAURICE.
Mais non, mais non!... oh! vraiment,
mesdames... I
Ces trois répliques des trois femmes tant elles sont
empressées, doivent arriver l'une sur l'autre sans
attendre les réponses de Maurice qui doivent être
piquées dans le dialogue. — Cleo, au refus de Mau-
rice, a remis le coussin sous le canapé.
ÉTIENNETTE.
Vous ne direz pas qu'on n'est pas heureux
de vous gâter, monsieur l'abbé.
MAURICE.
Oh! madame, je ne sais comment remer-
cier; je suis confus !
Les trois femmes se sont assises, la Ghoute sur le ta-
bouret de gauche, Gléo et Paulette sur le canapé,
la première à gauche, la seconde à droite.
LE BOURGEON 169
GUÉRA.SSIN, qui est descendu à droite du canapé.
Le fait est qu'il y a long-temps que je viens
ici; jamais on n'en a fait le quart pour moi.
PAULETTE.
Oh ! ben, tiens, toi I
LA GHOUÏE.
Tu n'es pas ecclésiastique, toi !
GUÉRASSIN, s'inclinant devant l'argument.
Xon!... <;a c'est vrai!
G LÉO, très femme du monde, à Maurice.
C'est si rarement qu'il nous est donné de
converser avec un fils de l'Eglise...
GUÉRASSIN, à part.
Ouh! là!
PAULETTE, sur le même ton que Gléo.
Que c'est une joie pour nous, M. l'abbé.
MAURICE, tout eu s'inclinant légèrement.
Vraiment ?
LA GHOUTE, avec beaucoup de tenue.
Il y a des moments où on en a jusque là
des laïques.
PAULETTE, les yeux au ciel.
Ah! la religion!
MAURICE.
Vous l'aimez?
GLÉO, lyrique.
Ah ! oui ! . . . la messe, la messe surtout ! . . .
10
170 LE BOURGEON
PA.ULETTK, sur le même ton lyrique.
En musique !
LA CHOUTE, id.
Celle (le onze heures... à la Madeleine.
PAULETTE, id.
C'est la plus eliic !
GLÈO. avec une légère moue.
Oui... (Changeant de ton.) Eli! bien, nOU!...
non moi, celle qui me touche davantage,
(s'agrippant le cœur.) ccllc qui me prend là : ce
n'est pas cette messe mondaine, élégante,
et qui ressemble à un spectacle; non : (senti-
mentale.) c'est la messe toute simple, dans
une pauvre église de village.
MAURICE.
Combien vous êtes dans le vrai.
PAULETTE et LA GHOUTE, vivement, ne voulant pas
ètiC en reste.
Oh! mais nous aussi! nous aussi!
GUÉUASSIX, à part.
Tiens, parbleu!
GLÉO.
Est-ce l'humilité du saint lieu? est-ce le
recueillement qui y règne? je ne sais pas;
mais c'est plus fort que moi : mon cœur se
gonfle, ma gorge se contracte... je pleure...
comme un veau.
LE BOURGEON 171
GUÉRASSIN, avec une commisération jouée.
Oh ! pauvre Cleo ! (Entre chair et cuir.) le re-
tour à la nature !
MAURICE.
Ah ! mesdames, cela réchauffe le cœur
de vous entendre parler de la sorte! je vois
que vous êtes de ferventes chrétiennes.
PAULETTE et GLÉO.
Si nous le sommes!
LA GHOUTE^ sentimentale et les yeux au ciel.
Et comment?
MAURICE.
Ohl ça ne m'étonne pas d'ailleurs... Dans
un milieu comme celui-ci !...
ÉTIENXETTS, s'inclinant, triï's touchée.
Oh ! monsieur l'abbé!
MAURICE.
Ah! mesdames... je ne sais pas si vous
avez des enfants...?
TOUTES TROIS, sursautant instinctivement.
Hein^
GLÉO, ne pouvant réprimer ce cri du cœur.
Ah ! non, alors !
LA CHOUTE, inconsidérément.
On fait attention.
MAURICE, bien naïvement.
A quoi ?
172 LE BOURGKON
LA GHOUTE, interloquée.
Hein? Comment?... mais à... à...
GLÊO, vivement.
Aux commandements !
LA GHOUTE et PAULETTE, vivement.
Voilà! oui, voilà I
ÉTIENNETTE, vivement.
Ohl... Ces demoiselles ne sont pas ma-
riées?
TOUTES.
Euh! Non !... non... nous ne... non.
MAURIGK, au comble de la confusion.
Oh!... oh! je suis confus...! vous êtes en-
core jeunes filles.
TOUTES, ne sachant que répondre.
Hein? Oli!... euh...!
LA GHOUTE, ne trouvant pas de meilleure explication.
Nous... nous ne sommes pas mariées.
GLÉO et PAULETTE.
Nous ne sommes pas mariées.
GUÉRASSI.V^ avec un sérieux comique.
Elles ne sont pas mariées !
MAURICE, ne sachant comment s'excuser.
Oh! mesdemoiselles et moi qui vous tiens
des propos...! (Brusquement.) Je ne vous ai pas
choquées ?
LK BOURGEON 173
TOUTKS.
Du touti Du tout!
GUÉRASSIN, comme procôdemment.
Du tout ! Du tout !
SCENE V
Les Mêmes, ROGER
Roper paraît au foml tenant un plateau sur lequel est un
papier plié en deux et va directement à la Ghoiite.
ÉTIENNETTE.
Qu'est-co que c'est, Roger?
ROGER, présentant le papier à la Ghoute.
Un mot pour madame.
LA GHOUTE, étonnée.
Pour moi?
MAURICE, corrigeant malicieusement.
Pour mademoiselle.
ROGER, conciliant.
Pour mademoiselle.
LA GHOUTE.
Vous permettez ? (se levant et descendant un peu à
droite pour lire.) « Est-co qu'il y en a encore
pour longtemps ? » (sur no ton moitié lassé moitié
rieur.) Oh ! (Lisant.) (( Jc m'embête par là ! viens
10.
174 LE BOURGEON
un peu : on rira!... » (a part en riant.) quelle
brute ! (Haut, à Roger.) C'est bicn ! dites que je
viens ! (Roger sort. — A Maurice.) Je VOUS de-
mande pardon, monsieur l'abbé, c'est une
personne qui est là; qui a... à m'entretenir.
GUÉRASSIN, à part.
« A l'entretenir » ! c'est un rien!
MAURICE, se levant.
Mais, mademoiselle, je vous en prie...!
Ah! seulement je vous demanderai la per-
mission de vous présenter mes adieux.
LA GHOUTE.
Ohl mais je reviens.
MAURICE.
C'est que moi je suis obligé de partir.
TOUTES, se levant.
Oh! déjà?... déjà ?
MAURICE.
Hélas, oui mesdames. Je n'étais venu que
pour prier madame de Marigny de m'excu-
ser si je suis forcé de renoncer pour au-
jourd'hui à notre conférence quotidienne.
ÉTIENNETTE.
Ohl vraiment?
MAURICE.
C'est demain que je rentre à la caserne,
LE BOURGEON 175
et nous sommes convoqués pour aujourd'hui
avant six heures à la Place.
TOUTES, désappointées.
Oh!
LA GHOUTE, enfant gâtée.
Oh ! qu'ils sont ennuyeux à la Place !
Vous ne pouvez pas y aller un autre jour?
MAURICE, avec un geste désolé tout en souriant de
1 innocence de sa question.
Impossible! Avec les choses militaires...!
LA GHOUTE.
En disant que vous étiez avec nous 1
MAURICE, id.
Même en disant ça.
LA CHOUTE, sur un ton de regret, à Maurice qui sur ces
dernières répliques a gagné le milieu de la scène.
Allons ! Puisqu'il en est ainsi, au revoir
monsieur l'abbé, et, j'espère, à bientôt.
MAURICE *.
Mais je l'espère aussi.
LA CHOUTE, après avoii- fait une révérence à Maurice.
— sur un ton déluré.
A tout à l'heure, vous autres.
Elle sort.
Kt. 1, près de la cheminée, — Cl. 2, — Paul 3, —
M. k, — (j. 5, un peu au-dessus, — la Ch. 6.
176 LE nOURGKON
MAURICE, qui, sur la sortie de la Choute, est remonté.
Charmante jeune fille!... (a cuérassin qui est
à sa gauche.) et qucUe natuFC supérieure!...
GUÉRASSIN, avec une admiration jouée.
Ah!
Roger entre du fond, avec une carte sur un plateau; il
va vers Étiennette près de la cheminée, en descen-
dant par la gauche de la table.
ÉTIENNETTE.
Qu'est-ce encore?
ROGER.
Madame, c'est une dame, accompagnée
de... de sa femme de chambre, qui demande
à être reçue en particulier.
ÉTIENNETTE, ennuyée.
Allons, bon! quoi ? quelle dame ?
ROGER.
Voici sa carte.
Il présente le plateau à Étiennette.
ÉTIENNETTE, prenant la carte et lisant.
Comtesse de Plounidec... !
MAURICE.
Maman !
TOUS.
Hein ?
ÉTIENNETTE, allant (3) à Maurice.
Madame votre mère ! Madame votre mère
chez moi... ?
LK BOURGEON 177
MAURIGIî.
Pourquoi? Qu'est-ce que ça signifie?
ÉTIENNETTE.
Je ne sais pas... Pourvu que ce ne soit
pas pour... t
MAUHIGE.
Pour quoi ?
ÉTIENNËTTE.
Hein? non, rien!... (a Roger.) Vous n'avez
rien remarqué dans l'air de cette dame?...
ROGER, ail dessus de la table.
Dans son air?... non.
11 remoDte près de la porte.
MAURICE.
Il faut vraiinoiit quelque raison majeure
pour que ma mère vienne ainsi vous de-
mander un entretien particulier.
ÉTIENNËTTE, troublée.
Oui, évidemment.
MAURICE.
Ah! je voudrais l)ion savoir...
ÉTIENNËTTE.
Ecoutez, monsieur l'abbé, cet entretien
ne saurait être long"; (rinliquant la porte de gauche.)
voulez-vous attendre par là avec ces dames
et (jUeraSSin. (a (iuô;assin,qui est au-dessus de la ta-
178 LE BOURGEON
ble. causant avec Clôo et Paulette, l'invitant à indiquer le
chemin.) Guérassin !
GUf;RASSIN.
Entendu !
Il remonte et pendant ce qui suit, tout en bavardant
avec Paulette et Gléo passe dans la pièce de gauche
dont la porte reste ouverte.
ÉTIENXETTE.
Aussitôt madame votre mère partie je
viendrai vous donner l'explication.
MAURICE.
Attendre, cela me mettrait bien en re-
tard ! d'autant qu'il faut que je passe encore
chez moi avant d'aller à la Place ; (Tout en
marchant avec Ktiennette dans la direction de la porte de
gauche.) mais voici ce que je puis faire : de
chez moi, — c'est sur mon chemin — avant
la Place, je remonte ici savoir...
ÉTIENNETTE.
Eh! bien, c'est ça! Tenez passons par là.
(A Roger, avant do sortir.) Ct VOUS, iutroduisCZ
ces dames.
ROGER.
La bonne aussi?
ÉTIENNETTE.
Hein?
LE BOURGEON 179
ROGER.
La bonne ?
KTIENNETTE.
Oui... non... comme le désirera madame
la comtesse, (a Mamice.) Allons I
MAURICE.
Mon Dieu ! pourvu que cela no soit pas
quelque contrariété!
Ils sortent.
SCENE VI
RUGEU, puis L.\ COMTESSE, EUGÉNIE, un en-
tout-cas à la main et un réticule suspendu au poignet.
ROGERj allant ouvrir au fond et se rangeant côté gauche
de la porte.
Si madame la comtesse veut entrer.
(Tandis que la comtesse entre et descend à droite, à Eu-
génie qui s attarde dans le vestibule à regarder autour
d'elle — sur un ton amical ot un peu protecteur.) tiU-
trez!... entrez, ma fille!
EUGÉNIE, sur le seuil de la porte.
« Ma fille » ! Eh bien, dites donc, malo-
tru ?
Elle gagne la gauche au-dessus de la table.
ROGER} sans s'émouvoir.
Pardon!... (uectiâaut.) Mademoiselle...
180 LE BOURGEON
EUGÉNIE, rectifiant.
Madame.
ROGER, conciliant.
Madame, (a la comtesse.) Madame prie ma-
dame la comtesse de l'attendre un instant.
LA COMTESSE.
Merci.
Roger sort.
EUGÉNIE, maugréant.
« Ma fille! » (a la comtesse, tout en descendant
entre la chemiaée et la table.) Tu Vois CC qUC l'oil
gagne à aller chez ces dames ; ce valet
m'a prise pour une cocotte.
LA COMTESSE.
Mais non ! pour une g-ouvernante, tout
au plus ! tu as une tenue tellement sévère.
EUGÉNI[<:, devant le tabouret de gauche.
J'ai la tenue d'une femme honnête.
LA COMTESSE.
Merci pour moi.
EUGÉNIE.
Ecoute, Solang-c! il en est encore temps!
Notre place n'est pas ici ! Allons nous en !
LA COMTESSE, froidement décidée.
Non, ma chère! non 1 inutile I
LE BOURGEON 181
EUGÉNIE.
Mais c'est fou, voyons ! toi, la femme ri-
gide, la femme de toutes les vertus, aller
composer avec une courtisane ! Et pour
quel motif!
LA COMTESSE.
Inutile je te dis, ma décision est prise.
Va-t-en si tu veux; moi, je reste.
Elle s assied sur le tabouret de droite.
EDGÊNIE.
C'est bien, je resterai donc ! Ce n'est pas
dans une pareille démarche que je t'aban-
donnerai à toi-même : mais cela m'est dur !
Elle s assied sur le tabouret de gauche.
LA COMTESSE.
Ah! OÙ as-tu vu que les calvaires fussent
semés de roses !
A ce moment paraît Étiennette arrivant de gauche.
SCENE VII
Les Mêmes, ÉTIENNETTE.
EUGKNIE, voj-anl Étiennette.
Elle!
La comtesse et Eugénie se lèvent. Celle-ci prend son
air le plus pincé.
11
182 LE BOURGEON
ÉTIENNETTE} accourant vers la comtesse mais s arrê-
tant respectueusement à une certaine distance.
Vous, madame la comtesse, chez moil...
Dans son mouvement, son regard tombe sur Eugénie,
elle s'incline légèrement, Eugénie lépond par un
sajut dédaigneux à peine esquissé,
LA COMTESSE.
Oui, moi!... Je comprends: ma visite a
lieu de vous étonner. Evidemment, je pour-
rais la justifier par de vagues prétextes :
invoquer l'accident dont vous avez été
victime chez moi, qui me fait un devoir,
étant de passage à Paris, d'aller m'infor-
mer de vos nouvelles... non ! j'aime mieux
aborder les choses franchement.
KTIENXETTE, avec angoisse.
Mon Dieu ! ce sont les visites de monsieur
votre fils qui vous déplaisent et vous venez
me signifier...
LA COMTESSE, la rassurant.
Moi! quelle idée! Non! il ne s'agit pas
de ça!
ÉTIENNETTE, ne sachant que croire.
Ah?... alors je ne vois pas... (Brusquement
ot tout en se portant au-dessus du fauteuil qui est près du
paravent pour l'avancer do façon à co qu'il tienne lo mi-
LE BOURGEON 183
lieu entre les deux tabourets.) Oh! mais je VOUS en
prie madame, asseyez- vous donc.
LA COMTESSE, gagnant le fauteuil que lui présente
Étiennette,
Pardon !
ÊTIENNETTK, qui est descendue aussitôt à droite, indi-
quant le tabouret de gauche à Eugénie.
Madame !
LA COMTESSE, présentant.
Ma cousine, madame Heurteloup.
ÉTIENNETTE, très aimable, faisant des frais.
Mais je crois déjà avoir eu le plaisir d'en-
trevoir madame... C'est au moment où je
prenais congé de madame la comtesse; ma-
dame est entrée si je ne me trompe et
alors... seulement je n'avais pas eu l'hon-
neur de... de euh! (interloquée par l'attitude d'Eu-
génie, qui a écouté tout cela, 1 air dédaigneux, la bouche
en cul de poule, le regard dans le vague et avec ces do-
delinements de tête tels qu'en ont les vieilles filles.)
Asseyez-vous dune, madame, je vous en
prie.
La comtesse et Eugénie s asseyent sur les meubles in-
diqués, Étiennette sur le tabouret de droite.
LA COMTESSE, avec effort.
Ah! madame la démarche que je viens
faire près de vous est d'un ordre tellement
délicat.. !
18i LE B0URGP:0N
EUGÉNIE, entre ses dents.
Ça!.,.
I.A COMTESSE.
que vraiment, au moment de l'aborder,
j'hésite : un trouble m'envahit.
ÉTIENNETTE, inquiète.
Eh! mon Dieu, quoi donc, madame?
LA COMTESSE.
J'espère que vous ne prendrez pas ce que
je vais vous dire en mauvaise part et que
vous me tiendrez compte do l'effort que je
m'impose; nous sommes femmes: au fond
de toute femme, il y a une mère!.., vous
me comprendrez,
ÉTI ENN KTTE, empressée.
Parlez, madame! je serai trop heureuse
si vous m'apportez une occasion de recon-
naître tout ce qui a été fait pour moi
dans votre famille.
EA COMTESSE
Merci de ces bonnes paroles!... C'est une
pauvre mère affolée qui vient vous trouver.
Il s'agit d'une question où je suis tellement
incompétente...! si vous saviez : les uns me
disent : « il faut faire ceci I », les autres me
répètent : « n'en faites rienl » Je ne sais
LE BOURGEON 185
plus à quel saint me vouer. Alors j'ai pensé à
m'adresser à vous comme on s'adresse... à
un avocat consultant. Vous avez tant d'ex-
périence!...
ÉTIENNETTIl, un peu ébaubie.
Moi, madame! et en quelle matière?
LA COMTiiSSE.
Eh bien, voilà!... il s'agit de mon fils.
ÉTIENNETTE.
De monsieur l'abbé?
LA COMTESSE.
Oui! (Bas à Eugécie.) L'écrin...! (Celle-ci, qui a as-
sisté à toute cette scène, comme si elle planait dans d'au-
tres régions, a un sursaut, tel quelqu'un qu'on rappel e
à la réalité. La comtesse après un temps.) PaSSe-UlOl
l'écrin!
Eugénie fait une moue de victime résignée, et ouvrant
son réticule en tire successivement : un mouchoir, un
paroissien puis un chapelet ; en le voyant, elle lève
un regard au ciel, esquisse un signe de croix avec
le chapelet — tout cela très discrètement — pen-
dant que la comtesse donne des signes d'impatience.
LA COMTESSE, voyant qu'Eugénie n'en finit pas — avec
un sourire gêné, à Étiennette.
Tout de suite madame!
Nouveau signe d impatience à Eugénie. Celle-ci a enfin
trouvé 1 écriii. Elle le passe à la comtesse, lion-
teuscmcut, les hras tendus vers la terre et eu dé-
186 LE BOURGEON
tournant la tête. Après quoi, elle range bien soi-
gneusement son chapelet, son paroissien, son mou-
choir et aj-ant refermé son réticule reprend son air
pimbêche.
LA COMTESSE, aussitôt qu'Eugénie lui a remis l'écrin.
Mais d'abord laissez-moi vous offrir cette
petite bagatelle.
ÉTIBNNETTE.
A moi?... Oh! madame, mais non... Il
n'y a aucune raison...
LA COMTESSE.
Si, si ! je sais ! Mon frère qui est bien ren-
seigné m'a dit qu'il était d'usage... et puis
n'est-il pas naturel que l'avocat-conseil
perçoive des honoraires ?...
ÉTIENNETTE, qui a ouvert l'écrin.
Ohl madame, je suis confuse... la belle
bague I
LA COMTESSE.
