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Full text of "Le bourgeon; comédie en trois actes"

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Digitized  by  the  Internet  Archive  v 
in  2010  wifh  funding  from 
University  pf  Ottawa 


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BRUXSUUE 


LE   BOURGEON 

COMÉDIE   EN    TROIS    ACTES 


Représentée  pour  la  première  fois,  à  Paris,  au  théâtre  du  Vaudeville, 
le  1"  mars  1906. 


Il  a  été  tiré  de  cette  pièce  35  exemplaires  de  luxe 
numérotés  à  la  presse. 


I  exemplaire  sur  Chine  tiré  d'un  seule  côté  —  n"  i. 
14  exemplaires  sur  Japon  —  du  n°  2  au  n"  i5. 
20  exemplaires  sur  Hollande  —  du  n°  16  au  n°  35. 


GEORGES  FEYDEAU 


LE 


BOURGEON 


COMEDIE   EN   TROIS  ACTES 

Avec  la  mise  en  scène  complète  et  conforme 
à  la  représentation 


PARIS 

LIBRAIRIE    THÉÂTRALE 

30,     RUE     DE     GRAMMONT,     30 

1906 

Tous  droits  de  traduction,  de  reproduction  et  de  représentation  réserTés  pour 

tons  les  pays  y  compris  la  Suède  et  la  Norvège. 

Entered  according  to  act  of  Congress,  in  tbe  year  1906,  by  Georges  Feydeau,  in  the 

ofSee  of  the  Librariaa  of  Congress  at  Washington.  AU  Riglits  reserved. 


PERSONNAGES 


HEURTELOUP MM.  LÉRAND. 

MARQUIS  DE  LAROCHE -TOURMEL  .    .   .  GASTON  DUBOSC. 

MUSIGNOL Louis  Gauthieb. 

MAURICE  DE  PLOUNIDEC ANDRÉ  Brulé. 

GUÉRASSIN Baron  Fils. 

L'ABBÉ  BOURSE! JOFFRE. 

VETILLE,  médecin  principal Victor  Boucher. 

LUC i   .    .    .  .  Vkrtin. 

JEAN-LOU.-  .'  .....   .  ir  >/ Lucien  Brûlé. 

ROGER  .    .    .  ■.    .    ."  .    .  iH.J' Baud. 

COMTESSE  DE  PLOUNFÇÎEC M"»"  Anna  Judic. 

ÉTIENNETTE  .    .    .    .' Jea>>-E  ROLLY. 

EUGÉNIE  HEURTELOUP CÉCILE  Caron. 

HUGUETTE YVONNE  De  Bray. 

LA  CLAUDIE Harlay. 

CLEO De  Mornand. 

LA  MARIOTTE Henriette  Andràl. 

LA  CHOUTE Calvill. 

PAULETTE Mariette  Lelièrks. 


NOTA  :  Cette  pièce  faisant  jusqu'à  nouvel  ordre  l'objet  de 
conventions  particuliCres,  MM.  les  Directeurs  sont  avisés 
qu'ils  ne  pourront  la  monter  sans  une  autorisation  spé- 
ciale (le  l'auteur  ou  de  son  représentant,  .M.  R.  Gangnat, 
Agent-Général  de  la  Société  des  Auteurs. 


ACTE  PREMIER 


ACTE   PREMIER 

Au  château  de  Plounidec,  en  Bretagne. 

Le  grand  salon  du  château.  —  Au  premier  plan,  à 
droite,  une  porte  donnant  sur  une  })ioce  du  château. 

—  Immédiatement  lires  de  la  porte  un  boulon  de  son- 
nerie électrique.  —  Au-dessus  de  la  porte,  au  deuxième 
plan,  adossé  au  mur,  un  meuble-secrétaire,  avec  une 
chaise  devant.  —  A  gauche  premier  plan,  une  chemi- 
née surmontée  d'un  portrait  enchâssé  dans  la  boise- 
rie. —  Au  deuxième  plan,  grand  pan  coupe  au  centre 
duquel  s'ouvre  une  vaste  baie  donnant  de  plain-pied 
sur  une  terrasse  avec  vue  sur  la  mer.  —  Au  fond  à 
gauche  une  grande  porte  vitrée  à  quatre  vantaux  don- 
nant sur  le  hall  du  château.  —  A  droite  de  cette  porte, 
séparée  par  un  pan  de  mur,  une  porte  assez  grande 
mais  à  un  seul  vantail  donnant  sur  la  chamlire  de 
Maurice.  —  Tout  le  fond  du  liall  est  vitré  permettant 
de  voir  le  parc  dont  il  est  séparé  par  la  balustrade  du 
perron.  Face  à  la  porte  vitrée  du  salon,  porte  vitrée 
au  fond  du  hall  permettant  d'accéder  dans  le  parc. 

—  Dans  le  salon,  près  et  à  gauche  de  la  cheminée, 
un  petit  fauteuil  tourné  presque  dos  au  pulilic.  —  Au- 
dessus,  prés  et  à  droite  de  la  cheminée,  une  cliaisc- 
longue  cil  osier,  avec  des  coussins.  —  Un  peu  au- 
dessus  à  droite  de  la  chaise-longue  une  grande  table 


LE   BOURGEON 


ronde  sur  laquelle  sont  dos  journaux,  des  jeux,  des 
ouvrages  de  dames.  —  Au  milieu  une  vasque  avec 
des  fleurs.  —  Devant  la  table  un  tabouret  carré  pour 
s'asseoir.  —  A  droite  de  la  table,  un  fauteuil  ;  à  gau- 
che entre  la  chaise-longue  et  la  table,  et  un  peu  au- 
dessus,  une  chaise  dite  «  fumeuse  »  avec  accoudoir, 
le  siège  face  au  public.  —  A  droite,  presque  au  milieu 
de  la  scène  un  petit  meuble  «  tricoteuse  s,  avec,  à  sa 
gauche,  un  petit  fauteuil  ;  à  sa  droite  une  bergère.  — 
Dans  la  tricoteuse,  les  trois  journaux  catholiques  dont 
il  sera  question  ;  des  pelotes  de  laine,  un  ouvrage 
au  tricot.  —  Au  fond,  de  chaque  côté  de  la  porte 
vitrée,  adossée  au  mur,  iine  chaise  à  haut  dossier. 
—  Lustre  en  cristal  au  plafond.  —  Sur  la  terrasse, 
un  ou  deux  fauteuils  d'osier;  un  télescope  sur  son 
trépied.  —  La  banno  do  la  baie  est  à  moitié  descen- 
due. —  Dans  le  hall  à  gauche,  grande  table  d'anti- 
chambre recouverte  d'un  tapis.  —  Il  fait  grand  soleil 
dehors.  —  Toutes  les  entrées  des  gens  venant  de  l'in- 
térieur du  château,  se  feront  par  la  droite  du  hall.  — 
Les  entrées  venant  de  l'extérieur  se  feront  naturelle- 
ment par  la  porte  du  fond  du  hall. 


NOTA  :  Toutes  les  indications  sont  prises  de  la  gau- 
cho du  spectateur  placô  censomont  au  centre  de  la  .salle; 
«  un  tel  passe  à  droite  ;  un  tel  passe  à  gauche  »,  signi- 
fiera donc  qu'un  tel  sera  à  droite,  qu'un  tel  sera  à  gauche 
du  spectateur.  Môme  l'expression  «  un  tel  est  à  gauche 
d'un  tel  »  indiquera  qu'un  tel  est  à  gauche  de  cet  un  tel 
par  rapport  à  ce  même  spectateur,  alors  qu  en  réalité  et 
par  rapport  à  lui  il  sera  h  sa  droite.  Cependant  quand 
les  indications,  nu  lieu  do  :  «  à  droite  de...  à  gauche 
de...  »,  porteront;  «  à  /adroite  de...  à  lU  gauche  de...  », 
il  est  évident  qu'il  s  agira  alors  de  la  gauche  et  de  la 
droite  réelle,  du  personnage  désigné. 


LE   BOURGEON 


SCENE   PREMIERE 

LA  COMTESSE,  puis  EUGÉNIE,  puis  LA  CLAU- 

DIE,     puis    LE     MARQUIS.     Dans    le   hall,    LUC, 

Deux  Valets  de  I'ikd. 

Au  lever  du  rideau,  la  scène  osl  uu  iustaut  vide.  Dans  le 
hall,  on  voit  passer  un  valet  eu  livrée  qui  vient  vite  dire 
deux  mots  à  Luc  le  maître  d  hôtel  et  repart  aussitôt. 
Au  môme  instant,  toujours  dans  le  hall,  paraît  Eugénie 
Hourtoloup  portant  un  flacon  de  sels  et  une  hurette  de 
vinaigre;  elle  arrive  d  un  pas  rapide,  comme  une  per- 
sonne pressée  d  apporter  une  chose  qu  on  attend. 

LA  COMTESSE,  sortant  à  moitié  de  la  chambre  de  droite, 
premier  plan.  —  A  Eugénie  qui  à  déjà  pénétré  dans  le 
salon. 

De  l'éther!...  vite,  apporte  de  l'éther! 

Elle   rentre    dans    la    chambre  dont  la  porte   reste  ou- 
verte. 

EUGÉNIE,   rebroussant  chemin. 
l)On!...    (Se  cognant  presque  dans   La  Claudio   qui  ac- 
court une  boule  d'eau  chaude  à  la  main.)  La,  Glauclie  ! .. . 
LA     CLAUDIE. 

Madame  ?... 

EUGÉNIE. 

Vitel    dans   la  pliarmacie  de  Madame... 
de  l'éther  1 

LA    CLAUDIE. 

Oui,  madame. 


LE    BOURGKON 


KUGlÎNIî'",   à  la  Claudio  qui  déjà  rebroussait  chemin. 
Allez,    donnez-moi    ça   !    (Elle  p  end  la  boule  des 
mains  de  la  Glaudie.)   CoureZ  ! 

LA    GLAUDIE. 

Oui,  madame. 

Elle  sort  en  courant. 
LE    MARQUIS,  sortant  do  la  chambre  et  appelant. 
Luc  !  Luc  !  (Il  appuie  sur  le  bouton  électrique  qui  est 
près  de    la    porte  ;    voyant   Eugénie   qui    se    dirige   vers   la 

chambre.)  Ail!  c'cst  Ic  vinaigTC ?. . .  entrez,  on 
l'attend. 

Eugénie  entre  dans  la  chambre.  —  A  l'extérieur,  pen- 
dant ces  dernières  répliques,  on  a  vu  un  deuxième 
valet  remonter  du  perron  tenant  deux  bouteilles  en- 
veloppées qu  il  a  remises  à  Luc.  A  ce  moment  sur 
le  coup  de  sonnette,  Luc  paraît. 
LUG. 

C'est  monsieur  le  marquis  qui  a  sonné? 

LE  MARQUIS,  qui  a  traversé  la  scène  avant  l'entrée  de  Luc. 

Oui.  Avez- vous  fait  le  nécessaire  pour 
qu'on  aille  chercher  le  docteur  au  train  de 
dix  heures  quarante  ? 

LUG. 

Oui.  monsieur!  j'ai  fait  prévenir  le  co- 
cher. 

LE    MARQUIS. 
Bon.     (Indiquant    le^     bouteilles.)     Qu'cSt-CC      qUC 

c'est  que  ça? 


LE   BOURGEON 


LUC. 

C'est  l'alcool  à  frictions  pour  M.  Maurice. 

LE    MARQUIS. 

Ah!  bon!  Allez  les  porter. 

LUC. 

Oui,  monsieur  le  marquis. 

Il  entre  dans  la  pièce  de  droite. 

Lii   MARQUIS,   comme  un  homme  qui  en  a  par-dessus   la 

tête. 

Oh  !  la-la  !  la-la  !   (ll  se  laisse  tomber  sur  le  fauteuil 
à    droite   de   la    table    et   pousse   un    soupir    d'épuisement.) 

Fffue  ! 

Après  quoi  tranquillement  il  tire  de  sa  poche  un  exem- 
plaire du  «  Rire  »  et  se  met  à  regarder  les  images. 
VOIX    DE    LUC. 

C'est  l'alcool  à  frictions,  madame  la  com- 
tesse. 

VOIX    DE    LA    COMTESSE. 

Ah!  posez  ça  là. 

VOIX   DR    LUC. 

Oui,  madame. 

Luc   ressort. 
LE    MARQUIS. 

Dites  donc,  Luc? 

LUC. 

Monsieur  le  marquis? 

LE     MARQUIS. 

C'est  toujours  comme  ça  ici  ? 


8  LE   BOUPGKON 

LUC. 

Dam!  depuis  quelque  temps!...  ]M.  Mau- 
rice a,  à  propos  de  rien,  des  vapeurs  :  il 
s'en  va  et  puis  y  revient...  C'est  l'âge  qui 
veut  ça  ! 

LE    MARQUIS. 

C'est  pas  amusant,  vous  savez. 

LUC. 

Eh!  non.  monsieur  le  marquis,  mais...  on 
ne  le  fait  pas  pour  s'amuser. 

LE    MARQUIS^  hochant  la   tête. 

Evidemment! 

LUC. 

Oui,  monsieur  le  marquis,  (ii  remonte  pendant 

que  le  marquis  se  replonge  dans  son  journal.  —  brusque- 
ment une  réflexion  lui  traverse   le    cerveau,    il    redescend.) 

Ah! 

LE   MARQUIS,  relevant  la  tète. 

Quoi? 

LUC. 

Ah!  Non,  rien!...  je  vois  que  monsieur  le 
marquis  a  de  quoi  lire...!  c'est  parce  que 

les  journaux  sont  arrivés!  {prenant  les  journaux 
en  question  dans  la  tricoteuse.)  Si  mOnsicUr  Ic  lUar- 

quis  désirait...  il  y  a  /a  Croix  du  Finistère, 
le  Réceil  Catholique,  la  Renaissance  de  la 
Foi. 


LK    BOURGEON  9 

LE   MARQUIS}  sur  un  ton  plaisant. 

Non,  merci...  j'ai  le  Rire. 

LUC. 

Enfin,  ils  sont  là!...  si  monsieur  le  mar- 
quis voulait  se  distraire... 

LE     MARQUIS. 

C'est  ça,  Luc  !  merci. 

LUC. 

Oui,  monsieur  le  marquis. 

Il   sort. 
VOIX    DE    LA    COMTESSE 

Eh  bien,  mon  enfant  chéri,  c'est  moi.  ta 
maman. 

VOIX    DE    MAURICE. 

Qu'est-ce  qu'il  y  a  eu  donc  ? 

VOIX    DE    LA    COMTESSE. 

Rien,  rien!  Ne  parle  pas!  Ne  te   fatigue 
pas. 

LE    MARQUIS,    se  levant  et   à   lui-raême,  tout  en  se  diri- 
geant vers  la  porte  qui  est  restée  entr'ouverte. 

Ah!  ah!  Je  vois  qu'il  y  a  du  mieux. 

En  passant  devant  la  tricoteuse,  il  se  débarrasse  de 
l'exemplaire  du  Rire  préalablement  plié  en  deux 
dans  le  sens  de  la  longueur,  en  le  déposant  sur  le 
tas  des  autres  journaux.  —  Au  moment  d'arriver 
à  la  porto  do  la  chambre,  il  s'arrête  en  voyant 
paraître   la  comtesse. 

1. 


10  LE    BOURGEON 


LA.  COMTESSE,  pénétrant  dans  le  salon,  ot  parlant  à  son 
li!s  du  pas  de  la  porte,  tandis  que  lo  marquis  regagne 
un  peu  à  ganche. 

Là.  tu  vas  être   bien  raisonnable  et   te 

reposer  un  peu.  (a  Eugénie  qui  pavait  à  la  porte.) 
Va  !  passe,  toi  !  {EIIc  la  fait  passer  devant  elle;  puis  à 
Maurice  toujours  invisible  au  spectateur.)  Je  ferme  la 

porte  pour  que  tu  n'entendes  pas  de  bruit. 

Elle  ferme  la   porte. 
LE  MARQUIS,  qui  est  arrivé  au  tabouret  devant  la  table. 

Ehl  bien?  ça  va  mieux? 

LA    COMTESSE,  gagnant  le  fauteuil  à  droite  de  la  table. 

Oui.  pour  le  moment;  mais  c'est  égal, 
tout  cela  m'inquiète  bien. 

EUGÉNIE,  allant  s'asseoir  sur  la  bergère. 

Heureusement  encore  que  cette  indispo- 
sition l'a  pris  à  cette  heure-ci  :  il  a  pu  au 
moins  assister  à  l'office. 

LK    MARQUIS,  assis  sur  le  tabouret.  —  Ironique. 

Ah!  oui...  ça  c'est  de  la  veine! 

LA    COMTESSE. 

Enfin,  qu'est-ce  qu'il  peut  avoir?  C'est 
un  solide  g'aillard  cependant!  Pourquoi,  de- 
puis quelque  temps,  ces  faiblesses  à  propos 
de  rien?  ces  syncopes?  et  puis  cette  nervo- 
sité, cette  tristesse  que  rien  ne  justifie? 


LE   BOURGEON  11 

LE    MARQUIS. 

Eh!  tu  ne  veux  pas  le  croire!  Je  te  dis 
que  cet  enfant  est  trop  confit  en  dévotion. 

LA    COMTESSE   et   EUGÉNIE,    se    rôcriant. 

Oh! 

LE    MARQUIS. 

Mais  oui!  mais  oui!  tout  ra  l'exalte,  lui 
tape  sur  le  système  nerveux. 

EUGK.VIE,  tout   ea  tricotant. 

Non,  tu  entends  ton  frère  ?  il  voudrait 
faire  croire  que  c'est  le  zèle  religieux  de 
Maurice  qui  est  cause... 

LA    GOMTKSSK,   faisant   du    crochet. 

Quelle  hérésie! 

LE    MARQUIS. 

Je  dis...  je  dis  qu'à  un  âge  où  un  jeune 
homme  a  besoin  de  développer  son  corps 
par  l'hygiène,  par  l'exercice,  par  la  gym- 
nastique et  par...  tout  ce  que  vous  voudrez, 
ça  n'est  vraiment  pas  le  moment  pour  lui 
de  s'étioler  dans  les  méditations,  les  claus- 
trations, les  mortifications  et  autres  choses 
déprimantes  en  «  tion  ».  Ah!  la!  la!  lorsque 
j'avais  son  âge,  moi,  je  ne  pensais  pas  à 
toutes  ces  choses-là...  Quand  je  voyais  une 
jolie  fille...  ! 

Il  esquisse  un  geste  significatif. 


12  LE   BOURGEON 

LA   COMTESSE,  le  rappelant  à  l'ordre. 

Onfroy  ! 

LK    MARQUIS. 

C'est  possible!  Mais  au  moins  je  me  por- 
tais bien. 

Il  se  lève  et  va  a  la  cheminée. 
EUGÉNIE. 

Ah!  tiens,  laisse  cet  hérétique  de  côté. 
ma  chère  ;  et  pour  ce  qui  est  de  ton  fils, 
tranquillise-toi  :  j'ai  brûlé  ce  matin  à  son 
intention  un  cierge  sur  l'autel  de  Saint 
Antoine  de  Padoue,  ainsi...  ! 

LA   COMTESSE,   touchée. 

Oui? 

LE    MAUQUIS,  gagnant  un  peu  vers  elles. 

Quoi?  quoi,  «  Saint  x\ntoine  de  Padoue  »? 
C'est  pas  sa  partie,  ça  :  il  est  pour  les  ob- 
jets perdus. 

EUGÉME. 

Eh  bien? 

LE    MAKQUIS. 

Eh  bien!  Maurice  n'a  rien  perdu  que  je 

sache...    (Entre  chair  et  cuir.)  si  mÔmC  OU   dcvait 

lui  reproclier  quelque  cliose... 

Il  remonte  par  la  gaucho  de  la    table  à  hauteur  de  la 
baie. 


LE    BOURGEON  13 

EUGÉNIE. 

Rien  perdu!  et  sa  santé? 

LE    MARQUIS,  ironique. 

Ah  !  pardon  !  C'est  juste  I  Saint  Antoine  la 
lui  retrouvera. 

EUGÉNIE,   de   toute   sa  foi. 

Absolument. 

LE    MARQUIS. 

Oui  ;  eh!  bien,  si  vous  voulez  bien,  en  at- 
tendant, moi  je  vais  vous  amener  un  ami. 
qui,  sans  contrarier  en  rien  l'action  de 
Saint  Antoine  de  Padoue,  s'efforcera  de  con- 
courir parallèlement  au  rétablissement  de 
notre  cher  Maurice  :  c'est  le  docteur  Vétille, 
médecin  principal  dans  l'armée,  actuelle- 
ment à  Concarneau.  J'ai  reçu  une  dépèche 
il  y  a  une  heure  m'annonçant  son  arrivée 
par  le  train  de  dix  heures  quarante... 

LA  COMTESSE,  vivement. 

Vraiment?  (se  levant.)  Oh!  Mais  as-tu  dit 
qu'on  envoie  une  voiture  le  prendre  à  la 
gare? 

LE  MARQUIS,   avec   une  courbette  gamine. 

Je  me  suis  permis  !...  et  il  sera  ici  dans 
une  demi-heure. 


14  LE    BOURGEON 

I,A  COMTESSE,  touchée. 

C'est  gentil,  Onfroy,  ce  que  tu  as  fait  là. 

Pendant  ce  qui  suit,  la  comtesse  va'par  lo  fond,  jusqu'à 
la  porto  de  droite  qu'elle  ouvre  doucemeut  pour 
voir  ce  que  fait  son  fils. 

EDGÉNIE. 

EvidemiiKmt,  comme    frère,    vous  valez 
mieux  (juc  comme  chrétien. 

LE    MARQUIS. 

N'est-ce  pas?  Pour  un  démon,  je  ne  suis 
pas  un  trop  mauvais  diable. 

Il  s'assied  dos  au  public  sur  le  tabouret  devant  la  ta- 
ble et  crayonne  pour  passer  le  temps,  sur  des  papiers 
qu'il  trouve  devant  lui. 

LA    CO.UTESSE,  refermant  la  porte  sans  bruit. 

Il  dort! 

LE  MARQUIS,  tout  en  crajonnant. 

Ah  !  bien,  c'est  bon  ça  ! 


SCENE   II 

Les  .Mî:mes,  LA.  GL.\UD1K. 

La  Claudie  parait,  l'air  dépité,  un  litre  à  la  main. 
LA    CLAUDIE   (2). 

Madame  la  comtesse... 


LE   BOURGEON  15 

LA  COMTESSE,    (3)   au-dessus  et  à  gauche  de  la  bergère 
dans   laquelle  est  assise  Eugénie. 

Te  voilà,  toit  D'où  arrives-tu? 

I,A   GLAUDIE. 

Je  ne  trouve  pas  l'éther. 

LA   COMTESSE,  railleuse. 

Allons  donc?  11  est  bien  temps! 

LA  GLAUDIE. 

J'ai  bien  trouvé  cette  bouteille. 

LA  COMTESSE 

Qu'est-ce  que  c'est? 

LA   CLaUDIE. 

Je  ne  sais  pas!  Ça  ne  peut  pas  rempla- 
cer? 

LA    COMTESSE,  lisant  l'étiquette  de  la  bouteille 

Du  sirop  antiscorbutique.  Ah!  ça   tu  es 
folle?  Xon,  non,  ça  ne  peut  pas  remplacer. 

Elle  passe  au  2. 
LA  CLAUDIE. 

C'est  tout  (le  même  du  médicament. 

LA  COMTESSE,  s  asseyant  et  reprenant  son  crochet. 

Ah!  tu  es  bien  restée  paysanne!  Allons, 
va-t'en  ! 

LA  GLAUDIE,  elle  remonte. 

Oui,  madame  la  comtesse. 


16  LE    BOURGEON 

LA    COMTESSE. 
Ah!  (La  Glaudiese  seutaut  rappelée,  s'arrête  aussitôt.) 

Et  puis  je  voulais  t'avortir  :  demain  tu  en-: 
treras  à  mon  orphelinat  de  Kenogan. 

LA.    GLAUDIE,    desceudant  d'un  pas   vers   la  comtesse. 

Moi  ? 

LA    COMTESSE. 

Oui,  toi!...  tu  seras  attachée  à  la  linge- 
rie... 

LA  CLAUDIE,  navrée. 

Oh  I...  madame  me  renvoie  ? 

LA  COMTESSE. 

Je  ne  te  renvoie  pas  :  je  te  change  d'em- 
ploi, voilà  tout. 

LA   CLAUDIE,  les  larmes  dans  les  yeux. 

Oh!  mais  pourquoi? 

LA  COMTESSE,  avec  un  peu   d'impatience. 

Ah!...  Parce  que  j'en  ai  décidé  ainsi  ;  je 
n'ai  pas  d'explication  à  te  donner. 

LA  CLAUDIE,  pleurant  presque. 

Ohl  je  vois  bien  que  madame  la  comtesse 
ne  m'a  pas  encore  pardonné  le  bal  forain 
du  15  août. 

LA  COMTESSE. 

Eh!  il  ne  s'agit  pas  de  (ja! 


LE    BOURGEON  17 

LA  GLAUDIE. 

Oh!  si;  tout  ça,  parce  qu'on  a  dit  à  ma- 
dame que  j'avais  dansé  avec  un  cuirassier.. . 
qui  était  dans  les  dragons. 

EUGÉNIE,  scandalisée. 

Vous  avez  dansé  avec  un  dragon  ! 

LA    CLAUDIE. 

Qui  était  dans  les  cuirassiers!  Oui,  ma- 
dame !  pour  ça  ! 

EUGÉNIE,  scandalisée. 

Oli!...  un  dragon!...  et  à  cheval!  oh! 

LE  MARQUIS,   toujours  dessinant. 

Bah!  tant  qu'il  ne  l'a  pas  dragonnée. 

LA  COMTESSE,  sévèrement,  au  marquis. 

Je  t'en  prie,  toi.  ne  te  môle  pas!...  (a  la 
Giaudie.)  Je  te  répète,  mon  enfant,  qu'il  n'y  a 
pas  l'ombre  de  disgrâce  dans  la  mesure 
que  je  prends.  Mais  je  ne  dois  pas  oublier 
que  j'ai  charge  d'âme  !  tu  es  orpheline;  c'est 
moi  qui  t'ai  élevée  :  j'ai  pour  devoir  de 
veiller  sur  toi.  Or,  ce  penchant  que  tu 
semblés  manifester  pour  le  plaisir  m'est 
un  avertissement  ;  tu  arrives  à  un  âge 
où  la  vie  est  pleine  d'embûches  pour  une 
jeune  fille;  et  si  elle  n'a  pas  en  elle  une  ri- 
gidité de  principes  suffisante  pour  y  parer, 
elle  y  tombe  fatalement  un  jour  ou  l'autre. 


18  LE   BOURGEON 

Kh  !  bien,  je  ne  l'entends  pas  ainsi  ;  et  pour 
commencer,  il  est  urgent  que  je  te  retire  à 
la  promiscuité  de  l'office.  Tu  me  comprends, 
n'est-ce  pas? 

La  Claudie  qui  écoute  tout  ce  discours  avec  de  grands 
yeux  ahuri>!,  fait  un  signe  afflrmatif  de  la  tête  que 
dément  rexpres>!ion  do  sa  physionomie. 

LE  MARQUIS,  levant  les  bras  au  plafond. 

Mais  pas  un  mot!  Tu  lui  parles  chinois! 

LA  GOMTESSK. 

N'importe!  Qu'il  lui  suffise  de  savoir 
(ju'où  je  l'envoie,  elle  sera  parfaitement 
heureuse...,  dans  une  atmosphère  d'hon- 
nèt(ité,  de  sainteté,  à  l'abri  du  mal  et  de  la 
tentation,  au  milieu  de  bonnes  sœurs... 

LE   MARQUIS,  avec  une  envuléo  do  la   main  au-dessus 
do  sa  tète. 

Ohé  1  Obéi 

LA  COMTESSE. 

Et  elle  y  restera  jusqu'à  son  mariage. 
on  de  ce  fait  ma  responsabilité  se  trouvera 
dégagée. 

EUGÉNIE. 

Vous  voyez,  mon  enfant,  que  c'est  au 
contraire  de  la  reconnaissance  que  vous  de- 
vez à  madame  la  comtesse  pour  la  sollici- 
tude qu'elle  a  pour  vous. 

La  Claudio  approuve  do  la    tèto  sans  conviction. 


LE   BOURGEON  19 

LE   MARQUIS,  à  part,  tout  en  se  levant. 

Tu  parles! 

Il  gagne  la  cheminée. 
EUGÉNIE 

Remerciez  donc  votre  maîtresse. 

LA   GLAUDIE,  sans    conviction. 

Merci,  madame. 

EUGliNIB. 

A  la  bonne  heure. 

LA    COMTESSE. 

J'ajoute  que  s'il  te  plaît  de  te  marier  tout 
de  suite,  il  y  a  Jeannick  qui  ne  demande 
qu'à  t'épouser  ;  c'est  un  honnête  homme, 
un  bon  cocher,  et  un  excellent  chrétien*  : 
j'approuverai  cette  union. 

LA  GLADDIE,  de  toute  l'impulsion  de  son  cœur. 

Mais...  il  est  vieux! 

LA  COMTESSE. 

Vieux  ! 

EUGÉNIE. 

Ah  I  ça,  ma  pauvre  enfant  (  Que  deman- 
dez-vous donc  au  mariage? 

LA    CLAUDIE,   bien  naïvement. 

Mais...  un  jeune I 

Donner   exactement  la   mémo   valeur  à  ces  trois  qua- 
lités en  les  énumérant. 


20  LE    BOURGEON 


I.\  COMTESSE. 

Voilà!...  Yi)ilà,  ce  penchant  pour  les  futi- 
lités que  je  redoute. 

LA    CLAUDIE. 

Ben,  tiens! 

LA    COMTliSSE. 

C'est  bien,  ma  tille!  ne  perdons  pas  de 
temps  à  discuter  ;  tu  peux  te  retirer;  je 
n'ai  plus  besoin  de  toi. 

La  ClauJie  sort  avec  humeur. 


SCENE   III 

Les  Mêmes,  moins  L.\  Cf.AUDIK, 
puis  HUGUETTE. 

LA    COMTESSE. 

Xon;  vous   l'avez  entendue?   cette  pay- 
sanne! Il  lui  faut  un  jeune. 

EUGÉNIE. 

C'est  extraordinaire! 

LE  MARQUIS,  appuyant  ironiquement  sur  le  mot. 

Extrordinaire  ! 

Il   reniouto  à  gauche  de  la    table. 
LA   COMTESSE. 

Enfin,  qu'est-ce  que  tu  en  dis? 

Lli    MARQUIS,  paillard. 

Ce  que  j'en  dis?...  hé!...  je  dis  (jue  c'est 
un  licau  brin  de  fille. 


LE    BOURGEON  21 

LA  COMTICPPK. 

Oui  !  Eh  bien,  justement  c'est  une  des  rai- 
sons pour  lesquelles  jel'éloig-ne...  Je  trouve 
qu'il  n'est  pas  convenable  que  dans  une 
maison  où  il  y  a  un  jeune  homme  de  vingt 
ans,  on  ait  des  tendrons  à  son  service. 

LK    MAUQUIS,   ironique. 

Tu  as  peur  que  ton  fils  la  détourne? 

LA    COMTESSE. 

Oh!  Dieu  non!...  Mais  si  bien  armé  que 
soit  un  être  contre  le  démon,  qui  peut  ré- 
pondre que  dans  une  heure  de  défaillance... 
Exposer  une  enfant  à  un  contact  journa- 
lier... ! 

EUGÉNIE,  sur  un  ton  péremptoire. 

C'est  très  juste. 

Le  marquis  hausse  les  épaules  et  gagne  le  fond. 
LA   COISITESSE. 

Sans  compter  que  j'ai  remarqué  que  la 
petite  tournait  beaucoup  trop  autour  de 
Maurice.  Elle  mettait  une  complaisance  a 
être  toujours  fourrée  dans  sa  chambre!... 
et  l'enfant,  lui.  ça  l'énervé. 

LE  MARQUIS,  redescendant  entre  elles   deux. 

Mais  ce  qui  l'énervé,  c'est  le  combat  en- 
tre sa  chair  qu'il  n'entend  pas  et  ses  con- 


22  LE   B0UR(1P:0X 

viciions  qui  l'assourdissent.  S'il  voulait  seu- 
lement écouter  un  peu  sa  chair  et  s'il  faisait 
comme  elle  lui  dit,  ah!  bien!...  je  te  pro- 
mets que  ça  ne  l'énerverait  pas  longtemps. 

EUGÉNIE. 

Quelle  horreur! 

LA   GOAITESSK. 

Tu  as  une  de  ces  moralités!.., 

EUGÉNIE. 

C'est  dégoûtant. 

LA  COMTESSE. 

J'élève  mon  fils  comme  je  l'entends,  libre 
à  toi  d'élever  ta  fille  comme  il  te  plaît... 
(lu  moment  que  tu  es  satisfait  de  l'éducation 
que  tu  lui  donnes  !... 

LE   MARQUIS. 

Tu  la  trouves  mal  élevée  ? 

LA  COMTESSE. 

Je  ne  la  trouve  pas  élevée  du  tout.  Tu  en 
as  fait  une  espèce  de  sauvageon,  de  garçon 
manqué,  toujours  par  monts  et  par  vaux, 
tantôt  à  cheval,  tantôt  à  bicyclette. 

EUGÉNIE,  avec  déffoùt. 

Des  choses  qui  s'enfourchent. 

LE  MAUQUIS. 

Eh  ?  ben  ? 


LE   BOURGEON  23 

EUGÉKIE. 

Ça  donne  des  idées. 

LE   MARQUIS 

Pas  à  elle. 

LA  COMTESSE. 

Une  enfant  qui  entend  la  messe  tous  les 
Irente-six  du  mois  !  —  Elle  devait  nous  re- 
joindre à  l'église  ce  matin  :  tu  crois  qu'elle 
est  venue  ?  Ah  !  bien  oui  !  —  Une  enfant  qui 
n'a  reçu  aucune  direction  religieuse;  qui  a 
fait  tout  juste  sa  première  communion... 
pour  ne  pas  se  faire  remarquer,  mais  à  part 
ça...  !  Mon  pauvre  Maurice  a  essayé  plu- 
sieurs fois.  lui.  de  la  moraliser,  de  lui  faire 
entrevoir  les  beautés  de  la  doctrine  chré- 
tienne... Ah!  elle  l'a  bien  reçu!...  C'est  tout 
'uste  si  elle  a  été  polie. 

LE  MARQUIS. 

Si  elle  n'a  pas  été  polie,  elle  a  eu  tort  ; 
mais  Maurice  aurait  peut-être  mieux  fait 
de  garder  pour  lui  ses  tentatives  de  prosé- 
lytisme. Je  ne  tiens  pas  à  faire  de  ma  fille 
une  dévote.  Elle  aura  de  la  religion  ce  qu'il 
en  faut...  pour  une  femme  du  monde;  en 
tous  cas  ce  sera  une  honnête  femme,  au 
tempérament  solide,    au  caractère    droit, 


24  LE   BOUHGEOX 

avec  tout  ce  qu'il  faut  pour  rendre  son  mari 
heureux;  c'est  tout  ce  que  je  lui  demande. 
Je  ne  sais  pas  qui  elle  épousera,  mais  cer- 
tainement ce  ne  sera  pas  le  Christ  !  Nous  ne 
sommes  pas  ambitieux. 

En    ce    (lisant    il    passe  devant  la  comtesse  et  va  vers 
la  cheminée. 

HUGUETÏE,  qui   est    entrée    sans    bruit  pendant  que  son 
pore  parlait  et  a  entendu  ces  derniers  propos. 

Bravo,  papa  ! 

Elle  va  déposer  sur   la  tricoteuse  son  chapeau  qu'elle 
tenait  à  la  main  en  entrant.  —  Elle  a  une  très  élé- 
gante toilette,  mais  toute  déchirée,  couverte  do  boue 
et  trempée  d  eau,  surtout  aux  genoux. 
LE  MARQUIS,  se  retournant  à  la  voix   de  sa  fille. 

Toi! 

LA  COMTESSE,  voyant  l'état  delà  robe  d*Huguette. 

D'où  viens-tu,  malheureuse  enfant  ?  Dans 
quel  état! 

HUGUETTE,  indiquant  à  mesure  les  parties  de  sa  toilette 
dont  elle  parle. 

Ah  !  ça,  ma  tante,  la  déchirure  :  c'est  les 
ronces!  le  mouillé  :  c'est  de  l'eau! 

LA  COMTESSE. 

Oh! 

LE   MARQUIS. 

Eh  bien!  tu  t'es  bien  arrangée. 


LE    BOURGEON- 


EUGÉNIE,  sur  un  ton  de  blâme  dédaigneux. 

Une  toilette  neuve! 

HUGUETTE,  elle  passe  devant  la  Comtesse  et  va  vers  son 
père  pour  1  embrasser. 

Oui  !  c'est  embêtant. 

LA  GOMTRSSE,  corrigeant. 

C'est  ennuyeux,  tu  veux  dire. 

HUGUETTE,  dans  les  bras  de  son  père  et  par-dessus 
l'épaule. 

Non  !  C'est  pas  assez  ! 

LE   MARQUIS. 

Elle  a  raison  :  «  embêtant  »,  c'est  encore 
faible. 

Il  embrasse  sa  tille. 
LA  COMTESSE,   s'inclinant  ironiquement. 

Ah?  bien,  bien!...  (changeant  de  ton.)  Mais 
avec  tout  ça,  je  croyais  que  tu  devais  venir 
nous  rejoindre  à  la  messe  ? 

HUGUETTE,  allant  vers  la  comtesse. 
Mais  oui,     ma    tante.  (Montrant  sa  robe.)   VOUS 

voyez  :  j'étais  prête;  j'avais  même  fait  toi- 
lette, (s'asseyant  surlebord  de  la  table,  près  de  la  Com- 
tesse.) Seulement,  voilà,  au  moment  de  par- 
tir, dans  la  cour  des  écuries,  j'ai  vu  le  nou- 
veau cheval  arrivé  hier!  Vous  ne   pensez 

pas  vous  en  servir,  ma  tante  ?  il  est  vicieux  ! 

2 


26  LE   DOURCJEON 

Les   hommes   u'eii    venaient  pas   à   bout  ! 

(Kedescendant  un  peu.)  Yoilà    t'il    paS    qUê    tOUt    à 

coup,  la  bète  fait  un  tète  à  queue,  et  v'ian! 
son  cavalier  par  terre.  Alors,  je  ne  sais  pas 
ce  qui  m'a  pris,  une  sorte  de  vertige,  d'en- 
vie irrésistible!...  avant  même  qu'on  ait  eu 
le  temps  de  faire  «  ouf  »,  une,  deux!  mon 
paroissien  était  dans  les  mains  du  palefre- 
nier et  j'avais,  moi,  enfourché  le  cheval  ! 

En  ce  disant,  elle  a  rassemblé  ses  jupes  et  s  est  mise  à 
cheval  sur  l'extrémité  du  tabouret  qui  est  devant  la 
table 

EUGÉNIE,  avec   un  sursaut  scandalise. 

Enfourché  ! 

UUGUKTTE,   bien  naturellement. 

11  était  sellé  pour  homme  ! 

EUGiiXIE,  les  yeux  au  ciel. 

Enfourché  !  Et  en  g-rande  toilette  ! 

IIUGUETTE. 

Ça  prouve  qu'il  n'y  avait  pas  prémédita- 
tion! (Reprenant  sou  récit.)  Et  alorS  (imitant  le  galop 

sur  son  tabouret.)  c'a  été  uue  galopadc  à  travers 
champs!  tantôt  je  conduisais  le  cheval; 
tantôt...  (Moins  fièrement.)  il  me  Conduisait:  et 
on  dév^orait  l'espace,  c'était  amusant  !  Mais 
c'est  égal,    il  no    m'a   pas    désarçonnée... 


LE   BOURGEON  27 

Alors,  je  me  suis  dit,  je  vais  un  peu  lui 
faire  faire  du  kilomètre  sur  la  plage,  (imi- 
tant do  nouveau  le  galop,  les  mains  tenant  des  rèncs  ima- 
ginaires.) et  patatam  !  patatam  !  nous  voilà  sur 
le  sable;  on  allait  un  train  !  Quand  tout  à 

coup.    (Se  levant  et  gagnant  la  baie  par  la  gauche  Je  la 

table.)  là,  de  l'autre  côté  de  la  pointe,  où  vous 
voyez  la  cabine  du  douanier,  j'aperçois  un 

rassemblement;    (Au-dessus  de  la    table,    s'adressant 

à  son  père.)  tu  counais  ma  curiosité  ;  je  ne  suis 
pas  femme  pour  rien  !  Je  cingle  mon  cheval  ; 
un  temps  de  galop  et  j'y  suis...  (s'appuyant  des 

deux  poings  sur   la  table.)  Qu'cst-Ce  CJUC  jCtrOUVC? 

Un  groupe  de  marins  qui  entourait  un  pau- 
vre petit  jeune  homme  qui  avait  été  en- 
traîné par  notre  maudit  raz  de  marée,  et 
qu'on  venait  de  repêcher  sans  connaissance . 

LA    GO.MTKSSE    et  EUGÉNIE. 

Quelle  horreur  ! 

HUGUETTE,   à   son    pore  en   descendant   vers    lui    par  la 
gauche  de  la  table. 

C'est  intéressant,  n'est-ce  pas?  Etait-il 
vivant?  Etait-il  mort?  On  ne  savait  pas. 
Les  pêcheurs  discutaient  gravement  !  (Allant 
vers  la  Comtesse.)  On  parlait  déjà  de  Ic  pcudro 
par  les  pieds...  pour  lui  faire  rendre  son  eau. 


28  LE   BOURGEON 

LE   MARQUIS,  à  la  cheminôo. 

Les  crétins  !  Sainte  routine! 

HUGUETTE. 

Je  me   dis  :    ma  bonne   lluguette,   si  tu 
n'interviens  pas,  on  va  faire  des  boulettes. 

(Se   tournant  vers   son   iiôro   et  gaîment.)     lienS,    C  CSt 

des  vers!  Je  ne  l'ai  pas  fait  exprès!  Alors, 
ma  foi,  je  ne  fais  ni  une;  ni  deux,  je  saute  à 
bas  de  ma  bète  et  je  viens  mêler  ma  voix 
au  chapitre.  Naturellement,  aucun  méde- 
cin!  (un  genou  sur  le  tabouret.)  Par   bonllCUr,  j'a- 

vais  déjà  vu  un  cas  pareil,  une  année  à 
Biarritz  ;  je  me  suis  rappelée  comment 
avaient  fait  les  hommes  de  l'art  et  ma  foi, 
je  me  suis  mise  à  faire  mon  petit  docteur. 
(a  son  père.)  Exercice  illégal,  oui,  monsieur! 
J'ai  écarté  le  groupe  et  j'ai  pris  le  comman- 
dement: j'ai  commencé  par  faire  enlever  le 
costume  de  bain  du  petit  bonhomme. 

EUGÉNIE. 

Comment,   «  enlever  »?   iMais  alors...   il 
était  tout  nu  ? 

HUGUETTK. 

Naturellement. 

EUGÉNIE,    scandalisée. 

Devant  toi!  Oli!...  Ça  ne  te  faisait  rien! 


LE    BOURGEON  29 

HUGUETTE,  bien   simplement. 

Non! 

EUGÉNIE. 

Oh! 

LE    MARQUIS,  de  la  cheminée. 

Mais  c'est  si  ça  lui  avait  fait  quelque  chose 
que  c'eût  été  répréhensihle.  Je  vous  en  prie. 
Eugénie,  ne  montez  donc  pas  la  tète  à  ma 
fille,  n'est-ce  pas  ? 

Il  remonte  par  la  gauche  de  la   table. 
EUGÉNIE. 

Moi?  C'est  moi  qui...?  Oh! 

HUGUETTE. 

Une  fois  le  petit  en  tenue,  allez-y  !  Je  me 
dis  :  adieu,  ma  helle  toilette!  D'ailleurs,  il 
n'y  avait  pas  grand  mal,  elle  avait  déjà  eu 
affaire  aux  ronces.  Je  me  plante  par  terre, 
les  deux  genoux  dans  la  vase,  à  cheval  sur 
le  petit. 

EUGÉNIE. 

A  cheval!  Encore! 

LA  COMTESSE. 

En  amazone,  au  moins  ? 

LE    MARQUIS,  derrière  le^fautouil    de  la  comtesse.  — 
Avec  un  sourire  d'aHoctueuse  commisération. 

En^amazonej 

2. 


30  LE   BOURGEON 

HUGUETTE. 

Oh  !  Vous  me  voyez  faisant  de  la  respira- 
tion artificielle  en  amazone!  (passant  devant  la 

comtesse  pour  gagner  le  milieu  de  la   scène.)  MaiS  nOn, 

ma  tante!  là,  corps  à  corps,  face  à  lui, 
comme  pour  lutter...  et  c'était  une  lutte, 
en  effet,  contre  la  mort,  là,  qui  guettait! 
Aussi,  à  nous  deux  !  Je  charge  un  marinier 
de  la  manoeuvre  des  bras,  tandis  que  moi, 
je  m'occupais  à  rétablir  les  fonctions  respi- 
ratoires, par  des  pressions  régulières,  au 
bas  du  sternum  ;  pendant  ce  temps-là.  les 
autres  me  cherchaient  des  serviettes  chau- 
des, des  briques  chaudes,  des  fers  chauds, 
tout  ce  qu'on  pouvait  imaginer  de  chaud 
pour  ramener  la  circulation!.,.  Et  nous  avons 
respiré  artificiellement  comme  ça  pendant 
une  heure  et  quart  !  Ah  !  je  n'en  pouvais 
plus  !  Voilà  que  tout  à  coup  nous  avons  vu 
la  poitrine  se  soulever  faiblement.  Oh  ! 
quelle  émotion  !  Nous  n'en  croyions  pas  nos 
yeux.  Nous  étions  haletants!  Puis,  soudain, 
un  paquet  d'eau  de  mer  rejeté  !  et  un  cri  : 
un  cri  rauque,  terrible,  déchirant  !  un  cri 
qu'on  n'oublie  pas  !  Ah  !  ce  cri,  il  m'a  ré- 
sonné jusqu'au  cœur...  Quelle  joie  !  C'était 
la  résurrection!  Je  vainquais  la  mort!  Je 


LE   BOURGEON  31 

refaisais  une  vie!  Ah!  papa!  papa!  il  me 
semblait  que  je  faisais  un  enfant  ! 

Elle  se  jette  radieuse  dans  les  bras  de  son  père. 
LA.  COMTESSE   et  EUGÉNIE,  choquées. 

Oh! 

La  comtesse  on  poussant  co  c   oh   »  s'est  levée  et  reste 
ainsi  légôrement  dos   au  public  devant  son  fauteuil. 
LE    MARQUIS  *. 

Ma  chère  petite  Huguette,  je  suis  fier  de 
toi. 

HUGUETTE. 
N'est-ce  pas  papa  que  j'ai  été  chic?...  (Des- 
cendant légèrement  vers  Eugénie.)  Ah!  par  exemple, 
ma  messe  était  dans  l'eau...  comme  ma  robe! 

(a  son  père  qui  est  descendu  à  sa  suite.)  IMais    bah  !    je 

me  disais  :  le  bon  Dieu,  il  est  éternel,  il  peut 
attendre,  tandis  que  mon  moribond,  lui,  il 
ne  peut  pas...  et  ma  foi,  si  j'ai  fait  tort  au 
bon  Dieu  de  sa  messe,  je  suis  sûre  qu'il  ne 
m'en  voudra  pas. 

EUGÉNIE,  pincée. 

C'est  commode  ! 

LA   COMTESSE. 

Evidemment,  ce  que  tu  as  fait  est  loua- 
ble... quoique  bien  inconvenant  pour  une 
jeune  fille. 

*  La  G.  1,  le  M.   2,  H.  3,  E,   4. 


32  LE    BOURGEON 

LE   MARQUIS,   s'interposant. 

Permets. 

LA.  COMTESSE,  sur  un  ton  péremptoire  au  Marquis. 

Quoique  bien  inconvenant!  (v  Huguette.)  Je 
veux  bien  que  cela  t'absolve,  mais  cela  ne 
t'excuse  pas  d'avoir  manqué  à  l'office. 

Elle  gagne  par  lo  fond  jusqu  à  la  tricoteuse  ou  elle  dé- 
pose son  ouvrage. 

HUGUETTE. 

En  tout  cas,  je  n'ai  pas  de  regrets. 

EUGÉNIE,  se  levant. 

C'est  un  tort,  car  rien  n'excuse  dtï  man- 
quer à  la  messe  1  J'ai  un  mari,  moi;  c'est 
un  homme... 

LE   MARQUIS,  passant  devant  Huguette  pour  s'approcher 
d  Eugénie  et  sur  un  ton  ironique. 

Allons  donc  ? 

EUGÉNIE,   hausse  les  épaules  avec  dédain,   puis  continue. 

Eh  !  bien,  il  se  ferait  plutôt  hacher  que  de 
ne  pas  accomplir  ses  devoirs  religieux.  Tous 
les  jours,  il  va  jusqu'à  Concarneau  pour  as- 
sister à  l'office.  Ving-t-deux  kilomètres  à  bi- 
cyclette! dix  pour  aller,  douze  pour  revenir. 

LE   MARQUIS. 

Tiens  !  Pourquoi  deux  de  plus  pour  revenir  ? 

EUQÉNIË,  avec  un  haussement  d'épaule  de  pitié. 

Parce  que  ça  monte. 


LE    BOURGEON  33 

LE  MARQUIS,  s'inclinant. 

Ah  !  je  n'y  avais  pas  pensé. 

Il  gagne  vers  la  cheminée.  Huguette  remonte  au  fond. 


SCENE   IV 

Les  Mêmks,  MAURICE. 

La  porte  de  ^Maurice  s'ouvre  à  ce  moment  et  1  on  voit  pa- 
raître le  jeune  homme,  les  jeux  encore  lourds  de  sommeil, 
les  cheveux  décoilTés  par  le  contact  de  1  oreiller.  Il  est 
revêtu  d'un  pyjama  de  molleton  violet  foncé,  qui  laisse 
apercevoir  sa  chemise  de  nuit  ;  aux  pieds  des  pantoufles 
Sur  le  pas  de  la  porte,  il  s'arrête  et  s  étire  discrète- 
ment. 

TOUS,  à  son   entrée,  lui  faisant  accueil. 

Ah! 

LA  COMTESSE,   qui  depuis  la  fin  de  la  scène  est  debout 
derrière  la  bergère  de   droite,  accourant  vers  son  fils. 

Oh!  Tu  t'es  levé! 

MAURICE,  gagnant  la  gaucho  accompagné  par  sa  mère  qui 
le  couve.  —  Gaîment  et  gentiment. 

Oui.  maman  ça  va  mieux!  Ce  peu  de  re- 
pos m'a  fait  du  bien. 

EUGÉNIE,   empressée. 

Tu  ne  veux  pas  t'asscoir? 


34  LE   BOURGEON 

MAURIGK,    avec   insouciance. 

Oh! 

LA  COMTESSE. 

Si,  si.  (Au  marquis.)  Onfroy  !  le  roking  !  le 
roking! 

LE  MARQUIS,  tirant  lo  roking  à  lui,  de  façon  à  amener 
le  pied  de  ce  meuble  entre  lo  fauteuil  gauche  de  la  che- 
minée et  lo  tabouret. 

Voilà!  voilà! 

MAUniGE, 

Oh!  mon  oncle,  je  vous  en  prie! 

LE    MARQUIS. 

Laisse  donc  !  laisse  donc  !  Tiens,  étends-toi. 

MAURICE. 

Oh!  Je  suis  confus  ! 

Il  s'assied  sur  lo  roking. 
LA   COMTESSE,  le  calant  avec  des  coussins. 

Et  tiens,  sous  ta  tète!  sous  tes  reins! 

MAURICE,  gentiment. 

Mais,  maman,  je  vous  assure!  Vous  allez 
me  faire  prendre  pour  plus  malade  que  je 
ne  suis. 

Il   s'étend. 
LA  COMTESSE,  s'asseyant  sur  le  tabouret  près  do  son  fils. 

Allons,  allons,  veux-tu  te  laisser  soigner. 

Lo  marquis  s'assied  sur  le  fauteuil  pr6s  de  la  chemi- 
née, Eugénie  est  debout  devant  le  fauteuil  à  droite  do 
la  table. 


LE  BOURGEON  35 

MAURICE. 

Et  puis  il  va  être  l'heure  de  mon  bain  de 
mer. 

LA    COMTESSE. 

Tu  vas  prendre  un  bain  après  avoir  été 
souffrant  ! 

MAURICE. 

Mais  je  crois  bien,  maman!  cela  me  fait 
tant  de  bien  !  Qu'est-ce  que  j'ai  ?  de  la  fai- 
blesse. Eh  !  bien,  rien  ne  me  remonte  comme 
cela  !  Regardez,  hier  je  n'ai  pas  pris  de  bain 
à  cause  du  temps  et  aujourd'hui,  le  ressort 
m'a  manqué. 

LA  COMTESSE. 

En  tout  cas,  tout  à  l'heure,  doit  venir  un 
médecin  que  ton  oncle  a  eu  la  gentillesse 
de  mander  ;  je  te  prie  d'attendre  qu'il  t'ait 
vu  avant  de  te  baigner. 

MAURICE,  soumis  et  indifférent. 

Bien,  maman.  (Avec  intérêt.)  M.  le  curé  n'est 
pas  venu? 

LA  COMTESSE. 

Il  a  fait  dire  qu'il  passerait  te  voir  dans 
la  matinée.  Il  ne  tardera  pas. 

MAURICE. 

Oh!  oui  ;  sa  visite  me  fera  du  bien.  J'ai 
tant,  tant  à  lui  dire  ! 


36  LE  BOURGEON 

LA  COMTESSE. 

Eh  !  mon  Dieu,  toi  !... 

LE   MARQUIS. 

Ah!  bien...  qu'est-ce  que  je  dirais,  moi! 

LA  COMTESSE. 

Toi.  mon  pauvre  enfant! 

MAURICE. 

Oh  !  maman,  on  a  beau  faire...  on  est  des 
pêcheurs  tout  de  même. 

EUGÉNIE,  avec  un   soupir   profond. 

ïïélas! 

Elle  gagne  la   droite  et  va   s  asseoir  dans  la  bergère. 
LE  MARQUIS,   avec    le  même  soupir,  mais  ironique. 

Eh!  oui! 

MAURICE,  apercevant  Huguette,  qui,  un  peu  au-dessus  de 
la  table,  avait  été  masquée  jusque-là  à  son  cousin  par  la 
présence  d'Eugénie. 

Ah  !   Huguette...    Je  ne  te   voyais   pas. 

(Huguetto  descend  entre  le  fauteuil  à   droite   de  la   table  et 

la  table.)  Eh!  qu'cst-cc  qui  t'est  arrivé? 

EUGÉNIE,  tricottant. 

Ah!  oui.  gTonde-la!  Elle  a  encore  fait  de 
ses  folies. 

MAURICE,    sur   un  Ion  de  reproche  affectueux. 

Oh! 


LE   BOURGEON  37 

HUGUETTE,   à   Eugénie. 

Oli!  vous  n'avez  pas  besoin  d'inciter  Mau- 
rice à  me  gronder;  il  est  déjà  assez  porté 
à  voir  tous  mes  défauts  ! 

MAURICE,    avec  douceur. 

Tu  m'en  veux  encore  de  ce  que  hier  je 
me  suis  cru  autorisé  par  l'affection  que  je 
te  porte... 

HUGUETTE,  sur  un  ton   où  perce  un  peu  de  dépit. 