Vous la garderez comme un souvenir des
émotions que nous avons traversées ensem-
ble! C'est mon fils en quelque sorte qui vous
l'offre par mes mains.
ÉTIENNETTE.
A ce titre, elle me sera chère par-dessus
tout.
LE BOURGEON 187
Elle se soulève pour déposer l'écrin sur la petite table
près du paravent et vient aussitôt reprendre sa
place.
LA COMTESSE, après un temps embarrassé. Brusquement,
sans préparation.
Il est bien souffrant, le pauvre petit.
étiennettp:.
Qui ? monsieur l'abbé ?
EUGÉNIE, ne pouvant se contenir.
Je t'en prie. Solange.
LA COMTESSE, à mi-voix avec humeur, à Eugénie.
Ah ! laisse-moi, Eugénie ! (a Étiennette, — su-
bitement radoucie.) Puisque VOUS voyez Maurice :
il no lui est jamais arrivé chez vous d'être
pris d'une faiblesse? d'avoir une syncope?
ÉTIEN'NETTE.
En effet, il y a trois jours. Cela nous a
assez inquiétés.
LA COMTESSE.
Eh bien, voilà!... 11 paraît que c'est le
résultat d'un excès de santé.
ÉTIENNETTE.
Ah?
LA COMTESSE.
Oui.
ÉTIENNETTE.
Je ne saisis pas.
188 LE BOUUGEON
LA COMTESSE.
Oui, évidemment!... à première vue cela
a l'air d'un paradoxe; mais il paraît qu'en
la matière, le trop est aussi préjudiciable
que le pas assez !... Oh! ces enfants quelle
cause de souci!... Il a delà neurasthénie,
comprenez-vous? la sève... la nature, le...
le bourgeon, je ne sais comment vous expli-
quer... (Bien ingôDumeut.) il faut qu'il niarchc !
EUGÉNIE, un coup au cœur.
Oh!
ÉTIENNETTE, se rejetant en arrière, estomaquée.
Comment?
LA COMTESSE, vivement.
Ce n'est pas moi qui parle, c'est le doc-
teur! une façon dédire qu'il faut que...
que...
ÉTIENNETTE.
Oh! je comprends.
LA COMTESSE, avec une admiration pleine d'iiumiUlo.
Ah! vous comprenez! Comme vous «''tes
instruite! Moi, sur le moment je ne com-
prenais pas... Eugénie non plus. (Eu-ônio pince
les lèvres.) Mais quaud on m'a mis les points
sur les i!... (avoc émotion.) Ali! madame de
Ahirigny. ^'ous ne savez pas ce que c'est
LE BOUIlGEON 189
pour une maman, quand on vient lui dire
brutalement]: « Eh I bien, voilà: vous avez
un fils qui est un ange de vertu; désormais
il n'en faut plus de cette vertu et à partir
de maintenant il est désirable que... que... »
ÉTI KNN l'LTT E, affolée à cette perspective.
Oli! mais il ne faut pas! Il ne faut pas!
EUGKNIK, se dressant triomphante.
Ah! tu entends ! tu entends ce que dit ma-
dame ?
LA COMTliSSK.
Eh! est-ce que cela n'a pas été mon pre-
mier cri du cœur : « Il ne faut pas »? cri
de révolte, d'indignation devant ce qui me
paraissait une monstruosité!.. (Avec amertume.)
et puis... quand j'ai vu tout le monde se
mettre delà partie, se liguer contre moi...
EUGÉNIE, qui s'est rassise pendant ce qui précède.
Ah! pas moi,
LA COMTESSE.
Non, pas toi: mais le docteur, mon frère,
monsieur le curé lui-même ! (La voix dans le
grave.) Oui, madame, monsieur le curé! Alors
peu à peu j'en suis arrivée à medemander où
était mon devoir ? Je me suis raisonnée ; je
me suis dit que la santé de mon enfant était
11.
190 LE BOURGEON
en jeu ; que peut-être j'étais une égoïste
à vouloir pour mon fils un bien qui n'était ap-
paremment pas celui qui lui convenait ; que
si son tempérament devait être une entrave
continuelle à ce qu'il avait cru être sa vo-
cation, ce tempérament, en somme, c'était
Dieu qui le lui avait donné; que s'il l'avait
fait ainsi, c'est qu'il le réservait peut-être
pour une autre mission; qu'on n'allait pas
contre la volonté céleste... et alors, insen-
siblement, je me suis résignée au sacrifice
qu'on attendait de moi...! je l'ai accepté...
j'ai fini par le souhaiter ! (Approchant son fauteuil
légèrement d Étiennette et toute honteuse, sombrant la voix.)
J'ai fini par chercher à le provoquer... Ahl
vous ne savez pas ce dont l'amour d'une
mère est capable.
ÉTIENNETTE.
Oh ! Madame ! Alors, quoi ? Vous voudriez
jeter votre fils dans les bras de... ?
LA COMTESSE, toute désemparée.
Est-ce que je sais... I
EUGÉNIE, accablant la Comtesse sous sa réprobation.
Eh! bien oui ! Eh I bien, oui ! Voilà le fond
de sa pensée : au moment où son fils va
entrer au régiment, où il n'aura pas trop
de toute sa fermeté pour lutter contre la
LE BOl^RGEON 191
contagion des mauvais exemples, au lieu
de le fortifier dans ses convictions religieu-
ses, elle en arrive à souhaiter... Ah!
Elle détonrno la tcto d'un fïosto de dôgo't.
ÉTIENNETTE, reculant terrifiée.
Ah ! madame, vous ne ferez pas cela !
LA COMTESSE, suppliante.
Mais alors donnez-moi un conseil! Venez
à mon secours ! Vous voyez hien que je suis
un pauvre être désorienté, perdu... voyons
il s'agit de Maurice : après ce qu'il a fait
pour vous, il ne peut vous être indifférent.
ÉTIENNKTTE, un peu plus bas que le tabouret qu'elle
vient de quitter et presque dos au public.
Votre fils I Ah ! Madame, si vous me de-
mandiez ma vie... de me jeter au feu pour
lui...
LA. COMTESSE, se levant et «'approchant d'Étiennette.
Oh ! je ne vous en demande pas tant :
aidez-moi. Madame, aidez-moi. Vous êtes
honno, vous êtes noble, vous... vous por-
tez un grand nom.
ÉTIENNKTTE, humblement, sentant l'ironie de sa
noblesse d occasion.
Oli !... ne parlez pas de mon nom.
LA COMTESSE, avec conviction.
Laissez donc : lorsqu'on croit pouvoir se
192 LE BOUIlGEON
parer d'un titre, c'est qu'on se sent de force
à le porter. (S'asseyant sur le tabouret que vient de
quitter Ktiennette de façon à être plus près de celle-ci.)
et puis vous avez la noblesse du cœur qui
est la première de toutes ! Mais comprenez
donc que ce que je rêve pour mon fils c'est
un être d'élection qui serait digne de lui ;
une femme de sentiment si raffiné, si déli-
cat, — qui l'aimerait assez et de façon suffi-
samment élevée — que les relations qui s'é-
tabliraient entre eux seraient bien plus une
communion d'âmes que toute autre cbose.
(Sur un ton d'imploration.) Ail! si VOUS VOulicZ ! si
vous vouliez !
ÉTIENN'ETTE, ayant peur de comprendre.
Si je voulais...?
LA COMTESSE.
Mais ne voyez-vous pas que vous êtes
l'incarnation de la femme que j'ai rêvée?
Vous êtes prête à vous jeter au feu pour
mon fils, dites-vous? Eh bien, pour lui fai-
tes moins et plus : retenez-le par le charma
qui se dégage de vous ; soyez son amie, sa
confidente, sa conseillère ; et, mon Dieu, si
quelque jour... (Avec beaucoup déboute et d'une voix
do moins en moins perceptible.) daUS l'ardcUr dc
VOS sentiments... vous en arrivez à... (Après
LE BOURGliON 193
un instant d'hésitation où on sent qu elle ne trouve plus ses
mots.) à la grâce de Dieu!
Sursaut de révolte chez Eugénie.
ÉTIENNETTE.
lîein !
LA COMTESSE.
Mon pauvre petit, il est à vous !
KTIKNNETTK, les yeux hagards.
A moi ?
LA COMTESSE.
Je vous le donne.
ÉTIEN.sETTE, passant au (2) en écartant du geste l'i-
mage évoquée parla comtesse.
Oh! non... Oh! non, non, pas ça!
LA COMTESSE, se levant.
Comment?
ÉTIENNETTE.
Aon ! pas ça, pas ça !
Eugénie s'est levée en même temps que la comtesse ;
son visage a pris une expression radieuse ; elle en-
trevoit l'intervention divine.
LA COMTESSE, qui n'en croit pas ses oreilles.
« Non »! Vous dites « non »! Ah! ça, je
rêve? C'est moi qui ici m'humilie jusqu'à
vous demander ce qui révolte en même
temps mes sentiments de mère et mes pu-
deurs de femme ! Et c'est vous qui me re-
poussez ! qui dites non!
194 LE BOURGEON
ÉTIRNNETTE, douloureusement.
Madame, je vous en supplie !
LA COMTESSE.
Pourquoi ? Pourquoi ? Mon fils est jeune ;
mon fils est beau !
ÉTIENNETTE, avec exaltation.
Oh ! oui!... oui !
LA COMTESSE.
Elles sont légion les femmes qui seraient
heureuses et fières...!
étiennp:tti-, id.
Oh! oui, certes !
LA. COMTKSSK.
Enfin, vous m'avez fait entendre que vous
l'aimiez.
ÉTIENNETTB, à voix presque basse.
Oh! oui !
LA COMTESSE.
Alors, je ne comprends pas ! à quel sen-
timent obéissez-vous donc ? (,Sur un ton de doux
reproche.) Car enfin, vous en avez accueilli
qui ne le valaient pas.
ÉTIENNETTEj avec amertume, tout en remontant péni-
blement.
Ah! voilà!... voilà! oui; c'est sur cette
réputation que vous vous êtes dit que vous
n'aviez qu'à vous adresser à moi!
LE BOURGEON 195
LA COMTESSE.
Oh! madame!
ÉTIENNETTE, se retournant pour redescendre.
Oh! ne croyez pas qu'ici intervienne chez
moi le moindre sentiment d'amour-propre
froissé; non, le sentiment auquel j'obéis
est plus haut que cela!... oui, j'aime votre
fils, mais je l'aime d'un amour tellement
pur, tellement élevé, tellement... chaste!
qu'il a pris en quelque sorte quelque chose
de supra-terrestre. Certes, quand il m'est
apparu pour la première fois, alors qu'il
me disputait aux flots, cela a été pour moi
comme un coup de foudre! comment n'au-
rais-je pas été séduite par tant de courage,
de beauté physique^
LA. COMTESSE, avec tout l'orgueil d'une mère.
Ah! n'est-ce pas qu'il est beau!
ÉTIENNETTE, levant les yeux au ciel.
S'il est beau!
LA COMTESSE, d'une traite, et en en ayant plein la
bouche.
Oh! oui, il est beau!
ÉTIENNETTE.
Malheureusement quelques minutes après
ces instants d'émotion, je devais le revoir
encore et cette fois il portait la soutane.
196 LE BOURGEON
(So laissant tom))Ci- sur lo tabouret qu'occupait Eugénie. —
Celle-ci pendant ce qui suit, derrière Étiennette et un peu
à droite (2), écoutera comme en extase, les deux bras pres-
que tendus au-dessus de la tête d'Étiennette.) Loltl il tjtb
comme une glace sur mon amour naissant.
J'en ai compris aussitôt toute l'hérésie,
toute l'impossibilité! Alors, ce qui était chez
moi un désir dos sens, brusquement est
devenu une dévotion pieuse. (Après un temps.)
J'ai revu M. Maurice; peu à peu il s'est
emparé de mon âme; il l'a transformée,
pétrie à ses idées, à ses croyances; il a fait
de la femme déchue, une pécheresse repen-
tante; il m'a sauvée du mal. Oh! j'ai con-
tinué à l'adorer, oui!... j'ai continué, mais
religieusement, dévotement, comme on
adore au pied des autels : à genoux et pros-
ternée.
LA GOMTKSSE, les yeux tixés à terre, hochant la tête.
Oui!... oui!
EUGKNIE, avec lyrisme.
C'est bien, madame! c'est bien ce que
vous dites-là.
ÊTIE.VNETTE, se levant sur place.
Et vous voulez après cela que je profane
ce sentiment devenu si pur... ? Oh! madame
la comtesse! vous que monsieur votre fils
LE DOUhGliON 197
m'a appris à révérer comme une sainte,
comme la plus vertueuse des femmes, est-
il possible qu'il ait pu naître en vous une
pensée pareille !
LA COMTESSE, profondément humiliée.
Madame... !
EUGÉNI ■; (2), au-dessus d'Éliennette.
Et faut-il que ce soit madame qui te rap-
pelle à tes principes? à tout ton passé?
LA COMTESSE, traversant la scène et gagnant le 1.
Assez, assez!... mon Dieu, ces paroles :
il me semble entendre l'écho de ma cons-
cience!... (Les yeux au ciel.) MoU DicU,, VOUS
voyez ma détresse, éclairez-moi ! enseignez-
moi la vérité!
EUGÉNIE, avec le ton et le geste du prédicateur.
La vérité, la vérité ! c'est de notre bou-
che qu'elle sort!
ÉTIKNNKTTE
Vous tremblez pour la santé do votre
fils!... Eh! madame, ne croyez donc pas
ceux qui vous effraient ! c'est une crise pas-
sagère dont il se remettra : au-dessus de
la santé de son corps, il y a la santé de son
âme, qui a droit à votre sollicitude.
EUGÉNIE, avec énergie.
Absolument!
198 LE BOURGEON
LA COMTESSE, ne sachant plus à quel saint se vouer.
Ah! mon Dieu !...
ÉTIENNKTTE, comme suprême argument.
Et puis, et puis...! je ne peux pas être à
lui et je ne veux pas qu'il soit à d'autres !
(Sur un ton d'imploration.) Ah! madame, qu'il
reste chaste! qu'il reste chaste!
LA COMTESSE, avec énergie.
Eh bien, oui! Assez de compromission
commecela! assez d'intrigues équivoques!...
J'étais égarée ; vous m'avez remise sur le
chemin de la raison : merci, madame, je ne
l'oublierai pas.
KTIENNETTE, radieuse.
Oui?
EUGÉNIE, avec un accent de triomphe.
Ah! je savais bien que la lumière se fe-
rait.
Elle gagné la droite.
ÉTIENNRTTE.
Ah! madame, que je suis heureuse de
vous entendre parler ainsi !
EUGÉNIE, s'inclinant avec respect.
Madame, je vous avais mal jugée; je vous
fais réparation.
A ce moment on entend un bruit de rires à la canton-
nade,des <r h dada ! à dada ! » et des « hue, là I hue ! >
LE BOURGEON 199
LA COMTESSE.
Qu'est-ce que c'est que ça ?
EUGÉNIE.
« A dada » ?
ÉTIENNETTE, à part, gagnant au-dessus de la cheminée.
Mon Dieu, Heurteloup, je l'avais oublié..!
SCENE VIII
Les Mêmes, HEURTELOUP, LA CHOUTE.
A ce moment la porte de droite s'ouvre violemment, à
deux battants, et Heurteloup surgit avec la Ghoute sur
les épaules. Il descend bien franchement en cavalcadant
joyeusement, avec des « à dada, à dada 1 » accompagnés de
• hue là, hue I » poussés par la Ghoute. Il arrive ainsi en
plein milieu de la scène, face à la comtesse. — Tableau.
LA COMTESSE et EUGÉNIE.
Ah!
HEURTELOUP, manquant de s'effondrer.
Ah!
LA COMTESSE.
Heurteloup!
Heurteloup pivote sur lui-même et se trouve face à
face avec sa femme.
HEURTELOUP.
Ma femme!
200 Lli BOU'KGEON
F.CGÉME.
Mon mari !
LA GHOUTK.
La famille!
£lle saute à bas de ses épaules et s éclipse derrière
le paravent, taudis qu Heurteloup est sur le point
de s évanouir de saisissement. Il porte la main à son
col pour le déboutonne:-, comme un homme qui sent
venir la congestion.
EUGliXIE, qui est remontée, centre de la scène, à hau-
teur de la table, de façon à couper la retraite à son mari,
brandissant son en-tout-cas.
Mon mari! avec des gourgandines! Ali!
polisson !
Elle cherche à le rattraper, mais déjà Heurteloup
s'est ressaisi. Course de va-et-vient entre les deux
époux autour de la table.
EUGÉNIE, l'en-tout-cas levé.
Attends un peu! attends un peu!
LA COMTESSE.
Eugénie! je t'en prie.
ÉTIEXNETTE.
Madame ! madame !
EUGÉNIE, tout en poursuivant sa course.
Laissez-moi! (courant après son mari qui parvient à
s'échapper et à gagner la porte.) HectOT ! lïector!
veux-tu venir ici! veux-tu venir ici !
Elle sort à sa suite.
LE BOURGEON 201
LA GOMTIÎSSE, sans laisser tomber le mouvement.
Ah! mon Dieu! (a Ktiennette.) Je vous de-
mande pardon, madame, mais ma cousine...
je ne peux pas la laisser...
KTIKXNETTH.
Mais je comprends très bien, faites.
LA OOMTKSSE.
Au revoir, madame, excusez-moi... (sor-
tant en appelant.) Eugénie! Eugéuic !
Elle disparaît.
ÉTIENKETIE, au fond.
Quelle histoire,, mon Dieu!
LA GHODTE, descendant entre le paravent et 1 extrême-
droite.
Eh ben, vrai !
Sur la fin de cette scène ont paru Guôrassin, Paulette
et Gléo. Les femmes ont leur chapeau sur la tête ;
elles sont prêtes h partir.
SCENE IX
ÉTIENNETTE, LA CHuUTE. CLEO, PAU-
LETTE, GUÉRASSIN, puis ROGER, puis MAU-
MCE.
CLf'O, allant à Ktiennette.
Qu'est-ce qu'il y a donc ?
302 LE BOURGEON
PAULETTE, descendant jusque devaut le canapé.
Qu'est-co qui se passe ?
GUÊRA.SSIN, au-dessus de la cheminée.
Pourquoi ce tapage?
ÉTIENNETTE.
Ae m'en parlez pas! C'est Heurteloup qui
vient de se faire pincer par sa femme avec
la Choute sur le dos !
Elle redescend uu peu.
TOUS.
Oh! le lualiieureux!
LA GUOUTE.
Ce qu'il va se faire saler!
ÉTISNNETTE, à la Choule.
En tout cas, rien ne pouvait m'être plus
désagréable, surtout en la circonstance ac-
tuelle.
Tout en parlant, elle remet le fauteuil qu'elle av;iit
avancé à la Comtesse, à sa place primitive.
LA CHOUTE.
Qu'est-ce que tu veux, on ne l'a pas fait
pour son plaisir.
ROGER *, paraissant au fond.
Madame ?
* Pour les besoins de la scène, pendant ce dialogue
entre Ktiennette et Roger, discrètement la C'.houtc repous-
sera le tabouret qui est devaut le supha jusqu à 1 extrême
droite.
LE BOURGEON 203
ÉTIENNETTE.
Quoi?
ROGER
Madame sait que monsieur l'abbé est là.
ÉTIENNETTE.
Monsieur l'abbé !
ROGER.
Comme madame était occupée avec ces
dames, je l'avais fait entrer dans le bou-
doir...
ÉTIENNETTE.
Mais, vite, introduisez.
Roger sort..
VOIX DE ROGER.
Si monsieur l'abbé veut entrer?
MAURICE) paraissant en uniforme de la ligne ; la tunique
et pas d'arme.
Mesdames...
TOUS, étonnés.
Ah!
ÉTIENNETTE, qui est allée à sa rencontre.
Monsieur l'abbé 1... Ah!... qui vous re-
connaîtrait ainsi!...
LA GHOUTE.
Oh! vous êtes joliment bien en défenseur
de la patrie.
204 LE BOURGEON
PAULETTE et GLKO.
Oh ! oui ! oh ! oui !
MAURICE, tout gêne, descendant par le mi ieu de la scône,
jusqu à proximité de la cheminée.
Oh! ne vous moquez pas I Je me sens tout
guindé. Je ne dois pas positivement avoir
l'air martial.
TOUTES.
Mais si !... mais si !
LA GHOUTE.
Oh !... et comment !...
MAURICE.
Mais d'ordre de l'arclievèché, il nous a
été prescrit de nous présenter en tenue.
LA GHOUTE.
Ah ! bien, c'est une ficre idée qu'il a eue
là, l'archevêché !
TOUTES.
Oh ! oui! oh! oui !
GUÉRASSIN, au-dessus de la table.
Ah I l'attrait de l'uniforme!
1 aulette est remontée pendant ce qui précède et est près
de Guérassin.
MAURICE, à Étiennetto qui l'a suivie près de la cheminée.
Chère madame, je suis revenu en hâte :
Eh bien, ma mère ?
LE BOURGEON 205
ÉTIENNETTK,
Hein ? oh ! rien... simple visite de courtoi-
sie. . . Madame la Comtesse s'est crue obligée
de me faire l'honneur, après l'accident qui
m'était arrivé chez elle...
MAURICE.
Ah! tant mieux, cela me tranquillise; je
craignais...
ÉTIENNETTE.
Quoi donc ?
MAUniGR.
Je ne sais pas... que peut-être, elle trou-
vât mauvais...
ÉTIRNNETTK.
Rassurez-vous, il n'est rien entré de pa-
reil dans sa pensée.
MAURICE.
J'en suis bien heureux.
A ce moment on entend des voix à l'extérieur.
ÉTIENNETTE.
Qu'est-ce que c'est que ça?
La porte du fond iî'ouvre avec fracas, et 1 on aperçoit
Musignol discutant avec Roger.
12
206 LE BOURGEON
SCÈNE X
Les Mêmes, ROGKR, MUSIGXOL.
MUSIGNOL, écartant Rogor.
Inutile ! laissez !
Roger se retire.
TOUS, excepté Maurice.
Musignol !
Tandis que tout le inonde reste cloué sur place, ^lusi-
gnol demeure sur le pas de la porte, embrassant d un
regard le tableau qu il a devant lui.
MUSIGNOL, avec un ricanement, en apercevant Maurice.
Aha!
Le képi sur la tête et le stick à la main ; les poings sur
les hanches, il descend 1 air provocateur, la démar-
che insolente, dans la direction de Maurice. A la vue
de 1 oflicier, celui-ci a pris l'attitude militaire.
MUSIGNOL, arrivé à peu de distance de Maurice. Avec
dédain.
C'est bien ! repos !
ÉTIENNETTE, descendant entre Maurice et Musignol et
sur un ton provocateur.
Qu'est-ce que vous venez faire ici ?
MUSIGNOLj sur un ton ironique oh l'on sent percer la
rage contenue.
Rien I simple curiosité! (Xout en remontant en
arpentant la scène.) Jo Voulais Ic Voir, Ic doU
LE BOURGEON 207
Juan, le bourreau des cœurs ! le chérubin
auquel on me sacrifiait.
MAURICE.
Hein ?
TOUS.
Qu'est-ce qu'il dit?
ÉTIENNETTE, furieuse.
Musignol!
MUSIGNOL, se retournant et froidement.
Quoi?
GUÉRASSIN5 qui a Musignol à proximité.
Musignol, voyons!
MUSIGNOL, descendant.
LaiSSe-moi, toi (a Étiennette en indiquant Maurice
avec un sourire de dédain.) Un simple SOldat!...
Ah!... (a Maurice.) Avanccz, militaire!
MAURICE, interloqué.
Mon lieutenant... !
ÉTIENNETTE, sur un ton qui ne souffre pas de réplique.
Ne bougez pas !
MUSIGNOL.
Vous dites ?
ÉTIENNETTE.
Je dis qu'en voilà assez ! Vous vous con-
duisez comme un butor; sortez!
Elle remonte un peu.
Si08 LE BOURGEON
MUSIGNOL, sur un ton gouailleur.
Moi?... Ah ! vous ne vourlriez pas que de-
vant mon inférieur!...
ÉTIENXETTE.
Il n'y a ici ni inférieur ni supérieur ! vous
n'êtes pas à la caserne, mais cliez moi... il
n'y a que deux hommes en présence.
MUSIGNOL, levant son stick et marchant sur Maurice.
Vous avez raison et je vais...
MAURICE, reculant légèrement.
Mon lieutenant !..
ÉTIENXETTE, qui s'est jetée entre eux, de façon à faire
à Maurice un rempart de son corps.
Touchez-le donc!
TOUS, se lapprochant de Musignol.
Voyons, voyons. Musignol.
MUSIGNOL, les écartant et impérativement.
Laissez-moi !
MAURICE, avec douceur et énergie.
Prenez garde, mon lieutenant ! vous allez
commettre un acte que v ;us reg-retterez
après.
MUSIGNOL, persifleur.
Parce que?...
MAURICE, avec calme et dignité.
Parce que deux choses m'empêchent de
vous répondre: voire grade...
LK BOURGEON "^09
MUSIGNOt,.
Suit! je Toublie.
MAURICE.
Et mon caractère.
MUSItJNOr,, sarcastique.
Son caractère ! . . . C'est un soldat qui parle !
MAURICE, avec le même calme.
Non, mon lieutenant, c'est un ecclésias-
tique.
MUSIGNOL, avec un recul.
Un ecclésiastique !
ÉTIENNETïE.
Oui, un ecclésiastique!... J'espère main-
tenant que vous comprendrez tout ce que
votre attitude a d'odieux, tout ce que votre
sortie a de révoltant.
MUSIGNOL, abruti par cette révélation, se laissant tomber
su,- le tabouret de gauche.
Un ecclésiastique!
Il reste comme atterré, les yeux fixés au sol. Instinc-
tivement sa main va chercher son képi ; il se dé-
couvre.
ÉTIENNETTE.
Et voilà à quel degré d'aberration vous
en arrivez avec vos suppositions pitoyables
et votre jalousie aveugle : à oublier le res-
pect de votre grade et à vous rendre publi-
quement ridicule.
12.
210 LE BOURGEON
MUSIGNOL, brusquement, et d'une voix sourde, à Étien-
nette qui est tout près de lui ; comme un gamin qui se re-
pent et demande pardon ; les mots lui montant aux lèvres,
rapides et pressés
Étiennette ! Etiennette ! je me suis con-
duit comme une brute! J'ai été fou! J'ai
vu rouge ! C'est la jalousie qui m'a fait per-
dre la tête! Pardon ! pardon !
ÉTIENNETTE.
Ce n'est pas à moi qu'il faut demander
pardon, mais à celui que vous avez offensé.
Elle indique Maurice.
MAURICE, qui par discrétion tourne le dos à la scène, la
tète penchée et les bras croisés, se retournant et sur un
ton de prière.
Madame I...
MUSIGNOL, résistant,
A lui!... A ce soldat!
ÉTIENNETTE, rectifiant.
A monsieur l'abbé. (Muslgnol reste silencieux,
mais on sent le combat qui se livre en lui.) Ail !... je le
veux !
Elle passe au-dessus de Musignol et descend à sa gauche.
MUSIGNOL., après un dernier effort. — Sans bouger de
place.
Monsieur l'abbé... je vous demande par-
don.
MAURICE, voulant lui épargner son humiliation.
Mon lieutenant I... oh ! non !
LE BOURGEON 211
MUSIGNOL^ lui tendant la main.
Monsieur l'abbé, voulez-vous me donner
la main?
MAURICE, allant à lui avec empressement.
Oh !.. . mon lieutenant ! . . .
Ils se serrent la main.
MUSIGNOL.
Merci !
ÉTIENNETTE, gagnant le milieu droit de la scène et sur
un ton de satisfaction rageuse.
Ah!
TOUS, félicitant Musignol.
A la bonne heure !
Musignol pensant en être quitte et avoir bien mérité
d'Étiennette, va à elle comme un homme assuré de sa
rent.ée en grâce.
ÉTIENNETTE, à Musignol au moment où il arrive à elle,
la bouche enfarinée.
Et maintenant, allez! allez-vous en! al-
lez-vous en !
MUSIGNOL, estomaqué par cet accueil.
Tu me chasses ?
ÉTIENNETTE, marchant sur lui.
Par votre façon d'agir vous avez élevé
entre vous et moi une barrière infranchis-
sable!... jamais! jamais, je ne vous par-
donnerai.
MUSIGNOL, suppliant.
Étiennette 1
212 LK BOUl.GKON
ÉTIENNF.TTE.
Non, non, je neveux plus vous voir. (Excé-
dée.) xVllez-vous en!... Mais allez-vous en!
Elle gagne 1 extrême droite.
GUÉRASSIN, descendant à la droite de Musignol et sur un
ton bon garçon.
Va-t'en Musignol... ne l'irrite pas ; ça
vaut mieux.
MUSIGNOL, se retournant et heureux d épancher sa colère
sur quelqu'un.
Ah ! toi, par exemple, tu paieras pour les
autres!
Il le repousse et lui applique deux soufflets.
GUÉRASSIN, au premier soufflet.
Oll ! (Au second.) Oh !
TOUS, comme un écho de Guérassin.
Oh!... Oh!
MUSIGNOL, remontant.
Je suis à vos ordres !
Il sort.
GUÉRASSIN, encore sous le coup du saisissement.
Mais... mais il m'a g-itïé?
LES FEMMES, sauf Étiennette.
Mais oui, il t'a giflé!
GUÉRASSIN.
Ah ! par exemple! (courant après Musignoi.) Mon-
sieur.. ! monsieur, vous m'en rendrez rai-
son !
Il sort dans la direction de Musignol.
LE BOURGEON 213
GLÉO.
Non. mais a-t-on jamais vu?
I.A OHOUTE.
En voilà un soudard!
PAULKTTE.
Quel pignouf!
ÉTIENNKTTIC^ qui les a fait remonter en les poussant Ju
geste vers la porte du fond.
Oui! c'est bien! Allez! laissez-moi!
GLÉO.
Non, c'est vrai, ça !
a - I LA CHOUTE.
Gifler Guérassin !
PAULETTE.
En voilà des façons !
ÉTIEXNETTI-:, pressant leur départ.
Allez ! allez !
LA GHOUTE.
Alors, adieu.
«I PAULETTE.
^ 1 Adieu.
GLÉO.
Adieu.
KTIKNMKTTE, pressée de les renvoyer.
Oui. adieu, adieu, (au moment où les femmes
214 LE BOURGEOX
sortent, elle se retourne pour aller à Maurice ; elle le trouve
entrain de remonter et se disposant à sortir également.
— Sur un ton de prière.) Oh ! non ! . . . VOUS, paS ! . . .
Vous, restez !
MAURICE, voulant partir.
Madame...!
ÉTIENNETTE.
Je vous en supplie, pas comme cela ; pas
avant de m'avoir entendue ; que je me sois
disculpée...!
MAURICE, descendant vers la droite jusque devant le
sopha.
Oh ! madame, pourquoi m'avez-vous
menti ?
ÉTIENNETTE, au-dessus du fauteuil qui est p.ès de la
petite table.
Eh ! bien, oui ! oui, c'est vrai, j'aurais dû
vous dire, vous avouer... mais je n'ai pas
osé!... je ne voulais pas rougir devant
vous... Oui, cet homme était mon amant :
je suis une malheureuse, une créature in-
digne.
MAURICE» avec un accent de tristesse.
Vous voyez bien que ma place n'est pas
ici...
ÉTIENNETTE, avec élan.
Elle n'est pas ici si vous vous occupez de
LE BOURGEON 215
l'opinion du monde! elle est ici si vous te-
nez compte du rôle que vous y avez à rem-
plir.
MAURICE, la regardant un instant puis :
Que voulez-vous dire?
ÉTIENNETTE, id.
Vous voyez bien que j'ai soif de repentir,
soif de pardon... Vous qui m'avez indiqué
la voie du bien, allez-vous m'abandonner
alors que j'ai encore si besoin de vous? alors
que mon initiation est encore si nouvelle ?
alors que ma foi est encore si chancelante?
MAURICE, lentement et comme inspiré.
C'est vrai!
ÉTIENNETTE.
Vous ne doutez pas de ma sincérité,
n'est-ce pas ? Eh bien, lorsque la pécheresse
vous'crie : « au secours! » lui refuserez-vous
la main et vous détourncrez-vous d'elle?
MAURICE, avec une profonde conviction.
Non, vous avez raison! je reste.
ÉTIENNETTE, radieuse.
Quoi! je puis espérer?,..
MAURICE.
Venez! Parlez! Confiez-vous à moi!
Tout en parlant il la fait asseoir sur lo sopha et s'as-
sied lui-même sur le tabouret qui e^t auprès ; il se
216 LE BOUliGEOX
débarrasse de son képi en le posant derrière lui
sur le tabouret.
ÉTIENNETTR, une foi= assise.
Ah! monsieur l'abbé, merci pour ces pa-
roles réconfortantes! Ah! vous ne savez pas
quelle influence vous avez eue sur moi !
MAUKrCE.
Moi ?
ÉTIENNETTE.
En m'arrachant aux flots qui m'entraî-
naient, vous avez cru opérer un sauvetage
ordinaire ? vous avez fait un sauvetage
moral. Je n'ai plus qu'un objectif aujour-
d'hui : travailler au rachat de mes fautes
et devenir la créature que vous souhaite-
riez que je sois. Voilà le miracle que vous
avez opéré.
MAURICE, touché.
Eh! quoi, c'est à cause de moi...!
ÉTIENNETTE.
Ah! je serais si heureuse de mériter vo-
tre estime.
MAURICE.
Oh! madame...!
ÉTIENNETTE.
Mais j'ai besoin qu'on me soutienne, j'ai
LE BOURGEON 317
besoin du secours de vos lumières : soyez
mon conseiller, mon directeur de cons-
cience! dites! vous voulez bien?
MAURICE, avec uu enthousiasme mystique.
Si je veux!... Je suis encore bien novice,
bien impuissant à exprimer les choses que
pourtant je ressens ! mais puisque Dieu est
avec moi, c'est lui qui m'inspirera les mots
qu'il faut dire et par lesquels je vous per-
suaderai.
ÉTIENNETTE.
Promettez -moi que vous viendrez me voir
souvent.
MAURICE.
Toutes les heures de liberté que mon
service me laissera, je vous les consacrerai.
ÉTIENNETTE.
Et vous m'apprendrez à croire ?
MAURICE.
A croire! Est-ce qu'on apprend à croire!
On croit, et voilà tout !
ÉTIENNETTE, se laissant glisser sur les genoux, et les
deux mains jointes contre sa joue gauche.
Eh bien oui. je croirai; je croirai puis-
que vous me le dites.
13
218 LE BOURGEON
MAURICE, avec un geste d'apôtre.
IVon!... pas parce que je vous le dis, mais
parce que telle est votre volonté.
ÉTIENNETTE, humble et soumise.
Alors parce que telle est ma volonté.
MAURICE^ doucement.
Mais relevez-vous ; pourquoi vous age-
nouiller ?
ÉTIEÎs'NETTE, sur un ton de prière.
Laissez-moi rester ainsi: c'est l'attitude
qui convient à la pénitente.
Elle s assiel sur les genoux, les mains toujours join-
tes, le coude gauche appuyé sur le sopha.
MAURICE, avec élévation.
Regardez Marie de Béthanie. celle' que
nous appelons la Magdeleine : c'était une
pécheresse comme vous; mais elle eut la
foi en la présence du sauveur et c'est par
là qu'elle toucha le cœur de Jésus.
ÈTIENNETTR, hoche la tête doucement puis timidement.
Mais... la Magdeleine aima le Ciirist ?
MAURICE, id.
Oui, mais elle l'aima comme il voulait
être aimé.
ÉTIENNETTE.
C'était une courtisane : comment se fait-
il qu'elle ait pu concevoir un autre amour
que celui qui lui était habituel?
LE BOURGEON 319
MAURICE, id.
Elle fut touchée de la grâce.
ÉTIKNNETTE, comme dans un rêve.
A moins qu'elle n'ait eu conscience de
l'impossibilité de son amour et que plutôt
que de voir s'éloigner d'elle celui qu'elle
aimait, elle n'ait préféré se résigner à cette
adoration muette qui devait lui cacher la
nature de ses pensées.
MAURICE, avec une énergie mystique.
Croyez-vous donc que le Christ qui lisait
dans son âme se serait mépris sur le carac-
tère de ses sentiments ?
ÉTIENNETTE, id.
C'est pourtant tellement le propre des
femmes de savoir plier leur amour à l'idéal
de ceux qu'elles aiment.
MAURICE, avec élan.
Non! non! chez elle, tout est spontané,
tout est sincère! (D'une voix pleine de tendresse.)
Pécheresse encore, elle voit le Christ et re-
connaît Dieu dans la chair du fils de
l'homme. Elle se rend auprès de lui avec
un vase d'albâtre rempli de parfum ; elle
commence par arroser ses pieds de larmes ;
puis elle les essuie avec les cheveux de sa
220 LE BOUHGfcON
tèti". elle, baiso st^s pieds et les oint di; par-
fums.
ÉTIENNKTTE, à qui tout ceci paraît peu de chose.
Quand on aime!
MAURICE, avGC transport.
Comprenez-vous la beauté de cet acte de
loi et d'iiumilité ? comprenez-vous que le
Sauveur en fut t(mcbé par tout ce qu'il
contenait de repentir, d'expiation et d'a-
mour ? comprenez-vous ? comprenez- vous?
ÉTfEN.NETTE, comme grisée.
Ail! je ne sais pas... je ne sais pas si je
comprends le sens de vos parcdes !... je com-
prends que votre voix est une musique qui
me monte à l'àme, me berce et m'étourdit,
MA.URICE, dôconteuauco par ces paroles inattendues.
presque à mi-voix.
Madame! iMadame! l'erdez-vous l'esprit?
ÉTIENNETTE, id.
Ah! je comprends la Magd(deine, quand
je me mets à sa place : s'humilier devant
celui qu'on aime... quelle joie!... Ah! si je
pouvais!... si je pouvais...!
MAURICE, reculant sur sou tabouret.
Madame!...
Lli BOURGEON 221
ÉTIENNbTTE, s'approchant de lui, en se traînant sur
les genoux.
Etre à vos pieds, toujours, les inonder
de mes larmes, comme elle !... Ali! comme
je comprendrais cela!...
MAUKICE, se levant en essayant de se dégager.
Quelles paroles osez- vous dire!
ÉTIENNETTE, essayant de le retenir.
JVon, non! ne vous éloignez pas... laissez-
moi me serrer, me blottir contre vous.
MAURICE^ scandalisé.
Madame ! Madame ! Retirez-vous.
Il passe à gauche, Étiennette en s'accrochant à lui
pour le retenir a pivoté sur les genoux ; mais il
s est dégagé presque aussitôt de son étreinte.
ÉTIENNETTE, qui a gagné ainsi presque le milieu de
la scène toujours à genoux.
Par pitié... oui. je suis folle... mais la
Magdeleine aima le Christ : pourquoi moi.
pécheresse comme elle, n'aimerais-jc pas à
son exemple? Mais est-ce que tout l'Evan-
gile n'est pas un livre d'amour? Eh! bien,
après tout, pourquoi rougirais-je d'un sen-
timent que les Ecritures magnifient!
MAURICE, avec horreur, la repoussant du geste.
Taisez-vous! Taisez-vous !.., vnl.rc aiiKiur
232 LE BOURGEON
est coupable. Celui-là la religion le ré-
prouve !
ETIENNE TTE, se levant brusquement, et avec résolution.