Mais  pas  du  tout...  seulement  je  sens  que 
je  suis  tellement  indigne..! 

MAURICE. 

Comme  tu  me  parles  durement  !  Jadis 
nous  étions  si  bons  camarades  I 

HUGUETTE,  même  ton. 

C'est  que  jadis  tu  étais  un  garçon  comme 
tout  le  monde.  Maintenant  tu  es  un  saint! 

MAURICE,  se  défendant  en  souriant. 

Oh!    . 

HUGUETTE. 

Mais  si  !  Tout  le  monde  est  d'accord  là- 
dessus.  Eh  !  bien,  moi,  je  ne  suis  pas  une 
sainte;  alors,  n'est-ce  pas,  je  sens  tellement 
la  distance..! 

Maurice  pousse  un  soupir. 
LA    COMTESSE,   sur   un   ton  de  reproche. 

Huguctte!  mon  enfant. 


38  LE   BOURGEON 

LE    MARQUIS,   se   levant  et  affectueusement  grondeur. 

Voyons,  Huguette  1 

HUGUETTE,  allant  à  la  tricoteuse  prendre  son  chapeau. 

Qu'est-ce  que  vous  voulez,  ma  tante?  ou 
est  ce  qu'on  est!  Je  ne  peux  pas  me  refaire. 
(Brisant  la  discussion.)  Allons.  je  vais  luc  chan- 
ger !  Comme  cela  on  ne  verra  plus  les  tra- 
ces de  mes  folies  I  A  tout  à  l'heure. 

LE  MARQUIS,  avec  un  geste  amical  de  la  main. 

A  tout  à  l'heure. 

Il  remonte  par  la  gauche  de  la  table. 
HUGUETTE,   sort  dans    le  hall  ;  à  peine  sortie,  elle  re- 
passe  la  tète. 

Tenez  !  voici  mon  cousin  Hector  qui  ren- 
tre !  Je  vous  le  passe  ! 

Elle  disparaît  à  droite.  Pendant  les  répliques  suivantes 
on  voit  Heurteloup  arriver  dans  le  hall. 

LE    MARQUIS,  au-dessus  et  à  droite  de  la  table. 

Elle  est  drôle,  cette  petite. 

LA  COMTESSE,  avec  une  moue. 

Tu  trouves  ! 


SCENE  V 

Les  Mêmes,  HEURTELOUP. 

Il  est   en  veston  d'alpaga  noir,    pantalon  noir  ;   petite  cra- 
vate   noire  de  la   largeur  d'une   ficelle    autour    du   cou. 


LE   BOURGEON  39 

et  dont  le    nœud   a  tourne  sur   le  côté  ;    aux    pieds    de 
grosses  bottines  noires.   Des  pinces  serrent  son  pantalon 
autour  de  sa  cheville  ;  il  a  un   feutre  mou  sur  la  tête. 

HEURTKLOUP,   retirant  son   feutre   et  s'dpongeant   le 
front. 

Oli!  mes  enfants,  quelle  chaleur  dehors!.. 

Il  va  a  la  comtesse. 
LA  GOMTKSSE,   à  qui  lleurteloup  baise  la  main. 

Aussi,  mon  cher  Hector,  faire  de  la  bi- 
cyclette par  une  température  pareille... 

HEURTELOUP,  allant  embrasser  sa   femme. 

C'est  vrai  ! 

KUGÉNIE. 

Oh  1  regarde  un  peu,  tu  es  en  transpira- 
tion. 

HEUPiTELOUP,  allant  serrer  la  main  du  marquis  toujours 
à  sa  même  place. 

C'est  cette  montée  en  plein  soleil.  (Redes- 
cendant.) Ah!  je  vous  annonce  la  visite  de 
M.  le  curé  ;  je  viens  de  le  brûler  sur  la  route  ; 
il  se  dirigeait  de  ce  côté. 

MAURICE,  avec  joie« 

Ah? 

HEURTELOUP. 

Au  moment  où  je  l'ai  croisé,  il  m'a  crié  : 
<(  A  tout  à  l'heure,  je  vous  rejoins.  »  (ou  en- 
tend très    au  lointain  deux  coups  do  timbre  bien  distincts.) 


40  LE   BOURGEON 


Et  tenez,  il  franchit  la  grille  du  parc  !  On 
vient  de  timbrer  deux  fois. 

LA   GOMTKSSE. 

En  eii'et. 

Elle  se  lève  et  reinoate.  Pendant  ce  qui  suit,  on  voit 
Luc  arriver  de  droite  par  le  hall,  et  aller  ouvrir  la 
porte  donnant  sur  le  perron  pour  recevoir  le  curé 
à  son  arrivée. 

HEUUTELOUPj  allant   par  devant,  serrer    la   main 
à  .Maurice. 

Bonjour,  Maurice.  Eh!  quoi  :'  pas  encore 
habillé. 

MAURICE. 

J'ai  été  un  peu  indisposé  tout  à  Tlieure. 

HEURTELOUP. 

Allons,  bon,  encore! 

MAURICE. 

Oui,  mais  c'est  fini  à  présent.  Et...  il  y 
avait  beaucoup  de  monde  à  l'église  :' 

HEURTELOUP. 

A  Concarneau '?  Ah!  plein!  tu  penses:  un 
sermon  du  Père  Euchariste!  Vraiuient  il  est 
admirable  ! 

MAURICE. 

Ah!  oui. 

HEURTELOUP. 

Quelle  fougue!  Quelle  force  de  persuasion! 
Quelle  éloquence!  Ahl  ranimai. 


LE    BOURGEON  41 

EUGÉNIE,  sévèrement. 

Hector  ! 

IIEURTELOUP,  allant  à   Eugénie. 

Pardon  :  lapsus!  (corrigeant.)  Quel  orateur! 

EUGÉNIE. 
A  la  bonne  heure...   (Remarquant  sa  cravate  toute 

de  travers.)  Oli !  comme  ta  cravats  est  mise  ! 

HEURTELOUP,    pendant    que  sa    femme     lui    arrange    sa 
cravate. 

Oh!  qu'est-ce  que  ça  fait  ?  tu  penses  bien 
que  je  vais  me  changer...  et  puis,  si  tu  crois 
que  je  m'occupe  de  ces  colifichets! 

EUGÉNIE,  lui   refaisant  son  nœud. 

Ah!  tu  n'es  pas  coquet!  (Le  nœud  fait.)  Là, 
au  moins..! 

HEURTELOUP. 

Tu  es  contente,  hein?  quand  tu  peux  me 
donner  l'air  d'un  gandin. 

LE   M.\RQUI.S,    sur  le  ton  le  plus  sérieux. 

Le  fait  est  qu'on  pourrait  s'y  tromper. 

HEURTELOUP. 

Oui  ?  Eh  bien  vous  êtes  témoin  que  c'est 
le  fait  de  ma  femme. 

Il  gagne  l'extrême  droite.  A  ce  moment  on  aperçoit 
1  abbé  dans  le  hall,  introduit  par  Luc.  La  comtesse 
va  au-devant  do  lui. 


42  LE  BOURGEON 


SCENE   VI 

Les  Mêmes,  L'ABBÉ  BOURSET  *. 

LA.   COMTESSE,    allaut  au-devant    de   l'abbé. 

Ah!  monsieur  le  curé,  que  c'est  gentil I 

l'abbé,  descendant  accompagné  de  la  comtesse. 

Vous  êtes  vraiment  trop  bonne,  madame 
la  comtesse  I  Monsieur  le  marquis,  je  vous 
présente  mes  hommages. 

Il   va  vers  Maurice. 
MAURICE,  se   levant. 

Ah!  mon  clier  père,  je  vous  attendais  avec 
impatience. 

l'abbé. 

Voulez-vous  bien  ne  pas  bouger,  mon 
cher  enfant. 

MAURICE. 

Mais  pourquoi  donc?  Je  suis  solide  à  pré- 
sent. 

l'abbé. 
Non,  non,  je  vous  en  prie,  restez  assis! 

*  Maurice  1  ;  le  Marquis  2,  au  dessus  de  la  table  ; 
l'AbLé   3;  la  Comtesse  4;   Eugénie  5;  Ileurteloup  G. 


LE   BOURGEON  43 

(a  Eugénie.)  Madame,  mes   respects  !  (a  Heurte- 

loup,  sans  aller  à  lui.)  MonsicUF  ÏÏCUrteloup,  jC  nC 

vous  dis  pas  bonjour,  c'est  déjà  fait  sur  la 
route. 

HEURTELOUP. 

Oui.  monsieur  le  curé. 

l'abbé,  s'asseyant  sur    le  tabouret   près  de   ^Maurice   qui 
s'est  rassis  sur  la  chaise  longue  mais  sans  s  étendre. 

Alors,  quoi  donc,  mon  cher  enfant?  vous 
avez  encore  eu  un  de  ces  vilains  malaises? 

MAURICE. 

Mon  cher  père,  la  santé  corporelle  est  peu 
de  chose  à  côté  de  la  santé  spirituelle  et 
c'est  celle-ci  qui  me  préoccupe.  Voilà  pour- 
quoi j'ai  besoin  de  votre  direction  éclairée. 
Si  j'avais  été  mieux,  je  me  serais  rendu  à 
votre  confessionnal. 

l'abbé. 

Je  suis  tout  à  votre  dévotion,  mon  cher 
enfant. 

LA   COMTESSE. 

Nous  allons  te  laisser,  mon  chéri  ;  si  tu 
désires  t'entrctenir  avec  M.  le  curé... 

MAURICE. 

Pourquoi,  ma  mère?  nous  pouvons  aussi 
bien  passer  dans  ma  chambre,  M.  le  curé 
et  moi. 


44  LE   BOUr.GEON 

LA  COMTESSE. 

Mais  non.  mais  non  !  d'ailleurs,  j'ai  des 
comptes  à  vérifier:  Eugénie  viendra  m'ai- 
der.  Quant  au  marquis,  il  ira  au-devant  du 
docteur;  c'est  bien  le  moins  qu'on  lui  doive. 

LE    MARQUIS. 

Mais  oui!  et  puis  ça  me  dégourdira  les 
jambes. 

HEURTELOUP. 

Et  moi,  ma  mission  est  toute  tracée  :  je 
suis  en  transpiration,  je  vais  me  changer. 

MAURICE. 

Comme  vous  voudrez. 

Tout  le  monde  remonte  pour  laisser  Maurice  et  l'abho  ; 
le  marquis  et  la  comtesse  en  tête,  Eugénie  et  Heur- 
teloup  en  dernier, 

L  ABBÉ,  hélant  Heurteloiip  de  sa  place. 

M.  Heurteloup! 

Tout  le  monde  s'arrête  à  1  appel  de  1  abbé.  ^Maurice 
assis  sur  le  pied  de  la  chaise  longue,  la  tête  dans 
sa  main,  le  coude  sur  le  genou,  s'absorbe  pendant 
ce  qui  suit  dans  seS' méditations. 

l'abbé. 
Vous  reveniez  de  Concarneau   quand   je 
vous  ai  croisé  tout  à  l'heure? 

HEURTELOUP. 

Oui.  monsieur  le  curé. 


LE   BOURGEON  45 

l'abbé,   sur  un   ton   d'affectueux  reproche. 

Le  service  divin  de  notre  humble  église 
de  villag'e  alors  ne  vous  suffit  pas  ? 

HEURTELOUP,  do-jcendant  vers   l'abbé. 

Oh!  ce  n'est  pas  cela...  Mais  la  bicyclette 
m'est  recommandée,  et  puis,  la  perspective 
d'entendre  prêcher  le  révérend  Père  Eu- 
chariste...! 

l'abiîé. 

Ah!  oui...  Cela  a  dû  être  un  désappointe- 
ment pour  les  fidèles  d'apprendre  qu'ils  en 
seraient  privés. 

HEURTELODP,  très  visiblement  décontenancé. 

Ilein?  Comment?  Mais...  pas  du  tout. 

Tout  le  monde  redescend  un  peu,  excepté  le  marquis 
qui  reste  au-dessus  du  fauteuil  de  droite  de  la  ta- 
ble, et  le  monocle  dans  l'œil,  se  met  à  observer 
Heurteloup  d'un  air  narquois. 

EUGÉNIE,  descendant    (6). 

En  quoi  privé?...  Le  Père  Euchariste  a 
prêché, 

LA  GOMTKSSE,   descendant   (S). 

Il  a  même  été  d'une  éloquence,  paraît-il! 

l'abbé.  * 
Mais  ce  n'est  pas  possible!...  Il  a  la  rou- 
geole depuis  deux  jours. 

M.  survie  roking,  l'Ab.  sur  le  tabouret,  Heurteloup  près 
de    l'Abbé,  le  Marquis   au-dessua    de  la   table,  la  G.,  Eug. 

3. 


46  LE   BOURGEON 

HEURTELOUP,    de  plus   en  plus  gêné. 

Mais  voyons...  oh!  vous  faites  erreur,  je 
vous  assure. 

Il    remonte. 

l'abbé. 
Enfin,  voyez  plutôt  les  journaux  catho- 
liques ;  les  avez-vous  là  ? 

HEURTELOUP,  vivement  et  instinctivement  se  rap- 
prochant  de  la  tricoteuse. 

Non,  non  I 

LA    COMTESSE,   étonnée. 

Tiens!.,   comment..? 

LE    MARQUIS,  bien  perfide,   le  sourire  aux   lèvres. 

Si.  si,  ils  sont  là. 

Il  indique  la  tricoteuse  d'un  geste  de  la  tête, 
LA  COMTESSE,  allant  à  la  tricoteuse. 
Ah  I  ça  m'étonnait  aussi  !  (Grimace  d'neurte- 
loup.  La  comtesse  prend  les  journaux  de  la  main  droite.  Au 
moment  de  les  passer,  elle  aperçoit  dans  le  nombre  le  Rire 
posé  là  par  le  marquis.  Elle  détache  aussitôt  ce  journal  des 
autres  en  le  prenant  avec  horreur  du  bout  des  doigts  de 
sa  main    gauche.  ,\vec  répugnance,   le   tenant   loin   d'elle.) 

Qu'est-ce  que  c'est  que  ça  ? 

LE    MARQUIS,  le  plus  naturellement  du  monde. 

Ah!  c'est  le  Rire.  C'est  à  moi. 

LA    COMTESSE  (5)   passant    le    journal  à    llourteloup  (4) 
qui  le  passe  au  marquis  (3). 

C'est   toi   qui  introduis  ces  choses    clioz 
moi  I.., 


LE   BOURGEON  47 

L  ABBÉ,  curieusement  et  avec  bonne  humeur. 

C'est  le  numéro  de  cette  semaine?  Oh! 
vous  permettez...? 

Il  se  lève, 

LE   MARQUIS,   lui  tondant  le  numéro. 

Mais  comment  donc,  monsieur  le  curé. 

Les  deux  femmes  échangent  un  regard  d'étonnement. 
LA    GOMTESSK. 

Eh!  quoi,  monsieur  le  curé,  vous  n'êtes 
pas  scandalisé  ? 

EUGÉNIE. 

Le  Rire,  monsieur  le  curé!  le  Rire! 

L'ABBÉ. 

Mais  oui,  madame,  le  Rire!...  le  rire  est 
une  helle  qualité  française  qui  n'a  jamais 
contaminé  personne,  et  ma  foi,  j'avoue  que 
je  le  salue  partout  où  je  le  rencontre. 

EUGÉNIE,  n'en  croyant  pas  ses  oreilles. 

Oh! 

L'ABBÉ. 

Vous  me  le  prêtez,  monsieur  le  marquis. 

LE   MARQUIS. 

Mais  volontiers. 

l'abbé. 
Merci. 

Il  plie  le  journal  et  le  mot  dans  la  poche  de  sa  sou- 
tane. —  La  comtesse,  ahurie,  a  considéré  cette  scène 
bouche  bée,  les  bras  écartés.  —  Heurteloup  qui  est 
à  côté  d'elle,  et  qui  n'a  pas  perdu  de  vue  les  jour- 


48  LE   BOURGEON 

naux  qu'elle  tient  toujours  à  la  main,  les  lui  tondant 
pour  ainsi  dire,  ne  manque  pas  une  aussi  bonne  oc- 
casion de  les  subtiliser  ;  le  plus  naturellement  du 
monde  et  sans  que  la  comtesse  s'en  aperçoive,  il  les 
lui  prend  et  les  glisse  aussitôt  entre  son  veston  et 
son  gilet.  Ce  jeu  de  scène  très  rapide  n'échappe  pas 
au  marquis. 

l'abbé. 
Là...  et  maintenant  les  journaux! 

LA    COMTESSE,  s'apercevant  seulement  do  leur  dispa- 
rition. 

Ah!...  Eh!  bien,  les  journaux?  les  jour- 
naux? 

LE  MARQUIS  indiquant  malicieusement  Ileurteloup  qui 
remonte  à  pas  de  loup  vers  le  hall  avec  le  vague  espoir 
de  passer  inaperçu. 

C'est  Heurteloup  qui  les  a. 

LA   COMTESSE  et  EUGÉNIE. 

Hector!  Hector! 

LA  COMTESSE. 

Les  journaux! 

HEURTELOUP. 
Hein?  all!    oui...    tiens!    (En  manière  d'excuse.) 

inadvertance! 

LE  MARQUIS,  moqueur. 

Evidemment!  Evidemment! 

HEURTELOUP,  les  tendant  à  l'abbô. 

Pardon  ! 

l'abbé,  prenant  les  journaux  et  se  rasseyant  sur  le  tabouret. 

^  Ah!   La   Croix  du   Finistère...    voyons. 


LE   BOURGEON  49 

(il  déplie  la  feuille   en  question.)  Eh  !  teneZ  !   (Lisant.) 

Nous  apprenons  que  le  R.  P.  Eucharistc 
dont  la  parole  vibrante  a  si  souvent  tou- 
ché les  cœurs  de  nos  lecteurs,  est  atteint 
d'une  rougeole  bénigne,  ce  qui  le  met  dans 
l'obligation  de  remettre  à  plus  tard  le  ser- 
mon qu'il  devait  prononcer  aujourd'hui  de- 
vant les  fidèles  de  Concarneau.  (AHcuneioup.) 
Vous  voyez  que  je  n'invente  rien. 

EUGÉNIE,  étonnée  mais  sans  défiance. 

Qu'est-ce  que  cela  signifie? 

HEURTELOUP,  allant  à  sa  femme. 

Mais  je  ne  sais  pas  I  Qu'est-ce  que  tu  veux 
que  je  te  dise?  Ou  c'est  un  canard,  ou  alors 
il  aura  été  remplacé  et  j'aurai  pris  un  au- 
tre pour  lui. 

EUGÉNIE,   facile  à  convaincre. 

Ah  I  peut-être,  oui,  oui. 

La   comtesse  qui  était  un  peu  redescendue    pendant    la 
lecture,  remonte  au  fond  vers  le  marquis. 
HEURTELOUP. 

Ce  que  je  peux  dire  c'est  qu'il  y  a  un  do- 
minicain qui  a  prêché  ;  maintenant,  est-ce 
le  P.  Euchariste,  ça?...  En  tous  cas,  il  a 
joliment  bien  prêclié.  Ah!  le  bougre! 

EUGÉNIE,  sévèrement. 

Hector  ! 


50  LE   BOURGEON 

HEURTELOUP. 

Pardon,   lapsus!...    Allons,    je    vais   me 
changer. 

LA  COMTESSE. 

C'est  cela!   Laissons  Maurice  avec  M,  le 
curé. 

LE    MARQUIS. 

A  tout  à  l'heure. 

Ils   sortent 
EUGÉNIE,  tout  en  sortant  derrière  eux  avec  Heurteloup, 

Et  sur  quoi  a-t-il  prêché  ? 

HEURTELOUP. 

Oh  !  bien  tu  sais,  un  peu  sur  tout,  un  peu 
sur  rien...  comme  on  prêche. 

Ils  disparaissent  à  droite,  à  la  suite  de  la  comtesse. 
Le  marquis  a  pris  son  chapeau  et  sort  par  le  fond 
pour   aller  à  la   rencontre   du  docteur. 


SCENE    Vil 

L'ABBÉ,  MAURICE. 

l'abbé,  qui  s'était  levo  à  la  sortie  p-énorale,  allant  à 
Maurice  et  paternellement  lui  mettant  la  main  sur  1  o- 
paule,  ce  qui  le  tire  de  sa  méditation. 

Eh  I  bien,  nous  voici  seuls,  mon  cher  en- 


LE   BOURGEON  51 

fant;  qu'avez-vous  donc  de  si  grave  à  con- 
fesser ? 

MAURICE. 

Oh  !  mon  père,  mon  père,  je  m'accuse 
parce  que  j'ai  péché,  monstrueusement  pé- 
ché. 

Il  se   laisse  tomber  sur  les  deux  genoux. 

l'abbé,  le   relevant  et  le  faisant  asseoir  sur  le  pied 
de  la  chaise  longue. 

Mon  enfant!  Mon  fils,  relevez-vous!  («'as- 
seyant en   face    et  tout  près   de  lui,  sur  le  tabouret.)   Ici 

nous  ne  sommes  pas  au  confessionnal  ;  et 
confiez-vous  à  moi,  comme  à  votre  père  spi- 
rituel. Je  suis  sûr  que  vous  vous  exagérez 
vos  fautes. 

MAURICE. 

Oh  !  non,  mon  père.  Dieu  m'est  témoin 
pourtant  que  ma  volonté  n'y  est  pour  rien. 
Comment  dans  mon  cerveau,  dont  j'écarte 
avec  tant  de  zèle  toute  idée  coupable,  a-t-il 
pu  germer  une  horreur  pareille!..  Cette 
nuit,  j'ai  fait  un  cauchemar  :  j'ai  vu  la 
Magdeleine  au  pied  de  IV.  S.  Jésus-Christ. 
Elle  était  belle,  belle!  ses  cheveux  étaient 
défaits  et  son  corps  était  nu  jusqu'à  la 
taille...  Elle  implorait  Notre  Seigneur  et  ses 
yeux  brûlaient  d'un  amour  profane.  (L'Abbé 


52  LE    BOURGEON 

hocho  la  têto.)  Oh  !    commont    oserai-jo    vous 
dire...? 

Il  ramène   son   bras   sur   son   front   pour   dissimuler  sa 
honte. 

l'abbé,  paternellement. 

Allez,  mon  enfant,  allez  ! 

MA.URIGE,    faisant  un  elTort  sur  lui-même  et  reprenant 
sa  confession. 

Tout  à  coup,  je  m'aperçus  que  le  Christ 
me  ressemblait;  oui.  mon  père,  le  Christ, 
c'était  moi  !  Quel  sacrilège  !  Quel  péché 
d'orgueil!...  et  la  Magdeleine,  la  Magde- 
leine  c'était  traits  pour  traits  la  Claudie. 
notre  servante!  Elle  me  regardait,  avec  ces 
yeux  que  je  lui  ai  déjà  vus  en  réalité,  ces 
yeux  qui  me  gênent...  et,  c'est  atfreux  à 
dire  :  moi,  moi  le  Christ,  au  lieu  de  repous- 
ser ses  avances,  d'essayer  de  l'amener  au 
bien,  de  lui  dire  les  mots  qui  purifient,  je 
n'avais  pas  le  courage  !  que  dis-je  ?  j'éprou- 
vais comme  une  joie  de  sa  présence,  son 
regard  me  troublait,  sa  caresse  me  rete- 
nait !  C'était  moi,  moi  qui  la  rapprochais  de 
moi,  et  avant  que  j'aie  pu  me  ressaisir, 
oh!  mon  père!  je  devenais  humainement 
et  misérablement  sa  chose!...  (Avec  des  san- 


LE    BOURGEON 


giots.)  Vous  entendez,  mon  père,  sa  chose! 
sa  chose! 

Il  so   laisse  tomber  aux    pieds   du    prêtre   et   sanfrlote, 
la  tête  enfouie  dans  son  bras  et  appu\ée  sur  les  ge- 
noux de  l'abbc. 
l'abbé,  lui  caressant  paternellement  la  tête. 

Mon  enfant!  Mon  pauvre  enfant. 

MAURICE,   relevant  la  tête. 

Ah!  Comment  expierai-je  un  pareil  sacri- 
lège !     (il  se  lève  et  passe  à  droite.)   Quaud    jC     me 

suis  éveillé,  j'ai  prié;  j'ai  prié  jusqu'au  ma- 
tin, implorant  mon  pardon,  me  déchirant 
la  poitrine,  me  meurtrissant  les  chairs  ; 
mais  je  le  sens  bien  :  Dieu  s'est  retiré  de 
moi  ! 

l'abbé,  se  levant  (l)  et  allant  à  lui  (2). 

Non,  mon  enfant,  non!  Dieu  ne  s'est  pas 
retiré  de  vous  !  Certes  votre  rêve  est  crimi- 
nel et  le  démon  vous  a  visité  cette  nuit. 
Mais  croyez-vous,  que  tous,  et  parmi  les 
plus  saints,  nous  n'avons  pas  eu  à  subir 
des  épreuves  pareilles  ?  Est-ce  que  S.  An- 
toine n'eut  pas  à  résister  à  toutes  les  ten- 
tations qui  l'hallucinaient?  Sa  sainteté  en 
a-t-elle  été  diminuée  ? 

MAURICE. 

Oh  !  mon  père,  si  c'était  vrai  ! 


54  LE   BOURGEON 

l'abbé,  lui  prenant  le  bras. 

Dieu    ne     retient    que    les    péchés    que 
riiomme  commet  à  l'état  conscient  ;  (Tout  en 

marchant  de  façon  à  gagner  tous  deux  la  droite  de  la  scène.) 

Mais  sa  miséricorde  est  trop  grande  pour 
qu'il  fasse  un  grief  d'un  péché  qui  se  pro- 
duit en  dehors  du  lihre  arbitre.  Aussi,  est- 
ce  en  son  nom,  mon  fils,  que  je  vous  absous, 
et  que  je  vous  dis  :  allez  en  paix,  vos  pé- 
chés vous  sont  remis. 

MAURICE,  so  précipitant  dans  ses  bras. 

Oh!  mon  père,  mon  père,  que  la  bonté  de 
Dieu  est  infinie! 

l'abbé,  le   serrant  dans  ses  bras. 

Mon  cher  enfant!   Que  j'admire  l'ardeur 
de  votre  foi  de  néophyte. 

MAURICE. 

Mon  père,  je  suis  lieureux. 

L'abbô  l'embrasse. 


LE    BOURGEON  55 


SCENE  VIII 

Les  Mêmes,  LA  COMTESSE,  puis  LUC  dans  le 
hall,  LE  MARQUIS  et  VÉTILLE. 

LA    COMTESSE. 

Dans  les  bras  l'un  de  l'autre  !  Voilà  qui 

est  de  bon  augure.  (Descendant  au-dessus  du  fauteuil 

de  droite  de  la  table.)  Je  VOUS  demande  pardon 
de  vous  interrompre  :  (a  Maurice.)  Maurice, 
voici  le  docteur. 

MAURICE. 

Comment!  Déjà!  On  n'a  pas  averti. 

LA    COMTESSE. 

Je  te  demande  pardon,  on  a  timbré  deux 
fois  *.  Dans  le  feu  de  votre  entretien  vous 
n'aurez  pas  entendu. 

MAUHIGE,  montrant  l'abbé. 

Ah!  ma  mère,  mon  meilleur  médecin,  le 
voici. 

Les  doux  coups  de  timbre  dont  parle  la  comtesse  ne 
doivent  pas  avoir  été  sonnés  ;  le  public  devant  avoir,  comme 
Maurice,   1  illusion  de  ne  pas  les  avoir  remarqués. 


ôG  LE    BOUKGliOX 

LA.    CD.MTKSSE. 

Ah!  voici  ces  messieurs. 

Sur  ces  dernières  répliques,  on  a  vu  dans  le  hall  pa- 
raître Luc  qui  est  allô  se  planter  à  son  poste  près 
de  la  porte  donnant  sur  le  perron.  —  Arrivent  le 
marquis  et  Vétille  que  Luc   introduit  aussitôt. 

LR    MARQUIS,  s'effaçant  pour    laisser  passer  le  docteur. 

Tenez,  si  vous  voulez  entrer,  mon  cher 
docteur  ? 

VÉTILLE,   uniforme  do  médecin  principal. 

Pardon. 

Se  trouvant  face  à  face  avec  la  comtesse,   il  s  incline. 
LE    MARQUIS   (3). 

Ma  chère  sœur,  je  te  présente  mon  ami, 
monsieur  le  médecin  principal,  Vétille. 

VÉTILLE  (2). 

Madame,  très  honoré. 

LA    COMTESSE,    (l)   descendant   en    sc^ne    tout    en 
parlant. 

Combien  c'est  aimable  à  vous  de  vous 
être  dérangé.  Docteur!...  vraiment,  par 
cette  chaleur...! 

VÉTILLE,  descendant  à  l'exemple  do  la  comtesse 

Il  fait  chaud,  en  effet!  il  fait  chaud! 

LA    COMTESSE. 

Et  surtout  en  uniforme! 


LE    BOURGEON  57 

VÉTILLE. 

Ah!  ça.  madame,  c'est  un  principe  chez 
moi  !  Je  déplore  la  fâcheuse  tendance  que 
je  vois  chez  les  officiers  de  se  mettre  en 
pékins  dès  qu'ils  peuvent.  On  doit  avoir 
l'orgueil  do  son  uniforme. 

LA    COMTESSE. 

Ces  sentiments  vous  font  honneur. 

VÉTILLE,  tout  en  se  retournant  vers  1  abbô  qui  est  devant 
le   fauteuil  à  gauche  de  la  berge. e. 

En  tous  cas,  c'est  ma  façon  de  voir,  ça 
ne  fait  de  mal  à  personne  ;  (a  l'abbo  sans  tran- 
sition.) Vous  êtes  ecclésiastique,  monsieur, 
si  je  ne  me  trompe...? 

l'abbé,  souriant. 

Et  catholique,  oui,  monsieur. 

LA   COMTESSE,   présentant 

M.  l'abbé  Bourset,  curé  de  notre  village. 

VÉTILLE,   s'inclinent. 
Ah!   parfaitement!    (Poursuivant  sa  pensée.)  Eli! 

bien,  il  ne  vous  vient  pas  à  l'idée  de  vous 
mettre  en  pékin  ?  Alors,  pourquoi  est-ce 
que  je  m'y  mettrais? 

l'aubé. 
Parfaitement  dit. 

Il  remonte. 


58  LE   BOURGEON 

LA    COMTESSE,   présentant  sou  fils    qui    est    deriôrc    la 
bergère  et  redescend  par  1  extrême  droite. 

Je  vous  présente  également  mon  fils. 

IMaurice  s'incline 

VÉTILLE,  allant  à  Maurice  et   se  plantant  devant  lui   en 
assujôtissant  son  lorgnon  sur  son  nez. 

Aha  !  C'est  le  jeune  phénomène  en  ques- 
tion. 

LA    COMTESSE. 

C'est  lui  dont  la  santé... 

VÉTILLÉjles  deux  poings  sur  les  hanches,  et  dévisageant 
Maurice  comme  il  le  ferait  d  un  soldat  au  régiment 

Oui,  oui,  je  suis  au  courant...  Le  marquis 
m'a  exposé  en  venant...  Eh!  bien,  mais... 
je  ne  peux  pas  vous  répondre  comme  ça, 
moi!  faudrait  voir...  faudrait  voir! 

LA    COMTESSE,  esquissant  un  mouvement  dans  la  direc- 
tion de  la  chambre  du  fond. 

Si  vous  voulez,  docteur,  que  nous  passions 
dans  la  chambre  de  mon  fils. 

VÉTILLE. 

Elil  bien,  mais...  ça  me  parait  ce  qu'il  y  a 
de  plus  pratique. 

LA   COMTESSE,   à  son  fils,  l'invitant  à  se  ren<lro  dans 
sa  chambre. 

Maurice! 

MAUlircK. 

Voilà  maman. 


LIS  BOURGEON  50 

Il   remonte  par  l'extrême  droite  ;  Vétille  remonte  à  la 
suite    de  la    comtesse.  —  A   ce    moment  ou   entend 
lieux  coups  de  timbre  au  lointain. 
LA.   COMTESSE. 

Oh  !    justement    voici    du   monde,    dépô- 

chonS-nOUS  !  (a  l'abbé  et  au  marquis,  qui  sont  restés  en 

place.)  Vous  permettez!  (ns  s'inclinent.)  Par  ici 
docteur  ! 

Elle  entre  dans  la  chambre  de  Maurice  suivie  du  doc- 
teur et  de  Maurice.  —  On  voit  comme  précédemment 
paraître  Luc  dans  le  hall  pour  attendre  les  nouveaux 
arrivants. 


SCENE    IX 

LE  MARQUIS,  L'ABBÉ,  puis  LUC,  ÉTl  EN- 
NETTE,  GUÉRASSIN. 

LE    MARQUIS,   de  sa  place,   c'est-à-diro  au-dessus  do  la 
table.   —  Après  un  temps. 

Dites  donc,  monsieur  le  curé!  vous  tenez 
à  voir  le  monde  ? 

l'abbé^  derrière  la  bergère. 

Pas  du  tout. 

LE    MARQUIS. 

Moi  non  plus  !  Eh  !  bien,  si  nous  cédions 
la  place..?  Allons  fumer  une  bonne  pipe 
dans  ma  chambre. 


60  LE    BOURGEON 

l'abbé,  bien  bonhomme. 

C'est  que...  je  ne  fume  pas. 

LE    MARQUIS. 

J'ai    dit:  «  une.,  bonne  pipe  ».  C'est  niui 
qui  la  fumerai. 

Il  va  à  1  abbé 

l'abbé. 
Ah!  A  ce  compte-là,  je  veux  Lien. 

LE   MAE.QUIS,   apercevant  Étiennette  suivie  de  Guôrassin 
qui  pénètre  dans  le  hall. 

Oh!...  Venez  monsieur  le  curé. 

Il  lui  prend  le  bras  et  l'entraîne.  Tous  deux  sortent  par 
la   droite   premier  plan.  —  Pendant  ce  qui  précède 
on    a    vu  Guérassin    retirer   son  cache-poussière  que 
Luc  a  déposé  sur  la  table  du  hall. 
LUC,    une    fois    la   sortie   de    1  abbé  et    du   marquis,  intro- 
duisant. 

Si  monsieur  et  madame  veulent  entrer, 
je  vais  aller  prévenir  madame  la  comtesse. 

ÉTIENNETTE   (2). 
C'est  cela!   (Luc  va  frapper  à  la  porte  de  Maurice  et 
entre.  — A  Guérassin,  après  la  sortie  de  Luc.)  DlS  doUC  ! 

Bien,  ici!   pur!   noblesse  vieille  roche!  Ça 
se  sent. 

GUÉRASSIN   (l). 

Arcllipur. 

ÉTIENNETTE. 

Archi. 


LE   BOURGEON  61 

LUC,  ressortant  de  la  chambre  de  Maurice  et  sans 
descendre. 

Madame    la   comtesse    prie  madame   de 
l'attendre  un  instant. 

ÉTIENNETTE. 

Bien  !    (I-uc  gagne  le  hall  dont  il  referme  la  porte  sur 

le   salon     —    Étiennette    s  assied    sur    le    petit  fauteuil    à 

gauche   de  la    bergère   tandis    que   Guêrassin   en  fait  autant 

sur  le   fauteuil  à  droite  de  la   table.    —   Une    fois    assis.) 

Mais  qu'est-ce  que  je  disais  donc  ?  Ah  !  oui . . . 
Alors,  n'est-ce  pas  ?  en  bas  :  le  salon  ; 
guérâssin. 
Oui! 

ÉTIENNETTE. 

La  salle  à  manger  ; 

GUÊRASSIN. 

Oui... 

ÉTIENNETTE. 

Et  du  billard  je  fais  ma  chambre  à  cou- 
cher. 

GUÊRASSIN. 
Oui,    (Changeant  de  ton.)     Oll  !      bicil,     tU     Sais, 

comme  je  n'y  suis  pas  admis... 

ÉTIENNETTE,  avec   un  sourire  narquois. 

Oh  !  tu  ne  voudrais  pas  I 

GUÉKASSIN. 

Tiens,  pourquoi  donc? 


62  LE   BOURGEON 


ÉTIENNETTE. 

Mais  voyons  !  Il  y  a  trop  long-temps  qu'on 
se  connaît!  Ces  choses-là,  c'est  tout  de  suite 
ou  jamais. 

GUÉIIASSIN. 

C'est  consolant  ! 

ÉTIENNETTE. 

Mon  pauvre  vieux,  aujourd'hui,  tu  es  le 
«sans  importance,  »  pour  moi!...  D'ail- 
leurs comme  pour  mes  amants.  Regarde  : 
quand  ils  s'absentent,  à  qui  me  confient- 
ils?  à  toi  !  Musignol  mon  actuel,  au  moment 
de  partir  en  manœuvres,  qu'est-ce  qu'il  t'a 
dit?  «Tu  tiendras  un  peu  compagnie  à  Etien- 
nettcl  »  Pourquoi?  Parce  qu'on  sait  que  tu 
es  de  tout  repos. 

GUÉRASSIN',   avec  un  sourire  vexé. 

C'est  ça  I  C'est  exquis  1 

ÉTIENNETTE,  se   levant  et  remontant    tout    en  parlant. 

Oh!  Tiens,  tu  ne  mérites  pas  ton  bon- 
heur. 

GUÉRASSIN,  ronchonnant. 

Oui,  c'est  entendu. 

ÉTIENNETTE,  avec  un  soupir  de  regret. 

Et  pourtant  si  au  lieu  de  toi,  tout  de 
même,  j'avais  fait  cette  tournée  d'auto  avec 
un  autre...  ! 


LE   BOURGEON  63 

GUÉRASSIN,  idem. 

Non.  mais  va  donc  ! 

ÉTIENNETTE, 

Je  ne  sais  pas  si  c'est  la  griserie  de  la 
vitesse,  si  c'est  la  campagne,  l'air  de  la 
mer.  le  vent  chaud,  le  soleil?...  Ah  !  Je  me 
sens  amoureuse  aujourd'hui  ! 

GUÉRA.SSIN. 

Allons,  de  qui  encore? Pas  de  Musignol, 
assurément. 

ÉTIENNETTE. 

Oh  !  non,  lui  c'est  mon  amant. 

GUÉRASSIN. 

Alors? 

ÉTIENNETTE. 

Mais  de  personne,  malheureusement. 
Amoureuse,  un  point,  c'est  tout.  Amoureuse 

en  disponibilité.  (Au-dessus  du  fauteuil  sur  lequel  est 

assis  Guérassin.)  Il  y  a  dcs  uiomcnts  commc 
cela  où  l'on  sent  que  l'on  aimerait  aimer 
quelqu'un!  Mais  tu  penses  bien  que  si  je  l'a- 
vais ce  quelqu'un,  je  serais  avec  lui,  je  ne 
serais  pas  avec  toi. 

GUÉRASSIN. 

Merci. 

ÉTIENNETTE,   allant  jusqu'à  la  baie. 

Pas  de  quoi  I  (Admirant  lo  paysajre.)  Regarde- 


64  LE   BOURGEON 

moi  euUe  vue,  cette  mer  verte  !  cette 
bonne  brise  tiède!  Ça  ne  t'incite  pas  à  l'a- 
mour? 

GUÉRASSIN,   qui  s'est  levé  sur  ces  paroles,  allant   se 
mettre  à  côté  A  elle  à  sa  droite. 

Mais  si,  je  te  dis! 

Il  lui  prend  la  taille. 
ÉTIENNETTE,  se  dégaf^eant. 

Oh!  là!  t'es  bètel  (changeant  de  ton.)  Ah!  J'ai- 
merais  à  prendre  un  bain  là-dedans!  On  se 
déshabillerait  dans  la  cabine,  là-bas... 

GUÉRASSIN,  d  une  main  lui  prenant  la  taille,  de  l'autre 
le  poignet  et  la    faisant  familièrement  passer  au    2. 

Oui,  eh  bien  on  se  baig^nera  quand  on 
sera  arrivé  à  Roskoffi  On  a  emporté  ses 
costumes  et  ses  peignoirs  pour  ça  1  Au  moins 
là-bas,  il  y  a  des  bains  organisés. 

ÉTIEXNETTE,  sentimentale. 

Justement,  ce  ne  sera  pas  la  même 
chose!  Se  baigner  avec  un  tas  de  gens 
qu'on  ne  connaît  pas...  !  dans  la  même  eau! 

GUÉRASSIN. 

On  ne  peut  pourtant  pas  vous  donner  une 
mer  par  personne. 

ÉTIENNETTE,    revenant  à     sa    place     primitive    et  dési- 
gnant la   mer. 

Mais  c'est  ce  qu'on  a  ici  :    l'Océan  à  soi 


LE   BOURGEON  65 

tout  seul;  la  mer  tout  à  vous,  la  mer  toute 
vierge. 

GUÉRASSIN,  sur  le  ton  d'un   homme  qui  la  connaît  dans 
les  coins. 

Mais  non!  Elle  a  l'air  comme  ça;  mais 
c'est  la  môme  qu'à  Roskoff.  Elle  fait  sa 
vierge  ici,  et  là-bas  elle  s'est  donnée  à  tout 
le  monde!...  Faut  pas  s'en  laisser  conter. 

ÉTIENNETTE. 

Ah!  Tu  n'as  pas  l'âme  poétique  pour  un 
sou. 

QUKRASSIN. 

Ail  I  Toi  tu  l'as,  Tâme  poétique  ! 

ÉTIENNETTE. 

Toujours. 

A  ce  moment  Heurteloup  venant  du  hall  pénètre  carré- 
ment dans  le  salon,  comme  un  homme  qui  entre  dans 
une  pièce  où  il  ne  s  attend  à  trouver  personne.  Il 
a  changé  de  vêtements  et  porte  une  longue  redin- 
gote noire  très  sévère. 


4. 


G6  LE   BOURGEON 


SCENE   X 

Les  Mêmes,  HEURTELOUP,  puis  LA  COM- 
TESSE. 

HEURTELOUP,  qui  se  dirigeait  vers  la  table,  apercevant 
Étiennette  et  Guérassin.  —  Avec  un  petit  mouvement  de 
recul. 

Oh  I  pardon,  je  ne  savais  pas!... 

ÉTIENNETTE  et  GUÉRASSIN,  le  reconnaissant. 

Ah  I  Totor. 

HEURTELOUP,   reculant    instinctivement    vers    la    porte 
de  Maurice. 

Xom  d'un  chien  I  Etiennette,  Guérassin! 

ÉTIENNETTE. 

Eh  bien,  qu'est-ce  que  tu  fais  ici? 

HEURTELOUP,  revenant  à  eux. 

Chut  !  Taisez-vous  !  C'est  le  sein  de  hx  fa- 
miUe  :  ma  femme,  mes  cousin,  cousine,  ne- 
veu, tout  le  tralala...  et  des  curés!  De  la 
religion  jusqu'au  cou  ! 

ÉTIENNETTE,   riant. 

Ah!  c'est  pour  ça  que  tu  es  en  sacristain? 

HEURTELOUP. 

C'est  ma  tenue  de  recueillement.  Surtout, 
si   on  vient,  vous   ne  me  connaissez   pas. 


LE   BOURGEON  67 

ÉTIENNETTE. 

Ah  !  Mon  pauvre  ïotor  ! 

GUÉRASSIN,  à  pleine  voix. 

Eh  bien,  et  la  Choute? 

HEURTELOUP,  sursautant. 

Oh  !  chut  donc. 

GUÉRASSIN,    sans  voix,  articulant  simplement  avec 
les  lèvres. 

Ehl  bien  et  la  Choute? 

HEURTELOUP. 

Elle  est  à  Concarneau  I  Pauvre  petite, 
c'est  pas  drôle  !  Juste  deux  heures  par  jour 
pour  se  voir!  C'est  sec!...  et  déplus  le  matin! 
Assommant  pour  les  deux!  Mais  pas  moyen 
autrement  !  Faut  que  ça  concorde  avec  les 

offices  I      (Étiennette  et  Guérassin  rient.)  ChoutC     qui 

n'aime  pas  qu'on  l'éveille  de  bonne  heure! 
Comme  c'est  gai!  et  moi  obligé  d'avaler 
des  kilomètres  de  bécane  !  Voilà  un  cal- 
vaire! Oh!  le  mariage.  (Étiennette  et  Guérassin 
rient  à  gorge  déployée.)  CllUt  I   la    COUsiuC  ! 

On  redevient  subitement  sérieux  avec  1  aspect  des  gens 
qui  ne  se  connaissent  pas,   Heurteloup  s'écarte  avec 
des     petites     révérences,    pour    se    donner    l'air    de 
quelqu  un  qui  vient  seulement  d  entrer. 
LA  COMTKSSE,  s'avançant  vers  Étiennette. 

Madame  de  Marigny? 


G8  LE    BOURGEON 

ÉTIENNETTE,  tr^s  correcte. 

Oui,  madame. 

LA   COMTESSE    (4). 

Mon  maître  d'hùtel  m'a  remis  votre 
carte.  Excusez-moi  de  vous  avoir  fait  at- 
tendre, mais  j'étais  avec  mon  fils  qui  vient 
d'être  un  peu  souffrant. 

ÉTIE.NÎNETTE    (2). 

Mais  je  vous  en  prie,  madame. 

LA.    COMTESSE,    indiquant  Guérassin. 

Monsieur  de  Marigny  sans  doute  ? 

GUÉRASSIN  (l),    après  une  seconde  d'hésitation  voyant 
que  c  est  lui  dont  il  est  question. 

Non...  non  madame,  à  mon  grand  re- 
gret, je  dois  le  dire. 

LA    COMTESSE. 

Ah  I  pardon. 

ÉTIENNETTE. 

Monsieur  est  un  de  mes  amis  qui  a  bien 
voulu  m'accompagner  :  monsieur  Guéras- 
sin. 

Guérassin  s'incline.   La  comtesse  fait  un  salut  aimable 
de  la  tête. 

LA  COMTESSE»   présentant  Heurteloup  (s)  un  peu  au-des- 
sus. 

Mon  cousin,  monsieur  Hector  Heurteloup. 

Salut  correct  et  froid  de  part  et  d'autre. 


LE   BOURGEON  69 

HEURTELOUP. 

Je  VOUS  demande  pardon,  j'ai  fait  irrup- 
tion dans  le  salon,  ignorant  qu'il  y  avait 
du  monde,  mais  je  puis... 

II  fait  signe  de  se  retirer. 
ÉTIENNETTE. 

Mais  du  tout,  ce  que  j'ai  à  dire  ne  cache 
aucun  mystère. 

LA.  COMTESSE,  indiquant  le  fauteuil  à  droite  delà  table. 

Je  vous  en  prie. 

Heurteloup  avance  un  peu  le  dit  fauteuil  sur  lequel 
s'assied  Étiennette,  puis,  en  faisant  le  tour  de  la  ta- 
ble par  en  dessus,  va  s'asseoir  sur  le  pied  de  la 
chaise  longue.  Guorassin  -  assied  sur  le  tabouret,  la 
comtesse,  sur  le   fauteuil  gaucho  de  la  bergère. 

ÉTIENNETTE,   une  fois  tout  le  monde  assis. 

Yoici  en  deux  mots,  madame...  J'ai  vu 
qu'il  y  avait,  attenant  au  parc  de  ce  châ- 
teau, un  pavillon  do  chasse  disposé  en  mai- 
son d'hahitation,  et  qui  est  à  louer. 

LA.  COMTESSE. 

Parfaitement. 

ÉTIENNETTE. 

Je  l'ai  visité  et  il  me  plaît  tout  à  fait... 
Alors,  comme  on  m'a  dit  que  c'était  vous 
qui  en  étiez  propriétaire... 


70  LE   BOURGEON 

LA   COMTESSE. 

En  effet,  madame!  mais  l'on  aurait  dû 
vous  dire  ég-alement  que  c'était  mon  inten- 
dant qui  avait  charge...  Mais  n'importe, 
je  suis  bien  heureuse  que  vous  vous  soyez 
adressée  à  moi,  puisque  cela  me  permet  de 
recommander  tout  particulièrement  votre 
requête  à  mon  intendant. 

ÉTIENXETTE. 

Vraiment  madame,  je  suis  confuse  ! 

LA   COMTESSE. 

Mais  du  tout,  madame.  Croyez  bien  que 
c'est  en  égoïste  que  je  parle.  Vous  devez  le 
savoir  mieux  que  personne,  dans  notre 
monde,  nous  avons  un  peu  le  préjugé  de 
caste.  Aussi,  quand  il  m'arrive  de  pouvoir 
louer  à  quelqu'un  de  la  noblesse... 

ÉTIENNETTE,   un  peu  interloquée. 

Ah? 

Elle   jette   un  regard,    à  Gutsrassin    qui  en  adresse  un 
à   Heurteloup  qui,  lui,  ne  bronche  pas. 
LA  COMTESSE,  cherchant  dans  sa  mémoire. 

«  De  Marigny  »  :  j'ai  connu  un  chevalier 
de  Marigny.  Est-ce  que  vous  auriez  épousé 
son  fils? 

Guérassin  ne  peut  réprimer    un  pouffement    do  rire  qui 
dans  l'etrort  qu'il   fait   pour    le    retenir  prend    l'ap- 


LE   BOURGEON  71 

parence  d  un  vaste   éternuement  qu  il  étoutfe   aussi- 
tôt dans   son  mouchoir.  Heurteloup  et   Étiennette  le 
foudroient  d'un  regard. 
LA.   COMTESSE,   qui  croit  qu'il   a  éternué. 

A  VOS  souhaits,  monsieur. 

GUÉRASSIN5  une  seconde  interloqué. 

Hein  ?  Mille  grâces,  madame. 

LA.  COMTESSE. 

C'est  le  grand  soleil  qui  enrhume. 

GUÉR.\SSIN. 

C'est  le  grand  soleil,  évidemment. 

Il  lance  un  petit  coup  de  pied  d  intelligence  à  Heur- 
teloup, qui  gêné,  se  détourne  d  un  mouvement  brus- 
que. Mais  comme  il  est  tout  au  pied  du  roking,  ce 
jeu  de  scène  fait  basculer  la  chaise  longue  qui  le  dé- 
pose par  terre,  en  repliant  son  dossier  sur  lui. 
TOUS. 

Ohl 

LA  CO.MTESSE. 

Eh  !  bien  qu'est-ce  qui  vous  prend,  Hec- 
tor ? 

HEURTELOUP,  se  relevant  et  se  rasseyant. 

Hein!  rien...  c'est  le  roking  qui  a  bas- 
culé. 

LA    COMTESSE. 

Oh!  vous  nous  donnez  des  émotions!  (a 
Étiennette.)  Je  VOUS  demandais  dune,  madame, 
si... 


72  LE   BOUIIGEON 

ÉTIENNETTE,  avec  décision. 

Mon  Dieu,  madame,  j'aime  mieux  être 
franche  :je  ne  suis  pas  mariée.  J'ai  bien 
connu  le  chevalier  de  Marigny,  mais  il  fut 
un  ami  et  un  père  pour  moi  ;  à  ce  point,  que 
quand  j'ai  eu  la  douleur  de  le  perdre,  son 
nom  m'est  resté  par  l'habitude  ;  et  comme 
aucun  héritier  n'était  là  pour  le  recueillir, 
''ai  continué  à  le  porter  au  tliéàtre. 

LA  COMTESSE,  refroidie. 

Ah!  vous...? 

Elle  se   lève,  Étiennette  se   lève  ègalemeat. 
GDÉRASSIN,  à  part. 

Aïe  donc! 

Il  se  lève  à  son   tour.   Seul  Ileurteloup  reste  assis, 
ÉTIENNETTE. 

Quant  à  moi,  mon  nom  est  beaucoup 
moins  aristocratique  :  je  m'appelle  vulgai- 
rement Charlotte  Cunard.  comme  mon  père 
qui  tenait  un  petit  café  rue  de  la  Tour 
d'Auvergne.  Vous  voyez  donc,  madame, 
que  je  serais  fort  en  peine  pour  faire  croire 
que  j'ai  du  sang  bleu  dans  les  veines. 

LA  COMTESSE,  pincée. 

Mon  Dieu,  madame,  après  ce  que... 


LE    BOURGEON  73 

ÉTIENMETTIi;,   lui  coupant  la  parole. 

Laissez-moi  achever,  madame...  quand 
ce  ne  serait  que  pour  me  permettre  dédire 
moi-même,  ce  qui  me  serait  plus  pénible  à 
entendre  de  votre  bouche.  De  la  profession 
de  foi  que  vous  avez  bien  voulu  me  faire 
tout  à  l'heure,  je  dois  conclure  que  j'ai  peu 
do  chance  de  retrouver  les  bonnes  disposi- 
tions que  vous  sembliez  avoir  à  mon  égard, 
et  que.  par  conséquent,  pour  ce  pavillon... 

LA  COMTESSE,  avec  effort. 

Ecoutez,  madame,  puisque  vous  avez  le 
tact  de  comprendre  certaines  susceptibili- 
tés, qui  sont  peut-être  d'un  autre  âge,  mais 
enfin  qui  sont. 

ÉTIENNETTE. 

Oui,  madame,  oui. 

LA    COMTESSE. 

Certes,  je  ne  jette  la  pierre  à  personne  ; 
mon  cousin  vous  dira  que  nos  sentiments 
chrétiens  sont  trop  ancrés... 

ÉTIENNETTE. 

Ah? 

Elle  se  tourne  d'un  air   moqueur  vers  Heurteloup  ainsi 
que  Guôrassin. 

HEURTELOUP,  les  lèvres  pincées. 

Hein?...  euh...  Oui!...  oui,  oui,  oui... 

0 


74  LE    BOURGEON 

LA  COMTESSE. 

Mais  enfin,  dans  notre  entourage,  très 
austère,  un  milieu  artiste  surgissant  tout 
à  coup...!  Ce  serait  même  une  gêne  de  part 
et  d'autre. 

ÊTIENNETTE. 

Il  suffit,  madame  !  Xe  vous  croyez  pas 
obligée  de  me  donner  des  explications. 
Soyez  bien  persuadée,  même,  que  si  j'avais 
pu  prévoir,.,  mais  l'écritcau  ne  portait 
aucune  restriction...  alors,  je  me  suis  cru 
permis...  N'importe!  je  suis  édifiée  et  il  ne 
me  reste  plus  qu'à  m'excuser. 

LA  COMTESSE. 

Croyez  que  je  suis  désolée... 

ÉTIENNETTE,  avec  une  pointe  d'ironie. 

Ne  vous  désolez  pas,   madame,  il  n'y  a 

vraiment  pas  de  quoi!  (a  Cuérassinsur  un  ton  dé- 
taché.) Vous,  venez,  mon  ami  ?  (saluant.)  Ma- 
dame !  Monsieur... 

LA  COMTESSE^  s'inclinant  légèrement  puis,    tout  en    re- 
montant un  peu. 

Si  vous  voulez  accompagner  madame 
jusqu'à  son  automobile,  Hector  ? 

HEURTELOUP. 

Volontiers. 

Il  remonte  par  la  gauche   de  la  tahle,  remet  en  pas- 


L-E    BOURGEON  75 

sant    le  fauteuil    occupe    par   Étiennette    à    sa   place 
primitive  et  sort  à   la  suite  des  deux  visiteurs. 
LA   COMTESSE,  s'incline  une  dernière  fois. 

Madame. 

Echange  de   saluts.   Au  moment  de    la  sortie,   Eugénie 
paraît    à    la    porte  du    salon;    elle    s  etfaco     devant 
Étiennette  et  les  deux  hommes.  On   échange    des  sa- 
luts froids  et  Eugénie   reste  un    moment   sur  le  pas 
de  la  porte  à  regarder  la  sortie. 
LA  COMTESSE,  une  fois  la  sortie  faite,  agitant  son  mou- 
choir  comme    pour    chasser    les   miasmes    et    gagnant    a 
gauche. 