Eh bien, tant pis! j'en ai trop dit pour
pouvoir reculer, et puis je n'ai plus la force
de lutter ; (Marchant sur lul et presque dans son orellle.)
je vous aime ! je vous aime ! je vous
aime !
MAURICE, affolé.
Malheureuse, c'est le démon qui vous pos-
sède ! Chassez-le! chassoz-le!
Il esquisse un rapide signe de croix, tout en gagnant
jusqu'à la cheminée où il demeure le dos tourné
pour éviter le regard d Ktiennette.
ÉTIENXETTE.
Moi,, le chasser ! quand il me donne une
des sensations les plus intenses que j'aie
ressenties de ma vie !
MAURICE, se retournant à demi et douloureusement.
A moi...! vous osez !
ÉTIENNETTE, à l'angle droit du canapé et de la table.
Oui, j'ose! oui j'ose ! Jusqu'alors vous aviez
la soutane qui commandait à mon respect.
Désormais vous n'êtes plus l'ecclésiastique
pour moi : vous êtes un soldat, vous êtes
un homme.
LE BOURGEON 233
MA.URIGE. qui face à la cheminée a écouté tout cela l'air
terrifié, les deux mains jointes en implorant le ciel avec
détresse.
Ah! pourquoi suis-je venu ici!
ÉTIENNETTE, qui a gagné jusqu'à lui avec une âpre joie.
Pourquoi ? Parce que vous m'aimez aussi.
MAURICE,, vivement et douloureusement.
Non ! non !
ÉTIF;NNETTK, tout contre lui; un peu au-dessus, à la
cheminée.
Mais si. mais si! si j'ai été dupe, vous
l'avez été autant que moi. Pourquoi avez-
vous tremblé tout à l'heure, quand vous
avez appris la présence de votre mère ?
Oui, pourquoi? si ce n'est parce que vous
sentiez bien que le sentiment qui vous atti-
rait, n'était peut-être pas aussi évangéli-
que que vous vouliez le croire, (presque dans
l'oreille de Maurice, qui écoute tout cela terrifié, les cou-
des serrés contre lui, le cou dans les épaules et les mains
collées contre ses oreilles comme pour se défendre d'enten-
dre.) Eh bien, ce sentiment, c'était l'amour I
et l'amour terrestre, l'amour charnel, ce-
lui qui tenaille, qui persécute et finit tou-
jours par avoir raison de la volonté !
MAURICE, sur un ton de souffrance et de prière, avec
des sanglots dans la voix.
Taisez-vous! Taisez-vous!
224 LE BOURGEON
ÉTIKNNETTE, implacable.
Vous pouvez vous dérober aujourd'hui,
vous me reviendrez demain ; parce que ma
pensée est dans la vôtre ; parce que vous
m'aimez! vous m'aimez! et que maintenant
(Appuyant sur le c savez ».) VOUS Savez qUC VOUS
m'aimez!
MAURICE, douloureusement.
Etre de perdition, VOUS aspirez à ma chute.
KTIEXN'KTTK, avec transport.
J'aspire à nion bonheur et j'aspire au
vôtre ! (Maurice a un geste de révolte.) Oui, aU VÔ-
tre! (Avec perfidie.) Et tcuez ! voulez-vous sa-
voir ce que madame votre mère est venue
faire tout à l'heure?
MAURIGK.
Ma mère ?
ÉTIENNETTE.
Me prier de m'employer à ce que vous
appelez votre chute.
MAURICE, scandalisé.
Ma mère! ma mère... vous osez!
ÉTIENNETTE.
Oui... Et elle n'est pas seule à souhaiter :
monsieur le curé...
LE BOURGKON
MAURICE, abasourdi.
Monsieur le curé !
ÉTIENNETTE.
Oui, monsieur le curé, le vôtre...
MAURICfi;, avec un désespoir comique.
Mon Dieu, qu'est-ce que je dois entendre?
ÉTIENNETTE.
Vous voyez que tout conspire contre vous !
Et vous-même; oui, vous-même, qui résis-
tez en vain : vous pouvez me maudire,
mais vous ne partirez pas !
MAURICE, avec plus d'angoisse que de conviction réelle.
Oh ! si !
Il traverse vivement la scène pour aller chercher son
képi laissé sur le tabouret de droite.
ÉTIENNETTE, sftre à présent du triomphe, tout en ga-
gnant le milieu de la scène.
Non ! car si vous aviez dû partir, il y a
longtemps que vous ne seriez plus là.
MAURICE, arrêté dans son élan par la vérité de ces pa-
roles, — implorant le ciel.
Mon Dieu, ayez pitié de moi!
\3.
226 LE BOURGEON
SCENE XI
Les Mêmes, ROGER.
ROGKR, entrant, avec une lettre sur un plateau.
Madame !
ÉTIENNETTE;, (l) avec humeur.
Allez-vous en ! Laissez-nous !
ROGER, (2) à mi-\-oix en présentant le plateau.
C'est monsieur Musignol qui a fait mon-
ter cette lettre,
ÉTIENNETTE, vivement.
C'est bien.
Elle prend la lettre d'un geste brusque.
ROGER.
Il attend la réponse en bas.
ÉTIENNETTE, l'œil fixé sur Maurice.
Bon! bon!... Je vous sonnerai pour la
réponse! Allez !
ROGER.
Bien, madame.
Il sort.
ÉTIENNETTE, elle jette un regard de défi sur Maurice,
puis, cyniquement, froidement comme quelqu un qui pose
les conditions d on marché, tendant sa lettre non déca-
chetée.
C'est de mon amant! Je n'ai pas besoin
LE BOURGEON 227
de lire : Il me demande pardon et me sup-
plie de le laisser revenir. Dois-je lui faire
dire qu'il peut monter?
MAURICE, ne pouvant retenir ce cri du cœur.
Oh! non!...
ÉTIENNETTE, se rapprochant de lui comme une chatte.
Que vous importe? Ce n'est pas l'intérêt
de mon salut qui vous préoccupe encore,
je suppose ?
MAURICE, essayant de se donner le change à lui-même.
Pourquoi pas ?
II rencontre le regard d Étiennette et détourne les
yeux.
ÉTIENNETTE.
Allons donc ! (Derrière lui tout contre, et figure con-
tre figure.) Mais ayez donc le courage de re-
garder la vérité en face. Croyez-vous que
j'aie pu me méprendre sur le cri que vous
venez de pousser? Mais c'est le cri de la
chair, fait d'amour, de jalousie et de désir.
Vous voyez bien que vous m'aimez, (Le faisant
retourner face à elle d'un geste brusque.) tU le VOIS
bien que tu m'aimes !
MAURICE, sans farce.
Non! non ! (D'une voix suppliante.) laisscz-moil
laissez-moi !
228 LE BOURGEON
ÉTIENNKTTE, d'un ton sec.
C'est bien !
Elle appuie ^^ur la poire électrique suspendue au jjara-
vent et attend sur place.
MAURICE, avec angoisse.
Qu'allez-vous taire ?
Roger entre.
ÉTIENNETTE, (2) à Roger (l).
Faites dire à M. Musignol qu'il peut mon-
ter,
MAURICE, douloureusement, et d'une voix à peine per-
ceptible, presque dans l'oreille d'Étiennette.
Oh ! non...
ÉTIENNETTE, vivement.
C'est bien ! Faites dire qu'il n'y a pas de
réponse.
Sortie de Roger.
MAURICE.
Oh! mon Dieu! pourquoi m'avez-vous
abandonné ?
ÉTIENNETTE.. s'êlançant vers lui.
Mais viens donc! Grand enfant!
Elle l'enlace dans ses bras et tous deux s'effondrent
sur le sopha J leurs lèvres se joignent.
Rideau.
ACTE TROISIÈME
ACTE TROISIEME
Le jardin du presbytère de l'abbé Bourset. — Pay-
sage d'automne. — A gauche, le corps de bâtiment
du presbytère occupant deux plans. Au premier plan,
la porte d'entrée surélevée de trois marches. Au
deuxième plan, une fenêtre; devant la fenêtre, un
banc. Au quatrième plan, la haie de clôture qui sé-
pare le jardin de la route. Entre le deuxième et qua-
trième plan, le chemin qui sépare le bâtiment de la
haie de clôture. Au fond, un peu à gauche, et face au
public, entre deux pilastres de pierre, une grille
donnant accès dans le jardin ; pendant tout l'acte la
grille est grande ouverte. Adroite de la scène, le jar-
din est clos par un mur percé d'une porte pleine au
premier plan. Au deuxième plan, à droite, accolée
au mur, une serre au faite de laquelle on parvient
au moyen d'une échelle de fer garnie de sa rampe.
Au milieu de la scène, à droite, un vieux chêne qu'en-
châsse un banc de bois circulaire. A gauche de la
scène, une table de jardin ; un fauteuil de jardin de-
vant, une chaise idem au-dessus. Entre le banc de
gauche et les marches, une chaise. Entre le gros arbre
et la porte de droite, une brouette sans coffre de fa-
çon à pouvoir s'asseoir dessus. Au lointain, mouve-
ment de terrains dominant la mer qui s'étend à l'in-
fini.
232 l.K B01JKG1::0N
SCÈNE PREMIÈRE
LA MARIOTTE, JEAN-LOU, puis L'ABBÉ.
Au lever du rideau, Mariette est assise sur les marches de
la porte d'entrée, en train d'éplucher des légumes qu'elle
met à mesure dans une terrine placée à côté d elle sur la
chaise. Debout sur le banc, Jean-Lou est en train de
remett.e un carreau qui manquait à la fenêtre.
LA MARIOTTE.
Eh bien, Jean-Lou, ra avance ?
JEAN-LOU, tout en travaillant.
Ça va être fini, la Mariotte ! j'en suis au
masticage.
LA MARIOTTE.
Oui ? ben, tâche un peu à pas me salir
partout avec ton mastic.
JEAN-LOU.
Que non! ça me connaît.
LA MARIOTTE.
Oui, ben, tâche.
Elle chantonne tout en épluchant.
C'est le mois de Marie,...
JEAN— LOU, sur un ton détaché et tout en travaillant.
Dites donc, la Mariotte ?
LE BOURGEON 233
LA MARIOTTE.
Eh...?
JEAN-LOU.
Je voudrais bien vous demander quelque
chose.
LA MARIOTTE.
Fais, mon petiot...
JEAN-LOU.
Vous qui avez du goût...
LA MARIOTTE, modeste, et flattée.
Oh!
JEAN-LOU.
Je voudrais avoir votre avis sur un ob-
jet...
LA MARIOTTE.
Et quoi donc ?
JEAN-LOU.
Oh ! C'est peu do chose... C'est pour la de-
moiselle du château, vous savez... qui m'a
sauvé de la noyade, le jour où je faisais
l'idiot sans connaissance sur la plage... Il
paraît que sans elle, ça y était de mon Jean-
Lou...
LA MARIOTTE.
Ca!
234 LE BOURGEON
JEAN-LOU.
Alors, ça vaut bien quéqu'chose, n'est-ce
pas? Seulement quoi?... Ah! ce que j'ai
cherché ! Quand on n'est pas riche, pas
vrai ? et puis, je voulais que ce soit un sou-
venir qui eût rapport... et puis, qu'il vînt
bien de moi... Alors je ne sais pas si c'est
bien?... j'ai pensé que ça...?
Il saute à bas de son banc et va chercher quelque
chose dans le casier qui forme le bas de son cro-
chet, lequel est contre la table du jardin,
LA MARIOTTE.
Voyons ?
JEAN— LOU, tirant du casier de son crochet, un objet assez
volumineux enveloppé soigneusement dans de l'ouate.
Oh ! ce n'est pas un objet de valeur I... ce
n'est qu'un objet d'art... fait par moi... c'est
tout le mérite.
Il présente l'objet qu'il a développé tout on parlant;
c'est une espèce de grand verre gravé.
LA MARIOTTE.
Ah ! mais c'est joli !
JEAN-LOU, flatté dans son for intérieur.
Vous trouvez ? C'est moi qui l'ai gravé.
Vous voyez, d'un côté : « A ma sauveteuse,
son saiweté. » Ça dit tout!... Et au milieu:
nos initiales entrelacées. De l'autre côté,
elle, assise.
LE BOURGEON 235
LA MARIOTTE.
Ah! c'est elle, ça?
JEAN-LOU.
C'est elle.
LA MARIOTTE.
Je ne l'aurais pas reconnue.
JEAN-LOU.
Sur du verre, n'est-ce pas? et au-dessus
de sa tête, une femme en l'air, qui bran-
dit une couronne; j'ai vu ça dans des ta-
bleaux... ça fait bien... Et moi, à genoux,
lui baisant respectueusement le bout des
doigts, une main sur mon cœur.
LA MARIOTTE.
Oui, oui.
JEAN-LOU.
Au fond, la mer avec une moitié de
soleil qui en sort. C'est ce qu'on appelle
une allégorique.
LA MARIOTTE.
Comme tu es instruit.
JEAN-LOU.
On a été élevé à la ville, pas vrai? vous
croyez que ça lui fera plaisir ?
LA MARIOTTE.
Comment, mais c'est très joli!
236 LE BOURGliON'
JEAN-LOU, modeste.
C'est simple... (changeant de ton.) Ça pourra
lui servir de verre à table; comme ça, cha-
que fois qu'elle boira, ce verre lui dira :
« c'est le petit que j'ai sauvé!... » et ça
fera plaisir à tous les deux.
LA MARIOÏTE.
Bien pensé, mon p'tiot; faut lui porter
ça.
JEA.N'-I-OU, comme saisi d'épouvante à cette perspective.
Qui. moi?... Oh! non... non!
LA MARIOTTE.
Comment?
JEAN— LOU, sur un ton câlin.
Non, vous!... vous, vous lui porterez!...
moi, voyez-vous, j'oserais pas la regarder
en face. Quand on a été vu tout nu par
une demoiselle, et que c'est pas voulu, on
a trop iionte.
LA MARIOÏTE.
Jean-Lou, t'as de l'orgueil !
JEAN-LOU.
J'aime pas me faire remarquer.
n retourne à son crochet dans l'intention de ranger
son précieux cadeau.
LE BOURGEON 237
l'abbé, paraissant au seuil de la porle du presbytère. II
tient à la main un porte-bouteilles muni de quatre bou-
teilles cachetées.
Eh bien, c'est coinnie en que tu travail-
les, flâneur?
JEAN-LOU.
J'ai fini, monsieur l'Abbé.
L ABBÉ, descendant au 2.
Qu'est-ce que tu niontrais-là, à la Ma-
riette?
JEAN-LOU, 3.
Oli! c'est rien d'intéressant, monsieur
l'abbé.
LA MARIOTTE, 1, toujours assise sur sa marche.
C'est un cadeau qu'il voulait ofirir à la
demoiselle du château en manière de re-
connaissance.
l'abbé.
Ah?... voyons!
JEAN-LOU, confus.
Oh! monsieur l'Abbé!...
l'abbé.
Allons! allons!
LA MARIOTTE.
Te fais donc pas prier.
338 LE BOURGEON
JEAN-LOU.
Oli! pour ce que c'est... !
Il présente le verre à l'abbé.
l'abbé.
Ah ! uiais c'est bien, ça !
JEAN-LOU.
C'est simple.
l'abbé, lisant l'inscription.
« A ma sauveteuse, son sauveté. »
Il s incline avec un sourire légèrement ironique,
JEAX-LOU.
Ça peut aller?
l'abbé.
Mon Dieu!... c'est du français du cœur.
JEAN-LOU, sincère.
Ah ! oui. du cœur...
l'abbé.
Alors, c'est parfait. Qu'est-ce que c'est
que cette chose-là, cette espèce de brioclie
qui est au milieu.
JEAN-LOU.
C'est mademoiselle!
L'ABBÉ.
Ahl c'est mademoiselle! oui, oui, oui...
mais évidemment, je regardais mal...
LE BOURGEON 239
JEA.N-LOU.
Et moi à côté.
L ABBÉ^ lui rendant le verre.
Mes compliments, Jean-Lou, c'est tout
à fait gentil.
JEAN-LOU.
Ail, bien, je suis bien content, monsieur
l'Abbé !
11 remonte au-dessus de la table pour ranger ses ou-
tils et se préparer au départ.
l'abbé, à la Mariette.
Je sors, la Mariotte.
LA MARIOTTE.
Où est-ce que vous allez encore porter
notre vin ?
l'abbé.
Qu'est-ce que ça te fait?., puisque nous
n'en buvons ni l'un ni l'autre.
LA MARIOTTE.
Possible; mais quand il n'y en aura plus
pour mettre dans les burettes, hein ? com-
ment fera-t-on pour le Saint-Office, hein ?
L'ABBÉ, la singeant.
Eh! bien, on en fera venir d'autre
« hein » ! Ne grogne pas. Je m'absente cinq
minutes. Si madame la comtesse et sa fa-
240 LE liOUnC.EON
mille arrivent pendant ce temps, dis-leur
que je suis à deux pas, chez la Marie-Jeanne
qui est accouchée ce matin ; qu'on veuille
bien m'attendre, le temps que tu viennes
me chercher.
LA MARIOTTE.
Voilà donc où il va passer, notre vin :
chez la Marie-Jeanne, une fille-mère!
I/aMBK, corrig'eant.
Une mère, c'est tout ce que j'ai à savoir I
et une mère qui a d'autant plus besoin de
moi que la place du mari est vide à son che-
vet, par conséquent...!
LA MARIOTTIC.
C'est bon, allez. Tout ce que je dirai ou
rien...
l'abbé.
Tu es bien aimable de me donner la per-
mission.
Il remonte. La Mariotte hausse les épaules et pendant
ce qui suit rentio dans le presbytère en emportant
ses ustensiles de ménage.
JEAN-LOU, tout en passant les bretelles de son crochet.
Je peux disposer, monsieur l'Abbé?
i/AUBÈ, au fond..
Oui!... Ah! Et puis, si tu vois ton oncle,
LE BOUHGKON 241
dis-lui qu'il vienne réparer mon mur, là.
(il indique lo côté droit de la scène.) CeS (HablcS (lo
gamins me l'ont dégradé en l'escaladant
pour venir marauder dans mes espaliers!
Que diantre I je leur laisse ma porte ou-
verte, ils pourraient bien se dispenser de
détériorer ma clôture. Enfin! va!
JBAN-LOU.
Oui, M. L'Abbé.
Il se diriRo vera la droite.
SCENE II
Les Mêmes, HUGUETTE.
HUGUETTE, arrivant du fond gauche. Elle est à bicy-
clette et descend ainsi jusqu à 1 avant-scène.
Bonjour, monsieur le Curé.
Elle descend de bicyclette.
l'abbé.
Ah ! mademoiselle Huguette!...
JEAN— LOU, essayant de s esquiver sans être remarqué.
Oh!
242 LE BOURGEON
l'abbé, tout en déposant son casier à bouteilles sur le
banc circulaire de 1 arbre.
Ah! bien, justement... (voyant Jean-Lou qui
cherche à s esquiver et le rattrapant par son crochet avec
le bec de corbin do sa canno.) Eli! là, ne t'cn Va
donc pas toi, là-bas.
JEAN-LOU, tout gêné.
Mais, monsieur l'Abbé...
UUGUEÏTE, tout en déposant sa bicjclette contre le juur
du presbytère, un peu au-dessus du banc.
J'arrive en avant-garde ; la famille me
suit.
l'abbé.
Parfait ! Tenez, mademoiselle Huguette,
voici un petit gars qui n'ose pas vous dire
qu'il a une surprise pour vous.
HUGUETTE, descendant.
Pour moi?
l'abbé, le faisant passer au 2 en le prenant par
1 oreille.
Allez. Jean-Lou.
JEAN-LOU^ tout honteux et se faisant un peu tirer.
Oh! non ! non!
L'ABBÉ.
Comment, « non » ?
LE BOURGEON 243
JEA.N-LOU) qui tient toujours son verre enveloppé de ouate
dans la main.