Ah  !  puuali  1  pouah  I 

EUGÉNIE,   sur  le  pas  de  la  porte. 

Qu'est-ce  que  c'est  que  ces  gens  ? 

LA   COMTESSE. 

Une  actrice!  Une  actrice  chez  moi! 

EUGÉNIE,  descendant  au-dessus   de  la  table. 

Une  actrice  1 

LA   COMTESSE,  gagnant  le  milieu  de  la  scène, 

x\h  !  ces  créatures  ont  toutes  les  audaces. 

EUGÉNIE. 

Une   actrice  !   Et  M.  Heurteloup  se  com- 
met avec  elle  ? 

LA  COMTESSE,  se  dirigeant  vers   la  chambre  de  sonfils. 

Non,  ne  t'inquiète  pas,  c'est  moi  qui  l'ai 
prié... 


76  LE   BOURGEON 

EUGÉNIE. 

Ah  1  J'espère  ! 


Elle  descend  en  scène. 


SCENE   XI 

Les  AlÈMEs,  VÉTILLE,  puis  LE  MARQUIS 
et  L'ABBÉ. 

LA.  COMTESSE,  voyant  le  docteur  qui  sort  de  chez  son  fils. 
Ah  I    docteur!...    (Redescendant  en  scène  pvec  lui.) 

Eh  bien,  vous  avez  examiné  mon  fils? 

VÉTILLE  (3). 

Eh!  oui,  madame.  Il  se  dispose  à  aller 
prendre  son  bain. 

LA  COMTESSE    (2). 

Ah!  vous  autorisez.,.? 

VÉTILLE. 

Certes!  Très  bon.  la  mer  !  Ça  fouette  le 
sang...  Tout  ce  qui  est  exercice  violent, 
j'approuve. 

LA  COMTESSE. 

Et,  comment  l'avez-vous  trouvé  ?  Qu'est- 
ce  qu'il  a  ? 

VÉTILLE. 

Qu'est-ce  que  vous  voulez  que  je  vous 


LE   BOURGEON  77 

dise  ?  C'est  un  garçon   qui   fait  de  la  neu- 
rasthénie. 

LA.  COMTESSE,  s'effarant. 

Ah  !  mon  Dieu!  C'est  grave? 

VÉTILLE. 

En  soi,  non...  mais  enfin,  c'est  toujours 
un  mauvais  terrain. 

LA   COMTESSE. 

Vous  m'effrayez  !  Quand  je  pense  que  ce 
garçon  doit  partir  en  octobre  pour  son  ser- 
vice militaire. 

VÉTILLE. 

Ah  ?  bon,  ça  !  très  bien,  parfait  1 

LA   COMTESSE. 

Ah? 

VÉTILLE. 

C'est  ce  qui  peut  lui  arriver  de  meilleur. 
11  trouvera  parmi  ses  camarades  des  exem- 
ples salutaires  à  son  état,  et,  s'il  a  la  bonne 
idée  de  les  suivre... 

LA    COMTESSE. 

Vraiment,  docteur?  Ah  1  vous  me  tran- 
quillisez !  Mais,  enfin,  étant  donné  l'état 
actuel,  comment  peut-on  enrayer...? 

VÉTILLE. 

Comment  ? 


78  LE   BOURGEON 

LA  COMTESSE. 

Oui. 

VÉTILLE,  embarrassé  et  tout  en  se  tortillant  la  mous- 
tache. 

Comment  1  (Brusquement.)  Ecoutez-moi,  ma- 
dame :  je  suis  un  vieux  militaire,  et.  pour 
moi,  un  chat  est  un  chat. 

LA   COMTESSE. 

Oui,  docteur,  oui. 

VlÎTrLLÉ. 

Eh  !  bien,  ce  qu'il  faudrait  à  votre  fils, 
dam...  il  faudrait...  il  faudrait... 

LA  COMTESSE,  sur  les   charbons. 

Mais  quoi  ?  Quoi? 

VÉTILLE,   éclatant. 

Mais  qu'il  marche,  madame!  qu'il  mar- 
che I 

LA  COMTESSE,  qui  ne  comprend  pas. 

Qu'il  marche  ? 

VÉTILLE. 

Evidemment. 

LA  COMTESSE,  très  naïvement. 

Mais...  il  marche,  docteur. 

VÉTILLE,  interloqué. 

Hein  ?...  Avec  qui  ? 

LA  COMTESSE. 

Mais  avec  ma  cousine,  avec  moi,  avec 
M.  le  curé. 


LE  BOURGEON  79 

VÉTILLE,   ahuri. 
Hein   ?    (Retenant    une    envie    de    rire.)  Ah  t    nOn, 

non  !  vous  n'y  êtes  pas  du  tout  !  Notez 
que  je  ne  trouve  pas  mauvais  qu'il  fasse  du 
footing  avec  madame,  ou  avec  M.  le  curé, 
mais  ce  n'est  pas  du  tout  cela  que  j'en- 
tends. 

LA    COMTESSE. 

Mais  alors,  quoi  ?  Quoi  ? 

VÉTILLE,  s'emballant. 

Mais  ne  comprenez-vous  pas,  madame, 
que  ce  qui  travaille  cet  enfant  :  c'est  sa 
jeunesse,  c'est  son  printemps!  ne  compre- 
nez-vous pas  qu'il  subit  la  loi  de  la  nature, 
commune  à  tous  les  êtres,  commune  aux 
oiseaux,  aux  fleurs,  aux  arbres,  à  tout  ce 
qui  a  une  vie  !  C'est  le  bourgeon  qui  crrrève 

de  sève  jusqu'à  éclater.  (Esquissant  le  mouvement 
de  remonter  pour  redescendre  aussitôt.)  Eh  blCn,  UOm 
de  D...!  (sur  ce  juron  qu'il  n'achève  pas,  Eugénie  et  la 
comtesse  comme  deux  poules  effarouchées  se  rapprochent 
instinctivement  l'une  de  l'autre.  Eugénie  fait  un  rapide  signe 
de  croix.  La  comtesse  contracte  sa  figure  comme  lorsqu'on 
entend  scier  un  bouchon.)  qu'oU   faSSC  donC   Ce  qu'il 

faut  pour  qu'il  éclate. 

LA   COMTESSE,    commençant  à  s'énerver. 

Mais  qu'est-ce  qu'il  faut,  docteur? 


80  LE    BOURGEON 


VÉTILLE,  à   tue-tête. 

Mais  une  fcmmo.  madame,  une  femme  ! 

LA  COMTESSE. 

Une  femme  ? 

EUGÉNIE. 

Pourquoi  faire? 

VÉTILLE,  subitement  calmé. 

Ah!  ça,  madame,  vous  m'en  demandez 
trop. 

LA  COMTESSE. 

Une  femme!...  mon  fils...!  mais...  c'est 
un  saint  ! 

VÉTILLE. 

Eh!  justement,  madame,  mais  c'est  un 
saint-vierge!  Et  c'est  ce  qu'il  ne  faut  pas. 

LA   COMTESSE. 

Mais  songez,  docteur,  songez  que  mon 
fils  a  l'intention  de  se  consacrer  à  Dieu. 

EUGÉNIE. 

Et  Dieu  impose  à  ses  ministres,  comme 
premier  devoir,  la  chasteté. 

VÉTILLE. 

Ah!  ça,  madame,  c'est  un  autre  point  de 
vue,  chacun  son  traitement  ;  moi,  ce  n'est 
pas  le  mien. 

Il   remonte. 


LE   BOURGEON  81 

LA  COMTESSE,  rémontant  à  sa  suite    par  un  mouvement 
arrondi  de  façon  à  passer  au  3. 

Et  puis,  enfin,  mon  fils  est  trop  jeune 
pour  le  marier. 

VÉTILLE. 

Mais  qui  est-ce  qui  vous  parle  de  le  ma- 
rier ? 

LA  COMTESSE,  scandalisée. 

Oh  !  Oh  ! 

Elle  gagne  la  droite  jusqu  au-dessus  du  fauteuil. 
EUGÉNIE,  gagnant  la  droite  également. 

Oh!  mais  docteur,  vous  êtes  le  diable. 

VÉTILLE,  riant. 

Mais  non,  madame,  mais  non. 

Il  gagne  jusqu'à  la  baie. 

LE  MARQUIS,  passant  la  tête  par  l'embrasure  de  la  porte 
par  laquelle  il  est  sorti,  et  qu'il  entr'ouvre  avec  précau- 
tion. 

On  est  parti  ? 

Il  entre  suivi  de  l'abbé. 
LA  COMTESSE,  s'élançant  vers  lui  pour  redescendre  aus- 
sitôt par  la  gauche   du  fauteuil  qui  est  près  de  la  trico- 
teuse. 

Ah!  viens,  Onfrny!  Et  vous,  monsieur  le 
curé,  venez  à  notre  secours.  M.  le  docteur 
est  en  train  de  nous  dire  des  choses  terri- 
bles. 


83  LE   BOURGEON 

EUGÉNIE,  à  l'abbé  qui  est  descendu  par  la  droite  —  pas- 
sant devant  lui,  les  mains  jointes,  dos  au  public,  de  façon 
à  arriver  à  l'extrême  droite. 

Terribles  ! 

LE  MARQUIS,  au-dessus   de  la  bergère. 

A  ce  point  ? 

l'abbé. 

Ahl  mon  Dieu!  Quoi  donc? 

LA  COMTESSE. 

Il  a  vu  Maurice,  n'est-ce  pas,  et  il  nous 
a  dit  qu'il  faudrait...  qu'il  faudrait...  Oh! 
non,  je  n'oserai  jamais. 

Elle  se  laisse  tomber  sur  le  fauteuil. 

VÉTILLE,  descendant  au-dessus  de  la  table  et  du  fauteuil 
de  droite. 

J'ai  dit,  j'ai  dit...  que  ce  jeune  homme 
était  arrivé  à  la  nubilité  et  que  la  nubilité 
avait  ses  exigences. 

LE   MARQUIS,  triomphant. 

Là!  qu'est-ce  que  je  disais. 

Il  va  au  docteur.  L'abbé  sérieux  et  songeur,  hoche  la 
tête. 

LA  COMTESSE. 

Ainsi,  vous  comprenez,  M.  le  Curé,  ce  que 
l'on  voudrait,  que  mon  fils... 

EUGÉNIE. 

Oui,  l'œuvre  de  chair,  et  sans  mariage 


LE    BOURGEON  83 

encore!  Voyons,   M.  le  Curé,  parlez;  dites 
votre  indignation. 

l'aBBÊ,  entre  la  comtesse  assise,  et  Eugénie. 

Ah!  madame,  la  question  est  grave,  et 
vaut  qu'on  y  réfléchisse. 

LA   COMTESSE. 

Hein? 

EUGÉNIE. 

Comment,  vous  ne  frémissez  pas? 
l'abbîS. 

Je  suis  bien  obligé  de  tenir  compte  de 
l'état  particulier  de  Maurice.  11  est  établi 
que  son  tempérament  manifeste  des  exigen- 
ces impérieuses  qui  rejaillissent  sur  sa 
santé.  Eh  bien  !  qui  vous  dit  que  ce  tempé- 
rament qu'il  ignore  aujourd'hui  ne  le  trahira 
pas  quelque  jour  ? 

EUGÉNIE. 

C'est  vous,  monsieur  le  curé,  qui  parlez 
ainsi  ! 

l'abbé. 

Mais  oui,  madame,  c'est  moi.  Le  vœu  de 
chasteté  est  un  sacrifice  dont  on  ne  mesure 
souvent  pas  assez  l'étendue.  Au  moins, 
Maurice,  s'il  le  prononce  quelque  jour  le 
fcra-t-il  en  connaissance  de  cause  ;  et,  dût- 


84  LE   BOURGEON 

il  en  résulter  son  renoncement  à  une  vo- 
cation dont  il  ne  se  sentirait  pas  la  force, 
j'aimerais  encore  mieux  cela,  alors  qu'il 
en  est  temps  encore,  que  le  voir  devenir 
plus  tard  un  mauvais  prêtre  ou  un  renégat. 

Il  gagne  le  milieu  de  la  scène  en  passant  devant  la 
comtesse. 

LE  MARQUIS. 

Voilà. 

VÉTILLE. 

Parfaitement  parlé  ! 

La  comtesse  affalée,  les  3'eux  à  terre,  écarte  les  bras 
et  les  laisse  retomber  comme  une  femme  déso- 
rientée. 

EUGÉNIE,  pimbêche. 

Vraiment,  monsieur  le  curé,  vous  êtes 
d'un  libéralisme  !  Certes,  votre  prédécesseur 
était  autrement  intransigeant. 

Elle  remonte  et  va  s'appuj'er  sur  le  dossier  de  la  ber- 
gère. 

l'abbé. 

Bien  oui...  je  sais  :  il  y  a  les  deux  écoles. 
Moi,  j'estime  que  l'intransigeance  est  in- 
compatible avec  le  caractère  du  prêtre.  La 
religion  de  Dieu  est  faite  d'indulgence  et 
de  miséricorde.  Eh  bien,  je  crois  qu'il  faut 
écouter  les  enseignements  d'en  haut  et  ne 


LE  BOURGEON  85 

pas  être  plus  légitimiste  (indiquant  le  clel  du  doigt 
et  avec  un  bon   sourire.)  que  le   TOI, 

Il  gagne  un  peu  la  gauche. 
LE    MARQUIS. 

Bravo  ! 

II  remonte  au  fond. 
VÉTILLE,  qui  est  descendu  par  la  gauche  de  la  table. 

M.  le  curé,  je  ne  suis  pas  positivement  un 
bondieusard  :  mais,  vrai,  vous  m'allez!  vous 
devriez  être  militaire. 

l'abbé. 

Halte-là,  M.  le  médecin  principal...  En 
temps  de  guerre,  nous  avons  notre  place 
comme  vous  sur  le  champ  de  bataille!  Nous 
ne  tuons  pas,  voilà  tout. 

VÉTILLE,  se   rebiffant. 

Mais  moi  non  plus,  monsieur  le  curé  I 
moi  non  plus!...  quoique  médecin. 

Il    remonte   par    le    même  chemin  et  va    rejoindre   le 
marquis  près  de  la  baie. 

l'abbé. 
Oh  !  ce  n'est  pas  cela  que  je  voulais  dire; 
soyez-en  persuadé. 

VÉTILLE,  tout  en  remontant. 

A  la  bonne  heure. 

l'abbé. 
Et  maintenant,  madame  la  comtesse,  je 


LE   BOURGEON 


VOUS  ai  dit  ce  que  ma  conscience  me  dictait, 
je  ne  veux  pas  intervenir  plus  longtemps 
dans  une  question  qui  sort  vraiment  trop 
de  mes  attributions.  Vous  avez  eu  la  gra- 
cieuseté de  m'inviter  à  déjeuner,  j'ai  encore 
mon  bréviaire  à  dire,  je  vais,  si  vous  le  per- 
mettez, me  recueillir  un  peu  par  là. 

LA  COMTESSE,  abattue. 

Faites,  monsieur  le  curé. 

Il  passe  derrière  le  fauteuil  de  la  comtesse,  dans  la 
direction  de  la  porte  de  droite,  il  s'arrête  en  enten- 
dant parler  Eugénie, 

EUGÉNIE,  pincée. 

Et  moi  aussi  je  m'en  vais,  parce  que  vrai- 
ment devant  la  tournure  que  prennent  les 
choses...  I 

Elle  remonte  entre  1  abbé  et  la  bergère. 
LK  MARQUIS,  moqueur. 

Mais  allez  donc,  Eugénie,  allez  donc  ! 

EUGÉNIE,  en  sortant. 

Mais  certainement  je  vais!  Certainement 
je  vais...! 

Elle  sort  par  le  fond  droit. 
l'abbé,  sur  le  pas  de  la  porte, 

A  tout  à  l'heure. 

Il  sort  de  droite. 


LE  BOURGEON  87 


SCENE  XII 

LE  MARQUIS,  LA  COMTESSE,  VÉTILLE, 
puis  MAURICE. 

VÉTILLE,  descendant  vers  la  comtesse. 

Tout  le  monde  s'en  va...?  Mais  alors, 
moi  aussi. 

LA  COMTESSE,  se   levant. 

Quoi?  Vous  aussi,  docteur? 

VÉTILLE, 

Mais,  madame,  ma  mission  est  terminée  ; 
pour  la  décision  que  vous  avez  à  prendre, 
c'est  affaire  de  famille,  et  je  n'ai  pas  voix 

au  chapitre,  (a  ce  momoment,  la  porte  de  Maurice  s'ou- 
vre et  l'on  voit  celui-ci  en  costume  de  bain  achevant  de  pas- 
ser un  peignoir   que    Luc    lui   tend.)   D'aillcurS,    Voici 

votre  fils  qui  est  prêt  ;  si  vous  le  permettez, 
en  attendant  l'heure  de  mon  train,  je  des- 
cendrai avec  lui,  assister  à  son  bain. 

LA  COMTESSE,  regardant  son  fils  qui  sort  de  sa  chambre, 
—  avec  émotion  et  d'une  voix  étranglée. 

Le  pauvre  petit  ! 

MAURICE,  sortant  de  sa  chambre. 

Je  vais  prendre  mon  bain,  maman. 


88  LE   BOURGEON 

LA.   COMTESSE,  s'etTorçant  de  dissimuler  son   trouble. 

Oui,  mon  enfant,  va  !...  Tiens,  M.  le  doc- 
teur t'accompagne. 

MAURICE. 

Ah!  c'est  bien  aimable!  Alors,  venez  doc- 
teur. 

Il  fait  mine  de  gagner  le  hall. 
VÉTILLE,  faisant  le  même  mouvement. 

Voilà. 

LA.  COMTESSE,  le  voyant  s'en   aller,  brusquement. 

Maurice  ! 

MA.URICE,  se  retournant. 

Maman  ? 

LA.  COMTESSE,  très  émue. 

Embrasse-moi,  mon  enfant,  embrasse-moi 
bien  ! 

MAURICE,  allant  à  elle. 

Mais  avec  joie,  maman,  (ii  l'embrasse,  eiie 

le  mange  de  baisera.)    Qu'cst-CC  CJUe    VOUS   aveZ  ? 
LA  COMTESSE,  voulant  cacher  son  émotion. 

Rien,  rien,  mon  enfant!  va!  va  ! 

MAURICE,  que  cette  réponse  ne  satisfait  pas. 

Ah? 

Il   adresse  au  marquis  un  regard  interrogateur. 
LE    MARQUIS,   au-dessus  et  à  gaucho  de  la    table. 

Hein?...  Mais  il  n'y  a  rien.  Ta  mère 
éprouve  le  besoin  de  t'embrasser.  C'est 
très  naturel. 


LE   BOURGEON  89 

MAURICE,  peu  convaincu. 

Ah?...  oui...  (a  part.)   C'est   drôle!   (naut  à 
vétille.)  Eh  bien,  docteur,  si  vous  voulez...? 

VÉTILLE. 

Je  vous  suis. 

LA   COMTESSE,   le   regardant  partir. 

Pauvre  petit  ! 

VÉTILLE. 

A  tout  à  l'heure,  madame  !   Je  viendrai 
vous  présenter  mes  hommages. 

LA   COMTESSE,  remontant. 

C'est  cela,  docteur,  à  tout  à  l'heure. 

LE   MARQUIS,   remontant  également. 

Et  merci. 

LA  GOMTESSa. 

Ah  !  oui. 

VÉTILLE,  fait  un  geste  pour  dire  que  cela  n  en  vaut  pas 
la  peine,  puis  : 

A  tout  à  l'heure  ! 

Il  sort  rejoindre  Maurice. 


90  LE   BOURGEON 

SCÈNE  XIII 

LA  COMTESSE,  LE  MARQUIS. 

LA.   COMTESSE,   sur  le  pas  delà  porte  du  salon,  les  yeux 
dans    la   direction  prise  par   son  fils. 

Et  c'est  cet  enfant-là  qu'on  voudrait  que 
moi...  Oh!  non,  jamais!  jamais! 

Elle  descend  jusqu'à  l'extrême  gauche. 
LE    MARQUIS,   descendant  au-dessus    du   fauteuil    droite 
de  la    table. 

Allons  !  Solange... 

LA    COMTESSE,  se  retournant  vers  le  marquis. 

Hein?  Tu  triomphes,  toi  I 

LE    MARQUIS. 

Moi? 

LA   COMTESSE,   s'asseyant  sur  le  tabouret. 

Mais  en  quoi  êtes-vous  donc  faits,  vous 
autres  hommes,  que  tous,  jusqu'aux  plus 
purs,  vous  soyez  ainsi  assujettis  à  la  tyran- 
nie de  votre  chair  ? 

LE    MARQUIS,   allant  à  elle. 

Prends  garde,  ma  chère  sœur,  tu  es  en 
train  de  blasphémer!  Songe  que  c'est  le 
bon  Dieu  qui  a  organisé  les  choses  ainsi, 
pour  la  perpétuation  de  son  œuvre...  Et  il 


LE    BOURGEON  91 

a   bien  fait  !   car  c'est  encore  le   meilleur 
moyen  d'assurer  la  conservation  de  l'espèce. 

Il  gagne  la  droite. 
LA  GOMTESSE- 

Pauvre  petit  être  si  chaste,  si  pur...  dans 
les  bras  d'une  femme!... 

LE    MARQUIS. 

Ah!  dam...! 

LA    COMTESSE. 

Alors  sa  mère?...  sa  mère  ne  lui  suffit 
plus? 

LE    MARQUIS,  avec  une  bonhomie  narquoise. 

Oh!  Tu  ne  voudrais  pas! 

Il  remonte  vers   le  fond. 
LA    COMTESSE. 

Et  il  faudrait  que  j'aille  démolir  dans  son 
âme,  le  monument  de  candeur  que  j'avais 
si  jalousement  édifié,  (se  dressant.)  Oh!  non, 
ça,  jamais,  jamais. 

LR    MARQUIS,   avec  un  geste   évasif. 

Ah! 

LA    COMTESSE,   passant  à  droite. 

Tu  t'en  chargeras  toi,,  si  tu  veux. 

LE    MARQUIS,  s'inclinant. 

Merci  de  la  commission. 

LA    COMTESSE,     douloureusement. 

Moi,  je  fermerai  les  yeux,  puisqu'il  le 
faut. 


92  LE   BOURGEON 

LK    MARQUIS,  allant  à  elle. 

Mais  il  m'enverra  religieusement  prome- 
ner. 

LA   GOMTKSSE,    s'alïalant   sur  le  fauteuil   près  de  la  tri- 
coteuse. 

Ah!  mon  Dieu!  mon  Dieu! 


SCENE   XIV 

Les  Mêmes,  IIUGUETTE. 

HUGUETTE,  accourant  et  se  dirigeant  droit  vers  la  baie. 

Ma  tante,  ma  tante!  Qu'est-ce  qui  se 
passe  sur  la  plage?  Je  vois  des  gens  qui 
courent  en  tous  sens!  et  au  loin,  dans  la 
mer,  une  personne  qui  a  l'air  d'être  en- 
traînée par  le  courant. 

LE   MARQUIS,  se  précipitant  sur  la  terrasse. 

Entraînée  ! 

LA   GOMTB'SSE,  courant    à  la  baie. 

Allons  bon!  Qu'est-ce  qui  arrive  encore? 

HUGUETTE  *. 

Quelque  nouvelle  victime  du  raz  de  ma- 
rée. 

*    Le  marquis  sur  la   terrasse    suivant    le   drame   par   lo 


LE   BOUliGEON  93 

LA    COMTESSE,  avec  angoisse. 

Ce  n'est  pas  Maurice? 

HUGUSTTE. 

Xon,  Maurice  connaît  sa  plage  et  ne  se 
risque  pas  de  ce  côté-là. 

LE    MARQUIS,  qui   interroge  l'horizon  avec    la  longue- 
vue. 

On  dirait  une  femme!  Je  vois  sur  sa  tète 
comme  une  marmotte  rouge. 

HUGUETTE. 

La  malheureuse! 

LE     MARQUIS. 

Elle  lutte  éperdument  contre  le  courant. 

HUGUETTE. 

Et  pas  une  barque,  pas  un  homme  pour 
aller  à  son  secours  ! 

LA    COMTESSE. 

De  tous  ces  marins,  aucun  ne  sait  nager. 

LE      MARQUIS. 

Heureusement  qu'elle  a  l'air  de  bien  sa- 
voir, elle!  Ah!  voilà  quelqu'un  qui  s'est  mis 
à  l'eau  et  fait  force  de  bras  dans  sa  direc- 
tion. 

télescope.  —  liuguetle  contre  le  chambranle  de  la  baie, 
le  plus  éloigné  de  la  scène.  —  La  comtesse  de  l'autre  côté 
et  plus  en  scène  que  les  autres. 


94  LE   BOURGEON 

LA   COMTESSE,   poussant  un  cri  de  détresse. 

Mon  Dieu!  mais  c'est  Maurice! 

LE   MARQUIS   et  HUGOETTE,   tressaillant. 

Maurice! 

LA    COMTESSE. 

Oui,  oui,  je  reconnais  son  maillot. 

LE    MARQUIS,   quittant  la   longue-vue. 

Oui,  c'est  Maurice! 

HUGUETTE,   répétant  angoissée. 

Maurice! 

LA    COMTESSE. 

Mon  Dieu!  mon  Dieu!  mon  enfant!  Mais 

il    est    tou!    (courant    comme    une    folle    vers    le    hall.) 

Maurice!...  Maurice! 

LE     MARQUIS. 

Voyons,  Solange,  un   peu  de  sang-froid. 

LA    COMTESSE. 

Mais  tu  ne  vois  pas  que  les  flots  l'entraî- 
nent! Maurice  !  Maurice!  (Elle  sort,  suivie  du  mar- 
quis.   Arrivée   dans    le    hall.)     Luc!     LuC  !      tOUt      le 

monde  !  Vite  !  Venez  tous,  M.  Maurice  est 
en  train  de  se  noyer...  Maurice!  Maurice! 

Elle  disparaît  par  le  fond  suivie  du  marquis.  —  Hu- 
guette  est  restée  affalée,  sans  forces  contre  le 
chambranle  de  la  baie.  —  A  peine  le  marquis  et 
la  comtesse  sont-ils  sortis  depuis  quelques  secondes 
que  1  on  voit  dans  le  hall,  surgir  en  trombe,  Luc  suivi 
des   deux   valets  de   pied  ;  ils  traversent  atfolés  avec 

des  «  ah  !   mon  Dieu  I  quelle  catastrophe  ! 
qu'est-ce  qui  se  passe?...  vite  dépêchons  I 


LE    BOURGEON  95 

etc.  »  et  disparaissent  par  le  fond  —  quelques  se- 
condes encore  et  courant  à  leur  suite,  passe  Eugénie, 
trottinant  tant  qu'elle  peut  pour  les  rattraper,  en  le- 
vant de  grands  bras  au  ciel  *. 
HUGUETTE,  qui  est  restée  comme  paralj'sêe,  les  j'eux 
fixés   sur  1  horizon. 

J'ai  peur!  J'ai  peur!  Oh!  qu'il  est  déjà 
loin!...  Il  a  presque  rejoint  la  femme! 
(Les  yeux  au  ciel.)  Mon  Dieu  !  Mon  Dicu  !  Vous 
ne  laisserez  pas  se  consommer  une  pareille 

catastrophe  !  (Tombant  à  genoux  contre  la  fumeuse  dont 
le  dossier  lui  tient   lieu  de  prie-Dieu.)  MoU   DlCU  !  JC 

vous  implore  à  genoux,  sauvez  Maurice  ! 
Sauvez-le  !  Je  sais  que  son  vœu  le  plus  ar- 
dent est  de  m'amener  à  vous.  Eh  bien,  je 
jure  de  me  faire  votre  servante!  mais  sau- 
vez-le, mon  Dieu,  sauvez-le  ! 


SCENE   XV 
HUGUETTE,  L'ABBÉ. 

L  ABBÉ,    accourant  très  inquiet. 

Que  se  passe-t-il  donc  ?  J'ai  entendu  crier  ; 
tout  le  monde  courait  I 

Mettre  de  1  air  entre  ces  entrées  successives.  —  Une 
fois  le  marquis  et  la  comtesse  sortis,  compter  jusqu  à  4  ou  5 
et  faire  passer  les  domestiques  ;  même  temps  pour  faire 
passer  Eugénie. 


96  LE    BOURGEON 

HUGUETTK,  courant  à  l'abbé. 

Ah!  monsieur  le  curé,  recevez  mon  ser- 
ment!  Devant  vous  je  renouvelle   le  vœu 
que  je  viens  de  faire  à  Dieu  de  renoncer  au 
monde  et  d'entrer  au  couvent. 
l'abbé. 

Qu'y  a-t-il  donc?  Vous  m'effrayez! 

HUGUETTE. 

Il  y  a  que  Maurice  est  en  péril,  qu'il  va 
se  noyer  peut-être. 

l'abbé. 

Se  noyer,  Maurice!  Et  vous  ne  me  dites 
pas  ça  tout  de  suite!... 

Il   sort   rapidement. 
HUGUETTE,  continuant  à  lui  parler  bien  qu'il  ne  l'écoute 
plus. 

Ah!   sauvez-le,   mon    père!   Ramenez-le! 

(Après  un  temps  d'abattement,  relevant  la  tête.)  OÙ  CSt- 
il  '?  Je  n'ose  regarder...  (Risquant  un  regard  et 
avec  un  cri  rauque.)  Jc    UC  Ic   Vois   pluS...    Ah!    si, 

il  a  gagné  à  gauche...  On  dirait  qu'il  se  rap- 
proche de  la  rive...  la  femme  est  près  de 
lui...  Ah!  Seigneur,  est-ce  possible?  Cou- 
rage, Maurice,  courage!...  un  peu  d'effort... 
Va...  va...  Il  n'y  a  plus  très  loin...  On  di- 
rait qu'il  a  pied...  Oui...  oui...  Il  soutient 
la  femme  qui   a  l'air  épuisé...  Il  la  prend 


LE    BOURGEON  97 

dans  ses  bras.  Sauvés!  Ils  sont  sauvés! 
Ah!  Dieu!  soyez  Léni!  qui  avez  eu  pitié  de 
ma  détresse  ! 

Sa  phrase  s'achève  dans  une  sorte  de  rire  convulsif  ; 
en  même  temps  elle  tombe  à  genoux  contre  la  fu- 
meuse. 

SCÈNE   XVI 

HUCIUETTE,   LUC,  Deux    Vaj.ets  de    Pied, 
LA  GLAUDIE,  puis  L'ABBÉ. 

LUC)  suivi  des  deux  valets  de  pied  qui  portent  des  peignoirs, 
des  brosses  à  friction,  des  bouteilles  d'alcool. 

Venez!  venez  vous  autres!  (au  premier  vaiet 

de  chambre    tout  en   ouvrant  la  porte  du   fond.)    TcneZ, 

vous!  apprêtez  tout  par  là,  chez  M,  Mau- 
rice,    (a  l'autre   ouvrant    la  porte    de    droite.)     VoUS, 

dans  cette  pièce  pour  la  dame,  (a  La  ciaudie 
qui  accourt.)  Et  toi,  La  Claudic,  des  serviettes 
dans  les  deux  chambres.  Vite! 

Les  deux  valets  de  chambre  sont  entrés  au  fur  et  à 
mesure  des  ordres,  chacun  dans  la  chambre  qu'on 
lui  a  indiquée.  —  Au  moment  où  la  Claudie  s'ap- 
prête à  rebrousser  chemin,  elle  s  efface  pour  laisser 
entrer  1  abbé,  puis  sort  immédiatement,  suivie  de 
Luc  qui  regagne  précipitamment  le  parc,  tandis  que 
la  Claudie  file  à  droite. 

L  ABBÉ,  accourant. 

Ah!  mon  enfant,  remerciez  le  Trôs-IIaut. 

Il  a  exaucé  votre  prière. 

6 


98  LE   BOURGEON 

HUGUETTE    (1),  qui  s'est    relevée  à  l'entrée  des  domes- 
tiques. 

Je  le  sais,  muiisieur  l'abbé  !  Je  la  fenêtre 
j'ai  suivi  tout  le  drame.  Ah!  que  Dieu  soit 

béni!  (Après  un  temps,   changeant  de  ton.)  YoUS  aveZ 

reçu  mon  serment,  monsieur  l'abbé,  je  le 
tiendrai. 

l'abbé   (2). 

Non,  mon  enfant,  non  !  Dieu  a  entendu 
votre  cri  de  détresse  et  en  a  ou  pilié,  mais 
jamais  il  ne  fait  de  sa  miséricorde  le  prix 
d'un  marché.  Un  vœu  prononcé  dans  de 
telles  circonstances  ne  saurait  être  valable  : 
devant  lui,  et  en  son  nom  je  vous  en  re- 
lève!... 

HUGUETTE. 

Cependant,  monsieur  l'abbé...! 

l'abbé. 
Chut!  voici  du  monde. 

Il   descend  un    peu   à   droite. 


SCENE  XVII 

Les  Mêmes,  hX  COMTESSE  ..uivie  d'EUGÉNIE. 

LA    COMTESSE,   radieuse  et  cmue  allant  à  l'abbé. 

Sauvé!  11  est  sauvé!  Ah!  monsieur  l'abbé  - 


LE   BOURGEON  99 

l'abbé. 
Madame   la  comtesse,   le  Seigneur  était 
avec  vous, 

EUGÉNIE,    accourant  (2)    à    la    suite   de    la   comtesse    et 
s'arrêtant   au   fond. 

0   Jésus!    Marie!    Sainte   Mère   de  Dieu! 
Soyez  bénie! 

Elle   se  signe. 
LA.    COMTESSE   (S),  à  Huguette  (l). 

Huguette  !  Huguette  !  Ton  cousin  est  sauvé  ! 

HUGUETTE,  sur  un  ton   sauvage. 

Oui!... 

Elle  sort  brusquement   par  la  terrasse. 
L.\   COMTESSE,   la    regardant  partir. 

Petit  cœur  sec,  va  ! 

Elle  descend  à  gauche. 
l'abbé,    descendant  à   l'extrême  droite. 

Hé!    Sait-on  jamais    ce  qui  se  passe  au 
fond  d'un  cœur? 

EUGÉNIE,  elle   descend  par  la  gauche  de  la  table. 

Il  n'y  a  qu'à  la  voir! 

L  abbé,  sur   un   ton   plein   de  sous- entendus. 

Oui,  je  sais  bien  ! 


100  LE   BOURGEON 


SCENE    XVIII 

Les  Mêmes,  LE  MARQUIS,  suivi  de   MAURICE 

en  peignoir,  portant  dans  ses  bras  ETIENNETTE, 
en  costume  de  bain  et  enveloppée  d  un  peignoir  —  elle  a 
une   marmotte   rouge    sur    la  tête.    A   leur    suite    GUE- 

RASSIN,  VÉTILLE,  LUC. 

A  ce  moment  grande  rumeur,  on  voit  arriver  précédé  du 
marquis,  Maurice  portant  Étiennette  à  moitié  évanouie 
et  accompagné  des  personnages  ci-dessus  désignés  — 
Cette  entrée  doit  durer  l'e^^pacé  d'un  éclair  —  Le  Mar- 
quis s'efface  à  gauche,  pour  livrer  le  chemin  à  Maurice 
—  Luc  se  précipite,  en  passant  derrière  la  bergère,  pour 
ouvrir  la  porte  droite,  premier  plan  ;  Maurice  descend  avec 
Ktiennette  et  passe  devant  la  bergère  pour  gagner  la 
chambre  —  Au-dessus  du  cortège,  cavalcadant,  tel  un 
Auguste  de  cirque,  Guérassin  portant  les  vêtements  d  É- 
tiennette  et  ne  trouvant  rien  d'autre  que  de  répéter  à 
satiété.  «  Quel  drame,  mon  Dieu,  quel  drame  !  »  —  Vé- 
tille suit  également  —  A  1  entrée  des  personnages,  la 
comtesse  se  précipite  au-devant  de  son  fils,  ainsi  qu'Eu- 
génie, c'est  un  vrai  brouhaha  dan=  loquel  on  distingue 
ce  qui  suit,  dit  en  quelque  sorte  ensemble.  —  Tout  le 
monde  parle  à  la  fois,  en  faisant  irruption  dans  la  pièce. 

LE   MARQUIS. 

Tenez,  par  ici. 

MAURICE. 

La  porte,  Luc.  la  porte! 


LE   BOURGEON  101 

LA  COMTESSE. 

Ah!  mon  enfant!  quelle  imprudence! 

MAURICE. 

Oui,  maman,  tout  à  l'heure. 

Luc   ouvre  la  porte  de  droite. 
GUÉRASSIN. 

Quel  drame,  mon  Dieu!  quel  drame! 

ÉTIENNETTE,    reprenant  ses   sens. 

Qu'est-ce  qu'il  y  a  eu,  donc? 

MAURICE. 

Rien,  rien  !  docteur,  venez. 

VÉTILLE. 

Voilà  ! 

GUÉRASSIN. 

Quel  drame!  mon  Dieu!  quel  drame! 

Il   entre    à   la   suite   dé   tout   le  monde,   dans   la  pièce, 
premier   plan   droit. 


SCENE   XIX 

LA  COMTESSE,  LE  MARQUIS,  EUGÉNIE,  puis 
LA  CLAUDIE. 

LA  COMTESSE  *,  qui  a   accompagné    tout   le  monde  jus- 
qu'à la  porte,  se  laissant  tomber  dans  la  bergère. 

Ah  !  Onfroy  !  Onfroy,  l'émotion  par  laquelle 
je  viens  de  passer.,.! 

*  Eug.  1,  la  G.  2,  le  M,  3. 


102  LE   BOURGEON 

LE  MARQUIS,  entre  la  porte  et  la  bergère. 

Voyons,  ce  n'est  pas  le  moment  de  te  lais- 
ser aller,  maintenant  que  tout  est  fini. 

LA.  COMTESSE,  voyant  la  Claudie  faire  irruption  et  der- 
rière elle,  se  diriger,  son  paquet  de  serviettes  en  mains, 
vers  la  chambre  de  droite,   premier  plan. 

Qu'est-ce  que  c'est? 

LA  CLAUDIE,  faisant  un  crochet    et  venant  à  gauche  du 
fauteuil   voisin  de  la  tricoteuse. 

C'est  les  serviettes. 

LA  COMTESSE,  avec  humeur. 

Eh   bien,    dépêchez-vous  !   qu'est-ce    que 
vous  restez  là  à  causer  ? 

LA    CLAUDIE. 

Mais  c'est  madame  qui  me  parle! 

LA    COMTESSE. 

Mais  allez  donc,  voyons  ! 

LA  CLAUDIE,  pirouettant  à  la  voix  de  la  comtesse. 

Oui,  madame. 

Elle   refait  le  même  crochet  en  sens  inverse,  et  gagne 
rapidement  la   chambre  de  droite. 
LA  COMTESSE. 

Dire  que  j'aurais  pu  ne  jamais  le  revoir  I 

EUGÉNIE,  tout  en  gagnant  la  gauche. 

Et  tout  ça,  pour  cette  demoiselle  ! 

LE  MARQUIS,  au-dessus  de   la  bergère. 

Qu'est-ce  que  vous  voulez,  Eugénie?  c'est 


LE  BOURGEON  103 

toujours  vous  qui  faites  la  perte  des  hom- 
mes. 

EUGÉNIE,  humblement,  les  mains  croisées  sur  la 
poitrine. 

Moi? 

LE  MARQUIS,  s'avançant    vers   le  milieu   de  la  scène. 

Votre  sexe  I 

Eugénie  hausse  les  épaules.  —  Le  marquis  remonte. 
LA   COMTESSE. 

Ah!  je  t'en  prie!...  Ne  plaisante  pas...  Tu 
as  le  cœur  aussi  sec  que  ta  fille. 

Elle  se  lève. 
EUGÉNIE. 

Et  ce  n'est  pas  peu  dire  ! 

LE   MARQUIS,  en  appuyant  sur  le  '   oui.  » 

Oui,  Eugénie  !  Oui  ! 


SCÈNE   XX 

Les  Mêmes,  MAURICE,  L'ABBË. 

MAURICE,  sortant  de  la   chambre  et  se  dirigeant  vers  la 
sienne. 

Là!  Eh  bien!  maintenant  qu'il  n'y  a  plus 
d'inquiétude  à  avoir,  je  vais  me  rhabiller. 

l'abbé,  qui  le  suit. 

C'est  ya  !  Ne  prenez  pas  froid. 


104  LE   BOURGEON 

LA.  COMTESSE,  qui    est  remontée,    vivement  à    son   fils. 

Oh  !  vilain  enfant  !  Tu  n'aimes  donc  pas 
ta  mère,  pour  lui  infliger  des  transes  pa- 
reilles ? 

MAURICE. 

Mais  maman,  il  fallait  bien!... 

LA  COMTESSE,    entre  lui  et    la   porte  de  sa  chambre. 

Promets-moi,  promets-moi  que  plus  ja- 
mais... 

MAURICE. 

Oui,  maman!  seulement...  je  vais  pren- 
dre froid. 

LE  MARQUIS. 

Mais  oui,  laisse-le  donc  aller... 

LA  COMTESSE. 

Ah!  On  voit  que  ce  n'est  pas  ton  fils  à 
toi!...  (a  Maurice.)  Va,  mou  cufaut,  va!...  (a 
l'Abbc.)  Monsieur  l'abbé,  accompagnez-le  ! 
Veillez  à  ce  qu'il  ne  manque  de  rien, 

MAURICE,    tout  en  entrant  dans  sa  chambre  dont  il  laisse 
la  porte  ouverte. 

Oh  !  ce  n'est  pas  la  peine. 

LA  COMTESSE. 

Si,  si  !  Je  vous  en  prie  M.  l'abbé. 

l'abbé. 
Mais    comment    donc,    madame  !  (ii  entre 

dans    la    pièce,  et    parlant   à   Maurice    qu'on   ne    voit    plus, 


LE   BOURGEON  ■  105 

comme  ponr  l'exhorter,  et  en  se  donnant  de  petites  tapes 
d'une  main  dans  l'autre.)  AllonS  !  alloDS  ! 
LA    COMTESSE,     au    moment    de   refermer   la  porte.   — 
Apercevant  La  Claudia  qui  sort  de  droite,   avec  une  par- 
tie du  linge  dans  les  bras. 

Eh  bien  !  voyons,  le  linge  !  le  linge  de 
M.  Maurice. 

LA.  CLAUDIE. 

Mais  j'étais  là  avec  la  dame  noyée. 

LA  COMTESSE,  nerveuse. 

Eh!  «  la  dame,  la  dame  »!  elle  pouvait 
attendre  ;  tandis  que  M.  Maurice  peut  at- 
traper froid. 

LK    MARQUIS,  avec  logique. 

Mon  Dieu...  la  dame  aussi! 

LA  COMTESSE,  avec  un  suberbe  ôgo'isme. 

Oui,  <>h  !  mais  la  dame...  !  (a  la  ciaudio.) 
Eh  !  bien  courez,  voyons. 

LA   CLAUDIE. 

Oui,  madame. 

Elle  entre   chez  Maurice. 
EUGÉNIE,  apercevant   le  docteur   qui  sort  de  chez  Ktien- 
nette. 

Ah!  le  docteur. 


106  LE  BOURGEON 


SCENE  XXI 

Les  Mêmes,  VÉTILLE. 

VÉTILLE,    remontant    dans  la  direction  de   la    comtesse. 

Allons,  nous  en  avons  été  quittes  pour  la 
peur. . .  la  petite  syncope  de  cette  jeune  dame 
n'est  que  le  résultat  de  l'émotion.  Tout  va 
bien. 

EUGÉNIE   (i),   bien  pimbêche. 

Vraiment,  ce  n'était  pas  la  peine  de  ve- 
nir jeter  le  trouble  dans  notre  milieu  pour 
si  peu  de  chose  ! 

LE  MARQUIS   (2),  railleur. 

Qu'est-ce  que  vous  voulez  Eugénie  ?. . .  cette 
pauvre  dame,  elle  a  fait  ce  qu'elle  a  pu. 

EUGÉNIE,  haussant  les  épaules   avec   dédain. 

Ah! 

VÉTILLE  (3),  qui  a  regarde  sa  montre. 

Oh!  mais  l'heure  de  mon  train  approche! 
Il  serait  bon  de  penser  au  départ. 

LA  COMTESSE. 

Vous  avez  le  temps  docteur,  (a  Eugénie.) 
Veux-tu  voir  si  le  phaëton  est  attelé? 


LE   BOURGEON  107 

EUGÉXIEj    remontant. 

J'y  vais  ! 

VÉTILLE. 

Oh  !  madame,  ne  vous  donnez  pas  la  peine! 

EUGÉNIE,    passant  entre   le  marq^uis  et  Vétille —  moitié 
miel  et  moitié  vinaigre. 

Mais  comment  donc,  docteur  ! 

Elle  sort. 
VÉTILLE. 

Moi,  madame,  pendant  ce  temps,  je  vais 
aller  prendre  congé  de  votre  fils,  et  voir,  ce 
qui  est  peu  probable,  s'il  n'a  pas  besoin  de 
mes  services.  La  vérité  c'est  que  cela  me 
permettra  de  le  féliciter  pour  son  courag'e 
et  son  dévouement...  car  pour  ce  qui  est  de 
sa  santé,  je  suis  sans  inquiétude...  je  vous 
ai   dit  le   seul  remède  qu'elle    réclamait. 

(voyant  à  la  physionomie  de  la  comtesse  que   ce  genre  de 
recommandation  la  met  au  supplice.)  AlloUS,  JC  SCnS 

que  je  vous  fais  souffrir;  je  vais  retrouver 
votre  fils. 

LA  COMTESSE. 

Tenez,  par  ici,  docteur. 


108  LE   BOURGEON 


SCENE   XXII 

LE  MARQUIS,  LA    COMTESSE,  puis 
LA  CLAUDIE. 

LA  COMTESSE,  referme  la  porte  et  pousse  un  gos  sou- 
pir; puis  remarquant  le  marquis  qui  se  mord  les  lèvres 
d  un  air  narquois. 

Ah  !  je  t'en  prie,  ne  prends  pas  cet  air 
malin!  tu  m'agaces. 

EKe  descend  à  gauche. 
LE   MARQUIS,  de  l'air  le  plus  candide. 

Moi  ? 

LA  COMTESSf:,    allant  s'asseoir  sur  le    fauteuil  à    droite 
de  la  table. 

C'est  vrai  :  c'est  ta  faute  tout  ça!  C'est  toi 
qui  as  sermonné  le  docteur... 

LE  MAUQUIS,  descendant  près  d'elle. 

Moi! 

LA  COMTESSE. 

Oui!  Eh  hien,  vous  aurez  heau  vous  li- 
guer contre  moi  !  jamais,  tu  m'entends,  ja- 
mais ! 

Le  marquis  s'incline  avec  un  geste  de  soumission  et 
va  s'asseoir  sur  le  fauteuil  près  do  la  tricoteuse. 
A  ce  moment  la  Glaudie  sort  de  la  chambre  de 
Maurice. 


LE    BOURGEON  109 

LA  COMTESSE,   avec  anxiété. 

Ah!  Eh  bien?  M.  Maurice? 

LA.   GLAUDIE,  qui  s  apprêtait  à  sortir,  descendant  auprès 
de  la   comtesse. 

Oh  !  ça  va  bien! 

LA  GOMTESSK,  respirant. 
Ah  !  tant  mieux  !  (La  Claudie  remonte  pour  sortir, 
—  la  rappelant.)  La   Claudie! 

LA  GLAUDIE,  redescendant. 

Madame  la  Comtesse? 

LA  COMTESSE,  après  un  effort  visible. 

Non...  rien. 

LA   CLAUDIE. 

Ah? 

Elle  remonte. 
LA  COMTESSE,  brusquement. 
Si  !...  (T-a  Claudie  s'arrête.  —  La  Comtesse  voyant 
le  regard  du  marquis  fixé  sur  elle,  et  le  sourire  moqueur 
qu'il  a  sur  les  lèvres.)  Ah  !  ne  ris  paS  toi  !  (A  la 
Claudie,  avec  embarras.)  Ça...  Ça  t'eunuie  beau- 
coup de  rentrer  à  l'orphelinat  de  Kenogan. 

LA  CLAUDIE,  levant  de  grands  bras. 

Oh!  madame  la  Comtesse...! 

LA  COMTESSE,  avec    des   efforts   qui  lui  coûtent. 

Eh  bien...  c'est  bien...  pour  le  moment  je 
consens...  Nous...  nous  verrons  plus  tard... 
tu  resteras  au  château. 

7 


110  LE  BOURGEON 

LA  GLAUDIE,   avec   expansion. 

Oh  !  merci,  madame  la  Comtesse  ! 

LA  COMTESSE,  avec  humeur,  lui  coupant  son  élan. 

Ah  !  C'est  bien...  va  !...  va  !...  ne  m'agace 
pas. 

Elle  se  lève  et  gagné  la  gauche. 
LA    GLAUDIE,  interloquée. 

Oui,  madame  la  Comtesse. 

Elle  sort  radieuse. 
LE  MARQUIS,  une  fois  la  Claudie  sortie. 

Allons  donc  !  Tu  te  ranges  au   parti  de 
la  raison  I 

LA  COMTESSE,   pi-otestant. 

Moi!  moi!  qu'est-ce  que  tu  veux  dire? 

LE    MARQUIS,  Lieu  amicalement. 

Allons,  voyons  !  Crois-tu  que  je  ne  lis  pas 

dans  ta  pensée  ?  (se  levant  et  allant  vers  elle.)  PoUF- 

quoi  ce  brusque  revirement,  si  ce  n'est  parce 
que  tu  te  dis... 

LA  COMTESSE,  toute  honteuse  et  sur  un  ton  suppliant. 

Oh  !  tais-toi  I  tais-toi  ! 

LE  MARQUIS. 

Ahl  tu  vois  bien  que  j'ai  deviné  juste. 

LA  COMTESSE,  s'affalant  sur  le  tabouret. 

Ah!  les  enfants!...  les  enfants! 

LE    MARQUIS,  derrière  elle,  lui  prenant  affectueusement 
les  épaules  entre  ses  deux  mains. 

Ne  te  désole  donc  pas,  val...  C'est  la  loi 


LE   BOURGEON  111 

humaine  après  tout!...  Eh  bien,  pourquoi 
s'insurger  contre  elle?. ..  Faisons  en  sorteque 
Maurice  ne  vive  pas  plus  longtemps  en 
marge  de  cette  loi  !...  et  pour  cela,  le  mieux 
est  Je  laisser  parler  la  nature  :  entoure  ha- 
bilement Maurice,  sans  avoir  l'air  de  rien, 
de  jolies  femmes,  de  frimousses  aguichan- 
tes... qu'il  en  trouve  partout  et  tout  le 
temps  !...  que  diable,  il  n'y  a  pas  un  homme 
qui  n'ait  son  heure  de  défaillance  et,  un 
jour  où  la  tentation  sera  trop  forte... 

II  gagne  la  droite. 
LA  COMTESSE,  bien  simplement. 

Je  le  connais,  il  se  mettra  à  prier. 

LE  MARQUIS. 

Oh  !  alors,  zut  ! 

Il   remonte. 
LA  COMTESSE. 

Et  puis  enfin,  tu  es  bon  !  «  Entoure-le,  en- 
toure-le »  !  Gomment  veux-tu  que  je  m'y 
prenne  !  Je  n'en  connais  pas,  moi,  des  fem- 
mes I  En  as-tu  toi  ? 

LE  MARQUIS,  qui  est  un  peu  redescendu  sur  les  paroles 
de  sa  sœur. 

Moi  ?  Mais  ma  pauvre  sœur  du  bon  Dieu, 
il  y  a  longtemps  que  je  suis  rangé  des  voi- 
tures ! 


113  LE    BOURGEON 

LA  COMTESSE. 

Quoi? 

LE  MARQUIS. 

Expression  qui  veut  dire  qu'il  y  a  long'- 
temps  que  j'ai  enrayé;  du  jour  où  j'ai  cons- 
taté que  j'étais  au-dessous  de  mes  ali'aires...! 
et  que  je  ne  faisais  plus  honneur  à  ma  si- 
gnature...! Aujourd'hui,  je  vis  dans  mes 
terres  de  Touraine  et  ce  n'est  pas  là  que... 
(Allant  à  elle.)  La  dcmière quc  j'ai  connue  était 
une  nommée  Clarisse  lloulgate  qui  avait  fait 
les  beaux  jours  du  16  mai. 

LA  COMTESSE,  avec  une  lueur   d'espoir. 

Ah?...  Eh  bien  voilà!  Qu'est-ce  qu'elle  est 
devenue? 

LE    MARQUIS. 

Dame,  elle  est  devenue. . .  vieille  ;  du  moins 
je  le  suppose,  parce  que.  avec  les  femmes, 
les  années,  ce  n'est  pas  comme  avec  les 
hommes. 

LA   COMTESSE. 

N'importe!  Tu  pourrais  te  renseigner! 
une  femme  d'un  certain  âge...  elles  ont  le 
sentiment  maternel  plus  développé...  cette 
Houlgate  me  conviendrait  très  bien. 

LE  MARQUIS. 

Non  mais  tu  es  superbe!  Ce  n'est  pas  à 


LE   BOURGEON  113 

toi  qu'il  faut  qu'elle  convienne!  c'est  à  ton 
fils. 

Il  remonte. 
LA  COMTESSE, 
C'est    vrai  !    (Avec  découragement.)    Ail  !    mon 

Dieu!  mon  Dieu  que  le  rôle  d'une  mère  est 
donc  difficile  ! 

Elle  remonte  vers  la  droite  de  la  table. 


SCENE   XXIII 

Les  Mêmes,  HEURTIîLOUP,  puis  VÉTILLE. 

HEURTELOUP,    accourant,  venant  du  hall    côté  droit 
et  descendant  milieu  de  la  scène. 

Qu'est-ce  qu'on  vient  de  me  dire  ?  Maurice 
entraîné  par  le  raz  de  marée  ?... 

LA   COMTESSE. 

Non...  non...  rassurez-vous. 

LE  MARQUIS. 

C'est  fini...  C'est  fini... 

EUGÉNIE}  qui  est  entrée  sur  les  derniers  mots  de  son 
mari. 

Ah  !  tu  arrives  toujours  comme  les  cara- 
biniers,  toi.   (a  la  Comtesse  tout  on  descendant  par  la 

gauche  de  la  table.)   La  ^■oiture  du  doctcur  est 
avancée. 


114  LE   BOURGEON 

LE  MARQUIS. 
Ah  ?  bon  !  (Allant  ouvrir  la  porte  de  Maurice  et  ap- 
pelant.) Docteur  ! 

VÉTILLE,  paraissant. 

Voilà  ! 

LE  MARQUIS. 

La  voiture  vous  attend. 

VÉTILLE. 

Ah!  parfait!  (a  la  comtesse.)  Madame,  votre 
fils  est  en  excellent  état. 

LA  COMTESSE,  l'accompagnant  jusqu'au  hall  ainsi  que  le 
marquis. 

Encore  merci  docteur. 

LE  DOCTEUR. 

Mais  comment  donc  !  Madame  la  Comtesse, 
je  vous  présente  mes  respects. 

LA    COMTESSE. 

Au  revoir,  docteur,  et  ne  nous  abandon- 
nez pas. 

LE  MARQUIS. 

Je  vous  accompagne. 

VÉTILLE. 
Parfait  !    (s'incllnant  devant  Eugénie  et  Heurteloup.) 

Monsieur  !  Madame  ! 

HEURTELOUP  et  EUGÉNIE. 

Au  revoir,  docteur  ! 

Sortie  du  marquis  et  de  Vëtillé. 


LE   BOURGEON  115 


SCÈNE  XXIV 

LA    COMTESSE,    HEURTELOUP,    EUGÉNIE, 
puis  ÉTIENNETTE  et  GUÉRASSIN. 

LA.  COMTESSE,  au-dessus  de  la   table  et  tout  en  mettant 
un  peu  d'ordre. 

Ah  !  je  suis  tout  de  même  plus  rassurée 
maintenant  que  j'ai  vu  le  docteur. 

HEURTELOUP,  à  droite  du  tabouret  et  devant. 

Ça  a  l'air  d'un  bon  médecin. 

EUGÉNIE,  à  gauche  du   tabouret  et  devant. 

Tu  trouves  toi  ?...  un  médecin  qui  traite 
par  la  pornographie! 

HEURTELOUP. 

Oh! 

EUGÉNIE. 

Jamais  il  ne  te  soignera!  tu  entends... 

HEURTELOUP,  avec  un  soupir  de  résignation. 

Bon! 

EUGÉNIE. 

Ni  moi  non  plus. 

A.  ce  moment  paraît  Ktiennetto    qui  entre   timidement 
suivie  de  Guérassin.   Elle  est  entièrement  rhabillée 


116  LE    BOURGEON 

à  1  exception  de  son  manteau  que  Guôrassin  porte  sur 
le  bras. 

_2       (  LA   COMTESSE. 

m|    I  Madame  de  Marigny  ! 

=  g  I  EUGÉNIE. 

S  g  g  y 

""=1  1  L'actrice  ! 

z  ?  ^  J 

W  *      I  HEURTELOUP,  à   part. 

E    (  Étiennette  ! 

ÉTIENNETTE,  timidement. 

Excusez-moi,  madame  la  Comtesse... 

LA  COMTESSEj  qui  est  toujours  au-dessus  de  la  table, 
descendant  vivement  entre  celle-ci  et  le  roking,  et  écar- 
tant Eugénie  et  Heurteloup  pour  passer  entre  eux  afin 
d'aller  plus  vite  à  Étiennette. 

Vous,  vous  !  madame  !  Mais  comment  donc  ! 
Mais  je  vous  en  prie,  mais  asseyez-vous... 
après  les  émotions  que  vous  venez  de  tra- 
verser... ! 

TOUS,  étonnés. 

Hein? 

ÉTIENNETTE,  n'en  croyant  pas  ses  oreilles. 

Oh!  vraiment,  madame,  je  suis  confuse! 

LA  COMTESSEj  la  faisant   asseoir  dans    la  bergère. 

Mais,  je  vous  en  prie,  ne  vous  excusez 
pas... 

EUGÉNIE,  à  part,  scandalisée. 
Oll  !  (Haut  et  sèchement  iinpérative.)  VicnS,  HcCtOr  I 


LE   BOURGEON  117 

HEURTELOUP. 

Moi? 

EUGÉNIE. 

Oui,  toi  ;  viens! 

LA   COMTESSE,  qui  s'est  assise  dans   le  fauteuil  près  de 
la  bergère,  à  Eugénie. 

Tu  t'en  vas  ? 

EUGÉNIE,  très  pincée. 

Oui  !  nous  avons  affaire  par  là. 

Elle  remonte  par  la  gauche  do  la  table. 
LA  COMTE  SSE,  en  prenant  philosophiquemout  son  parti. 

Ah  ?  bien  ! 

Heurteloup  fait  signe  de  la  tête  à  la  comtesse  que  ce 
n'est  pas  vrai  et  suit  en  époux  résigné;  ils  sortent. 

LA  COMTESSE,    une   fois  la  sortie   faite. 

Ah  !  madame  î  A  quel  effroyable  danger 
vous  venez  d'échapper  !  j'en  suis  encore  tout 
en  émoi. 

ÉTIENNETTE. 

Ah  I  Madame  ! 

GUÉRASSIN,  debout,  appuyé  à  la  bergère  d'Étiennette. 

J'en  ai  mon  déjeuner  qui  m'est  resté  là. 

ÉTIENNETTE. 

Et  c'est  au  courage  de  monsieur  votre  fils 
que  je  dois...  Aussi,  avant  de  partir... 

Elle  se  lève. 


118  LE   BOURGEON 

LA.  COMTESSE,  la  faisant  rasseoir. 

Eh  quoi  I  vous  songez  déjà  à  nous  quitter  ? 

ÉTIENNKTTE. 

Mais  oui,  madame... 

LA  COMTESSE,   avec  hésitation. 

Ecoutez,  madame...!  vous...  vous  auriez 
désiré  louer  ce  petit  pavillon...? 

ÉTIENNETTE. 

Oh!  madame!  ne  revenons  plus  sur  ce 
caprice  d'un  moment  dont  vous  m'avez  fait 
comprendre  toute  l'outrecuidance. 

LA  COMTESSE. 

Mais  du  tout  madame...  j'ai  réfléchi  et 
après  tout...  tout  bien  pesé...  je  ne  vois  pas 
pourquoi?... 

ÉTIENNETTE. 

C'est  trop  aimable  madame...  mais  non  !... 
d'ailleurs,  ce  n'eût  été  que  pour  l'année 
prochaine,  ainsi...  ! 

LA   COMTESSE,  bien  naïvement. 

Oh!  comme  c'est  tard!... 

ÉTIENNETTE,  étonnée. 

Tard?  pourquoi? 

LA  GOMTESSIC,  id. 

Mon  fils  sera  au  régiment  à  ce  moment... 

ÉTIENNETTE,   qui  n'y  entend  pas  malice. 

Ah!  monsieur  votre  fils  sera...  ? 


LE    BOURGEON  119 

LA  COMTESSE. 

Oui,  madame!  Penser  qu'on  crée  des  êtres 
pour  en  faire  de  la  chair  à  canon..  I 

ÉTIENNETTE,  pousse    un    soupir    approbatif  puis    après 
réflexion. 

Oh!...  en  temps  de  paix. 

GUÉRASSIN. 

C'est  moins  dangereux. 

LA    COMTESSE. 

C'est  ce  qui  me  console. 

ÉTIENNETTE,   se  levant. 

Mais  madame,  je  ne  voudrais  pas  abu- 
ser... et  si  avant  de  partir,  vous  m'auto- 
risiez à  exprimer  ma  reconnaissance  à 
monsieur  votre  fils... 

LA  COMTESSE. 

Mais  comment  donc  !  11  sera  trop  heu- 
reux... 11  doit  être  prêt  ;  je  vais  le  chercher. 

Elle  remonte  vers  la  chambre  de  son  fils. 
ÉTIENNETTE,   suivant  la  comtesse  par  une  passade  ar- 
rondie. 

Comment  vous  remercier,  madame... 

LA  COMTESSE. 

Mais  voyons... 

Elle  sort.  Guérassin  est  passé  à  gauche  au  moment  où 
Étiennette  est  remontée. 


120  LE    BOURGEON 


SCENE   XXV 

Les  Mêmes,  moins  LA  COMTESSE. 

ÉTIENNETTEj   une    fois   la    porte    refermée,    descendant 
vivement  vers  Guérassin  (l)  et  avec  transport. 

Ah!  Guérassin!  Guérassin!  Ce  garçon, 
depuis  qu'il  m'a  serrée  dans  ses  bras,,  de- 
puis que  j'ai  éprouvé  son  étreinte  vigou- 
reuse, tandis  qu'il  nie  disputait  aux  flots...  ! 
Ah!  je  ne  sais  pas,  Guérassin!...  Jamais  je 
n'ai  été  serrée  comme  cela  ! 

GUÉRASSIN,   faisant  claquer  sa  main  >ur  sa  cuisse. 

Allons,  bon! 

ÉTIENNETTB. 

Vois-tu.  en  une  minute,  en  une  seconde... 
j'ai  senti  que  celui-là  c'était  mon  homme  ! 
je  lui  appartenais. 

GUÉRASSIN,  attestant  le  ciel. 

Elle  devient  folle! 

ÉTIENNETTE, 

Guérassin!  je    n'ai   jamais  éprouvé  cela  ! 


LE   BOURGEON  121 


SCÈNE   XXVI 

Les  Mêmes,  LA  GOiMTESSE,   puis   MAURICE, 
et  L'ABBÉ. 

LA.  COMTESSE,  sortant  de  la  chambre  et  descendant  au- 
dessus  de  la  bergère. 

Voici  mon  fils,  Madame. 

KTIENNKTTE,  s'élançant  à  sa  rencontre. 
Ah!  Monsieur  je...  (.Maurice  paraît  suivi  de  l'abbé. 
Il  est    en   tenue  de  séminariste.  Étiennette,  ne  peut  répri- 
mer un  sursaut  à  cette  apparition.)  Ah  ! 
GUÉRASSIN,    idem. 
Ah!   (Riant  sous   cape.)    Oh! 

MAURICE,    descendant  un  peu. 

Que  je  suis  heureux,  madame,  de  vous 
savoir  saine  et  sauve. 

ÉTIENNETTE,    essayant  de    dissimuler    sa  déception    et 
dé  faire  bonne  contenance. 

Et  c'est  à  vous  que  je  le  dois...  monsieur 
l'abbé!  Ah!  comment  reconnaîtrai-je  ja- 
mais... ! 

MAURICE. 

C'est  le  ciel  que  vous  devez  remercier, 
madame;  moi.  je  n'ai  été  que  le  bras  qui 
exécute. 


122  LE   BOURGEON 


ÉTIENNETTE. 

C'est  ég'al.  monsieur  l'abbé,  je  ne  vous 
reverrai  peut-être  jamais,  mais  je  tiens  à 
vous  dire  que  j'emporterai  d'ici  le  souvenir 
le  plus  reconnaissant. 

MAURICE,   très  simplement. 

Adieu  donc,  madame,  et  que  Dieu  vous 
protège... 

Il  descend  jusqu'à     a  gauche  du   fauteuil  qui  est  près 
de  la  tricoteuse,  la  comtesse  est  près  de  lui  devant 
le  fauteuil,   le  curé  au-dessus  de  la  tricoteuse. 
ÉTIENNETTE. 

Adieu,  monsieur  l'abbé  ! 

On  s'incline    de  part    et    d'autre.    Étiennette    remonte 
lentement. 
MAURICE,  brusquement  pris  d'un  étourdissement. 

Ah! 

Il  a  porté  le  bras   droit  à  son  front,  de  la  main  gau- 
che il   s'est  retenu  au  dossier  du  fauteuil. 
TOUS. 

Ah! 

LA  COMTESSE,   qui    a    retenu    son  fils   sur    le    point    de 
tomber. 

Maurice!  mon  enfant! 

MAURICE,  se  remettant. 

Ce  n'est  rien  :  un  de  ces  fâcheux  verti- 
ges... C'est  passé...  merci... 


LE   BOURGEON  123 

LA    COMTESSE. 

Ah!  que  tu  me  donnes  de  tourments. 

MAURICE. 

Ce  n'est  rien. ..(a  Étiennette.)  Adieu  madame. 

ÊTIENNETTE,  s'incline  à  nouveau,  puis  au  moment  dé 
sortir,  jette  un  dernier  regard  à  Maurice  ;  après  quoi,  à 
part,  avec  un  soupir: 

Ah!  C'est  dommage! 


Rideau. 


ACTE  DEUXIEME 


V, 


ACTE  DEUXIÈME 


Chez  Étiennette.  —  Petit  salon  très  élégant.  —  A 
gauche  premier  plan,  une  cheminée  avec  sa  garni- 
ture. —  Deuxième  plan,  une  porte.  —  Au  fond  plein 
milieu  porte  donnant  sur  une  galerie.  —  A  droite, 
premier  plan,  une  fenêtre-bow-window.  —  Deuxième 
plan,  une  porte.  —  Près  de  la  cheminée,  côté  le 
plus  rapproché  de  la  scène,  un  petit  fauteuil  dos  au 
public.  —  De  l'autre  côté  lui  faisant  vis-à-vis,  une 
bergère.  —  A  droite  de  la  bergère,  un  canapé  face  au 
public.  —  Adossée  au  canapé,  une  table  de  même  gran- 
deur. —  Sous  le  canapé,  un  coussin  de  pied.  —  Un  peu 
à  droite  et  devant  le  canapé,  à  un  mètre  environ,  un 
siège-tabouret.  —  Près  de  la  grande  table  et  à  sa 
droite,  une  chaise  volante.  — A  droite  de  la  scène,  près 
du  boMT-windovv^,  un  peu  au-dessus,  un  sopha,  entouré 
d'un  paravent.  —  Devant  le  sopha,  un  peu  vers  la 
gauche  un  siège-tabouret.  —  A  gauche  du  sopha,  un 
fauteuil  portatif.  —  Entre  le  sopha  et  le  fauteuil,  une 
toute  petite  table  à  tiroirs.  —  Au  fond  de  chaque  côté 
de  la  porte  un  meuble  de  style.  —  Au  fond,  dans  la 
galerie,  face  à  la  porte,  un  canapé.  —  Dans  l'embra- 
sure du  bow-window,  jardinière  avec  des  plantes  ver- 
tes. —  Sur  la  grande  table  un  service  à  café,  une  cave 
à  liqueurs  et  une  boîte  contenant  des  cigarettes.  —  A 
la  dernière  feuille  de  gauche  du  paravent  est  sus- 
pendu, amené  par  un  fil,  un  bouton  de  sonnerie  élec- 
trique. —  Autre  bouton  électrique  à  droite  de  la  che- 
minée. —  Lustre  de  style  au  plafond. 


138  LE   BOUHGEON 


SCÈNE    PREMIERE 

ÉTIENNETTE,  PAULETTE,  GLÉO,  GUÉRAS- 

SIN,   MUSIGNOL,  tenue  de  cheval  d'offlcier  de  dra- 
gons. 

Au  lever  du  rideau,  Étiennette,  face  au  public  au-dessus  dû 
la  table  qui  est  derrière  le  canapé,  sert  le  café  tout  en 
discutant  avec  Musignol,  —  Celui-ci,  plus  bas  en  scène 
un  peu  à  droite,  est  entre  Paulette  et  Guôrassin.  —  Cleo 
est  près  d  Étiennette.  —  Tout  le  monde  parle  à  la  fois  : 
Guérassin  et  Paulette  essayant  de  calmer  Musignol  ;  Cleo 
de  convaincre  Étiennette.  On  entend  des  «  allons  Étien- 
nette...! —  Mais  non,  mais  non!  —  Musignol  voyons! 
—  Ah  !  laissez-moi...!   »  etc. 

MUSIGNOL,  *  brusquement  à  Étiennette. 

Voyons,  Étiennette,  ça  n'est  pas  sérieux! 
Qu'est-ce  que  tu  as  ?  Qu'est-ce  que  je  t'ai 
fait? 

ÉTIENNETTE,  tout  en  versant  du  café. 

Mais  rien,  je  te  répète!  tu  ne  m'as  rien 
fait.  J'en  ai  assez  :  j'en  ai  assez!  et  voilà 
tout. 

MUSIGNOL. 

Ah!  non,  non.  celle-là...! 

PAULKTTE,   quittant    Musignol   et  gagnant    la   cheminée. 

Oh!  ce  qu'ils  sont  embêtants! 

*  C.  1,  —    Kt.  2,  —    P.   :<,  —   M.  4,  —   (i.   3. 


LE    BOURGEON  129 

ÉTIENNETTE,  prosentant  une  tasse  à  Cleo. 

Une  tasse  de  café,  Cleo  ? 

GLÉO,   prenant  la   tasse. 

Merci,   (a    mi-voix.)    Pourquoi    es-tu    dure 
comme  ça  avec  ce  pauvre  Musignol? 

ÉTIENNETTE,  écartant  Cleo  qui  va  par  la  suite  s'asseoir 
dans   la   bergère  près  de  la  cheminée. 

Ah!  non,   je  t'en  prie,  hein?  ne  te  mêle 
pas.  (a  Guérassin.)  Du  café.  Guérassin  ? 

GUKRASSIN,   remontant  légèrement. 

Avec  beaucoup  du  sucre,  s'il  te  plaît? 

MUSIGNOL,  gagnant  sur  la  droite. 

Xon,    non,    elle  est  raide,  celle-là!  (Reve- 
nant brusquement  à  Guérassin    qui    est    redescendu    n"    4.) 

Enfin,  qu'est-ce  que  tout  cela  veut  dire, 
hein  ?...  qu'est-ce  que  tu  as  fait  d'Étiennette 
pendant  mon  absence? 

GUÉRASSIN,  ahuri  de  cette  interpellation. 

Moi?... 

MUSIGNOL. 

Oui,   toi!  je  te  l'ai   confiée  comme  à  un 
être  de  tout  repos... 

GUÉRASSIN,  se  vexant. 

Ah!  bien,  dis  donc...! 

MUSIGNOL. 

...je  reviens  de  manœuvres  aujourd'hui... 


130  LE   BOURGEON 

ETIENNE  TTE,  apportant  à   Guôrassin   la   tasse  qu'elle  a 
préparée  pendant  ce  qui  procède. 

Mais  laisse  donc  Guérassin  tranquille,  il 
n'a  rien  à  voir  dans  tout  ça. 

Elle  remonte. 
GUÊRASSINj  sa   tasse  en  main  gagnant  la   droite  du  ca- 
napé. 

Là!  C'est  clair  ! 

MUSIGNOL. 

Pardon  :  il  me  doit   des  comptes!...  (s 'as- 
seyant sur  le  tabouret  à  droite  de  la  scène.)  CommCnt  ! 

j'accours  ici,  n'ayant  qu'une  idée  :  revoir 
mon  Etiennette;  lui  apporter  toutes  les 
économies  d'amour  de  cinq  semaines  de  cé- 
libat... 

ETIENNETTE,  tout  en  tendant  une  tasse  de  café  à  Pau- 
lette  par-dessus  le  dossier  du  canapé.  —  Haussant  les 
épaules. 

Ah!  laisse-moi  donc  tranquille. 

MUSIGNOL,  remontant  vers  Etiennette. 

Oui,  de  célibat  ! 

Paulette  qui  était  debout,  un  genou  sur  le  canapé,  une 
fois  servie,   s  assied  sur  le  canapé. 

ETIENNETTE,  lui  coupant  la  parole. 

Du  café  ? 

MUSIGNOL,  interloqué. 

Hein?...  Je  veux  bien....  (ueprenant.)  et  au 
lieu  de  l'accueil  que  j'attendais,  je  trouve 


LE   BOURGEON  131 


une  femme  de  glace,  que  ma  tendresse  ex- 
cède, que  mes  assiduités  insupportent  ! 
qu'est-ce  que  ça  veut  dire  tout  ça  ?  Pour- 
quoi ?  (a  Guérassin  en  le  tirant  par  la  manche,  ce  qui  ren- 
verse à    moitié    la  tasse    de    café   qu'il    tient  à    la    main.) 

Pourquoi  ? 

GUÉRASSIN. 
Ah!  zut!  (s'essuyant  avec  son  mouchoir.)  MaiS  CSt- 

ce  que  je  sais,  mon  ami  ? 

Musiguol  redescend  un  peu  à  d;oite. 
ÉTIEKNETTE. 

Non,  mais  c'est  extraordinaire!...  enfin 
est-ce  que  nous  avons  contracté  un  bail 
pour  l'éternité,  dis  ?  Je  n'ai  pas  aliéné  ma 
liberté  que  je  sache?  Eh!  bien,  il  me  con- 
vient de  la  reprendre,  je  la  reprends. 

MUSIGNOL,  rageur. 

Allons  donc!...  dis  donc  qu'il  y  a  un 
homme  là-dessous  !  il  y  a  un  homme! 

ÉTIENNETTE,   excédée. 
Oh!     (changeant    de  ton  et    descendant  4   à   gauche  de 

Musignoi  5.)  Tiens,  ton  café. 

MUSIGNOL,  boudeur. 

Je  n'en  veux  pas  !... 

ÉTIENNETTE. 

A  ton  aise;  qui  est-ce  qui  en  veut? 


132  LE   BOURGEON 

MUSIGNOL. 

Moi. 

Il  prend  rageusement  la  tasse. 

ÉTIENNETTE,  remontant  à  sa  place  primitive  au-dessus 
de  la  table. 

Ce  n'était  pas  la  peine  de  dire  que  tu  n'en 
voulais  pas. 

PAULETTE. 

Ecoutez,  mes  enfants,  vous  n'avez  pas 
bientôt  fini  de  v(ms  chamailler? 

GLÉO. 

Mais  laisse-le  donc.  Tout  ça  c'est  des  raf- 
finements d'amoureux  :  on  se  dispute  et 
puis,  c'est  bien  meilleur  après. 

ÉTIENNETTE. 

Oh!  bien,  je  t'assure,  tu  ne  me  connais 
pas. 

MUSIGNOL.  déposant    sa    tasse   vide  sur    la    petite    table 
qui  est   près   du  paravent. 

Quand  une  femme  subit  une  transforma- 
tion pareille,  sans  raison  apparente,  c'est 
qu'il  y  a  un  homme  ! 

ÉTIENNETTE,  descendant  et  excédée. 

Eh  bien,  oui,  là,  il  y  a  un  homme  !  Es-tu 
content  ? 


LE   BOURGEON  133 

MUSIGNOL,  avec  un  ricanement  rageur. 

Ah!  qu'est-ce  que  je  disais!  hein,  Gué- 
rassin  ?  Qu'est-ce  que  je  disais  ? 

GUÉRASSIN,  gagnant  la  gauche. 

Eh  !  bien,  mon  ami,  qu'est-ce  que  tu  veux 
que  j'y  fasse  ? 

Il  s'assied  en  face  de  Gléo  dans  le  fauteuil,  dos   au  pu- 
blic, près  de  la  cheminée. 

PAULETTE. 

Allons,  voyons,  voyons  ! 

MUSIGNOL. 

Je  savais  bien  que  si  tu  étais  ainsi  chan- 
gée à  mon  égard,  c'est  que  tu  avais  abusé 
de  mon  absence  pour  me  tromper. 

CLÉO,  le   rappelant  à  l'ordre. 

Oh!  Musignol!... 

MUSIGNOL. 

Parfaitement! 

ÉTIEXNETTE. 

Te  tromper.  Ah!  non,  mon  ami,  je  ne 
t'ai  pas  trompé!  Si  ce  n'était  que  cela,  tu 
n'aurais  constaté  aucun  changement  en 
moi  ! 

MUSIGNOL. 

C'est  exquis! 

ÉTIENNETTE. 

Non,  le  sentiment  qui  m'étreint  est  au- 


134  LE  BOURGEON 


trement  élevé,  car  il  m'a  entièrement  trans- 
formée. Il  m'a  donné  l'horreur  de  ma  si- 
tuation, le  mépris  de  la  vie  que  je  mène  ; 
qu'est-ce  que  je  suis  après  tout?  une  femme 
entretenue,  une  cocotte. 

GLÉO. 

Ah!  bien,  dis  donc,  au  moins  n'en  dé- 
goûte pas  les  autres. 

MUSIGNOL,  furieux. 

Et  quel  est-il,  l'auteur  de  ce  miracle?  le 
godelureau,  le  polichinelle...  ? 

ÉTIENNKTTB,    allant  prendre   la   lasse  déposée  par  Mu- 
signol  pour  la  reporter  sur  la  grande  table. 

Va,  va,  insulte-le!  Epanche  ton  dépit  im- 
puissant :  tout  cela  ne  changera  rien  à  ce 
qui  est. 

MUSIGNOL,  écumant. 

Étiennette...! 

ÈTIENNETTE,  se  retournant  et  le  toisant. 

Quoi? 

GUÊRASSIN,  se  levant. 

Allons,  voyons,  mes  enfants,  ça  n'est  pas 
sérieux! 

ÉTLENNETTE,    redescendant. 

Oh!  très  sérieux! 


LE   BOURGEON  135 

CLÉO. 

Mais  non,  Étiennette,  tu  n'en  penses  pas 
un  mot. 

ÉTIENNETTE. 

Pourquoi  parlerais-je  de  la  sorte  si  mon 
parti  n'était  pas  pris?  Ai-je  l'air  d'une 
femme  qui  cède  à  un  caprice  ou  à  un  mou- 
vement d'humeur?  non,  c'est  posément, 
tranquillement,  mais  bien  résolument  que 
je  lui  dis  :  «  C'est  fini,  fini  nous  deux.  » 

Elle  s'assied    face    au   public  sur    le  tabouret  de  gau- 
che,   tandis  que  Guôrassin  va  déposer  sa  tasse  vide 
sur  la  table  derrière  le  canapé. 
MUSIGNOL,    pincé    et  comme   un  homme    qui  prend    une 
résolution. 

C'est  bien,  puisqu'il  en  est  ainsi,  il  ne  me 
reste  plus  qu'à  m'en  aller. 

ÉTIENNETTE,    écartant   les   bras    en    signe   d'acquiesce- 
ment. 

Eh  bien,  mon  ami...  ! 

MUSIGNOL,    après  un  temps. 

Adieu. 

GUÉRASSIN,   redescendant  par  la  droite  dé  la  table. 

Voyons,  Musignol,  tu  ne  vas  pas  faire 
cela  ! 

MUSIGNOL. 

Oh!  si,  par  exemple!...  Oh!  sil... 


136  LE   BOURGEON 

PAULETTE,  se  levant. 

Mais  non!  (Aiunt  à  Étiennette.)  Etiennette. 
dis-lui  un  mot  aimable! 

ÉTIENNETTE. 

Moi?  je  n'ai  rien  à  dire. 

GLÉO,  se  levant. 

Allons,  voyons,  Musignol. 

MUSIGNOL. 

Non,  non,  inutile  d'essayer  de  me  rete- 
nir. Maintenant,  moi  aussi,  mon  parti  est 
pris! 

PAULETTE. 

Ah!  non.  écoutez,  mes  enfants,  vous  n'ê- 
tes pas  rig-olos! 

Elle    va    déposer    sa    tasse  sur   la  petite  table  près   du 
paravent  et  redescend  à  droite. 

MUSIGNOL,  à  Étiennette. 

Et  puis,  tu  sais,  tu  pourras  venir  me 
supplier  après,  ce  sera  comme  si  tu  flùtais  ! 

ÉTIENNETTE,    les   jeux    au  plafoml   et    avec   un    calme 
déconcertant. 

Je  ne  flûterai  pas. 

MUSIGNOL. 

Et  quant  à  ton  gigolo...! 

ÉTIENNETTE,   id. 

Ça  n'est  pas  un  gigolo! 


LE    BOURGEON  137 

MUSIGNOL. 

Ton  «  tout  ce  que  tu  voudras  »,  je  te  ré- 
ponds bien  que  jamais  tu  ne  l'auras. 

ÉTIENNETTE5   avec   un  rictus  plein    de  mélancolie. 

Je  le  sais!  Oh!  mais  n'en  tire  aucune  va- 
nité, tu  n'y  seras  pour  rien! 

MUSIGNOL. 

Voilà!  Vous  l'entendez!  Non,  quand  je 
pense  que  je  lui  étais  fidèle!  que  je  repous- 
sais des  avances!.,  car  enfin  si  j'avais  voulu 
en  manœuvres,  Dieu  sait...!  Ah!  il  y  en 
a  plus  d'une...!  Oh!  mais  maintenant  plus 
souvent  que  je  me  gênerai! 

ÉTIENNETTE,    avec  le  même  calme. 

Merci  de  me  dire  cela  ;  car  enfin  une  chose 
pouvait  me  faire  hésiter;  c'était  la  peur  de 
te  faire  de  la  peine,  mais  maintenant  que 
tu  as  pris  soin  de  mettre  ma  conscience  en 
repos. 

MUSIGNOL,  subitement  petit  gardon  et  sur  un  ton  qui  dé- 
ment tout  ce  qu'il  a  dit. 

Hein?...  Oh!  mais  c'est  pas  vrai,  tu  sais! 
c'est  pas  vrai  ! 

TOUS,    entourant  Étiennette. 

C'est  pas  vrai,  là!  c'est  pas  vrai. 


138  LE  BOURGEON 


ÉTIENNETTE,  écartant  tout   le  monde  du  geste. 

Trop  tard,  mon  ami!  ce  qui  est  dit  est 
dit!  et  puis  si  ce  n'est  pas  vrai  aujourd'hui, 
ce  le  sera  demain. 

MUSIGN'OL. 

Oh!  non,  non,  jamais!  Étiennette,  je  t'en 
prie. 

GUÉRASSIN,    GLÉO,    PAULETTE,    intercédant. 

Étiennette!... 

ÉTIENNETTE,  se  levant. 

Non.  mon  ami.  non.  Donnons-nous  la  main 
et  quittons-nous  en  bons  camarades. 

Elle  lui  tend  la  main. 
MUSIGNOL. 

Ah!  ça,  non.  par  exemple!  adieu! 

Il  remonte. 
ÉTIENNETTE. 

A  ton  aise  ! 

Elle  gagne  la   cheminée. 
MUSIGNOL,  redescendant. 

Jamais,  tu  m'entends,  jamais  je  ne  re- 
mettrai les  pieds  ici! 

Il   remonte  à  nouveau. 
ÉTIENNETTE. 

Soit  ! 

TOUS. 

Ohl 


LE  BOURGEON  139 

MUSIGNOL,  qui  a  été  jusqu'à  la  porte,  l'a  même  ouverte 
pour  sortir,  se  ravisant  au  moment  de  partir,  referme  la 
porte,  redescend  comme  pour  aller  encore  dire  quelque 
chose  à  Étiennette,  hésite  un  instant,  puis,  ne  trouvant 
rien,  avise  Guérassin  tranquillement  adossé  contre  lé  côté 
droit  du  canapé. 

Oh!  toi,  tu  sais,  je  te  garde  un  chien  de 
ma  chienne! 

Il  sort  précipitamment, 
GUKRASSIN. 

Ah!  mais  zut.  à  la  fin!  est-ce  que  j'y  suis 
pour  quelque  chose? 

Il  gagné  la  droite. 
ÉTIENNETTE,  excédée. 

Ah!  non,  maison  nette!  maison  nette! 
maison  nette! 

Elle   va    s'asseoir   sur    la   partie    droite  du  canapé  de 
gauche. 

GUÉRASSIN,   allant  vers    Étiennette. 

Voyons,  Etiennette,  ce  n'est  pas  possible  ! 
C'est  ton  séminariste  qui  te  monte  comme 
ça  au  cerveau? 

ÉTIENNETTE. 

Ah!  je  ne  sais  ce  qui  me  monte  au  cer- 
veau; ce  que  je  sais,  c'est  que  je  suis  une 
autre  femme  et  que  je  romps  avec  mon 
passé. 


140  LE    BOURGEON 

PAULETTE,   ébahie. 

Ah! 

Elle  va  au-dessus  de  la  table  derrière   le  canapé  pren- 
dre et  allumer  une  cigarette. 
CLEO)  s'asseyant  près  d'Étiennette  sur  ie  canapé. 

Mais  ma  pauvre  Étiennette,  mais  c'est  de 
l'amour! 

ÉTIENNETTE. 

Eh  bien,  oui,  je  l'aime,  là!  je  l'aime! 

CLÉO,   tout  en   prenant   sans   se    lever,    la    cigarette   que 
Paulelle  lui  passe  par-dessus  la  table. 

Eh  bien,  mon  colon  I 

Elle  allume  sa  cigarette  à  celle  de  l'aulette,  que 
cette  dernière  lui  tend  également  par-dessus  la 
table. 

ÉTIENNETTE. 

Oh!  mais  rien  de  commun  avec  l'amour 
tel  que  nous  le  concevons  :  c'est  quelque 
chose  de  pur,  d'idéal... 

GUÉRASSIN,   sur  le  même  ton  qu'Étiennette. 

d'éthéré... 

ÉTIENNETTE,    sur  un  ton  sans  réplique. 

Mais  oui!...  (Après  un  temps.)  Oh!  ccrtcs,  d'a- 
bord, je  l'ai  désiré  comme  un  autre  homme  : 
matériellement,  sensuellement.  J'avais 
comme  un  besoin  de  lui,  de  le  voir,  de  lui 
dire  mon  amour.  Il  est  venu;  je  n'ai  pas 
osé;  l'aveu  a  expiré  sur  mes  lèvres;  j'ai 


LE   BOURGEON  141 

compris  que  j'aimais  l'inaccessible;  qu'un 
mot  l'éloignerait  à  jamais.  Alors  j'ai  re- 
foulé cet  amour,  je  me  suis  tue  pour  le  g"ar- 
der,  n'ayant  plus  qu'une  terreur  c'est  qu'il 
apprît  ce  que  j'avais  été,  tant  je  tremblais 
qu'il  me  méprisât  !...  Et  je  l'ai  revu  souvent 
depuis;  peu  à  peu,  j'ai  subi  l'ascendant  de 
sa  parole,  qui  a  été  pour  moi  comme  une 
eau  lustrale,  comme  un  bain  purificateur; 
aussi,  la  pensée  que  j'ai  pu  le  désirer,  m'ap- 
parait  aujourd'hui  comme  une  monstruo- 
sité; si  je  l'aime,  si  je  l'aime  toujours,  du 
moins  c'est  d'un  amour  noble,  immatériel, 
quelque  chose  comme  un  amour  spirituel. 

GUÉRASSIN,  narquois. 

Ah!  tu  le  trouves  spirituel! 

PAULETTE,  qui,  pendant  tout  ce  qui  procède,  est  res- 
tée debout  au-dessus  de  la  table,  à  prendre  un  petit 
verre  de  liqueur. 

C'est  idiot,  on  n'aime  pas  dans  le  clergé  ! 

Elle  va  s  asseoir  dans  le  fauteuil  au-dessus  de  la  che- 
minée. 

GLÉO,   à  Paulette. 

Tu  parles!...  (a  Étiennette.)  Qu'cst-cc  que  tu 
peux  espérer  ? 

ÉTIENNETTE,  vivement  et  avec  conviction. 

Oh!  rien!  je  n'(*spore  rien! 


142  LE    BOURGEON 

GTJÉRASSIN,    s'asseyant   en    face   d'elle   sur  le   tabouret. 

Eh  !  bien,  si  tu  n'espères  rien,  ne  gâche 
donc  pas  ta  situation  à  plaisir.  Tu  as  en 
Musignol  un  protecteur  sérieux... 

É  TIEN  NETTE,   avec    indignation  se  levant  et  gagnant   la 
droite. 

Moi.  le  tromper  avec  Musignol!  ah!  ja- 
mais! 

GUÉRASSIN,  dos  au  public. 

Mais  tu  es  superbe!...  Ce  n'est  pas  lui 
que  tu  tromperais  avec  Musignol,  c'est  Mu- 
signol  que...!  puisqu'il  est  le  premier  occu- 
pant. 

ÉTIENNETTE,   debout  au  milieu  de  la  scène. 

Quand  je  te  répète  que  c'est  une  méta- 
morphose qui  s'est  opérée  en  moi.  Je  vais 
te  paraître  idiote;  si  je  te  disais  que  je  rêve 
de  choses  folles  :  d'entrer  dans  un  couvent, 
de  me  consacrer  au  bien,  d'étonner  le  monde 
par  ma  dévotion;  puis,  de  tout  cela,  d'aller 
lui  faire  l'offrande,  à  lui  !  et  de  lui  dire  : 
«  voilà  votre  œuvre  !  » 

GUÉRASSIN,     railleur. 

C'est  ça!  la  Magdeleine  au  vingtième 
siècle!  Mais  ça  ne  se  fait  plus,  ma  ché- 
rie! 


LE   BOURGEON  143 

PAULETTE,  se   levant  et  allant  à  la  cheminée. 

Et  tu  t'imagines  que  tu  ne  l'aimes  plus 
avec  tes  sens  ! 

GLÉO. 

Mais  c'est  des  loufoqueries  de  femme 
amoureuse. 

GUÉRASSIN. 

Si  c'en  est!  (se  levant.)  Mais  aie  donc  le 
courage  de  t'interroger  sincèrement!  ce 
n'est  pas  Dieu  que  tu  vois  en  lui  ;  c'est  lui 
que  tu  vois  en  Dieu!  Alors  inconsciemment 
tu  t'es  dit  :  «  la  religion,  voilà  le  terrain 
qui  nous  rapprochera.  » 

ÉTIENNETTE. 

Ah!  tais-toi,  tais-toi,  tu  blasphèmes  ! 

GUÉRASSIN. 

C'est  possible,  mais  j'y  vois  clair  ! 

On  sonne. 
ÉTIENNETTE,    tressaillant. 

Mon  Dieu,  on  a  sonné!.,  c'est  peut-être 
lui! 

Elle  court  au  fond. 
GLÉO,   PAULETTE,  ne  comprenant  pas. 

Lui? 

Gléo  s'est  levée. 
ÉTIENN'ETTEj   très  agitée  allant  et  venant   au   fond. 

Oui,  monsieur  l'abbé  de  Plounidec  ;  c'est 


144  LE   BOURGEON 

l'heure  où  il  vient  généralement...  Allons, 
bon  I  qu'est-ce  que  j'ai  fait  de.,  ? 

GLÉO,  remontant  entre  fauteuil    et  canapé  vers  Étiennetto. 

De  quoi? 

ÉTIENNETTE,  cherchant  a  droite   et  à  gauche. 

Je  ne  sais  pas...  c'est  de...  Je  ne  sais 
plus  ce  que  je  voulais... 

Elle  gagne  ainsi  la   cheminée. 
GUKRASSIN,  gouailleur. 

Là,  là,  regarde-la!...  Elle  valse! 

ÉTIENNETTE,    furieuse. 

Allons  voyons  toi...  ! 

Tout  en  parlant,  elle  écarte  Paulotte  qui  est  devant  la 
cheminée,  et  la  gêne  pour  se  regarder  dans  la  glace; 
rapidement  elle  arrange  sa  coiffure  en  se  mirant. 

GUÉRASSIN,  à  qui  ce  jeu  de  scène  n'a  pas  échappé. 

Eh  bien,  quoi  donc?  dans  la  glace  main- 
tenant?... mais  oui,  on  est  très  bien  :  du 
moment  que  l'âme  est  belle... 

ÉTIENNETTE. 

Ah!  te  tairas-tu,  insupportable  plaisant! 

Elle  remonte  dans  la  direction  de  la  porte  du  fond. 


Lie   I30UUGK0N  145 


SCENE   II 

Les  Mêmes,  ROGER,  HEURTELOUP, 
LA  CHÛUTE. 

ROGER,  paraissant   au  fond   et  se  rangeant  à    droite  de  la 
porte. 

Monsieur  et  madame  Heurteloup  ! 

Pendant  ce  qui  suit  il  ramasse  les  tasses    qui   traînent 
et  les  range  sur  le   plateau  qu  il   emporte  aussitôt. 
UEUKTELOUP  et  LA  GHOUTE,  passant  leurs    deux  tê- 
tes dans  1  embrasure  de  la  porte. 

Bonjour,  les  enfants! 

ÉTIENNETTE,  désappointée. 

Vous  I 

PAULETTE,  debout  dos    au  public  non    loin  du    tabouret 
de  gauche. 

Heurteloup! 

GLÉO. 

La  Choute  I 

GUÉRASSIN,  sur  un  ton  de  déception  atfecté. 

Ah  I . . .  Ce  n'est  que  vous  ! 

HEURTELOUP,  qui  est  allé  embrasser  Étiennette  puis 
Gléo,  descendant  par  la  gauche  vers  Paulette  et  tout  en 
marchant. 

Comment  :  «  Ce  n'est  que  nous  »  ? 

n  embrasse  Paulette. 
9 


146  LE   BOURGEON 

LA.  GHOUTE,  qui  est  allée  embrasser  Étiennette  et  Cleo, 
descendant  vers  Paulette  par  la  droite  du  canapé,  ce  qui 
la  fait  se  croiser  avec  Heurteloup  qui  va  serrer  la  main 
à  Guérassin. 

C'est  encore  gentil!... 

Elle  embrasse  Pauielte. 
ÉTIENNETTE,   descendant   par  le  milieu  de   la   scène. 

Ne  faites  pas  attention  :  c'est  son  genre 
d'esprit. 

GUÉRASSIN,  avec  un  geste  do   désinvolture. 

C'est  mon  genre  I 

GLÉO,  qui  est  descendue   près    de  la  cheminée. 

Ahl  ça,  vous  êtes  à  Paris,,  vous  autres? 

LA  GHOUTE  et  HEUHTELOUP,   ensemble  et  vivement. 

Non,  non  ! 

GLÉO. 

Comment  :  «  non  non  »  ? 

HEURTELOUP  *,  sur  un  ton  dévot. 

Je  suis  actuellement  en  retraite  au  mo- 
nastère de  Concarneau,  où  je  prépare  mon 
jubilé. 

TOUS. 

Non? 

LA  GHOUTE)  dévotement,  les  mains  croisées  sur  la 
poitrine. 

Et  moi  aussi. 

*GI.   1,— Paul  2,  —H.  3,  —  la  Gh.  4,  —  Et.  5,  —G.  6. 


LE   BOURGEON  147 

ÉTIENNETTE. 

C'est  du  joli  ! 

PAULETTE. 

Et  ta  femme  a  donné  là-dedans? 

HEUKÏELOUP. 

Ma  femme,  tu  parles I...  Elle  est  ici  avec 
la  famille  à  l'occasion  de  l'entrée  de  notre 
neveu  au  régiment. 

GUÉRASSIN. 

Oui,  oui...  le  petit  séminariste. 

ÉTIENNETTE,  très  simplemeut. 

En  effet,  c'est  demain  qu'il  entre  au 
corps. 

HEURTELOUP. 

Ahl  tu  sais? 

GUÉRASSIN. 

Comment,  si  elle  sait! 

HEUTELOUP. 

Alors  j'ai  trouvé  ce  truc  pour  me  don- 
ner campo!  et  surtout,  défense  de  m'écrire, 
de  m'envoyer  mes  lettres  :  tout  au  jubilé! 
Je  suis  retiré  du  monde!  Comme  ça,  c'est  un 
mois  de  bon!  Ohé  I  Ohé  I 

Il  s  assied  sur  le  tabouret  de  gauche, 
LA    CHOU  TE. 

Et  ce  qu'on  jubile,  ouh,  mon  Totor  ! 

Elle  lui  saute  sur  les  épaules. 


148  LE    BOUllGEON^ 

HEURTELOUP,  gesticulant   des  épaules   pour  se  dégager 
de  son  étreinte. 

Allons,  voyons!  Alil  celle-là,  quand  elle 
n'est  pas  sur  mon  dos,  sur  mes  reins  ou 
sur  mes  épaules...! 

GUÉE.ASSIN,  jovialement. 

...  c'est  que  tu  te  retournes. 

On  rit. 
LA  GHOUTK,   quittant  lleurteloup  et  sur  un  ton  scanda- 
lisé que  dément  une  envie  do  rire  mal  dissimulée. 

Ah!  dis  donc,  toi!  si  tu  étais  convena- 
ble! 

HKURTELOUP,    se  levant  et  passant  devant  la  Ghoute 
pour   aller  à    Éliennette. 

Au  fait,  à  propos  de  convenances,  qu'est- 
ce  qu'a  donc  Musignol?  Xous  venons  de  le 
croiser  dans  la  rue.  Je  lui  ai  dit  :  «  Bon- 
jour, Musignol.  »  Il  m'a  répondu  :  «  ...  la 
garde  meurt  et  ne  se  rend  pas.  » 

LA  GHOUTE,  un  genou  sur  le  tabouret  quitté  par  Heurte- 
loup. 

Gomment,  pas  du  tout.  11  t'a  répondu  : 
m... 

HEURTELOUP,  vivement,  lui  mettant  la  main  sur  la  bou- 
che; et  presque  crié  : 

Je   sais!    (-sur   un    ton    de   voix    plus  pondéré.)  MaiS 

c'est  comme  (;a  que  ça  se  dit  dans  les  sa- 
lons... 


LE    BOURGEON  149 

LA   CHOU  TE,  bien   naïvement. 

Ohl...  comme  c'est  plus  longf 

On   rit. 
GUÉRASSIN. 

Ah!  il  t'a  dit...?  Eh  bien,  ça  ne  m'étonne 
pas  !  ce  pauvre  Musignoll  campo  aussi  ; 
mais  lui  pas  de  son  propre  gré  :  Étiennette 
vient  de  rompre. 

LA  GHOUTE  et  HEURT  ELOUP. 

Non? 

GUÉRASSIN. 

Et  en  cinq  sec  encore  I 

ÉTIENNETTE,   remontant  jusqu'à  la   petite  table  près  du 
paravent.  —  Avec   humeur. 

Mais  qu'est-ce  que  ça  a  d'intéressant? 

HEURTELOUP. 

Ah!  bien,  je  comprends  alors. 

GUÉRASSIN,  se  rapprochant  d'Heurteloup. 

Et  pourquoi,  je  vous  le  demande? 

ÉTIENNETTK,  se  précipitant  (6)  sur   Gucrassin  (5). 

Allons,  voyons  Guérassin! 

GUÉRASSIN,   l'écartant  du  bras  gauche. 

Si  !  si  !  il  faut  qu'ils  sachent. 

ÉTIENNETTK,   essayant  de  le    faire  taire    en   lui  mettant 
la  main  sur  la   bouche. 

Non  !...  non  I 


150  LE   BOURGEON 

QUÉRASSIN,  se  débattant  contre  son  étreinte  et  dominant 
la  voix  d'Étiennette  qui  pendant  celte  phrase  pique  autant 
qu'elle  peut  des  «  non  !...  non  !...  C'est  pas  vrai  !  » 

C'est  parce  que  madame  est  amoureuse 
do  ton  neveu,  le  jeune  Plounidec. 

HEURTELOUP,  LA  GHOUTE,   ahuris. 

Non? 

ÉTIENNETTR,  furieuse. 

Ce  n'est  pas  vrai  ! 

GUÉRASSIN,   GLÉO,    PADLETTE. 

Si,  si...  c'est  vrai,  c'est  vrai!... 

ÊTIENNETTE,  très  vexée  allant   s'asseoir  sur   le  tabou- 
ret de  droite. 

Vous  êtes  stupides! 

HEURTELOUP,  se  tordant. 

Maurice?  ah!  ah!  Elle  est  bien  bonne. 

LA  GHOUTE,  se  laissant  tomber  sur  le  tabouret  de  gauche. 

Le    petit    séminariste!    ah!    ah!    je  me 
tords. 

GUÉRASSIN. 

Hein?  N'est-ce  pas  qu'elle  est  drôle? 

GLÉO. 

^'  Croyez-vous,  hein? 

^i  PAULETTE. 

H  I 

Ah  !  la  pauvre  Etiennette  ! 

Tous  les  cinq  se  tordent  de  rire. 


LE   BOURGEON  151 

ÉTIENNETTE,   après    les    avoir  laissé   rire  un  instant  en 
les   considérant  d  un  air  do  profonde    pitié. 

Non,  mais  je  vous  en  prie!...  voulez-vous 
que  j'appelle  les  domestiques,  le  concierge? 

GLÉO,   un  genou  sur  le  tabouret    sur   lequel   la  Chouto  est 
elle-même  assise. 

Oh!  bien  quoi?  du  moment  qu'il  y  a  do 
l'amour  au  fond  d'une  chose,  il  y  a  pas  de 
mal. 

ÉTIENNETTE,  dépitée. 

Je  ne  vous  dis  pas  !  mais  enfin  ça  ne  re- 
garde que  moi. 

PAULBTTE. 

C'est  égal,  une  soutane,  moi.  ça  me  jet- 
terait un  froid. 

GLÉO. 

Pourquoi  ?  c'est  toujours  un  homme  qui 
est  dedans.  Tiens,  moi,  j'en  ai  connu  un 
comme  ça,  qui  avait  voulu  se  faire  prêtre. 

TOUS,  étonnés. 

Ah! 

GLÉO. 

C'était  un  juif! 

TOUS. 

Quoi? 

CLÉO. 

Oui.  enfin,  un  prêtre  juif. 


152  LE   BOURGEON 

GUÉRASSIN. 

Ah  !  un  ralibin  ! 

GLÉO,  affirmative. 

C'est  (;al...  (changeant  de  ton.)  Seulement 
après,  ça  ne  lui  avait  plus  dit...  alors  il 
était  entré  à  la  Bourse. 

GUÉRASSIN,  avec  bonne  humeur. 

Oui!.,,  monsieur  voulait  un  temple! 

CLÉO. 

Eh  bien,  vous  savez,  mes  enfants,  c'était 
un  homme  comme  tout  le  monde...  à  peu 
de  chose  près. 

GUÉRASSIN,  s'inrlinant  gouailleur. 

Voyez-vous  ça  !... 

CLÉO  résumant. 

Tout  ça,  c'est  pour  dire  qu'un  homme 
n'est  jamais  qu'un  homme. 

Elle  remonte  au  coin  droit  du  canapé. 
HEURTELOUP,  gagnant  le  5,  vers  Étiennette. 

Ahl  non,  mais  c'est  égal,  Maurice!  Ah  I 
ma  pauvre  Etiennette  celui  qui  le  dég-our- 
dira  celui-là  ! 

ÉTIENNKTTIO,  sur  un  ton  sans  réplique. 

Je  n'ai  pas  l'intention  de  le  dég-ourdir. 

GUÉRASSIN. 

Mais  non!  c'est  ce  qu'il  y  a  de  superbe  : 


LE    BOURGEON  153 


foin  do  la  chair  I  l'amour  psychique!  le  col- 
lage hlanc!...  Voilà  ce  qu'elle  rêve! 

LA    GHOUTE 

Ah!  ben!... 

HEURTELOUP. 

Mon  Dieu  !  à  ce  compte-Li...  on  peut  s'en- 
tendre... Mais  autrement!  ah!  la  la  !  Mais 
tenez,  voilà  Maurice  soldat;  je  parie  qu'il 
sortira  du  rég-iment  aussi  novice  qu'il  y  en- 
tre. Il  le  quittera  gradé...  et  vierge. 

LA.    CHOUTE,  avec   une  conviction  comique. 

Sortir  vierge  d'un  régiment!  olil...  moi  je 
pourrais  pas  ! 

GUÉRASSIN,  moqueur. 

Tiens,  l'autre! 

On  rit. 
HEURTELOUP. 

Assez,  la  Choute!  je  suis  là. 

On  sonne. 
ÉTIENNETTE,  se   dressant  tout  d'une  pièce. 

On  a  sonné  ! 

vivement,  elle  court  vers  la  porte.  Dans  son  mouve- 
ment précipité,  elle  a  été  donner  contre  Heurteloup 
qui  lui  barre  le  chemin,  le  dos  tourné;  elle  le  fait 
pivoter  et  gagne  le  fond,  en  proie  à  la  même  agita- 
tion que   précédemment. 


154  LE   BOURGEON 


GUÉRASSIN. 

Tenez  là  I  regarJez-la!  le  boston  qui  re- 
commence. 

ÉTIENNETTE,    au  fond. 

Eh  bien,  quoi?  je   no  peux  plus  bouger  ? 
c'est  extraordinaire,  ma  parole  ! 

Heurteloup  va  s  asseoir  sur    le   tabouret  de  droite. 


SCENE  III 

Les  Mêmes,  ROGER. 

ROGER,  au  fond. 

Madame,  c'est  monsieur  l'abbé  de  Plou- 
nidec. 

ÉTIENN'ETTE,  très  agitée. 

Mon  Dieu,  c'est  lui...  c'est  lui  !...  (a  Roger.) 
où  est-il?  Vous  l'avez  fait  entrer  par  là  ? 

ROGER. 

Oui,  madame,  dans  le  petit  salon. 

ÉTIENNETTE. 

Bon,    tout  de  suite!    Je  vous    sonnerai! 

(sortie  de  Roger.  —  Étiennette  descend  en  passant  devant 
Gléo,  jusqu'à  la  Ghoute  —  Gléo,  aussitôt  ce  mouvement,  des- 
cend à    droite    d'Ktiennette.  Pendant    ce  qui    suit    Guêras- 


LE   BOURGEON  155 

sin  gagne  la  cheminée  par   le  fond  de  la  scène.)    MeS  Gn- 

fants,  vous  êtes  très  gentils,  mais  vous  allez 
vous  en  aller. 

TOUTES,    se   levant. 

Oh! 

PAULETTE. 

Comment,  juste  au  moment...? 

ÉTIEN NETTE. 

Oui,  oui,  juste  au  moment. 

GLÉO. 

Oh!  laisse-nous  le  voir... 

ÉTIENNETTB. 

A  vous  ! 

TOUTES    TROIS,    l'entourant. 

Oh  !  oui  !  oh  !  oui  ! 

HEURTELOUP,    se  levant  vivement. 

Mais  non,  mais  non,  mais  pas  du  tout! 
Je  notions  pas  à  le  voir,  moi!  merci!  et 
mon  monastère...  !  Ah  !  non  ! 

LA  GHOUTE,  qui  est  devant  Ktiennette  et  dos  au   public, 
se  tournant    pour  se   rapprocher   d  Heurteloup. 

Eh  bien,  tu  iras  faire  un  somme  sur  la 
chaise-longue  d'Etiennetto.  Justement  tu 
n'as  pas  fermé  l'œil  entre  Concarneau  et 
Paris. 


156  LE   BOURGEON 

HEURTELODP. 

A  qui  la  faute  ? 

LA   GHOUTE. 

Je  ne  te  dis  pas  !  Eh  bien,  voilà  l'occasion 

de  te  refaire,  (a  Ktlennette,  se   rapprochant  du  groupe 
et  sans  transition.)  OU  !    montrC-lc  nOUS. 
GLÉO   et    PAULETTE. 

Montre-nous  le. 

LA    GHOUTE. 

Montre  le  nous  le. 

ÉTIENNETTE. 

Mais  non,  voyons  !  En  voilà  une  idée  ! 
Ce  n'est  pas  une  bête  curieuse  ! 

TOUTES. 

Oh  !  pourquoi  ?  pourquoi  ? 

ÉTIENNETTE. 

Mais  parce  que!  Parce  qu'il  y  a  là  une 
question  de  bienséance,  de  délicatesse!... 
vous  présenter  à  monsieur  l'abbé,  vous  I 

PAULETTE,   dégageant,    en   descendant  avant-scône 
gauche. 

Ah!  mais  dis  donc,  tu  es  encore  aimable! 

GLÉO,  dégageant  vers  la  droite. 

Du  moment  qu'il  vient  chez  toi,  il  peut 
nous  voir  ! 


LE   BOURGEON  157 

LA  CHOUTE,  qui  a  dégagé  en  même  temps  que  Cleo  de  sorte 
qu'elles  conservent  respectivement  le  même  numéro. 

D'autant  qu'on  a  des  usages... 

GDÉRASSINj   adossé  à   la  cheminée. 

Si  on  en  a  !... 

ÉTIENNETTE. 

Oui,  je  ne  vous  dis  pas;  mais... 

PAULETTE,  par  dessus  l'épaule  et  sur  un  ton  pincé, 
tout  en  gagnant  au-dessus  de  la  table  par  la  gauche  de 
la   scène. 

Mais  avoue  donc  la  vérité  I  Après  le  por- 
trait dithyrambique  que  tu  nous  as  fait  de 
ton  petit  ecclésiastique,  tu  as  peur  que  nous 
ayons  une  déception. 

ÉTIENNETTE,   indignée. 

Oh! 

GLÉO. 

C'est  vrai  ce  que  dit  Paulette!  Il  est  peut- 
être  très  toc,  ton  séminariste. 

LA  CHOUTE,  surenchérissant. 

Très  moche! 

ÉTIENNETTE,  indignée. 

Toc  !  monsieur  l'abbé  I  Ah  bien,  par  exem- 
ple!... 

Elle  va  à  la   cheminée  comme  pour  sonner. 
PAULETTE,  de  l'air  le  plus  détaché,  tout  en  se  dirigeant 
vers  la    porte  du    fond  comme   une   personne  qui  se  dis- 
pose  à  s  en  aller. 