C'est-à-dire... Oh! mademoiselle... c'est
une bêtise, une façon de vous remercier
bien faiblement.
HUGUETTE.
Et de quoi, mon Dieu?
JEAN-LOU.
Mais de... (Bien godicho.) C'cst moi le noyé,
mademoiselle.
HUGUETTE, le regardant.
Ah! c'est vous que...
Elle baisse les 3'eux instinctivement.
.lEAN-LOU, baissant la tête.
C'est moi, oui, mademoiselle... Jean-Lou,
le vitrier...
HUGUETTE.
Oh ! je vous demande pardon, je ne vous
reconnaissais pas... c'est que c'est la pre-
mière fois que je vous vois... (Hésitant et baissant
les yeux.) comme ça.
JEAN-LOU, gêné.
Oui, en effet...
Ils restent un instant décontenancés, n'osant se regar-
der ; à un moment donné leurs regards se rencon-
trent, ils rebaissent aussitôt les yeux.
L ABBÉ, voyant leur embarras réciproque — jovialement.
Eh bien, c'est le moment d'y aller de ton
244 Lie BOlJIiGKON
offrande . (sur un ton un peu moqueur.) (( A. ma Sail-
vetouse, son sauveLé ».
JEAN-LOU.
Oui. monsieur le curé, (.v iiuguette.) Alors,
voilà, mademoiselle, si c'était un effet de
votre bonté d'accepter ce modeste vase en
souvenir de la chose...
Il lui tend le verre sans oser la regarder.
HUGUETTE, prenant le verre sans regarder non plus
Jean-Lou.
Oh! vous êtes bien aimable, monsieur
Jean-Lou.
JEAN-LOUj id.
C'est pas bien beau.
HUGUETTE, id.
Oh! c'est très joli.
JEAN-LOU.
C'est simple.
HUGUETTE.
Ça me touche profondémoiil . monsieur
Jean-Lou.
JEAN-LOU.
Alors, vrai, mademoiselle, vous n(i m'en
voulez pas ?
HUGUETTE.
Et de quoi donc, monsieur Jean-Lou?
JKAN-LOU.
Mais... de m'être montré si iiiip(di... yiw
ma ttuiue ce jnur-Ià.
LH BOURG,: ON 345
HUGUETXE.
Oh! pouvez- vous dire!
JEAN-LOU.
Si. si. je sais très bien que ce n'est pas
comme ça qu'on se présente à une demoi-
selle... surtout qui n'est pas do votre monde.
HUciUETïE.
Ce n'était pas de votre faute, monsieur
Jean-Lou.
JEAX-LOU.
Sûr que ce n'était pas ma faute ! et il est
évident que sur le moment on n'y a réflé-
chi ni l'un ni l'autre.
HL'GUETTE.
Oh! non!
Jl, AN-LOU.
Seulement, quand après ça on se rencon-
tre, on a beau faire : on pense, on se rap-
pelle... et on se trouve tout gêné.
HUGUETTE.
Oui.
JEAN-LOU.
Oh! je le sens bien, allez.
HUGUETTE.
Est-ce hôtel je vous aurais revu comme
14.
246 LE BOURGEON
VOUS étiez la première fois, je ne sais pas,
il me sembleque ça m'aurait paru naturel...
JEAN-LOU.
J'aurais tout de même pas osé.
HOQUETTE.
Non, évidemment I... aujourd'hui, je vous
revois comme ça... et, je ne peux pas dire
pourquoi?... j'ai comme un peu de honte...
ça me gêne...
JEAN— LOU, hoche la tête puis.
C'est mon vêtement qui me fait remarquer.
HUGUETTE.
Oh! mais ça passera.
JEAN-LOU.
Faut l'espérer... Au revoir, mademoiselle.
HUGUETTE.
Au revoir, monsieur Jean-Lou.
JEAN— LOU, fait mine de s'en aller, puis s'arrêtant
aussitôt.
Et quand on se rencontrera... des fois...
eh! hien, alors, v'ià tout, on ne se regar-
dera pas, mais on saura que le cœur y est.
HUGUETTE.
Oui, monsieur Jean-Lou.
JEAN-LOU.
C'est ça, oui. (Brusquement, changeant de ton.) Au
revoir, monsieur le curé.
LE BOURGEON 247
l'abbé.
Au revoir, Jean-Lou.
Jean-Lou sort rapidement par la droite.
l'abbé.
Brave petit gars tout de même.
HUGUETTE.
Je crois que j'ai été stupide.
l'abbé.
Mais non, mais non, ma chère enfant.
HUGUETTE.
Si, si! et je suis capable de lui avoir fait
de la peine... Ah! que c'est bête d'être bête
comme ça!...
Elle remonte vers sa bicyclette et range pendant ce qui
suit le verre que lui a donné Jean-Lou dans une sa-
coche en forme d étui suspendue au guidon de sa
machine.
SCENE III
Les Mêmes, LA CO.MTESSE, LE MARQUIS,
EU(JENIE, ils arrivent, comme Huguette, par le fond
gauche.
LA COMTESSE, franchissant la grille d'entrée et immé-
iatement à 1 abbé avec une certaine inquiétude dans la
voix.
Ah! monsieur le curé...!
248 Lli BOURGEON
l'abbé, s'inclinant.
Madame la comtesse.
LA COMTESSE.
Vous nous avez fait prier de venir...
l'abbé.
Mais oui, madame. Bonjour, monsieur le
marquis, bonjour, madame.
LE MARQUIS, EUGÉNIK, franchissant la grille.
Bonjour, monsieur le curé.
Le marquis descend à la suite de la comtesse. Eugénie
descend par la gauche.
LA COMTESSE, tout en descendant dans la direction de
1 arhre.
Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qui se passe ?
pourquoi cette convocation... officielle?
Elle s'assied sur le banc circulaire, le marquis est de-
bout entre elle et 1 abbé, mais un peu au-dessus.
l'abbé.
Ah! ça, madame!... je serais bien embar-
rassé pour vous le dire; j'ai reçu une lettre
de M. Maurice, m'annonçant son arrivée,
et me priant, si vous n'y voyiez pas d'in-
convénient, de convier ici toute sa famille :
je me suis conformé aux instructions.
LA COMTESSE.
Pourquoi, mon Dieu? Ça ne vous inquiète
pas, tout ça?
LE BOURGEON 249
l'abbé.
Oh! il n'y a aucune inquiétude à avoir :
le ton de la lettre est enjoué; M. Maurice y
parle d'un grand bonheur.
HUGUETTE, qui toujours à la même place est occupée à
gonfler un des pneus de sa machine.
Ah?
LA CO.MTESSB, bien naïvement.
11 a peut-être été nommé sergent.
LE MARQUIS.
Oh! non! Il n'est au régiment que depuis
quinze jours! A ce compte-là, il serait gé-
néral à la fin de l'année. Ça ne va pas si
vite.
LA COMTESSE.
Mais alors quoi ? Quoi ?
L ABBK, avec un gestfi d ignorance.
Ah!
LE MARQUIS.
Non, écoute! Tu ne vas pas t'inquiéter,
hein? puisqu'il s'agit d'un bonheur, on peut
attendre.
Tout en parlant, il quitte la comtesse et gagne jusqu'à
Huguette.
K U G É N T R .
C'est évident.
LA GOMTESSK, avoi^ un soupir do rr.signntion.
Oui.
350 LE BOURGEON
l'abbé.
Mais oui. mais oui!... (a Eugénie.) Et
M. Heurteloup. madame? j'ai appris avec
joie qu'il était tout à fait remis; est-il vrai
qu'il fasse aujourd'hui sa première sortie?
EUGÉNIE,
Vous allez le voir tout à l'heure. Je l'ai
laissé en train de s'habiller. Il vient même
d'avoir une colère après moi !
l'abbé.
Ah?... Oh! alors, il est tout à fait bien!
EUGÉNIE.
Tout à fait. Mais c'est égal, nous avons
eu une rude alerte !
LA COMTESSE.
Pendant quelques jours, on a craint la
fièvre muqueuse.
EUGÉNIE.
Heureusement, ça n'a été qu'une forte
jaunisse.
l'abbé.
Ah^ Tant mieux !
LE MARQUIS, qui est descendu à l'extrême-gauche sur
les dernières paroles d Eugénie.
Une grosse émotion éprouvée à Paris, qui
lui a tourné la bile.
LE BOURGEON 251
l'abbé.
Ce pauvre M. Heurteloup I
EUGÉNIE.
Oh ! ne le plaignez pas : C'est le ciel qui
l'a puni ! iVujourd'hui qu'il est sain et sauf,
je déclare qu'il n'a eu que ce qu'il méritait !
Un homme, monsieur le curé, à qui on au-
rait donné le bon Dieu sans confession, et
qui se débauchait avec des hétaïres.
l'abbé.
Non, ce n'est pas possible!
LE MARQUIS, atfectant le plus profond sérieux.
Etes- vous bien sûre, Eugénie?
EUGÉNIE.
Si je suis sûre! Il a avoué. Un peu plus,
il concubinait!
LE MARQUIS, id.
Non? Oh!... Heureusement que vous êtes
arrivée à temps.
EUGÉNIE.
Un jour de plus, il était trop tard !
LE MARQUIS et LA COMTESSE, avec un sentiment
différent.
Oh!
EUGÉNIE.
Oh! mais, maintenant, je l'ai à l'œil.
D'ailleurs je le défie bien d'aller courir la
252 LE BOURGEON
prétentaine, avec la mesure que j"ai prise
à son égard,, pendant sa maladie!., aussi
bien, je dois le dire pour son salut que pour
sa pénitence !
LA COMTESSE.
Ah! mon Dieu, quoi donc?
EUGÉNIE.
Moi,... (Bien catcgoriquement.) je Tai VOUé aU
bleu !
TOUS, ébahis.
Non?
A ce moment explosion de cris et de rires à la can-
tonade gauche et Heurteloup paraît se débattant
contre une ribambelle de gamins qui le huent à qui
mieux mieux.
SCENE IV
Les Mêmes, HEURTELOUP.
HEURTELOUP, en costume entièrement bleu-oicl, cha-
peau et soiilicrs blous ; aux gamins qui lui font la conduite
sur la route et dominant leurs cris.
Avez-vous fini de me suivre, tas de ga-
lopins. Voulez-vous filer? Qu'est-ce que
c'est que ça donc ?
LE BOURGEON 253
LES GAMINS, se sauvant.
Ah!
lleurteluup a franchi la grille, l'air furieux, la ligure
maussade.
TOUS, stupéfaits.
Ah!
HEURTELOUP, après un temps, à Eugénie.
Vuilà ce que tu me vaux, toi !
TOUS, riant.
Ah! ah! ah! ah! ali!
HUGUEÏTE, se tordant.
Ah ! monsieur Heurteh)up. que vous êtes
drôle comme ça!
LE MARQUIS.
Vous avez l'air du prince Saphir.
HEURÏELOUP *, descendant entre la comtesse otEugénie.
Oui, eh hien, je la trouve mauvaise!
Qu'est-ce que c'est que cette plaisanterie?
Mes vêtements ? Qu'est-ce que tu as fait de
tous mes vêtements ?
EUGÉNIE, sur un tun sans réplique.
Je les ai distribués aux pauvres.
HEURTELOUP.
C'est trop fort! tu t'imagines que je vais
Le M. (l) près d'ilug. {2} ; plus eu scène K. i, H. 4, la
G. 5, l'A. 6.
15
354 LE BOURGEON
continuer à me promener comme un chien-
lit?
EUGÉNIE.
Eh bien., tu resteras chez toi } c'est au-
tant de gagné.
HEURTELOUP, se cabrant.
Ah! non. par exemple! non!
EUGÉNIE.
Il n'y a pas à dire : « Ah! non! »... j'ai
pris l'engagement,, si tu revenais à la santé,
de te vouer au bleu ; un engagement est
un engagement.
IIEURTKLOUP.
Un engagement qu'on prend soi-même,
soit! Mais celui qu'on prend pour vous...!
(Se tournant vers l'abbé.) Mousicur Ic CUré, VOUS
allez me relever de ce vœu et sans tarder.
L ABBÉ, avec un reste de rire dans la voix.
Mais, monsieur Ileurteloup, je n'ai à
vous relever de rien du tout, puisque ce
n'est pas vous qui avez fait le vœu. Ah! si
madame Heurteloup le demande, elle...
EUGÉNIE, n'entenilant pas de cette oreille.
Du tout, du tout! Mais qu'est-ce qu'on
dirait, lui qui, grâce à Dieu, a une réputa-
tion de piété, si on savait qu'après avoir
LE BOURGEON 255
dù son retour à la santé au vœu pris en
son nom, monsieur s'en dégageait et en
faisait litière !
LE MARQUIS, ironique.
Oui, oh!... ce serait grave!
LA COMTESSE.
11 est évident qu'un vœu... !
UEURTKLOUP.
Oui? Eh bien, je m'en moque.
EUGÉNIE.
Non, non!... il en a pour cinq ans I
(Après un temps.) OU vcrra après.
HEURTELOUP, cclalant.
Ah! c'est comme ça!... Eh bien, non,
entends-tu ; j'en ai assez de plier devant
toi! d'être sous le boisseau. Je secoue le
joug, je relève la tète, je suis le maître à
la fin!
EUGÉNIE, le toisant de toute sa hauteur.
Qu'est-ce que c'est?
HEURTELOUP, intimidé.
Oui, enfin,., je dis...
EDGÉNIEj impèrative.
En voilà assez!
Elle remonte pour s éloigner de son mari et redescend
aussitôt ot dans le même mouvement vers la com-
tesse (5) qui caubc avec l'abhû (6).
256 LE BOURGEON
HEURTELOUP, rongeant son frein.
Oh!
LE MARQUIS, qui est redescendu un peu avant, — bas
à lleurtelûup.
Ma pauvre victime !
HEURTELOUP, entre ses dents.
Oh! divorcer! divorcer!... la pincer avec
un aaïaiit!
LE MAllQUIS.
Eugénie? Oh!... elle ne voudrait jamais!
HEURTELOUP, comme un homme qui ne le sait que trop.
Ah!... et lui non plus !
LA MARIOTTE, paraissant à la fenêtre du presbytère.
Monsieur le curé, si vous avez à faire
avec ces dames, je pourrais hien aller jus-
que chez la Marie-Jeanne lui porter les
bouteilles.
l'abbé.
Non, non, j'irai moi-même plus tard,,
merci.
La Mariotte disparaît.
LA COMTESSE.
La Marie-Jeanne ? Qui ? la petite vachère ?
l'abbé.
Delà ferme, oui., madame; elle a mis
au monde un jeune chrétien ce matin.
LE BOURGEON 257
TOUS.
Non?
LE MARQUIS.
Yoyez-vous ça !
Tout le monde s'est rapproché curieusement de l'abbé.
HUGUETTE, de la présence de qui personne n'a tenu compte
tout occupée qu'elle est à arranger sa bicyclette, — après
avoir relevé la tête à la confidence du curé, descendant
pour surgir entre le marquis et Eugénie.
Tiens, je ne savais pas qu'elle fût ma-
riée?
Tout le monde reste un instant interloqué par l'inter-
vention subite de la jeune fille.
LA COMTESSE, ne sachant que répondre.
ïlcin?... la...
LE MARQUIS, id.
La... la vachère... oh! eiili!...
L'ABBÊ. id.
C'est-à-dire que... euh!...
I,E MARQUIS, Approuvant l'explication de l'abbé.
Oui.
l'abbé.
Yoilà.
HUGUETTE, ronseifrnée par leur gêne même.
Ail ? l)on, je comprends...
Elle remonte.
TOUS.
Quoi ?
258 LE BOURGEON
HDGUETTE, tout en retournant à sa bicyclette.
Rien! rien !
EUGÉNIE, après un temps — à son mari comme si c'était
sa faute.
Voilà!... voilà ce que ça amène, ces cho-
ses-là!
Heurteloup, la pensée ailleurs, brutalement rappelé à la
réalité par./l 'apostrophe de sa femme, la regarde
ahuri, puis lève des yeux résignés au ciel, hausse
les épaules, et va s'asseoir sur le banc devant le
presbytère.
L'ABBK.
La pauvre petite est dans un dénuement
complet ; rien qu'un pauvre grabat et per-
sonne auprès d'elle... Alors, j'allais lui
porter...
Il indique son casier à bouteilles.
LA COMTESSE.
Ah! mais que ne le disiez-vous? on ne
peut pas la laisser ainsi : je vais la faire
transporter à notre asile de Kénogant oiî
elle trouvera auprès des bonnes sœurs tous
les soins désirables, comme aussi tous les
bons conseils qu'il est regrettable qu'on
n'ait pu lui donner plus tôt.
EUGÉNIE, pincée.
On aurait une honnête femme de plus.
LE BOURGEON 359
LE MARQUIS, avec bon sens.
Bien ! oui... mais un petit français de
moins ; tout compte fait, je ne sais pas si
ça ne vaut pas encore mieux comme ça.
HUGUETTE, descendant vers la comtesse, avec sa bi-
cyclette en main.
Si vous voulez, ma tante, j'ai ma bicy-
clette, je puis pédaler jusqu'au château,
c'est l'affaire de dix minutes.
LA COMTESSE.
C'est ça ; tu diras à Luc de faire le né-
cessaire pour le transport de la mère et
du bébé.
HUGUETTE, grimpant sur sa bicyclette.
J'y cours.
Elle franchit la grille et disparaît par la gauche.
l'abbiî.
Que vous êtes charitable.
LA COMTESSE, avec un sourire modeste.
Laissez donc !... (changeant de ton.) La pauvro
fille! Qu'est-ce qui lui a encore fait ça?
l'abbé.
Est-ce qu'on sait !
EUGÉNIE, avec dédain.
Quelque homme... évidemment!
260 LE BOURGEON
LE MARQUIS, aveo le plus grand sérieux.
Prenez garde. Eugénie ! vous accusez à
la légère.
Heurteloup qui s'est levé, descend d'un air distrait en-
tre le marquis et Eugénie.
l'abbé.
Je l'ai demandé à la petite; c'est triste :
elle ne le sait pas elle-même! elle m'a ré-
pondu : « C'est un monsieur à bicyclette! »
Tout le monde hoche la tête, déplorant en silence.
— Soudain un éclair traverse le cerveau d'Eugénie ;
elle relève la tête ; « A bicyclette !» ; — porte la
tête à droite « est-ce que ce serait?... — Regarde
son mari fixement dans les yeux « toi ! » Tout ce jeu
de scène muet doit dui-cr exactement trois secondes ;
ce sont en quelque sorte trois soubresauts successifs
de la tête oi'i Eugénie doit tout exprimer par la
physionomie.
HEURTELOUP, foudroyé par le regard de sa femme, la
regarde ahuri comme pour dire « qu'est-ce qu'elle a en-
core? ') puis comprenant sa pensée.
Quoi ? quoi ? tu ne vas pas encore me
mettre ça sur le dos! 11 n'y a pas que moi
en France qui aie une bicyclette.
EUGÉNIE, sèchement.
C'est possible ! mais je constate que vous
avez pour ce genre de sport un amour un
peu trop marqué,
HEURTELOUP.
Allons, bon !
LE BOURGEON 261
LE MARQUIS.
Ecoutez, Eiig'énio. je vous jure que pour
faire un enfant, la bicyclette...
EUGÉNIE, moitié miel, moitié vinaigre.
Je vous en prie, Onfroy ! (a Heurteioup.) Do-
rénavant, vous me ferez le plaisir de res-
treindre un peu vos sorties à bicyclette.
Elle remonte par la droite de la table.
HEURTELOUP, rongeant son frein.
Oh!
LE MARQUIS, lui prenant le bras et très gamin.
Allez ! au bleu aussi la bécane.
HEURTELOUP, soulageant sou creur.
Ah! le célibat! le célibat!
Ils remontent ensemble par la gauche delà table; à
ce moment, à la porte premier plan droit, paraît
Jean-Lou.
SCENE V
Les Mêmes, JEAN-LOU.