Allons,  au  revoir. 


158  LE   BOURGEON 

LES    DEUX  AUTRES,    entrant    dans    le    jeu  de  Paulette. 

Au  revoir. 

Elles    remontent. 
ÉTIENNETTE,    s  élançant  plus  vite  que  les  trois  femmes 
entre  elles  et  la   porte. 

Hein?...  du  tout,  du  tout,  vous  allez  me 
faire  le  plaisir  de  rester  là. 

TOUTES,   se    faisant  prie;-. 

Mais  non,  mais  non  ! 

CLÉO. 

Tu  nous  as  fait  comprendre  que  nous 
étions  de  trop. 

ÉTIENNETTE,   voulant   parler. 

j\on,  pardon... 

LA    GHOUTE.   lui  coupant  la  parole. 

Nous  ne  voulons  pas  être  indiscrètes. 

ÉTIENNETTE. 

Oui,  eh  !  bien,  vous  vous  en  irez  tout  à 
l'heure  si  vous  voulez,  mais  pas  avant  d'a- 
voir vu  monsieur  l'abbé. 

TOUTES,  sans  conviction. 

Mais  non!  mais  non  ! 

ÉTIENNETTE,    sur  un  ton  impératif. 

Ah!...  je  le  veux.  (Les  trois  femmes  descendent 
de  l'air  détaché  de  personnes  qui  veulent  bien  faire  la 
concession  qu'on   leur  demande, _Étiennette  va   sonner  n   la 


LE   BOURGEON  159 

cheminée.)  Toc,  moD  séminariste!  Ah!  ben,  je 
vous  ferai  voir,  moi,  s'il  est  toc  ! 

PAULETTE. 

Soit  !  C'est  bien  pour  t'être  agréable  ! 

Elle  descend  jusqu'au  coin  droit  du  canapé. 
GLÊO,   LA  GHOUTEj    descendant  vers  la   droite. 

Oh  !  oui  ! 

QUÉRASSIN,  adossé  à  la   cheminée.  —  A  part. 

Comme  les  femmes  connaissent  le  cœur 
humain  ! 

SCÈNE    IV 
Les  Mêmes,  ROGER,  puis  MAURICE. 

ROGER. 

Madame  a  sonné  ? 

ÉTIENNETTE,  du  coin  de   la  cheminée. 

Introduisez  monsieur  l'abbé. 

HEURTELOUP  *,  qui  s'était  assis  pendant  cette  scène 
sur  le  sopha  de  droite,  se  levant  vivement  et  saisissant 
au  passage  son  chapeau  qu'il  avait  déposé  lors  de  son 
entrée  sur  la  petite  table  près  du  paravent. 

Eh!  là,  attendez!  attendez!  que  je  m'éva- 
pore! 

G.  1,  à  la  cheminée,  —  Et.  2,  au-dessus  de  la  chemi- 
née, —  P.  3,  au  coin  droit  du  carapé,  —  Gl.  4  et  la  Gh.  5, 
—  H,  6,  sur  le  sopha. 


160  LE    BOURGEON 

LA  GIIOUTE. 

Bon,  va! 

HEURTELOUP,   à   la  Choute. 

Quand  Maurice  s'en  ira,  tu  viendras  me 
prévenir. 

LA    CHOUTE. 

Entendu  ! 

HEURTELODP»   sur    le    pas  de  la  porte  de  droite,   à  Ro- 
ger sur  le  seuil  de  celle  du  fond. 

Vous  pouvez  introduire. 

Il   sort. 
ÉTIENNKTTE. 
C  est  ça.  (sortie  de  Roger.  —  Descendant  légèrement 
vers  les  trois  femmes.)   Et   VOUS,  je   VOUS   en    prie, 

observez-vous  surtout...  de  la  tenue...  son- 
gez que  vous  n'avez  pas  affaire  à  un  gigolo. . . 

TOUTES,   sur   le  ton  ennuyé  dont  on   accueille  une  recom- 
mandation superflue. 

Mais  oui,  mais  oui  ! 

ÉTIENNETTE. 

Que  monsieur  l'abbé  ignore  tout  de  moi  ; 
que  s'il  se  doutait  jamais...  ! 

PAULETTE. 

Allons,   voyons,   tout  de  môme,  il  ne  s'i- 
magine pas  être  chez  une  chanoinesse  ! 

RUo  passe  à  droite. 
ÉTIENNETTE. 

Il  ne  s'imagine  rien  du  tout!  son  esprit 


LE    BOURGEON  161 

ig-norc  tellemont  le  mal  qu'il  ne  lui  arrive 
même  pas  de  le  soupçonner. 

G  LÉO,  un   peu   vexée. 

«  Le  mal,  le  mail...  »  Tu  es  toujours  à 
parler  du  mail  vraiment,  de  quoi  avons- 
nous  l'air  ?  C'est  vrai,  ça  ! 

ÉTIENNETTE. 

Allons,  voyons,  Cleo,  tune  vas  pas...!  (sans 

transition,  en  voyant  entrer  Maurice  introduit  par  Roger  — 
lemontant  vivement  entre  la  cheminée  et  la  table,  pour 
s'élancer  à  sa  rencontre.)  Ah  !    mOUsieur   l'abbé... 

quel  plaisir  de  vous  voir  !... 

MAURICE,   s'arrêtant,  un  peu  interdit. 

Oh!  madame,  vous  avez  du  monde;  si 
j'avais  su!...  vraiment,  je  suis  indiscret! 

ÉTIENNETTE. 

Indiscret,  vous,  monsieur  l'abbé  ! 

PAULETTE,  remontant  légèrement  vers  Maurice. 

C'est  nous  qui  sommes  indiscrètes,  mais 
nous  n'avons  pas  voulu  nous  en  aller,  mon- 
sieur l'abbé. 

En  ce  disant  elle  esquisse  une  révérence. 
CI.ÉO,  même  jeu  que  Paulette. 

Nous  avions  un  si  grand  désir  de  vous 
connaître,  monsieur  l'abbé  I 

Elle  fait   la  révérence. 


162  LE  BOURGEON 

LA   GHOUTE,  même  jeu. 

Xotre  amie  Etiennette  nous  a  fait  un  tel 
élog-e  de  vous,  monsieur  l'abbé  1 

Révérence, 

MAURICE,  qui  est  descendu  peu  à  peu  en  scène  suivi 
d  Etiennette. 

Oh  !  mesdames. 

GUÉRASSrx,    de  la  cheminée. 

Voilà   un  accueil  qui   doit  rassurer  vos 
scrupules,  monsieur  l'abbé. 

MAURICE,   allant  serrer    la   main   à  Guérassin. 

On  n'est  pas  plus  aimable  que  ces  dames. 
Votre  serviteur,  monsieur  Guérassin  ! 

GUÉRASSIN,    gaîment  avec   une  courbette   comique. 

Mais...  nous  en  sommes  un  autre,  mon- 
sieur l'abbé. 

ETIENNETTE  *,   présentant. 

Mesdames  Paulette  de  Vermandois  et  Cleo 
de...  de  Montespan. 

Les    deux  femmes  font  une  profonde  révérence. 
MAURICE,  s'inclinant,  et  galamment. 

Ah  !  mesdames  voilà  des  noms  qui  appar- 
tiennent à  l'histoire. 

*   G.  1,  à    la  cheminée,  —  M.    2,  — Et.  3,  —  la  Ch.   4, 
un   peu  au-dessus   des  autres,  —  Cl.  5,  —  P.  6. 


LE   BOURGEON  163 

GUÉRASSIN,  à   part. 

Ils  n'appartiennent  même  qu'à  elle. 

ÉTIENNETTE. 
Et...  (voyant  la  Choute  un  peu  remontée,  lui  faisant 
de    la    tête  signe   d'avancer.)     une     pPtitC     amie     à 

nous.  Simonne  Clovisse;  dans  l'intimité  «  La 
Choute  ». 

MAURICE. 

De  mieux  en  mieux,  un  nom  de  roi,  main- 
tenant. 

LA   CHOUTE,  bien  espiègle. 

Quoi?  «  La  Choute?  » 

MAURICE. 

Non,  Clovis. 

LA  CHOUTE. 

Oh!  de  mollusque  plutôt  :  ça  s'écrit  deux 
S-E. 

MAURICE,  un   peu    interloqué. 

Ah?...  Ah? 

LA  CHOUTE. 

On  n'est  pas  ambitieuse! 

ÉTIENNETTE. 

Et  maintenant,  mes  amies,  vous  le  con- 
naissez, mon  sauveur  ;  celui  à  qui  je  dois 
d'être  près  de  vous  en  ce  moment. 

MAURICE,  modestement. 

Oh  t  madame  ! 


164  LE    BOUHGKOX 

PAULETTE. 

Oui,  oli!  Etiennette  nous  a  dit!  vous  avez 
montré  un  courage  I 

MAURICE,  protestant. 

Oh! 

CLÉO. 

Si,  si  !  il  paraît  que  vous  avez  été  sublime. 

ETIENNETTE,  avec  admiration. 

S'il  a  été  sublime  ! 

Elle  remonte  légèrement  jusqn  an  coin  droit  du  canapé. 
LA    CHOUTE. 

Que  vous  avez  affronté  les  courants  les 
plus  dangereux. 

MAURICE. 

Mais  non.  mais  non  I  quelle  exagération  ! 
j'avais  un  bain  à  prendre,  je  l'ai  pris  ;  voilà 
tout! 

TOUTES,  se  pâmant. 

Ah! 

PAULETTE. 

Quelle  simplicité  dans  le  dévouement! 

LA    CHOUTE 

C'est  un  héros  ! 

CLÉO  et   PAULETTK. 

Un  iiéros  ! 

ETIENNE  rTIÎ,  conlirmnnt    l 'expro-^sion. 

Un  héros. 


LE   BOURGEON  165 

MAURICE,    tout  confus. 

Mais  je  vous  en  prie,  mesdames,  je  vous 
en  priel 

LA.  CHOUTE,  bas    aux   deux  femmes,   avec  orgueil. 

Et  dire  que  c'est  mon  cousin  par  alliance  ! 

MAUUIGE. 

D'ailleurs  je  n'étais  pas  seul  ;  et  M.  Gué- 
rassin  ici  présent... 

GUÉRASSIN,   bien  modeste. 

Oh!  moi...  sur  le  rivage! 

ÉTIENNETTE. 

Oui,  demandez-lui  donc  s'il  se  serait  mis  à 
l'eau,  lui,  pour  me  sauver,  (.v  cuérassin.)  Car 
enfin,  pourquoi  ?  pourquoi  ne  t'es-tu  pas 
mis  à  l'eau? 

GUÉRASSIN,    très  bon  enfant. 

J'  sais  pas  nager. 

ÉTIENNETTE. 

En  voilà  une  raison  ! 

MAURICE?    avec  un  sourire  d  indulgence. 

Oh!  si  madame,  c'en  est  une.  Et  puis  en- 
fin il  faut  être  juste  :  sans  monsieur  Gué- 
rassin  qui  m'a  signalé  le  danger  que  vous 
couriez,  je  ne  me  serais  certainement  pas 
aperçu... 


166  LE   BOURGEON 

GUiLrASSIN,  saisissant  la  balle  au  bond. 

Ah!  je  ne  suis  pas  fâché!...  car  enfin, 
c'est  moi,  le  monsieur  qui  courait  en  tous 
sens  en  criant:  «  Au  secours  au  secours! 
il  y  a  une  femme  qui  se  noie  ». 

LA  G HOU TE. 

Eh  !  hen  quoi  !  C'est  pas  sorcier  ! 

GUKRASSIN. 

C'est  pas  sorcier  ;  mais  fallait  y  penser. 

KTIENXETTE,   brusquement. 

Oh!  Mais  je  vous  en  prie,  monsieur  l'abbé, 
vous  restez  là  debout  ! 

Tout  en  parlant  elle  a  gagné  jusqu'à  la  bergère  près  do 
la  cheminée,  en  faisant  le  tour  au-dessus  de  la  table. 
^  I  PAULETTE,  ailant  chercher  le  tabouret   de  droite   et 
=  I  le  rapportant. 

C'est    vrai,    un    siège    pour    monsieur 
l'abbé. 

LA    GHOUTE,    allant   chercher  la   chaise   à    droite   de 
la  table. 

Tenez,  monsieur  l'abbé,  prenez   donc 
l.icette  chaise. 

G  LÉO,   qui  est   allée   prendre  le  fauteuil  près    du 
paravent. 

Non,     ce    fauteuil    plutôt,     monsieur 
l'abbé  !  vous  serez  mieux. 

Toutes  trois  rangées  en  demi-cercle  lui  présentent  cha- 
cune son  lueublc  qu'elles  ticiaenl  à  hauteur  de  poitriac. 


LE   BOURGEON  1G7 

ÉTIEXNETTE,   agaoeje  de  tant  de  zèle   de  leur  part,   sur 
un  ton  un  peu  sec. 

Laissez  donc!  laissez  donc!...  (sur  un  ton  plus 

impératif.)   LaisSOZ  I 

LKS   XaOIS  FEMMES,  interloquées. 

Ah? 

ÉÏIENNETTE,  sur  un  ton  plus  doux,  et  tout  en  avançant 
la  bergère   avec   l'aide   de  Uuérassin. 

Voici  le  fauteuil  qu'atiectionne  JNI.  l'abbé! 
Je  commence  à  connaître  ses  goûts! 

Les  femmes  toutes  déconfites  ont  été  remettre  les  meu- 
bles à  leur  place  primitive.  Guérassin  qui  est  resté 
au-dessus  de  la  bergère  après  1  avoir  avancée,  re- 
monte au-dessus  de  la  table.  Étiennette  descend  au 
fauteuil    face    à   la   bergère  de  Maurice  et  s'assied. 

MAURICE;,   assis. 

Oh  !  vraiment,  mesdames,  je  suis  confus  ! 

PAULETTE,  revenant  vivement. 

Mais  comment  donc  M.  l'abbé. 

GLÉO,  id. 

j  I    Mais  c'est  bien  le  moins  M.  l'abbé. 

W\  LA   GHOUTE,  id. 

1/3    1 

H  j    Oh  I  M.  l'abbé  nous  sommes  trop  heu- 
reuses. 

l'abbé. 
Oh!  mesdames... 


168  LE    BOURGEON 

LA  GHOUTE, 

Vous  êtes  bien,  Monsieur  l'abbé? 

MAURICE. 

Mais,  comment  donc... 

PAULETTE,  près  du  canapé   au-dessus  de  Cleo. 

Vous  ne  désirez  pas  un  tabouret  ? 

MAURICE. 

Madame  I  je  vous  en  prie. 

CLÉO,    se   précipitant  et  presque  à   genoux    pour  ramasser 
le   coussin  qui   est  sous  le  canapé. 

Ou  ce  coussin  sous  vos  pieds  ? 

MAURICE. 

Mais   non,    mais    non!...   oh!   vraiment, 
mesdames...  I 

Ces  trois  répliques  des  trois  femmes  tant  elles  sont 
empressées,  doivent  arriver  l'une  sur  l'autre  sans 
attendre  les  réponses  de  Maurice  qui  doivent  être 
piquées  dans  le  dialogue.  —  Cleo,  au  refus  de  Mau- 
rice, a  remis  le  coussin  sous  le  canapé. 
ÉTIENNETTE. 

Vous  ne  direz  pas  qu'on  n'est  pas  heureux 
de  vous  gâter,  monsieur  l'abbé. 

MAURICE. 

Oh!  madame,  je  ne  sais  comment  remer- 
cier; je  suis  confus  ! 

Les  trois  femmes  se  sont  assises,  la  Ghoute  sur  le  ta- 
bouret de  gauche,  Gléo  et  Paulette  sur  le  canapé, 
la  première  à  gauche,  la  seconde  à  droite. 


LE   BOURGEON  169 

GUÉRA.SSIN,  qui  est  descendu  à  droite  du  canapé. 

Le  fait  est  qu'il  y  a  long-temps  que  je  viens 
ici;  jamais  on  n'en  a  fait  le  quart  pour  moi. 

PAULETTE. 

Oh  !  ben,  tiens,  toi  I 

LA  GHOUÏE. 

Tu  n'es  pas  ecclésiastique,  toi  ! 

GUÉRASSIN,  s'inclinant  devant  l'argument. 

Xon!...  <;a  c'est  vrai! 

G  LÉO,  très  femme  du  monde,  à  Maurice. 

C'est  si  rarement  qu'il  nous  est  donné  de 
converser  avec  un  fils  de  l'Eglise... 

GUÉRASSIN,  à  part. 

Ouh!  là! 

PAULETTE,  sur  le  même   ton  que  Gléo. 

Que  c'est  une  joie  pour  nous,  M.  l'abbé. 

MAURICE,  tout  eu  s'inclinant  légèrement. 

Vraiment  ? 

LA  GHOUTE,  avec  beaucoup  de  tenue. 

Il  y  a  des  moments  où  on  en  a  jusque  là 
des  laïques. 

PAULETTE,  les  yeux  au  ciel. 

Ah!  la  religion! 

MAURICE. 

Vous  l'aimez? 

GLÉO,    lyrique. 

Ah  !  oui  ! . . .  la  messe,  la  messe  surtout  ! . . . 

10 


170  LE   BOURGEON 

PA.ULETTK,  sur  le  même  ton  lyrique. 

En  musique  ! 

LA  CHOUTE,  id. 

Celle  (le  onze  heures...  à  la  Madeleine. 

PAULETTE,  id. 

C'est  la  plus  eliic  ! 

GLÈO.  avec  une  légère  moue. 
Oui...     (Changeant  de  ton.)    Eli!     bien,    nOU!... 

non  moi,  celle  qui  me  touche  davantage, 
(s'agrippant  le  cœur.)  ccllc  qui  me  prend  là  :  ce 
n'est  pas  cette  messe  mondaine,  élégante, 
et  qui  ressemble  à  un  spectacle;  non  :  (senti- 
mentale.) c'est  la  messe  toute  simple,  dans 
une  pauvre  église  de  village. 

MAURICE. 

Combien  vous  êtes  dans  le  vrai. 

PAULETTE    et   LA    GHOUTE,  vivement,  ne  voulant  pas 
ètiC   en  reste. 

Oh!  mais  nous  aussi!  nous  aussi! 

GUÉUASSIX,  à  part. 

Tiens,  parbleu! 

GLÉO. 

Est-ce  l'humilité  du  saint  lieu?  est-ce  le 
recueillement  qui  y  règne?  je  ne  sais  pas; 
mais  c'est  plus  fort  que  moi  :  mon  cœur  se 
gonfle,  ma  gorge  se  contracte...  je  pleure... 
comme  un  veau. 


LE   BOURGEON  171 

GUÉRASSIN,  avec  une  commisération  jouée. 

Oh  !  pauvre  Cleo  !  (Entre  chair  et  cuir.)  le  re- 
tour à  la  nature  ! 

MAURICE. 

Ah  !  mesdames,  cela  réchauffe  le  cœur 
de  vous  entendre  parler  de  la  sorte!  je  vois 
que  vous  êtes  de  ferventes  chrétiennes. 

PAULETTE  et  GLÉO. 

Si  nous  le  sommes! 

LA    GHOUTE^    sentimentale  et  les   yeux   au  ciel. 

Et  comment? 

MAURICE. 

Ohl  ça  ne  m'étonne  pas  d'ailleurs...  Dans 
un  milieu  comme  celui-ci  !... 

ÉTIENXETTS,  s'inclinant,   triï's  touchée. 

Oh  !  monsieur  l'abbé! 

MAURICE. 

Ah!  mesdames...  je  ne  sais  pas  si  vous 
avez  des  enfants...? 

TOUTES    TROIS,  sursautant  instinctivement. 

Hein^ 

GLÉO,  ne   pouvant  réprimer  ce   cri  du  cœur. 

Ah  !  non,  alors  ! 

LA  CHOUTE,  inconsidérément. 

On  fait  attention. 

MAURICE,   bien  naïvement. 

A  quoi  ? 


172  LE    BOURGKON 

LA  GHOUTE,  interloquée. 

Hein?  Comment?...  mais  à...  à... 

GLÊO,  vivement. 

Aux  commandements  ! 

LA   GHOUTE  et  PAULETTE,  vivement. 

Voilà!  oui,  voilà  I 

ÉTIENNETTE,  vivement. 

Ohl...  Ces  demoiselles  ne  sont  pas  ma- 
riées? 

TOUTES. 

Euh!  Non  !...  non...  nous  ne...  non. 

MAURIGK,  au  comble  de  la  confusion. 

Oh!...  oh!  je  suis  confus...!  vous  êtes  en- 
core jeunes  filles. 

TOUTES,    ne  sachant  que  répondre. 

Hein?  Oli!...  euh...! 

LA    GHOUTE,   ne   trouvant  pas  de  meilleure  explication. 

Nous...  nous  ne  sommes  pas  mariées. 

GLÉO  et  PAULETTE. 

Nous  ne  sommes  pas  mariées. 

GUÉRASSI.V^  avec  un  sérieux  comique. 

Elles  ne  sont  pas  mariées  ! 

MAURICE,  ne  sachant  comment  s'excuser. 

Oh!  mesdemoiselles  et  moi  qui  vous  tiens 
des  propos...!  (Brusquement.)  Je  ne  vous  ai  pas 
choquées  ? 


LK    BOURGEON  173 

TOUTKS. 

Du  touti  Du  tout! 

GUÉRASSIN,  comme  procôdemment. 

Du  tout  !  Du  tout  ! 


SCENE   V 

Les  Mêmes,  ROGER 

Roper    paraît  au  foml  tenant  un  plateau    sur  lequel  est    un 
papier  plié  en  deux  et  va  directement  à  la  Ghoiite. 

ÉTIENNETTE. 

Qu'est-co  que  c'est,  Roger? 

ROGER,   présentant  le  papier  à  la  Ghoute. 

Un  mot  pour  madame. 

LA    GHOUTE,    étonnée. 

Pour  moi? 

MAURICE,  corrigeant  malicieusement. 

Pour  mademoiselle. 

ROGER,  conciliant. 

Pour  mademoiselle. 

LA    GHOUTE. 
Vous  permettez  ?  (se  levant  et  descendant  un  peu  à 

droite  pour  lire.)  «  Est-co  qu'il  y  en   a  encore 

pour    longtemps  ?    »    (sur  no   ton  moitié   lassé  moitié 

rieur.)  Oh  !  (Lisant.)  ((  Jc  m'embête  par  là  !  viens 

10. 


174  LE   BOURGEON 

un  peu  :  on  rira!...  »  (a  part  en  riant.)  quelle 
brute  !  (Haut,  à  Roger.)  C'est  bicn  !  dites  que  je 
viens  !  (Roger  sort.  —  A  Maurice.)  Je  VOUS  de- 
mande pardon,  monsieur  l'abbé,  c'est  une 
personne  qui  est  là;  qui  a...  à  m'entretenir. 

GUÉRASSIN,  à  part. 

«  A  l'entretenir  »  !  c'est  un  rien! 

MAURICE,  se  levant. 

Mais,  mademoiselle,  je  vous  en  prie...! 
Ah!  seulement  je  vous  demanderai  la  per- 
mission de  vous  présenter  mes  adieux. 

LA   GHOUTE. 

Ohl  mais  je  reviens. 

MAURICE. 

C'est  que  moi  je  suis  obligé  de  partir. 

TOUTES,  se   levant. 

Oh!  déjà?...  déjà  ? 

MAURICE. 

Hélas,  oui  mesdames.  Je  n'étais  venu  que 
pour  prier  madame  de  Marigny  de  m'excu- 
ser  si  je  suis  forcé  de  renoncer  pour  au- 
jourd'hui à  notre   conférence  quotidienne. 

ÉTIENNETTE. 

Ohl  vraiment? 

MAURICE. 

C'est  demain  que  je  rentre  à  la  caserne, 


LE   BOURGEON  175 

et  nous  sommes  convoqués  pour  aujourd'hui 
avant  six  heures  à  la  Place. 

TOUTES,   désappointées. 

Oh! 

LA   GHOUTE,   enfant  gâtée. 

Oh  !   qu'ils   sont  ennuyeux    à    la   Place  ! 
Vous  ne  pouvez  pas  y  aller  un  autre  jour? 

MAURICE,   avec  un  geste  désolé  tout  en  souriant  de 
1  innocence  de  sa  question. 

Impossible!  Avec  les  choses  militaires...! 

LA    GHOUTE. 

En  disant  que  vous  étiez  avec  nous  1 

MAURICE,  id. 

Même  en  disant  ça. 

LA    CHOUTE,  sur  un  ton  de  regret,  à  Maurice  qui  sur  ces 
dernières  répliques  a  gagné  le  milieu  de  la  scène. 

Allons  !  Puisqu'il  en  est  ainsi,  au  revoir 
monsieur  l'abbé,  et,  j'espère,  à  bientôt. 

MAURICE  *. 

Mais  je  l'espère  aussi. 

LA   CHOUTE,   après   avoii-  fait  une  révérence   à  Maurice. 
—  sur  un  ton  déluré. 

A  tout  à  l'heure,  vous  autres. 

Elle  sort. 

Kt.    1,  près  de  la   cheminée,  —  Cl.   2,    —   Paul   3,   — 
M.  k,  —  (j.  5,  un  peu  au-dessus,  —  la  Ch.  6. 


176  LE    nOURGKON 

MAURICE,  qui,   sur  la   sortie   de  la  Choute,  est  remonté. 

Charmante  jeune  fille!...  (a  cuérassin  qui  est 
à  sa  gauche.)  et  qucUe  natuFC  supérieure!... 

GUÉRASSIN,    avec  une  admiration  jouée. 

Ah! 

Roger  entre  du  fond,  avec  une  carte  sur  un  plateau;  il 
va  vers  Étiennette  près  de   la  cheminée,  en  descen- 
dant par  la   gauche   de  la  table. 
ÉTIENNETTE. 

Qu'est-ce  encore? 

ROGER. 

Madame,  c'est  une  dame,  accompagnée 
de...  de  sa  femme  de  chambre,  qui  demande 
à  être  reçue  en  particulier. 

ÉTIENNETTE,    ennuyée. 

Allons,  bon!  quoi  ?  quelle  dame  ? 

ROGER. 

Voici  sa  carte. 

Il  présente   le  plateau  à  Étiennette. 
ÉTIENNETTE,   prenant  la  carte  et  lisant. 

Comtesse  de  Plounidec...  ! 

MAURICE. 

Maman  ! 

TOUS. 

Hein  ? 

ÉTIENNETTE,    allant  (3)  à  Maurice. 

Madame  votre  mère  !  Madame  votre  mère 
chez  moi...  ? 


LK    BOURGEON  177 

MAURIGIî. 

Pourquoi?  Qu'est-ce  que  ça  signifie? 

ÉTIENNETTE. 

Je  ne  sais  pas...  Pourvu  que  ce  ne  soit 
pas  pour...  t 

MAUHIGE. 

Pour  quoi  ? 

ÉTIENNËTTE. 

Hein?  non,  rien!...  (a  Roger.)  Vous  n'avez 
rien  remarqué  dans  l'air  de  cette  dame?... 

ROGER,  ail  dessus  de  la   table. 

Dans  son  air?...  non. 

11  remoDte  près  de  la  porte. 
MAURICE. 

Il  faut  vraiinoiit  quelque  raison  majeure 
pour  que  ma  mère  vienne  ainsi  vous  de- 
mander un  entretien  particulier. 

ÉTIENNËTTE,  troublée. 

Oui,  évidemment. 

MAURICE. 

Ah!  je  voudrais  l)ion  savoir... 

ÉTIENNËTTE. 

Ecoutez,   monsieur   l'abbé,  cet  entretien 

ne  saurait  être  long";  (rinliquant  la  porte  de  gauche.) 

voulez-vous  attendre  par  là  avec  ces  dames 

et  (jUeraSSin.    (a  (iuô;assin,qui  est  au-dessus  de  la  ta- 


178  LE   BOURGEON 

ble.  causant   avec  Clôo  et  Paulette,  l'invitant  à  indiquer  le 

chemin.)  Guérassin  ! 

GUf;RASSIN. 

Entendu  ! 

Il  remonte  et  pendant  ce  qui  suit,  tout  en  bavardant 
avec  Paulette  et  Gléo  passe  dans  la  pièce  de  gauche 
dont  la  porte  reste  ouverte. 

ÉTIENXETTE. 

Aussitôt  madame  votre  mère  partie  je 
viendrai  vous  donner  l'explication. 

MAURICE. 

Attendre,  cela  me  mettrait  bien  en  re- 
tard !  d'autant  qu'il  faut  que  je  passe  encore 
chez  moi  avant  d'aller  à  la  Place  ;  (Tout  en 

marchant  avec   Ktiennette  dans    la  direction  de   la   porte  de 

gauche.)  mais  voici  ce  que  je  puis  faire  :  de 
chez  moi,  — c'est  sur  mon  chemin  —  avant 
la  Place,  je  remonte  ici  savoir... 

ÉTIENNETTE. 

Eh!  bien,  c'est  ça!  Tenez  passons  par  là. 

(A  Roger,    avant   do    sortir.)  Ct  VOUS,     iutroduisCZ 

ces  dames. 

ROGER. 

La  bonne  aussi? 

ÉTIENNETTE. 

Hein? 


LE   BOURGEON  179 

ROGER. 

La  bonne  ? 

KTIENNETTE. 

Oui...  non...  comme  le  désirera  madame 
la  comtesse,  (a  Mamice.)  Allons I 

MAURICE. 

Mon  Dieu  !  pourvu  que  cela  no  soit  pas 
quelque  contrariété! 

Ils  sortent. 


SCENE   VI 

RUGEU,  puis  L.\  COMTESSE,  EUGÉNIE,  un  en- 

tout-cas  à  la  main  et  un    réticule  suspendu  au  poignet. 

ROGERj  allant   ouvrir  au  fond  et  se  rangeant  côté  gauche 
de  la  porte. 

Si    madame    la    comtesse   veut    entrer. 

(Tandis  que  la  comtesse  entre  et  descend  à  droite,  à  Eu- 
génie qui  s  attarde  dans  le  vestibule  à  regarder  autour 
d'elle   —  sur    un   ton    amical   ot   un  peu  protecteur.)    tiU- 

trez!...  entrez,  ma  fille! 

EUGÉNIE,   sur  le  seuil  de  la  porte. 

«  Ma  fille  »  !  Eh  bien,  dites  donc,  malo- 
tru ? 

Elle  gagne  la  gauche  au-dessus  de  la  table. 
ROGER}  sans  s'émouvoir. 

Pardon!...  (uectiâaut.)  Mademoiselle... 


180  LE    BOURGEON 

EUGÉNIE,    rectifiant. 

Madame. 

ROGER,   conciliant. 

Madame,  (a  la  comtesse.)  Madame  prie  ma- 
dame la  comtesse  de  l'attendre  un  instant. 

LA    COMTESSE. 

Merci. 

Roger  sort. 
EUGÉNIE,   maugréant. 
«    Ma    fille!    »  (a     la    comtesse,    tout   en    descendant 
entre  la  chemiaée  et  la  table.)  Tu    Vois    CC    qUC   l'oil 

gagne   à  aller   chez   ces  dames  ;    ce  valet 
m'a  prise  pour  une  cocotte. 

LA    COMTESSE. 

Mais  non  !  pour   une  g-ouvernante,  tout 
au  plus  !  tu  as  une  tenue  tellement  sévère. 

EUGÉNI[<:,   devant  le  tabouret  de  gauche. 

J'ai  la  tenue  d'une  femme  honnête. 

LA   COMTESSE. 

Merci  pour  moi. 

EUGÉNIE. 

Ecoute,  Solang-c!  il  en  est  encore  temps! 
Notre  place  n'est  pas  ici  !   Allons  nous  en  ! 

LA    COMTESSE,   froidement  décidée. 

Non,  ma  chère!  non  1  inutile  I 


LE    BOURGEON  181 

EUGÉNIE. 

Mais  c'est  fou,  voyons  !  toi,  la  femme  ri- 
gide, la  femme  de  toutes  les  vertus,  aller 
composer  avec  une  courtisane  !  Et  pour 
quel  motif! 

LA    COMTESSE. 

Inutile  je  te  dis,  ma  décision  est  prise. 
Va-t-en  si  tu  veux;  moi,  je  reste. 

Elle  s  assied  sur  le  tabouret  de  droite. 
EDGÊNIE. 

C'est  bien,  je  resterai  donc  !  Ce  n'est  pas 
dans  une  pareille  démarche  que  je  t'aban- 
donnerai à  toi-même  :  mais  cela  m'est  dur  ! 

Elle  s  assied  sur  le  tabouret  de  gauche. 
LA    COMTESSE. 

Ah!  OÙ  as-tu  vu  que  les  calvaires  fussent 
semés  de  roses  ! 

A  ce  moment  paraît  Étiennette  arrivant  de  gauche. 


SCENE  VII 

Les  Mêmes,  ÉTIENNETTE. 

EUGKNIE,   voj-anl  Étiennette. 

Elle! 

La   comtesse   et  Eugénie  se  lèvent.  Celle-ci  prend  son 
air  le  plus  pincé. 

11 


182  LE   BOURGEON 

ÉTIENNETTE}  accourant  vers    la  comtesse  mais  s  arrê- 
tant respectueusement  à  une  certaine  distance. 

Vous,  madame  la  comtesse,  chez  moil... 

Dans  son  mouvement,  son  regard  tombe  sur  Eugénie, 
elle  s'incline  légèrement,  Eugénie  lépond  par  un 
sajut  dédaigneux  à  peine  esquissé, 

LA     COMTESSE. 

Oui,  moi!...  Je  comprends:  ma  visite  a 
lieu  de  vous  étonner.  Evidemment,  je  pour- 
rais la  justifier  par  de  vagues  prétextes  : 
invoquer  l'accident  dont  vous  avez  été 
victime  chez  moi,  qui  me  fait  un  devoir, 
étant  de  passage  à  Paris,  d'aller  m'infor- 
mer  de  vos  nouvelles...  non  !  j'aime  mieux 
aborder  les  choses  franchement. 

KTIENXETTE,  avec  angoisse. 

Mon  Dieu  !  ce  sont  les  visites  de  monsieur 
votre  fils  qui  vous  déplaisent  et  vous  venez 
me  signifier... 

LA   COMTESSE,  la  rassurant. 

Moi!  quelle  idée!  Non!  il  ne  s'agit  pas 
de  ça! 

ÉTIENNETTE,   ne  sachant  que  croire. 

Ah?...  alors  je  ne  vois  pas...  (Brusquement 
ot  tout  en  se  portant  au-dessus  du  fauteuil  qui  est  près  du 
paravent  pour  l'avancer  do  façon  à  co   qu'il    tienne   lo   mi- 


LE   BOURGEON  183 

lieu  entre  les   deux  tabourets.)  Oh!    mais  je  VOUS   en 

prie  madame,  asseyez- vous  donc. 

LA    COMTESSE,    gagnant    le    fauteuil    que    lui    présente 
Étiennette, 

Pardon  ! 

ÊTIENNETTK,  qui  est  descendue  aussitôt  à   droite,  indi- 
quant le  tabouret  de  gauche  à  Eugénie. 

Madame  ! 

LA    COMTESSE,  présentant. 

Ma  cousine,  madame  Heurteloup. 

ÉTIENNETTE,  très  aimable,  faisant  des  frais. 

Mais  je  crois  déjà  avoir  eu  le  plaisir  d'en- 
trevoir madame...  C'est  au  moment  où  je 
prenais  congé  de  madame  la  comtesse;  ma- 
dame est  entrée  si  je  ne  me  trompe  et 
alors...  seulement  je  n'avais  pas  eu  l'hon- 
neur de...  de  euh!  (interloquée  par  l'attitude  d'Eu- 
génie, qui  a  écouté  tout  cela,  1  air  dédaigneux,  la  bouche 
en  cul  de  poule,  le  regard  dans  le  vague  et  avec  ces  do- 
delinements   de    tête     tels    qu'en    ont    les    vieilles    filles.) 

Asseyez-vous  dune,   madame,  je   vous    en 
prie. 

La   comtesse  et  Eugénie  s  asseyent  sur  les  meubles  in- 
diqués, Étiennette  sur  le  tabouret  de  droite. 
LA   COMTESSE,  avec  effort. 

Ah!  madame  la  démarche  que  je  viens 
faire  près  de  vous  est  d'un  ordre  tellement 
délicat..  ! 


18i  LE   B0URGP:0N 

EUGÉNIE,    entre  ses  dents. 

Ça!.,. 

I.A    COMTESSE. 

que  vraiment,  au  moment  de  l'aborder, 
j'hésite  :  un  trouble  m'envahit. 

ÉTIENNETTE,   inquiète. 

Eh!  mon  Dieu,  quoi  donc,  madame? 

LA    COMTESSE. 

J'espère  que  vous  ne  prendrez  pas  ce  que 
je  vais  vous  dire  en  mauvaise  part  et  que 
vous  me  tiendrez  compte  do  l'effort  que  je 
m'impose;  nous  sommes  femmes:  au  fond 
de  toute  femme,  il  y  a  une  mère!..,  vous 
me  comprendrez, 

ÉTI  ENN  KTTE,  empressée. 

Parlez,  madame!  je  serai  trop  heureuse 
si  vous  m'apportez  une  occasion  de  recon- 
naître tout  ce  qui  a  été  fait  pour  moi 
dans  votre  famille. 

EA    COMTESSE 

Merci  de  ces  bonnes  paroles!...  C'est  une 
pauvre  mère  affolée  qui  vient  vous  trouver. 
Il  s'agit  d'une  question  où  je  suis  tellement 
incompétente...!  si  vous  saviez  :  les  uns  me 
disent  :  «  il  faut  faire  ceci  I  »,  les  autres  me 
répètent    :  «  n'en  faites  rienl  »  Je  ne  sais 


LE    BOURGEON  185 

plus  à  quel  saint  me  vouer.  Alors  j'ai  pensé  à 
m'adresser  à  vous  comme  on  s'adresse...  à 
un  avocat  consultant.  Vous  avez  tant  d'ex- 
périence!... 

ÉTIENNETTIl,    un  peu  ébaubie. 

Moi,  madame!  et  en  quelle  matière? 

LA    COMTiiSSE. 

Eh  bien,  voilà!...  il  s'agit  de  mon  fils. 

ÉTIENNETTE. 

De  monsieur  l'abbé? 

LA   COMTESSE. 

Oui!  (Bas  à  Eugécie.)  L'écrin...!  (Celle-ci,  qui  a  as- 
sisté à  toute  cette  scène,  comme  si  elle  planait  dans  d'au- 
tres régions,  a  un  sursaut,  tel  quelqu'un  qu'on  rappel  e 
à  la    réalité.  La  comtesse  après  un   temps.)    PaSSe-UlOl 

l'écrin! 

Eugénie  fait  une  moue  de  victime  résignée,  et  ouvrant 
son  réticule  en  tire  successivement  :  un  mouchoir,  un 
paroissien  puis  un  chapelet  ;  en  le  voyant,  elle  lève 
un  regard  au  ciel,  esquisse  un  signe  de  croix  avec 
le  chapelet  —  tout  cela  très  discrètement  —  pen- 
dant que  la  comtesse  donne  des  signes  d'impatience. 

LA    COMTESSE,  voyant  qu'Eugénie  n'en  finit  pas  —  avec 
un  sourire  gêné,   à  Étiennette. 

Tout  de  suite  madame! 

Nouveau  signe  d  impatience  à  Eugénie.  Celle-ci  a  enfin 
trouvé  1  écriii.  Elle  le  passe  à  la  comtesse,  lion- 
teuscmcut,  les    hras    tendus  vers    la    terre  et   eu  dé- 


186  LE   BOURGEON 

tournant    la    tête.  Après  quoi,   elle  range  bien  soi- 
gneusement son  chapelet,   son  paroissien,  son   mou- 
choir et  aj-ant  refermé  son  réticule  reprend  son  air 
pimbêche. 
LA  COMTESSE,    aussitôt  qu'Eugénie  lui   a   remis    l'écrin. 

Mais  d'abord  laissez-moi  vous  offrir  cette 
petite  bagatelle. 

ÉTIBNNETTE. 

A  moi?...  Oh!  madame,  mais  non...  Il 
n'y  a  aucune  raison... 

LA  COMTESSE. 

Si,  si  !  je  sais  !  Mon  frère  qui  est  bien  ren- 
seigné m'a  dit  qu'il  était  d'usage...  et  puis 
n'est-il  pas  naturel  que  l'avocat-conseil 
perçoive  des  honoraires  ?... 

ÉTIENNETTE,  qui  a  ouvert  l'écrin. 

Ohl  madame,  je  suis  confuse...  la  belle 
bague  I 

LA   COMTESSE. 

Vous  la  garderez  comme  un  souvenir  des 
émotions  que  nous  avons  traversées  ensem- 
ble! C'est  mon  fils  en  quelque  sorte  qui  vous 
l'offre  par  mes  mains. 

ÉTIENNETTE. 

A  ce  titre,  elle  me  sera  chère  par-dessus 
tout. 


LE   BOURGEON  187 

Elle  se  soulève  pour  déposer  l'écrin  sur  la  petite  table 
près  du  paravent  et  vient  aussitôt  reprendre  sa 
place. 

LA    COMTESSE,  après  un  temps  embarrassé.  Brusquement, 
sans   préparation. 

Il  est  bien  souffrant,  le  pauvre  petit. 

étiennettp:. 
Qui  ?  monsieur  l'abbé  ? 

EUGÉNIE,   ne  pouvant  se  contenir. 

Je  t'en  prie.  Solange. 

LA   COMTESSE,  à  mi-voix  avec  humeur,  à  Eugénie. 

Ah  !  laisse-moi,  Eugénie  !  (a  Étiennette,  —  su- 
bitement radoucie.)  Puisque  VOUS  voyez  Maurice  : 
il  no  lui  est  jamais  arrivé  chez  vous  d'être 
pris  d'une  faiblesse?  d'avoir  une  syncope? 

ÉTIEN'NETTE. 

En  effet,  il  y  a  trois  jours.  Cela  nous  a 
assez  inquiétés. 

LA  COMTESSE. 

Eh  bien,  voilà!...  11  paraît  que  c'est  le 
résultat  d'un  excès  de  santé. 

ÉTIENNETTE. 

Ah? 

LA   COMTESSE. 

Oui. 

ÉTIENNETTE. 

Je  ne  saisis  pas. 


188  LE    BOUUGEON 

LA   COMTESSE. 

Oui,  évidemment!...  à  première  vue  cela 
a  l'air  d'un  paradoxe;  mais  il  paraît  qu'en 
la  matière,  le  trop  est  aussi  préjudiciable 
que  le  pas  assez  !...  Oh!  ces  enfants  quelle 
cause  de  souci!...  Il  a  delà  neurasthénie, 
comprenez-vous?  la  sève...  la  nature,  le... 
le  bourgeon,  je  ne  sais  comment  vous  expli- 
quer... (Bien  ingôDumeut.)  il  faut  qu'il  niarchc  ! 

EUGÉNIE,  un  coup   au  cœur. 

Oh! 

ÉTIENNETTE,   se  rejetant   en  arrière,  estomaquée. 

Comment? 

LA    COMTESSE,  vivement. 

Ce  n'est  pas  moi  qui  parle,  c'est  le  doc- 
teur! une  façon  dédire  qu'il  faut  que... 
que... 

ÉTIENNETTE. 

Oh!  je  comprends. 

LA    COMTESSE,    avec    une    admiration    pleine  d'iiumiUlo. 

Ah!  vous  comprenez!  Comme  vous  «''tes 
instruite!  Moi,  sur  le  moment  je  ne  com- 
prenais pas...  Eugénie  non  plus.  (Eu-ônio  pince 
les  lèvres.)  Mais  quaud  on  m'a  mis  les  points 
sur  les  i!...  (avoc  émotion.)  Ali!  madame  de 
Ahirigny.    ^'ous    ne  savez  pas  ce  que  c'est 


LE    BOUIlGEON  189 

pour  une  maman,  quand  on  vient  lui  dire 
brutalement]:  «  Eh  I  bien,  voilà:  vous  avez 
un  fils  qui  est  un  ange  de  vertu;  désormais 
il  n'en  faut  plus  de  cette  vertu  et  à  partir 
de  maintenant  il  est  désirable  que...  que...  » 

ÉTI  KNN  l'LTT  E,  affolée  à  cette  perspective. 

Oli!  mais  il  ne  faut  pas!  Il  ne  faut  pas! 

EUGKNIK,  se  dressant  triomphante. 

Ah!  tu  entends  !  tu  entends  ce  que  dit  ma- 
dame ? 

LA   COMTliSSK. 

Eh!  est-ce  que  cela  n'a  pas  été  mon  pre- 
mier cri  du  cœur  :  «  Il  ne  faut  pas  »?  cri 
de  révolte,  d'indignation  devant  ce  qui  me 

paraissait  une  monstruosité!..  (Avec  amertume.) 

et  puis...  quand  j'ai  vu  tout  le  monde  se 
mettre  delà  partie,  se  liguer  contre  moi... 

EUGÉNIE,  qui  s'est  rassise  pendant  ce  qui  précède. 

Ah!  pas  moi, 

LA    COMTESSE. 

Non,  pas  toi:  mais  le  docteur,  mon  frère, 

monsieur    le  curé  lui-même  !  (La  voix  dans  le 

grave.)  Oui,  madame,  monsieur  le  curé!  Alors 

peu  à  peu  j'en  suis  arrivée  à  medemander  où 

était  mon  devoir  ?  Je  me  suis  raisonnée  ;  je 

me  suis  dit  que  la  santé  de  mon  enfant  était 

11. 


190  LE   BOURGEON 

en  jeu  ;  que  peut-être  j'étais  une  égoïste 
à  vouloir  pour  mon  fils  un  bien  qui  n'était  ap- 
paremment pas  celui  qui  lui  convenait  ;  que 
si  son  tempérament  devait  être  une  entrave 
continuelle  à  ce  qu'il  avait  cru  être  sa  vo- 
cation, ce  tempérament,  en  somme,  c'était 
Dieu  qui  le  lui  avait  donné;  que  s'il  l'avait 
fait  ainsi,  c'est  qu'il  le  réservait  peut-être 
pour  une  autre  mission;  qu'on  n'allait  pas 
contre  la  volonté  céleste...  et  alors,  insen- 
siblement, je  me  suis  résignée  au  sacrifice 
qu'on  attendait  de  moi...!  je  l'ai  accepté... 
j'ai  fini  par  le  souhaiter  !  (Approchant  son  fauteuil 

légèrement  d  Étiennette  et  toute  honteuse,  sombrant  la  voix.) 

J'ai  fini  par  chercher  à  le  provoquer...  Ahl 
vous  ne  savez  pas  ce  dont  l'amour  d'une 
mère  est  capable. 

ÉTIENNETTE. 

Oh  !  Madame  !  Alors,  quoi  ?  Vous  voudriez 
jeter  votre  fils  dans  les  bras  de...  ? 

LA  COMTESSE,  toute  désemparée. 

Est-ce  que  je  sais...  I 

EUGÉNIE,  accablant  la  Comtesse   sous   sa    réprobation. 

Eh!  bien  oui  !  Eh  I  bien,  oui  !  Voilà  le  fond 
de  sa  pensée  :  au  moment  où  son  fils  va 
entrer  au  régiment,  où  il  n'aura  pas  trop 
de  toute  sa  fermeté  pour  lutter  contre  la 


LE   BOl^RGEON  191 

contagion  des  mauvais  exemples,  au  lieu 
de  le  fortifier  dans  ses  convictions  religieu- 
ses, elle  en  arrive  à  souhaiter...  Ah! 

Elle  détonrno  la  tcto  d'un  fïosto  de  dôgo't. 
ÉTIENNETTE,  reculant  terrifiée. 

Ah  !  madame,  vous  ne  ferez  pas  cela  ! 

LA  COMTESSE,  suppliante. 

Mais  alors  donnez-moi  un  conseil!  Venez 
à  mon  secours  !  Vous  voyez  hien  que  je  suis 
un  pauvre  être  désorienté,  perdu...  voyons 
il  s'agit  de  Maurice  :  après  ce  qu'il  a  fait 
pour  vous,  il  ne  peut  vous  être  indifférent. 

ÉTIENNKTTE,  un    peu  plus  bas   que    le  tabouret    qu'elle 
vient  de  quitter  et  presque    dos   au  public. 

Votre  fils  I  Ah  !  Madame,  si  vous  me  de- 
mandiez ma  vie...  de  me  jeter  au  feu  pour 
lui... 

LA.  COMTESSE,   se   levant  et  «'approchant    d'Étiennette. 

Oh  !  je  ne  vous  en  demande  pas  tant  : 
aidez-moi.  Madame,  aidez-moi.  Vous  êtes 
honno,  vous  êtes  noble,  vous...  vous  por- 
tez un  grand  nom. 

ÉTIENNKTTE,   humblement,  sentant  l'ironie  de  sa 
noblesse  d  occasion. 

Oli  !...  ne  parlez  pas  de  mon  nom. 

LA   COMTESSE,   avec   conviction. 

Laissez  donc  :  lorsqu'on  croit  pouvoir  se 


192  LE    BOUIlGEON 

parer  d'un  titre,  c'est  qu'on  se  sent  de  force 

à  le  porter.  (S'asseyant  sur  le  tabouret  que  vient  de 
quitter  Ktiennette   de   façon  à   être    plus  près    de    celle-ci.) 

et  puis  vous  avez  la  noblesse  du  cœur  qui 
est  la  première  de  toutes  !  Mais  comprenez 
donc  que  ce  que  je  rêve  pour  mon  fils  c'est 
un  être  d'élection  qui  serait  digne  de  lui  ; 
une  femme  de  sentiment  si  raffiné,  si  déli- 
cat, —  qui  l'aimerait  assez  et  de  façon  suffi- 
samment élevée —  que  les  relations  qui  s'é- 
tabliraient entre  eux  seraient  bien  plus  une 
communion  d'âmes  que   toute  autre  cbose. 

(Sur  un  ton  d'imploration.)  Ail!    si  VOUS   VOulicZ  !    si 

vous  vouliez  ! 

ÉTIENN'ETTE,   ayant  peur  de  comprendre. 

Si  je  voulais...? 

LA  COMTESSE. 

Mais  ne  voyez-vous  pas  que  vous  êtes 
l'incarnation  de  la  femme  que  j'ai  rêvée? 
Vous  êtes  prête  à  vous  jeter  au  feu  pour 
mon  fils,  dites-vous?  Eh  bien,  pour  lui  fai- 
tes moins  et  plus  :  retenez-le  par  le  charma 
qui  se  dégage  de  vous  ;  soyez  son  amie,  sa 
confidente,  sa  conseillère  ;  et,  mon  Dieu,  si 

quelque  jour...  (Avec  beaucoup  déboute  et  d'une  voix 
do  moins    en  moins    perceptible.)     daUS     l'ardcUr      dc 

VOS  sentiments...  vous  en  arrivez  à...  (Après 


LE    BOURGliON  193 

un  instant  d'hésitation  où  on  sent  qu  elle  ne  trouve  plus  ses 

mots.)  à  la  grâce  de  Dieu! 

Sursaut  de  révolte  chez  Eugénie. 
ÉTIENNETTE. 

lîein  ! 

LA   COMTESSE. 

Mon  pauvre  petit,  il  est  à  vous  ! 

KTIKNNETTK,  les  yeux  hagards. 

A  moi  ? 

LA  COMTESSE. 

Je  vous  le  donne. 

ÉTIEN.sETTE,   passant   au  (2)  en    écartant   du  geste  l'i- 
mage évoquée  parla   comtesse. 

Oh!  non...  Oh!  non,  non,  pas  ça! 

LA  COMTESSE,  se   levant. 

Comment? 

ÉTIENNETTE. 

Aon  !  pas  ça,  pas  ça  ! 

Eugénie  s'est  levée  en  même  temps  que  la  comtesse  ; 
son  visage  a  pris  une  expression  radieuse  ;  elle  en- 
trevoit l'intervention  divine. 

LA  COMTESSE,  qui  n'en  croit  pas  ses  oreilles. 

«  Non  »!  Vous  dites  «  non  »!  Ah!  ça,  je 
rêve?  C'est  moi  qui  ici  m'humilie  jusqu'à 
vous  demander  ce  qui  révolte  en  même 
temps  mes  sentiments  de  mère  et  mes  pu- 
deurs de  femme  !  Et  c'est  vous  qui  me  re- 
poussez !  qui  dites  non! 


194  LE   BOURGEON 

ÉTIRNNETTE,  douloureusement. 

Madame,  je  vous  en  supplie  ! 

LA   COMTESSE. 

Pourquoi  ?  Pourquoi  ?  Mon  fils  est  jeune  ; 
mon  fils  est  beau  ! 

ÉTIENNETTE,    avec  exaltation. 

Oh  !  oui!...  oui  ! 

LA  COMTESSE. 

Elles  sont  légion  les  femmes  qui  seraient 
heureuses  et  fières...! 

étiennp:tti-,  id. 
Oh!  oui,  certes  ! 

LA.    COMTKSSK. 

Enfin,  vous  m'avez  fait  entendre  que  vous 
l'aimiez. 

ÉTIENNETTB,  à  voix  presque  basse. 

Oh!  oui  ! 

LA  COMTESSE. 

Alors,  je  ne  comprends  pas  !  à  quel  sen- 
timent   obéissez-vous   donc  ?  (,Sur  un  ton  de  doux 

reproche.)  Car  enfin,  vous  en  avez   accueilli 
qui  ne  le  valaient  pas. 

ÉTIENNETTEj    avec   amertume,  tout  en   remontant  péni- 
blement. 

Ah!  voilà!...  voilà!  oui;  c'est  sur  cette 
réputation  que  vous  vous  êtes  dit  que  vous 
n'aviez  qu'à  vous  adresser  à  moi! 


LE  BOURGEON  195 

LA    COMTESSE. 

Oh!  madame! 

ÉTIENNETTE,  se  retournant  pour  redescendre. 

Oh!  ne  croyez  pas  qu'ici  intervienne  chez 
moi  le  moindre  sentiment  d'amour-propre 
froissé;  non,  le  sentiment  auquel  j'obéis 
est  plus  haut  que  cela!...  oui,  j'aime  votre 
fils,  mais  je  l'aime  d'un  amour  tellement 
pur,  tellement  élevé,  tellement...  chaste! 
qu'il  a  pris  en  quelque  sorte  quelque  chose 
de  supra-terrestre.  Certes,  quand  il  m'est 
apparu  pour  la  première  fois,  alors  qu'il 
me  disputait  aux  flots,  cela  a  été  pour  moi 
comme  un  coup  de  foudre!  comment  n'au- 
rais-je  pas  été  séduite  par  tant  de  courage, 
de  beauté  physique^ 

LA.    COMTESSE,  avec  tout  l'orgueil  d'une  mère. 

Ah!  n'est-ce  pas  qu'il  est  beau! 

ÉTIENNETTE,  levant  les  yeux  au  ciel. 

S'il  est  beau! 

LA  COMTESSE,  d'une  traite,  et  en  en  ayant  plein  la 
bouche. 

Oh!  oui,  il  est  beau! 

ÉTIENNETTE. 

Malheureusement  quelques  minutes  après 
ces  instants  d'émotion,  je  devais  le  revoir 
encore   et  cette  fois  il  portait  la  soutane. 