JEAN-LOU, 1 air mystérieux, allant sur la pointe des pieds
jusqu'à l'Abbé.
Monsieur le curé, monsieur le curé !
(Saluant.) Mcssicurs, mcsdames.
263 LE BOURGEON
l'abbé.
Te voilà revenu, toi.
JEAN-LOU, bas au curé.
C'est monsieur l'abbé de Plounidec qui
m'envoie...
l'abbé, à haute voix aux autres.
Ah! bien justement, mesdames...
JEAN-LOU, vivement.
Oh! chut!... (Confidentiellement.') MonsicUF
l'abbé est là en carriole; il voudrait vous
toucher deux mots en particulier avant de
voir sa famille ; alors il vous fait prier, si
elle est déjà arrivée, de l'éloigner...
l'abbé.
Bon.
Il va pour remonter.
JEAN— LOU, achevant sa phrase.
habilement.
l'abbé, s'arrôtant court.
Ha... habilement?
JEAN-LOU5 confirmant.
habilement.
l'abbé, un peu déconfit.
Habilement, oui. (se décidant et bien bêta.)
Hum!... Que... que penseriez-vous. mes-
sieurs, mesdames, d'aller jusqu'au bout du
jardin?
LE BOURGEON 263
TOUS *, étonnés.
Nous?
LA COMTESSE.
Pourquoi faire ?
l'abbé.
Hein?... je ne sais pas! Tenez, j'ai... j'ai
un poirier qui est assez curieux: il ne pro-
duit pas (le poires.
EUGÉNIE.
Qu'est-ce qu'il produit?
l'abbk.
Rien du tout. Si ça vous intéressait...?
LA GOMTESSK, malicieusement.
Vous avez quelqu'un à recevoir !
l'abbé, avec un sursaut d'élonnoment.
A quoi avez-vous vu ça?
LA COMTESSE, souriant.
Oh! c'est difficile à deviner! c'est Mau-
rice, hein?
L'ABBÉ.
Maurice, oui!
LA COMTESSE.
11 voudrait vous parler en particulier.
* Le M. et H. au fond au-dessus du banc de gaucho, —
plus en scène E. la G., — plus bas devani le gi-and arbre
1 ab. et J.-L.
264 LE BOURGEON
l'abbé.
Comme vous êtes perspicace.
LA. COMTESSE.
Et il VOUS a fait prier de nous éloig"ner.
L ABBÉ^ i3ans voix, rion que par 1 articulation des IcNvre-^.
Habilement, oui !
LA COMTESSE.
Que de mystères, mon Dieu! Eh bien,
plutôt que d'aller rendre visite à votre
poirier qui ne donne pas de poires, je pro-
pose d'utiliser ces instants en poussant jus-
que chez la Marie-Jeanne; on lui montrera
qu'elle n'est pas tout à fait aban(btnnée.
Gela va-t-il ?
TOUS.
Ça va.
L'ABBÉ.
Oh ! madame, comme vous êtes plus ha-
bile que moi.
LA COMTESSE, souriant.
Croyez-vous? (aux autres, en se dirigeant vers le
fond.) Allons !
EUGÉNIE, au fond, au moment de sortir, à Ileurteloup
qui pendant ce qui précède a cueilli une flour rouge dont il
a paré sa boutonnière — absolument comme s'il y avait
lo feu.
Veux-tu enlever ça, toi I
LE BOURGEON 265
HEURTELOUP, ahuri par cotte apostrophe.
Hein ? Quoi ?
EUGÉNIE.
Ça!... c'est rouge!
HEURTELOUP, haussant les épaules.
Oh!
LE MARQUIS, railleur.
Vous n'avez plus droit qu'au bleuet.
Il lui enlève sa fleur et se la passe à la boutonnière,
EUGÉNIE, à son mari, qui furieux, les deux mains derrière
le dos sort avec des haussements d'épaule rageurs.
Ah ! et puis toi, je t'en prie, pas de tête
hein?
Ils sortent tous par le fond droit.
SCENE VI
L'ABBÉ, JEAN-LOU, puis MAURICE.
l'abbé, redescendant vers Jean-Lou.
Là! si tu veux prévenir monsieur l'abbé
que je suis à sa disposition.
JEAN-LOU, gagnant la droite.
Ça ne sera pas long! Il attend dans la
ruelle !
266 LE BOURGEON
l'abbé.
Bon ! va !
JEA.N-LOU. appelant du pas de la porte.
Ehl monsieur l'abbé.
VOIX DE MAURICE.
Voilà!
JEAN-LOU, à l'abbé.
Le v'ià!
MAURICE)* le pas dôlurô, l'air gamin entrant vivement
et, en passant pour aller à l'abbô, donnant une tape ami-
cale sur la joue de Jean-Lou.
Merci. Jean-Lou. (^e précipitant dans les bras de
l'abbé.) Bonjour, monsieur le curé.
Us s'embrassent pendant que Jean-Lou sort.
L'ABBÉ (l).
Mon cher enfant ! Ça me fait plaisir de
vous voir.
MAURICE (2).
Et à moi donc ! (passant au (l); tout ce qui suit très
chaud, très vibrant, très jeune.) Ail ! mOUsicur le
curé, les joies que je viens d'éprouver en
me retrouvant ici.. ! tous ces lieux que je
Maurice est en civil : blouse de chasse à trois plis et
ceinture ; knickerbockers, le tout en étoffe anglaise. Le-
gings et feutre mou.
LE BOURGEON 267
connais depuis mon enfance, il me semble
que je les vois avec d'autres yeuxl comme
c'est beau, notre cher patelin.
l'abbé, tout près de lui.
C'est aujourd'hui que vous vous en aper-
cevez ?
MAURICE, se retournant vers lui.
Oui ! c'est à croire que je n'ai jamais re-
gardé!., j'ai toujours eu les yeux trop tour-
nés à l'intérieur, alors, je ne voyais pas
au dehors ! (Bien gosse.) C'est bien, la nature,
vous savez.
l'abbé.
Si c'est bien !
MAURICE, sans lui laisser le temps de placer sa réponse.
C'est ça qui nous prouve l'existence de
Dieu!
l'abbé.
Tiens !
MAURICI'^, sautant d'une idée à l'autre.
Et à part ça, ça va bien? la santé, oui?
L abbé, s asseyant sur le banc circulaire de 1 arbre de
façon à être profil au public et face au presbytère ; par-
tant, face à Maurice.
Ma parole, je ne vous reconnais pas : cette
exubérance, cette gaieté... c'est le service
militaire qui vous a transformé ainsi ?
268 LE BOURGEON
MAURICE.
Mais oui! le service militaire et aussi...
l'abbé.
Quoi ?
MAUIltCE, iur un ton plein de sons- entendu.
Je ne sais pas... un tas de choses I (Brus-
quement, changeant de ton.) OÙ CSt ma famille?
l'abbk.
Vous aviez à me parler: je l'ai éloignée...
habilement.
MAURICE.
Bien!
l'abbé.
Qu'avez-vous à me dire ?
MAURICE, se penchant vers lui.
Votre sentiment à vous demander sur un
cas de conscience.
l'abbé.
Et quoi donc ?
MAURICE, bien précis comme pour l'énoncé d'un problème.
Un homme a aimé une femme; ils s(mt
tombés dans le péché; cet homme estime
cette femme : quel est son devoir ?
l'.\BBÉ, bien nettement.
Mais cela ne souffre aucun doute! Il doit
réparer la faute par le mariage.
MAURICE, lui serrant vigoureusement les mains.
Merci! C'est la réponse que j'attendais.
LE BOURGEON 269
l'abbé, un peu interloqué, avec une pointe d inquiétude.
Mais pour qui me demandez-vous...?
MAURICE.
Chut!... cliut!... je vous le dirai plus
tard.
l'abbé.
Je ne suppose pas que ce soit...?
MAURICE.
Chut, chut, chut! plus tard, (changeant
de ton.) Et, maintenant, monsieur le curé,
(Avec pompe.) introduisez... la famille.
l'abbé, un peu ahuri.
L'introduire? Mais... elle n'est pas là! il
faut que j'aille la chercher...
MAURICE, remontant.
Oh ! monsieur le curé, non ! s'il en est
ainsi, je...
l'abbé, qui s'est levé, allant prendre le casier à bouteilles
qui est derrière l'aibre sur le même banc que lui.
Laissez donc! laissez donc! Là où sont
les vôtres, j'avais justement à aller.
MAURICE.
Oh! vraiment, je suis confus.
l'abbé.
Dix minutes!
Il sort par le fond droit.
370 LE BOURGEON
SCENE VII
MAURICE, puis ÉTIENNETTE, puis LA
MARIOTIE, puis HUGUETTE.
Maurice regarde partit- le curé, puis gagne rapidement, d'un
pas léger, la porte donnant sur la ruelle.
MAURICE, ouvrant la porte et du seuil faisant signe à
l'extérieur.
Entre !
Il gagne la gauche.
ÉTIENNETTE, entrant et marchant à sa suite.
Ah! ça, m'expliqueras-tii ce que tout cela
signifie?... et ce que tu manigances?
MAURICE, (l) pivotant sur lui-même et très gamin, tout
en lui prenant gentiment les épaules entre les deux mains.
ïaratata ! inutile, madame... Je ne vous
dirai rien tant que je ne jugerai pas le mo-
ment venu. Vous m'avez promis de ne pas
m'interroger, de vous en rapporter à moi,
vous êtes à ma discrétion.
Il l'embrasse dans le cou.
ÉTIENNETTE.
Quel enfant lu fais. Je ne te reconnais
pas.
LE BOURGEON 271
MAURICE.
Mais je ne me reconnais pas moi-même.
Il me semble que j'ai des années de jeunesse
en retard, que j'existe pour la première
fois. Assez longtemps j'ai vécu comprimé
dans ma chrysalide, j'ai besoin d'étendre
mes ailes et de voler éperdument. J'ai be-
soin de mon âg-e, j'ai besoin de vivre, j'ai
besoin d'aimer.
ÉTIEXNETTE.
Qu'il est loin le petit séminariste, à la
soutane noire, dont le rigorisme m'impo-
sait, dont la pureté me troublait!
MAURICE.
Qu'il est loin l'être de vanité qui s'imagi-
nait avoir en lui toutes les vertus du sacri-
fice ! Il a suffi d'un sourire de femme pour
le ramener à la réalité et lui montrer qu'il
n'était qu'un homme.
ÉTIENXETTE.
Regretterais-tu quelque chose ?
MAURICE.
Ai-je l'air de quelqu'un qui éprouve des
Il l'embrasse dans le cou.
regrets ?
272 LE BOUIUJEONJ
LA MARIOTTE, arrivant de jrauche, deuxième plan, avec
des artichauts à la main et apercevant Maurice qui a fini
d'embrasser Étiennette — avec force courbettes.
Oh! monsieur l'abbé, vousl
MAURICE, tout près d'Étiennette et au-dessus d'elle —
bien brutalement.
Bonjour, la Mariotte !... Je vous présente
ma bonne amie.
LA MAHIOTTK, qui déjà s'inclinait, su sautant scan-
dalisée.
Jésus-Maria! Est-ce VOUS, monsieur l'abbé,
qui parlez ainsi ?
MAURICE, marchant sur elle, ce qui la fait reculer cpou-
vantôe.
Ah! c'est qu'il y a du nouveau, la Ma-
riotte ! beaucoup de nouveau 1 et je suis un
vil pécheur comme tous les autres.
LA MARIOTTE, qui est arrivée ainsi jusqu'au pied du
perron, «'abritant le visage de son coude levé comme
pour se garer de Maurice qui la poursuit sans merci.
Mon Dieu, mon Dieu ! monsieur l'abbé est
possédé du démon !
Elle se signe avec un de ses artichauts et se précipite
affolée dans le presbytère.
MAURICE, ravi de l'effet obtenu, se laissant tomber dans
le fauteuil qui est devant la table, et s'3' carrant.
Voilà : je l'ai scandalisée, la Mariotte!
ÉTIENNETTE.
Tu te fais un jeu de ces choses aujour-
LE BOURGEON 273
d'IiLii. Tu es bien comme ees petits collégiens
tout fiers des premières grivoiseries qu'ils
apprennent, qui les répètent à tout le monde
pour bien montrer qu'ils ne sont plus inno-
cents.
MAURICE.
Tu crois ? c'est qu'en ellet je suis le collé-
gien en vacances, lo petit soldat qui s'é-
mancipe... (se levant, et allant à l' tiennette.) Si tU
voyais au régiment... ! les progrès que je
fais...! Je commence à jurer, ma chère
amie! je dis : « n(mi d'une pipe», « ventre
de biche ». « mille tonnerres ».
ÉTIEXXETTE, se laissant tomber tout effarée sur le banc
de 1 arbre.
Xon :' Et puis quoi ?
MAURICE.
Oh! c'est tout! Merci: (Dévotement sincère.)
plus, ça offenserait le bon Dieu !
ÉTIENNETTE.
A la bonne heure !
MAURICE, s'asseyant tout près d'elle, à sa d oite.
Ah! dis que tu n'es pas contente de nous
sentir tous les deux ici?
ÉTIENNETTE.
Chez le curé ?
374 LE BOURGEOM
MAURICE.
Non, ici ! à PlouniJec ! où nous nous som-
mes vus pour la première fois.
ÉTIEXNKTTK, doucement émue.
C'est vrai, pourtant.
MAURICE, montrant l'océan.
Regarde-la, la grande verte, la vilaine
qui a failli t'enlever à moi.
ÉTIENNETTE, corrigeant vivement.
Regarde-la, la grande verte, l'exquise,
qui nous a donnés l'un à l'autre.
MAURICE.
C'est vrai pourtant, je suis un ingrat.
(Envo3ant un baiser à l'océan.) TlCnS, l'd W.QT ! (A Ktien-
nette.) Tieus, toi !
11 1 embrasse.
ÉTIENNETTE, se laissant aller à la douceur do l'exis-
tence.
Ah ! qu'il serait doux, de vivre ici tous
les deux, toujours.
MAURICE, vivement.
Oui ?... C'est ta pensée que tu dis là?
ÉTIENNETTE, comme dans un rêve,
(Dh! oui.
MAURICE.
Et tu ne regretterais rien de ta vie do
LE BOURGEON 275
Paris ? de ton passé ? tu ne regarderais ja-
mais en arrière ?
ÉTIENNETÏK.
Tu sais bien qu'aujourd'hui, mon horizon,
c'est toi.
MAURICE.
Alors, si par hasard ce vœu se réali-
sait..?
ÉTIKNNETTE.
Quoi? vivre, ici, près de toi, toujours?
MAURICE.
Oui, et régulièrement, légitimement.
ÉTIENNETTE, se levant, dos au public, et se reculant do
Maurice.
Malheureux! Quels mots prononces-tu?
]Xe joue pas avec ces choses-là ; c'est mal !
MAURICE.
Pourquoi pas? Est-ce que tu ne m'aimes
pas ? Est-ce que je ne t'aime pas ?
ÉTIKNNETTE.
Moi ! moi ! après ce que j'ai été, après ce
que tu m'as connue? voyons I
MAURICE.
Tais-toi, tais-toi, tout cela est racheté (
tout cela est oublié !
27G l.E BOUIIGEON
ÉTIENNETTE, passant au 1.
Allons, allons! ne dis pas de folies!
MAURICE, vivement, comme pour lui complaire mais avec
visiblement une arxiôre-ijensée dans la tête.
Eli bien! soit, mettons que c'est une folie ;
je t'aime.
Ils se tiennent longuement enil)rassès. A ce moment, au
fond, on voit paraitre Huguette à bic^xlette. Elle
saule de sa machine, s apprête à entrer et soudain
aperçoit le couple enlacé.
HUGUETTE, ne pouvant réprimer un cri de douloureuse
surprise.
Ah!
MAURICE et ÉTIENNETTK, arrachés de leur étreinte
par le cri d'Huguelte.
Qu'est-ce que c'est ?
MAURICE.
HugUette ! (Il se précipite vers la grille en appelant.)
Huguette ! Huguette !
HUGUETTE, qui déjà a enfourché précipitamment sa bi-
cvclette, se :^auvanl à toutes pédales pour dissimuler son
trouble.
Oui, oui ! Tout de suite! je reviens! je
reviens !
Elle a disparu par le fond droit.
MAURICE.
Eh bien, qu'est-ce qu'elle a ? (Appelant.) iïu-
guette !
LE BOURGEON 277
VOIX d'HUGUETTE, dans le lointain.
Oui.
MAURICE^ revenant à Étiennette.
Pourquoi se sauve-t-elle ?
ÉTIENNETTE.
Bien sûr elle nous a vus et sa pudeur de
jeune fille s'est effarouchée.
MAURICE.
C'est donc un spectacle si effrayant que
celui de deux êtres qui s'aiment?
ÉTIENNETTE.
Non, devant la nature, mais oui do par
le monde.
MAURICE.
Eh bien, vive la nature! Je vous aime,
madame!
ÉTIENNETTE.
Et moi aussi, monsieur !
Maurice lui a pris la tête entre les deux mains et lui
applique un long baiser sur les yeux. Sur ces deux
dernières répliques, on a vu surgir la tète d'Huguette
au-dessus du mur de droite.
HUGUETTE, avec un découragement navré.
Oh ! encore !
MAURICE, 1 entraînant doucement vers le presbytère.
Et maintenant, madame, vous allez me
16
278 LE BOURGEON
faire le plaisir d'aller un peu vous rccuiliVr.
Vous êtes tout ébouritl'ée.
ÉTIENXETTE.
Qu'est-ce que (;a fait !
MA.URIGE. faisant claquer sa langue contre ses dents pour
la rappeler à 1 obéissance.
Tsse! tsse! je veux!... j'ai mes raisons...
Dites que c'est de la vanité si vous voulez :
je tiens à ce qu'on vous voie avec tous vos
avantages.
ÉTIENNETTE.
Enfant ! va !
L'un tenant la taille de l'autre, comme deux amants, ils
sont entrés dans le presbytère. A peine ont-ils franchi
le seuil de la maison, qu'Huguette qui ne les a pas
perdus de l'œil, enjambe le mur, descend de long de
l'échelle de fer fixée le long de la serre et gagne
jusqu'à la fenêtre du presbytère pour épier le cou-
ple. Sa figure est mauvaise, ses traits sont contrac-
tés. Elle a un geste de rage. A ce moment paraissent
sur la route l'abbé, la comtesse, le marquis, Eugénie
et Heurteloup. En les voyant Huguette fait un effort
sur elle-même ; se laisse tomber sur le banc et se
compose un visage indifférent.
LE BOURGEON 279
SCENE VIII
HUGUETTE, L'ABBÉ, LA COMTESSE, LE
MARQUIS, EUGÉNIE, HEURCELOUP, puis
MAURICE.
l'abbé^ paraissant au fond, suivi des autres personnages ;
— arrivé à la porte, il s efface.
Passez, mesdames ! passez, messieurs !
LA COMTESSE, entrant la première.
Pardon.
LE MARQUIS, qui est entré à la suite de la Comtesse,
allant à Huguette.
Ah! te voilà, toi! C'est toi qui laisses ta
bicyclette contre le mur? Tu veux donc
qu'on te la vole?
HUGUETTE, maussade.
Oh! il n'y a pas de danger. Je vais aller
la reprendre.
Elle se lève et passe au 2,
LA COMTESSE *.
Tu as été au château?
HUGUETTE.
Oui, ma tante, on va faire le nécessaire.
* Le M. l.IIug. 2, La C.3, L'ab. -i.Eug. 5, Hetirteloup, 6.
280 LE BOURGEON
LA COMTESSE.
Eh! bien, et Maurice? qu'est-ce que tu en
as fait?
HUGUETTE, d'un air qu'elle s'efforce de rendre indif-
fèrent.
Je ne sais pas, ma tante ! Il m'a semblé
le voir entrer au presbytère comme j'arri-
vais.
LA COMTESSE.