196  LE    BOURGEON 

(So  laissant  tom))Ci-  sur  lo  tabouret  qu'occupait  Eugénie.  — 
Celle-ci  pendant  ce  qui  suit,  derrière  Étiennette  et  un  peu 
à  droite  (2),  écoutera  comme  en  extase,  les  deux  bras  pres- 
que tendus  au-dessus  de  la  tête  d'Étiennette.)  Loltl   il    tjtb 

comme  une  glace  sur  mon  amour  naissant. 
J'en  ai  compris  aussitôt  toute  l'hérésie, 
toute  l'impossibilité!  Alors,  ce  qui  était  chez 
moi  un  désir  dos  sens,  brusquement  est 
devenu  une  dévotion  pieuse.  (Après  un  temps.) 
J'ai  revu  M.  Maurice;  peu  à  peu  il  s'est 
emparé  de  mon  âme;  il  l'a  transformée, 
pétrie  à  ses  idées,  à  ses  croyances;  il  a  fait 
de  la  femme  déchue,  une  pécheresse  repen- 
tante; il  m'a  sauvée  du  mal.  Oh!  j'ai  con- 
tinué à  l'adorer,  oui!...  j'ai  continué,  mais 
religieusement,  dévotement,  comme  on 
adore  au  pied  des  autels  :  à  genoux  et  pros- 
ternée. 

LA    GOMTKSSE,    les  yeux  tixés  à  terre,    hochant   la    tête. 

Oui!...  oui! 

EUGKNIE,  avec  lyrisme. 

C'est  bien,  madame!  c'est  bien  ce  que 
vous  dites-là. 

ÊTIE.VNETTE,   se  levant  sur  place. 

Et  vous  voulez  après  cela  que  je  profane 
ce  sentiment  devenu  si  pur...  ?  Oh!  madame 
la  comtesse!  vous  que  monsieur  votre  fils 


LE    DOUhGliON  197 

m'a  appris  à  révérer  comme  une  sainte, 
comme  la  plus  vertueuse  des  femmes,  est- 
il  possible  qu'il  ait  pu  naître  en  vous  une 
pensée  pareille  ! 

LA    COMTESSE,   profondément   humiliée. 

Madame...  ! 

EUGÉNI  ■;    (2),  au-dessus  d'Éliennette. 

Et  faut-il  que  ce  soit  madame  qui  te  rap- 
pelle à  tes  principes?  à  tout  ton  passé? 

LA    COMTESSE,  traversant  la  scène  et  gagnant  le  1. 

Assez,  assez!...  mon  Dieu,  ces  paroles  : 
il  me  semble  entendre  l'écho  de  ma  cons- 
cience!...   (Les   yeux    au    ciel.)    MoU    DicU,,    VOUS 

voyez  ma  détresse,  éclairez-moi  !  enseignez- 
moi  la  vérité! 

EUGÉNIE,  avec  le  ton  et  le  geste  du  prédicateur. 

La  vérité,  la  vérité  !  c'est  de  notre  bou- 
che qu'elle  sort! 

ÉTIKNNKTTE 

Vous  tremblez  pour  la  santé  do  votre 
fils!...  Eh!  madame,  ne  croyez  donc  pas 
ceux  qui  vous  effraient  !  c'est  une  crise  pas- 
sagère dont  il  se  remettra  :  au-dessus  de 
la  santé  de  son  corps,  il  y  a  la  santé  de  son 
âme,  qui  a  droit  à  votre  sollicitude. 

EUGÉNIE,    avec  énergie. 

Absolument! 


198  LE   BOURGEON 

LA   COMTESSE,   ne   sachant   plus  à   quel    saint    se  vouer. 

Ah!  mon  Dieu  !... 

ÉTIENNKTTE,  comme  suprême  argument. 

Et  puis,  et  puis...!  je  ne  peux  pas  être  à 
lui  et  je  ne  veux  pas  qu'il  soit  à  d'autres  ! 
(Sur  un  ton  d'imploration.)  Ah!  madame,  qu'il 
reste  chaste!  qu'il  reste  chaste! 

LA   COMTESSE,  avec  énergie. 

Eh  bien,  oui!  Assez  de  compromission 
commecela!  assez  d'intrigues  équivoques!... 
J'étais  égarée  ;  vous  m'avez  remise  sur  le 
chemin  de  la  raison  :  merci,  madame,  je  ne 
l'oublierai  pas. 

KTIENNETTE,   radieuse. 

Oui? 

EUGÉNIE,  avec  un  accent  de  triomphe. 

Ah!  je  savais  bien  que  la  lumière  se  fe- 
rait. 

Elle  gagné  la  droite. 
ÉTIENNRTTE. 

Ah!  madame,  que  je  suis  heureuse  de 
vous  entendre  parler  ainsi  ! 

EUGÉNIE,  s'inclinant  avec  respect. 

Madame,  je  vous  avais  mal  jugée;  je  vous 
fais  réparation. 

A    ce  moment  on  entend  un  bruit  de  rires  à  la  canton- 
nade,des  <r  h  dada  !  à  dada  !  »  et  des  «  hue,  là  I  hue  !  > 


LE   BOURGEON  199 

LA   COMTESSE. 

Qu'est-ce  que  c'est  que  ça  ? 

EUGÉNIE. 

«  A  dada  »  ? 

ÉTIENNETTE,  à  part,  gagnant  au-dessus  de  la  cheminée. 

Mon  Dieu,  Heurteloup,  je  l'avais  oublié..! 


SCENE   VIII 

Les   Mêmes,  HEURTELOUP,  LA  CHOUTE. 

A  ce  moment  la  porte  de  droite  s'ouvre  violemment,  à 
deux  battants,  et  Heurteloup  surgit  avec  la  Ghoute  sur 
les  épaules.  Il  descend  bien  franchement  en  cavalcadant 
joyeusement,  avec  des  «  à  dada,  à  dada  1  »  accompagnés  de 
•  hue  là,  hue  I  »  poussés  par  la  Ghoute.  Il  arrive  ainsi  en 
plein  milieu  de  la  scène,  face  à  la  comtesse.  —  Tableau. 

LA   COMTESSE  et  EUGÉNIE. 

Ah! 

HEURTELOUP,  manquant  de  s'effondrer. 

Ah! 

LA    COMTESSE. 

Heurteloup! 

Heurteloup   pivote   sur   lui-même    et    se   trouve   face  à 
face  avec  sa  femme. 

HEURTELOUP. 

Ma  femme! 


200  Lli   BOU'KGEON 

F.CGÉME. 

Mon  mari  ! 

LA    GHOUTK. 

La  famille! 

£lle  saute  à    bas    de  ses  épaules  et   s  éclipse  derrière 
le  paravent,    taudis    qu  Heurteloup   est  sur  le   point 
de  s  évanouir  de  saisissement.  Il  porte  la  main  à  son 
col  pour  le  déboutonne:-,  comme  un  homme  qui  sent 
venir  la   congestion. 
EUGliXIE,   qui  est   remontée,   centre  de   la  scène,    à   hau- 
teur de  la  table,  de  façon  à  couper  la  retraite  à  son  mari, 
brandissant  son  en-tout-cas. 

Mon  mari!  avec  des   gourgandines!  Ali! 
polisson  ! 

Elle  cherche  à  le  rattraper,  mais  déjà  Heurteloup 
s'est  ressaisi.  Course  de  va-et-vient  entre  les  deux 
époux  autour  de  la  table. 

EUGÉNIE,   l'en-tout-cas  levé. 

Attends  un  peu!  attends  un  peu! 

LA    COMTESSE. 

Eugénie!  je  t'en  prie. 

ÉTIEXNETTE. 

Madame  !  madame  ! 

EUGÉNIE,   tout  en  poursuivant  sa  course. 
Laissez-moi!    (courant  après  son  mari  qui  parvient  à 
s'échapper    et  à    gagner  la   porte.)    HectOT  !     lïector! 

veux-tu  venir  ici!  veux-tu  venir  ici  ! 

Elle  sort  à  sa  suite. 


LE   BOURGEON  201 

LA   GOMTIÎSSE,   sans  laisser   tomber  le  mouvement. 

Ah!  mon  Dieu!  (a  Ktiennette.)  Je  vous  de- 
mande pardon,  madame,  mais  ma  cousine... 
je  ne  peux  pas  la  laisser... 

KTIKXNETTH. 

Mais  je  comprends  très  bien,  faites. 

LA    OOMTKSSE. 

Au  revoir,  madame,  excusez-moi...  (sor- 
tant en  appelant.)  Eugénie!  Eugéuic  ! 

Elle  disparaît. 
ÉTIENKETIE,   au   fond. 

Quelle  histoire,,  mon  Dieu! 

LA    GHODTE,  descendant  entre  le  paravent  et  1  extrême- 
droite. 

Eh  ben,  vrai  ! 

Sur  la  fin  de  cette  scène  ont  paru  Guôrassin,  Paulette 
et  Gléo.  Les  femmes  ont  leur  chapeau  sur  la  tête  ; 
elles  sont  prêtes  h  partir. 


SCENE   IX 

ÉTIENNETTE,  LA  CHuUTE.  CLEO,  PAU- 
LETTE, GUÉRASSIN,  puis  ROGER,  puis  MAU- 
MCE. 


CLf'O,   allant  à  Ktiennette. 

Qu'est-ce  qu'il  y  a  donc  ? 


302  LE  BOURGEON 

PAULETTE,  descendant  jusque  devaut  le  canapé. 

Qu'est-co  qui  se  passe  ? 

GUÊRA.SSIN,  au-dessus  de  la  cheminée. 

Pourquoi  ce  tapage? 

ÉTIENNETTE. 

Ae  m'en  parlez  pas!  C'est  Heurteloup  qui 
vient  de  se  faire  pincer  par  sa  femme  avec 
la  Choute  sur  le  dos  ! 

Elle  redescend  uu  peu. 
TOUS. 

Oh!  le  lualiieureux! 

LA   GUOUTE. 

Ce  qu'il  va  se  faire  saler! 

ÉTISNNETTE,   à    la  Choule. 

En  tout  cas,  rien  ne  pouvait  m'être  plus 
désagréable,  surtout  en  la  circonstance  ac- 
tuelle. 

Tout   en  parlant,  elle    remet  le  fauteuil  qu'elle  av;iit 
avancé  à  la  Comtesse,  à  sa  place  primitive. 
LA    CHOUTE. 

Qu'est-ce  que  tu  veux,  on  ne  l'a  pas  fait 
pour  son  plaisir. 

ROGER  *,    paraissant  au  fond. 

Madame  ? 

*  Pour  les  besoins  de  la  scène,  pendant  ce  dialogue 
entre  Ktiennette  et  Roger,  discrètement  la  C'.houtc  repous- 
sera le  tabouret  qui  est  devaut  le  supha  jusqu  à  1  extrême 
droite. 


LE  BOURGEON  203 

ÉTIENNETTE. 

Quoi? 

ROGER 

Madame  sait  que  monsieur  l'abbé  est  là. 

ÉTIENNETTE. 

Monsieur  l'abbé  ! 

ROGER. 

Comme  madame  était  occupée  avec  ces 
dames,  je  l'avais  fait  entrer  dans  le  bou- 
doir... 

ÉTIENNETTE. 

Mais,  vite,  introduisez. 

Roger   sort.. 
VOIX    DE    ROGER. 

Si  monsieur  l'abbé  veut  entrer? 

MAURICE)  paraissant  en  uniforme  de  la  ligne  ;  la  tunique 
et  pas  d'arme. 

Mesdames... 

TOUS,  étonnés. 

Ah! 

ÉTIENNETTE,  qui  est  allée  à  sa  rencontre. 

Monsieur  l'abbé  1...  Ah!...  qui  vous  re- 
connaîtrait ainsi!... 

LA  GHOUTE. 

Oh!  vous  êtes  joliment  bien  en  défenseur 
de  la  patrie. 


204  LE    BOURGEON 

PAULETTE   et  GLKO. 

Oh  !  oui  !  oh  !  oui  ! 

MAURICE,  tout  gêne,  descendant  par  le  mi  ieu  de  la  scône, 
jusqu  à  proximité  de  la  cheminée. 

Oh!  ne  vous  moquez  pas  I  Je  me  sens  tout 
guindé.  Je  ne  dois  pas  positivement  avoir 
l'air  martial. 

TOUTES. 

Mais  si  !...  mais  si  ! 

LA  GHOUTE. 

Oh  !...  et  comment  !... 

MAURICE. 

Mais  d'ordre  de  l'arclievèché,  il  nous  a 
été  prescrit  de  nous  présenter  en  tenue. 

LA   GHOUTE. 

Ah  !  bien,  c'est  une  ficre  idée  qu'il  a  eue 
là,  l'archevêché  ! 

TOUTES. 

Oh  !  oui!  oh!  oui  ! 

GUÉRASSIN,  au-dessus  de  la  table. 

Ah  I  l'attrait  de  l'uniforme! 

1  aulette  est  remontée  pendant  ce  qui  précède  et  est  près 
de  Guérassin. 

MAURICE,  à  Étiennetto  qui  l'a  suivie  près  de  la  cheminée. 

Chère  madame,  je  suis  revenu  en  hâte  : 
Eh  bien,  ma  mère  ? 


LE   BOURGEON  205 

ÉTIENNETTK, 

Hein  ?  oh  !  rien...  simple  visite  de  courtoi- 
sie. . .  Madame  la  Comtesse  s'est  crue  obligée 
de  me  faire  l'honneur,  après  l'accident  qui 
m'était  arrivé  chez  elle... 

MAURICE. 

Ah!  tant  mieux,  cela  me  tranquillise;  je 
craignais... 

ÉTIENNETTE. 

Quoi  donc  ? 

MAUniGR. 

Je  ne  sais  pas...  que  peut-être,  elle  trou- 
vât mauvais... 

ÉTIRNNETTK. 

Rassurez-vous,  il  n'est  rien  entré  de  pa- 
reil dans  sa  pensée. 

MAURICE. 

J'en  suis  bien  heureux. 

A  ce  moment  on  entend  des  voix  à  l'extérieur. 
ÉTIENNETTE. 

Qu'est-ce  que  c'est  que  ça? 

La  porte  du  fond  iî'ouvre  avec  fracas,  et  1  on  aperçoit 
Musignol  discutant  avec  Roger. 


12 


206  LE   BOURGEON 

SCÈNE  X 

Les  Mêmes,  ROGKR,  MUSIGXOL. 

MUSIGNOL,  écartant  Rogor. 

Inutile  !  laissez  ! 

Roger  se  retire. 
TOUS,  excepté  Maurice. 

Musignol  ! 

Tandis  que  tout  le  inonde  reste  cloué  sur   place,  ^lusi- 
gnol  demeure  sur  le  pas  de  la  porte,  embrassant  d  un 
regard  le   tableau  qu  il  a   devant  lui. 
MUSIGNOL,    avec   un   ricanement,  en  apercevant  Maurice. 

Aha! 

Le  képi  sur  la  tête  et  le  stick  à  la  main  ;  les  poings  sur 
les  hanches,  il  descend  1  air  provocateur,  la  démar- 
che insolente,  dans  la  direction  de  Maurice.  A  la  vue 
de  1  oflicier,  celui-ci  a  pris  l'attitude  militaire. 
MUSIGNOL,     arrivé   à   peu  de  distance  de  Maurice.  Avec 
dédain. 

C'est  bien  !  repos  ! 

ÉTIENNETTE,  descendant  entre  Maurice  et  Musignol   et 
sur  un  ton  provocateur. 

Qu'est-ce  que  vous  venez  faire  ici  ? 

MUSIGNOLj  sur  un  ton  ironique  oh  l'on  sent  percer   la 
rage  contenue. 

Rien  I    simple    curiosité!    (Xout  en  remontant  en 
arpentant  la  scène.)  Jo     Voulais     Ic    Voir,    Ic     doU 


LE   BOURGEON  207 

Juan,  le  bourreau  des  cœurs  !  le  chérubin 
auquel  on  me  sacrifiait. 

MAURICE. 

Hein  ? 

TOUS. 

Qu'est-ce  qu'il  dit? 

ÉTIENNETTE,    furieuse. 

Musignol! 

MUSIGNOL,  se  retournant  et  froidement. 

Quoi? 

GUÉRASSIN5  qui  a  Musignol  à  proximité. 

Musignol,  voyons! 

MUSIGNOL,  descendant. 
LaiSSe-moi,   toi   (a  Étiennette  en  indiquant  Maurice 
avec  un  sourire  de   dédain.)     Un     simple    SOldat!... 

Ah!...  (a  Maurice.)  Avanccz,  militaire! 

MAURICE,  interloqué. 

Mon  lieutenant...  ! 

ÉTIENNETTE,    sur  un  ton  qui  ne  souffre  pas  de  réplique. 

Ne  bougez  pas  ! 

MUSIGNOL. 

Vous  dites  ? 

ÉTIENNETTE. 

Je  dis  qu'en  voilà  assez  !  Vous  vous  con- 
duisez comme  un  butor;  sortez! 

Elle  remonte  un  peu. 


Si08  LE    BOURGEON 

MUSIGNOL,  sur  un  ton  gouailleur. 

Moi?...  Ah  !  vous  ne  vourlriez  pas  que  de- 
vant mon  inférieur!... 

ÉTIENXETTE. 

Il  n'y  a  ici  ni  inférieur  ni  supérieur  !  vous 
n'êtes  pas  à  la  caserne,  mais  cliez  moi...  il 
n'y  a  que  deux  hommes  en  présence. 

MUSIGNOL,    levant  son  stick  et  marchant  sur  Maurice. 

Vous  avez  raison  et  je  vais... 

MAURICE,    reculant  légèrement. 

Mon  lieutenant  !.. 

ÉTIENXETTE,  qui  s'est  jetée  entre  eux,  de  façon  à  faire 
à  Maurice  un  rempart  de  son  corps. 

Touchez-le  donc! 

TOUS,  se  lapprochant  de  Musignol. 

Voyons,  voyons.  Musignol. 

MUSIGNOL,  les  écartant  et  impérativement. 

Laissez-moi  ! 

MAURICE,  avec  douceur  et  énergie. 

Prenez  garde,  mon  lieutenant  !  vous  allez 
commettre  un  acte  que  v  ;us  reg-retterez 
après. 

MUSIGNOL,  persifleur. 

Parce  que?... 

MAURICE,   avec  calme  et  dignité. 

Parce  que  deux  choses  m'empêchent  de 
vous  répondre:  voire  grade... 


LK   BOURGEON  "^09 

MUSIGNOt,. 

Suit!  je  Toublie. 

MAURICE. 

Et  mon  caractère. 

MUSItJNOr,,  sarcastique. 

Son  caractère  ! . . .  C'est  un  soldat  qui  parle  ! 

MAURICE,  avec    le  même  calme. 

Non,  mon  lieutenant,  c'est  un  ecclésias- 
tique. 

MUSIGNOL,  avec  un  recul. 

Un  ecclésiastique  ! 

ÉTIENNETïE. 

Oui,  un  ecclésiastique!...  J'espère  main- 
tenant que  vous  comprendrez  tout  ce  que 
votre  attitude  a  d'odieux,  tout  ce  que  votre 
sortie  a  de  révoltant. 

MUSIGNOL,  abruti  par  cette  révélation,  se  laissant  tomber 
su,-  le  tabouret  de  gauche. 

Un  ecclésiastique! 

Il  reste  comme  atterré,  les  yeux  fixés  au  sol.  Instinc- 
tivement sa  main  va  chercher  son  képi  ;  il  se  dé- 
couvre. 

ÉTIENNETTE. 

Et  voilà  à  quel  degré  d'aberration  vous 
en  arrivez  avec  vos  suppositions  pitoyables 
et  votre  jalousie  aveugle  :  à  oublier  le  res- 
pect de  votre  grade  et  à  vous  rendre  publi- 
quement ridicule. 

12. 


210  LE   BOURGEON 

MUSIGNOL,  brusquement,  et  d'une  voix  sourde,  à  Étien- 
nette  qui  est  tout  près  de  lui  ;  comme  un  gamin  qui  se  re- 
pent  et  demande  pardon  ;  les  mots  lui  montant  aux  lèvres, 
rapides  et  pressés 

Étiennette  !  Etiennette  !  je  me  suis  con- 
duit comme  une  brute!  J'ai  été  fou!  J'ai 
vu  rouge  !  C'est  la  jalousie  qui  m'a  fait  per- 
dre la  tête!  Pardon  !  pardon  ! 

ÉTIENNETTE. 

Ce  n'est  pas  à  moi  qu'il  faut  demander 
pardon,  mais  à  celui  que  vous  avez  offensé. 

Elle  indique  Maurice. 
MAURICE,   qui  par  discrétion  tourne  le  dos  à  la  scène,  la 
tète  penchée  et  les  bras  croisés,  se   retournant  et  sur  un 
ton  de  prière. 

Madame  I... 

MUSIGNOL,   résistant, 

A  lui!...  A  ce  soldat! 

ÉTIENNETTE,  rectifiant. 
A    monsieur    l'abbé.    (Muslgnol    reste    silencieux, 
mais  on  sent  le  combat  qui  se  livre  en  lui.)  Ail  !...    je   le 

veux  ! 

Elle  passe  au-dessus  de  Musignol  et  descend  à  sa  gauche. 
MUSIGNOL.,  après  un  dernier  effort.  —  Sans  bouger    de 
place. 

Monsieur  l'abbé...  je  vous  demande  par- 
don. 

MAURICE,  voulant  lui  épargner  son  humiliation. 

Mon  lieutenant  I...  oh  !  non  ! 


LE   BOURGEON  211 

MUSIGNOL^  lui  tendant  la  main. 

Monsieur  l'abbé,  voulez-vous  me  donner 
la  main? 

MAURICE,  allant  à  lui  avec  empressement. 

Oh  !.. .  mon  lieutenant  ! . . . 

Ils  se  serrent  la  main. 
MUSIGNOL. 

Merci  ! 

ÉTIENNETTE,  gagnant  le  milieu  droit  de  la  scène  et  sur 
un  ton  de  satisfaction  rageuse. 

Ah! 

TOUS,  félicitant  Musignol. 

A  la  bonne  heure  ! 

Musignol  pensant  en    être   quitte   et   avoir   bien  mérité 
d'Étiennette,  va  à  elle  comme  un  homme  assuré  de  sa 
rent.ée  en  grâce. 
ÉTIENNETTE,  à  Musignol  au  moment  où  il  arrive  à  elle, 
la  bouche  enfarinée. 

Et  maintenant,  allez!  allez-vous  en!  al- 
lez-vous en  ! 

MUSIGNOL,  estomaqué  par  cet  accueil. 

Tu  me  chasses  ? 

ÉTIENNETTE,  marchant  sur  lui. 

Par  votre  façon  d'agir  vous  avez  élevé 
entre  vous  et  moi  une  barrière  infranchis- 
sable!... jamais!  jamais,  je  ne  vous  par- 
donnerai. 

MUSIGNOL,  suppliant. 

Étiennette  1 


212  LK   BOUl.GKON 

ÉTIENNF.TTE. 

Non,  non,  je  neveux  plus  vous  voir.  (Excé- 
dée.) xVllez-vous  en!...  Mais  allez-vous  en! 

Elle  gagne  1  extrême  droite. 
GUÉRASSIN,  descendant  à  la  droite  de  Musignol  et  sur  un 
ton  bon  garçon. 

Va-t'en  Musignol...  ne  l'irrite  pas  ;  ça 
vaut  mieux. 

MUSIGNOL,  se  retournant  et  heureux  d  épancher  sa  colère 
sur  quelqu'un. 

Ah  !  toi,  par  exemple,  tu  paieras  pour  les 
autres! 

Il  le  repousse  et  lui  applique  deux  soufflets. 
GUÉRASSIN,    au  premier  soufflet. 
Oll  !    (Au  second.)    Oh  ! 

TOUS,  comme  un  écho  de  Guérassin. 

Oh!...  Oh! 

MUSIGNOL,  remontant. 

Je  suis  à  vos  ordres  ! 

Il  sort. 
GUÉRASSIN,  encore  sous  le  coup  du  saisissement. 

Mais...  mais  il  m'a  g-itïé? 

LES  FEMMES,  sauf  Étiennette. 

Mais  oui,  il  t'a  giflé! 

GUÉRASSIN. 

Ah  !  par  exemple!  (courant  après  Musignoi.)  Mon- 
sieur.. !  monsieur,  vous  m'en  rendrez  rai- 
son ! 

Il  sort  dans  la  direction  de  Musignol. 


LE    BOURGEON  213 

GLÉO. 

Non.  mais  a-t-on  jamais  vu? 

I.A    OHOUTE. 

En  voilà  un  soudard! 

PAULKTTE. 

Quel  pignouf! 

ÉTIENNKTTIC^  qui  les   a  fait  remonter  en  les  poussant  Ju 
geste  vers  la  porte  du  fond. 

Oui!  c'est  bien!  Allez!  laissez-moi! 

GLÉO. 

Non,  c'est  vrai,  ça  ! 

a  -     I  LA    CHOUTE. 

Gifler  Guérassin  ! 

PAULETTE. 

En  voilà  des  façons  ! 

ÉTIEXNETTI-:,    pressant   leur  départ. 

Allez  !  allez  ! 

LA   GHOUTE. 

Alors,  adieu. 

«I  PAULETTE. 

^  1     Adieu. 

GLÉO. 

Adieu. 

KTIKNMKTTE,   pressée  de  les   renvoyer. 
Oui.     adieu,    adieu,   (au    moment    où    les     femmes 


214  LE   BOURGEOX 

sortent,  elle  se  retourne  pour  aller  à  Maurice  ;  elle  le  trouve 
entrain  de  remonter  et  se  disposant  à  sortir  également. 
—  Sur  un  ton  de  prière.)  Oh  !  non  ! . . .  VOUS,  paS  ! . . . 

Vous,  restez  ! 

MAURICE,  voulant  partir. 

Madame...! 

ÉTIENNETTE. 

Je  vous  en  supplie,  pas  comme  cela  ;  pas 
avant  de  m'avoir  entendue  ;  que  je  me  sois 
disculpée...! 

MAURICE,    descendant  vers  la  droite  jusque  devant  le 
sopha. 

Oh  !  madame,  pourquoi  m'avez-vous 
menti  ? 

ÉTIENNETTE,  au-dessus  du   fauteuil   qui  est  p.ès    de   la 
petite  table. 

Eh  !  bien,  oui  !  oui,  c'est  vrai,  j'aurais  dû 
vous  dire,  vous  avouer...  mais  je  n'ai  pas 
osé!...  je  ne  voulais  pas  rougir  devant 
vous...  Oui,  cet  homme  était  mon  amant  : 
je  suis  une  malheureuse,  une  créature  in- 
digne. 

MAURICE»  avec    un   accent  de  tristesse. 

Vous  voyez  bien  que  ma  place  n'est  pas 
ici... 

ÉTIENNETTE,   avec  élan. 

Elle  n'est  pas  ici  si  vous  vous  occupez  de 


LE    BOURGEON  215 

l'opinion  du  monde!  elle  est  ici  si  vous  te- 
nez compte  du  rôle  que  vous  y  avez  à  rem- 
plir. 

MAURICE,   la    regardant  un  instant  puis  : 

Que  voulez-vous  dire? 

ÉTIENNETTE,  id. 

Vous  voyez  bien  que  j'ai  soif  de  repentir, 
soif  de  pardon...  Vous  qui  m'avez  indiqué 
la  voie  du  bien,  allez-vous  m'abandonner 
alors  que  j'ai  encore  si  besoin  de  vous?  alors 
que  mon  initiation  est  encore  si  nouvelle  ? 
alors  que  ma  foi  est  encore  si  chancelante? 

MAURICE,   lentement  et  comme  inspiré. 

C'est  vrai! 

ÉTIENNETTE. 

Vous  ne  doutez  pas  de  ma  sincérité, 
n'est-ce  pas  ?  Eh  bien,  lorsque  la  pécheresse 
vous'crie  :  «  au  secours!  »  lui  refuserez-vous 
la  main  et  vous    détourncrez-vous  d'elle? 

MAURICE,  avec  une  profonde  conviction. 

Non,  vous  avez  raison!  je  reste. 

ÉTIENNETTE,   radieuse. 

Quoi!  je  puis  espérer?,.. 

MAURICE. 

Venez!  Parlez!  Confiez-vous  à  moi! 

Tout  en  parlant  il  la  fait  asseoir  sur  lo  sopha  et  s'as- 
sied lui-même  sur  le  tabouret  qui  e^t  auprès  ;  il  se 


216  LE    BOUliGEOX 

débarrasse    de  son  képi  en  le    posant  derrière  lui 
sur  le  tabouret. 

ÉTIENNETTR,  une  foi=  assise. 

Ah!  monsieur  l'abbé,  merci  pour  ces  pa- 
roles réconfortantes!  Ah!  vous  ne  savez  pas 
quelle  influence  vous  avez  eue  sur  moi  ! 

MAUKrCE. 

Moi  ? 

ÉTIENNETTE. 

En  m'arrachant  aux  flots  qui  m'entraî- 
naient, vous  avez  cru  opérer  un  sauvetage 
ordinaire  ?  vous  avez  fait  un  sauvetage 
moral.  Je  n'ai  plus  qu'un  objectif  aujour- 
d'hui :  travailler  au  rachat  de  mes  fautes 
et  devenir  la  créature  que  vous  souhaite- 
riez que  je  sois.  Voilà  le  miracle  que  vous 
avez  opéré. 

MAURICE,   touché. 

Eh!  quoi,  c'est  à  cause  de  moi...! 

ÉTIENNETTE. 

Ah!  je  serais  si  heureuse  de  mériter  vo- 
tre estime. 

MAURICE. 

Oh!  madame...! 

ÉTIENNETTE. 

Mais  j'ai  besoin  qu'on  me  soutienne,  j'ai 


LE    BOURGEON  317 

besoin  du  secours  de  vos  lumières  :  soyez 
mon  conseiller,  mon  directeur  de  cons- 
cience! dites!  vous  voulez  bien? 

MAURICE,  avec   uu  enthousiasme  mystique. 

Si  je  veux!...  Je  suis  encore  bien  novice, 
bien  impuissant  à  exprimer  les  choses  que 
pourtant  je  ressens  !  mais  puisque  Dieu  est 
avec  moi,  c'est  lui  qui  m'inspirera  les  mots 
qu'il  faut  dire  et  par  lesquels  je  vous  per- 
suaderai. 

ÉTIENNETTE. 

Promettez -moi  que  vous  viendrez  me  voir 
souvent. 

MAURICE. 

Toutes  les  heures  de  liberté  que  mon 
service  me  laissera,  je  vous  les  consacrerai. 

ÉTIENNETTE. 

Et  vous  m'apprendrez  à  croire  ? 

MAURICE. 

A  croire!  Est-ce  qu'on  apprend  à  croire! 
On  croit,  et  voilà  tout  ! 

ÉTIENNETTE,  se  laissant  glisser  sur  les  genoux,   et  les 
deux  mains  jointes  contre  sa  joue  gauche. 

Eh  bien  oui.  je  croirai;  je  croirai  puis- 
que vous  me  le  dites. 

13 


218  LE   BOURGEON 

MAURICE,    avec  un  geste  d'apôtre. 

IVon!...  pas  parce  que  je  vous  le  dis,  mais 
parce  que  telle  est  votre  volonté. 

ÉTIENNETTE,  humble  et  soumise. 

Alors  parce  que  telle  est  ma  volonté. 

MAURICE^  doucement. 

Mais  relevez-vous  ;  pourquoi  vous  age- 
nouiller ? 

ÉTIEÎs'NETTE,  sur  un  ton   de  prière. 

Laissez-moi  rester  ainsi:  c'est  l'attitude 
qui  convient  à  la  pénitente. 

Elle  s  assiel  sur  les  genoux,   les  mains  toujours   join- 
tes, le  coude  gauche  appuyé  sur  le  sopha. 
MAURICE,  avec  élévation. 

Regardez  Marie  de  Béthanie.  celle' que 
nous  appelons  la  Magdeleine  :  c'était  une 
pécheresse  comme  vous;  mais  elle  eut  la 
foi  en  la  présence  du  sauveur  et  c'est  par 
là  qu'elle  toucha  le  cœur  de  Jésus. 

ÈTIENNETTR,  hoche  la  tête  doucement  puis  timidement. 

Mais...  la  Magdeleine  aima  le  Ciirist  ? 

MAURICE,    id. 

Oui,  mais  elle  l'aima  comme  il  voulait 
être  aimé. 

ÉTIENNETTE. 

C'était  une  courtisane  :  comment  se  fait- 
il  qu'elle  ait  pu  concevoir  un  autre  amour 
que  celui  qui  lui  était  habituel? 


LE   BOURGEON  319 

MAURICE,  id. 

Elle  fut  touchée  de  la  grâce. 

ÉTIKNNETTE,  comme  dans   un  rêve. 

A  moins  qu'elle  n'ait  eu  conscience  de 
l'impossibilité  de  son  amour  et  que  plutôt 
que  de  voir  s'éloigner  d'elle  celui  qu'elle 
aimait,  elle  n'ait  préféré  se  résigner  à  cette 
adoration  muette  qui  devait  lui  cacher  la 
nature  de  ses  pensées. 

MAURICE,    avec  une   énergie  mystique. 

Croyez-vous  donc  que  le  Christ  qui  lisait 
dans  son  âme  se  serait  mépris  sur  le  carac- 
tère de  ses  sentiments  ? 

ÉTIENNETTE,  id. 

C'est  pourtant  tellement  le  propre  des 
femmes  de  savoir  plier  leur  amour  à  l'idéal 
de  ceux  qu'elles  aiment. 

MAURICE,  avec  élan. 

Non!  non!  chez  elle,  tout  est   spontané, 

tout  est    sincère!    (D'une  voix    pleine    de    tendresse.) 

Pécheresse  encore,  elle  voit  le  Christ  et  re- 
connaît Dieu  dans  la  chair  du  fils  de 
l'homme.  Elle  se  rend  auprès  de  lui  avec 
un  vase  d'albâtre  rempli  de  parfum  ;  elle 
commence  par  arroser  ses  pieds  de  larmes  ; 
puis  elle  les  essuie  avec  les  cheveux  de  sa 


220  LE    BOUHGfcON 

tèti".  elle,  baiso  st^s  pieds  et  les  oint  di;  par- 
fums. 

ÉTIENNKTTE,  à  qui  tout  ceci   paraît  peu   de   chose. 

Quand  on  aime! 

MAURICE,  avGC  transport. 

Comprenez-vous  la  beauté  de  cet  acte  de 
loi  et  d'iiumilité  ?  comprenez-vous  que  le 
Sauveur  en  fut  t(mcbé  par  tout  ce  qu'il 
contenait  de  repentir,  d'expiation  et  d'a- 
mour ?  comprenez-vous  ?  comprenez- vous? 

ÉTfEN.NETTE,  comme  grisée. 

Ail!  je  ne  sais  pas...  je  ne  sais  pas  si  je 
comprends  le  sens  de  vos  parcdes  !...  je  com- 
prends que  votre  voix  est  une  musique  qui 
me  monte  à  l'àme,  me  berce  et  m'étourdit, 

MA.URICE,     dôconteuauco    par     ces     paroles    inattendues. 
presque  à  mi-voix. 

Madame!  iMadame!  l'erdez-vous  l'esprit? 

ÉTIENNETTE,   id. 

Ah!  je  comprends  la  Magd(deine,  quand 
je  me  mets  à  sa  place  :  s'humilier  devant 
celui  qu'on  aime...  quelle  joie!...  Ah!  si  je 
pouvais!...  si  je  pouvais...! 

MAURICE,    reculant   sur  sou  tabouret. 

Madame!... 


Lli   BOURGEON  221 


ÉTIENNbTTE,    s'approchant    de   lui,    en  se  traînant  sur 
les  genoux. 

Etre  à  vos  pieds,  toujours,  les  inonder 
de  mes  larmes,  comme  elle  !...  Ali!  comme 
je  comprendrais  cela!... 

MAUKICE,  se  levant  en  essayant  de  se  dégager. 

Quelles  paroles  osez- vous  dire! 

ÉTIENNETTE,    essayant  de  le  retenir. 

JVon,  non!  ne  vous  éloignez  pas...  laissez- 
moi  me  serrer,  me  blottir  contre  vous. 

MAURICE^    scandalisé. 

Madame  !  Madame  !  Retirez-vous. 

Il  passe  à  gauche,  Étiennette  en  s'accrochant  à  lui 
pour  le  retenir  a  pivoté  sur  les  genoux  ;  mais  il 
s  est  dégagé  presque  aussitôt   de  son  étreinte. 

ÉTIENNETTE,  qui    a   gagné    ainsi  presque    le   milieu   de 
la  scène  toujours  à   genoux. 

Par  pitié...  oui.  je  suis  folle...  mais  la 
Magdeleine  aima  le  Christ  :  pourquoi  moi. 
pécheresse  comme  elle,  n'aimerais-jc  pas  à 
son  exemple?  Mais  est-ce  que  tout  l'Evan- 
gile n'est  pas  un  livre  d'amour?  Eh!  bien, 
après  tout,  pourquoi  rougirais-je  d'un  sen- 
timent que  les  Ecritures  magnifient! 

MAURICE,  avec  horreur,   la  repoussant  du  geste. 

Taisez-vous!  Taisez-vous  !..,  vnl.rc  aiiKiur 


232  LE   BOURGEON 

est  coupable.   Celui-là    la   religion   le  ré- 
prouve ! 

ETIENNE  TTE,  se  levant  brusquement,  et  avec  résolution. 

Eh  bien,  tant  pis!  j'en  ai  trop  dit  pour 
pouvoir  reculer,  et  puis  je  n'ai  plus  la  force 

de  lutter   ;  (Marchant  sur  lul  et  presque  dans  son  orellle.) 

je   vous    aime  !    je    vous    aime  !    je    vous 
aime  ! 

MAURICE,  affolé. 

Malheureuse,  c'est  le  démon  qui  vous  pos- 
sède !  Chassez-le!  chassoz-le! 

Il  esquisse  un  rapide  signe  de  croix,  tout  en  gagnant 
jusqu'à  la  cheminée  où  il  demeure  le  dos  tourné 
pour  éviter  le  regard  d  Ktiennette. 

ÉTIENXETTE. 

Moi,,  le  chasser  !  quand  il  me  donne  une 
des  sensations  les  plus  intenses  que  j'aie 
ressenties  de  ma  vie  ! 

MAURICE,  se  retournant  à  demi  et  douloureusement. 

A  moi...!  vous  osez  ! 

ÉTIENNETTE,  à  l'angle  droit  du  canapé  et  de   la  table. 

Oui,  j'ose!  oui  j'ose  !  Jusqu'alors  vous  aviez 
la  soutane  qui  commandait  à  mon  respect. 
Désormais  vous  n'êtes  plus  l'ecclésiastique 
pour  moi  :  vous  êtes  un  soldat,  vous  êtes 
un  homme. 


LE    BOURGEON  233 

MA.URIGE.  qui  face  à  la  cheminée  a  écouté  tout  cela  l'air 
terrifié,  les  deux  mains  jointes  en  implorant  le  ciel  avec 
détresse. 

Ah!  pourquoi  suis-je  venu  ici! 

ÉTIENNETTE,  qui  a  gagné  jusqu'à  lui  avec  une  âpre  joie. 

Pourquoi  ?  Parce  que  vous  m'aimez  aussi. 

MAURICE,,  vivement  et  douloureusement. 

Non  !  non  ! 

ÉTIF;NNETTK,  tout    contre    lui;  un  peu    au-dessus,  à  la 
cheminée. 

Mais  si.  mais  si!  si  j'ai  été  dupe,  vous 
l'avez  été  autant  que  moi.  Pourquoi  avez- 
vous  tremblé  tout  à  l'heure,  quand  vous 
avez  appris  la  présence  de  votre  mère  ? 
Oui,  pourquoi?  si  ce  n'est  parce  que  vous 
sentiez  bien  que  le  sentiment  qui  vous  atti- 
rait, n'était  peut-être  pas  aussi  évangéli- 
que  que  vous  vouliez  le  croire,  (presque  dans 

l'oreille  de  Maurice,  qui  écoute  tout  cela  terrifié,  les  cou- 
des serrés  contre  lui,  le  cou  dans  les  épaules  et  les  mains 
collées  contre  ses  oreilles  comme  pour  se  défendre  d'enten- 
dre.) Eh  bien,  ce  sentiment,  c'était  l'amour  I 
et  l'amour  terrestre,  l'amour  charnel,  ce- 
lui qui  tenaille,  qui  persécute  et  finit  tou- 
jours par  avoir  raison  de  la  volonté  ! 

MAURICE,  sur    un    ton  de  souffrance  et    de  prière,  avec 
des  sanglots  dans  la   voix. 

Taisez-vous!  Taisez-vous! 


224  LE    BOURGEON 

ÉTIKNNETTE,  implacable. 

Vous  pouvez  vous  dérober  aujourd'hui, 
vous  me  reviendrez  demain  ;  parce  que  ma 
pensée  est  dans  la  vôtre  ;  parce  que  vous 
m'aimez!  vous  m'aimez!  et  que  maintenant 

(Appuyant  sur  le  c  savez  ».)    VOUS     Savez    qUC    VOUS 

m'aimez! 

MAURICE,  douloureusement. 

Etre  de  perdition,  VOUS  aspirez  à  ma  chute. 

KTIEXN'KTTK,   avec  transport. 

J'aspire  à  nion    bonheur  et  j'aspire   au 

vôtre  !  (Maurice  a  un  geste  de  révolte.)  Oui,     aU     VÔ- 

tre!  (Avec  perfidie.)  Et  tcuez  !  voulez-vous  sa- 
voir ce  que  madame  votre  mère  est  venue 
faire  tout  à  l'heure? 

MAURIGK. 

Ma  mère  ? 

ÉTIENNETTE. 

Me  prier  de  m'employer  à  ce  que  vous 
appelez  votre  chute. 

MAURICE,   scandalisé. 

Ma  mère!  ma  mère...  vous  osez! 

ÉTIENNETTE. 

Oui...  Et  elle  n'est  pas  seule  à  souhaiter  : 
monsieur  le  curé... 


LE   BOURGKON 


MAURICE,  abasourdi. 

Monsieur  le  curé  ! 

ÉTIENNETTE. 

Oui,  monsieur  le  curé,  le  vôtre... 

MAURICfi;,  avec  un  désespoir  comique. 

Mon  Dieu,  qu'est-ce  que  je  dois  entendre? 

ÉTIENNETTE. 

Vous  voyez  que  tout  conspire  contre  vous  ! 
Et  vous-même;  oui,  vous-même,  qui  résis- 
tez en  vain  :  vous  pouvez  me  maudire, 
mais  vous  ne  partirez  pas  ! 

MAURICE,  avec  plus  d'angoisse  que  de  conviction  réelle. 

Oh  !  si  ! 

Il  traverse  vivement  la  scène  pour  aller  chercher  son 
képi  laissé  sur  le  tabouret  de  droite. 

ÉTIENNETTE,   sftre  à  présent  du  triomphe,    tout  en   ga- 
gnant  le  milieu  de  la  scène. 

Non  !  car  si  vous  aviez  dû  partir,  il  y  a 
longtemps  que  vous  ne  seriez  plus  là. 

MAURICE,    arrêté  dans  son  élan  par  la  vérité  de   ces  pa- 
roles, —  implorant  le  ciel. 

Mon  Dieu,  ayez  pitié  de  moi! 


\3. 


226  LE   BOURGEON 


SCENE   XI 

Les  Mêmes,  ROGER. 

ROGKR,  entrant,  avec  une  lettre  sur  un  plateau. 

Madame  ! 

ÉTIENNETTE;,  (l)  avec  humeur. 

Allez-vous  en  !  Laissez-nous  ! 

ROGER,   (2)  à  mi-\-oix  en  présentant  le  plateau. 

C'est  monsieur  Musignol  qui  a  fait  mon- 
ter cette  lettre, 

ÉTIENNETTE,  vivement. 

C'est  bien. 

Elle  prend  la  lettre  d'un  geste  brusque. 
ROGER. 

Il  attend  la  réponse  en  bas. 

ÉTIENNETTE,  l'œil  fixé  sur  Maurice. 

Bon!   bon!...  Je  vous  sonnerai  pour   la 
réponse!  Allez  ! 

ROGER. 

Bien,  madame. 

Il    sort. 
ÉTIENNETTE,  elle  jette  un  regard  de  défi  sur  Maurice, 
puis,  cyniquement,  froidement  comme  quelqu  un  qui  pose 
les  conditions  d  on  marché,  tendant   sa  lettre   non  déca- 
chetée. 

C'est  de  mon  amant!  Je  n'ai  pas  besoin 


LE   BOURGEON  227 

de  lire  :  Il  me  demande  pardon  et  me  sup- 
plie de  le  laisser  revenir.  Dois-je  lui  faire 
dire  qu'il  peut  monter? 

MAURICE,   ne  pouvant  retenir  ce  cri  du  cœur. 

Oh!  non!... 

ÉTIENNETTE,  se  rapprochant  de  lui  comme  une   chatte. 

Que  vous  importe?  Ce  n'est  pas  l'intérêt 
de  mon  salut  qui  vous  préoccupe  encore, 
je  suppose  ? 

MAURICE,   essayant  de    se  donner   le  change  à  lui-même. 

Pourquoi  pas  ? 

II     rencontre    le  regard    d  Étiennette   et  détourne    les 
yeux. 

ÉTIENNETTE. 
Allons  donc  !  (Derrière  lui  tout  contre,  et  figure  con- 
tre figure.)  Mais  ayez  donc  le  courage  de  re- 
garder la  vérité  en  face.  Croyez-vous  que 
j'aie  pu  me  méprendre  sur  le  cri  que  vous 
venez  de  pousser?  Mais  c'est  le  cri  de  la 
chair,  fait  d'amour,  de  jalousie  et  de  désir. 
Vous  voyez  bien  que  vous  m'aimez,  (Le  faisant 

retourner  face  à   elle    d'un  geste    brusque.)    tU    le    VOIS 

bien  que  tu  m'aimes  ! 

MAURICE,  sans  farce. 

Non!  non  !  (D'une  voix  suppliante.)  laisscz-moil 
laissez-moi  ! 


228  LE   BOURGEON 

ÉTIENNKTTE,   d'un  ton  sec. 

C'est  bien  ! 

Elle  appuie  ^^ur  la  poire  électrique  suspendue  au  jjara- 
vent  et  attend  sur  place. 

MAURICE,   avec  angoisse. 

Qu'allez-vous  taire  ? 

Roger  entre. 
ÉTIENNETTE,  (2)  à  Roger  (l). 

Faites  dire  à  M.  Musignol  qu'il  peut  mon- 
ter, 

MAURICE,   douloureusement,  et   d'une   voix  à   peine  per- 
ceptible, presque  dans  l'oreille  d'Étiennette. 

Oh  !  non... 

ÉTIENNETTE,  vivement. 

C'est  bien  !  Faites  dire  qu'il  n'y  a  pas  de 
réponse. 

Sortie  de  Roger. 
MAURICE. 

Oh!    mon    Dieu!    pourquoi    m'avez-vous 
abandonné  ? 

ÉTIENNETTE..  s'êlançant  vers  lui. 

Mais  viens  donc!  Grand  enfant! 

Elle   l'enlace   dans  ses    bras  et  tous  deux   s'effondrent 
sur  le  sopha  J  leurs  lèvres  se  joignent. 

Rideau. 


ACTE  TROISIÈME 


ACTE  TROISIEME 

Le  jardin  du  presbytère  de  l'abbé  Bourset.  —  Pay- 
sage d'automne.  — A  gauche,  le  corps  de  bâtiment 
du  presbytère  occupant  deux  plans.  Au  premier  plan, 
la  porte  d'entrée  surélevée  de  trois  marches.  Au 
deuxième  plan,  une  fenêtre;  devant  la  fenêtre,  un 
banc.  Au  quatrième  plan,  la  haie  de  clôture  qui  sé- 
pare le  jardin  de  la  route.  Entre  le  deuxième  et  qua- 
trième plan,  le  chemin  qui  sépare  le  bâtiment  de  la 
haie  de  clôture.  Au  fond,  un  peu  à  gauche,  et  face  au 
public,  entre  deux  pilastres  de  pierre,  une  grille 
donnant  accès  dans  le  jardin  ;  pendant  tout  l'acte  la 
grille  est  grande  ouverte.  Adroite  de  la  scène,  le  jar- 
din est  clos  par  un  mur  percé  d'une  porte  pleine  au 
premier  plan.  Au  deuxième  plan,  à  droite,  accolée 
au  mur,  une  serre  au  faite  de  laquelle  on  parvient 
au  moyen  d'une  échelle  de  fer  garnie  de  sa  rampe. 
Au  milieu  de  la  scène,  à  droite,  un  vieux  chêne  qu'en- 
châsse un  banc  de  bois  circulaire.  A  gauche  de  la 
scène,  une  table  de  jardin  ;  un  fauteuil  de  jardin  de- 
vant, une  chaise  idem  au-dessus.  Entre  le  banc  de 
gauche  et  les  marches,  une  chaise.  Entre  le  gros  arbre 
et  la  porte  de  droite,  une  brouette  sans  coffre  de  fa- 
çon à  pouvoir  s'asseoir  dessus.  Au  lointain,  mouve- 
ment de  terrains  dominant  la  mer  qui  s'étend  à  l'in- 
fini. 


232  l.K    B01JKG1::0N 

SCÈNE    PREMIÈRE 

LA  MARIOTTE,  JEAN-LOU,  puis  L'ABBÉ. 

Au  lever  du  rideau,  Mariette  est  assise  sur  les  marches  de 
la  porte  d'entrée,  en  train  d'éplucher  des  légumes  qu'elle 
met  à  mesure  dans  une  terrine  placée  à  côté  d  elle  sur  la 
chaise.  Debout  sur  le  banc,  Jean-Lou  est  en  train  de 
remett.e  un  carreau  qui  manquait  à  la   fenêtre. 

LA  MARIOTTE. 

Eh  bien,  Jean-Lou,  ra  avance  ? 

JEAN-LOU,  tout  en  travaillant. 

Ça  va  être  fini,  la  Mariotte  !  j'en  suis  au 
masticage. 

LA    MARIOTTE. 

Oui  ?  ben,  tâche  un  peu   à  pas   me  salir 
partout  avec  ton  mastic. 

JEAN-LOU. 

Que  non!  ça  me  connaît. 

LA  MARIOTTE. 

Oui,  ben,  tâche. 

Elle  chantonne   tout  en  épluchant. 

C'est  le  mois  de  Marie,... 

JEAN— LOU,  sur   un  ton  détaché  et  tout  en  travaillant. 

Dites  donc,  la  Mariotte  ? 


LE   BOURGEON  233 

LA   MARIOTTE. 

Eh...? 

JEAN-LOU. 

Je  voudrais  bien  vous  demander  quelque 
chose. 

LA   MARIOTTE. 

Fais,  mon  petiot... 

JEAN-LOU. 

Vous  qui  avez  du  goût... 

LA   MARIOTTE,   modeste,  et  flattée. 

Oh! 

JEAN-LOU. 

Je  voudrais  avoir  votre  avis  sur  un  ob- 
jet... 

LA  MARIOTTE. 

Et  quoi  donc  ? 

JEAN-LOU. 

Oh  !  C'est  peu  do  chose...  C'est  pour  la  de- 
moiselle du  château,  vous  savez...  qui  m'a 
sauvé  de  la  noyade,  le  jour  où  je  faisais 
l'idiot  sans  connaissance  sur  la  plage...  Il 
paraît  que  sans  elle,  ça  y  était  de  mon  Jean- 
Lou... 

LA    MARIOTTE. 

Ca! 


234  LE   BOURGEON 

JEAN-LOU. 

Alors,  ça  vaut  bien  quéqu'chose,  n'est-ce 
pas?  Seulement  quoi?...  Ah!  ce  que  j'ai 
cherché  !  Quand  on  n'est  pas  riche,  pas 
vrai  ?  et  puis,  je  voulais  que  ce  soit  un  sou- 
venir qui  eût  rapport...  et  puis,  qu'il  vînt 
bien  de  moi...  Alors  je  ne  sais  pas  si  c'est 
bien?...  j'ai  pensé  que  ça...? 

Il   saute  à   bas    de   son    banc     et  va   chercher    quelque 
chose  dans  le  casier  qui  forme  le   bas  de  son    cro- 
chet,  lequel   est  contre  la  table  du  jardin, 
LA   MARIOTTE. 

Voyons  ? 

JEAN— LOU,  tirant  du  casier  de  son  crochet,  un  objet  assez 
volumineux  enveloppé  soigneusement  dans  de  l'ouate. 

Oh  !  ce  n'est  pas  un  objet  de  valeur  I...  ce 
n'est  qu'un  objet  d'art...  fait  par  moi...  c'est 
tout  le  mérite. 

Il    présente  l'objet    qu'il  a   développé  tout  on  parlant; 
c'est  une  espèce  de  grand  verre  gravé. 
LA  MARIOTTE. 

Ah  !  mais  c'est  joli  ! 

JEAN-LOU,  flatté  dans  son  for  intérieur. 

Vous  trouvez  ?  C'est  moi  qui  l'ai  gravé. 
Vous  voyez,  d'un  côté  :  «  A  ma  sauveteuse, 
son  saiweté.  »  Ça  dit  tout!...  Et  au  milieu: 
nos  initiales  entrelacées.  De  l'autre  côté, 
elle,  assise. 


LE    BOURGEON  235 

LA   MARIOTTE. 

Ah!  c'est  elle,  ça? 

JEAN-LOU. 

C'est  elle. 

LA    MARIOTTE. 

Je  ne  l'aurais  pas  reconnue. 

JEAN-LOU. 

Sur  du  verre,  n'est-ce  pas?  et  au-dessus 
de  sa  tête,  une  femme  en  l'air,  qui  bran- 
dit une  couronne;  j'ai  vu  ça  dans  des  ta- 
bleaux... ça  fait  bien...  Et  moi,  à  genoux, 
lui  baisant  respectueusement  le  bout  des 
doigts,  une  main  sur  mon  cœur. 

LA  MARIOTTE. 

Oui,  oui. 

JEAN-LOU. 

Au  fond,  la  mer  avec  une  moitié  de 
soleil  qui  en  sort.  C'est  ce  qu'on  appelle 
une  allégorique. 

LA  MARIOTTE. 

Comme  tu  es  instruit. 

JEAN-LOU. 

On  a  été  élevé  à  la  ville,  pas  vrai?  vous 
croyez  que  ça  lui  fera  plaisir  ? 

LA    MARIOTTE. 

Comment,  mais  c'est  très  joli! 


236  LE    BOURGliON' 

JEAN-LOU,  modeste. 

C'est  simple...  (changeant  de  ton.)  Ça  pourra 
lui  servir  de  verre  à  table;  comme  ça,  cha- 
que fois  qu'elle  boira,  ce  verre  lui  dira  : 
«  c'est  le  petit  que  j'ai  sauvé!...  »  et  ça 
fera  plaisir  à  tous  les  deux. 

LA  MARIOÏTE. 

Bien  pensé,  mon  p'tiot;  faut  lui  porter 
ça. 

JEA.N'-I-OU,   comme  saisi  d'épouvante  à  cette  perspective. 

Qui.  moi?...  Oh!  non...  non! 

LA   MARIOTTE. 

Comment? 

JEAN— LOU,   sur  un  ton  câlin. 

Non,  vous!...  vous,  vous  lui  porterez!... 
moi,  voyez-vous,  j'oserais  pas  la  regarder 
en  face.  Quand  on  a  été  vu  tout  nu  par 
une  demoiselle,  et  que  c'est  pas  voulu,  on 
a  trop  iionte. 

LA  MARIOÏTE. 

Jean-Lou,  t'as  de  l'orgueil  ! 

JEAN-LOU. 

J'aime  pas  me  faire  remarquer. 

n  retourne  à  son    crochet  dans    l'intention    de    ranger 
son  précieux  cadeau. 


LE    BOURGEON  237 

l'abbé,  paraissant  au  seuil  de  la  porle  du  presbytère.  II 
tient  à  la  main  un  porte-bouteilles  muni  de  quatre  bou- 
teilles cachetées. 

Eh  bien,  c'est  coinnie  en  que  tu  travail- 
les, flâneur? 

JEAN-LOU. 

J'ai  fini,  monsieur  l'Abbé. 

L  ABBÉ,  descendant  au  2. 

Qu'est-ce  que  tu  niontrais-là,  à  la  Ma- 
riette? 

JEAN-LOU,  3. 

Oli!  c'est  rien  d'intéressant,  monsieur 
l'abbé. 

LA  MARIOTTE,   1,  toujours  assise  sur  sa  marche. 

C'est  un  cadeau  qu'il  voulait  ofirir  à  la 
demoiselle  du  château  en  manière  de  re- 
connaissance. 

l'abbé. 

Ah?...  voyons! 

JEAN-LOU,   confus. 

Oh!  monsieur  l'Abbé!... 

l'abbé. 
Allons!  allons! 

LA   MARIOTTE. 

Te  fais  donc  pas  prier. 


338  LE   BOURGEON 

JEAN-LOU. 

Oli!  pour  ce  que  c'est...  ! 

Il  présente    le  verre  à  l'abbé. 

l'abbé. 
Ah  !  uiais  c'est  bien,  ça  ! 

JEAN-LOU. 

C'est  simple. 

l'abbé,  lisant  l'inscription. 

«  A  ma  sauveteuse,  son  sauveté.  » 

Il  s  incline   avec  un  sourire  légèrement  ironique, 
JEAX-LOU. 

Ça  peut  aller? 

l'abbé. 
Mon  Dieu!...  c'est  du  français  du  cœur. 

JEAN-LOU,  sincère. 

Ah  !  oui.  du  cœur... 

l'abbé. 

Alors,  c'est  parfait.  Qu'est-ce  que  c'est 
que  cette  chose-là,  cette  espèce  de  brioclie 
qui  est  au  milieu. 

JEAN-LOU. 

C'est  mademoiselle! 

L'ABBÉ. 

Ahl  c'est  mademoiselle!  oui,  oui,  oui... 
mais  évidemment,  je  regardais  mal... 


LE  BOURGEON  239 

JEA.N-LOU. 

Et  moi  à  côté. 

L  ABBÉ^  lui  rendant  le  verre. 

Mes  compliments,  Jean-Lou,  c'est  tout 
à  fait  gentil. 

JEAN-LOU. 

Ail,  bien,  je  suis  bien  content,  monsieur 
l'Abbé  ! 

11  remonte  au-dessus    de  la  table  pour  ranger  ses  ou- 
tils et  se  préparer  au  départ. 

l'abbé,  à  la  Mariette. 

Je  sors,  la  Mariotte. 

LA  MARIOTTE. 

Où  est-ce  que  vous  allez  encore  porter 
notre  vin  ? 

l'abbé. 

Qu'est-ce  que  ça  te  fait?.,  puisque  nous 
n'en  buvons  ni  l'un  ni  l'autre. 

LA  MARIOTTE. 

Possible;  mais  quand  il  n'y  en  aura  plus 
pour  mettre  dans  les  burettes,  hein  ?  com- 
ment fera-t-on  pour  le  Saint-Office,  hein  ? 

L'ABBÉ,   la  singeant. 

Eh!  bien,  on  en  fera  venir  d'autre 
«  hein  »  !  Ne  grogne  pas.  Je  m'absente  cinq 
minutes.  Si  madame  la  comtesse  et  sa  fa- 


240  LE    liOUnC.EON 

mille  arrivent  pendant  ce  temps,  dis-leur 
que  je  suis  à  deux  pas,  chez  la  Marie-Jeanne 
qui  est  accouchée  ce  matin  ;  qu'on  veuille 
bien  m'attendre,  le  temps  que  tu  viennes 
me  chercher. 

LA    MARIOTTE. 

Voilà  donc  où  il  va  passer,  notre  vin  : 
chez  la  Marie-Jeanne,  une  fille-mère! 

I/aMBK,  corrig'eant. 

Une  mère,  c'est  tout  ce  que  j'ai  à  savoir  I 
et  une  mère  qui  a  d'autant  plus  besoin  de 
moi  que  la  place  du  mari  est  vide  à  son  che- 
vet, par  conséquent...! 

LA  MARIOTTIC. 

C'est  bon,  allez.  Tout  ce  que  je  dirai  ou 
rien... 

l'abbé. 

Tu  es  bien  aimable  de  me  donner  la  per- 
mission. 

Il  remonte.  La   Mariotte  hausse  les  épaules  et  pendant 
ce  qui  suit    rentio   dans  le    presbytère  en    emportant 
ses  ustensiles  de  ménage. 
JEAN-LOU,   tout  en    passant  les  bretelles  de  son  crochet. 

Je  peux  disposer,  monsieur  l'Abbé? 

i/AUBÈ,   au  fond.. 

Oui!...  Ah!  Et  puis,  si  tu  vois  ton  oncle, 


LE   BOUHGKON  241 

dis-lui    qu'il  vienne  réparer  mon  mur,   là. 

(il    indique  lo  côté  droit  de  la   scène.)    CeS    (HablcS    (lo 

gamins  me  l'ont  dégradé  en  l'escaladant 
pour  venir  marauder  dans  mes  espaliers! 
Que  diantre  I  je  leur  laisse  ma  porte  ou- 
verte, ils  pourraient  bien  se  dispenser  de 
détériorer  ma  clôture.  Enfin!  va! 

JBAN-LOU. 

Oui,  M.  L'Abbé. 

Il  se  diriRo  vera  la  droite. 


SCENE   II 

Les  Mêmes,  HUGUETTE. 

HUGUETTE,    arrivant  du   fond  gauche.   Elle    est  à    bicy- 
clette et  descend  ainsi  jusqu  à  1  avant-scène. 

Bonjour,  monsieur  le  Curé. 

Elle  descend  de  bicyclette. 

l'abbé. 
Ah  !  mademoiselle  Huguette!... 

JEAN— LOU,  essayant  de  s  esquiver  sans  être  remarqué. 

Oh! 


242  LE   BOURGEON 

l'abbé,  tout   en    déposant    son  casier  à  bouteilles    sur  le 
banc  circulaire  de  1  arbre. 

Ah!  bien,  justement...  (voyant  Jean-Lou  qui 
cherche  à  s  esquiver  et  le  rattrapant  par  son  crochet  avec 
le    bec    de    corbin   do   sa    canno.)  Eli!   là,    ne   t'cn    Va 

donc  pas  toi,  là-bas. 

JEAN-LOU,  tout  gêné. 

Mais,  monsieur  l'Abbé... 

UUGUEÏTE,  tout  en  déposant  sa  bicjclette  contre  le  juur 
du  presbytère,  un  peu  au-dessus  du  banc. 

J'arrive  en  avant-garde  ;  la  famille  me 
suit. 

l'abbé. 

Parfait  !  Tenez,  mademoiselle  Huguette, 
voici  un  petit  gars  qui  n'ose  pas  vous  dire 
qu'il  a  une  surprise  pour  vous. 

HUGUETTE,  descendant. 

Pour  moi? 

l'abbé,    le   faisant  passer   au  2   en  le  prenant  par 
1  oreille. 

Allez.  Jean-Lou. 

JEAN-LOU^  tout  honteux  et  se  faisant  un  peu  tirer. 

Oh!  non  !  non! 

L'ABBÉ. 

Comment,  «  non  »  ? 


LE    BOURGEON  243 

JEA.N-LOU)  qui  tient  toujours  son  verre  enveloppé  de  ouate 
dans  la  main. 

C'est-à-dire...  Oh!  mademoiselle...  c'est 
une  bêtise,  une  façon  de  vous  remercier 
bien  faiblement. 

HUGUETTE. 

Et  de  quoi,  mon  Dieu? 

JEAN-LOU. 

Mais  de...  (Bien  godicho.)  C'cst  moi  le  noyé, 
mademoiselle. 

HUGUETTE,  le  regardant. 

Ah!  c'est  vous  que... 

Elle  baisse  les  3'eux  instinctivement. 
.lEAN-LOU,  baissant  la  tête. 

C'est  moi,  oui,  mademoiselle...  Jean-Lou, 
le  vitrier... 

HUGUETTE. 

Oh  !  je  vous  demande  pardon,  je  ne  vous 
reconnaissais  pas...  c'est  que  c'est  la  pre- 
mière fois  que  je  vous  vois...  (Hésitant  et  baissant 

les  yeux.)  comme  ça. 

JEAN-LOU,  gêné. 

Oui,  en  effet... 

Ils  restent  un  instant  décontenancés,  n'osant  se  regar- 
der ;  à  un  moment  donné  leurs  regards  se  rencon- 
trent, ils   rebaissent  aussitôt  les  yeux. 
L  ABBÉ,  voyant  leur  embarras  réciproque  —  jovialement. 

Eh  bien,  c'est  le  moment  d'y  aller  de  ton 


244  Lie    BOlJIiGKON 


offrande .  (sur  un  ton  un  peu  moqueur.)  ((  A.  ma  Sail- 

vetouse,  son  sauveLé  ». 

JEAN-LOU. 

Oui.  monsieur  le  curé,  (.v  iiuguette.)  Alors, 
voilà,  mademoiselle,  si  c'était  un  effet  de 
votre  bonté  d'accepter  ce  modeste  vase  en 
souvenir  de  la  chose... 

Il  lui  tend  le  verre  sans  oser  la  regarder. 
HUGUETTE,     prenant   le   verre    sans    regarder    non   plus 
Jean-Lou. 

Oh!  vous  êtes  bien  aimable,  monsieur 
Jean-Lou. 

JEAN-LOUj  id. 

C'est  pas  bien  beau. 

HUGUETTE,  id. 

Oh!  c'est  très  joli. 

JEAN-LOU. 

C'est  simple. 

HUGUETTE. 

Ça  me  touche  profondémoiil .  monsieur 
Jean-Lou. 

JEAN-LOU. 

Alors,  vrai,  mademoiselle,  vous  n(i  m'en 
voulez  pas  ? 

HUGUETTE. 

Et  de  quoi  donc,  monsieur  Jean-Lou? 

JKAN-LOU. 

Mais...  de  m'être  montré  si  iiiip(di...  yiw 
ma  ttuiue  ce  jnur-Ià. 


LH    BOURG,: ON  345 

HUGUETXE. 

Oh!  pouvez- vous  dire! 

JEAN-LOU. 

Si.  si.  je  sais  très  bien  que  ce  n'est  pas 
comme  ça  qu'on  se  présente  à  une  demoi- 
selle... surtout  qui  n'est  pas  do  votre  monde. 

HUciUETïE. 

Ce  n'était  pas  de  votre  faute,  monsieur 
Jean-Lou. 

JEAX-LOU. 

Sûr  que  ce  n'était  pas  ma  faute  !  et  il  est 
évident  que  sur  le  moment  on  n'y  a  réflé- 
chi ni  l'un  ni  l'autre. 

HL'GUETTE. 

Oh!  non! 

Jl,  AN-LOU. 

Seulement,  quand  après  ça  on  se  rencon- 
tre, on  a  beau  faire  :  on  pense,  on  se  rap- 
pelle... et  on  se  trouve  tout  gêné. 

HUGUETTE. 

Oui. 

JEAN-LOU. 

Oh!  je  le  sens  bien,  allez. 

HUGUETTE. 

Est-ce  hôtel  je  vous  aurais  revu  comme 

14. 


246  LE   BOURGEON 

VOUS  étiez  la  première  fois,  je  ne  sais  pas, 
il  me  sembleque  ça  m'aurait  paru  naturel... 

JEAN-LOU. 

J'aurais  tout  de  même  pas  osé. 

HOQUETTE. 

Non,  évidemment I...  aujourd'hui,  je  vous 
revois  comme  ça...  et,  je  ne  peux  pas  dire 
pourquoi?...  j'ai  comme  un  peu  de  honte... 
ça  me  gêne... 

JEAN— LOU,  hoche  la  tête  puis. 

C'est  mon  vêtement  qui  me  fait  remarquer. 

HUGUETTE. 

Oh!  mais  ça  passera. 

JEAN-LOU. 

Faut  l'espérer...  Au  revoir,  mademoiselle. 

HUGUETTE. 

Au  revoir,  monsieur  Jean-Lou. 

JEAN— LOU,  fait  mine  de  s'en  aller,  puis  s'arrêtant 
aussitôt. 

Et  quand  on  se  rencontrera...  des  fois... 
eh!  hien,  alors,  v'ià  tout,  on  ne  se  regar- 
dera pas,  mais  on  saura  que  le  cœur  y  est. 

HUGUETTE. 

Oui,  monsieur  Jean-Lou. 

JEAN-LOU. 
C'est  ça,  oui.  (Brusquement,  changeant  de  ton.)  Au 

revoir,  monsieur  le  curé. 


LE   BOURGEON  247 

l'abbé. 
Au  revoir,  Jean-Lou. 

Jean-Lou  sort  rapidement  par  la  droite. 

l'abbé. 
Brave  petit  gars  tout  de  même. 

HUGUETTE. 

Je  crois  que  j'ai  été  stupide. 

l'abbé. 
Mais  non,  mais  non,  ma  chère  enfant. 

HUGUETTE. 

Si,  si!  et  je  suis  capable  de  lui  avoir  fait 
de  la  peine...  Ah!  que  c'est  bête  d'être  bête 
comme  ça!... 

Elle  remonte  vers  sa  bicyclette  et  range  pendant  ce  qui 
suit  le  verre  que  lui  a  donné  Jean-Lou  dans  une  sa- 
coche en  forme  d  étui  suspendue  au  guidon  de  sa 
machine. 


SCENE   III 

Les    Mêmes,  LA    CO.MTESSE,  LE  MARQUIS, 

EU(JENIE,  ils    arrivent,  comme  Huguette,  par  le  fond 
gauche. 

LA    COMTESSE,    franchissant  la    grille  d'entrée  et  immé- 
iatement   à    1  abbé  avec   une   certaine   inquiétude  dans  la 
voix. 

Ah!  monsieur  le  curé...! 


248  Lli    BOURGEON 

l'abbé,  s'inclinant. 

Madame  la  comtesse. 

LA    COMTESSE. 

Vous  nous  avez  fait  prier  de  venir... 

l'abbé. 
Mais  oui,  madame.  Bonjour,  monsieur  le 
marquis,  bonjour,  madame. 

LE    MARQUIS,    EUGÉNIK,  franchissant  la  grille. 

Bonjour,  monsieur  le  curé. 

Le  marquis  descend  à  la  suite  de  la   comtesse.  Eugénie 
descend  par  la  gauche. 

LA    COMTESSE,  tout    en    descendant   dans   la  direction  de 
1  arhre. 

Qu'est-ce  qu'il  y  a  ?  Qu'est-ce  qui  se  passe  ? 
pourquoi  cette  convocation...  officielle? 

Elle  s'assied  sur  le  banc  circulaire,    le  marquis  est  de- 
bout entre  elle  et  1  abbé,  mais  un  peu  au-dessus. 

l'abbé. 
Ah!  ça,  madame!...  je  serais  bien  embar- 
rassé pour  vous  le  dire;  j'ai  reçu  une  lettre 
de  M.  Maurice,  m'annonçant  son  arrivée, 
et  me  priant,  si  vous  n'y  voyiez  pas  d'in- 
convénient, de  convier  ici  toute  sa  famille  : 
je  me  suis  conformé  aux  instructions. 

LA    COMTESSE. 

Pourquoi,  mon  Dieu?  Ça  ne  vous  inquiète 
pas,  tout  ça? 


LE    BOURGEON  249 

l'abbé. 
Oh!  il  n'y  a  aucune  inquiétude  à  avoir  : 
le  ton  de  la  lettre  est  enjoué;  M.  Maurice  y 
parle  d'un  grand  bonheur. 

HUGUETTE,    qui   toujours    à  la  même  place  est  occupée  à 
gonfler  un  des  pneus  de  sa  machine. 

Ah? 

LA    CO.MTESSB,   bien  naïvement. 

11  a  peut-être  été  nommé  sergent. 

LE     MARQUIS. 

Oh!  non!  Il  n'est  au  régiment  que  depuis 
quinze  jours!  A  ce  compte-là,  il  serait  gé- 
néral à  la  fin  de  l'année.  Ça  ne  va  pas  si 
vite. 

LA    COMTESSE. 

Mais  alors  quoi  ?  Quoi  ? 

L  ABBK,  avec  un  gestfi  d  ignorance. 

Ah! 

LE    MARQUIS. 

Non,  écoute!  Tu  ne  vas  pas  t'inquiéter, 
hein?  puisqu'il  s'agit  d'un  bonheur,  on  peut 
attendre. 

Tout  en  parlant,  il  quitte  la   comtesse  et  gagne  jusqu'à 
Huguette. 

K  U  G  É  N  T  R . 

C'est  évident. 

LA    GOMTESSK,     avoi^  un  soupir  do  rr.signntion. 

Oui. 


350  LE   BOURGEON 

l'abbé. 

Mais     oui.    mais    oui!...    (a    Eugénie.)     Et 

M.  Heurteloup.   madame?  j'ai  appris  avec 

joie  qu'il  était  tout  à  fait  remis;  est-il  vrai 

qu'il  fasse  aujourd'hui  sa  première  sortie? 

EUGÉNIE, 

Vous  allez  le  voir  tout  à  l'heure.  Je  l'ai 
laissé  en  train  de  s'habiller.  Il  vient  même 
d'avoir  une  colère  après  moi  ! 
l'abbé. 

Ah?...  Oh!  alors,  il  est  tout  à  fait  bien! 

EUGÉNIE. 

Tout  à  fait.  Mais  c'est  égal,  nous  avons 
eu  une  rude  alerte  ! 

LA    COMTESSE. 

Pendant  quelques  jours,   on  a  craint  la 
fièvre  muqueuse. 

EUGÉNIE. 

Heureusement,   ça  n'a  été  qu'une   forte 
jaunisse. 

l'abbé. 
Ah^  Tant  mieux  ! 

LE    MARQUIS,   qui   est  descendu  à    l'extrême-gauche  sur 
les  dernières  paroles  d  Eugénie. 

Une  grosse  émotion  éprouvée  à  Paris,  qui 
lui  a  tourné  la  bile. 


LE   BOURGEON  251 

l'abbé. 
Ce  pauvre  M.  Heurteloup  I 

EUGÉNIE. 

Oh  !  ne  le  plaignez  pas  :  C'est  le  ciel  qui 
l'a  puni  !  iVujourd'hui  qu'il  est  sain  et  sauf, 
je  déclare  qu'il  n'a  eu  que  ce  qu'il  méritait  ! 
Un  homme,  monsieur  le  curé,  à  qui  on  au- 
rait donné  le  bon  Dieu  sans  confession,  et 
qui  se  débauchait  avec  des  hétaïres. 
l'abbé. 

Non,  ce  n'est  pas  possible! 

LE    MARQUIS,  atfectant   le  plus  profond  sérieux. 

Etes- vous  bien  sûre,  Eugénie? 

EUGÉNIE. 

Si  je  suis  sûre!  Il  a  avoué.  Un  peu  plus, 
il  concubinait! 

LE    MARQUIS,  id. 

Non?  Oh!...  Heureusement  que  vous  êtes 
arrivée  à  temps. 

EUGÉNIE. 

Un  jour  de  plus,  il  était  trop  tard  ! 

LE  MARQUIS    et    LA   COMTESSE,    avec    un    sentiment 
différent. 

Oh! 

EUGÉNIE. 

Oh!   mais,    maintenant,    je   l'ai  à    l'œil. 
D'ailleurs  je  le  défie  bien  d'aller  courir  la 


252  LE   BOURGEON 

prétentaine,  avec  la  mesure  que  j"ai  prise 
à  son  égard,,  pendant  sa  maladie!.,  aussi 
bien,  je  dois  le  dire  pour  son  salut  que  pour 
sa  pénitence  ! 

LA    COMTESSE. 

Ah!  mon  Dieu,  quoi  donc? 

EUGÉNIE. 
Moi,...    (Bien   catcgoriquement.)    je    Tai     VOUé    aU 

bleu  ! 

TOUS,   ébahis. 

Non? 

A  ce  moment  explosion  de  cris  et  de  rires  à  la  can- 
tonade gauche  et  Heurteloup  paraît  se  débattant 
contre  une  ribambelle  de  gamins  qui  le  huent  à  qui 
mieux  mieux. 


SCENE   IV 

Les  Mêmes,  HEURTELOUP. 

HEURTELOUP,  en  costume  entièrement  bleu-oicl,  cha- 
peau et  soiilicrs  blous  ;  aux  gamins  qui  lui  font  la  conduite 
sur  la  route  et  dominant  leurs  cris. 

Avez-vous  fini  de  me  suivre,  tas  de  ga- 
lopins. Voulez-vous  filer?  Qu'est-ce  que 
c'est  que  ça  donc  ? 


LE    BOURGEON  253 

LES    GAMINS,    se  sauvant. 

Ah! 

lleurteluup  a  franchi  la  grille,  l'air   furieux,    la  ligure 
maussade. 

TOUS,  stupéfaits. 

Ah! 

HEURTELOUP,    après  un  temps,  à  Eugénie. 

Vuilà  ce  que  tu  me  vaux,  toi  ! 

TOUS,  riant. 

Ah!  ah!  ah!  ah!  ali! 

HUGUEÏTE,  se  tordant. 

Ah  !  monsieur  Heurteh)up.  que  vous  êtes 
drôle  comme  ça! 

LE   MARQUIS. 

Vous  avez  l'air  du  prince  Saphir. 

HEURÏELOUP  *,  descendant  entre  la  comtesse  otEugénie. 

Oui,  eh  hien,  je  la  trouve  mauvaise! 
Qu'est-ce  que  c'est  que  cette  plaisanterie? 
Mes  vêtements  ?  Qu'est-ce  que  tu  as  fait  de 
tous  mes  vêtements  ? 

EUGÉNIE,    sur  un  tun  sans  réplique. 

Je  les  ai  distribués  aux  pauvres. 

HEURTELOUP. 

C'est  trop  fort!  tu  t'imagines  que  je  vais 

Le  M.  (l)  près  d'ilug.  {2}  ;  plus  eu  scène  K.  i,  H.  4,  la 
G.  5,  l'A.  6. 

15 


354  LE   BOURGEON 

continuer  à  me  promener  comme  un  chien- 
lit? 

EUGÉNIE. 

Eh  bien.,  tu  resteras  chez  toi }  c'est  au- 
tant de  gagné. 

HEURTELOUP,  se  cabrant. 

Ah!  non.  par  exemple!  non! 

EUGÉNIE. 

Il  n'y  a  pas  à  dire  :  «  Ah!  non!  »...  j'ai 
pris  l'engagement,,  si  tu  revenais  à  la  santé, 
de  te  vouer  au  bleu  ;  un  engagement  est 
un  engagement. 

IIEURTKLOUP. 

Un  engagement  qu'on  prend  soi-même, 
soit!  Mais  celui  qu'on  prend  pour  vous...! 

(Se  tournant  vers  l'abbé.)    Mousicur    Ic   CUré,    VOUS 

allez  me  relever  de  ce  vœu  et  sans  tarder. 

L  ABBÉ,   avec  un  reste  de  rire  dans  la  voix. 

Mais,  monsieur  Ileurteloup,  je  n'ai  à 
vous  relever  de  rien  du  tout,  puisque  ce 
n'est  pas  vous  qui  avez  fait  le  vœu.  Ah!  si 
madame  Heurteloup  le  demande,  elle... 

EUGÉNIE,   n'entenilant  pas  de  cette  oreille. 

Du  tout,  du  tout!  Mais  qu'est-ce  qu'on 
dirait,  lui  qui,  grâce  à  Dieu,  a  une  réputa- 
tion de  piété,   si  on  savait  qu'après  avoir 


LE  BOURGEON  255 

dù  son  retour  à  la  santé  au  vœu  pris  en 
son  nom,  monsieur  s'en  dégageait  et  en 
faisait  litière  ! 

LE    MARQUIS,   ironique. 

Oui,  oh!...  ce  serait  grave! 

LA    COMTESSE. 

11  est  évident  qu'un  vœu...  ! 

UEURTKLOUP. 

Oui?  Eh  bien,  je  m'en  moque. 

EUGÉNIE. 

Non,  non!...  il  en  a  pour  cinq  ans  I 
(Après  un  temps.)  OU  vcrra  après. 

HEURTELOUP,    cclalant. 

Ah!  c'est  comme  ça!...  Eh  bien,  non, 
entends-tu  ;  j'en  ai  assez  de  plier  devant 
toi!  d'être  sous  le  boisseau.  Je  secoue  le 
joug,  je  relève  la  tète,  je  suis  le  maître  à 
la  fin! 

EUGÉNIE,    le  toisant  de  toute  sa  hauteur. 

Qu'est-ce  que  c'est? 

HEURTELOUP,  intimidé. 

Oui,  enfin,.,  je  dis... 

EDGÉNIEj  impèrative. 

En  voilà  assez! 

Elle  remonte  pour  s  éloigner  de  son  mari  et  redescend 
aussitôt  ot  dans  le  même  mouvement  vers  la  com- 
tesse (5)  qui  caubc  avec  l'abhû  (6). 


256  LE    BOURGEON 

HEURTELOUP,  rongeant  son  frein. 

Oh! 

LE    MARQUIS,   qui  est    redescendu  un  peu    avant,  —  bas 
à  lleurtelûup. 

Ma  pauvre  victime  ! 

HEURTELOUP,  entre  ses  dents. 

Oh!  divorcer!  divorcer!...  la  pincer  avec 
un  aaïaiit! 

LE    MAllQUIS. 

Eugénie?  Oh!...  elle  ne  voudrait  jamais! 

HEURTELOUP,  comme  un  homme  qui  ne  le  sait  que  trop. 

Ah!...  et  lui  non  plus  ! 

LA  MARIOTTE,   paraissant   à   la    fenêtre   du    presbytère. 

Monsieur  le  curé,  si  vous  avez  à  faire 
avec  ces  dames,  je  pourrais  hien  aller  jus- 
que chez  la  Marie-Jeanne  lui  porter  les 
bouteilles. 

l'abbé. 

Non,  non,  j'irai  moi-même  plus  tard,, 
merci. 

La  Mariotte  disparaît. 
LA    COMTESSE. 

La  Marie-Jeanne  ?  Qui  ?  la  petite  vachère  ? 

l'abbé. 
Delà  ferme,   oui.,   madame;   elle  a    mis 
au  monde  un  jeune  chrétien  ce  matin. 


LE    BOURGEON  257 

TOUS. 

Non? 

LE   MARQUIS. 

Yoyez-vous  ça  ! 

Tout  le  monde  s'est  rapproché  curieusement  de  l'abbé. 

HUGUETTE,  de  la  présence  de  qui  personne  n'a  tenu  compte 

tout  occupée  qu'elle  est  à  arranger  sa  bicyclette,  —  après 

avoir  relevé  la  tête    à    la    confidence  du  curé,   descendant 

pour  surgir  entre  le  marquis  et  Eugénie. 

Tiens,  je  ne  savais  pas   qu'elle  fût  ma- 
riée? 

Tout  le  monde  reste  un  instant  interloqué  par   l'inter- 
vention subite  de  la  jeune  fille. 
LA   COMTESSE,    ne  sachant  que  répondre. 

ïlcin?...  la... 

LE    MARQUIS,    id. 

La...  la  vachère...  oh!  eiili!... 

L'ABBÊ.  id. 

C'est-à-dire  que...  euh!... 

I,E  MARQUIS,  Approuvant  l'explication  de  l'abbé. 

Oui. 

l'abbé. 
Yoilà. 

HUGUETTE,   ronseifrnée  par  leur  gêne  même. 

Ail  ?  l)on,  je  comprends... 

Elle  remonte. 
TOUS. 

Quoi  ? 


258  LE   BOURGEON 

HDGUETTE,  tout  en  retournant  à  sa  bicyclette. 

Rien!  rien  ! 

EUGÉNIE,  après  un  temps  —  à  son  mari  comme  si  c'était 
sa  faute. 

Voilà!...  voilà  ce  que  ça  amène,  ces  cho- 
ses-là! 

Heurteloup,  la  pensée  ailleurs,  brutalement  rappelé  à  la 
réalité  par./l 'apostrophe  de  sa  femme,  la  regarde 
ahuri,  puis  lève  des  yeux  résignés  au  ciel,  hausse 
les  épaules,  et  va  s'asseoir  sur  le  banc  devant  le 
presbytère. 

L'ABBK. 

La  pauvre  petite  est  dans  un  dénuement 
complet  ;  rien  qu'un  pauvre  grabat  et  per- 
sonne auprès  d'elle...  Alors,  j'allais  lui 
porter... 

Il   indique  son  casier  à  bouteilles. 
LA  COMTESSE. 

Ah!  mais  que  ne  le  disiez-vous?  on  ne 
peut  pas  la  laisser  ainsi  :  je  vais  la  faire 
transporter  à  notre  asile  de  Kénogant  oiî 
elle  trouvera  auprès  des  bonnes  sœurs  tous 
les  soins  désirables,  comme  aussi  tous  les 
bons  conseils  qu'il  est  regrettable  qu'on 
n'ait  pu  lui  donner  plus  tôt. 

EUGÉNIE,  pincée. 

On  aurait  une   honnête  femme  de  plus. 


LE   BOURGEON  359 


LE  MARQUIS,  avec  bon  sens. 

Bien  !  oui...  mais  un  petit  français  de 
moins  ;  tout  compte  fait,  je  ne  sais  pas  si 
ça  ne  vaut  pas  encore  mieux  comme  ça. 

HUGUETTE,   descendant   vers  la   comtesse,   avec    sa    bi- 
cyclette en  main. 

Si  vous  voulez,  ma  tante,  j'ai  ma  bicy- 
clette, je  puis  pédaler  jusqu'au  château, 
c'est  l'affaire  de  dix  minutes. 

LA    COMTESSE. 

C'est  ça  ;  tu  diras  à  Luc  de  faire  le  né- 
cessaire pour  le  transport  de  la  mère  et 
du  bébé. 

HUGUETTE,  grimpant  sur  sa  bicyclette. 

J'y  cours. 

Elle  franchit  la  grille  et  disparaît  par  la  gauche. 

l'abbiî. 
Que  vous  êtes  charitable. 

LA  COMTESSE,  avec  un  sourire  modeste. 

Laissez  donc  !...  (changeant  de  ton.)  La  pauvro 
fille!  Qu'est-ce  qui  lui  a  encore  fait  ça? 
l'abbé. 
Est-ce  qu'on  sait  ! 

EUGÉNIE,  avec  dédain. 

Quelque  homme...  évidemment! 


260  LE    BOURGEON 

LE    MARQUIS,   aveo  le  plus  grand  sérieux. 

Prenez  garde.  Eugénie  !  vous  accusez  à 
la  légère. 

Heurteloup  qui  s'est  levé,  descend  d'un  air  distrait  en- 
tre le  marquis  et  Eugénie. 

l'abbé. 
Je  l'ai  demandé  à  la  petite;  c'est  triste  : 
elle  ne  le  sait  pas  elle-même!  elle  m'a  ré- 
pondu :  «  C'est  un  monsieur  à  bicyclette!  » 

Tout  le  monde  hoche  la  tête,  déplorant  en  silence. 
—  Soudain  un  éclair  traverse  le  cerveau  d'Eugénie  ; 
elle  relève  la  tête  ;  «  A  bicyclette  !»  ;  —  porte  la 
tête  à  droite  «  est-ce  que  ce  serait?...  —  Regarde 
son  mari  fixement  dans  les  yeux  «  toi  !  »  Tout  ce  jeu 
de  scène  muet  doit  dui-cr  exactement  trois  secondes  ; 
ce  sont  en  quelque  sorte  trois  soubresauts  successifs 
de  la  tête  oi'i  Eugénie  doit  tout  exprimer  par  la 
physionomie. 

HEURTELOUP,  foudroyé  par  le  regard  de  sa  femme,  la 
regarde  ahuri  comme  pour  dire  «  qu'est-ce  qu'elle  a  en- 
core?  ')   puis  comprenant  sa   pensée. 

Quoi  ?  quoi  ?  tu  ne  vas  pas  encore  me 
mettre  ça  sur  le  dos!  11  n'y  a  pas  que  moi 
en  France  qui  aie  une  bicyclette. 

EUGÉNIE,  sèchement. 

C'est  possible  !  mais  je  constate  que  vous 
avez  pour  ce  genre  de  sport  un  amour  un 
peu  trop  marqué, 

HEURTELOUP. 

Allons,  bon  ! 


LE  BOURGEON  261 


LE   MARQUIS. 

Ecoutez,  Eiig'énio.  je  vous  jure  que  pour 
faire  un  enfant,  la  bicyclette... 

EUGÉNIE,  moitié  miel,  moitié  vinaigre. 

Je  vous  en  prie,  Onfroy  !  (a  Heurteioup.)  Do- 
rénavant, vous  me  ferez  le  plaisir  de  res- 
treindre un  peu  vos  sorties  à  bicyclette. 

Elle  remonte  par  la  droite  de  la  table. 
HEURTELOUP,   rongeant  son  frein. 

Oh! 

LE  MARQUIS,   lui  prenant  le  bras  et  très  gamin. 

Allez  !  au  bleu  aussi  la  bécane. 

HEURTELOUP,  soulageant  sou  creur. 

Ah!  le  célibat!  le  célibat! 

Ils  remontent  ensemble  par  la  gauche  delà  table;  à 
ce  moment,  à  la  porte  premier  plan  droit,  paraît 
Jean-Lou. 


SCENE   V 

Les  Mêmes,  JEAN-LOU. 

JEAN-LOU,  1  air  mystérieux,  allant  sur  la  pointe  des  pieds 
jusqu'à  l'Abbé. 

Monsieur    le   curé,    monsieur    le    curé  ! 
(Saluant.)  Mcssicurs,  mcsdames. 


263  LE    BOURGEON 

l'abbé. 
Te  voilà  revenu,  toi. 

JEAN-LOU,  bas  au  curé. 

C'est  monsieur  l'abbé  de   Plounidec  qui 
m'envoie... 

l'abbé,  à  haute  voix  aux  autres. 

Ah!  bien  justement,  mesdames... 

JEAN-LOU,  vivement. 
Oh!      chut!...       (Confidentiellement.')     MonsicUF 

l'abbé  est  là  en  carriole;  il  voudrait  vous 
toucher  deux  mots  en  particulier  avant  de 
voir  sa  famille  ;  alors  il  vous  fait  prier,  si 
elle  est  déjà  arrivée,  de  l'éloigner... 
l'abbé. 
Bon. 

Il  va  pour  remonter. 
JEAN— LOU,  achevant  sa  phrase. 

habilement. 

l'abbé,  s'arrôtant  court. 

Ha...  habilement? 

JEAN-LOU5  confirmant. 

habilement. 

l'abbé,  un  peu  déconfit. 
Habilement,     oui.     (se    décidant    et    bien     bêta.) 

Hum!...  Que...  que  penseriez-vous.  mes- 
sieurs, mesdames,  d'aller  jusqu'au  bout  du 
jardin? 


LE   BOURGEON  263 

TOUS  *,   étonnés. 

Nous? 

LA    COMTESSE. 

Pourquoi  faire  ? 

l'abbé. 

Hein?...  je  ne  sais  pas!  Tenez,  j'ai...  j'ai 
un  poirier  qui  est  assez  curieux:  il  ne  pro- 
duit pas  (le  poires. 

EUGÉNIE. 

Qu'est-ce  qu'il  produit? 
l'abbk. 
Rien  du  tout.  Si  ça  vous  intéressait...? 

LA  GOMTESSK,   malicieusement. 

Vous  avez  quelqu'un  à  recevoir  ! 

l'abbé,  avec  un  sursaut  d'élonnoment. 

A  quoi  avez-vous  vu  ça? 

LA   COMTESSE,  souriant. 

Oh!  c'est  difficile  à  deviner!  c'est  Mau- 
rice, hein? 

L'ABBÉ. 

Maurice,  oui! 

LA    COMTESSE. 

11  voudrait  vous  parler  en  particulier. 

*  Le  M.  et  H.  au  fond  au-dessus  du  banc  de  gaucho,  — 
plus  en  scène  E.  la  G.,  —  plus  bas  devani  le  gi-and  arbre 
1  ab.  et  J.-L. 


264  LE    BOURGEON 

l'abbé. 
Comme  vous  êtes  perspicace. 

LA.  COMTESSE. 

Et  il  VOUS  a  fait  prier  de  nous  éloig"ner. 

L  ABBÉ^  i3ans  voix,  rion  que  par  1  articulation  des  IcNvre-^. 

Habilement,  oui  ! 

LA    COMTESSE. 

Que  de  mystères,  mon  Dieu!  Eh  bien, 
plutôt  que  d'aller  rendre  visite  à  votre 
poirier  qui  ne  donne  pas  de  poires,  je  pro- 
pose d'utiliser  ces  instants  en  poussant  jus- 
que chez  la  Marie-Jeanne;  on  lui  montrera 
qu'elle  n'est  pas  tout  à  fait  aban(btnnée. 
Gela  va-t-il  ? 

TOUS. 

Ça  va. 

L'ABBÉ. 

Oh  !  madame,  comme  vous  êtes  plus  ha- 
bile que  moi. 

LA  COMTESSE,  souriant. 
Croyez-vous?  (aux   autres,  en  se  dirigeant  vers  le 

fond.)  Allons  ! 

EUGÉNIE,  au  fond,  au  moment  de  sortir,  à  Ileurteloup 
qui  pendant  ce  qui  précède  a  cueilli  une  flour  rouge  dont  il 
a  paré  sa  boutonnière  —  absolument  comme  s'il  y  avait 
lo  feu. 

Veux-tu  enlever  ça,  toi  I 


LE   BOURGEON  265 

HEURTELOUP,    ahuri  par  cotte  apostrophe. 

Hein  ?  Quoi  ? 

EUGÉNIE. 

Ça!...  c'est  rouge! 

HEURTELOUP,  haussant  les  épaules. 

Oh! 

LE  MARQUIS,    railleur. 

Vous  n'avez  plus  droit  qu'au  bleuet. 

Il  lui  enlève  sa  fleur  et  se  la  passe  à  la  boutonnière, 

EUGÉNIE,  à  son  mari,  qui  furieux,  les  deux  mains  derrière 
le  dos  sort  avec  des  haussements  d'épaule  rageurs. 

Ah  !  et  puis  toi,  je  t'en  prie,  pas  de  tête 
hein? 

Ils   sortent  tous  par  le  fond  droit. 


SCENE   VI 

L'ABBÉ,  JEAN-LOU,  puis  MAURICE. 

l'abbé,  redescendant  vers  Jean-Lou. 

Là!  si  tu  veux  prévenir  monsieur  l'abbé 
que  je  suis  à  sa  disposition. 

JEAN-LOU,  gagnant  la  droite. 

Ça  ne   sera  pas  long!  Il  attend  dans   la 
ruelle  ! 


266  LE    BOURGEON 

l'abbé. 
Bon  !  va  ! 

JEA.N-LOU.  appelant  du  pas  de  la  porte. 

Ehl  monsieur  l'abbé. 

VOIX  DE   MAURICE. 

Voilà! 

JEAN-LOU,  à  l'abbé. 

Le  v'ià! 

MAURICE)*  le  pas  dôlurô,  l'air  gamin  entrant  vivement 
et,  en  passant  pour  aller  à  l'abbô,  donnant  une  tape  ami- 
cale sur  la  joue  de  Jean-Lou. 

Merci.    Jean-Lou.  (^e  précipitant  dans  les   bras  de 

l'abbé.)  Bonjour,  monsieur  le  curé. 

Us  s'embrassent  pendant  que  Jean-Lou  sort. 
L'ABBÉ  (l). 

Mon  cher  enfant  !  Ça  me  fait  plaisir  de 
vous  voir. 

MAURICE  (2). 
Et  à  moi  donc  !  (passant  au  (l);  tout  ce  qui  suit  très 
chaud,     très    vibrant,     très  jeune.)  Ail  !    mOUsicur    le 

curé,  les  joies  que  je  viens  d'éprouver   en 
me  retrouvant  ici..  !  tous   ces  lieux  que  je 

Maurice  est  en  civil  :  blouse  de  chasse  à  trois  plis  et 
ceinture  ;  knickerbockers,  le  tout  en  étoffe  anglaise.  Le- 
gings  et  feutre  mou. 


LE   BOURGEON  267 

connais  depuis  mon  enfance,  il  me  semble 
que  je  les  vois  avec  d'autres  yeuxl  comme 
c'est  beau,  notre  cher  patelin. 

l'abbé,    tout  près  de  lui. 

C'est  aujourd'hui  que  vous  vous  en  aper- 
cevez ? 

MAURICE,  se  retournant  vers  lui. 

Oui  !  c'est  à  croire  que  je  n'ai  jamais  re- 
gardé!., j'ai  toujours  eu  les  yeux  trop  tour- 
nés à  l'intérieur,  alors,  je  ne  voyais  pas 
au  dehors  !  (Bien  gosse.)  C'est  bien,  la  nature, 

vous  savez. 

l'abbé. 
Si  c'est  bien  ! 

MAURICE,   sans  lui  laisser  le  temps  de  placer  sa  réponse. 

C'est  ça  qui  nous  prouve  l'existence  de 

Dieu! 

l'abbé. 
Tiens  ! 

MAURICI'^,    sautant  d'une  idée  à  l'autre. 

Et  à  part  ça,  ça  va  bien?  la  santé,  oui? 

L  abbé,  s  asseyant  sur  le  banc  circulaire  de  1  arbre  de 
façon  à  être  profil  au  public  et  face  au  presbytère  ;  par- 
tant, face  à  Maurice. 

Ma  parole,  je  ne  vous  reconnais  pas  :  cette 
exubérance,  cette  gaieté...  c'est  le  service 
militaire  qui  vous  a  transformé  ainsi  ? 


268  LE    BOURGEON 

MAURICE. 

Mais  oui!  le  service  militaire  et  aussi... 

l'abbé. 
Quoi  ? 

MAUIltCE,  iur  un  ton  plein  de  sons- entendu. 
Je    ne  sais    pas...    un    tas  de    choses  I   (Brus- 
quement, changeant  de  ton.)  OÙ  CSt   ma  famille? 

l'abbk. 
Vous  aviez  à  me  parler:  je  l'ai  éloignée... 
habilement. 

MAURICE. 

Bien! 

l'abbé. 

Qu'avez-vous  à  me  dire  ? 

MAURICE,  se  penchant  vers  lui. 

Votre  sentiment  à  vous  demander  sur  un 
cas  de  conscience. 

l'abbé. 
Et  quoi  donc  ? 

MAURICE,  bien  précis  comme  pour  l'énoncé  d'un  problème. 

Un  homme  a  aimé  une  femme;  ils  s(mt 
tombés  dans  le  péché;  cet  homme  estime 
cette  femme  :  quel  est  son  devoir  ? 

l'.\BBÉ,  bien  nettement. 

Mais  cela  ne  souffre  aucun  doute!  Il  doit 
réparer  la  faute  par  le  mariage. 

MAURICE,  lui  serrant  vigoureusement  les  mains. 

Merci!  C'est  la   réponse  que  j'attendais. 


LE    BOURGEON  269 

l'abbé,  un    peu  interloqué,  avec    une   pointe  d  inquiétude. 

Mais  pour  qui  me  demandez-vous...? 

MAURICE. 

Chut!...    cliut!...    je    vous   le    dirai    plus 
tard. 

l'abbé. 

Je  ne  suppose  pas  que  ce  soit...? 

MAURICE. 
Chut,     chut,     chut!     plus     tard,      (changeant 

de  ton.)  Et,  maintenant,    monsieur  le  curé, 

(Avec  pompe.)  introduisez...  la  famille. 

l'abbé,  un  peu  ahuri. 

L'introduire?  Mais...  elle  n'est  pas  là!  il 
faut  que  j'aille  la  chercher... 

MAURICE,   remontant. 

Oh  !  monsieur  le  curé,   non  !   s'il   en  est 
ainsi,  je... 

l'abbé,  qui  s'est  levé,  allant  prendre  le  casier  à  bouteilles 
qui  est  derrière  l'aibre  sur  le  même  banc  que  lui. 

Laissez  donc!   laissez   donc!  Là  où  sont 
les  vôtres,  j'avais  justement  à  aller. 

MAURICE. 

Oh!  vraiment,  je  suis  confus. 

l'abbé. 
Dix  minutes! 

Il  sort  par  le  fond  droit. 


370  LE   BOURGEON 


SCENE  VII 

MAURICE,  puis  ÉTIENNETTE,  puis  LA 
MARIOTIE,  puis  HUGUETTE. 

Maurice  regarde  partit-  le  curé,  puis  gagne  rapidement,  d'un 
pas   léger,  la  porte  donnant  sur   la  ruelle. 

MAURICE,  ouvrant  la    porte  et    du  seuil    faisant    signe  à 
l'extérieur. 

Entre  ! 

Il  gagne  la  gauche. 
ÉTIENNETTE,  entrant  et  marchant  à  sa  suite. 

Ah!  ça,  m'expliqueras-tii  ce  que  tout  cela 
signifie?...  et  ce  que  tu  manigances? 

MAURICE,  (l)    pivotant  sur  lui-même  et  très  gamin,  tout 
en  lui  prenant  gentiment  les  épaules  entre  les  deux  mains. 

ïaratata  !  inutile,  madame...  Je  ne  vous 
dirai  rien  tant  que  je  ne  jugerai  pas  le  mo- 
ment venu.  Vous  m'avez  promis  de  ne  pas 
m'interroger,  de  vous  en  rapporter  à  moi, 
vous  êtes  à  ma  discrétion. 

Il  l'embrasse  dans  le  cou. 
ÉTIENNETTE. 

Quel  enfant  lu  fais.  Je  ne  te  reconnais 
pas. 


LE   BOURGEON  271 


MAURICE. 


Mais  je  ne  me  reconnais  pas  moi-même. 
Il  me  semble  que  j'ai  des  années  de  jeunesse 
en  retard,  que  j'existe  pour  la  première 
fois.  Assez  longtemps  j'ai  vécu  comprimé 
dans  ma  chrysalide,  j'ai  besoin  d'étendre 
mes  ailes  et  de  voler  éperdument.  J'ai  be- 
soin de  mon  âg-e,  j'ai  besoin  de  vivre,  j'ai 
besoin  d'aimer. 

ÉTIEXNETTE. 

Qu'il  est  loin  le  petit  séminariste,  à  la 
soutane  noire,  dont  le  rigorisme  m'impo- 
sait, dont  la  pureté  me  troublait! 

MAURICE. 

Qu'il  est  loin  l'être  de  vanité  qui  s'imagi- 
nait avoir  en  lui  toutes  les  vertus  du  sacri- 
fice !  Il  a  suffi  d'un  sourire  de  femme  pour 
le  ramener  à  la  réalité  et  lui  montrer  qu'il 
n'était  qu'un  homme. 

ÉTIENXETTE. 

Regretterais-tu  quelque  chose  ? 

MAURICE. 


Ai-je  l'air  de  quelqu'un  qui  éprouve  des 

Il  l'embrasse  dans  le  cou. 


regrets  ? 


272  LE    BOUIUJEONJ 

LA  MARIOTTE,  arrivant  de  jrauche,  deuxième  plan,  avec 
des  artichauts  à  la  main  et  apercevant  Maurice  qui  a  fini 
d'embrasser  Étiennette  —  avec  force  courbettes. 

Oh!  monsieur  l'abbé,  vousl 

MAURICE,    tout    près  d'Étiennette  et    au-dessus  d'elle    — 
bien  brutalement. 

Bonjour,  la  Mariotte  !...  Je  vous  présente 
ma  bonne  amie. 

LA    MAHIOTTK,  qui  déjà  s'inclinait,  su  sautant  scan- 
dalisée. 

Jésus-Maria!  Est-ce  VOUS,  monsieur  l'abbé, 
qui  parlez  ainsi  ? 

MAURICE,   marchant  sur  elle,  ce  qui  la  fait  reculer  cpou- 
vantôe. 

Ah!  c'est  qu'il  y  a  du  nouveau,  la  Ma- 
riotte  !  beaucoup  de  nouveau  1  et  je  suis  un 
vil  pécheur  comme  tous  les  autres. 

LA  MARIOTTE,  qui  est  arrivée  ainsi  jusqu'au  pied  du 
perron,  «'abritant  le  visage  de  son  coude  levé  comme 
pour  se   garer   de  Maurice  qui  la   poursuit  sans   merci. 

Mon  Dieu,  mon  Dieu  !  monsieur  l'abbé  est 
possédé  du  démon  ! 

Elle  se   signe  avec  un  de  ses  artichauts  et    se  précipite 
affolée  dans  le  presbytère. 
MAURICE,  ravi  de  l'effet  obtenu,  se  laissant  tomber  dans 
le  fauteuil  qui  est  devant  la  table,  et  s'3'  carrant. 

Voilà  :  je  l'ai  scandalisée,  la  Mariotte! 

ÉTIENNETTE. 

Tu  te  fais  un  jeu   de  ces  choses  aujour- 


LE    BOURGEON  273 

d'IiLii.  Tu  es  bien  comme  ees  petits  collégiens 
tout  fiers  des  premières  grivoiseries  qu'ils 
apprennent,  qui  les  répètent  à  tout  le  monde 
pour  bien  montrer  qu'ils  ne  sont  plus  inno- 
cents. 

MAURICE. 

Tu  crois  ?  c'est  qu'en  ellet  je  suis  le  collé- 
gien en  vacances,  lo  petit  soldat  qui  s'é- 
mancipe...    (se  levant,  et  allant  à  l' tiennette.)    Si   tU 

voyais  au  régiment...  !  les  progrès  que  je 
fais...!  Je  commence  à  jurer,  ma  chère 
amie!  je  dis  :  «  n(mi  d'une  pipe»,  «  ventre 
de  biche  ».  «  mille  tonnerres  ». 

ÉTIEXXETTE,  se  laissant  tomber  tout  effarée  sur  le  banc 
de  1  arbre. 

Xon  :'  Et  puis  quoi  ? 

MAURICE. 
Oh!     c'est     tout!     Merci:     (Dévotement  sincère.) 

plus,  ça  offenserait  le  bon  Dieu  ! 

ÉTIENNETTE. 

A  la  bonne  heure  ! 

MAURICE,  s'asseyant  tout  près  d'elle,  à  sa  d  oite. 

Ah!  dis  que  tu  n'es  pas  contente  de  nous 
sentir  tous  les  deux  ici? 

ÉTIENNETTE. 

Chez  le  curé  ? 


374  LE  BOURGEOM 


MAURICE. 

Non,  ici  !  à  PlouniJec  !  où  nous  nous  som- 
mes vus  pour  la  première  fois. 

ÉTIEXNKTTK,  doucement  émue. 

C'est  vrai,  pourtant. 

MAURICE,  montrant  l'océan. 

Regarde-la,  la   grande   verte,  la  vilaine 
qui  a  failli  t'enlever  à  moi. 

ÉTIENNETTE,  corrigeant  vivement. 

Regarde-la,  la    grande  verte,    l'exquise, 
qui  nous  a  donnés  l'un  à  l'autre. 

MAURICE. 

C'est  vrai    pourtant,   je   suis  un   ingrat. 

(Envo3ant  un  baiser  à  l'océan.)  TlCnS,  l'd  W.QT  !  (A  Ktien- 

nette.)  Tieus,  toi  ! 

11  1  embrasse. 

ÉTIENNETTE,  se  laissant  aller  à  la    douceur  do   l'exis- 
tence. 

Ah  !  qu'il  serait  doux,    de  vivre  ici  tous 
les  deux,  toujours. 

MAURICE,  vivement. 

Oui  ?...  C'est  ta  pensée  que  tu  dis  là? 

ÉTIENNETTE,  comme  dans   un  rêve, 

(Dh!  oui. 

MAURICE. 

Et  tu  ne  regretterais  rien  de  ta  vie  do 


LE   BOURGEON  275 

Paris  ?  de  ton  passé  ?  tu  ne  regarderais  ja- 
mais en  arrière  ? 

ÉTIENNETÏK. 

Tu  sais  bien  qu'aujourd'hui,  mon  horizon, 
c'est  toi. 

MAURICE. 

Alors,  si    par   hasard  ce  vœu    se    réali- 
sait..? 

ÉTIKNNETTE. 

Quoi?  vivre,  ici,  près  de  toi,  toujours? 

MAURICE. 

Oui,  et  régulièrement,  légitimement. 

ÉTIENNETTE,  se  levant,  dos  au  public,  et  se  reculant  do 
Maurice. 

Malheureux!  Quels  mots  prononces-tu? 
]Xe  joue  pas  avec    ces  choses-là  ;  c'est  mal  ! 

MAURICE. 

Pourquoi  pas?  Est-ce  que  tu  ne  m'aimes 
pas  ?  Est-ce  que  je  ne  t'aime  pas  ? 

ÉTIKNNETTE. 

Moi  !  moi  !  après  ce  que  j'ai  été,  après  ce 
que  tu  m'as  connue?  voyons  I 

MAURICE. 

Tais-toi,  tais-toi,    tout  cela  est  racheté  ( 
tout  cela  est  oublié  ! 


27G  l.E    BOUIIGEON 


ÉTIENNETTE,  passant  au  1. 

Allons,  allons!  ne  dis  pas  de  folies! 

MAURICE,  vivement,  comme  pour  lui  complaire  mais  avec 
visiblement  une  arxiôre-ijensée  dans  la    tête. 

Eli  bien!  soit,  mettons  que  c'est  une  folie  ; 
je  t'aime. 

Ils  se  tiennent  longuement  enil)rassès.  A  ce  moment,  au 
fond,  on  voit  paraitre  Huguette  à  bic^xlette.  Elle 
saule  de  sa  machine,  s  apprête  à  entrer  et  soudain 
aperçoit  le  couple  enlacé. 

HUGUETTE,  ne  pouvant    réprimer  un  cri    de   douloureuse 
surprise. 

Ah! 

MAURICE  et  ÉTIENNETTK,    arrachés  de    leur   étreinte 
par  le  cri  d'Huguelte. 

Qu'est-ce  que  c'est  ? 

MAURICE. 
HugUette  !  (Il  se  précipite  vers  la  grille  en  appelant.) 

Huguette  !  Huguette  ! 

HUGUETTE,  qui  déjà  a  enfourché  précipitamment  sa  bi- 
cvclette,  se  :^auvanl  à  toutes  pédales  pour  dissimuler  son 
trouble. 

Oui,  oui  !   Tout    de  suite!    je    reviens!  je 
reviens  ! 

Elle  a  disparu  par  le  fond  droit. 
MAURICE. 

Eh  bien,  qu'est-ce  qu'elle  a  ?  (Appelant.)  iïu- 
guette  ! 


LE    BOURGEON  277 

VOIX  d'HUGUETTE,  dans  le  lointain. 

Oui. 

MAURICE^  revenant  à  Étiennette. 

Pourquoi  se  sauve-t-elle  ? 

ÉTIENNETTE. 

Bien  sûr  elle  nous  a  vus  et  sa  pudeur  de 
jeune  fille  s'est  effarouchée. 

MAURICE. 

C'est  donc  un  spectacle  si    effrayant  que 
celui  de  deux  êtres  qui  s'aiment? 

ÉTIENNETTE. 

Non,  devant  la  nature,   mais  oui  do  par 
le  monde. 

MAURICE. 

Eh  bien,  vive  la  nature!  Je  vous  aime, 
madame! 

ÉTIENNETTE. 

Et  moi  aussi,  monsieur  ! 

Maurice  lui  a  pris  la  tête  entre  les  deux  mains  et  lui 
applique  un  long  baiser  sur  les  yeux.  Sur  ces  deux 
dernières  répliques,  on  a  vu  surgir  la  tète  d'Huguette 
au-dessus   du  mur  de  droite. 

HUGUETTE,  avec  un   découragement  navré. 