Oui? (Appelant.) Mauricc!
TOUS, se rapprochant du presbytère et appelant à l'exemple
de la comtesse.
Maurice! Maurice!
HUGTJETTE., vivement.
Je vais clierclier ma ])icyclçtte.
Elle gagne rapidement le fond, désireuse d'éviter une
rencontre avec Maurice.
MAURICE, paraissant sur le seuil du perron.
Maman !
Il se précipite dans ses bras.
LA COMTESSE, l'embrassant tendrement.
Mon fils! mon chéri, comme ça me fait
plaisir !
MAuniGi-:.
Ma chère maman ! (au marquis qui est à sa droite.)
Bonjour mon oncle ! (Mlant à Euiréniequi est (4)à la
LE DOURGEON ^81
gaucbe de la Comtesse (3). BonjOUF Eugéllie ! (id. à
Heurteloup qui est devant l'arbre près de la brouette.) DOn-
jour Hector ! Oh ! le drôle de costume! Pour-
quoi ètes-vous si céleste?
HKUUTELOUP, avec hum?ur,
Xe m'en parle pas ! on m'a voué cà la
vierge.
MAURICE, riant.
Non ?
LE MARQUIS, de sa place.
Oui !... ra le eliange.
MAURICE.
Mes compliments. (Uetoumant à sa mère. En pas-
sant jettant son chapeau sur le banc qui entoure 1 arbre.)
Ma chère maman, j'ai prié monsieur le curé
de vous réunir tous pour vous entretenir
d'une décision grave que j'avais l'intention
de prendre et pour laquelle j'avais besoin
de votre avis (indiquant l'abbé qui est un peu au-dessus
des autres.) aiusi quc de celui de monsieur le
curé.
LA COMTESSE.
Ah ! mon Dieu ! Quoi donc ?
Tout le monde s'assied à l'exception de Maurice : la
comtesse sur le fauteuil à droite de la table ; l'abbé
sur le fauteuil qui est au-dessus, le marquis sur la
chaise entre le banc et le perron, Eugénie sur le banc
circulaire de l'arbre, Heurteloup sur la brouette.
16.
282 LE BOURGEON
MAURICE, une fois tout le monde assis.
Maman, je vais sans doute vous causer
une grande déception; je renonce à ma car-
rière sacerdotale.
LA COMTESSE.
Toi!
l'abbé.
Est-il possible 1
MAURICE.
Oui.
EUGÉNIE.
La voilà, l'influence néfaste delà caserne!
MAURICE.
Non, Eugénie, non ! la caserne n'a rien à
voir dans ma décision, croyez-le bien. Seu-
lement, il m'a été donné de constater que
je n'avais pas en moi les vertus suffisantes.
la force de caractère nécessaire pour rem-
plir dignement ma mission et rester à la
hauteur du vœu que j'aurais prononcé.
(Après un temps d'hésitation.) Et puis enfin, ma
mère... je ne suis plus chaste!
LA COMTESSE, se levant d'un bond ainsi qu'Eugénie.
Toi!
EUGÉNIE, se dressant.
Ohl
Elle se signe.
LE BOURGEON 283
LE MARQUIS, riant sous cape.
Patatras !
LA COMTESSE.
Toi, mon enfant! mon ange de pureté,
d'innocence !
MAURICE.
Il est loin, ma pauvre maman, votre ange
de pureté, dinnocence. Aujourd'hui, je ne
suis plus qu'un homme, et un homme aussi
faible que tous les autres.
Maurice dégage un peu. — La comtesse se laisse tom-
ber anéantie sur son fauteuil.
EUGÉNIE, avec dépit, à son mari.
Voilà !... voilà!
HEURTELOUP.
C'est ça! ça va encore être de ma faute.
Eugénie se rassied, sur le banc au pied de I arbre.
MAURICE.
Vous me pardonnerez, mes chers parents,
et vous monsieur le curé... Ah! Dieu sait
que sincèrement j'avais cru à ma vocation!
parce que dès le plus jeune âge, j'avais été
nourri dans les idées de religion, avec l'hor-
reur qu'on m'avait enseignée du péché de
la chair ; aussi quand je sentais mon cœur
battre à tout rompre dans ma poitrine.
•284 LE BOURGEON
mon sang bouillonner dans mes veines, af-
fluer à mes joues, je croyais bonnement
que c'était là une manifestation de l'exalta-
tion religieuse! Aujourd'hui, ah!... aujour-
d'hui, j'ai compris... aujourd'hui, je sais !
(Allant s'asseoir sur le bras du fauteuil dans lequel sa mère
est elle même assise et bien câlin avec elle.) Et CCCl
m'amène, maman, au grand point pour le-
quel je voulais vous parler. Maman, j'ai
l'intention de me marier.
TOUS.
Hein ?
Eugénie se lève anxieuse, suspendue atix lèvres de
Maurice.
LA COMTESSE.
Te marier, toi ! Mais avec qui ? Avec qui ?
MAURICE.
Avec celle que j'ai jugée digne d'être ma
femme ; avec celle à qui vous avez vous-
même témoigné votre sympathie, avec celle
que j'aime enfin, (><e levant.) avec madame de
Marigny.
TOUS.
Madame de Marigny !
Tout le monde s'est levé à l'exception d'ilourteloup qui
semble dans les nuages. L'abbé est légèrement re-
descendu de façon à être devant la table.
LE BOURGEON 285
LA COMTESSE
Qu'est-ce que tu dis?
LE MARQUIS.
Tu yeux épouser madame de Marij^ny?
EUGÉNIK.
Tu veux épouser une cocotte?
MAUllIGE, froissô.
Ah! Eugénie, je vous en prie.
LE MARQUIS, à part.
Oh! Ça va un peu loin! Ça va un peu
hiin!
LA COMTESSE.
Ah! ça, tu es fou! tu perds la tête! Ah!
non. par exemple! Moi, vivante, jamais je
ne consentirai.
En parLint elle passe devant Maurice et gagne le mi-
môro 3.
MAURICE, suppliant.
Ma mère...
LE MARQUIS.
Voyons, mon enfant, tu n'y penses pas.
LA COMTESSE.
Oublies-tu ce que tu dois au noni que tu
portes, ce que tu nous dois à nous? Ce que
tu te dois à toi-mômc?
386 LE BOURGEON
MAURICE.
Ma mère, j'aime et j'estime madame de
Marigny.
LE MARQUIS.
Mais, mon pauvre enfant, tu ne sais donc
pas à quelle femme tu as affaire ?
LA COMTESSE.
Tu ne sais donc pas ce qu'elle a été?
MAURICE.
Je sais tout, mais je sais aussi ce qu'elle
est aujourd'hui et cela me suffit.
LE MARQUIS.
Mon enfant, songe au scandale, toi, le
comte de Plounidec !
LA COMTESSE.
Songe à ce que l'on dira !
MAURICE.
Que m'importe l'opinion du monde ! j'ai
ma conscience avec moi.
Il passe (l) extrême gauche.
EUGÉNIE et LA COMTESSE.
Oh!
LE MARQUIS.
Voyons, Maurice, je ne suis pas sujet à
caution, moi, tu sais! je suis un vieux li-
béral.
MAURICE.
Mais justement, mon oncle, vous êtes un
LE BOURGEON 38T
vieux libéral; et pour me comprendre, il
faut être un religieux. Je suis sur que mon-
sieur le curé me comprend, lui.
l'abbé, qui dos au public debout près de la table, semble
plongé dans ses réflexions, sursautant légèrement eu se
sentant interpellé et se retournant.
Ilein? euh! je... certainement!... je... je
vous comprends ; mais... je comprends
aussi madame la comtesse et M. le Mar-
quis.
MAURICE, au marquis.
Que vous me blâmiez, vous, je l'admets !
(passant devant le marquis pour aller à sa mère.) maiS
toi, ma mère! toi, qui pratiques la doc-
trine chrétienne; toi qui m'as toujours prê-
ché la pitié et le pardon... tout cela n'était
donc que des mots ?
LA COMÏIÎSSE.
Entre le pardon et le mariage, il y a une
marge.
MAURICE.
Parce que y'a été une pécheresse?... mais
n'en est-elle pas plus digne d'intérêt ? et la
morale du Christ : « II hii sera beaucoup
pardonné, car elle a beaucoup aimé. »
Sur ce dernier mot, il a gagné jusqu'au Marquis.
288 LE BOURGEON
LE MARQUIS.
Trop!... Elle a trop aimé!
EUGÉNIE.
Le Christ a pardonné à la Mag-deleine,
mais il ne l'a pas épousée.
MAURICE.
Et puis enfin, il y a une chose qui est au-
dessus de tout ra! Entre Etiennette et moi,
il y a eu le péché et dans un cas pareil, c'est
le devoir de l'iiommc do ré])arer par le ma-
riage.
LE MARQUIS, les bras au ciel.
Maison as-tu pris ra?
MAURICE, indiquant l'abbé.
Monsieur le curé me le confirmait encore
tout à l'heure.
L'aBBÉj qui se sentant à uouveau interpellé, en a marqué
sa contrariété par une moue ennuvoe.
Permettez, je ne savais pas que dans
l'espèce il s'agissait d'une personne qui...
LE MARQUIS.
Mais parbleu!... Ah! si c'était une jeune
fille que tu eusses détournée, bon !
l'abbé^ approuvant.
Voilà I
LE MARQUIS.
Mais madame de Marigny!...
LE BOURGEON 289
LA COMTESSE et EUGÉNIE, les mains au ciel.
Madame de Marigny ! !
LE MARQUIS.
Mais, mon pauvre petit, si chaque fois
que l'on a commis le péché, il fallait répa-
rer par le mariage, mais tous les hommes
seraient polyg-ames.
MAURICE, avec brusquerie.
Que voulez-vous, mon oncle, chacun sa
morale.
Il s'assied, boudeur, sur le fauteuil qu'occupait sa mère,
le marquis à bout d arguments, lève les bras au ciel
et remonte.
EUGÉNIE, suffoquant.
Non, c'est de la folie! (a Heurteioup.) Mais,
dis-lui donc, toi ! au lieu de rester muet
comme une carpe!
HEURTELOUP, toujours sur sa brouette, l'air détaché, le
ton sec.
Je ne me mêle pas des choses qui ne me
regardent pas.
EUGÉNIE.
Alors, tu approuves ce mariage?
HEURTELOUP, les deux mains agrippées aux barres de
la brouette et avec explosion.
Je n'approuve jamais le mariage!
EUGÉNIE,
Hein !
17
290 LE BOURGEON
HEURTELOUP, avec un coup de poing sur la barre de
traverse de la brouette.
Je suis pour le célibat ! (se levant et à pleine
voix.) Vive le célibat !
Il remonte.
EUGÉNIE.
Insolent !
HEURTELOUP, du fond, avec soulagement.
Aïe,, donc!
LA COMTESSE, qui, pendant ce qui précède, nerveuse,
a arpenté la scène, — redescendant.
Et puis enfin, toute cette discussion est
inutile... Si tu ne comprends pas certaines
choses, c'est à moi d'avoir de la raison pour
toi: Ce mariage ne se fera pas, parce que
je ne le veux pas.
MAURICE, se levant et douloureusement.
C'est bien, ma mère, je sais trop le res-
pect que je vous dois pour aller à l'encontre
de votre volonté. Mais je ne m'imaginais
pas que par vous, j'aurais à choisir entre
mes devoirs filiaux et ceux que me dicte
ma conscience. C'est dur !
LA CO.MTESSE, toute retournée.
Mon pauvre petit, tu m'en veux?
MAURICE, très simplement mais avec un profond chagrin.
Non! mais j'en souflre. Adieu, maman.
Il gagne vers la droite dans la direction de la sortie.
LE BOURGEON 291
LA. COMTESSE.
Tu pars ?
MAURICE, (5) s'arrêtant à la voix de sa mère, et tout
en prenant son chapeau sur le banc de 1 arbre — avec
des larmes das la voix.
Oui... la carriole qui nous a amenés n'est
peut-être pas encore dételée... Je dois ren-
trer au corps demain matin et alors !... (sen-
tant qu'il va pleurer.) A tout à l'iieure, maman.
Il essuie une larme du revers de la main et gagne vi-
vement la porte de droite ; sortie.
LA COMTESSE, après un temps.
Pauvre petit, il s'en va le cœur brisé.
LE MARQUIS, à gauche de la table.
Que veux-tu, il y a des opérations néces-
saires. Il faut savoir s'y résig"ner pour le
bonheur de ceux qu'on aime.
l'abbé, à droite de la table.
C'est que c'est une opération au cœur,
monsieur le marquis, et le cœur ne s'opère
pas comme on veut.
LE MARQUIS, hochant la tête.
Eh! je sais bien.
LA COMTESSE, avec un soupir.
Hélas!
EUGKNIE> avec une conviction comique.
Mais qu'est-ce qui se dégage donc de nous.
292 LE BOURGEON
mon Dieu! que les hommes subissent ainsi
notre empire ?
HEURTELOUP, du fond, gouailleur indiquant sa femme.
Ah ! non ! Écoutez-la !
SCENE IX
Les Mêmes, ÉriENNETTE.
A ce moment, Étiennette paraît sur le perron du presbytère.
TOUS, à part.
Elle!
Chacun esquisse le mouvement de remonter comme pour
lui céder la place.
Étiennette, sur un ton de prière déférente à la
comtesse.
Ne vous en allez pas. madame.
LA COMTESSE, la toisant avec dédain.
Madame ! . . .
ÉTIENNETTE, l'arrêtant du geste.
Non, non! ne dites rien, je sais, j'ai en-
tendu ; (comme pour s'excuser.) la feuêtrC était
ouverte et l'on parlait un peu fort, alors...!
(Avec fermeté.) Trauquilliscz-vous, madame, ce
mariage ne se fera pas.
LE BOURGEON 393
TOUS.
Hein?
LA COMTESSE.
Quoi, madame..?
ÉTIENNETTE, avec plus de fermeté encore.
Il ne se fera pas!... laissez-moi seulement
avoir un entretien avec votre fils... je crois
que vous serez contente de moi.
LA COMTESSE, hésite un instant, regarde Étiennette
fixement pour tâcher de lire dans sa pensée, puis :
Soit! (Elle s'incline légèrement, passe devant Étien-
nette, gagne le perron, et une fois la troisième marche fran-
chie, se retourne pour dire :) PardonUCZ-moi d'êtrC
obligée de vous faire du mal.
ÉTIENNETTE.
Vous défendez votre fils, madame, il n'y
a rien de plus respectable.
LA COMTESSE.
Merci.
La comtesse entre dans le presbytère tandis qu'Étien-
nette remonte — Le marquis entre à la suite de la
comtesse, suivi de l'abbé, suivi lui-même d'Heurte-
loup et d Eugénie qui se chamaillent à voix basse. —
Arrivé à la troisième marche 1 abbé se retourne pour
livrer passage au couple en discorde — Heurteloup qui
marche en quelque sorte à reculons pour discuter avec
sa femme, n'a pas vu le mouvement du curé, et va
donner contre lui — le choc le renvoie sur sa femme,
294 LE BOURGEON
qui le repousse brutalement — après quoi ils entrent
tous trois au presbytère — Étiennette qui au fond
et face au presbytère, a regardé à distance tout ce jeu
de scène, n'a pas aperçu Huguette qui est entrée sur
ces entrefaites, avec sa bicyclette en main — En se
retournant, elle se trouve nez à nez avec elle.
ÉTIE.NNETTE, se retournant.
Ohl pardon mademoiselle.
HUGUETTE, qui a déposé dès son entrée, sa bicyclette
contre la haie du fond.
Ohl vous! vous ! je vous déteste!
Elle se sauve, troisième plan gauche.
ÉTIENNETTE, interloquée.
Hein ? (Après un temps très lentement et avec un hoche-
ment de tête.) Ah! Oui... oui, je comprends !
SCENE X
ÉTIENNETTE, MAURICE.
MAURICE, entrant de droite, la figure profondément
attristée et allant à Étiennette.
Ma pauvre Étiennette !
ÉTIENNETTE.
Mon pauvre petit Maurice I
MAURICE.
Tu sais?
LE BOURGEON 395
ÉTIENNETTE.
Oui.
MAURICE, se laissant tomber sur le banc de l'arbre.
Ah I maman a été vraiment cruelle.
Il dépose d'un geste accablé son chapeau près dé lui
Bur le banc.
ÉTIENNETTE, debout devant lui — lui mettant
affectueusement une main sur 1 épaule.
Ne l'accuse pas, Maurice! A sa place,
ayant un fils, j'aurais agi comme elle.
MAURICE.
Oh!
ÉTIENNETTE.
Si! si! vois-tu, c'est un aveu qu'il faut
avoir le courage de se faire à soi-même :
nous ne sommes pas des femmes que l'on
épouse. Nous sommes ici-bas pour donner du
plaisir, pour donner de l'amour, il ne nous
appartient pas de donner un foyer; conten-
tons-nous de notre rôle. J'aurai eu de toi le
meilleur de toi-même, la fleur de ta jeu-
nesse, tes premiers baisers, tes premières
étreintes. Tu auras été le printemps, le sou-
rire de ma vie ; et toujours de ton souvenir
se dégagera pour moi comme un parfum
d'amour qui embaumera jusqu'à mes vieux
296 LE BOURGEON
jours. Qu'ai-je le droit de demander de
plus ? Ne suis-je pas parmi les heureuses ?
MAURICE.
Étiennette, tes paroles me brisent le cœur.
ÉTIENNETTE.
Crois-tu qu'elles ne déchirent pas le mien?
Mais quand nous fermerons les yeux à la
réalité, empêcherons-nous qu'elle soit? Re-
nonce à ce mariage, Maurice! nous ne som-
mes pas des femmes qu'on épouse.
MAURICE.
Mais tout cela, ce sont des conventions
du monde! Est-ce qu'il peut m'empêcher de
t'aimer. le monde ? Est-ce qu'il pourra faire
que je puisse aimer jamais une autre femme
que toi?
ÉTIENNETTE.
Enfant ! Tu parles bien comme un être
qui aime pour la première fois et qui croit
encore à l'éternité de l'amour I Mais si
j'étais assez démente pour accepter le
bonheur que tu m'offres... avec tout ton
cœur aujourd'hui, mais c'est toi, demain,
qui ne me pardonnerais pas de n'avoir pas
eu de la raison pour toi.
MAURICE.
Étiennette, comme tu me juges mal I
LE BOURGEON 297
ÉTIENNETTE, avec un soupir d'amertume.
Je ne te juge pas mal, je te juge selon la
nature des hommes. Crois-moi, mon cher
amié, (s'asseyant tout près de lui à sa droite.) ij laut
nous prendre pour ce que nous sommes :
quelque chose, comme ces fleurs de luxe,
voyantes et capiteuses, arrangées pour pa-
raître, que l'on achète pour orner sa bou-
tonnière, plus encore pour les autres que
pour soi-même et que le soir venu, alors
que déjà elles se flétrissent, on jette dans un
coin, comme une chose dont on a pris tout
ce qu'elle pouvait donner. La vérité, vois-
tu, c'est la petite fleur, bien plus modeste,
quelquefois sauvage, au parfum plus dis-
cret, mais si jolie 1 si purel si délicate! que
votre œil découvre, que votre regard choi-
sit et que votre main cueille sur la branche
même qui l'a fait naître. Celle-là, vous l'ai-
mez, parce que vous sentez que le premier
vous l'avez vue, qu'elle n'est que pour vous.
C'est cette petite fleur-là qu'il te faut, Mau-
rice, cette petite fleur un peu sauvage, que
ton œil n'a pas découverte et qui pourtant
existe, ici, pas loin, à portée de ta main.
MAURICE, d'un ton presque bourru.
Quoi ? Qui ça ?
17.
298 LE BOURGEON
ÉTIENNBTTE.
Ta cousine.
MAURICE.
Huguette ?
ÉTIENNETTE.
Oui.
MA.URIGE, haussant les épaules.