Oh  !  encore  ! 

MAURICE,   1  entraînant  doucement  vers  le  presbytère. 

Et   maintenant,  madame,  vous  allez  me 

16 


278  LE   BOURGEON 

faire  le  plaisir  d'aller  un  peu  vous  rccuiliVr. 
Vous  êtes  tout  ébouritl'ée. 

ÉTIENXETTE. 

Qu'est-ce  que  (;a  fait  ! 

MA.URIGE.  faisant  claquer  sa  langue  contre  ses  dents  pour 
la  rappeler  à   1  obéissance. 

Tsse!  tsse!  je  veux!...  j'ai  mes  raisons... 
Dites  que  c'est  de  la  vanité  si  vous  voulez  : 
je  tiens  à  ce  qu'on  vous  voie  avec  tous  vos 
avantages. 

ÉTIENNETTE. 

Enfant  !  va  ! 

L'un  tenant  la  taille  de  l'autre,  comme  deux  amants,  ils 
sont  entrés  dans  le  presbytère.  A  peine  ont-ils  franchi 
le  seuil  de  la  maison,  qu'Huguette  qui  ne  les  a  pas 
perdus  de  l'œil,  enjambe  le  mur,  descend  de  long  de 
l'échelle  de  fer  fixée  le  long  de  la  serre  et  gagne 
jusqu'à  la  fenêtre  du  presbytère  pour  épier  le  cou- 
ple. Sa  figure  est  mauvaise,  ses  traits  sont  contrac- 
tés. Elle  a  un  geste  de  rage.  A  ce  moment  paraissent 
sur  la  route  l'abbé,  la  comtesse,  le  marquis,  Eugénie 
et  Heurteloup.  En  les  voyant  Huguette  fait  un  effort 
sur  elle-même  ;  se  laisse  tomber  sur  le  banc  et  se 
compose  un  visage  indifférent. 


LE   BOURGEON  279 


SCENE  VIII 

HUGUETTE,  L'ABBÉ,  LA  COMTESSE,  LE 

MARQUIS,  EUGÉNIE,  HEURCELOUP,  puis 

MAURICE. 

l'abbé^  paraissant  au  fond,  suivi  des  autres  personnages  ; 
—  arrivé  à  la  porte,  il  s  efface. 

Passez,  mesdames  !  passez,  messieurs  ! 

LA  COMTESSE,  entrant  la  première. 

Pardon. 

LE  MARQUIS,  qui  est    entré    à    la    suite  de    la  Comtesse, 
allant  à  Huguette. 

Ah!  te  voilà,  toi!  C'est  toi  qui  laisses  ta 
bicyclette  contre  le  mur?  Tu  veux  donc 
qu'on  te  la  vole? 

HUGUETTE,  maussade. 

Oh!  il  n'y  a  pas  de  danger.  Je  vais  aller 
la  reprendre. 

Elle  se  lève  et  passe   au  2, 
LA  COMTESSE    *. 

Tu  as  été  au  château? 

HUGUETTE. 

Oui,  ma  tante,  on  va  faire  le  nécessaire. 

*  Le  M.  l.IIug.  2,  La  C.3,  L'ab.  -i.Eug.  5,  Hetirteloup,  6. 


280  LE    BOURGEON 

LA  COMTESSE. 

Eh!  bien,  et  Maurice? qu'est-ce  que  tu  en 
as  fait? 

HUGUETTE,    d'un  air    qu'elle   s'efforce    de    rendre  indif- 
fèrent. 

Je  ne  sais  pas,  ma  tante  !  Il  m'a  semblé 
le  voir  entrer  au  presbytère  comme  j'arri- 
vais. 

LA  COMTESSE. 

Oui?  (Appelant.)  Mauricc! 

TOUS,  se  rapprochant  du  presbytère  et  appelant  à  l'exemple 
de  la  comtesse. 

Maurice!  Maurice! 

HUGTJETTE.,  vivement. 

Je  vais  clierclier  ma  ])icyclçtte. 

Elle  gagne    rapidement  le   fond,  désireuse  d'éviter  une 
rencontre  avec  Maurice. 

MAURICE,    paraissant  sur  le  seuil  du  perron. 

Maman  ! 

Il   se  précipite  dans  ses  bras. 
LA  COMTESSE,  l'embrassant  tendrement. 

Mon  fils!  mon  chéri,  comme  ça  me  fait 
plaisir  ! 

MAuniGi-:. 

Ma  chère  maman  !  (au  marquis  qui  est  à  sa  droite.) 
Bonjour  mon  oncle  !   (Mlant  à  Euiréniequi  est  (4)à  la 


LE    DOURGEON  ^81 

gaucbe  de  la  Comtesse  (3).  BonjOUF  Eugéllie  !  (id.  à 
Heurteloup  qui  est  devant  l'arbre  près  de  la  brouette.)  DOn- 

jour  Hector  !  Oh  !  le  drôle  de  costume!  Pour- 
quoi ètes-vous  si  céleste? 

HKUUTELOUP,   avec  hum?ur, 

Xe   m'en  parle   pas  !  on    m'a   voué  cà  la 
vierge. 

MAURICE,  riant. 

Non  ? 

LE   MARQUIS,  de   sa  place. 

Oui  !...  ra  le  eliange. 

MAURICE. 
Mes  compliments.  (Uetoumant  à  sa  mère.  En  pas- 
sant jettant  son  chapeau  sur  le  banc  qui  entoure  1  arbre.) 

Ma  chère  maman,  j'ai  prié  monsieur  le  curé 
de  vous  réunir  tous  pour  vous  entretenir 
d'une  décision  grave  que  j'avais  l'intention 
de  prendre  et  pour  laquelle  j'avais  besoin 

de  votre   avis  (indiquant  l'abbé  qui  est  un  peu  au-dessus 

des  autres.)  aiusi  quc  de  celui  de  monsieur  le 
curé. 

LA  COMTESSE. 

Ah  !  mon  Dieu  !  Quoi  donc  ? 

Tout  le  monde  s'assied  à  l'exception  de  Maurice  :  la 
comtesse  sur  le  fauteuil  à  droite  de  la  table  ;  l'abbé 
sur  le  fauteuil  qui  est  au-dessus,  le  marquis  sur  la 
chaise  entre  le  banc  et  le  perron,  Eugénie  sur  le  banc 
circulaire  de  l'arbre,  Heurteloup  sur  la  brouette. 

16. 


282  LE   BOURGEON 

MAURICE,  une  fois  tout  le  monde  assis. 

Maman,  je  vais  sans  doute  vous  causer 
une  grande  déception;  je  renonce  à  ma  car- 
rière sacerdotale. 

LA  COMTESSE. 

Toi! 

l'abbé. 

Est-il  possible  1 

MAURICE. 

Oui. 

EUGÉNIE. 

La  voilà,  l'influence  néfaste  delà  caserne! 

MAURICE. 

Non,  Eugénie,  non  !  la  caserne  n'a  rien  à 
voir  dans  ma  décision,  croyez-le  bien.  Seu- 
lement, il  m'a  été  donné  de  constater  que 
je  n'avais  pas  en  moi  les  vertus  suffisantes. 
la  force  de  caractère  nécessaire  pour  rem- 
plir dignement  ma  mission  et  rester  à  la 
hauteur   du    vœu   que   j'aurais    prononcé. 

(Après  un  temps   d'hésitation.)     Et    puis    enfin,     ma 

mère...  je  ne  suis  plus  chaste! 

LA    COMTESSE,   se    levant    d'un    bond  ainsi    qu'Eugénie. 

Toi! 

EUGÉNIE,  se  dressant. 

Ohl 

Elle  se  signe. 


LE   BOURGEON  283 

LE    MARQUIS,  riant  sous  cape. 

Patatras  ! 

LA    COMTESSE. 

Toi,  mon  enfant!  mon  ange  de  pureté, 
d'innocence  ! 

MAURICE. 

Il  est  loin,  ma  pauvre  maman,  votre  ange 
de  pureté,  dinnocence.  Aujourd'hui,  je  ne 
suis  plus  qu'un  homme,  et  un  homme  aussi 
faible  que  tous  les  autres. 

Maurice  dégage  un  peu.  —  La  comtesse  se  laisse  tom- 
ber anéantie  sur  son  fauteuil. 

EUGÉNIE,  avec  dépit,  à  son  mari. 

Voilà  !...  voilà! 

HEURTELOUP. 

C'est  ça!  ça  va  encore  être  de  ma  faute. 

Eugénie  se  rassied,   sur  le  banc  au  pied  de  I  arbre. 
MAURICE. 

Vous  me  pardonnerez,  mes  chers  parents, 
et  vous  monsieur  le  curé...  Ah!  Dieu  sait 
que  sincèrement  j'avais  cru  à  ma  vocation! 
parce  que  dès  le  plus  jeune  âge,  j'avais  été 
nourri  dans  les  idées  de  religion,  avec  l'hor- 
reur qu'on  m'avait  enseignée  du  péché  de 
la  chair  ;  aussi  quand  je  sentais  mon  cœur 
battre  à    tout   rompre   dans   ma  poitrine. 


•284  LE   BOURGEON 

mon  sang  bouillonner  dans  mes  veines,  af- 
fluer à  mes  joues,  je  croyais  bonnement 
que  c'était  là  une  manifestation  de  l'exalta- 
tion religieuse!  Aujourd'hui,  ah!...  aujour- 
d'hui, j'ai  compris...   aujourd'hui,  je  sais  ! 

(Allant  s'asseoir  sur  le  bras  du  fauteuil  dans  lequel  sa  mère 
est  elle    même  assise  et  bien  câlin  avec    elle.)     Et      CCCl 

m'amène,  maman,  au  grand  point  pour  le- 
quel je  voulais  vous  parler.  Maman,  j'ai 
l'intention  de  me  marier. 

TOUS. 

Hein  ? 

Eugénie  se  lève  anxieuse,  suspendue  atix  lèvres  de 
Maurice. 

LA    COMTESSE. 

Te  marier,  toi  !  Mais  avec  qui  ?  Avec  qui  ? 

MAURICE. 

Avec  celle  que  j'ai  jugée  digne  d'être  ma 
femme  ;  avec  celle  à  qui  vous  avez  vous- 
même  témoigné  votre  sympathie,  avec  celle 
que  j'aime  enfin,  (><e  levant.)  avec  madame  de 
Marigny. 

TOUS. 

Madame  de  Marigny  ! 

Tout  le  monde  s'est  levé  à  l'exception  d'ilourteloup  qui 
semble  dans  les  nuages.  L'abbé  est  légèrement  re- 
descendu de  façon  à  être  devant  la  table. 


LE    BOURGEON  285 

LA   COMTESSE 

Qu'est-ce  que  tu  dis? 

LE    MARQUIS. 

Tu  yeux  épouser   madame  de  Marij^ny? 

EUGÉNIK. 

Tu  veux  épouser  une  cocotte? 

MAUllIGE,  froissô. 

Ah!  Eugénie,  je  vous  en  prie. 

LE  MARQUIS,  à  part. 

Oh!  Ça  va  un  peu  loin!  Ça  va  un  peu 
hiin! 

LA    COMTESSE. 

Ah!  ça,  tu  es  fou!  tu  perds  la  tête!  Ah! 
non.  par  exemple!  Moi,  vivante,  jamais  je 
ne  consentirai. 

En    parLint  elle  passe  devant  Maurice  et  gagne    le   mi- 
môro  3. 

MAURICE,   suppliant. 

Ma  mère... 

LE   MARQUIS. 

Voyons,   mon  enfant,  tu  n'y  penses  pas. 

LA   COMTESSE. 

Oublies-tu  ce  que  tu  dois  au  noni  que  tu 
portes,  ce  que  tu  nous  dois  à  nous?  Ce  que 
tu  te  dois  à  toi-mômc? 


386  LE   BOURGEON 

MAURICE. 

Ma  mère,  j'aime  et  j'estime  madame  de 
Marigny. 

LE    MARQUIS. 

Mais,  mon  pauvre  enfant,  tu  ne  sais  donc 
pas  à  quelle  femme  tu  as  affaire  ? 

LA    COMTESSE. 

Tu  ne  sais  donc  pas  ce  qu'elle  a  été? 

MAURICE. 

Je  sais  tout,  mais  je  sais  aussi  ce  qu'elle 
est  aujourd'hui  et  cela  me  suffit. 

LE   MARQUIS. 

Mon  enfant,  songe  au  scandale,  toi,  le 
comte  de  Plounidec  ! 

LA    COMTESSE. 

Songe  à  ce  que  l'on  dira  ! 

MAURICE. 

Que  m'importe  l'opinion  du  monde  !  j'ai 
ma  conscience  avec  moi. 

Il  passe  (l)  extrême  gauche. 
EUGÉNIE   et  LA   COMTESSE. 

Oh! 

LE   MARQUIS. 

Voyons,  Maurice,  je  ne  suis  pas  sujet  à 
caution,  moi,  tu  sais!  je  suis  un  vieux  li- 
béral. 

MAURICE. 

Mais  justement,  mon  oncle,  vous  êtes  un 


LE   BOURGEON  38T 

vieux  libéral;  et  pour  me  comprendre,  il 
faut  être  un  religieux.  Je  suis  sur  que  mon- 
sieur le  curé  me  comprend,  lui. 

l'abbé,  qui  dos  au  public  debout  près  de  la  table,  semble 
plongé  dans  ses  réflexions,  sursautant  légèrement  eu  se 
sentant  interpellé  et  se  retournant. 

Ilein?  euh!  je...  certainement!...  je...  je 
vous  comprends  ;  mais...  je  comprends 
aussi  madame  la  comtesse  et  M.  le  Mar- 
quis. 

MAURICE,   au  marquis. 

Que  vous  me  blâmiez,  vous,  je  l'admets  ! 

(passant  devant  le   marquis  pour    aller   à  sa  mère.)  maiS 

toi,  ma  mère!  toi,  qui  pratiques  la  doc- 
trine chrétienne;  toi  qui  m'as  toujours  prê- 
ché la  pitié  et  le  pardon...  tout  cela  n'était 
donc  que  des  mots  ? 

LA    COMÏIÎSSE. 

Entre  le  pardon  et  le  mariage,  il  y  a  une 
marge. 

MAURICE. 

Parce  que  y'a  été  une  pécheresse?...  mais 
n'en  est-elle  pas  plus  digne  d'intérêt  ?  et  la 
morale  du  Christ  :  «  II  hii  sera  beaucoup 
pardonné,  car  elle  a  beaucoup  aimé.  » 

Sur  ce  dernier  mot,   il  a  gagné  jusqu'au  Marquis. 


288  LE   BOURGEON 

LE    MARQUIS. 

Trop!...  Elle  a  trop  aimé! 

EUGÉNIE. 

Le  Christ  a  pardonné  à  la  Mag-deleine, 
mais  il  ne  l'a  pas  épousée. 

MAURICE. 

Et  puis  enfin,  il  y  a  une  chose  qui  est  au- 
dessus  de  tout  ra!  Entre  Etiennette  et  moi, 
il  y  a  eu  le  péché  et  dans  un  cas  pareil,  c'est 
le  devoir  de  l'iiommc  do  ré])arer  par  le  ma- 
riage. 

LE    MARQUIS,  les  bras  au  ciel. 

Maison  as-tu  pris  ra? 

MAURICE,    indiquant    l'abbé. 

Monsieur  le  curé  me  le  confirmait  encore 
tout  à  l'heure. 

L'aBBÉj  qui  se  sentant  à  uouveau  interpellé,   en  a   marqué 
sa  contrariété  par  une  moue  ennuvoe. 

Permettez,  je  ne  savais  pas  que  dans 
l'espèce  il  s'agissait  d'une  personne  qui... 

LE    MARQUIS. 

Mais  parbleu!...  Ah!  si  c'était  une  jeune 
fille  que  tu  eusses  détournée,  bon  ! 

l'abbé^  approuvant. 

Voilà  I 

LE    MARQUIS. 

Mais  madame  de  Marigny!... 


LE    BOURGEON  289 

LA   COMTESSE  et  EUGÉNIE,  les  mains  au  ciel. 

Madame  de  Marigny  !  ! 

LE    MARQUIS. 

Mais,  mon  pauvre  petit,  si  chaque  fois 
que  l'on  a  commis  le  péché,  il  fallait  répa- 
rer par  le  mariage,  mais  tous  les  hommes 
seraient  polyg-ames. 

MAURICE,    avec  brusquerie. 

Que  voulez-vous,  mon  oncle,  chacun  sa 
morale. 

Il  s'assied,  boudeur,  sur  le  fauteuil  qu'occupait  sa  mère, 
le  marquis  à  bout  d  arguments,  lève  les  bras  au  ciel 
et  remonte. 

EUGÉNIE,  suffoquant. 

Non,  c'est  de  la  folie!  (a  Heurteioup.)  Mais, 
dis-lui  donc,  toi  !  au  lieu  de  rester  muet 
comme  une  carpe! 

HEURTELOUP,  toujours  sur  sa  brouette,  l'air  détaché,  le 
ton  sec. 

Je  ne  me  mêle  pas  des  choses  qui  ne  me 
regardent  pas. 

EUGÉNIE. 

Alors,  tu  approuves  ce  mariage? 

HEURTELOUP,    les  deux  mains   agrippées    aux  barres  de 
la   brouette  et  avec  explosion. 

Je  n'approuve  jamais  le  mariage! 

EUGÉNIE, 

Hein  ! 

17 


290  LE   BOURGEON 

HEURTELOUP,  avec  un  coup  de   poing  sur  la  barre  de 
traverse  de  la  brouette. 

Je    suis  pour   le  célibat  !    (se    levant  et  à  pleine 

voix.)  Vive  le  célibat  ! 

Il  remonte. 
EUGÉNIE. 

Insolent  ! 

HEURTELOUP,  du  fond,  avec  soulagement. 

Aïe,,  donc! 

LA   COMTESSE,   qui,  pendant  ce  qui  précède,    nerveuse, 
a  arpenté   la  scène,  —  redescendant. 

Et  puis  enfin,  toute  cette  discussion  est 
inutile...  Si  tu  ne  comprends  pas  certaines 
choses,  c'est  à  moi  d'avoir  de  la  raison  pour 
toi:  Ce  mariage  ne  se  fera  pas,  parce  que 
je  ne  le  veux  pas. 

MAURICE,  se  levant  et  douloureusement. 

C'est  bien,  ma  mère,  je  sais  trop  le  res- 
pect que  je  vous  dois  pour  aller  à  l'encontre 
de  votre  volonté.  Mais  je  ne  m'imaginais 
pas  que  par  vous,  j'aurais  à  choisir  entre 
mes  devoirs  filiaux  et  ceux  que  me  dicte 
ma  conscience.  C'est  dur  ! 

LA  CO.MTESSE,   toute  retournée. 

Mon  pauvre  petit,  tu  m'en  veux? 

MAURICE,  très  simplement  mais  avec  un  profond  chagrin. 

Non!  mais  j'en  souflre.  Adieu,  maman. 

Il  gagne  vers  la  droite  dans  la  direction  de  la  sortie. 


LE   BOURGEON  291 

LA.    COMTESSE. 

Tu  pars  ? 

MAURICE,  (5)  s'arrêtant  à  la  voix  de  sa  mère,  et  tout 
en  prenant  son  chapeau  sur  le  banc  de  1  arbre  —  avec 
des  larmes  das  la  voix. 

Oui...  la  carriole  qui  nous  a  amenés  n'est 
peut-être  pas  encore  dételée...  Je  dois  ren- 
trer au  corps  demain  matin  et  alors  !...  (sen- 
tant qu'il  va  pleurer.)  A  tout  à  l'iieure,  maman. 

Il   essuie  une  larme  du  revers  de  la  main  et  gagne  vi- 
vement la  porte  de  droite  ;  sortie. 

LA    COMTESSE,  après  un  temps. 

Pauvre  petit,  il  s'en  va  le  cœur  brisé. 

LE   MARQUIS,  à  gauche  de  la  table. 

Que  veux-tu,  il  y  a  des  opérations  néces- 
saires. Il  faut  savoir  s'y  résig"ner  pour  le 
bonheur  de  ceux  qu'on  aime. 

l'abbé,  à  droite  de  la   table. 

C'est  que  c'est  une  opération  au  cœur, 
monsieur  le  marquis,  et  le  cœur  ne  s'opère 
pas  comme  on  veut. 

LE    MARQUIS,    hochant    la    tête. 

Eh!  je  sais  bien. 

LA  COMTESSE,  avec  un  soupir. 

Hélas! 

EUGKNIE>   avec  une  conviction  comique. 

Mais  qu'est-ce  qui  se  dégage  donc  de  nous. 


292  LE   BOURGEON 

mon  Dieu!  que  les  hommes  subissent  ainsi 
notre  empire  ? 

HEURTELOUP,  du  fond,  gouailleur  indiquant  sa  femme. 

Ah  !  non  !  Écoutez-la  ! 


SCENE  IX 

Les  Mêmes,  ÉriENNETTE. 

A  ce  moment,  Étiennette  paraît  sur  le  perron  du  presbytère. 
TOUS,  à   part. 

Elle! 

Chacun  esquisse  le  mouvement  de  remonter  comme  pour 
lui  céder  la  place. 

Étiennette,  sur  un  ton  de  prière  déférente  à  la 
comtesse. 

Ne  vous  en  allez  pas.  madame. 

LA  COMTESSE,  la  toisant  avec  dédain. 

Madame  ! . . . 

ÉTIENNETTE,  l'arrêtant  du  geste. 

Non,  non!  ne  dites  rien,  je  sais,  j'ai  en- 
tendu ;  (comme  pour  s'excuser.)    la    feuêtrC    était 

ouverte  et  l'on  parlait  un  peu  fort,  alors...! 
(Avec  fermeté.)  Trauquilliscz-vous,  madame,  ce 
mariage  ne  se  fera  pas. 


LE    BOURGEON  393 

TOUS. 

Hein? 

LA   COMTESSE. 

Quoi,  madame..? 

ÉTIENNETTE,  avec  plus  de  fermeté  encore. 

Il  ne  se  fera  pas!...  laissez-moi  seulement 
avoir  un  entretien  avec  votre  fils...  je  crois 
que  vous  serez  contente  de  moi. 

LA  COMTESSE,    hésite    un  instant,    regarde    Étiennette 
fixement  pour   tâcher  de  lire  dans  sa  pensée,  puis  : 

Soit!  (Elle  s'incline  légèrement,  passe  devant  Étien- 
nette, gagne  le  perron,  et  une  fois  la  troisième  marche  fran- 
chie, se  retourne  pour  dire  :)  PardonUCZ-moi     d'êtrC 

obligée  de  vous  faire  du  mal. 

ÉTIENNETTE. 

Vous  défendez  votre  fils,  madame,  il  n'y 
a  rien  de  plus  respectable. 

LA   COMTESSE. 

Merci. 

La  comtesse  entre  dans  le  presbytère  tandis  qu'Étien- 
nette  remonte  —  Le  marquis  entre  à  la  suite  de  la 
comtesse,  suivi  de  l'abbé,  suivi  lui-même  d'Heurte- 
loup  et  d  Eugénie  qui  se  chamaillent  à  voix  basse.  — 
Arrivé  à  la  troisième  marche  1  abbé  se  retourne  pour 
livrer  passage  au  couple  en  discorde  —  Heurteloup  qui 
marche  en  quelque  sorte  à  reculons  pour  discuter  avec 
sa  femme,  n'a  pas  vu  le  mouvement  du  curé,  et  va 
donner  contre  lui  —  le  choc  le  renvoie  sur  sa  femme, 


294  LE   BOURGEON 

qui  le  repousse  brutalement  —  après  quoi  ils  entrent 
tous  trois  au  presbytère  —  Étiennette  qui  au  fond 
et  face  au  presbytère,  a  regardé  à  distance  tout  ce  jeu 
de  scène,  n'a  pas  aperçu  Huguette  qui  est  entrée  sur 
ces  entrefaites,  avec  sa  bicyclette  en  main  —  En  se 
retournant,  elle  se  trouve  nez  à  nez  avec  elle. 
ÉTIE.NNETTE,   se  retournant. 

Ohl  pardon  mademoiselle. 

HUGUETTE,  qui  a  déposé  dès  son  entrée,  sa  bicyclette 
contre  la  haie  du  fond. 

Ohl  vous!  vous  !  je  vous  déteste! 

Elle  se  sauve,  troisième  plan  gauche. 
ÉTIENNETTE,    interloquée. 
Hein  ?  (Après  un  temps  très  lentement  et  avec  un  hoche- 
ment de  tête.)  Ah!  Oui...  oui,  je  comprends  ! 


SCENE  X 

ÉTIENNETTE,  MAURICE. 

MAURICE,  entrant  de  droite,  la  figure  profondément 
attristée  et  allant  à  Étiennette. 

Ma  pauvre  Étiennette  ! 

ÉTIENNETTE. 

Mon  pauvre  petit  Maurice  I 

MAURICE. 

Tu  sais? 


LE   BOURGEON  395 

ÉTIENNETTE. 

Oui. 

MAURICE,  se  laissant  tomber  sur  le  banc  de  l'arbre. 

Ah  I  maman  a  été  vraiment  cruelle. 

Il  dépose  d'un  geste   accablé  son  chapeau  près   dé  lui 
Bur  le  banc. 

ÉTIENNETTE,  debout  devant  lui  —  lui  mettant 
affectueusement  une  main  sur  1  épaule. 

Ne  l'accuse  pas,  Maurice!  A  sa  place, 
ayant  un  fils,  j'aurais  agi  comme  elle. 

MAURICE. 

Oh! 

ÉTIENNETTE. 

Si!  si!  vois-tu,  c'est  un  aveu  qu'il  faut 
avoir  le  courage  de  se  faire  à  soi-même  : 
nous  ne  sommes  pas  des  femmes  que  l'on 
épouse.  Nous  sommes  ici-bas  pour  donner  du 
plaisir,  pour  donner  de  l'amour,  il  ne  nous 
appartient  pas  de  donner  un  foyer;  conten- 
tons-nous de  notre  rôle.  J'aurai  eu  de  toi  le 
meilleur  de  toi-même,  la  fleur  de  ta  jeu- 
nesse, tes  premiers  baisers,  tes  premières 
étreintes.  Tu  auras  été  le  printemps,  le  sou- 
rire de  ma  vie  ;  et  toujours  de  ton  souvenir 
se  dégagera  pour  moi  comme  un  parfum 
d'amour  qui  embaumera  jusqu'à  mes  vieux 


296  LE   BOURGEON 

jours.    Qu'ai-je   le    droit    de   demander    de 
plus  ?  Ne  suis-je  pas  parmi  les  heureuses  ? 

MAURICE. 

Étiennette,  tes  paroles  me  brisent  le  cœur. 

ÉTIENNETTE. 

Crois-tu  qu'elles  ne  déchirent  pas  le  mien? 
Mais  quand  nous  fermerons  les  yeux  à  la 
réalité,  empêcherons-nous  qu'elle  soit?  Re- 
nonce à  ce  mariage,  Maurice!  nous  ne  som- 
mes pas  des  femmes  qu'on  épouse. 

MAURICE. 

Mais  tout  cela,  ce  sont  des  conventions 
du  monde!  Est-ce  qu'il  peut  m'empêcher  de 
t'aimer.  le  monde  ?  Est-ce  qu'il  pourra  faire 
que  je  puisse  aimer  jamais  une  autre  femme 
que  toi? 

ÉTIENNETTE. 

Enfant  !  Tu  parles  bien  comme  un  être 
qui  aime  pour  la  première  fois  et  qui  croit 
encore  à  l'éternité  de  l'amour  I  Mais  si 
j'étais  assez  démente  pour  accepter  le 
bonheur  que  tu  m'offres...  avec  tout  ton 
cœur  aujourd'hui,  mais  c'est  toi,  demain, 
qui  ne  me  pardonnerais  pas  de  n'avoir  pas 
eu  de  la  raison  pour  toi. 

MAURICE. 

Étiennette,  comme  tu  me  juges  mal  I 


LE   BOURGEON  297 

ÉTIENNETTE,  avec  un  soupir  d'amertume. 

Je  ne  te  juge  pas  mal,  je  te  juge  selon  la 
nature  des  hommes.  Crois-moi,  mon  cher 

amié,     (s'asseyant  tout  près  de  lui  à  sa  droite.)  ij    laut 

nous  prendre  pour  ce  que  nous  sommes  : 
quelque  chose,  comme  ces  fleurs  de  luxe, 
voyantes  et  capiteuses,  arrangées  pour  pa- 
raître, que  l'on  achète  pour  orner  sa  bou- 
tonnière, plus  encore  pour  les  autres  que 
pour  soi-même  et  que  le  soir  venu,  alors 
que  déjà  elles  se  flétrissent,  on  jette  dans  un 
coin,  comme  une  chose  dont  on  a  pris  tout 
ce  qu'elle  pouvait  donner.  La  vérité,  vois- 
tu,  c'est  la  petite  fleur,  bien  plus  modeste, 
quelquefois  sauvage,  au  parfum  plus  dis- 
cret, mais  si  jolie  1  si  purel  si  délicate!  que 
votre  œil  découvre,  que  votre  regard  choi- 
sit et  que  votre  main  cueille  sur  la  branche 
même  qui  l'a  fait  naître.  Celle-là,  vous  l'ai- 
mez, parce  que  vous  sentez  que  le  premier 
vous  l'avez  vue,  qu'elle  n'est  que  pour  vous. 
C'est  cette  petite  fleur-là  qu'il  te  faut,  Mau- 
rice, cette  petite  fleur  un  peu  sauvage,  que 
ton  œil  n'a  pas  découverte  et  qui  pourtant 
existe,  ici,  pas  loin,  à  portée  de  ta  main. 

MAURICE,  d'un  ton  presque  bourru. 

Quoi  ?  Qui  ça  ? 

17. 


298  LE   BOURGEON 

ÉTIENNBTTE. 

Ta  cousine. 

MAURICE. 

Huguette  ? 

ÉTIENNETTE. 

Oui. 

MA.URIGE,  haussant  les  épaules. 

Elle?  la  bonne  histoire  !  elle  ne  peut  pas 
me  sentir. 

En  ce  disant  il  s'est  levé  et  boudeur  remonte  un  peu 
vers  le  fond. 
ÉTIENNETTE,  gagnant  un  peu  la  droite. 

Crois-tu? 

MAURICE. 

J'en  suis  sûr. 

ÉTIENNETTE,   affirmative. 

Elle  t'aime. 

MAURICE,  se  retournant  à  demi  et  pardessus  l'épaule, 
d'un  air  narquois. 

Elle  te  l'a  dit  ? 

ÉTIENNETTE. 

Peut-être  pas  précisément  dans  ces  ter- 
mes, mais  enfin  quelque  chose  d'approchant. 
Elle  m'a  dit  :  «  Oh  !  vous,  vous,  je  vous  dé- 
teste !  » 

MAURICE,   redescendant  (l)  vers  Etiennette  (2). 

Ah  I  Eh  bien  ? 


LE  BOURGEON  299 

ÉTIENNETTE. 

Eh  bien  ?  pourquoi  me  déteste-t-elle,  si  ce 
n'est  parce  qu'elle  sent  que  je  possède  le 
cœur  de  son  Maurice  qu'elle  aime  et  qu'elle 
ne  me  pardonne  pas  de  lui  ravir.  Epouse- 
là,  mon  aimé,  c'est  la  femme  qu'il  te 
faut. 

MAURICE. 

Etiennette,  mais  c'est  fou.  L'épouser, 
moi!...  quand  mon  cœur  est  plein  de  toi, 
quand  notre  amour  est  encore  tout  récent... 
qu'il  est  dans  toute  sa  force... 

ÉTIENNETTE,   vivement. 

Ohl  mais  non,  mais  non...  je  ne  te  demande 
pas   de    l'épouser   tout   de  suite  I  Oh  I    non 

non...    (Lui    prenant    amicalement    les  épaules    entre    les 

deux  mains.)  Je  te  demande  simplement  de  te 
faire  à  cette  idée,  d'envisager  cette  perspec- 
tive, pour  plus  tard,  beaucoup  plus  tard  1 
dans  un  an...  un  an  et  demi. 

MAURIGK,  très  par-dessous  jambe. 

Ohl  Dans  un  an,  un  an  et  demi...  Alors 
nous  avons  le  temps  d'y  penser... 

Tout  en  parlant  il  se  dcgago  d'Étionnette  et  gagne  le  n°  2. 
ÉTIENNETTE,  insistant. 

Promets-moi  qu'alors  tu  l'épouseras. 


300  LE   BOURGEON 

MAURICE,  comme  un  homme  qui  voit  le  temps  devant  lui 
et  trouve  inutile  de  discuter. 

Bon,  bon.  soit!  puisque  ça  te  fait  plaisir, 
c'est  entendu  :  dans  un  an  I 

ÉTIENNETTE,  vivement. 

Oh!  un  an...  un  an  et  demi... 

MAURICE,  se  retournant  vers  elle. 

Ah  !  Ah!  Tu  vois  !...  Tu  marchandes  déjà  ! 

Ils  remontent  côte  à  côte  vers  le  fond.  A  ce  moment  un 
incident  invisible  au  public  attire  l'attention  d'Étien- 
nette. 

ÉTIENNETTE,  indiquant  le  deuxième  plan  gauche. 

Oh  tiens!  Regarde  un  peu  qui  vient  là? 

MAURICE,  regardant. 

Huguette!  Qu'est-ce  qu'elle  a  ? 

Pour  observer  en  se  dissimulant  ils  vont  se  réfugier 
derrière  larbre,  restant  toujours  visibles  aux  spec- 
tateurs. 


SCENE   XI 

Les  Mêmes,  LA  MÂRIOT  TE,  HUGUETTE. 

HUGUETTE,  en   pleurs,  poursuivie  par   la  Mariette  qui  la 
harcèle. 

Mais  laissez-moi,  je  vous  dis,  laissez-moi. 


LE   BOURGEON  301 

LA   MARIOTTE. 

Mais  enfin,  qu'est-ce  que  vous  avez  made- 
moiselle? 

HUGUETTE. 

Mais  rien,  quoi!  je  n'ai  rien. 

LA   MARIOTTE. 

Comment,  rien  ?  Je  vous  trouve  là  au  fond 
du  jardin,  pleurant  à  chaudes  larmes. 

HUGUETTE,    convulsivement. 

Oh! 

LA   MARIOTTE 

Attendez,  je  vais  un   peu  aller  trouver 
votre  papa,  pour  qu'il  voie  clair  dans  tout  ça. 

HUGUBTTB. 

Oh  non  non  !  Je  vous  le  défends  ! 

LA    MARIOTTE. 

Si  si  !   Je  ne  veux  pas  que  vous  ayez  du 
chagrin,  moi  ! 

Elle  entre  au  presbytère. 
HUGUETTE,  s'effondrant  sur  le  banc  qui  entoure  l'arbre. 

Oh!  n'avoir  même  pas  la  liberté  de  pleu- 
rer en  paix! 

Elle    pleure,  la    tête  dans    ses    mains.    —  Maurice   et 

Étiennette  ont  écouté  tout  cela  avec  compassion. 
ÉTIENNETTE,  émue  —  à  Maurice  à  mi-voix. 

Dis-lui  un  mot,  voyons  I  console-là  ! 


302  LE  BOURGEON 

Maurice  hésite  un   instant,  puis  se  laissant  persuader, 
va  s'asseoir  tout  près  d  Huguette. 

MAURICE,  une  fois  assis. 

Tu  pleures,  Huguette  ? 

HUGUETTE  (l),  sursautant. 
Hein  !     Toi  !     (Essuyant  vivement  ses  yeux.)    Non  ! 

non  ! 

MAURICE  (2),  atïectueusement. 

Qu'est-ce  que  tu  as  ? 

HUGUETTE. 

Rien.  C'est  nerveux! 

MAURICEj   id. 

Non  ça  n'est  pas  nerveux!  Tu  as  du  cha- 
grin. Est-ce  vrai,  ce  qu'on  m'a  dit,  que  c'est 
à  cause  de  moi  ? 

HUGUETTE. 

De  toi  !  Oh  non!...  non! 

MAURICE. 

Ah  !  n'est-ce  pas.  que  ce  n'est  pas  exact, 

(Avec  un  geste  de  la  tête  dans  la  direction  d'Étiennette  qui, 
elle,  assiste   à   cet  entretien,   dissimulée  par   l'arbre.)   CG 

qu'on  voudrait  me  persuader,  que  soi-di- 
sant, tu  m'aimerais  ? 

HUGUETTE,  vivement. 

Oh  non  !  non  ! 


LE  BOURGEON  303 

MAURICE,  sur  un  ton  de  triomphe  à  l'adresse  d'Étiennette. 

Ah  I  (a  Huguette.)  Qu'au  contraire,  la  vé- 
rité, c'est  que  plutôt,  un  peu  d'antipathie... 

HUGUETTE,  avec  feu. 

D'antipathiel  Oh  non...  (pius  timidement.) non I 

MAURir.E. 

Non? 

HUGUETTE,   toute  confuse. 

Ah!  Maurice!  Maurice,  laisse-moi! 

MAURICE. 

Tu  me  repousses  ? 

HUGUETTE,   se  cachant  la  figure  dans  les  mains. 

Oh  I  Que  je  suis  malheureuse  ! 

MAURICE,  affectueusement. 

Huguette  ! 

HUGUETTE,    éclatant. 

Oh!  toi!  toi...  et  cette  femme!... 

MAURICE,  interloqué. 

Hein? 

HUGUETTE. 

Quand  je  pense  que  tout  à  l'heure,  là... 
Oh!  Je  la  hais  !... 

MAURICE,  vivement  et  véhémentement. 

Ne  la  hais  pas,  Huguette!  Si  tu  savais!... 
si  tu  savais  ce  qu'elle  me  disait  de  toi,  tout 
à  l'heure... 


304  LE   BOURGEON 

HUGUETTE,  avec  un  ricanement  dédaigneux. 

Vraiment  ! 

MAURICE. 

Elle  me  disait  que  tu  étais  la  femme  qu'il 
me  faut!  Que  je  devrais  t'épouser  ! 

HUGUETTEj  le  regarde  un  instant  interloquée,  puis  : 

Elle  t'a  dit  cela,  elle? 

MAURICE,  les  bras  croisés,  tournant  à  demi  le  dos  à  Hu- 
guette  et  sur  un  ton  maussade  où  perce  un  peu  de  ran- 
cune contre  Huguette  pour  les  propos  qu'elle  ^ ient  de 
tenir. 

Oui,  elle  m'a  dit  ça  ! 

HUGUETTE,  n'en  croyant  pas  ses  oreilles. 

Est-il  possible!...  Oh!  Et  moi  qui  croyais... 
qui  me  figurais!...  (changeant de  ton.)  Oh!  oui, 
mais  toi!  toi,  tu  as  répondu  non! 

MAURICE,  toujours  à  demi  tourné,  et  sur  le  même  ton 
maussade. 

Moi?...  non,  je  n'ai  pas  répondu  non. 

HUGUETTE,  explosion  de  joie. 

Tu  n'as  pas  répondu  non  ! 

MAURICE,  id. 

Non,  je  n'ai  pas  répondu  non  ! 

HUGUETTE. 

Ah!  Maurice!   Maurice!...  Si  tu  savais. 


LE   BOURGEON  305 

je...  la...    la...    ah!    ah!...    (changeant  brusquement 

de  ton.)  Attends-moi...  Attends-moi  ! 

Elle  se  sauve  comme  une  folle. 
MAURICE,  se  levant  comme  pour  la  retenir. 

Huguette  ! 

HUGUETTE,  tout  en  courant. 

Oui,  oui,  je  reviens. 

Elle  se   précipite  dans  le  presbytère. 
MAURICE,   ahuri. 

Eh  bien!  Qu'est-ce  qu'elle  a? 

ÉTIENNETTE,  qui  pendant  toute  cette  scène  a  souffert 
visiblement  un  véritable  calvaire,  allant  à  Maurice  et  avec 
une  émotion  contenue. 

Et  maintenant  mon  petit  Maurice,  il  faut 
être  bien  raisonnable,  et  me  laisser  m'en 
aller. 

MAURICE,  ahuri. 

Hein  !  Tu  pars  ? 

ÉTIENNETTE. 

Je  ne  saurais  rester  davantage...  Ma 
place  n'est  plus  ici... 

MAURICE. 

Oh!  mais,  attends-moi;  je  rentre  avec 
toi... 

ÉTIENNETTE. 

Non,  non...  Toi,  tu  partiras  ce  soir. 


306  LE  BOURGEON 

MAURIGBj  suppliant. 

Etiennette...  ! 

étîennette. 

si,  si  !  Tu  vas  être  bien  mignon  et  faire 
ce  que  je  te  dis. 

MAURICE,  avec  angoisse. 

Etiennette,  tu  ne  penses  pas  à  me  quit- 
ter... Tu  rentres  à  Paris,  mais  une  fois  là- 
bas... 

étîennette. 

Mais  oui,  mais  oui...  Tu  sais  bien  que  je 
t'aime. 

MAURICE. 

A  demain  alors. 

étîennette. 

A  demain!  (Maurice  tend  les  lèvres  vers  elle  pour 
l'embrasser,  elle  le  repousse  doucement.)  AllonS  !  al- 
lons !  sage  !... 

MAURICE. 

Etiennette  ! 

ETIENNETTE. 

Chut!  ChutI  Demain! 

Elle  a  gagné  doucement  à  reculons  jusqu  à  la  porte  de 
droite.  —  Au  moment  de  la  franchir,  à  Maurice  qui 
la  regarde  littéralement  terrassé,  elle  envoie  un 
baiser  et  sort.  Elle  n'est  pas  plus  tôt  dehors  qu'Hu- 
guette  paraît,  tirant  son  père  par  la  main;  à  leur  suite 
la  Comtesse,  l'Abbé,  Eugénie  etHeurteloup. 


LE  BOURGEON  307 


SCENE  XII 

MAURICE,   HUGUETTE,  LE    MARQUIS,    LA 
COMTESSE,  L'ABBÉ,  HEURTELOUP, 

EUGÉNIE. 

HUGUETTE,  entraînant  son  père. 

Viens  papa!  Venez,  ma  tante!  Vous  ne 
savez  pas  la  nouvelle!...  Maurice,  m'a  de- 
mandé ma  main. 

MAURICE,  tombant  des  nues. 

Moi! 

TOUS,  stupéfaits. 

Hein? 

LE  MARQUIS. 

Est-il  possible! 

LA  COMTESSE,  passant  devant  le  Marquis  et  Huguette  et 
allant  à  son  fils. 

Toi  !  Mon  enfant  I 

MAURICE,  abasourdi. 

Comment  maman,  mais  non  ! 

TOUS. 

Non?... 

HUGUETTE. 

Oh!  Si...  si!...  Il  peut  dire  ce  qu'il  vou- 


308  LE   BOURGEON 

(Irai...  à  l'instant  il  s'est  déclaré...  alors...! 
Ça  m'est  égal,  maintenant  que  je  sais  que 
c'est  la  timidité. 

MAURICE. 

Hein! 

LA  COMTESSEj   radieuse. 

Ah  !  mon  enfant  I  mon  chéri  !  Ce  mariage- 
là,  à  la  bonne  heure. 

MAURICE. 

Mais  maman... 

EUGÉNIE,  qui  ainsi  qu'Heurteloup   a   fait  le  tour  par  le 
fond,  surgissant  à  la  gauche  de  Maurice. 

Ah  !  Maurice  !  Ça,  oui  ;  voilà  qui  est  bien  I 

Elle  lui  serre  la  main  et  remonte. 
MAURICE. 

Quoi? 

L  ABBÉ,   surgissant  à  la  droite  de  Maurice,    la  Comtesse 
étant  un  peu  remontée. 

Mes   compliments...   Une    union   comme 
celle-là...! 

Il  lui  serre  la   main   et  remonte  féliciter  la   comtesse. 
MAURICE. 

Monsieur  le  curé...  mais  non! 

HEURTELOUP,   surgissant  à  sa  gauche. 

Je  ne  suis  pas  pour  le  mariage...  mais 
celui-là  !... 

Il  lui  serre  les  mains  avec  chaleur. 


LE    BOURGEON  309 

MAURICE. 

Mais  enfin!...  (a  lui-même,  furieux.)  Olil  c'est 
trop  fort! 

HUGUETTE,  passant  son  bras  autour  du  sien. 

Tu  vois  comme  tout  le  monde  est  content. 

LE   MARQUIS. 

Mon  fils!...  Dans  mes  bras! 

MAURICE,    littéralement  ahuri. 

Hein? 

HUGUETTE,  le  poussant  dans  les  bras  de  son  père. 

Là!  dans  les  bras  de  papa! 

LE    MARQUIS,  l'étreignant. 

Mon  enfant!  mon  gendre! 

TOUS. 

Bravo  !  Bravo  I 

Au  milieu  des  applaudissements,  Cn  entend  des  i  Très 
bien  n   «  A  la  bonne  heure...   » 
MAURICE,   avec  un  affolement  comique. 

Mais  ça  y  est  !  On  me  marie  alors!  on  me 
marie  ! 

LA  COMTESSE^  qui  est  descendue  à  l'extrême  gauche,  à 
la  droite  du  Marquis, 

Alors  tu  consens  ? 

LE  MARQUIS,   en  regardant  Maurice. 

Si  je  consens  !...  Je  crois  bien! 

Pendant  ces  dernières  répliques,  on  a  entendu  à  la  can- 
tonade le  grelot  d'un  cheval. 


310  LE  BOURGEON 

MAURIGEj  instinctivement,  se  précipitant  vers  la  grille  du 
fond  et  à  part. 

Étiennette  ! 

Tout  le  monde  le  regarde  étonné. 
LE  MARQUIS)  à  qui  ce  jeu  de  scène  n  a  pas   échappé,  — 
hochant  la  tète  en  comprenant  soudain  la  situation  et 
à  part. 

Alla,  !...  (voyant  Maurice  qui,  s'étant  rendu  compte 
que  son  mouvement  a  été  remarqué,  redescend  un  peu  gêné, 
—  reprenant  sa  phrase.)  Je     COnSCnS...     mais     paS 

tout  de  suite... 

MAURICE^  avec  une  joie  mal  dissimulée. 

Ah? 

TOUS,  désappointés. 

Oh  I 

LE   MARQUIS. 

Non...  non!...  Ce  sont  encore  deux  ga- 
mins!... Maurice  finira  son  service  mili- 
taire... Pendant  ce  temps,  Iluguette  se  fera 
plus  femme!  Dans  un  an...  un  an  et  demi... 

MAURICE,  à  part. 

Oui,  ohl  bien,  d'ici  là!... 

LE    MARQUIS,  sournoisement. 

Je  suis  persuadé  que  Maurice  se  rangera 
à  mon  désir... 

MAURICE,  hypocritement. 

Mais...  mon  oncle...  du  moment  que  c'est 
votre  volonté... 


LE  BOURGEON  311 

LE  MARQUIS,  malicieusement. 

C'est  ma  volonté,  oui  !...  oui  !... 

HUGUETTE,  passant  son  bras  autour  de  celui  de  Maurice. 

L'important,  c'est  de  savoir  qu'on  s'épou- 
sera, n'est-ce  pas? 

Elle  entraîne  Maurice  vers  l'arbre  sur  le  banc  duquel 
ils  s  asseyent. 

LA  COMTESSE,  bas,  au  Marquis. 

Ah!  ça!...  pourquoi?...  pourquoi  tant  de 
temps  ? 

LE  MARQUIS,  comme  un  homme  qui  a  son  idée  de  derrière 
la   tête. 

Parce  que!  (pour  donner  une  raison.)  PaFCe  qu'ils 

ne  sont  mûrs  ni  l'un  ni  l'autre  pour  le  ma- 
riage; et  puis...  et  puis  enfin,  parce  que 
j'estime  qu'en  matière  de  fièvre,  il  ne  faut 
jamais  essayer  de  la  faire  rentrer...  Il  faut 
que  ça  sorte...  et  puis  que  ça  passe. 

LA  COMTESSE. 

Je  ne  comprends  pas... 

LE  MARQUIS. 

Oui,  mais  moi,  je  me  comprends. 

l'abbé,  debout  près  du  jeune  couple  assis. 

Allons,  voilà  un  mariage  que  je  bénirai, 
car  j'espère  bien  qu'il  se  fera  à  Plounidec. 

LA  COMTESSE. 

Certes  ! 


312  LE   BOUEGEON 

HEDRTELOUP,  à  l'extrême  droite. 

Est-ce  qu'il  faudra  que  j'y  assiste  en  bleu? 

EUGÉNIE,  près  de  lui. 

Naturellement  ! 

HEURTELOUP. 

Eh!  bien!  Elle  est  verte,  celle-là! 

LE  MARQUIS. 

Qu'est-ce  que  vous  voulez,  Ileurteloup  ? 
ça  n'est  pas  rose  tous  les  jours  ! 


Rideau. 


VARIANTE 

NOTA  :  Quelques  Imprésarios  étrangers  m'ont  fait 
remarquer  à  propos  de  l'Homme  que  l'on  voue  au 
bleu  au  dernier  acte  du  Bourgeon,  que  ce  genre  de 
vœu  étant  inconnu  dans  certains  pays,  il  convenait 
pour  faire  comprendre  la  chose,  d'initier  le  public  des 
dits  pays,  par  une  scène  préparatoire  qui  en  assu- 
rerait l'effet.  J'ai  donc  écrit  dans  ce  but  la  variante 
ci-dessous  qui,  je  l'espère,  satisfera  à  toutes  les  exi- 
gences. 

G.  F. 


ACTE   PREMIER 


SCENE    IX 

Les  Mêmes,  VÉTILLE,  puis  LE  MARQUIS 
et  L'ABBÉ. 

LA  COMTESSE,  voyant  le  docteur  qui  sort  de  chez  son 
fils. 

Ah!  Docteur...!  (Redescendant  en  scène  avec  lui.) 

Eh!  bien  vous  avez  examiné  mon  fils? 

i8 


314  LE  BOURGEON 

VÉTILLE  (3). 

Eh  !  oui.,  madame  ;  il  se  dispose  à  aller 
prendre  son  bain. 

LA  COMTESSE  (2). 

Ah?  VOUS  autorisez? 

VÉTILLE. 

Certes  !  très  bon,  la  mer  :  ça  fouette  le 
sang!  Tout  ce  qui  est  exercice  violent,  j'ap- 
prouve. 

LA  COMTESSE. 

Ah  !  Docteur,  si  vous  saviez  —  ma  cou- 
sine peut  vous  le  dire  —  tous  les  tourments 
que  cet  enfant  m'a  donnés  depuis  sa  nais- 
sance, avec  sa  santé!...  Tout  petit,  j'ai  failli 
le  perdre,  de  la  scarlatine!  Les  médecins 
l'avaient  abandonné.  Docteur  ! 

VÉTILLE. 

Ils  n'en  font  jamais  d'autres! 

LA  COMTESSE. 

Heureusement,  j'étais  là  !  je  l'ai  sauvé, 
moi!...  malgré  eux! 

VÉTILLE. 

Eh!  mon  Dieu!...  et  comment?  Ça  m'in- 
téresse, vous  comprenez  ! 

LA   COMTESSE,  comme  de  la  chose   la   plus  simple  du 
monde. 

En  le  vouant  au  bleu. 


LE   BOURGEON  315 

VÉTILLE. 

Quoi  ? 

LA.    COMTESSE. 

Je  l'ai  voué  au  bleu. 

VÉTILLE. 

C'est  la  première  fois  que  j'entends  par- 
ler de  cette  médication-là. 

EUGÉNIE,  à  part,  avec  pitié. 

Médication  ! 

LA  COMTESSE,    avec  un  sourire   indulgent. 

Vous  ne  me  paraissez  pas,  Docteur,  très 
versé  sur  les  choses  de  la  religion. 

VÉTILLE. 

Dame,  madame!  évidemment...  !  ce  n'est 
pas  beaucoup  ma  partie... 

EUGÉNIE,  à  part  et  comme  précédemment. 

Sa  partie  I 

LA  COMTESSE. 

Eh  !  bien,  docteur,  pour  vous  initier  : 
Quand  on  a  des  raisons  d'appeler  la  Misé- 
ricorde Divine  sur  un  être  aimé,  on  le  voue 
à  la  Vierge,  oui  !...  pour  un  temps  déter- 
miné. 

VÉTILLE,  avec  un  profond  sérieux. 

Ah? 


316  LE    BOURGEON 

LA    COMTESSE. 

Et  alors,  il  est  entendu  que  pendant  cette 
période  on  ne  l'habille,  des  pieds  à  la  tête, 
qu'en  bleu. 

VÉTILLE. 

Oui  dàl 

EUGÉNIE. 

...  qui  est  la  couleur  de  notre  sainte 
Mère  la  Vierge  Marie. 

VÉTILLE. 

Oui,  oui.  oui,  oui!...  Eh!  bien  mais,  di- 
tes donc,  si  vous  avez  confiance  dans  ce  re- 
mède, moi  vous,  savez...!  Avant  tout  la  foi. 

EUGÉNIE,    avec  amour. 

Oh!  oui. 

LA  COMTESSE 

Hélas  !  docteur,  mon  fils  part  en  octobre 
pour  son  service  militaire. 

VÉTILLE. 

Ah?  ah?...  oh!  mais  très  bon  ça!  Je  ne 
voudrais  pas  vous  faire  de  la  peine,  mais 
j'aurais  bien  plus  confiance  dans  ce  remède 
là,  qu'en  votre  machin  bleu  vous  savez  I 

EUGÉNIE,   scanrialisoo. 

Oh! 

VÉTILLE. 

Le  régiment,  aha  I  parlez-moi  de  ça  !  voila 


LE   BOURGEON  317 


qui  vous  requinque  un  homme!  Sans  comp- 
ter que  votre  fils  trouvera  parmi  ses  cama- 
rades des  exemples  salutaires  à  son  état  et 
s'il  a  la  bonne  idée  de  les  suivre...! 

LA  COMTESSE. 

Vraiment,  Docteur?  Ohl  vous  me  tran- 
quillisez: moi  qui  me  faisais  un  monde...! 
Mais  enfin,  qu'est-ce  qu'il  a  ? 

VÉTILLE. 

Votre  fils  ? 

LA   COMTESSE. 

Oui! 

VÉTILLE. 

Eh!  bien,  mais  qu'est-ce  que  vous  voulez 
que  je  vous  dise?  C'est  un  garçon  qui  fait 
de  la  neurasthénie. 

LA   COMTESSE,  s'effarant. 

Ah!  mon  Dieu,  c'est  grave? 

VÉTILLE. 

En  soi,  non  ;  mais  enfin  c'est  toujours  un 
mauvais  terrain. 

LA   COMTESSE. 

Dieu!  mon  Dieu  !...  et  comment  pensez- 
vous  qu'on  puisse  enrayer...? 

VÉTILLE. 

Comment  ? 


318  LE  BOURGEON 

LA  COMTESSE. 

Oui. 

VÉTILLE,  hésite  un  moment,  puis  brusquement. 

Ecoutez-moi,  madame  :  Je  suis  un  vieux 
militaire  et  pour  moi  un  chat  est  un  chat. 

LA   COMTESSE. 

Oui,  Docteur,  oui. 

VÉTILLE 

Eh  !  bien,  ce  qu'il  faudrait  à  votre  fils, 
dame...  il  faudrait...  il  faudrait... 

LA  COMTESSE,  sur  les   charbons. 

Mais  quoi  ?  quoi  ? 

VÉTILLE,   éclatant. 

Mais  qu'il  marche,  madame!  qu'il  mar- 
che I 

Etc.,  etc. 


FIN 


Imprimerie  Générale  de  ChàtUlon-s-Selne.  —  A.  Pichat. 


PQ     Feydeau,  Georges  Léon  Jules 

2611    Marie 

E86b6  Le  bourgeon 


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