Elle? la bonne histoire ! elle ne peut pas
me sentir.
En ce disant il s'est levé et boudeur remonte un peu
vers le fond.
ÉTIENNETTE, gagnant un peu la droite.
Crois-tu?
MAURICE.
J'en suis sûr.
ÉTIENNETTE, affirmative.
Elle t'aime.
MAURICE, se retournant à demi et pardessus l'épaule,
d'un air narquois.
Elle te l'a dit ?
ÉTIENNETTE.
Peut-être pas précisément dans ces ter-
mes, mais enfin quelque chose d'approchant.
Elle m'a dit : « Oh ! vous, vous, je vous dé-
teste ! »
MAURICE, redescendant (l) vers Etiennette (2).
Ah I Eh bien ?
LE BOURGEON 299
ÉTIENNETTE.
Eh bien ? pourquoi me déteste-t-elle, si ce
n'est parce qu'elle sent que je possède le
cœur de son Maurice qu'elle aime et qu'elle
ne me pardonne pas de lui ravir. Epouse-
là, mon aimé, c'est la femme qu'il te
faut.
MAURICE.
Etiennette, mais c'est fou. L'épouser,
moi!... quand mon cœur est plein de toi,
quand notre amour est encore tout récent...
qu'il est dans toute sa force...
ÉTIENNETTE, vivement.
Ohl mais non, mais non... je ne te demande
pas de l'épouser tout de suite I Oh I non
non... (Lui prenant amicalement les épaules entre les
deux mains.) Je te demande simplement de te
faire à cette idée, d'envisager cette perspec-
tive, pour plus tard, beaucoup plus tard 1
dans un an... un an et demi.
MAURIGK, très par-dessous jambe.
Ohl Dans un an, un an et demi... Alors
nous avons le temps d'y penser...
Tout en parlant il se dcgago d'Étionnette et gagne le n° 2.
ÉTIENNETTE, insistant.
Promets-moi qu'alors tu l'épouseras.
300 LE BOURGEON
MAURICE, comme un homme qui voit le temps devant lui
et trouve inutile de discuter.
Bon, bon. soit! puisque ça te fait plaisir,
c'est entendu : dans un an I
ÉTIENNETTE, vivement.
Oh! un an... un an et demi...
MAURICE, se retournant vers elle.
Ah ! Ah! Tu vois !... Tu marchandes déjà !
Ils remontent côte à côte vers le fond. A ce moment un
incident invisible au public attire l'attention d'Étien-
nette.
ÉTIENNETTE, indiquant le deuxième plan gauche.
Oh tiens! Regarde un peu qui vient là?
MAURICE, regardant.
Huguette! Qu'est-ce qu'elle a ?
Pour observer en se dissimulant ils vont se réfugier
derrière larbre, restant toujours visibles aux spec-
tateurs.
SCENE XI
Les Mêmes, LA MÂRIOT TE, HUGUETTE.
HUGUETTE, en pleurs, poursuivie par la Mariette qui la
harcèle.
Mais laissez-moi, je vous dis, laissez-moi.
LE BOURGEON 301
LA MARIOTTE.
Mais enfin, qu'est-ce que vous avez made-
moiselle?
HUGUETTE.
Mais rien, quoi! je n'ai rien.
LA MARIOTTE.
Comment, rien ? Je vous trouve là au fond
du jardin, pleurant à chaudes larmes.
HUGUETTE, convulsivement.
Oh!
LA MARIOTTE
Attendez, je vais un peu aller trouver
votre papa, pour qu'il voie clair dans tout ça.
HUGUBTTB.
Oh non non ! Je vous le défends !
LA MARIOTTE.
Si si ! Je ne veux pas que vous ayez du
chagrin, moi !
Elle entre au presbytère.
HUGUETTE, s'effondrant sur le banc qui entoure l'arbre.
Oh! n'avoir même pas la liberté de pleu-
rer en paix!
Elle pleure, la tête dans ses mains. — Maurice et
Étiennette ont écouté tout cela avec compassion.
ÉTIENNETTE, émue — à Maurice à mi-voix.
Dis-lui un mot, voyons I console-là !
302 LE BOURGEON
Maurice hésite un instant, puis se laissant persuader,
va s'asseoir tout près d Huguette.
MAURICE, une fois assis.
Tu pleures, Huguette ?
HUGUETTE (l), sursautant.
Hein ! Toi ! (Essuyant vivement ses yeux.) Non !
non !
MAURICE (2), atïectueusement.
Qu'est-ce que tu as ?
HUGUETTE.
Rien. C'est nerveux!
MAURICEj id.
Non ça n'est pas nerveux! Tu as du cha-
grin. Est-ce vrai, ce qu'on m'a dit, que c'est
à cause de moi ?
HUGUETTE.
De toi ! Oh non!... non!
MAURICE.
Ah ! n'est-ce pas. que ce n'est pas exact,
(Avec un geste de la tête dans la direction d'Étiennette qui,
elle, assiste à cet entretien, dissimulée par l'arbre.) CG
qu'on voudrait me persuader, que soi-di-
sant, tu m'aimerais ?
HUGUETTE, vivement.
Oh non ! non !
LE BOURGEON 303
MAURICE, sur un ton de triomphe à l'adresse d'Étiennette.
Ah I (a Huguette.) Qu'au contraire, la vé-
rité, c'est que plutôt, un peu d'antipathie...
HUGUETTE, avec feu.
D'antipathiel Oh non... (pius timidement.) non I
MAURir.E.
Non?
HUGUETTE, toute confuse.
Ah! Maurice! Maurice, laisse-moi!
MAURICE.
Tu me repousses ?
HUGUETTE, se cachant la figure dans les mains.
Oh I Que je suis malheureuse !
MAURICE, affectueusement.
Huguette !
HUGUETTE, éclatant.
Oh! toi! toi... et cette femme!...
MAURICE, interloqué.
Hein?
HUGUETTE.
Quand je pense que tout à l'heure, là...
Oh! Je la hais !...
MAURICE, vivement et véhémentement.
Ne la hais pas, Huguette! Si tu savais!...
si tu savais ce qu'elle me disait de toi, tout
à l'heure...
304 LE BOURGEON
HUGUETTE, avec un ricanement dédaigneux.
Vraiment !
MAURICE.
Elle me disait que tu étais la femme qu'il
me faut! Que je devrais t'épouser !
HUGUETTEj le regarde un instant interloquée, puis :
Elle t'a dit cela, elle?
MAURICE, les bras croisés, tournant à demi le dos à Hu-
guette et sur un ton maussade où perce un peu de ran-
cune contre Huguette pour les propos qu'elle ^ ient de
tenir.
Oui, elle m'a dit ça !
HUGUETTE, n'en croyant pas ses oreilles.
Est-il possible!... Oh! Et moi qui croyais...
qui me figurais!... (changeant de ton.) Oh! oui,
mais toi! toi, tu as répondu non!
MAURICE, toujours à demi tourné, et sur le même ton
maussade.
Moi?... non, je n'ai pas répondu non.
HUGUETTE, explosion de joie.
Tu n'as pas répondu non !
MAURICE, id.
Non, je n'ai pas répondu non !
HUGUETTE.
Ah! Maurice! Maurice!... Si tu savais.
LE BOURGEON 305
je... la... la... ah! ah!... (changeant brusquement
de ton.) Attends-moi... Attends-moi !
Elle se sauve comme une folle.
MAURICE, se levant comme pour la retenir.
Huguette !
HUGUETTE, tout en courant.
Oui, oui, je reviens.
Elle se précipite dans le presbytère.
MAURICE, ahuri.
Eh bien! Qu'est-ce qu'elle a?
ÉTIENNETTE, qui pendant toute cette scène a souffert
visiblement un véritable calvaire, allant à Maurice et avec
une émotion contenue.
Et maintenant mon petit Maurice, il faut
être bien raisonnable, et me laisser m'en
aller.
MAURICE, ahuri.
Hein ! Tu pars ?
ÉTIENNETTE.
Je ne saurais rester davantage... Ma
place n'est plus ici...
MAURICE.
Oh! mais, attends-moi; je rentre avec
toi...
ÉTIENNETTE.
Non, non... Toi, tu partiras ce soir.
306 LE BOURGEON
MAURIGBj suppliant.
Etiennette... !
étîennette.
si, si ! Tu vas être bien mignon et faire
ce que je te dis.
MAURICE, avec angoisse.
Etiennette, tu ne penses pas à me quit-
ter... Tu rentres à Paris, mais une fois là-
bas...
étîennette.
Mais oui, mais oui... Tu sais bien que je
t'aime.
MAURICE.
A demain alors.
étîennette.
A demain! (Maurice tend les lèvres vers elle pour
l'embrasser, elle le repousse doucement.) AllonS ! al-
lons ! sage !...
MAURICE.
Etiennette !
ETIENNETTE.
Chut! ChutI Demain!
Elle a gagné doucement à reculons jusqu à la porte de
droite. — Au moment de la franchir, à Maurice qui
la regarde littéralement terrassé, elle envoie un
baiser et sort. Elle n'est pas plus tôt dehors qu'Hu-
guette paraît, tirant son père par la main; à leur suite
la Comtesse, l'Abbé, Eugénie etHeurteloup.
LE BOURGEON 307
SCENE XII
MAURICE, HUGUETTE, LE MARQUIS, LA
COMTESSE, L'ABBÉ, HEURTELOUP,
EUGÉNIE.
HUGUETTE, entraînant son père.
Viens papa! Venez, ma tante! Vous ne
savez pas la nouvelle!... Maurice, m'a de-
mandé ma main.
MAURICE, tombant des nues.
Moi!
TOUS, stupéfaits.
Hein?
LE MARQUIS.
Est-il possible!
LA COMTESSE, passant devant le Marquis et Huguette et
allant à son fils.
Toi ! Mon enfant I
MAURICE, abasourdi.
Comment maman, mais non !
TOUS.
Non?...
HUGUETTE.
Oh! Si... si!... Il peut dire ce qu'il vou-
308 LE BOURGEON
(Irai... à l'instant il s'est déclaré... alors...!
Ça m'est égal, maintenant que je sais que
c'est la timidité.
MAURICE.
Hein!
LA COMTESSEj radieuse.
Ah ! mon enfant I mon chéri ! Ce mariage-
là, à la bonne heure.
MAURICE.
Mais maman...
EUGÉNIE, qui ainsi qu'Heurteloup a fait le tour par le
fond, surgissant à la gauche de Maurice.
Ah ! Maurice ! Ça, oui ; voilà qui est bien I
Elle lui serre la main et remonte.
MAURICE.
Quoi?
L ABBÉ, surgissant à la droite de Maurice, la Comtesse
étant un peu remontée.
Mes compliments... Une union comme
celle-là...!
Il lui serre la main et remonte féliciter la comtesse.
MAURICE.
Monsieur le curé... mais non!
HEURTELOUP, surgissant à sa gauche.
Je ne suis pas pour le mariage... mais
celui-là !...
Il lui serre les mains avec chaleur.
LE BOURGEON 309
MAURICE.
Mais enfin!... (a lui-même, furieux.) Olil c'est
trop fort!
HUGUETTE, passant son bras autour du sien.
Tu vois comme tout le monde est content.
LE MARQUIS.
Mon fils!... Dans mes bras!
MAURICE, littéralement ahuri.
Hein?
HUGUETTE, le poussant dans les bras de son père.
Là! dans les bras de papa!
LE MARQUIS, l'étreignant.
Mon enfant! mon gendre!
TOUS.
Bravo ! Bravo I
Au milieu des applaudissements, Cn entend des i Très
bien n « A la bonne heure... »
MAURICE, avec un affolement comique.
Mais ça y est ! On me marie alors! on me
marie !
LA COMTESSE^ qui est descendue à l'extrême gauche, à
la droite du Marquis,
Alors tu consens ?
LE MARQUIS, en regardant Maurice.
Si je consens !... Je crois bien!
Pendant ces dernières répliques, on a entendu à la can-
tonade le grelot d'un cheval.
310 LE BOURGEON
MAURIGEj instinctivement, se précipitant vers la grille du
fond et à part.
Étiennette !
Tout le monde le regarde étonné.
LE MARQUIS) à qui ce jeu de scène n a pas échappé, —
hochant la tète en comprenant soudain la situation et
à part.
Alla, !... (voyant Maurice qui, s'étant rendu compte
que son mouvement a été remarqué, redescend un peu gêné,
— reprenant sa phrase.) Je COnSCnS... mais paS
tout de suite...
MAURICE^ avec une joie mal dissimulée.
Ah?
TOUS, désappointés.
Oh I
LE MARQUIS.
Non... non!... Ce sont encore deux ga-
mins!... Maurice finira son service mili-
taire... Pendant ce temps, Iluguette se fera
plus femme! Dans un an... un an et demi...
MAURICE, à part.
Oui, ohl bien, d'ici là!...
LE MARQUIS, sournoisement.
Je suis persuadé que Maurice se rangera
à mon désir...
MAURICE, hypocritement.
Mais... mon oncle... du moment que c'est
votre volonté...
LE BOURGEON 311
LE MARQUIS, malicieusement.
C'est ma volonté, oui !... oui !...
HUGUETTE, passant son bras autour de celui de Maurice.
L'important, c'est de savoir qu'on s'épou-
sera, n'est-ce pas?
Elle entraîne Maurice vers l'arbre sur le banc duquel
ils s asseyent.
LA COMTESSE, bas, au Marquis.
Ah! ça!... pourquoi?... pourquoi tant de
temps ?
LE MARQUIS, comme un homme qui a son idée de derrière
la tête.
Parce que! (pour donner une raison.) PaFCe qu'ils
ne sont mûrs ni l'un ni l'autre pour le ma-
riage; et puis... et puis enfin, parce que
j'estime qu'en matière de fièvre, il ne faut
jamais essayer de la faire rentrer... Il faut
que ça sorte... et puis que ça passe.
LA COMTESSE.
Je ne comprends pas...
LE MARQUIS.
Oui, mais moi, je me comprends.
l'abbé, debout près du jeune couple assis.
Allons, voilà un mariage que je bénirai,
car j'espère bien qu'il se fera à Plounidec.
LA COMTESSE.
Certes !
312 LE BOUEGEON
HEDRTELOUP, à l'extrême droite.
Est-ce qu'il faudra que j'y assiste en bleu?
EUGÉNIE, près de lui.
Naturellement !
HEURTELOUP.
Eh! bien! Elle est verte, celle-là!
LE MARQUIS.
Qu'est-ce que vous voulez, Ileurteloup ?
ça n'est pas rose tous les jours !
Rideau.
VARIANTE
NOTA : Quelques Imprésarios étrangers m'ont fait
remarquer à propos de l'Homme que l'on voue au
bleu au dernier acte du Bourgeon, que ce genre de
vœu étant inconnu dans certains pays, il convenait
pour faire comprendre la chose, d'initier le public des
dits pays, par une scène préparatoire qui en assu-
rerait l'effet. J'ai donc écrit dans ce but la variante
ci-dessous qui, je l'espère, satisfera à toutes les exi-
gences.
G. F.
ACTE PREMIER
SCENE IX
Les Mêmes, VÉTILLE, puis LE MARQUIS
et L'ABBÉ.
LA COMTESSE, voyant le docteur qui sort de chez son
fils.
Ah! Docteur...! (Redescendant en scène avec lui.)
Eh! bien vous avez examiné mon fils?
i8
314 LE BOURGEON
VÉTILLE (3).
Eh ! oui., madame ; il se dispose à aller
prendre son bain.
LA COMTESSE (2).
Ah? VOUS autorisez?
VÉTILLE.
Certes ! très bon, la mer : ça fouette le
sang! Tout ce qui est exercice violent, j'ap-
prouve.
LA COMTESSE.
Ah ! Docteur, si vous saviez — ma cou-
sine peut vous le dire — tous les tourments
que cet enfant m'a donnés depuis sa nais-
sance, avec sa santé!... Tout petit, j'ai failli
le perdre, de la scarlatine! Les médecins
l'avaient abandonné. Docteur !
VÉTILLE.
Ils n'en font jamais d'autres!
LA COMTESSE.
Heureusement, j'étais là ! je l'ai sauvé,
moi!... malgré eux!
VÉTILLE.
Eh! mon Dieu!... et comment? Ça m'in-
téresse, vous comprenez !
LA COMTESSE, comme de la chose la plus simple du
monde.
En le vouant au bleu.
LE BOURGEON 315
VÉTILLE.
Quoi ?
LA. COMTESSE.
Je l'ai voué au bleu.
VÉTILLE.
C'est la première fois que j'entends par-
ler de cette médication-là.
EUGÉNIE, à part, avec pitié.
Médication !
LA COMTESSE, avec un sourire indulgent.
Vous ne me paraissez pas, Docteur, très
versé sur les choses de la religion.
VÉTILLE.
Dame, madame! évidemment... ! ce n'est
pas beaucoup ma partie...
EUGÉNIE, à part et comme précédemment.
Sa partie I
LA COMTESSE.
Eh ! bien, docteur, pour vous initier :
Quand on a des raisons d'appeler la Misé-
ricorde Divine sur un être aimé, on le voue
à la Vierge, oui !... pour un temps déter-
miné.
VÉTILLE, avec un profond sérieux.
Ah?
316 LE BOURGEON
LA COMTESSE.
Et alors, il est entendu que pendant cette
période on ne l'habille, des pieds à la tête,
qu'en bleu.
VÉTILLE.
Oui dàl
EUGÉNIE.
... qui est la couleur de notre sainte
Mère la Vierge Marie.
VÉTILLE.
Oui, oui. oui, oui!... Eh! bien mais, di-
tes donc, si vous avez confiance dans ce re-
mède, moi vous, savez...! Avant tout la foi.
EUGÉNIE, avec amour.
Oh! oui.
LA COMTESSE
Hélas ! docteur, mon fils part en octobre
pour son service militaire.
VÉTILLE.
Ah? ah?... oh! mais très bon ça! Je ne
voudrais pas vous faire de la peine, mais
j'aurais bien plus confiance dans ce remède
là, qu'en votre machin bleu vous savez I
EUGÉNIE, scanrialisoo.
Oh!
VÉTILLE.
Le régiment, aha I parlez-moi de ça ! voila
LE BOURGEON 317
qui vous requinque un homme! Sans comp-
ter que votre fils trouvera parmi ses cama-
rades des exemples salutaires à son état et
s'il a la bonne idée de les suivre...!
LA COMTESSE.
Vraiment, Docteur? Ohl vous me tran-
quillisez: moi qui me faisais un monde...!
Mais enfin, qu'est-ce qu'il a ?
VÉTILLE.
Votre fils ?
LA COMTESSE.
Oui!
VÉTILLE.
Eh! bien, mais qu'est-ce que vous voulez
que je vous dise? C'est un garçon qui fait
de la neurasthénie.
LA COMTESSE, s'effarant.
Ah! mon Dieu, c'est grave?
VÉTILLE.
En soi, non ; mais enfin c'est toujours un
mauvais terrain.
LA COMTESSE.
Dieu! mon Dieu !... et comment pensez-
vous qu'on puisse enrayer...?
VÉTILLE.
Comment ?
318 LE BOURGEON
LA COMTESSE.
Oui.
VÉTILLE, hésite un moment, puis brusquement.
Ecoutez-moi, madame : Je suis un vieux
militaire et pour moi un chat est un chat.
LA COMTESSE.
Oui, Docteur, oui.
VÉTILLE
Eh ! bien, ce qu'il faudrait à votre fils,
dame... il faudrait... il faudrait...
LA COMTESSE, sur les charbons.
Mais quoi ? quoi ?
VÉTILLE, éclatant.
Mais qu'il marche, madame! qu'il mar-
che I
Etc., etc.
FIN
Imprimerie Générale de ChàtUlon-s-Selne. — A. Pichat.
PQ Feydeau, Georges Léon Jules
2611 Marie
E86b6 Le bourgeon
PLEASE DO NOT REMOVE
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